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Full text of "Précis de l'histoire moderne"

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PRECIS 




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DE 



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L HISTOIRE MODERNE, 



PAR M. MICHELET, 

VA1TRS DE COHriBBRCES POU» LA PHILOSOPHIE ET l'hJ9TO1RE , 

*■ k l'école préparatoire. 



OUVRAGE ADOPTE PAR LE CONSEIL ROYAL DE i/ UNIVERSITE DE FRANCE, 
ET PRESCRIT POUR l'jKNSEIGNEMENT DE LHISTOIRE MODERNE, DANS 
LES COLLEGES ROYAUX ET DANS LES ETABLISSEMENS n'iNSTRUCTION 
PUBLIQUE. 



PARIS, 

LOUIS COLAS, LIBRAIRE, 

* 

RUE DAUPHIN E , N° 3a; 

L. HACHETTE, LIBRAIRE, 

ROI PIBHRI-SARRAZlN, H°vl 2. 

1821 



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C'est surtout dans la composition d'un abrégé , 
qu'il fatit considérer pour qui l'pn écrit. Celui qu'on 
va lii*e s'adresse au jeune public de nos collèges; il 
est destiné k être appris par cœur, et à, servir de texte 
aux leçons des professeurs de l'Université. 

Si pourtant il tombait entre les mains de cet au- 
tre public pour lequel notis n'écrivons point , nous 
croirions devoir le prévenir sur le but et la forme de 
notre Précis, de crainte qu'il n'y cherohât ce qui ne 
doit pas s'y trouver. 

D'abord , nous avons insisté sur l'histoire des'évé- 
nemens politiques, plus que sur l'histoire delà reli- 
gion, des institutions ? du commerce, des lettres et 
des arts. Nous n'ignorons pas que la seconde est 
infiniment plus importante, que la première; mais 
c'«st par l'étude de la première qu'on doit com- 
mencer. ; 

Les faits, les dates, ne sont point en grand nom- 
bre dans ce petit livre. C'est un abrégé , et non point 
une table, comme celles que nous avons publiées. 
Les Tableaux chronologiques et sjnchroniques étaient 
des espèces de dépôts où l'on pouvait chercher une 
date, rapprocher et comparer des faits. Dans le Pré- 
cis, nous nous proposions toute autre chose : laisser, 
s'il était possible, dans la mémoire des élèves qui 
l'apprendront par cœur, une empreinte durable de 
l'histoire moderne. 

Pour atteindre ce but, il aurait fallu première- 
ment marquer par une division large et simple l'unité 
dramatique de l'histoire des troi§ derniers siècles; 
ensuite, représenter toutes les idées intermédiaires, 
non par des expressions abstraites, mais par des 
faits caractéristiques qui pussent saisir de jeunes 



imaginations. Il les eût fallu peu nombreux, mais 
assez bien choisis pour servir de «symboles à tous les 
autres , de sorte que les mêmes faits présentassent 
à l'enfant une suite d'images, à l'homme mûr une 
chaîne d'idées. Nous disons ce que nous aurions 
voulu faire, et non ce que nous avons fait. 

Les derniers chapitres ne donnent que l'indica- 
tion et la date des événemens. Il suffit que nos 
élèves n'ignorent pas entièrement la partie de l'his- 
toire la plus rapprochée de l'époque où nous vivons. 
C'est pour eux un devoir d'en faire plus tard l'objet 
d'une étude spéciale. 

x L'histoire des peuples du nord et de l'orient de 
l'Europe occupe relativement peu de place dans 
cet abrégé. Les limites étroites dans lesquelles nous 
étions obligés de nous renfermer ne nous permet- 
taient pas de lui donner les mêmes développemens 
qu'à celle des peuples qui ont marché à la tête de 
la civilisation européenne. D'ailleurs nous n'avons 

1 pu chercher l'histoire de l'Orient et du Nord dans 
les auteurs originaux et contemporains, comme 
nous l'avons fait ordinairement pour l'Occident et le 
Midi. 

Il nous reste à prévenir un reproche, c'est d'a- 
voir étendu plusieurs chapitres un peu au-delà de 
ce que comporte une leçon ordinaire. Peut-être 
nous excuseta-t-on , si l'on considère que les premiè- 
res et les dernières pages de chaque chapitre sont 
ordinairement remplies par des idées plus que par 
des faits, et que MM. les professeurs peuvent les 
faire lire à leurs élèves , sans exiger qu'ils les ap- 
prennent par coçur» 



PRECIS 



DE 



L HISTOIRE MODERNE. 



' / 






INTRODUCTION. 



Dans l'histoire ancienne de l'Europe, deux peuples 
dominateurs occupent la scène tour à tour; il y a gé- 
néralement' unité d'action et d'intérêt. Cette unité, 
moins visible dans le moyen âge , reparaît dans' l'his- 
toire moderne, et s'y manifeste principalement dans 
les révolutions dû système d'équilibre. . 

L'histoire du moyen âge et l'histoire moderne ne 
peuvent être . divisées avec précision. Si Ton considère 
l'histoire du moyen âge comme terminée avec la der- 
nière invasion des barbares (celle des Turcs-Ottomans), 
l'histoire moderne comprendra trois siècles et demi, 
depuis la prise de Constantinople yar les Turcs, jus- 
qu'à la révolution française, 14-53-1789. 

L'histoire moderne peut se partager en trois grandes 
périodes. L Depuis la prise de Constantinople jusqu'à 
la réforme de Luther, 1453-1517. — IL Depuis la Ré- 
forme jusqu'au traité de Westphalie, 1517-1648/ — 
III. Depuis le traité de Westphalie jusqu'à la révolution 
française , 1 648-1 789. — Le système d'équilibre préparé 
dans la première période, se forme dans la secondé, et 
se maintient dans la troisième^ — Les deux dernières 
périodes se, subdivisent elles-mêmes eh cinq âges du sys- 



tème d'équilibre : i5i5ri 559, 4559-1603, <603-<648, 
1648-U15, M\ 5-1789. 

Principaux caractères de F Histoire Moderne. 

\o Les grands états qui se sont formés par la réunion 
successive des fiefs tendent ensuite £ engloutir les pe- 
tits états, soit par la conquête, soit par des mariages. 
Les républiques sont absorbées par les monarchies, les 
états électifs par les états héréditaires. Cette tendance 
à l'unité absolue est arrêtée par le système d'équilibre. 
— Les mariages des souverains entre eux mettent dans 
l'Europe 1 les liaisons et les rivalités d'une famille, 

a° L'Europe tend à soumettre et à civiliser le reste 
du monde. La domination coloniale des Européens ne 
commence à être ébranlée que vers la fin du xvm e 
siècle. — Importance des grandes puissances maritimes. 
Communications commerciales de toutes les parties du 
globe (les nations anciennes avaient communiqué plus 
souvent parla guerre que par le commerce).— La po- 
litique, dominée dans le moyen âge, et jusqu'à la fin 
du xvi e siècle, par l'intérêt religieux, est de plus en 
plus dominée chez les modernes par l'intérêt com- 
mercial. 

3° Opposition des races méridionales (de langues et 
de civilisation latines), et dès races septentrionales (de 
langues et de civilisation germaniques).. — Les peuples 
occidentaux de l'Europe développent la civilisation, et 
la portent aux nations les plus éloignées. Les peuples 
orientaux (la plupart d'origine slave) sont long-temps 
occupés de fermer l'Europe aux barbares; aussi leurs 
progrès dans les arts de la paix sont-ils plus lents. Il 
en est de même des peuples Scandinaves, placés à l'ex- 
trémité de la sphère d'activité de la civilisation euro- 
péenne. 

PaswiàRç PiiviQDi. — Depuis la prise de Constapùnople par les 
Turcs, jusqu'à la réforme de Luther, i 453-1 5^7. 

Cette période, commune au moyen âge. et à l'âge 



moderne, est moins laractérisée que les deux suivantes - 
les événemens y présentent un intérêt moins simple' 
une liaison înqins facile à saisir. C'est encore le travail 
intérieur de chaque état qui tepd à faire un corps 
avant de se lier aux états voisins. Les premiers essais, du 
système d'équilibre datent de la fin de cette période. 

Les peuples déjà civilisés au moyen âge doivent (être 
asspjétis par ceux qui ont conservé le génie toijt mili- 
taire 4es temps barbares. Les Provençaux l'ont #é par 
les Français i Jes Maures le sont par les Espagnols, les 
Grecs par les Tujcs, les Italiens par les Espagnols et 
les Français. 

Situation, intérieure des principaux états. Peuples 

d origine germanique , peuples d'origine slave. Chez les 
premiers, soumis seuls au régime féodal proprement 
dit, i*pe bourgeoisie libre t'est élevée à la faveur des 
progrès de l'aisance et de l'industrie, et soutient les 
rois contre les grands. ' 

Au milieu du xv* siècle, la féodalité a triomphé 
dans l'Empire; elle humilie les rois en Castille; elle 
prolonge son indépendance dans le Portugal, occupé 
des guerres et des découvertes d'Afrique; dans les trois 
royaumes dxi Nord, livrés à l'anarchie depuis l'union de 
Calmar; en Angleterre, à la faveur des guerres des 
Roses; àNapkà, an milieu des querelles des maisons 
d'Aragon et d'Anjou. Mais les rois l'attaquent déjà en 
Ecosse; en France, Charles VII, vainqueur des Anglais, 
eu prépare l'abaissement par ses institutions; et, avant 
la fin du siècle, les règne** de Ferdinand le Catholique 
et de Ferdinand le Bâtard > de Jean II (de Portugal), 
de Henri VII et fie Louis XI, élèveront le pouvoir 
royal sur les ruines de la féodalité. 

Trois états se détachent de ce tableau. Lorsque les 
autres états tendent à l'unité monarchique , l'Italie 
reste divisée. La puissance des ducs de Bourgogne par- 
vient au comble et s'écroule, tandis que s'élève la ré- 
publique militaire des Suisses. 



i. 



Les deux grands peuples slaves présentent une op- 
position qui nous iévèle leur destinée. La Russie devient 
une, et sort de la barbarie. La Pologne, tout en modi- 
fiant sa constitution, reste fidèle aux formes anarchiques 
des gouvernemens barbares. 

Relations des principaux états entre eux. — La répu- 
blique européenne n'a plus cette unité d'impulsion que 
la religion lui donna à l'époque des Croisades; elle 
n'est pas encore nettement divisée comme elle le sera 
par la Réforme. Elle se trouve partagée en plusieurs 
groupes, qui suivent la position géographique des états 
f autant que leurs Relations politiques : l'Angleterre avec 
r Ecosse et la France; l' Aragon avec la Castilloet l'Ita- 
lie; l'Italie et l'Allemagne avec tous les états ( directe- 
ment ou indirectement); la Turquie se lie avec la Hon- 
grie, cellerci avec la Bohème et l'Autriche; la Pologne 
forme le lieu commun de l'Orient et du Nord, dont 
elle est la puissance prépondérante. Les trois royau- 
mes du Nord, et la Russie, forment deux mondes à 
part. 

Les états occidentaux , la plupart agités au dedans, 
se reposent des guerres étrangères. •*— Au nord, là 
Suède, enchaînée depuis soixante 3ns au Danemark, 
rompt l'union de Calmar; la Russie s'affranchit dés Xar- 
tars; l'ordre teutonique devient vassal de la Pologne. 
— Tous les états orientaux sont menacés par les Turcs, 
qui n'ont «plus rien à craindre derrière eux depuis la 
prise de Constant inople, et, ne sont arrêtés que par les 
Hongrois. L'empereur, occupé de fonder la grandeur 
de sa maison , l'Allemagne de réparer les maux des 
guerres politiques et religieuses, semblent oublier le 
danger. 

Nous pouvons isoler l'histoire du Nord et de l'O- 
rient , pour suivre sans distraction les révolutions des 
états occidentaux. Nous voyons alors l'Angleterre , le 
Portugal, mais surtout l'Espagne et la France, pren- 
dre une grandeur imposante, soit par leurs conquêtes 



* 



dans lès pays récemment découverts» soit par ]a réunion 
de toute la puissance nationale dans la main des rois. 
C'est dans l'Italie que ces forces nouvelle^ doivent se 
développer par une lutte opiniâtre.. Il faut«dohc ob- 
server comment l'Italie fut ouverte aux étrangers 
avant d'assister aux coiûmencemens de la luUe dont 
elle doit être le théâtre d#n& cette période et la sui- 
vante (0. ' ' * 

Seconde Période. — Depuis ht Réforme jusqu'au traité 

de Westphalie, 1517-1648. 

La seconde période de l'histoire moderne s'ouvre par 
la rivalité de François le», de Charles-Quint et <Jet So- 
liman ; elle., est surtout caractérisée par la Réforme. La 
maison d'Autriche, dont la puissance colossale pouvait 
seule fermer l'Europe aux Turcs , semble ne l'avoir dé- 
fendue que pour l'asservir. Mais Charles-Quint rencon- 
tre une triple barrière. François I er et Soliman com,- 
battent l'empereur pour des motifs d'ambition particu- 
lière, et sauvent l'indépendance de 1'E.urope. Lorsque 
François I er est épuisé, Soliman le seconde, et Cbarleé 
trouve un nouvel obstacle dans la ligue des protestais 
d'Allemagne. C'est le premier âge de la Réforme et. du 
système d'équilibre, i 517-1 550. 

1 5 50-1 600, second. 4ge du système d'équilïfrte et t de fa 

(0 Les limites de ce tableau ne nous permettent pas .de .faire marche^ 
l'histoire de la civilisation de front avec l'histoire politique. Nous nous 
contenterons d'en marquer ici le point de départ au xv e siècle. 

Essor de l'esprit d'invention et de découvertes. — £n littérature seu- 
lement l'enthousiasme de l'érudition arrête quelque temps le développe- 
ment du génif moderne. — Inventidn de l'imprimerie (1436-1452). — 
Usage plus fréquent de la poudre à canon et de la boussole. — Décou- 
vertes des Portugais et des Espagnols. — Le commerce maritime , jusque 
là concentré dans la Baltique (ligue Haneéatique), et dans la Méditer- 
ranée (Venisq, Gênes, Florence, Barcelonne, Marseille), est étendu à 
toutes les mers, par les voyages de Colomb, de Gama, etc., et. passe entre 
les mains des nations occidentales vers" la fin de cette période. — Com-, 
merce par terre ; négocians lombards ; Pays-Bas et viUe's libres d'Alle- 
magne, entrepôts du Nord et du Midi. — Industrie manufacturière des 
mêmes peuples, surtout des Pays-Bas. ^ v 



Réforme. — Elle s'est déjà répandue dans l'Europe, et 
particulièrement en France, en Angleterre, en Ecosse 
et aux Pays-Bas. L'Espagne, le seul pays occidental qui 
lui soit resté fermé, s'en déclare l'adversaire; Philippe II 
veut ramener l'Europe à l'unité religieuse, et étendre 
sa domination sur les peuple? occidentaux. Pendant 
toute la seconde période, et surtout dans cet âge, les 
guerres sont à la fois étrangères et civiles. 

\ 600H 648, troisième dge du système d'équilibre et de 
la Réforme. — Le mouvement de la Réforme amène 
en dernier lieu deux résultats simultanés, mais indépen- 
dans l'un de l'autre : une révolution dont le détioû- 
ment est une guerre civile, et une guerre qui présente 
à l'Europe le caractère d'une révolution, ou plutôt une 
guerre civile européenne. — En Angleterre, la Réforme 
victorieuse se divise et lutte contre, elle-même. — En 
Allemagne, elle attire tous les peuples dans le tourbil- 
lon d'une guerre de trente années. De ce chaos sort le 
système régulier d'équilibre qui doit subsister dans la 
période suivante. 

Les états orientaux et septentrionaux ne sont plus 
étrangers au système occidental, Comme dans la pé- 
riode précédente. Au premier âge, la 'Turquie entre 
dans la balance de l'Europe; au troisième, la Suède 
intervient d'une manière pluà décisive encore dans les 
affaires de l'Occident. — Dès le second, la Livonie met 
les états slaves en contact avec les états. Scandinaves, 
auxquels ils étaient jusque là étrangers. 

Au commencement de cette période, les souverains 
réunisse qt dans leurs mains toutes les forces nationales, 
et présentent aux peuples le repos intérieur et les cou* 
quêtes lointaines en dédommagement de leurs privilè- 
ges. — Le commerce prend un immense développement, 
malgré \e système de monopôle qui s'organise à la même 
époque. 



TaoïsiiME Période. — Depuis le traité de Westphalie jusqu'à 

la Révolution française, , 1^48-1789. 

Dans cette période lé principal mobile est purement 
politique : c'est le maintien du système d"équitibre. Elle 
se divise en deux parties, d'environ soixante-dix ans cha- 
cune : avant la mort de Louis XIV, 16-48-17-15; dépuis 
la mort de Louis £1 V, 1 71 5-1789. 

L 164-8-1 71 5, quatrième âge du système d'équilibre* — 
Au commencement de la troisième période , comme au 
commencement de la seconde , l'indépendance de l'Eu- 
rope est en danger» La France occupe le rang politique 
que tenait l'Espagne , et exerce de plus l'influence d'une 
civilisation supérieure. 

Tant que Louis XIV n'a pour adversaires que l'Es- 
pagne, déjà épuisée, la Hollande, puissance toute mari- 
time, et l'Empire, çKvisé par ses négociations, il dicte 
des lois à l'Europe. Enfin l'Angleterre, sous un second 
Guillaume d'Orange, reprend le rôle qu'elle a joué du 
temps d'Elisabeth, celui de principal antagoniste de la 
puissance prépondérante. De concert avec la Hollande, 
elle anéantit les prétentions de la France à la domina- 
tion des mers» De œnçert avec l'Autriche, elle la res- 
serre, dans ses limites naturelles, mais ne peut l'empê- 
cher d'établir en Espagne une branche de la maison de 
Bourbon. 

La Suède est la première puissance septentrionale. 
Sous deux conCjuérans, elle chaqge deux fois la face du 
Nord, mais elle est trop faible pour obtenir une supré- 
matie durable. La Russie l'arrête, et prend cette supré- 
matie pour ne point la perdre. — - Le système des états 
du Nord tient peu à' œUn des états du midi, si ce n'est 
par l'ancienne alliance de la Suède avec la France. 
* Il 1 71 5 -1 789, Cinquième âge du système d'équilibre. 
— L'élévation des royaume nouveaux de Prusse et 
de Sardaigne marque les premières années du xvm e 
siècle. La Prusse doit être avecJ'Angleterre 1 arbitre de 



8 

l'Europe, pendant que la France est affaiblie, et que 
la Russie n'a pas atteint toute sa force. 

Il y a au xviu e siècle moins de disproportion entre 
les puissances. La nation prépondérante étant insu- 
laire et essentiellement maritime, n'a d'autre intérêt, 
relativement au continent, que de maintenir l'équilibre. 
Telle est aussi sa conduite dans les trois guerres con- 
tinentales entre les états de l'Occident. — L'Autriche, 
maîtresse de la plus grande partie de l'Italie, pourrait 
emporter la balance; l'Angleterre, son alliée, la* laisse 
dépouiller de Naples, qui devient un royaume indépen- 
dant. — La France veut anéantir l'Autriche; l'Angle- 
terre sauve l'existence de l'Autriche, mais n'empêche 
pas la Prusse de l'affaiblir et de devenir sa rivale. — 
L'Autriche et la France veulent anéantir la Prusse; 
l'Angleterre la secourt, comme elle a secouru l'Au- 
triche, directement par ses subsides, indirectement par 
sa guerre maritime contre la France. 

Sur mer et dans les colonies, l'équilibre est rompu 
par l'Angleterre. Les guerres coloniales, qui sont un des 
caractères de ce siècle, lui donnent l'occasion de ruiner 
la marine de la France et celle de l'Espagne, et de s'ar- 
roger sur les neutres une juridiction vexatoire. La ré- 
volution la moins attendue ébranle cette puissanœ co- 
lossale. Les plus importantes colonies de l'Angleterre 
lui échappent ; mais elle fait face à tous ses ennemis , 
fonde dans l'Orient un empire aussi vaste que celui 
qu'elle perd dans l'Occident, et reste maîtresse des mers. 
La Russie grandit, et par son développement inté- 
rieur, et par l'anarchie de ses voisins. Elle agite long- 
temps la Suède, dépouille la Turquie, engloutit la Po- 
logne, et s'avance dans l'Europe. 'Le système des états 
du Nord se mêle de plus en plus à celui des états du 
Midi et de l'Occident. Les révolutions et les guerres san- * 
glantes qui vont éclater à la (in de la troisième période 
confondront dans un seul système tous les états euror 
péerô. 



9 



CHAPITRE PREMIER. 



Italie. — Guerre des Turcs. 1453-1494. 



Au milieu de la barbarie féodale dont le XV e siècle 
portait encore l'empreinte, l'Italie offrait le spectacle 
d'une vieille civilisation. Elle imposait aux étrangers 
par l'autQrité antique de ' la religion , et par toutes 
ies pompes de l'opulence et des arts. Le Français ou 
l'Allemand qui passait les Alpes adàtirait dans la Lom- 
bardie cette agriculture savante, ces innombrables ca- 
naux qui faisaient de la vallée du Pô un vaste jardin. Il 
voyait s'élever des lagunes cette merveilleuse Venise , 
avec ses palais de marbre, et Son arsenal, qui occupait 
cinquante mille hommes ( x ). De ses ports sortaient 
chaque année trois ou quatre mille vaisseaux, les uns 
pour Oran, Cadix et Bruges, les autres pour l'Egypte 
ou Constantinople. La dominante Venise, comme elle 
s'appelait elle-même, commandait par ses pravéditeurs 
dans presque tous les ports que l'on rencontre depuis le 
fond de l'Adriatique jusqu'à celui de la Mer-Noire. 

Plus loin, c'était l'ingénieuse Florence, qui sous Côme 
ou Laurent se croyait toujours une république. Princes 
et citoyens, marchands et hommes ae lettres, les Mé- 
dias recevaient par les mêmes vaisseaux les tissus d'A- 
lexandrie et les manuscrits de la Grèce. En même temps 
qu'ils ressuscitaient le platonisme par les travaux de Fi- 
cin, ils faisaient élever par Brunelleschi cette coupole 
de Sainte-Marie, en face de laquelle Michel-Ange voulait 
qu'on plaçât son tombeau. Même enthousiasme pour les 

(') Dajcu, Hist. de Pçnisc, t. m, liv. xix. 






/ V 



N 



*0 

lettres et les arts dans les cours de Milan, de Ferrare et 
de Mantoue, d'Urbin et de Bologne. Le conquérant es- 
pagnol du royaume de Naples imitait les mœurs ita- 
liennes, et ne demandait pour se réconcilier avec Corne 
de Médicis qu'un beau manuscrit de Tite-Live. A Rome 
enfin on trouvait l'érudition elle-même assise dans la 
chaire de Saint-Pierre avec les Nicolas V et les Pie II. 
Cette culture universelle des lettres avait humanisé les 
esprits. La guerre oubliait ses fureurs; dans la plus san- 
glante bataille du xv e siècle il n'y avait pas eu mille 
hommes de tués (0. Les combats n'étaient plus guère 

que des tournois. 

Cependant un observateur attentif s'apercevait aisé- 
ment de la <décadeuce de l'Italie. Cette douceur appa- 
rente de mœurs n'était autre chose que l'affaiblissement 
du caractère national. Pour n'être point sanglantes, les 
guerres n'en étaient que plus lpngues, plus ruineuses. 
Les Condottieri promenaient à travers l'Italie des trou- 
pes indisciplinées, toujours prêtes à passer sous le dra- 
peau opposé pour la moindre augmentation de solde; la 
guerre était devenue un jeu lucratif entre les Piccinino. 
et les 'Sforza. Partout de petits tyrans, loués par les sa- 
^vans et détestés des peuples. Les lettres, dans lesquel- 
les l'Italie plaçait elle-même sa gloire, avaient -perdu 
l'originalité du xiye siècle; aux Dante, aux Pétrarque 
avaient succédé les Philelpbe .et les Pontanus. La reli- 
gion n'était nulle part plus publiée. Le népotisme affli- 
geait l'Eglise et lui ôtait le respect des peuples. L'usur- 
pateur des terres du saint Siège, le condottiere Sforza 
datait ses lettres, ,e Firmiano nostro t invito Petto et 
PauloÇ). 

Le génie expirant de la liberté italienne protestait en- 
core par de vaines conspirations. Pçrcaro, qui se croyait 
prédit pai< les vers de Pétrarque ( 3 ), essaya de rétablir 
dans Rome le gouvernement républicain. A Florence les 

(0 Machiavelli, Hist Florentine, t. vu.'— C 2 ) M liv. Y. - WJ<!. ihid. 



a 



t 



Pazzi, à Milan le jeune Olgiati et deux autres, poignar- 
dèrent da ns une église Julien de Médicis et Galéas Sforza 
(1 476-87). Les insensés avaient cm que la liberté de leur 
patrie dégénérée tenait à la vie d'un homme! 

Deux gouvernemens passaient pour lés plus sages 
de l'Italie, ceux de Florence et de Venise. Laurent de 
Médicis faisait chanter se& vers aux Florentins, con- 
duisait lui-même , dans les rues de la ville, de pédan- 
tesques et somptueuses mascarades (0, et se livrait en 
aveugle à cette munificence royale qui faisait l'admira- 
tion des gens de lettres et préparait la banqueroute de 
Florence* A Venise, au contraire > le plus froid intérêt 
semblait l'unique loi du gouvernement. Là, point de 
favoris, nul caprice* nulle prodigalité. Mais Ce gou- 
vernement de fer ne subsistait qu'en resserrant de plus 
en plus l'unité du pouvoir. La tyrannie des Dix ne suf- 
fisait plus; il fallut créer dans le Sein même db ce cou-, 
seil des Inquisiteurs d'état ({ 454). Cette dictature fai- 
sait prospérer au dehors 'les affaires de la république^ 
en tarissant les sources intérieures de sa prospérité. De 
44-23 à 1453>j Venise avait augmenté son territoire de 
quatre provinces, tandfc que ses revenus diminuaient 
de plus de cent mille ducats ( a ). En vain elle essayait de 
retenir par des mesures sanguinaires le monopole qui 
lui échappait , en vain les Inquisiteurs d'état faisaient 
poignarder l'ouvrier qui transportait ailleurs une in- 
dustrie utile à la république (3). Le temps n'était paà 
loin Où l'Italie allait perdre à la fois et son commerce, 
et,sa richesse, et son indépendance. Il fallait une nouvelle 
invasion des barbares pou* lui arracher le monopole du 
commerce et des arts qui allaient être désormais le pa- 
trimoine du monde. 

. Quel devait être le conquérant de l'Italie? le Turc, 
le Français ou l'Espagnol? (Test ce qu'aucune pré- 

(0 Gipguené, Hist lia. d'Italie ; t. m. — (») Daru, liv. *vi ..—*£) Idem/ 
t. vu* Pièces jusûf. Statuts des inquisit. d'etai, art. 26. 



V 

1 



voyance ne pouvait déterminer. Les papes et la plupart 
des Italiens redoutaient avant tout les Turcs. Le grand 
Sforza et Alphonse le Magnanime ne songeaient qu'à 
fermer l'Italie aux Français, qui revendiquaient Naples > 
et pouvaient réclamer Milan (0. Venise, se croyant in- 
vincible dans ses lagunes, traitait indifféremment avec 
les uns, avec les autres, sacrifiant quelquefois à des in- 
térêts secondaires son honneur et la sûreté de l'Italie. 

Telle était la situation de cette contrée, lorsqu'elle 
entendit le dernier cri de détresse de Constantinople 
(1-453). Séparée déjà de l'Europe et par les Turcs et par 
le schisme, cette, malheureuse cité voyait sous ses murs 
une armée de trois cent mille barbares. Dans ce moment 
critique, les Occidentaux, habitués aux plaintes des 
Grecs, y firent encore peu d'attention. Charles VII 
, achevait l'expulsion des Anglais ; la Hongrie était agitée $ 
l'impassible Frédéric III s'occupait d'ériger l'Autriche 
en archiduché. Les possesseurs de Péra et de Galata , 
les Génois et les Vénitiens, calculèrent la grandeur de 
leur perte, au lieu de la prévenir; Gênes envoya quatre 
vaisseaux; Venise délibéra s? elle renoncerait à ses con- 
quêtes d'Italie pour conserver ses colonies et son com- 
merce (•). Au milieu de cette hésitation funeste, l'Italie 
vit débarquer sur tous ses rivages les fugitifs de Cons- 
tantinople. Leurs récits remplirent l'Europcde honte 
et de terreur ; 41s déploraient Sainte-Sophie changép en 
mosquée , Constantinople saccagée et déserte , plus de 
soixante mille chrétiens traînés en esclavage; ils décri- 
vaient les prodigieux canons de Mahomet, et ce moment 
où les Grecs virent à leur réveil les galères des infidèles 
naviguer sur là terre ( 3 ), et descendre dans leur port. 

(')Sismondi, Hist. des Répub. italiennes , t. x, p. 28. 

(*) Dan*, Hist. de Venise, t.n, liv.xyi; et Pièces justificatives, t. vin. 

(3) On dit que le sultan transporta sa flotte en une nuit, dans le port 
de Constantinople, en la faisant «glisser sur des planches enduites de 
graisse. Voy* Cantimir, cl Saadud-din , Hist. Ottomane , traduction nia- 



13 

L'Europe s'émut enfin : Nicolas V prêcha la croisade 
tous. les états italiens se réconcilièrent à Lodi (1454). 
Dans les autres pays, une foule d'hommes prirent la 
croix. À Lille, le duc de Bourgogne fit apparaître 
dans un banquet, l'image de l'Église désolée, et, selon 
les rites de la chevalerie, jura Dieu, la Vierge, les 
dames et le faisan, qu'il irait combattre lçs infidèles ('). 
Mais cette ardeur dura peu. Neuf jours après avoir si- 
gné le traité de Lodi , les Vénitiens en firent un avec 
les Turcs ; Charles VII ne permit point que l'on prê- 
chât la croisade en France; le duc de Bourgogne resta 
dans ses états, et la nouvelle tentative de Jean de Ca- 
labre sur le royaume de Naples occupa toute l'attention 
de l'Italie (U60-64). 

Les véritables, les seuls champions de la chré-, 
tienté étaient le Hongrois Huniade et l'Albanais, Scan- 
derbeg. Ce dernier, dofit l'héroïsme barbare rappe- 
lait les temps de la fable, abattait, dit-on, d'un seul 
coup, la tête d'un tau'reau sauvage. On l'avait vu, 
comme Alexandre, dont les Turcs lui donnaient le 
nom, sauter seul dans les murs d'une ville assiégée. 
Dix ans après sa mort , lés Turcs se partagèrent ses os- 
semens, croyant devenir invincibles ( a ). Encore aujour- 
d'hui, le nom de Scanderbeg est chanté dans les mon- 
tagnes de l'Epire. 

L'autre soldat de Jésus-Christ , le Chevalier blanc 
de Valachie, le Diable des Turcs, arrêtait leurs pro- 
grès, tandis que les diversions de Scanderbeg les ra- 
menaient en arrière (5). Lorsque les Ottomans attaqué- 

nusctUc de M. Gallaâd , citée par M. Daru, IJist. de Venise f 2« édition ; 
pièces jusii6catives, t. vui, p. 194-6^ 

(') Olivier de la Marche , t. vin de la collection des Mémoires relatifs 
à rhist. de France, édit. de M. Petitot. " 

(») Barlesio, de Vitd Georgu Càstrioti, etc. 1537. passim. 

(3) Le premier titre est celui que prenait toujours Scanderbeg; le se- 
cond désignait ordinairement Hunia de chez ses contemporains (Comines, 
t. vi, ch.xiu)i le troisième lui était donné par les Turcs, qui le nom- 
niaient à leurs enfans pour les effrayer (M. de Sacy, dans la Biographie 



« •! 



u 

reat Belgrade, le houlevard de la Hongrie , Huniade 
traversa l'armée des infidèles pour se jeter dans la place , 
réponse* pendant quarante jours les plus furieux assauts, 
et fut célébré comme le sauveur de la chrétienté (1456). 
Son fils* Matliias Corvin, que la reconnaissance des 
Hongrois éleva au trône, opposa sa garde noire,, pre- 
mière infanterie régulière qu'ait eue ce peuple/ aux ja- 
nissaires de Mahomet IL Le règne de Mathias fut la 
gloire de la Hongrie. Pendant qu'il combattait tour à 
tour les Turcs, les Allemands et le* Polonais, il fon- 
dait dans sa eapitale une université, deux académies , 
un observatoire, un musée d'antiques, une bibliothè- 
que, alors la plus considérable du monde («). Ce rival 
de Mahomet IL parlait, comme lui,, plusieurs langues; 
comme lui, U aimait les lettres, eu conservant les 
mceurs des barbares. 11 avait accepté , dit^on , l'offre 
d\ia hoouue qui se chargeait d'assassiner son beau- 
père , le roi de Bohème ; mais il rejeta avec indigna- 
tipp la proposition de l'empoisonner : Centre mes en~ 
nemis, dit^U, je ne vewc employer que le fer. C'est à 
lui toutefois que les Hongrois durent leur grande charte 
(Pecretum ma jus, 4485. Voy. Je chap. m). Un proverbe 
hoqgrojs suffît à son éloge : Depuis Corvin, plus de 
justice. 

Le pape Pie II et Venise se liguèrent avec ce grand 
priuge, lorque la Sprvie et la Bosnie, conquises par les 
Turcs, leur ouvrirent le ehemin de l'Italie. Le pontife 
étajt râraç de la croisade; il avait indiqué le rendez- 
vous d'À.ncône à ceux qui coudraient aller avec lui com- 
battre l'ennemi de la foi. L'habile secrétaire du con- 
cile de Baie, l'esprit le plus poli du siètle, le plus sub- 
til des diplomates, devint un héros sur la chaire de 
saint Pierre; la grande pensée dq salut de la chré- 



universelle, art. Huniade) , comme les Sarrasins menaçaient autrefois 
les leurs de Richard Cœur-de-Lion. 

(0 Bonfinius, fieijum Hungaricarum tfecades. lhfâ pùssim. 



45 

tienté semblait lai avoir donné une âme nouvelle (0/ 
Mais ses forces n'y suffirent pas. Le vieillard expira sur 
le rivage, à la vue des galères vénitiennes qui allaient 
le porter en Grèce (4464). 

Son successeur, Paul II, abandonna cette politique 
généreuse. Il arma contre les Bohémiens hérétiques le 
gendre de leur roi, ce même Mathias Cor vin, dont la 
valeur n'eût dû elfe exercée que contre les Turcs. Pen- 
dant que les chrétiens s'affaiblissaient ainsi par leurs 
divisions , Mahomet II jurait solennellement dans la 
mosquée qui fut Sainte .* Sophie l'extermination du 
christianisme. Venise , abandonnée de ses alliés, perdit 
File de Négrepont conquise par les Turcs k la vile de 
«a flotte. En vain Paul II et les Vénitiens allèrent cher- 
cher des alliés jusqu'au fond de la Perse; le shah fut 
défait par les Turcs, et la prise de Caffa ferma pour 
longtemps aux Européens toute communication avec 
les Persans. Enfin, la cavalerie turque se répandit dans 
le Frïoul Jusqu'à la Piave, brûlant les récoltes, les 
bois, les villages et les palais des nobles vénitiens; là 
nuit on voyait de Venise même les flammes de cet in- 
cendie 0*), La république abandonna la lotte inégale 
qu'elle soutenait seule depuis quinze ans, sacrifia Scu- 
tari et se soumit à un tribut (1479). 

Le pape Sixte IV et Ferdinand, roi de Naples, 
qui n avaient point secouru Venise, l'accusèrent d'a- 
voir trahi la cause de la chrétienté. Après avoir fa- 
vorisé la conjuration des Pkzzi, et fait ensuite une 
guerre ouverte aux Médicis, ils tournaient contre les 
Vénitiens leur politique inquiète. La vengeance de Ve- 
nise fut .^cruelle. En m4me temps que Mahomet II 
faisait attaquer Rhodes, on apprit, que cent vaisseaux 
turcs, observés, ou plutôt escortés par la flotte véni- 

(«) Commentant Piisecundl (1610^, p. 3U0-4Û0. Foy. aussi ses leUfça 
dans les OEuvres complètes, 

{■*) Sismoadi, Répub. liai t. xi, p. 141 j d'après SabeLIico, témoin 
oculaire. . 



i6 

tienne, avaient passé en Italie, que déjà Otrante était 
prise et le gouverneur scié en deux. L'effroi fut au 
comble, et l'événement l'eût justifié peut-être, si la 
mort du sultan n'avait arrêté pour quelque temps le 
cours de la conquête mahométaue (1480-81). 

Ainsi les Italiens faisaient intervenir les étrangers 
dans leurs querelles. Après avoir attiré les Turcs, les 
Vénitiens prirent à leur service le jeune René, duc de 
Lorraine, héritier des droits de la maison d'Anjou sur 
le royaume dp Naples. Dès 14-74-, Sixte IV avait ap- 
pelé les Suisses. Les barbares s'habituaient à passer 
les Alpes, et ils allaient raconter dans leurs pays les 
merveilles de la belle Italie ; les uns célébraient son luxe 
et ses richesses, les antres son climat, ses vins, ses 
fruits délicieux (0. Alors s'éleva dans Florence la voix 
prophétique du dominicain Savonarole, qui annon- 
çait à l'Italie les châtiinens de Babylône et de Ninive : 
« O Italie, ô Rome, dit le Seigneur, je vais vous li- 
» vrer aux mains d'un peuple qui vous effacera d'entre 
» les peuples. Les barbares vont venir, affamés comme 
» des lions ..... Et la, mortalité sera si grande que 
» les fossoyeurs iront par Jes rues, criant : Qui a des 
» morts ? et alors l'un apportera son père , et l'autre 

» son fils O Rome, je te le répète, fais pénitence - 7 

» faites pénitence, ô Venise! ô Milan ( 2 M » 

* Ils persévérèrent. Le roi de Naples prît ses barons so u- 
levésau piège d'un traité perfide. Gênes resta en proie 
aux factions des Adorpi et des Fregosi. Laurent de Mé- 
dicis au lit de mort refusa l'absolution, à laquelle Savo- 
narole mettait pour condition l'affranchissement de 
Florence. A Milan , Ludovic le More enferma son ne- 
veu, en attendant qu'il l'empoisonnât. Roderic Borgia 

(') La très-joyeuse, plaisante et récréative histoire, composée par le 
loyal serviteur du bon Chevalier sans paour et sans reprouche , t. xv de 
la collect. des Mena. p. 306, 334, 385. 

(») Savonarolà, Prediche quadragesimali (1544, inr-12) ,predica vigesima 
prima, p. 211-212. — • Vcy. aussi Pétri Martyris Anglerii epistol. cx*x, 
cxnti, elc. «Malheur à toi, mère des ans,' 6 belle Italie!... etc. 1493. » 



i7 

\ 

ceignit la tiare sous le nom d'Alexandre VI. Le mo- 
ment inévitable était venu. 



CHAPITRE II. 

CMcidewt. France et Pays-Bas, Angleterre et Ecosse, Espagne et, for* 
■ tugal , dans la seconde moitié du *v e siècle. 



Avawt de se disputer la possession de l'Italie, il fal- 
lait, que les grandes puissances de l'Occident sortissent 
de l'anarchie féodale, et réunissent toutes les forces na- 
tionales dans la main des rois. Le triomphe du pouvoir 
monarchique sur la féodalité est le sujet de ce chapitre. 
Avec la féodalité périssent les privilèges et les libertés 
du moyen âge. Ces libertés périssent, comme celles de 
l'antiquité, parce qu'elles étaient des privilèges. L'éga- 
lité civile ne pouvait s'établir que par la victoire de la 
monarchie (>)• 

Les instrumens de cette révolution furent des hom- 
mes d'église et des légistes. L'Eglise ne se recrutant 
que par l'élection, au milieu du système universel 
d'hérédité qui s'établit peu à peu au moyen âge, avait 
élevé les vaincus au-dessus des vainqueurs, les fils des 
bourgeois, et ceux même des serfs, au-dessus des no- 
bles. C'est à elle qqe les rois demandèrent des minis- 
tres dans leur dernière lutte contre l'aristocratie*. Du- 
prat, Wolsey et Ximénès, tous cardinaux et premiers 
ministres, sortaient de familles obscures. Ximénès avait 
commencé par enseigner le droit dans sa maison (a). Les 

(*) L'égalité fait des progrés rapides au moment même où périssent 
les libertés politiques du moyen âge. Celles de l'Espagne sont vaincues 
par Charles-Quint en 1521 , et en 1523 les dortés de CastiUa permettent 
à tout le monde de porter l'épée, afin que les bourgeois puissent se dé- 
fendre contre les nobles, Voy. Ferreras, xii< partie. 

(*) Gomecius, fol. % — Giannone remarque que sous Ferdinand le. 



IL 



*8 

» 

, hommes d'église et les légistes étaient imbus des prin- 
cipes du droit romain, bien plus favorable que les cou- 
tumes féodales au pouvoir monarchique et à l'égalité 
civile. 

La forme de cet le révolution présente quelques dif- 
férences dans les divers états. En Angleterre , elle est 
préparée et accélérée par une guerre terrible qui exter- 
mine la noblesse; en Espagne, elle est compliquée par 
la lotte des * croyances religieuses. Mais partout elle 
offre un caractère commun : l'aristocratie, déjà vaincue 
par le pouvoir royal , essaie de l'ébranler en le dépla- 
çant, en renversant les maisons, les branches régnan- 
tes, pour leur substituer des maisons ennemies, 'des 
branches rivales (Voy. le I e * de nos tableaux synchro- 
niques). Les moyens employés par. les deux partis sont 
odieux et soufent atroces. JLa politique dans l'enfance 
ne choisit encore qu'entre la violence et la perfidie; 
voyez plus bas la mort des comtes de Douglas, des. 
ducs de Bragance et de Viseù, surtout celle du comte 
de Mar et des ducs de Glarence et de Guienne. Cepen- 
dant la postérité, trompée par le succès, s'est exagéré 
les talens des princes de cette époque ( Louis XI, Fer* 
dinand le Bâtard, Henri VII, Iwan III, etc.). Le plus 
habile de tous, Ferdinand le Catholique, n'est qu'un 
fourbe heureux aux yeux de Machiavel (Lettres fami- 
lières, avril «1 51 3 , mai 4 Si 4-). 



§ I. — France, U52-U94 (0. 



», 



Lorsque la retraite des Anglais permit à la France 
de se reconnaître, les laboureurs descendant des châ- 

Bâtard ,4es lois romaines prévalurent à Naples sur les lois lombardes, par 
l'influence des professeurs qui étaient en même temps magistrats et avo- 
cats. (Liv. xxvm , chap. ▼.) 

(») Source* principales : tomes ix, x, xr, xii, xm, xiv, de la collec- 
tion des Mémoires relatifs à f histoire de France, édit. de M. Pètilot, par- 
ticuliéreaient les volumes qui contiennent les Mémoires deÇpmines; His- 
toire des ducs dé Bourgogne, par M. de Barante, t. vu et suivans. 



\ 
1 



A9 

teaux et des villes forte» où la guerre les avait renfer- 
més, retrouvaient leurs champs en friche et leur». vil-* 
lages ea ruine. Les compagnies licenciées continuaient 
d'infester les routes et de rançonner le paysan. Les 
seigneurs féodaux, qui venaient d'aider Charles VII à 
chasser les Anglais, étaient rois sur leurs terres, et ne 
reconnaissaient aucune loi divine ni humaine. Un comte. 
d'Armagnac s'intitulait apmte par la grâce de Dieu, 
faisait étrangler les huissiers du parlement, épousait sa 
propre sœur, et frottait son confesseur quand il refusait 
de Vabsoudrei 1 ). L'on avait vu pendant trois ans le 
frère du duc de Bretagne demander du pain aux pas- 
sans par les barreaux de sa prison, jusqu'à ce que son 
frère le fit étrangler. • • - ' 
. C'est vers le roi que se tournaient les espérances da 
pauvre peuple, c'est de lui qu'il attendait quelque sou* 
lagement à sa misère. Le système féodal qui au*X e siè- 
cle avait été le salut de l'Europe, en était devenu le 
fléau. Ce système semblait reprendre son ancienne force 
depuis les guerres des Anglais. Sans parler des comtes, 
4'Albret, dt Foix, d'Armagnac, et de tant d'autres sei- 
gneurs, les maisons de Bourgogne, de Bretagne et 
d'Anjou le disputaient à la maison royale de splendeur 
et de puissance. 

Le comté de Provence, héritage de la jnaison d'An- 
jou,* était une espèce de centre pour les populations 
du Midi, comme la Flandre- pour celles du Nord; 
elle joignait à ce riche comté l'Anjou, le Maine et la 
Lorraine, entourant ^ain^i de tous cotés les domaines 
du roi. L'esprit de l'antique chevalerie semblait s'être 
réfugié dans cette famille héroïque : le monde était 
plein des exploits et des malheurs du roi René, et de 
ses enfans. Pendant que sa fille Marguerite d'Anjou 
soutenait dans dix batailles les droits de lrf Rose rouge, 

(') Pièces da procès de Jean IV, comte d'Armagnac, citées par les au- 
teurs de Y/Irt de vérifier Us dates. C'est Jean V qui épousa sa sœur. 

a. 



l 

20 



Jean de Calabre, son fils, prenait , perdait le royaume 
de Naples, et mourait au moment où l'enthousiasme 
des Catalans le portait au trône d'Aragon. Des espéran- 
ces si vastes, des guerres si lointaines, annulaient en 
France la puissance de cette maison. Le caractère de 
son chefétait d'ailleurs peu propre à soutenir une lutte 
opiniâtre contre le pouvoir royal. Le bon René, dans 
ses dernières années, ne s'ocoapait guère que de poé- 
sie pastorale, de peinture et d'astrologie. Lorsqu'on lui 
apprit qne Louis XI lui avait pris l'Anjou ; il peignait 
une belle perdrix grise, et n'interrompit point son tra- 
vail. v . 

Le véritable chef de la féodalité était lé duc de Bour- 
gogne. Ce prince, plus riche qu'aucun roi de l'Europe, 
réunissait sous sa domination des provinces françaises 
et des états, allemands, une noblesse innombrable, et 
les villes les plus commerçantes de l'Europe. Ggnd et 
Liège pouvaient mettre chacune quarante titille hom- 
mes sur pied. Mais les élémens qui 'composaient cette 
grande puissance étaient trop divers pour bien s'accor- 
der. Les Hollandais ne voulaient point obéir aux Fla- 
mands, ni ceux-ci aux Bourguignons. Une implacable 
haine existait entre la noblesse des châteaux et le peu- 
ple des villes marchandes. Ces fières et opulentes cités 
mêlaient avec l'esprit industriel des temps modernes 
la violence des mœurs féodales. Dès que la moindre at- 
teinte était portée aux privilèges de Gand, les doyens 
des métiers sonnaient la cloche de Roland, et plantaient 
leurs bannières dans le marché. Alors le duc montait à 
cheval avec sa noblesse, et il fallait des batailles et des 
torrens de sang. 

Le roi de France au contraire» était soutenu par les 
villes. Dans ses domaines, les petits étaient bien mieux 
protégés contre les grands. C'était un bourgeois, Jacques 
Cœur, qui lui avait prêté l'argent nécessaire pour re- 
conquérir la Normandie. Partout le roi réprimait la li- 
cence des gens de guerre. Dès 1441, il avait débarrassé 



i 



21 

le royaume des compagnies, en les envoyant contre les 
Suisses qui en firent justice à la bataille de Saint- Jacques. 
En même temps il fpndait le parlement de Toulouse r 
étendait le ressort du parlement de Paris, malgré les 
réclamations du duc de Bourgogne, et limitait toutes les 
justices féodales. En voyant un d'Armagnac exilé, un 
d'Àlençon emprisopné, un bâtard de Bourbon jeté à la 
rivière, les grands apprenaient qu'aucun rang ne met- 
tait au-dessus -des lois. Une révolution si hepreuse faisait 
accueillir avec confiance toutes les nouveautés favo- 
rables au pouvoir monarchique. Charles VII créa, une 
armée permanente de quinze cents lanceç, institua la 
milice des francs archers, qui devaient rester dans leurs 
foyers, et s'exercer apx armes les dimanches» il mit sur 
les peuples une taille perpétuelle sans l'autorisation des 
états-généraux, et personne ne murmura (4444-), 

Le» grands eux-mêmes concouraient à augmenter le 
pouvoir royal, dont ils disposaient tour à tour. Ceux 
qui ne gouvernaient point le roi se contentaient d'in- 
triguer auprès du dauphin et de l'exciter contre son 
père. Tout changea de face lorsque Charles VII suc- 
comba aux inquiétudes que lui donnait son fils, retiré 
en Bourgogne (1461)» Aux funérailles du roi, Dunoisdit 
à toute la noblesse assemblée : «Le roi notre maître est 
» mort}, que ehaoun songe à se pourvoir. » 

"Louis XI n'avait rien de ce caractère chevaleresque 
en faveur duquel les Français pardonnaient tant de 
faiblesses à Charles Vil. Il aimait les négociations plus 
que les combats, s'habillait pauvrement , et s'entourait 
de petites gens. Il prenait un laquais pour héraut, un 
barbier pour gentilhomme de la chambre* appelait le 
prévôt Tristan son. compère. Dans son impatience dV 
baisser les grands , il renvoie dès son arrivée tous les 
ministres de Charles VII j il ôte aux seigneurs toute in- 
fluence dans les élections ecclésiastiques, eh abolissant 
la Pragmatique; irrite le duc de Bretagne en essayant de 
lui ôter les droits régaliens \ le comte de Charolais, fils 



22 

du duc de Bourgogne, eu rachetant à sou père les villes 
de la Somme, et en voulant lui retirer le don de là 
Normandie; enfin il mécontente tous les nobles en ne 
tenant nul compte de leurs droits de chasse, l'offense 
la plus sensible peut-être pour un gentilhomme de ce 
temps («). 

Les grands n'éclatèrent pas avant que l'affaiblissement 
du duc de Bourgogne eût mis toute l'autorité entre les 
mains de son fils le comte de Charolais, depuis si célè- 
bre sous le nom de Charles le Téméraire. Alors le duc 
Jean de Calabre, le duc de Bourbon, le duc de Ne- 
mours, le comte d'Armagnac, le sire d'Albret, le comte 
de Dunois, et beaucoup d'autres seigneurs se liguèrent 
pour le bien public avec le duc de Bretagne et le comte 
de Charolais. Ils s'entendirent, par leurs envoyés, dans 
l'église de Notre-Dame de Paris, et prirent pour signe 
de ralliement une aiguillette de soie rouge. A cette coa- 
lition presque universelle de la noblesse, le foi essaya 
d'opposer les villes, et surtout Paris. Il y abolit presque 
toutes les aides, se composa un conseil de bourgeois, et 
de membres du parlement et de l'université; il confia là 
reine à la garde des Parisiens, et voulut qu'elle fît ses 
couchas dans leur ville, la ville du monde çu il aimait 
le mieux. Il y eut peu d'ensemble dans l'attaque des 
confédérés. Louis XI eut le temps d'accabler le duc dé 
Bourbon. Le duc de Bretagne ne joignit l'armée prin- 
cipale qu'après la bataille de Montlbéri. On avait si 
bien oublié la guerre depuis l'expulsion des Anglais, 
qu'à l'exception d'un petit nombre de corps, chaque ar- 
mée s'enfuit de son côté 0*). Alors le roi entama des né- 
gociations insidieuses, et la dissolution imminente de la 
ligue décida les confédérés à traiter (à Conflans et à 
Sain t-Maur, 1465). Le roi leur accorda toutes leurs de- 
mandes; à son frère, la Normandie, province qui faisait 

1 

(>) ffist. des ducs de Bourgogne; 3« édition j t. vin, p„ 447. 
(*) Coraines, Iiv. i, ch. îv. 



y 



23 . 

à elle seule le tiers des. revenus du roi ; au comte de 
Charolais, les villes de la Somme; à tous 4 les autres, 
des places fortes, des seigneuries et des pensions. Pour 
que le bien public ne parût pas entièrement oublié, on 
stipula, pour la forme, qu'une assemblée de notables 
y aviserait. La plupart des autres articles ne furent pas 
exécutés plus sérieusement que le dernier ; le roi profita 
d'une révolte de Liège et de Dinant contre le duc de 
Bourgogne, pour reprendre la Normandie; fit annuler 
par les états du royaume (à Tours, 14-66) les principaux 
articles du traité de Conflans , et força le duc de Bre- 
tagne à renoncer à l'alliance du comte de Charolais, 
devenu duc de Bourgogne. 

Louis XI , qui espérait encore apaiser ce dernier à 
force d'adresse, alla lui-même le trouver à Péronne 
(Ï468). Il y était à peine que le duc apprit la révolte 
des Liégeois soulevés contre lui par les. agèns du roi de 
France. Ils avaient emmené prisonnier Louis de Bourn 
bon' leur évêque, massacré l'archidiacre, et, par un jeu 
horrible, s'étaient jeté les uns aux autres ses membres 
déchirés. La fureur' du duc de Bourgogne fut telle que 
le roi craignit un instant pour sa vie. Il voyait dans l'en- 
ceinte du château de Péronne là tour où le comte de Ver- 
mandois avait fait autrefois périr Charles le Simple. U en 
fut quitte à meilleur marché/Le duc se contenta de lui 
faire confirmer le traité de Conflans , et de l'emmener 
devant Liège pour voir ruiner cette ville. Le roi, de re-* 
tour, ne 'manqua pas de faire annuler encore par les 
états tout ce qu'il venait de jurer. * 

Alors se ferma contre lui une confédération plus re* 
doutable que celle du bien public. Son frère, à qui il ve- 
nait de donner la Guienne, et les ducs de Bretagne et 
de Bourgogne, y avaient attiré la plupart des seigneurs 
auparavant fidèles au roi. Ils appelaient le roi d'Aragon, 
Juan II, qui réclamait le Roussillon, et lé roi d l Ângle- 
terre \ Edouard IV, beau-frère du duc de Bourgogne , 
qui sentait le besoin d'affermir son règne eh occupant 



2* 

au dehors l'esprit inquiet des Anglais. Le duc de Bre- 
tagne ne dissimulait point les vues dés confédérés. 
« J'aime tant lé bien du royaume de France , disait-il , 
» qu'au lieu d'un roi j'en voudrais six (0. » Louis XI n'a- 
vait pas à espérer d'être soutenu cette fois par les villes, 
qu'il écrasait d'impôts. La mort de son frère pouvait 
seule rompre la ligue : son frère mourut. Le roi, qui se 
faisait instruire des progrès de la maladie , ordonnait 
des prières publiques pour la santé du duc de Guienne, 
et faisait avancer des troupes pour s'emparer de son 
apanage. Il étouffa la procédure commencée contre le 
moine qu'on soupçonnait d'avoir empoisonné le prince, 
et fit répandre que le diable l'avait étranglé dans sa 
prison. # . * ' 

Débarrassé de son frère , Louis XI repoussa Juan II 
du Roussillon, Charles le Téméraire de la Picardie, 
et s'assura de tous les ennemis qu'il avait dans le 
royaume (*). Mais le plus grand danger n'était point 
passé. Le roi d'Angleterre débarqua à Calais, en récla- 
mant, comme de coutume, son royaume de France. La 
nation anglaise avait fait de grands efforts pour cette 
guerre. Le roi, dit Comines, avait dans son armée dix 
ou douze hommes, tant de Londres que d'autres villes, 
gros et gras, qui étaient les principaux entre les àom- 
munes d'Angleterre; et qui avaient tenu la main à ce 
passage, et à lever cette puissante ajmêe. Au lieu de re- 
cevoir les Anglais à leur arrivée, et de les guider dans 
ce pays où tout était nouveau pour eux, le duc da 
Bourgogne s'en était allé* guerroyer en Allemagne. Ce- 
pendant le temps étpit mauvais ; quoique Edouard eût 
soin défaire loger en Bonne tente les hommes des com* 

(0 Hist. des ducs de Bourgogne, t. ix, p. 412. 
(») Du doc d'Alençon, en l'emprisonnant (1472); du rot René , en lui 
enlevant l'Anjou (1474) ; du duc de Bourbon, en donnant Anne de France 
' ^ son frère (1473-34), et en le nommant lui-même son lieutenant dans 
plusieurs provinces du Midi (1475) ; enfin du comte d'Armagnac et de 
Charles d'Albret (1473) , du duc de Nemours et du connétable de Saint- 
Pol (1475-57), en les faisant mettre à mort tous les quatre. 



25 

n tunes qui l'avaient suivi, ce n'était point là vie quils 
avaient accoutumée; ils en furent bientôt las; iïs 
avaient cru qu'ayant une fois passé la mer, ils nu- 
iraient une bataille au boit de . trdis jours. (Comines , 
1. iv, ch. xi.) Louis trouva moyen de faire accepter âtt 
roi et à ses favoris des présens et des pensions, traita 
tons les soldats- à table ouverte, et se félicita de s'être 
ainsi défait, pour quelque argent, d'une armée qui Ve- 
nait conquérir Ja France. 

Dès cette époque il n'eut plus rien à craindre de 
Charles le Téméraire. Ce prince orgueilleux avait conçu 
le dessein de rétablir dài}s de plus vastes proportions 
l'ancien royaume de Bourgogne, en réunissant à ses 
états la Lorraine, la Provence, le Dauphiné et là Suisse. 
Louis XI se garda bien de l'inquiéter; il prolongea les 
trêves, et le laissa s'aller heurter contre TAlléniagnè. 
JEn effet, le dric ayant yfadu forcer la ville de Néuss de 
recevoir uti des deux prétendans à l'archevêché de Côlé- 
gne, tous lé$ princes de PEmpire vinrent l'observer àVèc 
une armée de cent mille hamnW. Il s'obstifià une alin'éé 
entière, et ne quitta ce malheureux Stége que pour tour- 
ner ses armes contre les Suisses. 

Ce peuple de bourgeois et de paysans affranchis de- 
puis deux siècles du joug de la maison d'Autriche était 
toujours haï dès princes et delà noblesse. Louis Xf/èn- 
core dauphin, avait éprouvé la valeur des Suisses à là 
bataille de Saint- Jacques, bit seifte cfenls d'entre eux s*é- 
taient firit tuer, plutôt que de reculer devant Vingt m'ille 
hommes. Néanmoins le sire d'Hagenbâch, gouverneur 
du duc de Bourgogne dans le comté de 'Fèrrette, vexait 
leurs alliés et ne craignait pas de les insulter eux-mê- 
mes. JVbia éeorefter&ns Cours de Berne, disait-il, et nous 
nous en Jhrons une JbuiTure. Ca patience dés Suisses 
se lassavilà éditèrent avec les Autrichiens, leurs anciens 
ennemis, firent déçapifer ftàgenbach, et battirent les 
Bourguignons à.Héricourt, En vain ils essayèrent d'a- 
paiser le duc dé Bourgogne ; en vain ils lui exposèrent 



26 

qu' il n'avait rien à gagner contre eux. «Il y a plus 
d'or, disaient - ils, dans les éperons de vos chevaliers], 
que vous n'en trouverez dans tous nos cantons. Le duc 
fut inflexible. Ayant envahi la Lorraine et la Suisse, il 
prit Trranson , et fit noyer la garnison qui s'était rendue 
sur sa parole. Cependant l'armée des Suisses avançait; 
le duc de Bourgogne eut l'imprudenèe* d'aller à sa ren- 
contre, et de perdre ainsi l'avantage que la plaine don- 
nait à sa cavalerie. Placé sur la colline qui porte encore 
aujourd'hui son nom, il les vit fondre du haut des mon- 
tagnes, eu criant Granson! Gransonl En même temps 
on entendait dans toute la vallée, ces deux trompes d'une 
monstrueuse grandeur, que les Suisses avaient, disaient- 
ils, reçues autrefois de Charletnagne, et qu'on nommait 
le taureau d'Uri et la vache d'Underwàlden. Rien n'ar- 
rêta les confédérés. Les Bourguignons essayèrent tou^ 
Jours inutilement de plonger dans cette-forêt de piques 
qui s'avançait au pas de course. La déroute fut bientôt 
complète. Le camp du duc, ses canons, ses trésors tom- 
bèrent entre les mains des vainqueurs. Mais ceux-ci 
ne savaient pas tout ce qu*ils avaient gagné.* L'un d'eux 
vendit pour un écu le gros diamant du duc de Bour- 
gogne ; l'argent de son trésor fut partagé sans compter, 
et mesuré à pleins chapeaux» Cependant le malheur 
n'avait /point instruit Charles le Téméraire. Trois mois 
après il vint attaquer les Suisses à Mo rat, et éprouva 
une défaite bien plus sanglante. Les vainqueurs ne 
firent point de prisonniers, et élevèrent un monument 
avec les ossejnens des Bourguignons, Cruel, comme à 
Morat, fut long-temps un dicton populaire parmi lés 
Suisses (U76). 

Cette défaire fut la ruine de Charles le Téméraire. Il 
avait épuisé ses bonnes «lies d'hommes et d'argent; de- 
puis deux ans il tenait ses gentilshommes sous les armes. 
Jl tomba dans une mélancolie qui approchait du délire, 
laissant croître sa barbe, et ne changeant plus de vête- 
ment. U s'obstinait à vouloir chosser de Lorraine le jeune 



27 

René qui venait d'y rentrer. Ce prince, qui avait com- 
battu pour les Suisses, qui se plaisait st parler leur lan- 
gue, qui prenait quelquefois leur costume, les vit bien- 
tôt venir à son secours. Le duc de Bourgogne, réduit à 
trois miHe hommes, ne toulut point fuir devant un en* 
fant, mais il avait lui-même peu d'espérance; au mo- 
ment def combattre , l'Italien Carapo-Basso, auprès du* 
quel Louis XI marchandait depuis long-temps la vie de 
Charles le Téméraire, arracha la croix rouge, et com- 
mença' ainsi la défaite des Bourguignons (i 477). Quelques 
jours après on retrouva le corps du prince; on l'apporta 
en grande pompe à Nancy; Béntf vint lui jeter de l'eau 
bénite , et lui prenant la main : Beau cousin, lui dit-il , 
Dieu aie votre ame ! vous nous ayez fait moult maux et 
douleurs. Mais le peuple ne voulut pas croire à la mort 
d'un prince qui depuis si long-temps occupait la renom- 
mée. Ou assurait toujours qu'il ne tarderait pas à repa- 
raître; et, dix ans après, des marchands livraient gra- 
tuitement leurs marchandises , sous condition qu'on les 
leur paierait le double ^au retour du grand duc de 
Bourgogne. (De Barante, t. x, 1 passxm.y 
« La chute de la maison de Bourgogne affermit pour 
toujours celle de France. Les possesseurs' des trois 
grands fiefs', Bourgogne, Provence, Bretagne, étant 
morts sans enfans mâles, nos rois déraeînbrèrent la 
première Succession (4477), recueillirent la seconde en 
vertu d'un testament (4484),- et la troisième par un 
mariage (f 491). . •» < 

D'abord Louis XI espérait acquérir tout l'héritage de 
Charles le Tém&'aire en mariant le« dauphin à sa fiHe 
Marie de Bourgogne. Mais les états de Flandre, las d'o- 
béir aux Français, donnèrent la main de leur souve- 
raine à Maximilien d'Autriche, depuis empereur et 
grand-père de Charles-Quint. Ainsi commença la riva- 
lité des maisons .d'Autriche et de France. Malgré la dé- 
faite des français à Guinegate, Louis XI resta du moins 
maître, de l'Artois et de la Franche-Comté, qui, par le 



28 

t 

traité d'Arras(* 48* ), devaient former la dot de Margue- 
rite, fille de l'archiduc, promise au dauphin (Char- 
les VIII). 

Lorsque Louis XI laissa le trône à son fils encore en- 
fant (14&3), fa France, qui avait tant souffert en silence, 
éleva la voix. Les états, assemblés en i À$Â> par la régente 
Anne de Beau jeu, voulaient : i° donner à leurs délégués 
la principale influence dans le conseil de régence ; i° ne 
voter l'impôt que pour deux ans, au bout desquels ils 
seraient de nouveau assemblés ; 3° régler eux-mêmes la 
répartition de L'impôt. Les six nations entre, lesquelles 
les états étaient divisés commençaient à se rapprocher, 
et voulaient se former toutes en pays d'états, comme le 
Languedoc et la Normandie, lorsqu'on prononça la dis- 
solution de rassemblée. La régente continua le règne 
de Louis XI par sa fermée à l'égard des grands. Elle 
accabla le duc d'Orléans qui lui disputait la régence, et 
réunit la Bretagne à la couronne, en mariant son frère 
avec l'héritière -de ce dbché. Ainsi fut accompli l'ou- 
vrage de l'abaissement des grands. Ainsi la France at- 
teignit cette unité qui allait la rendre redoutable à 
toute l'Europe. Aux vieux serviteurs de Louis XI succède 
une autre génération, jeune et ardente comme son roi. 
Impatient de faire valoir les droits qu'il a hérités de la 
maison d'Arfjou sur le royaume de Naples, Charles VIII 
apaise à force d'argent la jalousie du roi d'Angleterre, 
rend le Roussillôn à Ferdinand le Catholique, à Maxi- 
miliçn l'Artois el la Franche-Comté : il n'hésite point 
à sacrifier, trois dés plus fortes barrières dqla France. 
La perte de quelques provinces importé peu au conqué- 
rant futur du royaume dp Naples et de L'empire d'O 1 - 
rient. 



29 

§ II. — Suite du chap. II. — Angleterre, 4454-1509 ; 

Ecosse, 1452-1513(0. 

Toujours battus depuis un siècle par les Anglais, les 
Français avaient enfin leur tour. A chaque campagne, 
les Anglais , chassés de nos villes parOtwois ou Riche- 
mont , revenaient dans leurs provinces couverts de 
honte, et s'en prenaient à leurs généraux, à leurs mi- 
nistres; c'étaient tantôt les querelles des oncles du roi, 
tantôt] le rappel du duc" d'York, qui a voient causé leurs 
défaites. Au vainqueur d'Azincourt avait succédé le 
jeune Henri VI, dont l'innocence et la douceur étaient 
si peu faites pour ces temps de troubles, et dont la 
faible raison acheva de s'égarer au commencement 
de la guerre civile. Tandis que le revenu annuel de 
la couronne était tombé à 5,000 livres sterling (*), 
plusieurs grandes familles avaient réuni des fortunes 
royales par des mariages et des successions. Le seul 
comte deWarwick,,le dernier et le plus illustre exem- 
ple de l'hospitalité féodale, nourrissait journellement 
dans ses terres jusqu'à trente mille personnes (3); quand 
il tenait maison à Londres, ses vassaux et ses amis 
consommaient six bœufs par repas (4). Cette fortune 
colossale était soutenue par tous les talens d'un chef de 
parti. Son intrépidité était étrangère au point d'hon- 
neur chevaleresque-, cet homme, qu'on avait vu atta- 
quer une flotte double de la sienne (5), fuyait souvent 
sans" rougir (6), lorsqu'il voyait plier les siens. Impi- 
toyable pour les nobles, il épargnait le peuple dans 
les batailles. Gomment s'étonner qu'il ait mérité le 
surnom de faiseur de rois? 

(0 Sources principales : Rapin-Thoiras, Hame, Lingard. C'est le der- 
nier qu'on a suivi le plus souvent, parce qu'il préfère ordinairement les 
témoignages contemporains. , 

(») Lingard, t. v de la traduction française, p. 259. — ( 3 ) Hume. — - 
(4) Lingard, t. v, p. 284. —. ( 5 ) ld. p. 232. — C ti ) Comines, liy. m , chap. 



VII. 



80 

La cour, déjà si faible contre dé tels hommes, aggra* 
vait encore, comme à plaisir, le mécontentement du 
peuple. Lorsque la haine des Anglais contre la France 
était aigrie par tant de revers, on leur donna une reine 
française. C'était la belle Marguerite d'Anjou , fille du 
. roi René de Provence, qui devait porter en. Angleterre 
F esprit héroïque de sa famille, mais non ses douces ver- 
tus. Henri achète sa main par la cession du Maine et de 
F Anjou; au lieu de recevoir une dot, il en donne une. 
Un an s'écoule à peine depuis ce mariage,. et l'oncle 
du roi, le bon due de Glocester, que la nation adorait 
parce qu'il voulait toujours la guerre, est trouvé mort 
dans son lit. Les mauvaises nouvelles arrivent de France 
coup sur coup; on s'incjigne encore de la perte du 
Maine et de l'Anjou, et l'on apprend que Rouen, que 
la Normandie entière est aux Français ; leur armée ne 
trouve en Guienne aucune résistance. Pas un soldat 
n'est envoyé d'Angleterre, pas un gouverneur n'essaie 
de résister (0, et au .mois d'août 14-51, l'Angleterre n'a 
plus sur le continent que la ville de Calais. 

L'orgueil national, si cruellement humilié, commença 
à chercher un vengeur. Les regards se tournèrent vers 
Richard d'York, dont les droits, prescrits, il est vrai, 
depuis long-temps, étaient supérieurs à ceux de la mai- 
son de Lancastre. A lui se rallièrent les Nevil et une 
grande partie de la noblesse. Le duc de Suffolck , le fa- 
vori de la reine, fut leur première victime. Un impps- 
teur souleva ensuite les hommes de Kent, toujours prêts 
à commencer les révolutions; les conduisit à Londres, 
et fit tomber la tête de lord Say, autre ministre , de 
Henri. Enfin les partisans de Richard lui-même vinrent 
en armes. à Saint -Alban demander qu'on leur livrât 
Sommerset, qui, après avoir perdu la Normandie, était 
devenu premier ministre. Voilà le premier sang versé 
dans cette guerre qui doit durer trente ans, qui doit 

(')Lingard,p. 192. 



coûter la vie à quatre-vingts princes, et exterminer l'an- 
cienne noblesse du royaume. Le duc d'York fait son roi 
prisonnier, le reconduit en triomphe à Londres, et se 
contente du* titre de protecteur (i 45 5). 

Cependant Marguerite d'Anjou arme les comtés du 
nord, ennemis constans des innovations. Elle est bat* 
tue à Northampton. Henri tombe de nouveau entre les 
mains de ses ennemis, et le. vainqueur, ne dissimulant 
plus ses prétentions, se fait déclarer par le parlement 
héritier présomptif du trône» Il touchait ainsi au but 
de son ambition, lorsqu'il rencontra près de Wakefield 
l'armée que l'infatigable Marguerite avait encore ras* 
semblée. Il accepta le combat-, malgré l'infériorité de 
ses forces, fut vaincu, et sa^t&te, ttrnée par là reine 
d'un diadème de papier , fût plantée sur la muraille 
d'Yorck. Rutland, son fils, à peine âgé de douze ans, 
fuyait avec son gouverneur, lorsqu'on l'arrête au pont 
de Wakefield. L'enfant tombe à genoux, incapable de 
parler; et le gouverneur l'ayant nommé , « ï*on,père a 
» tué mou père, s'écrie lord Clifford, il faut que tu naeu- 
»res aussi, toi et les tiens; »*et il le poignarde. Cette 
barbarie, sembla avoir ouvert un abîme entre les deux 
partis; les échafauds furent désormais dressés Sur les 
champs de bataille, et attendirent les vaincus. 

Alors commença d'une manière plus régulière la lutte 
de la Rose blanche et de la Rose rouge»; tels étaient les 
signes de ralliement d'York et de Lancastre. Warwick 
fait proclamer roi, par la populace de Londres, le fils 
du duc d'Yofck, sous le nom d'Edouard IV (1461 > En- 
fant de la guerre civile , Edouard versait volontiers le 
sang, mais il intéressait le peuple par le malheur de son 
père et de son frère : il n'avait N que vingt ans, il ai- 
mait le plaisir, et c'était le plus bel homme du siècle. Le 
parti de Lancastre n'avait pour lui que la .longue pos- 
session du trône et les sermons du peuple. Lorsque la 
reine entraînait vers le midi la t tourbe effrénée des 

paysans du nord, qui ne se payaient que par le pil- 

• 



32 

lage ('), Londres et tes plus riches provinces s'atta- 
chaient à Edouard commç à un défenseur. Bientôt War- 
. wick conduisit son jeune roi contre elle jusqu'au village 
de Towton* C'est là que pendant tout un jour, sous une 
neige épaisse, combattirent les deux partis avec une 
fureur peu coçnmune, même dans les guerres civiles. 
Warwick, voyant plier les siens, tue son cheval, baise 
la croix que formait la garde de son épée, et jure 
qu'il partagera le sort du dernier des soldats. Les Lan- 
castriensswU précipités dans les eaux du Cock. Edouard 
Refend de faire quartier aux vaincus ; trente-huit mille 
hommes sont noyés ou massacrés. La reine, ne ména- 
geant plus rien , s'adressa aux étrangers, aux Français; 
déjà eÙe avait livré Berwick aux Écossais ; elle passa en 
France, et promit à Louis XI de lui donner Calais en 
gage pour en obtenir un faible et odieux secours. Mais 
la flotte qui portait ses trésors fut brisée par la tem- 
pête ; elle perdit la bataille d'Exham et ses dernières 
espérances (i 463). Le malheureux Henri retomba bien- 
tôt au pouvoir de ses ennemis. La reine parvint en 
France avec son fils à travers les plus grands dangers. 
Après la victoire vint le partage des dépouilles. War- 
wick et les autres Nevil eurent la part principale. 
Mais bientôt ils virent sucèéder à leur crédit les parens 
d'Elisabeth Widewile, simple lady, que l'imprudent 
amour d'Edouard avait élevée au trône (*). Alors \e fai- 
seur de rois ne songea plus qu'à détruire son ouvrage ; 
il négocia avec la France, souleva le nord de l'Angle- 
terre, attira dans son parti le frère même du roi, le duc 
de Clarence, et se rendit maître de la personne d'E- 
douard; l'Angleterre eut un instant deux rois prison- 

* 

(0 Hume, Iiogard, p. 25. 

00 D'après une tradition généralement suivie , "^Tarwick aurait négo- 
cié en France le mariage du roi d'Angleterre avec Bonne de Savoie , 
belle-sœur de Louis XI, pendant qu'Edouard épousait Elisabeth Wide- 
vtle. Celie tradition n'est point confirmée par le témoignage des trois 
principaux historiens contemporains. (Lingard.) 



