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Full text of "Prud'hon"

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LES  GRANDS  ARTISTES 


^. 


V 


PRUD'HON 


•s 


Par  Etienne  BRICON 


3    9007    0255    4817    3 


V**^  /f/z 


LES    GRANDS    ARTISTES 


PRUD  HON 


LES  GRANDS  ARTISTES 

COI,I.ECTION    d'enseignement  ET  DE  VULGARISATION 

Placée  sons  le  haut  -patronage  de  V Administration  des  Beaux- Arts. 


Voliiiiies  parus  : 


ArcLitectes  des   Cathédrales  gothiques  (Les) 

par    Henki   biEiN. 
Bellini    (Les),   par    Emile   Cammalktï 
Benvenuto  Cellini,  par  He.nri  Focillo^ 
Botticelli,    par   René  Schneider. 
Boucher,   par   Gustave    Kah.s. 
Bramante     et     l'architecture    italienne     au 

XVI'    siècle,   par    Marcel    Klvmond. 
Bruneileschi    et    1  architecture    italienne    au 

XV"^  siècle,   par   Marcel    Rev.moxd. 
Callot  (Jacques),  par  Ed.  Bruwaeri. 
Canaletto  (Les  deux),  par  Octave  Uzaxne. 
Carpaccio.    par    G.    et    L.     Rosenthal. 
Carpeaux.  par    Léo.n  Riotor 
Carraches  (Les),  par  Roger  Peyre. 
Chardin,   par  Gaston  Schéfer. 
Clouet    (Les),    par  Alphonse   Germain. 
Corot,  par  Ex.  Mcreau-Nélaton. 
Daumier,  par  Henry  Marcel. 
David,   par   Charles    Saunier. 
Delacroix,    par    .Maurice    Tourneu.x. 
Délia   Robbia   (Les),   par  Jean   de   Foville. 
Diphilos   et   les    modeleurs    de    terres    cuites 

grecques,  par   Ed.    Poitier. 
Donatelio.   par  Arsène  .Alexandre. 
Douris    et  les    peintres  de   vases   grecs,    par 

Edmond     Pottier. 
Albert    Diirer,    par    Auguste    Marguiliilk. 
Fragonard.  par  Camille  Mauclair. 
Fromentin    par   Prosper  Dorbec. 
Gainsborough,    par   Gabriel    Mourey. 
Germain   Pilon,   par  Charles  Terrasse. 
Jean  Goujon,  par  Paul  Vitry 
Goya,  par  Henri  Guerlin. 
Gros,    par   Henry    Le.monnier. 
Frans  Hais,  par  André  Fontainas. 
Hogarth,  par  François  Benoit. 
Holbein.  par  Pierre-Gauthiez. 
Houdon,  par  Louis  Réau. 
Hubert    Robert    et    les    paysagistes    Irançais 

du  XVUI<'  siècle,  par  Trist.\n  Leclère. 
Ingres    par  Jules  Mommeja. 
Jordaens.    par   Fierens-Gevaert. 
La  Tour,   par  Maurice  Tournfux. 
Le  Nain  (Les),  par  Paul  Jamot. 


Léonard   Limosin  et  les  émailleurs  Irançais, 

pai      H.      Lavedan. 
Léonard  de  Vinci,  par  Gabriel  ^éailles. 
Claude   Lorrain,   par   Raymond   Bouyer. 
Luini.    par    Pierre-Gauthiez. 
Lysippe,  par  Maxi.me  Colligncn. 
Mantegna,  par  André  Blum. 
Meissonier,  par  Léonce  Bénédiie. 
Michel-Ange,    par    Marcel    Reymond. 
J.-F.  Millet,  par  Henry  Marcel. 
Murillo.   par  Paul  Lafond. 
André  Le  Nostre.  par  J.  Guiffrey. 
Peintres    chinois    (Les),    par    Raphaël    Pe- 

T  R  U  C  C 1 . 

Peintres  de  manuscrits  (Les)  et  la  miniature. 

en  France,  par  Hlnrv  Martin. 
Percier  et  Fontaine,  par  .Maurice  Foi  ché. 
férugin.  par  Jean  .Alazakd. 
PinturiccHo,   i  ar  .Arnold  I^cfun. 
Pisanello  et  les  médailleurs  italiens,  par  Jean 

DE      loVlLI.E. 

Polter,  par  E.mile  Michel. 

Poussin,  par  Paul  Desjardins. 

Praxitèle,  par  Georges  Perrot. 

Primitifs  allemands  (Les),  par  Louis  Réa". 

Primitifs  Irançais   (Les),  par  Louis    Dimier. 

Prud'hon.    par    Etienne   Bricon. 

Puget,  par  Philippe  Auquier. 

Rapnaëi.   par   IXgène   Muntz. 

Rembrandt,   par  Emile  Verhaeren. 

Ribera   et  Zurbaran,   par   Paul   Lafond. 

Rossetli    et    les    Préraphaélites    anglais,    pai 

Gabki  ti      .M  ru  re^  . 
Théodore  Rousseau,  par  P.  Dorbec. 
Rubens,  par  Gustave  Geffroy,  admir.istra- 

teur  des  Gobeîin?. 
Ruysdaël,    par    Georges   Riat. 
Sodoma    (Le),    par   Henri    Hauvette. 
Tènisrs,  par  Roger  Peyre. 
Tintoret.   par  G.  Soulier. 
Van  Dyck,  par  I'ierens-Gevaert. 
Van    Eyclj   (Les),  par  Henri  hy.mans. 
Velasquez,  par  Elie  Faupe. 
Ver  Meer  de  Deift,  par  J.  Chantavoine 
Vigée-Lebrun.    par    Loi.  is;    Hautecœur. 
Wattsau,   par  Gaukiel  Séaillfs. 


3817-9-50.   —  CoRBEiL.   nip.  CRKxr:. 


LES  GRANDS  ARTISTES 

LEUR    VIE  —   LEUR  ŒUVRE 


/ 


Prud'hon 


ETIENNE    BRICON 
11 

BIOGRAPHIE    CRITIQUE 

ILLUSTRÉE      DE      VINGT-QUATRE      R  E  P  K  ()  D  U  C  T  I  O  N  S      HORS      TEXTE 


V 


PARIS 

LIBRAIRrE      RENOUARD 

HENRI    LAURENS,    ÉDITEUR 

6,      RU  F,      DE     TOURNON      (vi«) 
Tous  droits  ilc  tr:i(luc:tii)ii  cl  ili;  rcprudiiction  rOaorvés  I)our  tous  pays. 


A   LA  MÉMOIRE 

DU  MAITRE   SUAVE   ET   HARMONIEUX 

J.-J.    HENNER 

E.  B. 


PRUD'HON 


LE     PAYS    NATAL.    ENFANCE    ET    ADOLESCENCE    DE    PRUD  MON.     

FRANÇOIS    DEVOSGE    ET    M.     DE   JOURSaNVAILT.     MARL\GE.    

rRLDHON  A  PARLS.  LE  ROMAN  DE  LA  RIE  DU  RAC. 

Il  y  a  pour  les  hommes,  surtout  pour  les  artistes  et  les 
poètes,  qui  sont  g^ens  impressionnables,  deux  manières 
assez  opposées  de  traiter  le  coin  de  terre  d'où  ils  sont 
partis  pour  vivre.  Les  uns.  nombreux,  s'y  attachent,  s'en 
pénètrent,  s'en  flattent,  souvent  avec  indiscrélion,  et  y 
trouvent,  aux  lieures  de  défaillance,  une  source  de  rciiou 
veau.  Les  autres  s'en  détachent;  ils  en  parlent  avec  amer 
ti  me  ou  du  moins  l'aflectent  ;  ils  ne  song^ent  qu'à  être 
a  Heurs  ;  mai  ce  sol,  dont  ils  ne  veulent  ]»as  joiiii-.  lient 
à  eux.  C'est  sans  doute  qu'ils  y  ont  souli'erl,  que  là  h'S 
hommes  et  les  choses  leur  ont  été  adverses,  et  qu'après  v 
avoir  trop  laissé  d'eux-mêmes,  ils  de'sespèrent  de  l'aimer. 

Prud'hon,  le  maître  délicieux  du  sourire,  soullVit  beau- 


G  PliUDllON. 

coup  dans  son  pays,  ol  \r  seul  «It'-sir  qu'il  sut  lui  mar(|uor 
jamais  fut  celui  do  le  (|uill('r  :  où  dailleurs  ne  devait  il  pas 
souflrir?  Sa  petite  ville  cependant  ne  manquait  pas  d'une 
grande  splendeur.  Bien  assise  dans  l'aimable  paysag^e  du 
Maçonnais  au  hord  d<'  la  iiiosne  capricieuse,  Cluny,  qui 
n'est  plus  aujourdluii  (|iiun  étonnant  musée  de  restes,  rtait 
au  milieu  du  xvni'  siècle  un  des  plus  beaux  endroits  du 
monde.  Ramassée  magnifiquement  dans  ses  murs  et  entre 
ses  tours,  elle  était  restée  une  ville  du  «  douzième  »  avec 
la  profusion  de  ses  maisons  romanes  et  le  majestueux 
déploiement  de  son  abbaye.  Mais  Prudbon  la  trouvait  trop 
vieille,  sans  arbres  et  presque  sans  ciel  avec  ses  toits  bas 
qui  s'avançaient  pour  renrciiiier.  et  il  n'y  voyait  pas  le 
lididieur.  Cluny  n'a  point  de  cliarnie  et  n'était  pas  faite 
[lour  ses  yeux  :  il  n'en  goûtait  ni  le  caractère  ni  la  somp- 
tuosité, n'en  sentant  que  reninii  :  et.  tout  ce  qu'il  aimait 
des  remparts,  c'en  était  les  buit  portes,  les  jours  où 
l'une  d'elles  lui  servait  à  en  sortir.  Il  s'en  allait  alors 
dans  les  bois  qui  descendaient  jusqu'à  la  Grosne,  ou  vers 
la  vallée  de  la  Yalouze.  aux  peupliers  si  minces,  qui  était 
pour  lui  le  commencoincnl  daulre  cliose;  mais  de  cela 
même  il  ne  se  réjouissait  guère. 

Il  est  curieux  d'observer  qu'à  trois  petites  lieues  de  là, 
quelques  années  plus  tard,  un  autre  grand  rêveur  d'art 
et  dbumanité,  épris  de  cette  même  nature,  devait  y  laisser 
librement  éclore  son  ardente  jeunesse,  et  en  gardeile  besoin 
j)arini  les  déceptions  de  sa  foTtune  et  de  sa  gloire.  Lamar- 
tine   a   Saint-Point    est    la    contradiction   de  Prud  bon   à 


PIIUD'HON.  7 

Clunv.  Il  n'est  qiio  juste  d'ajouter  qu'au  lieu  fie  l'étroite 
chambre  prudhonienne,  basse  et  encombrée,  il  avait  un 
château  avec  des  horizons  pour  ses  rêves. 

C'était  au  printemps  de  1758,  le  4  avril,  que  Piciie 
Pru(h)n  était  né,  —  lors  de  son  mariage  il  modifiera  la 
forme  de  son  nom  et  s'appellera  Pierre-Paul  à  la  Rubens, 
—  lui  dixième  et  dernier,  de  Christophe,  ouvrier  tailleur 
de  pierres,  et  de  Françoise  Piremol,  mariés  depuis  1733  : 
situation  de  dernier  venu  qui  se  remarque  assez  souvent 
chez  les  grands  hommes.  On  le  baptisa  le  jour  de  sa  nais- 
sance,—  un  épicier  fut  son  parrain,  une  marchande  de 
draps  fut  sa  marraine,  —  dans  la  g^rande  église  Saint- 
Marcel  au  beau  clocher  roman,  à  cmt  pas  de  sa  mai- 
son natale.  Deux  maisons,  à  vrai  dire,  revendiquent  ce 
titre  non  sans  quelque  indifTërence  :  lu  ne.  j-ue  Saint-Mar- 
cel, jadis  rue  des  Tisserands,  pai-ce  qu'elle  ])orle  une  pla- 
que, —  l'autre,  impasse  des  Prêtres,  aujourd'hui  rue 
Prud'hon,  parce  qu'elle  a  la  tradition  pour  »dle.  Mais  la 
plaque,  bien  que  donnée  par  Eudoxe  Marcille,  le  fidèle 
admirateur,  ne  peut  faire  autorité,  puisque  plus  lard  le 
catalogue  de  l'exposition,  faite  par  ses  soins,  dit  le  peiiilre 
<(  né  impasse  des  Prêtres  ».  Alors  pourquoi  celle  {da(|ue 
égarée  et  cet  honneur  mal  rendu?  Prud  bon  et  Cluny 
néiaieni  pas  faits  pour  s'entendre. 

Dominée  par  une  forêt  sonibie,  1  impasse  n'élail  pas 
large.  Prud'hon  n'y  trouva  pas  moins  la  meilleure  joie 
de  sa  vie,  qui  lui  vint  de  sa  mère,  car  il  eut  pour  elle  une 
sympathie  passionnée  :  on  ignorerait  toul  de  cette  humide. 


8  PRUDHON. 

si  l'or,  ne  connaissait  Tàine  tïminine.  sentimentale  et  fra- 
gile (le  son  fils,  dont  on  ne  peut  douter,  par  la  tendresse  qui 
les  lia,  qu'elle  ne  fut  toute  proelie  de  la  sienne.  Il  la  perdit 
tût,  et  ce  (jue  l'enfant  chaque  jour  trouvera  de  plus  triste 
encore  dans  les  lonirues  petites  rues  de  Cluny,  ce  sera  l'ab- 
sence de  sa  mère.  Sa  première  occupation  avait  été  de 
ramasser  du  bois  dans  la  forêt.  Bientôt  il  servit  la  messe  du 
curé  de  Saint-Marcel,  Tabbé  Besson:  on  peut  supposer, 
avec  la  faculté  qu'ont  les  enfants  de  s'attacher  à  ([uel(|ue 
détail  isolé  des  choses,  que  devant  le  bénitier  de  l'église, 
fait  d'un  admirable  chapiteau,  il  fut  pris  par  une  tète  de 
femme,  souriante  et  suave,  (ju'on  croirait  détac!i(''e  de 
son  œuvre,  et  attirée  à  elle  comme  à  une  sirène,  lui  qui 
devait  séprendre  à  Rome  d'une  tète  de  Faune  et  la  revoir 
plus  tard  vivante  sur  une  femme.  L'abbé,  inte'ressé  par 
la  g^entillesse  et  l'intelligence  de  ce  petit  pauvre,  lui 
témoigna  beaucoup  d'affection  :  c'était  un  homme  de 
bien  au  bon  sourire,  de  qui  Prud'hon,  revenant  d'Italie,  fer-a 
le  portrait,  en  passant,  dans  une  sorte  d'adieu  à  son 
pays  natal.  Il  lui  enseigna  quelques  rudiments  de  la 
science,  et,  alors  que  l'enfant  grandissait,  le  confia  aux 
Bénédictins. 

L'abbaye,  superbe  encore  malgré  les  arrangements  <!u 
xvni*  siècle,  était,  avec  son  église  grande  comme  Saint- 
Pierre,  un  des  centres  intellectuels  de  l'Elurope.  Le  petit 
Prud'hon  n'y  vit  que  des  tableaux,  et,  ce  qui  le  frappa  en 
eux,  ce  fut  l'idée  qu'on  pouvait  représenter  la  vie  avec  de 
la  couleur.  11  n'existe  guère  un  cas  plus  caractéristique  de 


j;     ^ 


PHUDHON.  H 

vocjilion  sponl.iiii'e  :  c'est  bien,  dans  toute  sa  simplicité 
syiilliéli(}ut'.  I"  «  AnrJiio  son  plUore  »  du  jeune  paysan  de 
Corregio.  C()ii{|uis.  oljst'dr.  JCiilant  irunil  des  poils  de 
cheval  poui"  un  jnnccau  et  avec  des  lieibes  et  des  fleui's 
qu'il  écrase  il  a  des  couleurs  :  un  uioinc  lui  disant  aloi's 
que  les  laidcaux  se  prii^ncnl  à  l'huile,  il  s'invente  une 
peinture. 

Jl  avait  perdu  son]>ère  veis  le  même  teiups  que  sa  luère, 
et  cette  tristesse  joinle  à  cette  désolation  fut  dautaiil 
plus  duie  à  son  enfance  (ju'il  se  sentait  détaché  de  ses 
frères  et  sœurs,  en  (|ui  il  rencontrait  «  moins  d'alfection 
et  plus  d'indifférence  (jue  dans  des  étrangers  »,  et  il  de- 
venait un  isolé  dans  la  vie  :  c'est  ce  qu'il  écrira,  jeune 
lionnne,  dans  l'amertume  du  souvenir  proche.  L"inquié 
tude  le  tient,  et  elle  reviendra  souvent  à  hii  ;  si  déran- 
gée que  soit  toute  existence,  il  en  est  peu  (jui  arrivent 
à  1  être  autant  que  le  fut  la  sienne,  avec  ime  telle  variété 
de  déchirements  et  d'égratignures.  Nul  doute  qu'il  n'es- 
saie de  se  consoler  dans  une  vision  d'art  et  d'avenir.  A 
<|uiuze  ans,  il  peint  l'enseigne  du  chapelier  Charton,  deux 
ouxiiers  foulant  du  h'utre  dans  une  cuve  enguiidandée 
de  loses.  (ju  on  voit  aujourd  luii  chez  la  fille  d'Eudoxe 
Maicille.  Mme  Jahaii.  où,  gi'ossière  et  maladroite,  elle 
sert  de  curit'use  jtreniière  page  à  son  admirable  collection 
prudhonienne.  11  jieint  aussi  les  portraits  de  Piei'iot 
le  IJavoux  et  de  Golhon  liihi.  s(!s  camarades  ;  et,  avec 
eux  ou  tout  seul,  il  longe,  ■mcdaiicolique,  la  longue  rue 
qui  s  «'dargit  en  de  pelilcs   places.  —  <le  quoi   mcltie  aj)rès 


12  PKUDHON. 

sa  mort  son  buste  au-dessus  d'une  fontaine,  —  et  par  où  il 
r«  vient  toujours  àlabbaye. 

Le  bon  abbé  Besson  continue  à  veiller,  et  voilà  qu'il 
cbarge  un  grand  vicaire  de  Màcon  d'intéresser  1  évéque 
au  jeune  homme.  Mgr  Moreau  aussitôt  le  recommande  aux 
États  du  Maçonnais,  qui  décident  le  17  mai  1774  de  l'en- 
voyer à  Dijon  aux  frais  de  la  province.  Prud "bon,  tout 
fier  et  tout  gêné  de  ses  seize  ans,  arrive  dans  la  capitale  de 
la  Bourgogne  et  il  est  placé  sous  la  direction  de  François 
Devosge.  Devosge,  très  bonnèle  homme,  amoureux  d'un 
art  qu'il  comprend  mieux  (|u  il  ne  le  pratique,  avait  dévoué 
à  cet  art  sa  fortune  et  son  temps,  et  fondé  une  école  qui 
prospéra,  devint  officielle  et  eut  son  prix  de  Rome.  Sans  au- 
dace comme  sans  routine,  l'esprit  ouvert,  le  cœur  surtout,  il 
était  un  maître  simple  et  excellent,  qui  devait  avoir  cette 
récompense  glorieuse  d'un  portrait  peint  par  Prud'hon  et 
d'un  buste  modelé  par  Rude,  —  ses  deux  élèves.  On  l'aime, 
avec  sa  face  sérieusement  épanouie  sous  sa  perruque 
Louis  XYL  ses  yeux  tranquilles  et  son  large  nez  de  bonté. 
Devosge  fait  partie  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  série 
des  bonnes  fortunes  de  Prud'hon,  qui  en  eut  ainsi,  tout  au 
long  de  sa  carrière  accidentée,  pour  contrarier  les  mau- 
vaises ;  et  longtemps  il  soutiendra  de  ses  conseils  lin- 
dolent  rêveur,  compatissant  à  ses  ennuis,  aidant  à  ses 
misères. 

On  ne  pourrait  affirmer,  d'après  le  caractère  de 
Prud'hon,  — et  étant  donné  que  sa  personnalité  va  mettre 
plus  de  douze  an?  à  surgir,  —  qu'il  travaille  avec  beau- 


BUSTE     DE     LA     BAH  t  »  N  >  E     11  E     .1  O  II  K  S  A  N  V  A  U  I.  1 

(Musée  (le  Beaune.) 


PHUDIION.  1^ 

coiij»  de  suite,  mais  on  sail  pourlaiil  (jue  les  Etals  du  IMà- 
connais,  irappés  [)ar  «  les  laleiils  de  ce  jeune  homme  », 
lui  accofdèi'ent  des  gralilications  successives.  Sa  pi(j- 
viace  est  bienfaisante  en\ers  lui  :  elle  l'élève,  le  t'orme^ 
et  déjà  le  prépare  pour  Paris.  11  laiil  admirer  la  solliciUide 
de  ces  hommes  d'aulrefois  ;  et,  en  voyant  ces  jielils- 
États  du  Maçonnais  si  intéressés  à  Prud'hon,  l'on  pense 
à  ce  Conseil  général  de  la  Manche  qui,  avec  li'  proyrès- 
des    temps,   va  bientôt  marchander  et  malmener  Millel. 

l'out  à  coup,  au  connnencemenl  tle  l'année  1778^ 
Piud  hon  est  rapp(dé  d'ai"geii('(^  à  Cluny  :  il  doit  s'y  marier, 
bien  (juil  n  ait  pas  vingt  ans.  Ce  mariage  qu  on  traiterait 
volontiers  de  la  pire  de  ses  infortunes,  si  l'on  ne  songeait. 
à  ses  enfants  qui  seront  pour  son  art  une  si  merveilleuse 
ins})iration,  avait  été  rendu  nécessaire  par  un  caprice  tle 
son  dernier  voyage  au  pays,  par  une  fantaisie  sans  pas- 
sion (ju'il  avait  suppost-e  sans  lendemain,  et,  selon  Ics- 
jolis  termes  fanés  du  plus  ancien  de  ses  biogra|)hes,  do 
son  intime  ami  Voïart,  père  de  Mnu"  Tastu,  «  il  contracta 
une  union  mal  assortie  pour  réparer  les  toris  de  l'amour  »  ; 
mais,  vague  et  indt'cis,  il  avait  attemhi  le  derniei-  instant. 
11  épousait  une  fennne  d'une  condilion  supéri(Mir(;  à  ia 
sienne,  la  lille  d'un  notaire  royal,  Jeanne  Pennet;  et  Clé- 
ment émet  l'hypothèse  assez  piquante  que  ce  |iut  être 
dans  le  désir  de  s'anoblir  un  peu  qu'il  ajouta  alois  une 
apostiophe  et  une  h  à  son  nom.  Le  mariage  a  donc  lieu 
à  Saint-Marcel,  le  17  février  1778,  a\ec  Tassislance  du- 
bon    abbé    1>(  sson  :    touh;  létudc    <  .1    là;    trois  clercs  de- 


16  PHUD'HON. 

notaire  soiil  témoins.  Et  le  26  février,  c'est  la  naissance  du 
;|)rt  inier  fils.  Rien  ne  laisse  croire  (}ue  Jeanne  Pennet  fAt 
jolie  :  la  beauté  de  la  fenmie  de  Prud'hon  nous  eût  été 
connue;  mais  il  est  notoire  qu'tdle  était  insupportable,  et 
d'ailleurs  sans  fortune.  Acariâtre,  exigeante  et  tracassière, 
4^11e  le  sera  pendant  trente  ans,  jusqu'à  en  être  folle,  et 
son  mari,  qui  souvent  se  laissa  séparer  d'elle  par  les 
circonstances,  s'efforcera  plusieurs  fois  de  l'oublier. 

