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I
70 ^ '0
n
I
♦
COLLECTION
DES CHRONIQUES
DE J. FROISSART.
TOME X.
TOUL, IMPRIMEHIE DE J. CABEZ.
POÉSIES
DE
J. FROISSART
SE DEUX MANUSCRITS DE LA BlBLIOTUkQUE DU UOl
ET PUBLIÉES rOUB LA fREHIÈUE FOIS
lAH J. A. BUCHOiN.
PARIS,
VEBDIËIIE , UBRAIRË, QUAI DES AIGUSTIKS, K" 23.
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MEMOIRE
SUR
LA VIE DE JEAN FROISSART ,
PAR M. D« LA CUBN^E DE S.» PALATB.(i}
Jean Froissaht', prêtre, chanoine et trésorier
de l'église collégiale de Chiraay, historien et
poëte, naquit à Valenciennes, ville du Haynaut,
vers Pan 1337. Cette date qui paraît contredite par
un seul passage de sa chronique, est constatée par
un grand nombre d'autres ^ tant de sa chronique
même que de ses poésies manuscrites. Quelque
attention qu'il ait eue à nous apprendre les plus
petites circonstances de sa vie, il ne dit rien de
> Elirait du t. X. des Mémoire! de TAead. des inieripiions et
belles lettres.
> Son nom se trouve écrit de plusieurs façons différentes dans sa
chronique même, et dans ses Poésies mss, Froissartf FroisSard et
FroUsars.
3 Chron., liv. 1, Prolog;ue XIV, p. 134, Prologue du 4.« lir.
FEOISSART. T. XVI. I
2 VIE
son extraction. Où peut seulement conjecturer
d'un passage de ses poésies ' , que son père qui
s'appelait Thomas , était peintre d'armoiries.
Nous trouvons, dans son histoire, un Froissart
Meullier, jeune écuyer du Haynaut, qui signala sa
valeur à l'assaut du château de Figuières en Es-
pagne, que les Anglais et les Gascons attaquèrent
en I38I. Son pays et «on nom donnent lieu de
penser que notre historien pouvait bien être son
parent, et comme lui d'une famille noble. Frois-
sart est qualifié cheyalier à la tête d'un Mss. de
l'Abbaye de St.-Germain-des-Prez^ mais comité
il n'a ce titre dans aucun autre Mss., quoique nous
en ayons de plus anciens et de plus authenti-
ques, il est vraisemblable qu% le copiste le lui
aura donné de sa propre autorité.
Son enfance annonça ce qu'il devait être un
jour. 11 montra de bonne heure cet esprit vif et
inquiet, qui pendant le cours de sa vie ne lui
permit pas de demt;urci- luiig-ieuips attaché aux
mêmes occupations et aux mêmes lieux. Les dif-
férents jeux propres à cet âge, dont il nous fait
un tableau également curieux et amusant, entre-
tenaient en lui un fonds de dissipation naturelle
qui exerça souvent, dans le t^mps de ses premières
' Dans naepaslonrellnà la pa^e 28>1< de ses poésies Mss. n.o 7214
de la bibliothèque du roi, qui est celui que je citerai toujours,
quoiqu^il y en ait un antre» o.° 7213.
DE JEAN FROISSART. 3
études, la patience et la sévérité de ses maîtres. '
Il aimait la chasse, la musique, les assemblées,
les fêtes, les danses, la parure, la bonne chère, le
vin, les femmes^ et ces goûts, qui se développè-
rent presque tous dès Tâge de douze ans, s'é-
tant fortifiés par l'habitude , se conservèrent
même dans sa vieillesse, et peut-être ne le quit-
tèrent jamais* L'esprit et le cœur de Froissart
n'étaient point encore assez occupés, son amour
pour l'histoire remplit un vide que l'amour des plai-
* Très que navale que douze ans
Estoie forment goulousans
De véoir danses et carottes^
D'dï'r ménestrels etparolles
Qui s'^apertiennent à déduit,
Ètf de ma nature introduit,
D\imer par amours tous céauls
Qui aiment et cMens et oiseauls i
^t quant on me misfà tescole ,
Oiiles ignorons on escole^
By auoit despuceleUes^
Qui de mon temps erentjonettes.
Et je qui estoie puceaust
Je les s^run'ie ^"'f.spin/rp.aus p
Ou d*une pomme ou d^une poire.
Ou (Jhm seul anelet de ivoire]
El me sambloitf au voir enquerre »
Grantprœsce à leur grasce acquerre»
Et aussi eS'Ce vraiement ;
Je ne ledipas aullremeni.
Et lors devisoie à par mi:
Quant revendra le temps por mi
Que par amours por ai amer.
Ëspinette amoureuse, p. B3 de ses poésies mss»
Et si destoupe mes oreiltes.
Quant J^oc vin verser de bouteilles,
V
4 VIE
sirs y laissait, et 46vint pour lui une source inta-
rissable d^amusements.
Il ne faisait que sortir de Técole et avait à peine
• vingt ans, lorsqu'à la prière de san cher seigneur
et maistre messire Robert de Namur, chevalier ^ sei-
gneur de Beauforty il entreprit d'écrire l'histoire des
guerres de son temps, particulièrement de celles qui
suivirent la bataille de Poitiers. Quatre ans après,
étant allé en Angleterre, il en présenta une partie à la
reine Philippe de Haynaut, îemme d'Edouard IIL
' Quelque jeune qu'il fût alors, il avait déjà fait des
voyages dans les provinces les plus reculées de
la France 3 l'objet de celui qu'il fit en Angle-
terre, était de s'arracher au trouble d'une pas-
sion qui le tourmentait depuis long-temps. Elle
s'alluma dans son cœur presque dès son enfance.
Car nu boire prens grani plaisir;
Aus^ fai-je en beaus draps vesiir,
En vïandejresche et nouvelle t
Quant à table m'en vol servir
Mon esperit se renouvelle.
Violettes en leurs saisons f
Et roses blanches et vermeiBes
Voi volentiers, car e^est raisons ;
Et chambres plainnes de candeilles.
Jus et danses, et longes veilles.
Et beaus lis pour li ra/reschir^
Et au couchierpour mieulx dormir
Espices, clairet et roceRe;
En toutes ces choses véir
Mon esperit se renouvelle,
i Ballaile^ à la p, 313 de ses poésies mss.
DE JEAN FROISSA RT. S
elle dura dix années, et les étincelles s^en ré-
veillèrent encore dans un âgé plus avancé, ma/-
gré sa teste chenue et ses cheimix blancs. Quand
les poètes chantent leurs amours, on ne les en
croit pas toujours sur leur parole : comme Frois-
sart ne parle du sien que dans ses poésies, on
pourrait traiter ce qu'il en dit de puye fiction;
mais le portrait qu'il en fait est si naturel, que
l'on ne peut se dispenser d'y reconnaître le carac-
tère d'un jeune homme amoureux, et l'expression
naïve d^une véritable passion. U feint qu'à l'âge de
douze ans. Mercure lui apparut suivi des trois
déesses dont Paris jugea autrefois le différend;
que ce Dieu rappelant à sa mémoire la protection
qu'il lui avait accordée depuis l'âge de quatre
ans, lui ordonna de revoir le procès des trois di-
•
vinités; qu'il confirma la sentence de Paris, et
que Vénus lui promit pour récompense une maî-
tresse plus belle que la belle Hélène, et d'un si
haut rang que jusqu^à Constantinople il n'y avait
comte, duc, roi, ni empereur qui ne s'estimât heu-
reux de l'obtenir *. 11 devait servir cette beauté '
« ... Te te donne don si noble ,
// n ^a jusque Constantinohle
Emperéourt Toy , duc , ne comte ,
Tant en dotte-on faire de coule ^
Qui ne s'en tenist à payés,
Eftp'nclt» amourease, p. 92*.
» El Venus adoiic nie regarde %
6 VIE
pendant dix ans , et toute sa vie devait être
consacrée au culte de la divinité qui lui faisait de
V
si belles promesses.
Froissart avait aimé de bonne heure les romans;
celui de Cléomadès * fut le premier instrument
dont Pamour se servît pour le captiver. 11 le trouva
• entre les mains d'une jeune personne qui le lisait,
et qui l'invita à le lire avec elle; il y consentit;
de pareilles complaisances coûtent peu : il se
forma bientôt entr'eux un Xîommerce de livres.
Froissart lui prêta le roman du Baillou et Amours ^y
et en le lui envoyant, il y glissa une ballade dans^
laquelle il commençait à parler de son amour. Ce
feu naissant devint un embrasement que rien ne.
< Et me dit: Dix ans tous entierSf
Seras mon droit servant rentiers;
Et en après , sans penser visce
Tçut ion vivcait en mon servisce,
Ibid.
I Le Foman de Cléomadès ne ponvait manquer d*èfre fort à la mode
dans le pays de Fi^oissart; udb princesse 4e Sraliant (Marie, irein»
de France, seconde femme de Philippe le Hardi) en avait dicté
rhisibire on plutôt la fable an roy Adenez, menestrier de son père
Henry III, dit le Débonnaire, dae de Brabant, et il était dédié
à un comte d*Arfois. Voyez dans Fauchet ( Recueil des poètes fran-
çais) , un grand détail de ce roman et de son auteilf . f armî plusieurs
Mss. curieux du cabinet de M. dé Sardière , il y en a un de la
fin du XIII.o siècle, in-fol.sur vélin, très-beau et très-bien conservé»
qui contient huit ou dix ouvrages de nos plus anciens poètes, dont le
premier est le roman de Cléomadès.
'Je ne connais point ce roman. L^ Baillou d'Amours signije
le Bidllifd'' Amour ^
DE JEAN FROISSART. 7
put éteindre, et Froissart ayant éprouvé toute
l'agitation qu'une première passion fait sentir, fut
presque réduit au désespoir, quand il apprit que
sa maîtresse était sur le point de se marier : l'ex-
cessive douceur dont il fut frappé, le rendit malade
plus de trois mois. U prit enfin le parti de voyager
pour se distraire et pour rétablir sa santé. Comme
il s'était mis en chemin avec plusieurs personnes,
il fut obligé de s'observer pour cacher son trou-
ble. Après deux jours de marche, pendant lesquels
il n^avait cessé de faire des vers à l'honneur de
sa dame, il arriva dans une ville que je crois être
Calais", où il s'embarqua. Une tempête qui sur-
vint, et qui menaçait le vaisseau d'un prochain
naufrage, ne fut pas capable de suspendre l'ap-
plication avec laquelle il travaillait encore à un
rondeau pour sa maîtresse; la tempête était calmée,
et le rondeau achevé, lorsqu'il se trouva sur une
côte où ion aime mieux .^ dit-il, la guerre que lapaiai,
et où dès estrangers soiu trèsrbien venus ^ il parle de
> Elle ii*est déiîe;née que par ces vers :
Que nous venins à une ville-
Ou d'Avalés a plus de mille, .
Et iltec nous meismes en mer.
Cafaisest leporioii Froissart s^embapqua lorsqu'il' repassa depuis eti-
Ang^leterre en I3d5. Le non» ^Àvolés^ suiraot FiH>îssart , Uv. l ^
Tut douné à ceux que Jacques d'Artevelle avait banais des villes do ^
Flandres, parce qa^ils étaient contraires à son parti.
8 • VIE
l'AugletexTe. L'accueil qu'on lui fit, les amuse-
ments qu'on lui procura dans les sociétés des.
Seigneurs, des Pâmes et des Damoisellesy les caresse^,
dont on Taccabla, rien ne charmait Fennui qui
le dévorait j en sorte que ne pouvant supporter
plus long-temps les tourments de l'absence, il ré-
solut de se rapprocher. Une dame ( la reine Phi-
lippe de Haynaut ) qui le retenait en Angleterre,
connut par un virelai qu'il lui présenta , le prin-^
cipe de son mal ; elle y compatit; et lui ordonnant
de retourner dans son pays, à condition néan-
moins qu'il reviendrait , elle lui fournit de l'ar-
gent et des chevaux pour faire le voyage. L'amour
le conduisit bientôt auprès de la dame qu'il ai-
mait Froissart ne laissa échapper aucune occa-
sion de se trouver dans les lieux où il pouvait la
voir, et s'entretenir avec elle. Nous avons vu plus
haut qu'elle était d'un* rang si distingué , que
les rais et les en^ereurs Fauroieni recA&'cAée; ces
termes pris à la lettre, ne conviennent qu'à une
personne issue du sang, des rois, ou de quelque
souverain; mais comment accorder l'idée d'une si
grande naissance avec le détail qu'il nous fait des
conversations secrettes, des jeux et des assemblées
où il avait la liberté de se trouver et le jour et
la nuit ? Comme si ces traits n'eussent pas suffi
de son temps pour la faire connoître, il semble
avoir voulu la désigner plus clairement par le nom
DE JEAN FBOISSAHT. 9
d^Ânne', dans des vers énigmatiques qui font
partie de ses Poésies. On pourrait présumer
que cet amour si vif et si tendre eut le sort de
presque toutes les passions. Froissart parle dans
unde ses rondeaux, d'une autre dame qu'il avait
aimée, et dont le nom composé de cinq lettres, se
rencontrait dans celui de Polixena* : ce pourrait
être Une JUx qu'on écrivait anciennement Àélix.
U y a lieu de croira qu'il en eut une troisième ap-
pelée Marguerite^ et que c'est elle qu'il célèbre in-
directement dans une pièce ' faite exprès, sous le
titre, et à l'honneur de la fleui' de ce nom. Peut-
être chercha-t-il dans des goûts passagers quel-
que remède à une passion, qui, selon lui, fut tou-
jours malheureuse. Du moins nous savons que
I . . . Plaisance tn*a accusé
A dire tout ce que je di :
Autrement ne nCen escondi*
Mais teUement nous pense mettre 9
Sans nommer^nom, sournom ne lettre*.
Que gui assener y saura , ,
Assez bon sentement aura;
Non pour quant les lettres sont ditles
En quatre lettres moult petittes.
Entre nousfusmes, et le temps
Si venir y volés à temps ^ '
La trouverez n^en doutés mie y
Pour congnoistre amant et amie.
Bam les qoalre lettres qui forment le nom de Jean que portait
Froissart, OB trouve celui d*^e.
> Ballade à la page 316 de ses Poésies manuscrites,
3 Ditlie de ta flour de la Margherite.
^^ VIE
désespéré du peu de succès de ses assiduités et
de ses soins auprès de sa première maîtresse, il
prit là résolution de s'éloigner encor* une fois.
Cette absence fut plus longue que la précédente^
il retourna en Angleterre, et s'attacha au service
de la reine Philippe. Cette prinèesse,, sœur de la
comtesse de Namur, femme àe Robert, dont
Froissart paraît avoir été domestique , voyait
toujours avec plaisir les gens du Haynaut son
paysj elle aimait les lettres; le collège d'Oxford
qu'elle fonda , et qui est encore aujourd'hui
connu sous le nom de Collège de la Reine, est un
illustre monument de la protection qu'elle leur
accordait. Ainsi troissart réunissait tous les titres/
qui pouvaient mériter l'affection de la reine Phi-
lippe. L'histoire qu'il lui présenta', comme je
1 ai dit, soit au premier voyage, soit au second
( car il n'est pas possible de décider), fut très-
bien reçue, et probablenjent lui valut le titre de
clerc ( c'est-à-dire Secrétaire o\x ÉcHvain ) de la
chambre de cette princesse, qu'il avait dèsi l'an
I36I.
Au siècle de Froissart on était persuadé que
'Parlant des çuerres de sou temps. Si empris-je assez hardiment,
THPi issu de iescole, à dicter et à ordonner les guerres dessus dites, et
porter en Angleterre le Vwre tout compilé, comme je feis, et le présen-
tPT adoàc à Mi^ame Philippe de Haynaut, rojne d'Angleterre, qui
liement et doucement le receupi de moy, et m'enjit §randproffiL
DE JEAN FROISSA RT. Il
Pamour était le motif des plus grandes actions
de courage et de vertu. Les chevaliers en faisaient
parade dans les tournois. Les guerriers s'expo-
saient aux combats les plus périlleux pour soute^
nir la beauté et Thonneur de leurs dames. On
croyait alors que l'amour pouvait se borner à un
commerce délicat de galanterie et de tendresse.
C'est presque sous cette forme que nous le voyons
représenté dans la plupart des ouvrages d'esprit
qui nous restent de ce temps : les dames ne rou-
gissaient pas de connaître une passion si épurée,
et les plus sages en faisaient le sujet ordinaire
de leurs conversations.. La reine d'Angleterre
prenait souvent plaisir à faire composer par Frois-
sart des poésies amoureuses; mais cette occupa-
tion ne devait être regardée que comme un dé-
lassement, qui ne ralentissait aucunement de»
travaux plus sérieux, puisqu'il fit, aux frais de
cette princesse, pendant les cinq années qu'il
passa à son service, plusieurs voyages, dont l'ob-
jet paraît avoir .été de rechercher tout ce qui
devait servir à enrichir son histoire. J'ai tiré ces
dernières circonstances d'une préface ' qui se lit
> Cette préface était indiquée dans ta table des chapitres du 4.«
volame de Vun des abrégés mss. , sar lesquels Sauvag;e a corrigé
son édition, mais elle n y était pas rapportée. Voyez la première an-
pot, dç Sauvage sur le 4*« vol. On la trouve en partie au eommence-
ment duchap. 5I,p. 168 du 4.* liv. de la même édition, ma i^ elle y
12 VIE
dans plusieurs Mss. à la tête du 4.« volume de la
Chronique de Froissart
« A la requeste, comtemplation et plaisance
» de très-haut, et noble prince, mon très-cher
» seigneur et mon maistre Guy de ChastîUon,.
» comte de Chimay et de Blois, seigneur d'Avesne ,
» de Beaumont, d'Escounehove 'et de là Gode ': je
» Jehan Froissard, prestre, chapelain à montrès-
» cher seigneur dessus nommé, et pour le temps de
» lors trésorier et chanoitie de Chimay et de Tlsle
en Flandres, me suis de nouvel reveillé et entré
» dans ma forge, pour ouvrer et forgier en la
» haulte et noble matière de laquelle du temps
» passé je me suis ensonnié, laquelle traicte et
» propose les faits et les advenues des guerres de
» France et d'Angleterre, et de tous leurs conjoints'
» et leurs adherans, et comme il appert clèrement
» par les traictiés qui sont clos jusqu'au jour de
» la présente datte de mon resveil. Or considérez
» entre vaus qui le lisez ^ et wez leu, ou orrez lire,
est déplacée et tronquée. Ce qae le Mss. contient de pins que l'imprimé
se lit ici en caracfères italiques. J'ai donné la préface entière dans
mon édition.
■ C'est Schone hove, petite ville des Provlnces-unies, sur la rivière
de Leck, à trois lieues de Rotterdam. Voyez Maty^ DicUonn. Géogr^*
les Délices des Pays-Bas
^ Goade« Gouda, ou Ter-çow, ville des Provinces-unies, à Vem-
bouchure de la petite rivière de Gou d*où'elle tire son i\om»àtrois
DE JEAN FROISSART. 13
» commmujfi puis avoir sceu ne rassemblé tant de
» faits desquels je traicte el propose ^ et tant de par-
» tiess et pour vous informer de la vérité je comr
» mençai jeune de Page de vingt ans; et je suis venu
» mi monde avec les faitz et advenues^ et si y ay tous-
y> jours prias grant plaisance plus quà mUre chose;
» et si Dieu m'a donné tant de grâce que fay esté
> bien de toutes parties, et des hostels des roys , et
^ par especial du roy Edouard^ et de la noble royne
» sa femme madame Philippe de Haynaut, royne
)> dP ÂngieteiTe , dame ^ Irlande et JfÀcquitaine, à la-
y quelle en ma jeunesse je fu clercs; et la desset^voie
» de bemix dictiez et traitez amoureux; et pour
y^ t amour du service de la noble et vaillant dame à
» qui festoie, tous autres grands seigneurs^ ducs,
9 comtes, barons et chevaliers, de quelconques nations
5> qu'Us fussent, rriamoient et me véoient volentiers,
» et me faisaient graàt prouffà. j4insi au titre de la
y^ bonne dame, et à ses coustagesy et aux coustages de
y> haulx seigneurs, en mon temps je cherchai la plus
» grande partie de la chrestienté, voire qui à chercher
» fait; et par-tout où je venoie je faisoie enqueste aux
» anciens chevaliers et escuyers, qui avoient esté es
» fais d'armes, et qui proprement en savaient parler ,
^ et aussi à anciens heraux de crédence , pour vérifier
lîenes de Rotterdam , et à cinq de Leyde. Voy. la Martinière ,
DicL G^ogr, et les Délices des Pays-Bas, tom. 2,p, 291 et suw.
14 VIE
» et justifier toutes les mcuières; ainsy-ai-Je rassemblé
y> la noble et hmUe histoire et matière; et le gentil
» conite de Blois dessus nommé y a rendu grant peine.
» Et tant comme je vivray par la grâce de Dieii,
» j€ la continuerai,' car comme plus y suis, et
» plus y labeur e, et plus me j)laist. 'Car ainsi
» comme le gentil chevalier ou escuyer qui aime
» les armes,, en persévérant et continuant il se
» nourrit et parfait, ainsi en labourant et ouvrant
» sur cette matière je m'abilite «t délite. »
De toutes les particularités de la vie de Frois-
sart pendant son séjour en Angleterre, nous sa-
vons seulement qu'il assista aux adieux que le roi
et la reine" firent en 136 1 au prince de Galles leur
fils^ et à la princesse sa femme, qui allaient pren-
dre possession du gouvernement d'Aquitaine, et
qu'il était entre Eltham et Westminster en l'an-
née 1363 au passage du roi Jean, qui retournait
en Angleterre. On trouve dans ses poésies une
pastourelle, qui semble ne pouvoir convenir qu'à
cet événement. A l'égard des voyages qu'il fit
étant au service de la reine, il employa six mois
à celuy d'Ecosse, et pénétra jusqu'à l'Ecosse qu'il
appelle Saunage : il voyageait à cheval, ayant
sa malle derrière lui" et suivi d'un lévrier'. Le
^Poës. manus. Buisson de Jonece, pag. 343, et sa Chronique i
iiif.lltchap. 1.
^ Poésies mayiuscrites, Débat dou cheval et dau tevrier.
Dfi JEAN FROISSART. 15
roi d'Ecosse, et plusieurs seigneurs dont il nous a
conservé les noms, le traitèrent si bien, quUl au^
rait souhaité d'y aller encore une fois. Guillaùme>
comte de Douglas^ le logea pendant quinze jours
dans son château d'Alkeith à cinq lieues d'Edim-
bourg; nous ignorons la date de ce voyage, et
d'un autre qu'il fit dans la Norgalle ( North-
Wales), que je crois du même temps. 11 était en
France à Melun-sur-Seine vers le 20 avril 1366;
peut-être des raisons particulières l'avaient con-
duit par cette route à Bordeaux, où on le voit à
la Toussaint de la même année, lorsque la priii^
cesse de Galles accoucha d'un fils, qui fut depuis
le roi Richard II. \
Le prince de Galles étant parti peu de jours
après pour la gfuerre d'Espagne , et s'étant rendu à
Auchi, où il demeura quelque temps, Froissart
l'y accompagna, et comptait le suivre dans tout
le cours de cette grande expédition; mais le prince
ne lui permit pas d'aller plus loin; à* peine était-
il arrivé qu'il le renvoya auprès de la reine sa
m^'e. Froissart ne dut pas faire un long séjour
en Angleterre, puisqu'il se trouva l'année suivante
dans plusieurs cours d'Italie. Ce fut la même an-
née, c'est-à-dire en 1368, que Lyonel ducdeCla-
> On lit Jst en Gascogne, Ce même liea est nommé Aéh^ïwA.
et Sanvaçe dit qae c*est Auçh, Trois mannscrits de la bibliothèque da
roy mettent Dax*
16 VIE
rence^filsdu roi d'Angleterre, alla épouser lolande^
fille de Galéas II, duc de Milan; le mariage fut
célébré le 25 avril, et Lyonel mourut le 17 octobre
suivant. Froissart, qui vraisemblablement était de
sa suite, assista à la magnifique réception que lui
fit à son retour Amédée, comte de Savoie, sur-
nommé le Comte Verdj il décrit les fêtes qui fu-
rent données à cette occasion durant trois jours;
il n'oublie pas de dire qu'on y dansa un virelai
de sa composition. "De la cour de Savoie il re-
tourna à Milan, où le même comte Amédée lui
donna une bonne cottè-hardie * de vingt florins d'or,
puis à Boulogne et à Ferrare, ou il reçut encore
quarante ducats de la part du roi de Chypre, •
> Cotardie , ou comme il se trouve pins souvent écrit , cotte
hardie, espèce de cofte, habillement commun aux hommes et aux
femmes, ici un pourpoint. C*était une des libéralités que les gprands
étaient dans Tusage de faire ; ils mettaient de Targuent , comme
on le voit par cet exemple , dans la bourse qui t suivant Tusage
du même temps» y était attachée.
> Et c'est raison que je renomme
De Cippre le noble roy PèrCf
Et que de ses bienfaits me père,
JPremiett à Boalongne la grasce.
D^Escon/lans monseignour Eustasce
Trouvai^ et cilz me dist dou roy
Dessus du t affaire et tarroi;
0 Lequel me receui à ce tamps
Com dis qui moult estoit sentans
D^onnour et d* amour grant partie
lÀement en celle partie.
Et me délivra à Ferrare
Sire l'ier celés de la BarCf
DE JEAN FROISSART. 17 ^
et enfin à Rome '. Au lieu de l'équipage simple
avec lequel nous Pavons vu voyager en Ecosse, il
marchait en homme d'importance, avec nnraussèi
et une haguenée.
Ce fut à peu près dans ce temps que Froissart
fit une perte dont rien ne put le dédommager :
Philippe de Haynaut, reine d'Angleterre, qui l'a-
vait comblé de biens ^ mourut en 1369. Il com-
posa un lai sur ce triste événement, dont il ne
fut cependant pas témoin, puisqu'il dit ailleurs,
qu'en 1395, il y avait 27 ans qu'il n'avait vu l'An-
gleterre. Si on en croit plusieurs auteurs ', il écri-
vit la vie de la reine Philippej mais cette opi-
nion n'est fondée sur aucune preuve. ^
Indépendamment de l'emploi de' Qerc de la
chambre de la reine d'Angleterre que ' Froissart
avait ou , il avait été de Vhostel d'Edouard 111,
A son commant Icmce sus faultre.
Quarante ducas Vun sur tautre.
Ëuisson de Jeunesse , pag. 31 1 de ses Poésies manuscrUes.
Ce roi de Chypre était Pierre premier, qui moarat le 18 janvier
1 3t)8. Foy. Hist gdnéa!. iom. 2, pag, 598 et 39»! -
> Fr(ûssart rapporte dans son Temple dUionnear, qa^éfant à Rome
SI y avait vu fin ebiperenr. Ce pourrait être l'empereur Cliarles IV»
qoi passa en Italie eo 1^68, s'il ne disait dans une de tes pastourelles*
qu'il n'a jamais vu cet empereur ; ainsi ce doit être Tempereiir Paléo'^
logue>qui alla à Rome en 1369^
» yjossius 9 de Hlstoricis taiinis , lib. 3» cap^ i.
BiiUarl^ Acadériùe des Sciencest tom. \^ pag. ï 21'.
^ Il n en est fait aucune mention dans le livre de Pitsens des bislo-
riens d'Ang^leterrc, ni dans le catalog^ue des illustret écrivains de la
grande Bretagne, par Baleus.
FROISSART. T.* XVI. • 2
18 VIE
son mari, et même de celui de Jean, roi de
France. Comme il se trouve encore plusieurs prin-
ces et seigneurs de Vhoslel ' desquels il dit avoir
été,. ou qu'il appelle ses seigneurs et ses tnaîtresr^ il
est bon d'observer, que par ces façons de parler, il
ne désigne pas seulement les princes et seigneurs
à qui il avait été attaché comme domestique,
mais «ncore tous ceux qui lui avaient fait des
présents ou des gratifications, ou qui Payant reçu
dans leufs cours,, ou dans leurs châteaux, lui
avaient donné ce qu'on appelle bouche-à-cour.
Froissart ayant perdu la reine Philippe sa
bienfaitrice, au lieu de retourner en Angleterre,
alla dans son pays' , où il fut pourvu delà cure '
de Lestines*. De tout ce qu'il fit dans l'exercice
' Parlant da seigaenr de Conoy , il dit, u/i de mes seig^teurs et mais-
ire5> et da comte Beraud Dauphin d'Auvergne, uri mien seigneur et
nudstre; Chron. liif.l, Chap., I. On verra pins bas qu'il fut de Yhostel
dn comte de Foîz. * '
3 Froissart, à son retour d*Italie« ne suivit pas la mâme route qu'il
avait prise en y allant. Peur voir de nouveaux pays, il était revenu par
l'Allemag^ne, comnOe il le fait entendre dans son Dict dou Florin. Le
sujet de cette pièce est un f ntrotien que le poète feint d avoir en avec le
seul florin i^ai lu! restait de beaucoup d'autres qu'il avait dépensés, ou
qui lui avaient été volés, et ce florin lui' reproche de Tavoir bien
promené , car il avait appris avec lui le français et le thiois ,
c'est-à dire l'allemande
•
3. Robert de Genève transféré depuis peu de Tévèché de Terouennc
à celui de Cambray dont Leslines dépendait, avait pu donner cette
cure à Froissart , en considération du comte .de Savoie, son père.
4 LestineSr autrefois un palais des rois de France, connu sous
DE JEAN FROISSART. 19
de son ministère, il ne nous apprend autre chose
3inon que les (a^emwrs de Lestines eurent ctnç
cents francs de son argent dans le peu de temps
qu'il fut leur curé. On lit dans un journal ' ma-
nuscrit de l'évêque de Chartres, chancelier duduc
d'Anjou, que sid^ant des lettres scellées du 12 de*
cembre I38I, ce prince fit arreister cinquante - six
quayiers de la Chronique de Jehan Froissart, recteur
de Féglise parrochiale de Lescines , que l'historien
envoyait pour être enluminés, et ensuite portés au
roi d'Angleterre ennemi de la France. .
Froissart s'attacha depuis à Venceslas de
Luxembourg, duc de Brabant, peut-être en* qua-
lité A^ secrétaire , suivant l'usage dans lequel
étaient les princes et les seigneurs, d'avoir des
clercs qui faisaient leurs affaires, qui écrivaient
pour eux, ou qui les amusaient par leur savoir
et par leur esprit Venceslas avait du goût pour
la poésie : il fit faire un recueil de ses chansons,
le nom de Liplinœ oa Lestince, Froissart Tappelte Lestines, et d'autres
aatenrs Lelines , Liptines et Lessioes. Ce dernier nom est celui
qi^*ë11e a retenu. C'est une petite ville située sur la rivière de
Denre, à deux lieues 4*Ath au sud, et de Grammont vers le nonf ,
et à Quatre lieues d*Eng[)iien. Vé^lise paroissiale e si dédiée à saint
Pierre i et son curé est un archiprestre de la chrestienté, sous le dio.
cese de Cambray» Voy, Vdois Not. au mot Z^;7/i/i£?, les Délices des
Pays-Bas, tom. 2, pag. 60 et suivantes, et Maty, Dict. géog.
< N.o 587 de la bibliothèque de Colbert, réunie à celle du roi. Ce
manuscrit est le même dont la Laboureur a rapporté nn extrait à la
tète de Thistoire de Charles VI, pa%. S7, jusqu'à 70.
20 VIE
de ses rondeaux et de ses virelais par Froissart, qui
joignant quelques-unes de ses pièces à celles du
prince, en forma* une espèce de roman , sous le ti-
tre de MeUador ' , ou du Ch^alier au soleil é^or;
mais le duc ne vécut pas assez long-temps pour
voir la fin de l'ouvrage, étant mort en 1384.
Presqu'aussitôt Froissart trouva un nouveau pro-
tecteur : il fut fait Clerc de la chapelle de Guy,
comte de Blois,.et il ne tarda pas à signaler
sa reconnaissance' pour soii nouveau protecteur,
' Le roman de Méliador est nommé de plusieurs façons difTë-
renles ^dans les manuscrits de la Chronique de Froissart , et dans
ses poésies. L*historîen parlant de son voyag^e chez le comte de Foiz»
qo*il 6t depuis, en 1388, dit: pavoye ai^ec nioy apporté un IhrCj lequel
favoje fait à la requeste et contemplation de Fincelaus de Bohême ,
duc de Luxembourg et de Brabant; et sont contenus audit livre qui
s^appeUè le Meliader ( Meliadesi ou Malliades dans quelques manus-
crits) , toutes chansons^ balades^ rondeaux et virelets que le gentil duc
fit en son temps '; desquelles, choses, parmi ^imagination quefavoye
à dicter, en ordonnajr le livre que le comte de Foix veit moult vou-
lontiers.
Il fait encore mention dé cet ouvrage dans ses Poésies manuscritei.
On lit à la pa|;e 423 de sou Dict dou Florin,
Un Vwre de àfeUador,
Le ch^aliertui soleil d'or.
Et quelques vers après, *
' Dedens ce romant sont ^iwloses
Toutes les clutnçons que jadis.
Dont rame soitenparadjrs.
Que feit le bon duc de'Braibant,
fVincelaus^ dont on parla tant;
Car uns princes Juamourous^
Gracious et chçvaierous ,-
ï!tleliifremefistjàfaire^
BE JEAN FROISSART. 21
par une pastourelle ' sur les fiançailles de Louis
comte de Dunois, fils de Guy, avec Marie, fille du
duc de Berry : deux ans après, le . mariage ^s'€-
tant fait à Bourges, il le célébra, par uïie espèce
d^épithalame assez ingénieuse pour le temps, in-
titulée Le Temple d'honneur.
Il passa les années 1385, 1386, et I3B7, tantôt
dans le Blaisois, tantôt dans la Touraine,- mais
le comte de Bloîs l'ayknt engagé à reprendre la
suite de l'histoire qu'il avait interrompue, il ré-
âplut en 1388, de profiter de la paix qui venait
de se conclure, pour aller à la cour de Gaston
Phœbus, comte de Foix'et de Béarn, s'instruire à
fond de ce qui regardait les pays étrangers et les
provinces du royaume les plus éloignées, où il sa-
vait qu'un grand ^omb^e de guerriers se signa-
laient tous les jours par de merveilleux faits d'ar-
mes. Son âge et sa santé lui permeittaient encore
Pw ires groM amoureuse affaire ,
.Cornent qu'il ne le véist onccfue$,.
Ayant demandé dans son Paradis d*Anioar, pag, \%,coL I e£ 2, qneh
éfaienf plusieurs ^amoiseaux qu*il y voyait, il apprend que ce sont
des sujets de TAmonr, et on lui nomme entre autres héros célè-
J)res dans les romaos, Meliador, cils à ce beau soleil d'or, par où était
désigné certainement le héros de celui qu*il avait composé.
Il ne faut point confondre te livre aveè les poésies manuscrites de
Froissart.quirenfei'meotà la vérité un g^rand nombre de chansons.,
rondeaux, balades, virelais, lais et pastourelles, distribués chacun
dans leur classe, nais oii le titre de Meliador ne se trouve nulle
part.
» Pag, 290 et 291 de ses Poes'es manuscrites*
22 VIE
de soutenir de longues fatigues; sa mémoire était
assez bonne pour retenir tout ce qu'il entendrait
dire, et son jugement assez sain pour le conduire
dans l'usage qu'il en devait faire. Il partit avec
des lettres de recommandation du comte de Blois
pour Gaston Phqebus, et prit sa route par Avi-
gnon. Une de ses pastourelles nous apprend qu'il
séjourna dans les environs d'une abbaye * située
entre Lunel et Montpellier, et qu'il s'y fit aimer
d'une jeune personne qui pleura son départ : il
dit dans la même piièce qu'il menait au comte de
Foix quatre lévriers ' pour lui en ,faire présent.
Gaston aimait passionnément le dédùk des chiens,
il en avait toujours plus de seize cents, et il nous
•
reste de ce prince un traité de la chasse, que
l'on conserve manuscrit dans plusieurs bibliothè*
^ues , et qui a été imprimé en* 1 320. Froissart alla
de Carcassonne à Pamiers dont il fait une agréa*
ble description, et s'y arrêta trois jours, en at-
tendant que le hasard lui Ht reucontrer quelqu'un
avec qui il pût passer en Béarn. 11 fut assez heureux
pour trouver un chevalier du comté» de Foix, qui
revenait d'Avignon, et ils marchèrent de compa-
> Probablsment S.t Gêniez, abbaye de filles, à aae lieue et demie
du chemin qui mèife de Montpellier à LuneL
* lU y sont nommés Trislan, Hector, Brun et Roïïani.
9 P^oy. du Verdier, à Fart. Gaston, comte de Foix, et la note 2 page
302,t.l2deJ. EroisKart.
DE JEAN FnOISSART. 23
gnie. Messire Espaing du Lyon (c'est le nom
du chevalier ) était un homme de grande dis-
tinction'5 il avait eu des ^commandements consi-
dérables, et fut employé toute sa vie dans dès
négociations aussi délicates* quHmportantes. Les
deux voyageurs se convenaient parfaitement : le
chevalier, qui avait servi dans toutes les guerres de
Gascogne, désirait avec passion apprendre ce
qui concernait celles dont Froissart avait connais-
sance; et Froissart plus en état que personne de le
satisfaire, n'était pas moins curieux des événe-
ments auxquels le chevalier avait eu part Us se
communiquèrent ce qu'ils • savaient avec une
égale colnplaisance : ils allaient à côté l'un de
l'autsaâ et souvent aux pas de leurs chevaux :
toute leur marche se passait en des conversations
où ils s'instruisaient réciproquement Villes , châ-
•
teaux, masures, plaines, hauteurs, vallées, passa-
ges difficiles, tout réveillait la curiosité de Frois-
sart, et rappelait à la mémoire du seigneur Es--
paing du Lyon , les diverses actions qui s'y
étaient passées sous ses yeux, ou dont il avait ouï
parler à ceux qni s'y étaient trouvés. L'historien ,
trop exact dans le récit qu'il nous .fait de ces con-
versations, rapporte jusqu'aux exclamations par
lesquelles il témoignait au chevalier sa recon-
> ProîsMrt eo parle soayent dam le 3>et le ^.'^ livre de $a Ctire-
BÎqoe.
24 VIE
naissance, pour toutes les choses intéressantes
qu\l voulait bien, luiv apprendre. S'ils arrivaient
dans une ville avant le -coucher du soleil, ils met-
talent à profit le peu de jour qui restait, pour
en examiner les dehors, ou pour observer les
lieux des attaques qui s'y étaient faites : de re*
tour à Phôtellerie, ils continuaient les mêmes
propos, ou entre eux seuls, ou avec d'autres che-
valiers oH écuyers qui s'y trouvaient logés; et
Froissart ne se /touchait point qu'il n'eût écrit
tout ce qu'il avait entendu. Après une marche de
six jours, ils arrivèrent à Orthez. Cette ville, une
des plus considérables du Béarn, était le séjour
ordinaire de Gaston, comte de Foix. et vicomte de
Béarn, surnommé Phmbus ^ cause de sa lisauté.
Froissart ne pouvait choisir une cour plus convena-
ble à ses vues. Le comte de Foix, âgé de cinquante-
neuf Bins^ était encore l'homme de son sièclele plus
vigoureux , le plus beau et le mieux fait ' : adroit
à tous les exercices» valeureux, consommé dans
l'art de la guerre, noble et magnifique, il ne ve-
nait chez lui aucun guerrier qui n'emportât des
marques de sa libéralité , : son château était le
rendez-vous de tout ce qu'il y avait de braves ca-
pitaines qui s'étaient distingués dans les com-
bats et dans les tournois : les entretiens n'étaient
que d'attaques de places, de surprises, de sièges,
d'assauts, d'escarmouches, de batailles : les amu-
DE JEAN FROISSART. 25
sements n'étaient que des jeux d'exercice, d'a-
dresse, et de force, des joutes, des tournois et des
chasses, plus pénibles et presque aussi périlleu-
ses que la guerre même. Ces détails siéritent d'ê-
tre lus dans Froissart;; je ne puis que tracer im-
parfaitement ce qu'il a si bien peint
Le comte de Foix ayant été informé par mes-
sire Espaîng du Lyon, de l'arrivée de Froîssart,
qui était déjà connu à la cour d'Orthez par les
deux premiers volumes de sa Clironique, l'envoya
chercher chez un de ses écuyers ' qui le logeait ,
et le voyant venir de loin, lui dit d'un air riant,
et en ban français: quHl te oamiolssait bien qumj qu!il
ne Feiist jamais veUy mais quil aidait bien auv parler
de luy; et h retint de son hostel Cette expression,
comme on l'a déjà dit, ne signifie pas que Frois-
9art eut un logement dans le château, car on voit
lé contraire, mais seulement qu'il fut défrayé aux
dépens du comte durant l'hiver qu'il passa* au-
près de lui. Son occupation la plus ordinaire peu- .
dant ce temps, était d'amuser Gaston après son
souper, par la lecture du roman de Meliador qu'il
avait apporté : . tous les soirs il se rendait au châ-
teau à l'heure de minuit, qui était celle où le
i Je descendy à l liostel de la ÎJine chez un escuyer du comte
qui s^appeUoii Erhaulondu Pin, lequel me récent moidljoyeusenit' ni
pour la cause de ce que j'estoye François. Ce sont les propres
paroles de Pbisloriea.
26 VIE
comte se mettait à table : personne n'eût osé in-
terrompre le lecteur. ^ Gaston lui-même cui Té-
coutait avec une attention infinie, ne l'interrom-
pait que ppur lui faire des questions sur cet
ouvrage j et jamais il ne le renvoyait qu'iZ ne ^Wf
eut faU vulder auparavant tout ce qui estait resté du
vin de sa bouche. Quelquefois ce prince prenait
plaisir à l'instruire des particularités dès guerres
dans lesquelles il s^ estait distingué. Froissart ne tira
pas moins de lumières de ses fréquents entretiens
avec les écuyers et les. chevaliers qu'il trouva
rassemblés à Orthez, surtout avec les chevaliers
d'Arragon et d'Angleterre, de Vhostel du duc de
Lancastre, qui faisait alors sa résidence à Bor-.
deaux : ils lui racontèrent ce qu'ils savaient des
batailles des rois dé Castille et de Portugal, et
de leurs alliés : entre les autres, le fançieux Bas^
tard de Mauléon, en lui faisant l'histoire de sa
vie,. lui faisait celle de presque toutes les guerres
arrivées dans les différentes provinces de France,
et même en Espagne, depuis la bataille de Poitiers
où il avait commencé à porter les armes. Quoi-
qu'appliqué sans relâche à ramasser des mémoires
historiques , Froissart donnait encore quelques
moments à la poésie .) nous avons de lui une
Pastourelle qu'il paraît avair composée au pays
de Foix, en rhonneur de Gaston Phœbus : il
dit qu'étant -
D£ JEAN FBOISSART. 37
En beau pré vert et plaisant
Pardessus Gave la rivière.
Entre Pau et Ortais séant,
il vit des bergers et des bergères qui s'entrete-
naient de divers seigneurs et de leurs armoiries. II
se sert adroitement de cette fiction pour nom-
mer avec éloge ceux de qui il avait reçu quel-
ques bienfaits, et termine sa liste par le comte de
Foix. .
Apres un assez long séjour à la cour d'Orthez,
p
Froissart songeait à s'en retourner : il fut retenu
par Gaston, qui lui fit espérer une occasion, pro-
cbaine de voyager en bonne compagnk. Le ma-
riage de la comtesse de Boulogne, parente du
comte, ayant été conclu avec le duc de Berry,
la jeune épouse futjconduite d'Orthez à Morlas,
où les équipages du duc son mari l'attendaient :
il partit à sa suite, après avoir reçu des marques
de la libéralité de Gaston ' qui le pressa instam-
' Page 429 de ses Foës. manas.
Et quant foc tout parGt t histoire ^
l)ou chevalier au soleil d*or
Que je nomme Mel^ador,
Je pris congé / et H bons contes
Me fit par sa. chambre des comptes
Délivrer quairevinsjlorins
D^^rragon, tous pesons et fins.
Des quels quatre vins les soissonte
Doni.pavoïe fait francs quarante
Et mon livre quit m*ot laisse.
2a VIE
ment de revenir le voir : il accompagna la prin-
cesse à Avignon, et dans le reste de la route
qu'elle fit à travers le Lyonnais, la Bresse, le
Forez et le Bourbonnais, jusqu'à Riom en Auver-
gne. Le passage d'Avignon fut fatal à Froissart^
on le vola : cette triste aventure fait le sujet d'une
longue poésie ', dans laquelle il place plusieurs
circonstances de sa vie, dont j'ai fait usage dans
ce mémoire. On voit par cette pièce, que le désir
de visiter le tombeau du cardinal de Luxembourg
mort en odeur de sainteté, n'était pas le seul
motif qui l'eût porté à repasser par Avignon en
suivsfht la jeune princesse, niais qu'il, avait une
commission particulière du seigneur de Couci. Il
aurait pu, dit-il, chercher à se dédommager de
la pcBte de son argent, en sollicitant quelque bé-
néfice^ mais cette ressource n'était pas de son
goût : il faisait plus de fonds sur la générosité
du seigneur dé la Rivière et du comte de San-
cerre qui accompagnaient la duchesse de Berry,
et sur celle du vicomte d'Asci. U se donne, dans
la même pièce, pour un homme d'une grande
dépense. Outre le revenu de la curedeïjestines,
qui était considérable, il avait depuis ving{-cinq
ans touché deux mille francs dont il ne lui res-
tait plus rien : la composition de ses ouvrages
' DU dou Florin , pag. 123 el 5iiiV. de ses Poë^sies manuscrites*
DE JEAN FROISSART. 29
lui en avait coûté sept cents, mais il ne regret-
tait pas cette dépense; car atissi cy-je fajiy dit-il,
mainte kisloire dont il sera parlé dans la^posléràé :
le reste avait été consommé tant chez les Tavêr-
nîers de Lestine$ que dans ses voyages, qu'il fai-
sait toujours en bon équipage, bien monté, bien
vêtu, et faisant partout bonne chère.
Froissart avait été présent à toutes les fêtes
qui furent donAées au mariage du duc de Berry,
célébré la nuit de la Pentecôte à Riom en Au-
vergne. U composa une pastourelle pour le lende-
main des noces; puis retournant en France avec le
seigneur de la Rivière ', il se rendit à Paris. Son
activité naturelle, et sur- tout .la passion de, s'ins-
truire dont il était sans ces^ occupé, ne lui
permirent pas d'y demeurer long-temps. Nous
Tavons vu en six mois passer du Blaisois à Avi-
gnon, ensuite dans le comté de Foix, d'où il re-
vint encore à Avignon, et traversa l'Auvergne pour
aller à Paris. On le voit, en moins de deux ans^
successivement dans le Cambrésis, dans le Hay-
naut, dans la Hollande, dans la Picardie, une
seconde fois ^ à Paris , dans le fond du Langue-
doc, puis encore à Paris et à Valenciennes; delà
' Chron, Sv, 3 danshmanuscrU N^* 8323 de la bibiiolhèque du
roi,
' Chron., li?. 4/ ch. 2 et une pastonreile à la pag^e 293 de ses
poés. mss.
30 VIE
à Bruges, à TtiCluse, dans la Zélande, enfin dans
son pays. 11 accompagne - dans le Cambrésis le sei-
gneur de#Couçi au. château de Crèvecœur que. le
roi Venait de lui • donner : il lui raconte ce gu'il
avait vu, et apprend de lui différentes circons-
tances des négociations entre la France et l'An-
gleterre. Après avoir donné quinze jours à sa pa-
trie, il passe un mois en Hollande auprès du
comte deBlois, en l'entretenant de ses voyages. II
va s'instruire par lui-même du détail des négo-
ciations de la paix qui se traitait à Lolinghen
D assiste à la magnifique entrée que lai reine
Isabelle de Bavière fait dans Paris. L'exactitude
avec laquelle il parle du cérémonial observé entre
le pape et le roi Charles VI à Avignon, semble
prouver qu'il avait assisté à leur entrevue, d'au-
tant plus qu'il est certain que Charles VI étant
allé d'Avignon à Toulouse recevoir l'hommage du
comte de Foix, Froissart s'y trouva, et entendit
leur conversation. 11 ne se passait rien de nou-
veau, comme on le voit, dont Froissart ne vou-
lût être témoin: fêtes, tournois, conférences pour
la paix, entrevues de princes, et le.urs entrées,
rien n'échappait à sa curiosité. Il paraît qu'au
commencement de 1390, il retourna dans son
pays, et qu'il ne songeait qu'à reprendre la suite
de son histoire, pour la continuer sur les instruc-
tions qu'il avait amassées de tous côtés avec tant
DE JEAN FBOJSSART. 31
de peines et de fatigues : mais celles qu^il avait
eues au sujet de la guerre d'Espagne, ne le satis-
faisaient pas encore : il lui survint quelque scru-
pule de n'avoir entendu qu'une des deux parties,
c'est-à-dire les Gascons et les Espagnols qui avaient
tenu pour le roi de Castille. Il était du devoir
d'un écrivain exact et judicieux de savoir aussi
ce qu'en disaient les Portugais. Sur l'avis qu'on
lui donna qu'il pourrait en trouver à Bruges un
grand nombre, il s'y rendit. La fortune le servit
au-delà de ses espérances, et l'enthousiasme avec
lequel il en parle, peint l'ardeu> avec laquelle il
désirait tout approfondir. A son arrivée , il ap-
prit qu'un chevalier Portugais, vaillant - homme ei
saye, et du conseil du roy de Portugal ^ nommé Jean
Ferrand Portelet , était depuis peu à Middel-
bourg en Zelande. Portelet qui allait alors en
Prusse à la guerre contre les infidèles , s'était
trouvé à toutes les ' affaires de Portugal : aussi-
tôt Froissart se met en marche avec un Portu-
gais ami du chevalier, va à l'Ecluse, s'embarque
et arrive à Middelbourg, ou son compagnon de
voyag|e le présente à Portelet. Ce chevalier gra-
cieux, andable et acomlable, \\û raconta, pendant
les six jours qu'ils passèrent ensemble, tout ce
qui s'était fait en Portugal et en Espagne depuis
la mort du roi Ferrand jusqu'à son départ de
32 .VIE
Portugal. Froîssart aussi content des récits de
Portelet que de sa politesse, prit congé de lui,
et revint dans sa patrie, où réunissant toutes les
connaissances qu'il avait acquises dans ses dif-
férents voyages, il en composa un nouveau livre,
qui fait le troisième de son histoire.
Le passage d'où sont tirées ces circonstances,
ajoute que Froissart, en quittant la Zélande\ et
avant que de retourner dans son pays, alla en-
core une fois à Rome. Quoi qù^en cela les exem-
plaires imprimés soient conTormes aux manus-
crits, ce voyage,* dont il n'est point parlé ailleurs,
nie paraît hors de toute vraisemhlance. Denis
Sauvage -assure, à la marge, qu'au lieu de Romrae
il faut lire V Ecluse, Binig es ou Valenctennes ; il est
phis naturel de lire Damme\ port voisin de l'Ecluse,
où on a. vu que l'historien s'était embarqué. On
ne saurait .déterminer" la durée du séjour que
Froissart fit daiïs le Haynaut; on sait seulement
quil était encore à Paris en 1392, lorsque le
connestable de Qisson fut assassiné par Pierre
de Craon; et à Abbçville, sur la fin de la même
année, ou au commencement de la suivante, pen-
I DamwkDanme^xWX^àe Flandres, à une liene de Bruges tirant
vers rEcInse, doni elle est éloig^née de deox lieues. Projet ie Diction,
de la Martinière et les Délices des Pays-Bas t tom. Ifpag. 306,
DB JEAN FBOISSART. 33
dant les conférences qui se tenaient entre les pléni-
potentiaires de France et d'Angleterre, lesquelles,
opérèrent enfin une trêve de quatre ans.
Dès Tannée 1378, Froîssart avait obtenu du
pape Clément VU Pexpectative d'un canonicat
à Lille *. On voit dans le recueil de ses poésies,
qui fut achevé en 1395, et dans une préface qui
se trouve dans plusieurs manuscrits à la tête du
quatrième volume de son histoire, composé vers
le mçme temps, <ju'il se qualifiait Chanoine de
Lille' ; mais Clément Vil étant mort en 1394, il
al^andonna ïa poursuite de son expectative, et
commença à ne prendre que la qualité de Chanoine
* Toy. son DictdouFiorin^Li florin adresse la parole à Tauleur.
Cardou bon seigneur de Coud
Qu est nobles^ gentiix et coinies
Estes vous privés et acointes ,
Si s'^avezpour lui celle painne
Et texpectation loiniainne
Sur les chanesies de Lille,
Cenlflorlns vous ay par St, Gille,
Mouli bien eoustée celle grasce
Çui rCest ores bonne ^e grasse^
Mais mal revenons à prou fit ,
inique dou premier an est dit
Dott pape que la grasce at^és;
Mes voiremenl vous ne scavés
Quant vous en serés pourvéiis ,
Ne à chanonneS recéiis,
^ Froisiart, an cômftieDCement et à la fia de ses poésies, prend le
\\\re^ trésorier et ehanoinù de Chimay^ et de Lille en herbes, ex-
pression qui désig^ne son expectative.
. FROISSART. t. XVI. 3
J
31 VIE
et Trésorier de l'église collégiale de Chimay ' ,
qu'il devait probablement à Tamitié dont le comte
de Blois ' l'honorait : la seigneurie de Chimay
faisait partie delà succession que ce comte avait
recueillie en I38I , par la mort de Jean de Chas-
tillon, comte de Blois, le dernier de ses frères.
11 y avait vingt-sept ans ' que Froissart était
parti d'Angleterre, lorsqu'à Foccasion delà trêve
qui se fit entre les Français et les Anglais, il y
retourna * en 1394, muni de lettres de recom-
mandation pour le roi et pour ses oncles. De
Douvres où il débarqua, il alla à Scmi Thomas
é^ Cantorbéty^ fit son offrande sur le tombogu du
saint; et par respect pour la mémoire du prince
de Galles de qui il avait été fort connu, il visita
son magnifique mausolée. Là il vit le jeune roi
Richard, qui était venu rendre grâces à Dieu
des succès de sa dernière campagnef en Irlande :
mais malgré la bonne volonté du seigneur de
Pcrcy, sénéchal d'Angleterre, qui avait promis %
de lui procurer une audience du roi, il ne put
I Dans le comté de Haynaât au diocèse de Viéçe.
« Guy de CkasUiion, comte de Biois, sire d'Avesnes, de Chimay^
de Beaumontt de Sionehove et de la Goudè, Je JehaM Froissart ,
prestre et chapelain à mon très-cher seigneur , et pour le temps de
lors trésorier et chanoine de Chimay et de tlsle en Flandres^
litre 4, Préface da 4.* livre dans plasiears mafiuscrits.
^Chran,^ liv, 4; il dit vin|[t-hmit à la pagfe suiFanfe.
4 Foy, sa Cbron., iiv. 4,
DE JEAN FfiOISSART. 33
parvenir à lui être présenté, et fut obligé de suivre
ce priiïce dans- les différents lieux qu'il parcourut
jusqu'à son arrivée à Lcdos (Leeds ). Ce ne fut
pas un temps perdu pour l'historien : les Anglais
étaient encore pleins de leur expédition en Irlan-
dej il se fit raconter et leurs exploits, €t les cho-
ses .merveilleuses qu'ils y avaient vues. Etant enfin
arrivé à Ledos (Leeds), 41 rendit au duc d'Yorck les
lettres du comte de Haynaut et du comte d'Ostre-
vant Maîstfe Jean, lui dit le duc , tenez vous totgours
de iès nous et nos gens, nous vous ferons toute amour
et courtoisie; nous y sommes tenus pour tamour du
temps- passé et de nostre dame de mère à qui vous
fûtes; nous en avons bien la souvenance. Ensuite 3
l'introduisit dans la chambre du roi, qui le reçut
avec des marques de bonté très distinguées. Ri»-
chard prit les lettres dont il était chargé, et lui
dit, -après les avoir lues, que s*Havoà esté de rhos-
tel de son ayeul et de madan^ son ayeule, encore
estoit-il de Fhûstel ^Angleterre. Gîpendant Frois-
sart ne put encore présenter au roi le roman de
Meliador qu'il lui atait apporté, et Percy lui
conseilla d'attendre une circonstance «plus favo-
rable. Deux objets iin^rtants occupaient alors
Richard tout entier : d'une part, le projet de
son mariage avec Isabelle dé France, de l'înitre,
l'opposition des peuples de l'Aquitaine à la dona-
tion qu'il avait faite de cette province au duc
3^
36 VIE
d'Yorck son oncle. Les prélats et les barons d'An-
gleterre ayant été convoqués à Elten (Eltham) pour
délibérer sur ces deux affaires, Froissart suivit la
cour. 11 écrivait chaque jour ce qu'il apprenait
des nouvelles du iempsf , dans ses conversations
avec les seigneurs anglais; et Richard de Servy '
(Stury)qui était du conseil estroâ du rfly,lui confiait
exactement les résolutions que l'on y prenait, le
priant seulement de les [tenir secrètes jusqu'à ce
qu'elles fussent divulguées.
Enfin le dimanche qui suivit la tenue de ce con-
seil, le duc d'Yorck, Richardjde Servy (Stury), et
Thomas de Percy trouvant le roi moins occupé,
lui parlèrent du roman que Froissart lui avait ap-
porté. Ce prince demanda à le voir : si le vk en ^a
ehmnbrey <fit l'historien, car tout paurveu Je Tavoie^
et h^ wis sur son liet; et lors FouçrU et regarda
dedans y et hy plut très grandemeni; et plaire bien
luy devoit, car il estais enluminé y escrit et historié ,
et couvert ' de vermeil Veloux à dix doux d* argent
dorez ^or, et rose d^or tm milieu à d^ux gros fer-
maux dorez et fichemjent mvrezy au milieu rosiers
d'or. Jdomiy continue Froissart, demanda le roy
rfe gu^y il traUoity et je luy dy : ff amour. De ceste
responee fut toutresjouis et regarda dedans le livre
en plusieurs lieux ^ et y lisà, car moult bien parlait
> Il avait y tt Froissart à ta cour d'Edouard I II , et da comte Vepces^
las de BrabanL Yoy. Gfaroaiqi/es de Froissart, t. 3, p.;223.
DE JEAN FROISSART. 37
el li^où /hançois; et puis le fit prendre par un sien
chevedier qui se nommoit JUessire Richard Credon et
porter en sa chambre de retrait ^ dont il me fit bonne
chère.
Henry Cristede, écuyer anglais, qui avait été
présent à cet entretien, et qui savait d'ailleurs
que Froissart écrivait l'histoire, Taborda en lui
demandant s'il était informé des détails de la
conquête que le roi d'Angleterre venait de faire
en Irlande. Gomme Froîssart , pour l'engager
à parler, feignit de les ignorer, Téouyer se fit
un plaisir de les lui raconter. Tout ce que l'his-
torien entendait, entre autres "le récit du repas
que le roi d'Angleterre donna aux qilatre rois
qu'il venait de subjuguer, excitait en lui de nou-
veaux regrets de n^être pas venu en Angleterre
un an plus tôt, ainsi qu'il s^ préparait, lorsque
la nouvelle de la mort * de la reine Anne rompit "
son dessein : il n'aurait pas manqué de passer en
Irlande pour voir tout par lui-même, car il avait
un intérêt particulier à recueillir les moindres
«
circonstances de cette expédition dont il voulait
faire part à ses feyneurs , le duc de Bavière ' et
son fils, qui avaient sur la Frise les mêmes pré-
tentions que le roi d'Angleterre sur l'Irlande.
' Anne de Luxembonr|^, fille de rempereur Charles IV» mariée
en U82, k Richard II, rot d'Angleterre, et morte en 1394*.
' Auhert, dnc de Bavière, comte de Baynaut, de Rolbnde et de Ze-
lande, père de Guillaume de Barière.
38 VIE
Après trois mois de séjour en Angleterre, Trois-
sart prit congé du roi : c<3 prince qu'il avait
suivi dans tous ses voyages aux environs de
Londres *, lui fit donner pour dernier témoignage
de son affection cent nobles * dans un gobelet '
d'argent doré, pesant deux marcs.
La triste catastrophe de Richard arrivée en 139*,,
est rapportée à la fin du quatrième livre de l'histoire
de Froissart, qui s'acquitte de ce qu'il devait à
la mémoire de ce prince, par la manière touchante
dont il déploxe ses malheurs. Au même endroit
il observe que dans cet événeiôent il voyait l'ac-
complissement d'une prédiction faite au sujet de
Richard lorsqu'il naquit à Bordeaux, et d'une aa-
cienne prophétie du livre du Brut, * laquelle
désignait le prince par qui il devait être détrôné.
La mort de Guy ^ comjte de Blois^ suivit de pi:ès le
^A EMam^ à Leeds^à Sheen^ à Chariesée ei\ à Windsor..
Ciiron.,lir. 4.
^ Cette sonme peut revenir à celle de GOO^Iîrresde'Botre moanaie^
d*aajonrd'faai.
^^ C'est ce que nos anciens antears appellent une henepéct c'est^
à dire haoap pleîn;d'argent ; d'où le trésor royal d'Angleterre s'ap-
pelle Aa/te/^/er.
4 Fançhet met à la lète de nos plus anciens poètes français, maistre
Wïstace on Huistaee, auteur du roman appeié Bruif en vers, qui f nt
compose en IISS. Nous avons aussi uji roman en prose dn. Brut, Brust .
ouBret,qttifait partie du S.t Graal, ou des chevaliers de la Table
ronde, dans plusieurs Mss. de la bibliothèque du roi. Il contient l'ori-
gine des peuples de la Grande Bretagne descendus de Brntus. Vojex ]e&
cxceilentes|4isserfations de l'abbë de La Rue, sur les poètes armoricains,
et sur Ite poètes anglo^normanél.
DE JEAN FRdiSSART. 39
retour de Froissart dans son pays^ il k place dars
sa Qironique sous l'année 1397. Il avait alors
soixante ans ', et vécut encore quatre ans au moins,
puisqu'il raconte quelques événements de Tan-
née 1400. Si Ton en croyait Bodin et la Popelinière ,
il aurait vécu jusqu'en 1430; mais ces deux écri-
vaips ont peut-être été trompés par cçs mots qui
commencent le detûier chapitre du dernier livre
de son histoire, iSii Van de grâce mil qucUIre cent
vng moms; au lieu de lire ung, ainsi qu^il est écrit
dans plusieurs Mss. et dans les éditions gothiques ,
ils auront lu vingu
Un autre pas^iEige de Froissart pourrait donner
lieu de penser qu'il a vécu jusques vers le mi-
lieu du XV.* siècle : en parlant du bannissement
du comte d'Harcourt, qui engagea les Anglais à
faire une descente dans la Normandie, il dit' que
plus de cent ans après, on vit les suites funeste»
de leur irruption. Ces termes ne doivent pas être
pris à la lettre ; Fauteur écrivait plutôt comme
prévoyant les malheurs à venir qu'il craignait,
que comme le témoin de leurs derniers progrès.
* -
, J'ai dit an commencement de ce Mémoire qu'il me paraissait que
Froissart était né phitôt en 1337 qu'en 1333? n'est dass cette sap-
position que je ne lai donne ici que 60 ans; il en aurait en 64 on Cj,
s'il était né en 1333.
» Livre I. Ce^e haine (du roy Jean contre messtre Godefroy de
Uarcoart) tàusUi grandement au royaume deFrance, especialement
au pays de Normandie, car les traces en paurent cent ans après,
comme vous t orrez en f histoire*
40 VIE
Au reste, il n^est pas possible de décider en
quelle année il mourut, il paraît seulement que
ce fut au mois d'octobre , puisque son ûbù est
indiqué pour ce mois dans TObituaire de l'église
collégiale de S*^ Mpnegunde de Chimay, dont ou
trouvera un extrait à la fin de ce mémoire^ Selon
une ancienne tradition du pays, il fut cnter^ dans
la chapelle de S.^® Anne de cette collégiale; et
il est en effet assez pirobable qu'il vint finir ses
jours dans son chapitre.
Le nom de Froissart a été commun à plusieurs
personnes qui ont vécu dans le même temps que
ho tpQ historien : outre le Froissart MeuUier, jeune
écuyec du Haynaut, dont j'ai pailé au commen-
eement de ce mémoire, on trouve dans la chro-
nique de noire historien un dom Froissart, qui
s'était signalé au siège que le comte de Haynaut
avait mis en 1340 devant la ville de Saint Amand.
Ce moine défendit long-temps une brèche qui
avait été faite au mur dQ l'abbaye, et ne l'aban-
donna qu'après avoir tué ou blessé dix-huit
hommes. On lit à la fin de quelques chartes -du
comte de Foix une signature dfe /. Froissart ,
ou Jaqumat Froissart; c'était un secrétaire du
comte , et peut-être un parent de l'historien'; et
il est encore fait mention dans les registres du
trésor des chartes, d'une remission accordée en
1375, à Philebert Froissart, écuyer, qui avait été
DE JEAN FROISSART. 41
en la compagnie des Gascons au pays de Guyenne
sous Charles d'Artois, comte de Pezénas.
Pour ne point interrompre le fil de la narration
l'ai renvoyé ici, à la fin de ce mémoire, Texamen
d*un passage des Poésies de Froissart % qui in-
dique en termes obscurs une des principales cir--
constances de sa yie. Il rappelle les fautes de sa
jeunesse, et se reproche sur-tout d'avoir quitté un
métier savant, pour lequel il avait des talents
naturel», et qui lui avait acquis une grande con-
sidération ( il paraît désigner l'histoire ou la
poésie ), pour en prendre un autre beaucoup plus
lucratif, mais qui ne lui convenait pas plus que
celm des armes % et qui lui ayant mal réussi»
Pavait fait décheoir du degré d^honneur où le
premier l'avait élevé : il veut, dit-il, réparer sa
faute, et revenant à ses anciens travaux, â'ans-
1 Dans son Buisson de Jeunesse, page 338 et suîr. de ses poésies
mss. Cette pièce ^st incontestablement postérieareà l*anl370, pais-
qolly est fait mention de la croisade en Prusse qui s*était faite oette
année : mais elle ne fut composée vraisemblablemenl qn*encoro
bien long-temps après, puisqu'elle est une des dernières du recueil qui
fat £ni en 1393, et qn^elle précède immédiatement te Dict du Florin,
composé à Avignoa lorsau*il y repassa en 1389; il s*y donne commo-
un homme .yieux et chenu.
* Or me cuidajrùrop bien parfaire
Pour prerufre ailleurs ma Calendise,
Si me mis en la marchandise.
Où je suis ossi bien de taille.
Que d'entrer en une bataille •
Où je me tromperais envis, etc»
r.338,V.oel339,R.o
A2 YIR
mettre à la postérité les glorieux noms des rois,
princes et seigneurs, dont il avait éprouvé la gé-
nérosité. DaobS tout le cours de la vie de Frois-
sart, je ne vois aucun temps où on puisse placer
ce prétendu changement d'état, ni rien qui puisse
nous faire connaître ce métier lucratif dont il
parle , et que lui-même appelle maroliandise.
^expression ne nous permet pas 4'imaginer que
ce fût l'état decuréj quoiqu'il ait dit quelque part
que la cui^e de Leptines était d'un revenu considé-
rable : serait-ce la profession de praticien ', ou
celle de son père qui, était çamme nous l'avons
* dit, peintre d'armoiries ? Une acception singulière
•
du mot 772ar€r^n</i^e dans Commines pourrait nous
fournir une explication plausible. Commines né
dans le même pays, et qui n'était pas bien éloi-
gné du temps de Froissart, emploie ce terme pour
signifier une négociation d'affaires entre des prin-
ces. Le métier de négociatei;ir, où plutôt (J^bomme
d'intrigue, qui cherche, sans caractère, à pénétrer
le secret des cours, serait peut-être celui auquel
Froissart se repent de s'être Uvré : les détails dans
lesquels nous sommes entrés sur ses différents
voyages , sur les longs séjours qu'il a souvent
faits dans des circonstances critiques auprès de
plusieurs princes, et sur les talents qu'il avait
pour s'insinuer dahs leurs bonnes grâces, me pa-
raissent s'accorder avec cette conjecture.
DE JEAN FROISSART. 43
Extrak étun manuscrû tiré des archives du chapitre
de Sainte Monegunde à Chîmaj/y dans lequel se
retrouvent ks obiis et fondations pieuses faites audit
chapitre, et autres atuiçuitez. Folios 39 et 40 :
« Uobit de messire Jeau Fraissard , né de Va-
« lenciehnes, chanoine et trésori^* de ladite égalise
» qui florissoit Tan 1364, ponrra icjr prendre place
» pour la qualité du personnage, comme ayant
» esté chapelain-domesticq du prenomé Guy de
» Ghatillion, comte de Soissons et de Bloisr, sei-
» gneur d'Avesne, Simai, Beaumont, etc., qui à
» aussi esté très-célèbre historiographe de son
» temps, et a escrit les guerres et chroniques,
» et choses les plus remarquables depuis l'an
» 1355 jusqu'à Tan 1400, selon que luy-même le
» rapporte en divers lieux de son histoire, et
» particulièrement au livre 4uV chap.S, et comme
5> aussi se voit par son éloge, dressé à sa louange
» par tel que s'ensuit :
Cognita Romane vix esset gloria gentis,
Phirimis ' Aune scrîptis ni decorasset Aonos^
Tanti nempe refert totum scnpsisse per orbem,
Quelibet et doctos secla tuKsse viros !
CommemoreiU ah'os alii, super œtherd tollam
Froissardunii historié per sua secla ducemy
Scripsitenimhistoriam mage sexagiata per annosj.
> il faut lire sans Aovi\e phuibus^
44 VIE ..
Toims rmaidique memoPanda notai,
Scripsù et ^nyiontm Régine gesta Philippe
Que Guilîelme ' , tua tertio ' ^juncta toro',
Honorarium.
Gallorum sublimis hanos et fama tuorum,
Hîc y Froismrde , jaces, si modo îorte jace^^
Historié vivus' studuisti reddere vtiam,
. DeFimcto vitam reddet at illa tiôi.
Joamtes Froissardus Canonicus et Tesaurarius^
Ecclesie Collégiale Ste. Manugundis Simacis i^etustis-
simo ferme totùis Belgii oppido.
Proodma dtan proprOs Horebit Francia script is,
Fama ^ dvm rcmws, Blancaque 4 fundei aqucLs,
Urbis ta kufus honos, templi sic fama s çigebisy
Teçue ducem^hislorie Gdllia tota colçt,
Belgica tota cùlet Cgmeaqhe paliis amabiiy
Dum rapidus proprios ScaJdis obihit agros^
Ledit OKt se dit en Octobre.
^ Hic erat HoUandiœ et Bannoniœ Cornes, F«ttfe du foète, Phi-
lippe, reiae d*ADçleterre, élali fille de Guillaume II If comte d»
Haynant, et femme d*Ëdouard lU.
a Je erois qa*il faut lire terUa an lieu de tertio,
3 La Fai^ne de Chimay, petite forêt qui en dépend.
4 La Blaoche-ean» rWière qui passe à Chimay.
DE JEAN FROISSART. 45
MÉMOIRE
CONGIRNANT
LES OUVRAGES DE FROISSARf ,
*n PAB M. DB LA CUBNI.
Sommaire des matières qui sont contenues dans ce
mémoire.
I. Plan général 4o l'Histoire de Froissarf.
II. Plan particulier de cette histoire*
III. Dtrision des ^aatre livres de celle histoire en chapi*-
très, et celles da premier de ces livres en plqsieurs
parties.
ly. Froissart avait-il fait ces divisions ?
y. Des temps pendant lesquels Froissart travailla à la com-
position de son histilîre.
yi. Des recherches que Froissart avait faites pour' écrire
son histoire, et des soins qli*il s'élait donnés à ce sujet.
yil. Quel hut Froissart s'était proposé en écrivant This-
toire, et Quelles règles il s'était prescrites pQur l'écrire»
ylll. De la Chronologie de Froissart.
lî. J)es trente premières années dont Froisart a traité an
commencement de son histoire, d'après Jehan le Bel,
savoir depuis 1326 jusqu'à I3d&
La vie de Froissart a fait le sujet du dernier
mémoire ' : je vais dans celui-ci donner l'his-
toire de ses ouvrages, tant imprimés que manus-
>Ces mémoiref ont été lus dans i^Acadéinie des inscriptions ; le pre-
mier était contenadans le tome x, le second mémoire est inséré dans le
tome xm de TAcadémie des inscriptions et belles lettres .
46 VI&
crits, soit en prose, soit en vers j et je ren-
drai compte, le plus fidèlement que je. pourrai,
de tout ce qu'ils contiennentv Peut-être sem-
blera-t-il que j'ai poussé les détails un peu trop
loin r mais j'ai cru devoir une attention parti-
culière à un historien qui seul en vaut Un grand
nombre d'autres, par l'importance des matières
qu'il a traitées j et par la durée; des temps dont il
nous a laissé l'histoire. Je me suis aperçu d'ail-
leurs, que l'auteur avait répandu daris son ou-
vrage beaucoup de faits, qui servent à éclaircir
d'autres faits précédents j et que, faute d'en avoir
été prévenu, il m'était souvent arrivé, ou d'ê-
tre arrêté dans ma lecture, ou de n'ien pas tirer
tout le fruit que j'aurais pu : c'est ce qui m'a fait
sentir le besoin qu^auraienl ceux qui liraient
Froissart d'avoir cet éclaircissement Pour leur
applanir les difficultés, et leur donner difes règles
qui pussent les conduire, j'ai fâché de faire ce
que j'aurais voulu avoir trouvé tout fait, quand
j'ai Commencé, à lire cet auteur : car je ne me
propose pas seulement de donner une idée de nos .
historiens, qui satisfasse ceux qui auront sim-
plement la curiosité de les çôûnaîtrej mon ob-
jet est que ces mémoires ' servent d'introduction
à ceux qui voudroîit en entreprendre la lecture ,
I Iqsérés successivement cTans les mémoîfes de TAcadémie des Bel-
les-lettres.
DE JEAN FROISSART. 47
«t qu^ils la leur rendent, autant qu'il se pour-
ra, plus aisée, plus intéressante et plus instruc-
tive.
h
Plan gênerai dé son kisloire.
L'histoire .que Froissart nous a laissée , s'étend
depuis l'an 1326 jusqu'en 1400. Elle ne se borne
pas aux événements qui se sont pas$és en France
dans ce long espace de temps; elle comprend dans
i;n détail presque aussi grand, €e qui est arrivé
de considérable en AngleteiTe, en Ecosse, en Irlan-
de, en Flandres. On y trouve encore une infinité
de particularités touchant les affaires des papes de
Rome et d'Avignon, touchant celles d'Espagne,
de Portugal , d'^Allemagne , ^ d'Italie , quelquefois
même de la Pi'usse, de la Hongrie, de la Turquie,
de l'Afrique, des autres pays d'outre-mer, enfin,
de presque tout le monde connu. Mais cette mul-
titude immense de faits «i différents les uns des
autres, dont l'ordre chronologique n^est pas bien
débrouillé, ne présente souvent au lecteur qu'un
mélange confus d^événeménts passés en divers
temps et dans divers pays, dont il ne peut se
faire aucune idée distincte, et parmi lesquels sa
mémoire ne saurait rapprocher tant d'objets épars
qui ont entre eux une liaison nécessaire. On trou-
vera à la fît! de ce mémoire, une indication abrégée
48 VIE
des principaux faits qui sont rapportés dans tout
le cours de cette histoire; et ajin de remédier,
du moins en partie, au désordre qui règne dans
la disposition de ces événements, je les distri-
buerai chacun dans la classe qui leur convient,
en marquaiit les chapitres qu'il faut lire, pour
voir de > suite l'enchaînement des causes d'une
même nature^ ainsi que l'histoire d'un même pays
et d'une même nation. Je ne'puîs entrer ici dans un
détail bien étendu. Pour ne rien laisser à désirer,
il faudrait sur chaque article, faire des l^nvois
exacts de tous les passages qui précèdent à tous
ceux qui les suivent, et de ceux-ci à tous les
précédents j mais ce travail ne peut s'exécuteï" que
sur ï'originai même.
11-
Plmk particulier de tbistovre de Praissart.
L'histoire de Froissart est divisée en quatre
livres, dans tous .les imprimés et dans tous les
manuscrits.
Le premier commence par le couronnement
d'Edouard III, roi d'Angleterre, en 1326^ et par
l'avénément de Philippe de Valois à la couronne
de France en 1328. 11 finit à Tan 1379 inclusi-
.vement.
Froissart reprend, dans le second livre j l'histoire
DE JEAN FROISSART. 49 n
tles trois dernières années du livre précédent,
d^une manière plus étendue quHl n^avait fait
d^aboîrd, en ayant été mieux informé depuis. Il
continue jusqu^à la paix des Gantois aviec le
duc de Bourgogne, dont le traité,. qui se trouve
au pénultième cbapitre de ce livre^ est daté du
18 décembre I38S.
Le troisième livre remonte jusqu'à Fan 1382
inclusivement, reprenant le xécit de quelques faits
dont il avait été fait mention dans le second. Les
événements de ces quatre dernières années, dont
on avait déjà vu l'histoire, sont tellement détail-
lés dans le troisième livre, qu^ils en remplis-
sent les 32 prenuers chapitres. Le reste Qgt em-
ployé à rhistoire des aftnées suivantes jusqu'à
l'année 1389 finissant à la trêve conclue pour
trois ans entre la France et F Angleterre, et aux
préparatifs qui se faisaient pour Tentrée de la
reine Isabelle de Bavière dans Paris , dont l'au-
teur promet de parler dans la suite.
Le quatrième livre commence par le récit des
fêtes et des magnificences qui furent faites pour ^
cette entrée , et finit au détrônement et à la
mort de Richard II, roi d'Angleterre en 1400 ,
•et à' l'élection qui fut faite la même année, de
Robert empereur d'Allemagne. Ces événements
FKOISSART. T. XVI. 4
50 VIE
terminent les deux derniers chapitres de tout
l'ouvrage.
Cette manière de diviser l'histoire de Frois-
sart, est la même dans tous les manuscrits et
dans tous les imprimés j mais ces divisions ne
commencent et ne finissent pas toujours aux mê-
mes endroits dans tous les exemplaires. Je ren-
drai compte de ces variations, qui, à la vérité,
ne sont pas bien considérables, dans l'article où
je traiterai des différents imprimés ou manus-
crits de Froissart, que j'ai eus entre les mains.
III.
Bwkion des quatre Rvres Ae Froissart en chapi-
tras ^ et du premier Hçre en plusieurs parties.