33 

niers. Mais Warwick se vit bientôt obligé de fuir avec 
Clarence, et de passer sur le continent: 

On ne pouvait renverser York que' par les forces 
de Lancastre. Warwick se réconcilie avec cette même 
Marguerite d'Anjou qui avait fait décapiter son père, et 
repasse en Angleterre sûr les vaisseaux du roi de France* 
En vain Charles le Téméraire avait averti l'indolent 
Edouard; en vain le peuple chantait dans ses ballades 
le nom de l'exilé, et faisait allusion, dans les spectacles 
informes de cet âge, à son infortune et à ses vertus (0. 
Edouard ne se réveilla qu'en apprenant que Warwick 
marchait à lui avec plus de soixante mille hommes. 
Trahi par les siens à Nottingham, il se sauva si précipi- 
tamment, qu'il aborda presque seul dans les états du 
duc de Bourgogne (14-70). 

Pendant qu'Henri VI sort de la Tour de Londres, 
et que le roi de France célèbre par des fêtes publiques 
le rétablissement de son allié, Clarence, qui se repent 
d'avoir travaillé pour la maison de Lancastre, rappelle 
son frère en Angleterre. Edouard part de Bourgogne 
avec les secours que le duc lui fournit secrètement, dé- 
barque à Ravenspur, au lieu même où Henri IV aborda 
autrefois pour renverser Richard H; s'avance sans ob- 
stacle, et déclare sur la route qu'il réclame seulement 
le duché d'York, héritage de son père. Il prend la 
plume d'autruche (*), et fait crier par les .siens : Longue 
vie au roi Henri! Mais, dès que son armée eât assez 
forte, il lève le masque et vient disputer le trône aux 
Lancastriens dans la plaine de Barnet. La trahison de 
Clarence, qui passa à son frère avec douze mille hommes, 
et l'erreur qui fit confondre le soleil que portait ce jour- 
là dans ses armes le parti d'Edouard avec l'étoile rayon- 
nante du parti 'opposé, entraînèrent la perte de la ba- 
taille et la mort du comte de Warwick. Marguerite, 

(') Lingard, p. 308. 

(») Que portaient les partisans du prince de Galles, fils de Henjri VI. 
1b. p. 315. 



u 

attaquée avant d'avoir réuni les forces qui lui restaient, 
fut vaincue et prise avec son fils à Teukesbury . Le jeune 
prince fut conduit dans la tente du roi ; « Qui vous a 
» rendu si hardi , lui dit Edouard, pour entrer <lans 
» mes États? — Je suis venu, répondit fièrement le jeune 
» prince, défendre la couronne de mon père et mon pro- 
» pre héritage. » Edouard irrité le frappa de son gan- 
telet au visage, et ses frères Clarence et Glocester, ou 
peut-être leurs chevaliers , se jetèrent sur lui et le per- 
cèrent de coups. Le jour m^me de Ventrée d'Edouard a 
Londres, on dit que Henri VI périt à la Tour, de la main 
même du duc de Glocester (4 471 ). Dès lors le triomphe 
de la Rose blanche fut assuré. Edouard n eut pins a 
craindre que ses propres frères. Il prévint Clarence en 
le faisant mourir sous de vains prétextes, mais il fut em- 
poisonné par Glocester, si Ton doit en croire le bruit qui 
courut (i 483). Voyez plus haut son expédition en France, 
-A- peine Edouard laisse- t-U le trône à son jeune (ils 
Edouard Y> qw$ I e d u <? ^ e Ploçester se fait nommer 
protecteur, La reine-mère, qui savait trop quelle pro- 
tection elle avait à attendre 4e cet homme , dont l'as- 
pect seul faisait horreur, s'était réfugiée h Westmins- 
ter; le respect du lieu saint n'arrêtant point Richard, 
elle lui remit en tremblant se^ deux gis ; mais il ne pou- 
vait rien entreprendre contre eux ayant d'avoir fait 
périr leurs défenseurs naturels, lord HaMing* surtout, 
l'ami personnel d'Edouard IV. Richard entre un jour 
dans la salle du conseil avec un air enjoué; puis, chan- 
geant tout-àrcoup de visage : « Quelle peine , ç'écrie- 
» t-il, méritent ceux qui complotent la mort du Protec- 
» teur ? Voyeft dans quel éfat la fiçmme de mon frère et 
» Jeanne Shore (c'était la maîtresse d'Hastipgs) m'ont 
» réduit par leurs sortilèges? » et il montrait un bras des- 
séché qu'il avait dans cet état depuis sa naissance.. En- 
suite , s'adressant à Hastings : « C'est vous qui êtes l'in- 
» stigateur de tout cela. Par saint Paul ! je ne dînerai 
» pas qu'on ne m'ait apporté votre tête. » Il frappe sur 



35 

une table; des soldats fondent dans la salle, entraînent 
Hastîngs , et le décapitent dans la cour, sur une pièce 
de charpente qui se trouvait là. Alors le parlement 
déclare les deux jeunes princes bâtards et fils de bâ- 
tard^ Un docteur Sbaw prêcbe au peuple que les reje- 
Jtons illégitimes ne profileront pas; une douzaine d'ou- 
vrirers jettent leurs bonneti en l'air en criant : Vive le 
roi Richard ! et il accepte la couronne pour seconfor* 
mer aux ordres du peuple. Ses nexreux furent étouffés 
à la Tour, et long-temps après Ion retrouva deux sque- 
lettes d'enfans sous l'escalier de la prison. 

Cependant le trône de Richard III était mal affermi, 
Il restait au fond de la Bretagne un rejeton 4e Lan- 
castre , Henri Tudor de Richmont, dont les droits à la 
couronne étaient plus que douteux 0). Il était, par son 
aïeul Qwen Tpdor, d'origine galloise. Les Gallois l'ap- 
pelèrent (*), §i )'on excepte les comtés du nord, où 
Richard avait beaucoup de partisans (3), toute l'Angle- 
terra attendait Richmont pour se déclarer en sa faveur. 
Richard, ne sachant à qui se fier, précipita la crise, et 
s'avanùça jusqu'à Ro$>vorth< 4 peine les deux aruiéçs 
étaient ep présence, qu'il reconnut dans les rangs op- 
posés les Stanley, qu'il croyait pour lui. Alors il s'é- 
lança, la couronne en téte t en criant: a Trahison i tra- 
» hisoA 1 » tue de sa main deu* gentilshommes, renverse 
l'étendard 1 ennemi, et se fait jour jusqu'à son rival (4)j 
mais il est accablé par le nombre. Lord Stanley lui 
arrache la couronne et la place sur la tête 4c Henri. 
Le corps dépouillé de Richard fat mis derrière un ca- 
valier, et conduit ainsi k l*eicester, la tête pendante 
d'un côté et les pieds de l'autre (1495). 

Henri réunit les droits cfes deux maisons rivales par 
son mariage avec Elisabeth, fille d'Edouard IV. Mais 
son règne fut longtemps troublé par les intrigues de la 

(«) Lingàrd, p. 397. — (>) Thierri, Hist. de la conquête de ? Angle- 
terre par les Normands, i. i« de la 3 e édition. — (3) Liagard, p. 386, 

396, 40». — (4) ld. P- 411. * 

3. 



, . . 36 

veuve d'Edouard et de la sœur de ce prince, duchesse 
douairière de Bourgogne. Elles suscitèrent d'abord con- 
tre lui un jeune boulanger, qui se faisait passer pour le 
comte de Warwick, fils du duc de Clarence. Henri, 
ayant défait les partisans de l'imposteur à la bataille 
de Stoke, remploya comme marmiton dans ses cuisi- 
nes, et peu après, en récompense de sa bonne conduite, 
lui donna la charge de Fauconnier (0. Un rival plus re- 
doutable s'éleva ensuite contre lui. Ce personnage mys- 
térieux, qui ressemblait à Edouard IV, prenait le nom 
du second fils de ce prince. La duchesse de Bourgogne 
le reconnut pour son neveu , après un examen solen- 
nel , et le nomma publiquement la Rose blanche d 'An- 
gleterre (*). Charles V11I le traita en roi. Jacques III, 
le roi d'Ecosse, lui donna en mariage une de ses pa- 
rentes : mais ses tentatives ne furent point heureuses. 
Il envahit successivement l'Irlande, le nord de l'An- 
gleterre, le comté de Cornouailles, et fut toujours 
repoussé. Les habitans de ce comté , trompés dans les 
espérances qu'ils avaient conçues à l'avènement d'un 
prince de race galloise ( 3 ), refusèrent de payer les im- 
pôts, et jurèrent de mourir pour le prétendant. Il n'en 
fut pas moins fait prisonnier, et forcé de lire, dans la 
salle de Westminster, une confession signée de sa main . 
Il y reconnaissait qu'il était né à Tournay, d'une fa- 
mille juive , et qu'il s'appelait Perkin Warbeck. Un nou- 
vel imposteur ayant pris le nom du comte de Warwick, 
Henri Vît voulut terminer ces troubles, et fit mettre 
à mort le véritable comte de Warwick, prince infor- 
tuné donl la naissance faisait tout le crime, et qui, 
dès ses premières années, était enfermé à la Tour de- 
Londres. ' 

Telle fut la fin des troubles qui avaient coûté tant de 
sang à l'Angleterre^ Qui fut vaincu dans cette longue 

•>■ # i 

(•; Lingard, p. 441. — (») /,/. p. 467. — (3) Thierri, Histoire de la con~ 
I quête i? Angleterre par Us Normands; i™ édition, t. iil 



.\ 



37 

lutte? ni York. ni Lancastre, mais l'aristocratie an- 
glaise, décimée dans les batailles, dépouillée par les 
proscriptions. Si Ton en croyait Fortescue, près du cin- 
quième des terres du royaume serait tombé par confis* 
cation entre les mains de Henri VIT. Ce qui fut plus fu- 
neste encore à la puissance des nobles, c'est la loi qui 
leur permit d'aliéner leurs terres en cassant les substi- 
tutions.. Les besoins croissans d'un luxe inconnu jusque 
là les firent profiter avidement de cette permission de 
se ruiner. Us quittèrent, pour vivre à la cour, le séjour 
dç leurs châteaux antiques, où ils régnaient en souve- 
rains depuis la conquête. Ils renoncèrent à cette hospi- 
talité somptueuse par laquelle ils avaient si long-temps 
entretenu la fidélité de leurs vassaux. Les hommes des 
barons trouvaient déserte la salle des plaids et celle des 
festins; ils abandonnaient ceux qui les avaient aban- 
donnés, et retournaient, chez eux hommes du roi. (Abo- 
lition du droit de maintenance.) ' 

Le premier souci de Henri VII pendant tout son règne 
fut l'accumulation d'un trésor : on comptait si peu sur 
l'avenir après tant de révolutions! Exigence des dettes 
féodales, rachat des services féodaux, amendes, confis- 
cations, tous les moyens lui furent bons pour atteindre 
son. but. Il obtint de l'argent de son parlement pour 
faire la guerre à la France; il en obtint des Fran- 
çais pour ne poirt la faire, gagnant sur ses sujets par 
la guerre, et sur ses ennemis par la paix (Bacon). 11 
chercha aussi à s'appuyer sur des alliances avec des dy- 
nasties mieux affermies, donna sa fille au roi d'Ecosse, 
et obtint pour son fils l'infante d'Espagne (1 502-3). Sous 
lui, la marine et l'industrie prirent leur premier essor. Il 
envoya à la recherche de nouvelles contrées le Vénitien 
Sébastien Gabotto, qui découvrit F Amérique du Nord 
(1498). Il accorda à plusieurs villes l'exemption de la 
loi qui défendait au père de mettre son fils en appren- 
tissage à moins d'avoir* 20 shellings de rente en fonds 
de terres. Ainsi au moment où Henri VII fonde la 



38 

toute-puissance des Tudors sur l'abaissement de la no- 
blesse', nous voyons commencer 1'élévaliott d<s cotn* 
mu nés, qni dans nir siècle et demi renverseront les 
Stuarts. 

Le temps était loin encore ou l'antre royaume de far 
Grande-Bretagne parviendrait h un ordre aussi régu- 
lier: L'Ecosse contenait bien plus <fé!émens de discorde 
que l'Angleterre. D'abord le sol plus montagneux avait 
mieux favorisé la résistance des races vaincues. La sou- 
veraineté des gens des basses terres sur \e$ montagnards, 
des Saxons sur lesCettes ('), était purement nominale. 
Ceux-ci ne connaissaient guère de souverains que les 
chefs héréditaires de leurs clans. Le principal de ces 
chefs , le lord des îles, comte de Ross, était à F égard 
des rois d'Ecosse sur le pied d'un souverain tributaire 
plutôt que d'un sujet ; c'était Fami secret ou dédaré 
de tous les ennemis /in roi, l'allié de l'Angleterre con- 
tre l'Ecosse, eelui des Douglas contre les Stuarts. Les 
premiers princes de cette dynastie ménagèrent les mon- 
tagnards, faute de pouvoir les réduire; Jacques I** les 
exempte expressément d'obéir à unç loi, attendu, dit-il, 
que e* est lent usage de se piller et de se tuer les uns les 
outrés (*). Ainsi la civilisation anglaise, qui etrvalriss&tt 
peu à peu l'Ecosse, s'arrêtait aux monts Gfampian. 

Au midi même de ces monts, l'autorité royale trou- 
vait cPinfatigables adversaires dans les lords et tes ba- 
rons, dans les Douglas surtout; cette famille héroïqne, 
qui avait discuté le trône asrx Stuarts dès l'avènement 
de leur dynastie, qui depuis était aHée combattre les An* 
# glàis en France, et qui avait rapporté pour trophée le 
titre de comtes deTouraine. Dans la famille même des 
Stuarts, les rois d'Ecosse avaient des rivaux; leurs frères 

(»> Les montagnard* appellent toujours Saxon* lee autres Écossais. 

(a) Piokerton, History ofSeotland, from tht accession of the housc 
àfStuart lo thaï of Mary, wilA appendices of original papers. In-4» , 
1797, t. i, p. t5fc. 



39 

où leurs cousins, les ducs d'Albany, gouvernaient en. 
leur nom, ou les inquiétaient de leufg prétention* am- 
bitieuses. Qu'on ajoute à ces causes de troublés la singu- 
larité d'une suite de six minorités (4437-1 578), H l'on 
comprendra pourquoi l'Ecosse fut le dernier royaume 
qui sortit de l'anarchie du moyen âge; 

Après les guerres de France, la lutte contre les Dou- 
glas devint pi» terrible. Les rois y déployèrent plus 
de violence que d'habileté. Sous Jacques II , William 
Douglas* attiré par le chancelier Oiefaton au château 
d'Edimbourg, y fut mis à mort avec quelques formes 
d'after justice dérisoire \\ 440).Un autreWilliamDouglas, 
le pi «s insolent de tous ceu* qui portèrent ce nou»> ayant 
été appelé par le même prince à Stirling, le poussa à 
bout par des paroles outrageantes, et fut poignardé de 
sa main (i 452). Son frère, Jacques Douglas, marcha con- 
tre le roi à là tète de quarante mille hommes, le força 
de s'enfuir dans le nord , et l'eût vaincu s'il n'eût insulté 
les Hamtltdns, jusque là attachés à. sa famille. Douglas, 
abandonné des siens, fut obligé de s'enfuir èh A^gle- 
teiYe, et lés gùèfires des Bôsès qui commentaient éinS 
péchèrent les Anglais de se stervir de ce dangereux exilé 
pour troubler, l'EtoSsç. Les comtes d'Angusf, branche 
de la maison de Douglas, reçurent le comté dç Dou- 
glas, et ne fanent guère moins redoutables* aux rois. 
Peu après les Hamihons s'élevèrent aussi , et devinrent , 
avec les Campbell , courtes d'Argyle, les plusptri&ans 
seigneurs de FEcosse an xn é et au xvn« siècle. 

Soità Jkeqttèà fil (1 4<SO), TÉdôsie s'étendit au n# è et 
an toi* pat rasquisiliéu dés Oreades et de Berwiek \ la 
réunion du comté de Rdss à la couronne abattit pour 
toujours la puissance dtf lord des îles; et pourtant nul 
règne ne fat plus' hctèiteu*. Jamais prière né ehoqua, 
comme Jacques 111, le* idées et lés usagés de son peu- 
ple. Qttel laird écossais eàt daigné obéir à M roi tou- 
jours caché dans un château fort, étranger aux arau- 
semens guerriers de la noblesse, entouré d'artistes an- 



40 

glais, décidant de la paix et de la guerre d'après les 
conseils d'un maître de musique, d'un maçon et d'un 
tailleur?. Il avait été jusqu'à défendre aux nobles de 
paraître armés à sa cour, comme s'il eût craint de voir 
une épée. 

Encore s'il se fût appuyé de l'amour des communes 
ou du clergé contre la noblesse : mais il se les aliéna en 
ôtant aux bourgs l'élection de leurs aldermen, au clergé 
la nomination de ses dignitaires. 

Jacques III, qui se rendait justice, craignit que ses 
deux frères, le duc d'Albahy et le comte de Mar, ne 
voulussent supplanter un roi si méprisé. La prédiction 
d'un astrologue le décida à les enfermer au château 
d'Edimbourg. Albany se sauva, et le lâche monarque 
crut assurer son repos en faisant ouvrir les veines à son 
jeune frère. Les favoris triomphaient ; le maçon ou ar- 
chitecte Cochrane osa se faire donner la dépouille de sa 
victime, et prendre le titre de comte de*Mar, Telle 
était sa confiance dans l'avenir, qu'en mettant en circu- 
lation une monnaie de faux aloi, il avait dit: «Avant 
» que ma monnaie soit retirée, je serai pendu. » 11 le 
fut en effet. Les nobles saisirent les favoris sous les yeux 
du roi, et les pendirent au pont de Lajvder. Quelque 
temps après ils s'attaquèrent au roi même , çt formè- 
rent une confédération, la plus vaste qui eût jamais 
menacé le trône d'Ecosse (14-88). Jacques avait encore 
pour lui les barons du nord et de l'ouest , mais il s'enfuit 
au premier choc, et tomba de cheval dans un ruisseau. 
Porté dans un moulin voisin, il demanda un confesseur; 
le prêtre qui se présenta était du parti ennemi ; il reçut 
sa confession et le poignarda (0. 
' Jacques IV, que les mécontens élevèrent sur le trône 
de son père, eut un règne plus heureux. Les barons lui 
obéirent moips comme à leur roi que comme au plus 
brillant chevalier du royaume. Il consomma la ruine 

OFinkerlon, V.i,p. 335. 



.M 

du lord des fies en réunissant les Hébrides à la cou- 
ronnes; il établit des cours de justice royale dans tout 
le nord du royaume. Négligé par les Français, Jac- 
ques IV s'était allié au roi d'Angleterre Henri VII. 
Lorsque Henri VIII envahit la France, Louis XII ré- 
clama le secours des Ecossais; Anne de Bretagne en- 
voya son anneau à leur roi, le désignant pour son che- 
valier. Jacques se serait accusé de déloyauté s'il n'eût 
secouru une reine suppliante. Tous les lords, tous les 
barons d'Ecosse le suivirent dans cette expédition ro- 
manesque. Mais il perdit un temps précieux près de 
Flowden, dans le château de mistress Héron, où il 
resta comme enchanté. Réveillé par l'arrivée de l'armée 
anglaise 9 il fut vaincu malgré sa valeur, et toute sa no- 
blesse se fit tuer avec lui (1 51 3). La mort de douze com- 
tes, de treize lords, de cinq fils aînés de pairs, d'une 
foule de barons et de dix mille soldats, livra pour tout 
le siècle l'Ecosse épuisée aux intrigues de la France et 
de l'Angleterre. 



4a 

§111. — SUITE DU CHAPITRE IL 
Espagne et Portugal, 1454-1 52f. 

C'est en Espagne que le» barbares, dû Nord el du 
Midi, que tes Gofths et les Arabes se sont rencontrés) 
arrêtés par l'Océan dans la péninsule espagnole, il* y 
<mt combattu comme en champ clos, durant tout le 
moyen âge. Ainsi l'esprit dès croisades, qui a agité pas- 
sagèrement tous lés autres peuples de l'Europe , a forme 
lé fond même du caractère espagnol, avec sa farouche 
intolérance et son orgueil ctrevaleresque, exaltés par 
la violence des passions africaines. Car l'Espagne tient 
à la Barbarie, malgré le détroit. On retrouve de ce côte 
les productions, les races de f Afrique et nJême ses dé- 
sertsO)* Une seule bataille livra l'Espagne aux Maures, 
et il a fallu huit cents ans pour la leur enlever. 

Depuis* lé xiii 6 sftècié , la race gothique avait prévalu; 
au xv e , la population musulmane, concentrée dans h 
royaume de Grenade, et comme adossée h. la mer, ne 
pouvait plus reculer; mais on voyait déjà auquel des 
deux peuples appartenait l'empire de l'Espagne : du 
1 côté des Maures, une foule de marchands, entassés dans 
de riches cités, amollis par {es bains et parle climat W; 
des agriculteurs paisibles, occupés dans leurs délicieuses 
vallées du soin des mûriers et du travail de la soie (3); 
une nation vive et ingénieuse, qui ne respirait que pour 
la musique et la danse, qui recherchait les vétemeos 
écîatans, et parait jusqu'à ses tombeaux ( 4 ); de l'autre, 

(0 C'est un adage dans plusieurs parties de la vieille CastiHe : L'aloudtf 
oui veut traverser le pays doit porter avec elle son grain. Bory de Saint- 
Vincent , Itinéraire, p. 281. Sur la stérilité et la faible population de l'A- 
ragon, même au moyen âge, voy. Blancas, cité par HaUam , t. i er de l« 
trad. p. 456. 

(*) Çurita , secundo, parte de los Annales de la coron a de Aragon. 1 6^> 
i*4% t. iv, liv. xx, folio S15. — (3) Id. folio 354. Goœecius, de rébus 
gcstis 4 F. Xiriienès (1569), in-fol. p. 60. 

W V oy. plus bas le règne de Charles-Quint. 



un peuple silencieux, têtu de brun et de noir, qui n'ai- 
mait qae la guerre; et Faimait sanglante ; qui, laissant 
aux Juifs le commerce et lés sciences, ne connaissait 
pas de plus beau titre que celui de (ils des Goths ('}, 
race àltière dans son indépendance , terrible dans l'a- 
mour et dans la religion. Là, tout lé peuple se tenait 
pour noble; le bourgeois n'avait pas payé ses franchi- 
ses ('); lé paysan, qui portait aussi Yépée contre les 
Maures, sentait sa dignité de chrétien. 

Ces hommes si redoutables à f ennemi ne Tétaient 
guère moins à leurs fois. Pendant long-temps les rois 
n'avaient été, pour ainsi dire, que les premiers des ba- 
rons; Cfelûi d'Aragon poursuivait quelquefois ses sujets 
au tribunal du justiza, ou grand justicier du royaume (*). 
L'esprit de résistance des ^ragonais avait pa&é en pro- 
verbe, eonnmé la fierté castillane : Donnez un clou a 
VAragûrtàfa, û l'enfoncera avec sa tête plutôt qu'avec 
un marteau. Leur serment d'obéissance était hautain et 
menaçamt : Nous qui séparément sommes autant que 
vous, et qui réunis pouvons davantage, nous vousjaisons 
notre roi, à condition que vous garderez nos privilèges; 
sinon, non. 

Aussi les rois d'Espagne aimaient mieux se servir des 
nouveaux chrétiens; c'est ainsi qu'on appelait les Juifs 
convertis et leurs enfâns. Ils trouvaient en eux plus de 
lumières et d'obéissance. La tolérance des Maures les 
avait autrefois attirés en Espagne; et depuis l'an 4400, 
plus dé ceût mille familles de Juifs s'étaient converties. 
Ils se rendaient nécessaires au roi parleur habileté dans 
les affaires , par leurs connaissances en médecine , en 
astrologie : ce fiit un Juif qui* fit, en 4468, au roi d'Ara- 
gon l'opération delà cataracte W. Le commerce était 
en leurs inaîns ; ils avaient attiré par l'usure tout l'ar- 
gent du pays; c'était à eux que les rois confiaient la le- 

<') Hijo del godo, hidalgo, noble. - (*) Hallatti, 1 1, p. 390-1. ^ i}\îb\ 
p. 464. — (4) Mariana , Kv. xxiv , «mo 1468. . 



\ 



u 

vée des impôts. Que de titres à la haine du peuple! 
Elle éclata plusieurs fois d'une manière terrible dans 
les cités populeuses de Tolède, de Ségovie et de Cor- 
doue(0. 

Les grands, qui se voyaient peu à peu écartés par 
les nouveaux chrétiens, et en général par les hommes 
d'un rang inférieur, devenaient les ennemis de l'autorité 
royale, dont ils ne pouvaient disposer à leur profit. Ceux 
de Castille armèrent l'infant don Henri contre son père 
Juan II, et parvinrent à faire décapiter le favori du roi, 
Alvaro de Luna. Ses biens immenses furent confisqués, 
et, pendant trois jours, un bassin, placé sur l'écha- 
faud près de, son cadavre, reçut les aumônes de ceux 
qui voulaient bien contribuer aux frais' de sa sépul- 
ture ( 2 ). 

Henri IV, devenu roi (1454), essaya de se soustraire 
au joug des grands qui l'avaient soutenu lorsqu'il était 
infant; mais en même temps il irritait les villes, en le- 
vant des impôts de sa propre autorité, et en osant nom 
mer lui-même des députés aux cortès (3). H était d'ail- 
leurs avili par sa connivence aux débauches delà reine, 
et par sa lâcheté $ # les Castillans ne pouvaient obéir à un 
prince qui se retirait de l'armée au moment d'une ba- 
taille (4). Les chefs des grands, Carillo, archevêque de 
Tolède, don Juan de Pacheco, marquis de Villena, et 
son frère, qui possédaient les grandesmaîtrises de Sant- 
iago et de Calatrava , opposèrent au roi son frère don 
Alonzo, encore enfant ; ils déclarèrent illégitime l'in- 
fante dona Juana, qu'on croyait fille de Bertrand de la 
Cueva, amant de la reine $ exposèrent sur un trône l'ef- 
figie de Henri, dans la plaine d'Avila, et, l'ayant dépouil- 
lée des ornemens royaux, la précipitèrent pour met- 
tre don Alonzo à la place. Après une bataille ihdécise 
(Médina del Campo, 1465), le malheureux roi, abatt- 
es Mariana,liv. xxn, xxin,anno 1446, 1463, 1473. — (*) là. liv. xxu, 
anno 1451. —(3) Marina, Teoria de las cortes, cité par Hallam, U 1, 
p. 416, 424. — (4) Mariana, liv. xxiji, anno 1467. 



45 

donné de tout le monde, errait au hasard dans son 
royaume, au milieu des châteaux et des villes qui lui 
fermaient leurs portes, sans que personne daignât l'ar- 
rêter. Un soir, après une course de dix-huit lieues, il 
s'était hasardé à entrer dans Tolède ; on sonna le tocsin , 
il fut obligé de sortir, et l'un des cavaliers qui l'accom- 
pagnaient ne voulut pas même lui prêter un cheval (0. 
L' Aragon et la Navarre n'étaient pas plus tranquilles. 
Juan II, qui succéda depuis à son frère Alfonse le 
Magnanime dans les royaumes d'Aragon et de Sicile, 
retenait à son propre fils, don Carlos de Viana, la cou- 
ronne de Navarre, que ce jeune prince devait hériter 
de sa mère (depuis 144i). Une marâtre excitait le père 
contre le fils au profit des deux enfans dii second lit 
(Ferdinand le' Catholique et Léonore, comtesse de 
Foix). Les factions éternelles de la Navarre, les Beau* 
mont et les Grammont, suivaient leurs haines particu- 
lières sous le nom des deux princes. Deux fois le parti le 
plus juste fut vaincu en bataille rangée; doux fois l'in- 
dignation des sujets de don Juan le força de mettre en 
liberté son malheureux fils. Don Carlos étant mort de 
poison ou de chagrin (1461), dona Élança, sa sœur, 
héritait de ses droits. Son père la livra à Léonore, sa 
sœur cadette, qui l'empoisonna au château d'Orthez. La 
Catalogne était déjà soulevée ; l'horreur de ce double 
parricide exaltâtes esprits; les Catalans n'avaient pu 
avoir don Carlos pour roi, ils l'invoquèrent comme un 
saint (*) ;' ils appelèrent successivement le roi de Cas- 
tille, l'infant de Portugal, jet Jean deCalabre, et ne se 
soumirent qu*au bout de dix ans de combats (1 4-72). 

Pendant que Juàn II risquait la Catalogne, Ferdi- 
nand, son fils, gagnait la Castille. Le frère, de Henri IV 
étant mort, les grands avaient substitué à ses préten- 
tions sa sœur Isabelle. Pour l'appuyer contre le roi , ils 
la marièrent à l'infant d'Aragon, qui se trouvait après 

(0 Mariana, liv. xxni, anno 1468. — (*) Çurita , t,. iv, liv. xx, fol. 97, 

%' 



46 

elle le plus proche héritier du trône ( 44*69 ). Henri IV 
mourut bientôt à la suite d'un repas que lui donnèrent 
ses; ennemis réconciliés ( 14-74*). Mais en mourant il 
avait déclaré que dona Juâna était sa fille légitime. La 
Galice et tout le pays depuis Tolède jusqu'à Murcie 
s'étaient déclarés pour elle ('). Le roi de Portugal, son 
oncle, Àlfonse Y Africain* l'avait fiancée, et venait sou- 
tenir sa cause avec ces chevaliers qui avaient conquis 
Arzile et Tanger. Les Portugais et les Castillans se ren- 
contrèrent à Toro (1*476). Les premiers eurent le des- 
sous, et les armes d'Almeyda, qui portait leur drapeau, 
furent suspendues dans la cathédrale de Tolède ( 3 K Cet 
échec suffit pour décourager les Portugais ; tous les sei- 
gneurs castillans se rangèrent du côté de Ferdinand 
\ et d'Isabelle : la couronne de Castille fut affermie sur 

Içur tête; et la mort de Juan II, qui leur laissa l' Ara- 
gon ^1479), leur permit de tourner toutes les forces de 
l'Espagne chrétienne contre les Maures de Grenade- 

(14#t -14-92) C'était pu bruit qui courait chez les 
Maures, que le terme fatal de leur domination en Es- 
pagne était -arrivé ( 3 ). Un faquir troublait Grenade 
de ces prédations lamentables, et elles étaient assez 
motivées p&r l'état du royaume. Déjà sous Henri IV ils 
avaient perdu Gibraltar. De$ villes fortes d'assiette, 
mais sans fossés, Sans ouvrages extérieurs, et défendues 
seulement par un mur peu épais; une brillante cava- 
lerie exercée à lancer la zagaie, prompte h charger, 
prompte à fuir; telles étaient les ressources du peuple 
de Grenade (*)• Il n'avait point k compter sur l'Afrique. 
\ £e-n'était plus le tçrops 4>ù les hordes des Almohades et 
/les Almoravides pouvaient inonder la Péninsule, Le 
Soudan d'Egypte se contenta d'envoyer à Ferdinand le 
gardien du Saint-Sépulcre, pour îiji parler en leur 
faveur, et fut bientôt distrait de cette ajjpire lointaine 
par la crainte que lui inspiraient Jes Ottomane 

(») Mariana, Hv. xxiv. — {*) Id. ibidem. — ( 3 ) Çurita, t. *r, Ijy. xx, 
fol. 332. — (4) Id. fal. 332- 



47 
Quoique tous les ans les Chrétiens et les Maures 
courussent alternativement le pays ennemi , brûlant 
les vignes, les oliviers et les orangers, un accord sin- 
gulier existait entre eux : la trêve ne devait pas être 
considérée comme rompue, lors même qu'un des deux 
partis aurait pris une place, pourvu qu'elle eût été 
occupée sans appareil de guerre, sans bannières ni 
trompettes , et en moins de trois jours (')• Zahara, em- 
portée de cette manière par les Maures, fut le prétexte 
de la guerre. Les Espagnols envahirent le royaume de 
Grenade, encouragés par leur belle reine, à laquelle 
seule les Castillans voulaient obéir. On voyait déjà 
dans cette armée les conquérans futurs de la Barbarie et 
de Naples, Pedro de Navarre et Gonzalve de Cordoue. 
Dans le cours de onze années les Chrétiens se rendirent 
maîtres d ? Alhama, le boulevard de Grenade ( a ); prirent 
Malaga, l'entrepôt du' commerce de l'Espagne avec 
: l'Afrique; Baça, à laquelle on donnait cent cinquante 
L mille habitons, et vinrent enfin avec quatre- vingt mille 
hommes mettre- le siège devant Grenade elle-même. 
Cette capitale était en proie aux plus furieuses discor- 
des. Le fils s'y était armé contre le père, le frère contre 
h* frère. Boabdil et son oncle s'étaient partagé les restes 
de cette souveraineté expirante, et le dernier avqit 
vendu sa part aux Espagnols pour un riche comté. 
Restait Boabdil , qui s'était reconnu vassal de Ferdi- 
nand, et qui suivait l'opiniâtre fureur du peuple plutôt 
qu'il ne la dirigeait. Le siège dura neuf mois; un Maure 
essaya de poignarder Ferdinand et Isabelle ; un incendie 
détruisit tout le camp; la reine, que rien ne découra- 
gent, ordonna qu'une ville fût construite à la place, et 
ladite de Santa-Fé, élevée en quatre- vingts jours, mon- 
tra aux Musulmans que le siège ne serait jamais levé (*). 

10 Çurila , fol. 314. — Mariana , lfa. xxv. — 00 Çurila , t. iv, fol. 315, 

(*) Pétri Marlyris AngUrii epi*i*)l<e, 73, 91, etc. L'auteur fut témoin 
oculaire de ce* cvéneroens. x 



48 

Enfin les Maures ouvrirent leurs portes, sur la promesse 
qu'on leur fit de leur laisser des juges de leur nation, et 
le libre exercice de leur culte ( 1 492 ). 

Dans la même année, Christophe Colomb donnait un 
monde a VÊspagne. 

Les royaumes de l'Espagne étaient réunis, à l'excep- 
tion de la Navarre, proie certaine des deux grandes 
monarchies, entre lesquelles la nature elle-même sem- 
blait la diviser d'avance; mais il s'en fallait que ces par- 
ties assemblées par force composassent un corps. Les 
Castillans observaient d'un œil jaloux les Aragonais; les 
uns et les autres voyaient toujours des ennemis dans les 
Maures et les Juifs qui vivaient au milieu d'eux. Chaque 
ville avait ses franchises, chacun des grands ses privi- 
lèges. 11 fallait vaincre toutes ces résistances, accorder 
ces forces hétérogènes avant de les tourner vers la con» 
quête. Malgré l'habileté de Ferdinand, malgré l'enthou- 
siasme qu'inspirait Isabelle, ils n'atteignirent ce but 
qu'après trente ans. d'efforts. Les moyens furent terri- 
bles, proportionnés à l'énergie d'un tel peuple; le prix 
fut l'empire des deux mondes au xvi e siècle. 

Les cortès espagnoles, qui pouvaient seules régula- 
riser la résistance, étaient les plus anciennes assemblées 
de l'Europe ; mais ces établissemçps, formés dans l'anar 
chie du moyen âge, n'avaient point l'organisation qui 
eût pu seule en assurer la' durée. En 1480, dix-sept 
villes de Castille étaient seules représentées; en 1520, 
la Galice entière n'envoyait point de députés aux cor- 
tès (')• Ceux de la seule Guadalaxara votaient pour 
quatre cents bourgs ou villes. Il en était à peu près de 
même en Aragon. La rivalité des tilles perpétuaittcet 
abus ; en 1 506 et en 1 512, les villes privilégiées de «as- 
tille repoussèrent les réclamations des autres ( a ). Ainsi,] 
pour demeurer le maître, Ferdinand n'avait qu'à lais- 
ser le champ ouvert aux prétentions rivales. Il obtint, ' 



. > 



(*) Sepulveda, t. i, liv. n, p. 59 1 . — (*) Hallara, t. j, d'après Marina,, 



49 

par la sainte hermandad des viljes et par les révol- 
tes des vassaux , la soumission des grands '(0; par lçs 
grands, celle des villes ; par l'inquisition, celle des uns 
et des autres. Les violences des grands déterminèrent 
Sàragosse à lui laisser changer ses anciennes constitu- 
tions municipales, qu'elle avait toujours défendues. L'or* 
ganisation de la sainte hermandad ou fraternité des 
cités d'Aragon, qui aurait terminé lés guerres privées 
des seigneurs, fut entravée pqr eux (4488), et le roi 
fut obligé, aux cortès de 4495 , d'en proroger l'établis- 
sement pour dix années ; mais le peuple de Sàragosse 
en fut si irrité, que pendant lopg-temps le justiza d'A- 
ràgon , qui n'avait pas voulu jurer l'herovandad , n'osa; 
plus entrer dans -la ..trille (*)- Dès lors la royauté dot 
hériter en grande partie.de rattachement des peuples 
pour oette magistrature, considérée depuis loflg-tep&sp$ 
comme le rempart des libertés publiques, Contre, /es em- 
piètemens des rois. - ^ .'. \. .; 

Cependant Ferdinand et Isabelle n'auraient jamais 
acquis un pouvoir absolu, si l'indigence de la couronne 
les eût laissés dans la dépendance des cortès, Ils révo- 
quèrent par. deux fois les concessions -de Henri IV, et 
celles par lesquelles ils avaient eux-mêmes, acheté l?o*r 
béissance des grands (1480, 1 566 ), La réunion des trois? 
grandes maîtrises d'AJcantar^ de Calatrava et de Sant- 
iago, qu'ils; eurent l'adre^e de se faire déférer par les 
chevaliers, leur donna à la fois une armée et des biens 
immenses (1493, 4494).s| > Ius tard, les rois d'Espagne, 
ayant obtenu du pape la vente de la bulle de la Cru- 
zada et la présentation aux. évêchés (1 50W522), devin- 
rent les plus riches souverains de l'Europe, avant même 
de tirer aucune somme considérable d#i'Améri<Jue. 

C'était par des moyens semblables que les rois de 
Portugal fondaient leur puissance. Ils s'attribuèrent 

(.*) Dans la seule Galice , il fit démolir quaranfersix châteaux. ( ïfer- 
nando de Putgar.) 

( a ) Çurita, t. iv, Hv. xx, fol. 251r35.6. 

~ 4 



s 




50 

les maîtrise» de» ordres d'Avis, de San -la go et du 
Christ, afin de mettre la noblesse dans leur dépendance. 
Dans ufte même diète (à Evora, 1462), Juan II, suc- 
cesseur d'Àlfotae l'Africain , révoqua les concessions 
de ses prédécesseurs , êta aux seigneurs le droit de vie 
et de mort, et soemk leurs domaines à la juridiction 
royale, La noblesse, indignée, prit pour chef le duc 
de Bragatice, qui appela les GeTsti^ans; le roi le fit 
|oger par une commission et décapiter : le duc de Viseu, 
cousin germain de don Juan, et son beau^frère, conspira 
contre lui, et le roi le poignarda de sa propre main* 
]}f $is ce qui assura le triomphe du pouvoir absolu en 
Espagne , c'est qu'il s'appuya sar le zèle de ht for, qàï 
était le trait national du caractère espagnol. Les rois 
se liguèrent avec l'inquisition, cette vaste et puissante 
hiérarchie, d'autant plus terrible qu'elle unissait la force 
régulière de l'autorité politique et la violence des pas- 
sions religieuses. L'établissement de l'inquisition rencon- 
tra les plus grands obstacles de la part des Aragonais. 
Moins en contact avec les Maures que les Castillans, ils 
étaient moins animés, contre eux : là plupart des mem- 
bres du gouvernement d'Aragon descendaient de fa- 
milles juives. Ils réclamèrent fortement contre le secret 
des procédures et contré les confiscations; choses con- 
traires, disaient-ils, àuxjjyeros du royaume. Ils assas- 
sinèrent même un inquisiteur, dans l'espoir d'effrayer 
ïeraàtres. Mais le nouvel établissement était trop con- 
forme aux idées religieuses de la plupart des Espagnols 
poni né pas résister à ces attaques. Le titre de familier 
de rinfuisit^j qui emportait Fexemption des charges 
municipales, fut tellement recherché, que, dans certai- 
nes villes, ces jfrivilégiés surpassèrent en nombre les au- 
tres habitant, et que les cortès furent obligées d'y met- 
tre ordre (0. 

(<) Inscription mué par les inquisiteur*, peu après ta fondation de 
l'inquisition, au château de Triana, dans un faubourg de SéviUe : Sanc- 
tum Inquisitionis officiio* contra . hœrelicorum pravitatem in Hispa- 



, ' 



54 

Après là conqoete de Grenade, l'inquisition ne se 
borna plus à des persécutions individuelles* 11 fut or- 
donné à tousf les Juifs de se convertir où de sortir d'Es- 
pagne sous quatre mois, avec défense d'emporter ni 
or, ni argent ( +492). Cent soixante-dix mille familles, 
formant une population de huit cent mille âmes, ven- 
dirent leurs effets à la bâte, et s'enfuirent en Portugal ,* 
en Italie, en Afrjque et jusque dans le Levant. Alors 
on vil donner une maison pour un dne, une vigne pour 
laimorceau de toile où de dfap. Un contemporain nous 
raconte qu'il vit une foule de ces malheureux débar- 
quer en Italie, et mçu&r de faim et de misère auprès, 
du mole de Gênçs, seul endroit de cette ville où on 
leur permit^e se reposer quelques jours. 

Les Juifs <jur se retirèrent en Portugal n'y furent re- 
çus qu'en payant hait ecus d'or par tête ;> encore de- 
vaient-Us, d^ns un temps marqué, sortir du royaume 
sous peine d'être faits esclaves; ce qui s'exécuta rigoureu- 
sement. On prétend Cependant que les premiers qui ar» 

nue regnis iniliatum est Hispali , anno &ÎCCCCLXXXI, etc. Generalis 
inquisitor primus fuit Fr. Thomas de Torquemada. Faxit De us ut in 
augmeniurti fidei usqttt seculi permaneat, etc. Exsurge, Domine; ju- 
dica causam tuant. Capùe nobis vnbpes. — Autre inscription mise 
en- 1524 , par les inquisiteurs, à leur maison de Séyille i Anncs Domini 
MÇCCCLXXXI sacrum Inquisitionis Officium contra hœreticos ju- 
âaizantes ad fidei exattationem hic exordium sumpsit; uli, post Juàœo- 
fum ac êaraeenorum éxpulêionem àd annàm Usque MDXXTV, dïvo . 
Çatolo, €tç., régnante, etc. viginti mille* hœtelii&orum, et ultra inef an- 
dum hœreseos crimen abjurdrunt; nec non hominumfere milita in suis 
hœresibus obstinatorum posteà jure prdwio ignibus tradita sunt et contr 
busta. Domini nostri imperatbris jus su et impensis licenciaius de* La 
sCueva ponijussit,*A. D. MDXXIP. 

II est digne de remarque que plusieurs papes réprouvèrent les rigueurs 
de réquisition d'Espagne. Béa 14A&, Nicolas V aVait défends de faire 
aucune différence entre le* anciens et les nouveaux chrétiens. Sixte IV, 
Innocent Vin et Léon X accueillirent les nombreux appels quelon fit à 
leur tribunal» et rappelèrent aux inquisiteurs espagnols la parabole du bon 
pasteur* En 1546, lorsque Charles-Quint voulait introduire l'inquisition 
à Naplef , Paul III encouragea la résistance des Napolitains , reprochant 
à l'inquisition d'Espagne de ne pas profiter des exemples de douceur que 
lui donnait celle de Rome. 

4- 



52 

rivèrent écrivaient à leurs frères d'Espagne : « La terre. 
» est bonne, le peuple idiot ; l'eau est à nous ; vous pou- 
» vez venir, car tout nous appartiendra. » Don Manuel, 
successeur de don Juan, affranchit ceux qui étaient de- 
venus esclaves. Mais, en i 496, il leur ordonna de sor- 
tir du royaume, en laissant leurs enfans au-dessous de^ 
quatorze ans. La plupart aimèrent mieux recevoir le 
baptême; et, en 1507, Manuel abolit la distinction des 
anciens et des nouveaux chrétiens. L'inquisition fut 
établie en 4 526 à Lisbonne, et de là elle sVtendit jus- 
qu'aux Indes orientales, où les Portugais étaient abor- 
dés en i 498. ( Vpy. plus bas. ) * 

Sept ans après l'expulsion des Juifs (1499-1501 )» le 
roi d'Espagne entreprit, d'une manière non moins vio- 
lente , de convertir les Maures de Grenade , auxquels 
% .la capitulation garantissait le libre exercice de leur re- 
ligion. Ceux de TAlbaycin ( quartier le plus élevé de 
Grenade ) se révoltèrent d'abord, et fbrent imités par 
les sauvages habitans des Alpuxarras* Les Gandules 
d'Afrique vinrent les soutenir, et le roi, ayant éprouvé 
la difficulté de les réduire, fournit de$ vaisseaux à ceux 
qui voulurent passer en Afrique; mais la plupart res- 
tèrent, feignant de se /aire chrétiens (0. , 

La réduction des Maures fut suivie $e la' conquête 
de Naples (1 501-1 503 ) et de la mort d'Isabelle (1 504 > 
Cette grande reine était adorée du peuple ^castillan, dont 
elle représentait si bien le noble caractère W, et dont elle 

(») Mariana, liv. xxv»i. 

( a ) Dans 'la gloire de ce règne, la part principale doit revenir à la 
reine Isabelle. Elle montra le plus grand courage dans les traverses de 
sa jeuuesse : lorsque Ferdinand fuyait de Ségovie, elle osa y rester *; 
elle voulut qu'on gardât Alhama, aux portes de Grenade, lorsque ses 
plus vaillans officiers proposaient la retraite **. Elle nt souscrivit qu'à 
regret à rétablissement de l'inquisition. Elle aimait les lettres et les pro- 
tégeait; elle entendait le latin, tandis que Ferdinand savait à peine si- 
gner ***. Elle avait armé malgré lui la flotte qui découvrit l'Amérique. 
Elle défendit Colomb accusé , consola Gonsafve de Cordoue dans sa dis- 
grâce, ordonna L'affranchissement des malheureux Américains. 

* Mariana, Ht. rm. -~ '* Çnrita, li? . n. — ••• Mariana, lir. txnr, nt. 



53 

défendait l'indépendance contre son époux. A sa mort , 
les Castillans n'eurent que le choix des maîtres étran- 
gers. H leur fallait obéir au roi d'Aragon ou à l'archi- 
duc d'Autriche, Philippe le Beau , souverain des Pays- 
Bas, qui avait époqsé doua Juana, fille de Ferdinand 
et d'Isabelle, héritière du royaume de Castille. Telle 
était leur antipathie pour les Àragonais, et particulier 
rement pour Ferdinand, que, malgré toutes les intri- 
gues de ce dernier, qui voulait la régence , ils se ral- 
lièrent à l'archiduc dès qu'il aborda en Espagne. La 
conduite de Philippe fut d'abbrd populaire; il arrêta 
les violences de l'inquisition, qui allaient exciter un 
soulèvement général (0 ; mais il* déposa- tous les corré- 
gidors, tous les gouverneurs de villes^ pour donner leurs 
places à ses Flamands; enfin il voulut faire enfermer, 
comme; folle, dona Juana, dont la faible raison était 
égarée par la jalousie. Philippe mourut bientôt (4506). 
Cependant Ferdinand n'eût pu encore gouverner la 
Castille, s'il n'eût été appuyé par le confesseur et le 
ministre d'Isabelle, le célèbre Ximénès de Cisneros, 
archevêque de Tolède r en qui la. Castille admirait k la 
fois un politique et un saint. C'était un pauvre moine 
que l'archevêque de Grenaide avait donné à Isabelle 
pour confesseur et pour conseiller. L'étonnemeût avait 
été grand à la cour lorsqu'on y vit paraître cet homme 
du désert y dont la pâleur et V austérité rappelaient les 
Poulet les Jïilarioni'*). Au milieu même des grandeurs, 
il observait rigoureusement la règle de saint François, 
voyageant à pied et mendiant sa nourriture. U fallut 
un ordre du pape pour l'obliger d'accepter l'archevêché - 
de Tolède , et pour le forcer à vivre d'une manière con- t 
venable à l'opulence du plus riche bénéfice de L'Espa- 
gne. Il se résigna à porter des fourrures précieuses, 
mais par-dessus la serge; orna ses appartemens de lits 
magnifiques, et continua de coucher sur le plancher* 

(0 Marjpoa, liy. UTUi. — \ a ) Pétri Martyres Angkru.eptil* 



54- 

a 

Cette vie humble et austère lui laissait dans les affaires 
la grandeur hautaine du caractère espagnol; les nobles, 
qu'il écrasait , ne pouvaient s'empêcher d'admirer son 
courage. Un acte aurait brouillé Ferdinand , et son 
gendre, Ximénès osa le déchirer. Comme il traversait 
une place pendant un combat de taureaux, l'animal 
furieux fut lâché, et blessa quelques-uns des siens, sans 
lui faire hâter fe pas ( s ). 

Ainsi les Castillans, retrouvant dans Ximénès l'esprit 
héroïque de leur grande reine, oublièrent qu'ils obéis* 
saient à «Ferdinand , et lies dernières années de ce prince 
furent marquées par la conquête de la Barbarie et de 
la JSavarre. La guerre des Maures ne semblait pas 
terminée tant que ceux d'Afrique, fortifies par une 
multitude de fugitifs, infestaient les côtes d'Espagne, et 
trouvaient un refuge assuré dans le port d'Oran, an 
Penon de Vêlez , et dans tant d'autres repaires. Ximé- 
nès proposa, défraya et conduisit lui-même une expé^ 
dition contre Oran. La prise de cette ville, emportée 
sous ses yeux par Pedro de Navarre, entraîna celle de 
Tripoli, et la soumission d'Alger, de Tunis et de Tré~ 
mecen (1509-4 510). Deux ans après, la réunion de la 
Navarre ^enlevée par Ferdinand à % Jean d' Albret , com- 
pléta celle de tous les royaumes d'Espagne ( 1 512). La 
eomtesse de Foiz, Léonore, avait joui un mois de ce 
trône qu'elle avait acheté au prix du sang de sa sœur. 
Après 11 mort de Phébus, son fils, la main de sa fille 
Catherine > demandée en vain pour l'infant, fut donnée 
par le parti français à Jean d' Albret, que ses domaines 
de Fois, de Périgord et de Limoges attachaient invaria- 
v bletaent à la France. Dès que. les deux, grandes puis- 
sances qui -luttaient eh Italie commencèrent pour ainsi 
dire à se prendre corps à corps, la Navarre se trouva 
partagée entre elles par la nécessité de sa position géo» 
graphique. Ferdinand envahit les provinces espagnoles; 

. (•) Gomecius, De relus gestis d Fr. Ximenio Cisnèrio, 1569, fol. 2, 
3,. 7-, i3,64,66. 



55 

* 

Louis XU; les provinces basques, sans passer jamais poirx 
long-temps rirnniuable Carrière que la pâture a jeUje 
entre elles r et que ^opposUÎQjp des moeurs et des langues 
rend plus difficile epcqre à franchir. 

Xinjénès avait qu atre-vingts ans , lorsque le roi , près 
de mourir, le désigna poux régent jusqu'à l'arriyée 4e 
son petit-fils Charles d'Autriche (151 6)." Il n'en fit pas 
rrçqips face aux ennemis du dehors et du dedans. U en^- 
jrêcha les Français de conquérir la Nayarre p^r un 
moyen aussi nouveau que hardi, c'était de démanteler 
toutes les.places, excepté Painp.eluue, et d'ôter ain$i tout 
point d'appui à l'inyasiop. E^nmçBie temps il formait 
une milice joationale , U s assurait des villes en leur ac- 
cordant la faculté de lever eUes-inémes le^nipô ts ( Go- 
mecjus , £. 25 ), il révqqu<ait les concessions que le feu roi 
ayait faites aux grands. Lorsque ceux-ci vinrent .récla- 
mer, et témoignèrent des doutes sur les pouvoirs qui lui 
oyaient été 4qpnés, ^Liméa/ès leur montrant du D h^ir 
çqp un train forrnidable d'^rtiliene : Vousyoyfz» dit-il, 
mespvuwirs! 

. Lçp Çl^iftands choquèrent l'Espagne d& Jtejjr arrivée. 
P'^ord ils disgracièrent Ximtfnès expirant, et nouL- 
gèrent m* et? anger, un \mw tomme die vingt ans, ppw 
le remplacer (dans le premier siège du royaume. Us éta- 
blirent hu tarif de tous les emplois, et wrept pQ^r 
ainsi dire l'Espagne à l'encan, Charles prit le titre de 
roi , $ans attendre l'aveu des portés. Il convoqua celles 
4e GastiUe dans u,n cpjin de la Galice; demanda un se- 
cond, subside avant qu'on eût payé le premier ; larr*~ 
cfra parJa fer/çe op la corruption, et partit. ppw preor 
dreposse^ioj* de Ja couroupe inapériale, sans s'inqniéter 
s'U laissait une évolution derrière lui. Cependant To- 
Jçde a.v*ifr r$fu$é d envoyer à oes sortes ; ; Ségevie et 
Zamora mirent à mort leurs députés; et telle était 
l'horreur qu'ils inspiraient, que personne ne voulut pil- 
ler leurs maisons, ni se souiller du bien des traîtres» 
Cependant le mal gagnait toute l'Espagne. La Castille 

\ 



56 

et la Galice entières, Murcie et la plupart des villes 
de Léon et de l'Estramadure étaient soulevées. La v& 
volte n'était pas moins furieuse à Valence, mais elle 
avait un caractère différent. Les habitans avaient Juré 
une hermandad contre les nobles, et Charles» mécon- 
tent de la noblesse, avait eu l'imprudence de la confir- 
mer. Majorque imita l'exemple de Valence, et voulut 
même se livrer aux Français. Dans ces deux royaumes 
des tondeurs de draps étaient à la tête de l'herman- 
dadO). •'.*'• 

D'abord les communeros de Gastille s'emparèrent de 
Tordésillas, où résidait la mère, de Charles-Quint, et 
firent tous tairs actes au nom de cette princesse. Mais 
leurs succè^durèrent peul Ils avaient eu l'imprudence 
de demander, dans leurs, remontrances, que les terres 
des nobles fussent soumises aux impôts. La noblesse 
abandonna un parti dont la victoire lui eût été préju- 
diciable. Les villes elles-mêmes n'étaient point d'ac- 
cord entre elles. La vieille rivalité de Burgos et de To- 
lède se réveilla; la première se soumit au roi, qui lui 
assurait la franchise de ses marchés ('). Les communeros 
divisés n'avaient plus d'espoir que dans le secours de 
l'armée française qui avait envahi la Navarre. Mais avant 
d'avoir pu opérer leur jonction avec elle, ils furent 
atteints par les leales y et entièrement défaits, (4 52-f .) 
D. Juan de Padilla» le héros de la révolution, chercha 
là mort dans les rangs ennemis, mais il fut démonte, 
blesse, pris et décapité le lendemain. Avant de mourir 
il envoya à sa femme, D> Maria Pacheco, les reliques 
qu'il portait au col, et écrivit sa fameuse lettre à la 
ville de Tolède t « A toi, la couronne de l'Espagne et la 
» lumière du monde, à toi, qui fus libre dès le temps 
» des Goths, et qui a ver#e ton sang pour assurer ta 
» liberté et celle des cités voisines, ton Yïls légitime, 

(0 Ferreras, xn« partie, t. x de la traduction, p. 579, 609. — /*) Se- 
pulveda , t. i , p» 53. ^ * ^ 



/ 



57 

» Juan de Padilla, te fait savoir que par le sang dé son 
» corps tes anciennes victoires vont être rafraîchies 
5) et renouvelées! etc. I 1 ). » La réduction de la Castille 
entraîna celle du royaume de Valence et déboutes les 
provinces révoltées. Mais Charles- Quint, instruit par 
une telle leçon, respecta dès lors l'orgueil des Espa- 
gnols, affect\nt de parler leur langue, résidant le plus 
souvent parmi eux, et ménageant, dans ce peuple hé- 
roïque, l'instrument avec lequel il voulait soumettre le 
monde. , ^ 



CHAPITRE III. 

Orient et Nord. États germaniques et Scandinaves dans la seconde 

moitié du xv e siècle. 



Si l'on consulte l'analogie des mœurs et des langues, 
Ton doit compter au i^ombre. des états germaniques 
TEmpire, la Suisse, les Pays-Bas, l'Angleterre et les 
trois royaumes du nord; mais les rapports politiques 
des Pays-Bas et de l'Angleterre avec la France nous 
ont forcé de réunir l'histoire de ces trois puissances 
dans le chapitre précédent. 

L'Allemagne n'est pas seulement le centre du sys- 
tème germanique ; c'est une petitç Europe au milieu de 
la grande, où les variétés de population et de territoire 
se représentent avec des oppositions moins prononcées. 
On y trouvait au xv e siècle toutes les formes de gou- 
vernemens, depuis les principautés héréditaires ou électi- 
ves de Saxe et de Cologne, jusqu'aux démocraties d'Uri 
et d^jGFnclerwald; depuis l'oligarchie commerçante de Lu- 

CO Sandoyal , in* fol, 168,1, Hy. ix, § aa, p. 356. j 



58 

beck, jusqu'à l'aristocratie militaire de l'ordre Teuto- 
nique. 

Ce corps singulier de l'Empire, dont les membres 
étaient -si hétérogènes et si inégaux, dont le chef était 
si peu poissant, semblait toujours prêt à se dissoudre. 
I^es villes, la noblesse, la plupart niéma des princes 
étaient presque étrangers à un empereur' que les seuls 
électeurs .avaient choisi. Cependant la communauté 
d'origine et de langue a maintenu pendant des siècles 
l'unité du corps germanique ; joignez-y la nécessité de 
la défense , la crainte des Turcs, de Charles-Quint, de 
Louis XIV. 

L'Empire se souvenait toujours qu'il avait dojniné 
l'Europe , et rappelait de temps en temps ses droits dans 
de vaines proclamations. Le plus puissant prince da 
xv e siècle, Charles le Téméraire, avait paru les recon- 
naître en sollicitant la dignité royale de l'empereur 
Frédéric III. Ces prétentions surannées pouvaient de- 
venir redoutables, depuis que la couronne impériale 
était fixée dans la maison d'Autriche (1438). Placée 
entre l'Allemagne, l'Italie et la Hongrie, au véritable 

point central de l'Europe, l'Autriche devait prévaloir 
sur les trois races européennes, sur la romaine et l'es- 
clavonne par la valeur ou l'obstination germanique, 
sur là germaine par l'obéissance aVeugle à l'autorité 
militaire. Joignez à de tels avantages cette politique 
plus habile qu'héroïque, qui, au moyen d'une suite de 
mariages, mit dans les mains de la maison cF Au triche 
le prix du sang des autres peuples, et lui soumit les 
conquérans avec leurs conquêtes : elle acquit ainsi d'un 
côté la Hongrie et la Bohème (1526), de Vautra les 
Pays-Bas (1481), et par les Pays-Bas, l'Espagne, Naples 
et l'Amérique (1 506 -* 51 6), par l'Espagne le Portugal 
et les Indes orientales (1 581 ). 

Vers la fin du xv* siècle, la puissance impériale était 
tellement déchue que les princes de la maison d'Au- 
triche oublièrent le plus souvent qu'ils étaient etnpe- 



59 

reurs pour ne s'occuper que des intérêts de leurs états 
héréditaires. Rien ne les écarta de cette politique qui 
devait tôt ou tard relever dans leurs mains la puissance 
impériale elle-même. Ainsi Frédéric III , toujours battu 
par l'électeur palatin ou par le roi de Hongrie, fermé 
l'oreille aux cris dé l'Europe alarmée par les progrès 
des Turcs. Mais il érige F Autriche en arçbiducbé ; g lie 
les intérêts de sa maison à ceux des papes, en sacri- 
fiant à Nicolas Y la pragmatique d'Augsbourg; il marie 
son fils Maximilien à l'héritière des Pays-Bas (4461). 
Maximilien lui-même devient, par son inconséquente 
et sa pauvreté, la rkée de l'Europe, courant «ans cesse 
de la Suisse aux,Pays-Bas, et d'Italie en Allemagne, em- 
prisonné par les gens de Bruges, battu par les Vénitiens , 
et notant. exactement ses affronts dans son livre rouge. 
Mais il recueille les «successions du Tyrol, de Goritz, 
et une partie de celle de Bavière» Son fils Philippe le 
Beau, souverain des Pays-Bas,' épouse l'héritière d'Es- 
pagne (14-96); on de ses petits-fils (traité de 4 54 5) doit 
épouser la sœur du roi de Bohème et de Hongrie. * 

Pendant que la maison d'Autriche prépare ainsi sa 
future grandeur, l'Empire essaie de régulariser sa consti- 
tution. Le tribunal désormais permanent de la Chambre 
impériale (4495) doit foire cesser les guerres privées, et 
substituer* un état de droit à l'état de nature qui règne 
encore parmi les membres du corps germanique. La 
division des Cercles doit faciliter l'exercice de cette ju- 
ridiction. Un conseil de régence est destiné à surveiller 
et à suppléer l'empereur (4 500). Les électeurs refissent 
long-tempé d'entrer dans cette organisation nouvelle 
L'empereur oppose le conseil Aulique à la Charnbre im- 
périale (4504), et ces institutions salutaires sont affai- 
blies dès leur naissance. 

Cette absence d'ordre , ce défaut de protection avaient 
obligé successivement les parties les plus éloignées de 
l'Empire à fornier des confédérations plus ou moins in- 
dépendantes, ou à chercheras protections étrangères. 



60 

Telle fut la situation de la Suisse, de l'ordre Teu tan i- 
que, des ligues du Rhin et de Souabe, de la ligue 
Hanséatique.* 

La même époque voit l'élévation des Suisses et la 
décadence de l'ordre Teutookjue. La seconde de ces 
deux puissances militaires, espèce d'à vànt-garde que 
le génie belliqueux de l'Allemagne avait poussée jus- 
qu'au milieu des Slaves, fut obligée de soumettre au 
roi de Pologne la Prusse , que les chevaliers Tenions 
avaient conquise et convertie deux siècles auparavant 
(traité de Thorn , i 466). 

. La Suisse, séparée de l'Empiré par la victoire de 
Morgaten et par la ligue de Brunnen*, avait confirmé 
sa liberté par la défaite de Charles le Téméraire, qui 
apprit à l'Europe féodale la puissance de l'infanterie. 
L'alliance des Grisons , l'accession de cinq nouveaux 

' cantons (Fribôurg, Soleure, Bâle, Schaffoùse, Appen- 
zel, 1481-4513), avaient porté la Suisse au plus haut 
point de grandeur. Les bourgeois de Berne , les bergers 
d'Uri se voyaient caressés par les papes et courtisés 
par les rois. Louis XI substitua les Suisses aux francs- 
archers (1480).' Ils composèrent, dans les guerres d'Ita- 
lie, la meilleure partie dç l'infanterie de Charles VIII 
et de Louis XI). Dès qu'ils eurent passé les Alpes à la 

. suite. des Français, ils furent accueillis par le pape, qui 
les opposait aux Français eux-mêmes, <et dominèrent 
un instant dans le nord de l'Italie (sous le nom de Max i- 

. milieu Sforza). Après leur défaite de Marignan (1 515), 
les discordes religieuses les armèrent les uns contre les 
autres," et les renfermèrent dans leurs montagnes. 

Les j|eux puissances commerçantes de l'Allemagne 
ne formaient pas un corps assez compacte pour imiter 
l'exemple de la Suisse, et se rendre, indépendantes. 

La ligue des villes du Rhin et deSouabe se composait 
de riches cités entre lesquelles celles de Nuremberg, 
de Ratisbonne, d'Augsbourg et de Spire tenaient le pre- 
mier rang. Ce sont elles qui faisaient le principakconx- 



6i 

merce par teiTe entre le Nord et le Midi. Arrivées à 
Cologne, les marchandises passaient entre les mains des 
Hanséatiques qui' les distribuaient dans fout le Nord. ■ 
La ligne Hanséatïque , composée de quatre-vingts 
ailles, occupait tons les rivages septentrionaux de l'Al- 
lemagne et s'étendait sur ceux dès Pays-Bas. Elle fut 
jusqu'au xvi e siècle ht puissance dominante du Nord. 
La salle immense de Lubeçk, où se, tenaient les asseoie 
blées générales de la Hanse, atteste encore la puissance 
de ces marchands souverains. Ils avaient uqi, par d'm- 
nombrables canaux, l'Océan, la Baltique et la plupart 
des fleuves' du nord de l'Allemagne. Mais, leur priori- 
pal commerce était maritime. Les comptoirs hanséati-* 
ques dç Londres,, de Bruges, de Bergen, de Novogorody 
étaient analogues sous plusieurs rapports aux factoreries 
desVéni tiens et des Génois dans le Levant; c'étaient des 
espèces de forts. Les commis ne pouvaient s'y marier,; 
de peur qu'ils n'enseignassent le coraqa erce et les arts 
aux indigènes (0. Il* notaient 'reçus dans certains comp-t 
toirs qu'après des épreuves cruelles qur^garantissaienfc 
leur courage. Le commercé se faisait encore presque 
partout les fermes àrla main. Si les gens de la Hanse apn 
portaient à^Vovogorod ou à Londres du dcap de Flandue' 
trop grossier, trop é^ok ou trop cher, le peuple se sou-* 
levait, et souvent consommait quelques-uns» Alors Jea 
marchands menaçaient de quitter la ville, et Je peuple 
alarmé en passait par où ils voulaient. Leshabi£ans;da 
Bruges ayant tué quelques hommes de la Hanse, elle 
exigea, pour rétablir sod comptoir dans cette ;ville, que 
plusieurs bourgeois fissent amende Jbouorable, et qqe 
d'autres allassent dn pèlerinage à Saint -Jacques de 
Compostelle et à. Jérusalem. En effet, la: punition la 
plus terrible que les Hauséatkjues pussent infliger à un 
pays, c'était de n'y plus, revenir. Lorsqu'ils n'allaient 
point en Suède, les babi tans manquaient de draps,. d? 

( x ) Voy. passim Mail et, Hist. de la Ligue, hanséatique , Génère, 1805, 
hauteur a souvent profité des travaux de Sartorius. » 



•" 



62 

houblon, de sel et de hareng; dans les révolutions, le 
paysan suédois était toujours pour ceux qui lui fournis- 
saient le hareng et le sel. Aussi la Hanse exigeait-elle des 
prmléges* excessifs ; la plupart des villes maritimes . de 
Soèdfe laissaient occuper au moins la moitié de letipP 
magistratures par des Hanséatiques. 

Cependant cette vaste puissance ne portait point sur 
une hase solide. La longue ligne qu'occupaient les villes 
de la Hanse, depuis la Livonie jusqu'au* Pays-Bas, était 
partout étroite , partout rompue par. des états étrangers 
ou ennemis*; Les villeaqui la composaient avaient des in- 
térêts divers, des droits inégaux; les uaaes étaient aJUêes, 
d'antres protégées* d'autres sujettes* Leur commerce 
métne, qui faisait toute leur existence ,. était précaire, 
frétant ni agricoles, ni manufacturières^ ne pouvant que 
transporter et débiter des produits étrangers, elles se 
trouvaient dépendre de mille accidens naturels ou politi- 
ques qu'aucune prévoyance ne pouvait prévenir* Ainsi 
le hareng^ qui, vers le xtv* siècle, await quitté les côtes 
de Fcméranîe pour celles de Scanie, commençây au mi* 
Ken du xv e , à émigrer des côtes de la Baltique vers celles 
de l'Océan du Nord. Ainsi la soumission de Novogorod 
et de Plescow au tzar-Iw^ln 111(4477), la réduction 
de Bruges par l'armée de l'Empire/ vers 1 4&9 > y fermé* 
rent aux Hanséatîqbe* les- denx sources principales de 
leurs richesses. En vnêùie tempâ les progrès de Fondre 
public rendaient 1* protection de In Hanfceiptrtile.à on 
grand Rombrede villes continentales, surtout depuis que 
la constitution de l'Empire se fut affermie, vers +4*95. 
Celles du fthin n'avaient jamais vouiu s'unir à elles; 
Colore, qui. était entrée dans leur ligftty s'en sépara y et 
denftandsl lai proWetfetf de la Flandre. Les Hollandais, 
dont hrcoÉtfmerceet l'industriel avaiewt grandi à ïetnbre 
dé la tiatnse, n'eurent pins besoin d'elle quanti ik de- 
vinrent sujets des puissantes maisons de Bourgogne et 
d'Àutjiche , et commencèrent à lui disputer le mono- 
pole de la Baltique, k la fois agriculteurs, manufactu- 



63 

>iers et commerçans, ils avaient l'avantage sur une ptiis r 
sance toute commerçante. Pour défendre les Intérêts de 
leur trafic contre ces dabgereux rivaux, les Hanséati* 
ques furent obligés d'intervenir dans toutes les rérolu- 
tions dtt Nord, " 

• . ■ -i .. > . ■'■ 

4 

Le christianisme et la civilisation étant passé* d'Alle- 
magne en Danemark, et delà en Suéde et eu Norwége, 
conservèrent long-temps du Danemark la prépondé- 
rance sur les deu* autres éjats. Les évêques suédois et 
norwégiens étaient les plus puiasans seigneurs .de ces 
contrées, et ils étaient également dévoués ^ux» Danois. 
Mais les rois de Danemark ne purent f^ire valoir cette 
prépondérance que par 4es efforts continuels, qui les 
mettaient dans la dépendance des nobles danois , et les 
obligeaient de leur faire des concessions fr^qtrente&: ces 
concessions ne se Faisaient qu'aux dépens d a pouvoir 
royal et de là frberté dès paysans, |[uL peu à peu tom- 
bèrent cfans l'esclavage. En Suède, au contraire, les, 
paysans s'éloignèrent peu de l'ancienne: libert^ des peu* 
pte^ Scandinaves, et formèrent même ut) ordre politi- 
que. Cette différence decpmtifcution^xpligde la vigueur 
avee*. laquelle 1* Suède repoussa le joug des Danoise 
Quant aux Norwégiens, soit que le clergé eèt encore 
plus ë'influence^bez^uï que chez leà Suédois», soit 
qu'ils craignissent d'obéir, à la Siiède} ils montrèrent 
ordinairement moins de répugnance pour la dootàn»* 
tion, danoise^ - , 4 , ' . 4 * -.<i> 

L&fameuqp un\pn de Calmar, qui avait semblé promet- 
tre aux trois royaumes du Nord tant de gloire et de puis- 
sance, n'avait fait qu'établir le jocfg'dôs princes danois, 
et des Allemands dont ils s'entouraient, sur la Suède 
et la Norwége.La révolution de 14-33, comme celle de 
1 521 , commença par les paysans de la Dalécarlie; En- 
gelbrecht en fut le Gustave Wasa; la première comme 
la seconde fut soutenue par les vides hanséatiques, dont 
le roi de Danemark ( Eric le Poméranien, neveu de 



64 

Marguerite de Waldemar ) combattait le monopole 
en favorisant les Hollandais. L'union fut rétablie quel- 
que temps par Christophe Je Bavarois, le roi de Vècorce, 
comme rappelaient les Suédois, obligés de vivre d'é- 
corce d'arbre ( ! )l Mais après sa mort (4448), ils chas* 
sèrent les Danois et les Allemands, se donnèrent poun roi 
Charles Canutson, maréchal du royaume, et réfusèrent 
de reconnaître le nouveau rôi de Danemark et de Nor- 
wége, Christiëro, premier de la maison d'OUJenbqurg 
( d'où sortent, par la brandie de Holstein -Gottorp, la 
dernièçe dynastie de Suède et la maison impériale de 
Russie aujourd'hui régnante). Les Danois, fortifiés par 
la réunion du Slesvic et du Holstein (145y}, rétablirent 
deux fois leur domination sur la Suède,, par le 'secours 
de. l'archevêque d'Upsal (1457, 1465),. gt furent deux 
fois chassés par le parti de la noblesse et du peuple. 

A la. mort de Chai les Canutson, en 1470, la Suède se 
donna successivement pour administrateurs trois sei- 
gneurs du nom de Sture (Stenon ? Swante et'Stenoh). 
ils s'appujrerent sur les laboureurs, et les rappelèrent 
dans le sénat; jlstbattirent les Danois devant Stockholm 
(447.1), et leur prirent le fameux drapeau de Danebrog, 
qui était comme .le palladium de. la monarchie. Ils fon- 
dèrent l'université d'Upsal, en même temps que le roi de 
Danemark instituait celle àp Gojjenhaf ue( 1 477, 1478 ). 
Enfin, si l'on excepte une courte période, pendant la* 
quelle la Suéde fut obligée de reconnaître Jean II, suc* 
cesseur de Chri$tiern I er , ils la maintinrent indépen- 
dante jusqu'en 1 520. ■ \ 

S * • 

V) CaU*u-CalUîviUe r ff«A des révol. de Jtforwéjg*, 1§18, 2« y. p. 97, 






65 



CHAPITRE IV. 

» 

Orieht et Nord. États Slaves, et Turquie, clans la seconde moitié du 

zv e siècle. 



La conquête de l'empire grec pas lesTurcs-Ottomans 
peut être considérée comme la dernière invasion des 
barbares et le terme du moyen âge. C'est aux peuples 
d'origine slave, placés sur la route des barbares de l'A- 
sie, qu'il appartient de leur fermer l'Europe, ou du 
moins de les arrêter par de puissantes diversions* La Rus- 
sie, qui a déjà épuisé la fureur des Tartars au xiv e siè- 
cle, va leur redevenir formidable sous Iwan III (i462). 
Contre l'invasion des Turcs, une première ligne, com- 
posée de Hongrois, Valaques et Moldaves, couvre l'Al- 
lemagne et la Pologne, qui forment comme la réserve 
de l'armée chrétienne. La Pologne, plus forte que ja- 
mais, n'a plus d'ennemis derrière elle; elle vient de 
soumettre la Prusse et de pénétrer jusqu'à la Baltique 
(1454.-* 466). 

