de DE CHRISTOL,
EE ,
RECRERCHES SUR LES
RINNOCÉROS FOÜSSILES.
F2 mao it
Library of the Museum
COMPARATIVE ZOÜLOGY,
AT HARVARD COLLEGE, CAMBRIDGE, MASS.
Hounded bp private subscription, in 1861.
DR. L. De KONINCKS LIBRARY.
No. 1T87.
7.
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RECHERCHES
DES GRANDES ESPÈCES
DE
RIINOGÉROS FOSSILESS
PAR
Aules DE CHRISTOL,
Docteur ès-Sciences, ex-Professeur de Géologie à l’Athénée royal de Marseille ,
Secrétaire de la Société d'Histoire naturelle de Montpellier, Membre de la Société
d'Histoire naturelle de Paris, des Sociétés Linnéennes de Bordeaux, de Lyon, de
Normandie, de la Société Philotechnique de Castelnaudary , de la Société Philo-
matique de Perpignan, de l’Académie royale des Sciences et de la Société de
Statistique de Marseille , etc. ;
e C’est aux fossiles seuls qu’est due la naissance de la théorie de
« la terre; sans eux , l’on n’aurait peut-être jamais songé qu’il
« yait eu dans la formation du globe des époques successives et
e une série d’opérations différentes, »
(Cuvier , Discours sur les révolutions de la surface du globe, }
MONTPELLIER ,
JEAN MARTEL AINÉ, {MPRIMEUR DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE,
près de la Préfecture, N° ro.
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CAMBRIDGE. MA USA
BECHERCHES
SUR
LES CARACTÈRES DES GRANDES ESPÈCES
DE
RIIINOCÉROS FOSSILES.
L’uistorre des Rhinocéros fossiles est l’un des points de l'histoire
générale des espèces perdues sur lesquels Cuvier s’est le plus étendu ;
son travail, fruit de plusieurs années d'étude et de recherches en divers
genres, restera toujours comme un monument de savoir et un modèle
d'exposition, quels que puissent être les progrès à venir de la science
sur ce sujet particulier. ,
Pour donner à ses recherches sur les espèces perdues de ce genre
remarquable de quadrupède , ce caractère de démonstration que l’on
retrouve dans tous ses écrits , ce grand homme eut à se livrer à des
recherches plus étendues encore sur les espèces vivantes de Rhinocéros;
entreprise d'autant plus difficile qu’on n’avait presque rien écrit avant
lui sur les caractères ostéologiques de ce genre, et que l’on ne possédait
point dans les collections publiques des squelettes de toutes les espèces ;
ce ne fut qu’à force de soins et de persévérance qu'il parvint à se pro-
curer tous ces derniers, et son lravail avait déjà paru lorsqu'il put
consulter les squelettes des variétés de l'espèce qui ressemble le plus
à l’une des espèces fossiles.
Après avoir recherché dans les auteurs anciens, dans Aristote,
Pline, Strabon, Pausanias, etc., les indications qu’ils ont pu nous
transmettre touchant l’histoire naturelle du Rhinocéros, Cuvier pour-
suit ses recherches sous un point de vue historique, et montre que
‘ C4)
la plus ancienne mention qui soit faite de ce genre dans l’histoire est
celle dù Rhinocéros qui parut en Égypte , sous Ptolomé Philadelphe ;
que l’Europe le vit pour la première fois sous Pompée , dans les jeux
du cirque à Rome, et que, depuis le règne des premiers Empereurs.
Romains, elle ne le revit que fort tard.
Il'expose , avec une grande érudition , ce qu'ont dit de plus essen-
tiel sur les caractères extérieurs de ce genre les naturalistes français
et étrangers du dix-huitième siècle , relève les erreurs de plusieurs,
confirme les observations de quelques autres, et se montre jaloux de
rendre à chacun d'eux la justice qui leur est due pour les découvertes
qu'ils ont pu faire. ;
Abordant enfin la question des caractères ostéologiques de toutes
les espèces vivanies de Rhinocéros, il compare l’une à l’autre chacune
de celles-ci, décrit ên délail et représente une prodigieuse quantité
de pièces entièrement inconnues avant lui, signale les rapports du
genre entier avec les genres voisins, et pose ainsi les fondemens sur
lesquels reposent les résultats qu’il a annoncés sur les espèces perdues
de Rhinocéros.
Quoique en celte circonstance, comme en plusieurs autres, on
puisse acquérir la preuve, en lisant son ouvrage , que, de toutes les
parties de l'Europe, les savans, les princes, les particuliers, les
magistrats, les universités , payant leur tribut d'admiration au génie
le plus élevé de ce siècle, se soient faits un honneur de lui envoyer
des matériaux pour l'édifice qu'il élevait , on reconnaît encore qu'il
lui en a manqué beaucoup et qu’il exprime même ses regrets à cet
égard.
Ce sont quelques-uns de ces matérieux inconnus à Cuvier que je me
propose de faire connaître ; j'aurai peu à faire pour les mettre à leur
place , car celle-ci a déjà été indiquée par ce grand naturaliste.
Que si j'arrive à quelques résultats particuliers opposés à ceux qu’il
a annoncés , je n’oubherai point que c’est lui qui à tracé la route que
j'avais à suivre , et qu'il l’a livrée aux observateurs libre des obstacles
qu'il y avait rencontrés.
C5)
OO = mrrmemmermmees
Dès la publicaion du Tome 11 des Recherches sur les ossemens
fossiles, Cuvier avait décrit deux grandes espèces de Rhinocéros
fossiles , entièrement différentes des espèces vivantes par les formes
particulières de leurs têtes, et en avait annoncé une troisième qui ne
lui avait été indiquée que par quelques incisives trouvées isolément.
La plus grande et la plus anciennement connue de ces espèces est
très-répandue en Sibérie, elle se retrouve aussi en plusieurs lieux de
l'Europe , notamment en France à Montpellier ; Pallas, Merk,
Collini, Camper , Faujas en avaient décrit depuis long-temps la tête.