Les quatre livres de l'histoire de Froissart
se subdivisent chacun en un grand nombre de
chapitres, qui sont diversement répartis, suivant
les différents manuscrits et les différents impri-
més : mais, outre ces divisions, dans un grand
nombre de manuscrits, il s'en trouve encore une
autre, qui est particulière au premier livre. Les
uns le partagent en quatre livres ou parties, les
autres en six, et quelques-uns en huit. J'en ren-
'drai compte lorsque je parlerai des manuscrits
de Froissart. C'est dans quelqu'une de ces qua-
tre , six ou huit divisions du premier livre ,
DE JEAN FBOISSART. 51
Tju^on doit chercher où se terminait la partie de
rhistoire de Froissart, que cet auteur porta çn
Angleterre, et qu'il présenta à la reine Philippe
de Haynàult Elle précède nécessairement les li-
vres ou parties , dans lesquelles la mort de cette
reine, arriyée en 1369, se trouve rapportée; elle
précède de même, si je ne me trompe, tout ce
qui se lit avant Fan 1367, où il était Qerc de la^
chamhre de la reine d'Angleterre •. car je crois
cfue ce fut l'histoire qu'il lui présenta, qui le fit
connaitue , et qui lui mérita ce titre dans la
maison de cette princesse. On ne peut douter non
plus qu'elle ne soit postérieure au récit de la ba-
taille-de Poitiers en 1356, puisque ce n'est que
depuis cette époque que Froissart a commeticé
d'écrire. U ne faut donc la chercher, ni avant, ni
après les années 1357 , 1858 , 135» ou 1360 :
Je me déterminerais volontiers pour l'année I360j
c'est celle où se conclut k traité de, Bretignjy
qui pacifia les^ Français et les Anglais. Ce temps
s'accommode assez bien avec celui auquel il me
paraît que notre historien dut passer en Angle-
terre; la circonstance de la paix mettait une in-
terruption assez naturelle à une histoire qui sem-
blait n'avoir d'autre objet que de traiter des faits
qui concernaient la guerre. Le second et le troi-
sième livre se terminent pareillement , l'un à
la paix du duc de Bourgogne avec les Gantois,
r
52 - VIE
en 1385, l'autre à celle des Français avec les
Anglais , en 1387. Froissart discontinua encore
d'écrire en 1392, et pendant les années sui^
vantes, qui se passèrent en différentes trêves
faites successivement entre les Français ef les
Anglais, et dont il ptofita en ISSA, pour aller en
Angleterre, où il n'avait point été depuis vingt-
sept ans.
IV.
Frois^art avail-û fait ces dmsians ?
On pourrait demander si Froifsart avait divisé
lui-même son histoire, de la manière que je viens
de dire. Je ne doute point qu'il ne soit l'auteur
du partage en quatre livres. Outre qu'il ôe
trouve dans tous les manuscrits, à remonter jus-
qu'à ceux de son temps, lui-même citant quel-
quefois 4^ns un de ces livres, des faits qu'il a
rapportés dans les précédents , use de ces termes ' ;
Comme il est contenu cy --dessus en nostre histoire* Ou
de ces autres ' ; Vous smez, et il est ci-dessus con^
tenu en nostre disto^e. Mais pour la subdivision du
> Ils se lisent an ch. 3» du neuvième volume, p. 237» en parlant des
traités de Bretlçny et de Calais dont il a fait mention dans le premier
livre. . '
> On les voit an commencement dn cb. 31. p. 23 !• du treizième vo-
lume, dans les quinze premières lig^nes, qui se trouvent placées dan^'
un ^and nombre île manuscrits» à la iéie de ce même Volume.
DE JEAN FBOISSABT. 53
piemier livre en quatre, six, on huit livres, on
ne la voit po^nt dans les manuscrits les plus an-
ciens : d'ailleurs elle n^est pas uniforme dans ceux
où elle se trouve : ainsi j& n'héaîtè point à croire
qu'elle est l'ouvrage des copistes qui sont venus
dans la suite.
A l'égard des chapitres de chaque livre, et
des titres de ces chapitres, on ne. les rencontre
que dans les imprimés, ou dans leis manuscrits du
temps des imprimés et postérieurs; elle y est dif-
férente suivant ces manuscrits ou imprimés, et je
ne vois nulle apparence que Froissart en soit Fau-
teur. Un seul passée pourrait faire quelque diffi-
culté à ce sujet: il se trouve au premier volume, //ûyr
116^ de l'édition de Sauvage où Thistorien renvoie
au chapitre précédent; mais ce passage est évidem-
ment interpolé. Quoiqui'il se lise, à la vérité, dans
les trois éditions gothiques et dans «elles de Sau-
vage, il ne se trouve dans aucun d^s manuscrits que
î'ai vus, à l'exception d'un seul de la bibliothèque
du roi, no 8321, qui est de la fin du XV.* siècle, et
l'un des inoins auth^entiques que nous ayons.
V.
D&s temps pendarU lesquels Fr&issart inwattla à la
compoj^ian de^s&ii histoire.
m
La principale de ces divisions, celle qui partage
rhi^tôire de Froissart en quatre livres, sert à
51 VIE
marquer autant d'époques différentes, auxquelles
il s'est arrêté dans le cours de son ouvrage; soit
parce que la matière lui manquait, ajrant con-
duit sa narration jusqu'au temps où il écrivait;
soit qu'il voulût prendre quelque repos ou en don-
ner à ses lecteurs. Mais ces endroits ne sont pas
les seuls où Froissart a suspendu le cours de son
histoire : on en remarque encore plusieurs, dont je
.tâcherai de fixer la date, ainsi que des autres,
autant qu'il me sera possible. Avant que d'enfrei"
dans cet examen, je m'explique sur la. manière
dont j'entends que Froissart discontinua de tra-
vailler a son histoire. Ce que«j^'ai dit de sa per-
sonne, nous le fait voir continuellement occupé de
cet objet; et plus de quarante années de sa vie, à
commencer dès l'âge de vingt ans , se passent dans
ce travail : mais dans un s* long espace de temps,
il en est un qui appartienif plus directement à la
composition de son ouvrage; c'est celui auquel,
après avoir fait de grands voyages et beaucoup de
recherches, il rassçmbla ses matériaux, les mit en
ordre, et en forma une suite d'histoire, telle que
nous l'avons aujourd'hui. Comme il y a travaillé à
plusieurs reprises, je tâcherai d'assigner à cha-
cune de ces parties* le temps qui lui convient, et
de déterminer quand elle fut commencée et ache-
vée, combien d'années l'auteur y employa, et les.
intervalles pendant lesquels il discontinua d'écrire. •
DE JEAN FROISSART. 55
Je crois tous ces détails essentiels. Froissart par-
courut beaucoup de pays, dans plusieurs desèpels
il séjourna un temps considérable^ il. fut attaché
en différents temps à des cours dont les intérêts
étaient fort ôpposésj il fréquenta un grand nom-
bre de princes et de seigneurs de divers partis. 11
serait bien difficile qu'il rie se fût pas laissé pré-
venir, ou d'affection pour les uns, ou^ de haine
pour les autres^ et qu'il se fût toujours défendu
<le l'illusion de la prévention, d#nt la bonne foi
ne sert souvent qu'à nous rendre plus suscepti-
blés. Si l'on veut se rappeler les circonstances^ de
la vie de notre historien, rapportées dans mon
premier mémoire , et qu'on les rapproche des
temps auxquels il travailla à la composition des
différentes parties de son histoire, non-seulement
on Verra les instructions qu'il avait été en état
de prendre, tant par rappprt aux lieux, que par*
rapport aux personnes qu'il avait vues^ mais on
jugera encore des partis auxquels on peut le soup-
çonner d'avoir incliné. Ces connaissances une fois
bien établies, seront d'uji grand secours pour
faire apprécier plus au juste les différents degrés
d'autorité qu'il mérite, suivant les différentes ma-
tière^ qu'il a traitées, et les temps auxquels il
les a traitées. Sans qu'il soit besoin de m'expliquer
davantage à ce sujet, tout lecteur, pourra faire
l'applicatio^ de cette règle, à mesure qu'il âvan-
56 VIE
cera dans la lecture de Froissart : elle lui ser-
vira de guide à chaque pas; elle le garantira de
Terreur ou de la séduction, soit que l'historien ait
été mal informé y soit ^uHl ait voulu en imposer
à ses lecteurs, s^il est vrai quHl en ait été capable.
Le premier livre de Froissart comprend, com-
me je Tai dit, l'histoire depuis l'an 1326, jusqu^à
Fan 1379. Cet espace renferme le temps de son
voyage en Angleterre : temps auquel on doit né-
cessairement supposer qu'il avait discontinué son
histoire; car il la regardait alors cômmç étant
achevée en cette partie, puisqu'il dit qu'il la porta
en Angleterre, où il la présenta à la reine. Elle
finissait, comme je Fai déjà dit, vers l'an I360j^
et comme on a vu aussi qu'elle était achevée en
136 1 , et qu'il.ne l'avait commencée qu'environ l'an
1357, il est évident que Froissart n'a guère em-
ployé plus de 3 ou 4 ans à la composition de cette
partie, qui est néanmoins une de celles qu'U me
paraît avoir le plus travaillées.
Une sorte de liaison que je trouvé * entre plu -
* Froissart ayant rapporta sons Tan 1364, que la paix avait é\é &iie
en Bretagne, proMt de traiter, dans la suite, de la rupture de cette
paix, qu'^arri?a depuis. L^histoire de cette rupture se lit sops Fannie
1373, at le récit des guerres qui s*eusuÎTÎrent, continue jusqu^à la fin
de ce premier livre.
Comparez pareillement ce qu*on lit sous Tan 1373, avec ce qui
«si .rapjopté^ sous Tan 1377 au même livre.
DE JEAN FROISSART. 57
sieurs chapitres du reste de ce premier livre ,
dont les premiers annoncent d'autres chapitres
fort éloignés, me persuade que ce reste a été
composé tout de suite sans aucune interruption,
et que par conséquent Tauteur ne commença à
écrire que vcts Fan 1379, puisquHl finit par le
récit des événements de cette année. En effet,
je crois que pendant le t^mps qu'il passa au
service de la reine Philippe de HaynaUlt, depuis
I36I jusqu'à I39é, il fut plus, occupé à faire, par
ses ordi^es, des poésies galantes et des vers^amou-
reux, qu'à travailler àPhistoirej et que quoique
dans ses différents voyages, dont plusieurs ne
furent faits qu'après la mort de cette princesse*,
il songeât toujours à s'informer de l'histoire de
son temps, iln^vait, au milieu d'une vie toujours
agitée, ni assez de loisir, ni Ijesprit assez libre,
pour l'écrire. 11 employa trois ou quatre an» à
composer cette dern\ère moitié de son premier
livre : car on va voir que le Kvre suivant ,
auquel il ne travailla pas aussitôt après , fut
composé depuis 1385. Quoique Froissart ait
écrit le premier livre à deux reprises différentes,
il paraît que la préface qui eàt à fa tête ne
fut faite qu'après qu'il eut été entièrement ache-
vé , puisque hauteur y parle de son voyage en
Ecosse , où il n'alla qu'après avoir présenté la
58 VIE
première moitié de ce livre à la reine d'Angre-
terre.
On ne .trouvé aucune interruption sensible dans
tout le cours 'du second livre : l'auteur en em-
ploie les trente premiers chapitres à reprendre
les événements des trois dernières années du
livre précédent , qui avaient été rapportés trop
succinctement. U y â joute' de nouveaux faits du
dé nouvelles circonstances, à ceux dont il avait
parlée ou bien il en rectifie la narration, comme
en ayant été mieux informé depuis : et c'est d'où
je tire ma preuve qu'il y eut quelque intervalle
entre • la composition du premier livre . et celle
du livre suivant. Après ces trei^te premiers cha-
pitres, il reprend le fil de son histoire, qu'il
conduit jusqu'à la paix que les Gantois obtinront
du duc de Bourgogne, et dont il rapporte le traité
original, daté du 18 décembre 1385. C^est dont
vers l'année 1386 que le second livre de Frois-
sart commença à, être composé , il était achevé
en 1388. Cette même année il alla chez le comte
de Foix. Dans le récit qu'il fait de son voyage,
il dit que quelques personnes lui rappelaient des
événements dont il avait parlé dans son, histoire f
et ces événements se lisent dans le second livre,
qui fut, suivant les apparence^, écrit tout de
suite.
On trouve une interruption de plus de douie
DE JEAN FROISSART. 59
ans entre Ja composition de ce livre et celle du
suivant; car Fauteur ne commença celui-ci, qui
est le troisième, qu^en 1360 '. Alors il écrivait par
Tordre et aux gages du comtq de Blois; il le dit
expre^ément au commencement et au chapit^
89, page 151^ tome XL Rien n^empêche ^qu'on ne
puisse croire que le livre précédent avait été
composé par les ordres du même comte, puisque
j'ai dit dans mon premier mémoire, queFroissart
me paraiissait avoir été attaché à son service dès
Tan 1385. Le troisième livre , qui remonte jus-
qu'aux événements qui s'étaient passés depuis
l'an 1382, et qui leur donne plus d'étendue ,^ ayant
été, comme je viens de le dire, commencé en
1390, était déjà achevé en 1393. L'auteur le fait
assez entendre dans l'endroit où il parle des
conventions que le duc de Bretagne avait faites
avec le roi de France : il dit que dans le temps
qu'il finissait ce livre, le duc les ' av^dt ol^^ervéés
> Froîssart dît formellement au chapitre 27, page 234 dadixième vo-
lume , qa*il écrivait cette Chronique Tan 1390 , et il- le confirme encore
dans la suite, pnisqu'ayant achevé le récit du voyagfe qu*il lit à MideU
hourg en Zélande vers Tan 1390» pour sMuFormer de Thistoire des
g^nerres dePortug[al, il dit qu'il s'en retourna depuis en son pays; à
quoi il ajoute au chapitre 28^ p. 49 de ce même volume : Si ouvray
et besongnay sur les pàroUes et relations Jailes du gentU chevalier
messire Jehan Ferrand Perceck(Pacheco) et croniquay tout ce qu'^ès
royaumes de Portugal et de CastiUe est advenu jusques à tan dé
grâce mil trois cent quatre vingt et dix.
60 VIE
fidèlement, et n'avait rien fait jusque^à qui mé-
ritât d*être rapporté *.• On verra dans la suite, en
1393, la désobéissance de ce duc, qui, après avoir
reçu chez lui Pierre de Craon criminel d'état, ré-
4sta ans: ordres que Charles VI lui dpnna dé le
lui renvoyer. Tout ce volume me paraît avoir été
composé de suite j du moins on y voit une liai-
son sensible entre plusieurs chapitres éloignés les
uns des autres.
I^'interruption qui se trouve du troisième au
quatrième livre, me semble avoir été faite pour
donner du repos au lecteur plutôt qu'à l'historien :
car Froissart, en finissant le troisième livre, an-
nonce les faits qui font la matière du commence-
ment du livre suivant. Je crois que l'historieîi
passa tout de suite de la composition du troisième
livre à celle des cinquante premiers chapitres du
quatrième , qui se terminent aux événements dje
ranpée.139^. On grand nombre de manuscrits, et
les éditions gothiques, qui ne font commencer le
' > Voici le passage entier. Froissart ayant dît au cha^. 113, pa^. 3<^3
da onzième volume, que le doc de Bretagne qui éiait venu à Paris, oit
il avait fait plosièurs promesses au roi en 1388, s'en retourna enfin à
Nan tés , ajoute : Nous nous souffrirons (c^est-à-dlre, nbus discont i nne-
rons)àparlerduiàu: de Bretagne y car Urne semùle quHlà bien tenu son
èonvenantauroiy et à ses oncles f eirCnfaitchosequiàranientevoir
Jasse, ni rCavoitfiit au jour que je doï ce livre ; je ne say s'^ilen fera
nulle; sHlenfaitfen parlerai selon ce tjutfen saurajr.
DE JEAN FROISSART. 61
quatrième livre qu'après les cinquante premiers
chapitres , forment un pré j ugé très-naturel en faveur
de cette opinion. D'ailleurs, depuis Tannée 1392 oik
ils finissaient, deux ans se passèrent en négociations
continuelles entre les Français et les Anglais, peu*
dant lesquels on fit plusieurs trêves de peu de du**
rée, qm aboutirent enfin à une paix ou trêve de
quatre ans. On ne peut douter que Froissart n'ait
alors interrompu son histoire^ puisque c'est le
temps auquel il fit son voyajge en Angleterre, où-
il séjourna trois mois. Je crois que cette interrup-
tion fut considérable, parce que le reste du qua-
trième livre , qui me paraît 'avoir été écrit tout
de suite, ne fut composé,* si je ne me trompe,
que plusieurs années après ce voyage, c'est-à-dire,
à la fin du Xiy.' siècle, ou au commencement du
XV.* On y lit des événenlents qui apjiartiennent
aux années 1399, et 1400. Je ne vois rien qui
puisse nous faire juger de la durée du temps
que l'auteur avait donné à la composition de
cette dernière partie. »
H est à propos de faire une observation géné-
rale, au sujet des interruptions, dont je viens de
parler, et dont j'ai tâché Ae déterminer le temps.
Lorsque notre historien, finissait une des parties
de son histoire, il la conduisait toujours jusqu'au
temps auquel il écrivait^ et sur la fin, il rappor-
tait les événements à mesure qu'ils se passaient :
62 VIE
d'où il arrive, ce me semble, qu'on y trouve plus
de confusion, souvent même des omissions iet des
inéprises , qu'il a été obligé . de suppléer ou de
relever dans la partie suivante. Ce* sont apparem-
ment ces divers suppléments qui lui font prendre
dans plusieurs endroits le titre, non seulement
à^mUeur^ c'est-à-dire auteur , mais encore celui
Ôl augmenlateur de cette histoire, et qu^il dit dans
d'autres endroits, l'avoir emjirise, poursuivie èl
mymerUée. ' / :
VI.
». • . '
Des recherches que Frais sart avait faites pour ecînre
r histoire^ et des soins qu'il s'était dmhésû ce stget.
On â vu dans mon précédent -mémoire, avec
. combien de peines et de fatigues Fi»oissart avait
» Froissart commence le cînqnanlièmé chapitre da troisième livre
de son histoire , JMir ce» mots : En si grande et si noble histoire comme
ceste est, doni J^ ^^^e Jehan Froissart f ay esté aa^nenùUeur H reci-
leur, etc.
Sous ranI388,chap.I03,p.2Cl,t.XI,ildit:/^«McteMr;e/a«g.
menUUeur de ce Uvre^ pour j:e's Jours festoyé sur lesfiondères de ce
pays de Berry et de Poictou % la comté de Bfojs, de lez montres
cherei honoré seigneur lecomte Guide Blois, pour lequel cesiehisipire
estemprise,pàursuivie et augmentée.
Parlant de la catastrophe àe Richard If * r<^i d'Ançlolerre, aj|.
née 1299, ïldiï : Pourtant que fay dictée, ordonnée et augmentée
a mon l(^al pouvoir ^ste histoire, jeVescry pourdonner ôoghois-
sance qu'il dei^inU
DE JEAN FROISSART. 63
visité la plupart des cours de TEurope. Admis
chez les plus grands seigneurs % et s'insiquant
dan^ leur confiance, au point de mériter, non-
seulement qu^ils lui racontassent plusieurs dé-
tails, soit de leur vie, soit des événements dont,
ils avaient été témoins, ou auxquels ils avaient
eu part, mais qu'ils lui découvrissent même quel-
quefois le secret des résolutions prises dans les
conseils les plus intimes, et sur les affaires les
plus importantes, il n'avait pas moins d'attention
à profiter des entretiens de ceux à qui il pouvait
parler, et qu'il pouvait interroger avec plus de
liberté \ Il paraît qu'il avait été . instruit de quel-
ques particularités de la cour de France, par
des domestiques même du roi, et par ceux qui
. > Qa lit dans le ?ro1. de son premier litre : Frayestquejequi
ay empris ce livre à ordonner, aypear plaisance , qui à ce nCa toujours
endinéj fréquenté plusieurs nobles et grands seigneurs tant en
Prtmce qu*en Angleterre, en Ecosse ien Bretagne ,nj(m\ea\ qoelqnet
■liSS.) et en pbisienrs mitres pays, et ay eu la côgnoissance d'eux ,
et ay toujours à mon pouvoir justement enquis et demandé du fait
des guerres et des-aventures, et par e spécial depuis h grosse Bataille
de Poictiers ou le nobh roy Jehan de France fut pris, etc,
^Il^faitnndëtaîUrès-exaqlet irès-cnrîenx d^nn famenx pan d'armes
tenu en 1390, pendant trente joars par trois cheTaliers français, au-
près de la Tille de Calais, et il parait qn*il en savait des particularités
connues de très-peu de persoues.
11 parle aussi des circonstances de Tassassinat dn connétable Clîsson,
en homme <^ni était instruit des parlicularités les pins secrètes de rhis>
toire de son temps.
61 • VIE
l'approchaient de pli^s près. Si dans ses voyages
dans Jes cours et dans les antres lieux qu'il visi-
tait, il se rencontrait des personnes de qui il pût
tirer des instructions, surtout des gens de guerre
ou des hérauts '^ qui étaient en ces temps-là les
agents les plus ordinaires dans l^s négociations et
dans les grandes affaires, il se liait de conversa-
tion avec exit^ les amenait inSensiMement à par-
ler sur les points d'histoire dont ils devaient être
le mieux informés, eu égard au pays d'où ils
1 Tout le détail carieiu qite Froissart fait de ridandey et de la cob-
qnèle que lé rei d'Angleterre fitde ce j^oyanmeen 1391' est le fruit d^une
lor^gue cpnyersation qu'il ayait eue à la cour du roi d*An^eterré, avec
H«nry Castéde, écuyer Anglais, qui avait été sept ans prisonnier en Ir-
lande,et que le roi d"* Angleterre y avait renvoyé depuis, pour tâcher de
civiliserles peuples de ce pays, et de leur fairç prendre lesrac&urs et les
hal)illements des Anglais. Il tenait d'un chevaliiBr d'Augleterrei nommé
"Guillaume de Li^se, qui avftit«uivi le rqi d'Angleterre à la même con-
quête d'Irlande, le récit qu'U fait du merveilleui trou de Saiat-Patrtce
dans lequel ce cheva:Her lui dit qu'il avait demeuré toute une nuit.
Froissarty parlantdelapaix ou.trère conclue entre la France et
TAngleterre, aux couférences deLelnighen près d'Abbetille , en 1393
dit que le roi d'Angleterre en reçnt Ja nouvelle par un itérant que ses
oncles lui envoyèrent : Et pour les tonnes fouve&es que ie héraut
éesstfsnennméauroj a\>oii apporléeSy, il luy donna de^ands d<ms^
si comme ledit héraut mç, dit depuis à loi^r t chevUuchant avec luy
au royaume d''jéngleterre^ ♦
Parlant d'une offre qui fut faite aux Vénitiens par les ambassadeurs
du roi de Hongrie, afin d'avoir de l'argent pour la. délivrance da doc
de Neve'rs prisonnier en Turquie, et de la réponse que les Vénitiens
firent à leurs propositions, il dit, année 1397» en rapportant cette ré-
ponse : Selon ce que je Ju informépar celuy qui fut à la réponse
Jaire, ' . '
\
DE JEAN FROISSART. 65
étaient, et aux autres circonstances de leur vie:
jl ne les quittait qu'après leur avoir fait dire tout
ce qu'ils en savaient j et ce n'était que pour al-
ler aussitôt jeter sur le papier ce qu'il avait ap-
pris d'eux. Non content de Recueillir ces précieuses
autorités, et de comparer avec soin, coname il en
avertit lui-même ', les témoignages des personnes
qui avaient suivi des partis contraires, il voulait
des preuves encore' moins suspectes. Il consultait
les traités que les princes avaient faits entr'eux ,
leurs défis ou déclarations de guerre, les lettre»
qu'ils s'écrivaient, et les autres titres de cette na-
ture '. Il dit expressément qu'il en avai| vu plu-
> Voyez an ehapltre 118 da troisième lirre, tome lU lo détail
4}ii*îl fait de la guerre des Aoglais et des Ecossais, llditqnece qu'il
rapporte de la bataille qa'ils se-donnèrenl à Neafchastel, il le tient des
chevaliers et écnyers des deai partit, qu'il avait irug. On peut roir
aussi. le récit du voyag^e ^'il lit en2éIande,pour^Yoir des nonyel*
les de la g;uerre d» (ortug^l par les Portiig^aîs mêmes,
' Aprèa aroir parlé de plusieurs arlieles rëfjflés à Calais en 1360
entre leroi Jean, au sortir de sa prison, elle roi Edouard IIId*An-
g;]eterre, il ajoute ces paroles: Encore avecques ces choses furent
pb4,sieurs autres lettres faiieS et alHances, desquelles je ne puis du
tout faire mention^ car durant qtûnze jours ôu environ que les deux
rois et leur enf ans et leurs consaulx ( conseillers )/ùr6'/zl^» la ville
de Calais y avait tous ïes jours parlement et nouvelles ordonnances «
en reconformant et aUûuant la paix - (do Bretigny }; et d'abondant re-t
, nouvelloient lettres sans briser ne corrompre les premières^ et l^s
faisoient toutes sur une date pour estre plus sûres et plus approuvées ,
desquelles fay vu depuislacopie sur les registres delà chancellerie
4e Vun royet de Vautre,
Voyez encore comment il s^exprimeau commencement du chapitre
g 4n troisième livre, tome II, en parlant de la déclaration de guerro
q ue ie duc de Gueldres iit en I3U7. »u roi Charles VL
FROISSART. T. XVI. S
66 VIE
■
sieurs quHl ne rapporte point, nommément ceux
de la chancellerie du roi d'Angleterre; et on en
trouve quelques-uns transcrits en entier dans le
cours de son histoire. Il paraît même qu^il ne pre-
nait point au hasard tous ceux qu'il rencontrait,
qu'il lès examinait avec des yeux critiques, et
qu'il les rejetait * lorsque leur authenticité ne lui
semblait pas assez prouvée.
VIL
11
Çuel but Froissart s^élait proposé en écrwant rifù^
toire , et çueiles règles il s'était faites pour P écrire.
On juge aisément par le détail des soins que
Froissart nous dit lui-même avoir prisj quHl
connaissait les règles de la saine critique, et la
véritable méthode que l'on, doit suivre pour écrire
rhistoire. 11 nous apprend d'ailleurs qu'il ne s'é-
tait pas proposé de, donner seulement une chro-
nique où Ton vît des faits rapportés sèchement
à leur date, et dans Tordre ou ils sont arrivés:
mais qu'il avait voulu écrire ce qu'on peut ap-
peleç véritablement une histoire, dans laquelle
les événements fassent revêtus des circonstances
qui les avaient accompagnées. Les détails qui dé-
couvrent les ressorts secrets qui font agir les hom-
mes, sont précisément ce qui dévoile le caractère
et le fiond du cœur des personnages que l'his-
toire met sur la scène ; et c'était-là une des
t
DE JEAN FROISSAHT. 67
parties^ essen1;ielles du dessein que Froissart s^é-*
tait proposé, en écrivant Thistoire. Plusieurs pas-
sages de son ouvrage nous montrent qu'il y avait
été porté par une inclination naturelle, et qu'il
trouvait un plaisir ' infini dans cette occupation :
mais une autre vue, qui lui fait bien plus d'hon-
neur, avait extrêmement fortifié ce goût naturel.
U songeait à conserver aux siècles à venir, la mé«
moire ^ des hommes qui s'étaient i*endu$ recom-
mandables par leur courage et par leurs vertus;
de donner à leurs actions un prix que rien ne put
ni effacer ni altérer; et en amusant utilement ses
lecteurs, de faire naître ou d'augmenter dans leur
cœur, Pamour dé la gloire par les exemples les
plus signalés. Ce désir qui l'a toujours animé
dans se&: recherches, l'a soutenu fdans un trayail
1 FroiMArt, aa oemmeacemeat da chupître 13 da quatrième liyre de
•ton histoire, tome {2 , dit; Telles choses à dire et mettre ayant me sont
grandement plaisantes; et se.plaisahce ne m^eust incliné à dicter et à
j'enquerre Je n^eufussejà venu â bout,
ail oommeiice ea ces terme» le prolo|pie 4a premier rolvme de ioa
lii^toire: Afin que honorables emprises et nobles avanbures et faits
d*annes, lesqueUes sont avenues par les guerres de France çt d^An-
^elerre* soyetU notablèmèni registresetmisesen mémoire perpétuelle 9.
exemple d'eux encourager en bienfaisant^ je veuil traiter et recorder
histoire de grand louenge*
H commence encore le premier chapitre de ce premier volame par
ees mois: i'our'toi/^ nobles cœurs encourager et leur donner exem-
ple et matière et honneur 9 je 9 Sire Jehan Froissart^ commence àpar*
1er, e*c.
Voyez aussi livre3 , chapitre I «tome 9.
5*
6» VIE
de plus de quarante ans, où il n'épargna ni soins
ni veilles, et pour lequel il ne craignit pas de
dépenser des sommes considérables. En effets
rien n'est plus propre que le spectacle que Frois-
sart met continuellement sous les yeux de ses
lecteurs, à leur inspirer Vamour de la guerre,
cette vigilance industriei^se, qui, toujours en garde
contre les surprises, est sans cesse attentive à
surprendre les autres, cette activité qui fait comp-
ter pour rien les peines et les fatigues, ce mépris
de la mort qui élève l'ame au-dessus de la crainte
des périls, enfin cette noblç ambition qui porte
aux entreprisés les plus hardies. Il fait passer en
revue tous les héros que pi'oduisîrent pendant
près d'un siècle, deux nations guerrières^ dont
l'une était encouragée par des succès aussi fla-
teurs que continus, et l'autre, irritée par ses mal-
heurs, faisait les derniers efforts pour vengef , à
quelque prix que ce fût, son honneur et son roi.
Dans un si grand nombre de faits, dont plusieurs
furent extrêmement glorieux à l'une et à l'autre,
il n'était pas possible quHl ne s'en rencontrât
quelques-uns d'une nature toute différente. Frois-
sart ne s'est pas moins attaché à peindre ces
derniers , afin de donner autant d'horreur pour le
vice ', qu'il inspirait d'amour pour la vertu. JViais
> Fraissart ayant employé le chapitre 14 de son quatrlènre li-
tre à faire Thistoire d*Aimerig[ot Marcel, fameux chef de bandits qui
Dl^ JEAN FROISS ART. 69
si tous ces tableaux n^eussent été que le fruit
, de son imagination, ils n'auraient pas touché au-
tant qu'il lé voulait. Afin qu'ils fissent une ira-^
pression plus sûre et plus forte sur le cœur et
sur l'esprit, il fallait qu'une vérité pure, dégagée
de toute flatterie, ainsi que d'intérêt et de par-
tialité, en fût la base. C'est cette Vérité que notre
historien se pique d'avoir recherchée avec le
plus de soin '. Au reste, tout ce que je viens de
rapporter, est tiré de ses propres paroles répan-
dues dans une infinité de passages de son his-
toire; et c'est de quoi seulement je suis garant.
Il s'agira de voir s'il a observé aussi fidèlement
qu'il le promet, cette loi qu'il s'était impo-r
enfin fut pris, ffécollé et écartelé à Pariu, dit en commençant le cb«pi-
Ire 15;<ie qui suW : Je me suis mis à parler tout au iong de la vie ctAi-
rnerigot Marcel, et de remonstrer tous ses faits. La cause a esté pour
embellir son ame et sépulture i car des bons et des mauvais on doit
parler et traiter en une histoire quand elle est si grande comme reste
cjy est pour exemple à ceux qui viendront, et pour donner matière et
achoison (occasion] de bien f aire ^, car s'Àimerigoteui tourné ses voyes
et turgus en bonnes vertus, ilestoii bon homme d'armes défait etd'em-
prise pour moult valoir; et pour ce qu*il en fit tout le contraire il en
vînt à maie fin,
> En rapportant les noms des bravés qui se signalèrent à la bataille
de Cocherel en 1364, il dit: Là eut dur hutin et grand poignis et faite
mainte appertise d'armes. On ne doit pas mentir à son pouvoir*
Après avoir fait un grand ëloge du comte de Foix» chez qui il avait
fait un séjour considérable, et qui lavait très-bien traité, il prévient
ceux de'ses lecteurs qui l accoseraient d*en parler d'une manière aussi
favorable par flatterie, vol. 3,chap. 6J , ga^e T84.
70 VIE
sée ', et qui est le premier devoir de tout his-
torien. Mais avant que d^entrer dans Texamen de
cette question, je ferai quelques observations
générales sur la chronologie de Froissart^ ensuite
)e parlerai dès trente premières années de son
histoire, qui ne sont, à proprement parler, qu'une
introduction à l'histoire de quarante et quelques
années qui les suivirent, jusqu'à la fin du quin-
zième siècle. .
VIII.
/fe la Chronologie de Froissari.
\ Je remarqué dans la chronologie de Froissart,
deuit défauts essentiels qui font la source de tout
lé désordre qui s'y trouve. Le premier est que,
lorsqu'il passe de l'histoire d'un pays à celle d'un
autre, il fait souvent remonter l'histoire qu'il.com-
mence, à un temps antérieur à celui dont il vient
de parler, sans avoir presque jamais l'attention
d'en avertir ses lecteurs. Lejsecond, qui n'est pas
moinsxonsidérable, c^'est qu'il n'est pas d'accord
' En annonçant sons l*année 1385, le récit qnll va faire des g^nerres
deBrelag^nè, et disant, qae les seigneurs Bretons araienttonjoursélé
fort attachés à ledrdnc» excpplé quand îl s*élaU déclaré conire la cou-
ronne de France, dont ils avaient ^ardé principalement Thonnenr, il
prévient les lecteurs qui le soupçonneraient de partialité* De même,
après avoir fait lo récit de la défaite hontense des Brabançons par le
docdeGueldres, il fait sentir que l'intérêt qu'il prend à la gploire des
Brabançons (ils étaient en qnelqne façon ses compatriotes) ne lui fait
point dissimuler des vérités qui leur font peu d'hotinenr (sous Tan
1308.)
DE JEAN FROISSABT. 71
avec lui-même dans la manière de compter les
années : illes fai^ commencer, tantôt au premier
de janvier, tantôt à Pâques, quelqueftns même à
Pâques-fleuries. *
Froissart ne se borne pas à dater par les années
les événements qu'il rapporte :les mois, les jours,
les heur^ du jour, sont souvent exprimés dans ses
différents récits. Je remarque, à l'égard des jours,
qu'il ne les commence qu'au moment où la nuit est
entièrement passée, quand le point du jour com-
mence à se faire voir. A l'égard des heures de la
journée, il leur donne une division dont on voit
quelques exemples^ dans nos anciens auteurs; mais
en petit nombre, et à laquelle il s'attache plus
particulièrement que les autres. Il les divise sui-
vant les heures canoniales de prime, tierce, nane
et vêpres; peut-être parce qu'il était engagé dans
l'état ecclésiastique. Je n'ai remarqué nulle part
qu'il jSe soil servi du mot de sexle. Ce qu'il en-
tend par prime j' était le matin, la première heure
du jour, ou l'heure qui suivait de plus près le
matjn. Tierce me seaible marquer le temps inter-
médiaire entre 4e matin et l'heure de midi, qu'il
exprime, ou par le mot midi ou par celui de none.
Ensuite venait çépre, on la yêprée; c'était, comme
le mot le désigne, la fin du jour, après laquelle
> Voyez iei années 1349, 1350, 1351,1335, 1356, ]a(i2, 1363, et
autres.
72 VIE
il comptait encore la mi-miiL Quelquefois il ajoute
à ces mots de prime ; tiercé, none, vêpres s l'épithète
de basse, poUr marquer le temps auquel ces heures
étaient près de finira et quelquefois celle de
haute, qui paraît en quelques endroits avoir la même
signification, dans d^autres en avoir un^ toute
contraire. Il use encore de ces façons de parler,
à Faube cre^fanl^ pour dire que l'aube du jour ne
faisait que commencer de poindre^ au soleil es-
cé?«^«/2/> pour exprimer le coucher du soleil j « la
relei^ée, pour le temps qui suit l'heure de midi^ et
à la remontée, qui me semble synonyme de la péprée^
pour le soir, le temps auquel le jour approche de
son déclin.
IX.
Des trente premières années dont Frôissart a traité
au commencement de son histoire, cC après Jean
le Bel, savoir, depuis 1326 jusçu* à 1356.
Les trent^ premières années de l'histoire de
Frôissart jie sont proprement qu'un préliminaire ^
qui sert à mettre les lecteurs au fait des guerres
qu'il doit raconter dans la . suite. Il expose l'état
de la France et de l'Angleterre, et fait voir le
sujet de la querelle entre ces deux couronnes, qui
fut la source des guerres sanglantes qu'elles se
firent réciproquement. Frôissart peut, enquelque
façon, n^étre point regardé comme auteur com-
DE JEAN FROISSART. 73
temporain dans ces trente premières années : il
n'était pas encore né, ou bien était» sinon dans
son enfance, au moins dans un âge où il n^avait
pu faire un grand usage de sa raison. Aussi ne
parle-t-il guères dans qies trente années comme
un auteur qui aurait vu ce qu'il racontej et c'est
sans doute à ce temps-là seulement qu'on doit
rapporter ce qu^il dit au commencement de son
histoire, qu'il l'écrivait d'après une autre qui
avoit paru auparavant C'était, comme il nous
l'apprend encore, les vrayes Chroniques de Jean le
Bel ', cimnoine de Si. Lambert de Liège. Ces chro-
niques ne sont point venues jusqu'à nous; et je
n'ai pu découvrir, ni sur l'ouvrage ni sur l'auteur.
■ Véici les propres termes de Froissart daas le prolog^ae de son pre-
mier Tolaniei
Donôpour atteindre à fa matière quefay entreprise, je veut! com-
mencer premièrement par la grâce de Dieu et de la benoiste Vierge
Marie {dont tout con/brt et avancement viennent), et me veuil fonder,
et ordonner sur les vrajres croniquesjadis faitles parrévérend homme
discretetsage^MonseigneurmaistreJehanle Bel, ChanoinedeSt.Lam-
bert de Liège qui grand cure et toute bonne diligence meistenceste ma^
niêreyttla continua tout son vivant et plus justement qu'^'dput; et moult
lui coûta à querre et à lavoir, mais quelques fraiz qu'ail y fit, riens ne
les plaignit, car il estoii riche et puissant (si les pouvait bien porter') et
estait de soy meame large, honorable et courtois, et volontiers vojoii
le sien despendre; aussy il fut en son vivant moult aimé et secret à
Monseigneur messire Jehan de ffaynaut, qui bien est ^ramenteu, et
de raison» en ce livre; car de moult belles et nobles advenues Jui-il chef
et cause, et des roys moult prochain; pourquoy le dessus dit messire
Jehan le Bel peut de lez lu/ voir plusieurs nobles besognes lesquellei
sont contemies ey après.
74 VIE
rien de plus que ce qu'on en lit dans Froissart '.
Il en parle comme d'un homme qui ne vivait plus :
mais il vante son exactitude, les soins qu- il avait
apportés à composer sqn histoire^ et les dépenses
considérables qu'il avait faites à ce $ujet. Il le
représente comme favori et confident de Jean, de
qui il avait pu voir plusieurs grands événements,
qui seront, dit-il, rapportés dans la suite; car
le comte qui était proche parent de plusiejars
rois, avait joué un grand rôle dans la plupart de
ces événements. Froissart, dans ces trente années
qui sont antérieures à la bataille de Poitiers , en
1356, s'est bien plus étendu sur l'histoire des
Anglaisv,que sur celle des Français : apparemment,
il suivait en cela son auteur original, qui avait
pris un intérêt plus particulier à l'histoire d'An-
gleterre , par les liaisons qu'elle avait avec celle du
comté de Haynault C'est sans doute ce qui fait
que dans des manuscrits qui ne contiennent que
les premiers temps de la chronique de Froissart,
elle est intitulée Chronique ^Angleterre: c*est ajissi,
par une même suite, ce qui a fondé, les reproches
qu'on lui a faits d'avoir été partisan des Anglais,
et mal intentioné contre les Français^.: accusation
que j*examinerai dans la suite de ce mémoire.
Froissart n'avait pu, ce me semble, choisir un
Voyez prëfaee de la chronique de Richard Ilr 1. 13 de celle série.
DE JEAN FROISSART. 75
meilleur guide pour l'histoire de ces trente années,
que rhistorien qu'il dit avoir suivi. Pour juger
des lumières que celui-ci avait pu tirer de la fa-
miliarité où il étoit auprès de Jean de Haynault,
il faut se rappeler les circonstances où ce comte
s'était trouvé. La reine d'Angleterre, Isabelle de
France, avait fui d'Angleterre avec le jeune prince
de Galles son fils, depuis Edouard III, roi d'An-
gleterre, pour se soustraire à la persécution des
Spencers et des autres favoris du roi Edouard II,
son mari. Charles le Bel, roi de France, frère de
cette reine, fut obligé delà faire sortir.de ses états,
après lui avoir donné une retraite pendant un
assez long-temps. La cour dif comte de HaynàuU
dont nous parlons, fut la seule ressource de la
mère et du fils : non seulement elle leur fut ouverte;
ils y trouvèrent encore des secours puissants pour
passer en Angleterre, et pour tirer vengeance de
leurs tnltemis. Le jeune prince y avait rencontré
une princesse aimable et vertueuse ( c'était une
dey filles du comte même), qui sentit pour lui ces
premiers mouvements d'une inclination naturelle,
qui l^emblent présager les attachements les plu3
durables : il conçut pour elle beaucoup d'amour,
il en fit son épouse, et depuis elle fut placée avec
lui sur le trône d'Angleterre -. c'est la même à qui
Froissart présenta son histoire. Froissart écrivait
donc d'après un auteur qui sayait tous ces événc-
76 VIE
menUi par lui-même et par les personnes les mieur
instruites, puisque c'était leur propre histoire.
L'écrivain, qui paraît avoir été élevé à la cour du
comte de Haynault, était tous les jours en com-
merce avec des gens à qui toutes les circonstances
de cet événement, qui était récent. alors, devaient
être très-présentes et très-familières; et il en écri-
vait l'histoire pour la reine Philippe de Haynâult,
qui y .avait eu une si grande part. Jamais histo*
rien eut-il des gainants plus certains des faits qu'il
a rapportés? Jamais en fut-il un, en qui l'on dût
prendre plus de confiance qu'en Froissart, dans
cette partie dé son histoire ? Cependant M. Lan-
«
celot, dans plusieurs articles qui concernent l'his-
toire d'Angleterre de ces mêmes temps, a * re-
levé plusieurs fautes de Froissart. Sa critique
est fondée sur les actes originaux quil a eus
entre les mains , et dont l'autorité est incontes-
table. J'appuie sur cet exemple, parce ^u'il me
paraît plus propre qu'aucun autre, à faire mieux
sentir une vérité importatite pour notre histoire ,
et qui a été tant recommandée par les auteurs les
plus versés dans cette étude; je veux dire l'ex-
trême . nécessité d'accompagner la lecture des
historiens, de la comparaison des actes originaux
des mêmes temps. Les uns donnent les éclaircisse-
ments qui manquent aux aulfes, tandis que ceux-
ci ajoutent aux témoignages des historiens un
DE JEAN FROISSART. 77
degré d'authenticité dont ils n'ont souvent
que trop de besoin : et c'est de ce concours que
résulte toute la certitude dont les vérités de cette
nature sont susceptibles par rapport à nous. Je
me réserve à parler dans un autre mémoire, des
quarante et quelques années suivantes dont Frois-
sai*ta écrit l'histoire comme ajuteur contemporain,
et comme témoin, pour ainsi dire, de tout ce qui
se passait alors dans le monde. Mais j'examine-
rai auparavant les divers jugements qu^on a
portés de cet historien, et particulièrement, le
reproche presque général qu'on lui a fait, d'a^
voir été partisan outré des Anglais et l'ennemi
déclaré des Français. Je parlerai de sa partialité
à d'autres égards, de sa crédulité sur certains
articles^ de son exactitude sur d'autres, et de sa
manière d'écrire : je ferai ensuite le détail des
éditions que nous avons de son histoire; je dis-
cuterai le mérite ou les défauts des unes et des
autres : j'examinerai surtout si celle de Sauvage
a plutôt corrompu et falsifié le texte, qu'elle ne
l'a éclairci. Enfin, je rendrai un compte somthaire
de plus de quarante volumes in-folio de manus-
crits de cette histoire, que j'ai conférés avec quel-
que soin.
JUGEMENT
SUR L'HISTOIRE DE FHOISSABT.
PAR M. DE LA C[la>E.
Je vous ai entretenu, des vues dans lesquelles
Froissart avait entrepris sa chronique, des soins
qu'il se donna pour s'instruire de tous les événe-
ments qui devaient j entrer, et des lois qu'il s'é-
tait imposées en l'écrivant J'examinerai aujour-
d'hui s'il a été exact à observer ces lois, quels
sont les défauts et les avantages de son histoire,
quels en sont la forme et le style.. De-là je pas-
serai aux éditions et aux manuscrits que nous
en avons, ensuite aux abrégés et aux différentes
traductions qui en ont été publiés.
On a accusé Froissart de partialité; et cette
accusation est devenue si générale, qu'elle semble
avoir, acquis le caractère de la notoriété, don^ le
privilège est de suppléer aux preuves. Froissart,
dit-on, a vendu sa plume aux Anglais, qui lui
payaient une pension considérable; et par une
suite nécessaire de son inclination pour eux, il
a été peu favorable aux Français. Bodin, Pas-
(juicr, Brantôme, Sorel, la Popelinière, leLabou-
^
SUR L' UISTOIRË D£ FROISSART. 79
reur, déposant contre lui dans les termes les plus
formels. 11 semble même que les- lecteurs , préve-
nus par les liaisons que Froissart eut avec les
Anglais, peuvent avoir quelque raison de se dé-
fier de tout ce qu'il, rapporte à leur avantage. 11
commence, en effet, par- dire qu'il avait écrit à
la sollicitation de Robert de Namur^ proche pa-
rent de la reine Philippe de Hajmault et vassal de
la couronne d'Angleterre, qu'il servit très-utile-
ment contre la France. Ailleurs^ il nous apprend
qu'il avait esté de Fhostel d^ Edouard 111, le plus
cruel ennemi des Français, et que la reine sa fem-
me, dont il était clerc, l'avait non-seulement
mis. en état par ses libéralités, de faire plusieurs
voyages pour enrichir son histoire, mais qu'elle
avait payé généreusement ses travaux. Enfin, les
vingt-six premiers chapitres de sa chronique,
roulent uniquement sur l'histoire d'Angleterre,
ce qui est cause qu'elle à été intitulée Chronique
JCAnghierre dans plusieurs manuscrits. De-là on
a conclu que Froissart étant si particulièrement
attaché à la cour d'Angleterre, il ne pouvait
être qu'un partisan outré de cette nation, et l'en-
nemi de ses ennemis. 11 n'en fallait pas davan-
tage, pour que les traits qui auraient paru les
plus innocents dans la bouche de tout autre his-
torien, fussent dans la sienne des traits empoi-
sonnés. Mais afin que l'on puisse îuger si ce soup-
80 JUGEMENT
çon a quelque fondement, je vais parcourir les
temps dont il nous a transmis Thistoire, en exa-
minant successivement les. diverses circonstances
où il s'est trouvé, lorsqu'il en a écrit les diffé-
rentes parties.
Froissart ne peut être suspect de partialité
pendant les premières années •d\i règne d'E-
douard III. Ce prince n'oublia jamais que le roi
Charles le Bel son oncle, lui avait donné une re-
traite dans ses états, lorsqu'avec Isabelle de France
sa mère 9 il se sauva de la persécution des Spen-
cers qui obsédaient l'esprit de son père,
Edouard II. La cour de France n'eut rien à dé-
mêler avec celle d'Angleterre, tant que dura le
règne de Charles. Je passe pour un moment les
quarante années qui s'écoulèrent depuis 1329 »
lorsque la succession à la couronne de France
étant ouverte par la mort de Cl;iarles le Bel, les
liens qui avaient uni les rois de France et les
rois d'Angleterre, devinrent eux-mêmes la source
des divisions et des guerres les plus sanglantes;
et je viens aux temps qui. suivirent la mort de la
reine d'Angleterre, Philippe de Haynaut, arrivée
r
en 1369, temps oùFroissart n'habitant plus l'An-
gleterre, s'attacha 'à Venceslas, duc de BrabanL
Ce prince, frère de Terapereur Charles IV, était,
à la vérité, oncle d'Anne de Bohème, qui fut dans
la suite reine d'Angleterre par son mariage avec
SUR LHISTOIBE DE FROISSAKT. 8 1
Richard H, mais il Fêtait aussi du roi Char-
les V, fils de sa sœur; et gardant toujours une-es-r
pècedeneutralité%ntre les deux courounies enne-
mies, il fut invité au sacre du roi Çharle3 V, et
du roi Charles VI; il obtint même dans la der-
nière de ces cérémonies 9 la glacis dii comte de
Saint P^îil, qiae l,e conseU du rpi voulait fairç
mourir comme coupable du crime de haute tra-
hison. Froissart, qui nous apprend cettfs particu^
jlarité, dont il devait être bien injstruit, en ajouti^
une autre, qui fait encore mieux sentir que Ven-r
ceslas conserva toujours T^mitié du roi Char-r
les VI, et de son conseil. Dans les circonstances
4de la guerre la plus sanglante, il obtint de la
cour de France ui^ saufrcgnduit pour la princesse
Aline de Bohème^ qui devait aller en AnglejbeiTÇ
épdusfsr Le roi Richard II. Charles et. ses oncles
accompagnèrent cette grâce des lettres les plu$
obligeanties, ^ lui mandèrent qu'ils ne Taccor^
daient qu'à sa considération. Froissart n^çut au<r
€un intérêt à écrire contre la France, dans tout
le tempjs qu'il passa auprès de ce prijQice; il et^
^ut encore moins peu après, lorsqu'il fut clerc du
.comte de Blois, qui couronna une vie entièrement
dévouée au service de la France, par le sacrifice
des intérêts de sa propre maison. La moiudremar-r
que d'inimitié l'aurait exposé à perdre, avec le^
bonnes grâces de son maître, le fruit de ses trav
FROISSART. T. XVI. 6
62 JUGEMENT
vaux liistoriques,. qu'il lui avait fait reprendre
et dont il le récompensait si généreusement. Aussi
rhistorien craignant les rèprocMes qu'on lui pou-
vait faire d'être trop bon Français, reproches
bien contraires à ceux qu'on lui a faits depuis ,
croit devoir justifier en ces termes ce qu'il rap-
porte de l'attachement inviolable des Bretons à
la couronne de France contre les Anglais , année
1387. Que tonne die pas que fay été corrompu par
la faveur que fay eue au comte Guy de Blois, qui me
la fit faire (sa Chronique), et qui bien rmHea a^ payé
tant que je m^ en contente ^ pour quHl fut neveu du vray
duc de Bretagne, et si prochein que âls au cande Loys
de Blols, frère germain à Charte de Blois, quiltùd qu^il
vesquit fut duc de Brefagne : nenny vrayement, car
jevUep, vueil parler y fors à lapérUé, et aller parmi le
tranchant sans coulourer rie tvny éie F autre; et aussy
le gentil prince' et comte qui f histoire me Ht mettre
sus, ne voukist point que je ia fisse 4iutrement que
vraye. ^
Puisque Ftoissàrt, dans tous ces temps qui nous
. conduisent pï-esque jusqu'à la fin de sa .Chronique,
ne peut être soupçonné, ni de haine contre les
Français, ni d'affection pour les Anglais,, je re-
viens aux années que j'ai omises , depuis 1329 jus-
qu'à 1369, dont il passa une partie considérable
en Angletéri'e, attaché au roi «t à la reine, et vi-
vant dans une espèce de familiarité avec les jeunes
SUR L'HISTOIRE DR FROISSART. 83
princes leurs enfants : c'est par rapport à c/ss an-
nées, que le soupçon de partialité pour les Anglais
peut subsister dans toute sa force. 11 était diffi-
cile que dans une cour oii tout respirait la haine
xiontre les Français, il conservât Texacte neutra-
lité que demande la qualité dliistorien, et qu'il
ne servît pas la passion des princes à qui il nle-
vait sa fortune présente >et de qui il attendait en-
core des établissements plus considérables. On
pourrait trouver des raisons pour affaiblir ce pré-
jugé, dans la douceur et dans la modération que
conserva toujours au milieu de toutes ces guer-
res, la reine Philippe de Haynaut, qui calma la
fureur de son mari au siège de Calais, et qui ob^»
tint de lui, par ses instances, la erace des six
généreux bourgeois de cette ville qu'il avait con-
damnés à mert : je pouirrais ajouter que si Frois-
sart fut de F hôtel du roî Edouard, il fut aussi de
thàîel du roi Jean, et qu'il paraît avoir été at-,
taché à ce prince, dans fe temps même qu'il
•était en Angleterre. Mais sans vouloir combattre
des préjugés par d'autres préjugés, je ne consul-
terai que le texte de Froissart, qui doit faire, à
cet égard, la règle de notre jugement. Après' l'a-
voir lu avec toute l'attention dont je suis ca-
pable , sans y ren^^rquer aucune trace de la
partialité qu'on lui reproche , j'ai encore exa-
miné plus soigneusement quelques points prin-
81 JUGEMENT
cipaux , où naturellement elle devait être plus
marquée. '
L'avénèraent de Philippe de Valois à la cou-
ronne, avait rérolté toute l'Angleterre, qui adopta
les prétentions chimériques du roi Edouard III.
La circonstance était délicate pour un historien
qui, vivant au milieu d'une cour et d'une nation
si fortement prévenues, ne voulait cependant point
s'écarter de son devoir. Or voici les termes dans
lesquels Froissart fait le récit de cet évéhement-
Après avoir rapporté la mort des rois Louis Hutin,
Philippe le Long et Qiarles le Bel, les douze Fers,
dit-il, et les barons de France ne donnèrent point le
royaume de France à leur sœur çuiétail royne d^ An-
gleterre, pour tant qu*ils voulaient dire et mairUenir,
et encores i^eullent, que le royaume de France est
bien si noble quil ne doit mie aller à femelle ne pm*
conseqiienl au roy dC Angleterre son aisné fils; covy
ainsi comme ils veuleiU dù^e, le Ris de la fetnelle ne
peut a^oii* droit de succession de par sa mère penant
là où sa mère VLa point de droit. Si que par ces
raisons les douze pers et les barons de France donnée
rent de leur commun accord le roj/atahe de France
à monseigneur Philippe, ne^u jadis au beau roy Phi--
lippe de France dessusdit et otèrent la royne d* An-
gleterre et sfm âls de Ui succession du dernier roy
Charles. Ainsy alla lé royatane de France hors de la
droite ligfke, ce semble à moult de gens; de quoy grands
SUR L*HIST01RE D£ FROISSART. 85
guerres ensontmeueset venues, etc. Tout ce passage
ne présente rien qui ne dût faire admirer le cou-
rage et la bonne foi de Tliistorien, quand même
il n'eut point ajouté ces mots, ce semble à moult
de gens y ptiisqu^il n'est pas douteux que la suc-
cession passa de la ligne directe à la ligne colla-
térale. Cependant on a cru y voir des intentions
malignes^ et \e mol ostèrent ayant offensé quelques
lecteurs, on a mis en marge cette espèce de cor-
rectif, que j'ai lu dans deux manuscrits J'tine
main pi'esque aussi ancienne, que les manuscrits
mêmes : Ils ne ten oslèi^ent anques^, car éfnçuies n^en
fui en possession, ne droù n*y avoù. Ils ne les en
oslèrerU onques, car ladite dame ne son fils rty* oreni
ancques droà; mais Fi'oissari montre fuil favorisoii le^
./anglais.
L'hommage que le roi Edouard III rendit au
roi de France, blessait extraordinaireraent . la
délicatesse des Anglais : ils avaient disputé long-
temps et avec beaucoup de chaleur, sur la forme
d^ns laquelle il devait être fait, cherchant à re-
trancher tout ce qu'il y avait d'humiliant pour
eux. Comme le roi de France soutint avec fermeté
les prérogatives de sa couronne, et qu'il obligea
Edouard à s'acquitter de ce devoir, suivant ce
. qui avait été pratiqué par ses prédécesseur j, un
historien qui aurait voulu donner quelque chose
à la complaisance, ne pouvait passer trop légère-
86 JUGEMENT
ment sur cet article. Cepenckint Froissart in&i^te
autant quHl peut : il n'omet, ni les difficultés
qu'on fit de la part des Anglais, ni les exemples
et les autorités que le roi Philippe y opposa ; et
il accompagne ces détails des actes originaux les
plus propres à les constater : en sorte que si les
rois de France ayaie^it jamais eu besoin de faire
valoir leurs droits, la seule déposition de Froissart
aurait fourni un titre authentique et incontes-
table, ,
Les Anglais accusant le^ Français d'être peti
fidèles à tbserver les traités, soutierinent que
Geoffroy de Chami agit par des ordres secrets
du roi de France', lorsqu'au mépris d^une trêve
qui avait été faite, il tenta de surprendre Calais
en 1349. Bapin embrassa cette opinion, et l'ap-
puie du témoignage de Froissart qu'il cite en
marge. Je ne sais dans quel exemplaire, ou dans
quel manuscrit, il a pris cette autorité : pour moi
je lis dans tous les imprimés, comme dans tous
les manuscrits, ces mots, qui sont bien (Contraires
à son sentiment : Si croy qu!il^ (koffrcy de Chaniy
lien parla oncqucis au royde france: car le roy ne
lui eut jamais conseillé^ pour cause des traces.
Les mêmes Anglais imputent encore au roi
Chailes V l'infraction du traité de Bretigny , qu'ils
violèrent les premiers, si on en croit les Français.
Loin de" rien trouver dans Froissart qui favorise
SUR L*1IIST0IRE DE FROISSART. 87
les prétentions anglaises, )e crois que les termes
dans lesquels il s^espfîme, étant bien examinés^
formeraient du moins une présomption contre etix.
Je ne désespère pas qu'on ne nous donne un jour
toutes les preuves qu'une bonne critique et une lec-
ture réfléchie des monuments de ce siècle peuvent
fournir sur un point d'histoire qui importe égale-
ment à la gloire de la nation, et à la vérité.
Le combat singulier proposé en 1354, entre les
rois de France et d'Angleterre, fait encore un
sujet de disputes entre les historiens des deux
nations. Suivant les Français, le défi fait au nom
du roi Jean, ne fut point accepté par Edouard.
Selon les Anglais, celui-ci provoqua le roi de
France, qui refusa le combat. Froissart décide
formellement pour les Français. Le raydefhmtce,
dit-il, alla après jusqiHà Si. Orner, et by manda
( au roi d'Angleterre ) pm^ le mareschal iTAuthaîn
et par plusieurs autres Chevaliers, çu*il le combat"
troU s*il i/ofulaU corps à corps, ou pouvoir contre
pouvoir, à queàpie jour ipi*U vouer ok. Mais le roy
d^ Angleterre refusa la bataille , et repassa la mer
en AngktetTe ; et ledit roy de France retouima à
Paris.
A ces exemples, je pourrais ajouter beaucoup
d'autres passages, où il donne de grands éloges,
tant aux peuples qu'aux seigneurs qui se signa-
lèrent par leur àttaxrhement au parti des Français,
88 JUGEMENT
et où il ne ménage , ni ceux qui s'étaient décla-
rés contre eux, ni ceux qui les avaient abandon-
nés lâchemeut. Outre ce qu'il dit de Isj fidélité
des Bretons, et des comtes d^ Blois leurs légitimes
souverains, il loue lé zèle avec lequel plusieurs
seigneui's Ecossais reçurent la flotte Fi'ançaise
envoyée en 1385 pour les secourir contre les
Anglais^ Le coiiite de Douglas j à qui il paraît
iavoit* été très-attaché, et datts le château duquel
Il avait passé^ plusieurs jours lorsqu'il alla en
EcosSfey était dé ce nombre. En même temps il
déclame contre ceux dont la mauvaise foi et
l'ingratitude rendirent Cfe seéouVs inutile^ Il parle
dans les terines les plus forts de la témérité du
duc de Gueldres^ qui psa déclarer la guerre au
toi de France ( CWles VI) ^ii 1 3 87, et de l'inso-
lence avec laquelle il s-exprimait dans ses lettres
de défi. Il applaudit à la juste colère qui porta .
te monarque à aller eii personne châtier l'orgueil
de ee petit prince* Enfin, de tputes les nations dont
il parle dans son histoire,, il y en a peu qu'il n'ait
désigtiée quelquefois par des épithètes odieuses \
selon lui, les Portugais sont bouillants et querel-
leurs j les Espagnols envieux, hautains > mal-pro-
pres^ les Ecossais perfides et ingrats; les Italiens
assassins et empoisonneurs; les Anglais vains, glo-^
vieux, méprisants, cruels. On ne trouvera aucun
trait contre la nation Française.: aii contraire)
SUR L*I1IST01RE DE FROISSART. 89
tette btave nation se soutint toujours, selon Frois-
sart, par la vigueur et par la force de sa cheva-
lerie, qui ns fut jamais tellement accablée de ses
infortunes, ^u^elle ne trouvât en<iore des ressources
merveilleuses dans, son courage. Aussi l'historien
semhle-t-il avoir tiré vanité d'être né Français,
en nous apprenant qu'il fut redevable à ce titre,
de la bonne réception que lui fit un écuyer Fran-
çais chez qui il alla loger à Ortais. U est vrai que
le roi d'Angleterre et le prince de Galles son fils,
semblent être, tant qu'ils vécurent, les héros de
son histoire j et que dans les récits de. plusieurs
batailles, il est plus occupé d'eux que du roi de
France. Mais qiiel est le Français de bonne foi,
qui ne soit forcé de donner à ces princes les plus
grands éloges ? D'ailleurs, notre historien ne
rend-il pas justice à la valeur et à l'intrépidité
du roi Philippe de Valois et du roi Jean? Rien
peut-il égaler les louanges qu'il donne, tant à la
sagesse qu'à l'habileté du roi Charlea V, et sur-
tout ce glorieux témoignage, qu'il ne fait pas
difficulté dé mettre dans la bouche du roi d'An-
gleterre * // ny eut oncçues roy gui mobis s* armas t,
ei si ny eui encçues ray qui tant me donnast à
faire.
Je crois avoir suffisamment établi, par tout ce
qu'on vient d'entendre, que Froissart n'est pas un
historien partial, ainsi qu'il en a été accusé. Néan-
90 JU€RMRNT
moins je pense quHl sera .encore plus sûr de le lire
avec quelque circonspection, et que Toû ne doit,
autant qu^il se pourra, jamais perdre de vue, je
le répète, deux objets que je me suis principale-
meilt attaché à faire remarquer dans mes deux
précédents mémoires • je veux dire, d'une part,
les détails de sa vie, ses divers attachements à
certains princes et à quelques seigneurs, les rela-
tions qu'il eut, ou les liaisons d'amitié qu'il con-
tracta avec différentes personnes : de l'autre, les
circonstances dans lesquelles il écrivit son histoire,
quels volumes furent entrepris à la sollicitation
du comte de Namur partisan des Anglais, et quels
sont ceux qu'il composa par l'ordre du comte de
Blois ami de la France. Car si l'on veut se per-
suader qu^il devait être disposé à favoriser les
Anglais dans ce qu^il a rapporté jusqu'en 1369,
par la même raison il a dû pçncher pour les Fran-
çais dans toutes les années qui ont suivi, jusqu^à
la conclusion de sa chronique. Je ne dois pas
négliger d'avertir que sa prévention se fait quel-
quefois sentir dans des détails plus particuliersj
comme on peut s'en convaincre par les éloges
qu'il fait de la piété et des autres vertus du comte
de Foix , i3ien opposés aux actions de cruauté qu'il
avait rapportées auparavant.
Mais quand un historien, dégagé de toute pas-
sion, tiendrait toujours la balance égale entre les
SUR L^HISTOIRE DE FROISSART. 9 1
différents partis; quand à cette qualité il joindrait
celle qu'on ne peut refuser à Froissart, j^entends
uiie attention continuelle à vouloir être informé
de tous les événements et de toutes les particula-
rités qui peuvent intéresser lés lecteurs , il sera
toujours bien loin de la perfection, si ces con-
naissances ne sont éclairées d'une saine critique,
qui, dans cette multitude de récits différents,
sache écarter tout ce qui s'éloigne de l'exacte
vérité : son ouvrage sera moins une histoire qu'un
tissu de fables et de bruits populaires. Malgré
tout ce que Froissart nous dit du soin qu'il a
pris d'écouter les différents partis , et de comparer
leurs relations les unes avec les autres, souvent
même avec les titres originaux, il me paraît qu'on
peut encore l'accuser de quelque négligence sur
cet article. Le genre de vie qu'il menait, lui lais-
sait peu de loisir pour faire toutes Iqs réflexions
et toutes les comparaisons que demande un pa-
reil examen. Dans les pays où le porta son active
curiosité, d'autres soins l'occupaient encore.
Chargé quelquefois de commissions particulières,
il cherchait à s'insinuer dans Jes bonnes grâces
des princes qu'il visita, par des compositions ga-
lantes, par des romans, par des poésies; et le
goût qu'il eut toujours pour le plaisir, partageait
tellement et son temps et son coeur, que son es-
prit dut être souvent détourné des méditations
92 JUGEMENT
sérieuses du cabiaet, dont il était naturellement
peu capable. Je ne craindrai point de. dire que
sa manière de vivre se trouve en quelque façon
retracée dans sa chronique même. On y vernies
assemblées tumultueuses de guerriers de tous états ,
de tous âges, de tous pays^ des fêtes; des repas
d'hôtelleries 5 des conversations qui, après souper,
étaient continuées fort avant dans la nuit, où
chacun contait à l'envi ce qu'il avait vu, ce qu'il
avoit fait, et au sortir desquelles le voyageur,
avant de se coucher, allait ôncore jeter à la hâte
sur le papier ce qu'il en avait pu retenir.. On y
voit l'histoire des événements passés pendant près
d'un siècle dans toutes les provinces du royaume,
et celle de tous les peuples de l'Europe, racontées
sans ordre. Dans un petit nombre de chapitres, on -
trouve souvent plusieurs histoires différentes com-
nyencéçs, interrompues, reprises, discontinuées de
nouveau plusieurs fois; et dans cette confusion les
mêmes choses répétées, soit pour être réformées,
contredites, démenties, soit pour être augmen-
tées. L'historien semble avoir porté jusque dans
la composition de sa chronique, sa passion pour
les romans, et avoir imité par ce désordre, celui
qui règne dans ces sortes d'ouvrages, dont on di-
rait . même qu'il a affecté d'emprunter quelques
façons, de parler. Ainsi, par exejnple, lorsqu'il
commence une narration, il use souvent de ces
SUR L HISTOIRE DE FR0ISS4RT. 93
mots i or dû k conte; et quand il par^e de la mort
de quelqu'un, ou^de tout autre éyénement fâcheux^
il ajoute, mais amender ne le petU, phrases qui se
lisent, presque à chaque page, dans les romans
des chevaliers de la table ronde. ^
Au reste, ce que je dis du goût romanesque que
Froissart semble avoir conservé dans son histoire,
ne regarde au plus que la forme qu'il lui a don-
née } 'car je n'ai pas remarqué d'ailleurs qu'il
cherche à y répandre du merveilleux. Les fautes
qui s'y rencontrenttcontre l'exactitude historique,
ne viennent que de la confusion naturelle de son
génie, de la précipitation qu'il apportait dans son
travail, et de l'ignorance où il était nécessaire-
ment, par rapport à bien des choses qui ont dû
«cha(pper à sa connaissance.
Ce qu'il racoïite des pays éloignés , comme
de l'Afrique , de la Hongrie , de la Tartarie et
généralement des états Orientaux , est rempli
de méprises grossières. De son temps, le côm^
Tnerce n'avait presque établi aucune liaison régu-
lière entre ces contrées et la nôtre : ce qu'on
en savait, était §ippuyé sur la foi de gens que le
hasard y avoit portés, et qui y. avaient fait trop
peu de séjour, pour s'instruire des mœurs, des
usages, de l'histoire de ces peuples. Mais si Frois-
sart a commis beaucoup de fautes dans ce qu'il
nous en a rapporté, la plus grande, sans doute, est
91 JUGEMENT
d'avoir parlé de ce qu'il ne pouvait savoir que
ti^-imparfaîteinent.
Tant de défauts et d'imperfections, n'empêchent
pas que sa chronique ne doive être regardée
comme un des plus précieux monuments de notre
histoire; et que la lecture n'en soit aussi agréable
qu'instructive pour ceux qui, ne se bornant pas à
la connaissance des faits généraux, cherchent dans
les détails, soit des événements particuliers, soit
des coutumes, à démêler le caractère des hommes
et des siècles passés. Froissar!» était né pour con-
server à la postérité une image vivante d'un siècle
ennemi du repos, et qui, parmi les intervalles des
troubles dont il fut presque toujours agité, ne trou-
vait de délassement que dahs les plaisirs les plus
tumultueux. Outre les guerres de tant de nations
qu'il décrit, et dont il nous apprend les divers
usages, par rapport au ban et à l'arrière-ban, à l'at-
taque et à la défense des places, aux fortifications,
aux partis, aux escarmouches, aux ordres de ba-
taille, à l'aii;illerie, à la marine, aux armures des
gens de pied et des gens de cheval; on y trouve
tout ce qui peut intéresser la curiosité au sujet
de la noblesse, de la chevalerie, dés défis, des
combats à outrance, des joutes, des tournois, des
entrées des princes, des assemblées, des festins,
des bals, des habillements d'hommes et de femmes :
en sorte que son histoire est pour nous un corps
Sun L'HISTORË DR FROISSART. 9S
complet des Antiquités du XIV.* siècle. 11 faut
avouer que ces détails n'attirent l'attention que
par leur propre singularité; ils sont rapportés sans
étude et sans art : c'est proprement la conversa-
tion familière d'un homme d'esprit, qui a beaucoup
vu et qui raconte avec grâce. Cependant ce con-
teur agréable sait quelquefois, sur- tout dans les
grands événements, allier la majesté de l'histoire
avec la simplicité de la narration. Qu'on lise entre
autres choses, parmi tant de batailles qu'il a si
bien peintes , qu'on lise le récit de la fameuse jour-
née de Poitiers : on y verra dans la personne du
prince de Galles, un héros plus grand par la gé-
nérosité avec laquelle il use de sa victoire, par
ses égards pour le prince vaincu, et par les res-
pects qu'il lui rendit toujours, que par les efforts
de courage qui l'avaient fait triompher. Je ne crois
pas qu'il y ait rien d'égal à la sublimité de ce
morceau d'histoire, rien qui soit plus capable
d'élever le cœur et l'esprit. D'autres d'un genre
bien différent, tirent tout leur prix de leur naï-
velé : tel est l'épisode de Taraour du roi d'An-
gleterre pour la comtesse de Salisbury, dont le
récit tendre et touchant ne le cède peut-être point
aux romans les plus ingénieux et les mieux écrits.
L'historien prend quelquefois un ton enjoué,
comme dans le chapitre où il parle de l'impatience
du jeune roi Charles VI pour voir sa nouvelle
96 JUGEMENT
épouse; et dans celui où il rapporte les plaisan»
teries que ce prince fit au duc de Berry son on-
cle, cjui, dans un âge peu propre à Famour, pre-
nait une femme jeun^ et aimable. Le goût de
l'auteur s'aperçoit aisément dans la façon dont
il traite ces matières ;mais comme son siècle sa-*
vait tout concilier, ce goût n'exclut pas le fond
de dévotion qui règne dans le cours de son ou*
vrage. Il serait seulement à souhaiter qu'ij n'eût
pas dégr?idé sa religion par une crédulité ridicu-'
lement superstitieuse : les faux miracles, les pro-»
phéties, les encliaQtements» n'ont rien de si absurde
qui ne trouve chez lui une croyance aveugle et
^ans bornes. Tout le monde connaît le conte qu'il
fait du Démon Gorgpn. On ne comprend guères
comment il peut accorder avec le christianisme,
l'exemple qu'il tire de la fable d'Actéon, pour
justifier la vraisemblance d'une aventure de même
espèce qui fait partie de ce conte. On lui a de
plus reproché d'avoir déshonoré l'histoire, en y
mêlant trop de minutiez. Je conviens gu'on l'au-^
rait bien dispensé de nous apprendre à quelle en-r
«eigne logeaient ceux dont il parle, et de nous
indiquer les hôtelleries où lui-rmême avait quel-?
quefois logé. Mais je ne passerai pas également
condamnation sur les aventilres amoureuses, les
festins, les cérémonies dont il nous a laissé des
descriptions : quand les récits n'en seraient pas
SUR L'HISTOIRE DE FROISSA&T. 97
asse2 nobles, ils' nous peîgneilt si bieii et si âgréa^
blemetit le siècle dont il fait Phistoire qu*ily aurait^
ce me semble, de ^ingratitude à s^eu plaindre. >
1 M. de S.t« rttiayei dans là suite de son mémoire^ mentiotine les di-
rersM ëditions et les manuscrits de 1. Froissart. Noos nons en sommes
occapés fort au long dans la pfé&ee dtLfOme I de cette édition.
IriOtASAAT. Ti xvu
n
POÉSIES
JEAN FROISSART.
POÉSIES
DE JEAN FROISSART.
LE DIT DOD FLORIN.
PoDB bien savoir arguent desfairei
Si bien qu'on ne le scet refaire,
Rapiecicr ne remeltre cnsamble.
Car tel paour a (jue fous tramble
S Quand il est en mes mains venus,
Point ne faut que nulle no nuls
Voisl à Douay ou à Marclenes,
A Tournay ou à Valencienes,
Pour qiiérlr nul millour ouvrier
0 Que je sui l'esté et l'ivier,
Car trop bien délÎTrer m'en sçai.
Je l'alève bien sans aisai
Ne sans envoyer au billon.
Aussi à la fois m'en pillon
S Aux dés, aux esbas et aux tables,
El aux aultres jus délitables;
Mes pour chose que ar^jens vaille.
Non plus que ce fust une paille
De bleid, ne m'en change ne mue.
0 11 samble voir qu'argens me pue;
i POÉSIES
Dalùs moi ne [toet arrester.
J'en ai moult perdu au prester;
Il est fols {[ul preste sans gage.
Argent scet maint divers lang^age;
Ï3 11 est à toutes gens acaintes;
Il aime les benus el les coinles,
Les nobles et les orfrisiùs,
Les amourous, les envoisiés,
Les pèlerins, les nmrcliéans
30 Qui sont de leui-s fais bien chéaiis,
Couls qui sievent soif giierrc ou jousfo;;
Car h tels gens argent ne couste
Nulle chose, ce leur est vis;
Dalès euls le voïcnl cnuis.
33 Argent trop volcntiers se cbange;
Pour ce onl leur droit nom lî ebauge^
Pas ne le scevent toute gent.
Change est paradys à l'argent,
Car il a là taus ses déduis,
40 Ses bons jours et ses bonnes nuis;
Là se dort-il, là se repose.
Là le grale-on, c'est vraie cboset
Là est frétés et estrillés,
Lavés et bien appareiUiés;
t3 11 en vïent com par enfance',
)ls le poisent à la balance;
Avoir li font toutes ses aises ;
Ah devant de lui mellent baises.
Afin qu'on ne le puist haper.
S6 Cil ijiii se niellrnt de draper
DE JEAN FftOlSSART. I<>3
Ett prendent la plus gfrans puignies.
Argfens est de pluisours li^ies;
Car lors qu'il est issus de terre
Dire poet: « Je mes. vais conquerre
55 » Pays, chasteaus, terre et offisces. »
Ârgpent fait avoir bénéfisces,
Et fait des drois venir les. tors,
Et des tors les drois au retors.
Il n'est chose qu'argens ne face,
60 Et ne des&ce, et ne reface.
Argent est un droit enchanteur.
Un lierres et un bareteur^
Tout met à point et tout toveille.
Il dort un temps, puis se resveille.
03 Se gros tournois leur cours avoient
Et les changéours y sçavoient
Gaagnier, quoique peu de cours
Aient ores, dedens briefs jours
Vous en veriés sus establies
70 Aux changes , pour connjBStablies ,
Et pour porter fondre au billon.
Souvent de moi s'esmervillon
Comment sitos je m'en délivre^
J'ai plus tes espars une livre
73 Qu'uns aultres n'auroit vingt deniers^
Si n'en mac-je bleds en greniers
Avainnes, pois, fèves ne orges-.
Je n'en fais mousliers ne orloges^
Dromons, ne naves, ne calées,.
SU Manoirs, ne chambres, ne alées,
7"
POÉSIES
Je n'^ohate soUes ne lins,
Aiiltres ^ains, ne foars, ne moulins,
Fu^ri^tffluis) estrains ne esteules,
Hasples, ne fuseaus, ne keneules,
Ne Faucilles pour soyer blés.
Il s'est tnniost de moi cmblésî
Il me defiiit et je lo chnce i
Lorsque je l'aï pris, il pnurcliarD
Comment il soit hors de mes mains.
U va par mainics et par mains;
Ce seroit uns bons mcEsagiers,
Voires mes qu'il fust iisagiers
De retourner quand il se parti
Mes ncnnil, que Diex y ait part,
Jà ne retournera depuis.
Non plus qn'il cliéist en un puis,
Lorsqu'il se partira de moi.
Se je ploure après, ou larmoi,
U m'est avis U n'en fait cure.
Puis Ting-t et cinq ans, sans la cure
De Lcstines, qui est g;rant ville,
En ai-jc bien eu dcus mille
Des fransj que sont ils devenu ?
Si coulnut sont et si menu,
Quand ma bourse en est pourvéuo,
Tost en ai perdu la véue;
De quoi, pour ravoir ent le comple
De deux milliers que je vous compte.,
Lo fons et tonte la racine
J'en mis l'autr'ier un à jehtne,
â
DE JEAN FROISSART. 1 03
.Que je trouvai en un angelot
D'un bourselot. a Diext doux valet^
» Di*je lots, es-fu ci.quatis?
» Par ma foi tu-res uns quetis,
IJ9 » Quant tous seuls tu es en prison
)) Demoré», et ti compa^f non
» S'en sont aies sans congpié prendre.
)) Or çjL, il t'en £aiult compte rendr^. »
Adoncques le pris' à mes dens, ,
i)20 Et le mors dehors et dedens
A la fin qu'il fusf plus bleciés;
Et quant je me fui bien sauciés^
Sus une pierre Testendi
Et don poingp au batt« entendi.;
i}23 Et puis si tirai mon coutiel
Et jurai :: « Par ce hateriel.l
» Je t'eslioùlerai, crapaudeaus;
>» Bien voi que tu es uns hardeauf^
i» Tailliés., rongniés et recopés^
190 » Pour ce n. es-tu poini eschapés;
» Les autres t*ont lalssié derrière,
» Se tu fuisses de leur manière,
9> De bon pois et de bon lafaire ,
» Tu eusses bien o euls à faire.