I. Les progrès rapides de la conquête ottomane pen- 
dant le xv e siècle s'expliquent par les causes suivantes : 
i° esprit fanatique et militaire) 2° troupes réglées, op- 
posées aux milices féodales des Européens et à la cava- 
lerie des Persans et des Mamelucs; institution des ja- 
nissaires; 3<> situation particulière des ennemis des 
Turcs : à l'orient, troubles politiques, et religieux de 
la Perse, faibles fondemens de la puissance des Mame- 
lucs; à l'occident, discordes de la chrétienté; la Hon- 
grie la défend du côt^de la terre, Venise du côté de 

5 



66 

la mer; mais elles sont affaiblies, Tune par l'ambition 
de la maison d'Autriche, l'autre par la jalousie de l'I- 
talie et de toute l'Europe; héroïsme impuissant des che- 
valiers dç Rhodes et des princes d'Albanie. 

Nous avons vu, dans le chapitre premier, Mahomet H 
achever la conquête de l'empire grec, échouer contre la 
Hongrie, mais s'emparer de la domination des mers, et 
faire trembler la chrétienté. A l'avènement de Bajazet II 
(4484), les rotes changèrent; la terreur passa du coté du 
sultan. Son frère Zizim, qui lui avait disputé le trône, 
s'étànt réfugié chez les chevaliers de Rhodes, devint, 
entre les mains du roi de France, et ensuite du pape, 
un gage de la sûreté de l'Occident. Bajazet paya à In- 
nocent VIII et à Alexandre VI des sommes considéra- 
bles pour qu'ils le retinssent prisonnier. Ce prince im- 
populaire, qui avait commencé son règne par faire 
périr le visir Achmet, l'idole des janissaires, le vieux 
général de Mahomet H, suivit, malgré lui, l'ardeur 
militaire de la nation. Les Turcs tournèrent d'abord 
leurs armes contre les Mamelucs et les Persans. Défaits 
par les premiers, à Issus, ils préparèrent là ruine de leurs 
vainqueurs, en dépeuplant la Circassie, où les Mamelucs 
se recrutaient. Après la mort de Zizim , n'ayant plus à 
craindre une guerre intérieure, ils attaquèrent "les Vé- 
nitiens dans le Péloponèse, et menacèrent l'Italie (4499* 
4 503); mais la Hongrie, la Bohème et la Pologne se 
mirent dp mouvement, et l'avènement des Sophis re- 
nouvela et régularisa la rivalité politique des Persans 
et des Turcs (4501). Après cette guerre, Bajazet indis- 
posa les Turcs contre lui par -une paix de huit années; 
voulut abdiquer en faveur de son fils Achmet, et fut 
détrôné par son second fils Sélim, qui le fit périr. L'a- 
vénement du nouveau prince, le plus cruel et le plus 
belliqueux de tous les sultans, jeta l'Orient et l'Occi- 
dent dans les mêmes alarmes ( 4 542 ) : on ne savait s'il 
fondrait d'abord sur la Perse, sur l'Egypte, ou sur l'I- 
talie ( Cantimir passim ). 



67 N , 

•* t -. ; 

IL L'Europe n'eût eu rien à craindre des barbares, j 

si la Hongrie, unie à la Bohème d'une manière durable, 
les eût tenus en respect. Mais la première attaqua la i 

seconde dans son indépendance et dans sa croyance re- 
ligieuse. Ainsi affaiblies Tune par l'autre, elles flotte- - . 
rent, au xv$ siècle, entre les deux puissances esclavone 
et allemande ^ qui les environnaient \ Pologne et Au- 
triche ). Réunies, de 1453 ai 458, sous un prince alle- 
mand , quelque temps séparées et indépendantes sous 
des souverains nationaux (la Bohème, jusqu'en 1474, la 
Hongrie jusqu'en 4490 ), elles furent de nouveau réu- 
nies, sous des ppinces polonais, jusqu'en 1 526, époque 
à laquelle elles passèrent définitivement soùs la domi- 
nation autrichienne. 

Après le règne de Ladislas d'Autriche, qui avait reçu 
tant de gloire des exploits de Jean Huniade, Georges 
Podiébrad s'empara de la couronne de Bohème, et Ma- 
thias Corviri,*- fils de Hùniade» fut élu roi de Hongrie 
(1458). Ces deux princes combattirent avec succès les 
prétentions chimériques de l'empereur Frédéric III. Po- 
' diébrad protégea les Hussites, et encourut l'inimitié dès 
papes ; Mathias combattit les Tuccs avec gloire, et ob- 
tint ,1a faveur de Paul II, qui lui offrit la couronne de 
Podiébrad, son beau-père. Ce dernier opposa à Mathias 
Falliance du roi de Pologne , dont il fit reconnaître le 
iils aîné Wladislas pour son successeur. En même temps 
Casimir, frère de Wladislas, essayait d'enlever # h Ma- 
thias la couronne de Hongrie. Mathias, ain&i pressé de 
tous côt^s, fut obligé de renoncer à la conquête delà- 
Bohènie, et de se contenter des provinces de Morâyie , 
de Silésié et de Lukace, qui devaient revenir à Wla- 
dislas, si Mathias mourait le premier (1 475-1 47&). 

Le roi de Hongrie se dédommagea aux dépens jdë 
l'Autriche. Sous le prétexte que Frédérit III lui avait 
refusé sa frlle , il envahit par deux fois ses états, et s'en 
maintint en possession. Avec ce grand prince, la chré- 
tienté perdk son principal défenseur, la Hongrie ses 



i 



u 



i 68 

conquêtes et sa prépondérance politique (1 4-90). La civi- 
lisation, qu'il avait essayé d'introduire dans ce royaume, 
fut ajournée pour plusieurs siècles. Nous avons parlé 
(chapitre 1 er ) de ce qu'il fit pour les lettres et les arts. 
Par son Decretum ma jus , il régularisa la discipline 
militaire, abolit le combat judiciaire, défendit de paraî- 
tre en armes aux foires et marchés, ordonna que les 
peines ne seraient plus étendues aux parens du cou- 
pable, que ses biens ne seraient plus confisqués, que 
le roi n'accepterait point de mines d'or, de sel, etc., 
sans dédommager le propriétaire., etc. (0. 

Wladislas (de Pologne), roi dé Bohème, ayant'été élu 
roi de Hongrie, fut attaqué par son frère Jean Albert et 
par M aximilien d'Autriche, qui tous deux prétendaient 
à cette couronne. Il apaisa son frère par la cession de 
la Silésie ( 1 -491 ), et Maximilien, en substituant à la 
maison d'Autriche le royaume de Hongrie , en cas qu'il 
manquât lui-même de postérité mâle (Voyez* 4526.) 
— Sous Wladislas, et sous son (ils Louis II, qui lui 
succéda, encore enfant , en \ 516, la Hongrie fut impu- 
nément ravagée par les Turcs. 

III. La Pologne, réunie depuis 4386 à la Lithuanie, 
par Wladislas Jagellon, premier prince de cette dynas- 
tie, se trouvait, au iv e siècle, la puissance prépondé- 
rante entre les états Slaves. Couverte du côté des Turcs 
par la Valachie, la Moldavie et la Transylvanie, rivale 
de la Russie pour là Lithuanie, de l'Autriche pour la 
Hongrie et la Bohème, elle disputait à l'ordre Teuto- 
niquela Prusse et la Livonie. Le principe de sa faiblesse 
était la jalousie des deux peuples de langues différen- 
tes dont se composait le corps de l'Etat. Les Jagellons,, 
princes lithuaniens, auraient voulu que leur pays ne 
dépendît point des lois polonaises, et qu'il recouvrât 
la Podolie. Les Polonais reprochaient à Casimir IV de 

(0 Bonfinius, Rerum hungaricarum décades, 1568, in-fol., p. 649. 



69 

passer l'automne, l'hiver et le printemps en Litlwa- 
nie (0; 

Sous (Casimir, second (ils deWladislas Jagellon (V e du 
nom), les Polonais protégèrent les Slaves de la Prusse, 
contre la tyrannie des chevaliers Teutons, et imposèrent 
à ceux-ci le traité de Thorn (4466), par lequel Tordre 
perdait la Prusse occidentale, et devenait vassal de la 
Pologne pour la Prusse orientale. Qui eût dit alors que 
la Prusse démembrerait un jour la Pologne? En même 
temps les Polonais donnaient un roi à la Bohème et à 
la Hongrie (14-74,1490). Les trois frères deWladislas, 
Jean-Albert, Alexandre, et Sigismond 1", furent élus 
successivement rois de Pologne (1 492,4 501 ,1 506), firent 
la guerre aux Walaques ,et aux Turcs, et remportèrent 
de brillans avantages sur les Busses. La Lithuanie, sépa- 
rée de la Pologne à l'avènement de Jean Albert, lui fut 
définitivement réunie par Alexandre. 

Vers 1466, la continuité des guerres ramenant les 
mêmes besoins, introduisit en Pologne le gouverne- 
ment représentatif; mais la fierté de la noblesse, qui 
seule était représentée par ses nonces, maintint les for- 
mes anarchiques des temps barbares : on continua 
d'exiger le consentement unanime dans les délibérations. 
Bien plus, dans les occasions importantes, les Polonais 
restèrent fidèles à l'ancien usage, et l'on vit, comme 
au moyen âge , l'innombrable pospolite délibérer dans 
une plaine le sabre à la main. 

IV. Au xv e siècle , la population russe nous présente 
trois classes : les enfans boyards, descendans des con- 
quérans-, les paysans libres, fermiers des premiers, et 
dont l'état approche de plus en plus de l'esclavage; 
enfin les esclaves. 

Le grand-duché de Moscou était sans cesse menacé, à 
l'occident par les Lithuaniens et lesXivoniens, à l'orient 

(') Dhigossi,$r«Loi)giiïi Hîsloriœ Pohnicœ. t, u; 1712 ; p. 114-6. 



70 

par les Tartars de la grande horde , de Kazan et d l As- 
trakan ; il se trouvait resserré par les républiques corn» 
m^rçantes de Novogovod et de Plascow, et par les prin- 
cipautés de Tver, âe Véréia', et de Rézan. Au nord 
s'étendaient beaucoup de pays sauvages et de peuples 
païens» La nation moscovite, encore barbare, mais au 
moins attachée à des demeures fixes, devait absorber les 
peuplades errantes des Tartars. Etat héréditaire, le 
Grand-Duché devait prévaloir tôt ou tard sur Içs états 
électifs de Pologne et de Livonie. 

4462-1 505, IwanlII. — Il opposa à la grande horde 
l'alliance des Tartars de Crimée» aux Lithuaniens celle 
du prince de Moldavie et de Valachie, de Mathïas Cor- 
vin et de Maximilien. —Il divisa Plesco^vv et Novogorod , 
qui ne pouvaient lui résister qu'en faisant cause com- 
mune; affaiblit successivement cette dernière républi- 
que, s'en rendit maître en 4477, etl'épuisa en enlevant 
ses principaux citoyens. Fort de l'alliance du khan de 
Crimée, il imposa un tribut aux Kazanais, refusa celui 
que payaient ses prédécesseurs à la grande horde, qui 
fut bientôt détruite paç les Tartars Nogaïs { i 4-80). - 

Iwan réunit Twer, Véréia, Rostof, Yàroslaf. Il fit 
long-temps la guerre aux Lithuaniens; mais Alexandre, 
ayant réuni la Litkuarçje à la Pologne, s'allia avec les 
chevaliers de Livonie ; et le tzar, qui , depuis la destruc- 
tion de la grande horde, avait moins ménagé ses alliés de 
Moldavie et de Crimée, perdit tout son ascendant : il fut 
battu à Plescow pat" Plettemberg, maître des chevaliers 
4e Livpnie (1501), et Tannée même de sa mort (i 5C5), 
Kazan se réyoita contre les Russes. 

Iwan prit le premier le titre fie tzar. Ayant obtenu 
du pape la main de Sophie Paléologue, réfugiée à Rome, 
il mit dans $es armes le double aigle de l'empire grec. 
-•-Il attira et retint par force des artistes grecs et ita- 
liens» — Le premier, il assigna des fiefs aux en/ans 
boyards, sous la condition d'un service militaire ; il 
introduisit quelque ordre dans les finances, établit les 



71 

postes, réunit dans nn code (1 497) les anciennes instilu. 
lions judiciaires, et voulut en vain distribuer aux en/ans 
boyards les domaines du clergé. — Iwan avait fondé 
Iwangorod en 4492 (où fut depuis Péter sbourg), lors- 
que les victoires de Plefctemberg fermèrent aux Russe* 
pour deux siècles le chemin de la Baltique. (Voy. Ka+ 
ramsin, passim. ) 



M^y ■y^^^%<%»^» »*»» w * iw» »«<% W» * »\ w»j»iw 



CHAPITRE V. 

Prepaipres guerres d'Italie, 1494*1516. 



Lorsqtj'ok traverse aujourd'hui les Marenimes de 
Sienne, et que Ton retrouve en Italie tant d'autres 
traces des guerres du xvi e siècle,' une tristesse inexpri- 
mable saisit lamé, et Ton raaiidit les Barbares qui ont 
commencé cette désolation CO.Ce désert des Màremmes, 
c'est un général de Charles-Quint qui Ta fait; ces ruines 
de palais incendiés Sont Foirvrage des lândsknechts de 
François 1er. Ces peintures dégradées de Jules Romain 
attestent encore que les soldats du connétable de Bour- 
bon établirent leurs écuries dans le Vatican. Ne nous 
hâtons pas cependant d'accuser nos pèrgs. Les^guerres 
d'Italie ne furenf le caprice ni d'un roi, ni d'un peuple. 
Pendant plus d'un demi-siècle, une impulsion irrésis- 
tible entraîna au-delà des Alpes tous les peuples de 
, FOccident, comme autrefois ceux du Nord. Les cala- , 
mités furent presque aussi cruelles, mais le résultat fut 
le même : les vainqueurs furent élevés à la civilisation 
des vaincus. 

I 1 ) Commentaires de Biaise de Montluc, t. xxi de la Coll., p. 267-8. — 
Voy. aussi divers Voyages, et surtout Voyage au Monlamiala el dans 
IcSiennois, par Sanli, irnd. par Botlard. Lyon, .18^2,; 2 yol. in-8«, 
le» yo\. passim jusqu'à la p. 278. 



. 72 

Louis le More> alarmé des menaces du roi de Naples, 
dont la petite-fille avait épousé son neveu Jean Galéas 
(voy. le chap. 1er), se détermina à soutenir son usur- 
pation par le secours des Français; mais il était loin de 
savoir quelle puissance il attirait dans l'Italie. Il fut lui* 
même saisi d'étpnnement et de terreur, lorsqu'il vit des- 
cendre du mont Genèvre (septembre 14-94) cette ar» 
mée formidable, qui, par la variété des costumes, des 
armes et des langues, semblait à elle seule l'invasion de 
toutes les nations de l'Europe : Français, Basques, Bre- 
tons, Suisses, Allemands, et jusqu'aux Ecossais; et cette 
invincible gendarmerie , et ces pesans canons de bronze 
que les Français avaient rendus aussi mobiles que leurs 
armées. Une guerre toute nouvelle commençait pour 
l'Italie. L'ancienne tactique, qui faisait succéder dans 
les batailles un escadron à l'autre, était vaincue d'a- 
vance par l'impétuosité française, par la froide fureuç 
des Suisses. La guerre n'était plus une affaire de tacti- 
que. Elle devait être terrible, inexorable; le vainqueur 
ne comprenait pas même la prière du vaincu. Les sol- 
dats de Charles VIII, pleins de défiance et de haine 
contre un pays où ils craignaient d'être empoisonnés à 
chaque repas, massacraient régulièrement tous les pri- 
sonniers (0. 

A l'approche des Français f les vieux gouvernemens 
d'Italie s'écroulent d'eux-mêmes. Pise . se délivre des 
Florentins, Florence des Médicis. Savonarole reçoit 
Charles VIII comme, \e fléau de Dieu envoyé pour pu- 
nir les péchés de l'Italie. Alexandre VI, qui jusque là 
négociait à la fois avec les Français, avec les Arago • 
nais, avec les Turcs, entend avec effroi les mots de 
concile et de déposition , et se cache dans le château 
Saint* Ange. Il livré en tremblant le frère de Bajazet II, 
dont Charles VIfl croit a^voir besoin pour conquérir 

(') A Montefortino, au mont Saiat-Jcan, à Rapallo, à Sarzane, à Tos- 
cauella , à Fornovo , à Gaëte. 



\ 



73 

l'empire d'Orient; mais il le livre empoisonné. Ce- 
pendant le nouveau roi de Naples, Alphonse II, s'est 
sauvé dans un couvent de Sicile, laissant son royaume 
à défendre à un roi de dix-huit ans. Le jeune Ferdi- 
nand II est abandonné à San -Germano, et voit son 
palais pillé par la populace de Naples, toujours furieuse 
contre lés vaincus. Les gens d'armes français, ne se fa- 
tigant plus à porter d'armures, poursuivent cette con- 
quête pacifique en habit du matin, sans autre peine 
que d'envoyer leurs fourriers devant eux pour mar- 
quer les logeraens (*). Bientôt les Turcs voient flotter 
les fleurs de lis à Otrante, et les Grecs achètent des 
armes ( 2 ). 

Lés partisans de la maison d'Anjou , dépouillés de- 
puis soixante ans, avaient cru vaincre avec Charles VIII. 
Mais ce prince, qui se souciait peu des services qu'ils 
avaient pu rendre aux rois provençaux , n'exigea au- 
cune restitution du parti opposé. Il mécontenta toute 
* noblesse, en annonçant l'intention de restreindre les 
juridictions féodales, à l'exemple decelles de France (3). 
11 nomma des Français pour gouverneurs de toutes les 
villes et forteresses, et décida ainsi plusieurs villes à re- 
lever les bannières d'Aragon. Au bout de trois mois, 
les Napolitains étaient las. des Français, les Français 
étaient las de Naples*, il»' avaient oublié leurs projets 
sur l'Orient. Ils étaient impatiens de revenir conter aux 
dames leurq brillantes aventures. 

Cependant une ligue presque universelle s'était for- 
mée contre Charles VIII. Il fallait qu'il se hâtât de re- 
gagner la France, s'il ne voulait être enfermé dans le 
royaume qu'il était venu conquérir. En redescendant 
les Apennins, il rencontra à Fornovo l'armée des con- 
fédérés forte de quarante mille homme? -, les Français 
n'étaient que neuf mille. Après avoir demandé inutile- 
ment le passage , ils le forcèrent , et l'armée ennemie , 

(*) ComÎDcs, liv. vu, ch. xiv. — <*0 •/«/., ib. t ch. xvn. — ( 3 ) GUnnone, 
liy. xxx , ch. i. 



/ 



7 A 

qui essaya de les arrêter, fut mise en fuite par quelques 
charges de cavalerie. Ainsi le roi rentra glorieusement 
en France, ayant justifié toijtes ses imprudences par une 
victoire. 

Les Italiens, se croyant délivrés, demandèrent compte 
à Savonarole de ses sinistres prédictions. Son parti, celui 
des Piagnoni (Pénitens), qui ayait affranchi et réformé 
Florence, vit tomber tout soir crédit. Les amis des Mé- 
dicis, qu'ils avaient poursuivis avec acharnement, le 
p*pe Alexandre VI , dont Savonarole attaquait les ex- 
cès avec une extrême liberté, saisirent Tocfcasion de 
perdre une faction qui avait lassé l'enthousiasme mobile 
des Florentins. Un moine franciscain, voulant, disait-il, 
prouver que Savonarole était un imposteur, et qu'il n'a- 
Vâit le don ni des prophéties si dés miracles, offrit de 
passer avec lui dans un bûcher ardent. An jour mar- 
qué, lorsque le bûcher était dressé, et tout le peuple 
dans Fattertte, les deux partis firent des difficultés,: & 
une grande pluie qui survint mit le comble à la mau- 
vaise humeur du peuple. Savonarole fut arrêté /jugé 
,par les commissaire^ du Pape, et brûlé vif. Lorsqu'on 
lui lut la sentence par laquelle il était retranché* dé l'E- 
glise : De la militantes répondit-il; espérant appartenir 
dès lors à l'Eglise irôfrn^hànte -(1496). L'Italie ne s'a- 
perçut que trop tôt de la vérité de ses prophéties. 

Le jour même de T^preuVe du bûchçr, Charles VlH 
mourait à Amboise, et laissait le trône au duc d'Or- 
léans, JiOuîs XII, qui joignait aux prétentions de son 
prédécesseur sur Naples, celles que son aïeule, Vaten- 
tine Visconti, lui donnait sur le Milanais. Dès que son 
mariage aved la veuve de Charles VIII eut assuré la' réu* 
nion de la Bretagne* il ebvahit le Milanais de concert avec 
les Vénitiens; Les deux" armées enàemies étaient en par- 
tie composées de- Suisses j ceux de Ludovic ne voulurent 
point combattre contre la bannière de leur canton qu'ils 
voyaient dans l'armée du roi de France, et livrèrent le 
duc de Milan. Mais en reprenant le chemin de leurs 



\ 



75 

montagnes, ils s'emparèrent de Bellinzona, que Louis XII 
fut obligé de leur ctédér, et qui» devint pour eux la clef 
de la Lombard ie*' Le Milanais conquis, Louis XII, qui 
n'espérait pas conquérir le royaume de Naples malgré 
les Espagnols , partagea ee royaume avec eux par un 
traité secret. L'infortuné don Frédéric, qui régnait alors, 
appelle les Espagnols à son secours, et lorsqu'il a intro- 
duit Gonzalve de Cordoue dans ses principales forte- 
resses, le traité de partage lui est signifié (1501). Cette 
odieuse conquête n'engendra que-la guerre. Les deux 
nations se disputèrent la gabelle qu'on levait/ sur les 
troupeaux voyageurs qui passent, au printemps, de la 
Fouille dans FAbbrùsae-, c'était le revenu le plus net 
du royaume. Ferdinand amusa Louis XII pat* un traité, 
jusqu'à ce qu'il eût envoyé des forces suffisantes 'à Gon- 
zalve bloqué dans Bar] et te. L'habileté du grand capi- 
taine et la discipline de l'infadterie espagnole l'empor- 
tèrent. partout sur le brillant courage des gens df'armes 
français. La vaillance de Louis d'Ars et de d'Àubigny, 
les exploits de Bayard, qui, disait-on, avait défendu un 
pont contre une armée, n empêchèrent pas les Français 
d'être battus à Séminara, à la^Cérignola, et d'être chas- 
sés pour une seconde fois du royaume de Naples pai? 
leur défaite du Garigliano (déc. i 503)< ; 

Cependant Lpjiis XII était encore maître d'une 
grande partie de l'Italie ; souverain du Milanais «t sei- 
gneur de Gênes, allié de Florence et du pape Alexan- 
dre VI, qui ne s'appuyaient que sur lui C 1 ), il étendait 
son influence sur la Toscaneyîa Romagnç et l'Etat de 
Rome. La mort d'Alexandre VI et la ruine de son fils 
ne lui furent guère moins fianestes que la défaite du 
Garigliano. Cette puissance italienne des Borgia, qui 
s'élevait entre les possessions des Français et celles des 

O César Borgia de France, par la grâce de Dieu* duc de Romagne et 
de Valenlinois, etc., (sauf-conduit du 19 octobre 1502).— ïl disait à Tarn- 
bassadeur de Florence : Le roi cfc France, noire maître commun*..;. 
(tO janvier 1503. Légation de Machiavel auprès de César Borgia.) 



f 



76 

Espagnols, était comme la garde avancée du Milanais. 
César Borgia mérita d'être l'idéal de Machiavel, non 
pour- s'être montré plus perfide que lçs autres princes 
de cette époque : Ferdinand le Catholique eût pu ré- 
clamer; non pou/* avoir .été l'assassin de son frère et 
l'amant de sa sœur : il ne pouvait surpasser son père 
en dépravation et en cruauté; mais pour.avoir fait une 
science du crime , pour en avoir tenu école et donné 
leçons (0. Cependant le héros même du système lui 
donna par son iùauvais succès un éclatant démenti. 
Allié de Louis XII et gonfalonier de l'Église, il déploya 
pendant six ans toutes les ressources de la ruse et de là 
valeur. Il croyait travailler pour lui ; il avait tout prévu, 
disait» il à Machiavel; à la mort de son père, il espérait 
faire un pape.au moyen des dix -huit cardinaux espa- 
gnols nommés par Alexandre VI; dans les États romains 
il avait gagné la petite noblesse, écrasé la haute ; il avait 
exterminé les tyrans de Romagne ; il s'était attaché le 
peuple de cette province, qui respirait sous son admi- 
nistration ferme et habile. Il avait tout prévu , hors le 
cas où il se trouverait malade à lamort de son père, et ce 
cas arriva. Le père et le fils, qui avaient, dit-on, invite' 
un cardinal pour s'en défaire , burent le poison qu'ils 
lui destinaient. «Cet homme si prudent semble avoir 
» perdu la tête, » écrivait alors Machiavel (14- novem- 
bre 1503). Il se laissa arracher par le nouveau pape, 
Jules II , l'abandon de toutes les forteresses qu'il oc- 
cupait, et alla ensuite se livrer à Gonzalve de Cor- 
doue, croyant que la parole des autres vaudrait mieux 
que la sienne (4 nov.). Mais le général de Ferdinand 
le Catholique, qui disait, « que la toile d'honneur 
» devait être d'un tissu lâche, » l'envoya en Espagne, 
où il fut enfermé d'ans là citadelle de Médina del 
Campo. 

<") Machiavel dit quelque part : // a envoyé un de ses élèves... Hugues 
de Moncade , général de Cbarles-Quiut , s'honorait d'être sorti de cette 
école. 



77 

Jules II poursuivit les conquêtes des Borgia, avec 
des vues moins personnelles. Il voulait faire de l'État 
pontifical l'État dominant de l'Italie, délivrer toute la 
péninsule des barbares, et constituer les Suisses gar- 
diens de la liberté italienne; Employant tour à tour 
les armes spirituelles et temporelles, ce pontife intré- 
pide consuma sa vie dans l'exécution de ce projet con- 
tradictoire ; on ne pouvait chasser les barbares qu'au 
moyen de Venise , et il fallait abaisser Venise pour 
élever l'Église au rang de puissance prépondérante .de 
l'Italie. 

D'abord Jules II voulut affranchir les Génois ses com- 
patriotes , et encouragea leur révolte contre Louis XII. 
Les nobles,, favorisés par le gouvernement français, ne 
cessaient d'insulter le peuple y ils marchaient armés de 
poignards, sur lesquels ils avaient fait graver : Cas- 
tiga-villano. Lé peuple se révolta , et prit un teintu- 
rier pour doge. -Louis XII parut bientôt sous leurs 
murs avec une brillante armée ; le chevalier Bayard gra- 
vit sans peine les montagnes qui couvrent Gênes , et 
il leur criait : « Ores, marchands, défendez-vous avec 
)> vos aulnes , et laissez les piques et lances, lesquelles 
» vous n'avez accoutumées (>).» Le roi , ne voulant pas 
ruiner une ville si riche, fit seulement pendre le doge et 
quelques autres, brûla lçs privilèges de la ville, et fit 
construire à la Lanterne une forteresse qui commandait 
l'entrée du port ( i 507). 

La même jalousie des monarchies contre les répu- 
bliques , des peuples pauvres encore contre l'opulence 
industrieuse, arma bientôt la plupart des princes de 
l'Occident contre l'ancienne rivale de Gênes. Le gou- 
vernement de Venise avait su profiter des fautes et des 
malheurs de toutes les autres puissances; il avait gagné 
à la chute de Ludovic le More, à l'expulsion des Fran- 

(') Champior, les Gestes, ensemble la Vie au preux chevalier 
, Bayard, etc. 



78 

çais de Naples/à la ruine de César Borgia. Tant de 
succès excitait la crainte et la jalousie des puissances 
italiennes elles - mêmes , qui auraient dû souhaiter la 
grandeur de Venise. « Vos seigneuries, écrivait Machia- 
» vel aux Florentins, m'ont toujours dit que c'étaient les 
» Vénitiens qui menaçaient la liberté de l'Italie (0.» Dès 
Tan i 503, M. de Chaumont, lieutenant du roi dans le Mi- 
lanais, disait au même ambassadeur : « On fera en sorte 
»que les Vénitiens ne s'occupent plus que de la pêche; 
» quant aux Suisses, on en est sûr (22 janvier)* » Cette 
conjuration contre Venise, qui existait dès A 504- (Traité 
de Bl ois), fut renouvelée en 1 508 (Ligue de Cambrai, 
10 décembre^, par l'imprudence de Jules II, qui vou- 
lait à tout prix recouvrer quelques villes de Romagne* 
Le Pape, l'Empereur, et' le roi de France, offrirent au 
roi de Hongrie d'entrer dans la confédération pour re- 
prendre la Dalmatie et l'Esclavonie. Il n'y eut pas jus- 
qu'aux. ducs de Savoie et de Ferrare, jusqu'au marquis 
de Mantoue, qui ne voulussent aussi porter un coup à 
ceux qu'ils avaieut craints si long-temps. Les Vénitiens 
furent défaits par Louis XII £ la sanglante bataille 
d'Aignadel (1 509) , et les boulets des batteries fran- 
çaises volèrent jusqu'aux lagunes. Dans ce danger, le 
sénat de Venise île démentit pas sa réputation de sagesse. 
. Il déclara qu'il voulait épargner aux provinces les maux 
de la guqyre , les délia du serment de fidélité, et promit 
de les indemniser de leurs pertes au retour de la paix. 
Les sujets de Venise lui restèrent tellement attachés que 
les paysans du Véronais se laissaient pendre plutôt que 
d'abjurer Saint-Marc, et de crier Vive l'Empereur. Les 
Vénitiens battirent le marquis de Mantoue, reprirent % Pa- 
doue, et la défendirent contre Maximilien, qui l'assiégea 
avec cent mille hommes* Le roi de Naples et le Pape, dont 
les prétentions étaient satisfaites , se réconcilièrent avec 
Venise; et Jules II, ne songeant plus qu'à chasser les 

(0 Légation auprès de l'empereur, 1508, février. Voy. aussi sa Léga- 
tion à la conr de France, 1503 , 13 février. 



79 

barbares de l'Italie , tourna sa politique impétueuse 
contre les Français. 

Les projets du pape n'étaient que trop favorisés par 
l'économie mal entendue de Louis XII, qui avait réduit 
les pensions des Suisses, et qui ne leur permettait plus 
de s'approvisionner dans la Bourgogne et le Milanais. 
On sentit alors la faute de Louis XI, qui, en Substi- 
tuant aux Francs archers l'infanterie mercenaire des 
Suisses, avait mis la France à la discrétion des étran- 
gers. Il fallut remplacer les Suisses par deslandsknechts 
allemands, qui furent rappelés par l'Empereur la veille 
de la bataille de Ravenne. Cependant le pape avait 
Commencé la guerre-, il appelait les Suisses en Italie, 
et faisait entrer <}ans la sainte Ligue contre la France, 
Ferdinand, Venise, Henri VIII et Maximilien (1511- 
1 512). Tandis que Louis XII, né sachant s'il peut sans 
pécher se défendre contre le Pape, consulte des doc- 
teurs, et assemble un concile à Pise, Jules II assiège la 
Mirandôle en personne, se loge sous lé feu de la place, 
au milieu de ses cardinaux tremblans, et y fait son en- 
trée par la brèche. 

L'ardeur de Jules II, la politique des alliés, furent 
un instant déconcertées par la courte apparition de 
Gaston de Foix, neveu de Louis XII, à la tête de l'ar- 
mée française. Ce jeune homme de vingt-deux ans arrive 
en Lombardie, remporte trois victoires en trois mois, et 
meurt, laissant la mémoire du général le plus impé- 
tueux qu'ait vu l'Italie. D'abord il intimide ou gagne les 
Suisses et les fait rentrer dans leurs montagnes; il sauve 
Bologne assiégée, et s'y jette avec son armée h la faveur 
de la neige et de l'ouragan (7 février);' le 18, il était de- 
vant Brescia reprise par les Vénitiens; le 19, il l'avait 
forcée; le 11 avril, il périssait vainqueur à Ravenne, 
Dans l'effrayante rapidité de ses succès , il rie ménageait 
ni les siens ni les vaincus. Brescia fut livrée pendant 
aept jours à la fureur du soldat; les vainqueurs massa- 
crèrent quinze mille personnes, hommes, femmes et 



80 

enfans. Le chevalier Bayard eut bien peu d'imitateurs. 
Gaston , de retour en Bomagne , attaqua Ravenne , 
pour forcer Famée (le l'Espagne et du Pape à accepter 
la bataille ('). La canonnade ayant commencé, Pedro de 
Navarre , qui avait formé l'infanterie espagnole, et qui 
comptait sur elle pour la victoire , la tenait couchée à 
plat ventre 9 attendant de sang-froid que les boulets 
eussent haché la gendarmerie des deux partis. Les 
gens d'armes italiens perdirent patience et se firent 
battre par les Français. L'infanterie espagnole, après 
avoir soutenu le combat avec une valeur opiniâtre, se 
retirait lentement; Gaston s'en indigna, se précipita sur 
elle avec une vingtaine d'hommes d'armes, pénétra 
dans tes rangs et y trouva la mort (i 542). 

Dès lors rien ne réussit plus à Louis XII. Les Sforza 
furent rétablis à Milan , les Médicis à. Florence. L'ar- 
mée du roi fut battue-par les Suisses à Novarre, par les 
Anglais à Guînegate. La France, attaquée de front par 
les Espagnols et les Suisses, prise à dos par lés Anglais, 
vit ses deux alliés d'Ecosse et de Navarre, vaincus ou 
dépouillés (voyez le chap. IL ) La guerre .n'avait plus 
d'objet : les Suisses régnaient à Milan sous le nom de 
Maximilien Sforza; la France et Venise étaient abais- 
sées, l'Empereur épuisé, Henri VIII découragé, Fer- 
dinand satisfait par la conquête de la Navarre qui dé- 
couvrait la frontière de France. Louise XII conclut une 
trêve avec Ferdinand, abjura le çpncile de Pise, laissa 
le Milanais à Maximilien Sforza, et épousa la soeur de 
Henri VIII (i 544). (Voyez plus bas son administration.) 
Pendant que l'Europe croit la France abattue et comme 
vieillie a T vec Louis XII, elle déploie des ressources inat- 
tendues sous le jeune Françofs I* r qui vient de lui suc- 
céder (1er j an vier 154 5). Les Suisses, qui pensent garder 
tous les passages des Alpes , apprennent avec étonne- 
ment que l'armée française a débouché par la vallée de 

WVqy. la Lettre de Bayard à son oncle, tom. XVI de la Coll. des 
Mémoires. 



. Si 

l'Àrgentière. Deux mille cinq cents lances/ dix mille 
" Basques, vingt-deux mille lândsknechts ont passé par un 
défilé qui n'avait jamais été pratiqué que par les chasseurs 
de chamois. L'armée française avance en négociant jus* 
qu'à Marignan : là, les Suisses, qu'on avait crus gagnés, 
viennent fondre sur les Français avec leurs piques de 
dix-huit pieds et leurs espadons à deux mains, sans ar- 
tillerie, sans cavalerie, n'employant d'autre art mili- 
taire que la force du corps, marchant droit aux batte- 
ries , dont les décharges emportent des files entières , et 
soutenant plus de trente charges de ces. grands chevaux 
de bataille couverts d'acier comme les gens d'armes qui 
les montaient. Le soir, ils étaient venus à bout de séparer 
les corps de l'armée française. Le Roi , qui avait com- 
battu vaillamment, ne voyait plus autour de lui qu'une 
poignée de gens d'armes (0. Mais pendant la nuit, les 
Français se rallièrent, et le combat recommença au 
jour, plus furieux que jamais. Enfin, les Suisses enten- 
dent le cri de guerre des Vénitiens, alliés de la France, 
Marco! Marco! Persuadés que toute l*arrmée, italienne 
n arrivait, ils serrèrent leurs rangs et se retirèrent avec 
une contenance si fière qu'on n'osa pas les poursuivre ( 2 ). 
Ayant obtenu de François I er plus d'argent que Sforza 
ne pouvait leur en donner, ils ne reparurent plus en 
Italie. Le pape traita aussi avec le vainqueur, et obtint 
de lui le traité du Concordat qui abolissait la Pragmati- 
que-Sanction. L'alliance du pape et de Venise semblait 



1 



(>) Fleuranges, xvi« voL de la Collection des Mémoires. 

( a ) Lettre de François I* à sa mère : Toute la nuit demeurasses le 



sur la selle, la lance au poing, Parmet à la tête..., et pour ce que j e- 
le plus prés de nos ennemis, m'a fallu faire le guet, de sorte qu'ils ne 
nous ont point surpris au matin... Et croyea, Madame, que nous avons 
été vingt-huit heures à cheval, sans boire ni manger... Depuis deux mille 
ans en ça n'a point été vu une si fière ni si cruelle bataille , ainsi que di- 
sent ceux de RaVenne, que ce ne fut au piix qu'un tiercelet..., et ne 
dtra-t-on plus que les gendarmes sont lièvres armés , car... Ecrit au camp 
de Sainte-Brigide, le vendredy i4« jour de septembre mil cinq cent 
quinze, xyii* vol. de la Coll. des Mémoiçts. 

6 



■m 



i 



82 

■ 

ouvrir à François I er le chemin de Naples. Le jeune 
Charles d'Autriche, souverain des Pays-Bas, qui venait 
de succéder en Espagne à son aïeiit Ferdinand le Ca- 
tholique, avait besoin de la paix pour recueillir ce vaste 
héritage. François I er jouit de sa victoire au lieu de l'a- 
chever. Le traité de Noyon rendit un instant le repos à 
l'Europe, et donna aux deux rivaux le temps de prépa- 
rer une guerre plus terrible (i 516). 



iraruumr* ■ >^>i-»-fc » wiwnii* "i %*»<% *%«*%<» 1 **»^»» %*taAa**m+0* l mi+ma'**a'++i+'++f****'* 



SECONDE PERIODE 



(151 7-1 648). 



A. ne voir que la suite des guerrea et des événement 
politiques, le xvi e siècle est un siècle de sang et de rui- 
nes. Il s'ouvre avec la dévastation de l'Italie par les trou- 
pes mercenaires de François I w et de Charles -Quint, 
avec les affreux ravages de ^olimaa qui dépeuple an- 
nuellement la Hongrie. Puis viennent ces luttes terri- 
bles des croyances religieuses, où la guerre n'est plus 
seulement de peuple \ peuple, mais de ville à ville et 
d'homme à homme, où elle s'introduit jusqu'au foyer 
domestique, et jusque entre le fils et le père. Celui qui 
laisserait l'histoire dans cette crise croirait que l'Eu- 
rope va tomber dans une barbarie profonde. Et loin d 
là, la fleur délicate des arts et de ta civilisation grau 
et se fortifie au milieu des chocs violens qui sembl 
près de la détruire. Michel Ange peint la chapelle Six- 
tine, l'année de la bataille de Ravenne. Le jeune Tar- 
taglia sort mutilé du sac de Brescia pour devenir le res- 
taurateur des mathématiques (0. La grande époque du 

(') Daru, Hist. de Fenise, t. m ., p. 558. 




% 



' *%' 



83 • 

droit chez les modernes, l'âge de L'Hôpital et de Cujas, 
est celui de la Saint-Barthélémy. 

Le caractère du xvie siècle, ce qui le distingue pro- 
fondément de ceux du moyen âge, c'est la puissance de 
l'opinion ;» c'est alors qu'elle devient véritablement la 
. reine du monde. Henri VIII n'ose point répudier Ca- 
therine d'Aragon avant d'avoir consulté les principales 
universités de l'Europe. Chçrles-Quint cherche à prou- 
ver sa foi par la persécution des Maures, pendant que 
ses armées prennent et rançonnent le pape. François 1er 
élève lès premiers bûchers où soient montés les protes- 
tais de France, pour excuser, aux yeux de ses sujets et 
aux iiens, ses liaisons avec Soliman et les luthériens 
d'Allemagne: Ces actes même d'intolérance étaient au- 
tant d'hommages rendus à l'opinion. Les princes courti- 
saient alors tes plus indignes ministres delà renommée; 
Les roi$ de France et d'Espagne enchérissaient l'un sur 
l'autre pour obtenir la faveur de Paul Jove et de l'A- 
rétin. ^ 

. Pendant que la France suit de Iqin l'Italie dans les 
plus ingénieux développemens de l'intelligence, deux 
peuples, d'un caractère profondément sérieux, leur lais- 
sent les lettres et les arts, comme de vains jouets ou de 
profanes amusemens. Les Espagnols, peuple conqué- 
rant et politique, tirent leur force, ainsi qu'autrefois les 
Romains C 1 ), de leur attachement aux vieilles maximes, 
aux anciennes croyances. Occupés de vaincre et de gou- 
verner l'Europe , ils se reposent en toute matière spécu- 
lative sur l'autorité de l'Eglise. Tandis que l'Espagne 
tend de plus en .plus à l'unité politique et religieuse, 
l'Allemagne, avec sa constitution anarchique, se livre à 
toute l'audace des opinions et des systèmes. La France, 
placée entre l'une et l'autre, set», atLxvi e sièpl'é, le prin- 
cipal champ de bataille où lutteront ces deux esprits op- 
posés. La lutte y sera, d'autant plus violente et plus lon- 
gue que les forces sont plus égales. 

(') Giannone, d'après Bodin ei de Thou, Hist. ciV. , liv.xxx, cli. 2. 

* 6. 



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CHAPITRE VI. 

Léon X, François !«■ et Charles-Quint, 1516 -1M7. 



Avec quelque sévérité qu'on doive juger François I er 
et Léon X , il faut se garder de les comparer à cette igno- 
ble génération de princes qui a fermé l'âge précédent 
(Alexandre VI, Louis XI, Ferdinand le Catholique, Jac- 
ques III, etc.)* Dans leurs fautes même il y a au moins 
quelque gloire, quelque grandeur. Us n'ont pas fait leur 
siècle, sans doute, mais ils s'en sont montrés dignes. Ils 
ont aimé les arts, et lés arts parlent encore pour eux 
aujourd'hui, et demandent grâce pour leur mémoire. 
Le prix des indulgences, dont la vente souleva l'Alle- 
magne, paya les peintures du Vatican et la construc- 
tion de Saint -Pierre. Les exactions de Duprat «ont 
oubliées : l'Imprimerie royale, le Collège de France 
subsistent. 

Charles-Quint se présente à nous sous un aspect plus 
sévère , entouré de ses hommes d'état, de ses généraux ; 
entre Lannoy, Pescaire, Antonio de Leyva, et tant d'au- 
tres guerriers illustres. On le voit traversant sans cesse 
l'Europe. pour visiter les parties dispersées de son vaste 
empire, parlant à chaque peuple sa* langue, combat- 
tant tour à tour François 1er e t les protestans d'Alle- 
magne, Soliman et les Barbaresques ; c'est le véritable 
successeur de Charlemagne, le défenseur du mqjide 
chrétien. Cependant l'homme d'état domine en lui le 
guerrier* Il nous offre le premier modèle dès souverains 
des ternp^ modernes ; François I e ** n'est qu'un héros du 
moyen âge. 

Lorsque l'Empire était vacant par la mort de Maxi- 



j» 



* 



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* 



85 

milienj 61, (154 9),, et que les rois de France, d'Espagne 
et d'Angleterre demandaient 1 a couronne impériale, les 
électeurs, craignant de se donner un maître , l'offrirent 
à l'un d'entrje eux, à Frédéric le Sage, électeur de 
Saxe. Ce prince la fit donner au roi d'Espagne et mé- 
rita son surnom. Charles- Quint était dés trois candi-: 

dats, celui qui pouvait menacer lé 'plus la liberté de^ 
l'Allemagne, mais c'était aussi le plus capable de la dé- 
fendre contre les Turcs. Sélim et Soliman renouvelaient 
alors les craintes que l'Europe avait éprouvées du temps 
de Mahomet II. Le maître de l'Espagne, du royaume de 
Naples et de l'Autriche pouvait seul fermer le monde 
civilisé aux barbares de l'Afrique et de l'Asie. 

Ainsi*éclata , avec leur concurrence pour la couronne 
impériale, la sanglante rivalité de François I €r et de 
Charles-Quint. Le premier réclamait Naples pour lui 
la Navarre pour Henri d'Albret; l'Empereur revendi- 
quait Jet fief impérial du Milanais et le duché de Bour- 
gogne. Leurs ressources pouvaient passer pour égales. 

' Si l'empire de Charles était plus^vaste, il n'était point 
arrondi comme la France. Ses sujets étaient plus ri- 
ches, mais son autorité plus limitée. La gendarmerie 
française n'avait pas moins de réputation que l'infante- 
rie espagnole. La victoire devait appartenir à celui qui 
mettrait le roi d'Angleterre dans son parti. Henri VIII 
avait raison de prendre pour devise : Qui je défends est 
maître. Tous deux font des pensions au cardinal Wol- 
sey, son premier ministre; tous deux demandent Marié 
sa fille,J'un pour le dauphin, l'autre pour lui-même. 
François I er obtient de lui une entrevue près de Ca- 
lais, et, ne se souvenant plus qu'il a besoin de le gagner, 
il l'éclipsé par sa grâce et sa magnificence (0. Charles- 
Quint, plus adroit, avait prévenu cette entrev.ue en vir 
sitant lui-même Henri ,VIII en Angleterre. Il avait ga- 

(0 On nomma ladite assemblée le Camp de drap d'or... tellement que 
plusieurs y portèrent leurs moulins, leurs forets el leurs prez sur leurs 
espaules. Martin du Bellay, xyn, p. %d5. 



86 

gùé Wolsey en lai faisant espérer la tiare. La négocia- 
tion était d'^àleurs bien plus facile pour lui que pour 
François I er . Henri VIII en voulait déjà au roi de' 
France, qui gouvernait FÉcos3e par le duc d'Albany, 
son protégé et son sujet (0, au préjudice de Margue- 
rite, veuve de Jacaues IV et soeur du roi d'Angleterre. 
En l'unissant à Cnarles-Quint , il avait la chance de re- 
couvrer quelque chose des domaines que ses ancêtres 
avaient autrefois possédés en France. 

Tout réussit à l'Empereur. Il mit Léon X de son côté, 
et eut ensuite le crédit de faire élever à la papauté 
son précepteur, Adrien d'Utrecht. Les Français, qui v 
pénétrèrent en Espagne, arrivèrent trop tard pour 
donner la main aux insurgés (4 521). Le gouverneur du 
Milanais, Lautrec, qui, disait-ôn, avait exilé de Mi- 
lan près de la moitié des habitans , fut chassé de la * 
Lombardie. Il le fut encore l'année suivante; les Suis- 
ses, mal payés, demandèrent congé ou bataiMe, et se 
firent battre à la Bicoque. L'argent destiné aux troupes 
avait été détourné par la reine-mère, en haine du gé- 
néral. ' 

Au moment où François I er songeait à rentrer en 
Italie, un ennemi intérieur mettait la France dans le 
plus grand danger. Il avait fait un passe-droit au con- 
nétable de Bourbon , l'un de ceux qui avaient le plus 
contribué à la victoire de Marignan. Charles, comte de 
Montpensier et dauphin d'Auvergne, tenait 4 e son 
épouse, petite-fille de Louis XI, le duché de Bourbon , 
les comtés de Clermont, de la Marche et d'autres do* 
maines, qui faisaient de lui le plus grand seigneur du 
royaume. A la mort de sa femme, la reine-mère, Louise 
de Savoie, qui avait voulu se marier au connétable, et 
qui en avait éprouvé un refus, voulut le ruiner, ne pou- 
vant l'épouser. Elle lui disputa cette riche succession, 

.C x ) Phtkertûn, n, p. 1&5. Le régent lui-même , dans ses dépêches, ap- 
pelait le roi de France : mon ma fore. Il tenait beaucoup «plus aux grands 
biens qu'il ayail en France , qu'a la régence du royaume d'Ecosse. 









87 

et obtint de son fils que provisoirementles biens seraient 
* mis en séquestre ('). Bourbon , désespéré , prit la réso- 
lution de passer à l'Empereur (1523). Un demi-siècle 
auparavant, la révçlte n'emportait aucune idée de dé- 
loyauté. Les chevaliers les plus accomplis de France, 
Bunois et Jean de Calabre, étaient entrés dans la ligue du 
Bien public. Récemment encore, on avait vu en Espagne 
don Pedro de Giron, mécontent de Charles-Quint, lui 
déclarer en face ..qu'il renonçait à sop obéissance, et 
t prendre le .commandement des communerosW. Maié 
ici il ne s'agissait point d'une révolte contre le roi; en 
France elle était impossible à cette époque. C'était une 
conspiration contre l'existence même de la France que 
Bourbon tramait avec les étrangers. Il avait promis à 
Charles-Quint d'attaquer la Boçrgogne dès que Fran- 
çois I er aurait passé les Alpes, de soulever cinq provin- 
ces, où il se croyait le maître ; le royaume de Provence 
devait être rétabli en faveur du connétable, et là 
France, partagée entre l'Espagne et ^Angleterre, eût 
.cessé d'exister comme nation! Il put jouir bientôt lies 
malheurs de sa patrie. Devenu général des armées de 
l'Empereur, il vit fuir les Français devant lui à la 3ia- 
- grasse ; il vit le chevalier Bayard frappé d'un coup mor- 
tel et couché au pied d'un arbre, ce le visage devers l'en- 
)> nemi, et dit audit Bayai? qu'il avait grand pitié de lui, 
» le voyant en'cest; estât, pour avoir esté si vertueux 
» chevalier. Le capitaine Bayar.lui fit response : Mon- 
» sieur, il n'y a point de pitié en moy, car je meurs en 
» homme de bien. Mais j'ay pitié de vous, de vous veoir 
» servir Contre vostre prince et vostre patrie,, et vpstre 
» serment (3). ». 

Bourbon croyait qu'à sa première apparition en 
France ses vassaux viendraient se ranger avec lui 
sous les 'drapeaux de l'étranger. Perscmme ne renyia. 

(>) f&yeaUi lettre du connétable à François I er , dans les Mémoires de 
du Bellay, t. xvn , p.'413. 
(»>4eplilveda*, t. i , p. 79. — (3) Du Bellay, xvii , p. 451. 



88 

Les Impériaux furent repoussés au siège de Marseille ; 
et ils ne sauvèrent leur armée épuisée que par une re- 
traite qui ressemblait à une fuite. Au lieu d'accabler les 
Impériaux en Provence, le Roi aima mieux les devancer 
en Italie. 

A une époque de science militaire et de tactique, 
François I er se croyait toujours au temps de la cheva- 
lerie. Il mettait son honneur à ne point reculer, même 
pour vaincre. Il s'obstina au siège de f? avie (4 525). Il ne 
donna point le temps aux Impériaux, mal payés, de se 
disperser d'eux-mêmes. Il s'affaiblit en détachant douze 
mille hommes vers le royaume de Naples. Sa supério- 
rité était dans l'artillerie; il voulut décider la victoire 
par la gendarmerie, comme à Marignan; se précipita 
devant son artillerie et la rendit inutile. Les Suisses 
s'enfuirent; les landsknechts furent écrasés, avec la Rose 
blanche, leur colonel (0. Alors tout le poids de la ba- 
taille tomba sur le Roi et sa gendarmerie. Les vieux hé- 
ros des guerres d'Italie, La Palisse et La Trémouille, fu- 
rent portés par terre; le roi de Navarre, Montmorency, 
VAdventureux (*), une foule d'autres, furent faits pri- 
sonniers. François I er se défendait à pied ; son cheval 
avait été tué sous lui; son armure, que nous avons en* 
core, était toute faussée de coups de feu et de coups de 
piques. Heureusement, un des gentilshommes français 
qui avaient suivi Bourbon l'aperçut et le sauva; mais 
il ne voulut point se rçndre à un traître, et fit appeler 
le vice-roi de Naples, qui reçut son épée à genoux. Il 
écrivit le soir un seul mot à sa mère : Madame, tout 
est perdu , fors l'honneur ■('). % 

Charles - Quint savait bien que tout n'était point 

(i) Le duc de SufFulck. — (*) Le maréchal de Flenranges. 

( 3 ) Voyez la leûre par laquelle Charles-Quint apprend au marquis de 
Dénia la captivité de François I er (Sandoval t. 1, liv* xm, $ h j p. 487; ' 
in-fol. Anvers, 1581) ; — celle que Louise de Savoie écrivit à l'Empereur, 
en faveur de son fils; celle de François 1 er aux differens ordres de l'État; et 
l'acte d'abdication. T. xvii de la collection des Mémoires, p. 69, 7^t 84. 



f 



89 

perdu; il ne s'exagéra point son succès; il sentit que 
la France était entière et forte*, malgré la perte d'une 
armée. Il ne songea qu'à tirer dç son pionnier un 
traité avantageux. François I er était arrivé en Espa- 
gne, croyant, d'après son cœur, qu'il lui suffirait de 
voir son bon frère pour itre reAvoyj£ honorablement 
daus^on royaume. Il n'en fut pas ainsi. L'Empereur 
malflfeita^son prisonnier pomr en tirer une plus ri<5he 
rançon. Cependant' l'Europe témoignait le plps vif in- 
térêt pour ce roi sêldat (0. Erasme, sujet de Char- 
le$-QuiÂt,fOsa fui écrire; en faveur de son captif. Les 
nobles espagnols demandèrent qu'il fût prisonnier sur 
parole, s' offrant eux-mêtues pour caution. Ce ne fut 
qu'au boitf d'un an, lorsque Charles craignait que son - 
prisonnier ne lui échappât par la mort, lorsque Fran- 
çois I e1 ' eut abdiqué en faveur du dauphin, qu'il se dé- 
cida à le relâeher, em^lui faisant signer un traité, hon- 
teux. Le rôi.cle, France renonçait à ses prétentions sur 
l'Italie, promettait de faire droit à celles de Bourboïi, 
de céder la Boirrgogne,.de donner ses deux fils en ota- 
ges, et de s^lier par un <%uble mariage à la famille de 
Charles-Quint (1 526). 7 

A ce prix il fut libre. Mais, il ne sortit pas tout entier 
de cette fatale^prjson $jl y laissa cette bonne foi, cette 
confiance «héroïque, qui, jusque là, avaient fait sa gloire. 
AMadrid'méme, il avait protesté secrètement contre le 
traité. Bedefenu roi, il ne lui fut pas difficile de l'élu- 
der. Henri V1IÏ, alarmé de la victoire de Charles-Quint, 
s'était allié à*U France. Le pape, Venise, Florence, Gê- 
nes, le duc même de Milan, qui, depuis la bataille de 
Pavie, se trouvaient à la merci des armées impériales, 
ne voyaient p^s dans les Français que des libérateurs. 
François I er fit déclarer, par les états de Bourgogne r 
qu'il n'avait point le droit de céder aucune partie de la 
France, et lorsque Charles - Quint réclama l'exécution 

10 Expression de Montluc, parlant à François W Iui-nnéme ; t. xxi, p. 6. - 



f ', 



4 90 

du traité, en l'accusant de perfidie, il répondit qu'il en 
avait menti par la gorge, le somma d'assurer le camp, 
et lui laiss&rle choix des armes (')• * 

Pendant que l'Europe s'attendait à un* guerre ter- 
ribje, François 1 er rie songeait qu'à compromettre ses 
alliés goijr . effrayer Charles - Quint , et améliorer les 
cdiditiops du traité de Madrid. L'Italie restait en proie 
à la guerre la pltftf hideuse qui pût déshonorer l'huma- 
nité ^c'était moins une guerre qu'un long supplice in- 
(lige par une soldrfte&que férdce à up peuple désarmé. 
Les troupes mal payées, de Charles - Qiriçt n'étaient 
pointa lui, n* étaient à personne; elles commandaient 
a leurs généraux. Dix mois ei\tfers, Milan fut aban- 
donnée à la froide barbarie des Espagnols. Dès qu'on 
sut dans l'Allemagne que l'Italie était ainsi livrée au 
pillage, treize ou quatorze millfe; Allemande passèrent 
les Alpes sous Georges Erondsberg, litfhçrïen furieux, 
qtfi portait à son col une chaîne d'or destinée, disait-il, 
à étrangler le pape. Bourbon çt Leyva bondnisaient, ou 
plutôt suivaient, cette arméç de briganck.'EUe se gros- 
sissait sur sa route d'une foule d'Italiens .qçî imitaient 
les vices des barbares , ne pouvant imiter leur valeur. 
L'armée prit son chemin par FÇrrare ef Bologne ; eUe 
fut sur le point d'entrer en Toscane, et les «Espagnols 
rie juraient que par le sac glorieux de Flbrence (?) ; 
mais une impulsion plus forte entraînait 15s Allemands 
vers Rome, comme autrefois les Gotfis» leurs aïeux. 
Clément VH, qui avait traité avec le vice-rpi de Na- 
ples, et qui voyait pourtant approcher l'armée de Bour- 
bon, cherchait à s'aveugler lui-même, et semblait 
comme fasciné par la grandeur même du péril. Il licen- 
cia §es meilleures troupes à l'approche des Impériaux , 
croyant peut-être que Rome désarmée leur inspirerait 

(■) Du Bellay, xvui, p. 38. 

(») Sismondi , t. xv, d'après letterc de y% Principi, t. u , foî. 47, 



91 

quelque respect. Dès le matin du 6 mai, Bourbon donna 
l'assaut (1 527). Il avait mis une. cotte-d'armes blanche 
pour être mieux vu des -siens £t des ennemis. Dans une 
si odieuse entreprise, le^sucdès pouvait seul le relever à 
ses propres yeux ; s'apercevant que ses fantassins aile-? 
tnands le secondaient mollement ,J1 saisit une échelle; 
et il y montdît, lorsqu'une balle ^atteignit dans les 
reins; «il sentit bien qu'il était mort, et ordonna aux 
siens de couvrir son corps de son manteau et de' cacher 
ainsi sa 'chute. Sfès soldats ne le vengèrent que trop. 
Sept à huit ra^llg Romains furent massacrés le premier 
jourj riennè fut épargné, ni les côuvens, ni les églises, 
ni Sainf-Pierre même : les places étaient jonchées de 
reliques, d'ornemens d'autels; que les Allemands je- 
taient; après*?» avoir arraché For et l'argent. Les Es- 
pagnols£plus^ides et; plus cruels encore, renouvelèrent 
tous les jouBs penchant prèstd'irne année les plus affreux 
abus de la Victoire $ on n'entendait que les cris des mal- 
heureuse qu'ils faisaient périr dans les tortures pour leur 
foire avjouer 06 ils aviaièot*îcach£ leur argent. Ils les 
liaient dans leur maison, afin de les retrouver quand ils 
voulaient recommencer leur supplice. 

L'indignation fut au comble dans l'Europe, quand 
o n'apprit le sac de Rome ej; là captivité du pape. Char- 
les-Quint ordonna des* prières pour la délivrance du 
pontife-, prisonnier de l'armée impériale plus que de 
rEm»pereuf, François l?r crutle moment favorable pour 
faire éàtrer en -Italie le» troupes qui, quelques mois 
plu$ tôt, auraient sauvé Borne etMilan. Lautrec marcha 
sur Naplfcà, pendant que les généraux impériaux négo- 
ciaient avec leurs soldats pour les faire sortir de£Rome; 
mais on le laissa manquer d'argent, comme dans les pre- 
mières guerres. La peste consuma son armée. Cependant 
rien n'était perdu, tant que Ton conservait dès commtU 
nications par mer avec la France. François 1er eut rjni- 
prudence 'de mécontenter le géno*§ Doria, le premier 
marin de l'époque. Il semblait, dit Montiuc, que ta mer 



92 

redoutast cet homme (0. On lui avait retenu la rançon du. 
prince d'Orange, on ne payait point la solde de ses galè- 
res , on avait npmnvé à son.préjudice un amiral du levant ; 
ce qui l'irritait encore davantage, c'est que François I er ne 
respectait point les privilèges de Gênes, et voulait trans- 
porter à Savone le commerce de celte ville. Au ii^U de 
le satisfaire sur ces divers griefs, le Roi donna ordre de 
l'arrêter. Doria, dont l'engagement avec la France me- 
nait d'expirer, se donna à l'Empereur, à condition que 
sa patrie serait indépendante, et domiberait de nouveau 
dans la Ligurie. Charles-Quint lui offrit de le reconnaî- 
tre pour prince de Gênes, mais il aima mieux être le 
premier citoyen d'une ville libre. 

Cependant les deux partis souhaitaient là paix. Char- 
les-Quint était alarmé par les progrès de*i,a Réforme, et 
par l'invasion du terrible Soliman, qui vhit caipper de- 
vant Vienpe. François l €p , épuisé, ne songeait plus qu'à 
s'arranger aux dépens de ses alliés. Il voulait retirer 
ses enfans, et garder la Bourgogne. Jusqu'à la veille du 
traité , il protesta à sf s alliés d'Italie qu'il ne séparerait 
point ses intérêts des leurs. Il refusa aux Florentins la 
permission de faire une paix particulière avec l'Empe- 
reur ( a J, et il signa le traité de Cambrai, par lequel il 
les abandonnait, eux, et les .Vénitiens, et tous ses parti- 
sans, à la vengeance de Charles-Quint^ 529). Cet odieux 
traité bannit pour toujours les Français de l'Italie. Dès 
lors le principal tfeéâtre de la guerre sera partout ail- 
leurs, en Savoie, en Picardie, aux Pays-Bas, en Lorraine. 

Tandis que la chrétienté espérait quelque repos, un 
fléau jusque là ignoré dépeuplait les ravages de l'Italie 
et de l'Espagne. Les Barbaresques commencèrent vers 
cette époque à faire la traite des blancs. Les Turcs dé- 
vastaient d'abord les contrées qu'ils voulaient envahir; 
c'est ainsi qu'ils firent presque un disert de la Hongrie 

(«) Montlac, t. xx, p. 370, 
(»j Fr. Guicciardini, lib. xix. 



93 

méridionale et des provinces occidentales de l'ancien 
empire grec. Les Tartars et les Barb a resques, ces en- 
fans perdus de la puissance ottomane, la secondaient, les 
uns à l'Orient, lestautres au Midi, dans ce système dé 
dépopulation. Les chevaliers de Rhodes, que Charles- 
Quint Avait établis dans l'île de Malte, étaient trop faibles 
pour purger la mer des vaisseaux innombrables dont la 
couvrait Barberousse, dey de Tunis, et amiral de Soli- 
man. Charles-Quint résolut d'attaquer le pirate dans 
son repaire (1 535). Cinq cents vaisseaux transportèrent 
en Afrique une armée de trente mille hommek, com- 
posée en grande partie des vieilles bandes qui avaient 
fait les guerres d'Italie. Le pape et le roi de Portugal 
avaient grossi cette flotte. Doria y avait joint ses galè- 
res, et l'Empereur y était monté lui-même avec l'élite 
de la noblesse espagnole. Barberousse n'avait point de 
force capable de résister à l'armement le plus formida- 
ble que la chrétienté eût fait contre les Infidèles depuis 
les croisades. La Goulette fut prise d'assaut, Tunis se 
rendit, et vingt mille Chrétiens délivrés de l'esclavage et 
ramenés dans leur patrie aux frais de^'Empereur, firent 
bénir dans to,ute l'Europe le nom de Charles-Quint. 

La conduite de François I e £.présentait une triste op- 
position. Il venait de déclarer son alliance avec Soli- 
man (1 534-)- H négociait avec les profestans d'Alle- 
magne, avec Henri VIII, qui avait répudié la tante de 
Charles-Quint et abandonné l'Église. Il ne tira d'aucun 
d'eux les secours qu'il en attendait. Soliman alla perdre 
ses janissaires dans les plaines sans bornes de l'Asie. 
Henri VIII était trop occupé chea lui par la révolu- 
tion religieuse qu'il opérait avec tant de violence. Les 
confédérés de Smalkalde ne pouvaient se- fier en un 
prince qui caressait les protestans à Dresde et les faisait 
brûler à Paris. François I er n'en renouvela pas moins 
la guerre en faisant envahir la Savoie et menaçant le 
Milanais (1535). Le duc de Savoie, alarmé des préten- 
tions de la mère du roi de France (Louise de Savoie), 



% \ 






9A 

» ~ 

avait épousé la belle-soeur de Chartes- Quint*. Le duc 
de Milan , accusé par l'Empereur de traiter avec tes 
.Français, avait, essayé de s'en disculper en faisant dé- 
capiter sous un vain prétexte l'ambassadeur de Fran- 
çois I er - Charles-Quint annonça dans Rome, en présence 
des envoyés de toute la chrétienté, qu'il comptait sur la 
victoire, et déclara que, « s'il n'avait' pas, plus de res- 
» sources que son rival, il irait à l'instant, les hras liés, 
» la corde au col, Se jeter à ses pieds et implorer sa 
» pitié. » Avant d'entrer en campagne, il partagea à 
ses officiers les domaines et les grandes charges de la 
couronne de France. 

En effet, tout le monde croyait que François le* était 
perdu On ne savait pas quelles ressources la France avait 
en elle-même. Depuis 1533, le Roi s'était enfin décidé.à 
placer la force militaire de la France dans l'infanterie, 
et dans une infanterie nationale. Jl se souvenait que les 
Suisses avaient fart perdre la bataille de la Bicoque, et 
peut-être celle de Eavie; que les landskneçhts avaient 
été rappelés par l'Empereur la veille de la bataille de 
Ravenne. Mais donner ainsi des armes au peuple,. c'é- 
tait disait-on, courir un grand risque («0. Dans une or- 
donnance sur la chasse, .rendue en 1517, François I« 
avait défendu le port d'armes sous des peines terribles. 
Néanmoins il se décida à créer sept légions provin- 
-ciales, fortes chacune de six mille hommes, et tirées des 
provinces frontières. Ces troupes étaient encore peu 
aguerries, lorsque les armées de Charles-Quint entrè- 
rent à la fois en Provence, en Champagne et en Picar- 

(O Au premier remuement de guerre , le roy François dressa les légion- 
inairës qui fut une très belle invention, si elle eust été^bien suivye; car 
' c'est lé vray moyen d'avoir toujours une bonne armée sur pied , comme 
faisaient les Romains; et de tenir son peuple aguérry, combien que je ne 
g cay si cela esibo* ou mauvais. La dispute n'en est pas peUte ; si V~- 
îe mieux me fier aux miens qu'aux estrangers. (Montluc, t. xx, p.cS5.,--Un 
voi», dans les mémoires de Montluc et de Tavannes, qu'on mettait des 
gentilshommes dans chaque légion, eVque le* pîus.taillanles Paient celles 
où il y en avait le plus. 



95 

V * 

die. Aussi Fi&nçoîs I e r, ne se reposait pas sur leur 
valeur, ; résolut ^'arrêter l'ennemi en lui opposant un" 
désert. Toute fa IJrovence, des Alpes % Marseille, et de 
la, mer au Dauphiné, fut dévastée avec une inflexible se** 
vérité parle maréchal de Montmorency ; villages, fermes, 
moulin^, tdut fut brûlé, toute apparence' de culture dé- 
truite. Le maréchal , établi dans un ramp inattaquable 
entre le Rjiône et la Durance, attendit patiemment que 
l'armée de l'Empereur se fût consumée devant Marseille. 
Charles-Quint fut contraint' à la retraite, et obligé de - 
consentir, à une trêve, dont le pape se fit le médiateur 
( trêve de^Nice, \ 538 ). Un*mt>iâ après, Charles et Fran- 
çois se virent à Aiguës-Mortes, et ces princes, tmi s'é- 
tajeiit traités d'une manière si outrageante, donUl'un 
accusait Vautre d'avoir empoisonné le dauphin, fee don- 
nèrent toutes les assurances d'une amitié fraternelle. 

L'épuisement des deux rivaux était pourtant l'unique 
cause de la trève.'Quoiqtfe Charles-Quint eût tâché de 
gagner les cortèS de Castille, en autorisant la députa- 
lion permahent^imltéê de celle d'Aragon , et en renou- 
velant la loi qui excluait les étrangers des etoplois, il 
n'avait pu obtenir d'argent ni en 15^7, ni en 1533, ni 
en 1 538. Gand avait pris les armes plutôt que de payer 
un nouvel impôt. L'administration du Mexique n'était 
pas encore organisé; le Pérou .n'appartenait eqcore qu'à 
ceux qui l'avaient conquis, et qui le désolaient par leurs 
guerres civiles. L'Empereur avait été obligé de vendre 
• une grande partie dès domaines royaux, avait contracté 
une dette de sept millions de ducats, et ne trouvait plus 
à emprunter dans auéune banque à \ 3 ni à \ A. Cette 
pénurie excita vers i 539 une révolte presque univer- 
selle dans les armées de Charles-Quint. Elles se soule- 
vèrent en/ Sicile, pillèrent la Lombardie, et menacèrent 
de livrer la Goulette à Barberousse. Il fallut trouver à 
tout prix de quoi payer leur solde arriérée^ et en licen- 
cier la plus grande partie. 

Le roi de France n'était guère moins embarrassé. 



->* 



96 

Depuis l'avènement de Charles VIII, la richesse natio- 
nale avait pris un développement rapide par l'effet du 
repos intérieur; mais les dépense» surpassaient de beau- 
coup les ressources. Charles VII avait eu dix-sept cents 
hommes d armes ; François I er en eut jusqu'à trois mille, 
sans compter six millç chevau- légers, et souvent douze 
ou quinze mille Suisses. Charles VII levait moins de deux 
millions d'impôt; Louis XI en leva cinq % François I er 
près de neuf. Pour subvenir à ces dépenses, les rois ne 
convoquaient point les états généraux , depuis A 484- (0- 
Ils leur substituaient des assemblées de notables (1 526), 
et le plus souvent levaient.de l'argent par des ordon- 
nances , qu'ils faisaient enregistrer, au parlement de 
Parias. Louis XII, Je Père du peuple, diminua d'abord 
les impôts , et vendit les offices de finances (1499); mais 
il fut contraint vers la fin de son règne d'augmenter 
les impôts, de faire des emprunts, et d'aliéner les do- 
maines royaux (1511 , 1514). François I er établit de 
nouvelles taxes (particulièrement en 1523), vendit et 
multiplia les charges de judicature (1 516 , 1 522, 1 524), 
fonda les. premières pentes perpétuelles sur l'hôtel-de- 
ville, aliéna les domaines royaux (1 532, 1 544), enfin in- 
stitua la loterie royale (1 539). 

Il avait une sorte d'avantage sur Charles-Quint dans 
cette facilité de se ruiner. Il en profita, lorque FEm- 
pereur eut échoué dans sa grande expédition contre 
Alger (1541-42). Deux ans auparavant, Charles-Quint 
passant 'par la France pour réprimer la révolte de 
Gand , avait amusé le roi de la promesse de donner 
au duc d'Orléans, son second fils, l'investiture du Mi- 
lanais. La duchesse d'Etampes, qui gouvernait le roi, 
le voyant s'affaiblir, et craignant la haine de Diane 
de Poitiers, maîtresse du dauphin, s'efforçait de pro- 
curer au duc d'Orléans on établissement indépen- 

(») Une seule fois à Tours, en 1506, cl seulement pour annuler le 
traité de Blois. „ 



, . ■ 97 

dant, où elle pât trouver un asile à la mort de Fran- 
çois I er . Joignez, à cette cause principale de la guerre 
l'assassinat de deux -errvoy e's français, qui, traversant 
rjtalie pour aller à la cour de Soliman, furent tués 
dans le Milanais par Tordre du gouverneur impérial % ' 
qui voulait se saisir de leurs papiers. Fianças 1 er comp- 
tait sur l'alliance des' Turcs et sur ses liaisons avec les 
princes protestans d'Allemagne , de Danemark et -de 
Suède; il s'était attaché particulièrement Guillaume, 
duc de Clèves , en lui faisant épouser sa nièce , Jeanne 
d'Albret \ qui fut depuis mère de notre Henri IV. Il en* 
vahit presque en même temps le Ronssillon, le Piémont , 
le Luxembourg, le Brabant et. la Flandre* Soliman jov 
*gnit sa flotte à celle de France 5 «lies bombardèrent in*» 
utilement le château de Nice. Mais l'odieux spectacle du v 
croissant uni aux fleurs de lis indisposa toute la chré- 
tienté contre le roi de France. Ceux même qui jusqu'ici < 
l'avaient favorisé, fermèrent les yeux sur l'intérêt de 
l'Europe pour s'unir à Charles-Quint. L'Empire se dé- 
clara contre l'allié des Turcs. Le rçp. d'Angleterre, ré- 
concilié avec Charles depuis la mort $e Catherine d'A- 
ragon, prit parti contre François I er , qui avait donné sa 
fille au roi d'Ecosse. Henri VIII défit Jacques V (1542), 
Charles-Quint accabla le duo de Clèves (1 543), et tous 
deux, p' ayant plus rien 4 craindre derrière eux, se 
concertèrent pour envahir les états de Français I er . La 
France, seule contre tous, déploya une vigueur ïù&t* 
tendue; «lie combattit avec ciuq> armées > et étonna les 
confédérés par la brillante victoire de Cerisaies; Fin* 
fan ter ie gagna cette 1 bataille, perdue par la gendar- 
merie (*). Çharles-Quint, mal secondé par Henri VIII., 
et rappeïé par les progrès de Soliman en Hongrie , signa 
à treize lieues de Paris 90 Uaité par lequel Français re* 
nonçait à Naples , Charles à la Bourgogne ; le duc d'Or-* 
léans devait être investi du Milanais (1 544). Les rois de 

* * » 

(') Monituc, liv. xxi , p. St. . , 



• 98 Y . t 

France et d'Angleterre ne tardèrent pas à faire la paix, 
et moururent tous deux la même année (1 54-7). 

t 

La longue lutte des deux grandes puissances de l'Eu- 
rope est loin d'être terminée; mais elle se complique 
désormais d'intérêts religieux, qu'on ne peut compren- 
dre sans connaître les progrès de la Réforme en Allema- 
gne. Nous nous arrêterons ici pour regarder derrière 
nous, et pour examiner Quelle avait été la situation in- 
térieure de l'Espagne et de la France pendant la riva- 
lité de François I er et de Charles-Quint. 

