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Full text of "Poètes d'aujourd'hui, morceaux choisis accompagnés de notices biographique et d'un essai de bibliographie"

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AD.  VAN  BEVER  &  PAUL  LÉAUTAUD 


■^oètes  d'Aujourd'hui 

Morceaux   choisis 

Accompagnés  de  Notices  biogruiiliiqiies  et  d'un  Essai  de  Bibliographie 
•  • 


CAMIM.E    MAUCLAI».    STUAUT    MERIXILL.     EPHRAIM    MIKHAKI. 

ALBERT    MOCKEL.  ROBEUT    DE   IIONTESQUIOU. 

JEAN     MORÉAS.    COMTESSE     MATHIEU    DE    NOAILLES. 

IMKnRE     QUILl.ARD.      ERNEST    RAYNAUD.      HENRI     DB    RÉONIER. 

ADOLPHE    RETTÉ.     J.-A.    RIMBAUD.     CiEORGES    RODENBACH. 

l*.-N.    ROINARD.     SAINT- POL-ROUX.   ALBERT    SA  MAIN. 

FERNAND    SÉVERIN.   EMMANUEL    SIGNORET.    PAUL    SOUCHON. 

HENRY    SIIBSS.    LAURENT    TAILHADE.      --    PAUL    VALÉRY. 

CHARLES    VAN     LERRERUHB.    EMILE    VKRHABHEN.    PAUL     VERLAINE. 

FRANCIS    VIELÉ-QRIFFIN. 


PARIS 
.tERCVRE  DE  FRANCE 

IXVI,  RVE  OB  CONDÉ,  XXVI 


7ft'  M  0  7  jf 


POÈTES    D'AUJOURD'HUI 


à  LA    MÊME   LIBRAIRIE 


PoiTKS  d'aujourd'hui,  Tome  / 

Henri  Barbusse.  —  Henry  Bataille.  —  Tristan  Corbière.  — 
Lucie  Delarue-Mardru». —  Emile  Despax.  —  JV^x  Elskamp. 

—  4n4ré  Fontainas.  —  Paul  Fort .  —  Reoé  Ghil.  —  Remy 
de  Gourmont.  —  Femand  Gregh.  —  Charles  Guérin.  — 
A. -Ferdinand  Herod.  —  Gérard  d'Houville.  —  Francis 
Jammes.  —  Gustare  Kahn. —  Jules  Laforgue.  —  Léo  Lar" 
guier.  — Raymond  de  LaTailhède.  —  Louis  Le  Cardonnel. 

—  Sébastien  Charles  Leconte.  —  Grégoire  Le  Roy.  — 
Jean  Lorrain.  —  Pierre  Louys.  —  Maurice  Maeterlinck.  — 
Maurice  Magre.  —  Stéphane  Mallarmé» 


AD.  VAN  BEVER  &  PAUL  LÉAUTAUD 

H  _ 

Poètes  d'Aujourd'hui 

Morceaux   choisis 

Aeconipiiîcnés  de  Notices  biograpliiquis  et  d'un  ¥.im  de  Bibliographie 
•  • 


CAMILLE    M\UCL.\I«.    STUAHT    MI01\H1LL.     EPtlRAIM    MIKHAEL. 

ALBERT    MOCKEL.  ROBERT    DK  MONTESQUIOU. 

JEAN    MOnéAS.    COMTESSK     MATHIEU    DE    NOAILLES. 

PIERRE     yUILLARD.     ERNEST    RAYNVUD.      HENRI     DE    RÉGNIER. 

ADOLPHE    RETTÉ.     J.-A.    RIMBAUD.    GEORGES    RODENBACH. 

P.-N.    ROINARD.     SAlNT-POL-nOUX.  ALBERT    SA  MAIN, 

FERNAND    SKVERIN.    EMMANUEL    SIGNORET.    PAUL    SOUCHON. 

HENRY    SPIESS.    LAURENT    TAILHADE.         -    PAUL    VALERY. 

CHARLES    VAN    LERBERGME.    EMILE    VKRHAKREN.    PAUL     VERLAINE. 

FRANCIS    VIBLÉ-GRIKFIN. 


PARIS 
MEHCVRE  DE  FRANCE 

XXVI.    KVE   OB  CWIïnt.   XXVI 
MCMXVIIlt 


VC) 


^HM 


Dralti  àé  trkdadlioa  «1   At  r«pn>t3ii()ll«ii  rCaerrif  fomt  ImB  f^U, 


CAMILLE  MAUGLAIR 
187a 


Parisien  et  fils  de  Parisiens,  avec  des  origines  lorraines  et  danoi- 
ses très  lointainement,  M.  Camille  Mauclair  est  né  le  29  décembre 
187a.  Il  fit  ses  études  à  Paris,  montrant  de  très  bonne  heure  des 
aptitudes  littéraires  très  remarquables.  Dans  les  groupes  de  jeuneis 
écrivains,  aux  environs  du  i8(j3,  il  étonnait  jusqu'à  ses  amis,  étions 
voyaient  eu  lui  un  écrivain  dont  la  carrière  devait  être  rapide  autaot 
qu'éclatante.  Il  publia  tout  d'abord  des  vers,  à  La  Plume,  puis  une 
étude  sur  le  peintre  Albert  Besnard,  dans  La  Revue  Indépendante, 
puis  d'autres  poèmes,  dans  Le  Mercure  de  France,  La  Conque,  L Er- 
mitage ti  La  Revue  blanche.  Son  premier  livre  fut  un  ouvrage  de 
critique  morale  :  Eleusis,  causeries  sur  la  Cité  intérieure,  paru  en 
1893,  et  suivi,  en  i8()4,  d'un  recueil  de  poèmes  :  Sonatines  d'au- 
tomne. Depuis,  M.  Camille  Mauclair  n'a  pas  cessé  de  prouver,  au 
moins  par  le  nombre  et  la  diversité  de  ses  ouvrages,  la  précocité 
qu'on  admirait  en  lui  alors  qu'il  sortait  à  peine  du  collège.  La  poé- 
sie, le  roman,  le  conte,  la  critique  littéraire,  la  critique  d'art  et  la 
critique  sociale,  la  politique,  le  théâtre,  les  conférences  et  les  études 
de  métaphysique,  il  n'est  rien  à  quoi,  littérairement,  il  n'ait  touché, 
ni  d'idées  et  de  beautés,  de  façons  de  sentir  et  de  penser  auxquelles 
il  ne  se  soit  prêté,  signe  au  moins  d'une  extrême  intelligence,  d'une 
grande  sensibilité  littéraire,  sinon  de  capacité  créatrice  et  de  vraie 
personnalité.  «  La  grande  puissance  géniale,  dirait- on  presque,  a 
dit  Emerson  dans  son  Essai  sur  Shakespeare,  consiste  à  n'être  pas 
original  du  tout,  à  être  une  parfaite  réceptivité,  à  laisser  les  autres 
faire  tout,  et  à  souffrir  que  l'Esprit  de  l'heure  passe  sans  obstruc- 
tion à  travers  la  pensée.  »  Une  parfaite  réceptivité,  voilà  bien  ce 
qu'a  été,  ce  qu'est  encore  M.  Camille  Mauclair,  et  jamais  L'Esprit 
de  l'heure  ne  traversa  pensée  plus  docile  que  la  sienne.  D'origine 
sémitique,  M.  Camille  Mauclair  a  le  génie  de  sa  race,  le  don  extrême 
de  l'analyse,  de  l'aMimilatioo^  U  faculté  de  toat  dissocier,  pour  s'ap- 


POÂTSS  d'aUJOUHd'hUI 


PRirAcBs.  —  Théophile  Gantier  :  Le.  Pavillon  tur  l'Eau,  illustr.  d« 
i.  Carruchet.  Paris,  Forroud,  1899,  in-4.  —  Bouf fiers  :  Aline,  reine  de 
Golconde,  illustr.  de  Galoud.  Paris,  Ferroud,  1900,  iu-4. 

Ouvrages  mis  en  musioue.  —  Trois  lioder,  poésie  de  C.  Mauclair,  musique  de 
Ernest  Chausson.  Paris,  Beaudoux,  1897,  in-fol.  D'autres  poèmes  de  M.Camille 
Mauclair  ont  été  mis  en  musique  par  MM.  Charpentier,  Gabriel  Fabrc,  A.  Ma- 
riette, Gust.  Samazeuilh,  Florent  Schmitt,  etc. 

A  CONSULTER. —  G.-Jcau  Aubry:  Camille  Mauclair,  biographie  critique, 
illustr.  d'un  portr.  et  d'un  autogr.,  suivie  d'opinions  et  d'une  bibliographie  par 
Ad.  v[an]  B[ever"|.  Paris,  E.  Sansot,  1905,  in-18.  —  H.  Bahr  :  Skizsen  und 
Essaya.  Berlin,  Fischer,  1897,  in-18.  —  Maurice  Beaubourg  :  Camille 
Mauclair,  noi\ca,  Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18. — 
Georges  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  :  La  Littérature  contemporaine. 
Opinions  des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1905,  in-18.  —  J. -Ernest-Charles  :  La  Littérature  d'aujourd'hui.  Paris, 
Pcmn,  1902,  in-18  ;  Les  Samedis  littéraires,  3"  série.  Paris,  E.  Sansot, 1905, 
in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  II'  Livre  des  Masques.  Paris,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1898,  in-18.  —  Marius-Ary  Leblond,  La  Société 
française  sous  la  troisième  République,  d'après  les  romanciers  contempo- 
rains. Paris,  Alcan,  1905,  in-8.  —  Francis  de  Mioraandre  :  Visages. 
Bruges,  Arth.  Herbert,  1907,  in-8. 

André  Foutalnas:  Camille  A?owc/otr.  Mercure  de  France,  avril  1894.  — 
Maurice  Maeterlinck  :  Couronne  de  Clarté.  Mercure  de  France,  juin  1895. 
—  Georges  Pellissier  :  Poésie*.  Rerua  Encyclopédique,  1"  février  1895. 

Iconographie  : 

Louis  Augustin  :  Portrait  d  l'huile,  1895.  —  Jacques-Emile  Blan- 

che  :  Portrait  d  l'huile,  1903.  ^-  Albert  Besnard  :  Profil  au  crayon, 
1897.  —  Joseph  Granlé  :  Portrait  à  l'huile,  1895.  —  François  Gui- 
guet  :  Portrait  d  l'huile,  1893  (Exposition  des  Portraits  du  procliain  siècle, 
1893)  reproduit  dans  la  Revue  Encyclopédique,  15  novembre  1893.  —  Henri 
Le  Sidaner  :  Portrait  au  crayon,  1897  (Exposé  à  la  Soc.  nationale  des 
Beaux-Arts,  1898,  et  à  la  Libre  Esthétique  de  Bruxelles,  1899).  —  Camille 
Mauclair  :  Tête  au  crayon  lithoyraphique,  1900  (appartient  à  M.  Jean 
Aubry),  reproduit  dans  Camille  Mauclair,  par  G. -Jean  Aubry,  etc.,  1905, 
m-18.  —  Georges  Rochegrosse.  Tête  peinte  dans  Un  déjeuner  à  Ilar~ 
bixon,  1893  ;  Tête  peinte  dans  L'Angoisse  humaine,  1897.—  Valère  Bernard, 
Portrait  à  l'huile,  1899.  —  Félix  Vallotton,  Masque,  dans  Le  II*  Livre 
du  Matquea,  de  Remy  de  Gourmont.  Paris,  Mercure  de  France,  1898,   in-16. 


LE  SOLEIL  GISANT... 

Le  soleil  gisant  dans  l'après-midi  fade 
Jaunit  les  vieux  meubles  de  noyer  ; 
Ah  I  comme  nous  allons  nous  ennuyer 
Avec  celte  lumière  malade. 


CAMILLE   HA.UGLAIK 


Nous  ne  les  avons  jamais  aimées, 

Ces  amuselles  du  dehors  ": 

Nous  nous  faisons  à  nous-mêmes  nos  décors. 

Et  nos  impudeurs  y  dansent  en  aimées. 

Le  ballet  des  incertitudes 
Voilà  qu'il  va  se  dérouler  encor  :. 
On  n'aura  donc  jamais  de  quiétudes, 
On  ne  sera  donc  jamais  d'accord? 

Nous  voudrions  la  raison  des  choses 
Pour  nous  conduire  à  peu  près  bien  : 
Se  plaindre  qu'il  n'arrive  jamais  rien. 
Est-ce  que  c'est  cela  les  névroses  ? 

On  n'a  qu'à  contempler,  on  s'ennuie. 
On  ne  tient  à  rien,  tout  est  déjà  fait  : 
Et  puis  quand  tout  semble  s'être  défait, 
On  a  l'âme  pleine  de  pluie. 

Il  faudrait  pourtant  sur  ce  front 
Mettre  un  peu  d'ordre,  ou  bien  alors  de  la  folie  : 
Car  enfiii  pensez-vous  que  c'est  le  vin  et  puis  la  lie 
Ou  des  attouchements  qui  nous  consoleront  ? 

(Sonatinet  d'automne.  Perrin.) 


JE  NE  SAIS  POURQUOI.., 

Je  ne  sais  pourquoi 
Nous  n'avons  pas  choisi  notre  vie  : 
Il  fallait  qu'il  y  eût  quelque  envie 
Dans  l'âme  de  quelque  roi. 

Qu'est-ce  que  cela  importe, 
Une  destinée  ou  bien  une  autre? 
Mon  Dieu,  comme  c'est  peu  la  nôtre. 
Ce  vent  d'automne  qui  nous  em porte  I 

Qu'est-ce  que  cela  pouvait  faire 


poÂTis  d'au/odrd'hui 


Que  fut  pour  nous  la  moins  lanientable? 
Il  fallait  bien  qu'elle  échût  à  la  table 
De  quelqu'un  dans  cette  étrange  affaire 

Destinée  éparse  et  morose. 

Une  flânerie,  une  querelle,  et  toujours  ainsi  : 

Pourquoi  nous  avoir  faits  ceci? 

Nous  aurions  bien  pu  être  autre  chose. 

(Sonatines  d'automne.  Perrin.) 

LES  MAINS  LENTES  SOUS  LA  LAMPE... 

Les  mains  lentes  sous  la  lampe 
Jouant  avec  les  reflets 
Tressent  d'invisibles  guirlandes 
De  songeries  et  de  regrets. 

La  dentelle  des  brodeuses 
Enlace  leurs  âmes  aussi. 
Et  dénoue  une  trame  heureuse 
En  fleurettes  de  souci. 

Vers  une  fenêtre  endormie 
Sous  la  lune  du  clair  jardin 
Voltigent  les  câlines  mains 
Sous  la  lampe  épanouie. 

Et  leur  fragile  volonté 
Croise  d'un  jeu  soudain  tragique 
Le  fil  d'anciennes  destinées 
Sur  leurs  ongles  ironi(jues. 

(Sonatines  d^antomut.  Perrin.) 

UNE  DOUCEUR.,. 

Une  douceur  et  puis  une  lenteur 

Et  puis  un  geste  caressant  qui  desceod 

Sur  la  moiteur 

De  mon  front, 

C'est  votre  main  sur  ma  tristesse  posée. 


OAMILLB   MiCuOLAin 


Une  musique  fleurie, 

Et  puis  une  nostaIfj,ic  inassouvie, 

Une  musique  àc  douleur  inapaisée, 

Sur  les  fibres  do  mon  cœur  triste 

C'est  votre  voix  comme  une  oiselle  posée, 

Une  lueur  de  diamant 

Au  fond  d'une  caq  froide  et  cJaîre, 

Une  anicUiyste  qui  s'éclaire 

Au  reflet  de  mes  yeux  mornes. 

C'est  votre  prunelle  sur  la  mienne. . . 

Mais  votre  bouche  de  sang  et  de  crépuscule 
Sur  ma  bouche  de  crépuscule  et  de  sang 
Ah  1  c'est  ton  âme  toute 
Sur  la  mienne  comme  un  chrysanthème  posée. 

{Sonatines  d'automne.  Perrin.) 
JB  SUIS  ÉBAUCHÉ  CE  SOIR... 

Je  suis  ébauché  ce  aoir 
Par  des  mains  heureuses 
Qui  prennent  mon  cœur 
Avec  lenteur 

Et  le  front  si  fréle  et  si  puéril 
Que  le  désir  des  pleurs 
"Tremble  au  bord  de  mes  cila. 

Mais  il  y  a  tant  de  silence 

Que  je  n'ose  pas  pleurer, 

Mais  il  y  a  tant  de  somnolence 

Que  je  n'ose  pas  rêver. 

Seigneur  !  il  y  a  tant  de  magnificence 

Que  je  n'ose  pas  exister  1 

0  je  suis  comme  une  eau  dormante, 

0  je  suis  comme  une  feuille  oubliée 

A  la  brise  où  l'octobre  aux  cheveux  d'or  lamente, 

Triste  des  cygnes  et  de  toute  la  rosée. 

(Sonatines  d'automne.  Perrin.) 


POÂTES    d'aujourd'hui 


MINUTE 

O  ma  fille,  ouvre  la  porte, 
II  y  a  quelqu'un  qui  heurte  ! 

—  Je  ne  peux  pas  aller  ouvrir, 

Je  lisse  mes  cheveux  devant  mon  miroir. 

Oh  1  ouvre  la  porte,  ma  fille, 
Il  y  a  quelqu'un  qui  défaille  ! 

—  Je  ne  peux  pas  aller  voir  qui  c'est, 
Je  mets  des  rubans  à  mon  corset. 

La  porte,  ô  ma  fille,  ouvre  ! 

Je  suis  vieux,  j'ai  les  jambes  lourdes. . , 

—  Je  ne  peux  pas  aller  regarder, 
Père,  j'agrafe  mes  colliers. 

Un  homme  peut-être  est  mort 
Derrière  la  porte,  au  vent  du  dehors  I 

—  S'il  était  beau,  je  l'aurais  senti  : 
Mes  seins  n'ont  pas  tressailli. 

{Sonatines  d'automne.  Perrin.) 

PASTEL  DE  JEUNE  FILLE 

Elle  doit  être  assise  auprès  d'une  croisée 
A  petits  carreaux  encadrés  de  bois  peint. 
Dans  une  maison  de  briques  roses,  posée 
Commeun  jouet  au  bord  d'un  canal  immobile 
Allant  de  la  ville  vers  la  mer,  bien  loin, 
Entre  ses  rangées  de  peupliers. 
Elle  doit  être  assise  là  le  matin 
'Parmi  l'ombre  des  tilleuls  et  des  espaliers, 
Regardant  les  femmes  qui  viennent  de  la  campagne 
Avec  des  pots  de  cuivre  et  des  g'erbes  liées. 

'On  voit,  à  travers  la  vitre,  sa  tête  fine 

Blonde  avec  une  dentelle  au  cou, 

Une  dentelle  blanche  sur  la  nuque  blanche 


CAMILLE  MAUCLAin  9 


Qui  se  penche,  montrant  des  cheveux  fous  : 

El  ses  yeux  Meus,  agrandis,  lèvent  leurs  paupières  toutà  coup. 

Sur  ses  genoux  est  son  petit  métier  de  brodeuse. 

Ses  ongles  brillent  dans  le  treillis  des  fils. 

Elle  a  une  petite  bouche,  elle  a  l'air  peureuse, 

Et  sérieuse  en  sa  robe  grise. 

On  n'entend  rien  dans  la  rue,  et  derrière  elle, 

Dans  l'encadrement  de  la  fenêtre. 

On  voit  des  poteries,  des  ors  de  vieux  portraits, 

Un  coin  de  place,  et  une  porte  en tr  ouverte 

Sur  un  jardin  bleu  de  soleil  qui  dort  derrière  la  nlaison. 

Des  enfants  jouent  sur  le  pavé  de  la  place,  dans  l'herbe. 
Sous  les  ombres  rondes  des  arbres  taillés  :  il  est  midi.     . 
La  clarté  vaporeuse  de  Flandre  est  belle  en  silence. 
Et  le  carillon  des  béguines  tinte  au  loin  dans  la  chaleur. 

Je  la  vois  encore,  le  soir, 

Au  seuil  de  la  porte  : 

Elle  a  laissé  tomber  ses  deux  mains 

Et  s'appuie  au  mur,  penchant  la  tête  en  arrière 

Dans  l'ombre  montante. 

Une  fraîcheur  vient  de  la  plaine  depuis  la  mer. 

Les  cheminées  à  croix  de  fer 

Sont  un  peu  roses  tout  en  haut,  puis  c'est  fini. 

L'enfant  blonde  goûte  la  nuit 

Et  s'attarde  avant  de  retourner  vers  la  lampe. 

L'eau  du  canal  se  plisse  et  fait  un  peu  de  bruit 

A  cause  d'un  chaland  venu  des  îles  du  Nord 

Qui  avance  lourdement  jusqu'à  l'écluse 

Comme  une  bcte  bizarre  et  percluse. 

Les  ombres  des  bateliers  gesticulent  sur  le  plat-bord 

Et  se  déforment  dans  l'eau  miroitante  et  moirée 

Dont  les  remous  font  remuer  les  roseaux... 

Elle,  pas  très  grande,  plutôt  mignonne, 

Les  épaules  jolies  et  étroites  un  peu, 

Met  un  doigt  sur  sa  bouche,  comme  retenant  son  âme. 

Et  regarde  pensivement  tout  cela, 

Penchaot  la  tête  comme  un  petit  bouquet  fatigué... 

1. 


FOÈTES    d'aujourd'hui 


Ah  I  venir,  au  long  du  grand  chemin  de  halage, 

Vers  ce  visage  à  la  fenêtre  dans  ce  village. 

Venir  sur  l'eau  pesante,  dans  le  bateau  bariolé, 

A  l'heure  où  naît  la  première  lumière, 

Et  toucher  ces  lèvres  avec  les  lèvres  miennes 

En  disant  les  choses  les  plus  simples  du  monde. 

Et  regarder  ces  yeux-là,  et  vivre  là, 

Et  dire  :  «  Il  pleut...  il  y  aura  des  fruits  cette  année. . .  » 

Ou  a  Tu  es  douce,  il  fait  très  bon...  j'aime  être  avec  toi,., 

...  J'ai  eu  du  chagrin,  il  y  a  des  années...  » 

Et  ce  serait  le  bonheur,  mon  Dieu  oui,  le  bonheur, 
Ou  du  moins  tout  ce  qu'on  peut  en  savoir. 
Après  tout,  le  bonheur  des  bonnes  gens  : 
Et  j'ai  envie  de  celui-là,  tout  simplement. 

(Le  Sang  parle,) 

PRÉSENCES 

J'ai  vu  les  femmes  qui  s'en  vont 
Légères  au  crépuscule, 
Et  leurs  images  se"  défont 
Dans  le  soir  vague  et  profond 

Depuis  longtemps  leurs  voix  sont  mortes, 
Depuis  longtemps,  au  coin  des  seuils. 
Leurs  mémoires,  au  coin  des  portes. 
Dorment  fanées  avec  les  feuilles. 

Ainsi  qu'un  pauvre,  pour  dormir, 
Fera  lit  de  ses  feuilles  d'or. 
Couche-toi,  mon  souvenir. 
Sur  ces  mémoires  et  t'endors. 

Et  prends-les  aussi  sur  ton  sein 
Pour  avoir  chaud  encor  sous  elles, 
Afin,  aussi,  que  leur  parfum 
Te  reste  au  cœur  et  dans  les  mains. 


(Lt  Sang  parle.) 


STUART  MERRILL 
1863-1915 


Stuart  Merrill  est  né,  le  i"  août  i863,  à  Hampstead,  dans  Tllc  de 
Long  Island,  la  patrie  de  Walt  Whitman,  —  prci  de  New-York 
(Etats-Unis).  Il  est  mort  à  Versailles,  le  i"  déaembre  191B.  Son  en- 
fance passée  k  Paris,  il  fit  ses  études  an  lycée  Condorcet,  où  l'on  a 
vu,  dans  de  précédentes  notices,  sa  camaraderie  avec  Ephraïm  Mik- 
haCl,  Pierre  Quillard,  MM.  René  Ghil  et  Rodolphe  Darzcns,  avec  les- 
quels il  fonda  un  petit  journal  tutographiô,  te  Fan.  Retourné  après 
cela  en  Amérique,  Stuart  Merrill  prépara  son  droit  au  Golumbia 
Collège  do  New- York,  de  i885  à  1889,  mais  sans  aucun  succès,  à 
cause  de  ses  préoccupations  tout  autres,  c'est-à-dire  exclusivement 
littéraires.  Il  en  donna  d'ailleurs  une  preuve  en  publiant  pendant  ce 
séjour  en  Amérique  son  premier  ouvrage  de  poète  :  Les  Gammes, 
paru  à  Paris  chez  Léon  Vanier,  et  bientôt  suivi,  chez  un  éditeur  de 
New- York,  d«  Patlels  in  Prose,  un  volume  de  traduction  de  Théo- 
dore (le  Banville,  Aloysius  Bertrand,  Baudelaire,  Judith  Gautier, 
Hennequin,  Huysmans,  Mallarmé,  Paul  Margueritte, Catulle  Mendès, 
Ephraïm  Mikhacl,  Pierre  Quillard,  Henri  de  Régnier  et  Villiers  de 
risle-Adam.  Revenu  définitivement  en  France  en  1890,  Stuart  Mer- 
rill fut  un  des  plus  actifs  parmi  les  écrivains  qui  travaillaient  alors 
à  une  renaissance  littéraire,  collaborant  avec  des  poèmes  et  avec 
des  éludes  de  critique,  à  toutes  les  revues  de  l'époque.  En  même 
temps,  il  faisait  paraître  en  Amérique,  dans  le  Timet  et  l'Evening 
Post,  de  nombreux  articles  sur  des  écrivains  français  :  Gérard  de 
Nerval,  Glatigny,  Alphonse  Daudet,  etc. 

Stuart  Merrill  n'a  pas  été  seulement  un  très  curieux  poète, un  ma- 
g-icien  du  verbe,  faisant  revivre  dans  ses  vers  pleins  de  scintillc- 
7i)onls  de  pierreries  et  d'harmonies  savantes  les  plus  gracieuses  des 
lci;;endes.  Il  a  été  un  citoyen  justement  préoccupe  du  mouvement 
social  de  son  époque,  généreux  aux  déshérités,  aux  opprimés,  dévoué 
k  toute  cause  juste,  payant  partout  de  sa  personne  comme  de  sa  for- 


POÂTKS   d'aujourd'hui 


tune.  Pendant  que  ses  vers  révélaient  en  France  un  artiste  délicat 
quelquefois  jusqu'à  la  préciosité,  il  org;anisait  à  New-York  les  grou- 
pes socialistes  américains,  et,  revenu  en  France,  on  l'a  vu  s'intéres- 
ser à  toutes  les  affaires  où  l'idée  d'une  justice  meilleure  était  en 
cause.  Par  la  suite,  le  poète  s'est  un  peu  retiré  à  l'écart.  Sa  vie 
intime  traversée  d'un  grand  chagrin,  il  semble  que  son  art  en  ait 
reçu  une  heureuse  influence.  Que  l'on  compare  les  derniers  poèmes 
que  nous  donnons  de  lui  à  ceux  qui  les  précèdent.  Il  y  a  là  toute  la 
différence  d'un  homme  qui  pense  et  qui  sent  vraiment  à  celui  qui 
n'était,  —  si  brillant  qu'il  fût,  —  qu'un  décorateur  de  sentiments  un 
peu  artificiels. 

Stuart  Merrill  a  collaboré  à  La  Basoche  (i884-i886),  au  Déca- 
dent (1886-1887),  nnScapin  (1886),  aux  Ecrits  pour  l'Art  (1887),  à 
LaWallonie  (  1887- i89a),au7l/ercarerfe France,  1896- 1908, àZ<'u4//wa- 
nach  des  Poètes  (1896,  1897),  au  Livre  des  Légendes  (1896^,  à  La 
Plume,  à  La   Foyue  (1899)  et  à  L'Ermitage. 

Bibliographie  : 

Les  oeuvres.  —  Les  Gammes,  poèmes.  Paris,  Vanier,  1887,  in-18.  — 
Pastels  in  Prose  [traductions  de  Banville,  Aloysius  Bertrand,  Baudelaire, 
Judith  Gautier,  Mallarmé,  E.  Mikhael,  Pierre  Quillard,  Henri  de  Régnier, 
Villiers  de  L'isle-Adam,  etc.],  New-York.  Harper  et  Brothers,  1890,  in-18.  — 
Les  Fastes,  poèmes.  Paris,  Vanier,  1891,  in-18.  —  Petits  poèmes  d'au- 
tomne. Paris,  Vanier,  1895,  in-18.  —  Poèmes,  1887-1897  (Zes  Gammes. 
Les  Fastes,  Petits  poèmes  d'automne,  Le  Jeu  des  épées).  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  Les  Quatre  Saisons,  poèmes.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-18. 

On  trouve, en  outro.des  poèmes  de  M.  Stuart  Merrill  dans  l'Almanach  des 
poètes,  années  1897  et  1898.  (Paris,  Edit.  du  Mercure  de  France,  1896  et  1898 
2  vol.  in-16). 

Poèmes  MIS  en  musique.  —  Quelques  pièces  extr.de  Petits  poèmes  d'automne 
ont  été  mises  en  musique  par  M"»  Irénée  Berge. 

A  CONSULTER.  —  André  Beaunler  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  iu-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des 
Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896.  —  Georges  Le  Car. 
donnel   et   Ch.  Vellay  :  La   Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions 

des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906,  in-18.  

Adolphe  Ketté  :  Le  Symbolisme.  Anecdotes  et  souvenirs,  Paris,  Messein 
1903,  in-18.  — Ciiristian  Rimestad  :  Fransk  Poesi  i  det  Nitlende  Aarhun- 
drede.  Kobenhavn,  Schubotheske,  1903,  in-8.  —  V.  Thompson  :  French 
Portraits,  elc.  Boston,  Richard  G.  Badger  et  G",  1900,  in-8. 

Henri  Degron  :  Paysageries  littéraires.  La  Plume,  1"  mai  1900.  — 
Jean  de  Gourmont  :  Littér.  contempor.  Stuart  Merrill  (illuslr.).  Empo- 
rium  (Bergame),  juillet  1905.  —  Henri  de  Régnier  :  Stuart  Merrill.  Les 
Hommes  d'aujourd'hui,  Paris,  Vanier,  s  d.—  A. -P.  Herold.  Petits  poè. 
mes  d'automne.  Mercure  de  France,,  n)ai-s  1895.  —  Ch.  Maurras  :  Hevue 
littéraire.  Revue  Encyclopédique,  22  janvier  1898.  —  Louis  de  Suiut-Jac- 
queB  :  Merrill.  L*  Plume,  i"  mars  1895. 


ITUAHT    MKnHILI.  |8 


Iconographie  : 

C.  Castelucho  :  Portrait,  d  l'huile,  1902  (app.  à  M.  Stiurt  Merrill).  — 
Alph.  Germain:  Portrait,  tanguine,  1892  (app.  à  H.  Stuart  Merrill).  — 
Albert-I;:.  Steriier  :  Portrait  d  la  plume,  1891  (app.  à  M.  Sluarl  Merrill), 
reproduit  dans  La  Plumt,  1891  ;  Portrait  au  fusain,  1892  (app.  &  M.  Sluart 
Merrill),  reproduit  en  couleur  dan»  Le»  Homme*  d'aujourd'hui.  Paris,  Vaiiicr. 
—  F.  Vallotton  :  Masques,  dans  Le  Livre  des  Masques,  de  R.  de  Gour- 
men.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1890 


IfOCTURNB 

La  bli^me  lune  allume  en  la  mare  qui  luit, 
Miroir  des  gloires  d'or,  un  émoi  d'incendie. 
Tout  dort.  Seul,  à  mi-mort,  un  rossignol  de  nuit 
Module  en  mal  d'amour  sa  molle  mélodie. 

Plus  ne  vibrent  les  vents  en  le  mystère  vert 
Des  ramures.  La  lune  a  tu  leurs  voix  nocturnes  : 
Mais  à  travers  le  deuil  du  feuillage  entr'ouvert 
Pleuvent  les  bleus  baisers  des  astres  taciturnes.  - 

La  vieille  volupté  de  rêver  h  la  mort 
A  l'entour  de  la  mure  endort  l'âme  des  choses. 
A  peine  la  forôt  parfois  fait-elle  effort 
Sous  le  frisson  furlif  de  ses  métamorphoses. 

Chaque  feuille  s'efface  en  des  brouillards  subtils. 
Du  zénith  de  l'azur  ruisselle  la  rosée 
Dont  le  cristal  s'incruste  en  perles  aux  pistils 
Des  nénufars  flottant  sur  l'eau  fleurdelysée. 

Rien  n'émane  du  noir,  ni  vol,  ni  vent,  ni  voix, 
Sauf  lorsqu'au  loin  des  bois,  par  soudaines  saccades, 
Un  ruisseau  turbulent  roule  sur  les  gravois  : 
L'écho  s'émeut  alors  de  l'éclat  des  cascades. 

(Z^a  Gamme», 

CHAMBRE  D'AMOUR 
Dans  la  chambre  qui  fleure  un  peu  la  bergamote. 


l4  POÈTES    d'aujourd'hui 

Ce  soir,  lasse,  la  voix  de  l'ancien  clavecin 
Chevrote  des  refrains  enfantins  de  gavotte. 

Eteintes  par  sa  main  pour  quelque  doux  dessein 
D'amour,  voici  qu'enfin  les  lampes  vespérales 
Fument  au  bruit  de  l'eau  tintant  dans  le  bassin. 

Au  bruit  de  l'eau  qui  brille  en  des  lueurs  lustrales 
A  travers  les  rideaux  roidis  de  pourpre  et  d'or 
Dont  le  clair  éclat  croule  aux  fenêtres  claustrales. 

C'est,  déroulant  au  mur  un  vaporeux  décor, 
La  pastorale  peinte  aux  pimpantes  images 
Où  des  Jeux  et  des  Ris  s'éparpille  l'essor. 

Sur  les  divans  fanés  en  leurs  riants  ramages 

Lès  coussins  semblent  lourds  de  l'oubli  des  absents 

Et  du  bleu  baldaquin  s'éplorent  des  plumages. 

Seul  un  éventail  chu  de  doigts  jadis  lassants 

Présage  le  retour  inespéré  de  Celle 

Dont  l'automne  a  pâli  les  charmes  languissants. 

Soudain  c'est  le  rayon  roux  d'une  rubacelle, 
Un  chuchotis  de  voix  disant  de  doux  remords, 
Et  le  baiser  de  ceux  que  la  Vie  ensorcelle 

Dans  la  chambre  où,  le  soir,  s'aimèrent  tant  de  morts  I 

(Poèmes,  1887- iSgy  :  Les  Fastes.) 

CELLE  QUI  PRIE 

A  Jonathan  Starges, 

Ses  doigts  gemmés  de  rubacelle 
Et  lourds  du  geste  des  clfrois 
Ont  sacré  d'un  signe  de  croix 
Le  samit  de  sa  tunicelle. 

Sous  ses  torsades  où  ruisselle 

La  rançon  d'amour  de  maints  rois, 


8TUAI1T   MERRILL  l5 


Sa  prunelle  vers  les  orfrois 
Darde  une  vîride  étincelle. 

Et  c'est  par  l'oratoire  d'or 

Les  alléluias  en  essor 

De  l'orgue  et  du  violoncelle 

Et,  sur  un  missel  à  fcrmail 
Qu'empourpre  le  soir  d'un  vitrail, 
Ses  doigts  gemmés  de  rubacelle. 

{Poèmes,  iSSj-iSgy  :  Les  Fastes.) 

AU  TEMPS  DE  LA  MORT  DES  MARJOLAINES... 

Au  temps  de  la  mort  des  marjolaines, 
Alors  que  bourdonne  ton  léger 
Rouet,  tu  me  fais,  les  soirs,  songer 
A  ses  aïeules  les  chûtelaines. 

Tes  doigts  sont  fluets  comme  les  leurs 
Qui  dévidaient  les  fuseaux  fragiles. 
Que  files-tu,  sœur,  en  ces  vigiles. 
Où  tu  chantes  d'heurs  et  de  malheurs 

Seraient-ce  des  linceuls  pour  tes  rêves 
D'amour,  morts  en  la  saison  des  pleurs 
D'avoir  vu  mourir  toutes  les  fleurs 
■Qui  parfumèrent  les  heures  brèves? 

Oh  !  le  geste  fatal  de  tes  mains 
Pâles,  quand  je  parle  de  ces  choses, 
De  tes  mains  qui  bénirent  les  roses 
En  nos  jours  d'amour  sans  lendemains 

C'est  le  vent  d'automne  dans  l'allée, 
Sœur,  écoute,  et  la  chute  sur  l'eau 
Des  feuilles  du  saule  et  du  bouleau. 
Et  c'est  le  givre  dans  la  vallée. 

Dénoue  —  il  est  l'heure  —  tes  cheveux 


i8  voinn  d'aujourd'hui 


Plus  blonds  que  le  chanvre  que  tu  files  ; 
L'ombre  où  se  tendent  nos  mains  débiles 
Est  propice  au  murmure  des  vœux. 

Et  viens,  pareille  à  ces  châtelaines 
Dolentes  à  qui  tu  fais  song^er, 
Dans  le  silence  où  meurt  ton  lépfer 
Rouet,  ô  ma  sœur  des  marjolaines  ! 

{Poèmes,  i88y-i8g^  :  Petits  poèmes  d'automne.) 


ROYAUTÉ 

Je  suis  ce  roi  des  anciens  temps 
Dont  la  cité  dort  sous  la  mer, 
Aux  chocs  sourds  des  cloches  de  ter 
Qui  sonnèrent  trop  de  printemps. 

Je  crois  savoir  des  noms  de  reines 
Défuntes  depuis  tant  d'années, 
O  mon  âme  !  et  des  fleurs  fanées 
Semblent  tomber  des  nuits  sereines. 

Les  vaisseaux  lourds  de  mon  trésor 
Ont  tous  sombré  je  ne  sais  où, 
Et  désormais  je  suis  le  fou 
Qui  cherche  sur  les  flots  son  or. 

Pourquoi  vouloir  la  vieille  uloire 
Sous  les  noirs  étendards  des  villes 
Où  tant  de  barbares  serviles 
Hurlaient  aux  astres  ma  victoire? 

Avec  la  lune  sur  mes  yeux 
Calmes,  et  l'épée  à  la  main, 
J'attends  luire  le  lendemain 
Qui  tracera  mon  signe  aux  cieax. 


Pourtant  l'espoir  de  la  conquête 
Me  gonfle  le  cœur  de  ses  rages  : 


STUART  lOinniLL  17 


Aï-je  entendu,  vainqueur  des  âges, 
Des  trompettes  d.'ins  la  tcmpûte?  * 

Ou  sont-ce  les  cloches  de  fer 
Qui  sonnèrent  trop  de  printemps  ? 
Je  suis  ce  roi  des  anciens  temps 
Dont  la  cité  dort  sous  la  mer. 
(Poèmes.  1887- tSgj  :  Petits  poèmes  d'automne.) 

LA  CHANTEUSE  A  LA  BAGUE 

A  Madame  Hélène  Linder. 

Dame  aux  cheveux  nimbes  de  l'or  de  tout  l'automne 
Qui  pèse  sur  les  fleurs  el,  les  fruits  du  verger, 
Vous  faisiez,  ce  soir,  luire  à  votre  doigt  léger 
Une  bague  où  i);itlait  le  cn-ur  d'une  anémone. 

Triste  un  peu,  vous  chantiez,  sur  un  air  monotone, 
La  chanson  d'un  poète  au  rêve  mensonii^er 
Qui  sous  ce  ciel  eu  feu  m'a  longlenips  fait  songer 
Aux  rois  fous  qui  sont  morts  sans  glaive  ni  couronne. 

Et  lorsqu'au  rythme  uni  des  gestes  et  du  son 
Le  soleil  transperçait  la  pierre  de  la  bague. 
Goutte  de  sang  perlant  au  coup  vif  d'une  dague, 

Mon  âme  abandonnée  au  cours  de  la  chanson 
Mourait  et  renaissait  sous  le  signe  éphémère 
De  votre  main  d'enfant  qui  charme  la  Chimère. 

{Poèmes,  i88j-j8gj  :  Le  Jea  des  Epée$.) 

SOLITUDE 

On  dit  que  des  rois  morts  ont  foulé  ce  sentier 
Qui  mène  au  banc  de  pierre  où  nous  aimons  nous  asseoir, 
Alors  que  sur  la  solitude  tombe  la  paix  du  soir 
Et  que  nos  cœurs  sont  pleins  de  chants  muets,  comme  des 

[psautiers. 


l8  ,         POÈTES   d'aujourd'hui 


De  ce  rocher  on  vit,  sous  les  fanfares  de  la  conquête, 
La  plaine  se  hérisser  soudain  d'épis  de  fer. 
Et  des  multitudes,  revenues  des  étés  et  des  hivers, 
Rouler  comme  uq  fleuve  rouge  vers  la  graade  ville  en  fête. 

Mais  ni  la  chevauchée  ensoleillée  sous  les  bannières, 
Ni  le  doux  tonnerre  des  tambours  dans  le  printemps, 
Ni  le  cri  des  clairons  dressés  en  corolles  d'or 

Ne  valent  ce  silence  où  notre  fatigue  s'endort, 
Et  la  caresse  des  ombres  qu'enfremêlent  les  vents 
Et  la  minute  éternelle  de  notre  baiser,  cette  prière  ! 

(Les  Quatre  Saisons.) 

LA  VISITATION  DE  L'AMOUR 

Je  veux  que  l'Amour  entre  comme  un  ami  dans  noire  maison, 
Disais-tu,  bien-aimée,  ce  soir  rouge  d'automne 
Où  dans  leur  cage  d'osier  les  tourterelles  monotones 
Râlaient,  palpitant  en  soudaine  pâmoison. 

L'Amour  entrera  toujours  comme  un  ami  dans  notre  maison, 
T'ai-je  répondu,  écoutant  le  bruit  de  feuilles  qui  tombent, 
Par  delà  le  jardin  des  chrysanthèmes,  sur  les  tombes 
Que  la  forêt  étreint  de  ses  jaunes  frondaisons. 

Et  voici,  l'Amour  est  venu  frapper  à  la  porte  de  notre  maison, 
Nu  comme  la  Pureté,  doux  comme  la  Sainteté; 
Ses  flèches  lancées  vers  le  soleil  mourant  chantaient 
Comme  son  rire  de  jeune  dieu  qui  chasse  toute  raison. 

Amour,  Amour,  sois  le  bienvenu  dans  notre  maison 
Où  t'attendent  la  flamme  de  l'âtre  et  la  coupe  de  bon  vin. 
Amour,  ô  toi  qui  es  trop  beau  pour  ne  pas  être  divin. 
Apaise  en  nos  pRiivre?  coeurs  toute  crainte  de  trahison  J 

Et  l'Amour  est  entré  en  riant  dans  notre  maison, 
Et  nous  ceignant  le  cou  du  double  collier  de  ses  bras, 
Il  a  forcé  nos  bouches  closes  et  nos  yeux  ingrats 
A  voir  et  à  dire  enfin  ce  que  nous  leur  refusons. 


BTUART    UBRRILL  IQ 


Depuis,  nous  avons  fermé  la  porte  de  notre  maison 
Pour  garder  auprès  de  nous  le  dieu  errant  Amour 
Qui  nous  fit  oublier  la  fuite  furtive  des  jourg 
En  nous  chantant  le  secret  éternel  des  saisons. 

Mais  nous  l'ouvrirons  un  jour,  la  porte  de  notre  maison, 
Pour  que  l'Amour,  notre  ami,  aille  baiser  les  hommes 
Sur  leurs  lèvres  et  leurs  yeux  —  aveugles  et  muets  que  nous 

[sommes  l 
Comme  il  nous  baisa  sur  les  nôtres,  ce  soir  plein  d'oraisons  I 

Et  se  sera  Pâques  alors  autour  de  notre  maison, 
Et  l'on  entendra  prier  les  morts  au  fond  des  tombes. 
Et  l'on  verra  s'essorer  comme  des  âmes  de  colombes 
Entre  le  soleil  mort  et  la  lune  née  à  l'horizon. 

(Les  Quatre  Saisons.) 


ATTBNTB 

Si  c'est  pour  me  faire  croire  à  la  vie 
Que  tu  viens  à  ce  triste  séjour. 
Prends  la  clef  d'or,  et,  les  marches  gravies, 
Ouvre  la  porte  aux  pas  de  ton  amour. 

Si  c'est  pour  me  faire  croire  à  la  mort. 

Prends  parmi  tes  clefs  celle  de  fer, 

Et  ferme  les  fenêtres  à  l'aurore 

Dans  la  chambre  pleine  des  ténèbres  d'hier. 

Qu'importe  la  vie  à  mon  âme  ou  la  mort. 
Pourvu  que  ce  soil  toi  que  j'accueille. 
Geôlière  dont  la  clef  de  fer  ou  d'or 
Violera  le  secret  silencieux  de  mon  seuil? 

Mais  pourquoi  ces  paroles  dans  la  solitude, 
0  toi  qui  ne  viendras  peut-être  jamais 
M'éveiller  de  la  voix  douce  ou  rude 
Selon  que  sonnera  la  cloche  des  destinées 


POETES    D  AJOUURD  UUI 


La  neige  a  suivi  les  oiseaux  sur  le  toit. 
Et  seul  habitant  de  la  triste  masure. 
J'attends  toujours  la  détresse  ou  la  joie 
De  tes  clefs  inconnues  dans  la  serrure. 


{Les  Quatre  Saisons.) 
ÉCRIT  DANS  LA  TRISTESSE 


Les  heures  passent  sous  la  pluie 
Et  dans  le  bruit  du  vent  d'hiver. 
Ma  joie  est  à  jamais  enfuie 
Sur  les  ailes  des  oiseaux  d'hier. 

L'été  rouge  et  le  jaune  automne 
Ont  donné  leurs  fleurs  et  leurs  fruits. 
Sur  mon  toit  la  tempête  tonne, 
Et  mes  beaux  jardins  sont  détruits. 

Amour,  la  trace  est  effacée 

De  tes  derniers  pas  sur  mon  seuil^ 

Où  naguère  s'était  dressée 

La  folle  à  qui  je  fis  accueil. 

O  nuits  futures,  quel  silence 
Envahira  cette  maison 
Si  triste  après  la  turbulence 
De  la  dante  et  de  la  chanson  ? 

Entendre  mon  pas  solitaire 
Dans  les  charnbres  et  les  couloirs^ 
Ouvrir  les  portes  et  me  taire, 
Devant  le  vide  des  miroirs. 

Quelle  douleur  !  Puis  à  chaque  heure 
Que  l'horloge  ne  sonne  plus. 
Quelle  ombre  accrue  en  la  demeure, 
Où  mon  deuil  oiseux  s^est  reclus  1 


aroAMT  MuiniuL 


Je  ne  vis  plus  qu'avec  des  rêves 
Qui  craignent  le  jour  et  le  bruit. 
Mon  ûme,  est-ce  que  tu  t'achèves 
Dans  la  poussière  de  la  nuit  î 

Qui  viendra  jeter  la  poignée 
De.  bois  dans  l'âtre  désempli 
Où  frisonne  au  vent  l'araignée, 
Grise  tisseuse  de  l'oubli  ? 

Hélas  1  II  ne  viendra  personne. 

Je  suis  délaissé  des  humains. 

Sans  moi  l'on  sème  et  l'on  moissonne. 

Mort,  inon  cœur,  et  mortes  mes  maius  1 

II 

La  tempête  tonne.  Qu'importe 
Son  vacarme  à  ce  moribond 
Qui,  sans  pitié,  laisse  à  sa  porte 
Frapper  les  poings  du  vagabond  ? 

J'écoute,  le  front  dans  mes  paume» 
Et  les  coudes  sur  mes  genoux. 
Le  chuchotement  des  fantômes 
Qui  vont  rôdant  autour  des  fous. 

Femme,  ne  reviens  pas  épandre 
Ta  chevelure  sur  mon  seuil. 
Ni  lancer  au  ciel  de  la  cendre 
En  murmurant  des  chants  de  deuil. 

Ta  voix,  je  l'ai  bien  oubliée. 
Comme  la  couleur  de  tes  yeux. 
Après  t'avoir  tant  suppliée 
Je  t'abandonne  au  soin  des  dieux. 

A  toi,  sous  des  cieux  moins  moroses, 
D'autres  chansons  par  les  chemins^ 
D'autres  danses  parmi  les  roses, 
Et  d'autres  lèvres  sur  les  mains. 


PORTES    d'aujourd'hui 


Ainsi  soit-il  !  Moi,  je  demande 
Aux  ténèbres  leur  réconfort, 
Car  les  seuls  baisers  que  j 'attende 
Sont  ceux,  maternels,  de  la  Mort. 

N'ayant  plus  espoir  qu'en  les  songes 
Qui  font  oublier,  sans  retour, 
Tous  les  masques  et  les  mensonges 
Dont  se  leurre  le  pauvre  amour, 

Je  sentirai  sur  moi  descendre 
L'ombre  où  nulle  lampe  ne  luit. 
Sans  crainte  ni  désir  d'entendre, 
0  toi,  ton  appel  dans  la  nuit. 

Car  je  sais  que  veille  à  ma  porte 
L'ange  qui  n'aime  ni  ne  hait. 
Celui  dont  la  mémmre  est  morte 
Et  qui,  les  yeux  tidça,  «e  tait. 


ÉPHIIAIM  MIKIIAEL 

1866-1890 


Nô  h  Touloafce  le  ï6  juin  1866;  Epliraïm  MikhaGl  (Gt;or£:ès-EphraTna- 
Mithél),  mourut  à  Vtng-l-qualre  art>;,  le  5  mai  1890,  laissaut  des 
poèmes  et  des  poèmes  en  prose  dispersés  dans  diverses  revues,  et 
uh  clfânie  encore  inédit  :  Briséis,  écrit  en  collaboration  avec 
M.  Catulle  Mendès.  Licencié  es  lettres,  élève  de  l'Ecole  des  Char- 
tes, Ephralm  Mikhaël  fut  attaché  à  la  BibliotLci)Uë  Nêtlronal^.  Ses 
premiers  poèmes  furent  réunis  par  lui  dans  une  plaquette  d'ama- 
teur, 80US  ce  titre  :  L'Automne.  Il  publia  également,  en  1888,  nat 
légende  dramatiqae  en  trois  actes  :  La  Fiancée  de  Corinthc,  écrite 
en  collaboration  avec  Bernard  Lazare,  et  fit  représenter  le  lodéCedi- 
bre  de  la  même  année,  du  Théâtre  Libre,  une  féerie  en  un  acte  :  Le 
Cor  Fleuri.  Un  de  ses  poèmes  :  Florimond,  fut  couroané  en  1889, 
au  concours  de  L'Echo  de  Paris, 

Le  premier  acte  de  Briséit,  mis  en  musique  par  Emmanuel  Cha- 
brier,  fut  interprété  pour  la  première  fois,  le  3i  janvier  1897,  aux 
concerts  Lamoureux.  Le  niusicien,  comme  le  poète,  était  mort,  et 
M.   Catulle  Mendès  fut  seul  à  connaître  le  succès  de  l'oeuvre. 

Ephraïm  Mikhaël  a  collaboré  à  La  Basoche  (Bruxelles,  i884- 
1886),  La  Pléiade  {\1!S&),  La  Jeune  France  (1886-1887),  Les  Chro- 
niques («887),  La  BeVAe  Continentale  (iSSg),  La  Gfande  Revue  dé 
Paris  et  de  Saint-Pélersboarg,  etc.  Se«  œuvres  ont  été  tas'sembléèl» 
après  sa  mort,  en  une  édition  définitive,  augmentée  de  fragments 
inédits,  par  les  soins  de  ses  amis  MM.  Camille  tiloch^  Marcel  Gol- 
lière,  Bernard  Lazare,  Catulle  Mendès  et  Pierre  Quillard. 

Bibliographie  : 

1«  (KUVRÉ9.  —  L'Automne,  poème»  (sbds  nom  d'êditeUr).  Paris,  Alcaô 
Lévy,  18S6,  in-18.  —  La  Flaucèo  de  Cortnlho,  I<5gende  dramatique  en 
troi«&cles  (ou  coHaboration  avec  Bernard  Lazare).  Paria,  Dalou,  1888,  in-8.  — 
Le  Cor  Flearl,  féerie  en  un  a6te  «t  an  Vvrt  (repféientâ  kor  U  aeHaé  da 


■4  foAtes  o'aujouhd'hui 


Théâtre  Libre  le  10  décembre  1888),  Paris,  Tresse  et  Stock,  1888,  in-18  (1) 
—  Œuvres  de  Ephraïm  Mikhaël  (Poésies,  Poèmes  en  prose).  Paris, 
Lemerre,  1890,  petit  in-I2.  —  Briséis,  drame  lyrique  (en  collaboration  avec 
Catulle  Mendès).  Paris,  Enoch,  1893,  in-4-. 

Traduction.  —  Quelques  pages  dans  Pastels  in  Proêe,  trânslated  by  Stuart 
Merrill,  New-York,  Harper  et  Brothers,  1890. 

A  CONSULTER.  —  Anonyme  :  Notice  biographique  et  bibliogr.  publiée  en 
tête  de  l'édition  des  Œuvres,  etc.  Paris,  Lemerre,  1890,  petit  in-12.  —  Ca- 
tulle Mendès:  Rapport  à  M.  le  Ministre  de  l'Instr.  publique,  etc.,  sur 
le  Mouvement  poétique  français  de  i867  à  1906.  Paris,  Imprimerie  Natio- 
nale, 1902,  et  Fasquelle,  1903,  in-8.-  R.  de  Gourmont  :  Le  II'  Livre  de» 
Masques,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898.  —  Pierre  Quillard  : 
Notice,  dans  Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard  (1894),  in-18.  — 
Christian  Rimestad  :  Fransk  Poesii  de t  Ni t tende  a  rhundrede.  Ko- 
benhavn,  Schubotheske,  1905,  in-8.  —  Jules  Tellier  :  Nos  Poètes.  Paris, 
Despret,  1888,  in-18. 

Jean  Ajalbert  :  Opinions.  Ephraïm  Mikhaél.  Eclair,  8  février  1897.  — 
Aie.  Bonneau  :  Poètes.  Revue  Encyclopédique,  février  1891.  —  Catulle 
Mendès  :  Ephraïm  Mikhaél.  Echo  de  Paris,  15  octobre  1890.  —  Edm. 
Pilon  :  Ephraïm  Mikhaël  Ermitage,  avril  1894.  —  Pierre  Quillard  : 
Ephraïm  Mikhaél.  La  Wallonie  (Liège),  octobre  1890 

Iconographie  : 

L.  Métivet  :  Ephraïm  Mikhaél  sur  son  lit  de  mort,  6  mai  1890,  dessin 
au  crayon  (app.  à  la  famille).  —  Anonyme  :  Portrait  d  l'eau-forte,  publié 
dans  l'éd.  des  Œuvres  (Paris,  Lemerre,  1890  in-12).  —  Desmoulin  :  Por- 
trait d  l'eau-forte,  E^tion  de  Briséis.  Paris,  Enoch,  1893,in-4.—  F.  Val  lot- 
ton  :  Masque,  dans  Le  II'  Livre  des  Masques,  de  R.  de  Gourmont.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-18.—  Ch.  Mathieu  :  Monument  (Buste 
d'Ephraïm  MikbaSl  et  figures  allégoriques)  élevé  par  souscription,  pour  l» 
cloître  des  Augustin»,  Musée  de  Toulouse,  1900. 

EFFET  DE  SOIR 

Cette  nuit,  au-dessus  des  quais  silencieux, 
Plane  un  calme  lugubre  et  glacial  d'automne. 
Nui  vent.  Les  becs  de  gaz  en  file  monotone 
Luisent  au  fond  de  leur  halo,  comme  des  yeux. 

Et  dans  l'air  ouaté  de  brume,  nos  voix  sourdes 
Ont  le  son  des  échos  qui  se  meurent,  tandis 

(1)  M.  A.-F  Herold  a  tiré  de  cette  féerie  le  texte  d'une  œuvre  lyrique  qui 
a  été  jouée  avec  la  musique  de  M.  F.  Halphen,  à  l'Opéra-Comique,  eu  mai 
1904.  (Voyez  :  Le  Cor  fleuri,  féerie  lyrique,  poôme  d'Ephraïm  Mikhaol  et 
A.-Ferdin.  Herold,  musique  de  Fernand  Halphen.  Paris,  Dupont,  1904,  iu-8, 
partition  piano  et  cbaot.  Paria,  Dupont,  1904,  in-4). 


SPHRAIM    MIKHABL  sS 


Que  nous  allons  rêveusement,  tout  engourdis, 

Dans  l'horreur  du  soir  froid  plein  de  tristesses  lourdes. 

Comme  un  flux  de  métal  épais,  le  fleuve  noir 
Fait  sous  le  ciel  sans  lune  un  clapotis  de  vagues. 
Et  maintenant,  empli  de  somnolences  vagues. 
Je  sombre  dans  un  grand  et  morne  nonchaloir. 

Avec  le  souvenir  des  heures  paresseuses 
Je  sens  en  moi  la  peur  des  lendemains  pareils, 
Et  mon  Ame  voudrait  boire  les  fongs  sommeils 
Et  l'oubli  léthargique  eu  des  eaux  guérisseuses. 

Mes  yeux  vont  demi-clos  des  becs  de  gaz  trembleurs 
Au  fleuve  où  leur  lueur  raiitast!(]ue  s'immerge. 
Et  je  soEig-e  en  voyant  fuir  le  long  de  la  berge 
Tous  ces  reflets  tombés  dans  l'eau,  comme  des  pleurs. 

Que,  dans  un  coin  lointain  des  cieux  mélancoliiiues, 
Peut-être  quelque  Dieu  des  temps  anciens,  hanté 
Par  l'implacable  ennui  de  son  Éternité, 
Pleure  ces  larmes  d'or  dans  les  eaux  métalliques. 


TRISTESSE  DE  SEPTEMBRE 

A  il/">«  Elisabeth  Dayre. 

Quant  le  vent  automnal  sonne  le  deuil  des  chênes. 

Je  sens  eu  moi,  non  le  rogret  du  clair  été. 

Mais  l'ineflable  horreur  des  floraisons  prochaines. 

C'est  par  l'avril  futur  que  je  suis  attristé  ; 
Et  je  plains  les  forêts  puissantes,  condamnées 
A  verdir  tous  les  ans  pendant  l'éternité. 

Car,  depuis  des  milliers  innombrables  d'années. 
Ce  sont  des  blés  pareils  et  de  pareilles  fleurs. 
Invariablement  écloses  et  fanées  ; 

Ce  sont  les  mêmes  vents  susurrants  ou  hurleurs, 

B  I 


a6  poéTEs  d'aujourd'hui 


La  même  odeur  parmi  les  herbes  reverdies. 
Et  les  mêmes  baisers  et  les  mêmes  douleurs. 

Maintenant  les  forêts  vont  s'endormir,  raidies 

Par  les  givres,  pour  leur  sommeil  de  peu  d'instants. 

Puis,  sur  l'immensité  des  plaines  engourdies, 

Sur  la  rigidité  blanche  des  grands  étangs, 
Je  verrai  reparaître  à  l'heure  convenue  — 
Comme  un  fantôme  impitoyable  —  le  printemps  ;   ' 

O  les  soleils  nouveaux  1  la  saison  inconnue  1 


CRÉPUSCULE  PLUVIEUX 

A  Rodolohe  Dartens. 

L'ennui  descend  sur  moi  comme  un  brouillard  d'automne 
Que  le  soir  épaissit  de  moment  en  moment, 
Un  ennui  lourd,  accru  mystérieusement, 
Qui  m'opprime  de  nuit  épaisse  et  monotone. 

Pourtant  nul  glorieux  amour  ne  m'a  blessé, 
Et  c'est  sans  regretter  les  heures  envolées 
Que  je  revois  au  loin,  vagues  formes  voilées^ 
Mes  souvenirs  errants  au  jardin  du  passé. 

Et  pourtant,  maintenant,  dans  l'horreur  languissante 
D'un  soir  de  pluie  et  dans  la  lente  obscurité. 
Je  sens  mon  cœur  que  nul  amour  n'a  déserté 
Mélancolique  ainsi  qu'uue  chambre  d'absente. 


L'HIERODOULE 

A  Paul  Roux» 

Dans  le  triomphe  bleu  d'un  soir  oriental 
Elle  s'accoude  avec  une  lente  souplesse 
Au  rebord  lumineux  de  la  terrasse,  et  laisse 
Les  cheveux  étaler  leur  deuil  sacerdotal. 


KPHHAIM    MIKHAEL  If 


r,n  ville  sainte  aux  toits  bni^cs  de  lueurs  blanches 
list  pleine  de  rumeurs  d'épouvante,  et  là  bas, 
Dans  le  Bois  pollué  par  le  sang  des  combats, 
Des  feux  semblent  des  yeux  cruels  entre  les  branches. 

Les  hommes  durs  venus  de  pays  mnommcs 
Fouleront  ce  matin  le  sol  du  sanctuaire  ; 
Près  des  murs,  attendant  l'aurore  mortuaire. 
Veillent,  silencieux,  des  cavaliers  armés. 

Et  vers  le  ciel  pareil  aux  cuirasses  brunies 
Que  hérissent  des  clous  brillants,  leur  rude  main 
Lève  de  longs  buccins  d'or  qui  seront  demain 
Les  annonciateurs  sacrés  des  agonies. 

Des  femmes,  leurs  seins  nus,  caressés  de  clartés. 
Dans  de  grands  parcs  plantés  d'hiératiques  chênes 
S'attardent  à  rêver  des  souillures  prochaines 
Et  s'apprêtent  pour  les  mauvaises  voluptés. 

Mais,  dédaignant  le  songe  humain  des  vils  désastres, 
L'hiérodoule  au  cœur  d'éternel  diamant 
Dans  la  suprême  nuit  regarde  éperdument 
L'hiver  du  ciel  blanchi  par  le  givre  des  astres. 


IMPIÉTÉS 

Dans  la  haute  nef  qui  frissonne  toute 
Au  bruit  triomphal  de  l'hymne  chanté, 
Un  étrange  Evèque,  au  cœur  plein  de  doute. 
Officie  avec  somptuosité. 

Il  chante  —  que  Dieu  soit  ou  non,  qu'importe 
Qu'importe  le  ciel  sévère  ou  clément  ?  — 
Impassible,  il  chante,  et  de  sa  main  forte 
Lève  l'ostensoir  solennellement. 

Mais  —  tandis  qu'au  loin  sa  narine  avide 
Quête  les  parfums  du  saiqt  encensoir  — 


a8  POÈTES  d'aujourd'hui 


Il  songe,  en  son  âme  infidèle  et  vide. 
Qu'il  est  beau,  tenant  ainsi  l'ostensoir  ; 

Que,  sur  son  manteau  de  pourpre,  rutile 
Une  gloire  large  et  de  divers  ors. 
Comme  le  soleil  que  le  soir  mutile 
Luit  sur  le  charnier  des  nuages  morts. 

Il  songe  qu'un  peuple  obscur  le  contemple; 
Qu'au  fond  d'un  brouillard  lourd  de  senteurs,  l'œil 
Voit  uniquement  dans  la  nuit  du  temple 
L'Evêque  splendide  en  son  rouge  orgueil. 

Et,  les  yeux  emplis  d'ivresse  extatique, 
Le  prêtre,  usurpant  au  Christ  défié 
L'hommage  royal  du  dévot  cantique» 
Sur  l'autel  qu'il  sert  s'est  déifié. 


Chère,  je  t'ai  dit  des  messes  hautaines, 
Sans  y  croire,  ainsi  qu'un  prêtre  mauvais, 
Pour  que  le  regard  des  foules  lointaines 
Me  trouvât  très  beau  lorsque  je  levais 

—  Evêque  vêtu  de  fières  étoffes  — 
L'ostensoir  des  vers  aux  riches  splendeurs. 
Et  je  n'agitais  l'encensoir  des  strophes 
Que  pour  m'enivrer  avec  ses  odeurs. 


L'ETRANGERE 

En  son  manteau  d'argent  tissé  par  les  prêtresses, 
La  vierge  s'en  allait  vers  les  jeunes   cités. 
Et  la  nuit  l'effleurait  de  mystiques  caresses, 
Et  le  vent  lui  parlait  de  longues  voluptés. 

Or,  c'était  en  un  siècle  ou  les  rois  faisaient  taire 
Les  joueurs  de  syrinx  épars  dans  le  printemp,- 


iPHRAIM   MIKHAU,  SQ 


Les  sa^es  ens^naient  aux  peuples  de  la  terre 
L'horreur  dm]^\ineR  dieux  et  des  lys  éclatants. 

Mais  tandfe  que  lîi-bas  se  levait  sur  les  villes 
La  mau»*i8e  lueur  des  temples  embrasés, 
La  vierge  allait  cherchant,  parmi  les  races  viles. 
Le  fabuleux  amant  digne  de  ses  baisers. 

Elle  apparut  un  soir,  blanche  et  mystérieuse. 
Dans  le  mois  où  la  faux  couche  les  blés  épais  ; 
Et  de  très  loin,  vers  la  foule  laborieuse. 
Tendit  ses  douces  mains  comme  des  fleurs  de  paix. 

Elle  e^ardait  dans  ses  cheveux  et  dans  ses  voiles 
Un  lonjsf  parfum  de  gloire  et  de  divinité, 
Et,  pour  avoir  dormi  sons  de  saintes  étoiles, 
Son  corps  entier  était  pénétré  de  clarté. 

Elle  vient  et  déjà  de  merveilleux  murmures 
Ont  réveillé  comme  autrefois  les  bois  ombreux  : 
Appel  de  chèvrepieds  gorgés  de  grappes  mûres, 
Près  des  nymphes  riant  dans  les  fleuves  heureux. 

Des  voix  ont  dit  des  noms  oubliés  de  guerrières. 
D'ineffables  syrinx  soupirent  dans  les  airs, 
Le  vent  porte  des  bruits  antiques  de  prières. 
Une  ombre  olympienne  emplit  les  cieux  déserts. 

Et  la  vierge,  attendant  de  glorieux  éphèbes, 
S'offre  splendide  et  nue  aux  baisers  triomphaux. 
Alors  les  chefs  et  les  vieillards  gardien  des  glèbes 
La  repoussent  avec  des  bâtons  et  des  faux . 

«  Va-t'en  1  Nous  avons  peur  de  tes  yeux  pleins  d'aurore^ 
Tu  nous  ramènerais  les  vieux  songes  pervers. 
Par  toi  nous  rêverions  et  nous  verrions  encore 
Des  ténèbres  d'amour  obscurcir  l'univers.  » 

El  les  femmes,  quittant  les  prés  et  la  fontaine. 
Laissant  les  clairs  fuseaux  et  les  vases  de  miel, 


3o  poèTKs  d'aujourd'hui 

]*oursuivent  en  hurlant  l'étrangère  hautaine 
Qui  souille  le  pays  d'une  senteur  de  ciel. 

Des  clameurs  de  combat  sonnent  dans  les  vallées, 
Les  bois  sont  secoués  de  tragiques  frissons, 
Et,  comme  aux  rouges  soirs  des  anciennes  mêlées, 
Les  filles  aux  bras  forts  courent  dans  les  moissons. 

Victoire  !  maintenant  une  prostituée. 

Qui  regarde  le  ciel  avec  des  yeux  méchants, 

Traîne  le  corps  sacre  de  la  vierge  tuée  ; 

Le  sang  surnaturel  trouble  les  lys  des  champs. 

La  nuit  descend  ;  les  cieux  fleuris  d'étoiles  claires 
Resplendissent  comme  un  jardin  prodigieux. 
Les  filles  aux  cœurs  froids  ont  senti  leurs  colères 
Grandir  sous  le  baiser  du  soir  religieux. 

Leur  fureur  se  ravive  à  l'odeur  des  fleurs  douces, 
A  la  bonne  rumeur  de  la  plaine  et  des  flots. 
Farouches,  dénouant  leurs  chevelures  rousses. 
Elles  poussent  du  pied  l'étrangère  aux  yeux  clos. 

Joyeuses  d'insulter  des  neiges  lumineuses, 
Elles  moi'dent  sa  gorge  avec  férocité  ; 
On  voit  briller  au  fond  des  prunelles  haineuses 
L'orgueil  mystérieux  de  souiller  la  beauté. 

Et  toutes,  emplissant  de  sables  et  d'ordures 
La  bouche  qui  savait  les  mots  mélodieux, 
Sur  la  divine  morte,  avec  leurs  mains  impures, 
Se  vengent  de  l'amour,  des  rêves  et  des  di'îux. 

(Œuvret  de  Eokraïm  Milthaêl.  Pans,  iSgo.) 


ALBERT  MOGKEL 
1866 


M.  Albart-Henri-Louis  Mockcl  est  né  à  Ou^ëe-Ieï-Liège  (Rflfi- 
qne)  le  97  décembre  1860.  Sa  famille  paternelle  fat  longtemps  fixée 
dans  l'ancien  duché  bilingue  de  Limbourg,  spécialement  dans  la 
petite  ville  d'Eupcn,  première  agglomération  allemande  après  la 
frontière  actuelle.  Sa  famille  maternelle  est  originaire  de  la  Cour- 
lande,  qu'elle  quitta  au  xviu*  siècle  pour  la  Hollande  et  la  Belgi- 
que. Sa  bisaïeule  muterncllc  était  d'ailleurs  de  famille  françaiso 
réfugiée,  et  tous  les  ascendants  de  sa  grand'mère,  —  une  Namuroise 
—  invoquaient  une  lointaine  origine  française.  M.  Albert  Mockel 
fit  ses  classes  primaires  à  Seraing,  puis  étudia  la  philosophie,  la 
philoloj^ie  et  la  musique  à  l'Université  de  Liège.  En  i884,  il  fonda 
dans  ci'tle  ville,  avec  ses  camarades,  un  cercle  d'étudiants  :  L'Elan 
littéraire,  dont  le  bulletin  mensuel,  transformé  et  devenu  sa  pro- 
priét»^,  devint  bientôt  la  revue  La  Wallonie.  On  a  pu  se  rendre 
compte  dans  de  précédentes  notices,  et  on  en  pourra  juger  encore 
dans  d(5  suivantes,  de  l'importance  de  La  Wallonie  dans  le  mou- 
vement symboliste.  M.  Albert  Mockel  l'avait  fondée  pour  défendre 
la  nouvelle  esthétique  littéraire,  en  même  temps  que  pour  combat- 
tre en  Belgiijne  en  faveur  de  la  culture  française.  La  Wallonie 
dura  sept  ans,  groupant  îa  phipart  des  nouveaux  écrivains.  C'est 
dans  ses  numnros  que  publièrent  leurs  premières  pages  notamment 
Charles  Van  Lerberghe,  Bernard  Lazare,  MM.  Maurice  Maeterlinck, 
Pierre  Louys,  Emile  Verhaeren,  Francis  Viélo  Oriffin,  Grésïoire  Le 
Roy,  Stuart  Merrill,  René  Ghil,  Jean  Moréas,  Pierre  Quillard, 
André  Gide,  A.-Ferdinand  Herold,  André  Fontainas,  Fernand  Séve- 
rin,  Albert  Saint-Paul,  Adolphe  Retté,  etc.  José  Maria  de  Heredia  et 
Stéphane  Mallarmé  y  collaborèrent  à  plusieurs  reprises,  et  une 
seule  fois  Paul  Verlaine.  Après  un  séjour  de  quelques  mois  en 
Allemagne,  RL  Albert  Mockel  vint  se  fixer  définitivement  à  Paris 
en  i8yo.  Il  avait,   à   cette  époque,  déjà  publié   quelques  plaquettes 


Ss  po*TB»  »'au*ourd'hui 


de  \ern,  livres  d'essais,  en  quelque  sorte,  tout  à  fait  négligeables 
aujourd'hui  dans  son  œurre,  et  un  petit  livre  satirique  sur  le  mou. 
vement  littéraire  wallon  :  Les  Fumistes  Wallons.  En  1890,  il  publia 
son  premier  ouvrage  de  critique  :  Quelques  livres,  édité  à  Liège, 
et  suivi,  en  1891,  de  Chantefable  un  peu  naïve,  poème,  paru  sans 
nom  d'auteur  ni  d'éditeur.  M.  Albert  Mockel  s'est  surtout  distingué 
dans  la  critique  de  l'école  symboliste,  une  critique  un  peu  précieuse 
et  spécieuse,  plus  attachée  au  détail  et  au  moment  qu'aux  idées  géné- 
rales et  à  une  vue  d'ensemble.  L'ouvrage  qui  le  signala  dans  ce  sens 
fut  ses  Propos  de  littérature,  publiés  en  1894,  et  dans  lesquels 
il  étudiait  l'esthétique  poétique  du  mouvement  symboliste  à  propos 
%des  œuvres  de  ses  deux  plus  notoires  poètes  :  MM.  Henri  de  Régnier 
et  Francis  Vielé-Griffin.  D'autres  éludes  l'ont  encore  montré  comme 
le  critique  méticuleux  des  nouveaux  poètes,  notamment  celles  qu'il 
a  écrites  sur  Stéphane  Mallarmé, Charles  Van  Lerberghe  et  M.Emile 
Ve-haeren.  L'oeuvre  poétique  de  M.  Albert  Mockel  se  compose  au- 
jiourd'hui  dedeux  volumes  :  Chantefable  unpeu  naïve  et  Clarté*. Oa 
y  trouve,  avec  la  même  préciosité  que  dans  ses  écrits  en  prose, une 
certaine  recherche  d'harmonie  verbale,  et,  musicien  autant  que 
poète,  il  a  joint  k  ces  deux  recueils  des  pages  de  musique  destinées 
à  en  souligner  l'esprit.  Un  autre  volume  est  en  préparation  :  La 
Flamme  immortelle,  dont  des  fragments  ont  paru  dans  diverses 
revues.  M.  Albert  Mockel  s'est  aussi  essayé  dans  l'art  du  conteur, 
avec  un  volume  :  Contes  pour  les  Enfants  d'hier,  d'une  note  habi- 
lement puérile  et  vieillotte. 

Une  grande  part  des  écrits  de  M.  Albert  Mockel  se  trouve  encore 
dispersée  dans  des  revues  et  journaux,  notamment  dans  La  Revue 
de  Belgique  (deux  études  :  Réflexion  sur  la  critique.  Discussion 
sur  la  méthode  dans  la  critique, —  et  toute  une  série  d'articles  sur 
les  Peintres  primitif  s  français)  et  dans  La  Réforme,  de  Bruxelles 
{Lettres  d'Italie). 

M.  Albert  Mockel  acoUaboré  à  L'Elan  littéraire  (i885),  Caprice 
Revue  (1887-1890),  Almanach  de  l'Université  de  Liège  (188;),  La 
Société  nouvelle,  L'Art  Moderne,  Les  Ecrits  pour  l'Art,  L'Indépen- 
dance belge.  Floréal,  La  Revue, Le  Réveil,  La  Revue  Wallonne,  La 
Réforme,  Le  Coq  Rouge,  Le  Mercure  de  France,  L' Almanach  des 
Poètes  (1896  et  1897),  La  Revue  encyclopédique,  La  Revue  de  Belgi- 
que, Zeit  (Vienne),  La  Vie  nouvelle,  La  Vogue,  L'Idée  libre, L'Er- 
mitage, Durendal,  Wallonia,  Le  Beffroi,  L'Européen,  L'Occident, 
Le  Courrier  européen.  Les  Arts  de  la  Vie,  Verset  Prose,  L'Express, 
Le  Siècle,  La  Revue  universelle.  Art  et  Déooralion,  Antée,  La  Bel- 
gique artistique  et  littéraire,  Poésia,  La  Grande  Revue,  etc. 


ILBBRT    MOCKBL 


33 


Bibliograpl 

Poèmes  ininiis^nles.  Li*g:«,  •  n.  d'éd.,  1886,  petit  in-8  (hori  commfirce). 
—  L'Essor  du  Hé>e,  rers  et  prose.  IJège,  ».  n.  d'M.,  1887,  petit  in-8  'lion 
commerce).  —  Ix^s  Fuinlsles  Wallons.   Histoire  de  quelques  fous 

(publié  sous  lo  pseudonyme  de  L'IIemma).  Li6(ïe,  imprim.  de  11.  Vaillant-Car- 
mnnn,  ».  d.  (1887),  petit  iu-8.  —  Quelques  Livres,  critique  littéraire.  Li6|?o, 
imprim.  de  H.  Vaillniit-Carmanne,  IS'.'O,  petit  in-8  (hors  commerce).  —  Chan- 
lelablo  nn  peu  naïve,  poitme  pri^ci^di-  d'un  prélude  musical  (publié  sans 
nom  d'auteur).  Lièpe,  imprimé  pnr  11.  Vaillnnt-Carmanne  sur  les  presses  de 
la  Wallonie,  1891,  in-8  (200  ex.  sur  Hollande).  —  Propos  do  littérature 
[esthétique  du  po^me,  &  propci  des  œuvres  d'Henri  de  Réfinier  et  de  Vielé- 
Griffin).  Taris,  Librairie  de  lArl  Indépenlant,  1894,  in-8.  —  Emile  Verhae- 
rcn,  avec  une  note  hioL'raphiquo  par  f' rancis  Viclé-Gi'iffin.  Paris,  éd.  da 
Mercure  de  France,  1895,  iii-18.  —  Sti^pliane  Mallarmé.  Un  héros. 
Paris,  éd.  du  Mercuie  do  France,  1899,  iii-18.  —  Clartés,  poèmes  fsuiris 
d'une  conclusion  musicale].  Paris,  éd.  du  Mercure  de  France,  1902,  in-8.  — 
(^.harlos  Van  Lerberohe,  avec  un  portrait.  Paris,  Soc.  du  Mercure  ds 
France,  1904.  in- 18.  —  Vicier  Ronsst>;iu,  élude  illustrée  de  7  reproductioni 
d'(Puvrrs  du  Slalnairo.  Paris,  éd.  <lo  «La  Plume  »,  1005,  in-18. — Contes  pour 
los  enfants  d'hier,  illuitrés  par  Auguste  Uonnay.  Pari»,  Soc.  du  Mercure 
.lu  France,  1908,  in-8. 

On  trouve  des  poèmes  de  M.  Albert  Mockel  dans  les  ouvrage»  suivants  : 
Almanaoh  des  poètes,  années  1896,  1897  (Paris,  éd.  du  Mercure  de  France, 
lS95ctl896.  2  vol.  in-16).  —  Pol  do  Mont:  Poète*  belge*  d'expression 
française.  Almelo,  W.  Ililarius,  1899,  in-18. 

A  PAnAîTRU.  —  La  Flamme  Immortelle,  poèmcâ.  —  Banalités  Indis- 
crètes, notes  sur  les  mœurs. 

A  coNsiiLTKn.  —  Arthur  Daxhelet  :  Une' Crise  littéraire.  St/mholisme  et 
s!/mhofistes.  BruTolles.  Welssrnhi-uck,  1904,  in-8.  —  Euqène  (iilbert  :  Let 
Lettres  françaises  dansla  fleliiique  aujourd'hui.  Paris,  Sausot,  1906,  in-18. — 
A.-F.Herold  :  Albert  Mockel, notice  publiée  dans  Les  Portraits  du  prochain 
siVr/e. Paris.  Girard,  1894, in-18.  —  (iustavo  Kahn:  .'symbolistes et  décadent*, 
Paris,  Messein,  1902,  in-18.  —  Georges  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay  : 
L.a  Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions  des  écrivains  de  ce  temps. 
l'iiris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1900,  in-18.  —  Camille  Lemonnier  : 
Lu  Vie  belge.  Paris,  Fasquolle,  1905,  in-18.  —  Catulle  Mendès  :  linpport 
s'/r  le  mouvement  poétique  français  de  tS67  à  1900.  Paris,  Imprim.  Natio- 
nale, 1902,  et  Fasquello.  1903,  in-8.  —  Francis  Nautet  '  Histoire  de* 
lettres  belges  rf'ej-prp»»ion/"r(inrai.Te.  Bruxelles,  Roscz,  1892,  in-8.  — Robert 
de  Souza  :  Lm  Poésie  populaire  et  le  lyri*me  *entimental.  Pari»,  Soc.  du 
Menniie  do  France,  1899,  iu-18. 

<:.  Castelyn  :  M.  Albert  Moekel,  étude  illustrée.  La  Libre  Critique 
(Hruxelles),  11  et  18  juin  1906.  —  Charles  Delchevalerie  :  Ai.  Albert 
Mockel  {Un  livre  ri'eent).  Revue  Blanche,  mars  1892.  —  Anatole  France  : 
[Sur  Albert  Mockel].  Le  Temps,  23  septembre  1891.  —  Hubert  Krains  : 
Les  Lettres  en  llelgique.  La  Semaine  littéraire  (Genève),  16  et  23  mai  1903. 
—  Stuart  Merrill  :  Albert  Mockel.  Clartés.  La  Plume,  mars  1903.  — 
G.  Kency  :  Propos  de  littérature  :  Un  Décadent.  M.  Albert  Mockel.  L« 
Vie  intellectuelle    Bruxelles),  15  arril  1908.  —  Sainte-Claire  :  Af.  Albert 


36 


POÈTES   d'aUJOURD'htjI 


Mockd,  Gil-Blas,  7  juillet,  1902.  -  Charles  Tardleu:  -^'«ff-^  Indépen- 
dance belge.  3  août  1904.  -  Charles  van  Lerberghe  En  Italie,  la  Rou- 
loUe  (Bruxelles),  numéro  spécial  consacré  a  Ch.  van  LerWvghe,  s.  d.  (1904). 
—  Emile  Verhaeren  :  La  Renaissance  actuelle  des  lettres  en  Belgique, 
Revue  des  Revues,  juin  1896. 

Iconographie  : 

Aiinuste  Donnav  :  Portrait  d'Albert  Mockel  et  de  son  père,  fusain. 
Saton^dfblanc  et  noir^Liège).  1889  (app  à  M.  Mb.  Mockel]  -M^-  MocUel^: 
Portrait  d'Albert  Mockel,  peinture  à  l'huile  ^"^'^hev^^'/.^V^^.  î  1887 
Mockel)  -  E  Masui  :  Caricature,  pastel.  Salon  fantaisiste  (Lifege),  1887. 
_  Stuart  Merrill  :  Caricature,  au  verso  d'une  carte  de  visite  Florence, 
1901.  -  Miller  :  Portrait-charge,  1906  (app.  a  M.  Alb.  Mofkel).-  Louis 
Moreels  :  Eau-forte,  portrait  de  face,  1889  (app.  a  M.  Albert  Mockel).  - 
Armand  Rassenlosse  :  Portrait,  proOl,  crayon,  1890. 


CAR  ELLES  IGNORENT. 


Loin  dans  les  prés,  à  la  fontaine, 
une  voix  chante  à  la  verte  fontaine. 

a  Ah  vire  et  gire  et  vire  le  dé  ! 

A  fontaine  profonde,  arrivant  de  la  plaine,^ 

à  profonde  fontaine  un  gueux  j'ai  rencontré, 

et  vire,  et  gire,  et  vire  le  dé  ! 

Il  avait  haute  allure,  une  dague  à  la  gaîne 

étrange,  et  ses  façons  de  vous  dire  dondaine 

lui  donnaient  de  grands  airs  comme  d'un  capitaine 

sur  tous  les  brigands  par  lui  commandés  ; 

et  virent,  et  girent,  et  virent  les  dés  1 

Un  bleu  mantel  aux  bords  déchirés, 

(que  longue  et  triste  !  que  longue  est  la  plaine  I) 

un  bleu  mantel  aux  bords  déchirés, 

en  ses  plis  ondulants  comme  un  songe  d'aimer 

montrait  sa  ficrc  uudilé. 

—  «  Ah  triste  et  longue,  triste  est  la  plaine, 
dit-iU  —  et  de  mes  yeux,  des  larmes  vit  couler. 


ALBBRT    HOCKBL  S5 


Je  suis  triste,  ma  mie,  et  je  sens  votre  peine  ; 
ah  !  je  suis  triste  comme  !a  plaine  I 
Mon  âme  a  des  recels  de  maux  à  bien  garder, 
mon  cœur  a  des  trésors  inconnus  à  donner... 
Je  suis  triste,  ma  mie,  venez  me  consoler.  » 

(Car  longue  et  triste,  longue  est  la  plaine.) 

—  Je  ne  pourrais,  lui  dis-je.  Un  amant  désiré, 
il  s'en  fut  à  la  guerre  il  y  a  des  années 

et  l'attends  qui  viendra  du  bout  de  cette  plaine,  — 

oh  longue  et  triste  comme  ma  peine,  — 

et  qui  boira  de  ses  baisers 

tous  mes  pleurs  esseulés  coulant  à  la  fontaine.  » 

(Mais  vire  et  gire  et  vire  le  dé, 
il  n'aurait  pas  dû  s'en  aller. . .) 

—  Morne  et  sombre  est  la  triste  et  longue,  longue  plaine  I 
L'amour  d'antan,  l'ami  ne  l'a-t-il  oubliée? 

Ah  trop  longue  est  la  plaine,  il  vous  a  dédaignée. 
Ton  amant,  je  le  vis  aux  pieds  d'une  autre  reine: 
il  néglige  le  doux  délice  que  tu  mènes, 
et  ses  larmes  d'amour  pour  toi  n'ont  plus  coulé. 
Son  baiser  méprisa  ta  caresse  lontaine  ; 
selon  que  vire  et  gire  et  que  vire  le  dé 
une  autre  belle,  bien  plus  belle,  a  rencontré, 
et  boit  l'amour  rivale  à  des  lèvres  germaines... 

—  S'il  arrivait...  Sa  dague  de  haine 
d'un  baiser  rouge  viendrait  marquer 
mes  bras  fluets  déseulacés 

et  ma  bondissante  chevelure  dénouée, 

inutilement  dénouée 

sous  mes  baisers  désavoués 

pour  l'apaiser,  prier,  détourner  sa  haine... 

—  Vois  comme  longue  et  triste  est  la  plaine  ; 
viens  !  je  défaille  sous  ma  peine, 

viens  dans  nos  yeux  jumeaux  nos  âmes  contempler. 


36  poiris  d'aumukd'uui 


Vois  :  lonsrue^  vaste,  inuuense  est  la  plaine. 
S'il  arrivait...  —  nous  saurons  nous  garder. 

—  Je  l'aime  !  Je  t'aime  !  prends-moi  toute,  sois  la  carène 
qui  tranche  de  1  etrave  une  onde  aux  flots  pàniës. 

Oui,  sans  espoir  et  trop  longue  est  la  plaine  : 

Ah  !  mirons  notre  mirage  au  cristal  des  fontaines, 

et  que  vire  et  que  jjire  et  que  vire  le  dé  ! 

Viens,  je  suis  triste  ;  partage  ma  peine. 

Viens  mirer  ton  désir  à  mes  lèvres  d'aimer... 

Ah  !  >-erse  ta  langueur  aux  plis  de  mes  baisers  I  » 

(A  la  fontaine, 

au  bout  de  longue,  tL  triste,  et  longue  plaine, 

un'autre  amant  j'ai  rencontré, 

et  vire  et  gire  et  vire  le  dé  !) 

Mais,  se  dronant  sor  la  triste  plaine  : 

—  Femme  infidèle,  tu  m'as  oublié. 
C'est  moi  qui  t'appris  les  baisers, 
et  pour  aruérir  ta  longue  peiue 
j'avais  quitté  les  nobles  domaines 
où  les  ^-ents  dorment  apaisés  ; 
j'avais  passé,  pour  tes  baisers, 

la  triste  et  longue,  longue  plaine  I 

—  Ahl  beftu  sire?  Mais  vire  le  dél  » 

Soudain,  sur  mol,  sa  dague  a  levé; 

preste,  m'enfuis  à  pto'dre  haleine 

dans  les  grands  prés,  le  long  de  la  foataine. 

Mais  loi,  de  lourds  sanglots  le  vis  tout  secoué 

qui  pleurait,  maudissant  la  triste  et  longue  plaise.. 

et  je  l'aimais,  celui  qui  m'apprit  les  baisers. 

Hélas  !  il  \-it,  dans  la  fontaine, 
sous  le  trompeur  lacis  des  «TèDce 
il  vit  au  fond  de  la  fou  lai  ne 
■a  jour  qui  txiait  jours  passés. 


AliAMT    HOCKfl. 


Il  rit  son  image  adorée, 
il  rit  l'Image  délestée, 
et,  daçue  en  main,  s*v  est  jeté 
poor  tuer  l'aoïaat  préféré. 

Ah  !  me  fiit  kmçœ,  lon^e  la  plaine, 
^  revins,  sans  baisers. 
i  dans  la  fontaine, 
«i  que  Tire,  et  <{ue  gire,  et  qœ  rire  le  dél 

Pourq\ioi  m'a-i-il  tooIu  tromper  ? 
So  ^s  les  longs  vêtements  de  laine, 
aux  jpiis  du  maatel  déchiré, 
mes  lèvres  vov^ieat  les  baisai 
\xi'j  mordilla  leur  amour  vaine^. 

aJi  I  que  m'a-t-il  voulu  tromper 

viT  j'avais  reconnu  l'Aimé 

et  l'aurais  vu  du  loin  éc  la  ptos  kiogos  plaxoe  : 

J'avais  reconnu  mcâbaistfs. 

{CÂmmiefabét  «  pra  aoliie.) 


LE  LIED  DB  L'EAU  œL^RANTE 


U 


-lisse  sur  moi.  : 
>■  ue  en  ses 
:'.Ie  est  l'i;. 
el  je  sub  l'ooLOre  di.a^aaaa  de  ia 

:i  î  ..  oh  le  rêve  en  feu  qui  anf  pénètre... 
eu  héroïque  et  mon  célesle  émoi, 
vi-jL/.  :...  mais  qnand  sa  flamme  m'a  toute  envahie 
se  retire  lentement  de  moi, 
t  j'écoute  mourir  un  être  en  moa  être. 

«  Avec  ses  branches  -  i^achêcs, 

flio  es^l  belle,  la  haui  je  loasre; 

et  le  veut  la  dénude  pour  i  or  «ks  jouché<â. 


38  "OÉTES  d'aujourd'hui 


et  les  feuilles,  par  mille  et  mille  détachées 
vers  le  reflet  où  leur  chute  vacille, 
imitent,  par  jeu,  le  léger  mensonge 
d'une  aile  mêlée  à  mes  eaux. 

«  Brises,  trilles  d'oiseaux  chanteurs  qui  s'égosillent, 
tout  ce  qui  vit  et  fait  bruire  les  rameaux 
redit  la  mélodie  que  je  conte  aux  roseaux, 
et  c'est  une  musique  aérienne  qui  se  mire. 

«  O  forêt  !  ô  forêt  douce,  tu  me  convies 

aux  lents  repos  de  l'ombre  moussue  et  des  prêles, 

et  ta  ramure  s'est  étendue 

comme  une  main  qui  me  caresse  et  me  retient... 

«  Mais  je  glisse,  je  vais,  je  passe  sous  elle, 
je  glisse,  et  je  vais  mon  oublieuse  vie. 
L'âme  qui  te  mirait,  je  l'ai  déjà  perdue, 
et  mes  yeux  refermés  ne  se  rappellent  rien. 

«  Ils  sont  effacés,  les  reflets 

dont  je  fus  hier  effleurée. 

Vers  d'autres  lumières,  vers  d'autres  forêts, 

de  chute  en  chute,  en  secouant  ma  che'^efnre, 

je  glisse,  les  mains  dénouées,  les  yeux  vides, 

et  les  heures  sans  fin  meuvent  ma  de«tînée. 

«  Ombre  errante  de  rêve  en  rive, 

et  la  sœur  de  tous  ceux  que  mes  onde»  déçurent, 

insaisissable  comme  une  âme 

et,  comme  une  âme,  inhabile  à  saisir, 

j'emporte  des  bouquets  épars  de  souvanirs 

dont  l'arôme  se  meurt  en  une  sève  amère. 

«  Et  je  ne  sais  pas  où  je  suis,  qui  je  suis... 

Un  seul  être  est  vivant  sous  mes  images  fugitives, 
il  ondule  aux  replis  de  mes  lointains  détours... 
O  toi  dont  j'ai  baig^nc  les  pieds  las,  le  front  lourd, 
et  la  Cdresse  des  mains  avides. 


ALBERT   UOCREL  Sq 


—  passant  qui  m'écoutes,  mon  frère  l  — 
n'as-tu  pas  vu,  depuis  le  seuil  des  monts  déserts, 
naître  et  renaître  en  moi,  puissant  comme  l'amour, 
l'indomptable  courant  qui  me  porte  4  la  mer  ? 

—  n'as-lu  pas  vu,  force  sans  On,  rythme  éternel, 
le  désir  qui  me  meut  d'un  élan  immortel  ?  » 

{Clartés.) 

LE  DOUX  VISAGE 

Doux  visage,  où  les  pleurs  s'unissent  au  sourire  1 
Un  or  fervent,  un  or  mobile  que  les  fées 
parfilent  de  leurs  frêles  mains  pour  ta  parure, 
déroule  de  ton  front  la  chute  négligée 
des  boucles,  des  suaves  boucles  qui  s'étirent. 

Lève  tes  yeux  sous  les  longs  cils  purs, 
azur  vivant  et  mer  aux  vagues  léthéennes. 
Tout  le  ciel  en  ces  eaux  méditerranéennes 
môle  un  songe  où  la  nuit  épuise  ses  étoiles, 
et  la  voûte  immortelle  où  midi  se  consume 
dénude  ses  clartés  en  leur  flot  virginal. 

Oh  dis  !  n'est-ce  le  vol  intangible  d'une  «île 
mirée  au  vague  sous  la  fugitive  écume 
qu'elle  touche  du  bout  d'une  plume  irréelle... 
—  est-ce  la  courbe,  en  la  brise  alizée, 
que  fait  la  toile  errante  et  blanche  des  voîlicrs, 

ou  seraient-ce  les  jeux  légers  de  ta  pensée 
qui,  sur  cette  onde  où  l'aube  est  idéalisée, 
sèment  l'argent  mobile  à  la  nue  allié 
et  la  candide  transparence  des  glaciers  ?... 

{La  Flammg  immorUilt .  f 


ROBERT  DE  MONTESQUIOU 
i855 


M.  le  Comte  Robert  de  Monlesquiou-Fézensac  est  né  à  Paris  le 
19  mars  855.  Il  descend  d'une  illustre  faniille  française  qui  a  pro- 
duit des  hoinnnes  de  jîuerre  et  des  hommes  d'Etat,  an  nombre  ■les- 
quels le  Maréchal  de  Montluc,  le  Maréchal  Gaston  de  Gassion,  Ai  ta- 
gnan,  le  héros  des  Trois  Mousquetaires,  Pierre  de  Mi.niesquiou.l'un 
des  plus  fameux  maréchaux  de  Louis  XIV,  Anne-Pierre  de  Monles- 
quiou,  conquérant  de  la  Savoie,  l'abbé  de  Montesquiou,  ministre  d*! 
Louis  XVIII.  La  jeunesse  de  M.  de  Montes(juiou  fut  studieuse.  «  A 
quoi  j'ai  employé  les  années  qui  ont  précédé  la  publication  de  mes 
livres?  dit-il.  Mais  d'abord  à  former  leur  auteur,  puis  à  les  écrire.  » 
M.  de  Montesquiou,  comme  poète,  est,  en  effet,  un  résultat  de  la 
culture.  L'ordonnance  des  poèmes,  la  recherche  des  rythmes,  le  choix 
des  images  et  des  rimes  ne  sont,  dans  son  oeuvre,  que  l'expression 
d'une  esthétique  longiemps  réfléchie  et  mûrie.  La  réputation  de 
M.  de  Montesquiou  comme  chercheur  de  sensations  rares  et  amateur 
d'un  art  compliqué  et  subtil  était  établie  bien  avant  qu'il  eût  rion 
publié.  On  connaissait,  chez  les  écrivains  et  les  artistes,  ses  fantaisies 
de  raffiné,  f^cs  vers  d'une  preciosiié  étrani^e,  et  c'est  ce  renom  qui 
donna  à  J.-K.  Huysmans  l'idée  de  son  Duc  Jean  des  Esseintes,  le 
héros  de  il  Rebours.  En  1892,  M.  de  Montesquiou  fit  ses  débuts  d'é- 
crivain avei^  Les  Chauves-Souris,  recueil  de  curieux  poèmes,  ayant 
pour  sujet  le  noclurnt  dans  la  nature  et  dans  l'âme.  Le  succès  en  fut_ 
vif,  comme  furent  vives  les  critiques  que  l'ouvrage  inspira,  certains 
persistant  à  ne  vouloir  voir  en  l'auteur  qu'un  poète  de  salons.  La 
réputation  de  M.  de  Montesquiou  s'affermit  de  toutes  ces  contraciic- 
lions.  11  publia  ensuite  Le  Chef  des  Odeurs  suaves,  «  poème  dont  Ica 
fleurs  et  les  parfums  jçroupés  en  symboles  forment  le  sujet  varié  », 
Le  Parcours  du  Rêve  nu  Souvenir,  «  multiples  feuillets  recueillis  au 
lonfî  de  ses  voyages  r,  Les  Hortensias  bleus,  «  qui  représentent  la  vue 
eu  bleu,  ù  savoir  un  peu  plus  mélancolique,  de  celle  vie  que  d'autre» 


ROBEnr    DB    MONTESQUIOU  4l 


Toiont  pn  rose  »,  Les  Perles  Rott<jes,  rpcneil  de  qi]ntr<»-vir>«;t-lreize 
Koiuicts  sur  Versailles,  Les  l'nons,  «  poème»'  Hotii  les  pierreries  et 
Jeiirs  correspopifiances  forment  le  sujet  »  et  Lex  Prières  de  loua.  Oa 
doit  énalemenl  à  M.  de  Montcsqiiioii  qtiaJre  volumes  «ie  prose  :  Fio- 
seaucc  /lansanls  et  Aulda  priinléfiés,  dans  lesrpiels  il  s'est  plu  à, 
évoquer  des  physionomies  d'artistes  et  d'écrivains  oubliés  oti  mécon- 
nus, et  Professionnelles  Beautés  et  A  liesses  Sérénissiines,  recueil» 
de  divers  essais.  Dans  l'un  de  ces  volumes,  M.  de  Monlesqiiiou  a 
notamment  réimprimé  en  partie  le  texte  d'nn  petit  livre  :  Félicité, 
qti'il  écrivit  autrefois  sur  Af.irceline  Deshordes-Valmore.  Te  «'rst 
pas  un  de  ses  moiiiart-s  titres  connue  écrivain  que  d'avoir  ainsi  con- 
tribué par  ses  livres,  par  ses  conu-rences  et  par  sa  parlicijiation  aux 
fêtes  de  Douai,  en  1896,  à  la  résurrection  littéraire  de  celte  femme 
cliarmante. 

M.  de  Montesquieu  a  collaboré  à  de  nombreux  périodiques,  eplre 
autres  Za  Reinie  Illustrée  (i"  juin  1894-1"'  niai  189(1);  Revue 
Franco-Américains  (juin  iSy;"));  Revue  des  Deux-Mondes, lievue  de 
/'«/•«s  (1890-18(16)  ;  Nouvelle    Revue   (i"  février  189G,    i5  octobre 

1898,  i5  mai    18991;  Gusette  des  Beniur-Arts  (i"  septembre   1894, 

1899.  I"  février  1900};  Les  Mndes ;  Figaro  illustré  (ocUtbre  1899); 
Monde  illustre;  La  Vogue  (nouvelle  série,  juin  1899);  Rf vue  ency- 
clopédique ;  Publications  Lnfjitte,  Revue  félibréenne.  Renaissance 
latine,  Les  Arts  de  la  Vie, L'Art  et  les  Artistes,  Le  Journal,  etc. Il 
Collabore  actuellement  au  Figaro,  au  Gaulois  et  «u  Gil  DIus,  où  il 
donne  des  articles  inspirés  par  les  sujets  les  plus  divers  d'esthétique 
et  de  sociologie,  fournissant  ainsi  sa  part  de  documents,  pour  l'ave- 
nir, sur  les  gens  et  les  choses  d'aujourd'hui. 

Bibliographie  : 

Lk3  cKuvnE».  —  Les  Chanves-Sonris,  pofcmes.  Paris,  Richard,  1892, 
in- 18  (édition  lirfe  à  100  ex.  sur  liollainlc  Van  Goliier  h  lilisranc).  (Réimpr.  : 
Li'.s  ('liatives-Souris,  poèmes,  prt^cédés  <i'une  lettre  dp  Locontc  do  Lisle.  i'aris, 
Kicliard,  1893,  in-t6  ;  Les  Chawes^ourt.i,  fd.  ovnio  do  trois  croquis  de 
(^hiiuvPS-Souris,  par  MM.  Forain,  Antonio  de  la  Gandara  cl  Wliisller.  Paris, 
Richard,  1893,  in-*,  à  trois  ceuts  exenipl.  ;  Lr.i  Chaiives-Soitri.i,  éd.  définitive, 
Paris,  Ricliard,  1907,  y:r.  in-8.  —  FéllellA,  i''ludc  sur  la  Poôsie  de  Maroelino 
DosbordfiS-Valmore,  suivie  d'un  essai  de  cla^sidcation  de  ses  inoliTs  d'inspira- 
tion.  Paris,  Leun-rro,  1894,  in-18.  —  Le  Chef  des  odeurs  suaves,  poOnics. 
Paria,  Richard,  1894,  in-18.  (IWimpr.  ;  Le  Chef  n'es  odeurs  suaves,  couverture 
ornée  de  lu  reproduction  d'un  taldeau  de  fleurs  par  Breugiiel.  Paris,  Richard, 
1894,  iii-8).  —  Le  Parcours  du  Hève  au  souvenir,  potnies.  Paris,  Fas- 
qiiolle,  1895,  in-18.  —  Les  Hortensias  hleus,  po6mf?s.  Paris,  Fasqtipjle, 
1896,  in-18.  (I.i-s  exemplaires  do  luxe  de  celle  édition  ()ortcnl  une  couvorlure 
oruéo  d'une  eau-forte  d'IIclleu.)  Le  même,  M.  définitive,  avec  un  portrait  de 
^aut^ur,  d'.iprfts  une  peinture  de  I^aszlô.  Paris,  Richard,  1906,  gr.  in-8.  — 
Roseaux  Pensants,  prose.  Paris,  Fasqucllo,  1897,  in-18,  —  Apollon  nnx 


4>  POÈTES  d'aujourd'hui 


lanternes  {Versailles).  Paris,  Aux  bureaux  de  la  «  Nouvelle  Revue  »,  1898, 
in-8.  —  Autels  privilégiés,  prose.  Paris,  Fasquelle,  1899,  in-18.  —  Les 
Perles  llouges,  quatre-viugt- treize  sonnets.  Paris,  Fasquelle,1899,  in-18.  ie 
même,  illustré  de  quatre  eaux-forles  dcAlb.  Besnard.  Paris,  Fasquelle,  1899, 
iu-8).  —  Pays  des  aromates,  Commentaire  descriptif  d'une  collect.  d'ob- 
jets relatifs  aux  parfums,  suivi  d'une  nomenclature  des  pièces  qui  la  com- 
posent, ainsi  que  du  cataloyue  d'une  bibliothèque  attenante,  orné  d'un 
portrait.  Paris,  Floury,  1000,  in-8.  —  Les  Paons,  pofcmes,  couvert,  de 
Lalique.  Paris,  Fasquelle,  1901,  in-18.  —  Prières  de  tous,  huit  dizaines 
d'un  chapelet  rythmique,  dessins  de  M™"  Madeleine  Lemaire.  Paris,  Maison  du 
Livre,  1902,  in-8.  —  Musée  rétrospectil  de  la  classe  90,  parfumerie 
(Matières  premières,  matériel,  procédés  et  produits)  à  l'Expos.  univers, 
internat,  de  190O,  etc.  Rapport  de  M.  le  comte  Robert  de  Montesquieu. 
Saint-Cloud,  Imprim.  Belin  fr.,  1903,  gr.  in-8,  fig.  —  Professionnelles 
beautés,  prose.  Paris,  Juven,  1903,  in-18.  —  Altesses  Sérénissimes. 
prose.  Paris,  Juven,  1907,  iu-18. 

Prôface.  —  John  VV.  Harding  :  La  Porte  du  baiser,  trad.  de  l'anglais, 
par  Frédéric  Boutet.  Paris,  Carringtou,  1904,  in-18. 

En  puÉpAiiATioN.  —  Chants  de  Cygnes,  poèmes.  —  Les  Turquoises 
Mortes,  «  un  poème  complémentaire  des  précédents  et  dans  lequel  sera  de 
nouveau  abordé  chacun  de  leurs  sujets  ».  —  Les  Quarante  Bergères 
recueil  de  portraits  satiriques,  et*|Passiflora,  un  court  poème  qui  retrace, 
poétiquement  le  «  pathétique  récit  des  derniers  jours  d'une  jeune  Dame 
Amie  ».  Nouveaux  recueils  d'Essais  presque  entièrement  terminés  :  Assem* 
blée  de  Notables,  Deux  Triptyques,  Tiares  et  Diadèmes. 

M.  de  Monfesquiou  fait  imprimer  un  Livre  sur  l'Amitié,  qui  lui  est  in»- 
piré  par  la  perte  du  compagnon  de  ses  travaux  et  de  sa  vie. 

Il  rédige  aussi  des  Mémoires,  qui  paraîtront  sous  le  titre  de  Mnémo- 
syne. 

Enfin,  en  cours  de  publication,  la  réimpression  transformée  des  sept  poèmes 
déjà  édités.  Les  deux  premiers  volumes  de  cette  réimpression  ont  paru  Paris 
chez  Richard,  l'un  en  1906  et  l'autre  en  1907.  (Voyez  Les  Hortensias  bleus  et 
Les  Chauves-Souris). 

Poèmes  mis  en  musique.  —  Les  Chauves-touris,  six  mélodies  de  M.  Léon 
Dclafosse  sur  des  poésies  de  M.  R.  de  Montesquieu.  Paris,  llougel,  1895,  gr. 
in-8  ;  Quintette  de  fleurs,  poésie  de  M.  R.  de  Montesquieu,  musique  de 
M.  Léon  Delafossc.  Paris,  Heugel,  1897,  Tn-fol., etc. 

A  coNsui-TEn.  —  Paul  Acker  :  Petites  confessions.  Visites  et  portraiêt 
Paris,  Fontemoing,  1903,  in-8.  —  Adolphe  Brisson  :  La  Comédie  lit- 
téraire. Paris,  A.  Colin,  1895,  in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre 
des  Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —  V.  Thom- 
pson :  French  Portraits  (Seing  appréciations  of  the  toriters  of  Youny 
France),  Boston,  Richard,  G.  Badge  et  C",  1900,  iu-8. 

Henry  Rataille  :  Jiobert  de  Montesquiou.  La  Vogue  (nouvelle  série), 
15  juillet  1899.—  F.  Coppée  :  Poètes.  Journal,  4  juiu  1896.—  Gaston  Des- 
champs :  Jeux  Floraux.  Le  Temps,  21  janvier  1894.  —  Anatole  France  : 
Le  comte  Robert  de  Montesquiou.  Le  Temps,  13  novembre  1892.  —  Louis 
Ganderax  :  Un  Poète.  Gaulois,  17  août  1892.  —  Pierre  Loti  :  Le  Chemin 
de  Damas  d'un  Poète.  Figaro,  13  février  1907.  —  Oct.  Mirbcan  :  Le$ 
Chauves-Souris.    Figaro,    16   octobre    1891.  —    Georyes  Uodenbach  : 


HOBERT   DE   MONTESQUIOU  43 


Un  Gentilhomme  de  Lattrci.  Fifraro,  6  juillet  1802.  —Paul  Verlaine  :  A 

propos  (le  Dcsbordcs- Valvwre .  Fif;aio,  8  août  1894;  Le  Parcours  du  Itêve 
au  Souvenir.  Gil  Blas,  21  juillet  1805. 

Iconographie  : 

Basticn-Lcpa{]o  :  Dessin  (Coroln  Voiury).  —  Buldini  :  Portrait  d  l'huile 
(Expos,  do  la  Soc.  nntioimlo  dos  Hcaïu-Arls,  1898).  —  Lucien  Donect  : 
Portrait  yrandeur  nalurc,  à  l'huile,  t.ST'J  (.-^aloii  dos  Artistes  Fiauçais,  1879, 
puis  Exposition  Univcrsoilc,  1889).  —  A.  tlo  la  liaiitlara  :  Dessin  (Exposi- 
tion de  la  SocitHû  nationale  des  Beaux-arts,  1894).  —  Laszlô  :  Portrait  d 
l'huile,  liWG,  rcprod.  en  lùte  do  l'éd.  des  Hortensias  bleus,  publiée  en  1906. 
—  F.  Vallottoii  :  Masque,  1896,  dans  Le  Livre  des  Masques,  do  R.  do 
Gourmont.  Taris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1890.  —  Whistlcr  :  Portrait 
en  pied,  d  t'huile  (Kxposiliou  de  la  Sociétù  nationale  des  licaux-Arts,  1894), 
rcproducl.  dans  La  Jtevue  Illustrée, du  i"  août  1894.—  Autre»  portraits  pri- 
T.l's  :  Anlouio  do  la  Gandara  :  Dessin  (1894)  ;  Claudius  l'opelin  :  Email.  Albert 
Bnsnard  :  Eau- forte,  1899  (dcslinôe  à  la  1"  édition  des  Perles  Bouges); 
Holleu  :  Pointe  sèche,  eCc.  —  Albums  do  Henry  Bataille,  de  Sera,  de  Cap- 
piello,  de  Rouveyre  et  de  Cir. 


xMONSTRANCES 

. . .  puis  elle  cria  :  abricots,  pêches, 
pavis,  brugnons, cerises, prunes, poires, 
bigarreaux,  melons,  muscats,  pommes, 
oranges,  citrons,  groseilles,  fraises, 
framboises,  accoures  à  ma  voix... 

AULNOY. 

Les  étoiles  sont  peu  visibles  dans  les  villes, 
AlJcbaraa  clignote,  Arcture  est  partiel  ; 
Les  falots  rougeoyants  de  nos  lanternes  viles 
Eclipsent  la  splendeur  maternelle  du  ciel. 

L'endroit  de  contempler  est  la  campagne  sainte. 
Custode  du  regard  solitaire  et  sans  bruits. 
Où,  dans  le  cadre  obscur  de  la  rurale  enceinte, 
Les  vergers  constellés  tendent  leurs  brûlants  fruits. 

Leurs  grappes  de  clartés,  leurs  pulpes  de  lumière. 
Raisins  mystérieux,  pêches  du  verger  pur, 
Dont  la  vendange  prête  et  la  cueillette  altière 
Tirent  la  soif  du  cœur  vers  l'ivresse  d'azur. 


44  POÈTES   d'aujourd'hui 


Sûr  lieu  de  savourer  les  récoltes  profondes, 

De  moisson  éternelle,  et  de  goûter  les  sucs 

Du  berceau  radieux  de  la  treille  des  mondes 

Dont  les  pampres  flambants  ne  sont  jamais  caducs. 

Vrai  seuil  du  rendez-vous  des  astres  et  des  âmes. 
Quand  l'œillade  s'échange  entre  l'homme  et  les  cieux, 
Où  l'espalier  divin  à  des  treilles  de  flammes 
Dont  les  feux  sont  des  pleurs  et  les  grains  sont  des  yeux. 

{Les  Cliauves-Sourii.) 

LE  COUCHER  DE  LA  MORTE 

//  n';/  avait  point  de  jour  oà 
elle  ne  reçut  à  sa  coar  sept  nu 
huit  mille  sonnets,  autant  d'élé- 
gies, de  madrigaux  et  de  chan- 
sons, qui  étaient  envoyés  par 
tous  les  poètes  de  l'univers. 
Toute  Belle  était  l'objet  de  la 
prose  et  de  la  poésie  des  auteurs 
de  son  temps... 

LE  NAIN  JAUNE. 

Un  jour  qu'elle  sentit  que  son  cœur  était  las. 
Voyant  qu'il  lui  faudrait  mourir  à  cette  peine, 
Elle  fit  travailler  une  bière  d'ébène. 
Et  disposer  au  fond  de  riches  matelas. 

Pour  qu'ils  fussent  moelleux,  elle  les  fît  emplir 
De  tous  les  billets  doux  dont  on  l'avait  lassée  ; 
Dans  la  chambre  on  les  fait  apporter  par  brassée, 
Et  bientôt  le  tapis  s'en  voit  ensevelir. 

Longtemps  on  en  bourra  les  coussins  de  linon  ; 
Sans  trêve  on  les  tassa  dans  les  grands  sacs  d'étoffe  ; 
Parfois  on  voyait  luire,  au  passage^  des  strophes, 
Parfois,  à  la  volée,  on  démêlait  un  nom. 

Mais  quand  elle  se  fut  de  ce  geste  acquittée, 

La  Belle  fut  plus  calme,  en  songeant,  que,  ce  jour. 


nOBSnT    DR   MONTBSQUIOU  4^ 


Elle  mirait,  pour  dormir  sa  dernière  nuitée, 
Uu  lil,  iiarmonieux  de  murmures  d'amour. 


Or,  qiiand  elle  fut  morte,  et,  sous  la  planche  sombre, 

Lorsqu'on  l'eut  mise  au  lit  de  son  cercueil  soyeux. 

Elle  entendit  vibrer  un  cliquetis  joyeux, 

Comme  un  bruit  de  rameaux  dans  un  sentier  plein  d'ombre. 

On  eût  dit  un  baiser  de  brise  très  lé|afer 
Sur  les  iVuilles  du  tremble  aux  ramures  peureuses  ; 
Un  lonsç  chuchotement  de  choses  langoureuses 
Que  parfois  des  sanglots  paraissaient  arpéger, 

Modulant  des  aveux,  des  larmes,  des  prières, 
Des  adi)rations,  des  imprécations. 
Qui  passaionl  sur  le  champ  lointain  des  passions. 
Tels  qu'un  soupir  du  vent  sur  les  roses  bruyères. 

Et  c'étaient  les  espoirs  et  les  désirs  d'un  jour 
Qui  reprenaient  de  loin  leur  tendresse  finie 
Pour  tramer  à  la  morte  un  lil  de  symphonie, 
Un  glas  délicieux,  De  Profanais  d'amour  l 


Et  quand  les  ërudits  et  les  archéologues 
Ouvrirent  le  tombeau  de  cefte  Tahoser, 
Ce  qu'ils  virent  fut  propre  à  leur  faire  poser 
L'air  expérimenté  de  leurs  allures  rogues  : 

La  Morte,  par  mille  ans  de  ténèbre  arrosée, 
Dormait  sans  une  atteinte  et  sans  une  doulr^iir  ; 
En  sa  couche  d'amour  on  eût  dit  une  fleur 
Que  de  loin  vivifie  une  ancienne  rosée. 

D'un  effluve  d'extase  éternelle  embaumée. 
Sur  un  lapis  de  mousse,  immarcessible  lys, 
Elle  était,  sur  le  bord  de  ses  rêves  pâlis. 
Celle  qui  ne  meurt  point,  tant  elle  fut  aimée  I 


46  POÈTES  d'aujourd'hui 

Mais  quand  du  divin  socle  ils  la  firent  descendre. 

Pour  chercher  du  secret  l'invisible  filon, 

Ce  qui  reste  du  vol  saisi  d'un  papillon 

Leur  filtra  dans  la  main,  en  lumineuse  cendre. 

at  août...  83  (Les  Chaaves- Souris.) 

LUCIFERS 

Les  étoiles  des  lys  ont  éclairé  la  plaine... 
Les  pétales  de  l'astre  ont  éclos  dans  la  nuit  ; 
De  constellations  de  fleurs  la  route  est  pleine, 
Et  de  moissons  de  feux  la  voûte  brille  et  luit. 

Les  anges  ont  baissé  leurs  yeux  sur  les  prairies, 
Les  hommes  ont  levé  leurs  yeux  vers  les  azurs  ; 
Et  l'échange  s'est  vu  des  blanches  confréries 
De  l'étoile  éthérée  et  du  pétale  pur. 

Les  pétales  se  sont  envolés  vers  les  voûtes... 
Les  étoiles  se  sont  éprises  des  humains... 
Et  des  anges  aux  cieux  se  sont  trompés  de  routes. 
Et  des  hommes  en  bas  ont  trouvé  leurs  chemins. 

(Le  Chef  des  Odeurs  tuavet.) 

MORTUIS  IGNOTIS 

Le  jour  des  morts,  chacun  apporte  une  couronne 
A  des  parents  partis,  à  des  amis  défunts  ; 
La  grille  du  tombeau  de  roses  s'environne 
Ce  ne  sont  que  lauriers,  guirlandes  et  parfums. 

Vers  des  seuils  définis  tous  les   pas  se  dirigent, 
Des  prénoms  sont  tracés  dans  les  bandeaux  fleuris  ; 
Et  les  stèles  qui  dans  les  frais  enclos  s'érigent. 
Pour  celui-ci,  pour  celle-là,  s'ornent  d'iris. 

Les  regrets  sont  touchants  de  ces  douleurs  nomméeei 
Mais  se  sentir  vraiment  pleurer  sur  les  os  froid;; 


ROBERT  DS   II0NTS8QUI0O  4? 


De  ceux  qu'on  a  chéris,  rend  presque  parfumées 
Les  larmes  qu'on  prodigue  à  leurs  cercueils  étroits. 

Les  vrais  désespérés  sont  ceux  qui  s'acheminent 
Sans  but  et  sans  savoir  où  poser  leurs  cyprès  ; 
Ceux  dont  les  morts  perdus  sous  terre  récriminent 
Contre  l'anonymat  des  pleurs  et  des  regrets. 

Pour  ceux-là  le  champ  noir  a  réservé  son  cippe 
Qui  se  dresse  à  son  centre  énîgmatique  et  beau, 
Le  plus  mystérieux  de  tout  ce  municipe, 
La  tombe  de  tous  ceux  qui  n'ont  pas  de  tombeau  1 

Le  lieu  de  ralliement  des  malheurs  sans  boussole  ; 
Le  phare  des  chagrins  où  le  deuil  atterrit 
De  ceux  dont  le  veuvage  au  hasard  se  désole 
Et  qui  n'ont  point  de  dalle  où  célébrer  leur  rît. 

J'y  vois  se  rassembler  de  modernes  Electres, 
Dont  les  libations  s'adressent  aux  lointains  ; 
Et  j'y  sens  affluer  des  reserves  de  spectres 
Dont,  en  des  pays  morts,  les  yeux  se  sont  éteints. 

Et  rien  ne  me  saisit  à  l'égal  de  ces  vagues 
De  fleurs  qu'on  jette  là,  sans  nom,  aux  morts  sans  noms  ; 
De  ces  rubans  unis  où  s'attachent  des  bagues. 
Chagrins  dépareillés,  mystérieux  chaînons 

Reliant  à  travers  les  mers  et  par  l'espace, 
Le  survivant  fidèle,  aux  restes  exiles 
Des  absents  dont  l'amour  se  rapatrie  et  passe. 
Ce  jour-là,  dans  les  cœurs  qui  les  ont  rappelés.' 

Et  tout  me  semble  étroit  des  concessions  vaines, 
Des  perpétuités  orgueilleuses,  des  mots 
Et  des  litres  gravés  dans  les  marbres  aux  veines 
S'entrecroîsant  avec  des  ors  et  des  énAux, 

Lorsque  je  songe  à  ceux  dont  les  géantes  tombes 
Sont  les  glaciers,  les  océnns,  l-"*  înfînis 


poèTBs  d'aujourd'hui 


Où  viennent  sanjçloter  les  désespoirs  des  trombes 
Sous  la  rose  des  vents  pour  rosaires  bénits  ! 

(F^es  Hortensias  Bleus.  Fasquelle.) 

SOUS  LES  VILLOSITÉS  VIOLETTES... 

Sous  les  villosités  violettes  des  tartres 
Les  blancs  Olympiens  ont  pris  des  tons  caducs. 
Et,  des  arbres  sans  sève,  et  des  plantes  sans  sucs 
L'automne  qui  descend  les  vêt  comme  de  martres. 

L'ombre  et  la  vétusté  les  rouillent  de  leurs  dartres, 
Ces  dieux  à  qui  les  rois  voulaient  des  airs  de  ducs; 
Et  le  soleil  mourant  qui  fuse  sur,  les  stucs, 
Y  verse  les  joyaux  des  verrières  de  Chartres. 

Le  Ciel  est  tout  en  fleurs,  l'occident  tout  en  fruits; 
On  dirait  des  éclairs  forjçés  avec  des  bruits, 
Des  bouches  de  clairons  et  des  rayons  d'épées. 

L'horizon  est  vraiment  historique  ce  soir... 

Car  dans  le  panier  d'or  du  couchant  on  croit  voir 

Tomber  des  grains  saignants  faits  de  têtes  coupées  ! 

(Lts  Perles  Rouges.  Fasquelle.) 

SRRVANTE-MAITRESSE 

Cette  veuve  de  l'Astre  a  l'aspect  de  la  Lune  : 
De  Phébus,  fait  ermite,  elle  est  épouse  et  sœur  ; 
C'est  par  l'apothicaire,  et  par  le  confesseur. 
Qu'elle  assoit  son  crédit,  et  fonde  sa  fortune. 

Elle  mène  de  front  l'extase  et  la  rancune  ; 
Nul  pot-aux-roses  n'a  pour  elle  de  rancœur  : 
Elle  est  religieuse,  et  psalmodie  au  chœur; 
Elle  est  aussi  caillette,  et  baisotte  à  la  brune. 

Ceinte  de  lis  bâtards  et  de  prude  oranger, 


ROBERT    DR    MONTR^IQTnOO  49 


Elle  atteint  de  sa  grifTe  et  garde  sous  sa  patte 
Les  ciels  du  garde-meuble  et  du  garde-mauger. 

Klle  ne  sait  plus  rien  de  l'ancien  cul-de-jatte; 
ICile  elcoute  lea  vers  (pie  Hacino  lui  lit... 
El  le  Soleil  Couchant  se  couche  dans  son  lit. 

{Les  Perles liouget.  Fasqoelle.) 

LIS  ROSE 

Antoinette  est  an  h's  qne  l'on  fauche  debout. 
Perles  dont  les  rubis  inlenornpenl  la  lisfue, 
La  blancheur  est  son  lot,  la  rougeur  la  désigne  ; 
Une  rose  de  France  orne  son  marabout. 

Le  lait  de  Trianon  s'empourpre  à  l'autre  bout. 
La  Reine  voit  la  Mort  —  'a  iJergère  se  signe  ; 
Et  la  femme  au  calice  en  fiel  lé  se  résigne... 
Le  lait  se  caille,  le  pleur  coule,  le  sang  bout. 

Saint  Denys,  devançant  ton  martyre,  y  supplée: 
11  porte  dans  ses  mains  sa  tt^te  décollée. 
Et,  dans  sa  basilique,  aurait  pu  l'accueillir, 

O  Toi  qui,  dans  tes  mains,  portes  aussi  ta  ti*te, 
Rose  et  lis  iransfoi-nii-s  en  un  bouquet  de  fête. 
Et  que  sur  l'ëchafaud  un  Ange  vient  cueillir  ! 

{Les  Perles  Rouges.  Fasijnclle.) 

LOUIS  DIX-SEPT 

Le  plus  pur  des  Bourbons  est  un  orphelin  hlôme. 
Tendre  Dauphin  biovi",  l'Enfant  Louis  bix-Sept 
Humanise  en  ses  traits  l'Enfant  de  Nazareth, 
Fils  de  dieux  et  de  rois  qu'adopte  Dieu  lui-môme  I 

Des  épines,  au  front,  lui  font  un  diadème; 

Le  miracle  embaumé  de  S.iinle  Elisabeth 

En  ses  bras  torturés  a  rt'jailli  plus  net  ; 

Les  lis  de  son  manteau  lui  servent  seuls  de  chrême. 


5o  poèxES  d'aujourd'hui 

Il  porte  un  sceptre  en  fleurs,  d'un  air  de  Séraphin  ; 

Son  décès  discuté  le  Fait  vivre  sans  fin  ; 

Son  sort,  qui  semblait  dur,  un  mystère  l'élide. 

Son  trépas,  à  jamais,  demeure  partiel. 

C'est  comme  un  Papillon  qui  fuit  sa  chrysalide. 

Et  dont  le  doux  vol  bleu  se  fond  avec  le  Ciel. 

{Les  Perles  Rouffes.  Fasquelle.) 

MON  CŒUR 

Mon  Cœur  est  un  Lieu  sûr,  tutélaire  et  profond  ; 
Pas  un  seul  souvenir  ne  s'y  fane,  ou  confond  ; 
J'en  ai  de  plus  anciens  que  ma  mémoire  même, 
Car,  avant  de  penser,  on  sent  très  bien  qu'on  aime. 

Mon  Cœur  est  un  Jardin,  plein  de  rosiers  meurtris. 

Comme,  éternellement,  ils  paraissent  fleuris, 

On  vient  pour  respirer  leurs  parfums  qui  s'imprègnent... 

—  C'est  alors,  seulement,  qu'on  s'aperçoit  qu'ils  saignent. 

Mon  Cœur  est  un  Calice,  où  l'effort  des  douleurs 
Longuement  exprima  l'amertume  des  pleurs  ; 
Et  quiconque  appuierait  sa  lèvre  à  ce  ciboire 
Se  sentirait  brûler,  rien  que  d'oser  y  boire. 

Mon  Cœur  est  un  Asile,  où  Ce  qui  n'a  plus  rien 
Rencontre  une  richesse  ;  où  retrouvent  leur  bien 
Ceux  qui  l'avaient  laissé  se  déperdre,  et  répandre... 

—  C'est  pour  ceux-là,  surtout,  qu'il  sait  se  montrer  tendre. 

Mon  Cœur  est  un  Palais  superbe  et  désolé 
Où  le  pas  du  regret  qu'on  n'a  point  consolé 
S'éloigne  lentement  en  mêlant  sur  les  dalles. 
Le  rythme  des  sanglots,  et  le  bruit  des  sandales. 

Mon  Cœur  est  un  Parvis,  où  sont  agenouillés 
Et,  les  regards  ardents,  au  bord  des  yeux  mouillés, 
Dans  une  face,  ensemble,  et  brûlante,  et  pAlie, 
Le  bienfait  qu'on  déçoit,  le  pardon  qu'on  oublie,    . 


ROBERT   DK   MONTESQUIOU 


Mon  Cœur  est  un  Sommet  solitaire  et  pareil 
A  ces  fidèles  monts,  qui  g'ardent  du  soleil, 
Môme  après  qu'il  a  fui,  laissant  le  Ciel  sans  ûrae; 
Et,  jusque  dans  la  Mort,  il  portera  ma  flammeJ 

Mon  Cœur  est  un  Abîme,  où  le  Passé  voilé. 
Quand  il  veut  y  mirer  son  visage  étoile, 
Trouve  toujours  un  peu  d'eau  limpide  et  cachée^ 
Afin  d'y  reilâlersa  figure penchtie. 


JEAN  MORÉAS 
i856-if)io 


J<!an  Aforéas  clail  né  à  Athènes  le  i5  avril  i856.  Il  descendait  de 
deux  grandes  familles  de  la  Grèce.  Son  aïeul  paternel,  Papadiaman- 
toponlos  ion  sait  qrie  Mors'as  était  un  pseudonyme),  mourut  hé- 
roïquement au  siège  de  Missolonghi.  Son  aïeul  maternel,  Tombazis, 
s'illustra  on  brûlant,  comme  Canaris,  les  flottes  turques.  La  liio- 
graphie.  Didnl  donne  sur  les  Tombazis  des  articles  très  circonstan- 
ciés. Le -père  de  Jean  Moréas,  qui  vivait  encore  en  1908,  fort  âgé, 
était  un  jurisconsulte  renommé  à  Alhènes.  Il  fit  longtemps  auto- 
rité à  la  Cour  de  Cassation,  comme  Procureur  général.  Plusienr* 
parents  du  poète  brillèrent  ou  brillent  encore  aujourd'hui  au  pre- 
mier rang  dans  l'armée  et  dans  le  parlement  helléniques.  L'éduca- 
tion de  Jean  Moréas,  qui  fit  ses  études  à  Athènes,  fut  toute  fran- 
çaise. Il  l'a  expliqué  lui-même  à  un  rédacteur  du  Temps  :  «  J'ai 
eu  pour  gourernante  une  femme  de  goût,  très  instruite,  la  tante  de 
M.  Dumény,  l'acteur  connu.  C'est  avec  vos  poètes  que  j'ai  passé  l'-s 
moments  les  plus  agréables  de  ma  première  jeunesse,  je  les  lisais 
sans  trêve,  je  n'avais  pas  encore  atteint  ma  dixième  année  que  je 
m'étais  déjà  promis  de  chanter  comme  eux  sur  une  lyre  française. 
Les  dieux  ont  exaucé  mes  vœux.  Lorsque,  au  lendemain  de  la, 
guerre,  je  quittai  mon  pays  pour  venir  en  France,  je  laissai  à 
Athènes  une  bibliothèque  de  deux  mille  volumes,  œuvres  de  pres- 
que tous  les  poètes  de  la  Renaissance  et  de  nos  meilleurs  classi- 
ques. A  Paris,  je  suivis  vaguement  les  cours  de  l'Ecole  de  droit  ; 
mon  père,  élève  de  Savigny,  me  destinait  à  la  magistrature.  Mais 
je  m'abandonnai  au  démon  de  la  poésie  et  fréquentai  les  cercles 
artistiques  et  littéraires  du  quartier  Latin,  entre  autres  les  fameux 
Hydropathes.  11  faut  que  jeunesse  se  passe.  Les  bords  de  la  Seine 
m'avaient  conquis  au  point  que  je  ne  pus  vivre  à  Athènes,  à  mon 
retour  chez  les  miens,  après  trois  ans  de  séjour  ici.  Je  revins  à  la 
hâte  me  fixer  à  Paris,  et  de  vingt  ans  je  n'ai  plus  revu  la  Grèce. 
Mon  dernier  voyage  remonte  à  1897,  au  mom'ent  de  la  guerre  con- 


JIAN   MOKÀAH  53 

Uc  la  Turquie.  ^  Auparavant,  Jean  Moréas  avait  visité  Francfort, 
Hci(i(';ll)crg,  Sliiltpiir.i.  Gi  nèvc,  le  Rliin  et  l'Ilalie,  Jean  Moréas 
débuta  en  i88a  à  /.a  Noui'tille  fiive  Unurhi-,  petit  journal  qui  «prit 
dans  la  suite  le  nom  de  Lulèce  (fi  avril  i883)  el  il  publia  sa  première 
CBUvre  :  Let  St/rlc»,  en  décembre  188/4.  I/influence  de  Baudelaire 
et  de  Verlaine  se  retrouvait  dans  ces  poèmes,  mais  quelque  chose 
aussi  de  très  personnel  dans  la  nouveauté  des  rythmes  cl  des  nota- 
tions. Les  Si/rifs  lurent  suivies  en  1886  d'un  nouveau  recueil  :  f^s 
Canlilènes.  On  était  alors  au  début  du  mouvement  symboliste,  et 
Jean  Moréas,  qui  en  éiail  l'un  des  chefs,  publia  dans  le  Supplé- 
ment du  Fi  y  aro  i  18  septembre  188G)  un  manifeste  assez  retentis- 
fant,  dans  letjuel  il  fornuilail  l'eslbélique  de  la  nouvelle  école  poéti- 
que et  prenait  sa  défense,  y  montrant,  au  dire  de  M.  Anatole 
France,  «  plus  de  curiosité  d'art  et  de  forme  que  d'esprit  ciitique 
et  de  philosophie  ».  En  1891,  Jean  Moréas  publia  Le  Pèlerin  pas- 
sionné, l'ouvrage  qui  établit  solidement  sa  réputation  de  poète  A 
cette  époque,  il  venait  Me  fonder  Tlicole  Romane,  ayant  pour  dis- 
ciples MM.  Maurice  du  Plessys,  M.  Raymond  de  La  Tailhède, 
ftl.  Ernest  Raynaud  el  M.  Charles  Maurras,  et  les  poèmes  du  Pèle- 
rin passionné  étaient  précédés  d'un  nouveau  manifeste  dans  lequel 
Jean  Moréas  tentait  une  justification  des  audaces  de  son  groupe. 
Poèmes  el  manifeste  furent  loin  de  passer  inaperçus  de  la  critique. 
«  Il  (Jean  Moréas)  est  nourri  de  nos  vieux  romans  de  chevalerie, 
écrivit  à  ce  sujet  M.  Anatole  France,  alors  critique  littéraire  au 
Ttmps,  et  il  semble  ne  vouloir  connaître  les  dieux  de  la  Grèce  an- 
tique que  sous  les  formes  alfinées  qu'ils  prirent  sur  les  bords  de  la 
Seine  et  de  la  Loire,  au  temps  où  brillait  la  Pléiade.  Il  fut  élevé  à 
Marseille  et,  sans  doute,  il  ranime,  en  les  transformant,  les  premiers 
souvenirs  de  son  enfance  quand  il  nous  peint,  dans  le  poème  initial 
du  Pèlerin  passionné,  un  port  du  Levant,  tout  à  fait  dans  le  goût 
-•  marines  de  Vernet  et  où  l'on  voit  «  de  grands  vieillards  qui  tra- 
.lent  aux  felouques,  le  long  des  môles  et  des  quais.  Mais 
jviarseille,  colonie  grecque  et  port  du  Levant,  ce  n'était  pas  encore 
pour  .M.Jean  Moréas  la  patrie  adoplive,  la  terre  d'élection.  Son  vrai 
■pays  d'esprit  est  plus  au  nord;  il  commence  là  où  l'on  voit  des  ar- 
doises bleues  sous  un  ciel  d'un  gris  tendre  et  où  s'élèvent  ces  joyaux 
de  pierreries  sur  lesquels  la  Renaissance  a  mis  des  figures  symboli- 
ques et  des  devises  subtiles.  M.  Jean  Moréas  est  une  des  sept  étoi- 
les de  la  nouvelle  Pléiade.  Je  tiens  pour  le  Ronsard  du  symbo- 
lisme... M.  Jean  Moréas,  qui  est  philologue  el  curieux  de  langage 
n'invente  pas  un  grand  nombre  de  termes;  mais  il  en  restaure 
ucoup,  en  sorte  que  ses  vers,  pleins  de  vocables  pris  dans  les 
I  ux  auteurs,  ressemblent  à  la  maison  gallo-romaine  de  Garnicr, 
i  l'on  voyait  des  fûts  de  colonnes  antiques  el  des  débris  d'archilra- 


54  POÈTES   o'AUJOURb'HUI 

ves.  Il  en    résulte  un   ensemble  amusant,  mais  bizarre  et  confus. 
Paul  Verlaine  l'a  appelé  : 

Routier  de  l'époque  insigne, 
Violant  des  villanelles. 