Aussitôt  ay»rès  son  mariage,  Prud'bon  est  pris  d'un  grand 
■découragement  :  il  ne  se  sent  pas  encore  maître  de  son  art, 
et  dominé,  asservi,  étouffé  par  une  famille  trop  tôt 
venue  et  qui  ne  lui  a  point  apporté  de  joie.  11  n'a  presque 
pas  de  ((uoi  vivie  et  se  délie  de  lui-même  ;  mais  son  âme 
émotionnable  et  moltile  a  des  rebondissements  soudains, 
-et  parfois  il  lui  passe  devant  les  yeux  des  visions  de  lu- 
mière et  de  génie.  A  ce  moment  encore  quelqu'un  lui  vit  iit 
■en  aide  :  c'est  le  baron  de  Joursanvault,  jeune  genlil- 
liomme  de  Beaune.  collectionneur  de  chartes  et  de  par- 
chemins, qui,  pris  de  sympathie.  le  protégée  de  sa  fortune 
^t  de  son  autorité,  et  lui  commande  des  dessins,  et  même 
Tin  tableau. 

Ce  tableau,  compliqué  et  indéchiffrable,  montre  déjà 
Prud'hon  s'altachant  éperdûment  à  l'allégorie  qui  sera  la 
formule  de  sa  pensée  :  parmi  ce  renouveau  de  l'antique  qui 
va  venir,  d'avance  il  prend  la  poésie  pour  sa  part.  D'oii 
l'on  peut  prévoir  —  tout  en  tenant  compte  de  l'influence 
•de  Rousseau  qui  doit  être  notée  avec  quelque  insistance 
dans  l'étude  de  la  personnalité  de   Prud'hon  —  qu'il  sera 


i,  I>l^:!(.E^r;^;   PREitRAM   i,  amour   a 
(Dessin,  Muaée  de  Chantilly 


CUcUé  Neurdein. 
I  A     BiCII  KSSE. 


PIlUnilON.  19 

un  artiste  piircmcnl  (irii;iiial,  et  riiiipoilancc  qu'il  aura 
dans  l'histoire  des  idées,  bien  qu'il  ait  vécu  linrs  des  écoles 
et  des  systèmes  en  le  laisser-aller  de  son  indéj)endanc«;. 
La  j)reniière  lellie  (|u'on  connaisse  de  lui,  et  ((ui  est 
adressée  à  M.  deJoursanvault,  date  du  temps  de  cette  pein- 
ture (commencement  de  177*.))  ;  elle  est  fort  sig-nificative 
par  la  sagesse  et  la  compréhension  sag-ace  du  jeune 
homme  y  critiquant  son  œuvre.  D'abord  il  veut  s'échapper 
de  sa  ville  et  de  sa  maison  :  «  ...  Savez-vous  que  j'ai  aussi 
une  grâce  à  vous  demander?  Toujours  des  grâces.  Je 
crains  bien  de  vous  fatiguer.  Mais  non;  celle-ci  est  d'un 
genre  soutenable  :  c'est  de  me  laisser  sortir  de  mon  mau- 
dit pays  après  que  j'aurai  exécuté  les  ouvrages  soit 
peints,  soit  gravés,  prescrits  dans  votre  lettre.  Outre  que 
j'y  perds  un  temps  précieux  que  je  regrette,  je  m'y  ennuie 
au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut  dire .  Laissez  -  moi 
aller  à  Paris,  monsie  h'.  »  Puis,  prenant  son  œuvre  à  parti, 
et  refusant  d'accepté  pour  elle  les  louanges  de  son  protec- 
teur, il  la  touche  avec  une  précision  qui  n'est  pas  incom- 
patible chez  un  artiste  avec  l'indécision  des  habitudes,  il  l'at- 
taque avec  la  rigueur  et  la  minutie  d'un  maître  impi- 
toyable :  incohérence  de  l'architecture,  sécheresse  des 
draperies,  disproportion  des  figures,  épaisseur  des  formes, 
platitude  de  la  couleur,  et  jusqu'au  manque  d'expression 
des  mouvements.  Que  dès  cetti^  époque  Prud'lion  ait 
une  connaissance  délinitixe  des  lignes,  les  neuf  éludes  le 
prouvent,  qui  sont  dans  la  salle  Devosge,  au  musée  de 
Dijon,    dessinées   d'après  le    nu   pendant    son    séjour    à 


20  PRUD'HON 

l'École,  avec  une  science  assez  sûre  pour  en  être  inutilement 

audacieuse.  Mais,  lui-même,  il  ne  se  connaît  pas  encore. 

Cependant  l'heure  n'est  pas  venue  de  quitter  Ciuny  :  il 
doit  continuer  à  dévorer  son  impatience.  Tourmenté,  in- 
quiet, il  va,  vient,  dans  ces  mêmes  murs,  autour  de  ces 
mêmes  maisons,  et  il  travaille  peu  ou  mal.  11  se  plaint, 
non  sans  allégorie,  que  «  la  Fortune  se  fait  un  plaisir  de 
lui  être  contraire  »,  et,  en  effet,  il  a  économisé  quelques  sous 
pour  aller  passer  l'hiver  à  Dijon  loin  des  siens,  quand 
justement  quelqu'un  lui  emprunte  de  l'argent  ;  il  n'ose 
pas  refuser,  —  toujours  le  même,  un  peu  bon,  un  peu 
faible,  —  et  aucun  argent  ne  revient  plus.  Mais,  au  vrai, 
c'est  Paris  qui  l'attire,  ce  Paris  de  maintenant,  attisé, 
fébrile  et  voluptueux,  plein  d'effervescence  et  de  grâce. 

Enfin,  au  mois  d'octobre  1780,  M.  de  Joursanvault, 
lui  ouvrant  les  portes,  lui  donne  la  liberté  d'y  partir, 
ou  même  il  l'y  envoie  en  compagnie  d'un  autre 
peintre,  Naigeon,  avec  une  lettre  exquise  pour  le  gra- 
veur Wille,  à  qui  il  recommande  ses  deux  amis,  ses  «  Cti- 
fants  adoptifs  »  :  «  ...  M.  Prud'hon,  né  avec  un  caractère 
moins  fort,  se  livrant  avec  facihté  à  l'amitié,  sans  défiance 
de  ceux  quïl  aime,  peut  tomber  dans  le  précipice  le  plus 
affreux,  et,  des  sociétés  qu'il  se  fera  à  Paris,  dépend  le  bon- 
heur ou  le  malheur  de  sa  vie.  Son  goût  dominant  est  de 
sortir  de  la  foule  des  peintres  médiocres  :  il  travaille  avec 
ardeur,  mais  il  faut  que  quelqu'un  lui  dise  de  travailler. 
Il  est  incapable  de  dérèglement  par  lui-même  ;  mais,  s'il 
y  est  conduit,  il  peut  y  être  extrême,  et  cette  idée  me  ferait 


l'ORTKArr     !>E     Ml"''      N  M  111  ON  Y     ET     0  K     SES     EN  K  A  NI' S. 

(VluKcc  (If  Lyon.) 


PHUDHUN.  23 

frémir  si  je  n'osais  me  flatter  que  par  amour  pour  le 
bien,  par  amitié  pour  moi,  par  pitié  pour  cet  enfant  déjà 
marié  depuis  trois  ans,  vous  daignerez  vous  Tattacher... 
C'est  moins  ici  l'artiste  célèbre  que  j'invoque,  que  le  très 
parfait  honnête  homme,  que  l'homme  humain  et  voulant 
le  bien...  »  En  celle  jolie  lettre  de  la  lin  du  xviii*  siècle, 
quelle   chai-mante  psychologie  de  Prud'lion  I 

Le  voici  dans  cette  terre  promise  pour  Irois  uns.  A  peine 
anivé,  il  écrit  à  M.  de  Joursanvault,  il  va  voir  M.  Wille, 
aussi  31.  Watelet;  il  s'achète  un  châssis,  une  toile  et  des 
pinceaux,  et  il  s'installe  rue  du  Bac,  non  loin  de  Mme  de 
Staël,  il  ne  semble- pas  que  Wille  se  soit  occupé  de  1'  «  en- 
fant )).  ou  il  le  lit  du  moins  sans  s'attacher  à  lui.  Prud'lion 
a  besoin  d'être  poussé,  relancé,  tourmenté,  service  que  sa 
fennnc  lui  rriidra  pendant  la  Révolution,  —  et  (|ui  pour- 
ait  dire  (]ue  cette  mégère  ne  lui  servit  à  rien?  Mais  peut 
être  est-ce  Prud'hon  (|ui  négligea  Wille.  Dans  c.'llt'  mai- 
son de  la  rue  du  liac,  située  du  ccMé  de  Saint-Thomas 
d'Aquin,  près  de  l'hôtel  Vaulabelle,  habitaient  la  famille 
Fauconnier,  et  Sylvain,  et  Ghamuffm  :  le  jeune  peintre  de 
Cluny  se  lia  avec  tout  le  monde.  Mme  Fauconn^.r  était 
dentellière  de  la  Cour;  et  ces  deux  mots,  de  style  très 
Louis  X\  l,  évo(juent  un  g-racieux  fouillis  de  joliesse  et 
de  luxe,  un  mouvement  ])erpétuel  de  féminité,  un  amas 
«  flou  »  de  futilités  et  de  frivolités,  somptueuses,  légères  et 
délicieuses,  —  filets  précieux  (tù  jtouvait  se  prendre  un 
jeune  homme  de  ])rovince.  Fauconnier,  grand  admirateur 
de  Rousseau,  \i\ait  l;i  avec  sa  fennue  et  ses  deux  s(eurs^ 


24  PRUD'HON. 

Nanotte  et  Marie,  très  familialement  ;  et  Ton  imag^ine  com- 
bien Prud'hon.  qui  se  sentait  pour  la  première  fois  dans  un 
milieu  de  douceur,  dut  facilement  s'y  laisser  aller  à  être 
heureux.  Il  se  prit  pour  Fauconnier  dune  amitié  ardente, 
excitée  sans  doute  par  la  tendresse  qu'il  ressentait  pour  sa 
plus  jeune  sœur.  —  tendresse  discrète  autan!  que  pas- 
sionnée, trop  discrète  même  au  ^ré  de  Marie,  qui  attendait 
toujours  un  aveu  de  celui  en  qui  elle  espérait  un  fiancé.  Car 
dans  la  conversation  très  intéressante  où  il  saprissait  de 
Rousseau  et  de  Beaumarchais,  des  idées  nouvelles,  et 
de  tous  les  bruits  de  la  Cour  qui  logeait  si  proche  de  là, 
de  l'autre  côté  de  la  Seine,  Prud'hon,  le  cœur  caressé,  en 
oubliait  de  parler  de  sa  ville  et  surtout  de  sa  femme. 
Comme  on  le  Aoit  bien  pensant  à  autre  chose  ! 

11  refila  trois  ans  à  Paris,  On  a  dit  qu'il  y  avait  perdu  son 
temps,  et  à  la  vérité  il  n'y  peignit  guère  que  pour  le 
plaisir  des  Fauconnier.  Mais  il  avait  la  joie  d  aller  et  de 
venir,  d'ouvrir  les  yeux,  de  respirer  l'air  nouveau,  et  Vpn 
ne  saurait  traiter  de  temps  perdu  ces  heures  libres  de  la 
vie  d'un  artiste  pour  la  seule  raison  quelles  sont  sans  la- 
beur appaienl.  Les  idées  s'accumulaient  dans  sa  tête,  une 
A'ision  peisonnelle  de  la  beauté  se  précisait  en  lui.  et 
peut-être  a-t-il  conquis  son  art  à  regarder  les  veux  de  Marie 
Fauconnier  lui  sourire.  Pounjuoi  Prud'hon  quitta-t-il  Paris 
à  l'automne  de  1783  ?  S'en  allait-il  vraiment  préparer  son 
concours  de  Dijon,  concours  dont  il  ne  savait  même  pas 
la  date  ?  et  ne  peut-on  supposer  que  l'embarras  d'avouer 
cTUin  à  lu  j'^une  fille  qui  aspirait  à  l'aimer  son  mariage 


I.K     PIIEIMIEK     lîAISEH     DE     I.    AMUIJI. 

Illuslriition  pour  la  Nouvelle  Hi'loise. 
(D'apn'js  Ja  gravure  de  Copia.) 


PRUD  HUiN.  27 

de    Cluny,    s'il   en  avait  gardé   le  secrel  jusque-là,  suffit 
pour  se  dérober  à  cette  âme  Huilante  et  soullianle? 


11 

LE    PRIX    DES  ÉTATS   DE  BOURGOGNE.    —   PUUd'hON  A    ROME.     —    LE 

PI.AKONT)      DU     PALAIS    BARBERIM.      PUUb'llON      ENTRE     PIK.1U5E 

DE    CORTONE   ET    CANOVA. 

Le  voyage  île  Paris  à  Dijon  lut  accidenté.  Luxe  et  mi- 
sère :  après  quatre  jours  et  quatre  nuits  passés  sur  un 
coclie,  qui  ne  peut  mèmepas  ledéharquer  à  Auxerre  à  cause 
des  eaux  basses,  Prud  bon  l'ait  dans  cette  ville  la  rencontre 
et  la  conquête  d'un  Américain  qui  l'emmène  dans  sa  chaise 
de  poste  quel{|ues  heures  durant,  mais,  à  un  détour  de 
route,  le  voilà  i-éduit  à  s'en  aller  à  pied  à  Dijon.  11  s'y 
loge  place  Saint-Étienne.  Un  instant  il  est  sur  le  poini  de 
devenir  professeur  de  dessin  de  l'évèque,  mais  «  la  For- 
tune »  veille  contre  lui.  On  ne  sait  pas  encoi'c  quand  se 
fei"a  le  concours;  et,  écrivant  à  Fauconnier  pour  lui 
raconter  son  voyage,  il  lui  exprime  dans  le  style  de  la 
Nouvelle  Héloïae  sa  désolation  d'être  seul  :  «  Eh  !  mon  ami, 
faut-il  avoir  une  âme  sensible  pour  n'i'prouver  (jue  des  sen- 
sations douloureuses?...  Si  je  fouille  en  dedans  de  moi, 
je  n  y  trouve  ijuun  vide  afïVeux.  »  Mais  le  bon  Devosge 
est  là  et  Prud'hon  se  met  assidûment  au  travail.  Tout  est 
retardé  :  les  Etats  de  Bourgogne  et  le  concours.  Malade 
au  jjrinicnips  de  84,  il  refuse  l'aide  de  Fauconnier  :  «  Jus- 


28  PUL'DHON. 

(lu'à  pivsont  jo  n'ai  c^u  besoin  de  rien:  j'ai  toujours  p:ag-né 
assez  d'arerent  pour  pouvoir  payer  ma  pension...  Quanta 
mon  bonheur,  je  ne  puis  être  heureux  que  parmi  vous. 
Mon  sensible  cœur  ne  peut  se  faire  à  être  cruellement 
séparé  de  ce  qui  lui  est  cher  :  seul,  isolé,  il  soupire  con- 
linufdlement  après  les  trop  aimables  objets  de  sa  ten 
di-esse.  »  Ces  derniers  mots,  malg-ré  que  Prud'hon  eût  le 
soupir  facile,  semljlent  confirmer  quil  lui  avait  caché  au 
moins  son  état  de  mari.  Dans  le  même  temps,  il  écrivit  à 
M.  de  Joursanvault  une  lettre  où  il  témoigne  de  très  nobles 
sentiments  d'amitié  pour  son  camarade  Naigeon,  et  qui  est 
la  dernière  que  l'on  connaisse  adressée  à  ce  gentilhomme 
d'une  intelhgence  et  d'un  cœur  si  rares.  On  croit  (|ut'  la 
politique  les  éloigna  l'un  de  l'autre,  bien  quelle  leur  fût 
étrangère  à  tous  les  deux. 

Enfin,  au  mois  de  mai  c'est  le  concours  :  peut-être  était 
ce  les  concurrents  qu'on  attendait,  car  ils  ne  furent 
que  deux.  Tci  se  place  l'anecdote  célèbre,  routée  par  Voïart, 
de  Prud'hon,  —  il  a  maintenant  vingt-six  ans.  —  qui  en- 
tend des  sanglots  dans  la  «  loge  »  voisine,  traverse  la  cloi- 
son, voit  son  adversaire  désemparé  devant  sa  toile,  la 
lui  transforme  et  lui  fait  obtenir  le  prix.  Puis  l'aveu  du 
camarade,  —  pourquoi  ne  serait-ce  pas  Naigeon?  — qui 
trouve  le  prix  trop  chèrement  payé,  et  Prud'hon  porté  en 
triomphe  autour  du  palais  des  États.  L'histoire  est  invrai 
semblable,  mais  il  se  peut  qu'elle  soit  arrivée  à  Prud'hon: 
bonne  ànir  facile  à  impressionner,  il  commence  volontiers 
à  i'aiie  le  Lien,  sans  savoir  à  quoi  il  s'engage. 


i.A   sa(;f.ssi.   et   i.a  vkhiti    i»f;si;ein  iva>t   siiu    i.a    ii'hhi: 

(D.-.,sin.) 

(Gollftdion  du  D^  Cnauffoni.) 


pur  D'il  ON.  3f 

I!  |tarlil  c('j)(Mi(!;inl  en  oclohie  vors  cette  Italie  enchan- 
fc'e:  iiKiis  ton!  lui  iïiL  contraire.  D'abord  son  compagnon  do 
voyas;"»',  Petilol.  (|ni  a  en  le  prix  de  sculpture,  est  inexact  au 
rendez-vous  ;  Prudlion  l'attend  six  jours  à  Màcon,  —  ce  qui 
put  lui  pciiiit'tlrc  d'aller  voir  sa  tennne,  —  ensuite  six  jours 
à  Lyon.  Sur  le  Rhône,  une  tempête;  et  il  a  la  même  peine 
à  débarquer  à  Avignon  que  l'année  préc('dente  à  Auxerre. 
A  Marseille,  pendant  trois  semainrs  le  batelier  refuse  de  par- 
tir. Puis,  sitôt  la  mer  prise,  «  la  Fortune,  qui  ne  lui 
avait  jamais  accordé  de  faveurs  sans  contrastes  »,  lui  en- 
voie des  vents  contraires  :  impossible  d'avancer;  dix  jours 
de  relâche  à  Toulon,  trois  semaines  à  l'île  d'Elbe.  Et  ar- 
rivé à  Civita  Vecchia,  après  trente-cinq  jours  de  bateau, 
comme  pour  mieux  toucher  la  vieille  terre  désirée,  Pru- 
dhon  tombe  du  haut  de  la  diligence.  Mais  en  entrant  dans^ 
Rome  il  oublia  toutes  ces  misères.  Cé'tait  dans  les  derniers 
jours  de  1784:  David,  l'esprit  plein  de  l'antiquité  de- 
Winckelmann,  venait  à  peine  d'en  sortir. 

Aujourd'hui  que  Rome  nous  est  devenue  si  familière,, 
nous  continuons  à  compi-endre  l'émotion  prodigieuse  que 
pouvait  donner  alors  son  premier  contact.  Ecoutons  y  entier 
le  président  du  Paty  presque  au  même  instant  :  «  Je  suis 
arrive'...  Tout  ce  que  ce  vaste  mot  de  Rome  contient  de- 
gi'and,  d'imposant,  d'intéressant,  d'effrayant,  en  sortait  suc- 
cessivement, ou  à  la  fois,  et  environnait  mon  âme.  »  En  trois 
jours,  Prud'hon  a  visité  toutes  les  églises  et  diné  chez  le- 
cardinal  de  Bernis,  notre  ambassadeur.  «  L<à  il  y  avait,^ 
fccrit-ii  à  son  maître,  des  prédats,  de  la  n(d)lesse,  et   beau- 


32  PRUD'HON. 

coup  d'arlisios  peintres,  sculpteurs,  architectes  et  musi- 
ciens. Quel  aimable  homme  que  ce  cardinal  de  Bernis!  Il 
est  alîable, familier,  mettant  tout  le  monde  à  son  aise;  bref, 
on  est  chez  lui  comme  cliez  soi.  »  L'ancien  poète,  de  qui 
Voltaire  se  déclarait  le  «  vieux  serviteur  et  indigne  con- 
frère »,  a  une  situation  exceptionnelle  à  Rome  :  il  tient, 
suivant  son  expression,  l'auberere  de  France  dans  un  carre- 
four de  l'Europe;  et.  entouré  dune  cour,  il  est  plus  adulé 
que  le  pape  Pie  VI  lui-même.  Quelle  nouveauté  pour  Pru- 
d  lion  !  Il  doit  croire,  comme  tous  les  jeunes  artistes  ({ui 
pt'nèlrent  dans  Rome,  qu'il  chang^e  de  monde;  mais  il  n'est 
pas  ébloui,  et  il  n'abusera  guère,  par  la  suite,  de  l'hospi- 
talité luxueuse  du  cardinal  qu  il  ne  sera  admis  à  repré- 
senter sur  une  toile  qu'en  copiant  avec  peine  un  mauvais 
portrait  déjà  fait. 

L  éblouissément,  c'est  à  Saint-Pierre  qu'il  le  trouve.  Son 
<ïdmiration  est  sans  bornes  et  sa  surprise  inlassable.  Il 
s  y  extasie  devant  tout  ;  il  calcule  des  distances,  mesure  des 
grandeurs,  et,  pour  frapper  l'imagination  de  Fauconnier, 
il  lui  (hume  des  détails  comme  le  font  les  guides  :  une  coi- 
niche  sur  laquelle  pourrait  passer  un  carrosse  avec  un 
liounne  à  côté,  la  superficie  d'un  pilier  ég'ale  à  celle  dune 
<-liaj»elle  de  la  rue  du  Bac.  Le  xvni*  siècle  vovait  mieux 
^ue  nous-mêmes  une  expression  de  beauté  se  dégag'er  de 
.la  richesse  de  Saint-Pierre.  Le  président  du  Paty  affirme 
qu'aucune  langue  n'a  de  mots  pour  en  parler  dignement. 
Mais  Prud'hon  n'admire  les  ég-lises  de  Rome  qu'en  dédai- 
gnant celles  de  France,  lui  qui  avait  vécu  près  de  l'abba- 


EUTERI'E.  VÉNUS. 

(lîsquisscs  du  Musée  de  Montpellier.) 


PUUDIION.  35 

tialc  lie  C-Iimy  ot  (|;ii  In  laissera  (It'Iriiii-c  sans  la  (lelcndrt;  ! 
L'esjtiil  (lu  wiii'  siècle  «'lail  si  porto  par  ses  goûts 
vers  ri'clat  italien  (|iie  (juaraiite  ans  plus  tard  encore, 
un  esprit  aussi  penéirant  que  Stendhal,  si  désabuse 
qu'il  soit  des  partis  pris  et  des  «  truisines  »,  en  gardera 
une  défiance  presque  méprisante  et  du  çothique  et  du 
roman. 

Voici  Prud'lion  installé  à  Rome  comme  «  peintre  pen- 
sionnaii'e  des  États  de  Bourgogne  »  :  c'est  son  adresse.  Il 
y  Si'-journa  au  moins  trois  ans,  sans  agitation,  mélancolique 
à  lordiaaire.  Sa  sensibilité  mobile  et  délicate  en  fait  un  être 
d'essence  fragile  et  supérieure,  que  tout  peut  atteindre,  tout 
meurtrir,  et  qui  devient  ombrageux  dans  la  crainte  d'être 
louché.  11  se  défend  contre  les  indifférents  et  les  em- 
pressés, et  il  redoute  même  les  protecteurs  (jui  pour- 
raient diminuer  son  indépendance,  car  il  a  la  conscience 
de  sa  personnalité  et  il  en  a  le  souci.  Modeste  d'ailleurs 
et  incertain,  il  hésite  à  agir  et  ne  sait  guère  vouloir, 
lymphatique  et  dolent  ;  ce  qui  ne  l'empêche  pas,  s'échappant 
de  lui-môme,  de  trouver  cette  jolie  manière  d'éciire  rapide, 
libre,  (jui  (out  à  coup  se  retourne,  embarrassée,  s'il  a 
besoin  de  demander  un  service.  Dans  son  art  il  a  de  l'assu- 
rance, et  il  ose  y  affirmer  des  principes  et  des  préceptes, 
parce  que  l'expérience  les  lui  a  répétés,  mais,  si  ouvert 
(jue  soit  son  esprit  à  toules  les  idt-es,  il  reste  un  sensitif 
bien  plus  (ju'il  n'est  un  inhdiectuel.  Le  délicieux  polirait  à 
la  plume  qu'il  a  dessiné  à  Rome,  et  très  tôt,  semble-t-il, 
nous  le  montre  justement  ainsi  :  mince,  pres([ue  maigre. 