En Espagne, la royauté marchait à grands pas vers 
cfe pouvoir absolu qu'elle avait atteint en France. Char- 
les-Quint imita l'exemple de son père, et fit plusieurs 
lois sans l'autorisation des Cortès. En 1 538 , les nobles 
et les prélats de Gastrite ayant repoussé l'impôt général 
de la Sisa, qui aurait porté sur la vente en détail des 
denrées, le roi d'Espagne cessa de les convoquer, allé- 
guant qu'ils n'avaient pas le droit de 9 voter des impôts 
qu'ils ne payaient point. Les Cortès ne se composèrent 
plus que des trente -six députés envoyés? par- les dix- 
huit villes, qui seules étaient représentées. Les nobles 
se repentirent trop tard de s'être joints au roi pour ac- 
cabler les communeros , en 1 521 . * 

Le pouvoir de l'inquisition espagnole faisait des pro- 
grès d'autant plus rapides que l'agitation de l'Aîletaa- 
gne alarmait de plus en plus Charles-Quint sur les sui- 
tes politiques des innovations religieuses. L'inquisition 
fut introduite aux Pays-Bas en 1522; et, sans la résis- 
tance opiniâtre des Napolitains, elle l'eût été chez eux 
en 154-6. Après avoir retiré quelque temps atix tribu- 
naux de l'inquisition le droit d'exercer la juridiction 
royale ( en Espagne 1 535-1 545, en Sicile 1 535-1 550 ), 
on finit par le leur rendre. Depuis 1539 l'inquisiteur 
générai Tabera gouverna l'Espagne, eh l'absence de 
l'Empereur, sous le nom de l'Infant, depuis Philippe H. 



f 

\ 



99 

Le règne de François I er est l'apogée du pouvoir 
royal eu France, avant le ministère du cardinal de Ri- 
chelieu* Il commença par concentrer dans ses mains 
le pouvoir ecclésiastique par le traité du Concordat 
(1 51 5), restreignit les juridictions ecclésiastiques (1 539)^ 
organisa un système de police (0, et imposa silence aux 
parlemens. Celui de Paris avait été affaibli sous Char- 
les VII et Louis XI, par la création des parlemens de 
Grenoble, Bordeaux et Dijon (14-51, 1462, 1477); sous 
Louis XII, par celle des parlemens de Rouen et d'Àix 
(1499, 1501). fendant la captivité de François I er , il 
essaya de reprendre quelque importance, et commença 
des poursuites contre le chancelier Duprat. Mais le roi, 
de retour, lui défendit de s'occuper désormais d'affaires 
politiques , et lui ôta encore de son influence en rendant 
les charges vénales et en les multipliant. 

François I er s'était vanté d'avoir mis désormais les 
rois hors dopages. Mais l'agitation croissante des es- 
prits, qu'on remarquait sous son règne, annonçait de 
nouveaux troubles. L'esprit de liberté se plaçait dans 
la religion, pour rentrer un jour, avec des forces dou> 
hjées, dans les institutions politiques. D'abord les réfor- 
mateurs s'en tinrent à des attaques contre les mœurs 
du clergé; lfes Colloquia d'Érasme, tirés à vingt-quatre 
mille exemplaires, furent épuisés rapidement. Les 
Psaumes, traduits par fy}arot, furent bientôt chantés 
sur des airs de romances par les gentilshommes et par 
les dames, tandis que l'ordonnance en vertu de la- 
quelle lés lois devaient être désormais rédigées en 
français, mettait tout le monde à même de connaître 
et de discuter les matières politiques (1538). La cour 
de Marguerite de Navarre et celle de la duchesse de 
Ferrare, Renée de France, étaient le rendez- vous de 
tous les partisans des nouvelles opinions. La plus grande 
légfrèté d'esprit et le plus profond fanatisme, Marot 

(0 Instructions de Catherine de Médicis à son (ils. 



iOO 

* - 

et Calvin, se rencontraient à Nérac. François 1er avait 
d'abord vu sans inquiétude ce monvemeot des esprits. 
Il avait protégé contre le clergé les premiers protestans 
de France (i 523-i 524). En \ 534> lorsqu'il resserrait ses 
liaisons avec les protestans d'Allemagne, il invita Me- 
lanchton à présenter une profession de foi conciliante. 
Il favorisa la révolution de Genève., qui devint le foyer 
du calvinisme (4535). Cependant, depuis son retour 
de Madrid, il était plus sévère pour les protestans de 
France. En 1527 et en 1534 la fermentation des nou- 
velles doctrines s'étant manifestée par dès outrages aux 
images saintes, et par des placards affichés au Louvre, 
plusieurs protestans furent brûlés à petit feu, en pré- 
sence du roi et de toute la cour. En 1535, il ordonna 
la suppression des imprimeries, sons peine de la hart, 
et, sur les réclamations du parlement, révoqua la même 
année cette ordonnance \o\xv établir la censur.e (*). 

La- fin du règne de François I er fut marquée par 
un événement affreux* Les Vaudois , babitans de quel- 
ques vpllées inaccessibles de la Provence et du Dau- 
phiné, avaient conservé les doctrines des Albigeois, et 
venaient d'adopter celles de Calvin, La force des £0- 
sitions qulls occupaient au milieu des. Alpes inspirait 
des inquiétudes. Le parlement d'Aix ordonna, eni 540> 
que Cabrière et Mérindol , leurs principaux points de 
réunion, fussent incendiés. Après la retraite de Char- 
les-Quint (154-5), l'arrêt fut exécuté, malgré les ré* 
clamations de Sadolet, évéque de Garpentras. Le pré- 
sident d'Oppède , l'avocat du roi Guérin et le capitaine 
Paulin, l'ancien agent du roi chez, les Turcs, pénétrè- 
rent dans les vallées, en exterminèrent les habitons 
avec une cruauté inouïe, et changèrent toute la con- 
trée en désert. Cette effroyable exécution peut être 
considérée comme l'une des premières causes de nos 
guerres civiles ( 9 ). * 

(0 Registres manuscrits du parlement Je Paris. . 

(») M. Pelitot, Introduction aux Mémoires de du Bellay, \\ 175. 



iOi 



» 



CHAPITRÉ VII. 



Luther, -y Réforme en Allemagne. •*- Guerre des Turcs, 1517-1555. 



Tqxjs les états de l'Europe avaient atteint l'unité mo- 
narchique, le système d'équilibre s'établissait entre eux, 
lorsque l'ancienne unité religieuse de l'Occident fut 
rompue par la Réforme. Cet événement , le plus grand 
des temps modernes avec la révolution française, sé- 
jpara. de l'Eglise romaine la moitié de l'Europe, et 
Amena la plupart des révolutions et des guerres qui eu- 
rent lieu jusqu'au traité de Westphalie. L'Europe s'est 
trouvée, depuis la Réforme, divisée d'une manière qui 
coïncide avec la division des races. Les peuple» de racé 
romaine sont restés catholiques. Le protestantisme do- 
mine chez ceux de la race germanique, l'Eglise grecque 
chez les peuples slaves. 

' La première époque de la Réforme nous présente en 
opposition Luther et Zwingle, la seconde Calvin et Socio. 
Luther et Calvin conservent une partie du dogmeet de la 
hiérarchie. Zwingle et Socin réduisent peu à peu la reli- 
gion au déisme. JLa monarchie pontificale étant renver- 
sée par l'aristocratie luthérienne, celle-ci est attaquée, 
par la démocratie calviniste; c'est une réforme dans la 
réforme. Pendant la première et la seconde époque, 
d'anciennes sectes anarchiques, composées en partie de 
visionnaires apocalyptiques, se relèvent, et donnent à 
la Réforme l'aspect formidable d'une guerre contre la 
société; ce sont les Anabaptistes dans la première pé- 
riode, les Indépendans et les Niveleurs dans la seconde» 

Le principe de la Réforme était essentiellement mo- 
bile et progressif. Divisée dans son berceau même, ellp 

o 



f02 

se répandit à travers l'Europe sous cent formes diver- 
ses. Repoussée en Italie, en Espagne, en Portugal (i 526), 
en Pologne (i 523) , elle s'établit en Bohême, à la faveur 
des privilèges dés Calixtins; elle s'appuya, en Angleterre, 
des souvenirs de Wiclef. Elle allait se proportionnant à 
tous les degrés de civilisation , se conformant aux be- 
soins politiques de chaque pays. Démocratique en Suisse 
(1523), aristocratique en Danemark (1527), elle s'as- 
socia en Suède & l'élévation du pouvoir royal (1529); 
dans l'Empire, à Id cause des libertés germaniques. 

§ I. — Origine de la Réforme. 

i 
Dans. la mémorable année 1517, à laquelle on rap- 
porte ordinairement le commencement de la Réforme , 
ni l'Europe, ni le pape, ni Luther même ne se doutait 
d'un» si grand, événement. Les princes chrétiens se li- 
guàient contre le Turc. Léon X envahissait le duché 
d'Urbin, et portait, au comble la puissance temporelle 
du saint Siège. Malgré l'embarras de ses finances , qui 
l'obligeait de faire vendre des indulgences en Allema- 
gne, et de créer à la fois trente et un cardinaux, il pro- 
diguait aux savans, aux artistes, les trésors de l'Eglise 
avec u*è glorieuse imprévoyance. Il envoyait jusqu'en 
Danemark et .en Suède rechercher les monumens de 
l ! histoire du Nord (0* Il autorisait par un bref la vente 
de Y Orlando furioso W, et recevait la lettre éloquente 
de Raphaël sur la restauration des antiquités de Rome. 
Au milieu de ces soins, il apprit qu'un professeur de 
la nouvelle université de Wittemberg, nommé Martin 
Luther, déjà cpnnu pour avoir, l'année précédente, ha- 
sardé des opinions hardies en matière de foi, venait d'at- 
taquer la vente des indulgences. Léon X, qui corres- 
pondait lui-même avec Erasme , ne s'alarma point de 

(0 1517. — (') Publié en 1516. • 



103 

ces. nouveautés; il répondit aux accusateurs de Lutber 
que c'était un homme de talent, et que tcwite cette dis- 
pute n'était qu'une querelle de moines (0. 

L'université de Wittemberg, récemment fondée par 
l'électeur de Saxe Frédéric le Sage, était, en Allema- 
gne, une des premières où le platonisme eût triomphé de 
la scolastique, et où l'enseignement des lettres fût as- 
socié à celui du droit, de la théologie et de la philoso- 
phie. Luther, particulièrement, avait d'abord étudié le 
droit ; puis, ayant pris l'habit monastique dans un accès 
de ferveur, il avait résolu de chercher la philosophie 
dans Platon, la religion dans la Bible. Mais ce qui le 
distinguait, c'était moins sa vaste science qu'une élo- 
quence vive et emportée, et une facilité alors extraordi- 
naire de traiter les matières philosophiques et religieuses 
dans sa langue maternelle ; c'est par oh il enlevait tout 
le monde (*). Cet esprit impétueux, une fois lancé, alla 
plus loin qu'il n'avait voulu ( 3 ). Il attaqua l'abus, puis 
le principe des indulgences, ensuite l'intercession des 
saints, la confession auriculaire, le purgatoire, le Celi- 
ez) Che fra Martinq aveva lellissimo ingegjtpt» « che cotette erano in- 
vidiefratesche. — (*) Bossuet. 

( 3 ) Luther, préface de la Captivité de Babylone, citée par K. Fr. Ei- 
cborn. Deutsche staats-und rechtsgêschichte, 4" vol., pag. 30. « Que je 
» le veuille ou non, je suis force de devenir plus savant de jour en jour, 
» lorsque des maîtres si renommés m'attaquent, taillât ensemble, tantôt 
» séparément. J'ai écrit il y a deux ans sur les indulgences; mais je me 
» repens fort aujourd'hui d'avoir publié ce petit livre. J'étais encore ir- 
» résolu, par un respect superstitieux pour la tyrannie de Rome : je 
» croyais alors que les indulgences ne devaient pas être condamnées j 
» mais depuis, grâce à Sylvestre et aux autres défenseurs des indulgen- 
» ces, j'ai compris que ce n'était qu'une invention de la cour papale 
» pour faire perdre la foi.cn Dieu et Tangent des hommes. Ensuite 
» sont venus Eccjus et Emser, avec leur bande, pour m'enseigner la su* 
» prématie et la toute-puissance du pape. Je dois reconnaître, pour ne 
» pas me montrer ingrat envers de si savans hommes, que jfai beaucoup 
» profité. dans leurs écrits. Je niais que la papauté fût de droit divin; 
» mais j'accordais encore qu'elle était de droit humain. Après avoir en- 
» tendu et lu les subtilités par lesquelles ces pauvres, gens •voudraient 
» élever leur idole, je me suis convaincu que la papauté est Je royaume 
» de Babylone, et la puissance de Nemrod h fort çJw$stw'< u . 

8. 



104 

fràt des prêtres, la transsubstantiation, enfin l'autorité 
de l'Eglise, etle caractère de son chef visible. Pressé en. 
vain par le légat Gajetan de se rétracter, il en appela 
du légat au pape, du pape à un concile général ; et lors- 
que le pape l'eut condamné, il osa iïser,de représailles, 
et brûla solennellement sur la place de Wittembei g la 
bulle de condamnation et les volumes du droit canoni- 
que (i 5 iuin 1520). '*..-, 

/Un coup si hardi saisit l'Europe d'étonnemept. La 
plupart des sectes et des hérésies s'étaient formées dan§ 
V ombre, et se seraient tenues heureuses d'être ignorées. 
Zwingle lui-même, dont les prédications enlevaient, à 
\k même époque, la moitié de la Suisse à l'autorité du 
saint Siège , ne s'était pas annoncé avec cette hau- 
teur (*)• On soupçonna quelque chose de plus grand 
dan? celui qui se constituait le juge du chef de l'Eglise. 
Luther lui-même donna pour un miracle son audace et 
son succès. , 

Cependant il était aisé de voir combien de circon- 
stances favorables encourageaient le réformateur. Ia 
monarchie pontificale, qui seule avait mis quelque har- 
monie dans le chaos anar chique du moyen âge, avait 
été successivement affaiblie par les progrès du pouvoir 

(») Zwingle, curé de Zurich, commença ses prédications en 1616 : les 
.cantons de Zurich, de Baie, de Schaffouse , de fiWne, et Ufi villes alliée» 
de Saint-Gall et de Molhausen embrassèrent sa doctrine. Ceux de Lu- 
carne, Uri, Scbwitz, TJnterwalden, Zug, Fribourg, Solenre et le Valais, 
restèrent fidèles à la religion catholique. Glaris et Âppeniel lurent par- 
tagés. Les ha bt tans des cantons catholique», gouvernés démocratique- 
ment et habitant presque tons hors des villes, tenaient à leurs anciens 
usage» et recevaient toujours des pensions du pape et du roi de France. 
François l v se porta en vain pour médiateur entre les Saisses; les can- 
tons catholiques n'acceptant point la pacification proposée, ceux de Zu- 
rich* et de Berne' le»* retranchaient les vivres. Les catholiques envahi- 
rent le territoire de Zurich, et gagnèrent sur les protestant une bataille 
ou Zwingle fut tué en combattant à la tête de son troupeau (b. de Cap- 
pel, 1 531). tes catholiques, plus barbares, phis belliqueux et moins riches, 
devaient vaincre , mita ne pouvaient soutenir la guerre aussi longtemps 
que les cantons protestans. Sleidan. Muller, ffist. Uaiv., 4 e rai. (K°f' 
£our Genève le chapitre suivant.) • 



; 



.c 



, m 

foyal ef de Tordre civil. Les scandales dont un grand 
nombre de prêtres affligeaient l'Eglise minaient chaque 
jour un édifice déjà ébranlé par ï'esprit de doute et de 
contradiction. Deux circonstances contribuaient ^ eh- 
déterminer la ruine. D'abord, l'invention de l'imprime- 
rie donnait aux novateurs du xvi e siècle des moyens de 
communication et de propagation qui avaient manqué 
à ceux du moyen âge pour résister avec quelque ensem- 
ble k une puissance organisée aussi fortement que l'E- 
glise. Ensuite, les embarras financiers de beaucoup de 
princes leur persuadaient d'avance toute doctrine qui 
mettrait à leur disposition les trésors du clergé. L'Eu- 
rope présentait alors un phénomène remarquable, la 
disproportion des besoins et des ressources, résultat de 
l'élévation récente .d'un pouvoir central dans chaque 
état. L'Eglise paya le déficit. Plusieurs souverains ca- 
tholiques avaient déjà obtenu du saint Siège d'exercer 
une partie de ses droits. Les princes du nord de l'Alle- 
magne, menacée dans leur indépendance par le maître 
du Mexique çt du Pérou ; trouvèrent leurs Indes dans 
fa sécularisation des biens ecclésiastiques. 
» Déjà la Réforme ayait été tentée plusieurs fois,, en 
Italie par Arnaud de Brescia, par Valdus en France, 
par Wicleff en Angleterre. C'était eu Allemagne qu'elle 
devait commencer à jeter des racines profondes; le 
clergé. allemand était plus riche, et par conséquent plus 
envié. Les souverainetés épiscopales de l'Empire étaient 
données à des cadets de grandes familles, qui portaient 
dans l'ordre ecclésiastique les mœurs violentes et scan- 
daleuses des séculiers. Mais la haine la plus forte était 
contre la cour de Rome, contre le clergé italien, dont 
le génie fiscal épuisait l'Allemagne. Dès le temps de l'em- 
pire romain, l'éternelle opposition du Midi et du Nord 
s'était comme personnifiée dans l'Allemagne et dans 
l'Italie. Au moyeu âge, la lutte se régularisa; la forte 
et l'esprit, la violence et la politique, l'ordre féodal et 
la hiérarchie catholique, l'hérédité et l'élection , furent 



*06 

aux prises dans les querelles de l'Empire et du sacerdoce. 
Au xv* siècle, les Hussites arrachèrent quelques conces» 
sions par une guerre de trente années. Au xvi € , les rap- 
ports fréquens des Italiens et des Allemands ne faisaient 
qu'augmenter l'ancienne antipathie. Conduits sans cesse 
en Italie par la guerre, les hommes du Nord voyaient 
avec scandate les magnificences des papes, et ces pom- 
pes dont le culte aime à s'entourer dans les contrées 
méridionales. Leur ignorance ajoutait à leur sévérité : 
ils regardaient comme profane tout ce qu'ils ne corn* 
prenaient pas ; et lorsqu'ils repassaient les Alpes, ils rem- 
plissaient d'horreur leurs barbares concitoyens, en leur 
décrivant les fêtes idoldtriques de la nouvelle Baby lotie. 
Luther connaissait bien cette disposition des esprits. 
Lorsqu'il fut cité par le nouvel empereur à la diète de 
Worms, il n'hésita point de s'y rendre. Ses amis lui rap- 
pelaient le sort de Jean Huss. « Je suis sommé légale- 
x» ment de comparaître à Worms, répondit-il, et je m'y 
» rendrai au nom«dti Seigneur, dussé-je voir conjurés 
» contre moi autant de diables qu'il y a de tuiles sur les 
» toits. » Une foule de ses partisans voulurent du moins 
l'accompagner, et il entra dans la ville escorté de cent 
chevaliers armés de toutes pièces. Ayant refusé de se ré- 
tracter, malgré l'invitation publique et les sollicitations 
particulières des princes et des électeurs, il fut mis au 
ban de l'empire peu de jours après son départ. Ainsi 
Charles-Quint se déclara contre la Réforme. Il était roi 
d'Espagne; il avait besoin du pape dans ses affaires 
d'Italie ; enfin son titre d'empereur et de premier souve- 
rain de l'Europe le constituait le défenseur de l'ancienne 
foi. Des motifs analogues agissaient sur François I er : 
la nouvelle hérésie fut condamnée par l'université de 
Paris. Enfin le jeune roi d'Angleterre, Henri VIII, 
qui se piquait de théologie , écrivit un livre contre Lu- 
ther. Mais il trouva (Tardens défenseurs dans les princes 
d'Allemagne, surtout dans l'électeur de Saxe, qui sem- 
ble même l'avoir mis en avant. Ce prince avait été vi- 



i07 

caire impérial dans l'interrègne, et c est alors que Lu- 
ther avait osé brûler la bulle du pape. Après la diète 
de Worms, l'électeur, pensant que les choses n'étaient 
pas mûres encore, résolut de préserver Luther de ses 
propres emportemens. Comme il s'enfonçait dans la 
forêt de Thuringe .en revenant de la diète, des cava- 
liers masqués l'enlevèrent et le cachèrent dans le châ- 
teau de Wartbourg. Enfermé près d'un an dans ce 
donjon, qui semble dominer toute l'Allemagne, le ré*- 
formateur commença sa traduction de la Bible en langue 
vulgaire, et inonda l'Europe de ses écrits. Ces pam- 
phlets théologiques, imprimés aussitôt que dictés, pé- 
nétraient dans les provinces les plus reculées; on les 
lisait le soir dans. les familles, et le prédicateur invi- 
sible était entendu de tout l'Empire. Jamais écrivain 
n'avait si vivepient sympathisé avec le peuple. Ses vio- 
lences, ses bouffonneries, ses apostrophes aux puis- 
sans du monde, aux évêques *au pape, au roi d'An- 
gleterre, qu'il traitait avec un magnifique mépris d'eux 
et de Satan, charmaient, enflammaient l'Allemagne, 
et la partie burlesque de ces drames- populaires n'en 
rendait l'effet que plus sûr. Erasme, Mélanchton, la 
plupart des. satàns pardonnaient à Luther sa jactance 
et sa, grossièreté en faveur de la violence avec laquelle 
il attaquait la sçolastique. Les princes applaudissaient 
une réforme faite à leur profit. D'ailleurs Luther, tout 
en soulevant les passions du peuple, défendait l'emploi 
de toute autre arme que celle de la parole : « C'est la 
» parole, disait-il, qui; pendant que je dormais tran- 
si» quillement, et que je buvais ma bière avec mon cher 
» Mélanchton, a tellement ébranlé la papauté que ja- 
» mais prince ni. empereur n'en a fait autant. » 

Mais il se flattait en vain de contenir les passions > 
une fois soulevées, dans les bornes d'une discussion abs- 
traite» On ne tarda pas à tirer de ses principes des con- 
«équences plus rigoureuses qu'il n'aurait voulu. Les 
princes avaient mis la main sur les propriétés ecclésias- 



403 

tiques; Albert de Brandebourg, grand-maître de Tordre 
Teotonique, sécularisa un état entier; il épousa la fille 
du nouveau roi de Danemark, et se déclara duc héré- 
ditaire de la Prusse, sous la suzeraineté de la Pologne; 
exemple terrible dans un empire plein de souverains 
ecclésiastiques, que pouvait tenter l'appât d'une pa- 
reille usurpation ( 1 525 ). 

Cependant ce danger n'était pas le plus grand. Le 
bas peuple, les paysans, endormis depuis si long-temps 
sous le poids de l'oppression féodale, entendirent les 
sa vans et les princes parier de liberté, d'affranchis- 
sement, et s'appliquèrent ce qu'on ne disait pas pour 
eux. L'éternelle haine du pauvre contre le riche se ré- 
veilla» aveuglé et furieuse comme dans la Jacquerie, 
mais affectant déjà une forme systématique comme au 
temps des Nweleàrs. Elle se compliqua de tous les germes 
de démocratie religieuse qu'on avait crus étouffés au 
moyen âge.. Dès Lollardistes, des Béghards, une foule de 
visionnaires apocalyptiques se remuèrent. Le mot de ral- 
liement était lai nécessité d'un second baptême, le but 
une guerre terrible contre l'ordire établi , contre toute 
espèce d'ordre; guerre contre la propriété, c'était un vol 
fait au pauvre; guerre contre fa science, elle rompait 
l'égalité naturelle ; elle tentait Dieu qui révélait tout à 
ses saints; les livres, les tableaux étaient des inventions 
du diable. Le fougueux Carlostadt avait déjà donné 
l'exemple, courant d'église eri église, brisant lès imagés 
et renversant les autels. A. Wittemberg,' les écoliers bru* 
lèrent leurs livres sous lès yeux même de, Luther. Les 
paysans de Thurioge, imitant ceux de la Souabe, sui- 
virent l'enthousiaste Muncer, bouleversèrent Mulhau- 
sen, appelèrent aux armes les ouvriers des mines de 
Mansfeldt, et essayèrent de se joindre à leurs frères de 
la Franconie (4 524-5). Partout ils déposaient les ma- 
gistrats, saisissaient les terres des nobles et leur fai- 
saient quitter leurs noms et leurs habits pour leure» 
Honner de semblables aux leurs. Tous les princes cathd- 



i* 



\ 



409 

liques et protestons Va f usèrent contre eux; ils rie tinrent 
pas un instant Contre la ^pesante cavalerie des nobles, 
et furent traités comme dès bêtes fauves. 

_ f „ 

§ II. — Première lutte contre la Réforme. 

La sécularisation de la Prusse, et surtout la révolte 
(les Anabaptistes donnaient à la Réforme le caractère po- 
litique lé plus menaçant. Les fleux croyances averties 
devinrent deux partis, deux ligues (catholique à Bâtis- 
bonne, 1 524, et à Dessau; protestante à Torgau, i 526). 
L'Empereur observait le moment d'accabler l'une par 
l'autre, et d'asservir à la fois lés catholiques et les pro- 
testans. Il crut l'avoir trouvé, lorsque la victoire dé 
Pavie mit son rival entre ses mains. Mais dès l'année 
suivante, une ligue universelle se forma contre lui dans 
l'Occi<ïent. Le pape et l'Italie entière, Henri VIII son 
allié, lui déclarèrent là guerre. En même temps, l'élec- 
tion de Ferdinand au trône de Bohême et de Hongrie 
entraînait la maison d'Autriche dans les guerres civiles 
de ce royaume, découvrait, pour ainsi dire, l'Allema- 
gne, la mettait face à face avec Soliman. 

Les progrès de la barbarie ottomane, qui se rappro- 
chait chaque jour, compliquaient d'une manière ef- 
frayante les affairés de l'Empire. Le sultan Sélim , ce 
conquérant rapide, dont la férocité faisait frémir les 
Turcs eux-mêmes, venait de doubler l'étendue de la 
domination des Osmanlis. Le tigre avait saisi en trois 
bonds la Syrie, l'Egypte et l'Arabie. La brillante cava- 
lerie des mamelucks avait péri au pied de son trône danÀ 
l'immense massacre du Caire (0* H avait juré de dompter 
les têtes rouges (*)^ pour tourner ensuite contre les chré- 
tiens toutes les farces des nations mahométahes. Un 



(0 « Hî! c'est sultan Sélim !...» Allusion d'un poète arabe à ce massa- 
cre, dans Rantimir. 
{*) Les Persans sont appelés ainsi par les Turcs. 



4 



4 



110 

cancer le dispensa de tenir son serment. L'an 926 de 
l'hégire (1521), sultan Sélim passa au royaume éter- 
nel, laissant l'empire du monde à Solimani 1 ). Solftnan 
le Magnifique ceignit le sabre à Stamboul, la même an- 
née où Charles-Quint recevait à Aix-la-Chapelle la cou- 
ronne impériale. Il commença son règne par la conquête 
de Belgrade et par celle de Rhodes, les deux éctieÛa de 
Mahomet. II (1521-2). La seconde assurait aux Turcs 
l'empire de la mer dans la partie orientale de la Médi- 
terranée; la première leur ouvrait la Hongrie. Lorsqu'ils 
envahiront ce royaume en 1 526, le jeune roi Louis n'a- 
vait pu rassembler que vingt-cinq mille hommes contre 
cent cinquante mille. Les Hongrois, qui, selon l'ancien 
usage, avaient ôté les éperons à celui qui portait l'éten- 
dard de la Vierge W, n'en furent pas moins défaits (à 
Mohacz). Louis fut tué dans la déroute avec son gé- 
néral, Paul Tomorri, évêijue de Golooza, et un grand 
nombre d'autres évêques qui portaient les amies dans 
les périls continuels de la Hongrie. Deux rois furent 
élus en même temps, Ferdinand d'Autriche et Jean Za- 
poly, waiwode de Transylvanie. Zapoly, n'obtenant au- 
cun secours de la Pologne, s'adressa aux Turcs eux- 
mêmes. L'ambassadeur de Ferdinand, le gigantesque 
Hobordansc, célèbre pour avoir vaincu en combat sin- 
gulier un des plus vaillans pachas, avait osé braver le 
sultan, et Soliman avait juré que s'il ne trouvait point 
Ferdinand devant Bude , il irait le chercher dans 
Vienne. Au mois de septembre 1 529, le cercle noir d'une 
armée innombrable enferma la capitale de l'Autriche. 
Heureusement une foule de vaillans hommes, allemands 
et espagnols, s'y étaient jetés. On distinguait D. Pedro 
de Navarre, et le comte de Salms, qui, à en croire les 
Allemands, avait pris François I er à Pavie. Au bout de 
vingt jours et de vingt assauts, Soliman prononça un 
anathêpe contre le sultan qui attaquerait de nouveau 

<*) Éptiaphe de Sélim. — fc») Istuanfi , page 124-7. 



" , i\\ 

cette Ville fatale; il partit la nuit, rompant les ponts 
derrière lai, 'égorgeant ses prisonniers, et le cinquième 
jour il était de retour à Bude, Il consola son orgueil 
en couronnant Zapoly,, prince infortuné qui .voyait en 
même temps des fenêtres de la citadelle de Pesth em- 
mener dix mille Hongrois que leç Tartares de Soliman 
avaient surpris dans la joie des fêtes de Noël, et qu'Us 
chassaient devant eux par troupeaux (0. . . . 

Que faisait l'Allemagne pendant que les Turcs fran- 
chissaient toutes les anciennes barrières, pendant que 
Soliman répandait ses Tar tares au-delà de Vienne? 
Elle disputait sur la transsubstantiation et sur le libre 
arbitre. Ses guerriers lés plus illustres siégeaient dans 
les diètes et interrogeaient des docteurs. Tel était le 
flegme intrépide de cette grande nation, telle sa con- 
fiance dans sa force et dans sa masse. 

La guerre des Turcs et, celle des Français, la prise 
de Rome et la. défense de Vienne, occupaient tellement 
Charles-Quint et son frère, que les Protestans obtinrent 
la tolérance jusqu'au prochain concile. Mais après la 
paix de Cambrai, Charles-Quint voyant la France abat- 
tue, l'Jîtalip asservie, Soliman repoussé, entreprit de 
juger le grand procès de la Réforme. Les deux partis 
comparurent à Augsbourg. Les sectateurs de Luther, 
désignés par le nom général àe Proies tans y depuis qu'ils 
avaient protesté contre la défense d'innover (Spire, 
i 529), voulurent se distinguer de tous les. autres enne- 
mis de Rome, dont les excès auraient calomnié leur 
cause; des Zwingliens républicains de la Suisse, odieux 
aux princes et à la noblesse; des Anabaptistes surtout, 
proscrits comme ennemis de l'ordre de la société. Leur 
confession, adoucie par le savant et pacifique Méla'nçh? 
ton, qui se jetait, les larmes aux yeux, entre les deux 
partis, n'en fut pas moins repoussée comme hérétique. 
Ils furent sommés de renoncer à leurs erreurs, sous 

(Olstuaofi, page 173. 



H2 

jjeine d'être mis au ban de l'empire ( Augsbourg, 1 530). 
Charles-Quint sembla mente prêt à employer la vio- 
let) oe, et fit un instant fermer les portes d' Augsbourg. 
La diète fut à peine dissoute, que les princes protestans 
se rassemblèrent à Smalfcalde, et y conclurent une li- 
gue défensive par laquelle ils devaient former un même 
corps (1531). Ils protestèrent contre l'élection de Fer- 
dinand au titre de roi des Romains. Les contingens fo- 
rent fixés; on s'adressa aux rois de France, d'Angleterre 
et de Danemark, et l'on se tint prêt à combattre. 

Les Turcs semblaient s'être chargés de réconcilier 
encore l'Allemagne. L'Empereur apprit que Soliman 
venait d'entrer en Hongrie à la lête de trois cent mille 
hommes, tandis que le pirate KhaïrEddynBârberousse, 
devenu capitan pacha, joignait le royaume de Tunis à 
celui d'Alger, et tenait toute la Méditerranée en alar- 
mes. Il se hâta d'offrir aux protestans tout ce qu'ils 
avaient demandé, la tolérance, la conservation des biens 
Sécularisés jusqu'au prochain concile > l'admission dans 
la chambre impériale. 

Pendant cette négociation, Soliman fut arrêté un 
mois par le Dalmate Juritzi devant une bicoque en 
ruine. Il essaya de regagner du temps en passant à tra- 
vers les chemins impraticables de la Styrie, lorsque 
déjà les neiges et les glaces assiégeaient les mpntagnes ; 
mais l'aspect formidable de l'armée de Gharles-Quint le 
décida à se retirer. L'Allemagne, réunie par les pro- 
messes de l'Empereur, avait fait les plus grands efforts. 
Les troupes italiennes, flamandes, bourguignonnes, bo- 
hémiennes, hongroises, se joignant à celtes de l'Empire, 
avaient poçté ses forces à quatre-vingt-dix mille fantas- 
sins et trente mille cavaliers, dont un grand nombre 
étaient couverts de fer (0. Jamais armée n'avait été plus 
européenne depuis Godefroi de Bouillon. La cavalerie 
légère des "turcs fut enveloppée et taillée en pièces. Le 

(0 P. Joye, témoin oculaire. 



U 3 

sultan ne se rassura qu'en sortant des gqrges où coulent 
la Murr et la Drave, et en rentrant dans la plaine de 
Waradin. . 

François I er et Soliman se relayaient pour occuper 
Charles-QuinL Le sultan ayant envahi la Perse, était 
allé se faire couronner dans Bagdad ; l'Empereur resr 
pirait (voyez l'expédition de Tunis dans le , chapitre 
précédent)-, le roi de France l'attaqua en attaquant 
la Savoie, son alliée. Cette nouvelle guerre différa, dp 
douze ans la rupture décisive entre lès catholiques et les 
protestans d'Allemagne. Cependant l'intervalle ne fut 
point une paix. D'abord l'anabaptisme éclata de nou- 
veau dans Munster, sous une forme -plus effrayante. Des 
rnêmes fureurs anarchiques sortit un gouvernement bi- 
zarre, mélange monstrueux de démagogie et de tyran- 
nie. Les Anabaptistes de Munster* suivaient exclusive- 
ment l'ancien Testament;. Jésus-Christ étant de la race 
de David, son royaume devait être d'une forme judaï- 
que. Ils reconnaissaient deux prophètes de Dieu , Davi(J 
et Jean de Leyde, leur chef, et deux prophètes du dia- 
ble, le pape et Luther. Jean de Leyde était un gar- 
çon tailleur, jeune homme vaillant et féroce dont il§ 
avaient fait «leur roi, et qui devait étendre par toute 
la terre le royaume de Jésus-Christ. Les princes le pré- 
vinrent. ' 

Les Catholiques et les Protestans, réunis un instanj; 
.contre les Anabaptistes^ ne furent ensuite que plus en- 
nemis. On parlait toujours d'un concile général ; «per- 
sonne n'en voulait sérieusement. Le pape le redoutait; 
les Protestans le récusaient d'avance. Le concile (réuni 
à Trente, i 5+5) pouvait resserrer l'unité de la hiérar- 
chie catholique, mais non rétablir celle de l'Eglise. 
Les armes devaient seules décider. Déjà les Protestans 
avaient chassé les Autrichiens du Wurtemberg. Ils dé- 
pouillaient Henri de Brunswick, qui exécutait à son 
profit les arrêts de la chambre impériale. Ils encoura- 
geaient l'archevêque de Cologne à irniter l'exemple 



m 

d'Albert de Brandebourg, ce qui leur eût donné la ma- 
jorité dans le conseil électoral* 

Lorsque la guerre de France fut terminée, Charles- 
Quint et son frère traitèrent avec les Turcs, et s'unirent 
étroitement avec le pape contre les Luthériens. Ceux- 
ci, avertis par l'imprudence de Paul III, qui annon- 
çait la guerre comme une croisade, se levèrent sous 
l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse au nombre 
de quatre-vingt mille. Abandonnés de la France, de 
l'Angleterre et du Danemark, qui les avaient excités k 
la guerre, séparés des Suisses par leur horreur pour les 
blasphèmes de Z-wingle, ils étaient assez forts s'ils fus- 
sent restés unis, Penflant qu'ils pressent Charles-Quint, 
retranché sous le canon d'Ingolstadt, le jeune Maurice, 
duc de Saxe, qui avait traité secrètement avec lui, tra- 
hit la cause protestante, et envahit les états de l'élec- 
teur^ son parent. Charles- Quint n'avait plus qu'à ac- 
cabler les membres isolés de la ligue. Dès que la mort 
de Henri VIII et celle de François 1er (28 janvier, 3f 
mars \ 54-7) eurent ôté aux Protestans tout espoir de 
secours , il marcha contre l'électeur de Saxe, et le dé- 
fit à Muhlberg (24- avril). 

Les deux frères abusèrent de la victoire. Charles- 
Quint fit condamner l'électeur à mort par un conseil 
d'officiers espagnols que présidait le duc d'AJbe, et lui 
arracha la cession de son électorat, qu'il transféra à 
Maurice. Il retint prisonnier le landgrave de Hesse, 
trompé par un lâche stratagème, et montra qu'il n'avait 
vaincu ni pour la foi catholique, ni pour la constitution 
de l'empire. 

Ferdinand imitait son frère. Dès 454-5, il s'était dé- 
claré feudataire de Soliman pour le royaume de Hon- 
grie, gardant toutes ses forces contre la Bohême et 
l'Allemagne. Il avait rétabli l'archevêché de Prague, 
si formidable aux anciens Hussites, et s'était déclaré 
souverain héréditaire de Bohême. En 4547, il essaya de 
lever une armée, sans l'autorisation des états, pour àt- 



115 

laquer les Luthériens de Saxe, alliés des Bohémiens. Elle 
se leva /cette armée, maié contre le prince qui violait 
ses sermens. Les Bohémiens se liguèrent pour la dé- 
fense de leur constitution et de leur langue. La bataille 
de Muhlberg les- livra à Ferdinand, qui détruisit leurs 
privilèges. 

La Hongrie n'eut pas moins à se plaindre de lui. La 
funeste lutte de Ferdinand contre Zapoly avait ouvert 
ce royaume aux Turcs. Tout le parti national, tous 
ceux qui ne voulaient pour maîtres ni des Turcs ni des 
Autrichiens, s'étaient rangés autour du cardinal Geor- 
ges Martinuzzi (Uthysenitsch), tuteur du jeune fils- de 
Zapoly. Cet homme extraordinaire, qui, à vingt ans, ga- 
gnait encore sa vie en entretenant le feu dans les poê- 
les du palais royal de Bude, était devenu le maître vé- 
ritable de la Transylvanie. La seine mère appelant les 
Turcs, il traita avec Ferdinand, qui au moins était 
chrétien ; il fit pousser partout le cri de guerre (0, ras- 
sembla* en quelques jours soixante-dix mille hommes, 
et emporta, a la tête de ses nciduques, la ville de Lippe, 
que les: Autrichiens ne pouvaient reprendre sur les infi- ' 
dèlés. Cas succès, cette popularité, alarmaient le frère 
de Charles-Quint. Martinuzzi avait autorisé les Transyl- 
vains à repousser par les armes la licence des soldats 
allemands. Ferdinand le fit assassiner, mais ce crime 
lui coûta la Transylvanie. Le fils de Zapoly y fut réta- 
bli, et les Autrichiens ne conservèrent ce qu'ils possé- 
daient de la Hongrie qu'en payant tribut à la Porte 
ottomane*. 

Cependant Charles-Quint opprimait l'Allemagne et * 
menaçait l'Europe. D'un côté, il exceptait de l'alliance 
qu'il proposait aux Suisses, Bâle, Zurich et Sehaffouse, 
qui, disait-il, appartenaient à l'Empire. De Vautre, il pro- 

(0 Béchet, Histoire de Martinusius, page 334. Un homme à cheval, 
armé de tontes pièces, et un homme à pied, tenant une épée ensan- 
glantée, parcouraient le pays en poussant le cri de guerre, selon l'an- 
cien usage de Transylvanie. 



. U6 

ponçait la sentence du ban contre Albert de Brande- 
bourg, devenu feudataire du roi de Pologne (0. Il indis- 
posait Ferdinand même, et séparait les intérêts des deux 
'branches de la maison d'Autriche, eu essayant de trans- 
porter de son frère à son fils la succession à l'Empire. 
Il avait introduit l'inquisition aux Pays-Bas. En Alle- 
magne, il voulait imposer aux Catholiques et aux Pro- 
testans son Inhall (intérim), arrangement concilia toire, 
qui ne les réunit qu'en un point, la haine de l'Empe- 
reur. On comparait Y intérim aux établissements de Hen- 
ri VIII, et ce .n'était pas sans raison. L'Empereur aussi 
tranchait du pape : lorsque Maurice de Saxe, gendre 
du landgrave, réclama la liberté de sep beau -père 
qu'il avait juré de garantir, Charles-Quint lui déclara 
qu'il le déliait de son serment. Partout il traînait à sa 
'Suite le landgrave et le vénérable électeur de Saxe, 
comme pour triompher en leurs personnes de h liberté 
germanique. La vieille Allemagne voyaijt pour la pre- 
mière fois les étrangers violer son territoire atf m>m de 
l'Empereur : elle était traversée en tous sens par des 
mercenaires italiens, par de farouches Espagnols, qui 
mettaient à contribution les Catholiques et les Protes- 
tans, les amis et les ennemis. 

Pour renverser celte puissance injuste, qui semblait 
inébranlable, il suffit du jeune Maurice, le principal 
^instrument de la victoire de Cbarïes-Quint. Celui-ci 
n'avait fait que transférer à un prince plus habile l'é- 
jectera t de Saxe et la place de chef des Protestans d'A.1- 
lenïagne : Maurice se voyait le jouet de l'Empereur qui 
retenait son beau-père : une foule de petits livres et 
de peintures satiriques, qui circulaient dans l'Allema- 
gne (?), le désignaient comme un apostat, comme un 
traître, comme le fléau de son pays. Une profonde dis- 
simulation couvrit les projets de Maurice : d'abord il 
fallait lever une armée sans alarmer l'Empereur; il sç 

t») Sleidan , 1. xxi. — f») Idem, 1. xxm. 



H7 



* 



charge de soumettre Magdebourg k'Y intérim, et joint les 
troupes de la ville aux siennes. En même temps il traite 
secrètement avec le roi de France. L'Empereur ayant re- 
fusé de nouveau de rendre la liberté au landgrave, reçoit 
à la fois deux manifestes, l'un de Maurice au nom de l'Al- 
lemagne, pillée par les Espagnols, outragée dans l'his- 
toire officielle de Louis d'Avila (■); l'autre du roi 1 de 
France Henri II, qui s'intitulait le protecteur des princes 
de l'Empire, et qui plaçait en tête de spn manifeste un 
bonnet de liberté entre deux poignards C 2 ). Pendant que 
les Français s'emparent desTrois-Evêchés, Maurice mar- 
che à grandes journées sur Insprùck (4 552). Le vieil em- 
pereur, alors malade et sans troupes, partit la nuit par 
une pluie affreuse, et se fit porter vers les montagnes de la 
Carinthie. Sans une sédition qui retarda Maurice, Char- 
les-Quint tombait entre les mains de son ennemi. Il 
fallut céder.' L'Empereur conclut avec les Protestansla 
convention de Passau, et le mauvais succès de la guerre 
qu'il soutint contré la France changea cette convention 
en une paix définitive (Augsbourg, 1555). Les Protes- 
tans professèrent librement leur leligion, conservèrent 
les biens ecclésiastiques qu'ils possédaient avant 1552, 
et purent entrer dans la chambre impériale. Voyez plus 
bas les germes dp guerre que contenait cette paix. 

L'Empereur, abandonné de la fortune, qui n'aime 
point les vieillards (3), laissa l'empire à son frère , ses 
royaumes à son fils> et alla cacher ses derniers jours dans 
la solitude de Saint-ïust. Les funérailles qu'il se fit faire 
de son vivant n'étaient qu'une image trop fidèle de cette 
gloire éclipsée à laquelle il survivait. 

(0 Sleidan, L xxrf.— (») Ibid. — (*) Mot de Charles-Quint lui-même. 



• 



H8 



i ■fc'ï^-w* » vfc^ -nyiv^tvwwv^M^mv^^^vM ian' 



' CHAPITRE VIII. 



la Réforme en Angleterre et dans le nord de l'Europe, 1521-1547. 



$ I. — Angleterre et Ecosse, \ 527-4 547. 

Les états germaniques du nord, l'Angleterre, la 
Suède et le Danemark, suivirent l'exemple de l'Alle- 
magne; niais en se séparant du saint Siège, ces trois 
v états, dominés par l'esprit de l'aristocratie, conservè- 
rent en partie la hiérarchie catholique. 

La révolution opérée par Henri VIII ne doit pas être 
confondue avec la véritable réforme d'Angleterre; Cette 
révolution ne fit que séparer l'Angleterre de Rome, 
que confisquer le pouvoir et les biens de l'Eglise au 
profit des rois. Faite sans conscience ni conviction, par 
le prince et l'aristocratie, elle ne fut que le dernier 
terme de la toute -puissance auquel les Anglais por- 
taient la couronne depuis un demi-siècle, en haine de 
l'anarchie des Roses; la propagation des anciennes 
doctrines d'Occam et de Wiclef rendaient les classes 
élevées indifférentes aux innovations religieuses. Cette 
réforme officielle n'avait rien à voir avec celle qui s'o- 
pérait en même temps dans les rangs inférieurs du peu- 
ple par l'enthousiasme spontané des Luthériens,, des 
Calvinistes, des Anabaptistes, venus, en foule de l'Alle- 
magne, des Pays-Bas et de Genève. Celle-ci domina 
sur-le-champ en Ecosse et finit par vaincre l'autre en 
Angleterre. - 

L'occasion de la réforme aristocratique et royale 
d'Angleterre fut petite : elle parut tenir à la passion 



\\9 

éphémère d'Hertri VIII pour Àfane Boleyn, dame d*hon* 
neur de la reine Catherine d'Aragon^ tante de Charles* 
Quint. Au bout de vingt ans de mariage, il se souvint 
que la rçine avait été pendant qqelques mois l'épouse 
de, son frère. C'était le ittomerit où la victoire de Pa- 
vie, rompant l'équilibre de l'Occident, effrayait Hen- 
ri V1IÏ Sur lé succès de l'Empereur son allié; il passa 
dri cô'té de François et demanda' son divorce à Clé- 
ment VII. Le pape, menacé par Charles-Quint, cherchait 
tous lés moyens de gagner du temps : après avoir remis 
le jugement à des légats, il évoqua l'affaire à Rome. Les 
Anglais ne voyaient pas le divorce avec plus de plaisir : 
outre l'intérêt qu'inspirait Catherine, ils craignaient 
qu'une rupture avec l'Espagne n'arrêtât le commerce 
des Pays-Bas. lis refusaient de fréquenter les marchés 
de France par lesquels on aurait voulu remplacer ceux 
de la Flandre. Cependant des conseillers plus hardis, 
qui avaient succédé au cardinal-légat Wolsey, le mi- 
nistre d'état Cromwell, et Cranmer, docteur d'Oxford, 
que Henri avait fait archevêque deCantôrbéry, détrui- 
saient ses scrupules en lui achetant l'approbation des 
principales universités de l'Europe. Le roi éclata enfin, 
et le clergé du royaume fut juridiquement accusé d'a- 
voir reconnu pour légat Je ministre disgracié. Les dé- 
putés du clergé n'obtinrent leur pardon qu'en faisant 
au roi un présent de ceàt mille livres et en le reconnais- 
sant pour le protecteur et le chef suprême de l'église 
d'Angleterre. Le 30 mars 1534, cette déclaration, pas- 
sée en bill dans les deux Chambres, fut sanctionnée par 
le toi, et tout appel à Borne fut défendu. Le 23 du 
même mois, Clément VII s'était prononcé contre le di- 
vorce, d'après l'avis presque Unanime de ses cardinaux : 
ainsi l'Angleterre fut séparée du saint Siège. 

Ce changement, qui semblait terminer là révolution, 
n'en était que le commencement. D'abord le roi déclara 
tous les pouvoirs ecclésiastiques suspendus; les évêques 

devaient au bout d'un mois présenter pétition pour re- 

9. 



*20 

couvrer l'exercice de leur autorité. Les monastères furent 
supprimés, et leurs biens, équivalens à sept cens mil- 
lions de notre monnaie, réunis à la couronne. Mais le 
roi eut bientôt tout dissipé : il donna, dit-on, à un de 
ses cuisiniers une terre pour un bon plat. Le précieux 
/mobilier des couvens, leurs chartes, leurs bibliothèques, 
furent enlevés, dispersés. Les âmes pieuses furent indi- 
gnées; les pauvres ne trouvaient plus Ifeur subsistance 
à la porte des monastères. La noblesse et les propriétai- 
res des campagnes prétendaient que si les ftmvens ces- 
saient d'exister, leurs terres ne pouvaient retomber à la 
couronne, mais revenir aux représentai des donateurs. 
Les habitans de cinq comtés du nord coururent aux ar- 
mes et marchèrent sur Londres pour accomplir ce qu'ils 
appelaient le pèlerinage de grâce; mais on négocia avec 
eux, on prom^f beaucoup J et quand ils se dispersèrent, 
on les pendit 'par centaines. ' 

Les P rot esta ns,tffcii affluaient alors en Angleterre, 
avaient cri) pouvoir s'y établir à la faveur de cette ré- 
volution ; Henri VIII leur apprit combien ils se trom- 
paient. Il n'eût voulu pour rien au monde renoncer à 
ce titre de défenseur de la foi, que lui avait valu son 
livre contre Luther. Il maintint donc l'ancienne foi par 
son bill des six articles, et poursuivit les deux partis 
avec une impartiale intolérance. L'on vit, en i 540, les 
Protestans et les Catholiques traînés de la Tour à Smith- 
field sur la même claie; les premiers étaient brûlés 
comme hérétiques, les seconds pendus comme traîtres, 
pour avoif nié la suprématie. 

Le roi, ayant ejn tout point remplacé le pape, éta- 
blit solennellement son infaillibilité religieuse et politi- 
que : il fit décréter par le Parlement que ses procla- 
mations auraient la même force que les bills passés 
dans les deux Chambres. Ce qu'il y eut de plus terri- 
ble, c'est qu'il f crut lui-même à cette infaillibilité, et 
regarda comme sacrés tous les caprices de ses passions : 
des six femmes qu'il eut, deux furent chassées, deux dé- 



i2i 

eapitées sous prétexte d'adultère; la dernière faillit l'ê- 
tre pour avoir soutenu les opinions des Protestans. Il 
exerça dans sa famille un despotisme à la fois sangui- 
naire et tracassier, et traita toute là nation comme sa 
famille. 11 fit faire une traduction de la Bible et défen- 
dit toutes les autres ; encore les seuls chefs de famille 
pouvaient-ils la lire; toute autre personne était passible, 
chaque fois qu'elle ouvrait la Bible, d'un mois d'empri- 
sonnement. Il écrivit lui-même deux livres pour l'in- 
struction religieuse du peuple (l'Institution et l'Erudi- 
tion du Chrétien). II alla jusqu'à disputer en personue con- 
tre les novateurs. Un maître d'école, nommé Lambert, 
poursuivi pour avoir nié. la présence réelle, ayant ap- 
pelé du métropolitain au chef de l'Eglise, le roi argu- 
menta contre lui, et au bout de cinq heures de dispute 
il lui demanda s'il voulait céder ou mourir; Lambert 
choisit la mort et fut brûlé à petit feu. Une scène plus 
bizarre encore fut le jugement de saint Thomas de Gan- 
torbéry, mort en 1 170. Il fut cité à Westminster comme 
accusé de trahison, et, au bout du délai ordinaire de 
trente jours, condamné par défaut; les reliques du con- 
tumace furent brûlées, et ses propriétés, c'est-à-dire 
sa châsse et les offrandes qui la décoraient, confisquées 
au profit du roi. 

Henri VII! aurait voulu étendre sur l'Ecosse sa ty- 
rannie religieuse; mais le parti français, qui y domi- 
nait, était attaché à la religion catholique, et toute la 
nation avait horreur du joug anglais. Sir Georges Dou- 
glas écrivait, en parlant du roi d'Angleterre : « Il n'y a 
» pas jusqu'aux plusjpetits garçons qui ne lui veuillent 
» jeter des pierres, les femmes y briseront leurs que- 
» nouilles. Tout le peuple mourrait plutôt pour Fempê- 
» cher; la plupart des hommes nobles et tout le clergé 
»soot contre lui. » 

La jeune reine d'Ecosse (Marie) resta sous la garde 
de Jacques Hamilton , comte d'Arrap , fils de celui dont 
on a parlé, nommé gouverneur par les lords, quoique 



426 

le testament du feu roi désignât pour régent le cardinal 
Beaton , et l'Ecosse fut comprise dans le traité conclu 
entre l'Angleterre et la France en i 546. {Voy. le cha-* 
pitre VIII) Le roi d'Angleterre mourut un $n après. 

Pendant les dernières années de son règne, Henri 
ayant dépensé les sommes prodigieuses qu'il avait tirées 
de la suppression, des monastères, chercha, de nouvelles 
ressources dans la servilité de son parlement. Il l'avait 
discipliné de bonne heure, et à la moindre résistance, 
il réprimandait les cartels des communes. Dès 1543, 
c'est-à-dire quatre ans après, il Lui avait demandé un 
énorme subside. Il avait arraché de nouvelles sommes 
sous toutes les formes, impôts, don, gratuit, emprunt, 
altération des monnaies. Enfin le Parlement, sanction- 
nant 1^ banqueroute, lui abandonna tout ce qu'il ayait 
emprunté depuis la trente et unième année de son rè-i 
gne. On prétendait qu'avant la vingt-sixième, les re- 
cettes de l'échiquier avaient surpassé la somme de toutes 
les taxes imposées par ses prédécesseurs, et qu'avant 
sa mort cette somme s'était plus que doublée. 

Ce fut sous Henri VIII que le pays de Galles fut as- 
su jéti au$ formes régulières de l'administration anglaise, 
£tquç l'Irlande connut quelque ordre civil. Les innova- 
tions de Henri VIII avaient été mal reçues danscette île^ 
et des côlons anglais et de la population indigène. Le 
gouvernement du pays était remis ordinairement à des 
Irlandais, aux Kildare ou aux Ossory (Osmonds), chefs 
de3 familles rivales des Fitz-Gerald et des Butler^ Le 
jeune fils de Kildare ayant cru son père tué à Londres, 
se présenta au conseil et déclara ta guerre en son nom à 
Henri VIII, roi d'Angleterre ; les sages conseils de l'ar- 
chevêque d'Arm^gb ne purent prévaloir sur les chapta 
d'un barde irlandais qui, dans la langue nationale, ex- 
citait le héros à venger le sang de son père. Sa valeur 
ne put rien contre la discipline anglaise ; il fut battu, 
stipula pour lui et les siens un plein pardon, et fut dé-. 
çapité a Londres. Ainsi le calme fut rétabli ; les che& 



irlandais sollicitèrent eux-mêmes la pairie. O'Neal, le- 
glus Célèbre de tous, reparaîtra sous le nom de comte 
de Tyrone. 

§ II. — Danemark, Suéde et Norwége (451 3-1560). 

Tandis que l'Allemagne protestante cherchait dans, 
la liberté politiqu^ta garantie de son indépendance re- 
ligieuse , le Danemark et la Suède confirmaient leur 
révolution par l'adoption de la Réforme. 

Christian II avait irrité également la noblesse da- 
noise, contre laquelle il protégeait les paysans; la Suède, 
qu'il inondait de sang (1520), les villes Hanséatiques ,. 
auxquelles il avait fermé les ports du Danemark par 
des prohibitions (1517). 11 se trouva bientôt puni du 
mal et du bieti qu'il avait faits. Gouverné par le prêtre 
allemand Slagheck, autrefois barbier, et par la fille 
d'une aubergiste hollandaise, H suivait avec moins d'à- 
dresse la route qui avait conduit les princes du midi de - 
l'Europe au pouvoir absolu. Il voulait écraser la no- 
blesse de Danemark, et conquérir la Suède. Il avait 
soudoyé des troupes eh Allemagne, en Pologne et en, 
Ecosse; il avait obtenu quatre mille hommes de Fran- » 
çois I er . Une bataille le rendit mattre de la Suède, dé- 
chirée par la querelle du jeune Stenon Sture, adminis- 
trateur, et de l'archevêque d'Upsal, Gustave Troll. Il ; 
fit juger par une commission ecclésiastique tous ceux 
des évéques et des sénateurs qui avaient opiné pour 
là déposition de Troll. En un même jour, ils furent dé- 
capita» et bràlés à Stockholm, au milieu d'un peuple en 
larmes. Dans toutes les provinces de Suède où Chris- 
tian passa, les potences et les échâfauds s'élevaient. Il 
outrageait les vaincus, il se déclarait roi héréditaire 
et proclamait qu'il ne faisait point de chevaliers parmi, 
les Suédois, parce qu'il ne devait la Suède qu'à son 
épée. 

Cependant le jeune Gustave Wasa , neveu de l'ancien. 



*2* 

roi Charles Canutson, que Christian retenait prison- 
nier, parvint à s'échapper à Lubeck. Les Lubeckois, 
qui voyaient dans Christian le beau-frère de Charles- 
Quint, souverain des Hollandais, leurs ^ennemis; qui 
savaient qu'il avait demandé à l'Empereur de lui faire 
un don de leur ville, firent passer Gustave Wasa en 
Suède. Découvert par les Danois, Gustave se sauva de 
retraite en retraite , et fut un jour a|f eiat par les lances 
de ceux qui le cherchaient dans une meule de paille. 
On montre encore à Falhun, à Ornay, les asiles du libé- 
rateur. Il parvint en Dalécarlie, chez cette race dure et 
intrépide de paysans par lesquels ont toujours com- 
mencé les révolutions devla Suède. Il se mêla aux Dalé- 
carliens du Copparberg (pays des mines de cuivre), 
adopta leur costume -, et se mit au service d'un d'entre 
eux. Enfin aux fêtes de Noël 1521, saisissant l'occasion 
du rassemblement qu'amenait la fêté, il les harangua 
dans la. grande plaine de Mora. Ils remarquèreut avec 
joie que le vent du nord n'avait pas cessé de souffler 
pendant qu'il parlait ; deux cents d'entre eux le suivi- 
rent; leur exemple entraîna tout le peuple, et au bout 
de quelques mois, les Danois ne possédaient plus en 
Suède qu' Abo , Calmar et Stockholm. 

Christian avait précisément choisi ce moment criti- 
que pour tenter en Danemark une révolution capable 
d'ébranler le trône le mieux affermi. Il publiait deux 
codes qui allaient armer contre lui les deux ordres tout 
puissans dans ce royaume, le clergé et la noblesse. Il 
supprimait la juridiction temporelle des évêques, dé- 
fendait de piller les effets naufragés, ôtait aux seigneurs 
le droit de vendre leurs paysans, et permettait au pay- 
san maltraité de quitter la terre de son seigneur. La 
protection des paysans, qui avait fait en Suède la popu- 
larité des Stures, perdit le roi de Danemark. Les no- 
bles et les évêques appelèrent au trône son oncle Fré- 
déric, duc de Holstein. Ainsi le Danemark et la Suède 
lui échappèrent en même temps. 



J25 

Après avoir conquis la Shède sur les étrangers , 
Gustave la conquit sur les évêques suédois. Il ôta au 
clergé ses dîmes et sa juridiction, encouragea les nobles 
à revendiquer les terres ecclésiastiques sur lesquelles ils 
pouvaient avoir quelque droit; enfin il enleva aux évê- 
ques les châteaux et les places fortes qu'ils avaient entre 
les mains, et, par la suppression des appels à Rome, 
l'église suédoise se trouva indépendante, sans aban- 
donner la hiérarchie et la plupart des cérémonies ca- 
tholiques (1 529). On fait monter à treize mille le, nom- 
bre des terres ou fermes dont le roi s'empara. Ayant ainsi 
abattu dans le pouvoir épiscopal la tête de l'aristocratie, 
il eut meilleur marché de la noblesse, imposa sans ob- 
stacle les terres féodales, et fit déclarer la couronne hé- 
réditaire dans la maison de Wasa. 

Les évêques de Danemark, qui pourtant avaient 
contribué à la révolution, ne furent pas plus heureux 
que ceux de la Suède. Elle ne se fit qu'au profit des no- 
bles, qui exigèrent de Frédéric I er le, droit de vie et v de 
mort sur leurs paysans. La prédication du luthéranisme 
fut ordonnée; les États d'Odensée {i 527) décrétèrent la 
liberté de conscience, abolirent le célibat des ecclé- 
siastiques, et brisèrent tout lien entré le clergé danois 
et le Siège de Rome. 

Les pays du nord les plus éloignés, moins accessibles 
aux idées nouvelles, ne reçurent pas sans résistance 
cette révolution, religieuse. Les Dalécarliens furent ar- 
més par le clergé contre le roi qu'ils avaient fait eux- 
mêmes. Les Nprwégiens et les Islandais ne virent dans 
l'introduction du protestantisme qu'une nouvelle ty- 
rannie des Danois. Christian II, qui s'était réfugié aux 
Pays-Bas, crut pouvoir profiter de cette disposition. 
Cet homme, qui avait autrefois chassé avec des dogues , 
un évêque fugitif, associait alors sa cause à celle de la 
religion catholique. Avec le secours de plusieurs prin- 
ces d'Allemagne, de Charles- Quint et de quelques 
marchands hollandais, il équipa une flotte, débarqua 



i26 

en Norwége, et pénétra de là en Suède. Les Hanséati- 
ques armèrent contre les Hollandais, qui amenaient 
Christian. Repoussé, et oblige de se renfermer dans 
Opslo, il se rendit aux Danois, qui lui promirent la 
liberté, et le tinrent enfermé vingt-neuf ans dans le 
donjon de Saenderbourg, sans autre compagnie qu'un 
nain. 

A la mort de Frédéric I er (4 534), '^ évêques tentè- 
rent un effort pour prévenir leur ruine inJtiinente. Ils 
essayèrent de porter au trône le plus jeune fils de ce 
prince, âgé de huit ans, qui n'était pas encore prévenu 
en faveur du luthéranisme, comme son aîné (Chris- 
tian III); on faisait valoir que cet enfant, étant né en 
Danemark, parlait dès le berceau la langue- du pays, 
au lieu que son frère était considéré comme un Allé* 
mand. Cette lutte des évoques contre la noblesse, de la 
foi catholique contre la nouvelle doctrine, du patrio- 
tisme danois contre l'influence étrangère, encouragea 
l'ambition de Lùbeck. Cette république avait peu pro- 
fité de la ruine de Christian IL Frédéric avait créé des 
compagnies, Gustave favorisait les Anglais. L'adminis- 
tration démocratique qui avait remplacé à Lubeck Fan* 
cienne oligarchie était animée de l'esprit de conquête 
plus que de celui de commerce. Les hommes nouveaux 
qui la conduisaient, le bourgmestre WuWeowe ver «et le 
commandant Meyer, naguère serrurier, conçurent le 
projet de renouveler dans un royaume la révolution 
démocratique qu'ils avaient faite- dans une ville, de con- 
quérir" et de démembrer le Danemark. Ils confièrent la 
conduite de cette guerre révolutionnaire à un aven* 
turier illustre, le comte Christophe d'Oldenbourg, qui 
s'était signalé contre les Turcs ; il n'avait que son nom 
et son épée, mais il se consolait, dit-on , de sa pauvreté 
en lisant Homère dans l'original. Il entra dans le Dane- 
mark en soulevant les classes inférieures au nom de 
Christian II, nom magique qui ralliait toujours les ca- 
tholiques et les paysans. Tout était tromperie dans cett* 



*87 

guerre machiavélique : les démocrates de Lubeck nom. 
maient au peuple Christian II, et ne pensaient qu'à 
eux-mêmes, leur générai Christophe ne travaillait ni 
pour Christian ni pour Lubeck, mai» pour ses propres 
intérêts. Les calamités de cette révolution furent telles, 
que la guerre du Comte est restée une expression pro- 
verbiale en Danemark. L'effroi général rallia tous les 
esprits à Christian III. Le sénat, retiré dans le Jutlahd, 
qui seul lui restait, l'appela du Holstein, où il s'était 
retiré^ Gustave lui prêta des secours. Le jeune roi assié- 
gea Lubeck elle-même, et la força de rappeler ses trou- 
pes. Les paysans, partout battus, perdirent l'espoir dé 
la liberté. Christian III entra à Copenhague après un 
long siège. Le sénat fit arrêter les évêques, les dépouilla 
de leurs biens, et leur substitua des surintendans, char- 
gés de propager la religion êvangélique. Ainsi s'éleva le 
pouvoir absolu de la noblesse par la défaite du clergé 
et des paysans. Christian IH reconnut le trône électif, 
promit de consulter le grand-maître du royaume, le 
chancelier et le maréchal, qui devaient recevoir les 
plainte^, contre le roi, La noblesse danoise décida que 
la Norwége ne serait plus qu'une province du royaume. 
Le protestantisme y fut établi. Le puissant archevêché 
de JDrontheim étant devenu un simple évêché, l'ancien 
esprit de résistance cessa de se manifester, si l'on ex- 
cepte lès troubles excités à Bergen par la tyrannie des 
facteurs hanséatique§, et le soulèvement des paysans, 
que l'on forçait de travailler aux mines sous les ordres 
de mineurs allemands. 

La pauvre Islande, entre ses neiges et ses volcans, es- 
saya aussi de repousser la nouvelle croyance qu'on vou- 
lait lui imposer. Les Islandais avaient pour la domina- 
tion danoise la même répugnance que les Danois pour 
l'influence allemande. Les évêques Augmond et Arneson 
résistèrent, à la tête de ieur peuple, jusqu'à ce que les 
Danois eussent tranché la tête au second. Arneson n'é- 
tait point estimé pour la régularité de ses mœurs; mais 



12S 

il fat pleuré comme l'homme du peuple et comme un 
poète national : c'est lui tjui dès 1528 avait introduit 
l'imprimerie dans cette île reculée 0). 

J.a révolution religieuse et politique du Danemark 
s'affermit ainsi partout, malgré une nouvelle tentative 
de Charles-Quint en faveur de l'électeur Palatin , mari 
de sa nièce , fille de Christian II. Enfin l'alliance de 
Christian III avec les Protestans d'Allemagne et avec 
François I er décida l'Empereur à le reconnaître. Il ob- 
tint pour ses sujets des Pays-Bas la liberté de naviguer 
dans là Baltique; dernier coup porté à la ligue Hanséa- 
tique, et dont elle ne devait point se relever. 



im/*^+^mmm>*f'++^» %^>%» 



CHAPITRE IX. 



Calvin. La Réforme en France, en Angleterre, en Ecosse, aux Pays-Bas, 
, jusqu'à la Saint-Barthélemi, 1555-1572. 



La Réforme à son premier âge n'avait guère fait que 
détruire; dans le second, elle essaya de fonder. A son 
début, elle avait composé avec la puissance civile; la 
Réforme luthérienne avait sous plusieurs rapports été 
l'ouvrage des princes auxquels elle soumettait l'Église. 
Les peuples attendaient une réforme qui fût à eux ; elle 
leur fut donnée par Jean Calvin, protestant français ré- 
fugié à Genève. La première avait conquis l'Allemagne 
du nord, la seconde bouleversa la France, les Pays-Bas, 
l'Angleterre et l'Ecosse. Partout elle rencontra un opi- 
niâtre adversaire dans la puissance espagnole, que par- 
tout elle vainquit. 

(>) Cateau-Callevffle, 11« vol., pag. 211.226. 



Lorsque Calvin passa de Nérac à Genève (1535), 
cette ville avait chassé son évêque et le duc de Savoie, 
mais elle était entretenue dans la plus violente fermen- 
tation par lçs complots des mamelus (serviles), et 
par les insultes continuelles des gentilshommes de la 
Confrérie de la Cuiller. Il en devint l'apôtre et le lé - 
gislateur (H5M-6A), se portant pour juge entre le pa- 
ganisme de Zwingle et le papisme de Luther. L'Église 
lut une démocratie, et l'État s'y absorba. Le calvinisme 
eut) comme la religion catholique, un terrain indé- 
pendant de toute puissance temporelle. L'alliance de 
Berne et de Fribourg permettait au réformateur de prê- 
cher à l'aise derrière les lances des Suisses. Posté entre 
l'Italie , la Suisse et la France , Calvin ébranla tout 
l'Occident par la puissance de la parole. Il n'avait ni 
l'impétuosité, ni la bonhomie, ni les facéties de Lu- 
ther. Son style était triste et amer, mais fort, serré, 
pénétrant. Conséquent dans ses écrits plus que dans sa 
conduite, il commença par réclamer la tolérance au- 
près de François I er ('), et finit par faire brûler Servet. 

D'abord les Vaudois, et toutes les populations ingé- 
nieuses et inquiètes du midi de la France, qui avaient 
les premières essayé de secouer le joug au moyen âge, 
se rallièrent à la nouvelle doctrine. De Genève et de la 
Navarre, elle s'étendit jusqu'à la ville commerçante de 
La Bochelle, jusqu'aux cités alors savantes de l'intérieur, 
Poitiers, Bourges, Orléans; elle pénétra jusqu'aux Pays- 
Bas, et s'associa à ces bandes de Rederikers qui cou- 
raient le pays en déclamant contre les abus. De là , pas- 
sant la mer, elle vint troubler la victoire de Henri VIII 
sur le pape, elle s'assit sur le trône d'Angleterre avec 
Edouard VI (i 547), tandis qu'elle était portée par Knox 
dans la sauvage Ecosse, et ne s'arrêtait qu'à l'entrée 

(.») Prœfatio ad christianissimum regem qud hic ci liber pro confes- 
iU>n,Jtdei offèrtur. Ce morceau éloquent ouvre son livre de Y Institution 
chrétienne, publié en 1536, qu'il a traduit lui-même. 



*30 

des montagnes, oà les Higklanders conservèrent la foi 
de leurs ancêtres avec la haine des Saxons hérétiques. 

Les assemblées furent d'abord secrètes. Les pre- 
mières qui eurent lieu en France se tinrent à Paris, rue 
SaintJacques (versl 550) ; bientôt elles se multiplièrent, 
Les bûchers ft'y faisaient rien ; c'était pour le peuple 
une trop grande douceur *Ten tendre la parole de Dieu 
dans sa langue. Plusieurs étaient attirés par la curio~ 
site , d'autres par la compassion, quelques-uns tentés 
par le danger même* En 1550, il r£v avait qu'une église 
réformée en France; en 1561, il y en eut plus de deux 
mille. Quelquefois ils s'assemblaient en plein champ au 
nombre de huit ou dix mille persqnnes ; le ministre 
montait sur une charrette ou sur des arbres amonce- 
lés ; le peuple se plaçait sons le vent pour mieux re- 
cueillir la parole, et ensuite tous ensemble, hommes, 
femme» et en fans, entonnaient des pSaumes. Ceux qui 
avaient des armes veillaient à l'entour, la main sur l'é* 
pée. Puis venaient les colporteurs qui déballaient des 
catéchismes , dès petits livres et des iufages contre les 
évéques et le pape (0. 

Ils ne s'en tinrent pas long-temps à ces assemblées. 
Non moins intol^rans que leurs persécuteurs, ils vou- 
lurent exterminer ce qu'ils appelaient Xidoldtrie* Ils 
commencèrent à renverser les autels , à brûler les ta- 
. bleaux, à démolir les églises. Dès 1561, ils sommèrent 
le foi de France d'abattre les images de Jésus-Christ 
et des saints 00. - 

Tels étaient les adversaires que Philippe Ilentreprit 
de combattre et d'anéantir. Partout il les rencontrait 

l 1 ) Celait 1er cardinal dé Lorraine tenant dans un sac te petit Fran- 
çois II, qui tachait de passer la tête pour respirer, de temps en temps. 
Aux Pays-Bas, on vendait le cardinal GranveHe, principal ministre de 
Philippe, couvant des œufs d'où sortaient des évéques en rampant, tan- 
dis que le diable planait sur sa tête et le bénissait en disant : Voici mon 
fils bien-aimé. Menu de Condé, 11, 656; et Schiller, Histoire du soulè- 
vement des Pays-Bas, li?. h, ch. i, trad. par M. de Châteaugiron. 

W Mém. de Condé, Kv. m, pag. 101. 



*3l 

sur son chemin ; eu Angleterre, pour l'empêcher d'é- 
pouser Elisabeth (1 558); en France, pour balancer la 
puissance des Guises ses alliés ( 1 561 ) ; aux Pays-Bas, 
pour appuyer de leur fanatisme la cause de la liberté 
publique (0. 

Au caractère cosmopolite de Charles-Quint avait suc- 
cédé un prince tout castillan , qui dédaignait toute 
autre langue, qui avait en horreur toute croyance 
étrangère à la sienne, qui voulait établir partout les 
formes régulières de l'administration, de la législation, 
de la religion espagnole. D'abord il s'était contraint 
pour épouser Marie , reine d'Angleterre (1553); mais 
il n'avait pas trompé les Anglais. Le verre de bière 
qu'il but solennellement S son débarquement , les ser- 
mons de son confesseur sut la tolérance, ne lui donnè- 
rent aucune popularité. On en crut plutôt les bûchers 
élevés par sa femme. Après là mort de Marie (1558), 
il ne dissimula plus, il introduisit des troupes espa- 
gnoles aux Pays-Bas, y maintint l'inquisition, et à son 
départ déclara en quelque sorte la guerre aux défen- 
seurs des libertés du pays dans la personne du prince 
d'Orange (»). Enfin il s'unit avec Henri II contre les en* 
nemis intérieurs, qui, les menaçaient également, en 
épousant sa fille, Elisabeth de France (paix de Cateao- 
Cambresis, i 559). Les fêtes %e cette paix menaçante fu- 
rent marquées d'un caractère funèbre. Un tournois fut" 
donné au pied inémé»de la Bastille, où le protestant 
Anne Dubourg attendait la mort. Le roi fukWessé, et 
- le mariage se fit la nuit à Saint-Paul pendant spn ago- 
nie (*). Philippe II, revenu dans ses états pour n'en 
plus sortir, fit construire* en mémoire de sa victoire 
de Saint-Quentin , le monastère de l'fescurial* et y çon» 

« (0 Surtout depuis 1563. 

(») Le roi, en s'embarquant, dit au prince d'Orange, qui se rejetait sûr 
les États : No, no los estados, ma vos, vos, vos. Schiller, d'après Tan- 
deryyncht. 

W Mém. de VieillevilU, tom. tint, pag. 417. 



i 39 

sacra cinquante milliers de piastres. Oe sept lieues on 
découvre le sombre édifice, tout bâti de granit. Nulle 
sculpture n'en pare les murai&es. La hardiesse des 
voûtes en fait toute la beauté. La disposition des bâtî- 
mens présente la forme d'un gril (0. 

