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Full text of "Poésies de J. Froissart, extraites de deux manuscrits de la Bibliothèque du roi et pub. pour la première fois"

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I 


70   ^    '0 


n 


I 


♦ 


COLLECTION 


DES  CHRONIQUES 


DE  J.  FROISSART. 


TOME  X. 


TOUL,  IMPRIMEHIE  DE  J.  CABEZ. 


POÉSIES 

DE 

J.  FROISSART 


SE  DEUX   MANUSCRITS  DE  LA    BlBLIOTUkQUE    DU    UOl 
ET  PUBLIÉES   rOUB  LA    fREHIÈUE  FOIS 

lAH  J.  A.  BUCHOiN. 


PARIS, 

VEBDIËIIE  ,  UBRAIRË,  QUAI  DES  AIGUSTIKS,  K"  23. 


^^^%^»»^^^(^%»^x^<%%^%^^^iX%/v>^)Vv^^»<^%^^v»^%^/>AA>»v%»%'»%»» 


MEMOIRE 


SUR 


LA  VIE  DE  JEAN  FROISSART , 


PAR  M.   D«  LA  CUBN^E  DE  S.»  PALATB.(i} 


Jean  Froissaht',  prêtre,  chanoine  et  trésorier 
de  l'église  collégiale  de  Chiraay,  historien  et 
poëte,  naquit  à  Valenciennes,  ville  du  Haynaut, 
vers  Pan  1337.  Cette  date  qui  paraît  contredite  par 
un  seul  passage  de  sa  chronique,  est  constatée  par 
un  grand  nombre  d'autres  ^  tant  de  sa  chronique 
même  que  de  ses  poésies  manuscrites.  Quelque 

attention  qu'il  ait  eue  à  nous  apprendre  les  plus 
petites  circonstances  de  sa  vie,  il  ne  dit  rien  de 

>  Elirait  du  t.  X.  des  Mémoire!  de  TAead.  des  inieripiions  et 
belles  lettres. 

>  Son  nom  se  trouve  écrit  de  plusieurs  façons  différentes  dans  sa 
chronique  même,  et  dans  ses  Poésies  mss,  Froissartf  FroisSard  et 
FroUsars. 

3  Chron.,  liv.  1,  Prolog;ue  XIV,  p.  134,  Prologue  du  4.«  lir. 

FEOISSART.  T.  XVI.  I 


2  VIE 

son  extraction.  Où  peut  seulement  conjecturer 
d'un  passage  de  ses  poésies  ' ,  que  son  père  qui 
s'appelait  Thomas ,  était  peintre  d'armoiries. 
Nous  trouvons,  dans  son  histoire,  un  Froissart 
Meullier,  jeune  écuyer  du  Haynaut,  qui  signala  sa 
valeur  à  l'assaut  du  château  de  Figuières  en  Es- 
pagne, que  les  Anglais  et  les  Gascons  attaquèrent 
en  I38I.  Son  pays  et  «on  nom  donnent  lieu  de 
penser  que  notre  historien  pouvait  bien  être  son 
parent,  et  comme  lui  d'une  famille  noble.  Frois- 
sart est  qualifié  cheyalier  à  la  tête  d'un  Mss.  de 
l'Abbaye  de  St.-Germain-des-Prez^  mais  comité 
il  n'a  ce  titre  dans  aucun  autre  Mss.,  quoique  nous 
en  ayons  de  plus  anciens  et  de  plus  authenti- 
ques, il  est  vraisemblable  qu%  le  copiste  le  lui 
aura  donné  de  sa  propre  autorité. 

Son  enfance  annonça  ce  qu'il  devait  être  un 
jour.  11  montra  de  bonne  heure  cet  esprit  vif  et 
inquiet,  qui  pendant  le  cours  de  sa  vie  ne  lui 
permit  pas  de  demt;urci-  luiig-ieuips  attaché  aux 
mêmes  occupations  et  aux  mêmes  lieux.  Les  dif- 
férents jeux  propres  à  cet  âge,  dont  il  nous  fait 
un  tableau  également  curieux  et  amusant,  entre- 
tenaient en  lui  un  fonds  de  dissipation  naturelle 
qui  exerça  souvent,  dans  le  t^mps  de  ses  premières 

'  Dans  naepaslonrellnà  la  pa^e  28>1<  de  ses  poésies  Mss.  n.o  7214 
de  la  bibliothèque  du  roi,  qui  est  celui  que  je  citerai  toujours, 
quoiqu^il  y  en  ait  un  antre»  o.°  7213. 


DE  JEAN  FROISSART.  3 

études,  la  patience  et  la  sévérité  de  ses  maîtres.  ' 
Il  aimait  la  chasse,  la  musique,  les  assemblées, 
les  fêtes,  les  danses,  la  parure,  la  bonne  chère,  le 
vin,  les  femmes^  et  ces  goûts,  qui  se  développè- 
rent presque  tous  dès  Tâge  de  douze  ans,  s'é- 
tant  fortifiés  par  l'habitude ,  se  conservèrent 
même  dans  sa  vieillesse,  et  peut-être  ne  le  quit- 
tèrent jamais*  L'esprit  et  le  cœur  de  Froissart 

n'étaient  point  encore  assez  occupés,  son  amour 
pour  l'histoire  remplit  un  vide  que  l'amour  des  plai- 

*  Très  que  navale  que  douze  ans 
Estoie  forment  goulousans 
De  véoir  danses  et  carottes^ 
D'dï'r  ménestrels  etparolles 
Qui  s'^apertiennent  à  déduit, 
Ètf  de  ma  nature  introduit, 
D\imer  par  amours  tous  céauls 
Qui  aiment  et  cMens  et  oiseauls  i 
^t  quant  on  me  misfà  tescole , 
Oiiles  ignorons  on  escole^ 
By  auoit  despuceleUes^ 
Qui  de  mon  temps  erentjonettes. 
Et  je  qui  estoie  puceaust 

Je  les  s^run'ie  ^"'f.spin/rp.aus  p 

Ou  d*une  pomme  ou  d^une  poire. 
Ou  (Jhm  seul  anelet  de  ivoire] 
El  me  sambloitf  au  voir  enquerre  » 
Grantprœsce  à  leur  grasce  acquerre» 
Et  aussi  eS'Ce  vraiement  ; 
Je  ne  ledipas  aullremeni. 
Et  lors  devisoie  à  par  mi: 
Quant  revendra  le  temps  por  mi 
Que  par  amours  por ai  amer. 

Ëspinette  amoureuse,  p.  B3  de  ses  poésies  mss» 
Et  si  destoupe  mes  oreiltes. 
Quant  J^oc  vin  verser  de  bouteilles, 

V 


4  VIE 

sirs  y  laissait,  et  46vint  pour  lui  une  source  inta- 
rissable  d^amusements. 
Il  ne  faisait  que  sortir  de  Técole  et  avait  à  peine 
•  vingt  ans,  lorsqu'à  la  prière  de  san  cher  seigneur 
et  maistre  messire  Robert  de  Namur,  chevalier  ^  sei- 
gneur de  Beauforty  il  entreprit  d'écrire  l'histoire  des 
guerres  de  son  temps,  particulièrement  de  celles  qui 
suivirent  la  bataille  de  Poitiers.  Quatre  ans  après, 
étant  allé  en  Angleterre,  il  en  présenta  une  partie  à  la 
reine  Philippe  de  Haynaut,  îemme  d'Edouard  IIL 
'  Quelque  jeune  qu'il  fût  alors,  il  avait  déjà  fait  des 
voyages  dans  les  provinces  les  plus  reculées  de 
la  France  3  l'objet  de  celui  qu'il  fit  en  Angle- 
terre, était  de  s'arracher  au  trouble  d'une  pas- 
sion qui  le  tourmentait  depuis  long-temps.  Elle 
s'alluma  dans  son  cœur  presque  dès  son  enfance. 

Car  nu  boire  prens  grani  plaisir; 
Aus^  fai-je  en  beaus  draps  vesiir, 
En  vïandejresche  et  nouvelle t 
Quant  à  table  m'en  vol  servir 
Mon  esperit  se  renouvelle. 

Violettes  en  leurs  saisons f 
Et  roses  blanches  et  vermeiBes 
Voi  volentiers,  car  e^est  raisons  ; 
Et  chambres  plainnes  de  candeilles. 
Jus  et  danses,  et  longes  veilles. 
Et  beaus  lis  pour  li  ra/reschir^ 
Et  au  couchierpour  mieulx  dormir 
Espices,  clairet  et  roceRe; 
En  toutes  ces  choses  véir 
Mon  esperit  se  renouvelle, 
i  Ballaile^  à  la  p,  313  de  ses  poésies  mss. 


DE  JEAN  FROISSA RT.  S 

elle  dura  dix  années,  et  les  étincelles  s^en  ré- 
veillèrent encore  dans  un  âgé  plus  avancé,  ma/- 
gré  sa  teste  chenue  et  ses  cheimix  blancs.  Quand 
les  poètes  chantent  leurs  amours,  on  ne  les  en 
croit  pas  toujours  sur  leur  parole  :  comme  Frois- 
sart  ne  parle  du  sien  que  dans  ses  poésies,  on 
pourrait  traiter  ce  qu'il  en  dit  de  puye  fiction; 
mais  le  portrait  qu'il  en  fait  est  si  naturel,  que 
l'on  ne  peut  se  dispenser  d'y  reconnaître  le  carac- 
tère d'un  jeune  homme  amoureux,  et  l'expression 
naïve  d^une  véritable  passion.  U  feint  qu'à  l'âge  de 
douze  ans.  Mercure  lui  apparut  suivi  des  trois 
déesses  dont  Paris  jugea  autrefois  le  différend; 
que  ce  Dieu  rappelant  à  sa  mémoire  la  protection 
qu'il  lui   avait  accordée  depuis  l'âge  de   quatre 

ans,  lui  ordonna  de  revoir  le  procès  des  trois  di- 

• 

vinités;  qu'il  confirma  la  sentence  de  Paris,  et 
que  Vénus  lui  promit  pour  récompense  une  maî- 
tresse plus  belle  que  la  belle  Hélène,  et  d'un  si 
haut  rang  que  jusqu^à  Constantinople  il  n'y  avait 
comte,  duc,  roi,  ni  empereur  qui  ne  s'estimât  heu- 
reux de  l'obtenir  *.  11  devait  servir  cette  beauté  ' 

«   ...  Te  te  donne  don  si  noble , 

// n ^a  jusque  Constantinohle 

Emperéourt  Toy ,  duc ,  ne  comte , 

Tant  en  dotte-on  faire  de  coule  ^ 

Qui  ne  s'en  tenist  à  payés, 
Eftp'nclt»  amourease,  p.  92*. 

»  El  Venus  adoiic  nie  regarde  % 


6  VIE 

pendant  dix  ans  ,    et   toute    sa  vie  devait  être 

consacrée  au  culte  de  la  divinité  qui  lui  faisait  de 

V 

si  belles  promesses. 

Froissart  avait  aimé  de  bonne  heure  les  romans; 
celui  de  Cléomadès  *  fut  le  premier  instrument 
dont  Pamour  se  servît  pour  le  captiver.  11  le  trouva 
•  entre  les  mains  d'une  jeune  personne  qui  le  lisait, 
et  qui  l'invita  à  le  lire  avec  elle;  il  y  consentit; 
de  pareilles  complaisances  coûtent  peu  :  il  se 
forma  bientôt  entr'eux  un  Xîommerce  de  livres. 
Froissart  lui  prêta  le  roman  du  Baillou  et  Amours  ^y 
et  en  le  lui  envoyant,  il  y  glissa  une  ballade  dans^ 
laquelle  il  commençait  à  parler  de  son  amour.  Ce 
feu  naissant  devint  un  embrasement  que  rien  ne. 

<     Et  me  dit:  Dix  ans  tous  entierSf 
Seras  mon  droit  servant  rentiers; 
Et  en  après ,  sans  penser  visce 
Tçut  ion  vivcait  en  mon  servisce, 

Ibid. 

I  Le  Foman  de  Cléomadès  ne  ponvait  manquer  d*èfre  fort  à  la  mode 
dans  le  pays  de  Fi^oissart;  udb  princesse  4e  Sraliant  (Marie,  irein» 
de  France,  seconde  femme  de  Philippe  le  Hardi)  en  avait  dicté 
rhisibire  on  plutôt  la  fable  an  roy  Adenez,  menestrier  de  son  père 
Henry  III,  dit  le  Débonnaire,  dae  de  Brabant,  et  il  était  dédié 
à  un  comte  d*Arfois.  Voyez  dans  Fauchet  (  Recueil  des  poètes  fran- 
çais) ,  un  grand  détail  de  ce  roman  et  de  son  auteilf .  f  armî  plusieurs 
Mss.  curieux  du  cabinet  de  M.  dé  Sardière  ,  il  y  en  a  un  de  la 
fin  du  XIII.o  siècle,  in-fol.sur  vélin,  très-beau  et  très-bien  conservé» 
qui  contient  huit  ou  dix  ouvrages  de  nos  plus  anciens  poètes,  dont  le 
premier  est  le  roman  de  Cléomadès. 

'Je  ne  connais  point  ce  roman.  L^  Baillou  d'Amours  signije 
le  Bidllifd'' Amour  ^ 


DE  JEAN  FROISSART.  7 

put  éteindre,  et  Froissart  ayant  éprouvé  toute 
l'agitation  qu'une  première  passion  fait  sentir,  fut 
presque  réduit  au  désespoir,  quand  il  apprit  que 
sa  maîtresse  était  sur  le  point  de  se  marier  :  l'ex- 
cessive douceur  dont  il  fut  frappé,  le  rendit  malade 
plus  de  trois  mois.  U  prit  enfin  le  parti  de  voyager 
pour  se  distraire  et  pour  rétablir  sa  santé.  Comme 
il  s'était  mis  en  chemin  avec  plusieurs  personnes, 
il  fut  obligé  de  s'observer  pour  cacher  son  trou- 
ble. Après  deux  jours  de  marche,  pendant  lesquels 
il  n^avait  cessé  de  faire  des  vers  à  l'honneur  de 
sa  dame,  il  arriva  dans  une  ville  que  je  crois  être 
Calais",  où  il  s'embarqua.  Une  tempête  qui  sur- 
vint, et  qui  menaçait  le  vaisseau  d'un  prochain 
naufrage,  ne  fut  pas  capable  de  suspendre  l'ap- 
plication avec  laquelle  il  travaillait  encore  à  un 
rondeau  pour  sa  maîtresse;  la  tempête  était  calmée, 
et  le  rondeau  achevé,  lorsqu'il  se  trouva  sur  une 
côte  où  ion  aime  mieux .^  dit-il,  la  guerre  que  lapaiai, 
et  où  dès  estrangers  soiu  trèsrbien  venus ^  il  parle  de 


>  Elle  ii*est  déiîe;née  que  par  ces  vers  : 

Que  nous  venins  à  une  ville- 

Ou  d'Avalés  a  plus  de  mille, . 

Et  iltec  nous  meismes  en  mer. 
Cafaisest  leporioii  Froissart  s^embapqua  lorsqu'il' repassa  depuis  eti- 
Ang^leterre  en  I3d5.  Le  non»  ^Àvolés^  suiraot  FiH>îssart ,  Uv.   l  ^ 
Tut  douné  à  ceux  que  Jacques  d'Artevelle  avait  banais  des  villes  do  ^ 
Flandres,  parce  qa^ils  étaient  contraires  à  son  parti. 


8  •  VIE 

l'AugletexTe.  L'accueil  qu'on  lui  fit,  les  amuse- 
ments qu'on  lui  procura  dans  les  sociétés  des. 
Seigneurs,  des  Pâmes  et  des  Damoisellesy  les  caresse^, 
dont  on  Taccabla,  rien  ne  charmait  Fennui  qui 
le  dévorait  j  en  sorte  que  ne  pouvant  supporter 
plus  long-temps  les  tourments  de  l'absence,  il  ré- 
solut de  se  rapprocher.  Une  dame  (  la  reine  Phi- 
lippe de  Haynaut  )  qui  le  retenait  en  Angleterre, 
connut  par  un  virelai  qu'il  lui  présenta  ,  le  prin-^ 
cipe  de  son  mal  ;  elle  y  compatit;  et  lui  ordonnant 
de  retourner  dans  son  pays,  à  condition  néan- 
moins qu'il  reviendrait ,  elle  lui  fournit  de  l'ar- 
gent et  des  chevaux  pour  faire  le  voyage.  L'amour 
le  conduisit  bientôt  auprès  de  la  dame  qu'il  ai- 
mait Froissart  ne  laissa  échapper  aucune  occa- 
sion de  se  trouver  dans  les  lieux  où  il  pouvait  la 
voir,  et  s'entretenir  avec  elle.  Nous  avons  vu  plus 
haut  qu'elle  était  d'un*  rang  si  distingué  ,  que 
les  rais  et  les  en^ereurs  Fauroieni  recA&'cAée;  ces 
termes  pris  à  la  lettre,  ne  conviennent  qu'à  une 
personne  issue  du  sang,  des  rois,  ou  de  quelque 
souverain;  mais  comment  accorder  l'idée  d'une  si 
grande  naissance  avec  le  détail  qu'il  nous  fait  des 
conversations  secrettes,  des  jeux  et  des  assemblées 
où  il  avait  la  liberté  de  se  trouver  et  le  jour  et 
la  nuit  ?  Comme  si  ces  traits  n'eussent  pas  suffi 
de  son  temps  pour  la  faire  connoître,  il  semble 
avoir  voulu  la  désigner  plus  clairement  par  le  nom 


DE  JEAN  FBOISSAHT.  9 

d^Ânne',  dans  des  vers  énigmatiques  qui  font 
partie  de  ses  Poésies.  On  pourrait  présumer 
que  cet  amour  si  vif  et  si  tendre  eut  le  sort  de 
presque  toutes  les  passions.  Froissart  parle  dans 
unde  ses  rondeaux,  d'une  autre  dame  qu'il  avait 
aimée,  et  dont  le  nom  composé  de  cinq  lettres,  se 
rencontrait  dans  celui  de  Polixena*  :  ce  pourrait 
être  Une  JUx  qu'on  écrivait  anciennement  Àélix. 
U  y  a  lieu  de  croira  qu'il  en  eut  une  troisième  ap- 
pelée Marguerite^  et  que  c'est  elle  qu'il  célèbre  in- 
directement dans  une  pièce  '  faite  exprès,  sous  le 
titre,  et  à  l'honneur  de  la  fleui'  de  ce  nom.  Peut- 
être  chercha-t-il  dans  des  goûts  passagers  quel- 
que remède  à  une  passion,  qui,  selon  lui,  fut  tou- 
jours malheureuse.  Du  moins  nous  savons  que 


I  . . .  Plaisance  tn*a  accusé 

A  dire  tout  ce  que  je  di  : 

Autrement  ne  nCen  escondi* 

Mais  teUement  nous  pense  mettre  9 

Sans  nommer^nom,  sournom  ne  lettre*. 

Que  gui  assener  y  saura ,  , 

Assez  bon  sentement  aura; 

Non  pour  quant  les  lettres  sont  ditles 

En  quatre  lettres  moult  petittes. 

Entre  nousfusmes,  et  le  temps 

Si  venir  y  volés  à  temps  ^  ' 

La  trouverez  n^en  doutés  mie  y 

Pour  congnoistre  amant  et  amie. 
Bam  les  qoalre  lettres  qui  forment  le  nom  de  Jean  que  portait 
Froissart,  OB  trouve  celui  d*^e. 

>  Ballade  à  la  page  316  de  ses  Poésies  manuscrites, 
3  Ditlie  de  ta  flour  de  la  Margherite. 


^^  VIE 


désespéré  du  peu  de  succès   de  ses  assiduités  et 
de  ses  soins  auprès  de  sa  première  maîtresse,  il 
prit  là  résolution  de  s'éloigner  encor*  une  fois. 
Cette  absence  fut  plus  longue  que  la  précédente^ 
il  retourna  en  Angleterre,  et  s'attacha  au  service 
de  la  reine  Philippe.  Cette  prinèesse,,  sœur  de  la 
comtesse  de  Namur,  femme   àe    Robert,    dont 
Froissart  paraît    avoir  été    domestique ,    voyait 
toujours  avec  plaisir  les    gens  du  Haynaut  son 
paysj  elle  aimait  les  lettres;  le  collège  d'Oxford 
qu'elle  fonda ,  et  qui    est    encore    aujourd'hui 
connu  sous  le  nom  de  Collège  de  la  Reine,    est  un 
illustre  monument  de  la  protection  qu'elle  leur 
accordait.  Ainsi  troissart  réunissait  tous  les  titres/ 
qui  pouvaient  mériter  l'affection  de  la  reine  Phi- 
lippe. L'histoire  qu'il  lui   présenta',  comme  je 
1  ai  dit,   soit  au  premier  voyage,  soit  au  second 
(  car  il  n'est  pas  possible   de  décider),  fut  très- 
bien  reçue,  et  probablenjent  lui  valut  le  titre  de 
clerc  (  c'est-à-dire  Secrétaire  o\x  ÉcHvain  )  de  la 
chambre  de  cette  princesse,  qu'il  avait  dèsi  l'an 
I36I. 

Au  siècle  de  Froissart  on  était  persuadé  que 

'Parlant  des  çuerres  de  sou  temps.  Si  empris-je  assez  hardiment, 
THPi  issu  de  iescole,  à  dicter  et  à  ordonner  les  guerres  dessus  dites,  et 
porter  en  Angleterre  le  Vwre  tout  compilé,  comme  je  feis,  et  le  présen- 
tPT  adoàc  à  Mi^ame  Philippe  de  Haynaut,  rojne  d'Angleterre,  qui 
liement  et  doucement  le  receupi  de  moy,  et  m'enjit  §randproffiL 


DE  JEAN  FROISSA RT.  Il 

Pamour  était  le  motif  des  plus  grandes  actions 
de  courage  et  de  vertu.  Les  chevaliers  en  faisaient 
parade  dans  les  tournois.  Les  guerriers  s'expo- 
saient aux  combats  les  plus  périlleux  pour  soute^ 
nir  la  beauté  et  Thonneur  de  leurs  dames.  On 
croyait  alors  que  l'amour  pouvait  se  borner  à  un 
commerce  délicat  de  galanterie  et  de  tendresse. 
C'est  presque  sous  cette  forme  que  nous  le  voyons 
représenté  dans  la  plupart  des  ouvrages  d'esprit 
qui  nous  restent  de  ce  temps  :  les  dames  ne  rou- 
gissaient pas  de  connaître  une  passion  si  épurée, 
et  les  plus  sages  en  faisaient  le  sujet  ordinaire 
de  leurs  conversations..  La  reine  d'Angleterre 
prenait  souvent  plaisir  à  faire  composer  par  Frois- 
sart  des  poésies  amoureuses;  mais  cette  occupa- 
tion ne  devait  être  regardée  que  comme  un  dé- 
lassement, qui  ne  ralentissait  aucunement  de» 
travaux  plus  sérieux,  puisqu'il  fit,  aux  frais  de 
cette  princesse,  pendant  les  cinq  années  qu'il 
passa  à  son  service,  plusieurs  voyages,  dont  l'ob- 
jet paraît  avoir  .été  de  rechercher  tout  ce  qui 
devait  servir  à  enrichir  son  histoire.  J'ai  tiré  ces 
dernières  circonstances   d'une  préface  '  qui  se  lit 

>  Cette  préface  était  indiquée  dans  ta  table  des  chapitres  du  4.« 
volame  de  Vun  des  abrégés  mss. ,  sar  lesquels  Sauvag;e  a  corrigé 
son  édition,  mais  elle  n  y  était  pas  rapportée.  Voyez  la  première  an- 
pot,  dç  Sauvage  sur  le  4*«  vol.  On  la  trouve  en  partie  au  eommence- 
ment  duchap. 5I,p.  168  du  4.*  liv.  de  la  même  édition, ma i^ elle  y 


12  VIE 

dans  plusieurs  Mss.  à  la  tête  du  4.«  volume  de  la 
Chronique  de  Froissart 

«  A  la  requeste,  comtemplation  et  plaisance 
»  de  très-haut,  et  noble  prince,  mon  très-cher 
»  seigneur  et  mon  maistre  Guy  de  ChastîUon,. 
»  comte  de  Chimay  et  de  Blois,  seigneur  d'Avesne , 
»  de  Beaumont,  d'Escounehove  'et  de  là  Gode  ':  je 
»  Jehan  Froissard,  prestre,  chapelain  à  montrès- 
»  cher  seigneur  dessus  nommé,  et  pour  le  temps  de 
»  lors  trésorier  et  chanoitie  de  Chimay  et  de  Tlsle 
en  Flandres,  me  suis  de  nouvel  reveillé  et  entré 
»  dans  ma  forge,  pour  ouvrer  et  forgier  en  la 
»  haulte  et  noble  matière  de  laquelle  du  temps 
»  passé  je  me  suis  ensonnié,  laquelle  traicte  et 
»  propose  les  faits  et  les  advenues  des  guerres  de 
»  France  et  d'Angleterre,  et  de  tous  leurs  conjoints' 
»  et  leurs  adherans,  et  comme  il  appert  clèrement 
»  par  les  traictiés  qui  sont  clos  jusqu'au  jour  de 
»  la  présente  datte  de  mon  resveil.  Or  considérez 
»  entre  vaus  qui  le  lisez ^  et  wez  leu,  ou  orrez  lire, 

est  déplacée  et  tronquée.  Ce  qae  le  Mss.  contient  de  pins  que  l'imprimé 
se  lit  ici  en  caracfères  italiques.  J'ai  donné  la  préface  entière  dans 
mon  édition. 

■  C'est  Schone  hove,  petite  ville  des  Provlnces-unies,  sur  la  rivière 
de  Leck,  à  trois  lieues  de  Rotterdam.  Voyez  Maty^  DicUonn.  Géogr^* 
les  Délices  des  Pays-Bas 

^  Goade«  Gouda,  ou  Ter-çow,  ville  des  Provinces-unies,  à  Vem- 
bouchure  de  la  petite  rivière  de  Gou  d*où'elle  tire  son  i\om»àtrois 


DE  JEAN  FROISSART.  13 

»  commmujfi  puis  avoir  sceu  ne  rassemblé  tant  de 

»  faits  desquels  je  traicte  el  propose  ^  et  tant  de  par- 

»  tiess  et  pour  vous  informer  de   la  vérité  je   comr 

»  mençai  jeune  de  Page  de  vingt  ans;  et  je  suis  venu 

»  mi  monde  avec  les  faitz  et  advenues^  et  si  y  ay  tous- 

y>  jours  prias  grant  plaisance  plus  quà  mUre  chose; 

»  et  si  Dieu  m'a  donné  tant  de  grâce  que  fay  esté 

>  bien  de  toutes  parties,  et  des  hostels  des  roys  ,  et 

^  par  especial  du  roy  Edouard^  et  de  la  noble  royne 

»  sa  femme  madame  Philippe  de  Haynaut,    royne 

)>  dP ÂngieteiTe ,  dame  ^ Irlande  et  JfÀcquitaine,  à  la- 

y  quelle  en  ma  jeunesse  je  fu  clercs;  et  la  desset^voie 

»  de  bemix  dictiez  et  traitez   amoureux;  et  pour 

y^  t amour  du  service  de  la  noble  et  vaillant  dame  à 

»  qui  festoie,  tous  autres  grands  seigneurs^  ducs, 

9  comtes,  barons  et  chevaliers,  de  quelconques  nations 

5>  qu'Us  fussent,  rriamoient  et  me  véoient  volentiers, 

»  et  me  faisaient  graàt  prouffà.  j4insi  au  titre  de  la 

y^  bonne  dame,  et  à  ses  coustagesy  et  aux  coustages  de 

y>  haulx  seigneurs,  en  mon  temps  je  cherchai  la  plus 

»  grande  partie  de  la  chrestienté,  voire  qui  à  chercher 

»  fait;  et  par-tout  où  je  venoie  je  faisoie  enqueste  aux 

»  anciens  chevaliers  et  escuyers,  qui  avoient  esté  es 

»  fais  d'armes,  et  qui  proprement  en  savaient  parler , 

^  et  aussi  à  anciens  heraux  de  crédence ,  pour  vérifier 

lîenes  de  Rotterdam ,  et  à  cinq  de  Leyde.  Voy.  la  Martinière , 
DicL  G^ogr,  et  les  Délices  des  Pays-Bas,  tom.  2,p,  291  et  suw. 


14  VIE 

»  et  justifier  toutes  les  mcuières;  ainsy-ai-Je  rassemblé 
y>  la  noble  et  hmUe  histoire  et  matière;  et  le  gentil 
»  conite  de  Blois  dessus  nommé  y  a  rendu  grant  peine. 
»  Et  tant  comme  je  vivray  par  la  grâce  de  Dieii, 
»  j€  la  continuerai,'  car  comme  plus  y  suis,  et 
»  plus  y  labeur e,  et  plus  me  j)laist.  'Car  ainsi 
»  comme  le  gentil  chevalier  ou  escuyer  qui  aime 
»  les  armes,,  en  persévérant  et  continuant  il  se 
»  nourrit  et  parfait,  ainsi  en  labourant  et  ouvrant 
»  sur  cette  matière  je  m'abilite  «t  délite.  » 

De  toutes  les  particularités  de  la  vie  de  Frois- 
sart  pendant  son  séjour  en  Angleterre,  nous  sa- 
vons seulement  qu'il  assista  aux  adieux  que  le  roi 
et  la  reine" firent  en  136 1  au  prince  de  Galles  leur 
fils^  et  à  la  princesse  sa  femme,  qui  allaient  pren- 
dre possession  du  gouvernement  d'Aquitaine,  et 
qu'il  était  entre  Eltham  et  Westminster  en  l'an- 
née 1363  au  passage  du  roi  Jean,  qui  retournait 
en  Angleterre.  On  trouve  dans  ses  poésies  une 
pastourelle,  qui  semble  ne  pouvoir  convenir  qu'à 
cet  événement.  A  l'égard  des  voyages  qu'il  fit 
étant  au  service  de  la  reine,  il  employa  six  mois 
à  celuy  d'Ecosse,  et  pénétra  jusqu'à  l'Ecosse  qu'il 
appelle  Saunage  :  il  voyageait  à  cheval,  ayant 
sa  malle  derrière  lui"  et  suivi   d'un  lévrier'.  Le 

^Poës.  manus.  Buisson  de  Jonece,  pag.  343,  et  sa  Chronique i 
iiif.lltchap.  1. 

^  Poésies  mayiuscrites,  Débat  dou  cheval  et  dau  tevrier. 


Dfi  JEAN  FROISSART.  15 

roi  d'Ecosse,  et  plusieurs  seigneurs  dont  il  nous  a 
conservé  les  noms,  le  traitèrent  si  bien,  quUl  au^ 
rait  souhaité  d'y  aller  encore  une  fois.  Guillaùme> 
comte  de  Douglas^  le  logea  pendant  quinze  jours 
dans  son  château  d'Alkeith  à  cinq  lieues  d'Edim- 
bourg; nous  ignorons  la  date  de  ce  voyage,  et 
d'un  autre  qu'il  fit  dans  la  Norgalle  (  North- 
Wales),  que  je  crois  du  même  temps.  11  était  en 
France  à  Melun-sur-Seine  vers  le  20  avril  1366; 
peut-être  des  raisons  particulières  l'avaient  con- 
duit par  cette  route  à  Bordeaux,  où  on  le  voit  à 
la  Toussaint  de  la  même  année,  lorsque  la  priii^ 

cesse  de  Galles  accoucha  d'un  fils,  qui  fut  depuis 
le  roi  Richard  II.     \ 

Le  prince  de  Galles  étant  parti  peu  de  jours 

après  pour  la  gfuerre  d'Espagne ,  et  s'étant  rendu  à 
Auchi,  où  il  demeura  quelque  temps,  Froissart 
l'y  accompagna,  et  comptait  le  suivre  dans  tout 
le  cours  de  cette  grande  expédition;  mais  le  prince 
ne  lui  permit  pas  d'aller  plus  loin;  à*  peine  était- 
il  arrivé  qu'il  le  renvoya  auprès  de  la  reine  sa 
m^'e.  Froissart  ne  dut  pas  faire  un  long  séjour 
en  Angleterre,  puisqu'il  se  trouva  l'année  suivante 
dans  plusieurs  cours  d'Italie.  Ce  fut  la  même  an- 
née,  c'est-à-dire  en  1368,  que  Lyonel  ducdeCla- 

>  On  lit  Jst  en  Gascogne,  Ce  même  liea  est  nommé  Aéh^ïwA. 
et  Sanvaçe  dit  qae  c*est  Auçh,  Trois  mannscrits  de  la  bibliothèque  da 
roy  mettent  Dax* 


16  VIE 

rence^filsdu  roi  d'Angleterre,  alla  épouser  lolande^ 
fille  de  Galéas  II,  duc  de  Milan;  le  mariage  fut 
célébré  le  25  avril,  et  Lyonel  mourut  le  17  octobre 
suivant.  Froissart,  qui  vraisemblablement  était  de 
sa  suite,  assista  à  la  magnifique  réception  que  lui 
fit  à  son  retour  Amédée,  comte  de  Savoie,  sur- 
nommé le  Comte  Verdj  il  décrit  les  fêtes  qui  fu- 
rent données  à  cette  occasion  durant  trois  jours; 
il  n'oublie  pas  de  dire  qu'on  y  dansa  un  virelai 
de  sa  composition.  "De  la  cour  de  Savoie  il  re- 
tourna à  Milan,  où  le  même  comte  Amédée  lui 
donna  une  bonne  cottè-hardie  *  de  vingt  florins  d'or, 
puis  à  Boulogne  et  à  Ferrare,  ou  il  reçut  encore 
quarante  ducats  de  la  part  du  roi  de  Chypre,  • 

>  Cotardie ,  ou  comme  il  se  trouve  pins  souvent  écrit ,  cotte 
hardie,  espèce  de  cofte,  habillement  commun  aux  hommes  et  aux 
femmes,  ici  un  pourpoint.  C*était  une  des  libéralités  que  les  gprands 
étaient  dans  Tusage  de  faire  ;  ils  mettaient  de  Targuent ,  comme 
on  le  voit  par  cet  exemple  ,  dans  la  bourse  qui  t  suivant  Tusage 
du  même  temps»  y  était  attachée. 

>  Et  c'est  raison  que  je  renomme 

De  Cippre  le  noble  roy  PèrCf 

Et  que  de  ses  bienfaits  me  père, 

JPremiett  à  Boalongne  la  grasce. 

D^Escon/lans  monseignour  Eustasce 

Trouvai^  et  cilz  me  dist  dou roy 

Dessus  du  t  affaire  et  tarroi; 
0  Lequel  me  receui  à  ce  tamps 

Com  dis  qui  moult  estoit  sentans 

D^onnour  et  d*  amour  grant  partie 

lÀement  en  celle  partie. 

Et  me  délivra  à  Ferrare 

Sire  l'ier celés  de  la  BarCf 


DE  JEAN  FROISSART.  17  ^ 

et  enfin  à  Rome  '.  Au  lieu  de  l'équipage  simple 
avec  lequel  nous  Pavons  vu  voyager  en  Ecosse,  il 
marchait  en  homme  d'importance,  avec  nnraussèi 
et  une  haguenée. 

Ce  fut  à  peu  près  dans  ce  temps  que  Froissart 
fit  une  perte  dont  rien  ne  put  le  dédommager  : 
Philippe  de  Haynaut,  reine  d'Angleterre,  qui  l'a- 
vait comblé  de  biens ^  mourut  en  1369.  Il  com- 
posa un  lai  sur  ce  triste  événement,  dont  il  ne 
fut  cependant  pas  témoin,  puisqu'il  dit  ailleurs, 
qu'en  1395,  il  y  avait  27  ans  qu'il  n'avait  vu  l'An- 
gleterre. Si  on  en  croit  plusieurs  auteurs  ',  il  écri- 
vit la  vie  de  la  reine  Philippej  mais  cette  opi- 
nion n'est  fondée  sur  aucune  preuve.  ^ 

Indépendamment  de  l'emploi  de'  Qerc  de  la 
chambre  de  la  reine  d'Angleterre  que  '  Froissart 
avait  ou ,  il  avait  été  de  Vhostel   d'Edouard  111, 

A  son  commant  Icmce  sus  faultre. 
Quarante  ducas  Vun  sur  tautre. 
Ëuisson  de  Jeunesse ,  pag.  31 1  de  ses  Poésies  manuscrUes. 

Ce  roi  de  Chypre  était  Pierre  premier,  qui  moarat  le  18  janvier 
1 3t)8.  Foy.  Hist  gdnéa!.  iom.  2,  pag,  598  et  39»!      - 

>  Fr(ûssart  rapporte  dans  son  Temple  dUionnear,  qa^éfant  à  Rome 
SI  y  avait  vu  fin  ebiperenr.  Ce  pourrait  être  l'empereur  Cliarles  IV» 
qoi  passa  en  Italie  eo  1^68,  s'il  ne  disait  dans  une  de  tes  pastourelles* 
qu'il  n'a  jamais  vu  cet  empereur  ;  ainsi  ce  doit  être  Tempereiir  Paléo'^ 
logue>qui  alla  à  Rome  en  1369^ 

»  yjossius  9  de  Hlstoricis  taiinis ,  lib.  3»  cap^  i. 

BiiUarl^  Acadériùe  des  Sciencest  tom.  \^  pag.  ï  21'. 

^  Il  n  en  est  fait  aucune  mention  dans  le  livre  de  Pitsens  des  bislo- 
riens  d'Ang^leterrc,  ni  dans  le  catalog^ue  des  illustret  écrivains  de  la 
grande  Bretagne,  par  Baleus. 

FROISSART.  T.*  XVI.  •  2 


18  VIE 

son  mari,  et  même  de  celui  de  Jean,  roi  de 
France.  Comme  il  se  trouve  encore  plusieurs  prin- 
ces et  seigneurs  de  Vhoslel  '  desquels  il  dit  avoir 
été,. ou  qu'il  appelle  ses  seigneurs  et  ses  tnaîtresr^  il 
est  bon  d'observer,  que  par  ces  façons  de  parler,  il 
ne  désigne  pas  seulement  les  princes  et  seigneurs 
à  qui  il  avait  été  attaché  comme  domestique, 
mais  «ncore  tous  ceux  qui  lui  avaient  fait  des 
présents  ou  des  gratifications,  ou  qui  Payant  reçu 
dans  leufs  cours,,  ou  dans  leurs  châteaux,  lui 
avaient  donné  ce  qu'on   appelle  bouche-à-cour. 

Froissart  ayant  perdu  la  reine  Philippe  sa 
bienfaitrice,  au  lieu  de  retourner  en  Angleterre, 
alla  dans  son  pays'  ,  où  il  fut  pourvu  delà  cure  ' 
de  Lestines*.  De  tout  ce  qu'il  fit  dans  l'exercice 


'  Parlant  da  seigaenr  de  Conoy ,  il  dit,  u/i  de  mes seig^teurs  et  mais- 
ire5>  et  da  comte  Beraud  Dauphin  d'Auvergne,  uri  mien  seigneur  et 
nudstre;  Chron.  liif.l,  Chap.,  I.  On  verra  pins  bas  qu'il  fut  de  Yhostel 
dn  comte  de  Foîz.  *     ' 

3  Froissart,  à  son  retour  d*Italie«  ne  suivit  pas  la  mâme  route  qu'il 
avait  prise  en  y  allant.  Peur  voir  de  nouveaux  pays,  il  était  revenu  par 
l'Allemag^ne,  comnOe  il  le  fait  entendre  dans  son  Dict  dou  Florin.  Le 
sujet  de  cette  pièce  est  un  f  ntrotien  que  le  poète  feint  d  avoir  en  avec  le 
seul  florin  i^ai  lu!  restait  de  beaucoup  d'autres  qu'il  avait  dépensés,  ou 
qui  lui  avaient  été  volés,  et  ce  florin  lui' reproche  de  Tavoir  bien 
promené ,  car  il  avait  appris  avec  lui  le  français  et  le  thiois , 
c'est-à  dire  l'allemande 

• 

3.  Robert  de  Genève  transféré  depuis  peu  de  Tévèché  de  Terouennc 
à  celui  de  Cambray  dont  Leslines  dépendait,  avait  pu  donner  cette 
cure  à  Froissart ,  en  considération  du  comte  .de  Savoie,  son  père. 

4  LestineSr  autrefois  un  palais  des  rois  de  France,  connu  sous 


DE  JEAN  FROISSART.  19 

de  son  ministère,  il  ne  nous  apprend  autre  chose 
3inon  que  les  (a^emwrs  de  Lestines  eurent  ctnç 
cents  francs  de  son  argent  dans  le  peu  de  temps 
qu'il  fut  leur  curé.  On  lit  dans  un  journal  '  ma- 
nuscrit de  l'évêque  de  Chartres,  chancelier  duduc 
d'Anjou,  que  sid^ant  des  lettres  scellées  du  12  de* 
cembre  I38I,  ce  prince  fit  arreister  cinquante  -  six 
quayiers  de  la  Chronique  de  Jehan  Froissart,  recteur 
de  Féglise  parrochiale  de  Lescines ,  que  l'historien 
envoyait  pour  être  enluminés,  et  ensuite  portés  au 
roi  d'Angleterre  ennemi  de  la  France.   . 

Froissart  s'attacha  depuis  à  Venceslas  de 
Luxembourg,  duc  de  Brabant,  peut-être  en* qua- 
lité A^  secrétaire ,  suivant  l'usage  dans  lequel 
étaient  les  princes  et  les  seigneurs,  d'avoir  des 
clercs  qui  faisaient  leurs  affaires,  qui  écrivaient 
pour  eux,  ou  qui  les  amusaient  par  leur  savoir 
et  par  leur  esprit  Venceslas  avait  du  goût  pour 
la  poésie  :  il  fit  faire  un  recueil  de  ses  chansons, 

le  nom  de  Liplinœ  oa  Lestince,  Froissart  Tappelte  Lestines,  et  d'autres 
aatenrs  Lelines  ,  Liptines  et  Lessioes.  Ce  dernier  nom  est  celui 
qi^*ë11e  a  retenu.  C'est  une  petite  ville  située  sur  la  rivière  de 
Denre,  à  deux  lieues  4*Ath  au  sud,  et  de  Grammont  vers  le  nonf , 
et  à  Quatre  lieues  d*Eng[)iien.  Vé^lise  paroissiale  e si  dédiée  à  saint 
Pierre  i  et  son  curé  est  un  archiprestre  de  la  chrestienté,  sous  le  dio. 
cese  de  Cambray»  Voy,  Vdois  Not.  au  mot  Z^;7/i/i£?,  les  Délices  des 
Pays-Bas,  tom.  2,  pag.  60  et  suivantes,  et  Maty,  Dict.  géog. 

<  N.o  587  de  la  bibliothèque  de  Colbert,  réunie  à  celle  du  roi.  Ce 
manuscrit  est  le  même  dont  la  Laboureur  a  rapporté  nn  extrait  à  la 
tète  de  Thistoire  de  Charles  VI,  pa%.  S7,  jusqu'à  70. 


20  VIE 

de  ses  rondeaux  et  de  ses  virelais  par  Froissart,  qui 
joignant  quelques-unes  de  ses  pièces  à  celles  du 
prince,  en  forma*  une  espèce  de  roman ,  sous  le  ti- 
tre de  MeUador  ' ,  ou  du  Ch^alier  au  soleil  é^or; 
mais  le  duc  ne  vécut  pas  assez  long-temps  pour 
voir  la  fin  de  l'ouvrage,  étant  mort  en  1384. 
Presqu'aussitôt  Froissart  trouva  un  nouveau  pro- 
tecteur :  il  fut  fait  Clerc  de  la  chapelle  de  Guy, 
comte  de  Blois,.et  il  ne  tarda  pas  à  signaler 
sa  reconnaissance'  pour  soii  nouveau  protecteur, 


'  Le  roman  de  Méliador  est  nommé  de  plusieurs  façons  difTë- 
renles  ^dans  les  manuscrits  de  la  Chronique  de  Froissart ,  et  dans 
ses  poésies.  L*historîen  parlant  de  son  voyag^e  chez  le  comte  de  Foiz» 
qo*il  6t  depuis,  en  1388,  dit:  pavoye  ai^ec  nioy  apporté  un  IhrCj  lequel 
favoje  fait  à  la  requeste  et  contemplation  de  Fincelaus  de  Bohême , 
duc  de  Luxembourg  et  de  Brabant;  et  sont  contenus  audit  livre  qui 
s^appeUè  le  Meliader  (  Meliadesi  ou  Malliades  dans  quelques  manus- 
crits) ,  toutes  chansons^  balades^  rondeaux  et  virelets  que  le  gentil  duc 
fit  en  son  temps  ';  desquelles,  choses,  parmi  ^imagination  quefavoye 
à  dicter,  en  ordonnajr  le  livre  que  le  comte  de  Foix  veit  moult  vou- 
lontiers. 

Il  fait  encore  mention  dé  cet  ouvrage  dans  ses  Poésies  manuscritei. 
On  lit  à  la  pa|;e  423  de  sou  Dict  dou  Florin, 

Un  Vwre  de  àfeUador, 
Le  ch^aliertui  soleil  d'or. 

Et  quelques  vers  après,  * 

'    Dedens  ce  romant  sont  ^iwloses 
Toutes  les  clutnçons  que  jadis. 
Dont  rame  soitenparadjrs. 
Que  feit  le  bon  duc  de'Braibant, 
fVincelaus^  dont  on  parla  tant; 
Car  uns  princes Juamourous^ 
Gracious  et  chçvaierous  ,- 
ï!tleliifremefistjàfaire^ 


BE  JEAN  FROISSART.  21 

par  une  pastourelle  '  sur  les  fiançailles  de  Louis 
comte  de  Dunois,  fils  de  Guy,  avec  Marie,  fille  du 
duc  de  Berry  :  deux  ans  après,  le .  mariage  ^s'€- 
tant  fait  à  Bourges,  il  le  célébra,  par  uïie  espèce 
d^épithalame  assez  ingénieuse  pour  le  temps,  in- 
titulée  Le  Temple  d'honneur. 

Il  passa  les  années  1385,  1386,  et  I3B7,  tantôt 
dans  le  Blaisois,  tantôt  dans  la  Touraine,-  mais 
le  comte  de  Bloîs  l'ayknt  engagé  à  reprendre  la 
suite  de  l'histoire  qu'il  avait  interrompue,  il  ré- 
âplut  en  1388,  de  profiter  de  la  paix  qui  venait 
de  se  conclure,  pour  aller  à  la  cour  de  Gaston 
Phœbus,  comte  de  Foix'et  de  Béarn,  s'instruire  à 
fond  de  ce  qui  regardait  les  pays  étrangers  et  les 
provinces  du  royaume  les  plus  éloignées,  où  il  sa- 
vait qu'un  grand  ^omb^e  de  guerriers  se  signa- 
laient tous  les  jours  par  de  merveilleux  faits  d'ar- 
mes. Son  âge  et  sa  santé  lui  permeittaient  encore 

Pw  ires  groM  amoureuse  affaire , 
.Cornent  qu'il  ne  le  véist  onccfue$,. 
Ayant  demandé  dans  son  Paradis  d*Anioar,  pag,  \%,coL  I  e£  2,  qneh 
éfaienf  plusieurs  ^amoiseaux  qu*il  y  voyait,  il  apprend  que  ce  sont 
des  sujets  de  TAmonr,  et  on  lui  nomme  entre  autres  héros  célè- 
J)res  dans  les  romaos,  Meliador,  cils  à  ce  beau  soleil  d'or,  par  où  était 
désigné  certainement  le  héros  de  celui  qu*il  avait  composé. 

Il  ne  faut  point  confondre  te  livre  aveè  les  poésies  manuscrites  de 
Froissart.quirenfei'meotà  la  vérité  un  g^rand  nombre  de  chansons., 
rondeaux,  balades,  virelais,  lais  et  pastourelles,  distribués  chacun 
dans  leur  classe,  nais  oii  le  titre  de  Meliador  ne  se  trouve  nulle 
part. 

»  Pag,  290  et  291  de  ses  Poes'es  manuscrites* 


22  VIE 

de  soutenir  de  longues  fatigues;  sa  mémoire  était 
assez  bonne  pour  retenir  tout  ce  qu'il  entendrait 
dire,  et  son  jugement  assez  sain  pour  le  conduire 
dans  l'usage  qu'il  en  devait  faire.  Il  partit  avec 
des  lettres  de  recommandation  du  comte  de  Blois 
pour  Gaston  Phqebus,  et  prit  sa  route  par  Avi- 
gnon. Une  de  ses  pastourelles  nous  apprend  qu'il 
séjourna  dans  les  environs  d'une  abbaye  *  située 
entre  Lunel  et  Montpellier,  et  qu'il  s'y  fit  aimer 
d'une  jeune  personne  qui  pleura  son  départ  :  il 
dit  dans  la  même  piièce  qu'il  menait  au  comte  de 
Foix  quatre  lévriers  '  pour  lui  en  ,faire  présent. 
Gaston  aimait  passionnément  le  dédùk  des  chiens, 

il  en  avait  toujours  plus  de  seize  cents,  et  il  nous 

• 

reste  de  ce  prince  un  traité  de  la  chasse,  que 
l'on  conserve  manuscrit  dans  plusieurs  bibliothè* 
^ues ,  et  qui  a  été  imprimé  en*  1 320.  Froissart  alla 
de  Carcassonne  à  Pamiers  dont  il  fait  une  agréa* 
ble  description,  et  s'y  arrêta  trois  jours,  en  at- 
tendant que  le  hasard  lui  Ht  reucontrer  quelqu'un 
avec  qui  il  pût  passer  en  Béarn.  11  fut  assez  heureux 
pour  trouver  un  chevalier  du  comté»  de  Foix,  qui 
revenait  d'Avignon,  et  ils  marchèrent  de  compa- 


>  Probablsment  S.t  Gêniez,  abbaye  de  filles,  à  aae  lieue  et  demie 
du  chemin  qui  mèife  de  Montpellier  à  LuneL 

*  lU  y  sont  nommés  Trislan,  Hector,  Brun  et  Roïïani. 

9  P^oy.  du  Verdier,  à  Fart.  Gaston,  comte  de  Foix,  et  la  note  2  page 
302,t.l2deJ.  EroisKart. 


DE  JEAN  FnOISSART.  23 

gnie.  Messire  Espaing  du  Lyon  (c'est  le  nom 
du  chevalier  )  était  un  homme  de  grande  dis- 
tinction'5  il  avait  eu  des  ^commandements  consi- 
dérables, et  fut  employé  toute  sa  vie  dans  dès 
négociations  aussi  délicates*  quHmportantes.  Les 
deux  voyageurs  se  convenaient  parfaitement  :  le 
chevalier,  qui  avait  servi  dans  toutes  les  guerres  de 
Gascogne,  désirait  avec  passion  apprendre  ce 
qui  concernait  celles  dont  Froissart  avait  connais- 
sance; et  Froissart  plus  en  état  que  personne  de  le 
satisfaire,  n'était  pas  moins  curieux  des  événe- 
ments auxquels  le  chevalier  avait  eu  part  Us  se 
communiquèrent  ce  qu'ils  •  savaient  avec  une 
égale  colnplaisance  :  ils  allaient  à  côté  l'un  de 
l'autsaâ  et  souvent  aux  pas  de  leurs  chevaux  : 
toute  leur  marche  se  passait  en  des  conversations 
où  ils  s'instruisaient  réciproquement  Villes ,  châ- 

• 

teaux,  masures,  plaines,  hauteurs,  vallées,  passa- 
ges difficiles,  tout  réveillait  la  curiosité  de  Frois- 
sart,  et  rappelait  à  la  mémoire  du  seigneur  Es-- 
paing  du  Lyon ,  les  diverses  actions  qui  s'y 
étaient  passées  sous  ses  yeux,  ou  dont  il  avait  ouï 
parler  à  ceux  qni  s'y  étaient  trouvés.  L'historien , 
trop  exact  dans  le  récit  qu'il  nous  .fait  de  ces  con- 
versations, rapporte  jusqu'aux  exclamations  par 
lesquelles  il  témoignait  au  chevalier  sa  recon- 

>  ProîsMrt  eo  parle  soayent  dam  le  3>et  le  ^.'^ livre  de  $a  Ctire- 
BÎqoe. 


24  VIE 

naissance,  pour  toutes  les  choses  intéressantes 
qu\l  voulait  bien,  luiv  apprendre.  S'ils  arrivaient 
dans  une  ville  avant  le -coucher  du  soleil,  ils  met- 
talent  à  profit  le  peu  de  jour  qui  restait,  pour 
en  examiner  les  dehors,  ou  pour  observer  les 
lieux  des  attaques  qui  s'y  étaient  faites  :  de  re* 
tour  à  Phôtellerie,  ils  continuaient  les  mêmes 
propos,  ou  entre  eux  seuls,  ou  avec  d'autres  che- 
valiers oH  écuyers  qui  s'y  trouvaient  logés;  et 
Froissart  ne  se  /touchait  point  qu'il  n'eût  écrit 
tout  ce  qu'il  avait  entendu.  Après  une  marche  de 
six  jours,  ils  arrivèrent  à  Orthez.  Cette  ville,  une 
des  plus  considérables  du  Béarn,  était  le  séjour 
ordinaire  de  Gaston,  comte  de  Foix.  et  vicomte  de 
Béarn,  surnommé  Phmbus  ^  cause  de  sa  lisauté. 
Froissart  ne  pouvait  choisir  une  cour  plus  convena- 
ble à  ses  vues.  Le  comte  de  Foix,  âgé  de  cinquante- 
neuf  Bins^  était  encore  l'homme  de  son  sièclele plus 
vigoureux ,  le  plus  beau  et  le  mieux  fait  '  :  adroit 
à  tous  les  exercices»  valeureux,  consommé  dans 
l'art  de  la  guerre,  noble  et  magnifique,  il  ne  ve- 
nait chez  lui  aucun  guerrier  qui  n'emportât  des 
marques  de  sa  libéralité ,  :  son  château  était  le 
rendez-vous  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  braves  ca- 
pitaines qui  s'étaient  distingués  dans  les  com- 
bats et  dans  les  tournois  :  les  entretiens  n'étaient 
que  d'attaques  de  places,  de  surprises,  de  sièges, 
d'assauts,  d'escarmouches,  de  batailles  :  les  amu- 


DE  JEAN  FROISSART.  25 

sements  n'étaient  que  des  jeux  d'exercice,  d'a- 
dresse, et  de  force,  des  joutes,  des  tournois  et  des 
chasses,  plus  pénibles  et  presque  aussi  périlleu- 
ses que  la  guerre  même.  Ces  détails  siéritent  d'ê- 
tre lus  dans  Froissart;;  je  ne  puis  que  tracer  im- 
parfaitement ce  qu'il  a  si  bien  peint 

Le  comte  de  Foix  ayant  été  informé  par  mes- 
sire  Espaîng  du  Lyon,  de  l'arrivée  de  Froîssart, 
qui  était  déjà  connu  à  la  cour  d'Orthez  par  les 
deux  premiers  volumes  de  sa  Clironique,  l'envoya 
chercher  chez  un  de  ses  écuyers  '  qui  le  logeait , 
et  le  voyant  venir  de  loin,  lui  dit  d'un  air  riant, 
et  en  ban  français:  quHl  te  oamiolssait  bien  qumj  qu!il 
ne  Feiist  jamais  veUy  mais  quil  aidait  bien  auv  parler 
de  luy;  et  h  retint  de  son  hostel  Cette  expression, 
comme  on  l'a  déjà  dit,  ne  signifie  pas  que  Frois- 
9art  eut  un  logement  dans  le  château,  car  on  voit 
lé  contraire,  mais  seulement  qu'il  fut  défrayé  aux 
dépens  du  comte  durant  l'hiver  qu'il  passa*  au- 
près de  lui.  Son  occupation  la  plus  ordinaire  peu- . 
dant  ce  temps,  était  d'amuser  Gaston  après  son 
souper,  par  la  lecture  du  roman  de  Meliador  qu'il 
avait  apporté  : .  tous  les  soirs  il  se  rendait  au  châ- 
teau à  l'heure  de  minuit,  qui  était  celle  où  le 

i  Je  descendy  à  l  liostel  de  la  ÎJine  chez  un  escuyer  du  comte 
qui  s^appeUoii  Erhaulondu  Pin,  lequel  me  récent  moidljoyeusenit' ni 
pour  la  cause  de  ce  que  j'estoye  François.  Ce  sont  les  propres 
paroles  de  Pbisloriea. 


26  VIE 

comte  se  mettait  à  table  :  personne  n'eût  osé  in- 
terrompre le  lecteur.  ^  Gaston   lui-même  cui   Té- 

coutait  avec  une  attention  infinie,  ne  l'interrom- 
pait que  ppur  lui  faire  des  questions  sur  cet 
ouvrage j  et  jamais  il  ne  le  renvoyait  qu'iZ  ne  ^Wf 
eut  faU  vulder  auparavant  tout  ce  qui  estait  resté  du 
vin  de  sa  bouche.  Quelquefois  ce  prince  prenait 
plaisir  à  l'instruire  des  particularités  dès  guerres 
dans  lesquelles  il  s^ estait  distingué.  Froissart  ne  tira 
pas  moins  de  lumières  de  ses  fréquents  entretiens 
avec  les  écuyers  et  les.  chevaliers  qu'il  trouva 
rassemblés  à  Orthez,  surtout  avec  les  chevaliers 
d'Arragon  et  d'Angleterre,  de  Vhostel  du  duc  de 
Lancastre,  qui  faisait  alors  sa  résidence  à  Bor-. 
deaux  :  ils  lui  racontèrent  ce  qu'ils  savaient  des 

batailles  des  rois  dé  Castille  et  de  Portugal,  et 
de  leurs  alliés  :  entre  les  autres,  le  fançieux  Bas^ 
tard  de  Mauléon,  en  lui  faisant  l'histoire  de  sa 
vie,. lui  faisait  celle  de  presque  toutes  les  guerres 
arrivées  dans  les  différentes  provinces  de  France, 
et  même  en  Espagne,  depuis  la  bataille  de  Poitiers 
où  il  avait  commencé  à  porter  les  armes.  Quoi- 
qu'appliqué  sans  relâche  à  ramasser  des  mémoires 
historiques  ,  Froissart  donnait  encore  quelques 
moments  à  la  poésie .)  nous  avons  de  lui  une 
Pastourelle  qu'il  paraît  avair  composée  au  pays 
de  Foix,  en  rhonneur  de  Gaston  Phœbus  :  il 
dit  qu'étant  - 


D£  JEAN  FBOISSART.  37 

En  beau  pré  vert  et  plaisant 
Pardessus  Gave  la  rivière. 
Entre  Pau  et  Ortais  séant, 

il  vit  des  bergers  et  des  bergères  qui  s'entrete- 
naient de  divers  seigneurs  et  de  leurs  armoiries.  II 
se  sert  adroitement  de  cette  fiction  pour  nom- 
mer avec  éloge  ceux  de  qui  il  avait  reçu  quel- 
ques bienfaits,  et  termine  sa  liste  par  le  comte  de 
Foix. . 

Apres  un  assez  long  séjour  à  la  cour  d'Orthez, 

p 

Froissart  songeait  à  s'en  retourner  :  il  fut  retenu 
par  Gaston,  qui  lui  fit  espérer  une  occasion,  pro- 
cbaine  de  voyager  en  bonne  compagnk.  Le  ma- 
riage de  la  comtesse  de  Boulogne,  parente  du 
comte,  ayant  été  conclu  avec  le  duc  de  Berry, 
la  jeune  épouse  futjconduite  d'Orthez  à  Morlas, 
où  les  équipages  du  duc  son  mari  l'attendaient  : 
il  partit  à  sa  suite,  après  avoir  reçu  des  marques 
de  la  libéralité  de  Gaston  '  qui  le  pressa  instam- 

'  Page  429  de  ses  Foës.  manas. 

Et  quant  foc  tout  parGt  t  histoire  ^ 

l)ou  chevalier  au  soleil  d*or 

Que  je  nomme  Mel^ador, 

Je  pris  congé  /  et  H  bons  contes 

Me  fit  par  sa.  chambre  des  comptes 

Délivrer  quairevinsjlorins 

D^^rragon,  tous  pesons  et  fins. 

Des  quels  quatre  vins  les  soissonte 

Doni.pavoïe  fait  francs  quarante 

Et  mon  livre  quit  m*ot  laisse. 


2a  VIE 

ment  de  revenir  le  voir  :  il  accompagna  la  prin- 
cesse à  Avignon,  et  dans  le  reste  de  la  route 
qu'elle  fit  à  travers  le  Lyonnais,  la  Bresse,  le 
Forez  et  le  Bourbonnais,  jusqu'à  Riom  en  Auver- 
gne. Le  passage  d'Avignon  fut  fatal  à  Froissart^ 
on  le  vola  :  cette  triste  aventure  fait  le  sujet  d'une 
longue  poésie ',  dans  laquelle  il  place  plusieurs 
circonstances  de  sa  vie,  dont  j'ai  fait  usage  dans 
ce  mémoire.  On  voit  par  cette  pièce,  que  le  désir 
de  visiter  le  tombeau  du  cardinal  de  Luxembourg 
mort  en  odeur  de  sainteté,  n'était  pas  le  seul 
motif  qui  l'eût  porté  à  repasser  par  Avignon  en 
suivsfht  la  jeune  princesse,  niais  qu'il,  avait  une 
commission  particulière  du  seigneur  de  Couci.  Il 
aurait  pu,  dit-il,  chercher  à  se  dédommager  de 
la  pcBte  de  son  argent,  en  sollicitant  quelque  bé- 
néfice^ mais  cette  ressource  n'était  pas  de  son 
goût  :  il  faisait  plus  de  fonds  sur  la  générosité 
du  seigneur  dé  la  Rivière  et  du  comte  de  San- 
cerre  qui  accompagnaient  la  duchesse  de  Berry, 
et  sur  celle  du  vicomte  d'Asci.  U  se  donne,  dans 
la  même  pièce,  pour  un  homme  d'une  grande 
dépense.  Outre  le  revenu  de  la  curedeïjestines, 
qui  était  considérable,  il  avait  depuis  ving{-cinq 
ans  touché  deux  mille  francs  dont  il  ne  lui  res- 
tait plus  rien  :  la  composition  de   ses   ouvrages 

'  DU  dou  Florin ,  pag.  123  el  5iiiV.  de  ses  Poë^sies manuscrites* 


DE  JEAN  FROISSART.  29 

lui  en  avait  coûté  sept  cents,  mais  il  ne  regret- 
tait pas  cette  dépense;  car  atissi  cy-je  fajiy  dit-il, 
mainte  kisloire  dont  il  sera  parlé  dans  la^posléràé  : 
le  reste  avait  été  consommé  tant  chez  les  Tavêr- 
nîers  de  Lestine$  que  dans  ses  voyages,  qu'il  fai- 
sait  toujours  en  bon  équipage,  bien  monté,  bien 
vêtu,  et  faisant  partout  bonne  chère. 

Froissart  avait  été  présent  à  toutes  les  fêtes 
qui  furent  donAées  au  mariage  du  duc  de  Berry, 
célébré  la  nuit  de  la  Pentecôte  à  Riom  en  Au- 
vergne. U  composa  une  pastourelle  pour  le  lende- 
main des  noces;  puis  retournant  en  France  avec  le 
seigneur  de  la  Rivière  ',  il  se  rendit  à  Paris.  Son 
activité  naturelle,  et  sur- tout  .la  passion  de,  s'ins- 
truire dont  il  était  sans  ces^  occupé,  ne  lui 
permirent  pas  d'y  demeurer  long-temps.  Nous 
Tavons  vu  en  six  mois  passer  du  Blaisois  à  Avi- 
gnon, ensuite  dans  le  comté  de  Foix,  d'où  il  re- 
vint  encore  à  Avignon,  et  traversa  l'Auvergne  pour 
aller  à  Paris.  On  le  voit,  en  moins  de  deux  ans^ 
successivement  dans  le  Cambrésis,  dans  le  Hay- 
naut,  dans  la  Hollande,  dans  la  Picardie,  une 
seconde  fois  ^  à  Paris ,  dans  le  fond  du  Langue- 
doc, puis  encore  à  Paris  et  à  Valenciennes;  delà 

'  Chron,  Sv,  3  danshmanuscrU  N^*  8323  de  la  bibiiolhèque  du 
roi, 

'  Chron.,  li?.  4/  ch.  2  et  une  pastonreile  à  la  pag^e  293  de  ses 
poés.  mss. 


30  VIE 

à  Bruges,  à  TtiCluse,  dans  la  Zélande,  enfin  dans 
son  pays.  11  accompagne  -  dans  le  Cambrésis  le  sei- 
gneur de#Couçi  au.  château  de  Crèvecœur  que. le 
roi  Venait  de  lui  •  donner  :  il  lui  raconte  ce  gu'il 
avait  vu,  et  apprend    de  lui  différentes  circons- 
tances des  négociations  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre. Après  avoir  donné  quinze  jours  à  sa  pa- 
trie, il  passe  un  mois  en  Hollande  auprès  du 
comte  deBlois,  en  l'entretenant  de  ses  voyages.  II 
va  s'instruire  par  lui-même  du  détail  des  négo- 
ciations de  la  paix  qui  se  traitait  à  Lolinghen 
D  assiste  à  la   magnifique   entrée  que   lai  reine 
Isabelle  de  Bavière  fait  dans  Paris.  L'exactitude 
avec  laquelle  il  parle  du  cérémonial  observé  entre 
le  pape  et  le  roi  Charles  VI  à  Avignon,  semble 
prouver  qu'il  avait  assisté  à  leur  entrevue,  d'au- 
tant  plus  qu'il  est  certain  que  Charles  VI  étant 
allé  d'Avignon  à  Toulouse  recevoir  l'hommage  du 
comte  de  Foix,  Froissart  s'y  trouva,  et  entendit 
leur  conversation.  11  ne  se  passait  rien  de  nou- 
veau, comme   on  le  voit,  dont  Froissart  ne  vou- 
lût être  témoin:  fêtes,  tournois,  conférences  pour 
la  paix,  entrevues  de  princes,  et  le.urs  entrées, 
rien  n'échappait  à  sa  curiosité.  Il  paraît  qu'au 
commencement  de    1390,   il  retourna   dans   son 
pays,  et  qu'il  ne  songeait  qu'à  reprendre  la  suite 
de  son  histoire,  pour  la  continuer  sur  les  instruc- 
tions qu'il  avait  amassées  de  tous  côtés  avec  tant 


DE  JEAN  FBOJSSART.  31 

de  peines  et  de  fatigues  :  mais  celles  qu^il  avait 
eues  au  sujet  de  la  guerre  d'Espagne,  ne  le  satis- 
faisaient pas  encore  :  il  lui  survint  quelque  scru- 
pule de  n'avoir  entendu  qu'une  des  deux  parties, 
c'est-à-dire  les  Gascons  et  les  Espagnols  qui  avaient 
tenu  pour  le  roi  de  Castille.  Il  était  du  devoir 
d'un  écrivain  exact  et  judicieux  de  savoir  aussi 
ce  qu'en  disaient  les  Portugais.   Sur  l'avis  qu'on 
lui  donna  qu'il  pourrait  en  trouver  à  Bruges  un 
grand  nombre,  il  s'y  rendit.  La  fortune  le  servit 
au-delà  de  ses  espérances,  et  l'enthousiasme  avec 
lequel  il  en  parle,  peint  l'ardeu>  avec  laquelle  il 
désirait  tout  approfondir.  A  son  arrivée ,  il  ap- 
prit qu'un  chevalier  Portugais,  vaillant  -  homme  ei 
saye,  et  du  conseil  du  roy  de  Portugal ^  nommé  Jean 
Ferrand  Portelet ,  était  depuis   peu   à  Middel- 
bourg  en  Zelande.  Portelet  qui  allait  alors  en 
Prusse   à  la  guerre  contre  les  infidèles ,  s'était 
trouvé  à  toutes  les  '  affaires   de  Portugal  :  aussi- 
tôt Froissart  se  met  en  marche  avec  un  Portu- 
gais ami  du  chevalier,  va  à  l'Ecluse,   s'embarque 
et  arrive  à  Middelbourg,  ou  son  compagnon  de 
voyag|e  le  présente  à  Portelet.  Ce  chevalier  gra- 
cieux, andable  et  acomlable,  \\û  raconta,  pendant 
les  six  jours  qu'ils  passèrent   ensemble,  tout  ce 
qui  s'était  fait  en  Portugal  et  en  Espagne  depuis 
la  mort  du  roi  Ferrand   jusqu'à  son   départ  de 


32  .VIE 

Portugal.  Froîssart  aussi  content  des  récits  de 
Portelet  que  de  sa  politesse,  prit  congé  de  lui, 
et  revint  dans  sa  patrie,  où  réunissant  toutes  les 
connaissances  qu'il  avait  acquises  dans  ses  dif- 
férents voyages,  il  en  composa  un  nouveau  livre, 
qui  fait  le  troisième  de  son  histoire. 

Le  passage  d'où  sont  tirées  ces  circonstances, 
ajoute  que  Froissart,  en  quittant  la  Zélande\  et 
avant  que  de  retourner  dans  son  pays,  alla  en- 
core une  fois  à  Rome.  Quoi  qù^en  cela  les  exem- 
plaires imprimés  soient  conTormes  aux  manus- 
crits, ce  voyage,*  dont  il  n'est  point  parlé  ailleurs, 
nie  paraît  hors  de  toute  vraisemhlance.  Denis 
Sauvage  -assure,  à  la  marge,  qu'au  lieu  de  Romrae 
il  faut  lire  V Ecluse,  Binig es  ou  Valenctennes ;  il  est 
phis  naturel  de  lire  Damme\  port  voisin  de  l'Ecluse, 
où  on  a. vu  que  l'historien  s'était  embarqué.  On 
ne  saurait  .déterminer"  la  durée  du  séjour  que 
Froissart  fit  daiïs  le  Haynaut;  on  sait  seulement 
quil  était  encore  à  Paris  en  1392,  lorsque  le 
connestable  de  Qisson  fut  assassiné  par  Pierre 
de  Craon;  et  à  Abbçville,  sur  la  fin  de  la  même 
année,  ou  au  commencement  de  la  suivante,  pen- 


I  DamwkDanme^xWX^àe  Flandres,  à  une  liene  de  Bruges  tirant 
vers  rEcInse,  doni  elle  est  éloig^née  de  deox  lieues.  Projet  ie  Diction, 
de  la  Martinière  et  les  Délices  des  Pays-Bas t  tom.  Ifpag.  306, 


DB  JEAN  FBOISSART.  33 

dant  les  conférences  qui  se  tenaient  entre  les  pléni- 
potentiaires de  France  et  d'Angleterre,  lesquelles, 
opérèrent  enfin  une  trêve  de  quatre  ans. 

Dès  Tannée  1378,  Froîssart  avait  obtenu  du 
pape  Clément  VU  Pexpectative  d'un  canonicat 
à  Lille  *.  On  voit  dans  le  recueil  de  ses  poésies, 
qui  fut  achevé  en  1395,  et  dans  une  préface  qui 
se  trouve  dans  plusieurs  manuscrits  à  la  tête  du 
quatrième  volume  de  son  histoire,  composé  vers 
le  mçme  temps,  <ju'il  se  qualifiait  Chanoine  de 
Lille'  ;  mais  Clément  Vil  étant  mort  en  1394,  il 
al^andonna  ïa  poursuite  de  son  expectative,  et 
commença  à  ne  prendre  que  la  qualité  de  Chanoine 


*  Toy.  son  DictdouFiorin^Li  florin  adresse  la  parole  à  Tauleur. 

Cardou  bon  seigneur  de  Coud 

Qu  est  nobles^  gentiix  et  coinies 

Estes  vous  privés  et  acointes , 

Si  s'^avezpour  lui  celle  painne 

Et  texpectation  loiniainne 

Sur  les  chanesies  de  Lille, 

Cenlflorlns  vous  ay  par  St,  Gille, 

Mouli  bien  eoustée  celle  grasce 

Çui  rCest  ores  bonne  ^e  grasse^ 

Mais  mal  revenons  à  prou  fit , 

inique  dou  premier  an  est  dit 

Dott  pape  que  la  grasce  at^és; 

Mes  voiremenl  vous  ne  scavés 

Quant  vous  en  serés  pourvéiis , 

Ne  à  chanonneS  recéiis, 
^  Froisiart,  an  cômftieDCement  et  à  la  fia  de  ses  poésies,  prend  le 
\\\re^  trésorier  et  ehanoinù  de  Chimay^  et  de  Lille  en  herbes,  ex- 
pression qui  désig^ne  son  expectative. 

.   FROISSART.  t.  XVI.  3 


J 


31  VIE 

et  Trésorier  de  l'église  collégiale  de  Chimay  ' , 
qu'il  devait  probablement  à  Tamitié  dont  le  comte 
de  Blois  '  l'honorait  :  la  seigneurie  de  Chimay 
faisait  partie  delà  succession  que  ce  comte  avait 
recueillie  en  I38I ,  par  la  mort  de  Jean  de  Chas- 
tillon,  comte  de  Blois,  le  dernier  de  ses  frères. 
11  y  avait  vingt-sept  ans  '  que  Froissart  était 
parti  d'Angleterre, lorsqu'à Foccasion  delà  trêve 
qui  se  fit  entre  les  Français  et  les  Anglais,  il  y 
retourna  *  en  1394,  muni  de  lettres  de  recom- 
mandation pour  le  roi  et  pour  ses  oncles.  De 
Douvres  où  il  débarqua,  il  alla  à  Scmi  Thomas 
é^  Cantorbéty^  fit  son  offrande  sur  le  tombogu  du 
saint;  et  par  respect  pour  la  mémoire  du  prince 
de  Galles  de  qui  il  avait  été  fort  connu,  il  visita 
son  magnifique  mausolée.  Là  il  vit  le  jeune  roi 
Richard,  qui  était  venu  rendre  grâces  à  Dieu 
des  succès  de  sa  dernière  campagnef  en  Irlande  : 
mais  malgré  la  bonne  volonté  du  seigneur  de 
Pcrcy,  sénéchal  d'Angleterre,  qui  avait  promis  % 
de  lui  procurer  une  audience  du  roi,  il  ne  put 

I  Dans  le  comté  de  Haynaât  au  diocèse  de  Viéçe. 

«  Guy  de  CkasUiion,  comte  de  Biois,  sire  d'Avesnes,  de  Chimay^ 
de  Beaumontt  de  Sionehove  et  de  la  Goudè,  Je  JehaM  Froissart , 
prestre  et  chapelain  à  mon  très-cher  seigneur ,  et  pour  le  temps  de 
lors  trésorier  et  chanoine  de  Chimay  et  de  tlsle  en  Flandres^ 
litre  4,  Préface  da  4.*  livre  dans  plasiears  mafiuscrits. 

^Chran,^  liv,  4;  il  dit  vin|[t-hmit  à  la  pagfe  suiFanfe. 

4  Foy,  sa  Cbron.,  iiv.  4, 


DE  JEAN  FfiOISSART.  33 

parvenir  à  lui  être  présenté,  et  fut  obligé  de  suivre 
ce  priiïce  dans-  les  différents  lieux  qu'il  parcourut 
jusqu'à  son  arrivée  à  Lcdos  (Leeds  ).    Ce  ne  fut 
pas  un  temps  perdu  pour  l'historien  :  les  Anglais 
étaient  encore  pleins  de  leur  expédition  en  Irlan- 
dej  il  se  fit  raconter  et  leurs  exploits,  €t  les  cho- 
ses .merveilleuses  qu'ils  y  avaient  vues.  Etant  enfin 
arrivé  à  Ledos  (Leeds),  41  rendit  au  duc  d'Yorck  les 
lettres  du  comte  de  Haynaut  et  du  comte  d'Ostre- 
vant  Maîstfe  Jean,  lui  dit  le  duc ,  tenez  vous  totgours 
de  iès  nous  et  nos  gens,  nous  vous  ferons  toute  amour 
et  courtoisie;  nous  y  sommes  tenus  pour  tamour  du 
temps- passé  et  de  nostre  dame  de  mère  à  qui  vous 
fûtes;  nous  en  avons  bien  la  souvenance.  Ensuite  3 
l'introduisit  dans  la  chambre  du  roi,  qui  le  reçut 
avec  des  marques  de  bonté  très  distinguées.  Ri»- 
chard  prit  les  lettres  dont  il  était  chargé,  et  lui 
dit,  -après  les  avoir  lues,  que  s*Havoà  esté  de  rhos- 
tel  de  son  ayeul  et  de  madan^  son  ayeule,  encore 
estoit-il  de  Fhûstel  ^Angleterre.   Gîpendant  Frois- 
sart  ne  put  encore  présenter  au  roi  le  roman  de 
Meliador  qu'il  lui   atait  apporté,   et  Percy  lui 
conseilla  d'attendre  une  circonstance  «plus  favo- 
rable. Deux  objets  iin^rtants  occupaient  alors 
Richard  tout  entier  :   d'une  part,   le   projet  de 
son  mariage  avec  Isabelle  dé  France,  de  l'înitre, 
l'opposition  des  peuples  de  l'Aquitaine  à  la  dona- 
tion qu'il  avait  faite    de  cette  province  au    duc 

3^ 


36  VIE 

d'Yorck  son  oncle.  Les  prélats  et  les  barons  d'An- 
gleterre ayant  été  convoqués  à  Elten  (Eltham)  pour 
délibérer  sur  ces  deux  affaires,  Froissart  suivit  la 
cour.  11  écrivait  chaque  jour  ce  qu'il  apprenait 
des  nouvelles  du  iempsf ,  dans  ses  conversations 
avec  les  seigneurs  anglais;  et  Richard  de  Servy  ' 
(Stury)qui  était  du  conseil  estroâ du  rfly,lui  confiait 
exactement  les  résolutions  que  l'on  y  prenait,  le 
priant  seulement  de  les  [tenir  secrètes  jusqu'à  ce 
qu'elles  fussent  divulguées. 

Enfin  le  dimanche  qui  suivit  la  tenue  de  ce  con- 
seil, le  duc  d'Yorck,  Richardjde  Servy  (Stury),  et 
Thomas  de  Percy  trouvant  le  roi  moins  occupé, 
lui  parlèrent  du  roman  que  Froissart  lui  avait  ap- 
porté. Ce  prince  demanda  à  le  voir  :  si  le  vk  en  ^a 
ehmnbrey  <fit  l'historien,  car  tout  paurveu  Je  Tavoie^ 
et  h^  wis  sur  son  liet;  et  lors  FouçrU  et  regarda 
dedans  y  et  hy  plut  très  grandemeni;  et  plaire  bien 
luy  devoit,  car  il  estais  enluminé  y  escrit  et  historié , 
et  couvert  '  de  vermeil  Veloux  à  dix  doux  d* argent 
dorez  ^or,  et  rose  d^or  tm  milieu  à  d^ux  gros  fer- 
maux  dorez  et  fichemjent  mvrezy  au  milieu  rosiers 
d'or.  Jdomiy  continue  Froissart,  demanda  le  roy 
rfe  gu^y  il  traUoity  et  je  luy  dy  :  ff  amour.  De  ceste 
responee  fut  toutresjouis  et  regarda  dedans  le  livre 
en  plusieurs  lieux  ^  et  y  lisà,  car  moult  bien  parlait 

>  Il  avait  y tt  Froissart  à  ta  cour  d'Edouard  I  II ,  et  da  comte  Vepces^ 
las  de  BrabanL  Yoy.  Gfaroaiqi/es  de  Froissart,  t.  3,  p.;223. 


DE  JEAN  FROISSART.  37 

el  li^où  /hançois;  et  puis  le  fit  prendre  par  un  sien 
chevedier  qui  se  nommoit  JUessire  Richard  Credon  et 
porter  en  sa  chambre  de  retrait  ^  dont  il  me  fit  bonne 
chère. 

Henry  Cristede,  écuyer  anglais,  qui  avait  été 
présent  à  cet  entretien,  et  qui  savait  d'ailleurs 
que  Froissart  écrivait  l'histoire,  Taborda  en  lui 
demandant  s'il  était  informé  des  détails  de  la 
conquête  que  le  roi  d'Angleterre  venait  de  faire 
en  Irlande.  Gomme  Froîssart ,  pour  l'engager 
à  parler,  feignit  de  les  ignorer,  Téouyer  se  fit 
un  plaisir  de  les  lui  raconter.  Tout  ce  que  l'his- 
torien entendait,  entre  autres  "le  récit  du  repas 
que  le  roi  d'Angleterre  donna  aux  qilatre  rois 
qu'il  venait  de  subjuguer,  excitait  en  lui  de  nou- 
veaux regrets  de  n^être  pas  venu  en  Angleterre 
un  an  plus  tôt,  ainsi  qu'il  s^  préparait,  lorsque 
la  nouvelle  de  la  mort  *  de  la  reine  Anne  rompit  " 
son  dessein  :  il  n'aurait  pas  manqué  de  passer  en 
Irlande  pour  voir  tout  par  lui-même,  car  il  avait 
un  intérêt  particulier  à  recueillir  les  moindres 

« 

circonstances  de  cette  expédition  dont  il  voulait 
faire  part  à  ses  feyneurs ,  le  duc  de  Bavière  '  et 
son  fils,  qui  avaient  sur  la  Frise  les  mêmes  pré- 
tentions que  le  roi  d'Angleterre  sur  l'Irlande. 

'  Anne  de  Luxembonr|^,  fille  de  rempereur  Charles  IV»  mariée 
en  U82,  k  Richard  II, rot  d'Angleterre,  et  morte  en  1394*. 

'  Auhert,  dnc  de  Bavière,  comte  de  Baynaut,  de  Rolbnde  et  de  Ze- 
lande,  père  de  Guillaume  de  Barière. 


38  VIE 

Après  trois  mois  de  séjour  en  Angleterre,  Trois- 
sart  prit  congé  du  roi  :  c<3  prince  qu'il  avait 
suivi  dans  tous  ses  voyages  aux  environs  de 
Londres  *,  lui  fit  donner  pour  dernier  témoignage 
de  son  affection  cent  nobles  *  dans  un  gobelet  ' 
d'argent  doré,  pesant  deux  marcs. 

La  triste  catastrophe  de  Richard  arrivée  en  139*,, 
est  rapportée  à  la  fin  du  quatrième  livre  de  l'histoire 
de  Froissart,  qui  s'acquitte  de  ce  qu'il  devait  à 
la  mémoire  de  ce  prince,  par  la  manière  touchante 
dont  il  déploxe  ses  malheurs.  Au  même  endroit 
il  observe  que  dans  cet  événeiôent  il  voyait  l'ac- 
complissement d'une  prédiction  faite  au  sujet  de 
Richard  lorsqu'il  naquit  à  Bordeaux,  et  d'une  aa- 
cienne  prophétie  du  livre  du  Brut,  *  laquelle 
désignait  le  prince  par  qui  il  devait  être  détrôné. 
La  mort  de  Guy  ^  comjte  de  Blois^  suivit  de  pi:ès  le 

^A  EMam^  à  Leeds^à  Sheen^  à  Chariesée  ei\  à  Windsor.. 
Ciiron.,lir.  4. 

^  Cette  sonme  peut  revenir  à  celle  de  GOO^Iîrresde'Botre  moanaie^ 
d*aajonrd'faai. 

^^  C'est  ce  que  nos  anciens  antears  appellent  une  henepéct  c'est^ 
à  dire  haoap  pleîn;d'argent  ;  d'où  le  trésor  royal  d'Angleterre  s'ap- 
pelle Aa/te/^/er. 

4  Fançhet  met  à  la  lète  de  nos  plus  anciens  poètes  français,  maistre 
Wïstace  on  Huistaee,  auteur  du  roman  appeié  Bruif  en  vers,  qui  f  nt 
compose  en  IISS.  Nous  avons  aussi  uji  roman  en  prose  dn.  Brut,  Brust . 
ouBret,qttifait  partie  du  S.t  Graal,  ou  des  chevaliers  de  la  Table 
ronde,  dans  plusieurs  Mss.  de  la  bibliothèque  du  roi.  Il  contient  l'ori- 
gine  des  peuples  de  la  Grande  Bretagne  descendus  de  Brntus.  Vojex  ]e& 
cxceilentes|4isserfations  de  l'abbë  de  La  Rue,  sur  les  poètes  armoricains, 
et  sur  Ite  poètes  anglo^normanél. 


DE  JEAN  FRdiSSART.  39 

retour  de  Froissart  dans  son  pays^  il  k  place  dars 
sa  Qironique  sous  l'année  1397.  Il  avait  alors 
soixante  ans  ',  et  vécut  encore  quatre  ans  au  moins, 
puisqu'il  raconte  quelques  événements  de  Tan- 
née 1400.  Si  Ton  en  croyait  Bodin  et  la  Popelinière , 
il  aurait  vécu  jusqu'en  1430;  mais  ces  deux  écri- 
vaips  ont  peut-être  été  trompés  par  cçs  mots  qui 
commencent  le  detûier  chapitre  du  dernier  livre 
de  son  histoire,  iSii  Van  de  grâce  mil  qucUIre  cent 
vng  moms;  au  lieu  de  lire  ung,  ainsi  qu^il  est  écrit 
dans  plusieurs  Mss.  et  dans  les  éditions  gothiques , 
ils  auront  lu  vingu 

Un  autre  pas^iEige  de  Froissart  pourrait  donner 
lieu  de  penser  qu'il  a  vécu  jusques  vers  le  mi- 
lieu du  XV.*  siècle  :  en  parlant  du  bannissement 
du  comte  d'Harcourt,  qui  engagea  les  Anglais  à 
faire  une  descente  dans  la  Normandie,  il  dit'  que 
plus  de  cent  ans  après,  on  vit  les  suites  funeste» 
de  leur  irruption.  Ces  termes  ne  doivent  pas  être 
pris  à  la  lettre  ;  Fauteur  écrivait  plutôt  comme 
prévoyant  les  malheurs  à  venir  qu'il  craignait, 
que  comme  le  témoin  de  leurs  derniers  progrès. 

*     - 

,  J'ai  dit  an  commencement  de  ce  Mémoire  qu'il  me  paraissait  que 
Froissart  était  né  phitôt  en  1337  qu'en  1333?  n'est  dass  cette  sap- 
position  que  je  ne  lai  donne  ici  que  60  ans;  il  en  aurait  en  64  on  Cj, 
s'il  était  né  en  1333. 

»  Livre  I.  Ce^e  haine  (du  roy  Jean  contre  messtre  Godefroy  de 
Uarcoart)  tàusUi  grandement  au  royaume  deFrance,  especialement 
au  pays  de  Normandie,  car  les  traces  en  paurent  cent  ans  après, 
comme  vous  t orrez  en  f  histoire* 


40  VIE 

Au  reste,  il  n^est  pas  possible  de  décider  en 
quelle  année  il  mourut,  il  paraît  seulement  que 
ce  fut  au  mois  d'octobre  ,  puisque  son  ûbù  est 
indiqué  pour  ce  mois  dans  TObituaire  de  l'église 
collégiale  de  S*^  Mpnegunde  de  Chimay,  dont  ou 
trouvera  un  extrait  à  la  fin  de  ce  mémoire^  Selon 
une  ancienne  tradition  du  pays,  il  fut  cnter^  dans 
la  chapelle  de  S.^®  Anne  de  cette  collégiale;  et 
il  est  en  effet  assez  pirobable  qu'il  vint  finir  ses 
jours  dans  son  chapitre. 

Le  nom  de  Froissart  a  été  commun  à  plusieurs 
personnes  qui  ont  vécu  dans  le  même  temps  que 
ho tpQ  historien  :  outre  le  Froissart  MeuUier,  jeune 
écuyec  du  Haynaut,  dont  j'ai  pailé  au  commen- 
eement  de  ce  mémoire,  on  trouve  dans  la  chro- 
nique de  noire  historien  un  dom  Froissart,  qui 
s'était  signalé  au  siège  que  le  comte  de  Haynaut 
avait  mis  en  1340  devant  la  ville  de  Saint  Amand. 
Ce  moine  défendit  long-temps  une  brèche  qui 
avait  été  faite  au  mur  dQ  l'abbaye,  et  ne  l'aban- 
donna qu'après  avoir  tué  ou  blessé  dix-huit 
hommes.  On  lit  à  la  fin  de  quelques  chartes  -du 
comte  de  Foix  une  signature  dfe  /.  Froissart , 
ou  Jaqumat  Froissart;  c'était  un  secrétaire  du 
comte ,  et  peut-être  un  parent  de  l'historien';  et 
il  est  encore  fait  mention  dans  les  registres  du 
trésor  des  chartes,  d'une  remission  accordée  en 
1375,  à  Philebert  Froissart,  écuyer,  qui  avait  été 


DE  JEAN  FROISSART.  41 

en  la  compagnie  des  Gascons  au  pays  de  Guyenne 
sous  Charles  d'Artois,  comte  de  Pezénas. 

Pour  ne  point  interrompre  le  fil  de  la  narration 
l'ai  renvoyé  ici,  à  la  fin  de  ce  mémoire,  Texamen 
d*un  passage  des  Poésies  de  Froissart  %  qui  in- 
dique en  termes  obscurs  une  des  principales  cir-- 
constances  de  sa  yie.  Il  rappelle  les  fautes  de  sa 
jeunesse,  et  se  reproche  sur-tout  d'avoir  quitté  un 
métier  savant,  pour  lequel  il  avait  des  talents 
naturel»,  et  qui  lui  avait  acquis  une  grande  con- 
sidération (  il  paraît  désigner  l'histoire  ou  la 
poésie  ),  pour  en  prendre  un  autre  beaucoup  plus 
lucratif,  mais  qui  ne  lui  convenait  pas  plus  que 
celm  des  armes  %  et  qui  lui  ayant  mal  réussi» 
Pavait  fait  décheoir  du  degré  d^honneur  où  le 
premier  l'avait  élevé  :  il  veut,  dit-il,  réparer  sa 
faute,  et  revenant  à  ses  anciens  travaux,  â'ans- 

1  Dans  son  Buisson  de  Jeunesse,  page  338  et  suîr.  de  ses  poésies 
mss.  Cette  pièce  ^st  incontestablement  postérieareà  l*anl370,  pais- 
qolly  est  fait  mention  de  la  croisade  en  Prusse  qui  s*était  faite  oette 
année  :  mais  elle  ne  fut  composée  vraisemblablemenl  qn*encoro 
bien  long-temps  après,  puisqu'elle  est  une  des  dernières  du  recueil  qui 
fat  £ni  en  1393,  et  qn^elle  précède  immédiatement  te  Dict  du  Florin, 
composé  à  Avignoa  lorsau*il  y  repassa  en  1389;  il  s*y  donne  commo- 
un  homme  .yieux  et  chenu. 

*  Or  me  cuidajrùrop  bien  parfaire 

Pour  prerufre  ailleurs  ma  Calendise, 

Si  me  mis  en  la  marchandise. 

Où  je  suis  ossi  bien  de  taille. 

Que  d'entrer  en  une  bataille  • 

Où  je  me  tromperais  envis,  etc» 
r.338,V.oel339,R.o 


A2  YIR 

mettre  à  la  postérité  les  glorieux  noms  des  rois, 
princes  et  seigneurs,  dont  il  avait  éprouvé  la  gé- 
nérosité. DaobS  tout  le  cours  de  la  vie  de  Frois- 
sart,  je  ne  vois  aucun  temps  où  on  puisse  placer 
ce  prétendu  changement  d'état,  ni  rien  qui  puisse 
nous  faire  connaître  ce  métier  lucratif  dont  il 
parle  ,  et  que  lui-même  appelle  maroliandise. 
^expression  ne  nous  permet  pas  4'imaginer  que 
ce  fût  l'état  decuréj  quoiqu'il  ait  dit  quelque  part 
que  la  cui^e  de  Leptines  était  d'un  revenu  considé- 
rable :  serait-ce  la  profession  de  praticien  ',  ou 
celle  de  son  père  qui,  était  çamme  nous  l'avons 
*  dit,  peintre  d'armoiries  ?  Une  acception  singulière 

• 

du  mot  772ar€r^n</i^e  dans  Commines  pourrait  nous 
fournir  une  explication  plausible.  Commines  né 
dans  le  même  pays,  et  qui  n'était  pas  bien  éloi- 
gné du  temps  de  Froissart,  emploie  ce  terme  pour 
signifier  une  négociation  d'affaires  entre  des  prin- 
ces. Le  métier  de  négociatei;ir,  où  plutôt  (J^bomme 
d'intrigue,  qui  cherche,  sans  caractère,  à  pénétrer 
le  secret  des  cours,  serait  peut-être  celui  auquel 
Froissart  se  repent  de  s'être  Uvré  :  les  détails  dans 
lesquels  nous  sommes  entrés  sur  ses  différents 
voyages  ,  sur  les  longs  séjours  qu'il  a  souvent 
faits  dans  des  circonstances  critiques  auprès  de 
plusieurs  princes,  et  sur  les  talents  qu'il  avait 
pour  s'insinuer  dahs  leurs  bonnes  grâces,  me  pa- 
raissent s'accorder  avec  cette  conjecture. 


DE  JEAN  FROISSART.  43 

Extrak  étun  manuscrû  tiré  des  archives  du  chapitre 

de  Sainte  Monegunde  à  Chîmaj/y  dans  lequel  se 

retrouvent  ks  obiis  et  fondations  pieuses  faites  audit 

chapitre,  et  autres  atuiçuitez.  Folios  39   et  40  : 

«  Uobit  de  messire  Jeau  Fraissard ,  né  de  Va- 
«  lenciehnes,  chanoine  et  trésori^*  de  ladite  égalise 
»  qui  florissoit  Tan  1364,  ponrra  icjr  prendre  place 
»  pour  la  qualité  du  personnage,  comme  ayant 
»  esté  chapelain-domesticq  du  prenomé  Guy  de 
»  Ghatillion,  comte  de  Soissons  et  de  Bloisr,  sei- 
»  gneur  d'Avesne,  Simai,  Beaumont,  etc.,  qui  à 
»  aussi  esté  très-célèbre  historiographe  de  son 
»  temps,  et  a  escrit  les  guerres  et  chroniques, 
»  et  choses  les  plus  remarquables  depuis  l'an 
»  1355  jusqu'à  Tan  1400,  selon  que  luy-même  le 
»  rapporte  en  divers  lieux  de  son  histoire,  et 
»  particulièrement  au  livre  4uV  chap.S,  et  comme 
5>  aussi  se  voit  par  son  éloge,  dressé  à  sa  louange 
»  par  tel  que  s'ensuit  : 

Cognita  Romane  vix  esset  gloria  gentis, 

Phirimis  '   Aune  scrîptis  ni  decorasset  Aonos^ 

Tanti  nempe  refert  totum  scnpsisse  per  orbem, 
Quelibet  et  doctos  secla  tuKsse  viros  ! 

CommemoreiU  ah'os  alii,  super  œtherd  tollam 
Froissardunii  historié  per  sua  secla  ducemy 

Scripsitenimhistoriam  mage  sexagiata  per  annosj. 

>  il  faut  lire  sans  Aovi\e phuibus^ 


44  VIE  .. 

Toims  rmaidique  memoPanda  notai, 
Scripsù  et  ^nyiontm  Régine  gesta  Philippe 
Que  Guilîelme  ' ,  tua  tertio  '  ^juncta  toro', 

Honorarium. 
Gallorum  sublimis  hanos  et  fama  tuorum, 

Hîc  y  Froismrde ,  jaces,  si  modo  îorte  jace^^ 
Historié  vivus'  studuisti  reddere  vtiam, 
.  DeFimcto  vitam  reddet  at  illa  tiôi. 

Joamtes  Froissardus  Canonicus  et  Tesaurarius^ 
Ecclesie  Collégiale  Ste.  Manugundis  Simacis  i^etustis- 
simo  ferme  totùis  Belgii  oppido. 

Proodma  dtan  proprOs  Horebit  Francia  script is, 

Fama  ^  dvm  rcmws,  Blancaque  4  fundei  aqucLs, 

Urbis  ta  kufus  honos,  templi  sic  fama  s  çigebisy 

Teçue  ducem^hislorie  Gdllia  tota  colçt, 
Belgica  tota  cùlet  Cgmeaqhe  paliis  amabiiy 
Dum  rapidus  proprios  ScaJdis  obihit  agros^ 
Ledit  OKt  se  dit  en  Octobre. 

^  Hic  erat  HoUandiœ  et  Bannoniœ  Cornes,  F«ttfe  du  foète,  Phi- 
lippe, reiae  d*ADçleterre,  élali  fille  de  Guillaume  II If  comte  d» 
Haynant,  et  femme  d*Ëdouard  lU. 

a  Je  erois  qa*il  faut  lire  terUa  an  lieu  de  tertio, 

3  La  Fai^ne  de  Chimay,  petite  forêt  qui  en  dépend. 

4  La  Blaoche-ean»  rWière  qui  passe  à  Chimay. 


DE  JEAN  FROISSART.  45 

MÉMOIRE 

CONGIRNANT 

LES  OUVRAGES  DE  FROISSARf , 

*n    PAB  M.  DB  LA   CUBNI. 

Sommaire  des  matières  qui  sont  contenues  dans  ce 

mémoire. 

I.  Plan  général  4o  l'Histoire  de  Froissarf. 

II.  Plan  particulier  de  cette  histoire* 

III.  Dtrision  des  ^aatre  livres  de  celle  histoire  en  chapi*- 
très,  et  celles  da  premier  de  ces  livres  en  plqsieurs 
parties. 

ly.  Froissart  avait-il  fait  ces  divisions  ? 

y.  Des  temps  pendant  lesquels  Froissart  travailla  à  la  com- 
position de  son  histilîre. 

yi.  Des  recherches  que  Froissart  avait  faites  pour'  écrire 
son  histoire,  et  des  soins  qli*il  s'élait  donnés  à  ce  sujet. 

yil.  Quel  hut  Froissart  s'était  proposé  en  écrivant  This- 
toire,  et  Quelles  règles  il  s'était  prescrites  pQur  l'écrire» 

ylll.  De  la  Chronologie  de  Froissart. 

lî.  J)es  trente  premières  années  dont  Froisart  a  traité  an 
commencement  de  son  histoire,  d'après  Jehan  le  Bel, 
savoir  depuis  1326  jusqu'à  I3d& 

La  vie  de  Froissart  a  fait  le  sujet  du  dernier 
mémoire  '  :  je  vais  dans  celui-ci  donner  l'his- 
toire de  ses  ouvrages,  tant  imprimés  que  manus- 

>Ces  mémoiref  ont  été  lus  dans  i^Acadéinie  des  inscriptions  ;  le  pre- 
mier était  contenadans  le  tome  x,  le  second  mémoire  est  inséré  dans  le 
tome  xm  de  TAcadémie  des  inscriptions  et  belles  lettres . 


46  VI& 

crits,  soit  en  prose,  soit  en  vers  j  et  je  ren- 
drai compte,  le  plus  fidèlement  que  je.  pourrai, 
de  tout  ce  qu'ils  contiennentv  Peut-être  sem- 
blera-t-il  que  j'ai  poussé  les  détails  un  peu  trop 
loin  r  mais  j'ai  cru  devoir  une  attention  parti- 
culière à  un  historien  qui  seul  en  vaut  Un  grand 
nombre  d'autres,  par  l'importance  des  matières 
qu'il  a  traitées  j  et  par  la  durée;  des  temps  dont  il 
nous  a  laissé  l'histoire.  Je  me  suis  aperçu  d'ail- 
leurs, que  l'auteur  avait  répandu  daris  son  ou- 
vrage beaucoup  de  faits,  qui  servent  à  éclaircir 
d'autres  faits  précédents j  et  que,  faute  d'en  avoir 
été  prévenu,  il  m'était  souvent  arrivé,  ou  d'ê- 
tre arrêté  dans  ma  lecture,  ou  de  n'ien  pas  tirer 
tout  le  fruit  que  j'aurais  pu  :  c'est  ce  qui  m'a  fait 
sentir  le  besoin  qu^auraienl  ceux  qui  liraient 
Froissart  d'avoir  cet  éclaircissement  Pour  leur 
applanir  les  difficultés,  et  leur  donner  difes  règles 
qui  pussent  les  conduire,  j'ai  fâché  de  faire  ce 
que  j'aurais  voulu  avoir  trouvé  tout  fait,  quand 
j'ai  Commencé,  à  lire  cet  auteur  :  car  je  ne  me 
propose  pas  seulement  de  donner  une  idée  de  nos  . 
historiens,  qui  satisfasse  ceux  qui  auront  sim- 
plement  la  curiosité  de  les  çôûnaîtrej  mon  ob- 
jet est  que  ces  mémoires  '  servent  d'introduction 
à  ceux  qui  voudroîit  en  entreprendre  la  lecture  , 

I  Iqsérés  successivement  cTans  les  mémoîfes  de  TAcadémie  des  Bel- 
les-lettres. 


DE  JEAN  FROISSART.  47 

«t  qu^ils  la  leur  rendent,  autant  qu'il  se  pour- 
ra, plus  aisée,  plus  intéressante  et  plus  instruc- 
tive. 

h 

Plan  gênerai  dé  son  kisloire. 

L'histoire  .que  Froissart  nous  a  laissée ,  s'étend 
depuis  l'an  1326  jusqu'en  1400.  Elle  ne  se  borne 
pas  aux  événements  qui  se  sont  pas$és  en  France 
dans  ce  long  espace  de  temps;  elle  comprend  dans 
i;n  détail  presque  aussi  grand,  €e  qui  est  arrivé 
de  considérable  en  AngleteiTe,  en  Ecosse,  en  Irlan- 
de, en  Flandres.  On  y  trouve  encore  une  infinité 
de  particularités  touchant  les  affaires  des  papes  de 
Rome  et  d'Avignon,  touchant  celles  d'Espagne, 
de  Portugal ,  d'^Allemagne ,  ^  d'Italie ,   quelquefois 
même  de  la  Pi'usse,  de  la  Hongrie,  de  la  Turquie, 
de  l'Afrique,  des  autres  pays  d'outre-mer,  enfin, 
de  presque  tout  le  monde  connu.  Mais  cette  mul- 
titude immense  de  faits  «i  différents  les  uns  des 
autres,  dont  l'ordre  chronologique  n^est  pas  bien 
débrouillé,  ne  présente  souvent  au  lecteur  qu'un 
mélange  confus   d^événeménts  passés  en   divers 
temps  et  dans  divers   pays,  dont  il  ne  peut    se 
faire  aucune  idée  distincte,  et  parmi  lesquels  sa 
mémoire  ne  saurait  rapprocher  tant  d'objets  épars 
qui  ont  entre  eux  une  liaison  nécessaire.  On  trou- 
vera à  la  fît!  de  ce  mémoire,  une  indication  abrégée 


48  VIE 

des  principaux  faits  qui  sont  rapportés  dans  tout 
le  cours  de  cette  histoire;  et  ajin  de  remédier, 
du  moins  en  partie,  au  désordre  qui  règne  dans 
la  disposition  de  ces  événements,  je  les  distri- 
buerai chacun  dans  la  classe  qui  leur  convient, 
en  marquaiit  les  chapitres  qu'il  faut  lire,  pour 
voir  de  >  suite  l'enchaînement  des  causes  d'une 
même  nature^  ainsi  que  l'histoire  d'un  même  pays 
et  d'une  même  nation.  Je  ne'puîs  entrer  ici  dans  un 
détail  bien  étendu.  Pour  ne  rien  laisser  à  désirer, 
il  faudrait  sur  chaque  article,  faire  des  l^nvois 
exacts  de  tous  les  passages  qui  précèdent  à  tous 
ceux  qui  les  suivent,  et  de  ceux-ci  à  tous  les 
précédents  j  mais  ce  travail  ne  peut  s'exécuteï"  que 
sur  ï'originai  même. 

11- 

Plmk  particulier  de  tbistovre  de  Praissart. 

L'histoire  de  Froissart  est  divisée  en  quatre 
livres,  dans  tous  .les  imprimés  et  dans  tous  les 
manuscrits. 

Le   premier   commence  par  le  couronnement 

d'Edouard  III,  roi  d'Angleterre,  en  1326^  et  par 

l'avénément  de  Philippe  de  Valois  à  la  couronne 

de  France  en  1328.  11  finit  à  Tan   1379  inclusi- 

.vement. 

Froissart  reprend,  dans  le  second  livre  j  l'histoire 


DE  JEAN  FROISSART.  49      n 

tles  trois  dernières  années  du  livre  précédent, 
d^une  manière  plus  étendue  quHl  n^avait  fait 
d^aboîrd,  en  ayant  été  mieux  informé  depuis.  Il 
continue  jusqu^à  la  paix  des  Gantois  aviec  le 
duc  de  Bourgogne,  dont  le  traité,. qui  se  trouve 
au  pénultième  cbapitre  de  ce  livre^  est  daté  du 
18  décembre  I38S. 

Le   troisième  livre  remonte  jusqu'à  Fan  1382 
inclusivement,  reprenant  le  xécit  de  quelques  faits 
dont  il  avait  été  fait  mention  dans  le  second.  Les 
événements  de  ces  quatre  dernières  années,  dont 
on  avait  déjà  vu  l'histoire,  sont  tellement  détail- 
lés   dans   le  troisième   livre,  qu^ils  en  remplis- 
sent les  32  prenuers  chapitres.  Le  reste  Qgt  em- 
ployé à  rhistoire   des  aftnées  suivantes    jusqu'à 
l'année  1389  finissant  à  la   trêve  conclue  pour 
trois  ans  entre  la  France  et  F  Angleterre,  et  aux 
préparatifs   qui  se  faisaient  pour  Tentrée  de   la 
reine  Isabelle  de  Bavière  dans  Paris ,   dont  l'au- 
teur  promet  de  parler  dans  la  suite. 

Le  quatrième  livre  commence  par  le  récit  des 
fêtes  et  des  magnificences  qui   furent  faites  pour  ^ 
cette    entrée  ,    et  finit  au  détrônement    et  à  la 
mort  de  Richard  II,  roi  d'Angleterre  en    1400  , 
•et  à'  l'élection  qui  fut  faite  la  même  année,   de 
Robert   empereur   d'Allemagne.   Ces  événements 

FKOISSART.  T.   XVI.  4 


50  VIE 

terminent   les  deux  derniers  chapitres  de   tout 
l'ouvrage. 

Cette  manière  de  diviser  l'histoire  de  Frois- 
sart,  est  la  même  dans  tous  les  manuscrits  et 
dans  tous  les  imprimés  j  mais  ces  divisions  ne 
commencent  et  ne  finissent  pas  toujours  aux  mê- 
mes endroits  dans  tous  les  exemplaires.  Je  ren- 
drai compte  de  ces  variations,  qui,  à  la  vérité, 
ne  sont  pas  bien  considérables,  dans  l'article  où 
je  traiterai  des  différents  imprimés  ou  manus- 
crits de  Froissart,  que  j'ai  eus  entre  les  mains. 

III. 

Bwkion  des   quatre  Rvres    Ae  Froissart  en  chapi- 
tras ^  et  du  premier  Hçre  en  plusieurs  parties. 