30  PKUDUON. 

sans  rien  d'ang-uk-ux  ni  de  saillant,  tous  les  traits  bien 
enveloppés;  les  lèvres  larges,  mais  le  nez  très  fin,  l'œil 
enfoncé,  sondeur  et  songeur,  les  cheveux  frisant,  —  un 
rêve  admirable,  triste  et  blond. 

Tout  de  suite,  quelle  que  soit  la  beauté  des  choses,  il 
s'ennuie,  ou  du  moins  il  souffre.  «  Si  mon  esprit  jouit, 
écrit-il  dès  le  mois  de  mars  85  à  son  ami  Fauconnier,  mon 
cœur  est  loin  d'être  content...  Tout  ici  est  néant  pour  moi. 
Ce  sont  des  loses  (|ue  je  mell'orce  de  cueillir  et  dont  je 
nattrape  que  les  épines.  »  Sa  vie  est  très  réglée  :  il  des- 
sine le  malin  d'après  l'antique,  dîne  à  midi,  se  remet  au 
travail,  puis,  le  jour  tombé,  se  promène  là  où  1  on  ne 
rencontre  personne,  «  jusqu'à  llieure  de  l'académie  où  je 
me  trouve  tout  aussi  seul  que  s'il  n'y  avait  que  moi  ». 
il  est  presque  misanthrope.  «  L'envie  en  général  (|ue  les 
Français  porlcnl  à  ceux  qui  ont  quelque  talent  fait  que 
le  parti  le  plus  sage  est  de  n'avoir  coiimmnication  avec 
aucun.  »  11  est  allé  trois  ou  (|uatre  fois  au  caft'  que  fré- 
quentent les  artistes  français,  avec  des  intentions  socia- 
bles, et  il  y  a  été  révolté  de  leur  bavardage,  de  leur 
jactance  et  de  leur  médiocrité.  «  Là,  chacun  cherche  un 
point  de  dispute,  (jui  se  rencontre  bientôt,  pour  faire  éta- 
lage de  son  élo(|nence.  On  critique  celui-ci,  on  déchire 
celui-là.  Tous  ceux  qui  ne  peuvent  entrer  en  comparaison 
avec  Raphaël  sont  proscrits.  Raphaid  lui-même  est  blâmé 
de  ne  s'être  pas  assez  asservi  à  l'antique.  Le  mieux  de  tout 
cela.  c"est  que  tous  ces  messieurs  les  beaux  parleurs  n'étu- 
dient ni  Raphaël,  ni  l'antique,  et  s'amusent  chez  eux  à  ne 


P  RU  D'il  ON.  37 

rien  faire  qui  vaillo.  »  Le  [daisant  coin  de  cafô  romain  au 
temps  Je  Louis  XVI,  d  qui  ne  vieillit  pas  !  Prud  lion  se 
détourne  de  ce  charlatanisme  et  rentre  chez  lui. 

On  ne  sait  s'il  y  passa  les  grandes  chaleurs  de  l'été,  ce 
qui  est  probable.  Car  je  doute  qu'on  doive  placer  pendant 
celte  première  année  de  son  séjour  à  Rome  le  voyage 
qu  il  lit  à  Parme,  à  Milan  (et  assurément  à  Florence),  et 
où  il  connut  le  Corrège  et  Léonard.  Léonard,  c'est  le  maître, 
«  linimitabie  »,  «  îe  père,  le  prince  et  le  premier  de  tous 
les  peintres  ».  Quant  au  Corrège,  dont  pourtant  il  n'a  pu 
voir  la  Danaé  à  Rome,  il  n'a  pas  besoin  d'en  j)arler  pour 
qu'on  sache  qu'il  l'aime  ;  et  si  souvent  qu'il  s'approche  dans 
la  suite  de  ce  grand  peintre  de  la  volupt»',  ce  sera  tou- 
jours par  l'attir-ance  nécessaire  d'une  parenté  intellectuelle. 
Cette  passion  pour  Léonard,  c'est  à  propos  de  la  «  copie  » 
attendue  par  les  Etats  qii  il  l'a  déclarée  à  Devosg^e,  alors 
(ju  il  n'a  vu  la  Cène  (|ue  dans  la  tapisserie  du  Vatican.  Les 
tapisseries  de  Raphaël,  au  reste,  lui  causent  une  excitation 
pi-esque  aussi  grande  :  il  conqjrend  à  travers  celle  helle  Ira- 
duction  que  le  Sanzio  s'y  est  mis  tout  entier,  il  les  d(''taille 
à  son  maître;  et,  cherchantun  sujet,  il  voudrait  qu'on  lui  p t- 
mît  de  faire  sa  copie  d'après  elles.  Mais  les  Étals  tiemienl  à 
avoir  une  chose  très  à  la  mode  alors, le  Trlomj)lie  de  l'Au- 
rore, le  plafond  de  Guide  qui  est  au  palais  Rospigliosi.  On 
est  presque  surpris  (jue  Piaidlion  ne  soit  pas  tenté  par  ce 
sujet-là;  mais  il  n'est  pas  plus  entraîné  vers  Guide  (pi'il  ne 
va  l'èlre  vers  Pierre  de  Coilone,  malgi'éle  goùl  de  r<''p()(|ue, 
et  cela  aide  à  pressentir  de-jà  eu  lui  le  peintre  le  jdus  mo- 


38  PIIUD'HON. 

derne  de  son  temps,  ou  mieux  le  plus  préparé  j)Our  l'avenir. 
Prud'lion  pi»''fère  Léonard  et  Raphaël  :  «  11  est  vrai,  t'-ci-it-il 
à  Devosge,  que  ce  so.nt  des  sujels  qui  ne  sont  point 
agréables  pour  (jui  n'en  sent  point  les  beautés,  et  qu'à 
Dijon  le  plus  grand  nombre  pourrait  bien  les  trouver 
insipides.  »  La  Fortune,  et  cette  fois  la  bonne,  vient  à  son 
■secours,  mais  ce  ne  sera  pas  «  sans  contraste  ».  Le  pi'ince 
Rospigliosi.  for!  mécontenté  par  un  peintre.  —  jusIcMu-nt 
'Un  Bourguig-non,  un  cei'tain  Dubois  (|ui,  sous  prétexte  de 
copier  un  mauvais  Domiiiiquin.  passait  ses  journéps  à 
'dormir  au  palais,  —  et  furieux  (ju  on  lui  ait  à  cetle  occa- 
sion cassé  deux  vases  d'albâtre,  im'  veut  plus  voir  un  arlislo 
entrer  chez  lui  :  Bernis  lui-même  ne  saurait  le  flécbir.  Le 
«  contraste  »  sera  de  n'échapper  aux  afféteries  de  Guide 
que  pour  tomber  dans  les  complications  du  Cortone. 

3Iais.  en  attendant  la  commanile,  il  déménage  et  s'ins- 
talle dans  ses  meubles,  «  Acconto  San  Lorenzo,  in  Paiii- 
spei  na.  ai  monti  a  Roma  »,  (juartiei-  de  plein  aii"  où  il  loue 
un  coin  de  palais,  sans  doute  avec  son  camarade  le  sculpleur 
Bertrand,  qui  doit  avoir  été  à  Rome  son  seul  ami.  Quant  à 
Pelildt.  très  infatué  de  son  talent  et  qui  «  parle  beaucoup 
sans  ([u  il  sache  bien  ni  ce  (juil  dit  ni  ce  (ju'il  veut  dire  »,  il 
ré\  ile.  Un  triMnblenient  de  terre  sajoute  à  la  collection  de 
ses  aventui'es.  dont  il  est  (juilte  pour  la  peu?*,  mais  d'autres 
«oucis  le  tiennent.  A  Chmy,  sa  fenniie  est  sans  arg'ent; 
elle  vient  de  perdre  son  père,  le  notaire,  qui  n'a  rien  laissé, 
et  elle  est  malade.  Heureusement  le  bon  Devosge  est  là, 
.le  cœur  et  la  main  toujours  ouverts,  qui  envoie  un  jour 


PRUD'HON.  39 

cenl  cinquante  livres,  un  jour  soixante  livres.  Prud'lion, 
reconnaissant  et  traii(|uillisë,  peut  s'occuper  «  h  regarder  et 
à  admirer  les  chefs-d'œuvre  »,  comme  il  le  dira  plus  tard  à 
Bruun-Neerga<1rd  curieux  de  ce  qu'il  avait  fait  à  Rome.  II 
va  voir  le  «  Faune  du  Capitule  »  qu'il  aime  et  qui,  vingt  ans 
d'avance,  lui  annonce  le  sourire  de  MlleMayer;  il  rêve,  et, 
sur  ces  carnets  précieux  qu'a  recueillis  Mai'cille,  il  prend 
des  noies,  dessine  des  croquis,  forme  des  projets  en  fixant 
ses  visions  avec  des  titres  :  «  l'Amour  réduit  à  la  raison  »,  — 
«  l'Amour  et  Psyché  »,  —  «  l'Amour,  la  Frivolité,  le  léger 
Badinage,  le  Repentir  ([ui  les  suit  ».  —  «  Joseph  et  la  Femme 
de  Putiphar  »,  —  et  celui-ci  encore,  qui  sera  plus  tard  le 
sujet  d'un  tahleau  célèbre  d'Ingres,  «  l'Amour  d'Anliochus 
poiir  Stratonice  ».  Et  il  attend  la  commande. 

Elle  arriva  au  mois  de  février  86  :  il  devait  exécuter  um; 
copie  ou  plul(M  un  arrangement  du  plafond  de  Pieri-e  de 
Corîone  (jui  est  au  palais  Barherini.  Il  s'agissait,  «  comme 
les  sujets  allégoriques  peuvent  s'interpréter  de  bien  des 
sens  »,  de  faire  exprimer  à  ce  plafond  la  gloire  de  la  Bour- 
gogne et  des  Coudés.  Prud'hon  va  y  travailler  pendant 
plus  d'un  an,  avec  la  seule  interruption  d'une  lièvre  de 
quinze  jours  et  de  son  voyage  en  Toscane  et  en  Lombardie. 
L'assertion  est  donc  tout  à  fait  inexacte  qu'il  ne  l'ait  qu'es- 
quissé en  hâte  au  moment  de  (juitter  Rome,  ainsi  que  le 
dit  l'ancien  catalogue  du  musée  de  Dijon,  où  ce  TrloiupJie 
de  la  Dourgof/?ie  sert  de  plafond  à  la  salle  des  Statues, 
—  et  aussi  l'ojiinion  de  Concourt  (|ue  par  ennui  il  ne  fut 
qu'ébauché  à  Ronu'.  Le  jx'usionnaire  expédia  son  envoi 


40  PHUDHON. 

termine  au  mois  de  mars  87  :  l'adresse  seule  y  manquait, 
qu"il  avait  oublié  d "y  mettre,  et  la  caisse  fut  un  instant 
perdue  :  «  De  pareilles  bévues,  écrit-il  alors  a  Devosge,  ne 
semblent  être  faites  que  pour  moi,  ainsi  que  le  précieux 
avantage  de  faire  des  copies  d'après  de  mauvais  orig-inaux.  » 
Il  s'était  mis  à  l'œuvre  et  il  avait  attacjué  bravement  cette 
«  macbine  à  fracas  ».  La  dépense  n'était  pas  limitée  : 
«  J'économiserai,  dit-il,  l'arg-ent  de  la  Province  comme  si 
c'était  le  mien  propre.  »  Il  annonce  l'événement  à  son  ami 
Fauconnier  :  «  Je  suis  occupé  à  faire  les  préparatifs  pour 
peindre  un  tableau  de  vingt-cinf]  pieds  pour  la  Province... 
Ce  tableau  est  une  copie  d'après  Piètre  de  Cortone,  qui  est 
un  assez  mauvais  peintre  des  temps  passés  et  que  je  ne  suis 
guère  content  de  faire.  Mais  après  cela  je  pourrai  travailler 
pour  moi  en  toute  liberté  et  chercher  à  commencer  ma  répu- 
tation. » 

Pendant  toute  cette  année  Si),  son  plafond  va  le  tour- 
menter, et  sa  femme  aussi,  que  la  bontt"  de  Uevosge  a  mise 
en  goût,  et  il  doit  supplier  son  maître  de  se  défendre 
contre  les  indiscrétions  de  la  dame  :  «  Je  lui  avais  écrit 
ma  faron  de  penser  à  cœur  ouveil  ;  mais  il  paraît  qu'elle 
y  a  fait  peu  dallention,  ce  qui  ne  laisse  pas  de  me  piquer 
contre  elle.  »  Elle  vient  de  perdre  maintenant  sa  mère,  et 
elle  héberge  un  frère  mal  présentable  :  «  Son  frère  le  mili- 
taire, sergent  dans  le  régiment  de  la  Colonelle,  qui  est  resté 
longte-mps  à  Cluny  et  qui  y  est  peut-être  encore,  avec  le 
prétexte  d'arranger  leurs  affaires,  pourrait  très  bien  leur 
avoir  fait  faire  ces  démarches  si  pressées.  »  On  croit  voir 


-/)    o 


I 


1 


PIUID  H(3N.  43 

:1e  frère  .do  Manon  :  «  Coniiiu^  ^cns  Je  son  état,  il  i)oit  et 
mangi-e  sans  s'inqnit'ler  d'où  viennent  les  moyens  qui  four- 
nisseiil  à  ses  besoins  :  et  à  son  (h'jiart  Jie  faut-il  pas  de 
l'ai-gent  ?...  Pardon,  inonsienr,  si  je  vous  ai  entretenu  de 
choses  si  ennuyeuses..,  »  Peut-être  une  autre  préoccupation 
le  lonrmentait-elle  aussi,  car  à  plusieurs  reprises  il  demanda 
avec  instance  à  Fauconnier  le  portrait  de  sa  sœur. 

Sa  susceptibilité  tonjoiu's  aux  aguets  lui  découvre  uni; 
aulre  source  d'einuiis  :  les  j)r()teclrurs,  qu'il  placei'ait  \  olon- 
tiers  au  rang  des  inutiles  et  des  importuns.  11  est  vrai  que 
la  protection  dont  il  sagit  consistait  surtout  à  le  faire  sur- 
veiller par  Lagrenée,  le  directeur  de  l'Académie  de  France. 
«  J'avoue,  monsieur,  dit-il  à  Devosge  dans  ime  très  jolie 
lettre,  que  les  protections  m'embarrassent  plus  (lu'elles  ne, 
me  plaisent,  premièrenu'nt  parce  que  je  ne  suis  point  cour- 
tisan, secondement  parce  (ju'un  aitiste  ne  devrait  avoir  de 
protection  que  scii  talent,  et  comme  le  mien  n'est  pas  au 
point  où  je  1(>  i!  s.re.  je  nr  me  soucie  pas  qu'on  me  fasse 
connaître  a^■ai:i  le  temps.  Ouebiiiefois  même  c'est  nuisibh'; 
un  artiste  dont  on  voit  la  marche  et  les  progrès  fait  peu  (h; 
sensation  lors({u'il  parait.  »  <>|)im(»n  intéressante,  car  il  la 
mettra  en  pratujue.  ne  dexiint  se  montrer  au  public  qu'à 
trente-cinq  ans  passés,  alors  (|u'il  aura  conquis  son  art. 
Puis  il  se  plaint  de  M.  Lagrenée  et  d'un  abbé  Tourlot  ([ui 
fait  du  zèle  :  o  il  nous  a  engagés  avec  M.  Lagrenée,  un  peu 
j)lus  (|ue  jene  I  aurais  désiié  :  il  l'a  prié  d'écrire  tous  h\s  trois 
mois  aux  élus  de  Bourgogne,  soit  en  notre  faveur,  soit  pour 
.Irur  i-endre  compte  de  notre  avancement;  pour  ce  faire,  il 


4i  PUUDiiUiX. 

rau'lr.ul  lui  montrer  rie  nos  ouvrag'es,  ef,  de  bonne  foi,  je 
ne  me  sens  pas  porlé  à  cela.  M.  Latirenée  a  sa  faeon  de  voir 
et  de  faire  qui  ne  cadre  guri-,.  avec  la  mienne.  Par  const-- 
quent,  ses  conseils  ne  peuvent  pas  m'être  bons,  et  alors 
à  quoi  sert  d'avoir  l'air  de  demander  les  avis  d'une  jjer- 
sonne  quand  on  n'est  pas  dispose  à  les  suivre  '!  Du  reste, 
M.  Lagrenee  est  un  homme  aimaljle  et  qui  aime  à  rendre 
service...  Léonard  de  Vinci,  cet  Homère  de  la  peinture, 
dit  lui-même  qu'un  artiste  a  besoin  d'être  tout  entier  à  lui, 
que  la  solitude  lui  est  absolument  nécessaire  pour  observer 
plus  attentivement  la  nature.  » 

Cependant  le  plafond  s'achève.  Il  le  dit  à  son  maître  dans 
une  letlit'  du  20  h'vi'ier  87,  où  il  l'engage  à  laisser  son  iils, 
le  «  petit  Xatoile  »,  concoui'ir  pour  le  prix  triennal,  ce  dont 
se  défend  l'excellent  homme;  et  il  l'en  supplie,  et  dans  son 
insistance  délicieuse  son  exquise  tendresse  si  souvent  voi- 
lée se  découvre  un  instant.  11  y  donne  aussi  de  beaux  con- 
seils au  jeune  homme  :  «  Du  nerf,  de  l'expression,  un  des- 
sin ferme  et  grandement  senti,  des  draperies  avec  des  plis 
grands  et  décidés  et  du  repos  dans  les  parties  larges... 
Laissez,  laissez  le  clinquant  et  le  brillant  à  ceux  qui  privent 
leurs  figures  d'âme  et  de  sentiment,  et  qui  ne  savent  ni 
émouvoir  ni  intéresser.  Ils  ont  recours  au  faible  avantage 
de  fasciner  les  yeux,  et  ils  renvoient  leur  monde  aussi 
vide  de  sensations  qu'ils  étaient  venus.  »  Au  mois  d'avril, 
le  plafond  est  fini,  collaboration  d'un  peintre  eimuyeux 
avec  un  peintre  ennuyé  :  parmi  des  feuillages  durs  qui  n'ont 
rien  de  céleste,  dans  des  bitumes,  des  jaunes  et  des  gris  de 


Kl     O 


a=     5 


PIIUD'HON.  n 

ciel  assez  plaLs  et  iiK'diocr'rs,  des  figures  iKiinluciises  sir 
I  ieimeiit  lourdemeii!  dans  l'air;  mais,  à  gauche  el  à  droile  d(^ 
la  iiourgogne,  un  essaim  de  femmes  prudlionieuiies  a  surgi, 
des  Muses,  —  l'une  surtout  qui  lienL  une  palette, — h'g-ères, 
iluides,  caressantes,  bloudes,  le  cou  jolimeut  tendu,  des 
femmes  que  n'a  pu  connaître  Pierre  de  Cortone,  même  aux 
jours  de  sa  grâce,  et  qui  annoncent  que  le  peintre  est  né 
des  voluptés  légères.  Avec  l'espoir  que  ses  trente  ans  vont 
être  enfin  libres,  il  notifie  à  Devosge  l'envoi  de  la  «  ma- 
chine »,  —  l'envoi  où  il  a  oublié  l'adresse;  et  dans  une 
lettre  très  noble  pour  son  camarade  Bertrand  tombé  dans 
la  gène,  il  reproche  aux  Etats,  bravement,  —  car  il  ne  peut 
savoir  qu'ils  vont  mourir,  —  de  délaisser  les  artistes  puis- 
qu'ils ne  pensent  pas  à  son  ami. 

Prud'hon  s'est  lié  avec  Canova,  et  l'on  ne  saurait  négliger 
l'influence  que  put  avoir,  durant  quelques  mois  d'amicales 
efTusions,  le  grand  sculpteur  attardé  des  grâces  antique» 
sur  le  peintre  moderne  de  la  grâce.  Canova  voulait  le 
garder  à  Rome  et  l'y  faire  participer  à  l'éclat  grandissant 
de  sa  fortune,  mais  Prud'hon  tient  à  s'en  aller  vers  Paris, 
où  il  se  sent  la  force  de  paraître.  Il  y  avait  aussi  sur  ses 
carnets  un  brouillon  de  lettre  d'amour  :  on  croit  qu'elle  était 
préparée,  soit  pour  Mlle  Dembrun,  la  jeune  belle-sœur 
<le  M.  de  Joursanvault,  jadis  entrevue  à  Beaune,  soit 
plutôt  pour  Marie  Fauconnier,  —  mais  comment  expliquer 
ah)rs  qu'il  n'arrive  à  Paris  que  deux  ans  plus  tard,  à 
l'inslant  d'y  voir  en  1789  llamber  les  premières  ardeurs 
de  la  Révolution? 


48  PHUDHON 


III 


PRUd'hOX  revient  a  paris.    —  I.A   RÉVOIXTION.  —   SÉJOUR  DE 
PRUD'hON   sur  les  HORDS  de  la   SAÔNE.  PORTRAITS  ET  VIGNETTES. 

L'itinéraire  du  retour  «'St  inconnu,  mais  il  est  très 
évident  que  Prudhon  s'arrêta  quelque  temps  aupi-ès  de  sa 
femme  et  de  son  fils,  puisque  le  portrait  de  l'abbé  Besson 
ne  saurait  être  rapporté  à  une  autre  époque  :  pcul-èire 
même  alla-t-il  non  sans  plaisir  revoir  la  longuo  rue  étroite 
de  son  enfance,  maintenant  que,  devenu  un  artiste,  il  ne 
devait  plus  y  vivre;  non  que  l'artiste  soit  très  important  déjà, 
lui  qui  bientôt,  en  s'arrêtant  à  Dijon,  fera  le  portrait  d'un 
marchand  de  laines  en  échange  dune  paire  de  couvertures. 
Il  passa  par  Beaune,  car  on  ne  peut  guère  donner  au  buste 
charmant  de  la  baronne  de  Joursanvault,  qui  est  au  musée 
de  cette  ville,  une  date  plus  ancienne,  pour  son  aisance  et 
«a  sûreté  :  une  jolie  tète  Louis  W'I,  presque  Louis  XV 
encore,  aux  cheveux  bien  enlevés  sur  le  front,  le  menton 
rond,  les  pommettes  saillantes,  la  bouche  spirituelle.  11  en 
aurait  exécuté  un  autre,  d'elle  ou  de  Mlle  Dembrun,  avant 
son  départ  pour  Rome  :  —  et  voilà  tout  Prudhon  sculpteur. 
A  Dijon,  revenu  parmi  ses  anciens  maîtres,  il  peignit  une 
série  de  portraits.  D'abord  celui  de  Devosge,  qui  est  au 
musée,  tenant  un  crayon  de  sa  belle  main,  la  tète  un  peu 
plate  sur  un  fond  brun  dur,  mais  la  chair  dt'jà  très  mo- 
delée avec  des  teintes  dor.  Au  musée  de  la  ville  aussi. 


loin  RAI  r     DE     CONSTANCE     MAYER. 

Miniature. 
(Collection  de  Madame  IIimuv  Jahan.) 