A cette époque les esprits étaient parvenus en Espagne 
au dernier degré d'exaltation religieuse. Le progrès ra- 
pide des hérétiques dans toute l'Europe, la victoire du 
trajté d'Àugsbourg qu'ils, avaient remportée sur Char- 
les-Quint, leurs violences contre les images, leurs outra- 
ges aux saintes hosties que les prédicateurs retraçaient 
aux Espagnals épouvantés, avaient produit un redou- 
blement de ferveur. Ignace de Loyola avait fondé Tor- 
dre des Jésuites,. tout dévoué au saint Siège (i 534--40). 
Sainte Thérèse de Jésus réformait les Carmélites, et 
embrasait toutes les âmes des feux d'un amour mysti- 
que. Les Carmes, les ordres M endians, suivirent bientôt 
la même réforme. La constitution de l'Inquisition fut 
fixée en 1 561. Si l'on excepte les Mauresques, l'Espagne 
se trouva unie, comme un seul homme, dans un violent 
accès d'horreur contre les mécréans et les hérétiques. 
Etroitement liée avec le Portugal, que les Jésuites gou- 
vernaient, disposant des vieilles bandes de Charles- 
Quint et des trésors des deux moufles, elle entreprit 
de soumettre l'Europe à son empire et à sa foi. 

Les Protestans dispersés se rallièrent au nom de 
la reine Elisabeth, qui leur offrit asile et protection. 
Partout «)le encouragea leur résistance contre Phi- 
lippe II et les catholiques. Absolus dans leurs états, 
ces deux monarques agirent au dehors avec la violence 
de deui chefs de partis. La dévotion fastueuse de Phi- 
lippe, l'esprit chevaleresque de la cour d'Elisabeth se 
concilièrent avec un système d'intrigue et de corrup- 
tion; mais la victoire devait rester à Elisabeth; le temp» 

(') Instrument du martyre de saint Laurent; la bataille de Saint-Quen- 
tin fut gagnée par les Espagnols le jour de sa fête. 



433 

était de son parti. Elle ennoblissait le despotisme par 
l'enthousiasme qu'elle inspirait à la nation. Ceux même 
qu'elle persécutait étaient pour elle, en dépit de tout. 
Un Puritain, condamné à perdre la main , l'eut à peine 
coupée, qu'il prit son chapeau de l'autre, et le Élisant 
tourner çn l'air, il s'écria : Vive la reine ! 

Il fallut trente ans avant que les deux adversaires 
se prissent corps à corps. La lutte eut lieu d'abord en 
Ecosse, en France et aux Pays-Bas. 
' Elle ne fut pas longue; en Ecosse (1559- -1567). La ri- 
vale d'Elisabeth, la séduisante Marié-Stuart, veuve à 
dix-huit ans de François* II, se voyait comme étrangère 
au milieu de ses sujets qui détestaient en elle les Guises 
ses' oncles, chef du parti catholique en France. Ses ba- 
rons, soutenus par l'Angleterre, s'unirent avec Darnley, 
son époux, et poignardèrent sous ses yeux le musicien 
italien Riccio, son favori. Peu après, la maison qu'ha- 
bitait Darnley, près d'Holyrood, sauta en l'air ;/ il fut 
enseveli sous ses ruines, et Marie, enlevée par le prin- 
cipal auteur du crime, l'épousa de gré ou de force. Là 
reine et le parti des barons se renvoyèrent mutuelle- 
ment l'accusation. Mais Marie fut la moins forte. Elle 
ne trouva de refuge que dans les états de sa mortelle 
ennemie, qui la retint prisonnière, donna à qui elle 
voulut la tutelle du jeune fils de Marie, régna sous son 
nom en Ecosse, et put dès lors lutter avec moins d'in- 
égalité contre Philippe II. 

Mais c'était surtout dans la France et dans les Pays- 
Bas qu'Elisabeth et Philippe se faisaient une guerre se- 
crète. L'âme du parti protestant était, dans ces deux 
contrées, le prince d'Orange Guillaume le Taciturne , 
et son beau-père l'amiral Goligni, généraux malheu- 
reux, mais politiques profonds, génies tristes, opiniâ- 
tres, animés de l'instinct démocratique du calvinisme, 
malgré le sang de Nassau et de Montmorenci. Colonel 
de l'infanterie sous Henri II, Coligni rallia à lui toute 
la petite noblesse, il donna à La Rochelle une organi- 

10 



V 



cation républicaine,, tandis que le prince d'Orange en- 
courageait la confédération des Gueux, et jetait les fon- 
demens d'une république plus durable. 

Le grand Guise et son frère le cardinal de Lorraine (0 
gouvernaient la France sous François. II, époux de leur 
nièce Marie-Stuart (1 560). Guise était l'idole du peuplé 
depuis qu'il avait pris Calais en huit jours sur les An- 
glais. Mais il avait trouvé la France ruinée. Il s'était 
vu obligé de reprendre les domaines aliénés et de sup- 
primer l'impôt des cinquante mille hommes, c'est-à-dire 
de désarmer le gouvernement au moment où la révolu- 
tion éclatait. Des milliers de solliciteurs assiégeaient Fon- 
tainebleau, et le cardinal de Lorraine, ne. sachant que 
leur, répondre, faisait afficher que Ton pendrait ceux 
qui n'auraient pas vidé la ville dans les vingt-quatre 
heures. 

Les Bourbons (Antoine, roi de Navarre, et Louis, 
prince de Condé), qui ne voyaient pas volontiers la 
chose publique entre les mains de deux cadets de la 
maison de Lorraine, profitèrent du mécontentement 
général. Ils s'associèrent aux Calvinistes, à Coligni, aux 
Anglais, qui venaient la nuit négocier.avec eux à Saint- 
Denis. Les Protestans marchèrent en armes sur Am- 
boise pour s'emparer de la personne du roi. Mais ils 
furent dénoncés aux Guises, et massacrés sur les cher 
mins. Quelques-uns, qu'on avait réservés pour les exé- 
cuter devant le roi et toute la cour, trempèrent leurs 
mains dans le sang de leurs frères déjà décapités, et les 
levèrent au ciel contre ceux qui les avaient trahis. Cette 
scène fupèbre sembla porter malheur à tous ceux qui 
en avaient été témoins, à François II, à Marie Sluart, 
au grand Guise, au chancelier Olivier, protestant dans 
le cœur, qui les avait condamnés et qui en mourut de 
remords ( 2 ). 

(*) Voy., dans les Mémoires de Gaspard de Tavannes, la comparaison 
des avantages excessifs qu'avaient obtenus de Èenri II les maisons rivafes 
de Guise et de Montoioreïici, t. xxm, pag. 410. 

(») Vieilleyille, t. xxvii, pag. 425. 



135 

i 

A F avènement du petit Charles (IX* du nom, \ 561 ), le 
pouvoir appartenait à sa mère, Catherine de Médicis, si - 
elle eût su le garder ; elle ne fit. que l'ôter aux Guises, 
chefs des Catholiques, et le gouvernement resta isolé en- 
tre les deux partis. Ce n'était pas une Italienne, avec la 
vieille politique des Borgià, qui pouvait tenir la balance 
entre les horfraies énergiques qui la méprisaient : elle n'é- 
tait pas digne de cette époque dé conviction et d'enthou- 
siasme, et l'époque elle-même ne l'était pas du chan- 
celier L'Hôpital (0, noble image de la froide sagesse, 
impuissante entre les passions. Guise ressaisit, comme - 
chef de parti, le pouvoir qu'il avait perdu. La cour lui 
fournit un prétexte, en adoucissant les édits contre les 
Réformés par ceux de Saint-Germain et de Janvier, et 
en admettant leurs docteurs à une discussion solennelle 
dans le colloque jie Poissi. En même temps que les Cal- 
vinistes se soulevaient à Nîmes, le duc de Guise passant 
par Vassi en Champagne, ses gens se prirent de querellé 
avec quelques Huguenots qui étaient au prêche, et les 
massacrèrent (1 562)* La guerre civile commenta. César, 
disait le«prince de Condé, a passé le Rubicon. 

A l'approche d'une lutte si terrible, les deux partis 
n'hésitèrent pas d'appeler 1 étranger ( 2 ). Les vieilles bar- 
rières politiques qui séparaient les peuples tombèrent 
devant l'intérêt religieux. Les Protestans demandèrent 
secours à leurs frères d'Allemagne; ils livrèrent le Ha- 
vre aux Anglais, tandis que les Guises entraient dans 
un vaste plan, formé, disait-on, par le roi d'Espagne 
pour écraser Genève et la Navarre, les deux sièges de 
l'hérésie, pour exterminer les Calvinistes de France^ 
et dompter ensuite les Luthériens dans l'Empire ( 3 ). De 
tous côtés les partis s'assemblaient (<) avec un farouche 

(*) Le chancelier L'Hôpital, qui avoit les fleurs de lys dans le cœur 

L'Etoile; t. xlv, pag. 57. 

(»)Lanone; t. xxxiv, pag. 123-157. Les étrangers ouvraient les yeux et 
frétilloient pour entrer en France. ' 

(3) Méni. de Condé, t. m, pag. 510. 

(4) Lanoiie, t. xxxiv, pag. 125. La plus part de la noblesse délibéra 

10. 



H6 

enthousiasme. Dans ces premières armées, ni jeu de ha- 
sard , ni blasphème , ni débauche (0 ; les prières se fai- 
saient en commun le matin et le soir. Mais sous cette 
sainteté extérieure, les cœurs n'étaient pas moins cruels. 
Montluc, gouverneur de Guienne, parcourait sa pro- 
vince avec des bourreaux : On pouvoil cognoistre, dit- 
il lui-même, par oh il étoit passé, car par les arbres 
sur les chemins on en trouvait les enseignes ('). Dans le 
Dauphiné c'était un Protestant, le baron des Adrets, 
qui précipitait ses prisonniers du haut d'une tour sur 
la pointe des piques. 

Guise fut d'abord vainqueur à Dreux ( 3 ) : il fit pri- 
sonnier Condé, le général des Protestans, partagea son 
lit a^ec lui, et dormit profondément à côté de son en- 
nemi mortel. Orléans, la place principale des religion- 
n air es, ne fut sauvée que par l'assassinat du dtfc de 
Guise, qu'un Protestant blessa par-derrière d'un coup 
de pistolet (1 563). Quelles qu'aient été son ambition 
et ses liaisons avec Philippe II, la postérité pardonnera 
beaucoup à l'homme qui disait à son assassin : « Or ça, 
» je vous veux montrer combien la religion que je tiens 
» est plus douce que celle de quoi vous faites profes- 
» sion : la vôtre vous a conseillé de me tuer sans m'ouïr, 
» n'ayant reçu de moi aucune offense; et la mienpe 
» me commande que je vous pardonne, tout convaincu 
» que vous êtes de m'avoir voulu tuer sans raison. » 

La Reine mère, délivrée d'un maître, traita avec les 
Protestans (à Amboise, \ 563), et se vit obligée, par l'in- 
dignation des Catholiques, de violer peu à peu tous les 
articles du traité. Coiidé «t Coligni essayèrent en vain 

de yenir à Paris, imaginant comme à l'aventuré que ses protecteurs pour- 
raient avoir besoin d'elle.., avec dix, vingt ou trente de leurs amis, por- 
tant armes couvertes et logeant par hostelleries ou par les champs en 
bien payant. 

(0 Lanoue donne les mêmes éloges aux Catholiques et aux. Protestans, 
t. xxxiv, pag. 154. — (») Montluc, t. xx, pag. 

( 3 ) Voy. dans les Mém. de CondJ, t. îv, les relations de la bataille de 
Dreux, attribuées à Coligni, p. 178, et à François de Guise, p. 68$. 



137 

de s'emparer du jeune roi; défaits à Saint-Deife, mats 
toujours redoutables, ils imposèrent à la courra paix 
de Longjumeau (-1 568), surnommée boiteuse et malas- 
sise., laquelle confirma- celle d' Amboise. Une tentative 
de la cour pour saisir les deux chefs décida une troi- 
sième guerre. La modération s'éloigna des conseils du 
Roi avec le chancelier l'Hôpital. Les Protestans prirent 
La Rochelle pour place d'armes, au lieu d'Orléans; ils 
se cotisèrent pour payer leurs .auxiliaires allemands, 
que le duc de Deux-Ponts et le prince d'Orange leur 
aliénaient à travers toute la France. Malgré leurs dé-' 
faites de Jarnac et de Montcontour (4 569), malgré la 
mort de Condé et la blessure de Coligni, la cour n'en 
fut pa* moins obligée de leur accorder une troisième 
paix ( Saint-Germain, 1570). Leur culte devait être li- 
bre dans deux villes par province; on leur laissait pour 
places de sûreté La Rochelle, Montauban, Cognac et la 
Charité; Le jeune roi de Navarre devait épouser la sœur 
de Charles IX (Marguerite de Valois); on faisait même 
espérer à Coligni de commander les secours que le Roi 
voulait, disait-on, envoyer aux Protestans des Pays-Bas. 
Les Catholiques frémirent d'un traité si humiliant après 
quatre victoires; les Protestans eux-mêmes, y croyant 
à peine, ne l'acceptèrent que par lassitude (0, et les 
gens sages attendaient de cette paix hostile quelque 
épouvantable malheur. 

La situation des Pays-Bas n'était pas moins effrayan- 
te. Philippe II ne comprenait ni la liberté, ni l'esprit du 
Nord, ni l'intérêt du^commerce; tous ses sujets, belges 
et bataves, se tournèrent contre lui, et les Calvinistes, 
persécutés par l'Inquisition, et les nobles, désormais 
sans espoir de rétablir leur fortune ruinée au service de 
Cfaârles-Quint, et les moines, qui craignaient les réfor- 
mes ordonnées par le concile de Trente, ainsi que l'é- 

(*) L'admirai, dit qu'il désireroit plutôt mourir que retomber en ces 
confusions et voir devant ses yeux commettre lant de maux. Lanouc, 
t. zxxiv, pag. 290. 



as 

tablisse#ent de nouveaux évéchës dotés à leurs dépens; 
enfin léS bons citoyens, qui voyaient avec indignation 
l'introduction des troupes espagnoles et le renversement 
des vieilles libertés du pays. D'abord l'opposition des 
Flamands force le Roi de rappeler son vieux ministre, 
le cardinal Granvelle (4 563) ; les plus grands «seigneurs 
forment la confédération des Gueux et pendent à leur 
col des écuelles de bois, s'associa nt ainsi au petit peu- 
ple. (4 566). Les Calvinistes lèvent la tête de tous côtés, 
impriment plus de cinq taille ouvrages contre l'ancien 
culte, et, dans les seules provinces du Brabant et de la 
Flandre, pillent et profanent quatre cents églises (0. 

Ce dernier excès combla la mesure. L'âme barbare 
de Philippe II couvait déjà les pensées les plus sinistres : 
il résolut de poursuivre et d'exterminer ces eùnemis 
terribles, qu'il rencontrait partout, et jusque dans sa 
famille. Il enveloppa dans la même haine et l'opposi- 
tion légale des nobles flamands, et les fureurs icono- 
clastes des calvinistes, et l'opiniâtre attachement des 
pauvres Mauresques à la religion, à la langue et au 
costume de leurs pères. Mais il ne voulut point agir sans 
la sanction de l'Eglise : il obtint de l'inquisition une 
condamnation secrète de v ses sujets rebelles des Pays- 
Bas M; il interrogea même les plus célèbres docteurs > 
entre autres Oraduy, professeur de théologie à l'uni- 
versité d'Alcala, sur les mesures qu'il devait prendre 
à Tégard des Mauresques; Oraduy répondit par le pro- 
verbe \ Des ennemis toujours le moins ( 3 ). Le Roi, con- 
firmé dans ses projets de vengeance, jura de donner un 
exemple dans la personne de ses ennemis de manière 
à faire tinter les oreilles de la chrétienté, dût-il mettre 
en péril tous ses états <*). 

Les conseils sanguinaires qu'il avait fait donner «à la 

Schiller, tom. 1, pag. 253, ett.u, premières pages.— (») Idem, d'a- 
près Meteren, folio 54. — (?) Ferreras, tom. ix, pag. 525. 

(4) Lettre de l'enyctyé d'Espagne à Paris, adressée, à la duchesse de 
Parme, gouvernante des Pays-Bas; citée par Schiller, 2« vol. 



*39 

cour de France par le duc*, d'Albe 0) , il commença à 
les suivre, sans distinction de personne, avec une atroce 
inflexibilité. Son fils don Carlos parlait d'aller se mettre 
à la tête des révoltes, des Pays-Bas; Philippe fait accélé- 
rer sa mort par les médecins (1 568). il organise l'Inquisi- 
tion en Amérique (1570). H désarme en un même jour 
tous les Mauresques de Valence, défend à ceux de Gre- 
nade la langue et le costume arabe, prohibe l'usage des 
bains, les zambras, les leilas, et jusqu'aux rameaux 
verts dont ces infortunés couvraient leurs tombeaux; 
leurs enfans de plus de cinq ans doivent aller aux éco- 
les pour apprendre la religion et la langue castillane 
(1563-68). En même temps marchait d'Italie en Flandre 
le sanguinaire duc d'Albe, à la tête d'une armée fana- ■ 
tique comme l'Espagne et corrompue comme l'Italie (»). 
Au bruit de sa marche, les Suisses s'armèrent pour cou- 
vrir Genève. Cent mille personnes, imitant le prince d'O- 
range, s'enfuirent des Pays-Bas ( 3 ). Le duc d'Albe éta- 
blit dès son arrivée le conseil des troubles, le conseil de 
sang, comme disaient les Belges, qu'il composa en par- 
tie d'Espagnols (4567). Tous ceux qui refusent d'abju- 
rer, tous ceux qui ont assisté aux prêches, fussent «ils 
catholiques; tous ceux qui les ont tolérés, sont égale- 
ment mis à mort. Lés Gueux sont poursuivis comme les 
hérétiques : ceux même qui n'ont fait que solliciter le 
rappel de Granvelle sont recherchés et punis; le comte 
d'Egmont , dont les victoires à Saipt'Quéntift et à Gra- 
velines avaient honoré le commencement du règne de 
Philippe II , i'idole du peuple et l'un des plus loyaux 
serviteurs du Roi, périt sur un échafaud.Les efforts des 
Protestons d'Allemagne et de France, qui à forment une 

- (>) Entrevue de Bayonne, 1566. On y entendit le duc d'Albe dire à la 
Reine mère, Catherine de. Médicis, que la tête d'un saumon valait mieux 
que celles de cent grenouilles. 

(») Voyez les détails dans Meteren , liv. m , î>«g« $2. 

(3) Rien n'est fuit, disait Granyelle, puisqu'on a laissé échapper le Ta- 
citufne. • •• v 



\A0 

armée à Louis de Nassau, frère du prince d'Orange, 
sont déconcertés par le duc d'Albe; et pour mieux in- 
sulter ses victimes, il se fait élever dans sa citadelle 
d'Anvers une statue de bronze, qui foule aux pieds des 
esclaves, et qui menace la ville. 

Même barbarie, même succès en Espagne. Philippe 
saisit avec joie l'occasion de la révolte des Mauresques 
pour accabler ce malheureux peuple. Au moment de 
tourner ses forces au dehors, il ne voulait laisser au- 
cune résistance derrière lui. La pesanteur de l'oppres- 
sion avait rendu quelque courage aux Mauresques : un 
fabricant de carmin, de la famille des Abencerrages, 
s'entendit avec quelques autres; d'épaisses fumées s'éle- 
vèrent de montagne en montagne; le drapeau incarnat 
fut relevé; les femmes elles-mêmes s'armèrent de lon- 
gues aiguilles d'emballeurs pour percer le ventre des 
chevaux : les prêtres furent partout massacrés. Mais 
bientôt arrivèrent les vieilles bandes de l'Espagne. Les 
Mauresques reçurent quelque faible secours d'Alger; 
ils implorèrent en vain ceux du sultan Sélim. Les vieil- 
lards, les enfans, les femmes suppliantes furent massa- 
ci^s-sans jpitié. Le Roi ordonna qu'au-dessus de dix ans 
tous ceux qui restaient deviendraient esclaves (4 57 1) 0). 

Le faible et honteux gouvernement de la France ne 
voulut pas rester en arrière. L'exaspération des Catholi- 
ques é^ait devenue extrême, lorsqu'aux noces du roi de 
Navarre et de Marguerite* de Valois, ils virent arriver 
dans Paris ces hommes sombres et sévères, qu'ils avaient 
souvent rencontrés sur les champs de bataille, et dont 
ils regardaient la présence comme leur honte. Ils se 
comptèrent et commencèrent à jeter des* regards sinis- 
tres sur leurs ennemis. Sans faire hcnneur à la Reine 
mère ni à ses fils d'une dissimulation si longue et d'un 
plan si fortement conçu , on peut croire que la possibi- 
lité d'un tel événement avait été pour quelque chose 

(0 Ferreras, tom. îxelx. — Cabrera. 1619. pag. 465-6S1 , passim. 



dans les motifs de la paix de Saint-Germain. Cependant 
un crime si hardi ne serait pas entré dans leur résolu- 
tion s'ils n'eussent craint un instant l'ascendant de Co- 
lighi sur le jeune Charles IX. Sa mère et son frère le 
duc d'Anjou, qu'il commençait à menacer, ramenèrent 
à eux par la peur cette âme faible et capricieuse, où 
tout se tournait en fureur, et lui firent résoudre le mas- 
sacre des Protestans aussi facilement qu'il aurait ord- 
onné celui des, principaux, Catholiques. Le 24- août 
1572) sur les deux ou trois heures de la nuit, la cloche 
de Saint-Gerniain-l'Auxerrois sonna, et le jeune Henri 
de'Guise, croyant venger son père, commença le mas- 
sacre en égorgeant Coligni. Alors on n'entendit plus 
qu'un cri : Tue! tue! La plupart des Protestans furent 
surpris dans leurs lits. Un gentilhomme fut poursuivi 
la hallebarde Sans les reins jusque dans la chambre et 
dans la ruelle de la reine de Navarre. Un Catholique 
se vanta d'avoir racheté des massacreurs plus de trente 
Huguenots pour les torturer à plaisir. Charles IX fit 
venir son beau-frère et le prince de Condé, et leur dit : 
La messe ou la mort! Le lendemain une aubépine ayant 
refleuri dans le cimetière des Innocens, le fanatisme fut 
ranimé par ce prétendu miracle, et le massacre recom- 
mença. Le Roi, la Reine mère et toute la cour allèrent 
à Montfaucon voir ce qui restait du corps de Vami~ 
rai (*). Il faut ajouter L'Hôpital aux victimes de la 
Saint-Barthélemi ; lorsqu'il apprit l'exécrable nouvelle, 
il voulait qu'on ouvrit les portes aux massacreurs qui 
viendraient; il n'y survécut que six mois, répétant tou- 
jours : Excidat Ma dies œvo? W 

Une chose aussi horrible que la Saint-Barthélemi, 
c'est la. joie qu'elle excita. On en frappa des médailles à 
Àome, et Philippe II félicita la cour de France/- Il 
croyait le protestantisme vaincu. Il associait la Saint- 

w 

(') De Thou, t. xxxv u, pag. 233. 

(*) Collect des Mém. t tom. xxxvu, Marguerite de Valois, 49-56, et 



442 

Barthélemi et les massacres ordonnés par le duc d'Àlbe 
au glorieux événement de la bataille de Lépante, dans 
laquelle les flottes de l'Espagne, du pape et de Venise, 
commandées par don Juan d'Autriche, fils naturel de 
Charles- Quint, avaient, Tannée précédente, anéanti 
la marine ottomane. .Les Turcs vaincus sur mer, les 
Mauresques réduits, les hérétiques exterminés en France 
et aux Pays-Bas, semblaient frayer la route an roi d'Es- 
pagne vers cette monarchie universelle à laquelle son 
père avait en vain aspire. 

De Thon 7 , 230-3; xxxy, Avis du maréchal de Tavannes, donnés aif roi 
sur les affaires de son royaume après la paix de Saint-Germain ; xl v, L'É- 
toile $ 73-8; i er vol. (dé la seconde série), Sulli, 225-246; voy. surtout 
dans le t. xliv (de la première série), Discours jdu rOy Henri III à utf per- 
sonnage d'honneur et de qualité (Miron, son médecin), étant près de sa 
Majesté à Cracovie, des causes et motifs de la Sainct-Barthélemy, 496-510. 

« Or, après avoir reposé seulement deux heures la nui et, ainsi que 

» le jour commençoit à poindre, le roy, la royne ma mère et moi aJlas- 
• mes au portail du Louvre, joignant le jeu de paulme, en une chambre 
» qui regarde sur la place de la bassecourt, pour voir le commencement 
» de l'exécution; où nous^e fusmes pas long-temps, ainsi que nous con- 
» sidérions les événemens et la conséquence d'une si grande entreprise, à 
» laquelle, pour dire vray, nous n'avions jusques alors guiéres bien pensé, 
y nous entendismes à l'instant tirer un coup de pistolet; et ne sçaurais 
9 dire en quel endroict ni s'il offença quelqu'un ; bien sçay-je que le son 
» seulement nous blessa tous trois si avant en l'esprit qu'il offença nos 
» sens et nostre jugement, espris de terreur et d'appréhension des grands 
» désordres qui s'alloient lors commettre; et pour y obvier envoyasmes 
» soudainement et en toute diligence un gentilhomme vers M. de Guise, 
» pour luy dire et expressément commander de nostre part qu'il se re- 
» tirast en son logis, et qu'il se gardast bien dé rien entreprendre sur 
» l'admirai, ce seul commandement /aisant eesser tout le reste. Mais tost 
9 après le gentilhomme retournant nous dit que M. de Guise luy avoit 
» répondu que le commandement estoit venu trop tard, et que l'admirai 
n estoit mort, et qu'on commençoit à exécuter par «put le reste de, la ville. 
» Ainsi retournasmes à notre première délibération , et peu après nous 
■9 laissasmes suivre le fil et le cours de l'entreprise et de l'exécution. 
9 Voilà, Monsieur, la vraye histoire de la Sainct-Barthélemy, qui m'a 
» troublé oeste nuicl l'entendement. ». 



U3 



CHAPITRE X. 



Suite jusqu'à la mort de Henri IV, 1572-1610. Coup d'œil sur la situation 
des puissances belligérantes après les guerres de religion. 



§ I. — 7 Jusqu'à la paix de Vervins  i 572-1 598. 

a? Le roi Charles oyant le soir du même jour et tout 
» le lendemain , conter les meurtres et tueries qui s'y 
» étaient faits des vieilferds, femmes et enfans, tira à 
» part maître Ambroise Paré; son premier chirurgien, 
» qu'il aimait infiniment quoiqu'il fût de la religion, et 
» lui dit : Ambroise, je ne sçay ce qui m'est survenu 
» depuis deux ou trois jours, mais je mç trouve l'esprit 
m et le corps grandement esmeus, voire tout ainsi que si 
» j'avais la fièvre, me semblant à tout moment, aussi 
» bien veillant que dormant, que ces corps massacrez 
» se présentent à moy les faces hydeuses et couvertes 
» de sang; je voudrois que Ton n'y eust pas compris les 
» imbéciles etinnocens (0. » Dès lors il ne fit plus que 
languir, et dix-huit mois après an flux de sang l'em- 
porta (i 574). 

Le crime avait été inutile. Dans plusieurs villes les 
gouverneurs refusèrent de l'exécuter. Les Calvinistes se 
jetant dans La Rochelle, dans Sancerre, et d'autres 
places du midi , s'y défendirent en désespérés. L'hor- 
reur qu'inspirait la*Saint*Barthélemi leur donna .des 
auxiliaires en créant parmi les Catholiques le parti mo- 
déré, qu'on appelait celui des Politiques. Le nouveau 
roi, Henri III, qui revint de Pologne pour succéder à 

' ' s" 

0) Sully, premier wl. de la CoiL des Mém. (deuxième série), p. 245. 



son frère, était connu pour un des auteurs du massacre. 
Son propre frère, le duc d'Alençon, s'enfuit de la cour 
avec le jeune roi- de Navarre, et réunit ainsi les Politi- 
ques et les Calvinistes. 

Aux Pays-Bas, la tyrannie du duc d'Albe n'avait pas 
mieux réussi. Tant qu'il se contenta de dresser desécha- 
fauds, le peuple resta tranquille; il vit, sans se révol- 
ter, tomber les têtes les plus illustres de la noblesse. Il 
n'existait qu'un moyen de rendre le mécontentement 
commun aux Catholiques et aux Protestans, aux nobles 
et aux bourgeois, aux Belges et aux Bataves, c'était d'é- 
tablir des impôts vexatoires, et de laisser le soldat mal 
payé rançonner les habitons; le duc d'Albe fit l'un et 
l'autre. L'impôt du dixième établi sur les denrées fit 
intervenir dans les moindres Vtentes, sur les marchés, 
dans les boutiques, les agens du fisc espagnol. Les 
amendes innombrables, les vexations continuelles irri- 
tèrent toute la population. Pendant que les boutiques 
se ferment, et que le duc d'Albe fait pendre les mar- 
chands coupables d'avoir fermé, les Gueux marins (c'est 
ainsi qu'on désignait les fugitifs qui vivaient de pirate- 
rie), chassés des ports de l'Angleterre sur la réclama- 
tion de Philippe II, s'emparent du fort de Brielle en Hol- 
lande (1572), et commencent la guerre dans ce pays 
coupé par tant de bras de mer, de fleuves et de canaux. 
Une foule de villes chassent les Espagnols. Peut-être res- 
tait-il encore quelque moyen de pacification; mais le 
duc d'Albe apprit aux premières villes qui se rendirent 
qu'elles n'avaient ni clémence ni bonne foi à espérer. 
À Rotterdam, à Malines, à Zutphen, à Naerden, les 
capitulations furent violées, lés habita ns massacrés. 
Harlem, sachant ce qu'elle devait* attendre, rompit les 
digues, et envoya dix têtes espagnoles pour paiement 
du dixième denier. Après une résistance mémorable, 
elle obtint son pardon, et le duc d'Albe confondit dans 
un massacre général les malades et les blessés. Les sol- 
dats espagnols eurent eux-mêmes quelques remords de 



U5 

ce manquement de foi, et en expiation ils consacrèrent 
une partie du butin à bâtir une maison aux jésuites de 
Bruxelles. \ 

Sous les successeurs du duc d'Albe, la licence des 
troupes espagnoles qui pillèrent Anvers for£a les pro- 
vinces vallonnés de s'unir, dans la révolte, à. celles du 
nord (4 576); mais cette alliance nç pouvait être durable; 
La révolution se consolida en se concentrant dans le 
nord par l'union d'Utrecht , fondement de la république 
des Provinces-Unies ( i 579). L'intolérance des Protes- 
tans ramena les provinces méridionales sous le joug du 
roi d'Espagne. La-population batave, toute protestante* 
tout allemande de caractère et de langue, toute com- 
posée de bourgeois livrés au commerce maritime, attira 
ce qui lui était analogue dans les provinces du midi* 
Les Espagnols purent reconquérir dans la Belgique les 
murs et le territoire; mais la partie la plus industrieuse 
de la population leur échappa. 

Les insurgés avaient offert successivement de se sou- 
mettre à la branche allemande de la maison d'Autre 
che, à la France, à l'Angleterre. L'archiduc Mathias ne 
leur amena aucun secours; don Juan, frère et géné- 
ral 'de Philippe II, le duc d'Anjou, frère de Henri III, 
Leicester, favori d'Elisabeth, qui voulurent successive* 
ment se faire souverains des Pays-Bas, montrèrent la 
même perfidie (i 577, i 582, i 587). La Hollande, regar- 
dée comme une proie par tous ceux à qui elle s'adres- 
sait, se décida enfin, faute d'un souverain, à rester en 
république. Lé génie de cet état naissant fut le prince 
d'Orange qui, abandonnant les provinces méridionales 
à l'invincible duc de Parme, lutta contre lui par la po- 
litique jusqu'à ce qu'un fanatique armé par l'Espagne 
l'eût assassiné (i 584). ( 

Pendant que Philippe perdait la moitié des Pays-Bas, 
il gagnait le royaume de Portugal. Le jeune don Sé- 
bastien s'était jeté sur la côte d'Afrique avec dix mille 
hommes dans le vain espoir de la conquérir et de per- 



H6 

cer jusqu'aux Indes. Ce héros du temps des croisades 
ne fut, au xvi e siècle, qu'un aventurier; son oncle, le 
cardinal D. Henri, qui lui succéda, étant mort peu 
après, Philippe II s'empara du Portugal malgré la France 
et les Portugais eux-mêmes (i 580). 

En France tout lut réussissait. La versatilité de Hen- 
ri III, celle du duc d'Alençon, qui se mit à la tête des 
Protesta û s français et ensuite de ceux dés Pays-Bas, 
avait décidé le parti catholique à chercher un chef hors 
de la famille royale. Par le traité de i 576, le Roi avait 
accordé aux Calvinistes la liberté 4 U culte dans tout le 
royaume, excepté à Paris : il leur donnait une chambre 
mi-partie dans chaque parlement, et plusieurs villes dé 
sûreté (Angoulême, Niort, la Charité, Bourges, Saa- 
mur et JMézières), où ils devaient tenir des garnisons 
payées par le Roi. Ce traité détermina la formation de 
la Ligue (1577). Les associés juraient de défendre la 
religion, de remettre les provinces aux mêmes droits, 
franchisés et libertés quelles avaient au temps de Clo- 
vis, de procéder contre ceux qui persécuteraient l'U- 
nion, sans acception de personne; enfin de rendre prompte 
obéissance et fidèle service au chef qui serait nommé i 1 ) : 
le Boi crut devenir maître dé l'association en s'en décla- 
rant le chef. Il commençait k entrevoir les desseins du 
duc de Guise; on avait trouvé dans Içs papiers d'un avo- 
cat mort à Lyon en revenant de Rome, une pièce dans 
laquelle il disait que. les descendons de Hugues Capet 
avaient régné jusque là illégitimement et par une usur- 
pation maudite de Dieu, que le trône appartenait aux 
princes lorrains, vraie postérité de Charlemagrie. La 
mort du frère du Roi encouragea ces prétentions (1584). 
Henri n'ayant point d'enfant, «et la plupart des Catho- 
liques repoussant du trône le prince hérétique auquel 
revenait la couronne, le duc de Guise et le roi d'Espa- 
gne, beau-frère de Henri III, s'unirent pour détrôner 

(0 Premier vol. de la Gollcct, de* Mém, (deuxième série), p. 66. 



1 U7 

le Roi, sauf ensuite à se disputer ses dépouilles. Ils n'eu- 
rent que trop de facilité pour le rendre odieux. Les f e* 
vers de ses armées semblaient autant de trahisons : le 
faible prince était à la fois battu par les Protestans et 
accusé par les Catholiques. La victoire de Coutras, où 
le roi de Navarre s'illustra par sa valeur et par sa clé- 
mence envers ïes vaincus (Î587), mit le comble à.i'ir» 
ritation des Catholiques. Pendant que la Ligue s'organi- 
sait dans la capitale, Henri III > partagé entre les soins 
d'une dévotion monastique et les excès d'une débauche 
dégoûtante, donnait à tout 'Paris le spectacle de sa pro- 
digalité scandaleuse et de ses goûts puérils : il dépen- 
sait douze cent mille francs aux noces de Joyeuse, .son 
favori, et n'avait pas de quoi payer un messager pour 
envoyer au duc de Guise une lettre de laquelle dépen- 
dait le salut du royaume. Il passait le temps à arranger 
les collets de la Reine et à friser lui-même ses cheveux* 
Il s'était fait prieur de la; confrérie des pénitens blancs. 
« Au commencementde novembre, le Roy fit mettre sus 
» par les églises de Paris, les oratoires, autrement dits 
» les paradis, où il allait tous les jours faire. ses aumô- 
» nés et prières en grande dévotion, laissant ses che- 
» mises à grands godrons, dont il était auparavant si 
» curieux, pour en prendre à collet renversé à Fita- 
» lienne. Il allait ordinairement en coche avec laT reine 
» sa femme, par les rues et maisons de Paris, prendre 
» les petits chiens d'amerets, se faisait lire la grammaire 
» et apprenait à décliner (0. » 

Ainsi la crise devenait imminente en France et dans 
tout l'Occident (1585-1 588). Elle semblait devoir être 
favorable à l'Espagne : la, prise d'Anvers par le prince 
de Parme, le plus mémorable fait d'armes du xvie 
siècle, complétait la réduqtiou de la Belgique (1585). 
Le roi de France avait été obligé de se mettre à la dis- 
crétion des Guises (même année), et la Ligue prenait 

(') L'Etoile, tom. xlv, pag. 123. 



U8 

pour foyer une ville immense, où le fanatisme religieux 
se fortifiait du fanatisme démocratique (1 588). Mais le 
roi de Navarre résista contre toute vraisemblance aux 
forces réunies des Catholiques (i 586-87); Elisabeth 
donna une armée aux Provinces-Unies (1 585), de l'ar- 
gent au roi de Navarre (1585) : elle déjoua toutes les 
conspirations (4 584-85-86), et frappa l'Espagne et les 
Guises dans la personne de Marie-Stuart. 

Long-temps Elisabeth avait répondu aux instances 
de ses conseillers : Puù-je tuer V oiseau qui s' est réfugié 
dans mon sein? Elle avait accepté des broderies et des 
robes de Paris que lui offrait sa captive. Mais l'irritation 
croissante de la grande lutte européenne, les craintes 
qu'on inspirait sans cesse à Elisabeth pour sa propre 
vie, la puissance mystérieuse du jésuite Persons, qui du 
continent remuait l'Angleterre, portèrent la Reine aux 
dernières extrémités (0. 

Malgré l'intervention des rois de France et d'Ecosse, 
Marie fut condamnée à mort par une commission, 
comme coupable d'avoir conspiré avec les étrangers 
pour l'invasion de l'Angleterre et la mort d'Elisabeth. 
Une salle avait été tendue de noir dans le château de 
Fotheringay : la reine d'Ecosse y parut couverte de ses 
plus riches habillemens; elle consola ses domestiques 
en pleurs , protesta de son innocence et pardonna à 

(') Un prêtre catholique ayant été pendu sous ses croisées même, 
Marie comprit son sort et demanda la vie à toute condition : elle écrivait 
à Elisabeth : « Je vous supplie, Madame, les mains jointes, de»me déli- 

» vrer de cette longue et misérable captirité Vous avez dit à mon se- 

» crétaire que vous ne vouliez persécuter personne à cause de sa religion 
» seulement. Pour l'amour de Dieu, Madame, persistez dans cette sainte 
» résolution, digne de vous, digne de votre rang. Le siècle présent a suffi- 
» raniment prouvé, dans toute 'retendue de la chrétienté, que la force 
» humaine ne peut remporter sur la conscience. En ce qui me concerne, 
» si ma religion est le but où visent mes ennemis, je suis prête, grâce à 
» Dieu, à courber mou cou sous la hache, et à verser mon sang à la face 
» des nations chrétiennes : je regarderai comme un bonheur d'être la 
» première victime; ce n'est pas une vaine ostentation, vous savez que 
» je ne suis pas hors de danger. » ' 



m 

ses ennemis. La reine Elisabeth aggrava l'horreur de 
cette résolution cruelle par des regrets affectés et des 
dénégations hypocrites (1 587). 

La moft de Marie ne fut nulle part plus ressentie' 
qu'en France. Mais qui. l'aurait vengée? son beau- 
frère, Henri III, tombait du trône; son cousin, Henri de 
Guise, croyait y monter. La France était folle de cet 
homme-là, car c'est trop peu dire amoureuse. Depuis 
ses succès sur les Allemands, alliés du roi de Navarre 
le peuple ne l'appelait plus que le nouveau G édéon, le 
nouveau Machabée; les nobles le nommaient notre 
grand. Il Payait qu'à venir à Paris pour en être le mai* 
trèfle roi le lui défend, et il arrive : toute la ville court 
au-devant de lui en criant : Vive le duc de Guise! Ho* 
sonnait filio David! Il brave le roi dans son Louvre 
à la tête de quatre cents gentilshommes. Dès lors les 
Lorrains croient avoir cause gagnée : le roi sera jeté dans 
un couvent; la duchesse de Montpensier, sœur du duc 
de Guise, montre les ciseaux d'or avec lesquels elle doit 
tondre lemTalois. Le peuple élève partout des barrica- 
des, désarme les Suisses que le roi venait de faire en- 
trer dans Paris, et les eût tous massacrés sans le duc de 
Guise. Un moment d'irrésolution lui fit tout perdre ; ' 
pendant qu'il diffère d'attaquer le Louvre, la vieille 
Catherine de Médicis l'amuse par des propositions et 
le roi se sauve à Chartres. Guise essaya en vain de' se 
rattacher au Parlement ; Cest grand pitié, Monsieur 
lui dit le président Achille de Harlai, quand le vale't 
chasse le maître; au reste, mon dme est à Dieu, mon 
cœur au roi> mon corps entre les mains des mèchans. 
Le roi, délivré, mais abandonné de tout le monde, 
fut obligé de cédçr : il approuva tout ce qui s était fait' 
livra au duc un grand nombre de vilfes, le nomma gé- 
néralissime des armées du royaume et convoqua les 
états généraux aBlois. Le duc de Guise voulait un pks 
haut titre ; il abreuva le roi de tant d'outrages qu'il ^ r . 

11 



racha au plus timide des hommes une résolution Uardiê, 
celle de- l'assassiner. 

« Le jeudi 22 décembre 1588, le duc de Guise se 
mettant à table pour dîner, trouva sous sa serviette un 
billet dans lequel était écrit : « Donnez-vous de garde* 
» on est sur le point de vous jouer un mauvais tour. » 
L'ayant lu, il écrivit au bas : On n'oserait» et il le re- 
jeta sous la table. « Voilà, dit-il, le neuvième d'au jour- 
» d'hui. » Malgré cesavertissemens, il persista à se ren- 
dre au Conseil; et comme il traversait là chambfce où 
se tenaient les quarante-cinq gentilshommes ordinaires j 
il fut égorgé (0. 



( x ) Lé 23, à quatre heures du matin, le roi demanda à son valet de 
chambre les clefo des petites cellules qu'il avait fait dresser pour des ca- 
pucins. Il descendit, et de fois à autres il allait lui-même regarder en sa 
chambre si les quarante-cinq y étaient arrivés, et à mesure qu'il y en 
trouvait, les faisait monter et les enfermait... Et peu après que le duc 
de Guise fut assis au conseil : « Pai froid, dit-il, le cœur me fait mal; 
» que Ton fasse du feu; » et &'adressant au sieur de Morfontaine, trésorier 
de l'épargne : « Monsieur, de Morfontaine, je vous prie de dire à M. «de 
» Saint-Prix, premier valet de chambre du roy, que je le prit de me don-* 

» ner des raisins de Damas ou de la conserve de roses » Le duc de 

Guise met<les prunes dans son drageoir, jette le demeurant sur le tapis. 
« Messieurs, dit-il, qui en veut? » et se lève. Mais, ainsi qu'il est à deux 
pas prés la porte du vieux cabinet, prend sa barbe avec la main droite 
et tourne le corps et la face à demi pour regarder ceux qui le suivaient* 
fut tout soudain saisi au bras par le sieur de Montsery, l'ainé, qui était 
prés de la cheminée, sur l'opinion qu'il eut que le duc voulut se reculer 
pour se mettre en défense; et tout d'un temps est par lui-même frappé 
d'uu coup de poignard dans le sein, disant : ft Ah! traître, tu en mourras,» 
et en même temps le sieur des Effranats se jette à ses jambes, et le sieur 
de .Saint-Malines lui porte par le derrière un grand coup dé poignard 
près de la gorge dans fa poitrine, et le sieur de Loignac un coup d'épée 
dans les reins. Et bien qu'il eut, son épée engagée de son manteau, et le» 
jambes saisies, il ne laissa pas pourtant (tant il était puissant ! ) de les en- 
traîner d'un bout de la chambre à l'autre, jusqu'au pied du lit du roy, où 
il tomba.... Lequel étant en son cabinet, leur ayant demande s'ils avaient 
fait» en sortit et donna*un coup de pied par le visage à ce pauvre mort, 
tout ainsi que ledit duc de Guise en avait donné au feu amiral : chose re- 
marquable avec une, que le roi l'ayant un peu contemplé, dit tout haut : 
« Mon pieu, qu'il est grand ! il paraît encore plus grand mort que vivant, w 
» Le sieur de Beaulieu, apercevant en ce corps quelque petit mouve- 
ment, il lui dit : « Monsieur, cependant qu'il vous reste quelque peu de 



i5i 

» ». 

Pendant cette tragédie, qui 'favorisait plutôt qu'elle 
he contrariait les desseins de l'Espagne, Philippe II en- 
treprenait la conquête de l'Angleterre et la vengeance 
de Marie Stuart. Le 3 juin \ 588 sortit de l'embouchure 
du Tage le plus forjxùdable armement qui eut jamais 
effrayé la chrétienté : cent trente-cinq vaisseaux d'une 
grandeur jusque là inouie, huit mille matelots, dix-neuf 
mille soldats, là fleur de la noblesse espagnole, et Lope 
de Vega sur la flotte, pour ôhànter la victoire. Les Espa- 
gnols, ivres de ce spectacle, décorèrent cette flotte du 
nom iïinvencible Armada. Elle devait rejoindre aux 
Pays-Bas le prince de Parme et protéger le passage de 
trente-deux mille vieux soldats; la forêt de Waes en 
Flandre s'était changée en bfttiméns de transport. L'a- 
larme était extrême en Angleterre : on montrait aux 
portes des églises les instrumens de torture que les In- 
quisiteurs apportaient sur la flotte espagnole. La reine 
parut à cheval devant les milices assemblées à Teukes- 
bnry et promit de mourir pour son peuple. Mais la forcé 
de l'Angleterre était dans sa marine. Sous l'amiral Ho- 
ward servaient les plus grands hommes de mer du siè- 
cle, Drake, Hawkins, Forbisher. Les petits vaisseaux an- 
glais harcelèrent la flotte espagnole/ déjà maltraitée 
par les élémens; ils la troublèrent par leurs brûlots; le 
prince de Parme ne put sortir des ports de Flandre, 

» vie demandez pardon à Dieu et au roy. » Alors, sans pouvoir parler, je- 
tant un grand et profond soupir, comme d'une voix enrouée, il rendît 
Pâme, fut couvert d'un manteau gris, et au-dessus mis une croix de paille. 
Il demeura bien deux heures durant en cette façon, puis fut livré entre 
les mains du sieur de Richelieu,' grand prévost de France, lequel, par le 
commandement du roy, fît brûler le corps par son exécuteur en cette pre^ 
miére salle, qui est en bas, à la main droite en entrant dans le château; 
et à la fin jeter les cendres en la rivière. » 

Relation de la mort de MM. le duc et le cardinal de Guise , par le 
sieur Miron, médecin du roy Henri III, xlv € vol. de la Coll. des Mem.; 
L'Etoile, même vol.; Palma Cayet, xxxvm ; et Sully, i« vol. pag. 100-8. 

Sur les Barricades, voy. les mêmes Mémoires, et particulièrement lé 
Procès-verbal de Nicolas Poulain, lieutenant de la prévosié de Me-de- 
France, xlv* vol. 

M. 



152 

et les restes de cel armement formidable, poursuivis par 
la tempête sur les rivages d'Ecosse et d'Irlande, vinrent 
se cacher dans les ports de l'Espagne. 

i*e reste de la vie d'Elisabeth ne fut qu'un triomphe : 
elle rendit inutiles les entreprises de Philippe II sur l'Ir- 
lande, et poursuivit saf victoire sur toutes les mers. L'en- 
thousiasme de l'Europe, exalté par de tels succès, prit 
la forme la plus flatteuse pour une femme, celle d'une 
ingénieuse galanterie : on oublia l'âge de la reine (55 
ans). Henri IV déclarait à l'ambassadeur d'Angleterre 
qu'il la trouvait plus belle que sa Gabrielle. Shakes- 
peare la proclamait la belle vestale assise sur le trône 
d'Occident. Mais aucun hommage ne la touchait plus 
que ceux du spirituel Walter Raleigh et du jeune et 
brillant comte d'Essex ? le premier avait commencé sa 
fortune en jetant son manteau, la chose la plus précieuse 
qu'il possédât alors, sous les pieds de la reine qui traver- 
sait un endroit fangeux; d'Essex l'avait charmée par son 
héroïsme. 11 s'était sauvé de la cour, malgré ses ordres, 
pour prendre part à l'expédition de Cadix : il y sauta le 
premier à terre, et si on l'eût cru, Cadix serait peut- 
être resté aux Anglais. Son ingratitude et sa fin tragi- 
que attristèrent seules les derniers jours d'Elisabeth. 

$ H. — Jusqu'à la mort d'Henri IF. Coup d'œil sur la 
situation des puissances belligérantes. 

Philippe II, repoussé de la Hollande et de l'Angle- 
terre, tournait toutes ses forces contre la France; le 
duc de Mayenne, frère de Guise, non moins habile, 
mais moins populaire, ne pouvait balancer l'or et les 
intrigues de l'Espagne. 

Dès que la nouvelle de la mort de Guise parvint à 
Paris, le peuple prit le deuil, les prédicateurs tonnè- 
rent; on tendait de noir les églises; on plaçait sur les 
autels les images do roi en cire,* on les perçait d'ài- 



*53 

guilleSv Mayenne fut créé chef de la Ligue ; les Etftts 
nommèrent quarante personnes pour gouverner. Bussi 
Lèclerc, devenu, de maître d'armes et de procureur, 
gouverneur de là Bastille, y conduisit la moitié du Par- 
lement* Henri III n'eut d'autres ressources que de se 
jeter danfc les bras du roi de Navarre : tous deux vinrent 
assiéger Paris. Ils campaient à'Saint-Cloud, lorsqu'un 
jeune moine, nommé Clément, assassina Henri III d'un 
coup de couteau dans le bas ventre. La duchesse de 
Montpensier, sœur du duc de Guise, qui attendait la 
nouvelle sur la route, l'apporta la première, presque 
folle de joie. On plaça l'image de Clément sur les autels; 
sa mère, pauvre paysane de Bourgogne, étant vécue à 
Paris, la foule se porta au-devant d'elle en criant : Heu- 
reux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous 
ont allaité! {\ 589). 

Henri IV, abandonné de la plupart des Catholiques, 
fat bientôt serré de près par Mayenne, qui se faisait 
fort de l'amener aux Parisiens pieds et poings liés. Déjà 
on louait des fenêtres pour le voir passer. Mais Mayenne 
avait affaire à un adversaire qui ne dormait pas, et 
qui usait* comme disait le prince de* Parme, plus, de 
bottes que de souliers (0 : il attendit Mayenne près 
d'Arqués en Normandie et combattit «avec trois mille 
hommes, contre trente mille. Henri, fortifié d'une foule 
de gentilshommes, vint à son tour attaquer Paris et 
pilla le faubourg Saint -Germain. L'année suivante 
(i 590), nouvelle victoire h Ivri sur l'Eure, où il battit 
Mayenne et les Espagnols. On sait les paroles qu'il 
adressa à ses troupes avant la bataille : Mes compa- 
gnons, si vous courez ma fortune, je cours aussi la 
votre. Je veux vaincre ou mourir avec vous... Gardez 
bien *vos rangs, je vous prie, £t si vous perdez vos enr- 
seignes, cornettes où guidons, ne perdez point de vue, 

(0 Satire Ménippée, 1712, pag, 49. — Le duc dé Mayenne , êjait dor- 
eur et chargé d'embonj^oim. ^ 



4 54 

mon panache blanc ; vous le trouverez toujours au chç • 
min de l'honneur et de la victoire (Péréfixe). D'Ivri, il 
vint ..bloquer la capitale : cette malheureuse ville, en 
proie aux fureurs dçs Sei&e et à la tyrannie des soldats, 
espagnols, fut réduite aux dernières extrémités de la fa- 
mine ; on y fit du pain avec les ossemens des morts; des 
mères y mangèrent leurs enfans. Les Parisiens, opprimés 
par leurs défenseurs, ne trouvaient de pitié que dans le 
prince qui les assiégeait, il laissa passer une grande par- 
tie des bouches inutiles : Faudra-t-il donc, disait -il, 
que ce soit moi qui les nourrisse ? Il ne faut point que. 
Paris soit un cimetière, je ne veux point régner sur 
'des morts. Et encore ^ Je ressembh à la vraie mère da 
Salomon; j'aimerais mieux n'avoir point de Paris, que 
de l'avoir déchiré en, lambeaux. Paris ne fut délivré, 
que par l'arrivée du prince de Parme qui, par ses sa-, 
vantes manoeuvres, força Henri de lever le siège, et re- 
tourna ensuite aux Pays-Bas. 

Cependant le parti de la Ligue s'affaiblissait de jour 
en jour. Le lien de ce parti était la haine du roi : il avait 
préparé sa propre dissolution en assassinant Henri IIL 
Il s'était divme' al#rs en deux factions principales, celle 
des Guises, appuyée surtout par la noblesse et le Parle- 
ment, et celle do l'Espagne, soutenue par d'obscurs dér 
magogues. La seconde, concentrée dans les grandes vil- 
les, et sans esprit militaire, se caractérisa par la persé- 
cution des magistrats (4 589-91 ); Mayenne la réprima, 
(4 594 ), mais en ôtant à la ligue son énergie démocrati- 
que. Cependant les Guises, deux fois battus, deux fois 
bloqués dans Paris, ne pouvaient se soutenir sans l'appui 
de ces mêmes Espagnols dont ils proscrivaient les ageas. 
Les divisions éclatèrent aux états de Paris (4 593); May en* 
ne y fit échouer les prétentions de Philippe II, mais non 
pas à son profit. La Ligue, véritablement dissoute dès 
ce moment, perdit son prétexte par l'abjuration, et sur- 
tout par l'absolution d'Henri IV (4 593-95), son prin- 
cipal point d'appui par Ventrée du roi dans la capi- 



<55 

taie (1 594). Il pardonna à tout le monde, et fit, le soir 
même du jour de son entrée, la partie de madame de 
Montpensier. Dès lors la Ligue ne fat plus que ridicule, 
et la satire Ménippée lui porta le coup de grâce. Henri 
racheta son royaume pièce à pièce des mains des grands 
qui se le partageaient. 

En -1595 , la guerre civile fit place à la guerre étran- 
gère. Le roi tourna coatre les Espagnols l'ardeur mili- 
taire de la nation. Dans la mémorable année 1 598, Phi* 
lippe II fléchit enfin; tous ses projets avaient échoué, 
ses trésors étaient épuisés, sa marine presque ruinée. 
Il renonça à ses prétentions sur la France (2 niai), et 
transféra les Pays-Bas à sa fille (6 mai). Elisabeth et les 
Provinces -Unies s'alarmèrent de la paix de Vervins et 
resserrèrent leur alliance; Henri IV avait mieux vu 
que rien n'était plus à craindre de Philippe II (qui 
mourut le 43 septembre). Le roi de France termina 
les troubles intérieurs en même temps que la guerre 
étrangère, en accordant la tolérance religieuse et des 
garanties politiques aux Protesta ns (Edit de Nantes, 
?vril). 

La situation des puissances belligérantes après ces 
longues guerres présente un contraste frappant. C'est 
le maître des deux Indes qui est ruiné. L'épuisement de 
l'Espagne ne fait que s'accroître sous le règne du car- 
dinal de Lerma et du comte duc d'OÏivarès, favoris de 
Philippe III et de Philippe IV. L'Espagne ne produi- 
sant plus de quoi acheter les métaux de l'Amérique, ils 
cessent de l'enrichir. De tout ce qu'on importe en Amé- 
rique, un vingtième ap plus est manufacturé en Espa- 
gne. A Séville, les seize cents métiers qui travaillaient 
la laine et la soie en 1536, sont réduits à quatre cents 
vers 1621., Dans une même année (1609) l'Espagne 
chasse un million de sujets industrieux (les Maures de 
Valence), et se voit forcée d'accorder uçe trêve de 
<louze ans aux Provinces-Unies. 



156 

Au contraire, la France, l'Angleterre et les Prp~ 
vinces-Unies prennent un accroissement rapide de po- 
pulation, de richesse et de grandeur. 

Dès 1595, Philippe II en fermant aux Hollandais Iç 
port de Lisbonne, les avait forcés de chercher aux Indes 
les denrées de FOrient, et d'y fonder un empire sur les 
ruines de celui des Portugais. La république fat trou- 
blée au dedans par les querelles du stathouder et du 
syndic (Maurice d'Orange et Barnevelt), par la lutte 
du pouvoir militaire et de la liberté civile, du parti dç 
la guerre et de celui de la paix (Gomaristes et Armi- 
niens); mais le besoin de la défense nationale assura la 
victoire au premier de ces deux partis. Il en coûta la 
•vie au vénérable Baçneyelt, décapité à soixante-dix an$ 
(4649). 

A l'expiration de la trêve de douze ans, ce ne fat 
plus une guerre civile, mais une guerre régulière, une 
guerre savante, une école pour tous les militaires de 
l'Europe. L'habileté du général des Espagnols, le célè- 
bre Spinola, fut balancée par celle du prince Frédéric 
Henri, frère et successeur de Maurice (0. 

Cependant la > France était sortie de ses ruines sous, 
Henri IV. Malgré les faiblesses de ce grand roi, mal- 
gré le$ fautes même qu'un examen attentif peut faire 
découvrir dans sonr régne, il n'en mérita pas moins le 
titre auquel il aspirait, celui de restaurateur de, la 
France M. « Il mit tous ses soins, à policer, à faire fleu- 



(>) 1625), prise de. Breda par les Espagnols. 1£28, prise de Bois-le-Duc 
par les Hollandais. Bataille de Berg-op-Zoom. 1632, prise de Maastricht. 
1635, alliance des Provinces-Unies avec la France pour lé partage des 
Pays«Bas espagnols. (Voy. le chap. xn.) 

(*) « Si je voulois acquérir le titre d'orateur, disait-il dans rassemblée 
» des notables de Rouen , j'auroîs appris quelque belle harangue , et la 
» prononcerais avec assez de gravité ; mais, Messieurs, , mon désir tend à 
» des titres bien plus glorieux, qui sont de m'appeler libérateur et res- 
» taurateur de cet état : pour à quoi parvenir je vous ai assemblés. Vou# 
» sçavez à vos dépens, comme moi aux miens, que lorsque Dieu m'a ap r . 



v • i 57 

« 

rir ce royaume qu'il avait conquis : les troupes inutiles 
sont licenciées; Tordre dans les finances succède au plus 
odieux brigandage y 1 paie peu à peu toutes les dettes 
de la couronne sans fouler les peuples. Les paysans ré- 
pètent encore aujourd'hui qu'il voulait qu7Z$ eussent 
une poule au pot tous les dimanches; expressions tri- 
viales, mais sentiment paternel. Ce fut une chose bien 
adâajrablç quç, malgré l'épuisement et le brigandage, 
il eut en moins de quinze ans diminué le fardeau des 
tailles de quatre millions de son temps, que tous les au- 
tres droits fussent réduits à la moitié; qu'il eût payé 
cent millions de dettes. Il racheta pour plus de cin- 
quante millions de domaines; toutes les places furent 
réparées, les magasins, les arsenaux; remplis, les grands 
chemin^ entretenus : c'est la gloire éternelle de Sully 
et celle du roi, qui osa choisir un homme de guerre 
pour rétablir les finances de l'Etat, et qui travailla avec 
son ministre. » 

<c La justice est réformée, et, ce qui était beaucoup 
plus difficile, les deux religions vivent en paix, au 
moins en apparence. L'agriculture est encouragée; le 
labourage et le pâturage (disait Sully), voilà les deux 
mamelles dont la France est alimentée* les vraies mi- 



v pelé à cette couronne , j'ai trouvé la France, non-seulement quasi mi- 
» née, mais presque perdue pour les François. Par grâc e divine , par les 
» prières, par les bons conseils de mes serviteurs qui ne font profession 
» des armes; par Pépée de ma brave et généreuse noblesse (de laquelle 
» je ne distingue pas mes princes pour, être notre plus beau titre, foy de 
» gentilhomme); par mes peines et labeurs, je Fai sauvée de pertes. Sauvons- 
» la à cette heure de ruine : participez, mes sujets, à cette seconde gloire 
» avec moi , comme vous avez fait à la première. Je ne vous ai point ap- 
» pelez, comme fes oient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver 
m mes volontez : je tous ai fait assembler pour recevoir vos conseils, 
* pour les croire , pour les suivre ; bref, pour me mettre en tutelle entre 
i» vos moins 5 envie qui ne prend guères aux rois, aux barbes grises et aux 
» victorieux. Mais lé violent amour que j'apporte à mes sujets ,. l'extrême 
9 désir que j'ai d'ajouter deux beaux titres à celui de roi, me fait trou- 
» ver tout aisé et honorable. Mon chancelier vous fera entendre plus am- 
» plemcnt ma volonté. » 



458 

nés et trésors du Pérou. Le commerce et les arts, moins, 
protégés par Sully, furent cependant en honneur ; les 
étoffes d*or et d'argent enrichissent Lyon et la France. 
Henri établit des manufactures de tapisseries de haute 
lice en laine et en soie rehaussée d'or : on commence 
à faire de petites glaces dans le goût de Venise. Cest à 
lui seul qu'on doit les vers à soie, les plantations de 
mûriers, malgré les oppositions de SuHy. Henri fait 
creuser le canal de Briare, par lequel on a joint la 
Seine et la Loire. Paris est agrandi et embelli : il 
forme la Place-Royale; il restaure tous les pynts. Le 
faubourg Saint-Germain ne tenait point à la ville, il 
n'était point pavé, le roi se charge de. tout. Il- fait con- 
struire ce beau pont où les peuples regardent aujour- 
d'hui sa statue avec tendresse. Saint-Germain, Mou- 
ceaux , Fontainebleau , et surtout le Louvre , sont 
augmentés et presque entièrement bâtis. Il donne des 
logemens dans le Louvre, sous cette longue galerie qui 
est son ouvrage, à des artistes en tout genre, qu'il en- 
courageait souvent de ses regards comme par des récom- 
penses. Il est enfin le vrai fondateur de la Bibliothèque 
royale. Quand don Fèdre de Tolède fut envoyé par 
Philippe III §p ambassade auprès de Henri, il ne re- 
connut plus cette ville qu'il avait vue autrefois si mal- 
heureuse et si languissante : C'est qu alors le père de 
la famille n'y. était pus, lui dit Henri, et aujourd'hui 
qu'il a soin de ses enfans, ils prospèrent. » (Voltaire.) 
La France était devenue l'arbitre de l'Europe. 
Grâce à sa médiation puissante, le pape et , Venue 
avaient été réconciliés (i 607); l'Espagne et les Pro- 
vinces-UnieS' avaient enfin interrompu leur longue lutte 
(1609-1621). Henri IV allait abaisser la maison d'Au- 
triche, et, ,£1 nous en croyons son ministre, il voulait 
substituer un état légal à Tétât de nature qui existe 
encore entre les membres dp la grande famille euro- 
péenne. Tout était prêt> une nombreuse armée, des 
approvisionneurs de tout genre, la plus formidable 



459 

artillerie du monde, et quarante-deux millions dans les 
caves de la Bastille. Un coup de poignard sauva l'Au- 
triche. Le peuple soupçonna l'Empereur, le roi d'Es- 
pagne, la reine de France, le duc d'Epernon, les jé- 
suite* : tous profitèrent du crime, mais il suffit, pour 
^expliquer, du fanatisme 'qui poursuivit pendant tout 
son règne' un prince que l'on soupçonnait d'être tou- 
jours protestant dans le cœur, et de vouloir faire 
triompher sa religion dans l'Europe. Le coup avait été 
tenté dix-sept fois avant Bavaillac. 

<c Le vendredi \A> du mois de may 4610, jour triste 
et fatal pour la France, le roy, sur les dix heures du ma- 
tin, fut entendre la messe aux Feuillans : au retour, il 
se retira dans son cabinet, où le duc de Vendôme, son 
fils naturel , qu'il ai m oit fort, vint lui dire qu'un nommé 
JLa Brosse, qui faisoit profession d'Astrologie, lui avoit 
dit que la constellation sous laquelle Sa Majesté étoit 
née le menaçoit d'un grand danger ce jour-là : ainsi, 
qu'il l'avertit de se bien garder. A quoi le roy répondit 
en riant à M. de Vendôme : « La Brosse est un vieil 
» matois qui a envie d'avoir de votre argent, et Vous 
» un jeune fol de le croire. Nos jours sont comptez 
» devant Dieu. » Et sur ce le duc de Vendôme fut 
avertir la reine, qui pria le roy de ne pas sortir du 
Louvre le reste du jour. À quoi il fit la même réponse. 

» Après dîné , le roy s'est mis sur son lit pour dor- 
mir; mais ne pouvant recevoir de sommeil, il s'est levé 
triste, inquiet et rêveur, et a promené dans sa cham- 
bre quelque temps, et s'est jeté de rechef sur ïe lit. 
Mais ne pouvant dormir encore, il s'est levé, et a de- 
mandé à l'exempt des gardes quelle heure il étoit. 
L'exempt des gardes lui a répondu qu'il étoit quatre 
heures, et a dit : « Sire, je vois votre Majesté triste et 
» toute pensive; il vaudroit mieux.prendre un peu l'air:; 
» cela la r^uiroit — C'est bien dit. Hé bien, faites 
H apprêter mon carrosse : j'irai à l'Arsenal voir le duc 



i60 

» de Sully, qui est indisposé, et qui se haigne aujour- 

» d'hui. » ' - " 

» Le carrosse étant prêt, il est sorti du Louvçe, ac- 
compagné du duc de M ontbazon , du duc d'Espernon , 
du maréchal de Lavardin, Roquelaure, La Force, Mi- 
rebeau et Liancourt, premier écuyer. En même teins 
il chargea le sieur de Vitry, capitaine de ses gardes, 
d'aller au palais faire diligenter les apprêts qui s'y fiù- 
soient pour l'entrée de la reine, et fit demeurer ses 
gardes au Louvre. De façon que le roy ne fut suivi que 
d'un petit nombre de gentilshommes à cheval, et quel- 
ques valets de pied» Le carrosse étoft malheureusement 
ouvert de chaque portière, parce qu'il faisoit beau 
tems, et que le roy vouloit voir eu passant les prépa- 
ratifs qu'on faisoit dans la ville. Son carrosse entrant de 
la rue Saint- Honoré dans celle de la Ferronnerie, 
trouva d'un côté un chariot chargé de vin, et de l'autre 
coté un autre chargé de foin : lesquels faisant embar- 
ras, il fut contraint de s'arrêter, à cause que la rue est 
fort étroite, par les boutiques qui sont bâties contre la 
muraille du cimetière dfe Saint-Innocent. 

» Dans cet embarras , une grande partie des valets 
de pied passa dans le cimetière pour courir plus à 
l'aise, et devancer le carrosse du roy au bout de ladite 
rue. Des deux seuls valets de pied qui avoient suivi le 
carrosse, l'un s'avança pour détourner cet embarras, et 
l'autre s'abbaissa pour renouer sa jaretière, lorsqu'un, 
scélérat sorti des enfers, appelle François Ravaillac, 
nalif d'Angoulême, qui avoit eu le temps, pendant cet 
embarras, de remarquer le côté où était le roy, monte 
sur la roue dudit carrosse, et d'un couteau tranchant 
de deux cotez , lui porte un coup entre la. seconde et 
la troisième côte, un peu au-dessus du cœur, qui a 
fait que le roy s'est écrié : « Je suis blessé ! » Mais le 
scélérat sans s'effrayer a redoublé, et l'a frappé d'un, 
second coup dans le cœur, dont le roy est mort, sans. 



i6i 

avoir pu jeter qu'un grand soupir. Ce second a été suivi 
d'un troisième, tant le parricide étoit animé contre 
son roy, niais qui n'a porté que dans la manche du duc 
de Montbazon. 

» Chose surprenante ! nul des seigneurs qui étoient 
dans le carrosse n'a vu frapper le roy ; et si ce monstre 
d'enfer eût jeté son couteau , on n'eût sçu à qui s'en 
prendre. Mais il s'est tenu là comme pour se faire voir, 
et pour, se glorifier du plus grand des assassinats («). » 

(0 L'Etoile , xivm , pag. 447-450. 



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162 



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CHAPITRE XI. 



Kérohrtion tfAntfetnre, 1603-164» ('). 



Lorsque Jacques 1 er succéda à Elisabeth/ le lotig 
règne de cette princesse avait fatigué l'enthousiasme et 
l'obéissance de la nation. Le caractère rJu nouveau 
prince ne pouvait diminuer cette disposition. L'Angle- 
terre vit de mauvais œil un roi écossais , entouré d'E- 
cossais, appartenant par sa mère à la maison de Guise; 
du reste plus versé dans la théologie que dans la poli- 
tique M, et pâlissant devant une épée. Tout déplaisait 
en lui aux Anglais, et ses imprudentes proclamations en 
faveur du droit divin des rois, et son projet d'unir l'An- 
gleterre et l'Ecosse, et sa tolérance envers les catholi- 
ques qui conspiraient contre lui (cohspiration des pou- 
dres, 1605). D'un autre côté, l'Ecosse ne voyait pas 
avec plus de plaisir ses tentatives pour la soumettre au 
• culte anglican. Jacques, livré à des favoris, se mettait 
par sa prodigalité dans la dépendance du Parlement, 
en même temps qu'il l'irritait par le contraste de ses 
prétentions et de sa faiblesse. 

La gloire d'Elisabeth avait été d'élever la nation à 
ses propres yeux - r le malheur des Stuarts fut de l'hu- 
milier. Jacques abandoùna le rôle d'adversaire de l'Es- 
pagne et de chef des protesta ns en Europe. Il ne dé- 

• 

(0 Si ce chapitre présentait quelque intérêt., il le devrait aux ouvrages 
de MM. Guicot et Villemain, que nous avons extraits et souvent copiés* 
Nous avons puisé aussi de précieux repseignëmens dans celui de M. Ma- 
znre, quoique le sujet.de son ouvrage soit généralement étranger à celui 
de ce chapitre {H Ut. de la Révol. de 1688.) 

(*) Henri IV l'appelait Maître Jacques. 






fc.. 



163 

clara la guerre à l'Espagne qu'en 1625, et malgré lui. 
Il fit épouser à son fils une princesse catholique (Hen- 
riette de France). 

A. V avènement de Charles I er (1625), le roi et le peu* 
pie ne savaient pas eux-mêmes à quel point ils étaient 
déjà étrangers Tua à l'autre. Tandis que le pouvoir 
monarchique triomphait sur le continent, les commu- 
nes anglaises avaient acquis une importance inconcilia- 
ble avec l'ancien gouvernement. L'abaissement de l'a- 
ristocratie sous les Tùdors, la division des propriétés, 
la vente des biens ecclésiastiques, les avaient enrichies 
et enhardies par le sentiment de leur force. Elles cher- 
chaient des garanties politiques. Les institutions qui 
pouvaient les leur donner, existaient déjà j elles avaient 
été respectées par les. Tudors, qui s'en faisaient un in- 
strument Mais il fallait un mobile aussi puissant que 
Tintérêt religieux pour rendre la vie aux institutions* 
La réforme presbytérienne, ennemie de la réformé an- 
glicane, trouvait le tr$ue entre elle et i'épiscopat. Le 
trône fut attaqué. 

Le premier parlement chercha à obtenir par le re- 
tard des subsides le redressement des griefs publics 
(1625). Le second en accusa l'auteur dans la personne 
du duc de Buckingham, favori du roi (1626). Pendant 
la durée de ces deux assemblées, les guerres malheu- 
reuses d'Espagne et de France ôtèrent au gouverne- 
ment ce qui lui restait de popularité. La seconde avait 
pourtant été entreprise pour secourir les protestans et 
délivrer La Rochelle (échec de Buckingham dans l'île 
de Rtié, 1627). Le troisième parlement, ajournant toute 
contestation particulière, demanda dans la pétition des 
droits une sanction explicite de ces libertés publiques, 
qui devaient être reconnues soixante ans après dans la 
déclaration des droits. Charles, voyait toutes ses de- 
mandes rejetées, fit la paix avec la France et avec l'Es- 
pagne, et essaya de gouverner sans convoquer de par- 
lement (1630-1638). 



164 

11 ne voyait plus de résistance. Son seul embar- 
ras était d'accorder les deux partis qui se dispu- 
taient le despotisme , la reine'et les ministres, la cour 
et le conseil. Le comte de Strafford et l'archevêque 
Laud, qui auraient voulu gouverner au moins dans 
l'intérêt général du roi , furent jetés dans une foule de 
mesures violentes et vexatoires. On vendit le monopole 
delà plupart des denrées; les impôts illégaux furent 
soutenus par des juges serviles et des tribunaux d'ex- 
ception ; des amendes inouïes devinrent le châtimen^de 
la plupart des délits. Le gouvernement, mal appuyé par 
la haute aristocratie, recourut au clergé anglican qui 
envahit peu à peu le pouvoir civil. Les non conformistes 
furent persécutés (0. Une foule d'homqies qui ne pou- 



(0 « ..... Ils furent condamnés au pilori, à perdre les oreilles > à 
5,000 livres sterling d'amende, et à tin emprisonnement perpétuel. Le 
jour de l'exécution , une foule immense se pressait sur la place; le bour- 
. reau voulut récarter: « Ne les repoussez pas, dit Burton, il faut qu'ils 
» apprennent à souffrir ; » et le bourreau troublé nHnsista point. Un jeune 
homme pâlit en le regardant : « Mon fils, lui dit Burton , pourquoi es-tu 
» pâle? mon cœur n'est point faible , et ci j 'a vois besoin de plus de force, 
» Dieu ne m'en laisseroit pas manquer ». De moment en moment la 
foule se .serrait de plus près autour des condamnés; quelqu'un donna à 
Bastwick un bouquet; une abeille vint s'y poser : « Voyez , dit-il , cette 
» pauvre abeille; sur le pilori même elle vient sucer le miel des fleurs; 
» et moi donc, pourquoi n'y t>ourrois-je pas goûter le miel de Jésus- 
» Christ. » — « Chrétiens , dit JPynne , si nous oyions fait cas de notre 
» propre liberté, nous ne «serions pas ici; c'est pour votre liberté à tous que 
» nous avons compromis la noire : gardez-la bien , je vous en conjure , 
» tenez ferme , soyez fidèles à la cause de Djeu et du pays ; autrement 
» vous tomberez, vous et vos enfans, dans uoe éternelle servitude : » et 
la place retentit de solennelles acclamations. 