;13S » Di moi quel part s*en sont aie
» Ceuls qui n'ont chanté ne parlé,
)) Mes sont partis lance sus fautre^
» Tout «nsamble, l'un avec Tautre,
» Ou tantost je te partirai
iI4D » En quatre, et si te porterai
106 POÉSIES
» Fondl*e en la maison d'un orfèvre*
» Ou cuire ou fu d'un aultre fèvre. ut
Adonc dist-il : « Pour Dieu merci !
)) Sire, j'ai demore droit ci,
145 » En ce bburselot, moult lonc temps >
» J'ai là dormi moult bien contens;
» De vous je vous voeil dire voir :
» Alévé avés moult d avoir.
» Depuis que m'euïstea premiers,
130 » Tous jours ai esté darrainniers,
» Ne onques vous ne m'aie vastes;
» Engagfié m'avés bien en hastes
» Et puis tantes me racbetiés.
» Je sçai François, Eng^lois et Thiès,
153 y> Car partout m'avés vous porté.
» Je vous ai souvent confortée
)) Quant il vous souvenoit de mi
» Vous m'avés trouvés bon ami;
ik Se j'euïsse esté uns plus gprans^
160 V Uns. bons nobles, ou uns bon^ francs i^
» Uns doubles, ou uns bons ^scus
» On en n'euïst eu nul refus ;
» J'euïsse ores par mille mains
)) Pass^. Et n'en penses jà mains;
165 » Mais pour ce qne je suis si fés
» Que retailUés et contrefés,
1» On m'a refusé trop de fois.
» Vous venez dou pays dé Fois,
» De Berne 9 en la Haute Gascongne„
17Q » Et n*avés point eu besong^ne
DE J£AN FROISSART. 1 07
»,De moi} mëa m'avés, sans mentir,
» Tout un yver laissié dormir
n En un bourselot bien cousu.
» Quel ehoâe vous est avenu ?
175 )) Dit tes le moi tout bellement;
» Je su! en vo commandement,
» Soit dou vendre ou del engagpier. »
Quant ensi Toy langagier
En eorag;e me radouci,
180 Et li dis : « Je suis ores ci
» En Avig'non, en dure masse, »
m — Pour quoi, monseig^our, sauf vo g^asce>
» Dist le florin, vous estes bien
» Pour avoir pourfit et grant bien. ,
185 'i^ Ne iendés vous à benefisces?
» — Gompains, di-je, se tu desis$es
)> Aultre cbose, par saint Hylaire
>» Je fe donroïe bon solaire,
» Ne jamais ne t'aleveroie,
190 » Mes garant bonnour te porteroie. »
» — Et que volés- vous que je die?
» Descouvrés moi vo maladie,
» Si en serai un peu plus aise;
» Car pas n est drois que je me taise.
I9S » Puisque compte volez avoir
» Dou beau meuble et dou bel avoir
» Que vous avés^dis eu,
yt Je scai bien qu*ils sont devenu.
» Tout premiers vous avés fait livres
200 » Qui ont cousté bien sept cens livres. '
>08 POÉSIES
» L'argpent avés vous mis là Lîpii;
» Je le prUe sus toute rien
» Car fait en avés maint0 hystore
» Dont îl sera enpor memore
203 » De vous ens ou temps à venir,
» Et ferés led g*ens souvenir
» De vos sens et de vos doctrines j
» Et les favreniers de Lestines
)) ^ ont bien eu cinq cens frans(.
2iQ » Regfardés les deux membres gvau^
» De quoi je vous fap ordenance,
» Après, n'avés-vous souvenance
» Gmiment vous avés traveîljié
» Et pluisours pays resviUié.
.2 1 3 » Moult bien en povés mettre un mille
^ » En okevattçant de ville en ville,
» N'avés vous en Escôce esté,
» .^t là demi an arresté^
» En Engpleterr^ et en Norgalles^
:22P » Où bien ayés eu vos çajes
» De là partir, aler à Rome^
» En arroi de souffîsant Jiomme
» Mené bagenée et roncin,
» Retourné un aujtre chemin
:225 » Que ne fesiste$ au passer
^ Pour mieul$ les pays compasser^
» Chercbié le royalme de France
, '^) De;Chief cin cor, par ordenance^
» Tele que tous jours à gprans frès.
lîî^lQ » Et avés eu tous jours près
DE JEAN FROISSART. 1 0»
» Or et argent parmi raison
» Pour bien employer Tosaison^
» Tout 4is avés esté montés,
» Et d'abis enhupelandés,
23i » Bien gouYei*nés et bien péiiSi
% J^ai tous vos afaires véus.
)> Otaîit àe éhoses avéir faittes^
» Sans TOUS boutei" en g-rosses debtes »
y> Que uns aultres bons coustumiers
!240 » Autre tânt^ pour quatre milliers^
» N'en feroit, foi que doi saint Gille !
)) Que fait en avés pour deux mille.
i) Si ne devés pas lé temps plaindre,
» Ne vous soussyer) ne complaindre.
ili » Vous avés vescu jusqu'à ci;
» Onques ne vous vi d^scoufi
^ Mes plain de confort et d'emprise,
» Et c'est un point que moult je prise4
» Je vous ai véu si joious
950 y> Si joli et si amourous
^ Que vous viviés de soubédier. ^
— le Ha ! di-je j tu me voels aidier $
% Mes c^est trop fort que jà oublie
3) La belle et bonne compagnie
i5i )> De flprins que l'autr ier avoie^
» Et si s'en sont l^alé leur voie^
D Je ne sçai pas en quel pays^
D Certes> je m'en tiens pour trabis
19 Quant aultrement n'en ai penlet. »
SOO Lors dbt mon florin qu'il ne scet
1
IIO POÉSIES
Nulle riens de ces te matère.
— « Mesures, par l'ame vostre père l
» Dites moi quel chose il vous faulf,
» Ne a falli, et dou default
363 » Yolentiers y adrecerai. » « *
Je respons : « Je te le dirai.
» Tu scés comment je me ^arti
» Dé Blois, et sus un bon parti,
» Don conte Gui, mon droit seigpnoun
270 » Jc) qui ne tenc qu'à toute faonnour,
)» Et qui moult désiré avoie
» D aler en mon temps une voie
)> Yéoir de Fois le gcentil conte
» Pour un tant que de li on compte >
273 » Moult de larg[heces et de biens;
» Et yraiemtnt il n'i fault riens
» Que largcheces et courtoisies,
» Honneur sens> et toutes prisies,
» Qu'on peut recorder de noble homme
280 >> Ne soient en celui qu'on nomme
» Gaston, le bon conte de Fois«
D Mon mestre,le conte de Blois
» Ëscrisi pour moi devers li; ,
>) Et le conte me recoelli
283 » Moult liement et doucement.
» J'ai là esté s\ longemeut *
» Dalès lui, qu'il ma pléu voir ;
» Se je desiroie à avoir
» De son estât la cogfnobsance^
290 » Je l'ai eu à ma plaisance;
DE JEAN FROISSART. 1 1 1
» Car toutes les nuis je lisoie
» Devant lui, et le solaçoie
» D'un livre de Melyador^,
)) Le chevalier au soleil d'or,
293 » Le quel il ooit volèntiers;
» Et me dist : C'est un beaus raestiers,
)> Beaus maistres, de faire tels choses.
» Dedens ce romane sont encloses
,» Toutes les ohançons que jadis,
300 ^ Dont Tame soit en paradys !
» Que fist le bon duc de Braibant,
» Wincelaus dont on parla tant ;
1» Car uns^inces fa amourous
» Gracions et chevalerous;
303 » Et le livre me fist jà faire
X» Par très g^ant amourens afaire
» Conunent qu'i^ ne le véist onques.
yi Après sa mort je fui adonques
> Ou pays du conte de Fois
310 » Que je trouvai largphe et courtois,
» Et fui en revel et en paix
» Près de trois mois dedeus Ortais^
D Et vi son estât garant et fier
)) Tant de voler com de chacier.
» J'ai moult esté et hault et bas
» Ou monde , et véu dés estas )
313 » Mes, excepté' le roi de France,
» Et Vautre que je vi d'en&ncC)
» Edouwart, le roy d'Engleterre,
» Je n'ai véu en mille terre
112 POÉSIES
» Estât qui se puist ressambler
320 » A celui dont je puis parler,
» Se ce n^est Bérri et Bourgongpné.
)» Mes bien croi, sans point de mençongpne
» Que ces deus dus, cas|mns par soi,
» Qui sont oncle dou noble roy
325 » Charles de France ) qui Diéx garti
)) Ont estât de plus grant regfard
» Que ne soit li estas dou conte
» De Fois. Mes tant y a en compte
» Qu'il est largphes aux estragniersi
030 » Et parle et vie v dentiers *
» A euls, et dist ptant de choses
» Où on poet prendre bonnes gloser
» Que de seigneur que onqties vi,
» 0 un, que Diex face merci !
d3â )) Améy le conte de Savoie»
» Cils, tant quil vesqui^ tint la voie
» De larghece^ en toutes saisons*
». Revenir voeil à mes raisons.
» Gaston le bon conte de Fois,
310 » Pour ronnour du conte de Bldis,
» Et pour ce que j'oc moult de painne
)) Tamaint jour et mainte sepmainne
» De moi relever à mie-nuit^
» Ou temps que les cers vont en bruit »
313 y » Sis sepmainnes devant Noël
» Et quatre après^ de mon ostel
» A mie nuit je me partoie
te Et droit au chasliel m en aloie»
DE JEAN FROISSART. 113
» Quel temps qu'il fesist, plueve ou rent,
3M » Aler m'i conveuoit souvent,
» Estoïe-je, vous di, mouillés^
» Mes j'estoïe bel recoeilUés
» Dou conte, et me faisoit des ris.
» Adont estoi-je tous gfaris,
333 » Et aussii d'entrée première
» En la salle a voit tel lumière,
» Ou en sa chambre à son souper,
» Que on y véoit ossi cler
» Que nulle clareté poet estre.
3^ » Cerles à paradys terrestre
m Le comparoïe moult souvent.
» Là estoïe si longemdnt
» Que li contes aloit couchier.
» Quant léu avoie un septier
363 » De foeilles, et à saplaisance,
1) Li contes a voit ordenance
» Que le demorant de son vin
» Qui vçnoit d'un vaissiel d*or fin,
» En moi sonnant^ c'est chose voire,
370 » Le demorant me faisoit boire;
» Et puis nous donnoit bonne nuit*
» En cel estât, en ce déduit
» Fui-je à Ortais un lonc tempoire;
» Et quant j 'oc tout parlit Tistoire
373 yt Dou chevalier au soleil d'or
ïi Que je nomme Melyador,
» Je pris congfié, et li bons contes
» Me fis t par la chambre des contes
FROISSART. T. XVL * 8^
1 1 1 POÉSIES
)) Délivrer quatre vins florins
380 » D'Aragon, tous pesans et finsj
)) Des quels quatre-vins les soissante,
» Dont pavoïe fait frans quarante ,
» Et mon livre qu'il m'ot laissié,
» Ne sçai se ce fut de coer lie,
383 » Mis «n Avignon sans damage.
» Or veci tantos trop grant rage :
» Je vinc là par un vjenredi,
» Et voloïe voir, je te-di,
» Mettre tous ces florins au change;
390 » Mes pourpos qui se mue et change
» Se mua en moi sans séjour.
)) J*aVoie acheté en ce jour
)) Une boursette trois deniers;
» Et là, comme mes prisonniers
393 » Les quarante frans encloy.
» Le dimenoe après, eschéy
)) Que je me levai moult matin ;
D Je oy l'offisce divin.
)i Or avoi-je mis mon avoir
iOO » Et la boursette, très le soir,
» En une aultre bourse plus grans.
» Quant je cuidai trouver mes frans,
» Certes, je ne trouvai riens née;
» Et sçai bien qu'à la matinée
403 » Je les avo'ie. Fin de somme.
» Onques n oy de tel fantomme
» Parler, par Tame de mon père ?
» Ma folie je le compère
DE JEAN FBÛISSART. 115
)) Et Gomparrai^ jusques au jour
41=0 » Q«6 je serai mis au retour
» Et à monsei^oour revenus;
» Car esté n'a nuUo P9 nuls
» Qui m'en ait dit nulle nouvelle, »
Et adonques me r^nou^irelle
413 Mon florin un aultre pourpes,
Et me disl ; « Vous e^stea un sos,
» S# vous pensés là lopgfement.
)) Tout dis recoevre-on tAf^ argpent^
» Legièrem^nt yw» ^opt venu
420 » Et legfièremwt ^ni perdu.
» Encores p Wés vdus^ saps fauta
)) Eu droit à puIIa ji^/^faiite,
» Et si save3 episor derrière
») Le bon seig^n^ur de la Rivière^
423 » Et le }m>p isenla de Sansoirre;
» CescuPi» den deux, e*est chose voire,
I) Pour } amour dou conie de Blois,
» Qui est de coer frans et eourtois
» Et entrais de haulte lignie
A39 )> Peur dix frans ne vous faudrant mi«;
» Et se vous trouvés le Daufin
» D'Auvergne, qui a le cœr fin
» Et de qui T'eus estes d'ostel,
)> Il vous fera, certes^ otel;
Ii33 )) Ne vous fgiudroit pour nulle rien^
» Car de tant le cognoi-je bien.
» Aussi ne fera» s^ll besongne.
}» Uns qui est en jcelle besonjg^ne^
IIG
POÉSIES. 1
« Jehans le visconle d'Asci; '
140
« Car dou bon seig;nour de Couci,
» Qui est nolilés, {[eiitils et cointes
» Estes voua privés et acnintcs;
» Et s'avés pour lui celle painne ,
)i Et l'expectatLOB lontaiiine
U3
•a Sus les cbanesies de Lillo.
» Cent florins vous a, pqr saint Cille !
» Moult bien coustéc celle gTasce,
Il Qui n'est ores bonne ne grasse
» Mes mal rcvonans à proulit,
ISO
» Quoique dou premier an est dit
» Dou pape que la grasce avés;
Il Mes voirement vous ne sçavés
» Quant vous en serés pourvéus
B Ne à chanonnes rccéus.
453
» Tout fault passer; oublyés, mcstre,
Il Toute chose qui ne poct esire;
w Et si vous mctiés au retour
« Sans attendre nul aultre alnur
» Avec les seignours dessus dis.
160
» Vons ne serés jà escondis
» D'avoir leur bonne compagnie.
*
» Et si, soyés un aultre fie
■n Mieuls avisés et plus sonjneus
1
M De garder en tels pctîs neus
' 161
» Une quantité de florins,
» Se les avés ; car nuls cousins.
» Ne parent, ne vous sont si bon,
^
M Ne si très loyal compagnon,
DE JEAN FROISSiRT. 117
» Ne pour qui on esploite tant
470 » Que florins sont, je vous créant »
Âdone di-je : « Sus toute rien
» Tu m*as ores eonseillié bien;
» Eneores je te g^ràerai,
» Ne point je ne t'aleveraî,
473 » Car tu n es mies trop prisiés
» Mes contrefés et débririés.
» Or f en va, dont tu es^ venus f
» Je ne voeil à toi parler plu&j
» Mes il me souvenra souvent,
480 » Cela t'ai- je bien en oonvcnt,
» Comment le sire de Bian-Ju^
» Antones qui grans galois fu^
» En riant moult souvent disoii^
n Et d'argent on se devisoit :
483 » Aussi a Ssiit Gerars d'Obies
» Qui pas n*a vie aux oublies ;
» Autant vaudroit au jugement
D Estront de cbien que marq d'argent. »
ft
118 POÉSIES
LE DÉBAT
DOU CHEVAL ET DÔU LEVRIER.
t^BOissARS d*Eseoce reyenoit
Sus un cheval qui g^ris estoit^
Un blane lévrier menoit en lasse.
H Las! di»t le lévrier, je me Iasse<
]f> Grisel) quant nous reposerons?
» Il est heure que bous tnengons.
^ 1^ Tu te lassé^^ dist li chevauft y
» Se tu àvoïes tuons tel vauls
» Porté uti bomitte et une maie 9
"^ Bien diroïes : Li heure est niale
»
» Que je nasqui onques de taèvé. »
» — Dist li lévriers î C'est efaose clèref
» Mes tu es g-rans, gros et quarrés,
7t Et as tes quatre pies ferrés;
)) Et je m'en vois trestous deschaus^
» Assés plus g^rans m est li travauls
» Qu'à toi) qui es et grans et fors,
» Car je n*ai qu*un bien petit corps.
y> En ne m appelle-on un lévrier
» Pais pour le g^ens esbanoyer ;
» Et tu es ordonnés et fès
» Pour porter un honune et son fè».
ITE JEAN raOISSART. 1 1»
» Quant nous venrons jà à Tostel,
D Nos mestres, sans penser à el>
Y II t'apor tera del avainne -,
» Et s'il voit qnaïes eu painne>
» Sus ton dos jettera sa cloque,
» Et puis par dalès toi se joque.
» Et il me fault illuec croupir.
» Il ne me vient point à plaisir.
^ — Je t'en crois bien, respond Grbeaus*,
» Ttt me comptes bien mes morseaus,
» Mes je ne compte point les tiens.
» Pleuïsl Dieu, que je fuisse uns cbiens
» Ensi que tu es par nature 9
» S'auroîe dou pain et dou bure
» Au matin, et la gérasse soupe.
)) Je sçai bien de quoi il te soupe.
)) S'il n avait qu'un seul bon morsel>
» Ta part en as-te en ton musel -,
» Et si te poes par tout esbatre.
» Nul ne t*ose férir ne batre^
» Mes quant je ne vois un bon trot»
» Jà n'en parlera à moi mot,
» Ains dou debout de ses talons^
» Me frera de ses esporons»
» Si qu à la fois me fait banir.
» Se tu avoïes à souffrir
» Ce que j ai^ par Saint Hone^tassa
» Tu diroïes acertes, lasse! »
— Dist le chien: a Tu.fe dois bien plaindre 1
» Ains qu'on puist la chandelle estaindre^
1 20 POÉSIES
» On te frote, gfrate et estrille,
» Et te euevre on , pour la morille,
» Et si te nef tie-on les pies.
» Et s on voit que tu soies liés
» On t'aplanoïe sus ledos^
» Et dist-on : Or> pren ton repos,
)) Grîselj car bien Vas desservi
» L*avainne que tu meugles ci.
» Et puis on te fait ta littière
» De blanc estrain ou de fléchiere
7> Là où tu te dois reposer.
y> Mes j'ai aultre chose 'à penser;
» Car on me met derrière un huis,
» Et souvent devant un pertuis,
3) Et dist-on : Or gfarde Tostel.
n Et se laïens il avient tel,
3) Que bien j'en ai toutes les tapes;
» Car, s'on envolepe ens es nappes
» Pain , char, bure, frommag^ où let ,
» Et la meschine ou li vallet
7) Le mengpuent, par aucun cas^
» Sus moi en est tous li debas;
1» Et dist-on : Qui a ci esté?
» Cils chiens! Et je n ai riens gfousté.
» Ensexnent sui« sans ocquisôn
» D*estre batus en souspeçon.
» Mes on ne te requiert riensnée,
» Fors que bien Faces ta journée.
» Si te pri cor, avances toi,
» Car droitement devant nous voi
DE JEAN FBOISSART. 121
» Une ville à un grant clochier.
» Nos mestres y vodra mengierf
» Tu y auras là del avainne»
n Et je aussi prouvende plainne.
» Si te pri, et si le te U»
» Que tu y voises les galo^. »
» -— Respont Griseaus : Ossi ferai-je
» Car de mengicr grant talent ai-je. »
Froissars atant vint à la ville
Et là faillirent leur concile.
I
*
BALADE.
Sus loules Hours tient-on la rose à belle
El en après, je croi, la violelte;
La Iloui" (le lys est belle, et la perselle;
La flonr de {jlay est plaisans et parfctte;
Et li pluisour aiment mouk l'anquelie,
Le pyonier, le muçel, la soussie.
Cascune flour a par li sa mérite.
Mes je vous di, tant que pour ma partie.
Sus toutes flours j'aime la Marjherîte
Car en tous temps, pluevc, presiUc ou gcUe,
Soit la saisons ou fresce, ou laide, ou nette,
Ceste flour est jjracieuse et nouvelle,
Douce et plaisant, blancetc et vermillete;
Close est à point, ouverte et espanïo;
Jà n'y sera morte ne apalie;
Toute lionlt- est dedens li cscripte;
El pour un tant, quant bien y estudie
Sus toutes flours ^aime la Mar^herite.
Et le doue temps oro se renouvelle.
Et esclaircist ceste douce floureltej
Et si voi ci seoir dessus la sprelle
Deus cuers navrés d'une pLiisant sajcite,
A qui le Dieu d'amours soit en aye.
DE JEAN FROISSART. 123
Avec eulx est plaisance et eourtoisie
Et douls reg^ars qai petit les respite.
/Dont c'est raison, qu^au chapel faire, die*
Sus toutes flours j'aime la Margherite* (*)
(*}Dans le inaQascriv72I4 ce couplet est denné ainsi:
Mes trop errant doel me oroist et renouvelle
Quant me son vient de la douce flonrelle^
Car enclose est dedess nne tourelle :
S^a one haie, aadevant de li faille
Qui nuit et joar m'empèee et contrarie.
Vès s^amonra Toelt estre de mon aye,
Jà poor ereniel, pour tour, ne poar garite
Je ne lairai qu^à oeooision ne die :
Sus tontes flonrs f aime la margherile.
POÉSIES
!
'I
LE DITTIE.
DE LA FLOUR DE LA MAHGHEBITE.
[ Je ne me doi retraire de loer
l La flour des flours, prisier et honnoarer.
Car elle fait moult à recommender.
C'est la Consaude , ensi le voeil nommer.
Et qui lî voelt son propre nom donner,
I On ne li poet ne loUir ne embler,
Car en françois a à nom, c'est lout cler,
La Margherite,
De qui on poet en tous temps recouvrer.
Tant est plaisans et belle au rejarder.
Que douvéoir ne me puis soëler.
Toujours vodroie avec li demorer.
Pour ses vertus justement aviser,
n m'est avis qu'elle n'a point de per,
A son plaisir le volt nature ouvrer.
Elle est petite.
Blanche et vermeille, et par usag;e habite
En tous vers lieus; aillours ne se delilte.
Ossi cbier a le préel d'un bermilte,
Mes qu'elle y puîst croistresans opposite,
DE JEAN FROISSÀBT. 1 35
Comme elle fait les beaus gardins d'Egfypfe.
Son doiilc véoir gfrandement me proufite ;
Et pour ce, est dedens mon coer escripta
Si plainnement :
Que nuit et jour en pensant je recite
Les gran$ vertus de quoi elle est confîfe;
£t di ensi : a Li heure soit-benite
)> Quant pour moi ai tele flourQtt[( eslitte,
» Qui de bonté et de beauté est ditte
» La souveraine; et s'en attenc mérite,
» Se ne m'y nuist fortune la frahitte,
» Si ^andcment
«> Qu onques closiers^ tant sceuist sag^ement,
D Ne gfardiniers ouvrer joliëment,
» Mettre en g^ardin pour son ébattement
» Arbres et flours et frnis à son talent,
» N'ot le pareil de joïc vraïement
» Que j'avérai^ s'eure le me consent. »
De ce penser naon espoir fait présent
Un lonc termine;
Et la fleurette en un lieu cruçon prent,
Où nourie est d'un si doulc élément
Que froit ne chant, pluève, grésil ne vent
Ne li poënt donner empècement^ .
Ne il n*i a planelte ou firmament
Qui ne soit preste à son commandement.
Un cler soleil le nourist proprement
Et enlumine
126 POÉSIES
Et ceste flolir qui tant est douce et fine.
Belle en cruçon, et en regard bénigfne.
Un usaLgB 9. et une vertu digpne
Que j'ai moult chier^ quant bien je Timag^ine*
Car tout ensi que le soleil chemine
De son lever jusqu'à tant qu'il décline,
La Margherite encontre lui s'encline
Comme celi
Qui monstrer voelt son bien et sa doctrine ^
Carie soleil qui en beauté l'afine,
Naturelment li est chambre et courtine,
Et le défient contre toute bruïne,
Et ses couleurs de blank et de sanguine
Li paraccroist; c*en sont li certain signe
Pourquoi la flour est envers li encline.
S'ai bien cuesi
Quant j'ai en coer tel fleurette enchieti
Que sans semence, et sans semeur aussi ,
Premièrement hors de terre appari.
Une pucelle ama tant son ami,
Ce fut Thérès, qui tamaint mal souffri
Pour bien amer loyalment Cephéy,
^ue des larmes que la belle espandi
Sus la verdure
Où son ami on ot ensepveli.
Tant y pleura , dolousa et gémi
Que la terre les larmes recueilli*
Filé en ot*, encontre elles s'ouvri;
£t Jupiter qui ceste amour sentie
DE JEAN FROISSART. 1 27
Par le pooir de Phébus les noarri;
En belles fleurs toutes les eoDverti
D'otel nature
Comme celle est que j'aim d'entente pure.
Et amerai tous jours quoique j'endure.
Mes s'avenir pooie à raventure,
Dont à son temps ot jà Véûz Mercure,
Plus éûreus ne fu ains créature
Que je seroie, ensi je vous le jure.
Mercurius^ ce dist li escripture.
Trouva premier
La belle flour que j'aim oultre mesure;
Car en menant son bestaîl en pasture^
Il s'embati dessus la sépulture
De Cephéy, de quoi je vous Sigare^
El là cuesi, dedens Tencloséure,
La doulce flour dont je fac si grant cure*
Merveilla soy; il y ot bien droifttre.
Car en jcnvier,
Que toutes fleurs sont morte») pour Tyvier^
Celle perçut blancir et vermiliier,
Et sa couleur viveté tesmongnier.
Lors dist en soi : (c Or ai mon desirier ! »
Tant seulement il en ala cueillie r
Pour un chapiel; bien les Tolt espargnier
Et à rirës ala celui cargior
Et si le prie
Que à Sérès le porte sans targier
Qui de s*amour ne le vœlt adagnier.
128 POÉSIES
S'en gré le prent, sa vie aura plus chier.
Ce que dis! fist errant le messagier.
A Sérès vint le chapelet ba illier.
Celle le prist de cler ceer et entier,
Et dit : « Bien doi celui remercier
» Qui s'esbanie
» A mol tramettre un don qui me fait lie \
» Et bien merir li doi sa courtoisie.
» Et je voeil que, de par moi» on li die,
» Que jamais jour n'amera sans partie. »
Moult liement fu la response oye.
Car tout ensi Tirés li signefie
A )son retour et li acertefîe.
Ne plus ne mains
V
Là et la fleur une vertu jolie,
Car elle fist celui avoir amie
Qui devant ce venir n*y pooit mie.
Ne poroif jà estre ensi en ma vie ?
Je ne sçai voir, non-pour-quant je m'afie
En bon espoir, ce grandement m'aye*
Mes toujours ert en eoer de moi chierie«
J en sui certains,
La belle fleur que Margherite clains.
Elle le vault pour ce, sus toutes lains.
Et se me sens de la droite amour çains,
Mercurius qui de tous biens fîi plains,
Car tant Tama que tous soirs et tous mains
DE JEAN FROISSÂBT. 1 29
Quek temps qu'il fust, kalendes ou toussaîns
Un chapelet en portôit li compains,
Tout pour l'amour
Serès sa dame; en olel pouVpoii mains,
Car tant me plaist de la flonr li beaus tains
Qtt*il m'est avis qu il ne soit homs humain»
Noinméement, ne rudes, ne villains.
Qui afouchier, y doie ong'le ne mains*
Et se I etkr j ai eu premerains
D'elle trouver^ ne m*en lo, ne m'en plains
Par nesun tour-,
Fors seulement que dou perdre ai paour.
Dont pour moi mettre en un certain séjour.
En lamentant souhède nuit et jour,
Et di ensi : « Pleuïst au Dieu d'Amour
» Que je véisse enclos en une tour,
» 0 le closier, la g'racieuse fiour ^
}) Et si n'euïst homme ne femme au tour
. » Qui sourvenit,
M Peu'ïst illaec et fust en un destour ,
» A mon cuesir, n ai cure en quel contour. ^
En ce souhet je pense toute honneur.
IVlès souhedier me fait plaisance, pour -
A grant loisir reg^ai^der sa couleur
Blanche et Tcrmeille, assise sur yerdour.
S'en ce parti vivola^ nul millour
Ne doit quérir
Homs, ce m*est vis, qui tant aime et désir
La flour, que fai. Car n'ai aultre dcsir
PIIOISSABT. T. svi. 9
130 POÉSIES
Que del avoir pour véoir à loisir
Au vespre clore et au mâtin ouvrir;
Et le soleil de lout le jour sievir,
Et ses florous contre lui espanir.
Tele vertu doit^on bien cpnjoir,
A mon semblant.
Si fai-je voir^ là gist tout mon plaisir.
11 m'est avis, le jour que lé remir,
Qu'il né me poet que tous biens avenir,
Et pour l'amour d'une seule, à qui tir,
Dont je ne puis que de regars joir.
C'est assés peu; uiès ce me £iult souffrir.
Toutes les voeil honnourer et servir
D'or en avant
Et si prommec à la fleurette, quant
Es lieu venrai, là où il en croist tant,
Tout pour l'amour de la ditte devant,
J'en cueillerai une ou deus en riant,
Et si dirai, sou grant bien recordant:
(( Veci la flour qui me tient tout joiant,
)) Et qui me fait en souffissànce grant
)) Tous biens sentir.
» Com plus le voi et mieuls me Mmï séant
» Si doulc r^ard et si' arroi plaisant \
» Car en cascun floron, je vous créant,
» Porte la flour un droit dart ataillant,
» Dont navrés sui si, en soi regardant,
» Que membre n'ai où le cop ne s espant.
» Mes la vertu au Dieu d'Amours demant
#
» De moi garir. »
DE JEAN FROISSABT.
PLAIDOIRIE
DE LA ROZE ET DE LA VIOLETTE.
DEVANT Imag-inalîon, 4
Où on i!oil par ilrnîte aciîao
Metire mémores et escris,
Fu uno fois ung' |)Iaîl empris f
Entre Rose et la Viotelte. I
La nialère tlout je vous Ireitte
Fu deineni!!'e sagement.
El pour allaindre plainnemenl
Poîns, procès, articles et cas,
Avant se traist li advocas
De la Rose, et si dist ensi ;
H Violette, venus sui ci
M Pour proposer une tpierelle
V De par ma dame, Rose belle-
» Si vous di, et voeil mettre en coui's,
» Et souslonir en toutes cours
V Que Rose est dp grignour pi-isie ,
» Mieuls désirée et plus prisîe
11 Que vous ne soyés. C'est raison,
>i Car elle embclUsl la saisonj
V El st est de coulour très fine
11 Sus le pourpre et sus la sanguine,
S"
132 POÉSIES
» Et si oudoure doucement*,
» Et si dure pins longriement
)) En beauté que vous, Violette;
)) Kt si naist blanche ou vermillette
)) Ou bel ef plaisant mois de may
» Pour traire amans tout hors d*esmay.
» Et lors 9 dames et damoiselles
» Seigfnours, bacelçrs et pucelles
» Les coeillent et en font chapeaus;
» Et les pluisours en ont houpeaus
» Qu ils portent devant leur viaire, »
A ces mots ne se volt plus taire
L'advocat qui esjoit moult vieuls
De Violette^ et dis t : « He Dieus !
)) Se je ne savoïe parler
M II m'en faudroit de ci râler;
)) Mes, se Dieu plaist, je parlerai
» Et la querelle soustendrai
» De Violette encontre Rose*
)) Âdvocas, je di et propose', ^
» Vostre parole bien oye>
» Violette est miens conjoye,
» Âmée et désirée aussi
» Que Rose ne soit ; et veci
» La cause. Or entendes droiture.
» Quant un y ver plain de froidure
h Aura mis à destruction
» Par sa longue possession^
)> Arbres et frais, foeilles et fleurs,
» Adonc désirent les beaus jours
DE JEAN FROISSART. 133
» Hommes et fcftmnes et enfans,
» Et que tost viengne le printemps
» Qu'on ot clianter les aloettes,
» Et lors troeve-on les TÎolettes «
» En vregîers, en g^ardins, en clos
» Et en lieus joliement clos;
» Et là les coeillent damoiselles
» Jones fils et jones pucelles.
» Si en fout beaus chapeaus jolis;
» Et les pluisoifrS) dessus leurs lis
» Les mettent, en segfnefîance
)» D'esbatement et de plaisance;
)» Et quant là saison renouvelle
» De printemps > joliiB et nouvelle,
» Par usage on voit moult de gens
» Qu'en beaus rainséaus vers et gens
» De grouseliers, fichent et boutent
» Les Violettes, et arroutent
)) Pour mieuls véoir et oudourer.
)x On ne les pot trop honourer.
y> Sire advocat, au dire voir,
y> Je vous prie, aies vous seoir;
» Car uù peu me reposerai.
» Mes encores exposerai,
)> Yoires s il est qu'il me besongne»
» Les articles de ma besongne. »
Cascuns des advocas A!»sist.
Imaginations lors mist
Journée que de revenir
Car encores les voelt oïr.
131 POÉSIES
Ci s'efisieul comment li advocas de la Roze pourpose
sa querelle.
0» sont venu à leur journée;
A grant bien soit elle ajournée,
Car je orai moult volontiers
L'ordenaïice de leurs trettiers.
Li advocas q^ui estoit là
De Rose^ tout preiyier parla,
Car de parler sot bien Tusagpe;
Si dist ensLen son lang-ag^e :
« Je fac ci protestation.
» Devant Imagination
)» Qui est ma dame souverainnc
» Et me plaine trop fort de la painné
» Dont Violette nous traveille;
» Quant la Roze blanche et vermeille
» Voelt afoiblir de sa puissance,
» Elle a moult peu de cognoissance;
» Aussi a âoa advQcat voir;
» Car otant com die blanc à noir
» A à dire, c'est chose clère,
» La Violette se diffère
)) D'estre è la ftose non pareille.
» N^scai qui l'advecat conseille ;
» Mes pa^n est de sens pourvéus;
» Et s'il Test, point ^'est ci véus.
)> Et pour lui faire tout quoi taire,
» Aucuns exemples j'en voeil faire
DE JEAN FROISSART. 135
)) Afin que sus il se conseille.
» Tout premiers, la Roze vermeille
» Voeil-]e comparer, par figure,
» Al* soleil, et là le fig^ure.
» Car le soleil qui est réons,
)) Quant nestre au matin le véons
» Et.esconser à la vesprée,
» Sa coulour n'est pas dyasprée
D Mes sanguine, c'est vraie choic,
» Et vermauls com vermeille Roze.
» Encor au vrai considérer,
» Od doit moult la Roze honnourer.
» Vous savez que deux roisins sont
» Donl blans vins et vermaus se font,
» Par lesquels vins solennelment
» On célèbre ou saint sacrement;
» Pour le blanc vin la blanche Roze ;
» El le vermeil, c'est vraie chose,
» Pour la vermeille Rosepreus;
)> Encore crie-on sus les rens?
» On vent bon vin à la Rozefte. •
» La Roze blanche et vermillette
» Ont en elles grant efficasce
)) Garni de mistère et de grascc^
» Car on en fait, c'est yraïe chose
» Aiguë, qu'on appelle Aigue-Roze^
» Qui est bonne pour les hétiés
» Et nécessaire aux deshétiés,.
» Car les grans calours assouage.
» On en rafreschit son visage
136 POÉSIES
» Et si en moulle-on bouche el mains.
» Aussi tamstintes et tamains
» Yoelent bien que leur oreillier,
ji Soit pour dormir sus ou veillier,
D Sente la Boze et si loudoure.
D Prendés g^rde où Roze deimnire.
» J appelle un Rosier sa maison.
» Là Ta Diex mis, tout par raison.
» Non pas enclos en une tour
)> Mes d'espines poindans au tour,
n A celle fin que les chievrettes
n Qui pastourent bien Violettes
% Et broutent Eoeilles et jettons
D N'aient ne Roses ne boutons. )>
Atant se tent li advocas
Qui bien ôi remonstré tes ca$
Et sagfenient, à la samblanee
De la Roze vermeille et blance.
La èours aussi un peu cessa,
Pour nn tant, que fort on pressa
*A savoir se li advocas
De Violette, qui les cas
A voit oy de Rose belle ^
Responderoit à la querelle.
Oil voir, vous orés comment
Il respondi moult sag-ement.
Mes ses responses faultescrire
. Avant que je les puisse dire*
DE JEAN FHOISSART. 1 37
Cl s'ensmU comment li ad^oc€Ls de la Vi'olelte sous-- .
tient sa çueretle.
n 0 advocas.de Violette,
» Venez ayant, car on tous trette
» Articles d'opposition,
» Ce dist Imagfination,
» Si vous Y fault faire response,
D Voires, se le plait je u'esconse. )x
Li advocas respondit, dame !
Et dist: (( Je sui tous près, par m'ante
» De respondre et faire devoir
,» Et de monstrer que j'ai dit voir;
» Et iout premiers je mac en prose.
» Je ne dis mies que la Rose
n Ne soit et belle, et bonne, et sage,
» Et n'ait en li tamaint usagée
» Qui sont moult à recommender^
» Mes 1 advocat voeil demander,
D Se la fig^ure est acceptable
» Dou soleil, ne bien véritable.
y> Rose est muiste, et le soleil chaus.
» Or est dont li argfumens faus.
)> Et uon-pourquant, vaille que vaille,
» Car mon espée ossï bien taille
)) De tous taillans comme la sieve%
V Fols est qui advocat esquieve
» Pour ehose qu'il puist langagier ,
» Quant on l'a de quoi calengier.
D Et j*ai ocquoison et calenge
» De calengier ; si le calenge.
138 POÉSIES
)> II nous a fig^uré droit ci
» Rose au soleil; ce je li di
» Que pis ne voeil les Violettes
)) Aux estoilles ne aux planettes
» Fig-urçr, par aucune voie,
» Non se partir je me dévoie,
» Car ce seroit fais inficilles;
» Mes je les voeil nommer les filles
)) Dou firmament qui est réons
» Si com par l'apparant véons,
» Car elles ont sa couleur propre,
» Sans blanc, noir, vermeil ne sinopre;
» Et quant dou ciel furent venues
» Avecques la vapour des nues^
)) La térr0 la semence en but,
• » Dont les Violettes conçut.
» Si les tienc en très garant chierté.
)) Bleu segnéfie estableté;
» Et cilz ou celle, sans doubtance>
» Qui le porte, par ordenance .
ï) De moi retienne ce notable,
» Doit avoir coer ferme et estable
» Et conforté, sans nul moyen. *
» Violettes sont flours de bien ;
M Au véoir et au porter belles ^
» Et quant dames ou damoiselles
» Ont riches robes ou abis^
» Soit sus leurs corps ou sus leurs lis,
» S'il oudôure la violette,
» On dira: Ceste robe est nette!
DK JBAN FROISSAHT.
I. El r ou do 11 rr a-on volt-'nticrs.
» Les Jioletics, meslres chiers,
» Ont encor vert» et mist^re
M Qui conforte nioull ma matère
» El comdempne toutes vos gloses.
» Prendés ViolcUes et Uoscs
» Et pour esprouver leur lucstrie
» Boutés-les CD aîjjuc-ile-vie
)) A savoir qu'il en aven ra,
w Ne que leur oudour devenra
« Li aiçue qui est vertueuse,
u De la belle Rose amoureuse
Il Ostera substance et vigour, •
» Et Violette en son oudour
» Deuiorra; c'est cbose cerlainne.
i> Si le tienc à trop plus liautaiuue
H El de trop plus noble action
» Que Rose ne soif, c'est raison.
» Encor en fait on aiguc bonne
11 Qui confort aux deshetiés donne;
» Des Violiers cl des racines
H Fait-on bien pluisours médecines;'
» Mes on ne poet riens d'un rozicr
I) Faire, que Icfeu en yvier;
H Et se cliievretles ou brebis
)) Broutent violiers, j'en suis fis
)) (Juc le lail qui d'elles veura
11 Grant proûl aux eufans fera
» Qui en mangeront les papins. »
Donc se leva, mesiro Papins,
1 40 POÉSIES
L'advocatde la belle rose.;
Et yoloitdire quelques chose \
Mes Imagination fu
Au devant qui U a dit : « U,
)) Advocas, Tolés tous aler?
» Vous noiis tanés de tant parler.
» Qui vodroit oïr vos parolles
» On en empliroit quatre roUcs.
» Il fault que vostre plait cessons;
» Car d'entendre ailleurs pressé sons. »
' — (( Dame, ce dïstli advocas,
» Entendre vous fault à tous cas;
» Pour ce est vostre cours ouverte.
» Ne sôyés pas si descouverte.
» Tost vous plaindés de tanison ;
. » Rendes nous sentensce et raison
» Et jug'ement sus nos procès. »
Imagination, a ces
Mos , a bien dit que non fera,
Ne jà n'en senlensciera.
. » Et qui donc, dittes-le-nous, Dame!
— » Volentiers, dist elle, par m'ame.
» Aillours avés court de ressort
» Pour jugier dou4i*oit et dou tort
» Qui est dessus moi souverainne. »
— « Et où est elle ? on nous y mainne l
» On enseigne, et nous irons là. ))
Imaginations parla
Et dist : u Beaus advocas jolis»
» La noble et haulte Flour-de-Lys,
DE JEAN FROISSART. III
» Qu'on doit bien tenir en chierté,
» N'a-elle souveraineté
» Sus la Roze et sus toutes flouj*s?
)) Si a, et a eu tous jours,
» Et avéra, et c'est bien drois,
» Car si coni le lion est roîx
)) Des bestes, et U aigle aussi
» Roix des oiseaux*, ost, je vous di
» La Flour-de-Lys la souverainne
. » Sus toutes flours, et plus hautaine.
» Siques vous irés en sa court.
)} Eureus est qui y ont recourt.
» Je ne vous sçai mieulz envoyer
» Pour vo querelle plaidoyer.
)) U ni a pas trop longe voie.
» Vous dires que là vous envoie,
» Pour conseil et qu'on vous sequeure. »
— « Ha! chiere dame, et pu demeure
» La Flour-de*Lys f puis qu'ensi est
S) Nous irons là qu^nt ilvous plest. »
Elle respont'sans détriance :
<( Au noble royalme de France.
j) Là trouvères en tous delis
» La noble et baulte Flour.de-Lys
» Très grandement acompagnie
» De belle et bonne compagnie,
}> De hardement et de jonece
M De sens, d'on^nour e^ de larghecc,
» De qui vous serés recoeilliés
» Liement, et bien conseilliés
U2 POESIES
0
» De conseil g^racions et bon.
» Car le Boy, Orliens et Bourbon
» Berry, Bourg^ong'ne, Eu et La Uaree
» N'isleront point Iiors de la marce
» Pour sag'ement esludyer,
» Pour loyalement sentenscyer,
» Pour examiner vo querelle
)) Qui lor sera plaisans et belle.
)) Et quant oy ils l'averont,
» Je croi qu'il eq responderont
)) Si sagement et si à point
)} Que d'argument n'i aura point
)) Entre Bose et la Violette .
» Pour qui ce plaidoyer se trétte.
' )> Et s'il est ensi qu il besongne,
» Par incidensce de besongnè
lï A la Flour-de-Lys h avoir
» Conseil saciés, et tout de voir;
» Encore a-il les Margerites,
» Qui sont flours belles et petites,
» Dont il est très bon recouvricr,
» En tous temps. Testé et Tivier;
» Et pluisours aultres nobles flours
» Dont embellie est moult sa cours,
» Qui ïi doient fol et conseil.
• » Aies là, je le vous conseil. »
— (c Dame, dist cils, c'est nos pourpos. »
Âtant fu là cils procès clos.
DE JEAN PROISSART. I i
CI SENSIEUT UN DITTIE D'AMOUR.
QUI s'appellï
LE OULOGE AMOUREUS.
Je mo puis bien comparer à rOrloje,
Car quant Amoui-s, qui en mon coor se lojfc,
M*i fait penser et mettre y mon estude,
J'î aperçoi une simnltitude
Dont moult me doi resjoïr et parer ;
Car rOrlog-e,est'au vrai considérer^
Un instrument 1res bel et très notable ;
El s'est aussi plaisant et pourfitaMej
Car nuif et jour les heures nous aprent,
Par la soubli-Iloté qu'elle eomprenl
Eu l'absense nuiisme dou soleil,
Dont on doit niieuls prisicr sou appareil,
Ce que les aultre însirumeus ne font pas
Tant soient fait par art et par compas.
Dont celi tienc pour vaillant et poursag'e *
Qui en trouva premièrement l'usag-e.
Quant par son sens il commença et lit
Cbose si noble et de si grant proutît.
Ensi Amoui-s me faîtconsidérer,
Et m'a lionne matèrp de penser
A un Orloge, et commeul il est fcs;
El quant j'ai bien eonsidert^ ses fès
\U POÉSIES
Il me samble, en imagination,
Qu'il est de granl sig'nilieation,
Mes qu'il soit bien ji son droit gouvernés. '
Et se, n'e^t pas seulement ordonnés
Tant pour proufit et pour grant efficace
Qu'il est garnis de niistère e\ de grasce.
Et la façon de U, selon m'etitentc,
D un vrai amant tout le fait représente,
Et de loyal amoîir les cit'constansces.
Dont, quant j'ai biencohcéu les substances
Et la: vertu qu'il monstre et segnefie-,
' Et j'ai aussi considéré ma vie,
A son devoir est justement parée
Quant je l'ai à TOrloge comparée
Ensi Amours, cpi maint penser me donne
A son plaisir p présentement m'ordonne
Et me^ semont de mon estât trettier ;
Ç je, qui voeil, de vrai çoer et entier^
Obéir à tout ce qu*il m'amoneste,
Car sa semonse est courtoise et Uonneste,
L'en regrasci, et ma dame aussi voir.
Qui m'a donné sentement et voloir
De remonstrer comment Amours me mainne.
Je 9 ^ui suis tous sougis en leur demaine,
Loing de joïr, d.îseteus de merci,
Di que je sui démenés tout ensi,
A la façon proprement de l'Orlog^,
Dont Amours font de «Ion coer chambre et log*c.
Pemièrement je considère ensi,
Selone Testât de l'Orloge agensi
DR JEAN FROISSA RT. US
Que la maison qui porte et qui soustîent
Les mouvemens qu'à l'Orlog^e appartient,
El le fais, dont on doit mention faire
De tout ee qui poet estre nécessaire,
Et liquels a matère, par raison,
De servir à sa composition.
Proprement re-préseute et se{;nefie
Le coer d amant que fine Amour mestrie; ^
Car la façon de l'Orlog-e m'aprent
Que coer d'amant, que bonne amour esprent,
Porte et soustient les mouvemens d'Amours,
Et tout le fais, soit joïe, soitdolours,
Soit biens, soit mauls, soit aligance ou painnc
Que bonne Amour li envoie et amainne.
Briefment, qui voelt bien parler par raison :
Le cœr loyal est la droite maison ^
Au dire voir, et la principal logfe
Ouquel Aniours plus volontiers se logé.
De tout ce sçai-je assés comment il m est;
Mes tels est bien malades qui se test
Et pas ne dist son mal en audiensce,
Ains le reçoit en belle pasciensce;
Pour mieuls valoir^ il se fait bon souffrir.
En cel espoir me voeil dou tout offrir
Au gré d'AmourS) et à son plaisir rendre^
Car il n^a fait si noble estât emprendre
Qu'il m est avis que> quant je le recite»
Que tout mi mal ne sont que garant mérite \
Car tant a g^rasce, honnour , loengfe et pris
Celle pour qui j'ai ce dittie empi is
fROISSART. T. XVI. 10
U6 POÉSIES
Et qui de moi est la très souverainne^
Que se pour li reçoi gfriefté ne painne
A son plaisir y poet mettre alig-ance.
Or, pri Amours, qui ses servans avance.
Qu'il me pourvoie en sens et en lang^age
Telement^ que la belle et bonne et sag^e
Voeille en bon gvé ce dittie recevoir.
S'elle y entent, bien pora percevoir
Comment Amours, qui m'a en son demaine,
Al la façon de VOrlog'e me mainne^
Car de mon coer a fait loge et maison,
Et là dedens logié, à grant foison
De mouvemens et de fais dolereus.
%
Onques> je croi, n'en ot tant amoureus ]
Car par Amours est près ma vie oultrée
Ensi qu'elle ert en ce dittie monstrée.
Or Vôeil parler del estât del Qrloge.
La premerain-ne roe qui y loge,
Celle est la mère et li commencemens
Qui fait mouvoir les aultres mouvemens'
Dont rOrloge a oixlenance et manière î
Pour ce poet bien ceste roe première
Segnefyer très convignablement
Le vrai désir qui le coer d omme esprent ;
Car Désir est la première racine
Que en amer par Amours Tenracin^^
Mes il y fault deux choses sourvenir,
Ançois qu* il puist parfettement venir
En coer diamant, ne moustrer sa puissance:
L'une Beauté et li autre Plaisance.
DEJEANFROISSAHT. IÏ7
Le plonk trop bien à la Beauté s*acordê.
Plaisance r'est inonstrée par la corde,
Si proprement con ne poroit niiealz dire;
Car toht ensi que le contrepois tire
lia corde à lui, et la corde tirée;
Quant la corde est bien adroit atirée;
Retire à lui et le fait esmouvoir,
Qui autrement ne se poroit mouvoir*,
Ensi Beauté tire à soi et esveille
La plaisance don coer, qài s'esmervèille
Et esbahist en la soie pensée
Où chose de tel pris fu compassée;
Et Plaisance le retrait et le lire
Tant qu'il convient par force qu'il désiré,
Et qu'il devienne amoureux, sanâ dtietidre.
Briefment Beauté^ qui bien y voet entendrcj
A en Amours merveilleuse puissance;
Car quant regard ynït dame de vaillance^
Qui au devant sa beauté li apreste^
11 y entent volontiers et arreste; >
Et à la fois si avant s'i tovelle,
Comme le pa-pillon à la chandelle
Qui ne s'en poet retourner ne retraire:
Car Beauté a en lui vertu d'attraire
Le coer véant, par nature plus forte,
Quant en ce fait Plaisance le conforte j
Que raïmant n'ait d attraire le fer.
Ensi le fait de désir escaufer
Beauté, qui est le contre- pois premier
Qui de tirer Plaisance est coustumier;
10*
148 POÉSIKS
Par qui désirs iiioet continiielmenl;
Si qu'il ne poel arresler nullement. »
Âins y met si s' imaginât ion
Qu'il n'a ailleurs l'oeil ne rcnlenlion
Qu*à ce qu'il puist embracier, et qu'il sente
Sa part dou bien que Beauté li présente.
En ce parti me puis assés trouver^
Car Plaisance a volu en moi ouvrer
Par la vertu de vostre beauté, dame,
Dont le regfarl si plainnement m'enflame
Que pour ce sui de vous amer espris.
Car quant Beauté et Plaisance m ont pris,
Dont nuit et jour amonnestés je sui,
N'en doi, par droit, jms accuser autrui,
T'ors ceuls qui sont cause de mon désir. .
•
De vostre amour ^ dame que tant désir,
M'a esméu vo beauté qui tout passe.
Quant je vous vi premieMs^ xi'oe pas espasse
De concevoir de vo beauté les tains^
Ains fu mon coer si pris et si altains>
Et si ravis en parfet te plaisance^
Que j'en perdi manière et contenance ,
Non seulement, madame, pour ceste heure
Mes pour toutes aultres. Dont j'en demeure
A vo voloir, et.tout-dis ensi ert.
Bon don attent cilz qui bon mestre sert.
Je ne dis pas que desservi riens aie;
Trop paie bien qui devant heure paie.
Mon paiement gpist en vo douce attente j
Mes nuit et jour désirs pour vous me temptCi
DE JEAN FROiSSART. 119
Que si m esmoet le coer, au dire \oîr«
Que je ne puis parfelle joie avoir;
Car Plaisance et Beauté me represenleut
Les biens «ie vous, et dedcns inou coer eiifeiit
L'ardattt désir qui nuit et jour m*esveille.
Dont, en pensant à ce, je m*esmcr veille
Et esbahis, en la mienne pensée,
Où tel beauté poet estre compassée,
Et di Oâi moi : Je croi onques Nature, *
Ne fourma voir si belle créature
Que vous estes, dame de tous biens piainne»
Vostre beauté qui est la souvoraiime
De tresloutes ce^es que onques vi
H*aplainnement si pris et si ravi,
Et sa vprtusi mon coer à li tire,
Que je ne seai que je doi faire ou dire,
Car Plaisance trop bien ù lui s'accorde
Qui remonstréecst par la propre CQi*de
Que le plonk tire, et dont il fait mouvoir
La mère roe. Ensi m'est-il pour voir;
Et par ce sui telement atirés
Que mon coer est entirement tirés
En vrai désir; et tout pa^ la puissance
Et Vaccord de Beauté et de Plaisance
Qui plainnemeut en ce désir me tirent,
Dont tout mi sen-temeut el ne désirent
Que moa désir une partie sente
De ce {jprant bien que Beauté li présente-
Et pour ce que cesie roe première
A de fnpu^oir ordcnance et manière
15^ POÉSIES
Par la vjsrtu dou pois que le plonc donne ^
Dont^ selonc ce, elle dou tout s'ordonne;
Le plonc le tire^ et elle à li ^npance.
Et pour ce quelle iroit sans ordenance^
Et trop hastie^ementj et sans mesure^
Scelle navoit qui de sa desmesure
Le destournast et le rar^ésurast^
Et de sion droit rieule le droiturast;
• Pour cejfu , par droit art ordonnée ,
Une rœ seconde et adjouslée,
Qui le retarde, et qui lé/ait mpuuoir
Par ordenance et par mesure voir.
Par la vertu doufoliot au^si.
Qui continu-elment le moet ensi^
Une heure à destre^ et puis Vautre à senestre.
Ne il ^a doit ne poet à repos estre.
Car par Ji est ceste roe gardée
Et pqr vraie mesure retardée.
Selonc Testât de lamoureuse vie,
*
Ceste rpe seconde segfnefie
Très proprement Attemprance, et par droil.
Car s'Attemprance en cesti fait n'ouvroit,
Désirs, qui est tous enflammés d4irdnre^
S'esmoureroît sans rieule et sans mesure,
Et sans manière, impétueusement,
Et sans avis, moult furieusement;
Ne il n'auroit chose qui li fust belle.
Et pour ce voelt bonne amour et lof elle
Que cils désirs soit à point refrénés
Par Attemprance, et si bien ordenés.
t^E JEAN FROISSABT. 1 5 1
Que par raison è l'amant ne mesviegfne.
Pour ce fault-il que Paonrs y sunrieg[ne^
Car Paours est le folio t d'Amours
Qui à Tamant fait attemprer les mours,
£t son.desir mouvoir par tel mesure
Que nuls ne voie en son fait mespresure.
Car aultrement il porroit ou dangfier
De Malebouche eschéir de \eg\er.
Et resvillier Dangier et Jalousie,
Qui sont contraire à toute courtoisie?
Et héent par leur nature envieuse
Toute personne honnourable et joieuse,
Et par especial trop ont d'envie
Sus ceuls qui sont de Tamoureuse vie.
Dont est Paours à lamant nécessaire.
Car elle fait attemprer son afaire^ •
Et le nourist en cremeur d'entreprendre
Chose dont nuls ne le peuist reprendre;
Car tout ensi que le foltot branle^
Doit coers loyaus estre tous-jours en branle >
Et reg'arder» puis dvant, puis arrière,
Qu'on ne se puis! cognobtre à sa manière
Ne percevoir à quoi il pense et vise.
Briefutent Paours, qui ses vertus devise.
Fait à l'amant maint bel et bon servisce ,
Car par son fait sont esquieuvé li visce.
Et mis avant, par vertu noble et grande,
Meurs de tel pris qu'Attemprance demande.
Il est bien voirs, ma douce dame chière
Qu'il me convient monstrer toute tel cière
I3!> POÉSIES
Comme le doit faire uns homs esbahis;
Car Yostre garant iieauté a mon coer mis
En un désir qui nuit et jonr m'esveille.
Mes cils désirs ardamment me traveille.
Car la beauté de vous me représente;
Et Plaisance, qui m'est toujours présente.
En fait aussi gprandement son devoir.
Or ne sçai pas où confort puisse avoir
Ne remède de mon cruel martire;
Car vo beauté mon désir sî fort tire»
Et le fait si «louvoir sans ordennancc^
Que se Paours n'estoit et Attemprance,
Le fort désir qui me bruist et art
Se mouveroit sans mesure et sans art.
Mes Attemprançe et Paour autressi
Le reiiennent, ou vieille ou non. Ebsî
Sui deiirés et par tel^ manière
Sans nul arrest^piiis. avant, puis arrière.
Qu'à painne sçai cognoislre que je voeil;
Car dessins vous tirent foul-dis mi œil
Qui s'enflament si de vosdouls regfars^
Que Désirs voelt que quant je vous regars ^
A quele fin que soit^ que je vous die
Apertement toute ma maladie;
Et quant j'en sui auques près à la voie,
Adont Paours Attemprance m'envoie
Qui me semont trop bien del aviser.
Lors me convient couvertement , viser,
Et regarder à senestre et à destre,
Que Malebouehe entour moi ne puist estre.
DE JEAN FROISSART. 133
Ënsi Paours me tient en grant soiissi.
Mes savés vous de quoi je me soussi
De ce quon dist, oubifê ne Tai mie,
Que coars homs n aura ja belle amie.
M^fts sans faille, dame, ma coardise
Ne me vient point de mal ne de faintise,
Fors que de très parfette loyaoté
Que bonne amour a en mon cœr enté.
Car se j avoie en moi un hardement
Qui me fesist mouvoir trop radement,
Il me poroit bien faire tel contraire
Qu'il me fieroit vostre g^rasee retraire;
Et si seroit presumptions très grande;
Ce n est pas ce qii*Attemprance demande.
Pour ce vodrai le droit moyen tenir,
Afin que puisse à vo grasce avenir, *
Car elle m'est grandement nécessaire.
Si mai plus chi^r souffrir et à point taire
Que fols cuidiers me face faire ou dire
Chose qui soit présumée à mesdire;
Car lors seroie à tousjôurs^mès perdus,
Se vous, dame, fjm portés les vertus
De moi gparii* ^ me debontiés arrière»
Et refusiés par ma foie manière.
Et d'autre part vos éscondis tant double
Que ce me met en une trop grant double ;
Car s'escondîs diversement estoie
\vec toul ce que PaoUrs me cliastoie
Ce me seroit un si très garant contraire,
Que plus vers vous ne mV>sctoie fraire;
134 POÉSIES
Dont je sçai bien qu en péril mon temps use ,
Se vos frans coers, ma idame, ne m'escuse.
Mes si gentil et 3i humain le sçai
Que se je puis venir jusqu'à lassai
Et vous monstrer mon de$ir et m'en tente
Vpus vous tendues de moi assés contente;
Car vos gprans sens cog^nistera tr^s bien
Quen mon désir n'a quonnour et tout Lien;
Pt s'Attemprance à la foi le i?etarde,
Par la vertu de Paour qui le garde.
Ce n'est qii^e pour e^quieuver Malebouche
Qui dou bon tenips d's^utr^i se plaint et grouce.
Si vous suppli, ma dame, qu'en çeste oevre
Vous m*escusésj se rudement g' y oevre;
Mè^ Ppiir Iç roieqlz à mon popir m*ordonne,
Selon le droit que li Orloges donpe,
A qui me sui proprement comparés;
Car mon désir qui est très bien parés,
De la roe première de |*OrlQge
Est atten^prés; et tant bien dire en o-ge»
Par la vertu de la seconde roe
Qui nommée est Attemprance, et qui roe
Sagement, car le foliot le garde
Qui de Paour monstre, la droite garde.
Apres affieri c^ptirle^ dou Djçal;
^t ce Djal est la rœ journal
Quî^ en un four naturel seulement ,
Se moet et fait un tour precisemen^y
Ensi que le sofeil/ait un seul tour
Entoiir lai terre çn Hn naturel jour.
DE JEAN FROtSSABT. 1 55
lEn ce Djral^ dont grans est li mérites^
Sont les heures vint et quatre descrtles;
Pour ce porte-il vint et quatre brochetcs
Qui font sonner les petites clochetes.
Car elles font la destente destendre ^
Qui la rœ chantorefait estendre
Et li mouvoir très ordonnéement
Vour les heures monstrer plus clerement.
Et cils Dyavis aussi se tourne et rœ^
Par le vertu de celle mère roe
Dont je vous ai la propriété dit ,
jiVajdedlunfwselet petit
Qui vient de Vun à F autre sans moyen;
Ensi se moet rieuléement et bien.
Qui bien à droit ceste chose èdefie,
La rpe dou Dyal si segtiefie
Très proprement en amer doulc penser.
Mieulz ne le puis mettre ne compasser,
.Car coers qui aime et qui désire fort
Ne poet avoir plus gracieus confort,
fJe li est vis, ne biens qui tant li vaille ,
Que de penser à ses dmours sans faille
Très continu-elment et nuit et jour^
Et en faisant ensi comme un seul tour
Comment venir il. pora à s entente
Dq la chose dje quoi désirs le tempte.
Et qui vodroit bien la vérité dire,
Li jours entiers ne poroit pas souffire
Au vrai amant qui aime loyalment
A penser à s'amour souffissamnient.
156 POÉSIES
Pour ce li fault sa rihotc et son tour
Recemmencier d*usa{]fe caseun jour
Et ce Dyaly qui doulc penser fig^ure,
Se moet par lordenanee et la mesure
Que la mère rœ d amours li donne;
C'est à dire, qui bien a droit l'ordonne
Par la vertu de desir^ qui enflame
Le vrai amant de Pamoureuse flaine,
A Paide d'un Tuiselet petit.
Cils fuiselés, qui est de grant pourfit,
Est appelles en amours Pourvéance,
Qui sans moyen d'aidier l*amant s'avance;
Car quant uns coers amoufreii bien apris
Est d*amer par amoiiirs très fort espris
Et que très bien et acertes désire.
Amours, qui ne le voel( pas desconfire,
Mes li gfamir bien et soufifissammest
Dequanqu*il lî peet faire aliegfement,
A son hesoing prestement li envoie
Pourvéance , qui Padrèce et avoie
A cogfioistre quel chose il doit emprendre^
Afin que nuls ne le sace à reprendre;
Et li aprent pwur le temps à venir
Comment il se pora si maintenir
Que tout son fait en bon estât soiistiegfne,
Par quoi de nutte riens ne li mesvieg-ne^
Aips ait Pavis si prest et si sénr
Qu'en tons ses fèson le voie méur,
Soit en aler, venir, parler ou taire
Sclone Pestât qui li est neccessaire.
DE JEAN FBOISSAnT. 137
Pourvéance qui esl en lousseiis preste
Au vrai amanl un si très garant bien preste
Qu'il n'ose roi t penser ne souhèdier
€e dont se voit à son besoin{v aidirr.
Et ensi Pour-véanee, sans moyen,
Qui a Pâmant est {jrant g-rasce et garant bien,
Souffisamment le pourvoit en son fet,
Et esmovoir son eorag'e li (^t
De penser si très continuelmenl
A sa besong^e^ et si song^neusement
Qu'autre soing n a^, fors que tou( dis li dui^r
Ce doule penser, tant douleement Pendure.
Et ce penser qui tant Pamatit conforte
Vint et quatre broquettes o lui porte ,
Qui font d'amours la destente destendre 3
C est Espérance, ainsi le voeil entendre
Pour déclarer mieulz mon intention.
Ces broquetes, dont je fai mention,
Sont Loyauté et Ferme^atiensce
Avec Perse- veralice et Dilijfensce;
Honnour y esl, Courtoisie et Larg^esce,
Et puisSecrés, Beaus-xMainlienç et Proece,
Renom et Los; ces douze si sont tclcs.
Les aultres douze aussi^ qui sont moult lieles.
Sont Doulc-Samblant, Dous-Regfart et Jonece,
Humilités, Bel-Acueil et l^cce,
Et d*autre part Delis et Seuretés
Amours, Venus, et Franchise et Pités.
Ces vint et quatre amoureuses bruqneles
Sont à Pâmant joieuses et d'oucetes
158 POÉSIES
Et li donnent d*esperante matère;
Car quant li vrais amoureas considère'
Qu'il est loyal en s*amour^ et àera,
Et pacient, et qu il persévéra
A son pooir très dilig^entement,
Et se vodra très honnourablemenf
Ëstre courtois, largues et bien celans,'
Et si sera, s* il péet? preus et vaillant
Tant qu'il ara bon renbn et bon los;
S'il se sent tels^ devant tous dire Tos,
Il ne se doit pas doubter, par raison>
Qu*il n ait merci en aucune saison.
Ensi se fourme en son coer espérance;
Et quant il r'a d'autre part cognissance,
Et qu'il perçoit que sa dame honnourable
A doulc semblant et régart amiable^
Et se le troeve aussi ^ quant il s'avance
De bel accoeil et de belle accoin tance,
Et qu'envers vous vôlentiera s'umeUe>
Et s'est aussi jone , joieuse et lie»
Il doit penser et croire, sans doubtance,
4
Qii'Amours y a grant part et grant puissance,*
Et qu'assés tos elle seroit encline
A bien amer, lors que par sa doctrine
Amours k ce le feroit esmouvorr,
Et qiie Venus li feroit concevoir
Que la vie est delitable et sëure;
Qu'il a ami de manière méurev
Sage et celant, et si bien aviâé
Gomme il vous est ci devant devisé.
ttE JEAN CrOISSAR^ lâîf
Lors li doit si s'espérance doubler
Que nuls ne puis! son coragpe tourbler.
Ënsi dont font, eom vous povés entend re^»
En coer d*aQiant espérance descendre;
Car se le vrai amant ne concevoit
En sa pensée ^ et aussi s'il n*avoit
Espérance et imag^ination
De parvenir à la conclusion
A son-«ntente et à ce qu'il désire ,
Les heures a-moureuses, au voir dire,
Ne poroïent sonner souffisamment, .
Ensi qu'il apertient, et que briefmént
11 voui$ sera a déclairié ci itprès;
Car croire doit amans, par mos exprès,
Que tout son fait assés petit vaudroil.
Puisqu*espérance au besoin j li faudroit,
Quand je regarc, ma dame, de quel parf
rCe doulc regpart se moet et se départ
Qui ne me lait, ne pour gain ne pour perte,
Amour^ qui est la merci soie à perte^
Me monstre nuit et jour apertemeht
Que ce pen3er prent son département
D'un vrai désir amoui'eus qu'il m^'envoie
Plusieurs assaus. Dont, s'avoec moi n'avoié
Un doue penser qui m'ayde et èotiforte
Moult me seroit ma penitance forte;
Car ce désir qui asprement s'avance
A dessus ittoi grant part et gi*ant puissance,*
Et me convient que là où il me tire.
Au mieulsque pub comparer mon martire^
ICO POÉSIES
Mes trop seroit pour moi crueuls et fors j
S*un doulc penser^ qui est tous mes confors,
Ucmoi aidicr ne faisoit son devoir;
Dont je len doi assés bon g^ré scavoir.
Dont il n'est biens, dame, qui tant me vaille
Que de penser à tous tous jours, sans faille.
Ce dôule penser^ qui m est de g'rant proufit,
Un jour entier mie ne me souffist^
A toute heure reeommencier le voeil ,
Pour le plaisant délit que je recoeil;
Car quant je pense à vostregrant beauté,
Dont nature a mis en vous tel plenté
Qu'on en poroit les aultres embellir.
Nuls ne me poet en doule penser tollir;
Ains prent en moi ordenance si vraie
Que nuit et jour ^ sans point eesser, lassaie^
Et si ne fait en moi ensi q'un tour$
Mes tant en plaist lordenanee et l'atour
Que, par souhet, je he poroie avoir
Bien qui vausist celi, au dire voir*
Avec tout ee, ma dame, je sçai bien>
Se n*estoit Pour*véance, sans moyen.
Qui mon penser reconforte et conseille ^
Quand désirs de mouvoir fort s'appareille y
Trop auroïe de mauls à endurer,
Ne je ne m'o-seroie aventurer
De poursievir emprise si hautatnne
Que j'ai emprise c'est bien chose eêrtainne;
Et pour ce m'est ^pandement nécessaire
Pourvéance^ sang moyen ^ à quoi faire
l^E JEiff P1I018SAAT. 161
i)6 ponrvéir un coer et coilCorteiv
Selonc les mauls Qu'elle li voit porleri
Elle cognoist moult bien qn'îl me besotagfne^
Et pour ee voelt entéttdi^e à .ma Ueaong*ne
Et moi garnir de ce cpii tètëst mêsiiton.
Sa gam'botkrefôiije rolenlters^
Car elle m'ert [faisans et delitable
Et à ma ne-eeislté pourfifaUe^
Elle me me&eni une cdatîimey
C'est d*un penser^ MqiieLjeeonlinUe
Très liement> et si SQiignei^èiAentv
Qu'aillcufi^s ne puis isntendpe nullement
Ne ne Toeilj car gi pcent si granl déport
Que nuit et jour n'ar Ueil s'il ne lapert.
Ne n'aurai je, ne aussi onqu^es n'oi;
C'est mon sehs et tout motf esbanoi.
El de noMit pas en moi jb^ se foufme
Ce doale penser qui-aaîfemetfit menfourme^
Cai" il eogneist mmi oeei^ 6t mon èoragOt
Quels* jar esté el sfc^i mon éage^
Car je vons jur Mm bien et ma santé
Vostre serrant TOètl estré eu loyauté»
Et eu totti cas je serai .paseietts »
t^erseverans et très. bien diligens^
BonnoilF sieiirari' car elle est moulf prisie.
Et loylMKlé^ lai^keoe et eour toisâe )
Et si serai sécrés^ et bien'icelans;
Et pour prœèe aèlfiieitoe traitëiUans ,•
Tant que benf lue et bta ifienbub aurai.
A mon poeii^ em» me malntenrai
Faoï^SAftT. T. xri. . II '
162 POÉSIES
Tout dis en mieàU) ensî vous jur, ma dotne.
Et c'est Jiien drois que tek soie» par m'ame!
Car doulc |ienser nvit et jour me présente
Les biens devons^ o'éstbien drois que m'assente
A vous atner., bbéir et servir.
Ce m'esjoist, daihie, quant jepim vir
) Vo doulc samblant; courtois etamiaUe,
Vo doulc regard; biimaxn et faonnourable,
Vo bel accueil et vo friobe jenece, •
L'umiitté de voas et la heee,
Car gi côBcdi d'eqKeranee matère.
Et quant lés gratis vei^us je considère
Dont vos gent corps ë^t parés plainnement
Espérance me confort telément»
Qu'en moi tram[et ptfn^véance sésure^
Qui nuit et jour liemeint m asséure
Qu'en si franc eoer> dame, que vous portés
^ Doit bien manoir et franchise et pités.
Je ne sauroie où ailkmrs mereiquerrei
Mes je ne sûi.pas dignésrdou coiiquerre.
E( nom-pour-^quant sçai-je Ineti le.veloir,
Voires selonc lé mien petit pctoir^
Que, pour souffrir pi^imaes et nmuls aisés ^
De vous amer ne serai jk lassés^
Car doulc penser qui continuelment '.
Me moet le coer^'me^nne'fiitâlmmt.
Par le confort ^e beime pourvéanee» *
En tout mon fait matière' jft'espérance.
Tout ensi que le Dy»! a 'manière
De li tourner par la roe première,
. • . . . ; I
DE JBAÏï PROlSSARt. 163
Car dou droit tour naturel qu'elle tourne
La roe de Désir à ce la tourne ^
A Tayde d'un petit fuiselet
Qui nullement ne le fault ne le let;
Tout ensi Pour-véançe, sans moyen,
Ne me poroit fallir pour nulle rien.
Apres ajffiert dire quel chose il loge
En la tierce partie de tOrloge;
C^est le dertain mous^ment qui ordonfie^
La sonnerie^ ensi qu^elle se sonne.
Or Jouit saçoir comment elle se fait*
Par deus roes ceste œyre se parfait.
Si porte o lij ceste première roe^
Un contre pois parqaoi elle se roe
Et qui le fait mouvoir, selon m'entente^
Lors que levée est à point la destente;
Et la seconde et la rœ chantore,
■ •
' Ceste a une ordenance très notore
Que Satmchier les élochetes petites
Dont mut et four les heures dessus dittes
Sont sonnées^ soit estes, soitjr vers,
Ensi quil apertient par chans divers.
Apres a£&ert dire quel chose il loge
Et quel chose la sonnerie prueve;
Tant qu'en, amours, selonc m*ententioh,
Elle est de ffrani signification;
Et poet moult bien, cest^^ roe première.
Qui d*amours est la'sonnwie entière,
Très proprement estre en ap90|u4rs^nammée
Discrétion, qui pLut est renommée; . " / '
II*
164 POÉSIES
Et celle fait, pdr droit rieule tnouToir,
Et par point la roè ehantoré roir,
Qui Doulc-Parler proprement sejpiefle,
Selonc Testât de Tamoûretise vie;
Par la vertu du confrepoiâ aa$sl
Qui Hardemens doit estre appcfllés ci ;
Car quant nns coers d*amoareu9e ordeiianee
Conçoit en Ini m atère d'espérance,
Et a très botine imag-tnatioti
De parvetiir à son etitentioti,
Selonc 1 estât et rordetiance entière
Dont ci devant est ditte la itiàiiière,
Lors prent en soi Hardement qai éâveillé
Le Doulc-Parler, qui lé coer esmerveîlfe
Soubtievement; car Bardemeds commande
A laniànt qu'il ponrsievû sa demanda,
Et qu'à sa dama, segfneBe et quMl dié
Apertemchit toute fta mflisrdte;
Et tout sfm fait, et ^an estât entier.
Dont il se èettï à tN>ftne amotir rentier^
Parquoi oir et rey^voir le vieille
A sa merci , et qu'en gtè le i^eedetHe.
Dont est forment Gbi'dement ncfccessaire
Au vrai muant ^ et ftfoult en à àfaii^
A poursietlr le^ proiéés de s'amour,.
Ou il li fault mairttati^et ttiaiiit tour.
Bt pour e^ ^u'il ati^ ne passe point
La niesure de raison, fiô^ ^ poiitt,
Il li convient 9 par bonne ententioii, ',
Mettre en son taëv fcrut» diacre tibn
DE JEAN FfiOISSART. 163
Par quoi il puisse faire par rieule alcr
Séurement l'oevre de Doolc-Parler.
Sans ce ne poet sag^ement de^couvrir
Ce qu il li fault, ne s^g^emeat ouvrir,
Bnsi qu'il a«pertient et qtie requiert
L'estat d*aniour^, tout tel que Vamant quiert.
Et quand Discrelioni^ à cq l'ordonne,
Lors Doulc-Penser ^ ^a droite heure sonne ,
Et divers chs^ns amoureusement chante x
Des quel ii troeve en soi plus de soissante.
Une heure en la presensee de sa dame
Chante comment U e^t soiispris> sus s'ame;
Si qu*il convient qu'à contenanee faille;
Et puis Amours une £^ult re heur(B li haiUe*
Tout seul à lui méisnies ses proyàres
Chante, et ordonne en diverses manières;
Et puis moult bien li avient uneaultre heure,
Quant Doulc-Parler pour $oi aidier labeure
Que, pour sa dame e^mouvoir à pité.
Ses requestes plainnes d'umilité
Ordonne, et dist au mieulz qu'il scet et poet,
Ensi que cils qui gprasce acquerre vset;
Et Tautre heure, sans ce c'oii le coqfort,
Chante chançons de très Joieus confort
Et de très garant cônsolatioa voir 9
Et l'aultre heure ne pora el moi^volr»
Fors chanter chans tous g'arui^ de tristrece
Plains de soussis et tous vuis de liece,
Et complaintes vives et dole^eu^s,
Souspirs, reg^rès, m^tères lang^uereusesi
1
ICfî POÉSIES
Tout selonc ce que son sentement oevre ,
Et que le droit procès de s 'amour roevre
En rostre nom, ma dame, à qui tout donne,
Discrétion présentement m'ordonne
A. esmouvoir, qui bellement vous*die
En quel point poet estre ma maladie;
Et toutes fol^, qnoi que j aie à souffrir,
Ne sçai comment porai ma bouche ouvrir
De vous monstref mon désir et m*entente;
Car pluiseurs fois m'avés esté présente.
Onques je n'oc puissance de mouvoir
ParoUe, dont vous peuissiés savoir
Entièrement comment Amours me mainne.
Mes je vous scai si sage et si humainnc,
Si avisée et si très débonnaire, '
Que ne medoi ne ne m'ose plus taire;
Car Hardemens le voelt qui à soi tire.
Tout mon coragfe, et me se et m6ult bien dire^
u Ta vie g\si en moult belle aventure,
»Car ta dame est si douce créature^
»Que tu ne dois pas estre donbtieus
))De li ihonstrer comment son corps gpentieus
»Te tire et trait en painne et en soussi »
Et quant à ce Hardemens me moet si,
Mo vodrai très bonnement avancier,
Car il m'est vis que, se je puis lancier
Un doulc parler, et je vous troeve en point.
Ma besongfne en sera en millour point
Dont, pour ouvrir une grant quantité
Pe mes secrés, et savoir s'en pité
D£ JEAPi FROISSART. 167
Je serai jà reoéus de vous, damer
Se{pii*ement vous jure corps et ame
Q»^en tous cas aï très gvBtaie afTection
Qu'en moo ooer ait tele discreticm
<}ae ma parolle en gré suit recéue ;
Car s'elle esloit eU' noncaloir cbéue
Par ce point. que vous n en féissiés oom pie
Pour le dolent, perdu homme ma conte
Qui nuit et jour vit pour vous en garant painne.
Peu se covnpi^t qui n'asaye tel [lainne,
Car en si grant fresel me truis une heure,
Sitos qu*4mours Tardant désir m'aheure.
Qui la beauté de vous me represekite
Et les grans biens dont vous n'estes exente,
Que je ne sçaî oomment je me maiutienjj^ne.
Il n'est estas d*amours que ne souslteg-ne.
Dont frois, dont chaùs diversement me muer
Mon coer tressant, et vole> et se remùOi*
Apertement de lui enlrechafigier.-
Ne le convient pas estre en grant dangier.
Pour vostre amour sui si attains, susm ai|i^ !
Que ne me scai comment conseilM^'^ft^^nif*
Quanque je voi une heure, bien jne plest^ ,
Et puis tantosoe.que voi me desplesL . .
Une heure voeilrjç estre en compagnie,
L'autre le fui» avoir ne le voeil wq*.