Cette espèce, fig. 1, la seule à mon avis assez bien connue,
présente un caractère qui la distingue non-seulement des autres Rhi-
nocéros , mais encore de tous les autres mammifères terrestres ; ce
caractère consiste dans la forme des os du nez, N, qui se joignent aux
incisifs, E, et dans la cloison des narines, C, qui, au lieu d’être carti-
lagineuse, comme dans les aulres animaux, est osseuse à tout âge :
de-là le nom de Rhinocéros Tichorhinus, qui lui a été donné par
Cuvier, de roïÿos (parties) el de £iv (nasus).
Sa mâchoire inférieure , fig.2, 3, 4, Sel 6, présente une sym-
physe très-prolongée au-delà du point de jonction des deux branches ;
c'est là un caractère qu'il est important de constater pour la solution
des questions que j'aurai à discuter.
Cuvier pense que cette espèce est dépourvue d'incisives, ou, du
moins , qu’elle n’en aurail eu qu’à la mâchoire inférieure , particula-
rité qui lui paraît encore fort douteuse. La vérité est que cette espèce
a des incisives ; j'en possède une mâchoire inférieure complète, fig. 5
et 6 , munie de toutes ses molaires , et présentant, à l'extrémité de sa
symphyse allongée , quatre alvéoles d’incisives , dans l’une desquelles
se trouve encore logé un tronçon d'incisive.
La seconde espèce , fig. 7, un peu moins grande que la précédente,
aurait été indiquée par un grand nombre des os des membres, qu'on
lui attribue probablement à tort, mais jusqu’à présent on n’en aurait
(6)
vu qu'une seule tête découverte par M. Cortési, aux environs de Plai-
sance, et conservée au musée des mines à Milan. C'est l'espèce d'Italie
décrite par Cuvier sous le nom de Rhinocéros à narines non cloison-
nées ; ses os du nez présenteraient les mêmes formes génériques que
les Rhinocéros vivans , mais seraient moins forts que ceux du Bicorne
du Cap ; de-là le nom de Rhinocéros Leptorhinus de Jerroc (/enurs), ete.
Sa mâchoire inférieure , fig. 8, n’a pas la symphyse prolongée qui
caractérise le ZZchorhinus.
Cette espèce n'aurait d'incisives ni à la mâchoire supérieure , ni à
Ha mâchoire inférieure, ressemblant entièrement en cela au Bicorne
du Cap. Cuvier n’a pas eu occasion de la voir , il n’a pu. en décrire la
tête que d’après un dessin qui , tout en relraçant assez exactement Îles
contours généraux de cette tête, est très-incomplet dans le point le
plus essentiel et me paraît avoir induit Cuvier en erreur en le portant
à créer une espèce qui n’a point existé. Je possède deux dessins de la
même têle et plusieurs pièces rapportées par Cuvier à la même espèce,
ce qui me met en position de rectifier complétement le dessin et la
description de Cuvier , et d’éclaircir en même temps plusieurs autres.
questions de l'histoire des Rhinocéros fossiles, et, entre autres, celles
qui sont relatives aux caractères des molaires des diverses espèces
fossiles de ce genre, caractères qui jusqu'à présent n'ont point été
établis (x). te
A ces deux grandes espèces de Rhinocéros , Cuvier en ajoute une
troisième ( Rh. éncisivus }, à peu près de la même taille, mais qui
EEE nee)
(x) Cuvier ayant annoncé que c'était au fils de son ami et confrère à l'Insütut ,
M. Alexandre Brongniart, qu'il était redevable de ce dessin du crâne de M. Cortési,
on pourrait croire qu’en omettant de rappeler cette particularité , j'ai voulu éviter
à M. Adolphe Brongniart une apparence de blâme qui ne saurait l’alteindre en au-
cune façon. M. Adolphe Brongniart a rendu de trop grauds services à la science et
s’est trop justement acquis une brillante réputation ; pour que les naturalistes ; et
surtout ceux d’entre eux qui ont fait une étude spéciale des débris de corps organisés
fossiles, fussent assez injustes pour ne pas reconnaître qu’un anatomiste seul pou-
vait être à l'abri de l’erreur dans laquelle il n’est point étonnant qu’un botanisle ait
été entraîné.
C7)
aurail été munie d'incisives, comme l'Unicorne de l'Inde ; toutes les
parties de son squelette sont inconnues , en sorte qu’elle n’a pu être
établie que d'après deux incisives isolées, que l’on assure avoir élé
trouvées sous terre près de Mayence, et qui étaient dans la collection
du célèbre anatomiste Sæœmmering. Cuvier observe , au sujet de ces
dents, que, comme üil est bien évident que ni le Rhinocéros de
Sibérie à narines cloisonnées, ni le Rhiriocéros d'Italie à narines non
cloisonnées ne pouvaient porter de semblables incisives; comme leurs
mâchoires n’offrent pas même de place pour les loger , il est bien
évident aussi qu’elles devaient provenir d’une troisième espèce, et que,
bien qu'il ne puisse y rapporter avec certitude aucun autre des os des
membres qu’il a observés , il n'hésite cependant pas à inscrire cette
troisième espèce dans la liste des-animaux fossiles, ne doutant pas que,
si on continue à les rechercher avec l'attention nécessaire , on ne
parvienne à découvrir d’autres parties qui confirmeront son existence.
J'essayerai de montrer que ces incisives de Sœmmering peuvent
provenir du Tichorhinus, et qu’elles ne peuvent par conséquent servir
à établir une nouvelle espèce.
Parvenu au tom. 111 de ses Recherches, Cuvier annonce la décou-
verte d’une nouvelle incisive de Rhinocéros, qui le confirme dans
l'opinion qu’il existe un troisième grand Rhinocéros fossile. Cette
dent avait été trouvée dans le dépôt d’Avaray, avec des molaires supé-
rieures portant à la base de leur face interne un large bourrelet
saillant, que l’on ne voit dans aucun Rhinocéros vivant à dents inci-
sives, et dont on ne voit de trace que dans les 2°, 3° et 4° molaires
supérieures du Bicorne d'Afrique. Comme ces molaires à bourrelet
ne se trouvent pas non plus dans le Rhinocéros à narines cloisonnées,
Cuvier croit pouvoir les rapporter à son Rhinocéros incisivus.