«  Et  il  est  vrai  qu'il  est  de  l'époque  insigne  et  qu'il  semble  tou- 
jours habillé  d'un  pourpoint  de  velours.  Je  lui  ferai  une  autre  que- 
relle. Il  est  obscur.  Et  l'on  sent  bien  qu'il  n'est  pas  obscur  natu- 
rellement. Tout  de  suite,  au  contraire,  il  met  la  main  sur  le  terme 
exact,  sur  l'image  nette,  sur  la  forme  précise.  Et  pourtant  il  est 
obscur.  Il  l'est  parce  qu'il  veut  l'clre  ;  et,  s'il  le  veut,  c'est  que  son 
esthétique  le  veut.  Au  reste,  tout  est  relatif;  pour  un  symboliste,  il 
est  limpide... 

«  En  définitive,  M.  Jean  Moréas,  est  plutôt  un  auteur  difficile.  Du 
moins  il  n'est  point  banal,  cet  Athénien  mignard,  épris  d'archaïsmes 
et  de  nouvtautés,  qui  combine  étrangement  dans  ses  vers  le  pédan- 
tisme  élégant  de  la  Renaissance,  le  joli  mauvais  goût  du  style  rocaille 
et  le  vague  inquiétant  de  la  poésie  décadente.  »  C'était  aussi  l'épo- 
que où  M.  Charles  Maurras,  le  critique  de  l'Ecole  Romane,  dépei- 
gnait ainsi  son  fondateur  :  «  On  rencontre  communément  M.  Jean 
Moréas  sur  le  boulevard  Saint-Michel,  l'hiver  dans  les  cafés  hospi- 
taliers au  retentissement  des  poètes,  l'été  sur  les  terrasses,  bonne- 
ment exposé  à  la  curiosité  du  passant,  A  quelque  heure  du  jour 
que  vous  l'abordiez,  il  travaille  :  je  veux  dire  qu'il  fait  des  vers  ou 
qu'il  en  récite.  D'une  belle  voix  de  gorge,  où  les  muettes  s'accen- 
tuent de  sorte  bizarre,  il  aggrave  les  strophes  de  Ronsard  et  de  la 
Fontaine,  de  Thibaut  de  Champagne  et  d'Alfred  de  Vigny;  et,  au 
frémissement  paisible  de  sa  lèvre,  tout  le  monde  comprend  que 
M.  Moréas  se  sent  parfaitement  heureux.  Il  a  trouve  le  souverain 
bien.  »  Dans  Le  Pèlerin  passionné,  Jean  Moréas  usait  du  vers 
libre,  un  vers  libre  très  modéré,  qui  gardait  par  son  ordonnance 
et  sa  cadence  tout  le  rythme  de  l'alexandrin,  mais  auquel  il  n'avait , 
pas  moins  renoncé  depuis.  «  J'ai  abandonné  le  vers  libre,  disait-il 
un  jour,  m'étant  aperçu  que  ses  effets  étaient  uniquement  matériels 
et  ses  libertés  illusoires.  La  versification  traditionnelle  a  plus  de 
noblesse,  plus  de  sûreté,  tout  en  permettant  de  varier  à  l'infini  le 
rythme  de  la  pensée  et  du  sentiment;  mais  il  faut  être  bon  ou- 
vrier. » 

Toutes  ces  choses,  d'ailleurs,  l'Ecole  romane,  Le  Pèlerin  pas- 
sionné, le  Vers  libre,  ses  Lettres  et  ses  Manifestes,  étaient  pour 
Jean  Moréas  du  passé,  un  passé  dont  il  souriait,  dépris  des  témé- 
rités et  des  innovations  de  sa  jeunesse.  «  Ces  choses  ne  me 
regardent  plus,  disait-il  dans  une  récente  enquête  littéraire.  Ce- 
pendant, je  ne  renie  point  l'Ecole  romane.   Le  mot  a  pu  très  bien 


JBAM  MonAAn  55 


prôler  à  quelque  confusion,  mais  l'idée  était  substanliellc.  Mon 
instinct  n'av;iit  pas  tardé  à  ni'avcrtir  qn'il  fallait  revenir  au  vrai 
classicisme  et  à  la  vraie  auliquilé,  ainsi  qu'à  la  versification  Iradi- 
tionnclle  la  i)lus  sévère.  Et  en  plein  triomphe  symboliste,  je  me 
séparai  courageusement  de  mes  nmis,  qui  m'en  gardèrent  longtemps 
rancune.  Aujourd'hui,  j'ai  le  plaisir  de  constater  que  tout  le  monde 
revient  au  classicpic  cl  à  ranli(iue.  »  C'est  de  ce  retour  à  la  tradi- 
tion, et  de  la  solitude  et  du  recueillement  où  Jean  Moréas  se  relira 
après  la  publication  de  ([uclques  autres  recueils  de  poèmes  :  Autant 
en  emporte  te  vent  et  Eriplujle,  que  sont  nées  Les  Stances,  son 
chef-d'œuvre  et  peut-être  un  chef-d'œuvre,  et  dont  on  a  pu  dire  avec 
raison  qu'il  s'y  o  élève  à  une  austérité  stoïcienne  qui  rappelle  Vigny  », 
—  et  que  ces  vers,  «  par  l'ampleur  de  leur  harmonie,  la  sévérité  du 
style,  l'élévation  du  sentiment  philosophique,  sont  égaux  à  ceux  des 
plus  grands  maîtres  ».  —  «  La  forme  est  admirable,  a  écrit  no- 
tamment M.  Emile  Faguet,  d'une  pureté  absolument  classique,  avec 
le  goût  des  images  justes  et  le  don  de  les  trouver  toujours  sans 
effort.  C'est  une  des  manifestations  «  d'âme  poétique  »  les  plus 
extraordinaires  que  nous  ayons  vues  depuis  des  années  et  des  an- 
nées. »  Ainsi  Jean  .Moréas  nous  aura  montré  que  la  maturité  peut 
être  le  plus  bel  âge  du  poète.  Jean  Moréas  a  également  public  de 
petits  livres  de  voyages,  de  souvenirs,  d'impressions  littéraires  :  Le 
Voyage  en  Grèce,  Feuillets,  Paysages  et  Sentiments,  réunis  au- 
jourd'hui en  un  seul  volume  :  Esquisses  et  Souvenirs,  et  un  recueil 
de  contes  :  Contes  de  la  Vieille  France,  récits  tirés  de  notre 
vieille  littérature  et  traduits  par  lui  dans  leur  simplicité  originale. 
Il  n'est  personne  également  qui  ne  connaisse  Ylphigénie  qu'il  a 
écrite  d'après  Eiiri[)ide.  Représentée  pour  la  première  fois  au  Théâtre 
d'Orange  en  igo^,  et  reprise  à  l'Odéon  en  1906,  Iphigénie  a  été 
jouée  depuis  sur  plusieurs  théâlies  de  France  et  d'étranger,  notam- 
ment à  Athènes,  au  Théâtre  royal  et  au  Stade,  et  la  Comédie  Fran- 
7aise  doit,  à  son  tour,  la  donner  prochainement. 

Jean  Moréas,  qui  était  officier  de  la  Légion  d'honneur,  et  avait 
obtenu  récemment  la  naturalisation  française,  est  mort  le  3o  mars 
igio,  à  Saint-Mandé.  Il  a  collaboré  à  La  Nouvelle  Rive  gauche,  à 
Lutèce  (i883-i885),  h  La  Vogue  (1886,  et  nouvelle  série  1899),  à  La 
lirvue  Indépendante  (1887,  1888,  1895),  à  La  Wallonie  (1890),  à 
L'Evénement,  au  Figaro,  à  L'Echo  de  Paris,  à  La  Pluma  (i8g8- 
1899),  à  Cosmopolis  (i8ç)-]),  L'Hémicycle,  La  Volonté,  Le  Mercure 
de  France,  Le  Temps,  La  Renaissance  latine,  L'Ermitage,  à  La 
Gazette  de  France,  à  Vers  et  Prose  et  à  Paris- Journal. 

Bibliographie  : 

Lks  cf.uvrks.  —  Los  Syrtes,  poâsies.  Paris,  [Iinprini.  Léo  Trézenik],  1884, 
in-18.  (Réimpressions  :  La  Syrie».  tS83-t884.  Paris,  L.   Vauier,  lS9i,  ia-l8. 


56  POÈTES  d'aujourd'hui 


Premières  poâxies,  fSSfl-fSS6.  Lfn  Syrfes.  Les  Cantilànes.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1ÏMI7,  in-i8).  —  I^es  Cantilènes,  poésies. Paris  L.  Vanier, 
1886,  in-18.  (Réimiiressious  :  Les  Cantilènrs,  l8S3-t8S6.  Paris,  l!iliIiolli6que 
Artistique  cl  littéraire,  1897,  in-18.  Il  existe  des  exeinplaires  avec  une  couv.t. 
turc  en  couleurs  de  f^ofici  ;  Premières  poésies.  IS83-!!!S6.  L^es  Si/rles.  Les 
Coritilènes.  Paris,  Soc.  du  Mwcurc  de  France,  1907,  in-18).  —  Le  Thé  chez 
Miraiida,  roman  [en  collaboration  avec  Paul  Adam].  Paris,  Tresse  et  Stock, 
1S8C,  in-18.  —  Les  Demoiselles  Goubert,  roman  [on  collaboration  avec 
Paul  Adam].  Paris,  Tres-e  et  Stock.  1887,  in-18.  — Les  Premières  arines 
du  Synibolismc  fL<ittrrs  et  Manifeste].  Paris,  L.  Varier,  1880,  in-18.  — 
Le  l'èlcrin  passiomié,  poésies.  Paris,  L.  Vanier,  1891.  (Réimpressions  : 
Le  Pèlerin  passionn/i,  éd.  refondue  et  augmentée.  Paris,  L.  Vanier,  1893, 
111-18;  Poésie,  1886  1896.  Le  Pèlerin  passionné,  etc.  Paris,  Ribliolhc((ue 
Artistique  et  littéraire,  1898.  in-18;  Poèmes  et  Sylves,  <S86-I8!)6.  Le  Pèlerin 
pa.isionné,  etc.  Paris,  Poe.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-18).  —  Aillant 
en  emporte  le  vent.  Paris,  1^.  Vanier,  1893,  in-18.  —  Eripliyle,  poème 
suivi  de  Quatre  Sylves.  Paris,  Bibliothèque  Artistique  et  littéraire,  1894' 
in-8.  (Réimpressions  :  Poésies,  1886-1896,  etc.  Paris,  Bibliothèque  arlislique 
et  littéraire,  1898,  in-18;  Poèmes  eL-Srftves;--^lc.,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1907,  in-18).—  Poésies,  188(5-1806  [Ze  Pèlerin  passionné.  linone 
au  clair  visage  et  Sylves.  Eriphyle  et  Sylves  nouvelles].  Paris,  Bibliothèque 
artistique  et  littéraire,  1898.  in-18.  —  Jean  de  Paris  (texte  rajeuni),  l'aiis. 
Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1898,  in-18.  —  Les  Stances,  poésies 
(1"  et  11'  livres),  fac-similé  du  manuscrit.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et 
littéraire,  1899,  in-folio  (tirage  sur  Chine,  précédé  du  portrait  du  Poète  par 
Antonio  de  la  Gandara).  —  Les  t  tances  (IIP,  IV»,  V"  et  VP  livres).  Paris,  éd. 
de  La  Plume,  1901,  iu-16.  —  Feuillets.  Paris,  éd.  de  I.a  Plume,  1902,  iu-8.— 
Le  Voyage  de  Grèce,  Paris,  éd.  de  La  Plume,  1902,  in-8.  —  Iphi((énie, 
tras-édie  en  cinq  actes  [représentée  pour  la  première  fois  à  Orange,  sur  le 
Théâtre  Antique,  le  24  août  1903,  et  à  Paris,  sur  la  scène  de  l'Odéou,  le  10  dé- 
cembre 1903,  par  les  artistes  de  la  Comédie  Française  et  de  l'Odéon].  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  in-18.  —  Contes  de  la  Vieille  France. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  in-)8.  —  Les  Stances  (les  VI  livres 
complots).  Paris,  éd.  de  La  Plume,  1905,  in-16.  (Réimrression  :  Les  Stances, 
les  VI  livres  complets)  portr.  de  l'auteur,  enhéliogr.  d'ajirès  le  crayon  d'A.  de 
la  Gandara.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906,  iii-18).  —  Paysarjes  et 
Sentiments.  Paris,  E.Sansot,  190C,  petit  iu-12.  —  Premières  Poésies, 
1833-1880  (Les  Syrtes.Les  Cantilènes).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1907,  in-18.  —  Poèmes  et  Sylves,  1886-1896  (Le  Pèlerin  passionné, 
Enone  au  clair  visaije.  Eriphyle.  Syli'es).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France. 
1907,  in-18.  —  Esquisses  et  souvenirs  {l'aysages  et  sentiments.  Feuil- 
lets. Le  Voyage  de  Grèce).  Paris,  Soc.  du  Mr-rcure  de  France,  1908,  iii-18. 

On  trouve,  de  plus,  des  vers  de  M.  Jeau  Moréas  (Sylves,  etc.)  dans  Le 
Pr<'niier  Livre  Pastoral,  de  Maurice  du  Plessys  (Paris,  Léon  Vanier,  IS'.tS, 
in-18),  dans  les  Ftudes  Lyriques  suivies  <Ih  Premier  Livre  Pastoral, 
du  même  auteur  (Paris,  Bibliothèque  artisti((ue  et  littéraire,  1896,  in- 16), 
ans  Le  Bocage,  d'Emesl  Kaynaud  (Bibliothèque  artistiiiu»  et  littéraire, 
1895,  in-18). 

PotMM  MIS  fin  MUSIQUE.  —  Dcj  poésies  de  M.  Jean  Moréas  ont  été  mises  ta 


JIàN   MORÉAS  57 


musique  par  MM.  Pierre  de  Br<^ville,  Gaston  Dubreuilb,  Bmeat  Chauaaon, 
Galiriol  Kabro,  Reynalilii  llahu.  Ho.nri  Quitlard,  Ix)uis  do  Serres,  élc. 

A  coNsi  i.Tsn.  —  André  licaunler  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  Franco,  1902,  In- 18.  —  W.  G.  «.  Byvanck  :  Un  Hollandais  d 
Paris  en  IS'JI .  Paris,  Perrin,  I8'J2.  —  Gubriello  Dolzant  :  LeUres,  1874- 
1003,  publiions  par  liOuis  Loviol.  Paris,  Ilaclietlc,  I9u(i,  iii-t8,  p.  193.  — 
Itmile  Faouet  :  Propos  de  tlu'dtre.  Paris,  Soc.  d'iinprimerio  et  de  librai- 
rie, 8.  d.  [1905],  iii-lS.  —  Anatole  France  :  La  Vie  littéraire  (V  série). 
Paris,  Caliiiann-Lévy,  1892.  —  Jean  de  Gourinoul  :  Jean  Moréas,  biogra- 
pliie  crilitiuc,  ilIuslriSc  (l'un  portrait  et  d'un  aulot;raiitie,  suivie  d'opinions  et 
d'aine  bibliojj'raphin  par  Ad.  v[an]  Kl'cver].  Paris,  Sansot,  IU05,  in-18.  —  H.  de 
(luui'niunt  :  Le  Livre  des  Masques.  Paris,  Soc.  du  Morcure  do  France, 
1896,  in-18;  Promenades  liltéraires.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1905,  in-18.  —  J.  Huret  :  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire.  Paris,  Char- 
pentier, 1891,  in-18.  —  Bernard  Lazare  :  Figures  Contemporaines.  Puria, 
l'errin,  1895,  in-18.  —  Geor()es  Le  Cardonnel  et  Charles  Vellay  :  La 
Littérature  contemporaine,  1905.  Opinions  des  écrivains  de  ce  temps.  V&ri&y 
Soo.  du  Mercure  do  France,  1906,  in-18.  —  Ch.  Maurras  :  Jean  Moréas. 
Paris,  Pion.  1891,  in-18.  —  Catulle  Meiidès  :  Happort  sur  le  Mouvement 
poétique  français  de  IS67  d  1900  Paris,  Imprimerie  Nationale,  1902,  iu-8,  et 
Fasi|uelle,  1903,  iii-8.  —  L.-G.  Moslrailles  :  Têt>'s  de  Pipes.  Paris,  Vanier, 
1885,  in-8.  —  Hiujues  Kebell  :  Notice,  dans  Les  Portraits  du  prochain 
siècle.  Paris,  GiranI,  1894,  in-18.  —  Adolphe  Retté  :  Le  .Symbolisme. 
Anecdotes  et  souveuiî-s.  Paris,  Mcsscin,  190.'},  iii-I8.  —  Christian  Kinics- 
Uid  :  Fransk  Poe.^i  i  dct  Nittende  Aarhundrcde.  Kobenliavn,  Schubotlieskc, 
1905,  in-8.— D.  de  Hoherto  :  Poeti  franc,  contempor.  Milan,  Gogliati,  1901, 
JQ.)  j.  —  R.  de  Souza  :  La  Poésie  populaire  et  le  lyrisme  sentimental. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1899,  in-18.  —  J.  Tellier  :  Nos  Poètes. 
Paris,  Uefpret,  1888,  in-18.  —  V.  Thonipsoa  :  French  Portraits  {lieing 
appréciations  of  tliewriters  of  youny  France),  Boston,  Ricbard,  0.  Bod^çer 
et  C°,  1900,  in-8.,— A.  G.  Van  llamel  :  Het  letterkundiy  leven  van 
Frunkyk,  Amsterdam,  Van  Kampcn  en  zoon,  1907,  111,  in-8.  —  E.  Viglé- 
Leeocq  ;  La  Poésie  contemporaine,  I881-I8S6.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
Franco,  IfcltS,  in-18.  —  A.  (iilIxM'l  de  Voisins  :  Sentiments.  Paris,  Soc. 
(lu  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  Emll  Zilliacu.s  :  Pen  Nyare  franska 
l'oesin  oc/i  antihen.  Helsingfors,  1905,  Akliebolajrct  llanilelstryokeriet,  in-18. 

L.-N.  Baraynon  :  Iphiyénie  de  Jean  Moréas.  Thédtre  d'Orange.  L'Art 
du  Théâtre,  octobre  1903.  —  Maurice  Barrés  :  Jean  Moréas  symiio/iste. 
Fi"aro,  25  décemlire  1890.  —  r)auphln  Meunier  :  liemarques  snr  l'I- 
phiyénie  de  Jean  Moréas.  Rerue  Laline,  25janrier  1904.  —  Féll.v  Fonéon  : 
Jian  Moréas  (Les  llonuuea  d'aujourd'hui).  Paris,  Vanier,  s.  d.  —  Ernest 
Cfiubert  :  Chronique  des  spectacles  en  plein  air.  Revue  Universelle,  15 
fr>pteriibre  1903.  —  Camille  .Mnuclalr  :  Les  Modernes  Athéniens  :  Jean 
Moréas.  Revue  Imlépcudante,  juillet  1891.  —  Ch.  Maurras  :  Littérature, 
lievue  littéraire.  Ui-vue  Kncyclopédi(|ue,  23  janvier  1897  et  22  janvier  1808. 
—  T.  S.  Perrj'  :  The  Latest  literary  Fashion  in  France  (illustré).  The 
Cosmopolilau,  New-York,  juillet  1892.  —  Ernest  Raynaud  :  Notices  litté- 
raires. Jian  Moréas,  Mercure  de  France,  mars  1891.  —  llu(jues  Kebeli  : 
La  Poésie  françaisr  l.'Einiita;;e,  scptendire  1893.  (Voir  en  outre  lo  u"  du  1» 
Pluiue  du  1"  j«ur.  18U1,  coukacrù  au  Symbolisme  de  Jean  Mordus.) 


58  roètEs  d'aujourd'hui 


Iconographie  : 

F.-A-  Cazals  :  l'aid  Verlaine  et  Jean  Moréas.  Dessin-cliarge.  Messager 
français,  1801,  et  La  Plume  (nviméro  consacré  à  Paul  Verlaine),  1"'  févrior 
1896  ;  Composition  à  l'aquarelle  (original  app.  à  l'artiste),  couverture  de  La 
Plume  (numéro  consacré  à  Paul  Verlaine),  l»' février  1896  ;  Verlaine  et 
Moréas.  Affiche  de  la  7'  Exposition  des  Cent.  Collection  de  La  Plume. 
Paris,  septembre  1894)  ;  Du  même  :  Suite  de  Croquis  inédits,  1891  (app. 
à  l'artiste).  —  E.  Cohl  :  Document  photographique,  tiré  pour  Les  Têtes  de 
Pipes  de  G.  Mostrailles.  Paris,  L.  Vanier,  1895,  in-8  ;  Portrait-charge  (Les 
Hommes  d'aujourd'hui).  Paris,  L.  Vanier,  s.  d.,  reproduit  dans  VEmporium, 
novembre  1904.  —  D.  Esloppey  :  Pastel  et  dessin  d  la  plume,  reproduir 
dans  La  Vogue,  13  mai  1886.  —  A.  de  la  Gandara  :  Portrait,  1883,  pein- 
ture à  l'huile  (non  signée);  Portrait  au  crayon  (app.  à  M.  Jean  Moréas). 
Exposition  de  la  Société  Nationale  des  Beaux-Arts,  1899,  reproduit  en  frontis- 
pice dans  l'édition  de  luxe  des  Stances.  Paris,  1899,  dans  L'Art  du  Théâtre, 
octobre  1903  et  dans  l'édition  des  VI  livres  des  Stances  publiée  en  1906.  — 
Paul  Gauguin  :  Portrait  au  crayon,  1891,  reproduit  dans  le  numéro  do 
La  Plume  consacré  au  Symbolisme  de  Jean  Moréas.  —  André  Kou- 
veyre  .  150  Caricatures  théâtrales  (texte  de  Nozière  et  E.  Lajeunesso). 
Paris,  Albin  Michel,  1904,  in-18;  Carcasses  divines,  portr.  et  monographies 
dessinés,  Paris,  J.  Bosc,  1907,  in-4.  —  Félix  Val  lotion  :  Masque,  dans  L» 
Livre  des  Masques,  de  R.  de  Gourmout.  Pans,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1896 

ACCALMIE 

I 

Lorsque  sous  la  rafale  et  dans  la  brume  dense, 
Autour  d'uQ  frêle  esquif  sans  voile  et  sans  rameurs, 
On  a  senti  monter  les  flots  pleins  de  rumeurs, 
Et  subi  des  ressacs  l'étourdissante  danse, 

Il  fait  bon  sur  le  sable  et  le  varech  amer 
S'endormir  doucement  au  pied  des  roches  creuses. 
Bercé  par  les  chansons  plaintives  des  macreuses, 
A  l'heure  où  le  soleil  se  couche  dans  la  mer, 

II 

Que  l'on  jette  ces  lys,  ces  roses  éclatantes, 
Que  l'on  fasse  cesser  les  flûtes  et  les  chants 
Qui  viennent  raviver  les  luxures  flottantes 
A.  l'horizon  vermeil  de  mes  désirs  couchants. 


JBAN    MOREAS  *  Sg 

Oh  !  no  me  soufflez  plus  le  musc  de  votre  haleine, 
Oh  1  ne  me  tîxez  pas  de  vos  yeux  fulti^iirants, 
Car  je  me  sens  brûler,  ainsi  (pi'unc  phalène, 
A  l'azur  étoile  de  ces  flambeaux  erraqls. 

Oh  I  ne  me  tente  plus  de  ta  caresse  avide, 

Oh  !  ne  me  verse  plus  l'enivrante  liqueur 

Qui  coule  de  ta  bouche  —  amphore  jamais  vide  — 

Laisse  dormir  mon  cœur,  laisse  mourir  mon  cœur. 

Mon  cœur  repose,  ainsi  qu'en  un  cercueil  d'érable, 
Dans  la  sérénité  de  sa  conversion  ; 
Avec  les  regrets  vains  d'un  bonheur  misérable, 
Ne  trouble  pas  la  paix  de  l'absolution. 

[Les  Srjrtes.) 


PARMI   LES   MARRONNIERS 

Parmi  les  marronniers,  parmi  les 
Lilas  blancs,  les  lilas  violets, 
La  villa,  de  houblon  s'enguirlande. 
De  houblon  et  de  lierre  rampant, 
La  glycine,  des  vases  bleus,  pend; 
Des  glaïeuls,  des  tilleuls  de  hollande. 

Chère  main  aux  longs  doigts  délicats. 
Nous  versant  l'or  du  sang  des  muscats, 
Dans  la  bonne  fraîcheur  des  tonnelles. 
Dans  la  bonne  senteur  des  moissons. 
Dans  le  soir,  où  languissent  les  sons 
Des  violons  et  des  ritournelles. 

Aux  plaintifs  tintements  des  bassins, 
Sur  les  nattes  et  sur  les  coussins  : 
Les  paresses  en  les  flols  des  tresses, 
Dnns  la  bonne  senteur  des  lilas 
Les  soucis  adoucis,  les  cœurs  las 
Dans  la  lente  langueur  des  caresses . 

(L«$  Syrlet,) 


POÈTES    d'aujourd'hui 


REMEMBRANCES 

D'où  vient  cette  aubade  câline 
Chantée  —  on  eût  dit  —  en  bateau, 
Où  se  mêle  un  pizzicato 
De  guitare  et  de  mandoline  ? 

Pourquoi  cette  chaleur  de  plomb 
Où  passent  des  senteurs  d'orange, 
Et  pourquoi  la  séquelle  étrange 
De  ces  pèlerins  à  froc  blond  ? 

Et  cette  Dame,  quelle  est-elle, 
Cette  Dame  que  l'on  dirait 
Peinte  par  le  vieux  Tintoret 
Dans  sa  robe  de  brocatelle  ? 

Je  me  souviens,  je  me  souviens  : 
Ce  sont  des  défuntes  années. 
Ce  sont  des  guirlandes  fanées, 
Et  ce  sont  des  rêves  anciens  ! 


VOIX  QUI  REVENEZ. 


(les  Syrtes.) 


Voix  qui  revenez,  bercez-nous,  berceuses  voix  : 

Refrains  exténués  de  choses  en  allées, 

Et  sonnailles  de  mule  au  détour  des  allées, 

—  Voix  qui  revenez,  bercez-nous,  berceuses  voix. 

Flacons,  et  vous,  grisez-nous,  flacons  d'autrefois  : 
Senteurs  en  des  moissons  de  toisons  recelées, 
Chairs  d'ambre,  chairs  de  musc,  bouches  de  giroflées. 

—  Flacons,  ô  vous,  grisez-nous,  flacons  d'autrefois- 

En  ce  matin  d'hiver  et  d'ombre,  l'alouette. 
En  ce  matin  d'hiver,  l'alouette  est  muette. 

—  Voix  qui  revenez,  bercez-nous,  berceuses  voix. 

Lcé  lys  bout  coupés  duus  le  jardin,  et  les  roses. 


JEAN    MOnÂAS  6l 

Et  les  iris  au  bord  des  eaux,  des  eaux  moroses. 

Flacons,  ô  vous,  grisez-nous,  flacons  d'autrefois . 

{Les  Cantilènea.) 

LE  RUFFIAN 

Je  ne  sais  pas  laide  et  je  suis 
ricltn;  je  saurai  vous  aimer  et  me 
montrer  reconnaissante. 


I 

Dans  le  splendide  écrin  de  sa  bouche  écarlate  " 

De  ses  trente-deux  dents  l'émail  luisant  éclate. 

Ses  cheveux,  pour  lesquels  une  Abhesse  l'aima 

Jadis  très  follement,  calamistrés  en  boucles, 

Tombent  juscju'à  ses  yeux  —  féeriques  escarboucles  — 

El  ses  cils  recourbés  semblent  peints  de  çurma. 

II 

Sa  main  de  noir  gantée  à  la  hanche  campée, 

Avec  sa  toque  à  plume,  avec  sa  lonfçue  épée. 

Il  passe  sous  les  hauts  balcons  indolemment. 

Son  pourpoint  est  de  soie,  et  ses  poignards  superbes 

Portent  sur  leurs  pommeaux,  parmi  l'argent  en  gerbes, 

La  viride  émeraude  et  le  clair  diamant. 

III 

Dans  son  alcôve  où  l'on  respire  les  haleines 
Des  bouquets  effeuillés,  les  fières  châtelaines, 
Sous  leur  voile  le  front  do  volupté  chargé. 
Entassent  les  joyaux,  les  doublons  et  les  piastres 
Pour  baiser  ses  yeux  noirs  vivants  conmie  des  astres 
Et  sa  lèvre  pareille  au  bétail  égorgé. 

IV 

Ainsi,  beau  comme  un  dieu,  brave  comme  sa  dague, 
Ayant  en  duel  occis  le  comte  de  Montague, 
Quatre  neveux  du  pape  et  vingt  condottieri. 


6a  poixKS  d'aujourd'hui 


Calme  et  la  tête  haute  il  marche  par  les  villes, 
Traînant  à  ses  talons  des  amantes  servîtes 
Dont  l'âme  s'est  blessée  à  son  regard  fleuri . 


{Leg  Cantilèntt.) 


L'INVESTITURE 


Nous  longerons  la  grille  du  parc, 
A  l'heure  où  la  Grande  Ourse  décline; 
Et  tu  porteras  —  car  je  le  veux  — 
Parmi  les  bandeaux  de  tes  cheveux 
La  fleur  nommée  asphodèle . 

Tes  yeux  regarderont  mes  yeux; 

A  l'heure  où  la  Grande  Ourse  décline.  — 

Et  mes  yeux  auront  la  couleur 

De  la  fleur  nommée  asphodèle. 

Tes  yeux  regarderont  mes  yeux, 
Et  vacillera  tout  ton  être. 
Comme  le  mythique  rocher 
Vacillait,  dit-on,  au  toucher 
De  la  fleur  nommée  asphodèle. 

(Poésies,  1 886-1896:  Le  Pèlerin  Passiimné.) 


UNE  JEUNE  FILLE  PARLE 

Les  fenouils  m'ont  dit  :  I!  t'aime  si 
Follement  qu'il  est  à  ta  merci  ; 
Pour  son  revenir  va  t'apprêter. 

—  Les  fenouils  ne  savent  que  flatter  1 
Dieu  ait  pitié  de  mon  âme. 

Les  pâquerettes  m'ont  dit  :  Pourquoi 

Avoir  remis  ta  foi  dans  sa  foi  ? 

Son  cœur  est  tanné  comme  un  soudard. 

—  Pâquerettes,  vous  parlez  trop  tard  I 
Dieu  ait  pitié  de  mon  âme. 


JEAN  MOnéAS  63 

Les  sauges  m'ont  dît  :  Ne  l'attends  pas, 
Il  s'est  endormi  dans  d'autres  bras. 
—  O  sauges,  tristes  saujçes,  je  veux 
Vous  tresser  toutes  dans  mes  cheveux... 
Dieu  ait  pitié  de  mon  Ame. 

{Poésies,  1886- i8q6:  Le  Pèlerin  Passionné.) 

CONTRE  JULIETTE 

Pour  vous  garder  de  mal  empire, 
Peunon    d'Amour  et  gonfalon, 
Je  vous  donnai  ma  chevelure 
Couleurs  des  flots  sous  i'A(piilon. 

Boucliers  aux  tendres  devises, 
Ecus  de  pleine  loyauté, 
Je  vous  donnai  mes  fiers  yeux  contre 
Votre  propre  vulgarité. 

Coupe  de  mélodie  et  baume, 
Afin  de  vous  extasier 
Je  vous  donnai  ma  bouche  vive. 
Telles  les  roses  au  rosier. 

Dames  d'atour  et  chambrières 
Attentives  à  votre  arroi, 
Je  vous  donnai  mes  mains  plus  nobles 
Que  la  couronne  au  front  d'un  roi. 

Et  je  vous  donnai  —  ho  !  prodigue  - 
Et  je  vous  donnai  par  monceaux, 
Tous  les   trésors  de  ma  pensée 
Comme  des  perles  aux  pourceaux. 

(Le  Pèlerin  Passionné.) 

ÉGLOGUE  A  PAUL  VERLAINE 

Pour  avoir  tant  essoufflé  des  cornemuses 
Criardes,  au  fredon  têtu. 


64  poèTKS  d'aujourd'hui 

D'une  mauve  g'uide  cent  brebis  camuses 
Ménalqu'de  superbe  vêtu. 

Maint  bélier,  et  la  profitable  génisse 
Qui  nourrit  ses  deux  nouveau-nés, 

Ornent  l'étable  de  Mopse,  si  très  niée 
A  dire  les  chants  alternés. 

Thyrsis  se  rengorge  d'une  coupe  ouvrée 
Des  mains  du  noble  Alcirnédon  ; 

Batte,  opprobre  de  la  montagne  sacrée, 
D'un  laurier  de  brigue  eut  guerdon. 

A  toi,  l'honneur  des  Lybéthrides  agrestes. 

Abreuvé  des  parlantes  eaux, 
Il  ne  sied  prix  que  du  son  de  tes  doigts  prestes 

Sus  les  disparates  roseaux, 

Divin  Tityre,  âme  légère  !  comm'houppe 

De  mimalloniques  tymbons  ; 
Divin  Tityre,  âme  légère  !  comm'troupe 

De  satyreaux  ballant  par  bonds. 

(Le  Pèlerin  Passionné.) 


QUE  FAUDRA-T-IL  A  CE  CŒUR... 

Que  faudra-t-il  à  ce  cœur  qui  s'obstine  ; 

Cœur  sans  souci,  ah,  qui  le  ferait  battre  I 

Il  lui  faudrait  la  reine  Cléopâtre, 

Il  lui  faudrait  Hélie  et  Mélusine, 

Et  celle-là  nommée  Aglaure,  et  celle 

Que  le  Soudan  emporte  en  sa  nacelle. 

Puisque  Suzon  s'en  vient,  allons 
Sous  la  feuillée  où  s'aiment  les  coulombs. 

Que  faudra-t-il  à  ce  cœur  qui  se  joue  ; 
Ce  bcUiqucur,  ah  I  qui  ferait  qu'il  plie  1 
II  lui  faudrait  la  princesse  Aurélie, 


JBAN    MOREAS  65 


II  lui  faudrait  Ismène  dont  la  joue 
Passe  la  neÀ<j;e  et  la  couleur  rosine 
Que  le  matin  laisse  sur  la  colline. 

Puisque  Alison  s'en  vient,  allons 
Sous  la  feuillée  où  s'aiment  les  coulombs. 

(Le  Pèlerin  Passinnué.) 


SOEUR  DE  PHÉBUS  CHARMANTE 

Sœur  de  Phcbus  charmante, 
Qui  veille  sur  les  flots,  je  pleure  et  je  lamente. 
Et  je  me  suis  meurtri  avec  mes  propres  traits. 
Qu'avais-je  à  m'enquérir  d'Eros,  fils  de  la  terre  I 
l'>os,  fils  de  Vénus,  me  possède  à  jamais. 

Guidant  ta  course  solitaire, 
Lune,  tu  compatis  à  mon  triste  souci. 
O  Lune,  je  le  sais,  non,  tu  n'as  pas,  vénale, 
A  Pan  barbu  livré  ta  couche  virginale, 

Mais  les  feux  doux-amers  te  renflammant  aussi 
Par  les  yeux  d'un  berger  dans  sa  jeunesse  tendre, 
Sur  le  mont  carien  tu  as  voulu  descendre. 
De  ta  douce  lueur,  ô  Phébé,  favorise 

Ma  plaintive  chanson  qu'emporte  au  loin  la  brise. 
Et  fais  que  mes  soupirs,  de  l'écho  repétés, 
l'Ilonnent  la  frayeur  des  antres  redoutés. 

{Poèmes,  i886-i8q6:  Enone  au  clair  oimge.) 


I 


L'AUTOMNE  ET  LES  SATYRES 


Hier  j'ai  rencontré  dans  un  sentier  du  bois 
Où  j'aime  de  ma  peine  à  rêver  quelquefois, 
Trois  satyres  amis  :  l'un  une  outre  portait 
Et  pourtant  sautelait,  le  second  secouait 
Un  bâton  d'olivier,  contrefaisant  Hercule. 


66  poÂTBS  d'aujourd'hui 


Sur  les  arbres  dénus,  car  automne  leur  chef 

A  terre  a  répandu,  tombait  le  crépuscule. 

Le  troisième  satyre,  assis  sur  un  coupeau, 

De  sa  bouche  approcha  son  rustique  pipeau, 

Fit  tant  jouer  ses  doigts  qu'il  en  sortit  un  son 

Et  menu  et  enflé,  frénétique  et  plaisant  ; 

Lors  ses  deux  compagnons,  délivres  se  faisant, 

De  l'outre  le  premier  et  l'autre  du  bâton, 

Dansèrent,  et  j'ai  vu  leurs  pieds  aux  jambes  tortes, 

Qui,  alternés,  faisaient  voler  les  feuilles  mortes. 

{Poèmes,  1886-1 8g6  :  Sylues.) 


LA  PLAINTE  D'HYAGNIS 

Substance  de  Cybèle,  ô  branches,  ô  feuillages, 
Aérien  berceaux  des  rossignols  sauvages, 
L'ombre  est  déjà  menue  à  vos  faîtes  rompus, 
Languissants  vous  pendez  et  votre  vert  n'est  plus. 
Et  moi  je  te  ressemble,  automnale  nature, 
Mélancolique  bois  où  viendra  la  froidure. 

Je  me  souviens  des  jours  que  mon  jeune  printemps 
Ses  brillantes  couleurs  remirait  aux  étangs, 
Que  par  le  doux  métier  que  je  faisais  paraître 

Dessus  les  chalumeaux. 
Je  contentais  le  coeur  du  laboureur  champêtre 

Courbé  sur  ses  travaux. 

Mais  la  Naïade  amie,  à  ses  bords  que  j'évite, 
Hélas  !  ne  trouve  plus  l'empreinte  de  mes  pieds. 
Car  c'est  le  pâle  buis  que  mon  visage  imite. 
Et  cette  triste  fleur  des  jaunes  violiers. 
Chère  flûte,  roseaux  où  je  gonflais  ma  joue, 
Délices  de  mes  doigts,  ma  force  et  ma  gaîtc, 
Maintenant  tu  te  plains  :  au  vent  qui  le  secoue 
Inutile  rameau  que  la  sève  a  quitté . 

{Poèmes.  i886-i8g6  :  Sylvet  noaoelles.  ) 


JEAN  MOREAS  67 


STANCES 


I 


Les  roses  que  j'aimais  s'efFeuillent  chaque  jour, 
Toute  saison  n'est  pas  aux  l)loncIes  pousses  neuves  ; 
Le  zcphir  a  soufflé  trop  longtemps  ;  c'est  le  tour 
Du  cruel  Aquilon  qui  condense  les  fleuves. 

Vous  faut-il,  Allégresse,  enfler  ainsi  la  voix 
Et  ne  savez-vous  point  que  c'est  grande  folie, 
Quand  vous  venez  sans  cause  agacer  sous  mes  doigts  ' 
Une  corde  vouée  à  la  Mélancolie  ? 


Ne  dites  pas  :  la  vie  est  un  joyeux  festin  ; 
Ou  c'est  d'un  esprit  sot  ou  c'est  d'une  âme  basse. 
Surtout  ne  dites  point  :  elle  est  mallieur  sans  fin. 
C'est  d'un  mauvais  courage  et  qui  trop  tôt  se  lasse. 

Riez  comme  au  printemps  s'agitent  les  rameaux. 
Pleurez  comme  la  bise  ou  le  flot  sur  la  grève, 
Goûtez  tous  les  plaisirs  et  souffrez  tous  les  maux 
Et  dites  :  c'est  beaucoup  et  c'est  l'ombre  d'un  rêve. 


Les  morts  m'écoutent  seuls,  j'habite  les  tombeaux. 
Jusqu'au  bout  je  serai  l'ennemi  de  moi-même. 
Ma  gloire  est  aux  ingrats,  mon  grain  est  aux  corbeaux. 
Sans  récolter  jamais  je  laboure  et  je  sème. 

Je  ne  me  plaindrai  pas.  Qu'importe  l'Aquilon, 
L'opprobre  et  le  mépris,  la  face  de  l'injure  ! 
Puisque  quand  je  te  touche,  ô  lyre  d'Apollon, 
Tu  sonnes  chaque  fois  plus  savante  et  plus  pure  ? 


ompant  soudain  le  deuil  de  ces  jours  pluvieux, 

ur  les  grands  marronniers  qui  perdent  leur  couronne. 


68  POÈTES    D'AUJOUno'HUI 


Sur  l'eau,  sur  le  tardif  parterre  et  dans  mes  yeux 
Tu  verses  ta  douceur,  pâle  soleil  d'Automne. 

Soleil,  que  nous  veux-tu  ?  Laisse  tomber  la  fleur, 
Que  la  feuille  pourrisse  et  que  le  vent  l'emporte! 
Laisse  l'eau  s'assombrir,  laisse-moi  ma  douleur 
Qui  nourrit  ma  pensée  et  me  fait  l'âme  forte. 


Je  songe  aux  ciels  marins,  à  leurs  couchants  si  doux, 
A  l'ëcunianle  horreur  d'une  mer  démontée, 
Au  pêcheur  dans  sa  barque,  aux  crabes  dans  leurs  trous, 
A  Néere  aux  yeux  bleus,  à  Glaucus,  à  Protée. 

Je  sonofe  au  vagabond  supputant  son  chemin, 
Au  vieillard  sur  le  seuil  de  la  cabane  ancienne, 
Au  bûcheron  courbé,  sa  cognée  à  la  main, 
A  la  ville,  à  ses  bruits,  à  mon  âme,  à  sa  peine. 


Quand  pourrai-je,  quittant  tous  les  soins  inutiles 
Et  le  vulgaire  ennui  de  l'affreuse  cité. 
Me  reconnaître  enfin,  dans  les  bois,  frais  asiles, 
Et  sur  les  calmes  bords  d'un  lac  plein  de  clarté  ' 

Mais  plutôt,  je  voudrais  songer  sur  tes  rivages, 
Mer,  de  mes  premiers  jours  berceau  délicieux  : 
J'écoulerai  gémir  tes  mouettes  sauvages, 
L'écume  de  tes  flots  rafraîchira  mes  yeux. 

Ah,  le  précoce  hiver  a-t-il  rien  qui  m'étonne  ? 
Tous  les  présents  d'avril,  je  les  ai  dissipés. 
Et  je  n'ai  pas  cueilli  la  grappe  de  l'automne. 
Et  mes  riches  épis,  d'autres  les  oui  coupés. 


Nuages  qu'un  beau  jour  à  présent  environne. 
Au-dessus  de  ces  champs  de  jeune  blé  couverts. 


JBAN    MOniAS  69 

Vous  qui  m'apparaissez  sur  l'azur  monotone 
Scnih!;il)I(;s  aux  voiliers  sur  le  calme  des  mers; 

Vous  qui  devez  bientôt  ayant  la  sombre  face 

De  l'orage  prochain,  passer  sous  le  ciel  bas, 

Mon  cœur  vous  accompagne,  ô  coureurs  de  l'espace  ! 

Mon  cœur  qui  vous  ressemble  et  qu'on  ne  connaît  pas. 


Eté,  tous  les  plaisirs  que  ta  saison  m'apporte 
Comme  ceux  du  printemps  ont  perdu  leur  attrait. 
Adieu,  le  tendre  automne  !  A  présent,  qu'à  ma  porte 
Vienne  heurter  l'hiver,  j'ouvrirai  sans  regret. 

Dans  l'antique  forêt,  le  vent  et  la  cognée 
Sèment  de  l'arbre  fort  les  rameaux  à  ses  pieds, 
Et  parmi  les  humains  la  juste  destinée 
Abat  à  chaque  coup  gloire,  amour,  amitiés. 

Moins  doucement  la  feuille  à  la  brise  soupire, 
Que  la  branche  frappée  en  tombant  ne  se  plaint, 
Et  lorsque  le  malheur  s'exhale  de  la  lyre, 
Tout  autre  chant  n'est  plus  qu'un  écho  qui  s'éteint. 

Vie  exécrable,  ô  jours,  que  corrompt  l'amertume. 
Je  vous  surmonte  encor,  mais  mon  cœur  est  brisé  ; 
El  s'il  a  plus  d'éclat,  peut-être,  il  se  consume 
Ce  feu  sombre  et  divin  qui  m'avait  embrasé. 


Grands  bois,  je  vous  verrai  brillants  sous  un  ciel  d'ambre. 

Ou  de  molles  vapeurs  noyés  ; 
Je  vous  verrai  si  fiers  quand  le  triste  novembre 

Vous  aura  meurtris  et  rouilles. 

Poiir  moi,  l'amour  n'est  plus  celte  source  de  larmes 

Où  je  buvais  avidement, 
Une  fausse  amitié  me  cause  trop  d  alarmes, 
Et  je  sais  que  la  gloire  ment. 


70  POÈTES  d'aujourd'hui 

Enveloppez  mon  cœur  dans  les  plis  de  vos  ombres  ; 

Ma  muse,  fille  des  cités, 
O  bois,  a  su  garder  au  fond  de  ses  yeux  sombres 

Le  souvenir  de  vos  beautés. 


Sur  la  plaine  sans  fin,  dans  la  brise  et  le  vent. 
Se  dresse  l'arbre  solitaire, 

Pensif,  et  chaque  jour  son  feuillage  mouvant 
Jette  son  ombre  sur  la  terre. 

Les  oiseaux  dans  leur  vol  viennent  poser  sur  lui  : 
Sont-ils  corbeaux,  ramiers  timides  î 

L'affreux  lichen  le  ronge  ;  il  est  le  sûr  appui 

Du  faible  lierre  aux  nœuds  perfides. 

Plus  d'une  fois  la  foudre  et  l'autan  furieux 
Ont  fracassé  sa  haute  cime  ; 

Même  il  reçoit  les  coups  de  l'homme  industrieux 
Sans  s'étonner,  triste  et  sublime. 


Tu  souffres  tous  les  maux  et  tu  ne  fais  que  rire 

De  ton  lâche  destin; 
Tu  ne  sais  pas  pourquoi  tu  chantes  sur  ta  lyre 

Du  soir  jusqu'au  matin. 

Poète,  un  grave  auteur  dira  que  tu  t'amuses 

Sans  trop  d'utilité  ; 
Va,  ne  l'écoute  point  :  Apollon  et  les  Muses 

Ont  bien  quelque  beauté. 

Laisse  les  uns  mourir  et  vois  les  autres  naître, 
Les  bons  ou  les  méchants, 

Puisque  tout  ici-bas  ne  survient  que  pour  être    . 
Un  prétexte  à  tes  chants . 


JBAN    MORéAS  71 


Quand  je  viendrai  m'asscoir  dans  le  veot,  dans  la  nuit. 
Au  bout  du  rocher  solitaire, 

Que  je  n'entendrai  plus,  en  l'écoutant,  le  bruit 

Que  lait  mon  cœur  sur  celte  terre. 

Ne  te  contente  pas,  Océan,  de  jeter 

Sur  mon  visage  un  peu  d'écume  : 

D'un  coup  de  lame  alors  il  te  faut  m'cmporter 

Pour  dormir  dans  ton  amertume. 


Quand  reviendra  l'automne  avec  les  feuilles  mortes 
Qui  couvriront  l'étang'  du  moulin  ruiné, 
Quand  le  vent  remplira  le  trou  béant  des  portes 
Et  l'inutile  espace  où  la  meule  a  tourné. 

Je  veux  aller  encor  m'asseoir  sur  cette  borne, 
Contre  le  mur  tissé  d'un  vieux  lierre  vermeil, 
Et  regarder  longtemps  dans  l'eau  glacée  et  morne 
S'éteindre  mon  image  et  le  p&le  soleil. 

(Les  Stances.) 


Dépouille  de  l'allée  où  j'ai  marché  souvent, 
Feuilles  mortes,  tendres  feuillages. 

Que  suivait  mon  regard  quand,  portés  sur  le  vent. 
Vous  mêliez  do  l'or  aux  nuages  ; 

L'Automne  et  sa  douceur  vont  s'alanguir  là-bas, 
Dans  les  sous-bois,  le  long  des  grèves. 

Et  l'ancien  souvenir  ramènera  mes  pas 

Aux  lieux  où  se  plaisaient  mes  rêves. 

0  feuilles,  que  me  Aiit,  non  plus  que  le  carmin 
Des  fleurs,  votre  pAle  sourire  ? 

Mon  âme  et  la  douleur  sur  le  sombre  chemin 
Passent  et  u'out  rien  p  '^''  'H'" 


•J2  POÈTES    d'aujourd'hui 


La  rose  du  jardin  que  j'avais  méprisée 
A  cause  de  son  simple  et  modeste  contour. 
Sans  se  baigner  d'azur,  sans  humer  la  rosée, 
Dans  le  vase,  captive,  a  vécu  plus  d'un  jour. 

Puis  lasse,  abandonnée  à  tes  pâleurs  fatales. 
Ayant  fini  d'éclore  et  de  s'épanouir. 
Elle  laissa  tomber  lentement  ses  pétales, 
Indifférente  au  soin  de  vivre  ou  de  mourir. 

Lorsque  l'obscur  destin  passe,  sachons  nous  faire, 
Pourquoi  ce  souvenir  que  j'emporte  aujourd'liui  ? 
Mon  cœur  est  trop  chargé  d'ombres 'et  de  mjslère; 
Le  spectre  d'une  fleur  est  un  fardeau  pour  lui. 


Lorsque  se  lamentant  comme  auprès  d'une  tombe, 

Dans  le  creux  du  vallon 
Passait,  tout  vêtu  d'or  par  la  feuille  qui  tombe, 

Le  tragique  Aquilon, 

Qu'a-t-il  dit  au  rameau  qui  balançait  encore 

Un  beau  fruit,  une  fleur, 
Au  soleil  de  novembre,  à  la  tardive  aurore, 

A  mon  âme,  à  mon  cœur  ?, 


J'allais  dans  la  campagne  avec  le  vent  d'orage. 
Sous  le  pâle  matin,  sous  les  nuages  bas  ; 
Un  corbeau  ténébreux  escortait  mon  voyage, 
Et  dans  les  flaques  d'eau  retentissaient  mes  pas. 

La  foudre  à  l'horizon  faisait  courir  sa  flamme 
Et  l'Aquilon  doublait  ses  longs  gémissements; 
Mais  la  tcmpôle  était  trop  faible  pour  mon  àme, 
^  ui  couvrait  le  tonnerre  avec  ses  battements. 


J«AN    MORÉAS 

De  la  dépouille  d'or  du  frône  et  de  l'érable 
L'Aulomru;  '.'omposait  son  éclatant  biilin, 
Et  le  corbeau  toujours  d'un  vol  inexorable 
M'accompagnait  sans  rien  chauger  \  iiioo  destin. 


Ouaod  de  la  trat^ifjue  vie 
Se  condense  l'épaisseur, 
L'ànie  se  sent  assouvie 
De  tendresse  et  de  douceur. 

Mais  soudain  la  tlamnie  brève 
D'un  mystérieux  trésor 
Illumine,  et  dans  un  rêve 
La  bouche  sourit  encor; 

Et  d'espérance  s'égaie 
Notre  Ancienne  douleur. 
Comme  se  pare  une  baie 
Apre  d'une  jeune  tieur. 


Aujourd'hui  ma  pensée  erre  sur  le  Céphise 

Et  je  soupire  après 
Les  pâles  oliviers  et  la  cime  indécise 

Qu'élance  le  cyprès. 

Main  que  me  font  mes  yeux,  qu'ai-je  à  marquer  la  traco 

De  mes  pas  terriens? 
0  mon  âme,  ô  torrent,  c'est  l'absence  et  l'espace 

Qui  forment  vos  liens. 


Mon  cœur  n'est  plus  le  rameau  tendre 
Qui  reverdit  sous  le  ciel  bleu  ; 
Il  nest  plus  môme  cette  cendre 
Qui  couve  encore  uu  sombre  Icu, 


74  POÈTES  d'aujourd'hui 


Mais  ma  blessure  est  si  profonde, 
Virgile,  ô  Dante,  "ïnes  aïeux  ! 
Que  j'envelopperai  le  monde 
Dans  un  amour  plus  oi'gueilleux. 


Par  ce  soir  pluvieux,  es-tu  quelque  présage. 

Un  secret  avertissement, 
0  feuille,  qui  me  viens  effleurer  le  visage 

Avec  ce  doux  frémissement? 

L'Automne  t'a  flétrie  et  voici  que  tu  tombes. 

Trop  lourde  d'une  goutte  d'eau  ; 
Tu  tombes  sur  mon  front  que  courbent  vers  les  tombes 

Les  jours  amassés  en  fardeau. 

Ah  î  passe  avec  le  vent,  mélancolique  feuille 

Qui  donnais  ton  ombre  au  jardin  ! 
Le  songe  où  maintenant  mon  âme  se  recueille 

Ouvre  les  portes  du  ddstin. 

Ces  dernières  Stances  n'ont  paru  jus- 
qu'ici que  dans  le  Figaro  {àèccïnhTC.  iyo3) 
et  dans  la  broohiire  de  M.  Jcati  de  Gour» 
mont  :  Jean  Moréas,  Collectioa  des  Gelé» 
brités  d'aujourd'hui,  Paris,  Sansol,  iyu5. 


COîSITESSE  MATHIEU  DE  NOAILLES 


M"»  la  Comtesse  Mathieu  de  Noaillcs  est  née  &  Paris.  Une  r«?cente 
brochure  de  la  Collection  des  Célébrité*  d'aujourd'hai(i)  donne  sur 
elle  les  renseignements  biographiques  suivants  :  o  La  comtesse 
Mathieu  de  Noaillcs  descend  par  son  père  de  la  puissante  maison 
valaque  des  Bibesco,  devenus  Brancovan  par  adoption  au  milieu  du 
XIX»  siècle.  Son  grand  père  Georges  Bibesco,  hospodar  de  Valachie 
de  1843  à  1848,  avait  ('-pousé  une  princesse  moldave  de  race  grecque, 
Zoé  Mavrocordatû,  fille  adoptive  du  dernier  des  princes  Bassaraba 
de  Brancovan.  Celui-ci  vécut  assez  pour  adopter  également  le  fils 
aîné  de  Georges  Bibesco  et  de  Zoé  Mavrocordalo,  Grégoire,  à  qui 
furent  transférés  tous  les  titres,  privilèges  et  dignités  de  l'antique 
famille  des  Brancovan.  La  princesse  actuelle  de  Brancovan,  sa  veuve, 
mère  de  Constantin  de  Brancovan,  qui  fut  directeur  de  La  Henais- 
tance  latine,  et  de  M""'  la  comtesse  de  Noailles  et  la  princesse 
de  Chimay,  appartient  à  la  famille  grecque  orientale  des  Musiirus, 
—  (originaire  de  l'Ile  de  Crète)  —  oii  la  haute  culture  est  traditioa* 
nelle.  Un  cardinal  Musurus  fut  l'ami  et  le  collaborateur  d'Krasme, 
et  l'auteur  d'une  recension  de  Platon.  Le  père  de  M™'  de  Branco- 
Tan,  Musurus  Pacha,  ambassadeur  de  Turquie  à  Londres,  a  laissé 
une  traductiou  de  Dante  en  grec  ancien...  La  vocation  de  M™»  de 
Noailles  s'affirma  de  très  bonne  heure.  Vers  sa  dixième  année  elle 
vit  venir  en  visite  à  Amphion,  à  quelque  jours  d'intervalle,  ua 
prince  régnant  et  Frédéric  Mistral.  KUe  vénéra,  adora  Mistral  et 
négligea  le  prince.  Dès  lors  son  choix  était  fait  :  déjà  elle  s'essayait 
à  versifier...  Après  avoir  de  11  à  16  ans  couvert  de  prose  de  volu- 
mineux cahiers,  elle  revint  à  la  poésie.  C'est  seulcmeut  en  igoi, 
■près  son  mariage,  qu'elle  publia  son  premier  livre,  LeCœar  innom- 
brable, depuis  assez  longtemps  déjà  achevé  (couronné  par  l'Aca- 
démie française).  Puis  parurent  L'Om&ro  de»  ^oar*  (igoa),  La 
Nouvelle  Espérance  (igoS),  Le  Visage  EmerveilU  (lyoli),  La  Domi- 

(1)  L«i  ComttMt  JiattMu  de  Noaillee,  par  Keaé  "-^hni'i 


•jt  poàTKS  d'aujourd'hui 


nation  [igob),  Les  Ebloaissementt(i^'j)  :  trois  romans,  trois  recueils 
de  poèmes.  »  C'est  de  ces  trois  recueils  de  poèmes  que  sont  extraits 
les  poèmes  qu'on  va  lire.  On  a  appelé  M»»  de  Noailles  la  «  Muse  des 
Jardins  ».  Elle  a,  en  effet,  assez  bien  mérité  ce  titre.  Tout  ce  qui 
compose  un  jardin,  du  plus  riche,  du  plus  paré  au  plus  agreste,  lui 
a  fourni  bien  souvent  tout  le  principe  de  ses  émotions,  tout  1«  décor 
de  ses  poèmes,  et  il  n'est  pas  jusqu'aux  plus  humbles  léguâmes,  aux 
plus  modestes  herbes  qui  n'aient  mérité  son  amour  et  ue  soient  pour 
elle  de  «  douces  personnes  »,  comme  elle  a  dit  quelque  part.  Toute  la 
nature,  d'ailleurs,  lai  est  un  thème  inépuisable  et  préféré  : 

Les  forêts,  les  étangs  et  les  plaines  fécondes 

Ont  plus  touché  mes  yeux  que  les  regards  humains, 

a-t-elle  dit  ailleurs.  «  L'essence  de  sa  poésie,  a  noté  M.  André  Chau- 
meix,  est  une  émotion  toute  personnelle  devant  le  monde  sensible. 
La  nature  est  l'ample  et  multiple  matière  sur  laquelle  l'imagination 
toujours  prête  du  poète  travaille  passionnément.  Tous  les  phéno- 
mènes sont  pour  son  cœur  retentissant  un  sujet  d'émoi  éternelle- 
ment neuf  et  qu'elle  ne  se  lasse  pas  de  traduire  avec  une  mer- 
veilleuse abondance.  Ses  vers  sont  pleins,  comme  elle  l'a  dit,  de 
l'odeur  de  l'aube  et  de  la  nuit,  «  des  fleurs  de  mai  dont  chaque  brin 
se  pàrae  »,  des  fruits,  du  vent,  des  douze  mois,  «  et  des  trente  jar- 
dins de  lis  et  de  verveines  ■  ;  ils  reflètent  le  ciel  à  tous  ses 
moments.  »  Par  une  rencontre  des  plus  heureuses,  on  retrouve  chez 
M"*  de  Noailles  beaucoup  de  choses  de  M.  Francis  Jammes.  Ce  sont 
souvent  les  mêmes  motifs  d'inspiration,  les  mêmes  tableaux,  qu'elle 
sait  exprimer,  rendre  avec  plus  de  rhétorique,  dans  des  vers  plus 
soignés.  En  grande  dame,  elle  a  mis  des  rubans  à  la  flûte  du  pâtre 
et  joué  académiquement  des  airs  analogues.  Est-ce  cela  qui  a 
amené  M.  Jean  de  Gourmont  à  formuler  cette  appréciation  :  «  Vrai- 
ment, la  poésie  de  Jammes  est  tout  entière  dans  la  poésie  de  M*"*  de 
Noailles.  11  ne  s'agit  pas  ici  d'imitation,  mais  d'une  sorte  de  trans- 
position inconsciente  ef  merveilleuse,  d'un  résultat  admirable. 
Instinctivement,  l'auteur  du  Cœur  innombrable  a  su  éliminer  ce  qui 
dans  Jammes  était  encore  trop  nouveau  pour  s'adapter  à  la  sensibilité 
du  public.  Cependant,  sous  une  forme  plus  traditionnelle,  c'est  la 
même  sensibilité.  Elle  est  d'ailleurs  sincère,  mais  sans  Jammes,  se 
serait-elle  éveillée,  aurait-elle  su  s'exprimer  ?  ».  Ce  qui  revient  à  dire 
que  M**  de  Noailles  a  tout  bonnement  vulgarisé  la  poésie  de  M.  Fran- 
cis Jammes.  A  le  prendre  ainsi,  M.  Francis  Jammes  n'aurait  pas 
été  le  seul  initiateur  de  M"  de  Noailles.  Il  y  a  aussi  chez  elle  beau- 
toup  de  Vtrlaioe,  par  endroit*. 

Le  soir  tombait,  on  soir  li  peochaat  «t  «i  triai* 


C0NTS8SB   MATHIKTT    DIT   NOAILLIS  77 


ce  vers  de  L'Omhr«  deê  Jour»  ne  r«ppeUe-t-il  ^»K  ja«qiie  par  la 
modulaiion,  celui  de  Verlaine  daus  Les  Inginas  ; 

Le  «oir  tombait,  un  aoir  équivoque  d'automnr... 

Mais  ce  «ont  là  des  détails,  et  une  critique  peut-^tre  bien  méticu- 
leuse.  Un  écrivain  procède  toujours  d'un  autre,  et  l'action  dm  nos 
ancêtres  se  fait  sentir  «^g^alemcnt  en  littérature.  M"«  de  Noaillno.qui 
doit,  par«tl-il,  beaucoup  à  M.  Maurice  Btrrès,  ne  drmentirn  pas 
cette  throrie  chère,  à  l'auteur  bien  chaneé  du  Jardin  de  Bérénice, 
La  personnalité  de  M"*  de  Noailles  c'est  d'être  un  vrai  poète,  sen- 
sible, ému,  ayant  le  don  du  rythme  et  des  imag'es,  —  n'est-ce  point 
l'essentiel?  —  sans  cesser  pour  cela  d'être  une  femme,  c'est-à-dire 
d'avoir  quelquefois  plus  de  force  dans  ce  qu'elle  sent  et  veut  expri- 
mer que  dans  ce  qu'elle  exprime.  Pour  être  exact,  on  l'a  ausni  un 
peu  «ppsrentpe  aux  romantiques,  —  et  il  y  a  du  vrai,  —  pour  son 
exubérance,  ses  dons  de  description,  son  alliance  du  rêve  et  de  la 
réalité,  «  sa  prédominance  du  sentiment  sur  la  raison  ».  «  Pour  la 
quatrième  fois,  a  écrit  a  son  sujet  M.  Charles  Maurras,  nous  avons  à 
saluer  l'infîuence  persistante  des  romantiques  sur  un  brillant  esprit 
féminin,  (^'rsi  bien  d'eux  que  M""  de  Noailles  a  mémoire  quand  elle 
vit,  quaod  elle  soDpe,  quand  elle  écrit".  La  face  épanouie  de  la  lune 
l'éinfut  à  peu  près  des  mêmes  pensées  qui  auraient  visité  l'imaçina- 
lion  d'un  poète  du  Cénacle.  IJIle  l'interpelle  et  l'invoque  sur  le  même 
ton  qu'employait  Alfred  de  Musset  pour  Phœbé  la  blonde.  A  propos 
d'animaux,  des  «  sobres  animaux  »,  quand  elle  les  admire  et  les 
salue  un  k  un,  en  suppliant  une  divinité  champêtre  de  la  rendre  elle- 
même  pareille  à  ces  doux  bestiaux, 

Rendez-nous  l'innocence  ancestrale  des  bétea, 

le  souvenir  de  Baudelaire  s'entre-croise  à  celui  de  Vigny,  qui  roulait 
que  les  animaux  fussent  nos  <  sublimes  »  modèles.  Entin,  elle  s'est 
exercée  à  fusionner,  sur  les  savants  exemples  de  Victor  Hugo,  le 
matériel  et  le  mystique,  le  pittoresque  et  le  rêvé,  le  coeur  et  la 
chair  ».  Et  M.  Léon  Blum  :  «...  Le  retour  au  Romantisme  fut,  il 
y  a  dix  ans,  le  caractère  du  mouvement  poétique.  Ce  qu'on  a  nommé 
l'humanisme  ne  fut  qu'un  romantisme  rajeuni.  Mais  chez  les  plus 
distingués  des  humanistes  l'inQueuce  verlainienne  restait  sensible,  et 
M"«  de  Noailles  en  est  restée,  à  ce  que  je  crois,  totalement  exf-mpte. 
Ylle  n'est  guère  qu'nne  romantique,  et  c'est  de  iMusset  ({ne  je  la 
rerrais  proche,  un  Musset  sans  sa  grâce  allante  et  sa  plaisanterie 
iésinvolte,  sans  son  penchant  oratoire,  sans  toute  sa  facilité  fran- 
|aise,  un  Musset  plus  âpre,  plus  chargé,  plus  fiévreux,  pins  com- 
^•ic,  au  sang  plus  lourd,  je  voudrais  pouvoir  dire  un  I^iusset  bar- 


jB  poAtbs  d'aujourd'hui  * 

bare,  I!  faut  cependant  marquer  dès  à  présent  qoelques  dîff(?renceg 
essentielles.  Sans  doute  le  lyrisme  de  Lamartine,  de  Musset  ou 
même  de  Hugo  est  on  lyrisme  purement  personnel.  Mais  si  le  poète 
se  chante  lui-même,  il  ne  chante  pas  lui  seul.  Le  poème,  sorti  d'un 
homme,  vaut  pour  tous  les  hommes. ..  Le  rêve  romantique, le  chant 
romantique,  même  en  ce  qu'ils  eurent  de  plus  spécial  ou  de  plus 
neuf,  furent  le  rêve  et  le  chant  communs  d'un  moment  de  l'huma- 
nité... Rien  de  pareil  cher  M""  de  Noailleg.  Sa  poésie  sort  d'elle- 
même  et  retombe  en  elle,  comme  l'élan  du  jet  d'eau  dans  le  bassin. 
Son  éternel  sujet,  c'est  sa  personne,  mais  dans  ce  qu'elle  a  de  parti- 
culier, d'unique,  non  dans  ce  qu'elle  a  de  commua  et  de  général...  » 
Et  il  y  a  aussi,  souvent,  chez  M"«  de  Noailles,  une  tendresse  à 
laquelle  on  ne  résiste  pas.  Afais  ce  dont  il  faut  peut-être  la  louer  le 
plus,  c'est  de  ne  jamais  rien  montrer,  à  aucun  endroit  de  son  œuvre, 
de  ce  fade  et  vague  christianisme  si  fréquent  chez  les  femmes  poètes, 

—  nous  voulons  parler  de  celles  passées,  car  pour  celles  d'aujour- 
d'hui, la  ci'lébritc  de  M"»»  de  Noailles  les  a  si  fort  touchées  qu'elles 
8e  sont  toutes  mises  à  être  païennes. 

M"'  de  Noailles  a  collaboré  à  La  Revue  félibréenne,  à  La  Revue  de 
Paris,  h  La  Revue  des  Deux-Mondes,  à  La  Renaissance  latine, 
m\x  Essais,  au  Beffroi,  au  i^«u,  au  Mouvement,  etc. 

Bibliographie  : 

Lis  OEUVRES.  —  I^e  Cœur  Innombrable,  poèmes.  Paris,  Calraann-Lévy, 
1901,  in-18.  ~  I^ombre  des  Jours,  poèmes.  Paris,  Calmann-Lévy,  1902, 
in-18.  —  La  Nouvelle  Espérance,  roman.  Paris,  Calmann-Lévy,  1903, 
in-i8.  —  Le  Visage  émerveillé,  roman.  Paris,  Culmaïui-Léry,  1904,  in-iS. 

—  La  Domination,  roman.  Paris,  Calmann-Lévy,  1905,  in-8.  —  Les 
Eblouisseuieats,  poèmes.  Paris,  Calmann-Lévy,  1907,  in-18. 

Voir  en  outre  la  préface  d'une  édition  d'Œuvres  choisies  éCAlfred  de 
Musset.  Paris,  Gittler,  1907,  in-12. 

A  coNBOLTiR.  —  Paul  Ackor  :  Petites  Confessions,  visites  et  portraits. 
Pari*,  Fontemoing,  1903,  in-8-.  —  Léon  Blum  :  En  lisant  réflexions  criti- 
ques. Soc.  d'éilit.  littér.  et  art.,  1906,  in-18  ;  L'Œuvre  poétique  de  M"'  de 
Noailles.  Revue  de  Paris,  15  janv.  1908.  —  Hippolyte  Bùffeuolr  : 
Grandes  Dames  contemporaines.  La  comtesse  de  Noailles  et  ses  poésie*. 
Avec  un  portrait.  Paris,  M.  Leclerc,  1903,  in-8.  —  Georges  Caselln  et 
Ernest  Gaubert  :  La  Nouvelle  littérature,  1895-1905.  Paris,  Sansot,  1006, 
m- 18.  — J.  Ernest-Charles  :  Samedis  littéraires,  I"  et  !'  séries.  Paiis, 
Perrin,  1903  et  1904,  iu-18.  —  Paul  Fl&l  :  Nos  femmes  de  lettres.  Paris 
Perrin,  1908,  jn-18.  —  Euoène  Gilbert  :  France  et  Belgique.  Etude» 
littéraires.  Pari»,  Pion,  1905,  in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Prome- 
nades littéraires,  IL  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906,  in-18.  — 
(i.PelHssler  :  Etudes  di:  littérature  et  de  morale  contemporaines.  Pari», 
Coniely,  1905,  in-18.  — (iasion  Ungeot  :  Le  Succ(^s.  Auteurs  et  publie* 
Estai  de    eritiaue    tociologique.  Paris.  Aln»n    igoe,  gr.   in->*. 


OOVnMSK  MATHIEU   QB  NOAIIXJtS  79 


I 


I.Aon  Rlum  :  L'Œuvrn  poétique  de  il/"'  de  Noaille».  Rerae  de  Paris, 
15  jaiiT.  1908.  —  André  f;hanmelx  :  Le»  Eblouhxements,  Jourual  des 
Débat»,  Î9  »ept.  1907.  —  Jeun  «le  Guunnout  :  Les  Nietzschéennes.  Mer- 
cure deFrance,  juillet  1603;  Letterati  conlemporanci.  Madame  de  Noaille»» 
arec  trois  portraits  «t  un  fac-similé  d'aiitogr.  Ëoiporiura  (ISergamoV  janvier 
1908. —  CtiHi'les  iMa\irras:  Le  lioviantisme  féminin.  Minerva,  l'^mai  1903. 
—  Péladan  :  De  la  Poésie  individualiste.  La  Comtesse  M.  de  Noailles  et 
Paul  Marié  ton.  Revue  Kélibréenne,  jaiiv.-gfept.  1903.  —  Henri  de  Ré- 
gnier: Un  premier  livre.  Gauloiâ,  13  mai  1901. 

Iconographie  : 

Forain  :  Portrait,  pcinturo  à  l'huile  (appartient  à  M"«  de  Noailles).  — 
Ilelleu  :  Pointe  lèche  (on  trouve  une  reproduoliun  de  ce  portrait  dans  un 
fascicule  A'Emporium  (Bi  i-;;amc),  janvier  1908).  —  Antonio  de  la  Gan- 
dura  :  Portrait,  pcinturo  à  l'iiuilo.  Exposition  Universelle  de  1900  (a])parlicnt 
&  M"'  do  Noailles).  —  Rodin  :  Buste  (inaclievé).  —  André  llouveyro  : 
Caricature,  puhlii^e  dans  Carcasses  divine*.  Portrait»  et  monographies  des- 
tinés, i'aris,  1.  Bosc,  1907,  iu  4". 


LE  VERGER 

Dans  le  jardin  sucré  d'oeillets  et  d'aromates, 
Lor.sque  l'aube  a  mouillé  le  serpolet  touffu 
Et  que  les  lourds  frelons,  suspendus  aux  tomates, 
Chancellent  de  rosée  et  de  sève  pourvus. 

Je  viendrai  sous  l'azur  et  la  brunie  flottante, 
Ivre  du  temps  vivace  el  du  jour  retrouvé. 
Mon  cœur  se  dressera  comme  le  coq  qui  chante 
Insaliablement  vers  le  soleil  levé. 

L'air  chaud  sera  laiteux  sur  toute  la  verdure. 
Sur  l'effort  généreux  et  prudent  des  semis. 
Sur  la  salade  vive  et  le  b»iis  des  bordures, 
Sur  la  C03SC  qui  gonfle  et  qui  s'ouvre  à  demi. 

La  terre  labourée  où  mûrissent  les  graines 
Ondulera,  joyeu.se  et  douce,  A  petits  flots. 
Heureuse  de  sentir  dans  sa  chair  souterraine 
Le  destin  de  la  vigne  et  du  froment  enclos. 

Des  brugnons  roussiront  sur  leurs  feuilles,  collées 
Au  mur  où  le  soleil  s'écrase  chaudement, 


8o  poètES  d'aujourd'hui 


La  lumière  emplira  les  étroites  allées 

Sur  qui  l'ombre  des  fleurs  est  comme  un  vêtement, 

Un  goût  d'éclosion  et  de  choses  juteuses 
Montera  de  la  courge  humide  et  du  melon. 
Midi  fera  flamber  l'herbe  silencieuse, 
Le  jour  sera  tranquille,  inépuisable  et  long. 

St  la  maison,  avec  sa  toiture  d'ardoises, 
Laissant  sa  porte  sombre  et  ses  volets  ouverts. 
Respirera  l'odeur  des  coings  et  des  framboises 
Kparse    lourdement  autour  des  buissons  verts  ; 

Mon  cœur,  indifférent  et  doux,  aura  la  pente 
Du  feuillage  flexible  et  plat  des  haricots 
Sur  qui  l'eau  de  la  nuit  se  dépose  et  serpente 
Et  coule  sans  troubler  son  rêve  et  son  repos. 

Je  serai  libre  enfin  de  crainte  et  d'amertume, 
Lasse  comme  un  jardin  sur  lequel  il  a  plu, 
Calme  comme  l'étang  qui  luit  dans  l'aube  et  fume, 
Je  ne  souffrirai  plus,  je  ne  penserai  plus, 

Je  ne  saurai  plus  rien  des  choses  de  ce  monde, 
Des  peines  de  ma  vie  et  de  ma  nation. 
J'écouterai  chanter  dans  mon  âme  profonde 
L'harmonieuse  paix  des  germinations. 

Je  n'aurai  pas  d'orgueil,  et  je  serai  pareille, 
Datas  ma  candeur  nouvelle  et  ma  simplicité, 
A  mon  frère  le  pampre  et  ma  sœur  la  groseille, 
^ui  sont  la  jouissance  aimable  de  l'été, 

Je  serai  si  sensible  et  si  jointe  à  la  terre 

fue  je  pourrai  penser  avoir  connu  la  mort, 
t  me  mêler,  vivante,  au  reposant  mystère 
^ui  nourrit  et  fleurit  les   plantes  par  les  corps. 

Et  ce  sera  très  bon  et  très  juste  de  croire 
Que  mes  yeux  ondoyants  sont  à  ce  lin  pareils. 


GOHTKHSK   MATRIBD   DB    NOAILLBS  8l 


I 


Et  que  mon  coeur,  ardent  et  lourd,  est  cette  poire 
Qui  mûrit  doucement  sa  pelure  au  soleil.. . 

{L»  Ccear  innombrable.  Calmaaa-LéTy.) 

LIMAGE 

Pauvre  faune  qui  va  mourir. 
Reflète-moi  dans  tes  prunelles 
Et  fais  danser  mon  souvenir 
Entre  les  ombres  éternelles. 

Va,  et  dis  à  ces  morts  pensifs 
A  qui  mes  jeux  auraient  su  plaire. 
Que  je  rêve  d'eux  sous  les  ifs 
Oiï.  je  passe  petite  et  claire. 

Tu  leur  diras  l'air  de  mon  front 

Et  ses  bandelettes  de  laine, 

Ma  bouche  étroite  et  mes  doigts  ronds 

Qui  sentent  l'herbe  et  le  troène, 

Tu  diras  mes  gestes  légers 
Qui  se  déplacent  comme  l'ombre 
Que  balanceat  dans  les  vergers 
Les  feuilles  vives  et  sans  nombre. 

Tu  leurs  diras  que  j'ai  souvent 
Les  paupières  lasses  et  lentes, 
Quau  soir  je  danse  et  que  le  vent 
Dérange  ma  robe  traînante. 

Tu  leurs  diras  que  je  m'endors. 
Mes  bras  nus  pli»^s  sous  ma  tète, 
Que  ma  chair  est  comme  de  l'or 
Autour  des  veines  violettes  ; 

—  Dis-leur  comme  ils  sont  doux  à  voir 
Mes  cheveux  bleus  comme  des  prunes. 
Mes  pieds  pareils  à  des  miroirs 
Bt  mes  deux  jreuz  couleurs  de  lune, 


p«  poiTBS  d'aujourd'hui 


Et  dis-leur  que  dans  les  soirs  lourds. 
Couchée  au  bord  frais  des  fontaines, 
J'eus  le  désir  de  leurs  amours 
Et  j'ai  pressé  leurs  ombres  vaines... 

(Le  Gœar  innombrable.  Calmann-Lévy.) 

LE  TEMPS  DE  VIVRE 

Déjà  la  vie  ardente  incline  vers  le  soir. 

Respire  ta  jeunesse. 
Le  temps  est  court  qui  va  de  la  vigne  au  pressoir. 

De  l'aube  au  jour  qui  baisse, 

Garde  ton  âme  ouverte  aux  parfums  d'alentour, 

Aux  mouvements  de  l'onde, 
Aime  l'effort,  l'espoir,  l'orgueil,  aime  l'amour, 

C'est  la  chose  profonde  ;  . 

Combien  s'en  sont  allés  de  tous  les  coeurs  vivants 

Au  séjour  solitaire 
Sans  avoir  bu  le  miel  ni  respiré  le  vent 

Des  matins  de  la  terre. 

Combien  s'en  sont  allés,  qui,  ce  soir,  sont  pareils 

Aux  racines  des  ronces, 
Et  qui  n'ont  pas  goûté  la  vie  où  le  soleil 

Se  déploie  et  s'enfonce, 

Ils  n'ont  pas  répandu  les  essences  et  l'or 

Dont  leurs  mains  étaient  pleines, 
Les  voici  maintenant  dans  cette  oo^bre  où  l'on  dort 

Sans  rêve  et  sans  haleine  ; 

—  Toi,  vis,  sois  innombrable  à  force  de  désirs. 

De  frissons  et  d'extase. 
Penche  sur  les  chemins  où  l'homme  doit  servir 

Ton  âme  comme  un  vase, 

Mêlée  aux  jeux  des  jours,  presse  contre  Wn  sein 
L«  vie  âpre  at  £Brouche  i 


GOHTISSI  HATHIBU  DB  NOAIIXIS  88 


Que  la  joie  et  Tamonr  ebantcnt  comme  un  essaim 
D'abeilles  sur  ta  bouche. 

Et  puis  regarde  fuir,  sans  regret  ni  tourment, 

Les  rives  infidèles, 
Ayant  donné  ton  cœur  et  ton  consentement 

A  la  nuit  éternelle... 

(Le  Cœur    innombrable.  Calmann-LéTy.) 

LES  OMBRES 

Quand  ayant  beaucoup  travaillé 
J'aurai,  le  cœur  de  pleurs  mouillé. 

Cessé  de  vivre. 
J'irai  voir  le  pays  où  sont 
Tous  les  bons  Faiseurs  de  chansona 

Avec  leur  livre. 

Chère  ombre  de  François  Villon 
Qui,  comme  un  grillon  au  sillon, 

Te  fis  entendre. 
Que  n*ai-je  pu  presser  tés  mains, 
Quand  on  voulait  sur  les  chemins 

Te  faire  pendre. 

Verlaine  qui  vas  titubant, 
Chantant  et  semblable  au  dieu  Pan 

Aux  pieds  de  laine, 
Es-tu  toujours  simple  et  divin. 
Ivre  de  ferveur  et  de  vin. 

Bon  saint  Verlaine  ? 

Et  vous  dont  le  destin  fut  tel 
Qu'il  n'en  est  pas  de  plus  cruel, 

PauTre  Henri  Heine, 
Ni  de  plus  beau  chez  les  humains. 
Mettez  votre  front  dans  mes  mains. 

Pensons  à  peine. 

Moi,  par  la  vie  et  ses  douleurs, 


84  p«*TBS  d'aujourd'hui 


J'ai  goûté  l'ardeur  et  les  pleurs 

Plus  qu'on  ne  l'ose. .. 
Laissez  que,  lasse,  près  de  vous, 
O  mes  dieux  si  sag'es  et  fous, 

Je  me  repose... 

{L'Ombre  de»  Jours.  Calmann-Léry.) 

J'ÉCRIS  POUR  QUE  LE  JOUR  OU  JE  NE  SERAI  PLUS... 

J*ëcrÎ8  pour  que,  le  jour  où  je  ne  serai  plus. 
On  sache  comme  l'air  et  le  plaisir  m'ont  plu, 
Et  que  mon  livre  porte  à  la  foule  future 
Gomme  j'aimais  la  vie  et  l'heureuse  nature. 

Attentive  aux  travaux  des  champs  et  des  maisons. 
J'ai  marqué  chaque  jour  la  forme  des  saisons, 
Parce  que  l'eau,  la  terre  et  la  montante  flamme 
En  nul  endroit  ne  sont  si  belles  qu'en  mon  âme. 

J'ai  dit  ce  que  j'ai  vu  et  ce  que  j'ai  senti, 
D'un  cœur  pour  qui  le  vrai  ne  fut  point  trop  hardi, 
Et  j'ai  eu  cette  ardeur,  par  l'amour  intimée, 
Pour  être  après  la  mort  parfois  encore  aimée, 

Et  qu'un  jeune  homme  alors,  lisant  ce  que  j'écris, 
Sentant  par  moi  son  cœur,  ému,  troublé,  suipris, 
Ayant  tout  oublié  des  épouses  réelles, 
M'accueille  dans  son  Ame  et  me  préfère  à  elles. 

{L'Ombre  des  Jours.  Calmann-L^vy.) 

CONSTANTINOPLE 

J'ai  TU  Constantinople,  étant  petite  fille. 

Je  m'en  souviens  un  peu, 
Je  me  souviens  d'un  vase  où  la  myrrhe  grésille 

Et  d'un  minaret  bleu. 

Je  me  souviens  d'un  soir  aux  Eaux-Douces  d'Asie  : 
Soir  si  traînant,  si  mou. 


COMTKSSE    MATHIFU    DR    ?(f)AIUIJI.' 

Que  déjà,  comme  un  chaud  serpent,  la  Poésie 
S'enroulait  A  mon  cou. 

Une  barque  passa,  pleine  de  friandises, 

O  parfums  balancés  I 
Des  marchands  nous  tendaient  des  pâtes  de  cerises 

I<:t  des  cédrats  glacés. 

Une  vieille  faisait  cuire  des  aubergines 

Sur  l'herbe,  sous  un  toit; 
Le  ciel  du  soir  était  plus  beau  qu'on  n'imagine. 

J'avais  pitié  de  moi. 

Et  puis  j'ai  vu,  cerné  d'arbres  et  de  fontaines. 

Un  palais  rond  et  frais, 
Des  salons  où  luisait  une  étoile  d'ébène 

Au  milieu  des  parquets. 

Un  lustre  clair  tintait  au  plafond  de  la  salle 
Quand  on  marchait  trop  fort  ; 

J'étais  ivre  d'ardeur,  de  pourpre  orientale. 
Mais  j'attendais  encor. 

J'attendais  le  bonheur  que  les  petites  filles 

Rêvent  si  fortement. 
Quand  l'odeur  du  benjoin  et  des  vertes  vanilles 

Evoque  un  jeune  amant  ; 

Je  cherchais  quelle  aimable  et  soudaine  aventure. 

Quel  enfantin  vizir, 
Dans  ce  palais  plus  tendre  et  frais  que  la  Nature, 

Allait  me  retenir. 

Ah  1  si,  tiède  d'azur,  la  terre  occidentale 

Est  paisible  en  été, 
Les  langoureux  trésors  que  l'Orient  étale 

Brûlent  de  volupté  I 

Ooolliers  de  coraux,  6  nacres  en  losanges, 

0  senteurs  des  bazars  ; 
Tergers  sur  le  Bosphore,  où  des  raisins  étranges 

Sont  roses  comme  un  fard  t 


85 


g6  poAtks  d'aujourd'hui 


Vie  indolente  et  chaude,  amoureuse  et  farouche, 

Où  tout  le  jour  l'on  dort, 
Où  la  nuit  les  désirs  sont  des  chiens,  dont  la  bouche 
Se  provoque  et  se  mord. 

Figuiers  d'Arnaout-keuï,  azur  qui  luit  et  tremble, 

Monotone  langueur 
De  contempler  sans  trêve  un  horizon  qui  semble 

Consacré  au  bonheur  L 

Hélas  I  pourquoi  faut-il  que  les  beaux  paysages 

De  rayons  embrasés, 
Penchent  si  fortement  les  mains  et  les  visages 

Vers  les  mortels  baisers  ? 

Tombes  où  des  turbans  coiffent  les  blanches  pierres, 

O  morts  qui  sommeillez. 
Ce  n'est  pas  le  repos,  la  douceur,  les  prières 

Que  vous  nous  coo8«illez  ! 

Vous  nous  dites  :  a  Vivez,  ce  que  contient  le  monde 

De  sucs  délicieux, 
On  le  boit  à  la  coupe  émouvante  et  profonde 

Des  lèvres  et  des  yeux. 

«  La  beauté  du  ciel  turc,  des  cyprès,  des  murailles. 

Nul  ne  peut  l'enfermer, 
Mais  le  bel  univers  se  répand  et  tressaille 

Dans  des  regards  pâmés. 

«  L'immense  odeur  du  musc,  du  cèdre  et  de  la  rose, 

Glisse  comme  le  vent  ; 
Mais  l'Amour,  de  ses  doigts  divins,  la  recompose 

Au  creux  d'un  chaud  divan. 

c  Sainte>Sophie,  avec  ses  forêts  de  lumière 

Et  ses  bosquets  d'encens, 
Se  laisse  contempler  et  toucher  tout  entière 

Sur  on  corps  languissant...  » 


OOMTtSBB   MATHIIU   DB   NO  AILLÉS  87 


Hélas  !  je  vous  entends,  morts  de  la  terre  chaude, 

Vous  me  brûlez  les  os  I 
Depuis  mes  premiers  ans,  toute  mon  âme  rôde 

Auprès  de  vos  tombe&ux  ; 

J'étais  faite  pour  vivre  au  bord  de  l'eau  profane, 

Sous  le  soleil  pressant, 
Consacrant  chaque  soir  à  la  jeune  Diane 

La  Ville  du  Croissant. 

J'étais  faite  pour  vivre  en  mangeant  des  pignolles. 

Sous  le  frêle  prunier 
Ofi  Xanthé  préparait,  enfant  joueuse  et-moUe, 

Le  cœur  d'André  Chénier. 

.''étais  faite  pour  vivre  en  ces  voiles  de  soie. 

Et  sous  ces  colliers  verts. 
Qui  serrent  faiblement,  qui  couvrent  et  qui  noient 

Des  bras  toujours  ouverts. 

La  douce  perfidie  et  la  ruse  subtile 

Auraient  conduit  mes  jeux 
Dans  les  jardins  secrets  où  l'ardeur  juvénile 

Jette  un  soupir  joyeux. 

On  n'aurait  jamais  su  ma  peine  ou  mon  délire^ 

Je  n'aurais  pas  chanté. 
J'aurais  tenu  sur  moi  comme  une  grande  Ijn 

Les  soleils  de  l'été  ; 

Peut-être  que  ma  long'ue  et  profonde  tristesse, 

Qui  va  priant,  criant, 
N'est  que  ce  dur  besoin,  qui  m'afSig^  et  m'oppresse, 

De  vivre  en  Orient  1... 

{Le$  Ebloattsement*.  Galmann-Lévy.) 

OFFRANDE 

Mes  livres  je  les  fis  pour  vous,  ô  jeunes  hommes, 
Et  j'ai  laissé  dedans. 


88  ro*TB8  d'aujourd'hui 


Gomme  font  les  enfants  qui  mordent  dans  des  pommes, 
La  marque  de  mes  dents. 

J'ai  laissé  mes  deux  mains  sur  la  page  étalées, 

Et  la  tête  en  avant 
J'ai  pleuré  comme  pleure  au  milieu  de  l'allée 

Un  orage  crevant. 

Je  vous  laisse,  dans  l'ombre  amère  de  ce  livre, 

Mon  regard  et  mon  front, 
Et  mon  âme  toujours  ardente  et  toujours  ivre 

Où  vos  mains  traîneront. 

Je  vous  laisse  le  clair  soleil  de  mon  visage, 

Ses  millions  do  rais, 
Et  mon  cœur  faible  et  doux,  qui  eut  tant  de  courage 

Pour  ce  qu'il  désirait. 

Je  vous  laisse  mon  cœur  et  toute  son  histoire, 

Et  sa  douceur  de  lin, 
Et  l'aube  de  ma  joue,  et  la  nuit  bleue  et  noire 

Dont  mes  cheveux  sont  pleins. 

Voyez  comme  vers  vous,  en  robe  misérable, 

Mon  Destin  esft  venu. 
Les  plus  humbles  errants,  sur  les  plus  tristes  sables. 

N'ont  pas  les  pieds  si  nos. 

—  Et  je  vous  laisse,  avec  son  feuillage  et  sa  rose. 

Le  chaud  jardin  verni 
Dont  je  parlais  toujours  ;  —  et  mon  chagrin  sans  cause 

Qui  n'est  jamais  fini... 

{Les  Ebloaisaement».  Calmaon-Lévy.) 

LA  VILLE  DE  STENDHAL 

Un  soir  d'argent,  si  benu,  si  noble, 
Enveloppe  et  berce  Grenoble. 
Tout  l'espace  est  sentimental. 
Voici  la  ville  de  Stendhal... 


COMTKdSH    MATOTUt!    DR    NOAIF.MtS  R9 


Ppiulant  crlte  jouriic'  criticre, 
Coin  1110  un  orap^e  de.  lumière 
Le  soleil  frappait  la  cité  ; 
Maintenant  c'est  le  frais  été. 

La  lune  mince,  rose,  nette, 
l'^cIaire  la  place  Gt'enelte, 
Que  Tair  est  doux  !  Dans  le  lointam 
On  entend  des  Napolitains. 

Musique  brûlante,  insensée. 
Toute  notre  Ame  est  renversée. 
Et,  désespéré  de  désir. 
Le  cœur  veut  jouir  et  mourir. 

Sur  les  ruelles  populeuses 
Des  içlobes  de  lueurs  laiteuses 
Sont  des  phalènes  nébuleux 
Qui  font  les  paTés  mous  et  bleus. 

Des  bruits  troublent  l'ombre  émouvante. 
On  entend  parier  des  servantes. 
Sous  les  platanes  de  l'hôtel 
Je  penso  à  tous,  Julien  Sorel... 

Les  maisons  ferment  une  à  une, 
L'Isère  tremi)le  sous  la  lune. 
Etiez-vous  beau,  rude  ou  charmant? 
On  vous  aimait  si  fortement  ! 

Vous  saviez  ce  qu'il  faut  d'offense. 
D'ardeur,  dé  défi,  de  souffrance, 
D'orjçueil,  de  pleurs,  d'humilité 
Aux  plaisirs  de  la  volupté. 

Venez,  j'attends  votre  visite 
Dans  cette  rue  aux  Vieux  Jésuites 
Où  Beyle,  étant  petit  ivarçon, 
S'ébattait  devant  sa  maison. 


90  FOÂTBS    d'àUJ0URD*H(7I 


Gomme  l'espace  est  calme  et  sage  I 
La  nuntagne  de  Sasseuajçe 
Laisse  couler  dans  le  soir  frais 
L'odeur  du  ciel  et  des  forêts. 

Pourquoi  n'est-on  jamais  heureuse? 
Hier,  dans  la  froide  Chartreuse 
Qui  dort  au  fond  des  vallons  verts, 
Je  pleurais  sur  tout  l'univers. 

C'était  cette  fureur  profonde 
De  vouloir  posséder  le  monde  ; 
Quand  on  est  comme  vous  et  moi, 
On  est  hors  du  temps  et  des  lois. 

Vous  aimiea  comme  je  les  aime 
Le  trésor  qu'on  porte  en  soi-même, 
Le  destin  qui  n'a  pas  d'égal 
Et  le  beau  plaisir  cérébral. 

Derrière  toutes  ces  fenêtres, 

Des  êtres  vont  s'aimer,  vont  naître  ; 

0  mouvement  universel  I 

Nous  serons  morts,  Julien  Sorel. 

Tout  votre  amer  orgueil  éclate 
Dans  mon  cœur  d'ombre  et  d'écarlate. 
Je  vous  ai  bien  aimé  ce  soir 
O  Julien  du  Rouge  et  du  Noir... 

(Les  Eblouissements .  Calmann-Léry.l 


PIERRE  QUILLARD 


Pierre  Qaillanl  est  né  à  Paris  h  i^  juillet  i864'  H  fit  ses  étndes  an 
lycée  Condorcet,  condisciple,  comme  on  l'a  va  précédemment, 
d'Ephralm  Mikbaël,  de  MM.  Stuart  Merrill,  André  Fontainas  et  René 
Ghil.  Il  suivit  ensuite  les  cours  de  la  Faculté  des  lettres,  entra  à 
l'Ecole  des  Chartes  et  à  l'Ecole  des  Hautes*Etude8,  et  fut  chargé  par 
cette  dernière,  en  i88g,  d'une  mission  paléograpbique  à  Lisbonne.  A 
cette  ôpoque.sa  carrière  littéraire  était  déjà  commencée.  Depuis  i884, 
il  collaborait  k  La  Basoche  de  Bruxelles,  et  en  1886  il  avait  fondé, 
avec  Ephralm  Mikhaël  et  Paul  Roux  (plus  tard  Saint-Pol-Roux)  La 
Pléiade,  la  petite  revue  dont  il  a  déjà  été  parlé,  et  où  collaborèrent 
«'gaiement  Charles  Van  Lerberghe,  MM.  Maurice  Maeterlinck,  Gré- 
f^oire  le  Hoy,  Rodolphe  Darzens  et  Camille  Bloch.  C'est  dans  La 
Pléiade  que  Pierre  Quillard  publia  tout  d'abord,  outre  des  poèmes,  La 
Fille  aacc  mains  coupées,  mystère  en  deux  tableaux  et  en  vers,  réim- 
primé en  1891  dans  son  volume  :  Aa  OUire  du  Verbe,  et  repré- 
senté la  même  année  au  Théâtre  d'Art  de  M.  Paul  Fort.  Dès  i8gi, 
Pierre  Quillard  collabora  assidûment  au  Mercure  de  France,  où  il  a 
donné  des  poèmes,  des  pages  de  prose,  des  études  de  littératurt 
tx  de  critique,  non  encore  rassemblées  en  volume,  sur  Stéphane 
Mallarmé,  Bernard  Lazare,  José  Maria  de  Heredia,  Albert  Samain, 
Leconte  de  Lisie,  Emile  Zola,  Madame  Rachilde,  MM.  Henri  de  Ré- 
gnier, Anatole  France,  Paul  Adam,  Remy  de  Gourmont,  Georges 
Cli-mcnceau,  Laurent  Tailhade,  Teodor  de  Wyzewa,  Gustave 
Gctlroy,  Henri  Barbusse,  André  Fontainas,  etc.  En  189,3,  Pierre 
4)uillard  partit  pour  Constantinople,où  il  vécut  jusqu'en  1896,  profes- 
f-n\ir  au  Collège  arménien  catholique  Saint-Grégoire  l'Ulaminalcur 
9t  A  l'Ecole  centrale  de  Galata.  C'est  pendant  ce  séjour  eu  Orient 
ou  il  devait  renouveler  en  1894,  pour  suivre,  pour  le  compte  de  L'H- 
lusirution,  les  opérations  de  la  guerre  gréco-turque,  qu'iiéorivit  L'Sr- 
rante,  poème  dialogué,  représoÈUé  «a  Théâtre  de  rOfannrv  ea  189O,  «i 


ga  foib««  d'aujocrd'hui 


la  plupart  4e  cm  poème*  ai  purs,  ri  harmonienx,  d'âne  inspiration 
à  la  fois  orgueilleuse  et  désabusée,  qu'on  trouvera  dans  notre  choix. 
Vaines  images,  les  intitulait-il.  Ce  qui  prend  l'aspect  d'une  modes 
tie  un  peu  excessive,  quand,  après  avoir  lu  ces  poèmes,  les  vers, 
malgré  soi,  vous  en  reviennent  tout  seuls  k  la  mémoire.  Revenu  à 
Paris  vers  la  fin  de  1896,  il  réunit  toute  son  œuvre  en  un  volume  : 
La  Lyre  héroïque  et  dolente,  qui  est  resté  à  ce  jour  sa  seule  publi- 
cation poétique.  <«  M.  Pierre  Quillard,  écrivit  à  ce  propos  M.  Henri 
de  Régnier,  est  fortement  nourri  des  belles-lettres  antiques  ;  aussi 
a-t-il  droit  plus  que  tout  antre  d'intituler  ainsi  son  livre.. .  Il  a  pris 
i  la  fréquentation  des  Muses  helléniques  et  latines  une  gravité  har- 
monieuse et  hautaine,  un  reflet  lumineux  et  cnlme.  Lisez  ses  belles 
Elégies  héroïques  :  /je  Dieu  mort,  Ruines,  I^es  Vaines  images,  qui 
sont  Psyché,  Hymnis  et  Chrysarion,  Le  Jardin  de  Cnssiopée,  La 
Chambre  d'amour,  et  goûtez-en  la  beauté  amère  et  sereine,  l'acre 
et  doux  parfum,  la  cadence  sonore.  Klles  disent  l'Amour,  la  Mort 
et  le  Temps  ;  elles  exhalent  une  mélancolie  stoïque  et  païenne  ;  elles 
sentent  la  rose  et  le  cyprès  ;  il  y  rôde  une  odeur  de  Bois  sacré... 
M.  Pierre  Quillard  écrit  dnr8h!i'...  » 

On  doit  également  k  Pierre  Quillard  plusieurs  otirrages  Bavants, 
traduction  d'oeuvres  de  Sophocle,  de  Porphyre,  d'Hérondas.dc  Clau- 
dius  Aeliénus  Prénestin,  une  étude  sur  la  langue  de  Thoocrile  dans 
Le»  Syracusaines,  ainsi  que  d'autres  travaux  se  rattachant  i 
ses  préoccupations  sociales  et  politiques.  Pierre  Quillard,  en  effet, 
s'est  souvent  mêlé  aux  événements  de  notre  époque.  Il  a  notam- 
ment pris  le  parti,  en  France,  du  peuple  arménien  opprimé  par  le 
gouvernement  turc,  et  il  a  fondé  dans  ce  but  un  petit  journal  de 
propagande  ;  pro  Armenia.  Il  a  également  pris  une  part  très  active 
et  très  courageuse,  aux  côtés  d'Emile  Zola,  dans  une  grande 
affaire  qui  passionna  la  France,  il  y  a  quelque»  années .  On  doit 
admirer  en  lui  un  vrai  poète,  à  qui  l'art  ne  faisait  pas  oublier  et 
négliger  la  vie. 

Pierre  Quillard,  qui  rédigea  au  Mercure  de  France  la  critique 
des  Poèmes,  a  collaboré  à  La  Pléiade,  i"  série,  1886,  et  v.«  série, 
1889,  —  à  Wallonie,  1888-189»,  —  aux  Entretiens  politiques  et 
Littéraires.  1890,  —  à  Floréal,  1892,  —  k  Lm  Révolte,  aux  Temps 
nouveaux,  aux  Droit  de  l'homme,  k  La  Revue  de  Paris  à  La 
Revue  blanche,  à  L'Aurore,  à  Pro  Armenia  et  à  Vers  et  Prose.  Il 
est  mort  soudainement  le  i^févricr  tgia. 

Bibliographie  : 

Les  oeuvres —  L.n  FJIIe  aux  mains  coupées,  poème  dramatique,  Paria, 

édition  tic  La  Pléiaile,  1S86,  in-18.  Réiinpr.  :  La  Fille  aux  mains  coupérg^ 
nprod.    «ulograpliique    du   Ma.    de    l'aiileur.    Paris,    Soc.   du    Mercure   de 


PlKnni    QUILLAIU» 


t 


France.  1893,  in-8  (50  ex.  sur  papiiT  do  liixo).  -  l'iiule  phon6ll(iue  cl 
inor|)hulo()lciufl  sur  la  lanoun  «leThéocrltu  dans  les  Syrucusaliie»^ 
en  collaboralioii  avec  M.  Marcel  Collièrc.  Paris,  Crovillo,  Moi'aiil  et  F'oucar^ 
1888,  iu-12.  —  La  Gloire  du  Verbe,  poème,  188J-18U0.  Pari»,  Librairie  de 
l'Art  ludi^peiulant,  1890,  iu-16.  —  L'Autre  des  Nymphes,  de  Porphyre, 
traduit  par  Pierre  Quillard.  Paris,  Librairie  de  l'Art  ludépendant,  1802,  iu-16. 
—  Les  Lotlres  rustiques  de  Caludius  ifîliaims  rréncstlu,  traduite, 
du  grec  eu  fraiiçaii,  illustri''os  d'uu  Avant-propos  et  d'un  Conmieiilaire  latin. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  18'Jb,  petit  in-12.  —  Le  Livre  ue  Jam- 
Ml([ue  sur  les  Mystères,  traduit  par  Pierre  Quillard.   Paris,  Librairie  de 

il  Indi^pcndaut,  1895,  in-16.—  PhlloUtétés,  de  Sopiiocle.  Paris,  Fasquelle, 

i',  in- 18.  —  La  Question  d'Orient  et  la  politique  personnelle  de 
.»i.  Hauotuux  (en  collaboration  avec  le  docteur  L.  Margcry).  Paris,  Stock, 
1897,  in-18.  —  L'Assassinat  du  Père  Salvatore  (en  collaboration  avec 
le  chef  A),'ba>si,  de  Zcitouu).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1897,  in-18. — 
La  Lyro  héroïque  et  dolente  (De  Sable  et  d'Or.  La  Gloire  du  Verbe. 
L'Errante.  La  Fille  aux  mains  coupées),  poèiuea.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
■"lauce,   1897,    in-18.  —  Le  .Monument  Henry.  Listes  des  Souscripteurs 

^sés  luc'tliodiguemeut  et  selon    l'ordre  alphabétique.    Pans,   Stock,   1899« 

18.  —  l^es  Mimes  d'Ilérondas,  trad.  littérale  aecompugnéa  de  uolea. 

lis.  Soc.  du  .Mercure  de  France,  1900,  in-18. 

Voy    en  outre  une  prél'aco  aux  Poèmes  d'Arobag  Tchoboui&n .  Paris,  Soo 
du  Mercure  do  France,  1908,  iu-18. 

En  puÉPARATion.  —  Loys,  drame  en  vers,  • 

Thadui:tio.n.  —  Pastels  in  Prose,  translated  by  Stuart  Merrill,  New- 
York,  llarper  et  Brothers,  1890. 

A  CONSULTER.  —  K.  do  Gourmoiit  :  Le  Livre  des  Masques.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1896,  ia-18.  —  A.-F.  Herold  :  Pierre  Quillard,  notice 
publiée  dans  Les  Portraits  du  prochain  siècle,  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  — 
4.  Iluret  :  Enquéle  sur  l'Evolution  littéraire.  Paria,  ChArpcniier,  1891, 
in-18.—  E.  Vlgi^Lecouq  :  La  l'oi'.sie  contemporaine.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
do  Franco.  n>'J7,  iu-18.  —  Ch.  Maiirras  :  Hevue  UtO'raire.  Revue  Kucyclo- 
pédique,  Il  janvier  18U8.  —  L.  Mulhleld  :  Chronique  de  lu  littérature. 
*<ievue  blanche,  1"  juin  1895.  —  Saiut-Pol-Roux  :  La  Uloira  du  Verbe, 

r  Pierre  Quillard.  Mercure  de  France,  Uwnu  1881. 

Iconographie  : 

G.  Dnrbour  :  Aquarelle,  1893  (Kxi)Osition  des  Portraits  du  prochaèa 
ticcie,  1893),  reproduite  dans  la  lieuue  Encyclopédique,  15  novembre  1893). 


LK  DIEU  MORT 

A  André  Fontainoi. 

Une  étoile,  une  seule  étoile.  O  funérailles 

Royales!  solitude  où  la  gloire  mourait 

Sur  un  hùclier  perdu  derrière  la  forêt, 

A  l'ticart  des  drapeaux,  du  glaive  et  des  ijatailles. 


9d  poÈTxs  d'aujourd'hui 

Le  héros  s'en  allait  sans  pourpre,  enseveli 
Dans  une  soie  éleinte  et  dans  les  tresses  rousses 
Des  captives  et  des  amantes:  lèvres  douces 
Et  voraces,  vous  qui  buviez  le  sang  pâli, 

Vers  quels  baisers  souriez- vous  ?  Vers  (|uelles  fête» 
Sonne  déjà  l'appel  de  vos  chants  oublieux? 
Ah,  mensongères!  pour  des  larmes  en  vos  yeux, 
Il  fallait  l'apparat  de  célèbres  défaites 

Et  l'horreur  des  clairons  déchirant  le  ciel  noir. 
Pour  tordre  avec  des  cris  de  pleureuses  louées 
Vos  corps,  mimes  en  deuil  sous  le  vol  des  nuées, 
Parmi  la  rouge  odeur  des  torches  dans  le  soir. 

Mais  nul  regard  viril  n'a,  du  haut  des  murailles. 
Avidement  cueilli  la  fleur  de  vos  bras  nus  : 
Vous  avez  fui.  Le  roi  ne  s'éveillera  plus. 
Une  étoile,  une  seule  étoile.  O  funérailles. 
•  {La  Lyre  héroïque  ei  dolente.), 


RUINES 

A  Maarice  Nicolit, 

L'illustre  ville  meurt  à  l'ombre  de  ses  murs  ; 
L'herbe  victorieuse  a  reconquis  la  plaine  ; 
Les  chapiteaux  brisés  saignent  de  raisins  mûrs. 

Le  barbare  enroulé  dans  sa  cape  de  laine 

Qui  paît  de  l'aube  au  soir  ses  chevreaux  outrageux 

Foufe  sans  frissonner  l'orgueil  du  sol  hellène. 

Ni  le  soleil  oblique  au  flanc  des  monts  neigeux, 
Ni  l'aurore  dorant  les  cimes  embrumées 
Ne  réveillent  en  lui  la  mémoire  des  dieux. 

Ils  dorment  à  jamais  dans  leurs  urnes  fermées 

Et  quand  le  buffle  vil  insulte  insolc-uiment 
La  porte  triomphale  où  passaient  des  armées, 


Piinn*  QuiLLARD  g5 


Nul  ;,Haive  de  héros  apparu  ne  défend 
Le  porche  dévasté  par  l'hiver  et  l'aulomne 
Dans  l«  tragi(iuc  deuil  de  son  écroulement. 

Le  sombre  lierre  a  clos  la  gueule  de  Gorgone. 

{Ln  Lyre  héroïque  et  doltnlt.) 

I/AUTOMNK  A  DENUDE... 

L'automne  a  dénudé  les  glèbes  et  le  soir, 
Un  soir  d'exil  ot  de  mains  di'sunics. 
S'approche  à  l'horizon  des  plaines  infinies, 
Roi  dévolu  de  pourpre  et  spolié  d'espoir. 

O  marcheur  aux  pieds  nus  et  las  qui  viens  t'asscoir 
Sans  compagnon,  parmi  les  laudes  défleuries. 
Près  des  eaux  morues,  quelles  mêmes  agonies 
Alourdissent  ton  front  vers  ce  triste  miroir  ? 

.le  le  sais,  tout  se  meurt  dans  ton  âme  d'automne. 
Laisse  la  nuit  prendre  les  fleurs  qu'elle  moisoune 
Et  l'amour  défaillant  d'un  cœur  ensanglanté, 

Pour  (ju'après  le  sommeil  et  les  ombres  fidèles 
Les  clairons  triomphaux  de  l'aube  et  de  l'été 
Fassent  surgir  enfin  les  roses  inmior telles. 

(La  Lyre  héroïque  et  dolent».) 

PSYCHÉ 

'etite  âmi,  Psyché  mélancolique,  dors. 
/s  d'aurore  surgi  des  heures  ténébreuses, 
•^s  bras  souples  et  frais  et  tes  lèvres  heureuses 
it  rajeuni  mon  cœur  et  réjoui  mon  corps. 

Kt  tu  m'ds  cru,  petite  âme  blanche  et  fiarouche, 
Tel  que  ton  désir  vierge  encore  me  voulait 
Pendant  tes  longs  baisers  de  miel  pur  et  de  lait, 
Tant  que  l'ombre  a  menti  comme  mentait  ma  boucht. 


gd  POfiTEs  d'aujourd'hui 

Nulle  parole  et  nulle  étreinte  et  nul  baiser, 
N'ont  trahi  la  douleur  secrète  du  cilice  ; 
Mais  éveillée  avec  l'aube  révélatrice 
Tu  frémissais.  Psyché  fragile,  à  te  briser, 

Si  le  jour  dessillant  ta  paupière  sereine 
Au  lieu  du  doux  vainqueur  que  rêvait  ton  émoi 
Te  décelait  mes  poings  crispés  même  vers  toi 
Et  mes  yeux  éperdus  de  colère  et  de  haine  ; 

Car  je  te  hais  de  tout  ton  amour,  ô  Psyché, 
Pour  les  jours  à  venir  et  les  futures  heures 
Et  les  perfides  flots  de  larmes  et  de  leurres 
Qui  jailliront  un  jour  de  ton  "être  caché. 

Mais  avant  que  la  nuit  divine  m'abandonne. 
Avec  le  dur  métal  des  gouffres  sidéraux 
Je  forgerai  le  masque  amoureux  d'un  héros, 
Rieur  comme  l'Avril,  grave  comme  l'Automne  ; 

Mort  vivant  sur  les  lèvres  mortes  d'un  vivant. 
Le  masque  couvrira  ma  face  convulsée  ; 
Et  maintenant  que  l'aube  éclate  !  O  fiancée 
Chez  qui  la  femme,  hélas  !  va  survivre  à  l'enfani. 

Eveille-toi,  rouvre  ta  bouche  qui  s'est  tue, 
Tu  n'entendras  de  moi  que  paroles  d'orgueil 
Et  je  me  dresse  sous  les  morsures  du  deuil 
Lauré  d'or  et  pareil  à  ma  propre  statue. 

(La  Lyre  héroïque  et  dolenU, 

CHRYSARION 

Sur  cette  mer  toujours  déserte,  où  nos  yeux  vains 
S'égaraient  dans  l'ennui  des  solitudes  mornes. 
Le  navire,  aux  clameurs  des  conques  et  des  cornes. 
Fleurit  avec  l'aurore  éclatante  ;  et  tu  vins. 

Apportant  le  parfum  des  terres  étrangères. 
Le  rellet  des  soleils  morts  parmi  tes  cheveux 


I  pour  les  cœurs  lassés,  graves  et  dédaii^ncux 
i  enchantement  de  quelques  heures  plus  Icgcres. 

Trop  de  désirs  déçus  et  d'espoirs  abusés 
Hantent  notre  mémoire  et  sao^lolcut  eu  elle  : 
Nous  n'avons  pas  tendu  Vers  t;i  chair  fraternelle 
Nos  lèvrcB  dès  longtemps  déprises  des  baisers . 

Mais  les  heures  passaient  douces  comme  la  soie 
Eu  vêtements  tramés  de  soleil  et  de  nuit, 
Danseuse  au  collier  d'or  qui  fulgure  et  s'enfuit, 
Amante  triste  et  grave  ea  marche  vers  la  joie. 

Et  vous  qui  regardiez  des  astres  abolis. 

Visages  inquiets  ivres  du  vieux  mensonge 

O  faces  de  stu[)eur,  d'extases  et  de  songe 

Sur  qui  l'ombre  clémente  est  tombée  à  longs  plis; 

Puis  la  dernière  ;  et  ce  fut  toi-même,  inclinée 
A  la  poupe  et  semant  des  roses  dans  le  soir 
AHn  que  la  i^-^aiôre  et  le  sillage  noir 
S'illustrassent  encor  d'une  pourpre  fanée 

Et  que  la  sombre  mer  sourît  à  nos  yeux  vams. 

{La  Lyre  héroïque  «t  dolente.) 


L'ERRANTE 

rHAOMKMT 

DE  GUEULES 

Dans  la  mélancolique  demeure  où  les  murs  s'émerveillaient 
de  sa  beauté,  saluée  par  les  figures  amies  des  lices,  irradiant 
l'eau  ternie  des  miroirs,  I'ërhante  est  entrée  blanche  et  nue. 

Elle  n'a  point  refusé  ses  lèvres  et  les  rouges  floraisons  de 
la  joie  ont  lleuri  iuipérieuseiiient,  par  la  vibrante  offrande  de 
son  corps  à  I'Hommb  éveillé  d'un  Inn:::;^  rêve. 

11  a  plongé  dans  les  coffrets  de  bronze  ses  mains  fiévreuses 


g8  POÈTES  d'aujourd'hui 

et  prodigues,  et  l'armure  d'or  et  les  brocarts  et  les  gemmes  et 
le  glaive  ont  échappé  aux  chaînes  noires  des  ténèbres. 

Sur  les  seins  et  sur  les  épaules  de  I'Eurante,  tous  les  tré- 
sors enfouis  dans  le  sépulcre  du  silence  depuis  des  siècles, 
des  ans  et  des  jours,  resplendissent  avec  l'aurore. 

Au  seuil  matinal  de  la  porle,  elle  se  dresse  en  sa  rol)e  de 
pourpre  qui  recèle  sous  le  sang  figé  de  la  soie,  avec  la  cotte 
de  mailles,  l'irréprochable  acier  du  glaive. 

Pensive,  elle  s'est  retournée  vers  I'Hommb  qui  fait  un  geste 
d'adieu,  et,  comme  hésitante  et  retenue  par  la  puissance  d'une 
main  invisible,  elle  tarde  à  franchir  le  seuil. 

L'ERRANTE 

Je*  le  sais  :  mo«  destin  m'entraîne  et  tu  le  veux. 
J'irai.  Je  dois  offrir  aux  chocs  tumultueux, 
Dès  le  premier  appel  de  l'aube  avant-cotrrrière. 
Ma  poitrine  héroïque  et  libre  de  guerrière  ; 
Et  mon  poing  brandira  le  glaive  désormais. 
Je  le  sais  :  mais  l'exil  sombre  où  tu  t'enfermais 
S'illumine  pour  toi  de  ma  chair  apparue, 
Et  radieuse  encor,  même  absente,  j'olj-itrue 
Les  portes  de  la  nuit  que  tu  heurtais  déjà. 
Ami,  dont  ma  venue  importune  outragea 
Le  manoir  de  silence  et  d'ombre  inviolée. 
Pardonne,  pour  ton  deuil  de  solitude  emblée, 
A  l'Errante  qui  part,  chaude  de  tes  baisers. 

L'HOMME 

Va  :  le  soleil  bondit  dans  les  cieux  embrasés  ; 

C'est  l'heure,  il  faut  franchir  le  seuil  et  vers  les  villes 

Te  ruer  en  clamant  aux  oreilles  serviles 

Tout  ce  que  les  toiùbeaux  t'oût  livré  de  secrets. 

Viens  et  regarde  :  là  de  houleuses  forêts 
Où  les  pasteurs  de  porcs  se  vautrent  dans  les  bauges; 
Puis  des  plaines,  rumeurs  des  blés,  parfum  des  sauges^ 
Et  les  paysaas  nus  courbes  sous  les  siUoua 


viuma  QuiLLAno  99 


A  jamais  ;  et  plus  loin  des  foules  ea  haillonB, 

Troupeaux  lâches  que  tu  mueras  en  fauves  liardes. 

Tournent  vers  le  palais  des  prunelles  hagardes 

Et  des  poings  décharnés  par  l'immuable  faim 

Sans  que  la  torche  encor  s'enflamme  dans  leur  maio. 

Ce  qui  fut  moi  naguère  et  richesse  stérile 
Et  dépouille  des  temps  silencieux  rutile 
Autour  de  ton  front  jeune  et  de  (es  seins  altierg  : 
Voici  venir  un  vol  de  cygnes  cployés. 
Le  vol  tardif  et  sûr  des  prophétiques  ailes 
Qui  m'invite  au  sommeil  des  ondes  éternelles. 

Va  :  la  chair  que  la  mort  heureuse  requérait 
S'évanouit  parmi  les  choses,  sans  regret, 
Maintenant  que  tu  m'as  affranchi  de  moi-même 
Et  que  tu  peux,  maîtresse  enfin  du  double  emblème, 
Descendre  vers  les  serfs  de  la  glèbe  et  des  murs 
Et,  selon  le  vouloir  des  trois  monstres  obscurs. 
Tendre  le  rameau  d'or  ou  férir  de  l'épée. 

L'Homme  disparaît  $ous  Us  eaux  immobiles,  sous  les  «aux  ip* ifi- 
ses  où  ue  palpite  aucune  lueur.  L'EnnANiK  contcujpie  louj^uement  le 
lac  d'ombre  monolone,  puis  marche,  «uréolée  par  la  gloire  tl.j 
malin,  vers  les  plaines  et  vers  \m  villes  orientales,  taudis  (]ue  ea 
voix  dans  la  solitude  chante  les  batailles  futures. 

l'errantb 

Homme,  revis  en  moi.  Dans  ma  dextre  crispée 
Je  serre  puissamment  le  pommeau  froid  du  glaive 
Et  si  le  monstre  ancien  se  rebelle  et  se  lève, 
Je  rougirai  le  sol  de  sa  tête  coupée, 

Moi,  celle  qui  connaît  les  suprêmes  paroles 
Et  toute  la  douleur  avec  toute  la  joie  ; 
^^  Je  chasserai  le  loup  et  l'hyène  de  proie 


Que  les  dragons  jaloux  gardaient  des  mains  humaines 
Afin  que  le  parfum  des  roses  inconnues. 


foAtks  d'aujourd'hui 


Epars  farouchement  sous  la  voûte  des  nues. 
Suscite  dans  les  cœurs  les  désirs  et  les  haines, 

Je  viens  à  vous,  frères  penchés  sur  les  emblaves. 
Attelés  à  la  meule  au  fond  de  l'erg'astulc  ; 
Mon  verbe  lacérant  l'antique  crépuscule 
Souffle  une  âme  de  pourpre  à  vos  âmes  d'esclave» 

Redressez- vous  ;  sarclez  les  herbes  parasites  : 
Lancez  contre  le  ciel  les  pierres  de  vos  (jcùles, 
Et  que  les  murs  vaincus,  par  vos  fortes  épaules. 
Vous  ouvrent  le  jardin  des  terres  interdites 

Où,  plus  belles,  des  fleurs  de  r^ve  vont  éclore 
En  butin  triomphal  pour  les  races  vénérées, 
Tandis  que  le  sang  vil  des  bêtes  ég'orgées 
Se  mêle  par  mon  glaive  au  san£^  pur  de  l'aurore. 

(IjQ  Lyre  héroïque  et  dolent»») 

LE  CHÈVRE-PIEDS 

Sous  cette  roche  en  pleurs  où  dort  la  femme  nue. 
Nuage  d'aube  éparse  en  la  menteuse  nuit. 
Le  chèvre-pieds  regarde  à  travers  l'eau  qui  flue 
Les  lointaines  maisons  de  labeur  et  de  bruit. 

Les  tristes  paysans  se  penchent  vers  la  glèbe 
Pour  un  baiser  de  serfs  et  de  jaloux  amants 
Dont  la  bouche  haineuse  évoque  de  l'Erèbe 
L'or  f«tur  des  çpis  et  des  riches  froments. 

Avares  de  moissons  qui  fatiguent  les  grange». 

Ils  méprisent  l'aurore  et  les  soleils  couchants 

Et  leur  oreille  est  close  aux  paroles  étranges 

Qui  montent  des  taillis,  des  sources  et  des  champs; 

Et  la  charrue,  avec  les  jours  et  les  années. 
Impitoyable  au  deuil  des  bois  mystérieux, 
Offense  la  beauté  des  forets  profanées 
Dû  rôdaient  librement  les  fauves  et  les  dieux. 


rilRKK  QUILLARD  fOf 


Mîiis  le  Sylvain  Riirvil  h  la  sylve nbattiifi; 

îhtns  l'Hiitrc  <Ticor  voilé  de  feiiillntrc,  sn  cliair 

Immortelle,  k  travers  les  sitcles,  perpétue 

Le  grand  frisson  d'amour  qui  fait  tressaillir  l'air; 

Kl  dans  les  flancs  d'une  passante  solitaire 

H  sème  au  chant  des  eaux  et  des  rameaux  flottAnts 

Des  fils  aventureux  Affranchis  de  la  terre 

En  qui  bout  la  jeunesse  héroïque  des  temps. 

{La  Lyre  héroïque  et  dolente.) 

FLAMMES 

Parmi  les  Acres  fleurs  des  lauriers,  cette  voix 
Evoratrice  en  nous  de  gloire  révolue 
Emanait  de  la  mer,  du  soir  et  d'autrefois  : 

c  Enfants  tristes  penchés  vers  l'ombre,  l'ombre  afflue 
Et  monte  jusqu'à  vos  lèvres  avec  les  Hots 
Dont  vous  enivriez  votre  âme  irrésolue. 

La  séculaire  nuit  opprime  vos  yeux  clos, 
Enfants  tristes,  et  vos  poitrines  lacérées 
Se  gonflent  lâchement  de  stériles  sanççlots. 

Si  votre  bouche  a  soif  des  aubes  emprouprëes 

Et  du  sang  lumineux  qui  sacre  le  malin. 

Quel  sortilège  encor  vous  attrait  aux  vesprées? 

D'un  geste,  dans  la  nuit,  décisif  et  hautain. 

Reniez  le  poison  des  ondes  léthéennes 

Et  marchez  sans  retour  vers  un  autre  destin.  » 

Frënétiques,  hors  des  ténèbres  anciennes. 

Nous  avons  fait  jaillir,  dans  le  ciel  morne  et  noir, 

Une  farouche  aurore  à  la  cime  des  chênes. 

Et,  dociles  au  cri  de  désir  et  d'espoir, 
Nous  respirons  les  roses  roue^es  de  la  joie. 
Depuis  que,  déjouant  les  embûches  du  soir. 


POÈTES    d'aujourd'hui 


La  torche  avec  l'épée  à  notre  poing  flamboie. 

{La  Lyre  héroïque  et  dolente ■] 

JOUVENCE 

Tu  parles  tristement  des  campagnos  lointaines 
D'une  voix  si  dolente  et  lourde  de  régirais 
Que  je  deviens  jaloux  des  fleurs  et  des  forêts 
Et  des  saules  d'argent  penchés  vers  les  fontaines. 

Souvenirs  !  jours  anciens  !  comme  vous  enserrez 
Notre  âme  prisonnière  en  d'invincibles  chaînes  : 
Tu  veux,  comme  aatrefois,  baigner  les  sombres  chênes 
Au  clair  de  lune  blond  de  tes  cheveux  cendrés. 

Soit  !  l'été  revenu  parmi  les  hautes  herbes. 
Nous  marcherons,  frôlés  parvles  ailes  de  l'air, 
Au  murmure  divin  des  choses  et  ta  chair 
Mêle4>a  des  parfums  de  Chypre  aujç  foins  en  gerbes. 

Et  peut-être  qu'un  soir  entre  de  rudes  draps 
Embaumés  de  lavande  et  dans  un  lit  d'auberge. 
Tu  me  rendras  ta  chair  et  tes  lèvres  de  vierge 
Pour  quelque  amour  d'enfant  dont  tu  te  souviendras. 

(La  Lyre  héroïque  et  dolente.) 

UEP 

Quand  sur  l'eau  changeante 
De  rose  et  d'ar^ient 
Treml^lait  l'ombre  bleue 
Des  peupliers  blancs, 


Dans  le  soir  perfide 
J'ai  cueilli  des  fleurs. 
Et  sous  les  épines 
Je  saigne  et  je  pleure. 

Et  mon  cœur  frissonne, 
En  se  souvenant. 


PIXRRI    QUILLARO  103 


Comme  l'eau  chnngeante 
De  rose  et  d'argent. 

LA  ROUTE  DE  THÈSES 

Œdipa»  toçuitar. 

Arbres  amis,  la  paix  tombe  de  vos  ramures. 

Ailleurs,  le  vent  Fatal  éveille  les  murmures 
Des  chAnes  ;  l'eau  sinistre  a  le  goût  de  la  mort  : 
Ici  le  jour  sourit  sur  les  foqtaines  pures 
Et  mon  cœur  se  détend  du  meurtre  et  de  l'effort. 

Le  dieu  mentait  par  la  bouche  de  la  prêtresse. 

Voix  funèbres,  chœur  d'épouvante  et  de  détresse; 
0  stupides  corbeaux  qu'offusque  le  malin, 
Vos  cris  n'ont  pu  tromper  ni  vaincre  ma  jeunesse; 
Je  me  suis  évadé  de  mon  mauvais  destin. 

Cependant  des  chevaux  se  cabraient  vers  les  ombref , 

Leur  galop,  dirigé  par  des  étoiles  sombres. 
Me  repoussait  déjà  du  côté  de  la  nuit  ; 
Parmi  récrouleaient  des  roches  en  décombres 
Leurs  naseaux  me  brûlaient  le  front  :  je  n'ai  pas  fbL 

Mon  bras  n'a  pas  failli  ;  la  lumière  m'éooute  , 

Le  sang  p&Ie  de  l'homme  a  coulé  goutte  à  goutte; 
Au  carrefour  des  rocs  et  du  triple  ravin, 
J'ai  tué  l'inconnu  qui  me  barrait  la  route, 
Complice  contre  moi  du  mensonge  divin. 

Joyeusement,  je  marche  aux  rencontres  Aiturea. 

Arbres,  adieu  ;  adieu,  chant  des  fontaines  pareaj 
Je  ne  redoute  rien  des  hommes  ni  du  sort, 
Et  si  le  dieu  jamais  redevient  le  plus  fort. 
Sur  mon  front  las  et  sur  mes  prunelles  obscures 
Puisse  la  même  paix  s'épaudre  des  ramures. 