■
Ain> sui mouLt lie quant je .me trufçve scuU,
Parqaoi.mes plains tristes et angoissons .
Puisse à par moi dire et ramentevoir.
Là de plitrerfai-je a^és i^on devoir j
169 rotisiBs
Le temps repenc où me sui embatqsw
Et quant assés je pie snl 4^aLto,
Et que sus moi n a i^ng*) ne nerf, ne vainne.
Qui ne soit tout afoibli de ia painiie,
Amours qui Toet qa*nn p^u ait d^alig^ance
Mon gprand traTel> me remet espérance
Par devant moi, et celle assés in'aye;
Mes assés peu dure son envaf e;
Voires s'^lie ne me prent et esgaie
En une heure lie joieuse et gaie.
Et lors reçoi de vuis solas sans nombre.
Et non-pour-quant pour très bons je les nombre;
Car mon dur temps m'aydent à passer ^
Et les dolours que port à desmasser.
Mes je n'en sçai ne puis tant mettre en pevre
Quegrant foison tout dis en moi n'en troere.
En ee penser et en celle rihoîe
Fai maint souspir, maint plaint el mainte note
Où il n'i a gairfes de mélodie,
Ne sçai à qni ^}ve ma mala4ie.
Fdrs seul à vous» ma dame soayeratnne.
Je sçai de voir que j^ai empris grant painne,
Car je ne sui del avenir pasdignei
A si grant bien que vous ^ mes par les signes
Des douls regars que j'ai en vdus véus,
Sui-je ou droit rieule amoureus enehéus.
Là me tendrai, à qnele Gn qu*^n Tiengne^
Mes je vous pri que de moi vous souvi^iigne»
Et que pités en vo franc céer s^acer^
Tant que de moi un petit se recordoA <
DE JEAN FBQISSART. 169
Que de vous aiie aiiisn)i.iiliegiDiiieut,
Car mon coer est vostre tQ\i\ lic^emenl .
Et SI souCfréSt m» àQjJ4i^ ibme gsàe ,
Que doiUc ^q^er, qu^ nif\\ çt JQiu*me paie,
Et ram^AtoU f)3per$mçp à toi^Je benro »
Sa gpra^e en yoîr e^ $QP coufqrt ^veure;
Car s'autrement se poptoit ma querelle,
Trop me «eroit m'aventure rebelle
Que j V topu et tieuc à éureuso^
Depuis ifu'emprîs ai la pris^ amoureuse
De yous servir , obéir et crem^r »
Qnaut à fie pense, assés mp bit frémir
Et ^I|ahir, oar je if q sgai re^airç
A quele fin ee^t^ oeuvre, vo^ra traire.
Et UQu-ppup-qiiiant j'ai bien la cognissance
Que vous ayés sus moi tant de puissance
Qu'il ipe convieiit yo doulc plaisir attendre;
fij s'm\ petit Yoliés m^ yi^ entendre,
(Comment je Y^\ maintenu longe espa^se»
Vous mfi f^ri^ grant a^piiosne getrjfnt grasce,
C'est qu^ désirs w\i e^ jour m'appareill^
Maint çnapt i^s^ft^Ui Qr p'aî qui me couseUle.
Dontç'i^t pppr n^oi que moult dure ehose,
Ca,r de jçpon fai^ païf 1er j e ne vous ose ,
Ne vpus n^qqstrc^f eomo^i^t je ^ui tQHt di^i
Car je 4w)>tesi fort vo^ çseoçfli^.
Et les ppriU qui ^ont do i\{alebpucbe ,
Que trop n^'esi|iai que je ne vous com'ouce i
Et ce uf» so pQro^. faire à i^til fpei;
Que je yosisîse errer cantre ninn coer
170 POÉSIES
Qui à tout ce &'acorde liemeiil
De vous servir, si entérinement
Que je porai en tous estas, ma dame,
Mes ce désir qui telemeiit tn^enflame,
Dont il convient que nuit et jour langfuisse.
Ordonnés que vos frans coers i*adoucissc,
Par quoi il soit i^n petit resjôis;
Car c'est bien voirs, se je né suis oys
Des grans dolours dont bonne amours me oarge
Plus que |iorfer ne puis ai-je de carg^e;
Que conquerriés, dame» s'en vo servisce
Martire et mort en langpuissant persisse :
Et pour moi mettre en un peu d'alig'ance
Vous me donriés de biens tele habondanoe
Qu'à toujours mes il m'en seroitle miens,
En quel estât que fuisse, et en quels lieus?
No pensés jà, que foiblement vous àimme,
Ne que sans faiti*omme martir me claimitiey
Certes nennil, ains en soustien cens tans ;
Dont dou monstrer ne puis venir à tem})Sy
Et en cuïsse assésbien le loisir.
Et vous povés tout clerenieht cuesir,
Quant j*ai l'éur que d'estre eri vo présent,
De quels parlers vous Fai monstre et présent.
Ensi me tais que dont que pas n'i fuisse.
Et pensés vous que là parler je puisse ?
Nefinil; car vo beauté si fôi^t më loie
Langfagpe et coer, qné se parler volôle
!Se n'en est-il noient en ma puissance.
Cvm pliis v(ms voi, et plus a d'acroissance
DE JEAIV FROISSART. I7I
La bonne amour dont de moi amée estes.
Soit en requoi, en chambre et en festes,
Riens ne me poét plaire ne resjoir
Se ne vous puis ou véoir ou oyr.
Or ne poet-il pas tout dis ensi esfre
Que je vous oie ou voie à la feuestre,
Ne hors, ne éus^ esbatre alanit vo corps.
Dont c'est bien drois, dame^ que je recors
Comment je sui démenés ou termine
Que don souffrir Amours me détermine,
Se ce n^estoit pour vostre paix gfarder^
Dont il me fault à ce bien reg-arder.
A un anoi que j'ai, cent en auroie ;
Ne je ne sçai comment porter poroie
Les gprans assaus qu*il me convient souffrir;
Car Doulc-Penser se vient souvent offrir
A moi, qui, nuit et jour, me représente
Les biens de vous ; c'est dcois que je les sente .
Et Désirs voelt, à que le fin qu'en isse,
Que de parier à vous je m'enhardisse.
Et se je n'ai tamps né lieu ne espasse,
Si voelt Désirs que devant vous je passe; j
Et me semble que, se m'aviés véu
Que tout mi mal seroïént co^néu.
En ce fresel et en celle rifiote
Fai maint souspir, ni^int plaint et maint note
Qni ne sont pas de sônk melodieus,
Mesattemprès de ciians mriladieus;
Car quoi qu'à ce se regfardo attemprance,
Par le conseil de bonne Pourvéance,
t
173 POItsips
Si meconstraint si désirs sus une heure
Que sans ppnibre trop plus de mauls sjiveuro
Que je ne fai de joie et de repos.
Quel tamps qu'il soit, o|i(|ue je ne repQS
Ne nuit ne jour, pe heure ne minimp \
Car bonne anvour le çofiv si fort me lime,
En pens^pt à vo^tre txvê {^rant beauté,
Que cil pepser m'ont plulspurs foii maté,
Teleinent qu'il n^roit d^dao^mQtt fait
Ckimmenpoment, ne inoyepi ne parfait h
Et bien souvent ne s^yoie où j'estPÎe'^
Mes tous pensieu3 f^t teu^ mas m'arrestoie,
Car pluisçurs fol^iuP ^uU moult repentis
De ce qu'envi m'estqïe départis ,
Ppiir oe qu'i-çnor^mqiept, ce me sauibloit ,
Mon cger^ qui de paQqr trc^tous trambloit,
S'erl cqnt^nt^s vers vous aius mou d?pi|rt^
6t de mon fs^it pas la ceutimis part
N'avoie dit. Qpnt, ^^ moi re^rdaut»
Je m*eu tenoie a3$0^ à igupraut.
Or ai mon coer de ce mpolt ^utech^é.
Dont, se ç'^ai aucqueuneut pecbié.
Certes, ce n'est ue ppur m^I Tie pour visce
Qui soit en moi p^vrepféant aer visce ^
Ce n'est que fkv £^uUg d? hardem^^t
. pt par amours, dont^uf si ardemi^^pn^
flspris de vous, mpjicojçreQ tout donner.
Que ce mesfet me dev/^^ pardouu^f
Car volontiers, se le, ppoïe Ëiire,
Vous diroïe mon coer 6t mon afaire
M JEAN FRÔISSARt. 1^*
Tout émi que Desi^â lé me çommalide.
Et si m*est môiilt de tiécësiilé g^rande
Toutefois, dame, qud je Ife tcftiâdife
l^ôur àleg'ier toute Ma thaTadië;
Car d'ensî vïvi^ en pàinne et en débat j
Dont boniïe amoui* nie toui^ménte èf debaf ,
II n*est nuls eoersqùi porterie socvist^
Ne qui jà joie en celle vie èvîst.
Si le vous di» ma damé, à cèlfe tih,
En sujipliant d^ehterin eoei^ et âti,
Que la dolour qiie j'ai lone tempà g'ardée
Soit en pité de par vous.regpardéé;
Car bien est tempsi . mais qu il vous pfâisè ensi ^!
Qiie recéûs de vous soie k merci.
Non que le vaille ou que le doyés faire;
De ce cuidiei^ me voeil-je moult bien taire;
Mes deulenlent poui* ce que, sans séjour.
Pense mon coer tout dis et nuit ctt Jour
A vous amer loyalment) côih vos sers,
Et obéir. Dont^ s^en ce riens aessers^
Les gnei^redons m en soïent remeri;
Cat quant Désirs premiers mon coel*fériy
Par la vertu de vostregrant beauté,
Depuis n*a heure, en y ver n en esté,
Que Doulc- Penser, qui porte les broquetes,
N ait fait sonner en mon coer les clochetea
lie divers chans et de diverses notes ,
Les uns joieus, les aulfres de rihotes,
Ensi se continuent et esbatent,
A ce que nuit et jour le coér me bâtent]
174 POÉSIES
Et ce me fauU souffrir, comitieut qu'il aille;
Mes je vous prii[ue ma painne me vaille;
Car je reçoi en bonne pascieni^
Tout ce qu*il plest Amours ordonner en ce«
Et pour ce çue ti Orloge ne poet
yiler de soi\ ne noient ne se moet^
Se il ri a qui le garde et qui en songne^
Pour ce ilfault à sa propre besongne
Un orlogier avoir j qui tart et tempre
Diligammentraministre et attempre.
Les pions relies^e et met à leur devoir ^
Ensiles fait rieuléement mouvoir]
Et les roes a modère et ordonne ^
Et de sonner ordenance lor donne.
Encores met li. orlogier s à point
Lefoliotyquine se cesse point y
Le fuiselet et toutes les brochetes^
Et la roe qui toutes les clochetes
Dont les heures y qui ens ou Djral sontj
De sonner très certainne ordenance ont^
Mes que levée à point soit desien. •
Encore fjoei moult bien^ selonc m entente <f
Li orlogiers^ quand il en a loisir^
Toutesdesjois quil li vient à plaisir
f*aire sonner tes clochettes petites
Sans derieuler les heures dessus dites, .
Selonc Testât dont j*ai parlé primiérsi .
Souvenirs doit estre li orlog'iers \
Car Souvenirs qui ens ou coer s*enfrume,
Toutes les fois qu'il li plais t^ il desfrume
DE JEAN FBOISSiRT. 173
La doalc penaerqui les broquetes porter
En quoi le vrai aoiant meult se déporte,
Il y en a jusqoes à .vint et quatre.
Quant Souvenirs. y faitTaniant embatre,
Joi^ et. coij^fort son espérance doublent,
Ne nul soussî Jie anoi ne le lourbleiit;
Ains fait ses cbans d'ordenance amoureuse $
Car taAt li est sa pensée joieuse
Pour lés vertus quî.spnt.de noble afaire,
Que cils penser» li poet moult de biens faire;
Dont Souvenir 1^. «donne rs^membrance)
Car lors eo^oist sçs^fès de branche, en branche.
Et li remet par usagée au!»de vaut ,
Ce q^i 11 est plafsant et avenant;
Et se li fait aussi ramentevoir
Que en amer le potprimiers, mouyop.
Lors la beauté de sa dsiine figur|e>
Son sens, son biep» et sa 4^iice figpi|re ; ,
En ce désir amoureus p^csevere. .
Et nuit et jour liement ci^nsldere .,
De sa vie Testât tr<eslpuib eiitirv
Neb , ,se d'cûner se yçjoij rep .ejg^t ir ♦ . , : , .
Se 1^ p4iet-il, car Souvenir le jwinl, ^
QqV Jli I remet sa besong^e ei^ boi^ p^in t ;
Desii; premiers» Be^uté^ et pu'is Plaisance»
Secondcmient; Paonr el A jitefipraAce *
El aussi Pour-vé^fiço sans moyen.
Et Doulc-Penser qui li fait n^oult de bien.
Et }{» vertus qui ci. dessus sont dittes
Par ^uye^iir. sont en son coer escrîptes^
1^6 fOisiÉà
Ne il ii*i a chose fsinf doit peHte,
Qui gt^nàeitieni à Yàttt:int ùé prtAiÛt&i '
Et s*il avtent que, t^r aiircttiië tMë, '
Le 4ioet d'àiAant ÉrûAèMeilt tfè f6(^ô7é,
Et qu'il soit mis èfcfâi qdé Ii'chrs dïdà /'^tiféy
De quoi Amdilt^ les ^rè^ liiricmréti^ rfèiAè
Ou esloti^i de VatMHii'en^ Vlé
Par fortune^ pai" fraride dû: pàretvîét'f
S'ési Souvetiiï'â d'tiné ^cfiT'tti si hstùtè
Que, si t^estos qu'elle vôiï la Sëffànié ,
Conseil y met, HtAèndHè'é et lûé^di^è ,
Et à sdn di'ôf t fè edèr éi raiMéànfe
Qu'il ne «e poet paf Maison foùi^Vd^éi^; '
Puisqu'il Ée voelt eil so^ i4ettfe àVoy'er.
De très gmûA bied lii'àr idtijoitri/ pottriféu'
Le soiivetii^ iJu^b f sÉi dé ^bus' èù\
Ma droite^ daffné , et ittàûh lit'étf ddi^ bè^f
Pour ce le tdëlî ti^^ûeihéni skvAét^/
Car onqués tifè lAe ti éfitf èé ^i^fl '
Que je pevtésé ûtié' heure cfsfrè ^a^ Il ;
Et à la fin que ixtél ié^gtië Aritëj^
Moult a sits mbli, èrtféiilè s6îii<^ et èiW^e
Que SI à pùïhi jèHfàitètfipV&ei OfdbnM
Que je i^ecolve éû ^ ëë qu'Anlouri dîAiHlf*
Et é'ii ànënH que, pdt^ ^éuif cdM^frë;
FortuÂé éVr nul péMl^ hië VbrîA^ fi^s»^'
Ne desvof ér , jUar &àà(((^ ëf pâf ttiVîë?/
lôï^ô a?-Je iiétf lAfestitfr dé *» ày^:^^ ' * '
Mes sÂite fku«^ je 1er tV6éHtH(fA9( pt^k i '
Cafhuii ëf joùlé^6iU^d( p6tt^ nktA liri!i¥e<Hé^,
b£ JËiN l'ROlSSARt. 177
Ains me remet mon doule penser à peint.
Et quand le mai d*amer si foti me point
Qu'il me convient frémir^ comment qu'il aille
Et que souvent à contenance faille ^
Par la vertu de quoi elle mé touche^
Tant que sus moi n'a mains, ne yex, ne bouclie,
Ne membre nul qui se puisse mouvoir-,
Mes tous pensis me fault arrest avoir ^
Ne je ne sçai auquel lès commencier :
Dont ma besongné puisse en riens avancier;
Ains me cotivient estre fous esbahis;
Lors, Souvenirs, dont pas ne sui bays ,
Pour moi oster dé toute pesans cette
Très soubtilment par dedens mon cœt* 06vre,
Et m'i remet le rieule et le droit cours
Dont gfouvi^néB est U estas d* Amours.
Si sag'ement me rat^mpre et atout né ,
Que sus moi n'a Mouvement qui ne tottrne
Et que oascuns M face son devoir.
Désirs me vient premiers ramentévoir
La OTant beauté de vous, madame ^ente,
iPar ik vertu de Plaisatice que j'énté
Dedens mon coer^ et adont je désir
Que vous Éàfciéâ plainnemeiit mon désir.,
Et que mon mal éd^hiteiés et voyéâ.
Et quand je âni atHfues près avdyéê,
Et que Désirs qui Mé brnist et art
N'i voelt viser ol*denftnc5e né al-f ,
Fors que tout dis aler à Tavenlttrè,
Lors me revient Attempfanùe séure
FROISSART. T. XVI* 12
178 POÉSIES
Qui mon désir restraînt et met en voie
Rieuléement et par art le convoie,
Par la vertii de Paour , qui reg^arde
Que de mon fait nuls ne se donne g'arde.
Par ensi voi attefnpré mon corage.
Lors Doulc-Penser grandement m'encorage
De reconti-nuer tout mon afaire;
Et se -ne puis riens el nuit et jour faire
Fors que penser à vous, ma droite dame;
Mes tant y a pour moi, qu'en» eeste flame
Qui nuit et jour ardamment me traveille,
Pourvéance sans moyen me conseille,
Et les vertus que mon doulc penser porte
Pardevant moi songneusement raporte.
Et par ensi dedens mon coer se fourme
Espérance qui de tons bien m'enfoorme,
Et qui me fait souvent ouvrir la bouche;
Car si tretos que souvenir Tatoucbe,
11 me convient en diverses manières
Faire mon chant et toutes mes pryères.
En ce parti me troeve puit et jour.
Ne pensés jà, dame, que je séjour;
Nennil, car sou-venirs qui s'ensonnie
De gouvrener rieuléement ma vie
Ne lait sus moi oevre, tant soit petite,
Que dou remettre à point ne se delitte;
Et je l'en lais bonnement convenir,
Car je ne puis à bon confort venir ,
Ne moi rieuler par certainue ordenance,
Fors que par U et par sa gouvernance;
DE JEAN FROÏSSÀRT. Ï79
Car tout mon fait entirement ordonnéi
S'en regrasct Amours, quant ii me donne)
Avec les mauls qu'il me convient porter,
Cog'nissance de moi reconforter,
«
Et que tout dis, tant qu'à ceste matire ,
Au plus joieus mon coer se tret et tire*,
€ar tout ensi comme j'ai dit devant >
Je ne poroie aler non plus avant
En cel estat^ ne moi amoderer ,
Quant tous mes fès voeil bien considérer-,
Comme poroit une gprosse rivière
Venant d'amont prendre son cours arrière ^
Se ce n estoit la douce souvenande ^
Que j'ai de vous, ma dame, et la plaisance
Qui en pensant à vous me rejoist.
Et g^randqment me conforte et nouristj
Et me pourvoit de conseil ef d'àye
Que je ne crienc assaut ne envayé
Que fortune me puist donner ne faire.
Et c'est raisons; car en vo noble aEsiire,
Et en la garant discrétion de vous,
En vo maintien, qui tant est beaus et dous.
On n'i voit riens qui faee à amender;
Car vous estes sans moyen et sans per
Ceste qui est toute dame de moi.
Ensi le jurloyalment, par ma foy !
Ce n'est pas fort se vous nl'avés conquis;
Mes ce seroit pour moi uns g'rant déduis
Se reg^ardor en pité me dag^niés,
Et se mes mauls telement adag^niés
12*
1 80 POKSIfiS
Qu'ils pevbsent estre par bifeii amor
Reconforté en doulc de leur amer,
Et ^ue vo oeil 'qui tant so^Rt graeieust
De douls regars ) simples et pireeieus.
Qui si à point scevent lancier et traire,
Me vosissent un peu à euls attrairlB.
* Las et qu ai dit f quant g'i suis tous attrais,
Ne je n'en puis jamais estré retrais
Tant que li ame eus oa eorps me demeuré.
Et quand vendra d^ Dieu la saintîsitie heure,
Que de mon corps il vedra osier TamC)
Je voeil qu'il soit esciript dessus itla lame :
Que par amours amer ^ nob eiWé unies.
Se l'ai ést6^ petit amians clainés
Avec les a-moure«s dars et repose.
Et.ee sent) tant qu'à mot, mouU gft*a«d ekése
S'en le yoelt faire 'ensi que je le éi\
Car Tubulus, si com j'ai lu da U
Qui fu, VB re-commandaut li aueteur.
Uns vrès amans, aeqaist moult haulte honneur ,
Quand pour amar par amours ^ vrès tnartirs
Fraus et loyaus, moru de cper eatirs.
Moult belle en est l'eseriptura et la btile
A reoerder de la via Tulntla ;
Car Tubulils sa dame tant ama
Que polir s amaur à la mort sa pasma. •
. Ce fut pour lai «fne hannouraftle fin.
Et je le di, ma dam^, à eel)^ fin.
Selonc Testât Tutmltis et sa vre,
Quant bien pelisé ai à iliarmhladîe
DE JEAN FROISSA RT. 181
Et à mes mauls, par convîguable fei^rnie,
A la sienne moult justemei^t se four^^ ;
Et toutes fois j'en lairai oenvenip.
Tout cnsi eom il en poet avenir.
Et pour ce qu'en tinagipa lions
Est tout mon eoer et mon inteaiions, .
Imagpiné ai en moi de n^mvc},
A trop petit de joie et de reveJ,
Que je ne scai au quonde au jopr d'ui chose
Point plus proplsoe, assés bien dire l'ose,
0
Com ma vie est justement ligfurée,
Ensi qu elle est par ei-devant monstrée,
A un Orlogfe, et à la gpoavrenance
Qu'il apartient à yceste ordenance*,
Car rOrlogpe, si com j'ai dit premiers
Est de mouvoir nuit et jour coustumiers,
Ne il ne poet ne doit arrest avoir.
Se loyalement voelt faire son devoir.
Tout ensi sui gpouvernés pai* raison >
Car je qui soi la chambre et la maison
Où mis est li Orloges amoureus
Sui de mouvoir telement curieus
Que n ai ailleurs entente soingf et cure,
Ne nature riens el ne me procure,
Fors que tout dis' mouvoir sans arrester ;
Ne je ne puis une heure en paix ester
Meismement quand je sommeille et dors.
Si n'ai-je point d'arrest, qu'à vog^etit corps
Ne soit tout dis pensans mes esperis.
Et dévisse estre eus ou penser péris !
182 POËSIE!^
Se n'en poeUil ne n* est aultrement voii»^
Epsi appert que |o fsii mon devoir
Tout ensi com TOrlog^e fait le sien.
Or a en vous tant d avis et de bien
Que j'ai espoir, ensi je le appose,
Que vpus ferés, de ceste simple chose
Que j'ai à moi appropryé et mise,
Compte moult grande s*userès de franchise
Et s'en serai plus lies et plus entiers
En tous mes fès \ et il m'est g^rans mestiers
Qu'il soit ensi) et vos frans coers le voeiU.e
Qui 0Q lH>n g;ré cesti dittie recoeille.
DE JEAN FROISSART. 183
k««%x^^
V^^X^VV^/W'VV «^■vx^%x%vx%.-%*.^'*-v%^x'v<
CI sî;nsieut
LE TRETTIE DE L ESPINETTE AMOUREUSE.
Pluisbdr enfant de jone éagfe
Désirent forment le péage
D'amours payer; mes s'il savoieiit,
Ou si la cognissance avoient
Quel chose lor fault pour payer ^
Ne s'i vodroïent assayer ;
Car li paiemens est si fes
Que c'est uns trop perilleus fës.
Nom-pour-quant gracieus et çeni
SamBle-il à toutes jones gens;
Je m'i acord, bien ont raison;
Mes qtt*il le paient de saison
En temps, en lieu, de point el d eure.
Et si c'est dessous ne deseure
L'éage qu'il leur apertient,
Folie plus que sens les tient.
Mes tant qu'au fait, j escuso mieuls
Assés les Jones que les vieuls ;
Car jonece ne voelt qu'esbas*
Et amours en tous ses esbas,
Quiert ceuls trouver et soi embatre
Entre euls, pour soi et ceuls esbafre.
En mon jouTent Ions tels esLoie:
'84- POÉSIES
Que trop volontiers m'esbafoie^
Et tels que fui encor le sui;
Mes ce qui fu hier n^e^t pas hui.
Très que n'avoie que douse ans,
Estoie forment goirlousaoa
De véoir danses'et carolles,
I> oïr ménestrels et parolles
Qui saper tiennent à deduil>
Et de ma naturi^ introduit
Que d amer par amours tous ceaiils.
Qui ament et çbi^nç et o}aeai|ls^
Et quant on me mist à l'escole.
Où les i{f uorans on escole?
Il y avoit des pucellettes
Qui de mon temps èrent joneties^
Et je, qui estoie puceays,
Je les servoie d'espinceaua, '
Ou d'une pomme, ou d'uoe ppire^
Ou d'un aeul anelet de voirez
Et me sambloit , au voir «nquerre
Grant proece à leur graiç^ moquer re^
Et aussi e9*ce vraît^ment)
Je ne le di pas aultrement.
Et-lors devismQ à par roi:
Quand revendra le temps pur mi
Que par amours porai am^r.
On ne m'en doit w\ie^ bla^mer:
S!k e« ert ma nature enfliii^)
Car eu pluiisours lieus ou d^oUue
Que toute joie et toute Iiui^nQiUi'&
PE JEAN FROI^SART. 185
Yiemient et d'arqoes et d*amours.
Epsi passuîe mop jouvent;
Mes je VQU» ai biem en convent
Que pas ne le passai c«in niées;
Mes d'amer par amours tonsi riclies;
Car tant fort men plaUoit h vie
Qu'ailleurs n ert m entente ravie ,
Ne ina plaisance, nQ nion eorp»*
Enpor m'en fait bien li re^cMrt ?
Et fera, tapt ÇQnvje vivrai;
Car par ce penser mon vivre ai
Garni dune doulce peuture ; i
Et s'es^t tele m^ noariture
De garant temp$ î fuisse jà pouris
S'en oe n euisse esté nonris.
Mes le reeort et la plaisance,
Le parler et la souven^nee
Qm0 plniaQur» foin y ai eu
ivront do trop grand bien penrvén.
Nens n'avons qn un petit à vivre,
Pourtant fait bon ^\\r& un vivre
En troei,eom est don prendre en point
Qu'oii fie faiUf) à sa santé ppint,
Pour amer par ajnoiu>s , Ventens.
Mieu]U ne poet empWy^ le tems
Hom#» ee m'eut vip.* qn au bien amer;
Car qui voelt son oeer entamer
En bon moprs et en nobles tecbes,
.En tous inembro^ do gentilleces,
Ânieiu*s oât la droile racine;
Ï8fi rOÉSIKS
Et coers loyaus qui l'enr/icine
En soi, et point ne s'outre.cuide
N'i poet avoir l'entente vuide
Qu*il ne soit gpais et amou]*eus,
Et aux biens taire vertueus.
Car qui iraimme ou qui n*a amé,
Quoi qu'on ait Tomme en oe blasmé,
Jà n aura vraie cog^noissance ,
Ne en bonnes vertus puissance*
Mes les aucuns eosi opposent
Qu'il sont amé, puis qu amer osent.
Nennil, Âmourade celle part
Ne prendera jà au coer part
Qui le voelt par cuidier avoir ;
Oultre-cnidance est non savoir,
Et pour ce ne s'i doit nuls mettre
Qui d'amer se voelt entremettre.
Dont ensi, pour mieulz confremer
Le fait dont vous voeilenfourmer,
J'ai dit qu'amours est sens et vie
Qui s'i gouverne sans envie.
Ensi le croi, pour ce le pris
Tant à valour, bonnour et pris,
Que, d'exposer tout son afaire,
J'auroieg'randemettt à faire.
Nom-pour-qiiant dedens ce dittier
Mon fait tout plain et tout entier,
Qui sus Testât d'amours se trette,
La vérité en ert retrette;
Et tout pour l'amour de ma dame,
DE JEAN FROISSAIIT. 187
Que Diex gpart et de corps et d'anie !
Amours et elle m'ont apris
Bien voie de monter en pris;
Et jie je n ai pas retenu
Tout le bien dont il m'ont tenu»
A moi le blasme et non à euls,
Car gfrascés en doi rendre à ceuls
Dont proufis me vient et honnours,
C'est à ma dame et à Amours.
Moult conveg'nable en est Fusance;
Or ai-je un petit d'esciisance
De ce que lors trop jones ère
Et de trop igpnorans manière.
Et moult me trouva foible et tendre
Amours, quant si hault me fist tendre
Comme en amer; mes Tamour moie
Pe quoi lors par amours amoie
Tant qu'en enfance, pour ce fait>
Ne me portoit gpaires d'effait.
Espoir, s'il m'euist plus vlel pris,
J'euisse été trop mieuls apris ,
Et cogpneuisse mieulz son nom;
Que je ne face, et espoir non;
Car on dit: Qui voelt la saucèlle
Ployer aise, il le prent vreg^elle.
Aussi Amours me prist ou ploi
Pe mon droit jouvent pour ce ploi j
Tout ensi qn!îl me voelt ployer.
Car mieuls ne mp voeil employer.
Mes quel éag^e, au dire voir,
189 POESIES
Cuitiiés vous que (levi&se avoir
Dès lors qu^AlUQ^rs, pj^r s^ )|loi^t^res,
M'enseoça^ ses douces oiqture» ?
Jones esloîe d^ns $ts$ésu
James je ne fuisse lassés
A jucr aux jus des ^afuns
Tels qu'ils pr^^dei^t dessous doute ans;
Et premiers, par quQi j.^ w'esuuse,
Je faisoie bien une e^cluai^
En un ruissot d une tieulette î
Et puis prepdoie nne esculette
Que noer je faisoie aval \
Et s ai souvent fait en un val,
B'un rnis^ot ou d'un açoulin,
St|s deus tieulettes un moulin^
Et puis jui^ys aux papelottQs^
El ou ruisspt Uvien^ nos çoUes,
Nos chs^perons. et noa ebemî^es.
Si sont bien nos entent^^ nii$çs
A faire vpler fiv^l y wt
Une plumet; et j'ftî monU spuvent
Tami^ié en ttUfl e^gfotte
La paudvette pgrmi macptte»
Et i^pt^ie trop bon^ r^llé^
Auf^irede terre boMlléa;
Et pluîsenrs fqi^ mfi §ui f mblés
Pour foire des muses e» Wésf
El poup lea p^piUon^ fibapier
Me vesissebiPU avanpjerj
Et quant atrgiper les pooiP)
DE JEAN FROtSSART. 189
D'ati fileçon je les lioie,
Et puis si les laissoie aler
Ou je les tki^oie Voler;
Aux dés 9 aux ésciiès, et aux tables,
Et à ces giràns jus delitables^
Les jus né voloiè pas tels;
Mes de terre à faire pastels,
Bons pains, flànnes et tartelettes,
El un four de quatre tieulettes
Où je méttoiê ce meslier
Qili m'ftvoîl adonl g^rand meslier.
Et quailt ce veiioit au quaresine
J'avoie , dessous une escàme^
D^escafettes un g-raiit grenier
Dont ti^ yosisse nul denier.
Et lors, sus une relevée ,
Avec rescafetté travée,
Juoie avec ceuls de bô i^ue.
Et tout ensi qu'on hoôe et rue,
Je leurdisoie : « fiociés hault.
» Car vraiement cape tie fault. y>
Et quant là Itttie estoit serine,
Mollit bien à la pince merine
Juiens. Aussi en temps d'esté
 tels jus ai- je bien esté,
t^lus marris au département
Que ne fuisse âU commeticement.
Vis m'esloit qu on me faisoit tort
Quant <m m'avoit dou ju estort.
fui» jtiiènè à un ànltre jeu
190 POÉSIES
Qu'on dist, à la Kevve leu leu^
Et aussi au trot tôt merlot,
Et aux piereties , au havot ,
Et au piloter, ce mé samble.
Et quant nous estions ensamble^
Aux poires juiens tout courant,
Et puis au larron Êngferrant ,
Et aussi à la br imbetelle ,
Et à deux bastons qu on restelle.
Et s'ai souvent, d'un bastoncel^
Pait un cheval nommé G^isel 5
Et souvent aussi, fait avons
Hyaumes de nos chaperons;
Et mouit souvent, devant les filles ,
Nos bâtions de nos kokilles.
Aus&i en cesl avènement
Juiens nous au roy qui ne ment^
Aux bares, et à lag-nelet^
A Ostés-moi de Colinet,
A Je me plaingf qui me ferîj
Et, dedens chambre, à Tesbahi,
El aussi auxadeviniaus,
A l'avainne et aux reponniaus,
A lerbelette, et aux rbée^,
A Testoet et aux reculées.
Au mulet, au sallir plus bault.
Et à la charette-micbaut;
Puis à la coulée-belée
Qu'on fait dune caroUe léc,
Au chace-lievre,à la cling^fietle,
DE JEAN f^ROlSSARt. 191
Aussi à la sotte buirelié^
A la corne de buef au sel ,
Et au jetter encontre un pel
Ou deniers de plonc ou pieretteti.
Et se faisions fosselettes,
Là ou nous bburlions aux nois j
Qui en falloit, c'estoit anois.
De la tourpie aux araantins
M*esbatoie soirs et matins ;
Et j'ai souvent, par un busiel,
Fait voler d*aigfue un buillonciel,
Ou deux ou troîS) ou cinc ou quatre.
Au véoir me pooie esbatre^
A tels jus, et à plusassés,
Ai-je esté moult souvent lassés.
Quant un peu fui plus assag'is
Estre me convint plus sougis
Car on me fist latin aprendre;
Et se je variole au rendre
Mes liçons, j*estoie batus.
Siques , quant je fui embatus
En cogpaiss^nce et en cremeur^
Si se chang^ierent moult mi meur.
Nom-pour-quant ensus de mon mestre
Je ne pooie à repos estre,
Car aux enfans me combatoie;
J*ère batus et je batoie.
Lors estoie si desrées
Que souvent mes draps deschirés
Je m'en retournoie en maison)
/
192 POÉSIES
Là estoie iTlisà raison
El batus souvent; mes sans doubt^
On y perdoit sa painne toutes,
Car pour ce jà mains n*en féisse.
Mes que mes compagnons véisse
Passer par devant moi la voie
Escusance tos je Tavoie
Pour aler ent esbatre o euls.
Trop enuis me trouvoie seuls;
Et qui me Vosîst retenir
Se ne me pevist-on tenir ;
Car lors esfoit tels 'mes voloirs
Que plaisance m'estoit pooirs.
Mes il m*est avenu souvent,
Ce vous ai-je bien en couvent ,
Selonc ce qu'encor il me samble,
Que voloirs et pooirs ensemble,
Quoique di que tant me valoient,
A mon pourpos souvent falloient.
Mes je passoie à si garant joie
Celi temps, se Diex me resjoie!
Que tout me venoit à plaisitf*.
Et le parler, et le iaisir,
Li alers, etliestre quois ;
J'avoie le temps' à mon quois.
D*un chapelet de violettes,
Pour donner à ceâ basselettes,
Faisoie à ce dont plus f^tanà compte
Que maintenant dou don d^un conte
Qui me vaudroit vint mars d'ar^nt,
AE JEAN l^ROISSART. 1^3
J^avoie le coer lie et g^ent,
fit mon esperit si legpier
Que ne le poroie eslegier^
En ceste douce noureture
Me nouri amours et nature;
Nature me donnoit croissance >
Et amours, par sa garant puissance ^
Me faisoit à tous déduis tendre.
Jà, eusse le corps foible et tendre^
Se voloit mon coer partout esfre ;
Et espeeialment cil estre
Où a foiaoïl de violiers,
De roses et de pyoniers.
Me plaisoïent plus en reg^art
Que nulle riens, se Diex me gart!
Et quant le temps Tenoit dirers
Qui nous est appelles yvers,
Qu'il faisoil let et plouvieus,
Par quoi je ne fuisse anvieus^
A mon quois, pour esbas eslire,
Ne vesisse que romans lire.
Espeeialment les trettiers
D*amônrs lisoSe volontiers î
Car je concevoiè en Usant
Toute chose qui m*iert plabant.
Et ee, en mon commencement.
Me donna garant avancement
De moi ens es Mens d*amours traire;
Car plaisance avoie au retraire
Les fais d'amours, et à l'oïr.
raoïssABT. T. XVI. 13
191 POÉSIES
Jà n'en puissè-je joïr;
Mes plaisance née en jouvent
Encline à ce le coer souvent ]
Et 11 donne la vraie fourme
Sus laquelle son vivant fourme.
En tele fourme me fourma
Amours ) et si bien m'enfourma
Qu'il m'est tourné à garant vaillance,
Sans vantise, de ma plaisance;
Car j'ai par ce tel chose empris
Que ne poroie mettre en pris,
Car tant vault la valeur qu'ai prise,
Et le tiénc de si noble emprise
Que ne le poroie esprisier,
Tant le scevisse hault prisier.
Droitement, ens ou temps de joie
Que tous coers par droit se resjoie
Qui espoire ou peqse à joïr
Dou bien qui le fait resjoïr ,
Car lors joliveté commence.
Dont, n'es-ce pas raisons qu'on mence
D'une merveille, s'elle avient.
Et pour ce que il me souvient
D'une aventure qui m'avint
Quant ma jonece son cours tint,
Oiaques puis dou coer ne m'issi;
Pour ce compte en voeil faire yci.
Ce fu ou joli mois de may;
Je n^oc doubtance ne esmai
Quant j'entrai en un g^ardinet.
Il estoit assès matinety
DE JEAN FBOlSSARt. 195
tin peu après l'aube crevant.
Nulle riens ne m*aloit gfrevant,
Uès toute chose me plaisoit,
Pour le joli temps qu'il faisoit
Et éstoit âpparant dou faire.
Cil oizëllon^ en leur afairé,
Chantoïent, si corn par es tri.
Se liet estoient, n*eii estri,
Car ôncqués niés si matin née
Ne yi si belle matiunée.
Encor estoit tous estelés
hd firmament qui tant estlés ;
Mes Lucifer qui la nuit chace
Avait jà entrepris sa dhaee
Pour la nuit devant soi éhacier^
Car Aurora ne l'a pas chier,
Ançois letint en g-rand debai
Et encores, pour son esbat,
Chacier faisoit par Zephertts
Les ténèbres de Hesperuâ.
Et ensi, me voeille aidiei^ Diez!
Se si bel temps vi onques d'ieuls;
Etse, puis-ce-di ne avant,
Me vint tel pensée au devant
Que là, me vint, ne sçai comment.
Je me tendie en un moment^
Et pensoie au chant des oiseauls,
En regaràant les ai^briseaus
Dont il y avoit garant foison,
Et estoïe sous un buisson
13*
196 POÉSIES
Qae nous appelions ^ube-espine.
Qui devant et puis Taube espine*,
Mes la flour est de tel noblece
Que la pointure petit blece;
Nom-pour-quant un peu me poindi,
Mes m aventure à bon point di.
Tout ensi que là me séoie
Et que le firmament véoie
Qui estoit plus clair et plus pur
Que ne soit arguent ne azur
En un penser je me ravi.
Ne sçai comment; mes 4rolt là vis
Trois dames et un jouveneeL
On ne Tappelloit pas iinsel,
Ains Mercurius avoit nom.
Moult est homme de garant renom j
Il se scet bien de tout mesler^
Les enfans aprent àaler^
Et lor donne labilité
De parler par soutieveté.
Jupiter si est son droit père,
Et dame Juno est sa mère.
Forment m'en plot la contenance
Et encores plus lacointance.
Je nç sçai où il m'ot véu,
Mes il m'a^ trop bien cqgnéa,
Et par mon droit nom me nomma,
Ne onques ne me ^ournomma ^
. Et me salua tout d'otel
Qu on fait prodomme en son hostel.
DE JEAN MOISSAUT. 197
Je fui lies de soii salut prendre,
Et tous près aussi de lui rendre,
Et puis li dis; (( Chiers sires douls,
» Ne vous cog^nois ; qui estes vous f
» Et ensi vous me cog^nissiës
» Que dont que nouri m'euissiés. »
Lors me dist: h Bien tedoi cog^nestre,
» Car puis quatre ans après ton nestre
» En gouvernance t ai eu ,
» Et si ne m'as pas cog-néu.
)) Si sui-je assèsbieii renommés,
» Car Mercurius sui Nommés;
» Et ces Dames que tu vois là
» Sont Juno^ Venus et Pala^
)>D*armes, d*amours et de richesces
» Sont les souverainnes Déesses -,
» Mes ores sont un peu en tensce j
' D Car Paris rendi jà sentenscô
» Que la pomme d'ot* devoit estre
» A Venus, que tu vois sus desfre.
)> A deus dames pas ne soufEst
» Le jug'ement que Paris fist;
» Mes dient que par igpnorance
)) Et par petite cog'nissance
»Âcorda la pomme à Venus.
»Juno en parle plus que nuls;
» Car, se à li Teuist donnée
» Elle avoit jà tout ordonné
» Qu'il euist eu par puissance
» Des Grig[ois très belle vengeance.
198 POÉSIES
)» Si fu Paris nices et lours
» Quant il donna la pomme aillours»
» Et pour un peu de vanité
» Perdi proeee et dig^nité.
n Mieuls li vausist eu avoir
» Possessions et grant avoir
» Que l'amour de la belle Helainne^
» Ce ne prise-je une lainne.
))Son père, si frère et sa mère
>» En furent mort de mort amère^
)) Et bien vint mille chevalier
» En fist-on en armes taillier;
»Et aussi tamaint millier d'omm,
» Ce fut une trop maie pomme,
» Et pour Troyens chier vendue >
» Et amours povrement rendue
»Que Venus li guerre donnai
» Car par ce la guerre donna
» Et une povre confiture
}} Par mortele desconfiture
» Aux Troyens, qui li plus monde
» E li plus prouvèrent dou monde.
» Et tu, qu'en dis? or respons ent. »
« — Ha ! chiers sires, di-je, comment
» Vous sauroi-je de ce res pondre,
»Ne bien la vérité çxpondre ,
D Car je sui de sens ignors^ns
» Et de peu d'avoir seignourans. »
l^t Mercures lors me regarde
Et me dist: a Prens tu dont la garde j
DE JEAN FROISSART. 199
» Tant en poes tu mieuls dire voii*^
» Car en éag;e et en avoir
«Sontmalisce, hayne^ envie.
1» Et pour ce que de jone vie
»Te voi, seione ce qu'il t'est vis,
» Je ten pri, di m'ent ton avis *,
» Et se Paris, qui on fîst jnge
» De la pomme, rendi bon jugpe.
— » Volontiers, puis qu'il vous plaist dire
» Que j'en responde voir, chier sire.
» Quant les dames Paris trouvèrent
D Et son jugement li rouvèrent,
» Jà savoit Paris de certain
»Qu'à grant avoir ne faudroit grain,
» Car fils de royne et de roy
» Ne poet faillir à noble arroi;
» Et s'il ne donna à Juno
M La pomme, de mains ne Ten lo;
» Aussi n'i aconta pas là,
» Ne à la déesse Palla,
» Car Jones et fors se sentoit ,
» Et hardemens en li sentoit.
» Tout ce ne li pooit tollir
» Pallas, ne son corps afoiblir ;
D Car ce que Dîex donne et nature
»Ne poet tollir nulle avanture.
— » Elle Tevist bien fait plus préus,
» Et aux armes plus ewireus
» Qu'il ne fu.» - ttNom-{iour-quant, par m'ame!
» Aux armes ne pi*ist onques blasme.
200 POÉSIES
»Sî que je senc que, quant Pari»
» Donna la pomme, à tous périls^
»Aux gprans avoirs , ne aux fortunes
» N*aconta deus petites prunes.
» Vis li fu il avoit assés
» Avoirs et trozors amassés
» Et si estoil en son venir;
» Si ot un joious souvenir,
» Tels que jones homs doit avoir ,
»Liquels tient terre et gprand avoir,
» Dont, la pomme bien ordonna
» Quant la Déesse le donna 5
» Car il s'énamoura d*Elainne
» Dont fist sa dame souverainne.
wDont, son jugement à bon tienc,
» Et le tenrai, et le mainliene
» Où que je soie ne quel part. »
Mercures lors de moi se part
Et me dist: « Ce moult bien savoie
» Tout li amant vont celle voie, »
Atant Mercures me laissa;
Dont noient ne mesléeça,
Car volontiers euisse esté
Avec lui encor un esté,
Sestre pevist;car mes pour&s
Y fustgprans, je m'en tienc pour fis.
Et à ce qu'il s'esvanui.
Juno sa mère le sievi,
Et Pallasi je ne les vi plus;
Mes dalès moi remest Venus,
DE JEAN FROISSAHT. 20 1
D'amours la dame et la Déesse 3
Vers moi vint et dist: « Beaus fiulz, es — se
» Belle chose de bien ouvrer.
» Tu le poras y ci prouver,
» Car pour ce que bon t'ai vu,
» Et que tu as si bien scéu
» À Mercurius bel respondre,
))Ët sa parole au voir expondre,
nTvL en auras grant guerredon,
» Car je te donne yci un don.
» Vis tant que poes d*or en avant,
» Mes tu auras tout ton vivant
» Coer g^ai, joli et amoureus;
» Tenir t'en dois pour ewoureus ^
<( De ce te fai-je tout séur;
)) Tu dois bien amer tel éur.
» Plui^ôur Taurolent volontiers ;
» Mes je n'en donne pas le tiers,
» Non pas le quart, non pas le quint ,
» Jà aient cil corps friche* et coin t.
» Mes quant tu m'as véu en face,
)) C est drpis que g-rant gfrasce te face ;
» Et il te vault trop mieulz avoir
» Plaisance en coer que garant avoir.
«Avoir se pert, et joïe dure.
» Regparde se je te sui dure.
» Et encores, pour mieulz parfaire
y> Ton don, ta g^rasce et ton afeire,
)) Uvne ertu en ton coer ente :
)) Que dame belle, jone et g^entc
202 POÉSIES
» Obéiras et creiniras ;
» De tout ton eoer tu ameras,
)) Car amour ne vault nulle rien
» Sans cremour, je le le dibien^
y Et tant t*en plaira Tordenance
» Et la douce persévérance
»Que de foy, de coer et de sens
» Diras à par toi en ce temps,
» Plus de mille fois la sepmainne
» Qu'onques tele ne fu Helainne
. » Pour qui Paris ot tant de mauls.
»Or,reg^arde se plenté vauls
» Quant je te donne don si noble.
» 11 n'a jusque Constantinoble
» Emperéour, roy, duc ne conte)
))Tant en doie-on faire de conte ,
»Qui ne s'en tenist à payés.
» Mes je voeil que tout ce ayés>
» Et que persévères avant
» En tout ce que j'ai dit devant.
Et je, gui fui en coer souspris
Et esbahis, à parler pris.
Moult simplement et tous donbtieus
Contre terre clinans mes yeuls;
Ce fu raisons, car jones dans,
Estoie encor et i^norans,
Et si n'avoïe pas apris
A oyr chose de tel pris ,
Ne à recevoir tel présent
Dont Vénus me faisoit présent
DE Jean FaOlSSABT. 203
Lors levai un petit la face
Et di; <( Ma dame^ à Dieu or place
u Que servise vous puisse faire
» Qui me vaille et me puist par faire,
» Car j'en auroïe grani mestier
))Pour ma jonece en bien haucier.
))Mès dittes moi, ains quen alliés,
» Puis que tel grasce me bailliés,
» Quel toinpore m'arés en gfarde. »
Et Venus adont me regarde
Et me dit: « Dix ans tous entiers
» Seras mon droit servant rentiers 3
» Et en après, sans penser visce,
» Tout ton vivant en mon servisce. »
— « Dame, di-je^ or me laist Diex faire
» En coer, en fof et en afaire,
» Chose qui vous soit agréable
» Et à mon jouvent bien véable ;
}} Car je ne quier, ne voeil aler
» Contre vous ne vostre parler.
9 Tant en vault la doulce «ordenance
)i Que grant joie en mon coer avance.»
Là ne repondi point Venus.
De moi parti; ne le vi plus.
Sous Taube espine remès seuls,
Pensant en coer et moult viseus
Qu'il me pooit estre avenu.
Mes il ma trop bien souvenu
De la très graiit beauté de lui.
Dont tout le corps m'en abcUi;
204
POÉSIES
Et pensai à ce long'ement
Qu'il m'ert advenu, et comment
¥enus m ot dit, à sa plaisance.
Mon bien, mon preu et ma vaillance.
S est raisons que je le retienne,
Et que dou tout à lî me tie{]fne.
Ossi fai, ne aultre ne voeil.
Dou tout je m'ordonne à son voeîl,
Car elle m'a amonnesté
Franchise 9 sens et honnesté.
De moi le lairai convenir.
Car tous biens m'en poet avenir.
Ensi disoie en mon pourpos,
Et tous seules, là ce pourpos :
( Par ma foi bien medoi amer.
Quant Venus me dag^ne entamer
Le coerde sa très garant valeur.
Diex! comme est fresce sa couleur;
Maintien joli, corps friche et genl!
Pas ne le monstre à toute g[ent;
Mes monstre le m'a-elle au mains.
Et en ses douls parlers humains
Mestson confort, ossi g^aris
Com je fuisse li beaus Paris >
Né de Troies la garant cité,
Si com je vous ai recité
Que d'Élainne elle énamoura.
En tous ses fais garant amour a )'
Sï les vodrai sievir et croire,
D Car sa paroile est toute voire ,
DE JEAN fROISSAAT. 20S
» fit mieulz ne me puis avaneier
»Mon nom, ne mon fait exaucier
1» Que par estre vrais amourous
» Et à lui servir eurious. »
Ensi à par moi devisoie
Et à Tenus forment visoie^
Et concevoïe sa beauté ;
Sa parolle et sa loyauté \
Mes de ce qu'elle esvanuie
Estoit de moi, forment m*anitie.
Trop ert de moi briefment partie*
Et se ne sçai en quel partie
Elle ert retrette ne tournée.
J'ai depuis tamainte journée
Aie aux champs mo» oorps esbatre,
Mes onques ne me poc embatre
A tele heure com lors je fis.
Dont puis, tenus m en su! mains fis)
Et ai dit depuîSf pluisours fois.
En ehamps, en gpardins et en bots,
Pour ce que point ne U véoie»
Vraiement que songpié avoie.
Songes n'est fors que vinne chose ;
Fols est qui vérité y pose.
Mes quant j'avoïe tout visé,
Et ce pour songfe devisé,
Et je pensoïé au temps présent
Dont Venus me £ftisoit présent,
Je disoïe? par salut François 1
Que m'aveniure estotl aneois
206 POÉSIES
A veille à voir qu'à mençong-e 5
El que pas n'en fesisse song^e,
Mes une vérité très ferme;
Raison pourquoi , dedens brief terme
Après cette mienne aventure^
Si com Jones homs s aventure
Et en pluisours lieus il s'embat
Par compagfnie ou par esbat^
Je m embati en une place»
Au Dieu d'Amours mon trettié place
Car ma matère yci s'esprimCé
Droitement susleurede prime>
S'esbatoit une damoiselle
Au lire un rommant; moi vers elle
M'en vinc, et li dis doucement
Par son nom: « Ce rommant^ comment
» L apellés-vous, ma belle et douce? »
Elle cloï atant la bouche;
Sa main dessus le livre adolse.
Lors reâpondi, comme courtoise,
Et me dist : « De Cléomadés
» Est appelles; il fu bien fés
» Et dittés amoureusement
» Vous Forés ; si dires comment
» Vous plaira dessus vostrô avb. »
Je regfardai lor^son doulc vis,
Sa couleur fresce et ses vers yeulx.
On Q'oseroit souhedier mieuls,
Car chevelès avoit plus blons
Q'uns lins ne ifeoit, tout à point lonsj
»E JEAN FttÔlSS ART. 207
Et portoit si très belles mains
Que bien s'en passeroit dou mains
La plus friche dame dou monde.
Yrès Diex com lors ert belle et monde,
De gai maintien et de gent corps !
« Belle, di-je, adont je m'acors
» A ce que je vous oë lire.
» N'est sons d'instrument ne de lii*e
))0à je prende si go^nt esbat. »
Et la demoiselle s'embat
En un lieu qui adonnoit rire.
Or ne vous saroi-je pas dire
Le doulc mouvement de sa bouche; J
Il samble qu'elle n'i atouche
Tant rit souef et doucement;
Et non mies trop longement^
Mes à point, comme la mieulz née
Dou monde et tout la plus sencée>
Et bien garnie de doctrine,
Car elle estoit à point estrine
En regart, en parolle, en fait.
Li sens de li grant bien me faii.
Et quant elle ot lit une espasse,
Elle me requist, par sa grasce,
Que je vosisse un petit lire.
Ne l'euisse osé contredire,
Ne ne vosisse nullement.
Adont lisi tant seulement
Des foeilles, ne sçai, deus ou trois.
Elle lentendoit bien en trois
208 F(mSlËS
Que je lisoie, Oiex li mire!
Adont laissâmes nous le lire
Et entrâmes en aultres gengles f
Mes ce furent parolies sengfles,
Ensi que Jones gens s'esbatent
Et qu'en vuseuses ils*embatent,
Pour euls déduire et solacier,
El pour le temps aval glacier. —
Mes je sçai mo^lt bien qu'à celle heure
Le Dieu d'Amours me couru seure^
Et me trest de la droit te flèche
Dont les plus amoureus U bleche i
Et si conçus la maladie
Par un regard, se Diex m'ayel
Que la belle et bonne me &t.
Cupido adont se fourfist,
A ce que j ai de sentement ;
Car pas rie test paroUement
A ma dame si comme à moi.
Je Tescuse, et escuser doi,
Ensi c'on doit son seignour faire §
Car sires ne se poet mesfaire
Aucunement yers son servant.
Espoir avoit-il jà devant
Trait sa flèche douche et joieuse
Sus ma dame, et &it amoureuse
D'autnii que de moi* Au voir dire,
Ne a mettre ne escondire
Ne l'en vodroïe nullement ;
Mes bien açai apie pareillement
DE JEAN f ROISSART. • 209
Ne fu com moi la belle trette
Pour quelle amour ce dittié trette;
Je m'en sçai bien à quoi tenir.
Or voeil au pourpos revenir
Dont je parloïe maintenant.
Il est vrai que tout en riant.
Quant ce vint là au cong^ié prendre,
La belle, où riens na que reprendre )
Me disi moult amoureusement :
« fievenés'Oous , car vraiement
1) A vosLre lire prend plaisir^
» Je nen yodroïe defallir. »
— « Belle, di-je, pour nulle rien. »
Hé mi! que ce me fist de bien!
Car, quand venus fui à l'ostel,
Je me mis en un' penser tel
Qui onques puis ne me falli.
J'iïc }iien cause qui m*assalli;
La beauté dé la belle et bonne
Di-je. J ai esté à Nerbonne,
Chereié la France et Avignon ,
Vès je nç donroie un ongpnon
De tous les voiag-es qu'ai fais
Veçs cesti. Or sui-je parfais,
Ne onques nuls homs ne fu si,
Poroit-il jamès estre ensi
Que elle me dag^nast amer ?
Ne l'en oseroïe parler ;
Car si je l'en parloïe, voir
Tel chose se poroit mouv<yir
FIIOISSART. T. XVI. 14
210 POÉSIES
Que ses escondis averoîe
Par quoi mon esbal perderoie ,
Et plus n'ipoie en sa maison.
Dont biçn y a cause et raison
Que j*en vive et soie en eremour.
Mjès tant sont sag^e et bon si mour
Que moult les doi recommender. .
En ses fais n'a riens qu'amender.
Destourbier ne dure espérance
Pour moi n'i voi , fors grant plabance.
Elle se jue à moi et rit.
Jà m'a-elle pryé et dit
Que je me voise esbatre o soi.
En tout ce grant bien je perçoi,
Et s*il y ayoit nul contraire,
Que ses yex me yosist retraire
Et que de moi ne fesist compte,
Si sçaioje bien^ quant mon temps compte,
Que se pour s'amour je moroie
Millour fin avoir ne poroie.
En ce penser que je pourpos
Mis lors mon coer et mon pourpos,
Et mi embati si au vif
Qu'encor en cel esbat je vif
Et y morrai, et rendrai ame.
Escrisiés-le ensi sur ma lame.
Pas ne mb, saciés, en oubli
La parolle que j*oc de li
Mes songneusement y alai.
Hé mî ! depuis comparé lai.
DE JEAN FROISSART. . 211
Noni-pour-quant j'àî tout en gré pris
Tout quan qu'Amours m en a apris.
Quant premièrement yinc vers elle»
Ne losoïe que nommer belle
Par Dieu! pas ne le sournommoie,
Mes par son droit nom le noramoie;
Car plus belle ne vi ains, Diex.
Si ai-je esté en pluiseurs lieus. '
Une fois dalés li estoie;
A je ne sçai quoi m'esbatoie^
Et elle, par sa courtoisie.
Me dist: Joi\^s boms, je vous prié
> Qu'un rommanc me prestes pour lire^
«Bien véés, ne vous le fault dire ,
yt Que je m'i esbas volontiers,
»Car lires est un douls mestiers,
» Quiconques le fait par plaisance^-
)> Ne sçai aujourd'bui ordenance
ji Où j'aïe mieuls entente et coer» »
Je ne li euissc à nul foer
Dit dou non, ce devès bien croire.
Mes li dis, par parolle voire :
» Certes, belle, je le ferai
» Et dun livre vous pourverai
.)> Où vous prenderés.grans solas^ »
Tout en riant me dist: « Hélas 1
)) Je le vpdroïe jà tenir. »
Congié pris sans plus d'abstenir ^
Et m'en retournai en maison.
Cupido, qui de son tison
14*
212 POÉSIES
Tout en arsem'avoit féru,
M'a présentement secouru;
Ce fu d'une pensée douce.
Errant me diéi en la bouche,
Et en la souvenanee aussi.
Dont, pour lors, trop bien me chéi
Que dou Baillieu d'amours avoie
Le livre. Tantos li envoie
Au plus bellement que je poc.
Or vous dirai quel pourpos oc.
Avant ce que li envoiai
En un penser je m'a^iai,
'Et dis à par moi*. «Tu vois bien
))'Que celle qui tant a de bien
«N'ose requérir de s'amour,
))fit vifs de ce en grant cremour;
»Gar ianf dou^te son escondire,
)) Que pour ee-ne li ose dire.
» Dont^ferai-je une^hose g<ente
» Que j'esi^riraii toute m'entente
» En une lettre^et'lelairai
» Ou livre ou quel je Tenelorai.
>>Elle le trouvera sansdoiibte. »
A ce p#urpos «lîs errant double
'Et dis : « Il poroit moult bien estre
» Qu'en aul très mains venroitla lettre j
» Et je ne vodroie à nul focr
» Qu'on adevi»ast sus mon coer.
))Espotrtels outele l'aroît
))Quî trop Wt grever m'î poroit.
DE J EAN FHOISSAUT. !? 1 3
»Si vaiilt mieulzqueje ixie déporte
» Qu on m'i vée voïe ne porte.
))Mès el moult bien faire porai)
» Dont encor nouvelles orai
»Sans péril, et sans prajudisee.
» N'est nuls ne nulle qui mal disee
» D'une ekancont, se on letroeve
» En un roman t qu'on elol el: oevre
» Met-y donc une chanconnettue ^
»S'en vaudra mieutz ta besongfBeUe
»Car aultre chose ne requiert
»A présent le cas, ne ne quiert.
» Il te convient dissimuler
» Soit en venir, soit en aller,
»Soit ou en parler ou en taire;
M D'aultre chose n'as-ta que faiire. »
Ënsi en moi me dehatove,
Mes noient ne m'i eshatoie.
Car amours et cremour eneaiULble
Me faisoïent t^niaint example
Pour moi mieulz en avis fournier,
Et pour mon corage enfourmer.
Toutes-fois à ce ni'assenti^
{It bonne amour le consenti,
Que une balade nouvelle,
Que j'âvoie plaisans et belle
Felte de nouvel seutement,
Escrisi tout presentemeirt.
Au plaisir d^amour qui me mainne
Fait lavoie en colle sepmainne.
2U POÉSIES
Orlisiés et vous verrez u^
Et comment elle fette fu.
Balade.
A très plaisans et jolie
Lié mon coer et rené pris.
Pris m'en ci*obt sans villonnie<
Onnie est en bien de pris;
Pris me renc en la prison
La belle que tant prison.
A ceste merancolie
Golie mon coer tout dis.
Dis en &i, car je mendie;
Die qui voet c'est pour fis;
Fis sui qu aim sans mesprison
La belle que tant prison.
Dame l'appelle et amie*
Mie ne le fai enuis.
Vis m'est que Faim sans envie;
Vie m en croist et avis;
Vis me renc pour le prison
La belle que tant prison.
En une cedule petite
Pu là baladç bien escripte,
Et puis en ou rommanç le mis,
Et à celle je le tramis
Qui moult liement le reçut>
Et qui tout, ou de prèsi le li^t.
Quant elle le xaerenvoia
4
DE JEAN FROISSART. 215
Grandement ai*en remercUv
Je reçus son bon gré tons liésj
Et si fui moult tost oonsUliés
De regsLvàer se ou rommano
Est la balade que demanc.
Mes tout epsi, ne plus ne mains,
Que je li oc mis à mes mains
Le trouvai 9 sans avoir eschangfe.
K Ha ! di-je» veci chose eslrang^e '• *
» La balade a laissié la belle
» Ou lieu où le mis au main; s elle
»L'euist un petit regfardée
» Moult fttst bien la besongfue alée.
» Se tenu Teuist, ne poet estre
» Que retourné n euist la lettre.
»0r il me convient ce souffrir,
» Et mon coer à martire offrir,
)) Tant est belle plaisans et douce
» De corps, de mains^ d'yeulz et de bouche,
» Que mieuls m'en vault la pénitence
» Que de nulle aultre lacointancer »
D'amours ce premerain assai
En très garant pensement passai.
BIès jonece voir me porto|t,
Et amours aussi m*enor toit
Que je persévérasse avant.
Souvent me mettoie au devant
De elle; car quant le véoie
Tout le jour plus lies m*en trouvoie.
Or avint q'^n apr^s-disjp^r
216 POÉSIES
En un g'aràin alai ju^r
Où of esbattemen s ^lutsour^
De rosés, âé lyâ ef de fioars,
Et d*anltres esba$ maiote chose 9
Et .là une vermeille rose
Caeîllai sus un moult vert rosier;
Et puis m'en vinc, sans poitit noisier,
Tout liement devant l'ôstel
De ma dame» J'oc VéiÉr tel,
Que d'aventure Vi trouvai.
A li vîhe, et se li rouvat
Que par amours le vosist prendre.
Elle respondi, sans attendre,
Sus le point dou non recevoir,
Et me dist, par moult garant sçavoir
Et par parler» douls. et humains :
K Laissiè-le» elle est en bonne mains »
Et je li dis : ^ Prendés-le, dame,
» Car en millours ira par m'ame ] »
Et elle doucement le prist,
Et en parlant un peu sousrist.
Ce me fist garant joie et garant bien
Quant je vi le bon plaisir sion-
Congfié pris et de là parti;
Mes au départ moult me parH
Grandement de son doulc esparf .
Je m'en retourna(i celle part
Où la rose cocillie avoie,
Car plus bel lieu je ne sa voie
D*esbateniens ne de g^ardins.
DE JEAN FROISSART. 217
Là estoté soii^!^ et ifiaff ins,
Et moult souvent trestout le jour j
Tant mi plaiâoîetft li séjour
Que je ne vosUse ailloiirs estre.
Et qaaint r>e venus fui en l'es Ire ,
Par dessous lé rosier m'assis
Où de roses ot plus de sis 3
Et droit là fis un virelay
Tout otel que droit ci mils l'ay.
Virelay.
Coer qtiT reçoit en Imn g-ré
Ce que le temps li enrvoie
En bien, eiï plaisante, en joie,
Son éage use en santé;
Parlent direl'oseroie.
Comment qu en la donce vie
D'amours les pluisonrs bien sont
Navré d'une maladie
Et ne sccvent pas qu'il ont,
Mes leur coers de ce secré
Co^notst bien la: droite voie.
He mi! vrais Dlcx! se j'avoic
Un seul petit de clarté
Trop pfns liemènt diroie:
Coej^s qui reçoit en bbrr g-i-é etc.
Plus plaisant ne plus jolie
N a je croi en tout le mond
Que ma dame , qtii me lie
tccoer^mès en larmes font;
21 a PQÉSIFS
Car, quant j'ai <^ tout pensé,
Ne sçai se li pseroie
Dire que ma vie est 9oiej
Et s elle nen a p^té
N'est drois que plus dire doie:
G)ers qui reçoit en bon g;ré eto»
Le Virelay fis en otant
D'espasse qu'où liroit notant,
£t puis si me parti dilluee.
A mon déparlement, avec
Moi estoïent en contenance
Douls pensers, espoirs et plaisance;
Et garant çompag'nîe me tindrent^
Noef ou dis jours avec moi vindrent.
Et si m'avint un peu après
Qu'en un hostel, joindant moult prèsf
Pe cesf i où demoroit celle
Qui tant estdit plaisans et belle,
Nous cinc ou nous sis 4 ^^ éag'e
Y venimes de lie cor^ge
Et meugames 4ou fruit nouvel»
En solas et en grand revel
Là estoit ma dame avec nous
Dont le contenemens fu douU,
Mes ne li osai samblant faire
Dont on pevist penser estra^re.
De la partesimes ensi.
Moi, toflQours attendans merci,
Ghatig-oie souvent maint pourpos
DE JEAN FBOiSSART. !2 1 9
Et disoie: (c Se tu n'es os
» De li remontrer ton corag'e, »
» Je ne te tenrai pas à sag^e.
)) Ce n'est pas vie d ensi vivre.
»Ën cesteamoarton coer s enivre >
)) Et puis aultre chose n'en as
»Fors les reg^ars et les esbas.
»yrés Diex! disoi-je, c'est assés.
»Se cils bons temps m'estoit passés
» Je ne sauroie où refuir.
» J'aim mieuls joiousement languir
»Que de faire chose, ne dire,
» Dont je soie occis à martire. »
Ensi passoïe la saison.
Tout par amours et par raison.
Raisons voloit que je souffrbse
Et amours que mon coer offrisse,
Et que remonstrasse à la belle
Comment je vivoïe pour elle,
Et que tout ce que je faisoie
Ce n'estoit que pour Taniour soie:
« C'est bon, di-je^ que je li die,
» Et beUement merci li prie. »
Di-je: « Volontiers li dirai
)> Si tretos que le lieu aurai. »
Sur ce ordonnai mon penser.
Une fois presjins à danser;
Là estions plus de nous doi;
Je le tenoïe par le doi ,
Car elle m(s menoit devant.
220 POÉSIES
Mes tout bellement en sievant,
Eutrues que le doî 11 tenoie «
Tout quoïeuient K estraindbie;
Et ce si garant bien' me fisiisoit ,
Et telement il me pliaisoit
Que je ne lé ^auroie exponde.
Scelle chanloit, de U resporde
Moult tost estoie appareilliés.
Hé mi! com lors estoie liés!
Puis nous asséiDs sus un sigfe.
Et là tout bellement li dl-je ,
Ensi que par parolle emblanf :
(( Certes, belle, vo doulc semblant,
» Vo cent maintien, va corpa legui
»Me font avoir le bien que j'ai.
» Je ne ïe vous puis plus celer.
. » Se temps avoïe dou parler 9
» Et que ci fnissienws nous dbr,
» Je le vôns diroie par foi. >i
Et elle un petit mfe reg^arde,
Ensi qu'on ne s'en presbt gfarde,
Et me dist seutement: d Pertes?
» E&se à bon sens que me Toudriés
» Amer? )» Bf à ees cops te Keve
Et d^st: a Dlinsoifs; pas ne me grieve
»Li esbatemens de la danse. »
Lors entrâmes en Tordenanacc
De danser une longe espasse»
U n^est esbanois qui ne passe.
île cesti là nous partesins
DE JEAN FROISSAHT. 221
Et desott bel ostel issins;
Mes au parteraent cong^ié pris
A la belle et bonne de pris
Qui le me donna lièiilent.
Ne le sceuist faire aultrenicnt^
Car elle a si très lie chière
Qu'on Ten doit bien tenir pou rehière.
Tout ensi passoïe le temps.
Une heure je venoie à teiitps
Deli véoir, et Tautre non.
La belle et bonne de renom
M*avoit le coer saisi si fort
Que point n'avoïe de confort
Le jour, se véu ne Tavoie.
Et quant à la fois je savoie
Qu'en aucun lieualoit esbatrc,
Pas n'i'fausisse del embatre.
Mes que sa paix véoir y peosse.
Jà aultreinent aie ni eusse.
Or entrai enmeraneolic^
De ce qu'elle estoit ossi lie
Aux aultres gpens qu'elle oirt à moi;
Et je^ qui de fin coer ramoi.
En disme souvent: «Hé -mi!
» Celle a fait un nouvel ami.
» Elle jue et rit à easeun;
))Si rejyard «ont* trop de commun, w
Ensi disoïe moult' pensieus,
Et souvent d'uns moult pifeusyeus
Leregfardoïe.iEn ce regfard
222 POÉSIES
JLooie moult) se Diex me g^ard!
Sa bonlé, sa beauté, ses fais,
Et disoïe: « S'un pesant fais
)>M'a Amours envoyé pour elle
»Ne m'en chaut; pour tele pucellcf
» Deveroit-on mort recevoir;
)) Mes qu elle scevist bien de voir
»Que mors je fuisse en son servisse^
))Ne le tenroïe pas pour visce. »
Qui est en pensée nouvelle. .
Peu de chose le renouvelle.
Souvent pensoïesus et jus;
Et à la fois à aucuns jus
Aux quels s'esbatent jone gpent^
Juoie de coer lie et gfent,
Mes que ma dame y fust pour, voir'y
Ou qu*elle m'i pevist véoir;
Et pour très petite ocquoison
Passoïe devant sa maison,
Et jettoïe mes yex vers elle;
Et quant il plaisoit à la belle
Que de li un reg^ar t cuisse ,
Tout ei'ramraent en coer sceuisse
S*il estoit amoureus ou non.
Tels demande souvent garant don
Auquel pas on ne li otrie
Sitos qu'il vodra quand il prie;
Je m'en sçai bien à quoi tenir.
Il m'a convenu soustenir
Moult de g^rief, dont petit don ai.
Itr JEAN FROlSSARt. 523
En ce temps que mon eoer donnai,
Sans départir, totrt à ma dame,
Par amours qui les corer etitame,
Une heure si très lies es tôle ^
Qu'à toute chose m'esbatoie,
Et une anltre si très pensieus
Qu'en terre clinoie mes yeuls,
Et ne faisoïe de riens compte
S*il ne me portoit blasme ou honfV.
Je m'avisai à très garant painne
Que ma dame très sourerainne
Ses venîrs et alors avoit
A une femme qui savoit
De ses secrés une partie;
Je me très rers celle partie.
Car aillours ne m'osaisse traire
Pour ma nécessité retraire.
Ensi du quant je foi venus : *
« DamoiseUe^nulIe ne nuls,
» Fors vous, ne me poet conseillier,
I) Se vous y voliés travillier.
» Et ve-me-ci, vo valeston,
)i Pour entrer en un baneston
n Se le me commandiés en Teure. »
Et celle qui me volt sequeure
Me respondi tout erramment :
nOr me ditt«s hardiement
» Tout ce que il vous plaist à dire;
» Et y foi que doi à nostre sire,
» Là roetterai, à mon poéir,
221 POÉSIES
)) Conseil et confort, tout pour voir.»
— « Ahi! di-je, voslre merci!
)) En vérité dou fout muir ci
» Pour celle. Nommer li alai)
» Voirs est qu'un petit Ten parlai
» L'autre fois. Mes depuis sans double,
)) Si com elle eujist de moi doiiJ)te,
)} Elle ne se met plus en voie
))De parler à mo}, ains m'envoie
))De reg^ars amoureus trop mains
» Qu'elle ne soloit faire. J^u mains,
))Ensi que dire li pores,
)>Et sus ce sa response oré3,
))Que point dure chière ne liace;
» Car je, qui prie ^ avoir gfraspe
» Et merci, quant il li plaira,
» En tel dangier mpn cœr mis a
»Que sus le point dou desconfire,
» Ensi que vo^s l\ pores dir». »
Ceste qui ot pité de moi
Me respondi: a En bonne foi
» Je vous dirai qme vous forés.
» En une chançon ^6eririés
» Une yrant part do vostr^ entente,
» Et je vous di q|ie, sa^s attente,
» Del enyoyer ne yo^s oonviegne^
» Ensi c'on ne scet dont ce vie^fue
w Elle Par» ei Je lira,
'> Et ai^ipune pbo^e en d ira 5
» Puis li dînai que fait l'avés
DR JEAN FROISSARt. 225
» Pour s*âtnour^ au mleulz que savés. »
Di-je bien: « Oil, daitioisellc ;
»Nai oy paroUe ai belle;
»Et je le ferai tout errant. »
' Adont, de bdér lié et joiant
Une balade maçonnai
Où nulle i'iètis ne mençongtiai.
Êalade,
Très plaisans et très hcmnourée,
En qui tcmt garant bien sont compris^
Mon cder , lù amotlr et msL pèn^e
Avës psii* Tôs dduls reg^ars {Tris ;
Or vous suppli, dame de pKis,
Que VOUS me voéilliês faire dtri
Dou ^racleùs don de merci.
Je n ai tofttë joUr ajournée,
Ne toute îiUit, Uni aùltre avis
Que de moi loyalment amée
Sdyês; ensl sërés tout dis.
Et s'èUvéï*^ toU^ âUi trop petis,
Pour Dîeu ^ue né m ayéâ bani
Dou gprslc'léùs don de merci.
Loyautés doit èstre comptée
En fais, en oèvreâ et en dis.
Or vuùs plaise d'esfi^è* éUfoùrûiéè
De moi, car ^t^ âérvSLUs in'escris;
Et âé j'à} en ce tiehs inespris
PardoUftés le moi^ car je pri
Dou gfraèiëus âoh de merci.
FBOISSART. T. XVI. 13
226 POÉSIES
La Damoiselle alai baillier
La balade escripte en papier ;
Et ceste, qui Jhesus honneure,
Le garda bien, lant que vint Teure
Que ma dame et elle à seulet *
Ëstoïent, ensi qu'on se met
Adont la damoiselle sag^e
Qui d'amours savoit bien Tusage,
Car batue en a voit esté
Plus d'un yver et d*un eslé,
Li dist par trop belle raison:
(( J ai ci eseript une cbançon;
» Par amours voelliés le moi lire. »
Et ma daine prist lors à rire
Quî tost pensa dont ce venoit
Et dist : (( Ça ! » Quant elle le voit
Souef en basset le lisi \
De sa bouebe riens el n*issi;
Fors tant, par manière de glose :
(( Ce qu'il demande, c*est grant chose ! »
Onques riens el n'en pot avoir.
Ce me compta-elle, pour voir.
Or fui-je forment courouciés.
Deus jours ou trois, tous embronciés
Et le chaperon sur les yex
Me tenoie^ tcop fort peusieus>
Et à la fois me repentoie
Pour tant que grant dolour seniole
Quand je l'a voie véu onquesj
C'est ma destruction. Adonques
DE JEAN PROISSAAt. 227
Reprendoïe tost ce parler^
Ne le laissoïe avant aler
Et disoïe : « Par Saint Denis !
« Se pour Tamour de li finis,
D Le corps en terre et à Dieu l'sime
» Je ne puis avoir mîllour lame.
» Aussi fist jadis Léander
)) Pour HérO| fille à Jupiter,
» Et Acilles» qui preus reg'na,
» Pour la belle Polixena^
N Et Actéon li damoiseaus.
x> Si je suis comptés avec ceauls
»Qui sont pour loyalment amer,
» Mort ou péri dedans la mer,
» Je le tendrai à g^rand victore
» Et le me compterai à gplore. >»
En cel estât que je vous di.
Si com î'ai sentu puisse-di,
Estoïe lors appareillies
D'estre une heure ireus, l'autre lies.
Mes quant Amours venoit en place
Et le souvenir de la face
Ma dame, simple et gpracieuse,
Et sa contenance amoureuse
Toute dolour mettoïe arrière,
J'en avoïe bonne manière.
Avec les amoureuses ^ens
Estoïe hettés, lies, et g^ens,
Et devisoïe à faire festes
Et tous esbatemens honnesfes,
• 15*
228 PQÉSIES
Chauler, danser, caroler, rire,
Bons mos oyr, parler et dire.
Et quant je poore véoir
Ma dame, ce fusi main ou soir,
A par moi disoYe. « Ve-la
» Celle qtti si bel m^apàrla
)) Quant je parlai à H prêmifer».
)) Son corps n'est mies coustamriers
» Fors que d'onno»r et de bien faire.
» Cascuns prise son bel afaire
» Son maintien, son estre et son sensj
» Pour ce 5 dou tout à li tn'assens. »
Par heures je me conïbrtoie
A par moi, et me d^porloiej
Et à la fois venoii ane heure
Que mit venoïent courir setire
Les mauls d amdurs en abandon.
J*en avoite si gran* raffdoïi
Que j'estoïe plus doler^tts
Que ne soit uns cops colereus.
Mes trop grant confort me porloit
La damoiseîIe,qui estoit
Assés s^ecrée de ma dame.
Onques mts ne vi millour famé.
A Famé li voeille Wex rendre !
Pluiseui^ fois m'a fait èlte entendre
Grans confors-, dont lî n'eàttoît riens.
Je prise moult bien tels lAôyens
De sçavoîr de nécessité
0|iyrer él faire aucVorité
DE JBA^J FROISSART. 229
Quoi ^'on y voie le contraire.
Mes Amours ont moaU bien à faire
Qu'on soit k la fois pesjoy,
Kl, sdit gengle eu veiir> eonj^y \
Aullrement l^s coers aniouroufi
Seroïènt trop fori dolcrous.
Et j*estoïe lors em toi point
Qiie &IIS lestât el sn^le p/CNunt,
AijMiueâ près sus le majrvoyer,
Et pour moi eu, hutm ravoyer
El peuràestaiadrê lesUifieelU,
Je veuoie à la dlainoîseile,
Qui auques oies aeorés s^voit
Et qui de moi pité avoir-
Pour ce que tant de mauld portoie.
En li complaut me deporioio)
Et alegpoie la dolour
Qui m apallissolt la coulou^.
Or avinfc (Qu'une fbid li dis:
f( Damoisellei peu me iieno fis
» Dç Vamour eelle que tant aiine,
>f Que msi 1res souv^rainne elaimniej
» Car je n'eu puis avoii? raison
» Dedens nie dehors sa maison «
» Ne aler vers U pUifije. iC^e ^
» Dont c'est une trop fière chose
» Car vQUs savésde quel poLntture
» Je sui peina, pav tele aventure
» Qui soudainibeuienl me poindi,
» Et se n ai nul confort de li.