Je ferai connaître à quel Rhinocéros appartiennent ces molaires :
les 2°, 3° et 4° molaires supérieures d’un crâne de Rhinocéros fossile
que je possède , présentent ce bourrelet parfaitement caractérisé, f. 9;
mais j'ignore encore si ce Rhinocéros, dont les molaires ressemblent
tant à celles du Bicorne du Cap, est ou non privé d’incisives comme
l’est ce dernier.
(8)
Avec ces molaires supérieures d’Avaray se trouvait une molaire in-
férieure portant, au côté interne du 2° croissant, un crochet, que l’on
ne connaissait pas dans les molaires inférieures des autres espèces, et
qu'à cause de cela Cuvier a encore rapportée au Rhinocéros ncisieus.
Je montrerai également que cette molaire inférieure attribute à
l'incisius, appartient au Tichorhinus ; du moins, les molaires de ma
mâchoire inférieure de Tichorhinus, fig. 10, présentent-elles un
caractère analogue.
Parveou à la publication du tom. v des Recherches, Cuvier annonce
qu'il a reçu de M. Schleyermacher un très-beau dessin d'une têie
entière et le modèle peint d’une mâchoire inférieure de ce Rhinocéros
tncisious, lrouvée avec d’autres os de Rhinocéros dans une sablonnière
à Eppelshein, dans la partie des états du grand duc de Hesse qui est à
la gauche du Rhin ; il pense avec raison que celte tête, vue alors pour
la première fois, se rapproche de celle du Bicorne de Sumatra plus
. que d’aucune autre, mais qu'elle en est spécifiquement différente (1).
El n’en donne d’ailleurs ni le dessin ni les dimensions, el sa description
très-exacte , quoique très-courle, n'est faite que dans le sens d’une
comparaison très-habilement suivie à la vérilé avec la tête du Bicorne
de Sumatra, mais dans laquelle il n’est nullement question des rapports
ou des différences qui pourraient exister entre cette tête et celles du
Æichorhinus et du Leptorhinus, dont les caractères sont décrits et
‘discutés ailleurs avec tout le talent propre au plus grand observateur
de notre époque (2); bien plus, le point essentiel de la question, celui
(:) Nous verrons, plus tard, que, lorsque Cuvier annonçait cette découverte, il
avait déjà publié, sans s’en douter, la figure d’un crâne tout pareil à celui de
M. Schleyermacher, et qu'ici encore il a été induit en erreur par un dessin exact
dans les formes générales, mais incomplet dans les détails. Mieux placé que Jui pour
cet objet, j'ai pu consulter l’original de ce dessin , fg. 30 , et je me suis convaincu
aue ce crâne rapporté, dans les additions du tom. 1, au Tichorhinus, provient de
l'espèce de M. Schleyermacher. Î
(2) Tout en reconnaissant que le Leptorhinus n'existe pas, il faut reconnaître que
Cuvier en a parfaitement décrit et comparé les caractères tels qu’ils se trouvent dans
le dessin qui lui a été transmis.
(9)
qui seul eût pu montrer que cctle tête appartient à un Rhinocéros
incisivus, est entièrement passé sous silence : on ne sait point, en
effet, si cette tête a des #zcisives, ou des alvévles d'incisiwes, où même
si ses inter-maxillaires sont conformées de manière à pouvoir loger
des incisives. En sorte qu’alors même que celte tête serait spécifique-
ment différente de celle des autres Rhinocéros, ce qui du reste ne
me paraît pas douteux, resterait encore la question de savoir si elle
appartient à un Rhinocéros muni d'incisives, et si par conséquent on
était fondé à la rapporter au Rhinocéros incisious.
La description, le dessin et les dimensions de la mâchoire inférieure,
qu'il eût été si important de connaître, afin de savoir en quoi elle
pouvait différer de celles du Tichorhinus et du Leptorhinus, sout aussi
entièrement inconnus ; la seule chose qu’on en sache, c’est qu'elle était
munie d’incisives, et encore ignore-t-on leur nombre et la différence
qui pourrait exister enire les latérales et les intermédiaires, dans le
cas où il y aurait des unes et des autres (1). En la rapportant au crâne
d'Eppelsheim, Cuvier paraît s'être uniquement fondé sur ce qu’elle
portait des incisives ; l’on conçoit, en effet, que, dans l'hypothèse où
le Tichorhinus et le Leptorhinus auraient été dépourvus d’incisives,
cette conclusion eût été très-fondée, surtout en admettant comme
démontrée l'existence des incisives supérieures dans le crâne de
M. Schleyermacher. Cependant, comme il n’était pas bien certain que
le Tichorhinus n'eût point d’incisives inférieures, il eût fallu que
cetle mâchoire n'eût pas la symphyse prolongée comme dans le
Tichorhinus, sans quoi la présence des incisives n’eût pu montrer
qu'elle n’appartenait pas à ce dernier.
oo
(x) La découverte de la tête et de la mâchoire inférieure de Rhinocéros
d’Eppelsheim, n'ayant été connue de Cuvier que long-temps après la terminaison
de son travail sur les Rhinocéros fossiles, n’a pu être annoncée que dans une simple
note placée à la fin du Tome v des Recherches sur les ossemens fossiles, C’est à
cette circonstance qu’il faut attribuer l’omission des dessins de cette tête et de cette
mâchoire ; et le peu d'extension qui a été donnée à la description et à la comparaison
de leurs caractères,
2
(10)
Maintenant qu'on a pu s’assurer que le Rhinocéros à narines cloison-
nées a incontestablement des incisives à la mâchoire inférieure, on
doit croire que la mâchoire d'Eppelsheim peut tout autant provenir
de cette espèce que de celle à laquelle la rapporte Guvier, supposi-
tion d'autant plus plausible que, parmi les dessins envoyés par M.
Schleyermacher, se trouve celui d’un crâne de Rhinocéros à narines
cloisonnées, trouvé dans le même gissement que la mâchoire inférieure.
Je montrerai bientôt que cette présomption acquiert un grand degré
de probabilité, et, en même temps, que les caractères du crâne de
M. Schleyermacher sont loin de suffire peur confirmer l'établissement
d'un Rhinocéros #ncisieus, ne doutant pas, d’ailleurs, que, si Cuvier
eût pu consulter les pièces qu’un hasard heureux a mises à ma disposi-
üon , il ne se fût arrêté à des résullats différens de ceux qu’il annonce.