Les  quatre  livres  de  l'histoire  de  Froissart 
se  subdivisent  chacun  en  un  grand  nombre  de 
chapitres,  qui  sont  diversement  répartis,  suivant 
les  différents  manuscrits  et  les  différents  impri- 
més :  mais,  outre  ces  divisions,  dans  un  grand 
nombre  de  manuscrits,  il  s'en  trouve  encore  une 
autre,  qui  est  particulière  au  premier  livre.  Les 
uns  le  partagent  en  quatre  livres  ou  parties,  les 
autres  en  six,  et  quelques-uns  en  huit.  J'en  ren- 
'drai  compte  lorsque  je  parlerai  des  manuscrits 
de  Froissart.  C'est  dans  quelqu'une  de  ces  qua- 
tre ,  six    ou   huit   divisions    du    premier   livre , 


DE  JEAN  FBOISSART.  51 

Tju^on  doit  chercher  où  se  terminait  la  partie  de 
rhistoire  de  Froissart,  que  cet  auteur  porta  çn 
Angleterre,  et  qu'il  présenta  à  la  reine  Philippe 
de  Haynàult  Elle  précède  nécessairement  les  li- 
vres ou  parties ,  dans  lesquelles  la  mort  de  cette 
reine,  arriyée  en  1369,  se  trouve  rapportée;  elle 
précède  de  même,  si  je  ne  me  trompe,  tout  ce 
qui  se  lit  avant  Fan  1367,  où  il  était  Qerc  de  la^ 
chamhre  de  la  reine  d'Angleterre  •.  car   je  crois 
cfue  ce  fut  l'histoire  qu'il  lui  présenta,  qui  le  fit 
connaitue ,  et  qui   lui   mérita    ce   titre  dans    la 
maison  de  cette  princesse.  On  ne  peut  douter  non 
plus  qu'elle  ne  soit  postérieure  au  récit  de  la  ba- 
taille-de  Poitiers  en  1356,  puisque  ce  n'est  que 
depuis  cette  époque  que  Froissart  a  commeticé 
d'écrire.  U  ne  faut  donc  la  chercher,  ni  avant,  ni 
après  les  années    1357  ,  1858  ,   135»  ou   1360  : 
Je  me  déterminerais  volontiers  pour  l'année  I360j 
c'est  celle  où  se  conclut  k  traité  de,  Bretignjy 
qui  pacifia  les^  Français  et  les  Anglais.  Ce  temps 
s'accommode  assez  bien  avec  celui  auquel  il  me 
paraît  que  notre  historien  dut  passer  en  Angle- 
terre; la  circonstance  de  la  paix  mettait  une  in- 
terruption assez  naturelle  à  une  histoire  qui  sem- 
blait n'avoir  d'autre  objet  que  de  traiter  des  faits 
qui  concernaient  la  guerre.  Le  second  et  le  troi- 
sième livre  se  terminent  pareillement ,    l'un    à 
la  paix  du  duc  de  Bourgogne  avec  les  Gantois, 

r 


52  -     VIE 

en  1385,  l'autre  à  celle  des  Français  avec  les 
Anglais ,  en  1387.  Froissart  discontinua  encore 
d'écrire  en  1392,  et  pendant  les  années  sui^ 
vantes,  qui  se  passèrent  en  différentes  trêves 
faites  successivement  entre  les  Français  ef  les 
Anglais,  et  dont  il  ptofita  en  ISSA,  pour  aller  en 
Angleterre,  où  il  n'avait  point  été  depuis  vingt- 
sept  ans. 

IV. 

Frois^art  avail-û  fait  ces  dmsians  ? 

On  pourrait  demander  si  Froifsart  avait  divisé 
lui-même  son  histoire,  de  la  manière  que  je  viens 
de  dire.  Je  ne  doute  point  qu'il  ne  soit  l'auteur 
du  partage  en  quatre  livres.  Outre  qu'il  ôe 
trouve  dans  tous  les  manuscrits,  à  remonter  jus- 
qu'à ceux  de  son  temps,  lui-même  citant  quel- 
quefois 4^ns  un  de  ces  livres,  des  faits  qu'il  a 
rapportés  dans  les  précédents ,  use  de  ces  termes  '  ; 
Comme  il  est  contenu  cy --dessus  en  nostre  histoire*  Ou 
de  ces  autres  '  ;  Vous  smez,  et  il  est  ci-dessus  con^ 
tenu  en  nostre  disto^e.  Mais  pour  la  subdivision  du 

>  Ils  se  lisent  an  ch.  3»  du  neuvième  volume,  p.  237»  en  parlant  des 
traités  de  Bretlçny  et  de  Calais  dont  il  a  fait  mention  dans  le  premier 
livre.  .  ' 

>  On  les  voit  an  commencement  dn  cb.  31.  p.  23 !•  du  treizième  vo- 
lume, dans  les  quinze  premières  lig^nes,  qui  se  trouvent  placées  dan^' 
un  ^and  nombre  île  manuscrits»  à  la  iéie  de  ce  même  Volume. 


DE  JEAN  FBOISSABT.  53 

piemier  livre  en  quatre,  six,  on  huit  livres,  on 
ne  la  voit  po^nt  dans  les  manuscrits  les  plus  an- 
ciens  :  d'ailleurs  elle  n^est  pas  uniforme  dans  ceux 
où  elle  se  trouve  :  ainsi  j&  n'héaîtè  point  à  croire 
qu'elle  est  l'ouvrage  des  copistes  qui  sont  venus 
dans  la  suite. 

A  l'égard  des  chapitres  de  chaque  livre,  et 
des  titres  de  ces  chapitres,  on  ne.  les  rencontre 
que  dans  les  imprimés,  ou  dans  leis  manuscrits  du 
temps  des  imprimés  et  postérieurs;  elle  y  est  dif- 
férente suivant  ces  manuscrits  ou  imprimés,  et  je 
ne  vois  nulle  apparence  que  Froissart  en  soit  Fau- 
teur. Un  seul  passée  pourrait  faire  quelque  diffi- 
culté à  ce  sujet: il  se  trouve  au  premier  volume, //ûyr 
116^  de  l'édition  de  Sauvage  où  Thistorien  renvoie 
au  chapitre  précédent;  mais  ce  passage  est  évidem- 
ment interpolé.  Quoiqui'il  se  lise,  à  la  vérité,  dans 
les  trois  éditions  gothiques  et  dans  «elles  de  Sau- 
vage, il  ne  se  trouve  dans  aucun  d^s  manuscrits  que 

î'ai  vus,  à  l'exception  d'un  seul  de  la  bibliothèque 
du  roi,  no  8321,  qui  est  de  la  fin  du  XV.*  siècle,  et 
l'un  des  inoins  auth^entiques  que  nous  ayons. 

V. 

D&s  temps  pendarU  lesquels  Fr&issart  inwattla  à  la 
compoj^ian  de^s&ii  histoire. 

m 

La  principale  de  ces  divisions,  celle  qui  partage 
rhi^tôire    de    Froissart  en  quatre  livres,  sert  à 


51  VIE 

marquer  autant  d'époques  différentes,  auxquelles 
il  s'est  arrêté  dans  le  cours  de  son  ouvrage;  soit 
parce  que  la  matière  lui  manquait,  ajrant  con- 
duit sa  narration  jusqu'au  temps  où  il  écrivait; 
soit  qu'il  voulût  prendre  quelque  repos  ou  en  don- 
ner à  ses  lecteurs.  Mais  ces  endroits  ne  sont  pas 
les  seuls  où  Froissart  a  suspendu  le  cours  de  son 
histoire  :  on  en  remarque  encore  plusieurs,  dont  je 
.tâcherai  de  fixer  la  date,  ainsi  que  des  autres, 
autant  qu'il  me  sera  possible.  Avant  que  d'enfrei" 
dans  cet  examen,  je  m'explique  sur  la.  manière 
dont  j'entends  que  Froissart  discontinua  de  tra- 
vailler a  son  histoire.  Ce  que«j^'ai  dit  de  sa  per- 
sonne, nous  le  fait  voir  continuellement  occupé  de 
cet  objet;  et  plus  de  quarante  années  de  sa  vie,  à 
commencer  dès  l'âge  de  vingt  ans ,  se  passent  dans 
ce  travail  :  mais  dans  un  s*  long  espace  de  temps, 
il  en  est  un  qui  appartienif  plus  directement  à  la 
composition  de  son  ouvrage;  c'est  celui  auquel, 
après  avoir  fait  de  grands  voyages  et  beaucoup  de 
recherches,  il  rassçmbla  ses  matériaux,  les  mit  en 
ordre,  et  en  forma  une  suite  d'histoire,  telle  que 
nous  l'avons  aujourd'hui.  Comme  il  y  a  travaillé  à 
plusieurs  reprises,  je  tâcherai  d'assigner  à  cha- 
cune de  ces  parties*  le  temps  qui  lui  convient,  et 
de  déterminer  quand  elle  fut  commencée  et  ache- 
vée, combien  d'années  l'auteur  y  employa,  et  les. 
intervalles  pendant  lesquels  il  discontinua  d'écrire.  • 


DE  JEAN  FROISSART.  55 

Je  crois  tous  ces  détails  essentiels.  Froissart  par- 
courut beaucoup  de  pays,  dans  plusieurs  desèpels 
il  séjourna  un  temps  considérable^  il. fut  attaché 
en  différents  temps  à  des  cours  dont  les  intérêts 
étaient  fort  ôpposésj  il  fréquenta  un  grand  nom- 
bre de  princes  et  de  seigneurs  de  divers  partis.  11 
serait  bien  difficile  qu'il  rie  se  fût  pas  laissé  pré- 
venir, ou  d'affection  pour  les  uns,  ou^  de  haine 
pour  les  autres^  et  qu'il  se  fût  toujours  défendu 
<le  l'illusion  de  la  prévention,  d#nt  la  bonne  foi 
ne  sert  souvent  qu'à  nous  rendre  plus  suscepti- 
blés.  Si  l'on  veut  se  rappeler  les  circonstances^  de 
la  vie  de  notre  historien,  rapportées  dans  mon 
premier  mémoire ,  et  qu'on  les  rapproche  des 
temps  auxquels  il  travailla  à  la  composition  des 
différentes  parties  de  son  histoire,  non-seulement 
on  Verra  les  instructions  qu'il  avait  été  en  état 
de  prendre,  tant  par  rappprt  aux  lieux,  que  par* 
rapport  aux  personnes  qu'il  avait  vues^  mais  on 
jugera  encore  des  partis  auxquels  on  peut  le  soup- 
çonner d'avoir  incliné.  Ces  connaissances  une  fois 
bien  établies,  seront  d'uji  grand  secours  pour 
faire  apprécier  plus  au  juste  les  différents  degrés 
d'autorité  qu'il  mérite,  suivant  les  différentes  ma- 
tière^ qu'il  a  traitées,  et  les  temps  auxquels  il 
les  a  traitées.  Sans  qu'il  soit  besoin  de  m'expliquer 
davantage  à  ce  sujet,  tout  lecteur,  pourra  faire 
l'applicatio^  de  cette  règle,  à  mesure  qu'il  âvan- 


56  VIE 

cera  dans  la  lecture  de  Froissart  :  elle  lui  ser- 
vira de  guide  à  chaque  pas;  elle  le  garantira  de 
Terreur  ou  de  la  séduction,  soit  que  l'historien  ait 
été  mal  informé  y  soit  ^uHl  ait  voulu  en  imposer 
à  ses  lecteurs,  s^il  est  vrai  quHl  en  ait  été  capable. 

Le  premier  livre  de  Froissart  comprend,  com- 
me je  Tai  dit,  l'histoire  depuis  l'an  1326,  jusqu^à 
Fan  1379.  Cet  espace  renferme  le  temps  de  son 
voyage  en  Angleterre  :  temps  auquel  on  doit  né- 
cessairement supposer  qu'il  avait  discontinué  son 
histoire;  car  il  la  regardait  alors  cômmç  étant 
achevée  en  cette  partie,  puisqu'il  dit  qu'il  la  porta 
en  Angleterre,  où  il  la  présenta  à  la  reine.  Elle 
finissait,  comme  je  Fai  déjà  dit,  vers  l'an  I360j^ 
et  comme  on  a  vu  aussi  qu'elle  était  achevée  en 
136 1 ,  et  qu'il.ne  l'avait  commencée  qu'environ  l'an 
1357,  il  est  évident  que  Froissart  n'a  guère  em- 
ployé plus  de  3  ou  4  ans  à  la  composition  de  cette 
partie,  qui  est  néanmoins  une  de  celles  qu'U  me 
paraît  avoir  le  plus  travaillées. 

Une  sorte  de  liaison  que  je  trouvé  *  entre  plu - 


*  Froissart  ayant  rapporta  sons  Tan  1364,  que  la  paix  avait  é\é  &iie 
en  Bretagne,  proMt  de  traiter,  dans  la  suite,  de  la  rupture  de  cette 
paix,  qu'^arri?a  depuis.  L^histoire  de  cette  rupture  se  lit  sops  Fannie 
1373, at  le  récit  des  guerres  qui  s*eusuÎTÎrent,  continue  jusqu^à  la  fin 
de  ce  premier  livre. 

Comparez  pareillement  ce  qu*on  lit  sous  Tan  1373,  avec  ce  qui 
«si  .rapjopté^  sous  Tan  1377  au  même  livre. 


DE  JEAN  FROISSART.  57 

sieurs  chapitres  du  reste  de  ce  premier  livre , 
dont  les  premiers  annoncent  d'autres  chapitres 
fort  éloignés,  me  persuade  que  ce  reste  a  été 
composé  tout  de  suite  sans  aucune  interruption, 
et  que  par  conséquent  Tauteur  ne  commença  à 
écrire  que  vcts  Fan  1379,  puisquHl  finit  par  le 
récit  des  événements  de  cette  année.  En  effet, 
je  crois  que  pendant  le  t^mps  qu'il  passa  au 
service  de  la  reine  Philippe  de  HaynaUlt,  depuis 
I36I  jusqu'à  I39é,  il  fut  plus,  occupé  à  faire,  par 
ses  ordi^es,  des  poésies  galantes  et  des  vers^amou- 
reux,  qu'à  travailler  àPhistoirej  et  que  quoique 
dans  ses  différents  voyages,  dont  plusieurs  ne 
furent  faits  qu'après  la  mort  de  cette  princesse*, 
il  songeât  toujours  à  s'informer  de  l'histoire  de 
son  temps,  iln^vait,  au  milieu  d'une  vie  toujours 
agitée,  ni  assez  de  loisir,  ni  Ijesprit  assez  libre, 
pour  l'écrire.  11  employa  trois  ou  quatre  an»  à 
composer  cette  dern\ère  moitié  de  son  premier 
livre  :  car  on  va  voir  que  le  Kvre  suivant , 
auquel  il  ne  travailla  pas  aussitôt  après ,  fut 
composé  depuis  1385.  Quoique  Froissart  ait 
écrit  le  premier  livre  à  deux  reprises  différentes, 
il  paraît  que  la  préface  qui  eàt  à  fa  tête  ne 
fut  faite  qu'après  qu'il  eut  été  entièrement  ache- 
vé ,  puisque  hauteur  y  parle  de  son  voyage  en 
Ecosse ,    où  il  n'alla   qu'après   avoir  présenté  la 


58  VIE 

première    moitié  de  ce  livre  à  la  reine  d'Angre- 
terre. 

On  ne  .trouvé  aucune  interruption  sensible  dans 
tout  le  cours  'du  second  livre  :  l'auteur  en  em- 
ploie les  trente  premiers  chapitres  à  reprendre 
les  événements  des  trois  dernières  années  du 
livre  précédent ,  qui  avaient  été  rapportés  trop 
succinctement.  U  y  â joute' de  nouveaux  faits  du 
dé  nouvelles  circonstances,  à  ceux  dont  il  avait 
parlée  ou  bien  il  en  rectifie  la  narration,  comme 
en  ayant  été  mieux  informé  depuis  :  et  c'est  d'où 
je  tire  ma  preuve  qu'il  y  eut  quelque  intervalle 
entre  •  la  composition  du  premier  livre  .  et  celle 
du  livre  suivant.  Après  ces  trei^te  premiers  cha- 
pitres, il  reprend  le  fil  de  son  histoire,  qu'il 
conduit  jusqu'à  la  paix  que  les  Gantois  obtinront 
du  duc  de  Bourgogne,  et  dont  il  rapporte  le  traité 
original,  daté  du  18  décembre  1385.  C^est  dont 
vers  l'année  1386  que  le  second  livre  de  Frois- 
sart  commença  à,  être  composé  ,  il  était  achevé 
en  1388.  Cette  même  année  il  alla  chez  le  comte 
de  Foix.  Dans  le  récit  qu'il  fait  de  son  voyage, 
il  dit  que  quelques  personnes  lui  rappelaient  des 
événements  dont  il  avait  parlé  dans  son,  histoire  f 
et  ces  événements  se  lisent  dans  le  second  livre, 
qui  fut,  suivant  les  apparence^,  écrit  tout  de 
suite. 

On   trouve  une  interruption  de  plus  de  douie 


DE  JEAN  FROISSART.  59 

ans  entre  Ja  composition  de  ce  livre  et  celle  du 
suivant;  car  Fauteur  ne  commença  celui-ci,  qui 
est  le  troisième,  qu^en  1360  '.  Alors  il  écrivait  par 
Tordre  et  aux  gages  du  comtq  de  Blois;  il  le  dit 
expre^ément  au  commencement  et  au  chapit^ 
89,  page  151^  tome  XL  Rien  n^empêche  ^qu'on  ne 
puisse  croire  que  le  livre  précédent  avait  été 
composé  par  les  ordres  du  même  comte,  puisque 
j'ai  dit  dans  mon  premier  mémoire,  queFroissart 
me  paraiissait  avoir  été  attaché  à  son  service  dès 
Tan  1385.  Le  troisième  livre  ,  qui  remonte  jus- 
qu'aux événements  qui  s'étaient  passés  depuis 
l'an  1382,  et  qui  leur  donne  plus  d'étendue ,^  ayant 
été,  comme  je  viens  de  le  dire,  commencé  en 
1390,  était  déjà  achevé  en  1393.  L'auteur  le  fait 
assez  entendre  dans  l'endroit  où  il  parle  des 
conventions  que  le  duc  de  Bretagne  avait  faites 
avec  le  roi  de  France  :  il  dit  que  dans  le  temps 
qu'il  finissait  ce  livre,  le  duc  les  '  av^dt  ol^^ervéés 


>  Froîssart  dît  formellement  au  chapitre  27,  page  234  dadixième  vo- 
lume ,  qa*il  écrivait  cette  Chronique  Tan  1390 ,  et  il-  le  confirme  encore 
dans  la  suite,  pnisqu'ayant  achevé  le  récit  du  voyagfe  qu*il  lit  à  MideU 
hourg  en  Zélande  vers  Tan  1390»  pour  sMuFormer  de  Thistoire  des 
g^nerres  dePortug[al,  il  dit  qu'il  s'en  retourna  depuis  en  son  pays;  à 
quoi  il  ajoute  au  chapitre  28^  p.  49  de  ce  même  volume  :  Si  ouvray 
et  besongnay  sur  les  pàroUes  et  relations  Jailes  du  gentU  chevalier 
messire  Jehan  Ferrand  Perceck(Pacheco)  et  croniquay  tout  ce  qu'^ès 
royaumes  de  Portugal  et  de  CastiUe  est  advenu  jusques  à  tan  dé 
grâce  mil  trois  cent  quatre  vingt  et  dix. 


60  VIE 

fidèlement,  et  n'avait  rien  fait  jusque^à  qui  mé- 
ritât d*être  rapporté *.•  On  verra  dans  la  suite,  en 
1393,  la  désobéissance  de  ce  duc,  qui,  après  avoir 
reçu  chez  lui  Pierre  de  Craon  criminel  d'état,  ré- 
4sta  ans:  ordres  que  Charles  VI  lui  dpnna  dé  le 
lui  renvoyer.  Tout  ce  volume  me  paraît  avoir  été 
composé  de  suite  j  du  moins  on  y  voit  une  liai- 
son sensible  entre  plusieurs  chapitres  éloignés  les 
uns  des  autres. 

I^'interruption  qui  se  trouve  du  troisième  au 
quatrième  livre,  me  semble  avoir  été  faite  pour 
donner  du  repos  au  lecteur  plutôt  qu'à  l'historien  : 
car  Froissart,  en  finissant  le  troisième  livre,  an- 
nonce les  faits  qui  font  la  matière  du  commence- 
ment du  livre  suivant.  Je  crois  que  l'historieîi 
passa  tout  de  suite  de  la  composition  du  troisième 
livre  à  celle  des  cinquante  premiers  chapitres  du 
quatrième  ,  qui  se  terminent  aux  événements  dje 
ranpée.139^.  On  grand  nombre  de  manuscrits,  et 
les  éditions  gothiques,  qui  ne  font  commencer  le 


'  >  Voici  le  passage  entier.  Froissart  ayant  dît  au  cha^.  113,  pa^.  3<^3 
da  onzième  volume,  que  le  doc  de  Bretagne  qui  éiait  venu  à  Paris,  oit 
il  avait  fait  plosièurs  promesses  au  roi  en  1388,  s'en  retourna  enfin  à 
Nan  tés ,  ajoute  :  Nous  nous  souffrirons  (c^est-à-dlre,  nbus  discont  i  nne- 
rons)àparlerduiàu:  de  Bretagne  y  car  Urne  semùle  quHlà  bien  tenu  son 
èonvenantauroiy  et  à  ses  oncles  f  eirCnfaitchosequiàranientevoir 
Jasse,  ni  rCavoitfiit  au  jour  que  je  doï  ce  livre  ;  je  ne  say  s'^ilen  fera 
nulle;  sHlenfaitfen  parlerai  selon  ce  tjutfen  saurajr. 


DE  JEAN  FROISSART.  61 

quatrième  livre  qu'après  les  cinquante  premiers 
chapitres ,  forment  un  pré  j  ugé  très-naturel  en  faveur 
de  cette  opinion.  D'ailleurs,  depuis  Tannée  1392  oik 
ils  finissaient,  deux  ans  se  passèrent  en  négociations 
continuelles  entre  les  Français  et  les  Anglais,  peu* 
dant  lesquels  on  fit  plusieurs  trêves  de  peu  de  du** 
rée,  qm  aboutirent  enfin  à  une  paix  ou  trêve  de 
quatre  ans.  On  ne  peut  douter  que  Froissart  n'ait 
alors  interrompu  son  histoire^  puisque  c'est  le 
temps  auquel  il  fit  son  voyajge  en  Angleterre,  où- 
il  séjourna  trois  mois.  Je  crois  que  cette  interrup- 
tion fut  considérable,  parce  que  le  reste  du  qua- 
trième livre ,  qui  me  paraît  'avoir  été  écrit  tout 
de  suite,  ne  fut  composé,*  si  je  ne  me  trompe, 
que  plusieurs  années  après  ce  voyage,  c'est-à-dire, 
à  la  fin  du  Xiy.' siècle,  ou  au  commencement  du 
XV.*  On  y  lit  des  événenlents  qui  apjiartiennent 
aux  années  1399,  et  1400.  Je  ne  vois  rien  qui 
puisse  nous  faire  juger  de  la  durée  du  temps 
que  l'auteur  avait  donné  à  la  composition  de 
cette  dernière  partie.  » 

H  est  à  propos  de  faire  une  observation  géné- 
rale, au  sujet  des  interruptions,  dont  je  viens  de 
parler,  et  dont  j'ai  tâché  Ae  déterminer  le  temps. 
Lorsque  notre  historien,  finissait  une  des  parties 
de  son  histoire,  il  la  conduisait  toujours  jusqu'au 
temps  auquel  il  écrivait^  et  sur  la  fin,  il  rappor- 
tait les  événements  à  mesure  qu'ils  se  passaient  : 


62  VIE 

d'où  il  arrive,  ce  me  semble,  qu'on  y  trouve  plus 
de  confusion,  souvent  même  des  omissions  iet  des 
inéprises ,  qu'il  a  été  obligé .  de  suppléer  ou  de 
relever  dans  la  partie  suivante.  Ce*  sont  apparem- 
ment ces  divers  suppléments  qui  lui  font  prendre 
dans  plusieurs  endroits  le  titre,  non  seulement 
à^mUeur^  c'est-à-dire  auteur ,  mais  encore  celui 
Ôl  augmenlateur  de  cette  histoire,  et  qu^il  dit  dans 
d'autres  endroits,  l'avoir  emjirise,  poursuivie  èl 
mymerUée.  '  /     : 

VI. 

».  •  .  ' 

Des  recherches  que  Frais sart  avait  faites  pour  ecînre 
r histoire^  et  des  soins  qu'il  s'était  dmhésû  ce  stget. 

On  â  vu  dans  mon  précédent  -mémoire,   avec 
.  combien  de  peines  et  de  fatigues  Fi»oissart  avait 

»  Froissart  commence  le  cînqnanlièmé  chapitre  da  troisième  livre 
de  son  histoire ,  JMir  ce»  mots  :  En  si  grande  et  si  noble  histoire  comme 
ceste  est,  doni  J^  ^^^e  Jehan  Froissart f  ay  esté aa^nenùUeur  H  reci- 
leur,  etc. 

Sous  ranI388,chap.I03,p.2Cl,t.XI,ildit:/^«McteMr;e/a«g. 
menUUeur  de  ce  Uvre^  pour j:e's Jours  festoyé  sur  lesfiondères  de  ce 
pays  de  Berry  et  de  Poictou  %  la  comté  de  Bfojs,  de  lez  montres 
cherei  honoré  seigneur  lecomte  Guide  Blois,  pour  lequel  cesiehisipire 
estemprise,pàursuivie  et  augmentée. 

Parlant  de  la  catastrophe  àe  Richard  If  *  r<^i  d'Ançlolerre,  aj|. 
née  1299,  ïldiï  :  Pourtant  que  fay  dictée,  ordonnée  et  augmentée 
a  mon  l(^al  pouvoir  ^ste  histoire,  jeVescry  pourdonner  ôoghois- 
sance  qu'il  dei^inU 


DE  JEAN  FROISSART.  63 

visité  la  plupart  des  cours  de  TEurope.  Admis 
chez  les  plus  grands  seigneurs  %  et  s'insiquant 
dan^  leur  confiance,  au  point  de  mériter,  non- 
seulement  qu^ils  lui  racontassent  plusieurs  dé- 
tails, soit  de  leur  vie,  soit  des  événements  dont, 
ils  avaient  été  témoins,  ou  auxquels  ils  avaient 
eu  part,  mais  qu'ils  lui  découvrissent  même  quel- 
quefois le  secret  des  résolutions  prises  dans  les 
conseils  les  plus  intimes,  et  sur  les  affaires  les 
plus  importantes,  il  n'avait  pas  moins  d'attention 
à  profiter  des  entretiens  de  ceux  à  qui  il  pouvait 
parler,  et  qu'il  pouvait  interroger  avec  plus  de 
liberté  \  Il  paraît  qu'il  avait  été .  instruit  de  quel- 
ques particularités  de  la  cour  de  France,  par 
des  domestiques    même  du  roi,  et  par  ceux  qui 


.  >  Qa  lit  dans  le  ?ro1.  de  son  premier  litre  :  Frayestquejequi 
ay  empris ce  livre  à  ordonner,  aypear  plaisance ,  qui  à  ce  nCa  toujours 
endinéj  fréquenté  plusieurs  nobles  et  grands  seigneurs  tant  en 
Prtmce  qu*en  Angleterre,  en  Ecosse  ien  Bretagne  ,nj(m\ea\  qoelqnet 
■liSS.)  et  en  pbisienrs  mitres  pays,  et  ay  eu  la  côgnoissance  d'eux , 
et  ay  toujours  à  mon  pouvoir  justement  enquis  et  demandé  du  fait 
des  guerres  et  des-aventures,  et  par  e spécial  depuis  h  grosse  Bataille 
de  Poictiers  ou  le  nobh  roy  Jehan  de  France  fut  pris,  etc, 

^Il^faitnndëtaîUrès-exaqlet  irès-cnrîenx  d^nn  famenx  pan  d'armes 
tenu  en  1390,  pendant  trente  joars  par  trois  cheTaliers  français,  au- 
près de  la  Tille  de  Calais,  et  il  parait  qn*il  en  savait  des  particularités 
connues  de  très-peu  de  persoues. 

11  parle  aussi  des  circonstances  de  Tassassinat  dn  connétable  Clîsson, 
en  homme  <^ni  était  instruit  des  parlicularités  les  pins  secrètes  de  rhis> 
toire  de  son  temps. 


61  •  VIE 

l'approchaient  de  pli^s  près.  Si  dans  ses  voyages 
dans  Jes  cours  et  dans  les  antres  lieux  qu'il  visi- 
tait,  il  se  rencontrait  des  personnes  de  qui  il  pût 

tirer  des  instructions,  surtout  des  gens  de  guerre 
ou  des  hérauts  '^  qui  étaient  en  ces  temps-là  les 
agents  les  plus  ordinaires  dans  l^s  négociations  et 

dans  les  grandes  affaires,  il  se  liait  de  conversa- 
tion avec  exit^  les  amenait  inSensiMement  à  par- 
ler sur  les  points  d'histoire  dont  ils  devaient  être 
le  mieux  informés,  eu  égard  au  pays   d'où  ils 


1  Tout  le  détail  carieiu  qite  Froissart  fait  de  ridandey  et  de  la  cob- 
qnèle  que  lé rei  d'Angleterre  fitde  ce  j^oyanmeen  1391'  est  le  fruit  d^une 
lor^gue  cpnyersation  qu'il  ayait  eue  à  la  cour  du  roi  d*An^eterré,  avec 
H«nry  Castéde,  écuyer  Anglais,  qui  avait  été  sept  ans  prisonnier  en  Ir- 
lande,et  que  le  roi  d"*  Angleterre  y  avait  renvoyé  depuis,  pour  tâcher  de 
civiliserles  peuples  de  ce  pays,  et  de  leur  fairç  prendre  lesrac&urs  et  les 
hal)illements  des  Anglais.  Il  tenait  d'un  chevaliiBr  d'Augleterrei  nommé 
"Guillaume  de  Li^se,  qui  avftit«uivi  le  rqi  d'Angleterre  à  la  même  con- 
quête d'Irlande,  le  récit  qu'U  fait  du  merveilleui  trou  de  Saiat-Patrtce 
dans  lequel  ce  cheva:Her  lui  dit  qu'il  avait  demeuré  toute  une  nuit. 

Froissarty  parlantdelapaix  ou.trère  conclue  entre  la  France  et 
TAngleterre,  aux  couférences  deLelnighen  près  d'Abbetille ,  en  1393 
dit  que  le  roi  d'Angleterre  en  reçnt  Ja  nouvelle  par  un  itérant  que  ses 
oncles  lui  envoyèrent  :  Et  pour  les  tonnes  fouve&es  que  ie  héraut 
éesstfsnennméauroj a\>oii  apporléeSy,  il  luy  donna  de^ands  d<ms^ 
si  comme  ledit  héraut  mç,  dit  depuis  à  loi^r  t  chevUuchant  avec  luy 
au  royaume  d''jéngleterre^  ♦ 

Parlant  d'une  offre  qui  fut  faite  aux  Vénitiens  par  les  ambassadeurs 
du  roi  de  Hongrie,  afin  d'avoir  de  l'argent  pour  la.  délivrance  da  doc 
de  Neve'rs  prisonnier  en  Turquie,  et  de  la  réponse  que  les  Vénitiens 
firent  à  leurs  propositions,  il  dit,  année  1397»  en  rapportant  cette  ré- 
ponse :  Selon  ce  que  je  Ju  informépar  celuy  qui  fut  à  la  réponse 
Jaire,        '  .  ' 


\ 


DE  JEAN  FROISSART.  65 

étaient,  et  aux  autres  circonstances  de  leur  vie: 
jl  ne  les  quittait  qu'après  leur  avoir  fait  dire  tout 
ce  qu'ils  en  savaient  j  et  ce  n'était  que  pour  al- 
ler aussitôt  jeter  sur  le  papier  ce  qu'il  avait  ap- 
pris d'eux.  Non  content  de  Recueillir  ces  précieuses 
autorités,  et  de  comparer  avec  soin,  coname  il  en 
avertit  lui-même  ',  les  témoignages  des  personnes 
qui  avaient  suivi  des  partis  contraires,  il  voulait 
des  preuves  encore' moins  suspectes.  Il  consultait 
les  traités  que  les  princes  avaient  faits  entr'eux , 
leurs  défis  ou  déclarations  de  guerre,  les  lettre» 
qu'ils  s'écrivaient,  et  les  autres  titres  de  cette  na- 
ture '.  Il  dit  expressément  qu'il  en  avai|  vu  plu- 

>  Voyez  an  ehapltre  118  da  troisième  lirre,  tome  lU  lo  détail 
4}ii*îl  fait  de  la  guerre  des  Aoglais  et  des  Ecossais,  llditqnece  qu'il 
rapporte  de  la  bataille  qa'ils  se-donnèrenl  à  Neafchastel,  il  le  tient  des 
chevaliers  et  écnyers  des  deai  partit,  qu'il  avait  irug.  On  peut  roir 
aussi.  le  récit  du  voyag^e  ^'il  lit  en2éIande,pour^Yoir  des  nonyel* 
les  de  la  g;uerre  d»  (ortug^l  par  les  Portiig^aîs  mêmes, 

'  Aprèa  aroir  parlé  de  plusieurs  arlieles  rëfjflés  à  Calais  en  1360 
entre  leroi  Jean,  au  sortir  de  sa  prison,  elle  roi  Edouard  IIId*An- 
g;]eterre,  il  ajoute  ces  paroles:  Encore  avecques  ces  choses  furent 
pb4,sieurs  autres  lettres  faiieS  et  alHances,  desquelles  je  ne  puis  du 
tout  faire  mention^  car  durant  qtûnze  jours  ôu  environ  que  les  deux 
rois  et  leur  enf ans  et  leurs  consaulx  (  conseillers  )/ùr6'/zl^»  la  ville 
de  Calais  y  avait  tous  ïes  jours  parlement  et  nouvelles  ordonnances  « 
en  reconformant  et  aUûuant  la  paix  -  (do  Bretigny };  et  d'abondant  re-t 
,  nouvelloient  lettres  sans  briser  ne  corrompre  les  premières^  et  l^s 
faisoient  toutes  sur  une  date  pour  estre  plus  sûres  et  plus  approuvées , 
desquelles  fay  vu  depuislacopie  sur  les  registres  delà  chancellerie 
4e  Vun  royet  de  Vautre, 

Voyez  encore  comment  il  s^exprimeau  commencement  du  chapitre 
g  4n  troisième  livre,  tome  II,  en  parlant  de  la  déclaration  de  guerro 
q ue  ie  duc  de  Gueldres  iit  en  I3U7.  »u  roi  Charles  VL 

FROISSART.  T.  XVI.  S 


66  VIE 

■ 

sieurs  quHl  ne  rapporte  point,  nommément  ceux 
de  la  chancellerie  du  roi  d'Angleterre;  et  on  en 
trouve  quelques-uns  transcrits  en  entier  dans  le 
cours  de  son  histoire.  Il  paraît  même  qu^il  ne  pre- 
nait  point  au  hasard  tous  ceux  qu'il  rencontrait, 
qu'il  lès  examinait  avec  des  yeux  critiques,  et 
qu'il  les  rejetait  *  lorsque  leur  authenticité  ne  lui 
semblait  pas  assez  prouvée. 

VIL 

11 

Çuel  but  Froissart  s^élait  proposé  en  écrwant  rifù^ 
toire ,  et  çueiles  règles  il  s'était  faites  pour  P écrire. 

On  juge  aisément  par  le  détail  des  soins  que 
Froissart  nous  dit  lui-même  avoir  prisj  quHl 
connaissait  les  règles  de  la  saine  critique,  et  la 
véritable  méthode  que  l'on,  doit  suivre  pour  écrire 
rhistoire.  11  nous  apprend  d'ailleurs  qu'il  ne  s'é- 
tait pas  proposé  de, donner  seulement  une  chro- 
nique où  Ton  vît  des  faits  rapportés  sèchement 
à  leur  date,  et  dans  Tordre  ou  ils  sont  arrivés: 
mais  qu'il  avait  voulu  écrire  ce  qu'on  peut  ap- 
peleç  véritablement  une  histoire,  dans  laquelle 
les  événements  fassent  revêtus  des  circonstances 
qui  les  avaient  accompagnées.  Les  détails  qui  dé- 
couvrent les  ressorts  secrets  qui  font  agir  les  hom- 
mes, sont  précisément  ce  qui  dévoile  le  caractère 
et  le  fiond  du  cœur  des  personnages  que  l'his- 
toire met  sur    la  scène  ;   et  c'était-là  une    des 

t 


DE  JEAN  FROISSAHT.  67 

parties^  essen1;ielles  du  dessein  que  Froissart  s^é-* 
tait  proposé,  en  écrivant  Thistoire.  Plusieurs  pas- 
sages de  son  ouvrage  nous  montrent  qu'il  y  avait 
été  porté  par  une  inclination  naturelle,  et  qu'il 
trouvait  un  plaisir  '  infini  dans  cette  occupation  : 
mais  une  autre  vue,  qui  lui  fait  bien  plus  d'hon- 
neur, avait  extrêmement  fortifié  ce  goût  naturel. 
U  songeait  à  conserver  aux  siècles  à  venir,  la  mé« 
moire  ^  des  hommes  qui  s'étaient  i*endu$  recom- 
mandables  par  leur  courage  et  par  leurs  vertus; 
de  donner  à  leurs  actions  un  prix  que  rien  ne  put 
ni  effacer  ni  altérer;  et  en  amusant  utilement  ses 
lecteurs,  de  faire  naître  ou  d'augmenter  dans  leur 
cœur,  Pamour  dé  la  gloire  par  les  exemples  les 
plus  signalés.  Ce  désir  qui  l'a  toujours  animé 
dans  se&:  recherches,  l'a  soutenu  fdans  un  trayail 


1  FroiMArt,  aa  oemmeacemeat  da  chupître  13  da  quatrième  liyre  de 
•ton  histoire,  tome  {2 ,  dit;  Telles  choses  à  dire  et  mettre  ayant  me  sont 
grandement  plaisantes;  et  se.plaisahce  ne  m^eust  incliné  à  dicter  et  à 
j'enquerre Je  n^eufussejà  venu  â  bout, 

ail  oommeiice  ea  ces  terme»  le  prolo|pie  4a  premier  rolvme  de  ioa 
lii^toire:  Afin  que  honorables  emprises  et  nobles  avanbures  et  faits 
d*annes,  lesqueUes  sont  avenues  par  les  guerres  de  France  çt  d^An- 
^elerre*  soyetU  notablèmèni  registresetmisesen  mémoire  perpétuelle 9. 
exemple  d'eux  encourager  en  bienfaisant^  je  veuil  traiter  et  recorder 
histoire  de  grand  louenge* 

H  commence  encore  le  premier  chapitre  de  ce  premier  volame  par 
ees  mois:  i'our'toi/^  nobles  cœurs  encourager  et  leur  donner  exem- 
ple et  matière  et  honneur 9  je  9  Sire  Jehan  Froissart^  commence  àpar* 
1er,  e*c. 

Voyez  aussi  livre3  , chapitre  I  «tome  9. 

5* 


6»  VIE 

de  plus  de  quarante  ans,  où  il  n'épargna  ni  soins 
ni  veilles,  et  pour  lequel  il   ne  craignit  pas  de 
dépenser  des   sommes    considérables.    En   effets 
rien  n'est  plus  propre  que  le  spectacle  que  Frois- 
sart  met   continuellement   sous  les   yeux  de  ses 
lecteurs,   à  leur  inspirer  Vamour  de  la  guerre, 
cette  vigilance  industriei^se,  qui,  toujours  en  garde 
contre   les  surprises,  est  sans  cesse  attentive  à 
surprendre  les  autres,  cette  activité  qui  fait  comp- 
ter pour  rien  les  peines  et  les  fatigues,  ce  mépris 
de  la  mort  qui  élève  l'ame  au-dessus  de  la  crainte 
des  périls,  enfin  cette  noblç  ambition   qui  porte 
aux  entreprisés  les  plus  hardies.  Il  fait  passer  en 
revue  tous   les  héros  que   pi'oduisîrent  pendant 
près  d'un    siècle,   deux  nations  guerrières^  dont 
l'une  était  encouragée    par  des  succès  aussi  fla- 
teurs  que  continus,  et  l'autre,  irritée  par  ses  mal- 
heurs, faisait  les  derniers  efforts  pour  vengef ,  à 
quelque  prix  que  ce  fût,  son  honneur  et  son  roi. 
Dans  un  si  grand  nombre  de  faits,  dont  plusieurs 
furent  extrêmement  glorieux  à  l'une  et  à  l'autre, 
il    n'était  pas  possible  quHl  ne  s'en  rencontrât 
quelques-uns  d'une  nature  toute  différente.  Frois- 
sart  ne    s'est  pas    moins    attaché  à   peindre  ces 
derniers ,  afin  de  donner  autant  d'horreur  pour  le 
vice  ',  qu'il  inspirait  d'amour  pour  la  vertu.  JViais 

>  Fraissart  ayant  employé  le  chapitre  14  de    son  quatrlènre  li- 
tre à  faire  Thistoire  d*Aimerig[ot  Marcel,  fameux  chef  de  bandits  qui 


Dl^  JEAN  FROISS ART.  69 

si  tous  ces  tableaux  n^eussent  été  que  le  fruit 
,  de  son  imagination,  ils  n'auraient  pas  touché  au- 
tant qu'il  lé  voulait.  Afin  qu'ils  fissent  une  ira-^ 
pression  plus  sûre  et  plus  forte  sur  le  cœur  et 
sur  l'esprit,  il  fallait  qu'une  vérité  pure,  dégagée 
de  toute  flatterie,  ainsi  que  d'intérêt  et  de  par- 
tialité, en  fût  la  base.  C'est  cette  Vérité  que  notre 
historien  se  pique  d'avoir  recherchée  avec  le 
plus  de  soin  '.  Au  reste,  tout  ce  que  je  viens  de 
rapporter,  est  tiré  de  ses  propres  paroles  répan- 
dues  dans  une  infinité  de  passages  de  son  his- 
toire; et  c'est  de  quoi  seulement  je  suis  garant. 
Il  s'agira  de  voir  s'il  a  observé  aussi  fidèlement 
qu'il  le  promet,  cette  loi     qu'il    s'était    impo-r 


enfin  fut  pris,  ffécollé  et  écartelé  à  Pariu,  dit  en  commençant  le  cb«pi- 
Ire  15;<ie  qui  suW  :  Je  me  suis  mis  à  parler  tout  au  iong  de  la  vie  ctAi- 
rnerigot  Marcel, et  de  remonstrer  tous  ses  faits.  La  cause  a  esté  pour 
embellir  son  ame  et  sépulture  i  car  des  bons  et  des  mauvais  on  doit 
parler  et  traiter  en  une  histoire  quand  elle  est  si  grande  comme  reste 
cjy  est  pour  exemple  à  ceux  qui  viendront,  et  pour  donner  matière  et 
achoison  (occasion]  de  bien  f aire  ^,  car  s'Àimerigoteui  tourné  ses  voyes 
et  turgus  en  bonnes  vertus,  ilestoii  bon  homme  d'armes  défait  etd'em- 
prise  pour  moult  valoir;  et  pour  ce  qu*il  en  fit  tout  le  contraire  il  en 
vînt  à  maie  fin, 

>  En  rapportant  les  noms  des  bravés  qui  se  signalèrent  à  la  bataille 
de  Cocherel  en  1364,  il  dit:  Là  eut  dur  hutin  et  grand  poignis  et  faite 
mainte  appertise  d'armes.  On  ne  doit  pas  mentir  à  son  pouvoir* 

Après  avoir  fait  un  grand  ëloge  du  comte  de  Foix»  chez  qui  il  avait 
fait  un  séjour  considérable,  et  qui  lavait  très-bien  traité,  il  prévient 
ceux  de'ses  lecteurs  qui  l  accoseraient  d*en  parler  d'une  manière  aussi 
favorable  par  flatterie,  vol.  3,chap.  6J ,  ga^e  T84. 


70  VIE 

sée  ',  et  qui  est  le  premier  devoir  de  tout  his- 
torien. Mais  avant  que  d^entrer  dans  Texamen  de 
cette  question,  je  ferai  quelques  observations 
générales  sur  la  chronologie  de  Froissart^  ensuite 
)e  parlerai  dès  trente  premières  années  de  son 
histoire,  qui  ne  sont,  à  proprement  parler,  qu'une 
introduction  à  l'histoire  de  quarante  et  quelques 
années  qui  les  suivirent,  jusqu'à  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  . 

VIII. 

/fe  la  Chronologie  de  Froissari. 

\  Je  remarqué  dans  la  chronologie  de  Froissart, 
deuit  défauts  essentiels  qui  font  la  source  de  tout 
lé  désordre  qui  s'y  trouve.  Le  premier  est  que, 
lorsqu'il  passe  de  l'histoire  d'un  pays  à  celle  d'un 
autre,  il  fait  souvent  remonter  l'histoire  qu'il.com- 
mence,  à  un  temps  antérieur  à  celui  dont  il  vient 
de  parler,  sans  avoir  presque  jamais  l'attention 
d'en  avertir  ses  lecteurs.  Lejsecond,  qui  n'est  pas 
moinsxonsidérable,  c^'est  qu'il  n'est  pas  d'accord 

'  En  annonçant  sons  l*année  1385,  le  récit  qnll  va  faire  des  g^nerres 
deBrelag^nè,  et  disant,  qae  les  seigneurs  Bretons  araienttonjoursélé 
fort  attachés  à  ledrdnc»  excpplé  quand  îl  s*élaU  déclaré  conire  la  cou- 
ronne de  France,  dont  ils  avaient  ^ardé  principalement  Thonnenr,  il 
prévient  les  lecteurs  qui  le  soupçonneraient  de  partialité*  De  même, 
après  avoir  fait  lo  récit  de  la  défaite  hontense  des  Brabançons  par  le 
docdeGueldres,  il  fait  sentir  que  l'intérêt  qu'il  prend  à  la  gploire  des 
Brabançons  (ils  étaient  en  qnelqne  façon  ses  compatriotes)  ne  lui  fait 
point  dissimuler  des  vérités  qui  leur  font  peu  d'hotinenr  (sous  Tan 
1308.) 


DE  JEAN  FROISSABT.  71 

avec  lui-même  dans  la  manière  de  compter  les 
années  :  illes  fai^  commencer,  tantôt  au  premier 
de  janvier,  tantôt  à  Pâques,  quelqueftns  même  à 
Pâques-fleuries.  * 

Froissart  ne  se  borne  pas  à  dater  par  les  années 
les  événements  qu'il  rapporte  :les  mois,  les  jours, 
les  heur^  du  jour,  sont  souvent  exprimés  dans  ses 
différents  récits.  Je  remarque,  à  l'égard  des  jours, 
qu'il  ne  les  commence  qu'au  moment  où  la  nuit  est 
entièrement  passée,  quand  le  point  du  jour  com- 
mence à  se  faire  voir.  A  l'égard  des  heures  de  la 
journée,  il  leur  donne  une  division  dont  on  voit 
quelques  exemples^  dans  nos  anciens  auteurs;  mais 
en  petit  nombre,  et  à  laquelle  il  s'attache  plus 
particulièrement  que  les  autres.  Il  les  divise  sui- 
vant les  heures  canoniales  de  prime,  tierce,  nane 
et  vêpres;  peut-être  parce  qu'il  était  engagé  dans 
l'état  ecclésiastique.  Je  n'ai  remarqué  nulle  part 
qu'il  jSe  soil  servi  du  mot  de  sexle.  Ce  qu'il  en- 
tend par  prime j' était  le  matin,  la  première  heure 
du  jour,  ou  l'heure  qui  suivait  de  plus  près  le 
matjn.  Tierce  me  seaible  marquer  le  temps  inter- 
médiaire entre 4e  matin  et  l'heure  de  midi,  qu'il 
exprime,  ou  par  le  mot  midi  ou  par  celui  de  none. 
Ensuite  venait  çépre,  on  la  yêprée;  c'était,  comme 
le  mot  le  désigne,  la  fin  du  jour,  après  laquelle 

>  Voyez  iei  années  1349, 1350,  1351,1335, 1356,  ]a(i2, 1363,  et 
autres. 


72  VIE 

il  comptait  encore  la  mi-miiL  Quelquefois  il  ajoute 
à  ces  mots  de  prime  ;  tiercé,  none,  vêpres  s  l'épithète 
de  basse,  poUr  marquer  le  temps  auquel  ces  heures 
étaient  près  de  finira  et  quelquefois  celle  de 
haute,  qui  paraît  en  quelques  endroits  avoir  la  même 
signification,  dans  d^autres  en  avoir  un^  toute 
contraire.  Il  use  encore  de  ces  façons  de  parler, 
à  Faube  cre^fanl^  pour  dire  que  l'aube  du  jour  ne 
faisait  que  commencer  de  poindre^  au  soleil  es- 
cé?«^«/2/>  pour  exprimer  le  coucher  du  soleil  j  «  la 
relei^ée,  pour  le  temps  qui  suit  l'heure  de  midi^  et 
à  la  remontée,  qui  me  semble  synonyme  de  la  péprée^ 
pour  le  soir,  le  temps  auquel  le  jour  approche  de 
son  déclin. 

IX. 

Des  trente  premières  années  dont  Frôissart  a  traité 
au  commencement  de  son  histoire,  cC après  Jean 
le  Bel,  savoir,  depuis  1326  jusçu* à  1356. 

Les   trent^  premières    années  de  l'histoire    de 

Frôissart  jie  sont  proprement  qu'un  préliminaire ^ 

qui  sert  à  mettre  les  lecteurs  au  fait  des  guerres 

qu'il  doit  raconter  dans  la .  suite.  Il  expose  l'état 
de  la  France  et  de  l'Angleterre,  et  fait  voir  le 

sujet  de  la  querelle  entre  ces  deux  couronnes,  qui 

fut  la  source  des  guerres   sanglantes   qu'elles  se 

firent  réciproquement.  Frôissart  peut,  enquelque 

façon,  n^étre  point  regardé   comme  auteur  com- 


DE  JEAN  FROISSART.  73 

temporain  dans  ces  trente  premières  années  :  il 
n'était  pas  encore  né,  ou  bien  était»  sinon  dans 
son  enfance,  au  moins  dans  un  âge  où  il  n^avait 
pu  faire  un  grand  usage  de  sa  raison.  Aussi  ne 
parle-t-il  guères  dans  qies  trente  années  comme 
un  auteur  qui  aurait  vu  ce  qu'il  racontej  et  c'est 
sans  doute  à  ce  temps-là  seulement  qu'on  doit 
rapporter  ce  qu^il  dit  au  commencement  de  son 
histoire,  qu'il  l'écrivait  d'après  une  autre  qui 
avoit  paru  auparavant  C'était,  comme  il  nous 
l'apprend  encore,  les  vrayes  Chroniques  de  Jean  le 
Bel  ',  cimnoine  de  Si.  Lambert  de  Liège.  Ces  chro- 
niques ne  sont  point  venues  jusqu'à  nous;  et  je 
n'ai  pu  découvrir,  ni  sur  l'ouvrage  ni  sur  l'auteur. 


■  Véici  les  propres  termes  de  Froissart  daas  le  prolog^ae  de  son  pre- 
mier Tolaniei 

Donôpour  atteindre  à  fa  matière  quefay  entreprise,  je  veut!  com- 
mencer premièrement  par  la  grâce  de  Dieu  et  de  la  benoiste  Vierge 
Marie  {dont  tout  con/brt  et  avancement  viennent),  et  me  veuil  fonder, 
et  ordonner  sur  les  vrajres  croniquesjadis  faitles  parrévérend  homme 
discretetsage^MonseigneurmaistreJehanle  Bel,  ChanoinedeSt.Lam- 
bert  de  Liège  qui  grand  cure  et  toute  bonne  diligence  meistenceste  ma^ 
niêreyttla  continua  tout  son  vivant  et  plus  justement  qu'^'dput;  et  moult 
lui  coûta  à  querre  et  à  lavoir,  mais  quelques  fraiz  qu'ail  y  fit,  riens  ne 
les  plaignit,  car  il  estoii  riche  et  puissant  (si  les  pouvait  bien  porter')  et 
estait  de  soy  meame  large,  honorable  et  courtois, et  volontiers  vojoii 
le  sien  despendre;  aussy  il  fut  en  son  vivant  moult  aimé  et  secret  à 
Monseigneur  messire  Jehan  de  ffaynaut,  qui  bien  est  ^ramenteu,  et 
de  raison»  en  ce  livre;  car  de  moult  belles  et  nobles  advenues  Jui-il  chef 
et  cause,  et  des  roys  moult  prochain;  pourquoy  le  dessus  dit  messire 
Jehan  le  Bel  peut  de  lez  lu/  voir  plusieurs  nobles  besognes  lesquellei 
sont  contemies  ey  après. 


74  VIE 

rien  de  plus  que  ce  qu'on  en  lit  dans  Froissart  '. 
Il  en  parle  comme  d'un  homme  qui  ne  vivait  plus  : 
mais  il  vante  son  exactitude,  les  soins  qu- il  avait 
apportés  à  composer  sqn  histoire^  et  les  dépenses 
considérables  qu'il  avait  faites  à  ce  $ujet.  Il  le 
représente  comme  favori  et  confident  de  Jean,  de 
qui  il  avait  pu  voir  plusieurs  grands  événements, 
qui  seront,  dit-il,  rapportés  dans  la  suite;  car 
le  comte  qui  était  proche  parent  de  plusiejars 
rois,  avait  joué  un  grand  rôle  dans  la  plupart  de 
ces  événements.  Froissart,  dans  ces  trente  années 
qui  sont  antérieures  à  la  bataille  de  Poitiers ,  en 
1356,  s'est  bien  plus  étendu  sur  l'histoire  des 
Anglaisv,que  sur  celle  des  Français  :  apparemment, 
il  suivait  en  cela  son  auteur  original,  qui  avait 
pris  un  intérêt  plus  particulier  à  l'histoire  d'An- 
gleterre ,  par  les  liaisons  qu'elle  avait  avec  celle  du 
comté  de  Haynault  C'est  sans  doute  ce  qui  fait 
que  dans  des  manuscrits  qui  ne  contiennent  que 
les  premiers  temps  de  la  chronique  de  Froissart, 
elle  est  intitulée  Chronique  ^Angleterre:  c*est  ajissi, 
par  une  même  suite,  ce  qui  a  fondé,  les  reproches 
qu'on  lui  a  faits  d'avoir  été  partisan  des  Anglais, 
et  mal  intentioné  contre  les  Français^.:  accusation 
que  j*examinerai  dans  la  suite  de  ce  mémoire. 
Froissart  n'avait  pu,  ce  me  semble,  choisir  un 


Voyez  prëfaee  de  la  chronique  de  Richard  Ilr  1. 13  de  celle  série. 


DE  JEAN  FROISSART.  75 

meilleur  guide  pour  l'histoire  de  ces  trente  années, 
que  rhistorien  qu'il  dit  avoir  suivi.  Pour  juger 
des  lumières  que  celui-ci  avait  pu  tirer  de  la  fa- 
miliarité où  il  étoit  auprès  de  Jean  de  Haynault, 
il  faut  se  rappeler  les  circonstances  où  ce  comte 
s'était  trouvé.  La  reine  d'Angleterre,  Isabelle  de 
France,  avait  fui  d'Angleterre  avec  le  jeune  prince 
de  Galles  son  fils,  depuis  Edouard  III,  roi  d'An- 
gleterre, pour  se  soustraire  à  la  persécution  des 
Spencers  et  des  autres  favoris  du  roi  Edouard  II, 
son  mari.  Charles  le  Bel,  roi  de  France,  frère  de 
cette  reine,  fut  obligé  delà  faire  sortir.de  ses  états, 
après  lui  avoir  donné  une  retraite  pendant  un 
assez  long-temps.  La  cour  dif  comte  de  HaynàuU 
dont  nous  parlons,  fut  la  seule  ressource  de  la 
mère  et  du  fils  :  non  seulement  elle  leur  fut  ouverte; 
ils  y  trouvèrent  encore  des  secours  puissants  pour 
passer  en  Angleterre,  et  pour  tirer  vengeance  de 
leurs  tnltemis.  Le  jeune  prince  y  avait  rencontré 
une  princesse  aimable  et  vertueuse  (  c'était  une 
dey  filles  du  comte  même),  qui  sentit  pour  lui  ces 
premiers  mouvements  d'une  inclination  naturelle, 
qui  l^emblent  présager  les  attachements  les  plu3 
durables  :  il  conçut  pour  elle  beaucoup  d'amour, 
il  en  fit  son  épouse,  et  depuis  elle  fut  placée  avec 
lui  sur  le  trône  d'Angleterre -.  c'est  la  même  à  qui 
Froissart  présenta  son  histoire.  Froissart  écrivait 
donc  d'après  un  auteur  qui  sayait  tous  ces  événc- 


76  VIE 

menUi  par  lui-même  et  par  les  personnes  les  mieur 
instruites,  puisque  c'était  leur  propre  histoire. 
L'écrivain,  qui  paraît  avoir  été  élevé  à  la  cour  du 
comte  de  Haynault,  était  tous  les  jours  en  com- 
merce avec  des  gens  à  qui  toutes  les  circonstances 
de  cet  événement,  qui  était  récent. alors,  devaient 
être  très-présentes  et  très-familières;  et  il  en  écri- 
vait  l'histoire  pour  la  reine  Philippe  de  Haynâult, 
qui  y  .avait  eu  une  si  grande  part.  Jamais  histo* 
rien  eut-il  des  gainants  plus  certains  des  faits  qu'il 
a  rapportés?  Jamais  en  fut-il  un,  en  qui  l'on  dût 
prendre  plus  de  confiance  qu'en  Froissart,  dans 

cette  partie  dé  son  histoire  ?  Cependant  M.  Lan- 

« 

celot,  dans  plusieurs  articles  qui  concernent  l'his- 
toire d'Angleterre  de  ces  mêmes  temps,  a  *  re- 
levé plusieurs  fautes  de  Froissart.  Sa  critique 
est  fondée  sur  les  actes  originaux  quil  a  eus 
entre  les  mains  ,  et  dont  l'autorité  est  incontes- 
table. J'appuie  sur  cet  exemple,  parce  ^u'il  me 
paraît  plus  propre  qu'aucun  autre,  à  faire  mieux 
sentir  une  vérité  importatite  pour  notre  histoire , 
et  qui  a  été  tant  recommandée  par  les  auteurs  les 
plus  versés  dans  cette  étude;  je  veux  dire  l'ex- 
trême .  nécessité  d'accompagner  la  lecture  des 
historiens,  de  la  comparaison  des  actes  originaux 
des  mêmes  temps.  Les  uns  donnent  les  éclaircisse- 
ments qui  manquent  aux  aulfes,  tandis  que  ceux- 
ci  ajoutent  aux  témoignages    des   historiens  un 


DE  JEAN  FROISSART.  77 

degré     d'authenticité    dont    ils    n'ont    souvent 
que  trop  de  besoin  :  et  c'est  de  ce  concours  que 
résulte  toute  la  certitude  dont  les  vérités  de  cette 
nature  sont  susceptibles  par  rapport  à  nous.   Je 
me  réserve  à  parler  dans  un  autre  mémoire,  des 
quarante  et  quelques  années  suivantes  dont  Frois- 
sai*ta  écrit  l'histoire  comme  ajuteur  contemporain, 
et  comme  témoin,  pour  ainsi  dire,  de  tout  ce  qui 
se  passait  alors  dans  le  monde.  Mais  j'examine- 
rai   auparavant   les    divers   jugements    qu^on    a 
portés   de  cet  historien,  et    particulièrement,  le 
reproche  presque  général  qu'on    lui  a  fait,  d'a^ 
voir  été    partisan  outré  des  Anglais  et  l'ennemi 
déclaré  des  Français.  Je  parlerai  de  sa  partialité 
à  d'autres  égards,   de  sa  crédulité  sur  certains 
articles^  de  son  exactitude  sur  d'autres,  et  de  sa 
manière  d'écrire  :  je   ferai  ensuite  le  détail  des 
éditions  que  nous  avons  de  son  histoire;  je  dis- 
cuterai le  mérite  ou  les  défauts  des  unes  et    des 
autres  :  j'examinerai    surtout  si  celle  de  Sauvage 
a  plutôt  corrompu  et  falsifié  le  texte,  qu'elle  ne 
l'a  éclairci.  Enfin,  je  rendrai  un  compte  somthaire 
de  plus  de  quarante  volumes  in-folio  de  manus- 
crits de  cette  histoire,  que  j'ai  conférés  avec  quel- 
que soin. 


JUGEMENT 

SUR  L'HISTOIRE    DE    FHOISSABT. 

PAR    M.     DE    LA    C[la>E. 

Je  vous  ai  entretenu,  des  vues  dans  lesquelles 
Froissart  avait  entrepris  sa  chronique,  des  soins 
qu'il  se  donna  pour  s'instruire  de  tous  les  événe- 
ments qui  devaient  j  entrer,  et  des  lois  qu'il  s'é- 
tait imposées  en  l'écrivant  J'examinerai  aujour- 
d'hui s'il  a  été  exact  à  observer  ces  lois,  quels 
sont  les  défauts  et  les  avantages  de  son  histoire, 
quels  en  sont  la  forme  et  le  style..  De-là  je  pas- 
serai aux  éditions  et  aux  manuscrits  que  nous 
en  avons,  ensuite  aux  abrégés  et  aux  différentes 
traductions  qui  en  ont  été  publiés. 

On  a  accusé  Froissart  de  partialité;  et  cette 
accusation  est  devenue  si  générale,  qu'elle  semble 
avoir,  acquis  le  caractère  de  la  notoriété,  don^  le 
privilège  est  de  suppléer  aux  preuves.  Froissart, 
dit-on,  a  vendu  sa  plume  aux  Anglais,  qui  lui 
payaient  une  pension  considérable;  et  par  une 
suite  nécessaire  de  son  inclination  pour  eux,  il 
a  été  peu  favorable  aux  Français.  Bodin,  Pas- 
(juicr,  Brantôme,  Sorel,  la  Popelinière,  leLabou- 


^ 


SUR  L' UISTOIRË  D£  FROISSART.  79 

reur,  déposant  contre  lui  dans  les  termes  les  plus 
formels.  11  semble  même  que  les- lecteurs ,  préve- 
nus par  les  liaisons  que  Froissart  eut  avec  les 
Anglais,  peuvent  avoir  quelque  raison  de  se  dé- 
fier de  tout  ce  qu'il,  rapporte  à  leur  avantage.  11 
commence,  en  effet,  par-  dire  qu'il  avait  écrit  à 
la  sollicitation  de  Robert  de  Namur^  proche  pa- 
rent de  la  reine  Philippe  de  Hajmault  et  vassal  de 
la  couronne  d'Angleterre,  qu'il  servit  très-utile- 
ment contre  la  France.  Ailleurs^  il  nous  apprend 
qu'il  avait  esté  de  Fhostel  d^ Edouard  111,  le  plus 
cruel  ennemi  des  Français,  et  que  la  reine  sa  fem- 
me, dont  il  était  clerc,  l'avait  non-seulement 
mis. en  état  par  ses  libéralités,  de  faire  plusieurs 
voyages  pour  enrichir  son  histoire,  mais  qu'elle 
avait  payé  généreusement  ses  travaux.  Enfin,  les 
vingt-six  premiers  chapitres  de  sa  chronique, 
roulent  uniquement  sur  l'histoire  d'Angleterre, 
ce  qui  est  cause  qu'elle  à  été  intitulée  Chronique 
JCAnghierre  dans  plusieurs  manuscrits.  De-là  on 
a  conclu  que  Froissart  étant  si  particulièrement 
attaché  à  la  cour  d'Angleterre,  il  ne  pouvait 
être  qu'un  partisan  outré  de  cette  nation,  et  l'en- 
nemi de  ses  ennemis.  11  n'en  fallait  pas  davan- 
tage, pour  que  les  traits  qui  auraient  paru  les 
plus  innocents  dans  la  bouche  de  tout  autre  his- 
torien, fussent  dans  la  sienne  des  traits  empoi- 
sonnés. Mais  afin  que  l'on  puisse  îuger  si  ce  soup- 


80  JUGEMENT 

çon  a  quelque  fondement,  je  vais  parcourir  les 
temps  dont  il  nous  a  transmis  Thistoire,  en  exa- 
minant successivement  les. diverses  circonstances 
où  il  s'est  trouvé,  lorsqu'il  en  a  écrit  les  diffé- 
rentes parties. 

Froissart  ne  peut  être   suspect    de    partialité 
pendant    les     premières  années  •d\i    règne  d'E- 
douard III.  Ce  prince  n'oublia  jamais  que  le  roi 
Charles  le  Bel  son  oncle,  lui  avait  donné  une  re- 
traite dans  ses  états,  lorsqu'avec  Isabelle  de  France 
sa  mère 9  il  se  sauva  de  la  persécution  des  Spen- 
cers    qui     obsédaient     l'esprit     de     son     père, 
Edouard  II.  La  cour  de  France  n'eut  rien  à  dé- 
mêler avec  celle  d'Angleterre,   tant  que  dura  le 
règne  de  Charles.  Je  passe  pour  un  moment  les 
quarante  années  qui  s'écoulèrent  depuis    1329  » 
lorsque  la   succession  à  la  couronne  de    France 
étant  ouverte  par  la  mort  de  Cl;iarles  le  Bel,  les 
liens  qui  avaient  uni  les  rois  de  France   et  les 
rois  d'Angleterre,  devinrent  eux-mêmes  la  source 
des  divisions  et  des  guerres  les  plus  sanglantes; 
et  je  viens  aux  temps  qui.  suivirent  la  mort  de  la 
reine  d'Angleterre,  Philippe  de  Haynaut,  arrivée 

r 

en  1369,  temps  oùFroissart  n'habitant  plus  l'An- 
gleterre, s'attacha 'à  Venceslas,  duc  de  BrabanL 
Ce  prince,  frère  de  Terapereur  Charles  IV,  était, 
à  la  vérité,  oncle  d'Anne  de  Bohème,  qui  fut  dans 
la  suite  reine  d'Angleterre  par  son  mariage  avec 


SUR  LHISTOIBE  DE  FROISSAKT.  8 1 

Richard  H,  mais  il  Fêtait  aussi  du  roi  Char- 
les V,  fils  de  sa  sœur;  et  gardant  toujours  une-es-r 
pècedeneutralité%ntre  les  deux  courounies  enne- 
mies, il  fut  invité  au  sacre  du  roi  Çharle3  V,  et 
du  roi  Charles  VI;  il  obtint  même  dans  la  der- 
nière de  ces  cérémonies  9  la  glacis  dii  comte  de 
Saint  P^îil,  qiae  l,e  conseU  du  rpi  voulait  fairç 
mourir  comme  coupable  du  crime  de  haute  tra- 
hison. Froissart,  qui  nous  apprend  cettfs  particu^ 
jlarité,  dont  il  devait  être  bien  injstruit,  en  ajouti^ 
une  autre,  qui  fait  encore  mieux  sentir  que  Ven-r 
ceslas  conserva  toujours  T^mitié  du  roi  Char-r 
les  VI,  et  de  son  conseil.  Dans  les  circonstances 
4de  la  guerre  la  plus  sanglante,  il  obtint  de  la 
cour  de  France  ui^  saufrcgnduit  pour  la  princesse 
Aline  de  Bohème^  qui  devait  aller  en  AnglejbeiTÇ 
épdusfsr  Le  roi  Richard  II.  Charles  et.  ses  oncles 
accompagnèrent  cette  grâce  des  lettres  les  plu$ 
obligeanties,  ^  lui  mandèrent  qu'ils  ne  Taccor^ 
daient  qu'à  sa  considération.  Froissart  n^çut  au<r 
€un  intérêt  à  écrire  contre  la  France,  dans  tout 
le  tempjs  qu'il  passa  auprès  de  ce  prijQice;  il  et^ 
^ut  encore  moins  peu  après,  lorsqu'il  fut  clerc  du 
.comte  de  Blois,  qui  couronna  une  vie  entièrement 
dévouée  au  service  de  la  France,  par  le  sacrifice 
des  intérêts  de  sa  propre  maison. La  moiudremar-r 
que  d'inimitié  l'aurait  exposé  à  perdre,  avec  le^ 
bonnes  grâces  de  son  maître,  le  fruit  de  ses  trav 

FROISSART.  T.   XVI.  6 


62  JUGEMENT 

vaux  liistoriques,. qu'il  lui  avait  fait  reprendre 
et  dont  il  le  récompensait  si  généreusement.  Aussi 
rhistorien  craignant  les  rèprocMes  qu'on  lui  pou- 
vait faire  d'être  trop  bon  Français,  reproches 
bien  contraires  à  ceux  qu'on  lui  a  faits  depuis , 
croit  devoir  justifier  en  ces  termes  ce  qu'il  rap- 
porte de  l'attachement  inviolable  des  Bretons  à 
la  couronne  de  France  contre  les  Anglais ,  année 
1387.  Que  tonne  die  pas  que  fay  été  corrompu  par 
la  faveur  que  fay  eue  au  comte  Guy  de  Blois,  qui  me 
la  fit  faire  (sa  Chronique),  et  qui  bien  rmHea  a^  payé 
tant  que  je  m^ en  contente  ^  pour  quHl  fut  neveu  du  vray 
duc  de  Bretagne,  et  si prochein  que  âls  au  cande  Loys 
de  Blols,  frère  germain  à  Charte  de  Blois,  quiltùd  qu^il 
vesquit  fut  duc  de  Brefagne  :  nenny  vrayement,  car 
jevUep,  vueil parler  y  fors  à  lapérUé,  et  aller  parmi  le 
tranchant  sans  coulourer  rie  tvny  éie  F  autre;  et  aussy 
le  gentil  prince' et  comte  qui  f  histoire  me  Ht  mettre 
sus,  ne  voukist  point  que  je  ia  fisse  4iutrement  que 
vraye.  ^ 

Puisque  Ftoissàrt,  dans  tous  ces  temps  qui  nous 
.  conduisent  pï-esque  jusqu'à  la  fin  de  sa  .Chronique, 
ne  peut  être  soupçonné,  ni  de  haine  contre  les 
Français,  ni  d'affection  pour  les  Anglais,,  je  re- 
viens aux  années  que  j'ai  omises ,  depuis  1329  jus- 
qu'à 1369,  dont  il  passa  une  partie  considérable 
en  Angletéri'e,  attaché  au  roi  «t  à  la  reine,  et  vi- 
vant dans  une  espèce  de  familiarité  avec  les  jeunes 


SUR  L'HISTOIRE  DR  FROISSART.  83 

princes  leurs  enfants  :  c'est  par  rapport  à  c/ss  an- 
nées, que  le  soupçon  de  partialité  pour  les  Anglais 
peut  subsister   dans  toute  sa  force.  11  était  diffi- 
cile que  dans  une  cour  oii  tout  respirait  la  haine 
xiontre  les  Français,  il  conservât  Texacte  neutra- 
lité que  demande  la  qualité  dliistorien,  et  qu'il 
ne  servît  pas  la  passion  des  princes  à  qui  il  nle- 
vait  sa  fortune  présente >et  de  qui  il  attendait  en- 
core des  établissements  plus  considérables.  On 
pourrait  trouver  des  raisons  pour  affaiblir  ce  pré- 
jugé, dans  la  douceur  et  dans  la  modération  que 
conserva  toujours  au  milieu  de  toutes  ces  guer- 
res, la  reine  Philippe  de  Haynaut,  qui  calma  la 
fureur  de  son  mari  au  siège  de  Calais,  et  qui  ob^» 
tint  de   lui,  par  ses  instances,  la  erace  des   six 
généreux  bourgeois  de  cette  ville  qu'il  avait  con- 
damnés à  mert  :  je  pouirrais  ajouter  que  si  Frois- 
sart  fut  de  F  hôtel  du  roî  Edouard,  il  fut  aussi  de 
thàîel  du  roi  Jean,  et  qu'il   paraît    avoir  été  at-, 
taché  à  ce  prince,    dans  fe    temps    même    qu'il 
•était  en  Angleterre.  Mais  sans  vouloir  combattre 
des  préjugés  par  d'autres  préjugés,  je  ne  consul- 
terai que  le  texte  de  Froissart,  qui  doit  faire,  à 
cet  égard,  la  règle  de  notre  jugement.  Après' l'a- 
voir lu   avec  toute  l'attention  dont  je  suis   ca- 
pable ,  sans  y   ren^^rquer   aucune   trace  de  la 
partialité    qu'on  lui  reproche ,   j'ai  encore   exa- 
miné  plus  soigneusement  quelques   points  prin- 


81  JUGEMENT 

cipaux  ,  où   naturellement  elle  devait  être  plus 
marquée.  ' 

L'avénèraent  de  Philippe  de  Valois  à  la  cou- 
ronne, avait  rérolté  toute  l'Angleterre,  qui  adopta 
les  prétentions  chimériques  du  roi  Edouard  III. 
La  circonstance  était  délicate  pour  un  historien 
qui,  vivant  au  milieu  d'une  cour  et  d'une  nation 
si  fortement  prévenues,  ne  voulait  cependant  point 
s'écarter  de  son  devoir.  Or  voici  les  termes  dans 
lesquels  Froissart  fait  le  récit  de  cet  évéhement- 
Après  avoir  rapporté  la  mort  des  rois  Louis  Hutin, 
Philippe  le  Long  et  Qiarles  le  Bel,  les  douze  Fers, 
dit-il,  et  les  barons  de  France  ne  donnèrent  point  le 
royaume  de  France  à  leur  sœur  çuiétail  royne  d^ An- 
gleterre, pour  tant  qu*ils  voulaient  dire  et  mairUenir, 
et  encores  i^eullent,  que  le  royaume  de  France  est 
bien  si  noble  quil  ne  doit  mie  aller  à  femelle  ne  pm* 
conseqiienl  au  roy  dC Angleterre  son  aisné  fils;  covy 
ainsi  comme  ils  veuleiU  dù^e,  le  Ris  de  la  fetnelle  ne 
peut  a^oii*  droit  de  succession  de  par  sa  mère  penant 
là  où  sa  mère  VLa  point  de  droit.  Si  que  par  ces 
raisons  les  douze  pers  et  les  barons  de  France  donnée 
rent  de  leur  commun  accord  le  roj/atahe  de  France 
à  monseigneur  Philippe,  ne^u  jadis  au  beau  roy  Phi-- 
lippe  de  France  dessusdit  et  otèrent  la  royne  d* An- 
gleterre et  sfm  âls  de  Ui  succession  du  dernier  roy 
Charles.  Ainsy  alla  lé  royatane  de  France  hors  de  la 
droite  ligfke,  ce  semble  à  moult  de  gens;  de  quoy  grands 


SUR  L*HIST01RE  D£  FROISSART.  85 

guerres  ensontmeueset  venues,  etc.  Tout  ce  passage 
ne  présente  rien  qui  ne  dût  faire  admirer  le  cou- 
rage et  la  bonne  foi  de  Tliistorien,  quand  même 
il  n'eut  point  ajouté  ces  mots,  ce  semble  à  moult 
de  gens  y  ptiisqu^il  n'est  pas  douteux  que  la  suc- 
cession passa  de  la  ligne  directe  à  la  ligne  colla- 
térale. Cependant  on  a  cru  y  voir  des  intentions 
malignes^  et  \e  mol  ostèrent  ayant  offensé  quelques 

lecteurs,  on  a  mis  en  marge  cette  espèce  de  cor- 
rectif, que  j'ai  lu  dans  deux  manuscrits  J'tine 
main  pi'esque  aussi  ancienne,  que  les  manuscrits 
mêmes  :  Ils  ne  ten  oslèi^ent  anques^,  car  éfnçuies  n^en 
fui  en  possession,  ne  droù  n*y  avoù.  Ils  ne  les  en 
oslèrerU  onques,  car  ladite  dame  ne  son  fils  rty*  oreni 
ancques  droà;  mais  Fi'oissari  montre  fuil  favorisoii  le^ 
./anglais. 

L'hommage  que  le  roi  Edouard  III  rendit  au 
roi  de  France,  blessait  extraordinaireraent  .  la 
délicatesse  des  Anglais  :  ils  avaient  disputé  long- 
temps et  avec  beaucoup  de  chaleur,  sur  la  forme 
d^ns  laquelle  il  devait  être  fait,  cherchant  à  re- 
trancher  tout  ce  qu'il  y  avait  d'humiliant  pour 
eux.  Comme  le  roi  de  France  soutint  avec  fermeté 
les  prérogatives  de  sa  couronne,  et  qu'il  obligea 
Edouard  à  s'acquitter  de  ce  devoir,  suivant  ce 
.  qui  avait  été  pratiqué  par  ses  prédécesseur j,  un 
historien  qui  aurait  voulu  donner  quelque  chose 
à  la  complaisance,  ne  pouvait  passer  trop  légère- 


86  JUGEMENT 

ment  sur  cet  article.  Cepenckint  Froissart  in&i^te 
autant  quHl  peut  :  il  n'omet,  ni  les  difficultés 
qu'on  fit  de  la  part  des  Anglais,  ni  les  exemples 
et  les  autorités  que  le  roi  Philippe  y  opposa  ;  et 
il  accompagne  ces  détails  des  actes  originaux  les 
plus  propres  à  les  constater  :  en  sorte  que  si  les 
rois  de  France  ayaie^it  jamais  eu  besoin  de  faire 
valoir  leurs  droits,  la  seule  déposition  de  Froissart 
aurait  fourni  un  titre  authentique  et  incontes- 
table, , 

Les  Anglais  accusant  le^  Français  d'être  peti 
fidèles  à  tbserver  les  traités,  soutierinent  que 
Geoffroy  de  Chami  agit  par  des  ordres  secrets 
du  roi  de  France',  lorsqu'au  mépris  d^une  trêve 
qui  avait  été  faite,  il  tenta  de  surprendre  Calais 
en  1349.  Bapin  embrassa  cette  opinion,  et  l'ap- 
puie du  témoignage  de  Froissart  qu'il  cite  en 
marge.  Je  ne  sais  dans  quel  exemplaire,  ou  dans 
quel  manuscrit,  il  a  pris  cette  autorité  :  pour  moi 
je  lis  dans  tous  les  imprimés,  comme  dans  tous 
les  manuscrits,  ces  mots,  qui  sont  bien  (Contraires 
à  son  sentiment  :  Si  croy  qu!il^  (koffrcy  de  Chaniy 
lien  parla  oncqucis  au  royde  france:  car  le  roy  ne 
lui  eut  jamais  conseillé^  pour  cause  des  traces. 

Les  mêmes  Anglais  imputent  encore  au  roi 
Chailes  V  l'infraction  du  traité  de  Bretigny ,  qu'ils 
violèrent  les  premiers,  si  on  en  croit  les  Français. 
Loin  de"  rien  trouver  dans  Froissart   qui  favorise 


SUR  L*1IIST0IRE  DE  FROISSART.  87 

les  prétentions  anglaises,  )e  crois  que  les  termes 
dans  lesquels  il  s^espfîme,  étant  bien  examinés^ 
formeraient  du  moins  une  présomption  contre  etix. 
Je  ne  désespère  pas  qu'on  ne  nous  donne  un  jour 
toutes  les  preuves  qu'une  bonne  critique  et  une  lec- 
ture réfléchie  des  monuments  de  ce  siècle  peuvent 
fournir  sur  un  point  d'histoire  qui  importe  égale- 
ment à  la  gloire  de  la  nation,  et  à  la  vérité. 

Le  combat  singulier  proposé  en  1354,  entre  les 
rois  de  France  et  d'Angleterre,  fait  encore  un 
sujet  de  disputes  entre  les  historiens  des  deux 
nations.  Suivant  les  Français,  le  défi  fait  au  nom 
du  roi  Jean,  ne  fut  point  accepté  par  Edouard. 
Selon  les  Anglais,  celui-ci  provoqua  le  roi  de 
France,  qui  refusa  le  combat.  Froissart  décide 
formellement  pour  les  Français.  Le  raydefhmtce, 
dit-il,  alla  après  jusqiHà  Si.  Orner,  et  by  manda 
(  au  roi  d'Angleterre  )  pm^  le  mareschal  iTAuthaîn 
et  par  plusieurs  autres  Chevaliers,  çu*il  le  combat" 
troU  s*il  i/ofulaU  corps  à  corps,  ou  pouvoir  contre 
pouvoir,  à  queàpie  jour  ipi*U  vouer ok.  Mais  le  roy 
d^ Angleterre  refusa  la  bataille ,  et  repassa  la  mer 
en  AngktetTe  ;  et  ledit  roy  de  France  retouima  à 
Paris. 

A  ces  exemples,  je  pourrais  ajouter  beaucoup 
d'autres  passages,  où  il  donne  de  grands  éloges, 
tant  aux  peuples  qu'aux  seigneurs  qui  se  signa- 
lèrent par  leur  àttaxrhement  au  parti  des  Français, 


88  JUGEMENT 

et  où  il  ne  ménage ,  ni  ceux  qui  s'étaient  décla- 
rés contre  eux,  ni  ceux  qui  les  avaient  abandon- 
nés lâchemeut.  Outre  ce  qu'il  dit  de  Isj   fidélité 
des  Bretons,  et  des  comtes  d^  Blois  leurs  légitimes 
souverains,  il  loue  lé  zèle  avec  lequel  plusieurs 
seigneui's   Ecossais  reçurent  la  flotte    Fi'ançaise 
envoyée    en   1385   pour  les   secourir  contre  les 
Anglais^  Le  coiiite  de  Douglas  j  à   qui  il  paraît 
iavoit*  été  très-attaché,  et  datts  le  château  duquel 
Il  avait  passé^  plusieurs   jours  lorsqu'il  alla   en 
EcosSfey  était    dé   ce  nombre.  En  même  temps  il 
déclame   contre   ceux  dont  la  mauvaise    foi   et 
l'ingratitude  rendirent  Cfe  seéouVs  inutile^  Il  parle 
dans  les  terines  les  plus  forts  de    la  témérité  du 
duc  de  Gueldres^  qui  psa  déclarer  la  guerre  au 
toi  de  France  (  CWles  VI)  ^ii  1 3 87,  et  de  l'inso- 
lence avec  laquelle  il  s-exprimait  dans  ses  lettres 
de   défi.    Il   applaudit  à  la  juste  colère  qui  porta . 
te  monarque  à  aller  eii  personne  châtier  l'orgueil 
de  ee  petit  prince*  Enfin,  de  tputes  les  nations  dont 
il  parle  dans  son  histoire,,  il  y  en  a  peu  qu'il  n'ait 
désigtiée  quelquefois  par  des  épithètes   odieuses  \ 
selon  lui,  les  Portugais  sont  bouillants  et  querel- 
leurs j    les  Espagnols  envieux,  hautains >  mal-pro- 
pres^ les  Ecossais  perfides  et  ingrats;  les  Italiens 
assassins  et  empoisonneurs;  les  Anglais  vains,  glo-^ 
vieux,  méprisants,  cruels.  On  ne  trouvera  aucun 
trait  contre  la   nation    Française.:  aii  contraire) 


SUR  L*I1IST01RE  DE  FROISSART.  89 

tette  btave  nation  se  soutint  toujours,  selon  Frois- 
sart,  par  la  vigueur  et  par  la  force  de  sa  cheva- 
lerie, qui  ns  fut  jamais  tellement  accablée  de  ses 
infortunes,  ^u^elle  ne  trouvât  en<iore  des  ressources 
merveilleuses  dans,  son  courage.  Aussi  l'historien 
semhle-t-il  avoir  tiré  vanité  d'être  né  Français, 
en  nous  apprenant  qu'il  fut  redevable  à  ce  titre, 
de  la  bonne  réception  que  lui  fit  un  écuyer  Fran- 
çais chez  qui  il  alla  loger  à  Ortais.  U  est  vrai  que 
le  roi  d'Angleterre  et  le  prince  de  Galles  son  fils, 
semblent  être,  tant  qu'ils  vécurent,  les  héros  de 
son  histoire j  et  que  dans  les  récits  de.  plusieurs 
batailles,  il  est  plus  occupé  d'eux  que  du  roi  de 

France.  Mais  qiiel  est  le  Français  de  bonne  foi, 
qui  ne  soit  forcé  de  donner  à  ces  princes  les  plus 
grands  éloges  ?  D'ailleurs,  notre  historien  ne 
rend-il  pas  justice  à  la  valeur  et  à  l'intrépidité 
du  roi  Philippe  de  Valois  et  du  roi  Jean?  Rien 
peut-il  égaler  les  louanges  qu'il  donne,  tant  à  la 
sagesse  qu'à  l'habileté  du  roi  Charlea  V,  et  sur- 
tout ce  glorieux  témoignage,  qu'il  ne  fait  pas 
difficulté  dé  mettre  dans  la  bouche  du  roi  d'An- 
gleterre *  //  ny  eut  oncçues  roy  gui  mobis  s* armas t, 
ei  si  ny  eui  encçues  ray  qui  tant  me  donnast  à 
faire. 

Je  crois  avoir  suffisamment  établi,  par  tout  ce 
qu'on  vient  d'entendre,  que  Froissart  n'est  pas  un 
historien  partial,  ainsi  qu'il  en  a  été  accusé.  Néan- 


90  JU€RMRNT 

moins  je  pense  quHl  sera  .encore  plus  sûr  de  le  lire 
avec  quelque  circonspection,  et  que  Toû  ne  doit, 
autant  qu^il  se  pourra,  jamais  perdre  de  vue,  je 
le  répète,  deux  objets  que  je  me  suis  principale- 
meilt  attaché  à  faire  remarquer  dans  mes  deux 
précédents  mémoires  •  je  veux  dire,  d'une  part, 
les  détails  de  sa  vie,  ses  divers  attachements  à 
certains  princes  et  à  quelques  seigneurs,  les  rela- 
tions qu'il  eut,  ou  les  liaisons  d'amitié  qu'il  con- 
tracta avec  différentes  personnes  :  de  l'autre,  les 
circonstances  dans  lesquelles  il  écrivit  son  histoire, 
quels  volumes  furent  entrepris  à  la  sollicitation 
du  comte  de  Namur  partisan  des  Anglais,  et  quels 
sont  ceux  qu'il  composa  par  l'ordre  du  comte  de 
Blois  ami  de  la  France.  Car  si  l'on  veut  se  per- 
suader qu^il  devait  être  disposé  à  favoriser  les 
Anglais  dans  ce  qu^il  a  rapporté  jusqu'en  1369, 
par  la  même  raison  il  a  dû  pçncher  pour  les  Fran- 
çais dans  toutes  les  années  qui  ont  suivi,  jusqu^à 
la  conclusion  de  sa  chronique.  Je  ne  dois  pas 
négliger  d'avertir  que  sa  prévention  se  fait  quel- 
quefois sentir  dans  des  détails  plus  particuliersj 
comme  on  peut  s'en  convaincre  par  les  éloges 
qu'il  fait  de  la  piété  et  des  autres  vertus  du  comte 
de  Foix ,  i3ien  opposés  aux  actions  de  cruauté  qu'il 
avait  rapportées  auparavant. 

Mais  quand  un  historien,  dégagé  de  toute  pas- 
sion, tiendrait  toujours  la  balance  égale  entre  les 


SUR  L^HISTOIRE  DE  FROISSART.  9 1 

différents  partis;  quand  à  cette  qualité  il  joindrait 
celle  qu'on  ne  peut  refuser  à  Froissart,  j^entends 
uiie  attention  continuelle  à  vouloir  être  informé 
de  tous  les  événements  et  de  toutes  les  particula- 
rités qui  peuvent  intéresser  lés  lecteurs ,  il  sera 
toujours  bien  loin  de  la  perfection,  si  ces  con- 
naissances ne  sont  éclairées  d'une  saine  critique, 
qui,  dans  cette  multitude  de  récits  différents, 
sache  écarter  tout  ce  qui  s'éloigne  de  l'exacte 
vérité  :  son  ouvrage  sera  moins  une  histoire  qu'un 
tissu  de  fables  et  de  bruits  populaires.  Malgré 
tout  ce  que  Froissart  nous  dit  du  soin  qu'il  a 
pris  d'écouter  les  différents  partis ,  et  de  comparer 
leurs  relations  les  unes  avec  les  autres,  souvent 
même  avec  les  titres  originaux,  il  me  paraît  qu'on 
peut  encore  l'accuser  de  quelque  négligence  sur 
cet  article.  Le  genre  de  vie  qu'il  menait,  lui  lais- 
sait peu  de  loisir  pour  faire  toutes  Iqs  réflexions 
et  toutes  les  comparaisons  que  demande  un  pa- 
reil examen.  Dans  les  pays  où  le  porta  son  active 
curiosité,  d'autres  soins  l'occupaient  encore. 
Chargé  quelquefois  de  commissions  particulières, 
il  cherchait  à  s'insinuer  dans  Jes  bonnes  grâces 
des  princes  qu'il  visita,  par  des  compositions  ga- 
lantes, par  des  romans,  par  des  poésies;  et  le 
goût  qu'il  eut  toujours  pour  le  plaisir,  partageait 
tellement  et  son  temps  et  son  coeur,  que  son  es- 
prit dut  être   souvent  détourné  des  méditations 


92  JUGEMENT 

sérieuses  du  cabiaet,  dont  il  était  naturellement 
peu  capable.  Je  ne  craindrai  point  de.  dire  que 
sa  manière  de  vivre  se  trouve  en  quelque  façon 
retracée  dans  sa  chronique  même.  On  y  vernies 
assemblées  tumultueuses  de  guerriers  de  tous  états , 
de  tous  âges,  de  tous  pays^  des  fêtes;  des  repas 
d'hôtelleries 5  des  conversations  qui,  après  souper, 
étaient  continuées  fort  avant  dans  la  nuit,  où 
chacun  contait  à  l'envi  ce  qu'il  avait  vu,  ce  qu'il 
avoit  fait,  et  au  sortir  desquelles  le  voyageur, 
avant  de  se  coucher,  allait  ôncore  jeter  à  la  hâte 
sur  le  papier  ce  qu'il  en  avait  pu  retenir..  On  y 
voit  l'histoire  des  événements  passés  pendant  près 
d'un  siècle  dans  toutes  les  provinces  du  royaume, 
et  celle  de  tous  les  peuples  de  l'Europe,  racontées 
sans  ordre.  Dans  un  petit  nombre  de  chapitres,  on  - 
trouve  souvent  plusieurs  histoires  différentes  com- 
nyencéçs,  interrompues,  reprises,  discontinuées  de 
nouveau  plusieurs  fois;  et  dans  cette  confusion  les 
mêmes  choses  répétées,  soit  pour  être  réformées, 
contredites,  démenties,  soit  pour  être  augmen- 
tées. L'historien  semble  avoir  porté  jusque  dans 
la  composition  de  sa  chronique,  sa  passion  pour 
les  romans,  et  avoir  imité  par  ce  désordre,  celui 
qui  règne  dans  ces  sortes  d'ouvrages,  dont  on  di- 
rait .  même  qu'il  a  affecté  d'emprunter  quelques 
façons,  de  parler.  Ainsi,  par  exejnple,  lorsqu'il 
commence  une  narration,  il   use  souvent  de   ces 


SUR  L  HISTOIRE  DE  FR0ISS4RT.  93 

mots  i  or  dû  k  conte;  et  quand  il  par^e  de  la  mort 
de  quelqu'un,  ou^de  tout  autre  éyénement  fâcheux^ 
il  ajoute,  mais  amender  ne  le  petU,  phrases  qui  se 
lisent,  presque  à  chaque  page,  dans  les  romans 
des  chevaliers  de  la  table  ronde.   ^ 

Au  reste,  ce  que  je  dis  du  goût  romanesque  que 
Froissart  semble  avoir  conservé  dans  son  histoire, 
ne  regarde  au  plus  que  la  forme  qu'il  lui  a  don- 
née }  'car  je  n'ai  pas  remarqué  d'ailleurs  qu'il 
cherche  à  y  répandre  du  merveilleux.  Les  fautes 
qui  s'y  rencontrenttcontre  l'exactitude  historique, 
ne  viennent  que  de  la  confusion  naturelle  de  son 
génie,  de  la  précipitation  qu'il  apportait  dans  son 
travail,  et  de  l'ignorance  où  il  était  nécessaire- 
ment, par  rapport  à  bien  des  choses  qui  ont  dû 
«cha(pper  à  sa  connaissance. 

Ce  qu'il  racoïite  des  pays  éloignés  ,  comme 
de  l'Afrique  ,  de  la  Hongrie  ,  de  la  Tartarie  et 
généralement  des  états  Orientaux  ,  est  rempli 
de  méprises  grossières.  De  son  temps,  le  côm^ 
Tnerce  n'avait  presque  établi  aucune  liaison  régu- 
lière entre  ces  contrées  et  la  nôtre  :  ce  qu'on 
en  savait,  était  §ippuyé  sur  la  foi  de  gens  que  le 
hasard  y  avoit  portés,  et  qui  y.  avaient  fait  trop 
peu  de  séjour,  pour  s'instruire  des  mœurs,  des 
usages,  de  l'histoire  de  ces  peuples.  Mais  si  Frois- 
sart a  commis  beaucoup  de  fautes  dans  ce  qu'il 
nous  en  a  rapporté,  la  plus  grande,  sans  doute,  est 


91  JUGEMENT 

d'avoir  parlé  de  ce  qu'il  ne    pouvait  savoir   que 

ti^-imparfaîteinent. 

Tant  de  défauts  et  d'imperfections,  n'empêchent 
pas  que  sa  chronique  ne  doive  être  regardée 
comme  un  des  plus  précieux  monuments  de  notre 
histoire;  et  que  la  lecture  n'en  soit  aussi  agréable 
qu'instructive  pour  ceux  qui,  ne  se  bornant  pas  à 
la  connaissance  des  faits  généraux,  cherchent  dans 
les  détails,  soit  des  événements  particuliers,  soit 
des  coutumes,  à  démêler  le  caractère  des  hommes 
et  des  siècles  passés.  Froissar!» était  né  pour  con- 
server à  la  postérité  une  image  vivante  d'un  siècle 
ennemi  du  repos,  et  qui,  parmi  les  intervalles  des 
troubles  dont  il  fut  presque  toujours  agité,  ne  trou- 
vait de  délassement  que  dahs  les  plaisirs  les  plus 
tumultueux.  Outre  les  guerres  de  tant  de  nations 
qu'il  décrit,  et  dont  il  nous  apprend  les  divers 
usages,  par  rapport  au  ban  et  à  l'arrière-ban,  à  l'at- 
taque et  à  la  défense  des  places,  aux  fortifications, 
aux  partis,  aux  escarmouches,  aux  ordres  de  ba- 
taille, à  l'aii;illerie,  à  la  marine,  aux  armures  des 
gens  de  pied  et  des  gens  de  cheval;  on  y  trouve 
tout  ce  qui  peut  intéresser  la  curiosité  au  sujet 
de  la  noblesse,  de  la  chevalerie,  dés  défis,  des 
combats  à  outrance,  des  joutes,  des  tournois,  des 
entrées  des  princes,  des  assemblées,  des  festins, 
des  bals,  des  habillements  d'hommes  et  de  femmes  : 
en  sorte  que  son  histoire  est  pour  nous  un  corps 


Sun  L'HISTORË  DR  FROISSART.  9S 

complet  des  Antiquités  du   XIV.*    siècle.  11  faut 
avouer  que  ces  détails   n'attirent  l'attention  que 
par  leur  propre  singularité;  ils  sont  rapportés  sans 
étude  et  sans  art  :  c'est  proprement  la  conversa- 
tion familière  d'un  homme  d'esprit,  qui  a  beaucoup 
vu  et  qui  raconte  avec  grâce.  Cependant  ce  con- 
teur agréable  sait  quelquefois,  sur- tout  dans  les 
grands  événements,   allier  la  majesté  de  l'histoire 
avec  la  simplicité  de  la  narration.  Qu'on  lise  entre 
autres  choses,  parmi  tant  de  batailles  qu'il  a  si 
bien  peintes ,  qu'on  lise  le  récit  de  la  fameuse  jour- 
née de  Poitiers  :  on  y  verra  dans  la  personne  du 
prince  de  Galles,  un  héros  plus  grand  par  la  gé- 
nérosité avec   laquelle  il  use  de   sa  victoire,  par 
ses  égards  pour  le  prince  vaincu,  et  par  les  res- 
pects qu'il  lui  rendit  toujours,  que  par  les  efforts 
de  courage  qui  l'avaient  fait  triompher.  Je  ne  crois 
pas  qu'il  y   ait  rien  d'égal  à  la  sublimité  de  ce 
morceau  d'histoire,    rien   qui  soit  plus  capable 
d'élever  le  cœur  et  l'esprit.  D'autres  d'un  genre 
bien  différent,  tirent  tout  leur  prix  de  leur  naï- 
velé  :  tel  est  l'épisode  de   Taraour  du  roi  d'An- 
gleterre pour  la  comtesse  de  Salisbury,  dont  le 
récit  tendre  et  touchant  ne  le  cède  peut-être  point 
aux  romans  les  plus  ingénieux  et  les  mieux  écrits. 
L'historien    prend  quelquefois   un     ton   enjoué, 
comme  dans  le  chapitre  où  il  parle  de  l'impatience 
du    jeune  roi  Charles  VI  pour  voir  sa  nouvelle 


96  JUGEMENT 

épouse;  et  dans  celui  où  il  rapporte  les  plaisan» 
teries  que  ce  prince  fit  au  duc  de  Berry  son  on- 
cle, cjui,  dans  un  âge  peu  propre  à  Famour,  pre- 
nait une  femme  jeun^  et  aimable.  Le  goût  de 
l'auteur  s'aperçoit  aisément  dans  la  façon  dont 
il  traite  ces  matières  ;mais  comme  son  siècle  sa-* 
vait  tout  concilier,  ce  goût  n'exclut  pas  le  fond 
de  dévotion  qui  règne  dans  le  cours  de  son  ou* 
vrage.  Il  serait  seulement  à  souhaiter  qu'ij  n'eût 
pas  dégr?idé  sa  religion  par  une  crédulité  ridicu-' 
lement  superstitieuse  :  les  faux  miracles,  les  pro-» 
phéties,  les  encliaQtements»  n'ont  rien  de  si  absurde 
qui  ne  trouve  chez  lui  une  croyance  aveugle  et 
^ans  bornes.  Tout  le  monde  connaît  le  conte  qu'il 
fait  du  Démon  Gorgpn.  On  ne  comprend  guères 
comment  il  peut  accorder  avec  le  christianisme, 
l'exemple  qu'il  tire  de  la  fable  d'Actéon,  pour 
justifier  la  vraisemblance  d'une  aventure  de  même 
espèce  qui  fait  partie  de  ce  conte.  On  lui  a  de 
plus  reproché  d'avoir  déshonoré  l'histoire,  en  y 
mêlant  trop  de  minutiez.  Je  conviens  gu'on  l'au-^ 
rait  bien  dispensé  de  nous  apprendre  à  quelle  en-r 
«eigne  logeaient  ceux  dont  il  parle,  et  de  nous 
indiquer  les  hôtelleries  où  lui-rmême  avait  quel-? 
quefois  logé.  Mais  je  ne  passerai  pas  également 
condamnation  sur  les  aventilres  amoureuses,  les 
festins,  les  cérémonies  dont  il  nous  a  laissé  des 
descriptions  :  quand  les  récits  n'en  seraient  pas 


SUR  L'HISTOIRE  DE  FROISSA&T.  97 

asse2  nobles,  ils' nous  peîgneilt si bieii  et  si  âgréa^ 
blemetit  le  siècle  dont  il  fait  Phistoire  qu*ily  aurait^ 
ce  me  semble,  de  ^ingratitude  à  s^eu  plaindre.  > 

1  M.  de  S.t«  rttiayei  dans  là  suite  de  son  mémoire^  mentiotine  les  di- 
rersM  ëditions  et  les  manuscrits  de  1.  Froissart.  Noos  nons  en  sommes 
occapés  fort  au  long  dans  la  pfé&ee  dtLfOme  I  de  cette  édition. 


IriOtASAAT.   Ti  xvu 


n 


POÉSIES 

JEAN    FROISSART. 


POÉSIES 

DE  JEAN  FROISSART. 

LE  DIT  DOD  FLORIN. 

PoDB  bien  savoir  arguent  desfairei 
Si  bien  qu'on  ne  le  scet  refaire, 
Rapiecicr  ne  remeltre  cnsamble. 
Car  tel  paour  a  (jue  fous  tramble 
S     Quand  il  est  en  mes  mains  venus, 
Point  ne  faut  que  nulle  no  nuls 
Voisl  à  Douay  ou  à  Marclenes, 
A  Tournay  ou  à  Valencienes, 
Pour  qiiérlr  nul  millour  ouvrier 

0    Que  je  sui  l'esté  et  l'ivier, 

Car  trop  bien  délÎTrer  m'en  sçai. 
Je  l'alève  bien  sans  aisai 
Ne  sans  envoyer  au  billon. 
Aussi  à  la  fois  m'en  pillon 

S      Aux  dés,  aux  esbas  et  aux  tables, 
El  aux  aultres  jus  délitables; 
Mes  pour  chose  que  ar^jens  vaille. 
Non  plus  que  ce  fust  une  paille 
De  bleid,  ne  m'en  change  ne  mue. 

0     11  samble  voir  qu'argens  me  pue; 


i  POÉSIES 

Dalùs  moi  ne  [toet  arrester. 

J'en  ai  moult  perdu  au  prester; 

Il  est  fols  {[ul  preste  sans  gage. 

Argent  scet  maint  divers  lang^age; 
Ï3     11  est  à  toutes  gens  acaintes; 

Il  aime  les  benus  el  les  coinles, 

Les  nobles  et  les  orfrisiùs, 

Les  amourous,  les  envoisiés, 

Les  pèlerins,  les  nmrcliéans 
30      Qui  sont  de  leui-s  fais  bien  chéaiis, 

Couls  qui  sievent  soif  giierrc  ou  jousfo;; 

Car  h  tels  gens  argent  ne  couste 

Nulle  chose,  ce  leur  est  vis; 

Dalès  euls  le  voïcnl  cnuis. 
33     Argent  trop  volcntiers  se  cbange; 

Pour  ce  onl  leur  droit  nom  lî  ebauge^ 

Pas  ne  le  scevent  toute  gent. 

Change  est  paradys  à  l'argent, 

Car  il  a  là  taus  ses  déduis, 
40     Ses  bons  jours  et  ses  bonnes  nuis; 

Là  se  dort-il,  là  se  repose. 

Là  le  grale-on,  c'est  vraie  cboset 

Là  est  frétés  et  estrillés, 

Lavés  et  bien  appareiUiés; 
t3      11  en  vïent  com  par  enfance', 

)ls  le  poisent  à  la  balance; 

Avoir  li  font  toutes  ses  aises  ; 

Ah  devant  de  lui  mellent  baises. 

Afin  qu'on  ne  le  puist  haper. 
S6     Cil  ijiii  se  niellrnt  de  draper 


DE  JEAN  FftOlSSART.  I<>3 

Ett  prendent  la  plus  gfrans  puignies. 

Argfens  est  de  pluisours  li^ies; 

Car  lors  qu'il  est  issus  de  terre 

Dire  poet:  «  Je  mes.  vais  conquerre 
55     »  Pays,  chasteaus,  terre  et  offisces.  » 

Ârgpent  fait  avoir  bénéfisces, 

Et  fait  des  drois  venir  les.  tors, 

Et  des  tors  les  drois  au  retors. 

Il  n'est  chose  qu'argens  ne  face, 
60     Et  ne  des&ce,  et  ne  reface. 

Argent  est  un  droit  enchanteur. 

Un  lierres  et  un  bareteur^ 

Tout  met  à  point  et  tout  toveille. 

Il  dort  un  temps,  puis  se  resveille. 
03     Se  gros  tournois  leur  cours  avoient 

Et  les  changéours  y  sçavoient 

Gaagnier,  quoique  peu  de  cours 

Aient  ores,  dedens  briefs  jours 

Vous  en  veriés  sus  establies 
70     Aux  changes ,  pour  connjBStablies , 

Et  pour  porter  fondre  au  billon. 

Souvent  de  moi  s'esmervillon 

Comment  sitos  je  m'en  délivre^ 

J'ai  plus  tes  espars  une  livre 
73     Qu'uns  aultres  n'auroit  vingt  deniers^ 

Si  n'en  mac-je  bleds  en  greniers 

Avainnes,  pois,  fèves  ne  orges-. 

Je  n'en  fais  mousliers  ne  orloges^ 

Dromons,  ne  naves,  ne  calées,. 

SU     Manoirs,  ne  chambres,  ne  alées, 

7" 


POÉSIES 
Je  n'^ohate  soUes  ne  lins, 
Aiiltres  ^ains,  ne  foars,  ne  moulins, 
Fu^ri^tffluis)  estrains  ne  esteules, 
Hasples,  ne  fuseaus,  ne  keneules, 
Ne  Faucilles  pour  soyer  blés. 
Il  s'est  tnniost  de  moi  cmblésî 
Il  me  defiiit  et  je  lo  chnce  i 
Lorsque  je  l'aï  pris,  il  pnurcliarD 
Comment  il  soit  hors  de  mes  mains. 
U  va  par  mainics  et  par  mains; 
Ce  seroit  uns  bons  mcEsagiers, 
Voires  mes  qu'il  fust  iisagiers 
De  retourner  quand  il  se  parti 
Mes  ncnnil,  que  Diex  y  ait  part, 
Jà  ne  retournera  depuis. 
Non  plus  qn'il  cliéist  en  un  puis, 
Lorsqu'il  se  partira  de  moi. 
Se  je  ploure  après,  ou  larmoi, 
U  m'est  avis  U  n'en  fait  cure. 
Puis  Ting-t  et  cinq  ans,  sans  la  cure 
De  Lcstines,  qui  est  g;rant  ville, 
En  ai-jc  bien  eu  dcus  mille 
Des  fransj  que  sont  ils  devenu  ? 
Si  coulnut  sont  et  si  menu, 
Quand  ma  bourse  en  est  pourvéuo, 
Tost  en  ai  perdu  la  véue; 
De  quoi,  pour  ravoir  ent  le  comple 
De  deux  milliers  que  je  vous  compte., 
Lo  fons  et  tonte  la  racine 
J'en  mis  l'autr'ier  un  à  jehtne, 


â 


DE  JEAN  FROISSART.  1 03 

.Que  je  trouvai  en  un  angelot 
D'un  bourselot.  a  Diext  doux  valet^ 
»  Di*je  lots,  es-fu  ci.quatis? 
»  Par  ma  foi  tu-res  uns  quetis, 

IJ9      »  Quant  tous  seuls  tu  es  en  prison 
))  Demoré»,  et  ti  compa^f  non 
»  S'en  sont  aies  sans  congpié  prendre. 
))  Or  çjL,  il  t'en  £aiult  compte  rendr^.  » 
Adoncques  le  pris'  à  mes  dens,  , 

i)20     Et  le  mors  dehors  et  dedens 
A  la  fin  qu'il  fusf  plus  bleciés; 
Et  quant  je  me  fui  bien  sauciés^ 
Sus  une  pierre  Testendi 
Et  don  poingp  au  batt«  entendi.; 

i}23      Et  puis  si  tirai  mon  coutiel 
Et  jurai  ::  «  Par  ce  hateriel.l 
»  Je  t'eslioùlerai,  crapaudeaus; 
>»  Bien  voi  que  tu  es  uns  hardeauf^ 
i»  Tailliés.,  rongniés  et  recopés^ 

190     »  Pour  ce  n. es-tu  poini  eschapés; 
»  Les  autres  t*ont  lalssié  derrière, 
»  Se  tu  fuisses  de  leur  manière, 
9>  De  bon  pois  et  de  bon  lafaire , 
»  Tu  eusses  bien  o  euls  à  faire. 