ERNEST  RAYNAUD 
4864 


M.  Ernest-Gàbriel-Nicoltii  Raynand  est  né  à  Parisle  aa  février  i8fi4, 
lar'giiedocien  par  son  prre  et  ardennais  par  sa  mère.  Il  fil  ses  t^tudes 
au  lycée  Gharlemapiie.  Tourné  de  très  bonne  heure  vers  les  lettres, 
il  était  encore  lycéen  qu'il  écrivait  déjà  des  vers.  Il  avait  élu  comme 
maître  Paul  Verlaine,  preuve  d'un  tfoût  sûr  autant  que  libre,  si  l'on 
songe  qu'un  jeune  homme  se  tourne  d'ordinaire  plutôt  ver»  les 
talents  consacrés  et  célèbres.  Un  jour  il  lui  adressa  des  vers,  que 
l'auteur  de  Sagesse  remit  à  Lutèce,  où  ils  furent  publiés  et  bientôt 
suivis  d'autres.  Ce  furent  les  débuts  de  M.  Ernest  Raynaud  et  sa  pre- 
mière collaboration  aux  revues  littéraires.  Dans  Lutèce,  M.  Ernest 
Raynaud  publia,  en  même  temps  que  des  vers,  des  études  et  des 
fantaisies,  une  petite  série  de  poèmes  en  ])rose  :  L6  Carnet  d'an 
Décadent,  où  s«  montrait  déjà  très  sûrement  sa  personnalité,  faite 
d'émotion  et  d'ironie.  Le  Décadent,  fondé  par  M.  Anatole  Baju 
M.  Ernest  Raynaud  y  collabora  ensuite  de  façon  assidue,  le  rédi- 
geant presque  entier  à  lui  seul,  sous  les  pseudonymes  les  plus  divers, 
notamment  celui  du  Général  Boulanger,  du  nom  duquel  il  signa  des 
sonnets  dont  toute  la  presse  de  l'époque  s'occupa,  et  celui  d'Arthur 
Rimbaud,  pour  des  pastiches  qui  trompèrent  les  meilleurs  connais- 
seurs de  l'auteur  du  Bateaa  ivre.  M.  Ernest  Raynaud  s'est  fait 
ainsi  une  petit  place  parmi  les  mystiScateiirs  littéraires,  rôle  où  il 
faut  autant  de  talent  que  d'ingéniosité.  En  1887,  M.Ernest  Raynaud 
fit  paraître  son  prenaier  recueil  :  Le  Signe,  où  J.-K.  Hiiysmans 
admirait  «  des  pièces  Traiment  belles,  celle  de  la  pauvreté,  surtout, 
où  la  tristesse  des  dimanches  embêtés,  sans  le  sou,  sans  le  désir  de 
lire,  se  déployait  avec  une  belle  âcreté,  et,  dans  un  ^enre  autre,  Les 
Trianons,  dont  la  grâce  fardée  était  tout  exquise.  »  Le  Signe  fut 
suivi  en  1889  de  Chairs  Profanes,  el  en  1890  des  Cornes  da  Fanne, 
dont  toute  la  critique  fut  unanime  à  louer  le  profond  sentiment  poéti- 
que et  la  subtilité  d'es[>rit.  A  la  fin  de  1889,  M.  Ernest  Raynaud  prit 
part,  avec  MM.  Albert  Aurier,  Jean  Court,  Louis  Denise,  Edouard 


IMflflT  IlATIfAtm  io5 


Dnhnn,  Louînnnmnr.Jalipn  LeHerrq,JnIe9  Renard,  Albrrt  Samaïn  et 
Alfred  \  allrtte,  -  «nxqiifl^  devait  ▼»'iiir  «e  joindra  hirnlAt  M.  Kcniy 
deGonrmonl, — aux  réunions  pn'paratoircsA  la  {on(l»i\nn  da  Mercar-i 
de  France,  dont  le  premier  numéro  parut  dnns  les  derniers  jours  do 
décembre,  portant  la  d.Te  de  janvier  1890.  An  cours  de  sa  collaho- 
ralion  à  cette  revue,  M.  Ernest  Rnynaud  y  a  publié  de  nombreux 
poèmes,  qu'on  retrouve  pour  I.1  plupart  dans  ses  livres,  des  pa^ex 
de  critique  dramatique  et  lilt''raire,  et  des  notices  et  <les  porir;iit>; 
littéraires.  L'Ecole  Romane  fond''e,  cette  m"'*me  année  iHgr»,  par 
M.  Jean  Morc.'is,  M.  F>iiest  Kaynaud  fut  é;çalemetit  de  ce  t^roupe, 
avec  MM.  Maurice  du  Plessys,  Raymond  de  I^a  Tailhéde  et  Chnrli  s 
Mauri'us,  comme  on  l'a  dnjà  vu  pn-cédemmcnt.  Il  pulilia  pour  sa 
contribution  au  mouvement  roman  Le  Rncaffi,  paru  en  iHyS,  et  qui 
contenait,  au  dire  d'un  critique,  le  meilleur  de  l'inspiration  du 
trroupe,  faite  d'archaïsme  et  de  rhétorique  plutôt  que  de  vraie  Ren>;i- 
bilité.  Deux  autres  volumes  parus  depuis,  La  Tour  d'Ivoire,  en  \^\)'j, 
ci  La  Conrimne  des  Joars,tn  igo5,  d'une  inspiration  plus  humaine 
et  plus  diverse, où  des  tableaux  parisiens  voisinent  avec  des  impres- 
sions de  voyatres  et  de  pures  notations  de  rêveries  avec  des  exalta- 
tions philo'ioiihiques,  complètent  aujourd'hui  l'oeuvre  portique  de 
M.Ernest  Raynand.  Entre  temps, M.  KrnestRaynaud  fonda,  en  if)00, 
chez  l'éditeur  Clerget,  une  petite  revue  :  /,«  Sagittaire,  qui  dura  un 
peu  plus  d'une  année.  Il  y  publia  des  articles  de  critique, des  comptes- 
rendus  de  Salons,  et  notamment /^es  Joi/eusetés  d'Aimé  Passereau, 
une  trentaine  de  pièces  malicieuses  et  satiriques. 

M.  Krnest  Raynaud  est  l'un  des  administrateurs  de  La  Société 
des  Poètes  français,  dont  il  a  été,  au  début,  le  vice-président.  Il  a 
collaboré  A  Lalèce,atn  Décadent,  ru  Mercure  de  France,  h.  f.a  Plume, 
au  Sagittaire,  au  Penseur,  k  La  Revue  da  Bien,k  La  Jeune  Cham^ 
pagne,  k  L'Occident,  k  Verset  Prose. 

M.  Ernest  Raynaud  a  mené  de  front  la  carrière  administrative  et 

I  carrière  des  lettres.  D'abord    secrétaire  du  commissariat  de  La 
bapelle,  puis  officier  de  paix,  il  fut   iu)mmc  commissaire  de  police 
1  quartier  Saint-Lambert,  d'où  il  passa,  en  1899,  à  celai  de  Nec- 
jr,  et,  en  1907,  à  celui  de  Plaisance. 
Bibliographie  : 

Lks  OKDTiuts.— Le  Signe,  poésies.  Paris.aAaDXeddmit  »,1887,  in-IS  (Réitn- 
prcMJon  :  l.e  Signe,  nnuoellr  édition  r^nte  et  auijmi'alée  de  ptv^intru  po^- 
me  nouveaux.  Paris,  lîibliothèquo  artistique  et  littéraire,  18'.'7,  in-lR).  — 
Chairs  profane»,  |)0.''sies.  Pari»,  Snnier,  1889,  in-l8.  ~  Les  «ornes  An 
Fnuno,  pni^-iios.  Paris,  Bibliol!ii''(pi»!  artist.  ri  littéraire,  1890,  pptit  in-18 
(kvcc  un  porir.  de  l'aulour  d'aprf's  iiu   docum.  pIiotoirrapliiqiK».   Tiniï'i  de  lum 


roft  ppiTFB  d'aujouiid'hui 


&  polit  nombre).  —  Noce  bourfieolse,  un  acte  en  prose  [en  collaboratkm 
avec  l/'on  Riotor]  reprfsonlé  au  «  Théâtre  Electritpie  »  (salle  de  la  Bodi- 
ni.'^re),  le  19  novembre  1892.  Paris,  IJibl.  artisl.  et  litlc^r.,  1892,  in-16.  — 
L.e  Bocage,  poésies.  Paris,  Bibliolliêque  artist.  el  litltSr.,  189b,  in-18.  — 
La  'Jour  divoire,  poésies.  Paris,  Biblioth.  artist.  et  littér.,  1899,  in-18.  — 
La  Couronne  des  Jours,  poésies.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1905,  in-18. 

En  préparation  :  Germania,t  impressions  rapportées  d'une  excursion  k  tra- 
vers le  pays  et  la  littérature  allemande  ». 

A  CONSULTER.  —  W.-  G.-C.  Byvanck  :  Un  Bollandais  d  Paris.  Paris, 
Perrin,  1892,  iii-18.—  Fernand  Clerget  :  Littérateur!  et  artitles.  Ernctt 
Maynaud.  Pari';,  Bibliotbèqvie  de  l'Association,  1905,  in-18.  (Portr.  de  l'au- 
teur d'aprts  le  tableau  de  Schûtz-Robert). 

Anatole  Baju  :  [Ernest  Ilaynaud].  La  Plume,  1890.  —  Louis  De»- 
flrauges  :  Ernest  Raynaud.  Le  Sagittaire,  juin  1900.—  Edouard  Dubus  ; 
Les  Cornes  du  Faune.  Mercure  de  France,  fév.  1891.  —  Ernest  Raynaud  : 
L'Ecole  romane  française,  Mercure  de  France,  mai  1895.  —  Laurent 
TaiUiade  :  [Ernest  Raynaud].  L'Aurore,  16  avril  1903.  —  P;iul  Ver- 
laine :  [Ernest  Raynaud],  Courrier  français,  25  août  1894. 

Iconographid  : 

Brenner  :  Médaillon,  bronze  (Munich,  Sécession,  1906).  —  F. -A.  Ga- 
zais :  Croquis  à  la  plume,  reprod.  dans  La  Plume  du  15  sept.  1890.  — 
Aristide  CuUet  :  Buste,  bronze  (Salon  de»  Artistes  Français,  1900).  -.tt 
Edg.  Fiild»  :  Portrait,  peinture  à  l'huile,  1900.—  Schiitz  liobert  : 
Portrait  aufuiatn  (Expos,  de  •  la  Ruche  »,  1904),  repr.  au  tôle  do  l'ouvrage 
de  Fernand  Clerget  :  Ernest  Raynaud,  etc.,  1905.  —  Jules  Valadon  : 
Portrait,  peinture  à  l'huile,  1899.  —  James  Vlbert  :  Ruste  (gi*s  flammé 
de  Massier),  1901.  (Toutes  ces  œuvres  appartiennent  au  poète.) 

Voir  en  outre  un  portrait  en  héliogravure  en  I6(e  d'une  étude  dn  Taiissera, 
(Reims,  Malot-Braine,  1896)  et  diverses  reproductions  photographiques  dans 
La  Revue  Phocéenne  (Mare^eille,  1900).  Le  Sagittaire  (jvàu  1900)  ol  La  Revue 
littéraire,  etc.  (janvier  1905). 

VERSAILLES 

I 

Le  soir,  où  traîne  éparse  au  vent  l'âme  des  roses, 
Baiîçue  d'or  le  feuillage  et  les  lointains  flottants  ; 
Le  Faîte  du  palais  s'éclaire  de  feux  i-oses, 
Un  vitre  frappée  en  a  frémi  longtemps. 

La  Gloire  fatiguée  du  marbré  se  repose, 
Mais  troublant  le  silence,  il  semble  par  instants,  ' 
Qu'à  travers  les  massifs  où  pleure  quelque  chose, 
Un  long  sanglot  d'adieu  s'élève  des  étangs. 


M 


■KNWOT     BATMAfln  IO7 


Tant  de  pompe  étalée  à  l'oiubrc  dtî  la  feuille, 
Par  ce  lent  crépuscule,  humblement  se  recueille. 
La  dernière  lueur.agonise  aux  vitraux. 

Et  l'importune  nuit,  hâtant  l'œuvre  du  lierre, 
Des  eaux  venue,  efface,  en  montant  sur  la  pierre> 
L'image  de  la  Grâce  et  le  nom  des  héros. 


II 

Au  premier  carrefour  où  finit  la  charmille, 
S'atlrisle  infiniment  le  marbre  du  bassin, 
Et  l'onde  s'en  est  toute  échappée  à  dessein, 
Laissant  à  nu  le  fond  rose  de  la  coquille. 

L'herbe  y  pousse,  suivant  un  fantasque  dessin. 
Aux  pierres,  lentement  disjointes,  la  morille. 
Se  gonfle  succulente  à  la  façon  d'un  sein, 
Et  la  reine  des  prés  s'y  mêle  à  la  jonquille. 

A  distendre  sa  gueule,  eu  vain,  le  mascaron 
S'essouffle,  il  n'en  peut  rien  tirer  que  le  siknce 
Et  de  là  vient  l'ennui  qui  lui  ride  le  front. 

Mais  Zéphyre  imitant,  pour  lui  plaire,  la  voix 
Des  eaux  dont  il  s'efforce  à  réparer  l'absence, 
Eveille  un  bruit  de  boule  en  l'épaisseur  des  bois* 

m 

L'air  est  tiède.  Un  soleil  joyeux  joue  à  travers 
Les  vieux  ormes  touffus,  et,  la  tête  inclinée, 
La  déesse  regarde  à  ses  seins  découverts, 
Une  dentelle  d'or  et  d'ombre  promenée. 

Sur  son  épaule  nue  ont  pleuré  tant  d'hivers, 
Que,  par  endroits,  sa  pierre  en  est  tout  écornée. 
Sa  cuisse  lutte  en  vain  contre  une  herbe  obstinés^ 
Sa  guirlande  effondrée  emplit  les  gazons  verts. 

Mais  les  fleurs,  que  le  vent  mêle  à  sa  chevelurt^ 


io8  POÈTES  d'aujouivo'bui 


I4&  bruit  des  nids,  le  Irais  pariuni  de  la  ramure, 
Le  soleil,  la  chausou  de  l'eau  sur  les  graviers, 

Tout  s'emploie  à  lui  faire  oublier  son  doinniage 

Et,  coinnie  pour  loi  rendre  un  plus   sensible  hommage. 

Deux  pigeons  amoureux  se  baisent  à  ses  pieds. 

IV 

Avec  les  panneaux  blancs  qui  portent  sur  leur  face 

Les  armes  de  l'Amour  et  les  jeux  d'Apollon, 
Ce  qui  reste  aujourd'hui  de  l'antique  salon 
Tressaille  au  bruit  d'un  pas  désert  sur  la  terrasse. 

Une  forme  indécise  a  bougé  dans  la  glace, 
Une  ombre  a  remué  à  l'angle  du  plafond, 
Et  la  dauphine  assise  a  relevé  le  front 
Vers  la  haute  fenêtre  où  le  £aune  grimace. 

Dans  le  grand  lustre  une  étincelle  a  pétillé. 

L'cpinctte  a  gémi,  le  plancher  a  crié, 

Un  coup  de  vent  venu  de  la  porte  entr'ouverte 

A  dispersé  la  cendre  éparse  d'autrefois, 

Et  pj-ès  des  longs  rideaux  que  baigne  une  ombre  verte. 

Ou  dirait  que  quelqu'un  s'est  plaint  à  demi  voix. 

(Le  Signe.) 

LE  RETOUR 

Je  t'ai  rerue,  ô  douce  ville,  après  dix  ans 
D'absence,  et  j'ai  revu  tes  bruissants  ombrages, 
Où  j'ébattais  ma  vie  avec  ceux  de  mon  âge. 
Libre  du  noir  souci  que  je  porte  à  présent. 

IjCS  amis  que  n'a  pas  dispersés  quelque  orage 
N'oiïrent  à  mon  retour  que  des  soins  ucgligenls, 
Mais  du  moins  je  retrouve  agréable  visage 
Aux  choses  qui  n'ont  pas  la  cruauté  des  gens. 

L'allée  où  l'Orne  s'enfle  et  soudain  diminue 


BRNKST    RAYNAUD  IO9 


Au  gré  de  la  marée,  emmêlant  sous  les  nues 

Ses  branches,  toujours  m'offre  un  paisible  chemin. 

La  feuillce  y  palpite  encore  sous  la  brise, 
Et,  parfois,  se  levant  de  la  nuit  indécise. 
Un  vieux  rêve  oublié  me  vient  prendre  la  main. 

(L*  Signe.) 

ÉLÉGIE 

Ce  morceau  de  jardin  qui  rit  sous  mes  volets 

S'attendrit  au  printemps:  de  lilas  violets, 

Et  l'ombre  d'un  platane,  où  l'aise  m'est  donnée 

D'aller  cueillir  le  frais  au  plus  chaud  des  journées. 

Le  marbre  n'y  court  point  en  rampe  aux  escaliers, 

Nul  fruit  d'abeilles  d'or  n'y  tonne  aux  espaliers. 

L'image  des  héros  au  bronze  ne  s'y  fixe. 

Non  plus  n'y  luit  de  vase  où  l'émail  à  l'onyx 

Se  marie,  et  chez  qui  toute  une  flore  abonde, 

Rassemblée  à  grands  frais  des  quatre  coins  du  monde. 

C'est  assez  que  ma  main  entremêle  aux  œillets 

Des  roses,  comme  Horace  à  Pœstum  en  cueillait. 

Si  le  lys  n'y  balance  une  tige  hautaine, 

La  capucine  y  croît,  dont  j'ai  semé  la  graine. 

Et  l'humble  violette,  apportée  autrefois 

Par  l'enfant  qui  voulait  que  je  la  mène  au  bois. 

Si,  comme  ailleurs, 'au  long  de  droites  promenades, 

On  n'y  est  point  suivi  du  lourd  bruit  des  cascades, 

Du  moins,  ce  petit  coin  de  verdure  me  plaît 

Mieux  que  les  somptueux  domaines  des  palais. 

Car  son  ombre  du  Docte  Apollon  est  bénie 

Et  les  Muses  chez  lui  tiennent  leur  compagnie. 

Quand  dévale,  la  nuit,  la  pluie  ample  aux  graviers. 

On  dirait  d'un  galop  soudain  de  chèvre-pieds  ; 

L'herbe,  au  matin  foulée,  atteste  le  passage 

De  l'espiègle  Sylvain,  du  Silène  peu  sage, 

La  fleur  cueillie  indique  un  nocturne  larcin 

De  Napée  attentive  à  s'embellir  le  sein. 

Les  Dieux  n'out-ils  toujours  cent  façons  imprévue* 


tïÔ  POÈtK»    d'aujourd'hui 


De  faire  que  letir  gloire  éclate  à  notre  vue  I 
3'sA  souvent  éprouvé  que,  sous  mes  arbrisseaux, 
Calliope,  empruntant  la  forme  des  oiseaux. 
Pour  moi  seul  saisissable  à  sa  douce  nmsique. 
Chantait,  mêlée  à  mes  colombes  domesliques. 

{Le  Bocage.) 

LA.    MATINÉE  CHAMPÊTRE 

J'ai  fait  claquer  les  deux  volets  contre  le  mur  ; 
Aussitôt  le  jardin,  tout  bourdonnant  de  fleurs. 
Est  entré  dans  ma  chambre  avec  un  frais  murmure 
D'eau  vive,  et  ce  qu'il  a  de  lumière  et  de  fleurs. 

L'herbe,  sous  la  poussière,  étincelle  de  pleurs. 
Pas  un  nuage,  au  ciel,  n'en  interrompt  l'azur  ; 
Les  coteaux,  sur  qui  tiaîuc  une  molle  vapeur, 
Frémissent  au  soleil  d'un  bel  or  déjà  mûr. 

La  servante,  au  milieu  des  verts  carrés  de  buis. 
Se  remue  en  sabots  et  fait  grincer  le  puits. 
Tout  le  poulailler  piaille  et  le  chaume  roucoule, 

La  bêche  matinale  est  active  aux  penchants. 
L'arbre  remue,  un  oiseau  passe,  une  eau  s'écoule, 
Et  j'aspire  la  bonne  odeur  qui  vient  des  champs. 

{La  Tour  d'Ivoire.) 

LE  FAUNK 

Je  fus  longtemps  un  Faune  assis  sous  le  feuillage. 
Parmi  des  fleurs,  au  fond  d'un  parc  abandonné, 
Où  j'épiais,  de  mon  œil  de  marbre  étonné. 
Le  vol  d'un  écureuil  espiègle  ou  d'un  nuage  ; 

Un  Musée  à  présent  me  lient  lieu  de  bocage, 

Et  j'ai,  pour  tout  rappel  des  champs  où  je  suis  né, 

Le  peu  de  ciel  que  la  fenêtre  me  ménage 

Et  dpny  brins  dr  liîfis  dont  rOOix  socle  est  oraé. 


■RNKST  nXYNAUO 


L'Exil  rend  plus  vivace  en  moi  TOtre  mémoire. 
Oiseaux  !  qui  dans  le  creux  de  ma  main  veniez  boire 
Ce  (|u'uae  aube  imbrifère  y  délaissait  de  pleurs  1 

Ici,  j'ai  les  saluls  d'un  peuple  qui  m'adore 
Et  les  soins  de  valets  dont  tout  l'habit  se  dore. 
Mais  mon  cœur  est  resté  là-bas  parmi  les  fleurs  1 

(Les  Cornes  du  Faune.) 

BRUGES 

Chose  espagnole  abandonnée  en  pleine  Flandre, 
Kstuaire  inutile  oublié  par  la  mer, 
D'un  dieu  supplicié  obstinée  à  t'cprcndre. 
Ta  voix  depuis  mille  ans  répète  le  même  air. 

Les  blasons  de  Bourgogne  et  d'Autriche,  à  travers 
Les  siècles,  de  lem*  gloire  ont  composé  ta  cendre  ; 
Et  c'est  d'un  écu  fier  qu'un  jour  on  vit  descendre 
Le  cygne  consacré  sur  tes  canaux  déserts. 

Je  sais  ton  béguinage  et  tes  quais  familière. 
Et  ta  rue  endormie  où,  tout  mélancolique, 
Parfois  passe  un  bonnet  à  poils  de  grenadier. 

A  l'ombre  du  beffroi  qui  le  marque  les  heures. 

Tu  languis,  oubliée  ainsi  qu'une  relique. 

Dans  ta  châsse  d'eau  morte  et  de  saules  en  fleurs... 

(La  Couronne  des  Jours.) 


il 


MUSES  1  JE  CROIS  EN  VOUS. 


l  Je  crois  en  vous,  recevez  mes  cantiques! 
Depuis  que  je  suis  né,  je  cultive  le  vœu 
De  conquérir  la  Fleur  qui  |)are  vos  cheveux, 
Et  de  rompre  le  nœud  qui  ferme  vos  tuniques; 

C'est  de  votre  seul  feu  que.  je  suis  consumé. 
Docile  à  vos  leçons,  je  fais  sonner  récaille  ; 


POÈTES    d'aujourd'hui 


J'en  atteste  Minerve  au  beau  casque  emplumé, 

Et  Phœbus  qui  se  cabre  aux  plafonds  de  Versailles  I 

Je  vous  atteste  aussi,  Pan,  l'honneur  des  jardins. 
Naïades,  jeunes  dieux  couronnés  de  guirlandes! 
Qu'un  autre  vous  rejette  à  la  nuit  des  légendes. 
Vous  vivez  I  Je  l'éprouve  à  mille  émois  soudains  1 

Lorsqu'on  flots  bouillonnants  l'orchestre  se  déchaîne, 
Votre  Image  s'y  dresse  à  la  crête,  et  je  sens 
Que  vous  me  visitez  si,  dans  l'ombre  incertaine, 
La  lumière  dessine  une  torse  adolescent, 

(La  Couronne  de»  Jours.) 


POÈTES  OUBLIÉS  1... 

Poètes  oubliés  !  poètes  inconnus  ! 
Noire  foule  innombrable  où  n'atteint  pas  la  gloire. 
Ma  main  vous  cherche  au  long  des  quais  tristes  et  nus, 
Et  vous  réclame,  avide,  aux  verrous  des  armoires . 

J'en  suis  récompensé  lorsqu'un  beau  vers  soudain 
Rencontré  me  salue  en  sonnant  sa  fanfare, 
Et  jf  sens  tout  l'orgueil  de  celui  qui  répare, 
A  la  face  des  Dieux,  l'injure  du  Destin. 

O  roses  que  l'Ennui  triste  a  décolorées, 
O  lauriers  languissants  résignés  à  mourir. 
Que  de  fois,  sous  ma  lampe,  au  déclin  des  soirées. 
Une  larme  de  moi  vous  a  fait  refleurir  ! 

(La  Couronne  des  Jours.) 


IlLNni  DE  RÉGNIER 


Le  premier  et  le  plus  célèbre  des*  poètei  d'aujourd'hui  »,  M.  Henri- 
François  dp  HcÉÇiiier  est  né  à  Hontlciir  ((Calvados),  le  a8  décembre 
1864.  l'u  côli'  paternel,  sa  famille  est  originaire  de  la  Thiérache,  petit 
pays  dépendant  auircfois  de  la  Province  de  Picardie,  et  qui  forme 
aujourd'hui  une  partie  du  département  de  l'Aisne.  Kn  ifiSS,  un  Cres- 
piii  de  Héifiiicr  était  seit^iieur  de  Viçueux  en  Thiérache.  Capitaine 
d'une  Couipa^nie  de  cinquante  hommes  d'artnes,  il  servit  sous  le 
duc  de  Munillon  et  le  maréchal  de  Balaj^ciy,  durant  les  guerres  de  la 
Ligne,  et  é|ioiiKa,  en  i58g,  Yolaine  de  Fay  d'Aliiies,  fille  de  Charles 
de  Fay  d'Athics,  l'un  des  (]ent  Gentilshommes  de  la  Maison  du  Hoi. 
S<in  pflit-fils.  Charleî  de  Régnier,  également  seigneur  de  Vigneux 
(itiaS-iCBO),  fut  maintenu  en  sa  no'olesse  en  1667  et  en  sa  qualité 
d't'iuyer.  On  trouve  encore  :  François  de  Régnier  (iGyS  1763),  Lieu- 
tonaiit-coloiicl  du  Régiment  de  Touraine,  Brigadier  des  armées  du 
Roi,  Chevalier  de  Saiul-Louis.  lUn  rotiian  de  M.  de  Régnier,  Ld 
Bon  Plaisir,  qui  se  passe  au  temps  oii  il  vécut,  lui  est  dédié,  ainsi 
qu'à  SCS  deux  femmes,  Anne  de  Hi'zecque»  et  Marie  de  Pastoureau.) 
Gabriel-François  de  Mégnier  (1708-1701),  Brigadier  des  Chevau- 
légcrs  de  la  Garde  ordinaire  du  Roi,  Chevalier  de  Saint-Louis.  II 
fut  le  père  de  François  de  Régnier  (i745-i8a5).  Capitaine  au  Régi- 
ment de  Royal-dragons,  Chevalier  d<!  Sainl-Lo.iis,  qui  émigra  et 
servit  à  l'armée  des  Princes.  Son  fils,  Menri-Charles-François  de 
Régnier  (1789-1875)  —  le  grand'pere  de  M.  de  Régnier  —  rentra  eu 
France  en  1 80a  et  fut  fait,  en  i8a6.  Chevalier  de  1h  Légior.  d'honneur. 
Enfin,  Henri-Charles  de  Régnier  (1820   i><f)3)  le  père  du  poète. 

Le  blason  des  Régnier,  tel  que  le  décrit  l'Armoriai  général  de 
d'Hozier  de  i6!)7.  Province  de  Picardie,  généralité  de  Soissons,  est  : 
d'or  au  sautoir  de  gueules  cantonné  de  quatre  merlettes  de  sable. 

Du  côté  uiaternti,  l.i  famille  de  M.  de  Régnier  est  originaire  de 
la  Bourgogne,  et  remonte  à  Yves  du  Bard,  qui  vécut  à  la  lin  du 
XTi*  siècle.  II  fut  le  pèrede  Phihppe  du  Dard,  qui  eut  pour  fils  Frau- 


1 14  POÈTES  d'aujoukd'hui 

çois  du  Bard.  Le  fils  de  cp  dernier,  Antoioe  du  Rard,  épousa,  en 
iGGa,  Marie  de  Sauinaisede  Chasans,  arrière-pelite-nièce  du  célèbre 
érudit  Claude  de  Sauinaise  et  de  Charlolle  de  Sauinaise,  comtesse 
de  Brégy,  dame  d'honnenr  de  la  Reine  Anne  d'Autriche,  qui  a  laissé 
des  Lettres  et  des  Poésies  et  fut  une  «  précieuse  »  de  marque. 
Ce  mariaisçe  apporta  à  Antoine  du  Bard  les  terres  de  Chasans,  Ter- 
nant  et  Curlcy,  dont  ses  descendants  portèrent  les  noms.  Il  en  na- 
quit Marc-Antoine  du  Bard  de  (Chasans,  dont  le  fils,  Bénigne  du 
Bnrd  de  Chasans,  conseiller  au  Parlement  de  Dijon,  fut  le  père 
d'Alexandre-Anne  du  Bard  de  Curley  (17O5-1849).  On  arrive  alors 
à  Alexandre  du  Bard  de  Curley  (i8o5!874/>gi'and'père  maternel  de 
M.  de  Régnier,  et  qui  épousa,  en  i83a,  Mademoiselle  de  Guiller- 
min  (i). 

M.  Henri  de  Régnier  passa  à  Honfleur  une  partie  de  son  enfance. 
Dans  un  petit  volume  qui  a  pour  titre  Le  Trèjle  blanc,  au  chapitre 
intitulé:  La  Côte  Verte,  il  a  noté  quelques-unes  des  impressions 
qui  lui  sont  restées  de  ses  premières  années.  En  1871,  sa  famille 
vint  à  Paris,  et  en  1874  il  entra  au  Coilèj;e  Stanislas.  Bachelier  en 
i883,  il  fit  ensuite  son  droit,  pour  satisfaire  aux  désirs  de  sa  fa- 
mille, qui  voulaitqu'il  eût  un  métier,  puis  passa  l'examen  des  Affai- 
res étrangères.  An  collège,  il  avait  déjà  commencé  à  écrire  des 
vers,  sans  aucun  dessein,  comme  une  chose  naturelle.  Les  premiers 
qu'il  eut  d'imprimés  le  furent  dans  Lutèce,  où  il  débuta  en  i885,  et 
il  y  a  des  vers  de  collège  dans  son  premier  recueil,  Les  Lendemains, 
publié  la  même  année  à  la  librairie  Vanier,  En  1886,  il  publia  à  la 
même  librairie  un  deuxième  recueil  :  Apaisement. 

M.  de  Régnier  vivait  alors  très  retiré.  Le  seul  écrivain  qu'il  con- 
nût était  Sully  Prudhomme.  Il  avait  lu  et  lisait  beaucoup  Hujço.  Il 
lisait  aussi  Baudelaire,  Vigny,  Mallarmé,  et  les  sonnets  de  José 
Maria  de  Hercdia,  épars  dans  les  revues  et  que  les  lettrés  collec- 
tionnaient. Son  ai  deur  poéti(]tie  ne  l'occupait  pas  tout  entier.  Un 
autre  côté  de  son  esprit  le  portait  vers  les  livres  d'analyse,  les  ro- 
mans, les  mémoires,  tout  ce  qui  peint  la  vie  et  les  hommes.  «  J'ét.iis 
double,  en  quelque  sorte,  explique-t-il  à  ce  sujet;  symboliste  et  réa- 
liste, aimant  à  la  fois  les  symboles  et  les  anecdotes,  un  vers  de 
Mallarmé  et  une  pensée  de  Ghamfort,  »  Seulement,  le  besoin  poé- 
tique fat  longtemps  le  plus  fort  en  lui.  Il  comprenait  aussi  qu'on 
n'écrit  guère  de  romans  valables  à  vingt  ans,  qu'il  est  nécessaire 
d'avoir  un  peu  vécu,  et  il  attendait.  Son  œuvre  poétique  avancée, 
il  songea  davantage  au  roman.  11  écrivit  alors  ses  contes;  Contes  à 
soi-même,  La  Canne  de   Jaspe,  qui  lui  furent   une  transition,  oa 

(1)  Extrait  de  //('liri  de  Régnier.  Collection  des  Célébrités  d'aujourd'hui. 
Paris,  Sansut.  1904. 


Hirmi  Di  hAgnibr  ii5 


apprentisMçe.  On  peut  d'aillfurs  se  rendra  compte  du  trarail  de  son 
esprit  comme  romancier.  L>«n«  La  Double  Maîtresse,  le  poète  des 
Poèinrs  anciens  et  romanesques  se  sent  encore  à  chaque  pag;c.  On 
le  retrouve  moins  dans  Le  finn  plaisir.  On  ne  le  retrouve  pre8(iuc 
plus  dans  Le  Mariage  de  Minait.  Dans  Les  Vacances  d'an  jeane 
homme  sage,  il  n'y  a  déjà  plus  que  le  romancier. 

La  réputation  de  M.  Ilenri  de  Rc^jçnier  s'établit  de  bonne  heure 
chez  les  lettrés.  Un  de»  promoteurs  les  plus  en  Tue  du  mouvement 
littéraire  appelé  symboliste,  il  n'est  pour  ainsi  dire  pss  une  dea 
revues,  tant  françHises  que  belges,  suscitées  par  ce  mouvement,  où 
il  n'ait  écrit.  Bientôt  connu  des  mattres,  il  fréquenta  chez  Leconte 
de  Lisle,  et  fut  aussi,  selon  les  justes  expressions  de  M.  Francis 
Vieil'  tJrirfm,  qu'il  faut  égniement  compter  parmi  eux,  de  «  ces 
jeunfs  hommes  qui,  guidés  par  leur  seule  foi  dans  l'Art,  s'en  furent 
chercher  Verlaine  au  fond  dp  la  (-onr  Saint-François,  blottie  sous 
le  chemin  de  fer  de  Vinreniies,  pour  l'escorter  de  leurs  acclama- 
tions vers  la  gloire  haute  que  donne  l'élite;  qui  montèrent,  chaque 
semaine,  la  rue  de  Uome,  porter  l'hommage  de  leur  respect  et  de 
leur  dévouement  à  Stéphane  Mallarmé  haïUainemçnt  isole  dan»  son 
rêve  ;  qui  entourèrent  Léon  Dierx  d'une  déférence  sans  défaillance 
et  firent  à  Villiers  de  l'isle  Adam,  courbé  par  la  vie,  une  couronne 
de  leurs  enthousiasmes  ». 

Après  Les  Lendemains  et  Apaisement,  M.  de  Régnier  publia  Sites, 
en  1887,  et  Episodes,  en  1888,  deux  recueils  où  sa  personnalité 
commençait  à  apparaître  C'est  toutefois  dans  les  Poèmes  anciens 
et  romanesques,  publiés  en  1890,  qu'elle  se  ma  îifesta  vraiment 
pour  la  première  fois,  et  ce  n'est  pas  trop  dire  que  lui  seul  pouvait 
écrire  le»  vers  de  ce  recueil,  comme  presque  tous  les  poèmes  qu'il  a 
écrits  depuis.  C'est  dans  les  Poèmes  anciens  et  romanesques  que 
M.  de  Régnier  commença  à  se  servir  du  vers  libre,  soit  pour  le 
mêler  à  des  alexandrins,  soit  pour  écrire  des  pièces  entières.  On 
en  a  dit,  de  ce  vers  libre  employé  par  lui,  qu'il  n'est  qu'un  alexan- 
drin morcelé,  et  il  Test  souvent,  en  effet.  M.  de  Régnier  n'en  a  pas 
moins  écrit,  avec  ce  vers  libre,  des  poèmes  remarquables  au  plus 
haut  point  par  leur  harmonie  mystérieuse,  pleine  de  nuances,  de 
langueur  et  de  fluidité. 

Tel  qu'en  songe  suivit  les  Poèmes  anciens  et  romanesques,  en 
1893.  C'est  dans  ce  recueil  (jue  se  trouve  le  poème  La  Gardienne 
représenté  au  Théâtre  de  l'Œuvre  en  1894.  Il  est  écrit  en  vers  libres 
et  en  alexandrins.  C'est  un  drame  à  personnages  emblématiques 
plein  de  morceaux  sonores,  dune  longue  coulée,  et  dans  lequel  M.  de 
Régnier  à  fait  revivre  la  grande  période  à  rimes  plates,  délaissée 
depuis  Hugo  et  Leconte  de  Lisle. 

Ed  18^3,  parut  la  première  oeuvre  en  prose  de  M.  de  Régnier, 


,  ,6  POÈTES  d'aujourd'hui 


Conte*  à  soi-même.  Le  style  de  ces  contes  est  fort  lofn  du  style  aisé 
et  rapide  que  M.  de  Régnier  montre  aujourd'hui  dans  ses  romans. 
C'est  au  contraire  une  prose  savante,  solennelle,  guindée  même, 
et  même  aussi  un  peu  difficile,  et  dans  laquelle  on  retrouve  tout  le 
poète,  avec  ses  mots  préférés.  Un  nouveau  recueil  de  contes  :  Le 
Trèfle  noir,  suivit,  en  1895.  C'est  dans  ce  livre  que  commence,  tant 
par  le  style  que  par  le  choix  des  sujets,  le  changement  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut,  surtout  dans  le  conte  intitulé  Hermocrate 
ou  le  récit  qu'on  m'a  fait  de  ses  funérailles.  Le  style  est  plus  net, 
il  y  a  moins  de  recherche  dans  les  mots,  et  plus  de  vie  dans  le 
sujet.  Quelques  années  plus  tard,  en  1897,  M.  de  Régnier  joindra 
les  contes  du  Trèfle  noir  k  huit  contes  nouveaux  et. les  publiera 
ensemble  sous  le  titre  :  La  Canne  de  Jaspe.  Il  sera  alors  tout  pré- 
paré pour  écrire  ses  romans.  M.  d'Amercœur,  Le  Voyage  à  l'Ile 
de  Cordic,  Le  Siffle  de  la  Clef  et  de  la  Croix,  La  Maison  magni- 
fique (ce  sont  quelques-uns  des  huit  nouveaux  contes  joints  à  ceux 
du  Trèfle  noir)  pourraient,  à  peu  de  chose  près,  par  le  style  et  par 
le  sujet,  être  des  chapitres  de  La  Double  Mattres^se. 

En  i8g5,  M.  de  Régnier  publia  .une  nouvelle  série. de  poèmes, 
Aréthuse,  d'une  aussi  grande  importance  dans  son  œuvre  que  les 
Poèmes  anciens  et  romanesques,  publiés  avant,  et  que  Les  Jeux 
rustiques  et  divins,  publiés  ensuite.  Aréthuse  est  divisée  en  trois 
parties  :  Flûtes  d'Avril  et  de  Septembre,  L'Homme  et  La  Sirène, 
F  lûtes  d'Avril  et  de  Septembre, \si  première  et  la  troisième  écrites  en 
alexandrins,  la  deuxième  en  vers  libres.  On  ne  saurait  vraiment 
choisir  dans  ce  volume.  Toutes  les  pièces  en  sont  également  belles 
par  la  pensée,  parla  rêverie,  par  les  paysages  tendres,  tristes  et 
profonds  qu'elles  suggèrent.  Les  mots,  les  constructions  poétiques 
qu'affectionne  M.  de  Régnier,  les  mélancoliques  contrastes  entre 
l'été  et  l'automne,  la  nymphe  et  le  faune,  la  tristesse  et  la  joie,  le 
regret  et  le  désir,  s'y  trouvenjt  assemblés  dans  une  harmonie  sans 
cesse  plus  pénétrante,  et  des  vers  qu'on  ne  peut  oublier. 

On  retrouve  Aréthuse  dans  Les  Jeux  rustiques  et  divins,  publiés 
en  1897,  et  qui  contenaient  quatre  séries  de  nouveaux  poèmes.  C'est 
dans  Les  Jeux  rustiques  et  divins  que  se  trouve  Le  Vase,  qui  est 
peut-être  le  chef-d'œuvre  de  M.  Henri  de  Régnier,  et  sûrement  l'un 
des  plus  beaux  poèmes  de  la  poésie  actuelle.  Il  s'y  trouve  aussi  une 
série  de  petits  poèmes,  sous  le  titre  d'Odelettes,  —  nous  avons 
donné  deux  exemples  dans  notre  choix,  —  d'une  souplesse  de  rythme 
et  d'une  douceur  incomparables. 

C'est  après  Les  Jeux  rustiques  et  divins  que  se  place  le  premier 
roman  de  M.  de  Régnier,  La  Double  Maîtresse,  paru  en  1900.  11 
fut  suivi  la  même  année  d'un  nouveau  livre  de  poèmes.  Les  Médail- 
lés d'Argile.  Les  Médailles  d'Argile  sont  dédiées   à  la  mémoire 


RRNIM    DE    l\Anr4III\  II7 


J'Andr^  Chénier,  qui  fut  un  igr&nA  nrufin' pour  M.  de  Rfgnirr.  On 
Irouvfi  dans  ce  volume  iincsi'rie  de  sonnets,  Leg  l'axsanls  du  Pansé, 
un  peu  dans  le  itcoitt  des  sonuets  de  José  Maria  de  Hcrcdia,  et  r>ù  il 
semble  que  M.  de  lAi'tçiiier  ail  voulu  se  di'iasser,  s'amuser.  On  en 
prit  mf'me  prélexle  pour  avancer  qu'il  commençait  à  revenir  aux 
formes  pocUi()ues  tradiliunncllfs,  les  uns  entendant  lui  faire  ainsi 
un  coinplimonl,  les  autrra  un  reproche.  C'était  tenir  peu  compte 
de  certains  autres  poèmes  des  Médailles  A'Argil*,  où  se  retrouve 
bien,  avec  toute  sa  personnalité,  le  poète  d'Aréthuse  et  du   V'ate. 

La  Cité  dfs  Eau.c,  publiée  en  igos,  lire  son  titre  d'une  série  de 
lonnels  sur  Versailles, 

O  Versailles,  Cité  des  Eaux,  Jardin  des  Hois  l 
que  M.  de  irtf'pnier  écrivit  pour  servir  de  commentaires  à  des 
dessins  de  RI.  Helleu.  Ils  sont  suivis  d'autres  poème»  où  M.  de 
Répuli-r  a  montré  un  nouvel  aspect  de  son  talent.  Par  exemple,  la 
pièce  intiluli'e  La  Lune  Jaune,  qu'on  trouvera  dans  noire  choix, 
d'une  couleur  et  d'une  émotion  tout  à  fait  sing^ulièrrs.  Les  sonnets 
de  Ln  Cité  des  Eaux  sont  dédiés  k  José  Maria  de  Ileredia,  et  un 
des  poèmes  «jui  suivent,  Marsyns,  écrit  en  vers  libres,  à  la  mémoire 
de  Stéphane  Mallarmé.  José  Maria  deHeredia  el  Stéphane  Mallarmé 
sont  certainement  les  deux  poètes  qui  ont  eu  le  plus  d'influence  sur 
M.  de  Répnier,  le  premier  avec  Les  Trophées,  le  second  avec 
L'Après-midi  d'un  Faune.  On  trouve  aussi  dans  ce  volume  cer- 
tains poèmes  qu'on  ne  peut  lire  sans  s'y  arrêter,  à  cause  de  la 
pensée  dont  ils  sont  pleins.  Le  poète  a  accomfili  une  grande  partie 
de  son  œuvre.  11  s'arrête  un  moment,  et  se  retourne  vers  sa  jeunesse, 
pr<  sque  dans  un  Reste  d'adifu.  Il  y  a'  lA  une  songerie,  une  émotion 
auxquelles  on  ne  peut  résister. 

La  Sandale  ailée,  publiée  en  1907,  est  i  ce  jour  le  dernier  volume 
de  vers  de  .^L  de  llégnier.  Le  chanifement  marf[ué  dans  les  poèmes 
dont  nous  venons  de  p.'ïrler,  —  l'abandon  du  décor  pour  l'expres- 
sion directe  des  sentiments,  —  y  est  encore  plus  sensible.  Les  piè- 
ces que  nous  en  avons  extraites  rcaseigueront  d'ailleurs  mieux 
qu'aucune  appréciation.  Ce  n'est  pas  trop  dire  que  La  Voix.  Le 
Reproche  el  L'A cca«i7,  parmi  plusieurs  autres  poèmes  d'égale  valeur, 
peuvent  Cire  mis  au  rang  des  plus  beaux  de  leur  auteur. 

Les  romans  de  M.  de  Régnier  sont  aujourd'hui  au  nombre  de 
sept.  La  Double  Maîtresse,  Le  Bon  Plaisir,  L'-s  Rencontres  de 
M.  de  Bréot,  se  passent  auxvii"  et  au  xvui*  siècle.  Le  Mariage  de 
Minuit,  Les  Vacances  d'un  jeune  homme  sage.  Le  Passé  Vivant  t\. 
La  Peur  de  l'Amour  sont  des  romans  modernes.  La  première  im- 
pression qu'on  retire  de  ce»  livres  est  celle  d'un  écrivain  pour  qui 
écrire  doit  être  un  véritable  plaisir.  Tout  y  est  clair,  f.i;  ils  el  orné, 


Il8  poixRS  d'aujouud'hui 

avec  un  grand  pittoresque,  un  ton  indulgent  et  amusé,  même  dans 
les  traits  satiriques,  qui  y  abondent.  Les  personnai^f-s,  divers  au 
possible,  sont  des  gens  aimables,  curieux  d'aspect,  de  mœurs  et  de 
manières,  qui  intéressent  tout  de  suite,  et  qu'on  aime  à  revoir  (]c 
sont  les  romans  d'un  observateur,  pleins  de  traits  pris  à  des  gens 
d'aujourd'hui,  et  il  n'estpas  jusqu'au  libertinage  souvent  très  vit' que 
l'fluleur  y  répand  qui  n'ajoute  à  leur  agrément. 

On  a  également  de  M.  de  Régnier  un  recueil  de  nouvelles  :  Les 
Amants  singuliers,  deux  voluines  d'éuules  liuéraires  et  d'articles  : 
Figures  et  Caractères  et  Sujets  et  Paysages,  une  comédie  en 
prose  :  Les  Scrupules  de  Sganarelle,  où  l'on  retrouve  dans  leur 
caractère  traditionnel  quelques-uns  des  personnasres  de  notre  vieux 
thp/5tre,  et  un  reru'^il  d»;  ron'-s  :  Conlrnr  rf'i  trmns. 

M.  de  Régnier  a  épousé  en  1896  Mademoîselle  Marie  de  Heredîa, 
deuxième  fille  de  l'auteur  des  Trophées,  il  est  Ol'ticier  de  la  Légion 
d'honneur  et  membre  de  l'Académie  française  (élu  en  191 1,  récept. 
18  janvier  igia).  11  a  fait  en  tgoo  des  conférences  en  Amérique  sur 
le  mouvement  poétique  français.  Il  a  collaboré  aux  revues  et  jour- 
naux suivants:  Luièce  (i 885- 1886);  Le  Scapin,  La  Wallonie  (1882- 
1892),  poèmes  et  note*  critiques  ;  c'est  dans  le  numéro  de  janvier 
189a  de  celte  revue  que  parut  pour  la  permière  fois  le  poème  :  La 
Gardienne;  La  Jeune  Belgique;  La  Revue  Indépendante,  3«  série 
(1886),  4«  série  (1889);  Les  Écrits  pour  l'Art  (1886);  La  Pléiade, 
a«  série  (i88g)  ;  La  Vogue,  a»  série  (  1889)  ;  Les  Entretiens  politiques 
et  littéraires  (1890-1898);  La  Conque  (1891);  l/Ermitage  (1891- 
1890  et  1898);  La  Revue  Blanche  (1891  1897);  Floréal  {i^gi); 
L'Idée  moderne  (1894/;  L'Art  littéraire  {i8g!i)  \  Mercure  de  France 
(1894  à  i8g8,  igoi,  igoa,  1907);  Le  Livre  des  Légendes  (1895);  Le 
Centaure  {1896);  L'Aube  (1896)  ;  Écho  de  Paris  (18961898); 
L'Image  (i^gS);  Le  Gaulois  (1898-1908);  Revue  des  Deux  Mondes, 
Revue  de  Paris  (1897-1908);  La  Foyutf,  nouvelle  série  (1899;;  Joo-''' 
nal  (igoo-igoa);  La  Renaissance  latine  (igoo-igoSj;  Figaro  illui- 
tré  (février  igo4);  Vers  et  Prose,  etc.,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  ceuvres.  —  Leudemains,  poésies.  Paris,  Vanier,  1885,  in-18. 
(Réimprimé  dans  le  recueil  :  Premiers  Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1899,  iu-i8).  —  Apaisement,  poésies.  Paris,  Vanier,  1886,  in-18. 
(Réinipr.  :  Premiers  Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1899, 
in-18).  —  Sites,  iioèmes.  Paris,  Vanier,  1887,  in-18.  (Réimpr.  :  Premiers 
Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1899,  in-18).  —  Episodes, 
poèmes.  Paris,  Vanier,  1888,  in-18.  (Kéirapv.  :  Premiers  Poèmes.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1809,  in-18).  —  Poèmes  anciena  et  romanes- 
ques,   1887-1898.   Paris,  Librairie  de  l'Art  Indépendant,    tSOO,    petit   in-t, 


rbnui  ok  nioifiin  iiQ 


(Réimprimé  dan»  le  recueil  :  Poèmes,  li81-IS9i.  Pari»  Soc.  du  Mercure  de 
Franco,  18'J5,  iu-l8).  —  EpisodOR,  KU<?8  ot  Sonnets,  poAmpfi.  Pnri», 
Vanior,  1891,  in-18.  (Réiropr.  :  Premiers  Poi^mcs.  Pari»,  Soc.  du  Mercure  du 
France,  1805,  in-lR.)  —  Tel  qu'en  Songe,  poftme.  Paris,  Librairie  de 
l'Art  Inili5pondant,  1892,  polil  in-8.  (Ri'impr.  :  Poi'mcs,  IB81-IS9i.  J'aris, 
Soc.  du  Mercure  do  Franco,  1898,  in-18).  —  Contes  h  sol-inêine,  prose. 
Paris,  I.ilirairie  de  l'Art  Imli''pendant,  189*,  petit  in-8.  (Réimpr,  :  La  Canne 
de  Jaspe.  P.iris,  Soc,  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18  ;  Trois  Contes  d 
soi-même.  Miniatures  do  Maurice  Ray,  gravides  par  A.  Bertrand.  Paris,  pour 
le»  Cent  Bibliopliiles,  1907,  in-8).—  Le  Bosquet  (le  Psyché,  prose. Bruxel- 
les, Lacomblci,  1894,  petit  in-8.  [220  ex.  nuraôroti^s).  (Réimprimé  dans  l'ou- 
vrago  suivant:  Figures  et  caractères.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1901,  in-18).  —  Le  Trèfle  noir,  prose.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France, 
1895,  petit  in-18.  (Rôimpr.  dans  La  Canne  de  Jaspe,  ibid.,  1897,  in-18), 
—  Aréthuse,  poèmes.  Paris,  Librairie  do  l'Art  Indépendant,  1895,  petit  in-8. 
(Réimpr.  dans  le  recueil,  f^cs  Jeux  rustiques,  elc.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
do  France,  1897,  in-18).  —  Poômes,  1887-18»2  {Poèmes  anciens  et 
romanesques.  Tel  qu'en  songe).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1895, 
in-18.  —  Les  Jeux  rustiques  et  divins  (Aréthuse.  Les  Hameaux  de  la 
flûte.  Inscriptions  pour  les  Treize  Portes  de  la  Ville.  La  Corbeille  des 
Heures.  Poèmes  divers).  Paris,  Soc.  de  Mercure  do  France,  1897,  in-18. — 
La  Canne  de  Jaspe  [M.  d'Amercœur.  Le  Trèfle  noir.  Contes  à  soi-même), 
contes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  Premiers 
Poème»  (Les  Lendemains,  Apaisement.  Sites.  Episodes.  Sonnets.  Poésies 
diverses).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1899,  in-18.  —  Le  Trèfle 
blanc,  prose.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1899,  petit  in-18.  (Réimpr. 
dans  Couleur  du  Temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908,  in-18).  — 
La  Double  Maîtresse,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1900, 
in-18.  —  Les  Médailles  d'Arfllle,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do 
France,  1900,  in-8.  —  Flflures  et  Caractères  {Michelet.  Alfred  de  Vigny. 
Hugo.  Stéphane  Mallarmé.  Le  liosquet  de  Psyché,  etc.,  etc.).  Paris,  Soc. 
du  Mercure  deFrance,  1901,  iu-18.  —  Les  Amants  singuliers,  nouvelle» 
(La  Femme  de  marbre.  Le  Rival.  La  courte  vie  de  Ba'thasar  Aldramin 
«(?ni7ien). Paris, Soc.  du  Mercure  do  France,  1901.  in-18.  —  Le  Bon  Plaisir, 
roman  [suivi  d'un  ingénieux  pastiche  qui  termine  le  roman  :  Eclaircisse- 
ments tirés  des  Mémoires  de  M,  de  Collarceaux].  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  France,  1902,  in-18.  (Réimpr.  :  Le  Bon  /'laisir,  55  illustr.  de  Georges  (Con- 
rad. Paris,  Fayard,  1908,  in-8).  —  La  Cité  des  Eaux,  poèmcf.  Pari»,  Soc. 
du  Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  Le  Mariage  do  Minuit,  roman 
contemporain.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1903,  in-18.  —  Les  Vacan- 
ces d'un  |eune  homme  sage,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1903,  in-18.  (Réimpr.  :  Les  Vacances  d'un  jeune  homme  sage,  ill.  de 
M.  Lecoultre.  Paris,  Fayard,  1908,  in  8).  —  Les  Rencontres  de  M.  do 
Bréot,  roman.  Pari»,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1904,  in-18.  — Le  Passt 
vivant,  romixn  moderne.  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1905,  in-18.  — 
La  Sandale  allée  (1903-1905).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906, 
in-18.  —  Sujets  et  Paysage»  [critiquel.  Paris,  Soc.  du  Mercure  d« 
France,  1906,  in-18.  —  Esquiosos  vAnilInnnes,  ill.  de  Maxime  Dothomas. 
Paris,  Collection  de»  l'Art  di'-poratif»  1906,  in-4.  —  L'Amour  et  le  Plal- 
flr,  histoire  galante.  P»ri»,  Barné»'**»  *V)6,  iii-8  (Réimpr.  dans  Couleur  du 


PORTES  d'aujourd'hui 


Temps.  Paris,  Soc.  du  Mercuro  de  France,  1908,  iii-18),  ~  La  Peur  de 
l'Amour,  roman.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-18.  —  Trois 
contes  à  soi-même.  [Le  sixième  mariage  de  /larhe-Bleue  ;  Ze  Récit  de 
la  Dame  des  sept  Miroirs.  Le  Heurtoir  vivant."]  Miniatures  de  Maurice  Ray. 
gravées  par  A.  Bertrand.  Paris,  pour  les  Cent  Bibliophiles  (130  ex.  num. 
publiés  par  )es  soins  d'Eug.  Rodrigues),  1907,  in-8.  —  Les  Scrupules  de 
Snanarolle  [comédie  en  3  actes  et  en  prose].  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1908,  in-18.  —  Couleur  du  Temps  [Ze  Trèfle  blanc.  L'Amour  et 
le  Plaisir.  Tiburce  et  ses  amis.  Conte*  pour  les  Treize}.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1908,  in-18. 

Voir  en  outre  l'album  :  Les  Péchés  capitaux,  eaux-fortes  par  Henri 
Detouche.  Paris,  Boudet,  1900,iii-8.  —  L'Almanach  des  l'oètes,  années, 
1896  et  1897,  pet,  in-8. 

Préfaces.  —  I^  Jeune  fille  de  la  mer,  roman  par  René  de  Saint- 
Chéron.  Paris,  Stock,  1908,  in-18,  et  La  Commertia,  sertlcl  sonettl  In 
linguafranceso  del  Slgnor  Giovanni- Luigl  Vaudoyer  {con  un 
proemio  del  Signor  Enrico  de  Régnier,  In  Venezia,  Neila  Stamp.  Emiliana, 
1908,  gr.  in-4. 

Poèmes  mis  en  musique:  —  Des  poésies  de  :  M.  Henri  de  Régnier  ont  été 
mises  en  musique  par  MM.  Barbirolli,  Bardac,  H.  Busser,  l.éon  Delafosse,  Th. 
Dubois,  Gabriel  Fauré,  G.  Fleury,  R.  Hahn,  Mailiot,  Miquol.  Ravel,  Albert 
Roussel,  etc. 

A  CONSULTER,  —  André  Beaunler  :  La  Poétie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  Léon  Blum  :  En  lisant.  Réflexions 
Kritiques.  Paris,  Soc.  d'éd,  littér.,  1906,  in-18.—  Gaston  Boissier  :  Rap- 
port du  Secrétaire  perpétuel  de  V Académie  française  sur  les  concours  de 
l'année  IS99-  Académie  française.  Séance  publique  annuelle  du  jeudi  23  nov. 
1879.  —  Adolphe  Urisson  :  Pointes  sèches.  Paris,  A.  Colin,  1898,  in-18.— 
Gaston  Deschamps  :  La  Vie  et  le»  Livres,  3*  série.  Paris,  A.  Colin,  1806, 
in-18.—  René  Doumic  :  Les  Jeunes.  Paris,  Perrin,  1896,  in-18. —  Pierre 
Fons  :  L'Ame  iMtine.  Nos  Maître».  Toulouse  [L'Ame  LaliueJ,  1903,  in-8  : 
Le  Réveil  de  Pallas.  Paris,  Sausot,  1906,  in-18.  —  Remy  de  Gourmoat  ; 
Le  Livre  des  Masques.  I^aris,  ^oc.  du  Mercuro  de  France,  1806,  in-18  ;  Pro- 
menade» littéraires .  I.  Paris,  Soc.  da  Mercure  de»Franco.  1901,  in-18. — 
Fernand  Gregli  :  Jm  Fenêtre  ouverte.  Paris,  Fas(|uelle,  1901,  in-18.  — 
Jean  de  Gourmoot  :  /Jenri  de  Régnier  et  toncsuvre,  avec  un  poit.  cl.  un 
autogr.(Biyiogr.  par  Ad.  van  Eever).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908, 
in-18. — Juleslluret:  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire.  Paris,  Char- 
pentier, 1901,  in-18.—  Bernard  Lazare  :  Figures  contemporaines.  Paris, 
Perrin,  1895,  in-18.  —  Paul  Léautaud  :  Henri  de  Régnier,  biogr.  précé- 
dée d'un  portr.  illustr.  et  aulogr.,  suivie  d'opinions  et  d'une  bibliographie  par 
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HENRI  DR  nAamin  tu 


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0|)pelii  Broiilkowskl  :  Zur  Dichlkunat  Henri's  de  Ref/nicr.  Rorlin,  Die 
(ii-scllscliaft,  n"  lu,  1808  (avec  un  portrait  et  des  tradurlions).  —  Pierre  et 
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Iconographie  : 

Henry  Bataille:  Lithographie  (Têtes et  Pensées.  Paris,  OUendorfT,  1901, 
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Peinture,  ISOO  (appart.  à  M.  H.  do  Rf^gnicr)  ;  Porti-ait  à  l'aquarelle,  »vlt 
un  CT^omplaire  du  Trèfle  noir,  1805  (Bibliotlifcijue  d'Kdnioud  do  Concourt). — 
'l'héo  VanKysselberghe  ■  Lithographie,  WJl,  reproduite  dans  Pan.  Ber- 
lin, 1808.  —  Ltiqiio  :  Portrait-charge,  Les  Hommes  d'aujourd'hui,  n»  342. 
Paris,  Vanier.  —  F.  Vallotton  :  Masque,  dans  Le  Livre  des  Masques,  de 
R.  do  Oourniont.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1806,  et  dans  French 
Portrait»,  deV.  Thompson.  Boston,  Richard,  G.  Badger  et  C»,  1900 


SCÈNE  AU    CRÉPUSCULE 
La  Nuit  monte  trop  vite  et  ton  espoir  eut  vain, 

JOSÉ- MARIA  DK   KEnSDIA. 

En  allant  vers  la  Ville  où  l'on  chante  aux  terrasses 
Sous  les  arbres  en  Heurs  comme  des  bouquets  de  fiancées, 
En  allant  vers  la  Ville  où  le  pavé  des  places 


12*  poèrxfl  d'aujourd'hui 

Vibre  au  soir  rose  et  bleu  d'un  silence  de  danses  lassées, 
Nous  avons  rencontre  les  filles  de  la  plaine 
Qui  s'en  venaient  à  la  fontaine, 
Qui  s'en  venaient  à  perdre  haleine. 
Et  nous  avons  passé. 

La  douceur  des  ciels  clairs  vivait  en  leurs  yeux  tristes, 

Le.î  oiseaux  du  matin  chantaient  en  leurs  voix  douces. 

Oh  si  douces  avec  leurs  yeux  de  bonne  route 

Et  si  tendres  avec  leurs  voix  de  colonibes  indicatrices  ! 

Elles  s'assirent  pour  nous  voir,  tristes  et  sages. 

Leurs  mains  jointes  semblaient  garder  leurs  cœurs  en  cage. 

Les  ballerines  ont  croisé  nos  chemins 

Et  nous  avons  suivi  leurs  fards,  leurs  rires,  leurs  tambourin» 

Pour  les  perdre  un  soir  d'ombre  au  détour  du  chemin... 

Nous  allons  vers  la  Ville  où  l'on  chante  aux  terrasses 
Sous  les  arbres  en  fleurs  chercher  les  Fiancées, 
O  cloiîhes  d'allégresse  au  silence  des  places. 
Les  clochers  tremblent  comme  des  fleurs  balancées  I 

Nos  espoirs  entreront  par  les  portes  ouvertes 

En  vols  de  papillons  légers  aux  vastes  ailes, 

Avec  les  hirondelles 

Qui  s'en  viennent  inertes. 

Lasses  d'avoir  passé  et  repassé  les  mers. 

Et  vers  les  angles  noirs  et  sur  les  pavés  clairs 

Nos  espoirs  voletteront  en  ombres  joyeuses 

Comme  des  pétales  de  fleurs  merveilleuses 

Que  pleut  le  soir  d'avril  aux  tresses  des  fileuses. 

{Poèmes,  i88j-i8ga  :  Poèmes  anciens  et  romanesques.^ 


EXERGUE 

Au  carrefour  des  routes  de  la  foret,  un  soir, 
Parmi  le  vent,  avec  mon  ombre,  un  soir, 
Las  de  la  cendre  des  ûtres  et  des  années. 


HBNRI  DB  niONIEn  is3 


rnccrlaln  des  heures  prédestinées, 
Je  vins  m'asscoir. 

Les  routes  s'en  allaient  vers  les  jours 

Et  j'aurais  pu  aller  avec  elles  eiicor, 

Et  toujours, 

Vers  des  terres,  des  eaux  et  des  songes,  toujours 

Jusques  au  jour 

Où,  de  ses  mains  magiques  et  patientes,  la  Mort 

Aurait  fermé  mes  yeux  du  sceau  de  sa  fleur   de  paix  et  d'or. 

Route  des  chênes  hauts  et  de  la  solitude. 

Ta  pierre  âpre  est  mauvaise  aux  lassitudes, 

Tes  cailloux  durs  aux  pieds  lassés, 

Et  j'y  verrais  saigner  le  sang  de  mon  passé, 

A  chaque  pas. 

Et  tes  chênes  hautains  grondent  dans  le  vent  rude 

Et  je  suis  las. 

Roule  des  bouleaux  clairs  qui  s'effeuillent  et  tremblent 

Paies  comme  la  honte  de  tes  passants  pâles 

Qui  s'égarent  en  tes  fanges  tenaces. 

Et  vont  ensemble. 

Et  se  détournent  pour  ne  pas  se  voir  face  à  face; 

Route  de  boue  et  d'eau  qui  suinte, 

Le  vent  à  tes  feuilles  chuchote  sa  plainte. 

Les  grands  marais  d'argent,  de  lunes  et  de  givre 

Stagnent  au  crépuscule  au  bout  de  tes  chemins 

Et  l'Ennui  à  qui  veut  te  suivre 

Lui  prend  la  main. 

Roule  des  frênes  doux  et  des  sables  légers 

Où  le  vent  efface  les  pas  et  veut  qu'on  oublie 

Et  qu'on  s'en  aille  ainsi  qu'il  s'en  va  d'arbre  en  arbre. 

Tes  fleurs  de  miel  ont  la  couleur  de  l'or  des  sables. 

Ta  courbe  est  telle  qu'on  voit  à  peine  où  l'on  dévie; 

La  ville  où  lu  conduis  est  bonne  aux  étrangers 

Et  mes  pas  seraient  doux  sur  le  seuil  de  ses  portes 

S'ils  n'étaient  pas  restés  le  long  d'une  autre  vie 

Où  mes  Espoirs  en  pleurs  veilleijt  (les  Ombres  mort«», 


ii4  PoiTEs  d'aujourd'hui 


Je  n'irai  pas  vers  vos  chênes 

Ni  le  long  de  vos  bouleaux  et  de  vos  frênes 

Et  ni  vers  vos  soleils,  vos  villes  et  vos  eaux, 

0  routes  ! 

J'entends  venir  les  pas  de  mon  passé  qui  saigne. 

Les  pas  que  j'ai  crus  morts,  hélas!  et  qui  reviennent, 

Et  qui  semblent  me  précéder  en  vos  échos, 

O  routes, 

Toi  la  facile,  toi  la  honteuse,  toi  la  hautaine, 

Et  j'écoute 

Le  vent,  compagnon  de  mes  courses  vaines, 

Qui  marche  et  pleure  sous  les  chênes. 

O  mon  âme,  le  soir  est  triste  sur  hier, 
O  mon  âme,  le  soir  est  morne  sur  demain, 
O  mon  âme,  le  soir  est  grave  sur  toi-même  ! 

{Poèmes,  iSSj-iSga  :  Tel  quen  Songe.) 


DISCOURS  EN  FACE  DE  LA  NUIT 

Parce  que  c'est  le  soir  et  que  mes  pieds  sont  nus 
D'avoir  marché  longtemps  et  d'être  revenus, 
Je  parlerai,  debout  et  du  fond  de  mon  songe, 
Comme  quelqu'un  qui  n'est  plus  là  et  se  resonge 
En  soi-même,  non  point  ce  qu'il  n'a  pas  été 
Au  fantôme  de  chair  que  sa  vie  a  hanté, 
Mais  ainsi  qu'il  fut  tel  en  soi  devant  soi  seul, 
Je  parlerai,  dans  l'attitude  du  linceul 
Que  tisse  le  passé  autour  de  la  stature 
Du  passant  funéraire  et  hautain  sous  sa  bure 
Où  se  mêlent  les  fils  du  Temps  et  de  la  Nuit, 
Je  parlerai  étant  à  cette  heure  celui 
Devant  qui  le  silence  a  haussé  son  miroir 
Et  que  la  solitude  orne  du  manteau  noir. 

0  magnifique  et  sépulcral,  voici  le  seuil 
Dominateur  ot  les  trois  marches  de  l'orgueil 
Qui  sont  de  bronze,  de  basalte  et  de  porphyre. 


HBNRI    DB  niONIKA  125 


hh,  taciturne  avec  le  geste  de  se  dire. 

Mon  Destin  se  retourne  en  face  du  passé 

Vers  l'ombre  où,  dans  IVcho,  mon  pas  s'est  efïncé 

Comme  aux  herbes  des  prés,  comme  au  sable  des  plaines, 

Avec  l'aube  qui  rit  aux  larmes  des  fontaines, 

Avec  le  soir  qui  pleure  au  rire  des  ruisseaux. 

Je  suis  celui  qui  jette  une  pierre  dans  l'eau, 

Je  suis  celui  qui  parle  au  bout  de  l'avenue, 

Je  peux  cueillir  enfin,  digne  de  mes  mains  nues, 

La  fleur  d'or  qui  disjoint  les  dalles  du  silence. 

Et  n'ayant  plus  l'épée  et  n'ayant  plus  la  lance, 

Ni  l'arc  courbe  ou  la  flèche  droite,  ni  le  cri 

Qui,  dans  la  forêt  sombre  et  le  bois  où  fleurit 

A  côté  de  la  ronce,  hélas  !  la  rose  en  sanjç, 

Suscitent,  sous  les  pas  danjçereux  du  passant, 

Le  froncement  du  mufle  ou  le  croc  de  la  face, 

N'ayant  plus  que  la  voix  mélancolique  et  basse 

De  quelqu'un  qui  n'est  plus  là-bas,  mais  se  souvient 

Du  pays  monstrueux  et  morne  d'où  il  vient. 

Je  parlerai,  debout  en  face  du  passé, 

Et,  dans  son  ombre  grave  et  lourde  où  s'est  tassé 

L'aspect  entin  des  lieux  par  où  s'en  vint  mon  Ame, 

J'éveillerai  les  yeux  de  cendres  ou  de  flammes 

Qui  luisent  tout  au  fond  de  sa  tragique  nuit 

Et  dont  le  reflet  mort  sur  mes  songes  a  lui, 

Jusqu'à  ce  que  la  pluie  eût  lavé  ma  mémoire 

A  travers  qui  courut  le  vent  expiatoire. 

Et  je  verrai  peut-ôtre  encor,  dans  la  forêt 

Qui,  faite  de  ténèbre  et  de  rêve,  apparaît 

En  chacun  au  déclin  de  chaque  crépuscule, 

Le  Centaure  cabré  qui  hennit  et  recule 

Devant  l'Hydre  irascible  au  flair  de  ses  naseaux 

Parmi  la  boue  obèse  et  les  sveltes  roseaux 

Que  cassent,  pour  les  joindre  en  flûtes  maléfiques 

Où  s'échange,  répond,  alterne  et  se  réplique 

Une  voix  (]ui  ricane  à  la  voix  qui  glapit. 

Le  Satyre  équivoque  et  le  Faune  accroupi. 


126  POÈTES   d'aujourd'hui 


Mais  non  !  de  ma  hautaine  et  solitaire  emphase 
Pourquoi  troubler  encor  la  honte  de  la  vase 
Que  ma  tristesse  sèche  en  ses  ternes  marais, 
Pourquoi  provoquer  l'ombre  et  l'antique  forêt 
A  faire  .vers  mes  pieds  ramper  la  basse  ordure 
Du  bestiaire  où  mon  passé  se  configure 
En  emblèmes,  hcias  !  qui,  par  la  griffe  et  l'aile, 
Montrent  obscurément  que  ma  vie  était  telle. 
Et  par  l'ongle  et  le  croc,  le  sabot  et  la  dent. 
Attestent  mon  désir  avoir  été,  pendant 
Des  jours,  hélas!  des  nuits,  hélas!  avoir  été 
Leur  semblable  de  ruse  et  de  stupidité. 

Vous  viendriez  du  fond  des  antres  à  mon  seuil. 
Que  vous  vous  buteriez  aux  marches  de  l'orgueil 
Où  je  songe  du  haut  de  moi-même,  ce  soir. 
Je  ne  sais  même  pas  si  je  pourrais  vous  voir 
Mordre  ou  lécher,  écumes,  larves,  ô  décombres. 
Le  pan  de  mon  manteau  ou  le  bout  de  mon  ombre, 
Car  voici  qu'une  étoile  à  l'Occident  a  lui 
Et  vous  tous  n'êtes  déjà  plus  que  de  la  Nuit, 

La  porte  va  rouler  sur  les  doubles  gonds  d'or 
Et  fermer  son  sommeil  de  bronze  qui  s'endort 
Sur  celui  qui  voulait  parler  et  qui  s'est  tu 
A  jamais  parce  que  son  songe  l'a  vêtu 
D'un  manteau  de  silence  et  de  la  robe  noire 
De  l'oubli,  dont  le  pli  fatidique  se  moire 
D'un  reflet  d'au  delà  du  Styx  et  du  Léthé, 
Parce  qu'il  n'est  plus  rien  de  ce  qu'il  a  été. 

Accueille  donc,  ô  Mort,  la  palme  que  j'apporte, 

Et  puisses-tu  sculpter  au  fronton  de  la  porto 

Un  masque  bestial  qui  ne  sourira  pas 

Ni  de  ses  lèvres  mornes  ni  de  ses  yeux  las, 

Et  où  viendront  hennir  longuement,  face  à  face. 

Un  A  un,  anxieux  du  masque  qui  s'efface, 

Du  masque  fraternel  qui  les  trouble  aujourd'hui, 

Les  Centaures  cabrés  en  fuite  dans  la  Nuit. 

{Poèmes,  1 887-1 8qa  :  Tel  qu'en  Songre.) 


RtHKI   DE    néONfBR  l*^ 


LA  SAGESSE  DE  L'AMOUR 

Avanf.  d'être  de  ceux  qui  marchent  vers  la  Nuit, 

O  toi  qui  fus  l'enfant  que  sa  jeunesse  a  fui 

Et  qui,  grave,  t'assieds  déjà,  debout  hier, 

Ecoute  encore,  avant  les  fifres  de  l'Hiver, 

Les  flûtes  de  l'Eté  qui  chantent  dans  rAulomne  ; 

L'heure  tendre  là  bas  enil)rasse  l'heure  bonne, 

Et,  quand  le  chant  se  lait,  au  loin,  tu  peux  entendre 

Ce  (jue  le  bel  Août  dit  au  calme  Septembre 

Et  ce  que  dit  la  joie  à  ta  mélancolie. 

Le  fruit  qui  va  mûrir  avec  sa  branche  plie  ; 

C'est  de  la  brise,  hélas!  que  sort  lèvent  farouche. 

Mais  la  brise  et  le  vent  s'endorment  bouche  à  bouche 

Aujourd'hui  et  le  bois  est  vert  et  le  soir  tombe. 

Et  les  flûtes  dans  l'ombre  appellent  les  colombes, 

Et  1  Eté  chante  encore  aux  lèvres  de  l'Automne; 

Le  jour  sera  meilleur  si  l'aurore  fut  bonne  ; 

Le  soir  est  plus  charmant  lorsque  l'Ame  est  plus  douce. 

Le  sourire  fait  une  rose  de  la  bouche; 

La  tresse  dénouée  est  une  chevelure  ; 

D'avoir  été  fontaine  une  eau  reste  plus  pure. 

Aime  et  que  sur  tes  pas  les  étoiles  aient  lui 

Quand  tu  seras  de  ceux  qui  marchent  vers  la  Nuit. 

{Les  Jeux  rustiqius  et  divins  :  Aréthuse.) 

LE  VASE 

Mon  marteau  lourd  sonnait  dans  l'air  léger, 

Je  voyais  la  rivière  et  le  verger, 

La  prairie  et  jusques  au  bois 

Sous  le  ciel  plus  bleu  d'heiire  en  heure. 

Puis  rose  et  mauve  au  crépuscule  ; 

Alors  je  me  levais  tout  droit 

Et  m'étirais,  heureux  de  la  tâche  des  heures, 

Gourd  de  m'être  accroupi  de  l'aube  au  crépuscule 

Devant  le  bloc  de  marbre  où  je  taillais  les  pans 

Du  vase  fruste  encor  que  mon  marteau  pesant, 


is8  poèTES  d'aujourd'hui 

Rythmant  le  matin  clair  et  la  bonne  journée, 
Heurtait,  joyeux  d'être  sonore  en  l'air  léger  1 

Le  vase  naissait  dans  la  pierre  façonnée. 

Svelte  et  pur  il  avait  grandi 

Informe  encore  en  sa  sveltesse. 

Et  j'attendis. 

Les  mains  oisives  et  inquiètes,  ■ 

Pondant  des  jours,  tournant  la  tête 

A  gauche,  à  droite,  au  moindre  bruit, 

Sans  plus  polir  la  panse  ou  lever  le  marteao» 

L'eau 

Coulait  de  la  fontaine  comme  haletante. 

Dans  le  silence 

J'entendais,  un  à  un,  aux  arbres  du  verci;'er, 

Les  fruits  tomber  de  branche  en  branche  ; 

Je  respirais  un  parfum  messager 

De  fleurs  lointaines  sur  le  vent  ; 

Souvent, 

Je  croyais  qu'on  avait  parlé  bas, 

Et,  un  jour  que  je  rêvais  —  ne  dormant  pas  — 

J'entendis  par  delà  les  prés  et  la  rivière 

Chanter  des  flûtes... 

Un  jour,  encor, 

Entre  les  feuilles  d'ocre  et  d'or 

Du  bois,  je  vis,  avec  ses  jambes  de  poil  jaune. 

Danser  un  faune  ; 

Je  l'aperçus  aussi,  une  autre  fois. 

Sortir  du  bois 

Le  long  de  la  route  et  s'asseoir  sur  une  borne 

Pour  prendre  un  papillon  à  l'une  de  ses  cornes. 

Une  autre  fois. 

Un  centaure  passa  la  rivière  à  la  nage  ; 

L'eau  ruisselait  sur  sa  peau  d'homme  et  son  pelage  ; 

Il  s'avança  de  quelques  pas  dans  les  roseaux, 

Flaira  le  vent,  hennit,  repassa   l'eau  ; 

Le  lendemain,  j'ai  vu  l'ongle  de  ses  sabots 

Maraué  dans  l'herbe... 


HBNHI     UB    ivÉUMKli  OQ 


Des  femmes  nues 

Passèrent  en  portant  des  paniers  et  des  gerbes, 

Très  loin,  tout  au  bout  de  la  plaine. 

Un  matin,  j'en  trouvai  trois  à  la  fontaine 

Dont  l'une  me  parla.  KUe  était  nue. 

Elle  me  dit  :  Sculpte  la  pierre 

Selon  la  forme  de  mon  corps  eu  tes  pensées. 

Et  fais  sourire  au  bloc  ma  face  claire  ; 

Kcoule  autour  de  toi  les  heures  dansées 

Par  mes  sœurs  dont  la  ronde  se  renoue. 

Entrelacée, 

Et  tourne  et  chante  et  se  dénoue. 

Et  je  sentis  sa  bouche  tiède  sur  ma  joue. 

Alors  le  vere:er  vaste  et  le  bois  et  la  plaine 

Tressaillirent  d'un  bruit  étrange,  et  la  fontaine 

Coula  plus  vive  avec  un  rire  dans  ses  eaux  ; 

Les  trois  Nymphes  debout  auprès  des  trois  roseaux 

Se  prirent  par  la  main  et  dansèrent  ;  du  bois 

Les  faunes  roux  sortaient  par  troupes,  et  dos  voix 

Chantèrent  par  delà  les  arbres  du  verger 

Avec  des  fltUes  en  éveil  dans  l'air  léger. 

La  terre  retentit  du  galop  des  centaures  ; 

Il  en  venait  du  fond  de  l'horizon  sonore. 

Et  l'on  voyait,  assis  sur  la  croupe  qui  rue, 

Tenant  des  ihyrses  tors  vi  des  outres  ventrues. 

Des  satyres  boiteux  piqués  par  des  abeilles. 

Et  les  bouches  de  crin  et  les  lèvres  vermeilles 

Se  baisaient,  et  la  ronde  immense  et  frénétique. 

Sabots  lourds,  pieds  légers,  toisons,  croupes,  tuniques. 

Tournait  éperdumcnt  autour  de  moi  qui,  grave. 

Au  passage,  sculptais  aux  flancs  gonflés  du  vase 

Le  tourbillonnement  des  forces  de  la  vie. 

Du  parfum  exhalé  de  la  terre  mûrie 

Une  ivresse  montait  à  travers   mes  pensées, 

Et  dans  l'odeur  des  fruits  et  des  grappes  pressées, 

Dans  le  choc  des  sabots  et  le  heurt  des  talons. 

En  de  fauves  odeurs  de  boucs  et  d'étalons. 


lâo  POÂTBS    d'aUJOUHD^HUI 

Sous  le  vent  de  la  ronde  et  la  grêle  des  rires. 
Au  marbre  je  taillais  ce  que  j'entendais  bruire; 
lit  parmi  la  chair  chaude  et  les  effluves  tièdes, 
Hennissement  du  mutle  ou  murmure  des  lèvres. 
Je  sentais  sur  mes  mains,  amoureux  ou  farouches. 
Des  souffles  de  naseaux  ou  des  baisers  de  bouches. 

Le  crépuscule  vint  et  je  tournai  la  tête . 

Mon  ivresse  était  morte  avec  la  tâche  faite  ; 

Et  sur  son  socle  enfin,  du  pied  jusques  aux  anses, 

Le  grand  Vase  se  dressait  nu  dans  le  silence, 

Et,  sculptée  en  spirale  à  son  marbre  vivant, 

La  ronde  dispersée  et  dont  un  faible  vent 

Apportait  dans  l'écho  la  rumeur  disparue. 

Tournait  avec  ses  boucs,  ses  dieux,  ses- femmes  nues, 

Ses  centaures  cabrés  et  ses  faunes  adroits, 

Silencieusement  autour  delà  paroi, 

Tandis  que,  seul,  parmi,  à  jamais,  la  nuit  sombre, 

Je  maudissais  l'aurore  et  je  pleurais  vers  l'ombre. 

{Les  Jeux  rustiques  et  divins .) 

LE  VISITEUR 

La  maison  calme  avec  la  clef  à  la  serrure, 

La  table  où  les  fruits  doux  et  la  coupe  d'eau  pure 

Se  miraient,  côte  à  côte,  en  l'ébène  profond  ; 

Les  deux  chemins  qui  vont  tous  deux  vers  l'horizon 

Des  collines  derrière  qui  l'on  sait  la  Mer, 

Et  tout  ce  qui  m'a  fait  le  rire  simple  et  clair 

De  ceux  qui  n'ont  jamais  désiré  d'autres  choses 

Qu'une  fontaine  bleue  entre  de  hautes  roses, 

Qu'une  grappe  à  leur  vigue  et  qu'un  soir  à  leur  vie 

Avec  un  peu  de  joie  et  de  mélancolie 

Et  des  jours  ressemblant,  heure  à  heure,  à  leurs  jours, 

J'ai  compris  tout  cela  quand  je  t'ai  vu,  Amour, 

Entrer  dans  ma  maison  où  t'attendait  mon  âme, 

Et  mordre  les  fruits  mûrs  de  ta  bouche  de  fenmie, 


HKNHI  OS    RiGNIEIl  l3l 


Et  boire  l'eau  limpide,  etl'asscoir,  et  ployer 
Ta  graude  aile  diviue  aux  picrrcH  du  foyer. 

(Les  Jeux  rutliques  ei  diuins. 


ELEGIE  DOUBLE 

Ami,  le  hibou  pleure  où  venait  la  colombe, 

Et  ton  sanpf  souterrain  a  fleuri  sur  ta  tomba, 

Et  mes  yeux  qui  t'ont  vu  sont  las  d'avoir  pleuré 

L'inexorable  absence  où  tu  t'es  retiré 

Loin  de  mes  bras  pieux  et  de  ma  bouche  triste. 

Reviens  I  le  doux  jardin  mystérieux  l'invite 

Et  Ion  pas  sera  doux  à  sa  mélancolie; 

Tu  viendras,  les  pieds  nus  et  la  lace  vieillie, 

Peut-être,  car  la  roule  est  longue  qui  ramène 

De  la  rive  du  Styx  à  notre  humble  foîilaine 

Qui  pleure  goutte  à  goutte  et  rit  d'avoir  pleuré. 

Ta  maison  te  regarde,  ami  1  j'ai  préparé 

Sur  le  plateau  d'argent,  sur  le  plat(;au  d'ébène, 

La  coupe  de  cristal  et  la  coupe  de  frêne, 

Les  figues  et  le  vin,  le  lait  et  les  olives. 

Et  j'ai  huilé  les  gonds  de  la  porte  d'une  huile 

Qui  la  fera  s'ouvi-ir  ainsi  que  pour  une  ombre  ; 

Mais  je  prendrai  la  lampe  et  par  l'escalier  sombre 

Nous  monterons  tous  deux  en  nous  tenant  la  main  ; 

Puis,  dans  la  chambre  vaste  où  le  songe  divin 

T'a  ramené  des  bords  du  royaume  oublieux. 

Nous  nous  tiendrons  debout,  face  à  face,  joyeux 

De  l'étrange  douceur  de  rejoindre  nos  lèvres, 

0  voyageur  venu  des  roseaux  de  la  grève 

Que  ne  réveille  pas  l'aurore  ni  le  vent  I 

Je  t'ai  tant  aimé  mort  que  tu  seras  vivant 

Et  j'aurai  soin,  n'ayant  plus  d'espoir  ni  d'attente, 

De  vider  la  clepsydre  et  d'éteindre  la  lampe. 

—  Laisse  brûler  la  lampe  et  pleurer  la  clepsydre, 
Car  le  jardin  autour  de  notre  maison  vide 


iSs  POÈTES  d'aujourd'hui 

Se  fleurira  de  jeunes  fleurs  sans  que  reviennent 

Mes  lèvres  pour  reboire  encore  à  la  fontaine  ; 

Les  baisers  pour  jamais  meurent  avec  les  bouches. 

Laisse  la  Rgue  mûre  et  les  olives  rousses  ; 

Hélas  I  les  fruits  sont  bous  aux  lèvres  qui  sont  chair. 

Mais  j'habite  un  royaume  au  delà  de  la  Mer 

Ténébreuse,  et  mon  corps  est  cendre  sous  le  marbre. 

Je  suis  une  Ombre,  et  si  mon  pas   lent  se  hasarde 

Au  jardin  d'autrefois  et  dans  la  maison  noire 

Où  tu  m'attends  du  fond  de  toute  ta  mémoire, 

Tes  chers  bras  ne  pourront  étreindre  mon  fantôme  ; 

Tu  pleurerais  le  souvenir  de  ma  chair  d'homme, 

A  moins  que,  dans  ton  âme  anxieuse  et  fidèle. 

Tu  m'attendes  en  rêve  à  la  porte  éternelle, 

Me  regardant  venir  à  travers  la  nuit  sombre, 

Et  que  ton  pur  amour  soit  digne  de  mon  ombre. 

(Les  Jevuc  rustiques  et  divins.) 


ODELETTE 

Un  petit  roseau  m'a  suffi 

Pour  faire  frémir  l'herbe  haute 

Et  tout  le  pré 

Et  les  doux  saules 

Et  le  ruisseau  qui  chante  aussi  ; 

Un  petit  roseau  m'a  suffi 

A  faire  chanter  la  forêt. 

Ceux  qui  passent  l'ont  entendu 
Au  fond  du  soir,  en  leurs  pensées 
Dans  le  silence  et  dans  le  vent. 
Clair  ou  perdu, 
Proche  ou  lointain. . . 
Ceux  qui  passent  en  leurs  pensées 
Eli  écoutant,  au  fond  d'eux-mêmes 
L'entendront  encore  et  l'entendent 
Toujours  qui  chante. 


BKNRI   DB    niONIKM  >33 


n  m'a  suffi 

De  ce  petit  roseau  cueilli, 

A  la  fontaine  où  vint  l'Amour 

Mirer,  un  jour, 

Sa  face  grave  ^ 

Et  qui  pleurait. 

Pour  faire  pleurer  ceux  qui  pasnenl 

Et  trembler  l'herbe  et  frémir  l'eau  ; 

Et  j'ai,  du  souffle  d'un  roseau. 

Fait  chanter  toute  la  forât, 

(Lta  JeuiC  rustiques  tt  divins.) 


ODELETTE 

Si  j'ai  parle 

De  mon  amour,  c'est  à  l'eau  lente 

Qui  m'écoute  quand  je  me  penche 

Sur  elle;  si  j'ai  parlé 

De  mon  amour,  c'est  au  vent 

Qui  rit  el  chuchote  entre  les  branches  ; 

Si  j'ai  parlé  de  mon  amour,  c'est  à  l'oiseau 

Qui  passe  et  chante 

Avec  le  vent; 

Si  j'ai  parlé 

C'est  à  l'écho. 

Si  j'ai  aimé  de  grand  amour, 

Triste  ou  joyeux,  

Ce  sont  tes  yeux  ;  ■■» 

Si  j'ai  aimé  de  grand  amour. 

Ce  fut  ta  bouche  grave  et  douce. 

Ce  fut  ta  bouche  ; 

Si  j'ai  aimé  de  grand  amour. 

Ce  furent  ta  chair  tiède  et  tes  mains  fraîches. 

Et  c'est  ton  ombre  que  je  cherche. 

(Les  Jeux  rustiques  et  divins.) 


lJ4  POÈTE*    d'aujourd'hui 


LA   COURONNE 

Lasses  du  long  chemin,  et  la  tête  baissée. 
Silencieusement,  dans  l'ombre,  mes  Pensées, 
Une  à  une,  vers  moi  reviennent  de  la  vie 
Où  toutes,  à  l'aurore,  elles  étaient  parties. 
Les  voici,  elles  sont  debout,  au  crépuscule. 
Devant  moi,  et  chacune  eu  tressaillant  recule 
Lorsque  je  la  regarde  au  visage,  et  ses  yeux 
Se  détournent  pour  fuir  mon  regard  anxieux 
Qui  retrouve,  debout  et  la  tcte  baissée. 
Celles  qui  furent  familières,  mes  Pensées. 
Ce  sont  elles  ;  j'entends  encor  leurs  pas  lointains 
Qui  jadis  m'ont  quitté  pour  suivre  le  chemin 
Qui  descend,  à  travers  les  heures,  vers  la  vie... 
Qu'avez-vous  fait  ?  Ta  coupe  est-elle  entin  remplie, 
O  Toi  qui  voulais  boire  aux  fontaines  vivantes  ? 
Mais  non,  sa  main  est  vide  et  sa  lèvre  est  brûlante 
Et,  du  geste,  elle  montre  à  ses  pieds  devant  elle. 
Ironique  risée  à  sa  soif  éternelle, 
Des  débris  de  cristal  et  des  morceaux  d'argile  ; 
Et  Toi,  jadis  si  belle  et  svellement  agile, 
A  quel  mauvais  festin  as-tu  donc  pris  ta  part 
Que,  la  chair  alourdie  et  les  cheveux  épars. 
Tu  chancelles  d'ivresse  en  ta  robe  vineuse  ? 
Va-t'en  !  Et  Toi,  dis-moi  la  douleur  qui  te  creuse 
La  joue  ainsi?  pourquoi  crispes-tu  tes  deux  mains 
Mystérieusement  dans  l'ombre  sur  ton  sein. 
Pour  cacher  le  serpent  par  qui,  de  veine  en  veine. 
Coule  en  ton  acre  sang  le  venin  de  la  haine  ? 
Et  Toi  qui  visitas  l'Orgueil,  qu'apportes-tu  ? 
Cette  pourpre  en  lambeaux  et  ce  sceptre  tordu. 
Et  Toi  encor  qui  ris  et,  dj  sueur  couverte 
D'être  allée  au  Désir  avec  tes  mains  ouvertes. 
Reviens  de  son  étreinte  enivrante  et  farouche 
Lacérée  à  la  face  et  mordue  à  la  bouche  ? 
Hélas!  qu'avez-vous  fait  de  moi,  ô  mes  Pensées? 
Hélas  l  qu'avez-vous  fait  de  vous,  ô  mes  Pensées  ? 


HENRI  DE  RftONIEH  l35 


Mais  Toi  qui  partais  chaste,  ô  Toi  qui  partais  nue 
Et  seule  de  les  sœurs  ne  m'es  pas  revenue, 
C'est  vers  toi,  à  travers  n»oi-mènie,  que  j'irai. 
Tu  es  restée  au  fond  de  quelque  bois  sacré. 
Assise  solitaire  aux  pieds  nus  de  l'Amour, 
Et,  taciturne,  vous  échantçez,  tour  à  tour. 
Toi  te  haussant  vers  lui  et  lui  penché  vers  Toi, 
Une  à  une,  les  Heurs  divines  dont  vos  doifçts. 
Qui  d'un  geste  alterné  les  prennent  et  les  donnent, 
Tressent  pour  vos  deux  fronts  une  seule  couronne. 
(Les  Médaille*  et  Argile.) 

CHRYSILLA 

Lorsque  l'heure  viendra  de  la  coupe  remplie, 
Déesse,  épargne-moi  de  voir  à  mon  chevet 
Le  Temps  tardif  couper,  sans  pleurs  et  sans  regret. 
Le  long  til  importun  d'une  trop  longue  vie- 
Arme  plutôt  l'Amour  ;  hélas  !  il  m'a  haïe 
Toujours  et  je  sais  trop  que  le  cruel  voudrait 
Déjà  que  de  mon  cœur,  à  son  suprême  trait. 
Coulât  mon  sang  mortel  sur  la  terre  rougie, 

Mais  non  !  que  vers  le  soir  en  riant  m'apparaisse, 
Silencieuse,  nue  et  belle,  ma  Jeunesse  ! 
Qu'elle  tienne  une  rose  et  reffcuiile  dans  l'eau; 

J'écouterai  l'adieu  pleuré  par  la  fontaine 

Et,  sans  (ju'il  soit  besoin  de  flèches  ni  de  faulx. 

Je  fermerai  les  yeux  pour  la  nuit  souterraine. 

(Les  Médailles  d'Argile. 

SONNET  POUR  BILITIS 

Mes  Sœurs,  notre  jeunesse  a  mûri  lentement 
Sa  grappe  savoureuse  à  nos  treilles  rivales 
Et  nos  jours  que  le  Temps  presse  de  ses  sandales 
Ont  coulé  comme  uu  vin  dont  l'ivresse  nous  ment 


I  "^  ■  poAtks  d'aujourd'hui 

L'âge  est  venu  sournois,  furtif,  fourbe  et  gourmand, 
Mordre  et  flétrir,  hélas  !  nos  gorges  inégales  ; 
Notre  vendange  est  faite  et  j'entends  sur  les  dalles 
Marcher  le  vigneron  dans  le  cellier  dormant. 

Vous,  ô  mes  Sœurs,  je  vois  vos  mémoires  perdues 
Vieillir  poudreusement  comme  les  outres  bues, 
Et  moi,  que  visita  la  Muse  aux  ailes  d'or, 

Je  resterai  pareille  à  l'amphore  embaumée 
Où,  captif  aux  parois  qu'elle  respire  encor. 
Vibre  et  rôde  le  vol  d'une  abeille  enfermée. 

(Les  Médailles  d'Argile.) 

L'ONDE  NE   CHANTE  PLUS... 

L'onde  ne  chante  plus  en  tes  mille  fontaines, 
O  Versailles,  Cité  des  Eaux,  Jardin  des  Rois  I 
Ta  couronne  ne  porte  plus,  ô  souveraine, 
Les  clairs  lys  de  cristal  qui  l'ornaient  autrefois  I 

La  nymphe  qui  parlait  par  ta  bouche  s'est  tue 
Et  le  temps  a  terni  sous  le  souffle  des  jours 
Les  fluides  miroirs  où  tu  t'es  jadis  vue 
Royale  et  souriante  en  tes  jeunes  atours. 

Tes  bassins,  endormis  à  l'ombre  des  grands  arbres, 
Verdissent  en  silence  au  milieu  de  l'oubli. 
Et  leur  tain,  qui  s'encadre  aux  bordures  de  marbre, 
Ne  reconnaîtrait  plus  ta  face  d'aujourd'hui. 

Qu'importe  !  ce  n'est  pas  ta  splendeur  et  ta  gloire 
Que  visitent  mes  pas  et  que  veulent  mes  yeux  ; 
Et  je  ne  monte  pas  les  marches  de  l'histoire 
Au-devantdu  Héros  qui  survit  en  tes  Dieux. 

II  suffit  que  tes  eaux  égales  et  sans  fête 
Reposent  dans  leur  ordre  et  leur  tranquillité. 
Sans  que  demeure  rien  en  leur  noble  défaite 
De  ce  qui  fut  jadis  un  spectacle  enchanté. 


BKNM  DK  niamin  187 


Que  m'importent  le  jet,  la  gerbe  et  la  cascade 
lit  que  Nepluuc  à  sec  ail  brisé  sou  trident, 
Ni  qu'eu  son  bronze  aride  un  faroucbe  Encelado 
Se  soulève,  une  feuille  morte  entre  les  dents, 

Pourvu  que  faible,  basse,  et  dans  l'ombre  incertaine. 
Du  fond  d'un  vert  bosquet  qu'elle  a  pris  pour  tombeau, 
J'enleude  longuement  ta  dernière  fontaine, 
O  Versailles,  pleurer  sur  toi,  Cité  des  Eaux  ! 

(La  au  des  Eaax. 

LE  SANG  DE  MARSYAS 

{A  la  Mémoire  de  Stéphane  Mallarmé.} 

DÉDICACE 

184^-1898 

Ceux-ci,  las  dès  l'aurore  et  que  tenta  la  vie. 
S'arrêtent  pour  jamais  sous  l'arbre  qui  leur  tend 
Sa  fleur  délicieuse  et  son  fruit  éclatant 
Et  cueillent  leur  destin  à  la  branche  mûrie. 

Ceux-là,  dans  l'onyx  dur  et  que  la  veine  strie. 
Après  s'être  penchés  sur  l'eau  la  reflétant 
Dans  la  pierre  vivante  et  qui  déjà  l'attend 
Gravent  le  profil  vu  de  leur  propre  eftigie. 

D'autres  n'ont  rien  cueilli  et  ricanent  dans  l'ombre 
En  arrachant  la  ronce  aux  pentes  du  décombre, 
El  la  haine  est  le  fruit  de  leur  obscurité. 

Mais  vous.  Maître,  certain  que  toute  gloire  est  nue. 
Vous  marchiez  dans  la  vie  et  dans  la  vérité 
Vers  l'invisible  étoile  en  vous-même  apparue. 

{La  Cité  des  Eaax.) 

LA  LUNE  JAUNE 

Ce  long  jour  a  fini  par  une  lune  jaune 
Qui  monte  mollement  entre  les  peupliers, 
Tamlis  que  se  rép.Tiid  parmi  l'air  qu'elle  embaume 
L'odeur  de  l'eau  qui  dort  entre  les  joncs  mouillés. 


|38  POÈTES    d'aUJOURD  HUI 


Savions-nous,  quand,  tous  deux,  sous  le  soleil  torride 
Foulions  la  terre  rouge  et  le  chaume  blessant, 
Savions-nous,  quand  nos  pieds  sur  les  sables  arides 
Laissaient  leurs  pas  empreints  comme  des  pas  de  sang, 

Savions-nous,  quand  l'amour  brûlait  sa  haute  flamme 
En  nos  coeurs  déchirés  d'un  tourment  sans  espoir, 
Savions-nous,  quand  mourait  le  feu  dont  nous  brûlâmes 
Qu8  sa  cendre  serait  si  douce  à  notre  soir, 

Et  que  cet  âpre  jour  qui  s'achève  et  qu'embaume 
Une  odeur  d'eau  qui  songe  entre  les  joncs  mouillés 
Finirait  mollement  par  cette  lune  jaune 
Qui  monte  et  s'arrondit  entre  les  peupliers? 

[La  Cité  des  Eaux.) 

ÉPILOGUE 

Une  dernière  fois  reviens  en  mes  pensées, 

0  jeunesse  aux  yeux  clairs. 
Et,  dans  mes  mains  cncor,  pose  tes  mains  glacées. 

Le  soir  parfume  l'air. 

Souviens-toi  des  matins  où  tous  deux,  côte  à  côte. 

Notre  ombre  nous  suivant. 
Sur  le  sable  fragile  et  parmi  l'herbe  haute 

Nous  allions  dans  le  vent. 

Ce  que  je  veux  de  toi,  ce  n'est  pas,  ô  jeunesse, 

,De  me  rendre  les  lieux 
Où  nous  avons  erré  ensemble.  Je  te  laisse 

Tes  courses  et  tes  jeux. 

Je  ne  veux  point  de  toi  ces  rires  dont  tu  charmes 

Mon  souvenir  encor  : 
Je  te  laisse  tes  pas,  tes  détours  et  tes  larmes, 

Ton  âge  d'aube  et  d'or, 

Ton  âme  tour  à  tour  voluptueuse  ou  sombre 
Et  ton  cœur  incertain, 


HINMI  DR  nicNiKh  i3g 


Va  ce  geste  charmant  dont  tu  joignais  dans  l'ombre 
La  couple  de  tes  mains. 

Ce  que  je  veux  de  toi,  c'est  ta  jeune  colère 

Qui  le  montait  au  front. 
C'est  le  sang  qui  roulait  en  toi  sa  pourpre  claire, 

Lorsque,  d'un  vain  talon, 

Tu  frappais  à  durs  coups,  frénétique  et  penchée, 

Le  sol  sec  et  ardent, 
('omme  pour  qu'en  jaillit  quelque  source  cachée 

Que  tu  savais  dedans; 

C'est  cela  que  je  veux  de  toi,  car  je  veux  boire 

A  pleine  bouche,  un  jour. 
L'eau  souterraine  encore  à  la  fontaine,  ô  gloire. 

Quand  ce  sera  mon  tour  1 

Et,  si  le  temps  ingrat  m'accorde  pour  salaire 

L'opprobre  meurtrier, 
Je  veux  m'asseoir  du  moins  à  l'ombre  que  peut  faire 

La  branche  du  laurier. 

(La  Cité  des  Eaux.) 

LA  VOIX 

Je  ne  veux  de  personne  auprès  de  ma  tristesse 
Ni  même  ton  cher  pas  et  ton  visage  aimé. 
Ni  ta  main  indolente  et  qui  d'un  doigt  caresse 
Le  ruban  paresseux  et  le  livre  fermé. 

Laissez-moi.  Que  ma  porte  aujourd'hui  reste  close; 
N'ouvrez  pas  ma  fenêtre  au  vent  frais  du  matin; 
Mon  cœur  est  aujourd'hui  misérable  et  morose 
Et  tout  me  paraît  sombre  et  tout  me  semble  vain. 

Ma  tristesse  me  vient  de  plus  loin  que  moi-même, 
Elle  m'est  étrangère  et  ne  m'appartient  pas. 
Et  tout  homme,  qu'il  ch.inte  ou  (]u'il  rie  ou  qu'il  aime 
A  son  heure  l'entend  qui  lui  parle  Jout  bas, 


lAo  poAtbs  d'aujourd'hui 

Et  quelque  chose  alors  se  remue  et  s'éveille, 
S'agite,  se  répand  et  se  lamente  en  lui, 
i  cette  sourde  voix  qui  lui  dit  à  l'oreille, 
^ue  la  fleur  de  la  vie  est  coudre  dans  sou  fruit. 

[La  Sandale  ailée.) 

LE  REPROCHE 

Quoi  !  vous  avfrz  ma  vie  avec  tout  mon  visage 

Et  mon  corps  qui  est  nu. 
Et  qui  frissonne  tout  du  don  et  de  l'usage 

Que  vous  en  avez  eus  I 

Quoi  !  votre  bouche  avide  a  respiré  ma  bouche 

Et  je  fus  en  vos  mains 
Celle  qui  vit  et  qui  soupire  et  dont  on  touche 

Le  doux  ventre  et  les  seins  ! 

Et  vous  avez  senti,  sous  ma  poitrine  lisse, 

Mon  cœur  battre  à  grands  coups, 
Et  toute  cette  angoisse,  hélas  !  avec  délice 
Que  j'éprouvais  de  vous  ! 

Vous  avezvu  ma  peur,  ma  peine  et  ma  faiblesse. 

Que  dis-je?  et  mon  désir 
Et  sa  rou<^t'ur  et  sa  folie  et  sa  bassesse 

En  face  du  plaisir. 

Vous  avez  eu  mon  corps,  mon  cœur  et  mon  visage; 

Vous  savez,  orgueilleux, 
Que  c'est  sur  voire  chère  et  redoutable  image 

Que  se  ferment  mes  yeux  ; 

Vous  m'avez  contemplée  anéantie  et  nue 

De  la  nuque  à  l'orteil, 
Et  suppliant  ainsi  l'aurore  revenue 

D'arrêter  son  soleil. 

Et  vous  pourriez  parler  aux  hommes  d'autre  chose 
Que  du  goût  de  ma  peau, 


OBNHi  OB  nAamBR  i4i 


Vous  pourriez  en  riant  respirer  une  rose 
Sans  me  nommer  tout  hnut  ; 

Vous  pourriez  écouler  le»  propos  et  les  rires, 

Les  paroles,  les  voix. 
Vous  pourriez  vivre  encor  comme  un  autre  et  sans  dire  : 

Sachez  qu'elle  est  à  moi. 

Mais  non  I  Si  vous  m'aviez  ainsi,  nue  et  farouche. 

Etreinte  entre  vos  brns 
Sans  que  tout  votre  atnour  criât  par  votre  bouche. 

Vous  ne  m'aimeriez  pas  1 

{La  Sandale  ailée.) 

L'ACCUEIL 

Tous  deux  étaient  beaux  de  corps  et  de  visages. 

L'air  franc  et  sage 

Av^  un  clair  sourire  dans  les  yeux. 

Et,  dav^ant  eux. 

Debout  en  leur  jeunesse  svelte  et  prompte, 

Je  me  sentais  courbé  et  j'avais  presque  honte 

DV'tre  si  vieux. 

Les  ans 

Sont  lourds  aux  épaules  et  pèsent 

Aux  plus  fortes 

De  tout  le  poids  des  heures  mortes, 

Les  ans 

Sont  durs,  et  brève 

La  vie  et  l'on  a  vite  des  cheveux  blancs  ; 

Et  j'ai  déjà  vécu  beaucoup  de  jours. 

Les  ans  sont  lourds... 

El  tous  deux  me  regardaient,  surpris  de  voir 
Celui  <pi'ils  croyaient  autre  en  leur  pensée 
S<'  lever  pour  les  recevoir 

tu  de  bure  et  le  front  nu- 
:  t  non  pas,  comme  en  leur  pensée, 
biapé  de  pourpre  et  lauré  d'or. 


l4l  POÈTES   d'aujourd'hui 


Et  je  leur  dis  :  «  Soyez  tous  deux  les  bienvenus,  p 

Ce  fut  alors 

Que  je  leur  dis: 

a  Mes  fils,  quoi,  vous  avez  monté  la  côte 

Sous  ce  soleil  cuisant  d'août 

Jusqu'à  ma  maison  haute, 

D  vous 

Qu'attend  là-  bas  peut-être,  au  terme  du  chemin, 

Le  saint  amoureux  de  quelque  blanche  main  ! 

Si  vous  avez  pour  moi  allongé  votre  route 

Peut-être,  au  moins  mes  chants  vous  auront-ils  aidés. 

De  leurs  rythmes  présents  en  vos  mémoires, 

A  marcher  d'un  jeune  pas  scandé? 

Je  n'ai  jamais  désiré  d'autre  gloire 

Sinon  que  les  vers  du  poète 

Plussent  à  la  voix  qui  les  répète. 

Si  les  miens  vous  ont  plu  :  merci. 

Car  c'est  pour  cela  que,  chantant 

Mon  rêve,  après  l'avoir  conçu  en  mon  esprit, 

Depuis  vingt  ans, 

J'habite  ici.  » 

Et,  d'un  geste,  je  leur  montrai  la  chambre  vide 

Avec  son  mur  de  pierre  et  sa  lampe  d'argile 

Et  le  lit  où  je  dors  et  le  sol  où  du  pied. 

Je  frappe  pour  apprendre  au  vers  estropié 

A  marcher  droit,  et  le  calame  de  roseau 

Dont  la  pointe  subtile  aide  à  fixer  le  mot 

Sur  la  tablette  lisse  et  couverte  de  cire 

Dont  la  divine  odeur  le  retient  et  l'attire 

Et  le  fait,  dans  la  strophe  en  fleurs  qu'il  ensoleille, 

Mystérieusement  vibrer  comme  une  abeille. 

Et  je  repris  : 

«  Mes  fils, 

Les  ans 

Sont  lourds  aux  épaules  et  pèsent 

Aux  plus  fortes 

De  tout  le  poids  des  heures  mortes. 


IIENni    DK    UÛCiMEH  l4à 


Les  ans 

Sont  durs,  la  vie  est  brôve 

Et  l'on  a  vite  des  clicvcux  blancs... 

Si  qiielijue  jour, 

En  reviMiant  d'où  vous  allez, 

Vous  rencontriez  sur  cette  môme  routei' 

Entre  les  orges  et  les  blés, 

Des  i^ens  en  troupe 

MonUint  ici  avec  des  palmes  à  la  main, 

Dites-vous  bien 

Que  si  vous  les  suiviez  vous  ne  me  verriez  pas 

Comme  aujourd'hui  debout  en  ma  robe  de  laine 

Qui  se  troue  à  l'épaule  et  se  déchire  au  bras, 

Mais  (irapé  de  pourpre  hautaine 

Peut-être   —  et  mort 

Et  lauré  d'or  1  » 

.fc  leur  ai  dit  cela,  pour  qu'ils  le  sachent, 

r  ils  sont  beaux  tous  deux  de  corps  cl  de  visages^ 
air  francs  et  sages 
Avec  un  clair  sourire  aux  yeux, 
Parce  qu'en  eux 

Peut-4tre  vit  quehjue  désir  de  gloire, 
,  Je  leur  ai  parlé  ainsi  pour  qu'ils  sachent 
Ce  qu'est  la  gloire, 
Ce  qu'elle  donne, 
Ce  qu'il  faut  croire 
De  son  vain  jeu, 

Et  que  son  dur  laurierne  pose  sa  couronne 
Que  sur  le  front  inerte  et  qui  n'est  plus  qu'un  peu 
Déjà  d'argile  humaine  où  vient  de  vivre  un  Dieu. 

{La  Sandale  aitie.) 


ADOLPHE  RETTÈ 
1863 


M.  Adolphe  Retti^  est  né  à  Paris  le  a5  juillet  i863.  Son  père  était 
précepteur  des  enfants  du  grand-duc  Constantin  de  Russie.  Sa  mère, 
—  de  famille  ardennaise,  —  musicienne  consommée  et  lauréate  du 
Conservatoire,  était  la  fille  de  l'historien  Adolphe  Borgnet,  cité  par 
Michelet  (i).  Cet  aïeul  maternel  de  M.  Adolphe  Retté,  d'abord  pré- 
cepteur du  prince  héritier  de  Belgique,  devenu  le  roi  Léopold  II,  fut 
congédié  pour  son  libéralisme  et  mourut  en  1873,  recteur  de  l'Uni- 
versité de  Liège.  Ses  obsèques,  qu'il  avait  voulues  civiles,  firent 
scandale. 

L'eufance  de  M.  Adolphe  Retté  se  passa  pour  une  grande  partie 
en  pro-ince,  et  il  fit  ses  études  dans  un  lycée  franc-comtois.  11  vint 
ensuite  habiter  Paris,  puis,  à  dix-huit  ans,  s'ençagea  dans  un  reRi- 
ment  de  cuirassiers.  Revenu  à  Paris  en  1886,  il  débuta  l'année  sui- 
vante par  un  article  où,  à  propos  d'un  nouveau  livre  de  Léon  Cladel, 
il  attaquait  violemment  le  naturalisme.  Deux  ans  plus  tard,  il  fon- 
dait, avec  M.  Gustave  Kahn,  la  deuxième  Vogae,  et,  en  1893,  joi- 
gnant ses  efforts  à  ceux  de  M.  Henri  Mazel,  se  consacrait  à  la  di- 
rection d'une  autre  revue  :  L'Ermitage. 

M.  Adolphe  Retté,  que  le  goût  d'une  vie  nomade  a  mené  un  peu 
partout,  en  Belgique,  en  Hollande  et  en  Angleterre,  n'en  a  pas 
moins  pris  une  part  très  active  au  mouvement  poétique  de  son  épo- 
que. Très  combatif,  semblant  aimer  d'instinct  la  polémique  et  met- 
tent à  soutenir  ses  idées  quelquefois  plus  d'enthousiasme  que  de 
goût,  il  s'est  fait  à  plusieurs  reprises,  dans  de  nombreuses  revues, 
le  défenseur  et  le  propagandiste  des  écrivains  de  sa  génération,  en 
même  temps  qu'il  se  plaisait  à  étudier  pour  la  railler,  sans  s'épar- 
gner lui-même,  la  vie  littéraire  contemporaine.  On  peut  retrouver 
quelque  chose  de  ce  passé  dans  un  volume  de  souvenirs  et  d'anec- 
dotes qu'il  a  publié  en  iqoS,  Le  Symbolisme. 

(1)  Hittoire  de  la  Jlivolulion  française 


ADOLPHE    RBTti  li^i 


On  pourrait  diviser  l'œuvre  de  M.  Adolphç  Retlé  en  deux  parties 
bien  distinctes  ;  celle  de  l'art  pur,  de  l'art  pour  l'art,  en  quelque 
sorte,  celle  ({ui  va  de  Une  belle  dame  passa  jusqu'à  Archipel  en 
Fleurs,  —  et  celle  d'une  inspiration  plus  large,  oîi  il  s'est  montré  le 
chantre  de  la  Nature.  Cette  évolution,  qui  a  fait  analhëmatiser  à 
M.  Adolphe  Hetté  des  matlres  qu'il  avait  encensés,  fut  produite 
chez  lui  par  un  séjour  de  plusieurs  années  qu'il  fit  à  Guermantes 
(Seine  et- Marne),  en  pleine  forêt  de  Fontainebleau.  Ce  fut  là,  loin 
de  Paris,  dans  ses  promenades  à  travers  la  forêt,  dont  il  connut 
bientôt  tous  les  arbres,  qu'il  puisa  les  motifs  de  ses  nouvelles  oeu- 
vres :  Dans  la  Forêt,  Campagne  Première,  Lumières  tranquilles. 
Poèmes  de  la  Forêt  et  Contes  de  la  Forêt  de  Fontainebleau. 

Après  avoir  été,  dans  sa  jeunesse,  d'un  anarcbisme  aigu  et  ua 
peu  bruyant,  M.  Adolphe  Hetté  a  paru  récemment  se  convertir  au 
catholicisme.  Cela  nous  a  valu  deux  ouvrages  d'un  nouveau  genre  : 
Du  Diable  à  Dieu,  et  Le  Règne  de  la  Bête,  qu'on  voit  en  bonne 
place  aux  vitrines  des  libraires  de  la  rue  SaintSulpice,  à  côté  de 
manuels  de  pieté. 

M.  Adolphe  lUMé  a  collaboré  à  La  Cravache, k  La  Wallonie,  à 
La  Plume,  au  Mercure  de  Finance,  à  L'Ermitage,  et  b  presque 
toutes  les  revues  de  ce  temps. 

Bibliographie  : 

Las  OEUVRES.  —  Cloches  dans  la  Nuit,  poèmes.  Paris,  Vanicr,  1889, 
in-18  (Réimprimés dans  :  Œuvres  complètes,  Poésie,  1887-1893,  /.Paris,  Bibl. 
art.  et  lilt.,  1898,  in-16).  —  Thulé  des  Brumes,  léi^'endc  moderne  en 
prose.  Eau-forlo  de  E.-H.  Meyer.  Paris,  BiblioUièque  artistique  et  littéraire, 
ix'Jl,iu-18.  —  Paradoxe  sur  l'Anaour, prose.  Paris, Uibiiotli(!(|ue  artistique 
■.iltéraire,  18'.>2,  in-18  (Réimp.  :  Œuvre»  complètes.  Prose,  I.  Ibid.,  1898, 

.  \b.  —  Une  belle  Dame  passa,  poèmes.  Paris,  Yanier,  1803,  ia-18 
(Réimpr  :  Œuvres  complètes.  Poésie,  I.  Ibid.,  1898,  in-16).  —  IlénexiODB 
sur  l'Auarcble,  Paris,  Initiative  du  groupe  :  a  l'Idée  nouvelle  »,  1894, 
in-lG.  —  Balades  dans  Paris  {Aumoulin  de  la  Galette.  AVIIùIel  Drouot. 
Sur  les  quais.  Au  Luxembourg),  prose  (en  collaboration  avec  M.M.  E.-R.,  P. 
Eudel  et  B.-II.  Gausseron.  Paris,  Bibliophiles  contemporains,  1894,  petit  in-4*. 

—  L'Archipel  eu  Heurs,  poèmes,  portrait  de  l'auteur  par  Léon  Gausson. 
Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1895,  in-16.  —  Similitudes, 
drame  en  prose.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  189S,  in-16.  — 
Trois  Dialogues  nooturues,  prose.  Paris,  Vanier,  1895,  in-16.  (Réimpr.  : 
Œuvres  compl.  Prose,  1.  Paris,  Bibl.  art.  ellitt.,  1898,  iu-16).  —  La  Forêt 
bruissante,  poèmes.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1896,  in-18. 

—  Promenades  subversives,  prose.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  lit- 
téraire, 1897,  in- 18.  —  Aspects,  Critique  littéraire  et  sociale.  Paris,  Bibli»- 
tbèque  artistique  et  littéraire,  1897,  iu-t6.  —  Cumpague  première,  poè- 
mes. Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1897,  in-18.  (ftéinip,  :  Poé- 
•tM,  tin-t906.  Paris,  Metseia,  1»0«,  ia-18).  —  XIII  Idylles  diabolique», 


l40  poiTBs  d'aujourd'hui 


prose,  CQUTerture  en  couleurs,  de  Léon  Gausson.  Paris,  Bibliotlièque  arlisli'iue. 
«t  littéraire,  1898,  in-18.  —  Œuvres  complètes.  Poésies.  1887-1  a«2. 
I.  {Cloches  dans  la  nuit.  Une  belle  Dame  passa).  Froiitispi<  r  de  Léo  Gaus- 
•on  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire.  1898,  in-16. —  Oîuvres  com- 
plète!!. Prose.  I.  {Rapports  sexuel».  Passantes.  Paradoxe  sur  l'amour. 
Une  lettre  de  Théodore.  Trois  Dialogues  nocturnes.  Un  Assassin).  Fron- 
tispice à  l'eau-forte  de  Valère  Bernard.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  lit- 
téraire, 1898,  in  11.  —  Arabesques,  critique  littéraire  et  sociale.  Paris, 
Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1899,  in-16.  —  La  seule  Nuit,  roman. 
Pari?,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1899,  in-18.  —  Lumières  traii- 
quillAS,  poème.  Paris,  Ed.  de  «  la  Plume  »,  1901,  in-18.  (Réimpr.  -.Poésies 
1897-1906  Paris,  Messein,  1906,  in-18).  —  Fontainebleau  {La  Ville.  Le 
Patais.  La  Forêt).  Paris,  Ed.  de  «  La  Plume  »,  11)02,  in-16.  —  Mémoires 
de  Dlogène,  roman.  Paris,  Fasquelle,  1903,  in-18.  —  Dans  la  Forêt, 
Wf  et  prose.  Paris,  Messein,  1903,  in-12.  — Les  Poètes  à  Fontainebleau. 
Bruxelles,  p.  Weisseubruch  (Extrait  de  la  Revue  de  Belgique),  1903,  in-8.  — 
I«9  Symbolisme.  Anecdotea  et  Souvenirs.  Paris,  Messein,  1903,  in-8. 

—  Virgile  puni  par  l'Amour  {Contes  de  la  Forit  de  Fontainebleau). 
paris,  Messein,  1905,  in-18.  —  Poésies.  1897-1906.  {Campagne première. 
Lumières  tranquilles .  Poèmes  de  la  Forêt).  Paris.  Messein,  1908,  in-18.  — 
Du  Diable  à  Dieu.  Paris,  Messein,1907,  in-18.  —  L*  Règne  de  la  Bête, 
roman  catholique.  Paris,  Messein,  1908. 

On  trouTe,  en  outre,  un  poème  de  M.  Adolphe  Retté  dans  l'Almanaeh  des 
Poètes,  1896.  (Ed.  du  Mercure  de  France,  1895,  in-16.) 

PiutFACE.  —  Nouveau  guide  illustré  de  Fontainebleau,  par  Guy  de 
Bonnefïlle.  Paris,  Messein,  1905,  petit  in-8. 

A  coNSOLTEK.  —  Kemy  de  Gourmont;  Le  Livre  dos  Masques,  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —  Koi.nnd  de  Mares  :  Notice  dans 
les  Portraits  du  Prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Adolphe 
Retté  :  Le  Symbolisme.  Anecdotes  et  Souveni}-s.  Paris,  Messein,  1903,iii-18. 

—  V.  Thompson  :  French  Portraits  (Being  appréciations  of  the  writers 
of  Young  France),  Boston,  Richard  G.  Badger  et  C»,  1900,  in-8.  —  E.  Vlglé- 
Lecocq  :  La  Poésie  contemporaine,  iSS4-t896.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897,  in-18. 

[Théodore  de  Bëze]  :  Adolphe  Retté.  a  Les  Hommes  d'aujourd'hui  >. 
(Paris,  Vanier,  fasc.  417). —  Gaston  Deseharaps  :  Intermèdes  poétiques. 
Temps,  7  mars  1887.  —  Ed.  DubuB  :  Adolphe  Retté.  La  Plume,  l"  octobre 
1891.  —  Edouard  Lepage  :  Encore  itnconverti.  Adolphe  Retté.  Echo  de 
Paris,  7  mai  1907.  —  Ch.  Maurras  :  Littérature  et  Revue  littéraire.  Revue 
Encyclopédique,  li  août  1897  et 28 janvier  1898.  —Henri  Mazel  :  Les  Tem}s 
héroïques  du  Symbolisme.  Mercuve  an  France,  décembre  1903.  —  Edmoiui 
Pilon  :  .fte«rf,L'Ermitage,féviier  1895.—  Pierre  Quillard  :  Adolphe  Rrttr. 
Mercure  de  Franco,  septembre  1901.»—  L.  de  Satut-Jacques:  Psycho/oiji.: 
pastionnelle.  La  Plume,  15  juillet  1895;  A  propos  de  Campagne  première,  la. 
Plume,  1"  septembre  1897  :  Œuvres  complète»  d'Adolphe  Retté.  La  Plume, 
15  février  1898. 

Iconographie  : 

Peruaitd  Fnu   :   Portrait-Charge  (Le.t   Hommes  d'aujourd'hui),    lac 
ViBMr.  —  L.  Gauasoa  >  Portrait  en  lithographie,  édition  de  L'Archif 


ADOLPH*  Hsrri  |47 


en  Fleur»,  1895  ;  Portrait,  pastel.  Exposilioi^  dos  Artistes  indépendants,  1895 
(appartient  à  M.  Acliille  Se^anl).  —  Alpimosu  Germain  :  Portrait  à  la 
santjuine.  S;iloii  ilc»  Cent.  —  H.  E.  Moyer  :  Portrait  d  l'eau-forte,  repro- 
duit dans  l'cditiou  de  Thult'-dr.s/irumcs,  1801,  et  La  Plume,  1"  octobre  1801- 
—  F.  Vatlollon  :  Alast/urs,  dans  f.e  Livre  def  A/as/jues,àe  R.  de  Gourmont, 
Paris,  Soc.  «lu  Meroure  de  France,  1808.  —  NVhidupI  :  Portrait-Ch*ry$< 
La  Plume,  1898. 


LUMINEUSE,  ELLE  VINT... 

Lumineuse,  qlle  vint  :  c'était  toujourà  la  uu'iiut 
Offrant  avec  sa  bouche  un  bouquet  "de  sermeQts  — 
Me  délaisseras-tu,  princesse  de  Bohême  î 
Je  suis  un  roi  banni  dont  la  tristesse  ment. 

En  vain  le  bouquet  fréle  et  frais  et  de  printemps 
Qui  fleurit  sur  ta  bouche  à  ma  bouche  vouée 
Se  refuse  du  leurre  d'un  rire  irritant, 
Tu  restes  la  princesse  et  la  seule  priée. 

Rêve  où  mon  rêve  succombe. 
Tu  ris,  raillant  mon  destin  — 
Tes  mains  mièvres  et  tes  seins 
Ont  des  tiédeurs  de  colombes. 

Tu  mens  si  tu  me  prédis 
Que  tes  lèvres  sont  menteuses 
Puisque  tes  yeux  m'ont  promis 
Leur  douceur  de  nuit  peureuse. 
[Œuvrtt  complétée.  iSSj-iSga  :  Une  belle  Dame  passa.) 

CHANSON  D'HIVER 

A  Henri  Degron, 

Les  gais  rouets  s'affairent  dans  la  salle, 

Notre  Dame  et  ses  sœurs  filent  pour  les  absenta  — - 

Chàleau  d'hiver  et  paix  claustrale. 

Les  Hainnies  du  foyer  dansent  ailèji^reineat. 

Trilles  priutaaiers  raillant  lu  neige 
Les  ga'    rouets  chantent  à  la  ronde  : 


i48  roiru  d'aujourd'hui 

«  Nos  doux  seigneurs  guerroient  de  par  le  monde: 
Qui  pourrait  mal  à  ceux  qu'Amour  protège  ?  » 

O  Dames,  la  folle  bravade  : 

Des  oiseaux  de  malheur  s'abattent  sur  les  toits... 

Passent  les  jours,  passent  les  mois  — 

Les  chevaliers  sont  morts  à  la  Croisade. 

Notre  Dame  file  toute  seule  en  la  salle, 
Ses  sœurs  sont  au  cimetière, 
Ses  cheveux  lui  font  un  blanc  suaire  — 
Notre  Dame  s'endort  toute  seule  en  la  salle... 

Ecoute,  écoute,  ô  fileuse  assoupie  : 

Le  vent  s'éplore  sous  les  porches, 

Le  vent  de  cette  nuit  a  soufflé  sur  les  torches, 

On  dirait  du  sang  aux  panoplies... 

Ah  !  le  vent  geint  tout  bas  comme  un  enfant  malade  — 
Les  chevaliers  sont  morts  à  la  Croisade. 

{L'Archipel  enjleurt.) 

ANADYOMÈNE 

Mes  goélands  altiers  envolés  sur  la  mer 
Trempaient  leur  aile  pâle  en  l'écume  des  vagues. 
Et  vers  toi  mon  rêve,  à  travers  le  vent  amer. 
Sanglotait  pour  avoir  adoré  tes  yeux  vagues. 

L'aurore  en  fleurs  et  les  printemps  de  la  floride 
Ont  parfumé  les  flots  qui  te  sacrent  divine, 
Anadyomène,  radieuse  Océanide 
Dont  les  yeux  dorment,  lourds  d'une  ivresse  divinr 

La  mer  était  harmonieuse  et  toi,  sa  fille, 
Tu  vins  tressant  des  lys  mollement  inclinés; 
Le  soleil  s'exilait  tel  un  roi  détrôné  — 
Mais  la  mer  souriait  comme  une  jeune  fille. 

Or  tes  yeux  —  songes  d'or,,  d'ombre  et  de  volupté  — 
Reflétèrent  U  mer  et  le  soleil  saignant  : 


ADOLPn   RBTTÉ  l49 

Farouche,  tu  régnais  sur  mes  soirs  frémissants, 
Vénus  Anadyomène,  immense  Volupté  I 

(L'Archipel  en  Jleara.) 


SÉRËNADB 

Belle  la  lune  est  si  calme  : 
Pris  aux  lèvres  des  naïades. 
Le  soir  dort  dans  les  roseaux 
Et  pas  même  un  oiseau 
Ne  se  lève.  — 

Vois  languir  au  long  des  grèires 
L'eau  qui  rêve.  ^ 

Les  noirs  marronniers  soupirent 

Où  palpite 
L'or  des  étoiles  limpides. 
Les  cascades  murmurantes. 
Les  vagules  chuchoteuses 

Sous  les  yeuses 
Vers  la  lune  se  lamentent.  -^ 

Entends  cette  voix  charmante  : 

L'eau  qui  chante. 
Viens,  je  sais  le  val  des  fraises. 

Je  te  tresse 
Un  lien  de  marjolaines... 
Tu  te  détournes,  tu  muses 
Aux  bouquets  blancs  des  sureaux? 
Je  détache  ta  ceinture 
Et  je  cueille  ton  sanglot.  — 

L'eau  lascive  au  loin  s'argente. 
L'eau  qui  rêve,  l'eau  qui  chante, 
L'eau  qui  fuit  sous  les  roseaux. 

{La  Forél  braîetantê.) 


i5o  poiTtk  b'AùJobnb'Hui 


GRAND  VENt 

Mon  àme,  tu  reviens  des  vieilles  aventures 
Pour  saluer  l'hiver  en  son  château  de  givre  ; 
Ecoute  :  les  grands  vents  hurlent  comme  des  cuivres 
Et  troublent  le  sommeil  de  la  mère  Nature  — 
Arréte-toi,  mon  àme,  ils  ont  peine  à  te  suivre. 

Attends-les  :  accourus  de  la  plaine  et  des  monts. 
Ils  sont  les  voyageurs  mystérieux,  ils  sont, 
Ceux  qui  savent  le  sens  de  toutes  les  histoires; 
Ils  te  raconteront  les  combats  et  leur  gloire 
Epandant  sur  ta  vie  une  morne  lumière  — 
Et  tu  respireras  l'odeur  des  cimetières. 
Ils  te  rappelleront,  pour  que  tu  sois  dolente, 
Aux  flancs  des  noirs  coteaux  les  villes  éclatantes 
Où  bouillonnent  la  foule  et  les  >'in8  répandus  ; 
Puis,  très  tard,  quand  la  nuit  semble  un  filet  tendu 
Qui  retient  le  silence  en  ses  mailles  d'étoiles, 
Tu  verras  les  terriens  blottis  autour  des  poêles 
S'assoupir  en  rêvant  de  moissons  merveilleuses  ; 
Et  les  souffles  seront  pareils  à  des  pleureuses. 
Mais  tu  pourras  ouïr,  du  haut  des  cheminées. 
Le  rire  du  grillon  monter  dans  la  fumée  ; 
Les  granges  te  plairont  que  parfument  les  foins... 
Puis  alors  les  grands  vents  t'emporteront  plus  loin. 

Très  loin,  au  fond  d'un  val  où  les  arbres  tordus 

Se  lamentent  ainsi  que  des  entants  perdus. 

Souverain  taciturne  à  la  barbe  gelée. 

L'hiver  t'apparaitra  qu'adulent  des  nuées 

Nuptiales  menant,  en  un  blême  cortège, 

La  reine  de  Candeur  :  Notre-Dame  la  Neige. 

Devant  le  blanc  vieillard  immobile  et  jaloux 
De  garder  pour  lui  seul  sa  couronne  de  houx, 
Tu  te  tiendras  durant  les  heures  que  la  nuit 
Compte  dans  les  clochers  pour  leurrer  son  ennui 
Et  frappe  tour  à  tour  d'un  marteau  d'argent  clair. 


ADOLPHB  Kirré  l5l 

Les  souffles,  cependant,  se  révolteront,  l'air 

Si  filant  dispersera  des  flèches  acérées 

Oui  feront  sangloter  les  branches  fracassées... 

Mais  le  Vieux  jettera,  comme  on  jette  des  plumes, 

A  la  rébellion  quelques  loques  de  brume, 

Tu  verras  dans  ses  yeux  flamboyer  la  Polaire 

Et  tu  t'tîbahiras  de  l'orgueil  séculaire 

Qui  lu  rend  impassible  au*  souffles  acbarnés  : 

Car  l'hiver  est  un  roi  très  rude  à  détrôner. 

Ëatin  l'aube  viendra,  frêle  et  toute  frileuse, 
Revêtir  d'or  léger  les  collines  dormeuses  ; 
Puis  le  Vieux  la  prendra  pour  en  parer  sa  tête, 
Et  les  souffles  vaincus  pleureront  leur  défaite  — 
Tandis  qu'emmitouflant  la  plaine  abandonnée. 
Où  sommeillent  les  blés  de  la  prochaine  année, 
La  Neige  bienfaisante  ornera  son  corsage 
Des  glaçons  suspendus  aux  tuiles  des  villages... 

Même  si  cet  hiver  ne  devait  pas  finir, 

Ame  errante  ravie  au  vent  qui  se  désole 

Et  s'épuise  à  crier  de  sinistres  paroles. 

Tu  t'en  iras,  parmi  la  plaine,  recueillir 

Des  flocons  doux  et  froids  comme  des  souvenirs. 

{CtuHpagne  première.  ) 

HYMNB  AUX  AllBRBS 

Loaons  les  arbres  d'être  beaux  et  de  bruire 
Si  doucement  dans  les  vergers  et  dans  les  bois  : 
Rameaux  éoliens  où  le  raiilier  soupire, 
Branches  frôlant  les  tuiles  brunes  des  vieux  toits. 
Célébrons-les  tous  à  la  fois. 

Il  est  des  pommiers  retombants 
Dont  le  feuillage  fait  comme  un  feu  d'artifice». 
Il  est  des  peupliers  inquiets  qui  frémissent 

Au  plus  léger  souiHe  du  veut. 


i5a  poiTEs  d'aujourd'hui 

Parmi  les  rocs,  les  pins  sévères 
Epandeiit  un  grave  murmure, 
Les  saules  gracieux  trempent  dans  les  rivières 
Leur  ondoyante  chevelure. 