Je ferai également connaître les caractères des molaires de cette
espèce, que j'ai pu étudier sur deux crânes semblables à celui de
M. Schleyermacher. La série de ces molaires se compose partie de
celles que Cuvier attribue au Leptorhinus, partie de celles qu'il
rappo rle-à l'éncisieus.
Prenant la question au point où l’a laissée Cuvier, j'essaierai
d'établir, au moyen des nouvelles pièces que j'ai pu recueillir ou de
celles qui m'ont été communiquées par divers paturalistes : 1° que
le Rhinocéros à narines cloisonnées {Rh. Tichorhinus) était incontes-
iablement muni d'incisives à la mâchoire inférieure, ce qui joint à
l'observation des crânes fournis par Pallas et par le prof” Buckland,
doit faire présumer qu'il en avait également à la mâchoire supérieure ;
en sorte que l'absence des alvéoles ou leur pelitesse, dans divers crânes
de Tichorhinus, tiendrait uniquement à leur oblitération, qui habi-
tuetlement se serait effectuée de très-bonne heure, et non point à
une disposition primitive et essentielle dans l'espèce ; 2° qu'en consé-
quence, on n'a aucune preuve que ce ne soit pas de cette espèce que
proviennent les incisives isolées de Sœmmering, qui seules ont servi à
établir le Rhinocéros incisiwus, espèce dont jusqu’à présent rien ne
démontre l'existence ; 3° que la molaire inférieure à crochet silué
sur la face interne du deuxième croissant, et la mâchoire inférieure
(1)
d'Eppelsheim , pièces que Curvier a attribuées au Rhinocéros sncisivirs,
appartiennent au Tichorhinus; 4° que le Rhinocéros d'Italie à
narines non cloisonnées (Rh. Leplorhinus) n'a point existé ; que le
crâne de M. Cortési, qui a servi à établir cette espèce, est un crâne
de Tichorhinus, dont les caractères n’ont pas été fidèlement reproduits
dans le dessin qu'a consulté Cuvier ; que les molaires isolées, attribuées
à ce Leptorhinus, proviennent de l'espèce de M. Schleyermacher ;
5° que le crâne de M. Schleyermacher, atiribué au Rhinocéros
inciswus, ne présente aucun caractère qui puisse le faire considérer
comme provenant d’un Rhinocéros muni d'incisives ; 6° enfin, que
l'un des crânes de Rhinocéros , représenté dans le Tome 1v des
Recherches, et rapporté à l'espèce à narines cloisonnées , ne provient
point de celte espèce, mais bien de fa même que le crâne de
M. Schleyermacher,
Ainsi, des trois grandes espèces de Rhinocéros fossiles, élablies
par Cuvier (Rh. Tichorhinus, Rh. Leptorhinus, Rh. Incisivus), la
premitre seule serait maintenue, mais avec des modifications assez
importantes dans ceux de ses caractères qui avaient été diversement
envisagés par Pallas, par Camper et par Cuvier ; la seconde ne serait
plus maintenue sur le tableau des espèces fossiles ; la troisième serait
beaucoup mieux connue qu'elle ne l’a été jusqu'ici ; mais, comme elie
n'offrirait point encore le caractère particulier qui a servi de fonde-
ment au nom qu'elle porte, et que d’ailleurs ce nom, rappelant un
caractère qui, alors même qu'il serait moins problématique qu'il ne
l'est, ne saurait être considéré comme distinctif, puisqu'il peut être
commun à «: iverses espèces , elle devrait être désignée par une nouvelle
dénomination spécifique.
Enfin, pour n’omettre aucune des circonstances qui peuvent nous
éclairer sur le nombre auquel pouvaient s'élever les diverses espèces
de Rhinocéros de l’ancien monde, j'observerai qu’en combinant les
chances que peut présenter la détermination de certains os de ce
genre mentionnés par Cuvier, on est amené à penser que le nombre
des grandes espèces de Rhinocéros fossiles peut avoir été de cinq et
même de six, si l'on fait entrer dans ce calcul quelques pièces que je
(12)
ferai connaître , mais que, dans l’état actuel de nos connaissances sur
cette malière, on ne peut en admettre que deux, car il est possible
que toutes les pièces douteuses rentrent dans chacune de ces deux
grandes espèces.
C’est ainsi, par exemple, que la mâchoire inférieure à courte
symphyse, rapportée par Cuvier au Leptorhinus, ne pouvant plus être
attribuée à cette espèce , qui n’est pas maintenue, peut appartenir ou
à une espèce nouvelle, ou à l'espèce de M. Schleyermacher. Dans le
premier cas, elle porterait à trois le nombre des grandes espèces de
Rhinocéros fossiles.
La mâchoire inférieure d’Eppelsheim, trouvée avec plusieurs
crânes de Rhinocéros dans le même gissement que le crâne de
M. Schleyermacher , pourrait, à la rigueur, provenir d'une espèce
inconnue tout autant que de ce crâne ou du Tichorhinus ; nous avons
vu que Cuvier n’en ayant pas indiqué les caractères, on ignore encore
en quoi elle pourrait différer de celle du Tichorhinus.
Les incisives isolées de Sœmmering, quoique pouvant provenir
du Tichorhinus, peuvent néanmoins aussi provenir de l'espèce de
M. Schleyermacher ou de quelque espèce inconnue.
On doit d'autant plus user de circonspection , dans cette estimation
du nombre des espèces détruites de Rhinocéros, que nous voyons
aujourd'hui ce genre assez riche en espèces, et qu'à part le Bicorne
d'Afrique et l'Unicorne de l'Inde, anciennement connus, il existe
encore un Unicorne à Java et deux Bicornes à Sumatra.