PKUD'HON.  51 

M.  jMusard,  ],\v<fi;v  houi'gcois  rougeoyant  et  mal  ras»',  le 
jahol  l)lan(',  les  re\  ers  dlial»!!  à  layuies  bleu  de  ciel,  —  ui» 
polirait  d'attente,  —  et  Nicolas  Bornier,  professeur  de 
sculptui'e,  qui,  avec  quelcjue  inexpérience,  a  de  bien  jolis 
tons  et  de  délicats  modelés.  Le  portrait  de  Mme  Bornier 
est  peut-être  de  cinq  ans  postérieur,  de  l'époque  du  voyage 
à  Tiray,  mais  celui  de  Gauthier  la  Chapelle  et  la  miniature 
de  Mme  Devosm'  son!  de  1788. 

Prud'hon  lit  en  1789  sa  rentrée  à  Paris.  H  n'y  eût  été 
reinai'qut'  en  aucun  l<Mnps,  niais  il  le  fut  moins  encore  eiv 
celui-là.  L'inquiétude  est  partout,  et  la  curiosité  du  len- 
demain :  comment  va-t-il  pouvoii"  travailler  dans  ce  dé- 
chirenient  (|ui  commence?  Qu  aucune  antinomie  n'existe 
entre  l'agitation  d'un  peuple  et  le  rêve  dun  poète,  il  le 
pr(mve  en  étant  aussitôt  h;  délicieux  artiste  (piil  <loit  èlre. 
11  revoit  au  milieu  des  broderies  le  sourire  énigmali(|ue  de 
Marie  Faucoimier  :  «  Ce  Pi'udhon  (jui  n'avait  pas  dit  (|ii'il 
était  marié!  »  et  il  vient  loger  luv-  (luéné'gaud.  Mme  Pru- 
d'hon  et  son  lils  Jean,  <léjà  dans  sa  dou/.iènu>  année,  l'y 
rejoigniienl  très  \\[x\.  Le  peintre  attendait-il  sa  femme? 
En  tout  cas  il  se  résigna,  et  il  eut  encore  deux  lils  d'elle,, 
en  91  et  en  93,  et  d'autres  enfants  plus  tard.  Anat<de  I)e- 
vosge,  venu  prend  re  pour  quelques  mois  les  leçons  de  David, 
sentait  dans  le  petit  logis  la  vie  étroite,  et,  un  jour  (pl(^  la 
dame  tenait  à  aller  voir  une  exé-cution,  —  cette  exigence 
aux  premières  heures  de  la  Révolution  a  quelque  chose  de 
sinistre,  —  son  mari,  qui  ne  s'en  souciait  guère,  put  dt'cla- 
rer  (ju'il  n'avait  pas  de  bas  à  se  mettre,  et,  priant  Anatole,  il 


52  PHLDHON- 

lui  flil  :  «  Emmène-la  et  garde-la  le  plus  long  temps  possible.  » 

Pruiriioii.  qui  revenait  de  Rome  en  provincial,  n'avait 
à  Paris  aucune  attache  officielle,  et  il  dut  peindre  îles 
miniatuies  pour  les  gens  du  voisinag^e.  Mais  bientôt  un 
amateur,  le  comte  d'Harlai,  lui  commandait  liois  dessins  : 
moHJCiil  capital.  On  n'est  pas  sûr  cpril  U's  ail  payés  large- 
ment ;  mais  il  n'importe.  Prudlion  était  mis  en  état  rie, 
faire  son  œuvre,  et  ces  trois  morceaux  vont  être  du  pre- 
mier coup  une  expression  complète  de  son  g-énie.  Cepen- 
dant il  a  déménagé  et  liahiteau  n'  I  ^<  de  la  rue  Cadet.  Excité 
par  les  idées  nouvelles,  il  \a  au  club  avec  Fauconnier  se 
iaseiner  à  léloqueiice  de  llobopiei-re  et  entn  prend  dans 
SOI)  eiilliousiasme  un  grand  panneau,  où  il  andiitionne  de 
n'-unir  les  premiers  rôles  de  l'é'pocjue  :  c'est  le  dernier  temp.î 
de  son  amitié  pour  le  marchand  de  dentelles,  (jui.  proposé 
comme  paiTain  de  lim  de  ses  lils.  de  Jacques-Philippe  ou- 
cl'Eudamidas,  se  fâcha  de  ne  pas  létre.  Prudlion  expose 
alors  pour  son  premier  Salon,  en  septembre  91,  l'an  III  de 
la  Lihertt'.  —  «  au  Louvre,  par  ordre  de  l'Assemblée  natio- 
nale »,  —  «  un  dessin  à  la  pierre  noire  représentant  un 
jeune  homme  appinjé  mir  le  dieu  Terme  »,  qui  appartient 
à  M.  (ieoiges  Cain. 

Les  trois  dessins  du  comte  d'Harlai,  qui  va  devenir  avec 
les  t'vénements  le  citoyen  d'Arlel.  puis  Darlet  sans  apo- 
strophe, ainsi  que  nous  1  apprennent  les  planches  gravées 
de  Copia,  sont  la  Vengeance  de  Cérès.  et,  en  pendants, 
le  Cvnel  rit  des  plein  s  gu  il  fait  verser,  et  l'Amoitr  ré- 
duit à  la  laison.  Les  sujets  sont  les  plus  prudhoniens  du 


t'Ui![|s\i|     îiE     I,    [MPKU  ATBHE    J  O  S  K  P  11 1  \  i: 

(Musi^e  «lu  Ldiivie,) 


PRUD  HON.  Jio 

monde,  et  le  peintre,  encluintë  par  ces  alle'gories,  s'y 
adonne  si  vivement,  qu'il  compose,  enveloppées  et  enve- 
loppantes, des  œuvres  dont  il  ne  dépassera  g-uère  lu 
beauté  ni  la  souplesse,  d'un  charme  qui  se  sensualise  de 
g^ràce,  parmi  des  voluptés  où  transparaissent  à  la  lois  des 
tfttjStïiétudes  et  des  ironies;  et  l'on  peut  dès  lors  voir  netlr- 
ment  en  Prud'hon  l'adversaire  de  David  et  de  l'École,  le 
maître  de  la  chair  vivante  et  savoureuse  en  face  du  maître 
des  conventions  impeccables  et  des  anatomies  savantes. 

La  Veiif/eance  de  Cérès  est  une  métamorphose  d'Ovide  . 
«  Cérès  chang"e  en  lézard  le  jeune  StelHo  parce  qu'il  se 
moquait  d'elle  en  la  voyant  manger  avec  avidité.  »  La 
mère  de  Proserpine,  endolorie  d'avoir  peidu  sa  fille,  reg^arde 
avec  courroux  l'insolent  gamin,  et  il  y  a  déjà  de  la  Vrn- 
geanre  dirine  en  elle.  L'Amour,  le  Cruel  ril  des  pleurs 
gu  il  fait  rerser,  est  un  camarade  de  Stellio  et,  rieur  énig- 
matique,  ondoyant  et  onduhmt,  se  moque  d'une  jeunes  fille 
éplorée,  qui,  devenue  délicirusemenl  mutine,  va  prendre 
sa  revanche  dans  l'Amour  réduit  à  la  raison^  en  se  jouant 
du  «  cruel  »,  —  à  moins  qu'il  ne  faille  transposer  les  actes 
du  drame  et  (jue  ce  ne  soit  l'Amour  qui  prenne  sa  revanche 
en  se  réjouissant  de  tourmenter  la  jeune  fille  qui  a  osé  rire 
de  lui. 

L Amour  réduit  à  la  raison  fit  partie  des  «  ouvrages 
exposés  au  Sallon  du  Louvre  par  les  artistes  composans 
la  commune  des  Arts,  le  10  août  1793  ».  Prud'hon  y  avait 
envoyé  en  même  temps  un  beau  portrait  de  Mme  Copia, 
le  dessin  à' Andromaque,  sujet  auquel  il  reviendra  vingt- 


56  PRUDHON. 

quatre  ans  plus  tani  dans  une  condoh'ann'  à  Alaiie- 
Louise,  —  »t  l'Union  de  r  Amour  et  de  l'A  mi  fié,  où  il 
répète  sa  figure  d'homme  du  Salon  pr«'C('dent  auprès  d'une 
Amitié  très  charmante,  la  vraie  femme  de  Prudhoii, 
aux  veux  écartés  et  rêveurs,  à  la  houche  presque  entr"ou- 
verte.  aux  seins  très  mo(hIé'S,  qui.  p(  inte,  fit  partie  du 
cabinet  de  3Iorny,  et,  dessinée,  se  voit  au  musée  Condé. 
Oii  peut  rapporter  à  la  même  inspiral idu  v\\\  dessin  dune 
suavité  plus  grande  encore,  Josep/i  et  la  femme  de  Puti- 
phar  :  non  le  Josepli  tradilionncd  qui  nhésite  pas,  mais  un 
Joseph  d<'solé  par  la  tentation  dans  les  bras  dune  femme 
désireuse,  appelante,  voluptueuse  et  jeune,  sans  rien  des 
violences  qu'on  attribue  à  la  femme  déjà  mûre  du  célèbre 
intendant  des  Pharaons;  lutte  de  corps  et  d'àmes,  groupe 
merveilleux  \)Av  la  justesse  exquise  des  formes  et  des  sen- 
timents. 

Edmond  de  Goncourt  a  fait  cette  remarque,  que  les 
dessins  de  Prud'hon  étaient  extraordinairement  disposés 
pour  la  gravure  et  que,  par  leurs  hachures  et  leurs 
traits,  ils  la  préparaient  en  quelque  sorte;  la  transcription 
s'opérait  ainsi  d'elle-même  et  pouvait  arriver  à  une  pré- 
cieuse réalisation  du  dessin.  Prud'hon  cependant  a  été 
peu  gravé,  mais,  par  Copia  d'abord,  puis  par  Roger,  et 
;:près  sa  mort  par  Jules  Boilly  et  par  Aubry-Lecomte, 
(l'une  manière  si  jolie  et  si  vraie  que,  malgré  les  facilités 
(juils  eurent,  leur  mérite  n'en  doit  pas  être  amoindi'i.  Il  l'a 
été  aussi,  médiocrement,  par  son  tils  aîné.  Louis  Copia, 
(jui,  de  six  ans  moins  âgé  (jue  Piu<riion,  l'a  connu  à  son 


PUUDHON.  50 

retour  de  Rome,  et  ((ui  va  iiiouiir  m  1791),  exposera  au 
Salon  (le  95,  alors  que  le  peintre  sera  dans  la  Haute- 
Saône,  f  Amour  réduit  à  la  ramm  et  la  Vengeance  de 
Cérès  avec  une  Sapho  de  Devosge  et  un  «  cadre  contenant 
plusieurs  gravures,  d'après  les  citoyens  Prud'hon  et  Da- 
vid »  :  assemblage-^  de  noms  bien  intéressant.  Roger, 
«  élève  de  L.  Copia  et  de  Prud'bon  »,  continuera  l'œuvre  de 
l'un  en  travaillant  beaucoup  d'après  l'autre.  Prud'bon.  pour 
les  premières  plancbes  de  Copia,  avait  t'ait  une  association 
avec  lui  et  avec  Constantin,  le  marcband  de  tableaux  de  la 
rue  Saint-Lazare,  auquel  il  avait  «loniit'  la  «  signature  »  de 
ses  tableaux  et  de  ses  dessins.  Lui-même  a  tort  peu  giavé  : 
Pltrosine  et  Mélido)\  Y  Enlèvement  d' Europe^  à  l'eau-lorte, 
et,  dans  ses  dernières  années,  les  litliograpliies  de  l'Enfant 
au  chien  et  de  la  Eamille  malheureuse. 

iJaintenant,  en  pleine  Terreur.  Prud'bon  excité  se  sent 
'.e  désir  de  grandes  clioses  :  il  voudrait  décorer  le  Pan- 
tbéon  de  grisailles  en  trompe-l'œil  avec  toutes  les  Vertus 
républicaines,  et  composer  un  tableau  officiel  en  l'Iionneur 
<le  l'Agriculture,  mais  il  doit  se  contenter  d'un  vaste  dessin 
où  l'on  voit  une  Minerve  qui  rapprocbe  la  Liberté  de  la 
Ijoi  :  il  dessini'  aussi  une  Ti/t'annie.  qui  a  appartenu  au 
prince  Napoléon.  Puis,  par  un  re\irement  brusque,  il 
se  donne  tout  à  coup  à  une  série  de  [x'tites  pièces,  en-tétes 
officiels  jiour  des  administrations  de  l'I^tat,  (jui  ont  été  tous 
gravés  par  Roger  :  Pi-éfecture  de  la  Seine,  Département  do 
la  Seine-Inférieure,  Colonie  de  la  Louisiane,  Ministère  de  la 
Guerre,  Ministère  de  la  Police  générale,  Ministère  de  l'Inlé- 


00  PhUD'HON. 

rit'ur  (brevets  d'invenlion),  et  encore  à  un  projet  de  nié 
daille  pour  la  «  R('pul)li(jue  française,  une,  indivisible  et 
impérissable,  171)4  ».  En  ces  sujets  d'allégorie,  précieux 
sous  ses  doigts,  il  s'est  adonné  à  la  représentation  qu'il 
aimait  d'une  idée  ou  d'un  fait  par  un  être  impersonnel  et 
imaginaire,  aA^antque  dans  ses  décorations  impériales  il  ne 
s'y  abandonnât  passionnément  et  avec  excès  :  Prudbon  et 
son  époque  rechercbaient  à  tout  propos  1  allégorie  et  les 
emblèmes,  et  ils  en  goûtaient  la  convention  facile  sans  se 
préoccuper  de  s'élever  au  symbole.  On  se  demande  pour- 
quoi les  en-tétes  de  ces  administrations  publiques,  bonne 
fortune  et  marque  g"lorieuse  de  leurs  débuts,  ne  sont  plus 
utilisés  aujourd'hui  ;  mais  le  mieux  ne  serait-il  pas  de  le  leur 
(Iciu.indcr  à  elles-mêmes  et  de  les  prier  d'v  revenir? 

Par  ce  temps  violent  d'('motions  et  de  sursauts,  Pru 
d'hon  dessine  aussi  pour  les  boîtes  de  dragées  du  conli- 
seur  Berthelemot  —  «  le  Fidèle  Bergfr  n  —  une  Vénus 
avec  1  Amour,  et  une  Léda  d'après  une  pierre  antique. 
Mais  l'adresse  du  graveur  3Ierlen,  une  Minerve  peinte 
sui-  verre  pour  le  dessus  de  porte  de  sa  bouli(jue  et  qui 
a  été  retrouvée  par  His  de  la  Salle,  ne  fut  en  tout  cas 
burinée  par  Roger  que  lors  du  Consulat,  puis(|u'on  y 
lit  :  «  Palais  du  Tribunat,  n»  40  ».  A  plus  forte  raison, 
ladresse  de  la  veuve  Merlen.  —  une  fennne  devant  un  cof- 
fret à  bijoux,  —  boutiquière  très  à  la  mode  du  commen- 
cement du  siècle,  (jui  «  tient  fabiique  et  magasin  d'orfè 
vrerie.  joailleries  et  bijouteries  dans  le  plus  nouveau  goût, 
vend,  achète  et  monte  les  diamants,  le  tout  a  juste  prix  ». 


PUUD'HON.  61 

Ces!  ((ii(\  (Ml  dehors  des  occasions  et  <lcs  ncccssilcs,  Piu- 
d  lion  csliiiiail  (|ii"il  dcxail  pouvoir  s'assou[dir  à  tout, 
varier  ses  formules  et  ses  expressions.  «  Vous  voulez, 
dira-l-il  à  Yoïarl  en  causant  avec  lui  de  David,  (jue  moi, 
le  h'iiioiii  journalier  des  niodilications  que  subissent  mes 
<-oiiipalrioles  mêmes,  jiidople.  pour  exprimer  ce  ({ue  je 
vois,  un  stvle  étrangei'  à  leur  nature...  Je  ne  puis  ni  ne 
veux  voir  par  les  yeux  des  autres  ;  leurs  lunettes  ne  me 
von!  pas...  Enfin,  parce  que  Corneille  et  Racine  ont  fait 
<les  cliel's-d'oHivre  immortels,  faut-il  ne  plus  parler,  ne 
plus  ('crire  qu  en  vers  alexandrins?  » 

Kohespieire,  ((u  il  a\ait  jidiiiirt'  au  club,  vient  de  tomber 
cl  de  mourir,  mais  la  misère  du  lemps  nesl  pas  liiiie. 
Priid  bon,  à  1  t'iroit  dans  son  loii'is  de  la  rue  (lad<'l.  mal  à 
Taise  eiilre  les  cris  de  sa  fenuue  et  ceux  de  ses  trois  en- 
faiils.  se  (b'battait  déjà  contre  les  difficultés  de  vivre, 
<|iiaiid  arrive  la  diselle  à  l'aulonme  de  94.  Il  (juilti; 
alors  l*arisa\ccsa  famille.  (ïliacun  s'en  allail  du  côté'  de 
son  pays  :  Frag:ouard  déjà  vieillissant  part  pour  Grasse. 
Prudbon  sarrélera  en  V'ran(die-(îomté,  et  il  jiassera  deux 
ans  sur  les  bords  de  la  Saône,  à  Gray  et  au  village  de 
Rigny.  Pour(|uoi  va-l-il  à  Gray?  Le  plus  vraisemltlable, 
cesl  (pie  le  bon  Devosge,  (pii  ('lail  de  cette  petite  ville, 
s'est  nuM('  de  lui  trouver  des  travaux  et  des  ndalioiis.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Prudbon,  évadé  du  caucbemarde  Paris.  \  ivra 
deux  années  très  douces  auprès  de  cette  Saigne  intime,  si- 
nueuse et  lente,  parmi  les  arbi'es  et  dans  la  retraite, 
sans   même  peut-être    que  son  bonbeur  soit  dimiimé  par 


f)2  PRUDHON. 

le  voisinage  de  sa  femme,  qui,  à  Rigny,  va  lui  «lonner 
un  (juatiième  lils,  Pliilopœmen.  Cependant  il  peindra  l'un 
de  ses  plus  beaux  portraits  et  il  dessinera  pour  Didot  do 
merveilleuses  illustrations.  On  sait  que  Roger  est  auprès 
(!<'  lui  à  Rignv,  car  il  figure  comme  témoin  à  l'acte  de  nais- 
sance de  son  fils. 

Il  paraît  que  Prud'hon,  habitué  aux  accidents  de  \oiture, 
en  eut  un  à  une  lieue  de  Gray,  justement  devant  le  château 
de  Rigny,  situé  tout  au  bord  de  la  ri\  ièr<',  et  (jue,  recueilli 
et  soigné  là,  il  y  lit  les  portraits  du  [)cre.  de  la  mère  et  des 
entants.  Le  Portrait  de  M.  Anthony,  au  musée  de  Dijon, 
montre  le  peintre  détinitivement  maître  de  son  art  :  un 
honnne  brun,  jeune,  au  masque  sérieux  et  tendre,  en  habit 
bleu  harmonisé  avec  le  bleu  de  la  cravate,  gilet  rouge  et 
culotte  de  Casimir-,  la  main  droite  passée  dans  la  bride  de 
son  cheval  dont  on  ne  voit  que  la  tète  et  l'encolure.  Le 
imisé'e  de  Lyon  possède  depuis  qu»'lques  années  le  Portrait 
de  Mme  Ant/iony  et  de  ses  enfants  et  peut  s'en  faire  gloire, 
car  ce  morceau  d'une  saveur  extrême,  si  accusé  à  la  fois 
et  si  estompé,  si  sur  et  si  souple,  doit  prcndie  une  place 
capitale  dans  la  peinture  moderne,  et,  s'il  fait  penser  ou  à 
Goya  ou  à  Reynolds,  dont  Prud'hon  certes  ignorait  alors 
les  noms  mêmes,  c'est  en  les  égalant  au  moins.  Jeune,  très 
jeune,  sa  fille  en  petit  bonnet  blanc  toute  petite  entre  ses 
bras,  la  mère,  satisfaite*  câline  et  spirituelle,  avec  de  la 
lumière  dans  les  yeux,  se  tient  droite  dans  sa  blanche  robe 
Directoire  à  la  ceinture  rose,  un  chapeau  gris  piqué  d'un 
nœud  rose  encadrant  son  visage  don!  les  clieveux  châtains 


PRUD'HON.  6:i 

ondulent  et  descendent;  et,  derrière  elle,  son  fils  de  qui 
la  tète,  sortant  d'un  col  Manc,  se  penche,  malicieuse  et 
gentille,  les  yeux  très  ouverts,  les  dents  apereues.  Mor- 
ceau tondu  et  merveilleux,  délicieusement  humain,  de  la 
famille  dti  ces  portraits  d'élile  (|ui  vous  parlent  d'eux  dès 
qu'on  s'en  approche  assez  près.  Prud'hon,  (jui  avait  su 
plaire,  peignit  encore  le  portrait  de  In  nièce,  qu'on  aura  la 
joie  de  voir  hientôt  au  musée  de  Dijon  ;  et  dans  le  même 
tenîps  cidui  de  la  petite  Marie-Mcu-gtierite  Lagnier,  qui 
est  au  Louvre,  et  ceux  à' Ursule  Bevon,  toute  hlonde  et 
très  en  hleu,  et  iV Etienne  Bevon,  son  mari,  (jui  sont  à 
(iray.  Souvent  Prud'hon  a  lait  les  portraits  du  mari  et  de  la 
IVnnne  :  hahilud»'  de  re'po(iue,  hahitude  surlout  de  la  pro- 
vince où,  avec  le  désir  régulier  d'enrichir  à  la  même  heure 
la  maison  familiale  de  la  double  image  aimée  du  père  et  do 
la  mère  pour  le  souvenir  des  enfants,  l'on  n'a  l'occasion 
ni  l'idée  de  chercher  des  artistes  différents  pour  exprimrîr 
des  natures  diverses.  Il  peint  M.  Rey  et  3Ime  Bey  au  pastel, 
d'autres  encore,  M.  et  Mme  Febvre,  M.  et  Mme  Barbizet, 
petits  bourgeois,  tantôt  représentés  à  la  hâte  poui"  les 
besoins  de  la  vie,  tantôt  caressés  pour  le  plaisir  dei  l'ar- 
tiste, comme  M.  Perché,  juge,  (|ui  appartient  à  M.  (Iroult. 
Qu'est-ce  que  toutes  ces  connnandes  lui  rappoitin'cnl  ?  Mal- 
gré les  souvenirs  de  Mme  Barbizet  sur  les  malheurs  de 
Prud'hon,  recueillis  par  M.  Hené  Jean,  ces  travaux,  à  n'en 
guère  douter,  lui  étaient  payi's  au  taux  provincial,  ce  qui 
à  Rigny  lui  pei-nnîtlait  de  vivre  à  l'aise,  il  peignit  encore 
au  château  de  liclleneuve,  près  de  Dijon,  l'important  por- 


r.î  PPiUD'HDN. 