Les  acacias  des  jardins 
Balancent  au  soleil  leurs  grappes  embaumées, 
Les  ormes  bienveillants  qui  bordent  les  chemins 
Tendent  leurs  bras  vêtus  de  mousse  veloutée. 

Les  bouleaux  ont  des  robes  d'argent  où  l'aurore 
A  laissé  le  reflet  de  sa  face  rieuse. 
Les  tilleuls  chuchoteurs  tremblent,  les  sycomores 
Sont  pleins  d'ombres  mystérieuses. 

Les  hêtres  tressaillants  s'entrelacent,  les  frênes 

Semblent  flamber  au  crépuscule. 
Quant  la  nuit  monte,  un  grand  rêve  circule 
Dans  la  frondaison  pensive  des  chênes. 

Aimons  les  arbres  qui  nous  aiment. 
Unissons  notre  voix  à  leur  voix  fraternelle, 
Répétons  avec  eux  les  strophes  d'un  poème 

Où  chantera  la  vie  universelle. 

Que  le  rythme  profond  des  forêts  nous  enlève. 

Que  toute  essence  nous  accueille, 
Que  notre  cœur  batte  selon  les  sèves, 
Que  notre  âme  se  fonde  en  l'océan  des  feuilles 

{Poésies,  i8gy-tQo6.) 

ÉLOGE  DU  VENT 

Qui  dira  les  mérites  du  vent  ? 
Souffle  brusque,  il  rebrousse  les  seigles. 
Souffle  large,  il  dépasse  les  aigles, 
Souffle  jeune,  il  s'éveille  en  chantant, 
Souffle  vieux,  il  s'endort  en  grondant  — 
Qui  dira  les  mérites  du  vent  ? 


ADOLPHs  K»rrà  i53 

En  octobre,  le  vent  se  soûle  de  raisins  : 

Tout  barbouillé  du  jus  des  fçrappes  purpurines. 

Il  valse  follement  aux  ailes  des  moulins 

Et  son  rire,  en  échos,  bondit  par  les  collines. 

En  décembre,  le  vent  siffle  aux  trous  des  serrures. 

Il  fait  pirouetter  les  girouettes 
Et  claquer  les  volets  comme  des  castagnettes  ; 
Pour  voir  dans  les  greniers  il  disjoint  les  toitures. 
Puis,  s'avivant  au  fil  des  rivières  gelées, 
Il  poudre  de  verglas,  de  neige  et  de  nuées, 
La  plaine  étincelante  et  la  nuit  étoilée. 

En  avril,  le  vent  joue  avec  les  aubépines, 
On  l'entend  fredonner,  sous  les  lilas  en  fleurs. 
Un  air  si  doux  qu'il  vous  ravit  le  creur  ; 
Il  caresse  en  passant  les  muguets,  il  butioo 
Dans  les  jardins  remplis  de  giroflées; 
Les  peupliers  vibrent  selon  ses  danses 
Et  les  ruisseaux  murmurent  en  cadence 
Pour  célébrer  son  haleine  embaumée. 

En  juillet,  le  vent  traîne,  alourdi,  sur  les  blés. 
Il  a  le  goût  de  la  poussière  et  de  l'orage. 
Lorsque  le  paysan  rentre  les  foins  coupés. 
Il  sèche  la  sueur  aux  flancs  des  attelages... 

Lo  vent  sait  des  secrets  profonds,  il  purifia 

Les  charniers  et  les  cimetières  : 
Il  est  le  rythme,  il  est  la  joie,  il  est  la  vie, 

U  est  le  rêve  de  la  terre.  ' 

{Poéties,  iSgj-igoS.) 


ARTHUR   RIMBAUD 
1854  1891 


Jean-Nicolas-Arthur  Rimbaud,  l'un  des  poète»  les  plus  significa- 
tifs du  mouvement  symboliste,  —  son  nom  a  sa  place  égale  à  côté 
de  ceux  de  Paul  Verlaine  et  Stéphane  Mallarmé.  —  naquit  le  ao  oc- 
tobre i854à  Charleville  (Ardennes;,  dans  la  maison  de  son  grand- 
père  maternel  Nicolas  Guif,  chez  lequel  il  passa  ses  quinze  preaiiè- 
res  années.  Son  père  était  capitaine  au  87*  régiment  de  ligne,  et  sa 
jeunesse  s'écoula  dans  l'intimité  de  la  famille,  un  frère,  trois  sœurs 
dont  l'une  mourut  jeune,  et  surtout  «  une  mère  bourgeoise  et  pay- 
sanne, de  devoir  autoritaire,  religieuse,  économe,  rigoureuse  dans 
ses  principes  d'honnêteté  propriétaire  et  impitoyable  sur  le  chapitre 
de  la  discipline  ». 

Le  caractère  extraTagant  d'Arthur  Rimbaud  et  son  goût  jamais 
lassé  des  aventures  —  en  dépit  et  peut-être  même  à  cause  de  ce 
milieu  rigoureux  dans  lequel  il  avait  grandi,  —  se  révélèrent  de 
bonne  heure.  Il  sortait  à  peine  du  collège,  qu'un  soir,  en  septembre 
1870,  il  désertait  soudainement  la  maison  familiale  pour  venir  à 
Paris.  Ramené  de  force,  il  s'enfuit  une  seconde  fois,  et,  par  la  vallée 
delà  Meuse,  gagna  Gharleroi.  partant  de  là  pour  vagabonder  dans  les 
environs,  puis  revenant  se  fixer  à  Gharleroi,  d'octobre  1870  à  fé- 
vrier 1871.  Cependant,  Paris  continuait  à  l'attirer,  et  ne  pouvant 
plus  résister,  il  s'y  rendit  de  nouveau,  se  présentant  à  Timproviste 
chez  le  dessinateur  André  Gill  qui,  devinant  l'escapade  et  peu  dési- 
reux de  s'y  associer,  s'empressa  de  Je  congédier.  «  Il  dut  alors,  — 
raconte  M.  Pateruc-Berrichon,  qui  a  écrit  une  Vie  d'Arthur  Rim- 
baud indispensable  pour  conuattre  le  poète, —  par  cette  fin  d'hiver  et 
huit  jours  durant  à  travers  les  rues,  errer,  sans  pain,  ni  feu, ni  lieu, 
jusqu'à  ce  que  mourant  littéralement  de  misère,  il  se  risquât  à  sacri- 
tier  sa  liberté  en  faveur  de  sa  vie,  et  à  reprendre  à  pied  le  chemin 
de  Cliarleville.  >>  Ce  n'était  toutefois  là  qu'un  sacrifice  provisoire, 
et  désertant  de  nouveau  sa  famille,  Arthur  Rimbaud  ne  tarda  pas  A 
revenir  à  Paris,  qu'il  trouva   en  pleine  Communs  et  oii  il  s'enrôla 


AJlTHUn    RIMBAUD  l55 


dan*  les  Tirailleum  àt  la  RftrolutioQ,  obligé  bientôt,  qunnd  surrint 
la  défaite,  de  regagner  une  troisième  fois  Charleville,  ail  milieu  de 
tontes  les  difticullés  causées  par  l'invasion. 

A  cette  époqne,  Arthur  Kimband  avait  dix-sept  ans  et  déjà  son 
talent  était  complet,  ce  talent  qui  semble  avoir  été  fait  de  beaucoup 
d'inconsoienoe,  uniquement  applique  aux  notations  hâtives,  sur  le 
moment  même,  et  qui  a  toutes  les  qualités  de  cette  manière  sponta- 
née :  la  force  et  ta  couleur.  Il  avait  écrit  notamment  Le  Buffet,  Le 
Dormeur  du  Val,  Ma  Bohème,  Les  Effarés,  Les  Poètes  de  sept  ans, 
Les  Pauvres  à  L'Eglise,  Les  Premières  communions.  Accroupisse- 
ments,  tous  poèmes  qu'on  devait  lire  plus  tard  dans  ses  oeuvres,  et 
surtout  l'extraordinaire  et  unique  Bateau  ivre,  la  pièce  type  de  son 
talent,  d'un  lyrisme  et  d'une  couleur  qui  n'appartiennent  qu'à  lui. 
De  tels  poèmes,  chez  un  écrivain  si  jeune  «t  doht  la  période  de  pro- 
duction fut  si  courte,  il  y  a  vraiment  là  un  cas  unique  et  double- 
ment curieux,  au  point  de  vue  littéraire  et  au  point  de  vue  psycho- 
logique. 

Arthur  Rimbaud  rentré  pour  la  troisième  fois  k  Charleville^  c'est 
alors  que  commencèrent  ses  relations  avec  Paul  Verlainci  à  qui  il 
écrivit  et  envoya  des  vers.  Intéressé  par  cet  envoi,  Paul  Verlaine 
lui  répondit,  et,  après  quelques  lettres  éehanf^ées,  l'invita  à  venir  à 
l'aris.  Arthur  Rimbaud  y  arriva  en  octobre  1871,  pour  y  séjourner 
jusqu'en  juillet  187a,  logé  d'abord  dans  le  ménage  de  Paul  Ver- 
laine, puis  chez  Théodore  de  Banville,  puis  à  l'hôtel,  rue  Racine^  et 
enfin,  grAce  aux  libéralités  de  Paul  Verlaine,  dans  ses  meubles,  rue 
Campagne-Première.  Les  deux  poètes  voyagèrent  ensuite  de  ctimpa 
gnie  en  Angleterre,  eu  Belgique,  jusqu'en  1873,  époque  à  laquelle  se 
produisit  leur  rupture.  Tous  les  deux  se  trouvaient  alors  à  Bruxel- 
les. Arthur  Rimbaud,  désireux  de  reprendre  sa  liberté,  annonça  son 
prochain  départ  à  Paul  Verlaine,  qui,  dans  un  accès  de  désespoir, 
à  l'idée  de  perdre  son  compagnon,  tira  sur  lui  deux  coups  de  revol- 
ver. Cet  incident,  qui  conduisit  Paul  Verlaine  en  prison  potir  deux 
années,  mena  tout  d'abord  Arthur  Rimbaud  à  l'hôpital  Saint-Jean, 
k  Bruxelles,  pour  y  Hre  soigné  de  ses  blessures.  Bxpulsé  ensuite 
de  Belgique,  il  fit  une  nouvelle  apparition  à  Charleville,  où  il  publia, 
pour  la  détruire  aussitôt,  une  édition  de  Une  Saison  en  Enfer ^  sorts 
d'autobiographie  psychologii|ue.  Après  quoi,  revenu  un  moment  à 
Paris,  il  partit  pour  Londres  comme  professeur  d'anglais/  avec  1« 
projet  d'un  long  voyage  en  Orient.  Bn  attendant,  il  voyagea  en 
Allemagne,  en  1875,  pui^  en  Italie. Kaccolé  alors  comme  volontair* 
pour  l'armée  espagnole  carliste  et  alléché  par  la  prime,il  8'engage«< 
n'ayant  d'autre  soin,  la  somme  touchée,  que  de  s'esquiver,  pour 
revenir  encore  uue  fois  à  Paris.  Ce  fat  alors  une  suite  d'aventures 


i56  roirig  d'aujourd'hui 


sans  nombre,  l'existence  la  plus  diverse  et  les  métiers  les  plni  diffé- 
rents. «  Rester  toujours  dans  le  même  lieu,  a-t-il  dcrit  lui-même,  me 
semblerait  un  sort  très  malheureux.  Je  voudrais  parcourir  le  monde 
entier,  qui,  en  somme,  n'est  pas  si  grand  »,  Engagé  dans  les  trou- 
pes néerlandaises,  Arthur  Rimbaud  partit  pour  l'archipel  de  la 
Sonde,  où,  dès  l'arrivée,  il  déserta,  errant  dans  les  ties  de  Java, 
déjouant  les  recherches  des  autorités,  pour  finir  par  s'embarquer  en 
qualité  d'interprète  sur  un  bateau  anglais  chargeant  pour  Liverpool. 
De  retour  en  Europe,  il  s'affilia  comme  contrôleur  à  la  troupe  du 
cirque  Loisset,  et  parcourut  avec  elle  l'Anglelerre,  la  Belgique, la  Hol- 
lande et  la  Suède.  Puis  des  subsides  de  sa  famille  lui  permirent 
enfin  de  réaliser  son  rêve.  Il  partit  pour  Alexandrie,  passa  le  canal 
de  Snez,  pénétra  en  Abyssinie^  jusqu'au  golfe  d'Aden.  Semblant 
avoir  oublié  jusqu'au  souvenir  de  son  œuvre  littéraire,  ce  fut  là 
désormais  qu'Arthur  Rimbaud  fixa  sa  vie,  tout  ensemble  explora- 
teur et  trafiquant,  tentant  les  premières  relations  avec  les  peuplades 
sauvages  de  l'Afrique,  adressant  des  mémoires  à  la  Société  de 
géographie,  formant  des  caravanes  pour  les  négoces  les  plus  divers, 
et  se  faisant  le  fournisseur  du  Négus  pour  les  armes  qui  devaient 
servir  aux  Abyssins  à  combattre  contre  l'Italie.  Ce  fut  là  aussi  qus 
vint  le  surprendre  le  mal  qui  devait  l'emporter,  juste  au  moment  où 
il  projetait  de  venir  en  France  revoir  sa  famille,  avec  laquelle  il  n'a- 
vait pas  cessé  de  correspondre.  En  mars  i8gi,  une  tumeur  dans  le 
genou  droit  l'obligea  à  abandonner  Harrar,  centre  de  ses  opérations. 
On  le  transporta  à  Aden,  puis  à  Marseille,  où  il  entra  à  l'Hôpital 
de  la  Conception.  C'est  là  qu'après  des  des  souffrances  stoïquement 
supportées,  il  mourut  1*  lo  novembre  i8gi,  des  suites  de  l'amputa- 
tion de  la  jambe.  Sa  sœur,  M"*  Isabelle  Rimbaud,  dans  quelques 
lignes  qu'on  lira  avec  intérêt,  a  raconté  ses  derniers  moments, 
alors  que,  trop  fatigué  de  soufFrir,  il  avait  demandé  qu'on  lui  pro- 
cur&t  un  peu  de  répit.  «  Il  voulut  absolument  recouvrer  le  som- 
meil. L'effet  des  potions  ordonnées  étant  presque  nul,  un  simple 
remède  de  bonne  femme  fut  essayé  qui  ne  réussit,  relativement,  que 
trop  bien  :  il  but  des  tisanes  de  pavots  et  vécut  plusieurs  jours  dans 
unréve  réel  très  étrange.  La  sensibilité  cérébrale  ou  nerveuse  étant 
surexcitée  en  l'état  de  veille  les  effets  opiacés  du  pavot  se  continuèrent, 
procurant  au  malade  des  sensations  atténuées  presque  agréables, 
extralucidant  sa  mémoire,  provoquant  chez  lui  l'impérieux  besoin  de 
confidence.  Portes  et  volets  hermétiquement  clos,  toutes  lumières, 
lampes  et  cierges  allumés,  au  son  doux  et  entretenu  d'un  très  petit 
orgue  de  Barbarie,  il  repassait  sa  vie,  évoquait  ses  souvenirs  d'en- 
fance, développait  ses  pensées  intimes,  exposait  plans  d'avenir  et 
projets.  Ainsi  l'on  sut  que  là-bas,  au  Harrar,  il  avait  appris  la 
possibilité  de  réussir  en  Fraoce  dans  la  littérature  ;  mais  qu'il  m 


AnrauR  niMBAUBL  167 


félicitait  (le  n'aroir  paa  continué   l'cBOTre  de  jeaneste,  parc«   que 
«  c'était  mal  », 

Bibliographie  : 

Ln  aKr»»e9.  —  Une  Balfon  en  Enler,  prose.  Bruiellea,  Alliance  lypo- 
gmphique.  Pool  et  Ci».  1873,  in-18.{lntrouTabIo,  touslei  exemplaires,  sauf  trois, 
dit-on,  ayant  été  détruits  par  l'auteur).  —  L«8  Illuminations,  proses, 
[puliliéet  par  le»  soins  de  Paul  Verlaine].  Pari»,  Ed.  de  La  Voi/ue,  1886,  in-18 
(SOO  excmpl.).  —  Le  Reliquaire,  ver»  et  prose,  préface  do  Rodolphe  Dar- 
tens.  Paris,  Genonceaux.  1891,  in-12,  —  Les  Ilhiininatlonfl,  Une  Saison 
en  Knter,  préface  de  Pau!  Verlaine.  Pari»,  Vanier,  1892,  in-18.  —  Poésies 
aomplèteB,  préface  do  Paul  Verlaine.  Paris,  Vanier,  1895,  in-18.  —  Œuvre» 
"de  Jean-Arthur  Rimbaud  {Poésies,  1869-1872.  Les  Tlluminalions  et 
Autres  Illuminations,  1872-1873.  Une  saison  en  Enfer,  1873).  Portrait  de 
Rimbaud  par  Fanlin-Latour.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1808,  in-18.  — 
Lettres  de  Joan-.\rthur  RImbaad  {Egypte,  Arabie,  Ethiopie),  avec  na« 
introduction  et  des  notes  par  Paterne  Berrichon.  Paris,  Soc  du  Mercure  de 
France,  1839,  in-18. 

TBADo<moi». —  Arthur  Rimbaud  :  Leben  und  Diehtvng.  Ubertragen  vtm 
K.  L.  Atnmer  eingeleitet  von  Stefan  Zweig.  Insel  Verlag  ïu  Leipzig,  1907, 
iii-8.  (Portrait  en  frontispice  de  Rimbaud  d'après  le  Buste  de  Paterne  Berri- 
ehon.) 

A  coKsoLTKR.  —  André  Beaanler  :  La  Poésie  Nouvelle.  Paris,  Soe.  da 
Mercure  do  France,  1902,  in-18.  —  Paterne  Berrichon  :  La  Vie  de  Jean- 
Arthur  Rimbaud.  Pari»,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-19.  —  Rrnest 
Delahaye  :  Rimbaud.  Reims  et  Paris,  Rcyuo  I,ittér,iire  do  Paris  et  de  Cham- 
pagne, 1906,  in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  de»  Masque».  Pari», 
Soc.  du*  Mercure  de  France,  1894.  —  Gustave  Kahn  :  Symboliste»  et  Déca- 
dents. Pari»,  Vanier,  1902,  in-18.  —  Edmond  Lepelletler  :  Paul  Ver- 
laine.  Sa  Vie.  Son  Œuvre.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  hi-8.  — 
Stéphane  Mallarmé  : /)ii>a!/a/ion«.  Paris,  Fasquelle,  1899,  in-18.— Geor- 
ges Moore  :  Impre.isiona  and  Opinions.  Twounknown  Poets.  Londres,  1891. 
—  Adolphe  Rettô  :  Aspects.  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1897, 
ln-18.  — Arthur  Symons  :  The  Symboli.^t  movement  in  literature.  London, 
Heinemann,  1900,  in-8.  —  Paul  Verlaine  :  Le»  Poète»  Maudit».  Paris, 
Vanier,  188«  et  1888,  in-tS. 

Paterne  Berrichon  -.Nouvelle»  Note»  sur  AimAaucf,  Mercure  de  France, 
juin  1898  ;  Arthur  /iimbattd  et  le  Capitaine  Marchand,  Mercure  de  France, 
février  1899.  —  Jean  Bourguignon  et  Charles  Houin  :  [Arthur  Rim- 
baud]. Revue  d'Ardenne  et  J'Argonne,  janvier-février  1897.  —  R.  Darzens  '• 
Enquêtes  littéraires  :  Arthur  Rimbaud.  ReY»e  Indépendante,  janvier-février 
1889.  — A.  Eloesser  :  Arthur  Rimbaud.  Berlin,  Monatschrifl  fiir  neue  Litté- 
rature und  Kunst,  11,  7  avril  1898.  —  Félix  Fénôon  :  Illuminations  d'Ar- 
thur Rimbaud.  I.e  Symboliste,  7  octobre  1886.  —  Anatole  France  :  Article 
sur  Rimbaud.  Univers  Illustré,  28  novembre  1891.  —  Rrna«t  Gaubert  : 
Une  erplic^Ation  nouvelle  du  sonnet  des  Voyelles  d^ Arthur  Rimbaud.  Mer- 
enre,  novembre  1904.  —  G.  fzamhard  :  A  propos  d'Arthur  Rimbaud.  La 
Liberté,  9  juillet  1898.  —  M.  D.  :  Sur  Rimbaud,  Entretiens  politique»  et 
littéraire,  dicembre  1891  —  Georgea  Rodenbach  :    Un  prémrseur  firan- 


i58  points  p' aujourd'hui 


çais  en  Abijssinie.  Le  Figaro,  12  août  1898.  —  Victor  Ségalen  :  (Max- 
Aiiély)  :  Les  Hors-la-Loi-  Le  Double  Rimhaud.  Mercure  de  France,  IS  avril 
1906.  —  PmuI  Verlaine  :  Arthur  Itimbaud  (Les  Hommes  d'wijourdluii). 
Paris,  Vanier,  s.  d. 

Iconographie  : 

Paterne  Berrichon  :    Rimbaud  en  ftti,  tS14   et    itSS,  sept  destins 

)appart.  à  MM.  Ernest  Delahaye,  Deman,  Edmond  Picard  et  h  l'auteur))  ces 
dessins  furent  reproduits  dans  la  Via  de  Jean-Arihur  Rimbaud,  1898,  La 
Bevuc  Blanche,  l"  septembre  1897,  et  la  Revue  d'Arderwe  et  d'Aryonne, 
1897.  —  Dii  même  :  Buste,  en  brome  érigé  par  souscription  publique  dans  le 
Square  de  Charleville,  le  21  juillet  1901.  —  Blanchet  :  Portrait  de  Itimbaud, 
d'après  une  photographie  de  Carjat  (octobre  1871),  Lutèce,  1883,  et  Les  Poètes 
maudits,  édition  de  1884.  —  KIrnest  Delahays  :  Croquis,  publit-  dans  la 
Bévue  Blanche,  15  août  1896.  —  Fantin-Latour  :  Coin  de  table,  1872, 
pointure  à  l'huile  (appartient  à  M.  Emile  Blûniont).  Reproduction  à  l'eau-forte 
par  Rajou  et  en  photogravure,  retouchée  par  l'artiste  (portrait  de  Rimbaud 
seul),  dans  l'édition  des  Œuvres  de  Jean-Arthur  Rimbaud,  1898.  —  Forain  ■ 
Plusieurs  croquis  d'après  nature,  1872  (l'un  d'eux  appartient  à  M.  Kuoul 
Gineste). —  Luque  : /)es«in  en  couleurs  {Les  Hommes  d'aujourd'hui).  Paris, 
Vanier.— Isabelle  niinbaud  :  Arthur  Rimbaud  mourant  (novembre  1891), 
dessin  reproduit  dans  la  Revue  Blanche,  i"  septembre  1897.  —  Paul  Ver- 
laine :  Deux  croquis  reproduits  dans  l'édition  des  Poésies  complètes.  Paris, 
Vanier,  1895.  —  F.  Vallolton  :  Dessin,  reproduit  dans  The  Chap-Book.  Chi- 
cago, mai  1896  ;  Masque  d'après  la  photographie  de  Carjat,  dans  Lé  Livre 
des  Masques,  de  Remy  de  Gourniout,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896.  — 
Deux  photographies,  de  Carjat,  1871;  Quatre  photographies  fait*  p«t  Rim- 
baud au  Harrar,  en  1883  (appart.  à  M.  Paterne  Berrichoa). 


LE  CHATIMENT  DE  TAKTUFE 

Tisonnant,  tisonnant  son  cœur  amoureux  soas 
Sa  chaste  robe  noire,  lieureux,  la  main  gantée, 
Un  jour  qu'il  s'en  allait  eft'royableuient  doux. 
Jaune,  bavant  la  foi  de  sa  bouche  édentée. 

Un  jour  qu'il  s'en  allait  —  a  Orémus  »  —  un  méchant 

Le  prit  rudement  par  son  oreille  benoîte 

Et  lui  jeta  des  mots  affreux,  en  arrachant 

Sa  chaste  robe  noire  autour  de  sa  peau  moite  : 

Châtiment!...  Ses  habits  étaient  déboutonnés 
Et,  le  long  chapelet  des  péchés  pardonnes 
S'égrenant  dans  son  cœur,  saiot  Tartufe  était  pâle. 


AJinnm  niMBAVD  1S9 


Donc,  il  se  confessait,  priait,  avec  un  râle. 
L'homme  se  contenta  d'emporter  ses  rabats 
—  Peub  1  Tartufe  était  nu  du  haut  jusque»  en  baa. 

LE  DORMKUR  DU  VAL 

C'est  un  trou  de  veraut-e,  où  chante  une  rivière 
Accrochant  follement  aux  herbes  ries  haillons 
D'argent,  où  le  soleil,  de  la  montaj^^ne  fière. 
Luit.  C'est  un  petit  val  qui  mousse  de  rayons. 

Un  soldat  j<^une,  bouche  ouverte,  tête  nue 
Et  la  nuque  baifçnant  dans  le  frais  cresson  bleu, 
Dort  ;  il  est  étendu  dans  l'herbe,  sous  la  nue, 
Pùlc  dans  son  lit  vert  où  la  lumière  pleut. 

Les  pieds  dans  les  §!;Iaïeul8,  il  dort.  Souriant  comme 
Sourirait  un  enfant  malade,  il  fait  un  somme. 
Nature,  berce-le  chaudement  :  il  •  froid  I 

Les  parfums  ne  font  pas  frissonner  sa  narine  ; 
Il  dort  dans  le  soleil,  la  main  sur  sa  poitrine, 
Tranquille,  Il  a  deux  trous  rouges  au  côté  droit. 


BATEAU  IVRE 

Comme  je  descendais  des  Fleuves  impassibles, 

Je  ne  me  sentis  plus  (^udé  par  les  haleurs  : 

Des  Peaux-l\oii}çes  criards  les  avaient  pris  pour  cibles, 

Les  ayant  cloues  nus  aux  poteaux  de  couleurs. 

J'étais  insoucieux  de  tous  les  équipasses, 
Porteur  de  blés  flamands  ou  de  cotons  anglais. 
Quand  avec  mes  haleurs  ont  fini  ces  tapages, 
Les  Fleuves  m'ont  laissé  descendre  où  je  voulais. 

Dans  les  clapotements  furieux  des  marées, 

Moi,  l'autre  hiver,  plus  sourd  que  les  cerveaux  d'enfanta. 

Je  courus  I  et  les  Péninsules  démarrées 

N'ont  x>a8  subi  tohu-bohus  plus  triomphants. 


i9o  roiTBS  d'aujourd'hui 

La  tempête  a  béni  mes  éveils  maritimes. 
Plus  léger  qu'un  bouchon  j'ai  dansé  sur  les  flots 
Qu'on  appelle  rouleurs  éternels  de  victimes. 
Dix  nuits,  sans  regretter  l'œil  niais  des  falots. 

Plus  douce  qu'aux  enfants  la  chair  des  pommes  si^res 

L'eau  verte  pénétra  ma  coque  de  sapin 

Et  des  taches  de  vins  bleus  et  des  vomissures 

Me  lava,  dispersant  gouvernail  et  grappin. 

Et,  dès  lors,  je  me  suis  baigné  dans  le  poème 
De  la  mer  infusé  d'astres  et  latescent, 
Dévorant  les  azurs  verts  où,  flottaison  blême 
Et  ravie,  un  noyé  pensif  parfois  descend, 

Où,  teignant  tout  à  coup  les  bleuités,  délires 
Et  rythmes  lents  sous  les  rutilements  du  jour, 
Plus  fortes  que  l'alcool,  plus  vastes  que  vos  lyres, 
Fermentent  les  rousseurs  amères  de  l'amour  1 

Je  sais  les  cieux  crevant  en  éclairs,  et  les  trombes. 
Et  les  ressacs,  et  les  courants  ;je  sais  le  soir. 
L'aube  exaltée  ainsi  qu'un  peuple  de  colombes. 
Et  j'ai  vu  quelquefois  ce  que  l'homme  a  cru  voir. 

J'ai  vu  le  soleil  bas  taché  d'horreurg  mystiques, 
Illuminant  de  longs  figements  violets  ; 
Pareils  à  des  acteurs  de  drames  très  antiques. 
Les  flots  roulant  au  loin  leurs  frissons  de  volets. 

J'ai  rêvé  la  nuit  verte  aux  neiges  éblouies. 
Baisers  montant  aux  yeux  des  mers  avec  lenteur  : 
La  circulation  des  sèves  inouïes. 
Et  l'éveil  jaune  et  bleu  des  phosphores  chanteurs 

J'ai  suivi  des  mois  pleins,  pareille  açT  vacheries 
Hystériques,  la  houle  à  l'assaut  des  récifs, 
Sans  songer  que  les  pieds  lumineux  des  Maries 
Pussent  forcer  le  mufle  aux  Océans  poussifs. 

J'ai  heurté,  savez-vousl  d'incroyables  Florides 
Mêlant  aux  fleurs  des  yeux  de  panthères,  aux  peaux 


ARTHUn   RIMBAUD  l6l 


D'hommes  des  «rcs-cn-ciel  tendus  comme  des  brides, 
Sous  l'horizon  des  mers,  à  de  glauques  troupeaux. 

J'ai  vu  fermenter  les  marais,  énormes  nasses 
Où  pourrit  dans  les  joncs  tout  un  Lévialhan  ; 
Des  écroulements  d'eaux  au  milieu  des  bonaces, 
Et  les  lointains  vers  les  gouffres  cataractant, 

Glaciers,  soleils  d'argent,  flots  nacreux,  cieux  de  braises, 
Echouages  hideux  au  fond  des  golfes  bruns 
Où  les  serpents  géants  dévorés  des  punaises 
Choient  des  arbres  tordus  avec  de  noirs  parfums. 

J'aurais  voulu  montrer  aux  enfants  ces  dorades 

Du  flot  bleu,  ces  poissons  d'or,  ces  poissons  chantants. 

Des  écumes  de  fleurs  ont  béni  mes  dérades. 

Et  d'ineffables  vents  m'ont  ailé  par  instants. 

Parfois,  martyr  lassé  des  pôles  et  des  zones, 
La  mer,  dont  le  sanglot  faisait  mon  roulis  doux, 
Montait  vers  moi  ses  fleurs  d'ombre  aux  ventouses  jaunes; 
Et  je  restais  ainsi  qu'une  femme  à  genoux. 

Presqu'île  ballottant  sur  mes  bords  les  querelles 
Et  les  fientes  d'oiseaux  clabaudeurs  aux  yeux  blonds  ; 
^t  je  voguais,  lorsqu'à  travers  mes  liens  frêles 
\)es  noyés  descendaient  dormir  à  reculons. 

Or  moi,  bateau  perdu  sous  les  cheveux  des  anses. 
Jeté  par  l'ouragan  dans  l'élher  sans  oiseau, 
Mni  dont  les  Monitors  et  les  voiliers  des  Hanses 
N'auraient  pas  repéché  la  carcasse  ivre  d'eau, 

tJbre,  fumant,  monté  de  brumes  violettes, 
Moi  qui  trouais  le  ciel  rougeoyant  comme  un  mur 
Qtii  porte,  confiture  exquise  aux  bons  poètes. 
Des  lichens  de  soleil  et  des  morves  d'azur, 

Qui  courais  taché  de  lunules  électriques, 
Pla.ïche  folle,  escorté  des  hippocampes  noirs, 
Quand  les  Juillets  faisaient  crouler  à  coups  de  triques 
Les  cieux  ultramarins  aux  ardents  entonnoirs. 


i6ji  roÉTBB  d'aujouhd'hui 

Moi  qui  tremblais,  sentant  geindre  à  cinquante  lieues 
Le  rut  des  Béhémols  et  des  Maelstroms  épais» 
Fileur  éternel  des  immobilités  bleues. 
Je  regrette  l'Europe  aux  anciens  parapets. 

J'ai  vu  des  archipels  sidéraux,  et  des  îles 
Dont  les  cieux  délirants  sont  ouverts  au  vogueur  : 
-Est-ce  en  ces  nuits  sans  fond  que  tu  dors  et  t'exiles, 
Million  d'oiseaux  d'or,  ô  future  Vigueur  f 

Mais,  vrai,  j'ai  trop  pleuré.  Les  aubes  sont  navrantes, 
Toute  lune  est  atroce  et  tout  soleil  amer. 
L'acre  amour  m'a  gonflé  de  torpeurs  enivrantes. 
Oh,  que  ma  quille  éclate  !  oh,  que  j'aille  à  la  mer  I 

Si  je  désire  une  eau  d'Europe,  c'est  la  flache 
Noire  et  froide  où,  vers  le  crépuscule  embaumé 
Un  enfant  acccroupi,  plein  de  tristesse,  lâche 
Un  bateau  frêle  comme  un  papillon  de  mai. 

Je  ne  puis  plus,  baigné  de  vos  langueurà,  ô  lames. 
Enlever  leur  sillage  aux  porteurs  de  cotons. 
Ni  traverser  l'orgueil  des  drapeaux  et  des  flammes, 
Ni  nager  sous  les  yeux  horribles  des  pontons  I 


LES  CHERCHEUSES  DE  POUX 

Quand  le  front  de  l'enfant  plein  de  routes  tourmentes, 
Implore  l'essaim  blanc  des  rêves  indistincts, 
Il  vient  près  de  son  lit  deux  grandes  sœurs  charmantes 
Avec  de  frêles  doigts  aux  ongles  ai^entins . 

Elles  asseoi«nt  l'enfant  auprès  d'une  croisée 
Grande  ouverte  où  l'air  bleu  baigne  un  fouillis  de  fleurs, 
Et,  dans  ses  lourds  cheveux  où  tombe  la  rosée, 
Promènent  leurs  doigts  fins,  terribles  et  charmeurs. 

Il  écoute  chanter  leurs  haleines  craintives 
Qui  fleurent  de  longs  miels  végétaux  et  rolés 


ARTHUR    RIMBAUD  l03 


Et  qu'interrompt  piiruiis  un  sntlement,  salives 
Reprises  sur  la  lèvre  ou  désirs  de  baisers. 

Il  entend  leurs  cils  noirs  battant  sous  les  silences 
Parfumés  ;  et  leurs  doigts  électriques  et  doux 
Font  crépiter,  parmi  ses  grises  indolences, 
Sous  leurs  ongles  royaux  la  mort  des  petits  poux. 

Voilà  que  monte  en  lui  le  vin  de  la  Paresse, 
Soupir  d'harmonica  qui  pourrait  délirer  ; 
L'en  Tant  se  sent,  selon  la  lenteur  des  caresses, 
Sourdre  et  mourir  sans  cesse  un  désir  de  pleurer. 

VOYELLES 

A  noir,  E  blanc,  I  rouge,  U  vert,  O  bleu,  voyelles. 
Je  dirai  quelque  jour  vos  naissances  latentes. 
A,  noir  corset  velu  des  mouches  éclatantes 
Qui  bombillent  autour  des  puanteurs  cruelles. 

Golfes  d'ombre  ;  E,  candeur  des  vapeurs  et  des  tentes» 
Lance  des  glaciers  fiers,  rois  blancs,  frissons  d'ombelles  ; 
I,  pourpres,  sang  craché,   rire  des  lèvres  belles 
Dans  la  colère  ou  les  ivresses  pénitentes  ; 

U,  cycles,  vibrements  divin»  des  mers  virides. 
Paix  des  pâtis  semés  d'animaux,  paix  des  rides 
Que  l'alchimie  imprime  aux  grands  fronts  studieux  ; 

O,  suprême  Clairon  plein  de  strideurs  étranges, 
Siieuces  traversés  des  Mondes  et  des  Anges  : 
—  0  rOBftéga,  rayon  violet  de  Ses  Yeux  ! 

{Œavret  dt  Jeait-Arthitr  Rimbaud,  éditioB  dt  1908.) 


GEORGES    RODENBAGH 
4855-4898 


Georges  Rodenbach  naquit  à  Tournai  (Belgique),  le  i6  juillet  i855, 
tonrnaisien  seulement  sur  les  registres  de  l'état  civil.  Toute  sa  fa- 
mille était,  en  effet,  d'origine  flamande.  Son  grand-père,  Constantin 
Rodenbach,  fut  successÎTement  membre  du  Conseil  national,  repré- 
sentant, consul  en  Suisse,  et  ambassadeur  de  Belgique  à  Athènes. 
II  était,  en  1828,  professeur  de  médecine  à  Bruges,  où  il  publia, 
chez  Félix  de  Pachtere,une  remarquable  consultation  médico-légale, 
mentionnée  par  M.  Edmond  Picard  dans  sa  Bibliographie  du  droit 
Belge.  Les  Rodenbach  sont  d'ailleurs  une  famille  d'écrivains.  Un 
oncle  de  Georges  Rodenbach,  Alexandre  Rodenbach,  nommé  «  l'a- 
Tcugle  de  Roulers  »,  qui  avait  été  l'élève,  à  Paris,  de  Valentin  Haûy, 
et  qui  fut  pendant  plus  de  trente  ans  représentant  de  sa  ville,  est 
l'auteur  d'un  ouvrage  fort  connu  :  Les  Aveugles  et  les  sourds- 
muets,  publié  à  Tournai  en  i855.  Le  père  de  Georges  Rodenbach 
écrivait  également,  et  a  publié  des  travaux  historiques  sur  les  poids 
et  mesures,  et  un  excellent  guide  :  Dinani  pittoresque.  Mais  deux 
Rodenbach  sont  surtout  à  retenir  comme  écrivains  :  Albert  Roden- 
bach, poète  flamand,  né  à  Roulers  en  i855,  et  mort  en  1880,  auteur 
d'un  ouvrage  :  Gûdrun,  qui  est  classé  par  la  critique  flamande 
parmi  les  chefs-d'œuvre,  —  et  Georges  Rodenbach.  «  Ses  parents 
étant  venus  se  fixer  à  Gand,  trois  mois  après  sa  naissance,  il  y  vécut 
toute  sa  jeunesse.  Son  enfance  s'écoula  ainsi,  non  loin  des  canaux 
étroits,  parmi  le  paysage  dont  il  devait  plus  tard  exprimer  si  bien 
la  sommeillante  et  vaporeuse  mélancolie.  A  sept  ans  on  l'envoya  an 
colIègeSainte-Barbe,  de  sa  ville.pour  faire  ses  études.»  Sorti  de  Sainte- 
Barbe  en  1875,  il  entra  à  l'Université  de  Gand,  obtint  ses  diplômes, 
et,  devenu  docteur  en  droit,  revint  à  Paris,  vers  1876,  pour  écouter 
les  professeurs  et  les  avocats  célèbres.  C'est  alors  qu'il  fit  partie  du 
cercle  des  Hydropalhes,  fondé  par  Emile  Goudeau,  et  qu'il  publia 
SCS  premiers  livres  :  Les  Foyers  et  les  Champs,  puis  Les  Tristesses, 
où  son  talent  particulier  se  montrait  déjà  et  qui   commencèrent  à 


•■OnatS   RODBNBAGB  l65 

établir  sa  réputation.  Vers  i885,  il  s'établit  à  Bruxelles,  où  il  se  fit 
inscrire  au  barreau.  Les  journaux  lui  prédisaient  une  clientèle  cer- 
taine, et  il  plaida  avec  succès  plusieurs  causes  dont  une  ou  deux 
ont  laissé  quelque  souvenir.  Il  abandonna  ensuite  le  barreau  pouTi 
se  consacrer  exclusivement  à  la  littérature.  Il  contribua  à  fonderi 
La  Jeune  Belgique  et  se  &t  remarquer  notamment  par  ses  polémi- 
ques avec  un  collaborateur  de  la  Chronique,  qu'il  provoqua  même,, 
inutilement,  en  duel.  En  1887,  il  quitta  déRnitiveinent  la  Belgique,, 
et  vint  se  fixer  à  Paris,  où  il  mourut  le  aS  décembre  1898,  laissant 
nne  veuve  et  un  jeune  Gis.  Son  talent,  qui  n'empruntait  rien  à  per- 
sonne, qui  apportait  au  contraire  une  nuance  nouvejla  autant  que 
pénétrante  dans  la  poésie,  et  sa  vie  d'écrivain  lui  avaient  conquis 
une  belle  place  dans  notre  littérature  et  mérité  l'estime  de  tous.»  S'il 
fallait  assigner  une  place  à  Georges  Rodenbach  dans  la  littérature 
belge,  a  écrit  M.  Emile  Verhaercn,  elle  serait  facile  à  déterminer.  Il 
prendrait  rang  parmi  ceux  dont  la  tristesse,  la  douceur,  le  senti- 
ment subtil  et  le  talent  nourri  de  souvenirs,  de  tendresse  et  de  si- 
lence, tressent  une  couronne  de  violettes  pâles  au  front  de  la  Flan- 
dre :  Maeterlinck,  Van  Lerberghe,  Grégoire  Le  Roy,  Elskamp.Mais 
il  parait  plus  juste  de  ne  point  l'isoler  dans  un  groupe,  de  ne  point 
le  détacher  de  la  grande  littérature  française.  Les  groupements  par 
pays  ou  par  provinces  rétrécissent  les  jugements  esthétiques.  L'art 
n'est  point  d'une  région;  il  est  du  monde.  Il  n'est  point  ceinturé  de 
frontières.  Il  prend  pour  tremplin  la  personnalité  pour  bondir  vers 
l'universel.  Peu  importe  de  quelle  patrie  il  vient.  S'il  s'élève  à  une 
certaine  hauteur,  il  ne  faut  point  s'inquiéter  de  quel  sol  il  a  jailli. 
Or,  dans  l'universelle  littérature  française,  Georges  Rodenbach  se 
classe  parmi  les  poètes  du  rêve,  parmi  les  raffinés  de  la  phrase, 
parmi  les  évocateurs,  spécieux  parfois,  rares  toujours,  dans  le  voi- 
sinage de  ces  deux  amis  et  maîtres,  qui  l'aimèrent  autant  qu'il  les 
aima  :  Edmond  de  Goncourt  et  Stéphane  Mallarmé.  Il  est  de  ceux 
qui  suggèrent  à  l'encontre  de  ceux  qui  constatent  ;  il  est  de  ceux 
qui  se  renferment  à  l'encontre  de  ceux  qui  se  déploient.  Il  a  mis 
des  sourdines  à  ses  vers  et  à  ses  pensées  ;  il  déteste  les  tapages  de 
l'orchestre  :  c'est  un  recueilli.  II  apporta  dans  l'art  contemporain 
un  encens  pris  aux  ocrcmonies  d'un  mysticisme  nouveau,  que  ne 
connurent  ni  Baudelaire  ni  Verlaine.  Il  le  recueillit  non  point  en  des 
chapelles  espagnoles,  ni  en  des  cathédrales  françaises,  mais  en  des 
béguinages  flamands.  Mysticisme  précis,  propret,  dominical,  mys- 
ticisme de  confessionnal,  de  triduums  et  de  neuvaines;  mysticisme 
de  banc  de  communion  qui,  les  mains  jointes,  s'en  va  vers  l'hostie, 
non  pas  nu-pieds,  en  marchant  sur  des  jonchées  de  ronces  et 
d'épines,  mais  eu  foulant  des  dalles  bien  nettes,  avec  des  sandales 
biaachu  «t  pieusemeat  feutrées.  » 


l60  poftTXS  d'aujourd'hui 

On  *  également  de  Georges  Rodenbach,  outre  ses  recueils  de 
poèmes,  parmi  ses  ouvrages  en  prose,  un  volume  d'études  littérai- 
res :  L'Elite,  portraits  d'écrivains,  d'orateurs  et  d'artisfefî,  d'un 
grand  charme  de  lecture  et  d'une  intelligence  très  vive.  On  a  publié 
depuis  sa  mort  Le  liouet  des  Brames,  recueil  de  contes,  et  Le  ML 
rage,  drame  en  4  actes,  qu'il  avait  tiré  de  son  roman  Brages  la 
Morte.  Un  monument,  qui  est  l'œuvre  du  sculpteur  Georges  Minne, 
lui  a  été  élevé  à  Gand. 

Georges  Rodenbach  a  collaboré  à  La  Nouvelle  Revae,  à  La  Re- 
vue des  Revues,  au  Mercare  de  France,  k  La  Revue  de  Paris,  à 
La  Revue  Blanche,  k  La  Revue  Encyclopédique,  k  La  Rnuve  Bleue, 
k.  L'Image,  k  L'Almanach  de»  Poètes  (1898),  à  L'Aube,  au  Livre 
des  Légendes,  au  Figaro  tt  Supplément  du  Figaro  (1888-1898),  au 
Gaulois  (1888-1899),  au  Journal  (1897-1898),  etc.,  etc. 

Bibliographie  : 

LiB  0EUVRK8.  —  Le  Foyer  et  les  champs,  po<?sies.  Paris,  Palmé,  et 
Bruxelles,  Lebrocquy,  1877,  in-i8.  —  Les  Tristesses,  poésies.  Paris,  Le- 
roerre,  1879,  in-i2.  —  Ode  à  la  Belgique,  Bruxelles,  Office  de  Publicité, 
18^0,  in-lî.  —  La  Mer  élégante,  poésies,  Paris,  Lemerre,  1881,  in-18.  — 
L'Hiver  mondain,  poésies,  ill.  de  Van  Beers.  Bruxelles,  KJsteniaeckers, 
1884,  in-18  (Georges  Rodenbach  avait  supprimé  ces  cinq  volumes  de  la  lifte  de 
•es  ouvrages).  —  La  Petite  Veuve,  saynète  en  1  acte,  en  prose  (en  colla- 
boration avec  Max  Waller).  Bruxelles,  J.  Finit,  ».  d.,  in-12  de  23  p., tirée  à 
lOOexempl.  —  La  Jeunesse  Blanche,  poésies.  Paris,  Lemerre,  1886,  in-18. 
—  Du  Silence,  poésie»,  plaquette.  Paris,  lemerre,  1888,  in-18.  —  L'Art 
en  exil,  roman.  Pan»,  QuaiiUn,  1889,  in-18.  —  Le  Règne  du  Silence, 
poésies,  Paris,  Charpentier,  1801,  in-18  (La  plaquette  Du  Silence  a  été  réim- 
primée dans  ce  volume).  —  Bruges-la-Morle,  roman,  frontispice  de  Fer- 
nand  Khnopff,  illustr.  de  Ch,  Petit.  Paris,  Flammarion,  1892  (Réimp.  :  Bru- 
ges-la-Morte, nouvelle  édition,  avec  portrait  sur  la  couverture,  Paris,  Flam- 
marion, 1904,  in-18  ;  Bruge*-la- Morte,  uouv.  édition,  avec  43  compositions 
originales  d'après  nature,  dessinées  et  gravées  sur  bois  par  Henri  Paillard. 
Paris,  E.  Carteret  et  C'«,  1908,  in-8).  —  Le  Voyage  dans  les  yeux.  Paris, 
OUendortf.  1893,  in-18.  (Réimprimé  à  la  suite  du  recueil  :  Le*  Vie»  encloses. 
Paris,  Charpentier,  1896,  in-18).  —  Le  Voile,  un  acte  en  vers,  représenté 
pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Théâtre  Français,  le  24  mai  1894.  Paris, 
OUendorff,  1894,  in-18.  —  Musées  de  béguines,  poésies  et  nouvelles.  Paris, 
Charpentier,  1894,  in-18.  —  La  Vocation,  roman  illustr.  de  Cassiors.  Paris, 
OUendorff,  1895,  in-18.  —  Les  Vierges,  ill.  de  J.  Rippl-Ronaï.  Paris,  Cha- 
merot  et  Renouard,  1895,  gr.  in-8.  —Les  Torabe.iux,  ill.  do  J.  Pitcarn 
Knowles.  Pari»,  Chamerot,  et  Renouard,  1896,  gr.  in-8.  —  Les  Vies  enclo- 
ses, poésies.  Paris,  Charpentier,  1896,  ia-18  (La  plaquette  Le  Voyage  dan* 
le*  yeux  a  été  réimprimée  dans  ce  volume).  —  Le  CArillonueur,  roman. 
Paris,  Charpentier,  1897,  in-18.  —  Villes  mortes,  quatre  petits  poéim-s. 
S.  1  n.  d.,  petit  ia-4  de  3  Cf.,  non  paginés  (Exemp.  d'épreuve  iuiprimé  & 
Apver»  k  50  «xempi  ,  pour  Le  Spectateur  catholique,  par  J.-B.  Bucbioana 
•B  IMft.  RAiisprimés  daas  U  Miroir  dm  Met  luUtU,  Paria,  Cauvp«aUar,  laOI, 


•BOKOBI    nODBNBACH  167 


|o-l«).  —  L'Ai'lH'e,  roniun,  iU.  de  Pinehon.  Parin.  OUemlorfr,  IS'J»;  in-lS. 
Le  Miroir  (lu  ciel  natal,  poi^sie».  Paris,  Cliarpenlier,  1898,  in-18.  — 
L'Elite,  ôliuie»  litlérairM.  Paris.  Charpriilior,  180».  ni-18.— Le  Uouol  d«>s 
bfiiineH,  conte»  powlIiuraM.  Paris,  Olleniloi-ff,  i900,  iii-18.  —  Le  Aliragu. 
dlraïuo  eu  4  acte»,  lire  par  6.  RoJ«ubach  de  llmgit-la-Morle.  Paris,  Olleu- 
dortr,  1901.  in-18. 

PHWAca».  —  Frédéric  Salwi«t  :  Au  Fil  du  réott,  Pari»,  Ollendorlf,  1897. 
tB-18.  —  Charles  Gitérln  tJoie$  Gri$e*,  Paris,  Ollondorff,  1894,  in-18. 

Ou  trouve,  eu  outre,  des  extrait»  (i)ros«  cl  Ter»)  de  George»  Rodenbach 
dans  les  ouTragps  suiTant»  :  Aluianach  «les  poèt«fl.  18U8.  Paris.  Soc.  du 
Mercure  do  Ki;iiice.  1898.  in-8.—  Poètes  bcloes  d'expression  Inii»ca'»e, 
par  Pol  do  Mont.  Aluiolo,  W.  Hilariiis,  1899,  in-18.  —  Anlholooie  des 
Ecrivains  Belges  de  langue  Iraocalse.  Georges  Rodenbach.  biuxel- 
le»,  Declieone  et  C'*,  1903,  iu-lB,  etc. 

PoÈHis  Mia  KM  Mu»i«Tii.  —  Dix  poésie*  de  Georges  Jiodenàaeh  mitet  en 
mutiqMe  pv  B.  Strohl .  Pari»,  Toledo,  1901,  in-folio. 

A  coNsutTïn.  —  Ad.  Brlssen  :  La  Comédie  littéraire.  Pari»,  A.  Colim 
1895,  in-18.  —  J.  ('asier  -.L'Œuvre  poétique  de  George»  Rodenbach.  Gand, 
l*h»rl  et  SifTer,  1888,  iu-18.  —  W.-L.  Courtaey  :  The  Development  of 
AI.  Maeterlinck  and  olhtr  tkeCcliea  of  foreiyn  writeri.  Londres,  Orant 
Ricliard»,  190Î,  petit  in-8.  ~  Yirgloia-M.  Crawlord  :  Studie»  in  forcing 
lilerature,  I.onJou.  Oackworth,  1899,  in-8.  —  -\.  Daxhelet  :  Georges  lio- 
dtnbaeh.  Bruxelles,  0.  Schrpcns,  1899,  in-8.  —  Gaston  Dnschamps  :  La 
Vie  et  U$  livret,  î'  série.  Pari»,  A.  Colin,  1896,  in- 18.  —  René  Uoumic  : 
Le*  Jeune*.  Pari»,  Perrin,  1896,  in-18.   —  Feruand  tiregh  :  La  Fenêtre 

ouverte.  Pari:*,  Fas(jiielle,  1901,  in-H Ch.  (iuérlu  :  Georges  Rodenbach. 

Nancy,  Crépin  Lehiond,  1894.  iu-8.  —  Dé.slré  llorraut  :  Ecrivains  Hclge* 
d'aujourd'hui.  Bruxelles,  Lacombiec,  1904.  iu-8  —  Gustave  Kahu  :  Sym- 
bolitle*  et  Décadent*.  Pari»,  Vanier,  1901,  in-18.  —  Beru.  Lazare  :  F/yu- 
TM  contemporaine*.  Paris,  Perrin,  1885,  in-18.—  Camille  Mauclair  : 
L'Art  en  Silence.  Pari»,  Ollendorff,  1900,  in-lS.  —  P.  Miissche  :  George* 
Bodenbaeh.  Bruiellu,  0.  Scbepen»,  1899,  in-t8.  —  A.  Ségard  :  Georgee 
Jtodenbach.  Lille.  Dneouloaabier,  lSf$,  ia-18.  —  Jules  Telller  :  No*  poè- 
tes. F'ari»,  OMprel,  1«»«,  ia-U.  —  V.  Thompson  :  French  Portrait* 
(Beinff  appreoiation»  et  tbe  writan  et  Teung  France),  Boston,  Richard  0- 
Badger  M  O,  1900,  i»-8.  —  FIrm.  Van  den  Bosch  :  Imprueion  de  lit- 
téral, eontemporaitu .  Bruielles,  Vronant,  1905,  ia-18. 

Anonyme  :  Particularité*  hiographiçues  sur  George*  Rodenbach.  Jour- 
aal  de  Brugc»,  30  décembre  1898.  —  H.  Chant.<ivoine  :  Rerme  littéraire. 
Journal  des  Débat»,  1  juillet  1891.  —  L.  Descaves  :  Musée  de  béguines. 
Journal,  5  mai  1894.  —  G.  Denchamps  :  Georgee  Rodenbach.  Temps,  27  dé- 
cembre 1898.—  A. France  :  La  Vie  littéraire  :  Georges  Rodenbach.  Tempi, 
SI  mai  1891  ;  La  Vie  littéraire  •  Le  Règne  du  Silence,  Temps,  26  mai  1892. 
—  G.  Geliroy  :  Georges  Rodenbach.  Jualice,  2  juillet  1891.  —  Ch.  Govaërt  : 
Georges  Rodenb^eh.  Semaine  lilliTuire  de  Briitjn»,  XI  février  1899.  —  M  tîull- 
lemul  :  George*  Rode»i»ek,  Kuvue  illustrée,  octobre  I89S.  —  J.  tiuret  ; 
Autour  du  Voile.  Kigar»,  M  luai  1894.  J -K.  Uuyuuaus:  Rrugee. 
Bclio  de  Pari»,  1"  (érrier  l»»t.  —  J.  .lullieu  :  Pm^méres  représenta lione, 
Paris,  n  atM  UM.  -  C.  MamUa  i  ^mt^m  Rodêmàaeh.  Jeunul,  M  d*c— ■ 


lêl  roiTKS  d*au«oukd'hui 


bre  1898. —  Ch.  Merkl  :  Georges  Rodenbach.  Mercure  de  France,  août  1894; 
Georges  Rodenbach.  Mercure  de  France,  février  1899.—  Octave  Mirbnau  : 
Notes  sur  Georges  Rodenbach.  Journal,  1"  janvier  1899.  —  Georges  Mon- 
torgiieii  :  Chez  Molière.  Eclair,  21  mai  1894;  Rodenbach  contre  Murger 
Eclair.  24juia  1895;  Lepoète  des  Vies  encloses.  Eclair,  28  décembre  1898.— 
Ed.  Pilon  ;  Georges  Rodenbach.  La  Vogue  (nouvelle  série),  janvier  1899.  — 
Maurizio  Rava  :  G.  Rodenbach.  Nuova  Antologia  (Rome)  1901,  XCIV,  pp. 
660.  —  Ed.  Kod  :  L'Art  de  Georges  Rodenbach.  Gaulois,  26  avril  1896  ;  La 
Race  et  la  tradition.  Gaulois,  8  avril  1897.  —  J.-II.  Rosny  :  Georges  Roden- 
bach. Nouvelle  Uevuc,  15  avril  1895.  —  P.  Seippel  :  Georges  Rodenbach, 
Journal  de  Genève,  16  janvier  1899. —  A.  Van  Hamel:  Dichter-Silhouetten. 
Rodenbach.  Mallarmé.  Gids,  1899,  III,  pp.  290-ai7.  —  E.  Verhaeren  : 
Georges  Hodenbach,  Revue  Encyclopédique,  28  janvier  1899  (article  illustré). 
—  F.  Weyl  :  Georges  Rodenbach.  L'Art  et  la  Vie,  1"  décembre  1894.  — 
Voir  en  outre  :  La  Lutte  (Bruxelles),  janvier  1899,  numéro  spécial  sur  Georges 
Rodenbach.  —  L'Indépendance  belge,  21  mai  1894,  iulervi«w  de  Edmond  de 
Concourt  et  Stéphane  Mallarmé  sur  Georges  Rodenbach. 

Iconographie  : 

Van   den    Eeden.  —    Peinture,  1881.  —  AU.    Stevens  :    Peinture, 

1892,  sur  un  exemplaire  do  Bruges-la-Morte,  appartenant  à  Edmond  de  Gon- 
court  et  acheté  depuis  par  M.  de  Montesquiou-Fezensac. —  Kalaëlll  :  Dessin, 
1892,  repr.  dans  Le  Nouvel  Echo,  l"  mai  1898  (appartient  à  M°"  Georges 
Rodenbacii).  —  Baronne  Alex.  d'Anethan  :  Pastel,  1892  (appartient  à 
M"*  Georges  Rodenbach).  —  Lévy-Dhurmer  :  Pastel,  1894  (au  Musée  du 
Luxembourg).  —  Alb.  lîesnard  :  Dessin,  1898  (appartient  à  M™«  Georges 
Rodenbach).  —  Mad.  Alb.  Besuard  :  Bronze,  1898:  pour  le  monument  de 
Georges  Rodenbach,  au  Père-Lachaise.  —  Henry  Bataille  ;  Lithographie 
(Tètes  et  Pensées.  Paris,  Ollendorff,  1905,  in-4).  —  Georges  Mlnue  : 
Monument  de  George»  Rodenbach,  inauguré  à  Gaud,  le  19  juillet  1903.  — 
Et  des  reproductions  de  portraits  et  de  photographies  dans  des  journaux  et 
périodiques,  entre  autres  :  L'Echo  de  la  Semaine,  août  1892,  la  Revue  de» 
Revue»,  la  Revue  Encyclopédique  et  L'Illustr»tion,  ^riw-tévnet  1899. 


BÉGUINAGE  FLAMAND 

I 

Au  loin,  le  béguinage  avec  ses  clochers  noirs, 
Avec  son  rouge  enclos,  ses  toits  d'ardoises  bleues 
Reflétant  tout  le  ciel  comme  de  grands  miroirs, 
S'étend  dans  la  verdure  et  la  paix  des  banlieues. 

Les  pignons  dentelés  étagent  leurs  gradins 
Par  où  montent  le  Rêve  aux  lointains  qui  brunissent, 
Et  des  branches  parfois,  sur  les  murs  des  jardii^s, 
Ont  le  geste  très  doux  des  prêtres  qui  bénissent. 


En  fines  lettres  d'or  chaque  nom  des  coiivenls 
Sur  les  portes  s'enroule  autour  des  banderoles, 
Noms  charmants  chuchotes  par  la  lèvre  des  vents  : 
La  maison  de  l'Amour,  la  maison  des  Corolles 

Les  fenêtres  surtout  sont  comme  des  autels 
Où  fleurissent  toujours  des  géraniums  roses, 
Qui  mettent,  combinant  leurs  couleurs  de  pastels, 
Comme  un  rêve  de  fleurs  dans  les  fenêtres  closes. 

Fenêtre  des  couvents  !  attirantes  le  soir 
Avec  leurs  rideaux  blancs,  voiles  de  mariées. 
Qu'on  voudrait  soulever  dans  un  bruit  d'encensoir 
Pour  goûter  vos  baisers,  lèvres  appariées  1 

Mais  ces  femmes  sont  là,  le  cœur  pacifié, 

La  chair  morte,  cousant  datis  l'exil  de  leurs  chambres  ; 

Elles  n'aiment  que  toi,  pâle  crucifié, 

Et  regardent  le  Ciel  par  les  trous  de  tes  membres  ! 

Ohl  le  silence  heureux  de  l'ouvroir  aux  grands  murs. 
Où  l'on  entend  à  peine  un  bruit  de  banc  qui  bouge, 
Tandis  qu'elles  sont  là,  suivant  de  leurs  yeux  purs 
Le  sable  en  ruisseaux  blonds  sur  le  pavement  rouge. 

Oh  l  le  bonheur  muet  des  vierges  s'assemblant. 
Et  comme  si  leurs  mains  étaient  de  candeur  telle 
Qu'elles  ne  peuvent  plus  manier  que  du  blanc. 
Elles  brodent  du  linge  ou  font  de  la  dentelle. 

C'est  un  charme  imprévu  de  leur  dire  a  ma  sœur  » 
Et  de  voir  la  pâleur  de  leur  teint  diaphane 
Avec  un  pointillé  de  tâche  de  rousseur 
Comme  un  camélia  d'un  blanc  mat  qui  se  fane. 

I lien  d'impur  n'a  flétri  leurs  flancs  immaculés. 
Car  la  source  de  vie  est  enfermée  en  elles 
Comme  un  vin  rare  et  doux  dans  des  vases  scellé» 
Qui  veulent,  pour  s'ouvrir,  des  lèvres  éternelles  I 

■  Il 


170  POÈTKrt    u'AVJOVUO'llfft 


II 

Cependant  quand  le  soir  douloureux  est  défunt, 
La  cloche  lentement  les  appelle  à  compiles 
Comme  si  leur  prière  était  le  seul  parfum 
Qui  pût  consoler  Dieu  dans  ses  mélancolies  ! 

Tout  est  doux,  tout  est  calme  au  milieu  de  l'enclos  ; 
Aux  offices  du  soir  la  cloche  les  exhotte. 
Et  chacune  s'y  rend,  mains  jointes,  les  yeux  clos, 
Avec  des  glissements  de  cygne  dans  l'eau  morte. 

Elles  mettent  un  voile  à  longs  plis  ;  le  secret 

De  leur  âme  s'épanche  à  la  lueur  des  cierges, 

Et,  quand  passe  un  vieux  prêtre  en  étole,  on  croirait 

Voir  le  Seigneur  marcher  dans  un  Jardin  de  Vierges  l 

m 

Et  l'élan  de  l'extase  est  si  contagieux. 
Et  le  cœur  à  prier  si  bien  se  tranquillise, 
Que  plus  d'une,  pendant  les  soirs  religieux. 
L'été  répète  encor  les  Ave  de  l'Eglise  ; 

Debout  à  sa  fenêtre  ouverte  au  vent  joyeux. 
Plus  d'une,  sans  ôter  sa  cornette  et  ses  voiles. 
Bien  avant  dans  la  nuit,  égrène  avec  ses  yeux 
Le  rosaire  aux  grains  d'or  des  priantes  étoiles  ! 

{La  Jeunesse  Blanche.) 


DOUCEUR  DU  SOIR!... 

Douceur  du  soir  I  Douceur  de  la  chambre  sans  lampe  I 
Le  crépuscule  est  doux  comme  une  bonne  mort 
Et  l'ombre  lentement  qui  s'insinue  et  rampe 
Se  déroule  en  pensée  au  plafond.  Tout  s'endort 

Comme  une  bonne  mort  sourit  le  crépuscule, 
Et  dans  le  miroir  terne,  en  un  geste  d'adieu, 


OKOnOKS    RODINBACai  I7I 


Il  semble  doucement  que  soi-méine  on  recule, 
Qu'on  n'en  aille  plus  pAIe  et  qu'on  y  meure  up  peu. 

Stir  les  tableaux  pendus  aux  murs,  dans  la  mémoire 
'  )ù  sont  les  souvenirs  en  leurs  cadres  déteints, 
I*aysages  de  l'âme  et  paysages  peints, 
On  croit  sentir  tomber  comme  une  neige  noire. 

Douceur  du  soir  I  Douceur  qui  fait  qu'on  s'habitue 
A  la  sourdine,  aux  sons  de  viole  assoupis  ; 
I/amant  entend  songer  l'amante  qui  s'est  tue 
Et  leurs  yeux  sont  ensemble  aux  dessins  du  tapis. 

fît  langoureusement  la  clarté  se  retire  ; 
Douceur!  ne  plusse  voir  distincts!  N'être  plus  qu'un  i 
Siloiicel  deux  senteurs  en  un  même  parfum  ; 
Penser  la  même  chose  et  ne  pas  se  le  dire. 

{Le  Règne  du  Silence  :Da  Silence.  Fasquelle.) 


AH!  VOUS  ÊTES   MES    SŒURS... 

Ah  !  vous  êtes  mes  sœurs,  les  Ames  qui  vivez 

Dans  ce  doux  nonchaloir  des  rêves  mi-rêvcs 

F^irmi  l'isolement  léthargique  des  villes 

Qui  somnolent  au  long  des  rivières  débiles  ; 

Ames  dont  le  silence  est  une  piété. 

Ames  à  qui  le  bruit  fait  mal  ;  dont  l'amour  n'aime 

'ne  ce  qui  pouvait  être  et  n'aura  pas  été  ; 

Ivstiques  réfectés  d'hostie  et  de  saiqt-çhrème  ; 
«li  ta  ires  de  qui  la  jeunesse  rêva  -^ 

Un  départ  fabuleux  vers  quelque  ville  immense, 
Dont  le  songe  à  présent  sur  l'eau  pâle  s'en  va. 
L'eau  pâle  qui  s'allonge  en  chemins  de  silence... 
Et  vous  êtes  mes  sœurs,  âmes  des  bons  reclus 
Et  novices  du  ciel  chez  les  Visitandines, 
Ames  comme  des  fleurs  et  comme  des  sourdines 
Autour  de  qui  vont  s'enroulant  les  angélus 
Comme  autour  des  rouets  la  douceur  de  la  laine  I 


lys  poiTBS  d'aujourd'hui 

Et  vous  aussi,  mes  sœurs,  vous  qui  n'êtes  en  peine 

Que  d'un  long  chapelet  bénit  à  dépêcher 

En  un  doux  béguinage  à  l'ombre  d'un  clocher, 

Oh  !  vous,  mes  Sœurs,  —  car  c'est  ce  cher  nom  que  l'Eglise 

M'enseigne  à  vous  donner,  sœurs  pleines  de  douceurs, 

Dans  ce  halo  de  linge  où  le  front  s'angélise. 

Oh  !  vous  qui  m'êtes  plus  que  pour  d'autres  des  sœurs 

Chastes  dans  votre  robe  à  plis  qui  se  balance, 

G  vous  mes  sœurs  en  Notre  Mère,  le  Silence  ! 

{Le  Règne  du  Silence  :  Du,  Silence.  Fasquelle.) 

EN  PROVINCE... 

En  province,  dans  la  langueur  matutinalo. 

Tinte  le  carillon,  tinte  dans  la  douceur 

De  l'aube  qui  regarde  avec  des  yeux  de  sœur. 

Tinte  le  carillon,  —  et  sa  musique  pâle 

S'effeuille  fleur  à  fleur  sur  les  toits  d'alentour. 

Et  sur  les  escaliers  des  pignons  noirs  s'elTeuille 

Comme  un  bouquet  de  sons  mouillés  que  le  vent  cueille 

Musique  du  matin  qui  tombe  de  la  tour, 

Qui  tombe  de  très  loin  en  guirlandes  fanées, 

Qui  tombe  de  Naguère  en  invisibles  lis, 

En  pétales  si  lents,  si  froids  et  si  pâlis, 

Qu'ils  semblent  s'effeuiller  du  front  mort  des  Années  I 

[Le  Règne  du  Silence  :  Du  Silence.  Fasqnelle.) 


O   VILLE,  TOI  MA  SŒUR..: 

0  ville,  toi  ma  sœur  à  qui  je  suis  pareil, 
Ville  déchue,  en  proie  aux  cloches,  tous  les  deux 
Nous  ne  connaissons  plus  les  vaisseaux  hasardeux 
Pendant  comme  des  seins  leurs  voiles  au  soleil, 
Comme  des  seins  gonflés  par  l'amour  de  la  mer. 
Nous  sommes  tous  les  deux  la  ville  en  deuil  qui  dort 
Et  n'a  plus  de  vaisseaux  parmi  son  port  amer, 
Les  vaisseaux  qui  jadis  y  miraient  leurs  flancs  d'or  ; 


aiORais  noDiNBAca  17' 

Plus  de  bruits,  de  reflets...  Les  glaives  des  roseaux 

Ont  un  air  de  tenir  prisonnières  les  eaux, 

Les  eaux  vides,  les  eaux  veuves,  où  le  vent  seul 

Circule  comme  pour  les  étendre  en  linceul... 

Nous  sommes  tous  les  deux  la  tristesse  d'un  port 

Toi,  ville  !  toi  ma  sœur  douloureuse  qui  n'as 

Que  du  silence  et  le  regret  des  anciens  mâts  : 

Moi,  dont  la  vie  aussi  n'est  qu'un  grand  canal  mort  I 


Qu'importe  !  dans  l'eau  vide  on  voit  mieux  tout  le  ciel, 

Tout  le  ciel  qui  descend  dans  l'eau  clarifiée, 

Qui  descend  dans  ma  vie  aussi  pacifiée. 

Or,  ceci  n'est-ce  pas  l'honneur  essentiel 

—  Au  lieu  des  vaissaux  vains  qui  s'agitaient  en  elles,  — 

De  refléter  les  grands  nuages  voyageant, 

De  redire  en  miroir  les  choses  éternelles, 

D'angeliser  d'azur  leur  nonchaloir  changeant, 

Et  de  répercuter  en  mirage  sonore 

La  mort  du  jour  pleuré  par  les  cuivres  du  soir  l 

Or  c'est  pour  être  ainsi  souples  à  son  vouloir 

Que  le  ciel  lointain,  l'une  et  l'autre,  nous  colore 

Et  décalque  dans  nous  ses  jardins  de  douceur 

0  toi,  mon  Ame,  et  toi.  Ville  Morte,  ma  sœurl 


I 


Et  c'est  pour  être  ainsi  que  l'une  et  l'autre  est  digne 
De  la  toute-présence  en  elle  d'un  doux  cygne, 
Le  cygne  d'un  beau  rêve  acquis  à  ce  silence 
Qui  s'effaroucherait  d'un  peu  de  violence 
Va  qui  n'arrive  là  flotter  comme  une  palme 
Qu'à  cause  du  repos,  à  cause  du  grand  calmft. 
Cygne  blanc  dont  la  queue  ouverte  se  déploie, 
—  Barque  de  clair  de  lune  et  gondole  de  soie  — 
Cygne  blanc,  argentant  l'ennui  des  mornes  vilKiy 
Oui  hérisse  parfois  dans  les  canaux  tranquilles 
Sou  candide  duvet  tout  impressionnable; 

10. 


«74  *POiTIS    D  AUJOURD  HUI 

Puis,  quand  tombe  le  soir,  carjçué  comme  les  voiles, 
—  Dédaignant  le  voyage  et  la  mer  navigable  — 
Sommeille,  l'aile  close,  en  couvant  des  étoiles  I 

{Le  Règne  du  Silence.  FAsquélIc.) 

ÈPILOGUB 

C'est  l'automne,  la  pluie  et  la  mort  de  l'année! 
La  mort  de  la  jeunesse  et  du  seul  noble  effort 
Auquel  nous  songerons  à  l'heure  de  la  mort  : 
L'effort  de  se  survivre  en  l'Œuvre  terminée. 

Mais  c'est  la  fin  de  cet  espoir,  du  grand  espoir, 
Et  c'est  la  fin  d'un  rêve  aussi  vain  que  les  autres  : 
Le  nom  du  Dieu  s'efface  aux  lèvres  des  apôtres 
Et  le  plus  vigilant  trahit  avant  le  soir. 

Guirlandes  de  la  gloire,  ah!  vaines,  toujours  vaines! 
Mais  c'est  triste  pourtant  quand  oti  avait  rêvé 
De  ne  pas  trop  périr  et  d'être  uù  peu  sauvé 
Et  de  laisser  de  soi  dans  les  barques  humaines. 

Las!  le  rose  de  moi  je  le  sens  défleurir, 
Je  le  sens  qui  se  fane  et  je  sens  qu'on  le  cueille  1 
Mon  sang  ne  coule  pas;  on  dirait  qu'il  s'effeuille... 
Et  puisque  la  nuit  vient,  —  j'ai  sommeil  de  mourir  ! 

{Le  Règne  du  Silence.  Fasquelle) 

C'EST  OCTOBRE  QUI  S'EN  REVIENT... 

C'est  Octobre  qui  s'en  revient  avec  le  Soir  ; 
Frères  pensifs,  ils  reviennent  de  compagnie 
S'installer  dans  la  chambre  et  devant  le  miroir 
Dont  la  clarté  prolonge  un  éclat  qui  les  nie  ; 
Frères  lointains,  envers  lesquels  on  eut  des  torts 
Qui  rapportent  un  peu  de  fleurs  des  jardins  morts 
Pour  les  intercaler  dans  les  fleurs  des  tentures. 
Les  tentures  de  demi-deuil  de  la  Toussaint. 
C'est  le  soir,  c'est  Octobre  ;  une  cloche  se  plaiot 


•lOnaSS   KODKNBACH  lyS 


SoDgeant  confusément  à  des  cloches  futiirr^ 

Dont  la  tristesse  en  pleurs  dans  notre  âme  est  déjà! 

Le  Soir  s'installe  et  rien  de  précis  ne  subsiste; 

Octobre  aussi  s'installe  et  nous  revient  plus  triste 

Depuis  tous  ces  lung«  mois  où  seul  il  voyagea 

Durant  l'année,  à  la  recherche  de  notre  Amel 

Il  la  retrouve  enfin,  et  doucement  la  blâme 

De  l'avoir  attendu  pour  faire  accueil  au  soir, 

Et  qu'elle  soit  encor  si  profane  aux  approches 

De  la  Toussaint  qui  vient  par  un  chemin  de  cloches... 

Alors  Octobre,  auprès  du  soir,  songe  à  s'asseoir  ; 

Et  notre  âme  s'éplore  en  voyant,  face  à  face, 

Ces  deux  hôtes  causer  de  sa  mort  à  voix  basse  ! 

{Les  Viei  encloses.  Fasquelie. 


LB  MALADE  SOUVENT... 

Le  malade  souvent  examine  ses  mains, 
Si  pâles,  n'ayant  plus  que  des  gestes  bénins 
De  sacerdoce  et  d'offices,  à  peine  humaines; 
Il  consulte  ses  mains,  ses  doigts  trop  délicats 
Qui,  plus  que  le  visage,  élucident  son  cas 
Avec  leur  maigre  ivoire  et  leurs  débiles  veines. 

Surtout  le  soir,  il  les  considère  en  songeant 
Parmi  le  crépuscule,  automne  des  journées. 
Et  dans  elles,  qui  sont  longues  d'être  affinées. 
Voit  son  mal  comme  hors  de  lui  se  prolonijcant, 
Mains  pâles  d'autant  plus  que  l'obscurité  tombe  I 
Elles  semblent  s'aimer  et  semblent  s'appeler  ; 
Elles  ont  des  blancheurs  frileuses  de  colombe 
Et,  bveltes,  on  dirait  qu'elles  vont  s'envoler. 
Elles  font  sur  l'air  des  taches  surnaturelles 
Comme  si  du  nouveau  clair  de  lune  en  chemin 
Entrait  par  la  fenêtre  et  se  posait  sur  elles. 
Or  la  pâleur  est  la  même  sur  chaque  main. 
Et  le  malade  songe  à  ses  mains  anciennes; 


176  poAtu  d'aujourd'hui 

Il  ne  reconnaît  plus  ces  mains  pâles  pour  siennes  ; 
Tel  un  petit  enfant  qui  voit  ses  mains  dans  l'eau. 

Puis  le  malade  mire  au  miroir  sans  mémoire 

—  Le  miroir  qui  concentre  un  moment  son  eau  noire  — 

Ses  mains  qu'il  voit  sombrer  comme  un  couple  jumeau  ; 

O  vorace  fontaine,  obstinée  et  maigrie. 

Où  le  malade  suit  ses  mains,  dans  quel  recul  1 

Couple  blanc  qui  s'enfonce  et  de  plus  en  plus  nul 

Jusqu'à  ce  que  l'eau  du  miroir  se  soit  tarie. 

n  songe  alors  qu'il  va  bientôt  ne  plus  pouvoir 

Les  suivre,  quand  sera  total  l'afflux  du  soir 

Dans  cette  eau  du  profond  miroir  toute  réduite  ; 

Et  n'est-ce  pas  les  voir  mourir,  que  cette  fuite? 

{Les  Vies  encloses,  FasqiielleJ^ 

LES  YEUX  DES  FEMMES... 

Les  yeux  des  femmes  sont  des  Méditerranée» 

Faites  d'azur  et  de  l'écume  des  années 

Où  l'âme  s'aventure    en  sa  jeune  saison. 

Quelles  mers  sont  là-bas,  derrière  l'horizon, 

Qui  déferlent  autour  de  ces  îles  jumelles  ? 

En  quel  golfe  atterrir  au  fond  bleu  des  prunelles  ? 

L'infini  s'y  recule  en  un  roulis  berceur  ; 
Et  l'âme  part,  dérive,  en  proie  aux  vents  rebelles, 
S'extasiant  parmi  les  yeux  des  femmes  belles. 
Mais  parfois  l'ouragan  convulsé  leur  douceur 
Et  l'âme  va  toucher  les  récifs  des  traîtrises  ; 
Elle  se  heurte  à  des  banquises  de  froideur  : 
Climats  gelés,  glaçons,  brouillards,  régions  grises  ; 
Où  navigue  soudain  sous  un  rouge  équateur  : 
Flammes  d'orgueil,  corail  sanguin  de  la  luxure. 
Feux  convergeant  de  fleuves  chauds  qu'on  ne  voit  pas. 
Que  d'embûches  cachait  ce  piège  qui  s'azure  1 

L'âme  est  désemparée  en  de  muets  combats 
Et  bientôt  se  mutile,  abandonnant  ses  voiles. 


OBOnOBS    RODBNBACB  I77 

Vidant  ses  filets  noirs  de  sa  pêche  d'étoiles, 
SacriKant  ses  mAts  pour  se  sauver  un  peu, 
Jetant  cargaison,  or,  tout,  dans  l'abîme  bleu  1 

Enfin,  un  soir  que  c'est  la  fin  de  sa  jeunesse, 
L'ôme  s'amarre  ;  elle  est  édifiée  et  cesse 
D'appareiller  parmi  les  beaux  yeux  spacieux... 

Ah  I  ce  leurre  d'aller  royager  dans  les  yeux  I 

(Les  Vies  tnclotet  :  L$  Voyage  dans  le»  yeux.  Fasquelle.) 


PAUI^NAPOLÉON  ROINARD 


M.  Paul-NapoWon  Roinard  est  né  à  Nenfchâtel-en-Bray  (Seine- 
Inférieure),  le  4  février  i856.  Jl  est  l'un  des  derniers  types  de  l'écri- 
vain bohème,  irréguliw,  afPranchi  des  contingences,  sauva^re  et 
dédaigneux.  Après  avoir  passé  son  enfance  jusqu'à  douze  ans  à 
Neufchâtel-en-Bray,  il  fit  ses  études  au  lycée  de  Rouen,  mauTais 
élève  au  possible,  il  s'en  fait  un  peu  gloire.  A  vingt  ans,  après 
une  lutte  opiniâtre  avec  sa  famille,  il  vint  à  Paris,  où  il  arriva  au 
milieu  d'un  ora^^c  épouvantable,  après  un  tamponnement  sous  le 
tunnel  des  BatignoUes,  circonstances  où  il  voit  encore  un  présage 
à  tous  ses  malheurs.  Elève  à  la  fois  à  l'Ecole  des  Beaux- Arts  et  à 
l'Ecole  de  médecine,  il  se  mit  en  même  temps  à  écrire  des  millieni 
de  vers  qu'il  a  détruits  depuis,  au  nombre  desquels  un  drame  : 
Savonarole,  et  un  proverbe  :  En  tout  il  faut  considérer  la  fin,  qu'il 
offrit  alors  inutilement  au  Théâtre-Français.  Brouillé  avec  sa  famille, 
après  un  an  de  service  militaire  au  ii*  régiment  de  ligne,  il  mena 
alors  pendant  sept  années  une  vie  de  misère,  manquant  de  tout,  même 
de  gtte. Grâce  à  sa  santé  robuste,  il  s'en  sortit, et  finit  par  vivre  tant 
bien  que  mal  en  utilisant  ses  talents  de  peintredans  de  la  peinture  pour 
l'exportation,  ses  talents  de  poète  à  rimer  des  devises  pour  papillotes 
de  confiseurs,  ettoute  sa  bonne  volonté  dans  diverses  besognes,  comme 
un  emploi  à  la  Société  générale,  d'où  le  firent  congédier  dès  le  pre- 
mier mois  de  formidables  erreurs  dans  ses  comptes.  La  peinture 
pour  l'exportation  allait  si  bien  qu'il  put  bientôt  se  remettre  à  la 
poésie,  —  la  vraie  — ,  et  publier,  en  1886,  son  premier  recueil  de 
vers:  No$  Plaies,  livre  de  révolte  intellectuelle  et  sociale,  satire 
■mère  et  dure.  Ce  livre  l'introduisit  dans  les  milieux  littéraires.  Il 
fréquenta  le  Chat  Noir,  fonda  avec  quelques  amis  la  Société  La 
Butte,  d'où  devait  sortir  le  mouvement  libertaire  et  qui  donna  son 
f.r,nrf^-y—  h  la  première  représentation  du  Théâtre  Libre  ;  il  dirige» 

xjtt  Revue  Sep^  ■     ,   ■       ,         „  i         ■    j-  .j-         . 

.  _        .  ..rtJrntr tonale,  collabora  a  divers  quotidiens  et  revues, 

notamment  k  L  Ec,  '  ^    ,  .  ,  , 

^o  d«  Franc*.  Ce  fut  quelque  chose  comme  sa 


belle  époque.  On  vint  même  un  jour  le  solliciter  d'écrire  un  ouvra- 
ge «D  vers,  —  il  ne  nous  a  pas  dit  à  quelle  occasion  ni  sur  quel 
sujet, —  pour  lequel  on  s'ensfagt'ail  à  le  faire  décorer.  Mais  la  croix, 
le  moindre  rûbau,  c'était  pour  lui  l'enré^imentemcnt  dans  le  buiail- 
lon  commun.  11  refusa,  Dublement,  et  l'ou  dut  chercher  ailleurs 
un  poète  plus  serviable,  sinon  aussi  bien  doué.  Retiré  à  l'écart  de 
1889  à  iSgi,  M.  Koioard  s'appliqua  à  retirer  de  la  circulation  tous 
les  exemplaires  de  Nos  Plaies  qu'il  put  rencontrer,  et  conçut  l'idée  de 
son  livre  :  La  Mort  da  Rèut,dont  les  premiers  fragments  parurent 
dans  la  seconde  Pléiade.  Il  reparut  dans  le  monde  littéraire  en  mai 
i8gi,  pour  fonder  avec  M.  Zo  d'Axa  le  journal  anarchiste  L'En 
Dehors:.  11  donna  au  Théâtre  d'Art  une  adaptation  du  Cantique  de* 
Cantiques,  dont  il  avait  lui-m*^me  composé  la  décoration.  Cette  ten- 
tative n'eut  pas  un  résultat  absulunieut  heureux.  M.  Roinard  avait 
voulu  faire  intervenir  les  parfums  comme  moyens  d'évocation  scéni- 
que.  Cela  parut  si  nouvran  qu'on  le  traita  de  fou.  M.  Roinard  prit 
ensuite  la  Direction  des f'ssa/.s-  d'Art  libre,  où  ilorganisa,  en  i8g4, 
L Exposition  des  Portraits  du  prochain  siècle,  qui  eut  lieu  chez  le 
Barc  de  Bouteville.  Les  Portraits  du  prochain  siècle,  c'étaient  lea 
portraits  des  jeunes  écrivains  et  artistes  qui  devaient  être  un  jour 
de  grands  artistes  et  de  i^^rands  écrivains.  M.  Roinard  compléta 
même  le  sens  de  cette  exposition  en  publiant  un  volume  de  biogra- 
phies de  tous  ces  futurs  grands  hommes,  au  nombre  desquels  lui- 
même  figurait.  Cette  nouvelle  tentative  ne  fut  pas  moins  bien 
accueillie  que  l'introduction  des  parfums  sur  la  scène.  On  se  moqua, 
on  ridiculisa,  et  M.  Roinard  dut  garder  en  carton  deux  autres 
volumes  consacrés  aux  musiciens  et  aux  savants  de  l'avenir.  Un 
moment,  il  pensa  revenir  définitivement  à  la  peinture  pour  l'expor- 
tation. Il  persévéra  néanmoins  quelque  temps,  fréquenta  Le  Club 
d'Art  Social,  puisénfin  se  retira  de  nouveau  à  l'écart, pourtcrire  un 
grand  drame  de  synthèse  révolutionnaire:  La  Légende  roufe, dont 
l'idée  le  hantait.  Au  moment  où  il  allait  le  commencer,  les  catas- 
trophes recommencèrent.  Saisi,  expulsé,  il  se  vit  jeter  à  la  rue, 
dépossédé  de  tout,  et  obligé  de  chercher  un  autre  asile.  Il  est  vrai 
qu'il  eut  dans  ces  ennuis  une  belle  consolation  comme  poète.  Un 
brocanteur  acheta  en  bloc  à  la  vente  tous  les  exemplaires  de  No$ 
Plaies  que  M.  Roinard  avait  si  patiemment  soustraits  à  la  curiosité 
du  public  et  eo  garnit  toutes  les  boîtes  des  quais,  au  point  qu'il 
n'était  pas  m>  bouquiniste  qui  n'en  eût  sa  part.  Puis  vint  le  Procès 
des  Trente, intenté  parle  gouvernementaux  anarchistes.  M.  Romard 
se  sentit  compromis  par  sa  participation  à  la  Société  La  Batte,  sa 
fréquentation  au  Club  d'Art  Social,  sa  collaboration  à  l.'En 
Dehors  et  sou  xèle  à  répandre  les  listes  de  piotfstations  contre 
l'cKpulsioa   éa  M.  Alexandre   Cohen  et  l'arresiatioa  d«  M.   Jmu» 


i8o  poiTBs  d'aujouhd'hui 


Grave.  Il  pensa  que  le  premier  de  voir  d'un  homme  passionné  pour 
la  liberté  était  de  la  conserver,  et  la  nuit  même  du  verdict,  sans 
céder  à  la  curiosité  de  le  connaître,  il  partit  pour  Bruxelles,  exilé 
volontaire,  comme  autrefois  Victor  Hugo.  Il  n'y  avait  d'ailleurs  à 
ce  départ  aucune  raison  sérieuse.  M.  Roinard  n'était  nullement 
compromis.  Jamais  on  n'avait  pensé  à  lui.  Sou  nom  n'avait  même 
pas  été  prononcé.  Son  imagination  de  poète  avait  seule  tout  fait. 
Arrivé  à  Bruxelles  avec  cent  sous  en  poche,  M.  Roinard  vécut  là 
au  moyen  de  dessins  au  Pelit  Bleu,  d'articles  dans  des  revues, 
faisant  de  l'aréostation,  de  la  littérature  et  de  la  peinture,  jusqu'à 
des  affiches  qu'on  lui  commandait  et  qu'on  lui  laissait  pour  compte, 
manquant  une  fois  d'être  expulsé  comme  anarchiste,  une  autre- 
fois jouant  Joad  dans  une  représentation  à'Athalie  avec  le  comédien 
Raymond,  trouvant  encore  le  temps,  au  milieu  de  cette  vie  active, 
de  flâner,  de  rêver,  de  bavarder  arec  des  artistes  et  des  écrivains, 
et  même  de  travailler  à  sa  grande  oeuvre  Les  Miroirs,  pièce  en 
cinq  actes  et  en  vers.  Au  bout  de  deux  ans,  jour  pour  jour,  il 
revint  A  Paris.  L'exil  ne  l'avait  changé  en  rien.  Sa  tortunc  s'était 
seulement  un  peu  augmentée.  Parti  avec  cinq  francs,  il  revenait 
avec  cinq  francs  dix.  Aussitôt  rentré  à  Paris,  M.  Roinard  songea  à 
faire  représenter  Les  lUiroirs.  Il  ouvrit  dans  ce  but  une  souscrip- 
tion. Mais  là  encore  le  poète  avait  compté  sans  sa  chance.  Tout  était 
prêt  et  on  allait  jouer,  quand,  sous  l'eAFet  de  l'affaire  Dreyfus,  les 
souscripteurs  s'éclipsèrent,  laissant  le  rideau  baissé  sur  l'œuvre  et 
ses  interprètes.  Cette  réussite  dramatique  à  tous  égards,  —  huit 
cents  francs  y  avaient  été  dépensés  en  pure  perte,  —  fit  presque 
regretter  à  M.  Roinard  sa  bonne  vie  pittoresque  sur  la  terre  de 
Belgique.  Il  s«  décida  à  revenir  exclusivement  à  ses  poèmes  et  se 
remit  à  travailler  à  son  livre  :  La  Mort  du  Rêve,  qu'il  publia  en 
190a,  et  à  l'occasion  duquel  un  banquet  lui  fut  offert,  le  aS  juin  de 
la  même  année,  par  des  artistes  et  des  écrivains,  sous  la  présidence 
de  M.  Rodin.  Naturellement,  nous  fait  remarquer  M.  Roinard,  la 
presse  fit  le  plus  unanime  silence  sur  cet  important  événement. 
Depuis  cette  époque.  M.  Roinard  ne  travaille  plus  guère —  a  décou- 
ragé, malade,  retiré,  blotti  à  Bclleville  dans  un  coin  de  grand  air  et 

sous  un  nid  de  feuilles,  rendant  à  Paris  silence  pour  silence  ».  

/eut-être  aurons-nous  cependant  un  jour  un  nouveau  livre  de  lui, 
avec  son  drame,  Les  Miroirs,  pour  la  publication  duquel  la  revue 
La  Phalange  a  ouvert  une  souscription. 

M.  Roinard  a  collaboré  à  L'Avenir  de  Rouen,  à  La  Hève,  à  La 
Revue  septentrionale,  k  L'Alcesie,na  Parisien,  k  L'Echo  de  France, 
i  L'En  dehors,  aux  Essais  d'art  libre,  au  Mercure  de  France,  à 
La  Plume,  au  Petit  Bleu  et  au  Public  de  Bruxelles,  i  La  Revue 
tncyclopédiga*,  à  L'Humanité,  «u  Journal  d»  Parié,  à  La  R$vu$ 


rAUL-MAPOLiON   IIOINAIID  l8l 


des  Beaux-Art»  et  de»  Lettre»,  «a  Réveil,  «u  Beffroi,  k  La  Pha- 
lange, à  La  Revu»  de  Pari»  et  de  Champagne,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  isuviiKs.  —  Nos  plaies,  poésies,  courertore  dessinée  par  l'auteur.  Pans, 
Soc.  Typograpliiqno,  1886,  iu-18.  —  ChauBOn  d'Ainour,  poésie,  iuu6i({ue 
(lo  Louis  liesse.  Paris,  Durdilly.  s.  d.,  eu  fouille.  —  Six  étages,  récit  en 
vers,  i'aris,  Ed.  Girard,  s.  d.,  en  feuille.  —  Berceuse,  i>oésie,  s.  1.  n.  d 
[Paris,  Kd.  Girard],  2  ff.,  la  courerture  sert- de  litre  (50  exenipl.). —  A  Dieu, 
s'il  existe.  Paris,  chez  l'auteur,  7,  rue  Pixérécourt,  s.  d.,  eu  feuille,  —  La 
Mort  du  itève,  poèmes.  Pari«,  Soc.  du  Mercure  de  France,  190i,  iu-8.  — 
Sur  l'Avenue  sans  llu,  poème.  ParU  et  Reimi,  Revue  de  Paris  et  de 
Cliampagne  (et  chei  l'auteur),  1906,  in-8. 

Pour  pahaitrs.  —  Les  Miroir»,  moralité  lyrique  en  cinq  phase*  et  en  vers 
(Ed.  de«  la  Phalange  .). 

Préfacks  et  notices.  —  Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard, 
1894, iu-18.—  Q'iuvros  posthumes  de  Paul  Audrlcuurt.  Paris,  Mouillot, 
1902,  iu-18.  —  Soirée  d'Art  social.  Programme  illustré  par  Deluermox. 

On  trouve,  en  outre,  des  poc^'nies  de  P.-N.  Koiuard  dans  les  ouvrages  sui- 
vants :  l*uètes  du  Muni,  1880-1002,  morceaux  choisis  publiés  par 
A.-M.Gossez.  Paris,  OllcnJoifl',  1U02,  in-18;  Authologle  des  Poètes  nor- 
inauds  coutenipuraius,  pa^'^l.-C.  Poinsol.  Paris,  Flour)|||s.  d.,  in-i8 

EiiHu,  ou  doit  au  même  auteur  une  traduction  du  Cantique  des  CauUquett 
représentée,  avec  la  musirjiio  de  M"*  Flameu  de  Labrély,  au  Théâtre  d'Art  en 
décembre  1891  (non  publiée). 

A  CONSULTER.  —  LéoD  Uloy  :  Léon  Rloy  devant  les  cochons.  Paris,  Gw- 
Qiuel,  1894,  in-18;  Zc  Mendiant  ingrat.  Bruxelles,  Ueman,  1898,  in-18.  — 
Georoes  I)oc(|uois  :  Le  Congrès  des  Poètes.  Paris,  Bibliothèque  artistique 
et  littéraire,  1894,  ia-16.  —  A.-M.  Gossez  :  Poètes  du  Nord.  I8S0-I903, 
morceaux  choisis,  accompagnés  d'un  essai  bio-bibliographique,  etc.  Paris,  Ollen- 
dorCf,  1902,  in-18.  —  Julien  Lecleroq  :  Boinard,  notice  dans  Les  Portrait» 
du  prochain  siècle.  Paris,  Giiaid,  1894,  iu-18.  —  M.-C.  Poinsot  :  Anthologie 
de»  poètes  normand»  contemporain»  (Portraits  de  P.-N.  Roinard).  Paris, 
Floury,  s.  d.,  in-16. 

Anonyme  :  Banquet  d  Boinard.  La  Plume,  15  juin  1902.  —  Anonyme  : 
Echus  Les  Fêles  Cornéliennes  de  Boutn.  Mercure  de  France,  juillet  1004. 
I.éou  Bocquet  :  P.-N.  Boinard.  Le  Beffroi  (Lille),  octobre  1902.  — 
m  Court  :  Le  Cantique  de»  Cantiques  au  Tliédlre  d'Art.  Mercure  de 
I  rauce,  janvier  1892.  —  Féltcien  Fagus  :  P.-N.  Boinard.  La  Revue  des 
Beaux-Arts  et  des  Lettres,  1"  mai  1899;  Sur  le  même.  Revue  Blanche, 
1"  novembre  1002. 

Iconographie  : 

Louis  Auquetln  :  Portrait  d  rkuile,  188S  (appartient  à  M.  Roioard)  ; 
Portrait  d  r/iui7e[  Exposition  des  Portraits  du  prochain  siècle,  chei  Le  Barc 
de  Boulcville,  iS93J  (appartient  h  M.  Roinard),  reprod.  dans  la  Revue  Eucyclo- 
pédiiiue,  15  novembre  1803.— A.  Brlère  :  Croquis.  La  Plume,  15  juin  1892. — 
F.  CourohA  :  D«»»m  dlaplune,  reprod.  dsiu  le  Mesiager  Pamieu,  18M.— 

■  11 


i8a  p<% 


POSTES    D  AUVOURD  HUI 


Frédéric  Front  :  Portrait,  publié  dans  la  Re<nM  des  Beaux-Arts  et  de» 
Lettres,  1"  mai  1899.—  Alfred  Ko  Petit  :  Caricature,  1884.  —  P.-N.  Hol- 
nard  :  PortmiU  à  l'huile,  1901  et  19G7  («ppMi.  à  VMitattt)<  —  CroduU, 
dans  le  Petit  Bleu,  30  juin  1902,  etc... 


FIDE^B  SOUVENANGB 

I 

J'ai  dans  ma  vie  un  lieii  joli, 

Un  joli  lieu  d'intime  amour  et  de  fiMe 

Secrète  : 

Ua  pan  de  ciel,  avec  up  pli. 

Des  feuilles  vertes  sur  la  tête, 

D(is  feuilles  mortes  sous  les  pieds,  un  joli 

Lieu  (i'.\mour  grand  comme  un  lit 

De  fillette. 

Au  loin  sur  la  mer  ime  voile  parUit. 

n 

J'ai  rians  ma  vie  un  joli  lieu 

Dtî  r.H-e  doux  et  de  retraite  sainte. 

Lieu  parfumé  par  les  baumes  ;  un  peu  de  bien 

Vera  l'Orient,  c'est  la  forêt  et  son  étreinte 

Aux  uJUe  bras  ;  un  peu 

De  vent  vers  l'Occident,  c'est  la  mer  et  sa  plainte. 

Au  loin  sur  la  terre  une  vieille  chantait. 

H) 

J'ai  dans  ma  vie  un  joli 

Liçu  d'amour  dont  mon  Ame  est  toute  plein*. 

Refuge  cher,  tout  au  loin  du  vulgaire  oubli, 

Margelle  en  fleurs  tout  au  bout  d'une  plaine. 

Puits  de  fraîcheur  où  se  réfléchit 

Le  rare  éclat  d'un  regard  d'inlîni 

Qui  doucement  sommeille  enseveli 

Sous  les  frissons  velus  de  la  Verveine 


wwL-tfAyçiÂott  noiNAaD  i83 

HIeue  et  de  la  blérae  Marjolaine. 
'  I  loin  sur  la  mer  une  voile  partait. 

IV 

ai  daDs  ma  vie  une  minute  d'or 
yui  tinta  si  longtemps,  qu'elle  retinte  encor 
En  ce  lieu  si  tendre,  où  je  ui'enfuis  quand  je  pleure. 
Et  c'est  là,  qu'en  beryant  l'heure 
D'autrefois  dans  un  ineffable  leurre 
Je  songe  comme  on  dort, 
Et  c'est  là  qu'en  dormant.  Dieu  veuille  que  je  meure  ! 

Au  loin  sur  la  terre  une  vieille  chantait. 

LA   voix    DBS  CBOSK8 

i'^Iu  !  qui  pour  jamais  peut  en  soi  maintenir 
L'Idéale  grandeur  d'un  pieux  Souvenir. 

•  {La  Mort  du  Rêve.) 

BERCEUSE 

Do  1  gente  Yvonne,  do  I 

Dormez  sous  l'ombre  du  rideau 
Où  la  vieillesse  inassouvie 
Et  pourtant  lasse  vous  envie. 
Do  !  do  ! 

Certes,  vous  serez  belle 

Et  bien  des  gens  vous  flatteront. 

Qui  ne  vous  aimeront 

Que  si  vous  leur  êtes  rebelle. 

Do  !  gente  Yvonne,  do  \ 

La  vie  est  lourde,  et  son  fardeau 
Sous  qui  parfois  le  cœur  dévi. 
Rend  âpre  lu  pente  gravie. 
DoUoI 


l84  POÂTBS   D'AUJfOUKo'HUI 

Vous  serez  bonne  et  sage 
Et  de  faux  sourires  mordants 
Vous  montreront  les  dents 
En  saluant  votre  passage. 

Do  1  gente  Yvonne,  do  ! 

Trois  voix  hurlant  en  crescendo 
Tentent  notre  âme  poursuivie  : 
L'orgueil,  le  désir,  et  l'envie. 
Do  1  do  ! 

Votre  jeunesse  avide 

De  voir  ce  qu'on  lui  cachera 

Hélas  !  ne  trouvera 

Partout  que  le  faux  et  le  videl 

Do  !  gente  Yvonne,  do  ! 

Le  sommeil  est  un  doux  bandeau 
Mis  entre  la  mort  et  la  vie  : 
Dormir,  c'est  exister  ravie  1 
Do  !  do  1 

Craignez  trop  de  science 
Et  gardez  vos  beaux  rêves  d'or. 
Heureux  le  cœur  qui  dort 
Dans  l'illusoire  insouciance  1 

ENVOI  : 

Do  l  gente  Yyonne,  do  ! 

Dormez  sous  l'ombre  du  rideau. 
Candide,  ignorante  et  ravie. 
Dormez,  dormez  toute  la  vie  1 
Dol  do! 

(La  Mort  du  Rêve.) 

LA  CHANSON   DE  L'OSERAIE 

I 

Des  longs  pleurs  dorés  de  blés  qu'on  vanne 
Pieu  vent  du  crible  noir  de  la  nuit, 


rACL-MArOtiOM   1101NA.KD  |85 

Et,  barré  par  la  croix  d'une  vanne. 
Le  linceul  de  la  rivière  luit 
Au  travers  de  spectres  qu'il  profile 
Et  dont  semblent  les  têtes  vers  lui 
Prosterner  leurs  sanglots  à  la  file. 

Le  Râle  du  vent  sourd 
Lonre  et  reloure  une  houle  d'amour. 

n 

De  l'aube  rose  et  de  la  rosée 

Monte  un  vol,  gazouilleur,  comme  un  ch  mnr 

De  baisers,  d'un  chevet  d'épousée. 

Couleur  du  soleil,  couleur  de  cœur. 

Flambe  l'osier  jaune  et  violâtre  l 

Il  pétillera  de  l'or  vainqueur, 

Cet  hiver,  dans  la  bourse  et  dans  l'Âtre  I 

Le  Râle  du  vent  sourd 
Loore  et  reloure  une  houle  d'amonr. 

m 

Tel  qa'nn  vaste  cliquetis  d'épées. 
Midi  vibre  en  les  osiers  trembleurs. 
Les  amants,  des  cheveux  des  cépées, 
Tresseront,  sous  leurs  doigts  cajoleurs, 
La  Ruche  d'usage  pour  l'abeille. 
Ruche  offerte  au  miel  des  vierges  fleurs. 
Et  pour  les  noces  une  corbeille. 

Le  Râle  du  vent  sourd 
Loure  et  reloure  une  houle  d'amour. 

rv 

A  ftri  l'abeille  vers  l'oseraie, 

Fui  la  corbeille  sans  orangers  : 

Les  vieux  troncs  morts  dont  le  soir  s'eiîraie 


iW  roÉTBS  d'aujtouiid'hiji 


Sifflent  un  bruit  de  crânes  ronj^és... 
Pour  baiser,  la  gouine  eut  l'élrivière. 
Pour  collier,  trois  brins  d'osier  chargés 
îyvum  pierre,  et,  pour  ]it,  la  rivière  !.. 

Le  Râle  du  vent  sourd 
LcNire  et  reloure  une  houle  d'amour. 

{La  Mort  du  Rêve,) 

RBQRBTS  DB  L'AUULB 

FUes  l'or  soyeux  de  voa  baisers  tressé», 

Filez  ses  linons,  ses  linons  éphémères, 

Car  vos  fuseaux  bUncs,  sous  vos  doigts  de  grand'mères, 

Pileroat  le  lin,  le  lin  des  trépassés. 

Te  rappelles-ta  mou  roile  d'épousée 

Où,  vierges,  tremblaient  d'altiers  fleurons  de  mai  ? 

Qu'alors  tu  m'aimas  et  qu'Slôrs  je  t'aimai  ! 

Que  ce  temps  est  loin  dàii*  ina  toédioire  Usée  1 

D'abord  tu  ne  sus  qu'effeuiller  les  verdeur* 
Des  ehastes  amours  qu'à  peine  l'on  e£Fane, 
N'osant  égrener  le  rosaire  profane 
Que  te  défendaient  mes  dévotes  pudeurs. 

Tes  baisers  subis  m'outrèrent  de  leurs  dîmes^ 
Toi,  par  tes  égards,  et  moi,  par  mes  refus> 
Niaise  que  j'étais  et  faible  que  tu  fus^ 
Quels  jeunes  instants  précieux  nous    perdtmes! 

Pourtant,  mal  gardés  d'enclos  très  anodins, 
Voisins  plus  voisins  par  l'attrait  des  caresiie», 
Nos  corps  curieux  de  leurs  beautés  pairesses 
Entraient  l'un  chez  l'autre  ainsi  que  deux  jardins. 

Puis  lasse,  bientôt,  d'insaveurs  trop  pareilles 
Et  rêvant  de  fruits  que  tu  disais  meilleurs. 
Je  cueillis  l'ivresse  au  fond  des  gazouilleura 
Eucbcvâtrements  dont  frissonnent  les  treilles. 


VAOL-HArOLiON    HOmARD  iS'J 


Soudain  s'éclaira  des  charmes  irs  puis  cners 
Noire  intimité  lentement  détrrafée, 
El  beau  comme  un  dieu,  belle  comme  une  fée. 
Nous  flme«  le  tour  de  nos  Ëdens  de  chairSt 

Dès  Ion  tes  désirs  butinant  au  passage 
La  pulpe  imprérue  aux  a^(^m«s  si  bons, 
Pàmèreiil  mes  sens  bouleversés  de  bonds 
A  Caire  jaillir  seins  et  cœur  du  corsage. 

Ob  !  la  fine  orgie  exquise  d'Apreté 
Quand  la  folle  Mvre  ardente  désaltère 
Sa  soif  d'inconnu  dans  le  feuillu  mystère 
Oi^  point  le  plaisir  dmi  encore  goûte  ! 

H -las  I...  maintenant  que  d'ingrates  années 
Brouillent  nos  yeux  creux,  ligotent  nos  frnnta  lai, 
El  ceignent  nos  flancs  de  hideux  entrelacs, 
Pourquoi  eet  orgueil  de  nos  vigueurs  llanécsf 

Nos  baiserii  sont  morts  de  notis  avoir  vieillie  I 
Noos  avons,  ehacub,  l'isolement  d'une  île, 
A  quoi  bon  fleurir  notre  laideur  .sénile 
Deé  primes-azur^  à  juuiaiu  dcbleuis. 

Puisque  a  ftii  Je  temps  veroal  et  fAstnnire 
I)i\s  formes  «'offrant  sans  honte  de  leur  no, 
Linceulous  d'oubli  notre  passé  charnu 
De  squelettes  mûr(<  pour  un  autre  suaire. 

Filez  l'or  soyeux  de  vos  baisov  trea«ës> 

Filez  ses  linons,  ses  linons  éphémè^iss. 

Car  vos  fuseaux  blanes,  sous  tm  i^gts  de  grand 'mères, 

FileroBt  le  lin,  le  lin  des  trépassée. 

LA  VOIX  DkS  dOfilS 

Je  voudrais  que.  esins  pleur,  sans  fttùgtté  e(  sans  trêve, 
On  s'aiiviAt  d'un  aroOur  toujours  reaoutielé. 
Si  j'avais  orée  le  IU««. 

{La  Mort  du  RéiM.) 


SAINT-POL-ROUX 
1861 


M.  PanI  Ronx,  qui  signe  en  littérature  Saint-Pol-Roux,  est  né  à 
Saint-Henri,  dans  la  banlieue  de  Marseille,  le  i5  janvier  1861.  Il 
fit  partie,  comme  on  l'a  tu  dans  des  notices  précédentes,  du  cercle 
d'écrivains  de  La  Pléiade,  oii  il  débuta  en  1 886.  Ce  fut  cette  même 
année  qu'il  publia  sa  première  plaquette  :  Lazare,  poème,  suivie  en 
1889  d'une  autre  plaquette  :  Le  Bouc  émissaire,  poème.  Il  collabora 
ensuite  à  tontes  les  revues  de  l'époque,  au  premier  rang  des  poètet 
du  mouvement  symboliste.  C'était  le  temps  où  on  l'appelait  Saint- 
Pol-Roux-le-Magnifîque.  «Et  il  paraît  qu'il  méritait  bien  ce  surnom, 
tant  à  cause  de  la  splendeur  de  ses  costumes  que  par  la  beauté  tru- 
culente de  ses  discours  (i).  »  En  1896,  M.  Saint-Pol-Roux  alla 
passer  deux  ans  dans  la  forêt  des  Ârdennes,  en  Luxembourg,  où  il 
écrivit  un  drame,  La  Dame  à  la  Faalx,  tragédie,  qu'il  fit  paraître 
en  1899,  et  qu'il  fut  un  moment  question  de  représenter  à  la  Co- 
médie Française.  II  se  retira  ensuite  en  Bretagne,  à  Roscanvel, 
dans  une  chaumière.  Il  vécut  là  sept  années.  Deux  nouveaux  dra- 
mes, encore  inédits  aujourd'hui,  naquirent  de  cette  retraite  :  La 
Dame  en  or  et  Les  Péchears  de  Sardines.  Depuis,  M.  Saint-Pol- 
Roux  s'est  fixé  sur  les  dunes  de  Camaret  (Finistère)  où  il  s'est  fait 
construire  un  manoir  et  où  il  vit  avec  sa  femme  et  ses  enfants, 
«  au  milieu  d'une  natnre  qu'il  adore,  parmi  des  paysans  et  des 
pécheurs  dont  il  aime  et  comprend  l'Ame  juste  et  simple  >.  La  briè- 
veté de  ces  renseignements  est  un  témoignage  de  la  modestie  de 
M.  Saint-PoI-Roux  et  de  l'effacement  dans  lequel  il  se  comptait.  A 
l'entendre  ce  serait  même  déjà  trop  «  autour  de  son  zéro  »,  sur  sa 
«  petite  personne  •.  Cet  écrivain  •  cependant  su  se  créer  un 
domaine   littéraire  bien  à  lui    et  dans  lequel  il    se  montre   souvent 

(1)  Frmnoif  de  Miomandre  :  Saint-Pol-Rouz.  L'Art  moderne,  8  septcmbn 
1007. 


■Aiirr-POL-Houz 


189 


■orprenant  de  tronvaille  et  d'inrention.  Peut-être  même  trop  sur- 
prenant, quelquefoii.  Il  derient  alors  obscur  ou  puéril,  et  si  on 
l'admire,  pour  l'adresse  du  tour,  c'est  arec  moins  de  plaisir. 
«  M.  Saint-Pol-Roux  est  l'un  des  plus  féconds  et  des  plus  éton- 
nants inventeurs  d'imafçes  et  de  métaphores,  a  écrit  M.  Remy  de 
Gourmont(i).  On  en  dresserait  un  catalogue  on  nn  dictionnaire: 

Sage- femme  de  la  lumière tfeal  dire  :  le  coq. 

Lendemain     de     chenille     en 

tenue  de  bal —  papilloo. 

Péché-qui-tette —  enfant  naturel. 

Quenouille  rivante —  mouton. 

La  nageoire  des  charrues —  le  soc. 

Guêpe  au  dard  de  fouet......  —  la  diligence. 

Mamelle  de  cristal —  une  carafe. 

Le  crabe  des  mains —  main  ouverte. 

Lettre  faire  de  part —  une  pie. 

Cimetière  qui  a  des  ailes.   ...  —  un  vol  de  corbeaux. 

Romance  pour  narine ^  le  parfum  des  fleurs. 

Le  ver  à  soie  des  cheminées. .  —                          ? 

Apprivoiser  la  mâchoire  ca- 
riée  de  bémols  d'une  taras* 

que  moderne —  joaer  du  piano. 

Hargneuse  breloque  du  por- 
tail    —  chien  de  garde. 

Limousine   blasphémante —  roulier. 

Psalmodier       l'alexandrin     de 

bronze —  sonner  minuit. 

Cognac  du  père  Adam —  le  grand  air  pur. 

L'imagerie   qui  ne   b«    voit... 

que  les  yeux  clos —  les  rêves. 

L'oméga —  en  grec  iu»"pi 

Feuilles  de  salade  vivante —  les  grenouilles. 

Les  bavardes  vertes —  lesgrenouilles. 

Coquelicot  sonore —  chant  du  coq  (a). 

...  Si  totUes  ces  imas^es.  dont  quelques-unes  sont  irgr'nieuses,  se 
suivaient  à  la  file  vers  I.es  Rrposoirs  de  la  Procession  où  les  mène 
le  poète,  la  lecture  d'une  telle  œuvre  serait  difficile  et  le  sourire 
Tiendrait  trop  souvent  tempérer  l'émotion  esthétique;  mais  semées 

(1)  n  a  étâ  aussi  un  cri5ateur  de  mots  souvent  heureux  par  l'exactitude  de 
leur  sens.  Notamment  celui  A'Jdéoréalixme,  par  lequel  on  pourrait  assez  bien 
définir  son  art,  et  qui  a  fait  fortune. 

(3)  On  peut  ajouter  celle-ci,  uao  des  plna  jolies:  Vivant  petit  clocher  de 
plume*...  —  U  coq. 

II. 


IQO  rMtM  t>'Â.vtovKnmm 

ci  et  là,  ^es  he  fout  que  des  tachei  et  ne  brisent  pai  toujours 
l'harmonie  de  poème*  richemeat  colorés,  ingénieux  et  graves.  Le 
Pèlerinage  de  Sainte- Anne,  écrit  tout  entier  en  images,  est  pur 
de  toute  souillure  et  les  métaphores,  comme  le  voulait  Théophile 
Gautier,  s'y  déroulent  multiples,  mais  logiques  et  liées  entre  elles: 
c'est  le  type  et  la  Itienreille  du  poème  en  prose  rythmée  et  asso- 
nancée.  »  (Le  Livre  de  Masques.) 

M.  Saint-Pol-Roux  a  collaboré  à  La  Pléiade,  ail*  Enîniiens 
politiques  et  littéraires,  à  l'Echo  de  France,  au  Mercure  de  France, 
à  L'Ermitage,  au  Coq  rouge,  àL  'Art  littéraire,  à  La  Société  Nou- 
velle, k  L'En  dehors,  à  La  Revue  d'art  dramatique,  an  Supplé- 
ment de  VEcho  de  Paris,  à  Vers  et  Proêê,  etc. 

BibliograpUe  : 


eme. 


Lasare,  poème,  t'aris,  ISN,   ia-lX.  —   Le   ttoac    émissaire,  poèn 

Parii,  1886,  ia-lB,  —  L'Ame  noire  dU  thrleur  blanc,  natte  léyende. 
Paris,  Ed.  do  Mereure  de  Frauce,  1893,  in-8.  ~  Ëpilogiies  des  saisous 
humalneSi  drame  en  troi«  parties,  précédé  d'un  prologue  et  suivi  d'un  Epi- 
logue. Paris,  Ed.  du  Mercure  de  France,  189S,  ia-8.  —  Les  Reposolrs  de 
la  Procession,  Tome  premier  (portrait  de  l'auteur).  Paris,  Ed.  du  Mercure 
et  France,  1893,  in-8.  (Voir  plus  loin  la  réimpr.,  considérablement  augmen- 
tée, de  cet  ouvrage).  ~  I.A  Dame  à  la  Pauls,  tragédie.  Paris,  Soc.  du 
(Mercure  de  Kiauce,  HOfl,  in-18.  —  La  Rose  et  les  Epines  du  Chemin 
1885-1900.  (Leê  Reposoir»  de  la  Procession,  I.)  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  Frabce,  1901,  ia-18.  —  Anciennetés,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
4b  France,  IMI,  te-lC.  —  De  la  Colombe  au  Corbean  par  le  Paou 
18S5-1904.  [Les  Rtpeeoir$  de  la  Procession.  II).  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  France,  1904,  in-lB.  —  Les  Féeries  intérieures,  1885-1906.  (Les 
Meposoir*  de  U  Proeetêien,  III).  Parii»,  Soc.  du  Mercure  de  Frauce,  1907, 
iB-18. 

■m  PHiPARATraK.  —  Le  Tragique  dans  l'homme,  recueil  d'ouvrage» 
dramatiques  (I.  àtonodreau».  U.  L'Ange  et  l*  Bite).  Les  Reposolrs  de  la 
Procession,  IV  M  V. 

On  trouve  des  potmea  de  M.  Saint-Pol  Roux  daas  i'Almanach  des  poètes, 
aaaéet  1896  et  18M.  (Paria,  Ed.  du  Mercure  de  Pnace,  1899  et  1898,  t  vol. 
in-16.) 

A  coRsuLTsa.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Ui*rt  de»  M*»q%ut .  Paris, 
Sac.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-i8.  —  JmlM  Çuret  :  Enquête  sur 
l'Evolutiem  littéraire.  Paris,  Fasquelle,  18tl,  ib-18.  —  Georges  Le  Car- 
doniiei  et  Charles  Vellay:  La  Littéruture  contemporaine.  I90B.  Opinion» 
de»  Ecrivain»  de  ce  tetnpt.  Paris,  Soc.  du  Mercui-e  de  France,  1906,  in-ts.  — 
Camille  Mauclalr  :  Saint- Pol-Bour,  aolice  dans  les  Portrait»  du  pro- 
chain siècle.  Pariti,  Girard,  1894,  ia-18.  —  Catulle  Mendès  :  Rapport  sur 
le  Mouvement  franfait,  de  liSt  â  t9H-  Pan*,  Imprimerie  Nationale,  190t, 
in-8,  et  Paris,  Fasqurile,  1903,  ia-«. 

André  Fontalnas  :  Saint-Pot- JhtUt.  Mereioe  de  France,  janvier  1902. 
—  Charlaa-Uaary  ■Iraoh  i  Mmmt  Pol  Reitm.  Meroore  de  France,  avril 


•Aurr-roi^noox  191 


fSM.  —  Gaailll*  Maaelalr  :  Quetquet  bttatm  peéttê  /Wtifai*  moi  eonntu. 
La  Revue,  15  Mptembre,  t"  octobre  IMI.  —  Franets  de  MioiUHndre  : 
Saint-Pol-Houx,  L'Art  Modéra*  (BruMllwK  *  teptembre  ld07.  —  Edmouil 
Pilon  :  [Smint  Pol-Roux].  U  VcfiM,  «oa*.  Ééri«,  année  tSM. 

Iconographie  : 

P.  Vallotto*  :  Âimtçuê,  dan*  iU  Liwrt  dtt  MiuquM,  d«  R«my  de  Oowr- 
iiM»t.  Paria,  8o«,  et  Mereore  <)•  France,  lSM.(Voir,  w  outre,  une  reproduc- 
tion, li'uptk  ub  JAcroMat  phot««ra^qiw,  «a  frooliapiecà  l'éditiaa  ém  Jttf^ 
Mifé  é»  U  Ihrttmkrk,  de  IJW) 


mSSAGK  AUxrUKTEH  AOOLtSGiNTt 

Pèlerin  magnifique  en  palmes  de  mémoire 
(O  tes  pieds  Uus  sur  le  blasphème  des  routiers  I) 
Négliî^e  les  erachaU  épars  dans  le  grimoire 
Injuste  de«  crapauds  qui  te  sont  des  soulier*. 

Bnlinceuiant  ta  rose  horloge  d'existenct. 
Evoque  ton  faotdme  A  la  table  des  folti 
Et  partage  son  aigle  aux  ailea  de  diàtâiHJè 
A£n  dappriToiaer  la  foi  dM  UMiniesub. 

De  li,  miséricorde  aux  ix>ns  plis  de  chaumière 
Avec  un  front  de  treille  et  la  bouche  trémière, 
Adopte  les  vieux  loups  qui  bêlent  par  les  ehitttpÉ 

Et  régénère  leur  prUnellè  douldureuse 
Au  diamant  qui  rit  dans  la  houille  des  t«aps 
CoHUMi  l'afate  «a  fleur  «Tnar  chattu  ambureuse. 
{Lm  R«fo»oirt  éa  Im  Pi 


ALOUITTIf 

Les  eoupa  d«  eiaeanx  gravissent  l'ai^. 

Déjà  le  crêpe  de  mystère  que  jetèrent  Ites  AuUdmes  4tl  vépre 
sur  la  chair  fraîche  de  la  vie,  déjà  le  crêpe  de  ténèbre  eât 
entamé  sur  la  campagne  et  sur  la  ville. 


*5*  POÈTES  d'auJOUd'hOT 

Ouïs-tu  pas  la  cloche  tendre  du  bon  Dieu  courtiser  de  son 
tisonnier  de  bruit  les  yeux,  ces  belles-de-jour,  les  yeux  blot- 
tis dessous  les  cendres  de  la  nuit? 

Les  coups  de  ciseaux  gravissent  l'air. 

Surgis  donc  du  somme  où  comme  morts  nous  sommes,  ô 
Mienne,  et  pavoise  ta  fenêtre  avec  les  lis,  la  pêche  et  les  fram- 
boises de  ton  être.. 

Les  coups  de  ciseaux  gravissent  l'air. 

Viens-t'en  sur  la  colline  où  les  mouttns  nolisent  leurs  ailes 
de  lin,  viens-t'en  sur  la  colline  de  laquelle  on  voit  jaillir  des 
houilles  éternelles  le  diamant  divin  de  la  vaste  alliance  du 
ciel. 

Les  coups  de  ciseaux  gravissent  l'air. 

Du  faite  emparfumé  de  thym,  lavande,  romarin,  nous  assis- 
terons, moi  la  caresse,  toi  la  fleur,  à  la  claire  et  sombre  fête 
des  heures  sur  l'horloge  où  loge  le  destin,  et  nous  regarde- 
rons là-bas  passer  le  sourire  du  monde  avec  son  ombre  lon- 
gue de  douleur. 

Les  coups  de  ciseaux  grarissent  l'air. 

(La  Ros0  et  tt$  Bpinei  du  Chemin.) 

AIGUILLES  DE   CADRAN 

A  Ouitaoe  Charpentier. 
Index  et  pouce  dont  le  bras  invisible  pousse  sur  une  épaule 
de  l'Eternel,  que  signifie  ce  geste  essentiel  ? 

Que,  ta  demande  aux  plumes  d'or,  il  a  suffi  qu'elle  s'élance 
hors  du  vase  où  fermentent  tes  phrases  pour  dès  lors  avoir  les 
plumes  blanches  ;  car  l'heure  qui  se  lève  est  déjà  dans  le 
rêve. 

Index  et  pouce  dont  le  bras  invisible  pousse  sur  une  épaule 
de  l'Eternel,  que  signifie  ce  geste  cruel? 


»Atm-9ùL-novx  19' 


Que  lourde  la  douleur  dont  ton  Ame  est  la  proie  I  que  légère 
la  joie  dont  ton  cœur  est  la  fleur!  Pourtant,  tu  dois  passer  le 
temps  de  cette  abeille  à  cette  louve  jusqu'à  ce  que  vide  soit  ta 
Tie  comme  une  outre  pressée  \ongtemps  par  le  soleil. 

Index  et  pouce  dont  le  bras  invisible  pousse  sur  une  épaule 
de  l'Eternel,  que  sijjnifie  ce  geste  solennel? 

Qu'une  tombe  garde  la  gueule  ouTerte,  dedans  laquelle 
tôt  ou  tard  il  te  faudra  sombrer,  parmi  ces  dents  molles  et 
mobiles  noromées  vers. 

Index  et  pouce  dont  le  bras  invisible  pousse  sur  une  épaule 
de  l'Eternel,  que  signifie  ce  geste  paternel  ? 

Que  tout  meurt  hormis  l'œuvre,  poète,  et  qu'il  t'importe  de 
sculpter  la  Forme  à  mettre  sur  ta  pourriture  à  la  merci  des 
venta  futurs,  si  ta  ne  veux  mourir  totalement  à  la  Nature. 

Forêt  des  Ardennes-en-Luxembourg 
ce  jour  des  Morts  1895. 

{La  Ro*«  et  le*  Epine*  du  Chemin.) 

CIOALBS 

A  Paul  Valéry, 

Le  Temps  récite  le  rosaire  du  Soleil. 

En  ces  beures  couleur  de  trésor  d'église,  des  joues  d'ancre 
que  l'on  mangera  sourient  sur  les  bras  verts  des  candélabres 
(lonlles  bobèches  d'herbe  st^che  vocalisent.  Par  les  rubans  blancs 
du  vallon  blond, dont  tin  coteau  semble  une  idylle  de  Théocrite 
et  l'autre  une  bucolique  de  Virgile,  viennent  et  vont  des  pèle- 
rins en  blouse,  ceints  d'un  diadème  qui  repousse,  tenace.mal- 
gré  la  boule  de  toile  moyennant  quoi  la  main  tous  les  viin>;t 
pas  l'etTace,  pérempto ire.  Dans  un  verger  messire  Epouvanl;iil 
bat  la  mesure  au-dessus  d'un  pupitre  aux  notes  de  cerise  osr- 
culôes  sur  le  fifre  par  un  berger  d'ouailles  qui  bêlent  sdiis 
un  vol  vivace  d'hiroîKlelles  tricotant  l'espace.  Cependant, 
devant  son  seuil  enjolivé  de  chèvrefeuilles, un  vieillard  d'avant- 


i^  PoiTBS  d'aojouiid'boi 

garde  aiguise  l'annuelle  ftiulx,  comme  ■11  lustrait  «Teèque  de 
la  bise  une  laine  de  fond. 

Le  Temps  récite  le  rosaire  du  Soliil, 

Provence,  jaîa  itgl. 
{Lm  Aoêê  et  le»  Epines  du  Chtmm,) 


OBAUVIS-SOUlllt 

Mienne,  évitons  les  éteignoîra  nanipulés  par  des  braa  mai- 
gres jusqu'à  l'invisibilité. 

Regarde-les  s'évertuer  contre  le»  choses  de  clarté. 

Mienne,  évitons  les  éteignoirs  manipulés  par  dés  bras  mai- 
gres jusqu'à  l'invisibilité. 

Les  voici  sur  les  yeux  des  jardina,  les  voilà  sur  les  fleurs 
des  visages. 

Mienne,  évitons  les  éteignoirs  manipulés  par  des  brw  mai- 
gres jusqu'à  l'invisibilité. 

Si  ces  bras  n'étaient  courts,  il  en  serait  iait^éjà  de  ce  prcr 
mier  essaim  d'étoiles. 

Mienne,  évitons  les  éteignoirs  manipulés  par  des  bras  mai- 
gres jusqu'à  l'invisibilité. 

Notre  amour  étant  de  la  lamière  aussi,  rentrons  vite  jooer, 
paupières  closes,  i  la  mort  rose,  dans  le  Un  du  rêve, 

O  Mienne,  afin  de  dépister  les  éteignoirs  manipulés  par 
des  bras  maigres  jusqu'à  l'invisibilité. 

Mais,  d'abord,  faisant  oeuvre  de  vie  e'est-à-dire  divine, 
commençons  la  fille  ou  le  garçon  dont  le  lointain  sourire  se 
devine  entre  nos  caresses  que  le  destin  rend  une,  —  et  prépa- 
loaa ainsi  notre  immortalité  commune! 

(id  JÊÊêe  et  brn  Bpbue  dm  Ckêmm.) 


aAiNT-roL'ROuz  t^S 


SOIR  OB  JIREBIS 

La  tache  de  sans:  dëpoint  A  l'horizon  de  ci. 

La  goiitle  de  lait  point  à  l'horizon  àe  li. 

Homme  simple  qui  s'éparpille  dans  la  flûte  et  dont  la  pru- 
dence a  la  forme  d'un  chien  noir,  le  pAtre  descend  l'adoles- 
cence du  coteau. 

Le  suiveut  ses  brebis,  avec  deux  pampres  pour  oreilles  et 
deux  i^rappes  pour  mamelles,  le  suivent  ses  brebis  :  ambulan- 
tes vignes. 

Si  pur  le  troupeau  !  que,  ce  aeir  «atÎTal,  il  semble  neiger 
vers  la  plaine  enFantinement. 

Ces  nierms  écrius  de  vie  ont,  là-haut,  brouté  les  eaaaolet- 
tes,  et  redesceùdenl  pleines. 

Mes  Désirs  aussi,  stimulés  pkf  U  flûte  de  l'Espoir  et  le 
chien  de  la  Foi,  montèrent  ce  matin  le  coteau  du  Mystère,  et 
s'en  furent  plus  haut  que  les  brebis  de  mon  hameau,  les  bre- 
bis de  mou  âme. 

Mais,  parmi  la  prairie  de  jàôinthes,  l'odorante  étoile  incen- 
dia les  dents  avides  qui  Voulaient  dégrafer  son  corsage  fer- 
tile. 

C'est  pourquoi  mon  tt-oupeia  subtil,  à  l'heure  d'angelus, 
rentre  en  mot-m£me,  les  flanès  désespérés. 

Les  brebis  sont  au  bercail^  et  l*hoauBe  simple  m  dormir 
entre  sa  flûte  et  son  chien 


DoMMim  de  Pierrefea,  t888. 
{Bê  lé  Colombe  au  Corbeau  par  U  Paom,) 

ooLoonA 


Le  eiel  enténébré  de  ses  plus  tristes  bardes 
S'acr.roupit  sur  le  drame  universel  du  pic. 
Le  violent  triangle  de  l'arme  des  gafdes 
A  l'air  m\ï  bout  éa  boift  #«ne  langue  d'aspie. 


igO  POÈTES  d'aujouhd'hui 


Parmi  des  clous,  entre  deux  loups  à  face  humaine. 
Pantelant  ainsi  qu'un  quartier  de  venaison 
Agonise  l'Agneau  déchiré  par  la  haine, 
Celui-là  qui  donnait  son  àme  et  sa  maison. 

Jésus  bêle  un  pardon  suprême  en  la  tempête 
Où  ses  os  tracassés  crissent  comme  un  essieu, 
Cependant  que  le  sang  qui  pleure  de  sa  tête 
Emperle  de  corail  sa  souffrance  de  Dieu. 

Dans  le  ravin,  Judas,  crapaud  drapé  de  toiles, 
Balance  ses  remords  sous  un  arbre  indulgent, 
—  Et  l'on  dit  que  là-haut  sont  mortes  les  étoiles 
Pour  ne  plus  ressembler  à  des  pièces  d'argent. 

i884. 

{Anciennetés.) 

LB  PÈLERINAGE  DE  SAINTE-ANNE 

A  M**  Sarah  Bemhardt. 

Les  cinq  Gars  de  faïence,  à  la  peau  de  falaise,  aux  yeux 
couleur  d'océan  qui  s'apaise,  vont,  bras-dessus,  vers  la  cha- 
pelle peinte  où,  vieillement  jolie,  sourit  la  bonne  Sainte. 

Mises  dimanchement,  emparfuméesde  marjolaine,  bras-des- 
sous les  accompagnent  les  cinq  Promises  de  porcelaine  mi- 
gnonnes comme  des  joujoux  et  dont  la  joue  rayonne  ainsi  qu'une 
pomme  d'api,  —  car  ils  reviennent  des  baleines,  des  lugubres 
baleines  aux  vilaines  bouches,  les  salubres  marins  destinés  à 
leurs  couches. 

Donc  la  guirlande  juvénile  vers  Sainte-Anne  marche,  à 
travers  la  lande  puérile,  les  lins  et  les  moulins,  les  ruches,  le 
blé  noir,  les  meules,  les  manoirs,  les  clochers  de  pain  bis, 
les  vaches,  les  brebis  et  les  chèvres  bêlant  à  la  manière  des 
aïeules. 

Et,  l'âme  vive,  l'on  arrive  à  la  chapelle  peinte  où,  vieillement 
jolie,  sourit  la  bonne  Sainte. 