;13S      »  Di  moi  quel  part  s*en  sont  aie 
»  Ceuls  qui  n'ont  chanté  ne  parlé, 
))  Mes  sont  partis  lance  sus  fautre^ 
»  Tout  «nsamble,  l'un  avec  Tautre, 
»  Ou  tantost  je  te  partirai 

iI4D     »  En  quatre,  et  si  te  porterai 


106  POÉSIES 

»  Fondl*e  en  la  maison  d'un  orfèvre* 
»  Ou  cuire  ou  fu  d'un  aultre  fèvre.  ut 
Adonc  dist-il  :  «  Pour  Dieu  merci  ! 
))  Sire,  j'ai  demore  droit  ci, 

145     »  En  ce  bburselot,  moult  lonc  temps  > 
»  J'ai  là  dormi  moult  bien  contens; 
»  De  vous  je  vous  voeil  dire  voir  : 
»  Alévé  avés  moult  d  avoir. 
»  Depuis  que  m'euïstea  premiers, 

130     »  Tous  jours  ai  esté  darrainniers, 
»  Ne  onques  vous  ne  m'aie  vastes; 
»  Engagfié  m'avés  bien  en  hastes 
»  Et  puis  tantes  me  racbetiés. 
»  Je  sçai  François,  Eng^lois  et  Thiès, 

153     y>  Car  partout  m'avés  vous  porté. 
»  Je  vous  ai  souvent  confortée 
))  Quant  il  vous  souvenoit  de  mi 
»  Vous  m'avés  trouvés  bon  ami; 
ik  Se  j'euïsse  esté  uns  plus  gprans^ 

160     V  Uns. bons  nobles,  ou  uns  bon^  francs  i^ 
»  Uns  doubles,  ou  uns  bons  ^scus 
»  On  en  n'euïst  eu  nul  refus  ; 
»  J'euïsse  ores  par  mille  mains 
))  Pass^.  Et  n'en  penses  jà  mains; 

165     »  Mais  pour  ce  qne  je  suis  si  fés 
»  Que  retailUés  et  contrefés, 
1»  On  m'a  refusé  trop  de  fois. 
»  Vous  venez  dou  pays  dé  Fois, 
»  De  Berne  9  en  la  Haute  Gascongne„ 

17Q    »  Et  n*avés  point  eu  besong^ne 


DE  J£AN  FROISSART.  1 07 

»,De  moi}  mëa  m'avés,  sans  mentir, 

»  Tout  un  yver  laissié  dormir 

n  En  un  bourselot  bien  cousu. 

»  Quel  ehoâe  vous  est  avenu  ? 
175     ))  Dit  tes  le  moi  tout  bellement; 

»  Je  su!  en  vo  commandement, 

»  Soit  dou  vendre  ou  del  engagpier.  » 
Quant  ensi  Toy  langagier 

En  eorag;e  me  radouci, 
180     Et  li  dis  :  «  Je  suis  ores  ci 

»  En  Avig'non,  en  dure  masse,  » 

m — Pour  quoi,  monseig^our,  sauf  vo  g^asce> 

»  Dist  le  florin,  vous  estes  bien 

»  Pour  avoir  pourfit  et  grant  bien.    , 
185     'i^  Ne  iendés  vous  à  benefisces? 

»  —  Gompains,  di-je,  se  tu  desis$es 

)>  Aultre  cbose,  par  saint  Hylaire 

>»  Je  fe  donroïe  bon  solaire, 

»  Ne  jamais  ne  t'aleveroie, 
190     »  Mes  garant  bonnour  te  porteroie.  » 

»  —  Et  que  volés- vous  que  je  die? 

»  Descouvrés  moi  vo  maladie, 

»  Si  en  serai  un  peu  plus  aise; 

»  Car  pas  n  est  drois  que  je  me  taise. 
I9S      »  Puisque  compte  volez  avoir 

»  Dou  beau  meuble  et  dou  bel  avoir 

»  Que  vous  avés^dis  eu, 

yt  Je  scai  bien  qu*ils  sont  devenu. 

»  Tout  premiers  vous  avés  fait  livres 
200     »  Qui  ont  cousté  bien  sept  cens  livres.  ' 


>08  POÉSIES 

»  L'argpent  avés  vous  mis  là  Lîpii; 
»  Je  le  prUe  sus  toute  rien 
»  Car  fait  en  avés  maint0  hystore 
»  Dont  îl  sera  enpor  memore 
203     »  De  vous  ens  ou  temps  à  venir, 
»  Et  ferés  led  g*ens  souvenir 
»  De  vos  sens  et  de  vos  doctrines  j 
»  Et  les  favreniers  de  Lestines 
))  ^  ont  bien  eu  cinq  cens  frans(. 

2iQ    »  Regfardés  les  deux  membres  gvau^ 
»  De  quoi  je  vous  fap  ordenance, 
»  Après,  n'avés-vous  souvenance 
»  Gmiment  vous  avés  traveîljié 
»  Et  pluisours  pays  resviUié. 

.2 1 3     »  Moult  bien  en  povés  mettre  un  mille 
^  »  En  okevattçant  de  ville  en  ville, 
»  N'avés  vous  en  Escôce  esté, 
»  .^t  là  demi  an  arresté^ 
»  En  Engpleterr^  et  en  Norgalles^ 

:22P     »  Où  bien  ayés  eu  vos  çajes 
»  De  là  partir,  aler  à  Rome^ 
»  En  arroi  de  souffîsant  Jiomme 
»  Mené  bagenée  et  roncin, 
»  Retourné  un  aujtre  chemin 

:225     »  Que  ne  fesiste$  au  passer 

^  Pour  mieul$  les  pays  compasser^ 
»  Chercbié  le  royalme  de  France 
,    '^)  De;Chief  cin  cor,  par  ordenance^ 
»  Tele  que  tous  jours  à  gprans  frès. 

lîî^lQ     »  Et  avés  eu  tous  jours  près 


DE  JEAN  FROISSART.  1 0» 

»  Or  et  argent  parmi  raison 
»  Pour  bien  employer  Tosaison^ 
»  Tout  4is  avés  esté  montés, 
»  Et  d'abis  enhupelandés, 

23i      »  Bien  gouYei*nés  et  bien  péiiSi 
%  J^ai  tous  vos  afaires  véus. 
)>  Otaîit  àe  éhoses  avéir  faittes^ 
»  Sans  TOUS  boutei"  en  g-rosses  debtes  » 
y>  Que  uns  aultres  bons  coustumiers 

!240     »  Autre  tânt^  pour  quatre  milliers^ 
»  N'en  feroit,  foi  que  doi  saint  Gille  ! 
))  Que  fait  en  avés  pour  deux  mille. 
i)  Si  ne  devés  pas  lé  temps  plaindre, 
»  Ne  vous  soussyer)  ne  complaindre. 

ili     »  Vous  avés  vescu  jusqu'à  ci; 
»  Onques  ne  vous  vi  d^scoufi 
^  Mes  plain  de  confort  et  d'emprise, 
»  Et  c'est  un  point  que  moult  je  prise4 
»  Je  vous  ai  véu  si  joious 

950     y>  Si  joli  et  si  amourous 

^  Que  vous  viviés  de  soubédier.  ^ 
—  le  Ha  !  di-je  j  tu  me  voels  aidier  $ 
%  Mes  c^est  trop  fort  que  jà  oublie 
3)  La  belle  et  bonne  compagnie 

i5i     )>  De  flprins  que  l'autr  ier  avoie^ 
»  Et  si  s'en  sont  l^alé  leur  voie^ 
D  Je  ne  sçai  pas  en  quel  pays^ 
D  Certes>  je  m'en  tiens  pour  trabis 
19  Quant  aultrement  n'en  ai  penlet.  » 

SOO    Lors  dbt  mon  florin  qu'il  ne  scet 


1 


IIO  POÉSIES 

Nulle  riens  de  ces  te  matère. 
—  «  Mesures,  par  l'ame  vostre père  l 
»  Dites  moi  quel  chose  il  vous  faulf, 
»  Ne  a  falli,  et  dou  default 

363     »  Yolentiers  y  adrecerai.  »   «  * 
Je  respons  :  «  Je  te  le  dirai. 
»  Tu  scés  comment  je  me  ^arti 
»  Dé  Blois,  et  sus  un  bon  parti, 
»  Don  conte  Gui,  mon  droit  seigpnoun 

270     »  Jc)  qui  ne  tenc  qu'à  toute  faonnour, 
)»  Et  qui  moult  désiré  avoie 
»  D  aler  en  mon  temps  une  voie 
)>  Yéoir  de  Fois  le  gcentil  conte 
»  Pour  un  tant  que  de  li  on  compte  > 

273      »  Moult  de  larg[heces  et  de  biens; 
»  Et  yraiemtnt  il  n'i  fault  riens 
»  Que  largcheces  et  courtoisies, 
»  Honneur  sens>  et  toutes  prisies, 
»  Qu'on  peut  recorder  de  noble  homme 

280     >>  Ne  soient  en  celui  qu'on  nomme 
»  Gaston,  le  bon  conte  de  Fois« 
D  Mon  mestre,le  conte  de  Blois 
»  Ëscrisi  pour  moi  devers  li;       , 
>)  Et  le  conte  me  recoelli 

283     »  Moult  liement  et  doucement. 
»  J'ai  là  esté  s\  longemeut      * 
»  Dalès  lui,  qu'il  ma  pléu  voir  ; 
»  Se  je  desiroie  à  avoir 
»  De  son  estât  la  cogfnobsance^ 

290     »  Je  l'ai  eu  à  ma  plaisance; 


DE  JEAN  FROISSART.  1 1 1 

»  Car  toutes  les  nuis  je  lisoie 

»  Devant  lui,  et  le  solaçoie 

»  D'un  livre  de  Melyador^, 

))  Le  chevalier  au  soleil  d'or, 
293      »  Le  quel  il  ooit  volèntiers; 

»  Et  me  dist  :  C'est  un  beaus  raestiers, 

)>  Beaus  maistres,  de  faire  tels  choses. 

»  Dedens  ce  romane  sont  encloses 

,»  Toutes  les  ohançons  que  jadis, 
300     ^  Dont  Tame  soit  en  paradys  ! 

»  Que  fist  le  bon  duc  de  Braibant, 

»  Wincelaus  dont  on  parla  tant  ; 

1»  Car  uns^inces  fa  amourous 

»  Gracions  et  chevalerous; 
303     »  Et  le  livre  me  fist  jà  faire 

X»  Par  très  g^ant  amourens  afaire 

»  Conunent  qu'i^  ne  le  véist  onques. 

yi  Après  sa  mort  je  fui  adonques 

>  Ou  pays  du  conte  de  Fois 
310     »  Que  je  trouvai  largphe  et  courtois, 

»  Et  fui  en  revel  et  en  paix 

»  Près  de  trois  mois  dedeus  Ortais^ 

D  Et  vi  son  estât  garant  et  fier 

))  Tant  de  voler  com  de  chacier. 

»  J'ai  moult  esté  et  hault  et  bas 

»  Ou  monde ,  et  véu  dés  estas  ) 
313     »  Mes,  excepté' le  roi  de  France, 

»  Et  Vautre  que  je  vi  d'en&ncC) 

»  Edouwart,  le  roy  d'Engleterre, 

»  Je  n'ai  véu  en  mille  terre 


112  POÉSIES 

»  Estât  qui  se  puist  ressambler 

320     »  A  celui  dont  je  puis  parler, 

»  Se  ce  n^est  Bérri  et  Bourgongpné. 
)»  Mes  bien  croi,  sans  point  de  mençongpne 
»  Que  ces  deus  dus,  cas|mns  par  soi, 
»  Qui  sont  oncle  dou  noble  roy 

325      »  Charles  de  France  )  qui  Diéx  garti 
))  Ont  estât  de  plus  grant  regfard 
»  Que  ne  soit  li  estas  dou  conte 
»  De  Fois.  Mes  tant  y  a  en  compte 
»  Qu'il  est  largphes  aux  estragniersi 

030     »  Et  parle  et  vie  v  dentiers  * 
»  A  euls,  et  dist  ptant  de  choses 
»  Où  on  poet  prendre  bonnes  gloser 
»  Que  de  seigneur  que  onqties  vi, 
»  0  un,  que  Diex  face  merci  ! 

d3â     ))  Améy  le  conte  de  Savoie» 

»  Cils,  tant  quil  vesqui^  tint  la  voie 
»  De  larghece^  en  toutes  saisons* 
».  Revenir  voeil  à  mes  raisons. 
»  Gaston  le  bon  conte  de  Fois, 

310     »  Pour  ronnour  du  conte  de  Bldis, 
»  Et  pour  ce  que  j'oc  moult  de  painne 
))  Tamaint  jour  et  mainte  sepmainne 
»  De  moi  relever  à  mie-nuit^ 
»  Ou  temps  que  les  cers  vont  en  bruit  » 

313  y  »  Sis  sepmainnes  devant  Noël 
»  Et  quatre  après^  de  mon  ostel 
»  A  mie  nuit  je  me  partoie 
te  Et  droit  au  chasliel  m  en  aloie» 


DE  JEAN  FROISSART.  113 

»  Quel  temps  qu'il  fesist,  plueve  ou  rent, 
3M    »  Aler  m'i  conveuoit  souvent, 

»  Estoïe-je,  vous  di,  mouillés^ 

»  Mes  j'estoïe  bel  recoeilUés 

»  Dou  conte,  et  me  faisoit  des  ris. 

»  Adont  estoi-je  tous  gfaris, 
333     »  Et  aussii  d'entrée  première 

»  En  la  salle  a  voit  tel  lumière, 

»  Ou  en  sa  chambre  à  son  souper, 

»  Que  on  y  véoit  ossi  cler 

»  Que  nulle  clareté  poet  estre. 
3^    »  Cerles  à  paradys  terrestre 

m  Le  comparoïe  moult  souvent. 

»  Là  estoïe  si  longemdnt 

»  Que  li  contes  aloit  couchier. 

»  Quant  léu  avoie  un  septier 
363      »  De  foeilles,  et  à  saplaisance, 

1)  Li  contes  a  voit  ordenance 

»  Que  le  demorant  de  son  vin 

»  Qui  vçnoit  d'un  vaissiel  d*or  fin, 

»  En  moi  sonnant^  c'est  chose  voire, 
370     »  Le  demorant  me  faisoit  boire; 

»  Et  puis  nous  donnoit  bonne  nuit* 

»  En  cel  estât,  en  ce  déduit 

»  Fui-je  à  Ortais  un  lonc  tempoire; 

»  Et  quant  j 'oc  tout  parlit  Tistoire 
373     yt  Dou  chevalier  au  soleil  d'or 

ïi  Que  je  nomme  Melyador, 

»  Je  pris  congfié,  et  li  bons  contes 

»  Me  fis  t  par  la  chambre  des  contes 

FROISSART.  T.  XVL  *  8^ 


1 1 1  POÉSIES 

))  Délivrer  quatre  vins  florins 

380     »  D'Aragon,  tous  pesans  et  finsj 

))  Des  quels  quatre-vins  les  soissante, 
»  Dont  pavoïe  fait  frans  quarante , 
»  Et  mon  livre  qu'il  m'ot  laissié, 
»  Ne  sçai  se  ce  fut  de  coer  lie, 

383      »  Mis  «n  Avignon  sans  damage. 
»  Or  veci  tantos  trop  grant  rage  : 
»  Je  vinc  là  par  un  vjenredi, 
»  Et  voloïe  voir,  je  te-di, 
»  Mettre  tous  ces  florins  au  change; 

390     »  Mes  pourpos  qui  se  mue  et  change 
»  Se  mua  en  moi  sans  séjour. 
))  J*aVoie  acheté  en  ce  jour 
))  Une  boursette  trois  deniers; 
»  Et  là,  comme  mes  prisonniers 

393     »  Les  quarante  frans  encloy. 
»  Le  dimenoe  après,  eschéy 
))  Que  je  me  levai  moult  matin  ; 
D  Je  oy  l'offisce  divin. 
)i  Or  avoi-je  mis  mon  avoir 

iOO     »  Et  la  boursette,  très  le  soir, 

»  En  une  aultre  bourse  plus  grans. 
»  Quant  je  cuidai  trouver  mes  frans, 
»  Certes,  je  ne  trouvai  riens  née; 
»  Et  sçai  bien  qu'à  la  matinée 

403     »  Je  les  avo'ie.  Fin  de  somme. 
»  Onques  n  oy  de  tel  fantomme 
»  Parler,  par  Tame  de  mon  père  ? 
»  Ma  folie  je  le  compère 


DE  JEAN  FBÛISSART.  115 

))  Et  Gomparrai^  jusques  au  jour 
41=0      »  Q«6  je  serai  mis  au  retour 

»  Et  à  monsei^oour  revenus; 

»  Car  esté  n'a  nuUo  P9  nuls 

»  Qui  m'en  ait  dit  nulle  nouvelle,  » 
Et  adonques  me  r^nou^irelle 
413     Mon  florin  un  aultre  pourpes, 

Et  me  disl  ;  «  Vous  e^stea  un  sos, 

»  S#  vous  pensés  là  lopgfement. 

))  Tout  dis  recoevre-on  tAf^  argpent^ 

»  Legièrem^nt  yw»  ^opt  venu 
420      »  Et  legfièremwt  ^ni  perdu. 

»  Encores  p Wés  vdus^  saps  fauta 

))  Eu  droit  à  puIIa  ji^/^faiite, 

»  Et  si  save3  episor  derrière 

»)  Le  bon  seig^n^ur  de  la  Rivière^ 
423      »  Et  le  }m>p  isenla  de  Sansoirre; 

»  CescuPi»  den  deux,  e*est  chose  voire, 

I)  Pour  }  amour  dou  conie  de  Blois, 

»  Qui  est  de  coer  frans  et  eourtois 

»  Et  entrais  de  haulte  lignie 
A39     )>  Peur  dix  frans  ne  vous  faudrant  mi«; 

»  Et  se  vous  trouvés  le  Daufin 

»  D'Auvergne,  qui  a  le  cœr  fin 

»  Et  de  qui  T'eus  estes  d'ostel, 

)>  Il  vous  fera,  certes^  otel; 
Ii33     ))  Ne  vous  fgiudroit  pour  nulle  rien^ 

»  Car  de  tant  le  cognoi-je  bien. 

»  Aussi  ne  fera»  s^ll  besongne. 

}»  Uns  qui  est  en  jcelle  besonjg^ne^ 


IIG 

POÉSIES.                                                    1 

«  Jehans  le  visconle  d'Asci;                                    ' 

140 

«  Car  dou  bon  seig;nour  de  Couci, 

»  Qui  est  nolilés,  {[eiitils  et  cointes 

»  Estes  voua  privés  et  acnintcs; 

»  Et  s'avés  pour  lui  celle  painne  , 

)i  Et  l'expectatLOB  lontaiiine 

U3 

•a  Sus  les  cbanesies  de  Lillo. 

»  Cent  florins  vous  a,  pqr  saint  Cille  ! 

»  Moult  bien  coustéc  celle  gTasce, 

Il  Qui  n'est  ores  bonne  ne  grasse 

»  Mes  mal  rcvonans  à  proulit, 

ISO 

»  Quoique  dou  premier  an  est  dit 

»  Dou  pape  que  la  grasce  avés; 

Il  Mes  voirement  vous  ne  sçavés 

»  Quant  vous  en  serés  pourvéus 

B  Ne  à  chanonnes  rccéus. 

453 

»  Tout  fault  passer;  oublyés,  mcstre, 

Il  Toute  chose  qui  ne  poct  esire; 

w  Et  si  vous  mctiés  au  retour 

«  Sans  attendre  nul  aultre  alnur 

»  Avec  les  seignours  dessus  dis. 

160 

»  Vons  ne  serés  jà  escondis 

»  D'avoir  leur  bonne  compagnie. 

* 

»  Et  si,  soyés  un  aultre  fie 

■n  Mieuls  avisés  et  plus  sonjneus 

1 

M  De  garder  en  tels  pctîs  neus 

'                              161 

»  Une  quantité  de  florins, 

»  Se  les  avés  ;  car  nuls  cousins. 

»  Ne  parent,  ne  vous  sont  si  bon, 

^ 

M  Ne  si  très  loyal  compagnon, 

DE  JEAN  FROISSiRT.  117 

»  Ne  pour  qui  on  esploite  tant 
470      »  Que  florins  sont,  je  vous  créant  » 
Âdone  di-je  :  «  Sus  toute  rien 

»  Tu  m*as  ores  eonseillié  bien; 

»  Eneores  je  te  g^ràerai, 

»  Ne  point  je  ne  t'aleveraî, 
473      »  Car  tu  n  es  mies  trop  prisiés 

»  Mes  contrefés  et  débririés. 

»  Or  f  en  va,  dont  tu  es^  venus f 

»  Je  ne  voeil  à  toi  parler  plu&j 

»  Mes  il  me  souvenra  souvent, 
480     »  Cela  t'ai- je  bien  en  oonvcnt, 

»  Comment  le  sire  de  Bian-Ju^ 

»  Antones  qui  grans  galois  fu^ 

»  En  riant  moult  souvent  disoii^ 

n  Et  d'argent  on  se  devisoit  : 
483     »  Aussi  a  Ssiit  Gerars  d'Obies 

»  Qui  pas  n*a  vie  aux  oublies  ; 

»  Autant  vaudroit  au  jugement 

D  Estront  de  cbien  que  marq  d'argent.  » 


ft 


118  POÉSIES 


LE  DÉBAT 


DOU  CHEVAL  ET  DÔU  LEVRIER. 


t^BOissARS  d*Eseoce  reyenoit 
Sus  un  cheval  qui  g^ris  estoit^ 
Un  blane  lévrier  menoit  en  lasse. 
H  Las!  di»t  le  lévrier,  je  me  Iasse< 
]f>  Grisel)  quant  nous  reposerons? 
»  Il  est  heure  que  bous  tnengons. 
^  1^  Tu  te  lassé^^  dist  li  chevauft  y 
»  Se  tu  àvoïes  tuons  tel  vauls 
»  Porté  uti  bomitte  et  une  maie  9 

"^  Bien  diroïes  :  Li  heure  est  niale 

» 

»  Que  je  nasqui  onques  de  taèvé.  » 
»  —  Dist  li  lévriers  î  C'est  efaose  clèref 
»  Mes  tu  es  g-rans,  gros  et  quarrés, 
7t  Et  as  tes  quatre  pies  ferrés; 
))  Et  je  m'en  vois  trestous  deschaus^ 
»  Assés  plus  g^rans  m  est  li  travauls 
»  Qu'à  toi)  qui  es  et  grans  et  fors, 
»  Car  je  n*ai  qu*un  bien  petit  corps. 
y>  En  ne  m  appelle-on  un  lévrier 
»  Pais  pour  le  g^ens  esbanoyer  ; 
»  Et  tu  es  ordonnés  et  fès 
»  Pour  porter  un  honune  et  son  fè». 


ITE  JEAN  raOISSART.  1 1» 

»  Quant  nous  venrons  jà  à  Tostel, 

D  Nos  mestres,  sans  penser  à  el> 

Y  II  t'apor tera  del  avainne  -, 

»  Et  s'il  voit  qnaïes  eu  painne> 

»  Sus  ton  dos  jettera  sa  cloque, 

»  Et  puis  par  dalès  toi  se  joque. 

»  Et  il  me  fault  illuec  croupir. 

»  Il  ne  me  vient  point  à  plaisir. 

^  — Je  t'en  crois  bien,  respond  Grbeaus*, 

»  Ttt  me  comptes  bien  mes  morseaus, 

»  Mes  je  ne  compte  point  les  tiens. 

»  Pleuïsl  Dieu,  que  je  fuisse  uns  cbiens 

»  Ensi  que  tu  es  par  nature  9 

»  S'auroîe  dou  pain  et  dou  bure 

»  Au  matin,  et  la  gérasse  soupe. 

))  Je  sçai  bien  de  quoi  il  te  soupe. 

))  S'il  n  avait  qu'un  seul  bon  morsel> 

»  Ta  part  en  as-te  en  ton  musel  -, 

»  Et  si  te  poes  par  tout  esbatre. 

»  Nul  ne  t*ose  férir  ne  batre^ 

»  Mes  quant  je  ne  vois  un  bon  trot» 

»  Jà  n'en  parlera  à  moi  mot, 

»  Ains  dou  debout  de  ses  talons^ 

»  Me  frera  de  ses  esporons» 

»  Si  qu  à  la  fois  me  fait  banir. 

»  Se  tu  avoïes  à  souffrir 

»  Ce  que  j  ai^  par  Saint  Hone^tassa 

»  Tu  diroïes  acertes,  lasse!  » 

—  Dist  le  chien:  a  Tu.fe  dois  bien  plaindre  1 

»  Ains  qu'on  puist  la  chandelle  estaindre^ 


1 20  POÉSIES 

»  On  te  frote,  gfrate  et  estrille, 

»  Et  te  euevre  on ,  pour  la  morille, 

»  Et  si  te  nef  tie-on  les  pies. 

»  Et  s  on  voit  que  tu  soies  liés 

»  On  t'aplanoïe  sus  ledos^ 

»  Et  dist-on  :  Or>  pren  ton  repos, 

))  Grîselj  car  bien  Vas  desservi 

»  L*avainne  que  tu  meugles  ci. 

»  Et  puis  on  te  fait  ta  littière 

»  De  blanc  estrain  ou  de  fléchiere 

7>  Là  où  tu  te  dois  reposer. 

y>  Mes  j'ai  aultre  chose 'à  penser; 

»  Car  on  me  met  derrière  un  huis, 

»  Et  souvent  devant  un  pertuis, 

3)  Et  dist-on  :  Or  gfarde  Tostel. 

n  Et  se  laïens  il  avient  tel, 

3)  Que  bien  j'en  ai  toutes  les  tapes; 

»  Car,  s'on  envolepe  ens  es  nappes 

»  Pain ,  char,  bure,  frommag^  où  let , 

»  Et  la  meschine  ou  li  vallet 

7)  Le  mengpuent,  par  aucun  cas^ 

»  Sus  moi  en  est  tous  li  debas; 

1»  Et  dist-on  :  Qui  a  ci  esté? 

»  Cils  chiens!  Et  je  n  ai  riens  gfousté. 

»  Ensexnent  sui«  sans  ocquisôn 

»  D*estre  batus  en  souspeçon. 

»  Mes  on  ne  te  requiert  riensnée, 

»  Fors  que  bien  Faces  ta  journée. 

»  Si  te  pri  cor,  avances  toi, 

»  Car  droitement  devant  nous  voi 


DE  JEAN  FBOISSART.  121 

»  Une  ville  à  un  grant  clochier. 
»  Nos  mestres  y  vodra  mengierf 
»  Tu  y  auras  là  del  avainne» 
n  Et  je  aussi  prouvende  plainne. 
»  Si  te  pri,  et  si  le  te  U» 
»  Que  tu  y  voises  les  galo^.  » 
»  -—  Respont  Griseaus  :  Ossi  ferai-je 
»  Car  de  mengicr  grant  talent  ai-je.  » 

Froissars  atant  vint  à  la  ville 
Et  là  faillirent  leur  concile. 


I 
* 


BALADE. 


Sus  loules  Hours  tient-on  la  rose  à  belle 

El  en  après,  je  croi,  la  violelte; 

La  Iloui"  (le  lys  est  belle,  et  la  perselle; 

La  flonr  de  {jlay  est  plaisans  et  parfctte; 

Et  li  pluisour  aiment  mouk  l'anquelie, 

Le  pyonier,  le  muçel,  la  soussie. 

Cascune  flour  a  par  li  sa  mérite. 

Mes  je  vous  di,  tant  que  pour  ma  partie. 

Sus  toutes  flours  j'aime  la  Marjherîte 

Car  en  tous  temps,  pluevc,  presiUc  ou  gcUe, 
Soit  la  saisons  ou  fresce,  ou  laide,  ou  nette, 
Ceste  flour  est  jjracieuse  et  nouvelle, 
Douce  et  plaisant,  blancetc  et  vermillete; 
Close  est  à  point,  ouverte  et  espanïo; 
Jà  n'y  sera  morte  ne  apalie; 
Toute  lionlt-  est  dedens  li  cscripte; 
El  pour  un  tant,  quant  bien  y  estudie 
Sus  toutes  flours  ^aime  la  Mar^herite. 

Et  le  doue  temps  oro  se  renouvelle. 
Et  esclaircist  ceste  douce  floureltej 
Et  si  voi  ci  seoir  dessus  la  sprelle 
Deus  cuers  navrés  d'une  pLiisant  sajcite, 
A  qui  le  Dieu  d'amours  soit  en  aye. 


DE  JEAN  FROISSART.  123 

Avec  eulx  est  plaisance  et  eourtoisie 
Et  douls  reg^ars  qai  petit  les  respite. 
/Dont  c'est  raison,  qu^au  chapel  faire,  die* 
Sus  toutes  flours  j'aime  la  Margherite*  (*) 

(*}Dans  le  inaQascriv72I4  ce  couplet  est  denné  ainsi: 

Mes  trop  errant  doel  me  oroist  et  renouvelle 
Quant  me  son  vient  de  la  douce  flonrelle^ 
Car  enclose  est  dedess  nne  tourelle  : 
S^a  one  haie,  aadevant  de  li  faille 
Qui  nuit  et  joar  m'empèee  et  contrarie. 
Vès  s^amonra  Toelt  estre  de  mon  aye, 
Jà  poor  ereniel,  pour  tour,  ne  poar  garite 
Je  ne  lairai  qu^à  oeooision  ne  die  : 
Sus  tontes  flonrs  f  aime  la  margherile. 


POÉSIES 


! 


'I 


LE  DITTIE. 

DE  LA  FLOUR  DE  LA  MAHGHEBITE. 


[  Je  ne  me  doi  retraire  de  loer 

l  La  flour  des  flours,  prisier  et  honnoarer. 

Car  elle  fait  moult  à  recommender. 

C'est  la  Consaude ,  ensi  le  voeil  nommer. 

Et  qui  lî  voelt  son  propre  nom  donner, 
I  On  ne  li  poet  ne  loUir  ne  embler, 

Car  en  françois  a  à  nom,  c'est  lout  cler, 
La  Margherite, 

De  qui  on  poet  en  tous  temps  recouvrer. 
Tant  est  plaisans  et  belle  au  rejarder. 
Que  douvéoir  ne  me  puis  soëler. 
Toujours  vodroie  avec  li  demorer. 
Pour  ses  vertus  justement  aviser, 
n  m'est  avis  qu'elle  n'a  point  de  per, 
A  son  plaisir  le  volt  nature  ouvrer. 
Elle  est  petite. 

Blanche  et  vermeille,  et  par  usag;e  habite 
En  tous  vers  lieus;  aillours  ne  se  delilte. 
Ossi  cbier  a  le  préel  d'un  bermilte, 
Mes  qu'elle  y  puîst  croistresans  opposite, 


DE  JEAN  FROISSÀBT.  1 35 

Comme  elle  fait  les  beaus  gardins  d'Egfypfe. 
Son  doiilc  véoir  gfrandement  me  proufite  ; 
Et  pour  ce,  est  dedens  mon  coer  escripta 

Si  plainnement  : 

Que  nuit  et  jour  en  pensant  je  recite 
Les  gran$  vertus  de  quoi  elle  est  confîfe; 
£t  di  ensi  :  a  Li  heure  soit-benite 
)>  Quant  pour  moi  ai  tele  flourQtt[(  eslitte, 
»  Qui  de  bonté  et  de  beauté  est  ditte 
»  La  souveraine;  et  s'en  attenc  mérite, 
»  Se  ne  m'y  nuist  fortune  la  frahitte, 

»  Si  ^andcment 

«>  Qu  onques  closiers^  tant  sceuist  sag^ement, 
D  Ne  gfardiniers  ouvrer  joliëment, 
»  Mettre  en  g^ardin  pour  son  ébattement 
»  Arbres  et  flours  et  frnis  à  son  talent, 
»  N'ot  le  pareil  de  joïc  vraïement 
»  Que  j'avérai^  s'eure  le  me  consent.  » 
De  ce  penser  naon  espoir  fait  présent 

Un  lonc  termine; 

Et  la  fleurette  en  un  lieu  cruçon  prent, 
Où  nourie  est  d'un  si  doulc  élément 
Que  froit  ne  chant,  pluève,  grésil  ne  vent 
Ne  li  poënt  donner  empècement^  . 
Ne  il  n*i  a  planelte  ou  firmament 
Qui  ne  soit  preste  à  son  commandement. 
Un  cler  soleil  le  nourist  proprement 

Et  enlumine 


126  POÉSIES 

Et  ceste  flolir  qui  tant  est  douce  et  fine. 
Belle  en  cruçon,  et  en  regard  bénigfne. 
Un  usaLgB  9.  et  une  vertu  digpne 
Que  j'ai  moult  chier^  quant  bien  je  Timag^ine* 
Car  tout  ensi  que  le  soleil  chemine 
De  son  lever  jusqu'à  tant  qu'il  décline, 
La  Margherite  encontre  lui  s'encline 

Comme  celi 

Qui  monstrer  voelt  son  bien  et  sa  doctrine  ^ 
Carie  soleil  qui  en  beauté  l'afine, 
Naturelment  li  est  chambre  et  courtine, 
Et  le  défient  contre  toute  bruïne, 
Et  ses  couleurs  de  blank  et  de  sanguine 
Li  paraccroist;  c*en  sont  li  certain  signe 
Pourquoi  la  flour  est  envers  li  encline. 

S'ai  bien  cuesi 

Quant  j'ai  en  coer  tel  fleurette  enchieti 
Que  sans  semence,  et  sans  semeur  aussi , 
Premièrement  hors  de  terre  appari. 
Une  pucelle  ama  tant  son  ami, 
Ce  fut  Thérès,  qui  tamaint  mal  souffri 
Pour  bien  amer  loyalment  Cephéy, 
^ue  des  larmes  que  la  belle  espandi 

Sus  la  verdure 

Où  son  ami  on  ot  ensepveli. 
Tant  y  pleura ,  dolousa  et  gémi 
Que  la  terre  les  larmes  recueilli* 
Filé  en  ot*,  encontre  elles  s'ouvri; 
£t  Jupiter  qui  ceste  amour  sentie 


DE  JEAN  FROISSART.  1 27 

Par  le  pooir  de  Phébus  les  noarri; 
En  belles  fleurs  toutes  les  eoDverti 

D'otel  nature 

Comme  celle  est  que  j'aim  d'entente  pure. 
Et  amerai  tous  jours  quoique  j'endure. 
Mes  s'avenir  pooie  à  raventure, 
Dont  à  son  temps  ot  jà  Véûz  Mercure, 
Plus  éûreus  ne  fu  ains  créature 
Que  je  seroie,  ensi  je  vous  le  jure. 
Mercurius^  ce  dist  li  escripture. 

Trouva  premier 

La  belle  flour  que  j'aim  oultre  mesure; 
Car  en  menant  son  bestaîl  en  pasture^ 
Il  s'embati  dessus  la  sépulture 
De  Cephéy,  de  quoi  je  vous  Sigare^ 
El  là  cuesi,  dedens  Tencloséure, 
La  doulce  flour  dont  je  fac  si  grant  cure* 
Merveilla  soy;  il  y  ot  bien  droifttre. 

Car  en  jcnvier, 

Que  toutes  fleurs  sont  morte»)  pour  Tyvier^ 
Celle  perçut  blancir  et  vermiliier, 
Et  sa  couleur  viveté  tesmongnier. 
Lors  dist  en  soi  :  (c  Or  ai  mon  desirier  !  » 
Tant  seulement  il  en  ala  cueillie  r 
Pour  un  chapiel;  bien  les  Tolt  espargnier 
Et  à  rirës  ala  celui  cargior 

Et  si  le  prie 

Que  à  Sérès  le  porte  sans  targier 
Qui  de  s*amour  ne  le  vœlt  adagnier. 


128  POÉSIES 

S'en  gré  le  prent,  sa  vie  aura  plus  chier. 
Ce  que  dis!  fist  errant  le  messagier. 
A  Sérès  vint  le  chapelet  ba  illier. 
Celle  le  prist  de  cler  ceer  et  entier, 
Et  dit  :  «  Bien  doi  celui  remercier 

»  Qui  s'esbanie 

»  A  mol  tramettre  un  don  qui  me  fait  lie  \ 

»  Et  bien  merir  li  doi  sa  courtoisie. 

»  Et  je  voeil  que,  de  par  moi»  on  li  die, 

»  Que  jamais  jour  n'amera  sans  partie.  » 

Moult  liement  fu  la  response  oye. 

Car  tout  ensi  Tirés  li  signefie 

A  )son  retour  et  li  acertefîe. 

Ne  plus  ne  mains 

V 

Là  et  la  fleur  une  vertu  jolie, 
Car  elle  fist  celui  avoir  amie 
Qui  devant  ce  venir  n*y  pooit  mie. 
Ne  poroif  jà  estre  ensi  en  ma  vie  ? 
Je  ne  sçai  voir,  non-pour-quant  je  m'afie 
En  bon  espoir,  ce  grandement  m'aye* 
Mes  toujours  ert  en  eoer  de  moi  chierie« 

J  en  sui  certains, 

La  belle  fleur  que  Margherite  clains. 
Elle  le  vault  pour  ce,  sus  toutes  lains. 
Et  se  me  sens  de  la  droite  amour  çains, 
Mercurius  qui  de  tous  biens  fîi  plains, 
Car  tant  Tama  que  tous  soirs  et  tous  mains 


DE  JEAN  FROISSÂBT.  1 29 

Quek  temps  qu'il  fust,  kalendes  ou  toussaîns 
Un  chapelet  en  portôit  li  compains, 

Tout  pour  l'amour 

Serès  sa  dame;  en  olel  pouVpoii  mains, 
Car  tant  me  plaist  de  la  flonr  li  beaus  tains 
Qtt*il  m'est  avis  qu  il  ne  soit  homs  humain» 
Noinméement,  ne  rudes,  ne  villains. 
Qui  afouchier,  y  doie  ong'le  ne  mains* 
Et  se  I  etkr  j  ai  eu  premerains 
D'elle  trouver^  ne  m*en  lo,  ne  m'en  plains 

Par  nesun  tour-, 

Fors  seulement  que  dou  perdre  ai  paour. 
Dont  pour  moi  mettre  en  un  certain  séjour. 
En  lamentant  souhède  nuit  et  jour, 
Et  di  ensi  :  «  Pleuïst  au  Dieu  d'Amour 
»  Que  je  véisse  enclos  en  une  tour, 
»  0  le  closier,  la  g'racieuse  fiour  ^ 
})  Et  si  n'euïst  homme  ne  femme  au  tour 

.  »  Qui  sourvenit, 

M  Peu'ïst  illaec  et  fust  en  un  destour , 
»  A  mon  cuesir,  n  ai  cure  en  quel  contour.  ^ 
En  ce  souhet  je  pense  toute  honneur. 
IVlès  souhedier  me  fait  plaisance,  pour  - 
A  grant  loisir  reg^ai^der  sa  couleur 
Blanche  et  Tcrmeille,  assise  sur  yerdour. 
S'en  ce  parti  vivola^  nul  millour 

Ne  doit  quérir 

Homs,  ce  m*est  vis,  qui  tant  aime  et  désir 
La  flour,  que  fai.  Car  n'ai  aultre  dcsir 
PIIOISSABT.  T.  svi.  9 


130  POÉSIES 

Que  del  avoir  pour  véoir  à  loisir 
Au  vespre  clore  et  au  mâtin  ouvrir; 
Et  le  soleil  de  lout  le  jour  sievir, 
Et  ses  florous  contre  lui  espanir. 
Tele  vertu  doit^on  bien  cpnjoir, 

A  mon  semblant. 
Si  fai-je  voir^  là  gist  tout  mon  plaisir. 
11  m'est  avis,  le  jour  que  lé  remir, 
Qu'il  né  me  poet  que  tous  biens  avenir, 
Et  pour  l'amour  d'une  seule,  à  qui  tir, 
Dont  je  ne  puis  que  de  regars  joir. 
C'est  assés  peu;  uiès  ce  me  £iult  souffrir. 
Toutes  les  voeil  honnourer  et  servir 

D'or  en  avant 

Et  si  prommec  à  la  fleurette,  quant 
Es  lieu  venrai,  là  où  il  en  croist  tant, 
Tout  pour  l'amour  de  la  ditte  devant, 
J'en  cueillerai  une  ou  deus  en  riant, 
Et  si  dirai,  sou  grant  bien  recordant: 
((  Veci  la  flour  qui  me  tient  tout  joiant, 
))  Et  qui  me  fait  en  souffissànce  grant 

))  Tous  biens  sentir. 
»  Com  plus  le  voi  et  mieuls  me  Mmï  séant 
»  Si  doulc  r^ard  et  si'  arroi  plaisant  \ 
»  Car  en  cascun  floron,  je  vous  créant, 
»  Porte  la  flour  un  droit  dart  ataillant, 
»  Dont  navrés  sui  si,  en  soi  regardant, 
»  Que  membre  n'ai  où  le  cop  ne  s  espant. 
»  Mes  la  vertu  au  Dieu  d'Amours  demant 

# 

»  De  moi  garir.  » 


DE  JEAN  FROISSABT. 


PLAIDOIRIE 

DE  LA  ROZE  ET  DE  LA  VIOLETTE. 


DEVANT  Imag-inalîon,  4 

Où  on  i!oil  par  ilrnîte  aciîao 

Metire  mémores  et  escris, 

Fu  uno  fois  ung'  |)Iaîl  empris  f 

Entre  Rose  et  la  Viotelte.  I 

La  nialère  tlout  je  vous  Ireitte 

Fu  deineni!!'e  sagement. 

El  pour  allaindre  plainnemenl 

Poîns,  procès,  articles  et  cas, 

Avant  se  traist  li  advocas 

De  la  Rose,  et  si  dist  ensi  ; 

H  Violette,  venus  sui  ci 

M  Pour  proposer  une  tpierelle 

V  De  par  ma  dame,  Rose  belle- 

»  Si  vous  di,  et  voeil  mettre  en  coui's, 
»  Et  souslonir  en  toutes  cours 

V  Que  Rose  est  dp  grignour  pi-isie , 
»  Mieuls  désirée  et  plus  prisîe 

11  Que  vous  ne  soyés.  C'est  raison, 
>i  Car  elle  embclUsl  la  saisonj 

V  El  st  est  de  coulour  très  fine 

11  Sus  le  pourpre  et  sus  la  sanguine, 
S" 


132  POÉSIES 

»  Et  si  oudoure  doucement*, 

»  Et  si  dure  pins  longriement 

))  En  beauté  que  vous,  Violette; 

))  Kt  si  naist  blanche  ou  vermillette 

))  Ou  bel  ef  plaisant  mois  de  may 

»  Pour  traire  amans  tout  hors  d*esmay. 

»  Et  lors  9  dames  et  damoiselles 

»  Seigfnours,  bacelçrs  et  pucelles 

»  Les  coeillent  et  en  font  chapeaus; 

»  Et  les  pluisours  en  ont  houpeaus 

»  Qu  ils  portent  devant  leur  viaire,  » 

A  ces  mots  ne  se  volt  plus  taire 
L'advocat  qui  esjoit  moult  vieuls 
De  Violette^  et  dis t  :  «  He  Dieus  ! 
))  Se  je  ne  savoïe  parler 
M  II  m'en  faudroit  de  ci  râler; 
))  Mes,  se  Dieu  plaist,  je  parlerai 
»  Et  la  querelle  soustendrai 
»  De  Violette  encontre  Rose* 
))  Âdvocas,  je  di  et  propose',  ^ 

»  Vostre  parole  bien  oye> 
»  Violette  est  miens  conjoye, 
»  Âmée  et  désirée  aussi 
»  Que  Rose  ne  soit  ;  et  veci 
»  La  cause.  Or  entendes  droiture. 
»  Quant  un  y  ver  plain  de  froidure 
h  Aura  mis  à  destruction 
»  Par  sa  longue  possession^ 
)>  Arbres  et  frais,  foeilles  et  fleurs, 
»  Adonc  désirent  les  beaus  jours 


DE  JEAN  FROISSART.  133 

»  Hommes  et  fcftmnes  et  enfans, 

»  Et  que  tost  viengne  le  printemps 

»  Qu'on  ot  clianter  les  aloettes, 

»  Et  lors  troeve-on  les  TÎolettes   « 

»  En  vregîers,  en  g^ardins,  en  clos 

»  Et  en  lieus  joliement  clos; 

»  Et  là  les  coeillent  damoiselles 

»  Jones  fils  et  jones  pucelles. 

»  Si  en  fout  beaus  chapeaus  jolis; 

»  Et  les  pluisoifrS)  dessus  leurs  lis 

»  Les  mettent,  en  segfnefîance 

)»  D'esbatement  et  de  plaisance; 

)»  Et  quant  là  saison  renouvelle 

»  De  printemps >  joliiB  et  nouvelle, 

»  Par  usage  on  voit  moult  de  gens 

»  Qu'en  beaus  rainséaus  vers  et  gens 

»  De  grouseliers,  fichent  et  boutent 

»  Les  Violettes,  et  arroutent 

))  Pour  mieuls  véoir  et  oudourer. 

)x  On  ne  les  pot  trop  honourer. 

y>  Sire  advocat,  au  dire  voir, 

y>  Je  vous  prie,  aies  vous  seoir; 

»  Car  uù  peu  me  reposerai. 

»  Mes  encores  exposerai, 

)>  Yoires  s  il  est  qu'il  me  besongne» 

»  Les  articles  de  ma  besongne.  » 

Cascuns  des  advocas  A!»sist. 
Imaginations  lors  mist 
Journée  que  de  revenir 
Car  encores  les  voelt  oïr. 


131  POÉSIES 

Ci  s'efisieul  comment  li  advocas  de  la  Roze  pourpose 

sa  querelle. 

0»  sont  venu  à  leur  journée; 

A  grant  bien  soit  elle  ajournée, 

Car  je  orai  moult  volontiers 

L'ordenaïice  de  leurs  trettiers. 

Li  advocas  q^ui  estoit  là 

De  Rose^  tout  preiyier  parla, 

Car  de  parler  sot  bien  Tusagpe; 

Si  dist  ensLen  son  lang-ag^e  : 

«  Je  fac  ci  protestation. 

»  Devant  Imagination 

)»  Qui  est  ma  dame  souverainnc 

»  Et  me  plaine  trop  fort  de  la  painné 

»  Dont  Violette  nous  traveille; 

»  Quant  la  Roze  blanche  et  vermeille 

»  Voelt  afoiblir  de  sa  puissance, 

»  Elle  a  moult  peu  de  cognoissance; 

»  Aussi  a  âoa  advQcat  voir; 

»  Car  otant  com  die  blanc  à  noir 

»  A  à  dire,  c'est  chose  clère, 

»  La  Violette  se  diffère 

))  D'estre  è  la  ftose  non  pareille. 

»  N^scai  qui  l'advecat  conseille  ; 

»  Mes  pa^n  est  de  sens  pourvéus; 

»  Et  s'il  Test,  point ^'est  ci  véus. 

)>  Et  pour  lui  faire  tout  quoi  taire, 

»  Aucuns  exemples  j'en  voeil  faire 


DE  JEAN  FROISSART.  135 

))  Afin  que  sus  il  se  conseille. 
»  Tout  premiers, la  Roze  vermeille 
»  Voeil-]e  comparer,  par  figure, 
»  Al*  soleil,  et  là  le  fig^ure. 
»  Car  le  soleil  qui  est  réons, 
))  Quant  nestre  au  matin  le  véons 
»  Et.esconser  à  la  vesprée, 
»  Sa  coulour  n'est  pas  dyasprée 
D  Mes  sanguine,  c'est  vraie  choic, 
»  Et  vermauls  com  vermeille  Roze. 
»  Encor  au  vrai  considérer, 
»  Od  doit  moult  la  Roze  honnourer. 
»  Vous  savez  que  deux  roisins  sont 
»  Donl  blans  vins  et  vermaus  se  font, 
»  Par  lesquels  vins  solennelment 
»  On  célèbre  ou  saint  sacrement; 
»  Pour  le  blanc  vin  la  blanche  Roze  ; 
»  El  le  vermeil,  c'est  vraie  chose, 
»  Pour  la  vermeille  Rosepreus; 
)>  Encore  crie-on  sus  les  rens? 
»  On  vent  bon  vin  à  la  Rozefte.    • 
»  La  Roze  blanche  et  vermillette 
»  Ont  en  elles  grant  efficasce 
))  Garni  de  mistère  et  de  grascc^ 
»  Car  on  en  fait,  c'est  yraïe  chose 
»  Aiguë,  qu'on  appelle  Aigue-Roze^ 
»  Qui  est  bonne  pour  les  hétiés 
»  Et  nécessaire  aux  deshétiés,. 
»  Car  les  grans  calours  assouage. 
»  On  en  rafreschit  son  visage 


136  POÉSIES 

»  Et  si  en  moulle-on  bouche  el  mains. 

»  Aussi  tamstintes  et  tamains 

»  Yoelent  bien  que  leur  oreillier, 

ji  Soit  pour  dormir  sus  ou  veillier, 

D  Sente  la Boze  et  si  loudoure. 

D  Prendés  g^rde  où  Roze  deimnire. 

»  J  appelle  un  Rosier  sa  maison. 

»  Là  Ta  Diex  mis,  tout  par  raison. 

»  Non  pas  enclos  en  une  tour 

)>  Mes  d'espines  poindans  au  tour, 

n  A  celle  fin  que  les  chievrettes 

n  Qui  pastourent  bien  Violettes 

%  Et  broutent  Eoeilles  et  jettons 

D  N'aient  ne  Roses  ne  boutons.  )> 

Atant  se  tent  li  advocas 
Qui  bien  ôi  remonstré  tes  ca$ 
Et  sagfenient,  à  la  samblanee 
De  la  Roze  vermeille  et  blance. 
La  èours  aussi  un  peu  cessa, 
Pour  nn  tant,  que  fort  on  pressa 
*A  savoir  se  li  advocas 
De  Violette,  qui  les  cas 
A  voit  oy  de  Rose  belle  ^ 
Responderoit  à  la  querelle. 
Oil  voir,  vous  orés  comment 
Il  respondi  moult  sag-ement. 
Mes  ses  responses  faultescrire 
.    Avant  que  je  les  puisse  dire* 


DE  JEAN  FHOISSART.  1 37 

Cl  s'ensmU  comment  li  ad^oc€Ls  de  la  Vi'olelte  sous--  . 

tient  sa  çueretle. 

n  0  advocas.de  Violette, 

»  Venez  ayant,  car  on  tous  trette 

»  Articles  d'opposition, 

»  Ce  dist  Imagfination, 

»  Si  vous  Y  fault  faire  response, 

D  Voires,  se  le  plait  je  u'esconse.  )x 

Li  advocas  respondit,  dame  ! 

Et  dist:  ((  Je  sui  tous  près,  par  m'ante 

»  De  respondre  et  faire  devoir 

,»  Et  de  monstrer  que  j'ai  dit  voir; 

»  Et  iout  premiers  je  mac  en  prose. 

»  Je  ne  dis  mies  que  la  Rose 

n  Ne  soit  et  belle,  et  bonne,  et  sage, 

»  Et  n'ait  en  li  tamaint  usagée 

»  Qui  sont  moult  à  recommender^ 

»  Mes  1  advocat  voeil  demander, 

D  Se  la  fig^ure  est  acceptable 

»  Dou  soleil,  ne  bien  véritable. 

y>  Rose  est  muiste,  et  le  soleil  chaus. 

»  Or  est  dont  li  argfumens  faus. 

)>  Et  uon-pourquant,  vaille  que  vaille, 

»  Car  mon  espée  ossï  bien  taille 

))  De  tous  taillans  comme  la  sieve% 

V  Fols  est  qui  advocat  esquieve 

»  Pour  ehose  qu'il  puist  langagier , 

»  Quant  on  l'a  de  quoi  calengier. 

D  Et  j*ai  ocquoison  et  calenge 

»  De  calengier  ;  si  le  calenge. 


138  POÉSIES 

)>  II  nous  a  fig^uré  droit  ci 
»  Rose  au  soleil;  ce  je  li  di 
»  Que  pis  ne  voeil  les  Violettes 
))  Aux  estoilles  ne  aux  planettes 
»  Fig-urçr,  par  aucune  voie, 
»  Non  se  partir  je  me  dévoie, 
»  Car  ce  seroit  fais  inficilles; 
»  Mes  je  les  voeil  nommer  les  filles 
))  Dou  firmament  qui  est  réons 
»  Si  com  par  l'apparant  véons, 
»  Car  elles  ont  sa  couleur  propre, 
»  Sans  blanc,  noir,  vermeil  ne  sinopre; 
»  Et  quant  dou  ciel  furent  venues 
»  Avecques  la  vapour  des  nues^ 
))  La  térr0  la  semence  en  but, 
•  »  Dont  les  Violettes  conçut. 

»  Si  les  tienc  en  très  garant  chierté. 

))  Bleu  segnéfie  estableté; 

»  Et  cilz  ou  celle,  sans  doubtance> 

»  Qui  le  porte,  par  ordenance  . 

ï)  De  moi  retienne  ce  notable, 

»  Doit  avoir  coer  ferme  et  estable 

»  Et  conforté,  sans  nul  moyen.  * 

»  Violettes  sont  flours  de  bien  ; 

M  Au  véoir  et  au  porter  belles  ^ 

»  Et  quant  dames  ou  damoiselles 

»  Ont  riches  robes  ou  abis^ 

»  Soit  sus  leurs  corps  ou  sus  leurs  lis, 

»  S'il  oudôure  la  violette, 

»  On  dira:  Ceste  robe  est  nette! 


DK  JBAN  FROISSAHT. 
I.  El  r  ou  do  11  rr  a-on  volt-'nticrs. 
»  Les  Jioletics,  meslres  chiers, 
»  Ont  encor  vert»  et  mist^re 
M  Qui  conforte  nioull  ma  matère 
»  El  comdempne  toutes  vos  gloses. 
»  Prendés  ViolcUes  et  Uoscs 
»  Et  pour  esprouver  leur  lucstrie 
»  Boutés-les  CD  aîjjuc-ile-vie 
))  A  savoir  qu'il  en  aven ra, 
w  Ne  que  leur  oudour  devenra 
«  Li  aiçue  qui  est  vertueuse, 
u  De  la  belle  Rose  amoureuse 
Il  Ostera  substance  et  vigour,     • 
»  Et  Violette  en  son  oudour 
»  Deuiorra;  c'est  cbose  cerlainne. 
i>  Si  le  tienc  à  trop  plus  liautaiuue 
H  El  de  trop  plus  noble  action 
»  Que  Rose  ne  soif,  c'est  raison. 
»  Encor  en  fait  on  aiguc  bonne 
11  Qui  confort  aux  deshetiés  donne; 
»  Des  Violiers  cl  des  racines 
H  Fait-on  bien  pluisours  médecines;' 
»  Mes  on  ne  poet  riens  d'un  rozicr 
I)  Faire,  que  Icfeu  en  yvier; 
H  Et  se  cliievretles  ou  brebis 
))  Broutent  violiers,  j'en  suis  fis 
))  (Juc  le  lail  qui  d'elles  veura 
11  Grant  proûl  aux  eufans  fera 
»  Qui  en  mangeront  les  papins.  » 
Donc  se  leva,  mesiro  Papins, 


1 40  POÉSIES 

L'advocatde  la  belle  rose.; 
Et  yoloitdire  quelques  chose  \ 
Mes  Imagination  fu 
Au  devant  qui  U  a  dit  :  «  U, 
))  Advocas,  Tolés  tous  aler? 
»  Vous  noiis  tanés  de  tant  parler. 
»  Qui  vodroit  oïr  vos  parolles 
»  On  en  empliroit  quatre  roUcs. 
»  Il  fault  que  vostre  plait  cessons; 
»  Car  d'entendre  ailleurs  pressé  sons.  » 
' —  ((  Dame,  ce  dïstli  advocas, 
»  Entendre  vous  fault  à  tous  cas; 
»  Pour  ce  est  vostre  cours  ouverte. 
»  Ne  sôyés  pas  si  descouverte. 
»  Tost  vous  plaindés  de  tanison  ; 
.  »  Rendes  nous  sentensce  et  raison 
»  Et  jug'ement  sus  nos  procès.  » 

Imagination,  a  ces 
Mos ,  a  bien  dit  que  non  fera, 
Ne  jà  n'en  senlensciera. 
.    »  Et  qui  donc,  dittes-le-nous,  Dame! 

—  »  Volentiers,  dist  elle,  par  m'ame. 
»  Aillours  avés  court  de  ressort 

»  Pour  jugier  dou4i*oit  et  dou  tort 
»  Qui  est  dessus  moi  souverainne.  » 

—  «  Et  où  est  elle  ?  on  nous  y  mainne  l 
»  On  enseigne,  et  nous  irons  là.  )) 

Imaginations  parla 
Et  dist  :  u  Beaus  advocas  jolis» 
»  La  noble  et  haulte  Flour-de-Lys, 


DE  JEAN  FROISSART.  III 

»  Qu'on  doit  bien  tenir  en  chierté, 
»  N'a-elle  souveraineté 
»  Sus  la  Roze  et  sus  toutes  flouj*s? 
))  Si  a,  et  a  eu  tous  jours, 
»  Et  avéra,  et  c'est  bien  drois, 
»  Car  si  coni  le  lion  est  roîx 
))  Des  bestes,  et  U  aigle  aussi 
»  Roix  des  oiseaux*,  ost,  je  vous  di 
»  La  Flour-de-Lys  la  souverainne 
.  »  Sus  toutes  flours,  et  plus  hautaine. 
»  Siques  vous  irés  en  sa  court. 
)}  Eureus  est  qui  y  ont  recourt. 
»  Je  ne  vous  sçai  mieulz  envoyer 
»  Pour  vo  querelle  plaidoyer. 
))  U  ni  a  pas  trop  longe  voie. 
»  Vous  dires  que  là  vous  envoie, 
»  Pour  conseil  et  qu'on  vous  sequeure.  » 
—  «  Ha!  chiere  dame,  et  pu  demeure 
»  La  Flour-de*Lys  f  puis  qu'ensi  est 
S)  Nous  irons  là  qu^nt  ilvous  plest.  » 
Elle  respont'sans  détriance  : 
<(  Au  noble  royalme  de  France. 
j)  Là  trouvères  en  tous  delis 
»  La  noble  et  baulte  Flour.de-Lys 
»  Très  grandement  acompagnie 
»  De  belle  et  bonne  compagnie, 
}>  De  hardement  et  de  jonece 
M  De  sens,  d'on^nour  e^  de  larghecc, 
»  De  qui  vous  serés  recoeilliés 
»  Liement,  et  bien  conseilliés 


U2  POESIES 

0 

»  De  conseil  g^racions  et  bon. 

»  Car  le  Boy,  Orliens  et  Bourbon 

»  Berry,  Bourg^ong'ne,  Eu  et  La  Uaree 

»  N'isleront  point  Iiors  de  la  marce 

»  Pour  sag'ement  esludyer, 

»  Pour  loyalement  sentenscyer, 

»  Pour  examiner  vo  querelle 

))  Qui  lor  sera  plaisans  et  belle. 

))  Et  quant  oy  ils  l'averont, 

»  Je  croi  qu'il  eq  responderont 

))  Si  sagement  et  si  à  point 

)}  Que  d'argument  n'i  aura  point 

))  Entre  Bose  et  la  Violette . 

»  Pour  qui  ce  plaidoyer  se  trétte. 

'    )>  Et  s'il  est  ensi  qu  il  besongne, 
»  Par  incidensce  de  besongnè 
lï  A  la  Flour-de-Lys  h  avoir 
»  Conseil  saciés,  et  tout  de  voir; 
»  Encore  a-il  les  Margerites, 
»  Qui  sont  flours  belles  et  petites, 
»  Dont  il  est  très  bon  recouvricr, 
»  En  tous  temps.  Testé  et  Tivier; 
»  Et  pluisours  aultres  nobles  flours 
»  Dont  embellie  est  moult  sa  cours, 
»  Qui  ïi  doient  fol  et  conseil. 

•  »  Aies  là,  je  le  vous  conseil.  » 
—  (c  Dame,  dist  cils,  c'est  nos  pourpos.  » 
Âtant  fu  là  cils  procès  clos. 


DE  JEAN  PROISSART.  I  i 

CI  SENSIEUT  UN  DITTIE  D'AMOUR. 

QUI  s'appellï 

LE  OULOGE  AMOUREUS. 

Je  mo  puis  bien  comparer  à  rOrloje, 

Car  quant  Amoui-s,  qui  en  mon  coor  se  lojfc, 

M*i  fait  penser  et  mettre  y  mon  estude, 

J'î  aperçoi  une  simnltitude 

Dont  moult  me  doi  resjoïr  et  parer  ; 

Car  rOrlog-e,est'au  vrai  considérer^ 

Un  instrument  1res  bel  et  très  notable  ; 

El  s'est  aussi  plaisant  et  pourfitaMej 

Car  nuif  et  jour  les  heures  nous  aprent, 

Par  la  soubli-Iloté  qu'elle  eomprenl 

Eu  l'absense  nuiisme  dou  soleil, 

Dont  on  doit  niieuls  prisicr  sou  appareil, 

Ce  que  les  aultre  însirumeus  ne  font  pas 

Tant  soient  fait  par  art  et  par  compas. 

Dont  celi  tienc  pour  vaillant  et  poursag'e    * 

Qui  en  trouva  premièrement  l'usag-e. 

Quant  par  son  sens  il  commença  et  lit 

Cbose  si  noble  et  de  si  grant  proutît. 

Ensi  Amoui-s  me  faîtconsidérer, 
Et  m'a  lionne  matèrp  de  penser 
A  un  Orloge,  et  commeul  il  est  fcs; 
El  quant  j'ai  bien  eonsidert^  ses  fès 


\U  POÉSIES 

Il  me  samble,  en  imagination, 
Qu'il  est  de  granl  sig'nilieation, 
Mes  qu'il  soit  bien  ji  son  droit  gouvernés.      ' 
Et  se,  n'e^t  pas  seulement  ordonnés 
Tant  pour  proufit  et  pour  grant  efficace 
Qu'il  est  garnis  de  niistère  e\  de  grasce. 
Et  la  façon  de  U,  selon  m'etitentc, 
D  un  vrai  amant  tout  le  fait  représente, 
Et  de  loyal  amoîir  les  cit'constansces. 
Dont,  quant  j'ai  biencohcéu  les  substances 
Et  la:  vertu  qu'il  monstre  et  segnefie-, 
'       Et  j'ai  aussi  considéré  ma  vie, 
A  son  devoir  est  justement  parée 
Quant  je  l'ai  à  TOrloge  comparée 

Ensi  Amours,  cpi  maint  penser  me  donne 
A  son  plaisir p  présentement  m'ordonne 
Et  me^  semont  de  mon  estât  trettier  ; 
Ç  je,  qui  voeil,  de  vrai  çoer  et  entier^ 
Obéir  à  tout  ce  qu*il  m'amoneste, 
Car  sa  semonse  est  courtoise  et  Uonneste, 
L'en  regrasci,  et  ma  dame  aussi  voir. 
Qui  m'a  donné  sentement  et  voloir 
De  remonstrer  comment  Amours  me  mainne. 
Je  9  ^ui  suis  tous  sougis  en  leur  demaine, 
Loing  de  joïr,  d.îseteus  de  merci, 
Di  que  je  sui  démenés  tout  ensi, 
A  la  façon  proprement  de  l'Orlog^, 
Dont  Amours  font  de  «Ion  coer  chambre  et  log*c. 

Pemièrement  je  considère  ensi, 
Selone  Testât  de  l'Orloge  agensi 


DR  JEAN  FROISSA RT.  US 

Que  la  maison  qui  porte  et  qui  soustîent 

Les  mouvemens  qu'à  l'Orlog^e  appartient, 

El  le  fais, dont  on  doit  mention  faire 

De  tout  ee  qui  poet  estre  nécessaire, 

Et  liquels  a  matère,  par  raison, 

De  servir  à  sa  composition. 

Proprement  re-préseute  et  se{;nefie 

Le  coer  d  amant  que  fine  Amour  mestrie;  ^ 

Car  la  façon  de  l'Orlog-e  m'aprent 

Que  coer  d'amant,  que  bonne  amour  esprent, 

Porte  et  soustient  les  mouvemens  d'Amours, 

Et  tout  le  fais,  soit  joïe,  soitdolours, 

Soit  biens,  soit  mauls,  soit  aligance  ou  painnc 

Que  bonne  Amour  li  envoie  et  amainne. 

Briefment,  qui  voelt  bien  parler  par  raison  : 

Le  cœr  loyal  est  la  droite  maison  ^ 

Au  dire  voir,  et  la  principal  logfe 

Ouquel  Aniours  plus  volontiers  se  logé. 

De  tout  ce  sçai-je  assés  comment  il  m  est; 
Mes  tels  est  bien  malades  qui  se  test 
Et  pas  ne  dist  son  mal  en  audiensce, 
Ains  le  reçoit  en  belle  pasciensce; 
Pour  mieuls  valoir^  il  se  fait  bon  souffrir. 
En  cel  espoir  me  voeil  dou  tout  offrir 
Au  gré  d'AmourS)  et  à  son  plaisir  rendre^ 
Car  il  n^a  fait  si  noble  estât  emprendre 
Qu'il  m  est  avis  que>  quant  je  le  recite» 
Que  tout  mi  mal  ne  sont  que  garant  mérite  \ 
Car  tant  a  g^rasce,  honnour ,  loengfe  et  pris 
Celle  pour  qui  j'ai  ce  dittie  empi  is 

fROISSART.  T.  XVI.  10 


U6  POÉSIES 

Et  qui  de  moi  est  la  très  souverainne^ 
Que  se  pour  li  reçoi  gfriefté  ne  painne 
A  son  plaisir  y  poet  mettre  alig-ance. 
Or,  pri  Amours,  qui  ses  servans  avance. 
Qu'il  me  pourvoie  en  sens  et  en  lang^age 
Telement^  que  la  belle  et  bonne  et  sag^e 
Voeille  en  bon  gvé  ce  dittie  recevoir. 
S'elle  y  entent,  bien  pora  percevoir 
Comment  Amours,  qui  m'a  en  son  demaine, 
Al  la  façon  de  VOrlog'e  me  mainne^ 
Car  de  mon  coer  a  fait  loge  et  maison, 
Et  là  dedens  logié,  à  grant  foison 
De  mouvemens  et  de  fais  dolereus. 

% 

Onques>  je  croi,  n'en  ot  tant  amoureus  ] 
Car  par  Amours  est  près  ma  vie  oultrée 
Ensi  qu'elle  ert  en  ce  dittie  monstrée. 
Or  Vôeil  parler  del  estât  del  Qrloge. 
La  premerain-ne  roe  qui  y  loge, 
Celle  est  la  mère  et  li  commencemens 
Qui  fait  mouvoir  les  aultres  mouvemens' 
Dont  rOrloge  a  oixlenance  et  manière  î 
Pour  ce  poet  bien  ceste  roe  première 
Segnefyer  très  convignablement 
Le  vrai  désir  qui  le  coer  d  omme  esprent  ; 
Car  Désir  est  la  première  racine 
Que  en  amer  par  Amours  Tenracin^^ 
Mes  il  y  fault  deux  choses  sourvenir, 
Ançois  qu* il  puist  parfettement  venir 
En  coer  diamant,  ne  moustrer  sa  puissance: 
L'une  Beauté  et  li  autre  Plaisance. 


DEJEANFROISSAHT.  IÏ7 

Le  plonk  trop  bien  à  la  Beauté  s*acordê. 

Plaisance  r'est  inonstrée  par  la  corde, 

Si  proprement  con  ne  poroit  niiealz  dire; 

Car  toht  ensi  que  le  contrepois  tire 

lia  corde  à  lui,  et  la  corde  tirée; 

Quant  la  corde  est  bien  adroit  atirée; 

Retire  à  lui  et  le  fait  esmouvoir, 

Qui  autrement  ne  se  poroit  mouvoir*, 

Ensi  Beauté  tire  à  soi  et  esveille 

La  plaisance  don  coer,  qài  s'esmervèille 

Et  esbahist  en  la  soie  pensée 

Où  chose  de  tel  pris  fu  compassée; 

Et  Plaisance  le  retrait  et  le  lire 

Tant  qu'il  convient  par  force  qu'il  désiré, 

Et  qu'il  devienne  amoureux,  sanâ  dtietidre. 

Briefment  Beauté^  qui  bien  y  voet  entendrcj 

A  en  Amours  merveilleuse  puissance; 

Car  quant  regard  ynït  dame  de  vaillance^ 

Qui  au  devant  sa  beauté  li  apreste^ 

11  y  entent  volontiers  et  arreste;  > 

Et  à  la  fois  si  avant  s'i  tovelle, 

Comme  le  pa-pillon  à  la  chandelle 

Qui  ne  s'en  poet  retourner  ne  retraire: 

Car  Beauté  a  en  lui  vertu  d'attraire 

Le  coer  véant,  par  nature  plus  forte, 

Quant  en  ce  fait  Plaisance  le  conforte  j 

Que  raïmant  n'ait  d  attraire  le  fer. 

Ensi  le  fait  de  désir  escaufer 

Beauté,  qui  est  le  contre- pois  premier 

Qui  de  tirer  Plaisance  est  coustumier; 

10* 


148  POÉSIKS 

Par  qui  désirs  iiioet  continiielmenl; 

Si  qu'il  ne  poel  arresler  nullement.  » 

Âins  y  met  si  s' imaginât  ion 

Qu'il  n'a  ailleurs  l'oeil  ne  rcnlenlion 

Qu*à  ce  qu'il  puist  embracier,  et  qu'il  sente 

Sa  part  dou  bien  que  Beauté  li  présente. 

En  ce  parti  me  puis  assés  trouver^ 
Car  Plaisance  a  volu  en  moi  ouvrer 
Par  la  vertu  de  vostre  beauté,  dame, 
Dont  le  regfarl  si  plainnement  m'enflame 
Que  pour  ce  sui  de  vous  amer  espris. 
Car  quant  Beauté  et  Plaisance  m  ont  pris, 
Dont  nuit  et  jour  amonnestés  je  sui, 
N'en  doi,  par  droit,  jms  accuser  autrui, 
T'ors  ceuls  qui  sont  cause  de  mon  désir.    . 

• 

De  vostre  amour ^  dame  que  tant  désir, 

M'a  esméu  vo  beauté  qui  tout  passe. 

Quant  je  vous  vi  premieMs^  xi'oe  pas  espasse 

De  concevoir  de  vo  beauté  les  tains^ 

Ains  fu  mon  coer  si  pris  et  si  altains> 

Et  si  ravis  en  parfet te  plaisance^ 

Que  j'en  perdi  manière  et  contenance , 

Non  seulement,  madame,  pour  ceste  heure 

Mes  pour  toutes  aultres.  Dont  j'en  demeure 

A  vo  voloir,  et.tout-dis  ensi  ert. 

Bon  don  attent  cilz  qui  bon  mestre  sert. 

Je  ne  dis  pas  que  desservi  riens  aie; 

Trop  paie  bien  qui  devant  heure  paie. 

Mon  paiement  gpist  en  vo  douce  attente  j 

Mes  nuit  et  jour  désirs  pour  vous  me  temptCi 


DE  JEAN  FROiSSART.  119 

Que  si  m  esmoet  le  coer,  au  dire  \oîr« 
Que  je  ne  puis  parfelle  joie  avoir; 
Car  Plaisance  et  Beauté  me  represenleut 
Les  biens  «ie  vous,  et  dedcns  inou  coer  eiifeiit 
L'ardattt  désir  qui  nuit  et  jour  m*esveille. 
Dont,  en  pensant  à  ce,  je  m*esmcr veille 
Et  esbahis,  en  la  mienne  pensée, 
Où  tel  beauté  poet  estre  compassée, 
Et  di  Oâi  moi  :  Je  croi  onques  Nature,  * 

Ne  fourma  voir  si  belle  créature 
Que  vous  estes,  dame  de  tous  biens  piainne» 
Vostre  beauté  qui  est  la  souvoraiime 
De  tresloutes  ce^es  que  onques  vi 
H*aplainnement  si  pris  et  si  ravi, 
Et  sa  vprtusi  mon  coer  à  li  tire, 
Que  je  ne  seai  que  je  doi  faire  ou  dire, 
Car  Plaisance  trop  bien  ù  lui  s'accorde 
Qui  remonstréecst  par  la  propre  CQi*de 
Que  le  plonk  tire,  et  dont  il  fait  mouvoir 
La  mère  roe.  Ensi  m'est-il  pour  voir; 
Et  par  ce  sui  telement  atirés 
Que  mon  coer  est  entirement  tirés 
En  vrai  désir;  et  tout  pa^  la  puissance 
Et  Vaccord  de  Beauté  et  de  Plaisance 
Qui  plainnemeut  en  ce  désir  me  tirent, 
Dont  tout  mi  sen-temeut  el  ne  désirent 
Que  moa  désir  une  partie  sente 
De  ce  {jprant  bien  que  Beauté  li  présente- 

Et  pour  ce  que  cesie  roe  première 
A  de  fnpu^oir  ordcnance  et  manière 


15^  POÉSIES 

Par  la  vjsrtu  dou  pois  que  le  plonc  donne ^ 

Dont^  selonc  ce,  elle  dou  tout  s'ordonne; 

Le  plonc  le  tire^  et  elle  à  li  ^npance. 

Et  pour  ce  quelle  iroit  sans  ordenance^ 

Et  trop  hastie^ementj  et  sans  mesure^ 

Scelle  navoit  qui  de  sa  desmesure 

Le  destournast  et  le  rar^ésurast^ 

Et  de  sion  droit  rieule  le  droiturast; 

•    Pour  cejfu ,  par  droit  art  ordonnée , 

Une  rœ  seconde  et  adjouslée, 

Qui  le  retarde,  et  qui  lé/ait  mpuuoir 

Par  ordenance  et  par  mesure  voir. 

Par  la  vertu  doufoliot  au^si. 

Qui  continu-elment  le  moet  ensi^ 

Une  heure  à  destre^  et  puis  Vautre  à  senestre. 

Ne  il  ^a  doit  ne  poet  à  repos  estre. 

Car  par Ji  est  ceste  roe  gardée 

Et  pqr  vraie  mesure  retardée. 

Selonc  Testât  de  lamoureuse  vie, 

* 
Ceste  rpe  seconde  segfnefie 

Très  proprement  Attemprance,  et  par  droil. 

Car  s'Attemprance  en  cesti  fait  n'ouvroit, 

Désirs,  qui  est  tous  enflammés  d4irdnre^ 

S'esmoureroît  sans  rieule  et  sans  mesure, 

Et  sans  manière,  impétueusement, 

Et  sans  avis,  moult  furieusement; 

Ne  il  n'auroit  chose  qui  li  fust  belle. 

Et  pour  ce  voelt  bonne  amour  et  lof  elle 

Que  cils  désirs  soit  à  point  refrénés 

Par  Attemprance,  et  si  bien  ordenés. 


t^E  JEAN  FROISSABT.  1 5 1 

Que  par  raison  è  l'amant  ne  mesviegfne. 
Pour  ce  fault-il  que  Paonrs  y  sunrieg[ne^ 
Car  Paours  est  le  folio t  d'Amours 
Qui  à  Tamant  fait  attemprer  les  mours, 
£t  son.desir  mouvoir  par  tel  mesure 
Que  nuls  ne  voie  en  son  fait  mespresure. 
Car  aultrement  il  porroit  ou  dangfier 
De  Malebouche  eschéir  de  \eg\er. 
Et  resvillier  Dangier  et  Jalousie, 
Qui  sont  contraire  à  toute  courtoisie? 
Et  héent  par  leur  nature  envieuse 
Toute  personne  honnourable  et  joieuse, 
Et  par  especial  trop  ont  d'envie 
Sus  ceuls  qui  sont  de  Tamoureuse  vie. 
Dont  est  Paours  à  lamant  nécessaire. 
Car  elle  fait  attemprer  son  afaire^  • 
Et  le  nourist  en  cremeur  d'entreprendre 
Chose  dont  nuls  ne  le  peuist  reprendre; 
Car  tout  ensi  que  le  foltot  branle^ 
Doit  coers  loyaus  estre  tous-jours  en  branle  > 
Et  reg'arder»  puis  dvant,  puis  arrière, 
Qu'on  ne  se  puis!  cognobtre  à  sa  manière 
Ne  percevoir  à  quoi  il  pense  et  vise. 
Briefutent  Paours,  qui  ses  vertus  devise. 
Fait  à  l'amant  maint  bel  et  bon  servisce , 
Car  par  son  fait  sont  esquieuvé  li  visce. 
Et  mis  avant,  par  vertu  noble  et  grande, 
Meurs  de  tel  pris  qu'Attemprance  demande. 
Il  est  bien  voirs,  ma  douce  dame  chière 
Qu'il  me  convient  monstrer  toute  tel  cière 


I3!>  POÉSIES 

Comme  le  doit  faire  uns  homs  esbahis; 
Car  Yostre  garant  iieauté  a  mon  coer  mis 
En  un  désir  qui  nuit  et  jonr  m'esveille. 
Mes  cils  désirs  ardamment  me  traveille. 
Car  la  beauté  de  vous  me  représente; 
Et  Plaisance,  qui  m'est  toujours  présente. 
En  fait  aussi  gprandement  son  devoir. 
Or  ne  sçai  pas  où  confort  puisse  avoir 
Ne  remède  de  mon  cruel  martire; 
Car  vo  beauté  mon  désir  sî  fort  tire» 
Et  le  fait  si  «louvoir  sans  ordennancc^ 
Que  se  Paours  n'estoit  et  Attemprance, 
Le  fort  désir  qui  me  bruist  et  art 
Se  mouveroit  sans  mesure  et  sans  art. 
Mes  Attemprançe  et  Paour  autressi 
Le  reiiennent,  ou  vieille  ou  non.  Ebsî 
Sui  deiirés  et  par  tel^  manière 
Sans  nul  arrest^piiis.  avant,  puis  arrière. 
Qu'à  painne  sçai  cognoislre  que  je  voeil; 
Car  dessins  vous  tirent  foul-dis  mi  œil 
Qui  s'enflament  si  de  vosdouls  regfars^ 
Que  Désirs  voelt  que  quant  je  vous  regars ^ 
A  quele  fin  que  soit^  que  je  vous  die 
Apertement  toute  ma  maladie; 
Et  quant  j'en  sui  auques  près  à  la  voie, 
Adont  Paours  Attemprance  m'envoie 
Qui  me  semont  trop  bien  del  aviser. 
Lors  me  convient  couvertement , viser, 
Et  regarder  à  senestre  et  à  destre, 
Que  Malebouehe  entour  moi  ne  puist  estre. 


DE  JEAN  FROISSART.  133 

Ënsi  Paours  me  tient  en  grant  soiissi. 
Mes  savés  vous  de  quoi  je  me  soussi 
De  ce  quon  dist,  oubifê  ne  Tai  mie, 
Que  coars  homs  n  aura  ja  belle  amie. 
M^fts  sans  faille,  dame,  ma  coardise 
Ne  me  vient  point  de  mal  ne  de  faintise, 
Fors  que  de  très  parfette  loyaoté 
Que  bonne  amour  a  en  mon  cœr  enté. 
Car  se  j  avoie  en  moi  un  hardement 
Qui  me  fesist  mouvoir  trop  radement, 
Il  me  poroit  bien  faire  tel  contraire 
Qu'il  me  fieroit  vostre  g^rasee  retraire; 
Et  si  seroit  presumptions  très  grande; 
Ce  n  est  pas  ce  qii*Attemprance  demande. 
Pour  ce  vodrai  le  droit  moyen  tenir, 
Afin  que  puisse  à  vo  grasce  avenir,       * 
Car  elle  m'est  grandement  nécessaire. 
Si  mai  plus  chi^r  souffrir  et  à  point  taire 
Que  fols  cuidiers  me  face  faire  ou  dire 
Chose  qui  soit  présumée  à  mesdire; 
Car  lors  seroie  à  tousjôurs^mès  perdus, 
Se  vous,  dame,  fjm  portés  les  vertus 
De  moi  gparii* ^  me  debontiés  arrière» 
Et  refusiés  par  ma  foie  manière. 
Et  d'autre  part  vos  éscondis  tant  double 
Que  ce  me  met  en  une  trop  grant  double  ; 
Car  s'escondîs  diversement  estoie 
\vec  toul  ce  que  PaoUrs  me  cliastoie 
Ce  me  seroit  un  si  très  garant  contraire, 
Que  plus  vers  vous  ne  mV>sctoie  fraire; 


134  POÉSIES 

Dont  je  sçai  bien  qu  en  péril  mon  temps  use  , 

Se  vos  frans  coers,  ma  idame,  ne  m'escuse. 

Mes  si  gentil  et  3i  humain  le  sçai 

Que  se  je  puis  venir  jusqu'à  lassai 

Et  vous  monstrer  mon  de$ir  et  m'en  tente 

Vpus  vous  tendues  de  moi  assés  contente; 

Car  vos  gprans  sens  cog^nistera  tr^s  bien 

Quen  mon  désir  n'a  quonnour  et  tout  Lien; 

Pt  s'Attemprance  à  la  foi  le  i?etarde, 

Par  la  vertu  de  Paour  qui  le  garde. 

Ce  n'est  qii^e  pour  e^quieuver  Malebouche 

Qui  dou  bon  tenips  d's^utr^i  se  plaint  et  grouce. 

Si  vous  suppli,  ma  dame,  qu'en  çeste  oevre 

Vous  m*escusésj  se  rudement  g' y  oevre; 

Mè^  Ppiir  Iç  roieqlz  à  mon  popir  m*ordonne, 

Selon  le  droit  que  li  Orloges  donpe, 

A  qui  me  sui  proprement  comparés; 

Car  mon  désir  qui  est  très  bien  parés, 

De  la  roe  première  de  |*OrlQge 

Est  atten^prés;  et  tant  bien  dire  en  o-ge» 

Par  la  vertu  de  la  seconde  roe 

Qui  nommée  est  Attemprance,  et  qui  roe 

Sagement,  car  le  foliot  le  garde 

Qui  de  Paour  monstre,  la  droite  garde. 

Apres  affieri  c^ptirle^  dou  Djçal; 
^t  ce  Djal  est  la  rœ  journal 
Quî^  en  un  four  naturel  seulement , 
Se  moet  et  fait  un  tour  precisemen^y 
Ensi  que  le  sofeil/ait  un  seul  tour 
Entoiir  lai  terre  çn  Hn  naturel  jour. 


DE  JEAN  FROtSSABT.  1 55 

lEn  ce  Djral^  dont  grans  est  li  mérites^ 
Sont  les  heures  vint  et  quatre  descrtles; 
Pour  ce  porte-il  vint  et  quatre  brochetcs 
Qui  font  sonner  les  petites  clochetes. 
Car  elles  font  la  destente  destendre  ^ 
Qui  la  rœ  chantorefait  estendre 
Et  li  mouvoir  très  ordonnéement 
Vour  les  heures  monstrer  plus  clerement. 
Et  cils  Dyavis  aussi  se  tourne  et  rœ^ 
Par  le  vertu  de  celle  mère  roe 
Dont  je  vous  ai  la  propriété  dit , 
jiVajdedlunfwselet  petit 
Qui  vient  de  Vun  à  F  autre  sans  moyen; 
Ensi  se  moet  rieuléement  et  bien. 

Qui  bien  à  droit  ceste  chose  èdefie, 
La  rpe  dou  Dyal  si  segtiefie 
Très  proprement  en  amer  doulc  penser. 
Mieulz  ne  le  puis  mettre  ne  compasser, 
.Car  coers  qui  aime  et  qui  désire  fort 
Ne  poet avoir  plus  gracieus  confort, 
fJe  li  est  vis,  ne  biens  qui  tant  li  vaille , 
Que  de  penser  à  ses  dmours  sans  faille 
Très  continu-elment  et  nuit  et  jour^ 
Et  en  faisant  ensi  comme  un  seul  tour 
Comment  venir  il.  pora  à  s  entente 
Dq  la  chose  dje  quoi  désirs  le  tempte. 
Et  qui  vodroit  bien  la  vérité  dire, 
Li  jours  entiers  ne  poroit  pas  souffire 
Au  vrai  amant  qui  aime  loyalment 
A  penser  à  s'amour  souffissamnient. 


156  POÉSIES 

Pour  ce  li  fault  sa  rihotc  et  son  tour 
Recemmencier  d*usa{]fe  caseun  jour 

Et  ce  Dyaly  qui  doulc  penser  fig^ure, 
Se  moet  par  lordenanee  et  la  mesure 
Que  la  mère  rœ  d  amours  li  donne; 
C'est  à  dire,  qui  bien  a  droit  l'ordonne 
Par  la  vertu  de  desir^  qui  enflame 
Le  vrai  amant  de  Pamoureuse  flaine, 
A  Paide  d'un  Tuiselet  petit. 
Cils  fuiselés,  qui  est  de  grant  pourfit, 
Est  appelles  en  amours  Pourvéance, 
Qui  sans  moyen  d'aidier  l*amant  s'avance; 
Car  quant  uns  coers  amoufreii  bien  apris 
Est  d*amer  par  amoiiirs  très  fort  espris 
Et  que  très  bien  et  acertes  désire. 
Amours,  qui  ne  le  voel(  pas  desconfire, 
Mes  li  gfamir  bien  et  soufifissammest 
Dequanqu*il  lî  peet  faire  aliegfement, 
A  son  hesoing  prestement  li  envoie 
Pourvéance ,  qui  Padrèce  et  avoie 
A  cogfioistre  quel  chose  il  doit  emprendre^ 
Afin  que  nuls  ne  le  sace  à  reprendre; 
Et  li  aprent  pwur  le  temps  à  venir 
Comment  il  se  pora  si  maintenir 
Que  tout  son  fait  en  bon  estât  soiistiegfne, 
Par  quoi  de  nutte  riens  ne  li  mesvieg-ne^ 
Aips  ait  Pavis  si  prest  et  si  sénr 
Qu'en  tons  ses  fèson  le  voie  méur, 
Soit  en  aler,  venir,  parler  ou  taire 
Sclone  Pestât  qui  li  est  neccessaire. 


DE  JEAN  FBOISSAnT.  137 

Pourvéance  qui  esl  en  lousseiis  preste 

Au  vrai  amanl  un  si  très  garant  bien  preste 

Qu'il  n'ose  roi  t  penser  ne  souhèdier 

€e  dont  se  voit  à  son  besoin{v  aidirr. 

Et  ensi  Pour-véanee,  sans  moyen, 

Qui  a  Pâmant  est  {jrant  g-rasce  et  garant  bien, 

Souffisamment  le  pourvoit  en  son  fet, 

Et  esmovoir  son  eorag'e  li  (^t 

De  penser  si  très  continuelmenl 

A  sa  besong^e^  et  si  song^neusement 

Qu'autre  soing  n  a^,  fors  que  tou(  dis  li  dui^r 

Ce  doule  penser,  tant  douleement  Pendure. 

Et  ce  penser  qui  tant  Pamatit  conforte 
Vint  et  quatre  broquettes  o  lui  porte , 
Qui  font  d'amours  la  destente  destendre  3 
C  est  Espérance,  ainsi  le  voeil  entendre 
Pour  déclarer  mieulz  mon  intention. 
Ces  broquetes,  dont  je  fai  mention, 
Sont  Loyauté  et  Ferme^atiensce 
Avec  Perse- veralice  et  Dilijfensce; 
Honnour  y  esl,  Courtoisie  et  Larg^esce, 
Et  puisSecrés,  Beaus-xMainlienç  et  Proece, 
Renom  et  Los;  ces  douze  si  sont  tclcs. 
Les  aultres  douze  aussi^  qui  sont  moult  lieles. 
Sont  Doulc-Samblant,  Dous-Regfart  et  Jonece, 
Humilités,  Bel-Acueil  et  l^cce, 
Et  d*autre  part  Delis  et  Seuretés 
Amours,  Venus,  et  Franchise  et  Pités. 
Ces  vint  et  quatre  amoureuses  bruqneles 
Sont  à  Pâmant  joieuses  et  d'oucetes 


158  POÉSIES 

Et  li  donnent  d*esperante  matère; 
Car  quant  li  vrais  amoureas  considère' 
Qu'il  est  loyal  en  s*amour^  et  àera, 
Et  pacient,  et  qu  il  persévéra 
A  son  pooir  très  dilig^entement, 
Et  se  vodra  très  honnourablemenf 
Ëstre  courtois,  largues  et  bien  celans,' 
Et  si  sera,  s* il  péet?  preus  et  vaillant 
Tant  qu'il  ara  bon  renbn  et  bon  los; 
S'il  se  sent  tels^  devant  tous  dire  Tos, 
Il  ne  se  doit  pas  doubter,  par  raison> 
Qu*il  n  ait  merci  en  aucune  saison. 
Ensi  se  fourme  en  son  coer  espérance; 
Et  quant  il  r'a  d'autre  part  cognissance, 
Et  qu'il  perçoit  que  sa  dame  honnourable 
A  doulc  semblant  et  régart  amiable^ 
Et  se  le  troeve  aussi  ^  quant  il  s'avance 
De  bel  accoeil  et  de  belle  accoin tance, 
Et  qu'envers  vous  vôlentiera  s'umeUe> 
Et  s'est  aussi  jone ,  joieuse  et  lie» 
Il  doit  penser  et  croire,  sans  doubtance, 

4 

Qii'Amours  y  a  grant  part  et  grant  puissance,* 

Et  qu'assés  tos  elle  seroit  encline 

A  bien  amer,  lors  que  par  sa  doctrine 

Amours  k  ce  le  feroit  esmouvorr, 

Et  qiie  Venus  li  feroit  concevoir 

Que  la  vie  est  delitable  et  sëure; 

Qu'il  a  ami  de  manière  méurev 

Sage  et  celant,  et  si  bien  aviâé 

Gomme  il  vous  est  ci  devant  devisé. 


ttE  JEAN  CrOISSAR^  lâîf 

Lors  li  doit  si  s'espérance  doubler 
Que  nuls  ne  puis!  son  coragpe  tourbler. 
Ënsi  dont  font,  eom  vous  povés  entend re^» 
En  coer  d*aQiant  espérance  descendre; 
Car  se  le  vrai  amant  ne  concevoit 
En  sa  pensée ^  et  aussi  s'il  n*avoit 
Espérance  et  imag^ination 
De  parvenir  à  la  conclusion 
A  son-«ntente  et  à  ce  qu'il  désire , 
Les  heures  a-moureuses,  au  voir  dire, 
Ne  poroïent  sonner  souffisamment,  . 
Ensi  qu'il  apertient,  et  que  briefmént 
11  voui$  sera  a  déclairié  ci  itprès; 
Car  croire  doit  amans,  par  mos  exprès, 
Que  tout  son  fait  assés  petit  vaudroil. 
Puisqu*espérance  au  besoin j  li  faudroit, 

Quand  je  regarc,  ma  dame,  de  quel  parf 
rCe  doulc  regpart  se  moet  et  se  départ 
Qui  ne  me  lait,  ne  pour  gain  ne  pour  perte, 
Amour^  qui  est  la  merci  soie  à  perte^ 
Me  monstre  nuit  et  jour  apertemeht 
Que  ce  pen3er  prent  son  département 
D'un  vrai  désir  amoui'eus  qu'il  m^'envoie 
Plusieurs  assaus.  Dont,  s'avoec  moi  n'avoié 
Un  doue  penser  qui  m'ayde  et  èotiforte 
Moult  me  seroit  ma  penitance  forte; 
Car  ce  désir  qui  asprement  s'avance 
A  dessus  ittoi  grant  part  et  gi*ant  puissance,* 
Et  me  convient  que  là  où  il  me  tire. 
Au  mieulsque  pub  comparer  mon  martire^ 


ICO  POÉSIES 

Mes  trop  seroit  pour  moi  crueuls  et  fors       j 
S*un  doulc  penser^  qui  est  tous  mes  confors, 
Ucmoi  aidicr  ne  faisoit  son  devoir; 
Dont  je  len  doi  assés  bon  g^ré  scavoir. 
Dont  il  n'est  biens,  dame,  qui  tant  me  vaille 
Que  de  penser  à  tous  tous  jours,  sans  faille. 
Ce  dôule  penser^  qui  m  est  de  g'rant  proufit, 
Un  jour  entier  mie  ne  me  souffist^ 
A  toute  heure  reeommencier  le  voeil , 
Pour  le  plaisant  délit  que  je  recoeil; 
Car  quant  je  pense  à  vostregrant  beauté, 
Dont  nature  a  mis  en  vous  tel  plenté 
Qu'on  en  poroit  les  aultres  embellir. 
Nuls  ne  me  poet  en  doule  penser  tollir; 
Ains  prent  en  moi  ordenance  si  vraie 
Que  nuit  et  jour  ^  sans  point  eesser,  lassaie^ 
Et  si  ne  fait  en  moi  ensi  q'un  tour$ 
Mes  tant  en  plaist  lordenanee  et  l'atour 
Que,  par  souhet,  je  he  poroie  avoir 
Bien  qui  vausist  celi,  au  dire  voir* 
Avec  tout  ee,  ma  dame,  je  sçai  bien> 
Se  n*estoit  Pour*véance,  sans  moyen. 
Qui  mon  penser  reconforte  et  conseille  ^ 
Quand  désirs  de  mouvoir  fort  s'appareille  y 
Trop  auroïe  de  mauls  à  endurer, 
Ne  je  ne  m'o-seroie  aventurer 
De  poursievir  emprise  si  hautatnne 
Que  j'ai  emprise  c'est  bien  chose  eêrtainne; 
Et  pour  ce  m'est  ^pandement  nécessaire 
Pourvéance^  sang  moyen ^  à  quoi  faire 


l^E  JEiff  P1I018SAAT.  161 

i)6  ponrvéir  un  coer  et  coilCorteiv 
Selonc  les  mauls  Qu'elle  li  voit  porleri 
Elle  cognoist  moult  bien  qn'îl  me  besotagfne^ 
Et  pour  ee  voelt  entéttdi^e  à  .ma  Ueaong*ne 
Et  moi  garnir  de  ce  cpii  tètëst  mêsiiton. 
Sa  gam'botkrefôiije  rolenlters^ 
Car  elle  m'ert  [faisans  et  delitable 
Et  à  ma  ne-eeislté  pourfifaUe^ 
Elle  me  me&eni  une  cdatîimey 
C'est  d*un  penser^  MqiieLjeeonlinUe 
Très  liement>  et  si  SQiignei^èiAentv 
Qu'aillcufi^s  ne  puis  isntendpe  nullement 
Ne  ne  Toeilj  car  gi  pcent  si  granl  déport 
Que  nuit  et  jour  n'ar Ueil  s'il  ne  lapert. 
Ne  n'aurai  je,  ne  aussi  onqu^es  n'oi; 
C'est  mon  sehs  et  tout  motf  esbanoi. 
El  de  noMit  pas  en  moi  jb^  se  foufme 
Ce  doale  penser  qui-aaîfemetfit  menfourme^ 
Cai"  il  eogneist  mmi  oeei^  6t  mon  èoragOt 
Quels*  jar  esté  el  sfc^i  mon  éage^ 
Car  je  vons  jur  Mm  bien  et  ma  santé 
Vostre  serrant  TOètl  estré  eu  loyauté» 
Et  eu  totti  cas  je  serai  .paseietts  » 
t^erseverans  et  très. bien  diligens^ 
BonnoilF  sieiirari' car  elle  est  moulf  prisie. 
Et  loylMKlé^  lai^keoe  et  eour  toisâe  ) 
Et  si  serai  sécrés^  et  bien'icelans; 
Et  pour  prœèe  aèlfiieitoe  traitëiUans  ,• 
Tant  que  benf  lue  et  bta  ifienbub  aurai. 
A  mon  poeii^  em»  me  malntenrai 
Faoï^SAftT.  T.  xri.     .  II       ' 


162  POÉSIES 

Tout  dis  en  mieàU)  ensî  vous  jur,  ma  dotne. 

Et  c'est  Jiien  drois  que  tek  soie»  par  m'ame! 

Car  doulc  |ienser  nvit  et  jour  me  présente 

Les  biens  devons^  o'éstbien  drois  que  m'assente 

A  vous  atner.,  bbéir  et  servir. 

Ce  m'esjoist,  daihie, quant  jepim  vir 

)       Vo  doulc  samblant;  courtois  etamiaUe, 
Vo  doulc  regard;  biimaxn  et  faonnourable, 
Vo  bel  accueil  et  vo  friobe  jenece,  • 
L'umiitté  de  voas  et  la  heee, 
Car  gi  côBcdi  d'eqKeranee  matère. 
Et  quant  lés  gratis  vei^us  je  considère 
Dont  vos  gent  corps  ë^t  parés  plainnement 
Espérance  me  confort  telément» 
Qu'en  moi  tram[et  ptfn^véance  sésure^ 
Qui  nuit  et  jour  liemeint  m  asséure 
Qu'en  si  franc  eoer>  dame,  que  vous  portés 

^      Doit  bien  manoir  et  franchise  et  pités. 
Je  ne  sauroie  où  ailkmrs  mereiquerrei 
Mes  je  ne  sûi.pas  dignésrdou  coiiquerre. 
E(  nom-pour-^quant  sçai-je  Ineti  le.veloir, 
Voires  selonc  lé  mien  petit  pctoir^ 
Que,  pour  souffrir  pi^imaes et  nmuls  aisés ^ 
De  vous  amer  ne  serai  jk  lassés^ 
Car  doulc  penser  qui  continuelment  '. 
Me  moet  le  coer^'me^nne'fiitâlmmt. 
Par  le  confort  ^e  beime  pourvéanee»    * 
En  tout  mon  fait  matière' jft'espérance. 
Tout  ensi  que  le  Dy»!  a  'manière 
De  li  tourner  par  la  roe  première, 


.  • . .    .  ;    I 


DE  JBAÏï  PROlSSARt.  163 

Car  dou  droit  tour  naturel  qu'elle  tourne 
La  roe  de  Désir  à  ce  la  tourne  ^ 
A  Tayde  d'un  petit  fuiselet 
Qui  nullement  ne  le  fault  ne  le  let; 
Tout  ensi  Pour-véançe,  sans  moyen, 
Ne  me  poroit  fallir  pour  nulle  rien. 
Apres  ajffiert  dire  quel  chose  il  loge 
En  la  tierce  partie  de  tOrloge; 
C^est  le  dertain  mous^ment  qui  ordonfie^ 
La  sonnerie^  ensi  qu^elle  se  sonne. 
Or  Jouit  saçoir  comment  elle  se  fait* 
Par  deus  roes  ceste  œyre  se  parfait. 
Si  porte  o  lij  ceste  première  roe^ 
Un  contre  pois  parqaoi  elle  se  roe 
Et  qui  le  fait  mouvoir,  selon  m'entente^ 
Lors  que  levée  est  à  point  la  destente; 
Et  la  seconde  et  la  rœ  chantore, 

■  • 

'  Ceste  a  une  ordenance  très  notore 
Que  Satmchier  les  élochetes  petites 
Dont  mut  et  four  les  heures  dessus  dittes 
Sont  sonnées^  soit  estes,  soitjr  vers, 
Ensi  quil  apertient  par  chans  divers. 

Apres  a£&ert  dire  quel  chose  il  loge 
Et  quel  chose  la  sonnerie  prueve; 
Tant  qu'en,  amours,  selonc  m*ententioh, 
Elle  est  de  ffrani  signification; 
Et  poet  moult  bien,  cest^^  roe  première. 
Qui  d*amours  est  la'sonnwie  entière, 
Très  proprement  estre  en  ap90|u4rs^nammée 
Discrétion,  qui  pLut  est  renommée;  .  "  /  ' 

II* 


164  POÉSIES 

Et  celle  fait,  pdr  droit  rieule  tnouToir, 
Et  par  point  la  roè  ehantoré  roir, 
Qui  Doulc-Parler  proprement  sejpiefle, 
Selonc  Testât  de  Tamoûretise  vie; 
Par  la  vertu  du  confrepoiâ  aa$sl 
Qui  Hardemens  doit  estre  appcfllés  ci  ; 
Car  quant  nns  coers  d*amoareu9e  ordeiianee 
Conçoit  en  Ini  m atère d'espérance, 
Et  a  très  botine  imag-tnatioti 
De  parvetiir  à  son  etitentioti, 
Selonc  1  estât  et  rordetiance  entière 
Dont  ci  devant  est  ditte  la  itiàiiière, 
Lors  prent  en  soi  Hardement  qai  éâveillé 
Le  Doulc-Parler,  qui  lé  coer  esmerveîlfe 
Soubtievement;  car  Bardemeds  commande 
A  laniànt  qu'il  ponrsievû  sa  demanda, 
Et  qu'à  sa  dama,  segfneBe  et  quMl  dié 
Apertemchit  toute  fta  mflisrdte; 
Et  tout  sfm  fait,  et  ^an  estât  entier. 
Dont  il  se  èettï  à  tN>ftne  amotir  rentier^ 
Parquoi  oir  et  rey^voir  le  vieille 
A  sa  merci ,  et  qu'en  gtè  le  i^eedetHe. 
Dont  est  forment  Gbi'dement  ncfccessaire 
Au  vrai  muant ^  et  ftfoult  en  à  àfaii^ 
A  poursietlr  le^  proiéés  de  s'amour,. 
Ou  il  li  fault  mairttati^et  ttiaiiit  tour. 
Bt  pour  e^  ^u'il  ati^  ne  passe  point 
La  niesure  de  raison,  fiô^  ^  poiitt, 
Il  li  convient 9  par  bonne  ententioii,  ', 
Mettre  en  son  taëv  fcrut»  diacre  tibn 


DE  JEAN  FfiOISSART.  163 

Par  quoi  il  puisse  faire  par  rieule  alcr 
Séurement  l'oevre  de  Doolc-Parler. 
Sans  ce  ne  poet  sag^ement  de^couvrir 
Ce  qu  il  li  fault,  ne  s^g^emeat  ouvrir, 
Bnsi  qu'il  a«pertient  et  qtie  requiert 
L'estat  d*aniour^,  tout  tel  que  Vamant  quiert. 

Et  quand  Discrelioni^  à  cq  l'ordonne, 
Lors  Doulc-Penser  ^  ^a  droite  heure  sonne , 
Et  divers  chs^ns  amoureusement  chante x 
Des  quel  ii  troeve  en  soi  plus  de  soissante. 
Une  heure  en  la  presensee  de  sa  dame 
Chante  comment  U  e^t  soiispris>  sus  s'ame; 
Si  qu*il  convient  qu'à  contenanee  faille; 
Et  puis  Amours  une  £^ult  re  heur(B  li  haiUe* 
Tout  seul  à  lui  méisnies  ses  proyàres 
Chante,  et  ordonne  en  diverses  manières; 
Et  puis  moult  bien  li  avient  uneaultre  heure, 
Quant  Doulc-Parler  pour  $oi  aidier  labeure 
Que,  pour  sa  dame  e^mouvoir  à  pité. 
Ses  requestes  plainnes  d'umilité 
Ordonne,  et  dist  au  mieulz  qu'il  scet  et  poet, 
Ensi  que  cils  qui  gprasce  acquerre  vset; 
Et  Tautre  heure,  sans  ce  c'oii  le  coqfort, 
Chante  chançons  de  très  Joieus  confort 
Et  de  très  garant  cônsolatioa  voir  9 
Et  l'aultre  heure  ne  pora  el  moi^volr» 
Fors  chanter  chans  tous  g'arui^  de  tristrece 
Plains  de  soussis  et  tous  vuis  de  liece, 
Et  complaintes  vives  et  dole^eu^s, 
Souspirs,  reg^rès,  m^tères  lang^uereusesi 


1 


ICfî  POÉSIES 

Tout  selonc  ce  que  son  sentement  oevre , 
Et  que  le  droit  procès  de  s 'amour  roevre 

En  rostre  nom,  ma  dame,  à  qui  tout  donne, 
Discrétion  présentement  m'ordonne 
A.  esmouvoir,  qui  bellement  vous*die 
En  quel  point  poet  estre  ma  maladie; 
Et  toutes  fol^,  qnoi  que  j  aie  à  souffrir, 
Ne  sçai  comment  porai  ma  bouche  ouvrir 
De  vous  monstref  mon  désir  et  m*entente; 
Car  pluiseurs  fois  m'avés  esté  présente. 
Onques  je  n'oc  puissance  de  mouvoir 
ParoUe,  dont  vous  peuissiés  savoir 
Entièrement  comment  Amours  me  mainne. 
Mes  je  vous  scai  si  sage  et  si  humainnc, 
Si  avisée  et  si  très  débonnaire,  ' 
Que  ne  medoi  ne  ne  m'ose  plus  taire; 
Car  Hardemens  le  voelt  qui  à  soi  tire. 
Tout  mon  coragfe,  et  me  se  et  m6ult  bien  dire^ 
u  Ta  vie  g\si  en  moult  belle  aventure, 
»Car  ta  dame  est  si  douce  créature^ 
»Que  tu  ne  dois  pas  estre  donbtieus 
))De  li  ihonstrer  comment  son  corps  gpentieus 
»Te  tire  et  trait  en  painne  et  en  soussi  » 
Et  quant  à  ce  Hardemens  me  moet  si, 
Mo  vodrai  très  bonnement  avancier, 
Car  il  m'est  vis  que,  se  je  puis  lancier 
Un  doulc  parler,  et  je  vous  troeve  en  point. 
Ma  besongfne  en  sera  en  millour  point 

Dont,  pour  ouvrir  une  grant  quantité 
Pe  mes  secrés,  et  savoir  s'en  pité 


D£  JEAPi  FROISSART.  167 

Je  serai  jà  reoéus  de  vous,  damer 
Se{pii*ement  vous  jure  corps  et  ame 
Q»^en  tous  cas  aï  très  gvBtaie  afTection 
Qu'en  moo  ooer  ait  tele  discreticm 
<}ae  ma  parolle  en  gré  suit  recéue  ; 
Car  s'elle  esloit  eU'  noncaloir  cbéue 
Par  ce  point. que  vous  n en  féissiés  oom  pie 
Pour  le  dolent,  perdu  homme  ma  conte 
Qui  nuit  et  jour  vit  pour  vous  en  garant  painne. 
Peu  se  covnpi^t  qui  n'asaye  tel  [lainne, 
Car  en  si  grant  fresel  me  truis  une  heure, 
Sitos  qu*4mours  Tardant  désir  m'aheure. 
Qui  la  beauté  de  vous  me  represekite 
Et  les  grans  biens  dont  vous  n'estes  exente, 
Que  je  ne  sçaî  oomment  je  me  maiutienjj^ne. 
Il  n'est  estas  d*amours  que  ne  souslteg-ne. 
Dont  frois,  dont  chaùs  diversement  me  muer 
Mon  coer  tressant,  et  vole>  et  se  remùOi* 
Apertement  de  lui  enlrechafigier.- 
Ne  le  convient  pas  estre  en  grant  dangier. 
Pour  vostre  amour  sui  si  attains,  susm  ai|i^  ! 
Que  ne  me  scai  comment  conseilM^'^ft^^nif* 
Quanque  je  voi  une  heure,  bien  jne  plest^  , 
Et  puis  tantosoe.que  voi  me  desplesL      .    . 
Une  heure  voeilrjç  estre  en  compagnie, 
L'autre  le  fui»  avoir  ne  le  voeil  wq*. 

■ 

Ain>  sui  mouLt  lie  quant  je  .me  trufçve  scuU, 
Parqaoi.mes  plains  tristes  et  angoissons     . 
Puisse  à  par  moi  dire  et  ramentevoir. 
Là  de  plitrerfai-je  a^és  i^on  devoir  j 


169  rotisiBs 

Le  temps  repenc  où  me  sui  embatqsw 

Et  quant  assés  je  pie  snl  4^aLto, 

Et  que  sus  moi  n  a  i^ng*)  ne  nerf,  ne  vainne. 