230 POÉSIES
» Encore voi-je à sa manière
)) Qu elle me monstre crue chi6re,
)) Je saroie trop yolentiers
» Pourquoi c'est ^ et, se m'est mestiers.
» Si aurai avb si je puis
))Sus mes mauls et sus mes anuis. »
Et celle lors me respondi
Tout bas^ et qpie dist : a Je vous di ;
» Il vous fault changpier vo coragfe.
» On parle de son mariage. >»
— a De son mariage ! » — ii*àr Dieu
» Voire, dist ceste,et s est en lieu
»Qui est bien tailliés de venir. »
Or ai-je bien le souvenir
Comment je fui appareillies.
Se j'avoie esté petit lies
En devant, encore le fui
Cent fois plus, et en grant anui.
Doubte et cremour si m^assalirent
Qui le viaire m'apallirent,
Les yex et la bouche et la face. «
N'est contenance que je face,
Fors que de desconforté homme.
Adont inforttmés me nomme;
Et me part sans nul congié prendre^
Et tous seules , sans plus attendre ,
En une chambre m'encloy.
Je ne sçay se nuls homs m oy:
Mes je fis là des beaus regrés,
Ensi com loyal amant vrés,
DE JEAN FROISSART. 231
Plain de jalomie et de paione,
Et qui amours à son g^ré mainiie.
Ensi à par moi je m*arg'ue:
« Haro ! di-je, je l'ai perdue !
» Pourquoi Faim, ne onques l'a mai ?
»Orsui-je entrés en grant esmai.
))Que ferai s'elle se marie?
» Foi que doi à Sainte Marie !
» J'oeireie son mari ains
»Que il mesist sus li les mains.
^Auroi-je tort? quant la plus bnlle
» Et qui de moncoer dame est^elle
»Lairoie aller par lel fortune.
»N'ai à morir d*une mort q'une.
»Ve-le-ci; elle sera preste.
» Fortune pour moi le m apresti; ,
» Puisqu'on voelt ceste marier
» A qui mon coer se voelt tirer.
if Je ne le poroie souffrir.))
Lors m*alai si don tout offrir
A anois, à merancolies^
Et à toutes aultres folies,
Que j'en fui en péril de perdre.
Les fièvres m alèrent aherdre;
Je m'alai acoucier au lit
Où je n*oc gaires de délit j
Et fuisse mors dedens briefs jours,
Se ne m'euist donné secours
La damoiselle qui là vint.
Le chief me mania et tint.
232 POESIES
Bien senti qu'en péril estoie.
Adont me dist la merci sole
Poar moi aidier si bons cpnsauk
Q*un petit ces$a mes travaus.
Mes depuis trois mois tous entiers
Ftii je à la fièvre tous rentiers;
Gt adont en la maladie,
Çest bien raisons que je le die,
Fis-je une balade nouvelle.
Au desespoir d'amours fu celle.
Je ne sçai scelle vous plaira
Mes tele est qui bien le lira
Balade.
Pluiseur amant vivent blefu en e^^poiv
D'avoir merci et d*estre encoi?Q aixié«
Mes ma vie est tournée en deseapoic,
Car on m a jà tant de fois refusé,
Tant eslongfié, tant monstre desamblans
Durs et crueuls, et contre moi nuisia^^)
Que je n'ai fors painne, mauk et^Qlours.
Je finerai ensi que fist Tristraas,
Car je morrai pour amer par amours.
Las! que briefment puisse la mort avoir.
Plus le désir cassés que m^ ^nté?
Car ma dame, qui tant a de savoir,
No voelt avoir ne merci n<5 pit^
De moi, qui sui sou cremetousserv^u»;
Ains me refuse- et gfvieve et nuist tous tanips.
DE JEAN FftOlSSART. 233
Se m en faultdîre> et par nuit el.par jours,
Je finerai etc.
Et si scet bien, ansioomje l^spoîp,
Çom lon^Bieiftt j'ai jà poiinli porté,
Taint le yiaireet pale et uat el noir^
Mes point n*i vUe on le inaienoonpté;
Ajns est tout dis en ses pourpoa nianans.
Et quant je sui bien |i tout ee peni^ansii
Dire m'en faiih en cris, en pbina,eu plours^
Je finerai; ele.
Chief «opliu 9t moi moujlt malade,
Ordonmai-JA ceste balade ;
Et quand je [Mc je Veacris|.
Bien me p)ot quant je le lis».
Nom-poujfvquant pas n'en fii eslainle
(*a mâUaàie^ qui destaiate
M'avoit la cQulmiP et Isi fooe*
Qr eatdreis que momere face
Coipment vivoïe Quit ^ jovr
Spus avoir g^aire^ de sajour.
Je me tonr^iwe et retouiwip.
Et en tournant Hh, m'atournoio
Que je iiev«u9 saroie dire
De cent parta le mei^re martire
Que j'av4>se lors à porter»
Mes pour moi un peu oouftwleir
J'en laissoïè bien coBvenir
D'amours le très daulo seuveajur^
Et ce g^randement me valli.
234 POÉSIES
Mes toutes fois il me lalli
Ëstre trois mois Irestous entiers
A la lièvre certains rentiers;
Et homs qui vit en tel meschief
A par droit dolerous le chief.
Je lavoïe lors si endoivle,
Et le coer si mat et si foible
Qu'à painnes pooïe parler,
Ne moi soustenir, ne aler;
Et la ealour si mataingpnoit,
Et si très fort me destragpnoit
Que je n'avoie aultre désir
Que tout dis boire et moi jesir;
Mes deffi^ndu on le m*avoit ,'
Uns médecins, qui bien sçavoit
Quel maladie a voie el corps.
Pour moi traire de ealour hors
Avoif à mes gpardes bien dit
Qu'on ne laissast entours mon lit
Nul buvragpe, ne pot, ne voire,
Car trop contraire m'estoit boire ,
Et on m en gparda bien aussi.
Dont une fois m'avini ensi
Que j*a voie calours sigrans
Que de riens je n'estoie engprans
Fors de tant que bé u euisse;
Et me sambloit, si je penisse
Boire, quej'estoie g-aris.
A dont di-jou tous esgfari s:
« Ha! pour Dieu ! qu'on me donne à boire
DE JEAN FROISSABT. 235
» Ou je muir ! » On ne m en voU croire,
Ains mes gardes se teurent quoi;
Et je> pargprans désir dis : « Quoi !
« Me laïran de soif morir » !
En cel ardour, en ce désir,
M'ala souvenir de ma dame^
Lors m'alai acoisier, par m'ame;
El pris fort à penser. Nient-mains
Sus mon orillier mis mes mains.
En ces te ardour qui me tenpit
Mains pensers devant me venoit.
Là ordonnai une complainte
D*amours, dont en veci la plainte.
La complainle de ramant.
A boire ! à boire ! le coer m'art.
Car férus est d'un ardant dart;
Pour ce désire tempre et tart
Boire à foison^
Car la flame par tout s'espart.
Jà est bruïs plus que d'un quart >
Et se n'i sçai voïe ne art
De g^pison,
Ne médecine, ne puison,
Car touchiés est dou droit tison
Dont Cupido, une saison,
Se Diex me gpart
Feri Phebus en loquison
De Dane à laclere faço^i.
Or ai juste comparaison
Pris pour ma part,
234 roÉsius
Dane &i fu une pueelle;
|)e Dtane estait da»oisette,
Que PfaekuA enama^ m^s celle
Point |i« Vamoît ,
De ^lUfti Pbebu», p^ur Vamour d'elle >
^eçut maîutft àuve estinoellft
Vîve et ^wà^MSfêom' la mamelk^
Et à lion àroïty
Car peuv s'ameur» si prU estoU
Qu il le prioit et requeroU',
Mes eetle toa% dis le fuioit.
Ensi la belle
Q»e mon eœv cpleat, sept) aime et crail
Me tient en ce méisme endroit;
Com plus li prie et mains reço|t
De ma querelle.
Au mains se j'en ^voie otant
Que Phebus ot en son viyjinti
J'cnviveroïe plus|oi3nt
Que je ne &çe.
Comment qu'il n'en ot pas trop garant
Déduit auçoer^ iq^s |i6m-pour-quant
)Les Diex qui le vicept an^anl
Li firent grascç,
Et encores il $'ep solace;
Et se Tacole et se l'embrace,
Mes véoir ne le poet en &be ,
Ne son semblait
DR JEAN FROISSART. 237
Et se poursieuk toiisjôdfs la trace
De sa très amouroiise chace;
Mes Dane au coer tie li pôurôhace
Joie noiaYit.
Or vous dirai raison pourquoi
Phebus chéy en tel anoi.
Il y ot bien cause, je croi,
Veci comiBBni :
Un jour ert en son esbatioi
Cupido,d*amours Dieu et rojr.
Avint que Phebus vint sus soi
Soudaînnement,
Et li dist orguillousement :
tt LWc de quoi tu très rent-moî, rent,
»Et la flèche tout enseftient,
)> Car envers moi
» Tu ne sefes traire de noient.
» J ai oceis Python le serpent
» Qui de longueur oft un arpent , .
» C'est trop pour toi. n
Et Cttptdo qui fti plaiits d'îre
Li prht, tout en p^ifstfnf , à être :
« Voire ! Phèbo^, PhebtfS, lesm sire,
)) Estes TOUS tels
» Que môn'arc et la dt^ite vire
» Dont je m'esbas et dont je tire
» Me volés ores contredire,
» Et vous vatitès
)> Que mteut^ de mot frayés assés.
^38 POÉSIES
» Je ne suis mies si lassés;
» Car ains que li ans soit passés ,
» Pour vo mestire
)) Contre moi, ne vous g'arlrés;
»Car ma flèche si sentirés
»Que mieuls trai que vous, ce dires,
» Doit il souffire f »
Bien li tint ce qu'il li promis!,
Si eom Ovides le descripi;
Car en brief termine il s*assist
Dessus le mont
Que de Supernascus on dist.
Son arc et ses deus flèches prist*,
L'amourouse ou coer Phebus mist
Si très parfont
Que là où li vrai amant Vont,
Ce fut pour Dane, qui adont
Bstoît la plus belle^dou mont.
Ensi Tesprit.
Laultre flèche dou copsecont,
Traist à Dane. Trop loing' se vont
Ces deus cops, car contraire sont
Et plain d'estrit.
Li une flèche est amoureuse
Et li aultre si haynouse
Que plus ne poet. De la plommouse
Pu lors attainte
Dane la simple et g^raciouse.
DE JEAN FROISSÂRT. 239
Pour ce se tenoit org^uîUouse
Contre Phebus et peu pitousé
D oyr sa plainte.
Nom*pour-quanf proyere tamainte,
Maint souspir et mainte complainte
Fbt Phebus, qui vie en ot tainte
Très dolerouse;
Dont la face avoit pale et tainte.
Souvent disoit à vois destainte :
« Dane, pourquoi m*es-tu si fainte
)> Ne si nuisouse
)) Quant tu ne me dagues amer ?
» Si n'a deçà ne delà mer,
» Dame qui on devist blasmer
» Pour moi chierir.
» Je ne le di pas pour vanter;
» Mes pour ce que d'amour sans per
» Je t aim'> et si ne puis trouver
» Ne en toi vir
)> Grasce qui me puist resjoir.
» Ne tu ne me daignes oyr,
» Mes eslong'ier et defuir,
» Et moi donner
» Aperte cause de morir;
» Csfr longuement ne puis souffrir
» La vie où il m'esloet lang^uir.
Et cest tout cler. »
Ensi faisoit Phebus ses plains,
D amours et de dolours tous plains;
UÙ POÉSIES
Mes Dane n'acontoit deus pains
A ses anois ,
Ains s esbatoit pdar ce îiîetit-mains
Que Phebus fast pôUr li d'estrains.
Avilit qu'un jcml" chàçoit aux dàîri».
Dontéélle fdis
Regfarde et voit Dane e«s èl bois.
Vers lî s'en vînt, et éoth tôurtdis
Se le salttlï ce fu dfcris
Et joint ses mains;
Et quant Daen en oy la vois,
Elle ne dist pas : a Je m'en vois. »
Mes tantos s'en fui en vois,
Quanquepot ains.
Parmi lé bois tout le grant cours.
Moult li sembloit li termes cours
Qu'avoir peuist aucfuns sçcoùrs
De la Déesse
Dyane, à qui elle fous jours
Prioit et faisoit ses clantours^
Et li disoit : (cTôus mes retous,
)) Danle et maitressér,
» Sont en vous. Dont par vo noblece
))Ne consentes que jà me bïece.
» Phebus^ car je en suis en escej
»Trop m'est en tours;
» Et se je fui tout pour lui es- ce
» Car OHi|ues d'aÉMI- n'tm H teee^
» Ne on^es ne se*ti la flece
)) Au Dieu d'amours. »
DE JEAN FROISSART. 241
En fuiant disoit Dane ensi.
Et tant ala qu elle a fui
Sus les ombres de Penéi ^
Là s'aresta,
Car sa force moult a foibli^
£t Phebus de priés le sievî.
IJuant Dane le vit dalès U
Li s escria
£t dîst : (( Dame> que mavenra ?
» Se ne m'aidiés trop mal mïra
» Car Phebus de moi joïra. »
Sa vois oy
Dyane qui forment Tamaj;
Aidier le volt. Adont droit là
En un lorier le transmua
Vert et joli
Or est Dane en lorier muée
Et Phebus à cui pas n'agrée
Ne s'en poet trop en sa pensée
Esmervillier.
En estant jette sa visée
Que celle qu'il a tant amée
Que Dame et amie clamée
Est un lorier;
Pas ne le voelt pour ce laissier^
Mais le va doucement baisier
Et acoler et embracier,
Et dist : » Hiensnée
<( Ne me puet au coer tant aidier
FAOISSART. T. IVI. 16
212 POÉSIES
« Qiie toi honnourer et prisier,
<( Douls arbres, car Dane och moult chier
(t Qui m*est emblée.
« Dyaneenlorier le m'a mis.
(( Et pour ce que je ses amis.
<( Sui et voeil demorer tout dis
<( Un don li donne
cQuen tous temps iertvers et jolis,
« Et tout Roi qui conquerront pris
« D'onneur et d'armes tant le pris
« Une couronne
(( Aront de lorier belle et bonnne
(( Et le portera la personne
« Qui victore aura; je l'ordonne
(( En tous pays
(( Souef flairra et foeille et gfonne »
Eusi ala com je vous sonne,
Si com Ovid^s Taraisonne
En ses escris.
Pour revenir au droit propos
De mon plaint de quoi je propos,
Di que Phebus en garant repos
Vint de sa Dame
Quant elle fut muée en bos.
Raison pourquoi dirai tantos.
El nen avoit que crueuls mos.
Qu'est de la famé
Qui le coer d'un amant entame
DE JEAN FBOISSART. 343
Et puis n'en vœlt oïr esclame
Ne receveir en pi té larme
Que li devos
Die ne fait, ançois renfiame.
Trop mieulz vaudroit celi, par m'amel
Ëstre pèlerine à Saint Jame
Qu'en tel compos.
Plevist ore au roy de lassns
Que ma dame, qui de refus
S'esbat à moi et fait ses jus
Fust devenue
Un beau lorier vert et foellus;
Au mains je ne seroie plus
En doubte de moi traire en sus
De sa Téue;
Mes ce qu'elle se rit et jue
A moi donner response nue,
Ce me taint la couleur et mue;
S'est mes argpus.
S'en un lorier estoit vestue
Ma dolour auroit g^rand ayewe
Car elle seroit secourue.
De la Phebus.
N'ama Pymalion l'image
De quoi il fist taille et ouvrage;
Et Candasse, qui tant fu sage,
De pourtrefture
Fist ouvrer le droit personnage
D'Alixandre, corps et visage,
16*
2U POÉSIES
Et enama de bon corag^e
Celle painture.
J'en sçai mainte belle figfare.
Se ma dame, qui tant m*est dare^
Est aussi muée en verdure.
Ni voi damagfe
Dont je fesisse trop garant cure,
Mes quant je vise à Taventure
J'ai dit, au regparder droiture^
Un garant oultrag'e.
Quant j*ai ma dame souverainne
Sous hedié par pensée vainne
Que sa façon doulce et humainne
Et son g-ent corps
Fust mués en fourme vïllainne.
De la merveille je me sainue
Comment j'oe onques sanc en vainne
De penser lors
Si g^ant oultragfe. Âbors, ahors!
Certes je ferai tirer hors
Le sanc de moi qui s'est amors
Et mis en painne
A moi donner tous desconfors*
Se ma dame ooit telz recors
BGeulz'me vauroit à estre mors
Qu'en leur demainne
Mes qui m'a fait tels souhès faire?
Il ne me sont pas nécessaire
Car de petit me poet-on traire
DE JEAN FROISSART. 245
En grant péril.
Trop me voelt esfre secrétaire
Fortune, quia tous voelt plaire;
Se j'ai mesdit je m'en voeil taire.
De li vient-il.
Trop sont ses las fors et soubtil
Prendre me voelt, je croi, au bril;
Elle m'a mis en garant péril
De moi defFaire>
Mes quoi qu'elle me tienne vil,
Ha dame à le coer si gentil
Que jà ne m'en vodra nennil
Chose contraire.
Aussi j'escuse le coer mien
Qu'onques ni pensai mal engien.
Amours le scet, qui cognoist bion
Ce que je pense,
Comment faimme sus toute rien
Ma dame, car c*est tout mon bien
Mon souverain Dieu terriien
Tant qu'en loquensce
C'est m'onnour, c'est ma reverensce;
C'est ma très plaisant residensce
Où je prenc confort et prudensce
Sans nul moyen;
Si le voeil en obediensce
Servir par bonne diligensce
Et recevoir en pascience
Le plaisir sien.
246 POÉSIES
Et se fortune plus m'assault
Qui de mon coer fait son bersault^
Pour que le chose il tressault
En mainte fourme,
Si me vodrai-je tenir baut
Car courons en coer riens ne rault^
Mes par nécessité il faut
Aidier coer mourme^.
Las! mes se ma dame on enfourme
Que je laie, par langage ourme»
Souhedié ne lorier ne ourme,
Un moult bel sault
Ferai, et aurai grant sens d'bmme
Se je me puis, ce est la somme»
Escuser; car pour mains on nomme
Homme ribaut
Quant je m'avise, j*ai dit maT,
Car je voeil mettre en gênerai
Ce qui est en especial
Chose commune;
Ce scevent juge officiai
Comment fortune boute aral
Ceuls à pié et ceuls à cheval
Et les desjune
A la fois en droit temps c'en june
De jalousie et de rancune.
Encores fait trop pis fortune
En principal.
Dont s'il est aucuns ou aucune
DE J EAN FROISSABT. 2 il
Qui s^en plaint, elle est à tous une;
Mes jou aurai, inalgfré l'enfrune,
Le coer loyal.
Si m'est vis. que je me puis mieuls
Escuser par droit en tous Ueus
Que de son fait estre doubtieus
Ne moi doloir.
De fortune voeil-je estre esquieus
Et penser aux douls plaisans yeus
De ma dame> vairs et gfentieus.
Et concevoir
Comment elle fait son devoir
De sagfement apercevoir
De donner et de recevoir
Regfars soubtieus.
Gils pensers me met main et soir
En tel frefeil, au dire voir.
Que je ne cognois blanc à noir
Si m'ayt Diez.
Et m'est vis qu'à coisir ou monde
Si gfrans qu'il est à la réonde
On ne trouveroit pas plus monde>
C'est chose vraie.
Toute bonté en li habonde
Et moult grant beauté li souronde
Simple et plaisans, vaire est et blonde,
Jolie et g^aie;
Son bel maintien forment m'e^g[aie>
Car si courtoisement me paie
248 POÉSIES
D'un r^art, dont elle me plaie
Pour ce une onde
De pité convient-il que j'aie,
Ou aultrement la mort m'adaie^
Car j'ai pointure au eoer sans plaie
Grande et profonde.
Qui ne poet à garison prendre;
Car elle est si foible et si tendre
Que de trop petit elle engfendre
Painne et douleur.
Un seul reg^ard me fait entendre
Que je doi et puis bien attendre
Grasce en ma dame où je yoeil tendre
Par bonne amour«
Or ai-je à la fois g'rant paour
De fallir et de lointain jour;
Et pour ce qu*en péril séjour
Je veeil aprendre
Comment trouver poroie un tour
Salve sa paix et son honneur
Que je peuisse à sa douçour
Plus brief descendre.
Mes je ne sçai qui m*en conseille
Car ma vie n'est pas pareille
Aux aultresy ains est despareille
Plus qu'aultre chose.
Car quant je dors ou quant je veille
Teusjonrs m'est présente en Toreille
Ma dame, qui blanche et vermeille
Est com la rose}
DE JEAN FROISSAllT. 249
Et lors, à par moi je propose
Les gfrans biens de li et les gflose;
Et quant en ce penser repose
Moult tost m'esveille
Amours qui m'est aucoer enclose;
Mèsjevoi bien quelle me pose
Car à ma dame dire n'ose
Geste merveille.
Ains d'un tout seul regart s'esbat
Mon coer, il ni prent aultre esbatj
Mes longuement en cel estât
Vivre ne puisj
Car mon coer tient en garant débat
Cremeur qui dedens soi s'embat ,
Et Jalousie qui abat
Tous mes déduis.
Cuidiés vous que je soie vuis
De durs jours et de povres nuis ?
N'ennil; j'en ai bien quatre muis
De bon acat:
Et ai eu le plus de puis
Que je mis le pié dedens Puis
De Tostel où confort ne truis^
Ce me rent mat.
Et ne sçai où gfarant je quiere,
Car c'est mieulz drois que j'en requière
Ceste qui me pdet mettre arrière
De joie ou ens
Qu'autrui*, mèé trop crienc sa manière^
250 POÉSIES
Car je sçai bien combien Tai cfaiere-i.
Mes elle fait trop millour cîere
A pluisours gfens
Qu'à moi qui al mis fout mon temps.
Mon coer, mon corps, m'àmour, mon sens^
A li amer. Hé mi dolens !
Or m'est plus fiere
Qu'aux aultres» ce m'est durs contens.
Je ne m'en tienc pas pour contons
Car je lî samble un droit noiens:
En ma proyere.
Elle y aconte ensi que nient;
C'est ce qui en soussi me tient
Dont> se mon coer s'esmaie et crient
Et se complaint
Bien y a cause; il apertient;
Car toutes fois qu'il me souvient
Comment ma dame me maintient >
Mon coer se taint
Diversement en plus d'un tatnt;
Car cbalour et froideur l'attaint,
Et si n'est douçour qui l'estaint^
Dont sll n'avient
Que Franchise Pité ramaint.
Je sçai moult bien où la mort mainte
Et se je muir> aussi font maint:
Morir convient.
J'aim'mieulz morir, jà ne demeure ^
Puisque Fortune me court seure
DE JEAN FBOISSART. 25 1
Et que la mort pour moi labeure
Qu'est re entrepiés.
Il n*est conforsqui me sekeure,
Ne qui pour mcH aidier akeure
Et mon las eoer quï tous jours pleure
Si est playés
D'un ardant dart qui fu forgiés
D'un douls vaii-s yex, plaisans et lies..
Or n'est boires, tant soit hefies
Qui me saveure
Ne par qui soit assonag'iés
Lesoif que j'ai, qui m'est si gprîés.
Boire me fault, dame; or m'aidiés
Il en est heure.
Or ai-je demandé à boire
Et que ma demande soit voire
On n]ben poet loyalment bien epoire>
Que grant soif j'ar.
Mais ce n est pas de TÎn d'Auçoirre
De saint Poursain ne de Sansoirroi
Tant soitclers ne friansen voire
Ne de goustgai;
Ains est d'un simple parler vrai
Qui viegne dou coer. Je n'aurai
Bien jusqu'à tant que je verai
Venir bon oirre .
Ce parler qui m'oste d'esmay
Et lors lesoif estinderai
Que j'ai si grant. Certes je (ai
Bien à concroire.
252 POÉSIES
Car qui désire^ il n'est pas aise»
Âins vit en painne et en mesaise.
Pour ce reçoi, par Saint Nicaise i
Grief penitanee
Il n'est nulle riens qui me plaise
Ni qui mon povre eoer apaise.
Fortune m*acole et me baise
A sa plaisance^
Elle a sus moi trop garant puissance
Elle me toit la cogfnîssance
De manière et de contenance
Qui s'en taise.
Se ce n'estoit seule espérance
Qui me tient en ferme ordenance
Je ne voudroie la montance
D'une Frambaise;
Mes elle bon confort me baille
Et g-arant contre la bataille
Qui nuit et jour au coer m'entaille
Pensers divers
Dont je m'estenc, frémis et baille.
Il n'est nulle riens qui me vaille.
Ne je ne sçai comment jou aille
Nus ou couvers;
Car soit esté ou soit yvers
Je senc mon corps , mon sanc» mes ners
Tous afoiblis , pales et pers.
Bnsi sans faille
Sui-je de par fortune ahers.
N'ai fors le coer qui gist enfers
DE JEAN FROISSABT. 253
Mes jà à lui ne sera sers
Vaille que vaille
Me poet-on croire à ma paroUe ?
•Oïlj car on dist à Tescole
Que la bouche dou coer paroUe.
Certes ce fait.
Vois de la mienne n'ist ne vole
Que mon coer ne le jette en mole.
Et sent bien s'elle est sag^e ou folle,
Ains le retret;
S*elle est bonne en avant le met,
Se non par derrière le let;
Mes je sçai bien tant qu*à ce fait
Qui me console
Dou millour dou coer lai estret
Tout ce que j'ai dit et retret >
Et bien paroie dou parfet
Emplir un roUe^
Comment je vif, comment je sui,
Comment je senc painneet anui,
Et si n'en sçai pas bien à qui
Prendre conseil.
A ma dame, non à autrui,
Deuisse monstrer mon annui,
Car premiers par li mis je fui
En ce travel,
Ne Phebus^ le Dieu dou soleil ,
Pour Dane n ot ains le pareil
Que je reçoi. Si m*csmerveille
254 POESIES
Moult aujourd'hui
Comment tant dure en tel essein.
En tel soussi, en tel frefeil,
J'ai seul espoir; là me conseil,
C'est mon refui.
C'est assés peu, car longe attente
Fait bien fallir Tomme à s^entente.
Il est avenu à euls trente
Qu'il n'ont eu
De leur queste nulle aultre rente,
Fors tele qu^amours me présente;
Mes assés peu je me contente
De ce salu
Car s'aucun ont leur temps perdu
Je Todroie avoir despendu
Le mien en gprasce et en vertu.
Las or me tempte
Desespoir qui onques ne fu;
Mes dedens moi qui me sent nu
De confort, simple mat et mu
Ce me tourmente.
Et si ne sçai où garant querre.
Il n'a si sage clerk en terre
Qui me scevist de ceste guerre
Mettre à la fin.
Mon coer voelt que tout di je erre;
Et com plus voi et plus m'enserre
En estât où ne puis conquerre
On seul frelin.
DE JEAN FROISSABT. 255
S'en reçoit-je soir et matin
Maint frolt maint chaud et maint hustin
Qui me font tenir chief enclin*
Or Yoeil requerre
Ma dame au g^ent corps féminin
Que par son doulc plaisir bénin
Je puisse, dedens brief termina
Sa grasce acqnerre;
Et se je fail, ma joie est morte ^
Et se je l'ai, je me déporte;
Ensi voi devant moi la porte
Ample et ouverte
Qui joie et deslourbier m'apporte.
Voies y a, li une est torte,
Mes sievir vodrai la plus forte
Et plus aperte.
Plaisance s'est à moi offerte
Et m'a dit à la descouverte:
» Sert loyalment car de ta perte
» Ne desconforte
» Tu seras, selonc ta detserte
» Payés, je te dit tout à certe ;
» Et se Fortune te perverte
» Si te conforte. »
Ensi Plaisance m*amonnesfe
Que je me tieg^c en vie bonnes te,
Et trop bien me poet sa requeste
Faire tout riche.
CToire le voeil et servir cesie
256 POÉSIES
Pour qui je sui entrés en queste.
Or doînst que sa grasce conqueste
Car je m'afiehe
Que se j'estoie roi d'Âufricbe,
Duc de Baivière et d'Osteriche^
S'en feroi-je ma dame friche
Honneur et feste.
Las ! mes je croi qu elle, à trop niée
Tient mon langag[e et mon servisce;
Et pour ce sus moi, quoi qu'en dice
Si peu s^arreste.
Je ne sui pas de taille digne
Pour amer chose si benigpne
Com est ma dame féminine^
Mes j'en accuse
Amours qui a mis la racine
Dedens le coer et qui m'encline.
A s'amour or en détermine^
Car jem'escnse
Par lui; ci ne fault nulle ruse.
Je sçai bien comment mon temps use.
On me débat , on me refuse,
On me hustine;
C'est ce pourquoi je pense et muse.
Trop est pités pour moi repuse.
Pour moi m'est-elle si rencluse
Ne si estrine.
Quant et que loyauté ne voeil
Servir et cremir bel acueil.
DE JEAN FROISSART. 257
Et obéir à tout son voeil.
Pas ni prent gfarde
Ma dame, Hé mi! dont je recueil
Plus de grieftés qu'ayoir ne soeil
Et Cupido, dont ]e me doeil,
Si me regfarde
Fellement de sa haulte garde,
Trait m'a de l'amourouse darde,
Mes de celle, que mal fu arde !
Plainne d'orgueil.
Qui est haynouse et couarde
Atrait ma dame la gaillarde.
Bien le voi^ car elle me tarde.
Son doulc accueil,
Et ne sçai comment m'en chevisse;
Car se mespris vers li éuïsse^
Vraiement je me rendesisse
En Feure mas.
Mes nennil; pourquoi je deuïsse
Recevoir si grant préjudisce
Que je reçoi? ne pourquoi g^sse
De tous solas?
He! Gupido, navré tu m'as
De la flèche dont jà navras
Phébus pour Dane. Or ne voi pas
Qui me garisse.
Ma dame me fîiit le grant pas.
Et se m'ont donné ce trespas
Ses douls vairs yex fais par compas
Simple et propisce.
FiOISSART. T. XVI. I7
258 POÉSIES
Car, quant premiers me reg'ardomit,
Vis m'es toit que bien me pooîent
Conforter, pour ce qu'il estoient
Doulc, simple et vair.
En ce reg^ard qu'il me fesoienf
Tout plainnement me conquéroient,
Car en reg^ardant me perçoi^nt
Sens, corps et coer,
Or voeil requerre à Jupiter,
Et à Venus sa belle soer.
Et à Juno déesse en l'air
Qu'il me desloient
De ce très dalerous enfer,
Et estent de mon coer le fer
Qui me toit le g^oust et le fier
Que mi œil voient;
Car je voi ce que je n'ai mie,
Grasce en ma dame à qui prie.
Pont se ma proiyere estoye.
Et que li Dieu
L'exaucent par leur courtoisie^
Faire me poeent grant aye.
Car quant Phébus n'ot point d'amie^
Dalès un rieu
Un beau lorier vit en son lieu.
Or pri Jupiter de coer pieu
Que mon fait face plus hastieu
Et* qu'il m'aye,
Car je mec tout ou plaisir sieu*
DE JEAN FROISSART. 259
Ma dame me fait trop pensieu,
Et pas ne li di en Ebrieu
Ma maladie,
Mais en langfag^e cler et plain
Quand je puis*, mes tant fort je Taim
^e quand li voeil dire en certain
Et en apert
Comment pour li sui soir et main,
Je n^ai bouche, coer, oeil ne main,
Qui puist dire ne monstrer grain
Quel chose il quert.
Or ne sçai de quoi ce fait sert,
Car simplement et en couvert
Se tiennent mes yex tout ouvert,
Et ont grant fain
Que mon coer dice : » j^ai souffert
» Tous gfrïefs pour vous, dame or j dessert
» Mort ou merci; il le requert
» Au pardarrain. »
Mes nennil mon coer pas ne poet
Dire tout ce qu'il pense et voet,
Et pour ce souffrir Ten estoet
Tamaint grant grief
Car Désirs ardamment le moet>
Par Plaisance qui le promoet-
Et puis q'un tel assaut s'esmoet
Dedens monchief
Il convient que je traie à chief
Ma penitance et mon meschief.
17*
260 POESIES
Mes je voi bien que de rechief,
Ensi qu'il soet,
Mon coer je senc si fort blechief
D'un dard, qui est escris ou briet^
Dont Phébus fut navrés en brief
Que ce le doelt
Car la plaie n'est pas petite
Qui m'est dedens le coer escripte;
Pas nem'i nuist, ains m'iproufite^
£ar elle est faitte
D un penser qui moult me delitte^
Et quant je senc. nul oppositte,
En pensant, à par moi, recite
Qui li attrette
Uns reg^ars, une douce attrette,
De la belle > bonne et parfette
Qui de toute bonnour est esf rette.
Or soit bénite
La plaie, et aussi la sajette
Qui me tient en si douce debte
Que mon traveil et ma souffrette
Tienc pour mérite.
Cest mon bien, c'est toute ma joie^
C'est le penser qui me resjoie
Et lequel nuit et jour m'envoie
Grasce et confort.
A la fois, quant le plus m'aiinoie
Et que par souhet je vorroie
Qu'à moi venist la droite voie
I
DE JEAiN FROISSART. 26 1
Amère mort,
Et je imagine bien fort
Le gfeni corps et le bel déport
La manière et le doule ressort
Ha dame quoie^
Je prenc en moi grant reconfort ,
Et m'est vis que j*aui*oie tort
Se par cause de desconfort
Je m'occioie
Lanspelo9^ Tristrans , Lyonnel ,
Porrus, le Baudrain» Caffiel,
Paris, et tamaient damoisel
N'ont pas e$té
Amé pour seul dire: a il m'est bel
»Dame c'or prendés ce chapel
» Et me donnés sans nul rappel
»Vostre amisté.
Nennil; ains en ont bien livré
A grant martire leur santé,
Et maint y ont, ains qu'estre amé
Laissié la pel.
Or sui-je lies en vérité
Et prenc la mort en grant chierté
Quant je ai comps^gnon trouvé.
Il m'est moult bel.
Au mains ne puis-je morir seuk,
J'ai des compagnons plus de deus;
Mes en fin de mon plaint piteus
Je te délivre,
Amours, tous mes fais temporeus,
263 POÉSIES
Car tu es mon Dieu Corporeus.,
Et te pri très atfectueus
Que livre à livre
Poise les biens; car je me livre
Tels a toi, ne plus ne voeil vivre:
Scés tu pourquoi? trop fort m*enyvre
Li ardans feus
Qui le coer tangfuereus fait yvre.
Mes je t'en pri, escrime ou livre
Où on troeve, qui bien s'arive
Les SMnoureus.
Dame, cent clauses despareilles.
Pour vostre amour n'est pas merveilles^
Ai mis en rime. Or crienc moult celles.
A mal dittées,
S'ensi est, encoupésles belles,
Tes simples et plaisants masselles,
. Qui à point blanches et vermeilles
Sont coulourées,
Car ce m'ont souvent mes pensées
En pluisours ponrpos transposées;
Et se bien ne les ai posées,
Si m'en conseilles,
Amours, car je t'ai moult d'anées
Servi, et mon service^ grées;
Mes scés-tu de quoi tu m'effrées :
Trep me traveilles.
En souspirs, en plonrs et en plains
Pristun peud'arrest mes complains,
DE JEAN FROISSART. 263
Et nom-pour-quant en mon grisant
Ce complaint aloie disant
Plus d'une fois le jour sans doubte;
Là estoit mon entente toute,
Et le souvenir de ma dame,
Que Dîex gfart et de cors et d'ame !
Ce me faisoil entrouLlyer
Assés mon méraneolyer.
A ce m'esbatoîe à par mi.
Au chief de trois mois et demi
Se cessa la fièvre qu*avote;
Je me mis au râler la voie.
Je sambloie bien demi mors.
Moult de fois le mau puis remors.
Et madame en parla à celle:
» Cils Jones homs est moult, dist-elle,
» Empires^ dont ce poise moi,
— Distla dàmoiselle^ «je croi
» Qu'il se prendera à santé. »
— nCeseroit bien ma volonté
Dist ma dame , par saint Rémi ! »
Tout ensi le resdit à mi
La damoiselle, Diex li mire !
Cest drois qu'en telz parlers me mire ,
Car ce m'estoit uns g^rans confors.
Or me prisl voloirs d'aler fors
Dou pays, et oultre la mer,
Pour moi un petit refremer
En santé et pour mieulz valoir.
Je ne mis pas en noncaloir
264 POÉSIES
Mon pourpos, ains persévérai.
Et que fis-je ? je le dirai.
A la damoiselle m'en vins;
De mon aler parlement tins;
Et elle le me loa bien
Pour ma santé et pour mon bien :
» Car d un homme lout-dis avoir
»Arostel, oe n'e&t pas savoir.
» Et entrées que vous serés hors
^)Ne pool estre qu'aucuns recors
)) Ne seront de vouS moi k elle. »
— «Voire, di je, ma damoiselle!
»Mes entrées que hors je serai
»Et que ceste point ne veraî
» Dont tant me plaisent lî regart,
))Que ferai je ? se Dîex me gart !
«Il fault que vous me conseilliés. )»
— » Ha ! dist elle, ançoia qu'en aiUic&
» Tel chose ares, se Diex m'avance !
»0ù vous prenrés très gfrant plaisance.
S elle le di$t pas n'en falli.
Lendemain je revinc è li;
Mes elle m'ot tout pouvéu ^
Ce dont gré li ^i puis si^éu-
))Tenés, dist elle^ je vous baille
»Ce miroir; etsaciés sans faille
» Que ceste qui n'est pas îrée
»Si est jà par trois ans mirée;
»Si l'en devès plus chier tenir.»
— Dont U di. » Diex vous puist bénir,
DE J£AN FROISSART. 263
« Car moult yalés et moult vous pris ! »
Le miréoir liement pris ;
Si le boutai dçdens mon sain,
Près dou coer que j'en tinc plus sain.
Ne l'euisse rendu arrière
Pour le royalme de Baiviere.
De la damoiselle parti
Lies etjoious, je le tous di.
Et puis ordonnnai ma besongfne
De très tout ee qu'il me besong'ne,
Dou pays parti quant fu tamps,
D'amours le droit arroi sentans.
Et poorce qu'un petit vi 1 ombre
De la belle dont je &i nombre,
Ordonnai au département,
Amours m'en donna hardement,
Un virelay gai et joli
Que je fis pour l'amour de li.
Virelay,
Au départir de vous, ma dame,
Le coer ne scet se le cors part,
CSar fous jours tire à vous, par m'ame !
Par le garant désir qui m'enflame
Pour vostre amour, bruist et art.
Mes je vous lais, nia dame chiere*,
Tenés ma foi, m'amour entière
Sans départir;
Or le prendos à lie chîcre,
266 POÉSIES
Car vous en estes droisturîere
Dou pourvéir.
Mon corps se part, le coer se pasme;-
Car vo vair oeil qui son droit dart
L'ont si attaint que, sans la flame
Qui nuit et jour Vart et enflame)
N'aurai séjour tempre ne tart
Au départir
Dou virelay lors plus ne fis ;
Dont je croi que je me meiis,
Car encor y deuïst avoir
Dou mains un ver, au dire voir.
Mes quant acompagnié on est
Avec les g^ens, tel fois il n'est
Aucun parler ou aucun compte
Dont il convient c'en face conte ^
Et que son penser on delaîe..
Ce me fist faire la délaie
Dou virelay que n'en fis plus;
Car ne voloie là que nuls
Sceuist que je fuisse en penser^
Car donné euisse à penser
A ceuls qui tout à paix estoient
Et qui avec moi s esbatoient.
Nous chevauçames tant adont
Le jour premier et le secont,
Et ceuls qui nous embesongnierent,
Qu onques eheval ne ressongnierent»
Que nous venins à une ville
De JEAN FROISSART. 267
Ou d'à volés a plus de mille,
Et illbec nous inesins en mer
En Yolenté d'oultre rimer,
En une nef grant, gfente et fors.
Mes ançois que je fuisse fors,
Oc vers ma dame maint souspir
Maint pensement et maint espir
Qui me fisent lie et courtois.
Et là ordonnai jusqu'à trois
Rondelès^ en otele fourme
Qu Amour en moi aidant-m*enfourme.
•
RondeL
Dou corps qui sans coer n*a vie.
Douce amie , en celle nef
Souvienne vous, je vous prie
Dou corps etc.
Car soit à mort soit à vie
Je vous en laisse la clef
Dou corps etc.
Depuis n'ai glaires attendu
Que j'ai au second entendu;
Et le fis par manière tele
Que là faisons, qui moult ert bêle.
Le requeroit tant qu'à ceste heure
Car qui nagfe en mer il labeure.
RondeL
Diex doinst que brief vous revoie,
Ma droite dame^ en bonnour
'268 POËSIES
Car je mair pour vostre amour,
Et en quel part que je voie
Diex doinst etc.
Depuis nagames une espasse; .
Et ensi qu'une Vfoge passe
Par la force dou vent divers^
No nef fist tourner à revers.
Les mariniers crièrent lors,
Car li aiguë entroit ens es bors.
Le single abati-on aval.
Moult y valirent li cheval
Qui estoient ou bas estage,
Car il nous fisent avantage;
Entre les ondes et le vent
Valent au marinier souvent.
Bien me souvient de l'aventure,
Mes qu onques j'en fesisse cure,
Ne qu'as cordes la main mesisse,
Ne de riens m'en entremeslsse,
Ensi me voeille Diex aidier !
Quant j'en aurai plus grant mcstier;
Mes à mon rondelet pensoie
Et à par moi le recensoie;
Lequel je fis et ordonnai
Tout ensi que puis le donnai
A ma dame, pour quele amour
Je sentoie mainte langour.
BondeL
On doit amer et prisier
DE JEAN FROISSART. 269
Joiouse merancolic
Qui tient la pensée lie
Et le temps fait oublyer
Sans soussi et sans envie;
On doit amer etc.
Et moult souvent souhedier
Qu'on soit avec son amie
Pour maintenir gaie vie;
>6n doit etc.
Ce ronflel recordai-je assés.
Entrées fu le lait temps passés.
Dieumercil à bon port yenimes
Par vent) par sing^les et par rimes,
Et arrivans en une terre
Qui plus het la paix que la guerre.
En ce pays n'i venoit nuls
Qui ne fust le très bien venus,
Car c'est terre de grant déduit;
Et les. gens y sont si bien duit
Que tout-dis voelent en joie esfre.
Dou temps que je fui en leur esfre
11 m'i plot assez grandement,
Je vous dirai raison comment :
Avec les seigneurs et les dames
Les damoiselles et les famés
M'esbatoie très volontiers;
De ce n'estoie pas ratiers;
Et aussi saciés qu'à ma dame
Pensoîe si souvent, par marne!
270 POÉSIES
Que je n'avoie nul séjour*
De me mettoit et nuit et jour
Une heure en joie, et Tautre non.
De moi tenoie près le don
Que m'ot donné la damoi selle
Au partir, dieu merci à elle!
Car moult me plaisoit à véoir;
Cestoit le plaisant miréoir.
Ce me donnoit joie et confort,
Et pensement aussi moult fort;
Car quant ou miréoir niiroie
Sus ma dame pas nem*iroie,
Ançois disoie: « En ceste glace
» Se miroit ceste qui me lace
» Le coer, et tient sougit sous soi«
» Las! son doue vis plus ne persoi.
» Pluisours fois s'est y ci mirés;
v Mes de ce sui-je moult yrés
» Que je ne le puis percevoir.
» De tout ce ensi es-ce voir
» Par fig^ure, pour vérité,
» Qu'un ombre qui vient sus clarté
» Ci est lumière, et puis vient ombre
)) Qui le temps fait obscur et sombre.
» Las! pourquoi de ma dame chiere
» Quant je reg^arde la manière
» Dou miréoir^ n*ai le regart
» De la façon. Se Diex me garil
» Je vodroie qu'il peuist estre
» Que je ressamblasse le mestre
BEJEANTROrSSAIlT. 271
>'Qui fist le miréoir à Homme
y> Dont estoïent véu li homme
» Qui cbevauçoïent environ.
» Se le sens avoie ossi bon
» Que cils que le miréoir fîst
» En eesti ci, par Jbesu-Crist!
» En quelconques lieu que g'iroie
» Ma dame apertement veroie. »
Ensi devisoie à par mi.
Dont pluisours fois, par saint Rémi!
Prendoie eu parlant tel plaisance
Qu'il m'esloit avis, par sâmblance^
Que je véoie, au dire voir,
Ma dame eus ou mien miréoir.
Tamainte consolation
Me fîstTimagfination
Bou miréoir et de la gflace
Où ma dame ot miré sa face,
£t le tenoïe moult proçain
Tant de mon coer que de mon sain
Jamais je n'en fuisse senoec,
Que tout dis ne Teuisse avoec
Moi, en quel part que j*estoie;
Car au regfarder m'esbatoie;
C estoit mon bien et mon délit.
De quoi il avint qu'en mon lit
J'estoic en une nuit conchiés,
Des pensers d'amours atouchiés;
5ous mon orillier je Toc mis.
En pensant à ce m endormis.
272 POÉSIES
Dont vis me fu, en mon dormant,
Qu'en une chambre bien parant,
Bien aournée et bien vestue
De tapisserie batue,
Tous seules illoec m'esbatoie;
Etensi qu'en la chambre estoie,
Geste par vinc et ens regarde >
De mon miréoir me prenc gïirde.
Que g'i voi Timpression pure
De ma dame et de sa figfUre
Qui se miroit au miréoir.
Et tenoit d*ivoire un treçoir,
Dont ses chevelès demi Ions
Partissoit, quelle ot beaus etblons.
J'en fui esmervilliés forment;
Je ne rosisse estre aultre part.
Adont dou miréoir me part,
Car d'encoste moi le cuidoie.
Qui bien aime, c'est drois qu'il doie
Regarder à ce qu'il désire;
Je n'oc ne maltalent ne ire;
Âinsdi ma dame: « Où estes vous
» Pardonnes moi, fins coerstrèsdouls
» Ce que sus vous suis embatus.»
Lors le cuidai véoir , sans plus
Dire à li lors ne mos ne vers;
Mes il m'en fu tout au revers,
Car en fourme ne le vi pas.
Si f is-je en la chambre maint pas
Et le quis à bon escient
DE JEAN FROÎSSART. 273
Par tout, mes ne le \i noient.
Puis m* en revins au miréoir
£f encores l'alai «'éoir^
Lors di: « Veci chose faée!
D Certes, dame, forment m agrée
» <}uant pîner toos voi vo3 eheviaus^,
i> Se vous jués aux reponnimus
» Faites au mains que je vous troere^
h En nom d'Amour je le vevs roeve. »
A dont les fenestres onvri
£t tous les tapis descouvri
Pour savoir s elle s*i mettoit» ^
Mes vraiement pas là n'esteil.
Nom-pourM{uaiit ens eu miréoir
Le pooie pooi* voir véoir«
Là disoieen moi: « Cest frntomme
» Non est; car jà avint à Bomme
» De deux amans luerre pareille^
V Tele sin'est pas garant merveille
» De ces te ci, quant bien mavîse^
» Ensi qu'Ovides le devise.
» Il y et jadis dedens Somme
» Le fil d^un sag-e et d'un noble liomme;
M Cils estoit Papirus nommés.
» £n pluisours lieus est renommés ,
» Car le sens de li moult vali.
)> A dame amer pas ne falli;
» Aussi fu bien amés de celle.
» Ydorée ot nom la p ocelle.
^ De Papirus et d 'Ydorée
raoïss^RT. T. XVI* Ift
274 POÉSIES
» Estristore très bien dorée,
» Car si lojralinent s^entraraerent
)) Qa'onques loyauté n'entamèrent.
» Âins furent leur coer tout uni.
» Avint de Papirus ensi
w Que li Rommain si Teslisirent
» Pour un garant besoing[, et li dirent:
» Papirus, il t'en fault aler
» Au roy de Cecille parler.
» Li chemins y est g;rans et Ions.
» Pour ce envoyer ti volons
» Qu'on te tient à Romme à moult sag^e
» Et que bien feras le message.»
» — Papirus n'osa dou non dire.
» Mes son coer fu moult remplis d'ire;
» Et quant ce di$t à Ydorée,
» Si en fu forment esplorée,
» Et dist : <i Papirus, amis douls ,
» De moi dont vous partirés vous?
» J'en ai au coer si g'rant effroy;
» Jamais ne me verés, ce croi. » .
» — Et Papirus, qui garant sens ot,
}> Dist ensi quant Ydorée ot:
» Belle, il fault que tout ce se face,
» Mes tous jours me verés en face
» Et je vous; or vous confortés
» Et de tous doels vo coer ostés,
» Car je serai lors revenus.»
» — Deus miréoirs fist Papirus,
» Je.ne sçai pas sus que le eng^lume,
DR JEAN FROISSART; 275
Mes il furent tout d'un volume
Et fait par tel nigromaneie
Que ce fu trop belle mestrie,
Car quant il venoit en ag-rée
Que eus se miroit Ydorée,
Elle y véoit son ami obier,
Papirus, pour 11 solacier*,
Et Papiras otretant bien
Yéoit Ydorée ens ou sien.
Tel durèrent au dire voir
» Le Toiag^e li doi miroir,
tt Encores en voit-oii l'exemple
» A Aomme, de Minerve ou temple.
» Dont se lorspooie véoir^
)) Ma dame, ens oumien miréoir,
)) Croire le doi et forment plaire ,
» Car j'ai figfure et exemplaire
)) Qui est toute chose certainne ;
» Aussi, dame très souverainne,
)) Quant je vous voi forment m'agrée,
» Car c'est chose trop plus faée
» Que dou miréoir Papirus \
)) Car je vous voi et sus et jus
)) Tout parmi ceste ciiambre aler.
» Au mains que vous daigniés parler,
» Et un petit ouvrir vo bquche,
» Je n'ai main qui sus vous atouche
» Ne qui y puissent atouchier.
» Parlés, car je me voeil couchier
» Droit ci, dalèsmon miréoir,
18*
276 POtfilES
Et To contenance Téoir;
» Car mieulz ne puis manoir ne estre .
Lors m'assis dalès la fenestre
Et m^apoie dessus ma conte,
Main à m'asselie, et si esconte,
Et entenc la vois de ma dame.
Ne m'osai remuer, par m*ame ;
Car espoir, se remués fuisse,
Trop gprant plaisir perdu euisse.
Ains me tinc quoi et reg;ardai
Ou miréoir que bien g^ardai.
La figfure vi qui me touche
Q*un petit entrouvri la bouche
Dont dessus moi la vois oy
Qui grandement mé resjoy.
Le confort de la dame
Se pour moi es trîirtes et angoissons
Mas,esplorés9et eti coer dolereus,
Et de complains dire et faire songnens ,
Très dous amis, certes > tu n'es pas seuls.
Car montas coer porres et languereus
Est envers toi fins ,t vrèset amoureus.
Ne il ne poet nuit et jour estre wtsens
Qu*adies ne pense
Comment te soit en toute bonnour piteus;
Ne te vodroit point estre despiteus.
Car lyésest d'Amours, d'ossîdrois neus
Que pour Tristran en /u la belle Tseus
Et Genevre pour Lanscelot le preus.
Et tout aultre non pas seul de ces deus.
j
DE JEAN FROISSART. 277
Mes pour les fauls inesdisans liayneui
Fault abstinence,
Car leur parler, leur oeuvre et leur loquense
Est si plainne de toute violense
Qu'on doit cremir d'estre en tour audiense;
Et se poar toi est gfrans la differense
Mon coer en a ossi dure sentensce,
Car bonne amour Tatise et liine et tensce
Qui ne le lait, homme, jour ne dimensee
De dire ensi.
A ton servant grasce un petit dispense,
Parquoi sus toi nullement ne m*espense
Car mal payés se tient en consciensce
De ce qu'à li fais si longe silen&ce.
Ensi Amours nuit et jour me recense ;
Je me tienc bien contente dé la censé,
Et te suppli en nom d'obediemce
Soies ossi
Tels envers moi com je sui envers ti,
El que no coer soient vrai et uni,
Car je te tienc pour mon très doulc ami,
Loyal, secré, diseré, humle et joli ;
Ne onques mes tant ne t'en desoouvri.
Avise toi sus ce que je te di
Et à oultrag^e ne le tient, je t'en pri.
Se plus avant
Que n'as eu je te présente ci ,
Car se de œ t avoîe enorglUi,
278 POÉSIES
Morte m'auroîes, je le te eertefi-.
Mes en ton bien telement je m'afS
Qae quant gi pense assés m'en g^lorefi.
La loyauté de toi m'a enhardi
De toi donner confort, g^rasce et l*otri
De ton demant.
Voires mes, c'est par un tel convenant
Que, se ton bien aloit amenrissant,
Et Yoloies user de fauls samblant,
Morte m'auroies pis que dou dart trenrant
Dont Action occist sa dame^ quant
Elle Taloit parmi le bois quérant;
Car de bon coer la belle Tamoit tant,
Qu en un buisson
Repuse estoit, pour véoir en passant
Action qui les dains aloit chaçant,
Car elle en ert en jalousie garant.
Cilz trait son cop après un dain alant.
Ceste feri par meschief igfnorant
Et le navra dou cop. L^ belle errant
Piteusement li dist en escriant
«Ha! Action,
» Le dain s*enfuist> morte mas sans raison n
Li damoiseaus entendi bien le son ;
Son arc mist jus; au tret vint dou bougfon.
Celle acola qui pale ot la façon.
Car de la mort n'i avoit garison.
Et quant il vit que par tele occoison
Morte l'avoit, si en ot gprant friçon.
DE JEAN FROÎSSAUT. 279
Je le raporte
A celle fin, entent bien ma leçon,
Qu'entrer ne voeil de toi en souspeçon ,
Car je t'aim plus que Hero Léandon,
Ne Medée n'ama le preu Jason.
Mon coer, m^amour te donne en abandon.
Or en use sans nulle desraison .
Aies tout dis loyal entention
Et te conforte
A loyauté maintenir te déporte;
Je ne te voeil estre enfrune ne torte ; ^
Mes justement de mou bon coer t'enorte
Que je voeil que no coer tout d'une sorte
Soient, et se nuls nul mal nous raporte,
Jà n'entera jalousie en no porte.
De ce serai vraie ententieve et forte,
Je le te jure.
Mes je te pri qu'un petit tesusporte
Pour mesdisans que maie mort en porte.
De ce que vois riens ne te desconforte
Seg^urement sus ce que di endorte,
Un temps vendra qu'encor diras : <( Ressorte
)> Joie en nos coers qui ores se transporte.
)) A tout le bien que tu poes te ramorte
)) Et t'assegureî
» Ensi que di, je te serai segnre,
» Et se je f ai esté un peu plus dure «
» Que np vodrois, de tout ce ne fai cure,
» Car la piteuse vie maint en robscui*e.
\
280 POÉSIES
)) D or-en-avant- te serai douce et pure
» Et osterai de ton las coer Fardure.
» Je voeil sentir teut ce que tu endure
}f Es-ce or assés ?
» Figuré m'as au lorier par figure
» Et à Dane qui tant fu dure et sure
» Contre Phebus, ce dist ii escripture
» Qu'onques amer ne le volt par droiture;
») Muée enfu de Dyane en vredure,
» Ce f u pour Bane une gries aventure.
» Certes, amis, au lorier me figure
» A tous bons grés
» Car le lorier est uns arbres loés
ïi Vers en tons temps prisiés et honnourés.
n Onques ne fu ne enfrains ne mués.
» Ensi sera ferme en moi lofantes.
»Ne changerai soies asségurés;
» Mes je te pri, ear tu es moult discrés^
%Obéissans, humles vrès et secrés
»Que bellement
))Soit li estas amonrous gouvrenés;
» Car je te jur, et s'est ma volentés
»Que sedeus ans, trois ou einc, la prendés
)iEt l'aportast ensi nécessités
»Tu avoies à Tensus de moi mes
s Se serois f u tous jours en moi entés
» Et en mon coer escris et figurés.
» V^ci comment:
»Ën ton maintien, en ton gouvrenemeut >
»Eii Ion parler, en ton contenoment,.
DE JEAN FBOISSART. 281
)) En ton regard ^mi d'atemprement
» Prenroie nuit et jour esbatement.
))Et s'eslong^ié m'avoies un gramment,
)) Si me seroit tous jours tout ce présent.
» Par un très doulc souvenir seulem^it
«Qui m'est propisce.
» A ceste amour dont je t'aim ardamment,
» Mes je te pri, et pour plus longuement
»No vie avoir joie et deporteijnent
» Voeillés user de tout ce bellement.
)) Pour mieulz sallir on s*arreste souvent^
)) En trop haster n'a nul avancement;
»Qui souffrir poet, il vient à ce qu'il tent.
»Se je peuisse,
»Dou temps passé eslecié t'euisse
)} Et puis qu'Amours voelt que de mon coer isse
» Confort pour toi, et e'un peu te g^arisse
))Ce n est pas drois que je te reiiquierisse.
»M'amour te donne; il n'i fault nui permisse
» Salve m'onnour \ là tient le prejudisce
i>Si mieuls peuisse &ire je le fesisse
De coer entier.
))0r te requier qu'à présent te souffisse
» S'ensus de moi, amis, je te vôisse^
» Pour ton proufit liement fesczisisse ,
» Et à savoir par lettres te fesisse
» Comment mon coer voelt que te resjoïsse
»Et que jamais nostre amour ne finisse^
» Mes on en voie lardeur et l'edefisse
» Mouteplycr.
28Î POÉSIES^
» Je ne dbi pas haïr ce qui m'a chîery
)i Ne ce fuir qui me doit apprécier
» Quant je ni voi quonnour sans reprocier
» Et loyauté sans mentir ne trechier.
)) Par pluisours fois t ai pou assayer
» Par refuser sans toi riens octroyer,
» Par toi monstrer samblant cruel et fier
» Plain de rigfour
»Dont pluisours fois t'ai véu fretillier,
» Trembler, frémir, sanc muer et chantier.
» Onques trop dur ne furent mi dangpier;
■
» Je t'ai véu tout dis humilyer
» Et bellement pryer et supplyer:
»Dont vraiement, je Ibse bien jug^ier.
» Assés ie doit ta loyauté aidier.
)>0r tien m'amourf
» Je le t'acordc) amis, en toute honnour f
»Mès aultremeât n'en prias onques jour
» Car g-arnis es de sens et de valeur,
» De cog'nissance et de g'entil atonr,
»Que ne vodrois pour' riens ma déshonneur.
»Ce bon renom te portent li pluîsour ;
)> Geste vertu a en toi g^rand vigour
» Et bien m'ag'rée
» Quant j'ai mon coer enté en un séjour.
»Et si me Toi amée dou millour
)> Que véisse ains; pour ce t'aim et aour.
» Et pour ester de ton lasooer Tardour^
)) Je te requier en joie et en douceur
))Que tout espoir te soient de faveur.
DE JEAN FR91SSART. 283
» N'est nulïe rieas qui ne viegnc à son tour.
)} Se ta pensée
» Est en amours mise et enracinée
»11 ne sera ne soir nelnatinée
>^Que ne te soit toute joie ajournéa
»Onques ne fu t'amour en riens fraudée^
» Mes je fous jours bel servie et loée,
» Cremue en foi , prisie et honnourée.
»0r t'en sera Tueyre giierk*edonnée
» Sans nul delajr-,
» Ne me veras de ce pourpos nouée
» Pour parolle de créature née,
))Pour fortune qui maVest avisée;
» Car en ton bien telement il m'agi*ée
» Que chose que je voie riens ne n»*effrée^
»Car en la vie amourouse et discrée ^
y^ki mis mon coer et toute ma pensée,
)>Sacesde vrai.
)} Conforte toi en ce que te dirai.
» Secrètement tous les jours amé t'ai,
» Mes onques mes de ce ne f e parlai.
»D or-en-avant je le te monsterai;
3) Et croi ensi que je le te dirai.
))Si tretos comme je parler t'orai;
» Car je t^ai mis en tamaint grant assai
» Par mainte fois;
»Mè5 onques jour, certes, ne te trouvai
»Fors très loyal. La vois t'en porterai
» Et le renom quel part que je serai.
» Tu te dois bien donques ester d'esiiiai ,
2U POÉSIES
» Gar onques coer fors que le tien n'amai^
»Ne à nul jour jamais je n'aïuerai.
»Trestoiit ensî en mon coer escrîpt Vay
»Gom lu letlib.
»Soit à la ville, aux champs» aux prés, aux bois,
»En dis, en fab, en parlers et en vois
> Seras de moi nommés li très courtois
» Pour qui mon coer est tristes et destrois,
» Quant plus souvent ne te vob^ et c'est drois^
»Et tout ensi m'aye Sains Elob
»Quejejurrai
» Dessus les sains sacrés et benéois^
» Se mesdisant ne tendoient leurs rois
»De quoi il font aux amans tant d'anois,
» Pour un confort je t'en donroie trois;
» Mes je te pri qu'en bon gré tout reçois,
»Car en un jour avient bien, or m*en crois,
» Qu'il n*avenra souvent en trente mois.
» Or ne t'esmai. »
Lors se tint la vois quoie el mue,
Et la figure se transmue.
Ou miréoirplus ne le vi,
Car son propos ot assouvi.
Dont me sambloit que je disoie
Et dementroes que là gisoie:
» Veci merveilles el fantomme. »
En ce penser perdi mon somme.
Et lorsque je fui esvilliés,
Grandement fui esmervilliés.
DE JEAN FROISSART. 2B5
Nom-ponr^qnant à mon oriIli«r
M alai erramment conseillier
A savoir se gi trouveroie
Mon miréoir, ne li Teroie.
Oïl voir! droit là le trouvai,
Où je Toc mis; lors le levai,
Et le baisai moult doucement.
Puis pensai en mot long^ment.
Que j*avoie véu madame
Et oy parler : mes, par m'ame !
Ge n'estoit que dérision
De toute mon avision
Et qu'elle me feroit à dur
Pour mon confort si garant éar.
Croi fermement que le contraire
Oras tu temprement retraire.
Je ne sui pas tous seuls au monde.
Selonc ce que j*aide faconde
A qui le donlc dieu de dormir^
Morpfaéus, que si bon remir
A en dormant fait gprasce vainne,
Geste ci m*est assés lointainne;
Mes toutes fois, soit feble ou voir^
Je li en doi grant gvé savoir.
Quant en dormant m*a monstre celle
Pour qui Famourouse eslinoelle
^Senc, et parquoi que peu redoubte
Mis ma en paix et en gisant double.
Je vodraî retourner en brîef
Que ma dame n*ait aucun grief;
2B6 TOÉSIBS
Se saurai comment il li est^
Je croi que fortune jne pesi
D'aucune douce mélodie
Qui me tourra à maladie ^
Car, se la belle mx corps vaillant
Pour qui je me -vois travillant
Trouvoie mariée ou morte.
C'est le point qui me desconforte,
Par le digne corps Jhesa Crisl
Mon testament seroit escrips;
Je vodroie morir sans faulte.
N'ai pensée basse ne haulte^
Fors à ma dame que tant ains.
Dont joindi humblement les mains
Yers le ciel et fis ma proyere
Que ma très douce dkme chiere
PiCuisse à santé revéoir.
Âdont baisai mon miréoir
Tout pour ma dame et pour s'amour
A qui Diex doinst joie et honnour!
Et laissai mon penser ester.
Je ne m'i vole plur arrester,
^t pris en bon confort le lamps.
Dieu merci je fui plus sentans
Finalment de bien que de mal.
Peu de chose en «spécial
Beconforfe le coer d'amant
A toute joie me ramant
Mon songe, et bien y a raison.
Adont m anoia la sabon
DE JEAN FReiSSART. ^87
Pour ce que là tant sejournoie)
Et qu'eus ou lieu ne re tournoie
Où j'avoie layé ma dame
Pour qui j'ai fait tamaint esclame,
Et sui encor près dou sentir
Sans moi de noient alentir.
Slès ou lieu et ens ou pays
Où je n estoie pas liays
Avoie lors tant d'esbanoi
Que ce me brisoit mon anoi.
Nom-pour-quant, quant bien m'avisoie
Et à ma dame je visoie^
Moult bien ailleurs estre vosisse.
Lors dis en moi: a II fault que g['isse
»De ce pays, trop y demeure;
» R'aler m'en voeil ; il en est heure
» Et c'en voie que ci m^anoie.
» C'est bon qu'un petit m'esbanoie
» A faire un virelay tout ample
»Ensi que j'en ai bien l'example. »
Virelay.
Moult m'est tart que je revoie
La très douce simple et quoie
Que j'aim loyalment
Et pour qui certainnement
Ce séjour m'anoie.
Lonc temps a que ne le vi
Ne que parler n'en oy
288 POÉSIES
S'en tîc en trîstonr,
Car, en son maintien joli
Et ou plaisant corps die li
Garni de Talour
Tous esbatemens preudroi ;
Et par enst je vivoie
Très joieusement ,
Or me fault souffrir tourment
Ens ou lieu de joie.
Moult m'est fart, etc.
Amours, dittes li ensi :
Qu'oncques amans ne souffri
Si forte labour
Que j'ai souffert pour li ci
Et souffreraî autressi
Jusqu'à mon retour ,*
C'est raisons quelle m'en croie
Car, quelque part que je voie
Tant l'aim ardamment,
»
Il m'est avis vraiement .
Que tout dis le voie.
Moult m'est tart 9 etc.
Or sont grief pi our et g-rief cri,
Reg'ret, anoi etsoussi^
En moi nuit et jour,
Car sus l'espoir de merci
De li au partir parti
Et par bonne amour \
Dont s'a li parler pooie,
DE JEAN FROISSABT. 289
Au mains je U mousieroie
Ce que mon coer sent^
Mes bien voi, tant qu*en présent
Nuls ne ml renvoie.
Moult m'est tart, etc.
Lorsque j\ii fait le virelay
A ma dame baillié je Vai
Qui me tenoit en ce pays
Dont je n estoie pas hays.
Elle voit bien par la sentensee
Que mon coer ailleurs tire et pense.
Assez bien m'en examina
Et de moi tant adevina
Que fort estoie énamourés.
Or dist-elle : a Vous en irés.
))Si aurés temprement nouvelles
» De vo dame qui seront belles.
))DW en avant congfié vous donne:
» Mes je le voe^l, et si l'ordjonne,
» Qu em^or vous revenés vers nous. »
Et je qui estoie en genous
Li dis : <c Madame, ou je serai
» Vostre commandement forai. »
Et là à mon département
Me donna dou sieng^randement,
Se tant vous en volés savoir,
Ghevaus et jeviaus et avoir
Qui puis me fisent moult de bien.
Je m*en revinc ou pays mien
FROISSAET. T. XYI. 19
!290 POÉSIES
En bon estât et en bon point.
Dieu merci il ne falli point.
Et lorsque je fuis revenus,
A painnes fui-je descendus
Quant devers celle je me Irai
Qui de nos coers sçavoit Tatrai,
Laquelle moult me conjoï-
Ma venue le resjoy,
Et me demanda, merci soie,
Comment dou corps je le fesoie,
Et avoie aussi depuis fait.
<( Certes, di-je, s'ai maint souhet
» Fait au lès, deçà puis ce di
))Que me parti, et que vous vi.
» El toutes fois, que fait madame?
n Moult bien ce voeil-je voir, par, m'ame !
)) Car en li est ma santé toute.
))S'ai depuis eu mainte double
» De li et mainte souspeçon,
» Je vous dirai par quel façon.
» Je m'estoie couchiés un soir
)) Dessous mon chief le mîréoir
» Que me donnastes au partir.
)) Mes en dormant, sans point mentir,
)) En un tel songe me ravi
» Que ma dame proprement vi;
» Et liement la simple et douce
» Par trop beaus parlers de sa bouche
)) Me reconfortoit doucement;
» Et fui assés et longuement
DE JEAN FROISSART. 29 1
»E]i grant joie par son parler.
» Et si tos que l'en vi râler,
)) Je m^esvillai, lors tressalli !
» Car la vision me falli
» Après la joie fui en painne.
» Nom-pour-quant, en celle sepmainne
» Fis un virelay; tout nouvel.
» Veleci) dont ce m est moult bel. »
€e respondi la damoiselle:
» — Ce sera chose moult nouvelle,
y> Dou virelay^ je li dtmrai,
» El croi bien que je li dirai
» Une response pourvéue
» De tout bien à vo revenue j
» Car depuis vostre départie
)) Avons eu yceste partie
» Parlé de vous par pluisours fois
» Plus que ne le faisions ançois
» Que vous vos partistes de ci.
» Encor pores avoir merci ^
» Pas ne vous devés esbaliir.
» Amours ne voelt nuUui trahir^
» Serves loyalment sans séjour
» Car longe debte vient à jour. »
Le temps passoie; ensi avint.
Des jours ne demora pas vint
Que de ma dame oy nouvelle
Qui lors me fu plaisans et belle;
Car elle devoit une nuit
Ëstre en esbatet en déduit
Vf
392 POESIES
Ciés une sienne Qr'dnde amie.
On me dist « Or n'i falés mie»
» Et s'on poet par nulle raison,
M Vous cnterés en la maison. »
Pas ni falli; ançois y vins;
Mes par dehors Tostel me tins.
N*osai noient toucliier à Tuis.
Âins reg^ardai par un pertuis.
£n solas et en esbanoi
Avec aultres ma dame voi;
D*un bel corset estoit parée,
Lors dansoit. Hé mi! com m^ag^rée
Sa manière et sa contenance!
A garant dur fîs là ab&tenance,
Et toutes fois n'osai emprendre
D'entrer pour doubte de mesprendre;
Car il se fait bon abstenir
De chose dont mauls poet venir.
En cestenuit, se Diex me g^ard!
Je n*en oc el que le regard
Par le pertuis d'une fenestre.
Di-je en moi: a Qui te fait ci eslre?
»0n se truffe moult bien de toi.
» C'est commencemens de chastoi.
» Jusques au jour droit ci seroies,
» Aultres .nouvelles tu n oroies.
»Mès cuides-tu qu'il lur souvieg^ne
» Que ci tu es et qu'on le vienne
nQuerre, pour là dedens entrerf
» On y'scet bien sans toi ouvrer;
DK JEAN FROISSiRT. 293
))Encor te tien-je pour kokart
» Quant tu te tiens yci si tart.
» Va toi eouchier. » Lors me parti.
Peu de repos la nuit senti,
Et encores mains lendemnin,
Car on me dist: « Par saint Germain!
)>0ù avés vous anuit esté ?
))yous eussiés moult conques té
))Son vous euist trouvé à points
))De ce n'éussiés falli point
»De parler à la bonne et belle
»Quî n'est pas ores trop rebelle*.
))De vous, ains vos voit volentiers
»Trop plus que ses cousins en tiers. »
Je respondi: «Soie merci !
»Vraiemont je passai par ci
»Et fui garant temps ens ou regard;
» Mes je n osai, se Diex me gard!
» Paire si{jfnes que hors estoie
» Pour celles que laîens véoie. »
On me dist: a Ce fust trop bien fait.»
Ensi avint de puis ce fait
Que j'estoie en celle maison
On ma dame avoit garant raison
D'aler. Cary celle et la renie
Estoit une sienne parente
En une chambre bien pareé
Et très joliement arrée
Tant d'orelliers com de tapis,
De courtines et de bcaus lis.
294 POÉSIES
Et ensi com illoec esloie
El qu'an parler je m'esbatoie,
Ma dame d'aventure y vint. '
Contre li lever me convint.
Quant je le vi je fui tous pris-
Toutes fois assés bien compris
Qu'un petit coulour changea-elle.
Et là es toit la danioiselle
Dont je m ai à loer moult fort,
Qui nous fist seoir par acort
Et nous dist, encornons estant;
«Par foi, vous estes tout d'un graat;
))Ce seroit une belle paire,
))Et Diex doînst qu'Amour vous apaire^»
Lors nous commença à galer;
Et je cuidai trop bien parler
Et li remonstrer mon désir
Où s'amour me faisoit jesir.
J*en a voie bien temps et lieu;
Hès par la foi^jne je doi Dieu,
Je fui plus souspris en peu ^'^ure
Que tel que pour mort on court scure
En parlant ma dame regarde.
Mon coer disi: « Parle, qui te tarde?
— a De quoi ne sçai et aussi n'ose,
Dient nii oeil, « c'est fiere chose!
» Tu le vois et n'as hardement
» De li monstrer ton sentement. »
Un grant temps euisse esté la
Sans parler, mes ellepetrlft,
DE JEAN FROISSART. 295
Soie merci! moult doueemeni;
Et si me demanda comment
J avoie fait en ce voiaige,
Et je li dî: (( Ma dame, s'ai-je
» Poar vous eu maint souvenir; »
» — Pour moi ! Voire ! Et dont poet venir T
» — De ce, dame, que tant vous aim
» Qu il n'est heure, ne soir ne main ,
» Que je ne pense à vous tout dis;
» Mes je ne sui pas bien hardis
» Devons remonstrer, dame chiere,
» Parquel art ne par quel manière
)> J*ai eu ce commencement
» De Tamourous atouchement.»
Et ma dame lors me reg^arde;
Un petit rit, et puis me tarde
Son regfard^et aillours le. met.
D'autres paroUes^ s'entremet
De parler à la damoiselle
Qui dalès moi estoit. Dist elle:
)) Ce jone homme qui siet yci
» N'est pas empires! Dieu merci,
y> Ens ou voiaigfe qu'il a fait.»
Et la damoiselle à ce fait
Respondi: « Diex en soit loés!
Dist elle, « il fanlt que vous oés
» Un virelay plaisant et bel
» Qu'il a fait de là tout nouvel
» Dont vous estes mafereet cause.»
Lors me requist sans mettre y pause
296 POÉSIFS
Que je li vosisse of royer.
Je ne m'en fis gaires pryer
Car j avoie plaisance au dire.
Je li dis et baillai pour lire»
Et elle m'en sot trop grant gre
Tant saeiés bien de mon secré.
Nous fumes en esbatement
Droit là non pas si longeaient
Que je vosisse^ bien saeiés;
Car mon eoer qui estoit lachiés
Et est d'amours eertainne et ferme
Ne peuist avoir trop loue terme
D'estre toujours avec ma dame.
Pluisottrs fois fumes là, par m'ame!
Et ensi nous esbations.
Vraiement je eroi qu'il n^estboms,
Se bien aimé qu'il kie soit tous
Une heure amers et l'autre doals.
Pour moi le di^ lorft tels estoie
Que moult liement m'esbatoie
A la fois*, et quant jalousie
Me baloit de son esoorgie,
J'estoie monrnes et pénsieas
Et clinoie en terre les yeus.
Cest leàtat et si est lardure
Que vrai amant par droit endure.
Et nom-pour-quant les contençons,
Les dssaus et les souspeçons
En sont si gaies à souffrir
Qu'on se doit liement offrir
DE JEAN FBOISSART. 297
Et tout prendre en plaisance lier
Car tant en plaist la maladie
Nourie d*amourous désir
Que nul aultre estât ne désir «
Ne ne ferai, ne ne fisonques.
J*avoie grand solas adonques.
Ne sçai se jamès revendra
Le temps aussi qu'il m'avendrt*
Nom-pour^quant an coer et au corps
M'en font moult de biens les recors.
Jà asses parlé n'en auroie.
En l'ostel ou je repairoie
Un lieu y avoit pourvéu
Où un tapis Tongement fu;
Coussins et orilliers aussi
Y avoit-on mis; et ensi
Que là venoit pour soi esbatre
Ma dame s'i aloit esbatre
Et séoit dessus le tapis;
Là estoit, ses mains sus son pis
Et son chief sus les orilliers.
N'i ot roses ni violiers
Mes j'appelloie ce, pat* m'ame!
Le Vre{)fier de la Droite Daûie.
Je hantoie là tempre et tart
Dont frois, dont chaux, navrés d*un dard
D'amours; et lors de flours petites
Violetes et margberites
Semoie dessus le tapis
Qui dedens la chambre estoit mis;
298 POÉSIES
Là me séoie et reposoie
Et aux deus famés exposoie
Quel joie le Ueu me faisoît
Et com gfrandement ml plaisoiL
Elles enavoient bon ris.
Pour nous fu layés li tapis
En cel estât et en ce point,
Taniicom il avint un dur point
Contre moi; he mi ! las dolens!
Celle qui estoit tout mon sens ,
Mon bien, ma joie et mon confort
La très dure et eruele mort
Qui n espargpne roy ne bergier,
La fist en terre herbe rgier.
Pour s'amour plorai mainte larme.
Vraiement aussi fist ma dame.
Ces te mort li toucha forment,
Car elle me dist tendrement:
(( Helmi! or sont bien desrompues
)) Nos amours et en doel chéues ! a
Le regret de ma dame aussi
Me fist avoir tamaint soussi.
N'est doels ne convienne onblyer.
Riens ne vaull mei*ancolier v
Tout passe coers et tout endure.
Ceste mort qui nous fu moult dure
Passâmes nous en la saison
Encor aloie en la maison.
Où ma dame avoit son retour.
G*i fis mainte voie et maint tour^
DE JEAN FROISSART. 299
Maint aler et tamainf e faille,
Ensi qu'amours ses servans baille*,
Mes tout en bon gré recevoie
Le bien et le mal de ma voie.
Le temps si se passoit ensi.
Ma droite dame, Dieu merci !
Estoit lie, g-aie et hetie.
Or me dist-on une nnitie,
Dont il fu lendemain Dimenee :
« Ce n'est pas raison c'en vous menée.
D A demain est no voie prise
» En un gardin que moult on prise;
» Nous y devons aler esbatre;
» Vous vos y pores bien embatre. »
Et je respondi tous délivres :
«Je nenfauroi pas pour vint livFcs. »
Lendemain, droit après disner,
Sans leur pensée décliner,
Esbatre en un g^ardin en yindrent
Celles qui compagnie tindrent
 ma dame, et là m'embati;
Point on ne le me debati.
Ma dame s estoit asseulée
Dalès rosiers, près d'une alée
Qui se tournoi t sus la rivière
Qui bien Tenclooit par derrière.
Quant je vî le donoiement
Je me très vers li quoiement,
Et doucement le saluai;
Mes la couleur rouge muai.
.100 POÉSIES
Elle mon salu me rendi
Moult bel, noient n'i attendît
Liement et en sousriant;
Et je, qui fui merci criant,
A loer moult g-randement pris
Le gardin et tout le pourpris,
Et aussi la belle journée
Qui BOUS estoit là ajournée,
Et li di : a Ma dame , je croi
))Que Diex a mis ou temps arroi
» Pour ce que vrai amourons sons. »
Et celle, dont doulsest li sons,
Respondi : a Avec bonne amour
» Fault que loyauté ait demour,
»0u aultrement amour sans faille
»Ne poet venir à riens qui vaille. »
— « Ensi le voeil-je,dame, entendre j
» Et se plus hault puis ores tendre
» Que de valoir dig^ies ne soie
» S'ai-je coer, se dire l'osoïe,
» Que pour vous loyal ment servir
)) Et mon petit corps asservir
))Dou tout à la vostre ordenance. »
Ma dame ad ont un peu s'avance.