Viennent  offrir,  les  fils  des  vagues,  leur  offrande,  viennent 
offrir  à  la  Marraine  aux  fins  yeux  d'algue,  à  la  Marraine  des 
marins,  qui,  les  sauvant  des  loups  gloutons  du  vent  noroît. 


lAINT-POL-ROUX  I97 


ig^iida  leurs  jt^ands  moutons  de  bois  vers  le  bercail  de  Cor- 
nouailles. 

Et  les  voici  cherchant  au  tréfonds  de  leurs  poches,  sous  le 
bonjour  des  cloches,  et  les  voici  cherchant  le  Cœur  d'or  ou 
d'argent  juré  devant  l'écueil  qui  vêt  en  deuil  les  femmes  de 
futaine  allant  pleurer  à  la  fontaine. . . 

Et  les  voilà  cherchant  le  Cœur  d'or  ou  d'argent,  cependant 
que,  sur  l'herbe  et  la  mousse,  lassées  par  la  route,  elles  s'éten- 
dent toutes,  les  douces  fiancées  aux  longs  cheveux  de  gerbe. 

Mais  ils  ne  trouvent  dans  leurs  poches,  sous  le  bonjour  des 
cloches,  ne  trouvent  que  des  sous,  du  corail,  de  l'amadou, 
puis  des  médailles;  les  Cœurs  d'or  ou  d'argent  nullement. 

Surpris,  et  pâles  plus  que  des  surplis,  aussitôt  ils  compren- 
nent qu'ils  oublièrent  au  village  l'ex-voto. 

Lors  pleurent  les  marins,  dociles  pèlerins,  qui  point  neveu- 
lent  faire  veuve  des  cadeaux-  la  Sainte  aux  fins  yeux  d'algue 
envoyant  des  radeaux  aux  voyages  fragiles, —  tant  on  devient 
pii'ux  d'aller  par  la  mer  bleue  sous  la  superbe  croix  du  mât  et 
de  la  vergue  1 

Dans  la  brise,  tout  bas,  déjà  dorment  les  Promises  de  por- 
celaine emparfumées  de  marjolaine. 


Tout  â  coup,  dressant  le  cou,  les  cinq  Gars  de  faïence  tirent 
de  leur  ceinture  cinq  couteaux  plus  brillants  que  cinq  sar- 
dines de  Lorient  et  se  dirigent,  sur  l'orteil,  vers  les  cinq  vier- 
ges en  sommeil. 

Les  oreilles  d'icelles,  emmi  les  tresses  blondes,  semblent  des 
coquillages  dans  le  sable  de  l'onde. 

Comme  pour  faire  des  folies,  les  cinq  Gars  s'agenouillent 
devant  les  Jolies  rêvant  sur  l'herbe  verte  ainsi  qu'est  verte 
une  grenouille. 

Lorsqu'à  défait  chaque  jeune  homme  corsage  et  corselet  où 
rient  deux  pommes  de  Quimperlé  voici  qu'en  les  poitrines  vives 
ils  font  d'un  geste  preste,  avec  des  yeux  de  chandelier,  font 
s'enfoncer  les  sardines  d'acier. 

•  îi'lirtt   soudain,  du   rose  arrose  la  frimousse  des   anciens 
mousses  :  on  dirait  qu'un  rosier  de  forge  les  pavoise  d'un 


t^S  roÉTu  D'AuiounD*Htn 

reflet,  on  qu'ils  mandèrent,  jusqu'à  ]«  gor|B^  et  ie  fçotàer,  des 
mares  et  des  framljoises. 

Leurs  mains  plongent  enfin  dans  les  poitrines  belles  et 
retirent  cinq  Cœurs,  cinq  Cœurs  battant  de  l'aile. 

Dans  la  brise,  toujours  dorment  les  Pronoises  de  porcelaine 
emparfumées  de  marjolaine. 

Ensuite,  ayant  cousu  les  cbsîr*  —  mrec  le  fil  du  baiser  cher 
en  l'aiguille  des  dents  —  et  refermé  corsage  et  corselet  où 
rient  deux  pommes  de  Quîmperlé,  les  cinq  Gars  de  faïence  en- 
trent dans  la  chapelle  peinte  offrir  les  Cœurs,  les  Cœurs  battant» 
de  l'aile,  à  la  Sainte  aux  fins  yeux  d'algue  qui,  les  sauvant  des 
loups  gloutons  du  vent  noroît,  guida  leurs  grands  moutons 
de  bois  vers  le  bercail  de  Coroooailies. 


Hélas  I  quand  ils  sortirent  devem  la  moussé  et  l'herbe,  pliffe 
ne  virent  leurs  Douces  aux  longs  cheveux  de  gerbe. 

Toutes  là-bas  partaient,  partaient  parmi  la  route  qili,  blad* 
che,  se  déroule  jusqu'au  villdge  où  l'on  roUcouln. 

Eux  les  appellent  par  leurs  noms  :  Yvonne,  Marthe,  Marion, 
Naïc  et  Madeleine  ! 

Mais  point  ne  se  tournent  lés  belles,  Yvonne,  Marthe,  Ma- 
rion, Naïc  et  Madeleine;  et  les  vilaines  au  loin  s'en  vont. 

Si  loin  que  leur  coiffelelte,  d'abord  aile  de  hiouette,  devient 
aile  de  papillon,  puis  flocon  de  neige  fbndu  pair  l'hofizon... 

Tombent  alors  eii  défaillane*  les  cinq  Gars  de  faïedce,  tan- 
dis que  disparaissent  les  cinq  Pivmisea  de  porcelaine  empÂt>> 
fumées  de  marjolaine. 


Dé  cœut*  n'Ayant  plus,  ellies  n'aimaient  plus  :  Tvonhe,  Mar- 
the, Marion,  Naïc  et  Madeleine. 

Qnimper,  1890. 

{L»a  t'étrieê  intéruaret.) 


ALBERT   SAMAIN 
1858-1900 


Albert-Victor  SamAin  nâ()uit  ft  Lille,  le  S  atril  18B8.  dit  à  aveie 
lui  im    be\  ex«ntple  de  travail  et  de  sincérité.  Né  datia  une  famille 
modeste,  de  petits  honrceola  moyens,  et  mis  de    boane  heure  dans 
rjpt>rentiskage  de  l'exitileiire.  il  eutca  mérite  de  nt  faire  tout  seul  el 
de  ne  devoir  qu'à  lui  aussi  bien  sa  situation  matérielle,  —  modeste, 
d'ailleurs,    —    qoe    sa   réputation    littéraire.  Les  parents  d'Albert 
Samain  tenaient  k  Lille  un  commerce  de  «  Vint  et  Spiritueux  »  et 
il  était  encore  au  collège  qu'il  perdit    son   père.  L'afné    de  qiiatre 
ènTants,  il  lui  fallut  seconder  sa  mère  dans  les  charges  de  la  famille 
et  il  entra  dans  les  bureaux  d'un  af^ent  de  change,  il  a  parlé  dans 
une   lettre    de   toute  cette  p/'riode   de  sa   vie.  «  J'ai  quitté  le  lycée, 
corivait-il.  pour    entrer  comme  saute-ruisseaa  dans  une  maison  de 
banque,  h  Vk^e  de  quatorze  ans  et  demi,  porenaeut  et  simplemctit. 
De   la  banque,  j'ai    été  versé   dans  le  eourtafi^e  des    sucres,  où  j'ai 
eu  très  malheiireux  pendant  plusieurs  années,  travaillant  de  hiiit 
ares  et  demie  du    matin  à   huit   heures  du  toir,  et   le    dimanche 
jusqu'à  deux  heures.  C'est  ainsi  que,  cherchant  de  toutes  les  façons 
à  inc  délivrer  de  cet  esclavage,  j'ai  été  amené  à  songer  k  l'adtninis- 
I ration    (t).    ■  Il  resta  aussi    à  Lille  pendant  plusieurs  années.  Ëtl 
1S80,  il  fut  envoyé  en  aervicr  auxiliaire  à  Paris,  dont  il  rêvait  depuii 
'  >ne^<rmps,  attiré  là  par  sa  vocation  littéraire.  Mais  si  ta  situalioh 
ilérielle,  pour  son  âfe,  n'était  pas  mauvaise,  la  liberté  cootinuAit 
lui  faire  grandement  défaut  pour  satisfaire  son  double  désir  d'étu- 
dier et  d'écrire.  Un  de  ses  collègues   de  Lille,  plus  A(;é  qiie  lui,  en 
tjii'il  avait  trouvé  Un  ami  et    auquel    il  faisait  ses  confidences,  lui 
iiKellla  le  jourrtaUsme,  avec  les  meilleurs  efforts  pour  vàibcre  sa 
ulidité  et  seâ  hésitations.  Albert  Samain  St  ainsi  quelques  déttiar- 

(1)  L/«n  Bocquet  :  Albert  Sammin,  ta  eie,  »o>t  auert.  Pari»,  Mercure  de 
France,  l90S,  lot  âl(^menb<  de  notre  noliee  MOt  tirte  de  cet  ouvrage,  le  docu- 
went  le  pliu  eotiplet  sur  le  po4U. 


soo  PORTES  D*Au/oimD*ttm 

ches  an  Figaro,  an  OU  Blas,  — ce  qui  était  peut-être  un  peu  osé, 
pour  un  débutant  ?  —  mais  avec  ai  peu  d'insistance  et  d'entrain, 
d'autre  part,  qu'il  n'en  retira  rien.  Tout  son  succès  dans  ce  sens  fut 
de  collaborer  à  un  petit  hebdomadaire  illustré  de  Lille,  Le  Bon- 
homme flamand,  dans  lequel  il  publia,  sous  le  pseudonyme  de  Gry- 
Pearl,  en  octobre  et  novembre  1881,  deux  courtes  histoires  :  Le 
Bout  de  COnèille  et  La  Jarretière,  qui  n'ont  guère  d'autre  intérêt 
que  d'être  ses  premières  œuvres.  Gela  le  convainquit  du  moins  de 
l'inutilité  des  tentatives  de  ce  genre,  et  il  résolut  de  travailler  désor- 
mais pour  lui  seul,  avec  patience,  comptant  d'ailleurs,  comme  il 
\  l'écrivait  à  cette  époque,  «  plutôt  sur  les  coups  de  vent  que  sur 
autre  chose  ».  En  1881,  sa  mère,  quittant  Lille  à  son  tour,  vint 
vivre  avec  lui  à  Paris.  Il  eut  peu  après  la  chance  de  passer  avec 
succès  l'examen  de  l'Hôtel  de  Ville,  où  il  entra  comme  expédition- 
naire. C'est  à  cette  époque  qu'il  fit  ses  premières  relations  littéraires, 
commencées  avec  quelques-uns  de  ses  collègues,  écrivains  comme  lui . 
Il  fréquenta  le  groupe  de  Noas  Autres,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  vu  dans 
la  notice  de  M.  Le  Gardonnel,  passa  de  là  avec  ses  camarades  au 
Chat  Noir,  où  il  lui  arriva  quelquefois  de  réciter  des  vers,  collabora 
au  Chat  Noir,  puis  au  Scapin.  Comme  l'a  très  justement  fait  re- 
marquer M.  Léon  Bocquet,  la  biographie  d'Albert  Samain  ne  pré- 
sente vraiment  d'intérêt  littéraire  qu'à  partir  de  1890.  Entre  toutes 
ses  connaissances  littéraires,  Albert  Samain  s'était  senti  attiré  de 
préférence  vers  ceux  des  nouveaux  écrivains  qui  cherchaient  à 
organiser  et  à  réunir  leurs  efforts,  et  avec  eux,  nous  avons  donné 
leurs  noms  précédemment,  il  prit  part  à  la  fondation  du  Mercure  de 
France,  dont  le  premier  numéro  parut,  comme  nous  l'avons  dit,  dans 
les  derniers  jours  de  décembre  1889,  avec  la  date  de  janvier  1890. 
C'est  a«  Mercure  de  France  qu'il  collabora  alors  principalement, 
sauf  un  très  petit  nombre  de  vers  parus  dans  d'autres  jeunes  revues 
de  l'époque,  et  c'est  la  vérité  que  dans  sa  modestie  il  ne  voyait  pas 
plus  loin  que  ces  insertions  de  ses  poèmes  dans  des  revues,  «  ne 
«'inquiétant  pas  de  faire  autrement  profession  d'écrivain  ».  Il  fallut 
les  encouragements  de  ses  camarades  et  de  ses  premiers  admirateurs, 
l'insistance,  notamment,  de  son  ami  M.  Raymond  Bonheur,  pour 
qu'il  consentît  à  faire  et  à  laisser  paraître  un  choix  de  ses  poèmes. 
Ce  fut  Au  Jardin  de  l'Infante,  publié  en  octobre  iSgS,  dans  une 
édition  de  luxe  à  tirage  restreint.  Quelques  mois  après ,  en  mars 
1894,  un  article  de  François  Coppée  dans  Le  Journal  révélait  au 
public  le  nouveau  poète.  «  M.  Albert  Samain,  écrivait  l'auteur  du 
Passant,  est  un  poète  d'automne  et  de  crépuscule,  un  poète  de 
douce  et  morbide  langueur,  de  noble  tristesse.  On  respire  tout  le 
long  de  son  livre  l'odeur  faible  et  mélancolique,  le  parfum  d'adieux 
des  chrysanthcmei  à  la  Saint-Martin.  »  Ce  fut  poar  Albert  Samain 


ALBBllT    lAKAIM  SOI 


du  jour  au  lendemain,  presque  la  célébrité,  aventure  d'autant  plus 
heureuse  et  charmante  que  le  débutant  n'était  point  connu  du  maflre 
et  que  celui-ci,  —  on  a  vu  avec  M.  Pierre  Louys  qu'il  était  coutu- 
mier  du  fait,  —  avait  écrit  sou  éloge  tout  spoiitant'mcnt.  A  la  suite 
de  cet  article,  l'éditioa  de  luxe  de  Au  Jardin  de  l'Infante  se  trouva 
bientôt  épuisée.  En  1897,  une  nouvelle  édition  parut,  augmentée 
d'une  partie  inédite,  et  à  laquelle  l'Académie  frau(;aise  devait  décer- 
ner, l'année  suivante,  le  prix  Archou-Despérouses.  Tout  ce  succès 
n'avait  cependant  changé  en  rien  Albert  Samain,  qui  demeurait  au 
contraire  comblé  d'ctonnement  qu  on  pût,  à  ce  point,  s'intéresser 
i  son  œuvre,  taut  il  était,  au  plus  profond  de  son  être,  modeste  et 
désintéressé.  Personne  non  plus  dans  son  entourage  ne  pouvait  son- 
gera le  jalouser,  tant  on  savait  son  succès  mérité  et  tant  il  savait  se 
faire  aimer.  «  11  possédait  k  un  haut  degré,  a  écrit  M.  Louis  Denise 
(Mercart  de  France,  octobre  igoo),  ces  vertus  de  société  prisées 
naguère  à  leur  valeur  et  qui  savent  encore  aujourd'hui  charmer  :  un 
commerça  aimable,  un  cœur  droit  et  bienveillant,  qui  savait  esqui- 
ver sans  inutiles  blessures  les  lâches  compromissions,  une  conversa- 
tion primesautière  et  cet  enjouement  de  l'esprit  qui  s'ébat  parmi 
des  idées...  Il  avait  cette  suprême  politesse  d'abiriss'er  ou  d'élever  le 
ton  de  sa  parole  dont  l'ironie  même  ne  semblait  être  qu'une  charité 
BU  niveau  de  ses  interlocuteurs.  »  On  lira  également  cette  apprécia- 
tion de  M.  le  Comte  Robert  de  Montesquiou  dans  une  lettre  à 
M.  Léon  Bocquet  :  «  J'avais  eu  l'occasion  de  rencontrer  le  poète 
à' Au  Jardin  de  l'Infante  chez  un  de  nos  amis  communs,  Antonio 
de  La  Gandara.  La  simplicité  de  son  attitude  et  de  ses  manières,  la 
dignité  de  sa  vie  ne  faisaient  qu'ajouter  de  l'estime  à  la  prédilection 
qu'inspiraient  tes  oeuvres.  Mais  sa  vie  était  fermée  comme  son  âme, 
attachée  aussi.  On  n'en  pouvait,  on  n'en  voulait  distraire  que  de 
brefs  instants.  Le  reste  se  résolvait  en  ces  chants  purs,  tendres  et 
pénétrants  dont  sont  faits  ses  livres...  J'eus  le  plaisir  de  retrouver 
plusieurs  fois  Albert  Samain  et  de  le  réunir  à  des  amis  en  des 
compagnies  agréables.  Toujours  il  se  montrait  réservé  sans  affec- 
tation, du  fait  de  sa  nature  distinguée  et  discrète  ».  «  A  l'exemple 
de  tant  d'autres,  écrit  M.  Léon  Bocquet  à  ce  moment  de  sa  biogra- 
phie, Albert  Samain  aurait  pu  profiter  de  ses  relations  pour  aiguil» 
1er  vers  des  succès  immédiats  ;  mais  loin  d'intriguer,  il  négligeaif 
jusqu'aux  occasions  bienveillantes  qui  s'offraient,  par  un  sentiment 
cil  il  entrait  à  la  fois  da  la  pudeur,  de  l'amour- propre,  et  davantage 
encore  de  défiance  de  soi-même...  C'est  le  moment  où,  par  l'entremise 
de  José-Maria  de  Heredia,  Ferdinand  Brunetière  lui  ouvre  la  Revue 
des  Deux  Mondes,  qui,  à  deux  reprises,  publie  ses  vers;  c'est  le 
temps  où  8«  collaboration  pourrait  être  accueilhe  dans  les  périodi- 
ques 00  les  jooriumx  ;  ji'têt  le  tcmpi  où  on  l'espère  et  l'ambitiooM 


•oa  poàTKs  d'aujourd'hui 

dans  les  uilont.  Albert  Samain  laisse  passer,  inatile,  l'engouement 
fl  le  fridit.  m  Daps  o^  m%i\(yie  d'ansbitiop,  la  mauvaise  santé  avait 
fOtsi  une  grande  part.  A  cette  époque,  Albert  Samain  était  déjà 
malade,  il  le  savait  et  la  sentait,  sa  correspondance  à  ses  amis  en 
témoigne.  «  Ça  ne  marche  pt^*,  écrivait-il  alors  à  l'un  deux, 
M.  Paul  Morisse,  la  santé  n'est  pas  bonne,  toujours  de  la  faiblesse 
du  cOté  de  l'estomac  et,  par  suite,  peu  de  goût  à  faire  quelque 
chose.  »  Il  se  remit  pourtant  au  travail,  cominença  les  poèmes 
d'Aax  flanc»  da  Vase,  longtemps  gardé  et  parfait  et  qui  parut  en 
1898.  peu  apl'^s,  il  perdit  sa  mère.  Ce  fut  pour  lui  un  profond 
déchirepieat,  dont  siL  santé  sortit  encore  diminuée,  le  spectacle  des 
derniers  moments  de  sa  ipère  ne  cessant  de  le  hanter.  Pour  tenter 
de  le  rétablir  et  de  le  distraire  de  ses  pensées,  son  ami  M.  Raymond 
89aheor  l'emmena  passer  quelques  mois  dans  le  Midi,  puis  il  se 
rendit  pour  quelque  temps  chez  un  autre  ami,  M.  Antony  Mars, 
jutqu'u  printemps  de  189g.  Il  rentra  alors  à  Paris.  Un  peu  mieux 
portant  en  apparence,  il  reprit  son  emploi  à  l'Hôtel  de  Ville  et  se 
remit  à  trarailler,  écrivit  son  petit  drame  en  vers  Polyphème,  mais 
l'hiver  l'abattit  de  nouveau  moralement  et  physiquement,  et  en  avril 
igoo,  à  la  faveor  d'oo  congé,  il  se  rendit  à  Lille  pour  se  reposer 
auprès  de  m  Msur^  Il  ne  s'y  réublit  guère  et  sa  rentrée  à  Paris,  en 
juin  igoo,  fat  lamentable.  Le  désir  de  riyre  loi  demeurait,  pourtant, 
une  grande  volonté  de  guérir,  et  confiant  dans  le  grand  air  de  la 
campagne,  il  se  laissa  emmener  A  Magny-les-Hameaux,  chez 
M-  Raymond  Bonheur.  Il  vécut  là  quelques  mois,  «  dans  un  décor 
de  paix  familière  »  entouré  des  soins  de  l'amitié  la  plus  pieuse, 
croyant  chaque  jour  faire  un  pas  vers  la  guérison,  mais  en  réalité 
déclinant  peu  à  peu,  jusqu'au  soir  du  18  août  1900,  où  il  mourut, 
calme,  sans  e£lort  ni  agonie,  —  une  mort  efifacée  et  silencieuse  comme 
avait  été  sa  vie,  une  mort  aussi  c*mme  celle   qu'il  avait  eutrevoe  : 

Oh  1  s'en  aller  sans  violence, 
S'évanouir  sans  qu'on  y  pense 
D'une  suprême  défaillance... 
Silence...  Silence...  Silence... 

Dewc  joors  après,  son  corps  étçit  trwtsp^rt^  h  Lille,  0^  {1  repose 
anx  côtés  de  son  père  et  de  sa  mère . 

Depuis,  la  réputatipn  d'Albert  Samain  n'a  fait  que  grandir.  Un 
recueil  de  vers  :  L«  Chariot  d'or,  et  un  volume  de  contes  :  Contes, 
publiés  pQsthumeiV>eQt,  ont  prouvé  dans  le  public  le  même  accueil 
qu'Aa  Jardin  de  l'Infante  et  4ca?  Flancs  du  Vase.  De  nombreuses 
éditions  de  Ivixe  ont  été  faites  de  ses  livres,  comme  de  nombreuses 
conférences  çur  sa  vie  et  sur  fon  œuvre,  et  Polyphém(,  joué  pour  la  1 
priBM^rs  foUi  «j»  Thé4||«»  de  l'OBuvre,  en  «{^4.  «  trouvé  r^mmçotf 


ALBKHT   SAMAIN  SoS 


aa^rçp^  <«1«ÇCJ>Ç  à  '•''  Ccjoiédiç  française  qui  l'arnisà  po»  répertoire. 
Cent  la  juste  conséc-talioa  d'un  talent  que  M.  Léon  Bocquet  a  très 
bien  dëfiui  en  c^s  terraeH  :  «  .. .  Albert  Samain  n*a  pas  été  un  pré- 
corseur.  Il  n'a  point  penmié  la  poésie  rtn  l'orient  dos  terres  pro- 
miiea  et  des  conquêtes  nouvelles.  Il  n'a  rien  tnTenté,  rien  décpu- 
Tert,  ni  dan<:  la  fora*  ni  dans  le  fond,  ni  même  dans  le  rythme. 
Son  originalité  réside  dans  son  éclectisme  et  dans  sa  safcesse.  Il  ne 
s'est  point  aventuré;  il  n'a  été  absolument  d'aucune  école,  se  réser- 
▼ant,  selon  l'heure  et  selon  l'urgence,  de  suivre  telle  règle  et  telle 
discipline  qui  lui  paraissait  la  meilleure,  revendiquant,  ici  et  Ik, 
tour  A  tour,  sa  part  de  l'hoirie  litU^^raire.  Au  milieu  du  conflit  des 
prosodies,  il  a  eu  ce  mérite,  ce  tact  et  cette  mesure  de  ne  se  point 
enraciner  dans  l'acquis,  de  ne  pas  foncer  dans  l'arbitraire,  mais  de 
prendre  son  bien  partout  où  il  jujîeait  quelque  avautaj^o  utilisable. 
i.'aboalissement  des  variations  de  la  potfsie  au  xix*  siècle,  avec  ses 
tendances  dispnratea,  ses  nouveautés  hardies  et  son  élargissement 
final  s'est  condensé  dans  ee  poète.  Il  clôt  son  âge  et  le  résume.  Et 
c'est  pourquoi  il  se  trouve  être  comme  un  centre  où  les  innombra- 
bles avenues  du  domaine  poétique  se  rejoignent.  Et  il  s'est  créé 
ainsi  une  sorte  d'indépendance  et  de  personnalité  détiiiie.  Dans  le 
cborar  nombrenx  dea  poètes  de  son  époque,  instrumentant  A  l'unis- 
son de  l'orchestre,  mais  sans  qu'elle  pût  s'y  confondre  ou  s'y  perdre, 
Samain  a  chanté  d'une  voix  pure,  i^rave  et  couSdentielle,  où  persiste 
on  lointain  sanglot.  Triste  et  solennelle,  comme  si  elle  montait,  le 
soir,  du  fond  d'une  clairière,  elle  a,  cette  voix,  son  tiijnbre  bien  dis- 
tinct et  telles  sonorités  expressive;  à  n«  point  se  méprendre.  Elle 
■e  reconnaît  à  un  tremblement  de  volupté  languide  et  plus  souvent 
à  on  frisson  séraphique,  immatériel,  éperdu  et  mourant.  Samain  est 
on  poète  de  pénétrante  extase,  l'ami  des  imes  dolentes,  valétudinai- 
res et  blessées  que  secovtc  la  doolenr  ou  que  trouble  une  indicible 
angoisse.  Tout  ecqoise  d«Tia«.  se  soggère, mais  s'exprime  à  peine: 
las  ardeurs  vagues,  lc«  défaillances,  l«a  horixons  brumeux  de  nos 
rêves,  les  divins  crépuscules  da  camr,  l'obscure  émotion  de  la  soli- 
tude, l'inquiétude  des  heures  méditatives,  tout  ce  que  nous  sentons, 
à  certaines  minutes  sapérienres,  affiner  des  âmes  vers  notre  huma- 
nité, Samain  a  su  le  rendre  perceptible  et  insinuer  en  nous  de  l'in- 
connu et  do  mystère  qui  y  dormaient...  <  Il  y  a  des  âmes  femmes,  a 
a  observé  un  jour  Albert  Samain.  Il  portait  en  lui  une  de  ces  âmes- 
là,  frêle,  déiicnte  et  faible,  câline,  mystique  et  impressionnable... 
Et  c'est  elle  qui  unit  A  la  ^râce  de  ses  qualités  les  aimables  défauts 
du  caractère  féminin  :  la  peur  et  eoume  le  recul  en  face  de  l'action, 
l'irrraolution  davant  la  vie,  nu  parti-pris  de  fatalisme,  de  pMVi^ité 
et  d'abiindon  qoi  M  marque  en  ses  verf.  ■ 
Albert  Samaia  a  aallaboré  ao  Chat  Ifoir,  ••  g^aiùm,  ao  Mwrtmrt 


ao4  poàTES  d'aujourd'hui 

de  France,  k  La  Revae  des  Deux  Mondes,  à  La  Revue  hebdoma- 
daire, etc. 

Bibliographie  : 

Les  cKuvii£s.  —  Au  Jardin  de  l'Infante,  poèmes.  Paris,  Soc.  dn  Mercure 
de  France,  1893,  iii-16.  (Réimpr.  :  Au  Jardin  de  l'Infante.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1894,  iii-18;  Au  Jardin  de  l'Infante,  poèmes,  nouv.  éd. 
[augmentée  d'une  partie  inédite  :  L'Urne  penchée],  couronnés  par  l'Académie 
française,  prix  Archon-Despérouses,  1898.)  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1897,  in-18;  Au  Jardin  de  l'Infante,  etc.  Paris,  Soc.  du  Livre  contemporain, 
1908,  in-8.  —  Aux  Flancs  du  Vase,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
l''rance,  1898,  in-8.  (Réimpr.  :  Aux  Flanci  du  Vase,  suivi  de  Polyphème  et 
des  Poèmes  inachevés,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1901,  in-18.  (lia  tiré 
de  cette  édition,  pour  la  Société  des  XX:  20  exempL,  de  format  in-8);  Aux 
Flancs  du  Vase,  éd.  de  luxe,  ill.  par  Gaston  Latouche.  Paris,  pour  la  Soc.  du 
Livre  d'Art,  1901,  in-8.  —  Le  Chariot  d'Or  {Le  Chariot  d'Or.  Symplionie 
héroïque).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1901,  in-18.  Il  a  été  tiré  de  cetU 
édition,  20  exemp.  de  format  in-8,  pour  la  Société  des  XX.  (Réimpr.  :  Le  Cha- 
riot d'Or,  etc.,  arec  27  compositions  et  gravures  de  Charles  Chessa.  Pa^is,  A. 
Ferroud,  1907,  2  vol.  in-8).  — Contes  (Kanthis.  Divine.  Bontemps.  Hyalis, 
Ilovàre  et  Angiséle).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1902,  in-18.  (Réimpr.: 
Contes,  etc.,  ill.  de  L.-Ed.  Fournier,  gravées  par  Jamas,  Xavier  Le  Sueur, 
C.  Chessa.  Porlr.  de  Samain.  Paris,  c  Imprimé  aux  frais  du  D'  Emile  Gou- 
bert  »,  1908,  gr.  in-8,  150  ex.  hors  commerce).  —  Polyphème,  deux  actes 
en  vers  [représenté  pour  la  première  fois  avec  la  musique  de  scène  de  Ray- 
mond Bonheur,  au  théâtre  de  l'Œuvre  (Nouveau-Théâtre),  les  9  et  10  mai  1904, 
et  sur  la  scène  de  la  Comédie-Française,  le  19  mai  1908].  Paris,  Soc.  du  Mer- 
cure de  France,  1906, in-18. 

On  trouve  en  outre  le  teste  de  deux  lettres  de  Samain  dans  l'ouvrage  sui- 
vant :  Mou  Ame,  par  Georges  Thouret.  Le  Havre,  Imprimerie  G.  D.  Quoist, 
1903,  in-16. 

Poésies  mises  en  uusiqub.  —  Des  poèmes  d'Albert  Samain  ont  été  mis  en 
musique  par  MM.  Bellenot,  Berthelin,  F.  Berthet,  Raymond  Bonheur,  Chan- 
sarcl,  Ch.  Cornet,  César  Cui,  M'>*  Didier,  Albert  Diot,  Robert  de  Fay,  Fraggi, 
Léon  Jongen,  D,  Leroux,  Lestikou,  Masson,  Poirson,  M"'  Sauvrezis,  G.  do  Sei- 
gneux,  etc. 

A  coAsuLTsa.  —  Albert  de  Bersaucourt  :  Conférence  sur  A.  Samain, 
prononcée  le  4  décembre  1907  au  Cercle  des  Etudiants  catholiques  du 
f.u.cembourg.  Paris,  Bouvalot-Jouve,  s.  d.,  in-12. —  Léon  Bocquet:  Albert 
Samain,  sa  Vie,  son  Œuvre,  avec  un  portrait  et  un  autogr.  Préface  de 
Francis  Jammes.  Paris,  Soc,  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  Henry 
Bordeaux:  Les  Ecrivains  et  les  mœurs,  notes,  essais  et  figures.  Paris,  Pion, 
1900,  in-18.  —  F.  Coppée  :  Mon  Franc-Parler  (2*  série).  Paris,  Lcmerro, 
1894,  in-18.  —  Edmond  Gosse  :  French  profils.  Londres,  Heiuemaun, 
1902,  in-8.  —  A.-M.  Gossez  :  Poètes  du  Nord.  1880-1902.  Morceaux  choi- 
sis. Paris,  OlleudorfT,  1902,  in-18.  —  Hemy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des 
Masques,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  iu-18.  —  Allred  Jarry  : 
Souvenirs  [avec  un  fac-siniilc  d'une  lettre  de  Samain  adressée  à  M.  Ad.  van 
B«rw  k  18  décembre  1899].  ParU,  V.  Lemaale,  1907,  in-18.  —  £■  Vigiâ- 


ALBMT   SAMAIN 


sob 


Lecocq  :  La  Poésie  contemporaine,  1884-1886,  fari»,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1897.  —  V.  Thompaon  :  French  l'ortraiU  (Beiii(ï  appréciations  of 
Ihewrilersof  Young  France),  Boston,  Richaril.  G.  Bml^'cr  et  H",  1900,  iu-8  — 
Alfred  Vallette  :  Albert  Samain,  notice  dans  Les  Portraits  du  prochain 
ttècle.  Paris,  Girard,  18'.i4,  iii-18.  —  Enill  Zilliacus  :  Den  iWyare  franska 
Foetinock  Antiken.  llclsingfors,  1905,  Aklicbolagol  UandoIstrYciicriek,ia-8. 
F.  Coppée  :  Quelques  poètes  Journal,  7  oclid.re  1897.  —  Loiilr»  Denise  : 
Albert  Samain.  Mejcure  do  France,  octobre  1908.  —  «îastou  Deschanips  : 
L»  Coin  de»  Poètes.  Temps,  24  octolire  1897.  —  Henô  Doumif,  :  Trois 
Poètes.  Revue  de»  Deux-Monde»,  15  octobre  1900.  —  Jean  do  tiuurinout  : 
Lctli'rali  contctnporanei.  Albert  Samain,  Kii\\>oviiim  (Bergaiiic),  mai  1906.  — 
Otto  Ilauser  :  Albert  Satnain,  Biof,Taphibche  skizze.  Âusfrcnidcu  Zunge» 
n*  13,  juillet  1902.  (Trad.  du  conte  Uyalis  par  M»*  C.  Benoit).  —  Jean 
Lorrain:  L'Allée  solitaire,  Journal,  1"  janvier  1898.  —  Cli.  Maurras: 
Jievue  Littéraire,  Hevue  Encyclop.,  22  janvier  1898.  —  H.  Potez  :  Albert 
Samain.  Revue  Septentrionale,  5  nov.  1900.—  P.  Quillard  :  Albert 
Samain.  Mercure  de  France,  octobre  1893.  —  André  Rlvolro  :  Albert 
Samain.  Revue  de  Pari»,  l"' août  1901.  —  E.  Viyié-Lecocq  :  L'Amour 
dans  la  Poésie  contemporaine.  Mercure  do  France,  janvier  1897.  —  Articles 
de  Achille  Segard,  L(?on  Bocquet,  Paul  CasUaux,  Edmond  Rlangucrnon, 
A. -M.  Gossez,  etc..  publii^g  dans  Le  He/jfroi  —  numéro  spécial  ill.,  consacré 
à  Albert  Samain,  juillet-août  1900.  —  Lettres  inédites  de  Albert  Samain,  pu- 
bliée» par    Vert  et  Prote,  septambre-uoraiiibre  1907. 

Iconographie  : 

Eugène  Carrière  :  Albert  Samain  ntr  ton  lit  de  mort,  peinture  à  riuiile, 
1900  (appartient  à  M.  Raymond  Bonheur).  —  F.  Vailotton  :  Musqué,  daus 
Le  Livre  des  Masques, de  R.  de  Gourmont,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1896.  —  Pholoyraphies  d'Albert 'Samain  en  1900  (clichés  app.  à  M.  Ravmond 
Bonheur),  dont  deux  reproduil.es,  l'une,  hors  texte,  dans  Le  lie/froi,  juillcl- 
•oùt  1000  (et  en  tête  de  l'ouvrage  Albert  Samain,  par  Léon  Bocquet)  et  l'autra 
dana  la  Revue  Emporium,  mai  1906. 


L'INFANTB 

Mua  &me  est  une  infante  en  robe  de  parade. 
Dont  l'exil  se  reflète,  éternel  et  royal, 
Aux  grands  miroirs  déserts  d'un  vieil  Escurial, 
Ainsi  qu'une  galère  oubliée  en  la  rade . 

Aux  pieds  de  sou  fauteuil,  allongés  noblement. 
Deux  lérners  d'Ecosse  aux  yeux  mélancoli(iues 
Chassent,  quand  il  lui  plaît,  les  bêles  symbolique» 
Dans  la  forêt  duHéve  et  de  l'Ëncbantemeat. 


Il 


Son  page  favori,  qui  s'appelle  Naguère, 
Lui  lit  d'ensorcelants  poèmes  à  mi-voix, 
Cependant  qu'immobile,  une  tulipe  aux  doigts, 
Elle  écoute  mourir  en  elle  leur  mystère. . . 

Le  parc  alentour  d'elle  étend  ses  frondaisons, 
Ses  marbres,  ses  bassins,  ses  rampes  à  balustres  ; 
Et,  grave,  elle  s'enivre  à  ces  songes  illustres 
Que  récèlent  pour  nous  les  nobles  horizons. 

Elle  est  là  résignée,  et  douce,  et  sans  surprise, 
Sachant  trop  pour  lutter  comme  tout  est  fatal, 
Et  se  sentant,  malgré  quelque  dédain  natal, 
Sensible  à  la  pitié  comme  Tonde  à  la  brise. 

Elle  est  là  résignée,  et  douce  en  ses  sanglots. 
Plus  sombre  seulement  quand  elle  évoque  en  songe 
Quelque  Armada  sombrée  à  l'éternel  mensonge, 
Et  tant  de  beaux  espoirs  endormis  sous  les  flots. 

Des  soirs  trop  lourds  de  pourpre  où  sa  fierté  soupire. 
Les  portraits  de  Van  Dyck  aux  beaux  doigts  longs  et  purs. 
Pâles  en  velours  noirs  sur  l'or  vieilli  des  murs, 
En  leurs  grands  airs  défunts  la  font  rêver  d'empire. 

Les  vieux  mirages  d'or  ont  dissipé  son  deuil. 
Et  dans  les  visions  où  son  ennui  s'échappe. 
Soudain  —  gloire  ou  soleil  —  un  rayon  qui  la  frappe 
Allume  en  elle  tous  les  rubisde  l'orgueil. 

Mais  d'un  sourire  triste  elle  apaise  ces  fièvres  ; 
Et,  redoutant  la  foule  aux  tumultes  de  fer, 
Elle  écoute  la  vie  —  au  loin  —  comme  la  mer... 
Et  le  secret  se  fait  plus  profond  sur  ses  lèvres. 

Rien  n'émeut  d'un  frisson  l'eau  pâle  de  ses  yeux. 
Où  s'est  assis  l'Esprit  voilé  des  Villes  mortes  ; 
Et  par  les  salles,  où  sans  bruit  tournent  les  portes. 
Elle  va,  s'enchantant  de  mots  mystérieux. 

L'eau  vaine  des  jets  d'eau  lÀ-bas  tcHibe  en  oascade. 


Àuuinr  •ÂMAm  107 

i^ii^— <i  «        '■■  '      '  ■ 

Et.  pAle  è  la  eroinéf,  anefalipe  b«x  f^oîi:^Ui, 
Elle  est  là,  reflétée  ant  miroirs  il'autrerois, 
Ainsi  qu'une  galère  oubliée  en  la  rade. 

Moo  Am«  est  une  infaote  en  robe  de  parade. 

{Àm  Jardin  de  tfnfanU.) 

ÉLÉGIE 

A  Gabriel    Randon. 

Quand  la  nuit  rerse  «a  irisieM«  au  firmament. 
Et  que,  pâle  au  balcon,  de  ton  calme  ▼iMg^ 
Le  signe  essentiel  hors  du  temps  ae  dégage, 
Ce  qui  t'adore  en  moi  a'émeut  profondément. 

C'est  l'heure  de  pensée  où  s'allament  les  lampes. 
La  ville,  où  peu  à  peu  toute  rumeur  s'éteint, 
Déserte,  se  recule  en  un  yague  lointain 
Et  prend  cette  douceur  des  anciennes  estampes. 

Graves,  nous  nous  taisons.  Un  mot  tombe  parfois. 
Fragile  pont  où  l'âme  i  l'Ame  communique. 
Le  ciel  se  décolore  ;  et  c'est  un  charrrte  unique, 
Catte  fuite  du  temps  il  semble,  entre  nos  doi^^ts. 

Je  resterais  ainsi  des  heures,  dea  années, 
Sans  épuiser  jamais  la  douceur  de  sentir 
Ta  tôte  aux  lourds  chereux  sur  moi  s'appesantir. 
Comme  morte  parmi  les  lumières  fanées. 

C'est  le  lae  endormi  de  Theure  k  l'unisson, 
La  halte  au  bord    du  puits,  le  repos  dans  les  roses  ; 
Et  par  de  longs  fils  d'or  nos  coeurs  liés  aux  choses 
Sous  l'invisible  archet  vibrent  d'un  long  frisson. 

Oh  !  garder  à  jamais  l'heure  élue  entre  toutes, 
Pour  qne  son  souvenir,  comme  un  parfum  séché, 
Quand  nous  serons  plus  tard  las  d'avoir  trop   marché, 
Console  notre  cceur,  s«nl,  le  soir,  sur  les  routes. 


ao8  roirxs  d'aujourd'hui 

Voicî  que  les  jardins  de  la  Nuit  vont  fleurir. 

Les  lignes,  les  couleurs,  les  sons  deviennent  vagues 

Vois,  le  dernier  rayon  agonise  à  tes  bagues. 

Ma  sœur,  entends-tu  pas  quelque  chose  mourir  !,.. 

Mets  sur  mon  front  tes  mains  fraîches  comme  une  eau  pure. 

Mets  sur  mes  yeux  tes  mains  douces  comme  des  fleurs  ; 
Et  que  mon  âme,  où  vit  le  goût  secret  des  fleurs. 
Soit  comme  un  lis  fidèle  et  pâle  à  ta  ceinture. 

C'est  la  Pitié  qui  pose  ainsi  son  doigt  sur  nous  ; 
Et  tout  ce  que  la  terre  a  de  soupirs  qui  montent, 
Il  semble  qu'à  mon  cœur  enivré  le  racontent 
Tes  yeux  levés  au  ciel  si  tristes  et  si  doux. 

{Au  Jardin  de  f Infante.) 


KEEPSAKE 

Sa  robe  était  de  tulle  avec  des  roses  pâles. 
Et  rose  pâle  était  sa  lèvre,  et  ses  yeux  froids. 
Froids  et  bleus  comme  l'eau  qui  rêve  au  fond  des  bois. 
La  mer  Tyrrhénienne  aux  langueurs  amicales 

Berçait  sa  vie  éparse  en  suaves  pétales. 
Très  douce  elle  mourait,  ges  petits  pieds  en  croix  ; 
Et,  quand  elle  chantait,  le  cristal  de  sa  voix 
Faisait  saigner  au  cœur  ses  blessures  natales. 

Toujours  à  son  poing  maigre  un  bracelet  de  fer, 
Où  son  nom  de  blancheur  était  gravé  «  Stéphane  », 
Semblait  l'anneau  rivé  de  l'exil  très  amer. 

Dans  un  parfum  d'héliotrope  diaphane 
Elle  mourait,  fixant  les  voiles  sur  la  mer, 
EUle mourait  parmi  l'automne...  vers   l'hiver... 

Et  c'était  comme  uae  musique  qui  se   fane... 

^  {Au  Jardin  de  l'Infante.) 


ALBERT   SAMAIN  1*9 


CLÉOPATRE 

A  Alfred  Vallette. 

I 

Accoudée  en  silence  aux  créneaux  de  la  tour, 

La  Reine  aux  cheveux  bleus  serrés  de  bandelettes, 

Sous  l'incantation  trouble  des  cassolettes. 

Sent  monter  dans  son  cœur  ta  mer,  immense  Amour. 

Immobile  sous  ses  paupières  violetteB 
Elle  rêve,  pâmée  aux  fuites  des  coussins  ; 
Et  les  lourds  colliers  d'or  soulevés  par  ses  seins 
Racontent  sa  langueur  et  ses  fièvres  muettes. 

Ua  adieu  rose  flotte  au  front  des  monuments . 

Le  soir,  velouté  d'ombre,  est  plein  d'enchantements; 

Et  cependant  qu'au  loin  pleurent  les  crocodiles, 

t<a  Reine  aux  doigts  crispés,  sanglotante  d'aveux, 

Frissonne  de  sentir,  lascives  et  subtiles. 

Des  mains  qui  dans  le  vent  épuisent  ses  cheveux. 

n 

Lourde  pèse  la  nuit  au  bord  du  Nil  obscur... 
Cléopàtre,  à  genoux  sous  les  astres  qui  brûlent. 
Soudain  pâle,  écartant  ses  femmes  qui  reculent. 
Déchire  sa  tunique  en  un  grand  geste  impur. 

Et  dresse  éperdument  sur  la  haute  terrasse 

Son  corps  vierge,  gonflé  d'amour  comme  un  fruit  mûr. 

Toute  nue,  elle  vibre  1  et,  debout  sous  l'azur. 

Se  tord,  couleuvre  ardente,  au  vent  tiède  et  vorace. 

Elle  veut,  et  ses  yeux  fauves  dardent  l'éclair, 

Que  le  monde  ait,  ce  soir,  le  parfum  de  sa  chair... 

O  sombre  fleur  du  sexe  cparse  en  l'air  nocturne  I 

Et  le  Sphynx,  immobile  aux  sables  de  l'ennui 

iS. 


roéiMB  d'aujouhd  hui 


Sent  uQ  feu  pénétrer  son  fçranit  taciturne  ; 
Et  le  désert  immense  a  remué  sous  lui. 

(Am  Jardin  de  l'Infante.) 

SOIR 

Le  Séraphin  des  soirs  passe  le  lonjB^  des  fleurs... 
La  Dam«-aux-Soog;es  chante  à  l'orgue  de  l'église^ 
Et  le  eiel,  dû  la  fin  du  jour  se  subtilise, 
Prolonge  une  agonie  exquise  de  couleurs. 

Le  Séraphin  des  soirs  passe  le  long  des  cœurs... 
Les  vierges  au  balcon  boivent  Tâmour  des  brises  ; 
Et  sur  les  fleurs  et  sur  les  vierges  indécises 
Il  neige  lentement  d'adorables  pAleurs. 

Toute  rose  au  jardin  s'incline,  lente  ti  lasse, 
Et  l'âme  de  Schumann  errante  par  l'espace 
Semble  dire  une  peine  impossible  k  guérir... 

Quelque  part  une  enfant  très  doiiee  doit  mourir... 
O  mon  âme,  meta  un  signet  an  livre  d'hetlres, 
L'Ange  va  recueillir  le  rêve  que  tu  pleures. 

{Âm  Jardin  de  l'Infante.) 

LE    SAGHt 

Notre-Dame  annonçait  l'apothéose  prête 

Avec  la  voix  d'airain  de  se»  beffrois  jumeaux; 

Au  loin  les  grands  canoos  grondaient,  et  les  drapeaux 

Se  gonflaient,  frissonnants,  soils  l'orgueil  de  la  fête. 

L'Empereur  s'inclifta,  les  mains  jointes,  nu-tête, 
El  le  Pape  apparut  dans  l'éclat  dw  flambeau. t^ 
Tenant  entre  ses  doigts  étincelants  d'anneaux 
La  couronnne  portant  la  croiik  latitte  aii  faîie. 

Mon  fils!  dit  le  pontife...  Alors  l'orgue  se  tut. 
Sur  tous  les  fronts  baissés  un  seul  frisson  courut. 
Comme  le  battement  soudain  d'une  aile  immense  ; 


albkht  •kuum  an 


EtToD  n'entendit  plus,  6Césàr  triomphant. 
Dans  la  nef  où  planait  un  aus^uste  sitence, 
Qu'une  rieilie  i  genoux  qui  pleurait  son  enfant. 

(Am  Jardin  dt  t Infante)  (i). 

XANTmS 

An  vent  fraÎA  du  matin  frisiionne  l'herbe  fiae; 
Une  Tapeur  lés^ère  aux  flancs  de  la  colline 
Flotte;  et  dans  les  taillis  d'arbre  en  arbrr  croisés 
Brillent,  enoore  intacts,  de  longs  fils  irisés. 
Près  d^une  onde  ridée  aux  brises  matinales 
Xnntbis,  ayant  quitté  sa  robe  et  ses  sandalos. 
D'un  bras  sapjpuie  au  tronc  flfixible  d'un  bouleau. 
Et,  penchée  à  demi,  se  regarde  dans  l'eau. 
Le  flot  de  ses  cheveux  d'un  seul  côté  s'épanche. 
Et,  blanche,  elle  sourit  A  sou  iiiiajje  blanche... 
Elle  admire  sa  taille  étroite,  ses  beaux  bras. 
Et  sa  hanche  polie,  et  ses  seins  délicats, 
Et  d'une  main,  que  jtpiide  une  exquise  décence. 
Fait  un  voile  pudique  à  sa  jeune  innocence. 
Mais  un  grand  cri  soudain  retentit  dans  \tn  bois, 
Et  Xanthis  tremble  ainsi  que  la  biche  aux  abois, 
Car  elle  a  vu  surgir,  dana  l'onde  trop  fidèle, 
Les  cornes  du  méchant  satyre  amoureux  d'elle. 

(Aojc  Flanc»  du  Vai4. 

PANNYRE  aux  talons  D'OR 

Dans  la  salle  en  rumeur  un  silence  a  passé... 
Pannyre  aux  talons  d'or  s'avance  pour  danser. 
Un  voile  aux  raille  plis  la  cache  tout  entière. 
D'un  long  trille  d'argent  la  flûte  la  première 
L'invite  ;  elle  s'élance,  entrecroi.se  ses  pas. 
Et,  du  lent  mouvement  imprimé  par  ses  bras, 
Donne  un  rythme  bizarre  à  l'étoffe  nooibreuse, 

(i)  NouiHlle  édition  augmenté*. 


9ia  poiTBS  d'aojouhd'hui 

Qui  s'élargît,  ondule,  et  se  gonfle  et  se  creuse. 

Et  se  déploie  enfin  en  large  tourbillon.. . 

Et  Pannyre  devient  fleur,  flamme,  papillon  I 

Tous  se  taisent  ;  les  yeux  la  suivent  en  extase. 

Peu  à  peu  la  fureur  de  la  danse  l'embrase. 

Elle  tourne  toujours  ;  vite  !  plus  vite  encor  ! 

La  flamme  éperdument  vacille  aux  flambeaux  d'or]... 

Puis,  brusque,  elle  s'arrête  au  milieu  de  la  salle  ; 

Et  le  voile  qui  tourne  autour  d'elle  en  spirale, 

Suspendu  dans  sa  course,  apaise  ses  longs  plis. 

Et,  se  collant  aux  seins  aigus,  aux  flancs  polis. 

Comme  au  travers  d'une  eau  soyeuse  et  continue, 

Dans  un  divin  éclair,  montre  Pannyre  nue. 

{A  ux  Flancs  da  Vas»,) 

VERSAILLES 

I 

O  Versailles,  par  cette  après-midi  fanée. 
Pourquoi  ton  souvenir  m'obsède-t-il  ainsi  f 
Les  ardeurs  de  l'été  s'éloignent,  et  voici 
Que  s'incline  vers  nous  la  saison  surannée. 

Je  yeux  revoir  au  long  d'une  calme  journée 

Tes  eaux  glauques  que  jonche  un  feuillage  roussi. 

Et  respirer  encore,  un  soir  d'or  adouci. 

Ta  beauté  plus  touchante  au  déclin  de  l'année. 

Voici  tes  ifs  en  cône  et  tes  tritons  joufflus, 
Tes  jardins  composés  où  Louis  ne  vient  plus. 
Et  ta  pompe  arborant  les  plumes  et  les  casques. 

Comme  un  grand  lys  tu  meurs,  noble  et  triste,  sans  bruit  ; 
Et  ton  onde  épuisée  au  bord  moisi  des  vasques 
S'écoule,  douce  ainsi  qu'un  sanglot  dans  la  nuit. 

II 

Grand  air.  Urbanité  des  façons  anciennes. 
Haut  cérémonial.  Révérences  sans  fin. 


ALBERT    fAMAlIt 


llS 


Crëqui,  Fronsac,  beaux  noms  chatoyants  do  satîo. 
Mains  ducales  dans  les  vieilles  valencieunes, 

Mains  royales  sur  les  cpioeltes.  Antiennes 
Des  évéqnes  devant  Monseigneur  le  Daiiphîo. 
Gestes  de  menuet  et  cœurs  de  biscuit  fin: 
Et  Ces  grâces  que  l'on  disait  Autrichiennes... 

Princesses  de  sang  bleu,  dont  l'âme  d'apparat, 

Des  siècles,  au  plus  pur  des  castes  macéra . 

Grands  seigneurs  pailletés  d'esprit.  Marquis  de  sèvres. 

Tout  un  monde  galant,  vif,  brave,  exquis  et  fou, 

Avec  sa  fine  épée  en  verrouil,  et  surtout 

Ce  mépris  de  la  mort,  comme  une  fleur,  aux  lèvres! 

m 

Mes  pas  ont  suscité  les  prestiges  enfuis. 
0  psyché  de  vieux  saxe  où  le  Passé  se  mire... 
C'est  ici  que  la  reine,  en  écoutant  Zémire, 
Rêveuse,  s'éventait  dans  la  tiédeur  des  nuits. 

O  visions  :  paniers,  poudre  et  mouches;  et  puis 
Léger  comme  un  parfum,  joli  comme  un  sourire. 
C'est  cet  air  vieille  France  ici  que  tout  respire  ; 
Ettoujours  cette  odeur  pénétrante  des  buis... 

Mais  ce  qui  prend  mon  cœur  d'une  étreinte  infinis. 
Aux  rayons  d'un  long  soir  dorant  son  ag:onie. 
C'est  ce  Grand- Trianon  solitaire  et  royal, 

Et  son  perron  désert  où  l'automne,  si  douc«, 
[Laisse  pendre,  en  rêvant,  sa  chevelure  rousso 
Sur  l'eau  divinement  triste  du  grand  canal. 

IV 

Le  bosquet  de  Vertumne  est  délaissé  des  GrAces. 
Cette  ombre,  qui,  de  marbre  en  marbre  gémissant. 
Se  traîne  et  se  retient  d'un  beau  bras  languissant, 
Hélas,  c'est  le  Génie  en  deuil  des  vieilles  races  I 


Mt^  poiTB*  d'aujourd'hui 

O  Palais,  horizon  suprême  des  tcrrasiies, 
Un  peu  de  vos  beautés  coule  dans  notre  sao jf  ; 
El  c'est  ce  qui  vous  donne  un  indicible  accent, 
Quand  un  couchant  sublime  illumine  vos  glaces  1 

Gloires  dont  tant  de  jours  tous  fûtes  l«  décor. 
Ames  étincelant  sous  les  lustres.  Soirs  d'or. 
Versailles...  Mais  déjà  s'amasse  la  nuit  sombre. 

Et  mon  cœur  tout  à  coup  se  serre,  ear  j'entends, 
Comme  un  bélier  sinistre  aux  murailles  du  teînps, 
Toujours,  le  grand  bruit  sourd  de  ces  flots  noirs  dans  l'ombre. 

{U  Chariot  tPOi'.) 

SOIR  DE  PRINTEMPS 

Premiers  soirs  de  printemps  :  tendresse  inavouée... 

Aux  tiédeurs  de  la  brise  écharpe  dénouée.. . 

Caresse  aérienne. . .  Encens  mystérieux. . . 

Urne  qu'une  main  d'ange  incline  au  bord  des  cieux... 

Oh  !  quel  désir  ainsi,  troublant  le  fond  des  âmes, 

Met  ce  pli  de  langueur  à  la  hanche  des  femmes  ? 

Le  couchant  est  d'or  rose  et  la  joie  emplit  l'air, 

Et  la  ville,  ce  soir,  chante  comme  la  mer . 

Du  clair  jardin  d'avril  l.i  porte  est  entr'ouverte. 

Aux  arbres  légers  tremble  une  poussière  verte. 

Un  peuple  d'artisans  descend  des  ateliers  ; 

Et,  dans  l'ombre  où  sans  fin  sonnent  les  lourds  souliers. 

On  dirait  qu'une  main  de  Véronique  essuie 

Les  fronts  rudes  tachés  de  sueur  et  de  suie. 

La  semaine  s'^achève,  et  voici  que  soudain, 

Joyeuses  d'annoncer  la  Pâques  de  demain, 

Les  cloches,  s'ébranlanl  aux  vieilles  tours  gothiques. 

Et  revenant  du  fond  des  siècles  catholiques, 

Font  tressaillir  quand  même  aux  frissons  anciens 

Ce  qui  reste  de  foi  dans  nos  yieux  os  chrétiens  I 

Mais  déjà,  souriant  sous  ses  voiles  sévères. 

La  nuit,  la  nuit  païenne  apprête  ses  mystères  ; 

Et  le  croissant  d'or  fin,  qui  monte  dans  l'azur. 


ALIICHT     SAI^filM 


ii5 


Rayonne,  par  degrés  [»lus  limpidt^  et  plus  pur. 

Sur  la  ville  brâlanle,  un  instant  apaisée-, 

On  dirait  qu'une  main  de  Femme  s'est  posée 

Les  couleurs,  les  rumeurs  s'éteignent  peu  à  peu  ; 

L'enchantement  du  soir  s'achève...  et  tout  est  bleui 

leneffable  minute  où  l'Ame  de  la  foule 

Se  sent  mourir  un  peu  dans  le  jour  qui  s'écoule... 

Et  le  cœur  va  flottant  vers  de  tendres  hasards 

Dans  l'ombre  qui  s'éloile  aux  lanternes  des  chars. 

Premiers  soirs  de  printemps  :  brises,  léjçères  fièvres! 

Douceur  des  yeuxl . .  .Tiédoiir  di's  miiins! . . .  Langueur  des  lèvreSi 

Et  l'Amour,  une  rose  à  la  bouche,  laissant 

Traîner  à  terre  un  peu  de.  son  manteau  glissant, 

Nonchalarnuienl  s'accoude  au  parapet  du  fleuve. 

Et  puisant  au  carquois  d'or  une  flèche,  neuve, 

De  ses  beaux  yeux  voilés,  cruel  adolescent, 

Sourit,  silencieux,  à  la  Nuit  qui  consent. 

{Le  Chariot  tfor.) 

VOICI  LIilS   VIEUX  MÉTIERS... 

Voici  les  vieux  métiers  :  le  cuir,  le  fer,  le  bois, 

La  chanson  d'établi  dans  les  copeaux  éclose  ; 

Le  marteau  sur  l'enclume,  et  le  fer  chaud  qu'on  pofM, 

Et  cet  osier  qui  court  flexible  entre  les  doig^. 

Âh  !  vivre  ici  pareil  au  ciel  changeant  des  mois  I... 
La  ville  a  pour  ceinture  un  clair  jardin  de  roses 
Ah  !  vivre  ici  parmi  IMnnocence  des  choses, 
Près  de  la  bonne  terre,  et  loin  des  tristes  loitk 

On  songe  d'une  vie  heureuse  et  monotone  I 
Bon  pain  quotidien  ;  lait  pur;  oonsoie  ace  bonne  ; 
Simplicité  des  cœurs  levés  svant  le  jour... 

Oui,  mais  qui  sait,  hélas  !  peut-être  quels  mystères 
Même  ici,  trame,  aux  nuit:j  d'orage  et  d'adultères, 
G)  vieux  couple  éternel,  l'Avarice  et  l'Amour  ? 

(Lé  Chariot  d'orj 


ai6  *  POKTSS    D^AUJOUnD*HUl 

« 

ÉLÉGIE 

L'heure  comme  nous  rêve  accoudée  aux  remparts, 

Penchés  vers  l'occident,  nous  laissons  nos  regards 

Sur  le  port  et  la  ville,  où  le  peuple  circule, 

Gomme  de  grands  oiseaux  tourner  au  crépuscule. 

Des  bassins  qu'en  fuyant  la  mer  a  mis  à  sec 

Monte  humide  et  puissante  une  odeur  de  varech. 

Derrière  nous,  au  fond  d'une  antique  poterne, 

S'ouvre,  nue  et  déserte,  une  cour  de  caserne 

Immense  avec  de  vieux  boulets  ronds  dans  un  coin. 

Grave  et  mélancolique  un  clairon  sonne  au  loin . . . 

Cependant  par  degrés  le  ciel  qui  se  dégrade 

D'ineffables  lueurs  illumine  la  rade. 

Et  mon  âme,  aux  couleurs  mêlée  intimement. 

Se  perd  dans  les  douceurs  d'un  long  enchantement. 

L'écharpe  du  couchant  s'effile  en  lambeaux  pâles. 

Ge  soir,  ce  soir  qui  meurt,  s'imprègne  dans  nos  moelles 

Et,  d'un  cœur  malgré  moi  toujours  plus  anxieux, 

Je  le  suis  maintenant  qui  sombre  dans  tes  yeux 

Comme  un  beau  vaisseau  d'or  chargé  de  longs  adieux  1 

Nul  soufHe  sur  la  rade.  Au  loin  une  sirène 

Mugit...  La  nuit  descend  insensible  et  sereine, 

La  nuit. . .  Et  tout  devient,  on  dirait,  éternel  : 

Les  mâts,  le  lacis  fin  des  vergues  sur  le  ciel, 

Les  quais  noirg  encombrés  de  tonneaux  et  de  grues, 

Les  grands  vapeurs  fumant  des  routes  parcourues, 

Le  bras  de  la  jetée  allongé  dans  la  mer, 

I^es  entrepôts  obscurs  luisants  de  rails  de  fer, 

Et;  bizarre,  étageant  ses  masses  indistinctes. 

Là-bas,  la  ville  anglaise  avec  ses  maisons  peintes. 

La  nuit  tombe...  Les  voix  d'enfants  se  sont  éteintes 

Et  ton  cœur  comme  une  urne  est  rempli  jusqu'au  bord 

Quand  brillent  çà  et  là  les  premiers  feux  du  port. 

{U  Chariot  é'or,) 


-^^mk 


ALBKRT    SAMAIM  117 


NOCTURNE  PROVINCIAL 

La  petite  ville  sans  bruit 

Dort  profondement  dans  la  nuit. 

Aux  vieux  réverbères  à  branches 
Agonise  un  gnz  indigent; 
Mais  soudain  la  lune  émergeant 
Fait  tout  au  long  des  rriaisons  blanches 
Resplendir  des  vitres  d'argent. 

I,a  nuit  tiède  s'évente  au  long  des  marronniers... 
La  nuit  tardive,  où  flotte  encor  de  la  lumière. 
Tout  est  noir  et  désert  aux  anciens  quartiers  ; 
Mon  âme,  accoude-toi  sur  le  vieux  pont  de  pierre, 
Et  respire  la  bonne  odeur  de  la  rivière. 

Le  silence  est  si  grand  que  mon  cœur  en  frissonne. 
Seul,  le  bruit  de  mes  pas  sur  le  pavé  résonne. 
Le  silence  tressaille  nu  cœur,  et  minuit  sonne  ! 

Au  long  des  grands  murs  d'un  couvent 
Des  feuilles  bruissent  au  vent. 
Pensionnaires...  Orphelines... 
Rubans  bleus  sur  les  pèlerines... 
C'est  le  jardin  des  Ursuiines. 

Une  brise  à  travers  les  grilles 
Passe  aussi  douce  qu'un  soupir. 
Et  cette  étoile  aux  feux  tranquilles, 
Là-bas,  semble,  au  fond  des  charmilles. 
Une  veilleuse  de  saphir. 

Oh  1  sous  les  toits  d'ardoise  à  la  lune  pâlis, 

Les  vierges  et  leur  pur  sommeil  aux  chambres  claires, 

Et  leurs  petits  cous  ronds  noués  de  scapulaires, 

Et  leurs  corps  sans  péché  dans  la  blancheur  des  litsl... 

D'une  heure  égale  ici  l'heure  égale  est  suivie. 
Et  l'Innocence  en  paix  dort  au  bord  de  la  vie... 


18 


a  I S  POÂTES  D'AUJrOURD  HUl 


Triste  et  déserte  infiniment 
Sous  le  clair  de  lune  éld-lrique, 
Voici  que  ia  place  historique 
Aligne  solennellement 
Ses  vieux  hôtels  du  Parlement. 

A  J'an^le,  une  fenêtre  est  éclairée  encor . 
Une  lampe  est  là-haut,  qui  veille  quand  tout  dort  1 
Sous  le  frêle  tissu,  qui  tamise  sa  flamme, 
Furtive,  par  instants,  glisse  une  ombre  de  femme. 

La  fenêtre  s'entr'ouvre  un  peu  ; 

Et  la  femme,  poiw'nant  aveu, 

Tord  ses  beaux  bras  nus  dans  l'air  bleu... 

0  secrètes  ardeurs  des  nuits  provinciales  ! 
Cœurs  qui  brûlent!  Cheveux  en  désordre  épandusl 
Beaux  seins  lourds  de  désirs,  pétris  par  des  mains  pâles  I 
Grands  appels  suppliants,  et  jamais  entendus  I 

Je  vous  évoque,  ô  vous,  amantes  ignorées. 

Dont  la  chair  se  consume  ainsi  qu'un  vain  flambeau, 

Et  qui  sur  vos  beaux  corps  pleurez,  désespérées, 

Et  faites  pour  l'amour,  et  d'amour  dévorées, 

Vous  coucherez,  un  soir,  vierges  dans  le  tombeau  I 

Et  mon  âme  pensive,  à  l'angle  de  la  place. 
Fixe  toujours  là-bas  la  vitre  où  l'ombre  passe. 

Le  rideau  frêle  au  vent  frissonne. . . 
La  lampe  meurt...  Une  heure  sonne. 
Personne,  persoaae,  personne. 

(Le  Chariot  tTOr.) 


TOUT  DORT.   LE  FLEUVE  ANTIQUE... 

Tout  dort..  Le  fleuve  antique  entre  ses  quais  de  pierre 
Semble  immobile.  Au  loin  s'espacent  des  beffrois. 
El  sur  la  cité,  monstre  aux  écailles  de  toits. 
Le  silence  descend,  doux  comme  une  paupière. 


AI.BRRT    MAMAIN  %tg 

Les  palais  et  les  tours  sur  le  cwl  <^oiié 
Découpent  des  prolils  de  rêve-  Notre-Dame 
Se  refltHe,  géante,  au  miroir  de  mon  âme. 
Et  la  Sainte-Chap<-IIe  a  l'air  de  s'envoler!... 

Tout  dort  dans  les  maisons  où  regarde  la  luno. 
Et  ceux-là  qu'éreinta  la  vie  et  son  travail 
Jouissent,  poings  fermés,  leur  somme  de  bétail 
Ou  galopent  furieux  la  course  à  la  Fortune. 

Pour  moi,  je  veille,  l'âme  éparse  dans  la  nuit. 
Je  veille,  cœur  tendu  vers  des  lèvres  absentes. 
Parmi  la  solitude  aux  brises  caressantes, 
Et  la  lune  à  travers  les  arbres  me  conduit. 

Paris  est  recueilli  comme  une  basilique  ; 
A  "peine  un  roulement  de  fiacre,  par  moment. 
Un  chien  perdu  qui  pleure,  ou  le  long  siffloment 
D'une  locomotive  —  au  loin  —  mélancolique. 

Le  silence  est  profond,  comme  mystérieux. 
La  nuit  porte  l'amour  endormi  sous  sa  mante 
Et  je  n'entends  plus  rien  clans  la  cité  dormante 
Que  ton  haleine  frêle  et  douce,  ô  mon  amante, 

Qui  fait  trembler  mon  cœur  large  ouvert.sou»  les  cieax« 

(Le  Chariot  d'Or.) 


AUTOMNE 

Le  vent  tourbillonnant,  qui  rabat  les  volets, 
Là-bas  tord  la  forêt  comme  une  chevelure. 
Des  troncs  entrechoqués  monte  un  puissant  murmure 
Pareil  un  bruit  des  mers,  rouleuses  de  galets, 

L'Automne  qui  descend  les  collines  voilées 
Fait,  sous  ses  pas  profonds,  tressaillir  notre  cœur  ; 
Et  voici  (pic  s'afflige  avec  plus  de  ffrveur 
Le  tendre  désespoir  des  roses  eavoléet. 


S20  POÈTES    D  aujourd'hui 

Le  vol  des  guêpes  d'or  qui  vibrait  sans  repos 
S'est  tu  ;  le  pêne  grince  à  la  grille  rouillée; 
La  tonnelle  greloite  et  la  terre  est  mouillée, 
Et  le  linge  blanc  claque,  éperdu,  dans  l'enclos. 

Le  jardin  nu  sourit  comme  une  face  aimée 
Qui  vous  dit  longuement  adieu,  quand  la  mort  vient; 
Seul,  le  son  d'une  enclume  ou  Taboiement  d'un  chien 
Monte,  mélancolique,  à  la  vitre  fermée. 

Suscitant  des  pensers  d'immortelle  et  de  buis, 
La  cloche  sonne,  grave,  au  cœur  de  la  paroisse  ; 
Et  la  lumière,  avec  un  long  frisson  d'angoisse. 
Ecoute  au  fond  du  ciel  venir  les  longues  nuits. 

Les  longues  nuits  demain  remplaceront,  lugubres. 
Les  limpides  matins,  les  matins  frais  et  fous, 
Pleins  de  papillons  blancs  chavirant  dans  les  choux 
Et  de  voix  sonnant  clair  dans  les  brises  salubres. 

Qu'importe,  la  maison,  sans  se  plaindre  de  toi. 
T'accueille  avec  son  lierre  et  ses  nids  d'hirondelle. 
Et,  fêlant  le  retour  du  prodigue  près  d'elle, 
Fait  sortir  la  fumée  à  longs  flots  bleus  du  toit. 

Lorsque  la  vie  éclate  et  ruisselle  et  flamboie, 
Ivre  du  vin  trop  fort  de  la  terre,  et  laissant 
Pendre  ses  cheveux  lourds  sur  la  coupe  du  sang, 
L'àme  impure  est  pareille  à  la  fille  de  joie. 

Mais  les  corbeaux  au  ciel  s'assemblent  par  millier. 
Et  déjà,  reniant  sa  folie  orageuse, 
L'âme  pousse  un  soupir  joyeux  de  voyageuse 
Qui  retrouve,  en  rentrant,  ses  meubles  familiers. 

L'étendard  de  l'été  pend  noirci  sur  sa  hampe. 
Remonte  dans  ta  chambre,  accroche  ton  manteau  ; 
Et  que  ton  rêve,  ainsi  qu'une  rose  dans  l'eau, 
S'entr'ouvre  au  doux  soleil  intime  de  la  lampe. 

Dans  l'horloge  pensive,  au  timbre  avertisseur. 
Mystérieusement  bat  le  cœur  du  Silence. 


AIAIRT    SAHAIN 


La  Solitude  au  seuil  étend  sa  vigilance, 

Et  baise,  en  se  penchant,  ton  front  comme  une  sœur. 

C'est  le  refuge  élu,  c'est  la  "bonne  demeure, 
La  cellule  aux  murs  chauds,  l'àtre  au  subtil  loisir, 
Où  s'élabore,  ainsi  qu'un  très  rare  élixir, 
L'essence  fine  de  la  vie  intérieure. 

Là,  tu  peux  déposer  le  masque  et  les  fardeaux, 
Loin  de  la  foule  et  libre,  enfin,  des  simagrées, 
Afin  que  le  parfum  des  choses  préférées 
Flotte,  seul,  pour  ton  cœur  dans  les  plis  des  rideaux. 

C'est  ]a  bonne  saison,  entre  toutes  féconde. 
D'adorer  tes  vrais  dieux,  sans  honte,  à  ta  façon. 
Et  de  descendre  en  toi  jusqu'au  divin  frisson 
De  te  découvrir  jeune  et  vierge  comme  un  monde  ! 

Tout  est  calme  ;  le  vent  pleure  au  fond  du  couloir  ; 
Ton  esprit  a  rompu  ses  chaînes  imbéciles, 
Et,  nu,  penché  sur  l'eau  des  heures  immobiles, 
Se  mire  au  pur  cristal  de  son  propre  miroir  : 

Et,  près  du  feu  qui  meurt,  ce  sont  des  Grâces  nues. 
Des  départs  de  vaisseaux  haut  voilés  dans  l'air  vif, 
L'âpre  suc  d'un  baiser  sensuel  et  pensif, 
Et  des  soleils  couchants  sur  des  eaux  inconnues... 

Magny^les-Hameavux:,  octobre  i8g4. 

{Le  Chariot  d'Or.) 


FERNAND  SÉVERIN 
1867       . 


M.  Fernand  Séverin  est  né  à  Grand'Manil  (province  de  Namar)  le 
4  février  1867.  Son  père  et  tousses  descendants  paternels  et  mater- 
nels étaient  vi^allons  et  grands  fermiers  dans  les  pays  de  Namur  et 
de  Fleurus.  M. Fernand  Séverin  vécut  d'abord  à  Grand'Manil  jusqu'à 
l'âge  de  sept  ans.  Puis  il  alla  faire  ses  premières  études  à  la  Doras- 
chule  d'Aix-la-Chapelle,  au  Collège  Noire-Dame  de  la  Paix  à  Na- 
mur et  à  l'Athénée  de  Bruxelles  II  fit  ensuite  ses  études  universitai- 
res à  l'Université  libre  de  Bruxelles, où  il  obtint,  en  1891,  lediplôme 
de  docteur  en  philosophie  et  lettres.  Il  entra  alors  dans  la  carrière 
de  l'enseignement,  professeur  de  français,  de  latin  et  de  grec,  d'a- 
bord au  collège  communal  de  V'irton,  puis  à  l'Athénée  royal  de  Lou- 
vain.  enfin  à  l'Athénée  royal  de  Bruxelles.  Il  est  actuellement  titu- 
laire du  cours  de  français,  à  l'Université  de  Gand. M. Fernand  Séverin 
débuta  comme  écrivain  en  1886,  avec  des  vers  qui  parurent  dans  les 
revues  littéraires  belges,  notamment  La  Jeunp  Belgique,  àoni  il  fut 
un  des  plus  actifs  collaborateurs.  Il  donna  successivement  quelques 
petites  plaquettes  :  Le  Lys,  Le  Don  d'Enfance,  Un  chant  dans 
l'Onibrr,  réunis  en  un  seul  volume  :  Poèm-'s  inqénas,  qui  contenait 
ainsi  tous  les  vers  qu'il  avait  écrits  de  dix-neuf  à  trente-deux  ans. 
En  1904,  il  publia  un  nouveau  recueil  :  La  Solitude  heareuse-lonic 
son  œuvre  poétique  se  trouve  aujourd'hui  rassemblée  dans  un 
unique  volume  :  Poèmes,  paru  récemment. 

M.  Fernand  Séverin  a  collaboré  à  L'Elan  littéraire,  à  La  Wal- 
lonie, à  La  Jeam:  BeUjique,  à  Floréal,  au  Réveil,  au  Coq  Rouge, 
k  Durcndal,  à  La  Revue  Générale,  à  La  Belgique  artistique  et 
littéraire,  au  Samedi,  toutes  revues  belges  où  il  a  donné  des  vers, 
des  poèmes  en  prose  et  des  impressions  de  voyages,  au  Afi^rcure  de 
France  et  k  l' flermilaqe,  et  notamment  à  V Indépendance  Belge, 
où  il  fit,  pendant  plusieurs  années,  de  i8g3  k  i8gg,  la  critique  litté- 
raire. 


-KHISAND    S^VKHIM  «33 


Bibliographie 

Lis  CBUvRSii.  —  l,e  l>ys,  iiomies.  ^romlspl^e  à  l'eau-forte  par  Henry  de 
Groux.  Hriixelles,  Lac  oin'.icz,  el  l'aris,  Lcuipn-o,  1888,  in  K.  — Le  Don  d'''n- 
lauee,  poc'^nips.  Biuxellts,  Lacomlilcz,  Ib'Jl,  iu-8.  (Ri'inipr.  :  Poèmes  ingénus. 
Pari»,  Fisclibacher,  1899,  in-18  ;  Pothnct.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1908,  in-18).  —  Un  Chant  dans  l'Ombre,  l'Oèmes.  Bruxelles,  Lacomblei; 
1895,  in-8.  (Réinipr.  :  Poèmes  iniiéniis.  Paris,  Fisclibacher,  1899,  in-18; 
Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Merrme  ile  France,  I9(i8,  in-18K  —  Po(>mes  Inflé- 
ntis.  Préface  de  G.  Barrai.  Portrait  de  l'auteur.  Paris,  Fischbaclier,  1899, 
in-18  [Le  Lys.  Li-  Don  d'/ùifance.  Un  Chnni  dans  l'Ombre,  etc.).  — 
Impressions  \<^nlli«snne8.  Bruxelles,  Oscar  Schcpens  (tirage  à  part  de 
La  Havue  Générfttu  ,IW1,  in-8.  —  DaiiR  l'Ellel.  Bruxelles,  Oscar  .Schepens 
(tirar.;o  h  pari  de  La  lievue  Générale),  1903,  iu-8.  —  la  SoUludo  heu- 
reuse, poèmes.  Unixellos,  Ed.  de  l'Assocdus  Ecrivains  belges,  Dcchenne  et  G", 
liiOl,  petit  In-tt.  lUi^impr.  :  Poèrne.f.  Paria,  Soc.  dti  Mercure  de  France,  1908, 
in-18.  —  Ohhs  le»  Hautes  Fi«yne8.  Bruxelloi.  Oscar  Scbepens  (tirage  à 
part  de  La  Revue  Générale),  1905.  in-8.  —  Poèmes.  (Le  Don  d'Enfance. 
Un  Chant  dant  l'Chidjre.  Lex  Matini  anyéliques.  La  Solitude  heureuse.) 
Paris,  Soc.  du  Mcrnire  de  France.  1908.  in-18. 

On  trouve.  <lo  plus,  des  po^lnes  do  Kernand  Sévcrin  dans  les  ouvrapes  sui- 
vants :  I<c  Parnasse  (le  la  .leiiiie  Belglqno.  pièces  diverses  de  dix-huit 
po'Ues  hetijes.  Paris,  Vanier,  1887,  pr.  in  8.  ~  Poèl*>s  beljjes  (l'exurcsslon 
imncalse  [par  Pol  de  Mont).  Almelo,  W.  Ililarius,  1899,  in-18.  —  Die  Bei- 
flK.-he  Lyrlk  vou  1880-1000,  L:ine  .iCudie  und  f.'eher.^etzunyen  von 
Otto  Hauser  Grossenhain,  Baumert  et  RoD^re,  190Î,  in-8  (traduction  de  trois 
poèmes),  etc. 

PoÈHKs  MIS  KM  MusiouK-  Des  poCsies  de  M.  Fernand  Savarin  ont  été  mises 
en  musique  par  MM.  Walluer  el  Ch.  M<''laiik. 

A  coNsiji.TEH.  —  Fuflèno  Gilbert  :  France  et  Belgique.  Etudes  litté- 
raires. Paris,  Pion,  19ii5,  in-18  :  Les  Lettres  françai.ies  dans  la  licliiique 
d'aujourd'hui.  Paris,  Sansot,  1906,  in-18.  —  Alb.^rl  Giraud  :  A'o//c.dan» 
Portraits  du  ]>rochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  Otto  Ilaiiser  : 
Die  lldijische  Lyrik  von  iS80-l900,  etc.  Grossenhain,  Bcaunierl  et  Bouge, 
1902,  in-8.  —  D<J»<iré  llorrent  :  Ecrivain»  bclije»  «foujourrf'/iuj.  Bruxelles, 
Lacoiuble?.,  1904.  in-8. 

Albert  Arnay  :  Ferriand  Séverin.  La  Wallonie  /Liège),  anné»  1891.  — 
Frnn/  Ansel  :  Fernand  Séverin.  Uur«ndal  (Bruxelles),  août  190*.  —  René 
Bertaut  :  Fernand  Séverin,  notice  biu-biblioyr.  (portmit).  Revue  Bibliopru- 
phi(|ue  belge,  31  octobre  1904.  —  Albert  Giraud:  A  itropos  d'un  livre  nou- 
veau :  Un  Chant  dans  l'Omtire.  Jeune  Belgique  (Bruxelles),  juin  1895.  — 
Arnold  Gotlin  :  Fernand  Séverin  (avec  un  portrait).  Durendal  (Bruxelles), 
mai  1900.  —  Gaston  lieue:  Femm'.d  Sérevi)!,  niono|{iaiiliie.  La  Lutte 
(Bruxelles),  avril  et  mai  l'JOO.  -  Hubert  Kraiu^  .  fAttératews  français  de 
Wallonie.  Fernand  Séverin  (portrait).  Wallonia  (Liège),  mai  1904.  —  Albert 
.Mockel  :  Clironique  littéraire. La  Wallonie  (Liè^çel.  ann^'el888.  —  Georoes 
Rency  :  Trois  poètes.  Em.  Verhaeren,  Van  Lerhi'njhe  et  F.  Séverin.  L'Art 
Mmleruo  (Bruxelles),  29  mai  1904;  La  Sfominalion  de  M.  Fernand  Séverin. 
Le  Samedi  (Bruxelles),  13  octobre  1907.  —  Hubert Stiernet  :  Un  chant  dan* 
l'Ombre  {l*  Coq  Rouge)  Bruxelles,  juin   1895       -   K.  Van   den   Bosch  : 


334  P0ÂTB8    d'aujourd'hui 


Les  Poètes  belges  d'expression  française  (portrait).  L'Illustration  belge, 
22  octobre  1905.  —  Maurice  Wilmotte  :  Poètes  de  chez  nous.  Revue  de 
Belgique,  juillet  1904. 

LA  COURONNE 

Flumin»  amem  sylrasque  inglorias. . . 

TIRGILl. 

J'ai  revu  ma  forêt,  captive  des  hivers, 

S'éveiller  mollement  à  de  tièdes  haleines  : 

Déjà,  dans  l'air  plus  bleu,  les  grands  arbres  sont  verts 

Et  le  parfum  des  bois  s'exhale  vers  les  plaines. 

C'est  un  bonheur  antique  et  toujours  inconnu  : 

Mon  cœur,  mon  simple  cœur  tremble  devant  ces  choses  ! 

Tout  perlé  de  rosée,  un  feuillage  ingénu 

Palpite,  ce  matin,  sur  mes  forêts  écloses. 

O  Muses  I  si  l'écho  d'un  amour  si  profond 
Lui  survit,  grâce  à  vous,  dans  mes  chansons  prochaînoB, 
N'offrez  point  d'assouplir  aux  rides  de  mon  front 
L'indocile  rameau  des  lauriers  et  des  chênes. 

Les  feuilles  s'entr'ouvraient,  frêles  comme  des  fleurs  I 
Oh  I  qu'un  léger  rameau  de  ces  feuilles  tremblantes, 
Où  la  froide  rosée  aura  laissé  des  pleurs, 
Couronne  à  tout  jamais  mes  tempes  indolentes  I 

A  de  plus  mâles  fronts,  les  orgueilleux  bandeaux. 
Puissé-je,  sans  renom,  vivre  loin  de  la  vie. 
Et  rentrer,  tout  entier,  aux  limbes  virginaux. 
D'où  mon  Âme  d'enfant  n'était  jamais  sortie. 


(Poèmes,) 


LA  CHANSON  DOUCE 


«  Une  haleine  a  soufflé  ;  la  lampe  s'est  éteinte  : 
La  nuit,  bleuâtre  et  tiède,  entre,  avec  sa  langueur. 
Un  chant  d'oiseau  lointain,  triste  comme   une  plainte, 
S'élève,  par  instant,  dans  la  paix  de  mon  cœur. 


rCRNAND    SiVBJlIM  a  35 


Qu'il  est  doux  d'être  au  monde  1  Et  d'aimer  1  Et  d'entendre 

Un  aveu  dérobé  répondre  à  ses  aveux,... 

J'ai  couronné  ton  front  d'un  rameau  frêle  et  tendre  ; 

Les  larmes  de  la  nuit  tremblent  dans  tes  cheveux  . 

Rapproche-toi...  L'amour  a  de  ces  mots  suprêmes 
Qui  ne  sont  point  compris,  s'ils  ne  sont  dits  tout  bas. 
Vois-tu,  ma  chère  enfant,  je  sais  bien  que  tu   m'aimes. 
Mais  mon  âme,  sans  eux,  ne  le  sentirait  pas. 

Plus  près,  plus  près  de  moi  I  Tout  nous  sépare  encore  ! 
Qu'un  soupir,  une  lialeiue,  un  frisson  moins  discret 
Me  livre  cet  aveu  que  la  parole  ignore  : 
Il  ne  sera  si  doux  qu'au  prix  d'un  tel  secret. 

O  mon  enfant  !  Les  morts,  qui  dorment  sous  la  terre. 
Ont  tout  perdu,  sans  doute,  avec  l'aspect  du  jour... 
Mais  rien  n'aftlige  tant  leur  songe  solitaire 
Que  le  seul  souvenir  de  cet  instant  d'amour. 

Je  t'aime...  En  cette  nuit,  toute  claire  d'opales. 
Où  monte  en  frissonnant  la  lune  à  son  lever, 
Les  fleurs  qui  font  aimer,  adorables  et  pâles. 
Se  mêlent  sur  ta  tète  aux  fleurs  qui  font  rêver. 

Nous  nous  croyons  unis,  et  l'amour  a  des  ailes  ! 
Ah!  parle,  parle  encor  !  Que  j'entende  ta  voix. 
Vague,  ailée,  enfantine,  aux  inflexions  frêles, 
Mourir  dans  l'air  des  nuits  comme  un  lointain  hautboi& 

Prolonge-s-en  toujours  la  douce  rosonnance  ! 
C'est  ton  cœur  qui  tintait  dans  ce  frais  timbre  d'or. 
Endors-toi. . .  Jenlendrai  chanter  dans  le  silence 
Tous  ces  aveux  passés,  dont  l'écho  vibre  encor. 

...  Une  haleine  a  soufflé  ;  la  lampe  s'est  éteinte  : 
La  nuit,  bleuâtre  et  tiède,  entre  avec  sa  langueur. 
Un  chant  d'oiseau   lointain,  triste  comme  une  plainte. 
S'élève,  par  instants,  dans  la  paix  de  mon  cœur.  » 

1894. 

(Poùinea.) 

13. 


2  26  POÈTES    d'aujourd'hui 


L'ASIi,E 

Mon  heure  est  là.  Le  soir  est  tombé  sur  ma  vie. 

Abdiquant,  sans  regret,  mon  héroïque  envie, 

J'ai  regagné,  du  pas  résigné  des  vaincus. 

Le  seuil,  aimé  trop  tard,  où  nul  ne  m'attend  plus. 

Dans  le  ciel  clair  et  froid  court  un    frisson  d'automne 

Parfois,  interrompant  la  plainte  monotone, 

Le  grand  appel  perdu  que  jette  un  cor  lointain 

Me  fait,  languissamment,  sourire  à  mon  destin... 

Mais  tout  est  dit.  Plus  rien  ne  me  trouble,  à  cette  heure. 
Que  le  pressentiment  de  la  chère  demeure . 
Elle  est  là  :  je  la  sens  plus  que  je  ne  la  vois. 
La  douceur  de  la  lune,  éparse  sur  les  bois, 
Voile  de  plus  en  plus  cet  heureux  coin  de  terre 
D'un  indicible  attrait  de  paix  et  de  mystère; 
Dans  l'air,  autour  de  moi    passe  un  conseil  d'oubli  ; 
Je  ne  sais  quoi  de  bon,  de  grand,  de  recueilli, 
Pénètre  davantage,  à  chaque  pas  vers  elle. 
Mon  âme,  où  gronde  encor  l'ancienne  querelle 
Qu'importent  désormais  les  orages  d'été  ? 
Elle  savoure  enfin  le  calme  souhaité, 
Toute  tremblante  encore  à  la  seule  pensée 
D'un  monde  où  les  plus  doux  l'ont  mille  fois  blessée. 
1895. 

(Poèmn.) 

L'ANGÉLIQUE  ADIEU 

Cher  parfum  envolé  !..., 

SUAKitSPEARB 

Ce  qui  fut  un  instant  n'est  plus...  Ne  pleure  pas! 
Et  souviens-toi,  plutôt,  qu'un  jour  tu  m'appelas 
Celle  qui  ne  sait  rien  et  s'ignore  elle-même. 

Car  j'étais  cette  enfant  qui  rêve,  les  yeux  clos; 
Mais  un  pas  matinal  est  entré  dans  l'enclos  ; 
Et  j'ai  connu  par  M»i  la  tendresse  suprême  I 


riHNANn  s^YEnm  «27 


Esl-il  vraiment  passé,  cet  insintii  latuiiit'r? 

...  Un  élrnti^(M-  est  là,  dans  l'ouihre  du  sentier, 

Et  j'écoute,  en  tremblant,  l'ange  qui  me  sal.ie.. 

Tout  sommeille,  à  l'entour. . .  Il  me  parle  tout  Jj.is... 
Simple  comme  je  suis,  je  ne  le  compriMuls  pas; 
Mais  mon  âme  tressaille  et  sent  qu  elle  est  élue. . . 

Pour  venir  jusqu'à  moi  dans  mon  obscurité, 
Quel  pays  radieux  mon  hôte  a-t-il  quitté? 
Voici  que  le  matin  est  entré  sur  sa  trace.. . 

Je  ne  sais  . .  Et  mon  coeur  en  est  comme  ébloui... 
Mais,  quoique  rien  en  moi  ne  soit  disene  lui, 
Quand  je  l'entends  parler,  je  suis  pleine  de  g'râce... 

Sans  doute,  tout  cela  n'est  qu'un  conte  ancien? 

Ah  !  seigneur,  souviens-toi  quel  trouble  était  le  miea 

Lorsqu'au  t'agenouillant,  tu  m'appelais  ta  Dame  1 

Ne  pleure  pas  !  Je  sais  le  merveilleux  secret.. . 

Riche  de  ce  seul  bien,  j'exhale  sans  regret 

Ce  souffle  frêle  et  ptir  que  tu  nommais  mon  âme. . . 

1899 

{f'oèmet.) 

SI,  VRAIMENT,  LA  TRISTESSE... 

Si,  vraiment,  la  tristesse  est  l'épreuve  des  bons, 

Hélas  1  j'ai  mal  compris  les  divines  leçons  ; 

Car  je  ue  suis  méchant  qu'autant  que  je  suis  tristo. 

Mais  qu'un  rayon  de  joie  éclate  dan><  ma  nuit! 
Il  suffit,  Dieu  le  sait,  pour  que  l'amour  d'autrui 
Rentre,  en  l'élargissant,  dans  mon  cœur  égoïste. . . 

Vous  seule  avez  vu  clair  dans  mon  ombre,  à  ma  sœur , 
Et  voici  qu'il  n'est  plus  que  joie  et  que  douceur, 
Ce  cœur  si  longtemps  clos,  où  vous  avez  su  lire. 

Vous  qui  fûtes  pour  pom  i>   11...1..  A.^  pitié, 


Sa8  POÈTES  D'AUJOUHD^Hm 


Ah  I  n'abandonnez  pas  l'œuvre  faite  à  moitié  ; 

Le  meilleur  de  moi-même  est  dans  votre  sourire. 

r- 

Je  vais. . .  A  chaque  pas,  le  ciel  semble  plus  clair  ; 
Autrefois,  il  est  vrai,  j'ai  douté,  j'ai  souffert  : 
Ce  n'était  rien...  A  peine  un  nuage  qui  passe... 

Mon  cœur  est  confondu  de  ce  qu'il  entrevoit  1 , . . 

0  ma  sœur,  si  l'amour  vous  amène  vers  moi. 

C'est  que  l'Amour,  sans  doute,  est  frère  de  la  Grâce. . . 

(Poèmes.) 

O  PENSEUR  I    LA  BEAUTÉ... 

O  penseur  !  La  beauté  du  printemps  dans  les  bois 
T'a  saisi,  ce  matin,  pour  la  première  fois. 
Et  malgré  toi  l'odeur  de  la  terre  t'enivre... 

Tes  jours  se  sont  passés  à  méditer  en  vain 
L'énigme  que  propose  à  l'homme  son  destin. 
Et  ton  front  studieux  a  pâli  sur  maint  livre. 

A  quoi  bon  ?  Laisse  aux  dieux  leur  sublime  secret. 

Et,  pendant  que  tu  vis,  savoure  sans  regret 

Ce  qu'il  tient  de  douceur,  dans  ce  simple  mot  :  vivre... 

(Poéniet .  ) 


EMMANUEL  SIGNORET 
1872-1900 


Emmanuel  Signoret  naquit  à  Lançon  (Bouches-du-Rhdne),  h 
i4  mars  187a,  de  parents  â^és.  Son  enfance  passée  au  village  natal,  il 
fit  les  études  à  Aix-en-Prorence,  dans  un  établissement  dirigé  par 
des  prêtres,  puis  voyagea  quelques  années  en  Italie.  Il  vint  ensuite 
à  Paris,  où  il  se  mêla  à  tous  les  groupements  littéraires  et  collabora 
aux  nombreuses  revues  du  unoment.  Il  en  fonda  même  une,  en 
janvier  1890,  à  son  usage  personnel.  Ce  fut  le  Saint-Graal,  qu'il 
continua  à  rédiger  seul  jusqu'à  sa  mort.  Il  publia  successivement 
Le  Livre  de  l'Amitié,  Ode  à  Paal  Verlaine,  Daphné,  Vers  Doré», 
puis  La  Souffrance  des  Eaux,  qui  fut  couronnée  en  1899  par  l'A- 
cadémie française.  Retiré  en  1898  à  Puget-Théniers,  puisa  Cannes, 
Emmanuel  Signoret  est  mortdanscette  dernière  ville  le  ao  décembre 
1900. 

La  poésie  d'Emmanuel  Signoret  est  l'image  même  de  l'homme 
qu'il  était,  emphatique,  mégalomane  et  enfantin.  C'est  la  poésie 
d'un  homme  du  Midi,  avec  tous  les  défauts  de  la  race,  plus  nom- 
breux, dans  le  domaine  littéraire,  que  les  qualités.  Emmanuel 
Sii^noret  croyait  à  son  génie,  il  en  parlait  volontiers,  et  n'hésitait 
même  pas  à  imprimer  à  la  fin  de  ses  ouvrages  les  lettres  d'éloges 
i(nc  de  complaisants  «mis  lui  adressaient.  Ce  propos  malicieux 
semblait  avoir  été  créé  pour  lui,  qu'un  poète  qui  récite  ses  vers 
est  au  comble  du  bonheur.  Attablé  dans  un  café,  sans  qu'on  eût  à 
l'en  prier,  il  récitait  les  siens  d'abondance,  comme  un  inspiré,  pen- 
dant de  longues  heures  ininterrom[)ues,  accordant  ses  gestes  avec 
sa  redondance,  et  il  n'était  guère,  à  cette  époque,  po«r  rivaliser 
avec  lui  de  grandiloquence  et  de  puérilité,  que  M.  Jean  Carrère,  qui 
B  quitté  depuis  la  poésie  pour  le  journalisme.  Il  s'est  pourtant 
trouvé  des  écrivains  pour  comprendre  cette  poésie,  tout  au  moins 
pour  l'admirer,  notammcut,  —  et  c'est  un  vrai  contraste,  — 
M.  André  Gide,  artiste  rare  autant  qu'ingénieux  idéologue,  qui  •  prit 


a3o  poifE»  d'aujourd'hui 


le  soin  récemment  de  rassembler  en  une  édition  complète  tous  lec 
vers  d'Emmanuel  Signoret.  Nous  détacherons  pour  cette  notice  ces 
passagesde  sa  préface.  «Comme  ivre  de  soleil,  il  (Kmmanuel  Signo- 
ret)  avançait  dans  les  t('nèbres  de  sa  misère,  chancelant  et  se 
cognant  à  tout,  projetant,  où  posait  son  reisrard,  un  nimbe  dont  s'il- 
luminait chaque  objet. .  .  Il  n'admettait  non  seulement  pas  la  cri- 
tique, mais  même  aucune  ri  btiiction  dans  la  louant^e  :  «  Un  doute 
ici,  écrit-il  en  parlant  de  son  œuvre,  ne  témoigne  que  de  l'incerti- 
tude du  regard  »  ;  et  encore:  «  Ne  jugeons  point  la  lumière:  accla- 
mons-la. »  ...  A  peine  admettait-il  que  la  lumière  qu'il  se  sentait 
projeter  à  l'entour  de  lui  ne  fût  pas  sensible  à  tous  les  regards. 
Dans  le  rêve  qu'il  faisait  d'une  sorte  de  fraternité  glorieuse  de  tous 
les  hommes  de  génie,  il  était  plus  dispos  encore  à  décerner  l'éloge 
qu'âpre  à  le  réclamer  pour  lui.  A  peine  lui  demeurait-il  péniijje  que 
tous  ne  reconnussent  pas  son  génie,  car  la  gloire  lui  était  chose  en 
possession  de  quoi  il  se  sentait.  Pas  un  quatrain  de  lui  qui  n'en 
témoigne.  Il  garde,  au  cours  de  ses  vers,  l'attitude  d'un  Diadumène, 
ou  mieux  encore  celle  du  Jeune  Homme  de  Gu>lave  Moreau,  dont 
la  fausse  mort  n'interrompt  pas  le  geste  de  ceindre  de  laurier  sa 
tête.  » 

Emmanuel  Signoret  a  collaboré  notamment  à  La  Plume,  à  L'Er- 
mitage, à  La  Revae  Blanche,  au  Mercure  de  France,  au  Saint- 
Graal,  aux  Mois  Dorés  (Aix),  etc 

Bibliographie  : 

Les  oenvRKs.  —  Le  Livre  de  l'Amitié  {Mirzaêl  et  Myrtil),  poèmes  en 
vers  et  en  prose.  Paris,  Vanier,  1891,  in-18.  —  Ode  à  Paul  Verlaine.  Paris, 
Vanier,  1892,  in-i8.  —  Daphné,  poèmes.  (Portrait  de  l'auteur  par  Alexandre 
Séon).  Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1894,  in-16. —  "Vers  Dorés. 
Paris,  Bibliothèque  artistique  et  litliiraire,  1890,  in  12.  —  La  Soullrance 
des  Kaux  (première  partie,  suivie  du  Premier  Livre  des  Sonnets,  de  trois 
Elégies  et  de  cinq  poèjnes.  Portrait  de  l'auteur).  Paris,  Bibliothèque  artistique 
et  littéraire,  1899,  in-lG.  —  Vers  et  Prose,  Bibliothèque  d'i  Saint-Graal, 
Pugel-Thériiers,  février  1899,  in-8 ,  —  Le  Tombeau  de  Stéphane 
Mallarmé,  poème  bibliothèque  du  Saint-Graal,  n»  2.  1899,  in-8. —  Le 
Premier  Livre  de»  Klégles  (Z.e«  Quinze  premières  Eléijies).  Bibliothèque 
du  Saint-Graal,  n»  4.  Cauues  (1900),  ia-8.  —  Poésies  complètes  {Ver.-i 
Dorés.  Daphnf.  La  souffrance  des  Eaux.  Douze  poèmes  Tombeau  dressé  à 
Stéphane  Mai  larme.  Le  premier  Livre  des  Elégies).  Préface  par  André  Gide. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  l'rance,  1908.  in-18 

A  CONSULTER.  —  Léon-Paul  Fargues  :  E.  Signoret,  notice  dans  les  Por- 
traits du  prochain  siècle.  Paris^  Girard,  1894,  in-18.  -  -  A.  Gide  :  Lettres  ù 
Anyèle  Paris,  Soc  du  Mercure  de  Frauce,  1900,  in-lâ  :  Prctextes,  réflexions 
sur  quelques  points  de  littérature  et  de  morale.  Paris,  Société  du  Mercure 
de  France,  1903,  in-18  ;  r'réface  aux  Poésie»  complètes,  etc.  —  Adolphe 
Relté  :    Le  Symbotism».    Anecdoies  et   i>uuvenir»     Paris,    Messeio,  1903, 


KMMANUBL   eiONOURT  sSl 


in-18.  —  V.  Thompson  :  fVencA   Portraits  (Beiug  appr<5ciations    of   the 
writcrs  of  younij  France).  Boston  Rioliard.  G.  Radger,  1900. 

Ernest  Gtiuln-rt:  Emmanuel  Sif/norct.  Revue  UnivHrselle,  26  janrler 
190t.  —  Méci.>4lufi  Golborn  :  Emmanuel  Siijiiorfi.  Caliiers  Mensuols  de 
M.  Golbcr;,',  iiovoiiiliieJricmlii-e  1900.  —  Adrien  Mlthouard  :  SoMi'oiir» 
sur  Emmanuel  SiijnorKt.  L'Occident,  avril  1908.  —  Goorge»  PelilsHler  : 
/W«/e  Revue  Encyclopédique,!"  février  1895.  —P.  Souchoa  :  Criti- 
que des  Poètes.  M.  Emmanuel  Siynoret  «  Sur  le  Trimard  ».  Paris,  23  fé- 
vrier 1898. 

Iconc graphie  : 

Alexandre  Séon  :  Portrait,  reproduit  dans  l'édition  de  Daphné  (li9A). 
(Voir,  en  outre,  une  reproduction  photographique  dans  l'édition  de  La  Souf- 
france des  Eaux,  1890). 


LA  LÉGENDE  D'UN  SAULE 

Le  prophcliquc  azur  luit  au  bleu  de  vos  yeux 

Ou  bien  l.'i  Nuit  d'or  sombre  emprunte  à  vos  prunelles 

La  scintillation  obscure  d(^  ses  feux, 

O  vous  qui  n'êtes  pas  et  serez  éternelle  ! 

Les  lys  se  sont  levés  aux  cîeux  comme  vos  main.s  I 
De  vos  larmes  d'encens  vous  parfumez  nos  tempes, 
Vous  ombrai^ez  l'ardeur  des  antiques  chemins  : 
Vos  mains  ont  précédé  nos  pas,  comme  des  lampes  ! 

Comme  un  feuillasje  d'or,  du  bouleau  blanc,  jaillit, 

Ou  comme  le  jet  d'eau  des  sèves  se  déploie 

Par  la  forêt  sacerdotale  recueilli, 

Verte  vasque  où  le  flot  des  chênes  saints  ondoie 

Voici  que  vos  cheveux  d'or  se  sont  répandus  1 
Vos  seins  ont  l'air  de  deux  colombes  assoupies. 
Votre  âme  et  votre  corps  vers  nos  maux  sont  tendus. 
Comme  un  Saule  d'art^ent  sur  des  ondes  croupies. 

{Daphné.) 

ÉPOUvSAILLES 

Monseigneur  le  Printemps  en  robe  épiscopale 
D'un  violet  vivant  comme  les  fleurs  d'iris. 


a  3»  FOÈTBS  d'aujourd'hui 


OuvraDt  à  deux  battants  les  hauts  portails  fleuris 
Au  son  des  clairons  d'aube  entre  en  sa  cathédrale. 

Une  tulipe  fait  sa  crosse  ;  en  frais  camail 
Monseigneur  le  Printemps  sous  le  dôme  bleu  marche  ; 
Au  loin  plongent  les  nefs,  et  sous  leur  dernière  arche, 
Le  soleil  arrondit  son  aveuglant  vitrail  1 

Les  orangers  tout  blancs,  fiévreux  et  nuptiaux, 
Ont  des  frémissements  d'orgue;  en  la  campanule 
Frêle  encensoir,  l'encens  doré  du  pollen  brûle... 
Sur  les  nids  psalmodie  un  chœur  sacré  d'oiseaux. 


Blonde,  tu  me  souris  vaguement,  tu  tressailles  I 
Nos  cœurs  royaux  l'un  pour  l'autre  ont  battu  longtemps. 
A  genoux  !  Pour  bénir  nos  blanches  épousailles     ■ 
Entre  en  son  temple  ému  Monseigneur  le  Printemps  1 

Janvier  iSga.  {Vers  dorés.) 

RITE  D'AMOUR 

Notre-Dame-des-Fleurs  se  bâtit  des  chapelles 

Aux  dômes  onduleux  de  lierres  feuillescents, 

La  voix  des  cloches  d'or  des  muguets  nous  appelle. 

Sur  les  champs,  l'Esprit  saint  des  vieux  printemps  descend. 

Un  vol  de  papillons  aux  ailes  empourprées 

Hiératiquement,  palpite  sur  les  fleurs  : 

Des  messes  de  l'aurore  au  Salut  des  vesprées 

Ce  sont  les  délicats  et  purs  enfants  de  chœur. 

W 
Quelque  prêtre  invisible  et  divin  du  Mystère 

Lève  le  saint  Soleil  ainsi  qu'un  ostensoir  : 

Sa  chasuble  d'azur  flotte  seule  sur  terre 

Et  se  fleurit  de  croix  d'or  et  d'astres,  le  soir. 


Ton  sang  a  le  parfum  angélique  des  sèves 
Oh  1  quitte  le  foyer  où  frissonne  l'aïeul, 


CHHANUBL  sionouit  s33 


Vierge,  il  ne  fait  pas  froid  dans  l'église  du  Rêve, 
Où  —  cierges  éperdus  —  s'allument  les  glaieuls  ! 

5  avril  i8g3.  (  Ver»  doré».) 


LES  OLIVIERS 

L'aile  en  fureur,  l'hiver  sur  les  monts  vole  et  vente 
Du  sang  glacé  des  fleurs  se  paissent  les  janviers  : 
Votre  pleine  verdure  étincelle  vivante, 
Vous,  oliviers  que  j'aime,  oliviers,  oliviers  ! 

Votre  être  fortuné  c'est  Pallas  qui  l'enfante. 

Sa  mamelle  est  d'argent,  jadis  vous  y  buviez  ; 

Vos  fruits  broyés  trempaient  de  flamme  et  d'épouvante 

Les  muscles  des  lutteurs  par  les  dieux  enviés. 

Les  siècles  garderont  ma  voix,  et  d'âge  en  âge 
Mon  front  resplendira  sous  un  triple  feuillage  ; 
Car  à  mes  beaux  lauriers,  à  mes  myrtes  nouveaux. 

Vous  dont  le  sang  nourrit  un  peuple  ardent  de  lampes, 
Sacrés  oliviers  d'or,  vous  joignez  vos  rameaux 
Pour  courber  la  couronne  immortelle  à  mes  tempes. 

[La  Souffrance  des  Eaux.) 

CHANT  POUR  L'AMANTE 

Deojc  Umant»  »ont  an  peuple  assemble. 

OOSTIIB. 

Vierge  aux  pieds  blancs  posés  sur  l'éternelle  cime. 
Jadis  la  fleur  du  hêtre  embauma  ton  flanc  pur. 
Reçois,  toi  qui  guidas  mes  vaisseaux  sur  l'abtme. 
L'offrande  d'ambroisie  en  des  coupes  d'azur  ! 

Jadis  j'ai  vu  briller  plus  que  la  chair  des  femmes 

Tes  épaules  d'argent  sous  nos  soleils  amers  : 

Tu  visites  mon  cœur,  vierge,  élevant  des  flammes 

Comme  aux  creux  de  tes  mains  tu  portas  l'eau  des  mers  I 


i3a  P0ÈTB8  o'AUJOtmD'Hin 


Ouvrant  à  deux  battants  les  hauts  portails  fleuris 
Au  son  des  clairons  d'aube  entre  en  sa  cathédrale. 

Une  tulipe  fait  sa  crosse  ;  en  frais  camail 
Monseigneur  le  Printemps  sous  le  dôme  bleu  marche  ; 
Au  loin  plongent  les  nefs,  et  sous  leur  dernière  arche, 
Le  soleil  arrondit  son  aveuglant  vitrail  ! 

Les  orangers  tout  blancs,  fiévreux  et  nuptiaux, 
Ont  des  frémissements  d'orgue;  en  la  campanule 
Frêle  encensoir,  l'encens  doré  du  pollen  brûle... 
Sur  les  nids  psalmodie  un  chœur  sacré  d'oiseaux. 


Blonde,  tu  me  souris  vaguement,  tu  tressailles  I 
Nos  cœurs  royaux  l'un  pour  l'autre  ont  battu  longtemps. 
A  genoux  !  Pour  bénir  nos  blanches  épousailles     " 
Entre  en  son  temple  ému  Monseigneur  le  Printemps  ! 

Janvier  i8ga.  (Vers  dorés.) 

RITE  D'AMOUR 

Notre-Dame-des-Fleurs  se  bâtit  des  chapelles 

Aux  dômes  onduleux  de  lierres  feuillescents, 

La  voix  des  cloches  d'or  des  muguets  nous  appelle. 

Sur  les  champs,  l'Esprit  saint  des  vieux  printemps  descend. 

Un  vol  de  papillons  aux  ailes  empourprées 

Hiératiquement,  palpite  sur  les  fleurs  : 

Des  messes  de  l'aurore  au  Salut  des  vesprées 

Ce  sont  les  délicats  et  purs  enfants  de  chœur. 

V 
Quelque  prêtre  invisible  et  divin  du  Mystère 

Lève  le  saint  Soleil  ainsi  qu'un  ostensoir  : 

Sa  chasuble  d'azur  flotte  seule  sur  terre 

Et  se  fleurit  de  croix  d'or  et  d'astres,  le  soir. 


Ton  sang  a  le  parfum  angélique  des  sèves 
Oh  I  quitte  le  foyer  où  frissonne  l'aïeul, 


BHMANUEL   SIONORST 


933 


Vierge,  il  ne  fait  pas  froid  dans  l'église  du  Rêve, 
Où  —  cierges  éperdus  —  s'allument  les  glaieuls  1 

5  avril  iSgS.  { »'«'*«  dorés.) 


LES  OLIVIERS 

L'aile  en  fureur,  l'hiver  sur  les  monts  vole  et  vente 
Du  sang  glacé  des  fleurs  se  paissent  les  janviers  : 
Votre  pleine  verdure  étincelle  vivante, 
Vous,  oliviers  que  j'aimi^,  oliviers,  oliviers  I 

Votre  ôtre  fortuné  c'est  Pallas  qui  l'enfante. 

Sa  mamelle  est  d'argent,  jadis  vous  y  buviez  ; 

Vos  fruits  broyés  trempaient  de  flamme  et  d'épouvante 

Les  muscles  des  lutteurs  par  les  dieux  enviés. 

Les  siècles  garderont  ma  voix,  et  d'âge  en  âge 
Mon  front  resplendira  sous  un  triple  feuillage  ; 
Car  à  mes  beaux  lauriers,  à  mes  myrtes  nouveaux. 

Vous  dont  le  sang  nourrit  un  peuple  ardent  de  lampes, 
Sacrés  oliviers  d'or,  vous  joiç^oez  vos  rameaux 
Pour  courber  la  couronne  immortelle  à  mes  tempes. 

(La  Souffrance  des  Eaux.) 

CHANT  POUR  L'AMANTE 

Deax  hmaitis  sont  «n  peuple  assemble. 

aOSTHB. 

Vierge  aux  pieds  blancs  posés  sur  l'éternelle  cime. 
Jadis  la  fleur  du  hêtre  embauma  ton  flanc  pur. 
Reçois,  toi  qui  guidas  mes  vaisseaux  sur  l'abîme. 
L'offrande  d'ambroisie  en  des  coupes  d'azur  ! 

Jadis  j'ai  vu  briller  plus  que  la  chair  des  femmes 

Tes  épaules  d'argent  sous  nos  soleils  amers  : 

Tu  visites  mon  cœur,  vierge,  élevant  des  flammes 

Comme  aux  creux  de  tes  mains  tu  portas  l'eau  des  mers  t 


a34  roiTBH  d'aujourd'hui 

C'est  l'heure  de  rosée  et  l'astre  est  sur  la  plaine  : 
Entends  les  bûcherons  chanter  dans  la  forêt  ! 
Tous  les  blés  sont  en  fleurs  ;    mais  mon  âme  est  trop  pleine  ; 
Une  face  du  monde  en  tes  traits  m'apparaît. 

Au  bois,  l'astre  triomphe  :  il  fait  fumer  les  sèves, 
Sois-moi  l'ombre  des  lys,    douce  au  cœur  des  bannis; 
Toi  dont  le  pas  sonnait  sur  le  snble  des  grèves  ; 
Et  qui  portais  des  fleurs,  des  essaims  et  des  nidsl 

Le  feu  gonfle  le  flanc  des  terres,  et,  sonore, 
Tressaille  en  jets  de  fleurs  hors  du  rosier  brûlant. 
Ne  regrettes-tu  pas  les  blancheurs  de  l'aurore  ? 

—  Sous  les  feuillages  gît  le  troupeau  somnolent.  — 

Sur  le  volcan  cendreux  une  flamme  s'élance. 
Le  pâle  coudrier  près  des  laves  grandit. 
L'ormeau  mélancolique  au  zéphyr  se  balance, 
Au  loin  la  mer  silencieuse  resplendit  ! 

Le  feu  !  voici  le  feu  !  le  grand  soleil  s'eff"ondre 
Les  astres  sur  la  mer  montent  et  sur  ses  bords 
Un  peuple  de  bergers  lèvent  pour  leur  répondre, 
Des  flambeaux  rayonnants  sur  la  cendre  des  morts. 

D'un  laurier  radieux  j'illustrerai  tes  tempes  : 
Vierge  !  ton  cœur  est  doux  comme  un  soleil  levant. 
Lorsque  l'aube  d'été  fera  pâlir  les  iampes. 
Sur  mon  luth  douloureux  mets  tes  mains  en  rêvant, 

O  toi  1  dont  le  sourire  alimente  mon  songe  ; 
Il  est  une  montagne  aux  deux  vallons  secrets. 

—  Dans  les  flots  de  la  nier  que  le  soleil  se  plonge 
Ou  qu'en  ses  voiles  blancs  l'aube  coure  aux  forêts. 

Marchons  vers  la  montagne  où  des  flammes  plus  amnlrs 

Brûlent  sur  un  parvis  qui  luit  à  ses  sommets  : 

Je  te  constituerai  la  Vestale  des  temples. 

Mes  trépieds  d'or  vivant  sont  sculptés  pour  jamais  1 

(La  Souff l'Once  des  Bauœ.) 


KHMANUIL   SIONORXT 


8:^5 


CHANT  POUR  PROMETHEE 

0  ma  mèref  O  moncaltel  Vous  vntjee 
qae  je  soujjre  pour  la  Juttice  ? 
EscBYLE.  Promélhée; 

0  père  des  clartés,  des  arts  et  des  présaa^es  ! 
Oui  formas  de  doux  sucs  pour  adoucir  nos  maux, 
lia  mont  noir  et  frappé  du  choc  des  mers  sauvaj^es 
A  nourri  de  ton  sanjf  les  v<>nts  et  les  oiseaux  ! 

Toi  qui  vins  à  Lcmnos  ravir  aux  forges  saintes. 
Pour  animer  tes  blocs  sculptés  dans  les  limons, 
Des  flammes  que  les  vents  de  l'Olympe  ont  éteintes. 
Surgis  :  la  lyre  éclate  aux  sommets  d»;  tes  montai 

Sa  voix  d'Océanide  a  le  frisson  des  ormes 
Ah  1  pour  ton  cœur  jçonfléle  printemps  futtrop  peu  : 
Tu  voulus  devancer  l'ordre  éternel  des  formes 
l'.tpour  mûrir  les  fruits,  tu  pris  la  foudre  au  dieu. 

Mais  qu'aujourd'hui  ton  corps  desséché  sur  les  cimes 
Ileflcurisse  ;  descends  de  tes  monts,  il  est  temps, 
1/été  brillant  du  moude  a   des  moissons  sublimes 
Et  des  vins  dont  la  force  enivre  les  Titans  ! 

Ton  vautour  succomba  sous  les  flèches  d'AIcide. 

Viens  :  le  laurier  fleurit,  le  ciel  est  sans  courroux, 

Les  dieux  moins  grands  que  toi  sont  morts  :  l'Olympe  est  vide  I 

—  Seuls  Bacchus  [lampré  d'or  et  l'oeil  toujours  humide, 

Et  Minerve  aux  yeux  bleus  t'attendent  parmi  nous! 

{La  Souffrance  des  Eaass.\ 


ÈLh'GIB  IV 
[Le  i3  jaillet  iSgj.)  A  M.  Calixfe  Toesca. 

Je  ne  te  confierais,  ô  Nuit,  ces  chers  mystères 
Que  si  leur  fruit  de  vie  éclatait  au  soleil 


s  36  poÂTBs  d'aujourd'hui 


Hippocrène  a  vaincu  les  oncles  adultère», 
Je  vois  le  souvenir  à  l'avenir  pareil. 

Si  le  poids  des  baisers  fit  fléchir  l'auréole. 
Quelque  tendre  laurier  au  myrte  a  succédé, 
Comme  enfant  de  ces  nuits  j'ai  conçu  la  parole, 
Erato  ne  m'a  point  aux  mortelles  cédé. 

Esprit  des  nuits  d'étél...  Les  mortels  que  noussonuDvS 
Des  plus  hautains  plaisirs  n'ont  gardé  qu'un  sang^lot  ! 
Extase  M...  mots  compris  des  savants  jeunes  hommes  : 
Du  char  d'or  de  sa  sœur  Phœbus  parlait  au  flot. 

Celle  qui  sanglotait  d'amour  sur  le  rivage 
Fût-elle  Juliette  ou  bien  Cordélia? 
Elait-ce  un  myrte  d'or  ou  ton  laurier  sauvage, 
Phœbus  !  qui  pour  jamais  à  ses  bords  me  lia  ? 

O  Cannes  !  jamais  l'œil  véridique  des  Muses 

Ne  t'avait  éclairé  pour  l'immortalité.  — 

Tremblez  sur  ses  deux  mers,  belles  strophes  confuses, 

Comme  oscille  un  brouillard  au  clair  des  nuits  d'été. 

(Le  Premier  livre  des  Elégies.) 

ÉLÉGIE  XI 

A  M.  Sully  Prudhomme. 

Rends-moi  la  mer  brûlante  et  ces  plages  de  sables 
Plus  molles  que  les  mers  et  gardant  le  soleil 
Dans  leurs  tendres  cristaux  !  sur  l'île  étends  mes  tables 
Et  que  la  vague  encor  me  verse  le  sommeil  ! 

Et  le  jardin  marin  oi^  les  brises  fidèles. 
Haleines  de  Pallas,  viennent  sculpter  les  fleurs  :  — 
—  Permesse  y  fend  le  sol  ;  que  ses  eaux  les  plus  belles, 
Chargeant  mon  sein  du  poids  des  images  nouvelles, 
Fassent  briller  le  front  de  mes  jeunes  Douleurs  I 

(£f«  Premier  Livre  det  Éligien.) 


SMUANUKL    SiaNOnST 


a87 


ELEGIE  XIII 

ou  LB8  PHKSKNTS  DKS  0KACC8 
I 

Calixle  tant  nommé  par  les  lèvres  dorées 
De  la  tendre  élégie  !  aux  places  inspirées 
Que  d'écume  et  de  feux  la  mer  latine  bat, 
Le  char  flexible  et  pur  des  trois  Grâces  s'abat. 

L'une  porte  une  rose  et  soudain  me  l'accorde, 
L'autre  dont  l'esprit  sonne  à  l'héroïque  corde 
Que  me  tendit  Phœbus  suave  et  me  urtrier 
Fait  couler  sur  ma  lempe  uu  abondant  laurier, 
Et  la  troisième,  au  bord  des  solitaires  ondes 
D'où  les  yeux  de  Venus  brillèrent  sur  les  mondes, 
Veut,  tant  mon  haut  sanglot  à  son  doux  cœur  est  cher, 
Par  un  lien  de  myrte  à  son  corps  m'attacher. 

II 

Construites  d'une  larme,  ô  mes  Grâces  parfaites  I 
Touchez  ces  cœurs  nourris  d'éphémères  ardeurs  : 
Pitié  pour  les  absents  en  proie  aux  faux  prophètes! 
Cœurs  que  j'aime,  goûtez  ces  délicates  fêles, 
Le  front  de  la  Victoire  a  de  belles  pudeurs. 

{Le  Premitr  livrt  d$$  Elégies.) 


Py^UL  SOUCHON 


M.  PaulSouchon  est  n'  de  parents  paysaus,  le  i5  janvier  1874,  à 
Laudun  (Gard),  sur  la  live  da  Rhône  qui  fait  face  à  Orange.  A 
l'âge  de  cinq  ou  six  ans,  il  vint  habiter  avec  sa  famille  à  Aix -en- 
Provence,  où  il  fut  élève  au  Lycée  ISlignet,  avec  Emmanuel  Signoret 
et  M.  Joachim  Gasquet,  pi.is  à  la  Faculté  des  lettres.  Il  vint  ensuite 
se  fixer  à  Paris,  en  1894.  M.  Paul  Souchon  a  publié  plusieurs  vo- 
lumes de  vers,  et  est  égalei'.ent  connu  comme  l'auteur  de  deux  tra- 
gédies :  Phyliis  et  Le  Dii'.u  Nouveau,  représentées  avec  succès  la 
première  aux  Boufifes-Parisif  ns,  en  igoB,  et  la  seconde  au  Théâtre 
antique  de  la  Nature,  à  i;hampigny-la-Bataille,  en  1906.  Il  offre 
l'exemple,  devenu  rare  à  noire  époque,  d'un  poète  qui  n'a  écrit  que 
des  vers.  «  Sa  caractéristique.a  écrit  un  critique,  est  la  netteté,  une 
netteté  qui  n'exclut  pas  la  flùdité;  les  stroph«s  sont  lumineuses; 
elles  rappellent  ces  collines  dont  la  ligne  oaduleuse  et  précise  se 
détache  harmonieusement  du  ciel  bleu.  Une  musicalité  très  pure  y 
chante.  Et  cette  fluidité,  dan:s  les  premiers  poèmes,  n'allait  pas 
sans  quelque  mollesse,  mais  1rs  contours  ont  pris  peu  à  peu  plus 
de  caractère,  et  la  main  qui  dessine  leurs  lignes  ne  tremble  plus. 
La  Beauté  de  Paris  est  un  baau  recueil,  rempli  du  souvenir  et  do 
regret  de  la  Terre  provençale.  » 

M.  Paul  Souchon,  qui  rédige  actuellement  au  Mercare  de  France 
la  Chronique  des  lettres  du  Midi,  a  collaboré  à  La  Presse,  à  La 
Plume,  à  La  Revue  hebdomadaire,  k  L'Effort,  au  Feu,  à  L'Aa- 
rore,  etc. 

Bibliographie  : 

Lk8  œuvres.  —  Les  Flévations  poétiques,  poésies.  Paris,  Ed.  Girard, 
1898,  in-18.  —  Nouvelles  Elévation»  poétiques,  [lOi^siVs.  Paris,  Biblio- 
thèque artistique  et  lillt^raire,  1901,  in-18. —Elégies  parisiennes,  poésies. 
Paiis,  Ed.  de  «  lEirorl  »,  1902,  in-18  —  Bagatouni,  roman,  trad.  du  pro- 
vençal, de  Valero  Buruard.  Paria,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1901, 


PAUI.   SOOCIION  »i^ 


in-18.  -  Les  Trois,  .oiunn  (le  MoAHut;  uoii^i  ^traduit,  sous  le  pseudonyme  de 
Henry  Martel,  avec  \.\  ri.ilatioriliou  île  Mécislas  Golborg).  Paris,  O'iendorff, 
ia02,  iu-18.  —  La  Beauté  de  Paris,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1904,  in-18.  —  Phyllis.  (ra^i5dieen  cinq  actes  (représentée  le  16  avril 
1005, au  TliôitrodesBouffiu-Parisiens).  Paris,  Soc.  du  Uercurede  France,  1903, 
in-18.  —  Le  Dieu  noiivnau,  Irajrédie  en  trois  actes  (représentée  le  3  juin 
1906,  au  Théâti-o  aulii|.i.'  de  la  Nuture,  k  Champigny-U-Balaille).  Paris,  Soc. 
du  .Mercure  do  France,  I9ii6,  iu-18. 

Voyez  en  outre  :  Cluq  villes)  du  Midi  :  Aix.  Arles.  Avlgnua.  Orange- 
Nîmes.  Pari»,  Ed.  des  Gui<les  d'Art  de  •  La  Plume  »,  io-19. 

A  CONSULTER.  —  Loiils  Bertmiid  :  Paul  fioKchon.  Ija,  Revue  Provinciale 
(Toulouse),  15  juillet  1901.  —  François  Carco  :  Paul  Souchon.  Le  Thyrse 
(Bruxelles),  novembre  1906.  —  Paul  Delior  :  Paul  Soucfiou.  Poésie, 
(Castres),  avril-juin  1907.  —  Oeor(|es  Le  Gardonnol  et  Ch.  Vellay  ; 
La  Littérature  ronlemporai/ie  (1905).  Opinions  dus  Ecrivains  de  ce  tetnpt. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1906,  in-18.  —  Martin  \laniy  :  Paul 
Souchon.  Le  Feu  (Marseille),  l"  août  1907.  —  Emmanuel  Siguoret: 
Paul  Souchon.  Los  Mois  Doras  (Aix-en-Provence),  novembre-décembre  1896. 

Iconographie  : 

t\  Michelet:  MMaille  (Salon  das  Artistes  Français,  1004);  Buatê 
,.~>alon  d'Automne,  1905). 


L'HKUF^E  DE    MIDI 

Eblouissante  et  dominant  toutes  les  Heures, 
'Voici  venir  la  souveraine  de  midi. 
Au-devant  de  sa  marche  on  ouvre  les  demeures  ; 
Elle  s'assied  près  du  foyer  qui  resplendit. 

C'est  elle  qui  suspend  l'essor  de  vos  charrues, 
O  laboureurs,  et  rend  vos  boeufs  plus  indolents. 
Et  c'est  elle  qui  fait,  dans  le  calme  des  rues, 
S  échapper  la  vapeur  des  repas  odorants. 

Elle  rayonne  à  votre  bouche,  au  creux  des  verres. 
Et  dans  l'or  bienfaisant  du  pain  ;  et  sa  clarté 
Se  lève  dans  les  yeu.x  des  enfants  et  des  mères 
Quand  son  nom  tout  autour  des  tables  est  jeté. 

Heure  sainte,  elle  apporte  au  monde  de  la  joie. 
Les  champs  ont  retrouvé  leur  antique  repos, 
El  la  profonde  mer,  où  tout  le  ciel  tluniboie, 
Sur  la  roche  a  laissé  moiu-ir  le  bruit  des  flots. 


a4o  FoiTES  d'aujourd'hui 


Heure  brillante,  elle  est  la  sœur  de  la  lumière. 
C'est  elle  qui  pétrit  les  hommes  de  soleil 
Et  qui,  dans  sa  bouté,  glisse  sous  leur  paupière, 
Au  plein  du  jour,  la  fleur  vivace  du  sommeil. 

Elle  est  aux  animaux  la  puissance  inconnue 
Qui  les  couche  et  leur  met  des  songes  dans  les  yeux; 
Elle  aime  aussi  le  chêne  où  la  brise  est  venue 
S'endormir  au  milieu  des  nids  silencieux. 

Mais  sa  fuite  entre  ses  compagnes  est  rapide 
Si  l'ombre  qui  la  suit  de  toute  éternité 
Apparaît  et  lui  montre,  au  bord  du  pré  limpide, 
L'image  sombre  du  grand  chêne  reflété. 

{Lei  Elévations  poétiques.) 


HYMNE  A  LA  TRISTESSE 

Coupe  d'ombre,  à  tes  bords  embaumés  de  vin  noir, 
Dans  ma  jeunesse  ardente  et  soumise  à  la  joie 

Je  n'ai  pas  bu  souvent  ! 
J'attendrai  que  mon  âge,  à  son  automne,  ploie 
Pareil  aux  arbres  dont  les  branches  dans  le  soir 

Gémissent  sous  le  vent  ! 

J'attendrai  que  ma  vie  à  la  terre  enlacée 
Détourne  mes  regards  mourants  de  la  beauté. 

Leur  amante  immortelle  1 
Et  que  des  passions,  plus  rouges  que  l'été, 
Aient  assailli  longtemps  mon  âme  et  l'aient  blessée 

De  leur  flamme  cruelle  ! 


Hier  dans  la  splendeur  des  monts  immaculés 
Qui  reflétaient  pour  moi  les  couleurs  de  l'aurore 

Et  les  étoiles  d'or, 
O  tristesse  qui  viens  sans  que  l'homme  t'implore 
Tu  me  donnas,  mes  yeux  d'exil  étant  voilés 

Le  désir  de  la  mort  t 


PAUL    BOUCHON  «4' 


Délivré  maintenant  des  monts  de  servitude 
Où  la  trompette  effarouchait  les  bois  sacrés. 

Tristesse,  coupe  d'ombre, 
Et  pressé  par  les  bras  de  l'amour  adorés 
Daigne  répandre,  loin  de  notre  solitude, 

Les  flots  de  toa  vin  sombre  1 


La  femme  se  dérobe  au  coeur  qu'elle  a  séduit 
Et  j'ai  vu  qu'un  hiver  faisait  danser  les  feuilles 

Dans  les  soleils  couchants  ! 
Mais  le  bonheur,  sous  les  mensonges,  tu  le  cueilles 
Et  la  clarté  sur  le  sein  même  de  la  nuit, 

0  jeunesse  des  ans  ! 

Et  tu  ris  de  la  nuit,  de  l'ombre  et  du  silence, 
De  l'hiver  qui  moissonne  tout  dans  la  forêt 

De  sa  bise  tranchante, 
Tu  ris  des  trahisons  quand  l'amour  reparaît 
Aux  profondeurs  des  yeux  d'où  son  charme  s'élance 

Comme  une  source  chante  ! 


Ce  soir,  pourtant,  le  ciel  confondu  dans  les  eaux, 
La  chute  du  soleil  parmi  sa  propre  cendre 

Et  le  poids  de  mon  cœur 
Ont  approché  la  coupe  d'ombre  et  fait  descendre 
Au  fond  de  moi  l'effroi  qui  touche  les  oiseaux 

Derant  le  soir  vainqueur  1 

Et  je  songeais  du  feu  qui  s'éteint  dans  les  temples. 
De  la  saison  qui  meurt  de  nouveau  dans  les  bois, 

Et  des  dieux  de  la  terre 
Quand  l'harmonie  étant  accourue  à  ma  voix 
Je  te  noyai,  Tristesse,  au  choc  de  ses  flots  amples. 

En  chantant  ton  mystère  1 

{NouvelUi  EUuationi  poétiqat$.) 
H  14 


a4a  POÈTES  o'aujourd'uui 


LOUANGE  DE   J^\1US 

O  Paris  !  ô  couroaue  1  ô  fleur  ! 
J'ai  quitté  mon  ciel  et  ma  mère. 
Ma  mère  et  sa  pâle  douleur, 
Mon  ciel,  le  plus  pur  de  la  terre  l 

Et,  depuis,  si  j'ai  regrelté 
Et  ma  Provence  et  ma  jeunesse, 
Chaque  fois,  Paris,  ta  beauté 
M'a  séparé  de  ma  tristesse  ! 

Tes  jardius  m'ont  souvent  reçu 
Sous  leurs  ombrages  pacifiques 
Et  c'est  en  eux  que  j'ai  conçu 
Mes  songes  les  plus  magnifiques  ! 

Tes  bois,  tes  parcs  m'ont  révélé 
La  grandeur  de  l'âme  française. 
L'ordre  par  le  rythme  voilé, 
La  force  qu'une  grâce  apaise  1 

Auprès  des  sables  débarqués 
Par  des  hommes  aux  chairs  dorées. 
J'ai  goûté,  le  long  de  tes  quais. 
Des  heures  chaudes  et  sacrées  1 

Le  soleil  traçait  des  sillons 
Et  coulait,  fleuve,  dans  un  fleuve  1 
Notre-Dame,  sous  ses  rayons, 
Paraissait  éternelle  et  neuve  ! 

J'ai  suivi  des  yeux  tes  brouillards 
Oui  brodaient  leur  fine  dentelle 
Ou  couvraient  de  leurs  étendards 
Une  céleste  citadelle  ! 