Qui  ne  soit  tout  afoibli  de  ia  painiie, 

Amours  qui  Toet  qa*nn  p^u  ait  d^alig^ance 

Mon  gprand  traTel>  me  remet  espérance 

Par  devant  moi,  et  celle  assés  in'aye; 

Mes  assés  peu  dure  son  envaf  e; 

Voires  s'^lie  ne  me  prent  et  esgaie 

En  une  heure  lie  joieuse  et  gaie. 

Et  lors  reçoi  de  vuis  solas  sans  nombre. 

Et  non-pour-quant  pour  très  bons  je  les  nombre; 

Car  mon  dur  temps  m'aydent  à  passer ^ 

Et  les  dolours  que  port  à  desmasser. 

Mes  je  n'en  sçai  ne  puis  tant  mettre  en  pevre 

Quegrant  foison  tout  dis  en  moi  n'en  troere. 

En  ee  penser  et  en  celle  rihoîe 
Fai  maint  souspir,  maint  plaint  el  mainte  note 
Où  il  n'i  a  gairfes  de  mélodie, 
Ne  sçai  à  qni  ^}ve  ma  mala4ie. 
Fdrs  seul  à  vous»  ma  dame  soayeratnne. 
Je  sçai  de  voir  que  j^ai  empris  grant  painne, 
Car  je  ne  sui  del  avenir  pasdignei 
A  si  grant  bien  que  vous  ^  mes  par  les  signes 
Des  douls  regars  que  j'ai  en  vdus  véus, 
Sui-je  ou  droit  rieule  amoureus  enehéus. 
Là  me  tendrai,  à  qnele  Gn  qu*^n  Tiengne^ 
Mes  je  vous  pri  que  de  moi  vous  souvi^iigne» 
Et  que  pités  en  vo  franc  céer  s^acer^ 
Tant  que  de  moi  un  petit  se  recordoA  < 


DE  JEAN  FBQISSART.  169 

Que  de  vous  aiie  aiiisn)i.iiliegiDiiieut, 
Car  mon  coer  est  vostre  tQ\i\  lic^emenl . 
Et  SI  souCfréSt  m»  àQjJ4i^  ibme  gsàe , 
Que  doiUc  ^q^er,  qu^  nif\\  çt  JQiu*me  paie, 
Et  ram^AtoU  f)3per$mçp  à  toi^Je  benro  » 
Sa  gpra^e  en  yoîr  e^  $QP  coufqrt  ^veure; 
Car  s'autrement  se  poptoit  ma  querelle, 
Trop  me  «eroit  m'aventure  rebelle 
Que  j  V  topu  et  tieuc  à  éureuso^ 
Depuis  ifu'emprîs  ai  la  pris^  amoureuse 
De  yous  servir ,  obéir  et  crem^r » 
Qnaut  à  fie  pense,  assés  mp  bit  frémir 
Et  ^I|ahir,  oar  je  if q  sgai  re^airç 
A  quele  fin  ee^t^  oeuvre,  vo^ra  traire. 
Et  UQu-ppup-qiiiant  j'ai  bien  la  cognissance 
Que  vous  ayés  sus  moi  tant  de  puissance 
Qu'il  ipe  convieiit  yo  doulc  plaisir  attendre; 
fij  s'm\  petit  Yoliés  m^  yi^  entendre, 
(Comment  je  Y^\  maintenu  longe  espa^se» 
Vous  mfi  f^ri^  grant  a^piiosne  getrjfnt  grasce, 
C'est  qu^  désirs  w\i  e^  jour  m'appareill^ 
Maint  çnapt  i^s^ft^Ui  Qr  p'aî  qui  me  couseUle. 
Dontç'i^t  pppr  n^oi  que  moult  dure  ehose, 
Ca,r  de  jçpon  fai^  païf  1er  j  e  ne  vous  ose , 
Ne  vpus  n^qqstrc^f  eomo^i^t  je  ^ui  tQHt  di^i 
Car  je  4w)>tesi  fort  vo^  çseoçfli^. 
Et  les  ppriU  qui  ^ont  do  i\{alebpucbe , 
Que  trop  n^'esi|iai  que  je  ne  vous  com'ouce  i 
Et  ce  uf»  so  pQro^. faire  à  i^til  fpei; 
Que  je  yosisîse  errer  cantre  ninn  coer 


170  POÉSIES 

Qui  à  tout  ce  &'acorde  liemeiil 

De  vous  servir,  si  entérinement 

Que  je  porai  en  tous  estas,  ma  dame, 

Mes  ce  désir  qui  telemeiit  tn^enflame, 

Dont  il  convient  que  nuit  et  jour  langfuisse. 

Ordonnés  que  vos  frans  coers  i*adoucissc, 

Par  quoi  il  soit  i^n  petit  resjôis; 

Car  c'est  bien  voirs,  se  je  né  suis  oys 

Des  grans  dolours  dont  bonne  amours  me  oarge 

Plus  que  |iorfer  ne  puis  ai-je  de  carg^e; 

Que  conquerriés,  dame»  s'en  vo  servisce 

Martire  et  mort  en  langpuissant  persisse  : 

Et  pour  moi  mettre  en  un  peu  d'alig'ance 

Vous  me  donriés  de  biens  tele  habondanoe 

Qu'à  toujours  mes  il  m'en  seroitle  miens, 

En  quel  estât  que  fuisse,  et  en  quels  lieus? 

No  pensés  jà,  que  foiblement  vous  àimme, 

Ne  que  sans  faiti*omme  martir  me  claimitiey 

Certes  nennil,  ains  en  soustien  cens  tans  ; 

Dont  dou  monstrer  ne  puis  venir  à  tem})Sy 

Et  en  cuïsse  assésbien  le  loisir. 

Et  vous  povés  tout  clerenieht  cuesir, 

Quant  j*ai  l'éur  que  d'estre  eri  vo  présent, 

De  quels  parlers  vous  Fai  monstre  et  présent. 

Ensi  me  tais  que  dont  que  pas  n'i  fuisse. 

Et  pensés  vous  que  là  parler  je  puisse  ? 

Nefinil;  car  vo  beauté  si  fôi^t  më  loie 

Langfagpe  et  coer,  qné  se  parler  volôle 

!Se  n'en  est-il  noient  en  ma  puissance. 

Cvm  pliis  v(ms  voi,  et  plus  a  d'acroissance 


DE  JEAIV  FROISSART.  I7I 

La  bonne  amour  dont  de  moi  amée  estes. 
Soit  en  requoi,  en  chambre  et  en  festes, 
Riens  ne  me  poét  plaire  ne  resjoir 
Se  ne  vous  puis  ou  véoir  ou  oyr. 
Or  ne  poet-il  pas  tout  dis  ensi  esfre 
Que  je  vous  oie  ou  voie  à  la  feuestre, 
Ne  hors,  ne  éus^  esbatre  alanit  vo corps. 
Dont  c'est  bien  drois,  dame^  que  je  recors 
Comment  je  sui  démenés  ou  termine 
Que  don  souffrir  Amours  me  détermine, 
Se  ce  n^estoit  pour  vostre  paix  gfarder^ 
Dont  il  me  fault  à  ce  bien  reg-arder. 
A  un  anoi  que  j'ai,  cent  en  auroie  ; 
Ne  je  ne  sçai  comment  porter  poroie 
Les  gprans  assaus  qu*il  me  convient  souffrir; 
Car  Doulc-Penser  se  vient  souvent  offrir 
A  moi,  qui,  nuit  et  jour,  me  représente 
Les  biens  de  vous  ;  c'est  dcois  que  je  les  sente . 
Et  Désirs  voelt,  à  que  le  fin  qu'en  isse, 
Que  de  parier  à  vous  je  m'enhardisse. 
Et  se  je  n'ai  tamps  né  lieu  ne  espasse, 
Si  voelt  Désirs  que  devant  vous  je  passe;  j 

Et  me  semble  que,  se  m'aviés  véu 
Que  tout  mi  mal  seroïént  co^néu. 
En  ce  fresel  et  en  celle  rifiote 
Fai  maint  souspir,  ni^int  plaint  et  maint  note 
Qni  ne  sont  pas  de  sônk  melodieus, 
Mesattemprès  de  ciians  mriladieus; 
Car  quoi  qu'à  ce  se  regfardo  attemprance, 
Par  le  conseil  de  bonne  Pourvéance, 


t 


173  POItsips 

Si  meconstraint  si  désirs  sus  une  heure 
Que  sans  ppnibre  trop  plus  de  mauls  sjiveuro 
Que  je  ne  fai  de  joie  et  de  repos. 
Quel  tamps  qu'il  soit,  o|i(|ue  je  ne  repQS 
Ne  nuit  ne  jour,  pe  heure  ne  minimp  \ 
Car  bonne  anvour  le  çofiv  si  fort  me  lime, 
En  pens^pt  à  vo^tre  txvê  {^rant  beauté, 
Que  cil  pepser  m'ont  plulspurs  foii  maté, 
Teleinent  qu'il  n^roit  d^dao^mQtt  fait 
Ckimmenpoment,  ne  inoyepi  ne  parfait  h 
Et  bien  souvent  ne  s^yoie  où  j'estPÎe'^ 
Mes  tous  pensieu3  f^t  teu^  mas  m'arrestoie, 
Car  pluisçurs  fol^iuP  ^uU  moult  repentis 
De  ce  qu'envi  m'estqïe  départis  , 
Ppiir  oe  qu'i-çnor^mqiept,  ce  me  sauibloit , 
Mon  cger^  qui  de  paQqr  trc^tous  trambloit, 
S'erl  cqnt^nt^s  vers  vous  aius  mou  d?pi|rt^ 
6t  de  mon  fs^it  pas  la  ceutimis  part 
N'avoie  dit.  Qpnt,  ^^  moi  re^rdaut» 
Je  m*eu  tenoie  a3$0^  à  igupraut. 
Or  ai  mon  coer  de  ce  mpolt  ^utech^é. 
Dont,  se  ç'^ai  aucqueuneut  pecbié. 
Certes,  ce  n'est  ue  ppur  m^I  Tie  pour  visce 
Qui  soit  en  moi  p^vrepféant  aer visce  ^ 
Ce  n'est  que  fkv  £^uUg  d?  hardem^^t 
.    pt  par  amours,  dont^uf  si  ardemi^^pn^ 
flspris  de  vous,  mpjicojçreQ  tout  donner. 
Que  ce  mesfet  me  dev/^^  pardouu^f 
Car  volontiers,  se  le,  ppoïe Ëiire, 
Vous  diroïe  mon  coer  6t  mon  afaire 


M  JEAN  FRÔISSARt.  1^* 

Tout  émi  que  Desi^â  lé  me  çommalide. 
Et  si  m*est  môiilt  de  tiécësiilé  g^rande 
Toutefois,  dame,  qud  je  Ife  tcftiâdife 
l^ôur  àleg'ier  toute  Ma  thaTadië; 
Car  d'ensî  vïvi^  en  pàinne  et  en  débat  j 
Dont  boniïe  amoui*  nie  toui^ménte  èf  debaf , 
II  n*est  nuls  eoersqùi  porterie  socvist^ 
Ne  qui  jà  joie  en  celle  vie  èvîst. 
Si  le  vous  di»  ma  damé,  à  cèlfe  tih, 
En  sujipliant  d^ehterin  eoei^  et  âti, 
Que  la  dolour  qiie  j'ai  lone  tempà  g'ardée 
Soit  en  pité  de  par  vous.regpardéé; 
Car  bien  est  tempsi .  mais  qu  il  vous  pfâisè  ensi  ^! 
Qiie  recéûs  de  vous  soie  k  merci. 
Non  que  le  vaille  ou  que  le  doyés  faire; 
De  ce  cuidiei^  me  voeil-je  moult  bien  taire; 
Mes  deulenlent  poui*  ce  que,  sans  séjour. 
Pense  mon  coer  tout  dis  et  nuit  ctt  Jour 
A  vous  amer  loyalment)  côih  vos  sers, 
Et  obéir.  Dont^  s^en  ce  riens  aessers^ 
Les  gnei^redons  m  en  soïent  remeri; 
Cat  quant  Désirs  premiers  mon  coel*fériy 
Par  la  vertu  de  vostregrant  beauté, 
Depuis  n*a  heure,  en  y  ver  n  en  esté, 
Que  Doulc- Penser,  qui  porte  les  broquetes, 
N  ait  fait  sonner  en  mon  coer  les  clochetea 
lie  divers  chans  et  de  diverses  notes , 
Les  uns  joieus,  les  aulfres  de  rihotes, 
Ensi  se  continuent  et  esbatent, 
A  ce  que  nuit  et  jour  le  coér  me  bâtent] 


174  POÉSIES 

Et  ce  me  fauU  souffrir,  comitieut  qu'il  aille; 
Mes  je  vous  prii[ue  ma  painne  me  vaille; 
Car  je  reçoi  en  bonne  pascieni^ 
Tout  ce  qu*il  plest  Amours  ordonner  en  ce« 

Et  pour  ce  çue  ti  Orloge  ne  poet 
yiler  de  soi\  ne  noient  ne  se  moet^ 
Se  il  ri  a  qui  le  garde  et  qui  en  songne^ 
Pour  ce  ilfault  à  sa  propre  besongne 
Un  orlogier  avoir  j  qui  tart  et  tempre 
Diligammentraministre  et  attempre. 

Les  pions  relies^e  et  met  à  leur  devoir  ^ 

Ensiles  fait  rieuléement  mouvoir] 

Et  les  roes  a  modère  et  ordonne  ^ 

Et  de  sonner  ordenance  lor  donne. 

Encores  met  li. orlogier  s  à  point 

Lefoliotyquine  se  cesse  point  y 

Le  fuiselet  et  toutes  les  brochetes^ 

Et  la  roe  qui  toutes  les  clochetes 

Dont  les  heures  y  qui  ens  ou  Djral  sontj 

De  sonner  très  certainne  ordenance  ont^ 

Mes  que  levée  à  point  soit  desien.  • 

Encore  fjoei  moult  bien^  selonc  m  entente  <f 

Li  orlogiers^  quand  il  en  a  loisir^ 

Toutesdesjois  quil  li  vient  à  plaisir 

f*aire  sonner  tes  clochettes  petites 

Sans  derieuler  les  heures  dessus  dites,    . 

Selonc  Testât  dont  j*ai  parlé  primiérsi . 
Souvenirs  doit  estre  li  orlog'iers  \ 
Car  Souvenirs  qui  ens  ou  coer  s*enfrume, 
Toutes  les  fois  qu'il  li  plais t^  il  desfrume 


DE  JEAN  FBOISSiRT.  173 

La  doalc  penaerqui  les  broquetes  porter 

En  quoi  le  vrai  aoiant  meult  se  déporte, 

Il  y  en  a  jusqoes  à  .vint  et  quatre. 

Quant  Souvenirs. y  faitTaniant  embatre, 

Joi^  et.  coij^fort  son  espérance  doublent, 

Ne  nul  soussî  Jie  anoi  ne  le  lourbleiit; 

Ains  fait  ses  cbans  d'ordenance  amoureuse  $ 

Car  taAt  li  est  sa  pensée  joieuse 

Pour  lés  vertus  quî.spnt.de  noble  afaire, 

Que  cils  penser»  li  poet  moult  de  biens  faire; 

Dont  Souvenir  1^.  «donne  rs^membrance) 

Car  lors  eo^oist  sçs^fès  de  branche,  en  branche. 

Et  li  remet  par  usagée  au!»de  vaut , 

Ce  q^i  11  est  plafsant  et  avenant; 

Et  se  li  fait  aussi  ramentevoir 

Que  en  amer  le  potprimiers,  mouyop. 

Lors  la  beauté  de  sa  dsiine  figur|e> 

Son  sens,  son  biep»  et  sa  4^iice  figpi|re  ;  , 

En  ce  désir  amoureus  p^csevere.  . 

Et  nuit  et  jour  liement  ci^nsldere  ., 

De  sa  vie  Testât  tr<eslpuib  eiitirv 

Neb ,  ,se  d'cûner  se  yçjoij  rep .ejg^t  ir ♦  .  ,  : , . 

Se  1^  p4iet-il,  car  Souvenir  le  jwinl,  ^ 

QqV  Jli  I  remet  sa  besong^e  ei^  boi^  p^in t  ; 

Desii;  premiers»  Be^uté^  et  pu'is  Plaisance» 

Secondcmient;  Paonr  el  A jitefipraAce  * 

El  aussi  Pour-vé^fiço  sans  moyen. 

Et  Doulc-Penser  qui  li  fait  n^oult  de  bien. 

Et  }{»  vertus  qui  ci.  dessus  sont  dittes 

Par  ^uye^iir. sont  en  son  coer  escrîptes^ 


1^6  fOisiÉà 

Ne  il  ii*i  a  chose  fsinf  doit  peHte, 
Qui  gt^nàeitieni  à  Yàttt:int  ùé  prtAiÛt&i   ' 
Et  s*il  avtent  que,  t^r  aiircttiië  tMë,        ' 
Le  4ioet  d'àiAant  ÉrûAèMeilt  tfè  f6(^ô7é, 
Et  qu'il  soit  mis  èfcfâi  qdé  Ii'chrs  dïdà  /'^tiféy 
De  quoi  Amdilt^  les  ^rè^  liiricmréti^  rfèiAè 
Ou  esloti^i  de  VatMHii'en^  Vlé 
Par  fortune^  pai"  fraride  dû:  pàretvîét'f 
S'ési  Souvetiiï'â  d'tiné  ^cfiT'tti  si  hstùtè 
Que,  si  t^estos  qu'elle  vôiï  la  Sëffànié  , 
Conseil  y  met,  HtAèndHè'é  et  lûé^di^è , 
Et  à  sdn  di'ôf t  fè  edèr  éi  raiMéànfe 
Qu'il  ne  «e  poet  paf  Maison  foùi^Vd^éi^;    ' 
Puisqu'il  Ée  voelt  eil  so^  i4ettfe  àVoy'er. 

De  très  gmûA  bied  lii'àr  idtijoitri/  pottriféu' 
Le  soiivetii^  iJu^b  f  sÉi  dé  ^bus'  èù\ 
Ma  droite^  daffné ,  et  ittàûh  lit'étf  ddi^  bè^f 
Pour  ce  le  tdëlî  ti^^ûeihéni  skvAét^/ 
Car  onqués  tifè  lAe  ti  éfitf  èé  ^i^fl       ' 
Que  je  pevtésé  ûtié'  heure  cfsfrè  ^a^  Il  ; 
Et  à  la  fin  que  ixtél  ié^gtië  Aritëj^ 
Moult  a  sits  mbli,  èrtféiilè  s6îii<^  et  èiW^e 
Que  SI  à  pùïhi  jèHfàitètfipV&ei  OfdbnM 
Que  je  i^ecolve  éû  ^  ëë  qu'Anlouri  dîAiHlf* 
Et  é'ii  ànënH  que,  pdt^  ^éuif  cdM^frë; 
FortuÂé  éVr  nul  péMl^  hië  VbrîA^  fi^s»^' 
Ne  desvof  ér ,  jUar  &àà(((^  ëf  pâf  ttiVîë?/ 
lôï^ô  a?-Je  iiétf  lAfestitfr  dé  *»  ày^:^^   '  *      ' 

Mes  sÂite  fku«^  je  1er  tV6éHtH(fA9(  pt^k  i  ' 

Cafhuii  ëf  joùlé^6iU^d(  p6tt^  nktA  liri!i¥e<Hé^, 


b£  JËiN  l'ROlSSARt.  177 

Ains  me  remet  mon  doule  penser  à  peint. 

Et  quand  le  mai  d*amer  si  foti  me  point 

Qu'il  me  convient  frémir^  comment  qu'il  aille 

Et  que  souvent  à  contenance  faille  ^ 

Par  la  vertu  de  quoi  elle  mé  touche^ 

Tant  que  sus  moi  n'a  mains,  ne  yex,  ne  bouclie, 

Ne  membre  nul  qui  se  puisse  mouvoir-, 

Mes  tous  pensis  me  fault  arrest  avoir  ^ 

Ne  je  ne  sçai  auquel  lès  commencier  : 

Dont  ma  besongné  puisse  en  riens  avancier; 

Ains  me  cotivient  estre  fous  esbahis; 

Lors,  Souvenirs,  dont  pas  ne  sui  bays , 

Pour  moi  oster  dé  toute  pesans  cette 

Très  soubtilment  par  dedens  mon  cœt*  06vre, 

Et  m'i  remet  le  rieule  et  le  droit  cours 

Dont  gfouvi^néB  est  U  estas  d*  Amours. 

Si  sag'ement  me  rat^mpre  et  atout  né , 

Que  sus  moi  n'a  Mouvement  qui  ne  tottrne 

Et  que  oascuns  M  face  son  devoir. 

Désirs  me  vient  premiers  ramentévoir 

La  OTant  beauté  de  vous,  madame  ^ente, 

iPar  ik  vertu  de  Plaisatice  que  j'énté 

Dedens  mon  coer^  et  adont  je  désir 

Que  vous  Éàfciéâ  plainnemeiit  mon  désir., 

Et  que  mon  mal  éd^hiteiés  et  voyéâ. 
Et  quand  je  âni  atHfues  près  avdyéê, 
Et  que  Désirs  qui  Mé  brnist  et  art 
N'i  voelt  viser  ol*denftnc5e  né  al-f , 
Fors  que  tout  dis  aler  à  Tavenlttrè, 
Lors  me  revient  Attempfanùe  séure 

FROISSART.   T.  XVI*  12 


178  POÉSIES 

Qui  mon  désir  restraînt  et  met  en  voie 
Rieuléement  et  par  art  le  convoie, 
Par  la  vertii  de  Paour ,  qui  reg^arde 
Que  de  mon  fait  nuls  ne  se  donne  g'arde. 
Par  ensi  voi  attefnpré  mon  corage. 
Lors  Doulc-Penser  grandement  m'encorage 
De  reconti-nuer  tout  mon  afaire; 
Et  se  -ne  puis  riens  el  nuit  et  jour  faire 
Fors  que  penser  à  vous,  ma  droite  dame; 
Mes  tant  y  a  pour  moi,  qu'en» eeste  flame 
Qui  nuit  et  jour  ardamment  me  traveille, 
Pourvéance  sans  moyen  me  conseille, 
Et  les  vertus  que  mon  doulc  penser  porte 
Pardevant  moi  songneusement  raporte. 
Et  par  ensi  dedens  mon  coer  se  fourme 
Espérance  qui  de  tons  bien  m'enfoorme, 
Et  qui  me  fait  souvent  ouvrir  la  bouche; 
Car  si  tretos  que  souvenir  Tatoucbe, 
11  me  convient  en  diverses  manières 
Faire  mon  chant  et  toutes  mes  pryères. 
En  ce  parti  me  troeve  puit  et  jour. 
Ne  pensés  jà,  dame,  que  je  séjour; 
Nennil,  car  sou-venirs  qui  s'ensonnie 
De  gouvrener  rieuléement  ma  vie 
Ne  lait  sus  moi  oevre,  tant  soit  petite, 
Que  dou  remettre  à  point  ne  se  delitte; 
Et  je  l'en  lais  bonnement  convenir, 
Car  je  ne  puis  à  bon  confort  venir , 
Ne  moi  rieuler  par  certainue  ordenance, 
Fors  que  par  U  et  par  sa  gouvernance; 


DE  JEAN  FROÏSSÀRT.  Ï79 

Car  tout  mon  fait  entirement  ordonnéi 
S'en  regrasct  Amours,  quant  ii  me  donne) 
Avec  les  mauls  qu'il  me  convient  porter, 
Cog'nissance  de  moi  reconforter, 

« 

Et  que  tout  dis,  tant  qu'à  ceste  matire  , 

Au  plus  joieus  mon  coer  se  tret  et  tire*, 

€ar  tout  ensi  comme  j'ai  dit  devant > 

Je  ne  poroie  aler  non  plus  avant 

En  cel  estat^  ne  moi  amoderer , 

Quant  tous  mes  fès  voeil  bien  considérer-, 

Comme  poroit  une  gprosse  rivière 

Venant  d'amont  prendre  son  cours  arrière  ^ 

Se  ce  n  estoit  la  douce  souvenande         ^ 

Que  j'ai  de  vous,  ma  dame,  et  la  plaisance 

Qui  en  pensant  à  vous  me  rejoist. 

Et  g^randqment  me  conforte  et  nouristj 

Et  me  pourvoit  de  conseil  ef  d'àye 

Que  je  ne  crienc  assaut  ne  envayé 

Que  fortune  me  puist  donner  ne  faire. 

Et  c'est  raisons;  car  en  vo  noble  aEsiire, 

Et  en  la  garant  discrétion  de  vous, 

En  vo  maintien,  qui  tant  est  beaus  et  dous. 

On  n'i  voit  riens  qui  faee  à  amender; 

Car  vous  estes  sans  moyen  et  sans  per 

Ceste  qui  est  toute  dame  de  moi. 

Ensi  le  jurloyalment,  par  ma  foy  ! 

Ce  n'est  pas  fort  se  vous  nl'avés  conquis; 

Mes  ce  seroit  pour  moi  uns  g'rant  déduis 

Se  reg^ardor  en  pité  me  dag^niés, 

Et  se  mes  mauls  telement  adag^niés 

12* 


1 80  POKSIfiS 

Qu'ils  pevbsent  estre  par  bifeii  amor 
Reconforté  en  doulc  de  leur  amer, 
Et  ^ue  vo  oeil 'qui  tant  so^Rt  graeieust 
De  douls  regars  )  simples  et  pireeieus. 
Qui  si  à  point  scevent  lancier  et  traire, 
Me  vosissent  un  peu  à  euls  attrairlB. 
*     Las  et  qu  ai  dit  f  quant  g'i  suis  tous  attrais, 
Ne  je  n'en  puis  jamais  estré  retrais 
Tant  que  li  ame  eus  oa  eorps  me  demeuré. 
Et  quand  vendra  d^  Dieu  la  saintîsitie  heure, 
Que  de  mon  corps  il  vedra  osier  TamC) 
Je  voeil  qu'il  soit  esciript  dessus  itla  lame  : 
Que  par  amours  amer ^  nob  eiWé  unies. 
Se  l'ai  ést6^  petit  amians  clainés 
Avec  les  a-moure«s  dars  et  repose. 
Et.ee  sent)  tant  qu'à  mot,  mouU  gft*a«d  ekése 
S'en  le  yoelt  faire  'ensi  que  je  le   éi\ 
Car  Tubulus,  si  com  j'ai  lu  da  U 
Qui  fu,  VB  re-commandaut  li  aueteur. 
Uns  vrès  amans,  aeqaist  moult  haulte  honneur , 
Quand  pour  amar  par  amours  ^  vrès  tnartirs 
Fraus  et  loyaus,  moru  de  cper  eatirs. 
Moult  belle  en  est  l'eseriptura  et  la  btile 
A  reoerder  de  la  via  Tulntla  ; 
Car  Tubulils  sa  dame  tant  ama 
Que  polir  s  amaur  à  la  mort  sa  pasma.  • 
.  Ce  fut  pour  lai  «fne  hannouraftle  fin. 
Et  je  le  di,  ma  dam^,  à  eel)^  fin. 

Selonc  Testât  Tutmltis  et  sa  vre, 
Quant  bien  pelisé  ai  à  iliarmhladîe 


DE  JEAN  FROISSA RT.  181 

Et  à  mes  mauls,  par  convîguable  fei^rnie, 

A  la  sienne  moult  justemei^t  se  four^^  ; 

Et  toutes  fois  j'en  lairai  oenvenip. 

Tout  cnsi  eom  il  en  poet  avenir. 

Et  pour  ce  qu'en  tinagipa lions 

Est  tout  mon  eoer  et  mon  inteaiions,   . 

Imagpiné  ai  en  moi  de  n^mvc}, 

A  trop  petit  de  joie  et  de  reveJ, 

Que  je  ne  scai  au  quonde  au  jopr  d'ui  chose 

Point  plus  proplsoe,  assés  bien  dire  l'ose, 

0 

Com  ma  vie  est  justement  ligfurée, 
Ensi  qu  elle  est  par  ei-devant  monstrée, 
A  un  Orlogfe,  et  à  la  gpoavrenance 
Qu'il  apartient  à  yceste  ordenance*, 
Car  rOrlogpe,  si  com  j'ai  dit  premiers 
Est  de  mouvoir  nuit  et  jour  coustumiers, 
Ne  il  ne  poet  ne  doit  arrest  avoir. 
Se  loyalement  voelt  faire  son  devoir. 
Tout  ensi  sui  gpouvernés  pai*  raison  > 
Car  je  qui  soi  la  chambre  et  la  maison 
Où  mis  est  li  Orloges  amoureus 
Sui  de  mouvoir  telement  curieus 
Que  n  ai  ailleurs  entente  soingf  et  cure, 
Ne  nature  riens  el  ne  me  procure, 
Fors  que  tout  dis' mouvoir  sans  arrester  ; 
Ne  je  ne  puis  une  heure  en  paix  ester 
Meismement  quand  je  sommeille  et  dors. 
Si  n'ai-je  point  d'arrest,  qu'à  vog^etit  corps 
Ne  soit  tout  dis  pensans  mes  esperis. 
Et  dévisse  estre  eus  ou  penser  péris  ! 


182  POËSIE!^ 

Se  n'en  poeUil  ne  n* est  aultrement  voii»^ 
Epsi  appert  que  |o  fsii  mon  devoir 
Tout  ensi  com  TOrlog^e  fait  le  sien. 
Or  a  en  vous  tant  d  avis  et  de  bien 
Que  j'ai  espoir,  ensi  je  le  appose, 
Que  vpus  ferés,  de  ceste  simple  chose 
Que  j'ai  à  moi  appropryé  et  mise, 
Compte  moult  grande  s*userès  de  franchise 
Et  s'en  serai  plus  lies  et  plus  entiers 
En  tous  mes  fès  \  et  il  m'est  g^rans  mestiers 
Qu'il  soit  ensi)  et  vos  frans  coers  le  voeiU.e 
Qui  0Q  lH>n  g;ré  cesti  dittie  recoeille. 


DE  JEAN  FROISSART.  183 


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CI  sî;nsieut 

LE  TRETTIE  DE  L  ESPINETTE  AMOUREUSE. 


Pluisbdr  enfant  de  jone  éagfe 
Désirent  forment  le  péage 
D'amours  payer;  mes  s'il  savoieiit, 
Ou  si  la  cognissance  avoient 
Quel  chose  lor  fault  pour  payer  ^ 
Ne  s'i  vodroïent  assayer  ; 
Car  li  paiemens  est  si  fes 
Que  c'est  uns  trop  perilleus  fës. 
Nom-pour-quant  gracieus  et  çeni 
SamBle-il  à  toutes  jones  gens; 
Je  m'i  acord,  bien  ont  raison; 
Mes  qtt*il  le  paient  de  saison 
En  temps,  en  lieu,  de  point  el  d  eure. 
Et  si  c'est  dessous  ne  deseure 
L'éage  qu'il  leur  apertient, 
Folie  plus  que  sens  les  tient. 
Mes  tant  qu'au  fait,  j  escuso  mieuls 
Assés  les  Jones  que  les  vieuls  ; 
Car  jonece  ne  voelt  qu'esbas* 
Et  amours  en  tous  ses  esbas, 
Quiert  ceuls  trouver  et  soi  embatre 
Entre  euls,  pour  soi  et  ceuls  esbafre. 
En  mon  jouTent  Ions  tels  esLoie: 


'84-  POÉSIES 

Que  trop  volontiers  m'esbafoie^ 

Et  tels  que  fui  encor  le  sui; 

Mes  ce  qui  fu  hier  n^e^t  pas  hui. 

Très  que  n'avoie  que  douse  ans, 

Estoie  forment  goirlousaoa 

De  véoir  danses'et  carolles, 

I>  oïr  ménestrels  et  parolles 

Qui  saper  tiennent  à  deduil> 

Et  de  ma  naturi^  introduit 

Que  d  amer  par  amours  tous  ceaiils. 

Qui  ament  et  çbi^nç  et  o}aeai|ls^ 

Et  quant  on  me  mist  à  l'escole. 

Où  les  i{f  uorans  on  escole? 

Il  y  avoit  des  pucellettes 

Qui  de  mon  temps  èrent  joneties^ 

Et  je,  qui  estoie  puceays, 

Je  les  servoie  d'espinceaua,  ' 

Ou  d'une  pomme,  ou  d'uoe  ppire^ 

Ou  d'un  aeul  anelet  de  voirez 

Et  me  sambloit ,  au  voir  «nquerre 

Grant  proece  à  leur  graiç^  moquer re^ 

Et  aussi  e9*ce  vraît^ment) 

Je  ne  le  di  pas  aultrement. 

Et-lors  devismQ  à  par  roi: 

Quand  revendra  le  temps  pur  mi 

Que  par  amours  porai  am^r. 

On  ne  m'en  doit  w\ie^  bla^mer: 

S!k  e«  ert  ma  nature  enfliii^) 

Car  eu  pluiisours  lieus  ou  d^oUue 

Que  toute  joie  et  toute  Iiui^nQiUi'& 


PE  JEAN  FROI^SART.  185 

Yiemient  et  d'arqoes  et  d*amours. 

Epsi  passuîe  mop  jouvent; 
Mes  je  VQU»  ai  biem  en  convent 
Que  pas  ne  le  passai  c«in  niées; 
Mes  d'amer  par  amours  tonsi  riclies; 
Car  tant  fort  men  plaUoit  h  vie 
Qu'ailleurs  n  ert  m  entente  ravie , 
Ne  ina  plaisance,  nQ  nion  eorp»* 
Enpor  m'en  fait  bien  li  re^cMrt  ? 
Et  fera,  tapt  ÇQnvje  vivrai; 
Car  par  ce  penser  mon  vivre  ai 
Garni  dune  doulce  peuture  ;    i 
Et  s'es^t  tele  m^  noariture 
De  garant  temp$  î  fuisse  jà  pouris 
S'en  oe  n  euisse  esté  nonris. 
Mes  le  reeort  et  la  plaisance, 
Le  parler  et  la  souven^nee 
Qm0  plniaQur»  foin  y  ai  eu 
ivront  do  trop  grand  bien  penrvén. 
Nens  n'avons  qn  un  petit  à  vivre, 
Pourtant  fait  bon  ^\\r&  un  vivre 
En  troei,eom  est  don  prendre  en  point 
Qu'oii  fie  faiUf)  à  sa  santé  ppint, 
Pour  amer  par  ajnoiu>s ,  Ventens. 
Mieu]U  ne  poet  empWy^  le  tems 
Hom#»  ee  m'eut  vip.*  qn  au  bien  amer; 
Car  qui  voelt  son  oeer  entamer 
En  bon  moprs  et  en  nobles  tecbes, 
.En  tous  inembro^  do  gentilleces, 
Ânieiu*s  oât  la  droile  racine; 


Ï8fi  rOÉSIKS 

Et  coers  loyaus  qui  l'enr/icine 
En  soi,  et  point  ne  s'outre.cuide 
N'i  poet  avoir  l'entente  vuide 
Qu*il  ne  soit  gpais  et  amou]*eus, 
Et  aux  biens  taire  vertueus. 
Car  qui  iraimme  ou  qui  n*a  amé, 
Quoi  qu'on  ait  Tomme  en  oe  blasmé, 
Jà  n  aura  vraie  cog^noissance , 
Ne  en  bonnes  vertus  puissance* 
Mes  les  aucuns  eosi  opposent 
Qu'il  sont  amé,  puis  qu  amer  osent. 
Nennil,  Âmourade  celle  part 
Ne  prendera  jà  au  coer  part 
Qui  le  voelt  par  cuidier  avoir  ; 
Oultre-cnidance  est  non  savoir, 
Et  pour  ce  ne  s'i  doit  nuls  mettre 
Qui  d'amer  se  voelt  entremettre. 

Dont  ensi,  pour  mieulz  confremer 
Le  fait  dont  vous  voeilenfourmer, 
J'ai  dit  qu'amours  est  sens  et  vie 
Qui  s'i  gouverne  sans  envie. 
Ensi  le  croi,  pour  ce  le  pris 
Tant  à  valour,  bonnour  et  pris, 
Que,  d'exposer  tout  son  afaire, 
J'auroieg'randemettt  à  faire. 
Nom-pour-qiiant  dedens  ce  dittier 
Mon  fait  tout  plain  et  tout  entier, 
Qui  sus  Testât  d'amours  se  trette, 
La  vérité  en  ert  retrette; 
Et  tout  pour  l'amour  de  ma  dame, 


DE  JEAN  FROISSAIIT.  187 

Que  Diex  gpart  et  de  corps  et  d'anie  ! 
Amours  et  elle  m'ont  apris 
Bien  voie  de  monter  en  pris; 
Et  jie  je  n  ai  pas  retenu 
Tout  le  bien  dont  il  m'ont  tenu» 
A  moi  le  blasme  et  non  à  euls, 
Car  gfrascés  en  doi  rendre  à  ceuls 
Dont  proufis  me  vient  et  honnours, 
C'est  à  ma  dame  et  à  Amours. 
Moult  conveg'nable  en  est  Fusance; 
Or  ai-je  un  petit  d'esciisance 
De  ce  que  lors  trop  jones  ère 
Et  de  trop  igpnorans  manière. 
Et  moult  me  trouva  foible  et  tendre 
Amours,  quant  si  hault  me  fist  tendre 
Comme  en  amer;  mes  Tamour  moie 
Pe  quoi  lors  par  amours  amoie 
Tant  qu'en  enfance,  pour  ce  fait> 
Ne  me  portoit  gpaires  d'effait. 
Espoir,  s'il  m'euist  plus  vlel  pris, 
J'euisse  été  trop  mieuls  apris , 
Et  cogpneuisse  mieulz  son  nom; 
Que  je  ne  face,  et  espoir  non; 
Car  on  dit:  Qui  voelt  la  saucèlle 
Ployer  aise,  il  le  prent  vreg^elle. 
Aussi  Amours  me  prist  ou  ploi 
Pe  mon  droit  jouvent  pour  ce  ploi  j 
Tout  ensi  qn!îl  me  voelt  ployer. 
Car  mieuls  ne  mp  voeil  employer. 
Mes  quel  éag^e,  au  dire  voir, 


189  POESIES 

Cuitiiés  vous  que  (levi&se  avoir 

Dès  lors  qu^AlUQ^rs,  pj^r  s^  )|loi^t^res, 

M'enseoça^  ses  douces  oiqture»  ? 

Jones  esloîe  d^ns  $ts$ésu 

James  je  ne  fuisse  lassés 

A  jucr  aux  jus  des  ^afuns 

Tels  qu'ils  pr^^dei^t  dessous  doute  ans; 

Et  premiers,  par  quQi  j.^  w'esuuse, 

Je  faisoie  bien  une  e^cluai^ 

En  un  ruissot  d  une  tieulette  î 

Et  puis  prepdoie  nne  esculette 

Que  noer  je  faisoie  aval  \ 

Et  s  ai  souvent  fait  en  un  val, 

B'un  rnis^ot  ou  d'un  açoulin, 

St|s  deus  tieulettes  un  moulin^ 

Et  puis  jui^ys  aux  papelottQs^ 

El  ou  ruisspt  Uvien^  nos  çoUes, 

Nos  chs^perons.  et  noa  ebemî^es. 

Si  sont  bien  nos  entent^^  nii$çs 

A  faire  vpler  fiv^l  y  wt 

Une  plumet;  et  j'ftî  monU  spuvent 

Tami^ié  en  ttUfl  e^gfotte 
La  paudvette  pgrmi  macptte» 

Et  i^pt^ie  trop  bon^  r^llé^ 
Auf^irede  terre  boMlléa; 

Et  pluîsenrs  fqi^  mfi  §ui  f  mblés 
Pour  foire  des  muses  e»  Wésf 
El  poup  lea  p^piUon^  fibapier 
Me  vesissebiPU  avanpjerj 
Et  quant  atrgiper  les  pooiP) 


DE  JEAN  FROtSSART.  189 

D'ati  fileçon  je  les  lioie, 

Et  puis  si  les  laissoie  aler 

Ou  je  les  tki^oie  Voler; 

Aux  dés 9  aux  ésciiès,  et  aux  tables, 

Et  à  ces  giràns  jus  delitables^ 

Les  jus  né  voloiè  pas  tels; 

Mes  de  terre  à  faire  pastels, 

Bons  pains,  flànnes  et  tartelettes, 

El  un  four  de  quatre  tieulettes 

Où  je  méttoiê  ce  meslier 

Qili  m'ftvoîl  adonl  g^rand  meslier. 

Et  quailt  ce  veiioit  au  quaresine 
J'avoie ,  dessous  une  escàme^ 
D^escafettes  un  g-raiit  grenier 
Dont  ti^  yosisse  nul  denier. 
Et  lors,  sus  une  relevée  , 
Avec  rescafetté  travée, 
Juoie  avec  ceuls  de  bô  i^ue. 
Et  tout  ensi  qu'on  hoôe  et  rue, 
Je  leurdisoie  :  «  fiociés  hault. 
»  Car  vraiement  cape  tie  fault.  y> 
Et  quant  là  Itttie  estoit  serine, 
Mollit  bien  à  la  pince  merine 
Juiens.  Aussi  en  temps  d'esté 
  tels  jus  ai- je  bien  esté, 
t^lus  marris  au  département 
Que  ne  fuisse  âU  commeticement. 
Vis  m'esloit  qu  on  me  faisoit  tort 
Quant  <m  m'avoit  dou  ju  estort. 

fui»  jtiiènè  à  un  ànltre  jeu 


190  POÉSIES 

Qu'on  dist,  à  la  Kevve  leu  leu^ 

Et  aussi  au  trot  tôt  merlot, 

Et  aux  piereties ,  au  havot  , 

Et  au  piloter,  ce  mé  samble. 

Et  quant  nous  estions  ensamble^ 

Aux  poires  juiens  tout  courant, 

Et  puis  au  larron  Êngferrant , 

Et  aussi  à  la  br imbetelle , 

Et  à  deux  bastons  qu  on  restelle. 

Et  s'ai  souvent,  d'un  bastoncel^ 

Pait  un  cheval  nommé  G^isel  5 

Et  souvent  aussi,  fait  avons 

Hyaumes  de  nos  chaperons; 

Et  mouit  souvent,  devant  les  filles , 

Nos  bâtions  de  nos  kokilles. 

Aus&i  en  cesl  avènement 

Juiens  nous  au  roy  qui  ne  ment^ 

Aux  bares,  et  à  lag-nelet^ 

A  Ostés-moi  de  Colinet, 

A  Je  me  plaingf  qui  me  ferîj 

Et,  dedens  chambre,  à  Tesbahi, 

El  aussi  auxadeviniaus, 

A  l'avainne  et  aux  reponniaus, 

A  lerbelette,  et  aux  rbée^, 

A  Testoet  et  aux  reculées. 

Au  mulet,  au  sallir  plus  bault. 

Et  à  la  charette-micbaut; 

Puis  à  la  coulée-belée 

Qu'on  fait  dune  caroUe  léc, 

Au  chace-lievre,à  la  cling^fietle, 


DE  JEAN  f^ROlSSARt.  191 

Aussi  à  la  sotte  buirelié^ 

A  la  corne  de  buef  au  sel , 

Et  au  jetter  encontre  un  pel 

Ou  deniers  de  plonc  ou  pieretteti. 

Et  se  faisions  fosselettes, 

Là  ou  nous  bburlions  aux  nois  j 

Qui  en  falloit,  c'estoit  anois. 

De  la  tourpie  aux  araantins 

M*esbatoie  soirs  et  matins  ; 

Et  j'ai  souvent,  par  un  busiel, 

Fait  voler  d*aigfue  un  buillonciel, 

Ou  deux  ou  troîS)  ou  cinc  ou  quatre. 

Au  véoir  me  pooie  esbatre^ 
A  tels  jus,  et  à  plusassés, 

Ai-je  esté  moult  souvent  lassés. 
Quant  un  peu  fui  plus  assag'is 

Estre  me  convint  plus  sougis 

Car  on  me  fist  latin  aprendre; 

Et  se  je  variole  au  rendre 
Mes  liçons,  j*estoie  batus. 

Siques  ,  quant  je  fui  embatus 

En  cogpaiss^nce  et  en  cremeur^ 

Si  se  chang^ierent  moult  mi  meur. 

Nom-pour-quant  ensus  de  mon  mestre 

Je  ne  pooie  à  repos  estre, 

Car  aux  enfans  me  combatoie; 

J*ère  batus  et  je  batoie. 

Lors  estoie  si  desrées 

Que  souvent  mes  draps  deschirés 

Je  m'en  retournoie  en  maison) 


/ 


192  POÉSIES 

Là  estoie  iTlisà  raison 
El  batus  souvent;  mes  sans  doubt^ 
On  y  perdoit  sa  painne  toutes, 
Car  pour  ce  jà  mains  n*en  féisse. 
Mes  que  mes  compagnons  véisse 
Passer  par  devant  moi  la  voie 
Escusance  tos  je  Tavoie 
Pour  aler  ent  esbatre  o  euls. 
Trop  enuis  me  trouvoie  seuls; 
Et  qui  me  Vosîst  retenir 
Se  ne  me  pevist-on  tenir  ; 
Car  lors  esfoit  tels 'mes  voloirs 
Que  plaisance  m'estoit  pooirs. 
Mes  il  m*est  avenu  souvent, 
Ce  vous  ai-je  bien  en  couvent , 
Selonc  ce  qu'encor  il  me  samble, 
Que  voloirs  et  pooirs  ensemble, 
Quoique  di  que  tant  me  valoient, 
A  mon  pourpos  souvent  falloient. 

Mes  je  passoie  à  si  garant  joie 
Celi  temps,  se  Diex  me  resjoie! 
Que  tout  me  venoit  à  plaisitf*. 
Et  le  parler,  et  le  iaisir, 
Li  alers,  etliestre  quois  ; 
J'avoie  le  temps' à  mon  quois. 
D*un  chapelet  de  violettes, 
Pour  donner  à  ceâ  basselettes, 
Faisoie  à  ce  dont  plus  f^tanà  compte 
Que  maintenant  dou  don  d^un  conte 
Qui  me  vaudroit  vint  mars  d'ar^nt, 


AE  JEAN  l^ROISSART.  1^3 

J^avoie  le  coer  lie  et  g^ent, 
fit  mon  esperit  si  legpier 
Que  ne  le  poroie  eslegier^ 
En  ceste  douce  noureture 
Me  nouri  amours  et  nature; 
Nature  me  donnoit  croissance  > 
Et  amours,  par  sa  garant  puissance ^ 
Me  faisoit  à  tous  déduis  tendre. 
Jà,  eusse  le  corps  foible  et  tendre^ 
Se  voloit  mon  coer  partout  esfre  ; 
Et  espeeialment  cil  estre 
Où  a  foiaoïl  de  violiers, 
De  roses  et  de  pyoniers. 
Me  plaisoïent  plus  en  reg^art 
Que  nulle  riens,  se  Diex  me  gart! 
Et  quant  le  temps  Tenoit  dirers 
Qui  nous  est  appelles  yvers, 
Qu'il  faisoil  let  et  plouvieus, 
Par  quoi  je  ne  fuisse  anvieus^ 
A  mon  quois,  pour  esbas  eslire, 
Ne  vesisse  que  romans  lire. 
Espeeialment  les  trettiers 
D*amônrs  lisoSe  volontiers  î 
Car  je  concevoiè  en  Usant 
Toute  chose  qui  m*iert  plabant. 
Et  ee,  en  mon  commencement. 
Me  donna  garant  avancement 
De  moi  ens  es  Mens  d*amours  traire; 
Car  plaisance  avoie  au  retraire 

Les  fais  d'amours,  et  à  l'oïr. 
raoïssABT.  T.  XVI.  13 


191  POÉSIES 

Jà  n'en  puissè-je  joïr; 

Mes  plaisance  née  en  jouvent 

Encline  à  ce  le  coer  souvent  ] 

Et  11  donne  la  vraie  fourme 

Sus  laquelle  son  vivant  fourme. 

En  tele  fourme  me  fourma 

Amours  )  et  si  bien  m'enfourma 

Qu'il  m'est  tourné  à  garant  vaillance, 

Sans  vantise,  de  ma  plaisance; 

Car  j'ai  par  ce  tel  chose  empris 

Que  ne  poroie  mettre  en  pris, 

Car  tant  vault  la  valeur  qu'ai  prise, 

Et  le  tiénc  de  si  noble  emprise 

Que  ne  le  poroie  esprisier, 

Tant  le  scevisse  hault  prisier. 

Droitement,  ens  ou  temps  de  joie 
Que  tous  coers  par  droit  se  resjoie 
Qui  espoire  ou  peqse  à  joïr 
Dou  bien  qui  le  fait  resjoïr , 
Car  lors  joliveté  commence. 
Dont,  n'es-ce  pas  raisons  qu'on  mence 
D'une  merveille,  s'elle  avient. 
Et  pour  ce  que  il  me  souvient 
D'une  aventure  qui  m'avint 
Quant  ma  jonece  son  cours  tint, 
Oiaques  puis  dou  coer  ne  m'issi; 
Pour  ce  compte  en  voeil  faire  yci. 

Ce  fu  ou  joli  mois  de  may; 
Je  n^oc  doubtance  ne  esmai 
Quant  j'entrai  en  un  g^ardinet. 
Il  estoit  assès  matinety 


DE  JEAN  FBOlSSARt.  195 

tin  peu  après  l'aube  crevant. 

Nulle  riens  ne  m*aloit  gfrevant, 

Uès  toute  chose  me  plaisoit, 

Pour  le  joli  temps  qu'il  faisoit 

Et  éstoit  âpparant  dou  faire. 

Cil  oizëllon^  en  leur  afairé, 

Chantoïent,  si  corn  par  es  tri. 

Se  liet  estoient,  n*eii  estri, 

Car  ôncqués  niés  si  matin  née 

Ne  yi  si  belle  matiunée. 

Encor  estoit  tous  estelés 

hd  firmament  qui  tant  estlés  ; 
Mes  Lucifer  qui  la  nuit  chace 
Avait  jà  entrepris  sa  dhaee 
Pour  la  nuit  devant  soi  éhacier^ 

Car  Aurora  ne  l'a  pas  chier, 

Ançois  letint  en  g-rand  debai 
Et  encores,  pour  son  esbat, 
Chacier  faisoit  par  Zephertts 
Les  ténèbres  de  Hesperuâ. 
Et  ensi,  me  voeille  aidiei^  Diez! 
Se  si  bel  temps  vi  onques  d'ieuls; 

Etse,  puis-ce-di  ne  avant, 
Me  vint  tel  pensée  au  devant 
Que  là,  me  vint,  ne  sçai  comment. 
Je  me  tendie  en  un  moment^ 
Et  pensoie  au  chant  des  oiseauls, 
En  regaràant  les  ai^briseaus 
Dont  il  y  avoit  garant  foison, 
Et  estoïe  sous  un  buisson 

13* 


196  POÉSIES 

Qae  nous  appelions  ^ube-espine. 
Qui  devant  et  puis  Taube  espine*, 
Mes  la  flour  est  de  tel  noblece 
Que  la  pointure  petit  blece; 
Nom-pour-quant  un  peu  me  poindi, 
Mes  m  aventure  à  bon  point  di. 

Tout  ensi  que  là  me  séoie 
Et  que  le  firmament  véoie 
Qui  estoit  plus  clair  et  plus  pur 
Que  ne  soit  arguent  ne  azur 
En  un  penser  je  me  ravi. 
Ne  sçai  comment;  mes  4rolt  là  vis 
Trois  dames  et  un  jouveneeL 
On  ne  Tappelloit  pas  iinsel, 
Ains  Mercurius  avoit  nom. 
Moult  est  homme  de  garant  renom  j 
Il  se  scet  bien  de  tout  mesler^ 
Les  enfans  aprent  àaler^ 
Et  lor  donne labilité 
De  parler  par  soutieveté. 
Jupiter  si  est  son  droit  père, 
Et  dame  Juno  est  sa  mère. 
Forment  m'en  plot  la  contenance 
Et  encores  plus  lacointance. 
Je  nç  sçai  où  il  m'ot  véu, 
Mes  il  m'a^  trop  bien  cqgnéa, 
Et  par  mon  droit  nom  me  nomma, 
Ne  onques  ne  me  ^ournomma  ^ 
.  Et  me  salua  tout  d'otel 
Qu  on  fait  prodomme  en  son  hostel. 


DE  JEAN  MOISSAUT.  197 

Je  fui  lies  de  soii  salut  prendre, 
Et  tous  près  aussi  de  lui  rendre, 
Et  puis  li  dis;  ((  Chiers  sires  douls, 
»  Ne  vous  cog^nois  ;  qui  estes  vous  f 
»  Et  ensi  vous  me  cog^nissiës 
»  Que  dont  que  nouri  m'euissiés.  » 
Lors  me  dist:  h  Bien  tedoi  cog^nestre, 
»  Car  puis  quatre  ans  après  ton  nestre 
»  En  gouvernance  t  ai  eu , 
»  Et  si  ne  m'as  pas  cog-néu. 
))  Si  sui-je  assèsbieii  renommés, 
»  Car  Mercurius  sui  Nommés; 
»  Et  ces  Dames  que  tu  vois  là 
»  Sont  Juno^  Venus  et  Pala^ 
)>D*armes,  d*amours  et  de  richesces 
»  Sont  les  souverainnes  Déesses  -, 
»  Mes  ores  sont  un  peu  en  tensce  j 
'  D  Car  Paris  rendi  jà  sentenscô 
»  Que  la  pomme  d'ot*  devoit  estre 
»  A  Venus,  que  tu  vois  sus  desfre. 
)>  A  deus  dames  pas  ne  soufEst 
»  Le  jug'ement  que  Paris  fist; 
»  Mes  dient  que  par  igpnorance 
))  Et  par  petite  cog'nissance 
»Âcorda  la  pomme  à  Venus. 
»Juno  en  parle  plus  que  nuls; 
»  Car,  se  à  li  Teuist  donnée 
»  Elle  avoit  jà  tout  ordonné 
»  Qu'il  euist  eu  par  puissance 
»  Des  Grig[ois  très  belle  vengeance. 


198  POÉSIES 

)»  Si  fu  Paris  nices  et  lours 

»  Quant  il  donna  la  pomme  aillours» 

»  Et  pour  un  peu  de  vanité 

»  Perdi  proeee  et  dig^nité. 

n  Mieuls  li  vausist  eu  avoir 

»  Possessions  et  grant  avoir 

»  Que  l'amour  de  la  belle  Helainne^ 

»  Ce  ne  prise-je  une  lainne. 

))Son  père,  si  frère  et  sa  mère 

>»  En  furent  mort  de  mort  amère^ 

))  Et  bien  vint  mille  chevalier 

»  En  fist-on  en  armes  taillier; 

»Et  aussi  tamaint  millier  d'omm, 

»  Ce  fut  une  trop  maie  pomme, 

»  Et  pour  Troyens  chier  vendue  > 
»  Et  amours  povrement  rendue 
»Que  Venus  li  guerre  donnai 
»  Car  par  ce  la  guerre  donna 
»  Et  une  povre  confiture 
}}  Par  mortele  desconfiture 
»  Aux  Troyens,  qui  li  plus  monde 
»  E  li  plus  prouvèrent  dou  monde. 
»  Et  tu,  qu'en  dis?  or  respons  ent.  » 
«  —  Ha  !  chiers  sires,  di-je,  comment 
»  Vous  sauroi-je  de  ce  res pondre, 
»Ne  bien  la  vérité  çxpondre , 
D  Car  je  sui  de  sens  ignors^ns 
»  Et  de  peu  d'avoir  seignourans.  » 
l^t  Mercures  lors  me  regarde 
Et  me  dist:  a  Prens  tu  dont  la  garde  j 


DE  JEAN  FROISSART.  199 

»  Tant  en  poes  tu  mieuls  dire  voii*^ 
»  Car  en  éag;e  et  en  avoir 
«Sontmalisce,  hayne^  envie. 
1»  Et  pour  ce  que  de  jone  vie 
»Te  voi,  seione  ce  qu'il  t'est  vis, 
»  Je  ten  pri,  di  m'ent  ton  avis  *, 
»  Et  se  Paris,  qui  on  fîst  jnge 
»  De  la  pomme,  rendi  bon  jugpe. 
—  »  Volontiers,  puis  qu'il  vous  plaist  dire 
»  Que  j'en  responde  voir,  chier  sire. 
»  Quant  les  dames  Paris  trouvèrent 
D  Et  son  jugement  li  rouvèrent, 
»  Jà  savoit  Paris  de  certain 
»Qu'à  grant  avoir  ne  faudroit  grain, 
»  Car  fils  de  royne  et  de  roy 
»  Ne  poet  faillir  à  noble  arroi; 
»  Et  s'il  ne  donna  à  Juno 
M  La  pomme,  de  mains  ne  Ten  lo; 
»  Aussi  n'i  aconta  pas  là, 
»  Ne  à  la  déesse  Palla, 
»  Car  Jones  et  fors  se  sentoit , 
»  Et  hardemens  en  li  sentoit. 
»  Tout  ce  ne  li  pooit  tollir 
»  Pallas,  ne  son  corps  afoiblir  ; 
D  Car  ce  que  Dîex  donne  et  nature 
»Ne  poet  tollir  nulle  avanture. 
—  »  Elle  Tevist  bien  fait  plus  préus, 
»  Et  aux  armes  plus  ewireus 
»  Qu'il  ne  fu.»  -  ttNom-{iour-quant,  par  m'ame! 
»  Aux  armes  ne  pi*ist  onques  blasme. 


200  POÉSIES 

»Sî  que  je  senc  que,  quant  Pari» 
»  Donna  la  pomme,  à  tous  périls^ 
»Aux  gprans  avoirs ,  ne  aux  fortunes 
»  N*aconta  deus  petites  prunes. 
»  Vis  li  fu  il  avoit  assés 
»  Avoirs  et  trozors  amassés 
»  Et  si  estoil  en  son  venir; 
»  Si  ot  un  joious  souvenir, 
»  Tels  que  jones  homs  doit  avoir , 
»Liquels  tient  terre  et  gprand  avoir, 
»  Dont,  la  pomme  bien  ordonna 
»  Quant  la  Déesse  le  donna  5 
»  Car  il  s'énamoura  d*Elainne 
»  Dont  fist  sa  dame  souverainne. 
wDont,  son  jugement  à  bon  tienc, 
»  Et  le  tenrai,  et  le  mainliene 
»  Où  que  je  soie  ne  quel  part.  » 
Mercures  lors  de  moi  se  part 
Et  me  dist:  «  Ce  moult  bien  savoie 
»  Tout  li  amant  vont  celle  voie,  » 

Atant  Mercures  me  laissa; 
Dont  noient  ne  mesléeça, 
Car  volontiers  euisse  esté 
Avec  lui  encor  un  esté, 
Sestre  pevist;car  mes  pour&s 
Y  fustgprans,  je  m'en  tienc  pour  fis. 
Et  à  ce  qu'il  s'esvanui. 
Juno  sa  mère  le  sievi, 
Et  Pallasi  je  ne  les  vi  plus; 
Mes  dalès  moi  remest  Venus, 


DE  JEAN  FROISSAHT.  20 1 

D'amours  la  dame  et  la  Déesse  3 

Vers  moi  vint  et  dist:  «  Beaus  fiulz,  es — se 

»  Belle  chose  de  bien  ouvrer. 

»  Tu  le  poras  y  ci  prouver, 

»  Car  pour  ce  que  bon  t'ai  vu, 

»  Et  que  tu  as  si  bien  scéu 

»  À  Mercurius  bel  respondre, 

))Ët  sa  parole  au  voir  expondre, 

nTvL  en  auras  grant  guerredon, 

»  Car  je  te  donne  yci  un  don. 

»  Vis  tant  que  poes  d*or  en  avant, 
»  Mes  tu  auras  tout  ton  vivant 
»  Coer  g^ai,  joli  et  amoureus; 
»  Tenir  t'en  dois  pour  ewoureus  ^ 
<(  De  ce  te  fai-je  tout  séur; 
))  Tu  dois  bien  amer  tel  éur. 
»  Plui^ôur  Taurolent  volontiers  ; 
»  Mes  je  n'en  donne  pas  le  tiers, 
»  Non  pas  le  quart,  non  pas  le  quint , 
»  Jà  aient  cil  corps  friche*  et  coin  t. 
»  Mes  quant  tu  m'as  véu  en  face, 
))  C  est  drpis  que  g-rant  gfrasce  te  face  ; 
»  Et  il  te  vault  trop  mieulz  avoir 
»  Plaisance  en  coer  que  garant  avoir. 
«Avoir  se  pert,  et joïe  dure. 
»  Regparde  se  je  te  sui  dure. 
»  Et  encores,  pour  mieulz  parfaire 
y>  Ton  don,  ta  g^rasce  et  ton  afeire, 
))  Uvne  ertu  en  ton  coer  ente  : 
))  Que  dame  belle,  jone  et  g^entc 


202  POÉSIES 

»  Obéiras  et  creiniras  ; 
»  De  tout  ton  eoer  tu  ameras, 
))  Car  amour  ne  vault  nulle  rien 
»  Sans  cremour,  je  le  le  dibien^ 
y  Et  tant  t*en  plaira  Tordenance 
»  Et  la  douce  persévérance 
»Que  de  foy,  de  coer  et  de  sens 
»  Diras  à  par  toi  en  ce  temps, 
»  Plus  de  mille  fois  la  sepmainne 
»  Qu'onques  tele  ne  fu  Helainne 
.    »  Pour  qui  Paris  ot  tant  de  mauls. 
»Or,reg^arde  se  plenté  vauls 
»  Quant  je  te  donne  don  si  noble. 
»  11  n'a  jusque  Constantinoble 
»  Emperéour,  roy,  duc  ne  conte) 
))Tant  en  doie-on  faire  de  conte , 
»Qui  ne  s'en  tenist  à  payés. 
»  Mes  je  voeil  que  tout  ce  ayés> 
»  Et  que  persévères  avant 
»  En  tout  ce  que  j'ai  dit  devant. 
Et  je,  gui  fui  en  coer  souspris 
Et  esbahis,  à  parler  pris. 
Moult  simplement  et  tous  donbtieus 
Contre  terre  clinans  mes  yeuls; 
Ce  fu  raisons,  car  jones dans, 
Estoie  encor  et  i^norans, 
Et  si  n'avoïe  pas  apris 
A  oyr  chose  de  tel  pris , 
Ne  à  recevoir  tel  présent 
Dont  Vénus  me  faisoit  présent 


DE  Jean  FaOlSSABT.  203 

Lors  levai  un  petit  la  face 
Et  di;  <(  Ma  dame^  à  Dieu  or  place 
u  Que  servise  vous  puisse  faire 
»  Qui  me  vaille  et  me  puist  par  faire, 
»  Car  j'en  auroïe  grani  mestier 
))Pour  ma  jonece  en  bien  haucier. 
))Mès  dittes  moi,  ains  quen  alliés, 
»  Puis  que  tel  grasce  me  bailliés, 
»  Quel  toinpore  m'arés  en  gfarde.  » 
Et  Venus  adont  me  regarde 
Et  me  dit:  «  Dix  ans  tous  entiers 
»  Seras  mon  droit  servant  rentiers 3 
»  Et  en  après,  sans  penser  visce, 
»  Tout  ton  vivant  en  mon  servisce.  » 
— «  Dame,  di-je^  or  me  laist  Diex  faire 
»  En  coer,  en  fof  et  en  afaire, 
»  Chose  qui  vous  soit  agréable 
»  Et  à  mon  jouvent  bien  véable  ; 
}}  Car  je  ne  quier,  ne  voeil  aler 
»  Contre  vous  ne  vostre  parler. 
9  Tant  en  vault  la  doulce  «ordenance 
)i  Que  grant  joie  en  mon  coer  avance.» 

Là  ne  repondi  point  Venus. 
De  moi  parti;  ne  le  vi  plus. 
Sous  Taube  espine  remès  seuls, 
Pensant  en  coer  et  moult  viseus 
Qu'il  me  pooit  estre  avenu. 
Mes  il  ma  trop  bien  souvenu 
De  la  très  graiit  beauté  de  lui. 
Dont  tout  le  corps  m'en  abcUi; 


204 


POÉSIES 

Et  pensai  à  ce  long'ement 

Qu'il  m'ert  advenu,  et  comment 

¥enus  m  ot  dit,  à  sa  plaisance. 

Mon  bien,  mon  preu  et  ma  vaillance. 

S  est  raisons  que  je  le  retienne, 

Et  que  dou  tout  à  lî  me  tie{]fne. 

Ossi  fai,  ne  aultre  ne  voeil. 

Dou  tout  je  m'ordonne  à  son  voeîl, 

Car  elle  m'a  amonnesté 

Franchise  9  sens  et  honnesté. 

De  moi  le  lairai  convenir. 

Car  tous  biens  m'en  poet  avenir. 

Ensi  disoie  en  mon  pourpos, 
Et  tous  seules,  là  ce  pourpos  : 
(  Par  ma  foi  bien  medoi  amer. 
Quant  Venus  me  dag^ne  entamer 
Le  coerde  sa  très  garant  valeur. 
Diex! comme  est  fresce  sa  couleur; 
Maintien  joli,  corps  friche  et  genl! 
Pas  ne  le  monstre  à  toute  g[ent; 
Mes  monstre  le  m'a-elle  au  mains. 
Et  en  ses  douls  parlers  humains 
Mestson  confort,  ossi  g^aris 
Com  je  fuisse  li  beaus  Paris > 
Né  de  Troies  la  garant  cité, 
Si  com  je  vous  ai  recité 
Que  d'Élainne  elle  énamoura. 
En  tous  ses  fais  garant  amour  a  )' 
Sï  les  vodrai  sievir  et  croire, 
D  Car  sa  paroile  est  toute  voire , 


DE  JEAN  fROISSAAT.  20S 

»  fit  mieulz  ne  me  puis  avaneier 
»Mon  nom,  ne  mon  fait  exaucier 
1»  Que  par  estre  vrais  amourous 
»  Et  à  lui  servir  eurious.  » 
Ensi  à  par  moi  devisoie 
Et  à  Tenus  forment  visoie^ 
Et  concevoïe  sa  beauté  ; 

Sa  parolle  et  sa  loyauté  \ 
Mes  de  ce  qu'elle  esvanuie 
Estoit  de  moi,  forment  m*anitie. 
Trop  ert  de  moi  briefment  partie* 
Et  se  ne  sçai  en  quel  partie 
Elle  ert  retrette  ne  tournée. 

J'ai  depuis  tamainte  journée 

Aie  aux  champs  mo»  oorps  esbatre, 
Mes  onques  ne  me  poc  embatre 
A  tele  heure  com  lors  je  fis. 
Dont  puis,  tenus  m  en  su!  mains  fis) 
Et  ai  dit  depuîSf  pluisours  fois. 

En  ehamps,  en  gpardins  et  en  bots, 

Pour  ce  que  point  ne  U  véoie» 

Vraiement  que  songpié  avoie. 

Songes  n'est  fors  que  vinne  chose  ; 

Fols  est  qui  vérité  y  pose. 

Mes  quant  j'avoïe  tout  visé, 

Et  ce  pour  songfe  devisé, 

Et  je  pensoïé  au  temps  présent 

Dont  Venus  me  £ftisoit  présent, 

Je  disoïe?  par  salut  François  1 

Que  m'aveniure  estotl  aneois 


206  POÉSIES 

A  veille  à  voir  qu'à  mençong-e  5 
El  que  pas  n'en  fesisse  song^e, 
Mes  une  vérité  très  ferme; 
Raison  pourquoi ,  dedens  brief  terme 
Après  cette  mienne  aventure^ 
Si  com  Jones  homs  s  aventure 
Et  en  pluisours  lieus  il  s'embat 
Par  compagfnie  ou  par  esbat^ 
Je  m  embati  en  une  place» 
Au  Dieu  d'Amours  mon  trettié  place 
Car  ma  matère  yci  s'esprimCé 

Droitement  susleurede  prime> 

S'esbatoit  une  damoiselle 

Au  lire  un  rommant;  moi  vers  elle 

M'en  vinc,  et  li  dis  doucement 

Par  son  nom:  «  Ce  rommant^  comment 

»  L  apellés-vous,  ma  belle  et  douce?  » 

Elle cloï  atant  la  bouche; 

Sa  main  dessus  le  livre  adolse. 

Lors  reâpondi,  comme  courtoise, 

Et  me  dist  :  «  De  Cléomadés 

»  Est  appelles;  il  fu  bien  fés 

»  Et  dittés  amoureusement 

»  Vous  Forés  ;  si  dires  comment 

»  Vous  plaira  dessus  vostrô  avb.  » 

Je  regfardai  lor^son  doulc  vis, 

Sa  couleur  fresce  et  ses  vers  yeulx. 

On  Q'oseroit  souhedier  mieuls, 

Car  chevelès  avoit  plus  blons 

Q'uns  lins  ne  ifeoit,  tout  à  point  lonsj 


»E  JEAN  FttÔlSS ART.  207 

Et  portoit  si  très  belles  mains 
Que  bien  s'en  passeroit  dou  mains 
La  plus  friche  dame  dou  monde. 
Yrès  Diex  com  lors  ert  belle  et  monde, 
De  gai  maintien  et  de  gent  corps  ! 
«  Belle,  di-je,  adont  je  m'acors 
»  A  ce  que  je  vous  oë  lire. 
»  N'est  sons  d'instrument  ne  de  lii*e 
))0à  je  prende  si  go^nt  esbat.  » 
Et  la  demoiselle  s'embat 
En  un  lieu  qui  adonnoit  rire. 
Or  ne  vous  saroi-je  pas  dire 
Le  doulc  mouvement  de  sa  bouche;  J 

Il  samble  qu'elle  n'i  atouche 
Tant  rit  souef  et  doucement; 
Et  non  mies  trop  longement^ 
Mes  à  point,  comme  la  mieulz  née 
Dou  monde  et  tout  la  plus  sencée> 
Et  bien  garnie  de  doctrine, 
Car  elle  estoit  à  point  estrine 
En  regart,  en  parolle,  en  fait. 
Li  sens  de  li  grant  bien  me  faii. 
Et  quant  elle  ot  lit  une  espasse, 
Elle  me  requist,  par  sa  grasce, 
Que  je  vosisse  un  petit  lire. 
Ne  l'euisse  osé  contredire, 
Ne  ne  vosisse  nullement. 
Adont  lisi  tant  seulement 
Des  foeilles,  ne  sçai,  deus  ou  trois. 
Elle  lentendoit  bien  en  trois 


208  F(mSlËS 

Que  je  lisoie,  Oiex  li  mire! 
Adont  laissâmes  nous  le  lire 
Et  entrâmes  en  aultres  gengles  f 
Mes  ce  furent  parolies  sengfles, 
Ensi  que  Jones  gens  s'esbatent 
Et  qu'en  vuseuses  ils*embatent, 
Pour  euls  déduire  et  solacier, 
El  pour  le  temps  aval  glacier.       — 
Mes  je  sçai  mo^lt  bien  qu'à  celle  heure 
Le  Dieu  d'Amours  me  couru  seure^ 
Et  me  trest  de  la  droit  te  flèche 
Dont  les  plus  amoureus  U  bleche  i 
Et  si  conçus  la  maladie 
Par  un  regard,  se  Diex  m'ayel 
Que  la  belle  et  bonne  me  &t. 
Cupido  adont  se  fourfist, 
A  ce  que  j  ai  de  sentement  ; 
Car  pas  rie  test  paroUement 
A  ma  dame  si  comme  à  moi. 
Je  Tescuse,  et  escuser  doi, 
Ensi  c'on  doit  son  seignour  faire  § 
Car  sires  ne  se  poet  mesfaire 
Aucunement  yers  son  servant. 
Espoir  avoit-il  jà  devant 
Trait  sa  flèche  douche  et  joieuse 
Sus  ma  dame,  et  &it  amoureuse 
D'autnii  que  de  moi*  Au  voir  dire, 
Ne  a  mettre  ne  escondire 
Ne  l'en  vodroïe  nullement  ; 
Mes  bien  açai  apie  pareillement 


DE  JEAN  f  ROISSART.  •    209 

Ne  fu  com  moi  la  belle  trette 
Pour  quelle  amour  ce  dittié  trette; 
Je  m'en  sçai  bien  à  quoi  tenir. 
Or  voeil  au  pourpos  revenir 
Dont  je  parloïe  maintenant. 
Il  est  vrai  que  tout  en  riant. 
Quant  ce  vint  là  au  cong^ié  prendre, 
La  belle,  où  riens  na  que  reprendre  ) 
Me  disi  moult  amoureusement  : 
«  fievenés'Oous ,  car  vraiement 
1)  A  vosLre  lire  prend  plaisir^ 
»  Je  nen  yodroïe  defallir.  » 
—  «  Belle,  di-je,  pour  nulle  rien.  » 

Hé  mi!  que  ce  me  fist  de  bien! 
Car,  quand  venus  fui  à  l'ostel, 
Je  me  mis  en  un'  penser  tel 
Qui  onques  puis  ne  me  falli. 
J'iïc  }iien  cause  qui  m*assalli; 
La  beauté  dé  la  belle  et  bonne 
Di-je.  J  ai  esté  à  Nerbonne, 
Chereié  la  France  et  Avignon , 
Vès  je  nç  donroie  un  ongpnon 
De  tous  les  voiag-es  qu'ai  fais 
Veçs  cesti.  Or  sui-je  parfais, 
Ne  onques  nuls  homs  ne  fu  si, 
Poroit-il  jamès  estre  ensi 
Que  elle  me  dag^nast  amer  ? 
Ne  l'en  oseroïe  parler  ; 
Car  si  je  l'en  parloïe,  voir 
Tel  chose  se  poroit  mouv<yir 

FIIOISSART.  T.  XVI.  14 


210  POÉSIES 

Que  ses  escondis  averoîe 

Par  quoi  mon  esbal  perderoie , 

Et  plus  n'ipoie  en  sa  maison. 

Dont  biçn  y  a  cause  et  raison 

Que  j*en  vive  et  soie  en  eremour. 

Mjès  tant  sont  sag^e  et  bon  si  mour 

Que  moult  les  doi  recommender. . 

En  ses  fais  n'a  riens  qu'amender. 

Destourbier  ne  dure  espérance 

Pour  moi  n'i  voi ,  fors  grant  plabance. 

Elle  se  jue  à  moi  et  rit. 

Jà  m'a-elle  pryé  et  dit 

Que  je  me  voise  esbatre  o  soi. 

En  tout  ce  grant  bien  je  perçoi, 

Et  s*il  y  ayoit  nul  contraire, 

Que  ses  yex  me  yosist  retraire 

Et  que  de  moi  ne  fesist  compte, 

Si  sçaioje  bien^  quant  mon  temps  compte, 

Que  se  pour  s'amour  je  moroie 

Millour  fin  avoir  ne  poroie. 

En  ce  penser  que  je  pourpos 
Mis  lors  mon  coer  et  mon  pourpos, 
Et  mi  embati  si  au  vif 
Qu'encor  en  cel  esbat  je  vif 
Et  y  morrai,  et  rendrai  ame. 
Escrisiés-le  ensi  sur  ma  lame. 
Pas  ne  mb,  saciés,  en  oubli 
La  parolle  que  j*oc  de  li 
Mes  songneusement  y  alai. 
Hé mî  !  depuis  comparé  lai. 


DE  JEAN  FROISSART.      .  211 

Noni-pour-quant  j'àî  tout  en  gré  pris 
Tout  quan  qu'Amours  m  en  a  apris. 
Quant  premièrement  yinc  vers  elle» 
Ne  losoïe  que  nommer  belle 
Par  Dieu!  pas  ne  le  sournommoie, 
Mes  par  son  droit  nom  le  noramoie; 
Car  plus  belle  ne  vi  ains,  Diex. 
Si  ai-je  esté  en  pluiseurs  lieus.    ' 

Une  fois  dalés  li  estoie; 
A  je  ne  sçai  quoi  m'esbatoie^ 
Et  elle,  par  sa  courtoisie. 
Me  dist:  Joi\^s  boms,  je  vous  prié 
>  Qu'un  rommanc  me  prestes  pour  lire^ 
«Bien  véés,  ne  vous  le  fault  dire , 
yt  Que  je  m'i  esbas  volontiers, 
»Car  lires  est  un  douls  mestiers, 
»  Quiconques  le  fait  par  plaisance^- 
)>  Ne  sçai  aujourd'bui  ordenance 
ji  Où  j'aïe  mieuls  entente  et  coer»  » 
Je  ne  li  euissc  à  nul  foer 
Dit  dou  non,  ce  devès  bien  croire. 
Mes  li  dis,  par  parolle  voire  : 
»  Certes,  belle,  je  le  ferai 
»  Et  dun  livre  vous  pourverai 
.)>  Où  vous  prenderés.grans  solas^  » 
Tout  en  riant  me  dist:  «  Hélas  1 
))  Je  le  vpdroïe  jà  tenir.  » 
Congié  pris  sans  plus  d'abstenir  ^ 
Et  m'en  retournai  en  maison. 
Cupido,  qui  de  son  tison 

14* 


212  POÉSIES 

Tout  en  arsem'avoit  féru, 
M'a  présentement  secouru; 
Ce  fu  d'une  pensée  douce. 
Errant  me  diéi  en  la  bouche, 
Et  en  la  souvenanee  aussi. 
Dont,  pour  lors,  trop  bien  me  chéi 
Que  dou  Baillieu  d'amours  avoie 
Le  livre.  Tantos  li  envoie 
Au  plus  bellement  que  je  poc. 
Or  vous  dirai  quel  pourpos  oc. 
Avant  ce  que  li  envoiai 
En  un  penser  je  m'a^iai, 
'Et  dis  à  par  moi*.  «Tu  vois  bien 
))'Que  celle  qui  tant  a  de  bien 
«N'ose requérir  de  s'amour, 
))fit  vifs  de  ce  en  grant  cremour; 
»Gar  ianf  dou^te  son  escondire, 
))  Que  pour  ee-ne  li  ose  dire. 
»  Dont^ferai-je  une^hose  g<ente 
»  Que  j'esi^riraii toute  m'entente 
»  En  une  lettre^et'lelairai 
»  Ou  livre  ou  quel  je  Tenelorai. 
>>Elle  le  trouvera  sansdoiibte.  » 
A  ce  p#urpos  «lîs  errant  double 
'Et  dis  :  «  Il  poroit  moult  bien  estre 
»  Qu'en  aul très  mains  venroitla  lettre  j 
»  Et  je  ne  vodroie  à  nul  focr 
»  Qu'on  adevi»ast  sus  mon  coer. 
))Espotrtels  outele  l'aroît 
))Quî  trop  Wt  grever  m'î  poroit. 


DE  J EAN  FHOISSAUT.  !?  1 3 

»Si  vaiilt  mieulzqueje  ixie  déporte 
»  Qu  on  m'i  vée  voïe  ne  porte. 
))Mès  el  moult  bien  faire  porai) 
»  Dont  encor  nouvelles  orai 
»Sans  péril,  et  sans  prajudisee. 
»  N'est  nuls  ne  nulle  qui  mal  disee 
»  D'une  ekancont,  se  on  letroeve 
»  En  un  roman t  qu'on  elol  el:  oevre 
»  Met-y  donc  une  chanconnettue  ^ 
»S'en  vaudra mieutz  ta  besongfBeUe 
»Car  aultre  chose  ne  requiert 
»A  présent  le  cas,  ne  ne  quiert. 
»  Il  te  convient  dissimuler 
»  Soit  en  venir,  soit  en  aller, 
»Soit  ou  en  parler  ou  en  taire; 
M  D'aultre  chose  n'as-ta  que  faiire.  » 

Ënsi  en  moi  me  dehatove, 
Mes  noient  ne  m'i  eshatoie. 
Car  amours  et  cremour  eneaiULble 
Me  faisoïent  t^niaint  example 
Pour  moi  mieulz  en  avis  fournier, 
Et  pour  mon  corage  enfourmer. 
Toutes-fois  à  ce  ni'assenti^ 
{It  bonne  amour  le  consenti, 
Que  une  balade  nouvelle, 
Que  j'âvoie  plaisans  et  belle 
Felte  de  nouvel  seutement, 
Escrisi  tout  presentemeirt. 
Au  plaisir  d^amour  qui  me  mainne 
Fait  lavoie  en  colle  sepmainne. 


2U  POÉSIES 

Orlisiés  et  vous  verrez  u^ 
Et  comment  elle  fette  fu. 

Balade. 

A  très  plaisans  et  jolie 
Lié  mon  coer  et  rené  pris. 
Pris  m'en  ci*obt  sans  villonnie< 
Onnie  est  en  bien  de  pris; 
Pris  me  renc  en  la  prison 
La  belle  que  tant  prison. 

A  ceste  merancolie 
Golie  mon  coer  tout  dis. 
Dis  en  &i,  car  je  mendie; 
Die  qui  voet  c'est  pour  fis; 
Fis  sui  qu  aim  sans  mesprison 
La  belle  que  tant  prison. 

Dame  l'appelle  et  amie* 
Mie  ne  le  fai  enuis. 
Vis  m'est  que  Faim  sans  envie; 
Vie  m  en  croist  et  avis; 
Vis  me  renc  pour  le  prison 
La  belle  que  tant  prison. 

En  une  cedule  petite 

Pu  là  baladç  bien  escripte, 

Et  puis  en  ou  rommanç  le  mis, 

Et  à  celle  je  le  tramis 

Qui  moult  liement  le  reçut> 

Et  qui  tout,  ou  de  prèsi  le  li^t. 

Quant  elle  le  xaerenvoia 


4 


DE  JEAN  FROISSART.  215 

Grandement  ai*en  remercUv 

Je  reçus  son  bon  gré  tons  liésj 

Et  si  fui  moult  tost  oonsUliés 

De  regsLvàer  se  ou  rommano 

Est  la  balade  que  demanc. 

Mes  tout  epsi,  ne  plus  ne  mains, 

Que  je  li  oc  mis  à  mes  mains 

Le  trouvai  9  sans  avoir  eschangfe. 

K  Ha  !  di-je»  veci  chose  eslrang^e  '•  * 

»  La  balade  a  laissié  la  belle 

»  Ou  lieu  où  le  mis  au  main;  s  elle 

»L'euist  un  petit  regfardée 

»  Moult  fttst  bien  la  besongfue  alée. 

»  Se  tenu  Teuist,  ne  poet  estre 

»  Que  retourné  n  euist  la  lettre. 

»0r  il  me  convient  ce  souffrir, 

»  Et  mon  coer  à  martire  offrir, 

))  Tant  est  belle  plaisans  et  douce 

»  De  corps,  de  mains^  d'yeulz  et  de  bouche, 

»  Que  mieuls  m'en  vault  la  pénitence 

»  Que  de  nulle  aultre  lacointancer  » 

D'amours  ce  premerain  assai 
En  très  garant  pensement  passai. 
BIès  jonece  voir  me  porto|t, 
Et  amours  aussi  m*enor  toit 
Que  je  persévérasse  avant. 
Souvent  me  mettoie  au  devant 
De  elle;  car  quant  le  véoie 
Tout  le  jour  plus  lies  m*en  trouvoie. 
Or  avint  q'^n  apr^s-disjp^r 


216  POÉSIES 

En  un  g'aràin  alai  ju^r 

Où  of  esbattemen  s  ^lutsour^ 

De  rosés,  âé  lyâ  ef  de  fioars, 

Et  d*anltres  esba$  maiote  chose  9 

Et  .là  une  vermeille  rose 

Caeîllai  sus  un  moult  vert  rosier; 

Et  puis  m'en  vinc,  sans  poitit  noisier, 

Tout  liement  devant  l'ôstel 

De  ma  dame»  J'oc  VéiÉr  tel, 

Que  d'aventure  Vi  trouvai. 

A  li  vîhe,  et  se  li  rouvat 

Que  par  amours  le  vosist  prendre. 

Elle  respondi,  sans  attendre, 

Sus  le  point  dou  non  recevoir, 

Et  me  dist,  par  moult  garant  sçavoir 

Et  par  parler»  douls.  et  humains  : 

K  Laissiè-le»  elle  est  en  bonne  mains  » 

Et  je  li  dis  :  ^  Prendés-le,  dame, 

»  Car  en  millours  ira  par  m'ame  ]  » 

Et  elle  doucement  le  prist, 

Et  en  parlant  un  peu  sousrist. 

Ce  me  fist  garant  joie  et  garant  bien 

Quant  je  vi  le  bon  plaisir  sion- 

Congfié  pris  et  de  là  parti; 

Mes  au  départ  moult  me  parH 

Grandement  de  son  doulc  esparf . 

Je  m'en  retourna(i  celle  part 

Où  la  rose  cocillie  avoie, 

Car  plus  bel  lieu  je  ne  sa  voie 

D*esbateniens  ne  de  g^ardins. 


DE  JEAN  FROISSART.  217 

Là  estoté  soii^!^  et  ifiaff ins, 
Et  moult  souvent  trestout  le  jour  j 
Tant  mi  plaiâoîetft  li  séjour 
Que  je  ne  vosUse  ailloiirs  estre. 
Et  qaaint  r>e  venus  fui  en  l'es  Ire , 
Par  dessous  lé  rosier  m'assis 
Où  de  roses  ot  plus  de  sis 3 
Et  droit  là  fis  un  virelay 
Tout  otel  que  droit  ci  mils  l'ay. 

Virelay. 

Coer  qtiT  reçoit  en  Imn  g-ré 
Ce  que  le  temps  li  enrvoie 
En  bien,  eiï  plaisante,  en  joie, 
Son  éage  use  en  santé; 
Parlent  direl'oseroie. 

Comment  qu  en  la  donce  vie 
D'amours  les  pluisonrs  bien  sont 
Navré  d'une  maladie 
Et  ne  sccvent  pas  qu'il  ont, 
Mes  leur  coers  de  ce  secré 
Co^notst  bien  la:  droite  voie. 
He  mi!  vrais  Dlcx!  se  j'avoic 
Un  seul  petit  de  clarté 
Trop  pfns  liemènt  diroie: 

Coej^s  qui  reçoit  en  bbrr  g-i-é  etc. 

Plus  plaisant  ne  plus  jolie 
N  a  je  croi  en  tout  le  mond 
Que  ma  dame ,  qtii  me  lie 
tccoer^mès  en  larmes  font; 


21  a  PQÉSIFS 


Car,  quant  j'ai  <^  tout  pensé, 
Ne  sçai  se  li  pseroie 
Dire  que  ma  vie  est  9oiej 
Et  s  elle  nen  a  p^té 
N'est  drois  que  plus  dire  doie: 
G)ers  qui  reçoit  en  bon  g;ré  eto» 

Le  Virelay  fis  en  otant 
D'espasse  qu'où  liroit  notant, 
£t  puis  si  me  parti  dilluee. 
A  mon  déparlement,  avec 
Moi  estoïent  en  contenance 
Douls  pensers,  espoirs  et  plaisance; 
Et  garant  çompag'nîe  me  tindrent^ 
Noef  ou  dis  jours  avec  moi  vindrent. 
Et  si  m'avint  un  peu  après 
Qu'en  un  hostel,  joindant  moult  prèsf 
Pe  cesf  i  où  demoroit  celle 
Qui  tant  estdit  plaisans  et  belle, 
Nous  cinc  ou  nous  sis  4  ^^  éag'e 
Y  venimes  de  lie  cor^ge 
Et  meugames  4ou  fruit  nouvel» 
En  solas  et  en  grand  revel 
Là  estoit  ma  dame  avec  nous 
Dont  le  contenemens  fu  douU, 
Mes  ne  li  osai  samblant  faire 
Dont  on  pevist  penser  estra^re. 
De  la  partesimes  ensi. 
Moi,  toflQours  attendans  merci, 
Ghatig-oie  souvent  maint  pourpos 


DE  JEAN  FBOiSSART.  !2 1 9 

Et  disoie:  (c  Se  tu  n'es  os 

»  De  li  remontrer  ton  corag'e,  » 

»  Je  ne  te  tenrai  pas  à  sag^e. 

))  Ce  n'est  pas  vie  d  ensi  vivre. 

»Ën  cesteamoarton  coer  s  enivre  > 

))  Et  puis  aultre  chose  n'en  as 

»Fors  les  reg^ars  et  les  esbas. 

»yrés  Diex!  disoi-je,  c'est  assés. 

»Se  cils  bons  temps  m'estoit  passés 

»  Je  ne  sauroie  où  refuir. 

»  J'aim  mieuls  joiousement  languir 

»Que  de  faire  chose,  ne  dire, 

»  Dont  je  soie  occis  à  martire.  » 

Ensi  passoïe  la  saison. 
Tout  par  amours  et  par  raison. 
Raisons  voloit  que  je  souffrbse 
Et  amours  que  mon  coer  offrisse, 
Et  que  remonstrasse  à  la  belle 
Comment  je  vivoïe  pour  elle, 
Et  que  tout  ce  que  je  faisoie 
Ce  n'estoit  que  pour  Taniour  soie: 
«  C'est  bon,  di-je^  que  je  li  die, 
»  Et  beUement  merci  li  prie.  » 
Di-je:  «  Volontiers  li  dirai 
)>  Si  tretos  que  le  lieu  aurai.  » 
Sur  ce  ordonnai  mon  penser. 
Une  fois  presjins  à  danser; 
Là  estions  plus  de  nous  doi; 
Je  le  tenoïe  par  le  doi , 
Car  elle  m(s  menoit  devant. 


220  POÉSIES 

Mes  tout  bellement  en  sievant, 
Eutrues  que  le  doî  11  tenoie   « 
Tout  quoïeuient  K  estraindbie; 
Et  ce  si  garant  bien'  me  fisiisoit , 
Et  telement  il  me  pliaisoit 
Que  je  ne  lé  ^auroie  exponde. 
Scelle  chanloit,  de  U  resporde 
Moult  tost  estoie  appareilliés. 
Hé  mi!  com  lors  estoie  liés! 
Puis  nous  asséiDs  sus  un  sigfe. 
Et  là  tout  bellement  li  dl-je , 
Ensi  que  par  parolle  emblanf  : 
((  Certes,  belle,  vo  doulc  semblant, 
»  Vo  cent  maintien,  va  corpa  legui 
»Me  font  avoir  le  bien  que  j'ai. 
»  Je  ne  ïe  vous  puis  plus  celer. 
.    »  Se  temps  avoïe  dou  parler  9 
»  Et  que  ci  fnissienws  nous  dbr, 
»  Je  le  vôns  diroie  par  foi.  >i 
Et  elle  un  petit  mfe  reg^arde, 
Ensi  qu'on  ne  s'en  presbt  gfarde, 
Et  me  dist  seutement:  d  Pertes? 
» E&se  à  bon  sens  que  me Toudriés 
»  Amer?  )»  Bf  à  ees  cops  te  Keve 
Et  d^st:  a  Dlinsoifs;  pas  ne  me  grieve 
»Li  esbatemens  de  la  danse.  » 
Lors  entrâmes  en  Tordenanacc 
De  danser  une  longe  espasse» 
U  n^est  esbanois  qui  ne  passe. 
île  cesti  là  nous  partesins 


DE  JEAN  FROISSAHT.  221 

Et  desott  bel  ostel  issins; 

Mes  au  parteraent  cong^ié  pris 

A  la  belle  et  bonne  de  pris 

Qui  le  me  donna  lièiilent. 

Ne  le  sceuist  faire  aultrenicnt^ 

Car  elle  a  si  très  lie  chière 

Qu'on  Ten  doit  bien  tenir  pou  rehière. 

Tout  ensi  passoïe  le  temps. 
Une  heure  je  venoie  à  teiitps 
Deli  véoir,  et  Tautre  non. 
La  belle  et  bonne  de  renom 
M*avoit  le  coer  saisi  si  fort 
Que  point  n'avoïe  de  confort 
Le  jour,  se  véu  ne  Tavoie. 
Et  quant  à  la  fois  je  savoie 
Qu'en  aucun  lieualoit  esbatrc, 
Pas  n'i'fausisse  del  embatre. 
Mes  que  sa  paix  véoir  y  peosse. 
Jà  aultreinent  aie  ni  eusse. 

Or  entrai  enmeraneolic^ 
De  ce  qu'elle  estoit  ossi  lie 
Aux  aultres  gpens  qu'elle oirt  à  moi; 
Et  je^  qui  de  fin  coer  ramoi. 
En  disme  souvent:  «Hé -mi! 
»  Celle  a  fait  un  nouvel  ami. 
»  Elle  jue  et  rit  à  easeun; 
))Si  rejyard  «ont* trop  de  commun,  w 

Ensi  disoïe  moult' pensieus, 
Et  souvent  d'uns  moult  pifeusyeus 
Leregfardoïe.iEn  ce  regfard 


222  POÉSIES 

JLooie  moult)  se  Diex  me  g^ard! 
Sa  bonlé,  sa  beauté,  ses  fais, 
Et  disoïe:  «  S'un  pesant  fais 
)>M'a  Amours  envoyé  pour  elle 
»Ne  m'en  chaut;  pour  tele  pucellcf 
»  Deveroit-on  mort  recevoir; 
))  Mes  qu  elle  scevist  bien  de  voir 
»Que  mors  je  fuisse  en  son  servisse^ 
))Ne  le  tenroïe  pas  pour  visce.  » 
Qui  est  en  pensée  nouvelle.   . 
Peu  de  chose  le  renouvelle. 
Souvent  pensoïesus  et  jus; 
Et  à  la  fois  à  aucuns  jus 
Aux  quels  s'esbatent  jone  gpent^ 
Juoie  de  coer  lie  et  gfent, 
Mes  que  ma  dame  y  fust  pour,  voir'y 
Ou  qu*elle  m'i  pevist  véoir; 
Et  pour  très  petite  ocquoison 
Passoïe  devant  sa  maison, 
Et  jettoïe  mes  yex  vers  elle; 
Et  quant  il  plaisoit  à  la  belle 
Que  de  li  un  reg^ar  t  cuisse , 
Tout  ei'ramraent  en  coer  sceuisse 
S*il  estoit  amoureus  ou  non. 
Tels  demande  souvent  garant  don 
Auquel  pas  on  ne  li  otrie 
Sitos  qu'il  vodra  quand  il  prie; 
Je  m'en  sçai  bien  à  quoi  tenir. 
Il  m'a  convenu  soustenir 
Moult  de  g^rief,  dont  petit  don  ai. 


Itr  JEAN  FROlSSARt.  523 

En  ce  temps  que  mon  eoer  donnai, 
Sans  départir,  totrt  à  ma  dame, 
Par  amours  qui  les  corer  etitame, 
Une  heure  si  très  lies  es  tôle  ^ 

Qu'à  toute  chose  m'esbatoie, 
Et  une  anltre  si  très  pensieus 
Qu'en  terre  clinoie  mes  yeuls, 
Et  ne  faisoïe  de  riens  compte 
S*il  ne  me  portoit  blasme  ou  honfV. 

Je  m'avisai  à  très  garant  painne 
Que  ma  dame  très  sourerainne 
Ses  venîrs  et  alors  avoit 
A  une  femme  qui  savoit 
De  ses  secrés  une  partie; 
Je  me  très  rers  celle  partie. 
Car  aillours  ne  m'osaisse  traire 
Pour  ma  nécessité  retraire. 
Ensi  du  quant  je  foi  venus  :       * 
«  DamoiseUe^nulIe  ne  nuls, 
»  Fors  vous,  ne  me  poet  conseillier, 
I)  Se  vous  y  voliés  travillier. 
»  Et  ve-me-ci,  vo  valeston, 
)i  Pour  entrer  en  un  baneston 
n  Se  le  me  commandiés  en  Teure.  » 
Et  celle  qui  me  volt  sequeure 
Me  respondi  tout  erramment  : 
nOr  me  ditt«s  hardiement 
»  Tout  ce  que  il  vous  plaist  à  dire; 
»  Et  y  foi  que  doi  à  nostre  sire, 
»  Là  roetterai,  à  mon  poéir, 


221  POÉSIES 

))  Conseil  et  confort,  tout  pour  voir.» 
—  «  Ahi!  di-je,  voslre  merci! 
))  En  vérité  dou  fout  muir  ci 
»  Pour  celle.  Nommer  li  alai) 
»  Voirs  est  qu'un  petit  Ten  parlai 
»  L'autre  fois.  Mes  depuis  sans  double, 
))  Si  com  elle  eujist  de  moi  doiiJ)te, 
)}  Elle  ne  se  met  plus  en  voie 
))De  parler  à  mo},  ains  m'envoie 
))De  reg^ars  amoureus  trop  mains 
»  Qu'elle  ne  soloit  faire.  J^u  mains, 
))Ensi  que  dire  li  pores, 
)>Et  sus  ce  sa  response  oré3, 
))Que  point  dure  chière  ne  liace; 
»  Car  je,  qui  prie  ^  avoir  gfraspe 
»  Et  merci,  quant  il  li  plaira, 
»  En  tel  dangier  mpn  cœr  mis  a 
»Que  sus  le  point  dou  desconfire, 
»  Ensi  que  vo^s  l\  pores  dir».  » 

Ceste  qui  ot  pité  de  moi 
Me  respondi:  a  En  bonne  foi 
»  Je  vous  dirai  qme  vous  forés. 
»  En  une  chançon  ^6eririés 
»  Une  yrant  part  do  vostr^  entente, 
»  Et  je  vous  di  q|ie,  sa^s  attente, 
»  Del  enyoyer  ne  yo^s  oonviegne^ 
»  Ensi  c'on  ne  scet  dont  ce  vie^fue 
w  Elle  Par»  ei  Je  lira, 
'>  Et  ai^ipune  pbo^e  en  d  ira  5 

»  Puis  li  dînai  que  fait  l'avés 


DR  JEAN  FROISSARt.  225 

»  Pour  s*âtnour^  au  mleulz  que  savés.  » 
Di-je  bien:  «  Oil,  daitioisellc ; 
»Nai  oy  paroUe  ai  belle; 
»Et  je  le  ferai  tout  errant.  » 

'  Adont,  de  bdér  lié  et  joiant 
Une  balade  maçonnai 
Où  nulle  i'iètis  ne  mençongtiai. 

Êalade, 

Très  plaisans  et  très  hcmnourée, 
En  qui  tcmt  garant  bien  sont  compris^ 
Mon  cder ,  lù  amotlr  et  msL  pèn^e 
Avës  psii*  Tôs  dduls  reg^ars  {Tris  ; 
Or  vous  suppli,  dame  de  pKis, 
Que  VOUS  me  voéilliês  faire  dtri 
Dou  ^racleùs  don  de  merci. 

Je  n  ai  tofttë  joUr  ajournée, 
Ne  toute  îiUit,  Uni  aùltre  avis 
Que  de  moi  loyalment  amée 
Sdyês;  ensl  sërés  tout  dis. 
Et  s'èUvéï*^  toU^  âUi  trop  petis, 
Pour  Dîeu  ^ue  né  m  ayéâ  bani 
Dou  gprslc'léùs  don  de  merci. 

Loyautés  doit  èstre  comptée 
En  fais,  en  oèvreâ  et  en  dis. 
Or  vuùs  plaise  d'esfi^è*  éUfoùrûiéè 
De  moi,  car  ^t^  âérvSLUs  in'escris; 
Et  âé  j'à}  en  ce  tiehs  inespris 
PardoUftés  le  moi^  car  je  pri 
Dou  gfraèiëus  âoh  de  merci. 

FBOISSART.  T.  XVI.  13 


226  POÉSIES 

La  Damoiselle  alai  baillier 
La  balade  escripte  en  papier  ; 
Et  ceste,  qui  Jhesus  honneure, 
Le  garda  bien,  lant  que  vint  Teure 
Que  ma  dame  et  elle  à  seulet    * 
Ëstoïent,  ensi  qu'on  se  met 
Adont  la  damoiselle  sag^e 
Qui  d'amours  savoit  bien  Tusage, 
Car  batue  en  a  voit  esté 
Plus  d'un  yver  et  d*un  eslé, 
Li  dist  par  trop  belle  raison: 
((  J  ai  ci  eseript  une  cbançon; 
»  Par  amours  voelliés  le  moi  lire.  » 
Et  ma  daine  prist  lors  à  rire 
Quî  tost  pensa  dont  ce  venoit 
Et  dist  :  ((  Ça  !  »  Quant  elle  le  voit 
Souef  en  basset  le  lisi  \ 
De  sa  bouebe  riens  el  n*issi; 
Fors  tant,  par  manière  de  glose  : 
((  Ce  qu'il  demande,  c*est  grant  chose  !  » 
Onques  riens  el  n'en  pot  avoir. 
Ce  me  compta-elle,  pour  voir. 
Or  fui-je  forment  courouciés. 
Deus  jours  ou  trois,  tous  embronciés 
Et  le  chaperon  sur  les  yex 
Me  tenoie^  tcop  fort  peusieus> 
Et  à  la  fois  me  repentoie 
Pour  tant  que  grant  dolour  seniole 
Quand  je  l'a  voie  véu  onquesj 
C'est  ma  destruction.  Adonques 


DE  JEAN  PROISSAAt.  227 

Reprendoïe  tost  ce  parler^ 

Ne  le  laissoïe  avant  aler 

Et  disoïe  :  «  Par  Saint  Denis  ! 

«  Se  pour  Tamour  de  li  finis, 

D  Le  corps  en  terre  et  à  Dieu  l'sime 

»  Je  ne  puis  avoir  mîllour  lame. 

»  Aussi  fist  jadis  Léander 

))  Pour  HérO|  fille  à  Jupiter, 

»  Et  Acilles»  qui  preus  reg'na, 

»  Pour  la  belle  Polixena^ 

N  Et  Actéon  li  damoiseaus. 

x>  Si  je  suis  comptés  avec  ceauls 

»Qui  sont  pour  loyalment  amer, 

»  Mort  ou  péri  dedans  la  mer, 

»  Je  le  tendrai  à  g^rand  victore 

»  Et  le  me  compterai  à  gplore.  >» 

En  cel  estât  que  je  vous  di. 
Si  com  î'ai  sentu  puisse-di, 
Estoïe  lors  appareillies 
D'estre  une  heure  ireus,  l'autre  lies. 
Mes  quant  Amours  venoit  en  place 
Et  le  souvenir  de  la  face 
Ma  dame,  simple  et  gpracieuse, 
Et  sa  contenance  amoureuse 
Toute  dolour  mettoïe  arrière, 
J'en  avoïe  bonne  manière. 
Avec  les  amoureuses  ^ens 
Estoïe  hettés,  lies,  et  g^ens, 
Et  devisoïe  à  faire  festes 
Et  tous  esbatemens  honnesfes, 

•  15* 


228  PQÉSIES 

Chauler,  danser,  caroler,  rire, 

Bons  mos  oyr,  parler  et  dire. 

Et  quant  je  poore  véoir 

Ma  dame,  ce  fusi  main  ou  soir, 

A  par  moi  disoYe.  «  Ve-la 

»  Celle  qtti  si  bel  m^apàrla 

))  Quant  je  parlai  à  H  prêmifer». 

))  Son  corps  n'est  mies  coustamriers 

»  Fors  que  d'onno»r  et  de  bien  faire. 

»  Cascuns  prise  son  bel  afaire 

»  Son  maintien,  son  estre  et  son  sensj 

»  Pour  ce  5  dou  tout  à  li  tn'assens.  » 

Par  heures  je  me  conïbrtoie 
A  par  moi,  et  me  d^porloiej 
Et  à  la  fois  venoii  ane  heure 
Que  mit  venoïent  courir  setire 
Les  mauls  d  amdurs  en  abandon. 
J*en  avoite  si  gran*  raffdoïi 
Que  j'estoïe  plus  doler^tts 
Que  ne  soit  uns  cops  colereus. 

Mes  trop  grant  confort  me  porloit 
La  damoiseîIe,qui  estoit 
Assés  s^ecrée  de  ma  dame. 
Onques  mts  ne  vi  millour  famé. 
A  Famé  li  voeille  Wex  rendre  ! 
Pluiseui^  fois  m'a  fait  èlte  entendre 
Grans  confors-,  dont  lî  n'eàttoît  riens. 
Je  prise  moult  bien  tels  lAôyens 
De  sçavoîr  de  nécessité 
0|iyrer  él  faire  aucVorité 


DE  JBA^J  FROISSART.  229 

Quoi  ^'on  y  voie  le  contraire. 
Mes  Amours  ont  moaU  bien  à  faire 
Qu'on  soit  k  la  fois  pesjoy, 
Kl,  sdit  gengle  eu  veiir>  eonj^y  \ 
Aullrement  l^s  coers  aniouroufi 
Seroïènt  trop  fori  dolcrous. 
Et  j*estoïe  lors  em  toi  point 
Qiie &IIS  lestât  el  sn^le  p/CNunt, 
AijMiueâ  près  sus  le  majrvoyer, 
Et  pour  moi  eu,  hutm  ravoyer 
El  peuràestaiadrê  lesUifieelU, 
Je  veuoie  à  la  dlainoîseile, 
Qui  auques  oies  aeorés  s^voit 
Et  qui  de  moi  pité  avoir- 
Pour  ce  que  tant  de  mauld  portoie. 
En  li  complaut  me  deporioio) 
Et  alegpoie  la  dolour 
Qui  m  apallissolt  la  coulou^. 
Or  avinfc  (Qu'une  fbid  li  dis: 
f(  Damoisellei  peu  me  iieno  fis 
»  Dç  Vamour  eelle  que  tant  aiine, 
>f  Que  msi  1res  souv^rainne  elaimniej 
»  Car  je  n'eu  puis  avoii?  raison 
»  Dedens  nie  dehors  sa  maison  « 
»  Ne  aler  vers  U  pUifije.  iC^e  ^ 
»  Dont  c'est  une  trop  fière  chose 
»  Car  vQUs  savésde  quel  poLntture 
»  Je  sui  peina,  pav  tele  aventure 
»  Qui  soudainibeuienl  me  poindi, 
»  Et  se  n  ai  nul  confort  de  li. 


230  POÉSIES 

»  Encore  voi-je  à  sa  manière 

))  Qu  elle  me  monstre  crue  chi6re, 

))  Je  saroie  trop  yolentiers 

»  Pourquoi  c'est ^  et,  se  m'est  mestiers. 

»  Si  aurai  avb  si  je  puis 

))Sus  mes  mauls  et  sus  mes  anuis.  » 

Et  celle  lors  me  respondi 

Tout  bas^  et  qpie  dist  :  a  Je  vous  di  ; 

»  Il  vous  fault  changpier  vo  coragfe. 

»  On  parle  de  son  mariage.  >» 

—  a  De  son  mariage  !  »  —  ii*àr  Dieu 

»  Voire,  dist  ceste,et  s  est  en  lieu 

»Qui  est  bien  tailliés  de  venir.  » 

Or  ai-je  bien  le  souvenir 
Comment  je  fui  appareillies. 
Se  j'avoie  esté  petit  lies 
En  devant,  encore  le  fui 
Cent  fois  plus,  et  en  grant  anui. 
Doubte  et  cremour  si  m^assalirent 
Qui  le  viaire  m'apallirent, 
Les  yex  et  la  bouche  et  la  face.  « 
N'est  contenance  que  je  face, 
Fors  que  de  desconforté  homme. 
Adont  inforttmés  me  nomme; 
Et  me  part  sans  nul  congié  prendre^ 
Et  tous  seules ,  sans  plus  attendre , 
En  une  chambre  m'encloy. 
Je  ne  sçay  se  nuls  homs  m  oy: 
Mes  je  fis  là  des  beaus  regrés, 
Ensi  com  loyal  amant  vrés, 


DE  JEAN  FROISSART.  231 

Plain  de  jalomie  et  de  paione, 

Et  qui  amours  à  son  g^ré  mainiie. 
Ensi  à  par  moi  je  m*arg'ue: 

«  Haro  !  di-je,  je  l'ai  perdue  ! 