j
L
Quoiqu’en général les crânes et les mâchoires inférieures du Rhino-
céros de Sibérie à narines cloisonnées soient dépourvus d’incisives , il
est pourtant de ces pièces où l’on a vu des alvéoles et des restes
d'alvéoles d’incisives. M. le professeur Buckland a donné au cabinet
du Roi un de ces crânes, auquel Cuvier a reconnu deux fosseltes à la
place qu'auraient dû occuper les incisives, et qui, suivant Cuvier
lui-même , auraient pu appartenir à des alvéoles. Pallas décrit des
C13)
alvéoles et des restes d'alvéoles qu'il a observés sur un crâne et sur
une mâchoire inférieure , ffg. 3.; ses expressions sont trop précises
pour qu'on puisse se dispenser d’en tenir compte, on peut en juger
par le passage suivant de son travail, cité aussi par Cuvier : « 1n apice
« maxtllæ inferioris, seu 1pso margine, ut ia dicam , incisorio,
« dentes quidem nulli adsunt ; verûm tamen apparent vesligia oblite-
« rata quatuor albeorum minusculorum æquidistantium , è quibus
2
« exleriores duo obsoletissimi, sed intermedi satis insignibus fossis
« denotaltisunt. In superiore quoque maxillä hujus cranti, ad antiquum
« palati terminum , utrinque tuber osseum astat, obsoletissimé foss
« nolatum qua alveoli quondam præsentis vestigium refert. » ( Nov.
Com. xvI1, pag. 600.)
Camper , tout en assurant avoir fait changer Pallas d'opinion en ce
qui concerne les alvéoles de la mâchoire supérieure, rapporte que ce
dernier insista néanmoins toujours sur l'apparence incontestable des
alvéoles d’incisives à la mâchoire inférieure. Ou je me trompe fort,
ou celte répugnance de Camper à admettre l'existence des alvéoles
d'incisives dans ce crâne , qu'il avait examiné avec Pallas, aurait tenu
à ce que ne connaissant à cette époque que le système dentaire du
Bicorne du Cap , qui n'a pas d'’incisives , il pensait qu'aucune espèce
de Rhinocéros ne pouvait en avoir, et se croyait même si sûr du fait,
qu'il va jusqu'à accuser d'erreur Parsons, Linnœus et Buffon, pour
en avoir attribué à l’unicorne des Indes (r).
Cuvier , en assurant pouvoir presque affirmer que les crânes de
Fichorhinus n'ont pas d'incisives , accorde cependant que le crâne de
Pallas à pu avoir des alvéoles d’incisives, mais que s’il en a eu, elles
ne pouvaient qu'être très-petites, et qu'on ne pouvait pas attribuer cette
petitesse à un commencement d'oblitération produite par l’âge , car,
observe-t-il, ce crâne était d’un jeune individu, Indépendamment de
ce que cette manière de voir n'est pas confirmée par les faits, comme
je le montrerai tout-à-l'heure , elle est encore en opposition avec une
observation rapportée par Pallas et en partie admise par Cuvier lui-
(x) Camper admit plus tard les incisives de l’unicorne de l'Inde,
(14)
même. En effet, l’état jeune de ce crâne est si peu capable d’exclure
la supposition de l’oblitération des alvéoles , que cette oblitération est
indiquée par Pallas comme manifeste dans la mâchoire inférieure de
cette même tête , et qu’elle n’est point entièrement rejetée par
Cuvier dans cette dernière circonstance. Quoique je ne puisse pas
assurer positivement que cette mâchoire inférieure appartient au
même individu que le crâne sous lequel Pallas et Cuvier l'ont placée
dans leurs figures , il est assez vraisemblable qu’elle lui appartenait, car
Pallas et Cuvier s'expriment de manière à le faire supposer ; de plus,
l’un et l’autre avaient été trouvés ensemble au-delà du lac Baïkal ,
sur les bords du Tschikoï; toujours est-il que cette mâchoire prove-
nait , ainsi que le crâne, d’un jeune individu, car elle ne portait aussi
que cinq dents et présentait Les trous d’où devaient sortir les arrières-
molaires. Or , si loblitération a déjà fait disparaître une partie des
alvéoles de cette mâchoire inférieure de jeune individu , quel motif
aurait-on de croire que la même chose n'ait pu arriver à la mâchoire
supérieure qui est du même âge?
A l'observation de Pallas , de l'exactitude de laquelle Cuvier paraît
douter au point qu’en mentionnant la mâchoire , qui en est l'objet, il
dit que c’est celle à l'extrémité de laquelle Pallas a cru voir des alvéoles
d'incisives , je puis en ajouter une autre qui la confirme : celle d’une
mâchoire inférieure de la même espèce et de jeune individu, que j'ai
trouvée dans les sables marins supérieurs de Montpellier ; j'en donne le
dessin, #g: 5 et 6. Elle est entière et d’une conservation parfaite ; elle
porte six molaires de chaque côté. On voit à l'extrémité libre de sa
symphyse quatre alvéoles d'incisives, comme dans celle de Pallas, deux
latérales très-profondes et deux intermédiaires si près d’être entièrement
oblitérées, malgré l'état jeune de la mâchoire, qu'elle ne paraissent
plus que comme deux petites fossettes circulaires de trois lignes de
profondeur sur quatre lignes de diamètre. Les alvéoles latérales sont à
peu près cylindriques, ont deux pouces de profondeur sur près d'un
pouce de diamètre à leur ouverture ; dans celle du côté gauche se
trouve logé un tronçon d'incisive cassée. L’oblitération des alvéoles
intermédiaires n'ayant pu s'effectuer sans que les alvéoles latérales se
(15)
réssentissent un peu du travail intérieur de l'os, on doit croire quecelles-
cin’ont pas actuellement des dimensions tout-à-fait aussi considérables
que celles qu’elles ont dû avoir primitivement. La chose est même
prouvée, car l’alvéole qui cenlient un tronçon d’incisive est plus large,
et a un demi-pouce de profondeur de plus que l’autre , qui, étant vide
du vivant de l'animal, a opposé moins de résistance au travail d'oblité-
ralion. Ces incisives inférieures de Tichorhinus auraient dont été assez
grandes pour n'être pas disproportionnées aux incisives supérieures de
Sœmmering,. puisque Îeurs racines auraient eu deux pouces et demi
de longueur sur près d’un pouce trois quarts de diamètre, ce qui
donnerait pour la dent une longueur de trois pouces, et un pouce trois
quarts de diamètre pour le fust.