O  couleurs  !  ô  roses  I  ô  jeux  I 
Crépuscules  pleins  de  batailles! 
O  noirs  triomphes  orageux  ! 
Forges  1  Victoires  I  Funérailles  f 


PAUL    90UCR0N  x43 


Mnîs  je  fus  aussi  pénétré, 
O  Paris,  de  clnrlés  intimes, 
Et  l'amour  que  tu  m'as  montré 
M'aura  conduit  sur  d'autres  cimes  : 

Car,  sous  ton  ciel, le  sentiment 
Comme  une  fleur  embaume  et  passe 
Et  tu  recherches  seulement 
Le  plaisir  de  toute  une  race  I 

Et  j'ai  subi  l'enchantement 
Que  tu  verses  aux  cœurs,  ô  ville, 
Qui  revêls  par  (ou  mouvement 
La  splendeur  d'un  astre  immobile  1 

{La  Beauté  de  Paria  ) 

AU  JARDIN  DU  LUXEMBOUUG 

<,)ue  de  cœurs,  ô  jardin,  sous  tes  calmes  ombrasses, 
<j)ué  de  cœurs  ont  saigné  !  Tous  ceux  qui  sont  ici, 
^'emmes  et  jeunes  cens,  portent  sur  leurs  visages 
Le  signe  de  l'amour  ou  l'éclat  du  souci? 

Les  uns,  adolescents  hantés  par  la  chimère. 
Viennent  te  conlîcr  leurs  plus  chères  ardeurs, 
Ta  verdure  est  pour  eux  coinnie  une  bonne  mère 
Qui  préserve  leur  âge  et  nourrit  leurs  candeurs. 

n'autres,  déjà  vaincus  par  l'amour  ou  la  {çloire, 
Esprits  désabusés  et  flétris  dans  leur  fleur. 
Te  demandent,  jardin,  d'endormir  leur  mémoire 
Et  de  mettre  ton  charme  entre  eux  et  leur  douleur  ! 

J'en  ai  connu  qu'un  jeu  du  soleil  sur  tes  marbres. 
Un  éclair  de  tes  eaux  au  passasse  du  vent, 
Une  fleur  qui  brillait  sous  l'ombre  de  tes  arbres, 
Ou  le  pigeon  dans  l'air  limpide  s'élevant. 

Retenaient  et  troublaient  jusqu'au  fond  de  leur  âme  ! 
Saus  doute  que  ceux-là  chcrchaieul  dans  le  jardin 


»44  poAtes  d'aujourd'hui 

Le  souvenir  aimé  d'un  pays,  d'une  femme, 

Et  de  jours  plus  heureux  sous  un  au*Te  destin  1 

J'ai  connu  des  amants  qui  voulaient  en  ce  monde 
Plus  de  bonheur,  hélas  !  qu'il  ne  peut  en  porter, 
Et  toi  seul,  par  ta  paix  et  ta  beauté  profonde, 
Aux  heures  du  couchant,  savais  les  contenter  ! 

Le  poète  et  le  peintre,  en  fuyant  le  tumulte 

Que  la  ville  dépose  aux  grilles  de  tes  murs, 

Ont  pu  faire  de  toi  leur  patrie  et  leur  culte, 

Car  tu  les  fais  plus  grands,  plus  touchants  et  plus  purs 

Et  tu  permets,  au  sein  dangereux  de  la  ville, 
Le  rêve,  le  silence  et  le  recueillement! 
Aussi  ta  poésie  en  sanglots  est  fertile 
Et,  que  de  désespoirs  sous  ton  enchantement  1 

Mais  la  lumière  est  belle   au  fond  de  tes  allées  ! 
Elle  vibre  sur  l'eau,  se  colore  et  bondit! 
Tes  bordures  de  fleura  en  sont  presque  aveuglées, 
Et  ton  palais,  comme  une  flamme,  resplendit  ! 

(La  Beauté  de  Paris.) 

ÉLÉGIE  A  MIDI 

Dans  la  rue,  à  midi,  quand  la  marée  humaine 
Dégorge  des  maisons  et  que  son  flot  m'entraîne, 
Quand  le  bruit  envahit  les  bars,  les  restaurants. 
Quand,  vers  le  pâle  azur,  montent  les  plats  fumants, 
Et,  que  dans  un  air  lourd,  le  tumulte  et  la  fange, 
C'est  Paris  qui  s'attable  et  c'est  Paris  qui  mange, 
Je  songe  que,  là-bas,  dans  la  campagne  d'or. 
Le  calme  moissonneur  cherche  l'ombre  et  s'endort, 
Qu'il  chasse  en  sommeillant  la  bourdonnante  mouche 
Qui  se  posait  au  coin  entr'ouvert  de  sa  bouche. 
Et  qu'il  voit,  les  yeux  clos,  au  moment  du  réveil, 
A  travers  tout  son  sang  resplendir  le  soleil  ! 

(La  Beauté  de  Parit.) 


HENRY  SPIESS 
1876 


M.  Heory-Charles  Spies«  est  né,  d«  nationalité  Suisse,  &  Genàye, 
le  la  juin  1876.  Ses  éludes  terminées  au  collège,  il  fit  son  droit  à 
l'Université  de  Genève.  Devenu  ensuite  avocat  stagiaire,  il  demeura 
inscrit  au  barreau  de  la  ville  pendant  deux  ou  trois  années.  C'est 
à  ce  moment  qu'il  composa  les  petits  poèmes  de  sa  première  pla- 
quette: liimes  d'Audience,  dont  le  titre  dit  à  lui  seul  toute  l'inspi- 
ration. Ce  sont  de  petits  croquis  d'audience,  en  effet,  où  l'on  voit 
passer  des  silhouettes  de  magistrats,  de  «  cliers  maîtres  »  amis, 
de  clercs,  d'huissiers  et  de  plaideurs,  tout  le  monde  de  la  basoche 
et  de  la  procédure,  au  milieu  duquel  l'auteur  s'est  mis  lui-même  en 
scène.  On  trouve  là  comme  un  ressouvenir  de  Villon,  un  Villon 
qui  aurait  lu  Laforgue  et  M.  Francis  Jammes.  S'il  faut  le  dire, 
M.  Henry  Spiess  ne  voit  plus  dans  ce  petit  volume  qu'un  amuse- 
ment de  jeunesse,  et  nous  l'aurions  écouté  que  rien  n'en  figurerait 
dans  notre  choix.  Mais  l'humour  est  si  rare  chez  les  poètes  1  Les 
fantaisies  de  M.  Henry  Spiess  distrairont  un  peu  des  grands  mor- 
ceaux élégiaques,  des  tirades  sonores  et  emphati((ues.  Après  Rimet 
d'Audience,  M.  Henry  Spiess,  qui  a  abandonné  le  barreau  pour 
se  consacrer  tout  entier  aux  lettres,  publia  Le  Silence  des  Heures, 
poèmes  d'une  tout  autre  inspiration.  Voici  sur  ce  recueil  quehjues 
lignes  d'appréciation  d'un  critique,  M.  Gaspard  Vallette,  dans  La 
Semaine  littéraire  de  Genève  «  Il  y  a  du  rêve,  dans  ces  vers,  de  la 
tristesse,  des  velléités  d'action  et  des  recherches  dans  le  doute  inac- 
tif  et  la  mélancolie  craintive  La  volonté  du  poète  semble  incertaine 
et  flottante  entre  le  doute  et  la  foi,  le  désespoir  et  la  sérénité,  l'inac- 
tion résignée  et  la  joie  conquérante,  ha  volupté  délicate  du  nirvana 
poétique  et  l'austère  cilice  du  devoir  humain  accepté  et  de  la 
lutte  afFrontéc.  Les  dernières  pièces  du  livre,  qui  me  paraissent, 
même  au  puint  de  vue  purement  artistique,  les  plus  belles  de 
toutes,   semblent    conclure    à.    la  volonté,  à    l'action,  à  la    lutte. 

14. 


a46  POÈTES  d'aujourd'hui 


Elles  ont  un  accent  tout  particulièrement  personnel  de  sincé- 
rité et  d'intimité,  de  virilité  et  de  résolution.  Mais  cette  note-là 
retentit  rarement  dans  cette  poésie  dont  le  fond  constant  reste  mé- 
lancolique, un  peu  sombre,  dans  des  grisailles  souvent  tendues  de 
deuil,  dans  de  la  tristesse  estompée  de  rêve.  Serait-ce  là  la  note 
personnelle  et  la  marque  distinctive  de  notre  poète?  Nous  incline- 
rions à  le  croire,  quoique  cette  personnalité  soit  trop  souvent  encore 
par  trop  voilée  de  liitérature,  par  des  réminiscenceti  livresques  qui, 
en  s'interposant  entre  le  poète  et  le  poème,  diminuent  à  la  fois  la 
force  impressionnante  des  vers  et  le  plaisir  du  lecteur.  » 

M.  Henry  Spiess  a  collaboré  à  La  Moniaqne  (1898),  à  La  Revue 
Helvétique,  au  Sapajou  (i8ij6)  ;  au  Pasue- Partout,  à  La  Suisse, 
au  Journal  de  Genève,  à  La  Semaine  littéraire  de  Genève,  à  La 
Revue  Maurice,  au  Papillon,  à  La  Tribune  de  Genève,  au  Gene- 
vois, au  f-'oijer  romand,  au  Noël  Suisse  et  à  La  Voile  Latine,  tous 
journaux  et  revues  suisses. 

Bibliographie  : 

Les  oEfTVRE».  —  Rimes  d'audience.  Genève,  Eggimann,  1903,  in-18.  — 
Le  Silence  des  Heures,  poi^sies.  Genève,  Eggimann,  1904,  ln-18.  (Réimpr.  : 
Le  Silence  des  Heures,  f'  édition.  Genève,  Pasche,  1903,  in-18). —  llodolphe. 
Silhouette  genevoise.  Genève.  Jullien,  1906,  in-18. 

PoÈMC  MIS  EN  MU8IQUK.  —  Une  poésie  de  M.  H.  Spiess,  Un  Conte,  a  été 
mise  en  musique  par  C.-H.  Richter  (Paris,  Serpeille,  éditeur). 

A  coNsoLTBB.  —  Emile  Julliard  :  Un  sextuor  de  Poètes  genevois. 
Genève,  Atar,  in-18. 

Adrien  Bovy:  Henry  Spiess.  La  Voile  latine  (Genève),  janvier  1903.  — 
Jules  Couflnnrd:  Le  .Silence  des  Heures.  Patrie  Suisse,  5  octobre  1904; 
Causerie  littéraire,  Id.,  2.3  janvier  1907.  —  Augustin  Filon  :  Les  Poètes 
français  de  l'étranger.  Journal  des  Débats,  27  janvier  190S.  —  Philippe 
Monnler  :  Henry  Spiess  et  ses  Rimes  d'audience.  Garelte  do  Lausanne, 
22  juillet  1903  ;  Un  Nouveau  Poète  genevois.  Journal  de  Genève,  21  octobre 
1904.-  Edouard  Platzhofl-Lejeune:  Neue  aus  derWi'stschweiz.LMerai- 
risches  Echo,  15  juillet  1905.  —  Virgile  Rossel  :  Poésie  française,  hors 
de  France.  Tribune  Libre  (Clmux-de-londs),  29  octobre  1904;  Bodolph. 
National  Suisse,  31  janvier  1907.  —  (iaspard  Vnllette  :  Ein  Genfer  Dich- 
<er.  Neue  Ziircher  Zeilung,  6  octobre  1904;  In  Poète  genevois.  Henry  Spiess 
et  son  B  Silence  des  Heures  ».  Semaine  Littéraire  (Genève),  9  octobre  1904: 
La  Vie  Gènevo'se,  Journal  de  Genève,  10  janvier  1907.  — J.-J.  Widmaun  ; 
h'unst  und  Lileralur.  Der  Bund  (Berne),  décembre  1904. 

Iconographie  : 

nharles  Oiron  :  Portrait.  —  James  VIberf  :  B%Mt». 


BINUt     SPIBS8      "  S47 


MELANCOLIEvS    DU    LUNDI    ^fATIN 

A  l'AudicDce  du  Lundi, 
mon  cœur,  hélas!  célihalaire, 
se  met  à  battre  avec  mystère 
et  palpite  jusfju'à  midi. 

Je  reprends  plaisir  à  la  vie 
et  j'ai  du  bonheur  jusqu'au  soir 
car  parfois  je  crois  entrevoir 
ma  chimère  en  vain  poursuivie. 

Car  Celles  qu'un  mari  trompa, 
au  mépris,  de  toute  décence, 
viennent  s'asseoir  à  l'audience 
avec  leur  mère  ou  leur  papa. 

J'aime  les  voir  à  la  requête 
du  Président,  ^Monsieur  Pauly, 
(ah  ma  chère,  il  est  si  poli  !) 
«  persister  »  d'un  signe  de  tête. 

Je  maudis  le  mari  brutal, 
monstre  d'orgueil  et  d'imposture, 
car  leur  vertu  n'a,  je  le  jure, 
jamais  quitté  son  piédestal. 

Tandis  que,  pour  Berthe  ou  Pauline, 
ce  gueux  faisait  danser  les  sous, 
chaque  soir  elles  pleuraient  sous 
la  lampe,  —  avec  une  voisine. 

O  pouvoir  essuyer  ces  yeux, 
forcer  ces  bouches  à  sourire, 
consoler  toutes  ces  Mariyres 
et  leur  dire,  en  attendant  mieu.T  : 

c  Mesdames,  l'Etre  sans  scrupul-s 
que  vous  appeliez  votre  Epoux, 
jamais  ne  fut  digne  de  vous  ; 
doue  oublii'j'-  cette  craoule. 


95o  roÂTBS  d'aujourd'hui 


Henri  Martin,  penché  sur  ses  pièces  dira  : 

«  Vous  savez  ?  Spiess  est  mort.  »  Chacun  prendra  sa  place, 

comme  hier  et  comme  demain  ;  et  l'on  verra 

Rossel  entrer,  sans  se  presser,  la  tête  basse. 

Ce  sera  la  rumeur  des  chaises  qui  décroît . 
On  entendra  :  «  Y  a-t-il  des  Experts  dans  la  salle  ?  » 
Il  fera  lourd .  La  pluie  aura,  sous  le  vent  froid, 
fait  des  méandres  lents  contre  les  vitres  sales. 

Je   ne  serai  plus  là,  dépliant  le  «  Journal  » 

et  m'arrêtant  pour  allumer  des  cigarettes 

et  demandant  pourquoi  Gouliû  est  radical... 

De  Morsier  ne  me  dira  plus  :  «  Bonjour  poète  I  » 

On  dira  :  «  Spiess  est  mort  ;  il  s'est  trop  promené  ; 
on  ne  le  verra  plus  venir  avec  un  livre.  » 
Ceux  qui  ne  m'aiment  pas  m'auront  tous  pardonné. 
Aubert  supputera  ce  qui  lui  reste  à  vivre. 

Il  ne  restera  rien  de  moi  que  quelques  vers 
scandés  un  jour  d'automne  au  rythme  de  la  pluie. 
On  dira  :  «  Spiess  est  mort  ;  voici  bientôt  l'hiver.  » 
On  dira  :  «  Il  s'était  assuré  sur  la  vie .  » 

Et  moi,  qui  pense  tant  à  mourir,  je  saurai 
peut-être  s'il  faut  croire  à  la  métempsycose, 
ô  vous,  tous  mes  amis,  que  je  regretterai 
du  haut  du  Paradis  des  Avocats  sans  causes... 

[Rime»  d'Audience.) 

CHANSON  LOINTAINE 

Un  air  fragile  et  triste  un  peu, 
simple  et  discret  comme  un  aveu, 
UD  air  de  tendresse  et  d'adieu 

me  hante  ; 
il  y  pleure  un  espoir  lassé, 
un  souvenir  presque  effacé 
car  en  lui  c'est  tout  le  passé 

qui  chante. 


25l 


I 


On  le  modulait  en  rêvant, 
jadis,  par  les  soirs  décevants, 
où  le  coeur,  leurré  trop  souvent, 

se  grise 
d'un  bonheur  volage  et  subtil  ; 
soirs  de  musique  et  de  bal/il . .. 
Peut-être  vous  eu  souvient-il, 

Marquise  ? 

La  romance  aujourd'hui  se  tait. 
Où  sont  les  Belles  qui  chantaient  ? 
Où  sont  les  p;ii  t'unis  qu'apportait 

la  brise  ? 
De  tout  cela  qu'est-il  resté  ? 
Plus  rien  (ju'uu  soupir  attristé  ; 
et  mon  cœur,  rieu  qu'à  l'écouter, 

se  brise. 

Et  pourtant  l'écho  du  vieil  air, 
après  tant  d'étés,  tant  d'hivers, 
empêche  que  ce  passé  cher 

ne  meure  : 
Tout  fuit.  Marquise. et  doit  pâlir; 
le  rêve  cesse  et  le  plaisir  ; 
qu'importe,  si  le  sbuvenir 

demeure  ? 

(L«  Silence  des  Heares. 


LES  MAINS... 

Les  mains  que  je  vois  en  rère 
faire  signe  à  mon  destin, 
m'ont  promis  des  roses  brèves 
et  des  lys  lointains. 

Les  mains  que  je  voudrais  miennes 
pour  leurs  ijestes  iu'"onnus, 
ont  des  bagues  anciennes 
à  leurs  doigts  menus. 


s5i  poiTES  d'aujourd'hui 


Les  mains  qu'il  faudrait  aux   fièvres 
de  ma  bouche  ei  de  mes  yeux, 
sont  plus  douces  que  des  lèvres 
et  caressent  mieux . 

Quand  j'ai  cru  les  reconnaître 
ma  vie  a  toujours  douté  : 
hélas  !  elles  n'ont  peut-être 
jamais  existé. 

Mais,  pour  avoir  rêvé  d'elles 
un  soir,  il  y  a  long-temps, 
je  leur  suis  resté  fidèle 
et  je  les  attends. 

ILe  Silence  des  Heurêi .  ) 


PARLONS  BAS... 

à  P.  F.  et  à  P.  N. 

Parlons  bas  dans  la  chambre  close 
où  toute  vie  est  suspendue. 
La  pendule  dit  quelque  chose 
à  nos  deux  âmes  confondues. 

Et  voici  la  Lampe  et  le  Livre, 
trésor  des  humbles  comme  nous. 
La  pendule  dit  qu'il  faut  vivre, 
aimer,  lutter,  porter  des  coups. 

Parlons  bas.  Dans  la  chambre  amie 
le  silence  entr'ouvre  ses  fleurs. 
La  pendule  dit  que  la  vie 
est  faite  d'amours  et  de  pleurs. 

Le  Rêve  à  nos  côtés  incline 
ses  yeux  clairs  et  sa  face  vaine. 
Le  temps  s'en  va,  le  temps  chemine. 
Oh  1  le  bruit  de  la  lutte  humaine. .. 

(L«  Silence  dm  Hwnê,) 


HCNHY     SPIBStt  253 


MA  JEUNESSE 

Encore  un  peu  de  temps,  mon  âme,  quelques  jours, 
(Quelques  heuics  de  vaine  attente  uu  de  tristesse, 
et  je  verrai,  pâle  et  pensive,  ma  jeunesse 
renoncer  à  me  suivre  et  me  fuir  pour  toujours. 

Encore  un  peu  de  temps,  quelques  heures  furtives, 
quelques  moments  d'incertitude  ou  de  regret, 
puis,  devers  l'ombre  où  tout  s'achève  et  disparait, 
je  verrai  s'en  aller  ma  jeunesse  pensive. 

Je  la  verrai  me  tendre,  en  un  geste  d'adieu, 

les  chimériques  fleurs  dont  je  l'avais  ornée, 

et  qui,  l'une  après  l'autre,  hélas  !  se  sont  fanées 

d'avoir  donné  leur  àme  à  tous  les  vents  des  cieux. 

Je  la  verrai,  les  yeux  pleins  de  larmes  amères, 

dépouiller  ses  habits  de  fêle,  déposer 

sa  couronne  illusoire  et  son  sceptre  brisé 

pour  prendre,  en  me  quittant,  le  deuil  de  mes  chimères. 

Enfin  je  la  verrai  fuir^et  se  perdre  au  loin, 
sans  grâce  ni  beauté,  le  cœur  et  les  mains  vides, 
sans  même  avoir  reçu  sur  ses  lèvres  avides 
l'humble  baiser  d'amour  dont  elle  avait  besoin* 

Alors,  privé  de  guide  et  dénué  d'escorte, 
je  poursuivrai  ma  route  avec  le  double  effroi 
d'être  seul  et  de  voir  se  dresser  devant  moi 
le  spectre  accusateur  de  ma  jeunesse  morte. 

(£«  SUenc4  d*$  iiturêê,) 


LAURENT  TAILHADE 
1854 


M.  Laurent  Tailhade  (Laurent-Bernard-Paul-Marie)  est  né  à 
Tarbes  (Hautes-Pyrénées),  Je  i6  avril  i854,  d'une  vieille  famille  de 
magistrats  et  d'officiers  ministériels.  Bien  que  tourné  de  très  bonne 
heure  vers  les  lettres,  M.  Laurent  Tailhade  n'eut  tout  d'abord  d'au- 
tre ambition  que  de  faire  de  la  liiicralurc  en  amateur.  Cependant, 
vers  sa  trentième  année,  réunissant  tons  ses  vers,  il  se  décida  à 
publier  un  volume  :  Le  Jardin  des  Rêve»,  que  Théodore  de  BanTille 
présenta  dans  une  préface  enthousiaste.  M.  Laurent  Tailhade  com- 
mença alors  à  collaborer  aux  journaux  et  aux  innombrables  revues 
littéraires,  petites  et  grandes,  de  son  époque,  éparpillant  dans  les 
unes  et  les  autres  la  plupart  des  poèmes  qni  composèrent  plus  tard 
deux  autres  petits  livres  :  Dizains  de  Sonnets  et  Vitraux.  Ce  furent 
surtout  ses  poèmes  satiriques,  un  genre  o4  il  a  excellé,  qui  commen- 
cèrent sa  réputation,  et  son  volume  :  Au  Pays  du  Mujle,  dans 
lequel  il  a  fouailté,  tantôt  dans  des  sonneu,  tantôt  dans  des  ballades, 
les  ridicules  bourgeois,  la  sottise  publique  et  les  écrivains  qu'il 
n'aime  pas,  est  resté  célèbre  par  toutes  Im  colères  qu'il  souleva.  Les 
nombreux  duels  que  sa  verve  attira  It  M.  Laurent  Tailhade  oe 
sont  pas  moins  connus,  ni  la  manière  dont,  paisible  dîneur,  il  fiit 
blessé,  le  4  avril  i8g4,  au  restaurant  Foirot,  par  l'explosion  d'une 
bombe  d'anarchiste.  M.  Laurent  Tailhad*  s'est  aussi  mêlé  très  acti- 
vement aux  polémiques  suscitées  par  l'alfaire  Dreyfus,  et  il  en  est 
resté  un  petit  livre  de  poèmes  :  A  Iravr»  le*  Grouins,  le  dernier 
ouvrage  que  nous  ayons  eu  de  lui  comme  poète  satirique.  Depuis 
cette  époque,  M.  Laurent  Tailhade  semble  avoir  renoncé  aux  polé- 
miques individuelles  et  être  rentré  dans  U  retraite.  Il  a  mis  à  pro- 
fit ce  recueillement  pour  travailler  à  uua  édition  corrigée  et  défini- 
tive de  son  œuvre  poétique,  rassemblée  aujourd'hui  en  deux  vola* 
mes  :  Poèmes  Aristophanesques  et  Poèmes  ElérjiaqtieB. 

Les  premiers  vers  de  M.  Laurent  Taillude  n'apportaMOt  riw  ds 


LAURENT   TAILHAD» 


a55 


bien  nouveau.  C'étaieut  des  vers  parnassiens  dans  toute  l'ccccptioa 
du  terme.  Beaucoup  de  virtuositë  daus  le  rythme  et  un  sena  artiste 
delà  langue  y  remplaçaient  ce  qui  constitue  avant  tout  la  poésie  : 
le  sentiment,  la  sensibilité.  Il  a  fallu,  pour  révéler  vraiment  en 
M.  Laurent  Tailhade  un  poêle  lyrique,  ses  merveilleuses  Ballades, 
où  il  a  ressuscite  en  maître  une  des  formes  poétiques  les  plus  belles 
et  les  plus  difficiles.  On  les  admirera  —  sur  nos  exemples  —  non 
seulement  pour  leur  beauté  verbale,  mais  encore  pour  les  senti- 
ments qu'elles  expriment.  M.  Laurent  Tailhade  a  également  publié 
plusieurs  livres  de  prose,  dont  on  trouvera  le  détail  à  la  bibliogra- 
j)hie.  Ce  sont  des  ouvrages  de  beau  style,  d'éloquence  contournée  et 
maniérée,  uniquement  faits  d'érudition.  M.  Laurent  Tailhade  s'y 
montre  tel  que  dans  ses  premiers  vers  :  un  rhéteur  infatigable. 

M.  Laurent  Tailhade  a  collaboré:  à  Lutèce,  i833  ;—  &  La  Revue 
Indéptndante,  i"  série,  i><84  ;  —  au  Décadent,  1886  ;  — au  Pail- 
lasson (Toulouse  et  Bij;orre),  dont  il  était  l'unique  rédacteur,  188C- 
1887  ;  —  au  Scapin,  1886  :  — à  La  Pléiade,  a*  série,  1889  ;  —  au 
Mercure  de  France,  sous  son  nom  et  sous  le  pseudonyme  de  dom 
Juaipérien  ;  —  à  L'Effort  (Toulouse)  1896  ;  —  à  Minerve,  à  La 
Kevue  /Hanche,  k  L'Ermitage,  k  La  Revue  Rouge,  etc..  ;  —  pour 
Jes  journaux  :  au  Voltaire  ;  —  à  L'Echo  de  Paris,  sous  le  pseudo- 
nyme de  Tybalt  ;  au  Journal,  sous  le  pseudonyme  de  Kenzo  ;  —  à 
La  Renaissance,  au  Libertaire,  au  Journal  du  peuple,  à  U Aurore, 
aux  Droits  de  l'homme,  à  La  Petite  République  ;  —  et  en  province: 
à  La  Petite  Gazette  et  à  L'Avenir  des  Hautes-Pyrénées  (Bagjières- 
de-BIgorrc),  —  k  La  Gazette  des  Etrangers  (Pau)  ;  —  et  à  Za 
Dépêche  et  à  L'Art  Méridional  (Toulouse). 

Bibliographie  : 

Lis  cbuvhss.  —  Le  .laiiliu  des  Rêves,  poésies,  préface  de  Théodore  de 
Banville.  Paris,  Lemerro,  I8S0,  iu-18  (Kûiinpr.  :  en  partie  dans  Poèmes  élé- 
giaques.  Paris,  Soe.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-18).  —  Un  dizain  de 
Sonnets.  Paris,  Lemoirc,  1881,  in-18.  —  Au  Pays  du  Mufle,  poèmes, 
préface  d'Armand  Silrestro.  i'aris,  Vauier,  1891,  petit  in-12  (Kûinipr  :  Au 
l'ays  du  Mufle,  poèmes,  préface  d'Armand  Silrestre.  Nouvelle  édition,  revue 
et  cousidùndilouienl  augnu-utée,  illustr.  d'IIormnun  Paul.  Paris,  BibliotliÈque 
arlisli(iue  et  litlérairr,  18U4,  iu-IG  ;  cl  dans  Poèmes  aristophanesques.  Pari», 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  iu-18).  —  Vitraux,  poésies.  Paris,  Vanicr, 
1891,  petit  iu-8  (Rôirapr.  :  Vitraux,  poésies.  Paris,  L«merre,  1S94,  petit 
in-12,  et  dans  Poèmes  élégiaques,  Paris,  Soc.  du  Mercure  do  France,  1907, 
iu-18).  —  Terro  Latine,  prose,  préfacodeB.  Ledrain.  Paris,  Lenierrc,  1897, 
in  18.  —  A  travers  les  Grouins,  poèmes.  Paris,  Stock,  1899,  petit  in-12 
(lii'iinpr.  :  da.na  Poèmes  aristophancsqves,  etc.,  1904,  in-18).  —  La  Pàquo 
socialiste,  d'Emile  Veyrin,  conférence  faite  au  Nouvean-Tliéftlro  lo  15  avril 
1699.  Paris,  Stock,  1899,  in-ia.—  L'euuemi  du  Peuple,  coufâreuce,  suivie  de 


s56  poÂTEB  d'aujourd'hui 


l^allmde  Solnett.  Paris,  Soc.  libre  d'Edition  de*  gêna  de  lettres,  1900,in-18. 
—  Le  D'  Jean-Paul  Tallhade.  Tarbes,  Imprim.  J.-A.  Lescamela,  1900, 
in-8.  —  Imbéciles  et  Gredins  (1895-1900),  prose.  Paris,  Ed.  de  la 
c  Maison  d'Art  »,  1900,  in-16.  —  La  Toulfe  de  Sauge,  prose.  Paris,  Ed.  do 
«  La  Plume  »,  1901,  in-18.  -La  Sotie  de  Bridoyc,  deux  actes  en  prose  (en 
collaboration  avec  Raoul  Ralph),  représentés  sur  la  scène  du  Théâtre  des 
Latins  (Nouveau-Théâtre),  le  18  janvier  1902  (non  publié).  —  Sales  bour- 
geois. Sou  Importance  Auguste  Pluchon  (1),  roman  (en  collaboration 
avec  Raoul  Ralph).  Paris,  Ofl'enstadt,  1902,  in-18.  —  Le  Satyrlcon,  de 
Pétrone,  traduction.  Paris,  P'asquelle,  1902,  in-18.  —  L'Œuvre  d'Emile 
Zola,  conférence  faite  à  l'Université  populaire  de  Tours,  le  30  novembre  1902. 
Tours  (32,  rue  Etienne-Marcel),  1902,  in-8.  —  Discours  civiques  (4  nivôse 
an  109  —  i9  brumaire  an  IfO).  Portrait  de  l'auteur  par  F.  Vallolton.  Paris, 
Stock,  1902,  in-18.  —Lettres  familières.  Paris,  Librairie  de  «  La  Raison  », 
1904,  in-18.  —  Poèmes  Aristoplianesques  [Au  Pays  du  Mufle.  A  tra- 
vers le»  Grouin*.  Dix-huit  ballades  familières,  etc.)  Portrait  de  l'auteur  par 
Evelio  Torent.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  iu-18.  —  Omar 
Khayyara  et  les  poisons  de  l'intelligence.  Paris,  Carrington,  1905, 
in-18.  —  Poèmes  Elégiaques  (Le  Jardin  des  Rêves.  Epiyrammes.  Noc- 
turne», ftêve  Antique.  Six  ballades  elégiaques.  La  Forêt.  Vitraux.  Poème» 
en  prose).  F'orlrait  de  l'auteur  en  luMio>;ravui'e.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1907,  in-18.  —  La  Noire  Idole,  Kssai  de  Morphinomanie.  Paris, 
Messein,  1907,  in-12.  —  La  Corne  et  l'Epée  {Etude  sur  le»  Courses  de 
taureaux).  Paris,  Messein,  1908,  plaq.  in-12.  —  Le  Troupeau  d'Aristée. 
Paris,  Sansot,  1908,  petit  in-12. 

Préfacks.  —  Kmlle  Bans  :  Ballades  rouyes.  Paris,  chez  l'auteur,  1903, 
in-18.— Henri  Duhamel  -.Journal  d'un  défroqué.  Pans,  Soc.  d'Ed.  lillér., 
1899,  in-18.  —  Livre  d'hommayes  à  M.  le  Pré»ident  Afagnaud.  Paris, 
A.  Wolff,  1900,  in-8.  —  Victor  Litschf eusse  :  L'Ame  d'autrui.  Paris, 
Messein,  1907,  in-16. 

A  CONSULTER.  —  Th.  de  Banville  :  Préface.  Le  Jardin  des  Rêves.  Paris, 
Lemerre,  1880,  in-18  (Réimpr.  :  en  appendice  aux  Poèmes  ari»tophanesques, 
1904).  —  Jules  Bertaut  :  Chroniqueurs  et  polémistes.  Paris,  Sansot,  1906, 
iii-18.  —  Ad.  Brisson  :  La  Comédie  littéraire,  Paris,  A.  Colin,  1895,  in-18. 
—  F.-A.  Cazals  :  Iconographie  de  M.  Laurent  Tailhade,  avec  une  préface 
de  Stéphane  Mallarmé.  Paris,  Bibliothèque  artististique  et  littéraire,  1894, 
in-8.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des  Masques,  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —Jules  Huret  :  Enquête  sur  l'Evolution 
littéraire,  Paris,  Charpentier,  1891,  in-18.  —  Bernard  Lazare:  Figures 
contemporaines,  Paris,  Perrin,  1895,  in-18.  — E.  Ledraiu  :  Préface  d  Terre 
Latine.  Paris,  Lemerre,  1897, in-18.—  Stéphane  Mallarmé  :  Divagation», 
Paris,  Fasquelle,  1897,  in-18.  —  Henri  de  Régnier  :  Tailhade,  notice  dans 
les  Portrait»  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  —  A.  Silvestre  : 
Préface.  Au  Pay»  du  Aiufle,  Paris,  Vanier,  1891,  et  Bibliothèque  artistique 

(1)  C«oique  portant  le  nom  du  poète,  ces  deux  derniers  ouvrages  {La  Soti* 
de  Bridoye  et  Son  Importance  Auguste  Pluchon)  ne  sont  cas  de  Laurent 
Tailhade.  Seuls  deux  petits  poèmes  de  La  Sotie  (dont  l'un,  \  illanelle,  a  été 
inséré  pw  la  suite  dans  Poème»  ilégiaquti   spparlienueal  en  propre  à  notM 


J 


lAimiNT  TAttiiAnB  sSy 


et  )ittArair«,  1*94.  (R^impr.  :  m  appAndice  hux-  Poèmêt  mriitophtineêfue», 
1904.)  —  J.  Telller  :  Nos  Poêles.  Paris,  Uespret,  1888,  in-18. 

J.  de  Boisjolln  :  La  Poésie  arUtophanenque  ehes  M.  Laurent  Tailhade, 
La  Plume,  15  seplomhre  1897.  —  Alclrlç  Guérin  :  Laurent  Tailhade,  Ia 
PluiiK-,  l!5  aoiU  1891.  —A.  Ferdinand  ilerold  :  Une  traduction  du 
€  Satyricon  »,  Mercure  de  Franco,  octobre  190J.  —Jules  Huret  :  Etat 
d'dme  d'un  dynamiti  ou  la  convalescence  de  JMurent  Tailhade.  Journal, 
17  avril  1894  (cet  article  a  6t<  reproduit  en  partie  dans  le  Mercure  de  France 
de  juin  1894).  —  F.  Quillard  :  Laurent  Tailhade,  Mercure  de  France,  jan- 
vier 189Î.  (Réimpr.  :  en  appendice  aux  Poème»  aristophanesques,  1904).  — 
Ernest  Haynaiid  -.Laurent  Tailhade.  Mercure  de  Franco,  janvier,  1891.  — 
A.  Vallelte  :  Au  Paya  du  Mufle,  Mercure  de  France,  juin  1891  ;  /^es  Con- 
férences de  Laurent  Tailhade.  Mercure  de  France,  juillet  1893;  Le  Geste 
iijnnble.  Mercure  do  France,  mai  1894.  —  Ch.  VIgner  :  Laurent  Tailhade, 
[jet,  Hommes  d'aujourd'hui,  n"  391,  Pari»,  Vanier  (Réimpr.  :  en  appendice 
aux  l'ohnes  aristophanesques,  1904). 

Iconographie  : 

F.-A.  CazaU  :  Iconographie  de  Laurent  Tailhade,  douze  dessins  origi- 

mu.x,  avec  pi <'>.''ace  de  Stéphane  Mallarm<^.  Paris,  [bibliothèque  artistique  et  lit- 
16  aire,  181)4.  in-8.  —  Hi^rmann  Paul  :  Lillwgraphie,  1892.  —  Ch.  Léandre  : 
i'ortraii-clutrye,  dAns  «  l,os  Hommes  d'aujourd'hui  «,  n*  391,  8*  vol.  Paris, 
Vanicr,  s.  d.(repr.  à  l'appendice  de  Poèmes  aristophanesques^90^)•,  Portrait, 
Neuilly,  1895;  Caricature  en  Don  Quichotte  et  en  Saint-Georges  d  cheval, 
dans  La  Jtevue  Bouge,  1896  ;  Portraits  :  En  Sauveur  de  pierreuses,  en  Cau- 
seur au  café  de  la  Notivelle-Alhènes,  1899  ;  J'ortrait,en  frontispice  de  l'ou- 
vrape  :  A  travers  les  Orouins.  Paris,  Stock,  1899.  —  Félix  Kégamey  : 
Croquis  d  la  plume.  116lcl-l)ieu,  1899  (app.  à  M.  Anatole  France).  —  'l'o- 
ché  :  V'i//ai7,  1891  (Exposition  dos  Portraits  du  prochain  siècle,  1893), 
ripioiluit  dans  la  fievue  Encyclopédique,  15  novembre  1893.  —  Evello 
'l'orcnt  :  Portrait  au  /u«oin,ropr.  en  frontispice  k  l'édition  de  Poèmes  aris- 
tophanesques. Paris,  .'^oc.  du  Mercure  de  France,  1904.  —  James  Vlbert  : 
Médaillon,  sculpture,  1895.  —  F.  Vallolton  :  Masque,  dans  Le  Livre  de» 
Masques,  de  Hemy  de  Tiourmonl.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898. 

Voir  en  outre  :  Portrait  de  Laurent  Tailhade,  en  Dom  /unip^rten. Mercure 
de  France,  mai  1894;  Portrait  en  héliograxrure  (frontispice  à  l'édition  de 
Poèmes  élégiaques,  1907) . 


HYMNE  ANTIQUE 

Hominam  Divamqne  voluptoê. 
Aima  Venat/ 

Aphrodite,  Déesse  immortelle,  aux  beaux  rires. 
Qui  te  plais  aux  chansons  luisçubres  des  ramiers, 
Le^  cœurs  mortels  par  toi  vibrent  comme  des  lyres, 
El  le  printemps  gonfle  de  sève  les  pommiers. 


a58  poèTKg  d'aujourd'hui 

Salut,  Génératrice  auguste  de  la  vie, 
Qui  courbes  à  ton  joug  les  monstres  furieux, 
Qui  fais  voler  la  lèvre  à  la  lèvre  ravie, 
Cypris  I  ô  volupté  des  hommes  et  des  dieux  I 

C'est  par  toi  que,  le  soir,  à  l'ombre  des  allées, 
Imbus  d'ivresse  et  de  langueur  appesantis. 
Les  éphèbes,  sous  les  ramures  emperlées. 
Chantent  l'hymne  vermeil  de  leurs  oarystis  : 

Car  l'Univers  flétri  par  la  haine  et  les  fièvres 
Et  qui  souffre,  oublieux  de  l'Olympe  vermeil, 
Depuis  dix-huit  cents  ans,  vers  toi  seul  tend  ses  lèvres, 
Comme  vers  un  ruisseau  consolant,  ô  Sommeil  ! 

Pour  moi,  chanteur  épris  des  extases  sans  trêve. 
Qui  m'enivre  des  bois,  du  grand  ciel  et  des  eaux, 
Fais  fleurir  sur  mon  front  l'irréprochable  rêve. 
Fais  chanter  en  mon  cœur  d'invisibles  oiseaux. 

Effeuille  autour  de  moi  les  plantes  funéraires 
Aux  jardins  de  la  Nuit  éclose  sous  tes  pas. 
Les  pavots  endornieurs,  les  noires  cinéraires, 
D'où  tombe  comme  un  vin  la  douceur  du  trépas. 

Afin  que,  dans  l'azur  où  les  heures  d'ôbène 
Des  astres  fugitifs  rallument  le  flambeau. 
Mon  àme,  dépouillant  toute  douleur  humaine, 
Monte  se  rajeunir  aux  sources  du  vrai  Beau. 

Et  je  t'adorerai  suivant  le  rit  antique, 
Jusqu'à  l'heure  indécise  où,  du  ciel  emperlé. 
L'alouette  dira  son  matinal  cantique 
Au  soleil  radieux  du  jour  renouvelé. 

C'est  pour  toi  qu'effeuillant  la  pourpre  renaissante, 
La  rose  dit  au  vent  son  désir  embaumé 
Et  que  la  vierge  apporte,  heureuse  et  rougissante, 
Sa  couronne  et  son  cœur  aux  bras  du  bien-aimé. 

Et  c'est  toi  qui,    rythmant  les  divines  étoiles, 
Fais  tressaillir  d'amour  le  cœur  de  l'Univers, 


LAUMRNT    TAILHADI  sSq 


Afin  que  l'harmonie  en  qui  tu  te  dévoiles 
Apprenne  aux  hommes  purs  à  composer  des  vers. 

Je  t'implore,  Déesse  immense  et  vénérable. 
Soit  que,  jçlorifiant  les  soleils  rajeunis. 
Sous  les  myrthcs  en  fleurs  et  les  bosquets  d'érable 
Tu  couvres  de  baisers  les  songes  d'Adôuis; 

Soit  que  le  dur  Ares  t'enchaîne  à  sa  victoire. 
Ou  que,  domptant  les  flots,  ô  Mère  des  Amours, 
La  très-sainte  Lesbos  murmure  ton  histoire  : 
Mon  encens  à  tes  pieds  s'exhalera  toujours. 

Garde-moi  de  l'ennui,  de  la  vieillesse  immonde 
Et,  pot"'te  vêtu  d'orgueilleuse  splendeur, 
O  Reine  qui  formas  et  gouvernes  le  Monde, 
Avant  tout,  garde-moi  de  l'infâme  laideur! 

Fais  que  je  tombe  dans  ma  force  et  ma  jeunesse, 
Que  mon  dernier  soupir  ait  un  puissant  écho, 
Et,  pour  qu'unjour  mon  âme  en  plein  soleil  renaisse, 
Que  je  meure  d'amour  comme  Ovide  ou  Sappho. 

[Poèmes  élégiaqnei,) 


HIÎLENE 
Le  laboratoire  de  Fanst  h  Witlemberif, 

Des  âges  révolus  j'ai  remonté  le  fleuve 
Et,  le  cœur  enivré  de  sublimes  desseins, 
Déserté  le  Hadôs  et  les  ombrages  saints 
Où  l'âme  d'une  paix  inefl'able  s'abreuve. 

Le  temps  n'a  pu  fléchir  \n  courbe  de  mes  seins  : 
Je  suis  toujours  debout  et  forte  dans  l'épreuve. 
Moi,  l'éternelle  vierge  et  l'étornelle  veuve. 
Gloire  d'Hellas,  parmi  la  guerre  aux  noirs  tocsins. 

O  Faust,  je  viens  à  toi,  quittant  le  sein  des  Mères  I 
Pour  toi,  j'abandonnai,  sur  l'aile  des  Chimères, 
L'ombre  pâle  où  les  Dieux  dorment,  ensevelis. 


a6o  POÈTES  d'aujourd'hui 


J'apporte  à  ton  nmour,  du  fond  des  cieux  antiques, 
Ma  gorge  dont  le  Temps  n'a  pas  vaincu  les  lys 
Et  ma  voix  assouplie  aux  rythmes  prophétiques. 

(Poèmes  élégiaqaes.) 

LE  CHANT  DE  GLAUCOS 

A  Casimir  Destrem, 

La  Mer!  comme  elle  est  bleue,  au  loin,  la  mer  sonore! 

La  plaine  harmonieuse  et  que  ne  déshonore 

Jamais  le  pied  tremblant  des  hommes  au  cœur  bas, 

La  Mer  qui,  dans  le  calme  ou  dans  les  durs  combats 

De  la  tempête,  garde  une  .Inie  inspiratrice, 

La  Mer  impétueuse  et  douce  est  la  nourrice 

Des  Dieux. 

La  Mer,  avec  ses  écumes,  ses  cris, 
Ses  hurlements,  ses  épouvantes,  ses  débris, 
Est  l'auguste  mamelle  où  vient  boire  le  Monde. 
Plus  que  les  champs  couverts  de  blés,  elle  est  féconde 
Et  ses  gouffres,  au  sol  de  nacre  et  de  coraux, 
Ses  lames  où  le  vent  creuse  des  soupiraux 
Gardent,  comme  une  fleur  à  tous  les  yeux  ravie, 
La  fermentation  énorme  de  la  vie. 
La  Mer  est  belle  et  semble,  au  bord  du  ciel  changeant, 
Un  poisson  monstrueux  aux  écailles  d'argent, 
La  Mer  est  belle. 

Avec  amour,  le  ciel  la  baise 
Quand,  sombre  ou  reluisante  ainsi  qu'une  fournaise, 
Elle  prête  au  Soleil  l'abîme  de  ses  flots. 

La  Mer,  pour  les  plongeurs  et  pour  les  matelots, 
A  de8  sourires  clairs  et  des  baisers  sans  nombre. 
Je  l'aime  ! 

Cet  amour  est  éclos  avec  l'ombre, 
A.vec  l'ombre  a  grandi  silencieusement, 
Lorsque  impubère  encore  et,  près  des  flots  dormant. 
Je  sentais,  h  mon  front,  de  ses  glauques  vallées, 
Monter  languissamment  des  haleines  salées. 


LAtmiNT   TAILHADI  itt 


O  Thalassa  !  Thétys  !  Calme  divinité 

Qui  règnes  dans  la  paix  et  dans  l'immensité, 

Bienfaisante  1  si  j'ai  rêvé  ce  chaste  rôve 

De  m'incarner  en  un  dieu  des  eaux,  sur  la  grève, 

Moi  qui,  pasteur,  paissais,  jadis,  au  pied  des  monts. 

Les  farouches  troupeaux  nourris  de  goémons, 

C'est  pour  m'unir  à  toi,  Déesse  !  O  Bienheureuse  ! 

Qui  te  montres  et  fuis,  quand  la  vague  se  creuse. 

Avec  tes  seins  de  perle  et  tes  squammes  d'or  vert. 

Oui,  je  veux  m'élancer  dans  le  gouffre  entr'ouvert, 

Comme  les  goélands  et  comme  les  poètes. 

A  force  d'écouter  la  plainte  des  mouettes 

Qui  se  bercent,  au  loin,  blanches  sur  les  flots  bleus, 

Mon  cœur  est  plein  de  fièvre  et  de  désirs  houleux. 

Tel  un  ormeau  que  la  tempête  déracine, 

Je  penche  vers  le  glauque  azur  qui  me  fascine. 

Mes  jours  vers  Thalassa  courent  comme  un  torrent. 

Ce  soir,  je  descendrai  sur  la  grève,  implorant, 
A  l'heure  d'or  où  Séléné  touche  les  cimes. 
Votre  clémence,  Déités  des  purs  abîmes. 
Là,  dépouillant  les  jours  et  les  espoirs  déçus. 
Lentement,  j'ôterai  ma  robe  de  byssus; 
Le  souffle  de  Thétys  gonflera  mes  narines 
Et  je  m'endormirai  sous  les  algues  marines. 

Toi  qui,  vers  ton  déclin,  marches,  éclaboussant 
L'azur  de  clairs  métaux  couleur  d'ambre  et  de  sang, 
Maître  du  jour  et  de  la  flamme  expiatoire. 
Titan  dont  les  Saisons  affirment  la  victoire. 
Juvénile  dompteur  qui  te  plais  aux  travaux 
Glorieux  de  tes  blancs  et  féroces  chevaux, 
Hypérion  !  Soleil  !  Archer  !  Roi  des  espaces  1 
Je  te  salue  encore,  avant  que  tu  t'effaces 
Et  que  a  molle  Nyx  ombre  le  ciel  vermeil  : 
Je  ne  te  verrai  pas,  demain  !  Salut,  Soleil  ! 
A  présent,  reçois  moi  dans  tes  ondes  tentantes. 
Déesse  au  pépies  bleu  1 

Les  tiges  palpitantes 


i8. 


«6a  poAtks  d'aujourd'hui 


Des  blêmes  tamaris  déclinent  vers  les  bords. 
Telle  descend  vers  toi  l'âme  des  enfants  morts 
Dans  le  désir  de  ton  étreinte  insidieuse. 

Je  vais  à  toi  1 

Pourtant,  sous  le  frêne  et  l'yeuse, 
Des  vierçes  aux  bras  purs,  belles  comme  tes  eaux, 
Entrelacent  leurs  chœurs  à  l'ombre  des  roseaux  ; 
Mon  chien  noir  garde  cncor  mes  génisses  sauvages, 
Et,  dans  la  plaine,  loin  de  tes  mornes  rivages, 
Il  est  un  toit  discret,  de  pampres  embaumé, 
Où  je  peux  abriter  mes  jours,  sûr  d'être  aimé, 
Une  maison  tranquille  où,  sous  les  vignes  blondes, 
Voltigent  par  essaims  les  abeilles  fécondes, 
Où  ma  mère,  ce  soir,  en  m 'apprêtant  ses  bras. 
Regardera  longtemps  si  je  ne  reviens  pas. 

{Poème»  élégtaques.) 


BALLADE  MYSTIQUE 

SUR  LA  DOUCEUR  DE  PAUVRETÉ 

Par  les  chemins  où  croît  l'épine  affreuse, 
La  Vierge  aux  maigres  flancs,  la  Pauvreté, 
Malgré  Douloir  qui  sa  paupière  creuse 
Et  Malefaim  debout  à  son  côté, 
Franchit  sans  peur  le  roc  ensanglanté. 
Car  elle  sait,  la  Dame  tutélaire. 
Quel  vêtement  de  gloire,  et  quel  salaire, 
Etquelsjoyaux  faits  des  pleurs  anciens 
L'investiront  d'une  gloire  stellaire, 
Lorsque  Jésus  reconnaîtra  les  siens. 

Un  astre  dort  sous  guenille  poudreuse . 
Amour  sans  fin,  éternelle  Beauté, 
Vont  rajeunir  ta  face,  bienheureuse 
Reine  du  simple  et  du  déshérité  I 
Sur  les  p.uvis  d'azur,  en  la  Cité 
Qu'un  blanc  soleil  immarcessible  éclaire, 


LAUnKNT   TAItRA.DB  »63 


Tes  pieds  lassés  par  la  fange  et  par  Terre, 
Mali^ré  les  cris  des  vils  pharisiens, 
Se  poseront  comme  un  aiglon  sur  l'aire, 
Lorsque  Jésus  reconnaîtra  les  siens. 

Donnez  la  rose  avec  la  tubéreuse  ! 
Et  le  Poète  aussi,  tant  molesté, 
Verra  finir  sa  course  douloureuse 
Au  malin  bleu  de  l'Immortalité. 
Son  fier  désir,  à  présent  exalté, 
Resplendira  sur  sa  face  très  claire. 
Pour  ce  dolent  accoiter  et   complaire, 
Des  chœurs  épris  d'Anges  musiciens 
Diront  ses  vers  à  l'Agneau  jubilaire, 
Lorsque  Jésus  reconnaîtra  les  siens. 


A  Paul  Verlaine. 

Prince  des  vers  si  doux,  le  scapulaire 

Et  l'humble  froc,  chez  tels  béotiens, 

Ebnudit  un  mufle  patibulaire. 

Mais  toi,  sans  peur,  sans  feinte,  sans  colère, 

Sois  de  ton  Dieu  l'éternel  vexillaire, 

Lorsque  Jésus  reconnaîtra  les  siens. 

Septembre  189a. 

{Poinut  ilégiaqaea .) 


BALLADE 

POVn  L'kXALTATION   DK    la  sainte  PITlà 

Vieux  pèlerin  aux  jambes  mutilées. 

Courbe  la  tête  et  vois  grandir  le  soir. 

Le  crépuscule  obombre  les  allées 

Où  ta  jeunesse,  en  riant,  vint  s'asseoir 

En  des  bosquets  de  myrte  et  d'azalées. 

Près  des  grands  lis  aux  parfums  d'encensoir. 

Les  lis  sont  morts.  I^s  roses  diffamées. 


poAtks  d'aujourd'hui 


S'échevelaDt  au  gré  du  vent  moqueur, 
Pleurent  le  deuil  des  lointaines  aimées. 
La  Nuit  descend.  Four  guérir  ta  rancœur, 
Avant  que  soient  les  ténèbres  fermées, 
Cherche  un  autel  où  suspendre  ton  cœur  ! 

Les  Thalestris  et  les  Penthésilées 
Nymphes  d'orgueil  que  tu  crus  émouvoir, 
Et  ce  laurier  des  Victoires  ailées, 
Ton  rêve  meurt  dans  la  nuit  sans  espoir. 
Une  hideur  sort  des  plèbes  foulées 
Comme  le  vin  qui  gicle  du  pressoir. 
Sous  le  talon  assassin  des  armées 
Par  qui  le  dol  tortueux  est  vainqueur, 
Le  sang  humain  exhale  ses  fumées 
Et  réjoui  par  la  sombre  liqueur. 
Le  prêtre  boit  à  lèvres  enflammées. 
Cherche  un  autel  où  suspendre  ton  cœurl 

Aux  cieux  amis  où  s'en  vont  les  galées, 
Sur  la  mer  blonde  et  verte,  pur  miroir, 
Partent  aussi  nos  amours  esseulées. 
Rires,  baisers  d'antan,  frais  reposoir 
Des  i  eunes  bras,  lèvres  ensorcelées 
Qui  nous  dictaient  le  Rythme  et  le  Devoir. 
Novembre  hurle  et  geint  sous  les  ramées. 
Voici  l'automne  et  sa  morne  langueur  ! 
Dans  un  linceul  de  regrets,  embaumées. 
Triste  et  menant  le  funéraire  chœur, 
Le  chœur  plaintif  des  sœurs  et  des  aimées, 
Cherche  un  autel  où  suspendre  ton  cœur  ! 


Pitié  !  vers  toi,  de  justice  affamées. 
Pour  conquérir  le  calme  et  la  vigueur, 
S'élèveront  nos  âmes  ranimées. 
Reine  aux  doux  yeux  des  foules  opprimées, 
Bravant  du  sort  l'infamante  rigueur, 


LAURENT   TAILHADI 


•fl5 


Je  t'ai  bénîfi,  et  voulue,  et  nommée 
L'unique  autel  où  suspendre  mon  cceur. 

(Poèmes  Mègiaqnet.) 

BALLADE  S0LNEÎ5S 
rouR  LB  78a  anniversairb  d'hsnrigk  ibscn 

«  80USBR8.  —  Une  tour  !  Que  Ten- 
iez-vous  dire  ? 

«  HiLDE  vawoel.  —  Je  pense  à 
qnelqae  chose  qui  s'élève...  qui 
•  élève  librement  dans  les  airs.  » 

RKNRicK  iBSKN  :  Sotmss  le  iJon^ 
tracteur. 

Dans  le  cloaque  aux  herbes  pestileotes. 
Gonflé  d'orçueil,  de  boue  et  de  venin. 
L'impur  Dragon  nage  h  travers  les  plantes. 
Pour  abriter  le  Difforme  et  le  Nain, 
La  plaine  |2;Tasse  a  plus  d'un  lieu  bénin  : 
Caserne,  boua^e,  hôpital  ou  r'iauraine. 
Entrez,  les  gueux,  en  loques,  en  sarraux. 
Bétail  humain  dompté  par  la  famine  ! 
Pourtant,  voyez  !  Par  les  airs  sidéraux. 
Monte,  en  plein  ciel,  droite  comme  un  héros, 
La  claire  "rour  qui  sur  les  flots  domine. 

Une  Princesse  aux  lèvres  consolantes, 

Kôdeurs  blessés,  y  conduit  par  la  main. 

La  voix  se  tait  des  foules  insolentes 

Près  de  la  Dame  au  geste  surhumain. 

Venez  goûter  l'espoir  du  lendemain 

A  ses  genoux  !  Que  vers  elle  chemine 

Le  Peuple  exempt  des  geôles,  des  harreaax  ! 

Un  souffle  tiède  éclot  la  balsamine 

Et  Floréal  jase  emmi  les  sareanx  : 

Car  le  soleil  dore,  en  tous  ses  vitraux, 

La  claire  Tour  qui  sur  les  flots  domioA 

KMowdua,  Icarie  ou  Salentes, 


a  66  poÂTKS  D  aujourd'hui 


Fuyons  cet  àîr  opaque  et  saturnin. 

Plus  de  mensonge  ou  de  guerres  sanglantes  : 

Garguons  la  voile  et  rompons  le  funin  ! 

Là-bas,  ainsi  qu'à  l'aube,  un  Apennin, 

Du  temple  neuf  la  crête  s'illumine. 

Prêtres  abjects,  rois,  soudards  ou  bourreaux, 

Juges,  souillant  de  leur  honte  l'hermine 

Et  de  la  foudre  attisant  les  carreaux. 

Voici,  loin  des  gredins  et  des  marauds, 

La  claire  Tour  qui  sur  les  flots  domine. 


Vienne  ton  jour,  Déesse  aux  yeux  si  beaux, 
Dans  un  matin  vermeil  de  Salamine  ! 
Frappe  nos  cœurs  en  allés  en  lambeaux. 
Anarchie  I  ô  porteuse  de  flambeaux  ! 
Chasse  la  nuit  !  écrase  la  vermine  ! 
Et  dresse  au  ciel,  fût-ce  avec  nos  tombeaux, 
La  claire  Tour  qui  sur  les  flots  domine  ! 

(Poèmes  élêffiaqaes.) 

BALLADE  SURANNÉE 

DE 

LA   CONSOLATION   AUTOMNALE 

Tu  le  connais,  ô  toi  qui  fus  ma  mie, 
Ce  parc  hautain  jonché  de  feuilles  d'or. 
Où  du  couchant  la  lueur  accalmie 
Incendiait  les  arbres  en  décor. 
Et  les  appels  nostalgiques  du  cor, 
Et  tout  le  soir  d'octobre,  et  les  feux  roses 
Parmi  la  Seine  aux  lointains  gracieux,    • 
Et  ces  parfums  de  mousse,  et  les  choses 
D'autrefois  qui  montaient  dans  nos  adieux. 
La  Belle  a  dit  :  «  Ne  pleurez  pas  les  roses.  » 

Rose  de  Mai  qu'a  l'automne  blêmie, 
Où  respirer  tes  effluves  «ncor  ? 


LADRBNT    TA1LHADB  367 


Luths,  TÎoIoas,  muselle  et  chalciiiie, 
Sous  les  pius  noirs,  ont  ccssô  leur  accord 
La  vigne  pend  au  souffle  aigu  du  nord. 
Comme  un  Géronte  imbécile,  tu  causes, 
Vieil  Aquilon,  par  le  bois  spacieux. 
Et,  déchaînant  les  Hyades  moroses, 
Un  lourd  brouillard  se  traîne  dans  les  cieux. 
La  Belle  a  dit  :  a  Ne  pleurez  pas  les  roses.  » 

Le  Temps  déjà,  furieuse  Lamie, 
Des  cœurs  aimants  ruine  le  trésor. 
Sans  épargner  beauté  ni  preud'homie. 
Cassandre  vient  qui  remplace  Lindor. 
Adieu  les  jours  fervents  de  thermidor  I 
Adieu  Lignons,  Cythères  et  Formoses  I 
Vendange  est_  faite  aux  ceps  délicieux. 
Le  Souvenir  bougonne  quelques  gloses 
Et  peint  d'azur  ses  frêles  camaïeux. 
La  Belle  a  dît  :  a  Ne  pleurez  pas  les  roses  .» 

KNTOI 

Prince  d'amour,  quand,  leurs  pennes  décloses, 
Stryges,  corbeaux  et  chals-huaots  soyeux 
Voltigeront,  secouant  des  névroses, 
Tourne-toi  vers  le  printemps  de  ses  yeux. 
La  Belle  a  dit  :  «  Ne  pleurez  pas  les  roses .  t> 

{Poèmes  élégiaqvtet.) 

BALLADE    ÉLËGIAQUE 
focn  LR  Monost   APlukS-ItlDI 

Tout  le  pUisirdes  joors  est  en  leurs  matinées. 

MALHBRBB. 

Je  venx  m'enfuir  sons  les  branches  pucelles 
Où  du  Printemps  ardent  les  clairs  midis, 
Ephèbe-Dieu,  Soleil,  quand  tu  ruisselles 
Dans  les  rameaux  de  parfums  alourdis  I 


a68  poirES  d'aujourd'hui 


Je  veux  m'enfuir  loin  des  temples  maudits, 
Loin  de  la  plèbe  immonde  et  forcenée  ! 
Voici  finir  la  chaste  matinée. 
Avril,  au  bois,  montre  ses  jeunes  flancs. 
Vous,  cependant,  comme  aux  soirs  d'hyménée. 
De  quelques  fleurs  parez  mes  cheveux  blancs  I 

Les  archiluths,  et  les  violoncelles, 

Et  les  hautbois  aux  timbres  assourdis, 

Mystérieux,  disent  les  noms  de  celles 

Qui  m'apportaient  les  roses  de  jadis. 

Bleus  souvenirs  des  lointains  paradis. 

Embellissez  la  fin  de  ma  journée  ! 

Que  soient  par  vous  mes  tempes  couronnées. 

Et,  dans  l'accord  des  rythmes  nonchalants. 

Pour  me  conduire  aux  îles  Fortunées, 

De  quelques  fleurs  parez  mes  cheveux  blancs  I 

Vers  l'occident  fusent  des  étinoelles. 
Ce  dernier  jour  des  jours  que  ta  perdis. 
Mon  cœur,  décline,  hélas  !  et  tu  chancnlles. 
Meure  l'orgueil  de  tes  songes  hardis  l 
Cesse  tes  chants,  églogues  ou  bardits  I 
Au  loin  s'en  vont  Eros  et  Thyonée  : 
Plus  d'arc-en-ciel  pour  ta  vigne  égrenée, 
Le  vent  s'épeure  et  pleure  en  cris  dolents  ! 
—  Ah  1  si  la  fleur  suprême  n'est  fanée, 
De  quelques  fleurs  parez  mes  cheveux  blancs  I 

«NVOl 

Amour,  qu'aima  Celle  de  Mantinéc  I 

Amour,  Seig^neur  de  nos    désirs  tremblants  I 

Sur  les  remous  glauques  des  cyanées, 

En  plein  azur,  montent  les  goélands.  * 

Telle,  vers  vous,  notre  ôme  abandonnée  : 

De  quelques  fleurs  parez  mes  cheveux  blancs  > 

{Poèmtt  élégiaqaet.) 


LAUnXNT   TAILRADB  sAç 


SI  TU  VEUX,  PRENONS  UN  FIACRE... 

Si  tu  veux,  prenons  un  fiacre 
Vprt  comme  un  chant  de  hautbois. 
Nous  ferons  le  simulacre 
Des  gens  urf  qui  vont  au  Bois. 

Les  taillis  sont  pleins  de  sources 
Fraîches  sous  les  parasols  ; 
Viens  I  nous  risquerons  aux  courses 
Quelques  pièces  de  cent  sols. 

Allons-nous-en  !  L'ombre  est  douce, 
Le  ciel  est  bleu  ;  sur  la  mousse 
Polyte  mAche  du  veau. 

Il  convient  que  tu  t'attifes 
Pour  humer,  près  des  fortifFes, 
Les  encens  du  renouveau. 

(Poème$  arittophanesqaen.) 

BARCAROLLE 

Sur  le  petit  bateau-mouche, 
Les  bourgeois  sont  entassés, 
Avec  les  enfants  qu'on  mouche. 
Qu'on  ne  mouche  pas  assez. 

Combien  qu'autour  d'eux  la  Sei' 
Regorge  de  chiens  crevés, 
Ils  jugent  la  brise  saine 
Dans  les  Billancourts  rôvëa. 

Et  mesdames  leurs  épouses, 
Plus  laides  que  des  empouses 
Affirment  qu'il  fait  grand  chaud 

Et  s'ëpaulent  sans  entraves 
A  des  Japonais  très  graves 
Dans  leurs  complets  de  Godchau. 

{Pointes  arittophanesqoêt.) 


17©  poèTES  d'aujourd'hui 


MUSÉE    DU  LOUVRE 

Cinq  heures.  Les  gardiens  en  manteaux  verts,  joyeux 
De  s'évader  enfin  d'au  milieu  des  chefs-d'œuvre, 
Expulsent  les  bourgeois  qu'ahurit  la  manœuvre, 
Et  les  rouges  Yankees  écarquillant  leurs  yeux. 

Ces  voyageurs  ont  des  waterproofs  d'un  gris  jaune 
Avec  des  brodequins  en  allés  en  bateau  ; 
Devant  Rubens,  devant  Rembrandt,  devant  Watteau, 
Ils  s'arrêtent,  pour  consulter  le  Guide  Joanne. 

Mais  l'antique  pucellc  au  turban  de  vizir. 
Impassible,  subit  l'attouchement  du  groupe. 
Ses  anglaises  où  des  lichens  viennent  moisir 

Ondulent  vers  le  sol  ;  car,  sur  une  soucoupe. 

Elle  se  penche  pour  fignoler  à  loisir 

Les  Noces  de  Cana  qu'elle  peint  à  la  loupe. 

(Poèmes  aristophanesqaea .) 

PLACE  DES  VICTOIRES 

Les  femmes  laides  qui  déchiffrent  des  sonates 
Sortent  de  chez  Érard,  le  concert  terminé 
Et,  sur  le  trottoir  gras,  elles  heurtent  Phryné 
Offrant  au  plus  offrant  l'or  de  ses  fausses  nattes. 

Elles  viennent  d'ouïr  Ladislas  Talapoint, 
Pianiste  hongrois  que  le  Figaro  vante. 
Et,  tout  en  se  disant  du  mal  de  leur  servante, 
Elles  tranchent  un  cas  douteux  de  contrepoint. 

Des  messieurs  résignés  à  qui  la  force  manque 
Les  suivent,  approuvant  de  leur  chef  déjà  mûr; 
Ils  eussent  préféré  le  moindre  saltimbanque. 

Leur  silhouette  court,  falote,  au  ras  d'un  mur. 
Cependant  que  Louis,  le  vainqueur  de  Namur, 
S'assomme  à  regarder  les  portes  de  la  Banque. 

(Poèmes  arisiophanetqaet.) 


LAURBNT   TAILHADl  a?) 


SUR  CHAMP  D'OR 

Certes,  monsieur  Benoist  approuve  les  p^ens  qui 
Ont  lu  Voltaire  et  sont  anx  Jésuites  adverses. 
Il  pense.  Il  est  idoine  aux  longues  controverses. 
Il  déprise  le  moine  et  le  thériaki. 

Même  il  fut  orateur  d'une  Loge  Ecossaise. 
Toutefois  —  car  sa  légitime  croit  en  Dieu  — 
La  petite  Benoist,  voiles  blancs,  ruban  bleu, 
Communia.  Ça  fait  qu'on  boit  maint  litre  A  seize, 

Choz  le  bistro,  parmi  les  bancs  empouacrés. 
Le  billard  somnolent  et  les  garçons  vautrés, 
Trône  la  pucelette  aux  gants  de'filoselle. 

Or  Beuoi.st  qui  s'émèchc  et  tourne  au  calotin 
Montre  quelque  plaisir  d'avoir  vu,  ce  matin, 
L'hymen  du  Fils  Unique  et  de  sa  «  demoiselle  » . 

(^Poèmes  arîstophanetqaet.) 

INITIATION 

A  Saint-Mandé,  —  Parmi  les  badauds  hésitants. 
Le  cornac  loue  avec  pudeur  sa  marchandise, 
Une  Vénus  d'un  poids  énorme  et,  qu'on  le  dise  ! 
Montrée  aux  hommes  seuls  de  plus  de  dix-huit  ans. 

Des  militaires,  des  loustics  entre  deux  âges 
Pénètrent,  soucieux  du  boniment  complet, 
Sous  la  tente  où,  massive  et  fidèle  aux  usages, 
La  dame,  en  tutu  rose,  exhibe  son  mollet. 

Seul,  un  potache  ému  de  cette  plasmature 
Giganlale,  pour  voir  des  pieds  à  la  ceinture. 
Allonge  un  supplément  dans  le  bassinet  gras. 

Et  tandis  que,  penaud,  vers  l'estrade  il  s'amène, 

D'un  accent  maternel  et  doux,  le  Phénomène 

Lui  dit  :  «  Tu  peux  toucher.  Monsieur,  ça  ne  mord  pas. 

•  (Poème*  aristophanesquês.) 


PAUL  VALÉRY 
1872 


M.  P«ul-Ambroise  Valéry,  qui  est  né  à  Cette  (H^ranlt)  le  3o  octo- 
Dre  187a,  n'a  guère  écrit,  jusqu'ici,  que  pour  ses  amis,  dans  des 
revues  fermées,  comme  La  Concfue  de  M.  Pierre  Louys,  et  Le  Cen- 
taure, dont  il  fut  l'un  des  fondateurs.  La  plupart  des  poèmes  qu'on 
va  lire  furent  composés  de  1889  à  1895.  Depuis,  M.  Paul  Valéry  a 
plutôt  peu  écrit.  C'est  à  peine  si  l'on  trouve  son  nom  dans  Le  Mer- 
cure de  France,  vers  1898,  au  bas  d'études  dont  le  titre  ;  Méthodes, 
est  significatif  des  abstractions  et  des  spéculations  mathématiques 
où  s'est  jeté  son  esprit.  M.  Paul  Valéry  s'adonne  en  effet  depuis  plu- 
sieurs années  à  des  recherches  extra-littéraires  qu'il  est  malaisé  de 
définir,  car  elles  semblent  se  fonder  sur  une  confusion  préméditée 
des  méthodes  des  sciences  exactes  et  des  instincts  artistiques.  Ces 
recherches  n'ont  encore  fait  l'objet  d'aucune  publication.  On  n'a  de 
M.  Paul  Valéry,  avec  les  poèmes  que  nous  donnons  et  les  Méthodes 
mentionnées  plus  haut,  qu'une  élude  sur  J.-K.  Huysmans  :  ûurtal, 
parue  dans  Z«  Mercure  de  France,  mars  1898,  une  Introduction  à 
la  Méthode  de  Léonard  de  Vinci,  parue  dans  La  Nouvelle  Revue, 
août  1895,  et  quelques  pages  brillantes  et  mystérieuses:  La  Soirée 
awc  M.  Teste,  publiées  dans  Le  Centaure  en  1896  et  que  la  revue 
Vers  et  Prose  a  reproduites  dans  sou  tome  IV  (décembre  1906, 
janvier-février  1906).  Il  convient  d'y  ajouter:  Paradoxe  sur  l'ar- 
chitecte {Erm\laig;e,  mars  iSgt);Pars  Drames  (Entretiens  politiques 
et  littéraires,  mars  1891)  :  La  Conquête  Allemande,  essai  sur  l'ear 
pansion  germanique  (paru  en  français  dans  7'he  New-lieview,  jan- 
vier 1897), 

M.  Paul  Valéry  a,  en  outre,  collaboré  à  La  Revue  Indépendante! 
1891  ;  à  Chimère,  1891  ;  à  La  Syrinx,  189a  yk  La  Wallonie,  189a; 
et  À  La  Coupe,  1896. 

Bibliographie  : 
\mm  atDvnM.  —  Introduction  A  1»  Méthode  de  Léonard^  de  Vlndi 


PAUL  TALEUT  •?' 

(Extrait  de  LaNotnelle  Revue  dvi  18  août  18»5).  Pua,  Librairie  de«UNou- 
▼olle  Rerue  ».  1805,  iu-8. 

A  CON80LTIIR.  —  Paul  Suuchon  :  Critique  de»  Poète»  :  M.  Paul  Valéry, 
Le  Ge»le  (Niiues),  n»  du  IS  au  19  décembre  1897.  —  Gilbert  de  Voisins  : 
Sentiment».  Voyei  le  chapitre  inlituli  :  Le  Kw»que  vert  prè»  dt  l'Ulang 
(Pari*,  Soc.  du  Mercure  de  t'rauco,  1903,  ia-18). 


HÉLÈNE,  LÀ  REINE  TRISTE 

Azur  !  c'est  moi.  Je  viens  des  grottes  de  la  mort 
Entendre  ronde  se  rompre  aux  dejçrés  sonores 
Et  je  revois  les  galères  dans  les  aurores 
Ressusciter  de  l'ombre  au  fil  des  rames  d'or. 

Mes  solitaires  mains  appellent  les  monarques 
Dont  la  barbe  de  sel  amusait  mes  doigts  purs. 
Je  pleurais.  Us  chantaient  leurs  triomphes  obscurs 
Et  les  golfes  enfuis  des  poupes  de  leurs  barques. 

J'entends  les  conques  sonores  et  les  clairons 

Militaires  rythmer  le  vol  des  avirons. 

Le  chant  clair  des  rameurs  enchaîne  le  tumulte. 

Et  les  Dieux  !  à  la  proue  héroïque  exaltés 
Dans  leur  sourire  antique  et  que  l'écume  insulte 
Tendent  vers  moi  leurs  braa  indulgents  et  sculptés. 

NARCISSE  PARLE 

NARaWa  PUàCAHDtS    MAMiaCS. 

O  frères,  tristes  lys,  je  languis  de  beauté 

Pour  m'ètre  désiré  dans  votre  nudité 

Et  vers  vous,  Nymphes!  nymphes,  nymphes  des  fontaines. 

Je  viens  au  pur  silence  offrir  mes  larmes  vaines 

Car  les  hymnes  du  soleil  s'en  vontl... 

C'est  le  soir. 
J^entends  les  herbes  d'or  grandir  dans  l*ombre  sainte 
Et  la  luue  perfide  élève  son  miroir 
Si  la  fontaine  nue  est  par  la  nuit,  éteinte. 
Ainsi,  dans  ces  roseaux  harmonieux,  jeté 


ji74  poiTBt  d'aujocrd'hui 

Je  languis,  6  saphir,  par  ma  triste  beauté, 

Saphir  antique  et  fontaine  magicienne 

Où  j'oubliai  le  rire  de  l'heure  ancienne. 

Que  je  déplore  ton  éclat  fatal  et  pur 

Source  funeste  à  mes  larmes  prédestinée 

Où  puisèrent  mes  yeux  dans  un  mortel  azur 

Mon  image  de  fleurs  humides  couronnée. 

Hélas  !  l'image  est  douce  et  les  pleurs  éternels! 

A  travers  ces  bois  bleus  et  ces  lys  fraternels 

Une  lumière  ondule  encor,  seule  améthyste 

Assez  pour  deviner  ici  le  Fiancé 

Dans  ton  miroir  dont  m'attire  la  lueur  triste 

Pâle  améthyse,  ô  miroir  d'un  songe  insensé  ! 

Voici  dans  l'eau  ma  chair  de  lune  et  de  rosée 

Qu'élève  la  fontaine  ironique  et  rusée  ; 

Voici  mes  bras  d'argent  dont  les  gestes  sont  purs* 

Mes  lentes  mains  dans  l'or  adorable  se  lassent 

D'appeler  ce  captif  que  les  feuilles  enlacent 

Et  je  lance  aux  échos  les  noms  des  dieux  obscurs  1 

Adieux  !  reflet  perdu  sur  l'onde  calme  et  close, 
Narcisse,  l'heure  ultime  est  un  tendre  parfum 
Au  cœur  suave.  Effeuille  aux  mânes  du  défunt 
Sur  ce  vide  tombeau  la  funérale  rose. 

Sois,  ma  lèvre,  la  rose  effeuillant  son  baiser 
Pour  que  le  spectre  dorme  en  son  rêve  apaisé, 
Car  la  Nuit  parle  à  demi  voix,  seule  et  lointaine 
Aux  calices  pleins  d'ombre  pâle  et  si  légers  ; 
Mais  la  lune  s'amuse  aux  myrtes  allongés. 

Je  t'adore,  sous  ces  myrtes,  ô  l'incertaine  1 
Chair  pour  la  solitude  éclose  tristement 
Qui  se  mire  dans  le  miroir  au  bois  dormant 
O  chair  d'adolescent  et  de  princesse  douce  ! 
L'heure  menteuse  est  molle  au  rêve  sur  la  mousse 
Et  le  délice  sombre  enfle  ce  bois  profond. 
Adieu  !  Narcisse,  ou  meurs  1  Voici  le  crépuscule 
La  flûte  sur  l'azur  enseveli  module 
Des  regrets  de  troupeaux  sonores  qui  s'en  vont. 


Sur  la  lèvre  de  gemme,  en  l'eau  morte,  <J  pieuse 
Beauté  pareille  au  soir,  beauté  silencieuse 
Tiens  ce  baiser  nocturne  et  tendrement  fatal 
Caresse,  dont  l'espoir  altère  ce  cristal  ! 

Emporte-le  dans  l'ombre,  ô  ma  chair  exilée, 

Et  toi,  verse  pour  la  hme,  flûte  isolée 

Verse  des  pleurs  lointains  eu  des  urnes  d'argent. 


BAIGNEE 

Un  fruit  de  chair  se  baigne  en  quelque  jeune  vasque 
(Azur  dans  les  jardins  tremblants),  mais,  hors  de  l'eaa, 
Isolant  la  torsade  où  se  figure  un  casque 
La  tête  d'or  scintille  au  calme  du  tombeau. 

Eclose  sa  beauté  par  la  rose  et  l'épingle  ! 
Du  miroir  même  issue  où  trempent  ses  bijoux 
Pendeloques  et  lys  dont  le  bouquet  dur  cingle 
L'oreille  abandonnée  aux  mots  nus  du  flot  doux. 

Un  bras  vague  inondé  dans  le  néant  limpide 
Pour  une  ombre  de  fleur  à  cueillir  doucement 
S'effile,  ondule,  ou  dort  par  le  délice  vide 

Si  l'autre,  courbé  pur  sous  le  beau  firmament 
Parmi  la  chevelure  immense  qu'il  humecte 
Capture  dans  l'or  simple  un  vol  ivre  d'insecte. 


LA  FILEUSË 

,  Lilia. . .  neque  nenl. 

Assise  la  fileuse  au  bleu  de  la  croisée 
Où  le  jardin  «nélodieux  se  dodeline. 
Le  rouet  ancien  qui  ronfle  l'a  grisée. 

Lasse,  ayant  bu  l'azur,  de  filer  la  c&line 
Chevelure,  à  ses  doigts  si  faibles  évasi^v. 
Elle  songe,  et  s«  tête  petite  s'incline... 


%^9  voins  d'aujourd'hui 

Un  arbuste  et  l'air  pur  font  une  source  vive 
Qui,  suspendue  au  jour,  délicieuse  arrose 
De  ses  pertes  de  fleur  le  jardin  de  l'oisive. 

Une  tige,  où  le  vent  vagabond  se  repose 
Courbe  le  salut  vain  de  sa  grâce  étoilée 
Dédiant  magnifique,  au  vieux  rouet,  sa  rose. 

Mais  la  dormeuse  file  une  laine  isolée 

Mystérieusement  l'ombre  frêle  se  tresse 

Au  fil  de  ses  doigts  longs  et  qui  dorment,  filée. 

Le  songe  se  dévide  avec  une  paresse 

Angélique,  et  sans  cesse,  au  fuseau  doux,  crédule 

La  chevelure  ondule  au  gré  de  la  caresse... 

Tu  es  morte  naïve  au  bord  du  crépuscule. 

Pileuse  de  feuillage  et  de  lumière  ceinte. 

Tout  le  ciel  vert  se  meurt.  Le  dernier  arbre  brûle. 

Ta  sœur,  la  grande  rose  où  sourit  une  sainte 
Parfume  ton  front  vague  au  vent  de  son  haleine 
Innocente,  et  tu  crois  languir.  Tu  es  éteinte 

Au  bleu  de  la  croisée  où  tu  filais  la  laine. 


FRAGMENT 

Un  soir  favorisé  de  colombes  sublimes, 
La  pucelle  doucement  se  peigne  au  soleil. 
Aux  nénuphars  de  l'onde  elle  donne  un  orteil 
Ultime  et  pour  tiédir  ses  molles  mains  errantes 
Parfois  trempe  au  couchant  leurs  roses  transparentes. 
Tantôt,  si  d'une  ondée  innocente,  sa  peau 
Frissonne,  c'est  le  dire  absurde  d'un  pipeau, 
Flûte  dont  le  coupable  aux  dents  de  pierrerie 
Tire  un  futile  vent  d'ombre  et  de  rêverie 
Par  l'occulte  baiser  qu'il  risque  sous  les  fleurs. 
Mais  tout  indifi^érente  à  ces  jeux  doux  de  pleurs 
Ni  se  divinisant  par  aucune  parole 


»AUL    VALBRt  3i^^ 


De  rose,  la  beauté  jouant  de  l'auréole 
Mire  dans  l'œil  au{u;usle  émerveillé  d'un  or 
D'éparse,  chevelure  où  fuit  la  myrrhe  encor, 
Delà  lumière  vue  entre  ses  doi|Çts  limpides! 
. . .  Une  feuille  meurt  sur  ses  épaules  humides 
Une  goutte  tombe  de  la  flûte  sur  l'eau 
Et  le  pied  pur  s'épeure  comme  un  bel  oiseau 
lyre  d'ombre. . . 


A  F.  Vielé-Gri/fin. 

Eté,  roche  d'air  pur,  et  toi,  ardente  ruche, 

0  mer,  éparpillée  en  mille  mouches  sur 

1  -es  touffes  d'une  chair  fraîche  comme  une  cruche 
Et  jusque  dans  la  bouche  où  bourdonne  l'azur^ 

Et  toi,  maison  brûlante,  Espace,  cher  Espace 
Tranquille,  où  l'arbre  fume  et  perd  quelques  oiseaux. 
Où  crève  infiniment  la  rumeur  de  la  niasse 
De  la  mer,  de  la  marche  et  des  troupes  des  eaux. 

Tonnes  d'odeurs,  grands  ronds  par  les  races  heureuses 
Sur  le  golfe  qui  mange  et  qui  monte  au  soleil. 
Nid»  purs,  Ecluses  d'herbe,  ombres  de  vagues  creuses, 
Bercez  l'enfant  ravie  en  un  poreux  sommeil. 

Mais  les  jambes  (dont  Tune  est  fraîche  et  se  déuouo 
De  la  plus  rose),  les  épaules,  le  sein  pur. 
Le  bras  qui  se  mélange  à  l'écuraeuse  joue 
Brillent  abandonnés  non  loin  du  vase  obscur 

Où  filtrent  les  grands  bruits  pleins  de  bâtes  puisëes 
Dans  les  cai^es  de  feuille  et  les  mailles  de  mer 
Par  les  moulins  marins  et  les  huttes  rosées 
Du  jour.  Toute  la  peau  dore  les  treillas  d'air. 


378  ,      POSTES    d'aujourd'hui 


VALVINS 


A  S.  M. 


Si  tu  veux  dénouer  la  lorêt  qui  t'aère 
Heureuse,  tu  te  fonds  aux  feuilles,  si  tu  es 
Dans  la  fluide  yole  à  jamais  littéraire 
Traînant  quelques  soleils  ardemment  situés 

Aux  blancheurs  de  son  flanc  que  la  Seine  caresse 
Emue,  ou  pressentant  l'après-midi  chanté, 
Tandis  que  le  grand  bois  trempe  une  longue  tresse 
Et  mélange  ta  voile  au  meilleur  de  l'été. 

Mais  toujours  près  de  toi  que  le  silence  livre 
Aux  cris  multipliés  de  tout  le  brut  azur 
L'ombre  de  quelque  page  éparse  d'aucun  livre 

Tremble  comme  ta  voile  et  vagabonde  sur, 
Sur  la  poudreuse  chair  immense  de  l'eau  verte 
Parmi  le  long  regard  de  la  Seine  eotr'ouverte. 


CHARLES  VAN  LERBERGUE 
i861-1907 


Charles  Van  Lerberphe  naquit  k  Gand  (Belgique)  le  ai  octobre  ififii. 
«  Son  père  était  un  Flamand  de  vieille  roche,  hoaime  «i'étiidos  et 
d'archives,  f^rand  amateur  d'estampes  (i).  »  Il  le  perdit  il  avait 
sept  ans,  et  il  alla  vivre  alors  avec  sa  mère  et  une  sœur  plus  jeune 
que  lui  dans  un  quartier  retiré  de  Gand,  tout  près  des  bords  de 
IKscaut.  Vers  treize  ans,  il  fut  j^ravement  malade  pendant  toute 
une  année.  Peu  après,  sa  mère  mourut,  et  par  les  soins  de  son 
tuteur,  oncle  de  M.  Maurice  Maeterlinck,  il  fut  placé  en  pension  h 
la  campagne.  Il  entra  ensuite  au  collège  Sainte-Barbe  de  Gand. 
dirige  par  les  Jésuites,  oîi  il  eut  comme  condisciples  MM.  Maurice 
Maeterlinck  et  Grégoire  Le  Roy,  —  groupe  de  trois  amis  qui  devait 
■  nmer   un  jotir   trois  poètes  à    la  Flandre.  Les    premiers    vers  de 

inrles  Van  Lerberghe  parurent  dans  La  Pléiade,  en  1886.  Il  colla- 
oora  ensuite  à  La  Wallonie,  à  1m.  Jeune  Belgique.  «  Sa  conception 
de  la  poi'sie  lui  appartenait  déjà,  a  noté  M.  Albert  Mockel.  Sym- 
boliste au  sens  véritable  de  ce  mot,  il  voyait  des  lignes,  des  couleurs 
se  former  à  ses  yeux  en  une  suite  de  petits  tableaux  qu'il  peignait 
avec  une  libre  grâce  ;  une  image  l'avait  séduit,  il  la  transcrivait 
dans  une  sorte  de  lumineuse  buée,  et  abandonnait  aux  choses  le 
soin  de  dire  elles-mêmes  le  sentiment  ou  la  pensée  qu'elles  pou- 
vaient évoquer  (a).  »  C'est  dans  La  Jeune  Belgique  qu'il  publia  en 
1889  Le»  Flairears,  petit  drame  en  prose  pour  le  théâtre  des  fan- 
toches, représenté  au  Théâtre  d'art  en  1893,  puis  au  Théâtre  de 
l'Œuvre  en  189(5,  et  dans  lequel  on  a  voulu,  bien  à  tort,  voir  «ne 
imitation  d'un  drame  analogue  de  M.  Maurice  Maeterlinck:  L'In- 
truse. En  cittl,L' Intruse  parut  pour  la  première  fois  dans  La  Wal- 
lonie }aste  an  an    après  Les  Flairears,  et  il  n*  serait   pas  moins 

(41  Alb^rlMiicIcsl  :  C/iarle$   Van   Lmrberght,    avec  un  portriit.  Hereura    4» 
France,   190*. 
(f)  Albert  Mockel,  ibid. 


s8o  foftras  i>*AO/otmD'mn 


inexact  d«  voir  dans  la  pièce  de  M.  Manrice  Maeterlinck  nnc 
imitation  de  celle  de  Charles  Van  Lerberghe.  Camarades  depuis  le 
eollèf^e,  travaillant  souTent  ensemble,  la  même  idée  leur  était  tout 
simplement  venue,  que  chacun  avait  réalisée  à  sa  façon,  avec  sa 
manière  propre:  M.  Maurice  Maeterlinck  en  philosophe,  Charles 
Vaa  Lerberghe  en  poète  et  en  artiste.  Après  avoir  passé  quelques 
années  de  solitude  dans  sa  maison  de  Gand,  Charles  Van  Lerber- 
ghe  vint  se  fixer  à  Bruxelles,  en  vue  de  conquérir  ses  grades  de 
docteur  en  philosophie.  En  même  temps,  il  écrivait  les  vers 
é'Entrevitions,  petit  recueil  qu'il  publia  à  Bruxelles  en  1898.  Ses 
études  terminées,  il  se  mit  alors  à  voyager.  Un  séjour  à  Londres, 
en  1899,  un  autre,  plus  long,  en  Allemagne,  en  1900,  puis  il  alla 
passer  quelque  temps  en  Italie,  à  Rome  et  dans  les  environs  de 
Florence,  où  il  composa  les  premiers  poèmes  de  La  €han»on 
d'Eve,  et  traça  l'esquisse  d'une  comédie  satirique.  Pan.  qui  fut 
représentée  au  Théâtre  de  l'Œuvre  en  1906.  Rentré  ensuite  en  Belgi- 
que, Charles  Van  Lerberghe  se  retira  k  Bonillon,  travaillant  à  ter- 
miner et  à  parachever  La  Chanson  d'Eve.  Deux  années  se  passèrent 
ainsi  et  c'est  peu  de  temps  après  que  se  manifesta  la  maladie  qui 
devait  l'emporter.  En  septembre  1906,  se  trouvant  chez  son  ami 
M.  Grégoire  Le  Roy,  Charles  Van  Lerberghe  fut  frappé  de  conges- 
tion, moment  d'affreuse  lucidité,  suivi  de  nombreux  jours  d'incons- 
cience. Sa  famille,  qui  avait  rompu  avec  lui  pour  des  motifs  reli- 
gieux, le  fit  transporter  dans  une  clinique,  puis  à  l'hôpital  Saint- 
Jean  et  Elisabeth,  à  Bruxelles,  le  même  où  fut  soigné  autrefois 
Charles  Baudelaire.  C'eil  là  qu'il  mourut  le  26  octobre  1907,  sans 
souffrance,  dans  un  évanouissement,  après  une  sorte  de  demi-conva- 
lescence qui  n'avait  pu  tromper  personne,  tant  il  était  profondément 
atteint.  Nous  extrayons  de  très  intéressantes  Noies  sar  Van  Ler- 
berghe publiées  récemment  par  M.  Fernand  Séverin  les  passages 
suivants:  «  Partout  dans  l'œuvre  lyrique  de  Van  Lerberghe,  se 
retrouve  un  idéal  de  beauté,  de  pure  beauté,  souvent  caché  sons  un 
voile  de  brume  et  de  lumière  qui  le  laisse  seulement  entreVoir.  On 
n'a  peut-être  pas  asser  remarqué  combien  cet  idéal  est  exclusivement 
esthétique.  «  Ur;c  âme  d'ange  ne  me  ferait  pas  détourner  la  tôte, 
dit-il  d'une  façon  saisissante  dans  une  de  ses  lettres,  si  elle  n'était 
pas  enveloppée  de  beauté.  Un  ange,  pour  moi,  ce  n'est  qu'une  pure 
forme,  une  jolie  fille  dont  je  revêts  mes  pensées.  Je  suis  très  fla- 
mand sous  ce  rapport.  »  (5  septembre  i8g4.)  Toute  délicate,  toute 
raffinée,  tout  éthérée  que  soit  cette  conception  de  la  beauté,  elle  est 
éminemment  plastique  et  voluptueuse.  Elle  est  d'un  peintre,  ou,  du 
moins,  d'un  dessinateur,  plutôt  que  d'un  poète.  «  Le  dessinateur  au 
crayon  d'or  »  dont  a  parlé  Albert  Giraud.  Van  Lerberghe  «  voit  en 
images  »;  de  plus,  «  ses  images  sont  des  svmboles  »,  «  Il  ne  parle 


CHAntRH  VAN  LERDKRnnR  s8t 

jamais  dei  choflct  qa'indtrectemMit,  par  allégorie  ti^im,  par  bq^- 
l^estion...  *  En  oatre,  In  l)eauté,  pour  lui,  est  toujours  plus  ou 
moins  voilée  ;  parmi  Ips  règles  d'art  qu'il  a  le  plus  fidèlement  obser- 
Tées,  il  y  a  celle  d'Edgar  Poe  :  «  ^u'il  n'est  pas  de  beauté  sans  une 
certaine  t'tran^eté,  sans  un  certain  air  de  mystère...  »  Il  en  résulte 
que  Van  LerberRhe  n'est  pas  toujours  clair.  Du  moins,  il  ne  l'est 
pas  à  la  façon  classique,  française,  c'est-A-dire  de  manière  à  satis- 
faire le  prosaïque  entendement.  Ses  poésies  ont  toujours  quelque 
chose  de  flottant,  d'indétermint',  d'inexpliqu(^...  Les  rhoses,  cher 
lui,  baii^nent  dans  un  brouillard  de  lumière,  comme  par  les 
beaux  matins  d'été...  Des  formes  merveilleuses  apparaissent  à 
demi...  On  ne  s'explique  pas  toujours  ni  qui  elles  sont,  ni  d'où 
elles  viennent,  ni  ce  qu'elles  font...  Et  le  symbole  non  plus  n'est  pas 
toujours  entièrement  clair.  Y  a-t-il  m  Ame  toujours  un  symbole?  On 
peut  en  douter  et,  dans  bien  des  cas,  croire  qu'on  n  a  vraiment 
affaire  qu'à  une  image,  exquise  ou  rare,  mais  dépourvue  de  toute 
■ignificatioii.  • 

Charles  van  Lerberghe  a  collaboré  à  La  Pléïade,  au  Parnasse  de 
la  Jeune  lielçique,  k  La  Wallonie,  à  La  Jeune  Belgique,  à  La 
Semaine  Illustrée  de  Bruxelles,  à  L'Indépendance  Belge,  à  L'Art 
jeune,  à  La  Société  Nouvelle,  au  liéveil  de  Gand,  à  La  Plume,  k 
L'Ermitage,  à  Z^  Revue  Générale  de  Bruxelles,  et«.,  etc. 

Bibliographie  : 

Lbs  cbovrcs.  —  Les  Flairenrs  (1),  petit  drame  en  trois  actes,  en  prose, 
pour  le  Ihéitre  de»  fantoches.  litige,  Ed.  de  «  La  Wallonie  »,  1889,  plaquella 
in-8,  carré  (Î5  eienipl.  Hollande;  /.e  mime.  Bruxelles,  Incombiez,  1891, 
iii-18.  (Il  existe  des  exemplaireu  aven  une  couTerture  portant  la  marque  du 
Mercure  de  France,  et  cette  date  :  1904.)  —  Entrevlsioas,  poèmes.  Bruxelles, 
Lacomblez,  1898,  petit  in-8  (400  pxempl.  numéroti^s  ;  savoir  :  15  ex.  sur 
Japon,  385  ex.  sur  papier  à  la  main  du  Marais).  — La  Chanson  d'I^ve 
poème  (/'rem i(?re»  paroles.  Tentation. /m  Faute.  Crépuscule.)  l'aris,  t^oc.  du 
Mercure  de  France,  l'J04,  in-lS.  —  Pan,  comédie  satyriqtie  en  trois  acte»,  en 
prose  (représentée  pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Tliéitre  de /'(^u- 
vr^  [Nouveau-Théâtre],  le  29  novembre  1906).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1906,  iii-18. 

On  trouve  det  poème4  do  Charles  Yan  Lorberghe  dans  les  ouvrages  suivants 
Parnasse  de  la  Jeune  Belgique,  etc.  l'.iris,  Vanier,  tK87,  gr.  in-18.  — 
Almanach  de  l'Université  de  Uand.  fjand,  Hosie,  1888,  I88<)  et  1897.  — 
Almaaach  des  Poètes  (année?  1896  el  1898).  F'aris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1895  et  1898,  î  vol.  petit  in-8.—  Pot  de  Mon»  :  Poètes  belges  d'ex 
pression   française.    Almelo,   W.    Hilahus,    1899,   in- 18.  —  La  Roulotte 

(t)  Première  représentation  à   Paris,  au  Théitre  d'Art,  le  S  février   189S 
Repris*  au  Théâtre  de  l'tKuvie,  le  18  janvier  Ylt96. 

1«. 


ft>5î!  pn^ITFK    n'AtMOTTRn'fTfTT 


numéro  spécial  consacré, à  Charles  Van  I^rberghe.  Braxellet,  F^acombler.  s.  é. 
[1905],  in-4  (huits  poèmes  inédits),  etc. 

Poèmes  mis  en  mosiqoe.  —  Des  poèmes  de  Charles  Van  Lerberge  ont  été  mit 
en  musique  par  Gabriel  Fabre,  Gabriel  Fauré  et  Louis  de  Serres. 

A  coNsuLTEK.  —  Ad.  van  Bever  :  Maurice  Maeterlinck,  etc.  Paris,  Sansot, 
1004,  in-18.  —  Albert  Mockel  :  Charles  Van  Lerberglie,  avec  portrait. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904,  in-18.  —  Valère  Gille  :  Van  Lcr- 
berghe,  notice  dans  Les  Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894^ 
in-18.—  Otto  Uauser  :  Die  Belgiiche  Lyrik,  1880-1900.  Eine  studie  ttnd 
Ubersetzung.  Grossonhain,  Beaumert  et  Rouge,  1902,  in-8. 

Hubert  Krains  :  Charles  7a«  Zerôerg^iie.  La  Vie  Inlelleclupllc(Bruïelies), 
IS  juin  1908.  —  Grégoire  Le  Roy:  Cluirle*  Van  Lerberglie.  La  Belgique 
artistique  et  littéraire,  décembre  1907.  —  Maurice  MaeterliacU:  CharUs 
Van  Lerberghe  et  La  Chanson  d'Eve,  Figaro,  1904  (article  reproJiiit  dans 
Vers  et  prose,  décembre  iflOS-février  1906).  —  Rodrigue  gérasquier  : 
Charles  Van  Lerberglie,  La  Coupe,  juin  1895.  —  Alfred  Vallclte  :  Maurice 
Maeterlinck  et  Charles  Van  Lerberghe,  Mercure  de  France,  octobre  1890.— 
Feraand  Séverln  :  Notei  $ur  Van  Lerberghe,  Mercure  de  France,  1"  août 
1908. 

Voir  de  plus  :  La  Roulotte,  numéro  spécial  consacré  à  Charles  Van  Ler* 
berghe  (portraits,  autogr.,  illust.  diverses.  Notes  bio-bibliograpluques,  opi 
nions,  proses  et  poèmes  inédits).  Bruxelles,  Lacomblcz,  s.  d.  (1905),  in-4. 


PSYCHÉ 


Oarre  tea  yeux  comme  une  flamme, 
Mais  sois  silence,  l'Amour  dort. 
Viens,  lève-toi,  Psyché,  mon  âme, 
Et  prends  en  main  ta  lampe  d'or. 

Regarde  bien,  l'Amour  s'éveille, 
Vois  comme  il  s'est  évanoui. 
Bq  la  lumière  et  la  merveille 
Que  ton  regard  posa  sur  lui. 

Et  maintenant  c'est  le  mystère, 
L'abandon  et  la  pauvreté  ; 
Mais  en  tes  larmes  la  lumière 
Et  le  songe  de  sa  beauté. 

Demain,  triste,  mais  frêle  et  blanche. 
Belle  d'avoir  voulu  mourir. 
Tu  sentiras  ton  front  qui  penche, 
Sous  des  roses  s'épanouir. 


CHAHLIS  TAN  LBRBUIOHC  a8? 


Aux  splendeurs  do  l'aube  future, 
Demain  tes  lèvres  apprendront 
A  n't'trc,  (ju'uii  divin  murmure 
De  mots  de  résurrection. 


{Entrevisions.) 


L'ATTENTE 


Du  monde  invisible  et  d'aurore 
Où  me  guidaient  mes  anges  pieux, 
Qui  viendra  me,  rouvrir  les  yeux  ? 
Voici  le  jour.  Je  rêve  encore. 

Le  doux  enchantement  des  airs 

Qui  passent  sur  les  roseraies, 

Dans  mes  prunelles  azurées 

Vient  comme  une  aube  au  fond  des  mers. 

Heures  et  choses  incertaines; 
Au  loin,  dans  des  bos(juets  de  fleurs, 
Me  chantent  mes  divines  sœurs, 
Et  j'écoute  leurs  voix  lointaines. 

Je  tremble  et  de  joie  et  d'effroi. 
Nue,  en  ma  chevelure  blonde, 
J'attends  que  le  soleil  m'inonde, 
Et  qu'une  ombre  tombe  de  moi. 


{Entrevition». 


BARQUES  D'OR 


Dans  une  barque  d'Orient 
S'en  revenaient  trois  jeunes  Hlles; 
Trois  jeunes  filles  d'Orient 
S'en  revenaient  en  barque  d'or. 

Une  qui  était  noire. 

Et  qui  tenait  le  gouvernail. 

Sur  ses  lèvres  aux  roses  essences 


284  roèTES  d'aujourd'hui 


Nous  rapportait  d'étranges  histoires 
Dans  le  silence... 

Une  qui  était  brune, 
Et  qui  tenait  la  voile  en  main, 
Et  dont  les  pieds  étaient  ailés, 
Nous  rapportait  des  gestes  d'ange, 
En  son  immobilité. 

Mais  une  qui  était  blonde, 
Qui  dormait  à  l'avant, 
Dont  les  cheveux  tombaient  dans  l'onde 
Comme  du  soleil  levant. 
Nous  rapportait,  sous  ses  paupières, 
La  lumière. 


(Entrevition$.) 


L'ASSISTANC 

Avec  sa  beauté  rose  et  sombre, 
Sa  bonté  claire  et  son  amour, 
Dans  sa  petite  chambre  d'ombre 
Elle  repose,  et  c'est  le  jour. 

La  Beauté  rêve  dans  ses  ailes. 
Et  c'est  comme  une  étrange  sœur; 
Elle  est  faite  de  choses  frêles. 
Et  dans  sa  main  porte  une  fleur. 

La  Bonté,  sa  compagne,  dort 

Sur  sa  poitrine  virginale  ; 

Dans  sa  main  sous  ses  boucles  d'or, 

Elle  porte  une  perle  pâle. 

Mais  son  amour  veille  et  sourit, 
En  l'ombre  où  sommeillait  son  âme, 
Celui-ci  vint  et  la  surprit . 
Et  son  amour  porte  une  flamme. 

[Enlrevisioru .) 


OHARLH    VAN     LKNIimMÉ  sSS 


DE  MON  MYSTÉRIEUX  VOYAGE... 

De  mon  mystérieux  voya)çc 
Je  ne  l'ai  i^aniii  qu'une  imag'e, 
Et  qu'une  chanson,  les  voici  : 
Je  ne  l'apporte  pas  de  roses, 
Car  je  n'ai  pas  touché  aux  choses, 
Elles  aiment  à  vivre  aussi. 

Mais  pour  toi  de  mes  yeux  ardents, 
J'ai  regardé  dans  l'air  et  l'onde, 
Dans  le  feu  clair  et  dans  le  vent, 
Dans  tontes  les  splendeurs  du  monde, 
Atin  d'apprendre  ;\  mieux  te  voir 
Dans  toutes  les  ombres  du  soir. 

Afin  d'apprendre  à  mieux  t'entendre 
J'ai  mis  l'oreille  à  tous  les  sons, 
Ecoulé  toutes  les  chansons, 
Tous  les  murmures,  et  la  danse 
De  la  clarté  dans  le  silence. 

Afin  d'apprendre  comme  on  touche 
Ton  sein  qui  frissonne  ou  ta  bouche. 
Comme  en  un  rêve,  j'ai  posé 
Sur  l'eau  qui  brille,  et  la  lumière, 
Ma  main  légère,  et  mon  baiser. 

{La  Chanson  cTÈoe.) 

NE  SUIS- JE  VOUS... 

Ne  suis-je  vous,  n'Ates-vous  moi, 

0  choses  que  de  mes  doigts 

Je  touche,  et  de  la  lumière 

De  mes  yeox  éblouis  ? 

Fleurs  où  je  respire,  soleil  nii  je  luis. 

Ame  qui  penses, 

Qui  peut  me  dire  où  je  finis. 

Où  ie  commence  ? 


286  po4tk8  d'aujourd'hui 


Ah!  que  mon  cœur  infiniment 

Partout  se  retrouve  1  Que  votre  sère 

C'est  mon  san|3^  1 

Gomme  un  beau  fleuve. 

En  toutes  choses  la  même  vie  coule, 

Et  nous  rêvons  le  même  rêve. 

{La  Chanson  S  Eve.) 

LE  SEIGNEUR  A  DIT... 

Le  Seigneur  a  dit  à  son  enfant  : 

Va,  par  le  clair  jardin   innocent 

Des  anges,  où  brillent  les  pommes 

Et  les  roses.  Il  est  à  toi.  C'est  ton  royaume. 

Mais  on  n'éveille  des  choses 

Que  la  fleur  ; 

Laisse  le  fruit  aux  branches, 

N'approfondis  pas  le  bonheur. 

Ne  cherche  pas  à  conuattre 

Le  secret  de  la  terre 

Et  l'énigme  des  êtres. 

N'écoute  pas  la  voix  qui  attire 

Au  fond  de  l'ombre,  la  voix  qui  tente, 

La  voix  du  serpent,  ou  la  voix  des  sirènes. 

Ou  celle  des  colombes  ardentes 

Aux  bosquets  sombres  de  l'Amour. 

Reste  ignorante. 

Ne  pense  pas  ;  chante. 

Tout  science  est  vaine, 

N'aime  que  la  beauté. 

Et  qu'elle  soit  pour  toi  toute  la  vérité. 

{La  Chanson  d'Eve.) 

MA  SCEUR  LA  PLUIE... 

Ma  sœur  la  Pluîe^ 

La  belle  et  tiède  pluie  d'été. 


CHAHLia  VAN  LSnBBRGHS  387 

Doucement  vole,  doucement  fuit, 
A  travers  les  airs  mouillés. 

Tout  son  collier  de  blanches  perles 

Dans  le  ciel  bleu  s'est  délié. 

Chantez  les  merles, 

Dansez  les  pies  I 

Parmi  les  branches  qu'ellp  plie, 

Dansez  les  fleurs,  chaulez  les  nids  ; 

Tout  ce  qui  vient  du  ciel  est  béni. 

De  ma  bouche,  elle  approche 

Ses  lèvres  humides  de  fraises  des  bois  ; 

Rit,  et  me  touche. 

Partout  à  la  fois. 

De  ses  milliers  de  petits  doigts. 

Sur  des  tapis  de  fleurs  sonores, 
De  l'aurore  jusqu'au  soir, 
Et  du  soir  jusqu'à  l'aurore, 
Elle  pleut  et  pleut  encore. 
Autant  qu'elle  peut  pleuvoir. 

Puis,  vient  le  soleil  qui  essuie,  • 

De  ses  cheveux  d'or, 
Les  pieds  de  la  Pluie. 

{La  Chanson  dCÈve.) 


QUAND  VIENT  LE  SOIR... 

Quand  vient  le  soir. 
Des  cyjçnes  noirs. 
Ou  des  fées  sombres. 
Sortent  des  fleurs,  des  choses,  de  nous  t 
Ce  sont  nos  ombres. 

Elles  avancent  :  le  jour  recule; 
Elles  vont  dans  le  crépuscule. 
D'un  mouvement  glissant  et  lent. 


288  POÈTES  d'aujourd'hui 


Elles  s'assemblent,  elles  s'appellent. 
Se  cherchent  sans  bruit, 
Et  toutes  ensemble, 
De  leurs  petites  ailes, 
Font  la  grande  nuit. 

Mais  l'Aube  dans  l'eau 
S'éveille  et  prend  son  grand  flambeau. 

Puis  elle  monte, 
En  rêve  monte,  et  peu  à  peu, 
Sur  les  ondes  elle  élève 

Sa  tête  blonde. 

Et  ses  yeux  bleus. 

Aussitôt,  eu  fuite  furtive, 
Les  ombres  s'esquivent. 

On  ne  sait  où. 
Est-ce  dans  l'eau  ?  Est-ce  sous  terre  ? 
Dans  une  fleur?  Dans  une  pierre? 

Est-ce  dans  nous? 
On  ne  sait  pas.  Leurs  ailes  closes 

Enfin  reposent. 

Et  c'est  matin. 

(La  Chanson  d'Eve.) 


JE  L'AI  TUÉ... 

Je  l'ai  tué,  je  l'ai  tué  I 

Il  tombe. 

Ecoute.  Une  voix  dans  le  soir  a  crié 

Sur  la  mer  sombre  :  Tu  l'as  tué  ! 

Comment  l'ai-je  tué,  mon  Dieu,  de  ces  mains  blancheg 
Qui  n'auraient  pas  blessé  une  colombe 
Ni  tué  une  fleur? 

Ahl   rien  ne  savait  qu'il  vivait, 
Et.  tout  ignore  qu'il  n'est  plus. 
Et  l'aurore  se  lève  encore» 


CHAIILU    VAN     LKHBKnailK  a8Q 


Rien  ne  le  pleure. 

Pas  un  sourire  de  la  terre 

Ne  s'est  effacé  : 

Pas  une  fleur,  pas  un  rayon, 

Pas  une  étoile  de  ma  chanson. 

Sans  que  j'y  pense. 

Il  s'est  éteint  dans  le  ûlenM. 


{Lm  Chanson  d'Eve.) 


VERS  LE  SOLEIL  SPEN  VONT  ENSEMBLE... 

Vers  le  soleil  s'en  ront  ensemble 
Mes  pensées,  divines  sœurs, 
llles  chaulent  ;  l'air  pâle  en  tremble, 
Ck)mme  s'il  y  tombait  des  fleurs. 

Une  s'attarde  la  dernière. 

Tristement,  au  bord  du  cbemîa 
D'où  monte  lame  du  matin 
St  la  rosée  à  la  lumière. 

Celle-là  qui  s'évanouit, 
Au  fond  de  ses  larmes  mortelles. 
Ne  chante  pas,  mais  c'est  par  elles 
Que  le  soleil  l'attire  à  lui. 

(La  Chanson  d'Eve.) 


n 


EMILE  VERHAEREN 
1853-1916 


Emile  Verhaeren  est  né  à  Saint-Amand,  près  Anvers,  le  *  i  mai 
i855.  Nous  extrayons  d'une  biographie  écrite  par  M.  Léon  Balzal- 
gette  (  I  )  les  fragments  suivants  : 

«  Verhaeren  est  un  enfant  de  l'Escaut  et  les  approches  de  U  mer 
du  Nord  l'ont  sacré.,.  La  maisonnée  te  composait.hormis  le  père  du 
poète  et  sa  mère,  née  Adèle  Debock,  du  frère  de  celle-ci  dont  l'tisine 
crachait  ses  fumées  non  loin  du  logis,  —  et  de  sa  soeur  Amélie  De- 
bock,  une  tante  pour  laquelle  l'enfant  éproura  une  tendresse  très 
vive.  Ces  Debock,  qui  étaient  du  pays  et  qui  en  étaient  fiers  —  fleur 
mère  venait  d'Herenthals  et  avait  nom  Lepaige,  non  sans  doute  révé- 
lateur d'une  origine  française^  traitaient  amicalement  «  d'étranger  » 
Gustave  Verhaeren,  le  père  d'Emile,  qui  était  de  Bruxelles,  où  son 
père  avait  conquis  une  honnête  aisance  en  vendant  du  drap  dang 
une  boutique  de  la  rue  de  l'Ecuyer.  Il  vivait  à  Saint-Amaud  en 
rentier  de  village.  Les  Verhaeren  néanmoins  venaient  probablement 
de  Hollande.  Dans  la  famille,  —  exception  curieuse  —  on  ne  par- 
lait que  le  français  et  les  bonnes  étaient  liégeoises  :  le  flamand  qu'il 
ne  sut  jamais,  le  poète  ne  s'y  essaya  qu'à  sept  ans,  avec  le  maître 
d'ëcjle  du  village,  M.  Ch.  Mertens...  Le  jeune  Verhaeren  fréquenta 
l'école  communale  de  Saint-Amand  jusqu'à  r&  preouère  communion, 
qui  eut  lieu  le  i8  mars  1866,  —  date  gravée  sur  le  fermoir  de  soa 
livre  de  communiant,  qu'il  conserve  comme  une  relique  de  son  en- 
fance. Il  allait  avoir  onze  ans  et  il  était  temps  de  songer  à  des  étu- 
des plus  sérieuses.  Alors  c'est  le  départ  pour  Bruxelles  et  l'exil  à 

(l)l^  ^^^  i'^^Vj^i'h^-SmiU  I  er/ia(r<».|>iis,SNWOt  et  C'*,  1907. 


Ahilb  TsuHAiRm  sgi 


l'Institut  Saint-Louis,  où  il  passa  deux  nns.  Ver*  treize  ou  quatorze 
ans,  il  cnUe  au  collèj^e  Saiiitc-narbe,  à  Gacd,  sur  les  bancs  duquel 
Tiendront  s'asseoir,  quelques  aaoées  après  lui,  Maeterlinck  et  Vau 
Lerbcrghe... 

Le  dcuir  s'était  implanté  chez  les  .'crhaeren  et  les  DebockdeSaint^t 
Amand  de  Toir  le  petit  Emile  succéder  ua  jour  k  son  oncle,  dans  son 
huilerie.  Le  malheur  était  que  l'adolescent,  nullement  alléché  par  la 
perspective  d'une  existence  d'usinier  en  un  boiir^  perdu,  n'entrait 
pas  dans  ces  vues.  Il  allait  avoir  vingt  ans  et  il  avait  achevé  ses 
humanités  :  tm  seul  grand  désir  le  poignait,  comme  tous  les  j<MineK 
cens  d'esprit  généreux  et  de  cœur  ardent,  celui  de  voir  le  monde,  de 
ivre  une  existence  plus  large,  de  quitter  les  miHeux  où  l'on  se  m- 
'inait,  pour  la  grande  ville.  Néanaioias  il  falUit  provisoirement 
céder  et.  pendant  an  an,  venir  s'asseoir  dans  le  bureau  de  l'oncle, 
pour  s'initier  aux  arcanes  de  la  comptabilité.  A  force  de  lutter,  il 
obtint  un  jour  ji^aia  de  cause.  Mais  pour  »'écba|)per,  il  fallait  trouver 
une  raison  plausible.  Ce  fut  celle-ci  :  l'usinier  iHan(iué  irait  faire  son 
'iroit  {)our  devenir  avocat...  Vcrhaeren  partit  donc  pour  lUniver- 
.sité  de  Louvain,  qu'il  ne  quitta  qu'en  i88i,  ay.mt  «cquis  les  preuves 
de  sa  vérjt-ible  vocation.  Ces  cinq  années  fécondes  fùrefit  celle»  de 
sou  initiation  à  la  vie  intellectuelle  et  de  soa  apprentissage  poéti- 
que.Dans  le  milieu  d'étudiants  où  il  fréquenta,  un  petit  groupe  très 
uni  se  forma.  Chaque  semaine  on  se  communiquait  les  uns  aux  au- 
tres ses  vers  et,  gravement,  on  s'intitulait  entre  soi  les  «  plua 
grands  poètes  de  l'épcxjuc  »...  Un  fait  que  n^us  devons  retenir  fut 
la  fondation  par  Vcrhaeren  et  .ses  camarades,  .ipprentis  poètes,  comme 
lui,  d'an  petit  journal  d'étudiauLs,  La  Semaine.  Fondée  en  octo- 
bre 1879,  la  follicule  vécut  jusqu'en  janvier  1881,  —  supprimée  ptir 
une  décision  acadcmiquc.  C'est  dans  ses  colonnes  que  notre  poète, 
sous  le  pseudonyme  de  Kodolpiie,  publia  ses  premières  chroniques... 
'il  1881,  son  dernier  examen  passé,  l'étudiant  en  droit  quitte  Lou- 
.lin  et  vient  se  faire  inscrire  au  barrc.au  de  Bruxelles.  C'est  vrai- 
M-ntdece  temps  là  que  date  pour  Verhatren  une  nouvelle  existence, 
■rhaereu  tout  de  suite  noue  des  amitiés,  se  mêle  à  des  groupes.  Il 
l  du  nombre  des  premiers  rédacteurs  de  La  Jrune  Belgique,  quci 
.  iide  Max  WaJIer,  l'ex-dirccteur  du  Thijrse,  bientôt  sa  signature) 
paraîtra  dans  L'Art  Moderne  elLa  Société  Nouvelle, — pour  de  là  se 
nmltiplier  et  conquérir  tontes  les  revues  de  son  temps.  On  imaginel 
bien  que,  participant  h  une  telle  effervescence,  le  souci  d'une  pro- 
fession qui'il  n'avait  fait  mine  d'embrasser  que  pour  complaire  aux 
siens  ne  dominait  pas  l'existence  du  jeune  homme.  En  1881  il  faisait 
partie  du  Jeune  Barreau  et  ét.iit  entré  connue  stagiaire  chez  M*  Pi- 
card... Mais  il  passait  plus  de  temps  à  la  Bibliothèque  royale  qu'à' 


sgft  poÉna  d'aujourd'bvi 


compulser  des  dossiers.  Pourtant  il  dut  plaider  à  roccasion.  Mais  il 
n'avait  pas  grand  cœur  au  métier.  Edmond  Picard,  constatant  ses 
médiocres  dispositions,  lui  conseillait  franchement  de  ne  pas  per- 
sévérer... Et  Les  Flamandes  paraissaient  en  i883,  chez  l'éditeur 
bruxellois  Hochstein.  L'œuvre  était  violente,  d'une  impudeur  mas- 
sive et  d'une  liberté  d'exécution  qui  devaient  provoquer  le  scandale  ; 
aussi  reçut-elle  l'accueil  qu'en  un  pareil  milieu  il  était  aisé  de  con- 
jecturer. Des  éreintements  furieux  rappelèrent  à  la  décence  l'auda- 
cieux débutant.  D'autre  part,  dans  les  colonnes  de  L'Europe,  oh. 
pour  la  première  fois  il  avait  publié  Un  Mâle,  Lemonnier  plaidait 
magnifiquement  la  cause  de  l'artiste  conspué.  Albert  Giraud  et 
Edmond  Picard,  tout  en  indiquant  leurs  réserves,  saluaient  égale- 
ment un  tempérament... 

Les  Moines  avait  paru  chez  Lemerre,  l'éditeur  du  Parnasse,  en 
1886.  Ce  recueil  avait  des  origines  lointaines  et  se  rattachait  à  d'in- 
times impressions  d'enfance.  Il  y  avait  à  une  lieue  environ  deSaint- 
Amand,  à  Bornhcm,  un  cloître  de  Bernardins,  où  Gustave  Verhae- 
ren,  très  lié  avec  l'un  des  Supérieurs,  avait  coutume  de  se  rendre 
chaque  mois  en  pieux  pèlerinage.  Son  fils  l'accompagnait,  quand  il 
était  à  la  maison,  et  l'on  partait  à  quatre  heures  et  demie  du  matin 
pour  se  confesser  et  communier.  Ces  matinales  expéditions  et  les 
hautaines  figures,  si  nobles  dans  les  plis  du  froc,  qu'il  apercevait 
dans  les  couloir»  du  cloître  avaient  énormément  frappé  l'imagination 
de  l'enfant,  et,  pour  longtemps,  les  solitaires  de  Bornhem  lui  demeu- 
rèrent une  hantise.  Ce  sont  eux  qui  ont  posé  pour  Les  Moines.  Et 
au  temps  où  Verhaeren  portait  en  lui  les  vers  qu'il  leur  dédia,  il 
s'en  fut,  pour  essayer  de  revivre  ses  souvenirs,  au  monastère  de 
Forges,  près  de  Cbimay,  accomplir  une  retraite  de  vingt-et-un 
jours... 

Alors  c'est  la  trilogie  fameuse  des  Soirs  (\%%'j),à.ts  Débâcle*  (1888), 
et  des  Flambeaux  Noirs  (1890),  la  partie  la  plus  souvent  commen-  i 
tée  de  l'œuvre  du  poète.  Ce  sont  là  des  pages  <•  pleines  de  pleurs,  ^ 
pleines  d'affres,  pleines  de  mort  »,  comme  les  «  Mers  Novembrales  »  l 
qu'il  a  chantées  et  où  i!  rôde  souvent  aux  confins  de  la  démence,  f 
celle  d'un  Van  Gogh  ou  d'un  Nietzsche. 

A  l'époque  où  il  burinait  ces  strophes  exaspérées,  Verhaeren  fat-  ^ 
sait  à  Londres  des  séjours  fréquents  et  prolongés.  Il  y  travaillait 
beaucoup  et  c'est  de  là  que  presque  toute  la  trilogie  est  sortie.  Les 
aspects  sombres  de  fer  et  de  bitume,  les  brouillards  de  poix.l'atmos' 
phère  fiiligineusc  de  la  vilir  où  passe  le  trafic  du  monde  hii  procu- 
raient mie  volupté  forte  el  imère  Entre  «on  moi  d'alors,  tourmenté 
cl  malade,  et  !p  drcor  désolé  des  cités  d'indii^Jf-ie  et  de  cturbon,  des 
correspondances  surgissaient,  le  grisant  d'âpres  délices.  En  ce  Loa- 


ÉMILB   TBftHABRBM  S^S 

drcs  brutal  et  noir  et  ai  âprement  vivant  et  si  captivant  dans  sa  lai- 
deur, Verhaeren  venait  se  saturer  de  la  tristesse  ardenle  que  suent 
'les  villes  du  Nord  et  leurs  usines  et  leurs  chantiers  ri  leurs  wharfs, 
exacerber  son  intime  souffrance,  exalter  ses  nostalgies  et  s'affadir 
le  cœur.  11  y  venait  aussi  —  sans  peut-être  s'en  rendre  coinptc  — 
pour  y  découvrir  une  nouvelle  beauté  cachée  au  fond  de  ce  que 
l'humanité  courante  nomme  la  laideur... 

Après  ces  pages  de  douleur  et  d'orgueil  exaspéré,  un  apaise- 
ment est  survenu,  que  traduisent  Les  Apparus  dans  mes  Chemins 
i\8Q\)  el  Les  Campai/nes  Haliacinées  {i8it3).  Le  recueil  qui  vient 
ensuite  annonce  clairement  des  préoccupations  nouvelles.  Il  fait 
é;io<jue  dans  l'œuvre.  Les  Villnqfs  /Uusoires  (iHoAl  renferme  en 
eÛVlles  strophes  les  plusauguralesipie  le  poèleait  jusque-là  publiées, 
(le  même  qu'il  offre  une  signification  d'art  très  à  part  des  volumes 
antérieurs.  L'inleiilion  que  réalisa  Les  l'(7/n;7C.9  était  celle-ci  ;  choi- 
sir comme  héros  les  gens  des  petits  métiers,  les  pauvres  artisans 
des  bourgades  qu'il  avait  connus  à  Saint-Ainand,  et  les  -(  immensi- 
ficr  »,  par  les  vertus  de  l'art,  jusqu'à  en  faire  des  types  symboli- 
ques d'humanité.  Par  là  Verliaeren  se  rattachait  à  la  tradition  de 
Millet  et  de  Rembrandt,  opposée  k  celle  de  Wagner  et  des  Italiens, 
suivie  par  tel  autre  poète  contemporain, Henri  de  Kégnier.parexem. 
pie.  Il  faisait  sienne  cette  tendance  si  moderne  et  si  féconde  inou- 
iiliablemenl  illustrée  par  Emerson,  suivant  laquelle  l'héroïque,  le 
sublime  et  le  divin  sont  à  chercher  dans  la  vie  quotidienne,  et  non 
dans  les  exploits  des  paladins,  dressés  sur  leur  palefroi  avec  des 
gestes  traditionnels.  Il  niagnitiait  l'homme  moyen,  allait  tirer  d&leur 
chaumière  les  gens  du  couimun,  pour  les  introniser.  C'était  adopter 
là  un  art  idoine  à  la  démocratie,  l'art  type  de  lâgc  moderne.  Dans 
Les  Villages  Illusoires,  ces  petites  gens  des  métiers  ont  passé  à  l'é- 
tat synthéli(iue  ctabstrait  par  une  volonté  de  les  exprimer  sous  leur 
aspect  d'éternité...  Je  ne  crois  pas  que  jusque-là  Verhaeren  ail  com- 
posé d'aussi  mafjnitiqiies  pages  que  celle  du  Mrunier,  du  Sonneur 
ou  du  Forgeron.  Ce  forgeron  splcndiiiu  forgeant  l'avenir  surson  en- 
clume en  psalmodiant  son  rt've,  —  du  même  geste  que  Siegfried, 
dans  la  caverne  du  Niebelung,  battant  l'épée  de  victoire,  —  c'est  de 
loin  l'annonciateur  du  si-ns  nouveau  d'humanité  qui  va  ruisseler 
bientôt  des  strophes  du  poète.  Mais  h  ce  point  de  vue,  aucun  poè- 
me du  recueil  n'est  aussi  gonflé  de  significations  que  celui  des  Cor- 
diers,  qui,  malgré  l'œuvre  postérieure,  demeurera  l'une  des  plus 
pures  merveilles  qu'ait  réalisées  le  visionnaire  des  campagnes  fla- 
mandes... 

Les  Villes  T  enlaçai  aires  (iSgD),   c'est  toute  l'agonie  d'un  monde 
et  la  naissance  de  celui  qui  aspire  à  le  remplacer.  L'étrange  sugges- 


9%k  POànS  D'AD4O01U>'HTn 

tion  de  ces  yen  ne  commnnique-t-elle  pu  1«  «entiment  dn  Tolume 

enlier  ? 

Et  les  ritranz,  grands  de  siècles  agenouillés 
Devant  le  Christ,  avec  leurs  papes  immobiles 
Et  leurs  martyrs  et  leurs  héros,  semblent  trembler 
Au  bruit  d'un  train  lointain  qui  roule  sur  la  ville. 

Au  flanc  des  glèbes  dont  Les  Campagnes  hallucinées  interprétait 
la  désolation,  la  bêche  inutile  est  restée  plantée  :  réciproquement 
Les  Vil:es  débute  par  l'évocation  des  plaines  d'où  les  humanités,  à 
flots  pressés,  s'acheminent  vers  les  industries  reines.  C'est  un  dyp- 
tiquc  où  les  champs  abandonnés  s'opposent  aux  cités  bruissantes.  A 
présent  c'est  en  leurs  rues  noires  et  vertigineuses  que  rêve  le  poêle» 
capté  par  les  aspects  trag^iques  du  phénomène  nouveau  frémissant, 
aux  éco«tcs,  tour  à  tour  hagard,  apitoyé,  bondissant  de  joie  on 
frissonnant  de  tristesse,  mais  sachant  l'inéluctable  et  ignorant  les 
malédictions.  Et  c'est  l'énorme  et  rouçeoyanle  vision  de  music-hall 
dans  Les  Spectacles,  le  mystère  de  l'or  et  de  l'agio  dansZ!.a  Boarse, 
—  oui,  un  poète  sans  dédain  pour  cet  immense  phénomène  du  mon- 
de moderne,  le  troc  dos  valeurs,  f  t  s'attardant  près  de  la  «  corbeil- 
le »,  parmi  les  hurlements  des  vendeurs  et  des  acheteurs,  —  la  fiè- 
vre autour  des  comptoirs  assiégés  par  la  foule  des  grands  magasins 
dans  Le  Batar,  l'évocation  de  telle  rue  chaude  de  Marseille  ou 
d'Anvers,  L'Etal,  —  où  l'art  du  formidable  évocateur  dresse  une  de 
SCS  plus  rouges  flambées,  —  des  ruées  de  Communes  et  de  foules  en 
folie  dans  La  Révolte,  le  savant  exalté  dans  son  ardeur  d'investi- 
gation et  le  labeur  magnifié  dans  La  Recherche  —  le  poème  de  la 
science  par  un  artiste  assez  authentique  pour  ne  pas  redouter  l'ap- 
parente banalité  du  thème,  —  et  ce  cantique  inoubliable  à  la  force.à 
la  beauté,  aux  «  lois  »,  dans  Les  Idées. . ,  Plus  spécialement,  ici 
Verhaeren  confesse  sa  foi.  atteint  ces  sommets  où  la  méditation  à 
la  suprême  poésie  s'allie... 

En  présence  d'une  oeuvre  comme  Le»  Villes  Ttntaculaîres,  qui  si 
génialement  attestait,  en  les  exaltant,  le*  puissances  poétiques,  si 
longtemps  endormies,  d'un  peuple,  la  Belgique  artistique  s'émut  et 
résolut  d'offrir  publiquement  à  Emile  Verhaeren  son  hommage  — 
où  l'atfcction  et  l'admiration  demeuraient  inséparables.  Une  vail- 
lante petite  revue,  L'Art  /«Kne,prit  l'initiative  d'un  banquet  qui  eut 
lieu  à  Bruxelles,  le  a^  février  1896.  Une  foule  était  venue.  L'heure 
fut  émouvante,  fraternelle  et  mémorable.  On  fêtait  l'homme  admira- 
ble de  bonté,  de  droiture  et  d'indépendance  autant  que  le  poète. 

Les  Visages  de  la  Vie  (1899)  et  un  peu  plus  tard  Les  Forces  Ta- 
multaeuscs  (igoa),  dans  cette  neuve  voie  moderne  et  universelle  que 
suit  désormais  Emile  Verhaeren,  représentent  une  autre  étape.  Moins 


ÉUtlM  TSMHAIKCR  igS 


Apres  et  tourmenté»  que  Lft  Villefi,  ces  deux  recueils  offrent  les  in- 
dices d'une  sérénité  d'antnnt  plus  émonvanle  et  large  que  le  poète 
dut  longtemps  errer  et  peiner  avant  de  la  con<iuérir. .. 

Verhaercn  c«t  essentiellement  un  Barbare  que  le  destin  voua  à 
peindre  ses  visions  à  l'aide  d'une  langue  plut(*>l  faite  pour  traduire 
les  sensations  délicates  et  raffinées  de  l'cxtrèmc  civilisation.  Il  faut 
comprendre  cela  avant  de  le  juger.  II  est  hors  de  doute  d'ailleurs 
qu'à  l'égard  de  la  «  mesure  »,  de  la  «  tradition  •  et  du  c  goût  »,  ce 
triple  idéal  périodiquement  invoqué  par  ceux-là  qui  estiment  qu'un 
écrivain  comme  Musset,  par  exemple,  représente  tout  le  génie,  toute 
la  beauté  et  tout  le  sublime,  l'attitude  poétique  de  Vcrhacren  est 
celle  d'un  iconoclaste.  On  a  essayé  de  montrer  en  lui  un  artiste  ata- 
Tiqucmcnt  dominé  par  les  fièvres  d'or  et  de  torture  du  catholicisme 
.espagnol.  Je  trouve  qu'il  est,  de  toutes  ses  forces  de  poète,  un 
homme  du  Nord,  tout  autant  qu'un  Carlylc  ou  qu'un  Wiliam  Blake. 
Sa  tragique  vision  de  U  nature  et  de  l'humanité,  sa  richesse  d'âme, 
ses  inquiétudes  spirituelles,  son  farouche  individualisme  révèlent 
absolument  un  septentrional...  C'est  un  tourmenté,  dont  l'art  sug- 
gère des  impressions  volcaniques  ou  cycloniques.  Les  grondements 
le  secouent  qni  paraissent  sortir  des  profondeurs  de  la  terre  ora. 
geuscraent.  Une  strophe  de  lui  est  une  décharge  d'électricité  hu- 
maine. Son  art  est  le  plus  subjectif  qui  se  puisse  concevoir.  11  est 
empli  d'infini  et  se  distingue  par  nn  sentiment  exalté  et  surhumain. 
Comme  celui  de  Rembrandt  il  est  fait;  de  matière  et  de  féerie  broyées 
ensemble.  Il  représente  l'engloutissement  de  «  l'universelle  huma- 
nité dans  l'abîme  d'un  coeur  ï,  la  fusion  du  mystère  et  de  la  vie, 
tordus  «  en  un  même  éclair  ».  Verhaercn  a  le  don  d'évocation  et  de 
puissance  à  un  degré  inconnu  c'-it:K  nous  depuis  le  chantre  de  La 
Légende  des  Siècles...  Veriuieren  bc  procède  de  personne.  Il  n'est 
pas  sorti  comme  les  chef»  de  sa  génération  poétique,  de  Laforgue, 
de  VJlliers,  de  Mallarmé  ou  de  Verlaine.  Il  n'a  subi  que  les  influen- 
ces générales  de  son  temps.  Il  n'en  est  point  d'autres  aujourd'hui 
pour  faire  entendre  ce  large  accent  religieux  qui  appartient  aux  seuls 
grands  bardes. 