» Quelques mois après, les mêmes scènes se renouvelèrent autour de 
Féchafaud où, pour la même cause, Lilburne subit un traitement aussi 
cruel. L'exaltation du condamné et du peuple parut même plus ardente. 
Lié derrière une charrette, et fouetté par le bourreau à. travers les rues 
de "Westminster, Lilburne ne cessa d'exhorter la multitude qui se préci- 
pitait sûr ses pas. Attaché au pilori, il continua de parier; on lui enjoi- 
gnit de se taire , mais en vain; on le bâillonna. Tirant alors des pamphlets 
de ses poches, il en jeta au peuple qui s'en saisit avidement; on lui gar- 
rota les mains. Immobile et silencieux, la foule qui l'avait écouté de- 
meura pour le regarder. Quelques-uns de se» juges étaient à une fenêtre, 



165 

/ 

vaicnt plus supporter un gouvernement si odieux pas- 
sèrent en Amérique. Au moment où un ordre du con- 
seil interdit les émigrations, huit vaisseaux prêts à par- 
tir étaient à l'ancre dans la Tamise : sur l'un étaient 
déjà montés Pym, Hampdén et CromwelL 

L'indignation publique éclata à l'occasion dû pro- 
cès de Hampden : ce gentilhomme aima mieux se lais- 
ser mettre en prison que de payer une taxe -illégale de 
vingt schillings. Un mois après sa condamnation, l'é- 
véque d'Edimbourg ayant essayé d'introduire la non- 
velle liturgie d'Angleterre, un tumulte affreux éclata * 
•dans la cathédrale, Févêque fut insulté, les magistrats 
poursuivis. Les ÉcosSar? jurèrent un covenant par le* 
quel ils s'engageaient à défendre confre tout péril, le 
souverain , la religion , les lois et les libertés du pays. 
Des messagers qui §e relevaient de village en vilkige, le 
portèrent dans les lieux les plus reculés du pays, comme 
la croix de feu était portée dans les montagnes pour 
appeler à la guerre les vassaux du même seigneur. Les 
<:ovenantaires reçurent des firmes et de l'argent du car- 
dinal de Richelieu ; et l'armée anglaise ayant refusé de 
comhattre contre ses frères, le roi fut obligé de se met- 
tre à la discrétion d'un cinquième parlement {long par- 
lemefit, 1640). 

La nouvelle assemblée, chargée de tant de vengean- 
ces, poursuivit avec acharnement tous ceux qu'on ap* 
lait les déltnquansï Strafford surtout, qui avait irrité la 
nation, moins par des crimes réels que par la violence 
d'un caractère impérieux. Il sollicita lui-même le roi 
de signer le bill de sa condamnation, et Charles eut la 
déplorable faiblesse d'y consentir. Le Parlement prit 
possession du gouvernement, dirigea l'emploi des sub- 
sides, réforma les jugemens des tribunaux, et désarma 
l'autorité royale en proclamant sa propre indissolubilité. 
L'épouvantable massacre desProtestansd'Irlandedotïna 

m 

comme curieux de voir jusqu'où irait sa persévérance ; elle lassa leur cu- 
riosité. » M. Guizot, R4v. tfAngl 1. 1". 

12 



. 



166 

au Parlement l'occasion de s'emparer du pouvoir mili- 
taire ; les catholiques irlandais s'étaient partout soulevés 
contre les Anglais établis parmi eux, et avaient fait 
partout main basse sur leurs tyrans, invoquant le nom 
^e la reine, et déployant une fausse commission du roi. 
Charles poussé à bout par une menaçante remontrance, 
se rendit lui-même à la Chambre pour arrêter cinq mem- 
bres des GQmmunes. H échoua dans ce coup d'état, et 
sortit, de Londres pour commencer la guerre civile 
(11 janvier 1643) H 

Le parti du Parlement avait l'avantage de l'enthou- 
siasme et du nombre : il avait la capitale, les grandes 
villes, les ports, la flotte. Le%*cri avait la plus grande 
partie de la noblesse, plus exercée aux armes que les 
troupes parlementaires. Dans les comtés du nord et de 
l'ouest, les royalistes dominaient; les parlementaires 
dans ceux de Test, du centre et du sud-est, les plus peu- 
plés et les plus riches. Ces derniers comtés, contigusles 
uns aux autres, formaient comme une ceinture autour 
de Londres, 

Le roi marcha bientôt sur la capitale; mais la ba- 
taille indécise de Edge-Hill sauva les parlementaires. 
Us eurent le temps de s'organiser. Le colonel. Crom- 
well forma dans les comtés de l'est des escadrons de 
volontaires, qui opposèrent l'enthousiasme religieux 
aux sentimens d'honneur qui animaieht les cavaliers. 
Le Parlement vainquit encore à Newbury, et s'unit avec 
l'Ecosse par un covenant solennel (164-3). Les intelli- 
gences du roi avec les montagnards, du nord et avec les 
catholiques irlandais, accélérèrent cette union inatten- 
due de deux peuples jusque là ennemis.. On assurait 
qu'un grand nombre de papistes irlandais étaient mê- 
lés aux troupes rappelées de leur tle par le roi, que des 

(*) La reine sollicitait un asile en France. Faut répondre à la reine 
d'Angleterre, écrivit le cardinal de Richelieu au résident de France, 
qu'en pareille occasion, qui quille sa place la perd. (M. Mazure, Pièces 
justificatives.) 



*67 

femmes même armées de long couteaux, et sous un ac- 
coutrement sauvage, avaient été vues dans leurs rangs. 
Le Parlement ne voulut point recevoir les lettres de 
celui que le roi avait convoqué à Oxford , et poussa la 
guerre avec une nouvelle vigueur. L'enthousiasme avait 
porté quelques familles à se priver d'un repas par se- 
maine pour en offrir au Parlement la valeur; une or- 
donnance convertit cette offre en une /axe obligatoire 
pour tous les habitans de Londres et les environs. Le 
neveu du roi, le prince Robert, fat défait , à Marston- 
Moor, après une lutte acharnée , par l'invincible obsti- 
nation des saints de l'armée parlementaire, des cava- 
liers de Cromwell, qui reçurent sur le champ de bataille 
le surnom de câtes de fer ; ils auraient pu envoyer au 
Parlement plus de cent drapeaux ennemis, si dans leur 
enthousiasme ils ne les avaient mis en pièces pour en or- 
ner leurs bonnets et leurs bras. Le roi perdit York et 
tout le nord. La reine se sauva en France {\ 644). 
- Ce désastre sembla un instant réparé. Le roi avait fait 
capituler dans Je comté de Cornouailles le cftated'Essex, 
général du Parlement. Les bandes irlandais^ avaient 
débarqué en Ecosse, et Montrose; l'un des {Mtos vaillans 
cavaliers* ayant paru tout-à-coup dans leur camp en 
costume de montagnard, avait gagné deux batailles, sou- 
levé les clans du nord, et semé l'effroi jusqu'aux portes 
d'Edimbourg. Déjà le roi marchait sur Londres; le peu- 
ple fermait les boutiques, priait et jeûnait, lorsqu'on 
apprit qu'il avait été défait à Newbury (pour la seconde 
fois ). Les parlementaires avaient fait des prodiges : à la 
vue des canons qu'ils avaient perdus naguère dans le 
comté de Cornouailles, ils se précipitèrent sur les bat- 
teries royales, ressaisirent leurs pièces, et les ramenè- 
rent en les embrassant avec transport. 

Alors la mésintelligence éclata entre les vainqueurs. 
Le pouvoir échappa aux presbytériens pour passer aux 
indépendans. Ce dernier parti était un mélange d'en- 
thousiastes, de philosophes et de libertins; mais il 

12. 



16» 

m 

tirait son unité d'un principe , le droit à la liberté 
de croyance. Malgré leurs crimes et leurs rêveries, ce 
principe devait, leur donner la victoire sur des adver- 
saires moins énergiques et moins conséquens. Pendant 
que Jçs presbytériens croient préparer la paix par de 
vaines négociations avec le roi, les indépendans s'em- 
parent de la guerre. Cromwell déclare que les puissans 
la prolongent à .dessein, et la chambre, entraînée par 
le désintéressement, ou par la crainte de perdre sa po- 
pularité, décide que chacun renoncera à soi-même, 
et que les membres du Parlement n'exerceront plus au- 
cune charge civile ni militaire. 

Cromwell trouva le moyen, par de nouveaux succès, 
de se faire exempter de la règle commune , et Itos in- 
dépendans défirent l'armée royale à Naseby, près de 
Northampton. Les papiers du roi trouvés après la vic- 
toire, et lus publiquement à Londres, prouvèrent que, 
malgré ses protestations mille fois répétées, il appelait 
les étrangers et particulièrement les Irlandais catholi- 
ques. En même temps Montrose, abandonné par les mon- 
tagnards qui allaient enfouir chez eux leur butin, avait 
été surpris et défait. Le prince Robert, jusque là connu 
pour son courage impétueux , avait rendu Bristol à la 
première sommation. Le roi erra long-temps de ville 
. en ville, de château en château, changeant sans cesse 
de déguisement : H s'arrêta sur les hauteurs de Har- 
row, hésitant s'il ne rentrerait pas dans sa capitale 
qu'il apercevait de loin. Enfin, il se retira par lassi- 
tude, plutôt que par choix, dans le camp des Ecossais, 
où le résident de France lui faisait espérer un asile, 
et où il s'aperçut bientôt qu'il était prisonnier. Ses hôtes 
ne lui épargnèrent pas les outrages* Un ministre écos- 
sais, prêchant devant lui à Newcastle, désigna aux 
ehants de l'assemblée le psaume lî, qui commence par 
ces mots : « Tyran , pourquoi te gîortfiestu dans ta 
>i malice et te vantes~tu de tes iniquités? » Le roi, se 
levant tout- à- coup, entonna, au lieu de ce verset, le 



m . 

psaume lvi t « Aie pitié 4e moi, mon Dieu, car mes 
» ennemis m ont foulé aux pieds tout le jour, et il y en 
» a beaucoup qui me fout la guerre 5 » et d'un commun 
élan f toute l'assistance se joignit à lui. Cependant les 
Ecossais, désespérant de lui faire accepter le covenant, 
le livrèrent aux Anglais qui offraient de leur payer les 
frais de la guerre. 

Le malheureux prince ne fut plus qu'un instrument 
que se disputèrent les indépendans et les presbytériens 
jusqu'à ce qu'ils le brisassent. La mésintelligence était 
au comble entre l'armée et la Chambre. On enleva lé 
roi du lieu où le gardaient les commissaires du Parle- 
ment, et, sans prendre Tordre du général en che£1?air- 
fex, Cromwell le fit amener à l'armée (*). 

Cependant une réaction avait lieu en faveur du roi. 
Des bandes dé bourgeois et d'apprentis, d'officiers ré* 
formés , de mariniers, forcèrent les portes de West- 
minster, et contraignirent la Chambre à voter le retour 
du roi. Mais soixante membres se réfugièrent à l'armée, 
qui marcha sur Londres. Son. entrée dans la capitale 
fut le triomphe des indépendans. Cromwell voyant les 
presbytériens éclipsés, ayant peur de son propre parti , 
hésita un instant s'il ne travaillerait point au rétablis- 
sement du roi. Mais voyant bien qu'il n'y avait pas 

- ' • « ■ 

C 1 ) Cromwell, solennellement accusé dans la Chambre des communes, 
tomba à genoux, Fondant en larmes, avec une véhémence de paroles, de 
sanglots et de gestes qui saisit d'émotion ou de surprise tous les assjstani : 
il se répandit en pieuses invocations , en ferventes prières , appelant sur 
sa tête, si quelque homme dans tout le royaume était plus que lui 'fidèle 
à la Chambre, toutes les condamnations du Seigneur. Puis, se relevant, 
il parla plus de deux heures du Parlement, du roi , de l'armée , de ses 
ennemis , de ses amis , de lui-même , abordant et mêlant toutes choses , 
humble et audacieux, verbeux et passionné, répétant surtout à la Cham- 
bre qu'on J'inquiétai* à tort, qu'on* la compromettait sans motif, que, 
sauf quelques hommes dont les regards se tournaient vejs la terre d'E- 
gypte, officiers et soldats, tous lui étaient dévoués et faciles à retenir sous 
sa loi. Tel fat enfin son succès que, lorsqu'il se rassit, l'ascendant avait 
passé à ses amis, et que « s'ils l'eussent voulu, disait trente' ans après 
Grimstone lui-même, la Chambre nous eût envoyés à la Tour, mes 
officiers et moi, comme calomniateurs. » (Guizot.) 



moyen de se fier h lui, il commença à viser plus haut (<>, 
et songea à soustraire le roi à l'armée, comme.il l'a- 
vait enlevé au Parlement. Charles, épouvante* par des 
avis menaçans, s'échappa, et passa dans l'île de Wight, 
où il se trouva à la disposition de Cromwell. 

La ruine du roi fut le sceau de sa réconciliation avec 
les républicains. Il avait été forcé de réprimer dans 
l'armée la faction anarchique des niùeleurs; il avait 
saisi un d'entre eux au milieu d'un régiment, et l'avait 
fait sur-le-champ condamner et exécuter en présence 
de l'armée ; mais il n'avait garde de se brouiller pour 
toujours avec un parti si énergique. 

IHes regagna en battant les Ecossais, dont l'armée 
venait seconder la réaction en faveur du roi.- Le par- 
lement d'Angleterre, effrayé d'une victoire si promp- 
te, qui devait tourner au profit des indépendans, se 
hâta de négocier de nouveau avec le roi. Pendant que 
Charles dispute avec les députés du Parlement et re- 
pousse avec loyauté les moyens d'évasion que ses ser- 
viteurs lui préparent, l'armée le fait enlever de l'île 

(') Cromwell provoqua nue tonféreace entre quelques neneiira politi- 
ques, la plupart officiers généraux comme lui, et les républicains : il fallait 
bien, dit-il, qu'ils cherchassent de concert quel gouvernement convenait 
le mieui à l'Angleterre,' puisque maintenant c'était à eux de le régler; 
mais au fond , il voulait surtout savoir lesquels , parmi eux , seraient in 
trai table*, et ce qu'il en devait attendre ou redouter. Ludlow, Vane, Hut- 
chûuon, Sidoej, Haslerig se déclarèrent hautement, repoussant toute 
idée de monarchie, comme condamnée par la Bible, la raison et l'expé- 
rience. Les généraux furent pi as réservés; à leuf»™, la république était 
désirable, mais d'un succès douteux; il valait mieux se se point engager, 
consulter l'état des affaire» , le besoin des tempe, obéir chaque jour au» 
directions de la Providence. Les républicains insistèrent pour qu'on s'ex- 
pliquât sons détour : \a discussion s'échauffait; Ludlow entre autres pres- 
sait vivement Cromwell de se prononcer, car ils voulaient, dit-il, connat- 
îra leur* amis ; Cromwell éludait, ricanait; et poussé de plus en plus, se li- 
in d'embarras par une bouffonnerie, il gagna la porte de la cham.- 
irlit brusquement en jetant à la tête de Ludlow un coussin que 
lui renvoya «ur -le- champ avec plus d'humeur. (Guixot, t. n, 
— Ludlow comprît plus tard, en voyant agir Cromwell, que 
iqiie de cette conversation il méditait la tyrannie , et qu'il avait 
a lui uhtrU pou/s, VjlleWMil, t. i, p. 125. 



\7,\ 

de Wight, et purge le Parlement. Le colonel Pride, 
la liste des membres proscrits à la main , occupe la 
porte des Communes à la tête de deux régimens, et re- 
pcoisse outrageusement ceux qui persistent à réclamer 
leur droit. Dès lors le parti des iudépendans fut le. maî- 
tre; l'enthousiasme des fanatiques monta au comble (0. * 
Le roi fut soumis au jugement d'une commission pré-, 
sidée par John Bradshaw, cousin de Milton ( a ). Malgré 
l'opposition de plusieurs membres, et entre autres du 
jeune et vertueux Sidney, malgré la récusatiqn de Char- 
les, qui soutint que les Communes ne pouvaient exer- 
cer une autorité parlementaire sans le concours du roi 
et des lords, malgré l'intervention des commissaires écos- 
sais et des ambassadeurs des états-ge'néraux , le roi fut. 
condamné à mort. Au moment qù le juge prononçait .le 
nom de Charles Stuart, qpiené pour répondre à une ac- 
cusation de trahison et autres grands crimes présentés* 
contre lui au nom du peuple d'Angleterre.... « Pas de la 
moitié du peuple, » s'écria une voix, « Ou est le peu- 
ple? Oh est son consentement? Olivier Cromwell est un* 
traître! » 

L'assemblée entière tressaillit : tous les regards, se 

■ (') HughPeters, chapelain de Fairfax, disait aux généraux, en prê- 
chant devant les débris des deux chambres : « Comme Moïse , vous êtes 
» destinés à tirer le peuple de la servitude de l'Egypte 5 comment, s'ac* 
» complira ce dessein? c'est ce qui ne m'a pas encore été révélé. » 11 mit sa 
tête dans ses mains, se baissa sur un coussin placé devant lui, et se rele- 
vant tout-à-coup : « Voici, voici maintenant la révélation! je vais vous .en 
» faire part: Cette armée extirpera la monarchie, non-seulement ici, mais 
» en France et dans tous les autres royaumes qui nous entourent; c'est par 
» là qu'elle vous tirera d'Egypte.» (Guizot.) 

(») La première fois qu'on parla de Paccusation du roi dans la Chambre 
des communes, Cromwell se leva et dit que si quelqu'un avait fait une 
telle proposition de dessein prémédité, il le regarderait comme un traître • 
mais que, puisque la Providence les avait conduits elle-même jusque là, 
il priairt)ieude bénir leurs conseils. « Dernièrement, dit-il, comme Je me 
9 disposais à présenter une demande pour le rétablissement du roi, j'ai 
» senti ma langue se coller à ma bouche, et j'ai cru voir, dans cette im- 
» pression surnaturelle, une réponse que le Ciel, qui a rejeté le roi, en- 
» voyait à mes prières. » (Guizot.) L'armée laissa au Parlement cette sale 
et hideuse besogne. (Villemain, d'après Whitelocke). 



. ' i 72 • 

tournèrent vers la galerie : « A bas les femmes/ s'écria* 
le colonel ÀxteH : Soldats, feu sur elles!» On reconnut 
lady Fairfax. 

Avant , après la sentence on refusa d'entendre le roi; 
on l'entra! na au milieu des outrages des soldats et des 
cris : Justice I exécution! Quand il fallut signçr Tordre 
du supplice , on eut grand'peine à rassembler les com- 
missaires. Cromwell, presque seul gai , bruyant , hardi, 
se livrait aux plus grossiers accès de sa bouffonnerie 
accoutumée ; après avoir signé le troisièhe, ii barbouilla 
d'encre le visage de Henri Martyn, assis près de lui, et 
qui: le lui rendit à l'instant. Le colonel Ingoldsby, son 
cousin, inscrit au nombre des juges, mais qui n'avait 
' point siégé à la cour, entra par hasard dans la salle: 
« Pour cette fois, s'écria Cromwell, il ne nous échap- 
pera pas, » et s'empararit aussitôt d'Ingoldsby, avec de 
grs(nds éclats de rire, aidé de quelques membres qui se 
trouvaient là, il lui mit la plume entre les doigts, et, 
lui" conduisant la main , le contraignit de signer. On 
recueillit enfin cinquante -neuf signatures, plusieurs 
noms tellement griffonnés, soit. par trouble , soit à des- 
sein, qu'il était presque impossible de les distinguer (*). 

L'échàfaud avait été dressé - contre une fenêtre de 
Whitehall. Le roi, après avoir béni ses enfans, y marcha 
la tête haute, le pas ferme, dépassant les soldats qui le 
conduisaient. Beaucoup de gens trempèrent leurs mou- 
choirs dans son sang, Cromwel voulut voir le corps déjà 
enfermé dans le cercueil, le considéra attentivement, 
et soulevant de. ses mains la tête comme pour s'assurer 
qu'elle était bien séparée du tronc : «C'était là up corps 
» bien constitué, dit-il, et qui promettait une longue 
» vie. » 

La chambre des lords, fut abolie deux jours Après. 
Un grand sceau fut gravé avec cet exergue : L'an ter de 
la liberté restaurée par la bénédiction de Dieu, i 6 AS (*).' 

(»)Guizot.— (■) Vieux style. QstU date rçpo&dau 9 fcyrier 1649. 



*73 



CHAPITRE XII. 



Qmm de Traite ans, 1618-1648. 



La guerre de Trente ans est la dernière lutte soute- 
nue par la Réforme. Cette guerre, indéterminée dans sa 
marche et dans sou objet, se compose de quatre guerres 
distinctes» où l'électeur Palatin, le Danemark, la Suède 
et la France, jouent successivement le principal rôle. 
Elle se complique de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle 
ait embrasé l'Europe entière. — Plusieurs causes la 
prolongent indéfiniment : 4°. l'étroite union des deux 
branches de la maison d'Autriche et du parti catholi- 
que; le parti contraire n'est point homogène; 2° l'in- 
action- de l'Angleterre, l'intervention "tardive de la 
France, la faiblesse matérielle du Danemark et de la 
Suède, etc. 

Les armées qui font, la guerre de trente ans ne sont 
plus des milites féodales ; ce sont des armées perma- 
nentes, mais que leurs souverains ne peuvent entrete- 
nir. (Voyez plus haut les armées de Charles-Quint dans 
les guerres d'Italie.) Elles vivent aux dépens du pays et 
le ruinenjt. Le paysan ruiné se fait soldat et sç. vend au 
premier venu. La guerre, se prolongeant, forme ainsi 
des armées sans patrie, une force militaire immense, 
qui flotte dans l'Allemagne, et encourage les projets 
les plus gigantesques des princes et même des parti- 
culiers. 

L'Allemagne redevient le centre de la poKtiquq eu- 
ropéenne. La première lutte dç là Réforme contre \% 



/ 

I 



/ 



.m 

maison d'Autriche s'y renouvelle, après soixante ans 
d'interruption. Toutes les puissances y prennent part. 
L'Europe semble devoir être bouleversée; cependant 
on n'aperçoit qu'un changement important : la France 
a succédé à la suprématie de la maison d'Autriche; 
mais l'influence de la Réforme n'est plus sensible dé- 
sormais, et le traité de Westphalie commence un nou- 
veau monde. 

Soit crainte des Turcs, soit modération personnelle 
des princes, la branche allemande de la maison d'Au- 
triche suivit, dans la seconde moitié du xvi e siècle, une 
politique tout opposée & celle de Philippe H. La tolé- 
rance de Ferdinand I e r et de Maximilien II favorisa les 
progrès du protestantisme dans l'Autriche, dans la Bo- 
hème et dans la Hongrie *, on soupçonna même Maxi- 
milien d'être protestant dans le cœur (1555-1576). Le 
faible Rodolphe II, qui lui succéda, n'eut ni sa modé- 
ration ni son habileté. Pendant qu'il s'enfermait avec 
Ticho-Brahé pour étudier l'astrologie et l'alchimie, les 
Protestans de Hongrie, de Bohème et d'Autriche , fai- 
saient cause commune. L'archiduc Mathias, frère de 
Rodolphe, les favorisa, et força l'Empereur de lui cé- 
der l'Autriche et la Hongrie (1 607-1 609). 

L'Empire n'était pas moins agité que les états héré- 
ditaires de la maison d'Autriche. Aix-la-Chapelle et Do- 
nawerth, où les Protestans s'étaient rendu* les maîtres*, 
furent mises au ban de l'Empire. L'électeur, archevêque 
de Cologne, qui voulait séculariser ses états, fut «dépos- 
sédé. L'ouverture de la succession de Clèves et Je Ju- 
liers compliqua encore la situation de l'Allemagne. Des 
princes protestans et catholiques, l'électeur de Brande- 
bourg, le duc de Neubourg, le duc de Deux-Ponts, et 
d'autres encore, y prétendaient également. L'Empire se 
partagea en deux lignes. Henri IV, qui favorisait les 
Protestans, allait entrer en Allemagne, et profiter de 
cet état des esprits pour abaisser la maison d'Autriche, 
lorsqu'il fut assassiné <1610). Pour être différée, la 



'Y 



175 

guevre. de Trente ans n'en devait être que plus terrible. 
' Matthias, après avoir forcé Rodolphe de lui céder la 
Bohème, lui succéda dans l'Empire (1 61 2-1 9), mais aussi 
dans tous les embarras de sa position. Les Espagnols et 
les Hollandais envahissent les duchés de Clèves et de 
Juliers. Les Bohémiens, dirigés par le comte de Tburn, 
se soulèvent pour la défense de leur religion. Thurn, 
à la tête d'une partie des états, se rend dans la salle du 
conseil 9 et précipite les quatre gouverneurs dans les 
fossés du château de Prague (1618). Les Bohémiens 
prétendirent que c'était une coutume antique de leur 
pays de jeter par la fenêtre les minisires prévaricateurs. 
Ils levèrent des troupes , et ne voulant point reconnaî- 
tre pour le successeur de Mathias l'élève des jésuites , 
Ferdinand II, ils donnèrent la couronne à Frédéric Y, 
électeur palatin, gendre du roi d'Angleterre et neveu du 
stathouder de Hollande. (Période palatine, 1619-1623.) 
En même temps les Hongrois élurent roi le waywode 
de Transylvanie, Betlem Gabor. Ferdinand, un ins-' 
tant assiégé dans Vienne par les Bohémiens, fut soutenu 
par le duc de Bavière, par la ligue catholique d'Aile* 
magne, par les Espagnols. Frédéric, qui était calvi- 
niste, fat abandonné de Y union luthérienne : Jacques I^ r , 
son beau-père, se contenta de négocier pour lui. Atta- 
qué dans la capitale même de la Bohème, il perdit la 
bataille de Prague par sa négligence ou sa lâcheté. Il 
dînait tranquillement dans le château pendant qu'on 
mourait pour lui dans la plaine (1621). Malgré la valeur 
de Mansfeld et d'autres partisans qui ravageaient l'Al- 
lemagne en son nom, il fut encore chassé du Palatinat; 
l'union protestante fut dissoute et la dignité électorale 
transférée au duc de Bavière. 

(Période danoise, 1625-1629). Les États de la Basse- 
Saxe, menacés d'une restitution prochaine des biens 
ecclésiastiques, appelèrent au secours de l'Allemagne 
les princes du Nord qui leur étaient unis par l'intérêt 
de la religion. Le jeune roi de Suède, Gustave Adolphe, 



i 
\ 






*76 

* 

était alors occupé par une guerre glorieuse contre la Po- 
logne, alliée de l'Autriche. Le roi de Danemark, Chris- 
tian IV, prit leur défense. A. l'approche de cette guerre 
nouvelle, Ferdinand II souhaitait ne pas dépendre de la 
ligue catholique, dont le doc de Bavière était le chef, et 
dont le célèbre Tilly commandait les troupes. Le comte 
de Waldstein (0, officier de l'Empereur, offrit de lui 
former une armée, pourvu qu'il lui fût permis de la 
porter 4 cinquante mille hommes. Il tint parole. Tous 
les aventuriers qui voulaient vivre de pillage accouru- 
rent autour de l»i, et il fit également la loi aux amis 
et aux ennemis de l'Empereur. Christian IV est défait 
à Lutter. Waldstein* soumet la Poméranie, reçoit de 
l'Empereur les États des deux duc* de Mecklenbourg et 
le titre de général de là Baltique* Sans un secours que 
les Suédois jetèrent dans la place, il prenait la puis- 
sante ville de Stialsund (4628). Tout le nord tremblait. 
L'Empereur, pour diviser ses ennemis, accorda au Da- 
nemark une paix humiliante (4629). Il ordonna aux 
Protestans la restitution de tous les biens sécularisés 
depuis 1555. Alors l'armée de Waldstein retomba sur 
l'Allemagne et la foula à plaisir : des états furent frap- 
pés de contributions énormes; la détresse de$ habitaas 
fut portée au comble ; quelques-uns déterraient les ca- 
davres pour assouvir leur faim; on trouvait deç morts 
ayant la bouche encore pleine d'herbes crues. 

Le salut vint de la Suède et de la France. Le cardinal 
de Richelieu dégagea les Suédois en leur ménageant 
une trêve, avec la Pologne. Il désarma l'Empereur en 
lui persuadant qu'il ne pouvait faire élire son fils j roi 
des Romains, s'il ne sacrifiait Waldstein au ressenti- 
ment de l'Allemagne. Et alors Gustave-Adolphe fondit 
dans l'Empire (1 630). Ferdinand s'effraya peu d'abord ; 
il disait que ce roi de neige allait fondre en avançant vers 
le midi. On ne savait pas encore ce que c'était que ces 

(*) Il signait Waldateiu et non point Wallcosteia. 



177 



hommes de fer, cette armée héroïque et pieuse en contt 
paraison des troupes mercenaires de F Allemagne. Peu 
après l'arrivée de Gustave-Adolphe , Torquato Cotiti t 
général de l'Empereur, lui demandant une trêve à cause 
des grands froids, Gustave répondit que les Suédois* ne 
connaissaient point dfhiver. Le génie du conquérant dé- 
concerta la routine allemande par une tactique impé- 
tueuse qui sacrifiait tout à la rapidité des mouvemens, 
qui prodiguait les hommes pour abréger la guêtre. S*e 
rendre maître des places fortes en suitant le cours des 
fleuves y assurer la Suède en fermant la Baltique aux 
Impériaux> leur enlever tous leurs alliés, cerner l'Au- 
triche avant de l'attaquer, tel fut le plan de Gustave. 
S'il eût marché droit à Vienne , il n'apparaissait dans 
f F Allemagne que comme un conquérant étranger; en 
chassant les Impériaux des états du nord et de l'occi- 
dent qu'ils écrasaient, il se présentait' comme le cham- 
pion de l'Empire contre l'Empereur. Tilly, qui lui fut 
d'abord opposé, n'arrêta point le torrent; il ne fit qu'at- 
tirer sur les armes impériales l'eatécration de FEûropë 
par 1# destruction de Magdebotirg. La* Saxe, le Bran- 
debourg, qui auraient voulu rester neutres, sont en- 
traînés dans l'alliance de Gustave par la rapidité de ses 
succès. 11 défait Tilly à la sanglante bataille de Leipsick 
<1631). Tandis que les Saxons se préparent à attaquer 
la Bohème, il bat le duc de Lorraine, pénètre en Alsace, 
1 et soumet les électorals de Trêves, de Mayencé et du 
Rhin, auxquels Richelieu aurait voulu permettre la neu- 
tralité; mais il fallait à Gustave des amis ott des enne- 
mis» Enfin la Bavière est envahie en même temps que la 
Bohème; Tilly meurt en défendant le liech; l'Autriche 
est découverte de tous côtés. '< 

Il fallut bien alors que Ferdinand recourût à cet or- 
gueilleux Waldstein qu'il avait chassé. Ldng- temps il 
vit Comme à ses pieds l'Empereur et les Catholiques : il 
se trouvait, disait-il, trop heureux dans là retraite. On 
ne put vaincre cette modération philosophique qu'en 



*78 s 

lui donnant dans FEihpire un pouvoir à peu près égal à 
celui de l'Empereur. 

A ce prix, il sauva la Bohême et marcha sur Nurem- 
berg pour arrêter les armes de Gustave. Ce fut alors un 
grand étonnement dans l'Europe, lorsque Ton vit pen- 
dant trois mois ces deux hommes invincibles camper 
en face l'un de l'autre sans profiter d'une occasion tant 
attendue. Waldstein se mit enfin en mouvement et fut 
rejoint près de Lutzen par le roi de Suède. Gustave 
attaqua, voulant défendre l'électeur de Saxe. Après 
plusieurs charges, le roi, trompé par le brouillard, se 
jeta devant les rangs ennemis, et tomba frappé de deux 
balles. Le duc de Saxe-Lauenbourg, qui passa ensuite 
aux Impériaux, se trouvait derrière lui au moment 
fatal, et fut accusé de sa mort. L'on envoya k Vienne 
le juste-au-corps de buffle que portait le héros suédois 
(H 632). L'Europe pleura Gustave; mais pourquoi? Peut- 
être mourut-il à temps pour sa gloire. 11 avait sauvé 
l'Allemagne, et n'avait pas eu le temps de l'opprimer. Il 
n'avait point rendu le Palatinat à l'électeur dépouilté; 
il destinait Mayence à son chancelier Oxenstierna ; il 
avait témoigné du goût pour la résidence d' Augsbourg, 
qui serait devenue le siège d'un nouvel empire. 

Pendant que l'habile Oxenstierna continuait la guerre, 
et se faisait déclarer à Heilbron chef de la ligue des cer- 
cles de Franconie, de Souabe et du Rhin, Waldstein 
restait en Bohème dans une formidable inaction. C'était 
pour lui que Gustave semblait avoir travaillé en abat- 
tant par toute l'Allemagne le parti impérial. Il l'avait 
servi et par ses victoires et par sa mort. L'Allemagne, 
avait dit Waldstein, ne peut contenir deux hommes comme 
nous. Depuis la mort de Gustave, il était seul. Enfermé 
dans son palais de Prague, avec un train royal, en- 
touré d'une foule d'aventuriers qui s'étaient donnés à sa 
fortune, il épiait l'occasion. Cet homme terrible qu'on 
voyait peu, qui ne riait jamais, qui ne parlait à ses sol- 
dats que pour faire leur fortune ou pour prononcer 



179 . 

leur mort, était l'attente de l'Europe. Le roi de France 
l'appelait son cousin^ et Richelieu l'engageait,, à se faire 
roi de Bohème. Il était temps que l'Empereur prît une 
décision ; il prit celle de Henri IH pour le duc de Guise. 
Waldstein fut assassiné à Egra, et Ferdinand, se sou- 
venant des services qu'il lui avait autrefois rendus, fit 
dire trois mille messes pour le repos de son âme (1634). 
Cependant l'électeur de Saxe avait fait sa paix avec 
l'Empereur. Les Suédois n'étaient pas assez forts pour 
tenir seuls en Allemagne. Il fallut que la France des- 
cendît à son tour sur le champ de bataille. 

(Période française , 1635-1648.)' — Richelieu, qui la 
gouvernait alors, l'avait trouvée livrée à l'influence es- 
pagnole, troublée par les princes et les grands, par la 
mère du roi, par les Protestons (gouvernement de Ma- 
rie de Médicis, 4610-1617; du favori de Luynes, 1617- 
1621 ). Ce grand ministre avait repris contre ceux-ci le 
système de Henri IV, avec cet avantage qu'aucun en- 
gagement antérieur, aucun motif de reconnaissance ne 
l'obligeait d'avoir pour eux de dangereux métf agemens. 
Il leur* avait pris La Rochelle en jetant dans la .mer 
une digue de 800 toises, comme autrefois Alexandre 
au siège de Tyr ; les avait vaincus, désarmés, et pour- 
tant rassurés par une politique magnanime (1 627-8). 
Puis, il s'était tourné contre les grands, avait chassé de 
Frapce la mère et le frère du roi , et fait tomber sur 
l'échafaud la tête d'un Marillac et d'un Montmorenci 
(1630-32)* Il avait ses prisons à lui dans sa maison de 
Buel ; il y faisait condamner ses ennemis, sauf à se mo- 
quer ensuite des juges. Il ne lui restait qii'à honorer 
ces victoires odieuses sur les ennemis intérieurs pat* des 
conquêtes sur l'étranger (1635). 

D'abord il achète Bernard de Weimar, le meilleur 
élève de Gustave- Adolphe , avec son armée. Il s'allie 
aux Hollandais pour partager les Pays-Bas espagnols, 
tandis qu'à l'autre bout de la France il reprendra le 
Roussillon; l'alliance du duc de Savoie lui assure les 



*80 

passages de fltalie. Entamée du côté des Pays-Bas, la 
France gagna en Italie plus de glaire que d'avantage 
réel. Mais les Hollandais ses alliés détruisirent la ma- 
rine espagnole à la bataille de; Dunes (1639). Bernard 
de Weimar prit les quatre villes forestières, Fribourg 
et Brisach , sôus les murs desquelles il remporta quatre 
victoires. Il oubliait que la France lui avait acheté' 
d'avance ses Conquêtes. Il allait se rendre indépendant, 
lorsqu'il mourut, aussi à propos pour Richelieu que 
Waldstein pour Ferdinand. 

Tout devint favorable aux Français du moment que 
le soulèvement de la Catalogne et du Portugal réduisit 
l'Espagne à une guerre défensive (i 6-40). La maison de 
Bragance monta sur le trône de Portugal aux applau- 
dissemens de l'Europe. Les Français, vainqueurs en Ita- 
lie, prirent aux Pays-Bas Arras et Thionyillè. Le grand 
Condé gagna la bataille de Rocroi cinq jours après l'a- 
vénement de Louis XIV, heureux présage de ce grand 
règne, qui rassura la France après la mort de Richelieu 

et de Louis X1H. 

La guerre avait alors changé de caractère pour la se- 
conde fois. Au fanatisme de Tilly et de son maître Fer- 
dinand II, au génie révolutionnaire des Waldstein et 
des Weimar, avaient succédé d'habiles tacticiens , un 
Piccolomini, un Merci, généraux de l'Empereur, et les 
élèves de Gustave* Adolphe, Banner, Torstenson, Wran- 
gel. La guerre étant uiî métier pour tant de gens, la paix 
devenait de plus en plus difficile. La France, tout occu- 
pée découvrir ses conquêtes de Lorraine et d'Alsace, 
refusait de se joindre aux Suédois pour accabler la mai- 
son d'Autriche. Torstenson crut un instant vaincre sans 
, le secours des Français.' Ce générai paralytique, qui 
étonnait l'Europe par la rapidité de ses manœuvres, 
avait renouvelé à Leipsick la gloire de Gustave-Adol- 
phe (4642) *; il avait frappé dans les Danois les amis 
secrets de l'Empereur; l'alliance du Transylvain lui 
permettait de pénétrer enfin en Autriche (4645). La 






<8i 

défection cha Transylvain et la mort deTorstenson sau- 
vèrent l'Empereur. 

Cependant des négociations étaient ouvertes depuis 
4636 ; l'avènement de Ferdinand III à l'empire semblait 
devoir les favoriser (4 637). Quoique la médiation du 
pape, de Venise, des rois de Danemark, de Pologne et 
d'Angleterre eût été rejetée, les préliminaires de paix fu- 
rent signés en 1 642. La mort de Richelieu releva l'espoir 
de la maison d'Autriche et recula la paix. Il fallut les 
victoires de Condé à Fribourg, à Nordlingen et à Lens 
(1644-45-48), celle de Turenne et des Suédois à Som- 
mershausen ; enfin la prise de la petite Prague par Wran- 
gel (1 648), pour décider l'Empereur à signer le traité de 
Westphalie. La guerre ne continua qu'entre l'Espagne, 
la France* et le Portugal. Principaux articles : i<> La 
' paix d'Augs^ourg (15§5) est confirmée et étendue aux 
Calvinistes. 2° la souveraineté des divers états de FAK 
lemagne, dans l'étendue de leur territoire, est sanc- 
tionnée, ainsi que leurs droits, aux diètes générales de 
l'Empire; ces droits sont garantis, à l'intérieur, par la 
composition de la Chambre impériale et du Conseil an- 
lique, où les Protestans et les Catholiques entrent désor- 
mais, en nombre égal ; à l'extérieur, par là médiation 
de la France et de la Suède. 3° Indemnités adjugées à 
plusieurs états : pour les former, un grand nombre i ûë 
biens ecclésiastiques sont sééularisés ; la i^Vo/ice obtient 
l'Alsace, les Trois-Evêchés; Pbilipsbourg e.t «Signerai,' les 
clefs de l'Allemagne et du Piémont; la Suède, une partie 
de la Poméranie, Brème, Werden, Wismar, etc;, trois 
voix aux diètes de l'Empire et cinq millions dVcusf Yélec-: 
teur de Brandebourg, Magdebourg, Halberstadt, etc. 
La Saxe, le \ Mecklenbourg et Hesse-Cassel sont aussi 
indemnisés. 4° Le fils de Frédéric V recouvre le:.bas 
Palatinat du Rhin (le haut Palatinat demeure à la; Ba- 
vière); une huitième dignité électorale est créée en sa 
faveur.. 5° Les Provinces^Unies sont reconnues indépen- 

13 



482 

. dentés de l'Espagne ; les Provinces-Unies et les Cantons 
suisses, de l'empire germanique. 



CHAPITRE XIII. 



L'Orient et le Nord au xvi* siècle. 



§ I. — Turquie, Hongrie* \ 566-f648. 

Le règne de Soliman le Magnifique avait été V apo- 
gée de la grandeur ottomane. Sous lui, les Turcs ne 
furent pas moins redoutables sur terre que sur mer : ils 
entrèrent dans le système de l'Europe par leur alliance 
avec la France contre la maison d'Autriche. Soliman 
essaya de donner une législation à ses peuples ; i) ré- 
unit les maximes et ordonnances de ses prédécesseurs, 
remplissant les lacunes et fixant la hiérarchie civile. Il 
embellit Constantinople en rétablissant l'ancien aque- 
duc*, dont l'eau se partage en huit cents fontaines; il 
fonda la mosquée Souleimanieh, qui renferme quatre 
collèges, un hospice pour lés pauvres, un hôpital pour 
les malades, une bibliothèque de deux mille manuscrits. 
Sous lui, la langue turque s'anoblit par le mélange de 
l'arabe et du persan ; il faisait lui-m&ue des vers en ces 
langues. Dans sa vieillesse, le sultan fut. entièrement 
gouverné par Rouschen(Roxelane), qu'il avait épousée, 
et qui lui fit mettre à mort ses enfans d'un premier lit. 
L'empire,, épuisé par tant die guerres, sembla vieillir 
avec lui sous l'influence d'un gouvernement de sérail. 
Soliman en prépara la décadence en ôtant le comman- 
dement des armées aux membres de la famille impériale. 

Sous son indolent successeur Sélim II (4 566-74), les 



183 

Tares enlevèrent Chypre aux Vénitiens, inal secondés 
par l'Espagne; mais ils furent défaits dans le golfe de 
Lépante par les flottes combinées de Philippe II, de 
Venise et du pape, sous les ordres de D. Juan d'Autri- 
che. Depuis'cet échec, les Turcs avouèrent que Dieu, 
qui leur avait donné l'empire de la terre, avait laissé 
celui de la mer aux infidèles. 

Sous Amurat III, Mahomet III et Achqiet I er (1 574- 
1617% les Turcs soutinrent, avec des succès divers, de 
longues guerres coptre les Persans et les Hongrois. Les 
janissaires, qui avaient troublé dé leurs révoltes les rè- 
gnes de ces princes, mirent à mort leurs successeur? 
Mustapha et Othman (1617-23). L'empire se releva sous 
Amurat IV l'Intrépide, qui occupa au dehors l'esprit 
turbulent des janissaires, prit Bagdad et intervint dans 
les troubles de l'Inde. Sous l'imbécile Ibrahim (1645- 
49), les Turcs, suivant toujours l'impulsion donnée par 
Amurat, enlevèrent Candie aux Vénitiens, 

Hongrie* Ce royaume était partagé entre la maison' 
d'Autriche et les Turcs, depuis 1 562. Dé ce partage ré- 
sultait une guerre continuelle. La suzeraineté de la Tran- 
sylvanie était une autre cause de guerre entre l'Autriche 
et la Porte. 7— Dans .l'intérieur, la Hongrie n'était pa$ 
plus tranquille. Les princes autrichiens, espérant aug- 
menter leur pouvoir en ramenant la Hongrie à une 
croyance uniforme, persécutaient les Protestans et vie-; 
laient les privilèges de la nation. Les Hongrois se soule- 
vèrent sous Rodolphe H, Ferdinand II et Ferdinand III j 
les prince} de Transylvanie, Etienne Botschkaï, Bet- 
lem Gabor, Georges Ragatzi , se donnèrent successive- 
ment pour chefs, aux piécontens. Par les pacifications 
de Vienne (1606) et de Lintz (1645) 5 par les décrets de* 
diètes d'OEdenbçurg<i622) et de Presbourg (1647), lesT 
rois de Hongrie furent forcés d'accorder l'exercice pu- 
blic de la religion protestante, et de respecter les pri- 
vilèges nationaux. 

1£ 



184 



§ II. — Pologne, P russe j Russip, 1505-1648. 

La Pologne prévaut sur l'ordre Teutonique, puis- 
sance allemande avancée hors de l'Allemagne au milieu 
des états slaves, et mal soutenue par l'Empire ; mais en 
récompense, elle néglige de protéger les Bohémiens et 
les Hongrois dans leurs révoltes contre l'Autriche. 

Les deux grands peuples d'origine slave avaient de 
fréquens rapports entre eux, mais en avaient peu avec 
les états Scandinaves, avant que les révolutions de la 
Livonie les engageassent dans une guerre commune, 
vers le milieu du xvi e siècle. La Livonie, devint alors, 
pour le nord de l'Europe, ce qu'avait été le Milanais 
pour les états du Midi. 

Etat de la Pologne et de la Russie, dans la première 
moitié du XVI e siècle. Avènement de Wasili IV Iwa- 
nowitch (1 505), et de Sigismond I er (1 506). Le faible 
Wasili eut l'imprudence de rçmpre avec les Tartares (0 
delà Crimée, qui avaient servi si utilement Iwan III : il 
acheva l'assujétissement de Plescof, enleva Smolensk 
aux Lithuaniens, mais il fut battu par eux la même 
année (151 A). Il s'allia avec Tordre Teutonique contre 
les. Polonais, sans pouvoir empêcher la Prusse de se 
soumettre à la Pologne. Le grand -maître Albert de 
Brandebourg embrassa le luthéranisme (1525), sécu- 
larisa 'la Prusse teutonique, et la reçut en fief de Sigis- 
mond I« r . 

1533, Avènement d'IwAii IV WasiUewitcb, en Rus- 
sie; 1544, de Sigismowd II, "dit Auguste, en Pologne. 

Pendant la minorité d'Iwan IV, le pouvoir passe des 
mains de la régente Hélène à plusieurs des grands, qui 
se supplantent «tour à tour. — • 1 547, Sous l'influence de 

• (ONot» avons «uivi Torltiographe préférée par M. Abel Rtmu^al. Voy. 
la Préface des Recherches sur les langues Uu tares. 



' ■ *85 

la tzarine Ànastasie, Iwan IV modéra d'abord la vio- 
lence <de son caractère. Il compléta rabaissement des 
Tartares par la réunion définitive de Kazan et par la 
conquête d ? Astrakan (4 552-54). 

1558-1583, Guerre de. Livonie. L'ordre des cheva- 
liers Porte-Glaivefe, vainqueur des Busses en 4503, fut 
indépendant de l'ordre Teutonique, depuis 1524. Mais 
vers cette époque, toutes les puissances du Nord élevè- 
rent des prétentions sur la Livonie. Iwan IV l'ayant en- 
vahie en 1558, le grand- maître Gotthard Kettler aima 
mieux la réunir à la Pologne par le traité de Wilna 
(4564), eh se créant lui-même duc de Courlande. Le 
roi de Danemark, Frédéric II, maître de'Tîle d'OEsel 
et de quelques districts, et le roi de Suède^ Eric XIV, 
appelé par la ville de Bevel et par la noblesse d'Estonie, 
prirent part à la guerre, qui se poursuivit sur terre et 
sur mer. \ 

Le Tzar rencontra deux obstacles dans ses projets de 
conquêtes : la jalousie des Russes contre les étrangers 1 
qu'il leur préférait, et la crainte que sa cruauté inspirait 
aux Livoniens. Il écrasa tout ce qui "pouvait résister 
parmi ses sujets dans la bourgeoisie commerçante et 
dans la noblesse (1570), et envahit ensuite la Livonie 
au nom d'un frère du roi de Danemark (4 575). Mais la 
Pologne et la Suède s'unirent contre le Tzar, qui fit la 
paix avec la Pologne, en lui abandonnant la Livonie, et 
conclut une trêve avec la Suède, qui resta en possession 
de la Carélie (4582-83). Il mourut en 4 584. 

[Code d'Iwan IV, 4 550, présentant un système de tou- 
tes lçs anciennes lois. Justice gratuite. Tous les posses- 
seurs de terre assujétis au service militaire. Etablisse- 
ment d'une solde. Institution de la milice permanente 
des sti élit z. — Commerce avec la Tartarie, la Turquie 
et la Lithuanie. Les guerres de Livonie et de Lithuanie 
fermant aux Russes la Baltique, ils ne communiquent 
plus avec le reste de l'Europe qu'en tournant la Suède 



< . 



i&6 

par les paerâdu Nord. *555, L'Anglais Chancelier, en- 
voyé par la reine Marie pour trouver un passage aux 
Indes par le Nord, aborde au lieu où l'on fonda depuis 
Archangel; commerce régulier entre la Russie et l'An- 
gleterre jusqu'aux guerres civiles de la Russie, 4605. — ? 
T577-8 i , Découverte de la Sibérie.} 

La dynastie des Jagellons s'éteignit en A 572 par Ja 
mort de Sigismood- Auguste; celle de Rurik, en 4598, 
par la mort du taar Fbooa I er , fils et successeur d'I- 
wan. IV. De ces deux éyénemens résultèrent, médiarte- 
ment ou immédiatement, deux guerres longues et san- 
glantes, qui mirent de nouveau aux prises toutes les 
puissances du Nord; Tune eut pour objet la succession 
de Suède, l'autre celle de Russie. La première, qui dura 
soixante -sept ans (1593-1660), fut interrompue deux 
fois, d'abord par la seconde (1609-1619), ensuite par 
la guerre de Trente ans (1 629-1 655). 

Le trône de Pologne devint purement électif. 1573*» 
i 575*, Henri de Valois n'apparut en ce royaume que 
pour signer les premiers pacte conventa. * — A 575-1587, 
{/avènement d'ExiENNEBATTHORi, prince de Transylva-* 
nie, différa le moment où la Pologne devait perdre sa pré- 
pondérance. Il contint ses sujets (Dantzick, Riga, \ 578, 
4 586) ; il humilia la Russie et le Danemark (1 582-85):-- 
i 587, Sicismond JII, fils de Jean III, roi de Suède, élu roi 
de Pologne, se trouva, à soti avènement au trône de son 
père, dans une position difficile : la Suède était protes- 
tante, la Pologne catholique; toutes deux réclamaient la 
Livonie. L'oncle de Sigismond {Charles IX), chef du parti 
luthérien en Suède, prévalut sur lui et par la politique 
« .(4 595) et par les armes (4598). De là une guerre entre 
tes deux peuples, qui ne s'interrompit qu'au moment 
où ils prirent la Russie pour champ de bataille. L'usur- 
pation de Boris-Godunow, et l'imposture de plusieurs 
faux DémétriuS) qui se portaient pour héritiers du trône 
de Moscou, faisaient espérer aux Polonais et aux: Sué- 
dois» ou de démembrer la Russie, ou de lui donner pour 



187 ' 

maître un de leurs princes. . — Lents espérances furent 
trompées. Un Russe (1613*1645), Michàïl Fêdrowitscu, 
fonda la maison de Roruariow. 1616-1618, La Russie 
céda à la Suède l'Iugrie et la Carélie russe; à la Polo* 
gne, les territoires de Smolensko > de Tschernigow et de 
Nowgorod-Sewerkoi, et perdit toute communication 
avec la Baltique. . x 

1620-1629J La guerre recommença entre la.Pologrie 
et la Suède, jusqtf'à-l'époqtie où Gustave- Adolphe |jrit 
part à la guerre de Trente ans. (1629 r Trèvè de six ans, 
renouvelée en 1635' pour vingt-six.) 

Sigismond III et son successeur Wladislas VII (1632- 
1648) soutinrent de longues guerres contre les Turcs, 
les Russes et les Cosaques de l'Ukraine. 
! La Pologne céda à la Suède le rôle de puissance do- 
minante du Nord; niais elle conserva sa supériorité sur 
la Russie, dont le développement avait été retardé par 
ses guerres civiles. 

Prusse. 1 563 , Joachim II, électeur de Brandebourg, 
obtint du roi de Pologne l'investiture simultanée du fief 
de Prusse. 161 8, À la mort du duc Albert Frédéric (fils- 
d'Albert de Brandebourg), l'électeur Jean Sigismond,, 
son gendre, lui succéda. — 1614, 1666, La branche 
électorale recueillit aussi une partie de la succession de- 
Juliers, en vertu des droits d'Anne, fille du duc de 
Prusse, Albert Frédéric, et femme de l'électeur de Bran- 
debourg, Jean Sigismond. — Le fils de ce dernier, Fré- 
déric Guillaume, fonda la grandeur de ta Prusse. 

S III. -*- Danemark et Suède. 

Au xvi« siècle, ces deux états furent en proie à des 
troublas intérieurs fet soutinrent de longues guerres. 
Les forces des deux peuples se développèrent, et itè ar- 
rivèrent préparés à la guerre de Trente ans : la Suéde 
préludait alors au rôle héroïque qu'elle devait* jouer 
dans tout le xvm* siècle. 



188 ' 

La lassitude du Danemark et les troubles intérieurs 
de la Suède terminèrent, par la paix de Stettin (4570), 
la longue querelle qui durait, entre ces royaumes de- 
puis la rupture de l'union de Calmar. Le Danemark fut 
dès lors paisible sous les longs règnes de Frédéric II 
(1 559-1 588) et de Christian IV, jusqu'à l'époque où ce 
dernier, plus habile administrateur que grand général , 
compromit le repos du Danemark en attaquant Gus- 
tave- Adolphe (1 61 1 -1 3), et en prenant part à la guerre 
de Trente ans (1625). 

L'indigne fils de Gustave-Wasa, Eric XIV (1 560-68), 
avait été dépossédé par son frère Jean III (1 568-1 592), 
qui entreprit de rétablir en Suède la religion catholi- 
que. Le fils de Jean, Sigismond, roi de Suède et de Po- 
logne, fut supplanté par son oncle Charles IX (1604), 
père de Gustave- Adolphe. Foy. plus haut l'article Po- 
logne, 



CHAPITRE XIV. 



Découvertes et colonies des modernes. — Découvertes et établissement 
' des Portugais dans les deux Indes, 1412-1582. 



M MIIi a i 



$ I. — Découvertes et colonies des modernes. 

PRINCIPAUX motifs qui ont déterminé les modernes 
à chercher de nouvelles terres et à s'y établir : 1 ° Esprit 
guerrier et aventureux, désir d'acquérir par la conquête 
et lé pillage. 2° Esprit de commerce, désir d'acquérir 
par la voie légitime des échanges. 3° Esprit religieux, 
désir de conquérir les nations idolâtres à la foi chré- 
tienne, ou de se dérober aux troubles de religion. 



4*9 

La fondation dès principales colonies modernes est 
due aux cinq peuples les plus occidentaux, qui ont eu 
successivement l'empire dés mers : aux Portugais et aux 
Espagnols (xy e et xvi e siècles); aux Hollandais et aux 
Français j(xvu e siècle); enfin, aux Anglais (xvii° et 
xym e siècles). — Les colonies des Espagnols eurent, 
dans l'origine, pour principal objet l'exploitation des 
mines; celles des Portugais, le commerce et la levée des 
tributs imposés aux vaincus; celles de$ Hollandais fu- 
rent essentiellement commerçantes; celles des Anglais , 
à là fois commerçantes et agricoles. 

ha principale différence entre les colonies anciennes 
et les modernes, c'est que les anciennes ne restaient 
unies à leur métropole que par les liens d'une sorte de 
parenté; les modernes sont regardées comme la pro- 
priété de leur métropole, qui leur interdit le commerce 
avec les étrangers. , 

Résultats directs des découvertes et des établissemens 
des modernes. Le commerce change de forme et de route. 
Au commerce de terre est généralement substitué le 
commerce maritime ; le commerce du monde passé des 
pays situés, sur la Méditerranée aux pays occidentaux. 
— Les résultats indirects son.t innombrables; l'un des 
plus remarquables est le développement des puissances 
maritimes. 

Principales routes du commerce de V Orient pendant 
le moyen âge. Dans la première moitié du moyen âge, 
les Grecs faisaient, le commerce de l'Inde par l'Egypte, 
puis par le Pont-Euxin et la mer Caspienne; dans la se- 
conde, les Italiens le faisaient par la Syrie et le golfe 
Persique, enfin par l'Egypte. — - Croisades. — Voyages 
de Rubruquis, de Marco-Paolo , et de John Mandeville, 
du xi* au xiv e siècle. — Au commencement du xiv e siè- 
cle, les Espagnols découvrent les Canaries. 



190 



$11. — Découvertes et établissement des Portugais. 

Il appartenait au peuple le plus occidental dé l'Eu- 
rope de commencer cette suite de découvertes qui ont 
étendu la civilisation européenne sur tout le monde. 
Les Portugais» resserrés par les puissances de l'Espagne 
et toujours en guerre avec les Maures, sur lesquels ils 
avaient conquis leur patrie, devaient tourner leur am- 
bition du côté de l'Afrique. Après cette croisade de plu- 
sieurs siècles, les idées des vainqueurs s'agrandirent : ils 
conçurent le projet d'aller chercher de nouveaux peu- 
ples infidèles pour les subjuguer et les convertir. Mille 
vieux récits emflammaient ,1a curiosité, la valeur et l'a- 
varice : on voulait voir oes mystérieuses contrées où la 
nature avait prodigué les monstres, où elle avait semé 
l'or à la surface de la terre. L'infant D. Henri, troisième 
fils. de: Jean I er , seconda l'ardeur de la nation. Il passa 
sa vie à» Sagres , près du cap Saint- Vincent ; là, les yeux 
fixés, sur les mers du midi, il dirigea les audacieux pi- 
lotes qui visitèrent les premiers ces parages incon- 
nus. Le cap Non, borne fatale des navigateur^ antiques, 
avait été déjà franchi ; on avait trouvé Madère (4 41SM 3). 
On passa encore lecapJBajador, le cap Vert; on décou- 
vrit les Açores (4448); on franchit cette ligne redou- 
table où l'on croyait que l'air brûlait comme le feu. 
Lorsqu'on; eut pénétré au-delà du Sénégal, on vit avec 
étonnemént que les hommes, de couleur cendrée au 
nord de. ce fleuve, devenaient entièrement noirs au midi. 
L'on aperçut, en arrivant au Congo, un nouveau ciel 
et de nouvelles étoiles ()484<). Mais Ce qui encouragea 
plus puissamment l'esprit de découvertes, c'est l'or que- 
l'on avait trouvé en Guinée, 

' On commença alors à moins mépriser les récits des an- 
ciens Phéniciens, qui prétendaient avoir fait le tour de 
l'Afrique, et l'on espéra qu'en suivant la même roule 
on pourrait arriver aux Indes orientales. Pendant que le 



191 

roi Jean II envoyait par terre deux gentilshommes aux 
Indes (Covillam etPayva), Barthéiemi Dias touchait le 
promontoire qui borne l'Afrique au sud, et le nommait 
le cap des Tempêtes; mais le roi, sûr dès lors de trouver 
la route des Inde», l'appela le cap de Bonne-Espérance 
(i486). 

C'est alors que la découverte du Nouveau-Monde vint 
étonner les Portugais et-redoubler leur émulation. Mais 
les deux nations auraient pu se disputer l'empire de la 
mer ; on recourut au pape; Alexandre VI divisa les deux 
nouveaux mondes : tout ce qui était à l'orient des Açftrfes 
devait appartenir au Portugal; tout ce "qui était à l'oc- 
cident fut donné à l'Espagne. On traça une ligne sur le 
globe, qui marqua les limites de «ces droits réciproques, 
et qu'on appelle la ligne démarcation. DenouveHe&dé- 
coùvertes dérangèrent bientôt cette ligue. 

Enfin le roi de Portugal, Emmanuel le Fortuné, 
donna le commandement d'une flotte aufàmeux Vascode 
Gaina (14-97-98). Il reçuttlu prince la relation du voyage 
de Covillam ; il emmena dix hommes condamnés à mort, 
qu'il devait risquer dans l'occasion, et «qui par leur au- 
' dàce pouvait mériter leur grâce. Vascb passa une nuit 
en "prières dans la chapelle de la Vierge, et s'approcha 
de la sainte table la veille de son départ. Le peuple le 
conduisit tout en larmes au rivage. Un couvent magni- 
fique a été fondé au lieu même d'où Gama était parti. 
, - La flotte approchait du terrible cap,, lorsque l'équi- 
page, épouvanté par cette mer orageuse, et redoutant 
la famine, se révolta contre Gama. Rien ne put l'arrê- 
ter; il mit les chefs aux fers, et, prenant lui-même le 
gouvernail, il doubla la pointe de l'Afrique. De plus 
grands dangers l'attendaient sur cette côte orientale 
qu'aucun vaisseau européen n'avait encore visitée. Les 
Maures, qui faisaient 1 ie commerce de l'Afrique et de 
l'Inde, dressèrent des pièges à ces nouveaux venus, qui 
allaient partager avec eux. Mata l'artillerie lies épou- 
vanta , et Gainai, traversant le golfe de sept cents lieues 



W2 

qui sépare l'Afrique de l'Inde, aborda à Calicut treize 
mois après son départ de Lisbonne. 

En descendant sur oe rivage inconnu , Vasco défen- 
dit aux siens de le suivre et de venir le défendre s'ils ap- 
prenaient qu'il est en danger. Malgré les complots des 
Maures, il fit accepter au Zamorin l'alliance du Por- 
tugal. 

Une nouvelle expédition suivit bientôt la première, 
sous les ordres d'Alvarès Cabrai : l'amiral avait reçu 
des mains du roi un chapeau béni par le pape* Apres 
avoir passé les îles du cap Vert, il prit le large, s'éloi- 
gna beaucoup à l'occident, et vit une terre nouvelle, ri- 
che, fertile, où régnait un printemps éternel : c'était le 
Brésil, la contrée de tout le continent américain la plus 
voisine de l'Afrique. Il n'y a que trente degrés de lon- 
gitude de cette terre au mont Atlas : c'était celle qu'on 
devait découvrir la première (1 500). 

(1 505-1 51 5.) L'nabileté de Cabrai, de Gama et d'Ai- 
mé ida, premier vice-roi des Indes, déconcerta les ef- 
forts des Maures, diyisa les naturels du pays, arma Co- 
cbin contre Calicut et Cananor. Quiloa et Sofala en 
Afrique reçurent la loi des Européens. Mais le princi- 
pal fondateur de l'empire des 'Portugais dans les Indes 
fut le vaillant Albuquerque : il s'empara d'Ormus à 
l'entrée du golfe Persique, la ville, la plus brillante et 
la plus polie de l'Asie (1 507). Le roi de Perse, dont elle 
avait dépendu, demandait un tribut aux Portugais; Al- 
buquerque montre aux Ambassadeurs des boulets et des 
grenades: « Voilà, dit-il, la monnaie des tributs que 
paie le roi de Portugal. » 

Cependant Venise voyait tarir les sources de sa ri- 
chesse : la route d'Alexandrie commençait à être né-^ 
gligée. Le Soudan d'Egypte ne percevait plus de droit! 
de passage sur les denrées de l'Orient. Les Vénitiens, 
ligués avec lui , envoyèrent à Alexandrie des bois de 
construction qui, transportés à Suez, servirent à con- 
struire une flotte (1 508). Elle eut d'abord l'avantage 



193 

sur les Portugais dispersés; mais elle fut battue, aiusi 
que les autres arméniens qui continuèrent à descendre 
la mer Rouge. Pour la prévenir, Albuquerque propo- 
sait au roi d'Abyssinie de détourner le Nil, ce qui eût 
changé l'Egypte en désert. 

Il fit de Goa le chef-lieu des établissemens portugais 
dans l'Inde (1 540). L'occupation de Màlaca et de Ceyl'an 
rendit le» Portugais maîtres de la vaste mer que termine 
au nord le golfe du Bengale (15H-1518). Le conqué- 
rant mourut à Goa, pauvre et disgracié. Avec lui dis* 
parurent chez les vainqueurs toute justice, toute. huma- 
nité. Long-temps après sa mort, les Indiens allaient au 
tombeau du grand Albuquerque lui demander justice 
des vexations de ses successeurs. 

Les Portugais 's'étant introduits à la Chine et au Ja- 
pon (1517-42), eurent quelque temps entre les mains 
tout le commerce maritime de l'Asie. Leur empire s'é- 
tendait sur les côtes de Guinée, de Mélinde, de Mosam- 
bique et de Sofala , sur celles des deux presqu'îles de 
Tlnde, sur les Moluques, Ceylan et les îles de la Sonde. 
Mais ils n'avaient guère dans cette vaste étendue de 
pays qu'une chaîne de comptoirs et de forteresses. La 
décadence de leurs colonies était accélérée par plusieurs 
causes : 1° l'éloignement des conquêtes; 2° la faible 
population du Portugal, peu proportionnée k l'éten- 
due de ses établissemens : l'orgueil national empêchait 
le mélange des vainqueurs et des vaincus; 3* l'amour 
du brigandage, qui se substitua bientôt à l'esprit de com- 
merce; 4° le désordre de l'administration coloniale; 
5° le monopole de la couronne; 6° enfin., les Portugais 
se contentaient de transporter les marchandises à Lis- 
bonne, et ne les distribuaient pas dans l'Europe. Ils de- 
vaient tôt ou tard être supplantés par des rivaux plus 
industrieux. 

La décadence de leur empire fut retardée par deux 
héros, Jean de Castro (1545-48) et Ataïde (1568-72). 
Le premier eut à combattre les Indiens et les Turcs ré- 



m 

unis. Le rpi (le Catnbaie avait reçu du grand Soiimatti 
des ingénieurs, des fondeurs, et tous les moyens d'une 
guerre européenne. Castro n'en délivra pas moins la 
citadelle^ de Diu,et triompha dans Goa à la manière des 
généraux de l'antiquité. Il manquait de fonds pour ré- 
parer les fortifications de Diu ; il fit un emprunt en son 
nom aux babitans de Goa, en leur donnant ses mous- 
taches en gage. Il expira entre les bras de saint Fran- 
çois Xavier en i 548: On ne trouva que trois réaux chez; 
cet homme, qui avait manié les trésors des Indes. 

Le gouvernement d' Ataïde fut l'époque>d ? un soulève- 
ment universel des Indiens contpe lés Portugais : il fit 
face de tous côtés, battit l'armée du roi de Cambaie, 
forte de cent mille hommes» défit le Zamorin et lui fit ju* 

, rer de ne plus avoir de vaisseaux de guerre. Lors même 
qu'il était encore pressé dans Goa, il refusa d'abandon» 

, ner les possessions les plus éloignées, et fit partir pour 
Lisbonne les vaisseaux qui y portaient tous les ans les 
tributs des Indes. 

Après lui, tout tomba rapidement : la division de 
l'Inde en trois gouvernemens affaiblit encore la puis- 
sance portugaise. A la mort de Sébastien et de son suc- 
cesseur le cardinal Henri (i 58<), l'Inde portugaise sui- 
vit le sort du Portugal et passa entre lesanains inhabiles 
des Espagnols (1 582), jusqu'à ce que les Hollandais vins- 
sent les débarrasse? de ce vaste empire. 



495 



CHAPITRE XV. 



Découverte de l'Amérique. Conquête* et établissement des Espagnol* 

aux xv* et xyi e siècles. 






« C'est ici le plus grand événement de notre globe, 
dont une moitié avait toujours été ignprée de l'autre. 
Tout ce qqi a paru grand jusqu'ici semble disparaître 
devant cette espèce de création nouvelle. 

» Colombo, frappé des entreprises des Portugais) con- 
çut qu'on pouvait faire quelque chose de plus grand, 
et par la seule inspection d'une carte de notre univers, 
jugea qu'il devait y en avoir un autre, et qu'on le trou- 
verait en voguant toujours vers l'occident. Son cou- 
rage fut égal à la force de son esprit, et d'autant plus 
grand qu'il eut à combattre les préjugés de tous les. 
princes. Gênes, sa patrie, qui le traita de visionnaire, 
perdit la seule occasion de s'agrandir qui pouvait s'of- 
frir pour file. Henri VII, roi d'Angleterre, plus avide 
d'argent que capable d'en hasarder dans une si noble 
entreprise, n'écouta pas le frère de Colombo; lui-même 
fut refusé en Portugal par Jean II, dont les vues étaient 
entièrement tournées du côté de l'Afrique. Il ne pou- 
vait s'adresser à la France, oit la marine était toujours 
négligée, et les affaires autant que jamais en confusion 
sous la minorité de Charles VIII. L'empereur Maximi- 
lien n'avait ni portrpour une flotte, ni argent pour l'é- 
quiper, ni grandeur de courage pour un tel projet. Ve- 
nise eût pu s'en charger; mais, soit que l'aversion des 
Génois pour les Vénitiens ne permît pas à Colombo de 
s'adresser k la rivale de sa patrie, soit que Venise ne 
conçût de grandeur que dans son commerce d'Alexan- 



196 

drie et du Levant, Colombo n'espéra qu'en la cour d'Es- 
pagne. Ce ne fut pourtant qu'après huit ans de sollici- 
tations que la cour d'Isabelle consentît au bien que le 
citoyen de Gênes voulait lui faire. La cour d'Espagne 
était pauvre : il fallut que le prieur Pérès et deux négo- 
ciais, nommés Pinzone, avançassent dix-sept mille du- 
cats pour les frais de l'armement Colombo eut delà cour 
une patente, et partit enfin du port de Palos en Andalou- 
sie avec trois petits vaisseaux et un vain titre d'amiral. 

» Des îles Canaries, où il mouilla, il ne mit que trente* 
trois, jours'pour découvrir la première île de l'Améri- 
que^ 2 octobre 1492); et pendant ce court trajet, il 
eut à soutenir plus de murmures de son équipage qu'il 
n'avait essuyé de refus • des princes de l'Europe. Cette 
île, située environ à mille lieues des Canaries, fut nom* 
mée San-Salvaidor : aussitôt il découvrit les autres îles 
Lucayes, Cuba, et Hispaniola, nommée aujourd'hui 
Saint-Domingue. Ferdinand et Isabelle furent dans urne 
singulière surprise de le voir revenir au bout de sept 
mois avec des Américains d'Hispaniola, des 'raretés du 
pays, et surtout de l'or qii'il leur présenta. Le roi et la 
reine le firent asseoir et couvrir comme un grand d'Es- 
pagne, le nommèrent grand*amiral et vice-roi du Nou- 
veau-Monde. Il était regardé partout commeain homme 
unique envoyé du ciel. C'était alors à qui s'intéresse- 
rait dans ses entreprises, à qui s'embarquerait sous ses 
ordres. Il repart avec une flotte de dix -sept vaisseaux 
(1493V II trouve encore de nouvelles îles, les Antilles 
et la Jamaïque. Le doute s'était changé en admiration 
pour lui à son premier voyage ; mais l'admiration se 
tourna en envie au second. 

» Il était amiral, vice-roi, et pouvait ajouter à ces ti- 
tres celui de bienfaiteur de Ferdinand et d'Isabelle. Ce- 
pendant des juges, envoyés sur ses vaisseaux mêmes 
pour veiller sur sa conduite, le ramenèrent en Espa- 
gne. Le peuple, qui entendit que Colombo arrivait, cou- 
rut au-devant de lui comme du génie tûtélaire de l'Es- 



pagne : on tira Colombo du vaisseau, -, il parut, mais 
avec les fers aux pieds et aux mains. ' 

» Ce traitement lui avait été fait par Tordre de Fon~ 
seca, évêque de Burgos, intendant des arméniens (0. 
L'ingratitude était aussi grande que le» services. Isa- 
belle en fut honteuse : elle répara cet affront autant 
qu'elle le put; mais on retint Colombo quatre années, 
soit qu'on craignit qu'il ne prît pour lui ce qu'il avait 
découvert, soit qu'on voulût seulement avoir le temps 
de s'informer de sa conduite. Enfin on le renvoya en- 
core dans son Nouveau-Monde (H98). Ce fut à ce troi* 
sième voyage qu'il aperçut le continent à dix degrés de 
l'équateur, et qu'il vit la côte où Ton a bâti Cartha» 
gène W. 

-\ 

(0 Codice diplomatico Colombo-Americano > ossia raccolta di docu- 
ment* inediti, etc f Genova, 1823. p. Liy f iv. foy. dans le même recueil la 
lettre de Colomb à la nourrice du prince D. Juan, lorsqu'il revenait pri- 
sonnier en Espagne, p. 297. * 

, (*) Dans un quatrième voyage (1501-4), l'infortuné Colomb se vit re- 
fuser un abri dans les ports qu'il avait découverts. Il échoua sur la côte 
de la Jamaïque et y resta un an dénué de tout seeours : il écrivit de là 
une lettre pathétique à Ferdinand et à Isabelle. Il revint en Espagne, 
épuisé de fatigues, et la nouvelle de la mort d'Isabelle, sa protectrice, lui 
porta le dernier coup (1506). 

« Que m'ont servi, dit-il dans cette lettre, vingt années de travaux, 
» tant de fatigues et de périls? je n'ai pas aujourcThui une maison en 
» Castille, et si je veux dîner, souper ou dormir, je n'ai pour dernier re- 
» fuge que l'hôtellerie; encore le plus souvent l'argent me manque-t-il 

» pour payer mon écpt A moins d'avoir la patience de Job, n'y 

» avait-il pas de quoi mourir désespéré, en voyant que dans un pareil 
» temps, dans l'extrême péril que je courais» moi et mon jeune fils, et 
» mon frère et mes amis, on me fermait cette terre et ces ports que j'a- 
» vais, par la volonté divine, gagnés à l'Espagne, et pour la découverte 

» desquels j'avais sué dm sang. Cependant je montai le mieux que je 

» pus au plus haut du vaisseau, poussant des cris d'alarme et appelant 

» les quatre vents à mon secours j mais rien ne me répondit Epuisé, 

» je m'endormis, et j'entendis une voix pleine de douceur et de piue, qui 
m prononçait ces paroles : « Homme insensé, homme lent à croire et a 
» servir ton Dieu! quel soin n'a-t-il pas eu de toi depuis ta naissance? 
» a-t-il fait davantage pour Moïse et pour David son serviteur ? Les In- 
» des, cette partie du monde si riche, il te les a données pour tiennes : 
i» tu en as fait part à qui il t'a plu. Les barrières de l'Océan, qui étaient 

» fermées de chaînes si fortes» il t'en a donné les clefs » El moi, 

14 



«98 

»La cendre de Colombo ne s'intéresse plus à la gloire 
•qu'il eut pendant sa vie d'avoir doublé les œuvres de la 
création ; mais les hommes aiment à rendre justice aux 
morts, soit qu'ils se flattent de l'espérance qu'on la 
rendra mieux aux viyans, soit qu'ils aiment naturelle- 
ment la vérité.. Américo Vespucci , négociant florentin, 
jouit de la gloire de donner son nom à la nouvelle moi- 
tié du globe, dans laquelle il ne possédait pas un pouce 
de terre : il prétendit avoir le premier découvert le 
continent. Quand" il serait vrai qu'il eût fait cette dé- 
couverte, la gloire n'en serait pas à lui; elle appartient 
incontestablement à celui qui eut le génie et le courage 
d'entreprendre le premier voyage. » (Voltaire.) 