»  Pourquoi  Faim,  ne  onques  l'a  mai  ? 
»Orsui-je  entrés  en  grant  esmai. 

))Que  ferai  s'elle  se  marie? 

»  Foi  que  doi  à  Sainte  Marie  ! 

»  J'oeireie  son  mari  ains 

»Que  il  mesist  sus  li  les  mains. 

^Auroi-je  tort?  quant  la  plus  bnlle 

»  Et  qui  de  moncoer  dame  est^elle 

»Lairoie  aller  par  lel  fortune. 

»N'ai  à  morir  d*une  mort  q'une. 

»Ve-le-ci;  elle  sera  preste. 

»  Fortune  pour  moi  le  m  apresti; , 

»  Puisqu'on  voelt  ceste  marier 

»  A  qui  mon  coer  se  voelt  tirer. 

if  Je  ne  le  poroie  souffrir.)) 

Lors  m*alai  si  don  tout  offrir 
A  anois,  à  merancolies^ 
Et  à  toutes  aultres  folies, 
Que  j'en  fui  en  péril  de  perdre. 
Les  fièvres  m alèrent  aherdre; 
Je  m'alai  acoucier  au  lit 
Où  je  n*oc  gaires  de  délit  j 
Et  fuisse  mors  dedens  briefs  jours, 
Se  ne  m'euist  donné  secours 
La  damoiselle  qui  là  vint. 
Le  chief  me  mania  et  tint. 


232  POESIES 

Bien  senti  qu'en  péril  estoie. 
Adont  me  dist  la  merci  sole 
Poar  moi  aidier  si  bons  cpnsauk 
Q*un  petit  ces$a  mes  travaus. 
Mes  depuis  trois  mois  tous  entiers 
Ftii  je  à  la  fièvre  tous  rentiers; 
Gt  adont  en  la  maladie, 
Çest  bien  raisons  que  je  le  die, 
Fis-je  une  balade  nouvelle. 
Au  desespoir  d'amours  fu  celle. 
Je  ne  sçai  scelle  vous  plaira 
Mes  tele  est  qui  bien  le  lira 

Balade. 

Pluiseur  amant  vivent  blefu  en  e^^poiv 
D'avoir  merci  et  d*estre  encoi?Q  aixié« 
Mes  ma  vie  est  tournée  en  deseapoic, 
Car  on  m  a  jà  tant  de  fois  refusé, 
Tant  eslongfié,  tant  monstre  desamblans 
Durs  et  crueuls,  et  contre  moi  nuisia^^) 
Que  je  n'ai  fors  painne,  mauk  et^Qlours. 
Je  finerai  ensi  que  fist  Tristraas, 
Car  je  morrai  pour  amer  par  amours. 

Las!  que  briefment  puisse  la  mort  avoir. 
Plus  le  désir  cassés  que  m^  ^nté? 
Car  ma  dame,  qui  tant  a  de  savoir, 
No  voelt  avoir  ne  merci  n<5  pit^ 
De  moi,  qui  sui  sou  cremetousserv^u»; 
Ains  me  refuse- et  gfvieve  et  nuist  tous  tanips. 


DE  JEAN  FftOlSSART.  233 

Se  m  en  faultdîre>  et  par  nuit  el.par  jours, 
Je  finerai  etc. 

Et  si  scet  bien,  ansioomje  l^spoîp, 
Çom  lon^Bieiftt  j'ai  jà  poiinli  porté, 
Taint  le  yiaireet  pale  et  uat  el  noir^ 
Mes  point  n*i  vUe  on  le  inaienoonpté; 
Ajns  est  tout  dis  en  ses  pourpoa  nianans. 
Et  quant  je  sui  bien  |i  tout  ee  peni^ansii 
Dire  m'en  faiih  en  cris,  en  pbina,eu  plours^ 
Je  finerai;  ele. 

Chief  «opliu  9t  moi  moujlt  malade, 
Ordonmai-JA  ceste  balade  ; 
Et  quand  je  [Mc  je  Veacris|. 
Bien  me  p)ot  quant  je  le  lis». 
Nom-poujfvquant  pas  n'en  fii  eslainle 
(*a  mâUaàie^  qui  destaiate 
M'avoit  la  cQulmiP  et  Isi  fooe* 

Qr eatdreis  que  momere  face 
Coipment  vivoïe  Quit  ^  jovr 
Spus  avoir  g^aire^  de  sajour. 
Je  me  tonr^iwe  et  retouiwip. 
Et  en  tournant  Hh,  m'atournoio 
Que  je  iiev«u9  saroie  dire 
De  cent  parta  le  mei^re  martire 
Que  j'av4>se  lors  à  porter» 
Mes  pour  moi  un  peu  oouftwleir 
J'en  laissoïè  bien  coBvenir 
D'amours  le  très  daulo  seuveajur^ 
Et  ce  g^randement  me  valli. 


234  POÉSIES 

Mes  toutes  fois  il  me  lalli 

Ëstre  trois  mois  Irestous  entiers 

A  la  lièvre  certains  rentiers; 

Et  homs  qui  vit  en  tel  meschief 

A  par  droit  dolerous  le  chief. 

Je  lavoïe  lors  si  endoivle, 

Et  le  coer  si  mat  et  si  foible 

Qu'à  painnes  pooïe  parler, 

Ne  moi  soustenir,  ne  aler; 

Et  la  ealour  si  mataingpnoit, 

Et  si  très  fort  me  destragpnoit 

Que  je  n'avoie  aultre  désir 

Que  tout  dis  boire  et  moi  jesir; 

Mes  deffi^ndu  on  le  m*avoit ,' 

Uns  médecins,  qui  bien  sçavoit 

Quel  maladie  a  voie  el  corps. 

Pour  moi  traire  de  ealour  hors 

Avoif  à  mes  gpardes  bien  dit 

Qu'on  ne  laissast  entours  mon  lit 

Nul  buvragpe,  ne  pot,  ne  voire, 

Car  trop  contraire  m'estoit  boire , 

Et  on  m  en  gparda  bien  aussi. 

Dont  une  fois  m'avini  ensi 

Que  j*a voie  calours  sigrans 

Que  de  riens  je  n'estoie  engprans 

Fors  de  tant  que  bé  u  euisse; 

Et  me  sambloit,  si  je  penisse 

Boire,  quej'estoie  g-aris. 

A  dont  di-jou  tous  esgfari  s: 

«  Ha!  pour  Dieu  !  qu'on  me  donne  à  boire 


DE  JEAN  FROISSABT.  235 

»  Ou  je  muir  !  »  On  ne  m  en  voU  croire, 
Ains  mes  gardes  se  teurent  quoi; 
Et  je>  pargprans  désir  dis  :  «  Quoi  ! 
«  Me  laïran  de  soif  morir  »  ! 

En  cel  ardour,  en  ce  désir, 
M'ala  souvenir  de  ma  dame^ 
Lors  m'alai  acoisier,  par  m'ame; 
El  pris  fort  à  penser.  Nient-mains 
Sus  mon  orillier  mis  mes  mains. 
En  ces  te  ardour  qui  me  tenpit 
Mains  pensers  devant  me  venoit. 
Là  ordonnai  une  complainte 
D*amours,  dont  en  veci  la  plainte. 

La  complainle  de  ramant. 

A  boire  !  à  boire  !  le  coer  m'art. 
Car  férus  est  d'un  ardant  dart; 
Pour  ce  désire  tempre  et  tart 

Boire  à  foison^ 
Car  la  flame  par  tout  s'espart. 
Jà  est  bruïs  plus  que  d'un  quart > 
Et  se  n'i  sçai  voïe  ne  art 

De  g^pison, 
Ne  médecine,  ne  puison, 
Car  touchiés  est  dou  droit  tison 
Dont  Cupido,  une  saison, 

Se  Diex  me  gpart 
Feri  Phebus  en  loquison 
De  Dane  à  laclere  faço^i. 
Or  ai  juste  comparaison 

Pris  pour  ma  part, 


234  roÉsius 

Dane  &i  fu  une  pueelle; 
|)e  Dtane  estait  da»oisette, 
Que  PfaekuA  enama^  m^s  celle 

Point  |i«  Vamoît , 
De  ^lUfti  Pbebu»,  p^ur  Vamour  d'elle  > 
^eçut  maîutft  àuve  estinoellft 
Vîve  et  ^wà^MSfêom'  la  mamelk^ 

Et  à  lion  àroïty 
Car  peuv  s'ameur»  si  prU  estoU 
Qu  il  le  prioit  et  requeroU', 
Mes  eetle  toa%  dis  le  fuioit. 

Ensi  la  belle 
Q»e  mon  eœv  cpleat,  sept)  aime  et  crail 
Me  tient  en  ce  méisme  endroit; 
Com  plus  li  prie  et  mains  reço|t 

De  ma  querelle. 

Au  mains  se  j'en  ^voie  otant 
Que  Phebus  ot  en  son  viyjinti 
J'cnviveroïe  plus|oi3nt 

Que  je  ne  &çe. 
Comment  qu'il  n'en  ot  pas  trop  garant 
Déduit  auçoer^  iq^s  |i6m-pour-quant 
)Les  Diex  qui  le  vicept  an^anl 

Li  firent  grascç, 
Et  encores  il  $'ep  solace; 
Et  se  Tacole  et  se  l'embrace, 
Mes  véoir  ne  le  poet  en  &be , 

Ne  son  semblait 


DR  JEAN  FROISSART.  237 

Et  se  poursieuk  toiisjôdfs  la  trace 
De  sa  très  amouroiise  chace; 
Mes  Dane  au  coer  tie  li  pôurôhace 
Joie  noiaYit. 

Or  vous  dirai  raison  pourquoi 
Phebus  chéy  en  tel  anoi. 
Il  y  ot  bien  cause,  je  croi, 

Veci  comiBBni  : 
Un  jour  ert  en  son  esbatioi 
Cupido,d*amours  Dieu  et  rojr. 
Avint  que  Phebus  vint  sus  soi 

Soudaînnement, 
Et  li  dist  orguillousement  : 
tt  LWc  de  quoi  tu  très  rent-moî,  rent, 
»Et  la  flèche  tout  enseftient, 

)>  Car  envers  moi 
»  Tu  ne  sefes  traire  de  noient. 
»  J  ai  oceis  Python  le  serpent 
»  Qui  de  longueur  oft  un  arpent ,     . 
»  C'est  trop  pour  toi.  n 

Et  Cttptdo  qui  fti  plaiits  d'îre 
Li  prht,  tout  en  p^ifstfnf ,  à  être  : 
«  Voire  !  Phèbo^,  PhebtfS,  lesm  sire, 

))  Estes  TOUS  tels 
»  Que  môn'arc  et  la  dt^ite  vire 
»  Dont  je  m'esbas  et  dont  je  tire 
»  Me  volés  ores  contredire, 

»  Et  vous  vatitès 
)>  Que  mteut^  de  mot  frayés  assés. 


^38  POÉSIES 

»  Je  ne  suis  mies  si  lassés; 

»  Car  ains  que  li  ans  soit  passés , 

»  Pour  vo  mestire 
))  Contre  moi,  ne  vous  g'arlrés; 
»Car  ma  flèche  si  sentirés 
»Que  mieuls  trai  que  vous,  ce  dires, 
»  Doit  il  souffire  f  » 

Bien  li  tint  ce  qu'il  li  promis!, 
Si  eom  Ovides  le  descripi; 
Car  en  brief  termine  il  s*assist 

Dessus  le  mont 
Que  de  Supernascus  on  dist. 
Son  arc  et  ses  deus  flèches  prist*, 
L'amourouse  ou  coer  Phebus  mist 

Si  très  parfont 
Que  là  où  li  vrai  amant  Vont, 
Ce  fut  pour  Dane,  qui  adont 
Bstoît  la  plus  belle^dou  mont. 

Ensi  Tesprit. 
Laultre  flèche  dou  copsecont, 
Traist  à  Dane.  Trop  loing'  se  vont 
Ces  deus  cops,  car  contraire  sont 

Et  plain  d'estrit. 

Li  une  flèche  est  amoureuse 
Et  li  aultre  si  haynouse 
Que  plus  ne  poet.  De  la  plommouse 

Pu  lors  attainte 
Dane  la  simple  et  g^raciouse. 


DE  JEAN  FROISSÂRT.  239 

Pour  ce  se  tenoit  org^uîUouse 
Contre  Phebus  et  peu  pitousé 

D  oyr  sa  plainte. 
Nom*pour-quanf  proyere  tamainte, 
Maint  souspir  et  mainte  complainte 
Fbt  Phebus,  qui  vie  en  ot  tainte 

Très  dolerouse; 
Dont  la  face  avoit  pale  et  tainte. 
Souvent  disoit  à  vois  destainte  : 
«  Dane,  pourquoi  m*es-tu  si  fainte 

)>  Ne  si  nuisouse 

))  Quant  tu  ne  me  dagues  amer  ? 
»  Si  n'a  deçà  ne  delà  mer, 
»  Dame  qui  on  devist  blasmer 

»  Pour  moi  chierir. 
»  Je  ne  le  di  pas  pour  vanter; 

»  Mes  pour  ce  que  d'amour  sans  per 

»  Je  t  aim'>  et  si  ne  puis  trouver 

»  Ne  en  toi  vir 
)>  Grasce  qui  me  puist  resjoir. 
»  Ne  tu  ne  me  daignes  oyr, 
»  Mes  eslong'ier  et  defuir, 

»  Et  moi  donner 
»  Aperte  cause  de  morir; 
»  Csfr  longuement  ne  puis  souffrir 
»  La  vie  où  il  m'esloet  lang^uir. 
Et  cest  tout  cler.  » 

Ensi  faisoit  Phebus  ses  plains, 
D  amours  et  de  dolours  tous  plains; 


UÙ  POÉSIES 

Mes  Dane  n'acontoit  deus  pains 

A  ses  anois , 
Ains  s  esbatoit  pdar  ce  îiîetit-mains 
Que  Phebus  fast  pôUr  li  d'estrains. 
Avilit  qu'un  jcml"  chàçoit  aux  dàîri». 

Dontéélle  fdis 
Regfarde  et  voit  Dane  e«s  èl  bois. 
Vers  lî  s'en  vînt,  et  éoth  tôurtdis 
Se  le  salttlï  ce  fu  dfcris 

Et  joint  ses  mains; 
Et  quant  Daen  en  oy  la  vois, 
Elle  ne  dist  pas  :  a  Je  m'en  vois.  » 
Mes  tantos  s'en  fui  en  vois, 
Quanquepot  ains. 

Parmi  lé  bois  tout  le  grant  cours. 
Moult  li  sembloit  li  termes  cours 
Qu'avoir  peuist  aucfuns  sçcoùrs 

De  la  Déesse 
Dyane,  à  qui  elle  fous  jours 
Prioit  et  faisoit  ses  clantours^ 
Et  li  disoit  :  (cTôus  mes  retous, 

))  Danle  et  maitressér, 
»  Sont  en  vous.  Dont  par  vo  noblece 
))Ne  consentes  que  jà  me  bïece. 
»  Phebus^  car  je  en  suis  en  escej 

»Trop  m'est  en  tours; 
»  Et  se  je  fui  tout  pour  lui  es- ce 
»  Car  OHi|ues  d'aÉMI-  n'tm  H  teee^ 
»  Ne  on^es  ne  se*ti  la  flece 

))  Au  Dieu  d'amours.  » 


DE  JEAN  FROISSART.  241 

En  fuiant  disoit  Dane  ensi. 
Et  tant  ala  qu  elle  a  fui 
Sus  les  ombres  de  Penéi  ^ 

Là  s'aresta, 
Car  sa  force  moult  a  foibli^ 
£t  Phebus  de  priés  le  sievî. 
IJuant  Dane  le  vit  dalès  U 

Li  s  escria 
£t  dîst  :  ((  Dame>  que  mavenra  ? 
»  Se  ne  m'aidiés  trop  mal  mïra 
»  Car  Phebus  de  moi  joïra.  » 

Sa  vois  oy 
Dyane  qui  forment  Tamaj; 
Aidier  le  volt.  Adont  droit  là 
En  un  lorier  le  transmua 

Vert  et  joli 

Or  est  Dane  en  lorier  muée 
Et  Phebus  à  cui  pas  n'agrée 
Ne  s'en  poet  trop  en  sa  pensée 

Esmervillier. 
En  estant  jette  sa  visée 
Que  celle  qu'il  a  tant  amée 
Que  Dame  et  amie  clamée 

Est  un  lorier; 
Pas  ne  le  voelt  pour  ce  laissier^ 
Mais  le  va  doucement  baisier 
Et  acoler  et  embracier, 

Et  dist  :  »  Hiensnée 
<(  Ne  me  puet  au  coer  tant  aidier 

FAOISSART.  T.  IVI.  16 


212  POÉSIES 

«  Qiie  toi  honnourer  et  prisier, 
<(  Douls  arbres,  car  Dane  och  moult  chier 
(t  Qui  m*est  emblée. 

«  Dyaneenlorier  le  m'a  mis. 
((  Et  pour  ce  que  je  ses  amis. 
<(  Sui  et  voeil  demorer  tout  dis 

<(  Un  don  li  donne 
cQuen  tous  temps  iertvers  et  jolis, 
«  Et  tout  Roi  qui  conquerront  pris 
«  D'onneur  et  d'armes  tant  le  pris 

«  Une  couronne 
((  Aront  de  lorier  belle  et  bonnne 
((  Et  le  portera  la  personne 
«  Qui  victore  aura;  je  l'ordonne 

((  En  tous  pays 
((  Souef  flairra  et  foeille  et  gfonne  » 
Eusi  ala  com  je  vous  sonne, 
Si  com  Ovid^s  Taraisonne 

En  ses  escris. 

Pour  revenir  au  droit  propos 
De  mon  plaint  de  quoi  je  propos, 
Di  que  Phebus  en  garant  repos 

Vint  de  sa  Dame 
Quant  elle  fut  muée  en  bos. 
Raison  pourquoi  dirai  tantos. 
El  nen  avoit  que  crueuls  mos. 

Qu'est  de  la  famé 
Qui  le  coer  d'un  amant  entame 


DE  JEAN  FBOISSART.  343 

Et  puis  n'en  vœlt  oïr  esclame 
Ne  receveir  en  pi  té  larme 

Que  li  devos 
Die  ne  fait,  ançois  renfiame. 
Trop  mieulz  vaudroit  celi,  par  m'amel 
Ëstre  pèlerine  à  Saint  Jame 

Qu'en  tel  compos. 

Plevist  ore  au  roy  de  lassns 
Que  ma  dame,  qui  de  refus 
S'esbat  à  moi  et  fait  ses  jus 

Fust  devenue 
Un  beau  lorier  vert  et  foellus; 
Au  mains  je  ne  seroie  plus 
En  doubte  de  moi  traire  en  sus 

De  sa  Téue; 
Mes  ce  qu'elle  se  rit  et  jue 
A  moi  donner  response  nue, 
Ce  me  taint  la  couleur  et  mue; 

S'est  mes  argpus. 
S'en  un  lorier  estoit  vestue 
Ma  dolour  auroit  g^rand  ayewe 
Car  elle  seroit  secourue. 

De  la  Phebus. 

N'ama  Pymalion  l'image 
De  quoi  il  fist  taille  et  ouvrage; 
Et  Candasse,  qui  tant  fu  sage, 

De  pourtrefture 
Fist  ouvrer  le  droit  personnage 

D'Alixandre,  corps  et  visage, 

16* 


2U  POÉSIES 

Et  enama  de  bon  corag^e 

Celle  painture. 
J'en  sçai  mainte  belle  figfare. 
Se  ma  dame,  qui  tant  m*est  dare^ 
Est  aussi  muée  en  verdure. 

Ni  voi  damagfe 
Dont  je  fesisse  trop  garant  cure, 
Mes  quant  je  vise  à  Taventure 
J'ai  dit,  au  regparder  droiture^ 

Un  garant  oultrag'e. 

Quant  j*ai  ma  dame  souverainne 
Sous  hedié  par  pensée  vainne 
Que  sa  façon  doulce  et  humainne 

Et  son  g-ent  corps 
Fust  mués  en  fourme  vïllainne. 
De  la  merveille  je  me  sainue 
Comment  j'oe  onques  sanc  en  vainne 

De  penser  lors 
Si  g^ant  oultragfe.  Âbors,  ahors! 
Certes  je  ferai  tirer  hors 
Le  sanc  de  moi  qui  s'est  amors 

Et  mis  en  painne 
A  moi  donner  tous  desconfors* 
Se  ma  dame  ooit  telz  recors 
BGeulz'me  vauroit  à  estre  mors 

Qu'en  leur  demainne 

Mes  qui  m'a  fait  tels  souhès  faire? 
Il  ne  me  sont  pas  nécessaire 
Car  de  petit  me  poet-on  traire 


DE  JEAN  FROISSART.  245 

En  grant  péril. 
Trop  me  voelt  esfre  secrétaire 
Fortune,  quia  tous  voelt  plaire; 
Se  j'ai  mesdit  je  m'en  voeil  taire. 

De  li  vient-il. 
Trop  sont  ses  las  fors  et  soubtil 
Prendre  me  voelt,  je  croi,  au  bril; 
Elle  m'a  mis  en  garant  péril 

De  moi  defFaire> 
Mes  quoi  qu'elle  me  tienne  vil, 
Ha  dame  à  le  coer  si  gentil 
Que  jà  ne  m'en  vodra  nennil 
Chose  contraire. 

Aussi  j'escuse  le  coer  mien 
Qu'onques  ni  pensai  mal  engien. 
Amours  le  scet,  qui  cognoist  bion 

Ce  que  je  pense, 
Comment  faimme  sus  toute  rien 
Ma  dame,  car  c*est  tout  mon  bien 
Mon  souverain  Dieu  terriien 

Tant  qu'en  loquensce 
C'est  m'onnour,  c'est  ma  reverensce; 
C'est  ma  très  plaisant  residensce 
Où  je  prenc  confort  et  prudensce 

Sans  nul  moyen; 
Si  le  voeil  en  obediensce 
Servir  par  bonne  diligensce 
Et  recevoir  en  pascience 
Le  plaisir  sien. 


246  POÉSIES 

Et  se  fortune  plus  m'assault 
Qui  de  mon  coer  fait  son  bersault^ 
Pour  que  le  chose  il  tressault 

En  mainte  fourme, 
Si  me  vodrai-je  tenir  baut 
Car  courons  en  coer  riens  ne  rault^ 
Mes  par  nécessité  il  faut 

Aidier  coer  mourme^. 
Las!  mes  se  ma  dame  on  enfourme 
Que  je  laie,  par  langage  ourme» 
Souhedié  ne  lorier  ne  ourme, 

Un  moult  bel  sault 
Ferai,  et  aurai  grant  sens  d'bmme 
Se  je  me  puis,  ce  est  la  somme» 
Escuser;  car  pour  mains  on  nomme 

Homme  ribaut 

Quant  je  m'avise,  j*ai  dit  maT, 
Car  je  voeil  mettre  en  gênerai 
Ce  qui  est  en  especial 

Chose  commune; 
Ce  scevent  juge  officiai 
Comment  fortune  boute  aral 
Ceuls  à  pié  et  ceuls  à  cheval 

Et  les  desjune 
A  la  fois  en  droit  temps  c'en  june 
De  jalousie  et  de  rancune. 
Encores  fait  trop  pis  fortune 

En  principal. 
Dont  s'il  est  aucuns  ou  aucune 


DE  J  EAN  FROISSABT.  2  il 

Qui  s^en  plaint,  elle  est  à  tous  une; 
Mes jou  aurai,  inalgfré  l'enfrune, 
Le  coer  loyal. 

Si  m'est  vis.  que  je  me  puis  mieuls 
Escuser  par  droit  en  tous  Ueus 
Que  de  son  fait  estre  doubtieus 

Ne  moi  doloir. 
De  fortune  voeil-je  estre  esquieus 
Et  penser  aux  douls  plaisans  yeus 
De  ma  dame>  vairs  et  gfentieus. 

Et  concevoir 
Comment  elle  fait  son  devoir 
De  sagfement  apercevoir 
De  donner  et  de  recevoir 

Regfars  soubtieus. 
Gils  pensers  me  met  main  et  soir 
En  tel  frefeil,  au  dire  voir. 
Que  je  ne  cognois  blanc  à  noir 

Si  m'ayt  Diez. 

Et  m'est  vis  qu'à  coisir  ou  monde 
Si  gfrans  qu'il  est  à  la  réonde 
On  ne  trouveroit  pas  plus  monde> 

C'est  chose  vraie. 
Toute  bonté  en  li  habonde 
Et  moult  grant  beauté  li  souronde 
Simple  et  plaisans,  vaire  est  et  blonde, 

Jolie  et  g^aie; 
Son  bel  maintien  forment  m'e^g[aie> 
Car  si  courtoisement  me  paie 


248  POÉSIES 

D'un  r^art,  dont  elle  me  plaie 

Pour  ce  une  onde 
De  pité  convient-il  que  j'aie, 
Ou  aultrement  la  mort  m'adaie^ 
Car  j'ai  pointure  au  eoer  sans  plaie 

Grande  et  profonde. 
Qui  ne  poet  à  garison  prendre; 
Car  elle  est  si  foible  et  si  tendre 
Que  de  trop  petit  elle  engfendre 

Painne  et  douleur. 
Un  seul  reg^ard  me  fait  entendre 
Que  je  doi  et  puis  bien  attendre 
Grasce  en  ma  dame  où  je  yoeil  tendre 

Par  bonne  amour« 
Or  ai-je  à  la  fois  g'rant  paour 
De  fallir  et  de  lointain  jour; 
Et  pour  ce  qu*en  péril  séjour 

Je  veeil  aprendre 
Comment  trouver  poroie  un  tour 
Salve  sa  paix  et  son  honneur 
Que  je  peuisse  à  sa  douçour 

Plus  brief  descendre. 

Mes  je  ne  sçai  qui  m*en  conseille 
Car  ma  vie  n'est  pas  pareille 
Aux  aultresy  ains  est  despareille 

Plus  qu'aultre  chose. 
Car  quant  je  dors  ou  quant  je  veille 
Teusjonrs  m'est  présente  en  Toreille 
Ma  dame,  qui  blanche  et  vermeille 
Est  com  la  rose} 


DE  JEAN  FROISSAllT.  249 

Et  lors,  à  par  moi  je  propose 
Les  gfrans  biens  de  li  et  les  gflose; 
Et  quant  en  ce  penser  repose 

Moult  tost  m'esveille 
Amours  qui  m'est  aucoer  enclose; 
Mèsjevoi  bien  quelle  me  pose 
Car  à  ma  dame  dire  n'ose 

Geste  merveille. 

Ains  d'un  tout  seul  regart  s'esbat 
Mon  coer,  il  ni  prent  aultre  esbatj 
Mes  longuement  en  cel  estât 

Vivre  ne  puisj 
Car  mon  coer  tient  en  garant  débat 
Cremeur  qui  dedens  soi  s'embat , 
Et  Jalousie  qui  abat 

Tous  mes  déduis. 
Cuidiés  vous  que  je  soie  vuis 
De  durs  jours  et  de  povres  nuis  ? 
N'ennil;  j'en  ai  bien  quatre  muis 

De  bon  acat: 
Et  ai  eu  le  plus  de  puis 
Que  je  mis  le  pié  dedens  Puis 
De  Tostel  où  confort  ne  truis^ 

Ce  me  rent  mat. 

Et  ne  sçai  où  gfarant  je  quiere, 

Car  c'est  mieulz  drois  que  j'en  requière 

Ceste  qui  me  pdet  mettre  arrière 

De  joie  ou  ens 
Qu'autrui*,  mèé  trop  crienc  sa  manière^ 


250  POÉSIES 

Car  je  sçai  bien  combien  Tai  cfaiere-i. 
Mes  elle  fait  trop  millour  cîere 

A  pluisours  gfens 
Qu'à  moi  qui  al  mis  fout  mon  temps. 
Mon  coer,  mon  corps,  m'àmour,  mon  sens^ 
A  li  amer.  Hé  mi  dolens  ! 

Or  m'est  plus  fiere 
Qu'aux  aultres»  ce  m'est  durs  contens. 
Je  ne  m'en  tienc  pas  pour  contons 
Car  je  lî  samble  un  droit  noiens: 

En  ma  proyere. 

Elle  y  aconte  ensi  que  nient; 
C'est  ce  qui  en  soussi  me  tient 
Dont>  se  mon  coer  s'esmaie  et  crient 

Et  se  complaint 
Bien  y  a  cause;  il  apertient; 
Car  toutes  fois  qu'il  me  souvient 
Comment  ma  dame  me  maintient  > 

Mon  coer  se  taint 
Diversement  en  plus  d'un  tatnt; 
Car  cbalour  et  froideur  l'attaint, 
Et  si  n'est  douçour  qui  l'estaint^ 

Dont  sll  n'avient 
Que  Franchise  Pité  ramaint. 
Je  sçai  moult  bien  où  la  mort  mainte 
Et  se  je  muir>  aussi  font  maint: 

Morir  convient. 

J'aim'mieulz  morir,  jà  ne  demeure ^ 
Puisque  Fortune  me  court  seure 


DE  JEAN  FBOISSART.  25 1 

Et  que  la  mort  pour  moi  labeure 

Qu'est  re  entrepiés. 
Il  n*est  conforsqui  me  sekeure, 
Ne  qui  pour  mcH  aidier  akeure 
Et  mon  las  eoer  quï  tous  jours  pleure 

Si  est  playés 
D'un  ardant  dart  qui  fu  forgiés 
D'un  douls  vaii-s  yex,  plaisans  et  lies.. 
Or  n'est  boires,  tant  soit  hefies 

Qui  me  saveure 
Ne  par  qui  soit  assonag'iés 
Lesoif  que  j'ai,  qui  m'est  si  gprîés. 
Boire  me  fault,  dame;  or  m'aidiés 

Il  en  est  heure. 

Or  ai-je  demandé  à  boire 
Et  que  ma  demande  soit  voire 
On  n]ben  poet  loyalment  bien  epoire> 

Que  grant  soif  j'ar. 
Mais  ce  n  est  pas  de  TÎn  d'Auçoirre 
De  saint  Poursain  ne  de  Sansoirroi 
Tant  soitclers  ne  friansen  voire 

Ne  de  goustgai; 
Ains  est  d'un  simple  parler  vrai 
Qui  viegne  dou  coer.  Je  n'aurai 
Bien  jusqu'à  tant  que  je  verai 

Venir  bon  oirre . 
Ce  parler  qui  m'oste  d'esmay 
Et  lors  lesoif  estinderai 
Que  j'ai  si  grant.  Certes  je  (ai 

Bien  à  concroire. 


252  POÉSIES 

Car  qui  désire^  il  n'est  pas  aise» 
Âins  vit  en  painne  et  en  mesaise. 
Pour  ce  reçoi,  par  Saint  Nicaise  i 

Grief  penitanee 
Il  n'est  nulle  riens  qui  me  plaise 
Ni  qui  mon  povre  eoer  apaise. 
Fortune  m*acole  et  me  baise 

A  sa  plaisance^ 
Elle  a  sus  moi  trop  garant  puissance 
Elle  me  toit  la  cogfnîssance 
De  manière  et  de  contenance 

Qui  s'en  taise. 
Se  ce  n'estoit  seule  espérance 
Qui  me  tient  en  ferme  ordenance 
Je  ne  voudroie  la  montance 
D'une  Frambaise; 

Mes  elle  bon  confort  me  baille 
Et  g-arant  contre  la  bataille 
Qui  nuit  et  jour  au  coer  m'entaille 

Pensers  divers 
Dont  je  m'estenc,  frémis  et  baille. 
Il  n'est  nulle  riens  qui  me  vaille. 
Ne  je  ne  sçai  comment  jou  aille 

Nus  ou  couvers; 
Car  soit  esté  ou  soit  yvers 
Je  senc  mon  corps ,  mon  sanc»  mes  ners 
Tous  afoiblis ,  pales  et  pers. 

Bnsi  sans  faille 
Sui-je  de  par  fortune  ahers. 
N'ai  fors  le  coer  qui  gist  enfers 


DE  JEAN   FROISSABT.  253 

Mes  jà  à  lui  ne  sera  sers 
Vaille  que  vaille 

Me  poet-on  croire  à  ma  paroUe  ? 
•Oïlj  car  on  dist  à  Tescole 
Que  la  bouche  dou  coer  paroUe. 

Certes  ce  fait. 
Vois  de  la  mienne  n'ist  ne  vole 
Que  mon  coer  ne  le  jette  en  mole. 
Et  sent  bien  s'elle  est  sag^e  ou  folle, 

Ains  le  retret; 
S*elle  est  bonne  en  avant  le  met, 
Se  non  par  derrière  le  let; 
Mes  je  sçai  bien  tant  qu*à  ce  fait 

Qui  me  console 
Dou  millour  dou  coer  lai  estret 
Tout  ce  que  j'ai  dit  et  retret  > 
Et  bien  paroie  dou  parfet 

Emplir  un  roUe^ 

Comment  je  vif,  comment  je  sui, 
Comment  je  senc  painneet  anui, 
Et  si  n'en  sçai  pas  bien  à  qui 

Prendre  conseil. 
A  ma  dame,  non  à  autrui, 
Deuisse  monstrer  mon  annui, 
Car  premiers  par  li  mis  je  fui 

En  ce  travel, 
Ne  Phebus^  le  Dieu  dou  soleil , 
Pour  Dane  n  ot  ains  le  pareil 
Que  je  reçoi.  Si  m*csmerveille 


254  POESIES 

Moult  aujourd'hui 
Comment  tant  dure  en  tel  essein. 

En  tel  soussi,  en  tel  frefeil, 
J'ai  seul  espoir;  là  me  conseil, 
C'est  mon  refui. 

C'est  assés  peu,  car  longe  attente 
Fait  bien  fallir  Tomme  à  s^entente. 
Il  est  avenu  à  euls  trente 

Qu'il  n'ont  eu 
De  leur  queste  nulle  aultre  rente, 
Fors  tele  qu^amours  me  présente; 
Mes  assés  peu  je  me  contente 

De  ce  salu 
Car  s'aucun  ont  leur  temps  perdu 
Je  Todroie  avoir  despendu 
Le  mien  en  gprasce  et  en  vertu. 

Las  or  me  tempte 
Desespoir  qui  onques  ne  fu; 
Mes  dedens  moi  qui  me  sent  nu 
De  confort,  simple  mat  et  mu 

Ce  me  tourmente. 

Et  si  ne  sçai  où  garant  querre. 
Il  n'a  si  sage  clerk  en  terre 
Qui  me  scevist  de  ceste  guerre 

Mettre  à  la  fin. 
Mon  coer  voelt  que  tout  di  je  erre; 
Et  com  plus  voi  et  plus  m'enserre 
En  estât  où  ne  puis  conquerre 
On  seul  frelin. 


DE  JEAN  FROISSABT.  255 

S'en  reçoit-je  soir  et  matin 

Maint  frolt  maint  chaud  et  maint  hustin 

Qui  me  font  tenir  chief  enclin* 

Or  Yoeil  requerre 
Ma  dame  au  g^ent  corps  féminin 
Que  par  son  doulc  plaisir  bénin 
Je  puisse,  dedens  brief  termina 

Sa  grasce  acqnerre; 

Et  se  je  fail,  ma  joie  est  morte ^ 
Et  se  je  l'ai,  je  me  déporte; 
Ensi  voi  devant  moi  la  porte 

Ample  et  ouverte 
Qui  joie  et  deslourbier  m'apporte. 
Voies  y  a,  li  une  est  torte, 
Mes  sievir  vodrai  la  plus  forte 

Et  plus  aperte. 
Plaisance  s'est  à  moi  offerte 
Et  m'a  dit  à  la  descouverte: 
»  Sert  loyalment  car  de  ta  perte 

»  Ne  desconforte 
»  Tu  seras,  selonc  ta  detserte 
»  Payés,  je  te  dit  tout  à  certe ; 
»  Et  se  Fortune  te  perverte 

»  Si  te  conforte.  » 

Ensi  Plaisance  m*amonnesfe 
Que  je  me  tieg^c  en  vie  bonnes  te, 
Et  trop  bien  me  poet  sa  requeste 

Faire  tout  riche. 
CToire  le  voeil  et  servir  cesie 


256  POÉSIES 

Pour  qui  je  sui  entrés  en  queste. 
Or  doînst  que  sa  grasce  conqueste 

Car  je  m'afiehe 
Que  se  j'estoie  roi  d'Âufricbe, 
Duc  de  Baivière  et  d'Osteriche^ 
S'en  feroi-je  ma  dame  friche 

Honneur  et  feste. 
Las  !  mes  je  croi  qu  elle,  à  trop  niée 
Tient  mon  langag[e  et  mon  servisce; 
Et  pour  ce  sus  moi,  quoi  qu'en  dice 

Si  peu  s^arreste. 

Je  ne  sui  pas  de  taille  digne 
Pour  amer  chose  si  benigpne 
Com  est  ma  dame  féminine^ 

Mes  j'en  accuse 
Amours  qui  a  mis  la  racine 
Dedens  le  coer  et  qui  m'encline. 
A  s'amour  or  en  détermine^ 

Car  jem'escnse 
Par  lui;  ci  ne  fault  nulle  ruse. 
Je  sçai  bien  comment  mon  temps  use. 
On  me  débat ,  on  me  refuse, 

On  me  hustine; 
C'est  ce  pourquoi  je  pense  et  muse. 
Trop  est  pités  pour  moi  repuse. 
Pour  moi  m'est-elle  si  rencluse 

Ne  si  estrine. 

Quant  et  que  loyauté  ne  voeil 
Servir  et  cremir  bel  acueil. 


DE  JEAN  FROISSART.  257 

Et  obéir  à  tout  son  voeil. 

Pas  ni  prent  gfarde 
Ma  dame,  Hé  mi!  dont  je  recueil 
Plus  de  grieftés  qu'ayoir  ne  soeil 
Et  Cupido,  dont  ]e  me  doeil, 

Si  me  regfarde 
Fellement  de  sa  haulte  garde, 
Trait  m'a  de  l'amourouse  darde, 
Mes  de  celle,  que  mal  fu  arde  ! 

Plainne  d'orgueil. 
Qui  est  haynouse  et  couarde 
Atrait  ma  dame  la  gaillarde. 
Bien  le  voi^  car  elle  me  tarde. 

Son  doulc  accueil, 

Et  ne  sçai  comment  m'en  chevisse; 
Car  se  mespris  vers  li  éuïsse^ 
Vraiement  je  me  rendesisse 

En  Feure  mas. 
Mes  nennil;  pourquoi  je  deuïsse 
Recevoir  si  grant  préjudisce 
Que  je  reçoi?  ne  pourquoi  g^sse 

De  tous  solas? 
He!  Gupido,  navré  tu  m'as 
De  la  flèche  dont  jà  navras 
Phébus  pour  Dane.  Or  ne  voi  pas 

Qui  me  garisse. 
Ma  dame  me  fîiit  le  grant  pas. 
Et  se  m'ont  donné  ce  trespas 
Ses  douls  vairs  yex  fais  par  compas 

Simple  et  propisce. 

FiOISSART.   T.  XVI.  I7 


258  POÉSIES 

Car,  quant  premiers  me  reg'ardomit, 
Vis  m'es  toit  que  bien  me  pooîent 
Conforter,  pour  ce  qu'il  estoient 

Doulc,  simple  et  vair. 
En  ce  reg^ard  qu'il  me  fesoienf 
Tout  plainnement  me  conquéroient, 
Car  en  reg^ardant  me  perçoi^nt 

Sens,  corps  et  coer, 
Or  voeil  requerre  à  Jupiter, 
Et  à  Venus  sa  belle  soer. 
Et  à  Juno  déesse  en  l'air 

Qu'il  me  desloient 
De  ce  très  dalerous  enfer, 
Et  estent  de  mon  coer  le  fer 
Qui  me  toit  le  g^oust  et  le  fier 

Que  mi  œil  voient; 

Car  je  voi  ce  que  je  n'ai  mie, 
Grasce  en  ma  dame  à  qui  prie. 
Pont  se  ma  proiyere  estoye. 

Et  que  li  Dieu 
L'exaucent  par  leur  courtoisie^ 
Faire  me  poeent  grant  aye. 
Car  quant  Phébus  n'ot  point  d'amie^ 

Dalès  un  rieu 
Un  beau  lorier  vit  en  son  lieu. 
Or  pri  Jupiter  de  coer  pieu 
Que  mon  fait  face  plus  hastieu 

Et*  qu'il  m'aye, 
Car  je  mec  tout  ou  plaisir  sieu* 


DE  JEAN  FROISSART.  259 

Ma  dame  me  fait  trop  pensieu, 
Et  pas  ne  li  di  en  Ebrieu 
Ma  maladie, 

Mais  en  langfag^e  cler  et  plain 
Quand  je  puis*,  mes  tant  fort  je  Taim 
^e  quand  li  voeil  dire  en  certain 

Et  en  apert 
Comment  pour  li  sui  soir  et  main, 
Je  n^ai  bouche,  coer,  oeil  ne  main, 
Qui  puist  dire  ne  monstrer  grain 

Quel  chose  il  quert. 
Or  ne  sçai  de  quoi  ce  fait  sert, 
Car  simplement  et  en  couvert 
Se  tiennent  mes  yex  tout  ouvert, 

Et  ont  grant  fain 
Que  mon  coer  dice  :  »  j^ai  souffert 
»  Tous  gfrïefs  pour  vous,  dame  or  j  dessert 
»  Mort  ou  merci;  il  le  requert 

»  Au  pardarrain.  » 

Mes  nennil  mon  coer  pas  ne  poet 
Dire  tout  ce  qu'il  pense  et  voet, 
Et  pour  ce  souffrir  Ten  estoet 

Tamaint  grant  grief 
Car  Désirs  ardamment  le  moet> 
Par  Plaisance  qui  le  promoet- 
Et  puis  q'un  tel  assaut  s'esmoet 

Dedens  monchief 
Il  convient  que  je  traie  à  chief 
Ma  penitance  et  mon  meschief. 

17* 


260  POESIES 

Mes  je  voi  bien  que  de  rechief, 

Ensi  qu'il  soet, 
Mon  coer  je  senc  si  fort  blechief 
D'un  dard,  qui  est  escris  ou  briet^ 
Dont  Phébus  fut  navrés  en  brief 
Que  ce  le  doelt 

Car  la  plaie  n'est  pas  petite 
Qui  m'est  dedens  le  coer  escripte; 
Pas  nem'i  nuist,  ains  m'iproufite^ 

£ar  elle  est  faitte 
D  un  penser  qui  moult  me  delitte^ 
Et  quant  je  senc.  nul  oppositte, 
En  pensant,  à  par  moi,  recite 

Qui  li  attrette 
Uns  reg^ars,  une  douce  attrette, 
De  la  belle >  bonne  et  parfette 
Qui  de  toute  bonnour  est  esf  rette. 

Or  soit  bénite 
La  plaie,  et  aussi  la  sajette 
Qui  me  tient  en  si  douce  debte 
Que  mon  traveil  et  ma  souffrette 
Tienc  pour  mérite. 

Cest  mon  bien,  c'est  toute  ma  joie^ 
C'est  le  penser  qui  me  resjoie 
Et  lequel  nuit  et  jour  m'envoie 

Grasce  et  confort. 
A  la  fois,  quant  le  plus  m'aiinoie 
Et  que  par  souhet  je  vorroie 
Qu'à  moi  venist  la  droite  voie 


I 


DE  JEAiN  FROISSART.  26 1 

Amère  mort, 
Et  je  imagine  bien  fort 
Le  gfeni  corps  et  le  bel  déport 
La  manière  et  le  doule  ressort 

Ha  dame  quoie^ 
Je  prenc  en  moi  grant  reconfort , 
Et  m'est  vis  que  j*aui*oie  tort 
Se  par  cause  de  desconfort 

Je  m'occioie 

Lanspelo9^  Tristrans ,  Lyonnel , 
Porrus,  le  Baudrain»  Caffiel, 
Paris,  et  tamaient  damoisel 

N'ont  pas  e$té 
Amé  pour  seul  dire:  a  il  m'est  bel 
»Dame  c'or  prendés  ce  chapel 
»  Et  me  donnés  sans  nul  rappel 

»Vostre  amisté. 
Nennil;  ains  en  ont  bien  livré 
A  grant  martire  leur  santé, 
Et  maint  y  ont,  ains  qu'estre  amé 

Laissié  la  pel. 
Or  sui-je  lies  en  vérité 
Et  prenc  la  mort  en  grant  chierté 
Quant  je  ai  comps^gnon  trouvé. 

Il  m'est  moult  bel. 
Au  mains  ne  puis-je  morir  seuk, 
J'ai  des  compagnons  plus  de  deus; 
Mes  en  fin  de  mon  plaint  piteus 

Je  te  délivre, 
Amours,  tous  mes  fais  temporeus, 


263  POÉSIES 

Car  tu  es  mon  Dieu  Corporeus., 
Et  te  pri  très  atfectueus 
Que  livre  à  livre 
Poise  les  biens;  car  je  me  livre 
Tels  a  toi,  ne  plus  ne  voeil  vivre: 
Scés  tu  pourquoi?  trop  fort  m*enyvre 

Li  ardans  feus 
Qui  le  coer  tangfuereus  fait  yvre. 
Mes  je  t'en  pri,  escrime  ou  livre 
Où  on  troeve,  qui  bien  s'arive 

Les  SMnoureus. 
Dame,  cent  clauses  despareilles. 
Pour  vostre  amour  n'est  pas  merveilles^ 
Ai  mis  en  rime.  Or  crienc  moult  celles. 

A  mal  dittées, 
S'ensi  est,  encoupésles belles, 
Tes  simples  et  plaisants  masselles, 
.  Qui  à  point  blanches  et  vermeilles 
Sont  coulourées, 
Car  ce  m'ont  souvent  mes  pensées 
En  pluisours  ponrpos  transposées; 
Et  se  bien  ne  les  ai  posées, 

Si  m'en  conseilles, 
Amours,  car  je  t'ai  moult  d'anées 
Servi,  et  mon  service^ grées; 
Mes  scés-tu  de  quoi  tu  m'effrées  : 
Trep  me  traveilles. 

En  souspirs,  en  plonrs  et  en  plains 
Pristun  peud'arrest  mes  complains, 


DE  JEAN  FROISSART.  263 

Et  nom-pour-quant  en  mon  grisant 

Ce  complaint  aloie  disant 

Plus  d'une  fois  le  jour  sans  doubte; 

Là  estoit  mon  entente  toute, 

Et  le  souvenir  de  ma  dame, 

Que  Dîex  gfart  et  de  cors  et  d'ame  ! 

Ce  me  faisoil  entrouLlyer 

Assés  mon  méraneolyer. 

A  ce  m'esbatoîe  à  par  mi. 

Au  chief  de  trois  mois  et  demi 
Se  cessa  la  fièvre  qu*avote; 
Je  me  mis  au  râler  la  voie. 
Je  sambloie  bien  demi  mors. 
Moult  de  fois  le  mau  puis  remors. 
Et  madame  en  parla  à  celle: 
»  Cils  Jones  homs  est  moult,  dist-elle, 
»  Empires^  dont  ce  poise  moi, 

—  Distla  dàmoiselle^  «je  croi 
»  Qu'il  se  prendera  à  santé.  » 

—  nCeseroit  bien  ma  volonté 
Dist  ma  dame ,  par  saint  Rémi  !  » 

Tout  ensi  le  resdit  à  mi 
La  damoiselle,  Diex  li  mire  ! 
Cest  drois  qu'en  telz  parlers  me  mire , 
Car  ce  m'estoit  uns  g^rans  confors. 
Or  me  prisl  voloirs  d'aler  fors 
Dou  pays,  et  oultre  la  mer, 
Pour  moi  un  petit  refremer 
En  santé  et  pour  mieulz  valoir. 
Je  ne  mis  pas  en  noncaloir 


264  POÉSIES 

Mon  pourpos,  ains  persévérai. 
Et  que  fis-je  ?  je  le  dirai. 
A  la  damoiselle  m'en  vins; 
De  mon  aler  parlement  tins; 
Et  elle  le  me  loa  bien 
Pour  ma  santé  et  pour  mon  bien  : 
»  Car  d  un  homme  lout-dis  avoir 
»Arostel,  oe  n'e&t  pas  savoir. 
»  Et  entrées  que  vous  serés  hors 
^)Ne  pool  estre  qu'aucuns  recors 
))  Ne  seront  de  vouS  moi  k  elle.  » 

—  «Voire,  di  je,  ma  damoiselle! 
»Mes  entrées  que  hors  je  serai 
»Et  que  ceste  point  ne  veraî 

»  Dont  tant  me  plaisent  lî  regart, 
))Que  ferai  je  ?  se  Dîex  me  gart  ! 
«Il  fault  que  vous  me  conseilliés.  )» 

—  »  Ha  !  dist  elle,  ançoia  qu'en  aiUic& 
»  Tel  chose  ares,  se  Diex  m'avance  ! 
»0ù  vous  prenrés  très  gfrant  plaisance. 

S  elle  le  di$t  pas  n'en  falli. 
Lendemain  je  revinc  è  li; 
Mes  elle  m'ot  tout  pouvéu  ^ 
Ce  dont  gré  li  ^i  puis  si^éu- 
))Tenés,  dist  elle^  je  vous  baille 
»Ce  miroir;  etsaciés  sans  faille 
»  Que  ceste  qui  n'est  pas  îrée 
»Si  est  jà  par  trois  ans  mirée; 
»Si  l'en  devès  plus  chier  tenir.» 

—  Dont  U  di.  »  Diex  vous  puist  bénir, 


DE  J£AN  FROISSART.  263 

«  Car  moult  yalés  et  moult  vous  pris  !  » 

Le  miréoir  liement  pris  ; 
Si  le  boutai  dçdens  mon  sain, 
Près  dou  coer  que  j'en  tinc  plus  sain. 
Ne  l'euisse  rendu  arrière 
Pour  le  royalme  de  Baiviere. 

De  la  damoiselle  parti 
Lies  etjoious,  je  le  tous  di. 
Et  puis  ordonnnai  ma  besongfne 
De  très  tout  ee  qu'il  me  besong'ne, 
Dou  pays  parti  quant  fu  tamps, 
D'amours  le  droit  arroi  sentans. 
Et  poorce  qu'un  petit  vi  1  ombre 
De  la  belle  dont  je  &i  nombre, 
Ordonnai  au  département, 
Amours  m'en  donna  hardement, 
Un  virelay  gai  et  joli 
Que  je  fis  pour  l'amour  de  li. 

Virelay, 

Au  départir  de  vous,  ma  dame, 
Le  coer  ne  scet  se  le  cors  part, 
CSar  fous  jours  tire  à  vous,  par  m'ame  ! 
Par  le  garant  désir  qui  m'enflame 
Pour  vostre  amour,  bruist  et  art. 

Mes  je  vous  lais,  nia  dame  chiere*, 
Tenés  ma  foi,  m'amour  entière 

Sans  départir; 
Or  le  prendos  à  lie  chîcre, 


266  POÉSIES 

Car  vous  en  estes  droisturîere 
Dou  pourvéir. 

Mon  corps  se  part,  le  coer  se  pasme;- 
Car  vo  vair  oeil  qui  son  droit  dart 
L'ont  si  attaint  que,  sans  la  flame 
Qui  nuit  et  jour  Vart  et  enflame) 
N'aurai  séjour  tempre  ne  tart 
Au  départir 

Dou  virelay  lors  plus  ne  fis  ; 
Dont  je  croi  que  je  me  meiis, 
Car  encor  y  deuïst  avoir 
Dou  mains  un  ver,  au  dire  voir. 
Mes  quant  acompagnié  on  est 
Avec  les  g^ens,  tel  fois  il  n'est 
Aucun  parler  ou  aucun  compte 
Dont  il  convient  c'en  face  conte  ^ 
Et  que  son  penser  on  delaîe.. 
Ce  me  fist  faire  la  délaie 
Dou  virelay  que  n'en  fis  plus; 
Car  ne  voloie  là  que  nuls 
Sceuist  que  je  fuisse  en  penser^ 
Car  donné  euisse  à  penser 
A  ceuls  qui  tout  à  paix  estoient 
Et  qui  avec  moi  s  esbatoient. 

Nous  chevauçames  tant  adont 
Le  jour  premier  et  le  secont, 
Et  ceuls  qui  nous  embesongnierent, 
Qu  onques  eheval  ne  ressongnierent» 
Que  nous  venins  à  une  ville 


De  JEAN  FROISSART.  267 

Ou  d'à  volés  a  plus  de  mille, 
Et  illbec  nous  inesins  en  mer 
En  Yolenté  d'oultre  rimer, 
En  une  nef  grant,  gfente  et  fors. 
Mes  ançois  que  je  fuisse  fors, 
Oc  vers  ma  dame  maint  souspir 
Maint  pensement  et  maint  espir 
Qui  me  fisent  lie  et  courtois. 
Et  là  ordonnai  jusqu'à  trois 
Rondelès^  en  otele  fourme 

Qu  Amour  en  moi  aidant-m*enfourme. 

• 

RondeL 

Dou  corps  qui  sans  coer  n*a  vie. 
Douce  amie ,  en  celle  nef 
Souvienne  vous,  je  vous  prie 
Dou  corps  etc. 
Car  soit  à  mort  soit  à  vie 
Je  vous  en  laisse  la  clef 
Dou  corps  etc. 

Depuis  n'ai  glaires  attendu 
Que  j'ai  au  second  entendu; 
Et  le  fis  par  manière  tele 
Que  là  faisons,  qui  moult  ert  bêle. 
Le  requeroit  tant  qu'à  ceste  heure 
Car  qui  nagfe  en  mer  il  labeure. 

RondeL 

Diex  doinst  que  brief  vous  revoie, 
Ma  droite  dame^  en  bonnour 


'268  POËSIES 

Car  je  mair  pour  vostre  amour, 
Et  en  quel  part  que  je  voie 
Diex  doinst  etc. 

Depuis  nagames  une  espasse; . 
Et  ensi  qu'une  Vfoge  passe 
Par  la  force  dou  vent  divers^ 
No  nef  fist  tourner  à  revers. 
Les  mariniers  crièrent  lors, 
Car  li  aiguë  entroit  ens  es  bors. 
Le  single  abati-on  aval. 
Moult  y  valirent  li  cheval 
Qui  estoient  ou  bas  estage, 
Car  il  nous  fisent  avantage; 
Entre  les  ondes  et  le  vent 
Valent  au  marinier  souvent. 
Bien  me  souvient  de  l'aventure, 
Mes  qu  onques  j'en  fesisse  cure, 
Ne  qu'as  cordes  la  main  mesisse, 
Ne  de  riens  m'en  entremeslsse, 
Ensi  me  voeille  Diex  aidier  ! 
Quant  j'en  aurai  plus  grant  mcstier; 
Mes  à  mon  rondelet  pensoie 
Et  à  par  moi  le  recensoie; 
Lequel  je  fis  et  ordonnai 
Tout  ensi  que  puis  le  donnai 
A  ma  dame,  pour  quele  amour 
Je  sentoie  mainte  langour. 

BondeL 
On  doit  amer  et  prisier 


DE  JEAN  FROISSART.  269 

Joiouse  merancolic 
Qui  tient  la  pensée  lie 
Et  le  temps  fait  oublyer 
Sans  soussi  et  sans  envie; 
On  doit  amer  etc. 
Et  moult  souvent  souhedier 
Qu'on  soit  avec  son  amie 
Pour  maintenir  gaie  vie; 
>6n  doit  etc. 

Ce  ronflel  recordai-je  assés. 
Entrées  fu  le  lait  temps  passés. 
Dieumercil  à  bon  port  yenimes 
Par  vent)  par  sing^les  et  par  rimes, 
Et  arrivans  en  une  terre 
Qui  plus  het  la  paix  que  la  guerre. 
En  ce  pays  n'i  venoit  nuls 
Qui  ne  fust  le  très  bien  venus, 
Car  c'est  terre  de  grant  déduit; 
Et  les. gens  y  sont  si  bien  duit 
Que  tout-dis  voelent  en  joie  esfre. 
Dou  temps  que  je  fui  en  leur  esfre 
11  m'i  plot  assez  grandement, 
Je  vous  dirai  raison  comment  : 
Avec  les  seigneurs  et  les  dames 
Les  damoiselles  et  les  famés 
M'esbatoie  très  volontiers; 
De  ce  n'estoie  pas  ratiers; 
Et  aussi  saciés  qu'à  ma  dame 
Pensoîe  si  souvent, par  marne! 


270  POÉSIES 

Que  je  n'avoie  nul  séjour* 
De  me  mettoit  et  nuit  et  jour 
Une  heure  en  joie,  et  Tautre  non. 
De  moi  tenoie  près  le  don 
Que  m'ot  donné  la  damoi  selle 
Au  partir,  dieu  merci  à  elle! 
Car  moult  me  plaisoit  à  véoir; 
Cestoit  le  plaisant  miréoir. 
Ce  me  donnoit  joie  et  confort, 
Et  pensement  aussi  moult  fort; 
Car  quant  ou  miréoir  niiroie 
Sus  ma  dame  pas  nem*iroie, 
Ançois  disoie:  «  En  ceste  glace 
»  Se  miroit  ceste  qui  me  lace 
»  Le  coer,  et  tient  sougit  sous  soi« 
»  Las!  son  doue  vis  plus  ne  persoi. 
»  Pluisours  fois  s'est  y  ci  mirés; 
v  Mes  de  ce  sui-je  moult  yrés 
»  Que  je  ne  le  puis  percevoir. 
»  De  tout  ce  ensi  es-ce  voir 
»  Par  fig^ure,  pour  vérité, 
»  Qu'un  ombre  qui  vient  sus  clarté 
»  Ci  est  lumière,  et  puis  vient  ombre 
))  Qui  le  temps  fait  obscur  et  sombre. 
»  Las!  pourquoi  de  ma  dame  chiere 
»  Quant  je  reg^arde  la  manière 
»  Dou  miréoir^  n*ai  le  regart 
»  De  la  façon.  Se  Diex  me  garil 
»  Je  vodroie  qu'il  peuist  estre 
»  Que  je  ressamblasse  le  mestre 


BEJEANTROrSSAIlT.  271 

>'Qui  fist  le  miréoir  à  Homme 
y>  Dont  estoïent  véu  li  homme 
»  Qui  cbevauçoïent  environ. 
»  Se  le  sens  avoie  ossi  bon 
»  Que  cils  que  le  miréoir  fîst 
»  En  eesti  ci,  par  Jbesu-Crist! 
»  En  quelconques  lieu  que  g'iroie 
»  Ma  dame  apertement  veroie.  » 

Ensi  devisoie  à  par  mi. 
Dont  pluisours  fois,  par  saint  Rémi! 
Prendoie  eu  parlant  tel  plaisance 
Qu'il  m'esloit  avis,  par  sâmblance^ 
Que  je  véoie,  au  dire  voir, 
Ma  dame  eus  ou  mien  miréoir. 
Tamainte  consolation 
Me  fîstTimagfination 
Bou  miréoir  et  de  la  gflace 
Où  ma  dame  ot  miré  sa  face, 
£t  le  tenoïe  moult  proçain 
Tant  de  mon  coer  que  de  mon  sain 
Jamais  je  n'en  fuisse  senoec, 
Que  tout  dis  ne  Teuisse  avoec 
Moi,  en  quel  part  que  j*estoie; 
Car  au  regfarder  m'esbatoie; 
C  estoit  mon  bien  et  mon  délit. 
De  quoi  il  avint  qu'en  mon  lit 
J'estoic  en  une  nuit  conchiés, 
Des  pensers  d'amours  atouchiés; 
5ous  mon  orillier  je  Toc  mis. 
En  pensant  à  ce  m  endormis. 


272  POÉSIES 

Dont  vis  me  fu,  en  mon  dormant, 

Qu'en  une  chambre  bien  parant, 

Bien  aournée  et  bien  vestue 

De  tapisserie  batue, 

Tous  seules  illoec  m'esbatoie; 

Etensi  qu'en  la  chambre  estoie, 

Geste  par  vinc  et  ens  regarde  > 

De  mon  miréoir  me  prenc  gïirde. 

Que  g'i  voi  Timpression  pure 

De  ma  dame  et  de  sa  figfUre 

Qui  se  miroit  au  miréoir. 

Et  tenoit  d*ivoire  un  treçoir, 

Dont  ses  chevelès  demi  Ions 

Partissoit,  quelle  ot  beaus  etblons. 

J'en  fui  esmervilliés  forment; 

Je  ne  rosisse  estre  aultre  part. 

Adont  dou  miréoir  me  part, 

Car  d'encoste  moi  le  cuidoie. 

Qui  bien  aime,  c'est  drois  qu'il  doie 

Regarder  à  ce  qu'il  désire; 

Je  n'oc  ne  maltalent  ne  ire; 

Âinsdi  ma  dame:  «  Où  estes  vous 

»  Pardonnes  moi,  fins  coerstrèsdouls 

»  Ce  que  sus  vous  suis  embatus.» 

Lors  le  cuidai  véoir ,  sans  plus 

Dire  à  li  lors  ne  mos  ne  vers; 

Mes  il  m'en  fu  tout  au  revers, 

Car  en  fourme  ne  le  vi  pas. 

Si  f  is-je  en  la  chambre  maint  pas 

Et  le  quis  à  bon  escient 


DE  JEAN  FROÎSSART.  273 

Par  tout,  mes  ne  le  \i  noient. 
Puis  m* en  revins  au  miréoir 
£f  encores  l'alai  «'éoir^ 
Lors  di:  «  Veci  chose  faée! 
D  Certes,  dame,  forment  m  agrée 
»  <}uant  pîner  toos  voi  vo3  eheviaus^, 
i>  Se  vous  jués  aux  reponnimus 
»  Faites  au  mains  que  je  vous  troere^ 
h  En  nom  d'Amour  je  le  vevs  roeve.  » 
A  dont  les  fenestres  onvri 
£t  tous  les  tapis  descouvri 
Pour  savoir  s  elle  s*i  mettoit»  ^ 

Mes  vraiement  pas  là  n'esteil. 
Nom-pourM{uaiit  ens  eu  miréoir 
Le  pooie  pooi*  voir  véoir« 
Là  disoieen  moi:  «  Cest  frntomme 
»  Non  est;  car  jà  avint  à  Bomme 
»  De  deux  amans  luerre  pareille^ 
V  Tele  sin'est  pas  garant  merveille 
»  De  ces  te  ci,  quant  bien  mavîse^ 
»  Ensi  qu'Ovides  le  devise. 

»  Il  y  et  jadis  dedens  Somme 
»  Le  fil  d^un  sag-e  et  d'un  noble  liomme; 
M  Cils  estoit  Papirus  nommés. 
»  £n  pluisours  lieus  est  renommés , 
»  Car  le  sens  de  li  moult  vali. 
)>  A  dame  amer  pas  ne  falli; 
»  Aussi  fu  bien  amés  de  celle. 
»  Ydorée  ot  nom  la  p  ocelle. 
^  De  Papirus  et  d 'Ydorée 
raoïss^RT.  T.  XVI*  Ift 


274  POÉSIES 

»  Estristore  très  bien  dorée, 
»  Car  si  lojralinent  s^entraraerent 
))  Qa'onques  loyauté  n'entamèrent. 
»  Âins  furent  leur  coer  tout  uni. 
»  Avint  de  Papirus  ensi 
w  Que  li  Rommain  si  Teslisirent 
»  Pour  un  garant  besoing[,  et  li  dirent: 
»  Papirus,  il  t'en  fault  aler 
»  Au  roy  de  Cecille  parler. 
»  Li  chemins  y  est  g;rans  et  Ions. 
»  Pour  ce  envoyer  ti  volons 
»  Qu'on  te  tient  à  Romme  à  moult  sag^e 
»  Et  que  bien  feras  le  message.» 
»  —  Papirus  n'osa  dou  non  dire. 
»  Mes  son  coer  fu  moult  remplis  d'ire; 
»  Et  quant  ce  di$t  à  Ydorée, 
»  Si  en  fu  forment  esplorée, 
»  Et  dist  :  <i  Papirus,  amis  douls , 
»  De  moi  dont  vous  partirés  vous? 
»  J'en  ai  au  coer  si  g'rant  effroy; 
»  Jamais  ne  me  verés,  ce  croi.  »  . 
»  —  Et  Papirus,  qui  garant  sens  ot, 
}>  Dist  ensi  quant  Ydorée  ot: 
»  Belle,  il  fault  que  tout  ce  se  face, 
»  Mes  tous  jours  me  verés  en  face 
»  Et  je  vous;  or  vous  confortés 
»  Et  de  tous  doels  vo  coer  ostés, 
»  Car  je  serai  lors  revenus.» 
»  —  Deus  miréoirs  fist  Papirus, 
»  Je.ne  sçai  pas  sus  que  le  eng^lume, 


DR  JEAN  FROISSART;  275 

Mes  il  furent  tout  d'un  volume 

Et  fait  par  tel  nigromaneie 

Que  ce  fu  trop  belle  mestrie, 

Car  quant  il  venoit  en  ag-rée 

Que  eus  se  miroit  Ydorée, 

Elle  y  véoit  son  ami  obier, 

Papirus,  pour  11  solacier*, 

Et  Papiras  otretant  bien 

Yéoit  Ydorée  ens  ou  sien. 

Tel  durèrent  au  dire  voir 
»  Le  Toiag^e  li  doi  miroir, 
tt  Encores  en  voit-oii  l'exemple 
»  A  Aomme,  de  Minerve  ou  temple. 

»  Dont  se  lorspooie  véoir^ 
))  Ma  dame,  ens  oumien  miréoir, 
))  Croire  le  doi  et  forment  plaire , 
»  Car  j'ai  figfure  et  exemplaire 
))  Qui  est  toute  chose  certainne  ; 
»  Aussi,  dame  très  souverainne, 
))  Quant  je  vous  voi  forment  m'agrée, 
»  Car  c'est  chose  trop  plus  faée 
»  Que  dou  miréoir  Papirus  \ 
))  Car  je  vous  voi  et  sus  et  jus 
))  Tout  parmi  ceste  ciiambre  aler. 
»  Au  mains  que  vous  daigniés  parler, 
»  Et  un  petit  ouvrir  vo  bquche, 
»  Je  n'ai  main  qui  sus  vous  atouche 
»  Ne  qui  y  puissent  atouchier. 
»  Parlés,  car  je  me  voeil  couchier 
»  Droit  ci,  dalèsmon  miréoir, 

18* 


276  POtfilES 

Et  To  contenance  Téoir; 
»  Car  mieulz  ne  puis  manoir  ne  estre . 

Lors  m'assis  dalès  la  fenestre 
Et  m^apoie  dessus  ma  conte, 
Main  à  m'asselie,  et  si  esconte, 
Et  entenc  la  vois  de  ma  dame. 
Ne  m'osai  remuer,  par  m*ame  ; 
Car  espoir,  se  remués  fuisse, 
Trop  gprant  plaisir  perdu  euisse. 
Ains  me  tinc  quoi  et  reg;ardai 
Ou  miréoir  que  bien  g^ardai. 
La  figfure  vi  qui  me  touche 
Q*un  petit  entrouvri  la  bouche 
Dont  dessus  moi  la  vois  oy 
Qui  grandement  mé  resjoy. 
Le  confort  de  la  dame 
Se  pour  moi  es  trîirtes  et  angoissons 
Mas,esplorés9et  eti  coer  dolereus, 
Et  de  complains  dire  et  faire  songnens , 
Très  dous  amis,  certes >  tu  n'es  pas  seuls. 
Car  montas  coer  porres  et  languereus 
Est  envers  toi  fins  ,t  vrèset  amoureus. 
Ne  il  ne  poet  nuit  et  jour  estre  wtsens 

Qu*adies  ne  pense 
Comment  te  soit  en  toute  bonnour  piteus; 
Ne  te  vodroit  point  estre  despiteus. 
Car  lyésest  d'Amours,  d'ossîdrois  neus 
Que  pour  Tristran  en  /u  la  belle  Tseus 
Et  Genevre  pour  Lanscelot  le  preus. 
Et  tout  aultre  non  pas  seul  de  ces  deus. 


j 


DE  JEAN  FROISSART.  277 

Mes  pour  les  fauls  inesdisans  liayneui 
Fault  abstinence, 

Car  leur  parler,  leur  oeuvre  et  leur  loquense 

Est  si  plainne  de  toute  violense 

Qu'on  doit  cremir  d'estre  en  tour  audiense; 

Et  se  poar  toi  est  gfrans  la  differense 

Mon  coer  en  a  ossi  dure  sentensce, 

Car  bonne  amour  Tatise  et  liine  et  tensce 

Qui  ne  le  lait,  homme,  jour  ne  dimensee 

De  dire  ensi. 
A  ton  servant  grasce  un  petit  dispense, 
Parquoi  sus  toi  nullement  ne  m*espense 
Car  mal  payés  se  tient  en  consciensce 
De  ce  qu'à  li  fais  si  longe  silen&ce. 
Ensi  Amours  nuit  et  jour  me  recense  ; 
Je  me  tienc  bien  contente  dé  la  censé, 
Et  te  suppli  en  nom  d'obediemce 

Soies  ossi 
Tels  envers  moi  com  je  sui  envers  ti, 
El  que  no  coer  soient  vrai  et  uni, 
Car  je  te  tienc  pour  mon  très  doulc  ami, 
Loyal,  secré,  diseré,  humle  et  joli  ; 
Ne  onques  mes  tant  ne  t'en  desoouvri. 
Avise  toi  sus  ce  que  je  te  di 
Et  à  oultrag^e  ne  le  tient,  je  t'en  pri. 

Se  plus  avant 
Que  n'as  eu  je  te  présente  ci , 
Car  se  de  œ  t  avoîe  enorglUi, 


278  POÉSIES 

Morte  m'auroîes,  je  le  te  eertefi-. 
Mes  en  ton  bien  telement  je  m'afS 
Qae  quant  gi  pense  assés  m'en  g^lorefi. 
La  loyauté  de  toi  m'a  enhardi 
De  toi  donner  confort,  g^rasce  et  l*otri 
De  ton  demant. 

Voires  mes,  c'est  par  un  tel  convenant 

Que,  se  ton  bien  aloit  amenrissant, 

Et  Yoloies  user  de  fauls  samblant, 

Morte  m'auroies  pis  que  dou  dart  trenrant 

Dont  Action  occist  sa  dame^  quant 

Elle  Taloit  parmi  le  bois  quérant; 

Car  de  bon  coer  la  belle  Tamoit  tant, 

Qu  en  un  buisson 
Repuse  estoit,  pour  véoir  en  passant 
Action  qui  les  dains  aloit  chaçant, 
Car  elle  en  ert  en  jalousie  garant. 
Cilz  trait  son  cop  après  un  dain  alant. 
Ceste  feri  par  meschief  igfnorant 
Et  le  navra  dou  cop.  L^  belle  errant 
Piteusement  li  dist  en  escriant 

«Ha!  Action, 

»  Le  dain  s*enfuist>  morte  mas  sans  raison  n 

Li  damoiseaus  entendi  bien  le  son  ; 

Son  arc  mist  jus;  au  tret  vint  dou  bougfon. 

Celle  acola  qui  pale  ot  la  façon. 

Car  de  la  mort  n'i  avoit  garison. 

Et  quant  il  vit  que  par  tele  occoison 

Morte  l'avoit,  si  en  ot  gprant  friçon. 


DE  JEAN  FROÎSSAUT.  279 

Je  le  raporte 
A  celle  fin,  entent  bien  ma  leçon, 
Qu'entrer  ne  voeil  de  toi  en  souspeçon , 
Car  je  t'aim  plus  que  Hero  Léandon, 
Ne  Medée  n'ama  le  preu  Jason. 
Mon  coer,  m^amour  te  donne  en  abandon. 
Or  en  use  sans  nulle  desraison . 
Aies  tout  dis  loyal  entention 

Et  te  conforte 

A  loyauté  maintenir  te  déporte; 

Je  ne  te  voeil  estre  enfrune  ne  torte  ;  ^ 

Mes  justement  de  mou  bon  coer  t'enorte 

Que  je  voeil  que  no  coer  tout  d'une  sorte 

Soient,  et  se  nuls  nul  mal  nous  raporte, 

Jà  n'entera  jalousie  en  no  porte. 

De  ce  serai  vraie  ententieve  et  forte, 

Je  le  te  jure. 
Mes  je  te  pri  qu'un  petit  tesusporte 
Pour  mesdisans  que  maie  mort  en  porte. 
De  ce  que  vois  riens  ne  te  desconforte 
Seg^urement  sus  ce  que  di  endorte, 
Un  temps  vendra  qu'encor  diras  :  <(  Ressorte 
)>  Joie  en  nos  coers  qui  ores  se  transporte. 
))  A  tout  le  bien  que  tu  poes  te  ramorte 
))  Et  t'assegureî 

»  Ensi  que  di,  je  te  serai  segnre, 
»  Et  se  je  f  ai  esté  un  peu  plus  dure  « 

»  Que  np  vodrois,  de  tout  ce  ne  fai  cure, 
»  Car  la  piteuse  vie  maint  en  robscui*e. 


\ 

280  POÉSIES 

))  D  or-en-avant- te  serai  douce  et  pure 
»  Et  osterai  de  ton  las  coer  Fardure. 
»  Je  voeil  sentir  teut  ce  que  tu  endure 

}f  Es-ce  or  assés  ? 
»  Figuré  m'as  au  lorier  par  figure 
»  Et  à  Dane  qui  tant  fu  dure  et  sure 
»  Contre  Phebus,  ce  dist  ii  escripture 
»  Qu'onques  amer  ne  le  volt  par  droiture; 
»)  Muée  enfu  de  Dyane  en  vredure, 
»  Ce  f u  pour  Bane  une  gries  aventure. 
»  Certes,  amis,  au  lorier  me  figure 

»  A  tous  bons  grés 
»  Car  le  lorier  est  uns  arbres  loés 
ïi  Vers  en  tons  temps  prisiés  et  honnourés. 
n  Onques  ne  fu  ne  enfrains  ne  mués. 
»  Ensi  sera  ferme  en  moi  lofantes. 
»Ne  changerai  soies  asségurés; 
»  Mes  je  te  pri,  ear  tu  es  moult  discrés^ 
%Obéissans,  humles  vrès  et  secrés 

»Que  bellement 
))Soit  li  estas  amonrous  gouvrenés; 
»  Car  je  te  jur,  et  s'est  ma  volentés 
»Que  sedeus  ans,  trois  ou  einc,  la  prendés 
)iEt  l'aportast  ensi  nécessités 
»Tu  avoies  à  Tensus  de  moi  mes 
s  Se  serois  f  u  tous  jours  en  moi  entés 
»  Et  en  mon  coer  escris  et  figurés. 

»  V^ci  comment: 
»Ën  ton  maintien,  en  ton  gouvrenemeut  > 
»Eii  Ion  parler,  en  ton  contenoment,. 


DE  JEAN  FBOISSART.  281 

))  En  ton  regard  ^mi  d'atemprement 
»  Prenroie  nuit  et  jour  esbatement. 
))Et  s'eslong^ié  m'avoies  un  gramment, 
))  Si  me  seroit  tous  jours  tout  ce  présent. 
»  Par  un  très  doulc  souvenir  seulem^it 

«Qui  m'est  propisce. 
»  A  ceste  amour  dont  je  t'aim  ardamment, 
»  Mes  je  te  pri,  et  pour  plus  longuement 
»No  vie  avoir  joie  et  deporteijnent 
»  Voeillés  user  de  tout  ce  bellement. 
))  Pour  mieulz  sallir  on  s*arreste  souvent^ 
))  En  trop  haster  n'a  nul  avancement; 
»Qui  souffrir  poet,  il  vient  à  ce  qu'il  tent. 
»Se  je  peuisse, 
»Dou  temps  passé  eslecié  t'euisse 
)}  Et  puis  qu'Amours  voelt  que  de  mon  coer  isse 
»  Confort  pour  toi,  et  e'un  peu  te  g^arisse 
))Ce  n  est  pas  drois  que  je  te  reiiquierisse. 
»M'amour  te  donne;  il  n'i  fault  nui  permisse 
»  Salve  m'onnour  \  là  tient  le  prejudisce 
i>Si  mieuls  peuisse  &ire  je  le  fesisse 

De  coer  entier. 
))0r  te  requier  qu'à  présent  te  souffisse 
»  S'ensus  de  moi, amis,  je  te  vôisse^ 
»  Pour  ton  proufit  liement  fesczisisse , 
»  Et  à  savoir  par  lettres  te  fesisse 
»  Comment  mon  coer  voelt  que  te  resjoïsse 
»Et  que  jamais  nostre  amour  ne  finisse^ 
»  Mes  on  en  voie  lardeur  et  l'edefisse 
»  Mouteplycr. 


28Î  POÉSIES^ 

»  Je  ne  dbi  pas  haïr  ce  qui  m'a  chîery 
)i  Ne  ce  fuir  qui  me  doit  apprécier 
»  Quant  je  ni  voi  quonnour  sans  reprocier 
»  Et  loyauté  sans  mentir  ne  trechier. 
))  Par  pluisours  fois  t  ai  pou  assayer 
»  Par  refuser  sans  toi  riens  octroyer, 
»  Par  toi  monstrer  samblant  cruel  et  fier 

»  Plain  de  rigfour 
»Dont  pluisours  fois  t'ai  véu  fretillier, 
»  Trembler,  frémir,  sanc  muer  et  chantier. 
»  Onques  trop  dur  ne  furent  mi  dangpier; 

■ 

»  Je  t'ai  véu  tout  dis  humilyer 
»  Et  bellement  pryer  et  supplyer: 
»Dont  vraiement,  je  Ibse  bien  jug^ier. 
»  Assés  ie  doit  ta  loyauté  aidier. 

)>0r  tien  m'amourf 
»  Je  le  t'acordc)  amis,  en  toute  honnour  f 
»Mès  aultremeât  n'en  prias  onques  jour 
»  Car  g-arnis  es  de  sens  et  de  valeur, 
»  De  cog'nissance  et  de  g'entil  atonr, 
»Que  ne  vodrois  pour' riens  ma  déshonneur. 
»Ce  bon  renom  te  portent  li  pluîsour  ; 
)>  Geste  vertu  a  en  toi  g^rand  vigour 

»  Et  bien  m'ag'rée 
»  Quant  j'ai  mon  coer  enté  en  un  séjour. 
»Et  si  me  Toi  amée  dou  millour 
)>  Que  véisse  ains;  pour  ce  t'aim  et  aour. 
»  Et  pour  ester  de  ton  lasooer  Tardour^ 
))  Je  te  requier  en  joie  et  en  douceur 
))Que  tout  espoir  te  soient  de  faveur. 


DE  JEAN  FR91SSART.  283 

»  N'est  nulïe  rieas  qui  ne  viegnc  à  son  tour. 

)}  Se  ta  pensée 
»  Est  en  amours  mise  et  enracinée 
»11  ne  sera  ne  soir  nelnatinée 
>^Que  ne  te  soit  toute  joie  ajournéa 
»Onques  ne  fu  t'amour  en  riens  fraudée^ 
»  Mes  je  fous  jours  bel  servie  et  loée, 
»  Cremue  en  foi ,  prisie  et  honnourée. 
»0r  t'en  sera  Tueyre  giierk*edonnée 

»  Sans  nul  delajr-, 
»  Ne  me  veras  de  ce  pourpos  nouée 
»  Pour  parolle  de  créature  née, 
))Pour  fortune  qui  maVest  avisée; 
»  Car  en  ton  bien  telement  il  m'agi*ée 
»  Que  chose  que  je  voie  riens  ne  n»*effrée^ 
»Car  en  la  vie  amourouse  et  discrée  ^ 
y^ki  mis  mon  coer  et  toute  ma  pensée, 
)>Sacesde  vrai. 
)}  Conforte  toi  en  ce  que  te  dirai. 
»  Secrètement  tous  les  jours  amé  t'ai, 
»  Mes  onques  mes  de  ce  ne  f  e  parlai. 
»D  or-en-avant  je  le  te  monsterai; 
3)  Et  croi  ensi  que  je  le  te  dirai. 
))Si  tretos  comme  je  parler  t'orai; 
»  Car  je  t^ai  mis  en  tamaint  grant  assai 

»  Par  mainte  fois; 
»Mè5  onques  jour,  certes,  ne  te  trouvai 
»Fors  très  loyal.  La  vois  t'en  porterai 
»  Et  le  renom  quel  part  que  je  serai. 
»  Tu  te  dois  bien  donques  ester  d'esiiiai , 


2U  POÉSIES 

»  Gar  onques  coer  fors  que  le  tien  n'amai^ 
»Ne  à  nul  jour  jamais  je  n'aïuerai. 
»Trestoiit  ensî  en  mon  coer  escrîpt  Vay 

»Gom  lu  letlib. 
»Soit  à  la  ville,  aux  champs»  aux  prés,  aux  bois, 
»En  dis,  en  fab,  en  parlers  et  en  vois 
>  Seras  de  moi  nommés  li  très  courtois 
»  Pour  qui  mon  coer  est  tristes  et  destrois, 
»  Quant  plus  souvent  ne  te  vob^  et  c'est  drois^ 
»Et  tout  ensi  m'aye  Sains  Elob 

»Quejejurrai 
»  Dessus  les  sains  sacrés  et  benéois^ 
»  Se  mesdisant  ne  tendoient  leurs  rois 
»De  quoi  il  font  aux  amans  tant  d'anois, 
»  Pour  un  confort  je  t'en  donroie  trois; 
»  Mes  je  te  pri  qu'en  bon  gré  tout  reçois, 
»Car  en  un  jour  avient  bien,  or  m*en  crois, 
»  Qu'il  n*avenra  souvent  en  trente  mois. 

»  Or  ne  t'esmai.  » 

Lors  se  tint  la  vois  quoie  el  mue, 
Et  la  figure  se  transmue. 
Ou  miréoirplus  ne  le  vi, 
Car  son  propos  ot  assouvi. 
Dont  me  sambloit  que  je  disoie 
Et  dementroes  que  là  gisoie: 
»  Veci  merveilles  el  fantomme.  » 
En  ce  penser  perdi  mon  somme. 
Et  lorsque  je  fui  esvilliés, 
Grandement  fui  esmervilliés. 


DE  JEAN  FROISSART.  2B5 

Nom-ponr^qnant  à  mon  oriIli«r 
M  alai  erramment  conseillier 
A  savoir  se  gi  trouveroie 
Mon  miréoir,  ne  li  Teroie. 
Oïl  voir!  droit  là  le  trouvai, 
Où  je  Toc  mis;  lors  le  levai, 
Et  le  baisai  moult  doucement. 
Puis  pensai  en  mot  long^ment. 
Que  j*avoie  véu  madame 
Et  oy  parler  :  mes,  par  m'ame  ! 
Ge  n'estoit  que  dérision 
De  toute  mon  avision 
Et  qu'elle  me  feroit  à  dur 
Pour  mon  confort  si  garant  éar. 
Croi  fermement  que  le  contraire 
Oras  tu  temprement  retraire. 
Je  ne  sui  pas  tous  seuls  au  monde. 
Selonc  ce  que  j*aide  faconde 
A  qui  le  donlc  dieu  de  dormir^ 
Morpfaéus,  que  si  bon  remir 
A  en  dormant  fait  gprasce  vainne, 
Geste  ci  m*est  assés  lointainne; 
Mes  toutes  fois,  soit  feble  ou voir^ 
Je  li  en  doi  grant  gvé  savoir. 
Quant  en  dormant  m*a  monstre  celle 
Pour  qui  Famourouse  eslinoelle 
^Senc,  et  parquoi  que  peu  redoubte 
Mis  ma  en  paix  et  en  gisant  double. 
Je  vodraî  retourner  en  brîef 
Que  ma  dame  n*ait  aucun  grief; 


2B6  TOÉSIBS 

Se  saurai  comment  il  li  est^ 
Je  croi  que  fortune  jne  pesi 
D'aucune  douce  mélodie 
Qui  me  tourra  à  maladie  ^ 
Car,  se  la  belle  mx  corps  vaillant 
Pour  qui  je  me -vois  travillant 
Trouvoie  mariée  ou  morte. 
C'est  le  point  qui  me  desconforte, 
Par  le  digne  corps  Jhesa  Crisl 
Mon  testament  seroit  escrips; 
Je  vodroie  morir  sans  faulte. 
N'ai  pensée  basse  ne  haulte^ 
Fors  à  ma  dame  que  tant  ains. 
Dont  joindi  humblement  les  mains 
Yers  le  ciel  et  fis  ma  proyere 
Que  ma  très  douce  dkme  chiere 
PiCuisse  à  santé  revéoir. 
Âdont  baisai  mon  miréoir 
Tout  pour  ma  dame  et  pour  s'amour 
A  qui  Diex  doinst  joie  et  honnour! 
Et  laissai  mon  penser  ester. 
Je  ne  m'i  vole  plur  arrester, 
^t  pris  en  bon  confort  le  lamps. 
Dieu  merci  je  fui  plus  sentans 
Finalment  de  bien  que  de  mal. 
Peu  de  chose  en  «spécial 
Beconforfe  le  coer  d'amant 
A  toute  joie  me  ramant 
Mon  songe,  et  bien  y  a  raison. 
Adont  m  anoia  la  sabon 


DE  JEAN  FReiSSART.  ^87 

Pour  ce  que  là  tant  sejournoie) 

Et  qu'eus  ou  lieu  ne  re  tournoie 

Où  j'avoie  layé  ma  dame 

Pour  qui  j'ai  fait  tamaint  esclame, 

Et  sui  encor  près  dou  sentir 

Sans  moi  de  noient  alentir. 

Slès  ou  lieu  et  ens  ou  pays 

Où  je  n  estoie  pas  liays 

Avoie  lors  tant  d'esbanoi 

Que  ce  me  brisoit  mon  anoi. 

Nom-pour-quant,  quant  bien  m'avisoie 

Et  à  ma  dame  je  visoie^ 

Moult  bien  ailleurs  estre  vosisse. 

Lors  dis  en  moi:  a  II  fault  que  g['isse 

»De  ce  pays,  trop  y  demeure; 

»  R'aler  m'en  voeil  ;  il  en  est  heure 

»  Et  c'en  voie  que  ci  m^anoie. 

»  C'est  bon  qu'un  petit  m'esbanoie 

»  A  faire  un  virelay  tout  ample 

»Ensi  que  j'en  ai  bien  l'example.  » 

Virelay. 

Moult  m'est  tart  que  je  revoie 
La  très  douce  simple  et  quoie 

Que  j'aim  loyalment 
Et  pour  qui  certainnement 

Ce  séjour  m'anoie. 

Lonc  temps  a  que  ne  le  vi 
Ne  que  parler  n'en  oy 


288  POÉSIES 

S'en  tîc  en  trîstonr, 
Car,  en  son  maintien  joli 
Et  ou  plaisant  corps  die  li 

Garni  de  Talour 
Tous  esbatemens  preudroi  ; 
Et  par  enst  je  vivoie 

Très  joieusement , 
Or  me  fault  souffrir  tourment 

Ens  ou  lieu  de  joie. 
Moult  m'est  fart,  etc. 

Amours,  dittes  li  ensi  : 
Qu'oncques  amans  ne  souffri 

Si  forte  labour 
Que  j'ai  souffert  pour  li  ci 
Et  souffreraî  autressi 

Jusqu'à  mon  retour  ,* 
C'est  raisons  quelle  m'en  croie 
Car,  quelque  part  que  je  voie 

Tant  l'aim  ardamment, 

» 

Il  m'est  avis  vraiement  . 

Que  tout  dis  le  voie. 
Moult  m'est  tart  9  etc. 

Or  sont  grief  pi our  et  g-rief  cri, 
Reg'ret,  anoi  etsoussi^ 

En  moi  nuit  et  jour, 
Car  sus  l'espoir  de  merci 
De  li  au  partir  parti 

Et  par  bonne  amour  \ 
Dont  s'a  li  parler  pooie, 


DE  JEAN  FROISSABT.  289 

Au  mains  je  U  mousieroie 

Ce  que  mon  coer  sent^ 
Mes  bien  voi,  tant  qu*en  présent 

Nuls  ne  ml  renvoie. 
Moult  m'est  tart,  etc. 

Lorsque  j\ii  fait  le  virelay 
A  ma  dame  baillié  je  Vai 
Qui  me  tenoit  en  ce  pays 
Dont  je  n  estoie  pas  hays. 
Elle  voit  bien  par  la  sentensee 
Que  mon  coer  ailleurs  tire  et  pense. 
Assez  bien  m'en  examina 
Et  de  moi  tant  adevina 
Que  fort  estoie  énamourés. 
Or  dist-elle  :  a  Vous  en  irés. 
))Si  aurés  temprement  nouvelles 
»  De  vo  dame  qui  seront  belles. 
))DW  en  avant  congfié  vous  donne: 
»  Mes  je  le  voe^l,  et  si  l'ordjonne, 
»  Qu  em^or  vous  revenés  vers  nous.  » 
Et  je  qui  estoie  en  genous 
Li  dis  :  <c  Madame,  ou  je  serai 
»  Vostre  commandement  forai.  » 
Et  là  à  mon  département 
Me  donna  dou  sieng^randement, 
Se  tant  vous  en  volés  savoir, 
Ghevaus  et  jeviaus  et  avoir 
Qui  puis  me  fisent  moult  de  bien. 
Je  m*en  revinc  ou  pays  mien 

FROISSAET.  T.  XYI.  19 


!290  POÉSIES 

En  bon  estât  et  en  bon  point. 

Dieu  merci  il  ne  falli  point. 

Et  lorsque  je  fuis  revenus, 

A  painnes  fui-je  descendus 

Quant  devers  celle  je  me  Irai 

Qui  de  nos  coers  sçavoit  Tatrai, 

Laquelle  moult  me  conjoï- 

Ma  venue  le  resjoy, 

Et  me  demanda, merci  soie, 

Comment  dou  corps  je  le  fesoie, 

Et  avoie  aussi  depuis  fait. 

<(  Certes,  di-je,  s'ai  maint  souhet 

»  Fait  au  lès,  deçà  puis  ce  di 

))Que  me  parti,  et  que  vous  vi. 

»  El  toutes  fois,  que  fait  madame? 

n  Moult  bien  ce  voeil-je  voir,  par,  m'ame  ! 

))  Car  en  li  est  ma  santé  toute. 

))S'ai  depuis  eu  mainte  double 

»  De  li  et  mainte  souspeçon, 

»  Je  vous  dirai  par  quel  façon. 

»  Je  m'estoie  couchiés  un  soir 

))  Dessous  mon  chief  le  mîréoir 

»  Que  me  donnastes  au  partir. 

))  Mes  en  dormant,  sans  point  mentir, 

))  En  un  tel  songe  me  ravi 

»  Que  ma  dame  proprement  vi; 

»  Et  liement  la  simple  et  douce 

»  Par  trop  beaus  parlers  de  sa  bouche 

))  Me  reconfortoit  doucement; 

»  Et  fui  assés  et  longuement 


DE  JEAN  FROISSART.  29 1 

»E]i  grant  joie  par  son  parler. 
»  Et  si  tos  que  l'en  vi  râler, 
))  Je  m^esvillai,  lors  tressalli  ! 
»  Car  la  vision  me  falli 
»  Après  la  joie  fui  en  painne. 
»  Nom-pour-quant,  en  celle  sepmainne 
»  Fis  un  virelay;  tout  nouvel. 
»  Veleci)  dont  ce  m  est  moult  bel.  » 
€e  respondi  la  damoiselle: 
» —  Ce  sera  chose  moult  nouvelle, 
y>  Dou  virelay^  je  li  dtmrai, 
»  El  croi  bien  que  je  li  dirai 
»  Une  response  pourvéue 
»  De  tout  bien  à  vo  revenue  j 
»  Car  depuis  vostre  départie 
))  Avons  eu  yceste  partie 
»  Parlé  de  vous  par  pluisours  fois 
»  Plus  que  ne  le  faisions  ançois 
»  Que  vous  vos  partistes  de  ci. 
»  Encor  pores  avoir  merci  ^ 
»  Pas  ne  vous  devés  esbaliir. 
»  Amours  ne  voelt  nuUui  trahir^ 
»  Serves  loyalment  sans  séjour 
»  Car  longe  debte  vient  à  jour.  » 
Le  temps  passoie;  ensi  avint. 
Des  jours  ne  demora  pas  vint 
Que  de  ma  dame  oy  nouvelle 
Qui  lors  me  fu  plaisans  et  belle; 
Car  elle  devoit  une  nuit 
Ëstre  en  esbatet  en  déduit 

Vf 


392  POESIES 

Ciés  une  sienne  Qr'dnde  amie. 
On  me  dist  «  Or  n'i  falés  mie» 
»  Et  s'on  poet  par  nulle  raison, 
M  Vous  cnterés  en  la  maison.  » 
Pas  ni  falli;  ançois  y  vins; 
Mes  par  dehors  Tostel  me  tins. 
N*osai  noient  toucliier  à  Tuis. 
Âins  reg^ardai  par  un  pertuis. 
£n  solas  et  en  esbanoi 
Avec  aultres  ma  dame  voi; 
D*un  bel  corset  estoit  parée, 
Lors  dansoit.  Hé  mi!  com  m^ag^rée 
Sa  manière  et  sa  contenance! 
A  garant  dur  fîs  là  ab&tenance, 
Et  toutes  fois  n'osai  emprendre 
D'entrer  pour  doubte  de  mesprendre; 
Car  il  se  fait  bon  abstenir 
De  chose  dont  mauls  poet  venir. 
En  cestenuit,  se  Diex  me  g^ard! 
Je  n*en  oc  el  que  le  regard 
Par  le  pertuis  d'une  fenestre. 
Di-je  en  moi:  a  Qui  te  fait  ci  eslre? 
»0n  se  truffe  moult  bien  de  toi. 
»  C'est  commencemens  de  chastoi. 
»  Jusques  au  jour  droit  ci  seroies, 
»  Aultres  .nouvelles  tu  n  oroies. 
»Mès  cuides-tu  qu'il  lur  souvieg^ne 
»  Que  ci  tu  es  et  qu'on  le  vienne 
nQuerre,  pour  là  dedens  entrerf 
»  On  y'scet  bien  sans  toi  ouvrer; 


DK  JEAN  FROISSiRT.  293 

))Encor  te  tien-je  pour  kokart 

»  Quant  tu  te  tiens  yci  si  tart. 

»  Va  toi  eouchier.  »  Lors  me  parti. 

Peu  de  repos  la  nuit  senti, 

Et  encores  mains  lendemnin, 

Car  on  me  dist:  «  Par  saint  Germain! 

)>0ù  avés  vous  anuit  esté  ? 

))yous  eussiés  moult  conques  té 

))Son  vous  euist  trouvé  à  points 

))De  ce  n'éussiés  falli  point 

»De  parler  à  la  bonne  et  belle 

»Quî  n'est  pas  ores  trop  rebelle*. 

))De  vous,  ains  vos  voit  volentiers 

»Trop  plus  que  ses  cousins  en  tiers.  » 

Je  respondi:  «Soie  merci  ! 

»Vraiemont  je  passai  par  ci 

»Et  fui  garant  temps  ens  ou  regard; 

»  Mes  je  n  osai,  se  Diex  me  gard! 

»  Paire  si{jfnes  que  hors  estoie 

»  Pour  celles  que  laîens  véoie.  » 

On  me  dist:  a  Ce  fust  trop  bien  fait.» 

Ensi  avint  de  puis  ce  fait 
Que  j'estoie  en  celle  maison 
On  ma  dame  avoit  garant  raison 
D'aler.  Cary  celle  et  la  renie 
Estoit  une  sienne  parente 
En  une  chambre  bien  pareé 
Et  très  joliement  arrée 
Tant  d'orelliers  com  de  tapis, 
De  courtines  et  de  bcaus  lis. 


294  POÉSIES 

Et  ensi  com  illoec  esloie 
El  qu'an  parler  je  m'esbatoie, 
Ma  dame  d'aventure  y  vint.  ' 

Contre  li  lever  me  convint. 
Quant  je  le  vi  je  fui  tous  pris- 
Toutes  fois  assés  bien  compris 
Qu'un  petit  coulour  changea-elle. 
Et  là  es  toit  la  danioiselle 
Dont  je  m  ai  à  loer  moult  fort, 
Qui  nous  fist  seoir  par  acort 
Et  nous  dist,  encornons  estant; 
«Par  foi,  vous  estes  tout  d'un  graat; 
))Ce  seroit  une  belle  paire, 
))Et  Diex  doînst  qu'Amour  vous  apaire^» 
Lors  nous  commença  à  galer; 
Et  je  cuidai  trop  bien  parler 
Et  li  remonstrer  mon  désir 
Où  s'amour  me  faisoit  jesir. 
J*en  a  voie  bien  temps  et  lieu; 
Hès  par  la  foi^jne  je  doi  Dieu, 
Je  fui  plus  souspris  en  peu  ^'^ure 
Que  tel  que  pour  mort  on  court  scure 
En  parlant  ma  dame  regarde. 
Mon  coer  disi:  «  Parle,  qui  te  tarde? 
—  a  De  quoi  ne  sçai  et  aussi  n'ose, 
Dient  nii  oeil,  «  c'est  fiere  chose! 
»  Tu  le  vois  et  n'as  hardement 
»  De  li  monstrer  ton  sentement.  » 
Un  grant  temps  euisse  esté  la 
Sans  parler,  mes  ellepetrlft, 


DE  JEAN  FROISSART.  295 

Soie  merci!  moult  doueemeni; 

Et  si  me  demanda  comment 

J  avoie  fait  en  ce  voiaige, 

Et  je  li  dî:  ((  Ma  dame,  s'ai-je 

»  Poar  vous  eu  maint  souvenir;  » 

»  —  Pour  moi  !  Voire  !  Et  dont  poet  venir  T 

»  —  De  ce,  dame,  que  tant  vous  aim 

»  Qu  il  n'est  heure,  ne  soir  ne  main , 

»  Que  je  ne  pense  à  vous  tout  dis; 

»  Mes  je  ne  sui  pas  bien  hardis 

»  Devons  remonstrer,  dame  chiere, 

»  Parquel  art  ne  par  quel  manière 

)>  J*ai  eu  ce  commencement 

»  De  Tamourous  atouchement.» 

Et  ma  dame  lors  me  reg^arde; 

Un  petit  rit,  et  puis  me  tarde 

Son  regfard^et  aillours  le. met. 

D'autres  paroUes^  s'entremet 

De  parler  à  la  damoiselle 

Qui  dalès  moi  estoit.  Dist  elle: 

))  Ce  jone  homme  qui  siet  yci 

»  N'est  pas  empires!  Dieu  merci, 

y>  Ens  ou  voiaigfe  qu'il  a  fait.» 

Et  la  damoiselle  à  ce  fait 

Respondi:  «  Diex  en  soit  loés! 

Dist  elle,  «  il  fanlt  que  vous  oés 

»  Un  virelay  plaisant  et  bel 

»  Qu'il  a  fait  de  là  tout  nouvel 

»  Dont  vous  estes  mafereet  cause.» 

Lors  me  requist  sans  mettre  y  pause 


296  POÉSIFS 

Que  je  li  vosisse  of  royer. 
Je  ne  m'en  fis  gaires  pryer 
Car  j  avoie  plaisance  au  dire. 
Je  li  dis  et  baillai  pour  lire» 
Et  elle  m'en  sot  trop  grant  gre 
Tant  saeiés  bien  de  mon  secré. 

Nous  fumes  en  esbatement 
Droit  là  non  pas  si  longeaient 
Que  je  vosisse^  bien  saeiés; 
Car  mon  eoer  qui  estoit  lachiés 
Et  est  d'amours  eertainne  et  ferme 
Ne  peuist  avoir  trop  loue  terme 
D'estre  toujours  avec  ma  dame. 
Pluisottrs  fois  fumes  là,  par  m'ame! 
Et  ensi  nous  esbations. 
Vraiement  je  eroi  qu'il  n^estboms, 
Se  bien  aimé  qu'il  kie  soit  tous 
Une  heure  amers  et  l'autre  doals. 
Pour  moi  le  di^  lorft  tels  estoie 
Que  moult  liement  m'esbatoie 
A  la  fois*,  et  quant  jalousie 
Me  baloit  de  son  esoorgie, 
J'estoie  monrnes  et  pénsieas 
Et  clinoie  en  terre  les  yeus. 
Cest  leàtat  et  si  est  lardure 
Que  vrai  amant  par  droit  endure. 
Et  nom-pour-quant  les  contençons, 
Les  dssaus  et  les  souspeçons 
En  sont  si  gaies  à  souffrir 
Qu'on  se  doit  liement  offrir 


DE  JEAN  FBOISSART.  297 

Et  tout  prendre  en  plaisance  lier 

Car  tant  en  plaist  la  maladie 

Nourie  d*amourous  désir 

Que  nul  aultre  estât  ne  désir  « 

Ne  ne  ferai,  ne  ne  fisonques. 

J*avoie  grand  solas  adonques. 

Ne  sçai  se  jamès  revendra 

Le  temps  aussi  qu'il  m'avendrt* 

Nom-pour^quant  an  coer  et  au  corps 

M'en  font  moult  de  biens  les  recors. 

Jà  asses  parlé  n'en  auroie. 

En  l'ostel  ou  je  repairoie 

Un  lieu  y  avoit  pourvéu 

Où  un  tapis  Tongement  fu; 

Coussins  et  orilliers  aussi 

Y  avoit-on  mis;  et  ensi 

Que  là  venoit  pour  soi  esbatre 

Ma  dame  s'i  aloit  esbatre 

Et  séoit dessus  le  tapis; 

Là  estoit,  ses  mains  sus  son  pis 

Et  son  chief  sus  les  orilliers. 

N'i  ot  roses  ni  violiers 

Mes  j'appelloie  ce,  pat*  m'ame! 

Le  Vre{)fier  de  la  Droite  Daûie. 

Je  hantoie  là  tempre  et  tart 

Dont  frois,  dont  chaux,  navrés  d*un  dard 

D'amours;  et  lors  de  flours  petites 

Violetes  et  margberites 

Semoie  dessus  le  tapis 

Qui  dedens  la  chambre  estoit  mis; 


298  POÉSIES 

Là  me  séoie  et  reposoie 
Et  aux  deus  famés  exposoie 
Quel  joie  le  Ueu  me  faisoît 
Et  com  gfrandement  ml  plaisoiL 
Elles  enavoient  bon  ris. 
Pour  nous  fu  layés  li  tapis 
En  cel  estât  et  en  ce  point, 
Taniicom  il  avint  un  dur  point 
Contre  moi;  he  mi  !  las  dolens! 
Celle  qui  estoit  tout  mon  sens , 
Mon  bien,  ma  joie  et  mon  confort 
La  très  dure  et  eruele  mort 
Qui  n  espargpne  roy  ne  bergier, 
La  fist  en  terre  herbe  rgier. 
Pour  s'amour  plorai  mainte  larme. 
Vraiement  aussi  fist  ma  dame. 
Ces  te  mort  li  toucha  forment, 
Car  elle  me  dist  tendrement: 
((  Helmi!  or  sont  bien  desrompues 
))  Nos  amours  et  en  doel  chéues  !  a 
Le  regret  de  ma  dame  aussi 
Me  fist  avoir  tamaint  soussi. 
N'est  doels  ne  convienne  onblyer. 
Riens  ne  vaull  mei*ancolier  v 
Tout  passe  coers  et  tout  endure. 
Ceste  mort  qui  nous  fu  moult  dure 
Passâmes  nous  en  la  saison 
Encor  aloie  en  la  maison. 
Où  ma  dame  avoit  son  retour. 
G*i  fis  mainte  voie  et  maint  tour^ 


DE  JEAN  FROISSART.  299 

Maint  aler  et  tamainf e  faille, 
Ensi  qu'amours  ses  servans  baille*, 
Mes  tout  en  bon  gré  recevoie 
Le  bien  et  le  mal  de  ma  voie. 
Le  temps  si  se  passoit  ensi. 
Ma  droite  dame,  Dieu  merci  ! 
Estoit  lie,  g-aie  et  hetie. 
Or  me  dist-on  une  nnitie, 
Dont  il  fu  lendemain  Dimenee  : 
«  Ce  n'est  pas  raison  c'en  vous  menée. 
D  A  demain  est  no  voie  prise 
»  En  un  gardin  que  moult  on  prise; 
»  Nous  y  devons  aler  esbatre; 
»  Vous  vos  y  pores  bien  embatre.  » 
Et  je  respondi  tous  délivres  : 
«Je  nenfauroi  pas  pour  vint  livFcs.  » 
Lendemain,  droit  après  disner, 
Sans  leur  pensée  décliner, 
Esbatre  en  un  g^ardin  en  yindrent 
Celles  qui  compagnie  tindrent 
  ma  dame,  et  là  m'embati; 
Point  on  ne  le  me  debati. 
Ma  dame  s  estoit  asseulée 
Dalès  rosiers,  près  d'une  alée 
Qui  se  tournoi t  sus  la  rivière 
Qui  bien  Tenclooit  par  derrière. 
Quant  je  vî  le  donoiement 
Je  me  très  vers  li  quoiement, 
Et  doucement  le  saluai; 
Mes  la  couleur  rouge  muai. 


.100  POÉSIES 

Elle  mon  salu  me  rendi 
Moult  bel,  noient  n'i  attendît 
Liement  et  en  sousriant; 
Et  je,  qui  fui  merci  criant, 
A  loer  moult  g-randement  pris 
Le  gardin  et  tout  le  pourpris, 
Et  aussi  la  belle  journée 
Qui  BOUS  estoit  là  ajournée, 
Et  li  di  :  a  Ma  dame ,  je  croi 
))Que  Diex  a  mis  ou  temps  arroi 
»  Pour  ce  que  vrai  amourons  sons.  » 
Et  celle,  dont  doulsest  li  sons, 
Respondi  :  a  Avec  bonne  amour 
»  Fault  que  loyauté  ait  demour, 
»0u  aultrement  amour  sans  faille 
»Ne  poet  venir  à  riens  qui  vaille.  » 
—  «  Ensi  le  voeil-je,dame,  entendre j 
»  Et  se  plus  hault  puis  ores  tendre 
»  Que  de  valoir  dig^ies  ne  soie 
»  S'ai-je  coer,  se  dire  l'osoïe, 
»  Que  pour  vous  loyal  ment  servir 
))  Et  mon  petit  corps  asservir 
))Dou  tout  à  la  vostre  ordenance.  » 
Ma  dame  ad  ont  un  peu  s'avance. 
S'a  coeillie  jusqu*à  cinc  flourcttes  ; 
Je  croi  ce  furent  violettes-, 
Trois  m  en  donna  et  je  les  pris. 
Et  adont  ma  dame  de  pris 
S  en  vint  seoir  dessous  un  ombre 
D'un  noisier  où  vert  fist  et  sombre. 


DE  JEAN  FROISSAUT.  301 

Et  je,  parle  bon  gré  de  li 

Je  in  assis,  dont  moult  ra'abelli; 

Car  à  la  Fois  le  regardoie  ^ 

Mais  en  re{}ardant  tous  ardoie 

Dedens  le  coer,  car  si  regard 

iMeperçoient,  se  Diex  me  gard  ! 

Et  se  ne  li  osoie  dire 

La  douleur  et  le  grand  martire 

Que  j*avoie  lors  à  sentir. 

Mon  coer  si  vrai  et  si  entir 

Âvoie  tout-dis  en  s'amour , 

Car  ce  m  estoit  droite  douçoqr 

Et  grans  confors  à  mes  anois, 

Quant  un  peu  de  ses  esbanois 

Je  pooie  avoir  en  ma  part. 