La  fréquence  à  travers  toute  son  œuvre  de  telle  interjection 
«  Dite»  !...  »  lui  communique  je  ne  sais  quoi  de  communiai  et  de 
fervent.  Sa  rêverie  a  l'intensité  et  l'ardeur  d'une  oraison  :  en  pré- 
sence des  nouveaux  dieux,  le  poète  a  conservé  la  piété  brûlante  du 
fidèle,..  » 

Cet  admirable  artiste  de  la  vie  contemporaine,  le  plus  grand  de 
tous  ceux  qui  s'employèrent  à  exalter  les  forces  humaines,  ce  chan- 
tre incomparable  des  cités  et  du  machinisme  modernes,  devait,  hélas  1 
finir  Ir.ifi.iiirment  victime  de  ces  forces  créatrices  qu'il  avait  s'  i'.eo 


poixES  d'aujourd'hui 


magnifiées.  II  allait  quitter  Rouen  où  son  «  rythme  souverain  » 
l'avait,  au  cours  de  la  présente  guerre,  conduit  à  prononcer  de  fortes 
paroles,  et  il  montait  dans  un  train  en  marche,  lorsqu'il  glissa  sur 
la  voie  et  fut  horriblement  broyé.  Ainsi  finissait,  le  27  novembre  1916 
l'un  des  plus  nobles  esprits  de  ce  temps,  celui  qu'on  a  considéré,  à 
à  juste  titre,  comme  le  meilleur  poète  lyrique  de  l'infortunée  Belgi- 
que. Il  laissait,  pareil  à  un  ouvrage  posthume,  ce  recueil  virulent, 
inoubliable  :  Les  Ailes  rouges  de  la  Guerre,  publiée  la  veille  même 
de  sa  mort,  véritable  acte  de  foi  et  de  révolte  devant  les  crimes  du 
germanisme,  un  livre  d'une  telle  puissance  verbale  qu'on  peut  le 
comparer  aux  Châtiments  de  Victor  Hugo. 

Emile  Verhaeren  a  collaboré  à  de  nombreuses  publications,  sa- 
voir :  La  Semaine,  Journal  Universitaire  (Louvain),  L'Artiste 
(Bruxelles),  L'Art  Moderne  (Bruxelles),  Les  Ecrits  pour  VArt,  Le 
Scapin,  La  Vogae,  Le  Journal  des  Beaux-Arts,  La  Plage,  Le 
Réueil  de  Gand,  La  Jeune  Belgique,  La  Société  Nouvelle,  L'Art 
Jeune  (Bruxelles).  Le  Coq  Rouge  (Bruxelles!,  L' Humanité  Nouvelle, 
La  Revue  Journal,  Nouvelle  Revue,  L'Ermitage,  Les  Entretiens 
politiques  et  littéraires,  L'Image,  Mercure  de  France,  La  Revu^ 
Blanche,  Durendal,  Le  Thyrse  (Bruxelles),  Le  Monde  Moderne, 
Revue  Encyclopédique.  Fortnightly  Heview,  Magasine  of  Art, Les 
Arts  de  la  Vie,  Antée,  La  Belgique  artistique  et  littéraire,  La 
Grande  Revue,  La  Revue  de  Paris,  Zukunft  (Berlin),  etc. 

Bibliographie  : 

Les  LivKEs.  —  Les  Flamandes,  poèmes.  Bruxelles,  Lucien  Ilochsteyn, 
1883,  in-i8  (Rôirapr.  dans  i'oèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Fr.uice,  isys, 
in- 18).  —  Les  Contes  de  Minuit,  prose.  Bruxellns  (Colleclion  do  la  Jeune 
Belgiquo),  Franck,  1885,  in-18.  —  Joseph  Heyniaiis.  peiiilre.  critique. 
Bruxelles,  ■■  Société  Nouvelle  »,  1885,  in-8.  -  Les  Moines,  poèmes.  Paris, 
Lemerre,  1886,  in-18.  (Réimpr.  dans  Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de 
France,  1895,  iii-18).  —  Fernand  Khuopif,  critique.  Bruxelles,  «  Société 
NouTolle  »,  1887,  in-18.  —  Les  Soirs,  poi'-mes.  Bruxelles,  lîd.  Denmn, 
1887,  in-8  flOO  exempl.  sur  hollande,  dont  5l>  illustrés  par  Odilon  Kedon]. 
(Réimpr.  dans /'oKwes,  nouv.  série.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  I89ti, 
in-18).  —  Les  Débâcles,  poèmes.  Bruxelles,  Ed.  Dcman,  1888,  in-8  flOO 
exenjpl.  sur  hollande,  dont  50  illustrés  par  Odilon  Redon].  (Réimprimé  dans 
Poèmes,  no  .v.  éd.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  189G,  in  18).  —  Les 
Flambeaux  noirs,  poèmes.  Bruxelles,  Ed.  Deraan,  181)0,  in-8  [100  exem- 
j)l,  8ur  hollande  dont  50  illustrés  par  Odilon  Redon].  (Kéimpr.  dans  Poèmes, 
noiw,  série.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  1890,  in-18).  —  An  boitiJ  de 
la  rtftute,  poèmes.  Liège  (FAtrait  de  /.a  Wallonie).  Bruxelles,  Vaiilaut- 
Carmanne,  1891,  petit  in-8  (Réfmpr.  dans  Poèmes.  Paris,  Soc.  du  Meri:ure 
de  France,  1896,  in-18).  —  Les  Apparus  dans  mes  chemins,  poèmes. 
Bruxelles,  P.  incombiez,  1891,  in-8  (lléimpr.  dans  formes,  IJ/'  si'rie.  l'«ris, 
Soc.  du  Mercure  de  France  1899,  in-18).  —  Les  Campagnes  lialluclni'os, 
poèmes,  couverture  et  ornementation  de  Théo  vau  Rvsselbcrghe.  liruxetlcs. 
Ed.  Deman.  1893,  in-8.  (Réimpr.  à   la  suite  des    Vi7/ci  teniaculaires.  Paris 


ÉMILI    VRnHAKRCM  SQy 


Soc.  du  Mercure  de  France,  1004,  in-!8).  —  Almanach,  poème»,  illustra  par 
Tlifo  ran  Rysselbcrfce.  Bruxelles,  Dielricli,  1895,  in-8.  —  I.e»  Vlllane»  Illu- 
soires, poinioH,  illustras  de  quatre  dessin»  de  George»  Minne.  Bruxelles,  Kd. 
Deman,  1895,  in-8.  (Rtfiinpr.  dans  Poème/s,  III'  lirie.  Paris,  Soc.  du  Mer- 
cure de  France,  1899,  in-18).  —  Poèmes  {Les  Borda  de  la  route.  Les 
Flamandes.  Les  Moines,  aupmenWs  de  plusieurs  poèmes) .  Paris,  Soc.  du  Mer- 
r\ire  de  France,  1895,  in-18  (Uéimpr.  augmente  do  plusieurs  potîmes.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1900,  in-18).  —  Les  Vllleg  tentacululres, 
poômes,  couverture  et  ornementation  de  Th^o  van  Ryssellicrglie.  Bruxelles, 
kd.  Deman,  1895,  iu-8.  (R<^impr.  -.Les  Villes  tentaculaires  précédées  des 
Cutnpni/ncs  hallucinées.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco,  1904,  in-18)  — 
Poi'incs,  Nouvelle  série  {Les  Soirs,  Les  nébdclet.  Les  Flambeaux  noirs), 
Paiis,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —  Kes  Heures  Claire», 
iio^me»,  couverture  et  ornementation  de  Tlifo  van  Ryssollier^rlie.  Bruxelles. 
Deman,  1896,  in-8.  —  Emile  Verhaoreii,  1883-1800  (Anthologie)  por- 
trait par  Théo  van  Rysselberglie.  Sans  lieu  ni  date.»  Pour  les  amis  du  Poète  ». 
(Bruxelles,  Ed.  Deman,  1897),  in-18.  —Los  Aubes,  drame  lyrique  en  qua- 
tre actes,  couverture  et  ornementation  de  Th^o  van  Ryssclherglie.  Bruxelles, 
Ed.  Deman,  1898,  in-8.  —  Les  Visages  de  la  Vie,  poèmes,  couverture  et 
onieinentation  de  Th^o  van  Rysselberghe.  Bruxelles,  Ed.  Deman,  1899,  in-8, 
(R6inip.  :  Les  Visages  de  la  Vie.  Paris, Soc.du  Mercure  de  France,  1908,  in- 18). 

—  Poèmes,  ///•  série  {Les  Visages  Illusoires.  Les  Apparus  dans  mes 
cliemins.  Les  Vignes  de  ma  muraille).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  Franco, 
lans  date  (1899),  in-18.  —  Le  Cloître,  drame  en  quatre  actes,  en  prose  et 
rfu  vers  (repr(^sentf  à  Bruxelles,  au  Tlu^âtre  du  Parc,  le  20  février  1900,  et  à 
Paris  sur  la  scène  du  Théâtre  de  «  L^ Œuvre  »,  le  8  mai  1900),  couverture  et 
ornementation  de  Théo  van   Rysselberghe.    Bruxelles,  Ed.    Deman, 1900,    in-8. 

—  Petites  Lrf'iflendos,  poèmes,  couverture  et  ornementation  de  Théo  van 
Hysselbcrglie.  Bruxelles,  Ed.  Deman,  1900,  in-8.  —  Philippe  II,  tragédie  eu 
trois  acte»  (représentée  sur  la  scène  du  Théâtre  de  l'Œuvre,  Nouveau  Théâtre, 
les  9  et  10  mai  lOO*).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  l'JOl,  in-8.  —  Le» 
Forces  Tumultueuses,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1902, 
in-18.  (Il  a  été  tiré  20  exempl.  de  format  in-8,  pour  la  Société  des  XX, 
signés  par  l'auteur.)  —  Le»  Villes  tentaoulatres,  précédées  des  Cnm- 
pagncs  hallucinées,  poème».  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904, 
i,i-lg.  —  Toute  la  Flandre.  Les  Tendresses  premières,  courerture  et 
ornementation  de  Théo  van  Rysselberghe,  poèmes.  Bruxelles,  Ed.  Deman. 
1904,  gr.  in-8.  —  Les  Heures  d'après-i»ldl,  poèmes,  couverture  et  orne- 
menlation  de  Théo  van  Rysselberghe,  Bruxelles,  Ed.  Deman,  1905,  in-.8.  — 
Itembrandt  (Les  Grands  Artistes,  leur  Vie,  leur  Œuvre),  biographie  eriti(|ue 
illustrée  de  24  reproductions  hor«  texte.  Paris,  H.  Laurens,  1905,  in-8.  — 
LaMulliple  splendeur,  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906, 
in-18.  —  Tonte  la  Flandre.  La  Guirlande  des  dunes,  couverture  et 
ornementation  de  Théo  van  Rysselberghe.  Bruxelles,  Ed.  Deman,  1907,  gr. 
in-8.  —  Les  Visages  de  la  Vie  {Les  Visages  de  ta  Vie.  Les  Douze  Moin). 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1908,  in-18.  —  Toute  la  Flandre,  Le» 
Héros,  couverture  et  ornementation  de  Théo  van  Rysselberghe.  Bruxelles, 
Deman,  1908,  in-8,  etc. 

On  trouve  en   outre  des  poèmes  d'Emile  Verhaeren  dans  les  ouvrages  sui- 
«•ats  :  V»  ParnaMo  de  la  Jeune  Belgique,  pièces  diverses  de  dix-huit 

il. 


29^  rofttBt  »'Au/oimD'«m 


poètes  belgM.  Bruielle»,  Ucombler,  1887,  in-8.  —  Pol  de  Mont  :  Poète* 
d'expression  française.  Almelo,  W.  Hilarius,  1899,  in-18.  —  Almauach 
des  poètes.  Paris,  Ed.  du  Mercure  de  France,  umé.en  1896  et  1897,  in-lj 
—  Henry  Detoiiche  :  Les  J'ccliés  capitaux,  album  d'eaux-fortes  Pari» 
Boudet,  1900,  in-8.  -  Anthologie  des  Ecrivains  belges  de  langue 
française.  Kmlle  Verhaeren,  portraits  par  Charles  Bernier  Bnixellcs 
Decheniie  et  Ci»,  1904,  in-18.  -  Anthologie  des  Poètes  du  Nord,  par 
Henri  Potez,  etc.,  1908,  in-18.  -  La  Nation  Belge  :  1830-1905,  confé- 
rences faites  à  l'Exposition  Universello  et  Internationale  de  Liège  en  igos 
(papps  J40-260),  Lièg»,  Ch.  ÛMeer,  et  Bruxelles,  P.  Weitsenbruch.  r  d 
(190C),  in-8,  etc.. 

Prèpacbs.  -  Exposition  Uenri-Udoiond  Cross: Lettre-Préface.  Paris 
Galène  E.  Druet,  114,  faubourg  Saint-Honoré,  21  mars,  8  avril  [19051,  in-12' 
Couverture  illustrée  servant  de  titre.  —  Max  Stevens.  L'Ecrou  (Préface). 
Bruxelles,  Larcier,  1906,  in-12.  —  Francis  Yard  :  L'An  de  Terre  (Lettre, 
autogr.).  Pari»,  Sansot,  1W6,  in-4.  —  P.  Crommelynck  :  Le  Sculpteur 
de  A/aiiyue»,  symbole,  trag.enun  acte.  Bruxelles,  Deman,  1908,  in-8.  —  Paul 
Spaak  :  Kaatj,  3»  éd.  Bruxelles,  Lamertin,  1908,  in-18.—  Paul  Deltombe, 
Peintures,  présentée»  par  Emile  Verhaeren  chez  Eugène  Blot,  11,  rué 
Richepanse,  du  6  au  91  mai  1908,  petit  in-4.  Couv.  servant  de  titre.  — 
L.  Piérard,  Âim»»thi  arim.  FnuMriw,  J.  Itafraae-Friart,  190»,  in-lS. 

PoF.MK»  MIS  Ei\  MUSIQUE.  ~  Des  poèmes  de  M.  Emile  Verhaeren  ont  été  mis 
en  musique  par  Ernest  Delterrc,  Louis  Timal,  Léon  Saint-Requier,  Louis  de 
Serres  (Les  Vtsayes  de  la  Kie),  etc . 

Traductions.—  The  T)&\vii{Les  i4M5ej),  traduit  par  Arthur  Symons.Londres, 
Duckworth,  1898.  —  Poems  by  Emile  Verhaeren,  teleeted  and  rendered 
into  English  by  A.lma  Strettel,Loniion,  John  jAne,1899.—  Espana  Nogra, 
pages  «  originales  »  d'Emile  Verhaeren,  traduites,  commentées  et  illustrôos 
par  Dario  de  Kegoyos,  Barcelone,  1899.  —  Jutrznle  {Les  Aubes),  trad.  par 
M.  Markowskieij.  Gracovie,  Nakiadem  «  Ksiazski  »,  1904.  —Die  Belgisché 
Lyrlk  von  1880-1900  Fine  Studie  und  Ubertetzung.  Grossenhain,  Bau- 
mert  et  Rouge,  1902,  in-8.  —  Ausgewsehito  Gedichte,  in  Nachdichtung 
von  Stefan  Zweig.  Berlin,  Schuster  et  Loeffler,  1904.—  Choix  de  vers  con- 
temporains [de  VerfcaBWii],  trad.  par  Valère  Rrussov.  Moscou,  Ed.  du 
«  Scorpion»,  i»0«,  etc. —  lichteStunden.  Stunden  des  Nachmlllagg, 
{Les  Heures  Claire»),  trad.  par  Erna  Rchwold.  Stuttgart,  Arel  Juncter,  s.  d. 
(1907),  in-12  (couverture  en  couleurs).  Voir,  de  plus  :  Le  Cloître,  traduit 
en  russe  par  Bllis.  Moscou,  Bibliothèque  Universelle,  1908.  —  Les  Aubes, 
traduites  en  russe  par  VorolnikofT  et  Cliambinago.  Moscou,  Narodna  Misli 
1900  —  Les  Canapagnes  Hallueinéen,  traduites  en  russe  par  Vassilieff' 
Kazan,  1908.  —  La  Jeune  Belgique.  Traductions  des  poèmes  d'E.  Ver- 
•haeren,  par  Etiis.  Moscou,  1908.  —  Les  Aubes,  traduites  en  russe  par 
Tchou^koff.  Almanach  «  Znanié  ».  S«int-I'éteràbourg,  1906.  -  Le  Cloître, 
traduit  en  russe  par  M-«  StepanofT.  Almanach  «  Znanié  ..  f  aint-Pétersbourg,' 
1908.  —  Hélène  de  Sparte,  traduite  «i  russe  par  Valère  Brussov.  «  l' 
Balance  ».  Moscou,  1908,  etc.,  etc. 

A  co.Nsoi.Tiii.  —  Léon  IL-tialgette  :  JSmile  Verhaeren,  biographie  sufrje 
d'opinion»,  d'une  bibliogiai;liie  par  Ad.  van  Bever  et  ornée  d'un  portrait  et 
Cu  (M-iiailf  4'iwtograpb*.  Paris,  Sansot  (Les  Gâlébrités  d'«(joud'bvif  ll#7 


ÉaatM  nnvAiniK  açQ 


in-it).  —  André  R«a«nl«r  t  L»  Poéiie  nouvelle  .*  Parif.  Soa.  du  Kerniuc 
(in  PrancB,  1002,  in-18.  —  Albtrl  «la  B«i's»iiconrt  :  Conférence  sur  J£m  le 
Verhaeren.  i'uria,  Joiiv*,  1908,  ia-18.—  Jiilliia  de  Hoër  :  Emile  Yerhaeren, 
portrait  par  Tliéo  van  Rys«elt>«rghe  et  rnc-simile  d'autographe,  s.  1.  »■  ()<i 
1907,  in-8.  —  P.  Von  Oppeln-Bronlkowski  j  Daa  Junye  Frankreich. 
Berlin,  (Ivtterheli)  et  C'',  19M,  in-8.  —  Jean  Casiep  :  Les  Moines  d'Em. 
Verhaeren.  Gand,  Leliaei  t  ot  Siffor,  1887,  in-8.  —  Virglna  M.  Crawlord  : 
Sludiesin  foreiijn  /iVeiia<u/-0.L,Ofidoa,DuckNVorth,'i899,  in-8.  — Eugène  (%\\- 
hovi.l'Vanoect  Uelijique.  l'ui»,  Pion, Nourrit  ot  C'',1905,in-18.—  MauriCf 
Uniichez:  Emile  V«r/uier«ii.Bniielle«,  Kd.  du  Thjrse,  1908,  in-8.~  Iloiiiy 
d«  Goiirniont  :  Le  Livre  des  Masquée.  Pain,  Soc.  du  Mercuro  de  Francr, 
1806,  iu-18;  PromenadUa  littéraires,  l.  I'arl9,Soc.  du  Moi  cure  de  France, 
1004,  in-18.  —  Henri  Ouilbeaux  :  E.  Verhaeren.  Vorvior»,  Wauiliy,  1908, 
in-16.  —  Otto  Uauter  :  Die  Be!gischc  Lyrick  von  18801000.  Orossonhaifl 
Beaumert  et  Rouge,  iOOt,  in-8. —  Désiré  llorrept:  Eorivains  beUjes  d'au- 
jourd'hui, l"  tdrie.  Bruiellea,  Laconblei,  1904,  in-S.  —  Ueurge*  L,e  Car- 
douuel  et  Charl«a  la  Vellay  :  L^  Littérature  contemporaine,  190S.  Pi^rit 
Soo. du  Mercure  de  France,  1906,  in-18.  —  Canillle  Lemopulcr  ;  La  Vie 
IJelge,  Faris,  K.  FMijualle,  1903,  m-l8.— Albert  Mockel  :  Emile  Verhae- 
ren, avec  une  note  biographique  par  Fr.  Vielé-Griffin.  Paris,  Bd,  du  Mercura 
do  Franco,  180S,  in-18.  —  O.  ivâmaakara  t  E.  Verhaeren  (I,  L'homme  du 
Nord,  II.  L'Iiamme  mttiern*),  Bruxelles,  éd.  de  <  La  Lutte  »,  1900,  io-S.  — 
Christian  Kiineatad  :  Fransk  Poeti  i  iet  nittende  aarhundrede.  Kopen- 
liogue,  Uet  ScbuboUiaaka,  1000,  in-l.  —  Johannea  Bchiaf  .  Emile 
Verhaeren,  avec  des  portraita  e|  un  tae-nmOe  d'autogr.  Berlin  et  l.pipzig. 
Schuslor  et  Locffler,  •.  d.  (1905),  petit  ia-ll.  —  Aima  Strettel  :  Préface 
de  Poemt  of  Emile  Vtrhaeren  Seiected,  etc.  London  et  New-York,  John 
I,ano  et  The  Bodiey  head,  1899,  petit  ia-8.  —  Arthur  Symons  :  Préface 
to  tt  Dawn  ». London,  Duckworih  et  C*,  18M  ;  Emile  Verhaeren,  Atheneum. 
avril  li>0l.—  Jules  Tailler  :  Nos  Poète*.  Paris,  Despret,  1888,  in-18.—  V. 
Thompson:  Frenek  Portraits  (Bein^  appréciations oftbewriters  ofYoung 
Vrancc).  Boston,  Richard  G.  Badger  et  O,  1900,  in-8.  —  W.  G.  Van  Nou- 
huys  :  Van  Over  de  Greten,  ttudien  en  critieken.  Baarn,  Hollandia  Druk- 
kerij,  1908.  in-8.  —  Flrmln  ▼au  den  Bosche  :  Impression  de  littérature 
contemporaine.  BruselUs,  Vromant  et  G>«,  1905,  ia-lS.— E.  Vlglé-Lecocq  : 
La  Poieie  contemporaine,  I88i-li96,  Paris,  Soc.  da  Mercure  do  Francp,  1897, 
in-18.  —  Zinaïda  Wenguerowa  :  «  Portrait*  littéraire»  ■>,  tome  H. 
Saint-Pétersbourg,  1905,  iu-8  (Etude  reproduite  en  partie  dans  le  Grand  D(e- 
tionnsira  Kncy('li>pi5dii(uc  nim.étliliou  î'.-ok/  .^m  cl  Efioii.lome  suppl(^iiu'ntaire, 
I,  Saint-Pétersboory.  NOS).  —  0l«lwi  XwAlo  >  /Tmife  Verhaeren,  sa  vie, 
ion  oeuvre,  trad.  do  Pa«d  Moriasa  «i  Uaari  Cbarrat.  Paris,  Mercure  de  France, 
1010,  in-18.  —  Voir,  de  plus,  Lu  i4ttérMur«  kelg*  d'expte—iàn  franfiêtf 
par  Raymond  Poinearé,  etc. 

Georges  Brandès  t  Emile  Verfuurtn.  PoKtifcea,  8  Jvia  IMa.  —  Arthur 
Daxhelat;  Une  Criée  littéraire,  Rerue  de  Ik-l^ique,  15  mars  1904.  — 
Osoiaa  Edwards  :  Sesai.  The  Savoy  (Londres),  novembre  1897.  —  .\ndré 
Fontaines  t  Emiit  Verlmeren,  l'Art  Moderne  (Bruxelles),  Î3  février  190Î. 
—  Edmand  Gosse:  M.  Verhaeren  s  nev>  Poemi  (  •  Les  Forcées  Tumul- 
tueuse* )»).  The  Uaily  Cbronirlo  (Londres),  17  février  1902.  —  Hubert 
Krala*:  Mmii$    V^thaertn.    Société  NoweDe  (Iruxelle*),  jifin    1898-    - 


3oo  roiTES  d'aujourd'hui 


Marlns-Ary  I^etilond  :  La  Survivance  flamande  de  VEspagne.  Mercure 
de  France,  février  1904.  —  Camille  Mi\.ViC\aiiv:  Trois  poètes.  Revue  Ency- 
clopédique^ 2S  avril  1896.  —  Charles  Maurras  :  Z-/  érature.  Revue  Ency- 
clopédique, 23  janvier  1897.  —  Gustave  Meyer  :  Emile  Verhaeren.  Die- 
Zeit  (Vienne),  31  juillet  1902.  —  Henri  de  Régnter  :  Emile  Verhaeren. 
Revue  Blanche,  mars  1895.  —  Karl  Haus  Strobl  :  Emile  Verhaeren.  Alge- 
niei»e  Zeitung  (Munich),  30  août  1904.  —  Francis  Vlelé-Grilfln  :  Emile 
Verhaeren  (Les  Hommes  d'aujourd'hui).  Paris,  Vanier,  s.  d.,  in-fol.  ;  Emile 
Verh/ieren.  La  Plume,  25  avril  1896.  —  Tancrède  de  Visan  :  Sur  l'Œuvre 
d'Emile  Verhaeren.  Vers  et  Prose,  septembre-novembre  1905. 

Voir  en  outre  :  Virgile  Rossel  :  Les  Poètes  belges  contemporain». 
Semaine  littéraire  (Genève),  1894.  —  RudoH  Komadlna  :  Emile  Verhae- 
ren. Die  Gesellchaft (Berlin),  1900.— René  Arot  :  Emile  Verhaeren,  Mou- 
Tement  Socialiste,  1901. —  Franz  Cari  Pinzkey  :  Emile  Verhaeren,  Pt&zer 
Tagespost,  1905.—  Ellen  Key  :  Zwei  Bûcher  und  Zwei  Menschen.  Au- 
fremden  Zungen,  1906. —  Georges  Brandes  :  Verhaeren  als  Dramatiker. 
Die  Schaubfihne,  1906.  —  Ferez  Jorba:  Em.  Verhaeren.  Calalonia  (Barce- 
lone), 1698.  —  G.  Eekhoud  :  J\aar  aanerding  van  «  Le  Cloître».  Ontwaa- 
king,  1907.  —  A. -G.  Van  H amel  :Z>ic/iier-S!7/to«e</en.  Oids (Amsterdam) 
1907.  —  Van  de  Wœstyne  :  Emile  Verhaeren.  Europa (Amsterdam),  1907 
—  Paul  Hermant  :  [Jitude].  Revue  Germanique,  mars-avril  1908.  — 
Frantz  Clément  :  Die  Lyrick  de*  E.  VerAowen.  Soiialistche  Monatschefte 
(Beilin),  juillet  1908,  etc. 

Numéro  consacré  d  la  Belgique  (article  d'Albert  Mockel  et  Camtlle 
Mauclalr).  Revue  Encyclopédique,  Si  juillet  1807. 

Iconographie  : 

Théo  van  Rysselberghe  :  Sept  portraits.  !•  Pastel,  1882-1883  ; 
H»  Verhaeren  lisant,  dessin,  1891  ;  III»  Dessin,  1891  ;  IV»  Peinture  d 
i'huile  (app.  à  M.  Emile  Verhaeren)  exposée  à  Paris  (Artistes  Indé- 
pendants, 1898),  à  Bruxelles  (Salon  de  la  Libre  Esthétique,  1894),  à  Vienne 
(Salon  de  la  Sécession,  1898-1899  et  à  Dresde,  1899);  V»  Dessin,  M^i  (app.  h. 
M""  van  Rysselberghe),  exposé  à  Bruxelles  (Salon  des  XX,  1893)  reproduit  dans 
L*  Plume,  1895,  dans  une  plaquette  :  Emile  Verhaeren,  1883-1896,  et  dans 
diverses  revues  littéraires  ;  VI"  Dessin,  1896  (app.  à  M.  Francis  Vielé-Griffin), 
leproduit  dans  Les  Hommes  d' Aujourd'hui,  Paris,  Vanier;  VII»  Verhaeren 
Usant,  eau-forte,  1898  (hors  commerce).  —  Théo  van  Rysselberghe  : 
Portrait  dans  le  tableau  La  Zecfwre,  peinture  à  l'huile  (1985),  Musée  de  Gand, 
reprod.  dans  la  Revue  Z'Arf  Flamand  (1906)  et  dans  l'ouvrage  de  Victorio 
Pic»  :  L'Arte  Mondiale  alla  VII'  Esposizione  di  Venezia.  Bergame,  Istitul. 
itai.  d'Arti  grafiche,  1907,  in-4.  —  D'autres  portraits  ont  été  exécutés  par 
Lemmen  :  Peinture  d  l'huile.  —  Jainm^s  Knsor  :  Peinture  à  l'huile.— 
Ilullin  :  Portrait  en  pied,  peinture  —  G.  Montald  :  Portrait  en  pied, 
peinture.— A.  Mncho  :  /)es«m.  — Wolle8:/)e«»in  en  trois  couleurs (Uusée 
de  Bruxelles.)  —  Félix  Vallotton  :  Masque,  dansZe  Livre  des  Masques, 
de  R.  de  Gourmont,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896.  ~  Charles  Ber- 
Bler  :  Dix  portrait*  d  l'eau- forte.  One  de  ces  gravures,  reprod.  en  fron- 
tispioe  dans  l'Anthologie  d'Emile  Ver/iaere?i, publiée  par  l'éditeur  Decheime 
«  190f).  —  Coastantln  M9nnl»r.  Buste,  bronse,  IDOt.  —  Ch.  Van  der 


Amili  vsRHÀmuN  Soi 


Stappen  :  liuste,  brome,  1901.  —  Uolealan  Biegaa  :  fiutte,  bronze,  1900. 
—  M.  (Ma(l«l  :  Hutte,  plâtre.  1908  (ces  dernières  œurres  apparlioDneut  à 
H.  Biuile  Vorhseren). 


L'ABRBUVOm 

En  un  creux  de  terrain  nussi  profond  qu'un  antre, 

Les  ctnncjs  s'ôtalnicnt  dans  leur  sommeil  moiré. 

Et  servaient  d'abreuvoir  au  bétail  bigarré. 

Qui  s'y  baignait,  le  corps  dans  l'eau  jusqu'à  mi-ventre. 

Les  troupeaux  descendaient,  par  des  chemins  penchants: 
Vaches  A  pas  très  lents,  chevaux  menés  à  l'amble, 
Et  les  bœufs  noirs  et  roux  qui  souvent,  tous  ensemble, 
Beuglaient,  le  cou  tendu,  vers  les  soleils  couchants. 

Tout  s'anéantissait  dans  la  mort  coutumière, 

Dans  la  chute  du  jour  :  couleurs,  parfums,  lumière, 

Explosions  de  sève  et  splendeurs  d'horizons  ; 

Des  brouillards  s'étendaient  en  linceuls  aux  moissons. 
Des  routes  s'enfonçaient  dans  le  soir  —  infinies, 
Et  les  grands  bœufs  semblaient  râler  ces  agonies. 

[Poèmes  :  Les  Flamandes .) 


LES  PAYSANS 

Ces  hommes  de  labeur,  que  Greuze  affadissait 

Dans  les  molles  couleurs  de  paysanneries. 

Si  proprets  dans  leur  mise  et  si  roses,  (jue  c'est 

Motif  gai  de  les  voir,  parmi  les  sucreries 

D'un  salon  Louis-Quinze  animer  des  pastels. 

Les  voici  noirs,  grossiers,  bestiaux  —  ils  sont  tels. 

Entre  eux,  ils  sont  parqués  par  villages  :  en  somme, 
Les  gens  des  bourgs  voisins  sont  déjà  l'étranîïï'er. 
L'intrus  (ju'on  doit  haïr,  l'ennemi  fatal,  l'homme 
Qu'il  faut  tromper,  qu'il  faut  leurrer,  qu'il  faut  gruger. 
La  patrie  ?  Allons  donc  1  Qui  d'entre  eux  croit  en  elle  ? 


3oa  poÉTSs  d'aujourd  bui 

Elle  leur  prend  des  gars  pour  les  armer  soldats, 

Elle  ne  leur  est  point  la  terre  maternelle, 

La  terre  fécondée  au  travail  de  leurs  bras. 

La  patrie  !  on  l'ignore  au  fond  de  leur  campagne. 

Ce  qu'ils  roient  vaguement  dans  un  coin  de  cerveau, 

C'est  le  roi,  l'homme  en  or,  fait  comme  Charlemagn 

Assis  dans  le  velours  frangé  de  son  manteau  ; 

C'est  tout  un  apparat  de  glaives,  de  couronnes, 

Ecussonnant  les  murs  de  palais  lambrissés, 

Que  gardent  des  soldats  avec  sabre  à  dragonnes. 

Ils  ne  savent  que  ça  du  pouvoir.  —  C'est  assez. 

Au  reste,  leur  esprit,  balourd  en  toute  chose. 

Marcherait  en  sabots  à  travers  droit,  devoir, 

Justice  et  liberté  —  l'instinct  les  ankylose  ; 

Un  almanach  crasseux,  voilà  tout  leur  savoir  ; 

Et  s'ils  ont  entendu  rugir,  au  loin,  les  villes, 

Les  révolutions  les  ont  tant  effrayés. 

Que,  dans  la  lutte  humaine,  ils  restent  les  serviles, 

De  peur,  s'ils  se  cabraient,  d'être  un  jour  les  broyés. 

{PoèrM$:  Let  Flamandes.) 

SOIRS    RELIGIEUX 

Le  déclin  du  soleil  étend,  jusqu'aux  lointains. 
Son  silence  et  sa  paix  comme  un  pâle  cilice  ; 
Les  choses  sont  d'aspect  méticuleux  et  lisse 
Et  se  détaillant  clair  sur  des  fonds  byzantins. 

L'averse  a  sabré  l'air  de  ses  lames  de  grêle. 
Et  voici  que  le  ciel  luit  comme  un  parvis  bleu. 
Et  que  c'est  l'heure  où  meurt  à  l'occident  le  feu. 
Où  l'argent  de  la  nuit  à  l'or  du  jo«r  se  mêle. 

A  l'horizon,  plus  rien  ne  passe,  si  ce  n'est 

Une  allée  infinie  et  géante  de  chênes, 

Se  prolongeant  au  loin  jusqu'aux  fermes  prochaines, 

Le  long  des  champs  en  friche  et  des  coins  de  genêt. 

Ces  arbres  vont  —  ainsi  des  moines  mortuaires 
Qui  s'en  iraient^  le  cœur  assombri  par  les  soirf, 


AmILB   TUlRAIItCN  So3 

Comme  jndis  partaient  les  longs  pénilenls  noir* 
Pèleriner,  là-bas,  vers  d'anciens  sanctuaires. 

Et  la  route  d'amont  tonte  large  s'ouvrant 
Sur  le  couchant  rougi  comme  un  plant  de  pivoine», 
A  voir  ces  arbres  nus,  à  voir  passer  ces  moines, 
On  dirait  qu'ils  s'en  vont  ce  soir,  en  double  rang. 

Vers  leur  Dieu  dont  l'azur  d'étoiles  s'ensemence  ; 
Et  les  astres,  brillant  là-haut  sur  leur  chemin, 
Semblent  les  feux  de  grands  cierges,  tenus  en  main, 
Dont  on  n'aperçoit  pas  monter  la  tige  immense. 

{Poèmes  :  Lit  Mointa.) 


RENTRÉE  DBS  MOINES 

I 

On  dirait  que  le  site  entier  sous  un  lissoir 
Se  lustre  et  dans  les  lacs  voisins  se  réverbère  ; 
C'est  l'heure  où  la  clarté  du  jour  d'ombres  s'obère, 
Où  le  soleil  descend  iei  escaliers  du  soir. 

Une  étoile  d'argent  lointainement  tremblante. 
Lumière  d'or  dont  on  n'aperçoit  le  flambeau. 
Se  reflète  mobile  et  fixe  au  fond  de  l'eau 
Où  le  courant  la  lave  avec  une  onde  lente. 

A  travers  les  champs  verts  s'en  va  se  déroulant 
La  route  dont  l'averse  a  lamé  les  ornière»  ; 
Elle  longe  les  noirs  massifs  des  sapinières 
Et  monte  au  carrefour  couper  le  pavé  blane. 

Au  loin  scintille  encoro  une  lucarne  ronde 
Qui  s'ouvre  ainsi  qu'un  œil  dans'un  pignon  rongé  : 
Là,  le  dernier  reflet  du  couchant  s'est  plongé. 
Comme,  eu  un  trou  profond  et  ténébreux,  la  sonde. 

Et  rien  ne  s'entend  plus  dans  ce  mystique  adiea. 
Hien  —  le  site  vêtu  d'une  paix  mctalUque 


3o4  FoiTxs  d'aujourd'hui 


Semble  enfermer  en  lui,  comme  une  basilique, 
La  présence  muette  et  nocturne  de  Dieu. 

II 

Alors  les  moines  blancs  rentrent  aux  monastères, 

Après  secours  portés  aux  malades  des  bourgs. 

Aux  remueurs  cassés  de  sols  et  de  labours, 

Aux  gueux  chrétiens  qui  vont  mourir,  aux  grabataires, 

A  ceux  qui  crèvent  seuls,  mornes,  sales,  pouilleux. 
Et  que  nul  de  regrets  ni  de  pleurs  n'accompagne 
Et  qui  pourriront  nus  dans  un  coin  de  campagne, 
Sans  qu'on  lave  leur  corps  ni  qu'on  ferme  leurs  yeux, 

Aux  mendiants  mordus  de  misères  avides. 
Qui,  le  ventre  troué  de  faim,  ne  peuvent  plus 
Se  béquiller  là-bas  vers  les  enclos  feuillus 
Et  qui  se  noient,  la  nuit,  dans  les  étangs  livides. 

Et  tels  les  moines  blancs  traversent  les  champs  noirs 
Faisant  songer  aux  temps  des  jeunesses  bibliques 
Où  l'on  voyait  errer  des  géants  angéliques, 
EnloQgs  manteaux  de  lin,  dans  l'or  pâli  des  soirs. 

III 

Brusque,  résonne  au  loin  un  tintement  de  cloche. 
Qui  casse  du  silence  à  coups  de  battant  clair 
Par-dessus  les  hameaux,  et  jette  à  travers  l'air 
Un  long  appel,  qui  long,  parmi  l'écho,  ricoche. 

Il  proclame  que  c'est  Tins  tant  justicier 

Où  les  moines  s'en  vont  en  chœur  chanter  Ténèbres 

Et  promener  sur  leurs  consciences  funèbres 

La  froide  cruauté  de  leurs  regards  d'acier. 

Et  les  voici  priant  :  tous  ceux  dont  la  journée 
S'est  consumée  au   long  hersage  en  pleins  terreaux. 
Ceux  dont  l'esprit,  sur  les  textes  préceptoraux, 
S'épand,  comme  un  reflet  de  lumière  inclinée. 


iitïlM   TBRaAKRBN  3ri5 

Ceux  dont  la  solitude  .^pre  et  pâle  a  rendu 
L'Ame  voYiint('  et  dont  la  peau  hldme  et  collante 
Jette  vers  Dieu  la  voix  de  sa  maigreur  sanglante. 
Ceux  dont  les  tourments  noirs  ont  fait  le  corps  tordu. 

Et  les  moines  qui  sont  rentres  aux  monastères. 

Après  visite  faite  aux  malheureux  des  bourgs, 

Aux  rçraueurs  cassés  de  sols  et  de  labours, 

Aux  gueux  chrétiens  qui  vont  mourir,  aux  grabataires, 

A  leurs  frères  pieux  disent,  à  lente  voix, 

Qu'au  dehors,  ({uel(|ue  part,  dans  un  coin  de  bruyère, 

Il  est  un  moribond  qui  s'en  va  sans  prière 

Et  qu'il  faut  supplier,  au  chœur,  le  Christ  en  croix, 

Pour  qu'il  soit  pitoyable  aux  mendiants  avides 
Qui,  le  ventre  troué  de  faim,  ne  peuvent  plus 
Se  béquiller  au  loin  vers  les  enclos  feuillus 
Et  qui  se  noient,  la  nuit,  dans  les  étangs  livides. 

Et  tous  alors,  tous  les  moines,  très  lentement, 
Envoient  vers  Dieu  le  chant  des  lentes  litanies  ; 
Et  les  anges  qui  sont  gardiens  des  agonies 
Ferment  les  yeux  des  morts,  sileneieusement. 

(Poèmes  :  Les  Moines.) 

LE  MOULIiN 

Le  moulin  tourne  au  fond  du  soir,  très  lentement. 
Sur  un  ciel  de  tristesse  et  de  mélancolie. 
Il  tourne  e  ttourne,  et  sa  voile,  couleur  de  lie, 
Est  triste  e    faible  et  lourde  et  lasse,  infiniment. 

Depuis  Taube,  ses  bras,  comme  des  bras  de  plainte. 
Se  sont  tendus  et  sont  tombés  ;  et  les  voici 
Qui  retombent  encor,  là-bas,  dans  l'air  noirci 
Et  le  silence  entier  de  la  nature  éteinte. 

Un  jour  souffrant  .d'hiver  sur  les  hameaux  s'endort, 
Les  nuages  sont  las  de  leurs  voyages  sombres. 


3o8  roÂTBS  d'aujourd'hui 


Et  le  long  des  taillis  qui  ramassent  leurs  ombres, 
Les  ornières  s'en  vont  vers  un  horizon  mort. 

Sous  un  ourlet  de  sol,  quelques  huttes  de  hêtre 
Très  misérablement  sont  assises  en  rond  ; 
Une  lampe  de  cuivre  est  pendue  au  plafond 
Et  patine  de  feu  le  mur  et  la  fenêtre. 

Et  dans  la  plaine  immense  et  le  vide  dormeur 
Elles  fixent  —  les  très  souffreteuses  bicoques  !  — 
Avec  les  pauvres  yeux  de  leurs  carreaux  en  loques, 
Le  vieux  moulin  qui  tourne  et,  las,  qui  tourne  et  meurt. 
{Poème*.  —  NonvëUe  série  :  Lps  Soirs.) 

LES  BRUMES 

Brumes  mornes  d'hiver,  mélancoliquement 
Et  douloureusement,  roulez  sur  mes  pensées 
Et  sur  mon  cœur  vos  longslinceuls  d'enterrement 
Et  de  rameaux  défunts  et  de  feuilles  froissées 
Et  livides,  tandis  qu'au  loin^  vers  l'horizon, 
Sous  l'ouatement  mouillé  de  la  plaine  dormante, 
Parmis  les  échos  sourds  et  souffreteux,  le  son 
D'un  angélus  lassé  se  perd  et  se  lamente 
-Encore  et  va  mourir  dans  le  vide  du  soir, 
Si  seul,  si  pauvre  et  si  craintif,  qu'une  corneille, 
Blottie  au  creux  humide  et  noir  d'un  vieux  voussoir, 
A  l'entendre  gémir  et  saiigloter,  s'éveille 
Et  doucement  répond  et  se  plaint  à  son  tour 
A  travers  le  silence  entier  que  l'heure  apporte, 
Et  tout  à  coup  se  tait,  croyant  que  dans  la  tour 
L'agonie  est  éteinte  et  que  la  cloche  est  morte. 

(Poème»  :  Les  Bords  de  la  route.) 

LES  HORLOGES 

La  nuit,  dans  le  silence  en  noir  de  nos  demeures. 
Béquilles  et  bâtons  qui  se  cognent,  là-bas  ; 
Montant  et  dévalant  los  escaliers  des  heures, 
Les  horloges,  avec  leurs  pa«  ; 


hm.m  TRuiTAiRaN  S07 


Emaux  naïfs  derrière  un  verre,  emblènifts 
Et  fleurs  d'antan,  chiiTres  maigres  et  vieux; 
Lunes  des  corridors  vides  et  blêmes 
Les  horloges,  avec  leurs  yeux  ; 

Sons  morts,  notes  de  plomb,  marteaux  et  limes, 
lioulique  en  bois  de  mots  sournois 
El  le  babil  des  secondes  minimes. 
Les  horloges,  avec  leurs   voix  ; 

Gaines  de  chênes  et  bornes  d'ombre. 
Cercueils  scellés  dans  le  mur  froid, 
Vieux  os  du  temps  que  grignote  le  nombre, 
Les  horloges  et  leur  effroi  ; 

Les  horloges 

Volontaires  et  vigilantes, 

Pareilles  aux  vieilles  servantes 

Boitant  de  leurs  sabots  ou  glissant  sur  leurs  bas, 

Los  horloges  que  j'interroge 

Serrent  ma  peur  en  leur  compas. 

{Poèmes,  Nouvelle  série  ;  Les  liordt  de  la  roatê.) 

LA  PEUR 

Par  les  plaines  de  ma  crainte,  tournée  au  Nord, 
Voici  le  vieux  berger  des  Novembres  qui  corne. 
Debout,  comme  un  malheur,  au  seuil  du  bercail  morne. 
Qui  corne  au  loin  l'appel  des  troupeaux  de  la  mort. 

L'étable  est  cimentée  avec  mon  vieux  remords, 
Au  fond  de  mes  pays  de  tristesse  sans  borne, 
Qu'un  ruisselet,  bordé  de  menthe  et  de  viorne 
Lassé  de  ses  flots  lourds,  flétrit,  d'un  cours  retors. 

Brebis  noires,  k  croix  rouges,  sur  les  épaules. 
Et  béliers  couleur   feu  rentrent,  à  coujis  de  gaule, 
Comme  ses  lents  péchés,  en  mon  Ame  d'ellroi  ; 

Le  TÏeux  berger  des  Novembres  corne  tempête. 


So8  roAns  d'aujovrd'hui 

Dites,  quel  vol  d'éclairs  vient  d'effleurer  ma  tête 
Pour  que,  ce  soir,  ma  vie  ait  eu  si  peur  de  moi  '? 

(Poèmes,  Nouvelle  série  :  Les  Apparus  dans  mes  chemins,) 

NOVEMBRE 

Les  grand'routes  tracent  des  croix 

A  l'infini,  à  travers  bois  ; 

Les  grand'routes  tracent  des  croix  lointaines 

A  l'infini,  à  travers  plaines; 

Les  grand'routes  tracent  des  croix 

Dans  l'air  livide  et  froid, 

Où  voyagent  les  vents  déchevelés 

A  l'infini,  par  les  allées. 

Arbres  et  vents  pareils  aux  pèlerins, 
Arbres  tristes  et  fous  où  l'orage  s'accroche. 
Arbres  pareils  au  défilé  de  tous  les  saints. 
Au  défilé  de  tous  les  morts 
Au  son  des  cloches. 

Arbres  qui  combattez  au  Nord 

Et  vents  qui  déchirez  le  monde, 

O  vos  luttes  et  vos  sanglots  et  vos  remords 

Se  débattant  et  s'engoutFrant  dans  les  âmes  profondes  1 

Voici  novembre  assis  auprès  de  l'âtre, 
Avec  ses  maigres  doigts  chauffés  au  feu  ; 
Oh  !  tous  ces  morts  là-bas,  sans  feu  ni  lieu. 
Oh!  tous  ces  vents  cognant  les  murs  opiniâtres 
Et  repoussés  et  rejetés 
Vers  l'inconnu,  de  tous  côtés. 

Ohl  tous  ces  noms  de  saints  semés  en  litanies, 

Tous  ces  arbres,  là-bas. 

Ces  vocables  de  saints  dont  la  monotonie 

S'allonge  infiniment  dans  la  mémoire; 

Oh  !  tous  ces  bras  invocatoires 

Tous  ces  rameaux  cperdun\ent  tendus 

Vers  on  ne  sait  quel  christ  aux  horizons  pendu. 


ÉHiui  vxnHAtcniN  809 

Voici  novembre  en  son  manteau  grisâtre 
Qui  se  blottit  de  peur  au  fond  de  l'Aire 
Et  dont  les  yeux  soudain  regardent, 
Par  les  carreaux  cassés  de  la  croisée, 
Les  vents  et  les  arbres  se  convulser 
Dans  l'étendue  effarante  et  blafarde. 

Les  saints,  lea  morts,  les  arbres  et  le  vent, 

Oh  ridenti(juc  et  affolant  cortège 

Qui  tourne  et  tourne,  au  long  des  soirs  de  neige  ; 

Les  saints,  les  morts,  les  arbres  et  le  vent, 

Dites  comme  ils  se  confondent  dans  la  mémoire 

Quand  les  marteaux  battants 

A  coups  de  bonds  dans  les  bourdons, 

Ecartèlent  leur  deuil  aux  horizons. 

Du  haut  des  tours  imprécatoires. 

Et  novembre,  près  de  l'âtre  qui  flambe. 
Allume,  avec  des  mains  d'espoir,  la  lampe 
Qui  brûlera,  combien  de  soirs,  l'hiver  ; 
Et  novembre  si  huniblemeot  supplie  et  pleure 
Pour  attendrir  le  cœur  mécanique  des  heures  1 

Mais  au  dehors,  voici  toujours  le  ciel,  couleur  de  fer, 

Voici  les  vents,  les  saints,  les  morts 

Et  la  jiroccssîon  profonde 

Des  arbres  fous  et  des  branchages  tords 

Qui  voyagent  de  l'un  à  l'autre  bout  du  monde. 

Voici  les  grand'routes  comme  des  croix 

A  l'infini  parmi  les  plaines 

Les  grand'routes  et  puis  leurs  croix  lointaines 

A  l'infini,  sur  les  vallons  et  dans  les  bois  I 

(Poèmes,  III»  série  :  Le»  Vignen  de  ma  muraille.) 

UN  MATIN 

Dès  le  matin,  par  mes  grand'routes  coutumières 

Qui  traversent  champs  et  vergers, 

Je  suis  parti  clair  et  léger, 
Le  oorps  enveloppé  de  t«ii4  et  de  lumiâra. 


SlO  POÂTK8   1>\v>0URJ>'um 

Je  vais,  je  ne  sais  où.  Je  vais,  je  suis  heureux  ; 

C'est  fête  et  joie  en  ma  poitrine  ; 

Que  m'importent  droits  et  doctrines, 
Le  caillou  sonne  et  luit,  sous  mes  talons  poudreux; 

Je  marche  avec  l'orgueil  d'aimer  l'air  et  la  terre. 

D'être  immense  et  d'être  fou 

Et  de  mêler  ie  monde  et  tout 
A  cet  enivrement  de  vie  élémentaire. 

0  les  pas  voyageurs  et  clairs  des  anciens  dieux  i 
^  Je  m'enfouis  dans  l'herbe  sombre 

Où  les  chênes  versent  leurs  ombres 
Et  je  baise  les  fleurs  sur  leurs  bouches  de  feu. 

Les  bras  fluides  et  doux  des  rivières  m'accueillent  ; 

Je  me  repose  et  je  repars. 

Avec  mon  guide  :  le  hasard, 
Par  des  sentiers  sous  bols  dont  je  mâche  les  feuilles. 

Il  me  semble  jusqu'à  ce  jour  n'avoir  vécu 

Que  pour  mourir  et  non  pour  vivre  : 
Oh!  quels  tombeaux  creubenl  les  livres 

Et  que  de  fronts  armés  y  descendeat  vaincus  I 

Dites,  est-il  vrai  qu'hier  il  existât  des  choses. 

Et  que  des  yeux  quotidiens 

Aient  regardé,  avant  les  miens, 
Se  pavoiser  les  fruits  et  s'exalter  les  roses. 

Pour  la  première  fois,  je  vois  les  veuts  vermeils 

Briller  dans  la  mer  des  branchages, 

Mon  âme  humaine  n'a  point  d'âge  ; 
Tout  est  jeune,  tout  est  nouveau,  sous  le  soleil. 

J'aime  mes  yeux,  mes  bras,  mes  bmIus,  ma  chair,  mou  torsff 

Et  mes  cheveux  amples  et  blonds 

Et  je  voudrais,  par  mes  puuuious. 
Boire  l'espace  entier  fwxe  eu  gonfler  uui  force. 


àuiLB   VUliiAUUM  3ll 

Oh  1  ees  marches  i  trarere  bois,  plaines,  fossés, 

Où  l'étrft  chante  et  pleure  cl  crie 

Et  se  déppnr^r;  avec  furie 
Et  s'eoivre  de  soi  ainsi  qu'un  iusi^nsé  1 

(£,«8  Forces  lumuUutaieê.) 

VKRS  LK  FUTLU 

0  race  humaine  aux  astres  d'or  nouée. 

As-tu  senti  de  quel  travail  formidable  et  battant, 
Soudainement,  depuis  cent  ans. 
Ta  force  immense  est  secouée? 

Du  fond  des  mers,  à  travers  terre  et  cieux, 
Jiisques  à  l'or  errant  des  clollcs  perdue», 
De  nuit  en  nuit  et  d'étendue  en  étendue. 
Se  prolonge  là-haut  le  voyage  des  yeux . 

Tandis  qu'en  bas  les  ans  cl  les  siècles  funèl»res. 
Couches  dans  les  tombeaux  stratifiés  des  temps. 
Sont  explorés,  de  continent  eu  continent, 
Et  surgissent  poudreux  cl  clairs  de  leurs  tônèbres, 

1  -'archarnement  à  tout  peser,  à  tout  savoir, 
bouille  la  forôt  drue  et  mouvante  des  êtres 

"  Et  malgré  la  bronssaille  où  tel  pas  s'enchevêtre 
L'homme  conciuiert  sa  loi  des  droits  el  des  devoirs. 

Dans  le  ferment,  dans  l'atome,  dans  la  poussière, 
La  vie  énorme  est  recherchée  el  apparaît. 
Tout  est  capté  dans  une  infinité  de  rets 
Que  serre  ou  que  distend  l'immortelle  matière. 

Héros,  savant,  artiste,  apôtre,  aventui'icr, 
Chacun  troue  à  son  tour  le  mur  noir  des  mysiùre* 
lit  g^âcc  à  ces  labeurs  groupés  ou  solitaires. 
L'être  nouveau  se  seul  l'univers  tout  entier. 

Et  c'est  vous,  TOUS  les  villes, 
Debout 


Sis  foAtks  d'aujourd'hui 

De  loin  en  loin,  là-bas,  de  l'un  à  l'autre  bout 

Des  plaines  et  des  domaines 

Qui  concentrez  en  vous  assez  d'humanité, 

Assez  de  force  rouge  et  de  neuve  clarté, 

Pour  enflammer  de  fièvre  et  de  rage  fécondes 

Les  cervelles  patientes  ou  violentes 

De  ceux 

Qui  découvrent  la  règle  et  résument  en  eux, 

Le  monde. 

L'esprit  des  campagnes  était  l'esprit  de  Dieu  ; 
Il  eut  la  peur  de  la  recherche  et  des  révoltes, 
Il  chut  ;  et  le  voici  qui  meurt,  sous  les  essieux 
Et  sous  les  chars  en  feu  des  nouvelles  récoltes. 

La  ruine  s'installe  et  souffle  aux  quatre  coins 
D'où  s'acharnent  les  vents,  sur  la  plaine  finie, 
Tandis  que  la  cité  lui  soutire  de  loin 
Ce  qui  lui  reste  encor  d'ardeur  dans  l'agonie. 

L'usine  rouge  éclate  où  seuls  brillaient  les  champs  * 
La  fumée  à  flots  noirs  rase  les  toits  d'église  ; 
L'esprit  de  l'homme  avance  et  le  soleil  couchant 
N'est  plus  l'hostie  en  or  divin  qui  fertilise. 

Renaîtront-ils,  les  champs,  un  jour,  exorcisés 
De  leurs  erreurs,  de  leurs  affres,  de  leur  folie  ; 
Jardins  pour  les  efforts  et  les  labeurs  lassés, 
Coupes  de  clarté  vierge  et  de  santé  remplies  ? 

Referont-ils,  avec  l'ancien  et  bon  soleil, 
Avec  le  vent,  la  pluie  et  les  bêtes  serviles, 
En  des  heures  de  sursaut  libre  et  de  réveil. 
Un  monde  enfin  sauvé  de  l'emprise  des  villes  T 

Ou  bien  deviendront-ils  les  derniers  paradis 
Purgés  des  dieux  et  affranchis  de  leurs  présages. 
Où  s'en  viendront  rêver,  à  l'aube  et  aux  midis. 
Avant  de  s'endormir  dans  les  soirs  clairs,  les  sages  ? 

En  attendant,  la  vie  ample  se  satisfait 


Émut   TBRBABIIBM  3l3 

D'être  une  joîc  humaine,  effrénée  et  féconde  ; 
Les  droits  et  les  devoirs  ?  Rôves  divers  que  fait 
Devant  chaque  espoir  neuf,  la  jeunesse  du  monde  ! 

{L9ê  Ville»  tentaculairet.) 

L'ARBRB 

Tout  seul. 

Que  le  berce  l'été,  que  l'agite  l'hiver, 

Que  son  tronc  soit  givré  ou  son  branchage  vert. 

Toujours,  au  long  des  jours  de  lendresse  ou  de  haine, 

11  impose  sa  vie  énorme  et  souveraine 

Aux  plaines. 

H  voit  les  mêmes  champs  depuis  cent  et  cent  ans 

Et  les  mêmes  labours  et  les  mêmes  semailles  ; 

Êes  yeux  aujourd'hui  morts,  les  yeux 

Des  plus  lointains  aïeux 

Ont  regardé,  maille  après  maille, 

Se  nouer  son  écorce  et  ses  rudes  rameaux, 

U  présidait  tranquille  et  fort  à  Jeurs  travaux  ; 

Son  pied  velu  leur  ménageait  un  lit  de  mousse  ; 

Il  abritait  leur  sieste  à  l'heure  de  midi 

Et  son  ombre  fut  douce 

A  ceux  de  leurs  enfants  qui  s'aimèrent  jadis. 

Dès  le  matin,  dans  les  villages. 

D'après  qu'il  chante  ou  pleure,  on  augure  du  temps 

Il  est  dans  le  secret  des  violents  nuatij^es 

Et  du  soleil  qui  boude  aux  horizons  latents; 

11  est  tout  le  passé  debout  sur  les  champs  tristes. 

Mais  quels  que  soient  les  souvenirs 

Qui,  dans  son  bois,  persistent, 

Dès  que  janvier  vient  de  finir 

Et  que  la  sève,  en  son  vieux  tronc,  s'épanche. 

Avec  tous  ses  bourgeons,  avec  toutes  ses  branches, 

—  Lèvres  folles  et  bras  tordus  — 

H  jette  un  cri  immensémeat  tendu 

Vers  l'avenir. 

*•  18 


3l4  FOiTES   D*AUJOURd'hUI 

Alors,  avec  des  rais  de  pluie  et  de  lumière, 

Il  fixe  le  tissu  de  ses  feuilles  trémières  ; 

Il  contracte  ses  nœuds,  il  lisse  ses  rameaux  ; 

Il  pousse  au  ciel  vaincu  son  front  toujours  plus  haut; 

Il  projette  si  loin  ses  poreuses  racines 

Qu'il  épuise  la  mare  et  les  terres  voisines 

Et  que  parfois  il  s'arrête,  comme  étonné 

De  son  travail  muet,  profond  et  acharné. 

Mais  pour  s'épanouir  et  régner  dans  sa  fonce, 

O  les  luttes  qu'il  lui  fallut  subir,  l'hiver! 

Glaives  du  vent  à  travers  son  écoix;e. 

Chocs  d'ouragan,  rages  de  l'air, 

Givres  pareils  à  quelque  âp^c  limaille. 

Toute  la  haine  et  toute  la  bataille, 

Et  les  grêles  de  l'Est  et  les  neiges  du  Nord, 

Et  le  gel  morne  et  blanc  dont  la  dent  mord 

Jusqu'à  l'aubier^  l'ample  écheveau  des  fihres. 

Tout  lui  fut  mal  qui  tord,  douleur  qui  vibre. 

Sans  que  jamitis  pourtant 

Un  seul  instant 

Ne  s'alentît  son  énergie 

A  fermement  vouloir  que  sa  vie  élargie 

Fût  plus  belle,  à  chaque  printemps , 

En  octobre,  quand  l'or  triomphe  en  son  feuillage, 
Mes  pas  larges  encor,  quoique  lourds  et  lassés, 
Souvent  ont  dirigé  leur  long  pèlerinage 
Vers  cet  arbre  d'automne  et  de  vent  traversé. 
Comme  un  géant  brasier  de  feuilles  et  de  flammes. 
Il  se  dressait,  tranquillement,  sous  le  ciel  bleu, 
Il  semblait  habité  par  un  million  d'âmes 
Qui  doucement  chantaient  eu  son  branchage  creux. 
J'allais  vers  lui  les  yeux  emplis  par  la  lumière, 
Je  le  louchais,  avec  mes  doigts,  avec  mes  mains. 
Je  le  sentais  bouger  jusqu'au  fond  de  la  terre 
D'après  un  mouvement  énorme  et  surhumain; 
Et  j'appuyais  sur  lui  ma  poitrine  brutale, 
Avec  un  t«I  amour^  une  tciit;  ferveur, 


é 


iMXht    VKRHAKRKN  3t5 

Que  son  rythme  profond  et  s;»  

Passnient  «n  moi  et  pénétraient  jusqu'à  mon  cœur. 

Alors,  j'étais  môle  à  sa  belle  vie  ample; 

Je  m'atlacihais  k  lui  comme  un  de  ses  rameaux  ; 

Il  se  plantait,  dans  la  splendeur,  comme  un  exemple  ; 

J'aimais  plus  ardeinm(>iit  le  sol,  les  bois,  les  eaux, 

La  plaine  immense  et  nue  où  les  nuages  passent  ; 

J'étais  armé  de  fermeté  confro  lo  sort. 

Mes  bras  auraient  voulu  tenir  en  eux  l'espace  ; 

Mes  muscles  et  mes  nerfs  rendaient  léger  mon  corps 

Et  je  criais  :  «  La  force  est  sainte. 

I!  faut  que  l'homme  imprime  son  empreinte 

Violemment,  sur  ses  desseins  hardis  : 

Elle  est  celle  qui  tient  les  clefs  des  paradis 

Et  dont  le  large  poing  en  fait  tourner  les  portes.  » 

Et  je  baisais  le  tronc  noueux,  épcrdftment, 

Et  quand  le  soir  se  détachait  du  firmament, 

Je  me  perdais,  dans  la  campaj^ne  morte, 

Marchant  droit  devant  moi,  ver^  n'importe  où. 

Avec  des  cris  jaillis  du  fond  de  mon  coeur  fou. 

{La  Multiple  Splendeur.) 

L'OMBRE  S'INSTALLE 

L'ombre  s'installe,  avec  brutalité  ; 

Mais  les  ciseaux  de  la  lumière. 

Au  long  des  quais,  coupent  l'obseurîté, 

A  coups  menus,  do  réverbère  en  réverbère. 

La  gare  et  ses  vitraux  larges  et  droits 
Brillent,  comme  une  châsse,  en  la  nuit  sourde, 
Tandis  que  des  voiles  de  suie  et  d'ombre  lourde 
Choient  des  pignons  et  des  sonnants  beffrois. 

Et  le  lent  défilé  des  trains  funèbres 

Commence,  avec  ses  bruits  de  gonds 

Et  l'entrechoquement  brutal  de  ses  wagons. 

Disparaissant  -  tels  des  cercueils  —  vers  les  ténèbres. 


3i6  poèm  D'AUJOunD'mn 


Des  cris  !  —  et  quelquefois  de  trag^iques  signaux, 
Par  au-dessus  des  fronts  et  des  gestes  des  foules. 
Puis  un  arrêt,  puis  un  départ  —  et  le  train  roule 
Toujours,  avec  son  bruit  de  fers  et  de  marteaux. 

La  campagne  sournoise  et  la  forêt  sauvage 
L'absorbent  tout  à  coup  en  leur  nocturne  effroi  ; 
Et  c'est  le  mont  énorme  et  le  tunnel  étroit 
Et  la  mer  tout  entière,  au  bout  du  long  voyage. 

A  l'aube,  apparaissent  les  bricks  légers  et  clairs. 
Avec  leur  charge  d'ambre  et  de  minerai  rose 
Et  le  vol  bigarré  des  pavillons  dans  l'air 
Et  les  agrès  menus  où  des  aras  se  posent. 

Et  les  focs  roux  et  les  poupes  couleur  safras. 
Et  les  câbles  tordus  et  les  quilles  barbares. 
Et  les  sabords  lustrés  de  cuivre  et  de  guitraa 
Et  les  mâts  verts  et  bleus  des  îles  Baléares, 

Et  les  marins  venus  on  ne  sait  d'où,  là-bas, 
Par  au  delà  des  mers  de  faste  et  de  victoire. 
Avec  leurs  chants  si  doux  et  leurs  gestes  si  las 
Et  dès  dragons  sculptés  sur  leur  étrave  noire. 

Tout  le  rêve  debout  comme  une  armée  attend  : 
Et  les  longs  flots  du  port,  pareils  à  des  guirlandes. 
Se  déroulent,  au  long  des  vieux  bateaux,  partant 
Vers  quelle  ardente  et  blanche  et  divine  Finlande? 

Et  tout  s'oublie  —  et  les  tunnels  et  les  wagons 
Et  les  gares  de  suie  et  de  charbon  couvertes  — 
Devant  l'appel  fiévreux  et  fou  des  horizons 
Et  les  portes  du  monde  en  plein  soleil  ouvertes. 

(La  Multiple  Splendeur.) 

L'EFFORT 

Groupes  de  travailleurs,  fiévreux  et  haletants, 
Qui  vous  dressez  et  qui  passez  au  long  des  temps 
Avec  le  rêve  su  front  des  utiles  victoires. 


Torses  carpes  et  du  m,  gcstrr»  prëcis  et  forta. 
Marches,  courses,  arrêts,  violences,  efforts, 
Quelles  lignes  fières  de  vaillance  et  de  gloire 
Vous  inscrivez  tragiquement  dans  ma  mémoire  I 

Je  vo*-8  aime,  gars  des  pays  blonds,  beaux  conducteam 

De  Hennissants  et  clairs  et  pesants  attelages, 

Et  vous  bûcherons  roux  des  bois  pleins  de  senteurs. 

Et  loi,  paysan  fruste  et  vieux  des  blancs  villages. 

Qui  n'aimes  que  les  champs  et  leurs  humbles  chemins 

Et  qui  jettes  la  semence  d'une  ample  main 

D'nbord  en  l'air,  droit  devant  toi,  vers  la  lumière, 

Pour  qu'elle  en  vive  un  peu,  avant  de  choir  en  terre  ; 

• 

Et  vous  aussi,  marins  qui  partez  sur  la  mer 
Avec  un  simple  chant,  la  nuit,  sous  les  étoiles. 
Quand  se  gonflent,  aux  vents  atlantiques,  les  voiles 
Et  que  vibrent  les  mâts  et  les  cordages  clairs  ; 
Et  vous,  lourds  débardeurs  dont  les  larges  épaules 
Chargent  ou  déchargent,  au  long  des  quais  vermeils. 
Les  navires  qui  vont  et  vont  sous  les  soleils 
S'assujettir  les  flots  jusqu'aux  confins  des  pôles  ; 

Et  vous  encor,  chercheurs  d'hallucinants  métaux, 
En  des  plaines  de  gel,  sur  des  grèves  de  neige. 
Au  fond  de  pays  blancs  où  le  froid  vous  assiège 
Et  brusquement  vous  serre  en  son  immense  étan  ; 
El  vous  encor  mineurs  qui  cheminez  sous  terre, 
Le  corps  rampant,  avec  la  lampe  entre  vos  dents 
Jusqu'à  la  veine  étroite  où  le  charbon  branlant 
'  :ède  sous  votre  effort  obscur  et  solitaire  ; 

Elvous  enfin,  batteurs  de  fer,  forgeurs  d'airain, 
Visages  d'encre  et  d'or  trouant  l'ombre  et  la  brume, 
>s  musculeux  tendus  ou  ramassés,  soudain, 
iitour  de  grands  brasiers  et  d'énormes  encluraeSy 
Muineurs  noirs  bâtis  pour  un  œuvre  éternel 
j<n  s'étend  de  siècle  en  siècle  toujours  plus  vaste. 
Sur  des  villes  d'effroi,  de  misère  et  de  faste, 
Je  vous  sens  en  mon  (-(l'ur  |>iii'<'<nnt»i  rt  fraternels  I 

It. 


8i8  poàm  o'ÂmovKù'nm 

O  ce  travail  farouche,  ftpre,  tenace,  austère, 
Sur  les  plaines,  parmi  les  mers,  au  cœur  des  monts. 
Serrant  ses  nœuds  partout  et  rivant  ses  chaînons 
De  l'un  à  l'autre  bout  des  pays  de  la  terre! 
O  ces  gestes  hardis,  dans  l'ombre  ou  la  clarté, 
Ces  bras  toujours  ardents  et  ces  mains  jamais  lasses, 
Ces  bras,  ces  mains  unis  à  travers  les  espace» 
Pour  imprimer  quand  même  à  l'univers  dompté 
La  marque  de  l'étreinte  et  delà  force  humaine» 
Et  recrée»  les  monts  et  les  mers  et  les  plaines, 
D'après  une  antre  volonté. 

{La  Maltiple  Splendeur.) 

SOUVENIR 

ConnaîsseE-'vmis  ces  beaux  soirs  d'or. 

Où  les  anges  voilent  les  yeux  du  jour. 

L'été,  quand  on  aime,  d'un  lent  amour. 

Ceux  d'autrefois  à  qui  l'on  a  fait  tort  : 

Les  doux,  qui  se  donnèrent,  sans  envie, 

Kt  dont  aucun  ne  se  découragea, 

Bien  que,  souvent,  OD  affligeât 

Leur  cœur,  pouar  se  prouver,  avec  hargne,  sa  vie. 

Ils  étaient  bons  jusqu'à  lasser. 

Et  pardonnants  jusqu'à  froisser, 

Leurs  cœurs  naïfs  et  inventifs 

De  bienveillance  et  de  tendresse, 

Se  dévouaient^. avé5\des^mots  presque» .sacrés.. 

En  leurs  yeux  purs  et  inspirés. 

Où  se  mouillaient  des  regrets  de  caresses. 

Se  maintenait  la  confiance 

Intacte  encor  de  la  première  enfance. 

Ils  arrivaient,  du  côté  du  matin. 

Avec  le  rêve,  en  eux,  des  temps  lointains, 

Où  les  lèvres  des  vierges  bénévoles 

Parlaient,  avec  des  banderoles, 

Selon  leur  vœu,  qui  rendait  simples  leurs  paroles. 


ildIJI  TBHflABlU»  f  19 

11  I    ■—  — ' 

Ils  étafent  blancs  d'une  lumière 

Dont  la  Hamme  dormait,  «u  berceau  de  la  terre  ; 

Ils  étaient  forts  d'une  autre  joie 

Que  celle,  hélas  I  qui  tient,  entre  ses  mains 

Des  fleurs  rouges,  comme  des  proies. 

Et  leurs  pas  lents  sâiraient,  par  nos  chemins, 

L'empreinte  d'or  dont  les  Jésus,  sans  doute, 

Au  temps  des  saints,  avaient  marqué  la  route. 

Aussi  vécurent-ils,  sans   nulle  plainte. 

Dupes  du  monde  —  et  néanmoins 

Voulant  toujours  porter  plus  loin 

L'ofFrandeà  tous  de  leur  douceur  sans  crainte. 

Mais  aujourd'hui  qu'ils  sont  les  morts. 
Loin  des  dédains  et  loin  des  haines, 
—  En  ces  heures  de  beaux  soirs  d'or 
Où  les  anges  voilent  les  yeux  du  jour  — 
Hélas  !  comme  au-delA  de  l'heure  humaine. 
On  les  aime  d'un  triste  et  régressif  amour. 
On  les  rêve,  là-bas,  vêtus  de  laines. 
Parmi  les  herbes  et  les  fleurs. 
En  des  jardins  ornant  des  plaines 
Et  descendant,  vers  la  rivière. 
Mirer  les  rosiers  blancs  delà  prière* 

Ils  habitent  les  pays  de  clarté 

Qui  sont  leur  ftme 

Revenue  h  son  essence  et  sa  flamme; 

Leur  âme  de  candeur  et  de  bonté. 

Que  personne,  durant  leur  passage  sur  tem^ 

N'a  visitée. 

Leur  voix  n'a  rien  changé  à  son  mystère. 
Leurs  yeux  profonds  et  assidus 
N'ont  rien  perdu 
De  la  sereine  violence 
De  leur  silence. 

Ils  nous  hèlent,   là  haut,  parmi  les  firaaamentif^ 
Bien  qu'on  voudrait 


3ao  PoiTKS  d'aujourd'hui 

Les  voir  renaître,  ici,  pour  s'en  aller,  auprès. 

Dès  à  présent, 

Se  repentir,  en  les  aimant, 

Profondément. 

En  rêvant  d'eux,  en  ce  décor  d'or  sombre. 

Où  les  anges  ferment,  avec  de  l'ombre, 

Les  yeux  du  jour. 

Le  cœur  trop  longtemps  clos  à  leur  amour, 

Immensément,  se  donne, 

Tandis  que,  dans  la  paix  du  soir. 

Leur  tranquille  mémoire 

Toujours  plus  douce,  nous  pardonne. 

{Let  Visa ff es  delà  Vie.f 

LES   PAUVRES 

Il  est  ainsi  de  pauvres  cœurs 
avec,  en  eux,  des  lacs  de  pleurs, 
qui  sont  pâles,  comme  les  pierres 
d'un  cimetière. 

Il  est  ainsi  de  pauvres  dos 
plus  lourds  de  peine  et  de  fardeaux 
que  les  toits  des  cassines  brunes, 
parmi  les  dunes. 

Il  est  ainsi  de  pauvres  mains, 
comme  feuilles  sur  les  chemins, 
comme  feuilles  jaunes  et  mortes, 
devant  la  porte. 

Il  est  ainsi  de  pauvres  yeux 
humbles  et  bons  et  soucieux 
et  plus  tristes  que  ceux  des  bêtes, 
sous  la  tempête. 

Il  est  ainsi  de  pauvres  gens, 
aux  gestes  las  et  indulgents 
sur  qui  s'acharne  la  misère, 
au  long  des  plaines  de  la  terre. 

(Les   Visages  de  la  VU.) 


PAUL  VERLAINE 
4844-1896 


Panl'Marie  Verlaine,  le  plus  admirable  poète  que  noua  ayonfl  ea 
depuis  lonj^tenips,  ^sl  né  à  Metz  le  3o  mars  i844.  d'une  famille 
oriifinaire  de«  Ardriines.  Sa  maison  natale,  a6,  rue  Haute-Pierre, 
aujourd'hui  Hoschleinslrasse,  existe  encore.  Son  père,  Nicolas- 
Auguste  Verlaine,  aé  à  Bertrix  (B«lgi(iue)  en  1798,  était  capitaine 
adjudant  major  nu  a*  rép-iment  de  ^énie  et  chevalier  de  la  L<'gion 
d'honnesr.  Il  avait  ^lé  soldat  dans  les  armées  de  Napoléon  «t  avait 
opté  pour  la  nationalité  française,  quand  hod  pays  était  devenu 
luxembourgeois  à  la  suite  des  traitéa  de  i8i5.  La  mère  de  Paul 
Verlaine  était  née  à  Fampoux  (Pas-de-Calais).  Les  premières 
années  de  Paul  Verlaine  s'écoulèrent  dans  les  garnisons  de  son  père, 
d'abord  à  Metz,  puis  à  Montpellier,  puis  h  Nîmes,  puis  de  nouveau 
à  Metz.  En  i85i,  le  capitaine  Verlaine  donna  sa  démission  et  vint 
s'établir  avec  sa  famille  à  Paris,  rue  Saint-Louis,  aujourd'hui  rue 
Noilft.  Paul  Verlaine,  qui  avait  alors  sept  ans,  fut  mis  comme 
externe  dans  une  petite  institution  de  la  rue  Hélène.  H  entra 
ensuite  dans  une  grande  pension  de  la  rue  Cliaptal,  l'Institution 
Landry,  où  l'on  préparait  aux  cours  du  Lycée  Bonaparte.  Sa  pre- 
mière communion  faite,  il  entra  au  Lycée  Bon8[>arle,  depuis  Lycée 
Condorcet,  où  il  eut  comme  condisciple  M.  Edmond  Lepelletier,  avec 
lequel  devait  le  lier  une  amitii-  de  trente-six  années,  sans  une  heure 
de  brouille.  Reçu  bachelier  es-lettres  en  i86a,  et  sauvé  de  la  cons- 
cription yiar  un  «  bon  numéro  >»,  Paul  Verlaine,  après  avoir  pria 
bien  inutilemeut  une  inscription  d'étudiant  en  droit,  entra  comme 
employé  à  la  Compagnie  d'assurances  l'Aigle  et  le  Soleil  réunis.  Il 
obtint  ensuite,  en  1864,  un  poste  d'expéditionnaire  à  la  Mairie  de  la 
rue  IJrouot,  d'où  il  passa  biejitftl  à  l'Hôtel-de- Ville,  bureau  des  Bud- 
gets et  des  Comptes.  A  la  fin  de  i8f).^,  son  père  mourut,  à  demi 
ruiné  par  une  opération  de  bourse.  Sa  mère,  dupée  par  des  spécula- 
teur*   perdit  une  partie    de  la  fortuaa  mn  Uù.  «estait,  et  lui-même 


322  roitBS  d'autourd'hot 


commença  à  néglister  son,  emploi,  plus  préoccupa  de  littérature  que 
d'administration,  et  déjà  fantasque,  inv^ulier,  bohème.  Il  s'était  lié 
à  l'Hôtcl-de- Ville  avec  quelques-uns  de  ses  collègues,  ('crivains 
comme  lui  :  MM.  Georges  Lafenestre,  Armand  Renaud,  Léon  Valade  et 
Albert  Mérat,  et  passait  son  temps,  loin  de  son  bureau,  à  discuter 
littérature  avec  eux,  dans  un  café  de  la  rue  de  Rivoli  où  le  groupe 
tcDait  ses  réunions.  Dans  Vh  ."^alon  de  M.Lonis  Xavier  de  Ricard,  il 
se  mêla  aussi  un  moment  au  groupe  des  Parnassiens  :  Leconte  de 
Lisle,  José-Maria  de  Hcredi»,  Sully  Prudlfomme,  François  Cop- 
pée,  MM.Léon  Dierx  et  Catulle  Mendès,  Eu  1866,  le  même  jour  que 
François  Goppée  publiait  L«  Reliquaire,  il  fit  paraître  son  pre- 
mier livre:  Poèmes  Saturniens,  qui  passa  complètement  inaperçu. 
Trois  ans  iilus  lard,  il  publia  Les  Fêtes  galantes,  que  lui  inspirè- 
rent, au  dire  de  M.  Edmond  Lepellctier  les  travaux  des  Gonconr. 
sur  les  artistes  du  xviu«  siècle  et  l'ouverture,  au  Louvre,  d'une  salle 
consacrée  aux  peintres  de  cette  époque.  En  1870,  iJ  publia  Z/O  Bonn". 
Chanson,  composée  pendant  ses  fiançailles  avec  M"'  Mathilde 
Maulé,  sœur  utérine  du  compositeur  Charles  de  Sivry.  Lenr  ma- 
riage eut  lieu  au  mois  d'août  de  la  même  année.  Bientôt  après,  la 
gacrre  franco-allemande  éclata.  Le  disastre  de  Sedan,  l'cnvahissc- 
ment,  le  siège  de  Paris  et  la  Commune  survinrent.  Plus  ou  moins 
compromis  ous'imaginant  l'être  par  ses  amitiés  dans  le  camp  insur- 
rectionuel,  Paul  Verlaine,  qui  avait  l'ait  comme  les  autres  io  héros 
dans  la  garde  nationale,  crut  prudent  de  quitter  Paris,  et  s'en  alla 
avec  sa  femme  passer  quelque  temps  dans  le  Nord,  chez  des  parents 
et  des  amis.  La  mé8inteHig;ence  était  déjà  entre  les  époux,  causée 
par  les  coups  de  télc  fréquents  de  Paul  'Verlaine  et  les  habitudes 
d'intempérance  qu'il  avait  contractées  de  bonne  heure.  Rentrés  à 
Paris,  la  naissance  de  leur  fils  Georges  ne  les  rapprocha  en  rien,  et 
c'est  alors  que  Paul  Verlaine  se  lia  avec  Arthur  Rimbaud,  qui  devait 
avoir  tant  d'influence  sur  sa  vie.  Comme  on  l'a  vu  dan»  la  notice 
d'Arthar  Rimbaud,  Paul  Verlaine  ne  le  connut  d'abord  que  par  une 
lettre  et  quelques  poèmes  dont  la  singularité  l'intéressa.  Il  lui  répon- 
dit, lui  etvoya  même  quelque  argent,  puis,  d'accord  avec  sa  femme 
et  sa  belle-mère,  l'invita  à  venirà  Paris,  chez  eux,  oii  on  le  logerait. 
Arthur  iiirnbaud  accourut,  mais  ses  excentricités  lui  firent  bientôt 
signifier  son  congé  par  M"*  Verlaine  et  sa  mère,  et  il  dut  aller  loger 
chez  des  atnis  de  Paul  Verlaine,  notamment  chez  Théodore  Ae  Ran- 
ville,  comme  on  l'a  vu  anssi  précédemment.  Cette  séparation,  contre 
le  gré  de  Paul  Verlaine,  ne  fit  qu'accroître  l'attraction  qu'Arthur 
Rimbaud  exerçait  sur  lui,  et  qu'auiicmcnter  encore  son  désaccord 
avec  sa  femme.  De  longues  discussions  d'art  que  le»  deux  poètes 
eurent  enKcmble  pendant  l«nrs  promenades  »  travers  Montmartre, 
comme  l'enthousiasme  de  Paul  Verlaine  à  produire  Arthur  Rimbaud 


VAUL   VBRLAINB 


8a3 


dans  tous  lea  milieux  littéraires,  ju8<]ue  chez  Victor  Hugo,  vinrent 
encore  resserrer  leur  uoiou,  et  uu  nialii»  de  juillet  187a,  tous  deux 
partirent  enseaï(>le.  Ils  se  rendireat  d'abord  à  Arras,  où  ih  se  posè- 
rent si  bieOj  daoH  leurs  couversalioiis,  coaioie  deux  criminelle,  qu'on 
le*  arrêta  et  qu'on  leur  fit  reiirendic  le  tfain  pOMr  Paris,  eu  compa- 
gnie do  deux  gendarmes.  Arrivés  à  ta  gare  du  Nord  et  rcudus  à  la 
liberté,  ils  remontèrent  aussitôt  en  wagon,  pour  se  rendre  d'un  trait 
en  Belgique,  d'oii  ils  passèrent  en  A-"glelerre.  Ils  YCcurcnt  ensemble 
i  Londres  environ  une  année.  Pendant  ce  temps,  la  femme  de  Paul 
Verlaine,  arguant  de  son  brusque  abandon  et  encore  plus  de  sa  sin- 
gulière intimité  avec  Arthur  Rimbaud,  engageait  contre  lui  un  pro- 
cès en  séparation  de  corps.  Au  printemps  de  1878,  Paul  Verlaine, 
qu'Arthur  Himbaud  avait  délaissé  à  Londres  pour  retourner  à 
Charteville,  rentra  à  son  tour  en  France  et  ^lU^  passer  quelque  temps 
chez  uu'j  parente,  à  Jéhuuviliti,  entre  Sedan  et  Souillon.  C'est  pen- 
dant ces  divers  /séjours  en  Belgi(iue,  en  Aas^leterre  et  «dans  les 
Ardeniies  ijue  furent  composées  Les  Ilcunances  sans  paroles,  pu- 
bliées seulement  eu  1875.  A  Jéhon ville,  Paul  Verlaine  essaya  de  se 
réconcilier  avec  sa  femme,  sans  rien  obtenir,  il  se  retourna  alors  vers 
Arthur  Rimbaud,  qui  vint  le  rejoindre  à  Bouillon.  Liés  de  nouveau 
comme  auparavant,  ils  vagabondèrent  tous  les  deux  pendant  quel- 
que temps  dans  les  Ardennes,  nuis  s'embarciuèrent  une  nouvelle  fois 
pour  l'Angleterre.  Là,  fugue  de  Paul  Verlaine,  qui  quitte  brusque- 
ment Arthur  Rimbaud  pour  se  rendre  seul  à  Bruxelles,  où  il  s'em- 
presse ensuite  de  le  rappeler.  Nous  arrivons  alors  à  l'incident  qui 
devait  les  séparer,  les  deux  coups  de  revolver  tirés  par  Paul  Ver- 
laine sur  Arthur  Rimbaud,  en  juillet  1873,  à  la  suite  du  désir 
manifesté  par  le  second  de  reprendre  sa  liberté.  Condamné  à  deux 
années  de  prison  par  le  Tribunal  correctionnel  de  Bruxelles,  Paul 
Verlaine  fut  enfermé  aux  Petits  Carmes  de  Bruxelles,  puis  transféré 
k  Mons.  Là,  le  calme  se  fit  en  lui,  il  s'arma  de  courage  et  de  pa- 
tience et  se  mit  tu  travail.  Il  avait  envoyé  depuis  longtemps  le 
manuscrit  des  Romances  sans  paroles  à  M.  Edmond  Lepelletier,  qui 
dirigeait  alors  à  £ena  un  journal  républicain  supprimé  à  Paris  et 
qui  imprima  les  vers  de  aou  ami  avec  lei«  caractères  mêmes  de  sou 
imprimerie.  11  en  corrigea  les  épreuves  dans  sa  prison,  et  le  livre 
parut.  «  Le  volume,  raconte  M.  Kdinoud  Lepelletier  dans  le  livre 
qu'il*  écrit  sur  Paul  Verlaiue  et  qui  est  le  docuui'  iit  le  plus  complet 
et  le  plus  exact  sur  le  poèie  fi),  fut  tiré  à  peu  d'exemplaires,  cinq 
ttcnta,  je  croiK,  et  ne  fut  pas  mis  dans  le  commerce.  Je  remis,  à 
diverses  reprises,  un  certain  nombre  de  volumes  à  M"*  Verlaine 
Dieie,  j'exi>«diai  ka   «uvois  que  Paul  Verlaiue  avait  iudiqués,  jo  ^ 

it)  i*«w^  rtrUiHt,  Sa  *i«.  •k»n  «iuom,  Metv«H  i»  France,  1M7. 


324  POÈTES    D*AUJOUaD'BUI 


un  service  aux  journaux  1res  complet.  Pas  un  ne  cita  même  Te 
titre  du  livre.  J'avais  conservé  quelques  exemplaires,  devenus  très 
rares,  et  considérés  comme  des  curiosités  bibliographiques;  j'en  ai 
fait,  par  la  suite,  la  distribution  à  des  amis  de  Verlaine,  à  des  écri- 
vains qui,  comme  M.  Henry  Bauer,  ignoraient  le  poète,  méprisaient 
l'homme,  et  que  la  lecture  de  ce  petit  volume  impressionna  et  chan- 
gea en  admirateurs  sincères  et  'en  défenseurs  ardents  du  prand  et 
malheureux  poète.  C'est  cette  plaquette  de  Sens  qui  m'a  permis  de 
maintenir  parmi  les  vivants  le  poète  enfermé  dans  le  tombeau  cel- 
lulaire, muré  dans  un  sépulcre  d'animosité  et  d'oubli.  »  Ce  fut  aussi 
à  Mons  que  Paul  Verlaine  épronra  les  premiers  sentiments  de  cette 
conversion  reli^euse  qui  devait  aboutir  à  ce  chef-d'œuvre  :  Saffesse. 
La  cause  principale  paratt  avoir  été  le  déchirement  qu'il  ressentit  à 
la  nouvelle  du  jugement  qui  prononçait  sa  séparation  d'avec  sa 
femme,  alors,  que  transformé  par  le  régime  sobre ,  régulier  et  soli- 
taire de  la  prison,  il  rêvait  de  réconciliation,  d'apaisement  el  d'un 
foyer  retrouvé.  Il  fit  appeler  l'aumônier,  s'entretint  à  plusieiira 
reprises  avec  lui ,  et  trouvant  dans  la  religion,  comme  l'a  très  bien 
noté  M.  Edmond  Lepelletier,  autant  un  réconfort  moral  qu'un  re- 
nouvellement poétique,  il  se  convertit  et  communia.  Libéré  le  i6  jan- 
vier 1876  après  avoir  purgé  sa  condamnation  complète,  il  rentra  en 
France,  alla  se  reposer  dans  sa  famille,  à  Arras,  à  Fampoux,  dans 
les  Ardennes,  puis  se  rendit  en  Angleterre,  où  il  vécut  environ  une 
année,  donnant  des  leçons  de  français  et  de  latin,  et  même  de  des- 
sin. Il  rentra  en  France  en  1878  et  accepta  un  poste  de  professeur 
au  Collège  de  Réthel,  puis,  cédant  brusquement  à  un  désir  qui  l'occu- 
pait depuis  longtemps,  se  fit  cultivateur  à  Coulommes,  dans  l'arron- 
dissement de  Vooziers.  Cette  fantaisie,  étant  donnés  son  manque 
d'application  et  son  inexpérience,  fut  decourte  durée,  et,  en  1881, 
après  une  douloureuse  histoire  dont  on  trouve  le  récit  détaillé 
dans  l'ouvrage  de  M.  Edmond  Lepelletier,  il  revint  à  Paris.  Sagesse, 
commencée  dans  la  prison  de  Mons,  éuit  achevée.  Paul  Verlaine 
ayant  perdu  tout  contact  avec  les  éditeurs,  M.  Edmond  Lepelletier 
s'occupa  d'en  trouver  un.  Après  bien  des  échecs ,  il  trouva  enfin 
accueil  chez  l'éditeur  catholique  Victor  Palmé,  et  Sa<jesse  pànit, 
fruit  de  «  six  années  d'austérité,  de  recueillement,  de  travail  obs- 
cur » .  Ce  livre,  qui  devait  un  peu  plus  tard  faire  tact  pour  la  répu- 
tation du  poète,  passa  complètement  inaperçu,  les  amateurs  de  poésie 
se  méfiant  d'un  ouvrage  sorti  d'une  librairie  religieuse  et  les  dévots 
lui  trouvant  quelque  chose  de  profane.  Les  ressources  de  sa  mère 
très  diminuées,  Paul  Verlaine  dut  sonçer  à  vivre  de  sa  plume,  et  il 
n'y  essaya  courageusement.  C'est  ainsi  qu'il  collabora  pendant  quel- 
que temps  au  Réveil,  journal  quotidien  dont  M.  Edmond  Lepelletier 
était  rédacteur  eu  clief,  et  oà  il  publia  plosieore  artielea  qu'on  r** 


FAUL   VBHLAINB 


3a5 


troure  dang  les  Mémoires  d'un  Veuf.  En  même  temps,  il  fréquenta 
le  Quartier  latin,  et  le  groupe  des  jeunes  rédacteurs  de  la  petite 
revue  Liitèce,  ui»  des  premiers  organes  du  Symbolisme.  11  publia 
daus  Z,u/«ce  quelques  poèmes,  uolanimcnt  sou  célèbre  Art  poétique, 
qui  fit  tout  de  suite  de  lui  un  maître  pour  les  nouveaux  poètes,  puis 
des  olud.s  sur  Tristan  Corbière,  Arthur  Kiœbaud  et  Stéphane  Mal- 
larmé, qui  parurent  ensuite  en  volume  sous  le  litre  Les  Poètes  mau- 
dits. C'est  alors  qu'après  avoir  remis  à  l'éditeur  Vanier  les  manus- 
crits des  Mémoires  d'un  veuf,  de  deux  autres  volumes  de  prose  et 
d'ua  nouveau  recueil  de  vers  :  Jadis  et  Naguère,  le  goût  de  la  cul- 
ture le  reprit.  Il  quitta  brusquement  Paris,  et  retourna  s'improviser 
cultivateur  a  Coulommes,  où  il  s'installa  avec  sa  mère,  en  octobre 
ibSii.  Là,  nouvelle  aventure,  en  février  i885,  à  la  suite  d'une  scène 
qu'il  eut  avec  sa  mère,  qu'un  témoin  intéressé  assura  avoir  été 
frappée  par  lui.  Dénonce  et  arrêté,  Paul  Verlaine  comparut  devant 
le  Tribunal  correctionnel  de  Vouziers,  et  malgré  les  dénégations  de 
sa  mère,  désireuse  de  l'innocenter,  fut  condamné  à  un  mois  de  prison. 
A  sa  sortie,  il  dut  vendre  sa  fcrme^  et  revint  à  Paris,  plus  pauvre 
qu'il  n'en  était  parii.  Il  voulut  se  remettre  à  vivre  de  sa  plume, 
mais  déjà  la  maladie  l'envahissait,  le  paralysant  peu  à  peu.  De  ce 
moment  date  l'existence  lamentable,  pleine  de  misère,  d'hôpital  en 
hôpital  ou  dans  d'alFreux  taudis,  qu'il  devait  mener  jusqu'à  sa  tin. 
En  1886,  sa  mère  mourut,  nouvel  événement  funeste  pour,  lui,  qui 
se  trouva  désormais  sans  frein  ni  appui  dans  la  vie,  toujours  labo- 
rieux, cependant,  ne  cessant  de  travailler,  de  produire,  malgré  ses 
dtboires  de  «Pauvre  Lélian  «  comme  il  s'était  surnommé  lui-même. 
Euire  ses  séjours  à  l'hôpilal  on  le  voyait  dans  Paris.  «  Il  traînait  sa 
jambe  malade,  s'appuyaut  sur  sa  canne,  mais  le  torse  redressé,  la 
titc  haute,  légèrement  Hère,  avec  un  sourire  sarcastique,  il  allait, 
s'attablant  dans  les  cafés  du  Quartier  latin,  et  là  rimant  des  vers, 
écrivant  des  ébauches  de  contes  en  prose,  discutant,  ah!  discutant 
trop  longuement  avec  de  jeunes  poètes  qu'attirait  sa  renommée 
grandissante  (i).  »  En  1889,  après  un  séjour  à  Broussais,  il  alla 
faire  uue  cure  à  Aix-les-Bains,  puis  entra  de  nouveau  à  Broussais. 
H  fréquenta  ensuite  les  soirées  de  La  Plume,  qui  organisa  plusieurs 
banquets  en  son  honneur.  En  1891,  on  représenta  au  Vaudeville,  à 
son  bénéfice,  par  les  soins  du  Théâtre  d'Art  de  M.  Paul  Fort,  une 
de  ses  saynètes:  Les  Uns  et  les  Autres,  opération  dont  il  ne  relira 
pas  un  sou,  toute  la  recette  ayant  été  absorbée  par  les  frais.  les 
décors  et  les  costumes  d'un  ouvrage  de  M.  Catulle  Meudès,  repré- 
senté eu  même  temps.  Il  collabora  à  L'Echo  de  Paris,  partit  faire 
quelques  conférences  en  Belgique,  eu  Hollande,  en  Angleterre,  puis 

(1)  M.  EdsMBd  Up«U«U«r 


3a6  poÉTM  d'aujourd'hui 


revint  à  Paris.  On  représenta  aux  soirées  du  Café  Procope  son 
autre  sayn*te:  il/"»"  Aubin.  Leconte  de  Lisle  étant  vena  à  moarir  et 
an  reporter  ingénieux  ayant  eu  l'idée  de  proposer  un  vote  pour  !e 
remplacer  dans  radnairation  des  jeunes  poètes,  Paul-Verlaine  fut 
élu  son  successeur  par  77  voix.  On  parla  même  un  moment  de  sa 
candidature  à  l'Académie,  fantaisie  plutôt  que  projet  vraiment  réa- 
lisable. Entre  temps,  de  plus  en  plus  malade,  il  avait  dû  entrer  à 
Saint-Louis.  A  sa  sortie,  il  alla  habiter  quelque  temps  l'Hôtel  de  Lis- 
bonne, rue  de  Vaui^irard,  où  étaient  venus  le  visiter  en  1886  ses 
amis  de  la  première  heure  :  Gabriel  Vicaire,  Ary  Renan,  Villiers  de 
risle  Adam,  Jules  Tellier,  M"*  Rachilde,  MM.  Jean  Moréas,  Laurent 
Tailhade,  etc.  Puis  ce  fut  iSgS,  qui  devait  être  sa  dernière  année.  Sa 
.  maladie  encore  ag^^ravée,  il  dut  s'aliter,  soi(^né  par  ses  fidèles  mé- 
decins, les  docteurs  Chauffard  et  Parisot.  Il  logeait  alors  rue  Des- 
cartes  Sg,  dans  un  petit  logement  où,  «  ne  pouvant  plus  sortir,  il 
passait  ses  journées,  avec  un  pincean  et  des  flacons  de  vernis  dit 
»  or  liquide  »,  à  dorer  tous  ses  objets  usuels  :  la  lasse  où  il  mettait 
son  tabac,  ses  chaises,  sa  lampe  et  les  objets  les  plus  imprévus  » . 
C'est  iè  qu'il  mourut  le  6  janvier  i8g6.  Voici  maintenant  quelques 
opinions  sur  Paul  Verlaine  et  son  œuvre.  «  Il  ne  faut  pas  juger  ce 
poète  comme  on  juge  un  homme  raisonnable.  Il  a  des  idées  que 
nous  n'avons  pas,  parce  qu'il  est  à  la  fois  beaucoup  plus  et  beau- 
coup moins  que  nous.  Il  est  inconscient,  et  c'est  un  poète  comme  il 
ne  s'en  rencontre  pas  un  par  siècle. . .  11  est  fou,  dites-vous;  je  le 
crois  bien.  Et  si  je  doutais  qu'il  le  fût,  je  déchirerais  les  pafçes.que 
je  viens  d'écrire  Certes,  il  est  fou.  Mais  prenez  g:arde  que  ce  pauvre 
insensé  a  créé  un  art  nouveau  et  qu'il  y  a  quelque  chance  qu'on 
dise  un  jour  de  lui  ce  qu'on  dit  aujourd'hui  de  François  Villon, 
auquel  il  faut  bien  le  comparer  :  c'était  le  meilleur  poète  de  son 
temps.  "  (A.  France,  La  Vie  Littéraire,  3' série.) —  «  ...  Il  est  un 
barbare,  un  sauvage,  un  enfant...  Seulement  cet  enfant  a  une  musi- 
que, dans  l'Ame,  et,  k  certains  jours,  il  entend  des  voix  que  nul 
avant  lui  p'avait  entendues. . .  »  (J.  Lemaltre,  Les  Contemporains, 
4*  série,  j  —  «  Verlaine,  né  dans  une  époque  de  décadence,  survi- 
vant aux  plus  affreux  désastres  qui  puissent  frapper  la  tête  et  le 
cœur  d'un  peuple,  a  résisté  à  la  double  faillite  de  la  foi  et  de  la 
poésie...  Que  nous  importe  son  histoire?  c'est  la  terre  commune 
de  l'humanité  ;  que  nous  importe  son  œuvre,  ralculce  par  le  nom- 
bre de  ses  volumes,  la  richesse,  la  variété  et  la  nouveauté  de  sa 
prosodie?  c'est  la  base  de  tous  les  penseurs,  c'est  l'art  dont  se  ser- 
vent tous  les  poètes  ;  mais  plus  haut,  ce  qui  est  bien  à  lui,  c'eut  sa 
foi  retrouvée.  Ce  qu'il  importe  de  savoir  d'un  homme,  c'est  jusqu'à 
quel  point  il  t'est  éUvé  ;  or,  Verlaine  $'est  ilevi  jjuqu'à  Dieu  par  la 


PAUL     VKRLAIHB  3x7 


prière.  "  (Ch.  Fuinel,  La  St$tae  de  Paul  Verlaine,  La  Lyre  uni- 

Terselle,  dôccmbre  1896.) 

Paul  Verlaine»  collabora  à:  La  Revue,  dex  lettres  et  des  arts, 
1867;  La  Nouvelle  Néniésis.  1868;  Lufèce,  i883-i885;  La  Revue 
contemporaine, iSSî);  Le  Décadent,  iSSf"';  La  Vogue,  i"  série,  1886, 
Le  Scapin,  1886;  La  Décadence.  1886;  /.a  Revue  Indépendante, 
3«  série,  1886,  et  4*  série,  1889;  Les  Chroniques,  1887  ;  La  Petite 
Revue,  1888;  La  Revue  d'aujourd'hui,  i8yo;  Les  Entretiens  poli- 
tiques et  littéraires,  1890;  Le  Suint-Graal,  1892;  La  Plume,  La 
Revue  Encyclopédique,  La  Revue  Blanche,  La  Cravache,  Vendé- 
miaire, Art  et  Critiqua,  Le  Chat  Noir,  La  France  littéraire, 
L'Eprouve  littéraire,  Gil  Bios,  Figaro,  Echo  de  Paris,  The  Senate, 
The  Savoy,  La  Revue  Rouge,  etc..  elc. 

Ses  œuvres  ont  été  réunies  en  une  édition  complète  par  la  librai- 
rie Vanier  (Mcssein,  succesaear).  Ellts  comprennent  aix  tomes, dont 
oa  trouvera  le  détail  dans  la  biblinË;raphie  ci-aprè.s. 

Bibliographie  : 

Lis  (kuvrks.  —  PoèineH  saturnJcDM.  poé^iics.  Paris,  Lemerre,  1866,  in-12. 
(Réimpr.  :  Pohne»  saturnien»,  nouvelle  ^lilioo.   Paris,  Vanier.  ISl'O,  in-18). 

—  Fôle-  gal.nutea,  poésies.  Pari"»,  Lcmerre,  186U,  in-12.  (Ri'^impr.  :  Fêtes 
plantes.  Paris,  Vanier,  iHM,  in-lS;  Fétrs  r/a/an{e«,  soixanle-neiif  dessins 
de  A.  Gérardin.  gravés  .sur  bois.  Paris,  Soc.  Arlist.  du  Livre  illustri^,  1899, 
in-8  ;  Fêles  galantes,  fA.  ill.  de  24  dctisiuH  el  H  culs-de-lainpo  de  Robaudi. 
Paris,  Maison  du  Livre,  1903,  125  cxoihpl.  numéroté»).  — Las  Amie*,  scènes 
d'amour  saphique.  Sonnets,  par  lo  licencié  Pablo  de  Herla^nei  [Bruxellc», 
Poulel-Malasi»],  1867,  petit  in-12  (50  exempl.).  La  même,  Ségovie,  1870, 
petit  in-lî,  couverture  trrise.  11  existe  une  cnnlrofaçon  decelte  (édition. Réirapr. 
dans  La  Trilogie  erotique  de  /'.  Verlaine,  19ii7,  in-8.  —  La  Bonne  Chan- 
son, poésies,  ruris,  Lonierre,  1870,  in-12.  (Réimpr.  :  La  lionne  C/ian.von,  nou- 
velle édition.  Paris,  Vanier,  1899,  in-18.  —  Romances  sans  paroles, 
poésies .  Sens,  Typofçrapliie  de  Maurice  l'Hermitle,  1874.  (Réimpr.  ■.Roman- 
ces sans  parafes,  nouvelle  édition,  portraits  de  l'auteur,  sur  Chine,  par  A.  des 
Gâchons.  Paris,  Vanier,  1887,  in-18).  —  Saflesse,  poésies.  Pari»,  Soc.  péné- 
rale  de  Librairie  catholique,  Pahaé,  1881,  iu-8.  (Réimpr.  :  Sa'jesse,  nou- 
velle édition.  Pari»,  Vanier,  1889,  in-lS).  —  Le»  Poètes  maudits,  prose. 
Paris,  Vanier,  1884  et  1888,  in-12.  —  Jadis  et  N'ugnèro,  poésies.  Paris. 
Vanier,  1884,  in-18.  —  Louis»  Leclercq,  prose,  Paris,  Vanier,  1886,  in-18. 

—  Mémoires  d'un  veul,  prose.  Paris,  Vanier,  1S86,  in-18.  —  Amour, 
poésies.  Pari»,  Vanier,  1888,  in-18.  —  Parallèlement,  poésies.  Paris. 
Vanier,  1889,  in-18.  (Edition  de  luie  :  Parallèlement,  avec  de»  lilbo^r.  ori- 
ginales de  Pierre  Ronnard.  Paris,  VoUard,  1900,  in-8).  —  Dédicaces,  poé- 
sies, avec  un  dessin  de  F. -A.  Caials  gravé  par  Maurice  Baud. Paris,  Bibliothèque 
artistique  et  littéraire,  18S*),  iii-18.  (Réimpr  :  Dédicaces,  nouv.  éd.  Paris, 
Vanier,  1894,  in-18)  -  Keinme»,  poésio-i  '175  excmpl.).  Imprimé  n  sout  le 
auntoau  et  no  se  vend  nulle  part  ■,  1890,  in-18  (Réimi>r.  Femmes,  t-  I.  n.  d. 
Tsrs  190S),  tirafe  k  100  siaiapl.  Bum4rotAs    «t  dans  Lm  TritogU  éftiqut  da 


Sa 8  roiTES  d'aujourd'hui 


Paul  Verlaine,  etc.,  1907,  in-S).  —  Bouheur,  poésies.  Paris,  Vanier,  1891 
in-i8.  —  Choix  de  poésies,  avec  un  portrait  d'après  Eugène  Caprière. 
Paris,  Charpentier  et  Fasquelle,  1891,  in-18).—  Chausons  pour  Elle,  poé- 
sies. Paris,  Vanier,  1891,  in-18.  —  Les  Uns  el  les  Autres,  coinMie  en 
un  acte  en  vers,  représenté  pour  la  première  fois  au  Théâtre  du  Vaudeville 
par  les  soins  du  Théâtre  d'Art,  le  21  mai  1891.  Paris,  Vanier,  1891,  in  18.  — 
Mes  Hôpitaux,  prose.  Paris,  Vanier,  1891,  in-18.  —  Liturgies  Jutinn;Ei 
avec  un  portrait  par  L.  Hayet.  Paris,  Bibliothèque  du  Saint-Graal,  mars  1892 
in-8  carré.  —  Mes  Prisons,  prose.  Paris,  Vanier,  1893,  ia-18.  — felégics, 
poésies.  Vanier,  1893,  in-18.  —  Odes  en  son  honneur,  poésies.  Paris, 
Vanier,  1893,   in-18.   —   Quinze    jours  en  Hollande.    La  Haye,    B!ok, 

1893,  gr.  in-8  (nouvelle  édition,  Paris,  Vanier,  1895,  in-18.  —  Dans  les 
limbes,  poésies.  Paris,  Vanier,  1894,  in-18).  —  Dédicaces,  poésies,  nou- 
velle édition.  Paris,  Vanier,  1894,  in-18.  —  Epigramines,  poésies,  avec 
uh  frontispice  de  F. -A.  Gazais.  Paris,  Bibliothèque   artistique   et  littéraire, 

1894.  —  Coulessious,  prose.  Paris,  Librairie  du  <.<  Fin  de  Siècle  »,  1S95, 
in-18  (Réimpr.  :  Confeisions,  nouvelle  édition,  illust.  de  F. -A.  Gazais.  Paris, 
Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1897,  in-18).  —  Chair,  poésies,  fron- 
tispice de  Félicien  Rops.  Paris,  Bibliothèque  littéraire,  1896,  in-18.  — Invec- 
tives, poésies.  Paris,  Vanier,  1896,  in- 18.  —  Œuvres  poïithumes,  vers 
et  prose  [Varia.  Parallèlement,  Dédicaces.  Vers  de  Jeunesse.  Le  Livre 
posthwne.  Souvenirs  el  fantaisies.  Nouvelles].  Paris,  Vanier,  1903,  in-16. — 
Poésies  religieuses,  préface  de  J.-K.  Huysmans,  1904,  in-18.  —  nom- 
bres (//omnics), poèmes.  «  Imprimé  sous  le  manteau  et  ne  se  vend  nulle  païf*, 
B.  d.  (1904),  in-18  (Réimpr.  dans  la  Trilogie  erotique  de  P.  Verlaine,  pAs.^ 
in-18).  —  Voyage  en  France,  par  un  Français,  publié  d'après  le 
manuscrit  inédit.  Préface  de  Louis  Loviot.  Paris,  A.  Messeiu,  1907,  in-18.  — 
La  Trilogie  Erotique  de  Paul  Verlaine  [Amies.  Femmes.  Homhrcs). 
Ed.  illustrée  de  15  eaux-fortes  originales  par  Van  Troizcm  et  augmenté  il'un 
avant-propos  par  un  Bibliophile  Verlaiuicn.A  Paris  et  à  Londres,   1907,iii-8. 

D'autre  part  on  trouve  quelques  pages  qui  n'ont  point  encore  été  réi:iiics 
en  volume  ;  Chez  soi  à  l'iiôpital  (Revue  Blanche,  15  février  1895)  ;  i'.io- 
quis  de  Belgique  (Revue  Encyclopédique,  le  mai  1895);  Lettres.  Une 
Saison  à  Alx-les-Bains,  août-8eptemt)re  1889  (Revue  Blanche,  l'i  no- 
vembre et  l*''  décembre  1896);  Vive  le  Roy!  fragment  inédit  et  complet 
d'un  drame  inachevé  (La  Plume,  1"  avril  1797);  A  Mademoiselle  ni>. 
Sonnet  inédit,  autographié  (Ia  Petite  Revue,  15  juin  1907).  Et  dans  l'ou- 
vrage de  Ph.  Zilcken  :  Paul  Verlaine,  etc.  1897,  in-18,  des  lettres  et  des 
documents  inédits. 

ŒuvBEs COMPLÈTES.  —  (Euvrcs  complètes  de  Paul  Verlaine,  Tome  I  : 

Poèmes  Saturniens.  Fêtes  galantes.  La  Bonne  Chanson.  Romances sanx  paro- 
les. Sagesse.  Jadis  et  Naguère.  Tome  II  ;  Amour.  Bonheur.  Parallèle- 
ment.  Chansons  pour  elle.  Liturgies  intimes.  Odes  en  son  lionneur.  Tome  III  •' 
Elégies.  Dans  le*  limbes.  Dédicaces.  Epigrammcs.  Invectives.  Cliair. 
Tome  IV  :  Les  Poètes  maudits.  Louise  Leclercq.  Les  Mémoires  d'un  Veuf. 
Mes  hôpitaux.  Mes  Prisons.  Tome  V  :  Confessions.  Quinze  jours  en  Hol- 
lande. Les  Hommes  d'Aujourd'hui.  Paris,  Vanier,  1899-1900,  5  vol.  iu-16. 
(Cette  édition  eai  complétée  par  le  recueil  d' Œuvres  posthumes,  publié  en 
1901,  «t  qiM  nous  avons  signalé  plus  haut). 


FAUL   TBRLAimi  SsÇ 


(EoYiiEt  iNtDiTiB.  —  Quatorzain  d«  Sonnatc  (rar  Im  Utfm),  1894 
(Mnnuscril  app.  k  M.  P.  Dauio). 

Points  MIS  KN  MUBiQui.  —  Claud*  Debugsy  :  Ariette»  oubliées.  Pans, 
Froment,  1903,in-fol  ;  Fétci  galantes.  Paris,  Durand,  s.  d.,  in-fol.,—  Gabriel 
Fauré  :  Cinq  mélodies  sur  ilos  poésies  de  Paul  Verlaine  (La  /lonne  Chanson), 
Paris,  Hamelle,  s.  d.,  in-fol.  —  D'autre»  poésies  de  Paul  Verlaine  ont  été  mises 
en  musique  par  HM.  Charles  Gordcs,  Gustave  Charpentier,  Ernest  Chausson. 
Gabriel  Fabre,  Geor^'es  Fié,  ReynaUlo  ilahn,  Sylvain  Laizari,  Maurice  Ravel, 
G.  Sandre,  D.  de  Sévérac,  15.  StrohI,  etc.,  etc. 

Tradoctiom  :  John  Gray  :  Silverpoints.  Londres,  1891.  —  Gertrude 
Hall  :  Poem»  of  Verlaine.  New-York,  1895.  —  Arthur  Symons  : 
Silhouettes.  Londres,  1896;  et  des  poèmes  divers  traduits,  en  anglais,  par 
H.  George  Moore,  et  en  allemand,  par  MM.  Richard  Dehmel,  C.  Flaischlen, 
St.  George,  Otto  Reuter,  R.  Schaukal,  P.  Wiegler,  etc.,  etc. 

A  coNBULTEH.  —  lleui'i  d'AIiiiéras  :  Avant  la  Gloire.  Leurs  débuts.  Pans. 
Soc.  française  d'impriinerio  et  de  librairie,  I,  1902,  in-18.  —  Anonyme: 
Paul  Verlaine  et  ses  contemporains  par  un  Témoin  impartial,  avec  un  por- 
trait par  A.  Bonnet.  Paris,  Bibliothèque  de  l'Association,  1897,  in-8.  — 
Ilermann  Bahr  :  Skizzen  und  Essais.  Berlin,  Fischer,  1897,  in-8.  — 
P.  Berrichon  :  La  Vie  de  Jean-Arthur  Rimbaud.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
de  France,  1897,  in-18.  —  Léon  Bloy  :  Un  brelan  d'excommuniés.  Paris, 
Savine,  1889,  in-18.  —  G.  Brandès  :  Samlede  Skrifter.  Kobeahagen,  1901, 
VII,  pp.  147-173.  —  Ad.  BrISBon:  La  Comédie  littéraire.  Pans,  Colin,  1895, 
in-18.  —  W.  G.  C.  Byvanek  :  Un  Hollandais  d  Paris  en  t89f.  Paris, 
Perrin,  1892,  in-18.  —  F. -A.  Gazais  :  Paul  Verlaine,  ses  portraits,  préface 
de  J.-K.  Huysmans,  texte  de  Félicien  Rops,  Ernest  Delahaye  et  H.  Cornuty 
Paris,  Bibliothèque  de  l'Association,  1896,  in-8.  —  J.  Coucke  :  Pnui  Ver- 
laine. Bruxelles,  Lamcrtin,  1896,  in-8.  —  Ernest  Delahaye  :  Arthur  Jiim- 
baud.  Paris  et  Reiras,  Revue  de  Paris  et  de  Champagne,  1906,  in-18.  —  G. 
Descharaps  :  .^a  Vie  et  les  Livres,  3*  série.  Paris,  A.  Colin,  1896,  in-18.  — 
Ch.  Uonos  :  Paul  Verlaine  intime  (ouvrage  intéressant,  mais  douteux). 
Paris,  Vanier,  1898,  in-16.  —  M.  Dullaert  :  Ter/aine.  Gand,  Impr.  A. 
Sitfer,  1896,  in-8.  —  René  Uoumlc  :  Hommes  et  Idées.  Paris,  Perrin, 
1903,  in-18.  —  Anatole  France  :  La  Vie  littéraire,  Z*  série.  Paris,  Caî- 
mann-Lévy,  1891,  in-18.  —  Kemy  de  Gourniont  :  Le  Livre  des  Masque*. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18;  t^omenadcs  littéraires,  \. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1904',  in-18. —  FernandGregh:  La 
Fenêtre  ouverte.  Paris,  Fasquelle,  1901,  in-18.  —  J.  Huret  :  Enquête  sur 
l'Evolution  littéraire.  Paris,  Charpentier,  1891,  in-18.  —  Gustave  Kahn  : 
Symbolistes  et  Décadents.  Paris,  Vanier,  1902,  in-18.  —  Bernard  La- 
zare ;  Figures  contemporaines,  Paris.  Perrin,  18^5,  iu-18.  —  J.  Lemat- 
tre  :  Nos  contemporains,  4*  série.  Paris,  Lecène  et  Oudin,  1889,  in-18. 
—  Edmond  Lepelletler  :  Paul  Verlaine.  Sa  Vie.  .%n  Œuvre,  avec  un 
portrait  reproduit  eu  héliogravure  et  un  autographe.  Paris,  Soc.  du  Mercure 
^de  France,  1907,  in-8  et  iu-18.  —  Stéphane  Mallarmé  :  Divagations. 
Paris,  Fasquelle,  1897,  in-18.  —  C.  Mendès  :  La  Légende  du  Parnasse 
eon^emporain.  Bruxelles,  A.  Brancard,  1884.  in-18.  —Ad.  Mithouard: 
Paul  Verlaine  ou  le  Scrupule  de  la  Beauté.  Pans,  Spectateur  catholi(|uo, 
1807,  ia-8.   —  Emile  Monot  :  Paul    Verlaint,  confireuce  f«ite  k  l'Union 


l8o  roArss  d'aujourd'hui 


artistique  Lédlonienne .  Typographie  de  Lon8-le-S»ulni«r,  mai  1898,  in-8.  — 
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R.  de  Montesqniou  :  Autels  privilégiée.  Paris,  Fasquclle,  1899,  in-18.  — 
Ch.  Morice  :  Paul  Verlaine,  l'homme  et  l'œuvre.  Paris,  Vanier,  1888, 
iu-18.  —  L.  G.  Mosirailles  :  Têtes  de  pipe».  Paris,  Vanier,  1885,  in-8.  — 
•f.  Pacheu  :  De  Dante  à  Verlaine,  Etudes  d'idéalistes  et  mystiques.  Paris, 
Pion,  18»7,  in-18.—  O.  Pelllssler  :  Etudes  de  littérature  contemporaine. 
Paris,  Perrin,  1898,  in-18.  —  Vittorlo  PIca  :  Paul  Verlaine,  broeh.  illust. 
Bergame,  1896,  «  extrait  de  l'Emporium  t>,  in-8;  Littérature  d'eccezione. 
Milano,  Baldini  et  Castoldi,  189»,  in-8.  —  F.  Régamey  :  Verlaine  dessina- 
<««r.  Paris,  Floury,  1896, in-18.  — Adolphe  Retté  :  Le  Symbolisme.  Anec- 
dotes et  souvenirs  Paris,  Messein,  1903,  in-18.  —  L.  de  Roberto  :  Poeti  fr. 
eontempor.  Milan,  Gogliali,  1901,  in-8.  ~  O.  Rodenbaoh  :  L'Elite.  Paris, 
Paaquelle,  1899,  iu-18.  —  Arthur  âymODB  :  The  Symbolist  movement  in 
Literature.  London,  W.  Heinemann,  189»,  in-8.  —  Saint-Pol-Konx  : 
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A.  Tan  Hamel  :  Franshe  Symbolisten.  Amsterdam,  Gids,  l»Ot,  in-8.  — 
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sions. Paris,  Librairie  du  «  Fin  de  Siècle  »,  1895,  et  Bibliothèque  artistique  et 
Kttéraire,  1897,  in-18.  —  E.  Vigié-Lecocq  ;  La  Poésie  contemporaine, 
iU4-lt96.  f>aris,  Soc.  du  Mercure  France,  1897,  in-18.  —  S.  Waotzoldt 
Paul  Verlaine  ein  Diehter  der  Décadence.  Berlin,  Weidmann,  1892,  in-8.  — 
P.  Wiegler  :  Baudelaire  et  Verlaine.  Berlin,  Behr,  1900,  iu-8.  —  Ph. 
Zllcken  :  Paul  Verlaine.  Correspondmnet  et  documents  inédits.  Paris, 
Floury,  1897,  Iq-18.  —  Emile  Zola  :  DoetmenU  littéraires.  Paris,  Char- 
pentier, 1881,  in-18. 

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—  O.  Bonnamour:  Paul  Verlaine,  La  Plume,  1"  juin  1889. —  P.  Bru- 
Betière  :  Etude.  Revue  des  Deux-Mondes,  1"  novembre  1888.  —  H.  Cas- 
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dres), février  1897.  —  Clodainir:  Verlaine  en  Allemagne.  La  Plume 
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et  Paul  Verlaine.  La  Lyre  universelle,  décembre  1896.  —  Ed.  GoBse  : 
A  Firtt  Sight  of  Verlaine.  The  Savoy  (Londres),  n»  J,  avril  1S96.  —  Gustave 
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_  C  P.  Keary  ;  EtuSk,  The  New  Review  (Londres),  juillet  1897.  — 
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Ineyclopédique,  1"  janvier  1895;  La  mémoire  de  Paul  Verlaine,  Revue 
Incyclopédique.  S5  janvier  1896.  —  Ch.  Morlce  :  On  portrait  de  Paul 
Verlaine.  Art  Moderne  (Bruxelles),  «  décembre  1896.  — P.  Paulhan  :  Etude, 
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Fashion  in  France  (illustré).  Tlie  Comospolilan,  New-York,  juillet  1892.  — 
Abbé  Poasard  :  Verlaine  poète  chrétien.  La  Quinzaine,  16  décembre  1904, 
■-  Adolphe  Hetté  :  Paul   Vtrlaint.  La  Plume,  1"  février  1896.  —  X.  de 


PAUL    VKRUâUn  33 1 


Ricard  :  Lu  /WaiM  de' Paul  Verlnine.  DroiU  de  llioawM,  M  Juillet  IgOS; 

Petit»  mi'moirei  d'un  Parnaatien.  Petit  Temps,  13  novembre,  S  et  6  décembre 
189*.  —  K.  von  Sallwûrk  :  l'eWaine  uml  UuuJtlaire  in  DeulscUatid. 
All^'omeine  Zouil.nij,',  '.y02.  p.  241.  -  G.  «Uegler  :  Puul  Verlaine.  Per- 
iiiert  motnenU.  Echo  do  Pnri»,  10  jaurier  1896  "—  Arthur  SyinoDH  :  Paul 
yerlaine.  National  Heview  (Ixndrcit),  juin  1892,  traduit  en  partie  dans  le 
.Mercure  de  France,  juillet  1892;  Les  «  Invective»  »  dt  Paul  i  erlaine.  The 
SaTOy  (I.on(lrc»),n'  7,  novonihrf!  1896;  Etude.  TbeSaturday  Review  (Londres), 
Kvrier  1897.  —  L.  i  allliade  :  Petits  mémoires  de  la  vie  littéraire.  Paul 
l'i'Woine.l,a  Plume,  tSnovembrp  t8<>*:  Pau  Verlaim^.  Revue  Roago,  iOvtiw 
1896;  Souvenir»  inédita  sur  Paul  Verlaine,  La  F'etilo  Revue,  15  juin  1807. 
—  Emile  Verha«r«n  ;  Paul  yerlaine.  Revue  Blanche,  15  »TTil  1807.  — 
Paul  Verlaine  :  P»luI  Ver/aine,  Ixjs  Hommes  d'aujourd'hui,  n' 244.  Paris, 
Vanier  â.  d.,en  («mille;  Chez  toi  à  l'Iir^pilal.  Revue  blanche,lS  février  1895; 
Croquis  de  lieJijiii:  "     >olo|.iô'lii|ue,l"  mai  1895  ;  Z.e</r«#  (6'ne  »aj«on 

d  Aix-les-liains,  i'  1^S9;.  Kevue  Blanche, 15  novembre  et  ("dé- 

cembre  1806.  —  t.;,_  .  i  .lire  :  Paul  Verlaine.  Revue  Hebdomadaire, 
21  avril  189*  —  F.  Vlt'lô  tirllfti»  :  Notes  inédiles  sur  Paul  Verlaine.  Re- 
vue Vcriainieanc,  u"  1,  novembre  1901.—  Waclaw  Lieder  :  Erinne>-unff 
an  Paul  Verlaine  Blàtlor  fur  die  Kunsl  (Berlin),  1893,  3"  série,  J«  vol  — 
MïignuB  von  Wedderkop:  fou/  Verlaine  unddieLyrik  der  Décadence. 
rjerlln.  Pan,  1896.  I"  anuée,  1"  livraison.  —  W.-B.  Yeata  :  Verlaine  in 
ti9i.  The  Savoy  (Londres),  n»  2,  avril  1898. 

I,a  Franc©  scolaire,  n»  27  (Auecdoles  et  document»  sur  P.  Verlaine  à 
propos  de  sa  vie  à  Londres).  Paria,  Bibliothèque  de  l'Association, 

Demain,  Journal  Hebdomadaire,  19  janvier  1896,  n*  spécial  sur  P.  Ver- 
laine. 

Revue  RncyotopAdlque,  25  janvier  1896,  n»  spécial  sur  P.  Verlaine. 

La  Plan*,  l"  février  1896,  u»  spi^cial  lur  p.  Verlaine. 

L'Iirinltau*».  février  1896,  n«  spécial  sur  P.  Verlaine. 

Ju0ead  (liunich),  février  1894,  n>  spécial  sur  F.  Verlaine. 

Iconographie  -. 

(R«BOnç;inl  à  signaler,  tant  ils  sont  nombreni,  tous  lu  périrait*  de  PaU| 

Verlaiue,  nous  indiquerons  Mulenient  les  ptua  notoires.  On  pourra  fie  i-p|>orter, 
pour  des  renseignement»  compléincnlaires,  à  l'Elude  Iconographique,  parue 
dans  La  Plunie  (n»«  du  l"  »U  M  février  1«M)  tous  la  si^nialure  de  k.  Léon 
Maillard. 

Aman-Jean  :  Portrait,  peinture,  exposé  à  U  Société  Nationale  de* 
Beaux-Art»,  1892.  —  Auqiietin  :  Déetin,  fr«ott*piee  de  la  l'«  édition  de  A/et 
Confusion»,  1895.  —  Cliaiitalk  :  Portrait,  peinturt  |M\iséé  du  Luxem- 
bourg,). —  l^ugéne  Currior»  :  Portrait,  peinture,  exposé  à  la  Société 
Nationale  des  Beaux-Arts,  ImKI  (app.  à  M.  Jean  Dolent),  gravé  à  l'eau-forte 
par  l'ajot  et  reproduit  en  b(^lio(,'ravuro  en  tAte  dp  Chaire  de  Poésie».  Pahi, 
Vasquelle,  1891.  —  P.-A.  CayaU  :  Paul  Verlaine,  te»  portrait»  iPréfacede 
i-K.  Huy!>mans,  telle  du  Félicien  Rop»,  Ernest  Delahaye  et  H.  Comuty],  Pari*, 
Bibliothèque  de  l'Association,  1896,  in-8.  —  F  A-.  Casais:  Verlaine  4 
Urotusais,  crayon,  1888  (app.  au  b'  Chauffard)-  Verlaine  à  Brouetai»,  youm- 
the,  1889  («pp.  k  l'auleùr)  ;  K«Wain«  indme,  crayon,  1889,  eii>osé  à  la  dMiété 


3Ss  poiTKti  d'aujourd'hui 


Nationale  de»  Beanx- Arts,  1899;  Verlaine  d  Brou»*ai$,  crayon,  1890  (app.  au 
D'  Bouland);  Verlaine  au  lit  écrivant,  fusain,  1894  (Musée  de  Nancy)  ;  Ver- 
laine au  café  Procope,  dessin  aquarelle,  1894,  exposé  à  la  Société  Nationale 
des  Beaux-Arts,  1899;  /"or^raii,  1894  (appartenait  au  roi  Mlsin}  -.Lithographie. 
Estampage  d'Alexandre  Charpentier  (pour  la  représentation  aux  Soirées  Pro- 
cope de  Madame  Aubin,  25  octobre  1894)  ;  Croquis  divers,  1894-1895  (app.  à 
l'auteur)  ;  Verlaine  sur  son  lit  de  mort,  suite  de  Croquis,  1896  (app.  à  l'auteur)  ; 
Affiche  pour  la  7'  Exposition  des  Cent,  sept.  1894.  —  E.  Cohl  :  Dessin- 
charge,  «  Les  Hommes  d'aujourd'hui  »,  n»  244.  Paris,  Vanior.  —  Marcellin 
Desboutln  :  Eau-forte,  1896.  —  Fantln- Latour  :  Coin  de  table,  pein- 
ture (groupe  d'artistes  p^rmi  lesquels  Mérat,  Carjat,  Rimbaud,  etc.).  app.  à 
M.  E.  Bléraont.  —  A.  de  la  Gandara  :  Verlaine  assis,  dessin  exposé  à  U 
Société  Nationale  des  Beaux-Arts,  1896  (app.  à  M.  de  Montesquiou-Feiensac). 

—  L.  Lœwy  :  Verlaine  sur  son  lit  de  mort,  portrait  d  l'encre.  9  janvier 
1896.  —  Péaron  :  Caricature  ancienne,  lithographie  «  représentant  Ver- 
laine en  1685,  au  moment  de  l'apparition  des  Poèmes  saturniens  ;  il  Irayerse 
un  cirque  apocalytique,  monté  sur  un  Pégase  squelette  »  (collection  Pochet). 

—  W.  Rothenstein  :  Portrait  de  Verlaine  dans  son  lit,  rpproduction 
^çravée,  publiée  dans  Pall  Mail  Budget,  23  norembre  1893.  —  J.  Valadon  : 
Portrait,  peinture,  1884  (app.  à  M.  F.-A.  Gazais).  —  Jan  Veth  :  Portrait 
de  profil,  dessin,  3  novembre  1892. 

De  nombreux  bustes  ont  été  faits  de  Paul  Verlaine.  Signalons  ceux  qu'exécuta 
M.  de  Nlederhausern-Rodo  (un  buste  en  marbre  exposé  au  salon  de  la 
Rose-Croix,  1893,  et  diTera  moulages),  l'auteur  du  monument  qui  sera  quelque 
jour,  et  grâce  à  l'initiatiT»  des  «mis  du  poète,  érigé  dans  un  square  de  Paris. 

MON  RÊVE   FAMILIER 

Je  tais  souvent  ce  rêve  étrange  et  pénétrant 
D'une  femme  inconnue,  et  que  j'aime,  et  qui  m'aime, 
Et  qui  n'est,  chaque  fois,  ni  tout  à  fait  la  même 
Ni  tout  à  fait  une  autre,  et  m'aime  et  me  comprend. 

Car  elle  me  comprend,  et  mon  cœur,  transparent 
Pour  elle  seule,  hélas  !  cesse  d'être  un  problème, 
Pour  elle  seule,  et  les  moiteurs  de  mon  front  blême. 
Elle  seule  les  sait  rafraîchir,  en  pleurant. 

Est-elle  brune,  blonde  ou  rousse  ?  —  Je  l'ignore. 
Son  nom  ?  Je  me  souviens  qu'il  est  doux  et  sonore 
Comme  ceux  des  aimés  que  la  Vie  exila. 

Son  regard  est  pareil  au  regard  des  statues. 

Et  pour  sa  voix,  lointaine,  et  calme,  et  grave,  elle  a 

L'inflexion  des  voix  chères  qui  se  sont  tues. 

^Poèmes  Saturniens.  Meiscia.) 


PAUL   VSnLAlNS  333 


CHANSON  D'AUTOMNE 

Les  sanglots  longs 

Des  violons 

De  l'automne 
Blessent  mon  cœur 
D'une  langueur 

Monotone. 

Tout  suffoquant 
Et  blême,  quand 
Sonne  l'heure, 
Je  me  souviens 
Des  jours  anciens 
Kt  je  pleure. 

Et  je  m'en  vais 
Au  vent  mauvais 
Qui  m'emporte 

Deçà,  delà. 

Pareil  à  la 
Feuille  morte. 

{Poèmes  Saturnienu  Meiseia.) 


CLAIR  DE    LUNE 


Votre  âme  est  un  paysage  choisi 
Que  vont  charmant  masques  et  bergamasques 
Jouant  du  luth  et  dansant  et  quasi 
Tristes  sous  leurs  déguisements  fantasques. 

Tout  enchantant  sur  le  mode  mineur 
L'amour  vainqueur  et  la  vie  opportune. 
Us  n'ont  pas  l'air  de  croire  à  leur  bonheur 
Et  leur  chanson  se  mêle  au  clair  de  lune. 

Au  calme  clair  de  lune  triste  et  beau. 
Qui  fait  rêver  les  oiseaux  dans  les  arbres 


it. 


SS4  roiTBS  D'AUjrouHo'wn 


Et  sanjçloter  d'extase  les  jets  d'eau. 