S'a coeillie jusqu*à cinc flourcttes ;
Je croi ce furent violettes-,
Trois m en donna et je les pris.
Et adont ma dame de pris
S en vint seoir dessous un ombre
D'un noisier où vert fist et sombre.
DE JEAN FROISSAUT. 301
Et je, parle bon gré de li
Je in assis, dont moult ra'abelli;
Car à la Fois le regardoie ^
Mais en re{}ardant tous ardoie
Dedens le coer, car si regard
iMeperçoient, se Diex me gard !
Et se ne li osoie dire
La douleur et le grand martire
Que j*avoie lors à sentir.
Mon coer si vrai et si entir
Âvoie tout-dis en s'amour ,
Car ce m estoit droite douçoqr
Et grans confors à mes anois,
Quant un peu de ses esbanois
Je pooie avoir en ma part.
Il ne m'estoient pas espart,
Mes les tenoie à bons voisins
Trop plus que mes germains cousins j
Pour ce le di^ car, à ces te heure
Ma dame qui Jhesus honneure
Me regardoit, ce m*estoit vis,
Si liement que tous ravis
Estoie en soi seul r^ardant ^
Mes tous m'aloie acouardant;
Non que ce fust faute ou faintisc;
Mes Amours, qui les coers atise.
Me tenoit le coer si serré
Que quanque j'avoïe enserré
Et que bieïi cuidoîe avant mettre
Je ne m'en savoie entremettre,
302 POÉSIES
Âins me tenoient mu et quoi.
En cegfardin, en ce requoi
Y a voit lors deus pucelettes
Auques d'un éag'e jonettes.
Gestes aloient flours coeïllier
De violier en violierj
Et puis si les nous aportoient,
Et dessus nos draps les jetoient.
Ma dame si les recocilloit
Qui bellement les enfiloit
En espinçons*de gprouselier,
Et puis le mes faîsoit baisier.
Dont en baisant m avint deus fois
Que li espinçon de ce bois
Me poindirent moult aigrement.
Et ma dame, qui liement
S'esbatoit adont avoec moi ,
Me dist en riant : « Assés croi
)> Plus tost avés ce cog^néu
»Cui matin le j our percéu. »
Et je li responc: a II est ypir.»
Lors me dist. (c Forions avoir
» Une balade. » Et je respons :
(c — Oil, dame^ car en lieu sons
» Où j'ai moult bien malere et cause
. ))Dou dire ent une, veci clause.
Balade.
D'un doulcregfart amoureusement tret
DE JEAN FROISSART. 303
Se doit amans en coer moult resjoir;
Car quant il voit dame où désir l'attret
Qui bellement le daigfne conjoir
El sus li ses yex ouvrir
Liement, par manière d'acointance)
Gais et jolis et lies, s'en doit tenir
Riches d espoir, vuis de toute ignorance.
Car le reg^art que sa dame li fait
Li aecroist sa plaisance et son désir,
Et gfrandement le nourist et le met
En volenté de son fait poursiévir
De cog^noistre et de sentir
Que c'est de bien d'onnour. Ensi s^avance
Un vrai amant et si voelt devenir^
Riches, etc.
Pour ce ne poet amans par droit souhet
Pour son pourfit mieulz prendre ne cuesir
Que d'unregart, mes que telement let
Qu'on doit tels biens donner et départir
A point sans outrage y vir
Car, quant il sont pesé à la balance,^
Dame s'acquitte et amans voelt servir
Riches, etc.
Lorsque j'ai la balade dit
Ma dame^ sans nul contredit,
Y répliqua deus mos ou trois,
Et me dist, par parlers estrois:
a A quel pois les doit-on peser
304 POÉSIES
))Ces rcjars, sans lui abuser.
» Je le saulaie volontiers» »
— (( Il ne vous est mie mestiers
))Daine, di-je, que le vous die,
» Car sans mettre y vostre estudie
}) Vous en savés là et avant.
)> J'en parolle par convenant
» Si com cils qui eu vos reg^ars
» Prenc grant solas quant lea regars.
))Mès ce n est mie si souvent
))Que je vodroie par couvent.
» Toutes fois il me fait granl bien
» Quant par vo grasce et par vo bien
»Mon coer qui est si niebagniés
» Un petit conforter dagniés. »
Et ma dame, tout en riant,
Me dist : « Tels va merci criant
«Qui n'est mie si dolerous
» Com il se monstre languerous. »
De telz mos et d'aultres aussi
Qui n'atoueboient nul ^wssi
Ains estoient plain d'esbanois
De cbiens, d oiseaus, dçprés, d'erbois,
D'amourettes 9 tant que sans compte
Feslmes nous adont grant com pie
En grant joie et en grand revel.
11 nous es toit tout de nouvel,
Le temps, les foeilles, les fleurettes,
Et otant bien les amourettes.
Moult me plaisoit ce qu'en avoie,
DE JEAN FROISSART. 305
Et quant elle se niist à voie,
Li congpiés y fu si bel pris
Qu encor je ce lieu aime el pris,
Et le sfardin cl la maison;
Tousjours Tamerai par raison,
Maint solas et maint esbanoi
Avec ma dame et ce temps oi,
Tant que de venir et dealer
De véoir et d'oïr parler.
Aultrement n aloit ma querelle,
Mes il me sembloit qu'elle ert belle.
Puisque par le gré de ma dame
Je pooie tant qu'à mon esme
Avoir par sa discrétion
Dn peu de récréation ,
Mes c estoit assés à escars
De paroUes et de regars
Car je ne m'osoie avancier ,
Ne où madame esfoît lancier.
Si ce n*esfoit tout en emblant,
Paourous et de coer tramblant
. Pluisours de mes esbas faîsoie^
Car pour ma dame je n'osoie,
Se l'eure n'avoie et le point,
Et on le m'âvoit bien enjoint
Aussi que tout ensi fesisse,
Si que s autre estât je presisses,
Que cesti qu'on m avoit apris
J euisse esté trop dur repris.
Si me convenoit ce porter
FHOISSART. T. XVI. 20
306 POESIES
Et moi l)ellcinent conforter,
Et le plaisir ma dame attendre
Où par bien je pooie tendre.
Et aiiltrement ne le fis oucqueS.
Elle^Ie savoift bien adonques,
Aussi je li monstroie au mains.
Mes, par Dieu ! c'estoit sus le mains.
Par parolles ne li pooie
Monstrer Tamour qu'à li avoie,
Forsque par sig^nes et par plains
De quoi j'estoie lors moult plains.
A l'entrée dou joli may,
Ceste que par amours amai
Un jour esbatre s'en ala.
De son alée on me parla,
Et de celle qui o li furent.
Je soc bien l'eure qu elles murent.
Moi et un mien ami très g'rant,
Pour faire mon plaisir engrant
Nous mesins en cesti voiag'e;
Et par ordenance moult sag'e
Mon compagfnon nous fist acointe
De celles dont j'oc le coer coinfe;
, Car sans ce qaon s'en perçuist
Et que nulles d'elles sceuist
Au mains celle. que je doubtoic,
Avec elles fumes en voie.
Diexique le temps estoit jolis,
Li airs clers et quois et seris,
El cil roscffnol bault chanloient
D£ JEAN FROISSART. 307
Qui forment nous resjoissoient !
La matinée ert elere et nette.
Nous venins à une espinette
Qui florie estoit tonte blanche
HauUe bien le lonc d*une lance*,
Dessous faisoit joli et vert
Bien fu qui dist : <(Cils lieus ci sert
)> Droitement pour lui reposer.
»Le desjun nous fault destourser. »
A la paroUe s acordan
Et le desjun là destoursan
Pastés, jambons, vins et viandes
Et venison bersée en landes.
Là ert ma dame souverainne.
N*estoit pas la fois preuierainne
Que je ne l'osoie apprécier.
Trop doubtoie le reprocier;
Et encores tant qu'à eeste heure,
Se Jhesus me sault et honneure!
Je le reg^ardoie engprant double ;.
Cest drois que tels périls on doubte,
Car pour^faire le sonrsalli
A-on moult lost souvent falli
A renom et à bonne g^rasce.
Tons quois me tint en celle espasce
Et parfis le pelerinag^e
Avecques celle don linag*e
En garant solas et en garant joie;
Encor tout le coer m en resjoie
A toute heure qu'il m'en souvient.
20*
308 POESIES
N'est aventure qui u'avient
A un amourous qui poursîeut
Sa besong'ne, trop bien sensieut
Que quant il ne s'en donne g^rde
Amours en pité le regarde.
Veci le confort que je pris
De ma droite dame de pris
Avec joie et esbatemens
Et gracions contenemens.
A ma dame plot lors à dire,
Pour un peu garir mon martire,
Qu elle me retenoit pour sien.
Onques li quens li Porsyen
Ne le visconte de Nerbonne
NVïrent parolle si bonne »
Ne si belle com je fis lors;
Car de coer, d esperit, de corps
Fui très grandement resjoïs
Quant j'ai si très douls mos oïs.
Quant celle qui me soloit pestre
De durté ne me voelt mes estre
Forsque gracieuse et courtoise.
Mon coer s'eslai^i une toise
Quant je li fis ceste requeste :
(( Dame, en nom d'Amour, soyés ceste
» Qu'un petit voeîUiés alegier
» Les mauls qui ne me sont legier,
)) Et me retenés vo servant
» Loyal, secré à vous sezvant. »
Et ma dame respondi lors
DE JEAN FROfSSART. 309
De legier coer et de gfai corps :
)) Volés vous dont qu'il soit ensi',»
— » Oïl! « Et je le voeil aussi.»
Je pris ceste paroUe à joie ;
C'est moult bien raisons e'on m'en croie;
Hès la joie trop iongement
Ne me dura : veci comment.
En ce voiagpe dont vous touche
Estoit avec nous Male-bouche
Qui tout no bon temps descouvri,
€e trop gprandement m*apovri
Dou bien! dou temps et dou confort
Que je cuidoie avoir moult fort;
Car celle qui onques ne tarde f.
Male-bouche, que malfu arde:
Parla à mon contraire tant,
Et en séant et en estant,
Que ma dame simple et doucette
Et d'éage forment jonette
En fut trop griefment aparlée :
a Ha! dist-on, estes vous alée
» En un voiage avec eesti
y> Qui vous a maint anoi bastt;
» Par foi ce fu uns gfrans oultraf^es
» Et uns abandonnés ouvrages ;
)»Ilfault que vous le fourjug^iés.»
Là fui-je mortelment jug^iés
De celles qui point ne m amoient
Âins leur ennemi me clanioient,.
Et leur jurœ ma dame chière>
310 POÉSIES
Paourouse et à simple chiere,
Que plus à moi ne parroit elle.
Ensi le me compta la belle
Et me dist par paroUe douce:
» Il convient, car le besoingp touche,
» Qu un peu d'arrest ait nostre vie,
» Car on y a trop gprande envie,
)» Et j'en sui trop gpriefment menée
» Et par parolles fourmenée.
» Abstenir vous fault toutes voies
)) De devant nous passer les voies
» Tant que la chose soit estainte.»
— » Dame, di-je, de la destrain te
» Sui-je en coer gprandement irés \
)) Je ferai ce que vous dires,
» Car ensi le vous ai prommis. »
Et celle me dist: <( Grant mercis! »
Depuis me tins une saison
Au mieulx que poc parmi raison
De passer par devant Tostel
De ma dame, et aussi ou tel
Qui estoit ordenés pour nou&j
Doat j'estoie tous anoious.
Et s il avenoit que passoie,
En-terre mon regart bassoie^
Vers li n osoie regarder
Et tout seul pour sa paix {jfarder.
Mes sus un vespre, en un requoi,
Me tenoie illuecques tout quoi
Assés près de Tostel ma dame.
DE JEAN FROISSART. 31 î
Or avint à ce dont, par m ame!
Qu'elle vint illuec d'aventure.
Je qui pour lui maint mal endure
Di en passant, n'en falli mie :
(( Lès moi venés ci, douce amie.»
Et elle, si com par courous
Dis! :« Point d'amie ci pour vous.»
D'aultre part s'en ala seoir;
Et quand je poc tout ce véoir,
Je me tinc en mon lieu tout quoi.
Que fist elle ? Vous saurés quoi
Par devant moi ra passa-elle;
Mes en passant me prist la belle
Par mon toupet, si très deslrois
Que des cheviaus ot plus de trois
El ne fist ne del ne parla;
Ensi à l'os tel s'en râla,
Et je remès forment pensieus,
Contre terre clinant mes yeiis,
El disoie: « Veci garant dur !
» Je prise petit mon éur,
» Car j^aimmee't point ne suis amés,
» Ne amans ne.servans clamés.
» A painnes que ne me repens,
» Car en folour mon tems desptfns.
» Le despensje dont en folour?
» Oil, onques ne V\ {jrignour.»
Lors me repris de ma folie
Et di: (( Se je merancolie
» Ensi se veulent amourettes
312 POÉSIES
» Ramprouver une heure duretles,
» L'autre moles et débonnaires.
» Plus nuist parlers souvent que taires.
» Je n'avoie pas grant raison
» De li dire en celle maison
» Qu elle venist lès moi seoir.
» A sa manière poc véoir
» Qu elle n'en fu mie trop lie;
» Et pour ce, fpntos conseillie»
» Me respondi tout au revers.
» Nom-pour-quant, quant Je fait rêver»
» De ce que la belle en taisant
» Tout en riant et en baissant
» •Elle par le toupet me prisl ,
» Mpn coer dbt que tous s'en esprit,
» Que liement à son retour
» Fist elle cela moureus four}
» Et jà ne se fust esbatue
» A moi qui là ert embatue
» S elle ne m'amast*, je l'entens
» Ensi et m'en tienc pour contons
» De quan qu'elle Et fait et à Ëiii*e.»
L<||sm'esjoï en cel a faire
Et fm une balade adont
Su» la foiù^me que mes maulz ont
D aliegfement tant qu'au penser,
Si com vous oréi recenser.
Balade.
Quel mal , quel g^rief ne quel painne
DE JEAN FROISSA BT. 313
Que me faciès recevoir,
Ma dame très souverainne,
S'ai-je corps, coer et voioir
Selonc mon petit povoir
Devous loyaknent servir.
En si povès asservir
Et moi tout ce qu'il vous plest,
Car quanque j'ai 9 vostres est
Et afin que plus certaiane
Soyès que je die voir,
Il n'a heure en la sepmaine
Nuit, ne jour, ne main, ne soir.
Que je puisse bien avoir,
Se ne Tai, d'un souvenir
Qui de vous me poet venir.
De noient pas ne me n'est,
Car quanque j'ai vostres est.
En ce doulc penser m'amainnc
Amours, et me donne espoir
Qu*encor me serés humainne^
Sans ce ne puis rien valoir.
Et s'il vous plest à sçavoir
Quels biens me poet resjoïr.
C'est qu*à vostre doulc plaisir
Commandés, ve-me-ci prest;
Car quanque j'ai, vostres est.
Ne vous poroie ps retraire
Tout le bien et tout le contraire
Que j'ai par amours recéii.
3 1 4 POESIES
Pas ne m'en tienc pour decéit
Mes pour ewireus et vaillant.
On ne s'en voist emervillant
Car Amours, et ma dame aussi ,
M'ont pluisours fois conforté si
Que j'en ai et sui en Tescoeil
De tout le bien qne je recoeil;
Ne jà n'euisse riens vain
Se n'euisse eu ce sain;
C'est un moult grand avancement
 jone homme et commencement
Beaus et bons, et moult proufi tables*
11 s'en troeve courtois et ables
Et en met visées en vertus.
Onques le temps ni fat perdais
Âins en sont avancié maint homme
Dont je ne sçai compte ne somme.
Pour vous, ma dame souverainne^
Ai recéu tamainte painne
Et sui encor dou recevoir*
<
Bien tailliés, je di de ce voir;
Car com plus vis et plus m'enflamme
De vous li amoureuse flame.*
En mon coer s'art et estincelle
Sa vive et ardans estincelle
Qui ne prendera jà séjour
Heure ne de nuit, ne de jour;
Et Venus bien le me promist
Quant Taventure me tramist
De vous premièrement véoir.
DE JEAN FROISSART. 3 1 3
Je ne pooie mienls chéoir;
Ne se toutes celles du mont
Estoïent mises en un mont
En garant estât, en g^nt arroi,
Et fuissent pour mieuls plaire a roi,
Si ne m*en poroit nulle esprendre.
En ce point où me povès prendre
Conquis m'avés, sans nul esmai.
Onques plus nulle n'en amaî,
.Ne n'amerai, quoiqu'il avieg[ne.
N'est heure qu'il ne m'en souyie{]fne.
Vous avés esté premerainne.
Aussi serés la daarrainne ^
Et pour ce qu'en bon estât soie,
Dame, se dire je l'osoie,
J'ai fait enfin de mon tretticr
Un lay, ou quel je voeil trettier
Une grant part 4e tous mes fès.
Or doinst Diex qu'il soit si bien fès
Et par si très bonne manière
Qu'il vous plaise, ma dame chiere!
Lay,
Pour ce qu'on scet mieuls de li
Paler que d'autrui à faire,
Ai-je voloir de retraire
Comment il m'est. Dieu merci!
J'ai jà un lonc temps servi
Amours, en espoir de plaire;
316 POÉSIES
Mes d*un trop petit solaîi'e
Ma mon g^uerredon merk.
Nom-pour-quant s*ai je obéy
A ce qu'il a volu faire.
Or ni a que dou par&ire.
Dou tout à lui je m'otri,
Et à ma dame suppli
Qu'elle me soit débonnaire
En ce qui m'est nécessaire^
Et prende en g^ré ce lay ci
Que j'ai de bon sentement
Présentement
Ordonne certainnement
A mon pooir
Selonc ce que mon coer sent
Non aultrement.
Et s'aucun amendement
Y poet avoir^
A Yostre commandement,
Dame, usés ent^
Car mon coer dou tout se rent
En vo Yoloir^
Mes je sçai trop mieuls comment
Il m'est souvent
Que nuls ne fait; ce m'aprent,
Adiré voir
Car quant je pense ne sçai y
Se Diex me gpart!
Conment osai
DE JEAN FROISSART. 3 1 7
Onques emprendre le quart
De la painne où mon coert art.
Mes g'^i entrai
Lie et gaillart.
Se in'i tenrai
Comment que j'en sentirai
Seul et à part
Maint ^rant esmai.
Mes se ma dame y reg^art
Et de sa douçour me part
Confort aurai
En quelque part
Que me trairai.
Mes trop fort esprouvé ai
De son reg'art
Comment li rai
Sont trencant que fers de dart
Et pas ne sont trop espart;
Mes d'un attrai
Simple et couart
Plaisant et g^ai.
Quant premier les avisai
Moult me fu tart
Qu'en cel assai
Fuisse entrés par aucun art.
Or en ai si bien ma part
Que j'en assai
Quanqu'en départ
Amours, pour vrai.
318 POÉSIES
Et sui encor tous cerlaias
Que li tains
Dont mon coer fu très et tains
En un reg^art prist Tenlame
Dont jamès ne sera sains,
Car proçains
Est si li cops premerains
Que de nul aultre, par m'ame !
Ne poet chanjjier, n'estre es tains 9
Car attains
Fu lors d'un douls yeuls humains.
Plus beaus ne poet porter famé.
En ce penser tous jours mains
N'en voeil mains;
Car sus toute je vous aîns,
Ma très souverainne dame.
Et s'empris ai plus g^and labour
Que dou porter n'ai la vîgour,
Si en pardonne-je la flour
Mon coer 9 quel fin ne quel retour
Qu'en doie prendre;
Car pourquoi vo fresce couleur,
Vo g^ent maintien, vo simple a tour ^
Vobel parler plain de douceur
Me font à très parfaite honnour
Penser et tendre.
Si bien cuesi pour le millour,
Quand je vous sers, aim et aour,
Ma droite dame de valeur
D£ JEAN FROISSART. 3 1 9
A mon pooir, sans nul fauls tour.
Tels me voeil rendre.
Or aies en recort le jour
Que pour aleg^ier ma douleur
Tons diseteus, plains de paour,
Je vous priai de vostre amour
Sans riens mesprendre
Et vous, ma dame jolie
Corne noient avoïe
De moi faire à ceste fie
Une si grant courtoisie;
Respondistes tes:
Que pas n'estié conseillie
Ne très bien appareillie
Que lors me fust octroyé
L amour de quoi je vous prie.
Be mi! com durs mors>
Bien vol, vous ne sentes mie
G)mment Désirs me mestrie
Pour vostre amour, et me lie,
Si que heure ne demie
Je n'ai nul repos
Ou jour ne en la nuit ie.
Ainssouspir plour et larmie.
Et fui toute compagnie.
D*otel et plus que ne die
M'est charg'iés li cols.
Et s a dont fui entrepris
Et souspris
320 POÉSIES
Quant je pris,
De vous, ma dame de pris,
One responsesidure,
Je n'en dois estre repris
Ne despris;
flar j'espris
Mon coer, lors que je comprb
La beauté de yjo figure.
Puis m'en suis tenus tout dis
Mains hardis
D'avoir mis
Pour paour d'esfre escondis
Maproyere en aventure ,
Car s'a voie mal sur pis,
11 m'est vis
Li périls
Seroit si gprand, j*en sui fis
Que de moi n'auroie eure.
Mes en lamentant
J'ai bouté avant
Le temps qui noîant
M'a tenu.de joie,
Fors seul tant
Que quant esbatant
Juant et parlant
Vous véoie errant
Ensi qu'en emblant
Les vous me meftoie;
Regfardant
DE JEAN FBOISSART. 321
Vostre doulc samblant,
Cler , simple et riant ;
Lors imaginant
Et en coer pensant
A par moi disoie:
» Hé mi! quant
» Verai mon vivant
» Un peu plus joiant
» Ne 1 ai maintenant.
» Mestier en ai grant. »
Et lors me partoie
Tous tramblant
Et cerchoie aucun refui
Où de nullui
Je ne fuisse apercéus
Ne Gogpnéus ;
Là ploroïe mon anui.
Jusqu'au jour d'ui
Ai bien esté pourvéus
D otant et plus.
Ensi, ma dame, attain^» fui
Et encors sui
Par vos doulz regars agus ,
Dont la vertus
De confort et de refui
Non en autrui
Gisten vous. Or metés jus
Vos griefs refus »
rnoissART. T. XVI. 21
322 POÉSIES
Car tant me fimt à souffrir
Que je ne m'e&e enhardir
Ne de monsirei' n'ai loîsir
Par quel manière
Tout ce inestoet sous tenir;
Dont souvent me fault frémir.
Mes quant vo {jent corps remir
Tout m'ac arrière
Se otissi, csmai,dur oïr;
Je n'en voeil souvenir;
Car tant me fait de plaisir
Vo lie ehîere
Qu'espoir, penser et désir
Me fofit souvent resjoïr
Et penser à quoi je tir,
Ma dame cbicnre.
Tout ensi me tient Plaîsaiice
Ea bsubmoe.
Dont manière et ecfnfemtoee
.C*hang>e em moi
Sans ordenanice:
Car sus heure elle me lance,
Puis s'estance,
Après reprcnl sa puissance.
Mes trop :poi
Ai d'aligancc^
Se ce iiWoi* espérance
Q«i m'avai»ce
A son plaisir souffissance,
DE JEAN FROISSART. 323
Petit voi
De recouvrance.
Mè5 j'ai tant de cogfnissanee
Qu'elle sance
En partie ma souffrance.
Se mi doi
Traire en fiance.
A qui dont hemiihemi!
Fors à la très volen taire ,
Qui en parler et en taire
Poet bien aidier son ami,
Et ma droite dame aussi
A qui tout mon coer s'apaire
Poet bien planer ce contraire.
Aultremeut mors je me di,
Et riens ne me garandi ,
Fors son simple et donic viaire,
Et ce qu elle est blonde et vaire
De maintien g^i et joli.
Nature pas ne failli
A li sagement pourtraire,
Car unregart a pour traire
Un coer et percier parmi.
De tant m'est plaisance crissue
Que je Yoeil faire, ains ma rissue,
Memore comment on pora
Trouver, qui bien querre y vora,
Le nom de ma dame et de mi.
21*
324. POÉSIES
Nom-pour-quant le sanc me frémi ,
Quant la plaisance m'en sourvint
De ce qu'enchéir me convint
A nommer le nom de la belle.
Je m'en tinc un garant temps rebelle.
Mes quant j'oc bien examiné
Mon avis; et déterminé,
Je m'escusai par une voie;
C'est drois que m'escusance on voie.
Quant Plaisance et Désir sassamblent
Le fu, par exemple , il ressamblent
Qui bruist tout ce qu'il attaint.
Plaisance ensi le coer destraint ;
Et Désirs le fait désirer
Qui ne s*en voçlt pas consirer
Jusqu'à tant que la fin il sace
Envers quoi Plaisance le sace.
Et adont si fort le mestrie
Que de t restons pourpos le trie,
Fors de celi à quoi il tent.
Et pour ce que Désirs estent
Sa vertu en tout coers biunains^
Je le remonstre ensi au mains,
Qu'on m'en tieng^ne pour «scusé;
Car Plaisance ma acusé
Adiré tout ce que je di;
Aultrement ne m'en escondi.
Mes telement nous pense mettre
Sans nommer nom, sournom ne lettre,
Qne qui assener y saura
DB JEAN FROISSART. 323
Assés bon sentement aura.
Mom-pour-quant les lettres sont dittes
En quatre ligpnes moult petites.
Entre nous fumes et le temps;
Se venir y volés à temps
Là trouvères, n*en doubte mie,
Pour cogpnoistre amant et amie.
Or, doinst Diex que vos pourpos faille
Et que ma proyere me vaille!
Car nuls plus povres de merci
Que je suis ne demeure ci.
Et quant il plaira à ma dame
Que j'aie ossi grant qu'une dragfmc
De confort, adont resjoïs
Serai de ce dont ne joîs;
Ains langpuis en vie éureuse
Dedens VEspinelte amoureuse.
EXPUCIT LE DITTIÉ DB l'esPINBTTE AMOUllOUSB.
k'V%/V W% WV^V*<^'V\/*.W^ •W^ ^-^^
CI APRÈS
SENSIEUT UN TRETTIÈ ÂMOUREUS
q,ui s'appelle
L£ JOLI BCIS&QK DE J[ONE€E.
Des aventures me souvient
Dou temps passé. Or me convient,
Entroes que j'ai sens et mémoire^
Encre et papier et escriptoire^
Canivet et penne faillie ^
Et volenté appareillie
Qui m'amonneste et me remort,
Que je remonstre avant ma mort
Comment ou Buisson de Jonece
Fui jadis, et par queladrece.
Et puisque pensée m'i tire,
EnLroes que je l'ai toute entire
Sans estre blechié ne quassé.
Ce nest pas bon que je le passe.
Car s*en noncaloir me mettoie
Et d^autre soing'm'entremettoie.
Je ne poroie revenir
De legfier à mon souvenir.
DE JEAN FROÏSSART. 327
Pour ce le vodral avant metij*e,
Et moi liement entremettre
De quant qu'à ma memioire sent
Dou temps passé et don présent.
Aussi nature qui m*a fet.
Créé et nouj^i de son fet,
Et qui encor de jour en jour
Me preste loisir el séjour
Que de ce que j'ai je m'avise
Et ce que je sçai je devise,
Se plainderoit, où que je soie,
De moi voir^ se je me cessoie;
Et bien auroit raison et cause.
Nulle escusanee je n'i cause;
Car pour ce m'a elle ordonné,
Sens et entendement donné
Que je remonstre en plain ventele
Ce que je sçai> dont je me mêle,
C'est que de faire beaus- dit tiers
Qu'on list et qu'on voit volontiers,
Espécialment toutes gens
Qui ont les eoers discrès et g-ens.
Ce nest mie pour les villains;
Car, ensi in'ayt sains Gillains!
Que je m'avroie assés plus chier
A taire et en requoi mucier
Que jà villains evist dou mien
Chose qui li fesist nul bien.
Ce n'est fors que pour les jolis
Qui prendent solas et delis
328 POÉSIES
À loïr, et qui compte en font.
Pour ceuls servir mon coer tout font
En plaisance, et se m'i delitte
Que gfrandement j'en abilite
L'entendement et le corag^e.
De quoi nature m'encoragpe 5
C'est que je monstre et que je die
A quoi je pense et estudie.
Et je sui tous près d'obéir,
Ensi com vous pores véir.
Dîex par sa grasce me deffende
Que nature jamès n'offende.
Jà fu un temps que Toffendi,
Mes le g^uerredon m'en rendi;
Car elle qui esleve mot,
Sans ce qu'pnques en sonnast mot ,
Elle me fist, ci se miron, -
Descendre ou pié dou sommiron.
Or y ot tant de bien pour mi,
Ensi qu'on dist à ^on ami ,
Et qu'on ramentoit les g-rans plueves.
En jonece me vint cils flueves;
Car s'en yiellece m'euist pris
J'euisse esté trop dur apris.
Jonece endure moult d'assaus;
Mes en yiellece nuls n'est sans.
Pour ce fu dit en reprouvier :
Enjone bommct a ^rant recouvrier.
Si fui je espris de grant anui
Si tos que je mie recogfnui.
DE JEAN FROISSART. 329
Mes tout seul , pour oster l'escandle
DoDt je voeil ores qu'on m'escandle
Me mesfis, dont moult me repens;
Car j'ai repris à mes despens
Ce de quoi je me hontioie;
Dont gfrandement m'abestioie,
Car mieuiz vault science qu arg^eos.
Point ne le samble aux pluisours gens
Qui ne scerent que bienfais monte.
Ançois me comptoïent pour honte
Ce qui m'a fait et envay
Et dont je vail. Ahy ! ahy !
Et comment le pooie faire?
Or me cuidai trop bien parfaire
Pour prendre ailleurs ma calandise.
Si me mis en la marchandise
Où je sui ossi bien de taille
Que d'entrer ens une bataille
Où je me tronveroie en-vis.
Quant je m'avise et je devis
Comment oultrages et folie
Me misent en mélancolie
Quedou don de nature perdre,
Pensées me viennent aherdre
Qui me font sainnier à merveilles ,
Et dient : (c Amis^ or t'esveilles
> Et remonstre ce que tu scés.
»I1 ne te doit pas estre scés
)>De tes besong;nes amplyer.
)) Et pour toi mieuU exemplyer
330 POÉSIES
» Et que dou monsirer aies, cause»
» Lis nous ensievaut cesle clause. »
)i Les Romains qui jadis régénèrent
» Et qui le monde gouvrenerent
» N'en orent pas la gouvrenance
» Sans g^and art et bonne ordenanee*
» Et s'il Torent, ce fu raisons;
^ Car par hostels et par maisons
>i Faisoïent les enfants cerchier
» Et de leur nature encerchier
» Là ou le plus il s'enclinoient,
» Et à ce les disciplinoient
)> En quelque labour que ce fust>
» De piere, de fer ou de fust,
)> De doctrine ou de garant science ,
» Et avoient tele conscience
» Que les clers faisoïent aprendre
» Et les armeres armes prendre.
>> Dont ea ce tant s'abiliterent,
» Ettelement si délitèrent,
» Que ce furent jadis en Rome
» Li plus preu et li plus sage homme
» Qui fuissent régnant en ce siècle,
» Tout ensi qu'il comprent spn ciercle;
» Car par seus tous les ars passèrent
» Et par armes les^fbrs quasserent;
)> Et misent toutes nations
)> Enclines à leurs actions.
» Ensi par les Romains te poes
)> Aviser voires se tu voes
DE JEAN FBOISSÂBT. 331
>i Tii. ne dois pas escaxrcyer
» Ge qui te poet ag^raeyer.
» Se tu es. ables et propisces
» D'aucun art, et celi gnerpisses,
>} Envers ta nature mesprens.
» Se tu Vas &it« si te reprens ;
)) Et remonstrede franc voloir
» Ce de quoi tu poes mieulas valoir.
>> Néis! que diront li seigfneur
» Dont tu as tant éo* dou leur
>t Les Hoix, les Dus et li bon Conte
» Desquels tu ne scés pas le compte,
» Les Dames et li Chevalier f
» Foi que je doiàsaint Talier !
)> A mal employé le tendroient ;
» Et aultre foia il retendroient
j» Leurs grans largheces et leurs dons,
>* Et de droit aussi li pardons
3> Ne t'en deveroit estre feîs,
» Quant tu es.noucis et parfais,
» Et si as discrétion d'omme
» Et la science, qui se nomme
» Entre les amoureuses gens
» Et les nobles, li Mestier& Gçns ;
»Car tous coers amoureus essaie,
j» Tant en est li oye gaie I
» Et tu le voe& mettre hors voie,
V Si que jamès nuls ne le voie.
» Il ne fait pas à consentir.
» Bien t en poroies repentir.
332 POÉSIES
» Or fai dont tost-, et si f esveilles.
» Tu ne laboures ne traveilles
» De nulle painne manuelef
» Ançois as ta rente annuele
» Qui te revient de jour en jour.
» En grant aise prens ton séjour.
)> Tu n'as ne femme ne enfants,
» Tu n'as ne terres neahans,
» Qui ne soient tout mis à censé.
>» Pour vérité je te recense,
>» Se Diex vosist, il feuist fait
)< Un laboureur grant et parfait
)i A une contenance estrag'ne^
» Ou un bateur en une gragne,
)> Un maçon ou un aultre ouvrier,
)) Je n'ai cure quel manouvrier^
» Et il ta donné la science
>i De quoi tu poes par conscience
» Loer Dieu et servir le monde.
» Or fai dont tos, et si le monde;
» Et respont, sans plus colyer
» Qui te fait melancolyer. »
Ensi me vient Philozophie
Visiter, et dire à la fie
ParoUes qui me font debatre
Pour moi en argumens embatre.
Et je respons à la volée :
« Dame, dame, trop afolée v
» Est ma science en pluisours lieu.<
» Par receveurs et par baillieus,
DE JEAN FROISSART. 333
» Par ofBcyers et par gens
» Qui assamblent les gfrans arg^ens
» Pour leurs enfans et pour leurs hoirs
» Et font faire les g'rans manoirs
» Où il se dorment et reposent,
» Et apainnes les seigneurs osent
» Dire quel chose il leur besongne.
» Mes quant il croist une besongne
))Pourfi table àceuls dessus dts^
)) Jà ne s'en ira escondis
' » Ne marchéans ne couletiers.
» Il ont bien des seigneurs le tiers
» De tout ce qu'il ont de chevance.
"» Ce grandement les desavaace
» Et retrence leurs dons parmi.
» Quant bien g'i pense, he mi! he mi !
» Je sui, foi que je doi mes ans!
)) De tous bien faire si pesans
)) Qu'à painnes puis jo riens gloser.
» Pour Dieu laissiés moi reposer.
» Vous dittes que bons jours m'ajourne
9) Et qu^en grant aise je séjourne,
» Je le vous accorde : à tant paix. »
Lors dist elle : a Se tu te tais
» Tu m'esmouveras en grant ire.
» Encores t*en voeil je tant dire,
» Et s'en poras bien valoir mains.
4> Je te pri ; nonune nous au mains
» Les seigneurs que tu as véus
^ Et dont tu as les biens eus
331 POÉSIES
)) Si prenderant leurs hoirs exemple. ><
— « Velentiers! Premiers tous exemple
» La bonne, qui pourist en terre ,
» Qui fu Royne d'Engleterre ;
}) Phelippe ot nom la noble dame^
» Propisees li soit Diex à Tame !
» J'en sui bien tenus de pryer
» Et ses larg^heces escryer,
)) Car elle me fist et créa ;
))Ne onques voir ne s'effréa,
» Ne ne fu son coer saoulés
» De donner le sien à tous lés.
» Aussi sa fille de Lancastre.
» Haro ! mettes moi une emplastre
» Sus le coer, car, quant m'en souvient, '
» Certes souspirer me convient
» Tant sui plains de mélancolie !
» Elle morut jone et jolie
» Environ de ving^^et-deux ans,
» Gaie, lie^ friche, esbatans,
» Douce, simple, d'umble samblance.
» La bonne dame ot à nom Blanche.
» J*ai trop perdu en ces deus dames.
» J*en tors mes poins, j'en bac mes palmes.
» Encor ot la noble Royne
» Une fille de bonne orine
)> Ysabiel, et de Couci dame.
» Je doi moult bien proyer pour Tame ^
)) Car je le trouvai moult courtoise
» Ançois qu'elle passast oaltre Oise.
DE JEAN PaOISSART. 335
» Le Roy d.*Engleterre autant bien.
» Son père ine fist jà grani bien,
)) Car cent florins, tout d*un arroi,
» Reçue à un seul don dou Roy.
D Aussi dou Colite de flerfort
D Pris ime fers grant réconfort.
» Des dons monseigneor de Mauni
» Me lo ; ne pas ne les rent.
))Et son fils de Pennebruc voir
» En a moult bien €ait son devoir, u
— (c Et Icgrant seig'neaT Espensièr
» Qui de largbece est despensier
» Que-f a-il fait ?» — « Quoi di-je î assés ;
» Car il ne Ai on^ues lassés
» De moi donner, quel part quHl fust.
i>Ce n estoient cailliel ne fust,
» Mes ebevauset florins sans compte;
» Entre mes mestres je le compte
» Pour seignour, et c'en est li uns.
2> Et l'autre si m'est moult communs,
» C'est le bon seigneur de Couci
dQiu m'a souvent le poing fouci
-» De beaus florins à rouge escaille,
D C'est raisons que de li me caille.
» Et Beraut^ le Conte Daufins
» D'Auvergne, qui tant par est fins,
» AmoureuB et cbevalereus;
» 11 n^est felems ne irens,
y* Mes encKns à tous bons usages
«Secrès, d'iscrès, loyauset sages,
336 POÉSIES
» Acointables à toutes gens^
» En ses maintiens friches et gens.
» Et son fil le Duc de Bourbon,
» Loys, ai-je trouvé moult bon.
» Pluisours dons m'ont donné li doi.
)) Aussi recommender je doi
^ » Charle le noble Roy de France.
»Grans biens me list en mon enfance.
» Le Duc et la Ducoise aussi
» De Braibant moult je regrasci,
» Car il m'oiit tout dis esté tel
» Que euls, le leur et leur hostel
» Ai je trouvé large et courtois.
)> NuUui ne congnois en Artois,
» Mes en Haynau m'en revenrai
» Et des segnours compte y tendrai
»Queg'i ai véus et servis
» Qui ne m'i voient pas en-vis.
» Le Duc Aubert premièrement
» M*a à toute heure liement
»Recoeillié, que vers li aloie
» Et grandement mieulz en valoie;
» Et aussi mes seigneurs de Blois
» Loys, Jehan, et Gui; des trois
» Moult acointés jà un temps fui,
» Et especialment de Gui
)} Et encor le sui tous les jours;
» Car dalès lui gist mes séjours,
» Cest le bon seignour de Beaumont
» Qui m'amonneste et me semont.
DE JEAN FROISSART. 337
)) Ge vous ai-je bien en couvent,
)) Que véoir le voise souvent*,
» Et le senescal, Diex li vaille!
» Car c*est un seignour de garant vaille
» Et qui m*a donné volontiers \
» Car, ensi eom uns siens rentiei*s,
» Où quil me trouvast ne quel part,
» J'avoie sus le sien ma part^
» Et le seigfuour de Moriaumés
>» De qui je sui assés amés.
y> Encor en y a qui vendront
» Et qui mi mestre devendront^
}»Car il sont jone et à venir^
D Se m'en pora bien souvenir
D Quant je ferai un aultre livre.
y> Mes tous ceulz qu'à présent vous livre
» M*ont largfement donné et fait.
» Si les recommende et de fait
» Ensi qu'on doit> et sans fourfaire,
»Ses mestres et ses seigneurs faire.
» Amé, le Conte de Savoie,
y> Je ne sçai se nomme Tavoie,
» Mes à Melans, en Lombardie,
» Une bonne cote hardie
» Me donna de vingt florins d'or;
»I1 m'en souvient moult bien éncor,
» Pour un tant que moult me valirenf ;
» Car onques cil ne me faliirent
» Jusqu a tant que je vinc à Romme.
» Et c'est raisons que je renomme
FROISSART. T. XVI. 22
338 POÉSIES
)) De Cippre le noble Roy Père,
» Et que de ses bienfais me père.
» Premiers, à Boulongne-la-g^'asce,
»D*Esconflan monseigneur Eustasce
» Trouvai, et cilz me dist dou Roy
» Dessus dit Tafaire et Varroi 5
)) Le quel me reçut à ce tamps
» Com cilz qui moult estoit sentans
)) D'onnour et d'amour garant partie
î) Liement en celle partie;
j» Et me délivra à Fer rare
» Sire Tiercelés de la Rare,
» A son commanl, lance sus fa«ltre,
» Quarante ducas l'un sur l'aultre.
» Haro ! que £ai ? je me bescoce j
» J'ai oublié le Roy d'Escoce,
» Et le bon Conte de Duglas
» Avec qui j'ai mené grant glas.
» Bel me reçurent en leur marce
» Cils de Mare et cils de la Marce,
» Cils de Surlant et cils de Fi j
» Segurement le vous affi.
» Je n'en sui mies si hays,
))Que, se je raloie ou pays,
.)) Je ne fuisse li bien venus 5
» Mes je serai lors tous chenus,
» Foibles, impotens, mas et sombres.
» Mon temps s'enfuit ensi q'uns ombres.
» Vis m est, de quanquej'ai esté
» Que j'aie noient arresté,
DE JEAN FROISSAAt. 339
» Ensi que dist eus ou psautier
» David; je li lisi Tautr'ier^
)) Si le retins pour valoir mieuls:
» Homs qui vis vois devant les yeud
» Mille ans amoneelés ensamble.
» C^est le jour d'ier^ il le te samble.
» Si vous suppli) très ehiere dame,
» Laissiés moi dont penser pour l'ame;
» J ai en moult de vainne gloire ;
» S'est bien beure de ee temps cloire
)} Et de eryer à Dieu merci
i) Qui ma amené jusqu'à ci. )»
Lors respondi Philozopbie,
Qui onques ne fu assouffie
D'arguer par soubtieves voies,
Et dist: (c Amis* se tu scavoies
» Que c'est grant chose de loenge)
» Et com prisie en est li enge,
» Plus chier l'auroies à avoir
» Qu'en tes coffres nul grant avoir.
» Pourquoi traveillent li seigneur
» Et despendent foison dou leur
)) Ens es lointains pèlerinages,
» Et laissent enfans et linagcs^
» Femmes, possessions et terre,
» Fors seul que pour loenge acquerre ?
» Que scevist on qui fu Gawains,
))Tristans, Percevaus et Yewains
» Cuirons, Galehaus, Lanscelos,
ï> Li Boix Ai*tus, et li Roix Los
22*
340 ' POÉSIES
» Se ce ne fuissent li regfistre
» Qui euls et leur fès aministre ?
» Et aussi li aministreur
» Qui en ont esté registreur
» En font moult à recommender.
» Je te voeil encor demander,
D Se no foy qui est approuvée >
» Et n*est elle faitte et ouvrée
» Par Docteurs et Euvangfelistes.
)» Sains Pois, sains Bernars, sains Celistes,
» Et pluisour aultre^ saint prodomme
»Que li Sainte Ëscripture nomme >
» N'en ont-il esté registreur?
» Moult ont pour nous fet li Docteur
» De proufit et de grant conseil.
» Pour tant; amis, je te conseil,
» Et te di en nom de chastoi :
» Ce que nature a mis en toi,
» Bemonstre le de toutes pars,
' » Et si largement le dépars
D Que gré t'en puissent cil savoir
» Qui le désirent à avoir. »
Je respondi à sa paroUe:
(( Or soit, di-je, que je parolle
» Que porai-je de nouvel dire ?
)) Je ne vous ose contredire,
» Car toutes vos monitions
)) Ont si douces initions
» Qu'il n'est rien si trettable chose.
» Mes dittes moi, je qui repose
DE JEAN FROISSART. 311
» Et qui ressongne travillier,
» De quoi me poraUje esyilUer
» Qui soit plaisant et proufitable
» Au lire et loïr delitable ?
)»yoir$ est q'un livret fis jadis
» Qu'on dist TAmourous Paradys,
)>Et aussi celi del Orlogre,
» Où grant part del art d'amours loge*,
y Après VEspinette Amoureuse
» Qui n*est pas al oïr ireuse ;
» Et puis l'Amoureuse Prison
» Qu'en pluisours places bien prison^
))Bondeans^ Balades, Virelais ,
)» Grant foison de Dis et de Lays ;
» Mes j*estoie lors pour le tamps
)) Toutes nouvelletés sentans ,
)) Et avoie prest à la main
» A toute heure, au soir «t au main,
» Matere pour ce dire et faire
» Or voi-je changie mon afaire
y> En aultre ordenance nouvelle. »
Et adonques me renouvelle
Philozophie un hault penser
Et dist: (c 11 te convient penser
» Au tempr|>assé et à tes œvres;
» Et voeil que sqs cesti tu oevres.
» Il ne t'est mie si lontains,
» Me tu si frois ne si estains
y> Que mémoire ne t'en revienne.
» Et s'ensi est qu'il te oonviegne
342 POÉSIES
» Varyer par trop séjourner,
» Se me fai prendre et ajourner
» Où que tu voels, et de par toy,
» Se brîefnient ne le ramentoy
» Ce que tu as de pourvéance
)) Où tu n as gaires de héance.
» Or y pense. >» — « Srfaî-je, dame,
» Que voelt estre ? Ne sçài, par m'ame!
» Reeordés m'ent. » — a Volentiers, voir.
]» Tu dois par devers toi avoir
» Un eoffret ensou quel jadis,
» Il y a des ans plus de dis,
D Tu mesis, et bien m'en souvient
n Puisque dire le me eouvient,
» Un image bel et propisce
y^ Fait au samblant et en Tespisce
» Que ta droite dame estoit lors.
» Se depuis tu ne Tas tret hors
» Encores le dois-tu avoir.
» Je t'en pri*, or y va sçavoir ,
)» Tu y scés moult bien le ehemin;
n Et tu veras en parchemin
» L'image que je te devis,
^ Pourtrette de corps et de vis,
» D'yeulz, de bouehe, de nés, de mains,
» Toute otele, ne plus ne mains,
D Ouvrée en eouleur bonne et riche
» Com fu ta dame belle et friche
D Pour qui tu as les mauls d'amer
)) Senti, deçà et delà men
DE JEAN FROISSART. 3*3
» Tu y auras garant recouvrier \
»Car faitte fu de main d'ouvrier
» Qui riens n'i oublia à faire \
» Et encores, pour mieuls parfaire,
))Et plus près ta plaisance attaindre,
» Coulourer le fesîs et taindre
» Proprement, au samblant d'ycelle
» Qui lors estoit jone pucelle ;
» Et cils si bien y assena
» Qu'en Timage à dire riens n a
» De propriété ne d assise,
» Tant est à son devoir assise.
» Et si tos que tu le veras
» De respondre te pourveras,
» Et diras, sans nulle abstenanee,
» Par une seule contenance ,
» Que tu fesis Vimag-e faire
^) Qui bien afiert à son afaire
» Car elle est droite, et a un chief:
» Veci celle qui de rechief
» Me remet la vie ens ou corps.
» Pour l'amour de li, je m'acors
)> A estre jolis et chantans
» Et penser à mon jone tamps
)) Comment que la saison m'eslonçe.
» Or ne quier voie ne eslonge
)) Qui te destourne de ce point ,
» Car elle te vient bien à point.
» Tu ne poes plus grant chose avoir. »
— <( Haro! di je, vous/littes voir.
344 POÉSIES
» Il me souvient moult bien, par m'ame !
)) Qu'après la façon de ma dame
)) Je fis pourtraire voirement
)) Un imagée notoirement
» Par un paintre sag^e et vaillant;
»De quoi^ tous jours en travillant
» Cest imag'e avec moi portoie ,
» Et gfrandement me deportoie
» Au véoir et au regparder.
»Et encores, pour mieulz gparder,
» Mis lavoie en toile cirée«
» Or ne sçai s'elle est empirée,
»Car il a bien sept ans entiers,
» Quoique g i pense volentiers,
» Que je n*ouvri, ne fui au coffre, m
Et lors Philozopble m'offre
Et me prommet que mon image
Sans villonnie et sans damage
Trouverai segure et entire.
Tant dist, tant proeure et tant tire
Que briefment je me mis à voie,
Et là vinc où je mis avoie
Le coffre, en sauf lieu et couvert
Si l'ai deffremé et ouvert,
Et Timage que tant désir
A véoîr voi illoec jesir.
Je le pris et le desploiai
De la toile où je le ploiai;
Et si trestost quan mi le vi
Mou çoer entirement ravi
DE JEAN FROISSART. 315
En un penser fresc et nouvel
Qui me fist faire i et par revel,
Un.virelay en ce moment.
Or lisiés vous ores comment
Vtrelay*
Ve-me-ci resuseité
Et hors de péril jette,
Puisque je voi
Le reconfort où je doi
Prendre liece el santé.
Et c'est bien chose certainue
Que toute joie m'amainne
Li regars
De ma dame souverainne.
Car quant sa façon humainne
Je reg^ars^
Tout mi mal me sont esté,
Gari et réconforté,
Ne je ne boi
Chose qui touche à anoi^
Saciés-le pour vérité.
Ve-me-ci etc.
Et se fortune se painne
De moi donner haire et painne
C'est li dars
316 POESIES
De quoi les amans fourmainne.
Mes quoi qu'elle se demainnc
Je me pars
De lui et de sa durté.
Et face sa volenté,
Car par ma foy
On ne vera jà en moi
Fors que toute loyauté.
Ve-me-ci etc.
En recordant ce virelay,
Tout ensi que droit ci mis l'ay,
Et en regfardant mon imagée.
Grandement mon entente y mac-je.
Ce me remoet un souvenir
Qui me fait moult bien souvenir
Dou temps passé et de mes fès.
Haro! dî-je> trop fui mes-fès
Quant je g^ardoie un tel threzor.
Et si ne lai véu dès or
Que je le mis en celle toile.
Or n'a ou firmament estoille.
Tant soit clère ne reluisans.
Ne pour moi propisce ou nuisans
Qui la vertu de cesti passe.
Il n'est bericlcs ne topasce,
Rubis, saphirs ne dyamaus,
Escarboucles ne aymans
Qu'on dist qui arreste le fer,
DE JEAN FROISSART. 347
Qui me peuist faire escaufer,
Ensi que mon imagée a fait.
Or le \oeil servir, et de fait,
Car moult m'en vaudra le regard.
Quant je Timagine et regard,
Le temps passé me ramentoit
Et tout ce que mon coer sentoît
Lorsque ma dame regardoie
Pour laquele amour tous ardoie.
Or ai-je le fu descouvert,
Et le petit pertuis ouvert
Par où les estincelles sallent
Qui me renflament et rassallent.
Et ralisent cel ardent fu;
Tout ensi com Acillès fu
Pour Polixena la riant,
La fille au noble Roy Priant,
Entrées que les trievves duroient.
Les Troyens qui moult curoient,
Et les dames de hault parage>
De venir en pèlerinage
Ens ou temple d*Apolinis
Pour Hector qui estoit finis;
Dont un jour Acillès y vint
Véoir les dames. Or a vint
Que sa voie bien assena,
Car la belle Polixena,
Qui de beauté resplendissoit,
Encontra que dou temple issoit;
Et lorsqu'il perçut la pucelle
348 POÉSIES
Aux siens demanda : » Qui est celle
» De si noble et si friche arroi? »»
— « Fille est de Royne et de Roy
Ce respondirent si ministre.
Et Cupido lors aministre
Son arclij et Tentoise et estent.
Et entrées qu'Acillès entent
A la pucelle regarder
Dont il ne se voelt retarder,
Une flèche ens ou coer le fiert
A qui nulle aultre ne s'affierf.
Moult dur navré d'illoec se part
Et se ne scet mie quel part
lien puist garison avoir;
Car son coer lî fait à savoir
Qu'il est de grant folour espris»
Et s'a un grand oultrage empris
Quant il aimme celle, et bien scet
Que plus que nulle riens le het;
Car il li a son frère mort.
Mes pour avis qui le remort,
Ne pour péril qu'à ses yeus voie,
Il n'en poet issir de la voie
Qu'il ne soit toutdis, sans séjour,
Pensans à celle nuit et jour.
Il s'en alitte^ il s'en afame; .
Au Roy Priant et à sa famé
Envoie un messagier, qui met
Raisons avant, et qui prommet
Qu'il voelt estre leurs bons amis;
DE JEAN FROISSART. 349
Et dist comment Amours Ta mis
En tel estat^ tout pour leur fille.
Tant Ten est que tous s'en exillc;
Mes il le Toelt à femme avoir
Et n a cure de leur avoir.
Assés en a et terre et force.
Et dou prommettre encor s'efforce
Qu*il li couronnera le cliief,
Et qu il le mettera à chief
De sa g'uerre cruense et dure.
En cel effroi, en celle ardure.
En ces pensers, en ces anuis
Passe Acillès et jours et nuis.
Une heure moult se reconforte,
Et l'aultre si se desconforte
Qu'il jette plours, souspirs et larmes.
Il het la guerre, il fuit les armes j
Ne voelt porter lance ne targ-e.
Ançois lui et les siens atarge
De chevaucier, et d euls armer.
Ensi est pris par fort amer.
Et se ne vit onques q*une heure
Celle pour qui il se deveure.
Mes le plus grant confort qu*il porte
Et où le plus il se déporte
C'est qu il a devers soi en garde
Un image, et ces ti regarde,
Car en regardant s'i console,
Et son coer en pest et soole
A toute heure I quant il le voit,
330 rOESIKS
De ramentevoîr li pourvoit
Polixena au corps parfet
Contre qui Timag^e estoit fet.
Eusi fortune le deniainne
Qui jusques à la mort le mainne^
Car ens ou temple où le cop prist
De Cupido, quant il Tesprist
De Tamour de la dessus ditte>
Pour lui fu la terre entreditte.
Là fu occis, tout par sa coupe.
Mes de la mort de li j'encoupe
Amours, et di qu'il en fu cause,
Ensi com Tystore le cause
Des Grig^ois, qui bien le remire.
Fortune, ensi dont Diex li mire,
Me demainne, si com je croi,
Et toutes fois je Ten mescroi ;
Car je m'arreste en grant folie.
Et se sçai bien que je folie;
Si nen pui-je mon coer retraîre.
Bien scet le Dieu d'Amours droit traire
Quant ens ou coer me mist la flèche
Qui si mensonnie et mebleche
Que je ne puis ailleurs entendre :
Et s'est la plaïe si très tendre
Q'uns seulz pensers le renouvelle;
C*est chose faée et nouvelle.
Quant jai le temps passé tant chier
Que je ne m'en puis estanchier
Ne pour gpaaing ne pour damagfe;
DE JEAN FROISSART. 351
El eficores en mon imag'e
Prenc nouvelle colation
De gprande consolation.
Or doinst Diex que bien m'en eonviegfne,
Car c'est raison qu'il me souvienne
De la belle douce et rians
A qui je sui merci crians,
Et comment pour s'amour jadis
J ai esté souvent si adis
Qu'à painnes me pooie aidier,
Âins vivoie de souhaidier;
Et ce trop garant bien me faisoit
Et grandement mon coer aisoit,
Quant je pooie en mon requoi
Souhedier, et savés vous quoi?
Tant de choses qu'il n*en est somme.
Or n'est-il riens qui ne s'assomme
Et qui par nature ne fine,
Fors la vie amoureuse et fine;
Mes celle ne poet definer
Ne pour morir ne pour finer.
Quant li uns fault, li aùltres vient.
Ëncores moult bien me souvient
Que cilz qui paindi mon imagée
Pour ce au regarder ml mach-je^
Li fist par très bonne ordenance
De toute otele contenance
Com ma droite dame estoit lors,
Chevelés blons^ un petit sors,
Sourcieus, entrpeil, nés, face et bouche,
352 POÉSIES
Coni pour le temps a voit la douce,
Yeus simples, vairs et attraians
Et trop sagement retraians.
Il me samble qu'encor je voie
Son doulc regard aler la voie
Qui m ont livret iamaint assaut.
Ce souvenir Diex le me saull,
Car moull il me rajovenist,
Pleûist Dieu qu'il me Gonvenist
Rentrer encor en tel estour
Et prendre mon certain retour
Parmi jonèce et tous ses plains*
Or regardés se je m*en plains.
Nennil, car ce n est pas raisons.
Moult vault une bonne saisons.
Tous me resjoïs quant g'i pense.
Est-il nuls homs qui en dispense
Ne qui le peuist réitrer
Qui le poroit jà impetrer,
Ensi qu'on fait un benefisce,
Une prouvende, ou un offisce.
Moult y vodroie travillîer,
Nuit et jour penser et villier
Ançois que je ne le revisse.
En quel pays que le sceuisse.
J'ai oy à parler souvent
De la Fontainne de Jouvent,
Ossi de pieres invisibles;
Mes che sont choses impossibles ,
Car onques je ne vi celi ,
DE JEAN FROISSART. 353
Foy que doi à saint Marcelli,
Qui desist : u J ai droit là esté. »
Si ai-je eii ce inonde arresté
Trente cinc ans^ peu plus, peu mains,
Donl j'en lo Dieu à jointes mains
Qui m'a amené si avant
Et f|ui me remet au devant
Sa nativité, son enfance y ^
Sa sainte june et sa souffrance,
Sa digne résurrection.
Et sa mirable ascentioa
Et la sentence qu'il fera
Quant cascune et cascuns vera
Son jugfement cler et ouvert.
Là n'i aura nuUui couvert
De kamoukas ne de velus.
Sains Jehans, saint Mars et saint Lus
Et sains Mahieus droit là seront
Qui leurs buîsines sonneront
Dont resusciteront les mors.
Veci pour nous un garant remors.
Car cascuns r aura sa car propre.
Là n'aura pi té ne obpndire.
Ne seîgnourie point d'arroi.
Slès verra-on le puissant Roy
Rendre sa crueuse sentence.
Je tramble tout quant bien gi pense.
Jà ne puissè-je desservir
Vers celui que je doi servir,
Que je perde par mon oultragfe
FROISSART. T. XVI. 23
35* POÉSIES
Des sains cieulz le noble hiretage
Où sans fin joie adies commence
Qu'à Abraham et sa semence
Prommist. Je me tiens de ses hoirs ^
C'est mon argu et mes espoirs
Que les bons auront ceste gloire.
Je voeil atant ce pourpos clore,
Et à celi me retrairai
Par lequel à moi attrairai
Moult de coers loyaus et entiers
Qui oent parler volentiers
Des fais d'amours et des pointures,
Dont si douces sont les ointures
Qu'il n'est nuls si delicieus
Ongemens, ne si precieus,
Ne confors si grans ne si gens
Gom cils ci est à jones gens.
On dist en pluisours nations
Que les imaginations
Qu'on a aux choses sourvenans^
Dont on est plenté souvenans
Tant sus terre com en abysmes,
Sont si propres d'elles méismes
Et si vertueuses aussi
Que souvent apperent ensi
Qu'on les imagine et devise.
Et encores, quant je m'avise,
En considérant les pensées
Qui ci vous seront recensées,
Comment me vindrent, et de quoi.
DE JEAN FROISSART. 355
Soit en puhlîc ou en requoi,
Je tesmongfne assés qu*il est vrai ]
Car ensi que jà me navrai
Par penser souvent à ma dame>
M'en est-il avenu par m'ame!
Et par pensées qui ou chief
Me sont entrées de rec][iieF
Et des queles biens me ramembre^
La trentième nuit de novembre
L'an mil trois cens treiz et soissante>
Que nul gai oizeillon ne chante
Pour la cause dou temps divers^
Car lors est plainnement yvers.
Si sont les nuis longes et grans.
S'est nature encline et engrans,
Ce poet on moult bien supposer,
De dormir et de reposer.
Et je, qui volontiers m'aheure,
Me couchai ce soir de haulte heure
Si m'endormi en un tel songe
Où nulle riens n'a de menchonge.
Et estoit la vision moie
Qu'en la chambre où je me dormoie
Véoie une clarté très grans.
Et je, qui moult estoie engrans
De savoir que ce pooit estre,
Levai le chief. Si vi sus destre
Une dame courtoise et geute.
Ce ne fu Flore ne Argenté ;
Ains estoit ma dame Venus.
23*
33G POÉSIES
Comment q'un peu soie chenus,
« Dame, di-je, dont j'ai anoi,
» Assés bien je vous recognoi^
» Car je vous vi jà fu le tamps;
» Et encôres sui bien senlans
» Les paroUes qui de vo bouche
» Issirent^ qui est belle et douce.
— » T'en souvient-il. » — « Oil, par m'ainc!
Di que ce fu. » Volentiers, dame^
(c Vous me donnasies don moult riche,
)> Quant coer g-ai, amoureus et friche
» Aroie-je tout ùion vivant,
)) Et encores trop plus avant
)) Que de dame humble, g^ie et lie
» De tous biens faire appareillie
i' Seroie fort énamourés.
)) Or ai-je vos dons savourés.
M Non de tous, mes d'aucuns me lœ.
««ce Gompains, dist-elle, que je loe
» Ge dont tu te plains, je t'en jfru >»
Volentiers, je qui merci cri,
Et l'ai fait ensi que tout dis.
Je n'en ai riens el qu'escondis
Dangiers et refus, jours et nuis,
Painnes, et assaus et anuis.
JSe sçai comment les ai portés;
Mes je me sui seul déportés
A estre loyal et entiers
Et que de véoir volontiers
i\la dame, à qui j'ai tout donné.
ffE JEAN FROISSART. 337
«« Or avés vons abandonné
» Mon corag^e en un dur parti
» Car je^ qui onques ne parti
» De servir entérinement
» Madame» et très benigfnement,
» Obéy , crému et doubté,
» Elle m'a arrier rebouté
» Pour autrui ; ce m'est dur assés ^
)) Car mon jone temps est passés,
7> Sans pourvéance et sans ressort.
)» Si que, je di que tout vo sort
)) Ne me sont que confusions
» Et très grandes abusions . »
Lors me respont Venus en haste^
Et dist : (c Amis^ si je me haste
)) De parler^ par ire et sans sens
1) Tu m*i esmoes, car je te sens ^
» En péril de toi fourvoyer.
» Dont, pour toi un peu ravoyer»
>» Je me voeil retraire à l'ahan.
» Frois a esté li ars maint an
^ De mon ckier fil^ dont moult le carg^e.
» Mes bien voi que, se plusatargfc,
xTu en es en péril de perdre,
> Car en folour te voes aherdre.
» Or te cuidoi-je plus séur
» Mieub attempré et plus méur.
)» On dist, et il est vérités :
» On a fait pluisours charités
» A euls tamaint mal cog^néues.
/
338 VOÉSfES
» Tu eu as moult de moi eues,
»Dont c'est'damages et anois,
» Car noient ne les recognois
)> Quant tu me dis si grans obprobres,
)> Qui deuisses estre si sobres
)> En parlers, en dis et en fais.
» Grandement vers moi te mesfès
)) Quant tu me blasmes sans raison.
» Te souvient-il de la saison
» Pourquoi au laidengier m^accoeilles.
)> Je t'en pri que tu le recoeilles
)) Et ton coer bien en examines,
» Et jusques au droit fons le mines;
)) Et quant tu l'as très bien miné
» Et justement examiné,
»Si me di quel chose il te fault,
» Et j'amenderai le défaut. »
Lors m'apaisai, car bien perçoi
Par les manières que reçoi
De Venus, que je le courèce;
Et elle qui fout dis me prèce
Dist encor : « Tu es trop lentieus.
» Se deveroit un coer gentieus
9 Reposer ou lit à ceste heure.
» Tu sces que nature labeure
» Par bois^ par gardins et par champs.
» Tu os des oizeillons les chans
)) Qui ne se voelent aquoisier,
» Aiins se painnent d'euls degoisier,
)> Vu os le rosegnol joli.
DE JEAN FROISSART. 359
» Seulement pour lamour de li
» Te deverois esviçuner
» Et dedens ton coer figurer
» La manière de son doue chant
)) Car onques, puis soleil couchant,
» 1 1 n'ot ne arrest ne séjour.
» Il est droit sus le point dou jour.
)> La nuis se part, li aube crieve,
» Est-il nulle riens qui te grieve f
))Lieve-tOi ; alons nous esbatre,
» Marcir la rousée et abatre
» Dont Toudour est trop plus propisce
» Et mieuls vault que de nulle espisce,
» Et si verons les arbrisseaus ,
» Les fontenis et les rulsseaus,
» Et si orons les oizelés
» Chanter dessus ces rainsselés,
» Qui en euls solaçant s^esbatent
» Si qu'il samble quil se combatent.
» Se Tbelephus o moi avoie
» Je l'auroie tost mis à voie
m Qu'il m'exposeroit liement
» De leurs chans le graliemeni,
»Car il entendoit sus quel fourme
» Cascuns sa chançonnctie fourme. »
Quant je l'oy, je pris à rire,
Et di : (( Merveilles vous oc dire.
dFu jadis uns si sages homs
» Que des oizeaus que nous oons
» Entendoit les chans et les vtr&
360 POÉSIES
}) Qu'il nous chantent par mos divers ^»
Elle respont : <( Oïl , sus m'ame ! »
— « Or vous pri, ma très chiere dame»
)) Entroes que ci vous reposés
)» La manière m en exposés
» Et je me lèverai entroes. )»
— (( Volenticrs, puisque tu le voes.
)) Thelephas fu uns pastoureaus
» Qui en bourses et en foureaus
» Avoit usag'e de porter
» Ce dont il se sot déporter^
» festoient pipes et musettes
» Et canimeaus à trois busettes,
» Dont si bien se sçavoit déduire
» Qu*on ne l'en peuist introduire.
» Cils servoit à Juno sans g^ag'es.
»^Dont la Déesse des boscag'es,
» Des rivières et des fontainnes
» Et des préories lontainnes
» 0 ses nimphes et ses pucelles
» S'ombrioïent dessous saucelles
» Qui dalès Thelepbus estoient ,
)) Et souvent à lui s'arrestoient
» Et le sie voient hault et bas,
» Tant pour l'amour de ses esbas
» Que pour ce qu'il estoit novisces,
» Plains d'ignorance et vuis de visces.
)) Dont Dyane^ qui moult Tôt cbier»
» Une heure le vintembracier
» Et li dist : « Il te fault venir l n
DE JEAN FROiSSART. 361
— « Où> dame: — « Lai-moi convenir.
» Je te menrai dedens mon regfne
» Où toute joliveté reg'ne,
yt Et te ferai g^arde des bois,
» Des grans forés et des herbois^
)) Et te donrai un don moult riche,
)) Que tout oizel en ton service
» Serent, et y obéiront,
» Et jà le jour ne périront
» Que ta vodras à euls parler. »
— (( Baro, dist-il, laissié-me aler.
» Que diroit Juno ma maîtresse
)) Qui si me sieut et si m'engresse
» Que ses brebisettes je g^arde. »
(( Et Dyane adont le regfarde;
» Si le v^it jone et îgfnorant;
)) Et ses pucelles en riant
» Lidient: <( Dame portons Tent. »
« Et ceste qui en ot talent
» L'emporta. Ensi fu ravis
» Thelephus, eom je te devis;
)) Et ses brebisettes muées
» Qui au vol se sont remuées,
»Gar ce devinrent plommion
» Trop mieulz noant que {j^uvion.
» Or quiert Juno son pastourel.
» Tout à esdos, sans gehorel,
» Sans selle, sans frain et sans bride
» Par le monde cbevauce et ride,
» Et Thelephus partout demande.
362 POÉSIES
)) Aux quatre vens dist et commande
)) Zepherus, Nortb, SoD-son-hest, Hest,
» Que s*il le troeveni où il est^
» Comment qu^il soit on li ramainne.
)) Pour noiçnt elle se fourmainne.
» Je li lo qu'elle s'en apaise^
)} Car Thelephus est à son aise
>i Avec les nimphes et les fées
» Des montagpnes et des vallées,
» Et plus bonnourés qu'il ne soeille.
)) Ossi vers vestis q'une foeille
» Qui est dessus Tarbre, en mi may.
» Il n*a ne doubte ne esmay
» Qu'il n ait {Grandement sa cbevanGe,
» Car la Déesse li avance ,
)) Dyane, qui bien li prommist,
» Quant en ses bois g^arde le misf .
» Héismes les oiseàus Tonneurent
» Et au son de sa vois akeurent.
)) Il les esclifFe; il les appelle;
)) Il lor est courtine et chapelle
» A la pluie, au vent, à Vorage.
)) Il Taimment tout de bon coragfe
)) Comme leur Dieu et leur ministre y
» Car doucement leur aministre
)) Leur pourvéance et leur pasture
» Ensi que requiert leur nature;
)) Il les anigpe*) il les apaire;
» Il lor enseng^e leur repaire.
)) Jà si loingf ne sauront voler,-
DE JEAN FROISSART. 363
)) Mes qu'au bois voeillent ravoler,
)) Qu'il ne retroevent leurs maisons.
)} Tout le cogpnoîssent*^ c'est raisons,
)) Fors que seulement li vaneaus.
)> Mes s*il est lours, s'est il isneaus
» De demander : » Las où est-il ? »
» Pour ce qu'il double le péril.
)) Au bois se tient, non pas aux champs,
» Thelephus, qui entent les chans
» Des oizelés gais et jolis.
» Os tu, qui oi prens tes delis
» Au dormir et au reposer,
» Le t'ai je scéu exposer ? »
— « Dame, di-je, oïl, par ma foi !
» Mes je ris, savés vous de quoi f
» J'ai usagpe, quant je me lieve,
» Afin que le jour ne me gprieve
» De dire une orison petite
» Ou nom de Sainte Marg^herite.
)) Hui l'ai commencié pluisours fois;
)) Mes, ensi m'ay t sainte Fois !
» Je ne l'ai pou à chief traire. »
— Diex te deffende de contraire^
Ce dist Venus qui me pressoit
Que son commandement près soit,
(( Une aultre heure r'aura son lieu;
» Toutdis s'acquitte-on bien à Dieu. »
— (( Dame> di-je, je sui tous près. »
Et elle qui m'estoit moult près^
Me dist : a Afuble ton mantel. »
364 POÉSIES
Et si le me met en cbantel
Par manière de coinierie.
Là y ot bonne lu iterie
De moi à li, pour retourne!*
Mon mantel et au droit tourner»
Elle me £ait les bras estendre.
Bt je qui toutdis voeil entendre ^
A faire ce qu'elle requiert,
P^ses parolles me conquiert,
J'estenc les bras ^ je fac la roe.
Je passe si roit que tout froe
Mon coer en grant liece ilote.
Je sui plus leg'iers q'ane flote.
((Dame, di-je, par saint François I
)> Nous n'irons plus avant ançois
)) Aurai chanté un Yirelay ,
)) Car depuis un peu apris Tai.
Virelat/.
Déduit, solas et plaisance,
Et tout joious sentement
Sont en moi présentement
Et m*ont en leur gfouvrenancef
S'en lo Amours qui me paie
D'un si plaisant gfuerredon.
Car il n*est bienj{ue je n^aie
Quant je pense au riche don
DE JEAN PROISSART. 365
Kt à la douce ordenance
Dont j'ai le commencement
Qui tele fortune attent.
Moult est plains de souffisance
Déduit, etc.
Il n'est rien qui ne retraie
Par nature à sa saison.
Dont se mon coer se ressaie
Il y a assés raison^
Car j^ai bien la cog^nissanee
Que Désir ^rant painne y rent ;
Et je le croî liement
Car j 'ai de sa pourveance
Déduit^ etc.
Ce virelay dit et chanté
Je ne sçai qui m'ot encbanté,
Mes grandement lies me sentoie
Et à tous déduis m assentoie
De quoi Vernis m'amonnestoit.
Et encores tele heure estoit
Que je m*en fîiisse à mains passés,
Car j'en fiaisoie plus assés.
Espoir, qu'il ne me fustbesoing*.
Mes Plaisance et Désir sans seing
Pluisours «hoses souvent emprendent,
Dont garde à nulle fin ne prendent.
Et nom-pour-quant^ bien me ra membre,
Quoique legier fuissent mi membre,
3C6 POÉSIES
Mes manières et mi atour,
Mes contenances et mi tour^
Plaisoient moult bien à Venus;
Et me disoit : a Nulle ne nuls
»Ne t'en deveroit pis yoloir^
» Car tu fais tout de grant voloir
» Ens ou nom de ta droite dame;
» C'est ce qui te moet et entame.
» Et s'ensi té voes maintenir,
» Je ne te porai retenir
» Que tu ne viennes en Tadrece
» Dou joli Buisson de Jonece. »
— « Haro : dame ! que dittes vous f
» Or,seroi-je 11 vpstres tous
» Se droit là me yoliés mener.
)) Je n'ai cure dou ramener,
» Car pleuist ore au Roy céleste
')) Que par souhet g*i peuisse estre
» Et je n'en partesisse mes.
» Vous m'auriés servi d'un hault mes
» S'ensegnier m'i voliés la voie.
» Je vous pri, dame, que je voie
» De Jonece le franc Buisson ;
» Il y a jà des ans. foison
» Que je ne m'i poc ombryer;
)} Trop m^avés laissié sobryer
» Qui me tienc li uns de vos fils. »
Lors dist Venus : « Es-tu tous fis
)) De toi sagement déporter^
» Et les biens et les mauls porter
V
DE JEAN FROISSAUT. 367
» Qui d'aventure ti vendront,
» Car pluisours choses t'avendront
» Entroesque tu seras en l'ombre. »
Lors li di : (c Mettes moi ou nombre
» Hqrdiement des avisés.
)> Et encor, se bien y visés^
» Vous savés que jadis y fui ;
» Il n'i a chambre ne refui
» Où dou temps passé esté n'aie,
)) Espinette, pertuis ne haie ;
» S*en çognois assés les usages.
» Vous m'i verés entre les sages
» Bellement avoir et déduire. »
Dist Venus : a Je t'i voeil conduire.
» S en seras de tant enrichis. »
Et je li respont : « Grant mercis ! »
Moult me sambloit jolis li tamps
Et au regfarder delittans;
Li airs seris et atjemprés.
En bois, en jardins et .en prés
Les herbelettes se poindoient;
Qui près à l'un l'autre joindoienf.
Rentrés estoit en sa caverne
Y vers 5 qui est larghe taverne
De pluie, de vent et de froit.
Estes habondamment ofTroit,
Et juroit en sa loyauté
Qu'il tendroit le temps en beauté)
J'en vî les lettres de quittances^
Je vous dirai en quels istances.
368 POESIES
>
Zepliérus, qui si souef vente,
Avoit ses soufflés mis à vente
Com gpracieus et bien apris>
Et là remonstroit de quel pris
Il estoient, par tel couvent
Car il souffloient un doue vent
Si cler, si net et si seri
Qu'onques foeillette n'en péri.
El nen faisoient que crineier;
Et en après 9 pour recincier
Le doulc air qui venoit sus fautre^
Il rendoit à la fois un aultre
Qu'on recoeilloit par grant solas.
Je ne seroie jamès las
D*estre en parti de tel arroi;
Car se le temps deuist un Roy
Recevoir, pour li bien arrer,
11 ne se peuist mieuls parer,
Ne vestir, ne appareillier.
Moult avoient bel orillier
Toutes bestelettes dormans.
Il n'est paintres, tant soit Normans^
Ne François, ne d'autre pays,
Ne tant soit bons ouvriers nays,
Ne renommés de ce mestier,
 qui ne fesist bien mestier
De prendre patron et exemple
A ce temps que je vous exemple.
Car fleurettes jones et vives
Hors de bnsettes et de tives
DE JEANFROISSART. 369
Âpps^*oïeiit de f ouf es pars
Par champs, par jardins et par pars,
Cent mille par cent mille forgées.
Et cil oizeillon en leurs gorges
Avoïent notes et chançons.
Dont si gfrande estoit la tençons
Qu'à painnes me pooie oïr.
Bien se doit un coer resjoïr
Qui en mai*ce et en lieu séjourne
Où uns si beaus jomrs il ajourne
Que cils estoit qui se formoit.
La matinée m enfourmoit
Qu'il feroit bel oultre Tenseng^ne.
Venus àchief de mois m'ensengfne
Ce que je voi moult volentiers,
Ce sont roses et englentiers^
Fleurettes et vers arbrisseaus
Graviers, fontenis et ruisseaus;
Et me diït : a Alons y seoir
» Pour imag'iner et véoir
» Comment li aig^e et la g'ravelle
1 A l'un Tautre jue et reveile. »
Par grant solas y sont assis
Tout en alant cinc fois ou sis
Et rafresci à bonne entente.
Elle me moet encor et tempte
Que je voeille un virelay dire.
Je ne l'en ose contredire
Lor en di un qui se commence
Par une amoureuse semence.
FBOISSABT. T. XVI. 21
370 POÉSIES
Virelay.
Par une amoureuse semence
Que bonne amour m'a ou coer mis
Vostre serai, dame, à tout dis.
Ne pensés jà que je vous menée.
Car très dont que premièrement
Vi vostre doulc contenemenl
Et friche arroi
A vous me donsai liegement,
De bon coer, enterinnement-,
Car, par ma foi,
Jl nest pas temps que je commence
De vous servir, dame de pris;
Car ens ou point où jà fui pris,
Sui et serai, qui qui me ience
Par une amoureuse etc.
Or vous suppli très humblement
Que vous mettes alieg'ement
Sus mon anoi;
Si seront aidié g^randement
Les mauls passés et li présent
Que je reçoi.
Il n'est homme jour ne dimence
Que je pense à vo cler vis ;
El telemeut y sui ravis
Qu adies ce mal me recommence
Par une amoureuse etc.
DE JEAN FROISSART. 371
Moult g^randement plot à Venus
Ce virelay^ et dist que nuls
Ne le poroit nés un tel faire
Sans sentir Tamoureus afaire.
A ce qu'elle voelt je m'assens ^
Et puis li di, selonc mon sens :
<( Foi que je doi à Sainte Crois !
» Dame, je crienc et me mescrois
» Qu a présent ne vous fourvoyés.
)) Je vous en pri, que vous voyés
» Se noient nous nos fourveions
» Afin que nous nos ravoions^
» Car al homme qui se fourvoie
)) Trop li est longue courte voie. »
Et elle respont en riant :
(( S'un petit alons detrîant) .
^> Tant nous est le déduit plus Ions.
» Mes je scai bien que nous alons
» Droit au Buisson sans nul fourvoi.
y> Et jà par devant nous le voi;
))Car nous y vendrons tempremenf,
)) Sans avoir nul emcombrement.»