trail  (If  M.  Viiinhtl.  assis  sur  une  chaise,  poudiv  ol  ni  habit 
bhu,  d'autant  plus  important  pour  lui  que  c'est  en  le  pei- 
gnant (juil  lit  la  connaissance  de  Frochot,  ami  très  ulih', 
—  el  celui  de  M/nr  Vi<ird(tt.  en  rohr  verte  à  raies  jaunes. 
ï)aillrurs  il  tia\  aillait  v\\  outre  pour  Didot  l'aîné,  qui, 
dans  rrlii-rvcsccncc  d  alors,  publiait  tranfjuillfnM'iit  ses 
plus  belles  t'ditions.  Il  avait  connnencé  à  Paris  dès  17H3, 
ainsi  (ju  en  témoiizne  le  reru  d'une  somme  qui  semble 
assez  forte,  mais  qui  lui  ••lait  évidemment  payée  en  assi- 
Cfiiats.  Il  illuslra  d'abord  «  Daplmis  et  Chloé  »  :  \d,Chèvre 
allaitant  Dap/inis,  le  Bain  et  la  Ci</al(',  lavés  à  l'encre  de 
("Jiine.  figui-èrcnl  au  Salon  de  l'an  V  avec  un  Polirait  du 
cilot/en  C.  (son  ami  Constantin),  dont  «  le  temps,  dit  le 
Ciilalogue,  n'a  pas  permis  à  l'artiste  de  finir  les  mains  ni 
les  xclements  ».  et  avec  deux  des  trois  dessins  à  la  plume, 
(Jioisir  Vohji't.  Uenflamtner.  En  jouir^  qu'il  fit  pour 
«  l'A  ri  d'aimer  »  de  Gentil-Bernard.  Pour  un  roman  en 
vers  du  même  Bernard,  il  dessina  les  Amours  de  Phrosme 
et  Mélido)-.  (|u'il  errava  lui-même  et  dont  l'esquisse  peinte 
;!|ip;i client  à  M.  G.  Gain.  Et  encore  —  tant  à  Kif;ny  qu'en- 
suile  à  Paris —  ciiuj  illustrations  de  «  la  Tribu  indienne  par 
le  C.  L.  B.  »  (citoyen  Louis  Bonapartef,  dont  on  dit  que 
dans  la  deiiiière  el  la  plus  connue,  la  Suif  de  l'or,  il  préla  à 
1  lidiume  cupide  les  frails  de  Giiodef;  puis  le  Xnu frnr/e  de 
«  P;iul  et  N'irg^inie  »,  et,  pour  l'édition  de  Racine,  V A/jothéose 
en  frontispice  et  Pyrrhus  et  Andromaque  :  la  Thébaïde 
serait  de  lui  aussi,  bien  que  son  nom  ne  figuie  pas  sur  la 
planche,  mais  les  élèves  de  David  auraient  obtenu  que  Didot 


IMIUDIION.  (J7 

le  fil  enlever  e|  ne  (l(t;niùl  j)liis  ilo,  commandos  à  Prudlioii. 
[|  liavaiilait  en  même  temps  pour  Renouard,  illustrant 
r«  Aminta  »  du  Tasse  avec  le  joli  dessin  à  la  sépia  de  S'f/lvie 
cl  h'  Sdtijre,  (jui  appartenait  à  Alexandre  Dumas  lils;  mais 
ce  liavail  lui  avait  coûté  tant  de  peine  qu'il  ne  voulut  des- 
sinei'  (ju'aux  crayons  noir  et  i)ianc  la  Délivrance  (V An-z'ia^ 
pour  \\\\  roman  grec,  et  un  nouveau  Bain.,  plus  cliaiiiiant 
«]ue  l'autre,  avec  une  Ghloë  plus  jeune,  destiné  à  une 
('•(lilion  italienne,  et  qui  fut  payé  six  louis  par  Renouard. 
11  faut  enlin  noter  les  cinq  vignettes  de  «  la  Nouvelle 
Ili'loïse  »,  g^ravées  par  Copia,  en  inettant  à  part  pour  sa 
g-ràce  le  Premier  baiser  de  l  amour,  et  pour  ce  (juil  est 
cui'ieux  à  l'approcher  d'un  dessin  sur  le  même  sujet,  jthis 
précis,  plus  habile  et  plus  sec,  de  Moreau  le  jeune  :  on 
comprend  là  (|ue  Prudhon,  mis  en  présence  d'un  livre,  ne 
devient  pas  volontiers  un  vignettiste,  et  que,  se  préoccu- 
pant peu  de  l'appropriation  de  son  dessin,  il  poursuit  en 
visioiniaire  le  rêve  de  volupté  douce  et  de  tendre  féminité 
flont  jour  à  jour  il  compose  son  œuvre. 


IV 


LE  nilJKCl'OinE   KT   LE    CONSULAT.    LES    PREMIEHS   SUCCES.  

prud'hon  au  louvue.  —  plafonds  et  décorations. 

Piud'hon,  de  retour  à  Paris  avec  sa  femme  et  ses  quatre 
(ils,  s'installa,  à  l'automne  de  96,  au  n°  28  de  la  rue  du 
llarlai,  oii  une  fille,  Emilie,  qui  fut  son  dernier  enfant,  lui 


68  PRUD'HON. 

naquit  dès  son  arrivée,  le  3  novembre.  Les  temps  sont 
bien  chang^és  :  à  la  poursuite  de  la  gloire,  le  jeune  g-énérai 
Bonaparte  a  remplace'  Robespierre,  et  le  Directoire  se  venge 
de  la  Terreur  en  s'amusant.  La  mode  aujourd'hui  est  au 
plaisir,  mais,  soit  caprice,  soit  souvenir  des  événements 
tragiques,  il  y  faut  un  décor  solennel  et  romain  :  Frago- 
nard  est  jeté  de  côté  et  David  est  roi. 

Fort  peu  connu  encore,  et  en  homme  qui  débarque 
pour  la  seconde  fois  de  sa  province,  Prudhon,  à  l'instar 
des  pensionnaires  de  l'x^cadémie,  s'en  alla  faire  visite  aux 
peintres  célèbres.  On  rapporte  que  David  et  Girodet  le 
reçurent  froidement,  mais  on  les  voit  plutôt  pleins  d'une 
insolente  bienveillance.  II  vint  chez  Greuze,  qui  lui  aurait 
dit  en  lui  montrant  ses  manchettes  déchirées  :  a  Vous  avez 
du  talent  ?  Tant  pis!  De  la  famille  et  du  talent,  c'est  plus 
qu'il  n'en  faut  pour  mourir  à  la  peine  »  ;  et  qui  aurait  dit 
de  lui  :  «  Celui-ci  ira  plus  loin  que  moi  ;  il  enfourchera 
les  deux  siècles  avec  des  bottes  de  sept  lieues.  »  Il  y  avait 
bien  des  points  de  contact  entre  ces  deux  Bourguignons, 
l'un  et  l'autre  nés  dans  une  petite  rue  de  petite  ville,  — 
celle  de  Tournus  plus  étroite  et  plus  triste  encore  que 
celle  de  Cluny,  —  mais  le  grand  trait  d'union  entre  eux 
sera  l'Elève,  et  Prudhon,  jeune  encore  de  ses  quarante 
ans  qui  s'approchent,  aurait  pu  ce  jour-là  apercevoir 
chez  le  vieux  peintre  sentimental  Mlle  Mayer.  que  Greuze 
dans  quelques  années  va  lui  léguer  sans  le  savoir. 
Quant  à  Gros,  il  fit  son  portrait,  coiffé  à  la  chien,  dans  la 
cravate   et    l'iialjit  des    Incroyables,    mais  il  ne  l'acheva 


PHUD'HON.  69 

pas,  ce,  qui  laisse  un  peu  (rinquiétude  sur  leurs  rapports. 

Cependant  (ju'il  apprend  à  connaître  derrière  leurs 
palettes  les  peintres  du  Directoire,  Prud'hon  travaille.  Il 
compose  son  magistral  dessin  de  la  Sagesse  et  la  Vérité 
descendant  sur  la  terre  (1),  qui  va  lui  servir  de  billet  d'en- 
trée dans  la  gloire  du  jour,  et  qui  lui  vaut,  avec  un  prix 
d'encouragementj  la  commande  de  l'exécution  peinte  et 
un  log'ement  au  Louvre.  Ce  projet  de  plafond,  amoureuse- 
ment dessiné,  comme  avec  des  caresses  de  noir  et  de  blanc 
sui-  le  bleu  du  papier,  —  et  cette  volupté  de  la  touche, 
accentuée  par  l'écrasement  delà  craie,  reste  une  caractéris- 
tique (le  tous  les  dessins  de  Prud'hon,  —  dénote  que  des 
idées  décoratives  le  préoccupent  alors,  et  il  va  en  elfet 
consacrer  ces  années-ci  aux  murs  et  aux  plafonds. 

Le  voici  donc,  en  1798,  s'installant  au  Palais  national 
des  Sciences  et  des  Arts,  c'est-à-dire  au  Louvre.  11  a  fait 
du  chemin  depuis  sa  rue  Guénégaud,  depuis  le  temps  si 
proche  encore  où,  au  bras  de  Fauconnier,  il  écoutait  Robes- 
pierre. Non  qu'il  soit  \tH  à  l'aise  avec  Mme  Prud'hon  et 
ses  cinq  enfants  dans  cette  cité  d'ailistes  oii  l'on  se  presse, 
011  l'on  se  déranii^e,  où  l'on  s'épie,  car  ils  sont  vingt-six  dans 
ces  galeries  que  Henri  IV  a  fait  disposer  afin  d'avoir  ses 
«  ujaîtres  »  auprès  de  lui  comme  il  a  ses  seigneurs,  et  que 
Napoléon,  y  voyant  un  soir  de  la  lumière,  fera  évacuer  par 
crainte  de  l'incendie,  en  commandant  à  Duroc  «  lé  démé- 
nagement de  tous  ces  bougres-là  ».  Qui  oserait  aujourd'hui 

\\)  Ch.  Blanc  le  croyait  perdu  :  il  aiipartient  aujoiird  liui  au  D''  Chaullard. 


10  PRL'DHON. 

lui  donner  tort  ^Prudlion  liii-inèinc  n'a  pas  le  droil  de  Iti-ùlcr 
le  Vinci.  En  allendaiil,  il  y  a  pour  voisins  Huberl  Robert  et 
Pajou,  et  Greuze,  et  aussi,  tout  dt'sorieuté  et  si  vieilli  par 
la  Révolution^  Fragonai-il,  avec  sa  tcmnie  qui  [)roniène  dans 
les  couloirs  sa  vulgarité  bavarde,  et  sa  belle-sœur,  Maigue- 
rite  Ge'rard.  plus  jeune  et  plus  prisée  en  ses  coquetteries 
et  ses  froideurs;  et,  pendant  que  Mme  Frag"onard  parle, 
Mme  Prudhon  crie.  Lui,  que  le  succès  excite,  n'en  travaille 
pas  avec  moins  de  bravoure,  et,  ses  enfants,  il  s'en  sert 
comme  des  plus  aimés  et  des  mieux  compris  des  modèles. 
Le  plafond  s'acbève  bien,  mais  ne  peut  sortir  de  lale- 
lier,  et  le  peintre  doit  demander  au  ministre  de  1  intérieur 
l'autorisation  de  lui  faire  un  passage.  11  arrive  enfin  au 
Salon  de  1799,  qui  s'ouvre  le  l*""  fructidor  an  VU  :  la 
Sagesse,  Minerve  drapée  de  jaune,  présent»'  à  la  Terre  la 
Vérité  dévoilée,  simple  et  coidiante.  L'élégant  public  de 
la  fin  du  siècle,  habitué  aux  conventions  sentimentales  de 
Greuze,  —  la  citoyenne  Mayer,  redevenue  Mlle  Mayei-  à  lau- 
rore  du  Consulat,  expose  quatre  toiles  du  genre,  —  et  aux 
conventions  historiques  de  David,  fut  surpris  de  celte  lleur 
d'essentielle  beauté;  et,  émerveillé  du  même  coup,  il  fit 
un  succès  à  l'œuvre  et  mit  l'homme  à  la  mode  (1).  L'année 
est  excellente  pour  Prudhon,  à  qui  un  autre  succès  arrive, 
très  brillant  :  le   fournisseur   des    armées  M.  de  Lanois 

(1)  Placé  d'abord  dans  la  galerie  des  peintres  vivants  à  Versailles,  il  déco- 
rait, en  1801,  la  salle  des  Gardes  de  Saint-Cloud.  A  la  suite  d'un  incendie 
qui  Tavait  touché,  il  fut  relégué- dans  les  grepriers  du  Louvre  où,  pendant 
tout  le  siècle  dernier,  il  passa  pour  être  à  peu  près  perdu.  Il  est  de  nou- 
veau depuis  1904  exposé  en  tableau  dans  l'escalier  Mollien. 


PRUD'HON.  71 

l'a  chargé  de  la  décoration  de  son  hôtel,  el  toul  Paiis  s'y 
intéresse.  Cet  hôtel,  qu'avait  fait  construire  rue  Ceiutti, 
la  rue  Laffîtte  de  nos  jours,  le  trésorier  des  États  de  Bour- 
gogne î^ ai nt- Julien,  abritera  plus  tard  la  reine  Hortense  et 
la  fortune  des  Rothschild  :  il  vient  d'être  démoh. 

Prudhon  a  l'espace  et  il  se  donne  carrirrc  Dans  le  salon 
principal,  il  peint  quatre  panneaux  en  hauteur,  où  cjuatre 
femmes  debout  représentent  la  Richesse,  les  Arts,  les  Plai- 
sirs et  la  Pln'losophie  ;  et  au-dessus  des  portes  quai  re  femmes 
couchées  sont  le  Matin,  le  Midi,  le  Soir  et  la  Nuit  :  des 
ornements,  des  mascarons,  des  bas-icliefs  en  grisaille,  les 
accordent,  les  joig'nent  ou  les  souliniiiciit.  Les  quatre 
femmes,  qu'on  a  nouniiées  Pandore,  Eiilei'pe,  Vénus  et 
Minerve,  ont  en  leurs  mobiles  altitudes  des  souplesses 
charmantes  :  un  Amour  voltige  au-dessus  de  chacune 
d'elles,  un  autre  Amour  semble  les  supporter.  De  celles 
qui  sont  couchées  in<loh'nim('iil  pour  couroniu'i'  les  porles, 
j^'une  lit,  l'autre  songe  sur  do  l'eau  qu"(dh'  eflleure,  celle-là 
se  mire  dans  une  glace,  celle-ci  do  il.  Et  cha-^un  de  ces 
Amours  et  chacune  de  ces  femmes  est  environné  d'attri- 
buts qui  sont  d'une  grâce  et  d'un  anangement  parfaits, 
malgré  qu'ils  veuillent  impitoyablement  signifier  quekjue 
chose.  Car  Prud'hon  a  pris  son  essor  dans  le  chanqj  aimé 
de  l'allégorie.  Tout  C(da,  moelleux,  caressant  et  léger,  n'en 
garde  pas  moins  un  charme  primordial  el  inunédiat  : 
deux  colombes  ont  bien  le  droit  après  loul  de  regarder 
Vénus  qui  dort,  et  le  commentaire  n'en  est  obligatoire 
pour  personne.  Son  époque  et  sa  nalure  entraînaient  Pru- 


72  PRUD'HON. 

d'hon  à  ces  complications  littéraires,  si  dangereuses  pour 
un  artiste  qu'elles  embarrassent  et  de'tournent  de  son  but, 
mais  il  s'en  sauva  toujours  avec  son  génie  de  peintre. 

Pour  cette  décoration  aujourd'hui  dispersée,  Prud'hon 
avait  peint  sur  bois  quatrr  merveilleuses  toutes  petites 
esquisses  qui  firent  partie  du  cabinet  Denon  :  M.  Valedeau 
les  acheta  3  500  francs  et  les  donna  en  1836  au  musée  de 
Montpellier.  Une  fantaisie,  assez  curieuse,  du  catalogue 
de  1839,  —  et  celui  de  1859  la  répète  encore,  —  fait  de  leur 
auteur  un  élève  de  David,  marquant  bien  par  là  l'importance 
absorbante  du  maître  des  «  Horaces  »,  et  qu'il  fut  un  temps 
pour  lequel  un  peintre  ne  pouvait  avoir  d'autre  origine.  En 
outre  des  escji'isses  peintes,  quatre  cartons  dessinés  à  la 
pierre  noire  et  à  la  craie  avec  des  touches  de  sanguine,  que 
]  .  Laperlier  avait  achetés  250  francs  à  M.  de  Boisfremont, 
se  trouvent  au  musée  du  Louvre  depuis  1867  où  ils  furent 
payés  5  030  francs,  mais  provisoirement  ils  y  sont  presque 
invisibles  dans  le  voisinage  du  plafond  de  Saint-Cloud  :  il 
y  manque  d'ailleurs  des  parties  entières. 

Prud'hon  devait  continuer  à  décorer  l'hôtel  de  M.  de  La- 
nois.  Clément  assure  que  les  Quatre  projets  de  frises^ 
exposés  au  Salon  de  99  avec  la  Sagesse  et  la  Vérité^ 
avaient  été  dessinés  dans  ce  but-là  :  ces  quatre  dessins, 
évoquant  avec  des  lleurs,  des  jeux  ou  des  danses,  avec  des 
jeunes  gens  et  des  jeunes  filles,  le  Printemps,  l'Été,  l'Au- 
tomne et  l'Hiver,  conservés  à  Chantilly,  après  avoir  appar- 
tenu à  Bertrand,  l'ami  malheureux  des  jours  de  Rome,  à 
Hniun-Neergaard  et  au  marquis  Maison,  gardent  en  leur  mi- 


PRUD'HON.  "ïa 

nisciilc  beauté  une  exceptionnelle  saveur.  D'autres  Sûisoîis, 
toutes  dilierentes  dans  leur  charme  égal,  semblent  dater  de 
la  même  époque  :  ce  sont  quatre  fig-ures  volantes  de  femmes, 
—  ces  figures  où  triomphe  Prud'hon,  —  celle  du  Printemps 
à  peine  voilée  de  gaze  blanche,  blonde  et  naïve,  avec  des 
ileurs  dans  ses  mains;  celle  de  l'Été,  deux  gerbes  sous  les 
bras,  brune  et  énamourée  en  sa  transparente  et  longue 
échaipe  bleue;  celle  de  l'Automne,  voluptueuse,  tenant  la 
grappe  mûre  d«3  son  bras  soulevé;  celle  de  l'Hiver,  si  fri- 
leuse et  si  jeune,  enfermée  des  yeux  aux  pieds  dans  son 
grand  manteau  noir.  Ces  panneaux,  qui  auraient  été  peints 
pour  rhôtel  d'un  financier  nonnné  Baillot,  et  fort  connus 
par  U'S  lithogi'aphies  deBoillv.  furent  achetés  16  000  francs 
à  la  vente  Panisse  en  1860  par  M.  Didier,  payés  deux  ans 
phis  lard  33  500  francs  par  Mme  Dcnain,  la  sociétaire 
(lu  Tht'àtre-Franrais,  et  venckis  après  sa  mort  80  000  francs 
en  1893.  La  jolie  série,  Apollon  et  les  iVluses  dessinés 
deux  à  (h'ux  sur  cinq  feuilles,  où  un  amour  se  câline  si 
gentiment  aux  genoux  d'Euterpe.  où  Tei-psichore  souriante 
se  contourne  avec  tant  de  jeunesse  et  de  vie,  conçue  sans 
doulc  dans  une  idée  sembhdtle,  ne  fut  jamais  exécutée. 

BoiKipiirlc  entre  alor's  (buis  la  vie  de  Prud  lion,  de  (|ui 
l'esprit  connnence  à  s'orienter  vers  les  choses  impéi'iales; 
et  plus  tard  l'Empereur  s'attachera  au  peintre,  phénomène 
psyclio-hisforique  délicat  à  expliquer,  car  il  restera  natu- 
rellement très  épris  de  David.  Un  concours,  (|ui  n'aui'a 
pas  de  suite,  mais  où  se  prépare  la  colonne  Vendcmic,  est 


ou\(Mt  en  1  an  IX,  ])Our  ('lever  une  coloniu;  à  la  gldire  (i<^s 


^v 


76  PRUDHON. 

braves,  morts  dans  les  guerres  de  la  Liberté.  Prud'hon  tait 
un  dessin  très  achevé,  avec  un  soubassement  d'une  grande 
hauteur  supportant  le  sarcophage  des  héros,  d'oîi  part  la 
colonne,  «  monument  de  leur  courage  »  :  «  Des  victoires 
amoncelées  les  unes  sur  les  autres  et  séparées  par  des 
lauriers,  a  écrit  le  maître  au  revers  de  son  dessin,  leur  ont 
mérité  les  palmes  et  les  couronnes  de  la  gloire  et  atteignent 
à  l'immortalité  ;  elles  forment  la  colonne  que  la  reconnais- 
sance nationale  a  érigée  à  leur  mémoire,  et  son  chapiteau, 
composé  de  palmes  étreintes  par  une  couronne  d'étoiles, 
est  surmonté  de  l'Immortahté.  »  La  phraséologie  compli- 
quée de  ce  projet  «  inventé  et  dessiné  par  Pierre-Paul  Pru- 
d'hon, 1801  »,  nous  enseigne  qu'un  artiste  doit  se  défier  de 
la  littérature. 

Cette  même  année,  le  peintre  de  la  Sagesse  et  la  Vérité 
expose  un  Triomphe  de  Bonaparte,  qu'il  intitule  la  Paix, 
où  le  Premier  Consul,  entre  la  Victoire  songeuse  aux  ailes 
éployées  et  la  Paix  innocente  chargée  de  fleurs,  passe  sur 
un  char  antique,  que  précède  en  pleine  allégresse  une 
troupe  d'amours,  marchant  et  dansant,  et  qu'entourent, 
lentes,  eurythmiques  et  suaves,  des  femmes  longuement 
drapées  qui  sont  les  Muses,  les  Arts  et  les  Sciences.  C'était 
un  dessin  à  la  plume,  mais  Prud'hon  le  reprit  plusieurs 
fois,  et  fit  le  beau  dessin  à  la  pierre  d'Italie  et  à  la  craie 
qu'on  voit  à  Chantilly.  Il  avait  composé  aussi  un  projet  à 
la  gloire  de  Desaix  mort  dans  la  victoire  à  Marengo,  que 
Pei'cier  exécuta  sur  la  place  Dauphine  :  au-dessus  d'une 
petite  colonne,  une  ^'x^xxyh  allégorique  couronnait  le  héros. 


PRUD'HON.  îi) 

Mais  dos  travaux  plus  importants  l'appelaient  :  Bruuu- 
Neergaard  nous  apprend  qu'il  avait  été  chargé  de  peindre 
quatre  plafonds  pour  le  Louvre,  dont  un  au  moins  ne  fut 
même  pas  étudié.  Le  premier,  exécuh'  en  1801,  n'est  qu'un 
médaillon  de  la  salle  des  Antonins,  l' Étude  guidant  Vessor 
du  Génie^  dont  le  musée  d'Angers  possède  une  petite 
esquisse.  Deux  enfants,  jolis  à  ravir  en  It'ur  hcnuté  vraie, 
l'un  soutenant  l'autre  par  le  bras,  d'un  élan  sûr  et  droit 
s'envolent  au  plus  haut  de  l'empyrée  ;  et,  à  voir  dans  l'espace 
l'ascension  si  libre  de  ces  deux  amours,  l'on  pense  volon- 
tiers aux  Corrèg-e  de  Parme,  non  seulement  aux  Put  II  de 
San  Paolo,  mais  aux  plafonds  de  San  Giovanni  et  du  Dùme; 
car  Prud'hon  —  le  fait  vaut  d'être  très  remarqué  —  est 
un  égal  du  Corrège  non  seulement  par  l'ondoyancc  et  le 
velouté  vivants  de  la  forme,  mais  aussi  par  cette  surpriî- 
nante  faculté  qu'ils  ont  en  commun  de  faire  planer  ih^s 
figures.  Diane  implorant  Jupiter  date  de  1803  :  cette 
petite  composition  carrée  d'une  simplicité  si  précieuse  et 
si  claire,  ((ui  n'est,  à  bien  dire,  que  le  centre  d'un  vaste  pla- 
fond sculpté  du  musée  des  Antiques,  représente  la  déesse 
chaste  et  jeune,  arrêtée  dans  le  cicd  devant  les  genoux 
de  son  père  qu'elle  touche  de  sa  nuiin  suppliante.  Lui 
demande-t-elle  «  d'éclairer  le  monde  pendant  la  nuit  pour 
qu'elle  puisse  contempler  les  traits  d'Endymion  »  ?  ou, 
plus  conformément  à  sa  nature  et  ainsi  que  l'indique  l'es- 
tampe de  Boilly,  prie-t-elle  Jupiter  de  ne  pas  l'assujettir  à 
l'Hymen  ?...Plus  clément  que  Wolin  ne  l'est  à  Brunnhilde, 
le  dieu,  en  sa  majesté  sereine  et  douce,  accueille  à  ses 


80  PRUDHON. 

genoux  «  l'àpre  vierge  au  vol  prompt,  »,  tandis  que  dans 
l'Olympe  doré  deux  amours  les  contemplent,  assez  proches 
des  ang-es  de  la  «  Madone  de  Saint-Sixte  »,  et  que  derrière 
des  brouillards  d'or  apparaissent  des  déesses.  Quinze  ans 
plus  tard,  lorsque  Percier  et  Fontaine  construiront  leur 
escalier  du  Louvre.  Prud'lion  composera  le  beau  dessin  de 
Minerve  emportant  le  Génie  des  A  rts  rers  f  Immortalité: 
peut-être  était-ce  l'idée  du  Consulat  qui  revenait,  mais  en 
tout  cas  elle  ne  devait  pas  aboutir. 