Il  ne  m'estoient  pas  espart, 

Mes  les  tenoie  à  bons  voisins 

Trop  plus  que  mes  germains  cousins  j 

Pour  ce  le  di^  car,  à  ces  te  heure 

Ma  dame  qui  Jhesus  honneure 

Me  regardoit,  ce  m*estoit  vis, 

Si  liement  que  tous  ravis 

Estoie  en  soi  seul  r^ardant  ^ 

Mes  tous  m'aloie  acouardant; 

Non  que  ce  fust  faute  ou  faintisc; 

Mes  Amours,  qui  les  coers  atise. 

Me  tenoit  le  coer  si  serré 

Que  quanque  j'avoïe  enserré 

Et  que  bieïi  cuidoîe  avant  mettre 

Je  ne  m'en  savoie  entremettre, 


302  POÉSIES 

Âins  me  tenoient  mu  et  quoi. 
En  cegfardin,  en  ce  requoi 
Y  a  voit  lors  deus  pucelettes 
Auques  d'un  éag'e  jonettes. 
Gestes  aloient  flours  coeïllier 
De  violier  en  violierj 
Et  puis  si  les  nous  aportoient, 
Et  dessus  nos  draps  les  jetoient. 
Ma  dame  si  les  recocilloit 
Qui  bellement  les  enfiloit 
En  espinçons*de  gprouselier, 
Et  puis  le  mes  faîsoit  baisier. 
Dont  en  baisant  m  avint  deus  fois 
Que  li  espinçon  de  ce  bois 
Me  poindirent  moult  aigrement. 
Et  ma  dame,  qui  liement 
S'esbatoit  adont  avoec  moi , 
Me  dist  en  riant  :  «  Assés  croi 
)>  Plus  tost  avés  ce  cog^néu 
»Cui  matin  le  j  our  percéu.  » 
Et  je  li  responc:  a  II  est  ypir.» 
Lors  me  dist.  (c  Forions  avoir 
»  Une  balade.  »  Et  je  respons  : 
(c —  Oil,  dame^  car  en  lieu  sons 
»  Où  j'ai  moult  bien  malere  et  cause 
.  ))Dou  dire  ent  une,  veci  clause. 

Balade. 
D'un  doulcregfart  amoureusement  tret 


DE  JEAN  FROISSART.  303 

Se  doit  amans  en  coer  moult  resjoir; 
Car  quant  il  voit  dame  où  désir  l'attret 
Qui  bellement  le  daigfne  conjoir 

El  sus  li  ses  yex  ouvrir 
Liement,  par  manière  d'acointance) 
Gais  et  jolis  et  lies,  s'en  doit  tenir 
Riches  d espoir,  vuis  de  toute  ignorance. 

Car  le  reg^art  que  sa  dame  li  fait 
Li  aecroist  sa  plaisance  et  son  désir, 
Et  gfrandement  le  nourist  et  le  met 
En  volenté  de  son  fait  poursiévir 

De  cog^noistre  et  de  sentir 
Que  c'est  de  bien  d'onnour.  Ensi  s^avance 
Un  vrai  amant  et  si  voelt  devenir^ 
Riches,  etc. 

Pour  ce  ne  poet  amans  par  droit  souhet 
Pour  son  pourfit  mieulz  prendre  ne  cuesir 
Que  d'unregart,  mes  que  telement  let 
Qu'on  doit  tels  biens  donner  et  départir 

A  point  sans  outrage  y  vir 
Car,  quant  il  sont  pesé  à  la  balance,^ 
Dame  s'acquitte  et  amans  voelt  servir 
Riches,  etc. 

Lorsque  j'ai  la  balade  dit 
Ma  dame^  sans  nul  contredit, 
Y  répliqua  deus  mos  ou  trois, 
Et  me  dist,  par  parlers  estrois: 
a  A  quel  pois  les  doit-on  peser 


304  POÉSIES 

))Ces  rcjars,  sans  lui  abuser. 

»  Je  le  saulaie  volontiers»  » 

—  ((  Il  ne  vous  est  mie  mestiers 

))Daine,  di-je,  que  le  vous  die, 

»  Car  sans  mettre  y  vostre  estudie 

})  Vous  en  savés  là  et  avant. 

)>  J'en  parolle  par  convenant 

»  Si  com  cils  qui  eu  vos  reg^ars 

»  Prenc  grant  solas  quant  lea  regars. 

))Mès  ce  n  est  mie  si  souvent 

))Que  je  vodroie  par  couvent. 

»  Toutes  fois  il  me  fait  granl  bien 

»  Quant  par  vo  grasce  et  par  vo  bien 

»Mon  coer  qui  est  si  niebagniés 

»  Un  petit  conforter  dagniés.  » 

Et  ma  dame,  tout  en  riant, 

Me  dist  :  «  Tels  va  merci  criant 

«Qui  n'est  mie  si  dolerous 

»  Com  il  se  monstre  languerous.  » 
De  telz  mos  et  d'aultres  aussi 
Qui  n'atoueboient  nul  ^wssi 
Ains  estoient  plain  d'esbanois 
De  cbiens,  d  oiseaus,  dçprés,  d'erbois, 
D'amourettes  9  tant  que  sans  compte 
Feslmes  nous  adont  grant  com  pie 
En  grant  joie  et  en  grand  revel. 
11  nous  es  toit  tout  de  nouvel, 
Le  temps,  les  foeilles,  les  fleurettes, 
Et  otant  bien  les  amourettes. 
Moult  me  plaisoit  ce  qu'en  avoie, 


DE  JEAN  FROISSART.  305 

Et  quant  elle  se  niist  à  voie, 
Li  congpiés  y  fu  si  bel  pris 
Qu  encor  je  ce  lieu  aime  el  pris, 
Et  le  sfardin  cl  la  maison; 
Tousjours  Tamerai  par  raison, 
Maint  solas  et  maint  esbanoi 
Avec  ma  dame  et  ce  temps  oi, 
Tant  que  de  venir  et  dealer 
De  véoir  et  d'oïr  parler. 
Aultrement  n  aloit  ma  querelle, 
Mes  il  me  sembloit  qu'elle  ert  belle. 
Puisque  par  le  gré  de  ma  dame 
Je  pooie  tant  qu'à  mon  esme 
Avoir  par  sa  discrétion 
Dn  peu  de  récréation , 
Mes  c  estoit  assés  à  escars 
De  paroUes  et  de  regars 
Car  je  ne  m'osoie  avancier , 
Ne  où  madame  esfoît  lancier. 
Si  ce  n*esfoit  tout  en  emblant, 
Paourous  et  de  coer  tramblant 
.  Pluisours  de  mes  esbas  faîsoie^ 
Car  pour  ma  dame  je  n'osoie, 
Se  l'eure  n'avoie  et  le  point, 
Et  on  le  m'âvoit  bien  enjoint 
Aussi  que  tout  ensi  fesisse, 
Si  que  s  autre  estât  je  presisses, 
Que  cesti  qu'on  m  avoit  apris 
J  euisse  esté  trop  dur  repris. 
Si  me  convenoit  ce  porter 

FHOISSART.  T.  XVI.  20 


306  POESIES 

Et  moi  l)ellcinent  conforter, 
Et  le  plaisir  ma  dame  attendre 
Où  par  bien  je  pooie  tendre. 
Et  aiiltrement  ne  le  fis  oucqueS. 
Elle^Ie  savoift  bien  adonques, 
Aussi  je  li  monstroie  au  mains. 
Mes,  par  Dieu  !  c'estoit  sus  le  mains. 
Par  parolles  ne  li  pooie 
Monstrer  Tamour  qu'à  li  avoie, 
Forsque  par  sig^nes  et  par  plains 
De  quoi  j'estoie  lors  moult  plains. 

A  l'entrée  dou  joli  may, 
Ceste  que  par  amours  amai 
Un  jour  esbatre  s'en  ala. 
De  son  alée  on  me  parla, 
Et  de  celle  qui  o  li  furent. 
Je  soc  bien  l'eure  qu  elles  murent. 
Moi  et  un  mien  ami  très  g'rant, 
Pour  faire  mon  plaisir  engrant 
Nous  mesins  en  cesti  voiag'e; 
Et  par  ordenance  moult  sag'e 
Mon  compagfnon  nous  fist  acointe 
De  celles  dont  j'oc  le  coer  coinfe; 
,   Car  sans  ce  qaon  s'en  perçuist 
Et  que  nulles  d'elles  sceuist 
Au  mains  celle. que  je  doubtoic, 
Avec  elles  fumes  en  voie. 
Diexique  le  temps  estoit  jolis, 
Li  airs  clers  et  quois  et  seris, 
El  cil  roscffnol  bault  chanloient 


D£  JEAN  FROISSART.  307 

Qui  forment  nous  resjoissoient  ! 
La  matinée  ert  elere  et  nette. 
Nous  venins  à  une  espinette 
Qui  florie  estoit  tonte  blanche 
HauUe  bien  le  lonc  d*une  lance*, 
Dessous  faisoit  joli  et  vert 
Bien  fu  qui  dist  :  <(Cils  lieus  ci  sert 
)>  Droitement  pour  lui  reposer. 
»Le  desjun  nous  fault  destourser.  » 
A  la  paroUe  s  acordan 
Et  le  desjun  là  destoursan 
Pastés,  jambons,  vins  et  viandes 
Et  venison  bersée  en  landes. 
Là  ert  ma  dame  souverainne. 
N*estoit  pas  la  fois  preuierainne 
Que  je  ne  l'osoie  apprécier. 
Trop  doubtoie  le  reprocier; 
Et  encores  tant  qu'à  eeste  heure, 
Se  Jhesus  me  sault  et  honneure! 
Je  le  reg^ardoie  engprant  double  ;. 
Cest  drois  que  tels  périls  on  doubte, 
Car  pour^faire  le  sonrsalli 
A-on  moult  lost  souvent  falli 
A  renom  et  à  bonne  g^rasce. 
Tons  quois  me  tint  en  celle  espasce 
Et  parfis  le  pelerinag^e 
Avecques  celle  don  linag*e 
En  garant  solas  et  en  garant  joie; 
Encor  tout  le  coer  m  en  resjoie 
A  toute  heure  qu'il  m'en  souvient. 

20* 


308  POESIES 

N'est  aventure  qui  u'avient 
A  un  amourous  qui  poursîeut 
Sa  besong'ne,  trop  bien  sensieut 
Que  quant  il  ne  s'en  donne  g^rde 
Amours  en  pité  le  regarde. 
Veci  le  confort  que  je  pris 
De  ma  droite  dame  de  pris 
Avec  joie  et  esbatemens 
Et  gracions  contenemens. 
A  ma  dame  plot  lors  à  dire, 
Pour  un  peu  garir  mon  martire, 
Qu  elle  me  retenoit  pour  sien. 
Onques  li  quens  li  Porsyen 
Ne  le  visconte  de  Nerbonne 
NVïrent  parolle  si  bonne  » 
Ne  si  belle  com  je  fis  lors; 
Car  de  coer,  d  esperit,  de  corps 
Fui  très  grandement  resjoïs 
Quant  j'ai  si  très  douls  mos  oïs. 
Quant  celle  qui  me  soloit  pestre 
De  durté  ne  me  voelt  mes  estre 
Forsque  gracieuse  et  courtoise. 
Mon  coer  s'eslai^i  une  toise 
Quant  je  li  fis  ceste  requeste  : 
((  Dame,  en  nom  d'Amour,  soyés  ceste 
»  Qu'un  petit  voeîUiés  alegier 
»  Les  mauls  qui  ne  me  sont  legier, 
))  Et  me  retenés  vo  servant 
»  Loyal,  secré  à  vous sezvant.  » 
Et  ma  dame  respondi  lors 


DE  JEAN  FROfSSART.  309 

De  legier  coer  et  de  gfai  corps  : 

))  Volés  vous  dont  qu'il  soit  ensi',» 

—  »  Oïl!  «  Et  je  le  voeil  aussi.» 

Je  pris  ceste  paroUe  à  joie  ; 

C'est  moult  bien  raisons  e'on  m'en  croie; 

Hès  la  joie  trop  iongement 

Ne  me  dura  :  veci  comment. 

En  ce  voiagpe  dont  vous  touche 

Estoit  avec  nous  Male-bouche 

Qui  tout  no  bon  temps  descouvri, 

€e  trop  gprandement  m*apovri 

Dou  bien!  dou  temps  et  dou  confort 

Que  je  cuidoie  avoir  moult  fort; 

Car  celle  qui  onques  ne  tarde  f. 

Male-bouche,  que  malfu  arde: 

Parla  à  mon  contraire  tant, 

Et  en  séant  et  en  estant, 

Que  ma  dame  simple  et  doucette 

Et  d'éage  forment  jonette 

En  fut  trop  griefment  aparlée  : 

a  Ha!  dist-on,  estes  vous  alée 

»  En  un  voiage  avec  eesti 

y>  Qui  vous  a  maint  anoi  bastt; 

»  Par  foi  ce  fu  uns  gfrans  oultraf^es 

»  Et  uns  abandonnés  ouvrages  ; 

)»Ilfault  que  vous  le  fourjug^iés.» 

Là  fui-je  mortelment  jug^iés 

De  celles  qui  point  ne  m  amoient 

Âins  leur  ennemi  me  clanioient,. 

Et  leur  jurœ  ma  dame  chière> 


310  POÉSIES 

Paourouse  et  à  simple  chiere, 
Que  plus  à  moi  ne  parroit  elle. 
Ensi  le  me  compta  la  belle 
Et  me  dist  par  paroUe  douce: 
»  Il  convient,  car  le  besoingp  touche, 
»  Qu  un  peu  d'arrest  ait  nostre  vie, 
»  Car  on  y  a  trop  gprande  envie, 
)»  Et  j'en  sui  trop  gpriefment  menée 
»  Et  par  parolles  fourmenée. 
»  Abstenir  vous  fault  toutes  voies 
))  De  devant  nous  passer  les  voies 
»  Tant  que  la  chose  soit  estainte.» 
—  »  Dame,  di-je,  de  la  destrain  te 
»  Sui-je  en  coer  gprandement  irés  \ 
))  Je  ferai  ce  que  vous  dires, 
»  Car  ensi  le  vous  ai  prommis.  » 
Et  celle  me  dist:  <(  Grant  mercis!  » 

Depuis  me  tins  une  saison 
Au  mieulx  que  poc  parmi  raison 
De  passer  par  devant  Tostel 
De  ma  dame,  et  aussi  ou  tel 
Qui  estoit  ordenés  pour  nou&j 
Doat  j'estoie  tous  anoious. 
Et  s  il  avenoit  que  passoie, 
En-terre  mon  regart  bassoie^ 
Vers  li  n  osoie  regarder 
Et  tout  seul  pour  sa  paix  {jfarder. 
Mes  sus  un  vespre,  en  un  requoi, 
Me  tenoie  illuecques  tout  quoi 
Assés  près  de  Tostel  ma  dame. 


DE  JEAN  FROISSART.  31  î 

Or  avint  à  ce  dont,  par  m  ame! 

Qu'elle  vint  illuec  d'aventure. 

Je  qui  pour  lui  maint  mal  endure 

Di  en  passant,  n'en  falli  mie  : 

((  Lès  moi  venés  ci,  douce  amie.» 

Et  elle,  si  com  par  courous 

Dis!  :«  Point  d'amie  ci  pour  vous.» 

D'aultre  part  s'en  ala  seoir; 

Et  quand  je  poc  tout  ce  véoir, 

Je  me  tinc  en  mon  lieu  tout  quoi. 

Que  fist  elle  ?  Vous  saurés  quoi 

Par  devant  moi  ra passa-elle; 

Mes  en  passant  me  prist  la  belle 

Par  mon  toupet,  si  très  deslrois 

Que  des  cheviaus  ot  plus  de  trois 

El  ne  fist  ne  del  ne  parla; 

Ensi  à  l'os  tel  s'en  râla, 

Et  je  remès  forment  pensieus, 

Contre  terre  clinant  mes  yeiis, 

El  disoie:  «  Veci  garant  dur  ! 

»  Je  prise  petit  mon  éur, 

»  Car  j^aimmee't  point  ne  suis  amés, 

»  Ne  amans  ne.servans  clamés. 

»  A  painnes  que  ne  me  repens, 

»  Car  en  folour  mon  tems  desptfns. 

»  Le  despensje  dont  en  folour? 

»  Oil,  onques  ne  V\ {jrignour.» 

Lors  me  repris  de  ma  folie 

Et  di:  ((  Se  je  merancolie 

»  Ensi  se  veulent  amourettes 


312  POÉSIES 

»  Ramprouver  une  heure  duretles, 

»  L'autre  moles  et  débonnaires. 

»  Plus  nuist  parlers  souvent  que  taires. 

»  Je  n'avoie  pas  grant  raison 

»  De  li  dire  en  celle  maison 

»  Qu  elle  venist  lès  moi  seoir. 

»  A  sa  manière  poc  véoir 

»  Qu  elle  n'en  fu  mie  trop  lie; 

»  Et  pour  ce,  fpntos  conseillie» 

»  Me  respondi  tout  au  revers. 

»  Nom-pour-quant,  quant  Je  fait  rêver» 

»  De  ce  que  la  belle  en  taisant 

»  Tout  en  riant  et  en  baissant 

»  •Elle  par  le  toupet  me  prisl , 

»  Mpn  coer  dbt  que  tous  s'en  esprit, 

»  Que  liement  à  son  retour 

»  Fist  elle  cela  moureus  four} 

»  Et  jà  ne  se  fust  esbatue 

»  A  moi  qui  là  ert  embatue 

»  S  elle  ne  m'amast*,  je  l'entens 

»  Ensi  et  m'en  tienc  pour  contons 

»  De  quan  qu'elle  Et  fait  et  à  Ëiii*e.» 

L<||sm'esjoï  en  cel  a  faire 

Et  fm  une  balade  adont 

Su»  la  foiù^me  que  mes  maulz  ont 

D  aliegfement  tant  qu'au  penser, 

Si  com  vous  oréi  recenser. 

Balade. 
Quel  mal ,  quel  g^rief  ne  quel  painne 


DE  JEAN  FROISSA BT.  313 

Que  me  faciès  recevoir, 
Ma  dame  très  souverainne, 
S'ai-je  corps,  coer  et  voioir 
Selonc  mon  petit  povoir 
Devous  loyaknent  servir. 
En  si  povès  asservir 
Et  moi  tout  ce  qu'il  vous  plest, 
Car  quanque  j'ai 9  vostres  est 

Et  afin  que  plus  certaiane 
Soyès  que  je  die  voir, 
Il  n'a  heure  en  la  sepmaine 
Nuit,  ne  jour,  ne  main, ne  soir. 
Que  je  puisse  bien  avoir, 
Se  ne  Tai,  d'un  souvenir 
Qui  de  vous  me  poet  venir. 
De  noient  pas  ne  me  n'est, 
Car  quanque  j'ai  vostres  est. 

En  ce  doulc  penser  m'amainnc 
Amours,  et  me  donne  espoir 
Qu*encor  me  serés  humainne^ 
Sans  ce  ne  puis  rien  valoir. 
Et  s'il  vous  plest  à  sçavoir 
Quels  biens  me  poet  resjoïr. 
C'est  qu*à  vostre  doulc  plaisir 
Commandés,  ve-me-ci  prest; 
Car  quanque  j'ai,  vostres  est. 

Ne  vous  poroie  ps  retraire 
Tout  le  bien  et  tout  le  contraire 
Que  j'ai  par  amours  recéii. 


3 1 4  POESIES 

Pas  ne  m'en  tienc  pour  decéit 
Mes  pour  ewireus  et  vaillant. 
On  ne  s'en  voist  emervillant 
Car  Amours,  et  ma  dame  aussi , 
M'ont  pluisours  fois  conforté  si 
Que  j'en  ai  et  sui  en  Tescoeil 
De  tout  le  bien  qne  je  recoeil; 
Ne  jà  n'euisse  riens  vain 
Se  n'euisse  eu  ce  sain; 
C'est  un  moult  grand  avancement 
  jone  homme  et  commencement 
Beaus  et  bons,  et  moult  proufi tables* 
11  s'en  troeve  courtois  et  ables 
Et  en  met  visées  en  vertus. 
Onques  le  temps  ni  fat  perdais 
Âins  en  sont  avancié  maint  homme 
Dont  je  ne  sçai  compte  ne  somme. 

Pour  vous,  ma  dame  souverainne^ 
Ai  recéu  tamainte  painne 

Et  sui  encor  dou  recevoir* 

< 

Bien  tailliés,  je  di  de  ce  voir; 

Car  com  plus  vis  et  plus  m'enflamme 

De  vous  li  amoureuse  flame.* 

En  mon  coer  s'art  et  estincelle 

Sa  vive  et  ardans  estincelle 

Qui  ne  prendera  jà  séjour 

Heure  ne  de  nuit,  ne  de  jour; 

Et  Venus  bien  le  me  promist 

Quant  Taventure  me  tramist 

De  vous  premièrement  véoir. 


DE  JEAN  FROISSART.  3 1 3 

Je  ne  pooie  mienls  chéoir; 
Ne  se  toutes  celles  du  mont 
Estoïent  mises  en  un  mont 
En  garant  estât,  en  g^nt  arroi, 
Et  fuissent  pour  mieuls  plaire  a  roi, 
Si  ne  m*en  poroit  nulle  esprendre. 
En  ce  point  où  me  povès  prendre 
Conquis  m'avés,  sans  nul  esmai. 
Onques  plus  nulle  n'en  amaî, 
.Ne  n'amerai,  quoiqu'il  avieg[ne. 
N'est  heure  qu'il  ne  m'en  souyie{]fne. 
Vous  avés  esté  premerainne. 
Aussi  serés  la  daarrainne  ^ 
Et  pour  ce  qu'en  bon  estât  soie, 
Dame,  se  dire  je  l'osoie, 
J'ai  fait  enfin  de  mon  tretticr 
Un  lay,  ou  quel  je  voeil  trettier 
Une  grant  part  4e  tous  mes  fès. 
Or  doinst  Diex  qu'il  soit  si  bien  fès 
Et  par  si  très  bonne  manière 
Qu'il  vous  plaise,  ma  dame  chiere! 

Lay, 

Pour  ce  qu'on  scet  mieuls  de  li 
Paler  que  d'autrui  à  faire, 
Ai-je  voloir  de  retraire 
Comment  il  m'est.  Dieu  merci! 
J'ai  jà  un  lonc  temps  servi 
Amours,  en  espoir  de  plaire; 


316  POÉSIES 

Mes  d*un  trop  petit  solaîi'e 
Ma  mon  g^uerredon  merk. 
Nom-pour-quant  s*ai  je  obéy 
A  ce  qu'il  a  volu  faire. 
Or  ni  a  que  dou  par&ire. 
Dou  tout  à  lui  je  m'otri, 
Et  à  ma  dame  suppli 
Qu'elle  me  soit  débonnaire 
En  ce  qui  m'est  nécessaire^ 
Et  prende  en  g^ré  ce  lay  ci 
Que  j'ai  de  bon  sentement 

Présentement 
Ordonne  certainnement 

A  mon  pooir 
Selonc  ce  que  mon  coer  sent 

Non  aultrement. 
Et  s'aucun  amendement 

Y  poet  avoir^ 
A  Yostre  commandement, 

Dame,  usés  ent^ 
Car  mon  coer  dou  tout  se  rent 

En  vo  Yoloir^ 
Mes  je  sçai  trop  mieuls  comment 

Il  m'est  souvent 
Que  nuls  ne  fait;  ce  m'aprent, 

Adiré  voir 

Car  quant  je  pense  ne  sçai  y 
Se  Diex  me  gpart! 
Conment  osai 


DE  JEAN  FROISSART.  3 1 7 

Onques  emprendre  le  quart 
De  la  painne  où  mon  coert  art. 

Mes  g'^i  entrai 

Lie  et  gaillart. 

Se  in'i  tenrai 
Comment  que  j'en  sentirai 

Seul  et  à  part 

Maint  ^rant  esmai. 
Mes  se  ma  dame  y  reg^art 
Et  de  sa  douçour  me  part 

Confort  aurai 

En  quelque  part 

Que  me  trairai. 
Mes  trop  fort  esprouvé  ai 

De  son  reg'art 

Comment  li  rai 
Sont  trencant  que  fers  de  dart 
Et  pas  ne  sont  trop  espart; 

Mes  d'un  attrai 

Simple  et  couart 

Plaisant  et  g^ai. 
Quant  premier  les  avisai 

Moult  me  fu  tart 

Qu'en  cel  assai 
Fuisse  entrés  par  aucun  art. 
Or  en  ai  si  bien  ma  part 

Que  j'en  assai 

Quanqu'en  départ 

Amours,  pour  vrai. 


318  POÉSIES 

Et  sui  encor  tous  cerlaias 
Que  li  tains 
Dont  mon  coer  fu  très  et  tains 
En  un  reg^art  prist  Tenlame 
Dont  jamès  ne  sera  sains, 

Car  proçains 
Est  si  li  cops  premerains 
Que  de  nul  aultre,  par  m'ame  ! 
Ne  poet  chanjjier,  n'estre  es  tains  9 

Car  attains 
Fu  lors  d'un  douls  yeuls  humains. 
Plus  beaus  ne  poet  porter  famé. 
En  ce  penser  tous  jours  mains 

N'en  voeil  mains; 
Car  sus  toute  je  vous  aîns, 
Ma  très  souverainne  dame. 

Et  s'empris  ai  plus  g^and  labour 
Que  dou  porter  n'ai  la  vîgour, 
Si  en  pardonne-je  la  flour 
Mon  coer  9  quel  fin  ne  quel  retour 

Qu'en  doie  prendre; 
Car  pourquoi  vo  fresce  couleur, 
Vo  g^ent  maintien,  vo  simple  a  tour  ^ 
Vobel  parler  plain  de  douceur 
Me  font  à  très  parfaite  honnour 

Penser  et  tendre. 
Si  bien  cuesi  pour  le  millour, 
Quand  je  vous  sers,  aim  et  aour, 
Ma  droite  dame  de  valeur 


D£  JEAN  FROISSART.  3 1 9 

A  mon  pooir,  sans  nul  fauls  tour. 

Tels  me  voeil  rendre. 
Or  aies  en  recort  le  jour 
Que  pour  aleg^ier  ma  douleur 
Tons  diseteus,  plains  de  paour, 
Je  vous  priai  de  vostre  amour 

Sans  riens  mesprendre 
Et  vous,  ma  dame  jolie 
Corne  noient  avoïe 
De  moi  faire  à  ceste  fie 
Une  si  grant  courtoisie; 

Respondistes  tes: 
Que  pas  n'estié  conseillie 
Ne  très  bien  appareillie 
Que  lors  me  fust  octroyé 
L  amour  de  quoi  je  vous  prie. 

Be  mi!  com  durs  mors> 
Bien  vol,  vous  ne  sentes  mie 
G)mment  Désirs  me  mestrie 
Pour  vostre  amour,  et  me  lie, 
Si  que  heure  ne  demie 

Je  n'ai  nul  repos 
Ou  jour  ne  en  la  nuit ie. 
Ainssouspir  plour  et  larmie. 
Et  fui  toute  compagnie. 
D*otel  et  plus  que  ne  die 

M'est  charg'iés  li  cols. 

Et  s  a  dont  fui  entrepris 
Et  souspris 


320  POÉSIES 

Quant  je  pris, 
De  vous,  ma  dame  de  pris, 
One  responsesidure, 
Je  n'en  dois  estre  repris 

Ne  despris; 

flar  j'espris 
Mon  coer,  lors  que  je  comprb 
La  beauté  de  yjo  figure. 
Puis  m'en  suis  tenus  tout  dis 

Mains  hardis 

D'avoir  mis 
Pour  paour  d'esfre  escondis 
Maproyere  en  aventure , 
Car  s'a  voie  mal  sur  pis, 

11  m'est  vis 

Li  périls 
Seroit  si  gprand,  j*en  sui  fis 
Que  de  moi  n'auroie  eure. 

Mes  en  lamentant 
J'ai  bouté  avant 
Le  temps  qui  noîant 
M'a  tenu.de  joie, 

Fors  seul  tant 
Que  quant  esbatant 
Juant  et  parlant 
Vous  véoie  errant 
Ensi  qu'en  emblant 
Les  vous  me  meftoie; 

Regfardant 


DE  JEAN  FBOISSART.  321 

Vostre  doulc  samblant, 
Cler ,  simple  et  riant  ; 
Lors  imaginant 
Et  en  coer  pensant 
A  par  moi  disoie: 

»  Hé  mi!  quant 
»  Verai  mon  vivant 
»  Un  peu  plus  joiant 
»  Ne  1  ai  maintenant. 
»  Mestier  en  ai  grant.  » 
Et  lors  me  partoie 

Tous  tramblant 

Et  cerchoie  aucun  refui 

Où  de  nullui 
Je  ne  fuisse  apercéus 

Ne  Gogpnéus  ; 
Là  ploroïe  mon  anui. 

Jusqu'au  jour  d'ui 
Ai  bien  esté  pourvéus 

D  otant  et  plus. 
Ensi,  ma  dame,  attain^»  fui 

Et  encors  sui 
Par  vos  doulz  regars  agus , 

Dont  la  vertus 
De  confort  et  de  refui 

Non  en  autrui 
Gisten  vous.  Or  metés  jus 

Vos  griefs  refus  » 

rnoissART.  T.  XVI.  21 


322  POÉSIES 

Car  tant  me  fimt  à  souffrir 
Que  je  ne  m'e&e  enhardir 
Ne  de  monsirei'  n'ai  loîsir 

Par  quel  manière 
Tout  ce  inestoet  sous  tenir; 
Dont  souvent  me  fault  frémir. 
Mes  quant  vo  {jent  corps  remir 

Tout  m'ac  arrière 
Se  otissi,  csmai,dur  oïr; 
Je  n'en  voeil  souvenir; 
Car  tant  me  fait  de  plaisir 

Vo  lie  ehîere 
Qu'espoir,  penser  et  désir 
Me  fofit  souvent  resjoïr 
Et  penser  à  quoi  je  tir, 

Ma  dame  cbicnre. 

Tout  ensi  me  tient  Plaîsaiice 
Ea  bsubmoe. 
Dont  manière  et  ecfnfemtoee 
.C*hang>e  em  moi 
Sans  ordenanice: 
Car  sus  heure  elle  me  lance, 

Puis  s'estance, 
Après  reprcnl  sa  puissance. 
Mes  trop  :poi 
Ai  d'aligancc^ 
Se  ce  iiWoi*  espérance 
Q«i  m'avai»ce 
A  son  plaisir  souffissance, 


DE  JEAN  FROISSART.  323 

Petit  voi 
De  recouvrance. 
Mè5  j'ai  tant  de  cogfnissanee 

Qu'elle  sance 
En  partie  ma  souffrance. 
Se  mi  doi 
Traire  en  fiance. 

A  qui  dont  hemiihemi! 
Fors  à  la  très  volen taire , 
Qui  en  parler  et  en  taire 
Poet  bien  aidier  son  ami, 
Et  ma  droite  dame  aussi 
A  qui  tout  mon  coer  s'apaire 
Poet  bien  planer  ce  contraire. 
Aultremeut  mors  je  me  di, 
Et  riens  ne  me  garandi , 
Fors  son  simple  et  donic  viaire, 
Et  ce  qu  elle  est  blonde  et  vaire 
De  maintien  g^i  et  joli. 
Nature  pas  ne  failli 
A  li  sagement  pourtraire, 
Car  unregart  a  pour  traire 
Un  coer  et  percier  parmi. 

De  tant  m'est  plaisance  crissue 
Que  je  Yoeil  faire,  ains  ma  rissue, 
Memore  comment  on  pora 
Trouver,  qui  bien  querre  y  vora, 
Le  nom  de  ma  dame  et  de  mi. 

21* 


324.  POÉSIES 

Nom-pour-quant  le  sanc  me  frémi , 

Quant  la  plaisance  m'en  sourvint 

De  ce  qu'enchéir  me  convint 

A  nommer  le  nom  de  la  belle. 

Je  m'en  tinc  un  garant  temps  rebelle. 

Mes  quant  j'oc  bien  examiné 

Mon  avis;  et  déterminé, 

Je  m'escusai  par  une  voie; 

C'est  drois  que  m'escusance  on  voie. 

Quant  Plaisance  et  Désir  sassamblent 
Le  fu,  par  exemple ,  il  ressamblent 
Qui  bruist  tout  ce  qu'il  attaint. 
Plaisance  ensi  le  coer  destraint  ; 
Et  Désirs  le  fait  désirer 
Qui  ne  s*en  voçlt  pas  consirer 
Jusqu'à  tant  que  la  fin  il  sace 
Envers  quoi  Plaisance  le  sace. 
Et  adont  si  fort  le  mestrie 
Que  de  t restons  pourpos  le  trie, 
Fors  de  celi  à  quoi  il  tent. 
Et  pour  ce  que  Désirs  estent 
Sa  vertu  en  tout  coers  biunains^ 
Je  le  remonstre  ensi  au  mains, 
Qu'on  m'en  tieng^ne  pour  «scusé; 
Car  Plaisance  ma  acusé 
Adiré  tout  ce  que  je  di; 
Aultrement  ne  m'en  escondi. 
Mes  telement  nous  pense  mettre 
Sans  nommer  nom,  sournom  ne  lettre, 
Qne  qui  assener  y  saura 


DB  JEAN  FROISSART.  323 

Assés  bon  sentement  aura. 

Mom-pour-quant  les  lettres  sont  dittes 

En  quatre  ligpnes  moult  petites. 

Entre  nous  fumes  et  le  temps; 

Se  venir  y  volés  à  temps 

Là  trouvères,  n*en  doubte  mie, 

Pour  cogpnoistre  amant  et  amie. 

Or,  doinst  Diex  que  vos  pourpos  faille 

Et  que  ma  proyere  me  vaille! 

Car  nuls  plus  povres  de  merci 

Que  je  suis  ne  demeure  ci. 

Et  quant  il  plaira  à  ma  dame 

Que  j'aie  ossi  grant  qu'une  dragfmc 

De  confort,  adont  resjoïs 

Serai  de  ce  dont  ne  joîs; 

Ains  langpuis  en  vie  éureuse 

Dedens  VEspinelte  amoureuse. 


EXPUCIT  LE  DITTIÉ  DB  l'esPINBTTE  AMOUllOUSB. 


k'V%/V  W%  WV^V*<^'V\/*.W^  •W^  ^-^^ 


CI  APRÈS 

SENSIEUT  UN  TRETTIÈ  ÂMOUREUS 

q,ui  s'appelle 

L£   JOLI  BCIS&QK  DE   J[ONE€E. 


Des  aventures  me  souvient 
Dou  temps  passé.  Or  me  convient, 
Entroes  que  j'ai  sens  et  mémoire^ 
Encre  et  papier  et  escriptoire^ 
Canivet  et  penne  faillie ^ 
Et  volenté  appareillie 
Qui  m'amonneste  et  me  remort, 
Que  je  remonstre  avant  ma  mort 
Comment  ou  Buisson  de  Jonece 
Fui  jadis,  et  par  queladrece. 
Et  puisque  pensée  m'i  tire, 
EnLroes  que  je  l'ai  toute  entire 
Sans  estre  blechié  ne  quassé. 
Ce  nest  pas  bon  que  je  le  passe. 
Car  s*en  noncaloir  me  mettoie 
Et  d^autre  soing'm'entremettoie. 
Je  ne  poroie  revenir 
De  legfier  à  mon  souvenir. 


DE  JEAN  FROÏSSART.  327 

Pour  ce  le  vodral  avant  metij*e, 
Et  moi  liement  entremettre 
De  quant  qu'à  ma  memioire  sent 
Dou  temps  passé  et  don  présent. 

Aussi  nature  qui  m*a  fet. 
Créé  et  nouj^i  de  son  fet, 
Et  qui  encor  de  jour  en  jour 
Me  preste  loisir  el  séjour 
Que  de  ce  que  j'ai  je  m'avise 
Et  ce  que  je  sçai  je  devise, 
Se  plainderoit,  où  que  je  soie, 
De  moi  voir^  se  je  me  cessoie; 
Et  bien  auroit  raison  et  cause. 
Nulle  escusanee  je  n'i  cause; 
Car  pour  ce  m'a  elle  ordonné, 
Sens  et  entendement  donné 
Que  je  remonstre  en  plain  ventele 
Ce  que  je  sçai>  dont  je  me  mêle, 
C'est  que  de  faire  beaus- dit  tiers 
Qu'on  list  et  qu'on  voit  volontiers, 
Espécialment  toutes  gens 
Qui  ont  les  eoers  discrès  et  g-ens. 
Ce  nest  mie  pour  les  villains; 
Car,  ensi  in'ayt  sains  Gillains! 
Que  je  m'avroie  assés  plus  chier 
A  taire  et  en  requoi  mucier 
Que  jà  villains  evist  dou  mien 
Chose  qui  li  fesist  nul  bien. 
Ce  n'est  fors  que  pour  les  jolis 
Qui  prendent  solas  et  delis 


328  POÉSIES 

À  loïr,  et  qui  compte  en  font. 
Pour  ceuls  servir  mon  coer  tout  font 
En  plaisance,  et  se  m'i  delitte 
Que  gfrandement  j'en  abilite 
L'entendement  et  le  corag^e. 
De  quoi  nature  m'encoragpe  5 
C'est  que  je  monstre  et  que  je  die 
A  quoi  je  pense  et  estudie. 
Et  je  sui  tous  près  d'obéir, 
Ensi  com  vous  pores  véir. 

Dîex  par  sa  grasce  me  deffende 
Que  nature  jamès  n'offende. 
Jà  fu  un  temps  que  Toffendi, 
Mes  le  g^uerredon  m'en  rendi; 
Car  elle  qui  esleve  mot, 
Sans  ce  qu'pnques  en  sonnast  mot , 
Elle  me  fist,  ci  se  miron,  - 

Descendre  ou  pié  dou  sommiron. 
Or  y  ot  tant  de  bien  pour  mi, 
Ensi  qu'on  dist  à  ^on  ami , 
Et  qu'on  ramentoit  les  g-rans  plueves. 
En  jonece  me  vint  cils  flueves; 
Car  s'en  yiellece  m'euist  pris 
J'euisse  esté  trop  dur  apris. 
Jonece  endure  moult  d'assaus; 
Mes  en  yiellece  nuls  n'est  sans. 
Pour  ce  fu  dit  en  reprouvier  : 
Enjone  bommct  a  ^rant  recouvrier. 

Si  fui  je  espris  de  grant  anui 
Si  tos  que  je  mie  recogfnui. 


DE  JEAN  FROISSART.  329 

Mes  tout  seul ,  pour  oster  l'escandle 

DoDt  je  voeil  ores  qu'on  m'escandle 

Me  mesfis,  dont  moult  me  repens; 

Car  j'ai  repris  à  mes  despens 

Ce  de  quoi  je  me  hontioie; 

Dont  gfrandement  m'abestioie, 

Car  mieuiz  vault  science  qu  arg^eos. 

Point  ne  le  samble  aux  pluisours  gens 

Qui  ne  scerent  que  bienfais  monte. 

Ançois  me  comptoïent  pour  honte 

Ce  qui  m'a  fait  et  envay 

Et  dont  je  vail.  Ahy  !  ahy  ! 

Et  comment  le  pooie  faire? 

Or  me  cuidai  trop  bien  parfaire 

Pour  prendre  ailleurs  ma  calandise. 

Si  me  mis  en  la  marchandise 

Où  je  sui  ossi  bien  de  taille 

Que  d'entrer  ens  une  bataille 

Où  je  me  tronveroie  en-vis. 

Quant  je  m'avise  et  je  devis 

Comment  oultrages  et  folie 

Me  misent  en  mélancolie 

Quedou  don  de  nature  perdre, 

Pensées  me  viennent  aherdre 

Qui  me  font  sainnier  à  merveilles , 

Et  dient  :  (c  Amis^  or  t'esveilles 

>  Et  remonstre  ce  que  tu  scés. 

»I1  ne  te  doit  pas  estre  scés 

)>De  tes  besong;nes  amplyer. 

))  Et  pour  toi  mieuU  exemplyer 


330  POÉSIES 

»  Et  que  dou  monsirer  aies,  cause» 
»  Lis  nous  ensievaut  cesle  clause.  » 

)i  Les  Romains  qui  jadis  régénèrent 
»  Et  qui  le  monde  gouvrenerent 
»  N'en  orent  pas  la  gouvrenance 
»  Sans  g^and  art  et  bonne  ordenanee* 
»  Et  s'il  Torent,  ce  fu  raisons; 
^  Car  par  hostels  et  par  maisons 
>i  Faisoïent  les  enfants  cerchier 
»  Et  de  leur  nature  encerchier 
»  Là  ou  le  plus  il  s'enclinoient, 
»  Et  à  ce  les  disciplinoient 
)>  En  quelque  labour  que  ce  fust> 
»  De  piere,  de  fer  ou  de  fust, 
)>  De  doctrine  ou  de  garant  science , 
»  Et  avoient  tele  conscience 
»  Que  les  clers  faisoïent  aprendre 
»  Et  les  armeres  armes  prendre. 
>>  Dont  ea  ce  tant  s'abiliterent, 
»  Ettelement  si  délitèrent, 
»  Que  ce  furent  jadis  en  Rome 
»  Li  plus  preu  et  li  plus  sage  homme 
»  Qui  fuissent  régnant  en  ce  siècle, 
»  Tout  ensi  qu'il  comprent  spn  ciercle; 
»  Car  par  seus  tous  les  ars  passèrent 
»  Et  par  armes  les^fbrs  quasserent; 
)>  Et  misent  toutes  nations 
)>  Enclines  à  leurs  actions. 

»  Ensi  par  les  Romains  te  poes 
)>  Aviser  voires  se  tu  voes 


DE  JEAN  FBOISSÂBT.  331 

>i  Tii.  ne  dois  pas  escaxrcyer 
»  Ge  qui  te  poet  ag^raeyer. 
»  Se  tu  es.  ables  et  propisces 
»  D'aucun  art,  et  celi  gnerpisses, 
>}  Envers  ta  nature  mesprens. 
»  Se  tu  Vas  &it«  si  te  reprens  ; 
))  Et  remonstrede  franc  voloir 
»  Ce  de  quoi  tu  poes  mieulas  valoir. 

>>  Néis!  que  diront  li  seigfneur 
»  Dont  tu  as  tant  éo*  dou  leur 
>t  Les  Hoix,  les  Dus  et  li  bon  Conte 
»  Desquels  tu  ne  scés  pas  le  compte, 
»  Les  Dames  et  li  Chevalier  f 
»  Foi  que  je  doiàsaint  Talier  ! 
)>  A  mal  employé  le  tendroient  ; 
»  Et  aultre  foia  il  retendroient 
j»  Leurs  grans  largheces  et  leurs  dons, 
>*  Et  de  droit  aussi  li  pardons 
3>  Ne  t'en  deveroit  estre  feîs, 
»  Quant  tu  es.noucis  et  parfais, 
»  Et  si  as  discrétion  d'omme 
»  Et  la  science,  qui  se  nomme 
»  Entre  les  amoureuses  gens 
»  Et  les  nobles,  li  Mestier&  Gçns  ; 
»Car  tous  coers  amoureus  essaie, 
j»  Tant  en  est  li  oye  gaie  I 
»  Et  tu  le  voe&  mettre  hors  voie, 
V  Si  que  jamès  nuls  ne  le  voie. 
»  Il  ne  fait  pas  à  consentir. 
»  Bien  t  en  poroies  repentir. 


332  POÉSIES 

»  Or  fai  dont  tost-,  et  si  f  esveilles. 
»  Tu  ne  laboures  ne  traveilles 
»  De  nulle  painne  manuelef 
»  Ançois  as  ta  rente  annuele 
»  Qui  te  revient  de  jour  en  jour. 
»  En  grant  aise  prens  ton  séjour. 
)>  Tu  n'as  ne  femme  ne  enfants, 
»  Tu  n'as  ne  terres  neahans, 
»  Qui  ne  soient  tout  mis  à  censé. 
>»  Pour  vérité  je  te  recense, 
>»  Se  Diex  vosist,  il  feuist  fait 
)<  Un  laboureur  grant  et  parfait 
)i  A  une  contenance  estrag'ne^ 
»  Ou  un  bateur  en  une  gragne, 
)>  Un  maçon  ou  un  aultre  ouvrier, 
))  Je  n'ai  cure  quel  manouvrier^ 
»  Et  il  ta  donné  la  science 
>i  De  quoi  tu  poes  par  conscience 
»  Loer  Dieu  et  servir  le  monde. 
»  Or  fai  dont  tos,  et  si  le  monde; 
»  Et  respont,  sans  plus  colyer 
»  Qui  te  fait  melancolyer.  » 

Ensi  me  vient  Philozophie 
Visiter,  et  dire  à  la  fie 
ParoUes  qui  me  font  debatre 
Pour  moi  en  argumens  embatre. 
Et  je  respons  à  la  volée  : 
«  Dame,  dame,  trop  afolée  v 

»  Est  ma  science  en  pluisours  lieu.< 
»  Par  receveurs  et  par  baillieus, 


DE  JEAN  FROISSART.  333 

»  Par  ofBcyers  et  par  gens 
»  Qui  assamblent  les  gfrans  arg^ens 
»  Pour  leurs  enfans  et  pour  leurs  hoirs 
»  Et  font  faire  les  g'rans  manoirs 
»  Où  il  se  dorment  et  reposent, 
»  Et  apainnes  les  seigneurs  osent 
»  Dire  quel  chose  il  leur  besongne. 
»  Mes  quant  il  croist  une  besongne 
))Pourfi table  àceuls  dessus  dts^ 
))  Jà  ne  s'en  ira  escondis 
'  »  Ne  marchéans  ne  couletiers. 
»  Il  ont  bien  des  seigneurs  le  tiers 
»  De  tout  ce  qu'il  ont  de  chevance. 
"»  Ce  grandement  les  desavaace 
»  Et  retrence  leurs  dons  parmi. 
»  Quant  bien  g'i  pense,  he  mi!  he  mi  ! 
»  Je  sui,  foi  que  je  doi  mes  ans! 
))  De  tous  bien  faire  si  pesans 
))  Qu'à  painnes  puis  jo  riens  gloser. 
»  Pour  Dieu  laissiés  moi  reposer. 
»  Vous  dittes  que  bons  jours  m'ajourne 
9)  Et  qu^en  grant  aise  je  séjourne, 
»  Je  le  vous  accorde  :  à  tant  paix.  » 

Lors  dist  elle  :  a  Se  tu  te  tais 
»  Tu  m'esmouveras  en  grant  ire. 
»  Encores  t*en  voeil  je  tant  dire, 
»  Et  s'en  poras  bien  valoir  mains. 
4>  Je  te  pri  ;  nonune  nous  au  mains 
»  Les  seigneurs  que  tu  as  véus 
^  Et  dont  tu  as  les  biens  eus 


331  POÉSIES 

))  Si  prenderant  leurs  hoirs  exemple.  >< 

—  «  Velentiers!  Premiers  tous  exemple 

»  La  bonne,  qui  pourist  en  terre , 

»  Qui  fu  Royne  d'Engleterre  ; 

})  Phelippe  ot  nom  la  noble  dame^ 

»  Propisees  li  soit  Diex  à  Tame  ! 

»  J'en  sui  bien  tenus  de  pryer 

»  Et  ses  larg^heces  escryer, 

))  Car  elle  me  fist  et  créa  ; 

))Ne  onques  voir  ne  s'effréa, 

»  Ne  ne  fu  son  coer  saoulés 

»  De  donner  le  sien  à  tous  lés. 

»  Aussi  sa  fille  de  Lancastre. 

»  Haro  !  mettes  moi  une  emplastre 

»  Sus  le  coer,  car,  quant  m'en  souvient,    ' 

»  Certes  souspirer  me  convient 

»  Tant  sui  plains  de  mélancolie  ! 

»  Elle  morut  jone  et  jolie 

»  Environ  de  ving^^et-deux  ans, 

»  Gaie,  lie^  friche,  esbatans, 

»  Douce,  simple,  d'umble  samblance. 

»  La  bonne  dame  ot  à  nom  Blanche. 

»  J*ai  trop  perdu  en  ces  deus  dames. 

»  J*en  tors  mes  poins,  j'en  bac  mes  palmes. 

»  Encor  ot  la  noble  Royne 

»  Une  fille  de  bonne  orine 

)>  Ysabiel,  et  de  Couci  dame. 

»  Je  doi  moult  bien  proyer  pour  Tame  ^ 

))  Car  je  le  trouvai  moult  courtoise 

»  Ançois  qu'elle  passast  oaltre  Oise. 


DE  JEAN  PaOISSART.  335 

»  Le  Roy  d.*Engleterre  autant  bien. 

»  Son  père  ine  fist  jà  grani  bien, 

))  Car  cent  florins,  tout  d*un  arroi, 

»  Reçue  à  un  seul  don  dou  Roy. 

D  Aussi  dou  Colite  de  flerfort 

D  Pris  ime  fers  grant  réconfort. 

»  Des  dons  monseigneor  de  Mauni 

»  Me  lo  ;  ne  pas  ne  les  rent. 

))Et  son  fils  de  Pennebruc  voir 

»  En  a  moult  bien  €ait  son  devoir,  u 

—  (c  Et  Icgrant  seig'neaT  Espensièr 

»  Qui  de  largbece  est  despensier 

»  Que-f  a-il  fait  ?»  —  «  Quoi  di-je  î  assés  ; 

»  Car  il  ne  Ai  on^ues  lassés 

»  De  moi  donner,  quel  part  quHl  fust. 

i>Ce  n  estoient  cailliel  ne  fust, 

»  Mes  ebevauset  florins  sans  compte; 

»  Entre  mes  mestres  je  le  compte 

»  Pour  seignour,  et  c'en  est  li  uns. 

2>  Et  l'autre  si  m'est  moult  communs, 

»  C'est  le  bon  seigneur  de  Couci 

dQiu  m'a  souvent  le  poing  fouci 

-»  De  beaus  florins  à  rouge  escaille, 

D  C'est  raisons  que  de  li  me  caille. 

»  Et  Beraut^  le  Conte  Daufins 

»  D'Auvergne,  qui  tant  par  est  fins, 

»  AmoureuB  et  cbevalereus; 

»  11  n^est  felems  ne  irens, 

y*  Mes  encKns  à  tous  bons  usages 

«Secrès,  d'iscrès,  loyauset  sages, 


336  POÉSIES 

»  Acointables  à  toutes  gens^ 
»  En  ses  maintiens  friches  et  gens. 
»  Et  son  fil  le  Duc  de  Bourbon, 
»  Loys,  ai-je  trouvé  moult  bon. 
»  Pluisours  dons  m'ont  donné  li  doi. 
))  Aussi  recommender  je  doi 
^  »  Charle  le  noble  Roy  de  France. 
»Grans  biens  me  list  en  mon  enfance. 
»  Le  Duc  et  la  Ducoise  aussi 
»  De  Braibant  moult  je  regrasci, 
»  Car  il  m'oiit  tout  dis  esté  tel 
»  Que  euls,  le  leur  et  leur  hostel 
»  Ai  je  trouvé  large  et  courtois. 
)>  NuUui  ne  congnois  en  Artois, 
»  Mes  en  Haynau  m'en  revenrai 
»  Et  des  segnours  compte  y  tendrai 
»Queg'i  ai  véus  et  servis 
»  Qui  ne  m'i  voient  pas  en-vis. 
»  Le  Duc  Aubert  premièrement 
»  M*a  à  toute  heure  liement 
»Recoeillié,  que  vers  li  aloie 
»  Et  grandement  mieulz  en  valoie; 
»  Et  aussi  mes  seigneurs  de  Blois 
»  Loys,  Jehan,  et  Gui;  des  trois 
»  Moult  acointés  jà  un  temps  fui, 
»  Et  especialment  de  Gui 
)}  Et  encor  le  sui  tous  les  jours; 
»  Car  dalès  lui  gist  mes  séjours, 
»  Cest  le  bon  seignour  de  Beaumont 
»  Qui  m'amonneste  et  me  semont. 


DE  JEAN  FROISSART.  337 

))  Ge  vous  ai-je  bien  en  couvent, 

))  Que  véoir  le  voise  souvent*, 

»  Et  le  senescal,  Diex  li  vaille! 

»  Car  c*est  un  seignour  de  garant  vaille 

»  Et  qui  m*a  donné  volontiers  \ 

»  Car,  ensi  eom  uns  siens  rentiei*s, 

»  Où  quil  me  trouvast  ne  quel  part, 

»  J'avoie  sus  le  sien  ma  part^ 

»  Et  le  seigfuour  de  Moriaumés 

>»  De  qui  je  sui  assés  amés. 

y>  Encor  en  y  a  qui  vendront 

»  Et  qui  mi  mestre  devendront^ 

}»Car  il  sont  jone  et  à  venir^ 

D  Se  m'en  pora  bien  souvenir 

D  Quant  je  ferai  un  aultre  livre. 

y>  Mes  tous  ceulz  qu'à  présent  vous  livre 

»  M*ont  largfement  donné  et  fait. 

»  Si  les  recommende  et  de  fait 

»  Ensi  qu'on  doit>  et  sans  fourfaire, 

»Ses  mestres  et  ses  seigneurs  faire. 

»  Amé,  le  Conte  de  Savoie, 
y>  Je  ne  sçai  se  nomme  Tavoie, 
»  Mes  à  Melans,  en  Lombardie, 
»  Une  bonne  cote  hardie 
»  Me  donna  de  vingt  florins  d'or; 
»I1  m'en  souvient  moult  bien  éncor, 
»  Pour  un  tant  que  moult  me  valirenf  ; 
»  Car  onques  cil  ne  me  faliirent 
»  Jusqu  a  tant  que  je  vinc  à  Romme. 
»  Et  c'est  raisons  que  je  renomme 

FROISSART.  T.  XVI.  22 


338  POÉSIES 

))  De  Cippre  le  noble  Roy  Père, 
»  Et  que  de  ses  bienfais  me  père. 

»  Premiers,  à  Boulongne-la-g^'asce, 
»D*Esconflan  monseigneur  Eustasce 
»  Trouvai,  et  cilz  me  dist  dou  Roy 
»  Dessus  dit  Tafaire  et  Varroi  5 
))  Le  quel  me  reçut  à  ce  tamps 
»  Com  cilz  qui  moult  estoit  sentans 
))  D'onnour  et  d'amour  garant  partie 
î)  Liement  en  celle  partie; 
j»  Et  me  délivra  à  Fer  rare 
»  Sire  Tiercelés  de  la  Rare, 
»  A  son  commanl,  lance  sus  fa«ltre, 
»  Quarante  ducas  l'un  sur  l'aultre. 
»  Haro  !  que  £ai  ?  je  me  bescoce  j 
»  J'ai  oublié  le  Roy  d'Escoce, 
»  Et  le  bon  Conte  de  Duglas 
»  Avec  qui  j'ai  mené  grant  glas. 
»  Bel  me  reçurent  en  leur  marce 
»  Cils  de  Mare  et  cils  de  la  Marce, 
»  Cils  de  Surlant  et  cils  de  Fi  j 
»  Segurement  le  vous  affi. 
»  Je  n'en  sui  mies  si  hays, 
))Que,  se  je  raloie  ou  pays, 
.))  Je  ne  fuisse  li  bien  venus  5 
»  Mes  je  serai  lors  tous  chenus, 
»  Foibles,  impotens,  mas  et  sombres. 
»  Mon  temps  s'enfuit  ensi  q'uns  ombres. 
»  Vis  m  est,  de  quanquej'ai  esté 
»  Que  j'aie  noient  arresté, 


DE  JEAN  FROISSAAt.  339 

»  Ensi  que  dist  eus  ou  psautier 
»  David;  je  li  lisi  Tautr'ier^ 
))  Si  le  retins  pour  valoir  mieuls: 
»  Homs  qui  vis  vois  devant  les  yeud 
»  Mille  ans  amoneelés  ensamble. 
»  C^est  le  jour  d'ier^  il  le  te  samble. 
»  Si  vous  suppli)  très  ehiere  dame, 
»  Laissiés  moi  dont  penser  pour  l'ame; 
»  J  ai  en  moult  de  vainne  gloire  ; 
»  S'est  bien  beure  de  ee  temps  cloire 
)}  Et  de  eryer  à  Dieu  merci 
i)  Qui  ma  amené  jusqu'à  ci.  )» 
Lors  respondi  Philozopbie, 
Qui  onques  ne  fu  assouffie 
D'arguer  par  soubtieves  voies, 
Et  dist:  (c  Amis*  se  tu  scavoies 
»  Que  c'est  grant  chose  de  loenge) 
»  Et  com  prisie  en  est  li  enge, 
»  Plus  chier  l'auroies  à  avoir 
»  Qu'en  tes  coffres  nul  grant  avoir. 
»  Pourquoi  traveillent  li  seigneur 
»  Et  despendent  foison  dou  leur 
))  Ens  es  lointains  pèlerinages, 
»  Et  laissent  enfans  et  linagcs^ 
»  Femmes,  possessions  et  terre, 
»  Fors  seul  que  pour  loenge  acquerre  ? 
»  Que  scevist  on  qui  fu  Gawains, 
))Tristans,  Percevaus  et  Yewains 
»  Cuirons,  Galehaus,  Lanscelos, 
ï>  Li  Boix  Ai*tus,  et  li  Roix  Los 

22* 


340        '  POÉSIES 

»  Se  ce  ne  fuissent  li  regfistre 
»  Qui  euls  et  leur  fès  aministre  ? 
»  Et  aussi  li  aministreur 
»  Qui  en  ont  esté  registreur 
»  En  font  moult  à  recommender. 
»  Je  te  voeil  encor  demander, 
D  Se  no  foy  qui  est  approuvée  > 
»  Et  n*est  elle  faitte  et  ouvrée 
»  Par  Docteurs  et  Euvangfelistes. 
)»  Sains  Pois,  sains  Bernars,  sains  Celistes, 
»  Et  pluisour  aultre^  saint  prodomme 
»Que  li  Sainte  Ëscripture  nomme  > 
»  N'en  ont-il  esté  registreur? 
»  Moult  ont  pour  nous  fet  li  Docteur 
»  De  proufit  et  de  grant  conseil. 
»  Pour  tant;  amis,  je  te  conseil, 
»  Et  te  di  en  nom  de  chastoi  : 
»  Ce  que  nature  a  mis  en  toi, 
»  Bemonstre  le  de  toutes  pars, 
'  »  Et  si  largement  le  dépars 
D  Que  gré  t'en  puissent  cil  savoir 
»  Qui  le  désirent  à  avoir.  » 
Je  respondi  à  sa  paroUe: 
((  Or  soit,  di-je,  que  je  parolle 
»  Que  porai-je  de  nouvel  dire  ? 
))  Je  ne  vous  ose  contredire, 
»  Car  toutes  vos  monitions 
))  Ont  si  douces  initions 
»  Qu'il  n'est  rien  si  trettable  chose. 
»  Mes  dittes  moi,  je  qui  repose 


DE  JEAN  FROISSART.  311 

»  Et  qui  ressongne  travillier, 

»  De  quoi  me  poraUje  esyilUer 

»  Qui  soit  plaisant  et  proufitable 

»  Au  lire  et  loïr  delitable  ? 

)»yoir$  est  q'un  livret  fis  jadis 

»  Qu'on  dist  TAmourous  Paradys, 

)>Et  aussi  celi  del  Orlogre, 

»  Où  grant  part  del  art  d'amours  loge*, 

y  Après  VEspinette  Amoureuse 

»  Qui  n*est  pas  al  oïr  ireuse  ; 

»  Et  puis  l'Amoureuse  Prison 

»  Qu'en  pluisours  places  bien  prison^ 

))Bondeans^  Balades,  Virelais , 

)»  Grant  foison  de  Dis  et  de  Lays  ; 

»  Mes  j*estoie  lors  pour  le  tamps 

))  Toutes  nouvelletés  sentans  , 

))  Et  avoie  prest  à  la  main 

»  A  toute  heure,  au  soir  «t  au  main, 

»  Matere  pour  ce  dire  et  faire 

»  Or  voi-je  changie  mon  afaire 

y>  En  aultre  ordenance  nouvelle.  » 

Et  adonques  me  renouvelle 
Philozophie  un  hault  penser 
Et  dist:  (c  11  te  convient  penser 
»  Au  tempr|>assé  et  à  tes  œvres; 
»  Et  voeil  que  sqs  cesti  tu  oevres. 
»  Il  ne  t'est  mie  si  lontains, 
»  Me  tu  si  frois  ne  si  estains 
y>  Que  mémoire  ne  t'en  revienne. 
»  Et  s'ensi  est  qu'il  te  oonviegne 


342  POÉSIES 

»  Varyer  par  trop  séjourner, 

»  Se  me  fai  prendre  et  ajourner 

»  Où  que  tu  voels,  et  de  par  toy, 

»  Se  brîefnient  ne  le  ramentoy 

»  Ce  que  tu  as  de  pourvéance 

))  Où  tu  n  as  gaires  de  héance. 

»  Or  y  pense.  >»  —  «  Srfaî-je,  dame, 

»  Que  voelt  estre  ?  Ne  sçài,  par  m'ame! 

»  Reeordés  m'ent.  »  —  a  Volentiers,  voir. 

]»  Tu  dois  par  devers  toi  avoir 

»  Un  eoffret  ensou  quel  jadis, 

»  Il  y  a  des  ans  plus  de  dis, 

D  Tu  mesis,  et  bien  m'en  souvient 

n  Puisque  dire  le  me  eouvient, 

»  Un  image  bel  et  propisce 

y^  Fait  au  samblant  et  en  Tespisce 

»  Que  ta  droite  dame  estoit  lors. 

»  Se  depuis  tu  ne  Tas  tret  hors 

»  Encores  le  dois-tu  avoir. 

»  Je  t'en  pri*,  or  y  va  sçavoir , 

)»  Tu  y  scés  moult  bien  le  ehemin; 

n  Et  tu  veras  en  parchemin 

»  L'image  que  je  te  devis, 

^  Pourtrette  de  corps  et  de  vis, 

»  D'yeulz,  de  bouehe,  de  nés,  de  mains, 

»  Toute  otele,  ne  plus  ne  mains, 

D  Ouvrée  en  eouleur  bonne  et  riche 

»  Com  fu  ta  dame  belle  et  friche 

D  Pour  qui  tu  as  les  mauls  d'amer 

))  Senti,  deçà  et  delà  men 


DE  JEAN  FROISSART.  3*3 

»  Tu  y  auras  garant  recouvrier  \ 

»Car  faitte  fu  de  main  d'ouvrier 

»  Qui  riens  n'i  oublia  à  faire  \ 

»  Et  encores,  pour  mieuls  parfaire, 

))Et  plus  près  ta  plaisance  attaindre, 

»  Coulourer  le  fesîs  et  taindre 

»  Proprement,  au  samblant  d'ycelle 

»  Qui  lors  estoit  jone  pucelle  ; 

»  Et  cils  si  bien  y  assena 

»  Qu'en  Timage  à  dire  riens  n  a 

»  De  propriété  ne  d  assise, 

»  Tant  est  à  son  devoir  assise. 

»  Et  si  tos  que  tu  le  veras 

»  De  respondre  te  pourveras, 

»  Et  diras,  sans  nulle  abstenanee, 

»  Par  une  seule  contenance , 

»  Que  tu  fesis  Vimag-e  faire 

^)  Qui  bien  afiert  à  son  afaire 

»  Car  elle  est  droite,  et  a  un  chief: 

»  Veci  celle  qui  de  rechief 

»  Me  remet  la  vie  ens  ou  corps. 

»  Pour  l'amour  de  li,  je  m'acors 

)>  A  estre  jolis  et  chantans 

»  Et  penser  à  mon  jone  tamps 

))  Comment  que  la  saison  m'eslonçe. 

»  Or  ne  quier  voie  ne  eslonge 

))  Qui  te  destourne  de  ce  point , 

»  Car  elle  te  vient  bien  à  point. 

»  Tu  ne  poes  plus  grant  chose  avoir.  » 

—  <(  Haro!  di  je,  vous/littes  voir. 


344  POÉSIES 

»  Il  me  souvient  moult  bien,  par  m'ame  ! 

))  Qu'après  la  façon  de  ma  dame 

))  Je  fis  pourtraire  voirement 

))  Un  imagée  notoirement 

»  Par  un  paintre  sag^e  et  vaillant; 

»De  quoi^  tous  jours  en  travillant 

»  Cest  imag'e  avec  moi  portoie , 

»  Et  gfrandement  me  deportoie 

»  Au  véoir  et  au  regparder. 

»Et  encores,  pour  mieulz  gparder, 

»  Mis  lavoie  en  toile  cirée« 

»  Or  ne  sçai  s'elle  est  empirée, 

»Car  il  a  bien  sept  ans  entiers, 

»  Quoique  g  i  pense  volentiers, 

»  Que  je  n*ouvri,  ne  fui  au  coffre,  m 

Et  lors  Philozopble  m'offre 
Et  me  prommet  que  mon  image 
Sans  villonnie  et  sans  damage 
Trouverai  segure  et  entire. 
Tant  dist,  tant  proeure  et  tant  tire 
Que  briefment  je  me  mis  à  voie, 
Et  là  vinc  où  je  mis  avoie 
Le  coffre,  en  sauf  lieu  et  couvert 
Si  l'ai  deffremé  et  ouvert, 
Et  Timage  que  tant  désir 
A  véoîr  voi  illoec  jesir. 
Je  le  pris  et  le  desploiai 
De  la  toile  où  je  le  ploiai; 
Et  si  trestost  quan  mi  le  vi 
Mou  çoer  entirement  ravi 


DE  JEAN  FROISSART.  315 

En  un  penser  fresc  et  nouvel 
Qui  me  fist  faire i  et  par  revel, 
Un.virelay  en  ce  moment. 
Or  lisiés  vous  ores  comment 

Vtrelay* 

Ve-me-ci  resuseité 
Et  hors  de  péril  jette, 
Puisque  je  voi 
Le  reconfort  où  je  doi 
Prendre  liece  el  santé. 

Et  c'est  bien  chose  certainue 
Que  toute  joie  m'amainne 

Li  regars 
De  ma  dame  souverainne. 
Car  quant  sa  façon  humainne 
Je  reg^ars^ 

Tout  mi  mal  me  sont  esté, 
Gari  et  réconforté, 
Ne  je  ne  boi 
Chose  qui  touche  à  anoi^ 
Saciés-le  pour  vérité. 
Ve-me-ci  etc. 

Et  se  fortune  se  painne 
De  moi  donner  haire  et  painne 
C'est  li  dars 


316  POESIES 

De  quoi  les  amans  fourmainne. 
Mes  quoi  qu'elle  se  demainnc 
Je  me  pars 
De  lui  et  de  sa  durté. 

Et  face  sa  volenté, 

Car  par  ma  foy 
On  ne  vera  jà  en  moi 
Fors  que  toute  loyauté. 
Ve-me-ci  etc. 

En  recordant  ce  virelay, 
Tout  ensi  que  droit  ci  mis  l'ay, 
Et  en  regfardant  mon  imagée. 
Grandement  mon  entente  y  mac-je. 
Ce  me  remoet  un  souvenir 
Qui  me  fait  moult  bien  souvenir 
Dou  temps  passé  et  de  mes  fès. 
Haro!  dî-je>  trop  fui  mes-fès 
Quant  je  g^ardoie  un  tel  threzor. 
Et  si  ne  lai  véu  dès  or 
Que  je  le  mis  en  celle  toile. 
Or  n'a  ou  firmament  estoille. 
Tant  soit  clère  ne  reluisans. 
Ne  pour  moi  propisce  ou  nuisans 
Qui  la  vertu  de  cesti  passe. 
Il  n'est  bericlcs  ne  topasce, 
Rubis,  saphirs  ne  dyamaus, 
Escarboucles  ne  aymans 
Qu'on  dist  qui  arreste  le  fer, 


DE  JEAN  FROISSART.  347 

Qui  me  peuist  faire  escaufer, 
Ensi  que  mon  imagée  a  fait. 
Or  le  \oeil  servir,  et  de  fait, 
Car  moult  m'en  vaudra  le  regard. 
Quant  je  Timagine  et  regard, 
Le  temps  passé  me  ramentoit 
Et  tout  ce  que  mon  coer  sentoît 
Lorsque  ma  dame  regardoie 
Pour  laquele  amour  tous  ardoie. 
Or  ai-je  le  fu  descouvert, 
Et  le  petit  pertuis  ouvert 
Par  où  les  estincelles  sallent 
Qui  me  renflament  et  rassallent. 
Et  ralisent  cel  ardent  fu; 
Tout  ensi  com  Acillès  fu 
Pour  Polixena  la  riant, 
La  fille  au  noble  Roy  Priant, 
Entrées  que  les  trievves  duroient. 
Les  Troyens  qui  moult  curoient, 
Et  les  dames  de  hault  parage> 
De  venir  en  pèlerinage 
Ens  ou  temple  d*Apolinis 
Pour  Hector  qui  estoit  finis; 
Dont  un  jour  Acillès  y  vint 
Véoir  les  dames.  Or  a  vint 
Que  sa  voie  bien  assena, 
Car  la  belle  Polixena, 
Qui  de  beauté  resplendissoit, 
Encontra  que  dou  temple  issoit; 
Et  lorsqu'il  perçut  la  pucelle 


348  POÉSIES 

Aux  siens  demanda  :  »  Qui  est  celle 
»  De  si  noble  et  si  friche  arroi?  »» 
—  «  Fille  est  de  Royne  et  de  Roy 
Ce  respondirent  si  ministre. 
Et  Cupido  lors  aministre 
Son  arclij  et  Tentoise  et  estent. 
Et  entrées  qu'Acillès  entent 
A  la  pucelle  regarder 
Dont  il  ne  se  voelt  retarder, 
Une  flèche  ens  ou  coer  le  fiert 
A  qui  nulle  aultre  ne  s'affierf. 
Moult  dur  navré  d'illoec  se  part 
Et  se  ne  scet  mie  quel  part 
lien  puist  garison avoir; 
Car  son  coer  lî  fait  à  savoir 
Qu'il  est  de  grant  folour  espris» 
Et  s'a  un  grand  oultrage  empris 
Quant  il  aimme  celle,  et  bien  scet 
Que  plus  que  nulle  riens  le  het; 
Car  il  li  a  son  frère  mort. 
Mes  pour  avis  qui  le  remort, 
Ne  pour  péril  qu'à  ses  yeus  voie, 
Il  n'en  poet  issir  de  la  voie 
Qu'il  ne  soit  toutdis,  sans  séjour, 
Pensans  à  celle  nuit  et  jour. 
Il  s'en  alitte^  il  s'en  afame;   . 
Au  Roy  Priant  et  à  sa  famé 
Envoie  un  messagier,  qui  met 
Raisons  avant,  et  qui  prommet 
Qu'il  voelt  estre  leurs  bons  amis; 


DE  JEAN  FROISSART.  349 

Et  dist  comment  Amours  Ta  mis 

En  tel  estat^  tout  pour  leur  fille. 

Tant  Ten  est  que  tous  s'en  exillc; 

Mes  il  le  Toelt  à  femme  avoir 

Et  n  a  cure  de  leur  avoir. 

Assés  en  a  et  terre  et  force. 

Et  dou  prommettre  encor  s'efforce 

Qu*il  li  couronnera  le  cliief, 

Et  qu  il  le  mettera  à  chief 

De  sa  g'uerre  cruense  et  dure. 

En  cel  effroi,  en  celle  ardure. 

En  ces  pensers,  en  ces  anuis 

Passe  Acillès  et  jours  et  nuis. 

Une  heure  moult  se  reconforte, 

Et  l'aultre  si  se  desconforte 

Qu'il  jette  plours,  souspirs  et  larmes. 

Il  het  la  guerre,  il  fuit  les  armes j 

Ne  voelt  porter  lance  ne  targ-e. 

Ançois  lui  et  les  siens  atarge 

De  chevaucier,  et  d  euls  armer. 

Ensi  est  pris  par  fort  amer. 

Et  se  ne  vit  onques  q*une  heure 

Celle  pour  qui  il  se  deveure. 

Mes  le  plus  grant  confort  qu*il  porte 

Et  où  le  plus  il  se  déporte 

C'est  qu  il  a  devers  soi  en  garde 

Un  image,  et  ces ti  regarde, 

Car  en  regardant  s'i  console, 

Et  son  coer  en  pest  et  soole 

A  toute  heure I  quant  il  le  voit, 


330  rOESIKS 

De  ramentevoîr  li  pourvoit 

Polixena  au  corps  parfet 

Contre  qui  Timag^e  estoit  fet. 

Eusi  fortune  le  deniainne 

Qui  jusques  à  la  mort  le  mainne^ 

Car  ens  ou  temple  où  le  cop  prist 

De  Cupido,  quant  il  Tesprist 

De  Tamour  de  la  dessus  ditte> 

Pour  lui  fu  la  terre  entreditte. 

Là  fu  occis,  tout  par  sa  coupe. 

Mes  de  la  mort  de  li  j'encoupe 

Amours,  et  di  qu'il  en  fu  cause, 

Ensi  com  Tystore  le  cause 

Des  Grig^ois,  qui  bien  le  remire. 

Fortune,  ensi  dont  Diex  li  mire, 

Me  demainne,  si  com  je  croi, 

Et  toutes  fois  je  Ten  mescroi  ; 

Car  je  m'arreste  en  grant  folie. 

Et  se  sçai  bien  que  je  folie; 

Si  nen  pui-je  mon  coer  retraîre. 

Bien  scet  le  Dieu  d'Amours  droit  traire 

Quant  ens  ou  coer  me  mist  la  flèche 

Qui  si  mensonnie  et  mebleche 

Que  je  ne  puis  ailleurs  entendre  : 

Et  s'est  la  plaïe  si  très  tendre 

Q'uns  seulz  pensers  le  renouvelle; 

C*est  chose  faée  et  nouvelle. 

Quant  jai  le  temps  passé  tant  chier 

Que  je  ne  m'en  puis  estanchier 

Ne  pour  gpaaing  ne  pour  damagfe; 


DE  JEAN  FROISSART.  351 

El  eficores  en  mon  imag'e 

Prenc  nouvelle  colation 

De  gprande  consolation. 

Or  doinst  Diex  que  bien  m'en  eonviegfne, 

Car  c'est  raison  qu'il  me  souvienne 

De  la  belle  douce  et  rians 

A  qui  je  sui  merci  crians, 

Et  comment  pour  s'amour  jadis 

J  ai  esté  souvent  si  adis 

Qu'à  painnes  me  pooie  aidier, 

Âins  vivoie  de  souhaidier; 

Et  ce  trop  garant  bien  me  faisoit 

Et  grandement  mon  coer  aisoit, 

Quant  je  pooie  en  mon  requoi 

Souhedier,   et  savés  vous  quoi? 

Tant  de  choses  qu'il  n*en  est  somme. 

Or  n'est-il  riens  qui  ne  s'assomme 

Et  qui  par  nature  ne  fine, 

Fors  la  vie  amoureuse  et  fine; 

Mes  celle  ne  poet  definer 

Ne  pour  morir  ne  pour  finer. 

Quant  li  uns  fault,  li  aùltres  vient. 

Ëncores  moult  bien  me  souvient 

Que  cilz  qui  paindi  mon  imagée 

Pour  ce  au  regarder  ml  mach-je^ 

Li  fist  par  très  bonne  ordenance 

De  toute  otele  contenance 

Com  ma  droite  dame  estoit  lors, 

Chevelés  blons^  un  petit  sors, 

Sourcieus,  entrpeil,  nés,  face  et  bouche, 


352  POÉSIES 

Coni  pour  le  temps  a  voit  la  douce, 
Yeus  simples,  vairs  et  attraians 
Et  trop  sagement  retraians. 
Il  me  samble  qu'encor  je  voie 
Son  doulc  regard  aler  la  voie 
Qui  m  ont  livret  iamaint  assaut. 
Ce  souvenir  Diex  le  me  saull, 
Car  moull  il  me  rajovenist, 
Pleûist  Dieu  qu'il  me  Gonvenist 
Rentrer  encor  en  tel  estour 
Et  prendre  mon  certain  retour 
Parmi  jonèce  et  tous  ses  plains* 
Or  regardés  se  je  m*en  plains. 
Nennil,  car  ce  n  est  pas  raisons. 
Moult  vault  une  bonne  saisons. 
Tous  me  resjoïs  quant  g'i  pense. 
Est-il  nuls  homs  qui  en  dispense 
Ne  qui  le   peuist  réitrer 
Qui  le  poroit  jà  impetrer, 
Ensi  qu'on  fait  un  benefisce, 
Une  prouvende,  ou  un  offisce. 
Moult  y  vodroie  travillîer, 
Nuit  et  jour  penser  et  villier 
Ançois  que  je  ne  le  revisse. 
En  quel  pays  que  le  sceuisse. 

J'ai  oy  à  parler  souvent 
De  la  Fontainne  de  Jouvent, 
Ossi  de  pieres  invisibles; 
Mes  che  sont  choses  impossibles , 
Car  onques  je  ne  vi  celi , 


DE  JEAN  FROISSART.  353 

Foy  que  doi  à  saint  Marcelli, 

Qui  desist  :  u  J  ai  droit  là  esté.  » 

Si  ai-je  eii  ce  inonde  arresté 

Trente  cinc  ans^  peu  plus,  peu  mains, 

Donl  j'en  lo  Dieu  à  jointes  mains 

Qui  m'a  amené  si  avant 

Et  f|ui  me  remet  au  devant 

Sa  nativité,  son  enfance  y        ^ 

Sa  sainte  june  et  sa  souffrance, 

Sa  digne  résurrection. 

Et  sa  mirable  ascentioa 

Et  la  sentence  qu'il  fera 

Quant  cascune  et  cascuns  vera 

Son  jugfement  cler  et  ouvert. 

Là  n'i   aura  nuUui  couvert 

De  kamoukas  ne  de  velus. 

Sains  Jehans,  saint  Mars  et  saint  Lus 

Et  sains  Mahieus  droit  là  seront 

Qui  leurs  buîsines  sonneront 

Dont  resusciteront  les  mors. 

Veci  pour  nous  un  garant  remors. 

Car  cascuns  r  aura  sa  car  propre. 

Là  n'aura  pi  té  ne  obpndire. 

Ne  seîgnourie  point  d'arroi. 

Slès  verra-on  le  puissant  Roy 

Rendre  sa  crueuse  sentence. 

Je  tramble  tout  quant  bien  gi  pense. 

Jà  ne  puissè-je  desservir 

Vers  celui  que  je  doi  servir, 

Que  je  perde  par  mon  oultragfe 

FROISSART.  T.  XVI.  23 


35*  POÉSIES 

Des  sains  cieulz  le  noble  hiretage 
Où  sans  fin  joie  adies  commence 
Qu'à  Abraham  et  sa  semence 
Prommist.  Je  me  tiens  de  ses  hoirs  ^ 
C'est  mon  argu  et  mes  espoirs 
Que  les  bons  auront  ceste  gloire. 
Je  voeil  atant  ce  pourpos  clore, 
Et  à  celi  me  retrairai 
Par  lequel  à  moi  attrairai 
Moult  de  coers  loyaus  et  entiers 
Qui  oent  parler  volentiers 
Des  fais  d'amours  et  des  pointures, 
Dont  si  douces  sont  les  ointures 
Qu'il   n'est  nuls  si  delicieus 
Ongemens,  ne  si  precieus, 
Ne  confors  si  grans  ne  si  gens 
Gom  cils  ci  est  à  jones  gens. 

On  dist  en  pluisours  nations 
Que  les  imaginations 
Qu'on  a  aux  choses  sourvenans^ 
Dont  on  est  plenté  souvenans 
Tant  sus  terre  com  en  abysmes, 
Sont  si  propres  d'elles  méismes 
Et  si  vertueuses   aussi 
Que  souvent  apperent  ensi 
Qu'on  les  imagine  et  devise. 
Et  encores,  quant  je  m'avise, 
En  considérant  les  pensées 
Qui  ci  vous  seront  recensées, 
Comment  me  vindrent,  et  de  quoi. 


DE  JEAN  FROISSART.  355 

Soit  en  puhlîc  ou  en  requoi, 

Je  tesmongfne  assés  qu*il  est  vrai  ] 

Car  ensi  que  jà  me  navrai 

Par  penser  souvent  à  ma  dame> 

M'en  est-il  avenu  par  m'ame! 

Et  par  pensées  qui  ou  chief 

Me  sont  entrées  de  rec][iieF 

Et  des  queles  biens  me  ramembre^ 

La  trentième  nuit  de  novembre 

L'an  mil  trois  cens  treiz  et  soissante> 

Que  nul  gai  oizeillon  ne  chante 

Pour  la  cause  dou  temps  divers^ 

Car  lors  est  plainnement  yvers. 

Si  sont  les  nuis  longes  et  grans. 

S'est  nature  encline  et  engrans, 

Ce  poet  on  moult  bien  supposer, 

De  dormir  et  de   reposer. 

Et  je,  qui  volontiers  m'aheure, 

Me  couchai  ce  soir  de  haulte  heure 

Si  m'endormi  en  un  tel  songe 

Où  nulle  riens  n'a  de  menchonge. 

Et  estoit  la  vision  moie 

Qu'en  la  chambre  où  je  me  dormoie 

Véoie  une  clarté  très  grans. 

Et  je,  qui  moult  estoie  engrans 

De  savoir  que  ce  pooit  estre, 

Levai  le  chief.  Si  vi  sus  destre 

Une  dame  courtoise  et  geute. 

Ce  ne  fu  Flore  ne  Argenté  ; 

Ains  estoit  ma  dame  Venus. 

23* 


33G  POÉSIES 

Comment  q'un  peu  soie  chenus, 

«  Dame,  di-je,  dont  j'ai  anoi, 

»  Assés  bien  je  vous  recognoi^ 

»  Car  je  vous  vi  jà  fu  le  tamps; 

»  Et  encôres    sui  bien  senlans 

»  Les  paroUes  qui  de  vo  bouche 

»  Issirent^  qui  est  belle  et  douce. 

— »  T'en  souvient-il.   »  —  «  Oil,  par  m'ainc! 

Di  que  ce  fu.  »  Volentiers,  dame^ 

(c  Vous  me  donnasies  don  moult  riche, 

)>  Quant  coer  g-ai,  amoureus  et  friche 

»  Aroie-je  tout  ùion  vivant, 

))  Et  encores  trop  plus  avant 

))  Que  de  dame  humble,   g^ie  et  lie 

»  De  tous  biens  faire  appareillie 

i'  Seroie  fort  énamourés. 

))  Or  ai-je  vos  dons  savourés. 

M  Non  de  tous,  mes  d'aucuns  me  lœ. 

««ce  Gompains,  dist-elle,  que  je  loe 

»  Ge  dont  tu  te  plains,  je  t'en  jfru  >» 

Volentiers,  je  qui  merci  cri, 

Et  l'ai  fait  ensi  que  tout  dis. 

Je  n'en  ai  riens  el  qu'escondis 

Dangiers  et  refus,  jours  et  nuis, 

Painnes,  et  assaus  et  anuis. 

JSe  sçai  comment  les  ai  portés; 

Mes  je  me  sui  seul  déportés 

A  estre  loyal  et  entiers 

Et  que  de  véoir  volontiers 

i\la  dame,  à  qui  j'ai  tout  donné. 


ffE  JEAN  FROISSART.  337 

««  Or  avés  vons  abandonné 

»  Mon  corag^e  en  un  dur  parti 

»  Car  je^  qui  onques  ne  parti 

»  De  servir  entérinement 

»  Madame»  et  très  benigfnement, 

»  Obéy ,  crému  et  doubté, 

»  Elle  m'a  arrier  rebouté 

»  Pour  autrui  ;  ce  m'est  dur  assés  ^ 

))  Car  mon  jone  temps  est  passés, 

7>  Sans  pourvéance  et  sans  ressort. 

)» Si  que,  je  di  que  tout  vo  sort 

))  Ne  me  sont  que  confusions 

»  Et  très  grandes  abusions .  » 

Lors  me  respont  Venus  en  haste^ 
Et  dist  :  (c  Amis^  si  je  me  haste 
))  De  parler^  par  ire  et  sans  sens 
1)  Tu  m*i  esmoes,  car  je  te  sens    ^ 
»  En  péril  de  toi  fourvoyer. 
»  Dont,  pour  toi  un  peu  ravoyer» 
>»  Je  me  voeil  retraire  à  l'ahan. 
»  Frois  a  esté  li  ars  maint  an 
^  De  mon  ckier  fil^  dont  moult  le  carg^e. 
»  Mes  bien  voi  que,  se  plusatargfc, 
xTu  en  es  en  péril  de  perdre, 
>  Car  en  folour  te  voes  aherdre. 
»  Or  te  cuidoi-je  plus  séur 
»  Mieub  attempré  et  plus  méur. 
)»  On  dist,  et  il  est  vérités  : 
»  On  a  fait  pluisours  charités 
»  A  euls  tamaint  mal  cog^néues. 


/ 


338  VOÉSfES 

»  Tu  eu  as  moult  de  moi  eues, 

»Dont  c'est'damages  et  anois, 

»  Car  noient  ne  les  recognois 

)>  Quant  tu  me  dis  si  grans  obprobres, 

)>  Qui  deuisses  estre  si  sobres 

)>  En  parlers,  en  dis  et  en  fais. 

»  Grandement  vers  moi  te  mesfès 

))  Quant  tu  me  blasmes  sans  raison. 

»  Te  souvient-il  de  la  saison 

»  Pourquoi  au  laidengier  m^accoeilles. 

)>  Je  t'en  pri  que  tu  le  recoeilles 

))  Et  ton  coer  bien  en  examines, 

»  Et  jusques  au  droit  fons  le  mines; 

))  Et  quant  tu  l'as  très  bien  miné 

»  Et  justement  examiné, 

»Si  me  di  quel  chose  il  te  fault, 

»  Et  j'amenderai  le  défaut.  » 

Lors  m'apaisai,  car  bien  perçoi 
Par  les  manières  que  reçoi 
De  Venus,  que  je  le  courèce; 
Et  elle  qui  fout  dis  me  prèce 
Dist  encor  :  «  Tu  es  trop  lentieus. 
»  Se  deveroit  un  coer  gentieus 
9  Reposer  ou  lit  à  ceste  heure. 
»  Tu  sces  que  nature  labeure 
»  Par  bois^  par  gardins  et  par  champs. 
»  Tu  os  des  oizeillons  les  chans 
))  Qui  ne  se  voelent  aquoisier, 
»  Aiins  se  painnent  d'euls  degoisier, 
)>  Vu  os  le  rosegnol  joli. 


DE  JEAN  FROISSART.  359 

»  Seulement  pour  lamour de  li 

»  Te  deverois  esviçuner 

»  Et  dedens  ton  coer  figurer 

»  La  manière  de  son  doue  chant 

))  Car  onques,  puis  soleil  couchant, 

»  1 1  n'ot  ne  arrest  ne  séjour. 

»  Il  est  droit  sus  le  point  dou  jour. 

)>  La  nuis  se  part,  li  aube  crieve, 

»  Est-il  nulle  riens  qui  te  grieve  f 

))Lieve-tOi  ;  alons  nous  esbatre, 

»  Marcir  la  rousée  et  abatre 

»  Dont  Toudour  est  trop  plus  propisce 

»  Et  mieuls  vault  que  de  nulle  espisce, 

»  Et  si  verons  les  arbrisseaus , 

»  Les  fontenis  et  les  rulsseaus, 

»  Et  si  orons  les  oizelés 

»  Chanter  dessus  ces  rainsselés, 

»  Qui  en  euls  solaçant  s^esbatent 

»  Si  qu'il  samble  quil  se  combatent. 

»  Se  Tbelephus  o  moi  avoie 
»  Je  l'auroie  tost  mis  à  voie 
m  Qu'il  m'exposeroit  liement 
»  De  leurs  chans  le  graliemeni, 
»Car  il  entendoit  sus  quel  fourme 
»  Cascuns  sa  chançonnctie  fourme.  » 

Quant  je  l'oy,  je  pris  à  rire, 
Et  di  :  ((  Merveilles  vous  oc  dire. 
dFu  jadis  uns  si  sages  homs 
»  Que  des  oizeaus  que  nous  oons 
»  Entendoit  les  chans  et  les  vtr& 


360  POÉSIES 

})  Qu'il  nous  chantent  par  mos  divers  ^» 
Elle  respont  :  <(  Oïl ,  sus  m'ame  !  » 

—  «  Or  vous  pri,  ma  très  chiere  dame» 
))  Entroes  que  ci  vous  reposés 

)»  La  manière  m  en  exposés 
»  Et  je  me  lèverai  entroes.  )» 

—  ((  Volenticrs,  puisque  tu  le  voes. 
))  Thelephas  fu  uns  pastoureaus 

»  Qui  en  bourses  et  en  foureaus 
»  Avoit  usag'e  de  porter 
»  Ce  dont  il  se  sot  déporter^ 
»  festoient  pipes  et  musettes 
»  Et  canimeaus  à  trois  busettes, 
»  Dont  si  bien  se  sçavoit  déduire 
»  Qu*on  ne  l'en  peuist  introduire. 
»  Cils  servoit  à  Juno  sans  g^ag'es. 
»^Dont  la  Déesse  des  boscag'es, 
»  Des  rivières  et  des  fontainnes 
»  Et  des  préories  lontainnes 
»  0  ses  nimphes  et  ses  pucelles 
»  S'ombrioïent  dessous  saucelles 
»  Qui  dalès  Thelepbus  estoient , 
))  Et  souvent  à  lui  s'arrestoient 
»  Et  le  sie voient  hault  et  bas, 
»  Tant  pour  l'amour  de  ses  esbas 
»  Que  pour  ce  qu'il  estoit  novisces, 
»  Plains  d'ignorance  et  vuis  de  visces. 
))  Dont  Dyane^  qui  moult  Tôt  cbier» 
»  Une  heure  le  vintembracier 
»  Et  li  dist  :  «  Il  te  fault  venir  l  n 


DE  JEAN  FROiSSART.  361 

—  «  Où>  dame:  —  «  Lai-moi  convenir. 
»  Je  te  menrai  dedens  mon  regfne 

»  Où  toute  joliveté  reg'ne, 

yt  Et  te  ferai  g^arde  des  bois, 

»  Des  grans  forés  et  des  herbois^ 

))  Et  te  donrai  un  don  moult  riche, 

))  Que  tout  oizel  en  ton  service 

»  Serent,  et  y  obéiront, 

»  Et  jà  le  jour  ne  périront 

»  Que  ta  vodras  à  euls  parler.  » 

—  ((  Baro,  dist-il,  laissié-me  aler. 
»  Que  diroit  Juno  ma  maîtresse 

))  Qui  si  me  sieut  et  si  m'engresse 
»  Que  ses  brebisettes  je  g^arde.  » 
((  Et  Dyane  adont  le  regfarde; 
»  Si  le  v^it  jone  et  îgfnorant; 
))  Et  ses  pucelles  en  riant 
»  Lidient:  <(  Dame  portons  Tent.  » 
«  Et  ceste  qui  en  ot  talent 
»  L'emporta.  Ensi  fu  ravis 
»  Thelephus,  eom  je  te  devis; 
))  Et  ses  brebisettes  muées 
»  Qui  au  vol  se  sont  remuées, 
»Gar  ce  devinrent  plommion 
»  Trop  mieulz  noant  que  {j^uvion. 
»  Or  quiert  Juno  son  pastourel. 
»  Tout  à  esdos,  sans  gehorel, 
»  Sans  selle,  sans  frain  et  sans  bride 
»  Par  le  monde  cbevauce  et  ride, 
»  Et  Thelephus  partout  demande. 


362  POÉSIES 

))  Aux  quatre  vens  dist  et  commande 

))  Zepherus,  Nortb,  SoD-son-hest,  Hest, 

»  Que  s*il  le  troeveni  où  il  est^ 

»  Comment  qu^il  soit  on  li  ramainne. 

))  Pour  noiçnt  elle  se  fourmainne. 

»  Je  li  lo  qu'elle  s'en  apaise^ 

)}  Car  Thelephus  est  à  son  aise 

>i  Avec  les  nimphes  et  les  fées 

»  Des  montagpnes  et  des  vallées, 

»  Et  plus  bonnourés  qu'il  ne  soeille. 

))  Ossi  vers  vestis  q'une  foeille 

»  Qui  est  dessus  Tarbre,  en  mi  may. 

»  Il  n*a  ne  doubte  ne  esmay 

»  Qu'il  n  ait  {Grandement  sa  cbevanGe, 

»  Car  la  Déesse  li  avance , 

))  Dyane,  qui  bien  li  prommist, 

»  Quant  en  ses  bois  g^arde  le  misf . 

»  Héismes  les  oiseàus  Tonneurent 

»  Et  au  son  de  sa  vois  akeurent. 

))  Il  les  esclifFe;  il  les  appelle; 

))  Il  lor  est  courtine  et  chapelle 

»  A  la  pluie,  au  vent,  à  Vorage. 

))  Il  Taimment  tout  de  bon  coragfe 

))  Comme  leur  Dieu  et  leur  ministre  y 

»  Car  doucement  leur  aministre 

))  Leur  pourvéance  et  leur  pasture 

»  Ensi  que  requiert  leur  nature; 

))  Il  les  anigpe*)  il  les  apaire; 

»  Il  lor  enseng^e  leur  repaire. 

))  Jà  si  loingf  ne  sauront  voler,- 


DE  JEAN  FROISSART.  363 

))  Mes  qu'au  bois  voeillent  ravoler, 
))  Qu'il  ne  retroevent  leurs  maisons. 
)}  Tout  le  cogpnoîssent*^  c'est  raisons, 
))  Fors  que  seulement  li  vaneaus. 
)>  Mes  s*il  est  lours,  s'est  il  isneaus 
»  De  demander  :  »  Las  où  est-il  ?  » 
»  Pour  ce  qu'il  double  le  péril. 

))  Au  bois  se  tient,  non  pas  aux  champs, 
»  Thelephus,  qui  entent  les  chans 
»  Des  oizelés  gais  et  jolis. 
»  Os  tu,  qui  oi  prens  tes  delis 
»  Au  dormir  et  au  reposer, 
»  Le  t'ai  je  scéu  exposer  ?  » 

—  «  Dame,  di-je,  oïl,  par  ma  foi  ! 
»  Mes  je  ris,  savés  vous  de  quoi  f 

»  J'ai  usagpe,  quant  je  me  lieve, 
»  Afin  que  le  jour  ne  me  gprieve 
»  De  dire  une  orison  petite 
»  Ou  nom  de  Sainte  Marg^herite. 
))  Hui  l'ai  commencié  pluisours  fois; 
))  Mes,  ensi  m'ay t  sainte  Fois  ! 
»  Je  ne  l'ai  pou  à  chief  traire.  » 

—  Diex  te  deffende  de  contraire^ 
Ce  dist  Venus  qui  me  pressoit 
Que  son  commandement  près  soit, 

((  Une  aultre  heure  r'aura  son  lieu; 
»  Toutdis  s'acquitte-on  bien  à  Dieu.  » 

—  ((  Dame>  di-je,  je  sui  tous  près.  » 
Et  elle  qui  m'estoit  moult  près^ 

Me  dist  :  a  Afuble  ton  mantel.  » 


364  POÉSIES 

Et  si  le  me  met  en  cbantel 
Par  manière  de  coinierie. 
Là  y  ot  bonne  lu  iterie 
De  moi  à  li,  pour  retourne!* 
Mon  mantel  et  au  droit  tourner» 
Elle  me  £ait  les  bras  estendre. 
Bt  je  qui  toutdis  voeil  entendre  ^ 
A  faire  ce  qu'elle  requiert, 
P^ses  parolles  me  conquiert, 
J'estenc  les  bras  ^  je  fac  la  roe. 
Je  passe  si  roit  que  tout  froe 
Mon  coer  en  grant  liece  ilote. 
Je  sui  plus  leg'iers  q'ane  flote. 
((Dame,  di-je,  par  saint  François  I 
)>  Nous  n'irons  plus  avant  ançois 
))  Aurai  chanté  un  Yirelay , 
))  Car  depuis  un  peu  apris  Tai. 

Virelat/. 

Déduit,  solas  et  plaisance, 
Et  tout  joious  sentement 
Sont  en  moi  présentement 
Et  m*ont  en  leur  gfouvrenancef 

S'en  lo  Amours  qui  me  paie 
D'un  si  plaisant  gfuerredon. 
Car  il  n*est  bienj{ue  je  n^aie 
Quant  je  pense  au  riche  don 


DE  JEAN  PROISSART.  365 

Kt  à  la  douce  ordenance 
Dont  j'ai  le  commencement 
Qui  tele  fortune  attent. 
Moult  est  plains  de  souffisance 

Déduit,  etc. 

Il  n'est  rien  qui  ne  retraie 
Par  nature  à  sa  saison. 
Dont  se  mon  coer  se  ressaie 
Il  y  a  assés  raison^ 

Car  j^ai  bien  la  cog^nissanee 
Que  Désir  ^rant  painne  y  rent  ; 
Et  je  le  croî  liement 
Car  j 'ai  de  sa  pourveance 

Déduit^  etc. 

Ce  virelay  dit  et  chanté 

Je  ne  sçai  qui  m'ot  encbanté, 

Mes  grandement  lies  me  sentoie 

Et  à  tous  déduis  m  assentoie 

De  quoi  Vernis  m'amonnestoit. 

Et  encores  tele  heure  estoit 

Que  je  m*en  fîiisse  à  mains  passés, 

Car  j'en  fiaisoie  plus  assés. 

Espoir,  qu'il  ne  me  fustbesoing*. 

Mes  Plaisance  et  Désir  sans  seing 

Pluisours  «hoses  souvent  emprendent, 

Dont  garde  à  nulle  fin  ne  prendent. 

Et  nom-pour-quant^  bien  me  ra membre, 

Quoique  legier  fuissent  mi  membre, 


3C6  POÉSIES 

Mes  manières  et  mi  atour, 

Mes  contenances  et  mi  tour^ 

Plaisoient  moult  bien  à  Venus; 

Et  me  disoit  :  a  Nulle  ne  nuls 

»Ne  t'en  deveroit  pis  yoloir^ 

»  Car  tu  fais  tout  de  grant  voloir 

»  Ens  ou  nom  de  ta  droite  dame; 

»  C'est  ce  qui  te  moet  et  entame. 

»  Et  s'ensi  té  voes  maintenir, 

»  Je  ne  te  porai  retenir 

»  Que  tu  ne  viennes  en  Tadrece 

»  Dou  joli  Buisson  de  Jonece.  » 

—  «  Haro  :  dame  !  que  dittes  vous  f 

»  Or,seroi-je  11  vpstres  tous 

»  Se  droit  là  me  yoliés  mener. 

))  Je  n'ai  cure  dou  ramener, 

»  Car  pleuist  ore  au  Roy  céleste 

'))  Que  par  souhet  g*i  peuisse  estre 

»  Et  je  n'en  partesisse  mes. 

»  Vous  m'auriés  servi  d'un  hault  mes 

»  S'ensegnier  m'i  voliés  la  voie. 

»  Je  vous  pri,  dame,  que  je  voie 

»  De  Jonece  le  franc  Buisson  ; 

»  Il  y  a  jà  des  ans.  foison 

»  Que  je  ne  m'i  poc  ombryer; 

)}  Trop  m^avés  laissié  sobryer 

»  Qui  me  tienc  li  uns  de  vos  fils.  » 

Lors  dist  Venus  :  «  Es-tu  tous  fis 

))  De  toi  sagement  déporter^ 

»  Et  les  biens  et  les  mauls  porter 


V 


DE  JEAN  FROISSAUT.  367 

»  Qui  d'aventure  ti  vendront, 
»  Car  pluisours  choses  t'avendront 
»  Entroesque  tu  seras  en  l'ombre.  » 
Lors  li  di  :  (c  Mettes  moi  ou  nombre 
»  Hqrdiement  des  avisés. 
)>  Et  encor,  se  bien  y  visés^ 
»  Vous  savés  que  jadis  y  fui  ; 
»  Il  n'i  a  chambre  ne  refui 
»  Où  dou  temps  passé  esté  n'aie, 
))  Espinette,  pertuis  ne  haie  ; 
»  S*en  çognois  assés  les  usages. 
»  Vous  m'i  verés  entre  les  sages 
»  Bellement  avoir  et  déduire.  » 
Dist  Venus  :  a  Je  t'i  voeil  conduire. 
»  S  en  seras  de  tant  enrichis.  » 
Et  je  li  respont  :  «  Grant  mercis  !  » 
Moult  me  sambloit  jolis  li  tamps 
Et  au  regfarder  delittans; 
Li  airs  seris  et  atjemprés. 
En  bois,  en  jardins  et  .en  prés 
Les  herbelettes  se  poindoient; 
Qui  près  à  l'un  l'autre  joindoienf. 
Rentrés  estoit  en  sa  caverne 
Y  vers  5  qui  est  larghe  taverne 
De  pluie,  de  vent  et  de  froit. 
Estes  habondamment  ofTroit, 
Et  juroit  en  sa  loyauté 
Qu'il  tendroit  le  temps  en  beauté) 
J'en  vî  les  lettres  de  quittances^ 
Je  vous  dirai  en  quels  istances. 


368  POESIES 

> 

Zepliérus,  qui  si  souef  vente, 
Avoit  ses  soufflés  mis  à  vente 
Com  gpracieus  et  bien  apris> 
Et  là  remonstroit  de  quel  pris 
Il  estoient,  par  tel  couvent 
Car  il  souffloient  un  doue  vent 
Si  cler,  si  net  et  si  seri 
Qu'onques  foeillette  n'en  péri. 
El  nen  faisoient  que  crineier; 
Et  en  après  9  pour  recincier 
Le  doulc  air  qui  venoit  sus  fautre^ 
Il  rendoit  à  la  fois  un  aultre 
Qu'on  recoeilloit  par  grant  solas. 
Je  ne  seroie  jamès  las 
D*estre  en  parti  de  tel  arroi; 
Car  se  le  temps  deuist  un  Roy 
Recevoir,  pour  li  bien  arrer, 
11  ne  se  peuist  mieuls  parer, 
Ne  vestir,  ne  appareillier. 
Moult  avoient  bel  orillier 
Toutes  bestelettes  dormans. 
Il  n'est  paintres,  tant  soit  Normans^ 
Ne  François,  ne  d'autre  pays, 
Ne  tant  soit  bons  ouvriers  nays, 
Ne  renommés  de  ce  mestier, 
  qui  ne  fesist  bien  mestier 
De  prendre  patron  et  exemple 
A  ce  temps  que  je  vous  exemple. 
Car  fleurettes  jones  et  vives 
Hors  de  bnsettes  et  de  tives 


DE  JEANFROISSART.  369 

Âpps^*oïeiit  de  f  ouf  es  pars 

Par  champs,  par  jardins  et  par  pars, 

Cent  mille  par  cent  mille  forgées. 

Et  cil  oizeillon  en  leurs  gorges 

Avoïent  notes  et  chançons. 

Dont  si  gfrande  estoit  la  tençons 

Qu'à  painnes  me  pooie  oïr. 

Bien  se  doit  un  coer  resjoïr 

Qui  en  mai*ce  et  en  lieu  séjourne 

Où  uns  si  beaus  jomrs  il  ajourne 

Que  cils  estoit  qui  se  formoit. 

La  matinée  m  enfourmoit 

Qu'il  feroit  bel  oultre  Tenseng^ne. 

Venus  àchief  de  mois  m'ensengfne 

Ce  que  je  voi  moult  volentiers, 

Ce  sont  roses  et  englentiers^ 

Fleurettes  et  vers  arbrisseaus 

Graviers,  fontenis  et  ruisseaus; 

Et  me  diït  :  a  Alons  y  seoir 

»  Pour  imag'iner  et  véoir 

»  Comment  li  aig^e  et  la  g'ravelle 

1  A  l'un  Tautre  jue  et  reveile.  » 

Par  grant  solas  y  sont  assis 

Tout  en  alant  cinc  fois  ou  sis 

Et  rafresci  à  bonne  entente. 

Elle  me  moet  encor  et  tempte 

Que  je  voeille  un  virelay  dire. 

Je  ne  l'en  ose  contredire 

Lor  en  di  un  qui  se  commence 

Par  une  amoureuse  semence. 

FBOISSABT.  T.  XVI.  21 


370  POÉSIES 

Virelay. 

Par  une  amoureuse  semence 
Que  bonne  amour  m'a  ou  coer  mis 
Vostre  serai,  dame,  à  tout  dis. 
Ne  pensés  jà  que  je  vous  menée. 

Car  très  dont  que  premièrement 
Vi  vostre  doulc  contenemenl 

Et  friche  arroi 
A  vous  me  donsai  liegement, 
De  bon  coer,  enterinnement-, 
Car,  par  ma  foi, 

Jl  nest  pas  temps  que  je  commence 
De  vous  servir,  dame  de  pris; 
Car  ens  ou  point  où  jà  fui  pris, 
Sui  et  serai,  qui  qui  me  ience 
Par  une  amoureuse  etc. 

Or  vous  suppli  très  humblement 
Que  vous  mettes  alieg'ement 

Sus  mon  anoi; 
Si  seront  aidié  g^randement 
Les  mauls  passés  et  li  présent 
Que  je  reçoi. 

Il  n'est  homme  jour  ne  dimence 
Que  je  pense  à  vo  cler  vis  ; 
El  telemeut  y  sui  ravis 
Qu  adies  ce  mal  me  recommence 
Par  une  amoureuse  etc. 


DE  JEAN  FROISSART.  371 

Moult  g^randement  plot  à  Venus 
Ce  virelay^  et  dist  que  nuls 
Ne  le  poroit  nés  un  tel  faire 
Sans  sentir  Tamoureus  afaire. 
A  ce  qu'elle  voelt  je  m'assens ^ 
Et  puis  li  di,  selonc  mon  sens  : 
<(  Foi  que  je  doi  à  Sainte  Crois  ! 
»  Dame,  je  crienc  et  me  mescrois 
»  Qu  a  présent  ne  vous  fourvoyés. 
))  Je  vous  en  pri,  que  vous  voyés 
»  Se  noient  nous  nos  fourveions 
»  Afin  que  nous  nos  ravoions^ 
»  Car  al  homme  qui  se  fourvoie 
))  Trop  li  est  longue  courte  voie.  » 
Et  elle  respont  en  riant  : 
((  S'un  petit  alons  detrîant)  . 
^>  Tant  nous  est  le  déduit  plus  Ions. 
»  Mes  je  scai  bien  que  nous  alons 
»  Droit  au  Buisson  sans  nul  fourvoi. 
y>  Et  jà  par  devant  nous  le  voi; 
))Car  nous  y  vendrons  tempremenf, 
))  Sans  avoir  nul  emcombrement.» 

Lors  me  fu  vis  qu'en  une  lande, 
Ne  sçai  se  c*estoit  en  Irlande, 
En  Eng^leterre,  ou  en  Norg-alles, 
Mes  ensi  qu  on  ramentoit  gfalles 
Et  aventures  qui  sourviennent, 
Car  à  la  fois  souvent  aviennent 
Pluisours  choses  à  moult  de  gêna 
Dont  le  record  est  beaus  et  g^ens; 

24* 


372  POÉSIES 

Et  pour  ce  que  cils  me  plaist  si 

Je  le  voeil  recorder  ensi 

Qu  il  m'en  avint^  foi  que  vous  doi! 

Venus  me  tenoit  par  le  doi 

Qui  moult  garant  solas  me  portoit  y 

Car  elle  à  moi  se  deportoit 

De  pluisours  choses  en  alant^ 

Et  venimes,  tout  en  parlant, 

Parmi  la  lande  longue  et  lée 

Où  il  n  ot  terne  ne  vallée^ 

Ce  me  fu  vis ,  droit  au  buisson 

Dont  je  ne  sçai  pas  la  muison 

Volumer  ne  le  compas  prendre 

Car  je  poroie  bien  mesprendre 

Au  mesurer  bien  et  à  point  ; 

Mes  elle  ne  s*ar resta  point 

A  nuls  des  cors  ne  à  lentrée. 