Lors me fu vis qu'en une lande,
Ne sçai se c*estoit en Irlande,
En Eng^leterre, ou en Norg-alles,
Mes ensi qu on ramentoit gfalles
Et aventures qui sourviennent,
Car à la fois souvent aviennent
Pluisours choses à moult de gêna
Dont le record est beaus et g^ens;
24*
372 POÉSIES
Et pour ce que cils me plaist si
Je le voeil recorder ensi
Qu il m'en avint^ foi que vous doi!
Venus me tenoit par le doi
Qui moult garant solas me portoit y
Car elle à moi se deportoit
De pluisours choses en alant^
Et venimes, tout en parlant,
Parmi la lande longue et lée
Où il n ot terne ne vallée^
Ce me fu vis , droit au buisson
Dont je ne sçai pas la muison
Volumer ne le compas prendre
Car je poroie bien mesprendre
Au mesurer bien et à point ;
Mes elle ne s*ar resta point
A nuls des cors ne à lentrée.
Ançois est par dedens entrée.
Et je o li, sans plus d'attente.
Or mis- je g^randement m'entente;
Et me fu adont grans esbas
De regarder et hault et bas
Pour imaginer de quel fourme
Le buisson dont je vous enfourme
Estoit, mes com plus le regarde
Mains m'i cognois, se Diex me garde !
Bien me sambloit, c'est fin de somme
Tous ossi réons q'une pomme
A manière d*un pavillon.
De mains assés s'esmervillon.
DE JEAN FROISSART. 373
Car je ni vi tuiel ne bus
Dont j'en estoie tous abus.
Et pensieus que ce voloit estre
Dont il pooit croistre ne nesirc
Qui le portoit. Riens n'en sa voie >
Mes onques tel véu n'avoie
En Yermendois, ne en Bapaumes,
Car il estoit plus hault cens paunH^s
Que nuls qu'on en peiiist trouver.
Et encores pour esprouver
La grandeur y se je le peuisse>
Ou se faire je le sceuisse^
Volontiers y fuisse avenus.
Mes je ne sçai mie se nuls
Le poroit justement comprendre.
Nom-pour-quant pour le compas prendre
Dou milieu, selonc tout mon sens,
Au cheminer avant m'assens.
Mes tant ne me sçai eslongier
Que j'en neuisse riens voir jug^ier
Pour faife question ne prueve.
Car tout-dis ou milieu me trueve
Par samblance, non par raison.
Ensile lais par tanison,.
Et emploie aillours mon pourpos.
Ce buisson dont je vous pourpos
Avoit une couleur très propre
Qui n estoit mies de sinopre
D'or^ ne d'arg'ent^ne de noir pur^
Ançois se traioit sus Tazur^
374 POESIES
Cler et fm et resplendissant^
Riens ne Taloit amatissant.
Mes à chief de fois il s'ondoie
Sus le blane^ c'est raisons c'on doie
Parler d ouvrag'e de tel pris
Je n avoie noient apris
A véoir chose si notable.
Si me sambloit~il peu estable,
Car il se transniuoit souvent;
Mes c'estoit par le fait dou vent
Qui le demainne et le debrise.
Com plus le voi et mieulz le prise.
Mes saoulés je n'en puis estre.
Lors regarde, et perçoi sus destre,
Ce me fu vis, vers nous venant
Un jovencel moult avenant,
Friche et g^ai, et de bonne taille.
Nostre voie moult bien se taille,
Ce me samble, à l'aler vers lij
De quoi moult il m'en abelli^
Tant pour ent cog-noissance avoir
Que pour plus justement sçavoir
Le nom dou lieu où sui remés
Et où je me senc enfremés
Qui le gouverne et qui le tient
Et qui le bel buisson maintient.
A nous s'en vint le jovenceaus,
Qui moult fu friches et isneaus^
Gent de corps et de lie maintien.
Sa contenance bien retien.
DR JEAN FROISSART. 375
Assés monstroit qu'il fust mis sus ,
De^bon lieu nouris et issus.
Grant temps a que je n ai véu
Nul jone homme miieulz pourvéu
De ce qu il afCert à eointise.
Veslis fu, à la bonne gise,
De g^arnement nouvel et riche
Ouvré de taille bonne et friche.
Un chapelet de flours portoit,
Et à la fois se deportoit
D'un vert bastoncel de fenoul.
Il s'enclina sus son g'enoul
En nous saluant doucement.
El Venus n'i mist longuement
De lui rendre, par bonne estrine,
Son salu; n'en fu pas estrine
Car de lui ne sçai mieulz parlans
En quelque lieu que soie alans.
Dont, par les parlers qu'elle dist,
Cognoissable de lui me fîst.
€e dist lors Venus à Jonece
<( Amis qui tant amés liece,
)) Tous déduis et esbatemens
)) Et amoureus acointemens,
» Danses, paroUes et depors,
» Bonnes nouvelles vous apors.
» Vecî un mien ami très grant,
» Pour lui fai caution et crant
» Qu'il a le coer d'otel taille
» Com ont cil de vostre bataille.
376 POÉSIES
» Et encores, pour mieub sentir
» Que i?rai le trouvés et entir,
» Vous li monsterés hault et bas
)) De vos depors pluîsours esbas.
D Fait tes li tant quil vous soufiisse;
» Car bien affiert à vostre offîsce
» Que vous soyés courtois et ^ens
» Â toutes amoureuses gfens. »
Et Jonece respondi lors:
« Dame, mon coer, aussi le corps
» Avés tout prest à vo service.
» On ne me vera jà si nice
))Qu'à ce que vous me commandés
» Vous ne autrui riens amendés.
» Je prenc le jone homme en ma g^arde. »
Et Venus qui lors me regarde
Prent congié et d'illoec se part.
Elle me lait, Diex y ait part!
0 Jonece mon compagnon.
Ënsi souvent s'accompagne on.
Je fui tos acointés de li.
Car je le vi friche et joli,
Jone et gent, courtois et discré,
~ Obéissant à tout mon gré,
Très enterin et moult engrant.
Nous sons d'un cage et d'un grant,
D'une manière et d'un aler^i
D'une vois et tout d'un parler^
Et c'est chose qui bien s'acorde.
Car le philozophe recorde
DE JEAN FftOISSART. 377
Que sannables quiert son sannable.
Or Tai-je lie et raisonnable
El tel que je le voeil avoir,
Car se riens me plaist à savoir
Qui me soit de nécessité.
Il le me dist par amis té
Et le me monstre et appareille.
A moi tent volentiers Toreille
De tout ce que j'endure et sens^
A lavis de son jone sens
Me conseille si très à point
Que je n'i voi de default point.
Moult a cils bon poisson peschiet
Quant al aventure il eschiet
A compag^non sag'e et secré,
Courtois, humble, lie et discré,
Etgfarni de tous tels bons mours
Qu'il fault à amant par amours
Largue, loyal et bien celant
Et si justement conseillant
Qu'on ne puist sentir ne ne voie
Que son conseil riens se fourvoie.
Or lai tel , si le voeil g^arder.
Je ne le puis trop regparder,
Car je le voi moult volentiers.
Il m'ensengne tous beaus sentiers,
Et gfrandement me resjoïst
De ce que de coer conjoïst
Flourettes et vers arbrisseaus
Et quert fontenis et ruisseaus.
\
378 POÉSIES
Quant il y est, se s'i ombrie.
Ënsi avec moi se sobrie,
Si com un jone homme doit faire
Attaint del amour'eus afaire ;
Tenir doit toute vie sobre,
Ou aultrement trop il s'obprobre
- Et vient un temps qu'il s*en chastoie.
Une fois dalès lui estoie.
Si Taraisonnai dou buisson
Où j'avoïe jà garant fuison
Cheminé à mont et à val,
Une heure à pié l'autre à cheval.
Et li dis : a Compains et amis,
)) La dame qui o vous m'a mis
» Me dist jà que vous me diriés,
» Endementroes qu'o moi sériés,
» De ce bel buisson Tordenance
» Et gfrant part de la g^ouvrenance.
» Se cest chose qu'on puist savoir
» Cognoissance en vodroie avoir. »
— « Oil , ce respondî Jonece.
» 11 nest riens de quoi on n adrcce.
» Tout ce que j'en sçai vous orésj
» Sus ce aviser vous pores.
» Compains, comment que par samblance
)> J'ai la coulourjonete et blance,
»1Si fui-je aux escoles jadis,
» Il y a des ans plus de dis;
» Et là nous lisoit à le fie
» Uns mestres en philozophie
DE JEAN FROÏSSART. 379
» LiçoTis d*astrolog^îe gfrans;
)> Et j'estoie lors moult engfrans
» Que de retenir et d'aprendre.
» Pluîsours fois li oy comprendre
» Le firmament, qui est réons
» Que coustumierement véons,
» A un buisson vert en tons tamps.
» Et encores sui bien sentans,
)) Que, pour plus plainnement parfaire
» L'entention de son afaire,
)) Il figfuroit, tout par raison,
)) Les foeillettes de ce buisson
)) Aux estoilles qui sont sans nombre.
» Avec ce il comprendoit l'ombre
» Dou buisson qu'il universoit
» A nature, et li conversoit,
)> La quelle ordonne et baille et livre
» Au monde ce dont il doit vivre,
1 Et aministre nuit et jour,
» Sans avoir arrest ne séjour,
» Ne gfarder dimences ni festes,
» Hommes, femmes, oiseaus et bestcs;
)) Et donne à cascun et cascune
» Sa propriété si commune
)) Que cascuns a se qualité
» Revenans à moralité
)) De la figfure dessus faitte,
)) Afin qu'elle soit plus parfaitfe.
)) En ce buisson jusqu'à sept branches
» Met toit, selonc les ramembrances
380 POÉSIES
)) Que j'ai del astrologfyen ;
» Et celles de si grant eng'ien
» Et si magpistraus faisoit estre
)) Que trestout ce qui pooit nestre
» Ne dessous leurs èles comprendre
» A elles estoit à reprendre.
» Et ces branches cleres et nettes
» Fig^uroit-il aux sept planettes.
» A cascune un nom arrestoit.
» La Lune la première estoit;
» La seconde Mercurius,
)) Et la tierce appelloit Venus;.
> Le Soleil nommoit la quatrime;
» Et Mars prendoit pour le cinquime.
» La sisime, qui bien le nombre ^
» Jupiter le mettoit en nombre.
» La septime, selonc son us,
)> Appellée estoit Saturnus.
» Ensi les ai nombrées toutes.
» Il en y a de moult estoutes^
» De douces et de felenesses.
» Et pour ce que tu es en esses
» A penser sus ceste matere,
)) Je te dirai de quel mis 1ère
» Elles sont) selonc l'astrologe
)> Où grant philozophie loge.
» La Lune coustumierement
» Gouverne tout premièrement
)> L'enfant, et par quatre ans le garde,
» Et sus sa noureçon regarde.
DE JEAN FROISSART. 381
» Très quil est ou ventre sa mère ,
» Le prent; pas ne li est amere,
» Ains en pense moult justement ,
» Et le nourist très muistement.
» C'est pour Tenfant un g^ant secours.
» Et si tost qu'elle a fait son cours,
» A Mercurius le délivre
» Lequel, ce nous dient le livre ,
» Au nourir dis ans se delitte,
» Et la langfue li abilite
)> Pour parler 3 cilz ensi Tordonno
» Et mouvement d'aler li donne,
D Et le fait soubtil et appert;
)) Et là où li enfès s'ahert
» Et le plus s'encline en ce temps ^
» Il est volontiers arrestans.
)> Mercurius ensi Taprent.
))Puis vient Venus qui le reprent
)) Et qui dis ans après en songne^
I) Vous devés sçavoir de quel songne.
» D'ig-norance le levé et monde ,
)) Et li fait cogfnoistre le monde
» Et sentir que c'est de delis,
» Tant de viandes com de lis ;
»Et le fait gai, joli et cointe,
» Et de tous esbanois Tacointe.
» Puis vient le Soleil cler et gens^
» Qui n'en est mie negligens^
)) Ains le fait à tout honneur tendre
» Et à plainne chevance entendre;
382 POÉSIES
» Tamaint visce en son coer pourist;
» Et jusqu'à dis ans le nourist.
» Apres vient Mars qui douze ans règne.
» Celle a sus Tomme un moult garant re{rDe ,
» Car par lui prent la cognoissance
» Que c'est d'avoir et d« poissance.
» Adont voelt li homs qu'on lonneure,
» Bien li samble qu'il en soit heure.
)) D'estre appelles et avanciés
» Ne seroit il jà estanchiés.
» Ceste planète est dure et fière ]
» N'est nulle qui à li saffiert
» De grant orgoeil et de fierté.
)) Toutes guerres tient en chierté
» Hustins, meslées et desbas.
)) A tels choses prent ses esbas,
» Et encline Tomme à acquerre
» Soit par grant art ou par conquerre.
)) Puis vient Jupiter tout le cours
)) Qui à Tomme fait grant secours ^
» Car d'outrages et de folies
» Et de pluisours mélancolies
)) Où jadis il s'est embatus
» Et dont il a esté batus,
))Tant par lui com par Tautrui ire,
» Compains, vous povés moult bien dire
)) Que la planette Ten délivre,
» Et plus segur estât li livre
» Qu'on doit prisier et honnourer,
» Car elle li fait savourer
DE JËÂN FROISSART. 383
)) Paix de corps et repos pour TaniP,
» Ordonner sépulture et lame,
» Amer l'église et Dieu cremir,
» Recog^noistre , et de ce frémir,
» Que cils mondes n'est q'un 1 respas.
» Geste planette ne lait pas
» L'omme, ançois Testoie et yverne
» Et douze ans au plus le gfouverne.
» Puis vient Saturnus li obscure
» Qui de nul bien faire n'a cure,
» Ne qui ne scet servir à gré,
» Et règne au septime degré,
)) Tant qu a nous c'est la plus lontainne.
» Elle est plus froide que fontainne.'
» Moult sont doubtable et dur si meur.
» L'omme fait vivre en grant cremeur
» Et jusques en la fin le mainne.
»Et tout ce que nature humainne
» Forge et oevre, sans nul repos,
» Elle délivre à Atropos
» Qui desquire tout et deveure
» Sans regarder terme ne heure ,
» Ne n'espargne roy ne berghier.
» Tout fait en terre herbergier
» Maugré Cloto et Lacesis.
)) Je ne seroïe jà nesis
» De parler eut trois jours entiers;
» Voif'es s'en m'ooit volontiers.
» Et je i:espons, sans plus attendre :
» Bien vous oc^ mes c'est sans entendre 5
3U POÉSIES
» Car mou coer est voir si espars
)) De tous lès et de toutes pars
» A véoir ces vers rainsselés,
» Et d'oïr ces douls oizelés
» Ces gfraviérs et ces fontenis,
» Que je ne puis, par saint Denis !
» Mettre à oevre riens qu'on me die.
» Jà n'ai-je point de maladie.
» Je me senc, Dieu merci! tous fors;
» Et se m'est le temps gfrans confors
» Qui est si beaus que c'est souhés.
» Dont^ chiers compàins^ c'est mieuls mes hés
)) Â moi déduire et resjoïr,
» Que ce ne soit à vous oïr
» Parler de çrant astronomie;
» Car, au voir dire, je n'ai mie
» L'art ne l'arest sus tel ouvrag-e.
» Abuvré l'ai d'autre buvrag^e,
)) Et nature ailleurs le m'adrece.
» Si seroie plains de rudece
» Se de bonne ordenance issoie
))Et son bien ne recognissoie.
» Espoir un temps encor vendra
)) Que plus penser m'i convendra.
» S'en sentirai lors mieulz les gloses;
» Car leurs saisons ont toutes choses.
"» Si vodroi-je bien tant savoir
» Que pour la cognoissance avoir
)) D'astronomie, et plus avant^
)) Mes ensi que j'ai dit devant ^
DE JEAN FROISSABT. 385
») Mon esperiln*i poet entendre;
» Car il ne voelt qu'à une tendre,
y> C'est à estre g^ais et jolis,
» A amer solas et delis, •
» D anses ) caroles et esbas.
» Compains, à tout ce je m'esbas.
))Si vous pri, laissiés moi ester 3
)) Car je ne me yoeil arrester
» A chose de si garant raison.
3) Je perderoie ma saison;
» J'auroie plus chier un chapiel *
)) Fait de flouretes, bien et bel,
» Donné de dame ou de lousete
)>Jone, lie, friche et doucete,
» Que ne feroie tout le sens
)> Qui est à Paris ne à Sens. »
Adont me respondi Jonece:
» Certes, compains, en vous n'a teche
» Qui noient face à réprouver.
)) Or vous vodroi-je bien rouver
)) Se vous savés riens de nouvel
)) En nom de joie et de revel.
y> Volen tiers le vodroie oïr
)) Pour nous encor plus resjoïr. »
Et je responc : « Oïl, assés.
(( Partons de ci avant passés,
» Et je dirai un virelay
» Pour vostre amour, sans nul deiay :
FROISSART. T. XVI. 25
386 POÉSIES
Virelay,
De tout mon coer vous fai don
Entirement,
Ma douce dame au corps g^ent,
Et le vous don
Poui* tous jours en abandon
Très liement.
Mon coer, m'amour, mon désir
Voeil dou tout mettre et offrir
En vo douçour,
Comme cils qui moult désir
De TOUS loyalment servir
Sans nul fauls tour.
Et il soit dou.gnerredon
A yo talent,
Ou petit ou grandement,
Côm vous est bon,
Car il ne doit par raison
Ëstre aultrement
iDe tout etc.
Car plus me povés merir
Que je ne puis desservir
Par ma labour^
Las ! quant verai-je venir
Le reconfort où je tir
Et par honneur.
DE JEAN FROISSART. 387
Je 5tti en yostre prison
Tous lieg'emcnt;
Et coers qui merci attént^
Grasce et pardon,
Doit avoir, s'il vit, foison
Alieg^emenl.
De tout etc.
Moult grandement nous rafreschi
Le virelay que j'ai dit ci.
Car matère lie et nouvelle «
Toute joie en coer renouvelle.
Ce doient savoir amourous
Qui ont les coers gais et joious,
Comment proufitent tel recort.
Je m'ordonne tous et acort
A Jonece mon chier ami.
Il se tient moult privés de mi
Et me dist : a Compains et amis,
)) Ventts qui o moi vous a mis,
» Me pria et me commanda,
» Quant à moi vous recommanda
» Que j'en fesisse mon devoir.
» Or me voeilliés cognoistre voir.
» Que vous samble-il de ce buisson?
» Il n'est riens dont ne se nuise on,
» Tant soit plaisant ne delitable.
» Savés-vous riens plus proufîtable
dNc qui mieulz vous viegne à plaisir?
» Volés vous point de ci issir
25*
308
roÉsiES
» Et auUres aventures querre,
» Et Diex et Déesses requerre
» Qui vous mesissent mieulz à mai?m
» Vostre esbat de soir et de main. »
Et je responc : « Que ne séjourne,
» Compains, jà le jour ne m'ajourne
» Ne la nuit ensievant n^ vieg^ne,
» Que de ci partir me convienne-
» Or me dittes à brief parler
» Quel part poroie mieulz aler
»Pour avoir ce qui me besongne
» Jà n est-il riens de quoi je songfnc
,, Ne qui me puist blecier ne nuire.
» Je ne pense qu a moi déduire
)) En ce bel lieu, en ce oler ombre.
» Il ne fait ci obscur ne sombre -,
» On troeve bien de lieus divers ,
» Mes cils ci est plaisans et vers
»Et sus tous je le recommande.
» Compains, encor je vous demande^
» Se nous avons par tout esïté.
» Je n'i ai gaires arresté,
» Mes je veroie volentiers
» Chemins et voies et sentiers,
» Car moult en y a, ce me samble^
» Qui ne se traient pas ensamble.
)) Je vodroie bien d'eulz aprendre
» Par quoi on ne me puist reprendre,
)) Quant je vcnrai aillours que ci ,
» Qu'on ne me die, Dieu merci !
DE JEAN FROISSART. 389
» Que j'aie esté trop neçligens
» Dou lieu cognoistre, qui est g^ens*,
» Car ce me seroit garant laidure
» Se je, qui bien la painne endure,
» Estoïe trouvés^ en mi voies
» Recréans. Compaîns, toutes voies
» Je nen vodroie pas avoir
» Les reproces, pour nul avoir.
» Pour un tant, chierement vous pri
» Que vous me menés sans detri
» Hault et bas, et ne mespargniés,
» Et fiablement m'ensengniés
» Tout ce que resjoïr me poet.
» Car qui bien servir à gré voelt
» Le jone homme , se li ensengne
» Son désir ne point ne Tespargne. »
Tant parlai et tant sermonnai
Que Jonèce et moi amenai
En un lieu assés agréable
Et moult grandement recréable,
Car de tous biens 3^ ot fuison.
Cils liens fu enclos ou Buisson
Dont je parloie maintenant.
Jonèce par la main tenant
M'ensengne tout ce que je voeil
Véoîr. Haro ! que font mi oeil ?
Or se reprendent al ouvrer,
Car je ne les puis dessevrer
De ce qu'en ma présence voi.
Attempré sont d un tel convoi
390 rOÊSIES
Que pour Polixena jadis
Fu Acillès. Trop sui hardis
Quant si plainnement m'abandonne'
Que mon coer entirement donne
El Tarreste sus mon contraire.
Si n'ai-je pooir dou retraircj
Car il est si entrelaciés
Qu il n en poet e&tre deslaciésf
Et quant je vise de quels las
Je les recorde pour solas,.
Et y pense très volontiers.
Jonèce qui de ses sentiers
M'avoit jà ensengfnié fuison
En cheminant par le huissoa
Ens ou quel j'estoic ravis
Nous amena, ce me fu vis.
En un lieu delitabîe et bel.
Moult y menoïenf garant cembel
Li oizeillon par chans divers.
Beaus fu le lieu, ombrus et vers^.
Et g^racieus à regfarder.
Ne sçai qui Tavoit à g'arder;
Mes g^'i vi dames et pucelles,
Dont moult me plot Tarroi dicellesi'
Et plus de l'une que de toutes.
Dures ne furent ne estoutes,
Mes doucement enlangagfiés
Et de jone éage éag^iés.
Jonece qui de près m'acoste
DE JEAN FROISSART. 391
Me seinoirt, ce n'est pas reproce,
Que pour leur amour me renvoize
Et qu'esbattre o elles me voise
Je m'acorde à ce quil me prie.
Adont m'en yienc, que ne de trie,
Et avec elles je m'esbas.
Mes si tos que je m'i esbas,
Vis mon mal qui se renoiivelle,
Car je yoi la g^rande nouvelle,
Com plus le yoi, mieulz le reg^ard.
C'est ma dame, se Diex me gard!
Dotel fourme et d'otel samblance ,
Ossi tendre vermeille et blanche
Que v6u Vavoïe jadis.
Un peu en fui premiers adis
Et esbahb pour l'aventure,
Mes jone homme qui s'aventure
Ne se doit pas esmervillier
S'amours le yoelent travillier.
Je m'avisai lors en pensant
Tout bellement vers li passant.
Et di en moi : <( N'est-ce ma dame ?
» Oil, non est ; si est, par m'ame!
>» Folie t'en fait or jurer*,
» Bien t'en poroies parjurer.
>» Pourquoi ? pour ce qu'à ceste fois
>> Ta souverainne pas ne vois.
)> Pluisours gens sont qui se ressamblent
» Quant en compagnie il s'assamblent.
» Si poroit moult bien estre ensi
392 POÉSIES
> Que ta dame, au corps agensi ,
)) Ressambleroit sans nul fourvoî
)* Celle qu en ton présent je voi. »
A painnes me vint mon argu;
Aies mon esperit très agu
Et qui a grant seing et grant doubla
Que l'aventure ne redouble
M'aeertefie et dist tout oultre,
Et par pluisours signes me mo astre
Que c'est ma dame sans mentir.
Je ne Ten ose desmenlir
Mes longement y pense et vise ;
Et endementrues je m'avise
De l'image que je portois
Où jadis je me deportois,
Qui fu après ma dame estret
Bel figuré et bien pourtret.
Cest m'en dira tanfost le voir.
Bon fait o luy son juge avoir.
Grant séjour ne fais sus ceste oevre
Une petite aloière oevre,
Qui estoit f resoriere et garde
De mon image que je garde
Dont je parloie maintenant.
Et si tos que le voi tenant.
Je le desploie tout dou lonc.
Et puis si me met tout selonc
Ma dame qui tant est parfette,
En quel nom la -figure est felte.
Et tout couvertement le tienc ;
DE JEAN FROISSART. 393
Mes la manière bien retienc;
Et me donne de ce grant garde
Qae ma dame pas ne regarde
Entrées que sur moi ses yex trait
Je l'ai lors véu si altret,
Si bien et si à grant loisir.
Pour mieulz saouler mon plaisir,
Toutes fois, ensi qu'en emblant,
Son bel maintien, son doulc samblant,
Qu en droite vérité aferme
Par entention bonne et ferme
Et le di tout notorement.
Que c'est ma dame roirement
Que je voi, dont moult m'esmerveille.
Mes trop grande n'est la merveille
De ce que je le voi tousete,
Joue, friche > lie et doucete.
Et del éage dont j à fu,
Quant, pour s'amour, del ardant fu
D'amolir je fui pris et attains -,
Lequel fu n'est pas trop estains.
Mon rolet prenc et le reploie,
Et ma parolle ailleurs emploie;
C'est à Jonèce mon ami
Qui estoit par d encoste mi.
(c 0 Jonece, compains entiers,
» Je regarde moult volontiers
» Ma droite^ dame en ma presensce ;
» Vlim en regardait trop fort pense
» De ce que si jone le voi.
394 POËSIES
)> Je ne sçai se je me fourvm
» Mes eeste est maintenant touselte^
)) Gracieuse, friche et doucette,
» Telle com elle estoit jadis ;
)> Dont il y a des ans jà dis
» Que ce ne fu dont je paroUe. »
Et Jonece prent la parolle, ^
£t une response me fait
Moult courtoise, selonc mon fait.
a Compainsy une fijj^ure avons
» Par laquele moult bien savons
» Que de vraie amour c'est çrant chose.
» Le poëte met une gélose
» De deus amans et si les nomme.
» Ydrophus appelloit on Tomme >
31 Et la dame Neptisphoras.
» De ces deus merveilles oras,
» Car il s'amèrent jusqu'en fin.
' » Je le vous di à celle fin
» Qu'en leurs coers ardoit li drois fus
)> D amours. Or s'en vient Ydrophus
» A sa dame, et se rent confès
» En dis, en oevres et en fès,
)) Et dist: ti Neptisphoras ; ma mie;
1) Je vous jur, ne m'en mescrès mie ,
» Et le vous di en loyauté,
» Que voi jonece en vo beauté^
» Yostre phizonomie douce,
» Vo vair oeil et vo belle bouche^
» Et tout vo membre mis ensamble,
DE JEAN FROISSART. 3^5
» Ea vérité ensi me samble
» Qu il ne soient noient mué
» Ne de leur joa vent remué.
» Vous m'estes en un point toul-dis
)) Et dou présent et de jadis.
i> Et Neptisphoras li afferme,
» Qu'il Tamoit d'amour bonne et ferme.
» Ydrophxis, de vous m'est otel,
» Soie en la ville ou en l'ostel^
» Où que je soie et vous soyés
» Je vous voie et vous me voyés.
» Vous estes tout dis en un point.
» Sus ce n*i a de change point »'
Je me retourne adont sus dèstre
Et di : (c Gonmient poroit-ce estre
D Qu'on peuist sans enviellir vivre f
» Vostre paroUe tout m'enivre,
» Car vous sçavés, et il est voir, •
» Qull fault son cours nature avoir.
)> Dont, s'aultre raison ni metés,
)> De folonr vous entremettes. »
Et Jonece qui moult fu sag*es^
Et qui cognissoit mes usages.
Me respondi, sans plus d'attente.
A l'oïr mis-je moult m'entente.
« Les amans ci dessus nommés,
D Qui grandement sont renommés
)> Ensi que dist li escripture,
» Ouvroient deseure nature,
>» Car les fais naturels sont tels
396 POÉSIES
» Que vieuls corrumpus et mortels^.
» Et nature, qui bien l'expose,
» Onques ne cesse ne repose ^
)) Mes continuelment chemine 9
» Et le corps affoiblist et mine^.
» Et n'a nulle aultre affection
» Fors toutdis sa destruction.
» Uès pour ce n'en sont pas peris^
» IVe corrumpus les esperis.
)) Il ont commencement sans fin.
» Ces deus coers estoient si fin
» Si g^ai, si jone et si nouvel
» Si abuvrés de tout revel '
i) Et si garni d'aveulement
» Qu'il ne cuidoient nullement
)» Envieillir^ comment que le tamps
» Ne fust point sur eulz arrestans.
» Car; quant entre euls se regàrdoient,.
» Leur coer de droite amour ardoient,
» Et ceste amour, de sa puissance,
)) Lor ostoit toute cognissance
» Et lor esconsoit leur véue.
» Là fust-elle bien pourvéue
» De sens et d'avis d'aultre part 3
» Si n'avoit elle là point part.
» On dit qu'amours ne voient gouttes.
)) Les mauls en sont plus fors que gouttes.
» Y ai-je mis solution P
» Aurai-je or absolution ? »
Je respondi : « Oïl, par m'ame !
DE JËAIS FROISSART. 397
)) Neptisphoras fu vaillans dame
» Et Ydrophus très loyaiu homs 5
» Et puisq^'en tel matere sons,
'^ Chiers compains, son le poet savoir,
» En poroi-je encor un avoir,
» Car à l'oïr prenc garant solas. »
Et Jonece qui n'est pas las
^ue de faire après m'en agrée
Amiablem^it le m*ag^rée.
Il le me compte et g^'i entens
A Foir 1 oreille avant tens.
)) Selœic les aneyens usag'es,
» Uns poëtes, qui moult fu sag^es^
» Entre les cboses qu'il exemple
» Nous recerde encor un exemple
» D'un amourousqui fu jadis,
^ Qui loyalment ama tout-dis.
» Arehitelès ot cils à nom*
» Mis est ou livre de renom ;
)) Car loyalment ama Orphane
i) Qui fu Déesse et serour Dane.
» Elle moru jone pucelle ;
» De quoi li damozeaus pour celle
» Apres sa mort ensi jura,
)) Dou quel veu ne se parjura,
)) Que jamès aultre u'ameroit.
» Il ne scet qui Ten blasmeroit
1) Mes onques il n'en fu blasmés,
9) Ne fols, ne recréans clamés.
ï) Ains Tescusèrent de tout visce
398 POÉSIES
» Les Dicx, pour son loyal servisce!
» Et à sa requeste obéirent
» Et de conseil le pourvéirent.
» Architelès, quant il prioit
)) A Morphéus, pas ne rioitj
» Ançois moult lamenleusement
» En larmes crcmeteusement
» Disoit : a Chiers sires, Morphéus,
» Je seroïe bien pourvéus
» De confort et mis à repos,
» S'a ce s'enclinoit vos pourpos
» Que Y ris vostre messagière,
D Qui çn dormant est usagrière
» Des desoonfortés ravoyer
» Me voliés ores envoyer,
» Afin que ma très douce amie
» Qui pour tous jours est endormie
y> Peuisse en mon dormant véoir
» Avec lui parler et seoir. »
» Tant pria cilz de coer dévot ^
» Que Morphéus aidier le volt
)) Et qu'en joie sa dolour mist ;
)) Car en dormant il li tramist
» Sa dame qu'il desiroit si,
» Laquele li disoit ensi :
» Architelès , je sui ta mie.
» Qui mis en oubli ne t'a mie.
» Haro ! pourquoi t'i metteroie f
» De folour m'entremetteroie
» Se j'oublioie mon ami,
I
I
DE JEAN FROISSÂRT. 399
'» Qiii onques ne pensa à mi
» Fors eâti'e loyaus et entiers.
» Les Diex t'envoient volentiers
y> Cascuns paroUe de cesti
» Qui a pour moi le noir vesti.
» Prent blanc et vert ou bleu entir.
» Lai le noir; tu dois bien sentir
)) Que je sui tes amours, Orphane.
» C'est bien li aeors de Dyane
)> Que querre nos esbas alons
)) Et qu'à Tun Tautre nous parlons.
» Ensi estoit reconfortés
» Li damoizeaus, de confors tels
» Qui^randement ie consoloient,
)> Et que les Diex jadis soloient
)> Aux vrais amans donner et faire.
» Encor, pour mon compte parfaire,
» Cils qui vivoit en tel arroî
>* 'Estoit £ls et frères de Roy.
» Au dormir prendoit tel solas
» Qu'il n'en euist esté pas las,
» Ce disoit-il, toute sa vie
^) Et que trop li faisoit d'envie
)i Li jours de travaus et d'anuis,
j» Il n'en voloit fors que les nuis
■» Pour ce qu'il y véoit souvent
» Sa droite dame en garant jouvent
» Et ce dont il s'esmervilloit
^) Par espasses, quant il veilloit
V C'estoit, de ce je vous afie,
400 POÉSIES
)) Qu'il ne pot onques yéoir fie
)i Sa souvorainne en vision
)> Qu'elle euist nulle lésion
it Ne ne fust envieillie point.
» Tout dis li sambloit en un point
j) Jone, lie,g^aie et chantans.
» Se tint il à rieule un garant tamps,
» Tant que sa. vie ot cours et terme.
)) Arcbitelès encor afferme
» Qui de soi trop bien se ramembre
. )) Quoique blecié fuissent si membre j
» De maladie et de viellece»
)) S*estoit Jones et en liece
)) En dormant li siens esperis.
» Ne onques il ne fu péris
)) Que par son samblant il n'alast
)) Et qu à sa dame il ne parlast
)) Qui li estoit douce et humainne
)) Dou mains une fois la sepmainne.
)) Et li avenoit , je vous di ,
» Ce le plus sus le samedi.
» Et quant il véoit le matin
» Cils qui bien entendoit latin
)) Et qui moult se sentoit tçnus
» Aux Diex, il ne voloit que nuls
» Fesist pour lui son offertore.
)) A Morpbéus i ce dîst Tystore
» Offroit d'or un petit besant
» De treze dragmea de pesant.
» CompainS) lu es en ce parti.
DE J Ë AN FROISSÂRT. 40 1
)> Jà le poes bien sa^'oir par ti.
» Lie as le coer et non le corps
» Se je di voir, si le m'acors.
» Or chemines tout dis avant.
» Tu vois ta dame ci devant
» Qui s'esbanoie et se déduit
» Quant Jones gens sont en déduit.
D On se poet d^eulz trop mieulz fyer;
» Et te puis je bien afyei^
» Que dcmt qu'il fuissent eneourous,
» Le coer grandement amom^ous
» Soloies tu jadis avoir. »
Et je, qui désir à seavoir
Nouvelletés , responc : a Amis,
» Vos deus exemples m'ont jà[^mis
>i En une pensée nouvelle
)) Qui voirement me i^enouvelle
» Les amourettes de jadis,
» Mes je ne sui pas bien hardis
>) Pour estre venus ne aies
» Là où je ne sui appelles.
» Bien sçai comment jà il en prist
» A Action, qui s'i mesprist,
» Quant ou bois s'embati sus celles
» Qui furent nimphes et pucelles
)) A Dyane la tresmontainne
» Qui sombrioit à la fontainne. >»
Dist Jonece : » En scés tu le compte >»
— « Oïl, di-je. )) — ce Or le nous compte ?
— « Volentiers »». Et entrées qu'il m'ot
FBOISSAHT. T. XVI. 26
402 POÉSIES
Je 11 recorde mot à mot.
» Actions fa uns damoizeaus.
V Les chiens ama et les oizeaus.
)» Dont, pour son déduit pourchacier,
1. Un jour ala aux chers chacier
» Aux lévriers. Un en accueilli',
» Et cils au cours les recôeilli.
n Le cerf fuit; Action après
V Qui le sievoit bien et de près.
^. Il a passé les bois menus;
)i Ens es landes s'en est venus:
:» Action le sievoit encor
V Qui d'ivoire portoit un cor.
« N'en voelt layer ne cours ne chace-,
1. Mes son grant damage il pourcbace.
., Venus s'en est, ne s'en prcnt garde,
» Sus Dyane qui le regarde;
» Car pas ne li estoit lontainne,
1. Ains se bagnoit à la fontainne
> Avec les nymphes qu'elle avoit.
» Et sitos qu'elle Action voit,
î) Si fu honteuse et très estrine.
w Ne sot de quoi faire courtine -,
1. En la fontaine se retire.
» A Action prist lors à dire:
j» Qui ci t'envoia, saces bien,
» Il ne t'ama gaircs ne bien.
» Tel pénitence t'en fault prendre ,
>» Que tout aultre y poront aprendre
V Exemple et chastoi, je t'affi.
DE JEAN FROISSART. 103
»> Hardis fnsquan tu venis ci.
>i II ne nous vendroit pas k gré
» Se nostre afaire et no seeré
•I Gstoient révélé par toi.
» Et pour ce y en nom de chastoi,
)) Tu soies tels d'or-en-avant
»Que le cerf qui fuit ci devant. )>
)) Là fu mués en otel fourme
» Que le cerf dont je vous enfourme.
)) Les lévriers qui de près le sievent
>i Au cours moult tost le raconsievent.
)> Ne sceveut qui c'est ne qui non.
» Ne nommer ne scevent son nom^
>) Ne plus ne le tiennent à mestre.
)) Là le fault en garant dangfier estre
)) Et eschéir et demorer.
» Riens n'i laissent à dévorer.
)) Ensi vint Action à fin.
>i Compains, je le vous di à fin
)* Se maintenant je me hastoie,
» Et sus ces dames m'embatoie
» Que sçai je, se Venus y est
» Qui me regarde 9 si se test,
» Dont je poroie estre escarnis^
» Je sui ci seuls et desgarnis
u De conseil, hors mis que de vous. »>
Dist Jonece : « Compains très douls/
<t De ce ne vous convient songnier
>> Ne les pucelles ressongnier;
» Elles sont jones et novisses
26*
404 POESIES
i> Et desgamies de tous visées
» Qui vous puist décevoir ne prendre;
» Et si fériés moult à reprendre
» S*ensi parties ne le conseil;
1) Qui m'ave pris de vo conseil. »
Jonece ensi m'anionnestoit
Et g^randement songpneus estoit
De moi remous trer et retraire
Que je me vosisse avant traire
Pour parler à ma droite amour.
Je li acord« sans demour;
Et quoi qu'il ensi me desist,
Prendés quil le deffendesist,
Si n'avoi je pas aullre entente,
Selonc ce que désirs me tempte,
Que de là partir sans parler;
~ Mes ains que gi vosisse aler
Ne que je m'osaisse eslargpir
Pour moi encor mieulz assagir ,
A Jonece di : a Qiiers amis,
» Venus qui avec vous m'a mis
» Me dist que vous m'aprenderiés
» Et le compte me renderiés
)> Des merveilles de ce buisson.
» J'en y ai jà véu foison.
)) A présent -dittes moi d'icelles.
u Cog^issiés vous point ces pucellcs
» Que je voi dalès ma dame estre ?
» Trois compagnons , qui sont sus desf re ,
» Ravise assés et recognois.
DE JEAN FROISSABT. 405
» Car il in ont fait pluisoars anois
X Et mainte proyere escondit
)) Refus, dangfier et escondit.
» Dicx les màce en maie sepmainne!
)) Je ne sçai pourquoi on les maimie
» En nul lieu où on se déporte.
» Il n eny a nul qui ne porte
:» Grant felonnie en son c(Hrage;
)) Je les crienc trop plus que Ferag^e
» Car il sont fel et despitous^
)) Et aux bonnes g^ens peu pitons.
:» Il me font la cher Iiireehier.
» Je n'oserai jà approcier
» Ma dame, tant que droit là soient,.
» Car je sçai moult bien, s'il osotent,
» Il me vendr oient sus courir.
j» Me vedriés-votts point secourir,
» Compains, se ces trois m'acoeilloieut
1) Et au trencier me recœiltoient f »
Et Jonece prent lors à rire
Et dist: (c Amis, laissiés les dire*
)) Je sçai bien qu'il sont moult estous *,
:» Mes il se fault passer de tous.
» On ne poet mies cascun batre.
)> Trop se faudroit le jour debatre
» Qui vodroit à cascun respondre.
» Aies vous mucier et repondre ,
)> Lors que vous les vés par maison.
» Encor y a aultre raison ,
» Beus compains, foi que ye doi m'ame
?
106 POÉSIES
n Vallet de seig'nour et de dame
» Est on tenu de déporter.
M Vous ne vous povés pas porter,
M Encontre euls, ensi que vodriés^;
» Car trop mesfaire vous portés.
» Souverain ont que vous doubtés.
)) Si vous pri, que vo coer doutés
>» Telement que de nuls des trois
» Vous ne soyés jà plus des trois
w Qu'il vous ont esté j"usqu*à ci.
» Cryés les tout à Diex merci \
» Mieuls les povés ensi conquerre
i) Que par euls follement requerrc.
>i Vous avés souvent ay dire :
» Douce parolle fraint gprant ire. »
Moult m'estoit la doctrine honneste
De Jonece qui m'amonneste
Si souef et si bellement.
Et quoique ces trois follement
Me re^ardaissent de travers,
Se recommence encor ses vers
Jonece, qui est dalès mi
Et qui me elamoit son ami
Et me recorde des pucelles
Et dist: K Compains, oés d'icelles}
K Sept en y a tout d un arroi.
)i Dig^nes sont pour servir un Roif
M Je le vous créant et prommès
D Les véistes vous onques mes? »
Et je responc : a Je ne sçai voir;
DE JEAN FBOISSART. 407
K Mes leurs noms vodroie sçavoir
» Volentiers, afin que j'en soie
a Avisés, car si je passoie
» Devant elles, si com ferai,
}i Au mains pas ne me mesferai
» Au recognoistre et au parler^
a Car celle part vodrai aler,
>i Puisque vous le me conseilliés. »
Et Jonece, qui moult est liés
De ce qu'en ce parti me voit ,
Au nommer errant se pourvoit,
Et me dist: « Compains et amis,
>i Avec vo dame Amours a mis
» Ces pucelles pour li garder»
>i Premiers vous povés regarder
» Manière 9 Attemprance et Franchise
>i Et Pité d*autre part assise*,
)) Vous ariés bien mestier de li.
)) Et Plaisance à ce corp^ joli,
» Cognoissance et Humilités
» Faites, et vous abilités,
M Et vostre sens pas n'engagiés-,
)> Mes soyés si enlangaghiés
» Que les trois vallés dessus dis
}) Refus, Dangier et Escondis^
» Ne vous puissent porter coniraire. »
A ces mots me vois avant traire,
Sans mettre y nul alongement,
Et salue moult doulcement
Toutes celles quen présent voi^
408: POÉSIES
Et mes yeus plus qu^iillours convoi
Sus ma dame, fout en emblant.
Là fui saisis de Doulc-samblanf
Qui me dist : u Amis, se j'osoie,
« Comment que hardis asses soie,
» Je vous feroie millour chiere
>> Que ne fai, et ma serour chiere^
>< Plaisance, a bien. vouloir dou faire^
» Mes cil yallet de put afaire,
» Escondit^ Refus, et Dangfier,
** * * Me font souvent pourpos chang^er.
» Et toutes iohy pour vostre amour,
)) Nous commencerons sans demour
» Une feste et un esbanoi,
M Car point ne doit avoir d*anoi
M La où jone gent se reeoeillent. »
• Âdont de toutes pars s'acoeiUent
Les pucelles au caroller.
Liement me vint acoler
Uns très gracieus jovenceans
Qui est moult bien amés de ceau&
Qui le eompagnent soir et main,
C'est Désirs; il me prist ma main
En suppliant que je U preste*,
Je li baille et il le m'arreste»
Et dalès ma dame me met.
Je ne sçai pas qui le commet
A ce faire, mes quant g'i fai^
Je ne vosisse pour un mui
De florins tenir aultre doL
DE JEAN FRMSSART. 109
Forment peeommender je doi
Plaisance qui , par garant revel >
Ghanfa un virelay nouvel,
Car toutes et tous resjoïr
Nous fist; or le voeilliés oïr.
Virelay.
Se loyalment sui servie
Et bellement supplye
De mon doulc ami,
Il n'a pas le temps en mi
Perdu, je li certifie.
Souvent se fault abstenir
Et couvertement tenir
Pour les mesdisans,
Car il n ont aultre désir
Que g^rever et escarnir
Tous loyaus amans.
Trop ont pluisonrs g^ens envie
Dessus Tamoureuse vie;
Je l'ai bien senti;
Mes j*ai tout là Dieu merci!
Enduré à cière lie.
Se loyalment etc.
Et pour ce qu'il scet souffrir
Et soi sagement offrir.
Il vendra le tamps
Qui guerredon très entir
ilO POÉSIES
Li rendera sans mentir
De tous ses ahans.
S'en servant n*estoit oye
Sa proyere et recoeillie
En trop dur parti
Seroit, et son temps aussi
Plorroit à chiere esbahie.
Se loyalment etc.
Si tos que Plaisanche ot chanté,
Jonece qui m'avoit hanté
Et compagnie an et demi
En dist un pour Tamour de mi»
Lequel est tout prest del avoir
Se celi vous volés sçavoir.
Virelaif.
Âssés je me recognoi*
Coers qui s'esbahist de sai
Ne seet qu'il fet \
De joie en péril se met
Et en anoi.
«
Et pour ce qu'en ce parti
J'ai plus avant obéy
Dou temps passé
Qu'il ne besongnoit à mi
Dont j'en ai souvent senti
Mainte durté.
DE JEAN FROISSART. 41 i
En nom de tout esbanoi^
Ua dame, je vous envoi
De coer parfet
Tout ce q*un amant pro/nmet
En bonne foi
Assés je me recogpnoi etc.
Et voeil vivre sans soussi
Lies et gais, je le vous di^
Car j'ai esté
Trop pensieus jusques à ci
Car votre amour m'a saisi
Et si navré
Que j'en perc sens et arroi;
Mes li bien qu'en vous je voi
Me font si fel
Que de péril m^oipt hors tret
Par leur chastoi
Assés je me recog^noi etc.
Franchise, qui moult est courtoise,
Sa vois joliement entoise
Pour chanter à bonne manière
Avecques sa serour, Manière.
Moult furent belles et doucettes,
Et bel ouvroient leurs bouchettes
En chantant les deus damoiselles.
Vermeilles orent les maisselles
Et bel estoient coulourées.
Illoec furent moult aonrées
i 1 2 POÉSIES
Pour grracieases et migpnoffes
Ens ou nom de lor douces notes;
Et d'un virelay bel et cent
Qui fu chantés Toiant la gent.
Vtreiay.
Se par honnour sui donnée
Et de eoer énamourée
A mon dottlc ami,
Qui ra'aimme bieti et je li,
Je n'en doi estre Masmée
Car je puis bien dire ensi:
Onques en lui je ne yi
Chose desrieulée.
Mes loyalment jusqu'à ci
M'a honnouré et servi
Et trop bien m'agprée
La grasce et la renommée
De tous bons recommandée
Qui est dedens lî;
Car onques n'en defalli
Soir ne matinée
Se par honnour etc.
Trop seroient enrichi
Losengier et bien parti
De bonne journée,
S'il estoient tout onni
DE JEAN FROISSART. 113
Et les bons mis en oubli 3
J ai aultre pensée.
Gis l'aura, dont sui amée
Et souverainne clamée,
Bien la desservi,
Or se conforte par mi,
Et de riens il ne s effrée
Se par bonnour etc.
Ensi estoient en solas
JEt chantoient, dont hault, puis bas,
Si com les cbançons laportoient.
Mes quoi qu ensi se deportoient
Les damoiselles au chanter,
Je m'ose bien et puis vanter
Les trois compagpnons dessus dit^
Refus, Dang'ier et Escondit
N'avoient cure de la feste ;
Ancois crolloit cascuns la teste.
Riens ne voient qui lor souffise.
Pour quoi sont tel gent en offisce ?
Il estoient là en la place.
Riens ne voi en euls qui me place ;
Car il avoient,U larron!
Trois testes en un chaperon ;
Ne je ne passe pié avant
Qu il ne me soient droit devant
Le regard, et en mi la cbiere
Sus moi on sus ma dame chière.
414 POÉSIES
Haro 1 que je les vois enyis.
Quant il me regpardent ou vis
A painnes pui je ouvrir la bouche
Pour chanter que cascuns en g'rouce.
11 sont ores de put afaire.
Se je ne cuîdoie fourfaire
D'amende que quarante livres
J'en seroie tantos délivres,
Car j'ai bien volenté et ire
Que d'euls en mi la place occire,
Mes je ne les ose envaïr
Ne sus eulz montrer mon aïr,
Seulement pour ce que ma dame
Rit à la fois sus eulz, par m'ame!
Et soeffre bien qu'il soient tel
Soit à la fc^ste on à Tostel.
De tout ce qail font elle jue,
Et je me defris et meng^iie.
Je vodroie, par saint Rémi!
Qu'il fuissent ores droit en mi
La garant mer, en une escuielle,
Ou la lang-ue euissent muielle>
S*auroie paix de leur paroUe.
Car quant je danse ou je caroUe,
Ou je Ëii aucun esbanoi,
Il en ont tristece et anoi,
Et me sont trop fort en aget.
Cure n euisse de tel gfet,
Car je n'i puis nul bon point prendre.
Se me convient-il à euls rendre
DE JEAN FROISSART. 115
Et estre en leur subjection;
Mes c'est voir sans dévotion ,
Car je n'i ai point d'amislé.
Tout le temps que jai là esté
Il n'orent ailleurs leur regart
Fors dessus moi, se Diex me gart !
Au mieulz que je puis je m'en passe.
Doulc-samblant pas ne me trespasse
Au chanter, ançois m'en requiert.
Par sa paroUe me conquiert
Un virelay de tel chant qu ai;]
Moult bellement illoec chantai.
Virelay.
Mon bien, ma paix et ni'amour
Mon souvenir nuit et jour,
Et toute ma joie,
Se vous voliés je seroie
Kesjoïs de ma dolour.
Non, ma dame^ que je voeil
Biens deviser sus vo voeil,
Ne jà il n'aviegne
Mes proyer que vo vair oeil ,
Qui sont simple et sans orgfoeil.
De moi Ton souvienne , .
Quant ensi vendra à tour.
Car il sont d un bel atour.
Trop mieulz en vaudroie
416 POÉSIES
Se par vo gvé en avoie
A chief de fois le retour
Mon bien etc.
Ne de riens je ne me doeil
Que le bien qu'avoir je soeil
Tout-dis ne me vieg'ne.
Si fret os que je recoeil
Le regart de vostre accoeil,
Que Diex parmaintieng^ne!
Je me conforte en douceur
Et le fai pdur le millour^
Car, voir se j'estoie,
Plus gfrans cens fois que ne soie,
S'ai je conquis toute honneur
Mon bien etc.
Humilités, qui moult est belle ,
Ne fu pas au cfaanter rebelle ^
Et pour ce qu'on n'avoit encor
Dit nul rondel de chief en cor^
Elle en dist un bel et joli,
Lequel yoeil pour l'amour de li
Recorder, car de belle bouche
En issi la vois lie et douce
Rondel.
Amours je vous regrasci
En quan que vous m'avés fait
\
DE Jean FROISSART. 417
Le temps me plest bien ensi.
Amours etc.
J'ai mon coer mis et eensi
A bel et bon et parfait
Amours etc.
Désirs fu forment esméus
Et de chanter tous pourvéus
Un rondelet bel et plaisant.
Tels fu, si Gom je truis lisant.
RondeL
Pour vous 9 doulce créature,
Mefault souffrir nuit et jour
Maint assault plain de dolour.
Pensers si g^ami d'ardure
Pour vous etc.
Regpardés quels mauls j'endure.
Se briefment n'ai yo douçour
Morir m'estoet saos séjour.
Pour vous etc.
Encor en fist un aultre api'ès
Désirs, qui m'estoit assés près,
Et lequel j'oy volontiers ,
Car il poursievoit les sentiers
Que j'ai à mon pooir tenu.
Je Tai assés bien retenu»
Car gf'i mis mon coer et m'entente.
Si le vous dirai sans attente :
FHOISSART. T. XVI. 27
418 POÉSIES
RondeL
La pointure qui me point,
Dont conseillier ne me sçai.
Nuit et jour ne cesse point.
La pointure etc.
Et si me point si à point
Que riens ne crîenc son assai.
La pointure etc.
Pités, qui fu de bon afaire
Un virelay volt droit là faire,
Et puis le chanta doucement.
Proyer ne s'en fist longuement,
Car elle estoit assés aisie
D*estre galette et envoisie.
Là remonstra de coer discré
Ce dont on li sot très grantgré
Et qui grandement m'abelli.
Vous Tores pour l'amour de li.
Vivelay.
Mesdisant sont moult hardi
Qui s'ensonnient de mi.
Ne soevent comment^
Et mettent empecement
Entre moi et mon ami.
Cuident-il par leur gengler
Mon ami y ers moi grever
DE JEAN FROISSART. 41
Ne porter contraire ?
Certes, nennil; c est tout eler
Que je Taimme sans fausser
Et bien le doi faire.
i
Il m'a loyalment servi
Doubté, cremu, obey;
Si Tai-je souvent
Refusé; mes vràiement
Onques ne s^en desconfi.
Mesdisant etc.
Pour faire leurs coers crever,
En avant li voeil monstrer
Chiere débonnaire;
Par quoi s'il les ot parler
Cause aura de tout porter
Soi souffrir et taire.
Bien le saura faire énsi,
Et Ta fait jusques à ci
Moult courtoisement.
S'en aura tel paiement
Qu'il vault et a desservi.
Mesdisant, etc.
Doulc-$amblant, quifu gfens et ceintes,
De tous et de toutes acointes,
Ot en la feste gvani puissance
Avec sa serour Cognoissance.
Ne se fisent glaires pryer;
Ains chantèrent sans detryer
27*
420 POÉSIES
Un virelay bon et nouvel.
En euls oant pris garant revel ,
Tant ens ou chant com ens ou dit
Vous l'orés sans nul contredit.
Vwelay^
Je n ai bon an ne bon jour,
Ne reconfort ne douceur
Ne souvenir qui le vaille.
Se vos regpart ne le baille
Ma droite dame d'onnour.
Dont souvent sui esbahis;
Car je ne puis pas tout dis
Ëstre dalès vous.
Quant Q\ sui c'est uns périls
Pour mesdisans, ce m'est vis
Qui voient en nous
Aucun vrai sigpne d^amour
Dont gpeng^lent li trahitour;
C'est la mort, c'est la bataille
Que j'ai bien mestier qui faille
Pour alegfier ma doloun
Je n'ai etc.
Pour ce, humblement escris
A vous, ma dame de pris,
Com li vos très tous;
Et vous di que je suis cils
Qui plainnement est ravis
En vos maintiens douls.
DE JEAN FROISSAUT. 421
«
C'est mon bien, c'est mon retour j
C'est ma joie et mon séjour^
Il n'est riens dont il me caille
Fors que briefment vers vous aille
Pour remirer vo colour.
Je n'ai etc.
Quant Attemprance à son tour vint
Et que chanter il le convint,
Elle n'en fu pas trop escarse ;
Mes d'une vois à point esparse
Et qui volentiers fu oye
Chanta. Se dist la resjoye,
Ce me fu vis, un Virelay
Le quel je dirai sans delay.
Virelay.
On dist que j'ai bien manière
D'estre orgpillousette.
Bien afiert à estre fiere
Jone pucelette.
Hui matin me levai
Droit à l'ajournée^
En un jardinet entrai
Dessus la rousée;
Je cuidai estre première
Ou clos sus l'erbette»
422 POÉSIES
Mes mon doulc ami y ère
Coeillans la flourette
On dist etc.
Un chapelet li donnai
Fait de la vesprée;
Il le, prist , bon gré l'en scai;
Puis m'a appellée.
« Voeilliésoïr ma proyere,
)) Très belle et doucette
» Un petit plus que n'afCere
M Vous m'estes durette. »
On dist etc.
Jà ne seroicnt nul jour las ^
Jone gent d'estre en tel solas,
Car leur nature le requiert
Qui toutadies avant conquiert
Et les encline en tel besongre;
C'est la plus especiauls songne
Qu?il ont ne qu'il voeiUent avoir.
Il n'ont cure de grant avoir \
Il on droit, car or ne argent
Dure petit à jone gent.
Quant il lontfliement Tespardent^
Et s'il ne lont, il s'en retardent.
Je, qui jà telzassaus souffri
Tous me deris et me defri
Quant à la fois il m'en souvient
Des aventures qu'il convient
DE JEAN FROISSART. 423
Un jone amourous endurer.
Ne sçai comment il poet durer
Tant dou corps que de sa chevance ;
Mes fortune ou le temps Tavance
Qui laydent, par soubtieus cas.
S'il n'a reqte, s'a-il pout*chas;
Car tout dis vient ors et argens
Par droit usagée aux jones g^ens,
Et se lor est le temps confors.
Or revenons au fait de lors
Et dou jour dont loer me doi^
Que je tenoie par le doi
Ma droite souverainne dame.
Je ne vosisse adont, par m ame !
Estre Boy de Constantinoble
Ou d'un royalme encor plus noble,
Et je ne fuisse en ce parti.
Je l'avoie lors bien parti
Et grandement, au dire voir.
Me sçai comment pqroie avoir
La fortune à ceste pareille.
Las mes! entrées que j'appareille
La paroUe^ pour dire un mot^
Je ne sçai se li uns d'euls m'ot
Des vallés ci nommés devant,
Mes il traient tous trois avant.
Seul de leurs regars m'esbahissent *,
Il me murdrissent et trahissent.
Pourquoi sont-il si près de moi
Quant g'i pense tous et larmoi.
1^21 POÉSIES
Toutes fois Franchise et Pité^
Cogfnoissance et Humilité
Voient bien que pas ne sui aise*.
Nom-pour- quant cascune s^apaise
A ce que je remonstre et die
A ma dame ma maladie.
Mes elles n'en osent parler,.
Ne vers moi venir ne aler.
Le temps en laissent convenir,
Vienne ensi qu'il poet avenir.
Se n'i voeil-je» ne quier nul visce.
Là fui servis d'un bel servisce
De Jenece, mon compagpnon^
Pour ce souvent s'acompagnon
Avec les bons qu'on en vault mieulz.
Il, qui tout dis avoit les yeulz
Sus moi et sus ma dame ouvers ,
Et qui se lenoit tous couvert
Afin qu'on ne s'en presist gfarde,
Voit bien, par ce qu il me regarde.
Que j'avoie trèsgrant désir,
Mes que j 'cuisse le loisir^
De dire et monstrer quelque chose;
Et si ne puis, aussi je n'ose,
Pour les vallés qui sont eiisamble.
Que fist-ii ? trop bien ce me samble.
Un anelet d'or il portoit
Ou a la fois se deportoit;
Mes celi il laissa chéoir
Pour nous en parolle enchéoir^
DE JEAN FBOISSAUT. 425
Et lorsqu'il le senti chéu,
Si com il l'en fust meschéu,
Il fist forment Tensonnyé^
Et là a requis et pryé
Que on li voeille aidier à querre.
Et cascune et cascuns à terre
S abaissent après lanelet;
Et méismes li troi yallet,
Lesquels je ressongpnoïe si^
En lerbe le quèrent aussi.
Lors fui boutés de Doulc-Samblant
Qui me dist,ensi qu'en emblant:
(( Passe avant, car on t'a fait voie.
» Ne voi personne qui te voie.
)) ParoUe à ta dame^ il est famps. »
Et je, qui pour li sui sentans
Pluisours assaus, li dis : «r Ma dame,
yi Vostre amour m'a si pris, par m'ame!
)» Que je ne puis manière avoir;
» Et s'il vous plaisoit à scavoir
» Dont ce vient, c'est, en loyauté,
» En pensant à vostre beauté.
)i Le bien de vous et le garant sens
» M'a conquesté de tous assens.
» Cils se poroit à droit prisier
j» De qui vous dagfneriés brisier
» Les mauls, seul de vos douls reg'ars.
Plus ne parlai car je rejfars
Que l'anelet si fu trouvés.
Et oy qu'on dist; (c Vous devés,
126 POESIES
)) Jonece, par raison le vin.
}> Vous voilés aler au devin
i> Pour demander vostre anelet. »
Dont sallent avant li vallet
Qui furent fel et despitous
Et encontre moi peu pitons,
Et me disent : « Trayes en là »
Et je respondi : « Ve-me-là ! »»
Tout le plus garant bien que je pris.
De ma droite dame de pris,
Fu que je vis après ma note
Sa belle bouchette miçnote
En riant un petit mouvoir.
Plus n'i et fait ne dit non voir,
Ce fu assés; bien me souEGst.
Or vous dirai quel chose on fist.
Là fu qui dist cesie paroUe,
Qu*on laiast ester la caroUe
Et qu'on presist aultre revel.
Dist l'un : « J^en sçai un toul nouvel
« Que je voeil monstrer et aprendre
)i Et qui bien est tailliés dou prendre. »>
Quel est le ju on li demande.
Il respondi à la demande :
(( C'est cils de la pince merine.
Il Enfant de Roy et de Boyne
» Le poroient par honneur faire. »
Tout s acordent à cel afaire.
Nuls ni est à qui il ne place.
Là fu le ju jués en place.
DE JEAN FROISSART. 427
Or nous convenoit entre nous
Estre en estant ou en g^enouls.
Si nous asséins environ
De nia dame^ et en son giron
Mist cascune et cascuns son doi
Pour le ju dont parler je doi.
Et cils qui en fist la devise
Disoit ensi, quant je mWise :
« Bobius ne poet dormir ou clos
» S'il n*est de fleurettes enclos.
» Et dist que jà n'i dormira
)> Jusqu'à tant que sa mie aura
»Et un et deus. — Or vous levés
)) Dist on à moi , vous le devés. )>
Je me levai sans nul délai
Et un petit en sus alai
Environ dix ou onse apas^
Par quoi ne lesoïsse pas,
Et me mis en un buissoncel
Qui séoit dalès un moncel.
Je croi que il fu fais pour mi ^
Car il estoit tous croes parmi,
Beaus et foellus, ombrus et vers.
J'estoie laiens tous couvers
De foeillettes à toutes pars.
Et toutdis estoit mes espars
Et mon regard dessus ma dame
Pour qui amours le coer m'entame.
Elle fait bien à regarder.
Et celles qui l'ont à garder
428 POÉSIES
Manière, Attemprance et Beauté»,
Et Doulc-Samblant qui est bien tels
Qu'il ne me dagneroit mentir,
Et Pités qui me lait sentir
Qu'Umilités trop bien l'ordonne,
Et Cogfnoissance qui me donne
Grant confort quant ceulz voi et cel;
Qui sont tout vallet et pucelles
Pour euls plainnement asservir.
Je sui bien tenus de servir
Dame si bien acompag[nie
D'une si doulce compagfnie^
Et pour ce que je le convoi
De douls regars que li envoi
Qui en regfardant ni'abilitent
Et qui gfrandement me delittent,
Monstrer voeil que je ne dors mie^
Car sa doulce phizonomie
Me fait bonne matère avoir
Pour dire une balade voir.
Balade^
Manière en plaisant arrei
Est forment recommendée
En Dame, et fust fille à Boy^
Car, quant elle en est parée ^
Elle est de tous honnourée,
Âmée et prisie aussi
Pour le bien qu'on, voit en li.
DE JEAN FROISSART. 429
Et c'est bien drois, par ma foi!
Car manière à point arrée,
Soit à vue, ou en requoi,
Est volentiers regardée.
C'est vertus moult renommée.
Onques coers ne le hay
Four le bien etc.
Et pour ce que je perçoi
IJue ma dame en est armée;
Sui je bors de tout anoi,
Car elle est de bons nommée
De grasce et de renommée,
La parfette au coer garni.
Pour le bien etc.
Entrées que Beautés et Plaisance,
Désirs, Manière et Cognoissance,
Doulc-Samblant et Humilité
Franchise, Âttemprance et Pité
Eutendoïent aux noms donner,
Ensi qu'on les doit ordonner,
Et que le requiert ii reviaus
Et le ju qui est moult nouveaus,
J'avoi€^ ailleurs mis mon entente ,
Ensi que bonne amour me tempte,
A la balade dessus ditte ,
Comment qu'elle fust moult petitte.
Depuis ne fui je pas aies
Trop loing, quant je fui appelles,
£t me tu dit : a Hanin ! Haynau ! »
430 POÉSIES
Je respondi : (( Pié de ehevau ! »
Et puis on dist : a Que voels que^ face ?
Ei je responc : a Ce qu'à Dieu place. -»
— (( Or nous dittes, sans eouroucier>
» Lequel vous avés or plus chier
» Qui vous raporte sans delay,
D Ou flour de lys^ ou flour de g[lay ,
» Ou la roze, ou la violette »
)) Ou la consaude joliette,
» Ou bonne-aventure, ou fortune,
» Ou le cler soleil, ou la lune, d
Et je qui tentais m'aventure
Je respondi : « Bonne-aventure. »
Bonne-aventure avant salli.
J'avoie bien afaire à li.
Désir ot-on ce nom donné
Par le ju devant ordonné
Je fui moult lies par convenant
Quant je le vi à moi venant,
Et il se resjoy foison
Quant il me véy ou buisson.
« Amis, dist il, ci sui venus,
c Pour vous porter. G y sui tenus. »
Et je li dis : « C*est bien mes g^rès. »
Lors est laiens o moi entrés,
Pourvéus pour moi enchargpier,
Ne il ne s'en voelt atargpier;
Mes il convient voir qu'il s'afargfe ;
Car si tre-tos comil m'encarg^e,
11 m'est avis de toutes pars
DE JEAN FBOISSART. 43 1
Que ce soit fus et que tous ars,
Et que je soie en mi la flame.
J'escrie lors: •< J'ars tons et flame!
}> Desir^ Désir ! mettes moi jus.
)> Jués vous ores de telz jus
>i Qui me voles ensi ardoir?
>* D'aler avant n'ai le pooir.
)i Je senc le fu qui me sousprent,
)> Qui tout me bruist et esprent.
)> Issiés de ci et appelles
» Ceuls et celles que vous volés.
» Dittes qu'en me yîfpie secourre;
»i Car vraiement j'ars tous en poure,
1* Ne je ne senc que flame et fu.
n Et si ne sçai mies par ù
)> Tele ardour puist venir ne nestre,
M Fors seulement q'une fenestre
» Â la manière d'un petrub
)) Dedens ce buisson voi et truis. »
Se li fis-je orains de mon doi.
Certes moult bien comparer doi
Ce meffait ; car par là souvent
Ai je hui Véu le doulc couvent
Que ma très souverainne gparde;
Quant bas et hault par tout reg*arde.
a Cesle ardour est par là entrée ^
>) Car je n'i voi nulle aultre entrée,
)> Dittes, Désir, ai je dit voir. »
Et cils qui bien fait son devoir
Que del ardant fu atisier,
432 POÉSIES
Me dist : « Vous vos ahatiés liier
)) De porter, comme bons vassans^
» Les merveilles et les assaus
>» Qu'aux pluisours jones gens aviennenf
» Qui par ce buisson vont et viennent j
i> Et je vous voi jà recréant.
i> Amis, amis, je vous créant
» Que quant de ci vous partirés
« Vraies enseng^nes en dires
)) A ceuls qui oïr les vodront,
» Par quoi mirer il s'i porront. »
— «c Haro ! di je, j'en sçai assés
)) Car je sui jà mas et lassés.
>i Estes vous pour ce ci commis ?
)i Venus le m'avoit bien prommis,
» Que, se longuement je vivoie
)) Et avecques vous arrivois,
» Que j'auroie à souffrir foison.
)) Et se vous scavés la poison
}) De ceste ardour qui m'est si griés,
» Je vous priy qu'elle me soit briés,
» Car pas ne sui fors pour porter ]
}) Se m*en poriés bien déporter^
V Car ce fais ci trop fort me charge.
)) Je n ai pas apris si grant charge.
» J'estoie assés à paix avant,
>i Quoique dangiers me fust devant.
)) Mieuls ameroie o lui tout dis
» Et refusés et escondis
» Que d estre en pénitence tele.
DE JEAN FROISSART. 4.33
*> H n'est créature mortele
» Qui longes porter le peuist,
» Que briefment la mort n'en euist,
>» Car il me vient tout à revers.
)» Jestoie maintenant couvers
»» De foellettes et de vredure
>' Et je sui tous rempli d'ardure.
»i Or, me dittes s'onques nuls fu,
» Fors que moi, ens ou pareil fu;
» Car j auroie bien ma part d'ire,
>. Mes que je le puisse pardire ,
i» Se j estoie en ce monde seuls
>» Qui euisse esté augoisseus
» Et passé parmi ceste flamc
» Qui trestout me bruist et flame. »»
Désirs qui est un g-rans brandons
D'ardour, et qui en fait jjrans dons
Là où il les cuide employer
Me va erramment desployer
Figrures et exemples tels,
Et me dist. « Or vous confortés
» Amis, et si escoutés voir.
>» Vous volés, ce m est vis, scavoir
3» Souques nuls fu dou fu attains,
^» Fors que vous, dont vous estes tains.
» Nommer vous en voeil jusqu'à dis
^> Qui plus le sentirent jadis
^> Que vous n'ayés fait, Dieu merci !
» A tout le mains jusques à ci.
>» Dis! voires vingt, se mestîer fait !
FnoiSSART. T. XVI. 28
13 i POÉSIES.
» Ou un cenz! qui furent st fait,
j» Si pris, si attaint et si ars
»> Que hardemens, avis ne ars
» Ne les en porent aidier onques.»
Et je li respondi adonques :
)> Or les nommés; je les orai
» Parquoi oublyer m*i porai. -»
— • u Volen tiers. Moult en fu Phebus
» Del ardant fu d'amours embus
» Pour Dane quMl desiroit si,
>i Et celle le fuioit ensi
» Qu'on fuit ce 4ont on ne fait compte
» Onques Phébus> dont je vous compte,
)i N'en pot belle paroUe avoir ,
>i Tant li fesi9t-il à sçavoir
» Comment désirs le pooit traire.
>) Tout dis li fu dure et contraire.
» Et Orpheus poiir Proserpine
» Qui se piuoit dessous Tespine,
» Que Pluto ravi et embla.
>) Orpheus ses chans en vuerbla,
)) Et prist sa liarpe belle et bonne ^
» Et sen vint droit dessus la bonne
a D'enfer où siet la droite entrée
» Par où sa mie y fu entrée
>» Que Pluto porté y avoit.
i> Cils, qui trop bien harper savoit,
y* Sa harpe attempra doulcement.
» Tant harpa et si longuement
DE JEAN FROISSART. 433
^> Quo les Diex, pour la mélodie.,
^» N'en y a nul qui mot en die
» Tout ouvrirent encontre li.
n Et Orpheus au corps joli
w Trouva sa mie, ce me samble;
'» Et parlèrent lonc temps ensamUe.
>» Et Ta dou ravoir caleng^ié.
" Mes on trouva qu'elle ot mengié
^» Dou fruit d'enfer, ifuant elle y vint
» Pour ce demorer li convint.
^> Mes Orpheus^ si corn bien sçai,
>» 'S'en mist toutes fois en Tassai 5
>» Ce fu amour et ardour grans 5
j» Et s'estoit dou véoir engrans
'» Quant en enfer, où tel val a,
>» Pour Proserpine il s avala.
« Et pas ne fait à oublier
'• Léander, mes à publyer
*» Et 1 ardour dont tant il an»
M Héro pour qui il s*entama.
« Toutes les nuis un brach de mer
" Nooit li preux pour cesle amer*
ï> Point ne visoit à la tempeste
>» Dont la mer souvent se tempeste.
» Tant i ala et tant y vint
^» Qu'enfin demeurer li convint.
:» Entre Albidos et Fautre dune
» Fu il souspris d'une fortuite
)» Et laquele il ne pot passer.
» Ennoant.le convint lasser -,
28*
13 G POÉSIES
^ Et là où mainte nefs arrive
» Fa trouvés mors dessus la rive.
» Et ne fu plains d*ardant folie
» Et de grande mélancolie
)> Pymalion, quant il bailla
» A Timagpe qu'il entailla
» Sa niour de si ardant entente*
» Espris dou brandon dont je temple
>i Maint baceler et mainte dame.
» Il yen priant, rendi là ame.
» Gepheus n^en ot mie mains.
» S'estoit il en très bonnes mains
» Eschéus, s'il y presist garde.
V Mes les flamescbes de ma darde
» Ne scevent nuUui déporter.
» Grant ardour le vint enhorter,
» Et Tamonnesta et sousprist,
1) Quant la mélancolie il prist
)> De monter à mont un lorier
)i Pour véoir avant et arrier
i) S'il veroit point venir sa dame
» Qui loyalment lamoit, par^m*ame!
)i Car un usage entre euls avoient
•• Qu'en un gardin il revenoient
» Parler de leurs amours ensamble.
» Or en defalli, ce me samble,
)) Héro, qu elle un jour point n'i vint^
» De quoi à Cepheus mesvint.
)> Quant il voit que le soir approce
)) Pour infortunés se reproce^
1
DE JEAN FROISSART. 437
» En tel argu pensant à li
3» Soudainnement il tressalli,
» De larbre chéi jus à terre.
)) Il ne le eonyint ailleurs querre.
3) Là fu trouvés, là e^t ses lis,
2) Car il y fu ensepvelis.
» Tubulus gousta moult mes fiâmes.
» Le record n'en est mies blâmes,
» Car dou [gfou&ter et dou sentir
» Peu de gens en Toi repentir^
» S'il ne sont d attemprance dure.
» Mes li touseaus en ceste ardure
» Persévéra et rendi ame.
)) Ensi est escrit sus sa lame.
» Le Dieu d'amours en leva bulles
» Et dist que loyal fu Tubules,
)> Narcisus fu de franche orine,
» Enfés de Roy et de Roy ne j
» Très beaus fu et de noble arroi.
)» Fille de Hoyne et de Roy
» Enama^ Eqtio ot nom celle.
» Elle moru jone pucelle.
î) Nom-pour-quant, s'elle morte fu,
» Onques estaint n en vit le fu
» Narcisus, tel quil le portoit;
» M^s ûuit et jour li enhortoit
» Que il perseverast avant^
» Et li ï*emettoit au devant
1) Equo la belle et bonne et saçe.
» Or avoit Narcisns d'usagée
138 rOÉSlES
» Que d'aler eus es bois cliacier
I» Pour sou esbanoi pourchacier.
» II^ qui estoit 1res bons ouvriers
» De mettre avant chiens et lévriers,
» A la chasse un cerf accoeilli ;
^> Et cils au cours le recoeillL
> De près le sieut lljouveuceaus^
» Passe vallées et monceaus>
yy Preories et ^rans herbois.
3» Venus s'en est en un. beau bois;
» Et assés près d'une fontainne,
> Qui de toutes gens fu lontainBe^.
» Prist Narcisus le cerf à force.
» Il méismes droit là Tescorce
>» Et la cuirie ans ehiens.en fait,
» Car bien savoit ouvrer dou faii.
» L^aigfue qui. couroit ou ruîssiel
» Rafreschissoit le jovencieL
)> Pour ta calour qui estoit gfrans.,
» Fu Narcisus forment engrans
>* Que-de la fontaine il peuist
» Boire et son sool en euist.
>i Adout à la fontainne vint.
)> Quant il y fu, se li, souvint
» D'Equo que tant amé a voit
» Que conseiller ne s*en savoit.
» Narcisus s'abaisse pour boire ;
» Et laigue qui est clere et noire-
» Et qui siet en lieu orbe et sombre ^
lè D'une personne li fait ombre.
DE JEAN FROiSSART. 439
» Quant Narcisus en voit la fourme,
M Ardour Tamonneste et enfourme
)> Que briefment c'est Equo sa mie
») Et que perdu il ne Ta mie.
» Adont se lieve eontremont;
)> Et yolentés si le semont
» Que de cryer envois I envois !
>i Equo ! Equo ! à clere vois.
}i Le sou. des bois respont sans faille
)) Tout ce que Narcisus li baille .
» A,l^ fontaine s'abandonne,
» Car miréoir, ce dist, li donne
)» Qu il voit Equo fmr^propre face.
}) Tant li plet qu'il ne scet qu'il face.
)» Il s'abaisse et souvent en boit.
)> En ceste ardeur s'i il s'emboit
)i Que droit là, sans partir, se tient.
» Et tout entirement maintient
» Que il paroi le bouche à bouche
» A Equo sa mie très douce *,
» Car le son retentist et dist
» Tout ce que de Narcisus ist.
» Là se plaint et pleure et souspire^
» Sa v.ie et sa santé empire,
>> Car il est là tant loug-ement,
» Sans mettre en soi aliegement,
)) Ëspris d'un tel tison ardant
» En la fontainne regardant
» Par son samblant une ligure^
H Et tellement si e3vig[ure
4*0 POÉSIES
» A regfarder, dont près, dont loing^^
» Qu'il n a aillours entente et soing-^
)) Ne aultre part ne voelt aler ;
» Car vis li est qu'il ot parler
» Equo^ si-tos com il paroUe
» Soit bas ou hault une paroUe.
)) Geste ardour ensi le demainne
» Jusqu'à tant qu'en la fin le maînne.
» Ensi Narcisus pour sa dame
» Rendi en cel estât là ame.
» Paris, qnifn à Priant fils^
» De son damag^e estoit tous fis
5» Quant il ala en Gresee querre
» Feme pour lui par fait de guerre;
)) Car Helenus et Cassandra
» Disoïent bien ^ Quant hors saudra
>* Paris, pour &ire emprise tele ,
» C'est no destruction morfele.
» Et toutes fois^ pour leur parler
» Il n'en laissa point à aler
3) En Gresee, ains y ravi Helainne
)> Dont la guerre fu si villainne
» Com il Y pert et y parra
» Tant que de Troies on parra.
» Âcillès pour Polixena
» En amoureuse ardour régna.
)) Et qui voelt savoir par quel ioui\
» Il convient prendre son retour
» Ci devant et droitement-u
)> Li amans à son coffre fu
DE JEAN FROISSART. 44 1
» Où il ot jà mis son imagée
)» Et on yera à quel damage »
» Gomment Aeillès fn menés,
^ Espris d'ardour et fourmenés.
)) Tristrans aussi sus tele fournie,
D Si eom sa rie nous enforarme
» Qui bien justement Texamine.
» Dou fu d'amour, qui jïiaint coer niine>
» Telement fu examinés
» Que jusques en la fin menés.
» Maint Philozophe aussi j'en scai
» Qui en chéirent en lassai
» El forent féru de la darde.
» Premiers qui Ovide regarde
» Vregile et Aristotle aussi,
» On voit que ce fu d'euls ensi.