PRUÎ)  HON      A      LA     SORBONNE.     L  EMPIRE     ET     LA      GLOIRr:.     — 

m"^    MAYER.     LE   SALON  DE   1808.    —  PRUd'hON  PEINTRE    DES 

IMPÉRATRICES.  LES  COMMANDES  IMPÉRIALES. 

Quand  le  Premier  Consul  ne  voulut  plus  voir  d'artistes 
au  Louvre^  —  probablement  en  1802,  —  il  en  logea  les 
pensionnaires  ici,  là,  ou  pas  du  tout,  tel  le  vieux  Fragonard, 
qui  lui  semblait  inutile.  Prud  bon  eut  la  Sorbonne,  oii  il  va 
passer  les  beures  célèbres  de  son  existence  et  qu'il  ne  quit- 
tera qu'en  un  jour  tragique  de  1821.  pour  mourir  peu  de 
temps  après.  Il  y  habitait  au  second  étage,  sur  la  rue,  à 
gauche  de  l'ancienne  entrée,  et  son  atelier  très  vaste,  situé 
dans  la  cour,  donnait  par  le  fond  sur  des  jardins.  Il  y  vint 
avec  ses  enfants  grandis  et  sa  femme  dont  le  caractère  s'ai- 
grissait chaque  jour.  Girodet,  à  cause  d'elle,  avait  dû  quitter 
le  Louvre  et  s'en  était  allé  place  Vendôme.  A  la  Sorbonne, 


PSYCHÉ    ENLEVÉE    PaK    I.ES    ZÉPHYRS. 

(Musée  du  Louvn.) 


PhUDIlON.  83 

lo  mal  redoubla  :  rllc  tirailla  de  mille  manières  le  pauvre 
peiidre,  qui  en  était  souvent  rrduit  à  s'occuper  du  ménai^(i 
et  des  enfants,  et  qui,  le  jour  lini,  se  sauvait  chez  le  mar- 
chand de  tableaux  Constautiu,  son  meilleur  ami  d'alors. 
Enfin,  au  printemps  de  1803,  il  arrive  à  une  séparation 
amiable;  il  ne  désirait  rien  de  plus,  étant  absolument  résolu 
à  ne  se  remarier  jamais.  Mais  Mme  Prud'hon  n'entendait 
pas  la  séparation  comme  lui;  elle  revenait  sans  cesse,  ayant 
toujours  une  scène  à  faire,  et,  quand  elle  ne  rencontrait 
pas  son  mari,  la  faisant  à  un  autre.  Le  peintre  dut  se  rési- 
gner à  écrire  à  Denon,  son  compatriote  de  Bourgogne, 
que  Bonaparte  venait  de  nommer  directeur  des  musées 
nationaux  :  «  C'est  une  peine  pour  ma  délicatesse  de  vous 
entretenir  de  choses  qui  me  révoltent  et  me  font  rougir.  Je 
suis  outré  et  humilié  tout  à  la  fois  quand  je  parle  d'une 
fenmie  qui  n'a  pas  craint  de  montrer  la  bassesse  de  son 
âme  par  la  manière  insupportable  dont  elle  a  agi  avec  tout 
le  monde...  Il  était  temps,  pour  M.  Meynier,  dont  l'extrême 
bonté  a  soutenu  la  patience,  que  je  la  misse  hors  de  chez 
moi,  car  il  était  excédé  de  ses  invectives,  de  ses  ci'iailleries 
et  du  tapage  qu'elle  ne  cessait  de  faire  au-dessus  de  chez 
lui...  Elle  n'est  point  artiste;  elle  nuit  à  la  tranquillité  de 
mes  voisins;  elle  nuit  à  mon  repos,  à  l'exercice  de  mes 
talcnls  et  à  l'éducation  de  mes  enfanis...  Je  lui  donne  tout 
ce  qui  lui  est  nécessaire,  agréable  même,  mais  il  lui  man(ju(i 
sur-  (jui  exercer  son  huuicur  acre,  et,  pour  se  satisfaire  sur 
ce  point,  elle  voudrait  tcvnter  son  retour  à  la  Sorboime...  » 
L'aimable  Vivant-Denuu,  le  soui  iaiit  auteur  de  «  Point  do 


84  PRUDHON. 

lenrlemain  »,  chargé  jadis  de  l'ambassade  à  Naples  et  que 
Prud'hon  a  pu  connaître  à  Rome,  ne  réussit  guère  dans 
l'enlreprisie  :  on  voit  mal  un  directeur  de  musées  nationaux 
empêchant  la  femme  d'un  peintre,  même  illustre,  de  venir 
faire  du  bruit  chez  son  mari  ;  et  ce  ne  fut  que  quelques 
années  plus  tard,  un  jour  oii  la  dame  était  allée  risquer  sa 
scène  à  l'Impératrice,  que  le  préfet  de  police  se  chargea 
d'elle  et  la  fit  placer  dans  une  maison  de  santé  oii,  dit 
Clément,  on  enfermait  les  ennemis  politiques  et  les  fous. 
Tandis  quil  est  encore  en  butte  à  ces  misères,  Prud'hon, 
qui  n'exposera  rien  entre  les  Salons  de  1802  et  de  1808, 
silencieusement  appliqué  à  son  travail,  prépare  son  œuvre 
capitale  aux  yeux  des  contemporains,  son  «  tableau  d'his- 
toire »  la  Justice  et  la  Vengeance  divine  poursuivant  le 
Crime.  En  1804,  un  soir  du  dernier  «  floréal  »  qu'il  dînait 
chez  son  ami  Frochot,  l'ancien  commissaire  général  de  la 
Côtc-d'Or,  devenu  préfet  de  la  Seine,  on  parlait  d'un  tableau 
pour  la  Cour  d'assises,  et  le  préfet,  citant  Horace  suivant 
la  mode,  en  indiqua  le  sujet  avec  ces  vers  connus  sur  la 
fuite  vaine  du  criminel  :  «  Raro  antecedentem  scelestum 
—  deseruit  pœ?ia...  »  Prud'hon  va  aussitôt  s'enfermer 
dans  une  pièce  voisine  et  revient  montrer  aux  dîneurs  une 
esquisse  qui  les  enthousiasme.  Puis,  de  retour  à  la  Sor- 
bonne,  le  «  Musée  des  artistes  »,  il  écrit  au  préfet  une  lettre 
officielle  avec  une  description  minutieuse  de  son  projet,  oii 
il  veut  «  présenter  à  la  fois  des  victimes,  des  juges  et  des 
coupables  »;  le  tableau  se  composera  de  huit  figures,  sera 
arge  de  dix  pieds  et  haut  de  huit,  coûtera  quinze  mille  francs 


PO  in  II  AIT     ItE     TAM.EYRAND. 

[(Ancienni!  ColIcct:(in_(lii  cliàleaii  de  Va'ençay, 


PRUD'HON.  87 

et  pourra  être  terminé  dans  dix  mois.  Ce  n'était  en  rien, 
hormis  les  dimensions,  le  célèbre  tableau  du  Louvre  : 
Tliémis,  entourée  de  Vertus,  une  jeune  femme  morte  à 
ses  pieds,  regarde  le  Crime  et  la  Scélératesse  que  Némésis 
traîne  au-devant  d'elle;  mais  Prud'hon  fit  un  dessin 
superbe  avec  cette  Thémis,  que  Constantin  avait  donnée  à 
Ledru-Rollin,  et  qui  fut  vendue  en  1851  au  musée  du 
Louvre  3  500  francs  par  l'entremise  de  David  d'Angers. 
On  regrette,  devant  tant  de  charme,  que  cette  composition, 
traitée  de  réminiscence  raphaëlesque,  mais  qui  n'en  est 
pas  moins  profondément  prndhoiiicnne,  n'ait  pas  été  peinte. 
11  est  probable  que  Prttd'lion  lui  trouva  justement  trop  de 
charme  pour  le  lieu  sévère  oi^i  il  la  destinait  et  qu'il  voulut 
montrer  aux  uns  et  aux  autres  qu'il  était  capable  d'expri- 
mer le  terrible. 

Le  temps  de  florf'al  à  messidoi".  et  il  éei-it,  dal('e  de 
l'un  des  derniei-s  jours  du  calendrier  rt'jiublicain,  un<'  nou- 
velle leltie  à  Frochot  avec  le  nouveau  projet  de  la  Juslice 
et  de  la  Vengeance  volant  à  la  poursuite  du  criminel  (lui 
vieni  de  luer  sa  victime  :  le  vrai  programme  d'Horace. 
L'exéculion  en  dura  trois  ans.  11  s'y  atliiclia  connue  on 
s'al lâchait  jadis  à  son  chef-d'(euvre.  faisant  cro(juis  sur 
croquis,  étude  sur  étude  (Louvre,  Cliantilly,  nmsét;  de  la 
ville  de  Cluny,  etc.).  et  il  peignit  ce  tableau,  l'un  des  plus 
connus  du  Louvre,  on,  dans  un  paysage  dramatique  et 
bimplihé,  à  la  clarté  sinistre  delà  lune,  un  meurtrier  hideux 
s'éloigne  en  fuyant  du  jeune  lionune  qu'il  vient  de  tuer, 
poursuivi  par  les  deux  diviniti's  qui,  la  toiche  en  main, 


88  PIU'DIION. 

pJanent,  passent  et  vont  latteindre,  nuées  vivantes;  car 
elles  font  plus  que  le  pouisuivre,  elles  l'atteignent,  et  la 
beauté  du  drame  s'en  magnifie.  Ce  morceau  que  Géricault 
copiera  et  qui  annonce  Delacroix,  morceau  grandiose  et 
de  mouvement  épique,  où  les  coups  de  lumière  sont  des 
coups  de  force,  le  temps,  hélas  !  Ta  touché  déjà,  et  l'abus 
des  bitumes,  familier  au  peintre,  a  fait  de  certaines  de  ses 
ombres,  destinées  à  animer  l'elfet,  des  parties  noires  qui 
semblent  brûlées  impitoyablement. 

Prud  lion  travaillait  ainsi  dans  la  retraite,  quand  des 
amis  vinrent  le  prier  d'accepter  Mlle  Mayer  pour  élève  ;  il 
s'en  défendit,  jouissant  enfin  de  sa  solitude,  redoutant  de 
voir  une  femme  s'approcher  de  sa  vie.  Constance  Maver 
de  la  Martinière  avait  environ  trente  ans  :  fille  d'un  haut 
fonctionnaire  des  douanes,  et  d'abord  élève  de  Suvée,  qui, 
mis  en  prison  pour  avoir  été  nommé  par  Louis  XYI  direc- 
teur à  Rome  sans  prendre  le  temps  d'y  partir,  s'était  rendu 
célèbre  parle  portrait  d'André  Chénier  fait  dans  son  cachot, 
elle  avait  été  surtout  l'élève  de  Greuze,  et  elle  restait  l'amie 
de  Mlle  Ledoux.  Maintenant,  Greuze  mort,  il  lui  fallait  un 
nouveau  maître.  Prud'hon  céda.  Constance  Mayer,  petite 
brune  assez  grasse,  aussi  passionnée  qu'intelligente,  la  tète 
clufionnée  et  frisée,  avait  cette  étrangeté  mystérieuse  du 
regard  et  du  sourire,  qui  vingt  ans  plus  tôt  dans  le  Faune 
du  Capitole  avait  appelé  le  jeune  songeur  de  Rome.  Telle 
nous  la  représente  l'admirable  miniature  qu'il  fit  d'elle  pour 
la  tabatièfe  de  son  père,  et  qu'il  encadra,  quand  elle  lui 
revint,  des  figures  de  l'Innocence  et  de  la   Fidélité.    Le 


l'innocence. 

(Colloclidii  (io  M-"-^  Ik'slossôs-Dalloy 


PHUD'HON.  91 

«laître  et  l'élève  se  comprirent  vite,  mais  on  ne  sait  quand 
la  disciple  admiratrice  devint  l'amie  de  toutes  les  heures  : 
en  18(JG,  elle  figure  au  catalogue  du  Salon  comme  élève 
de  M.  Prud'hon  et  demeure  rue  de  la  Yerrei-ie;  en  1808, 
elle  habite  au  23  de  la  rue  Saint-Hyacinthe,  et  en  lî^lO, 
à  la  Sorbonne,  oi^i  son  appartement,  séparé  de  celui  de  son 
maître,  lui  fait  suite  vers  la  chapelle.  11  est  vraisemblable 
que  ce  fut  après  la  mort  de  son  père  qu'elle  vint  loger  au 
«  Musée  des  artistes  »,  et  dès  lors  elle  emplit  la  vie  de 
Prud'hon,  éperdùment  épris  d'elle.  Malgré  que  le  bon  Voïart 
parle  de  «  cette  amitié  si  pure  que  respecte  même  la  calom- 
,nie  »,  ils  mènent  une  existence  commune  :  Constance  Mayer 
.«'occupe  de  la  maison  et  des  enfants  quand  elle  ne  tra^  aille 
pas  dans  l'atelier  du  maître;  mais  elle  le  fit  toujours  avec 
beaucoup  de  savoir-vivre,  et,  atténuant  le  plus  possible  la 
fausseté  de  sa  situation  illicite,  elle  arriva  à  se  faire  consi- 
dérer en  compagne  plus  qu'en  maîtresse  par  les  amis  du 
peintre,  qui  lui  témoig-naient  des  ég'ards  et  lui  marquaient 
^u  respect.  D'ailleurs  elle  avait  une  fortune  personnelle 
qu'elle  dépensa  môme  discrètement  jtour  son  ami;  elle 
avait  aussi  de  belles  relations  de  famille  et  lui  fit  coimaitre 
Tallevriind. 

Une  auti-e  temme  va  jouer  un  rôle  dans  l'art  de  Pru- 
d'hon :  c'est  limpératrice  Jos(''phine.  (Juan<l  on  song^e  à  la 
loute-puissance  de  David  sur  l'opinion  et  k  l'importance 
^|u  il  a,  lui.  le  maître  du  «  Sacre  »,  aux  yeux  de  l'Euqje- 
reur,  on  est  violennnent  surju-is  que  celui  pour  le(juel 
.ij  .ne  tiouve  (jiu^  des  dédains  ait  pu  être  appcdi'  à  l'Iiomieur 


02  PRUDHON. 

(le  peindre  la  femme  de  Napoléon.  Bien  que  lié  à  David 
par  des  nécessités  morales,  lEmpereur  —  qui  voit  tout  — 
n  en  a  pas  moins  perçu,  peut-être  sans  l'aimer,  le  g-énie  de 
Prud'hon  :  il  ne  rejettera  pas  de  son  empire  le  peintre 
de  la  grâce  vivante,  et,  afin  d'utiliser  son  talent,  il  lui 
permettra  de  travailler  pour  ses  deux  femmes  et  pour 
son  fils.  Mis  en  présence  de  Joséphine,  son  auguste  et 
séduisant  modèle,  Prud'hon  observe,  note,  cherche,  et 
après  des  esquisses,  des  tâtonnements  et  des  études,  qui 
nous  ont  été  conservés  nombreux,  il  arrive  à  représenter 
l'Impératrice  assise  sur  un  banc  du  parc  de  la  Malmaison, 
pensive  parmi  les  arbres,  dans  le  vêtement  léger  de  sa 
tunique  blanche,  un  pan  de  manteau  rouge  jeté  sur  ses 
genoux  ;  et,  mieux  que  le  portrait  d'une  impératrice,  il  a 
fait  le  portrait  de  la  femme  moderne,  —  longue  et  souple, 
libérée  en  sa  beauté  simple  des  complications  du  passé, 
mêlant  à  la  grâce  de  son  corps  l'inquiétude  de  ses  yeux. 
Voilà  un  des  morceaux  les  plus  significatifs  de  l'art  fran- 
çais, —  et  l'on  n'ose  dire,  tant  il  est  vrai  que  le  génie  est 
une  souveraineté,  qui  dans  cette  rencontre  eut  la  meilleure 
fortune,  de  l'impératrice  ou  du  peintre.  En  un  merveilleux 
déshabillé  de  la  poitrine  et  des  bras,  Prud'hon  a  trouvé 
pour  le  rêve  de  Joséphine  une  allitude  nouvelle,  au  moment 
011  David,  dans  un  jour  de  vérité,  regardant  Mme  Réca- 
mier  sur  sa  chaise-longue,  découvre  un  mouvement  nou- 
veau ;  et  de  pouvoir  montrer  l'un  auprès  de  l'autre  ces  deux 
chefs-d'œuvre  n'est  pas  une  des  moindres  gloires  de  notre 
glorieux  musée. 


PRUDHON.  UJ 

Un  autre  cliarmo,  Psyclu',  viciil  lo  flistraire  encoro  de 
la  Justice  et  la  VeJigeance  dicinc.  Dès  les  années  de 
Dijon,  Prud'hon  était  attiré,  préoecupé  par  la  fable  pas- 
sionnante, alors  que  pour  Fauconnier  il  dessinait  Psyché 
devant  Tx^mour  endormi  :  l'image  légère,  troublanti?  et 
délicieuse,  revient  maintenant  à  lui,  passe  devant  ses 
yeux,  lui  échappe  et  repasse.  Quelle  Psyché  montrera-t-il? 
Un  instant  il  la  cherche  à  nouveau  regardant  l'Amour  au 
clair  de  sa  lampe.  Puis  il  peint  les  deux  jolies  es{juisses 
de  Chantilly,  celle,  si  blonde,  si  douce,  du  SoniincU  de 
Psyché  admirée  par  des  amours  qui  volent  dans  le  mou- 
vement même  de  la  Justice  et  de  la  Vengeance,  de  terrible 
devenu  caressant,  —  Mlle  Mayer  en  fera  pour  l'Impératrice 
Vénus  et  VAniour  endormis  au  Salon  de  1806,  —  et  celle, 
plus  blonde  et  plus  dorée  encore,  du  Réveil  de  Psi/clié, 
tenant  une  torche  au  feu  de  laquelle  accourent  les  amours. 
Enfin  Prud'hon  a  trouvé  son  geste  et,  avec  Psyché  enle- 
vée par  les  Zéphyrs,  il  compose  la  plus  corrégienne  de 
ses  œuvres.  On  ne  saurait  imaginer  plus  d'abandon  simple, 
plus  de  volupté  douce  dans  ce  joli  coi'ps  de  jeune  lille 
emporté  vers  l'Amour,  plus  de  délicatesse  respectueuse  et 
tendre  dans  les  mains  qui  remportent.  Le  Salon  de  1808 
ouvrit  le  14  octobre,  —  nous  n'avons  même  pas  inventé  le 
Salon  d'automne,  —  et  Prud'hon,  dans  la  gloire  de  ses  cin- 
quante ans,  y  parut  avec  sa  Psyché,  la  Justice  et  la  Ven- 
geance  divine  et  le  beau  portrait  de  M.  de  Mesmay,  l'ancien 
président  du  Parlement  de  Besançon,  assis  dans  un  parc  au 
bord  d'une  terrasse,  un  chien  danois  à  ses  pieds.  L"exj)0- 


91  PHUD'HON. 

silion  était  complMe,  inaltendue,  surprenante  à  la  fois  de* 
puissance  et  de  grâce,  et  le  succès  fut  considérable.  LEin- 
pereur  prit  le  temps  de  passer  au  Louvre,  en  revenant  d"Kr- 
furt,  donner  au  peintre  la  Légion  d  honneur,  le  public  ouvrit 
les  yeux  et  la  critique  s'agita.  L'écrivain  le  plus  consulté- 
en  la  iiiaiit-re  pontifiait  au  Journal  des  Débats  et  s'appelait 
Boutard.  Boulard  était  le  type  de  ces  critiques  intelligents- 
de  naissance,  mais  qui  vivent  figés  dans  un  point  de  vue  :  iJ 
était  poncif  et  davidifié.  Il  avait  jusqu'en  1808  néglig^é  de- 
'  connaître  Prudhon.  mais  il  ne  j)ut  continuer  davantage,  car 
David  venait  de  déclarer  que,  si  cet  homme  se  trompait  à  la 
^■érité,  tout  le  monde  ne  savait  pas  se  tromper  comme  lui. 
lîoutard  écrit  donc  :  «  Le  dt'butant  se  produit  d'abord  dans- 
un  morceau  du  genre  grave  ».  et.  comme  il  n'est  pas  ur* 
critique  sot,  il  note,  un  peu  sans  le  vouloir,  la  valeur  d'idée^ 
1  iiii|io:tance  psycIiologi(jiie  de  cette  œuvre  «  d  inie  exprès-- 
sion  fort  énergi(j;ie.  (|ui  sei'a  mieux  saisie  encore  des  habi' 
tués  des  audiences  criminelles  que  de  ceux  du  Salon  », 
Puis  il  approuve,  blâme  et  corrige  :  «  Du  reste,  I'oun  rage 
annonce  un  heureux  talent.  »  11  aime  assez  la  Psyché, 
dont  <i  la  tète  rappelle  en  elfet  celles  du  Gorrège...  ». 