Tandis que de hardis navigateurs poursuivent l'ou- 
vrage de Colombo , que les Portugais et les Anglais dé- 
couvrent l'Amérique du Nord et que Balboa aperçoit 
«des hauteurs de Panama l'océan du Sud (1 513), l'aveu - 
gie cupidité des colons espagnols dépeuplait les Antilles. 
Ces premiers conquérans du Nouveau-Monde étaient 
la lie de l'ancien. Des aventuriers impatiens de retour- 
ner dans leur patrie ne pouvaient attendre les lents bé- 



» comme a demi mort , j'entendais pourtant tonte chose $ mais jamais je ne 
» pas trouver de réponse; seulement je me mis à pleurer mes erreur». 
» Celai qai me parlait, quel qu'il Art, termina par ces paroles : « Rassore- 
» toi, prends conflfnce; car les tribulations des hommes sont écrites sur 
» ta pierre et sur le marbre. »' ... S'il plaisait à Vos Majestés de me faire 
v la grâce d'envoyée un vaisseau de plus de soixante-quatre tonneaux, 
» avec da biscuit et quelques autres provisions, il suffirait pour me por- 
» ter en Espagne, moi et ces pauvres gens. Que Vos Majestés m'accordent 
» quelque pitié. Que le ciel , que la terre pleurent pour moi. Qu'il pleure 
» pour moi, quiconque a de la charité, quiconque aime la vérité et la 
» justice. le suis resté ici dans ces lies des Indes, isolé, maUde, en grande 
» peine, attendant chaque jour la mort, environné d'innombrables sau- 
» vages, pleins de cruauté; si loin des sacremens de notre sainte mère 
» l'Eglise ! Je ri'ai pas un maravédi pour faire une offrande spirituelle. 
» Je supplie Vos Majestés que, si Dieu me permet de sortir d'ici, elles 
» m'accordent d'aller à Rome et d'accomplir d'autres pèlerinages. Que 
» la sainte Trinité leur conserve la vie. et la puissance! Donnée aux In- 
» des, dans l'Ile de la Jamaïque, le 7 de juillet de l'an 150S. » Leur* de 
Colomb* réimprimée par Us soins de Vabbé Morelli à JBassano, 1810. 



199 

néficesde l'agriculture ou de l'industrie. Ils ne connais- 
saient d'autres richesses que For. Cette erreur coûta dix 
millions d'hommes à l'Amérique. La race feible et molle 
qui occupait Je pays succomba bientôt à des travaux 
excessifs et malsains. La population cTHispaniola était 
réduite; en 1507, d ? un million d'hommes à soixante 
mille. Malgré les ordres bienfaisans d'Isabelle, malgré 
les efforts de Ximénès, et les réclamations pathétiques 
des Dominicains, 1^ dépopulation s'étendit entre le» tro- 
piques. Personne n'éleva la voix en faveur des Àméri* 
caintf avec plus de courage et d'opiniâtreté que le célè- 
bre BarthéJeiùi de Las Casas, évêquç de Ghiapa, le pro- 
tecteur des Indiens. Par deux fois il passa en Europe > et 
plaida solennellement leur cause devant Charles-Quint. 
Le cœur se brise , lorsqu'on lit dans sa Destrajcion de 
las Indias les traitemens barbares que souffraient ces 
malheureux (0. 

(0 Las- Casas, ifnefwwma relation de ta destruction de las Indias^ 
édit. de Venise, 1643. Le» femmes étaient attachées au travail de la terre, 
les hommes à celui des mines. Les générations périssaient. Une foule d'In- 
diens s'étranglaient* Je connais un Espagnol dont la cruauté a décidé plus 
de deux cents Indiens à se taer. — 29; Il y avait un officier du roi qui re- 
çut trois cents Indiens 5 au bout de trois mois il lui en restait trente : on 
lui en rendit trois cents; il les fit périr; on lui en donna encore, jusqu'à 
ce qu'A mourut et que le diable l'emporta.— Sans les frères Franciscains, 
et une sage audience qui fut établie, ils auraient dépeuplé le Mexique 
comme Hispaniola. — 142. Au Pérou, un Alonzo Sanchez rencontre une 
troupe de femmes chargées de vivres, qui me s'enfuient point et les lui 
donnent; il prend les vivres et massacre les femmes. — 58. Ils creusaient 
des fosses, les remplissaient de pieux , et y Jetaient pêle-mêle les Indiens 
qu'ils prenaient vivans, des vieillards, des femmes enceintes, de petits 
enfansj jusqu'à ce que lp fosse fût comblée. — 61. Ils traînaient des In- 
diens après eux pour les faire combattre contre leurs frères, et les forçaient 
de manger de la chair d'Indien. — 83. Quand les Espagnols les traînaient 
dans les montagnes et qu'ils tombaient de fatigues, on leur cassait les 
dents avec la pomme de l'épée : alors les Indiens disaient : « Tuez-moi ici, 
ici je veux rester mort. — 72. Un Espagnol allant à la chasse ne trouve 
rien à donner, à ses chiens. Il rencontre une femme avec un petit enfantj 
prend l'enfant, le taille en pièces et distribue la chair entre ses chiens. 
— 116. J'ai va de mes yeux les Espagnols couper les mains, le nez et les 
oreilles à des hommes et à des femmes, sans autre motif que leur caprice; 
et cela dans tant de lieux et tant de fois qu'il serait trop long de, l'énu- 



200 

*On ne «ait si on doit admirer davantage l'audace des 
xwnqqérans de V Amérique, on détester leur férocité. Us 
avaient découvert en quatre expéditions les côtes de la 
Floride, du Yucat&n et du Mexique, lorsque Fernand 
Cortez partit de l'île de Cuba pour de nouvelles expé- 
ditions dans le continent (i5i9). « Ce simple lieutenant 
du gouverneur d'une île nouvellement découverte, suivi 
de moins de six cents hommes, n'ayant que dix-huit 
chevaux et quelques pièces de campagne, va subjuguer 
le plus puissant état de F Amérique. D'abord il est assez 
heureux pour trouver un Espagnol qui, ayant été neuf 
ans prisonnier à Yucatan , sur le chemin du Mexique , 
lui sert d'interprète. Cortez avance le long duigolfe du 
Mexique, tentôt cajessant les naturels du pays, tantôt 
faisant la guerre. Il trouve des villes policées oîi les arts 
sont en honneur. La puissante république de Tlascala, 
qui florissait sous un gouvernement aristocratique, s'op- 
pose à son passage ; mais la vue des chevaux, et le bruit 
seul du canon, mettaient en fuite ces multitudes mal ar- 
mées. Il fait une paix aussi avantageuse qu'il le veut ; six 
mille de ses nouveaux alliés de Tlascala l'accompagnent 
danç son voyage du Mexique. Il entre dans cet empire 
sans résistance, malgré les défenses du souverain; ce 
souverain commandait cependant, à ce qu'on dit, à 
trente vassaux, dont chacun pouvait paraître à la tête 

mérer. 3e les ai vus dresser des dogues à chasser et mettre en pièces des 
Indiens. Je les ai vas arracher des enfans à la mamelle de leur mère et les 
lancer en Pair de toutes leurs forces. Un prêtre nommé Ocagna tira un 
enfant du feu où on l'avait jeté; un Espagnol survint, qui le lui arracha 
et l'y rejeta. Cet homme est mort subitement le lendemain, et j'ai été 
d'avis qu'on ne devait point Peiiterrer. — 132. Je proteste sur ma con- 
science et devant Dieu que je n'ai point exagéré de la dix-millième partie 
tout ce qui s'est fait et se fait encore. — 134. Terminé à Valence, 1542 , 
8 décembre» e» Voyez aussi l'ouvrage intitulé : Aqui se contiene una 
disputa, 6 controversia, entre el Obispo don fray Bartolomé de Las- 
Casas , Obispo quefué de la ciudadreal de Chiapa,f el doctor Gines de 
Sepulveda, Chronista del emperador nuestro, sobre que el doctor. con- 
tenàia que las conquistas de las Indias eran licitas. 1550, Voila- 
dolid. 



SOI 

de cent mille hommes armés de flèches et de ces pierres* 
tranchantes qui leur tenaient lieu de fer. » 

» La ville de Mexico, bâtie au milieu d'un grand lac, 
était le plus beau monument de l'industrie américaine ; 
des chaussées immenses traversaient le lac tout couvert 
de petites barques faites de troncs d'arbres. On voyait 
dans la' ville des. maisons spacieuses et commodes con- 
struites de pierres, des marchés, des boutiques qui bril- 
laient d'ouvrages d'or et d'argent ciselés et sculptés, de 
vaisselle de terre vernissée, d'étoffes de coton et de tissus 
de plumes qui formaient des dessins éclatans par les plus 
vives nuances. Auprès du £rand marché était un palais 
où Ton rendait sommairement la justice aux marchands. 
Plusieurs palais de l'empereur Montézuma augmentaient 
la somptuosité de là ville: un d'eux était, entouré de 
grands jardins où l'on ne cultivait que des plantes mé- 
dicinales; des intendans les. distribuaient gratuitement 
aux malades: on rendait compte au roi du succès de 
leurs usages, et les médecins en tenaient registre à leur 
manière sans avoir l'usage de l'écriture. jLes autres es-* 
pèces de magnificence ne marquent que le progrès des 
arts ; celle-là marque le progrès de la morale. S'il n'é- 
tait pas de la nature humaine de réunir le meilleur et 
le pire , on ne comprendrait pas comment cette morale 
s'accordait avec les sacrifices humains dont le sang re- 
gorgeait à Mexico devant l'idole de Visiliputsli, regardé 
comme le dieu des armées. Les ambassadeurs de Mon- 
tézuma dirent à Cortez, à ce qu'on prétend , que leur 
maître avait sacrifié dans ses guerres près de vingt mille 
ennemis chaque année dans le grand temple de Mexico : 
c'est une très-grande exagération; on sent qu'on à voulu 
colorer par là les injustices du vainqueur de Monté- 
zuma ; mais enfin quand les Espagnols entrèrent dans 
le temple, ils trouvèrent parmi ses ornemens des crânes 
d'hommes suspendus comme des trophées. Leur police 
en tout le reste était humaine et sage : l'éducation de la 
jeunesse formait un des plus grands objets du gouver- 



} 

t 



202 

nemetit. Il y avait des écoles publiques établies pour 
l'un et pour l'autre sexe : nous admirons encore les an* 
riens Égyptiens d'avoir connu que l'année est d'environ 
trois cent soixante .et cinq jours : les Mexicains avaient 
poussé jusque là leur astronomie. La guerre était chez 
eux réduite en art: c'est ce qui leur avait donné tant de 
supériorité sur leurs voisins. Un grand ordre dans tes 
finances maintenait la grandeur de cet empire , regardé 
par ses voisins avec crainte et avec envie. 

» Mais ces animaux guerriers sur qui les principaux 
espagnols étaient montés, ce tonnerre artificiel qui se 
formait dans leurs mains, ces châteaux de bois qui les 
avaient apportés sur l'Océan, ce fer dont ils étaient cou- 
verts, leurs marches comptées par des victoires, tant de 
sujets d'admiration joints à cette faiblesse qui porte les 
peuples à admirer; tout cela fit que, quand Cortès ar- 
riva dans la ville de Mexico, il fut reçu par Montézuma 
comme son maître, et parles habitans comme leur Dieu. 
On se mettait à genoux dans les rues quand un valet es- 
pagnol passait. On raconte qu'un cacique sur les terres 
duquel passait un capitaine espagnol, lui présenta des 
esclaves et du gibier : Si tu es Dieu, lui dit-il, voilà des 
hommes, mange-les; si tu es homme, voilà des vivres 
que. ces esclaves t'apprêteront. 

» Peu à peu la cour de Montézuma, s'apprivoisant 
avec leurs hôtes, osa les traiter comme des hommes. 
Une partie des Espagnols était à la Vera-Cruz, sur le 
chemin du Mexique : un général de l'empereur, qui avait 
des ordres secrets > les attaqua, et quoique ses troupes 
fussent vaincues, il y eut trois ou quatre Espagnols de 
tués : la tête d'un d'eux fut même portée à Montézuma. 
Alors Cortez fit ce qui s'est- jamais fait de plus hardi : il 
va au palais, suivi de cinquante Espagnols, emmène 
l'empereur prisonnier au quartier espagnol , le force 
à lui livrer ceux qui pnt attaqué les siens \ la Vera- 
Gruz , et fait mettre les fers aux pieds et eux mains de 
l'empereur même, comme un général qui punit unsim- 



i 



3P3 

pie soldât ; emujte il l'engage à $e reconnaître publi- 
quement vassai.de Charles-Quint, Montézuma et les 
principaux de l'empire donnent pour tribut attaché à 
leur hommage, six cent mille marcs d'or pur, avec une 
incroyable quantité de pierreries, d'ouvrages d'or, et 
de (out ce que l'industrie de plusieurs siècles avait fa- 
briqué de plus rare, Cortez en mit à part le cinquième 
pour son maître, prit un cinquième pour lui, et distri^ 
bu a le reste à ses soldats. 

» On peut compter parmi les grands prodiges que les 
conquérans de ce Nouveau-Monde se déchirant eux- 
mêrries, les conquêtes n'en souffrirent pas. Jamais le 
vrai ne fut moins vraisemblable : tandis que Coites 
était près de subjuguer l'empire du Mexique avec cinq 
cents hommes qui lui restaient , le gouverneur de Cuba-, 
Velasquez, plus offensé 1 de la gloire de Cortez son lieu- 
(enapt, qpe de son peu de soumission, envoie presque 
toutes ses troupes, qui consistaient çjx huit cents fan- 
tassins, quatre- vingts cavaliers bien montés et deux 
petites pièces de canon, pour réduire Cortez, le pren- 
dre prisonnier, et poursuivre le cours de ses victoires. 
Cortez , ayant d'un côté mille Espagnols à combattre, et 
,1e continent à retenir dans la soumission , laissa quatre- 
vingts hommes pour lui répondre de tout le Mexique, 
et marcha, suivi du reste, contre ses compatriotes ; \l 
en défait une partie, il gagne l'autre. Enfin, cette arm& 
qui venait pour le détruire se rangerons ses drapeau*, 
et il retourne au Mexique avec. elle. 

» L'empereur était toujours en prison dans sa capi- 
tale, gardé par quatre-vingts soldats : celui qui les com- 
mandait, sur un bruit vrai ou faux que les Mexicains 
conspiraient pour délivrer leur maître, avait pris le 
temps d'une fête où deux mille des premiers seigneurs 
étaient plbngés. dans l'ivresse de leurs liqueurs fortes; 
il fond sur eux avec cinquante soldats, les égorge eux 
et leur suite sans résistance , et les dépouille de tous 
* les ornemens d'or et de pierreries dont ils s'étaient parés 



pour cette fête. Cette énormité, que tout le peuple at- 
tribuait avec raison à la rage^de l'avarice, souleva ces 
hommes trop patiens ; et quand Cortez arriva, il trouva 
deux cent mille Américains en armes contre quatre- 
vingts Espagnols occupés à se défendre et à garder 
l'empereur. Ils assiégèrent Cortex pour délivrer leur 
roi : ils se précipitèrent en foule contre les canons et les 
mousquets. Les Espagnols étaient fatigués de tuer, et 
les Américains se succédaient en foule sans se décou- 
rager (0. Cortez fut obligé de quitter la ville, où il eut 
été affame; mais les Mexicains avaient rompu toutes lès 
chaussées. Les Espagnols firent des ponts "avec les corps 
des ennemis, mais dans leur retraite sanglante ils per- 
dirent tous les trésors qu'ils avaient ravis pour Charles- 
Quint et pour eux. Vainqueur à. la sanglante bataille 
d'Otumba, Cortez entreprit d'assiéger cette ville im- 
mense. Il fit faire par ses soldats et par les Tlascaliens 
qu'il avait avec lui, neuf bateaux, pour rentrer dans 
Mexico par le lac même qui semblait lui en défendre 
l'entrée. Les^ Mexicains ne craignirent point de donner 
un combat naval : quatre à cinq mille canots, chargés 
chacun de deux hommes, couvrirent le lac, et vinrent 
attaquer les neuf bateaux de Cortez, sur lesquels il y 
avait environ trois cents hommes. Ces neufs brigantins, 
qui avaient du canon, renversèrent bientôt la flotte 
ennemie. Cortez, avec le reste de ses troupes, combat- 
tait sur les chaussées. Sept ou huit Espagnols faits pri- K 
sonniers furent sacrifiés dans le temple du Mexique. 
Mais enfin , après de nouveaux combats, on prit le^iou- 

(0 Je leur déclarai que, s'ils s'obstinaient, je ne m'arrêterais que quand 
il ne resterait plus de vestiges de la ville et des habitans. Ils répondi- 
rent qu'ils étaient tous déterminés à mourir pour nous achever; que je» 
pouvais voir les terrasses , les rues et les places pleines de monde,- et 
qu'ils avaient calculé qu'en perdant vingt-cinq mille contre un, nous fini- 
rions les premiers. Hernando Cortez, Historia de la JYut#a-Espania por 
su conquistador. I" lettre à Charles- Quint, 30 octobre 1520. — Ils me 
demandaient pourquoi, fils du soleil,. qui fait le tour du mondé en vingt- 
quatre heures, j'en mettais davantage à les exterminer, à satisfaire le dé-> 
air qu'ils avaient de mourir et de rejoindre le dieu du, repos. H* lettre. 



205 

vel empereur. C'est ce Gatimozin , si fameux par les 
paroles qu'il prononça lorsqu'un receveur dés trésors 
du roi d'Espagne le fit mettre sur des charbons ardens, 
pour savoir en quel endroit du. lac il avait fait jeter 
ses richesses : son grand-prêtre, condamné au même 
supplice, jetait des cris ; Gatimozin lui dit :-« Et moi , 
suis-je sur un lit de roses? » 

« Cortez fut maître absolu de la ville de Mexico (1 521 ) 
avec laquelle tout le reste de l'empire tomba sous la do- 
mination espagnole, ainsi que la Castille d'or, le Darien 
et toutes les contrées voisines. Quel fut le prix des ser- 
vices inouïs de Cortez?Gelui qu'eut Colombo ; il fut per- 
sécuté: Malgré les titres dofat il fut décoré dans sa pa- 
trie, il y fut peu considéré; à peine put-il obtenir une 
audience de. Cbarles-Quint. Un jour il fendit la presse 
qui entourait le coebe de l'empereur, et monta ^ur l'é- 
trier de la portière. Charles demanda quel était cet 
homme. « C'est, répondit Cortez, celui qui vous a 
donné plus d'états que vos pères ne vous ont laissé de 
villes. » 

Cependant les Espagnols cherchaient' de nouvelles 
terres à conquérir et à dépeupler. Magalhaens avait 
tourné F Amérique méridionale; traversé l'Océan paci- 
fique et fait le premier le tour du monde. Mais le plus 
grand état américain, après le Mexique, restait encore à 
découvrir. Un jour que les Espagnols pesaient quelques 
parcelles d'or, un Indien, renversant les balances, leur 
dit qu'à six soleils démarche vers lemidi, ils trouveraient 
un pays où l'or était assez commun pour servir aux plus 
vils usages. Deux aventuriers, Pizarre et Almagro, un 
enfant trouvé et un gardeur de pourceaux devenu sol- 
dat, entreprirent la découverte et la conquête de ces 
vastes contrées que les Espagnols ont désignées par le 
nôm'de Pérou. 

« Du pays de Cusco et des environs du tropique du 
capricorne jusqu'à la hauteur de l'île des Perles, un seul 
roi étendait sa domination absolue dans l'espace de près 



»' 



206 

de trente degrés: il était d'une race de cqnquérans qu'on 
appelait Incas. Le premier dç ces Incas, qui avait sub- 
jugué le pays, et qui lui imposa des lois, passait pour 
le fils du Soleil. Les Péruviens transmettaient les prin- 
cipaux faits à la postérité par des nœuds qu'ils faisaient 
à des cordes. Ils avaient des obélisques, des gnomons 
réguliers pour marquer les points des équinoxes et des 
solstices. Ijeur année était de trois cent soixante et cinq 
jours. Ils avaient élevé des prodiges d'architecture et 
taillé des statues avec un art surprenant. C'était la na- 
tion la plus policée et la plus industrieuse du Nouveau- 
Monde. 

» L'Inca Huescar, père d'Atabalipa, dernier Inoa, sous 
qui ce vaste empire fut détruit, l'avait beaucoup aug- 
menté et embelli. Cet Inca, qui conquit tout te pays 
de Quito, avait fait par les mains de ses soldats et des 
peuples vaincus , un grand chemin de cinq cents lieues 
de Cusco jusqu'à Quito , à travers des précipices com- 
blés et des montagnes aplanies. Des relais d'hommes 
établis de demi -lieue en demi -lieue, portaient les 
ordres du monarque dans tout son empire, Telle était 
la police; et si on veut juger de la magnificence, il 
suffis de savoir que le roi était porté, dans ses voya- 
ges, sur un trône d'or qu'on trouva peser vingt -cinq 
mille ducats, et que la litière de lames d'or sur la- 
quelle était le trône, était soutenue par Ips premiers 
de l'Etat 

» Pizarre attaqua cet empire avec deux, cent cinquante 
fantassins, soixante cavaliers, et une domaine de pe- 
tits eanons. Il arriva par la utèr du Sud à la hauteur 
de Quito par de là l'équateur. Atabalipa, fils4'Huescar, 
régnait alors (1 532) ; i\ était vers Quito avec environ qua- 
rante mille soldats armés de flèches et de piques d'or 
et d'argent. Pizarro commença , comme Cortez, en of- 
frant à Flnca l'amitié 'de Charles-Quint. Quand l'armée 
de l'Inca et la petite troupe Castillane furent en pré- 
sence, les Espagnols voulurent encore mettre de leur 



207- 

côté jusqu'aux apparences de la religion. Un moine , 
n ommé Val verde, s'avance avec an interprète vers i'Iqça, 
une Bible à la main, et lui dit qu'il faut croire tout ce 
çue dit ce twrei » L'Inca l'approchant de son oreille, et 
n'entendant rien, le jeta par terre, et le combat com- 
mença* 

a, 

ce Les canons, les chevaux et les armes de fer, firent 
sur les Péruviens le même effet que sur les Mexicains : 
on n'eut guère que la peine de tuer ; et A tabalipa , arra- 
ché de son trône d'or par les vainqueurs, fut chargé de 
fers. Pour se procurer une liberté prompte , il s'obligea 
à donner autant d'or qu'une des salles de ses palais pou* 
vait en contenir jusqu'à la hauteur de sa main , qu'il 
éleva en l'air au-dessus de sa tête. Chaque cavalier es- 
pagnol eut deux cent quarante marcs en or pur ; chaque 
fantassin en eut cent soixante. Çn partagea dix fois en- 
viron autant d'argent dans la même proportion. Les 
officiers eurent des richesses immenses*, et on envoya à 
Charles-Quint trente mille marcs d'argent , trois mille 
d'or non travaillé, et vingt mille majrcs pesant d'argent, 
avec deux mille d'or en ouvrages du pays. L'infortuné 
Âtabalipa n'en fut pas moins mis à mort. 

» Diego d'Almagro marche à Cusco à travers des mul- 
titudes qu'il faut écarter ; il pénètre jusqu'au Chili. Par- 
tout on prend possession au nom de Charles-Quint. 
Bientôt après la discorde se met entre les vainqueurs 
du Pérou, comme elle avait divisé Vélasquez et Fernand 
Cortez dans l'Amérique septentrionale. 

» Almagro et les frères de Pizarre font la guerre ci- 
vile dans Cusco même , la capitale des Incas : toutes les 
recrues qu'ils avaient reçues d'Europe se partagent, et 
combattent pour le chef qu'elles choisissent. Ils donnent 
un combat sanglant sous les murs de Cusco, sans que 
les Péruviens osent profiter de l'affaiblissement de leur 
ennemi commun. Enfin Almagro fut fait prisonnier, et 
son rivai lui fit trancher la tête ; mais bientôt .après il 
fut assassiné lui-même par les amis d'Almagro. 



208 

» Déjà se formait dans tout le Nouveau-Monde le- 
gouvernement espagnol : les grandes provinces avaient 
leurs gouverneurs; des tribunaux appelés audiences, 
étaient établis; des archevêques, des évêques, des 
tribunaux d'inquisition , toute la hiérarchie ecclésias- 
tique exerçait ses fonctions comme à Madrid, lorsque 
les capitaines qui avaient conquis le Pérou pour l'em- 
pereur Charles-Quint, voulurent le prendre pour eux- 
mêmes» Un fils d" Almagro se fit reconnaître gouver- 
neur du Pérou; mais d'autres Espagnols aimant mieux 
obéir à leur maître qui demeurait en Europe, qu'à leur 
compagnon qui devenait leur souverain, le firent périr 

par la main du bourreau. » (Voltaire.) 

Une nouvelle guerre civile fut de même étouffée. 
Charles-Quint, cédant enfin aux réclamations de Las- 
Casas, avait garanti au? Indiens la liberté personnelle, 
en, déterminant les tributs et services auxquels ils res- 
taient assujétis (4 54-2). Les colons espagnols prirent les 
armes et se donnèrent pQur chef Gonzalo Pizarre. Mais 
le nom du roi était si respecté, qu'il suffit, pour réta- 
blir Tordre, d'envoyer un vieillard, un inquisiteur (Pe- 
dro de la Gasca). Il rallia à lui la plupart des Espagnols, 
gagna les uns, battit les autres, et assura à l'Espagne la 
possession du Pérou (4646). 

x Jjableau de Vempire espagnol en Amérique. Si l'on . 
excepte le Mexique et le Pérou, l'Espagne ne possédait 
réellement que des côtes. Les peuples de l'intérieur ne 
' pouvaient être soumis qu'à mesure qu'ils étaient conver- 
tis par les missions, et attachés au sol par la civilisation. 
Découvertes et établissemens divers. 1540, Entre- 
prise de Gonzalo Pizarre, pour découvrir le" pays à Test 
des Andes ; Orellana traverse l'Amérique méridionale, 
par une navigation de deux mille lieues» < — Établisse- 
mens : 4527, province de Venezuela; 4535, Buenos- 
Ayres; 1536, province de Grenade; 1540, Sant-Iago; 
1 550, la Conception ; 1 555, Carthagèné et Porto -Bclla; 
1 567, Caraccas. 



' f 



209, 

Administration» Gouvernement politique : en Espa- 
gne, conseil des Indes, et cour de commerce et de jus- 
tice ; en Amérique, deux vice^rois, audiences, munici- 
palités* Caciques, et protecteurs des Indiens. — Gou- 
vernement ecclésiastique (entièrement dépendant du 
• roi ) : archevêques , évéques, curés pu doctrinaires, mis- 
sionnaires, moines: — Inquisition établie en i 570, par 
Philippe IL 

Administration commerciale. Monopole. Ports pri- 
vilégiés : en Amérique , la Vera-Cruz , Carthagène et 
Porto-Bello ; en Europe, Séville (plus tard Cadix) ) flotte 
et galions. L'agriculture et les manufactures sont négli- 
gées en Espagne et en Amérique pouf l'exploitation 
des mines ; lent accroissement des colonies, et ruine 
de la métropole avant 4600. Mais dans le cours du xvi e 
siècle, Ténorme quantité de métaux précieux que l'Es- 
pagne doit tirer de l'Amérique, contribue à en faire la 
puissance prépondérante de l'Europe. 



; CHAPITRE XVI. 

Des Lettres, des Arts et des Sciences, dans le xy« siècle. Léon X 

et François I er . , 



Le xv e siècle a été celui de l'érudition (0; l'enthou- 
siasme de l'antiquité a fait abandonner la route ou- 
verte si heureusement par Dante, Boccace et Pétrar- 
que. Au xvi e siècle, le génie moderne brille de nouveau 
pour ne plus s'éteindre. 

La marche de l'esprit humain à cette époque présente 
defpc mouvemens très- distincts : le premier, favorisé 
par l'influence de Léon X et de François I er , est parti- 

(>) Sous le rapport de la culture des lettres, le xv° siècle appartient 
tout entier au moyen âge. Four la dernière moitié de ce siècle, voyez le 
Précis de V Histoire au Moyen âge, par M. Des Michels. 



2i0 

culier à l'Italie et à la France; le second est européen. 
— Le premier, caractérisé par les progrès des lettres et 
des arts, est arrêté en Franco par les guerres civiles, 
ralenti en Italie. par les guerres étrangères; dans cette 
dernière contrée, lé génie des lettres s'éteint sous le joug 
<jes Espagnols, mais l'impulsion donnée aux arts s'y pro- 
longe jusqu'au milieu du siècle suivant. — Le second 
mouvement est le développement d'un esprit audacieux 
de doute et d'examen. Dans le xvn e siècle, il doit être 
en partie arrêté par un retour aux croyances religieu- 
ses, en partie détourné Vers les sciences naturelles; mais 
il reparaîtra au xvnr*. 

§ L — Lettres et Arts. 

Indépendamment des causes générales qui ont amené 
la renaissance des lettres, telles que les progrès de la 
sécurité et de l'opulence, la découverte des monumens 
de l'antiquité, etc., plusieurs causes particulières ont 
dû leur donner un nouvel essor chez les Italiens du 
xvi e siècle : i° les livres sont devenns communs, grâce 
aux progrès de l'imprimerie; 2° la nation italienne, 
ne pouvant plus influer sur son sort, cherche une con- 
solation dans les jouissances de l'esprit; 3° une foule de 
princes, et surtout les Médicis, encouragent les savant 
et lés artistes; les écrivains illustres profitent moins de 
cette protection. 

La poésie qui, avec les arts; fait la principale gloire 
de l'Italie au xvi e siècle, allie le goût et le génie dans 
la première partie de cette période. — La muse épi- 
que élève deux monumens immortels. • — La comé- 
die et la tragédie présentent des essais, à la vérité mé- 
diocres. — Les genres les plus opposas, la satire et la 
pastorale, sont Cultivés. C'est surtout dans ce dernier 
genre que l'on remarque la décadence rapide du goût. 

Le Boïardo, mort en. . .1490 Le Trissin, mort en, t - .1550 

Machiavel 1529 Xe Tasse '. . 1596 

L'Arioste 1533 Le Gnarini 4619 



\ 



211 

L**éIoquence, production tardive des.littératures, n'a 
point le temps de se former. Mais plusieurs historiens 
approchent de l'antiquité. 

Machiavel. 1529 Paul Jove 1552 

Fr. Guichardin 1540 Baronuis 1607 

Bembo 1547 

• 

Les langues anciennes sont cultivées autant que dans 
l'âge précédent, mais cette gloire est éclipsée par tant 
d'autres. 

Pontanus. ...... 1503 Sadolet 1547 

Aide Manuce 1516 Fracastor. ...... 1553 

Jean Second. . . . . .1523 J. C. Scaiiger. . ■. . . .1558 

Sannazar 1530 Vida 1568 

A. J.I*scari$ 1535 P. Manuce 1574 

Bembo 1547 Aide Manuce. . . . 1597 

La supériorité dans les arts est en Italie le trait ca- 
ractéristique du xvi 6 siècle. Les anciens restent sans 
rivaux dans la sculpture, mais les modernes les égalent 
dans l'architecture, et dans la peinture ils les surpas- 
sent. — L'école romaine se distingue par la perfection 
du dessin , l'école vénitienne par la beauté du coloris. 

Giorgion, mort en. ... 1511 Le Primalice, mort en. . . 1564 

Bramante. ...... 1514 Palladio 1568 

Léonard de Vinci. . î . 1518 Le Titien 1576 

Raphaël;.. . 1520 •Le Véronèse 1588 

LeCorrcge 1534 LeTintqret, .... . . 1594 

Le Parmesan 1534 Le Garayage 1509 

Jules Romain. . . . . 1546 Annibal Garrache. * « . 1609 

Michel- Ange 1564 Louis et Augustin Carrache. 1613 

Jean d'Udinc. ..... 1564 

La France suit de loin l'Italie. L'historien Comines 
est mort en \ 509. — François I ep fonde le Collège de 
France et l'Imprimerie Royale. Il encourage le poète 
Marot (154.4),' et les frères du Bellay (1 543-1 560), né- 
gociateurs et historiens. Sa sœur, Marguerite de Na- 
varre (1 549), cultive elle-même les lettres. François I« r 
honore le Titien, attire en France le Primatice et Léo* 



212 

nard de Vinci. XI bâtît Fontainebleau, Saint- Germain, 
Chambord, et commence le Louvre» Sous lui fleurissent 
Jean Cousin (1589), dessinateur et peintre; Germain 
Pilon, Philibert de l'Orme, Jean Goujon (1 572), sculp- 
teurs et architectes ; les érudits Guillaume Budée (1 540), 
Tdrnèbe (1565), Muret (1585), Henri Etienne (1598), 
célèbre imprimeur; enfin, les illustres jurisconsultes 
Dumoulin (1 566) et Cujas (1 590)*. — Après le règne de 
François I er , le poète Ronsard (1 585) jouit d'une estime 
peu .durable; mais Montaigne (1592), Amiot (1593), 
et la Satire Ménippée donnent un nouveau caractère 
à la langue française. 

Les autres pays sont moins riches en talèns illustres. 
Cependant l'Allemagne a son peintre, Albert Durer 
(vers 1514-); 1s Portugal et l'Espagne , leurs écrivains 
illustres, le Camoëns, Lope deVega et Cervantes; enfin 
les Pays-Bas et l'Ecosse, leurs érudits et leur historiens, 
Juste-Lipse (1606) et Buchanan (1 582). — Sur les qua- 
rante-trois universités fondées au xvi e siècle, quatorze 
le furent par les seuls rois d'Espagne, dix par Char- 
les-Quint. 

§ IL — Philosophie et Sciences. 

La philosophie dans le siècle précédent n'a été cul- 
tivée que par dès érudits.' Elle s'est bornée à attaquer la 
scolastique et à lui opposer le platonisme. Peu à peu, 
entraînée par un mouvement plus rapide, elle porte 
l'examen sur tous les objets. Mais on a trop peu d'obser- 
vation; nulle méthode; l'esprit humain cherche au ha- 
sard. Beaucoup d'hommes découragés deviennent les 
plus audacieux sceptiques. . 

Erasme, mort en i533 Cardan, mort en. 1576 

Vives. ....... 1540 Montaigne 1592 

Rabelais. ....... 1553 Charron. ...... 1603 

La théorie de la politique naît avec Machiavel; mais 
au commencement du xvi« siècle, les Italiens n'ont 



213 



pas fait assez de progrès dans cette science pour voir 
qu elle se concilie avec la morale. 



Machiavel 1529 

Thomas Morus 1533 



Bodin 1596 



Les scjences naturelles quittent les vahU systèmes, 
pour entrer dans 1$ route de l'observation et de l'expé- 
rience. 

Copernic ...... 1543 Gessner 1565 

Fallope. 1*62 Paré. . . : . . . . . 1592 

Vcsal 1564 Viete 1603 



/ # 



•" 



15 






TROISIEME PERIODE. 

0648-1789.) 

i" PARTIE DE LA TROISIÈME PÉRIODE, 1648-1715. 



CHAPITRE XVII. 

LouitXIV. i643-i 71 5. Evénement politiques de aon règne. Son administration f»). 
§ I. — Evénemens politiques du règne de Louis XIV. 

Division. 7- I- 1643-1661, L'ouvrage de Richelieu semble détruit par 
les troubles de la minorité de Louis XIV, comme celui de Henri IV l'a 
été par les troubles de la minorité de Louis XI II ; il est conservé par l'a- 
dresse de Mazarin. — II. 1661-1678 , La France développe ses ressources 
intérieures, s'agrandit et parvient à la suprématie. — III. 1678-1698, La 
France abuse de sa puissance et arme l'Europe contre elle : elle rend ses 
conquêtes, mais reste au premier rang. — IV. 1698-1715, La France des- 
cend du premier rang ^ mais son territoire n'est pas entamé, et elle donne 
un roi à l'Espagne. * 

1. 1643-1661 , Dés que la France ne sentit plus sur elle la puissante 
main de Richelieu, tous les élémens de troubles qu'il avait contenus 
commencèrent à s'agiter. Ni le parlement, ni les seigneurs, ni le grand 
Gondé , ni le frère de Louis XIII n'étaient disposés à obéir à une reine 
espagnole et à un ministre italien (Anne d'Autriche et Mazarin V Alors 
commença dans Paris une seconde représentation de la Ligue; mais celle- 
ci fut la parodie de l'autre : elle eut aussi Bea Barricades; die eut son 
Guise dans le coadjuteur, depuis cardinal de Retz. 

La cour sort de Paris. 1650, Arrestation des princes. Turenne se joint 
aux Espagnols. 1651, Mazarin quitte la France. Turenne opposé à Gondé. 
Combat du faubourg Saint-Antoine. 

Dans cette lutte ridicule, les héros et les politiques, Gondé et le car 
dinal de Ret^ furent vaincus; le prix du combat resta au cardinal Ma- 
zarin; tant le nom du roi était puissant. Les adversaires du ministre per- 

(0 Le motif énoncé dans la Préface, et la crainte de trop augmenter le ▼oïuroe et le 
prix d'un livre de classe, nous ont décidés a réduire la fin de ce Préci» à un simple pro- 
gramme. — Pour le chap. XVII, nous avons souvent extrait ou copié les Abrégés de 
Koch et de Muller. 



215 

dirent terre en France et gâtèrent 1 leur cause en s'associant à l'étranger. 
. Condé à la tête des Espagnols. 1655, Alliance de la France avec Crotn- 
well contre l'Espagne. Turenne échoue devant Valenciennes 5 1656 , 
s'empare de Mardick. 1657-1658 , Batailles des Dunes. Prises de Dunker- 
que, Gravelines, Oudenarde, Ypres, etc. 1659, Traité des Pyrénées; 
la France garde le Roussillon, l'Artois et plusieurs villes dans la Flandre, 
le Hainaut et le Luxembourg. Le duc de Lorraine rétabli. Louis XIV 
épouse l'infante Marie-Thérèse. 

II. 1667-1678 , Lorsque Louis XIV commença à gouverner par/ lui- 
même, l'épuisement des autres peuples favorisait l'ambition de la France : 
l'Espagne était occupée par la guerre de Portugal,. l'Autriche par celle 
des Turcs, la Hollande sans stathouder, et tout entière à ses intérêts 
maritimes; le roi d'Angleterre impopulaire et vénal, etc. Au contraire i 
la Fronce s'enrichissait par le rapide essor de son industrie et de son 
commerce; Colbert dirigeait les finances, etLouYois (depuis 1666) pré- 
parait les victoires de Turenne et de Condé. Louis XIV fit sans peine 
reconnaître la prééminence de la France en Europe : il acheta Dunker- 
que et Mardick à l'Angleterre (1662), et donna des secours au Portugal, 
à l'Empereur, aux Provinces-Unies (1663-4-5). 

Quoique Louis XIV, en épousant Marie-Thérèse d'Autriche, fille de 
Philippe IV, eût renoncé formellement à la succession du roi d'Espagne, 
il demanda, à la mort de son beau-père, les Pajrs-Bas espagnols, sous 
prétexte qu'en vertu du droit de dévolution, établi dans ces provinces, 
les filles aînées héritaient de préférence aux fils cadets. 

Les Français entrèrent en Flandre sans rencontrer de résistance. Mais 
l'Angleterre et la. Hollande alarmées se liguèrent avec la Suéde, et l'on 
vit le spectacle nouveau de trois états proies tans favorisant l'Espagne 
contre la France. Louis, contraint par la triple alliance (de La Haye) de 
poser les armes, rendit la Franche-Comté , mais garda ses conquêtes en 
Flandre (paix d'Aix-la-Chapelle, 1668). Le Roi n'attendit plus que l'occa- 
sion de se venger de la Hollande, qui l'avait arrêté dans le cours de ses 
succès* 

Un coup de tonnerre qui éclate toul-à-coup dans un ciel sans nuages 
n'est pas plus effrayant, suivant l'expression du chevalier Temple, que 
ne le fut l'invasion des Français dans les Provinces-Unies, quatre ans 
après la paix d'Aix-la-Chapelle. A la tête d'une armée de quatre-vingt 
mille hommes, ib prirent en un mois plus de quarante places fortes, 
envahirent les pays de généralité, les provinces de Gueldre, d'Utrecht, 
d'Over-Yssel, et avancèrent jusqu'aux environs d'Amsterdam. Charles II, 
accoutumé à tromper tour à tour son parlement, ses ministres et ses al- 
liés , annonça le projet de délivrer les Anglais, de la concurrence com- 
merciale des Hollandais, voulant justifier ainsi aux yeux de ses sujets aes 
liaisons avec Louis XIV. 

La Hollande à cette époque n'avait point d'alliance avec la maison 
d'Autriche, et ne pouvait attendre du secours de la Suède, qui s'était rap- 
prochée de la France. Les magistrats des Sept-Provinces ne savaient quel 
parti prendre 5 les peuples se plaignaient hautement; l'armée demandait 
à grands cris un général capable de la commander. Le parti d'Orange 
acquit de nouvelles forces, Il rétablit Guillaume III daus le possession du 

15. 



216 

stathoudérat, et rendit cette charge héréditaire pour ses descendant mâles. 

Guillaume d'Orange parvint à relever le courage des Hollandais et à 
ranimer leur activité; il arrêta les progrès de l'ennemi et réussit à armer 
contre Louis XIV la moitié de l'Europe : il fit comprendre aux Anglais 
qu'il était contraire à leurs intérêts de faire la guerre à un peuple protes- 
tant en faveur du roi de France , et le Parlement força Charles II à con- 
clure une paix séparée avec la Hollande, et à lui offrir sa médiation. Les 
deux branches de la maison d'Autriche prirent les armes pour soutenir 
/ la cause de la liberté hollandaise; et Frédéric- Guillaume le Grand, élec- 

teur de Brandebourg, marcha le premier au secours du jeune stathouder, 
neveu de sa femme et ami de son fils. 

Louis XIV abandonna alors ses conquêtes sur la Hollande pour tour- 
ner ses principales forces contre l'Espagne et les puissances germani- 
* ques : il conquit la Franche-Comté au printemps de Tannée 1674, dans le 

cours de laquelle le prince de Condé gagna la bataille de Sénef. Turenne 
attaqua l'hiver suivant les quartiers des Impériaux en Alsace, et les chassa 
de cette province malgré leur grande supériorité. Ce grand homme fut 
tué à l'entrée de la campagne de 1675, lorsqu'il était sur le point de 
livrer bataille à Montécuculli. Les Suédois, en conformité des articles se- 
crets de leur alliance avec la France, étaient entrés (décembre 1674) dans 
l'électoral de Brandebourg , pour Tappeler dans son pays l'électeur Fré- 
déric-Guillaume, qui commandait l'armée impériale sur le Rhin; l'élec- 
teur les surprit par des marches forcées et mit toute leur armée en dé- 
route auprès de Fehrbellin. L'Empire déclara alors la guerre à la Suède, 
et l'électeur, de concert avec les princes de Brunswick., l'évéque de Muns- 
ter et le roi de Danemark, dépouilla les Suédois de la plupart de leurs 
possessions d'Empire. Ces revers des alliés de la France , la mort de Tu- 
renne, la retraite de, Condé ne furent que faiblement balancés par les 
succès de Créqui en Allemagne,. de Luxembourg dans Jes Pays-Bas, de 
Duquesne dans les parages de Sicile. (Mort de Ruiter; occupation de 
Messine). 

Cependant la France garda son ascendant à la paix de Nimègue U67&). 
plie rendit ce qu'elle avait pris à la Hollande, mais retint à l'Espagne la 
Franche-Comté et douze places fortes des Pays-Bas ; l'Empire lui aban-. 
donna Fribourg à la place de Philipsbourg. Le Danemark, et l'électeur de 
Brandebourg furent obligés de rendre à la Suéde, alliée de la France, une 
partie de ses conquêtes» Louis XIV se vit l'arbitre de l'Europe. 

III. 1678-1698, Il commença alors une nouvelle suite de conquêtes, 
d'autant plus odieuses, qu'elles étaient colorées d'une légalité apparente. 
Il établit à Metz et à Brisach des Chambres de réunion destinées à faire 
revivre de prétendus droits attachés- aux diverses provinces qui lui 
avaient été cédées par le traité de Westphalie (1680). Il alarma l'Empire 
par ses injustes réclamations, et offensa la fierté espagnole, en exigeant 
que les vaisseaux de cette natipn baissassent pavillon devant les siens. 
Au milieu de la paix, il s'empara par surprise de Strasbourg (1682), ac- 
i quit la ville de Casai, capitale du Montferrat , et bombarda Luxembourg. 

Il donna de justes inquiétudes aux Suisses par la construction du fort de 
Hunmgue aux portes de Baie , humilia la république de Gênes , ae rendit 
odieux au saint Siège {voy. plus bas ) , et mécontenta les Hollandais en 



i 



217 

gênant leur commerce. La révocation de l'cdit de Nantes (1683) ôta aux 
Protestant français la liberté de conscience ; elle priva Louis XIV de huit 
cent, mille sujets qui portèrent leurs richesses, leur industrie et leurs ta- 
lens en Hollande, dans le Brandebourg et dans d'autres pays protestans , 
et qui firent détester partout le nom de leur persécuteur. 

Non content de se faire des ennemis de tous ses voisins, le roi de 
France indisposa encore contré lui l'empereur Léopold 1 er , en fomentant 
les troubles de la Hongrie, qui faillirent devenir funestes à la monarchie 
autrichienne. Le comte de Teckély, chef des Hongrois mécontens , appela, 
les Turcs à son secours, Mahomet IV leva une armée de deux cent mille 
hommes avec laquelle Je grand- vis ir Kara-Mustapha fondit sur l'Autriche 
et mit le siège devant Vienne. 

Dès que Léopold fut délivré de ce danger par le secours du vaillant 
Sobieski, roi de Pologne, il accéda à la ligue d'Àugsbourç, dans laquelle 
le prince d'Orange avait fait entrer successivement les rois d'Espagne et 
de Suède, les électeurs de Saxe, de Bavière, de Brandebourg, la maison 
de Brunswick et la plupart des princes protesians de l'Empire. La Savoie 
et le Danemark s'associèrent encore à celte liguent le pape Innocent XI 
la seconda de tous ses moyens. Jacques H, l'allié de Louis XIV, ayant été 
renversé du trône par son gendre le prince d'Orange, l'Angleterre de- 
vint Tàme de la ligue. 

. Louis XIV étonna ses ennemis en déclarant en même temps la guerre 
à l'Empire, à l'Espagne, à fa Hollande, à l'Angleterre, au pape. Il mit 
tin désert entré lui et ses ennemis par une nouvelle dévastation du Pas. 
• latinat, qui indigna l'Europe. Les villes impériales de Spire et de Worms 
les capitales du Palatinat et des margraviats de Bade, plus de quarante 
autres villes, une foule dé villages furent brûlés; le soldat n'épargna n ' 
les tombeaux des électeurs palatins à Heidelberg, ni les cendres des em- 
pereurs déposées à Spire. 

A cette époque, la plupart des généraux et. des ministres d'état aux- 
quels Louis XIV devait le surnom de Grand, n'existaient plus; le roi 
lui-même se laissait gouverner pat madame de Maintenon qu'il avait 
épousée secrètement, et qui lui recommandait des hommes médiocres 
pour les emplois les plus importans. Colbert ne dirigeait plus les finances, 
et l'État se trouvait accablé de dettes. La marine française éprouva un 
échec funeste à la bataille de la Hogue, qui dura trois jours. De tous les 
alliés ordinaires de la France , les Turcs pouvaient seuls faire diversion 
en sa faveur ; les Suisses redoutaient Louis XI Vj le roi de Suéde était 
devenu son ennemi en qualité de membre du corps germanique. 

Les armes* de la France furent cependant encore illustrées par Luxem- 
bourg dans les Pays-Bas, par Gatinat dans le Piémont; le premier gagna 
les batailles dé Fleurus, de Steinkerque et de Nerwinden (1690-92-93) j 
le second, celles de Staffarde et de Marsaille (1690-93). L'habileté ' de 
Guillaume empêcha les Français de profiter des victoires de Luxem- 
bourg. Celles de Catinat décidèrent le duc de Savoie à négocier. Il se 
sépara de la coalition, recouvra tous ses états, maria sa fille au duo de 
Bourgogne, et promit de faire garantir la neutralité d'Italie (Turin , 1696). 
Enfin Louis XIV affaibli , et prévoyant les embarras prochains de la suc. 
cession d'Espagne, reconnut Guillaume III, rendit à l'Angleterre-, à la 



218 

Hollande f à l'Espagne et à l'Empire toutes ses conquêtes , excepté le 
fioussillon, PÀrtois, la Franche-Comté et Strasbourg. Enfin il rétablit 
le duc de Lorraine ( paix de Ryswick, 1598). 

IV. 1698-1715. On ayait négligé au congrès de Ryswick de régler la 
succession de l'Espagne, que la mort prochaine de Charles II allait ouvrir. 
Louis XIV, l'empereur Léopold I«r, le prince électoral de Bavière, et le 
duc Victor-Amédée de Savoie y prétendaient également. Tous fondaient 
leurs prétentions sur leur mariage ou sur celui dé leurs ancêtres avec des 
princesses d'Espagne. Pour prévenir une guerre générale, Guillaume III, 
peu de temps après la pais de Ryswick, conclut un tf ailé par lequel les 
puissances contractantes promettaient de reconnaître pour héritier uni- 
versel du roi d'Espagne le prince électoral de Bavière. La France et 
l'Autriche devaient être indemnisées de leurs prétentions par la cession 
de quelques provinces détachées de la monarchie espagnole. La mort 
inattendue du jeune prince dérangea ce projet , et nécessita une nou- 
velle convention. L'Angleterre, la Hollande et la France s'accordèrent 
à déclarer Charles d'Autriche f second fils de l'empereur Léopold , hé- 
ritier présomptif du trône d'Espagne, sous la condition expresse qu'il ue 
pourrait jamais réunir l'Autriche, la Bohème et la Hongrie à la monar- 
chie espagnole. La France devait avoir pour sa part le royaume des 
Deux-Sicile* et le duché de Lorraine. 

Ces divers arrangemens furent pris sans que les puissances contrac- 
tantes consultassent ni le vœu de la naiion espagnole, ni la volonté de 
son roi. Charles II , prés de descendre au tombeau , était le jouet des in- 
trigues de ses courtisans , et ne savait à quelle résolution s'arrêter. Enfin 
le parti français l'emporta, et le roi d'Espagne, un mois ayant sa mort, 
signa un testament dans lequel il instituait- son héritier universel Phi- 
lippe d'Anjou , petit-fils de Louis XIV et second fils du Dauphin , en 
mettant pour unique condition que l'Espagne resterait toujours une 
monarchie indépendante, et ne serait pas démembrée; si Philippe d'An- 
jou se refusait à cette clause, l'archiduc Charle devait prendre sa place. 

Louis XIV, après une longue délibération , accepta le testament de 
son beau-frère , et commit en même temp3 l'imprudence magnanime de 
reconnaître roi d'Angleterre le fils de Jacques II. C'était porter le défi 
à toute l'Europe. L'Autriche, l'Angleterre et la Hollande conclurent une 
alliance à La Haye; la Prusse, le Portugal et la Savoie y accédérenl v La 
mort de Guillaume n'empêcha point la guerre de commencer. Deux 
généraux illustres, Marlborough et le prince Eugène, qui gouvernaient 
l'Angleterre et l'Autriche, commandèrent les armées confédérées. Le se- 
cond battit en Italie lu maréchal de Villeroi , fut arrêté par Vendôme , 
ina^is remporta la victoire de Turin, et chassa les Français de la Lom- 
bardie (1706). Le premier, non moins heureux en Allemagne, défit les 
Français à la bataille de Hochstedt (ou de Blenheim) , et sans Villars 
jl envahissait la France. Alors la Flandre et l'Espagne devinrent le prin- 
cipal théâtre de la guerre. — Le nouveau roi tV Espagne, Philippe V, 
petit-fils de Louis XIV, chassé par les Autrichiens, fut rétabli par la 
victoire dé Bcrwick à Almanza (1707); tandis que Marlborough, vain- 
^ queur à Ramillies et à Oudcnarde , s'emparait de toute la Flandre. - La 
Fran demandait la paix; mais les alliés ne se contentaient plus de dé- 



"219 

pouiller Philippe V, ils voulaient déshonorer Louis XIV ; ils exigeaient 
qu'il les aidât à chasser d'Espagne son petit-fils. Cependant Villars leur 
avait tué vingt mille hommes à Malplaquet , Vendôme avait affermi le 
trône de Philippe V par la victoire de Villaviciosa (1710),.; la disgrâce 
de Marlborough rappelé en Angleterre, l'élévation de l'archiduc Charles 
à l'Empire avaient préparé la paix. La victoire de Villars à Denain la 
décida. La paix d'Utrecht et de Rastadt (1712-3) fut conclue aux condi- 
tions suivantes : Renonciation -réciproque de Philippe V et des princes 
français aux couronnes de France et d'Espagne ; la France reconnaît 
l'ordre de succession établi en Angleterre , comble le port de Dunxer- 
que , cède l'Acadie, Terre-Neuve , etc. Elle renonce à tout privilège com- 
mercial dans les colonies espagnoles , et signe tin traité de commerce avec 
l'Angleterre et la Hollande $ elle reconnaît la Prusse comme royaume. 
L'Espagne cède à l'Angleterre Gibraltar et M inorque, et lui accorde un 
privilège de commerce avec ses colonies ; elle abandonne au duc de Sa- 
voie la Sicile; à l'Autriche, le royaume de Naples, le Milanais , la Sar- 
daigne et les Pays-Bas. (Par le traité de la Barrière, conclu en 1715, les 
Provinces- Unies occupent plusieurs places des Pays-Bas , pour les dé- 
fendre à frais communs avec l'Autriche. ) Quant à l'état de l'Empire K 
on prend pour base la paix de Rysvrick. 
1715, Mort de I^uis XIV. 

§ IL — Administration de Louis XIV. 

Grandeur de la France sous Louis XIV. Son influence politique sur 
l'Europe. 
Unité dn gouvernement. 1655 et 1667, Silence imposé au Parlement. 

Finances. Développement de la richesse nationale sous le ministère de 
Colbert, 1661-1693. Réglemens multipliés. Éncouragemens donnés aux, 
manufactures (draps, soieries, tapisseries, glaces, etc.). 1664-80, Canal 
du Languedoc. Embellissemens de Paris. 1698 , Description du royaume. 

— 1660, Entraves mises au commerce des grains. 1664, Retranchement 
des rentes. Vers 1691, dérangement des finances. 1695, Capitation. 1710, 
Dixième et autres impôts. 1715, La dette monte à deux milliards six 
cents millions. 

Marine. Nombreuse marine marchande. Cent soixante mille marins. 

1672, Cent vaisseaux de guerre; 1681, deux cent trente. 1692, Premier 
échec, à la Hogue. 

9 

Guerre. 1666-1691 , Ministère de Louvois. Réforme militaire. Unifor- 
mes. 1667, Etablissement des haras. 1671 , Usage des baipnnettes. Compat 
gnies de grenadiers. Régimens de bombardiers et de hussards. Corps des 
ingénieurs. Écoles d'artillerie. 1688, Milices. Service régulier des vivres. 

— Invalides. 1693, Ordre de Saint-Louis. — L'armée monte jusqu'à 
quatre cent cinquante mille hommes. 

Législation. 1667, Ordonnance civile. 1670, Ordonnance criminelle. 

1673 , Code de Commerce. 1685, Code Noir. Vers 1663, répression di* 
duel. 



220 

affaires àt religion. Querelles du jansénisme , qui se prolongent 
dant tout le régne de Louis XIV. 1648-1709, Port-Royal-des-Champs. 
1661 , Formule rédigée par le cierge de France. 1713, Bulle UnigertUus. 
— . 1673, Troubles au sujet de la régale. 1682 , Assemblée du clergé de 
France. — 1635-1699. Quiétisme. — 1685, Révocation de l'édit de Nan- 
tes. 1701-1704 , Révolte des Cévennes. 



CHAPITRE XVIII. 

Des Lettres, dtt Scianees et des Art», au tiède de Louis XIV. 

Jub génie des lettres et des arts brille encore dans les états du Midi 
pendant la première moitié du xvue siècle. Le génie de la philoso- 
phie et des sciences éclaire Jes états du Nord , surtout dans la seconde. 
La France, placée entre les uns et les autres, réunit seule cette double 
lumière, étend sur tous les peuples policés la souveraineté de sa langue, 
ejl se place désormais à la tête de la civilisation européenne. ' 

J I. — France. 

* 

La France, comme l'Italie, a son grand siècle littéraire après de lon- 
gues agitations. — Un monarque, objet de l'enthousiasme national, anime 
et encourage le génie. — L'esprit religieux est, à cette époque, la pre- 
mière inspiration des lettres. La religion , entre les attaques du xvi e siè- 
cle et celles du xvm e , anime ses défenseurs d'une force toute nou- 
velle. — vLes lettres reçoivent en outre une impulsion particulière de 
V esprit social, naturel aux Français, mais qui ne peut se développer que 
par les progrés de l'aisance et de la sécurité ; c'est à ce caractère que la 
littérature française doit sa supériorité dans la poésie dramatique et dans 
tous les genres de peintures de mœurs. — Une capitale, une cour, sont 
l'arbitre du mérite littéraire; peut-être y a-t-ii moins d'originalité, mais 
Ton atteint la perfection du goût. 

Le xvii e siècle présente deux périodes distinctes. En France, la pre- 
mière s'étend jusqu'en 1661, époque à laquelle Louis XIV commence à 
régner par lui-même, et à exercer quelque influence sur les lettres. Les 
écrivains qui ont vécu, ou qui se sont formés dan* cette période, ont 
encore pour la plupart quelque chose de l'àpreté du xvi c siècle; la 
pensée est plus hardie et souvent plus profonde. Le goût est encore le 
privilège de quelques hommes de génie. A cette période appartiennent 
(outre les peintres Le Poussin et Le Sueur) un grand nombre d'écrivains : 
Malherbe, Racan, Brébeuf; Rotrou et le grand Corneille $ Balzac et Voi- 
ture; Sarrazin et Mézerai; Descartes et Pascal. La Rochefoucauld, le 
cardinal de Retz et Molière > marquent le passage de la première période 
»& la seconde. 



.221 

Le siècle de Louis XIV ne produisit pas d'épopée proprement dite; 
le grand poème de ce siècle est écrit en prose. — Edat de la poésie 
dramatique. La tragédie atteint d'abord la noblesse , la force et le su- 
blime'; elle y joint' ensuite la grâce elle pathétique. —La comédie de 
caractère , sarirf rivale chez les autres nations. Trois âges de la comédie 
française : philosophie profonde et gaîté naïve, gaîlé sans philosophie, 
intérêt sans gàîlé. — L'opéra s'çjéve au rang des ouvrages littéraires. — 
Elégance et sagesse de la poésie didactique. — La satire attaque les ridi- 
cules plus que les vices, et surtout les ridicules littéraires. — L'apologue 
devient un petit poème dramatique. — La poésie lyrique ne fleurit que 
tard, et déploie plus d'art que d'enthousiasme. — La pastorale reste 
faible, ou trop spirituelle. — La poésie légère est plus gracieuse que pi* 
quanle. 

POÈTES DRAMATIQUES. 

Rotrpu, mort en «1630 Thomas Corneille, mort en . • 1709 

Molière ' 1673 Kegnard 170» 

Pierre Corneille. . ; .... . . 1684 Brueys.'. 1723 

Qiminault.. ..;'....... 1688 Campistrdn. 1723 

Racine. . . 16$9 Dancourt., . : . '. . 1726 

Boursauit . 1708 Crébillou.. 1762 

AOTRES POETES. 

Malherbe ....... 1628 Segrais. 1701 

Brébeuf. . 1661 Boileau. f 1711 

Racan 1670 La Fare 1713 

Benserade.. . ... 1691 Chaulieu... ...,..,. 1720 

M me Deshoulières^ 1694 J.-B. RQusseau. . . ... .,. .. • 1741 

La Fontaine , . 1695 

L'éloquence du barreau ne peut prendre l'essor (Le Maistre, 1658; 
Patru, 1681; Pélisson, 1693.) — L'éloquence de la chaire surpasse tous 
les modèles de l'antiquité. L'oraison funèbre reparait sous une forme in- 
connue aux anciens. 

/ OHATEDHS. 

Cheminais 1689 Fléchier. \ ; . 1710 

Mascaron 1703 Fénelon 1715 

Bourdaloue 1704 Massillon.. .*........ 1743 

Bossuet. 1704 

L'histoire peu fidèle et froidement élégante, ou bien de pure érudition. 
Le Discours sur F Histoire universelle ouvre à l'histoire une route nou- 
velle, t- D'abondans matériaux sont déposés dans les mémoires et dans 
les correspondances des négociateurs. — Une foule d'autres genres sont 
cultivés avec succès. — Le roman de caractère rivalise avec la comédie. 
— Les femmes rencontrent, dans la négligence d'une correspondance 
jntime, la perfection du style familier. . — La traduction fait quelques 
progrès. — Enfin la critique littéraire prend naissance. 

HISTORIENS. 

Sarrasin 16&4 Mézerai. . . . 1683 

Péréfixe 16/0 Le P. Maimbourg. 1686 

Le cardinal de Rets 1679 M»* de Motteville 1689 



222 

Saint-Réal, mort en 1692 Fleuri, mort, en ....... . 172fr 

Yarilias 16tf6 Rapin de Thoiras 1725 

Le P. d'Orléans 1698 Daniel * 1?28 

Amelot de la Houssaie 1706 Vertot 1735 

BoulainvUÏiers 1722 Dubos 1742 

HlSTOBI«HB-*BUDITS. 

Th. Godefroi 1648 Herbclot 1695 

Sirmond 1651 Tillemont 1698 

Pétau 1652 Cousin . . . . 1707 

Labbe 1667 Mabillon 1707 

Valois. . . ^ 1676 Ruinard 1709 

Moréri 1680 Baluze. ., 1718 

Godefroi 1681 Basnage 1723 

Ducaoge 1688 Le Clerc 1736 

PagL 1695 Montfaucon 1741 

UTT4BAXBQBS BN DIVBBS GBJfBBS. 

Voiture 1648 Bouhours 1702 

Vaugeias . 1649 Perrault. . . 1703 

Balzac. 1654 Saint-Evremont 1703 

Du Byer 1656 Fénelon. 1715 

Scarron 1660 Totirreil 1715 

D'Ablancourt. ........ 1664 M-« de Maintenon 1719 

Arnaud d'Andilly 1774 Hamiltoo 1720 

Le Bossu 1680 Dufresni. 1724. 

De Saci 1684 La Motte-Houdart 1731 

Chapelle . 1686 M"" de Lambert. ....... 1753 

Ant. Arnaud. 1694 Dubos 1742 

Laocelot 1695 Mongault. .......... 1747 

M— de Sévigné 1696 Le Sage 1747 

M»* de la Fayette 1699 Fontenelle 1757 

Bachaumont 1702 

lia métaphysique donne une impulsion nouvelle à l'esprit humain. — . 
Les moralistes accumulent les observations sans essayer de donner à la 
morale un ensemble , une forme scientifique. — On commence à porter 
l'esprit philosophique dans les sciences naturelles. -—Quelques sceptiques» 
isolés dans ce siècle religieux, semblent former la liaison du xtj« siècle 
avec le xvm«. 

PHILOSOPHES. 

Descartes 1650 Bayle. . , 1706 

Gassendi.. . 1655 Malebranche • • • 1715 

Pascal 1662 Huet 1721 

La Motte le Vayer 1672 Buffier 1737 

La Rochefoucauld 1680 L'abbé de Saint-Pierre 1743 

Nicole 1695 Fontenelle 1757 

La Bruyère 1696 

, Les sciences ne sont pas négligées. — Essor des mathématiques. — 
Naissance de la géographie. — Commencement des voyages scientifiques. 

SAVAHS BT lflATHtfMATICIBlTB. 

Descartes i . . 1650 Pascal. . 1661 

Fermât 1652 Pecquet 1674 



\ 



223 

Rohault, mort en. . 1675 Nicolas Bernouilli, mort en. . 1726 

L'Hôpital 1704 Jean BemouiiU. ....... 1748 

Jacq. Bernouilli. . 1705 

CtéOGBAPHES »T VOYAGBUBB. 

Sam son. . . . 1667 Tournefort .• 170» 

Bochard 1669 Chardin 1713 

Bernier 1688 De Flsle. .......;... 1726 

Vaillant 1706 

L'érudition classique n'est pas moins cultivée qu'au xvi e siècle ; mais 
elle est moins remarquée. 

i RU DITS ET POBTBS LATINS. 

Saumaise ~ 1653 Jouvenci 1716 

Lefèvre. . 1672 M™» Dacier 1720 

Rapin * . 1687 Dacier 1722 

Furetière 1688 Delà Rue 1725 

Mépage. 1691 De la Monnoie 1728 

Santeuil. . , 1697 Le cardinal de Polignac. . . . 1741 

Commire. , 1702 Brumoi 1742 

Danet. . . , 1709 

Quoique la culture des arts du dessin ne fasse pas le caractère princi- 
pal du siècle de Louis XIV, ils contribuent aussi à la splendeur de cette* 
brillante époque. L'architecture y jette le plus grand éclat. La peinture, 
cultivée d'abord avec génie , éprouve une décadence qui doit s'accélérer 
dans le siècle suivant. 

FBMTBBS, ( 

Le Sueur 1655 Mignard . 1695 

Le Poussin 1665 Jouvenet 1717 

Le Brun. : 1690 Rigaud 1744 

SCULPTEURS. 

Puget » I695 Coysevox. 1720 

Girardon. 1715 

ARCHITECTES. 

Fr. Mansard 1666 Claude Perrault 1703 

Le Nôtre 1700 H. Mansard. 1708 

* GRAVEURS. 

Callot. . ".* 1635 Audran.. 1703 

Nanteuil 1678 

MUSICIEN. 

Lulli 1687 

S IL -*- Angleterre, Hollande , Allemagne. — Italie, Espagne. 

, L'Angleterre, l'Italie et l'Espagne suivent immédiatement la France 
dans la carrière des lettres; les o"eux premières (avec la Hollande) la de- 
vancent dans celle des sciences. — Malgré l'apparition de quelques 
hommes supérieurs , le développement de l'Allemagne ne commence pas 



224 

encore. — L'Italie, dans la première moitié du xviie siècle, conserve la 
gloire de la peinture, que la Flandre partage avec elle. 

1° Littérature. Les noms de Bacon et de Shakespeare marquent le pre- 
mier essor du génie anglais. Ifajs les guerres religieuses arrêtent long- 
temps toute spéculation; c'est cependant à elles que Ton doit rapporter 
le phénomène du Paradis perdu ( malgré la tardive apparition de ce 
poème, 1669 ). — Sous Charles II, l'Angleterre est soumise à l'influence 
littéraire, comme à l'influence politique de la France; et cet esprit d'i- 
mitation subsiste dans toute la période classique de la littérature auglaise 
(de l'avènement de Châties II à la mort de la reine Anne, 1661-1714). 
Bans cette période, l'Angleterre produit trois grands poètes (Dryden, 
Addisson et Pope), beaucoup de poètes ingénieux, et plusieurs prosa- 
teurs distingués. 

v . POÈTES ANGLAIS. 

Shakespeare, mort en 1616 WaJter, mort en. ....... 1687 

Denham 1666 Dryden . .'. 170% 

Cowley 1667 Rowe 1718 

Milton ; 1674 Addisson. ........... 1719 

Rochester 1680 Prior 1721 

Butler 1680 Congrève 1729 

Roscommon 1684 Gay. . . . ,. 1732 

Otway 1685 Pope *. 1744 

PB08ATBUBS ANGLAIS'. 

Clarendon 1674 Addisson . . 1719 

Tillotson.' 1694 Steele. 1729 

Temple 1698 Swift 1745 

Burnet „ 1715 Bolipgbroke 1751 

La littérature italienne a perdu son éclat. TJn penseur original et pro- 
fond ( Yico, mort en 1744 ) fonde à Naples la philosophie de l'histoire ; 
quelques historiens estimables se font remarquer; mais la poésie est 
envahie par le bel esprit et l'afîectation. 

POBTBS ITALIENS. 

Marini 1625 Salvator Rosa 1673 

Tassoni. 1685 

HISTORIEN» ITALIENS. 

Sarpi 1625 Bentivoglio • . 1644 

Davila 1634 Nani.. 1678 

La littérature espagnole offre un prodige de philosophie et de gai té; 
après le nom de Cervantes viennent ceux de deux tragiques célèbres et 
de plusieurs historiens. : 

ÉCRIVAINS ESPAGNOLS. 

Cervantes 1616 Lopes de Vega. , 1635 

Mariana. ........... 1624 Soiis . 1686 

Herrera 1625 Calderone .- ; 1687 

2° Philosophie. L'Angleterre , préparée par les controverses théalogi- 
ques et politiques , ouvre à la métaphysique et à la' science politique des 



225 

roules nouvelles. — L'Allemagne oppose un seul homme à tous les mé- 
taphysiciens, comme à tous les savans anglais ( Leibnitz ). — Un Hollan- 
dais érige l'athéisme en système ( Spinosa ) ; mais un autre philosophe 
de la même nation ( Grotius ) donne à la morale une forme scientifique, 
et montre qu'elle doit régir les rapports des sociétés, comme ceux des 
individus. La nouvelle science , appuyée d'abord sur l'érudition , Test 
ensuite sur la philosophie. * < 

PHILOSOPHAS ET POLITIQUES ANGLAIS. 

Bacon, mort en 1626 Locke, mort en 1704 

Hobhes. 1679 Shaftesburv 1713 

Sidney . . . * . 1683 Clarke. . .' 1729 

Cudvforth \ . . . 1688 

PHILOSOPHES ET POLITIQUES HOLLANDAIS. 

Grotius 1645 S'Gravesande * 1742 

Spinosa. 1677 

PHILOSOPHES ET POLITIQUES ALLEMANDS. 

Puffendorf. 1694 Wolf. 1754 

Leibnitz 1716 

3° Sciences. Elles ont eu dans Bacon leur législateur et comme leur 
prophète j mais elles ne reçoivent leur direction véritable que de Ga- 
lilée et de Newton. A la suite de ces grands hommes se rangent une foule 
de savans. 

SAVANS ANGLAIS. 

Bacon .' 1626 Les Grégori. . . . 1646, 1675, 1708 

Harvey. 1657 Newton 1726 

Barrowl 1677 Halley. ....... ..... 1741 

Boyle. ... * 1691 

8AVAN8 ITALIENS. 

Aldovrandi 1615 Borelli ". 1679 

Sanctorius, vers 1636 Viviani 1703 

Galilée % . . 1642 Cassini 1712 

Toricelli 1647 

SAVANS HOLLANDAIS. 

Huygens 1702 Boerhaave. . .* 1758 

SAVANS ALLEMANDS ET DANOIS. \ 

Kepler 1630 Kirkher 1680 

Ticho-Brahé 1636 Stahl 1734 

4o Érudition. Elle s'exerce sur des objets plus variés. Les antiquités 
du moyen âge et de l'Orient partagent les travaux des érudits , jusqu'a- 
lors exclusivement occupés de l'antiquité classique. — Érudits anglais : 
Owen, Farnabe, Ussérius, Bentley, Marsham, Stanley, Hyde, Pocock. 
— Érudits de Holbwde et des Pays-Bas : Barlaeus , Schrevelius , Hein- 
sius, les Vossius. —^Erudits allemands : Freinshemius , Gronovius, Mor- 
hof , Fabricius, Spanheim. — Érudits italiens : Muratori, etc. 

5° Arts. Les arts suivent en Italie la décadence des lettres. La pein- 
ture seule fait exception. École lombarde , école flamande. 



226 



v 

PBIHTBX8 ITALIRN8. 



Le Guide ^ 42 Le Gucrchin.. ;....... 1660 

L'Albane 1647 Salvator Roaa 1673 

Lanfranc 1647 Le Bernin, sculpteur, archi- 

Le Dominiquin. 1648 tecte et peintre. 1680 

PKI1ITBI8 FLAMANDS. 

R u bens 1640 Rembrandt *1688 

Vandick 1641 Le jeune Teniers 1694 

Le vieux Teniers 1649 



CHAPITRE XIX. 

Révolutions de l'Angleterre et de* Provinces-Unies, 1648-1715. — Colonies des Eure- 
prfens pendant le ivu e siècle (pour celles de» Hollandais avant le traité de Westpbalie, 
voj. plot haut leurs gnerrei contre les Espagnols). 



$ I. — Révolutions de l'Angleterre et des Provinces- Unies. 

Angleterre» Le gouvernement militaire du protectorat contraire aux 
habitudes de la nation. Les Stuarta indisposent les Anglais par la fa- 
veur qu'ils accordent aux Catholiques, et parleur union avec Louis XIV. 
Guillaume et Anne gagnent les Anglais par une conduite opposée. Ce- 
pendant l'union du prince et de la nation n'est complète que sous la 
maison de Hanovre. 

Continuation de la révolution d'Angleterre. 1649-1660, République 
d'Angleterre. Charles H proclamé roi en Ecosse, et soutenu par les Ir- 
landais. Cromwell soumet f Irlande et l'Ecosse. Batailles de Dumbar et 
de "Worcester. — 1651, Acte de navigation. 165,2-1654, Guerre contre la 
Hollande. — 1653, Cromwell chasse le Parlement 

1653-1658, Cromwell Protecteur. Alliance avec la France contre l'Es- 
pagne. Dunkerque remis à Cromwell. Son gouvernement intérieur. 1658, 
Sa mort. 

16*8-1660, Richard Cromwell Protecteur. Son abdication. Le Rump, 
bieutôt dissous. Monck. Rappel des Sluarts, 

1660-1685, Charles II. 1660-1667, Ministère de Clarendon. Procès 
des régicides. Rétablissement de l'épiscopat. Bill d'unifoimilé. Déclara- 
tion de tolérance. Dunkerque' vendu à la France. 1664-1667, Guerre 
contre la Hollande. Incenc^ de Londres imputé aux Catholiques. 1667 , 
Disgrâce de Cl areudon. Révolte des Presbytériens d'Ecosse. 