Les  grands  jets  d'eau  sveltes  parmi  les  marbres. 

{Fétei  calantes.  Mess«io.) 

LES  INGENUS 

Les  hauts  talons  luttaient  avec  lès  lonfj^es  jupes. 
En  sorte  que,  selon  le  terrain  et  le  vent. 
Parfois  luisaient  des  bas  de  jambe,  trop  souvent 
Interceptés  I  -^  et  nous  aimions  ce  jeu  de  dupes. 

Parfois  aussi  le  dard  d'un  insecte  jaloux 
Inquiétait  le  col  des  belles  sous  les  branches. 
Et  c'étaient  des  éclairs  soudains  de  nuques  blanches 
El  ce  régal  comblait  nos  jeunes  yeux  de  fous. 

Le  soir  tombait,  un  soir  équivoque  d'automne  : 
Les  belles,  se  pendant  rêveuses  à  nos  bras, 
Dirent  alors  des  mots  si  spécieux,  tout  bas, 
Que  notre  Ame  depuis  ee  tempe  tremble  et  s'étonne. 

(Fêtes  galante».  Messein.) 


IL  PLEURB  DANS  MON  CŒUR... 

//  pleut  doucement  sur  la  ville. 

AHTHaH   RIMBAUD. 

0  pleure  dans  mou  cœur 
Comme  il  pleut  sur  la  ville. 
Quelle  est  cette  langueur 
Qui  pénètre  moo  cobwtl 

O  brait  doox  et  la  plui* 
Par  terre  et  tar  le»  toitsi 
Pour  un  eoBtir  qui  s'ennuie» 
O  le  chant  de  la  pluie  ! 

Il  pleure  sane  raison 

Dans  œ  cœur  qui  s'écœuva* 
Quoi  !  nulle  trahison  ? 
Ce  deuil  est  sans  raison. 


1.    VcnLAINB 


335 


C'est  bien  la  pire  peiue 
De  ne  savoir  pourquoi} 
Sans  amour  et  sans  haine. 
Mon  ccBur  a  tant  de  pein«  t 

{Romanc4M  Mans  paroi*».  Measein.) 

GHEEN 

Voici  des  fruits,  des  fleurs,  des  feuilles  et  des  branches. 
Et  puis  voici  mon  coeur,  qui  ne  ne  bat  que  pour  vous. 
Ne  le  déchirez  pas  avec  vos  deux  mains  blanches 
Et  qu'à  vos  yeux  si  beaux  l'humble  présent  Bbît  doux. 

J'arrive  tout  couvert  encore  de  rosée 
Que  le  vent  du  matin  vient  jiçlacer  à  mon  front. 
SouSrei  que  ma  fatigue,  à  vos  pieds  reposée. 
Rêve  des  chers  instants  qui  la  délasseront. 

Sur  votre  jettoe  sein  laisaei  rouler  ma  tête 
Toute  sonore  eoeor  de  vos  derniers  baisers  ; 
Laissez-la  s'apaiser  de  la  bonne  tempête, 
Bt  que  je  dorme  un  peu  puisque  vous  reposes. 

(RonuLmce*  $amt  paroln.  Utmtim.) 

STRKKT'8 
Dansons  la  gigue  I 

J'aimais  surtout  ses  jolis  yeux, 
Plus  clairs  que  l'étoile  des  cietix, 
J'aimais  ses  yeux  malicieux. 

Dansons  la  gigue  t 

Elle  avait  des  façons  vraiment 
De  désoler  un  pauvre  aniaot. 
Que  c'en  était  vraiment  charmant  ! 

Dansons  la  gigue  I 

Mais  je  trouve  encore  meilleur 
Le  baiser  de  sa  bouche  en  fleur, 
Depuis  qu'elle  est  morte  à  mon  coeur. 


336  poÂTEs  d'aujourd'hui 

Dansons  la  gigue  1 

Je  me  souviens,  je  me  souviens 

Des  heures  et  des  entretiens, 
Et  c'est  le  meilleur  de  mes  biens. 

Dansons  la  gigue  1 

{Romances  tansparo/««.  Mesieia.) 

ÉCOUTEZ  LA  CHANSON  BIEN  DOUCE... 

Ecoutez  la  chanson  bien  douce 
Qui  ne  pleure  que  pour  vous  plairCj 
Elle  est  discrète,  elle  est  légère  : 
Un  frisson  d'eau  sur  de  la  mousse  I 

La  voix  fut  connue  (et  chère  f) 
Mais  à  présent  elle  est  voilée 
Comme  une  veuve  désolée, 
Pourtant  comme  elle  encore  fière, 

Et  dans  les  longs  plis  de  son  voile 
Qui   palpite  aux  brises  d'automne 
Cache  et  montre  au  cœur  qui  s'étonne 
La  vérité  comme  une  étoile. 

Elle  dit,  la  voix  reconnue, 
Que  la  bonté  c'est  notre  vie, 
Que  de  la  haine  et  de  l'envie 
Rien  ne  reste,  la  mort  venue. 

Elle  parle  aussi  de  la  gloire 
D'être  simple  sans  plus  attendre, 
Et  de  noces  d'or  et  du  tendre 
Bonheur  d'une  paix  sans  victoire. 

Accueillez  la  voix  qui  persiste 
Dans  son  naïf  épithalame . 
Allez,  rien  n'est  meilleur  h  l'âme 
Que  de  faire  une  lime  moins  triste  . 


rAtn.  TCRLAINB  'S? 


Elle  est  «  en  peine  t>  et  «  de  passage  », 
La  voix  qui  souftVe  sans  colère, 
Et  comme  sa  morale  est  claire  I... 
Ecoutez  la  chanson  bien  sage. 


{Saffeate.  Metieia.) 


MON  DIEU  M'A  DIT... 

I 

Mon  Dieu  m'a  dit  :  a  Mon  fils,  il  faut  m'aimer.  Tu  vot» 
Mon  flanc  percé,  mon  cœur  qui  rayonne  et  qui  saijçne, 
Et  mes  pieds  ofi'ensés  que  Madeleine  baigne 
De  larmes,  et  mes  bras  douloureux  sous  le  poids 

De  tes  péchés,  et  mes  mains  !  Et  tu  vois  la  croix. 
Tu  vois  les  clous,  le  fiel,  l'éponge,  et  tout  t'enseigne 
A  n'aimer,  en  ce  monde  amer  où  la  chair  règne. 
Que  ma  Chair  et  mon  Sang,  ma  parole  et  ma  voix. 

Ne  t'ai-je  pas  aimé  jusqu'à  la  mort  moi-même, 
O  mon  frère   en  mon  Père,  ô  mon  fils  en  l'Esprit, 
Et  n'ai-je  pas  souffert,  comme  c'était  écrit  ? 

N'ai-je  pas  sangloté  ton  angoisse  suprême 
Et  n'ai-je  pas  sué  la  sueur  de  tes  nuits. 
Lamentable  ami  qui  me  cherches  où  je  suia  T  » 

II 

J'ai  répondu  :  «  Seigneur,  vous  avex  dit  mon  âme. 
C'est  vrai  que  je  vous  cherche  et  ne  vous  trouve  pas. 
Mais  vous  aimer  !  Voyez  comme  je  suis  en  bas, 
Vous  dont  l'amour  toujours  monte  comme  la   flamme. 

Vous,  la  source  de  paix  que  toute  soif  réclame, 
Hélas  I  Voyez  un  peu  tous  mes  tristes  combats  ! 
Oserai-je  adorer  la  fracn  de  vos  pas. 
Sur  ces  genoux  saignants'd'un  ramx>emeQt  inf&ma  î 


MX  '  foitM  d'aujoukb'mui 

Et  pourtant  je  tous  cherche  en  longs  tâtonnements, 
Je  voudrus  que  votive  ombre  au  moins  vêtit  ma  honte. 
Mais  vous  n'avez  pas  d'ombre,  d  vous  dont  l'amour 


O  vous,  fontaine  calme,  amère  aux  seuls  amants 

De  leur  damnation,  ô  vous  toute  lumière 

Sauf  aux  yeux  dont  un  lourd  baiser  tient  la  paupièrel  » 

UI 

—  Il  faut  m'aimer!  je  sois  l'universel  Baiser, 
Je  suis  cette  paupière  et  je  suis  cette  lèvre 
Dont  tu  parles,  ô  cher  malade,  et  cette  âèvre 
Qui  t'agite,  c'est  moi  toujours  !  Il  faut  oser 

M'aimer  1  Oui,  mon  amour  monte  sans  biaiser 
Jusqu'où  ne  ^mpe  pas  ton  pauvre  amour  de  chèvre, 
Et  t'emportera,  comme  un  aigle  vole-  un  lièvre, 
Vers  des  serpolets  qu'un  ciel  cher  vient  arroser  1 

O  ma  nuit  claire  !  ô  tes  yeux  dans  mon  clair  de  luae  I 
O  ce  lit  de  lumière  et  d'eau  parmi  la  brune  ! 
Toute  cette  innocence  et  tout  ce  reposoir  I 

Aime-moi  I  Ces  deux  mots  sont  mes  verbes  suprêmes. 
Car  étant  ton  Dieu  tout-puissant,  je  peux  vouloir. 
Mais  je  ne  veux  d'abord  que  pouvoir  que  tu  m'aimes. 

IV 

—  Seigneur,  c'est  trop  !  Vraiment  je  n'ose.  Aimer  qui?  Vous  T 
Oh  1  non  1  Je  tremble  et  n'ose.  Oh  I  tous  aimer  je  n'osa» 

Je  ne  veux  pasi  Je  suis  indigne.  Vous,  la  Rose 
Immense  des  purs  vents  de  l'Amour,  6  Vous,  tous 

Les  cœurs  des  saints,  ô  vous  qui  fûtes  le  Jaloux 

D'Israël,  Vous,  la  chaste  abeille  qui  se  pose 

Sur  la  seule  fleur  d'une  innocence  mi-close. 

Quoi,  moi,  moi,  pouvoir  Vous  aimer.  Etes-vous  fous  (I), 

(l)  Saint  Au^ustia. 


rAOL  TBRUUKB  IS9 

Père,  Fils,  Esprit  ?  Moi,  oc  pécbeur-ci,  ce  lâche, 

Cç  superl)e,  qui  fait  le  mal  comme  sa  tâche, 

Et  n'a  dans  tous  sett  sens,  oJorat,  toucher,  goût. 

Vue,  ouïe,  et  dans  tout  son  être  —  hélas  !  dans  tout 
Son  espoir  et  dans  tout  son  remords  que  Textase 
D'une  caresse  où  le  seul  vieil  Adam  s*embrase  t 


—  Il  faut  m'aimer.  Je  suis  ces  Fous  que  tu  nommais, 
Je  suis  l'Adam  nouveau  qui  mange  le  vieil  homme. 
Ta  Rome,  tou  Paris,  ta  Sparte  et  ta  Sodome, 
Comme  uik  pauvre  rué  parmi  d'horribles  meta. 

Mon  amour  est  le  feu  qui  dévore  à  jamais 
Toute  chair  insensée,  et  l'évaporé  comme 
Un  parfum,  —  et  c'est  le  déluge  qui  consomme 
En  son  flol  tout  mauvais  germe  que  je  seooais, 

Afin  qu'un  jour  la  Croix  où  je  meurs  fAt  dressée 

Et  que  par  un  miracle  effrayant  de  booté 

Je  t'eusse  un  jour  à  moi,  frémissant  et  dompté. 

Aime.  Sors  de  ta  nuit.  Aime.  C'est  ma  pensée 

De  toute  éteruité,  pauvre  âme  délaissée. 

Que  tu  dusses  m'aimer,  moi  seul  qui  suis  rwté  I 


VI 

—  Seigneur,  j'ai  peur.  Mon  âme  en  moi  tressaille  toute. 
Je  vois,  je  sens  qu'il  faut  vous  aimer.  Mais  comment 
Moi,  ceci,  me  terais-je,  ô  mon  Dieu,  votre  amant, 
O  justice  que  la  vertu  des  bons  redoute? 

Oui,  comment  ?  Car  voici  que  s'ébranle  la  roàtê 
Où  mon  cœur  creusait  son  ensevelissement 
Et  que  je  sens  fluer  à  moi  le  firmament, 
El  je  vous  dis  :  de  vous  A  Boi  quelle  Mt  la  route  T 


34o  poiTRS  d'aujourd'hui 

Tendez-raoi  votre  main,  que  je  puisse  lever 
Cette  chair  accroupie  et  cet  esprit  malade. 
Mais  recevoir  jamais  la  céleste  accolade, 

Est-ce  possible  ?  Un  jour,  pouvoir  la  retrouver 
Dans  votre  sein,  sur  votre  cœur  qui  fut  le  nôtre* 
La  place  où  reposa  la  tète  de  l'apôtre  ? 

VII 

—  Certes,  si  tu  le  veux  mériter,  mou  fils,  oui. 
Et  voici.  Laisse  aller  l'ignorance  indécise 
De  ton  cœur  vers  les  bras  ouverts  de  mon  Eglise 
Comme  la  guêpe  vole  au  lis  épanoui.     " 

Approche-toi  de  mon  oreille.  Epanches-y 
L'humiliation  d'une  brave  franchise. 
Dis-moi  tout  sans  un  mot  d'orgueil  ou  de  reprise 
Et  m'o£Frc  le  bouquet  d'un  repentir  choisi. 

Puis  franchement  et  simplement  viens  à  ma  table. 
Et  je  t'y  bénirai  d'un  repas  délectable 
Auquel  l'ange  n'aura  lui-même  qu'assisté. 

Et  tu  boiras  le  Vin  de  la  vigne  immuable 
Dont  la  force,  dont  la  douceur,  dont  la  bonté 
Feront  germer  ton  sang  à  l'immortalité. 

• 

Puis,  va  l  Garde  une  foi  modeste  en  ce  mystère 
D'amour  par  quoi  je  suis  ta  chair  et  ta  raison. 
Et  surtout  reviens  très  souvent  dans  ma  maison. 
Pour  y  participer  au  Vin  qui  désaltère. 

Au  Pain  sans  qui  la  vie  est  une  trahison. 
Pour  y  prier  mon  Père  et  supplier  ma  Mère 
Qu'il  te  soit  accordé,  dans  l'exil  de  la  terre. 
D'être  l'agneau  sans  cris  qui  donne  sa  toisoD, 

D'être  l'enfant  vêtu  de  lin  et  d'innocence. 


PAUL   ▼SRLAINS  34 < 


D'oublier  ton  pauvre  amour-propre  et  ton  essence, 
I']nfin,  de  devenir  un  peu  semblable  à  moi 

Qui  fus,  durant  les  jours  d'Hérode  et  de  Pilate, 

Et  de  Judas  et  de  Pierre,  pareil  à  toi 

Pour  souffrir  et  mourir  d'une  mort  scélérate  I 


Et  poar  récompenser  ton  zèle  en  ces  devoirs 

Si  doux  qu'ils  sont  encor  d'ineffables  délices, 

Je  te  ferai  goûter  sur  terre  mes  prémices, 

La  paix  du  cœur,  l'amour  d'être  pauvre,  et  mes  soirs 

Mystiques,  q  land  l'esprit  s'ouvre  aux  calmes  espoirs 
Et  croit  boire,  suivant  ma  promesse,  au  Calice 
Eternel,  et  qu'au  ciel  pieux  la  lune  glisse. 
Et  que  sonnent  les  angélus  roses  et  noirs, 

En  attendant  l'assomption  dans  ma  lumière. 
L'éveil  sans  fin  dans  ma  charité  coutumière, 
La  musique  de  mes  louanges  à  jamais, 

Et  l'extase  perpétuelle  et  la  science. 

Et  d'être  en  moi  parmi  l'aimable  irradiance 

De  tes  souffrances,  enfin  miennes,  que  j'aimais! 

VIII 

—  Ah  I   Seigneur,  qu'ai-jc  ?  Hélas  I    me  voici  tout  en   larmes 

D'une  joie  extraordinaire  :  votre  voix 

Me  fait  comme  du  bien  et  du  mal  à  la  fois. 

Et  le  mal  et  le  bien,  tout  a  les  mêmes  charmes. 

Je  ris,  je  pleure,  et  c'est  comme  un  appel  aux  armes 
D'un  clairon  pour  des  champs  de  bataille  où  je  vois 
Des  auges  bleus  et  blancs  portés  sur  des  pavois. 
Et  ce  clairon  m'enlève  en  de  fières  alarmes. 

J'ai  l'extase  et  j'ai  la  terreur  d'être  choisi. 
Je  suis  indigne,  mais  je  sais  votre  clémence. 
Ah  1  quel  effort,  mais  quelle  ardeur  !  Et  me  voici 


34s  roirma  d'aujourd'hui 

Plein  d'une  humble  prière,  encor  qu'un  trouble  immense 
Brouille  l'espoir  que  votre  voix  me  révéla. 
Et  j'aspire  en  tremblant. 

ix 

—  Pauvre  âme,  c'esl  cela  1 

{Sagesse.  Messein.) 

LE  CIEL  EST,  PAR-DESSUS  LE  TOIT... 

Le  ciel  est,  par-dessus  le  toit, 

Si  bleu,  si  calme  I 
Un  arbre,  par-dessus  le  toit 

Berce  sa  palme. 

La  cloche,  dans  le  ciel  qu'od  Voit 

Doucement  tinte. 
Un  oiseau  sur  l'arbre  qu'on  voit 
Chante  sa  plainte. 

Mon  Dieu, mon  Dieu,  la  vie  est  là, 

Simple  et  tranquille. 
Cette  paisible  rumcur-Ià, 

Vient  de  la  ville. 

—  Qu'as-tu  fait,  ô  toi  que  voilà 

Pleurant  sans  cesse. 
Dis,  qu'as-tu  fait,  toi  que  voilà. 
De  ta  jeunesse  ? 

(Sagesse.  Messeia.) 

LB  PETIT  COIN,  LB  PETIT    NID... 

Le  petit  coin,  le  petit  nid 

Que  j'ai  trouvés, 
Les  grands  espoirs  que  j'ai  couvés. 

Dieu  les  bénit. 
Les  heures  des  fautes  pcissées 

Sont  effacées 
Au  pur  cadran  de  mes  pensées. 


PAUL    TUILAINS  34s 


L'innocence  m'entoure  et  toi, 

Simplicité. 
Mon  cœur  par  Jésus  visité 

Manque  de  quoi? 
Ma  pauvreté,  ma  solitude, 

Pain  (iur,  lit  rude, 
Quel  soin  jaloux  1  l'exquise  étude  I 

L'Ame  aimante  au  cœur  fait  exprès, 

Le  dévouement. 
Viennent  donner  un  dénouement 

Calme  et  si  frais 
A  la  détresse  de  ma  vie 

Inassouvie 
D^avoir  satisfait  toute  envie  1 

Seigneur,  ù  merci  !  N'est-ce  pat 

l>a  bonne  mort'? 
Aimez  mon  patient  efFort 

Et  nos  combats. 
Les  miens  et  moi,  le  ciel  nous  voie 

Par  l'humble  voie 
Entrer,  Sei;^'iicur,  dans  votre  joie. 

{Amour.  MesMît.  ) 


FRANCIS  VIELÉ-GRIFFIN 

1864 


M.  Francis  Vielé-Griffin  est  né  à  Norfolk  (Virginie), Etats-Unî«, le 
36  mai  1864.  Il  vint  en  France  dès  sa  jeunes  se  et  s'y  est  fixé  depuis, 
habitant  tour  à  tour  Paris  et  la  Touraine  ;  il  a  pour  cette  belle  pro- 
vince où 

La  lente  Loire  passe  altière  et  d'tle  en  fie 
Noue  et  dénoue  au  loin  son  bleu  ruban  moire 

aneaffection  particulière,  dont  il  a  souvent  témoigné  dans  ses  poèmes. 
Les  premiers  vers  de  M.  Francis  Vielé-Griffin  parurent  dans  Latèce 
en  1 885  et  furent  réunis  ensuite  en  une  plaquette  sous  le  titre  de 
Cueille  d'Avril.  D'autres  recueils  suivirent  :  Les  Cygnes,  Joies, 
Diptyque,  La  Chevauchée  d'Yeldis,  avec  lesquels  il  manifesta  une 
originalité  poétique  qui  n'a  cessé  depuis  de  s'affirmer  et  de  lui  mé' 
riter  parmi  les  nouveaux  poètes  une  place  de  plus  en  plus  grande. 
De  iSgoà  1893,  M.  Francis  Vielé-Griffin  fit  paraître  avec  Bernard 
Lazare  et  M.Paul  Adam  Les  Entretiens  politiques  et  littér aires, \int 
revue  où  beaucoup  des  écrivains  connus  aujourd'hui  publièrent 
leurs  premières  œuvres  et  où  il  exposa  pour  sa  part,  en  de  nom- 
breux articles,  ses  théories  d'une  poétique  nouvelle.  M.  Francis 
Vielé-Griffin  a  eu  ce  grand  mérite  de  conformer  son  œuvre  à  ses 
théories,  et  par  là  il  est  bien  à  notre  époque  le  poète  le  plus  signi- 
ficatif du  vers  libre.  Le  vers  libre  qu'il  emploie  n'a  rien  d'une  désar- 
ticulation plus  ou  moins  habile  de  l'alexandrin  régulier.  De  celui-ci, 
M.  Francis  Vielé-Griffin  a  tout  rejeté,  «  les  gentilles  difficultés 
vaincues,  le  bon  vieux  rythme  numérique  et  carré,  le  jeu  puéril  des 
césures,  l'or  un  peu  fané  des  rimes  masculines  et  féminines,  la 
cheville  artiste,  etc.  *,  comme  il  a  dit  quelque  part,  —  toutes  faciles 
pratiques  qui  font  que  beaucoup  de  f^cns  peuvent  faire  des  vers 
sans  être  le  moins  du  monde  poètes.  Son  vers  libre,  à  lui,  n'a  bien 
d'autre  rythme  (pie  celui  des  paroles  qui  chantent  en  son  esprit,  — 
n'est-ce  pas  la  définition  de  la  forme  poéliaue  par  excellence?  —  tt 


ruAMCis  TiiLi-onivviM  345 


c'est  peut-être  U  raison  pour  laquelle  ses  poèmes  peuvent  décon- 
certer au  premier  abord  certaines  habitudes  de  lecture,  —  la 
vieille  routine  Je  l'alexandrin,  —  et  pour  laquelle  aussi  on  ne  ptul 
les  imiter  :  ils  lui  sont  profondément  ressemblants  et  personnels. 
M,  Francis  Vielt5-Griffiii  n'a  d'ailleurs  rien  voulu  imiter  d'autriii, 
ni  suivre  le  chemin  de  personne.  On  ne  trouve  point  dans  son  œu- 
vre de  ces  «  motifs  »  cent  fois  repris,  V(?ritablBS  lieux  communs  des 
poètes.  Tel  qu'il  était,  il  a  voulu  le  rester,  et  les  choses  qu'il  a 
dites  sont  bien  à  lui.  Comme  l'a  dit  M.  Uemy  de  Gourmont  dans 
le  Livre  des  Matques,en  parlant  delà  forme  et  de  l'essence  de  sou 
art,  «  il  y  a,  par  M.  Francis  Vieié-Griffin,  quelque  chose  de  nou- 
veau dans  la  poësie  française.  » 

M.  Francis  Vielé-Griffin  est  Officier  de  la  Lépion  d'honneur.  Il 
acellaboré  aux  Écrits  pour  CAri  (1887),  à  La  Wallonie  (iSgo-iSga), 
à  Floréal,  à  La  litoue  indépendante  (1889),  au  Livre  des  Légen- 
des (iSg.')),  à  L'Écho  de  Paris  (1896-1897),  à  La  Revue  blanche,  au 
Mercure  de  France,  à  L'Ermitage,  à  Vers  et  Prose,  à  L'Occident, 
à  La  Phalange,  à  La  Grande  Revue,  etc. 

Bibliographie  : 

Les  «uvres.  —  Cueille  d'Avril,  poésiies.  Paris,  Vanter,  1886,  in-18.  — 
I.cs  Cygnes,  poésies,  1885-1886.  Paris,  Alcan-Lévy,  1887,  in-i8.  —  Ancaeut, 
]ioùnie  dramatique,  1885-1887.  Paris,  Vanier,  1888,  in-18.  —  Joies,  poèmes, 
1888-1889).  Paris,  Tresse  et  Stock,  1889,  in-16.  —  Diptyque  {Le  Porcher. 
/.' /':ttrythmie)  Pnih  [Pour\ea  Entretiens  politiques  et  littéraires],  1891, in-16. 

Les  Cyjjne»,  nouveaux  poèmes,  1890-1801.  Paris,  Vanier,  1892,  in-18.  — 
Swauhildc,  poème  dramatique,  1890-1893.  Paris,  Extrait  do  L Ermitage. 
1S93,  in-18  (100  ex.).  —  La  Chevauclién  d'Yeldis  et  autreu  poèmes, 
Paris,  Vanier,  1893,  in-18.  —  TlaiXai,  poèmes,  (1894).  Paris,  Ed.  du  Mercure 
lie  France,  1894,  in-8  carré.  —  I^us  Veneri»,  poème  de  Swinburne  (traduc- 
lion)  Paris,  Ed.  du  Mercure  de  France,  1895,  petit  in-16  /283  ex.). —  Poèmes 
et  Poésies.  1886-1893.  (Cueille  d'Avril.  Joies.  Les  Cyijne*.  Fleurs  du 
chemin  et  Chansons  de  la  route.  La  Chevauchée  d'Yeldis)  augmentés  de 
)>lusicur8  poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1895,  in-18.  —  La 
Clarté  de  Vlo,  poèmes  (ChaMons.  L'Ombre.  A  u  gré  de  l'heure.  In  Memo- 
riam.  En  Arcadie).  Paris,  Soc.  Mercure  do  France,  1897,  in-18.  —  Phocas 
le  Jardinier. précédé  do  Swanhilde.Ancaeus.  Les  Fiançailles  d'Euphrosine, 
poèmes.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  in-18.  —  La  Partenza, 
poèmes.  Paris,  Extrait  do  Z'£'rmi<a(;e  (liors  commerce),  1899,  in-U.  —  La 
Légende  ailée  de  Wieland  le  Forgeron,  poème  dramatique.  Paris, 
Soc.  du  Mercure  do  France,  1900,  gr.  in-8.  —  Sainte  Agnès,  poème.  Paris, 
[hors  commerce],  1900,  in-16  (Ri-impr.  dans  L'.lmour  sacré,  1903).  —Sainte 
Julie,  poème.  Paris  [hors  commerce],  190J,  in-16  (Réimpr.  dans  L'Amour 
tacré,  1903).  —  L'Amour  sacré,  poèmes.  Paris,  Bibliothèque  de  l'Occident, 
1903  iu-8.  —  Plus  loin,  poèmes  (La  J'arlenza.  lu  Alemoriam.  Stéphane  Mal- 
ivmé.  L'Amowr  iacri).  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1006,  a^-ie 


346  roÊTKs  d'aujouhd'hoi 


On  trouve,  en  outre,  des  poèmes  de  M.  F.  Vinlé  Griffm  dans  T.'AIraanach 
des  poèteH,  années  1896,  1897  et  1898.  (Paris,  Ed.  du  Mercure,  1S95,  1896  et 

1898,  3  Yol,  in-lô.)  ft  une  «  note  biographique  »  sur  le  poète  Verhaeren  dani 
l'ouvrage  de  M.  Albert  Mockel  :  Emilie  Verhaeren.  Paris,  Ed.  du  Mer- 
cure de  France,  1»95,  ia-18. 

PoÈiiM  uis  EN  MUSIQUE.  —  Dcs  poèoies  de  M.  Vielé-Griffin  ont  été  mi»  en 
musique  par  M.  Herscher  et  M"'  Gctty. 

A  CONSULTER.  —  André  BeaunJer  :  La  Poésie  nouvelle.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-18.  —  Remy  de  Gourmont  :  Le  Livre  des 
Masques.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1896,  in-18.  —  Georges  Le 
Cardonnel  et  Charles  Vellay  :  La  littérature  contemporaine.  190-5.  Opi- 
nion des  écrivains  de  ce  temps.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1906t 
in-18.  —Albert  Mockel  :  Propos  de  littérature.  Paris,  Libr.  de  l'Art  Indé- 
pendant, 1894,in-8.—  Henri  de  Régnier  :  F.  Vielé-Griffin,  notice  dans  Les 
Portraits  du  prochain  siècle.  Paris,  Girard,  1894,  in-18.  — Adolphe  Retté  : 
Le  Symbolisme.  Anecdotes  et  Souvenirs.  Paris,  Messein,  1903,  in-18.  — 
Christian  Rimostad  :  Fransh  Poesi  i  det  de  Nittende  Aarhundrede. 
Kobenhavn,  Schubolhcske,  1905,  in-8.  —  Robert  de  Souza  :  La  Poésie 
populaire  et   It  Lyrisme  sentimental.  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 

1899,  in-18.  —  V.  Thompson  :  French  l'ortraits  (Being  appréciations  of 
the  wrilers  of  young  France).  Boston,  Richard  G.Badger  and  G»,  19^)0,  in-8.  — 
E.  Vlglé-Lecocq  :  La  Poésie  contemporaine,  (884-1896.  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  Emll  ZUIiacus  :  Den  Nyare  franska 
Poesin  och  antiken.  Helsingfors,  1905,  Aktiobolaget  Handelstryckoriet,  in-8. 
—  Henri  Chantavolne  :  Poètes  et  poésies,  Journal  des  Débats.  îl  norem- 
bre  1895.  —  Jean  de  Gourmont  -.Littérature  contemporaine.  F.  Vielé- 
Griffin,  avec  3  illustrations.  Emporium  (Bergamc),  décembre  1903.  —  Henri 
Ghéon  :  Etude.  L'Ermitage,  septembre  189(5.—  A. -F.  Herolrt  :  Notes  sur 
la  Chevauchée  d'Yeldis  Mercure  de  France,  juillet  1893.  —  Ch.  Maurra»  : 
La  Vie  littéraire  et  Littérature.  Revue  Encyclopédique,  15  décembre  1895  et 
7  août  1897.  —  George*  Pelllssler.  Poésie,  Revue  Encyclopédi(|uct 
1"  février  1895.—  IMerre  et  Paul  :  (Paul  Verlaine)  :  Francis  Vielé-Griffin 
(Les  Hommes  d'aujourd'hui).  Paris,  Vanier,  s.  d.,en  feuille.  —  Robert  de 
Souza  :  Etude,  Gil  Blas,  6  juillet  1895.  —  A.  Van  Hamel  :  Fransche 
Symbolisten.  Gids,  1902.  —  E.  Vlglé-Lecocq  :  .t'^mour  dans  la  Poésie 
contemporaine.  Mercure  de  France,  janvier  1897.  —  Tancrède  de  Visan: 

Viélé-Griffin,  Vers  et  pro»e,  mars  1905. 

Iconographie  : 

Jfi^cqnes  Blanche  :  M.  F  Vielé-Griffin  et  sa  famille.  (Soc.  nationale 
de»  Beaux-Arts) .  —  Luque  :  Portrait-Charge  (Les  Hommes  d'aujourd'hui). 
Pans,  Vanier.  —  Salomon:  Portrait  de  Francis  Vielé-Griffin  d  f9  ans, 
peinture  d  l'huile,  i88S  (app.  à  M.  Francis  Vielé-Griffin).  —  F.  Vallotton  : 
Masques,  dans  Le  Livre  des  Masques,  de  R.  de  Gourmont.  Paris,  Soc.  du 
Morcuro  de  France  1896.  —  Théo  van  Rysaelberghe  :  Portrait,  pein- 
ture d  Chwle,  189J  (app.  à  M.  Francis  Vielé-Griffln).  —  J«Ha  YetoiT  : 
Portrait  au  crayon,  reproduit  dans  L'Ermitage,  vrtU  lft9l. 


iKLA-anrFrm  547 


[,KS  VKRTS   ET  L'INDIGO.. 


Mare  liveas 


Les  vertaet  l'indisfo  brûlant  et  l'azur  pâle 
Que  roule  dans  ce  faste  impertinent  ton  flot, 
1:11  les  étoiles  d'or  et  la  lune  d'opale 
Que  tu  balances  dans  la  nuit  comme  un  falot, 

Tu  lésas  pris  aux  ciels  merveilleux  des  aurores, 
Au;t  rêves  des  minuits,  aux  «gloires  des  couchants 
Pour  en  farder  l'éclat  de  tes  houles  sonores 
Et  tu  cherches  l'écho  des  roches  pour  leurs  chants  I 

Ne  sens-tu  pas  en  toi  l'opulence  dn  n'être 
Que  par  toi  seule  belle,  ô  Mer,  et  d'être  toi? 
N'as-tu  pas  ton  arcaneoù  nul  ceil  ue  pénètre,  . 

.  Comme  l'Espace  !  etn'a-tus  pas  aussi  l'effroi  ?... 

ir  toi,  mon  cœur,  qui  ris  de  honte  et  te  renies, 
v'M  leur  ficloire  sur  loi  pèse  d'un  vaste  poids  ; 
Si,  sous  l'immensité  des  cieux  et  des  jg^énies, 
Ta  médiocrité  semble  un  crime  parfois  ; 

Du  moins  sois  fier,  male^ré  les  heures  d'impuissance 
Exulte  d'être  toi,  puisque  tu  restes  tel  — 
Toi  qui  n'as  pas,  rythmant  quelque  réminiscence. 
Cherché  le  plagiat  qui  m'eût  fait  immortel  ! 

{Poènvis  et  Poésies  :  Cueille  d'Avril.) 

LES  DOUX  SOIRS  SONT  FLÉTRIS 

1'  Les  doux  soirs  sont  flétris  comme  des  fleurs  d'octobre 

—  (Ju'irions-nous  dire  au  saule,  aux  ajoncs,  aux  lag^unes  ? 
Mon  âme  à  tout  jamais  s'est  faite  çrave  et  sobre; 

—  Qu'irioûs-nous  dire  aux  dunes? 

Le  vent  se  lève  et  vient,  discret  et  sans  parole  : 

Ma  tempe  est  fraîche  de  son  baiser; 

La  Duit  —  dottoemeot,  comme  uae  mère  oooaoto  — 


948  poiTBs  d'aujourd'hui 

Se  lève  et  vient  m'étreindre  et  me  bercer. 
Qu'irions-nous  dire  au  saule  ? 

Vous  fûtes  mon  roi  pour  un  printemps  fleuri. 
Vous  fûtes  l'élu  de  vos  douces  parole  ; 
Le  savions-nous,  quand  nous  avons  ri, 
Que  tous  deux  jouaient  de  vieux  rôles? 

Le  savais-je,  moi?  vous,  le  saviez-vous? 

—  Maintenant  tout  est  gris  sur  la  lande  nocturne  — 
Avec  nos  rires  faux  et  doux  ? 

Que  nous  en  avait  dit  l'avenir  taciturne? 
Que  savions-nous  ? 

Moi,  je  rêvais,  sans  doute,  les  vieux  poèmes. 
Et  vous,  les  vieux  contes  de  bonnes  fortunes  : 
«  Vous  rri aimez?  —  Je  Cairnel  —  tu  m'aimeslv 
Quel  âge  avons-nous  donc  pour  rire  de  nous-mêmes? 
Ou'irions-nous  dire  aux  dunes  ? 
Au  saule,  aux  ajoncs,  aux  lagunes? 

—  La  lune  se  lève  en  ses  halos  blêmes  — 
Nos  cœurs  seront  morts  sans  rancunes.  » 

{Poèmes  et  Poésies  :  Joies.) 


CES  HEURES-LA 

Ces  heures-là  nous  furent  bonnes. 
Comme  des  sœurs  apitoyées  ; 
Heures  douces  et  monotones, 
Pâles  et  de  brumes  noyées. 
Avec  leurs  pâles  voiles  de  nonnes. 

Ne  valaient-ils  donc  pas  nos  rires. 
Ces  sourires  sans  amertumes 
Vers  le  lourd  passé  dont  nous  fûmes  V 
Ah  !  chère,  il  est  des  heures  pires 
Que  ces  heures  aux  voiles  de  brumes. 

Elles  passaient  en  souriant 

—  Comme  des  nonnes  vont  priant  — 


riiAMCit  YiKLl-anirriN  S4| 


De  lueurs  opalines  baignées, 
Les  douces  heures  résignées. 

Va,  nos  âmes  sont  encor  sœurs 
Des  heures  de  l'automne  grises, 
Dont  la  pénombre  dans  nos  cœurs 
Estompait  les  vieilles  méprises 
Et  nous  ne  voyions  plus  nos  pleurs. 

(Poèmes  et  Poésies  :  Joiêê.) 

LES  FEUILLES,  CETTE  MATINÉE 

Les  feuilles,  cette  matinée. 

Sont  toutes  satinées, 

La  pluie  est  tiède  ; 

Les  chant*  d'hier  reviennent  en  refrains. 

Ce  gai  matin. 

Et,  si  j'oublie,  ta  voix  me  vient  en  aide; 

Et  si  même  ta  mémoire  défaille, 

Je  reprends  l'air  qui  mène,  vaille  que  vaille, 

Les  mots  qu'il  laisse,  au  hasard,  se  poursuivre  ; 

Que  chantions-nous 

Avec  des  mots  si  doux 

Que  même  ainsi,  sans  suite,  ils  nous  enivrent  ? 

(Poèmes et  Poésies:  Joi*».) 

RONDE 

Avec  du  soleil  ou  du  clair  de  lune. 

Et  des  voix  de  femmes,  et  des  pas  de  danse. 

Mêlez  les  rêves  en  ronde  d'enfance  : 

La  brise  est  neigeuse,  l'herbe  saupoudrée 

Des  pétales  blancs  que  sèment  les  branches  ; 

Passe  la  blonde  et  passe  la  brune  1 

Elles  tournoient;  vous  n'en  aimez  qu'une; 

Embrastez  celle  que  vous  voudrez. 

Les  bouquets  levés  comme  des  torches 
Essaiment,  comme  des  ëUacelles, 


35o  PORTES  d'aujourd'hui 

Le  sang  des  roses  que  la  brise  mêle 

A  la  neige  des  lys  efl'euillés  sous  le  porche; 

Je  sais  le  balustre  où  vous  accouderez 

Ce  rire  timide  qui  voile  un  émoi  ; 

La  ronde  tourne  et  vous  faites  un  choix 

Embrassez  celle  que  vous  voudrez. 

On  sonne  du  fifre  et  tous  les  rires 

Vont  tournant,  encore,  comme  au  vent  les  feuilles 

Vous  avez  peur  de  son  baiser  d'accueil, 

Vous  cherchez  le  mot  que  vous  vouliez  dire; 

La  coquette  d'un  rire  vous  absoudrait, 

A  vous  voir  au  cœur  cette  honte  d'amour 

Ne  dites  rien  si  vous  êtes  à  court  ; 

Embrassez  celle  que  ootu  ooudres. 

(Pointe»  et  Poésies  :  Joies,) 

BELLE  HEURE,  IL  FAUT  NOUS  SÉPARER... 

Belle  heure,  il  faut  nous  séparer. 

Toi  de  rêve  et  de  roses  parée. 

Vers  le  vague  et  la  nuit  à  jamais  égarée... 

Je  t'attendis  pourtant  comme  une  amante. 
J'ai  fait  mon  âme  pure  à  rêver  ta  venue. 
J'ai  fait  ma  chasteté  de  ton  épaule  nue 
Frissonnant  du  baiser  de  mon  attente  ; 

De  loin,  quand  je  levai  les  yeux,  de  loin. 
C'était  toi  qui  fanais  dans  les  jeunes  foins. 
C'était  toi  qui  cueillais  la  vendange  nouvelle. 
Et  c'était  ton  pas,  tout  frisson  d'ailes  ; 

Tu  fus  mon  espoir,  et  te  voici  venue. 
Rieuse  et  frêle  en  ta  beauté  nue. 
Ceinte  de  joie  et  d'amour,  et  qui  fuis.. . 
Entre  hier  et  demain  il  n'est  pas  d'aujourd'hui 
Et  je  ne  t'ai  pas  —  sur  mon  âmel  —  connue, 

(Poèmes  et  Poésies  :  Fleurs  du  C/iemin.) 


VRANCit  viKLi-onirriN  35 1 


ÉTIRE-TOI,  LA  VIE,., 

Elîre-toi,  la  Vie  est  lasse  à  ton  côté 

—  Qu'elle  dorme  de  l'aube  au  soir. 
Belle,  lasse. 

Qu'elle  donne  — 

Toi,  lève-toi  ;  le  rêve  appelle  et  passa 

Dans  l'ombre  énorme, 

Et,  si  lu  tardes  à  croire. 

Je  ne  sais  quel  s^uide  il  te  pourra  rester 

—  Le  rêve  appelle  et  passe, 
Vers  la  divinité. 

Laisse,  ne  prends  qu'un  viatique 

Et  de  tout  cet  amour  qui  double  chaque  pas 

Ne  prends  que  le  désir,  et  va, 

Dépèche-toi  : 

Le  rêve  appelle  et  passe. 

Passe  —  et  n'appelle  qu'une  fois. 

Marche  dans  l'ombre,  cours  ! 
Est-il  un  abîme  que  tu  craignes? 
O  hàte-toi  !. ..  il  est  trop  tard  : 
La  belle  Vie  en  son  sommeil  d'amour 
Etend  ses  doux  bras  qui  t'étreignent 

—  Trop  tard  :  le  rêve  appelle  et  passe. 
Appelle  en  vaii^ 

Passe  et  dédaigne... 

Alors, 

Jbtreius  la  Vie,  encore,  de  baisers  lasse. 

Engendre  d'elle  un  art  ; 

Si  tu  ne  fus  vers  Dieu,  à  l'infini. 

Selon  le  rêve  muet  et  qui  prie. 

Retourne-toi,  étreins  la  belle  Vie  ; 

Immortalise  en  elle  ta  seule  heure  : 

De  ta  douleur  de  mort  et  de  sa  joie 

Procréant  quelque  Verbe  harmonieux 

Qui  le  survive  et  rire  et  pleure 

Quatid  le  printemps  verdoie 


35ai  ro^Tts  d'aujourd'hui 

Au  bois  joyeux 

Du  jeune  leurre  d'amour  qu'il  faut  redire 

Et  chante  dans  la  clarté  de  son  sourire. .. 

(La  Clarté  de  VU.) 

LÀ  MOISSON 

Une  ombre  bleue 
Traçait  des  cônes  dentelés 
A  l'Orient  des  meules, 
Sur  l'éteule  ; 
La  plaine  rose  pantelait 
D'un  souffle  maternel  ; 
On  tassait  l'or  réel 
Des  lourds  blés  fauves, 
Sous  le  soleil  de  Dieu. 

Au  halo  violet  des  meules. 

On  chantait  en  buvant  : 

Du  levant  au  couchant 

C'était  des  l'ires  ; 

Là-bas, 

On  marchait  vers  le  Nord 

Et,  à  l'avant, 

La  ligne  des  faux  pâles  faisait  teu 

—  Comme  étincellent  des  miroirs  virants  — 

Les  faucheurs  marchaient  vers  le  Nord, 

Coucliant  les  grands  blés  derrière  eux 

D'un  même  effort  ; 

Puis  venaient  ceux  qui  liaient  les  épis 

Et  ceux  qui  groupent  en  faisceaux  les  gerbes  pâles 

Et  puis,  courbant  et  redressant  leur  taille  souple, 

Les  glaneuses  méticuleuses  vont  par  couples. 

Ou  l'une  et  l'une,  d'un  pas  égal  ; 

Et  tous  les  chariots  avec  leurs  cris 

Et  leurs  bœufs  —  lents  comme  le  blé  qui  monta  — 

Et  tout  le  faix  d'orgueil  des  lourds  épis.. 

Nous  eûmes  Jionte. . 


nuNCis  TiiLi-onirriM  353 


Assis  contre  les  gerbes  chaudes 

J'ai  chanté,  bas  et  pour  moi-même, 

Ceux-là  qui  rôdent 

De  porche  en  seuil. 

Qui  ne  labourent  et  qui  ne  sèment. 

Glanant  la  Vie  selon  l'accueil  ; 

Et  j'ai  chanté,  plus  bas  encor, 

La  faim  et  l'ombre  de  la  mort 

Honteuse  et  morne  et  telle  qu'on  n'ose 

Dire  qu'on  a  faim  et  pour  quelles  causes. 

Et  qu'on  meurt  seul  et  sans  révolte 

D'avoir  semé  sans  qu'on  récolte 

—  La  crainte  et  l'orgueil  sont  muets  ; 

...  Tel  qui  mourait,  on  l'a  tué, 

La  faim  faisant  sa  bouche  acerbe. . . 

Je  t'ai  chanté,  tout  bas,  ces  choses 
Entre  les  blés,  au  mois  des  gerbes. 


{La  Clarté  dt  Vie.) 


OCTOBRB 


La  brise,  déjà  brusque  et  de  voix  rude, 

A  poussé,  devant  nous,  le  vantail  d'or 

Du  vieil  Automne  auguste  aux  yeux  de  solitude. 

L'herbe  est  joyeuse  encore 

Et,  dès  le  seuil, 

Le  regain  vêt  le  pré  de  sa  verdure  neuve  ; 

Regarde  :  la  vallée  s'élargit  comme  un  fleuve  ; 

L'arrière  été,  frileux  sous  son  manteau  de  feuilles. 

Se  lève,  au  loin,  souriant  la  bienvenue, 

Et  chante,  comme  au  temps  des  cueilles 

Et  les  oiseaux. 

Alors  qu'il  cherchait  l'ombre  et  riait  nu 

D'entre  les  grands  lys  d'eau  et  les  roseaux... 

L'été  n'eut  pas  de  gloire  comme  celle-ci  : 
Le  verdoyant  orgueil  de  son  laurier 

so. 


J54  poàTKS  d'aujourd'hui 


N'a  pas  valu  les  diadèmes  d'or  verdi 

Que  te  voici  cueillant  au  peuplier  léger  ; 

Et  si  des  feuilles  saignent  sous  nos  pas 

Comme  une  lie  vive  de  vendange, 

L'âme  subtile  et  fauve  de  l'effeuillaison 

Monte  sous  bois,  en  griserie  étrange 

Entre  les  ormes  tors, 

Quand  nous  passons,  riant  tous  deux,  couronnés  d'or 

Et  tout,  autour  de  nous,  est  beau  comme  la  mort. 

Seules  les  feuilles  bruissent, 

Au  sillage  de  ta  jupe  hâtive; 

Arrête  1  écoute  et  retiens  ton  haleine  : 

Il  n'est  plus  un  murmure  qui  vive, 

Le  silence  des  rayons  oblique  et  glissa 

Furtif  entre  les  chênes. . . 

La  brise  meurt  ; 

L'air  est  si  calme  qu'on  entend  son  cœur 

Qui  bat  la  vieille  peine... 

La  mort  est  belle  comme  ce  soir,  je  crois 

—  Silencieuse  et  pâle,  sans  rêve  et  sans  émoi  — 

Nulle  douleur  voilée  ne  guette  entre  les  ifs 

Ceux  dont  la  voix  s'éteint  comme  un  chant  qui  s'éloigne 

Et  le  geste  crédule  où  les  lèvres  se  joignent 

Scelle  d'un  sceau  d'enfant  la  loi  grave  du  sort  ; 

Saluons  d'un  baiser  l'Automne  aux  yeux  pensifs  ; 

La  Vie  est  un  sourire  aux  lèvres  de  la  Mort... 

Si  de  la  gaieté  claire  de  ses  guirlandes 

J'ai  fait  comme  un  refrain  au  rêve  de  la  vie, 

La  sente  du  verger  ou  le  sentier  des  landes 

Ondule  au  rythme  égal  de  ma  mélancolie  ; 

On  pleurerait,  peut-être,  à  rêver  l'ombre  grande 

Et  le  cri  du  tombeau  où  nul  ne  vient  à  l'aide  ; 

Mais  l'ombre  grêle  est  douce  sous  la  charmille  tiède. 

Le  râteau  à  tes  pieds  mord  des  feuilles  crispées  ; 

L'Eté  hésite,  avec  ses  heures  attroupées, 

Au  seuil  de  l'occident  et  sourit  à  la  nuit... 


vKANciM  visLi-anirriN  S55 


...Oiie  ferons-nous  deniaiu  de  ces  roses  coupées  ? 
J'ai  hÀte  du  feu  clair  et  de  la  voix  qui  lit... 

[La  Clarté  df  Vit.) 

L'AUTOMNE 

LAche  comme  le  froid  et  la  pluie, 
Brutal  et  sourd  conirae  le  vent. 
Louche  et  faux  comme  le  ciel  bas, 
L'Automne  rôde  par  ici, 
Son  bâton  heurte  aux  contrevents  ; 
Ouvre  la  porte,  car  il  est  là. 

Ouvre  la  porte  et  fais-lui  honte, 
Son  manteau  s'effiloche  et  traîne. 
Ses  pieds  sont  alourdis  de  boue  ; 
Jette-lui  des  pierres,  quoi  qu'il  te  conte. 
Ne  crains  pas  ses  paroles  de  haine  : 
C'est  toujours  un  rôle  qu'il  joue. 

Car  je  le  connais  bien,  c'est  loi 
Qui  vint  l'antan  avec  des  phrase* 
Avec  des  sourires  et  des  s^rappes, 
Partant  du  bon  soleil  qui  luit. 
Du  vent  d'été  qui  bruit  et  jase. 
Du  bon  repos  après  l'étape  ; 

|1  a  soupe  à  notre  table 

—  Je  le  reconnais  bien,  te  di«-J8 
Il  a  goûté  au  vin  nouveau. 
Puis  on  l'a  couché  dans  l'étable 
Entre  la  jument  et  le  veau  : 

Le  lendemain  l'eau  était  prise. 

Les  feuilles  avaient  plu  sous  la  (çeléfl. 

—  Ferme  la  porte  et  les  volets. 

Qu'il  passe  son  chemin,  au  moins. 
Qu'il  couche  ailleurs  que  dans  mon  foio. 
Qu'il  aille  mendier  plus  loin. 


356  roèTK»  d'aujourd'hui 

Avec  des  feuilles  dans  sa  barbe 
Et  ses  yeux  creux  qui  vous  regardent 
Et  sa  voix  rauque  et  doucereuse  ; 
A  d'autres  !  moi,  je  le  reconnais. 
Qu'il  s'attife  d'or  ou  qu'il  gueuse. 
—  Rentre  la  cloche  :  s'il  sonnait  I 

Prépare  une  flambée  ;  j'attends 
Le  vieil  hiver  au  regard  franc. 

[LaClartide  Tm.) 


D'AUTRES  VIENDRONT  PAR  LA  PRÉS... 

D'autres  viendront  par  la  prée 
S'asseoir  au  banc  de  la  porte  ; 
Tu  souriras  belle  et  parée,       ^ 
Du  seuil,  à  ta  jeune  escorte 

Ils  marcheront  à  ta  suite 
Aux  rayons  de  ton  printemps 
—  Qu'ont-ils  à  courir  si  vite  ? 
Moi,  j'eus  aussi,  leurs  vingt  ans  — 

Ils  auront  tes  sourires 
Et  ta  jeunesse  enchantée... 
Qu'importe?  qu'en  sauront-ils  dire  : 
Moi  seul,  je  t'aurai  chantée. 

[Plus  loin.) 


DEMAIN.  EST  AUX  VINGT  ANS  FIERS. 

Demain,  est  aux  ving't  ans  fiers; 
Leurs  rires  passent,  et  l'on  reste  accoudé  ; 
On  a  honte,  un  peu,  de  ses  joyeux  hiers. 
Comme  d'un  habit  démodé. 


Demain,  c'est  l'automne  qui  parle 
De  plus  près  à  l'oreille  qui  l'écout 


ruANCis  viBLi-animN  S57 

Je  suis  sans  regret,  mais  j'ai  mal; 
Je  suis  sans  effroi,  mais  je  doute; 

Non,   certes,  de  ma  journée  : 
J'ai  vécu,  au  mieux,  le  poème  ; 
Mais  l'âme  reste  étonnée 
De  n'être  plus  elle-même. 

{Plus  loin.) 

RESTER  T  TU  ES  FOLLE,  PENSÉE  I... 

Rester  ?  tu  es  folle,  pensée  ! 
On  serait  seul  —  rien  ne  dure  — 
Rester  comme  une  ombre  aux  croisées. 
Comme  un  portrait  qui  sourit  au  mur  î 

C'est  déjà  trop  qu'on  s'attarde  ; 
Notre  heure  est  loin  mj:  la  route 

—  Qu'est-ce  donc  que  tu  regardes 
Là-bas  ?  Qu'est-ce  que  tu  écoutes  ? 

Rester  I  il  ne  reste  rien 

Des  rires,  des  rêves,  de  l'été. . . 

Ils  s'en  furent  par  d'autres  chemins. 

Je  suis  las  d'avoir  été. 

(PluM  loin.) 

If'EST-IL  UNE  CHOSE  AU  MONDB.^ 

«  N'est-il  une  chose  au  monde. 
Chère,  à  la  face  du  ciel 

—  Un  rire,  un  rêve,  une  ronde. 
Un  rayoa  d'aurore  ou  de  miel  — 

N'est- il  une  chose  sacrée 

—  Un  livre,  une  larme,  une  lèvre. 
Une  grève,  une  gorge  nacrée. 
Un  cri  de  fierté  ou  de  fièvre  — 


358  poiTES  d'aujourd'hui 


N'est-il  une  chose  haute, 

Subtile  et  pudique  et  suprême 

—  Une  çloire,  qu'importe  !  une  faute. 

Auréole  ou  diadème  — 

Qui  soit  comme  âme  en  notre  âme, 
Comme  un  geste  guetté  que  l'on  suive. 
Et  qui  réclame,  et  qui  proclame. 
Et  qui  vaille  qu'on  vive. ..  » 

{Plus  loin.) 
IN  MEMORIAM  STÉPHANE  MALLARMÉ 

THRiNB 

Si  l'on  te  disait  :  Maître  I 

Le  jour  se  lève  ; 

Voici  une  aube  encore,  laAnême,  pâle; 

Maître,  j'ai  ouvert  la  fenêlre, 

L'aurore  ^'en  vient  encor  du  seuil  oriental. 

Un  jour  va  naître  ! 

—  Je  croirais  t'entendre  dire  :  Je  rêve. 

Si  l'on  te  disait  :  Maître,  nous  sommes  là. 

Vivants  et  forts, 

Cooune  ce  soir  d'hier,  devant  ta  porte  ; 

Nous  sommes  venus  en  riant,  nous  sommes  lA, 

Guettant  le  sourire  et  l'étreinte  forte, 

—  On  nous  répondrait  :  Le  Maître  est  mort. 

Des  fleurs  de  ma  terrasse. 

Des  fleurs  comme  au  feuillet  d'un  livre. 

Des  fleurs,  pourquoi  ? 

Voici  un  peu  de  nous,  la  chanson  bassç 

Qui  tourne  et  tombe, 

—  Comme  ces  feuilles-ci  tombent  et  tournoieol  — 
Voici  la  honte  et  la  colère  de  vivre 

Et  de  parler  des  mots  —  contre  ta  tombe. 

(Plu*  loin.) 


VRANCIS    VIKLÉ-ORIFFIM  8^9 


LE   VOYAGE 

J*at  an  grand  voyage  à  faire  : 
Par  delà  les  horizons 
Fuit  la  route  ardeutc  et  claire. 
Poudre  d'or  jaune,  poussièie. 
Parmi  l'or  vert  des  moissons  ; 
Elle  s'échappe,  matinale, 
Du  baiser  bleu  de  la  forêt  ; 
Celle  qui  la  croise  dévale, 
Rit  au  fleuve  et  dispar.TÎt  ; 
A  la  prendre  à  contre  brise^ 
On  irait,  peut-être,  au  ciel? 
Par  la  porte  d'iizur  (ju'irise 
L'auije  des  faîtes  éternels... 
0  le  beau,  le  grand  voyage  ! 
N'es-tu  prêt,  mon  cœur  trop  sage? 
Mainl  est  mort  qui  demeura 
Hésitant  au  carrefour... 
Beau  voyage  des  Amoan, 
Je  ne  sais  qui  le  fera... 

J'ai  un  grand  voyage  à  faire  ; 
Cœur,  ô  mon  cœur,  viens,  faisons  route  ; 
Choisis  l'ombre  ou  le  ciel  clair. 
Prends  ta  foi  et  prends  ton  doute  ; 
Faisons  hâte  :  le  temps  nous  gagne  1 
Viens,  à  travers  bois  ou  plaine. 
Descendons  vers  la  rivière, 
Gravissons,  à  perdre  haleine, 
Marche  à  marche,  la  montagne.... 
Ah  !  que  tardes-tu,  cœur  tendre? 
L'Heure  n'a  que  faire  d'attendre; 
Vois  !  elle  s'est  levée  ;  lève-toi  I 
Marchons  courons...  mais,  déjà, 
Tu  regardes  en  arrière... 
Ah  I  le  beau  voyaç^e  à  faire.. 
Je  ne  sais  qui  iejera. 


30o  pofiTES  d'aujourd'hui 

J'ai  un  grand  voyage  à  faire 

—  Mon  cœur,  c'est  bien  des  affaires  — 

L'Heure  s'en  fût  en  un  jeune  rire  ; 

Du  baiser  de  sa  bouche  ma  lèvre  brûle  encore  ! 

J'ai  fait  un  pas  vers  elle  et  n'ai  su  que  lui  dire  ; 

L'heure  jeune  s'en  fut  et  tu  battais  si  fort, 

O  mon  coeur  solitaire, 

Que  le  regret  est  pire 

Bien  que  doux  amer 

Que  ne  fut  jamais  le  remords  ; 

Pourtant  cette  nuit  et  cette  ombre  recèlent 

Le  douteux  avenir  auguste  et  sidéral  ; 

Son  mystère  est  ardent  d'une  pluie  d'étincelles 

Et  ton  désir  s'assoiffe  à  son  baiser  fatal  ; 

Ton  orgueil,  s'il  rougit,  ne  se  mirera  pas 

Au  rêve  enténébré  qu'ondule  la  rivière  ; 

Tu  mêleras  ton  pas  au  bruit  d'un  autre  pas  ; 

La  nuit,  bandeau  d'amour,  enveloppe  la  terre  ; 

Pour  l'étreinte  hasardeuse,  une  main  dans  la  nuit 

S'est  tendue,  et  voici  qu'elle  effleure  ta  bouche. 

Et  l'aveugle  destin  sous  la  nuit  s'accomplit  : 

Ëtreins  ta  joie;  au  loin  l'aurore  s'effarouche  ; 

Le  jour  monte  ;  la  plaine  et  la  forêt  se  joignent  ; 

La  rivière  enlaçante  et  la  fière  montagne 

Ne  font  qu'une  en  ce  rêve  ardent  de  paysage... 

La  route,  aventuriers,  vient  au-devant  de  vous  : 
Le  beau  voyage  à  faire,  ô  mon  cœur,  le  Voyage 
C'est  la  Vie  et  l'Amour  qui  le  feront  en  nous  ! 


APPENDICE 


Quelques  définitions  da    «  Symbolisme  »  et  du  a  Vers 
Libre  ». 

SUR  LE  SYMBOLISME  * 

a  La  contemplation  des  objets,  l'image  s'cnvolant  de  rêveries 
Biis'iti'es  par  riix,  sont  léchant:  les  Parnassiens,  eux,  prennent  la 
chose  entiùreiuent  et  la  montrent;  par  là,  ils  manquent  de  mys- 
tère ;  ils  retirent  aux  esprits  cette  joie  délici«use  de  croire  qu'ils 
créent.  Nommer  un  objet,  c'est  supprimer  les  trois  quarts  de  la 
jouissance  du  poème  qui  est  faite  du  bonheur  de  deviner  peu  à  peu; 
le  suggérer  voilà  le  rêve.  C'est  le  parfait  usage  de  ce  mystère  qui 
constitue  le  symbole;  évo(iuer  putit  à  petit  un  objet  pour  moiitrer 
un  état  d'âme,  ou,  inversement,  choisir  un  objet  et  en  dégager  un 
état  d'âme  par  une  série  de  déchiffrements...  »  Stsphank  Mallar- 
mé: Enquête  sur  l'Evolution  Littéraire,  1891. 


«  Ennemie  de  l'enseignement,  la  déclamation,  la  fausse  sensibi- 
lité, la  description  objective,  la  poésie  symboliste  cherche  à  vêlir 
l'idée  d'une  forme  sensible  qui  néanmoins  ne  serait  pas  son  but  à 
elle-même,  mais  tout  en  servant  à  exprimer  l'idée  demeurerait  sujet. 
L'idée  à  sob  tour  ne  doit  point  se  laisser  voir  privée  des  analorirs 
extérieures  :  car  le  caractère  essentiel  de  l'art  symbolique  consiste 
à  ne  jamais  aller  jusqu'à  la  conception  de  l'idée  eu  soi.  Quant  aux 
phénomènes,  ils  ne  sont  que  les  apparences  sensibles  deslinces  à 
représenter  leur»  affinités  ésotériques  avec  les  Idées  primordiales... 

«...  L€  rythme  :  l'ancienne  métrique  avivée,  uu  désordre,  savam- 
ment ordonné,  la  rime  illucescenle  et  martelée  comme  un  bouclier 

21 


362  p.Ji^itb    L.'aI;J0UUd'ul.1 


dor et  d'airain,  auprès  de  la  rime  aux  fluidités  abscondes  ;  l'ale- 
xandrin à  arrêts  multiples  et  mobiles;  l'emploi  de  certaitis  nombres 
impuirt»...  •  Jkah  MoMi^s  :  Manifesle,  Figaro,  1 8  septembre  1886. 


«  On  peut  noter  arec  quelque  raison  que  les  poètes  qui  nous  pré- 
cédèrent immédiatement,  ks  Parnassiens  et  la  plupart  des  Roman- 
tiques, manquèrent  dans  un  certain  sens  de  symbole  ;  ils  consfaé- 
rèrent  dans  les  idées,  les  sentiments,  l'histoire  et  la  mystique,  le 
fait  particulier,  comme  existant  en  W>i  poétiquement  De  là  l'erreur 
de  la  couleur  locale  en  histoire,  le  mythe  raccorni  par  une  interpré- 
tation pseudo-philologique,  l'idée  sans  la  perception  des  analogies, 
le  sentiment  pris  dans  l'anecdote.  Et  nous  retrouvons  tout  cela 
grossi  et  i^rosaoyé  dans  le  naturalisme  qui  est  la  pourriture  du  ro- 
mantisoM...  a  Jbam  MoasAs:  Enquêté  mut  l'Evolution  Utiirairtt 


« ...  Jfe  crois  qu'il  y  a  deux  sorte»  de  «rinboles  :  l'un  qu'on  ponr- 
rait  appeler  le  symbole  a  priori  ;  le  symDole  de  propos  délibéré; 
il  part  d'abstractions  et  lâche  de  revêtir  d'humanité  ces  abstrac- 
tions. Le  prototype  de  cette  symbolique,  qui  touche  de  bien  près  à 
l'allét^orie,  se  trouverait  dans  le  secoiui  Faust  et  dans  certains 
coates  de  Goethe,  son  fameux  Màhrehen  aller  Màhrchen,  par 
exemple.  L'autre  espèce  de  symbole  serait  plutôt  inconscient,  aurait 
lieu  à  l'insu  du  poète,  souvent  malgré  lui  et  irait,  presque  toujours, 
bien  au-delà  de  sa  pensée:  c'est  le  symboie  qui  naît  de  toute  créa- 
tiOD  s^éniale  d'humanité:  le  prototype  d*  «ette  symbolique  se  trou- 
verait dans  Eschyle,  Shakespeare,  etc. 

•  Je  necrois  pas  que  l'œuvre  puisse  naître  viablement  du  symbole, 
■Mis  le  symbole  naft  toujours  de  l'œnrre,  si  celle-ci  est  viable. 
L'œuvre  née  du  symbole  ne  peut  être  qu'une  allégorie,  et  c'est  pour- 
quoi l'esprit  latin,  ami  de  l'ordre  et  de  la  certitude,  me  semble  plus 
enclin  à  l'allégorie  qu'au  symbole.  Le  symbole  est  une  force  de  la 
■ature,  et  l'esprit  de  l'homme  ne  peut  résister  à  ses  lois.  Tout  ce 
que  peut  faire  le  poète,  c'est  se  mettre,  par  rapport  au  symbole, 
dans  la  position  du  charpentier  d'Ëiiicrson.  Le  charpentier,  n'est-ce 
pas?  s'il  doit  dégrossir  une  poutre,  ne  la  pisce  pas  au-dessus  de  sa 
télé,  mais  suus  ses  pieds,  et  ainsi  à  chaque  coup  de  hache  qu'il 
donne,  ce  n'est  plus  lui  seul  qui  travaille,  ses  forces  musculaires 
•ont  insignitiantes,  mais  c'est  la  terre  edtière  qui  travaille  avec  lui; 
ca  se  mettant  dans  la  positioa  qu'il  a  prise,  il  appelle  k  son  secours 


▲PPSNDICB  363 

toute  la  force  de  {gravitation  d   notre  planète,  et  l'uniTen  «pproave 

t'i  multiplie  le  moindre  mouvement  de  ses  muscles. 

•  Il  en  est  de  même  du  poète,  voyez-vo.us  ;  il  enl  plus  ou  moins 
()ui.ssant,  non  p«s  en  raison  de  ce  qu'il  tait  lui-même,  mais  en  rai- 
son  de  ce  qu'il  parvient  à  faire  exécuter  par  les  autres,  et  par  l'or- 
dre mystérieux  et  (Hernel  et  la  force  occulte  des  choses  1  il  doit  se 
mettre  dans  la  position  où  l'Eternité  appuie  ses  paroles,  et  cha({uc 
;i:oiivemeiit  de  sa  pensée  doit  être  approuvé  et  multiplié  par  la  force 
lie  ^ruvitiiliun  de  la  pensée  unique  et  éternelle  t  Le  poète  doit,  me 
scmble-t-il,  être  passif  dans  le  syutbole,  et  le  symbole  le  plus  pur 
ei>t  peut-être  celui  qui  a  lien  à  son  insu  et  même  à  l'eucontre  de 
ses  luteutious  :  le  symbole  serait  la  fleur  de  la  vitalité  du  poème  : 
et,  à  UD  autre  point  de  vue,  la  ijualite  du  symbole  deviendrait  la 
contre  épreuve  de  la  puissance  et  de  la  vitalité  du  poème...  S'i\ 
n'y  a  pas  de  syitibole,  il  n'y  a  pas  d'œuvre  d'art...  »  Maiihick  Mak- 
TBaLiMcs:  EnquiéU  tur  l'Evolution  littéraire,  iSqi. 


«  Si  l'on  veut  savoir  en  quoi  le  Symbolisme  est  une  théorie  de 
liberté,  comment  ce  mot,  qui  semble  strict  et  précis,  implique,  au 
contraire,  une  absolue  licence  d'id>''es  et  de  formes,  j'invoquerai  de 
précédentes  définitions  de  rideali8me,doat  le  Symbolisme  n'est, après 
tout,  qu'un  succédané. 

«L'Idéalisme  signifie  libre  etpersonntl  développement  del'individu 
intellectuel  dans  la  série  intellectuelle  ;  le  Symbolisme  pourra  (et 
même  devra)  être  considère  par  nous  comme  le  libre  et  personnel 
développement  de  l'individu  esthétique  dans  la  série  esthétique,  — 
et  les  symboles  qu'il  imaginera  on  qu'il  expliquera  seront  imugincs 
ou  expliques  seloa  la  conception  spéciale  du  monde  morphologique- 
ment possible  à  chaque  cerveau  symbolisateur. 

«  D'où  un  délicieux  chaos,un  charmant  labyrinthe  parmi  tequel  on 
voit  les  professeurs  désorientés  se  mendier  l'un  a  l'autre  ta  bout, 
qu'ils  n'auront  jamais,  du  fil  d'Ariane. 

•  Ils  voudraientcomprendre,ilscherchent,qaand  parlent  les  harpes, 
à  agripper  au  passage  quelques  clairs  et  nets  lieux  communs;  ils 
croient  qu'on  va  leur  redire  les  vieilles  généralités  qu'ils  biberon- 
nèrent à  l'Ecole,  tootce  qui,  applicable  k  un  Grec,  l'est  encore  &  un 
Scandinave,  tout  ce  qui,  définissant  la  femme,  dt  doit  la  marcheuse 
et  la  gardeiise  d'oies.  Si  le  Symbolisme  devait  (comme  d'aucuns 
l'ont  annonce)  revenir  à  des  concepts  aussi  simples,  â  des  imagina- 
tions aussi  naïves,  il  ne  «erait  ni  ce  qu'il  est,  ni  ce  qu'il  sera  :  — 
il  continuerait  tout  simplement  le  classicisme,  et  alors  à  quoi  bon 
ttoute,  il  apparaît,  en  un  certain  sens,  comme  uo  rctoor  à  U 


364  poÂTBs  d'au/ourd'bui 


simplicité  et  à  la  clarté,  —  mais  il  demande  de  tels  effets  au  com- 
plexe et  à  l'obscur,  au  Moi  où  toutes  les  idées  s'enchevôtrent,  où 
toutes  les  lumières  concoureat  à  ne  donner  que  de  la  nuit.  On  est 
toujours  comj)liqué  pour  soi-même,  on  est  toujours  obscur  pour  soi- 
même,  et  les  simplifications  et  les  clariôcatioas  de  la  conscience 
sout  œuvre  de  génie  ;  l'Art  personnel  —  et  c'est  le  seul  Art  —  est 
toujours  à  peu  près  incompréhensible.  Compris,  il  cesse  d'être  de 
l'Art  pur,  pour  devenir  un  motif  à  de  nouvelles  expressions  d'art.  » 
Remt  de  Gouhuomt  :  Le  Chemin  de  Velours  (Le  Symbolisme),  190a. 


«  Le  Symbole  dégage  des  signes  mystiques  de  la  nature,  c'est  une 
âme  cachée  qui  ressemble  fort  à  la  nôtre,  c'est  pourquoi  le  sym- 
bole est  possible. 

«  Il  s'agit  de  forcer  la  nature  à  livrer  son  secret,  les  apparences 
des  choses  à  révéler  ce  qui  se  dissimule  sous  la  diversité  de  leurs 
aspects  et  la  vie  universelle  à  venir  se  confondre  avec  l'existence 
de  celui  qui  l'interrogée.»  S.  Viqié-Lboooq  :  La  Poésie  contemporaine, 
I 884- j 896. 


SUR  LE  VERS  LIBRE  ET  LA  TECHNIQUE  DU  VERS 

«  Le  vers  est  libre  ;  —  ce  qui  ne  veut  nullement  dire  que  le  vieil 
alexandrin...  soit  aboli  ou  instauré;  mais  plus  largement  — que 
niilie  forme  fixe  n'est  plus  considérée  comme  le  moule  nécessaire  à 
l'expression  de  toute  pensée  poétique  ;  que  désormais  comme  tou- 
jours, mais  consciemment  libre  cette  fois,  le  poète  obéira  au  rythme 
personnel,  auquel  il  doit  d'être,  sans  que  M.  de  Banville  ou  tout  autre 
«  législateur  du  Parnasse  »  aient  à  intervenir...  »  Fra.ncis  Vielb- 
Griffin  :  Joies,  préface,  1889. 


«  Le  vers  est  partout  dans  la  langue  où  il  y  a  rythme,  partout, 
excepté  dans  les  affiches  et  k  la  quatrième  page  des  journaux.  Dans 
le  genre  appelé  prose,  il  y  a  des  vers,  quelquefois  admirables,  de 
tous  rythmes.  Mais  en  vérité  il  n'y  a  pas  de  prose  :  il  y  a  l'alpha- 
bet, et  puis  des  vers  plus  ou  moins  serrés,  plus  ou  moins  diffus. 
Toutes  les  fois  qu'il  y  a  effort  au  style,  il  y  a  versification.  —  Le 
T«ri  officiel  ne  doit  servir  que  dans  les  moments  de  crise  de  l'âme... 


AFriMDics  365 


Et  les  poètes  actnels,  ta  lieu  d'en  faire  leur  principe  et  leur  point 
de  départ,  tout  à  coup  l'ont  fait  surgir  comme  le  couronnement  du 
poème  ou  de  la  période.  »  Stéphanb  Mallarmï  :  Enquête  aur  l'Evo- 
lution littéraire,  Bcho  de  Paris,  i4  mars  1891. 


a  ...  Qu'est-ce  qu'un  vers  ?  —  C'est  an  arrêt  simultané  de  la  pen- 
sée. —  Qu'est-ce  qu'une  strophe  ?  ('/est  le  développement  par  une 
phrase  en  vers  d'un  point  complet  de  l'idée.  —  Qu'est-ce  qu'un 
poème  ?  C'est  la  mise  en  situation  par  ses  facettes  prismatiques,  qui 
«ont  les  strophes,  de  l'idée  tout  entière  qu'on  a  voulu  invoquer. 

...  Le  vers  libre,  au  lieu  d'être,  coniine  l'ancien  vers,  des  lignes 
de  prose  coupées  par  des  rimes  régulières,  doit  exister  en  lui-même 
par  des  allitérations  de  voyelles  et  de  consonnes  parentes.  La 
strophe  est  engendrée  par  son  premier  vers,  le  plus  important  en 
son  évolution  verbale.  L'évolution  de  l'idée  génératrice  de  la  stro- 
phe crée  le  poème  particulier  ou  chapitre  en  vers  d'un  poème  en 
▼ers.  »  GusTAVK  Kaiin  :  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire.  Lettre 
de  M.  O.  Kahn.  Echo  de  Paris,  i*' juillet  1891. 


«  La  liberté  la  plus  grande  :  qu'importe  le  nombre  du  vers,  si  le 
rythme  est  beau  ?  L'usage  de  l'alexandrin  classique  suivant  les 
besoins;  la  composition  harmonieuse  de  la  strophe,  que  je  consi- 
dère comme  formée  des  échos  multipliés  d'une  image,  d'une  idée 
ou  d'un  sentiment  qui  se  répercutent,  se  varient  à  travers  les  modi- 
ficationsdes  vers  pour  s'y  recomposer...  »Hbhhi  db  Rkomeh  :  Enquête 
sur  l' Evolution  littéraire.  Echo  de  Paris,  a5  mars  1891. 


«  Considères  que  le  long  repos  fixe,  par  qni  le  décasyllabe  et 
l'alexandrin  sont  suspendus,  les  distingue  rythmiquement  de  tous 
les  autres  vers  français.  Or,  allonger  (jusqu'où  ?  la  nécessité  musi- 
cale en  décidera  en  chaque  occurrence)  l'octosyllabe  conformément 
à  sa  césure  muable...  Ce  dont  nous  voulons  enchanter  le  rythme, 
c'est  la  divine  surprise  toujours  neuve  1  »  Jean  Mohbas  :  Le  Pèlerin 
passionné  {L'Auteur  au  lecteur),  1891. 


«...  La  aaul*  oailé  rationnalle  est  la  strophe  et  I«  seal  gnide  pour 


3M  roiTES  D'AujouhD'mn 


le  poète  e«t  le  rythme,  non  pas  un  rythme  appris,  çarrotté  par 
mille  règles  que  d'autrea  inventèrent,  mais  un  rythme  personnel, 
qu'il  doit  trouver  en  lui-même,  après  avoir  écarte  les'  préjugrés 
métaphysiques  et  culbuté  les  barrières,  que  lui  opposaient  les  Dic- 
tionnaires des  Rimes  et  les  Traités  de  Versification,  les  Arts  poé- 
tiques et  l'Autorité  des  Maîtres...  »  Adolphb  Rstté  :  Le  Vers  libre. 
Mercure  de  France,  juillet  1893. 


«  Le  Wn^»%t  scientifiquement  est  musique  :  Helmoltz  a,  en  efFet, 
démontré  que,  aux  timbres  des  instruments  de  musique  et  aux 
timbres  de  la  voix,  les  voyelles  sont  les  mAmes  harmoniques  ;  l'ins- 
trument de  la  voix  humaine  étant  une  anche  à  note  variable  com- 
plétée par  un  résonnateur  à  résonaance  variable,  que  sont  le  palais, 
les  lèvre  \.  les  dents,  etc...  La  musique,  certes,  est  le  mode  d'expres- 
sion le  plus  multiple.  Mais  si  elle  décrit  et  suggère,  elle  ne  peut 
définir.  Or,  compris  comme  plus  haut,  et  c'est  ainsi  qu'on  doit  le 
comprendre,  le  langage  est  au-dessus  de  la  musique,  car  il  décrit, 
suggère  et  définit  nettement  le  sens 

«  Etant  donné  tel  état  de  l'esprit  à  exprimer,  il  n'est  donc  pas  seu- 
lement à  s'occuper  de  la  signification  exacte  des  mots  qui  l'exprime- 
ront, ce  qui  a  éié  le  seul  souci  de  tout  temps  et  usuel  :  mais  ces 
mots  seront  choisis  en  tant  que  sonores,  de  manière  que  leur  réunion 
▼oulae  et  calculée  donne  l'équivalent  immatériel  et  matîiématique 
de  l'instrument  de  musique  qu'un  orcheslrateur  emploierait  à  cet 
instant  pour  ce  présent  état  d'esprit  :  et  de  même  que  pour  rendre 
un  état  d'ingénuité  et  de  simplesse,  par  exemple,  il  ne  voudrait  pas 
évidemment  des  saxophones  et  des  trompettes,  le  poète  instrumen- 
tiste pour  ceci  évitera  les  mots  chargés  d'O,  d'A  et  d'U  éclatanta...» 
Rbhb  Ghil  :  Bnquéletar  l'Evolation  littéraire,  1891. 

Il 

c  Les  Déliquescences  d'Adoré  Flonpette  » 

On  •  beaocoap  écrit  sur  les  poètes  ;  ce  furent  de  longs  commentaires 
de  journaux,  des  articles  de  grandes  revues,  enfin  des  ouvrages 
entiers  allant  jusqu'à  emprunter  la  flétrissure  de  la  pathologie,  afin 
d'en  marquer  l'œuvre  originale  de  tout  k  l'heure.  Nous  feindrons 
d'ignorer  ce  fatras  qu'il  serait  malséant  d'analyser  ici.  Néanmoins, 
nous  n'omeiirons  pas  de  signaler  un  petit  livre,  sorte  de  pastiche 
dû  aux  plumes  d'un  bon  poète  parnassien,  Gabriel  Vicaire,  et  d'un 
pulygraphe,  M.  Henri  Beauclair,  qui  laissera  dans  le»  lettres  un 
nom  attaché  à  d'aimables  supercheries  littéraires. 


AFPKNDICa  3Ç7 


Sons  l'apparfocf  d'u'ir  vmi'  lus  natire  du  prorM^  cher  à  l'époque, 
il  parut,  eu  18SF1,  bous  ce  tifr  :  Les  D-liqaexci'nces,  poènie$  déca- 
dents d'Adoré  Floupelte  (Byzimcr,  chez  Lion  V^aiinf'  [sic],  in-ia). 
Les  courts  poèmes  île  ses  trente  feuillets.' tirés  d'abord  à  quelques 
rares  exemplaires  pour  des  bibliophiles,  puis  en  raisoa  de  leur 
succès  de  sint^ularité  à  un  .  nombre  plus  considérable,  sont  de  nns 
jours  devenus  introuvables.  Le  lecteur  nous  unra  donc  gré  de  lui 
extraire  quelques  pièces  de  cetie  œuvre  légère,  laquelle,  perdant  arec 
les  annres  un  peu  de  son  ton  d'ironie,  apparaîtrait  sans  doute 
quelque  jour  comme  une  oeuvre  originale  de  notre  temps. 

%jm  ÉNinvÉS  DK  JUMirr.i'-. 

L'Horizon  «'emplit 
•  De  lu.  iirs  flambantes 

Aux  lignes  .tombantes 
Comme  un  Ciel  de  Lit. 

L'Horizon  s'envole 
Rose,  orange  et  vert, 
Comme  un  coeur  ouvert 
Qa'an  relent  désole. 

Autour  du  bateau 
Un  remotis clapote; 
La  brise  tapote 
,  Son  petit  manteau. 

Et,  lente,  très  lente 
En  sa  pÂmoisoD, 
Lu  frêle  prison 
Va  tur  l'eau  dolente. 

O  doux  éoerrés. 
Que  je  vous  envia 
Le  soupçon  de  vie 
Que  voua  conserveil 

Pas  de  clameur  vaine, 
Pas  un  mouvement  ! 
Un  susurrement 
Qui  bruit  k  prioe  I 

Voua  avez  le  flou 
Dca  choiea  fancea. 


368  poiTxs  d'aujourd'hui 


Ames  très  vannées 
Allant  Dieu  sait  oui 

Gomme  sur  la  grève 
Le  vent  des  remords, 
Passe  en  vos  yeux  monta 
Une  fleur  de  rêve  ! 

Et,  toujours  hanté 
D'un  ancien  Corrège, 
Je  dis:  Quand  aurai -ja 
Votre  Exquisité?    . 


PLATOMISUI 

La  chair  de  la  Femme,  argile  Extatique, 
Nos  doigts  polluants  la  vont-ils  toucher? 
Non,  non,  le  Désir  n'ose  effaroucher 
La  Vierge  Dormante  au  fond  du  (riptyque. 

La  chair  de  la  Femme  est  comme  un  Cantique 
Qui  s'enroule  autour  d'un  divin  clocher. 
C'est  comme  un  boulon  de  fleur  de  pécher 
Eclosau  Jardin  de  la  nuit  Mystique. 

Combien  je  vous  plains,  mâles  épaissis. 
Rongés  d'Hébétude  et  bleus  de  soucis, 
Dont  l'âme  se  vautre  en  de  viles  proses! 

O  sommeil  de  la  Belle  au  bois  Dormant, 
Je  veux  l'adorer  dans  la  Paix  d  '  roses. 
Mon  angelot  d'or,  angéliquement 


L'adorable  Espoir  de  la  Renoncule 
A  nimbé  mon  cœur  d'une  Hermine  d'or 
Pour  le  Rossignol  qui  sommeille  encor, 
La  candeur  du  Lys  est  un  crépuscule. 

Feuilles  d'ambre  gris  et  jaune  !  chemina 
Qu'enlace  une  valse  à  peine  entendue, 
Horizons  teintés  de  cire  fondue, 
N'odorez-vous  pas  la  tiédeur  des  mains  f 


APPENDICE  309 


O  Pleurs  de  la  Nuit  I  Etoiles  moroses  I 
Votre  aile  mysti(jue  eltleure  nos  frouls, 
La  vie  a(^onise  et  nous  expirons 
Oana  la  mort  suave  et  pâle  des  Roses  I 

BTLLI  STMBOLIQtm 

L'Enfant  abdique  ion  extase. 
Et,  docte  déjà  par  chemins 
Elle  dit  lo  mot  :  All&sta^e  t 
Né  pour  d'Eternels  parcbemiai. 

•  Avant  qu'on  Sépulcre  ne  rie 

Sous  aurun  climat,  son  aVeul, 
De  porter  en  imra  :  l'ii'chérie 
Caché  par  le  trop  grand  (il  •i«ul  I 

STtl'UAMC    HÀIL*IIH< 

Amourcnses  Hypnotisées 
Par  l'Indolence  des  Espoirs, 
Ephèbes  doux,  oux  reflets  noirs, 
Avec  des  impudeurs  rosées. 

Par  le  murmure  d'un  Ave, 
/  Disparus  1  O  miracle  Etrange  I 
Le  démon  suppléé  par  l'Ange, 
Le  vil  Hyperbole  sauvé  ! 

Ils  parlent,  avec  des  nuances, 

Comme,  au  cœur  vert  des  boulingrin*, 

Les  Bengalis  et  les  serins. 

Et  ceux  qui  portent  des  créances. 

Mais  ils  disent  le  mot:  Chouchou, 
—  Né  pour  du  papier  de  Hollande,  — 
Et  les  voilà  seuls,  dans  la  lande, 
Soas  le  trop  petit  caoutchouc  I 

III 

Index  général  des  ouvrages,  études  littéraires,  etc., 
intéressant  l'histoire  poétique  de  ces  dernières  années. 

LES  LIVRES  : 

Anonyme  :   Curiosités    littéraires.  Les  Premières  Armes  dit 
Symbolisme    (ouvrage    contenant    plusieurs    manifestes    de    Jeaa 

21. 


'^""  POÈTKS    D  AUJOURD'HtJl 


Moréas).  Pari»,  Vanier,  1889,  in- 18.  —  Anonyme  :  Us  Pi^tilrg 
Bevu-s,  essai  de  biblios^raphie,  préface  par  K.  de  Gourmont.  Pari-;, 
Soc.   du  Mercure  de  France,  1900.  in-S.  —  Anonyme:  La  Vérité 
«or   l'Ecole  Décadente,  par   un  Bourgeois   luttré     Paris.   Vrinier, 
s.  d.,  in-i9.  —  A.  Baju  :  L'Ecole  Décadente.  Paris,  Vaiiîer,  1887, 
m-iB;    TJ Anarchie    littéraire.      Paris.     Vanier,    s.    d.,  in-18.  — 
André  Beaunier  :  La   Poésie  nouvelle.  Paris.  Soc.  d'u  Mercure 
de  France,  190a,  in-18.  -  Henry  Bérenger:  L'Aristocratie  intel- 
lectuelle. Paris,  Colin,  1895,  iu-i8.  -  W  -G.-G.  Bijvanck  :  Un 
Hollandais  à  Paris  en  i8gi.  Paris,  Perrin,  1892,  in-18.  —  Ferd. 
Brunetière  :  Nouvelles  questions   de  critique.  Paris,  Galmann- 
Lévy,  1890,  in-18;  Essais  sur  la  littérature  contemporaine.  Paris, 
Calmann-Lévy,  1890,  in-iS;  L'Evolution  de  la  poésie  lyrique.  Paris, 
Hachette,  1896,  iu-iS.  —   P.  Brunot  :  La  Langue  française   de 
181 5  à  nos  Jours  {Histoire  de  la  langue  et  de  la  littérature  fran- 
çaises des  origines  à  igoo,  publiées  sous  la  direction  de  L.  Petit 
.le  Jnlloville).  Paris,  Colin,   1900,  lome  VIII,  pages  791  à  810).  — 
Georges  Gasella  et  Ernest  Gaobert  :  La  Nouvelle  littêra' 
tare.  i8g5-igo5.   Paris,    Sansot,    1906,  in-18.  —  Victor    Ghar- 
bonnel  :    Les  Mystiques  dans  la  littérature  présente,  i"  série. 
Paris,  Soc.  du   Mercure  de  France,  1897,  in-18.  —  J.  Coucke  : 
Note.<f  snr  l'Evolution  littéraire  et  corrélation  avec  les  phénomènes 
économiques.     Bruxelles,     Lamertin,    1896,    in-18.     —  Virgina 
Cra-wford  :  Stadies  in  Fr.   litter.  Boston,  1899,    in-S     —   R. 
Ghil  :     Traité  du  Verbe,  arec  Avant-dire  de  Stéphane  Mallarmé,' 
nouvelle  édition    augmentée    et  avérée.    Paris,   Alcan-Lévy,    1887, 
in-8,  Ri  En  Méthode  à  l'Œuvre  (éd.  nouv.   et  revue  du  Traité  du 
Verbe).  Paris.  Messein,  1904.  in-18.  -  Edmund  Gosse  :    Qae.t- 
tions  at   issue.  Symbolism   and  Mallarmé.  Londres,    Heinemann, 
1893,  in-8.  —  R.  de  Gourmont:   L'Idéalisme.    Paris,  Soc.   du 
Mercure  de  France,    iSgH,   in-12  ;  Le  Livre  des  Masques,  portraits 
symbolistes,  glose?  et  documents    sur  les  écrivains  d'hier  et   d'au- 
jourd'hui ;  les  masques  an  nombre  de  XXX,  dessinés    par  F.  Val- 
lotton.  Paris,  Soc     du  .Mercure    de    France,    1896,  ia-18;    Le   II* 
Livre   des   Masques,  XXIII  portraits    dessinés  (.ar  F.  Vallotton. 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1898,  ia-iS  ;  L'Esthétique  de  la 
langue  française.  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France.  1899,  in-18; 
Promenades    Uttéraire.t.  1  et  II.  Paris,  Soc.  <lu  Mercure  de  France,' 
i9o5,i9o6,in  18.— J.  Hliret  :  Enquête  sur  l'Evolution  littéraire, 
Paris,  Charpentier,   1891,  in-18,  -  G.   Kahn  :  Préface   aux  Pre- 
miers Poème».  Paris.  Soc.  du  Mercure  de  France,  1897,  in-18:  Sym- 
bolistes    et   di^cadeitts.   Paris,   Mes.sein,    190-?,   in-18.    -  E.  Lan- 
rent  :  La  Poésie  décadente  devant  la  lecience  pfn/rhiatriqiie.  P.iris, 
Maloine,  1897,  in-j8.  —  Georges  Le  Cardonnel  ^i  Ch.  Vel^ 


APPENDICE  371 

lay  :  La  littératart  contemporaine  rgoS.  Opiniom  deit  écrivains 
lit-  ce  tempx.  Piris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  iQOÔ,  iii-18.  — 
Camille  Mauclair  :  L'An  en  silence.  Paris,  Ollendorff,  1901, 

-18  —  Catulle  Mondes  :  La  Légende  du  l'amasse  contam- 
i'rjrai'n.BruxelIt  .,  Urtiuoaj-t,  i<>34.  in-i8;  Rapport  sur  le  .Sfoavemeni 
/loètique  français  de  1867  à  iqoo.  Paris,  Imprimerie  Nationale, 
11102,  io-è,  et  Pasquellc,  1903,  in-8  (ouvraire  partial).  —  Albert 
Mockel  :  Propos  de  littérature.  Parii,  Art  Ind^^pendant,  189/4. 
in-16.  —  Gh.  Moiioa  :  La  Uttéralare  de  tout  à  Cheure.  Paris, 
IVrrin,  1889.  iu-i«.  Denimn.  Qaestiong  d'Eslhétiqu'^.  Paria,  Perriii, 
1888,  in-i8.  —  Lucien  Muhlfeld  :  Ae  Monde  où.  ton  imprime^ 
Regards  tar quelque* lettrés  et  dwrrt  illettrés  contemporains.  Paris, 
Pernn,  1897,  in-i8  -  P.  Nautet  :  Note»  sur  ta  littérofare  mo- 
lerne,  tome  II  (voir  étudea  «ur  les  caraclèrea  de  la  nouvelle  Poé.sie). 

aris.Savine,  iX8i),in-i8.  —  G.  Pellissler  :  Biaden  de  littérature 
•mtemporaine.  Paris,  Pernn,  iMyS,  in-ib.  — J  Plcwert  :  Petit 
•  lostiiire  pour  servir  à  l'Intelligence  des  auteurs  décadents  et 
.-i^nihoUstei.  Paris.  Vanier  bibliophile,  octobre  18S8,  in-i8.  — 
Ad.  Ratté  :  Aspects.  Paria,  Uibliottièqne  artistique  et  littéraire. 
i.'(97,  iii-i6;   ht  Symbol imnp.  Anecdotes  et  Soiivi-nirs.  Paris,   Mes- 

'in,  1903,  in-i8.  —  Thomas  B  Rudœose  Bro'Wti  :  Etude 
omparée  de  la  nersijiciition  française  ri  de  la  versification 
ngLaise.  L'alexandrin  et  lehlnnk  «er»^.  (Thèse),  Grenoble,  Typotjr, 
..Hier  fr.,  190.^,  111-8.  —  R.  de  SotUa  :  Questions  de  métrique  : 
Le  Rythme  poétique.  Pari»,  Ptrrm,  1^1,  in-iS;  La  Poésie  popu- 
laire et  le  Lyrisme  sentimental .  Paris,  Soc.  du  .Mercure  de. France, 
b'91.),  in- 18.  —  A.  Symons  :  The  Symbolist  Mou-ment  in  Litera- 
-tre.  London,  W.  Heineinanu,  1899,  in-8.  —  J.  Tellier  :  Nos 
Poètes.  Paris,  Despret,  188D,  in-18.  —  V.  Thompson:  French 
l'ortraits.  etc.  Boston,  Richard  Q.  Bad^jer  n  C»,  1900,  ia-8.  — 
G.  Vanor  :  L'Art  symboliste.  Paris,  Vanier,  1889,  in-ig.  — 
P.  Verlaine:  Le$  Poètes  maudits.  P«ris,  Vanier,  1884  et  1888 
in-18.  —  Gabriel  Vloalre  et  Henri  Beauclair  :  Les  Dèli. 
qiit-.^cmces,  d'Adoré  F/oanrt'e,  poète  Décadenl.  By/.ance,  chex  Lion 
Vanné,  i88â,  io-js  (Réimpr.  :  L~.s  Délique-icencet,  d'Adoré  Flou- 
petie,  avec  sn  Vie  par  .Varius  Tapora,  i*  édition,  t'aris,  Vanier, 
in-ii).  — E.  Vigié-L«cocq  :  Z<a  ikiéiie  contemporaine,  i884- 
iH  ;6.  Paris.  Soi\  du  Mercure  d»-  France,  1897,  in-18.  —  Tan- 
Orède  de  Visan  :  Kssai  sur  le  Symbolisme,  publié  en  manière 
d  iiitroduciioii  n  /'"ysa(/es  introsftectifa.  Paris,  Jouve,  1904,  in-18. 
—  W.  Vreigand  :  Essaya  tur  Psychologie  der  Decaéestc*' 
Munich,  Merbof,  1890,  io-16. 


37»  POÈTE»  d'aujourd'hui 


LES  PÉRIODIQUES  : 

Agathon  :  Bevae  des  Idées  :  Les  Sentiments  de  la  «  Jea- 
nesse  ».  Parnassisme,  Naturalisme,  Symbolisme.  Cntalle  Mendt-s, 
Emile  Zola,  Stéphane  Mallarmé.  Revue  Encyclopédique,  i4  mars 
1896,  —  Ad.  van  Bever  :  Notes  pour  servira  V  Histoire  de  Iv 
Poésie  contemporaine.  Les  Origines  du  Symbolisme.  Flegrea 
(Naples),  5  et  20  mars  1901.  —  Georges  Bonnamour  :  La 
Jeunesse  littéraire.  Revue  IndépendaDle,  février  1891.  —  Arthur 
Daxhelet:  Une  Crise  littéraire.  Revue  de  Belgique,  i5  janvier 
1904  el  tasc.  suiv.  —  J.Delafosse  :  Les  Evolutions  du  Style. 
Nouvelle  Revue,  i"  mai  1896.  —  A.  Delaroche  :  Les  Annales 
du  Symbolisme.  La  Plume,  1"  janvier  i?'9i.  —  Léon  Des- 
champs :  La  Jeune  littérature  (ill.),  Revue  Encyclopédique,  1"  jan- 
yier  iSgS.  —  Louis  Dumur  :  A  propos  de  l'accent  tonique.  Mer- 
cure de  France,  juin  1890.  —  Anatole  France  :  Les  Jeunes 
poêles,  notice  et  extraits.  Temps,  12  et  a3  septembre,  6,  7  et 
8  octobre  1891.  —  J.  de  Gaultier  :  Essai  de  physiologie  poéti. 
que.  Revue  Blanche,  mai,  juin  et  juillet  1894.  —  Alice  Gorren  a 
The  French  symbolists.  Scribner's  Magazine,  1898,  pp.  337-302.  — 
R.  de  Gourmont  :  La  Poésie  française  contemporaine  el  l'in- 
Jluence  étrangère  (publié  en  français).  Flegrea  (Naples),  20  octobre 
1900.  —  Georges  Grappe  :  Quelques  notes  sur  le  Symbolisme. 
Mercure  de  France,  1"  janvier  1907.  —  Tristan  Klingsor  :  Les 
Musiciens  et  les  poètes  contemporains.  Mtrcure  de  France,  nov.  1900. 

—  L.  D.  (J^ouis  Dumur)  :  Le  Symbolisme  Jugé  par  une  Busse.  Mer- 
cure de  France,  février  1898.  —  Camille  Mauclair  :  Souvenirs 
sur  le  mouvement  Symboliste  en  France,  1884-1897.  Nouvelle 
Revue,  j 5  octobre  et  i"  novembre  1897.  —  Gh.  Maurras  :  Etude 
sur  les  Symbolistes.  L'ObserMaieuT  français,  avril  1891  ;  Le  Bepentir 
de  Pithéas.  Ermitaoj»,  janvier  iSga  ;  Défense  du  Système  des 
Poètes  romans.  La  Plume,  i"  juillet  1R95. —  Henri  Mazel  :  Li-s 
Temps  héroïques  du  Symbolisme.   Mercure  de  France,  dec.   1903, 

—  Stuart  Merrill  :  La  Poésie  Symboliste.  Ermitage,  juin  1893. 

—  J.  Méry  :  Les  Préludes,  simples  documents  (sur  les  revucti). 
Programme  du  Théâtre  d'Art  (représentation  au  bénéfice  de  Paul 
Verlaine  et  Paul  Gauguin),  1891,  —  G.  Moch  :  Le  Calcul  et  la 
réalisation  des  auditions  colorées.  Rtrue  Scientifique,  20  août  1898, 
Albert  Mockel  :  La  Littérature  des  Images.  Wallonie  (Liège), 
1887;  Les  Lettres  françaises  en  Belgique.  Revue  Encyclopédique. 
24  juillet  1897.  —  Vittorio  Pica  :  L'.A^rt  aristocratique,  confé- 
rence. Don  Marzio,  4  avril  189a.  —  J.  Psichari  :  Le  Vers  fran- 
çais aujourd'hui  et  les  poètes  décadents.  Revue  Blouc,  6  juin 
18g  1    —  E.  Raynaud:  Les  Poètes  Romans.  Mercure  de  France, 


ArPBNDICB  ^"ji 


septembre  i8()i;  L'Ecole  Romane  française.  Nfercurc  de  France, 
mai  i8(j5.  —  H.  do  Régnier  :  Victor  lluijo  et  les  Syniholislpt 
Knlre'iciis  polilicines  et  litlérairei,  septembre  1891.  —  Adolphe 
Retté  :  Paradoxe  sur  ta  Poésie,  \fennire  de  France,  janvier  i8()3; 
Le  Vers  libre.  Mercure  de  France,  juillet  1893;  Du  Vers  libre.  La 
Plume, i5  juin  iSgS. —  K.  Sachs  :  Ueberdie  neueren  franz.  Litrra- 
lurbestrehuri'fen,  betonders  die  Décadents .  Zeilschrift  fur  neufran- 
zôsiche  Sprach  und  r.iteralure,  i^^qS  (XV),  pp.  a4-6o.  —Saint- 
Antoine:  Qu'est-ce  que  le  Symbolisme^  Ermitage. juin  1894.  — 
Albert  Schinz:  Lileranj  symbolism  in  France.  Modéra  Lan- 
t^a^^r.  Asaociatioa  of  America,  avril  1903.  —  Victor  Ségalen  : 
Les  Syn' gthésies  de  l'Ecole  Symboliste.  Mercure  de  France,  avril 
190a.  —  R.  de  Souza  :  Le  rôle  de  l'E  muet  dans  la  porsie  fmn- 
çaise.  Mercure  de  France,  janvier  1896.  —  J.  Thorel  :  Les 
Romantiques  allemands  et  les  Symbolistes  français.  Entretiena 
politiques  et  littéraires,  septembre  1891. —  P.  Valin  :  Le  Rythme 
poétique  et  Callitération.  La  Plume,  i"  août  1891.  —  A.  Val- 
lette  :  Les  Symbolistes .  Le  Scapin,  16  octobre  i88fi;  Les  Jeune» 
Revues.  Echo  de  Paris  littéraire  et  illustré,  hebd.,  du  i5  oct.  189» 
au  6  août  189.3,  et  Echo  de  Paris,  i3,  ao  et  37  août,  3,  10  et  37  sep., 
17  octobre  et  la  novembre  1893.  —  A.  van  Hamel  :  Fransch» 
Symbali.Hlen.  Gids,  igoa,  pp.  407-442,  448-489.  —  Paul  Ver- 
laine :  Sur  le  Parnasse  conlemporain.  Revue  Indépendante,  no- 
vembre 1884.  —  E.  Verhaeren  :  La  Renaissance  actuelle  des 
Lettres  en  Belgique.  l\c\ut  dts  Kevues,  i5  juin  1896. — F.  Vielé- 
Grifûn  :  A  propos  du  Vers  libre.  Entretiens  politiques  et  litté- 
raires, I"  mars  1890;  Elucidations.  Entretiens  politiques  et  litté- 
raires, mai  1891  :  Réflexion  sur  l'Art  des  vers.  Entretiens  politi- 
ques et  littéraires,  mai  189a  ;  Entretien  sur  le  mouvement  poétique. 
Knireliens  politiques  et  littéraires,  to  mars,  î5  juin,  10  juill.  1898; 
La  Poétique  nouvelle.  Mercure  de  France,  octobre  1876; /^e  .Mouve- 
ment poétique.  Mercure  de  France,  avril  1898;  La  Désespérance  du 
Parnasse.  Mercure  de  France,  mars  1899;  Causerie  sur  le  Vers 
libre  et  la  Tradition.ErmiUge,  août  1899. -•  E.  Vigié-Lecocq  : 
L'Amour  dans  la  poésie  contemporains.  Mercure  de  France,  jaa- 
fier  1897,  etc.,  «to. 


TADLE 


TOME  I 

INTRODUCTION 5 

INTRODUCTION    A    LA    PREMIERE    ÉOFTION       •,.,.  ^ 

HENRI  BARBUSSE 

Notice Il 

1.K  souniRi I» 

U  POISSON  SKC i3 

LA  LAMPK l3 

LA    LETTRE , l4 

COUTUniiRI l5 

HENRY  BATAILLE 

Notice 17 

LK  MOIS    MOUILLÉ I9 

LA    NUIT     O'OCTOBRK IQ 

LES    SOUVENIRS SI 

l'adiku SS 

DIALOGUE     DE    RENTRÉE sS 

LA    FONTAINE  DE    IMTIK i5 

N'  iG  rURNE ï5 

LA     DERNIÈRE    BERCEUSE a6 

TRISTAN  CORBIÈBK 

Notice «8 

LA    RArSODE    PORAINB    OU    LS    PARDON    DB    BAINTB-ANNB,  .  .  .  Si 

I\ APSOniE    DU    SOURD .....,...,, M% 


376  poèTKa  d'aujourd'hui 

LUCIE  DELARUE-MARDRUS 

Notice 4> 

RÉVEIL 43 

AVENIR 44 

LA  FiaURE    DK    PROUE 45 

CHANT    DE  LA    PASSION 4? 

EMILE  DESPAX 

Notice 5o 

SONNETS 5l 

DITES-LUI 5a 

BONHEUR 53 

A    NANIE , nS 

I4JS    GARDE-  FRANÇAISE 56 

A    MADAME    DE  NOAILLKS 58 

STANCK 59 

ULTIlf  A 59 

MAX  ELSKAMP 

Notice 60 

DE     SOIR 62 

CONSOLATRICB    DK8    AFFLIGES ."> 62 

AUX    YEUX 63 

UN  PAUVRE    HOMME    K8T    BNTRé 65 

on    POUR    COMMENCER    TOUT    EN    FOI -65 

ET    MAINTENANT  VOICI    l'hYVER 68 

ANDRÉ  FONTAINAS 

Notice 70 

VOIX    VIBRANTE   DB    h£vB 73 

SUR  LE  BASALTE,   AU  PORTIgUK 72 

LA    PROPICE  RENCONTRE 73 

VLEUR8,    TOUT    l'eSPOIR   DES    CROIX 73 

VERS   LE    NORD 74 

rHONTiBPicB 74 

INVITATION 75 

éVEILLE-TOI 75 


377 


AUTREFOIS,    DI8A18-TU 7® 

LA  VIE    EST  CALMK 77 

PAUL   FORT 

Notice 79 

DBS    «    BALLADES    DES  CLOCHES    > 8a 

DES    «    BALLADIC8     AU    HAUKAU    » Sa 

DES    <    BALLADES     DE    LA    NUIT    » 83 

DES  «.    BALLADE»    DE    LA    MONTAGNE,    ETC. .  .     » 84 

DES    a   BALLADES    DE    LA    UONTAONB,   BTC ...     > 85 

l'albhtk 86 

LE    LIEN    d'amour 88 

sur  lb  pont  au  changb 88 

la  vision  harmonieuse  de  la  terre go 

pbilomèlb; 92 

RENÉ  GHIL 

Notice 94 

SONNET 98 

POUR  l'enfant  angiknnne 99 

EN  m'en  venant  au  TARD  DE  NUIT 99 

FRAGMENT 1 00 

FRAGMENT 103 

FRAGMENT , Io3 

LA  HACHE  DE  PIERRE : I  o5 

FRAGMENT IO9 

REMY  DE  GOURMONT 

Notice m 

LITANIES    DB    LA  ROSB 133 

HIÉROGLYPHES I  a5 

AGATHE 126 

AONis 127 

CATHERINE I27 

JEANNE , 127 

MATHILOE 128 

PAULB 128 


878  FOÈTK*    D'ATJJOURn'HUI 


0RAI80NS   If AUTA.I8KS 

LB8    CHKVKUX 

L.V    NEIGE 

ue  moulin 

l'Église 

le  soir  dans  un  musée 

FERNAND  GRIÎGH 
Notice 

DIALOGUE 

LE    SILENCE  DE    l'eAU 

MENUET      

LE    RETOUR 

PROMENADE  d'aUTOMNE , 

DOUTE , 

JE  VIS . 

HUMORESQUE 

AU    DIEU   INCONNU 

CHARLES  GUÉRIN 
Notice 

n  VOUDRAIS  i^TRK   UN    HOMME 

A  FRANCIS   JAMMES 

LE    SOIR    LÉGER 

ENTRERAI-JE,   CE  SOIRj  SEIGNEUR,  DANS  TA  MAISON. 

NUIT  d'ombre,    NUIT  TRAGIQUE 

MAÎTRESSE,  TENDRE  ET  NOBLE    AMIE 

ON  TROUVE  DANS  ME8    ANCIENS  VERS 

AH  1    CE  BRUIT   AFFREUX    DE     LA  VIE ...  , 

l'ambre,   le  SEIGLE   MUR.  .  , 

BIEN   QUE  MORT    A    LA   FOI 

A.-FERDINAND  HEROLD 
Notice 

V)IGI    LA  DAN8B  DBS  FEUILLES 

M AROZIE , . 

•  'IR   LA  TERRE    IL    TOMBE 

BERTILLA 


379 


LE  VAL  n  \  l\  MONTKUX «  67 

LK    FKOII 167 

i.A  FLOTi;   AHÀnxDB  l'auiomnb.  .     ,  .  .  . 168 

TRIPTYQUB 168 

GÉRARD  D'HOUVILLE 

Notice 171 

LES  BAUX  DOUCHES  DU  SONOB I  72 

CONSOLATION I7  i 

LB  REGRET » I  7^ 

STANCRS  AUX  DAMBH  CREOLES 176 

LUNE  SUR  LA  MEK I78 

OKFRANOB  rUNÉRAIRE I  79 

LB  JAKDIN  DS  LA  NUIT 1  79 

FRANCIS  JAMMES 

Notice 181 

c'est  aujourd'hui 1 85 

j\lME  DANS     LES  TEMPS , I  85 

LA    SALLB   A    HANQBR 1 86 

LE  VIEUX  VILLAGE I  87 

l'eau  COULE 188 

JE  SAIS    QUE    TU    K8  PAUVRE «  189 

VOICI    LES  MOIS  d'automne I9O 

IL    VA   NEIdER 191 

MADAME  DE   WARBNS 1 9a 

AMSTERDAM igS 

PHIÈIVE   POUR  qu'un   enfant  NB  MEURE  PAS 193 

PRIÈRE    POUR    ALLER    AU    PARADIS    AVEC      LES    ANES I96 

JEAN   DE    NOARRIEU I  97 

DANS    LK    SILENCE    DE  LA   NUIT , I  98 

l'enfant  lit  l'almanacii I  ;il) 

ON  VOIT  QUAND    VIKNT  !,*  M  1  1^  ■■  v  ir 

MON  RL  MBLK  AMI,  MON  1  HIBN  FIDÉUB..,.  ••«..• SOO 

l'aNK  savant , :i,ul 

CONCLUSION ,,,  ,,, aol 


38o  poÂTES  d'au^oubd'bui 

GUSTAVE  KAHN 

Notice 2o3 

VOIX  DE  l'hsuhe  implacable 206 

CHANTONNE    LENTEMENT 206 

LES    VOIX    REDISAIENT 2O7 

FILE    A  TON    ROUET . 208 

DES  CHEVALIERS    QUI    SONT    PARTIS 209 

VOTRE  DOMAINE    EST   TERRE    DE    PETITE    FÉB 2O9 

JE  PARERAI    TES  BRAS 210 

LE  VIEUX    MENDIANT 211 

IMAGE 21a 

JULES  LAFORGUE 

Notice 2 14 

LA  CHANSON  DU    PETIT   HYPERTROPHIQUE 7^1 

l'impossible 222 

COMPLAINTE    SUR  CERTAINS    ENNUIS 223 

COMPLAINTE   DU   ROI  DE  THULÂ 223 

COMPLAINTE    DE    L*0UBL1  DES  MORTS 2  25 

ENCORE    UN    LIVRE 220 

l'hiver    qui   VIENT 227 

DIMANCHES 229 

LE  BRAVE,  BRAVE    AUTOMNE .  23 1 

DIMANCHES 232 

NOTRE   PETITE    CAMPAGNE , 233 

LÉO  LARGUIER 

Notice 235 

AUTOMNE 237 

RâVBRIB 238 

REMORDS 238 

PENDANT    LA  PLUIE 239 

LORSQUE  JE  SERAI  VIEUX 24o 

TU    m'as    DIT  qu'en  PASSANT 24  I 

JACQUES  {Fragments) 243 

poisiB ai'iS 


TADLI 


SSi 


RAYMOND  DE  LA  TAII.HÈDE 

Notice a4ô 

APPARITION 2^7 

SOLITUDE 248 

OMBRES 249 

SI  l'bspoir  d'un   laurier 25 1 

TRIUHPUE 25  I 

LOUIS  LE  CARDONNEL 

Notice 254 

VILLB    MORTS 256 

BN  FORÊT 257 

A    UN    JEUNB   AÈDB 258 

LA  LOUANQE   d'aLFRED    TENNYSON 269 

INVOCATION   d'automne 262 

l'avertisseuse 263 

SÉBASTIEN  CHARLES  LECONTE 

Notice 2OO 

8APP110 2O8 

lk  tombeau 269 

l'orphelin 270 

AU  DIEU  QUI  s'Éloigne * 27a 

le  DERNIER   CHANT    d'oRPHAb 273 

GRÉGOIRE  LE  ROY 

Notice 277 

LA    MOHT 279 

LES  AVEUGLES 280 

écUOS  DE  VALSES 28  I 

LE  PASSÉ   QUI    FILE 28 1 

CELLE    d'autrefois 282 

LES    PORTES    CLOSBS 283 

LE  ROUET  DE    VIE 284 

MUSIQUE  d'0MBR£ 285 

Al IV    HE   GUITARE.  ...      286 

PRlàftE 287 

LA    OBANIÉRB    VISITKUSE 288 


38i  poàTKs  d'aujourd'hui 


JEAN  LORRAIN 

Notice. 289 

rÈTK  QALAMn 397 

CHANSON 297 

JSMBARQUKMENT , 298 

LA-BAS,    OU    l'ancien    PARC 299 

FANERIE.  .      299 

RÉCURRENCE 3oi 

TA    TOMBE    JOYEUSB 3o  1 

LA.  MARJOLAINB 302 

PIERRE  LOUYS 

Notice 3o5 

AU  PRINCE  TACITURNE. 3o9 

PÉGASE 3lO 

LB   BOUCOUASTB 3l0 

CHUTE    DK    JtOUR 3l  I 

SONNET     ADRESSÉ    A     M.      MALLARMÉ     LE     JOUR    OU     IL    EUT 

CINQUANTE  ANS 3ll 

l'ombre 3 13 

TOMBEAU  DE  BAUDELAIRE 3l2 

HAMADRYADS    ET   SATYRE.  . 3t3 

l'afogéb 3l3 

MAURICE  MAETERLINCK 

Notice 3i5 

HEURES  TERNES 322 

DÉSIRS    d'hiver 328 

RONDE    d'ennui 323 

VEHRE   ARDENT 324 

AHE    DE    NUIT 325 

CHANSON SaS 

CHANSON , 826 

CHANSON Say 

OKANsoM.. 3a7 


MAURICE  MAGRE 

Notice 329 

yiJA.NLi    LA  VIK  EST   PASSBK 33  l 

LbS   UOMMBS   DK8    ROUTES 33a 

..    HKTOUH    DES    POAtKS 333 

c  AND  JB  SERAI  MORT 334 

LA  COQUETTBRIR   OB8  HOMMES 3  j6 

JE    PASSE 337 

LA  FEMMB  DE  QUARANTS  AMS 338 

VILLES  d'eaux  d'uivbr 3^0 

LA  uktat  BT  Ut  nis 34i 

STÉPHANE  MALLARMÉ 

Notice 34a 

LLS    FBNÈTRBS ,..• 35o 

l'axur 35a 

DON  DU  POiMB.  , 353 

icHODiAOE  {Fragment) 333 

i.V£NTAlL   de    MAOBM0I8BLUC  MALLAUMÉ 35^ 

SONNET 356 

K  TOMBEAU  d'eDGARD  POB 356 

)NNET 357 

Sl)NNBT 357 


TOME    II 

CAMILLE  MAUCLAIR 

Notice I 

Lli    SOLEIL    OI8ANT 4 

JB  N8  SAIS  pounguM 5 

LU    MAINS    LBNTBS    BOUS    LA  LAMl'K. 6 

UNE  ooucBUn 6 

JB    SUIS  BBAUCHB   CB  iOUH 7 

MIMUTS 8 


384  POÈTES  d'aujourd'hui 


PASTEL    DE  JEUNE    VILLE 8 

FllÉSENCKS > >  0 

STUART  MERRILL 

Notice • ï  « 

NOCTURNE I  3 

CHAMBRE  d'amour 1 3 

CELLE   QUI   PRIE 1 4 

AU   TEMPS    DE   LA  MORT    DBS  MARJOLAINES I  5 

ROYAUTÉ 1  6 

LA    CHANTEUSE  A    LA    BAGUE I  7 

SOLITUDE ;  .      •  I  7 

LA  VISITATION   DE    l'aMOUR l8 

ATTENTE I  9 

ÉCRIT  DANS  LA   TRISTESSE 20 

ÉPHRAIM  MIKHAEL 

Notice, . , ■ 23 

EFFET    DE  SOIR ^4 

TRISTESSE  DE  SEPTEMBRX. , ^5 

CRÉPUSCULE    PLUVIEUX 26 

l'hiérodoule iiG 

impiétés .' 27 

l'Étrangère 28 

ALBERT  MOCKEL 

Notice 3 1 

CAR   ELLES    IGNORENT . 34 

LE   LIED    DE  l'eAU    COURANTE 87 

LE    DOUX  VISAGE Sq 

ROBERT  DE  MONTESQUIOU 

Notice 4o 

MONSTRANCES .  43 

LE   COUCHER   DE  LA    MORTE 44 

LUCIFERS 4'> 

MORTU»    lONOTIS ....  4^ 


TABLB 


385 


sous  LK8  VILLOSrris  VIOLETTES 48 

SERVANTE-MA.ITKBS8K 48 

LIS  ROSE 49 

LOUIS    DIX-8KPT 49 

MON    CCKUH 5o 

JEAN  MOKÉAS 

Notice 52 

ACCALMIE 58 

PARMI    LES  MARRONNIERS 50 

rAmEMBR  ANGES 6o 

VOIX    QUI  REVENEZ 6o 

LE    RUFFIAN 6 1 

l'investiture 62 

UNE  JEUNE  FILLE  PARLE 62 

CONTRE  JULIETTE 63 

iGLOQUE  A    PAUL  VERLAINE 63 

QUE    FAUDRA-T-IL    A    CE  CCXUR 64 

SŒUR  DE   PHÉBUS  CHARMANTE 65 

l'automne    OU  LES  SATYRES 65 

LA    PLAINTE   o'hYAONIS 66 

STANCES 67 

COMTESSE  MATHIEU  DE  NOAILLES 

Notice 75 

le  verger 79 

l'image 81 

LE  TEMPS    DE  VIVRE 8a 

LES    OMBRES 83 

j'écris    pour  QUE  LE  JOUR  OU    JB  NE  SERAI    PLUS 84 

CONSTANTINOPLB , 84 

OFFRANDE 87 

LA    VILLE  DE  STENDHAL 88 

PIERRE  QUILLARD 

Notice 91 

LE    DI£U    MORT , , qS 

II  32 


380  POÈTES  d'aujourd'hui 

RUINES 9  ' 

l'automne  a  dénudé 95 

psYcarii. 95 

CBRYSARION 96 

l'errante  (Fragment) V  - 

LE  CHÈVRE-PIEDS O 

FLAMMES J  (,  l 

JOUVENCE , 102 

LIED , 102 

LA.    ROUTE   DE  THÈBES 1 03 

ERNEST  RAYNAUD 

Notice I  r/- 

VERSAILLES I    6 

LE    RETOUR IOfc> 

ÉLÉGIE     I  Og 

LA  MATINÉE    CHAMPÊTRE I  I O 

LE  FAUNE 110 

BRUGES ,..  III 

MUSES,   JE  CROIS  EN  VOUS III 

POÈTES    OUBLIÉS  1 112 

HENRI  DE  RÉGNIER 

Notice ii3 

SiJÈNE    AO   CRÉPUSCULE 12  1 

EXERGUE 122 

DISCOURS    EN    FACE  DE    LA  NUIT 124 

LA    SAGESSE    DE  l'aHOUR I  27 

LE  VASE 127 

LE    VISITEUR 1 3o 

ÉLÉGIE  DOUBLE l3l 

ODELETTE l3a 

ODELETTE , 1 33 

LA    COURONNE .     /  34 

CHRYSILLA.  .  .  .      l35 

SONNET    POUR    BILITIS 1  35 


TABLâ  387 

l'onde  nk  chantk  plu* 1 36 

I.K  S4NG   DE    MAUSYAS.    oioiCACE l'i"] 

LA    LUNE    JAUNE I  ^7 

ÉPILOGUE 1 08 

LA  VOIX I  3q 

LK  HBPUOCUK l40 

l'accubil 14» 

ADOLPHE  RETTÉ 

Notice i/)4 

LOMINKU8B,  «LUI    VINT I  ^(7 

CHANSON    d'hiver I  /)  7 

ANADYOMÈNK l  .^{H 

SÉHÉNADB I  '19 

GRAND  VBHT I  fio 

HYMNE    AUX   ARBRES I  5  I 

ÉLOGE  DU    VENT 1 5a 

JEAN-ARTHUR  RIMBAUD 

Notice 1 54 

LE    CHATIMENT  DE    TARTUFE |  58 

LE    DORMEUR    DU   TAL l59  ■ 

BATEAU    IVRB I  Bq 

LES    CHEHCHBUBBS    DE   POUX ,  i  0  2 

VOTUXBS 1 63 

GEORGES  RODENBACH 

Notice 1  f)/, 

BÉaUINAGK   PLAM AND .  i  68 

DOCTEUR    DU   SOIR  1 „ I70 

AH  1    VOUS  ÊTES    MBS  SORIRS I  7  I 

EN    PROVINCE 172 

O   VILLE,  TOI    MA  8<BUR \-j-> 

ÉPILOGUE ....  17') 

c'bST    OCTOBKB  qui    s'en    REVIENT 1  -/) 

LE    M.VLADR  SOUVBNT .  :  - 

LES    YBUZ    DBS   PKMMES I  y 


388  poItis  d'aujourd'hui 

PAUL-NAPOLÉON  ROINARD 

Notice 1 78 

FIDÈLK     SOUVENANCE 182 

BERCEUSE I  83 

LA  CHANSON    DE  l'oSERAIK l84 

REGRETS    DB  l'aIEULB 1 86 

SAINT-POL-ROUX 

Notice 188 

MESSAGE  AUX  POÈTES  ADOLESCENTS IQI 

ALOUETTES 1 9 1 

AIGUILLES    DK  CADH  AN 1 92 

CIGALES 1 93 

CHAUVE-SOURIS 1 94 

SOIR    DK    BREBIS     I  yS 

GOLGOTHA 19^ 

LE    PÈLERINAOB   DB    SAINTE-ANNE I96 

ALBERT  SAMAIN 

Notice 199 

l'infante 2o5 

ÉLÉGIE 207 

KEEPSAKB 208 

CLÉOPATRE 209 

SOIR 210 

LE  SACRE 210 

XANTHIS 211 

PANNYRE  AUX    TALONS    d'oR 211 

VERSAILLES 212 

SOIR  DE    PRINTEMPS 2l4 

VOICI  LES    VIEUX    MÉTIERS 2l5 

ÉLÉGIE 216 

NOCTURNE    PROVINCIAL 2  1 7 

TOUT  DORT,   LE    FLEUVE    ANTIQUE 2l8 

AUTOMNE 219 


389 


FERNAND  SEVERIN 

Notice aaa 

LA  counorms 234 

LA    CHANSON  DOUCB a^ 

l'asile 226 

L'ANOiLIQUB  ADIBU 220 

SI    TRAIUBNT,    LA   TRISTBSSB 237 

O    PBN8BUH  1    LA    BBAUT^ 228 

EMMANUEL  SIGNORET 

Notice 229 

LA    LiOKNDE  d'UN    SAULB 23 1 

ÂPOUSAILLKS • 23  I 

RITE  d'amour 23a 

LBS   OLIVIERS     233 

CHANT    POUR    l'aMANTB 233 

CHANT   POUR    PROMÉTHÉB 235 

ÉLÉGIB  IV 235 

àvkoiK  IX 236 

Plagie  xiii 287 

PAUL  SOUCHON 

Notice 238 

l'heure  db  siidi aSg 

HYMNE  DE    LA  TRISTESSB >  2^0 

LOUANGE  DE  PARIS 242 

AU    JARDIN  DU  LUXBMBOURQ 243 

ÂLÉOIB   A  MIDI 244 

HENRY  SPIESS 

Notice 245 

MÉLANCOLIE  DU    LUNDI  MATIN 247 

BALLADE  POUR   EN    PRENDRE  MON  PARTI 248 

JE  MOURRAI 249 

CHANSON  LOINTAINE 25o 

LES  MAINS 25  I 

PARLONS  BAI 25a 

MA  JBUNESSB 25a 


3go  poÈTsa  d'aujourd'hui 

LAURENT  TAILHADE 

Notice 254 

HTMNB    ANTIQUE 267 

HÉLÈNK 269 

LK    CHART    DE   0LAUC08 260 

BALLADE  MYSTIQUE  SUR  LA  DOUCEUR  DE  PAUVRETÉ 262 

BALLADE  POUR  l' EXALTATION  DK  LA    SAINTE    PJTIÉ 203 

BALLADE    80LNES8 265 

BALLADE  SURANNÉE  DE  LA  CONSOLATION    AUTOMNALE 266 

BALLADE  ÉLiOIAQUK    POUR  LE    MOROSE     APRÈS-MIDI ,  267 

SI  TU   VEUX,    PRENONS  UN    FIACHE 269 

BAHCAROLLB • : .  269 

MUSÉE    DU    LOUVRE 27O 

PLACE    DBS  VICTOIRES 27O 

SUR  LE  CHAMP  d'OR 27  I 

INITIATION 271 

PAUL  VALÉRY 

Notice 274 

HÉLÈNE,  LA    REINE  TRISTE 278 

NARCISSE  PARLE 278 

BAIGNÉE 275 

LA  FILBUSB 275 

FRAGMENT 276 

ÉTÉ 277 

VALT1N8 278 

CHARLES  VAN  LERBERGHE 

Notice 27g 

PSYCHÉ 282 

l'attente 283 

BARQUES    d'or 283 

l'assistance 284 

db  «oh  my8téh1kux  voyage 285 

he  8uir-jb  vous 285 

m    mONRUR  A  DIT .  .  ,.  ,      386 


TÀBLC 


3gi 


MA    SOiVn  LA    PLUIB .••••.,. i  ^^^ 

QUAND    VIENT  LK   SOIK.  ....••.,..•* -'^7 

il  l'ai   i  ué 2^*8 

TKR»    r  K  HO|  KH      s'bn  vont    KNSEMBLB ■  2iiy 

EMILE  VERHAEREN 

Notice 2yO 

L*ABRBLIVOin 3oi 

LMB    PAYSANS 3oi 

soias  HELioiBux 3oa 

lUNTRÉE    DK8    MOINKS 3o3 

LK    MOULIN , 3o5 

LB8  BRUMES 3o6 

LB8  HORLOOSS 3o6 

LA  i>iiun 3o7 

NOVEMBRE 3o8 

UN    MATIN 309 

VERS  LK  ruTun 3  u 

l'arbrb 3i3 

L*OMBRB  s'installe 3l5 

l'effort 3i6 

SOUVENIR 3l8 

LK8  PAUVRES 3aO 

PAUL  VERLAINE 

Notice 3a  1 

BON  RÊVE  FAMILIER ....      332 

CHANSON    d'automns 333 

CLAIR    DE    LUN» 333 

LES  INGKNUS 334 

ÎL    PLEURE    DANS    MON    CCEUR 33^ 

GHEEN 335 

strebt's 335 

écoutez  la  chanson  bien  douce 336 

MON  DIEU    m'a    dit. 33 1 

LE    CIEL    EST    PAR-DESSUS    LE   TOIT 343 

Ll  PETIT  COINj    LE    PETIT    NID 'H\,Z 


3gs  POÈTES  d'aujourd'hui 

FRANCIS  VIELÉ-GRIFFIN 

Notice 344 

LK8    VBRTS  KT    l'iNDIGO 8/47 

LES  DOUX    SOIRS  SONT  FLÉTRIS 34? 

CES    HEURES-LA 348 

LES  FEUILLES^   CETTE   MATINÉE 34g 

RONDE 349 

BELLE  HEURE,  IL  FAUT  NOUS    SÉPARER 35o 

ÉTIRE-TOI,    LA  VIE 35l 

LA   MOISSON 352 

OCTOBRE 353 

l'automne 355 

d'autres  viendront  par  la  prée 356 

demain  est  aux  vingt  ans  fiers 356 

resier  ?  tu  es  folle,  pensée  l 357 

h'eST-IL  une  chose   AU  MONDE 357 

IN    MBMORIAM  STÉPHANE    MALLARMÉ 358 

LE  VOYAQB » SSg 

Appendice. 

t.    QUELQUES    DÉFINITIONS     DU     «  SYMBOLISME   »    ET      DU 

«    VERS    LIBRE  » 36l 

II.   C    LES  DÉLIQUESCENCES    d'aDORÉ    FLOUPETTE   » 366 

UI.  INDEX     GÉNÉRAL    DES    OUVRAGES,     ETUDES    LITTERAI- 
RES,  ETC.,    INTÉRESSANT   l'bISTOIRE  POÉTIQUE  DE  CES  XX 

DERNIÈRES    ANNÉES SOQ 


Imp.  G.  Roy,  7, ru«  Victir-Hug«,  Poitiers. 


MERCVRE   DE  FRANCE 

XXTI,      RT«      DB      COMDB      —      PARIS-TI* 
PMr»\i  le  i*r  flt  le  i6  de  chaque  mois,  et  forme  dain  l'année  six    Tolmn» 

Littérature,   Poésie,  Théâtre.  Beanx-Arts 

Philosophie,  Histoire.  Sociologie,  Sciences,  Voyages 

Bibliophilie,  Sciences  occultes 

Critique,  Littératures  étrangères,  Revue  de  la  Qnlni.aina 

La  Revue  de  la  Quinzaine  s'alimente  à  l'étranger  antant  qa'en  France 
Slle  oôre  nn  nombre  considérable  de  docaments,  et  constitne  nne  sorte  «  d'en 
"^vclopédie  au  jour  le  jour  »  du  moavemcnt  uniyersel  des  idées' 


/>«  Poèmet  :  Georges  Dnhamel. 
Les    Romans  :    Rachilde. 
Cittératare  :  Jean  de  Gourmont. 
Histoire  :  Edmond  Darthèlemy. 
Philosophie  :  Georges  Palante. 

I  Mouvement  tcientifiqae  :  Georges 

Bohn. 
Sciences  médicales  :  D'  Paul  VoiTcnel. 
Science  sociale  :  Henri  Mazel. 
Ethnographie,     Folklort   :     A.  Van 

Gennep. 
Archéologie,  Voyages  :  Charles  Merki. 
Questions  Jaridiques  :  José  Théry. 
Qaestions  militaires  et  maritimes  : 

Jean  Norel. 
Qaestions  coloniales  :  Çarl  Siger. 
Ssotirisme  et  Sciences  psychiques  : 

Jacques  Briea. 
Les  Revues  :  Charles-Henry  Hirsck. 
Les  Joarnaux  :  R.  de  Bnry. 
Thiâtrt  :  Maurice  Boissard. 
Musique  :  .'  an  Mamold. 
Art  :  GusUn-^  Kahn. 
Musées  et  Collections  :  Auguste  Mar- 

guiilier. 
Chronique  be'gt  .  G.    Kekhoud. 


Chronique   suisse     romands  :     Be&^ 

de  Week. 
Lettres  allemandes  :  Henri  Albert, 
Lettres  anglaises  :  Henry-D.  Davray 
Lettres  italiennes  :  Gioranni  Papini. 
Lettres  espagnoles  :  Marcel  Robin. 
Lettres  portugaises  :  Phiiéas  Lebesgue 
Lettres  américaines  :  Théodors  Stan 

ton. 
Lettres  hispano-américaines      Fran 

cisco  Contreras. 
Lettres  brésiliennes:  Tristao  da  Cnnh» 
Lettres    néo- grecques   :     Déiaëtriui 

Asteriotis. 
Lettres  roumaines  :    Marcel  IViontan 

don.  , 

Lettres  russes  :  Jean  Ghuzcwiile 
Lettrespolonaises:  Michel  Muter  milcb 
Lettres  néerlandaises  :  J.-L.  V/alch 
Lettres  Scandinaves  :  P.-G.  La  Ghos 

nais. 
Lettres  tchèques  :  Janko  Cadra. 
La  Francs  fagée  à  l'Etranger  :  Lncil 

Dubois. 
Variétés:  X... 
La  Vie  aneedotiqus    Gaillanme  Apol 

linaire. 
La  Curiosité  :  Jacques  Daurelle. 
Publications  récentes  :   Mercure. 
Echos  :  Mercure. 


Les  aboni  eminU  partent  du  premier  des  mots  de  janvier,  evri 
aillet  et  octobre 


FRANCE 

Un  AN 32 

Six  mois 17 

Trois  mois g 


fr. 


ÉTRANGER 

Un  AN 37 

Six  mois 20 

Trois  mois 11 


fr 


Poitiert    —  Imprimene  du  Mercure  de  Kranoe,  G.  ROY,  7.  rae  Vietor-Hoto 


PQ 

Bever,  Adolphe  van 

1183 

Poètes  d'aujourd'hui. 

B4 

29.  éd. 

1918 

t. 2 

t. 2 

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