Le  dt'd)utaiit  n'en  est  pas  moins  à  l'apogée  de  son  àg"e, 
de  sa  gloire  et  de  son  génie.  Combien  il  est  intéressant 
de  le  surprendre  à  son  travail,  allant  de  ses  croquis  à 
son  esquisse,  de  son  esquisse  à  ses  études,  puis  s'en- 
chanlant  de  couleur!  «  Les  esquisses,  dit  son  ami  le  cri- 
tique danois  Bruun-.Xeergaard.  sont  ordinairement  faites 
au  crayon   noir  avec  un  peu  de   blanc  dont  il   sait   tirer 


PRUD'HON.  î'i 

^lîuid  |>ai'li.  mriiic  dans  les  dessins  finis.  Il  commence 
dabord  [)ar  barbouiller  son  |)apier,  qu'il  efface  ensuile 
jus(|u"à  ce  qu'il  ait  fait  soi'tii*  son  idéal.  »  Renouvier 
écrit  dans,  son  Illstolrt'  de  l'art  pendant  la  Révolution'. 
«  Ceux  (jui  l'ont  vu  peindre  nous  disent  qu'il  préparait  ses 
figures  d'un  ton  uniforme  gris  azuré  en  les  empalant 
vigoureusement,  qu'il  passait  par-dessus  les  tons  foncés 
plus  légèrement,  de  manière  à  rehausser  peu  à  peu  sa  cou- 
leur en  lui  laissant  une  grande  harmonie  et  un  éclat  argen- 
tir).  On  croit  (jue  le  peintre  avait  été  amené  là  par  l'imita- 
tion des  procédés  qu'il  croyait  avoir  été  employés  par  le 
Corrège.  »  Sa  teinte  clair  de  lune  est  pourtant  bien  à  lui  et 
fui  l)ien  mise  à  la  mode  par  lui  :  peut-être  même  en  abusa- 
t-il  en  lieurtant  ses  ombres.  11  avait  en  réalité  une  technique 
très  personnelle  et  toute  différente  des  procédés  rég'uliers 
de  ses  contemporains.  Cherchant  à  obtenir  un  effet,  à 
réussir  un  résultat,  tantôt  il  multipliait  les  glacis  pour  jeler 
sur  sa  couleur  une  vapeur  charmante  qui  plus  taid  devait 
la  trahir,  tantôt  il  imag-inait  des  moyens  et  allait  jusqu'à 
s'inventer  une  malencontreuse  pommade.  Ce  qui  fait  écrire 
témérairement  au  bon  Voïart  :  «  Il  était  parvenu  par  des 
pratiques  calcub-es  avec  soin  à  concilier  avec  sa  (kn«''e  la 
magie  de  la  couleur...  Le  temps,  disait-il,  dévore  les  fiaî- 
cheurs  des  coloris,  tandis  que  les  teintes  vigoureuses,  parce 
qu'elles  sont  par-dessous,  résisteni  plus  longtemps  à  ses 
attaques.  En  général  les  Ions  jaunes  soni  |tlus  diiraldes, 
mais  ils  sont  i-ares  dans  la  nature  de  nos  climals.  et  la  clai'h; 
argenline  de  nos  ateliers  privés  de  celle  du  soleil  en  rend 


96  PRUD'HON. 

l'usage  encore  moins  nécessaire...  Fidèle  à  ces  observa- 
lions,  Prud'hon  exila  le  jaune  de  ses  carnations,  soutint 
ses  ombres  de  tons  vigoureux,  mais  transparents,  répandit 
des  glacis  harmonieux  sur  les  chairs,  sur  les  draperies, 
et  assura  ainsi  l'harmonie,  l'agrément  et  la  durée  de  ses 
tableaux.  » 

Après  le  Salon  de  1808,  la  Justice  demeura  jusqu'en  1815 
à  la  Cour  d'assises  :  remplacée  alors  par  un  Christ,  elle 
resta  quelque  temps  dans  l'atelier  du  maître,  puis  entra 
au  nouveau  Luxembourg,  dont  le  conservateur  était  Nai- 
geon,  l'ancien  camarade  dijonnais  et  l'élève  de  David, 
occupé  maintenant  à  rapprocher  dans  son  musée  les  deux 
noms  illustres.  Enfin,  en  1826,  la  Ville  l'échangea  avec 
l'État  contre  quatre  tableaux  :  quatre  contre  un,  mais  signés 
de  MM.  Vinchon,  Delassus,  Tardieu  et  Ouvrié.  La  Psyché 
est  restée  la  propriété  des  Sommariva  :  le  Louvre  en  pos- 
sède une  délicieuse  et  très  importante  esquisse.  Quant  au 
portrait  de  M.  de  Mesmay,  payé  3  000  francs  à  la  vente 
Boisfremont  par  Paul  Dalloz,  il  appartient  aujourd'hui  à  sa 
fille,  Mme  Edouard  Desfossés. 

En  1810,  au  Salon  biennal  suivant,  se  reposant  de  son 
effort  et  de  son  éclat,  Prud'hon  expose  une  Tète  de  Vietye. 
«  Elle  est  d'une  grâce  très  séduisante,  écrit  d'elle  le  jeune 
Guizot  ;  la  couleur  en  est  brillante,  peut-être  trop.  »  Le 
musée  de  Dijon  en  possède  depuis  1841  une  délicieuse 
étu<le  à  la  pierre  d'Italie  et  à  la  craie,  et  peut-être  est-ce  la 
seule  fois  on  le  maître  enchanteur  sut  religieusement 
appliquer  à  un  sujet  sacré  sa  puissance  de   charnier.  On 


DESSIN  POUR  LE  BERCEAU  DU  ROI  DE  ROME. 

(Musée  Carnavalet. 


PlIUD'HON.  09 

ci'oil  (|ue  Marit'-Louisc  avait  acquis  ce  tnbhï.ui  qui  serait 
au  musée  do  Parme  (1).  Cai-  J()S(''j)liine  a  disparu  et  c'est  la 
rKtuxclIe  Impératrice  qui  uiaiuteuant  s'intéresse  au  peintre, 
au  jH'iutre  qui  a  des  i-aisons  de  lui  plaire,  puisqu'il  vient 
dèlre  le  grand  metleui*  en  scène  de  son  mariage.  Pour  la 
souqjlueuse  fête  que  Paris  a  olierle  aux  nouveaux  é])Oux,  il 
a  dessiné  des  ligui'es,  dont  les  maquettes  couronueiil  les 
colonnes  de  la  galerie  demi-circulaire  qui,  comme  sur  la 
place  Saint-Pierre,  s'étend  au-devant  de  THôtel  de  Ville; 
et,  arrivé  au  grand  transparent  du  tond,  il  a  composé  les 
jolies  Noces  fTlIercufe  cl  d Hcbé.  Surtout  il  a  préparé 
pour  la  lulile  jeuue  lille  le  cadeau  de  la  Ville  de  Paris, 
celle  <(  toilette  de  litiipératrice  et  reine  Marie-Louise  », 
quexécutent  Thouiire  el  Udiot,  et  (jui  lui  sera  présentée 
le  15  août  1810.  II  seud)Ie  que  Prud'Iion  se  soit  servi  de 
doigls  de  fée  pour  coui|)Oser  ces  exquises  fantaisies  et 
menues  merveilles,  ce  fauleuil  où  Psyché  enchaîne  l'Amour, 
cette  table  à  miroir  où  le  Plaisir  voltige,  ces  flaud)eaux 
faits  avec  les  corps  <les  Grâces,  cette  glace  où  Mars  et 
Minerve  sont  unis  par  l'Hymen,  —  morceaux  précieux 
qui  furent  emportés  à  Parme  à  la  première  chute  de  l'Empe- 
reur et  que  devait  détruire  plus  lard  l'imbécile  M.  de  Bom- 
b(dles.  Il  y  avait  aussi  les  boiles  à  pouih^e  et  les  colfrets 
à  bijoux  avec  les  Petits  FUeurs  et  les  Petits  Dévideurs, 
avec  l'Amour  arrosant  un  arbuste  et  l'Amour  cueillant  une 
orange,  et  r  «  Athénienne  »,  le  lavabo,  où  était  couchée  la 

fl)  Je  n'ai  pas  encore   pu  l'y  trouver;  il  y  a  toujours  eu  de  léUange 
dans  les  déménagements  de  Marie-Louise. 


100  PRUD'HON 

nymphe  de  la  Seine.  Et.  pour  un  surtout  de  table,  le  maître 
avait  dessiné  les  trois  danseuses,  si  vivantes,  jouant  du 
triangle,  du  tambour  de  basque  et  des  cymbales. 

Après  la  fête  de  l'épousée,  celle  de  la  mère,  et,  le  5  mars 
1811,  la  Ville  de  Paris  ofïre  à  Marie-Louise  le  berceau 
impérial,  exécuté  en  vermeil,  nacre  et  burgau,  par  Odiot  et 
Thomire.  Prud"hon  a  mis  une  Victoire  au-dessus  de  la  tête 
de  l'enfant,  l'aiglon  à  ses  pieds,  à  ses  côtés  les  bas-reliefs  de 
la  Seine  et  du  Tibre  :  célèbre  meuble  doré,  resté  longtemps 
à  la  cour  d'Autriche,  pour  que  le  triste  enfant  grandi  puisse 
le  voir  en  mourant,  rendu  aujourd'hui  à  son  donateur  et 
devenu  une  pièce  d'histoire  au  musée  Carnavalet.  Quelques 
jours  plus  tard,  l'avant-veille  même  de  la  naissance  du  roi 
de  Rome,  le  peintre  réclamait  du  préfet  de  la  Seine,  pour 
paiement  de  son  travail,  une  somme  «  qui  ne  peut  être 
moindre  de  douze  mille  francs.  »  Prud'hon  était  déjà  profes- 
seur de  dessin  de  l'Impératrice,  lui  qui  jadis  n'avait  pu  l'être 
de  l'évêque  de  Dijon,  et  il  allait  en  costume  de  cour  donner 
des  leçons  inutiles.  Du  moins  dessina-t-il  plusieurs  portraits 
de  son  élève  et  il  peignit  celui  de  S.  M.  le  Roi  de  Rome, 
exposé  avec  le  plus  évident  succès  au  Salon  de  1812,  qui 
était,  disait-on,  de  la  plus  grande  beauté.  Marie-Louise 
l'emporta  avec  les  siens,  —  on  a  même  assuré  qu'elle  avait 
emporté  aussi  celui  de  Joséphine,  —  mais  on  ne  sait  ce 
qu'il  est  devenu  :  il  ne  se  peut  voir  ni  au  musée  de  Parme 
ni  à  la  Rocca  de  Fontanellato.  Dans  l'entourage  impérial, 
Prud'hon  avait  fait,  quatre  ans  plus  tôt,  deux  portraits  de 
M.   de  Talleyrand,  qui  furent  longtemps  au  château  de 


P  R  U  D  '  H  0  N  101 

Valençay,  l'un  de  convention,  brodé  et  chamarré,  l'autre 
d'une  intimité  et  d'une  sûreté  magistrales,  vendu  25  500  fr. 
en  1899,  et  si  sobre  en  sa  psychologie  vivante. 

A  côté'du  portrait  de  l'enfant  impérial,  le  maître  à  dessi- 
ner de  Marie-Louise  exposait  au  Salon  de  1812  Vénus  et 
Adonis,  qu'elle  lui  avait  commandé  et  dont  elle  oublia 
par  la  suite  de  prendre  livraison.  «  Vénus,  assise  sur 
un  tertre,  retient  Adonis  près  d'elle  par  le  charme  de  ses 
caresses  »,  lit-on  dans  une  note  du  peintre.  Le  charme 
retint  le  public  aussi,  et  le  succès  fut  si  grand  qu'un  critique 
anonyme  et  «  impartial  »  s'écria  :  «  Monsieur  Prud'hon, 
quittez  ce  genre  ou  vous  deviendrez  dangereux  pour  l'École.» 
Et  Boutard  qui  est  encore  là,  —  les  Boutards  se  retrouvent 
toujours  —  Boutard  se  fâche  :  «  Comme  on  peut  le  croire, 
Boucher  ne  manqua  pas  d'imitateurs  qui  enchérirent  sur 
ses  défauts  ;  mais  ce  qui  contribua  plus  que  tout  le  reste  à 
la  décadence  de  Fart,  c'est  que  Boucher,  comblé  d'honneurs 
aussi  bien  que  de  richesses,  fut  élevé  à  la  place  de  premier 
peintre  justement  dans  le  temps  où  sa  manière  de  faire 
était  devenue  du  plus  mauvais  exemple...  Je  ne  saurais  me 
défendre  de  quelque  crainte  en  examinant  les  ouvrages  de 
M.  Prud'hon  et,  lorsque  je  considère  l'espèce  de  vogue  dont 
ils  jouissent...  »  L'admirable  façon  de  laisser  voir  sa  pensée, 
et  comme  Boutard  méritait  de  ne  pas  mourir  !  Le  tableau, 
qui  devait  être  payé  12  000  francs,  resta  dans  l'atelier  de 
Prud'hon  jusqu'à  sa  mort  ;  acheté  5  100  francs  à  sa  vente 
par  M.  de  Boisfremont,  et  67  000  francs  par  Richard 
Wallace  en  1875,  il  est  dans  ce  royal  musée  de  Londres 


lO^i  PUUDHOiN. 

dont  ne  sut  pas  vouloir  noire  Ville  de  Paris.  Chantilly 
en  possèile  1'  «  ëtudo  »  peinte,  Vénus  à  demi  étendue  et 
souriant  à  ravir,  blonde  et  resplendissante  comme  un  iilo- 
rieux  tableau  :  Fesquisse,  que  Goncourt  jugreait  le  elief- 
d'œuvre  du  maître,  et  «  qu'on  dirait  peinte  avec  du  mirl  », 
fut  atljugée  à  Marcille  le  père  pour  7  800  francs  à  la  vente 
du  comte  de  Sommariva,  Une  autre  Vénus  encliantcresse 
entre  deux  groupes  damours,  appelée  aussi  X Innocence 
pour  son  enchantement  même,  a  passé  de  la  galerie  du 
duc  de  Morny  chez  Paul  Dalloz,  et  appartient  aujourd "hui 
à  sa  fille,  Mme  Desfossés.  Faut-il  placer  dans  le  même 
temps  le  Triomphe  de  Vénus,  ce  dessin  diaphane  et  déli- 
cieux, —  Homumm  Dîvumque  Voluptas,  Altna  Veniis^ 
—  que  His  de  la  Salle  eut  l'éléerante  générosité  de  céder 
au  Louvre  à  son  prix  coûtant  de  120  francs  ? 


PRUd'hON  vieillissant.    —  l'institut.   — MORT  DE  MLLE  MAYER.  

LA  FIN   DE  PRUDHUN.  PRLD  HON  DANS   l'aRT  FRANÇAIS. 

L'Empire  décline,  Frochot  est  disgracié,  et  Prud'hon 
vieilli!.  11  n'a  que  cinquante-cinq  ans  encore,  mais  les  temps 
ont  été  durs  et  la  vie  l'a  souvent  bousculé,  malmené  :  le 
charmant  rêveur  des  solitudes  de  Rome  est  devenu  un 
bourgeois  à  son  aise,  un  peu  égoïste  et  très  rangé,  qui 
ne  va  jamais  ni  au  café  ni  au  théâtre,  un  bourgeois  dans 
la  manière  de  Picard  ;  mais  la  tendresse  de  ses  veux  Ideus 


PRUD'HON  lOJ 

restés  jeunes  dit  assez  les  visions  ((ii'il  garde  et  qu'il  va 
continuer  d'exprimer.  On  le  voit  dans  son  atelier,  petit  et 
bien  droit,  habillé  d'une  veste  grise  à  brandebourgs  noirs  et 
à  collet  d'astrakan,  modeste,  parlant  peu.  «  D'une  ex(|Liise 
douceur,  écrit  Grille  dans  ses  Miettes  llttrrau'es,  il  igno- 
rait ce  qu'il  valait,  il  avait  peur  de  (b'plaire.  »  Ou  du  moins 
il  ne  parlait  qu'au  milieu  de  ses  proches,  très  inquiet  alors 
de  religion  et  de  philosophie. 

Depuis   longtemps  déjà,    Prud'hon   gagne  de   l'argent. 
Il  fait  payer  trois  mille  francs  ses  portraits,  et  les  com- 
mandes  impériales  lui  ont   pour  la   plupart   rapporté    de 
larges  sommes;  mais  la  maison  n'est  pas  riche.  Pourtant 
il  sait  à  l'occasion  débattre  ses  iiiItTèts  et  on  l'a  vu  ré- 
clamer sans  retard  ci;  qui  lui   était   dû   par  l'État.    Une 
autre  fois,  oiî  Talleyrand  avec  le  ri'gime  qui  change  avait 
fait  changer  le  costume  de  son  porirait,  en  même  temps 
qu'il  s'en  commandait  un  autre,  Prud'hon  écrit  à  la  du- 
chesse de  Courtaude ,   princesse  de  Talleyrand  :   «  Je  ne 
supposais  pas  qu'il  [iouvait  s'élever  aucune  dlfficultt-  pour 
le  prix,  puisque  vous  me  dites  positivement  que  la  sonune 
de  7  000  francs  demandée  me  sera  remise.  Je  recrois  une 
lettre  de  votre  chargé  d'affaires  qui  m'assigne  un  rendez- 
vous...  Ma   réponse,  madame,  a  ('t('  de  lui  dire   que  jus- 
qu'alors j'avais  été  entièrement  étranger  à  ces  sortes  de 
discussions,  qu'elles  n'étaient  faites  ni  pour  mon  tah'nt  ni 
pour  ma  personne,  ce  qui  me  donne  à  croire,  madame,  (jii'il 
ne  remplissait  pas  plus  vos  intentions  que  les  miennes.  « 
Prud'hon  voulait  reprendre  le  [lortrait,  mais  on  s'entendit. 


104  PRUD'HON. 

Il  n'est  cependant  pas  intéressé  :  il  le  prouvera  un  jour  en 
refusant  de  vendre  vingt  mille  francs  au  duc  de  Fitz-James 
Une  famille  malheureuse  qu'il  donne  pour  cinq  mille  à 
Odiot  :  «  Je  préfère  la  voir  entre  les  mains  d'un  amateur 
sincère  qui  l'aimera,  quentre  celles  d'un  grand  scigmair 
qui  lui  jeltera  à  peine  un  coup  d'œil  le  lendemain  du  jour 
où  elle  sera  entrée  dans  sa  galerie,  et  qui  ne  l'achète  que 
parce  que  mon  nom  est  à  la  mode  en  ce  moment.  » 

Il  travaille  beaucoup  et  régulièrement,  levé  tôt.  couché 
tôt.  Dans  l'atelier,  Mlle  Mayer,  animée  et  fébrile,  va,  vient, 
fait  une  scène  de  jalousie,  redoutant  ce  goût  que  Prud'hon 
a  de  la  femme.  Elle  aide  le  maître  à.  son  œuvre,  mais  c'est 
le  maître  surtout  qui  lui  donne  des  croquis,  lui  prépare 
une  étude  ou  lui  achève  une  toile  :  il  y  a  du  pinceau  de 
Prud'hon  dans  tout  ce  que  peint  Constance  Maver.  Mar- 
guerite est  là  aussi,  le  joli  modèle,  que  le  roi  de  Prusse, 
passant,  hélas  !  par  Paris,  y  rencontrera  en  lui  offrant 
un  billet  de  mille  francs  «  pour  ses  papillotes  »,  qui  sont 
célèbres  dans  le  monde  o\i  l'on  peint.  En  ce  temps,  l'auteur 
de  Psyché  a  été  chargé  par  l'État  d'un  travail  modeste  dont 
il  dut  se  réjouir  :  refaire  une  tête  à  l'/o  du  Corrège,  non 
pas  au  tableau  original,  qui  n'a  pas  quitté  Vienne  depuis 
plus  de  trois  cents  ans,  mais  à  la  belle  copie  espa- 
gnole de  la  fin  du  xvi*  siècle,  qui,  servant  de  butin  de 
guerre,  avait  suivi  la  destinée  vagabonde  de  la  Danaé, 
passé  de  Prague  à  Stockholm,  couru  à  Rome  et  à  Paris  ob. 
le  Régent  l'avait  achetée  et  oii  son  fds  par  pudeur  lavait 
meurtrie;  Coypel  lui  avait  bien  refait  une  tète  déjà,  mais 


I 


JEUNE     ZEPHYR     SK     H  A  L  A  N  Ç  A  N  T     AU-I)ESSITS     H  K     1,    E  A  t 

(D'apt'èsla  lithogi-apliie  de  Grévoildn.) 


P  II  U  D'il  ON.  107 

ce  n'était  pas  celle  qu'il  lui  fallait  :  le  grand  Fredéi'ic  ne 
l'en  avait  pas  moins  acquise  et  Napole'on  l'ayant,  nouveau 
bulin  (le  guerre,  rapportée  à  Paris,  Prudhon,  sans  doute 
d'après  une  estampe,  lui  remit  sa  tète  vraiment  corrégienne, 
et  quand  /o,  après  les  traités,  rentra  à  Berlin,  les  gens  de 
là-bas  V  2:a2:nèrent  un  Prud'lion. 

xiu  Salon  qui  s'ouvrit,  sous  la  Restauration,  le  1"  no- 
vembre 1814,  le  peintre,  plein  de  verve  et  pour  une  fois 
encore  [)lein  de  jeunesse,  exposa  le  Jeune  Zéphyr  se  balan- 
çant au-dessus  de  l'eau,  d'un  mou\ement  si  b'ger  qu'il 
en  est  pres(jue  un  \o\.  (|ui  fut  aux  Sommariva,  ('t  dont  le 
musée  Wallace  possède  une  importante  esquisse.  Lu  Jus- 
tice et  la  Vengeance  divine  et  Psyché  reparurent,  on  ne 
sait  pour(|uoi,  la  même  anné-e  :  ils  étaient  déjà  re\cims 
au  Louvre  en  1810  poiii-  y  voisiner  avec  David,  Gi'os,  Gi- 
rodet  et  Gm'r-in,  à  piopos  de  ce  prix  décennal  imaginé 
par  l'Empereur  et  (|ue  rinsliliit  n'osa  décernera  persoime. 
Cet  Institut,  Prudhon  n'en  ('tait  pas,  et,  ne  s'y  senlant 
pas  aimé,  il  ne  se  souciait  pas  d'i^n  être.  Mais,  ainsi  (juil 
arrive  souvent  aux  fennnes,  Mlle  Mayer,  incitante  et  insis- 
tante, le  décida,  non  à  faire  des  visites,  mais  \\  écrire  au 
président  de  l'Académie  en  janvier  181:")  :  «  Veuillez  j)r('- 
seiiter  nuMi  \(eu  à  l'assendjb'e  des  hommes  de  méi'ite  ((ui 
vous  ont  nus  <à  leur  lele.  S'il  est  agréé,  je  nu'  tiendrai  ti'ès 
lionor('  d  èli't^  re(;u  parmi  eux.  »  Les  honunes  de  méi'ite 
n'agréèrent  pas  le  vœu  tout  d'abord  et,  trouvant  bon  de 
faire  attendre  ce  grand  honnne,  n(!  l'élurent  qu*^  le  22  sep- 
leinbic  ISKJ,  en  l'emplacement  de  l'habile  Vincent. 


108  PRUD'HON. 

La  Restauration  fut  une  peine,  presque  une  défaite» 
pour  l'artiste  attache'  à  l'Empire  par  des  liens  de  gloire, 
et  il  força  son  li!s  Eudaniidas,  qui  sortait  de  l'Ecole  poly- 
technique, à  donner  sa  démission  .  le  jeune  homme,  re'sig'né 
à  etuch'er  la  médecine,  partira  la  pratiquer  àToul,  en  com- 
pno:nie  de  sa  malheureuse  mère  qui  y  mourra  en  1834.  \'ers 
le  même  temps,  Prud'hon  marie  petitement  à  un  M.  Deval, 
nég-ociant  en  vins  à  Eorient,  sa  tille  qui,  veuve,  «'pousera 
un  AI.  Quoyerer,  de  Metz,  et,  vieille  femme,  scia  ruiii('e 
par  hi  guerre  de  70  ;  pour  aider  au  mariag"e,  il  a  vendu 
à  Rog-er  3  668  francs  sa  part  dans  l'association  qu'ils 
avaient  formée  pour  hi  gravure  du  beau  dessin  :  l'Amour 
séduit  l'Innocence^  le  Plaisir  F ent raine .  le  Repentir  suit. 
Dans  ces  conditions  étroites  de  vie,  on  leg^arde  Prud'hon, 
resté  maintenant  seul  avec  Mlle  Mayer,  devenir  de  plus 
en  plus  un  bourgeois  de  1820,  mais  rame  de  l'artiste  est 
là  et  triomphe  des  apparences. 

Se  souvenant  du  passé,  il  compose  Androniaque.  que 
de  Schœnbriinn  lui  a  fait  demander  Maiie-Louise,  la  fausse 
veuve  :  le  tableau,  annoncé  au  Salon  de  1817.  n'v  parut 
point  ;  il  n'était  pas  lini,  et,  double  tristesse,  ne  le  fut 
qu'après  sa  mort  par  M.  de  Boisfremont,  qui  l'envoya  au 
Salon  de  1824.  En  1818,  Prud'hon  est  occupé  au  projet  du 
plafond  de  Percier  au  Louvre  :  «  Minerve  soutient  d'un 
bras  le  Gi'nie  de  la  Peintui-e,  en  lui  montrant  de  l'autre  le 
séjour  de  l'Immortalité  »,  un  de  ces  étonnants  dessins 
ascensionnels,  qui  sont  pour  lui  jusqu'à  la  fin  le  rê^e  de 
ses  veux  clos  et  dont  le  dernier,  à  l'heure  de  sa  mort,  sera 


MINERVE  EMPOKTANT  LE  (.ÉNIE  DES  ARTS  VERS  1.  1  M  M  U  K  1  A  1  1  I  L. 