Ançois  est  par  dedens  entrée. 

Et  je  o  li,  sans  plus  d'attente. 

Or  mis- je  g^randement  m'entente; 

Et  me  fu  adont  grans  esbas 

De  regarder  et  hault  et  bas 

Pour  imaginer  de  quel  fourme 

Le  buisson  dont  je  vous  enfourme 

Estoit,  mes  com  plus  le  regarde 

Mains  m'i  cognois,  se  Diex  me  garde  ! 

Bien  me  sambloit,  c'est  fin  de  somme 

Tous  ossi  réons  q'une  pomme 

A  manière  d*un  pavillon. 

De  mains  assés  s'esmervillon. 


DE  JEAN  FROISSART.  373 

Car  je  ni  vi  tuiel  ne  bus 

Dont  j'en  estoie  tous  abus. 

Et  pensieus  que  ce  voloit  estre 

Dont  il  pooit  croistre  ne  nesirc 

Qui  le  portoit.  Riens  n'en  sa  voie  > 

Mes  onques  tel  véu  n'avoie 

En  Yermendois,  ne  en  Bapaumes, 

Car  il  estoit  plus  hault  cens  paunH^s 

Que  nuls  qu'on  en  peiiist  trouver. 

Et  encores  pour  esprouver 

La  grandeur  y  se  je  le  peuisse> 

Ou  se  faire  je  le  sceuisse^ 

Volontiers  y  fuisse  avenus. 

Mes  je  ne  sçai  mie  se  nuls 

Le  poroit  justement  comprendre. 

Nom-pour-quant  pour  le  compas  prendre 

Dou  milieu,  selonc  tout  mon  sens, 

Au  cheminer  avant  m'assens. 

Mes  tant  ne  me  sçai  eslongier 

Que  j'en  neuisse  riens  voir  jug^ier 

Pour  faife  question  ne  prueve. 

Car  tout-dis  ou  milieu  me  trueve 

Par  samblance,  non  par  raison. 

Ensile  lais  par  tanison,. 

Et  emploie  aillours  mon  pourpos. 

Ce  buisson  dont  je  vous  pourpos 

Avoit  une  couleur  très  propre 

Qui  n  estoit  mies  de  sinopre 

D'or^  ne  d'arg'ent^ne  de  noir  pur^ 

Ançois  se  traioit  sus  Tazur^ 


374  POESIES 

Cler  et  fm  et  resplendissant^ 
Riens  ne  Taloit  amatissant. 
Mes  à  chief  de  fois  il  s'ondoie 
Sus  le  blane^  c'est  raisons  c'on  doie 
Parler  d  ouvrag'e  de  tel  pris 
Je  n  avoie  noient  apris 
A  véoir  chose  si  notable. 
Si  me  sambloit~il  peu  estable, 
Car  il  se  transniuoit  souvent; 
Mes  c'estoit  par  le  fait  dou  vent 
Qui  le  demainne  et  le  debrise. 
Com  plus  le  voi  et  mieulz  le  prise. 
Mes  saoulés  je  n'en  puis  estre. 
Lors  regarde,  et  perçoi  sus  destre, 
Ce  me  fu  vis,  vers  nous  venant 
Un  jovencel  moult  avenant, 
Friche  et  g^ai,  et  de  bonne  taille. 
Nostre  voie  moult  bien  se  taille, 
Ce  me  samble,  à  l'aler  vers  lij 
De  quoi  moult  il  m'en  abelli^ 
Tant  pour  ent  cog-noissance  avoir 
Que  pour  plus  justement  sçavoir 
Le  nom  dou  lieu  où  sui  remés 
Et  où  je  me  senc  enfremés 
Qui  le  gouverne  et  qui  le  tient 
Et  qui  le  bel  buisson  maintient. 

A  nous  s'en  vint  le  jovenceaus, 
Qui  moult  fu  friches  et  isneaus^ 
Gent  de  corps  et  de  lie  maintien. 
Sa  contenance  bien  retien. 


DR  JEAN  FROISSART.  375 

Assés  monstroit  qu'il  fust  mis  sus , 
De^bon  lieu  nouris  et  issus. 
Grant  temps  a  que  je  n  ai  véu 
Nul  jone  homme  miieulz  pourvéu 
De  ce  qu  il  afCert  à  eointise. 
Veslis  fu,  à  la  bonne  gise, 
De  g^arnement  nouvel  et  riche 
Ouvré  de  taille  bonne  et  friche. 
Un  chapelet  de  flours  portoit, 
Et  à  la  fois  se  deportoit 
D'un  vert  bastoncel  de  fenoul. 
Il  s'enclina  sus  son  g'enoul 
En  nous  saluant  doucement. 
El  Venus  n'i  mist  longuement 
De  lui  rendre,  par  bonne  estrine, 
Son  salu;  n'en  fu  pas  estrine 
Car  de  lui  ne  sçai  mieulz  parlans 

En  quelque  lieu  que  soie  alans. 
Dont,  par  les  parlers  qu'elle  dist, 
Cognoissable  de  lui  me  fîst. 
€e  dist  lors  Venus  à  Jonece 

<(  Amis  qui  tant  amés  liece, 

))  Tous  déduis  et  esbatemens 

))  Et  amoureus  acointemens, 

»  Danses,  paroUes  et  depors, 

»  Bonnes  nouvelles  vous  apors. 

»  Vecî  un  mien  ami  très  grant, 

»  Pour  lui  fai  caution  et  crant 

»  Qu'il  a  le  coer  d'otel  taille 

»  Com  ont  cil  de  vostre  bataille. 


376  POÉSIES 

»  Et  encores,  pour  mieub  sentir 
»  Que  i?rai  le  trouvés  et  entir, 
»  Vous  li  monsterés  hault  et  bas 
))  De  vos  depors  pluîsours  esbas. 
D  Fait  tes  li  tant  quil  vous  soufiisse; 
»  Car  bien  affiert  à  vostre  offîsce 
»  Que  vous  soyés  courtois  et  ^ens 
»  Â  toutes  amoureuses  gfens.  » 

Et  Jonece  respondi  lors: 
«  Dame,  mon  coer,  aussi  le  corps 
»  Avés  tout  prest  à  vo  service. 
»  On  ne  me  vera  jà  si  nice 
))Qu'à  ce  que  vous  me  commandés 
»  Vous  ne  autrui  riens  amendés. 
»  Je  prenc  le  jone  homme  en  ma  g^arde.  » 
Et  Venus  qui  lors  me  regarde 
Prent  congié  et  d'illoec  se  part. 
Elle  me  lait,  Diex  y  ait  part! 
0  Jonece  mon  compagnon. 
Ënsi  souvent  s'accompagne  on. 

Je  fui  tos  acointés  de  li. 
Car  je  le  vi  friche  et  joli, 
Jone  et  gent, courtois  et  discré, 
~  Obéissant  à  tout  mon  gré, 
Très  enterin  et  moult  engrant. 
Nous  sons  d'un  cage  et  d'un  grant, 
D'une  manière  et  d'un  aler^i 
D'une  vois  et  tout  d'un  parler^ 
Et  c'est  chose  qui  bien  s'acorde. 
Car  le  philozophe  recorde 


DE  JEAN  FftOISSART.  377 

Que  sannables  quiert  son  sannable. 
Or  Tai-je  lie  et  raisonnable 
El  tel  que  je  le  voeil  avoir, 
Car  se  riens  me  plaist  à  savoir 
Qui  me  soit  de  nécessité. 
Il  le  me  dist  par  amis  té 
Et  le  me  monstre  et  appareille. 
A  moi  tent  volentiers  Toreille 
De  tout  ce  que  j'endure  et  sens^ 
A  lavis  de  son  jone  sens 
Me  conseille  si  très  à  point 
Que  je  n'i  voi  de  default  point. 

Moult  a  cils  bon  poisson  peschiet 
Quant  al  aventure  il  eschiet 
A  compag^non  sag'e  et  secré, 
Courtois,  humble,  lie  et  discré, 
Etgfarni  de  tous  tels  bons  mours 
Qu'il  fault  à  amant  par  amours 
Largue,  loyal  et  bien  celant 
Et  si  justement  conseillant 
Qu'on  ne  puist  sentir  ne  ne  voie 
Que  son  conseil  riens  se  fourvoie. 
Or  lai  tel ,  si  le  voeil  g^arder. 
Je  ne  le  puis  trop  regparder, 
Car  je  le  voi  moult  volentiers. 
Il  m'ensengne  tous  beaus  sentiers, 
Et  gfrandement  me  resjoïst 
De  ce  que  de  coer  conjoïst 
Flourettes  et  vers  arbrisseaus 
Et  quert  fontenis  et  ruisseaus. 


\ 


378  POÉSIES 

Quant  il  y  est,  se  s'i  ombrie. 
Ënsi  avec  moi  se  sobrie, 
Si  com  un  jone  homme  doit  faire 
Attaint  del  amour'eus  afaire  ; 
Tenir  doit  toute  vie  sobre, 
Ou  aultrement  trop  il  s'obprobre 
-   Et  vient  un  temps  qu'il  s*en  chastoie. 
Une  fois  dalès  lui  estoie. 
Si  Taraisonnai  dou  buisson 
Où  j'avoïe  jà  garant  fuison 
Cheminé  à  mont  et  à  val, 
Une  heure  à  pié  l'autre  à  cheval. 
Et  li  dis  :  a  Compains  et  amis, 
))  La  dame  qui  o  vous  m'a  mis 
»  Me  dist  jà  que  vous  me  diriés, 
»  Endementroes  qu'o  moi  sériés, 
»  De  ce  bel  buisson  Tordenance 
»  Et  gfrant  part  de  la  g^ouvrenance. 
»  Se  cest  chose  qu'on  puist  savoir 
»  Cognoissance  en  vodroie  avoir.  » 
—  «  Oil ,  ce  respondî  Jonece. 
»  11  nest  riens  de  quoi  on  n  adrcce. 
»  Tout  ce  que  j'en  sçai  vous  orésj 
»  Sus  ce  aviser  vous  pores. 

»  Compains,  comment  que  par  samblance 
)>  J'ai  la  coulourjonete  et  blance, 
»1Si  fui-je  aux  escoles  jadis, 
»  Il  y  a  des  ans  plus  de  dis; 
»  Et  là  nous  lisoit  à  le  fie 
»  Uns  mestres  en  philozophie 


DE  JEAN  FROÏSSART.  379 

»  LiçoTis  d*astrolog^îe  gfrans; 

)>  Et  j'estoie  lors  moult  engfrans 

»  Que  de  retenir  et  d'aprendre. 

»  Pluîsours  fois  li  oy  comprendre 

»  Le  firmament,  qui  est  réons 

»  Que  coustumierement  véons, 

»  A  un  buisson  vert  en  tons  tamps. 

»  Et  encores  sui  bien  sentans, 

))  Que,  pour  plus  plainnement  parfaire 

»  L'entention  de  son  afaire, 

))  Il  figfuroit,  tout  par  raison, 

))  Les  foeillettes  de  ce  buisson 

))  Aux  estoilles  qui  sont  sans  nombre. 

»  Avec  ce  il  comprendoit  l'ombre 

»  Dou  buisson  qu'il  universoit 

»  A  nature,  et  li  conversoit, 

)>  La  quelle  ordonne  et  baille  et  livre 

»  Au  monde  ce  dont  il  doit  vivre, 

1  Et  aministre  nuit  et  jour, 

»  Sans  avoir  arrest  ne  séjour, 

»  Ne  gfarder  dimences  ni  festes, 

»  Hommes,  femmes,  oiseaus  et  bestcs; 

))  Et  donne  à  cascun  et  cascune 

»  Sa  propriété  si  commune 

))  Que  cascuns  a  se  qualité 

»  Revenans  à  moralité 

))  De  la  figfure  dessus  faitte, 

))  Afin  qu'elle  soit  plus  parfaitfe. 

))  En  ce  buisson  jusqu'à  sept  branches 

»  Met  toit,  selonc  les  ramembrances 


380  POÉSIES 

))  Que  j'ai  del  astrologfyen  ; 

»  Et  celles  de  si  grant  eng'ien 

»  Et  si  magpistraus  faisoit  estre 

))  Que  trestout  ce  qui  pooit  nestre 

»  Ne  dessous  leurs  èles  comprendre 

»  A  elles  estoit  à  reprendre. 

»  Et  ces  branches  cleres  et  nettes 

»  Fig^uroit-il  aux  sept  planettes. 

»  A  cascune  un  nom  arrestoit. 

»  La  Lune  la  première  estoit; 

»  La  seconde  Mercurius, 

))  Et  la  tierce  appelloit  Venus;. 

>  Le  Soleil  nommoit  la  quatrime; 

»  Et  Mars  prendoit  pour  le  cinquime. 

»  La  sisime,  qui  bien  le  nombre ^ 

»  Jupiter  le  mettoit  en  nombre. 

»  La  septime,  selonc  son  us, 

)>  Appellée  estoit  Saturnus. 

»  Ensi  les  ai  nombrées  toutes. 

»  Il  en  y  a  de  moult  estoutes^ 

»  De  douces  et  de  felenesses. 

»  Et  pour  ce  que  tu  es  en  esses 

»  A  penser  sus  ceste  matere, 

))  Je  te  dirai  de  quel  mis  1ère 

»  Elles  sont)  selonc  l'astrologe 

)>  Où  grant  philozophie  loge. 

»  La  Lune  coustumierement 
»  Gouverne  tout  premièrement 
)>  L'enfant,  et  par  quatre  ans  le  garde, 
»  Et  sus  sa  noureçon  regarde. 


DE  JEAN  FROISSART.  381 

»  Très  quil  est  ou  ventre  sa  mère  , 

»  Le  prent;  pas  ne  li  est  amere, 

»  Ains  en  pense  moult  justement , 

»  Et  le  nourist  très  muistement. 

»  C'est  pour  Tenfant  un  g^ant  secours. 

»  Et  si  tost  qu'elle  a  fait  son  cours, 

»  A  Mercurius  le  délivre 

»  Lequel,  ce  nous  dient  le  livre , 

»  Au  nourir  dis  ans  se  delitte, 

»  Et  la  langfue  li  abilite 

)>  Pour  parler  3  cilz  ensi  Tordonno 

»  Et  mouvement  d'aler  li  donne, 

D  Et  le  fait  soubtil  et  appert; 

))  Et  là  où  li  enfès  s'ahert 

»  Et  le  plus  s'encline  en  ce  temps  ^ 

»  Il  est  volontiers  arrestans. 

)>  Mercurius  ensi  Taprent. 

))Puis  vient  Venus  qui  le  reprent 

))  Et  qui  dis  ans  après  en  songne^ 

I)  Vous  devés  sçavoir  de  quel  songne. 

»  D'ig-norance  le  levé  et  monde , 

))  Et  li  fait  cogfnoistre  le  monde 

»  Et  sentir  que  c'est  de  delis, 

»  Tant  de  viandes  com  de  lis  ; 

»Et  le  fait  gai,  joli  et  cointe, 

»  Et  de  tous  esbanois  Tacointe. 

»  Puis  vient  le  Soleil  cler  et  gens^ 
»  Qui  n'en  est  mie  negligens^ 
))  Ains  le  fait  à  tout  honneur  tendre 
»  Et  à  plainne  chevance  entendre; 


382  POÉSIES 

»  Tamaint  visce  en  son  coer  pourist; 

»  Et  jusqu'à  dis  ans  le  nourist. 

»  Apres  vient  Mars  qui  douze  ans  règne. 

»  Celle  a  sus  Tomme  un  moult  garant  re{rDe , 

»  Car  par  lui  prent  la  cognoissance 

»  Que  c'est  d'avoir  et  d«  poissance. 

»  Adont  voelt  li  homs  qu'on  lonneure, 

»  Bien  li  samble  qu'il  en  soit  heure. 

))  D'estre  appelles  et  avanciés 

»  Ne  seroit  il  jà  estanchiés. 

»  Ceste  planète  est  dure  et  fière  ] 

»  N'est  nulle  qui  à  li  saffiert 

»  De  grant  orgoeil  et  de  fierté. 

))  Toutes  guerres  tient  en  chierté 

»  Hustins,  meslées  et  desbas. 

))  A  tels  choses  prent  ses  esbas, 

»  Et  encline  Tomme  à  acquerre 

»  Soit  par  grant  art  ou  par  conquerre. 

))  Puis  vient  Jupiter  tout  le  cours 
))  Qui  à  Tomme  fait  grant  secours  ^ 
»  Car  d'outrages  et  de  folies 
»  Et  de  pluisours  mélancolies 
))  Où  jadis  il  s'est  embatus 
»  Et  dont  il  a  esté  batus, 
))Tant  par  lui  com  par  Tautrui  ire, 
»  Compains,  vous  povés  moult  bien  dire 
))  Que  la  planette  Ten  délivre, 
»  Et  plus  segur  estât  li  livre 
»  Qu'on  doit  prisier  et  honnourer, 
»  Car  elle  li  fait  savourer 


DE  JËÂN  FROISSART.  383 

))  Paix  de  corps  et  repos  pour  TaniP, 
»  Ordonner  sépulture  et  lame, 
»  Amer  l'église  et  Dieu  cremir, 
»  Recog^noistre ,  et  de  ce  frémir, 
»  Que  cils  mondes  n'est  q'un  1  respas. 
»  Geste  planette  ne  lait  pas 
»  L'omme,  ançois  Testoie  et  yverne 
»  Et  douze  ans  au  plus  le  gfouverne. 

»  Puis  vient  Saturnus  li  obscure 
»  Qui  de  nul  bien  faire  n'a  cure, 
»  Ne  qui  ne  scet  servir  à  gré, 
»  Et  règne  au  septime  degré, 
))  Tant  qu  a  nous  c'est  la  plus  lontainne. 
»  Elle  est  plus  froide  que  fontainne.' 
»  Moult  sont  doubtable  et  dur  si  meur. 
»  L'omme  fait  vivre  en  grant  cremeur 
»  Et  jusques  en  la  fin  le  mainne. 
»Et  tout  ce  que  nature  humainne 
»  Forge  et  oevre,  sans  nul  repos, 
»  Elle  délivre  à  Atropos 
»  Qui  desquire  tout  et  deveure 
»  Sans  regarder  terme  ne  heure , 
»  Ne  n'espargne  roy  ne  berghier. 
»  Tout  fait  en  terre  herbergier 
»  Maugré  Cloto  et  Lacesis. 
))  Je  ne  seroïe  jà  nesis 
»  De  parler  eut  trois  jours  entiers; 
»  Voif'es  s'en  m'ooit  volontiers. 
»  Et  je  i:espons,  sans  plus  attendre  : 
»  Bien  vous  oc^  mes  c'est  sans  entendre  5 


3U  POÉSIES 

»  Car  mou  coer  est  voir  si  espars 

))  De  tous  lès  et  de  toutes  pars 

»  A  véoir  ces  vers  rainsselés, 

»  Et  d'oïr  ces  douls  oizelés 

»  Ces  gfraviérs  et  ces  fontenis, 

»  Que  je  ne  puis,  par  saint  Denis  ! 

»  Mettre  à  oevre  riens  qu'on   me  die. 

»  Jà  n'ai-je  point  de  maladie. 

»  Je  me  senc,  Dieu  merci!  tous  fors; 

»  Et  se  m'est  le  temps  gfrans  confors 

»  Qui  est  si  beaus  que  c'est  souhés. 

»  Dont^  chiers  compàins^  c'est  mieuls  mes  hés 

))  Â  moi  déduire  et  resjoïr, 

»  Que  ce  ne  soit  à  vous  oïr 

»  Parler  de  çrant  astronomie; 

»  Car,  au  voir  dire,  je  n'ai  mie 

»  L'art  ne  l'arest  sus  tel  ouvrag-e. 

»  Abuvré  l'ai  d'autre  buvrag^e, 

))  Et  nature  ailleurs  le  m'adrece. 

»  Si  seroie  plains  de  rudece 

»  Se  de  bonne  ordenance  issoie 

))Et  son  bien  ne  recognissoie. 

»  Espoir  un  temps  encor  vendra 

))  Que  plus  penser  m'i  convendra. 

»  S'en  sentirai  lors  mieulz  les  gloses; 

»  Car  leurs  saisons  ont  toutes  choses. 

"»  Si  vodroi-je  bien  tant  savoir 

»  Que  pour  la  cognoissance  avoir 

))  D'astronomie,  et  plus  avant^ 

))  Mes  ensi  que  j'ai  dit  devant  ^ 


DE  JEAN  FROISSABT.  385 

»)  Mon  esperiln*i  poet  entendre; 

»  Car  il  ne  voelt  qu'à  une  tendre, 

y>  C'est  à  estre  g^ais  et  jolis, 

»  A  amer  solas  et  delis,  • 

»  D  anses  )  caroles  et  esbas. 

»  Compains,  à  tout  ce  je  m'esbas. 

))Si  vous  pri,  laissiés  moi  ester 3 

))  Car  je  ne  me  yoeil  arrester 

»  A  chose  de  si  garant  raison. 

3)  Je  perderoie  ma  saison; 

»  J'auroie  plus  chier  un  chapiel  * 

))  Fait  de  flouretes,  bien  et  bel, 

»  Donné  de  dame  ou  de  lousete 

)>Jone,  lie,  friche  et  doucete, 

»  Que  ne  feroie  tout  le  sens 

)>  Qui  est  à  Paris  ne  à  Sens.  » 

Adont  me  respondi  Jonece: 
»  Certes,  compains,  en  vous  n'a  teche 
»  Qui  noient  face  à  réprouver. 
))  Or  vous  vodroi-je  bien  rouver 
))  Se  vous  savés  riens  de  nouvel 
))  En  nom  de  joie  et  de  revel. 
y>  Volen tiers  le  vodroie  oïr 
))  Pour  nous  encor  plus  resjoïr.  » 
Et  je  responc  :  «  Oïl,  assés. 
((  Partons  de  ci  avant  passés, 
»  Et  je  dirai  un  virelay 
»  Pour  vostre  amour,  sans  nul  deiay  : 

FROISSART.  T.  XVI.  25 


386  POÉSIES 


Virelay, 


De  tout  mon  coer  vous  fai  don 

Entirement, 
Ma  douce  dame  au  corps  g^ent, 

Et  le  vous  don 
Poui*  tous  jours  en  abandon 

Très  liement. 
Mon  coer,  m'amour,  mon  désir 
Voeil  dou  tout  mettre  et  offrir 

En  vo  douçour, 
Comme  cils  qui  moult  désir 
De  TOUS  loyalment  servir 

Sans  nul  fauls  tour. 

Et  il  soit  dou.gnerredon 

A  yo  talent, 
Ou  petit  ou  grandement, 

Côm  vous  est  bon, 
Car  il  ne  doit  par  raison 

Ëstre  aultrement 
iDe  tout  etc. 

Car  plus  me  povés  merir 
Que  je  ne  puis  desservir 

Par  ma  labour^ 
Las  !  quant  verai-je  venir 
Le  reconfort  où  je  tir 

Et  par  honneur. 


DE  JEAN  FROISSART.  387 

Je  5tti  en  yostre  prison 

Tous  lieg'emcnt; 
Et  coers  qui  merci  attént^ 

Grasce  et  pardon, 
Doit  avoir,  s'il  vit,  foison 

Alieg^emenl. 
De  tout  etc. 


Moult  grandement  nous  rafreschi 

Le  virelay  que  j'ai  dit  ci. 

Car  matère  lie  et  nouvelle  « 

Toute  joie  en  coer  renouvelle. 
Ce  doient  savoir  amourous 

Qui  ont  les  coers  gais  et  joious, 

Comment  proufitent  tel  recort. 

Je  m'ordonne  tous  et  acort 

A  Jonece  mon  chier  ami. 

Il  se  tient  moult  privés  de  mi 

Et  me  dist  :  a  Compains  et  amis, 

))  Ventts  qui  o  moi  vous  a  mis, 

»  Me  pria  et  me  commanda, 

»  Quant  à  moi  vous  recommanda 

»  Que  j'en  fesisse  mon  devoir. 

»  Or  me  voeilliés  cognoistre  voir. 

»  Que  vous  samble-il  de  ce  buisson? 

»  Il  n'est  riens  dont  ne  se  nuise  on, 

»  Tant  soit  plaisant  ne  delitable. 

»  Savés-vous  riens  plus  proufîtable 

dNc  qui  mieulz  vous  viegne  à  plaisir? 

»  Volés  vous  point  de  ci  issir 

25* 


308 


roÉsiES 

»  Et  auUres  aventures  querre, 
»  Et  Diex  et  Déesses  requerre 
»  Qui  vous  mesissent  mieulz  à  mai?m 
»  Vostre  esbat  de  soir  et  de  main.  » 
Et  je  responc  :  «  Que  ne  séjourne, 
»  Compains,  jà  le  jour  ne  m'ajourne 
»  Ne  la  nuit  ensievant  n^  vieg^ne, 
»  Que  de  ci  partir  me  convienne- 
»  Or  me  dittes  à  brief  parler 
»  Quel  part  poroie  mieulz  aler 
»Pour  avoir  ce  qui  me  besongne 
»  Jà  n  est-il  riens  de  quoi  je  songfnc 
,,  Ne  qui  me  puist  blecier  ne   nuire. 
»  Je  ne  pense  qu  a  moi  déduire 
))  En  ce  bel  lieu,  en  ce  oler  ombre. 
»  Il  ne  fait  ci  obscur  ne  sombre  -, 
»  On  troeve  bien  de  lieus  divers , 
»  Mes  cils  ci  est  plaisans  et  vers 
»Et  sus  tous  je  le  recommande. 
»  Compains,  encor  je  vous  demande^ 
»  Se  nous  avons  par  tout  esïté. 
»  Je  n'i  ai  gaires  arresté, 
»  Mes  je  veroie  volentiers 
»  Chemins  et  voies  et  sentiers, 
»  Car  moult  en  y  a,  ce  me  samble^ 
»  Qui  ne  se  traient  pas  ensamble. 
))  Je  vodroie  bien  d'eulz  aprendre 
»  Par  quoi  on  ne  me  puist  reprendre, 
))  Quant  je  vcnrai  aillours  que  ci , 
»  Qu'on  ne  me  die,  Dieu  merci  ! 


DE  JEAN  FROISSART.  389 

»  Que  j'aie  esté  trop  neçligens 
»  Dou  lieu  cognoistre,  qui  est  g^ens*, 
»  Car  ce  me  seroit  garant  laidure 
»  Se  je,  qui  bien  la  painne  endure, 
»  Estoïe  trouvés^  en  mi  voies 
»  Recréans.  Compaîns,  toutes  voies 
»  Je  nen  vodroie  pas  avoir 
»  Les  reproces,  pour  nul  avoir. 
»  Pour  un  tant,  chierement  vous  pri 
»  Que  vous  me  menés  sans  detri 

»  Hault  et  bas,  et  ne  mespargniés, 

»  Et  fiablement  m'ensengniés 

»  Tout  ce  que  resjoïr  me  poet. 

»  Car  qui  bien  servir  à  gré  voelt 

»  Le  jone  homme ,  se  li  ensengne 

»  Son  désir  ne  point  ne  Tespargne.  » 
Tant  parlai  et  tant  sermonnai 

Que  Jonèce  et  moi  amenai 

En  un  lieu  assés  agréable 

Et  moult  grandement  recréable, 

Car  de  tous  biens  3^  ot  fuison. 

Cils  liens  fu  enclos  ou  Buisson 

Dont  je  parloie  maintenant. 

Jonèce  par  la  main  tenant 

M'ensengne  tout  ce  que  je  voeil 

Véoîr.  Haro  !  que  font  mi  oeil  ? 

Or  se  reprendent  al  ouvrer, 

Car  je  ne  les  puis  dessevrer 

De  ce  qu'en  ma  présence  voi. 

Attempré  sont  d  un  tel  convoi 


390  rOÊSIES 

Que  pour  Polixena  jadis 

Fu  Acillès.  Trop  sui  hardis 

Quant  si  plainnement  m'abandonne' 

Que  mon  coer  entirement  donne 

El  Tarreste  sus  mon  contraire. 

Si  n'ai-je  pooir  dou  retraircj 

Car  il  est  si  entrelaciés 

Qu  il  n  en  poet  e&tre  deslaciésf 

Et  quant  je  vise  de  quels  las 

Je  les  recorde  pour  solas,. 

Et  y  pense  très  volontiers. 

Jonèce  qui  de  ses  sentiers 

M'avoit  jà  ensengfnié  fuison 

En  cheminant  par  le  huissoa 

Ens  ou  quel  j'estoic  ravis 

Nous  amena,  ce  me  fu  vis. 

En  un  lieu  delitabîe  et  bel. 

Moult  y  menoïenf  garant  cembel 

Li  oizeillon  par  chans  divers. 

Beaus  fu  le  lieu,  ombrus  et  vers^. 
Et  g^racieus  à  regfarder. 

Ne  sçai  qui  Tavoit  à  g'arder; 
Mes  g^'i  vi  dames  et  pucelles, 
Dont  moult  me  plot  Tarroi  dicellesi' 
Et  plus  de  l'une  que  de  toutes. 
Dures  ne  furent  ne  estoutes, 
Mes  doucement  enlangagfiés 
Et  de  jone  éage  éag^iés. 
Jonece  qui  de  près  m'acoste 


DE  JEAN  FROISSART.  391 

Me  seinoirt,  ce  n'est  pas  reproce, 
Que  pour  leur  amour  me  renvoize 
Et  qu'esbattre  o  elles  me  voise 
Je  m'acorde  à  ce  quil  me  prie. 
Adont  m'en  yienc,  que  ne  de  trie, 
Et  avec  elles  je  m'esbas. 
Mes  si  tos  que  je  m'i  esbas, 
Vis  mon  mal  qui  se  renoiivelle, 
Car  je  yoi  la  g^rande  nouvelle, 
Com  plus  le  yoi,  mieulz  le  reg^ard. 
C'est  ma  dame,  se  Diex  me  gard! 
Dotel  fourme  et  d'otel  samblance , 
Ossi  tendre  vermeille  et  blanche 
Que  v6u  Vavoïe  jadis. 
Un  peu  en  fui  premiers  adis 
Et  esbahb  pour  l'aventure, 
Mes  jone  homme  qui  s'aventure 
Ne  se  doit  pas  esmervillier 
S'amours  le  yoelent  travillier. 

Je  m'avisai  lors  en  pensant 
Tout  bellement  vers  li  passant. 
Et  di  en  moi  :  <(  N'est-ce  ma  dame  ? 
»  Oil,  non  est  ;  si  est,  par  m'ame! 
>»  Folie  t'en  fait  or  jurer*, 
»  Bien  t'en  poroies  parjurer. 
>»  Pourquoi  ?  pour  ce  qu'à  ceste  fois 
>>  Ta  souverainne  pas  ne  vois. 
)>  Pluisours  gens  sont  qui  se  ressamblent 
»  Quant  en  compagnie  il  s'assamblent. 
»  Si  poroit  moult  bien  estre  ensi 


392  POÉSIES 

>  Que  ta  dame,  au  corps  agensi , 
))  Ressambleroit  sans  nul  fourvoî 
)*  Celle  qu  en  ton  présent  je  voi.  » 

A  painnes  me  vint  mon  argu; 
Aies  mon  esperit  très  agu 
Et  qui  a  grant  seing  et  grant  doubla 
Que  l'aventure  ne  redouble 
M'aeertefie  et  dist  tout  oultre, 
Et  par  pluisours  signes  me  mo  astre 
Que  c'est  ma  dame  sans  mentir. 
Je  ne  Ten  ose  desmenlir 
Mes  longement  y  pense  et  vise  ; 
Et  endementrues  je  m'avise 
De  l'image  que  je  portois 
Où  jadis  je  me  deportois, 
Qui  fu  après  ma  dame  estret 
Bel  figuré  et  bien  pourtret. 
Cest  m'en  dira  tanfost  le  voir. 
Bon  fait  o  luy  son  juge  avoir. 

Grant  séjour  ne  fais  sus  ceste  oevre 
Une  petite  aloière  oevre, 
Qui  estoit  f  resoriere  et  garde 
De  mon  image  que  je  garde 
Dont  je  parloie  maintenant. 
Et  si  tos  que  le  voi  tenant. 
Je  le  desploie  tout  dou  lonc. 
Et  puis  si  me  met  tout  selonc 
Ma  dame  qui  tant  est  parfette, 
En  quel  nom  la  -figure  est  felte. 
Et  tout  couvertement  le  tienc  ; 


DE  JEAN  FROISSART.  393 

Mes  la  manière  bien  retienc; 

Et  me  donne  de  ce  grant  garde 

Qae  ma  dame  pas  ne  regarde 
Entrées  que  sur  moi  ses  yex  trait 
Je  l'ai  lors  véu  si  altret, 
Si  bien  et  si  à  grant  loisir. 
Pour  mieulz  saouler  mon  plaisir, 
Toutes  fois,  ensi  qu'en  emblant, 
Son  bel  maintien,  son  doulc  samblant, 
Qu  en  droite  vérité  aferme 
Par  entention  bonne  et  ferme 
Et  le  di  tout  notorement. 
Que  c'est  ma  dame  roirement 
Que  je  voi,  dont  moult  m'esmerveille. 
Mes  trop  grande  n'est  la  merveille 
De  ce  que  je  le  voi  tousete, 
Joue,  friche >  lie  et  doucete. 
Et  del  éage  dont  j  à  fu, 
Quant,  pour  s'amour,  del  ardant  fu 
D'amolir  je  fui  pris  et  attains  -, 
Lequel  fu  n'est  pas  trop  estains. 
Mon  rolet  prenc  et  le  reploie, 
Et  ma  parolle  ailleurs  emploie; 
C'est  à  Jonèce  mon  ami 
Qui  estoit  par  d  encoste  mi. 

(c  0  Jonece,  compains  entiers, 
»  Je  regarde  moult  volontiers 
»  Ma  droite^  dame  en  ma  presensce  ; 
»  Vlim  en  regardait  trop  fort  pense 
»  De  ce  que  si  jone  le  voi. 


394  POËSIES 

)>  Je  ne  sçai  se  je  me  fourvm 
»  Mes  eeste  est  maintenant  touselte^ 
))  Gracieuse,  friche  et  doucette, 
»  Telle  com  elle  estoit  jadis  ; 
)>  Dont  il  y  a  des  ans  jà  dis 
»  Que  ce  ne  fu  dont  je  paroUe.  » 
Et  Jonece  prent  la  parolle,  ^ 

£t  une  response  me  fait 
Moult  courtoise,  selonc  mon  fait. 
a  Compainsy  une  fijj^ure  avons 
»  Par  laquele  moult  bien  savons 
»  Que  de  vraie  amour  c'est  çrant  chose. 
»  Le  poëte  met  une  gélose 
»  De  deus  amans  et  si  les  nomme. 
»  Ydrophus  appelloit  on  Tomme  > 
31  Et  la  dame  Neptisphoras. 
»  De  ces  deus  merveilles  oras, 
»  Car  il  s'amèrent  jusqu'en  fin. 
'    »  Je  le  vous  di  à  celle  fin 

»  Qu'en  leurs  coers  ardoit  li  drois  fus 

)>  D  amours.  Or  s'en  vient  Ydrophus 

»  A  sa  dame,  et  se  rent  confès 

»  En  dis,  en  oevres  et  en  fès, 

))  Et  dist:  ti  Neptisphoras  ;  ma  mie; 

1)  Je  vous  jur,  ne  m'en  mescrès  mie , 

»  Et  le  vous  di  en  loyauté, 

»  Que  voi  jonece  en  vo  beauté^ 

»  Yostre  phizonomie  douce, 

»  Vo  vair  oeil  et  vo  belle  bouche^ 

»  Et  tout  vo  membre  mis  ensamble, 


DE  JEAN  FROISSART.  3^5 

»  Ea  vérité  ensi  me  samble 
»  Qu  il  ne  soient  noient  mué 
»  Ne  de  leur  joa vent  remué. 
»  Vous  m'estes  en  un  point  toul-dis 
))  Et  dou  présent  et  de  jadis. 
i>  Et  Neptisphoras  li  afferme, 
»  Qu'il  Tamoit  d'amour  bonne  et  ferme. 
»  Ydrophxis,  de  vous  m'est  otel, 
»  Soie  en  la  ville  ou  en  l'ostel^ 
»  Où  que  je  soie  et  vous  soyés 
»  Je  vous  voie  et  vous  me  voyés. 
»  Vous  estes  tout  dis  en  un  point. 
»  Sus  ce  n*i  a  de  change  point  »' 
Je  me  retourne  adont  sus  dèstre 
Et  di  :  (c  Gonmient  poroit-ce  estre 
D  Qu'on  peuist  sans  enviellir  vivre  f 
»  Vostre  paroUe  tout  m'enivre, 
»  Car  vous  sçavés,  et  il  est  voir,    • 
»  Qull  fault  son  cours  nature  avoir. 
)>  Dont,  s'aultre  raison  ni  metés, 
)>  De  folonr  vous  entremettes.  » 
Et  Jonece  qui  moult  fu  sag*es^ 
Et  qui  cognissoit  mes  usages. 
Me  respondi,  sans  plus  d'attente. 
A  l'oïr  mis-je  moult  m'entente. 

«  Les  amans  ci  dessus  nommés, 
D  Qui  grandement  sont  renommés 
)>  Ensi  que  dist  li  escripture, 
»  Ouvroient  deseure  nature, 
>»  Car  les  fais  naturels  sont  tels 


396  POÉSIES 

»  Que  vieuls  corrumpus  et  mortels^. 

»  Et  nature,  qui  bien  l'expose, 

»  Onques  ne  cesse  ne  repose  ^ 

))  Mes  continuelment  chemine  9 

»  Et  le  corps  affoiblist  et  mine^. 

»  Et  n'a  nulle  aultre  affection 

»  Fors  toutdis  sa  destruction. 

»  Uès  pour  ce  n'en  sont  pas  peris^ 

»  IVe  corrumpus  les  esperis. 

))  Il  ont  commencement  sans  fin. 

»  Ces  deus  coers  estoient  si  fin 

»  Si  g^ai,  si  jone  et  si  nouvel 

»  Si  abuvrés  de  tout  revel  ' 

i)  Et  si  garni  d'aveulement 

»  Qu'il  ne  cuidoient  nullement 

)»  Envieillir^  comment  que  le  tamps 

»  Ne  fust  point  sur  eulz  arrestans. 

»  Car;  quant  entre  euls  se  regàrdoient,. 

»  Leur  coer  de  droite  amour  ardoient, 

»  Et  ceste  amour,  de  sa  puissance, 

))  Lor  ostoit  toute  cognissance 

»  Et  lor  esconsoit  leur  véue. 

»  Là  fust-elle  bien  pourvéue 

»  De  sens  et  d'avis  d'aultre  part  3 

»  Si  n'avoit  elle  là  point  part. 

»  On  dit  qu'amours  ne  voient  gouttes. 

))  Les  mauls  en  sont  plus  fors  que  gouttes. 

»  Y  ai-je  mis  solution  P 

»  Aurai-je  or  absolution  ?  » 

Je  respondi  :  «  Oïl,  par  m'ame  ! 


DE  JËAIS  FROISSART.  397 

))  Neptisphoras  fu  vaillans  dame 

»  Et  Ydrophus  très  loyaiu  homs  5 

»  Et  puisq^'en  tel  matere  sons, 

'^  Chiers  compains,  son  le  poet  savoir, 

»  En  poroi-je  encor  un  avoir, 

»  Car  à  l'oïr  prenc  garant  solas.  » 

Et  Jonece  qui  n'est  pas  las 
^ue  de  faire  après  m'en  agrée 
Amiablem^it  le  m*ag^rée. 
Il  le  me  compte  et  g^'i  entens 
A  Foir  1  oreille  avant  tens. 

))  Selœic  les  aneyens  usag'es, 
»  Uns  poëtes,  qui  moult  fu  sag^es^ 
»  Entre  les  cboses  qu'il  exemple 
»  Nous  recerde  encor  un  exemple 
»  D'un  amourousqui  fu  jadis, 
^  Qui  loyalment  ama  tout-dis. 
»  Arehitelès  ot  cils  à  nom* 
»  Mis  est  ou  livre  de  renom  ; 
))  Car  loyalment  ama  Orphane 
i)  Qui  fu  Déesse  et  serour  Dane. 
»  Elle  moru  jone  pucelle  ; 
»  De  quoi  li  damozeaus  pour  celle 
»  Apres  sa  mort  ensi  jura, 
))  Dou  quel  veu  ne  se  parjura, 
))  Que  jamès  aultre  u'ameroit. 
»  Il  ne  scet  qui  Ten  blasmeroit 
1)  Mes  onques  il  n'en  fu  blasmés, 
9)  Ne  fols,  ne  recréans  clamés. 
ï)  Ains  Tescusèrent  de  tout  visce 


398  POÉSIES 

»  Les  Dicx,  pour  son  loyal  servisce! 
»  Et  à  sa  requeste  obéirent 
»  Et  de  conseil  le  pourvéirent. 
»  Architelès,  quant  il  prioit 
))  A  Morphéus,  pas  ne  rioitj 
»  Ançois  moult  lamenleusement 
»  En  larmes  crcmeteusement 
»  Disoit  :  a  Chiers  sires,  Morphéus, 
»  Je  seroïe  bien  pourvéus 
»  De  confort  et  mis  à  repos, 
»  S'a  ce  s'enclinoit  vos  pourpos 
»  Que  Y  ris  vostre  messagière, 
D  Qui  çn  dormant  est  usagrière 
»  Des  desoonfortés  ravoyer 
»  Me  voliés  ores  envoyer, 
»  Afin  que  ma  très  douce  amie 
»  Qui  pour  tous  jours  est  endormie 
y>  Peuisse  en  mon  dormant  véoir 
»  Avec  lui  parler  et  seoir.  » 

»  Tant  pria  cilz  de  coer  dévot  ^ 
»  Que  Morphéus  aidier  le  volt 
))  Et  qu'en  joie  sa  dolour  mist  ; 
))  Car  en  dormant  il  li  tramist 
»  Sa  dame  qu'il  desiroit  si, 
»  Laquele  li  disoit  ensi  : 
»  Architelès ,  je  sui  ta  mie. 
»  Qui  mis  en  oubli  ne  t'a  mie. 
»  Haro  !  pourquoi  t'i  metteroie  f 
»  De  folour  m'entremetteroie 
»  Se  j'oublioie  mon  ami, 


I 
I 


DE  JEAN  FROISSÂRT.  399 

'»  Qiii  onques  ne  pensa  à  mi 

»  Fors  eâti'e  loyaus  et  entiers. 

»  Les  Diex  t'envoient  volentiers 

y>  Cascuns  paroUe  de  cesti 

»  Qui  a  pour  moi  le  noir  vesti. 

»  Prent  blanc  et  vert  ou  bleu  entir. 

»  Lai  le  noir;  tu  dois  bien  sentir 

))  Que  je  sui  tes  amours,  Orphane. 

»  C'est  bien  li  aeors  de  Dyane 

)>  Que  querre  nos  esbas  alons 

))  Et  qu'à  Tun  Tautre  nous  parlons. 

»  Ensi  estoit  reconfortés 

»  Li  damoizeaus,  de  confors  tels 

»  Qui^randement  ie  consoloient, 

)>  Et  que  les  Diex  jadis  soloient 

)>  Aux  vrais  amans  donner  et  faire. 

»  Encor,  pour  mon  compte  parfaire, 

»  Cils  qui  vivoit  en  tel  arroî 

>* 'Estoit  £ls  et  frères  de  Roy. 

»  Au  dormir  prendoit  tel  solas 

»  Qu'il  n'en  euist  esté  pas  las, 

»  Ce  disoit-il,  toute  sa  vie 

^)  Et  que  trop  li  faisoit  d'envie 

)i  Li  jours  de  travaus  et  d'anuis, 

j»  Il  n'en  voloit  fors  que  les  nuis 

■»  Pour  ce  qu'il  y  véoit  souvent 

»  Sa  droite  dame  en  garant  jouvent 

»  Et  ce  dont  il  s'esmervilloit 

^)  Par  espasses,  quant  il  veilloit 

V  C'estoit,  de  ce  je  vous  afie, 


400  POÉSIES 

))  Qu'il  ne  pot  onques  yéoir  fie 
)i  Sa  souvorainne  en  vision 
)>  Qu'elle  euist  nulle  lésion 
it  Ne  ne  fust  envieillie  point. 
»  Tout  dis  li  sambloit  en  un  point 
j)  Jone,  lie,g^aie  et  chantans. 
»  Se  tint  il  à  rieule  un  garant  tamps, 
»  Tant  que  sa. vie  ot  cours  et  terme. 
))  Arcbitelès  encor  afferme 
»  Qui  de  soi  trop  bien  se  ramembre 
.  ))  Quoique  blecié  fuissent  si  membre j 
»  De  maladie  et  de  viellece» 
))  S*estoit  Jones  et  en  liece 
))  En  dormant  li  siens  esperis. 
»  Ne  onques  il  ne  fu  péris 
))  Que  par  son  samblant  il  n'alast 
))  Et  qu  à  sa  dame  il  ne  parlast 
))  Qui  li  estoit  douce  et  humainne 
))  Dou  mains  une  fois  la  sepmainne. 
))  Et  li  avenoit ,  je  vous  di , 
»  Ce  le  plus  sus  le  samedi. 
»  Et  quant  il  véoit  le  matin 
»  Cils  qui  bien  entendoit  latin 
))  Et  qui  moult  se  sentoit  tçnus 
»  Aux  Diex,  il  ne  voloit  que  nuls 
»  Fesist  pour  lui  son  offertore. 
))  A  Morpbéus  i  ce  dîst  Tystore 
»  Offroit  d'or  un  petit  besant 
»  De  treze  dragmea  de  pesant. 
»  CompainS)  lu  es  en  ce  parti. 


DE  J  Ë AN  FROISSÂRT.  40 1 

)>  Jà  le  poes  bien  sa^'oir  par  ti. 
»  Lie  as  le  coer  et  non  le  corps 
»  Se  je  di  voir,  si  le  m'acors. 
»  Or  chemines  tout  dis  avant. 
»  Tu  vois  ta  dame  ci  devant 

»  Qui  s'esbanoie  et  se  déduit 

»  Quant  Jones  gens  sont  en  déduit. 

D  On  se  poet  d^eulz  trop  mieulz  fyer; 

»  Et  te  puis  je  bien  afyei^ 

»  Que  dcmt  qu'il  fuissent  eneourous, 

»  Le  coer  grandement  amom^ous 

»  Soloies  tu  jadis  avoir.  » 

Et  je,  qui  désir  à  seavoir 
Nouvelletés  ,  responc  :  a  Amis, 
»  Vos  deus  exemples  m'ont  jà[^mis 
>i  En  une  pensée  nouvelle 
))  Qui  voirement  me  i^enouvelle 
»  Les  amourettes  de  jadis, 
»  Mes  je  ne  sui  pas  bien  hardis 
>)  Pour  estre  venus  ne  aies 
»  Là  où  je  ne  sui  appelles. 
»  Bien  sçai  comment  jà  il  en  prist 
»  A  Action,  qui  s'i  mesprist, 
»  Quant  ou  bois  s'embati  sus  celles 
»  Qui  furent  nimphes  et  pucelles 
))  A  Dyane  la  tresmontainne 
»  Qui  sombrioit  à  la  fontainne.  >» 
Dist  Jonece  :  »  En  scés  tu  le  compte  >» 

—  «  Oïl,  di-je.  ))  —  ce  Or  le  nous  compte  ? 

—  «  Volentiers  »».  Et  entrées  qu'il  m'ot 

FBOISSAHT.  T.  XVI.  26 


402  POÉSIES 

Je  11  recorde  mot  à  mot. 
»  Actions  fa  uns  damoizeaus. 

V  Les  chiens  ama  et  les  oizeaus. 

)»  Dont,  pour  son  déduit  pourchacier, 
1.  Un  jour  ala  aux  chers  chacier 
»  Aux  lévriers.  Un  en  accueilli', 
»  Et  cils  au  cours  les  recôeilli. 
n  Le  cerf  fuit;  Action  après 

V  Qui  le  sievoit  bien  et  de  près. 
^.  Il  a  passé  les  bois  menus; 

)i  Ens  es  landes  s'en  est  venus: 
:»  Action  le  sievoit  encor 

V  Qui  d'ivoire  portoit  un  cor. 

«  N'en  voelt  layer  ne  cours  ne  chace-, 

1.  Mes  son  grant  damage  il  pourcbace. 

.,  Venus  s'en  est,  ne  s'en  prcnt  garde, 

»  Sus  Dyane  qui  le  regarde; 

»  Car  pas  ne  li  estoit  lontainne, 

1.  Ains  se  bagnoit  à  la  fontainne 

>  Avec  les  nymphes  qu'elle  avoit. 

»  Et  sitos  qu'elle  Action  voit, 

î)  Si  fu  honteuse  et  très  estrine. 

w  Ne  sot  de  quoi  faire  courtine  -, 

1.  En  la  fontaine  se  retire. 

»  A  Action  prist  lors  à  dire: 

j»  Qui  ci  t'envoia,  saces  bien, 

»  Il  ne  t'ama  gaircs  ne  bien. 

»  Tel  pénitence  t'en  fault  prendre , 

>»  Que  tout  aultre  y  poront  aprendre 

V  Exemple  et  chastoi,  je  t'affi. 


DE  JEAN  FROISSART.  103 

»>  Hardis  fnsquan  tu  venis  ci. 
>i  II  ne  nous  vendroit  pas  k  gré 
»  Se  nostre  afaire  et  no  seeré 
•I  Gstoient  révélé  par  toi. 
»  Et  pour  ce  y  en  nom  de  chastoi, 
))  Tu  soies  tels  d'or-en-avant 
»Que  le  cerf  qui  fuit  ci  devant.  )> 

))  Là  fu  mués  en  otel  fourme 
»  Que  le  cerf  dont  je  vous  enfourme. 
))  Les  lévriers  qui  de  près  le  sievent 
>i  Au  cours  moult  tost  le  raconsievent. 
)>  Ne  sceveut  qui  c'est  ne  qui  non. 
»  Ne  nommer  ne  scevent  son  nom^ 
>)  Ne  plus  ne  le  tiennent  à  mestre. 
))  Là  le  fault  en  garant  dangfier  estre 
))  Et  eschéir  et  demorer. 
»  Riens  n'i  laissent  à  dévorer. 
))  Ensi  vint  Action  à  fin. 
>i  Compains,  je  le  vous  di  à  fin 
)*  Se  maintenant  je  me  hastoie, 
»  Et  sus  ces  dames  m'embatoie 
»  Que  sçai  je,  se  Venus  y  est 
»  Qui  me  regarde 9  si  se  test, 
»  Dont  je  poroie  estre  escarnis^ 
»  Je  sui  ci  seuls  et  desgarnis 
u  De  conseil,  hors  mis  que  de  vous.  »> 
Dist  Jonece  :  «  Compains  très  douls/ 
<t  De  ce  ne  vous  convient  songnier 
>>  Ne  les  pucelles  ressongnier; 
»  Elles  sont  jones  et  novisses 

26* 


404  POESIES 

i>  Et  desgamies  de  tous  visées 

»  Qui  vous  puist  décevoir  ne  prendre; 

»  Et  si  fériés  moult  à  reprendre 

»  S*ensi  parties  ne  le  conseil; 

1)  Qui  m'ave  pris  de  vo  conseil.  » 

Jonece  ensi  m'anionnestoit 
Et  g^randement  songpneus  estoit 
De  moi  remous  trer  et  retraire 
Que  je  me  vosisse  avant  traire 
Pour  parler  à  ma  droite  amour. 
Je  li  acord«  sans  demour; 
Et  quoi  qu'il  ensi  me  desist, 
Prendés  quil  le  deffendesist, 
Si  n'avoi  je  pas  aullre  entente, 
Selonc  ce  que  désirs  me  tempte, 
Que  de  là  partir  sans  parler; 
~     Mes  ains  que  gi  vosisse  aler 
Ne  que  je  m'osaisse  eslargpir 
Pour  moi  encor  mieulz  assagir , 
A  Jonece  di  :  a  Qiiers  amis, 
»  Venus  qui  avec  vous  m'a  mis 
»  Me  dist  que  vous  m'aprenderiés 
»  Et  le  compte  me  renderiés 
)>  Des  merveilles  de  ce  buisson. 
»  J'en  y  ai  jà  véu  foison. 
))  A  présent  -dittes  moi  d'icelles. 
u  Cog^issiés  vous  point  ces  pucellcs 
»  Que  je  voi  dalès  ma  dame  estre  ? 
»  Trois  compagnons ,  qui  sont  sus  desf  re , 
»  Ravise  assés  et  recognois. 


DE  JEAN  FROISSABT.  405 

»  Car  il  in  ont  fait  pluisoars  anois 

X  Et  mainte  proyere  escondit 

))  Refus,  dangfier  et  escondit. 

»  Dicx  les  màce  en  maie  sepmainne! 

))  Je  ne  sçai  pourquoi  on  les  maimie 

»  En  nul  lieu  où  on  se  déporte. 

»  Il  n  eny  a  nul  qui  ne  porte 

:»  Grant  felonnie  en  son  c(Hrage; 

))  Je  les  crienc  trop  plus  que  Ferag^e 

»  Car  il  sont  fel  et  despitous^ 

))  Et  aux  bonnes  g^ens  peu  pitons. 

:»  Il  me  font  la  cher  Iiireehier. 

»  Je  n'oserai  jà  approcier 

»  Ma  dame,  tant  que  droit  là  soient,. 

»  Car  je  sçai  moult  bien,  s'il  osotent, 

»  Il  me  vendr oient  sus  courir. 

j»  Me  vedriés-votts  point  secourir, 

»  Compains,  se  ces  trois  m'acoeilloieut 

1)  Et  au  trencier  me  recœiltoient  f  » 

Et  Jonece  prent  lors  à  rire 

Et  dist:  (c  Amis,  laissiés  les  dire* 

))  Je  sçai  bien  qu'il  sont  moult  estous  *, 

:»  Mes  il  se  fault  passer  de  tous. 

»  On  ne  poet  mies  cascun  batre. 

)>  Trop  se  faudroit  le  jour  debatre 

»  Qui  vodroit  à  cascun  respondre. 

»  Aies  vous  mucier  et  repondre , 

)>  Lors  que  vous  les  vés  par  maison. 

»  Encor  y  a  aultre  raison , 

»  Beus  compains,  foi  que  ye  doi  m'ame 


? 


106  POÉSIES 

n  Vallet  de  seig'nour  et  de  dame 
»  Est  on  tenu  de  déporter. 
M  Vous  ne  vous  povés  pas  porter, 
M  Encontre  euls,  ensi  que  vodriés^; 
»  Car  trop  mesfaire  vous  portés. 
»  Souverain  ont  que  vous  doubtés. 
))  Si  vous  pri,  que  vo  coer  doutés 
>»  Telement  que  de  nuls  des  trois 
»  Vous  ne  soyés  jà  plus  des  trois 
w  Qu'il  vous  ont  esté  j"usqu*à  ci. 
»  Cryés  les  tout  à  Diex  merci  \ 
»  Mieuls  les  povés  ensi  conquerre 
i)  Que  par  euls  follement  requerrc. 
>i  Vous  avés  souvent  ay  dire  : 
»  Douce  parolle  fraint  gprant  ire.  » 

Moult  m'estoit  la  doctrine  honneste 
De  Jonece  qui  m'amonneste 
Si  souef  et  si  bellement. 
Et  quoique  ces  trois  follement 
Me  re^ardaissent  de  travers, 
Se  recommence  encor  ses  vers 
Jonece,  qui  est  dalès  mi 
Et  qui  me  elamoit  son  ami 
Et  me  recorde  des  pucelles 
Et  dist:  K  Compains,  oés  d'icelles} 
K  Sept  en  y  a  tout  d  un  arroi. 
)i  Dig^nes  sont  pour  servir  un  Roif 
M  Je  le  vous  créant  et  prommès 
D  Les  véistes  vous  onques  mes?  » 
Et  je  responc  :  a  Je  ne  sçai  voir; 


DE  JEAN  FBOISSART.  407 

K  Mes  leurs  noms  vodroie  sçavoir 

»  Volentiers,  afin  que  j'en  soie 

a  Avisés,  car  si  je  passoie 

»  Devant  elles,  si  com  ferai, 

}i  Au  mains  pas  ne  me  mesferai 

»  Au  recognoistre  et  au  parler^ 

a  Car  celle  part  vodrai  aler, 

>i  Puisque  vous  le  me  conseilliés.  » 

Et  Jonece,  qui  moult  est  liés 

De  ce  qu'en  ce  parti  me  voit , 

Au  nommer  errant  se  pourvoit, 

Et  me  dist:  «  Compains  et  amis, 

>i  Avec  vo  dame  Amours  a  mis 

»  Ces  pucelles  pour  li  garder» 

>i  Premiers  vous  povés  regarder 

»  Manière  9  Attemprance  et  Franchise 

>i  Et  Pité  d*autre  part  assise*, 

))  Vous  ariés  bien  mestier  de  li. 

))  Et  Plaisance  à  ce  corp^  joli, 

»  Cognoissance  et  Humilités 

»  Faites,  et  vous  abilités, 

M  Et  vostre  sens  pas  n'engagiés-, 

)>  Mes  soyés  si  enlangaghiés 

»  Que  les  trois  vallés  dessus  dis 

})  Refus,  Dangier  et  Escondis^ 

»  Ne  vous  puissent  porter  coniraire.  » 

A  ces  mots  me  vois  avant  traire, 

Sans  mettre  y  nul  alongement, 

Et  salue  moult  doulcement 

Toutes  celles  quen  présent  voi^ 


408:  POÉSIES 

Et  mes  yeus  plus  qu^iillours  convoi 
Sus  ma  dame,  fout  en  emblant. 
Là  fui  saisis  de  Doulc-samblanf 
Qui  me  dist  :  u  Amis,  se  j'osoie, 
«  Comment  que  hardis  asses  soie, 
»  Je  vous  feroie  millour  chiere 
>>  Que  ne  fai,  et  ma  serour  chiere^ 
><  Plaisance,  a  bien. vouloir  dou  faire^ 
»  Mes  cil  yallet  de  put  afaire, 
»  Escondit^  Refus,  et  Dangfier, 
**  *    *  Me  font  souvent  pourpos  chang^er. 

»  Et  toutes  iohy  pour  vostre  amour, 
))  Nous  commencerons  sans  demour 
»  Une  feste  et  un  esbanoi, 
M  Car  point  ne  doit  avoir  d*anoi 
M  La  où  jone  gent  se  reeoeillent.  » 
•  Âdont  de  toutes  pars  s'acoeiUent 
Les  pucelles  au  caroller. 
Liement  me  vint  acoler 
Uns  très  gracieus jovenceans 
Qui  est  moult  bien  amés  de  ceau& 
Qui  le  eompagnent  soir  et  main, 
C'est  Désirs;  il  me  prist  ma  main 
En  suppliant  que  je  U  preste*, 
Je  li  baille  et  il  le  m'arreste» 
Et  dalès  ma  dame  me  met. 
Je  ne  sçai  pas  qui  le  commet 
A  ce  faire,  mes  quant  g'i  fai^ 
Je  ne  vosisse  pour  un  mui 
De  florins  tenir  aultre  doL 


DE  JEAN  FRMSSART.  109 

Forment  peeommender  je  doi 
Plaisance  qui ,  par  garant  revel  > 
Ghanfa  un  virelay  nouvel, 
Car  toutes  et  tous  resjoïr 
Nous  fist;  or  le  voeilliés  oïr. 

Virelay. 

Se  loyalment  sui  servie 
Et  bellement  supplye 

De  mon  doulc  ami, 
Il  n'a  pas  le  temps  en  mi 
Perdu,  je  li  certifie. 

Souvent  se  fault  abstenir 
Et  couvertement  tenir 

Pour  les  mesdisans, 
Car  il  n  ont  aultre  désir 
Que  g^rever  et  escarnir 

Tous  loyaus  amans. 

Trop  ont  pluisonrs  g^ens  envie 
Dessus  Tamoureuse  vie; 

Je  l'ai  bien  senti; 
Mes  j*ai  tout  là  Dieu  merci! 
Enduré  à  cière  lie. 

Se  loyalment  etc. 
Et  pour  ce  qu'il  scet  souffrir 
Et  soi  sagement  offrir. 

Il  vendra  le  tamps 
Qui  guerredon  très  entir 


ilO  POÉSIES 

Li  rendera  sans  mentir 
De  tous  ses  ahans. 

S'en  servant  n*estoit  oye 
Sa  proyere  et  recoeillie 

En  trop  dur  parti 
Seroit,  et  son  temps  aussi 
Plorroit  à  chiere  esbahie. 
Se  loyalment  etc. 

Si  tos  que  Plaisanche  ot  chanté, 
Jonece  qui  m'avoit  hanté 
Et  compagnie  an  et  demi 
En  dist  un  pour  Tamour  de  mi» 
Lequel  est  tout  prest  del  avoir 
Se  celi  vous  volés  sçavoir. 

Virelaif. 

Âssés  je  me  recognoi* 
Coers  qui  s'esbahist  de  sai 

Ne  seet  qu'il  fet  \ 
De  joie  en  péril  se  met 

Et  en  anoi. 

« 

Et  pour  ce  qu'en  ce  parti 
J'ai  plus  avant  obéy 

Dou  temps  passé 
Qu'il  ne  besongnoit  à  mi 
Dont  j'en  ai  souvent  senti 

Mainte  durté. 


DE  JEAN  FROISSART.  41  i 

En  nom  de  tout  esbanoi^ 
Ua  dame,  je  vous  envoi 

De  coer  parfet 
Tout  ce  q*un  amant  pro/nmet 

En  bonne  foi 
Assés  je  me  recogpnoi  etc. 

Et  voeil  vivre  sans  soussi 
Lies  et  gais,  je  le  vous  di^ 

Car  j'ai  esté 
Trop  pensieus  jusques  à  ci 
Car  votre  amour  m'a  saisi 

Et  si  navré 

Que  j'en  perc  sens  et  arroi; 
Mes  li  bien  qu'en  vous  je  voi 

Me  font  si  fel 
Que  de  péril  m^oipt  hors  tret 

Par  leur  chastoi 
Assés  je  me  recog^noi  etc. 

Franchise,  qui  moult  est  courtoise, 
Sa  vois  joliement  entoise 
Pour  chanter  à  bonne  manière 
Avecques  sa  serour,  Manière. 
Moult  furent  belles  et  doucettes, 
Et  bel  ouvroient  leurs  bouchettes 
En  chantant  les  deus  damoiselles. 
Vermeilles  orent  les  maisselles 
Et  bel  estoient  coulourées. 
Illoec  furent  moult  aonrées 


i  1 2  POÉSIES 


Pour  grracieases  et  migpnoffes 
Ens  ou  nom  de  lor  douces  notes; 
Et  d'un  virelay  bel  et  cent 
Qui  fu  chantés  Toiant  la  gent. 

Vtreiay. 

Se  par  honnour  sui  donnée 
Et  de  eoer  énamourée 
A  mon  dottlc  ami, 
Qui  ra'aimme  bieti  et  je  li, 
Je  n'en  doi  estre  Masmée 

Car  je  puis  bien  dire  ensi: 
Onques  en  lui  je  ne  yi 

Chose  desrieulée. 
Mes  loyalment  jusqu'à  ci 
M'a  honnouré  et  servi 

Et  trop  bien  m'agprée 

La  grasce  et  la  renommée 
De  tous  bons  recommandée 

Qui  est  dedens  lî; 
Car  onques  n'en  defalli 

Soir  ne  matinée 
Se  par  honnour  etc. 

Trop  seroient  enrichi 
Losengier  et  bien  parti 
De  bonne  journée, 
S'il  estoient  tout  onni 


DE  JEAN  FROISSART.  113 

Et  les  bons  mis  en  oubli  3 
J  ai  aultre  pensée. 

Gis  l'aura,  dont  sui  amée 
Et  souverainne  clamée, 

Bien  la  desservi, 
Or  se  conforte  par  mi, 
Et  de  riens  il  ne  s  effrée 
Se  par  bonnour  etc. 

Ensi  estoient  en  solas 
JEt  chantoient,  dont  hault,  puis  bas, 
Si  com  les  cbançons  laportoient. 
Mes  quoi  qu  ensi  se  deportoient 
Les  damoiselles  au  chanter, 
Je  m'ose  bien  et  puis  vanter 
Les  trois  compagpnons  dessus  dit^ 
Refus,  Dang'ier  et  Escondit 
N'avoient  cure  de  la  feste  ; 
Ancois  crolloit  cascuns  la  teste. 
Riens  ne  voient  qui  lor  souffise. 
Pour  quoi  sont  tel  gent  en  offisce  ? 
Il  estoient  là  en  la  place. 
Riens  ne  voi  en  euls  qui  me  place  ; 
Car  il  avoient,U  larron! 
Trois  testes  en  un  chaperon  ; 
Ne  je  ne  passe  pié  avant 
Qu  il  ne  me  soient  droit  devant 
Le  regard,  et  en  mi  la  cbiere 
Sus  moi  on  sus  ma  dame  chière. 


414  POÉSIES 

Haro  1  que  je  les  vois  enyis. 

Quant  il  me  regpardent  ou  vis 

A  painnes  pui  je  ouvrir  la  bouche 

Pour  chanter  que  cascuns  en  g'rouce. 

11  sont  ores  de  put  afaire. 

Se  je  ne  cuîdoie  fourfaire 

D'amende  que  quarante  livres 

J'en  seroie  tantos  délivres, 

Car  j'ai  bien  volenté  et  ire 

Que  d'euls  en  mi  la  place  occire, 

Mes  je  ne  les  ose  envaïr 

Ne  sus  eulz  montrer  mon  aïr, 

Seulement  pour  ce  que  ma  dame 

Rit  à  la  fois  sus  eulz,  par  m'ame! 

Et  soeffre  bien  qu'il  soient  tel 

Soit  à  la  fc^ste  on  à  Tostel. 

De  tout  ce  qail  font  elle  jue, 

Et  je  me  defris  et  meng^iie. 

Je  vodroie,  par  saint  Rémi! 

Qu'il  fuissent  ores  droit  en  mi 

La  garant  mer,  en  une  escuielle, 

Ou  la  lang-ue  euissent  muielle> 

S*auroie  paix  de  leur  paroUe. 

Car  quant  je  danse  ou  je  caroUe, 

Ou  je  Ëii  aucun  esbanoi, 

Il  en  ont  tristece  et  anoi, 

Et  me  sont  trop  fort  en  aget. 

Cure  n  euisse  de  tel  gfet, 

Car  je  n'i  puis  nul  bon  point  prendre. 

Se  me  convient-il  à  euls  rendre 


DE  JEAN  FROISSART.  115 

Et  estre  en  leur  subjection; 
Mes  c'est  voir  sans  dévotion , 
Car  je  n'i  ai  point  d'amislé. 
Tout  le  temps  que  jai  là  esté 
Il  n'orent  ailleurs  leur  regart 
Fors  dessus  moi,  se  Diex  me  gart  ! 
Au  mieulz  que  je  puis  je  m'en  passe. 
Doulc-samblant  pas  ne  me  trespasse 
Au  chanter,  ançois  m'en  requiert. 
Par  sa  paroUe  me  conquiert 
Un  virelay  de  tel  chant  qu ai;] 
Moult  bellement  illoec  chantai. 

Virelay. 

Mon  bien,  ma  paix  et  ni'amour 
Mon  souvenir  nuit  et  jour, 

Et  toute  ma  joie, 
Se  vous  voliés  je  seroie 
Kesjoïs  de  ma  dolour. 

Non,  ma  dame^  que  je  voeil 
Biens  deviser  sus  vo  voeil, 

Ne  jà  il  n'aviegne 
Mes  proyer  que  vo  vair  oeil , 
Qui  sont  simple  et  sans  orgfoeil. 

De  moi  Ton  souvienne  , . 

Quant  ensi  vendra  à  tour. 
Car  il  sont  d  un  bel  atour. 
Trop  mieulz  en  vaudroie 


416  POÉSIES 

Se  par  vo  gvé  en  avoie 
A  chief  de  fois  le  retour 
Mon  bien  etc. 

Ne  de  riens  je  ne  me  doeil 
Que  le  bien  qu'avoir  je  soeil 

Tout-dis  ne  me  vieg'ne. 
Si  fret  os  que  je  recoeil 
Le  regart  de  vostre  accoeil, 

Que  Diex  parmaintieng^ne! 

Je  me  conforte  en  douceur 
Et  le  fai  pdur  le  millour^ 
Car,  voir  se j'estoie, 
Plus  gfrans  cens  fois  que  ne  soie, 
S'ai  je  conquis  toute  honneur 
Mon  bien  etc. 

Humilités,  qui  moult  est  belle  , 
Ne  fu  pas  au  cfaanter  rebelle  ^ 
Et  pour  ce  qu'on  n'avoit  encor 
Dit  nul  rondel  de  chief  en  cor^ 
Elle  en  dist  un  bel  et  joli, 
Lequel  yoeil  pour  l'amour  de  li 
Recorder,  car  de  belle  bouche 
En  issi  la  vois  lie  et  douce 

Rondel. 

Amours  je  vous  regrasci 

En  quan  que  vous  m'avés  fait 


\ 


DE  Jean  FROISSART.  417 

Le  temps  me  plest  bien  ensi. 
Amours  etc. 

J'ai  mon  coer  mis  et  eensi 
A  bel  et  bon  et  parfait 
Amours  etc. 

Désirs  fu  forment  esméus 
Et  de  chanter  tous  pourvéus 
Un  rondelet  bel  et  plaisant. 
Tels  fu,  si  Gom  je  truis  lisant. 

RondeL 

Pour  vous 9  doulce  créature, 
Mefault  souffrir  nuit  et  jour 
Maint  assault  plain  de  dolour. 
Pensers  si  g^ami  d'ardure 
Pour  vous  etc. 

Regpardés  quels  mauls  j'endure. 
Se  briefment  n'ai  yo  douçour 
Morir  m'estoet  saos  séjour. 
Pour  vous  etc. 

Encor  en  fist  un  aultre  api'ès 
Désirs,  qui  m'estoit  assés  près, 
Et  lequel  j'oy  volontiers , 
Car  il  poursievoit  les  sentiers 
Que  j'ai  à  mon  pooir  tenu. 
Je  Tai  assés  bien  retenu» 
Car  gf'i  mis  mon  coer  et  m'entente. 
Si  le  vous  dirai  sans  attente  : 

FHOISSART.  T.  XVI.  27 


418  POÉSIES 

RondeL 

La  pointure  qui  me  point, 
Dont  conseillier  ne  me  sçai. 
Nuit  et  jour  ne  cesse  point. 
La  pointure  etc. 

Et  si  me  point  si  à  point 
Que  riens  ne  crîenc  son  assai. 
La  pointure  etc. 

Pités,  qui  fu  de  bon  afaire 
Un  virelay  volt  droit  là  faire, 
Et  puis  le  chanta  doucement. 
Proyer  ne  s'en  fist  longuement, 
Car  elle  estoit  assés  aisie 
D*estre  galette  et  envoisie. 
Là  remonstra  de  coer  discré 
Ce  dont  on  li  sot  très  grantgré 
Et  qui  grandement  m'abelli. 
Vous  Tores  pour  l'amour  de  li. 

Vivelay. 

Mesdisant  sont  moult  hardi 
Qui  s'ensonnient  de  mi. 

Ne  soevent  comment^ 
Et  mettent  empecement 
Entre  moi  et  mon  ami. 

Cuident-il  par  leur  gengler 
Mon  ami  y  ers  moi  grever 


DE  JEAN  FROISSART.  41 

Ne  porter  contraire  ? 
Certes,  nennil;  c  est  tout  eler 
Que  je  Taimme  sans  fausser 

Et  bien  le  doi  faire. 


i 


Il  m'a  loyalment  servi 
Doubté,  cremu,  obey; 
Si  Tai-je  souvent 
Refusé;  mes  vràiement 
Onques  ne  s^en  desconfi. 
Mesdisant  etc. 

Pour  faire  leurs  coers  crever, 
En  avant  li  voeil  monstrer 

Chiere  débonnaire; 
Par  quoi  s'il  les  ot  parler 
Cause  aura  de  tout  porter 
Soi  souffrir  et  taire. 

Bien  le  saura  faire  énsi, 
Et  Ta  fait  jusques  à  ci 

Moult  courtoisement. 
S'en  aura  tel  paiement 
Qu'il  vault  et  a  desservi. 
Mesdisant,  etc. 

Doulc-$amblant,  quifu  gfens  et  ceintes, 
De  tous  et  de  toutes  acointes, 
Ot  en  la  feste  gvani  puissance 
Avec  sa  serour  Cognoissance. 
Ne  se  fisent  glaires  pryer; 
Ains  chantèrent  sans  detryer 

27* 


420  POÉSIES 

Un  virelay  bon  et  nouvel. 
En  euls  oant  pris  garant  revel , 
Tant  ens  ou  chant  com  ens  ou  dit 
Vous  l'orés  sans  nul  contredit. 

Vwelay^ 

Je  n  ai  bon  an  ne  bon  jour, 
Ne  reconfort  ne  douceur 
Ne  souvenir  qui  le  vaille. 
Se  vos  regpart  ne  le  baille 
Ma  droite  dame  d'onnour. 

Dont  souvent  sui  esbahis; 
Car  je  ne  puis  pas  tout  dis 

Ëstre  dalès  vous. 
Quant  Q\  sui  c'est  uns  périls 
Pour  mesdisans,  ce  m'est  vis 
Qui  voient  en  nous 

Aucun  vrai  sigpne  d^amour 
Dont  gpeng^lent  li  trahitour; 
C'est  la  mort,  c'est  la  bataille 
Que  j'ai  bien  mestier  qui  faille 
Pour  alegfier  ma  doloun 
Je  n'ai  etc. 

Pour  ce,  humblement  escris 
A  vous,  ma  dame  de  pris, 

Com  li  vos  très  tous; 
Et  vous  di  que  je  suis  cils 
Qui  plainnement  est  ravis 

En  vos  maintiens  douls. 


DE  JEAN  FROISSAUT.  421 

« 

C'est  mon  bien,  c'est  mon  retour  j 
C'est  ma  joie  et  mon  séjour^ 
Il  n'est  riens  dont  il  me  caille 
Fors  que  briefment  vers  vous  aille 
Pour  remirer  vo  colour. 
Je  n'ai  etc. 

Quant  Attemprance  à  son  tour  vint 
Et  que  chanter  il  le  convint, 
Elle  n'en  fu  pas  trop  escarse  ; 
Mes  d'une  vois  à  point  esparse 
Et  qui  volentiers  fu  oye 
Chanta.  Se  dist  la  resjoye, 
Ce  me  fu  vis,  un  Virelay 
Le  quel  je  dirai  sans  delay. 

Virelay. 

On  dist  que  j'ai  bien  manière 
D'estre  orgpillousette. 
Bien  afiert  à  estre  fiere 
Jone  pucelette. 

Hui  matin  me  levai 
Droit  à  l'ajournée^ 
En  un  jardinet  entrai 
Dessus  la  rousée; 

Je  cuidai  estre  première 
Ou  clos  sus  l'erbette» 


422  POÉSIES 

Mes  mon  doulc  ami  y  ère 
Coeillans  la  flourette 
On  dist  etc. 

Un  chapelet  li  donnai 
Fait  de  la  vesprée; 
Il  le,  prist ,  bon  gré  l'en  scai; 
Puis  m'a  appellée. 

«  Voeilliésoïr  ma  proyere, 
))  Très  belle  et  doucette 

»  Un  petit  plus  que  n'afCere 
M  Vous  m'estes  durette.  » 

On  dist  etc. 

Jà  ne  seroicnt  nul  jour  las  ^ 
Jone  gent  d'estre  en  tel  solas, 
Car  leur  nature  le  requiert 
Qui  toutadies  avant  conquiert 
Et  les  encline  en  tel  besongre; 
C'est  la  plus  especiauls  songne 
Qu?il  ont  ne  qu'il  voeiUent  avoir. 
Il  n'ont  cure  de  grant  avoir  \ 
Il  on  droit,  car  or  ne  argent 
Dure  petit  à  jone  gent. 
Quant  il  lontfliement  Tespardent^ 
Et  s'il  ne  lont,  il  s'en  retardent. 
Je,  qui  jà  telzassaus  souffri 
Tous  me  deris  et  me  defri 
Quant  à  la  fois  il  m'en  souvient 
Des  aventures  qu'il  convient 


DE  JEAN  FROISSART.  423 

Un  jone  amourous  endurer. 
Ne  sçai  comment  il  poet  durer 
Tant  dou  corps  que  de  sa  chevance  ; 
Mes  fortune  ou  le  temps  Tavance 
Qui  laydent,  par  soubtieus  cas. 
S'il  n'a  reqte,  s'a-il  pout*chas; 
Car  tout  dis  vient  ors  et  argens 
Par  droit  usagée  aux  jones  g^ens, 
Et  se  lor  est  le  temps  confors. 
Or  revenons  au  fait  de  lors 
Et  dou  jour  dont  loer  me  doi^ 
Que  je  tenoie  par  le  doi 
Ma  droite  souverainne  dame. 
Je  ne  vosisse  adont,  par  m  ame  ! 
Estre  Boy  de  Constantinoble 
Ou  d'un  royalme  encor  plus  noble, 
Et  je  ne  fuisse  en  ce  parti. 
Je  l'avoie  lors  bien  parti 
Et  grandement,  au  dire  voir. 
Me  sçai  comment  pqroie  avoir 
La  fortune  à  ceste  pareille. 
Las  mes!  entrées  que  j'appareille 
La  paroUe^  pour  dire  un  mot^ 
Je  ne  sçai  se  li  uns  d'euls  m'ot 
Des  vallés  ci  nommés  devant, 
Mes  il  traient  tous  trois  avant. 
Seul  de  leurs  regars  m'esbahissent  *, 
Il  me  murdrissent  et  trahissent. 
Pourquoi  sont-il  si  près  de  moi 
Quant  g'i  pense  tous  et  larmoi. 


1^21  POÉSIES 

Toutes  fois  Franchise  et  Pité^ 
Cogfnoissance  et  Humilité 
Voient  bien  que  pas  ne  sui  aise*. 
Nom-pour- quant  cascune  s^apaise 
A  ce  que  je  remonstre  et  die 
A  ma  dame  ma  maladie. 
Mes  elles  n'en  osent  parler,. 
Ne  vers  moi  venir  ne  aler. 
Le  temps  en  laissent  convenir, 
Vienne  ensi  qu'il  poet  avenir. 
Se  n'i  voeil-je»  ne  quier  nul  visce. 

Là  fui  servis  d'un  bel  servisce 
De  Jenece,  mon  compagpnon^ 
Pour  ce  souvent  s'acompagnon 
Avec  les  bons  qu'on  en  vault  mieulz. 
Il,  qui  tout  dis  avoit  les  yeulz 
Sus  moi  et  sus  ma  dame  ouvers , 
Et  qui  se  lenoit  tous  couvert 
Afin  qu'on  ne  s'en  presist  gfarde, 
Voit  bien,  par  ce  qu  il  me  regarde. 
Que  j'avoie  trèsgrant  désir, 
Mes  que  j 'cuisse  le  loisir^ 
De  dire  et  monstrer  quelque  chose; 
Et  si  ne  puis,  aussi  je  n'ose, 
Pour  les  vallés  qui  sont  eiisamble. 
Que  fist-ii  ?  trop  bien  ce  me  samble. 
Un  anelet  d'or  il  portoit 
Ou  a  la  fois  se  deportoit; 
Mes  celi  il  laissa  chéoir 
Pour  nous  en  parolle  enchéoir^ 


DE  JEAN  FBOISSAUT.  425 

Et  lorsqu'il  le  senti  chéu, 

Si  com  il  l'en  fust  meschéu, 

Il  fist  forment  Tensonnyé^ 

Et  là  a  requis  et  pryé 

Que  on  li  voeille  aidier  à  querre. 

Et  cascune  et  cascuns  à  terre 

S  abaissent  après  lanelet; 

Et  méismes  li  troi  yallet, 

Lesquels  je  ressongpnoïe  si^ 

En  lerbe  le  quèrent  aussi. 

Lors  fui  boutés  de  Doulc-Samblant 

Qui  me  dist,ensi  qu'en  emblant: 

((  Passe  avant,  car  on  t'a  fait  voie. 

»  Ne  voi  personne  qui  te  voie. 

))  ParoUe  à  ta  dame^  il  est  famps.  » 

Et  je,  qui  pour  li  sui  sentans 

Pluisours  assaus,  li  dis  :  «r  Ma  dame, 

yi  Vostre  amour  m'a  si  pris,  par  m'ame! 

)»  Que  je  ne  puis  manière  avoir; 

»  Et  s'il  vous  plaisoit  à  scavoir 

»  Dont  ce  vient,  c'est,  en  loyauté, 

»  En  pensant  à  vostre  beauté. 

)i  Le  bien  de  vous  et  le  garant  sens 

»  M'a  conquesté  de  tous  assens. 

»  Cils  se  poroit  à  droit  prisier 

j»  De  qui  vous  dagfneriés  brisier 

»  Les  mauls,  seul  de  vos  douls  reg'ars. 

Plus  ne  parlai  car  je  rejfars 
Que  l'anelet  si  fu  trouvés. 
Et  oy  qu'on  dist;  (c  Vous  devés, 


126  POESIES 

))  Jonece,  par  raison  le  vin. 
}>  Vous  voilés  aler  au  devin 
i>  Pour  demander  vostre  anelet.  » 

Dont  sallent  avant  li  vallet 
Qui  furent  fel  et  despitous 
Et  encontre  moi  peu  pitons, 
Et  me  disent  :  «  Trayes  en  là  » 
Et  je  respondi  :  «  Ve-me-là  !  »» 
Tout  le  plus  garant  bien  que  je  pris. 
De  ma  droite  dame  de  pris, 
Fu  que  je  vis  après  ma  note 
Sa  belle  bouchette  miçnote 
En  riant  un  petit  mouvoir. 
Plus  n'i  et  fait  ne  dit  non  voir, 
Ce  fu  assés;  bien  me  souEGst. 

Or  vous  dirai  quel  chose  on  fist. 
Là  fu  qui  dist  cesie  paroUe, 
Qu*on  laiast  ester  la  caroUe 
Et  qu'on  presist  aultre  revel. 
Dist  l'un  :  «  J^en  sçai  un  toul  nouvel 
«  Que  je  voeil  monstrer  et  aprendre 
)i  Et  qui  bien  est  tailliés  dou  prendre.  »> 
Quel  est  le  ju  on  li  demande. 
Il  respondi  à  la  demande  : 
((  C'est  cils  de  la  pince  merine. 
Il  Enfant  de  Roy  et  de  Boyne 
»  Le  poroient  par  honneur  faire.  » 
Tout  s  acordent  à  cel  afaire. 
Nuls  ni  est  à  qui  il  ne  place. 
Là  fu  le  ju  jués  en  place. 


DE  JEAN  FROISSART.  427 

Or  nous  convenoit  entre  nous 
Estre  en  estant  ou  en  g^enouls. 
Si  nous  asséins  environ 
De  nia  dame^  et  en  son  giron 
Mist  cascune  et  cascuns  son  doi 
Pour  le  ju  dont  parler  je  doi. 
Et  cils  qui  en  fist  la  devise 
Disoit  ensi,  quant  je  mWise  : 
«  Bobius  ne  poet  dormir  ou  clos 
»  S'il  n*est  de  fleurettes  enclos. 
»  Et  dist  que  jà  n'i  dormira 
)>  Jusqu'à  tant  que  sa  mie  aura 
»Et  un  et  deus.  —  Or  vous  levés 
))  Dist  on  à  moi ,  vous  le  devés.  )> 

Je  me  levai  sans  nul  délai 
Et  un  petit  en  sus  alai 
Environ  dix  ou  onse  apas^ 
Par  quoi  ne  lesoïsse  pas, 
Et  me  mis  en  un  buissoncel 
Qui  séoit  dalès  un  moncel. 
Je  croi  que  il  fu  fais  pour  mi  ^ 
Car  il  estoit  tous  croes  parmi, 
Beaus  et  foellus,  ombrus  et  vers. 
J'estoie  laiens  tous  couvers 
De  foeillettes  à  toutes  pars. 
Et  toutdis  estoit  mes  espars 
Et  mon  regard  dessus  ma  dame 
Pour  qui  amours  le  coer  m'entame. 
Elle  fait  bien  à  regarder. 
Et  celles  qui  l'ont  à  garder 


428  POÉSIES 

Manière,  Attemprance  et  Beauté», 
Et  Doulc-Samblant  qui  est  bien  tels 
Qu'il  ne  me  dagneroit  mentir, 
Et  Pités  qui  me  lait  sentir 
Qu'Umilités  trop  bien  l'ordonne, 
Et  Cogfnoissance  qui  me  donne 
Grant  confort  quant  ceulz  voi  et  cel; 
Qui  sont  tout  vallet  et  pucelles 
Pour  euls  plainnement  asservir. 
Je  sui  bien  tenus  de  servir 
Dame  si  bien  acompag[nie 
D'une  si  doulce  compagfnie^ 
Et  pour  ce  que  je  le  convoi 
De  douls  regars  que  li  envoi 
Qui  en  regfardant  ni'abilitent 
Et  qui  gfrandement  me  delittent, 
Monstrer  voeil  que  je  ne  dors  mie^ 
Car  sa  doulce  phizonomie 
Me  fait  bonne  matère  avoir 
Pour  dire  une  balade  voir. 

Balade^ 

Manière  en  plaisant  arrei 
Est  forment  recommendée 
En  Dame,  et  fust  fille  à  Boy^ 
Car,  quant  elle  en  est  parée  ^ 
Elle  est  de  tous  honnourée, 
Âmée  et  prisie  aussi 
Pour  le  bien  qu'on,  voit  en  li. 


DE  JEAN  FROISSART.  429 

Et  c'est  bien  drois,  par  ma  foi! 
Car  manière  à  point  arrée, 
Soit  à  vue,  ou  en  requoi, 
Est  volentiers  regardée. 
C'est  vertus  moult  renommée. 
Onques  coers  ne  le  hay 
Four  le  bien  etc. 

Et  pour  ce  que  je  perçoi 
IJue  ma  dame  en  est  armée; 
Sui  je  bors  de  tout  anoi, 
Car  elle  est  de  bons  nommée 
De  grasce  et  de  renommée, 
La  parfette  au  coer  garni. 
Pour  le  bien  etc. 

Entrées  que  Beautés  et  Plaisance, 
Désirs,  Manière  et  Cognoissance, 
Doulc-Samblant  et  Humilité 
Franchise,  Âttemprance  et  Pité 
Eutendoïent  aux  noms  donner, 
Ensi  qu'on  les  doit  ordonner, 
Et  que  le  requiert  ii  reviaus 
Et  le  ju  qui  est  moult  nouveaus, 
J'avoi€^  ailleurs  mis  mon  entente , 
Ensi  que  bonne  amour  me  tempte, 
A  la  balade  dessus  ditte , 
Comment  qu'elle  fust  moult  petitte. 
Depuis  ne  fui  je  pas  aies 
Trop  loing,  quant  je  fui  appelles, 
£t  me  tu  dit  :  a  Hanin  !  Haynau  !  » 


430  POÉSIES 

Je  respondi  :  ((  Pié  de  ehevau  !  » 

Et  puis  on  dist  :  a  Que  voels  que^  face  ? 

Ei  je  responc  :  a  Ce  qu'à  Dieu  place.  -» 

—  ((  Or  nous  dittes,  sans  eouroucier> 

»  Lequel  vous  avés  or  plus  chier 

»  Qui  vous  raporte  sans  delay, 

D  Ou  flour  de  lys^  ou  flour  de  g[lay , 

»  Ou  la  roze,  ou  la  violette  » 

))  Ou  la  consaude  joliette, 

»  Ou  bonne-aventure,  ou  fortune, 

»  Ou  le  cler  soleil,  ou  la  lune,  d 

Et  je  qui  tentais  m'aventure 

Je  respondi  :  «  Bonne-aventure.  » 

Bonne-aventure  avant  salli. 

J'avoie  bien  afaire  à  li. 

Désir  ot-on  ce  nom  donné 

Par  le  ju  devant  ordonné 

Je  fui  moult  lies  par  convenant 
Quant  je  le  vi  à  moi  venant, 
Et  il  se  resjoy  foison 
Quant  il  me  véy  ou  buisson. 
«  Amis,  dist  il,  ci  sui  venus, 
c  Pour  vous  porter.  G  y  sui  tenus.  » 
Et  je  li  dis  :  «  C*est  bien  mes  g^rès.  » 
Lors  est  laiens  o  moi  entrés, 
Pourvéus  pour  moi  enchargpier, 
Ne  il  ne  s'en  voelt  atargpier; 
Mes  il  convient  voir  qu'il  s'afargfe  ; 
Car  si  tre-tos  comil  m'encarg^e, 
11  m'est  avis  de  toutes  pars 


DE  JEAN  FBOISSART.  43 1 

Que  ce  soit  fus  et  que  tous  ars, 

Et  que  je  soie  en  mi  la  flame. 

J'escrie  lors:  •<  J'ars  tons  et  flame! 

}>  Desir^  Désir  !  mettes  moi  jus. 

)>  Jués  vous  ores  de  telz  jus 

>i  Qui  me  voles  ensi  ardoir? 

>*  D'aler  avant  n'ai  le  pooir. 

)i  Je  senc  le  fu  qui  me  sousprent, 

)>  Qui  tout  me  bruist  et  esprent. 

)>  Issiés  de  ci  et  appelles 

»  Ceuls  et  celles  que  vous  volés. 

»  Dittes  qu'en  me  yîfpie  secourre; 

»i  Car  vraiement  j'ars  tous  en  poure, 

1*  Ne  je  ne  senc  que  flame  et  fu. 

n  Et  si  ne  sçai  mies  par  ù 

)>  Tele  ardour  puist  venir  ne  nestre, 

M  Fors  seulement  q'une  fenestre 

»  Â  la  manière  d'un  petrub 

))  Dedens  ce  buisson  voi  et  truis.  » 

Se  li  fis-je  orains  de  mon  doi. 

Certes  moult  bien  comparer  doi 

Ce  meffait  ;  car  par  là  souvent 

Ai  je  hui  Véu  le  doulc  couvent 

Que  ma  très  souverainne  gparde; 

Quant  bas  et  hault  par  tout  reg*arde. 

a  Cesle  ardour  est  par  là  entrée  ^ 

>)  Car  je  n'i  voi  nulle  aultre  entrée, 

)>  Dittes,  Désir,  ai  je  dit  voir.  » 

Et  cils  qui  bien  fait  son  devoir 

Que  del  ardant  fu  atisier, 


432  POÉSIES 

Me  dist  :  «  Vous  vos  ahatiés  liier 

))  De  porter,  comme  bons  vassans^ 

»  Les  merveilles  et  les  assaus 

>»  Qu'aux  pluisours  jones  gens  aviennenf 

»  Qui  par  ce  buisson  vont  et  viennent  j 

i>  Et  je  vous  voi  jà  recréant. 

i>  Amis,  amis,  je  vous  créant 

»  Que  quant  de  ci  vous  partirés 

«  Vraies  enseng^nes  en  dires 

))  A  ceuls  qui  oïr  les  vodront, 

»  Par  quoi  mirer  il  s'i  porront.  » 

—  «c  Haro  !  di  je,  j'en  sçai  assés 

))  Car  je  sui  jà  mas  et  lassés. 

>i  Estes  vous  pour  ce  ci  commis  ? 

)i  Venus  le  m'avoit  bien  prommis, 

»  Que,  se  longuement  je  vivoie 

))  Et  avecques  vous  arrivois, 

»  Que  j'auroie  à  souffrir  foison. 

))  Et  se  vous  scavés  la  poison 

})  De  ceste  ardour  qui  m'est  si  griés, 

»  Je  vous  priy  qu'elle  me  soit  briés, 

»  Car  pas  ne  sui  fors  pour  porter  ] 

})  Se  m*en  poriés  bien  déporter^ 

V  Car  ce  fais  ci  trop  fort  me  charge. 

))  Je  n  ai  pas  apris  si  grant  charge. 

»  J'estoie  assés  à  paix  avant, 

>i  Quoique  dangiers  me  fust  devant. 

))  Mieuls  ameroie  o  lui  tout  dis 

»  Et  refusés  et  escondis 

»  Que  d  estre  en  pénitence  tele. 


DE  JEAN  FROISSART.  4.33 

*>  H  n'est  créature  mortele 
»  Qui  longes  porter  le  peuist, 
»  Que  briefment  la  mort  n'en  euist, 
>»  Car  il  me  vient  tout  à  revers. 
)»  Jestoie  maintenant  couvers 
»»  De  foellettes  et  de  vredure 
>'  Et  je  sui  tous  rempli  d'ardure. 
»i  Or,  me  dittes  s'onques  nuls  fu, 
»  Fors  que  moi,  ens  ou  pareil  fu; 
»  Car  j  auroie  bien  ma  part  d'ire, 
>.  Mes  que  je  le  puisse  pardire , 
i»  Se  j  estoie  en  ce  monde  seuls 
>»  Qui  euisse  esté  augoisseus 
»  Et  passé  parmi  ceste  flamc 
»  Qui  trestout  me  bruist  et  flame.  »» 
Désirs  qui  est  un  g-rans  brandons 
D'ardour,  et  qui  en  fait  jjrans  dons 
Là  où  il  les  cuide  employer 
Me  va  erramment  desployer 
Figrures  et  exemples  tels, 
Et  me  dist.  «  Or  vous  confortés 
»  Amis,  et  si  escoutés  voir. 
>»  Vous  volés,  ce  m  est  vis,  scavoir 
3»  Souques  nuls  fu  dou  fu  attains, 
^»  Fors  que  vous,  dont  vous  estes  tains. 
»  Nommer  vous  en  voeil  jusqu'à  dis 
^>  Qui  plus  le  sentirent  jadis 
^>  Que  vous  n'ayés  fait,  Dieu  merci  ! 
»  A  tout  le  mains  jusques  à  ci. 
>»  Dis!  voires  vingt,  se  mestîer  fait  ! 

FnoiSSART.  T.   XVI.  28 


13  i  POÉSIES. 

»  Ou  un  cenz!  qui  furent  st  fait, 

j»  Si  pris,  si  attaint  et  si  ars 

»>  Que  hardemens,  avis  ne  ars 

»  Ne  les  en  porent  aidier  onques.» 

Et  je  li  respondi  adonques  : 

)>  Or  les  nommés;  je  les  orai 

»  Parquoi  oublyer  m*i  porai.  -» 

— •  u  Volen tiers.  Moult  en  fu  Phebus 

»  Del  ardant  fu  d'amours  embus 

»  Pour  Dane  quMl  desiroit  si, 

>i  Et  celle  le  fuioit  ensi 

»  Qu'on  fuit  ce  4ont  on  ne  fait  compte 

»  Onques  Phébus>  dont  je  vous  compte, 

)i  N'en  pot  belle  paroUe  avoir , 

>i  Tant  li  fesi9t-il  à  sçavoir 

»  Comment  désirs  le  pooit  traire. 

>)  Tout  dis  li  fu  dure  et  contraire. 

»  Et  Orpheus  poiir  Proserpine 
»  Qui  se  piuoit  dessous  Tespine, 
»  Que  Pluto  ravi  et  embla. 
>)  Orpheus  ses  chans  en  vuerbla, 
))  Et  prist  sa  liarpe  belle  et  bonne  ^ 
»  Et  sen  vint  droit  dessus  la  bonne 
a  D'enfer  où  siet  la  droite  entrée 
»  Par  où  sa  mie  y  fu  entrée 
>»  Que  Pluto  porté  y  avoit. 
i>  Cils,  qui  trop  bien  harper  savoit, 
y*  Sa  harpe  attempra  doulcement. 
»  Tant  harpa  et  si  longuement 


DE  JEAN  FROISSART.  433 

^>  Quo  les  Diex,  pour  la  mélodie., 

^»  N'en  y  a  nul  qui  mot  en  die 

»  Tout  ouvrirent  encontre  li. 

n  Et  Orpheus  au  corps  joli 

w  Trouva  sa  mie,  ce  me  samble; 

'»  Et  parlèrent  lonc  temps  ensamUe. 

>»  Et  Ta  dou  ravoir  caleng^ié. 

"  Mes  on  trouva  qu'elle  ot  mengié 

^»  Dou  fruit  d'enfer,  ifuant  elle  y  vint 

»  Pour  ce  demorer  li  convint. 

^>  Mes  Orpheus^  si  corn  bien  sçai, 

>»  'S'en  mist  toutes  fois  en  Tassai  5 

>»  Ce  fu  amour  et  ardour  grans  5 

j»  Et  s'estoit  dou  véoir  engrans 

'»  Quant  en  enfer,  où  tel  val  a, 

>»  Pour  Proserpine  il  s  avala. 
«  Et  pas  ne  fait  à  oublier 

'•  Léander,  mes  à  publyer 
*»  Et  1  ardour  dont  tant  il  an» 

M  Héro  pour  qui  il  s*entama. 
«  Toutes  les  nuis  un  brach  de  mer 
"  Nooit  li  preux  pour  cesle  amer* 
ï>  Point  ne  visoit  à  la  tempeste 
>»  Dont  la  mer  souvent  se  tempeste. 

»  Tant  i  ala  et  tant  y  vint 
^»  Qu'enfin  demeurer  li  convint. 
:»  Entre  Albidos  et  Fautre  dune 
»  Fu  il  souspris  d'une  fortuite 
)»  Et  laquele  il  ne  pot  passer. 
»  Ennoant.le  convint  lasser -, 

28* 


13  G  POÉSIES 

^  Et  là  où  mainte  nefs  arrive 
»  Fa  trouvés  mors  dessus  la  rive. 
»  Et  ne  fu  plains  d*ardant  folie 
»  Et  de  grande  mélancolie 
)>  Pymalion,  quant  il  bailla 
»  A  Timagpe  qu'il  entailla 
»  Sa  niour  de  si  ardant  entente* 
»  Espris  dou  brandon  dont  je  temple 
>i  Maint  baceler  et  mainte  dame. 
»  Il  yen  priant,  rendi  là  ame. 

»  Gepheus  n^en  ot  mie  mains. 
»  S'estoit  il  en  très  bonnes  mains 
»  Eschéus,  s'il  y  presist  garde. 
V  Mes  les  flamescbes  de  ma  darde 
»  Ne  scevent  nuUui  déporter. 
»  Grant  ardour  le  vint  enhorter, 
»  Et  Tamonnesta  et  sousprist, 
1)  Quant  la  mélancolie  il  prist 
)>  De  monter  à  mont  un  lorier 
)i  Pour  véoir  avant  et  arrier 
i)  S'il  veroit  point  venir  sa  dame 
»  Qui  loyalment  lamoit,  par^m*ame! 
)i  Car  un  usage  entre  euls  avoient 
••  Qu'en  un  gardin  il  revenoient 
»  Parler  de  leurs  amours  ensamble. 
»  Or  en  defalli,  ce  me  samble, 
))  Héro,  qu  elle  un  jour  point  n'i  vint^ 
»  De  quoi  à  Cepheus  mesvint. 
)>  Quant  il  voit  que  le  soir  approce 
))  Pour  infortunés  se  reproce^ 


1 


DE  JEAN  FROISSART.  437 

»  En  tel  argu  pensant  à  li 
3»  Soudainnement  il  tressalli, 
»  De  larbre  chéi  jus  à  terre. 
))  Il  ne  le  eonyint  ailleurs  querre. 
3)  Là  fu  trouvés,  là  e^t  ses  lis, 
2)  Car  il  y  fu  ensepvelis. 

»  Tubulus  gousta  moult  mes  fiâmes. 
»  Le  record  n'en  est  mies  blâmes, 
»  Car  dou  [gfou&ter  et  dou  sentir 
»  Peu  de  gens  en  Toi  repentir^ 
»  S'il  ne  sont  d  attemprance  dure. 
»  Mes  li  touseaus  en  ceste  ardure 
»  Persévéra  et  rendi  ame. 
))  Ensi  est  escrit  sus  sa  lame. 
»  Le  Dieu  d'amours  en  leva  bulles 
»  Et  dist  que  loyal  fu  Tubules, 

)>  Narcisus  fu  de  franche  orine, 
»  Enfés  de  Roy  et  de  Roy  ne  j 
»  Très  beaus  fu  et  de  noble  arroi. 
)»  Fille  de  Hoyne  et  de  Roy 
»  Enama^  Eqtio  ot  nom  celle. 
»  Elle  moru  jone  pucelle. 
î)  Nom-pour-quant,  s'elle  morte  fu, 
»  Onques  estaint  n  en  vit  le  fu 
»  Narcisus,  tel  quil  le  portoit; 
»  M^s  ûuit  et  jour  li  enhortoit 
»  Que  il  perseverast  avant^ 
»  Et  li  ï*emettoit  au  devant 
1)  Equo  la  belle  et  bonne  et  saçe. 
»  Or  avoit  Narcisns  d'usagée 


138  rOÉSlES 

»  Que  d'aler  eus  es  bois  cliacier 
I»  Pour  sou  esbanoi  pourchacier. 
»  II^  qui  estoit  1res  bons  ouvriers 
»  De  mettre  avant  chiens  et  lévriers, 
»  A  la  chasse  un  cerf  accoeilli  ; 
^>  Et  cils  au  cours  le  recoeillL 

>  De  près  le  sieut  lljouveuceaus^ 
»  Passe  vallées  et  monceaus> 

yy  Preories  et  ^rans  herbois. 

3»  Venus  s'en  est  en  un.  beau  bois; 

»  Et  assés  près  d'une  fontainne, 

>  Qui  de  toutes  gens  fu  lontainBe^. 
»  Prist  Narcisus  le  cerf  à  force. 

»  Il  méismes  droit  là  Tescorce 
>»  Et  la  cuirie  ans  ehiens.en  fait, 
»  Car  bien  savoit  ouvrer  dou  faii. 
»  L^aigfue  qui.  couroit  ou  ruîssiel 
»  Rafreschissoit  le  jovencieL 
)>  Pour  ta  calour  qui  estoit  gfrans., 
»  Fu  Narcisus  forment  engrans 
>*  Que-de  la  fontaine  il  peuist 
»  Boire  et  son  sool  en  euist. 
>i  Adout  à  la  fontainne  vint. 
)>  Quant  il  y  fu,  se  li, souvint 
»  D'Equo  que  tant  amé  a  voit 
»  Que  conseiller  ne  s*en  savoit. 
»  Narcisus  s'abaisse  pour  boire  ; 
»  Et  laigue  qui  est  clere  et  noire- 
»  Et  qui  siet  en  lieu  orbe  et  sombre  ^ 
lè  D'une  personne  li  fait  ombre. 


DE  JEAN  FROiSSART.  439 

»  Quant  Narcisus  en  voit  la  fourme, 

M  Ardour  Tamonneste  et  enfourme 

)>  Que  briefment  c'est  Equo  sa  mie 

»)  Et  que  perdu  il  ne  Ta  mie. 

»  Adont  se  lieve  eontremont; 

)>  Et  yolentés  si  le  semont 

»  Que  de  cryer  envois  I  envois  ! 

>i  Equo  !  Equo  !  à  clere  vois. 

}i  Le  sou.  des  bois  respont  sans  faille 

))  Tout  ce  que  Narcisus  li  baille . 

»  A,l^  fontaine  s'abandonne, 

»  Car  miréoir,  ce  dist,  li  donne 

)»  Qu  il  voit  Equo  fmr^propre  face. 

})  Tant  li  plet  qu'il  ne  scet  qu'il  face. 

)»  Il  s'abaisse  et  souvent  en  boit. 

)>  En  ceste  ardeur  s'i  il  s'emboit 

)i  Que  droit  là,  sans  partir,  se  tient. 

»  Et  tout  entirement  maintient 

»  Que  il  paroi  le  bouche  à  bouche 

»  A  Equo  sa  mie  très  douce  *, 

»  Car  le  son  retentist  et  dist 

»  Tout  ce  que  de  Narcisus  ist. 

»  Là  se  plaint  et  pleure  et  souspire^ 

»  Sa  v.ie  et  sa  santé  empire, 

>>  Car  il  est  là  tant  loug-ement, 

»  Sans  mettre  en  soi  aliegement, 

))  Ëspris  d'un  tel  tison  ardant 

»  En  la  fontainne  regardant 

»  Par  son  samblant  une  ligure^ 

H  Et  tellement  si  e3vig[ure 


4*0  POÉSIES 

»  A  regfarder,  dont  près,  dont  loing^^ 
»  Qu'il  n  a  aillours  entente  et  soing-^ 
))  Ne  aultre  part  ne  voelt  aler  ; 
»  Car  vis  li  est  qu'il  ot  parler 
»  Equo^  si-tos  com  il  paroUe 
»  Soit  bas  ou  hault  une  paroUe. 
))  Geste  ardour  ensi  le  demainne 
»  Jusqu'à  tant  qu'en  la  fin  le  maînne. 
»  Ensi  Narcisus  pour  sa  dame 
»  Rendi  en  cel  estât  là  ame. 

»  Paris,  qnifn  à  Priant  fils^ 
»  De  son  damag^e  estoit  tous  fis 
5»  Quant  il  ala  en  Gresee  querre 
»  Feme  pour  lui  par  fait  de  guerre; 
))  Car  Helenus  et  Cassandra 
»  Disoïent  bien  ^  Quant  hors  saudra 
>*  Paris,  pour  &ire  emprise  tele  , 
»  C'est  no  destruction  morfele. 
»  Et  toutes  fois^  pour  leur  parler 
»  Il  n'en  laissa  point  à  aler 
3)  En  Gresee,  ains  y  ravi  Helainne 
)>  Dont  la  guerre  fu  si  villainne 
»  Com  il  Y  pert  et  y  parra 
»  Tant  que  de  Troies  on  parra. 

»  Âcillès  pour  Polixena 
»  En  amoureuse  ardour  régna. 
))  Et  qui  voelt  savoir  par  quel  ioui\ 
»  Il  convient  prendre  son  retour 
»  Ci  devant  et  droitement-u 
)>  Li  amans  à  son  coffre  fu 


DE  JEAN  FROISSART.  44 1 

»  Où  il  ot  jà  mis  son  imagée 
)»  Et  on  yera  à  quel  damage  » 
»  Gomment  Aeillès  fn  menés, 
^  Espris  d'ardour  et  fourmenés. 

))  Tristrans  aussi  sus  tele  fournie, 
D  Si  eom  sa  rie  nous  enforarme 
»  Qui  bien  justement  Texamine. 
»  Dou  fu  d'amour,  qui  jïiaint  coer  niine> 
»  Telement  fu  examinés 
»  Que  jusques  en  la  fin  menés. 
»  Maint  Philozophe  aussi  j'en  scai 
»  Qui  en  chéirent  en  lassai 
»  El  forent  féru  de  la  darde. 
»  Premiers  qui  Ovide  regarde 
»  Vregile  et  Aristotle  aussi, 
»  On  voit  que  ce  fu  d'euls  ensi. 
))  Compains^  il  n'est  nuls  qui  ne  passe 
)>  Parmi  ce  fu,  i^'il  a  espasse, 
yf  Tempre  ou  tart,  mes  c'en  est  Tadrece^ 
)>  Le  joli  Buisson  de  Jonece. 
)>  Foi  que  doi  à  saint  Innocent! 
y>  J'en  nommeroie  jà  un  cent^ 
»  Voire,  pstr  Diea  I  un  grant  millier, 
))  Se  tant  toloie  travillier, 

»  Qui  fout  en  ont  esté  bersé^ 

»  Ardament  espris  et  arsé. 