1670-1685, La Cabale. Alliance secrète avec Louis XIV. 1672-1674, 
Guerre contre la Hollande. Bill du Test. Prétendue Wons pira lion des Ca- 
tholiques. 1679, Le duc d'York exclu de la succession au trône. Bill 
d'Habeas corpus. 1680, WTtigs et Torys. 1681-1685, Charles II n'as- 
semble plus de parlement. 1683, Mort de Russel et de Sidnejr. 



22T 

1685-1608, Jacques IL Invasion et supplice d'Argyleet de Monmouih. 
Jtfferies. Ambassade solennelle à Home. Dispense du Test. Procès des 
évéques. — Politique de Guillaume, prince d'Orange. 1688, U passe en 
Angleterre. Fuite de Jacques. ( Voyez chap. XVI. ) 

1689-1714, Guillaume III et Marie II. 1689 , Déclaration des droits. 
1690-1691, Guerre d'Irlande. 1694, Parlement triennal. 1701, Acte 
de succession en faveur de la maison de Hanovre, limitation de la pré- 
rogative. , ' 

1702- 1714, A*ke. 1706, L'Angleterre et l'Ecosse réunies. 

Provinces- Unies. 1647-1650, Guillaume IL 1650-1672, Vacance du 
stathoudérat , supprimé en 1667. Administration de, Jean de Witt. 
1652-1654, 1664-1667, 1672-1674, Guerres contre l'Angleterre; Tromp 
et Ruyter. 1672, Le stathoudéra trétabli en faveur de Guillaume III, 
à l'occasion de l'invasion de la Hollande par Louis XIV. (Pour les évé- 
riemens qui suivent, voyez chap. XVII.) 1702-1747, Seconde vacance du 
stathoudérat, depujs la mort de Guillaume III jusqu'à l'avènement de 
Guillaume IV. 1715 , Traité de la Barrière. 

§ IL — Colonies des Européens pendant le xrn* siècle. 

Au commencement du xvn* siècle i les Hollandais et les Anglais ont 
enlevé à l'Espagne l'empire, des mers ; au milieu , ils se disputent eux 
mêmes cet empire; à la fin,, ils s'unissent contre la France qui menace 
de le conquérir. 

Les comptoirs hollandais sont désormais sans rivaux dans l'Orient, 
comme -les colonies espagnoles dans l'Amérique méridionale. Mais deux 
puissances nouvelles, les Anglais et les Français , s'établissent sur le con- 
tinent septentrional de l'Amérique et aux Antilles, et s'introduisent dans 
l'Inde. 

Les colonies qui, au commencement du siècle , n'étaient guère que des 
spéculations particulières, autorisées par le gouvernement, prennent de 
plus en plus le caractère de provinces de la métropole. La guerre s'étend 
souvent des métropoles aux colonies , mais les colonies ne sont pas en- 
core pour l'Europe des causes de guerre. 

Colonies hollandaises. La puissance prépondérante du Mogol empêche 
lès Hollandais de faire des établissement considérables sur le continent. 
— Maîtres dés îles, ils s'occupent presque exclusivement du commerce 
des épiceries et des drogueries. — Point d'émigrations nationales comme 
en Angleterre ; ce sont des comptoirs plutôt que des colonies. ~* 

Suite des conquêtes des Hollandais sur les côtes et dans les lies de 
llnde. 1653, Colonie du cap de Bonne «Espérance. 1667, Conquête de 
Surinam. 1645-1661 , Guerre contre les Portugais dans le Brésil. 

Colonies anglaises. Politique invariablement favorable aux colonies, 
malgré les révolutions de la métropole. 

Fondation des colonies anglaises dans l'Amérique septentrionale. (Ex- 
péditions de Raleigh depuis 1583. ) 1606 , Compagnies de Londres et de 
Pljmouth pour le commerce de la Virginie et de la Nouvelle-Angleterre. 



228 

Fondation de Peut de Massacbuset, 1621; de la ville de Boston, 1627; 
des états du Maryland, 1632; de Rhode-Island 9 1634; de New-York et 
de New-Jersey, 1635; de Connectait, 1636; de la Caroline, 1663; de la 
Pensilvanie, 1682. — Vers 1619, pèche de Terre-Neuve et du Groenland. 
— 1625, 1632, Établissemens aux Antilles. 1655, Conquête delà Jamaïque. 

Première compagnie des Indes orientales, fondée dés 1600. 1623, Mas- 
sacre d'Amboine. 1662, Acquisition de Bombay. Fondation de Calcutta. 
Vers 1690, guerre contre Aureng-Zeb. — 1698, Seconde compagnie des 
Iodes orientales. — Réunion des deux compagnies* en 1702. ' 

En Afrique, diverses compagnies privilégiées. Vers 1670-1680, Con- 
struction des forts de Saint-James et de Sierra-Leone. ' 

Colonies françaises. Les Français suivent un système moins exclusif 
que les autres nations : mais leurs colonies principales ne sont que des 
pêcheries, des comptoirs pour le commerce des pelleteries , ou des plan- 
tations de denrées coloniales qui ne sont pas encore en Europe l'objet 
d'une consommation universelle. 

1625-1635 , Établissement particuliers aux Antilles, à Cayenne et au 
Sénégal. Col bert achète au nom du Roi tous les établissemens des An- 
tilles. 1630, Origine des boucaniers et des flibustiers. 1664-, La France 
prend sous sa protection leur établissement à Saint-Domingue ; cette 
partie de 111e lui reste à la paix de Ryswick, 1698. 1664-1674, Première 
compagnie privilégiée des Indes occidentales. 1661 , L'Acadie , disputée 
par F Angleterre à la France, reste à cette dernière jusqu'à la paix d'GF- 
trecht, 1713. 1680, Entreprise sur la Louisiane. 

1679, 1685, Compagnies d'Afrique. — 1664, Compagnies des Indes 
orientales. Tentatives sur Madagascar. 1675, Comptoir à Surate. 1679 , 
Fondation de Pondichéry. Défense d'importer les produits industriels de 
l'Inde. Ruine de la compagnie. 

Colonies danoises, peu importantes, à Tranquebar, vers 1620; et à 
Saint-Thomas, 1671. 



CHAPITRE XX. 



Etati méridionaux. Empire d'Allemagne. 1648-17 1 5. 



S I. — Portugal, Espagne, Italie* 

Tous les états du Midi semblent frappes de langueur. Le Portugal a re- 
couvré son indépendance; mais, abandonné par la France, il se dévoue 
à l'Angleterre, dont il sera de plus en plus dépendant. L'Espagne par- 
vient au dernier degré de faiblesse, et «e relève un peu sous une nou- 



/ 



229 

Telle dynastie. L'Italie semble encore soumise â l'Espagne ; mais on y sen 
l'influence du roi de France et de l'Empereur, dont les familles rivales 
doivent bientôt se disputer la possession de cette contrée. 

Portugal. 1656-1667, Alphonse VI, successeur de Jean IV. II s'allie à 
l'Angleterre, 1661, 1Q63, 1665, Victoires de Schomberg sur les Espa- 
gnols. 1667, Alphonse obligé de nommer son frère régent. 1668, Paix 
avec l'Espagne, qui reconnaît l'indépendance du Portugal. 1669, Paix 
avec les Provinces-Unies, qui conservent leurs conquêtes sur les Portu- 
gais dans les Indes orientales. — 1667-1706, Pierre IT. 1703, Le Portugal 
accède à la grande alliance contre la France , et n'obtient à la paix d'U- 
trecbt qu'une meilleure limitation pour ses colonies dans l'Amérique 
méridionale. 1703, Traité de commerce de Methuen avec l'Angleterre. 

Espagne. 1665- 17Ô0, Charles II, successeur de Philippe IV. Langueur 
delà monarchie espagnole, dépouillée successivement par la France. 
Extinction de la branche espagnole de la maison d'Autriche. —7* Avène- 
ment de la maison de Bourbon. 1700-1746, Philippe V. 1701-1713, 
Guerre de la Succession. {Voy. le règne de Louis XIV.) 1713, Convoca- 
tion des Corlés ; abolition de la succession castillane, 

Italie. L'affaiblissement de l'Espagne dans le xvn* siècle semble devoir 
rendre quelque liberté ftux petits princes italiens. Trop peu encouragés 
par la France, ils se tournent du côté de l'Empereur. Venise seule, dans 
ses guerres contre les Turcs, annonce encore quelque vigueur. 

1647-1648, Révolte de Naples sous Masaniello et le duc de Guise; ré- 
volte de Païenne. 1674-1678, Révolte de Messine. Louis XIV proclamé 
roi de Sicile. — • Le roi de France fait encore sentir trois fois sa supré- 
matie en Italie. 1664, 1687,- Insultes faites au Pape. 1684, Bombardement 
de Gènes. — 1708, 1709 1 Les duchés de Mantoue et de la Mirandble 
confisqués par l'Empereur. — Grandeur de la maison de Savoie, sous 
Victor Amede*e II, 1675-1730. L'Angleterre, pour assurer l'équilibre de 
l'Italie, lui fait accorder, par le traité d'Utrecht (1713), la dignité royale? 
et la possession de la Sicile. 

§ II. — Empire, Hongrie et Turquie. 

Empire. Les principaux événemens qui ont lieu de 1648 à 1713 dans 
l'empire germanique semblent en préparer, la dissolution. 1° Les divi- 
sions religieuses et Politiques, que le traité de Westphalie est) loin d'a- 
voir fait cesser, amènent le&Protestans à une sorte de scission ( création 
du Corps évangélicjue).*! La France, en négociant avec chaque prince 
séparément, donne à tous les membres du corps germanique une impor- 
tance individuelle. 3° L'élévation des électeurs de Saxe et de Hanovre 
(plus tard celle d'un prince de Hesse-Cassel ) à des trônes étrangers en- 
gage l'Allemagne dans toutes les affaires de l'Europe. 4* La création du 
royaume de Prusse rompt l'unité tle l'Empire. 

L'Allemagne trouve cependant des principes d'union dans son état 

16 



$30 

d'hostilité à l'égard des Français et des Tares, ei dans la fondation des 
Diètes permanentes. 

L'Empire ne voit pas d'abord que l'ancien système n'existe pins, et re- 
garde encore la France comme sa protectrice contre la maison d'Autri- 
che, lies réunions d'Alsace loi ouvrent les yeux, et la maison d'Autriche 
se retrouve véritablement à la tête du corps germanique. Toute-puissante 
sous Joseph I er , elle s'affaiblit de nouveau, malgré son agrandissement 
matériel, par l'incapacité de Charles VI, qui, ne songeant qu'à faire 
garantir sa pragmatique , sacrifie toujours le présent à l'avenir. 

1648-1657, Fin du régne de Ferdinand III. 1654 , Formation du Corps 
épevtge'lique. 1656, Fartage de la succession de Saxe. — 1658-1705, 
Léopold I er , élu de préférence à Louis XIV et à l'électeur de Bavière. 
1658, Ligue du Rhin sous l'influence de la France. 1663, Diète perpé- 
tuelle de Ratisbonne. 1680, Réunions d'Alsace. 1685, Extinction de la 
branche palatine de Simmern. 1688, Election de l'archevêque de Cologne. 
1692, Création d'un neuvième électoral en faveur de la maison de Ha- 
novre ( agrandie récemment par la succession de Saxe-Lauenbourg ), 
1697, Auguste II, électeur de Saxe, élevé au trône de Pologne. 1700- 
1701, la Prusse érigée en royaume; Frédéric 1er- 1705, Confiscation de 
la Bavière. 

1705-1711 , Josiph le*, empereur. 1708, Rétablissement des électeurs- 
rois de Bohême dans les droits comitiaux. Réunion du Mantouan àTEoi- 
nire. — 171 1-1740, Charles VI, empereur. Capitulation perpétuelle. 171 3 , 
Pragmatique sanction de Charles VI. 1714 , La maison de Hanovre ap- 
pelée au trône d'Angleterre dans la personne de l'électeur Georges. 

Hongrie et Turquie. La maison d'Autriche étouffe pour toujours la ré- 
sistance de la Hongrie, rend ce royaume héréditaire, et depuis la réunion 
de la Transylvanie, n'a plus rien à craindre des Turcs. — La Turquie 
déploie encore quelque vigueur, mais elle est en proie à l'anarchie ; elle 
éprouve les plus sanglantes défaites , et ne compense pas par ses con* 
quêtes sur les Vénitiens les pertes qu'elle fait du côté de la Hongrie. 

1655r-1687, Léopold I«r. — 1648-1687, Mahomet IV. Mécontentement 
des Hongrois. Troubles de la Transylvanie. Conquêtes des Turcs arrêtées 
par la victoire de Mon técuculli à Saint-Gotthard , 1664. Trêve de Ternes- 
yvar; les Turcs conservent leurs conquêtes. (1669, Candie prise aux Vé- 
nitiens par les Turcs, après un blocus de vingt ans.) 

Nouveaux troubles de Hongrie. Exécution des comtes Zrtni, Frange- 
paui , etc. Persécutions religieuses. Suppression de la dignité de Palatin. 
1677; Guerre civile. Tœkœli soutenu par les Turcs. 1688$ Vienne as- 
siégée par le grând-visir Kara-Mustapha, et délivrée par Sobieski. Ve- 
nise et la Russie prennent parti pour l'Autriche. Victoires de Charles 
de Lorraine , de Louis de Bade et du prince Eugène. 1686 , Conquête de 
la partie de la Hongrie soumise aux Tures, de la Transylvanie et de l'Es- 
clovonie. 1687 , Diète de Presbourg ; le trône de Hongrie déclaré héré- 
ditaire. 

1681-1740, Joseph I«, Charles VI. — 1687-1730, Soliman III t 
Achmet II, Mustapha II, Achmet III.— Les Autrichiens envahissent 



231 

la Bulgarie, la Sertie et la Bosnie, bientôt reprises par le grand-viâhr 
Mostapba-Kiuperli. 1691 , Défaite et mort de Kiuperli à Salanketnen. 
1697, Défaite du sultan Mustapha II à Zentha. iM%Paix de Cartowà*; 
l'Empereur maître de la Hongrie (moins Temeswar et Belgrade), de la 
Transylvanie et de l'Ësclayonie; la Porte cède la Morée aux Vénitien», 
Kaminiec aux Polonais, Azow aux Russes* 

1703, Soulèvement des Hongrois et des Transylvains, sous François 
Rakoczi, apaisé en 1711. 

4715, La Morée reconquise sur \e$ Vénitiens par les Turcs. L'empe- 
reur Charles VI, le Pape et le roi d'Espagne arment pour les Vénitiens* 
Siège de Corfou. 1716, Victoire du prince Eugène à Peterwaradin 91717, 
devant Belgrade. 1718, Paix du Pdssatwwilz; les Vénitiens perdent la 
Morée ; l'Empereur gagne Teraeswar, Belgrade et une partie de la Va- 
lachie et de la Servie* 



CHAPITRE XXI. 



Etats do jNord. Charles XII et Pierre le Grand. 1 6*48-1 735. 



La Suéde, qui depuis Gustave-Adolphe joue un rôle au-dessus de ses 
forces réelles, a la suprématie, et tend à l'empire du Nord. Charles-Gus- 
tave , moins politique que guerrier, ne parvient qu'à lui assurer les côtes 
de la Baltique. Après lui, le sénat, qui gouverne, vend ses secours à la, 
France, et compromet la gloire militaire de la Suéde. — Réunie de nou- 
veau sous le pouvoir monarchique, la Suéde redevient conquérante, et 
réalise un moment tous les projets de Charles-Gustave. Mais elle retombe, 
épuisée par ses efforts héroïques, à la place que sa faiblesse et la gran- 
deur de la Russie lui marquent désormais. 

lie Danemark semble profiter moins que la Suéde à l'établissement du 
pouvoir absolu. Il voit passer la suprématie du Nord , de la Suéde à la 
Russie , comme auparavant de la Pologne à la Suéde: Mais ce qui lui im- 
porte le plus , c'est que toute autre puissance que la Suède" soit prépon- 
dérante dans la Baltique. 

La Pologne reçoit dans sa constitution de nouveaux élémens d'anar- 
chie. Elle a besoin d'un législateur : Jean Sobieski n'est qu'un héros.' 
It'éclat nouveau dont elle brille sous lui appartient tout entier au sou- 
verain. Avec le xvnr* siècle, commence pour la Pologne un âge de dé-" 
pendance des étrangers ; les dissensions religieuses qui s'y développent 
doivent amener à la fin du siècle l'anéantissement de la Pologne , comme 
état indépendant. 

La Russie, n'ayant pas encore une organisation régulière, ne peut agir ' 
puissamment an dehors. Elle cède d'abord à la Suéde , mais prend sur 

16. 



232 



la Pologne un ascendant qui doit toujours «'accroître. Le nivellement 
des rangs prépare rétablissement du pouvoir absolu, qui donnera à la 
Russie l f organisation intérieure et l'influence extérieure. — - Sous-Pierre 
le Grand» toutes les «forces sont concentrées dans la maison du prince; 
la Russie sa fait jour jusqu'aux trois mers qui la bornent, et devient, 
• dans l'espace d'un seul régne, une nation européenne et la puissance 

dominante du Nord. 

J I. ~-ÉlaU du Nord, dans la seconde moitié du xgrni* siècle. 

Suède et Danemark. 1654 , Abdication de Christine, fille de Gustave- 
Adolphe. 1654-1660, Charles-Gustave , X* du nom. Il rompt la trêve 
' avec la Pologne. 1656, -Bataille de Varsovie. 1667, Le tzar Alexis, l'em- 
pereur Léopold , le roi de Danemark , Frédéric III , et l'électeur de 
Brandebourg , Frédéric-Guillaume , se liguent contre la Suéde. Charles- 
Gustave évacue la Pologne et envahit le Danemark. 1658, Paix de R os-- 
child, bientôt rompue par le roi de Suède. Il échoue devant Copen- 
hague. Intervention de la Hollande. 1660, Mort de Charles-Gustave; 
minorité de Charles Xl. 

1660, Traité de Copenhague : le Danemark cède à la Suéde les pro- 
vinces de Scanie, de Bleckingie, de Halland et de Bahus ; Traité d'O- 
liva : le roi de Pologne renonce à ses prétentions à la couronne de Suéde, 
et abandonne à cette puissance la Livonie et l'Estonie ; il reconnaît l'in- 
dépendance de la Prusse ducale ; 1661 , Traité de Kardis : la Russie rend 
à la Suéde ses conquêtes en Livohie. 

1615-1679, Revers de la Suéde, alliée de Louis XIV. Supériorité du 
Danemark, allié de l'électeur de Brandebourg. 1679, la Suéde recouvre 
ses provinces dans l'Empire, à là paix de Niraègue. 

Les gouvernemens de Danemark (1660) et de Suéde (Î680) devien- 
* nrnt, d'aristocratiques qu'ils étaient, purement monarchiques. 1680 , Le 

roi de Danemark déclaré par les Etats héréditaire et absolu. 1680, 
1683, 1693 , Le roi de Suéde affranchi par les États de la domination 
du sénat, et déclaré absolu j réunion violente des domaines royaux. — 
1680-1697, La Suéde, sous Charles XI, augmente ses forces, comme 
pour se préparer à la guerre qu'elle doit soutenir au commencement du 
xviii* siècle. 1660-1699, La puissance du Danemark* accrue de même 
par la nouvelle Forme du gouvernement, sous Frédéric III et Chris- 
tiern V, est affaiblie par la querelle des deux branches de la famille 
royale ( branche régnante , branche ducale de Holstein-Gottorp ) ; cette 
querelle doit être l'occasion de la guerre générale du Nord. 

Pologne. 1648-1674, Règnes malheureux de Jean CasiU m et de Michel 
Wibshzowic&i. 1652, Origine du liberum veto. Casimir essaie en vain de 
se donner pour successeur le fils du grand Condé. 1647-1667, Soulève- 
ment des Cosaques, soutenus par les Tar tares et (depuis 1654) par les 
Russes. 1668, Abdication de Jean Casimir, 1671, Nouvelle guerre des Co- 
saques, soutenus par les Turcs. 1673, Victoire de Jean Sobieski aux tes 
Turcs, à Choczira. 

16741691, Jean Sobieski. Ce-héros défend la Pologne contre les Tnrcs, 



233 

/ 

délivre l'Autriche [yoyct le chap. XIX) ; mais il cet obligé, en 1686 > 
d'acheter l'alliance des Eusses contre les Ottomans, en leur cédant Smo- 
lensko , Tschernigow, Nowgorod-Severskoi, Kiovie,.la petite Russie, et 
la suzeraineté des Cosaques Zaporogues. — 1697, Élection d' Auguste II, 
électeur- de Saxe. 

Russie. l&46î-1676, Alexis Miohaïlo^itsch. J^a Russie commence à 
s'agrandir aux dépens de la Pologne. Troubles intérieurs. — 1676-1082 , 
Fiooa II Alexiéwitsch, Abolition de» xangs et prérogatives héréditaires 
de la .noblesse. — 1682-1689, Iwàn V et Pi erse I«. Sophie j leur sœur, 
gouverne en leur non). 1685, Révolte des slrélitz» 

1689, Pierre le Grand règne seul. 

§ II. — États du. Nord au commencement, du xrut* siècle. Charles XII 

et Pierre le Grand. 

1699. Alliance secrète du Danemark, dé la Pologne et de la Russie, 
contre la Suéde. 1700, Invasion du SIeswic par les Danois, de la Livouie 
parle roi de Pologne et par le Tzar. Charles XJI débarque en Zélande, 
et, assisté des Anglais et des Hollandais, oblige Frédéric IV à signer la 
paix de Travenlhal. Victoire du roi de Suéde sur les Russes, à Narva. 
1702, 1706, Autres victoires sur les Polonais et les Saxons. Charles Hl\ 
fait déposer Auguste , et élève au trône de Pologne Stanislas Lesctlnski. 
1706, Invasion de la Saxe; Auguste renonce à la couronne de Pologne. 

1708., Charles XII attaque Pierre le Grand v qui vient d'envahir une 
partie de l'Ingrie, de la Livonie' et de la Pologne. Il s'enfonec dans l'U- 
kraine. 1709, Défaite de Charles XII devant Fultav/a. Renouvellement de 
l'alliance d'Auguste II, de Frédéric IV, et de Pierre le Grand contre la 
Suéde. Auguste II rétabli, en Pologne. Invasion du Holstein et de la 
Scanie, des provinces delà- Suéde en Allemagne, et conquête définitive 
deîlngric, de la Livonie et de la Carélie. 

1709-1713, Charles XII , réfugié àJBender, excite les Tutçs contre 1rs 
Russes. Ses espérances trompées par le traité du Pruth. 1714, Retour de 
Charles XII en Suéde. 1715, Ligue de la Russie, du Danemark et de la 
Pologne , avec la Prusse et l'Angleterre, contre la Suéde. Ministère de 
Goertz. Négociations avec Pierre le Grand. 1718, Charles XII est tué de- 
vant Friedrichshall en Nonrége. , 

1719, 1720, 1721, Traitée de Stockholm et de Nystadt. La Suéde cède 
au Hanovre Brème et Verden; à la Prusse, Steitin et une partie de la 
Poméranie $ elle reconnaît Frédéric- Auguste pour roi de Pologne ; elle 
renonce, à l'égard du Danemark, à l'exemption des péages duSund, et 
lut garantit la possession du SI es vie; enGn elle abandonne à la .Russie, 
la Livonie, l'Estonie, l'Ingrie et la Carélie. 

Ces pertes immenses, et surtout l'affaiblissement du pouvoir royal, 
contre lequel a prévalu de nouveau l'aristocratie , dtenl à la Suéde toute 
importance politique pour un demi-siècle. 

1683-1725, Règne de Piene le Grand. Grandes vues de ce prince,' 
qui suit les plans d'Iwan 111 et d'Iwan IV : 1° il entreprend de civiliser 
la Russie à l'imitation des autres nations de l'Europe; il attire les élran- 



/ 



234 

gers, et fait lui-même de longs voyages; le premier (1697) en Hollande et 
en Angleterre, pour s'instruire dans les arts méeaoîcraes et dans la ma- 
rine; le second (1717) en Allemagne, en Danemark et en France, pour 
mieux connaître les intérêts politiques de l'Europe ; 2* il foit de la Russie 
une puissance maritime. Four s'ouvrir la navigation de la mer Noire, il 
attaque les Turcs, et leur prend , en Î696, le port d'Azovr, qu'il perd 
en 1711 ; pour s'ouvrir la navigation de la Baltique, il fait la guerre a la 
Suède (1700-1721), et fonde, en 1703, Saint-Pétersbourg, qui devient la 
oapitale de son empire. Vers le commencement de son régne, il donne 
une nouvelle importance au port d'Archangel, sur la mer Blanche, et 
vers la fin (1722), il enlève aux Persans Derbent, sur la mer Caspienne. 

£• Il renverse toutes les barrières qui pouvaient arrêter le pouvoir ab- 
solu; il casse la milice des strélilz, 1698; il abolit la dignité patriar- 
cale, 1721. 

Organisation de l'armée; écoles; réforme des finances, de la législa- 
tion, de la discipline ecclésiastique , du calendrier. Police. Manufactures; 
canaux; commerce de caravanes avec la Chine. 

Le Fort ; Menzikoff. Pierre épouse Catherine , 1797; fait condamner k 
mort son fils Alexis, 1718; prend le titre d'empereur, 1721; ordonne- 
que les princes régnons puissent désigner leur successeufr, 



DEUXIÈME PARTIE DE LA TROISIÈME PÉRIODE, 

1715-1789. 



chapitre; xxil 



Etat de 1'Oceident après la paix d'Ulrecht et la aiort de Louis XIV. Guerres et oégo> 
cialioos relatives à la succession d'Espagne. 1 716-1738. 



Le traité d'Ulrecht n'a point satisfais les deux principales parties inté- 
ressées dans la guerre de la succession d'Espagne. Cependant l'union: 
étroite de la France, de l'Angleterre et de la Hollande, empêche deux 
fois la guerre générale d'éclater (1720, 1727), et prolonge la paix pendant 
vingt ans (1713-1733). 

L'élection de Pologne embrase enfin toute l'Europe. Les intérêts de la 
grande puissance orientale commencent à se -mêler à ceux des états oc- 
cidentaux ; les Russes apparaissent la première fois sur le Rhin. La France 
ne parvient pas à donner un roi à la Pologne, malgré la Russie; mais 
T Autriche, alliée de la Russie, fournit tous les dédommagemens de la 



235 

. guerre: la France se fortifie par l'acquisition de la Lorraine; l'Espagne 
recouvre, pour an de ses princes, le royaume de Naples. L'Autriche 
rentre ainsi peu à peu dans ses anciennes limites, d'où la paix de Rastadt 
l'avait fait sortir. > 

Angleterre. 1714-1727, Avènement de la' maison de Hanovre, dans la 
personne de Georges I er . Ce prince entièrement livré aux Whigs. L'An- 
gleterre, toujours plus puissante depuis la paix d'TJtrecht, exerce la même 
influence sur la Hollande , qui décline insensiblement 

France. 1715-1725, Minorité de Louis- XV. Régence du duc d'Or- 
léans. Ce prince, inquiété par le roi d'Espagne et par les princes légi- 
timés , se lie étroitement avec l'Angleterre, qui de son côté craint les 
entreprises du 'prétendant. 

Espagne. 1700-1746, Philippe V. H est gouverné d'abord par la 
princesse des Ursins, ensuite par sa. seconde femme, Elisabeth de Parme. 
1715-1719, Ministère d'Albéroni. 

Autriche. 1711-1740,. Charles "VI. La maison d'Autriche est considé- 
lablement agrandie , mais non fortifiée par le traité d'Utrechr. Troubles 
religieux de l'Empire. Guerre civile de Hongrie. Guerre des Turcs. 

Toutes les puissances, excepté l'Espagne, sont intéressées au maintien 
de la paix dtJtrecbt, et s'efforcent pendant vingt ans de la prolongée 
par des négociations. 

Vastes projets d'Albéroni pour reconquérir les pays, démembrés dé la 
monarchie espagnole, pour dépouiller le duc d'Orléans de la régence, et 
pour rétablir le prétendant sur le trône d'Angleterre. Ses négociations 
avec Charles XII et Pierre le Grand. 1717, Triple alliance (le régent de 
France avec le roi d'Angleterre* et la Hollande). 1717-1718, La Sardaignc 
et la Sicile reconquises par les Espagnols. Conspiration de Cellamare 
contre le régent. 

1718, Quadruple alliance ( la France . l'Angleterre et la Hollande avec 
l'Empereur ). L'Espagne est forcée d'y souscrire, 1720. L'Empereur re- 
nonce à l'Espagne et aux Indes; le roi d'Espagne, à l'Italie et aux Pays- 
Bas; l'infant don Carlos reçoit l'investiture des duchés de Toscane, de 
Parme et de Plaisance,. considérés comme fiefs de l'Empire, lesquels se- 
ront occupés provisoirement par des troupes neutres; l'Autriche prend 
pour elle la Sicile , et donne la Sardaignë en échange au duc de Savoie. 

1721rl725, Congrès de Cambrai. Difficultés suscitées par l'Empereur 
et le roi d'Espagne, relativement à la forme des renonciations; par l'Em- 
pereur, relativement à l'acceptation de sa pragmatique sanction; par la. 
Hollande et l'Angleterre, relativement à la compagnie d'Os tende; parles 
ducs de Parme et de Toscane, relativement aux investitures accordées à 
l'infant don Carlos. 

1725, Rupture du congrès de Cambrai; le duc de Bourbon, premier 
ministre de France, décide cet événement en renvoyant l'infante pour. 
' faire épouser à Louis XV la fille du roi de Pologne fugitif, Stanislas Lee- 
zinski. Paix de Vienne entre l'Autriche et PEspagne; alliance défensive , 
à laquelle accèdent la Russie et les principaux états catholiques de l'Em- 
pire. Alliance de Hanovre entre la France, l'Angleterre et la Prusse, a 
laquelle accèdent la Hollande, la Suéde et le Danemark. " 



236 ' 

Plusieurs cames préviennent la guerre générale prèle à éclater : 1° la 
mort de Catherine I", impératrice de Russie; 2° le caractère pacifique 
des principaux ministres de France et d'Angleterre , Le cardinal de Fleury 
(1726-1743) et Robert Walpole (1721-1742). Médiation du pape; préli- 
minaires de Paris. 1728, Congrès de Soissons. 1729, Paix de Séville (entre 
la France, l'Angleterre et l'Espagne}. 1731, Traité de Vienne : L'Angle- 
terre et la Hollande garantissent la pragmatique de Charles "VI; il renonce 
à faire le commerce des Indes par les Pays-Bas, et consent à l'occupa- 
tion de Parme et de Plaisance par les Espagnols. 

1733, Mort d'Auguste II, roi de Pologne. Deux prétendans à la cou- 
ronne : Auguste III, électeur de Saxe, fils du feu roi, soutenu par' la 
Russie et l'Autriche; Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV, sou- 
tenu par la France , alliée à l'Espagne et à la Sàrdaigne. L'Angleterre et, 
la Hollande restent neutres, malgré leur alliance avec l'Autriche. Stanis- 
las est chassé par les Russes et les Saxons, mais la France et l'Espagne 
attaquent l'Autriche avec succès. Occupation de la Lorraine. Prise de 
Kehl. 1734, L'Empire se déclare contre la France. Prise de Philips bourg. 
Conquête du Milanais par les armées sardes et françaises. Victoires de 
Parme et de Guastalla. — 1734-1735, Conquête du royanme de Naples 
et de la Sicile par les Espagnols. Victoires de Bitonto. L'infant don Carlos 
couronné roi des Deux-Sicilês. 

L'arrivée de dix mille Rosses sur le Rhin, la médiation des puissances 
maritimes , et le désir de confirmer l'établissement des Bourbons d'Es- 
pagne en Italie, malgré la jalousie des Anglais, déterminent le cardinal 
de Fleury à traiter avec l'Autriche. 1738, Traite' de Vienne : Stanjslas re- 
çoit, en dédommagement du trône de Pologne, la Lorraine, qui, à sa 
mort, doit passer à la France; François % duc de Lorraine, gendre de 
l'Empereur, reçoit en échange le grand-duché de Toscane , comme fief 
île l'Empire (le dernier Médicis étant mort sans postérité); les Deux- 
Siciles et les ports de Toscane sont assurés à l'infant don Carlos ( Char 1 
les III); l'Empereur recouvre le Milanais, le Mantouan., Parme el Plai- 
sance. Novare, Tortone restent au roi de Sàrdaigne. 



CHAPITRE XXIII. 



Guerre delà succession d'Autriche, 1741*1748; et guerre de Sept sut, 1756-1763. 



Le milieu du xvnr* siècle est marqué par deux ligues européennes, 
tendant à l'anéantissement des deux grandes puissances germaniques. 
L'une de ces puissances , autrefois prépondérante , excite par sa fai- 
blesse et son isolement l'ambition de tous les états: l'autre, par son élé- 
vation subite , allume leur jalousie. Chacune d'elles engage toute l'Eu- 
rope dans la lutte qu'elle soutient contre sa rivale. Chacune d'elles se 



237 

défend avec succès, heureusement pour lés agresseurs eux-mêmes, dont 
l'imprudence allait rompre l'équilibre continental. 

Les deux guerres n'en sont véritablement qu'une, séparée par une 
trêve de six ans. Quoiqu'elles aient la même durée, le nom de Guerre de 
Sept ans est resté exclusivement à la seconde. 

$ I. —Guerre de la succession à" Autriche, 1741-1748. 

Prétentions contradictoires des princes alliés contre l'Autriche. Le roi 
de Prusse sait seul ce qu'il veut, et l'obtient. > 

D'abord (1741-1744),> but est d'anéantir l'Autriche ; puis (1744-1745), 
de délivrer la Bavière. Jusqu'en 1744 F Allemagne est le théâtre de la 
guerre ; la Prusse et la France sont les parties principales contre l'Au- 
triche. Dans le reste de la guerre , la France, partie principale combat 
surtout en Italie et dans les Pays-Bas. 

L'Angleterre soutient l'Autriche par ses négociations et par ses armes; 
à cette Occasion commence ce système de subsides par lequel elle achète 
la direction de la politique continentale. L'Autriche subsiste, et ne perd 
que trois provinces;, mais elle est profondément humiliée par la perte de 
la Silésie, et ne peut consentir à l'élévation du roi de Prusse, devenu 
avec l'Angleterre l'arbitre de l'Europe. 

1740, Mort de l'emperenr Charles VI, dernier mâle de la maison de 
Habsbourg-Autriche. Sa pragmatique sanction , garantie par tous lès états 
de l'Europe, assure sa succession à sa fille aînée Marie-Thérèse, épouse 
de François de Lorraine, duc de Toscane, au préjudice des filles de 
Joseph I er . lies époux de ces princesses, Charles Albert, électeur de Ba- 
vière (descendant de l'empereur Ferdinand I er ), et Auguste II, électeur 
" de Saxe , roi de Pologne , font valoir leurs droits à la succession d'Au- 
triche. Philippe Y, roi d'Espagne, réclame la Bohème et la Hongrie; 
Frédéric II, roi de Prusse,, une partie de la Silésie ; Charles Emmanuel, 
roi de Sardaigne, le Milanais. La France, entraînée par les frères de 
Belle-Isle , malgré le cardinal de Flenry, appuie les prétentions de ce» 
diverses puissances. 

Abandon de Marie-Thérèse ; l'Angleterre encore sous le ministère de 
Walpole, et occupée d'une guerre contre l'Espagne,* la Suéde engagée 
par les intrigues de la France dans une guerre malheureuse contre la 
Russie. — 1740, 1741, Le roi de Prusse envahit la Silésie, et gagne la ba- 
taille de Molwitz. 1741, L'électeur de Bavière et les Français s'emparent 
de la haute Autriche, et envahissent la Bohème. 1742, L'électeur de Ba- 
vière élu empereur sous le nom de Charles VIL 

Héroïsme de Marie- Thérèse. Dévoûment des Hongrois à sa cause. 
Elle reçoit des subsides de la Hollande et de l'Angleterre. 1742, Chute • 
du ministre pacifique Walpole. La Sardaigne se déclare pour Marie-Thé- 
rèse. Une escadre anglaise force le roi de N a pies k la neutralité. La mé- 
diation de l'Angleterre, et la défaite de Czaslau, décident Marie-Thérèse 
à céder la Silésie au roi de Prusse, qui se détache de la ligue j traité du 
Berlin* L'électeur, de Saxe, roi de Pologne, suit l'exemple du roi de 
Prusse. 1743, L'armée pragmatique de George II victorieuse à Deltingen ; 
traité de Worms (entre Marie-Thérèse et le roi de Sardaigne). Les Fran- 



238 

çaîs évacuent la Bohème, l'Autriche, la Bavière, et sont repoussés 

deçà du Rhin. . . « • 

1744 La France déclare la guerre a la reme de Hongrie et au rot 

d'Angleterre. Union de Francfort, conclue entre la France, lu Prusse, 
l'électeur palalin, le landgrave de Hesse et l'Empereur, pour faire re- 
connaître ce dernier, et le rétablir dans ses états héréditaires, Frédéric 
envahit la Bohème. Les Français rentrent en Allemagne. Les Impériaux, 
reprennent la Bavière. 1745, Mort de Charles VII. Maximilien- Joseph , 
son fils, traite avec la reine de Hongrie à Fuessen. Élection au trône 
impérial de François 1er, époux de Marie-Thérèse. 

Frédéric s'assure la possession de la Silésie par les victoires de Hohen- 
friedberg, de Sorr et de Kesselsdorf 5 et, par l'envahissement delà Saxe ,. 
force l'électeur et la reine à signer le traité <Je Dresde. — Les Français 
continuent la guerre avec succès ; en Italie, 1745, secondés par les Gé- 
nois, par le roi de Naples et par les Espagnols, ils établissent l'infant don 
Philippe dans les duchés de Milan et de Parme; dans les Pays-Bas, sous. 
le maréchal de, Saxe, ils gagnent les batailles de Fontenoi (1745) et de 
Rançons (1746).! — 1745-1746, Expédition de Charles-Edouard, fils du 
Prétendant , qui force l'Angleterre de, rappeler le duc de Cumberland 
des Pays-Bas ( Batailles de Preston-Pans et de Culloden). 

1746, Les Français et les Espagnols battus à Plaisance. L'armée espa- 
gnole rappelée par le nouveau roi Ferdinand VI. Les Autrichiens chassent 
les Français de la Lombardie, s'emparent de Gènes, et envahissent la 
Provence. La révolution de Gènes les oblige à repasser les Alpes. — '1747, 
Conquête de la Flandre hollandaise par les Français. Le stalhondérat 
rétabli et déclaré héréditaire en faveur de Guillaume IV, prince de 
Nassau-Dietz. Victoire des Français à Lawfeld , et prise deBerg-op-Zoom. 
1748 , Le siège de Maëstricht décide la Hollande et l'Angleterre à traiter. 
La France y est décidée par l'arrivée des Russes sur ie Rhin, par la des- 
truction de sa marine et la perte de ses colonies {yoy. plus bas ). 

Paix <F Aix-la-Chapelle. La France , l'Angleterre et la Hollande se 
rendent leurs conquêtes en Europe et dans Its deux Indes ; Parme, Plai- 
sance et Guastalla sont cédés à don Philippe { frère des rois de Naples et 
d'Espagne , et gendre de celui de France ) ; la pragmatique de Charles VI, 
la succession de la maison de Hanovre en Angleterre et en Allemagne , 
Ka possession de la Silésie par le roi de Prusse, sont confirmées et ga- 
ranties. * 

S H. —-Guerre de Sept ans; 1756-1763. 

La jalousie de l'Autriche arme l'Europe contre un souverain qui ne 
menace point l'indépendance commune. L'Angleterre lutte en même 
lemps contre la France et l'Espagne. Frédéric et William Pitt , unis 
^'intérêts, conduisent séparément la guerre continentale et' la guerre 
maritime. 

Supériorité de Frédéric ; son génie militaire; discipline de ses troupes, 
habileté de ses lieutenans, le prince Henri, Ferdinand de Brunswick, 
•Schwérin, Seidlitfe, Schmettau, Keith. L'Autriche lui oppose, comme 
généraux, Brown , Dawn, Laudon; et comme négociateur, Kaunitz. 

LaFr3iice,en attaqu&nt l'Angleterre dans le Hanovre, force ce royaume 



239 

et les «taU voisins à devenir le rempart de Frédéric, el néglige la guerre 
maritime. — Le pacte de famille trop tardif pour étire utile à la France. 
Frédéric sort vainqueur de sa lutte Contre l'Europe. La Prusse subsiste, 
et garde la Silésie. L'Angleterre atteint son but, la destruction de la puis* 
sance maritime delà France. Frédéric, quoique affaibli, partage toujours 
le premier rang avec l'Angleterre, Hais il ne désire plus la guerre, et l'u- 
nion de la France et de l'Autriche promet une longue paix au continent. 

Mésintelligence entre la France et l'Angleterre. ^1754, Premières hos- 
tilités en Amérique. 1756, Alliance de l'Angleterre avec la Prusse, de la 
France avec l'Autriche. Partage projeté des états du roi de Prusse. 

Il prévient ses ennemis en attaquant la Saxe ; il occupe Dresde, bat 
les Autrichiens à Lovositz, et fait poser les armes aux Saxons à Pirna. — 
La France s'empare de Minèrque, et fait passer des troupes dans la Corse; 
mais bientôt elle néglige la guerre maritime pour attaquer l'Angleterre 
dans le Hanovre. 1757, Succès des Français. Victoire deHastenbeck. Con- 
vention de Closter-Seven. La Suéde, la Russie. et l'Empire accèdent à la 
ligue contre le roi de Prusse.— Frédéric entre enjtohème , gagne la Ba- 
taille de Prague; il est repoussé et défait à Kolin. Un de ses lieutenàns 
est battu par les Russes à Jaegerndorf. Danger de sa situation. Il évacue 
la Bohème, passe en Saxe, et bat les Français et les Impériaux à Rosbach. 

Frédéric retourne en Silésie, et répare la défaite de Breslaw par la 
victoire de Lissa. Il envahit successivement la Moravie, la Bohème, em- 
pêche la jonction des Autrichiens avec les Russes. 1758, Il remporte sur 
ceux-ci la victoire long-temps disputée de Zornderf. Il est surpris à 
Hochkirchen par les Autrichiens. 1759, les Prussiens battus par les Russes à 
Falzig; par les Russes efrtes Autrichiens à Kunersdorf ; parles Autrichiens 
à Maxen. Les vainqueurs ne profitent pas de leurs succès. Les Prussiens , 
battus de nouveau à Landshut, sont vainqueurs à Liegnitz et à Torgau , 
1760. Ils reprennent la Silésie , et envahissent de nouveau la Saxe. 

1758-1762, Campagnes malheureuses des Français. 1758, Ferdinand 
de Brunsvfick les ayant chassés du Hanovre , passe le Rhin , et gagne Tu 
bataille de Crevelt. Les Français occupent la Hesse, et Ferdinand repasse 
le Rhin. 1759, Victoire de Broglie à Berghen. Défaite des Français à* Min- 
den. 1760 , Victoires des Français à Corbach et à CIdstercamp ; dévoû- 
ment du chevalier d'Assas. 1761 , Les Français vainqueurs à Grumberg , 
vaincus à Fillingshausen. 

1759, Mort du roi d'Espagne Ferdinand VI; il a pour successeur son 
frère, le roi de Naples, Charles III, qui laisse le trône de Naples à son 
troisième fils , Ferdinand IV. 1761 , Pacte de famille négocié par le duc 
de Choiseul entre les diverses branches de la maison de Bourbon (France, 
Espagne, Naples, Parme). L'Espagne déclare la guerre à l'Angleterre et 
au Portugal. —1760, Mort du roi d'Angleterre, George II. George III.' 
1762 , Démission de Pilt. —1762 , Mort d'Elisabeth , impératrice de Rus- 
sie. Pierre III. Catherine II rappelle les troupes russes de la Silésie, et 
se déclare neutre. 

1762 , Paix d'Hambourg entre la Prusse et la Suéde. Paix de Paris 
entre la France, l'Angleterre , TEspagne et le Portugal, lie roi de Prusse, 
par la victoire devFtejbtrg et la prise de Schwcidnilz ,- décide l'Impé- 



240 

ratrice el le roi de Pologne, électeur de Saxe, à signer là paix à Htr 
berubourg. Le premier ei le dernier traité rétablissent. lès choses en Al- 
lemagne dans l'état où elles étaient avant la guerre. Pour la Paix de 
Paris et celle de Saint-Pétersbourg, voyez Us chapitres XXIII et XXV. 



CHAPITRE XXIV. 

Colonies des Européen» pendant le ivnie siècle. 



J 



GniHDEUR croissante des colonies, surtout des anglaises et des fran- 
çaises , à la faveur du calme dont elles jouissent au commencement du 
xv»ii e siècle. Immense accroissement du débit des denrées coloniales. 
Relâchement du système de monopole , surtout en Angleterre depuis 
l'avènement de la maison de Hanovre. — Les colonies deviennent pour 
l'Europe une cause de guerres fréquentes, jusqu'à ce que les principales 
se séparent de leurs métropoles. 

La prépondérance maritime est assurée k l'Angleterre par rabaisse- 
ment de la France ("traité d'Utrecbt), et surtout par l'ascendant qu'elle 
a pris sur la Hollande. Cependant la lutte recommence bientôt entre la 
France et l'Angleterre. Le théâtre de cette lutte est le nord de l'Amérique, 
les Antilles et les Indes orientales, où la chute de l'empire du Mogol ouvre 
un vaste champ aux Européens. La France succombe d'abord dans l'A- 
mérique septentrionale. Mais les colonies anglaises, n'ayant plus à craindre 
le voisinage des Français ni des Espagnols, s'affranchissent, avec Je se- 
cours des premiers, du joug de l'Angleterre. Celle-ci trouve une compen- 
sation dans les établissement indiens dés Hollandais auxquels elle succède, 

et dans la conquête du continent de l'Inde. 

i 

Division. 1. 1713-1739, Histoire des colonies, depuis la paix.d'Utrecht» 
jusqu'à 1a première guerre.— II. 1739-1765, Guerres des métropoles, à- 
l'occasion de leurs colonies. — III. 1765-1783, Première guerre des colo- 
nies contre leurs métropoles. — »* IV. 1739-1789, Fin de l'histoire des 
colonies dans le xvui* siècle. 

I. 1713-1739 1 Histoire des colonies depuis la paix d'Utrecht jusqu'à la 
première guerre. — Commerce de contrebande des Français , et surtout 
des Anglais, entre eux, et avec les colonies espagnoles. — Nouvelle liberté 
de commerce accordée aux colonies par l'Angleterre, 1739, 1752 y et par 
la France, 1717. — Introduction de la * culture du café à Surinam, 
1718 ; à la Martinique , 1728 $ dans l'île de France et dans l'ile de Bour- 
bon , vers 1736 ; dans les colonies anglaises de l'Amérique septentrio- 
nale , 1732. 

1711 , Compagnie anglaise de la mer du Sud. 1732, Formation de 
la province de Géorgie. — Nouvelle importance des Antilles françaises. 
1771 , Compagnie française de Mississipi et d'Afrique ; à laquelle ou 



24i 

-réunit celle des Indes orientales. 1702, Les Français acquièrent f Ue de 
France et Tîle de Bourbon. 173&, La Bourdonnais en est nomme gou- 
verneur. 1728-1733 , Différends entre les Français et les Anglais au 
sujet des îles neutres. — Décadence des colonies orientales des Hollan- 
<l<iis. Prospérité de Surinam. — Riches produits de la colonie portu- 
gaise du Brésil. — 1719, 1733, Agrandissement des possessions danoises 
dans les Antilles. 1734, Fondation d'une compagnie danoise des Indes 
occidentales. 1731' , Commerce de la Suède avec la Chine. 

II.— 1739-1765, Premières guerres des métropoles à l'occasion des co- 
lonies. '— 1739 , Guerre entre l'Espagne et l'Angleterre , à l'occasion du 
commerce de contrebande que faisait cette dernière puissance avec les 
' colonies espagnoles. Les Anglais prennent Portô-Bello, et assiègent Car- 
thagéne. Cette guerre se mêle à celle de la succession d'Autriche. 1740 , 
Expédition de l'amiral Anson. 1745 , Prise de Louisbourg. — 1746- 1748 , 
Succès des Français aux Indes. Labourdonuais prend Madras aux An- 
glais; Dupleix les repousse de Poudichéry. 1748, Restitution mutuelle 
des conquêtes, au traité d'Aix-la-Chapelle. — Nouvelles conquêtes do 
Dupleix. 

Différends qui subsistent au sujet des limites de l'Acadie et du Canada , 
et relativement aux îles neutres. 1754, Assassinai de Jumonviile, et prise 
du fort de la Nécessité 1758, Bataille de Québec ; mort de Wolf et de 
Montcalm. Perte du Canada ; des Antilles ; des possessions dans les Indes 
orientales. 1762 , Par le traité de Paris , la France recouvre ses colonies, 
excepté le Canada et ses dépendances; le Sénégal, et quelques-unes des 
Antilles ; elle s'engage à ne plus entretenir de troupes au Bengale; l'Es- 
pagne cède la Fie ride à l'Angleterre , et la France dédommage l'Espagne 
par la cession' de la Louisiane. 

1757-1765 , Conquêtes de lord Clive dans les Indes orientales. Acqui- 
sition du Bengale, et fondation de l'empire anglais dans les Indes. 

III. 1765-1783 , Première guerre des colonies contre leurs métropoles. 
— Étendue, population et richesses des colonies anglaises de l' Amérique 
septentrionale. Leurs constitutions démocratiques. Elles sentent moins le 
besoin de la protection de la métropole, depuis que le Canada n'appar- 
tient plus aux Français, ni la Floride aux Espagnols. Leur assujétisse- 
ment au monopole britannique. Le gouvernement anglais entreprend , 
d'introduire des taxes dans ces colonies. 

I765, Acte du timbre. 1766, Bill déclaratoire. 1767-1770, Impdt sur 
le thé. 1773, Insurrection de Boston. Acte coercitif. 1774, Congrès de 
Philadelphie. 1775 , Commencement des hostilités. Washington, généra 
en chef des troupes américaines. 1776, Déclaration d'indépendance. Eta- 
blissement du gouvernement fédératif des États-Unis d'Amérique. 
i?77 9 Capitulation de Saratoga. 

, Ambassade de Franklin. 1778 , La France s'allie aux Américains ; guerre 
entre la France et l'Angleterre. LaFrance met dans sesintérêts l'Espagne 
et la Hollande. 1780 , Neutralité armée. L'Angleterre déclare la guerre 
à la Hollande. — 1778 , Combat d'Ouessant. Les Français s'emparent de 
plusieurs des Antilles anglaises et du Sénégal ; les Anglais, de plusieurs 
des Antilles françaises et hollandaises, et des possessions hollandaises à 
la Guiane. 1779-1782, L'Espagne prend Minorque et la Floride occi- 



242 

dentale , «mm assiège inutilement Gibraltar. 178*2, Victoire de Rodney 
sur le comte de Grasse, dan* les Antilles. —1779-1785, Les Anjglaie 
s'emparent des possessions françaises et hollandaises sut le continent de 
l'Inde. Victoires de Suffi en. 

1777-1781 , Campagnes peu décisives des Anglais et des Américains 
secourus par les Français. 1781 , Capitulation de Cornvr allis dans York- 
Tbwa. — ( 1782 , Ministère de Fox en Angleterre.) 1783-4 , Traités de 
Versailles et de Paris : l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique est 
reconnue par l'Angleterre 5 la France et l'Espagne recouvrent leurs co- 
lonies , et gardent , la première, le Sénégal et les. îles de Tabago, Sainte- 
Lucie, Saint-Pierre, et Miquelon ; la seconde, Minorque et les Florides. La 
Hollande cède aux Anglais Négapatnam, et leur assure la libre naviga- 
tion dans les mers de l'Inde. 

IV. 1739-1789 , Fin de l'histoire des colonies dans le xvur* siècle. — 
Progrés des anglais dans des Indes orientales. 1767-1769, et 1774*1784, 
leurs guerres contre les sultans de Mysore , Hyder-Aly et Ï'ippoo-Saêb , 
et contre les Maratles.— 1773 et 1784 , Nouvelle organisation de la com- 
pagnie des Indes orientales, tendant à donner plus d'unité à l'adminis- 
tration , et à la rendre plus dépendante du gouvernement anglais. 

17684780 , Voyages du capitaine Cook. 1786, Colonie de nègres libres 
à Sierra- Leone. — 1788, Colonie de Sidney-Cove, dans la Nouvelle- 
Galles. r 

Colonies espagnoles. Prise de Porto-Bello par les Anglais, 1740, et 
delà Havane, 1762. 1764, Acquisition de laGuiane française et de la 
Louisiane , cédées par la France $ et, en 1778 , des lies d'Annobon et de 
Fernand del Po, cédées par le Portugal. — Nouvelle organisation de 
l'Amérique espagnole. 1776 , Quatre vice-royautés et huit capitaineries 
indépendantes. 1748-1784, Relâchement successif du système de mono-- 
pôle. 1785, Compagnie des Philippines. 

Colonies françaises. 1763 , Tentative de colonisation à Cayenne. Pros- 
périté de Saint-Domingue. Poivre importe la culture des épicéa à Die 
de France, 1770. — Colonies hollandaises. Leur décadence, depuis le 
commencement du siècle dans les Indes orientales, depuis la guerre d'A- 
mérique dans les Indes occidentales.— Colonies portugaises. 1Ï77, Guerre 
entre le Portugal et l'Espagne, qui s'empare de San-Sacramento. Division 
du Brésil en neuf gouvernemens. — 1755-1759 , Le marquis de Pombai 
enlève le commerce aux jésuites, et le met entre les mains de plusieurs 
compagnies privilégiées. 1755, Émancipation des indigènes du Brésil. 

Colonies danoises. 1,764 , le commerce des Indes occidentales devient 
libre par la dissolution de la compagnie. 1777, la compagnie des Indes 
orientales cède au gouvernement ses possessions. — Colonies suédoises. 
1784, Acquisition de Saint-Barthélemi. «— 1762, Liberté du commerce 
russe avec 1er Chine. 1787 , Compagnie russe, pour le commerce de pel- 
leterie , dans l'Amérique septentrionale. ' 



243 



CHAPITRE XXV. ' 



Histoire intérieure des Etats occidentaux. 1715*1789. 



V 



m 

'France, I. 1715-1743. Avènement de Louis XV, en 1715. Testament 
*Ie Logis XIV cassé par le Parlement. Philippe d'Orléans, régent, 1715- 
1723. Prétentions du Parlement, des princes légitimés, des, ducs et pairs. 
Intrigues de l'Espagne. 1718, Conspiration de Cellamare, et révolte de 
Bretagne.—? 1716, Refopte des monnaies, et Visa. t7\7-\7%l, Système de 
Law» 

1723-1726, Ministère du duc de Bourbon. Impôt universel du ciu • 
quantième. Édit contre les Protestans. 

1726-1743, Ministère du cardinal de Fleury. D'Aguesseau. Économie 
de Fleury. Retranchement des rentes. Marine négligée. 17%7 - 1732, 
Troubles du jansénisme, > 

If. 1743-1774, Plusieurs ministres se succèdent. Mach,ault et d'Argen- 
«on, Bernis, Silhouette, etc. Désordre des finances, 1749-1759, Nouveaux 
troubles du jansénisme. 1757, Assassinat de Louis XV. — 1758-1770, Mi r 
nistère du duc'de Clioiseui. 1764, Expulsion des jésuites. Le duc de Choi- 
seul relève la marine française. — 1770-1774, Ministère de Terray, Meau- 
pou, etc. 1771, Dissolution du Parlement. 

III. 1774-1789. Louis XVI. Rétablissement du Parlement. Ministère de 
Maurepas, Turgot, Malesherbes, Saint* Germain etVergennes. 1776-1781, 
Ministère de Necker. 1783-1737, Ministère de Calonne. 1787, Assemblée, 
des notables. 1787-1788, Ministère de Loménie de Brienne. 1788, Rappel 
de Necker. 1789, États-Généraux. 

Corse. Soulèvement de cette île contre les Génois, dans le commen- 
cement du xviii e siècle. 1731, Les Génois implorent les secours de l'Em- 
pereur. 1734, La Corse se déclare république indépendante. 1736, Le roi 
Théodore. 1737, Les Génois appellent les Français. 1755, Pascal Paoli. 
1768, Gènes cède la Corse à la France. 

Genève. 1768, Intervention de la France dans les troubles de cette 
république. 1782 , Nouveaux troubles. Médiation armée des trois puis- 
sances voisines. 1789, Nouvelle constitution. 

Suisse. Sa neutralité. Troubles intérieurs. 1712-19, Guerre des cantons 
protestans de Berne et Zurich contre l'abbé de Saint-Gall, soutenu par , 
les cantons catholiques d'Uri, Zug, Schwitz, Unterwalden. 

Italie. Dans la première moitié du xvm* siècle, comme dans la pre- 
mière moitié du xvi*, les Français, les Espagnols et les Allemands se dis- 
putent Tltalie. Mais les guerres du xvi' siècle avaient changé les princi- 
paux états italiens en provinces de monarchies étrangères 3 celles du xvm* 



su 

If or rendent des souverains nationaux. — Administration bienfaisante 
des princes de la maison de Lorraine, en Toscane. 1765-1790, Pierre 
Léopold. — 1730, Abdication de Victor Ahédée II, roi de Sardaigne, 
en faveur de Charles Emmanuel III. Captivité du vieux rot La maison 
de Savoie perd son éclat sous Victor Ahédée HT, 1773-1796. — Les 
Deux-Siciles reprennent quelque vie sous les princes de la maison de 
Bourbon. Charles I", 1734 1759, et Ferdimahd IV, 1759-1824. 

Espagne, Sa faiblesse, malgré rétablissement de la famille royale en 
Italie. 1724, Abdication momentanée de Philippe IV en laveur de 
Louis I™. 1746-1759, Ferdirard VI. — 1759-1788, Charles III passe dû 
trône de Naplea à celui d'Espagne. Liaisons étroites avec la France. Mi- 
nistère d'Aranda, de Campomanés, etc. « 

Portugal. Langueur de ce royaume sous Jean V, 1706-1750. — 1750- 
1777,, Joseph I er . Réforme universelle et violente du marquis de Bimhal. 
Abaissement de la noblesse. 1759, Expulsion des jésuites. La révolution 
opérée par Pombal laisse peu de traces. 1777-1788, Pierre III et Marie. 

Angleterre. Attachement de la nation pour la maison de Hanovre. 
Tentatives du Prétendant. Accroissement de l'influence de la couronne 
dans le Parlement. — Développement immense de l'industrie et du com- 
merce intérieur et extérieur. Système des emprunts. Accroissement ef- 
frayant de la dette.— 1714-1727, George I". —1727-1760, George II. 
—1760, George III.-* 1721-1742, Ministère de Robert Walpole. 1756- 
1761» Ministère de William Pitt (lord Chatam). Rivalité ik Foxet du. se- 
cond Pitt, qui commence son ministère en 1783. » 

Empire. Bouleversement momentané, à l'occasion de la succession d'Au- 
triche. La conquête de la Siléste, en rendant irréconciliables la Prusse et 
l'Autriche, rompt pour jamais l'unité de l'Empire. Tandis que le lien po- 
litique se relâche, une soriç de lien moral se forme pour l'Allemagne, par 
le développement d'une langue, d'une littérature, d'une philosophie com- 
munes. —1711 -1740,Charles VI. — 1742-1745, Charles VIL— 1745-176*5, 
Fbarçois I er et Marie-Thérèse. — 1765-1790 , Joseph II. Douceur du 
gouvernement de Marie-Thérèse dans ses états héréditaires. Innovations 
de Joseph IL 1787, Soulèvement des Pays-Bas autrichiens. 

Prusse. Elle double dans ce siècle d'étendue et de population. Force 
et unité du gouvernement. Trésor. Organisation toute militaire. — 1713- 
1740, FrédéricGuillaume I". —1740-1786, Frédéric H, dit le Grand. 
— 1786, Frédéric-Guillaume II. 

^Bavière. 1777, Extinction de la branche cadette de la maison de Wit- 
telsbaçh, par la mort de l'électeur Maximilien Joseph. La succession doit 
revenir à l'électeur palatin. Prétentions de l'empereur Joseph II et do 
- Marie-Thérèse ; de l'électrice douairière de Saxe, et des ducs de Meck- 
lenbourg. 1778, Accord de la cour de Vienne avec l'électeur palatin. Le 
roi de Prusse soutient les réclamations du duc de Deux-Ponts, héritier de 
rélecteur palatin, et envahit la Bohème et la Silésie autrichienne. Inter- 
vention de la France et de la Russie. 1779, La succession de Bavière est 
assurée à l'électeur palatin, qui dédommage les autres pré ten dans. 

Hollande. Elle s'affaiblit par sa longue dépendance de l'Angleterre. 
Formation du parti anti-anglais. 1747-1751, Rétablissement du stathou- 
dérat en faveur de Guillaume IV, de la branche cadette de Nassau- 



2+5 

Orange. — 1751-1795, Guillaume V. — 1781-1785, Démêlés des Hollan- 
dais avec Joseph II. —1783-1788, Soulèvement contre le Stathouder. 
Intervention des cours de Berlin et de Versailles. Une armée prussienne 
l'ait prévaloir le stathoud.er. La Hollande renonce à l'alliance de la. 
France, pour celle de la Prusse et de l'Angleterre. 



CHAPITRE XXVI. 

Etatftlu Noijd et de l'Orient, 1725-1789, 



Si. — Affaires générales du Nord et de F Orient. Révolutions de la 

Russie et de la Pologne, 

L'impulsion donnée à la Russie par Pierre le Grand dure jusqu'à l'avé- 
11 e no en t de Catherine la Grande, quoique ralentie pendant la période où 
Us étrangers sont exclus du gouvernement (1741-1762). L'avènement de 
Catherine est une ère nouvelle pour la Russie. 

Le développement de cette puissance est favorisé par la ai tuât ion de 
fies voisins. Cependant la Suède est sauvée par une révolution intérieure, 
la Turquie, par là jalousie des états européens. La Russie, en se mettant 
à la tête d'une opposition contre la taule-puissance maritime de l'Angle- 
terre, se rend incapable d'exécuter ses projets sur la Turquie. — Elle est 
pins heureuse du câté de la Pologne. lia vigueur du caractère polonais 
s'est en partie énervée sous Auguste II et Auguste JII; la Pologne reçoit un 
prince de la Russie, est abandonnée de la France, secourue sans succès par 
la Turquie, et condamnée a garder sa constitution anarchique. Ceux qui 
étaient intéressés à son existence, la voyant perdue sans ressource, par- 
tagent avec la Russie. Ils acquièrent quelques provinces $ mais ils intro- 
duisent les Russes jusqu'aux frontières de l'Allemagne. 

1725-1727, Càtherihe I w , veuve de Pierre le Grand. Finistère de 
Menzikoff. — 1727-1730, Pierre H, petit-fils de Pierre le Grand, nà* 
son fils Alexis. Menzfkoff renversé par Dolgorouki. — 1780-1740; An*b 
Jwanowna, nièce de Pierre le Grand, veuve du duc de Courlande.,. 
Crédit de Biren, de Munich et d'autres étrangers. La Russie étend de 
nouveau son influence au dehors. 1733, Affaires de Pologne. 1787, Biren , 
duc de Courlande. — 1736, Les Russes s'allient avec Thamas-Kouli^Khan 
contre les Turcs, dans le but de reprendre Azow , et de se rouvrir la 
mer Noire. 1737, L'Empereur 's'allie aux Russes. Ceux-ci, sous Munich, 
prennent Azow, envahissent la Crimée, gagnent la bataille de ChocztnV 
et s'emparent de la Moldavie; mais les Turcs chassent les Impériaux de 
la Valachie et de la Servie, et assiègent Belgrade. 1739, Paix de Belgrade; 
l'Autriche ne conserve que Témeswar de toutes les conquêtes que lui 
avait assurées la paix de Passarowitz; la Russie rend aussi les siennes , et 
renonce à la navigation) de la mer Noire. 

17 



! 



.246 



1740-1741 T hrAw VI , arrière-neveu de Pierre U Grand, fils d'Anne de 
.Mecklenbourg, sous ia régence de Biren, puis sous et lie de sa n\ére- 
.1741, La Suède déclare la guerre à la Russie. — 1741-1762, Elisabeth, 
deuxième fille de Pierre le Grand, renverse le jeune Iwan. Expulsion des 
étrangers. 1741*1743, Les Suédois battus prés de Villemanstrand, et forcés 
d'abandonner In Finlande. Paix <TAbo : une partie de la Finlande reste 
• aux Russes. 1757-1762 , Les Russes entrent dans la coalition européenne 
contre le roi de Prusse. — 1762, Pierre III, petit-fils de Pierre le Grand 
par sa mère , Anne Fetrowna , fils du duc Holstein-Gottorp. Il s'allie avec 
la Prusse, et se prépare à attaquée le Danemark, de concert avec Fré- 
déric. 

1762-1796, Catberiïte II détrône Pierre III. Caractère de cette prin- 
cesse. Situation de la Pologne sous Auguste III (1734-1763). 1764. Sta- 
hislas Powiatowski , élevé nu trône de Pologne par l'influence de 1* 
Russie. 1768, Les dissident rétablis dans leurs droits. Confédération 
de Bar. 

- La Porte se déclare contre la Russie. 1769-1770, Les Rosses envahis- 
sent la Moldavie et la Valachie. Victoires du Prutb et du Kagul. La I 
flotte russe pénétre dans la Méditerranée, soulève la Morée, et brûle 

la flotte turque dans l'Archipel. 1771, Dolgorouki envahit la Crimée. 
Intervention de l'Autriche. 17.74 , Les Turcs bloqués par Romanzovx. ; 

Paix de Kaynardgi. Les Tai tares de Crimée sont reconnus indépendans ; J 

la Russie rend ses conquêtes , excepté Aaow et quelques places sur la • 

mer Noire , et obtient la navigation libre dans les mers de ia Turquie ; 
l'Autriche obtient la Bukotfine. ' 

- 1773, Premier démembrement je la Pologne, La Russie, l'Autriche 
et la Prusse s'empareut des provinces limitrophes. — 178Q y Neutralité' 
armée, La Russie, à la tête des puissances du Nord, fait respecter son 
pavillon de l'Angleterre et de la France. — i7~5, Réduction des Cosaques 
Zaporogues. 

1784, La Russie réunit la Crimée à son empire, du consentement de la 
Porte. 1787-1791, Guerre des Turcs contre les Russes. L'empereur Jo- 
seph II se déclare pour la Russie; le roi de Suède, Gustave III % pour la 
Porte. Ce dernier prince, attaqué par les Danois, alliés de la Russie., 
conclut la paix avec l'impératrice à Werela, 1790. Brillantes victoires. 
dos Russes. sur les Turcs. 1791, Paix de Szisiowa entre les Autrichiens 
et la Porte ; Paix de Yassi entre les Russes et la Porte : Joseph II rend 
■ ses conquêtes, mais le Dniester devient frontière des empires de Russie 
et de Turquie. 

1788-1791, Nouvelle constitution de Pologne. 1793, Second démem- 
brement. 1795, Partage définitif de la Pologne entre la Russie» l'Autriche 
et. la Prusse. La Courlande se soumet à la Russie. (Révolutions de ce 
, duché. 1737^ Extinction de la maison des Kettlers , et avènement de 
Bireit. 1759, Charles de Saxe , fils d'Auguste III, roi de Pologne. 1762 , 
Rétablissement de Biren. San fils Pierre , après vingt-cinq ans de régne 
abdique en faveur.de l'impératrice de Russie. ) 

1796, Mort de Catherine la Grande. Sa brillante administration. Lé- 
gislation. Écoles. Fondation de Çherson ,.1778; et d'Odessa, 1796. Ma- 
nufactures. Commerce cle caravanes a\ec la iPerac et arec la Chine. Essor 






\ 



247 - 

du commerce de la mer Noire. Entreprise d'an canal entre la Baltique 
et la Caspienne. Voyages de découvertes, etc. 

§U. — Suède et Danemark. — Turquie. 

Suède. 1719, 1720-1751, TJlriqtje-Éléonore, sœur de Charles XIÎ 
(au préjudice du d«c de Holstein-Gottorp, fils d'une sœur aînée de ce 
prince), et Frédéric I er , de Hesse-Cassel. Le gouvernement, monar- 
chique de nom, devient aristocratique. Faiblesse du gouvernement. Les 
deux partis de* la guerre et de la paix, de la France et de la Russie , des 
Chapeaux et des Bonnets. 

174S , Pour condition de- la paix d'Abo, la Russie fait désigner à la 
succession de Suède Adolphe-Frédéric de Holstein-Gottorp, évêque de 
Lubeck (oncle du nouveau grand-duc de Russie), de préférence au 
prince royal de Danemark, dont l'élection eût renouvelé l'ancienne 
union des trois royaumes du Nord. — 1751 , 1771 , Adolphe-Frédéric IL 
Nouvel affaiblissement du pouvoir royal. 

1771, Gustave 111. Caractère de ce prince. 1772, Rétablissement de 
Tautoriia^oyale. La nouvelle constitution maintient tous les droits des 
états ; mais le sénat n'est plus que le conseil du roi. Vigueur du gouver- 
nement. La Suède, soustraite à l'influence de la Russie, reprend son 
ancien système d'alliance avec la France et la Turquie. 1772, Assassinat 

de Gustave 111. 

Danemark. Calme et bonheur au dedans. Les révolutions du palais 
«e troublent point la nation. — Funeste rivalité de la brauche régnant*; 
avec la- branche- do Holstein-Gottorp. 

1730, Mort de Frédéric IV. — 1730-1746, Cbristierw VI. 1740, Ac- 
quisition du Sleswick.— 1746-1766, Frédéric V. 1762, Guerre imminente 
avec la Russie. J767, Arrangement relatif au Sieswick et au Holstein.-- • 
1766, Çhristierw VII. Chute et exécution de Struensée. 1784-1808 , Ré- 
gence du prince royal , depuis Frédéric VI. 

Turquie. Elle n'a plus à, craindre l'Empire. Elle oppose à la Russie 
une résistance inattendue; cependant la perte de la Crimée et Rétablis- 
sement de la Russie sur la mer Noire ouvrent la Turquie à toutes les 
attaques de son ennemi. 

17Q3-1754, Achmkt III, Mahmoud le». Guerres contre la Perse. 1721- 
1727, Les Turcs, regagnent vers l'Orient ce qu'ils viennent de perdre du 
côté de l'Occident. 1730*1736, Tiiamas-Kouli-Khan les dépouille de leurs 
conquêtes. Mais ils reprennent à l'Empereur les provinces qu'ils lui ont 
cédées par le traité de Passarowitz. 1743-1746 , Nouvelle guerre désa- 
vantageuse contre Thamas-Kouli-Khan. — 1754-1789 , Othmaw III, Mus- 
tapha III, AbduitHamid.' Guerres malheureuses contre la Russie. 



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« » 



^.-v.:*?' 



• 



• 

4 



TABLE DES CHAPITRES 

DU PRÉCIS DE LHISTOIRE MODERNE, 

Istrodbctio'h, 1453-1494.- . ...... 

PREMIÈRE PERIODE, 14M4517. 
r»»»iT«eI". — Italie- Guerre de» Tares, 1453-14»*. . • / • • 
C«£ H - Occident. France et P.ys-B«, Ang^rr. et Éco«e, 

MM et Portugal , dan. la seconde moit.é du »• siècle. . . 17 
fjTlT- Orient el Mord. Ktatt /g erm.niques et scauduav.» 

£n» la seconde moitié du xv« siècle. . . . • .- • • • • 57 
Cur! IV ^Orient et Nord. États Slaves et Turquie dans la se- 

conde moitié du M* siècle. ... ••.!-,: - ' 71 

Chai. V —Premières guerre» dilate. 1494-1516 

SECONDE PÉRIODE, 15ir : l«48. «2 

r«« VI —Charles-Quint, François 1<* et Léon X. . . ... 84 

-S»! m - LuAer. Kéform. «W»»: <5»er«e de. Turcs 



ûîX VH1 - Réforme eu Angleterre* dan. la W» d de l'Europe, 



118 



<*« ÎX. - Calvin." La Réforme ei France en Angleterre, en 

ÉcUe aux Pays-Bas, jusqu'à la S«at : B.rthel.m,, ^5M^ • 128 
r J7V"K !_ Suite Wiu'k la mort de Henri IV. Coup créait sur la si 
*£& des" puUsan e, belligérante. «P^ •« ^«rres de re^on. 1« 
dur. XI. - Révolution d'Angleterre ieOS-W49. ..... 

siècle. Léon X et Franco» I« 

TROISIÈME PÉRIODE, 1648-1789. 
Oa* XVII-Loui. XIV. Événemen. politique, de son règne. Son ^ 

C-^XVUL -De. ietucs, de. Séance, 'et de. Arts « «* de ^ 
cÏÏ! "x^-Ré^on. ^Àng^rreH*» Province*-^. ^ 

«7,.xx,-É«»Eéndion™.i^ '• .*» 



2S4 



CH'^S^Guerrede' la .uceassion d'Autriche, et guerre de _ 

C^XxV.-Colonies de.^^^^^ ; «g 

Ckap. XXV. -f*»ire intérieure d^EW^occiaentau ^ ^ 

Cha*. XXVI. -États du Nord et de l Orient 

JA11I3, .MPR.MER1B DE DWOURCHAKT, Et* D^lWm,. «* *' 



K'O apoaJedas isa.u ») [a -Jar 

•"iBHOp-oe-do^'i v'Sjtwiir 

g op -luoni xoap ju« aanjni 

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BiipniO lis inui 3nbsa.nl Jî^ir 

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ins j.roj-nejieip aj aniri js:y ; 

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p ap sanbMqij sap ' wuau 
iiojeienoo an 331c 'MDiufw 
■dos s^iiioins BJp la 1An0.il n[ 

S: m tiD -j3 £ 'ttMjuràn sap 1 ' 

■. jt'ULiiAi'u e •■ioi|]c:> '(S? S 3 
S»i? J«a| «d B3|<ienlÙB«raj 

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