)) Compains^ il n'est nuls qui ne passe
)> Parmi ce fu, i^'il a espasse,
yf Tempre ou tart, mes c'en est Tadrece^
)> Le joli Buisson de Jonece.
)> Foi que doi à saint Innocent!
y> J'en nommeroie jà un cent^
» Voire, pstr Diea I un grant millier,
)) Se tant toloie travillier,
» Qui fout en ont esté bersé^
» Ardament espris et arsé.
» Mes, nennil ; il m'en fault issir ;
» Car je n'ai mies le loisir;
» Et se nous lault de ci ruidier.
» Que poent maintenant cuidier
442 POÉSIES
» Ceuls et celles qui sont là-jus >
)) Qui s*esbatent aux pluiscwrs jus
)> Et qui à rtensnée n'entendent,
» Fors seulement qu il nous attendent.
» Il dient ensi, et de voir,
>i Que je ne fai pas mon devoir
» De vous porter > quant tant demeure. »
Et. je li respondi en l'eure:
» Désir ! Désir ! trop me hastés !^
» Saciés que je ne sui pas tels
» Que je puisse de ci partir.
)> Vous me véés, com un martir*
>i En penitance et en ardure.
» Jà tant que ceste ardour me dure
» Je n'ai cure de nul revel
» Ne de ju, tant soient nouvel.
)'' Toute joie m'est marison.
» Je ne quier que ma garison.
» Si vous pri qu'il vous viegne à. point:
» Que vous regardés sus ce point
)) Bar quoi briefment reconfort aie
« De ce mal qui si fort m'esmaie. »
A ces mos. Désirs me respont.
Qui de moi pas. ne se repont :
>» Compains^ eompains, ce ne poet estre>
» Que nullement voyes le prestre
» Qui jà jour ses reliques blasme.
)) Diex me desfende de tel blasme
'> Que jà des miennes je mfssdie
» Pour nulle cho^e qu'opmQn drie^.
DE iEAJS ERQISSART. 443
» Car jen*i sui mie lenus.
» J ai eslé fous jours retenus
» De Venus et de son conseil >
^ Pour ce que j'enhorte et conseil
> Que ses afaires est moult g^ens^
» Yoires à toutes jones. gens.
1* Et le fu dont elLe s'esbat.
» Je le recorde pour esbat^
» Se tu t'en plains quele est la coupe f
» Quant tu bois à otele coupe
:» Que les amans dessus nommés
>) Qui grandement sont renominés
» En la vie des amoureus.
51 Tenir t'en dois pour éureus
5) Quant Venus t'a tant adagnié
>* Que le buisson t'a en&engnié
)> Par où toutes jones gens passent'^
:» S'en mi chemin ne se mespassent. )>
î> — Désir, di-je, point ne m'en plains ).
>» Mes pour ce que je sui tous plains
» D ardour, enflâmes et espris,
» Et noient ne Ta voie apris,
» Ce me fait gémir et cryer.
51 Si vous vodroie bien proyer
^ A jointes mains et en jenous
>j Que ci bellement entre nous
>j Vous vo Toeilliés tant entremetlre
>ï Que de ce fu à coron mettre,
« Car de vivre en un tel parti
» Je l'î^uroie trop mal parti. »
m POESIES
Tant parlai et si bellement
Que eils, qui assés fellement
M*avoit remonstré, ce m'est \\sy
Une gfrant part de son avis^
 moi réconforter s'aeoi*de
L'estat^ eomment il le recorde.
^ Compains^ dist it, je partirai
)> Et devers yostre dame irai
» Et devers ses pucelles toutes
» Qui ne sont dures ne estoutes,
)> Mes d'une accointance très douce^
» Et lor dirai, car le &it touche,
)> En quel ardonr Vous séjournes. »
— (c Haro^ ^i-jc? très bons jours nés^
» Me seroit, s'ensi le faisiés. »
Il me respont : <( Or vous taisiés ,
» Car ensi le ferai sans faille
» Que présentement le vous baille. )
11 prent cong^ié ; de moi se part ^
Mes encor, ançois son départ
J'avoie une chançon petite
Qui estoit assés bien escrite.
Je le pris, et se li donnai
Et en li baillant ordonnai :
» Vous donrés, de pai^ le malade,
» A ma dame ceste balade,
ji Et li dires, aussi à celles
» Qui sont lès li com ses pucelles^
» Comment je sui en Tocquisûn
V De II, embrasés dou tison,
DE JëAN FROISSART. 445
"» Si qu'à painnes puis-je parler, m
Dist Désirs : u Laissiés moi aler ;
<( Je TOUS cuide trop mieulz aidier
^) Que vous ne sauriés soubaidier. »
Désirs se part, ei se me let
Au partir un sien anelet
Ce sont ières dou revenir.
It saura trop mieulz avenir
Et adrecier à ma besongfne
Puisqu'il en a empris la songne
Que je ne feroie à nul foer.
Car il cognoist assés le coer
De ma dame, eosi q'uns servans
Qui lone tenips a esté servans
Entre les dames et pucelles.
Je croi bien qu'il parra à celles
Si sagem^dt et si à point
Que je ne m'en plainderai point.
De moi se part, Diex le convoie
Et doinst que briefment le revoie !
Car j'auroie trop grant mestîer
Que bien il peuist exploitier.
L^ retour de lui moult me tarde.
. Souvent de celle part regarde
Parmi le petruis eu couvert
Que de mon doi avoie ouvert.
J'en fesoiç adont ma fenestre.
Une heure à destre et à senestre
Regardoie avant et arrière
Et me tenoie à la barrière.
116 POÉSfES
Aultre remède je n4 truie
A présent que de ce petruis ^,
Et il m'estoit trop bteu séans^
Car ma dame et tous les séans
Véoie,-et point ne me véoîent
Endementroes qu'elles séoient.
Désir , qui est bon •usag'ier ,
Quant il voelt, d'estre messag^ier,
Leur sour vient garnis de parolier
Mes ne sçai de quoi il paroUe.
Au retour il le me dira^
Ne jà riens ne m'en mentira
Ou cas qu'il le m'a en convents
Je regardoie moult souvent
De ce lès et de celle pai*t
Mes pour ce de moi pas ne part
Le fu ne Tamourouse flame^
Ancois me bruist et enflame ;
Je ne m'en puis desfinceler.
Car je le senc estinceler
Environ moL Haro ! guel hoste !
Quant il avîent que mes yex osie
De ma dame et ailleurs les mec^
En peu d'eure les y remec,
Ensi que cils que tout dis tire
A monteplyer mon martire.
Et c'est chose legiere assés,
Car je ne puis estre lassés
De remirer et de véoir
Le fu qui me fait enchéoir
De JEAN FROISSâRT. 44^7
En Tardour dont je sui attains.
Si sui je près sus Testre estains.
Or uest pensée qui n'aviegpne
Attendans que désirs revienne
Et que nouvelles me raporte.
En pensant illoec me déporte
A faire un lay présentement,
Car j'en ai assés sentement
Et matère par ces deus mains.
Je m'en passaisse bien à mains;
Mes puis qu'il fault qu'il soit cnsi,
Très humblement j'en regfrasci
Amours qui de ses biens m'envoie,
Et qui aussi m*a mis en voie
De faire le lay sus tel fourme
Que mon fait requiert et enfourme.
Lay amoureiis.
Ardamment me voi espris
Et sans confort
De tu d'amiours qui me mort,
Si que tous fris
Ou coer m'est "ce fu escris
Qui me remort
Le S'Ont corps, le bel déport,
Et les douls ris
De ma dame qui m'a pris
, Par son effort.
418 POÉSIES
Se brief nai son reconfiDrf^
En ce pourpris
Qui tous est d*ardour pourpris
Et oultre bort
Demorrai jusqu'à la mort,
J*en suî tous fis;
Car d'ardour
Plainne de Tigt>nr
Et de chaleur
Très aspre et très fiere^
Sans douceur
Me voi nuit et jour
Espris pour
Vous, ma dame chiere.
S'en saveur.
Si cruel estour
Qu'à ma dolour
N'est mal qui s'affîere.
Vostre amour,
Maint plaint et maint plour
Par garant tristour
M'a fait mettre en bière.
Lamenteusement
Cremeteusement
Et secrètement
Bellement,
Quant j'en ai espasse^
Di en moi comment
DE JEAN FROISSART. 449
Le temps me sousprent,
Qui point ne m'apreiTt
Nullement
De seg^re ^rasce ;
Ançois me deffent
Tout esbàtement,
Car je voi souvent,
Vraiement !
Qu'il me fuit et passe
Trop leg^ièrement,
Sans alieg'ement
Ne confortement
Dou tourment
Qui si fort me lasse.
Cest bien chose pour périr
Quant joïr
Ne resjoïr
Ne conforter ne me puis;
Ains me fault ensi tenir.
Et sentir
L*ardant désir
Dont je sui ars et bruis.
Qui me fait plaindre et gémir
Et ouvrir
Tamaint souspir
Plains de dolours et d'anuis.
Et ne seai oà refair ,
Pour gfarlf
Ne amenrîT
froissàrt. t. xvl 29
450 POÉSIES
Les grieflés qu'en moi je truis,
Mes quant mon coer examine
Et le mine
Jusques au fons de la mine,
Je m'avise nom-pour-quânt,
En pensant.
Que vous estes si bénigne,
Douce et fine.
Que ceste ardoUr qui m'afine
Me fera, je ne sçai quant,
Confort grant \
Car vostre bonne doctrine
Me doctrine
Que, s'a point estes estrine,
C'est tout en reconfortant
Le plaisant
Fait d'amours-, car si bon signe,
Jadcvine,
Ont leur cours un seul termine
Pour esprouver un amant
Bien servant.
Dont je ne vodroie.
Se Diex me doinst joie,
Estre en aullrevoie.
C'est drois.qu on m'en croie,
Queje.sui;
S'une.heure manoie,
L'autre m'esbanoîe.
Quant je me fourvoie,
Tantos me ravoie.
Par autrui
DE JEAN FROISSABT. 45!
Ardour me g-aerroiC)
Quel part que je soie;
Et si fort me loîc
Que lie la diroie
A nuUtti.
Mes quioi que je voie
fit qu amours m envoie^
Douice, simple et quoie
Tantost perderoie
Mon anni,
Se vos vairs yeXj
Frans et gfentieus
Dagniés assir sus mon reg^arl;
Mes si lentieus
Ou si hastieus
Les voi venir de celle part.
Que petit mieulz
Voir en tous liens
En est à mon coer qui tous art.
S'en sui entieus
Et très pensieus
Quant fortune ensi me départ
De ses biens à gpolonnées.
Quel presse a à tels données,
Qui sont si infortunées
Et si très mal ordonnées,
Que les créatures nées
Presens et passés
Dou cog'noistre acoustumées
Dient que ce sont fumées
29*
152 POÉSIES
De dolour environnées.
Et que de tels corroyées
De deus ou de trois denrées
On a plus qu'assés.
Fortune^ ensi tu m'effrées,
Quar je crienc tant tes posnées
Et les dures destiné es 5
Je ne sçai à quoi tu bées.
Or le Yoes or le devées;
De riens ne t'est ses.
J'ai j à servi matinées,
Soirs; nuitiés et journées,
Termes et mois et anées.
De quoi sont recompensées
Mes painnes et mes pensées ?
Di le, se lu scés.
Et pour ce que garant et petit
Te tiennent en si garant despit,
Je croi aussi, se Diex m'ayt !
Que tu es si despifte.
Tu as maint coer mort et niurdrit,
Kn toi croire n'a nul proufit,
Tes oevres et tout ti délit
Ne valent ane mitfe.
Dang[ier, Refus et Escondit
Me sont contraire et ennemit.
Je n ai ne triewes ne respit.
Heure tant soit petite.
Mon ceer sou^pire font et frit;
^"^
DE JEAN FROISSART. 453
Je sçai, de voir on le in*a dit
Que quant je ploure ton cœr rit,
Tant es fausse et trahitte. y
Trop félon
Sont ti don;
' Oequoison
N'i a nulle de raison,
Ce dient li ancien
Absalon
Et Sanson
Et Noiron
, Et le Boi Laomedon,
Et Grieu et li Troïen.
Salemon
Ne Caton
Ne Platon
Ne sorent comparison
Faire de ton fol maintien.
Il n'est hom,
Tant soit bon
Nepreudom,
Que tu prises un bouton
De tant te cog^noi-je bien.
En toi a tant de contraire
Qu'on ne poet dire ne faire
I4ul bien ne nul exemplaire
Qui puist ne quidoie plaire j
S'en sui tous abus.
Nom-pqur-quant je m'en voeil taire,
434 POÉSIES
Et au doulc penser retraire
De ma dame débonnaire.
Comment en son doulc viaire
Je sui tous embus,
Car la doulee simple et vaire
A un doulc regart pour traire
Un coer retraire et attraîre,
Car nature y volt pourtraîre
Moult de ses vertus.
Tant sont ses yeus secrétaire
De gentil et noble afaire
Et si paiant sans fourfaire,
Que nuls coers ne poet meffaîre
Qui en est férus.
Et pour ce mon esperis
Onques ne dort
Ains veille et traveille fort.
Pensant toutdis,.
Et appelle un paradys
Le plaisant port
De ma dame et le ressort
De son cler vis.
Nuit et jour y sui ravis.
Et pas n'ai tort,
Aussi j'ai espoir d acort.
Qui ma prommis
Que je serai resjoïs^
Dont tel recort
Rendent à mon desconfort
Trop garant avis.
DE JEAN FROISSART. ^55
En dementrœs que Désirs songne
De dire et monstrer ma besongne ,
Ensi qu'il scetque le fait louche
A la simple, plaisant et douce,
Ma droite dame, assi à celles
Qui se tiennent pour ses pùcelles,
Ef que bien estoit escolés,
Javoïemis à l'autre lès
Mon sentement, tout tel que Tai,
A faire et à ditter mon lay.
Je n'estoie dont pas sans seing.
Et il m'estoit assés besoing
Que je présisse aucun déport-,
Car cils qui mon message port
Demora une longe espasse .
Or n est anoi que seing ne fiasse,
Mes qu'il soit plaisans et ou vers.
J'estoie ou buissoncel couvers
Et environnés de vredure.
Quoique mon coer fust plains d ardure
Si estoïent li mien espart
Tout-d is tirant de celle part
Vers ma dame; ensi que soloie,
Au regarder me consoloie
La manière et la contenance
De Désir-, aussi Vordenance
Comment il laboure et traveille
Pour moi, ensi q un preudom veille
Qui voelt estre bons et entiers.
436 POÉSIES
Je sceuisse jà volontiers
Quel chose il dist et qu'il procure.
SeloDc ce qu'il y met gfrant cure,
Il deveroit bien besong^oier.
Je le lairai faire et songfnier,
Car je eroi que c'est tout pour ml.
Il y a plus d'an et demi
Que je vosisse avoir eu
Tel qu'il est, ossi ponrvéu
De bon avis que je le cuide ;
Mes ançois que de ci je vuide
Nouvelles me raportera ,
Ne jà ne s'en déportera.
Or doinst Diex qu'elles soient belles!
11 ne fu mie trop rebelles
Quant de là aler li requis;
Mes seulement je le conquis
Par h aparler doucement.
Il demeure moult longuement,
Mes il ne le poet amender,
Car qui bien voelt reconimender
Une personne à pluisours g^ens^
Il fault estre moult dilig;ens
Et pourvéus de garant savoir,
Manière et contenance avoir,
Tant en manière com en fes.
Je croi que Désirs soit si fes ,
Car il esploita bien et bel;
Je n'i vpeil mettre nul rappel,*
Et tout ensi qu'il li avint
DE JEAN FROISSART. 457
Il le me dist quani il revint.
Tout premiers, de madame il (u
Âparlés'qui demanda : <i U,
» Désirs, avés vous mis vostre homme ? »
Et cils , qui pas ne me soumomme,
Respondi : « Dame , ci devant
<( Ai je laissié vostre servant
» Dedens ce buissoneel tous seuls,
» Triste, pensieu et ang^isseus*
» Dont, se remède ni mettes,
)) Il dist que vous li prommettés
» Et donnés la mort, fout pour voir.
» Quant de là le cuidai mouvoir
» Je le trouvai en tel parti,
» Que ne 1 en euisse parti
vBoug'ié ne jette nullement;
)) Car il est attains telement
X Dou fu d^amours environ lés
> Qu'il en est jà tous afolés
» Et deseoulourés en la face;
y> Et quel chose qu'il die et face,
» Et que g^revé soient si membre ,
» Heult gfrandemeut il se ramemhre
» De Doulc-samblant vostre vallet
» Qui bellement parler le let
» A vous, sans gfet et sans envie.
»Se dist, tant qu'il sera en vie,
» Loer s'en veelt, car c'est bien drois .
)» Mes il en y a aultres trois
)> Dont il se plaint oultre Tensengfne.
458 rOÉSIRS
» Désirs adonques li ensengne,
)) Refus, Dangier et Escondit.
» Certes, dame, cil dessus dit
» Font grandement à reprocîer^
)» Car il ne vous ose approeier
j> Ne remoustrer qu'il li besongne
»Pour ces trois, tant fort les ressongne l
)) Il lont jà moult dur recoeillié
» Et près au tencier accoeillié.
)) Or s'est-il sagement soufTers
)) Et toutdis bellement offers
» Â vous, dame 9 et à ceuls servir,
» Com cils qui se voelt asservir
)) Entirement à tous vos grés.
' )) Dame, il est loyal et secrés,
)) Jones, friches et esbataus.
» En tous lieus où il vient à tamps
» Porte-il bonne grasce et bon los ;
» Et bon renom, bien dire Tos.
» Et vous estes jone et jolie
» Et par droit amoureuse et lie»
» Et bien digne d*avoir ami
» De bon nom, par Famé de mi l
» Si seroit une belle paire
)* De vous, se vos coers sH apaire
» Et que le voeilliés consentir.
» Dame, voeilliés un peu sentir
» Comment pour vous vit en ardure
» Et la grant painne qu'il endure
-» Attendans la vostre merci.
DE JEAN FRQISSART. 459
)) En tiesmoing ceste lettre ei
» Qui représente le malade, n
Adont mist avant la balade
Laquele ma dame reçut,
Car dou buissoncel le perçut.
Si en fui un peu resjoïs,
Car je voi qu'assés conjoïs
Est Désir, si com que je cuide.
Je ne me remu ne me \uide
Dou bui]s$on, mes ançois regparde
Celi qui ntoult sagement garde
L'ordenance de sa parolle;
Car moult bel et à point paroUe
Par bon sens et par grant avis
A ina dame, ce m'est avis.
Car s'il ne Veuist fait à point
Ma dame ne Teuist là point
Oy parler si longement,
Ne reeéu si doucement
La balade qu'elle tenoit.
Mes trop bien elle s'abstenoit
Dou lire; et s'elle aussi s'en garde
A cbief de fois elle ans regarde >
Et puis ses yeus tantost en oste.
Or avoit elle là d encoste
Foi, Franchise et Humilité,
Manière, Jonece et Pi té
Qui bien Désir oy avoient;
Mes l'entente pas ne savoient
De ma dame^ ne son afaire;
460 POÉSIES
Ne quel response elle voelt faire.
Si sallent avant Diex leur mire,
Car bien Tordenance en remire
Dou buisson où je le convoi.
Tout premièrement Pîté voi
Qui paroUe comme une sa^e$
Car depuis oy mon messagfe
Dire tout ce qu elle parla
Et comment la besongpne alla,
<c Dame, dame, ce dist Pités^
>i De vostre servant respités
» La vie qui en péril gfist.
» Jà oés vous qu'il s'assougfist
» Et met du tout en vo franchise.
» Il est d une très belle assise,
» Toute tele que doit avoir
» Un amourous. En li n'a, voir !
» Chose qu'il ne soit tous si fes
» En dis en paroUe et en fes,
» Que doit estre un vrai ooer secrés.
» Il est humles, lies et discrés,
»Obéissans, courtois et gpens,
» Acointables à toutes gens,
» Friches, loyaus et biens celans,
)> Avisés et à point parlans,
» De gprant gprasce et de bon renom ,
D Et porte bonlos et bon nom,
» Et s*est eneores à parfaire;
» Dont j*en prise mieuls son afaire.
)i Tant en aurés vous plus grant gré,
M
DE JEAN FROISSART. 461
» Se vous le mettes oa deg^ré
» De toale hennour par vostre emprise. «
)' Ke pensés jà que je le prise
)) Pour chose que Désir là soit,
» Car se Ae jongles bous lassoit
)> Nous le saurions bien met Ire arrière
» Trop plus avant qu'à la baiTière. »
Adont salit avant Joneee
Et dist ensi : <( Desir^ et n'es-ce
De celi qui gpist ou buisson ?
Je Tai jà eompag^nié foison;
Mes je l'ai voir toutdis véu
De sens et d'avis pourvéo,
Ensi qu'on dwt véoir un homme
Dont le bien se nomme et renomme.
Tels est ilf il n'est mie doubte.
Et se les trois vallés redoubte,
Dang^ier, Refus et Escondît,
11 Vùat tant de fois escondit
Que c'est bien drois qu'il les ressong^ne.
Nuls ne nulle pour li ne songne
Ne ne met sa querelle avant ,
Fors nous qui sons vostre servant.
Plus prisié ne soient li troi
Qui nous empècent nôstre otroi.
Or véons, et bien le sçavés,
Que se nouvelles n'enavés.
Par nous vous n en povés avoir
Cog^noissance, ne riens savoir. '
Et Désirs qui pas ne vous voet
462 POÉSIES
» Décevoir , aussi il ne poet ,
» Tanl que vous soyés dalés nous,
» Vous prie humblement en genous
» Que vostre servant recevés.
» Et bien aviser vous devés
» A ce qu il vous dîst et enhorte^
» Car lettres de créance porte;
» Et encores n'est pas ci ditte
» La balade belle et petite
» Qu'en vos mains avés recéu.
» Dont se bien Taves concéu,
» Et c'est chose qu'on puîst oïr,
» Voeilliés nous ent tous resjoïr,
» Car d'oïr plaisance nouvelle
» Toute joie s'en renouvelle. »
Et ma^ dame lors le desploie
Qui au lire le temps emploie,
Tout ensi qu'il y ot escript,
Vous en véés le contrescript.
Balade.
D'ardant désir pris et attains
Tains sui, et ces te ardour m'afine.
Fine dame, je sui certains,
Certains que la vie en moi fine.
Y ne me poet estre aultrement
Car je sui espris ardamment.
Dame en vos douls regart humains,
Mains jointes et la, face encline,
Clînemes yeus tous soirs, tous mains.
Au mains reg-ardés ent le sîgfne
DE J r. AN FROISSÂRT. 163
Si ne m'eslongiés nullement
Car je sui etc.
Se par vous n'est eilz fus esfains,
Tains ardans, plus vermaus que miixe,
Minera mon coer, je m'en plains;
Plains d'ardour, qui si m'examine,
En mi ne voi aliegpement
Car je sui etc.
» Or regardés, ce dist Jonece»
)) Très excellente dame, et n'es-ce
» Grant chose d'amer loyalment.
» Geste balade est royalment
» Fette et de sentement joli.
» Parler voeil encor de celî
)) Dont elle vient et qui l'envoie.
y> Qui le moet et le met en voie
)» De faire ensi F je di, par m ame !
» Que c'est tout pour vostre amour, dame,
» Dont il est si pris et laciés
» Qu'il n'en poet^estre deslaciés,
» Ne ne sera , jà jour ne heure.
)) Mes trop simplement il labeure j
)) Car pour cliose qu'on vous en die
» Ne qu'on monstre sa maladie
»Ne qu'on le vous chante ne compte,
» Par samblant vous n'en faites compte*^
» Dame ! damel par sainte Fois !
» On a eslongié pluisours fois
)) Tel dont on se repentoit puis.
» Encores bien prouver le puis
464 POÉSIKS
)) Par une dame qui jadis^)
)) Il y a des ans deus fois dis,
V Fist un virelay tout pour li
V De sentement bon et joli.
» MottU fu amourouse et coiirtaîse
» Née et nonrie entre Esne et Oise, n
— tt Je voeil le virelay oïr
î) Dist-elle , s on en poct joïr ,
»Car comment qu'il fust jadis fes
» Si m'en sera nouveaus li fes. »
Et Jonece en présent li dist,
Qui onques ne li contredist.
Vtreloff'^
Par un tout seul escondire
De bouche non de coer £ait
Ai-je mon ami retret
De moi, dont je morrai d'ire.
Helas ! «fue ma bouche fait.
Ne comment ose elle dire
Tout le contraire dou fait
De ce que mon coer désire.
Lasse! je ploure et souspire;
Et si n'ai-je riens fourfet
^Fors que de^ma bouche aitret
La glave pour moi occire.
Par un tout seul etc.
Et se jamès se retret
Vers moi, Diex me puisse nuire !
Se briefment ne me remet
DE JEAN FROISSART. 463
On point où amonrs me tire.
J*en voeil mon coer assouffire,
Maugré que la Louche en et*,
Ne jà, pour cri ne pour bret,
Ne s'en laira desconfîre.
Par un tout etc.
)) Ënsi) dame, com vous oés
» Fu le virelay moult loés,
» Et plus celle assés qui le fisi;
» Et encores moult il souffist
» A ceuls del amoureus offisce.
» Aussi croi-je qu'il voussouffîsse;
» Car bien doient les oevres plaire
» Qui donnent voie et exemplaire
» De toute récréation.
» De treé g^rande discrétion
» Fu la dame qui volt sentir
» Que son coer ne dagnoit mentir,
» Et de bon avis avisée
» Quant elle arresta sa visée
» Et qu'elle esfoit trop decéue
)) Et en grant fourfet eschéue,
» Quant elle avoit donne congié
D Geli, et de soi eslongié
)> Que si loyalment elle amoit;
» Dont pour ignorant s'en clamoit.
»Et volentiers, s*elle peuist,
» Retrait et rappelle l'euist.
» Damcj or pensés dont sus ce faiL
FEOISSAaT. T. xyi. 30
46« POÉSIES
^) Moult folie qui se fourfaît.
» Par ceste le monstre et ensençnc,
V Si vous pri, mettes ciensengne^
^) Car je sui tout segpur et fis ,
» Autrui doctrine est grrans proufis^
1. Et regardés à to servant
.. Qui vous a servi, je m'en vaut ,
» A son pooir très loyaîment.
w Onques ne fist ignoramment
» Chose que il euist à faire,
î) Encor , pour creinour de fourfaire
» N'ose il ne venir ne aler
» Ne à vous plainnement parler,
» Se ce n'est ensi qu'en eniblant.
» Par l'emprise de Doulc-samblant ,
)) L'autre hier au parler s'enhardî,
1) Mes tantos s'en racouaréi,
» Car vo vallet avant ^ailirent
» Qui au tencUier près l'assallirent
» Et en fu si dur reboutés
» Que tous jours les a puis doutés.
.)Se ne sont-il pas tanlpriâié,
» Comment qu'il soient offris ié,
«Richement paré et vesti,
)) Q*un damoiscl tel que ccsti ,
» Qui ne voelt que bien et famneur,
» Jà l'aient trouvé sus le leur
» Deuissent voloir nul hansagpe.
î) ïl ne sont ne courtois ne sage
)) Quant ensile voelent sourque re.
DE JEAN FR91SSAKT. 467
«SHl yoloit ses amis requerre
*»* Et par la g[uerre aler avant,
V Jà lor en metteroit devant
»Des oultrageuset des despis,
» De quoi il vaudroient bien pis
»Encor fuissent- il plus garant mestre.
» Mes nennil, car pas ne voelt estre
»Rihatous, ne trop soursaliis;
» Non , s'il n'estoit si assallis
» Que force le fesist deffendre;
» Mes il se lairoit ançois fendre
» Un garant cren^ qu'il li avenist
» Ne que tencier le convenist,
)>Tant est-il paciens et douls,
)) Humbles à toutes et à tous;
«> Onques on n'i vit mesprison.
)>En toutes places le prison ,
» Et est tenus en grant cbierté
I) Pour sa grant debonnaireté.
» Las ! et point vous n'i prendés garde,
)) Mes consentes trop bien qu'il arde
»Et bruisse enflame et en poua*re;
»Se le fault<*il d'ilœc secourrez
)) Car comment qu'il ne soit point ci,
)> Toutes et tous crions merci
)> Pour li, et vous certefions
ji Que c'est voir aujourd'ui li homs
» Qui plus vous airame et mieulz vous prise.
» Se seroil la cliose mal prise
» S'il ne li estoit remeri.
30*
468 POÉSIES
» Trop sont de vous, dame, enchieri
)) Le» trois vallés par leur gengler,
» Car s'il les dévoient embler
»Les bourdes de quoi il vous cenglcnt,
» Tant en dient et tant en gcnglent
>. Qu'il vous mettent en tel espoir .
» Qui onques ne fu, je l'espoir.
» De quoi ce n'est mies nos grés
» Que si legierement les crés;
>i Car vis nous est que nous faisons
» Mieuls à croire en toutes saisons
)) Qu'il ne font jà, aient los tel
>. D'eslrebien venus àl'ostel;
)) Car nous ne volons que lièce
» Joie, esbatemens et jonèce,
» A point prendre et à point layer ,
» Le temps et le monde payer
» Ensi que la saisons le donne
» Et que nature en vous l'ordonne
il Qui estes jone, lie et friche
»De membres et de santé ricbe,
» Et bien taillié de savoir
V Que c'est d'amourettes avoir
» Tels que cilz est dont nous parlons.
» Et s'il samble que nous valons
» Que vous nous en doyés oïr^
M Si nous en voeilliés resjoïr
>, Et li faites en avant chiere
» Qui ne soit escarse ne chiere,
» Quel gré que les vallés en aient
DE JEAN FROISSART. 469
» Qui trop sans raison s'en mespaienl;
» Car s'un petit apris Tavoient,
» Et bien justement il savoient
^ Qu'il voelt, qu'il demande et qu'il quiert;
^ Et quel chose à avoir requiert,
» Il le lairoïent sans regart
» Parler à vous, se Dîex me gpart.
» Si y deveriés conseil mettre,
^ Et donner ançois ou prommettre
» Dou vo qu'à son acord ne fuissent;
» Car bien saciés que^s'il le nuisent
» D'un lés, aussi font il vous voir.
)) Quant vodrés vous le temps avoir
» Se maintenant vous ne Favés.
» Par vous meismes vous savés,
» Il ne vous en fault point aprendre,
)) Que vous estes en point dou prendre
» Esbanois, joies et depors,
|> Tous déduis de coer et de corps.
>i Trop povés perdre al atargier,
» Car si poriés le temps carg^ier
)) D'ans, de sepmaines et de jours^
î» Que durs vous seroit li séjours
» Et que n'i poriés revenir.
» Si ques laissiés nous convenir;
» Créés nous, et amés celi
)> Où on ne vit onques en li
y» En dis 9 en fais ne en pourcbas,
» Que parfette honneur en tous cas^
)) Et donnés cong^ié de haulte heure
470 POËSFES
» Cies Yallés^ car casouns demeure
» Avec vous oultre no voloir.
M 11 vous fei*oiit eneor doloir,
)) Tant vous en voeil-je bien proimnettre^
» Quant remède n'i pores mettre. »
Dist Franchise: <( Par saint Rémi!
» Il y a plus d'an et demi
)> Que je li aï ensi monstre,
>» Mes cil vallet sont si oultré
y* En sen amour et en sa grasee
>» Que pour voir ou Ven hode et lasse ^
)> Et en esl son coer tous ireus
» Quant on parolle riens contre euls.
)i S'ont il ores de tel afaîre
>i Qu'on en doie g'rant compte faire.
)> Mes de quoi poeent il servir^
>» Ne les g^raiis gages desservir
» Qu*il ont aussi, ne iesbienfais,
» Quant cascuns est tels et si fais
)) Qu il béent ceuls qui son bien voelent.
>) Mes s'il sont tel, estre le soelent^
Ti Leur nature ne poet mentir,
» 11 ne s*^en scevent repentir.
» Riens ne valent au tout prisier.
» On ne poet le villain brîsier
u Sa nature, bien dire Tos;
N Tout-dis refuit le leu au bos.
» Encor y a, dont plus m'anoie;
» Car ossi de coer s'csbanoie,
là Soit en estant ou en genous
DE JEAN FROiSSART. 47 1
» Avec euls qu elle fail o nousj
» El si ne le» poet on à dire. »
Dist Désirs,:^ <l J'en sui si plains d'ire
« Que droit sur l'ain de maivoyer,
^ Se le nous fault il ravoyer,
» Quoique la chose voist tramblant. »
Dont dist Désirs à Doulc-samblant:
« Es-ce par vous, se Diex vous voie!
» Que no dame ensi se fourvoie ? )>
Et Doulc-samblant yespont adonques:
« Par moi> lasse ! je ne cesse onques
» De li dire et ramenlevoir
» Qu'elle ne fail pas son devoir
» De celi amer qui le sert,
» Et qui si loyalment dessert
>» L'amour de li oullr© l'ensengne ^
» Je le vous remoustre et ensengne ]
» El li pri qu'elle m'en descoupe.
» Se ce n'est ma cause et ma coupe ,
» Dame, dame, voeiltiés le dire. »
Et ma dame prist lors à rire
Qui longement s'en fu tenue
Et moull sagement abstenue
De leurs paroUes retrencier.
« Or est heure de conunencier ,
Disf-elle, (( et que ce soit vos grés.
» Pour très discrètes et discrés
» Vous tienc toutcset tous aussi,
» Et croi assés qu'il soit ensi
» De celi dont parlé m'avés>
72 POÉSIES
» Car ses conditions sçavés,
» Queles eles sont et con fettes ;
» Et se Diex m ayt l vous en fette»
)> Grandement à recommender,
» Quant, sans riens de li demander,
3» Bon los li portés et bon pris.
» Je ne le blasme ne ne pris,
y* Ne mies n'apertient à mi;
» Ne pour servant ne pour ami
» Je ne Tai encor retenu ;
V Ne nous ne sons là pas venu^
» Si voeil-je assès qu'il me souvienne,
» De lui, et que tous biens li vieng^ne
» Ne jà ne m'en verés arrière.
M Mes que je sois à sa proyère
)> Si leg^ierement descendans,
» Il n'avenroit en un cent d*ans.
» Et aussi ce ne seroit point
)i Son proufit, gardés sus ce point,
» Que je li donnasse de sault
» L'amour de moi sans aultre assaut.
» Jà nen auroit savour ne gfoust
Il S* il l'avoit à si petit coust;
» Plus y poi'oît mettre que prendre.
» Or primes est il à aprendre,
» Si n'a que faire qu'il se cargfe
» Ue garant seing ne de pesant carge.
» Et qui par amours amer voelt «
Il Si de ce acquitter se poet;
D Ces deux cboses li fault avoir.
DE JEAN FROISSART. 473
» Or devés-vous moult bien savoir
» Qu il n'est riens que crans soings ne brise.
» Il n est pas sages qui le prise
)i Ne qui le prent pour soi lasser y
» Ëns ou cas qu'il s'en pnist passer.
» Se ne li yoeil-je pas brisier
» Son pourposy mes très bien prisier,
» D'estre jolis et esbatans;
» Car jamès n'i vendra à tamps
>} Se de maintenant il n'i vient;
» Et puis qu'amer il li convient
I» fit qu'il dist et vous met en voie
» Que ces pensers je li envoie,
» Je le voeil un peu resjoïr;
i)£t, vouS| voeilliés comment oïr.
)> Je me lairai de tant adiré
» Que d'esbatre parler et rire
» Liementy sans li décevoir,
» Le vodrai hui mes recevoir.
» Hès que j acorde ne ordonne
»Qu'à mes trois vallés congié donne
» Qui m'ont servi très loyaiment,
» Je ne le ferai nullement,
» Car monlt j'en seroie cscarnie
» Et de garant csonseil desg'arnîe
)i SHl estoient en sus de mi.
)) Il me sont servant et ami
» Hoolt gracieus et très propisce;
» Et bien affiert à leur oflîsce
» Qu'entre euls aient la contenance
474 POÉSIES
» Au revers de vostre ordenatice.,
)> Mes à leur manière m'assena,
» Car leur oultrages m'est grant sen»^
» Et tout ce qu'il font bien lor sieh
» Voirs est qu'il n'ont mies laissiet
» Cesti ne venir nealer,
» Ne à toute heure à mor parler
» Qu'il en a te voloir eu.
» Et pour ce que je l'ai véu
» Qu'il s'en est ^gement souffer»>
» Et très benignement offers,,
» Et de grant coer, en mon servisce^
» Sans penser ne fraude ne- vîsce,
» C'est bien raisons qu'il m'en sonvîegne^
» Et qu'aucuns guerredons l'en vîengne.
« Désir, qui son advocat estes-
» En tous cas courtois ethonnestes
» Par devers lui vous en irés^
» Et de par moi vous li dires
» Qu'il vieugne jusqu'à ci sans donbte^
» Et que les vallès qu'il redouble
)>Il les trouvera soir et main
» Plus agréable et mieuls à main
» Qu'il n'aient esté ci- devant.
» Mes je ne voeil pas qu'il s'en vaut
>» Par nulle oultrageuse parolle. »
Et Désir reprenl la parolle
Et dist : « Dame, par saint François !
>i II se laiix)it occire ançois
)) Qu'il mesist jà hors de sa bouche
DE JEAN FRaiSSÀftT. 475
)» Chose qui à vantîse touche^ »
Ensi Désir lies et joious
A moi qui estoie anoiou&
De ce quHl demoroit jà tant,
Et qui me tenoie en estant
Enfremés dedens te buisson,
Tout ensi qu^en une prison^
Est revenus apertement.
Encor puis son département
Sus Testât dont peu me casf i
Avoie un vîrelay basti.
Lequel vous orés sans attente
S'en responderés vostre entente^
Vv^elat/.
Or n'est-il si gprant douceur
Que de penser sans séjour
A sa douce dame gaie.
J'ai ce priser qui me paie
Ensi qu'il doit, nuit et jour;
Je vous voeil dire comment:
Premièrement
Je ne cesse nullement
Que de penser
A ma dame entirement
Et liement.
Cilz pensers me vient souvent
Amonnester
476 POÉSIES
En remirant sa coulour
Son bien, son sens, sa valour..
Dont c'est bien raisons que j'aie^
Ou coer lamourouse plaie
Quant tel saintuaire aour.
Or n'est il etc.
Et ce me sont grandement
Esbatement,
Et me font legierement
Le temps passer^
Car quant je voi en présent
Son doulc corps gent,.
Je ne puis de ce présent
Mes yeus ester.
C*est mon bien, c'est mon retour^
C'est ma souverainne amour ,
C'est le désir qui m'esgaie^
Et s*est la fortune vraie
Qui me &it tendre à honneur.
Or n est-il, etc.
Désir me dis t de branche en branche,
Car bien en ot la ramembrance,
La besongne, ensi qu elle va.
A très bonne heure il arriva
Quant il vint en mon purga^e,
Car il me rendigrant viclore
De la flame et del ardent fu
Qui entours moi ou buisson fu.
D*illoec se part, que plus n'atarge;
DE JEAN FROISSART. 477
Mes il me prenf et si m'encarge,
Et tout en solaçant m^apoiie,
Là où ma dame se déporte
Ensi que le requiert li jus.
Et quant entre elles me mist jus^
Je fui saehiés et detirés;
Mes je m'en fuisse enuis irés,
Car de tout ce que je véoie
De coer etliement rioie.
Puisse-di au Roy-qui*ne-ment
Juames nous moult longuement.
Entre les jus et les solas.
Dont je ne seroie jà las
Doudire et dou ramentevoir^
Car je sçai bien, et tout de voir^
4}ue les recors moult en agréent
Aux amans, car moult les recréent,
Et lor remoet et renouvelle
Pensée joiouse et nouvelle,
Selonc l'aventure qu'il sentent
Dou temps passé où il s'assentent,
Et les enflame et encoragpe^
Je qui avoïe mon corag^e
Mis et tourné, et n'entendoit
Fors à une, ne ne tendoit,
G'estoit que le loisir véisse,
Et aussi je m*en pourvéisse
De parler à ma droite dame
Pour qui amours le coer m'entame;
Tant arrestai en ce séjour
Que ma pensée vint à jour
47« TOÉSIES
Et que je vi heure et chevance»
Adonques au parler m'avance
Et di : « Dame^ pour Dieu merci !
V Vostre amour m'a mis jusqu'à ci
»En mainte imagination,
î) Mes n'ayés indignation
î) Sus moi. Se vo vallet m'ont dit,
» Refus, Dangfier et Escondit
» Pluisours parlera contrarions,
»Se j'ai esté vers eulz irons,
» Espoir plus qu'il n'aperceuis,
I) Mes il n'est nub qui soustenist,
))S*il navoit trop grant attemprance,
» Non qui portast tele souffrance
» Qtt® j'ai porté, Dame, pour voir
» Sans li aucunement mouvoir.
» Il mont esté grand ennemi,
» Hélas ! il ne Vont pas en mi
» Trouvé qu'il me soient si fet>
)) Car mes pareil es et mi fet,
D Se dire le puis sans vantise,
» Mes qu'il amassent ma hantise,
)) Sont tout prest en leur ordenance.
» Mes de trop simple contenance,
» Trop ignorant et peu hardi,
» Cremetous et aconardi,
» M'ont il esprouvé et véu.
)) Si ai-je voir tout-dis eu,
)) Quoiqu'il m'aient fait moult doloir,
» Très grant corage et bon voloir
/
Ï)E JEAN FROISSAÏT. 179
?) Be vous servir jtar bonne enlente.
9) Or me moet Désirs et me fempte
« Que je vous remonstre et vous die
V Une part de ma maladie.
)> Merci vous pri à jointes mains
» Que vos frans coers me soit humains.
)) En vos douls repars me soloic
^> Consoler, ne mieulsne voloie
» Que la présence et le regart.
j) Et maintenant, se Diex me g^art !
»I1 me mnrdrissent et occisent^
» Car ardant fu ou coer m'atisent.
» Si les voî-je très volontiers;
» Et m'est au véoir g^rans dentiers;
» Et si les crienc, bien est télé heure,
» Car par euls je boî et saveure
» La flamme de ce fu ardant ^
» En eulz volentiers regardant.
» De quoi assés je m'esmerveil,
» Quant en ces pensers je m'esveil,
» Dont tels fus poet venir ne nestre.
» Car je voeil vostre servant estre
D Obéissans à tout vo g'ré,
» De coer humle> vrai et sec ré,
» Sans jamès partir ne mouvoir.
» Certes, dame, je di tout voir;
» Non que je taille ne devis
» Riensnée sus vostre devis;
» Car vous povés, sans rien fourfa ire,
» De moi tout vostre bon gré faire,
480 POÉSIES
)) Mes j'ai en vous tant de fiance^
» Et en la très douce alliance
» D^amours^ qui les loyaus coers voit
» Et qui de çrasce les pourvoit,
» Que vous metterés temprcment
n En ma doulour atlemprement.
» Dame, si j'ose dire ou puis
» Gomment il m*a esté depuis
)) Que premièrement avisai
» Vostre cent corps, bien avisai
» Dou dire et dou ramentevoir.
» Et quoique j'en die le voir
» Et qu'au recorder je m'assens ,
» Les biens de vous et les grans sens
» M'ont conquesté plain et entire.
» Mes tant qu'au fait de mon martyre
» Que j'ai enduré et souffert
» Et les pensées m'ont ofiTert
» Pour vostre amour, qui si me lime,
D Je n'en dlroie la centime;
)> Car ce mal est jà si espars
n De tous lès et de toutes pars,
» Et si fort en sui abuvrés
» Que, se temprement n'i ouvrés
)> Vous verés bien que ce sera.
)) Mes jamès il ne cessera
)> Jusqu'à tant que de votre bouche
» Qui est si plaisans et si douce
» Aucuns courtois parlers saudront,
» Et lors ma dolour assaudront.
DE JEAN FROISSART. 481
» Et le desconfiront de sault.
')iChieredame> se Dîex me sault ^
» Qui prie il est eu garant merci.
» Toutes fois je vous remerci
» Quant ores me dagpniés oïr^
» Et moult me povés resjoïr
)) Par mettre un seul parler avant:
» Je te relienc pour mon servant!
» Dame, voeilliés le dire ensi
» Et vous me verés sans nul si
» Gai, joli et enventureus
» Et me tendres très éureus
» Et tout conquesté de vo droit. »
Et ma dame qui ne vodroit ,
Ce m'est vis, selonc mon afaire,
Que toutes choses à point faire.
Me respondi; tout en apert:
(( Fols est qui sert, que son temps pert;
» Mes service fait loyalment
» A personne d'entendement
)i Ne fia onques mors ne péris
D QuVn la fin ne soit remeris. »
Nos parolles atant Saillirent,
Car les vallès avant sallirent,
Refus, Escondis et Dang^ier
Qui me fisent mon sens chang^ier*
Sitos que je les voi venant
Bien perçoi par leur convenant
Qu'il se tiennent pour decéu
Dou garant loisir que j'ai eu
FROISSART. T. XVI. 31
482 POÉSIES
De parler à ma droite dame.
Encontre eulsnalai pas, par m'ame!
Pour demander : a Que querés^vous ? »
Ançois fis le simple et le douls
Et eline mes yeus contre terre.
Par ensi n'i ot point de g'Uerre.
Haro ! en doi je estre blasmés,
Se de tels vassanb enflâmes
Et appareilliés de tencier
Sai les paroUes retrencier
Par euls a parler doucement f
Depuis ne remest longement
Que Pités, Franchise et Manière
Qui reconfortent ma banière,
Plaisance, Jonece et Désir
Prisent entreuls un garant loisir
Que de solacieret d'esbatre.
Ma dame ne lor volt debatre,
Mes s'acorda à leur bon g^ré.
Et droilement en un vert pré,
En Tombre d'un vert arbrissiel
Tout joindant un joli ruissiel .
Où laigue couroit rade et vive
Qui d'une fontainne y arrive
Pu li esbanois ordenés.
Là estoïe moult adonnés
A moi déduire et solacier^
Car ma dame a tous solas chier
Et li viennent à garant revel.
Qui savoit là riens de nouvel
DE JEAN FROISSART. 483
Pas ne Ten convenoit proyer,
Ains le disoit sans detryer^
Bien estoit oys et véus.
Jonece, qui est pourvéus
Tout dis que de faire et de dire
Choses pour solacier et rire,
Mist là parolles en avants
Et dist : « J'ai véu^ je m'en vent,
» Que jone cent, telz que nous sons ,
» Et qui par bien le temps passons,
» S'esbatoïent au souhedier;
» Je vous pri, voeilliés nous aidicr
>» A faire et ordener souhès ,
» Et ce soit vos gfous et vos hès.
V Et cils qui bien s'i aidera,
» Ou celle, et mieuls souhaidera,
» Un vert chapelet bel et gent
» Où il n'aura or ne arjyent,
» Mes de fleurettes fais sera,
» Sus son chief on li assera. »
Tout s'acordent à son devis.
Et Jonece, qui est de vis
Beauls etdouls, et de simple afaire
Va errant un chapelet faire
De fleurettes bel et joli,
Et dist : (( Pour Tamour de celi
» Que présentement vous véés
» De souhedier vous pourvéés. »
Là fumes nous en im detri^
Sans avoir tençon ne estri
31*
iU POESIES
A savoir qui doit comméncier,
Ne nuls ne s'en voet avancier.
, Là fu à la busquette fret
Ordonnéement et attret^
Et là le g^gnsL de son droit
Plaisance, qui pas n'en vodroit
Pour nulle rien estre escusée^
Car elle est assés bien usée
De souhedier. Si dist ensi,
Par lang[ag[e très agensi.
Le SauAet de Plaisance.
Je souhede qu il fust toutdis estes
Beaus et jolis, et li airs atteniprés,
Clers et seris , gracions et soués,
Et qu'on véist, par yreg[iers et par prés
Roses et lys et fleurettes assés ,
Et qu'on euist en partie ses gprés
De ce qui est pure nécessités.
Secondement:
Gascun amant fu loyal et secrés,
Obeissans, percevans et discrés,
£t de parler si bien acoustumés
Que de tous fust prisiés et honnourés.
Et de sa dame entirement amés.
Et à la fois liement escoutés.
Et dame aussi, c'est bien ma volenfés,
Certainement
Euist en li un si bon sentement
DE JEAN FROISSART. 48S
Si gprant avis et tel entendement
Qu'elle peuist eogpnoistre clerement
Le vrai amant ^ qui prie loyalment,
Et à cell donnast entirement
Son coer, s'amour, sans nul département.
Et cel estât pour Tamourouse gent
Fust ordenés,
Et se tenist tous jours en un moment.
Encor avant je vous dii'ai comment
En bon déduit , en garant esbatement,
On ne parlast jamais d*or ne d'argpent
Mes on euist tantost présentement
Ce c'en yodroit à son conmiandement,
Et cascuns fust en demandant briefment
Bien avisés.
Lorsque Plaisance ot souhediéy
Afin que mieulz soient aidié
Leursouhet et mis en recorf,
Il orent entre euls un acort
Qu'on les escrise et les reg^istre.
Lors me délivrent le reg^istre
Encre et papier > ce me fu vis.
Puis mis mon sens et mon avis
A Tescrire et au registrer.
Adont leur oy reitrer
L*ordenance*de leurs souhès.
C'estoit grans biens^et un douls hès,
Douls oïr^ véoir et entendre.
Et là fu requis^ sans attendre y
t36 POÉSIES
Désirs que son souhet il die.
Et cils qui peu y estudie^
Car il fut assés bien sentaus,
Respondi: u Certes il est tamps! »
Lors souheda de coer parfet.
Et je Tescrisi tout à fet,
Desir&.
Je souhede toutdis joie et liece,
Et que soussis nul vrai amant ne bleee,
Ne jà ne soit riens qui leur grasce empece.
Ne il ne soit cliastiaus ne forterece
Où mesdisans puist avoir son adrecè,
Envie soit morte et mise en trisireee, *
Et bonne^mour en son estant se drece
Pour resjoïr
Les jolis coers qui vivent en noblece,
Et cil entre eulz aient sens et proecc
Et bien de quoi faire honneur et larg[hece,
Et se ne soit estas qui les courece
Ne qui les puist amener en foiblece
Ne savourer les dangfîers de viellece,
Mes tout adiés aient force et jonece.
Et grant désir
De toute lionnour conquerre et poursievir.
Et volontés de leurs dames servir,
Parfettement honnourer et cremîr,
Et à tous fais amourous obéir,
* Vertus amer et tous visces haïr,
Et loyauté tout adiés maintenir;
DE JBAN FaOISSART. 487
Ne pour refus qui fait souvent sentir
Mainte destrece
On ne se puist tourbler ne afoiblir.
Et tous jours vivre en joie sans morir.
Et si trestos quon die: je désir
A avoir ce par souhet, sans fallir
Présentement on le voie venir
A son commant tout prest et tout entir;
Ne entre nous on ne puist ja voir
Nulle rudece.
Bien fu qui reprist la paroUe
Humilités , qui bel paroUe*,
Car elle en fu toute enseg^ie,
Et s'en vient.de droite lig^nie
A parler bel et doucement.
Se dist sans mettre y longuement
Un soubet lequel j'eserisi \
Moult me plot quant je le lisi.
JSurmlâés.
Je souhede désire lie et leg'hiere,
Esbanians, friche gaie et entière,
En tous déduis gracieuse et mesniere,
Au bel parler aussi très coustumiere,
Au bien danser avoir grasce et manière,
De tous depors estre nommée ouvrière,
Et que jamès je ne véisse en chiere
Nul mesdisant^
488 POÉSIES
Car il n est criés que leur langpue ne fiere.
Pluisours fois m*ont fait clore la minière
De tous solas, dont je sui trezoriere.
Et mon ami refuse sa proyere
Et estre à lui orgillousete et fiere.
Pour ce les voeil mettre de jnoi arrière.
Pleuist à Dieu quil fuissent tout en bière
Sans remanant.
Ou telement converti en avant
Qui fuissent pins doufu d'amours ardant.
Et embrase, et fout en bien faisant,
Que ne sont cil qui vivent maintenant
En cel estât amoureus et plaisant.
Si en seroit exaucie de tant
La douce vie ou leur langue s'espant
La mal parliere.
Et quanqu il ont des gengles en parlant
Fuissent moltet bien ordonné en chant.
A eulz oïr y auroit presse garant.
Et que tout-dis, sans mouvoir tant ne quant,
Fors en solas usissiens no vivant.
Et tous souhès euissent vrai amant
A leur plaisir tout-dis en accroissant
Joie pleniere.
Joneoe qui fu beaus et douls,
Ames de toutes et de tous,
Tant pour ses bons parlers savoir
Que peur ce qu'il se scet avoir
Gentement et de maintien friche,
DE JEAN FROISSART. 489
Vn ahit portoit noble et riche
Dent il estoit le mieulz prisiés.
A moi dist: « Amis^ escrisiés
» Mon souhet, car je vous en pri. )>
Et je, qui pour riens el ne fri,
Que d'oïr telz solas sans fiâiille
Li escris, ensi qu^il le baille.
Le Souhet de Jonece.
Je souhede que je soie si fés
En tous estas, en maintiens et en fés
Que par raison doit estre uns amans vrés^
Très envoisiés, lies, amourous et gés,
Et tant avoir en bons deniers tous ses
Que pour payer despens et cous et très
Que je poroie avoir acquis et fès.
Et que cfaevance
En nul pays ne me fousist jamès;
Et de mon corps fuisse ossi armeras
Et ossi preus, pour estre plus parfés,
Com jadis fu Hector ou Acillès*,
Et grasce avoir à Dieu com ot Moysès,
Et acomplis veisse tous soubès
Tels que feroie; et se fust bonne pes
Par toute France
Et en touslieus où ferme est no créance;
Et que cascuns baeelersqui s avance,
Ou qui en a volonté et plaisance,
Fust avec moi et en ma gouvrenance
490 POÉSIES
En terre sainte où Dieus reçut souffrance^
La large au col et ens ou poing* la lance,
Pour remonstrer no force et no puissance
Aux coers malvès.
Et jusqu'en fin bonne persévérance,
Victoire et gloire et jote et souffissance,
Et ma dame euist la cog^noissance
Dou g'rant désir qui pour s'amour me lance,
Et me donnast confort et espiérance
D'estre escoutés selonc ma pènitance ;
Et se tenist ferme ceste ordenance.
A tous jours mes.
Endementroes qae j'escrisoie
Ce souliet, forment le prisoie;
Et me sambloit au voir entendre
Que cils a bon voloir de tendre
A toute bonnour qui fait lavoit.
Manière qui moult bien savbit
Qu'elle ne poet estre escusée^
S est moult doucement aequiltée
D'un souhet dire tout ensi
Par langage com ve-le-ci.
le Souhet de Manière.
Parfette amours qui onques ne se part
Des loyaus coers, car elle y claîmmepart
Et de ses biens largement lor départ,
Présentement m'esmoet, Diex y ait part!
DE JEAN FROISSART. 491
Que je sotthede, et je souhede à part,
Que tous les biens qu'elle donne et départ
Soient à nous desployé et espart,
Si que tous plains.
Caseune en soit et cascuns tempre et tart;
J*aiele corps jone, friche et gaillart.
Très amoureus et plaisant en regarty.
Et que le bon et le bel que Diex gpart
Que j'ai amé et aimme sans fauls art,
Sente que c'est parfettement dou dart
Dont bonne amour les siens enflamc et art.
A tout le mains
S'atainte en sui il en puîst estre attaîns;
Et nompourquant de lui pas ne me plains,
Car je cog^oi et voi par ses complains
Que cils assaus li est assés proçains
Et qu'il en est euvironnés et chatns^
Car il ne s*est pas jusques à ci fains
De moi proyer-, et pour ce voir je Tains
Sans nul départ; *
Et oultre plus en os quant je remains
En bon pourpos, afin que je ramains
Toute raison que je n'en vaille mains,
Mon afaire soit pitous et humains,
Et aie assés de quoi entre les mains
Pour donner à tamaintes et tamains.
Tout bon éur soit mon cousin germains
Sans fol regart.
Pi tés ne fu pas esbabie
492 POÉSIES
Car sans ce qu6 nuls li aye
Ne nulle aussi, c'est bienm'entente>.
Fors Amours qui le moet et tempte^
Souheda un souhet moult bel.
Ne sçai s'elle aura le chapiel;
Mes le souhet je registrai
Où les aultres registre ai.
Le Soubet de Pités^
Je souhede qu^l fust tous, jours ensi
Que dame euist de son servant merci y
Et avec ce le sens si grant en li
Que de cognoistre le vrai et le garnie
Le pourvéU) rameureus, le joli,
El 1q. peuist veoir ou coer parmi,
Par quoi le dou dou gracions otri
Ne fust bailliés
Fors à celui qui Tauroit desservi»
Et les malvais fuisseiit si asservi
Que de tous liens débouté et bani
Ou par raison vivent li resjoï;
Et se peuïsse avoir si gai ami
Que je sceuisse et véisse de fi
Nulle n'euist le pareil dessus mi^
Par quoi plus liés
En fust mon coer et le plus renvoisiéS|
Et mon ami fust si bien conseilliés
Si gracious et si appareilliés
A toutes gens qu'on me desist getiés
I
DE JEAN FROISSART. 493
Comment cilz est courtois et esvilliés,
Et doucement et bien enlanga^iés ,
Dessus tous est ydones et tailliés
Sans nul detri ^
Que en priant soit pris et recoeilliés,
Réconfortés^ resjoïs et aidiés.
Vive tel coer qui est aeompagniés
De toute honneur, pourvéus et aisiés^
Cascune dame où tout bien est fichiés
Dont le coer est en bonne amour lyé.
L'euist tout tel non aultre, ce saciés,
Tel Vay l'ami.
Sitos que Pi tés ot parlé»
On n'euist g'aires lonc aie
Que Doule-Samblant,un siens germains ,
Qui moult fu courtois et humains ,
Jetta en place un beau souhet,
Cest bien raisons qu'on l'oc et ait,
Car je Tescrbi; je m'en vaut
Apres ceuls qui sont ci devant.
Le Souhet de DotdC'SarnblanU
Je souhede joie paix et repos,
L'esbatement des plains champs et des bos,
Cours de lévriers et des oiseaus beaus vols ,
Et à véoir jardins vreghiers et clos
Bien ordonnés et rieuléement clos,
Arbres et fruis, tant meniers que gfros,
49 i POÉSIES
Fuissent dedens ^rant quantité enclos^
Pour solacier^
Cardeneruels 9 merles et rosegfnols
Et tous oiseauls amourous et mignos^
Et tous les jours en oïsse les mos.
Encor vodroi-je ou vregfié dou parclos
Arbres et flours naissans de leurs estos
De tous regars et de divers compos
Ma dame aussi qu'on poet de tous bons los
Agraeyer
Pour li et moi ensamble esbanoyer
En toute honnour. Là ne fault riens cuidier
Parlans d'amours et dou joli mestier
Et tous nos bons avoir et souhedier.
Nulle ne nuls, ne refus ne dangier^
Ne mesdisant qui font à ressongnier
Ne peuissent tourbler ne empecier
Nostre pourpos.
En tel estât non pas un an entier
Mes jusqu'à dont que Diex, pour nousjugier,
Yodra ça-jus ses signes envoyer,
Peuissons nous ensi solacyer,
En Téage que nous aurons plus chier.
Se j*ai bien dit plus requérir n'en quier,
Mes en esté tout-dis sans point divier
Fust le temps nos.
Or voi assés qui me eonstrainst ,
Car com plus gelle et plus destraint
Aussi plus viennent en avant
BK JEAN FROISSART. 495
Les darrains passent ceuls devant.
Haro: que di? je me reprens.
En parlant un peu me mesprens.
Pas ne sui jugées de la cause )
Ce n'est pas droîs que je le cause;
Si men fairai, par saint François!
Car vraiement il faut ancois *
Que le chapelet soit donnés
Q'uns vrais jugpes soit ordonnés
Qui en rendera la sentensce.
Là ni aura es tri ne tensce;
Je croi qu^il seront bien d'acort.
Cestui souhait mis en recort
Et regfistrai ensi qu'il doit.
Franchise qui el n'attendoit
Fors tant que elle fustprye
Pour souhedier, on li escrie
En disant: « Damoiselle douce
» 11 vous convient ouvrir la bouche
» Et payer ce que vous devés: ^>
Elle respont: « Pas ne me vés
» Arrière que je ne le face
» Mon souhet, mettés-le en escrit. »
Lors l'ai incontinent escrit;
Mot à mot et bien rassamblé/
En escrisant m'a beaus samblé.
£e Souhet de Franchise.
Je souhede joie et paix en tous tamps,
49 G POËSIlîS
Liece en coer et bien estre esbatans,
Sus toutes riens bien dansans et chantant ,
Friche de corps amoureuse et sacans,
Bien avisée et sagfement parlans,
Chevance avoir et bcignouries grans.
Destriers^ coursiers et palefrois amblans.
Et compagnie
Lie et joiouse^ et se fust mes commans
Tos accomplis par villes et par champs^
L'estat d'amours aussi je recommans,
Et vodroie qu il ne fust nuls amans
Qui loyalment ne fust toutdis servans
Dame et amours^ et très obéissans,
Et avec euls fuisse persevrans
En Véage de quinze ou de seze ans,
Plus n'en voeil mie;
Et tout-dis fust honneur et courtoisie
Et unité entre amant et amie)
Hardiement un peu de jalousie
Euist son cours en lamourouse vie,
Car cel estât, quoi qu'on le contredie^
L'avance moult, exauce et monteplie.
Pour ce le voeil, car il est à le fie
Trop bien séansj
Et cilz aussi qui de m'amour me prie
Fust si garnis de grant bacellerie
Que son bon los et sa chevalerie
Par tout le monde euist grasce et prbie,
Et nettement fuisse tout-dis servie
De jone gent et de friche mesnie
DE J EÂN FROISSABT. 49 7
Nulle ne nuls n'eUist sus moi envie^
Villains ne frans.
Apres ees souhès fais et dis,
Désir qui me semont tout-dis
Et me requiert que je m^avanee
Et deffent que point ne me vance.
Me prie q'un souhet là face ;
£t je le regarde en la face
Et li di: « Conipains et amis,
)) Vous m'avés o ma dame mis .
» Dont grandement vous remerci;
D Mes je vous pri^ pour Dieu merci!
»Que voiis ne mettes ce avant ^
» Car pas n'affiert à un servant
« Tels que je sui et que voeil estre
» Que je face droit ci le mestre.-
a Jà poroie tout en gabois
» Dire tel chose en ce beau bois
)) Dont je seroie à tous jours mes
» Reprociés , je le vous prommès.
y* Souffire doit, bien le savés,
» Ce que fait et dit en avés^
» Ils sont mis devers moi en garde. )»
Désirs se taist ; si me regarde
Et jette ailleurs tout son avis
Droit sus ma dame, ce m'est vis^
Et de faire un souhet laccuse.
Mes elle bellement s'escuse,
Et tant dist qu'il nH a celi
FAOISSART. T. XVI. 33
498 POÉSIES
Ne celle qui ne soit de li
Très bien conténs de sa parolie.
Et adont Jonece paroUe
Et demande: a Qa'en devons faire?
)) Jà savés vous par quel afaire
»> 11 furent premiers commencié.
» Nous avons enconvenencié,
)) Celle ou cils qui mieulz parleroit
» Le chape^let par droit aroit.
» Dont, nous convient eslire un jug'e
» Qui don chapelet donner jug'e,
» Car tatjit qu'à moi, pas n'en sui sages;
» Et se n'est pas uns beaus usages
» Que cilz méisme qui devise
M Soit jugëonr de la devise.
)) Or nous fault entre nous savoir
» Où nous en porons un avoir. )»
Et Désirs s'est lors très avant
Et dist: ce J'en sçai un, je m'en vant ;
» Qui est sages et bien apris,
» Plains d'onnour, de los et de pris. »
— (( Et qui est cils ? » on li demande.
II respondi à la demande:
« C'est cilz qui vault, il n'est pas double,
)) Qu'on laime et prise et serve et doubte -,
»Le dieu d'Amours! Or l'ai nommé ,
» Et non mie si renommé
» Que je sui bien tenus dou faire.
I» Mes pour nostre esbanoi parfaire
» Et nos souhès mettre à bon cLiief
DE JEAN FROISSABT. 199
9) Je le vous monstre de rechief,
)) Entrées que nous sommes ensamble.
>) Se le ,p rendes, se bon vous samble;
)) Encor vault U mieulz qu'il nous voie,
^) Ens ou cas qu'il nous est en voie,
» Que nul aultre, mes qu'il souffisse^
» Car nous sommes tout d'un offisee.
»Tres volontiers il npus vera*,
)> Ëtsaciés qu'il nous pourvera
» De jug^ement bon et joli.
» Ni aura celle ne celi
» Qui au partir ne s'en contente. »
Tout s'acordent à cesfe entente
Et disent: a Ensi le ferons.
» Au dieu d'Amours nous offerons
)) Tous nos souhèsy au dire voir,
)) Car cog<noissance en doit avoir. »
Et quant ce dire leur oy.
Le corag^e m en resjoy
Pour ce qu'en ce voiage iroie,
Car gfrandement je desiroie
A véoir et cog^noistre aussi
Le Dieu d'Amours qu'on prise si 4
Quels homs c'est, ne de quel eagfc.
En cheminant en ce voiag^e,
En paix, en joie et en revel,
En chantant un motet nouvel
Qu'on m'a voit envoyé de Rains»
Premiers n'estoie ne darrains.
Mes en mi lieu par grant solas
32*
500 POÉSIES
Parés d'uns noes solers à las ,
Ensi qu'amant vont à la veille.
On me boute, adont je mesveille.
Homs qui s'esveille en teb pensées ^
Qui ci ont esté recensées
On ne s*en voist esmervillant
S'il s*esmerveille en esvillant.
Pour moi le di, €*est bien raisons^
Car pas n'adonnoit la saisons
Qui estoit yvrenouse et froide.
Et li airs qui le temps refroide
Que jWisse lors nul revel.
Mes ce que je voi de nouvel
Et que g^'i recognois et sens.
Tant m'a Diex envoyé de sens
En reconfortant la merveille
Dont en veillant je m'esmerveille
Di et dirai, où que je soie.
Que c'est pour ce que je pensoie
A ma dame, sans nul séjour.
Or fault on de nuit ou de jour
Soit en dormant ou en veillant,
On ne sen voist esmerveiilant,
Que les pensées à cbief traient
Et que leur cours par nature aient.
Et ce qui en veillant habonde
En dormant volontiers redonde.
Ensi, cç vous ai-je en convenf ,
Aviennent les songes souveni
I
DE JEAN FROISSAUT. 501
Les gprans merveilles invisibles
Qui samblent en dormant visibles.
Et lors comme on est esvillié,
Quoi qu'on y aie travillié^
De tout ce qui est avenu
On ne scet que c'est devenUi^
Se demeurent les visions.
Voires se bien y visions
Ens ou mémoire dou veillant
Sitos qu'il se va esveillant
Aucunes fois^ non pas tout-dis^
Mes noient je ne m'escondis,
Ne je ne puis ne ne poroie.
Ne faire aussi je ne vodroie
Que quant je me fui esvilliés,
Et un 9 espasse ermerv illiés
Que je n'euisse en droit .de mi
Plain mémoire, sans nul demi^
De mon songe tel et si fait
Qu*en dormant je Tavoie fait.
Assés legièrement m'acorde
A ce que par moi le recbrde,
Et quant je Tai bien recordé
Riens n'i perçoi par le corps dé
Qui bien à recorder ne face,
Car gf*i voi en première face
Ge qui forment me resjoïst
Et que mon coer moult conjoïst.
Encores fui-je adout si fols,
Si m'ayent Diex et Sains Pois!
5ft2 POÉSIES
Que je tastai à mon grenoir
A sçayoir s*il estoît ou non
Mnés. Mes je senti pour voir
Qu'il ne s'esloit dagniés mouvoiry
Fors tant qu'il fu passés avant
Sis heures puis la nuit devant.
Et ce dont le plus m'ésmerveil^
En pensant^ entrées que je \eiï
C'est de ce qu'en ou buissoncel,.
En l'éag^e d*un jouvcncel
Fui de fu et de flame atfainsf
Si n'en sui-je mors ne estains.
Mes adont il me fù avis ,
Par le song^e on je fui ravis
Sitos que Désirs o moi fu, '
Que j'estoie en flame et en fu:
De tous lès et de tous assens
Et à présent riens je n'en sens.
En ceste imagination
Fis un peu de colation
Contre ma vie et mon afaîre*
Et di: Je n'euisse que faire
De penser à teles vuiseuses.
Car ce sont painnes et nuiseuses
Pour l'ame qui noient n'i pense,
Et qui il fault en fin de censé
Rendre compte de tous fourfai^
Que li corpa aura dis et fais
Qui n'est que cendre et pourlturej
DE JEA^ FROiSSART. SOS
Et la bonne âme est nouriture
De joie et de perfection,
Et a tous jours affection
Ensi quedient li auctour
Que de tendre à son créa tour;
Car si tretos que le corps pèche,
Sa gloire et son proufii empêche.
Pour ce me vodrai retrencier
Que d*acroire à un tel crencier
Que pechiés est,i|ui tout poet perdre.
Je ne mi doi ne voeil aherdre
Et s*en moi se soat espanî
Aucun villain visée, pas n'i
Voeil arrester, mes mettre y ces
Et principalment pour yces
Four&itures à coron traire.
Humblement je me voeil re traire
Vers la mère dou Roy céleste»
Et li prie qu'elle voeille estre
Pour moi advocate et moyenne
A son fil, qui tout amoyenne
Et qui est vrais fus habondans,
Caritables et redondans
Pour coers enflamer et esprendre,
Et pour grasce à ce saint fu prendre.
Et que mon coer en soit espris
Viergne royal ^ j'ai or empris
A ordonner présentement
Un lay de nouvel sentement;
Et vous le voeilliés oïr^ dame^
Car je vous offre et corps et ame.
504. POÉSIES
Lay.
Flour d'onnour très sonveraimi^
En qui virgpinité maint
Et parmaint,
Ëuls tamaint
Sont gari del ardant painne
Que temptàtion amainne
Par TaBemi qui nous chalnt
Et destraint
Et constraint
A toute heure et nous fourmainne y
Mes de tous biens est si plainne
Qu'eus es sains cielz ne remaint
Sainte ou saint
Qui se faint
De loer à longe alainne
Ta vertu noble et hautainne^
Qui n'amendrist ne ne fraint^
Hais estaint
Et restraint
Nostre adversité proçainne».
Et pour ee tedoi
De coer et de foi
flennourer loer et servir^
Car cils ou je croi
Descendi en toi
Sans virginité amendrin
Saint Jehan au doi
HE JEAN FROISSART. 505
Nous ensengfoe quoi
Ton fil, qui pour nous volt morir^
No nouvelle loi
Confrema par soi
Quant hommorlel volt devenir. -
Anciennement^
Par mainte gent
Et justentent
Selottc Taneyen testament
Estoit prophetisié et dit
Lavenement
Don saint adventf
Et proprement.
Par les signes dou firmament
Yéoient li saint homme escrit
Tout clerement
L^aliegement
Dou dampnement
Qu*Eve et Adam par le serpent
Avoient £siit et entredit.
Dont purement^
Divinement
Et castemeut
Conçûis viergne et dignement
Le fil et dou saint esperit.
Edefye
Et raemplie,
Kt ceste eevre auctorisie
SOS POÉSIES
EstoH un ^rant temps devanti
Apparant
Demonstrée et prononeie
Par Ysaye
Et Jheremie,
Par David et par Belye,
Et par la vois doa criant:
En criant
Ou desertffi arerie
Laprophezie,
Lorsque Marie^
Se dist ancelle et amie
De IMeu, en Ii saluant.
Fu errant
Parolle en car converlie>
D^nt la lig^nie
D'Adam perie
Confremée et baptizie
Est sauvée, parmi tant
Qu'en créant
Le gplorious fruit de vie.
Quidesconfi
L'ennemi,
Quant en celi
Descendi
Qui nous rend!
Et ouvri
De ténèbres joie et lumière.
McHilt nous chierlf
DE JEAN FROISSART. 507
El aussi
Bien Boas servi ^
Quant ensi
Il se vesti
Et offri
A nostre humanité legfiere»
Boms nous perd i
Ëtjedi
Que cils homs ci
Acqueri,
Quant mort souffrî
Et pendi
En croix, nostre gloire hiretierev
Je sçai de fi
Et af fi
Qne puisse-di
Tout par li
Resurrexi
Et i$8i,
Hors dou saint monument de piere.
Par vertu noble et divine
Lois juïse, or adevine
Comment et par quel doctrine
Cils qui le monde enlumine
Couchiés on monument digne
Ressuscita dou tombiel.
On te dist et endoctrine
Que Jhesucris, face encline >
Moru en croix par hayne 3
SOS POÉSIES
Au tierc jour, à bonne estrine,
Brisa d'enfer la saisine
Et issi dou saint vaissiel.
Bien en trouvèrent le signe
La Magdelainne bénigne
Et la dfiDphée fine.
Et Salomé leur cousine.
Qui bien no loy examine
Riens ni troeve que tout beL
Croi dont en la vertu trine>.
Un seul dieu qui tout afine»
Et en la viergne royne.
Et en sa sainte gesine,
Et le salu imagine
Dou saint Angel Gabriel^
Si saras
Et aras
Grant douçour^
Car en Verrour
Que tu as^
Cest uns estas
Sans bonnonr.
Que diras
Quant veras
Ton signour
Au darrain jour?
Mas et las
Tu trembleras
De paour.
Tu oras
DE JEAN FROISSART. 509
En ce cas
Que pluisour
Âront sa mour
A plains bras,
Et tu iras
En tristour.
Làplorras,
Gémiras
Sans séjour
En grant dolour, ^
Ne poras
Avoir un pas
De retour.
Dont entrées
Que bien tu te poes
Et as loisir dou retourner.
Si t esmoes,
Et ton coer promoes
Au justement considérer
Quelconques
Le vies ou li noés
Testament le poet profiter,
Se tu Yoels.
Tu es ci a lues
Pour toi perdre et pour toi sauver.
Met ton advis,
Et soies fis
Qu'il est enfers et Paradys,
510 POÉSIES
El que tous corps humains a ame.
Pères et fils,
Sains esperis
En ces trois noms est un seul pris $
Et le fil conçut nostre dame.
Dont se tu lis
, Tous nos escris;
€ est cils qui à Moise jadis
Parla eus ou buisson sans flame.
S*estoit il vb
Qu'il fust espris.
La viergne, ensi pense-y, Juis,
Conçut le fil de Dieu sans blasme.
N'a oevre noble et secrée
Très discrée,
Acordée
Et ordonnée
De la sainte trinité
Onques n'en fu violée
Ne g^revée;
Nés parée
Et aournée
Sa sainte virginité*,
Et pour ce l'a très loée
Honnourée
Est nommée
Et figurée
A la racine jessé;
Car en li vint la rousé.
DE JEAN FROISSART. 5 i I
Des cieulz née
Inspirée,
En car fourmée
Quant li ang^les dist: Ave.
C'est le buisson resplendissans
Non amenrissaas,
Mes croissans
Et edefians
Tous biens par divine ordenance.
El son fils, ce dist sains Jehans,
Est li fus plaisans,
Non ardans
Mes enluminans
Tous coers qui en lui ont fiance.
Qui descendi, jà fu li tamps>
Entre ses enfans
Inspirans
Et euls alenans,
Et lor donna plainnè puissance
De convertir, tous coers errans^
Et les fîst si grans
Que parlans
Et bien entendans
Tontes lang^ues sans variance.
Vicrg^e, c^est chose certainne :
Tout dis le bien faire vaint
Et convaint
Et rataint,
5 1 2 POÉSIES DB JEAN FR0IS9ART,
En la creafare humainne,
Le pechié qui le demainne ;
Dont la sainte ame se plaint
Et coniplaint.
Mes no plaint
Sont remis à voie sainne
Par ton fil, qui nous ramainne
La croix où on le vit taint
Et destraint
Et attaint
De mort horrible et Tillainne.
Or te pri, vierg-ne purainne,
Que se pechiés nous constraint
Et nous taint.
Que noclaint
Aient vois en Ion demainne
Là ou tonte joie maint.
SXPLICIT LE TRETTIÉ AHOUHOUS IK)U JOLI BUISSON
DE JONECB.
fIN m TOME DIXIÈME DE LA COLLECTION.
^V^V%^\'%>\%%VW\^%VW\%^V%WV%\%%V%%WtoV«%V\^\AA>VWk%%%^^\%%V«^W%VV«
TABLE
DES MATIERES.
MÉKOïKBS far la Vie de Jean Froissart, par M. de la Gcan de
S"-Palatb* Ffl^ K
Mëmoiret ooncernant les ouvrages de Froissart,par le même. . . 4^
JagemeDt sur Tbistoire de Froissart, par le même 78
POÉSIES DE JEAN FROISSART.
Le Dît dan Florin. ... loa
Le débat don Cbeval et don Le?rier« . . • . • • • • . 118
Le Dittîe de la flonr de laMargberite laf
Plaidoirie de laRoze et de la Violette / . • . . i3k
Dittie d*Âmour, ou le Orloge amonrens • i43
Le Trettie de PEspinette amoureuse ^83
Le Trettie du Joli Qpisson de Jonece • 3a6
FIN BE LA TABLE.
MODÈLE DE RELIURE.
11 doit y avoir sur le dos de chaque volume trois éti-
iqfuettes; la première contient le nom de l'éditeur, le
titre général et la tomaison de i à 47 j la deuxième qui
occupe le milieu , contient l'énoncé du siècle avec l'or-
dre numérique de ses volumes ; la troisième présenté
les titres particuliers des ouvrages contenus dans chaaue
volume^
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I^ittt la tit0tribiitioti ttB tùlumta 6 i 47^
Ordn
d« la eollMlloB
eomplAl*.
XIII* 8IÈGUE.
Tome 6
t. 6.
Tome 7 et 8
■
7 et 8.
m
XIV* SIÈCLE.
Tome 9
t. I.
Tome lo
t. a.
Tome II à 95
t. 3 à 17.
XV siicM.
Tome a6à4o
t. I à i5.
Tome 4'» i^t
43.
t. 16 k 18.
GsnOSlQtTE DE RÂMOST HUHTANSR , t. 9 3e piècC.
CbROVIQUES des EOTÀUZ LIGITAOES, t. I et 2 • id.
GODIFKOT DE PA-KIB ET TAtLLBS DES BOURGEOIS DK VARl
Vie de froissart. 3« pièce
Ghroitiqves de froissart. 1. 1 à i5 id.
Tome 44» 4^> 4^9 47* ^ ^9 ^ S3.
Chrohiques de honstrelet.
Georges ghastblaiv.
Gbroviques de moliitet.
t. iài5 id.
1. 1 à 3 et I MouvE
t. 9à5.
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I
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