(Dessin,  CollocUon  Deutsch  de  la  Meurthc.) 


PIIUD'HON.  111 

TAme  détachée  de  la  terre.  Mais  ce  qui  le  retient  surlout 
en  ces  années-ci,  c'est  toute  cette  suite  de  portraits  pt'né- 
trés  et  pénétrants  oii  il  montre  qu'il  n'est  pas  seulement 
l'imag-inatif  de  grâce,  trop  disposé,  dit-on,  à  peindre  de  pra- 
tique, selon  le  terme  d'alors,  mais  (juCn  luttant  avec  la 
nature  il  sait  arracher  sa  vérité  et  faire  jaillir  sa  r('alité 
profonde  :  portraits  de  Bruun-Neerg-aai'd,  qui,  si  détérioré, 
est  au  palais  de  Yei-saillcs,  de  Mme  Navier,  de  Mme  Jarre, 
du  baron  Dcnon  en  mendire  de  l'Institut,  ces  deux  derniei's 
au  Louvre,  du  médecin  Dagoumer  qui  soigna  la  maladie 
nerveuse  de  Mlle  Mayer,  du  fds  du  maréchal  Gouvion 
Saint-Cyr,  de  Mme  Péan  de  Saint-Gilles,  et  celui  de  sa  lille, 
Mme  Antoine  Passy,  la  mère  de  M.  Louis  Passy,  alors  belle- 
fdle  de  Frochot  par  son  premier  mariage,  le  dernier  (ju'il 
ait  peint,  en  lui  donnant,  avec  un  charme  infini,  la  tristesse 
dont  il  mourait.  Faut-il  parler  ici  du  poi'Irait  de  ce  jeune 
homme  en  hal)it  hriin  du  Louvre,  tout  imprégné  de  vie  en 
son  allure  haulaine,  que  les  critiques  savants  refusent  de 
plus  en  plus  d'attribuer  à  Prudhon,  parce  qu'il  n'est  pas 
dans  sa  manière  habituelle?  Si  la  transparence  humide  de 
ce  morceau  d'une  rare  maîtrise  n'est  pas  dans  les  procédés 
coutumiers  du  peintre,  et  que  sa  suavit»'  calme  soit  dans  les 
habitudes  d'âme  de  l'artiste,  ne  doit-on  pas  accepter  qu'un 
Prud'hon  vieillissant  puisse  être  curieux  d'une  façon  nou- 
velle de  s'exprimer,  qu'il  serait  intéressant  de  rechercher 
d'ailleurs  dans  le  languide  et  beau  portrait  de  Mme  Passy? 
Espérons  que  bienint  (jutdqu'un  répondra. 

Cependant  un  tableau  d'autel  lui  a  élt'  iemandé  pour  la 


112  PHUDHON. 

chapelle  des  Tuileries,  et  Prufllion  a  composé  l'esquisse, 
qu'on  voit  au  musée  Wallace,  et  qui  fut  gravée  par  le  vieux 
Debucourt,  de  VAsso?nption  de  la  Vierge  emportée  par 
deux  archanges  aux  cieux,  tandis  qu'une  ronde  d'anges 
tournoie  au-dessous  d'elle  ;  mais  la  grande  auniônerie  ne 
trouve  pas  la  ronde  assez  angélique,  et  le  maître,  gêné 
par  ces  restrictions,  ^&iiï\.V Assomption,  qui  de  la  chapelle 
des  Tuileries  passera  au  Louvre  après  la  révolution  de  1848 
et  qu'il  exposa  au  Salon  de  1819,  avecles  cinq  anges  élevant 
la  Vierge  au  ciel.  La  situation  de  Prud'hon  est  devenue  alors 
si  considérable  et  son  charme  si  indiscuté  que.  dans  un  livre 
dont  le  titre  seul  est  une  profession  de  foi  :  «  Lettres  à 
David  sur  le  Salon  de  1819  par  quelques  élèves  de  son 
École  »,  —  notes  qui  furent  écrites  par  Henri  de  Latouche 
et  Emile  Deschamps,  —  on  lit:  «  ...  11  vient  d'exposer  un  ta- 
bleau de  V Assomption  de  la  Vierge.  Il  a  développé  dans  ce 
sujet  usé  tous  les  attraits  de  la  jeunesse  et  de  la  nouveauté.» 
Et  après  de  longs  éloges  :  «  Nous  croyons  que  cette  pro- 
duction n'est  pas  exempte  de  défauts;  mais,  nous  l'avouons, 
séduits  par  son  eifet,  nous  ne  nous  sentons  pas  le  courage 
de  les  rechercher.  »  Et  cette  phrase  caractéristique,  qu'on 
traiterait  aujourd'hui  de  phrase  d'avant-garde  :  «  Les  vête- 
ments des  anges  sont  allégés  par  la  vapeur  de  l'air.  » 

A  ce  même  Salon  de  1819,  Mlle  Mayer  avait  envoyé  le 
Rêve  du  bonheur,  dont  M.  Henri  Rouart  possède  une 
■esquisse,  assurément  de  la  main  de  Prud'hon,  exquise, 
diaphane  et  nacrée,  et  dont  une  autre  se  trouve  au  musée 
■de  Lille.  Rêve  qui  s'enfuit  !  Constance  Mayer,  de  plus  en 


Cliché  Neurdeln 


I.    ASSOMPTIO.N. 

(Musée  du  Louvre.) 


PRUDIION.  113 

plus  souffranto  et  irrilahlo,  allrisIcM'  et  tourmentée  à  l'idée 
(le  quitter  la  Sorbonnc  (jue  l'Etat  va  reprendre  aux  artistes, 
et  de  se  voir  peut-être  séparée  de  son  maître,  entre  dans 
son  atelier,  —  le  ^6  mai  1821  qui  était  un  samedi,  —  et  lui 
demande  :  «  Si  vous  deveniez  vouf,  m'épouseriez-vous  ?  — 
Jamais!  »  a  répondu  brus(juement  Prud'hon,  surpris  dans 
sa  pensée  et  peut-être  aussi  de  mauvaise  humeur  à  ce 
moment-là.  Constance  Mayei-  traverse  la  cour,  monte  à 
l'appartement,  prend  dans  un  accès  de  mélancolie  furieuse 
un  des  rasoirs  du  peintre,  et,  arrêtée  devant  la  glace,  elle 
s'en  porte  deux  coups  à  la  gorge,  le  second  si  violent  que 
sa  tête  en  fut  presque  détachée,  Prud'hon  sortait  tranquille- 
ment de  son  atelier  et  s'en  allait  à  l'Académie,  quand  il 
voit  des  gens  assemblés  et  agités  :  on  s'écarte,  on  a  peur 
de  lui  ;  saisi  d'un  pressentiment,  il  monte,  et  il  trouve  la 
tragique  et  brutale  apparilion  de  la  morte.  Il  en  eut  une 
douleur  sans  mesui'e,  (jue  la  lassitude  précoce  de  ses 
soixante-trois  ans  lui  rendait  plus  insupportable.  Son  ami, 
M.  de  Boisfremont,  le  recueillit  et  l'emmena  chez  lui,  au 
n°  34  de  la  rue  du  Rocher,  vivre  ses  derniers  mois. 

Et  voici  Prud'hon  au  travail  encore  devant  la  tode  com- 
mencée de  la  pauvre  disparue.  Une  famille  dans  la  déso- 
lation^ qu'il  termina  de  tout  son  cœur  pour  le  Salon  de 
1822  et  dont  il  lit  une  lithographie.  «  C'est  l'emblème  de 
notre  famille  »,  en  disait-il.  Au  mois  de  décembie  1821,  il 
éciil  il  sa  lille  i^niilie,  à  Lorient,  cette  phrase  immensément 
doiiloviicuse  dont  la  vérité  s'est  cristalliséepeuàpeuaucours 
des  événements  rendus  pires  par  sa  tristesse  d'âme  :  «  Lo 


110  PHL'DHON. 

bonheur  n'entre  point  dans  les  éléments  de  ma  vie.  »  El, 
avec  l'ég-oïsme  de  son  âge  et  de  sa  souffrance,  voulant 
étendre  sa  peine  à  ses  enfants,  il  lui  dit  aussi  :  «  Je  pense 
bien  que  tu  ne  l'oublies  pas,  celte  mère  si  bonne,  et  que 
son  souvenir  est  dans  ton  cœur.  »  On  ne  peut  affirmer  que 
Mlle  Mayer  n'ait  pas  été  maternelle,  on  sait  même  qu'elle 
aida  au  mariage  d'Emilie  ;  mais,  quelques  années  plus  tôt, 
Pliilopœmen  n'en  écrivait  pas  moins  à  sa  sœur  une  lettre 
d'une  psychologie  curieuse,  où  perce  l'animosité  contre 
l'étrangère  installée  à  la  maison,  et  oii  il  excitait  Emilie  à 
toutes  les  résistances.  Le  point  de  vue  des  enfants  n'était 
pas  celui  du  père,  —  à  cette  heure  surtout  où  il  s'efforce 
pieusement  dembellir  le  passé  et  de  le  parsemer  d'illusions. 
Avant  de  mourir,  le  maître  de  Cluny,  peut-être  pour 
avoir  entendu  dans  le  lointain  d'un  autre  siècle  sonner 
les  cloches  qui  chantent  de  la  grande  abbatiale  déjà  tout 
en  ruines,  ou  même  bruire  le  grelot  argentin  du  petit 
enfant  de  chœur  de  Saint -Marcel,  blond,  rêveur  et  souffrant, 
le  maître  de  Cluny,  évoeateur  des  Muses,  s'inquiète  de 
mystères  et,  porté  de  plus  en  plus  aux  pensées  religieuses, 
il  peint  ce  Christ  en  croix,  qu'il  ne  finira  pas,  aux  noirs 
terribles  et  grandioses,  avec  les  Saintes  Femmes  perdues 
dans  les  désespoirs  de  la  solitude,  —  le  Christ  en  croix 
que  la  maison  du  Roi  a  demandé  pour  la  cathédrale  de 
Metz,  mais  qui  restera  au  Louvre  après  le  Salon  posthume 
de  1824  ;  et  Metz  aura  une  copie  de  M.  de  Boisfremont. 
Et  il  peint  en  grisaille  V Ame  détachée  de  la  terre,  aujour- 
d'hui dans  la   collection  Jahan,  dont  il  fit  de  très  beaux 


>■  3 
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W      2 


PBUDHON.  119 

dessins,  ct^Iui  de  M.  Rouart  entre  tous  les  autres,  —  sa  der- 
nière figure  qui  vole,  le  dernier  signe  d'artiste  de  ses  doigts 
mourants.  La  jolie  fin  de  livre  et  la  jolie  lin  d'Iioinme  ! 

Le  3  janvier  1823,  il  écrivait  :  «  Une  douleur  au  côté 
gauche,  très  sensible  quand  je  respire,  plus  vive  encore 
quand  je  tousse,  est  préciséuient  venue  le  premier  de  l'an 
me  clouer  dans  ma  chambre.  Le  mal  n'est  que  musculaire, 
comme  par  exemple  un  torticolis.  J'espère  donc  qu'il  ne 
passera  pas  son  quatrième  jour.  »  Le  mal  s'en  alla,  puis 
revint  plus  mauvais  :  Prud'hon  se  vit  mourir,  et,  ayant  deux 
de  ses  fds  auprès  de  lui,  il  expira  le  16  février  en  souriant 
à  ses  amis.  On  cite  ses  dernières  paroles,  tandis  qu'il 
essayait  de  serrer  encore  les  doigts  de  M.  de  Boisfremont  : 
«  Mon  Dieu,  je  te  remercie...  la  main  d'un  ami  fidèle  me 
ferme  les  yeux.  »  11  fut  enterré  au  Pèi'e-Lachaise,  tout 
auprès  de  la  tombe  de  Mlle  Mayer. 

C'était  une  âme  d'artiste  bien  française  qui  se  détachait 
de  la  terre  de  France.  D'autres  ont  eu  plus  d'cmporicment 
ou  plus  d'éclat,  nul  n'a  montré  plus  de  qualités  chères  à 
noire  nature,  plus  d'imagination,  de  tendresse  et  de  grâce. 
Au  point  suprême,  il  est  représentatif  de  notre  art  français, 
bien  (ju'il  n'ait  guère  eu  de  maître,  car  on  dit  (jue  ce  fut  le 
bonDevosge  à  lafin  qui  subit  son  influence,  cl  (ju'il  soit  resié 
sans  élèves,  si  l'on  en  excepte  une  fenune.  Peut-être  même 
doit-on  trouver  dans  cette  absence  de  maître  et  d'élèves, 
je  ne  dis  pas  la  cause,  mais  du  moius  la  preuve  qu'il  fut 
un  génie  éminemment  national.  N'ayant  pas  eu  à  subir, 
d'autorité,  de  ces  principes  et  de  ces  convenlions  d'arl  qui 


120  PRLDHON. 

viennent  de  partout,  il  respira  le  véritable  air  ambiant  et 
sut  retenir  de  ses  veux  et  de  son  cœur  ce  qu'il  voyait  et  ce 
qu'il  sentait,  manières  détre  et  de  penser  qui  ne  se  trans- 
mettent point  avec  des  leçons.  Rome  elle-même  ne  le  mo- 
difia pas  beaucoup  plus  quelle  n'avait  modifié  Fragonaid  :  il 
fut  aussi  fort  qu'elle,  et,  y  trouvant  son  bien,  il  se  servit  de 
l'antiquité,   comme  Cbateaubriand.   pour  créer   de  la  vie 
moderne,  à  une  époque  où  la  peinture  de  l'Ecole  se  plaisait 
à  des  parades,  que  David  faisait  magistrales,  et  la  foule  de 
ses  élèves,  ridicules.  Appelé  à  vivre  entre  «Icux  siècles,  il  fut 
riche  de  la  g-ràce  de  l'un  et  de  la  tendresse  de  l'autre,  pre- 
nant le  flambeau  de  la  course  delà  main, non  de  ses  maîtres, 
mais  de  ses  aînés,  pour  le  passer  plus  tard  à  des  mains  plus 
jeunes.  Il  est  bien,  ce  dont  David  s'égayait  si  fort,  le  Wat- 
teau  de  son  temps  :  transformez  la  mentalité  de  l'époque, 
et,  en  pleine  tradition  nationale,  AYattiau  sera  Prud'hon. 
Plus  près,  il  succède  à  La  Tour,  et  aussi  à  Gi'euze  qui! 
dépasse.  Puis,  après  avoir  suivi,  il  précède,  et,  sans  parlcj" 
entre   dix  autres  d'un  Gérard,  d'un  Chassériau  ou   d'un 
Henner,  on  éprouve  qu'il  est  vraiment  un  précurseur,  — 
ce  qui  est  la  plus  grande  façon  d'être  un  moderne,  —  en 
voyant  peindre  Fantin-Latour  et  les  impressionnistes.  Cela 
semble  étrange  chez  un  homme  qu'on  accusait  de  dédaigner 
la  réalité,  mais  que  vaut  une  telle  accusation  quand,  au  dire 
des  élèves  de  David,  il  nous  apparaît  comme  le  peintre  de 
l'atmosphère,  cette  chose  subtile  et  merveilleuse   que   le 
nouveau  siècle  allait  découvrir  ?  Fantin-Latour,  plus  que 
tout  autre,  par  ses  deux  manières  très  distinctes  nous  dé- 


UNE    FAMILLE    MALHEUREUSE. 

(Litliograpliie  de  Prud'hon  d'après  M"«  Mayer. 


1 


rici 


"^ 


PKCD'HON.  123 

rrionlre  justoiiieiit  qu'un  peinlic  du  rêve  peut  se  sounidlre 
à  la  nature  la  plus  ritioureuse,  et,  plus  que  tout  autre,  il 
s'apparente  à  Prudlion  ;  mais  ne  peut-on  sourire  ég'ale- 
ment,  devant  tel  tableau  de  Renoir,  au  peintre  des  Muses 
et  des  Grâces?  N'était-il  pas  encore,  dans  son  modernisme 
ardent,  un  invenleur  d'attitudes  féminines  et  le  premier 
notateur  de  la  «  ligne  »  de  la  fennne,  lui  à  qui  l'on  repro- 
chait de  ne  savoir  pas  dessiner,  comme  on  le  reprochera  à 
Millet  et  à  Puvis  de  Chavannes,  ses  grands  descendants 
aussi  ? 

Arrivé  pres(|ue  à  la  gloire  dans  ses  dernières  années, 
Prud'hon,  qui  ne  laissait  même  pas  d'élèves  pour  le  dé- 
fendre, fut,  après  sa  mort,  suivant  une  loi  de  réaction  habi- 
tuelle à  trop  de  succès,  déconsidéré,  démodé,  mis  de  côté. 
On  lit  dans  le  catalogue,  daté  de  1829,  des  collections  du 
baron  Denon,  de  qui  pourtant  il  avait  fait  le  portrait  et  qui 
avait  été  son  protecteur  :  «  Piaid'hon  mériterait  par  son  co- 
loris, sa  grâce,  le  surnom  du  Corrège  français,  s'il  n'eût 
presque  toujours  fait  grimacer  ses  têtes,...  qu'il  fait  tou- 
jours assez  désagréablejnent  sourire.  »  Cependant  quelques 
honunes  de  goût  veillaient  :  le  comte  de  Sommariva,  Laper- 
lier,  Marcille,  plus  tard  les  Goncourt.  Peu  à  peu  Prud'hon 
commençait  à  revivre  :  ses  dessins  se  classaient,  se  ven- 
daient déjà  le  prix  que  jadis  il  en  eût  demandé;  mais  ce  fut 
l'exposition  de  ses  œuvres  organisée  à  l'École  des  Be;iu.K- 
Arts  au  prolit  de  sa  fdle  en  1874,  —  «  Date  obo/am  pic- 
l^i,.,f,  ))^  —  qui  marqua  le  vrai  signal  de  la  reprise  de  sa 
"loire  ;  elle  n'a  cessé  de  grandir  depuis  lors,  et,  pour  la 


124  PRUDHON. 

mesurer  à  un  critérium  matériel,  on  peut  estimer  que  la 

valeur  de  ses  dessins  s'est  élevée,  depuis  trente  ans,  dans 

la  proportion  de  un  à  douze  :  le  génie  parfois  est  un  bon 

placement. 

Ainsi  pour  longtemps  s'est  fixée  de  nos  jours  la  gloire  de 
Prudhon.  Elle  va  bien  à  ce  cbarmant  altiste,  qu'on  peut 
appeler  notre  Corrège.  en  lui  accordant  une  intellectualité 
plus  liante,  car  il  nous  fait  participer  à  une  grâce  supérieure 
où  l'àme  a  sa  part,  à  cette  grâce  si  idéale  en  son  humanité 
que  nous  avons  aimée  dans  Mozart;  et  nous  regardons 
continuer  à  vivre  ce  minutieux  et  délicieux  manieur  de 
beauté,  ce  décorateur  des  fées,  ce  peintre  des  femmes,  qui 
reste  pour  nous  le  Maître  de  l'Enchantement. 


;î,:  Pt:ï^ï'}>î  îQfm  i-KAKÇAf; 


TABLE  DES  GRAVURES 


L'Amour  réduit  à  la  raison  (D'aprrs  la  giavure  de  Copia)....  0 

Buste  de  la  baronne  de  .Iftiirsanvaull  (Musée  de  Beaune) l'' 

L'Innocence  préférant  lAuiour  à  la  lîiclicsse  (Dessin,  Musée  de 

Chantilly) 17 

Porirait  de  Mme  Anthony  et  de  ses  enfants  (Musée  de  Lyon'.. .  21 
Le  premier    haiser   de  l'Amour    [yourelle  Ilcloïse).  (D'après  la 

gravure  de  Copia) 25 

La  Sagesse  et  la  Vérité  descendant  >ur  la  Tcrie  (Dessin,  Collec- 
tion du  D'-  Chaulfaid) 29 

Euterfie.  —  \  énus  (lisquisses  du  Musée  de  Montpellier) 33 

Le    Printemps.    —    L'Aulonuie    (Projets    de    Frises.    Dessins, 

Musée  de  Cliantilly) il 

La  Paix  (Triomphe  de  Bonaparte). (Dessin,  Musée  de  Chantilly).  4'J 
Portrait    de    Constance     Mayer     (Miniature,     Collection    de 

Mme  Henry  Jahan) 40 

Portrait  de  l'impératrice  .losépliine  (Musée  du  Louvrel 53 

Théiuis  (Dessin,   Musée  du  Louvre) 'î" 

La  Justice  et  la  N'engeance  divine  poursuivant  le  Crime  (Musée 

du  Louvre) 'j'> 

Le  Sommeil  de  Psyché  (Esquisse,  Musée  de  Ci^.anlilly 73 

Le  Réveil  de  Psyché  (Esquisse,  Musée  de  Cliantilly, 77 


12!.  TABLE   DES   GRAVURES. 

Psyché  enlevée  parles  Zéphyrs  (Musée  du  Louvre) 81 

Portrait  de  Talleyrand  (Ancienne  Collection  du  château   de 

Nalençay) 8b 

L'Innocence  (Collection  de  Mme  Desfossés-Dalloz) 89 

Dessin  pour  le  berceau  du  roi  de  Rome  (Musée  Carnavalet) 97 

Jeune  Zéphyr  se  balançant  au-dessus  de  Teau  (D'après  la  litho- 
graphie de  Grévedon) 105 

Minerve  emportant  le  Génie  des  Arts  versFImmortalité  (Dessin, 

Collection  Deulsch  de  la  Meurthe) 109 

L'Assomption  (Musée  du  Louviej 113 

Anilromaque  et  Astyanax  (Dessin,  Musée  du  Louvre) 117 

Une  famille  malheureuse  (Lithographie  de  Prudhon  d'après 

Mlle  Mayer) 121 


TABLE  DES  MATIERES 


I.  —  Le  pays  nalal.  —  Enfance  et  arlnlescenre  de  Pmcrhon. 

—  François     Devosi,^o    cl    M.    de   Joursanvault.    ^ 
Mariage.  —  Prud'hon  à  Pai'is.  —  Le  roman  de  la  rue 

du  liac 5 

IL  —  Le  prix  des  États  de  Bourgogne.  —  Prud'hon  à  Rome, 

—  Le  plafond  du  palais  Barberini.  -    Prud'hon  en  Ire 
Pierre  de  Cortone  et  Canova 27 

m.  —  Prud'hon  revient  à  Paris.  —  La  Révolution.  —  Séjour  de 
Prud'hon  sur  les  bords  de  la  Saône.  —  Portraits  et 
vignettes 48 

IV.  —  Le  Directoire  et  le  Consulat.  —  Les  premiers  succès,  — 

Prud'hon  au  Louvre.  —  Plafonds  et  décorations 67 

V.  —  Prud'hon  à  la  Sorbonne.  —  L'Empire  et  la  gloire.  — 
Mlle  Mayer.  —  Le  Salon  de  1808.  —  Prud'hon  peintre 
des  impératrices.  —  Les  commandes  impériales 80 

VL  —  Prud'hon  vieillissant.  —  L'Institut.—  Mort  de  Mlle  Mayer 

—  La  tin  de  Prud'hon.  —  Prud'hon  dans  l'Art  fran- 
çais      iO'i 


3817-H-30.  —  CoiiKtiL.  Imprimerie  Éd.  Crét* 


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Date  Due 


FORM  loa 

02008S