D'après cetle pièce, que j'ai montrée à plusieurs naturalistes de
premier ordre , qui s'intéressent à tout ce qui concerne l'histoire des
races perdues , et qui y ont reconnu les quatres alvéoles d'incisives, il
n’est plus permis de douter que l'absence ou la petitesse des alvéoles ,
dans la mâchoire inférieure du Tichorhinus, ne soit due à l’oblitération
qui, dans celte espèce, devait s'effectuer de très-bonne heure, tar
ma mâchoire est loin d’avoir appartenu à un vieil individu ; ses
molaires sont à peine éntamées, le croissant postérieur de chaque
dernière molaire ne l’est même pas du tout , et l’on voit qu'encore la
base de la face interne de celles-ci n’est pas entièrement dégagée des
alvéoles. 5
Parmi les naturalistes qui ont pu constater , dans ma collection, ce
fait qui a été un sujet de controverse entre Pallas, Camper et Cuvier,
je citerai MM. Marcel de Serres, Cordier , Lyell, Murchisson , Elie
de Beaumont, Duffrenov, Frédéric Cuvier et De la Marmora.
Quoique cette mâchoire soit de jeune individu, la première molaire
de chaque côté est déjà tombée, et l’oblitération de son alvéole est
tellement complète qu'il n’en reste plus vestige. Il paraît que dans la
mâchoire inférieure de Pallas la première molaire était aussi déjà
tombée , à la vérilé l'alvéole subsistait encore , comme on le voit par
le essin qu'il en donne, rnais l’on ignore si elle présentait un commen-
cement d'eblitération.
(16)
Toutes ces circonslances portent à penser que la chute des dents
antérieures, incisives ou molaires, avait lieu de très-bonne heure,
dans l'espèce à narines cloisonnées, et que l’absence des alvéoles, dans
divers crânes ou mâchoires inférieures de cette espèce, ne prouve
rien contre l'existence primitive des incisives.
I] ne sera pas inutile d'observer que le même phénomène se repro-
duit dans l’unicorne de l'Inde, où la première molaire tombe d'assez
bonne heure, ainsi que les deux incisives externes de la mâchoire
supérieure , et cela d’une manière si habituelle que , quoique Vicq-
d'Azyr eût eu connaissance de ce fait, comme on l’a su par une note
écrile de sa main, tous les naturalistes ont cru, jusqu'à Cuvier, que
l’unicorne de l'Inde n'avait que deux incisives, au lieu de quatre qu’il
en a réellement à la mâchoire supérieure. Les Lamantins offrent
encore‘la même particularité, leurs incisives inférieures tombent dès
le jeune âge et les alvéoles s’oblitérent complètement ; Cuvier est
porté à penser qu'il en est ainsi dans le Dugong.
Ce sont les deux alvéoles externes qui sont oblitérées et les deux
internes qui sont conservées dans la mâchoire inférieure de Pallas ,
dans la mienne c’est précisément l'inverse ; d’un autre côté, la mà-
choire de Pallas, quoique évidemment plus jeune que la mienne,
puisque les arrière-molaires n'étaient pas encore sorties , a néanmoins
ses alvéoles d’incisives plus oblitérées, ce qui doit faire présumer qu'il
n'y avait pas de règle fixe pour l’époque de la chute des incisives infé-
rieures, et que, dans divers individus, c’étaient tantôt les incisives
exlernes, tantôt les incisives internes qui tombaient les premières, et
que cette chute pouvait être retardée ou avancée suivant les individus.
Si, comme on peut raisonnablement le supposer , la même variation
avait lieu pour l'époque à laquelle arrivait la chute des incisives supé-
rieures, on concevrait très-bien comment, dans les divers crânes de
Tichorhinus, les alvéoles d’incisives sont oblitérées ou presque oblité-
rées, quelque jeunes d’ailleurs que fussent des individus dont ils pro-
viennent ; tandis que, dans quelque autre individu, les incisives auraient
pu persister assez long-temps pour s’user jusqu’au point où le sont les
incisives de Sæœmmering, dont l'usure ne me paraît pas d’ailleurs fort
avancée.
C17)
. Ma mâchoire inférieure, fg. 5 el 6, a, du veste, la même forme,
la même proéminence antérieure rétrécie que toutes celles de l'espèce
à naïines cloisonnées décrites et figurées par Pallas ; elle offre tous les
caractères spécifiques indiqués par Cuvier, caractères en lesquels il
avait tant de confiance qu'il lui a suffi du dessin informe d’une portion
mulilée de cetie mâchoire, publiée par Monli sous le nom de tête de
Morse fossile, pour en déterminer l'espèce avec une entière cerlilude,
se fondant sur ce qu’elle présentait la proéminence antérieure. Je
reproduis ce dessin, fig. 4. La mâchoire, fig. 6, a certainement tous
les caractères de celle-là,
Vue de profil, ma mâchoire n'offre aucune différence appréciable
avec celle de l’unicorne de Java ; toutefois sa symphyse est beaucoup
moins prolongée que dans cetle dernière. Sa longueur est de 0",55;
la hauteur de l’apophyse coronoïde est de 0",27 ; la longneur de la
symphyse est de o",12, et en parlant de la premitre molaire en place,
qui empiète sur la symphyse, on trouve 0",095.
Maintenant qu'il est bien prouvé que le Tichorhinus portait des
incisives à la mâchoire inférieure , on sent combien devient vraisem-
blable l’assertion de Pallas, qui assurait avoir vu des alvéoles et des
restes d’alvéoles à la mâchoire supérieure de sa tête de Rhinocéros,
et combien il est probable que les fossettes remarquées par Cuvier, à
lextrémité des os incisifs du crâne donné par le professeur Buckland,
sont réellement des alvéoles oblitérées.
C'est, du reste, une loi générale d'organisation, établie d’après
l'observation des espèces vivantes ou fossiles, que tous les Pachydermes
munis d'incisives à la mâchoire inférieure en ont aussi à la mâchoire
supérieure.