»  Mes,  nennil  ;  il  m'en  fault  issir  ; 

»  Car  je  n'ai  mies  le  loisir; 

»  Et  se  nous  lault  de  ci  ruidier. 

»  Que  poent  maintenant  cuidier 


442  POÉSIES 

»  Ceuls  et  celles  qui  sont  là-jus > 

))  Qui  s*esbatent  aux  pluiscwrs  jus 

)>  Et  qui  à  rtensnée  n'entendent, 

»  Fors  seulement  qu  il  nous  attendent. 

»  Il  dient  ensi,  et  de  voir, 

>i  Que  je  ne  fai  pas  mon  devoir 

»  De  vous  porter >  quant  tant  demeure.  » 

Et. je  li  respondi  en  l'eure: 

»  Désir  !  Désir  !  trop  me  hastés  !^ 

»  Saciés  que  je  ne  sui  pas  tels 

»  Que  je  puisse  de  ci  partir. 

)>  Vous  me  véés,  com  un  martir* 

>i  En  penitance  et  en  ardure. 

»  Jà  tant  que  ceste  ardour  me  dure 

»  Je  n'ai  cure  de  nul  revel 

»  Ne  de  ju,  tant  soient  nouvel. 

)'' Toute  joie  m'est  marison. 

»  Je  ne  quier  que  ma  garison. 

»  Si  vous  pri  qu'il  vous  viegne  à.  point: 

»  Que  vous  regardés  sus  ce  point 

))  Bar  quoi  briefment  reconfort  aie 

«  De  ce  mal  qui  si  fort  m'esmaie.  » 

A  ces  mos. Désirs  me  respont. 
Qui  de  moi  pas. ne  se  repont  : 
>»  Compains^  eompains,  ce  ne  poet  estre> 
»  Que  nullement  voyes  le  prestre 
»  Qui  jà  jour  ses  reliques  blasme. 
))  Diex  me  desfende  de  tel  blasme 
'>  Que  jà  des  miennes  je  mfssdie 
»  Pour  nulle  cho^e  qu'opmQn  drie^. 


DE  iEAJS  ERQISSART.  443 

»  Car  jen*i  sui  mie  lenus. 

»  J  ai  eslé  fous  jours  retenus 

»  De  Venus  et  de  son  conseil  > 

^  Pour  ce  que  j'enhorte  et  conseil 

>  Que  ses  afaires  est  moult  g^ens^ 

»  Yoires  à  toutes  jones.  gens. 

1*  Et  le  fu  dont  elLe  s'esbat. 

»  Je  le  recorde  pour  esbat^ 

»  Se  tu  t'en  plains  quele  est  la  coupe  f 

»  Quant  tu  bois  à  otele  coupe 

:»  Que  les  amans  dessus  nommés 

>)  Qui  grandement  sont  renominés 

»  En  la  vie  des  amoureus. 

51  Tenir  t'en  dois  pour  éureus 

5)  Quant  Venus  t'a  tant  adagnié 

>*  Que  le  buisson  t'a  en&engnié 

)>  Par  où  toutes  jones  gens  passent'^ 

:»  S'en  mi  chemin  ne  se  mespassent.  )> 

î>  —  Désir,  di-je,  point  ne  m'en  plains  ). 

>»  Mes  pour  ce  que  je  sui  tous  plains 

»  D  ardour,  enflâmes  et  espris, 

»  Et  noient  ne  Ta  voie  apris, 

»  Ce  me  fait  gémir  et  cryer. 

51  Si  vous  vodroie  bien  proyer 

^  A  jointes  mains  et  en  jenous 

>j  Que  ci  bellement  entre  nous 

>j  Vous  vo  Toeilliés  tant  entremetlre 

>ï  Que  de  ce  fu  à  coron  mettre, 

«  Car  de  vivre  en  un  tel  parti 

»  Je  l'î^uroie  trop  mal  parti.  » 


m  POESIES 

Tant  parlai  et  si  bellement 
Que  eils,  qui  assés  fellement 
M*avoit  remonstré,  ce  m'est  \\sy 
Une  gfrant  part  de  son  avis^ 
  moi  réconforter  s'aeoi*de 
L'estat^  eomment  il  le  recorde. 
^  Compains^  dist  it,  je  partirai 
)>  Et  devers  yostre  dame  irai 
»  Et  devers  ses  pucelles  toutes 
»  Qui  ne  sont  dures  ne  estoutes, 
)>  Mes  d'une  accointance  très  douce^ 
»  Et  lor  dirai,  car  le  &it  touche, 
)>  En  quel  ardonr  Vous  séjournes.  » 
—  (c  Haro^  ^i-jc?  très  bons  jours  nés^ 
»  Me  seroit,  s'ensi  le  faisiés.  » 
Il  me  respont  :  <(  Or  vous  taisiés , 
»  Car  ensi  le  ferai  sans  faille 
»  Que  présentement  le  vous  baille.  ) 
11  prent  cong^ié  ;  de  moi  se  part  ^ 
Mes  encor,  ançois  son  départ 
J'avoie  une  chançon  petite 
Qui  estoit  assés  bien  escrite. 
Je  le  pris,  et  se  li  donnai 
Et  en  li  baillant  ordonnai  : 
»  Vous  donrés,  de  pai^  le  malade, 
»  A  ma  dame  ceste  balade, 
ji  Et  li  dires,  aussi  à  celles 
»  Qui  sont  lès  li  com  ses  pucelles^ 
»  Comment  je  sui  en  Tocquisûn 
V  De  II,  embrasés  dou  tison, 


DE  JëAN  FROISSART.  445 

"»  Si  qu'à  painnes  puis-je  parler,  m 
Dist  Désirs  :  u  Laissiés  moi  aler  ; 
<(  Je  TOUS  cuide  trop  mieulz  aidier 
^)  Que  vous  ne  sauriés  soubaidier.  » 

Désirs  se  part,  ei  se  me  let 
Au  partir  un  sien  anelet 
Ce  sont  ières  dou  revenir. 
It  saura  trop  mieulz  avenir 
Et  adrecier  à  ma  besongfne 
Puisqu'il  en  a  empris  la  songne 
Que  je  ne  feroie  à  nul  foer. 
Car  il  cognoist  assés  le  coer 
De  ma  dame,  eosi  q'uns  servans 
Qui  lone  tenips  a  esté  servans 
Entre  les  dames  et  pucelles. 
Je  croi  bien  qu'il  parra  à  celles 
Si  sagem^dt  et  si  à  point 
Que  je  ne  m'en  plainderai  point. 

De  moi  se  part,  Diex  le  convoie 
Et  doinst  que  briefment  le  revoie  ! 
Car  j'auroie  trop  grant  mestîer 
Que  bien  il  peuist  exploitier. 
L^  retour  de  lui  moult  me  tarde. 
.   Souvent  de  celle  part  regarde 
Parmi  le  petruis  eu  couvert 
Que  de  mon  doi  avoie  ouvert. 
J'en  fesoiç  adont  ma  fenestre. 
Une  heure  à  destre  et  à  senestre 
Regardoie  avant  et  arrière 
Et  me  tenoie  à  la  barrière. 


116  POÉSfES 

Aultre  remède  je  n4  truie 
A  présent  que  de  ce  petruis  ^, 
Et  il  m'estoit  trop  bteu  séans^ 
Car  ma  dame  et  tous  les  séans 
Véoie,-et  point  ne  me  véoîent 
Endementroes  qu'elles  séoient. 

Désir ,  qui  est  bon  •usag'ier , 
Quant  il  voelt,  d'estre  messag^ier, 
Leur  sour vient  garnis  de  parolier 
Mes  ne  sçai  de  quoi  il  paroUe. 
Au  retour  il  le  me  dira^ 
Ne  jà  riens  ne  m'en  mentira 
Ou  cas  qu'il  le  m'a  en  convents 
Je  regardoie  moult  souvent 
De  ce  lès  et  de  celle  pai*t 
Mes  pour  ce  de  moi  pas  ne  part 
Le  fu  ne  Tamourouse  flame^ 
Ancois  me  bruist  et  enflame  ; 
Je  ne  m'en  puis  desfinceler. 
Car  je  le  senc  estinceler 
Environ  moL  Haro  !  guel  hoste  ! 
Quant  il  avîent  que  mes  yex  osie 
De  ma  dame  et  ailleurs  les  mec^ 
En  peu  d'eure  les  y  remec, 
Ensi  que  cils  que  tout  dis  tire 
A  monteplyer  mon  martire. 
Et  c'est  chose  legiere  assés, 
Car  je  ne  puis  estre  lassés 
De  remirer  et  de  véoir 
Le  fu  qui  me  fait  enchéoir 


De  JEAN  FROISSâRT.  44^7 

En  Tardour  dont  je  sui  attains. 
Si  sui  je  près  sus  Testre  estains. 
Or  uest  pensée  qui  n'aviegpne 
Attendans  que  désirs  revienne 
Et  que  nouvelles  me  raporte. 

En  pensant  illoec  me  déporte 
A  faire  un  lay  présentement, 
Car  j'en  ai  assés  sentement 
Et  matère  par  ces  deus  mains. 
Je  m'en  passaisse  bien  à  mains; 
Mes  puis  qu'il  fault  qu'il  soit  cnsi, 
Très  humblement  j'en  regfrasci 
Amours  qui  de  ses  biens  m'envoie, 
Et  qui  aussi  m*a  mis  en  voie 
De  faire  le  lay  sus  tel  fourme 
Que  mon  fait  requiert  et  enfourme. 

Lay  amoureiis. 

Ardamment  me  voi  espris 

Et  sans  confort 
De  tu  d'amiours  qui  me  mort, 

Si  que  tous  fris 
Ou  coer  m'est  "ce  fu  escris 

Qui  me  remort 
Le  S'Ont  corps,  le  bel  déport, 

Et  les  douls  ris 
De  ma  dame  qui  m'a  pris 
,  Par  son  effort. 


418  POÉSIES 

Se  brief  nai  son  reconfiDrf^ 
En  ce  pourpris 
Qui  tous  est  d*ardour  pourpris 

Et  oultre  bort 
Demorrai  jusqu'à  la  mort, 
J*en  suî  tous  fis; 


Car  d'ardour 

Plainne  de  Tigt>nr 
Et  de  chaleur 

Très  aspre  et  très  fiere^ 

Sans  douceur 
Me  voi  nuit  et  jour 

Espris  pour 
Vous,  ma  dame  chiere. 

S'en  saveur. 
Si  cruel  estour 

Qu'à  ma  dolour 
N'est  mal  qui  s'affîere. 

Vostre  amour, 
Maint  plaint  et  maint  plour 

Par  garant  tristour 
M'a  fait  mettre  en  bière. 

Lamenteusement 
Cremeteusement 
Et  secrètement 
Bellement, 
Quant  j'en  ai  espasse^ 
Di  en  moi  comment 


DE  JEAN  FROISSART.  449 

Le  temps  me  sousprent, 
Qui  point  ne  m'apreiTt 

Nullement 
De  seg^re  ^rasce  ; 
Ançois  me  deffent 
Tout  esbàtement, 
Car  je  voi  souvent, 

Vraiement  ! 
Qu'il  me  fuit  et  passe 
Trop  leg^ièrement, 
Sans  alieg'ement 
Ne  confortement 

Dou  tourment 
Qui  si  fort  me  lasse. 

Cest  bien  chose  pour  périr 
Quant  joïr 
Ne  resjoïr 
Ne  conforter  ne  me  puis; 
Ains  me  fault  ensi  tenir. 
Et  sentir 
L*ardant  désir 
Dont  je  sui  ars  et  bruis. 
Qui  me  fait  plaindre  et  gémir 
Et  ouvrir 
Tamaint  souspir 
Plains  de  dolours  et  d'anuis. 
Et  ne  seai  oà  refair , 
Pour  gfarlf 
Ne  amenrîT 
froissàrt.  t.  xvl  29 


450  POÉSIES 

Les  grieflés  qu'en  moi  je  truis, 

Mes  quant  mon  coer  examine 

Et  le  mine 
Jusques  au  fons  de  la  mine, 
Je  m'avise  nom-pour-quânt, 

En  pensant. 
Que  vous  estes  si  bénigne, 

Douce  et  fine. 
Que  ceste  ardoUr  qui  m'afine 
Me  fera,  je  ne  sçai  quant, 

Confort  grant  \ 
Car  vostre  bonne  doctrine 

Me  doctrine 
Que,  s'a  point  estes  estrine, 
C'est  tout  en  reconfortant 

Le  plaisant 
Fait  d'amours-,  car  si  bon  signe, 

Jadcvine, 
Ont  leur  cours  un  seul  termine 
Pour  esprouver  un  amant 
Bien  servant. 

Dont  je  ne  vodroie. 
Se  Diex  me  doinst  joie, 
Estre  en  aullrevoie. 
C'est  drois.qu  on  m'en  croie, 

Queje.sui; 
S'une.heure  manoie, 
L'autre  m'esbanoîe. 
Quant  je  me  fourvoie, 
Tantos  me  ravoie. 
Par  autrui 


DE  JEAN  FROISSABT.  45! 

Ardour  me  g-aerroiC) 
Quel  part  que  je  soie; 
Et  si  fort  me  loîc 
Que  lie  la  diroie 

A  nuUtti. 
Mes  quioi  que  je  voie 
fit  qu  amours  m  envoie^ 
Douice,  simple  et  quoie 
Tantost  perderoie 

Mon  anni, 

Se  vos  vairs  yeXj 

Frans  et  gfentieus 
Dagniés  assir  sus  mon  reg^arl; 

Mes  si  lentieus 

Ou  si  hastieus 
Les  voi  venir  de  celle  part. 

Que  petit  mieulz 

Voir  en  tous  liens 
En  est  à  mon  coer  qui  tous  art. 

S'en  sui  entieus 

Et  très  pensieus 
Quant  fortune  ensi  me  départ 

De  ses  biens  à  gpolonnées. 
Quel  presse  a  à  tels  données, 
Qui  sont  si  infortunées 
Et  si  très  mal  ordonnées, 
Que  les  créatures  nées 
Presens  et  passés 
Dou  cog'noistre  acoustumées 
Dient  que  ce  sont  fumées 

29* 


152  POÉSIES 

De  dolour  environnées. 
Et  que  de  tels  corroyées 
De  deus  ou  de  trois  denrées 

On  a  plus  qu'assés. 
Fortune^  ensi  tu  m'effrées, 
Quar  je  crienc  tant  tes  posnées 
Et  les  dures  destiné  es  5 
Je  ne  sçai  à  quoi  tu  bées. 
Or  le  Yoes  or  le  devées; 

De  riens  ne  t'est  ses. 
J'ai  j  à  servi  matinées, 
Soirs;  nuitiés  et  journées, 
Termes  et  mois  et  anées. 
De  quoi  sont  recompensées 
Mes  painnes  et  mes  pensées  ? 
Di  le,  se  lu  scés. 

Et  pour  ce  que  garant  et  petit 
Te  tiennent  en  si  garant  despit, 
Je  croi  aussi,  se  Diex  m'ayt  ! 

Que  tu  es  si  despifte. 
Tu  as  maint  coer  mort  et  niurdrit, 
Kn  toi  croire  n'a  nul  proufit, 
Tes  oevres  et  tout  ti  délit 
Ne  valent  ane  mitfe. 
Dang[ier,  Refus  et  Escondit 
Me  sont  contraire  et  ennemit. 
Je  n  ai  ne  triewes  ne  respit. 

Heure  tant  soit  petite. 
Mon  ceer  sou^pire  font  et  frit; 


^"^ 


DE  JEAN  FROISSART.  453 

Je  sçai,  de  voir  on  le  in*a  dit 
Que  quant  je  ploure  ton  cœr  rit, 
Tant  es  fausse  et  trahitte.         y 

Trop  félon 

Sont  ti  don; 
'  Oequoison 

N'i  a  nulle  de  raison, 
Ce  dient  li  ancien 

Absalon 

Et  Sanson 

Et  Noiron 
,   Et  le  Boi  Laomedon, 
Et  Grieu  et  li  Troïen. 

Salemon 

Ne  Caton 

Ne  Platon 
Ne  sorent  comparison 
Faire  de  ton  fol  maintien. 

Il  n'est  hom, 

Tant  soit  bon 

Nepreudom, 
Que  tu  prises  un  bouton 
De  tant  te  cog^noi-je  bien. 

En  toi  a  tant  de  contraire 
Qu'on  ne  poet  dire  ne  faire 
I4ul  bien  ne  nul  exemplaire 
Qui  puist  ne  quidoie  plaire  j 

S'en  sui  tous  abus. 
Nom-pqur-quant  je  m'en  voeil  taire, 


434  POÉSIES 

Et  au  doulc  penser  retraire 
De  ma  dame  débonnaire. 
Comment  en  son  doulc  viaire 

Je  sui  tous  embus, 
Car  la  doulee  simple  et  vaire 
A  un  doulc  regart  pour  traire 
Un  coer  retraire  et  attraîre, 
Car  nature  y  volt  pourtraîre 

Moult  de  ses  vertus. 
Tant  sont  ses  yeus  secrétaire 
De  gentil  et  noble  afaire 
Et  si  paiant  sans  fourfaire, 
Que  nuls  coers  ne  poet  meffaîre 

Qui  en  est  férus. 

Et  pour  ce  mon  esperis 

Onques  ne  dort 
Ains  veille  et  traveille  fort. 

Pensant  toutdis,. 
Et  appelle  un  paradys 

Le  plaisant  port 
De  ma  dame  et  le  ressort 

De  son  cler  vis. 
Nuit  et  jour  y  sui  ravis. 

Et  pas  n'ai  tort, 
Aussi  j'ai  espoir  d  acort. 

Qui  ma  prommis 
Que  je  serai  resjoïs^ 

Dont  tel  recort 
Rendent  à  mon  desconfort 

Trop  garant  avis. 


DE  JEAN  FROISSART.  ^55 

En  dementrœs  que  Désirs  songne 
De  dire  et  monstrer  ma  besongne , 
Ensi  qu'il  scetque  le  fait  louche 
A  la  simple,  plaisant  et  douce, 
Ma  droite  dame,  assi  à  celles 
Qui  se  tiennent  pour  ses  pùcelles, 
Ef  que  bien  estoit  escolés, 
Javoïemis  à  l'autre  lès 
Mon  sentement,  tout  tel  que  Tai, 
A  faire  et  à  ditter  mon  lay. 
Je  n'estoie  dont  pas  sans  seing. 
Et  il  m'estoit  assés  besoing 
Que  je  présisse  aucun  déport-, 
Car  cils  qui  mon  message  port 
Demora  une  longe  espasse . 
Or  n  est  anoi  que  seing  ne  fiasse, 
Mes  qu'il  soit  plaisans  et  ou  vers. 
J'estoie  ou  buissoncel  couvers 
Et  environnés  de  vredure. 
Quoique  mon  coer  fust  plains  d  ardure 
Si  estoïent  li  mien  espart 
Tout-d  is  tirant  de  celle  part 
Vers  ma  dame;  ensi  que  soloie, 
Au  regarder  me  consoloie 
La  manière  et  la  contenance 
De  Désir-,  aussi  Vordenance 
Comment  il  laboure  et  traveille 
Pour  moi,  ensi  q  un  preudom  veille 
Qui  voelt  estre  bons  et  entiers. 


436  POÉSIES 

Je  sceuisse  jà  volontiers 

Quel  chose  il  dist  et  qu'il  procure. 

SeloDc  ce  qu'il  y  met  gfrant  cure, 

Il  deveroit  bien  besong^oier. 

Je  le  lairai  faire  et  songfnier, 

Car  je  eroi  que  c'est  tout  pour  ml. 

Il  y  a  plus  d'an  et  demi 

Que  je  vosisse  avoir  eu 

Tel  qu'il  est,  ossi  ponrvéu 

De  bon  avis  que  je  le  cuide  ; 

Mes  ançois  que  de  ci  je  vuide 

Nouvelles  me  raportera , 

Ne  jà  ne  s'en  déportera. 

Or  doinst  Diex  qu'elles  soient  belles! 

11  ne  fu  mie  trop  rebelles 

Quant  de  là  aler  li  requis; 

Mes  seulement  je  le  conquis 

Par  h  aparler  doucement. 

Il  demeure  moult  longuement, 

Mes  il  ne  le  poet  amender, 

Car  qui  bien  voelt  reconimender 

Une  personne  à  pluisours  g^ens^ 

Il  fault  estre  moult  dilig;ens 

Et  pourvéus  de  garant  savoir, 

Manière  et  contenance  avoir, 

Tant  en  manière  com  en  fes. 

Je  croi  que  Désirs  soit  si  fes , 

Car  il  esploita  bien  et  bel; 

Je  n'i  vpeil  mettre  nul  rappel,* 

Et  tout  ensi  qu'il  li  avint 


DE  JEAN  FROISSART.  457 

Il  le  me  dist  quani  il  revint. 

Tout  premiers,  de  madame  il  (u 
Âparlés'qui  demanda  :  <i  U, 
»  Désirs,  avés  vous  mis  vostre  homme  ?  » 
Et  cils ,  qui  pas  ne  me  soumomme, 
Respondi  :  «  Dame ,  ci  devant 
<(  Ai  je  laissié  vostre  servant 
»  Dedens  ce  buissoneel  tous  seuls, 
»  Triste,  pensieu  et  ang^isseus* 
»  Dont,  se  remède  ni  mettes, 
))  Il  dist  que  vous  li  prommettés 
»  Et  donnés  la  mort,  fout  pour  voir. 
»  Quant  de  là  le  cuidai  mouvoir 
»  Je  le  trouvai  en  tel  parti, 
»  Que  ne  1  en  euisse  parti 
vBoug'ié  ne  jette  nullement; 
))  Car  il  est  attains  telement 
X  Dou  fu  d^amours  environ  lés 
>  Qu'il  en  est  jà  tous  afolés 
»  Et  deseoulourés  en  la  face; 
y>  Et  quel  chose  qu'il  die  et  face, 
»  Et  que  g^revé  soient  si  membre , 
»  Heult  gfrandemeut  il  se  ramemhre 
»  De  Doulc-samblant  vostre  vallet 
»  Qui  bellement  parler  le  let 
»  A  vous,  sans  gfet  et  sans  envie. 
»Se  dist,  tant  qu'il  sera  en  vie, 
»  Loer  s'en  veelt,  car  c'est  bien  drois . 
)»  Mes  il  en  y  a  aultres  trois 
)>  Dont  il  se  plaint  oultre  Tensengfne. 


458  rOÉSIRS 

»  Désirs  adonques  li  ensengne, 
))  Refus,  Dangier  et  Escondit. 
»  Certes,  dame,  cil  dessus  dit 
»  Font  grandement  à  reprocîer^ 
)»  Car  il  ne  vous  ose  approeier 
j>  Ne  remoustrer  qu'il  li  besongne 
»Pour  ces  trois,  tant  fort  les  ressongne  l 
)) Il  lont  jà  moult  dur  recoeillié 
»  Et  près  au  tencier  accoeillié. 
))  Or  s'est-il  sagement  soufTers 
))  Et  toutdis  bellement  offers 
»  Â  vous,  dame 9  et  à  ceuls  servir, 
»  Com  cils  qui  se  voelt  asservir 
))  Entirement  à  tous  vos  grés. 
'  ))  Dame,  il  est  loyal  et  secrés, 
))  Jones,  friches  et  esbataus. 
»  En  tous  lieus  où  il  vient  à  tamps 
»  Porte-il  bonne  grasce  et  bon  los  ; 
»  Et  bon  renom,  bien  dire  Tos. 
»  Et  vous  estes  jone  et  jolie 
»  Et  par  droit  amoureuse  et  lie» 
»  Et  bien  digne  d*avoir  ami 
»  De  bon  nom,  par  Famé  de  mi  l 
»  Si  seroit  une  belle  paire 
)*  De  vous,  se  vos  coers  sH  apaire 
»  Et  que  le  voeilliés  consentir. 
»  Dame,  voeilliés  un  peu  sentir 
»  Comment  pour  vous  vit  en  ardure 
»  Et  la  grant  painne  qu'il  endure 
-»  Attendans  la  vostre  merci. 


DE  JEAN  FRQISSART.  459 

))  En  tiesmoing  ceste  lettre  ei 
»  Qui  représente  le  malade,  n 
Adont  mist  avant  la  balade 
Laquele  ma  dame  reçut, 
Car  dou  buissoncel  le  perçut. 
Si  en  fui  un  peu  resjoïs, 
Car  je  voi  qu'assés  conjoïs 
Est  Désir,  si  com  que  je  cuide. 
Je  ne  me  remu  ne  me  \uide 
Dou  bui]s$on,  mes  ançois  regparde 
Celi  qui  ntoult  sagement  garde 
L'ordenance  de  sa  parolle; 
Car  moult  bel  et  à  point  paroUe 
Par  bon  sens  et  par  grant  avis 
A  ina  dame,  ce  m'est  avis. 
Car  s'il  ne  Veuist  fait  à  point 
Ma  dame  ne  Teuist  là  point 
Oy  parler  si  longement, 
Ne  reeéu  si  doucement 
La  balade  qu'elle  tenoit. 
Mes  trop  bien  elle  s'abstenoit 
Dou  lire;  et  s'elle  aussi  s'en  garde 
A  cbief  de  fois  elle  ans  regarde  > 
Et  puis  ses  yeus  tantost  en  oste. 
Or  avoit  elle  là  d  encoste 
Foi,  Franchise  et  Humilité, 
Manière,  Jonece  et  Pi  té 
Qui  bien  Désir  oy  avoient; 
Mes  l'entente  pas  ne  savoient 
De  ma  dame^  ne  son  afaire; 


460  POÉSIES 

Ne  quel  response  elle  voelt  faire. 
Si  sallent  avant  Diex  leur  mire, 
Car  bien  Tordenance  en  remire 
Dou  buisson  où  je  le  convoi. 
Tout  premièrement  Pîté  voi 
Qui  paroUe  comme  une  sa^e$ 
Car  depuis  oy  mon  messagfe 
Dire  tout  ce  qu  elle  parla 
Et  comment  la  besongpne  alla, 

<c  Dame,  dame,  ce  dist  Pités^ 
>i  De  vostre  servant  respités 
»  La  vie  qui  en  péril  gfist. 
»  Jà  oés  vous  qu'il  s'assougfist 
»  Et  met  du  tout  en  vo  franchise. 
»  Il  est  d  une  très  belle  assise, 
»  Toute  tele  que  doit  avoir 
»  Un  amourous.  En  li  n'a,  voir  ! 
»  Chose  qu'il  ne  soit  tous  si  fes 
»  En  dis  en  paroUe  et  en  fes, 
»  Que  doit  estre  un  vrai  ooer  secrés. 
»  Il  est  humles,  lies  et  discrés, 
»Obéissans,  courtois  et  gpens, 
»  Acointables  à  toutes  gens, 
»  Friches,  loyaus  et  biens  celans, 
)>  Avisés  et  à  point  parlans, 
»  De  gprant  gprasce  et  de  bon  renom , 
D  Et  porte  bonlos  et  bon  nom, 
»  Et  s*est  eneores  à  parfaire; 
»  Dont  j*en  prise  mieuls  son  afaire. 
)i  Tant  en  aurés  vous  plus  grant  gré, 


M 


DE  JEAN  FROISSART.  461 

»  Se  vous  le  mettes  oa  deg^ré 

»  De  toale  hennour  par  vostre  emprise.    « 

)'  Ke  pensés  jà  que  je  le  prise 

))  Pour  chose  que  Désir  là  soit, 

»  Car  se  Ae  jongles  bous  lassoit 

)>  Nous  le  saurions  bien  met  Ire  arrière 

»  Trop  plus  avant  qu'à  la  baiTière.  » 

Adont  salit  avant  Joneee 
Et  dist  ensi  :  <(  Desir^  et  n'es-ce 

De  celi  qui  gpist  ou  buisson  ? 

Je  Tai  jà  eompag^nié  foison; 

Mes  je  l'ai  voir  toutdis  véu 

De  sens  et  d'avis  pourvéo, 

Ensi  qu'on  dwt  véoir  un  homme 

Dont  le  bien  se  nomme  et  renomme. 

Tels  est  ilf  il  n'est  mie  doubte. 

Et  se  les  trois  vallés  redoubte, 

Dang^ier,  Refus  et  Escondît, 

11  Vùat  tant  de  fois  escondit 

Que  c'est  bien  drois  qu'il  les  ressong^ne. 

Nuls  ne  nulle  pour  li  ne  songne 

Ne  ne  met  sa  querelle  avant , 

Fors  nous  qui  sons  vostre  servant. 

Plus  prisié  ne  soient  li  troi 

Qui  nous  empècent  nôstre  otroi. 

Or  véons,  et  bien  le  sçavés, 

Que  se  nouvelles  n'enavés. 

Par  nous  vous  n  en  povés  avoir 

Cog^noissance,  ne  riens  savoir.  ' 

Et  Désirs  qui  pas  ne  vous  voet 


462  POÉSIES 

»  Décevoir ,  aussi  il  ne  poet , 
»  Tanl  que  vous  soyés  dalés  nous, 
»  Vous  prie  humblement  en  genous 
»  Que  vostre  servant  recevés. 
»  Et  bien  aviser  vous  devés 
»  A  ce  qu  il  vous  dîst  et  enhorte^ 
»  Car  lettres  de  créance  porte; 
»  Et  encores  n'est  pas  ci  ditte 
»  La  balade  belle  et  petite 
»  Qu'en  vos  mains  avés  recéu. 
»  Dont  se  bien  Taves  concéu, 
»  Et  c'est  chose  qu'on  puîst  oïr, 
»  Voeilliés  nous  ent  tous  resjoïr, 
»  Car  d'oïr  plaisance  nouvelle 
»  Toute  joie  s'en  renouvelle.  » 
Et  ma^  dame  lors  le  desploie 
Qui  au  lire  le  temps  emploie, 
Tout  ensi  qu'il  y  ot  escript, 
Vous  en  véés  le  contrescript. 

Balade. 

D'ardant  désir  pris  et  attains 
Tains  sui,  et  ces  te  ardour  m'afine. 
Fine  dame,  je  sui  certains, 
Certains  que  la  vie  en  moi  fine. 
Y  ne  me  poet  estre  aultrement 
Car  je  sui  espris  ardamment. 

Dame  en  vos  douls  regart  humains, 
Mains  jointes  et  la,  face  encline, 
Clînemes  yeus  tous  soirs,  tous  mains. 
Au  mains  reg-ardés  ent  le  sîgfne 


DE  J  r. AN  FROISSÂRT.  163 

Si  ne  m'eslongiés  nullement 
Car  je  sui  etc. 

Se  par  vous  n'est  eilz  fus  esfains, 
Tains  ardans,  plus  vermaus  que  miixe, 
Minera  mon  coer,  je  m'en  plains; 
Plains  d'ardour,  qui  si  m'examine, 
En  mi  ne  voi  aliegpement 
Car  je  sui  etc. 

»  Or  regardés,  ce  dist  Jonece» 
))  Très  excellente  dame,  et  n'es-ce 
»  Grant  chose  d'amer  loyalment. 
»  Geste  balade  est  royalment 
»  Fette  et  de  sentement  joli. 
»  Parler  voeil  encor  de  celî 
))  Dont  elle  vient  et  qui  l'envoie. 
y>  Qui  le  moet  et  le  met  en  voie 
)»  De  faire  ensi  F  je  di,  par  m  ame  ! 
»  Que  c'est  tout  pour  vostre  amour,  dame, 
»  Dont  il  est  si  pris  et  laciés 
»  Qu'il  n'en  poet^estre  deslaciés, 
»  Ne  ne  sera ,  jà  jour  ne  heure. 
))  Mes  trop  simplement  il  labeure  j 
))  Car  pour  cliose  qu'on  vous  en  die 
»  Ne  qu'on  monstre  sa  maladie 
»Ne  qu'on  le  vous  chante  ne  compte, 
»  Par  samblant  vous  n'en  faites  compte*^ 
»  Dame  !  damel  par  sainte  Fois  ! 
»  On  a  eslongié  pluisours  fois 
))  Tel  dont  on  se  repentoit  puis. 
»  Encores  bien  prouver  le  puis 


464  POÉSIKS 

))  Par  une  dame  qui  jadis^) 
))  Il  y  a  des  ans  deus  fois  dis, 

V  Fist  un  virelay  tout  pour  li 

V  De  sentement  bon  et  joli. 

»  MottU  fu  amourouse  et  coiirtaîse 
»  Née  et  nonrie  entre  Esne  et  Oise,  n 
—  tt  Je  voeil  le  virelay  oïr 
î)  Dist-elle ,  s  on  en  poct  joïr , 
»Car  comment  qu'il  fust  jadis  fes 
»  Si  m'en  sera  nouveaus  li  fes.  » 
Et  Jonece  en  présent  li  dist, 
Qui  onques  ne  li  contredist. 

Vtreloff'^ 

Par  un  tout  seul  escondire 
De  bouche  non  de  coer  £ait 
Ai-je  mon  ami  retret 
De  moi,  dont  je  morrai  d'ire. 

Helas  !  «fue  ma  bouche  fait. 
Ne  comment  ose  elle  dire 
Tout  le  contraire  dou  fait 
De  ce  que  mon  coer  désire. 

Lasse!  je  ploure  et  souspire; 
Et  si  n'ai-je  riens  fourfet 
^Fors  que  de^ma  bouche  aitret 
La  glave  pour  moi  occire. 
Par  un  tout  seul  etc. 

Et  se  jamès  se  retret 
Vers  moi,  Diex  me  puisse  nuire  ! 
Se  briefment  ne  me  remet 


DE  JEAN  FROISSART.  463 

On  point  où  amonrs  me  tire. 

J*en  voeil  mon  coer  assouffire, 
Maugré  que  la  Louche  en  et*, 
Ne  jà,  pour  cri  ne  pour  bret, 
Ne  s'en  laira  desconfîre. 
Par  un  tout  etc. 

))  Ënsi)  dame,  com  vous  oés 
»  Fu  le  virelay  moult  loés, 
»  Et  plus  celle  assés  qui  le  fisi; 
»  Et  encores  moult  il  souffist 
»  A  ceuls  del  amoureus  offisce. 
»  Aussi  croi-je  qu'il  voussouffîsse; 
»  Car  bien  doient  les  oevres  plaire 
»  Qui  donnent  voie  et  exemplaire 
»  De  toute  récréation. 
»  De  treé  g^rande  discrétion 
»  Fu  la  dame  qui  volt  sentir 
»  Que  son  coer  ne  dagnoit  mentir, 
»  Et  de  bon  avis  avisée 
»  Quant  elle  arresta  sa  visée 
»  Et  qu'elle  esfoit  trop  decéue 
))  Et  en  grant  fourfet  eschéue, 
»  Quant  elle  avoit  donne  congié 
D  Geli,  et  de  soi  eslongié 
)>  Que  si  loyalment  elle  amoit; 
»  Dont  pour  ignorant  s'en  clamoit. 
»Et  volentiers,  s*elle  peuist, 
»  Retrait  et  rappelle  l'euist. 
»  Damcj  or  pensés  dont  sus  ce  faiL 
FEOISSAaT.  T.  xyi.  30 


46«  POÉSIES 

^)  Moult  folie  qui  se  fourfaît. 
»  Par  ceste  le  monstre  et  ensençnc, 
V  Si  vous  pri,  mettes  ciensengne^ 
^)  Car  je  sui  tout  segpur  et  fis , 
»  Autrui  doctrine  est  grrans  proufis^ 
1.  Et  regardés  à  to  servant 
..  Qui  vous  a  servi,  je  m'en  vaut , 
»  A  son  pooir  très  loyaîment. 
w  Onques  ne  fist  ignoramment 
»  Chose  que  il  euist  à  faire, 
î)  Encor ,  pour  creinour  de  fourfaire 
»  N'ose  il  ne  venir  ne  aler 
»  Ne  à  vous  plainnement  parler, 
»  Se  ce  n'est  ensi  qu'en  eniblant. 
»  Par  l'emprise  de  Doulc-samblant , 
))  L'autre  hier  au  parler  s'enhardî, 
1)  Mes  tantos  s'en  racouaréi, 
»  Car  vo  vallet  avant  ^ailirent 
»  Qui  au  tencUier  près  l'assallirent 
»  Et  en  fu  si  dur  reboutés 
»  Que  tous  jours  les  a  puis  doutés. 
.)Se  ne  sont-il  pas  tanlpriâié, 
»  Comment  qu'il  soient  offris  ié, 
«Richement  paré  et  vesti, 
))  Q*un  damoiscl  tel  que  ccsti , 
»  Qui  ne  voelt  que  bien  et  famneur, 
»  Jà  l'aient  trouvé  sus  le  leur 
»  Deuissent  voloir  nul  hansagpe. 
î)  ïl  ne  sont  ne  courtois  ne  sage 
))  Quant  ensile  voelent  sourque  re. 


DE  JEAN  FR91SSAKT.  467 

«SHl  yoloit  ses  amis  requerre 

*»*  Et  par  la  g[uerre  aler  avant, 

V  Jà  lor  en  metteroit  devant 

»Des  oultrageuset  des  despis, 

»  De  quoi  il  vaudroient  bien  pis 

»Encor  fuissent- il  plus  garant  mestre. 

»  Mes  nennil,  car  pas  ne  voelt  estre 

»Rihatous,  ne  trop  soursaliis; 

»  Non ,  s'il  n'estoit  si  assallis 

»  Que  force  le  fesist  deffendre; 

»  Mes  il  se  lairoit  ançois  fendre 

»  Un  garant  cren^  qu'il  li  avenist 

»  Ne  que  tencier  le  convenist, 

)>Tant  est-il  paciens  et  douls, 

))  Humbles  à  toutes  et  à  tous; 

«>  Onques  on  n'i  vit  mesprison. 

)>En  toutes  places  le  prison , 

»  Et  est  tenus  en  grant  cbierté 

I)  Pour  sa  grant  debonnaireté. 

»  Las  !  et  point  vous  n'i  prendés  garde, 

))  Mes  consentes  trop  bien  qu'il  arde 

»Et  bruisse  enflame  et  en  poua*re; 

»Se  le  fault<*il  d'ilœc  secourrez 

))  Car  comment  qu'il  ne  soit  point  ci, 

)>  Toutes  et  tous  crions  merci 

)>  Pour  li,  et  vous  certefions 

ji  Que  c'est  voir  aujourd'ui  li  homs 

»  Qui  plus  vous  airame  et  mieulz  vous  prise. 

»  Se  seroil  la  cliose  mal  prise 

»  S'il  ne  li  estoit  remeri. 

30* 


468  POÉSIES 

»  Trop  sont  de  vous,  dame,  enchieri 
))  Le»  trois  vallés  par  leur  gengler, 
»  Car  s'il  les  dévoient  embler 
»Les  bourdes  de  quoi  il  vous  cenglcnt, 
»  Tant  en  dient  et  tant  en  gcnglent 
>.  Qu'il  vous  mettent  en  tel  espoir  . 
»  Qui  onques  ne  fu,  je  l'espoir. 
»  De  quoi  ce  n'est  mies  nos  grés 
»  Que  si  legierement  les  crés; 
>i  Car  vis  nous  est  que  nous  faisons 
»  Mieuls  à  croire  en  toutes  saisons 
))  Qu'il  ne  font  jà,  aient  los  tel 
>.  D'eslrebien  venus  àl'ostel; 
))  Car  nous  ne  volons  que  lièce 
»  Joie,  esbatemens  et  jonèce, 
»  A  point  prendre  et  à  point  layer , 
»  Le  temps  et  le  monde  payer 
»  Ensi  que  la  saisons  le  donne 
»  Et  que  nature  en  vous  l'ordonne 
il  Qui  estes  jone,  lie  et  friche 
»De  membres  et  de  santé  ricbe, 
»  Et  bien  taillié  de  savoir 
V  Que  c'est  d'amourettes  avoir 
»  Tels  que  cilz  est  dont  nous  parlons. 
»  Et  s'il  samble  que  nous  valons 
»  Que  vous  nous  en  doyés  oïr^ 
M  Si  nous  en  voeilliés  resjoïr 
>,  Et  li  faites  en  avant  chiere 
»  Qui  ne  soit  escarse  ne  chiere, 
»  Quel  gré  que  les  vallés  en  aient 


DE  JEAN  FROISSART.  469 

»  Qui  trop  sans  raison  s'en  mespaienl; 

»  Car  s'un  petit  apris  Tavoient, 

»  Et  bien  justement  il  savoient 

^  Qu'il  voelt,  qu'il  demande  et  qu'il  quiert; 

^  Et  quel  chose  à  avoir  requiert, 

»  Il  le  lairoïent  sans  regart 

»  Parler  à  vous,  se  Dîex  me  gpart. 

»  Si  y  deveriés  conseil  mettre, 

^  Et  donner  ançois  ou  prommettre 

»  Dou  vo  qu'à  son  acord  ne  fuissent; 

»  Car  bien  saciés  que^s'il  le  nuisent 

»  D'un  lés,  aussi  font  il  vous  voir. 

))  Quant  vodrés  vous  le  temps  avoir 

»  Se  maintenant  vous  ne  Favés. 

»  Par  vous  meismes  vous  savés, 

»  Il  ne  vous  en  fault  point  aprendre, 

))  Que  vous  estes  en  point  dou  prendre 

»  Esbanois,  joies  et  depors, 

|>  Tous  déduis  de  coer  et  de  corps. 

>i  Trop  povés  perdre  al  atargier, 

»  Car  si  poriés  le  temps  carg^ier 

))  D'ans,  de  sepmaines  et  de  jours^ 

î»  Que  durs  vous  seroit  li  séjours 

»  Et  que  n'i  poriés  revenir. 

»  Si  ques  laissiés  nous  convenir; 

»  Créés  nous,  et  amés  celi 

)>  Où  on  ne  vit  onques  en  li 

y»  En  dis  9  en  fais  ne  en  pourcbas, 

»  Que  parfette  honneur  en  tous  cas^ 

))  Et  donnés  cong^ié  de  haulte  heure 


470  POËSFES 

»  Cies  Yallés^  car  casouns  demeure 
»  Avec  vous  oultre  no  voloir. 
M  11  vous  fei*oiit  eneor  doloir, 
))  Tant  vous  en  voeil-je  bien  proimnettre^ 
»  Quant  remède  n'i  pores  mettre.  » 
Dist  Franchise:  <(  Par  saint  Rémi! 
»  Il  y  a  plus  d'an  et  demi 
)>  Que  je  li  aï  ensi  monstre, 
>»  Mes  cil  vallet  sont  si  oultré 
y*  En  sen  amour  et  en  sa  grasee 
>»  Que  pour  voir  ou  Ven  hode  et  lasse  ^ 
)>  Et  en  esl  son  coer  tous  ireus 
»  Quant  on  parolle  riens  contre  euls. 
)i  S'ont  il  ores  de  tel  afaîre 
>i  Qu'on  en  doie  g'rant  compte  faire. 
)>  Mes  de  quoi  poeent  il  servir^ 
>»  Ne  les  g^raiis  gages  desservir 
»  Qu*il  ont  aussi,  ne  iesbienfais, 
»  Quant  cascuns  est  tels  et  si  fais 
))  Qu  il  béent  ceuls  qui  son  bien  voelent. 
>)  Mes  s'il  sont  tel,  estre  le  soelent^ 
Ti  Leur  nature  ne  poet  mentir, 
»  11  ne  s*^en  scevent  repentir. 
»  Riens  ne  valent  au  tout  prisier. 
»  On  ne  poet  le  villain  brîsier 
u  Sa  nature,  bien  dire  Tos; 
N  Tout-dis  refuit  le  leu  au  bos. 
»  Encor  y  a,  dont  plus  m'anoie; 
»  Car  ossi  de  coer  s'csbanoie, 
là  Soit  en  estant  ou  en  genous 


DE  JEAN  FROiSSART.  47 1 

»  Avec  euls  qu  elle  fail  o  nousj 
»  El  si  ne  le» poet  on  à  dire.  » 
Dist  Désirs,:^  <l  J'en  sui  si  plains  d'ire 
«  Que  droit  sur  l'ain  de  maivoyer, 
^  Se  le  nous  fault  il  ravoyer, 
»  Quoique  la  chose  voist  tramblant.  » 
Dont  dist  Désirs  à  Doulc-samblant: 
«  Es-ce  par  vous,  se  Diex  vous  voie! 
»  Que  no  dame  ensi  se  fourvoie  ?  )> 
Et  Doulc-samblant  yespont  adonques: 
«  Par  moi>  lasse  !  je  ne  cesse  onques 
»  De  li  dire  et  ramenlevoir 
»  Qu'elle  ne  fail  pas  son  devoir 
»  De  celi  amer  qui  le  sert, 
»  Et  qui  si  loyalment  dessert 
>»  L'amour  de  li  oullr©  l'ensengne  ^ 
»  Je  le  vous  remoustre  et  ensengne  ] 
»  El  li  pri  qu'elle  m'en  descoupe. 
»  Se  ce  n'est  ma  cause  et  ma  coupe , 
»  Dame,  dame,  voeiltiés  le  dire.  » 
Et  ma  dame  prist  lors  à  rire 
Qui  longement  s'en  fu  tenue 

Et  moull  sagement  abstenue 

De  leurs  paroUes  retrencier. 

«  Or  est  heure  de  conunencier , 

Disf-elle,  ((  et  que  ce  soit  vos  grés. 

»  Pour  très  discrètes  et  discrés 

»  Vous  tienc  toutcset  tous  aussi, 

»  Et  croi  assés  qu'il  soit  ensi 

»  De  celi  dont  parlé  m'avés> 


72  POÉSIES 

»  Car  ses  conditions  sçavés, 
»  Queles  eles  sont  et  con  fettes  ; 
»  Et  se  Diex  m  ayt  l  vous  en  fette» 
)>  Grandement  à  recommender, 
»  Quant,  sans  riens  de  li  demander, 
3»  Bon  los  li  portés  et  bon  pris. 
»  Je  ne  le  blasme  ne  ne  pris, 
y*  Ne  mies  n'apertient  à  mi; 
»  Ne  pour  servant  ne  pour  ami 
»  Je  ne  Tai  encor  retenu  ; 
V  Ne  nous  ne  sons  là  pas  venu^ 
»  Si  voeil-je  assès  qu'il  me  souvienne, 
»  De  lui,  et  que  tous  biens  li  vieng^ne 
»  Ne  jà  ne  m'en  verés  arrière. 
M  Mes  que  je  sois  à  sa  proyère 
)>  Si  leg^ierement  descendans, 
»  Il  n'avenroit  en  un  cent  d*ans. 
»  Et  aussi  ce  ne  seroit  point 
)i  Son  proufit,  gardés  sus  ce  point, 
»  Que  je  li  donnasse  de  sault 
»  L'amour  de  moi  sans  aultre  assaut. 
»  Jà  nen  auroit  savour  ne  gfoust 
Il  S*  il  l'avoit  à  si  petit  coust; 
»  Plus  y  poi'oît  mettre  que  prendre. 
»  Or  primes  est  il  à  aprendre, 
»  Si  n'a  que  faire  qu'il  se  cargfe 
»  Ue  garant  seing  ne  de  pesant  carge. 
»  Et  qui  par  amours  amer  voelt  « 
Il  Si  de  ce  acquitter  se  poet; 
D  Ces  deux  cboses  li  fault  avoir. 


DE  JEAN  FROISSART.  473 

»  Or  devés-vous  moult  bien  savoir 

»  Qu  il  n'est  riens  que  crans  soings  ne  brise. 

»  Il  n  est  pas  sages  qui  le  prise 

)i  Ne  qui  le  prent  pour  soi  lasser  y 

»  Ëns  ou  cas  qu'il  s'en  pnist  passer. 

»  Se  ne  li  yoeil-je  pas  brisier 

»  Son  pourposy  mes  très  bien  prisier, 

»  D'estre  jolis  et  esbatans; 

»  Car  jamès  n'i  vendra  à  tamps 

>}  Se  de  maintenant  il  n'i  vient; 

»  Et  puis  qu'amer  il  li  convient 

I»  fit  qu'il  dist  et  vous  met  en  voie 

»  Que  ces  pensers  je  li  envoie, 

»  Je  le  voeil  un  peu  resjoïr; 

i)£t,  vouS|  voeilliés  comment  oïr. 

)>  Je  me  lairai  de  tant  adiré 

»  Que  d'esbatre  parler  et  rire 

»  Liementy  sans  li  décevoir, 

»  Le  vodrai  hui  mes  recevoir. 

»  Hès  que  j  acorde  ne  ordonne 

»Qu'à  mes  trois  vallés  congié  donne 

»  Qui  m'ont  servi  très  loyaiment, 

»  Je  ne  le  ferai  nullement, 

»  Car  monlt  j'en  seroie  cscarnie 

»  Et  de  garant  csonseil  desg'arnîe 

)i  SHl  estoient  en  sus  de  mi. 

))  Il  me  sont  servant  et  ami 

»  Hoolt  gracieus  et  très  propisce; 

»  Et  bien  affiert  à  leur  oflîsce 

»  Qu'entre  euls  aient  la  contenance 


474  POÉSIES 

»  Au  revers  de  vostre  ordenatice., 

)>  Mes  à  leur  manière  m'assena, 

»  Car  leur  oultrages  m'est  grant  sen»^ 

»  Et  tout  ce  qu'il  font  bien  lor  sieh 

»  Voirs  est  qu'il  n'ont  mies  laissiet 

»  Cesti  ne  venir  nealer, 

»  Ne  à  toute  heure  à  mor  parler 

»  Qu'il  en  a  te  voloir  eu. 

»  Et  pour  ce  que  je  l'ai  véu 

»  Qu'il  s'en  est  ^gement  souffer»> 

»  Et  très  benignement  offers,, 

»  Et  de  grant  coer,  en  mon  servisce^ 

»  Sans  penser  ne  fraude  ne- vîsce, 

»  C'est  bien  raisons  qu'il  m'en  sonvîegne^ 

»  Et  qu'aucuns  guerredons  l'en  vîengne. 

«  Désir,  qui  son  advocat  estes- 
»  En  tous  cas  courtois  ethonnestes 
»  Par  devers  lui  vous  en  irés^ 
»  Et  de  par  moi  vous  li  dires 
»  Qu'il  vieugne  jusqu'à  ci  sans  donbte^ 
»  Et  que  les  vallès  qu'il  redouble 
)>Il  les  trouvera  soir  et  main 
»  Plus  agréable  et  mieuls  à  main 
»  Qu'il  n'aient  esté  ci- devant. 
»  Mes  je  ne  voeil  pas  qu'il  s'en  vaut 
>»  Par  nulle  oultrageuse  parolle.  » 
Et  Désir  reprenl  la  parolle 
Et  dist  :  «  Dame,  par  saint  François  ! 
>i  II  se  laiix)it  occire  ançois 
))  Qu'il  mesist  jà  hors  de  sa  bouche 


DE  JEAN  FRaiSSÀftT.  475 

)»  Chose  qui  à  vantîse  touche^  » 
Ensi  Désir  lies  et  joious 
A  moi  qui  estoie  anoiou& 
De  ce  quHl  demoroit  jà  tant, 
Et  qui  me  tenoie  en  estant 
Enfremés  dedens  te  buisson, 
Tout  ensi  qu^en  une  prison^ 
Est  revenus  apertement. 
Encor  puis  son  département 
Sus  Testât  dont  peu  me  casf  i 
Avoie  un  vîrelay  basti. 
Lequel  vous  orés  sans  attente 
S'en  responderés  vostre  entente^ 

Vv^elat/. 

Or  n'est-il  si  gprant  douceur 
Que  de  penser  sans  séjour 
A  sa  douce  dame  gaie. 
J'ai  ce  priser  qui  me  paie 
Ensi  qu'il  doit,  nuit  et  jour; 

Je  vous  voeil  dire  comment: 

Premièrement 
Je  ne  cesse  nullement 

Que  de  penser 
A  ma  dame  entirement 

Et  liement. 
Cilz  pensers  me  vient  souvent 

Amonnester 


476  POÉSIES 

En  remirant  sa  coulour 
Son  bien,  son  sens,  sa  valour.. 
Dont  c'est  bien  raisons  que  j'aie^ 
Ou  coer  lamourouse  plaie 
Quant  tel  saintuaire  aour. 
Or  n'est  il  etc. 

Et  ce  me  sont  grandement 

Esbatement, 
Et  me  font  legierement 

Le  temps  passer^ 
Car  quant  je  voi  en  présent 

Son  doulc  corps  gent,. 
Je  ne  puis  de  ce  présent 

Mes  yeus  ester. 

C*est  mon  bien,  c'est  mon  retour^ 
C'est  ma  souverainne  amour , 
C'est  le  désir  qui  m'esgaie^ 
Et  s*est  la  fortune  vraie 
Qui  me  &it  tendre  à  honneur. 
Or  n  est-il,  etc. 

Désir  me  dis  t  de  branche  en  branche, 
Car  bien  en  ot  la  ramembrance, 
La  besongne,  ensi  qu  elle  va. 
A  très  bonne  heure  il  arriva 
Quant  il  vint  en  mon  purga^e, 
Car  il  me  rendigrant  viclore 
De  la  flame  et  del  ardent  fu 
Qui  entours  moi  ou  buisson  fu. 
D*illoec  se  part,  que  plus  n'atarge; 


DE  JEAN  FROISSART.  477 

Mes  il  me  prenf  et  si  m'encarge, 
Et  tout  en  solaçant  m^apoiie, 
Là  où  ma  dame  se  déporte 
Ensi  que  le  requiert  li  jus. 
Et  quant  entre  elles  me  mist  jus^ 
Je  fui  saehiés  et  detirés; 
Mes  je  m'en  fuisse  enuis  irés, 
Car  de  tout  ce  que  je  véoie 
De  coer  etliement  rioie. 
Puisse-di  au  Roy-qui*ne-ment 
Juames  nous  moult  longuement. 
Entre  les  jus  et  les  solas. 
Dont  je  ne  seroie  jà  las 
Doudire  et  dou  ramentevoir^ 
Car  je  sçai  bien,  et  tout  de  voir^ 
4}ue  les  recors  moult  en  agréent 
Aux  amans,  car  moult  les  recréent, 
Et  lor  remoet  et  renouvelle 
Pensée  joiouse  et  nouvelle, 
Selonc  l'aventure  qu'il  sentent 
Dou  temps  passé  où  il  s'assentent, 
Et  les  enflame  et  encoragpe^ 
Je  qui  avoïe  mon  corag^e 
Mis  et  tourné,  et  n'entendoit 
Fors  à  une,  ne  ne  tendoit, 
G'estoit  que  le  loisir  véisse, 
Et  aussi  je  m*en  pourvéisse 
De  parler  à  ma  droite  dame 
Pour  qui  amours  le  coer  m'entame; 
Tant  arrestai  en  ce  séjour 
Que  ma  pensée  vint  à  jour 


47«  TOÉSIES 

Et  que  je  vi  heure  et  chevance» 

Adonques  au  parler  m'avance 

Et  di  :  «  Dame^  pour  Dieu  merci  ! 

V  Vostre  amour  m'a  mis  jusqu'à  ci 

»En  mainte  imagination, 

î)  Mes  n'ayés  indignation 

î)  Sus  moi.  Se  vo  vallet  m'ont  dit, 

»  Refus,  Dangfier  et  Escondit 

»  Pluisours  parlera  contrarions, 

»Se  j'ai  esté  vers  eulz  irons, 

»  Espoir  plus  qu'il  n'aperceuis, 

I)  Mes  il  n'est  nub  qui  soustenist, 

))S*il  navoit  trop  grant  attemprance, 

»  Non  qui  portast  tele  souffrance 

»  Qtt®  j'ai  porté,  Dame,  pour  voir 

»  Sans  li  aucunement  mouvoir. 

»  Il  mont  esté  grand  ennemi, 

»  Hélas  !  il  ne  Vont  pas  en  mi 

»  Trouvé  qu'il  me  soient  si  fet> 

))  Car  mes  pareil  es  et  mi  fet, 

D  Se  dire  le  puis  sans  vantise, 

»  Mes  qu'il  amassent  ma  hantise, 

))  Sont  tout  prest  en  leur  ordenance. 

»  Mes  de  trop  simple  contenance, 

»  Trop  ignorant  et  peu  hardi, 

»  Cremetous  et  aconardi, 

»  M'ont  il  esprouvé  et  véu. 

))  Si  ai-je  voir  tout-dis  eu, 

))  Quoiqu'il  m'aient  fait  moult  doloir, 

»  Très  grant  corage  et  bon  voloir 


/ 


Ï)E  JEAN  FROISSAÏT.  179 

?)  Be  vous  servir  jtar  bonne  enlente. 

9)  Or  me  moet  Désirs  et  me  fempte 

«  Que  je  vous  remonstre  et  vous  die 

V  Une  part  de  ma  maladie. 

)> Merci  vous  pri  à  jointes  mains 

»  Que  vos  frans  coers  me  soit  humains. 

))  En  vos  douls  repars  me  soloic 

^>  Consoler,  ne  mieulsne  voloie 

»  Que  la  présence  et  le  regart. 

j)  Et  maintenant,  se  Diex  me  g^art  ! 

»I1  me  mnrdrissent  et  occisent^ 

»  Car  ardant  fu  ou  coer  m'atisent. 

»  Si  les  voî-je  très  volontiers; 

»  Et  m'est  au  véoir  g^rans  dentiers; 

»  Et  si  les  crienc,  bien  est  télé  heure, 

»  Car  par  euls  je  boî  et  saveure 

»  La  flamme  de  ce  fu  ardant  ^ 

»  En  eulz  volentiers  regardant. 

»  De  quoi  assés  je  m'esmerveil, 

»  Quant  en  ces  pensers  je  m'esveil, 

»  Dont  tels  fus  poet  venir  ne  nestre. 

»  Car  je  voeil  vostre  servant  estre 

D  Obéissans  à  tout  vo  g'ré, 

»  De  coer  humle>  vrai  et  sec  ré, 

»  Sans  jamès  partir  ne  mouvoir. 

»  Certes,  dame,  je  di  tout  voir; 

»  Non  que  je  taille  ne  devis 

»  Riensnée  sus  vostre  devis; 

»  Car  vous  povés,  sans  rien fourfa ire, 

»  De  moi  tout  vostre  bon  gré  faire, 


480  POÉSIES 

))  Mes  j'ai  en  vous  tant  de  fiance^ 

»  Et  en  la  très  douce  alliance 

»  D^amours^  qui  les  loyaus  coers  voit 

»  Et  qui  de  çrasce  les  pourvoit, 

»  Que  vous  metterés  temprcment 

n  En  ma  doulour  atlemprement. 

»  Dame,  si  j'ose  dire  ou  puis 

»  Gomment  il  m*a  esté  depuis 

))  Que  premièrement  avisai 

»  Vostre  cent  corps,  bien  avisai 

»  Dou  dire  et  dou  ramentevoir. 

»  Et  quoique  j'en  die  le  voir 

»  Et  qu'au  recorder  je  m'assens , 

»  Les  biens  de  vous  et  les  grans  sens 

»  M'ont  conquesté  plain  et  entire. 

»  Mes  tant  qu'au  fait  de  mon  martyre 

»  Que  j'ai  enduré  et  souffert 

»  Et  les  pensées  m'ont  ofiTert 

»  Pour  vostre  amour,  qui  si  me  lime, 

D  Je  n'en  dlroie  la  centime; 

)>  Car  ce  mal  est  jà  si  espars 

n  De  tous  lès  et  de  toutes  pars, 

»  Et  si  fort  en  sui  abuvrés 

»  Que,  se  temprement  n'i  ouvrés 

)>  Vous  verés  bien  que  ce  sera. 

))  Mes  jamès  il  ne  cessera 

)>  Jusqu'à  tant  que  de  votre  bouche 

»  Qui  est  si  plaisans  et  si  douce 

»  Aucuns  courtois  parlers  saudront, 

»  Et  lors  ma  dolour  assaudront. 


DE  JEAN  FROISSART.  481 

»  Et  le  desconfiront  de  sault. 
')iChieredame>  se  Dîex  me  sault  ^ 
»  Qui  prie  il  est  eu  garant  merci. 
»  Toutes  fois  je  vous  remerci 
»  Quant  ores  me  dagpniés  oïr^ 
»  Et  moult  me  povés  resjoïr 
))  Par  mettre  un  seul  parler  avant: 
»  Je  te  relienc  pour  mon  servant! 
»  Dame,  voeilliés  le  dire  ensi 
»  Et  vous  me  verés  sans  nul  si 
»  Gai,  joli  et  enventureus 
»  Et  me  tendres  très  éureus 
»  Et  tout  conquesté  de  vo  droit.  » 
Et  ma  dame  qui  ne  vodroit , 
Ce  m'est  vis,  selonc  mon  afaire, 
Que  toutes  choses  à  point  faire. 
Me  respondi;  tout  en  apert: 
((  Fols  est  qui  sert,  que  son  temps  pert; 
»  Mes  service  fait  loyalment 
»  A  personne  d'entendement 
)i  Ne  fia  onques  mors  ne  péris 
D  QuVn  la  fin  ne  soit  remeris.  » 
Nos  parolles  atant  Saillirent, 
Car  les  vallès  avant  sallirent, 
Refus,  Escondis  et  Dang^ier 
Qui  me  fisent  mon  sens  chang^ier* 
Sitos  que  je  les  voi  venant 
Bien  perçoi  par  leur  convenant 
Qu'il  se  tiennent  pour  decéu 
Dou  garant  loisir  que  j'ai  eu 

FROISSART.  T.  XVI.  31 


482  POÉSIES 

De  parler  à  ma  droite  dame. 

Encontre  eulsnalai  pas,  par  m'ame! 

Pour  demander  :  a  Que  querés^vous  ?  » 

Ançois  fis  le  simple  et  le  douls 

Et  eline  mes  yeus  contre  terre. 

Par  ensi  n'i  ot  point  de  g'Uerre. 

Haro  !  en  doi  je  estre  blasmés, 

Se  de  tels  vassanb  enflâmes 

Et  appareilliés  de  tencier 

Sai  les  paroUes  retrencier 

Par  euls  a  parler  doucement  f 

Depuis  ne  remest  longement 

Que  Pités,  Franchise  et  Manière 

Qui  reconfortent  ma  banière, 

Plaisance,  Jonece  et  Désir 

Prisent  entreuls  un  garant  loisir 

Que  de  solacieret  d'esbatre. 

Ma  dame  ne  lor  volt  debatre, 

Mes  s'acorda  à  leur  bon  g^ré. 

Et  droilement  en  un  vert  pré, 

En  Tombre  d'un  vert  arbrissiel 

Tout  joindant  un  joli  ruissiel . 

Où  laigue  couroit  rade  et  vive 

Qui  d'une  fontainne  y  arrive 

Pu  li  esbanois  ordenés. 

Là  estoïe  moult  adonnés 

A  moi  déduire  et  solacier^ 

Car  ma  dame  a  tous  solas  chier 

Et  li  viennent  à  garant  revel. 

Qui  savoit  là  riens  de  nouvel 


DE  JEAN  FROISSART.  483 

Pas  ne  Ten  convenoit  proyer, 

Ains  le  disoit  sans  detryer^ 

Bien  estoit  oys  et  véus. 

Jonece,  qui  est  pourvéus 

Tout  dis  que  de  faire  et  de  dire 

Choses  pour  solacier  et  rire, 

Mist  là  parolles  en  avants 

Et  dist  :  «  J'ai véu^  je  m'en  vent, 

»  Que  jone  cent,  telz  que  nous  sons , 

»  Et  qui  par  bien  le  temps  passons, 

»  S'esbatoïent  au  souhedier; 

»  Je  vous  pri,  voeilliés  nous  aidicr 

>»  A  faire  et  ordener  souhès , 

»  Et  ce  soit  vos  gfous  et  vos  hès. 

V  Et  cils  qui  bien  s'i  aidera, 

»  Ou  celle,  et  mieuls  souhaidera, 

»  Un  vert  chapelet  bel  et  gent 

»  Où  il  n'aura  or  ne  arjyent, 

»  Mes  de  fleurettes  fais  sera, 

»  Sus  son  chief  on  li  assera.  » 

Tout  s'acordent  à  son  devis. 

Et  Jonece,  qui  est  de  vis 

Beauls  etdouls,  et  de  simple  afaire 

Va  errant  un  chapelet  faire 

De  fleurettes  bel  et  joli, 

Et  dist  :  ((  Pour  Tamour  de  celi 

»  Que  présentement  vous  véés 

»  De  souhedier  vous  pourvéés.  » 

Là  fumes  nous  en  im  detri^ 

Sans  avoir  tençon  ne  estri 

31* 


iU  POESIES 

A  savoir  qui  doit  comméncier, 
Ne  nuls  ne  s'en  voet  avancier. 
,  Là  fu  à  la  busquette  fret 
Ordonnéement  et  attret^ 
Et  là  le  g^gnsL  de  son  droit 
Plaisance,  qui  pas  n'en  vodroit 
Pour  nulle  rien  estre  escusée^ 
Car  elle  est  assés  bien  usée 
De  souhedier.  Si  dist  ensi, 
Par  lang[ag[e  très  agensi. 

Le  SauAet  de  Plaisance. 

Je  souhede  qu  il  fust  toutdis  estes 
Beaus  et  jolis,  et  li  airs  atteniprés, 
Clers  et  seris ,  gracions  et  soués, 
Et  qu'on  véist,  par  yreg[iers  et  par  prés 
Roses  et  lys  et  fleurettes  assés , 
Et  qu'on  euist  en  partie  ses  gprés 
De  ce  qui  est  pure  nécessités. 

Secondement: 
Gascun  amant  fu  loyal  et  secrés, 
Obeissans,  percevans  et  discrés, 
£t  de  parler  si  bien  acoustumés 
Que  de  tous  fust  prisiés  et  honnourés. 
Et  de  sa  dame  entirement  amés. 
Et  à  la  fois  liement  escoutés. 
Et  dame  aussi,  c'est  bien  ma  volenfés, 

Certainement 
Euist  en  li  un  si  bon  sentement 


DE  JEAN  FROISSART.  48S 

Si  gprant  avis  et  tel  entendement 
Qu'elle  peuist  eogpnoistre  clerement 
Le  vrai  amant  ^  qui  prie  loyalment, 
Et  à  cell  donnast  entirement 
Son  coer,  s'amour,  sans  nul  département. 
Et  cel  estât  pour  Tamourouse  gent 

Fust  ordenés, 
Et  se  tenist  tous  jours  en  un  moment. 
Encor  avant  je  vous  dii'ai  comment 
En  bon  déduit ,  en  garant  esbatement, 
On  ne  parlast  jamais  d*or  ne  d'argpent 
Mes  on  euist  tantost  présentement 
Ce  c'en  yodroit  à  son  conmiandement, 
Et  cascuns  fust  en  demandant  briefment 

Bien  avisés. 

Lorsque  Plaisance ot  souhediéy 
Afin  que  mieulz  soient  aidié 
Leursouhet  et  mis  en  recorf, 
Il  orent  entre  euls  un  acort 
Qu'on  les  escrise  et  les  reg^istre. 
Lors  me  délivrent  le  reg^istre 
Encre  et  papier  >  ce  me  fu  vis. 
Puis  mis  mon  sens  et  mon  avis 
A  Tescrire  et  au  registrer. 
Adont  leur  oy  reitrer 
L*ordenance*de  leurs  souhès. 
C'estoit  grans  biens^et  un  douls  hès, 
Douls  oïr^  véoir  et  entendre. 
Et  là  fu  requis^  sans  attendre  y 


t36  POÉSIES 

Désirs  que  son  souhet  il  die. 
Et  cils  qui  peu  y  estudie^ 
Car  il  fut  assés  bien  sentaus, 
Respondi:  u  Certes  il  est  tamps!  » 
Lors  souheda  de  coer  parfet. 
Et  je  Tescrisi  tout  à  fet, 

Desir&. 

Je  souhede  toutdis  joie  et  liece, 

Et  que  soussis  nul  vrai  amant  ne  bleee, 

Ne  jà  ne  soit  riens  qui  leur  grasce  empece. 

Ne  il  ne  soit  cliastiaus  ne  forterece 

Où  mesdisans  puist  avoir  son  adrecè, 

Envie  soit  morte  et  mise  en  trisireee,  * 

Et  bonne^mour  en  son  estant  se  drece 

Pour  resjoïr 
Les  jolis  coers  qui  vivent  en  noblece, 
Et  cil  entre  eulz  aient  sens  et  proecc 
Et  bien  de  quoi  faire  honneur  et  larg[hece, 
Et  se  ne  soit  estas  qui  les  courece 
Ne  qui  les  puist  amener  en  foiblece 
Ne  savourer  les  dangfîers  de  viellece, 
Mes  tout  adiés  aient  force  et  jonece. 

Et  grant  désir 
De  toute  lionnour  conquerre  et  poursievir. 
Et  volontés  de  leurs  dames  servir, 
Parfettement  honnourer  et  cremîr, 
Et  à  tous  fais  amourous  obéir, 
*       Vertus  amer  et  tous  visces  haïr, 
Et  loyauté  tout  adiés  maintenir; 


DE  JBAN  FaOISSART.  487 

Ne  pour  refus  qui  fait  souvent  sentir 

Mainte  destrece 
On  ne  se  puist  tourbler  ne  afoiblir. 
Et  tous  jours  vivre  en  joie  sans  morir. 
Et  si  trestos  quon  die:  je  désir 
A  avoir  ce  par  souhet,  sans  fallir 
Présentement  on  le  voie  venir 
A  son  commant  tout  prest  et  tout  entir; 
Ne  entre  nous  on  ne  puist  ja  voir 

Nulle  rudece. 

Bien  fu  qui  reprist  la  paroUe 
Humilités ,  qui  bel  paroUe*, 
Car  elle  en  fu  toute  enseg^ie, 
Et  s'en  vient.de  droite  lig^nie 
A  parler  bel  et  doucement. 
Se  dist  sans  mettre  y  longuement 
Un  soubet  lequel  j'eserisi  \ 
Moult  me  plot  quant  je  le  lisi. 

JSurmlâés. 

Je  souhede  désire  lie  et  leg'hiere, 
Esbanians,  friche  gaie  et  entière, 
En  tous  déduis  gracieuse  et  mesniere, 
Au  bel  parler  aussi  très  coustumiere, 
Au  bien  danser  avoir  grasce  et  manière, 
De  tous  depors  estre  nommée  ouvrière, 
Et  que  jamès  je  ne  véisse  en  chiere 

Nul  mesdisant^ 


488  POÉSIES 

Car  il  n  est  criés  que  leur  langpue  ne  fiere. 
Pluisours  fois  m*ont  fait  clore  la  minière 
De  tous  solas,  dont  je  sui  trezoriere. 
Et  mon  ami  refuse  sa  proyere 
Et  estre  à  lui  orgillousete  et  fiere. 
Pour  ce  les  voeil  mettre  de  jnoi  arrière. 
Pleuist  à  Dieu  quil  fuissent  tout  en  bière 

Sans  remanant. 
Ou  telement  converti  en  avant 
Qui  fuissent  pins  doufu  d'amours  ardant. 
Et  embrase,  et  fout  en  bien  faisant, 
Que  ne  sont  cil  qui  vivent  maintenant 
En  cel  estât  amoureus  et  plaisant. 
Si  en  seroit  exaucie  de  tant 
La  douce  vie  ou  leur  langue  s'espant 

La  mal  parliere. 
Et  quanqu  il  ont  des  gengles  en  parlant 
Fuissent  moltet  bien  ordonné  en  chant. 
A  eulz  oïr  y  auroit  presse  garant. 
Et  que  tout-dis,  sans  mouvoir  tant  ne  quant, 
Fors  en  solas  usissiens  no  vivant. 
Et  tous  souhès  euissent  vrai  amant 
A  leur  plaisir  tout-dis  en  accroissant 

Joie  pleniere. 

Joneoe  qui  fu  beaus  et  douls, 
Ames  de  toutes  et  de  tous, 
Tant  pour  ses  bons  parlers  savoir 
Que  peur  ce  qu'il  se  scet  avoir 
Gentement  et  de  maintien  friche, 


DE  JEAN  FROISSART.  489 

Vn  ahit  portoit  noble  et  riche 
Dent  il  estoit  le  mieulz  prisiés. 
A  moi  dist:  «  Amis^  escrisiés 
»  Mon  souhet,  car  je  vous  en  pri.  )> 
Et  je,  qui  pour  riens  el  ne  fri, 
Que  d'oïr  telz  solas  sans  fiâiille 
Li  escris,  ensi  qu^il  le  baille. 

Le  Souhet  de  Jonece. 

Je  souhede  que  je  soie  si  fés 
En  tous  estas,  en  maintiens  et  en  fés 
Que  par  raison  doit  estre  uns  amans  vrés^ 
Très  envoisiés,  lies,  amourous  et  gés, 
Et  tant  avoir  en  bons  deniers  tous  ses 
Que  pour  payer  despens  et  cous  et  très 
Que  je  poroie  avoir  acquis  et  fès. 

Et  que  cfaevance 
En  nul  pays  ne  me  fousist  jamès; 
Et  de  mon  corps  fuisse  ossi  armeras 
Et  ossi  preus,  pour  estre  plus  parfés, 
Com  jadis  fu  Hector  ou  Acillès*, 
Et  grasce  avoir  à  Dieu  com  ot  Moysès, 
Et  acomplis  veisse  tous  soubès 
Tels  que  feroie;  et  se  fust  bonne  pes 

Par  toute  France 
Et  en  touslieus  où  ferme  est  no  créance; 
Et  que  cascuns  baeelersqui  s  avance, 
Ou  qui  en  a  volonté  et  plaisance, 
Fust  avec  moi  et  en  ma  gouvrenance 


490  POÉSIES 

En  terre  sainte  où  Dieus  reçut  souffrance^ 
La  large  au  col  et  ens  ou  poing*  la  lance, 
Pour  remonstrer  no  force  et  no  puissance 

Aux  coers  malvès. 
Et  jusqu'en  fin  bonne  persévérance, 
Victoire  et  gloire  et  jote  et  souffissance, 
Et  ma  dame  euist  la  cog^noissance 
Dou  g'rant  désir  qui  pour  s'amour  me  lance, 
Et  me  donnast  confort  et  espiérance 
D'estre  escoutés  selonc  ma  pènitance  ; 
Et  se  tenist  ferme  ceste  ordenance. 

A  tous  jours  mes. 

Endementroes  qae  j'escrisoie 
Ce  souliet,  forment  le  prisoie; 
Et  me  sambloit  au  voir  entendre 
Que  cils  a  bon  voloir  de  tendre 
A  toute  bonnour  qui  fait  lavoit. 
Manière  qui  moult  bien  savbit 
Qu'elle  ne  poet  estre  escusée^ 
S  est  moult  doucement  aequiltée 
D'un  souhet  dire  tout  ensi 
Par  langage  com  ve-le-ci. 

le  Souhet  de  Manière. 

Parfette  amours  qui  onques  ne  se  part 
Des  loyaus  coers,  car  elle  y  claîmmepart 
Et  de  ses  biens  largement  lor  départ, 
Présentement  m'esmoet,  Diex  y  ait  part! 


DE  JEAN  FROISSART.  491 

Que  je  sotthede,  et  je  souhede  à  part, 
Que  tous  les  biens  qu'elle  donne  et  départ 
Soient  à  nous  desployé  et  espart, 

Si  que  tous  plains. 
Caseune  en  soit  et  cascuns  tempre  et  tart; 
J*aiele  corps  jone,  friche  et  gaillart. 
Très  amoureus  et  plaisant  en  regarty. 
Et  que  le  bon  et  le  bel  que  Diex  gpart 
Que  j'ai  amé  et  aimme  sans  fauls  art, 
Sente  que  c'est  parfettement  dou  dart 
Dont  bonne  amour  les  siens  enflamc  et  art. 

A  tout  le  mains 
S'atainte  en  sui  il  en  puîst  estre  attaîns; 
Et  nompourquant  de  lui  pas  ne  me  plains, 
Car  je  cog^oi  et  voi  par  ses  complains 
Que  cils  assaus  li  est  assés  proçains 
Et  qu'il  en  est  euvironnés  et  chatns^ 
Car  il  ne  s*est  pas  jusques  à  ci  fains 
De  moi  proyer-,  et  pour  ce  voir  je  Tains 

Sans  nul  départ;       * 
Et  oultre  plus  en  os  quant  je  remains 
En  bon  pourpos,  afin  que  je  ramains 
Toute  raison  que  je  n'en  vaille  mains, 
Mon  afaire  soit  pitous  et  humains, 
Et  aie  assés  de  quoi  entre  les  mains 
Pour  donner  à  tamaintes  et  tamains. 
Tout  bon  éur  soit  mon  cousin  germains 

Sans  fol  regart. 

Pi  tés  ne  fu  pas  esbabie 


492  POÉSIES 

Car  sans  ce  qu6  nuls  li  aye 

Ne  nulle  aussi,  c'est  bienm'entente>. 

Fors  Amours  qui  le  moet  et  tempte^ 

Souheda  un  souhet  moult  bel. 

Ne  sçai  s'elle  aura  le  chapiel; 

Mes  le  souhet  je  registrai 

Où  les  aultres  registre  ai. 

Le  Soubet  de  Pités^ 

Je  souhede  qu^l  fust  tous,  jours  ensi 
Que  dame  euist  de  son  servant  merci  y 
Et  avec  ce  le  sens  si  grant  en  li 
Que  de  cognoistre  le  vrai  et  le  garnie 
Le  pourvéU)  rameureus,  le  joli, 
El  1q.  peuist  veoir  ou  coer  parmi, 
Par  quoi  le  dou  dou  gracions  otri 

Ne  fust  bailliés 
Fors  à  celui  qui  Tauroit  desservi» 
Et  les  malvais  fuisseiit  si  asservi 
Que  de  tous  liens  débouté  et  bani 
Ou  par  raison  vivent  li  resjoï; 
Et  se  peuïsse  avoir  si  gai  ami 
Que  je  sceuisse  et  véisse  de  fi 
Nulle  n'euist  le  pareil  dessus  mi^ 

Par  quoi  plus  liés 
En  fust  mon  coer  et  le  plus  renvoisiéS| 
Et  mon  ami  fust  si  bien  conseilliés 
Si  gracious  et  si  appareilliés 
A  toutes  gens  qu'on  me  desist  getiés 


I 


DE  JEAN  FROISSART.  493 

Comment  cilz  est  courtois  et  esvilliés, 
Et  doucement  et  bien  enlanga^iés , 
Dessus  tous  est  ydones  et  tailliés 

Sans  nul  detri  ^ 

Que  en  priant  soit  pris  et  recoeilliés, 
Réconfortés^  resjoïs  et  aidiés. 
Vive  tel  coer  qui  est  aeompagniés 
De  toute  honneur,  pourvéus  et  aisiés^ 
Cascune  dame  où  tout  bien  est  fichiés 
Dont  le  coer  est  en  bonne  amour  lyé. 
L'euist  tout  tel  non  aultre,  ce  saciés, 

Tel  Vay  l'ami. 

Sitos  que  Pi  tés  ot  parlé» 
On  n'euist  g'aires  lonc  aie 
Que  Doule-Samblant,un  siens  germains , 
Qui  moult  fu  courtois  et  humains , 
Jetta  en  place  un  beau  souhet, 
Cest  bien  raisons  qu'on  l'oc  et  ait, 
Car  je  Tescrbi;  je  m'en  vaut 
Apres  ceuls  qui  sont  ci  devant. 

Le  Souhet  de  DotdC'SarnblanU 

Je  souhede  joie  paix  et  repos, 
L'esbatement  des  plains  champs  et  des  bos, 
Cours  de  lévriers  et  des  oiseaus  beaus  vols , 
Et  à  véoir  jardins  vreghiers  et  clos 
Bien  ordonnés  et  rieuléement  clos, 
Arbres  et  fruis,  tant  meniers  que  gfros, 


49  i  POÉSIES 

Fuissent  dedens  ^rant  quantité  enclos^ 

Pour  solacier^ 
Cardeneruels 9  merles  et  rosegfnols 
Et  tous  oiseauls  amourous  et  mignos^ 
Et  tous  les  jours  en  oïsse  les  mos. 
Encor  vodroi-je  ou  vregfié  dou  parclos 
Arbres  et  flours  naissans  de  leurs  estos 
De  tous  regars  et  de  divers  compos 
Ma  dame  aussi  qu'on  poet  de  tous  bons  los 

Agraeyer 
Pour  li  et  moi  ensamble  esbanoyer 
En  toute  honnour.  Là  ne  fault  riens  cuidier 
Parlans  d'amours  et  dou  joli  mestier 
Et  tous  nos  bons  avoir  et  souhedier. 
Nulle  ne  nuls,  ne  refus  ne  dangier^ 
Ne  mesdisant  qui  font  à  ressongnier 
Ne  peuissent  tourbler  ne  empecier 

Nostre  pourpos. 
En  tel  estât  non  pas  un  an  entier 
Mes  jusqu'à  dont  que  Diex,  pour  nousjugier, 
Yodra  ça-jus  ses  signes  envoyer, 
Peuissons  nous  ensi  solacyer, 
En  Téage  que  nous  aurons  plus  chier. 
Se  j*ai  bien  dit  plus  requérir  n'en  quier, 
Mes  en  esté  tout-dis  sans  point  divier 

Fust  le  temps  nos. 

Or  voi  assés  qui  me  eonstrainst , 
Car  com  plus  gelle  et  plus  destraint 
Aussi  plus  viennent  en  avant 


BK  JEAN  FROISSART.  495 

Les  darrains  passent  ceuls  devant. 
Haro:  que  di?  je  me  reprens. 
En  parlant  un  peu  me  mesprens. 
Pas  ne  sui  jugées  de  la  cause  ) 
Ce  n'est  pas  droîs  que  je  le  cause; 
Si  men  fairai,  par  saint  François! 
Car  vraiement  il  faut  ancois  * 
Que  le  chapelet  soit  donnés 
Q'uns  vrais  jugpes  soit  ordonnés 
Qui  en  rendera  la  sentensce. 
Là  ni  aura  es  tri  ne  tensce; 
Je  croi  qu^il  seront  bien  d'acort. 

Cestui  souhait  mis  en  recort 
Et  regfistrai  ensi  qu'il  doit. 
Franchise  qui  el  n'attendoit 
Fors  tant  que  elle  fustprye 
Pour  souhedier,  on  li  escrie 
En  disant:  «  Damoiselle  douce 
»  11  vous  convient  ouvrir  la  bouche 
»  Et  payer  ce  que  vous  devés:  ^> 
Elle  respont:  «  Pas  ne  me  vés 
»  Arrière  que  je  ne  le  face 
»  Mon  souhet,  mettés-le  en  escrit.  » 
Lors  l'ai  incontinent  escrit; 
Mot  à  mot  et  bien  rassamblé/ 
En  escrisant  m'a  beaus  samblé. 

£e  Souhet  de  Franchise. 
Je  souhede  joie  et  paix  en  tous  tamps, 


49  G  POËSIlîS 

Liece  en  coer  et  bien  estre  esbatans, 
Sus  toutes  riens  bien  dansans  et  chantant , 
Friche  de  corps  amoureuse  et  sacans, 
Bien  avisée  et  sagfement  parlans, 
Chevance  avoir  et  bcignouries  grans. 
Destriers^  coursiers  et  palefrois  amblans. 

Et  compagnie 
Lie  et  joiouse^  et  se  fust  mes  commans 
Tos  accomplis  par  villes  et  par  champs^ 
L'estat  d'amours  aussi  je  recommans, 
Et  vodroie  qu  il  ne  fust  nuls  amans 
Qui  loyalment  ne  fust  toutdis  servans 
Dame  et  amours^  et  très  obéissans, 
Et  avec  euls  fuisse  persevrans 
En  Véage  de  quinze  ou  de  seze  ans, 

Plus  n'en  voeil  mie; 
Et  tout-dis  fust  honneur  et  courtoisie 
Et  unité  entre  amant  et  amie) 
Hardiement  un  peu  de  jalousie 
Euist  son  cours  en lamourouse  vie, 
Car  cel  estât,  quoi  qu'on  le  contredie^ 
L'avance  moult,  exauce  et  monteplie. 
Pour  ce  le  voeil,  car  il  est  à  le  fie 

Trop  bien  séansj 
Et  cilz  aussi  qui  de  m'amour  me  prie 
Fust  si  garnis  de  grant  bacellerie 
Que  son  bon  los  et  sa  chevalerie 
Par  tout  le  monde  euist  grasce  et  prbie, 
Et  nettement  fuisse  tout-dis  servie 
De  jone  gent  et  de  friche  mesnie 


DE  J  EÂN  FROISSABT.  49 7 

Nulle  ne  nuls  n'eUist  sus  moi  envie^ 

Villains  ne  frans. 

Apres  ees  souhès  fais  et  dis, 
Désir  qui  me  semont  tout-dis 
Et  me  requiert  que  je  m^avanee 
Et  deffent  que  point  ne  me  vance. 
Me  prie  q'un  souhet  là  face  ; 
£t  je  le  regarde  en  la  face 
Et  li  di:  «  Conipains  et  amis, 
))  Vous  m'avés  o  ma  dame  mis  . 
»  Dont  grandement  vous  remerci; 
D  Mes  je  vous  pri^  pour  Dieu  merci! 
»Que  voiis  ne  mettes  ce  avant  ^ 
»  Car  pas  n'affiert  à  un  servant 
«  Tels  que  je  sui  et  que  voeil  estre 
»  Que  je  face  droit  ci  le  mestre.- 
a  Jà  poroie  tout  en  gabois 
»  Dire  tel  chose  en  ce  beau  bois 
))  Dont  je  seroie  à  tous  jours  mes 
»  Reprociés ,  je  le  vous  prommès. 
y*  Souffire  doit,  bien  le  savés, 
»  Ce  que  fait  et  dit  en  avés^ 
»  Ils  sont  mis  devers  moi  en  garde.  )» 
Désirs  se  taist  ;  si  me  regarde 
Et  jette  ailleurs  tout  son  avis 
Droit  sus  ma  dame,  ce  m'est  vis^ 
Et  de  faire  un  souhet  laccuse. 
Mes  elle  bellement  s'escuse, 
Et  tant  dist  qu'il  nH  a  celi 

FAOISSART.  T.  XVI.  33 


498  POÉSIES 

Ne  celle  qui  ne  soit  de  li 

Très  bien  conténs  de  sa  parolie. 

Et  adont  Jonece  paroUe 

Et  demande:  a  Qa'en  devons  faire? 

))  Jà  savés  vous  par  quel  afaire 

»>  11  furent  premiers  commencié. 

»  Nous  avons  enconvenencié, 

))  Celle  ou  cils  qui  mieulz  parleroit 

»  Le  chape^let  par  droit  aroit. 

»  Dont,  nous  convient  eslire  un  jug'e 

»  Qui  don  chapelet  donner  jug'e, 

»  Car  tatjit  qu'à  moi,  pas  n'en  sui  sages; 

»  Et  se  n'est  pas  uns  beaus  usages 

»  Que  cilz  méisme  qui  devise 

M  Soit  jugëonr  de  la  devise. 

))  Or  nous  fault  entre  nous  savoir 

»  Où  nous  en  porons  un  avoir.  )» 

Et  Désirs  s'est  lors  très  avant 

Et  dist:  ce  J'en  sçai  un,  je  m'en  vant  ; 

»  Qui  est  sages  et  bien  apris, 

»  Plains  d'onnour,  de  los  et  de  pris.  » 

—  ((  Et  qui  est  cils  ?  »  on  li  demande. 

II  respondi  à  la  demande: 

«  C'est  cilz  qui  vault,  il  n'est  pas  double, 

)) Qu'on  laime  et  prise  et  serve  et  doubte  -, 

»Le  dieu  d'Amours!  Or  l'ai  nommé , 

»  Et  non  mie  si  renommé 

»  Que  je  sui  bien  tenus  dou  faire. 

I»  Mes  pour  nostre  esbanoi  parfaire 

»  Et  nos  souhès  mettre  à  bon  cLiief 


DE  JEAN  FROISSABT.  199 

9)  Je  le  vous  monstre  de  rechief, 

))  Entrées  que  nous  sommes  ensamble. 

>)  Se  le  ,p rendes,  se  bon  vous  samble; 

))  Encor  vault  U  mieulz  qu'il  nous  voie, 

^)  Ens  ou  cas  qu'il  nous  est  en  voie, 

»  Que  nul  aultre,  mes  qu'il  souffisse^ 

»  Car  nous  sommes  tout  d'un  offisee. 

»Tres  volontiers  il  npus  vera*, 

)>  Ëtsaciés  qu'il  nous  pourvera 

»  De  jug^ement  bon  et  joli. 

»  Ni  aura  celle  ne  celi 

»  Qui  au  partir  ne  s'en  contente.  » 

Tout  s'acordent  à  cesfe  entente 

Et  disent:  a  Ensi  le  ferons. 

»  Au  dieu  d'Amours  nous  offerons 

))  Tous  nos  souhèsy  au  dire  voir, 

))  Car  cog<noissance  en  doit  avoir.  » 

Et  quant  ce  dire  leur  oy. 

Le  corag^e  m  en  resjoy 

Pour  ce  qu'en  ce  voiage  iroie, 

Car  gfrandement  je  desiroie 

A  véoir  et  cog^noistre  aussi 

Le  Dieu  d'Amours  qu'on  prise  si  4 

Quels  homs  c'est,  ne  de  quel  eagfc. 

En  cheminant  en  ce  voiag^e, 

En  paix,  en  joie  et  en  revel, 

En  chantant  un  motet  nouvel 

Qu'on  m'a  voit  envoyé  de  Rains» 

Premiers  n'estoie  ne  darrains. 

Mes  en  mi  lieu  par  grant  solas 

32* 


500  POÉSIES 

Parés  d'uns  noes  solers  à  las , 
Ensi  qu'amant  vont  à  la  veille. 
On  me  boute,  adont  je  mesveille. 

Homs  qui  s'esveille  en  teb  pensées    ^ 
Qui  ci  ont  esté  recensées 
On  ne  s*en  voist  esmervillant 
S'il  s*esmerveille  en  esvillant. 
Pour  moi  le  di,  €*est  bien  raisons^ 
Car  pas  n'adonnoit  la  saisons 
Qui  estoit  yvrenouse  et  froide. 
Et  li  airs  qui  le  temps  refroide 
Que  jWisse  lors  nul  revel. 
Mes  ce  que  je  voi  de  nouvel 
Et  que  g^'i  recognois  et  sens. 
Tant  m'a  Diex  envoyé  de  sens 
En  reconfortant  la  merveille 
Dont  en  veillant  je  m'esmerveille 
Di  et  dirai,  où  que  je  soie. 
Que  c'est  pour  ce  que  je  pensoie 
A  ma  dame,  sans  nul  séjour. 
Or  fault  on  de  nuit  ou  de  jour 
Soit  en  dormant  ou  en  veillant, 
On  ne  sen  voist  esmerveiilant, 
Que  les  pensées  à  cbief  traient 
Et  que  leur  cours  par  nature  aient. 
Et  ce  qui  en  veillant  habonde 
En  dormant  volontiers  redonde. 
Ensi,  cç  vous  ai-je  en  convenf , 
Aviennent  les  songes  souveni 


I 


DE  JEAN  FROISSAUT.  501 

Les  gprans  merveilles  invisibles 
Qui  samblent  en  dormant  visibles. 
Et  lors  comme  on  est  esvillié, 
Quoi  qu'on  y  aie  travillié^ 
De  tout  ce  qui  est  avenu 
On  ne  scet  que  c'est  devenUi^ 
Se  demeurent  les  visions. 
Voires  se  bien  y  visions 
Ens  ou  mémoire  dou  veillant 
Sitos  qu'il  se  va  esveillant 
Aucunes  fois^  non  pas  tout-dis^ 
Mes  noient  je  ne  m'escondis, 
Ne  je  ne  puis  ne  ne  poroie. 
Ne  faire  aussi  je  ne  vodroie 
Que  quant  je  me  fui  esvilliés, 
Et  un  9  espasse  ermerv  illiés 
Que  je  n'euisse  en  droit  .de  mi 
Plain  mémoire,  sans  nul  demi^ 
De  mon  songe  tel  et  si  fait 
Qu*en  dormant  je  Tavoie  fait. 
Assés  legièrement  m'acorde 
A  ce  que  par  moi  le  recbrde, 
Et  quant  je  Tai  bien  recordé 
Riens  n'i  perçoi  par  le  corps  dé 
Qui  bien  à  recorder  ne  face, 
Car  gf*i  voi  en  première  face 
Ge  qui  forment  me  resjoïst 
Et  que  mon  coer  moult  conjoïst. 
Encores  fui-je  adout  si  fols, 
Si  m'ayent  Diex  et  Sains  Pois! 


5ft2  POÉSIES 

Que  je  tastai  à  mon  grenoir 
A  sçayoir  s*il  estoît  ou  non 
Mnés.  Mes  je  senti  pour  voir 
Qu'il  ne  s'esloit  dagniés  mouvoiry 
Fors  tant  qu'il  fu  passés  avant 
Sis  heures  puis  la  nuit  devant. 
Et  ce  dont  le  plus  m'ésmerveil^ 
En  pensant^  entrées  que  je  \eiï 
C'est  de  ce  qu'en  ou  buissoncel,. 
En  l'éag^e  d*un  jouvcncel 
Fui  de  fu  et  de  flame  atfainsf 
Si  n'en  sui-je  mors  ne  estains. 
Mes  adont  il  me  fù  avis , 
Par  le  song^e  on  je  fui  ravis 
Sitos  que  Désirs  o  moi  fu,  ' 
Que  j'estoie  en  flame  et  en  fu: 
De  tous  lès  et  de  tous  assens 
Et  à  présent  riens  je  n'en  sens. 

En  ceste  imagination 
Fis  un  peu  de  colation 
Contre  ma  vie  et  mon  afaîre* 
Et  di:  Je  n'euisse  que  faire 
De  penser  à  teles  vuiseuses. 
Car  ce  sont  painnes  et  nuiseuses 
Pour  l'ame  qui  noient  n'i  pense, 
Et  qui  il  fault  en  fin  de  censé 
Rendre  compte  de  tous  fourfai^ 
Que  li  corpa  aura  dis  et  fais 
Qui  n'est  que  cendre  et  pourlturej 


DE  JEA^  FROiSSART.  SOS 

Et  la  bonne  âme  est  nouriture 

De  joie  et  de  perfection, 

Et  a  tous  jours  affection 

Ensi  quedient  li  auctour 

Que  de  tendre  à  son  créa  tour; 

Car  si  tretos  que  le  corps  pèche, 

Sa  gloire  et  son  proufii  empêche. 

Pour  ce  me  vodrai  retrencier 

Que  d*acroire  à  un  tel  crencier 

Que  pechiés  est,i|ui  tout  poet  perdre. 

Je  ne  mi  doi  ne  voeil  aherdre 

Et  s*en  moi  se  soat  espanî 

Aucun  villain  visée,  pas  n'i 

Voeil  arrester,  mes  mettre  y  ces 

Et  principalment  pour  yces 

Four&itures  à  coron  traire. 

Humblement  je  me  voeil  re traire 

Vers  la  mère  dou  Roy  céleste» 

Et  li  prie  qu'elle  voeille  estre 

Pour  moi  advocate  et  moyenne 

A  son  fil,  qui  tout  amoyenne 

Et  qui  est  vrais  fus  habondans, 

Caritables  et  redondans 

Pour  coers  enflamer  et  esprendre, 

Et  pour  grasce  à  ce  saint  fu  prendre. 

Et  que  mon  coer  en  soit  espris 

Viergne  royal ^  j'ai  or  empris 

A  ordonner  présentement 

Un  lay  de  nouvel  sentement; 

Et  vous  le  voeilliés  oïr^  dame^ 

Car  je  vous  offre  et  corps  et  ame. 


504.  POÉSIES 

Lay. 

Flour  d'onnour  très  sonveraimi^ 
En  qui  virgpinité  maint 

Et  parmaint, 

Ëuls  tamaint 
Sont  gari  del  ardant  painne 
Que  temptàtion  amainne 
Par  TaBemi  qui  nous  chalnt 

Et  destraint 

Et  constraint 
A  toute  heure  et  nous  fourmainne  y 
Mes  de  tous  biens  est  si  plainne 
Qu'eus  es  sains  cielz  ne  remaint 

Sainte  ou  saint 

Qui  se  faint 
De  loer  à  longe  alainne 
Ta  vertu  noble  et  hautainne^ 
Qui  n'amendrist  ne  ne  fraint^ 

Hais  estaint 

Et  restraint 
Nostre  adversité  proçainne». 

Et  pour  ee  tedoi 

De  coer  et  de  foi 
flennourer  loer  et  servir^ 

Car  cils  ou  je  croi 

Descendi  en  toi 
Sans  virginité  amendrin 

Saint  Jehan  au  doi 


HE  JEAN  FROISSART.  505 

Nous  ensengfoe  quoi 
Ton  fil,  qui  pour  nous  volt  morir^ 

No  nouvelle  loi 

Confrema  par  soi 
Quant  hommorlel  volt  devenir.  - 

Anciennement^ 

Par  mainte  gent 

Et  justentent 
Selottc  Taneyen  testament 
Estoit  prophetisié  et  dit 

Lavenement 

Don  saint  adventf 

Et  proprement. 
Par  les  signes  dou  firmament 
Yéoient  li  saint  homme  escrit 

Tout  clerement 

L^aliegement 

Dou  dampnement 
Qu*Eve  et  Adam  par  le  serpent 
Avoient  £siit  et  entredit. 

Dont  purement^ 

Divinement 

Et  castemeut 
Conçûis  viergne  et  dignement 
Le  fil  et  dou  saint  esperit. 

Edefye 
Et  raemplie, 
Kt  ceste  eevre  auctorisie 


SOS  POÉSIES 

EstoH  un  ^rant  temps  devanti 

Apparant 
Demonstrée  et  prononeie 
Par  Ysaye 
Et  Jheremie, 
Par  David  et  par  Belye, 
Et  par  la  vois  doa  criant: 

En  criant 
Ou  desertffi  arerie 
Laprophezie, 
Lorsque  Marie^ 
Se  dist  ancelle  et  amie 
De  IMeu,  en  Ii  saluant. 

Fu  errant 
Parolle  en  car  converlie> 
D^nt  la  lig^nie 
D'Adam  perie 
Confremée  et  baptizie 
Est  sauvée,  parmi  tant 
Qu'en  créant 
Le  gplorious  fruit  de  vie. 

Quidesconfi 
L'ennemi, 

Quant  en  celi 
Descendi 

Qui  nous  rend! 
Et  ouvri 
De  ténèbres  joie  et  lumière. 

McHilt  nous  chierlf 


DE  JEAN  FROISSART.  507 

El  aussi 
Bien  Boas  servi  ^ 

Quant  ensi 
Il  se  vesti 

Et  offri 
A  nostre  humanité  legfiere» 
Boms  nous  perd  i 

Ëtjedi 
Que  cils  homs  ci 

Acqueri, 
Quant  mort  souffrî 

Et  pendi 
En  croix,  nostre  gloire  hiretierev 
Je  sçai  de  fi 

Et  af  fi 
Qne  puisse-di 

Tout  par  li 
Resurrexi 

Et  i$8i, 
Hors  dou  saint  monument  de  piere. 

Par  vertu  noble  et  divine 
Lois  juïse,  or  adevine 
Comment  et  par  quel  doctrine 
Cils  qui  le  monde  enlumine 
Couchiés  on  monument  digne 
Ressuscita  dou  tombiel. 
On  te  dist  et  endoctrine 
Que  Jhesucris,  face  encline  > 
Moru  en  croix  par  hayne  3 


SOS  POÉSIES 

Au  tierc  jour,  à  bonne  estrine, 
Brisa  d'enfer  la  saisine 
Et  issi  dou  saint  vaissiel. 
Bien  en  trouvèrent  le  signe 
La  Magdelainne  bénigne 
Et  la  dfiDphée  fine. 
Et  Salomé  leur  cousine. 
Qui  bien  no  loy  examine 
Riens  ni  troeve  que  tout  beL 
Croi  dont  en  la  vertu  trine>. 
Un  seul  dieu  qui  tout  afine» 
Et  en  la  viergne  royne. 
Et  en  sa  sainte  gesine, 
Et  le  salu  imagine 
Dou  saint  Angel  Gabriel^ 
Si  saras 

Et  aras 

Grant  douçour^ 
Car  en  Verrour 

Que  tu  as^ 
Cest  uns  estas 

Sans  bonnonr. 

Que  diras 

Quant  veras 

Ton  signour 
Au  darrain  jour? 

Mas  et  las 
Tu  trembleras 

De  paour. 

Tu  oras 


DE  JEAN  FROISSART.  509 

En  ce  cas 

Que  pluisour 
Âront  sa  mour 

A  plains  bras, 
Et  tu  iras 

En  tristour. 

Làplorras, 

Gémiras 

Sans  séjour 
En  grant  dolour,  ^ 

Ne  poras 

Avoir  un  pas 

De  retour. 

Dont  entrées 
Que  bien  tu  te  poes 
Et  as  loisir  dou  retourner. 
Si  t  esmoes, 
Et  ton  coer  promoes 
Au  justement  considérer 
Quelconques 
Le  vies  ou  li  noés 
Testament  le  poet  profiter, 
Se  tu  Yoels. 
Tu  es  ci  a  lues 
Pour  toi  perdre  et  pour  toi  sauver. 

Met  ton  advis, 
Et  soies  fis 
Qu'il  est  enfers  et  Paradys, 


510  POÉSIES 

El  que  tous  corps  humains  a  ame. 

Pères  et  fils, 

Sains  esperis 
En  ces  trois  noms  est  un  seul  pris  $ 
Et  le  fil  conçut  nostre  dame. 

Dont  se  tu  lis 
,  Tous  nos  escris; 

€  est  cils  qui  à  Moise  jadis 
Parla  eus  ou  buisson  sans  flame. 

S*estoit  il  vb 

Qu'il  fust  espris. 
La  viergne,  ensi  pense-y,  Juis, 
Conçut  le  fil  de  Dieu  sans  blasme. 

N'a  oevre  noble  et  secrée 
Très  discrée, 
Acordée 
Et  ordonnée 
De  la  sainte  trinité 
Onques  n'en  fu  violée 
Ne  g^revée; 
Nés  parée 
Et  aournée 
Sa  sainte  virginité*, 
Et  pour  ce  l'a  très  loée 
Honnourée 
Est  nommée 
Et  figurée 
A  la  racine  jessé; 
Car  en  li  vint  la  rousé. 


DE  JEAN  FROISSART.  5  i  I 

Des  cieulz  née 
Inspirée, 
En  car  fourmée 
Quant  li  ang^les  dist:  Ave. 

C'est  le  buisson  resplendissans 
Non  amenrissaas, 
Mes  croissans 
Et  edefians 
Tous  biens  par  divine  ordenance. 
El  son  fils,  ce  dist  sains  Jehans, 
Est  li  fus  plaisans, 

Non  ardans 
Mes  enluminans 
Tous  coers  qui  en  lui  ont  fiance. 
Qui  descendi,  jà  fu  li  tamps> 
Entre  ses  enfans 

Inspirans 
Et  euls  alenans, 
Et  lor  donna  plainnè  puissance 
De  convertir,  tous  coers  errans^ 
Et  les  fîst  si  grans 

Que  parlans 
Et  bien  entendans 
Tontes  lang^ues  sans  variance. 

Vicrg^e,  c^est  chose  certainne  : 
Tout  dis  le  bien  faire  vaint 
Et  convaint 
Et  rataint, 


5 1 2  POÉSIES  DB  JEAN  FR0IS9ART, 

En  la  creafare  humainne, 
Le  pechié  qui  le  demainne  ; 
Dont  la  sainte  ame  se  plaint 

Et  coniplaint. 

Mes  no  plaint 
Sont  remis  à  voie  sainne 
Par  ton  fil,  qui  nous  ramainne 
La  croix  où  on  le  vit  taint 

Et  destraint 

Et  attaint 
De  mort  horrible  et  Tillainne. 
Or  te  pri,  vierg-ne  purainne, 
Que  se  pechiés  nous  constraint 

Et  nous  taint. 

Que  noclaint 
Aient  vois  en  Ion  demainne 
Là  ou  tonte  joie  maint. 


SXPLICIT  LE  TRETTIÉ  AHOUHOUS  IK)U  JOLI  BUISSON 

DE  JONECB. 


fIN    m  TOME  DIXIÈME  DE  LA  COLLECTION. 


^V^V%^\'%>\%%VW\^%VW\%^V%WV%\%%V%%WtoV«%V\^\AA>VWk%%%^^\%%V«^W%VV« 


TABLE 


DES  MATIERES. 


MÉKOïKBS  far  la  Vie  de  Jean  Froissart,  par  M.  de  la  Gcan  de 

S"-Palatb* Ffl^  K 

Mëmoiret  ooncernant  les  ouvrages  de  Froissart,par  le  même.  .  .  4^ 

JagemeDt  sur  Tbistoire  de  Froissart,  par  le  même 78 


POÉSIES  DE  JEAN  FROISSART. 

Le  Dît  dan  Florin. ...  loa 

Le  débat  don  Cbeval  et  don  Le?rier«   .  .  •  .  • •  •  •  .  118 

Le  Dittîe  de  la  flonr  de  laMargberite laf 

Plaidoirie  de  laRoze  et  de  la  Violette / .  •  .  .  i3k 

Dittie  d*Âmour,  ou  le  Orloge  amonrens • i43 

Le  Trettie  de  PEspinette  amoureuse ^83 

Le  Trettie  du  Joli  Qpisson  de  Jonece • 3a6 


FIN    BE  LA  TABLE. 


MODÈLE  DE  RELIURE. 


11  doit  y  avoir  sur  le  dos  de  chaque  volume  trois  éti- 
iqfuettes;  la  première  contient  le  nom  de  l'éditeur,  le 
titre  général  et  la  tomaison  de  i  à  47  j  la  deuxième  qui 
occupe  le  milieu ,  contient  l'énoncé  du  siècle  avec  l'or- 
dre numérique  de  ses  volumes  ;  la  troisième  présenté 
les  titres  particuliers  des  ouvrages  contenus  dans  chaaue 


volume^ 


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Ordn 

d«  la  eollMlloB 

eomplAl*. 

XIII*  8IÈGUE. 

Tome    6 

t.  6. 

Tome    7  et  8 

■ 

7  et  8. 

m 

XIV*  SIÈCLE. 

Tome    9 

t.  I. 

Tome  lo 

t.  a. 

Tome  II  à  95 

t.  3  à  17. 

XV  siicM. 

Tome  a6à4o 

t.  I  à  i5. 

Tome  4'»  i^t 

43. 

t.  16  k  18. 

GsnOSlQtTE  DE  RÂMOST  HUHTANSR  ,   t.  9  3e  piècC. 

CbROVIQUES  des  EOTÀUZ  LIGITAOES,  t.  I  et  2    •     id. 

GODIFKOT  DE  PA-KIB  ET  TAtLLBS  DES  BOURGEOIS  DK  VARl 

Vie  de  froissart.  3«  pièce 

Ghroitiqves  de  froissart.  1. 1  à  i5       id. 


Tome  44»  4^>  4^9  47*  ^  ^9  ^  S3. 


Chrohiques  de  honstrelet. 
Georges  ghastblaiv. 
Gbroviques  de  moliitet. 


t.  iài5       id. 
1. 1  à  3  et  I  MouvE 
t.  9à5. 


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