Non-seulement Cuvier est porté à assurer qu'il n’y avait pas d’inci-
sives à la mâchoire supérieure du Tichorhinus, mais encore il croit
pouvoir affirmer qu’il ne pouvait pas y en avoir: il conclut des di-
mensions des os incisifs qu'ils n’ont pu loger des incisives, et ce à
raison de leur étroitesse. Il s'appuie même sur un passage de Collini
qui rapporte que, dans l'extrémité antérieure d’un crâne de cette
espèce, qu'il a examiné , il ne paraît pas qu’il y ait pu avoir des inci-
3
(18)
sives ; car, observe Collini, rien n'y paraît pouvoir servir d'alveoles|
Je crois pouvoir donner à ces paroles un sens tout autre que ce!ui qué
Jeur accorde Cuvier ; au lieu de supposer avec lui que Collini a voulu
dire qu’il n'y avait pas de place pour des alvéoles sur ces os inchifs ,
je suppose que Collini, en les examinant , n’y a vu aucun enfoncement,
aucune fosselte, aucun trou, en un mot, rien qui ail pu y servir d'al-
véole, mais nullement qu'il n'ait pu y voir un espace suffisant pour
contenir des alvéoles.
1! serait à desirer que quelque auteur eût donné la mesure exacte des
os incisifs des divers crânes de Tichorhinus ; en la comparant à celle
des incisives fossiles, on eût pu facilement juger la question.
Ni Pallas, ni Camper n'ont avancé que des incisives ne pussent trouver
place dans ces os incisifs ; s’il en eût été ainsi, Camper n’eût pas
manqué de faire valoir ce moyen dans sa contestation avec Pallas, qui,
lui-même, n'aurait pu voir des traces d’älvéoles dans un espace qui
n’eût pas été assez grand pour en contenir. Cuvier lui-même, en
indiquant les fossettes du crâne de M. Buckland, ne dit pas qu'elles
fussent trop étroites pour avoir pu servir d’'alvéoles ; if se borne à
dire que cette téte ne fournit pas de résultats positifs, qu'on ÿ aperçoit
quelques restes d'enfoncemens qui pourraient avoir appartenu à des
alréoles, mais qui pourraient aussi n'étre que des accidens.
Si, d’après Cuvier, ces enfoncemens on! pu appartenir à des aleoles,
il est bien évident que les os incisifs, où ils sont marqués, sont assez
larges pour contenir des alvéoles. Il me paraît donc que ce n'est point
d'une manière générale et absolue, qu’en s'appuyant sur l'observation
de Collini, Cuvier émet l'opinion qu'il n’y a pas de place suffisante ,
dans la mâchoire supérieure du Tichorhinus, pour y loger des incisives.
Nous avous vu, qu’en parlant du crâne de Pailas, il n'assure point
absolument qu’il n'ait pu avoir des alvéoles d'incisives, il se borne à
dire que , s’il en a eu, elles n'ont pu qu'être très-petites.
En signalant les diverses remarques de Guvier sur ces particularités
assez importantes, puisque , selon la manière dont on les considère, on
peut maintenir ou infirmer l'établissement du Rhinoctros incisivus,
j'ai pour but de montrer que l'impossibilité d'admettre , dans les
C19)
inter-maxillaires du Tichorhinus, une largeur suffisante pour contenir
des alvéoles, n'a pas tellement paru démontrée à Cuvier, qu'il n'ait été
disposé , en plus d’une occasion , à admettre la possibilité de l'existence
de ces alvéoles.
Les os incisifs du Tichorhinus, mesurés sur la figure donnée par
Collini, me paraissent avoir six millimètres de large, ce qui donne
deux centimèlres quatre millimètres pour leur largeur réelle, puisque
le dessin est au quart de la grandeur naturelle. Or, une telle largeur
est bien suffisante pour contenir des incisives, car la plus grande des
incisives fossiles n'est pas aussi large ; le crâne de Collini n'est pas
d'ailleurs des plus grands de l'espèce,
Nous verrons, plus tard, que les os incisifs du Rhinocéros incé-
sus, auquel les incisives fossiles ont été attribuées, sont moins larges
que ceux du crâne de Collini. Ils n’ont, d'après M. Marcel de Serres,
que deux centimètres un millimètre de largeur moyenne. En sorte
que les incisives fossiles auraient moins facilement pu être logées dans
les inter-maxillaires de l’{ncisivus que dans ceux du Thicorhinus.
IL.
Puisque les inter-maxillaires du Tichorhinus sont assez larges pour
contenir des incisives, puisque tout s'accorde à montrer que les
alvéoles de ces dents n’ont été qu'oblitérées en partie dans le crâne de
Pallas, dans celui du professeur Buckland, dans la mâchoire infé-
rieure de Pallas et dans la mienne, quel motif aurait-on, aujourd’hui,
de supposer que les incisives de Mayence et d’Avaray n'ont pu provenir
du Tichorhinus , et sur quoi pourrait-on s'appuyer pour faire, au
moyen de ces incisives , une espèce distincte , sous Ic nom de Rhino-
céros incisieus
Pourrait-on se fonder sur les dimensions de ces incisives ? Mais la
plus forte d’entre elles n’atteint pas la largeur des os incisifs du crâne
de Collini ; la dépasserait-elle d’ailleurs, il ne faut pas perdre de
vue que ce crâue est loin d'êire des plus grands de l'espèce, ct que,
d’uu autre côté, rien ne prouve que ces incisives ne soient elles-mêmes
des plus grandes. ;
(20 )
L'incisive d'Avaray , la plus forte des incisives fossiles qu’on con-
naisse , est large de 0,"02, en sorte qu’elle eut pu très-facilement être
logée dans ceux des autres crânes de Tichorhinus qui sont plus grands
que celui de Collini. De plus , cette incisive d’Avaray est, par rapport
aux dimensions qu'ont dû avoir les incisives de ma mâchoire inférieure,
dans la même proportion de grandeur que celle qui existe entre les
incisives supérieures et les incisives inférieures de tous les Rhinocéros
. vivans, chez lesquels les incisives supérieures sont toujours beaucoup
plus fortes que les inférieures. Les incisives de Sœmmering , décou-
vertes à Mayence, étant moins grandes que celles d'Avaray, pourraient,
encore plus facilement que celles-ci , trouver place dans les os incisifs
de la plupart des crânes de Tichorhinus.
Si à ces considérations on ajoute que toutes les autres pièces, qui
ont été attribuées au Rhinocéros incisieus, rentrent, comme je vais le
montrer , dans deux autres grandes espèces de Rhinocéros, dont l’une
est le Tichorhinus et l’autre un Rhinocéros dont on ignore encore s’il
a desincisives , on sera bien près de reconnaître que l'existence du
Rhinocéros 1ncisivus est au moins fort problématique , et qu’alors
même qu’on viendrait à la découvrir par la suite, il n'y aurait pas de
raison de lui attribuer les incisives de Mayence et d'Avaray plutôt
qu’au Tichorhinus , car, le Tichorhinus ayant des incisives, celles de
Mayence pourraient toujours provenir de cette dernière espèce.
[IT
Nous avons vu , précédemment, qu'avec l'incisive d’Avaray s’élait
trouvé une molaire inférieure , d'une forme toute particulière , et
qu’à raison de cela Cuvier rapporte à son Rhinocéros incisius. Celle
molaire est effectivement pourvue d’un caractère distinctif, faible
en apparence , ci qui, à coup sûr , eût échappé à un observateur
moins pénétrant que Cuvier. Ce caractère consiste en un crochet situé
au côté interne du deuxième croissant. J'avoue que , si je n'avais vu ce
crochet que sur une seule dent, je l'aurais plutôt considéré comme
accidentel que comme caractère spécifique , d'autant qu'il me paraît
(21)
être très-pelit et n'être même autre chose qu’un tubercule pointu ,
ayant à peine une ou deux lignes de hauteur, Quoi qu'il en soit, ce
n'en est pas moins un véritable caractère spécifique , propre à faire
distinguer les diverses espèces fossiles de Rhinocéros au moyen d'une
seule molaire inférieure ; mais au lieu de caractériser le Rhinocéros
incisious, comme le suppose Cuvier, il caractériserait le Tichorhinus
et une petite espèce de Rhinocéros ; toutefois , dans ce dernicr cas,
une certaine modificalion se présenterait dans les élémens du crochet,
Les molaires de ma mâchoire de Tichorhinus, #g. 5 et 6, présentent
ce caractère ; c’est au côté interne du deuxième croissant et au tiers
supérieur de la dent , en À, fig. 10, que se trouve ce petit tubercule
pointu , ensorte qu’on ne devrait pas s'étonner de ne pas le voir dans
des molaires dont la couronne serait trop entamée. Pénétré d’ad-
miration pour la profonde habileté avec laquelle l'immortel Cuvier a
su distinguer , comparer et surtout décrire , d’une manière claire et
rigoureuse , les caractères les plus minutieux et les plus compliqués
des dents des divers genres , je ne puis m'empécher , en cette circons-
tance, de rendre hommage à la sagacité dont il a fait preuve , en con-
sidérant comme caractère spécifique une légère modification, qu'il a
jugé devoir êlre constante, quoiqu'il n’ait pu la voir que sur une
seule molaire. J'ai montré ma mâchoire de Tichorhinus, dont les
molaires présentent ce caractère, à des naturalistes qui depuis longues
années sont habitués à démêler ce qu’un cas peut présenter de normal
ou d’accidentel, et pas un d’eux n’a osé regarder comme spécifique
ce caractère en apparence si faible ; je n'aurais pas non plus osé le
donner pour tel, si je n'avais découvert ce qu’en dit Cuvier dans une
note, et si M. Frédéric Cuvier, qui a examiné ces molaires dans
ma collection, n’eût admis la valeur spécifique du caractère qu'elles
présentent , sans que je puisse cependant assurer qu'il ait.admis l’iden-
tité de ces dents avec celle d’Avaray indiquée par Cuvier. Il est même
possible qu'à cette époque je n’eusse pas encore moi-même entrevu ce
rapprochement.
D'un autre côté , étant convaincu que c’est la vérité qu'avant tout
on doit rechercher dans la science et qu’on ne doit point altérer les
(22)
faits, en forçant les analogies et les pliant aux opinions qui nous plai-
sent, je ne dissimulerai pas que , n'ayant pu examiner les caraclères
de la molaire inférieure indiquée par Cuvier , attendu qu’il n’en donne
pas le dessin et quil n'en fait mention que dans une simple note, il
me reste encore quelques doutes sur l'identité complète de cette dent
avec celles de ma mâchoire. Je me fonde sur cette considération,
que Cuvier avait soin d'introduire dans ses descriptions un choix
d'expressions si justes et si heureuses, qu’il est impossible de leur en
substituer d’autres capables de mieux rendre les objets. Eüt-il donné
le nom de crochet à ce petit tubercule pointu de mes molaires, auquel
les noms de cône ou de mamelon , si usilés dans les descriplions des
dents de plusieurs genres, eussent mieux convenu que tout autre ?
J'en doute , car Cuvier n’employait jamais que le mot propre.
Il est possible , néanmoins , que ce petit cône ait eu son sommet
recourbé, dans la molaire de Cuvier, et alors le nom de crochet lui
aurait complétement convenu ; il est possible encore que ectte mo-
laire fût une dent de lait, et que , suivant la loi générale établie par
Cuvier, elle présentât une plus grande complication de formes que
les dents de remplacement. Enfin, pour engager les naturalistes à
rechercher tout ce qui peut éclaircir un fait, qui pourrait permeltre
de distinguer toutes les espèces perdues de Rhinocéros, au moyen
d’une seule molaire inférieure , j'observerai qu'il existe , dans les ca-
vernes à ossemens , une pelile espèce de Rhinocéros dont les molaires
inférieures présentent une forte crête recourbée, dans le point même
où est situé le petit cône de mes molaires ; dans le cas où la molane
d'Avaray ne présenterait pas de grandes dimensions , elle pourrait
provenir de cetle espèce des cavernes,
En faisant connaître le système dentaire du Rhinocéros incisivus de
Cuvier , je montrerai que les molaires inférieures de la même espèce
n’ont , au côté interne du deuxième croissant , ni cône, ni erochet,
ni crête, ce qui me confirme dans l'opinion que la molaire inférieure
à crochet d'Avaray ne provenail pas de l’/ncisivus. t
Quant à la mâchoire inférieure d'Eppelsheim, nous ne voyons pas
quel motif on aurait aujourd'hui de l'attribuer à l'Éncisivus plutôt
(23)
qu’au Tichorhinus. Elle porte des incisives; mais le Tichorhinus en
porte aussi ; ma mâchoire rend ce fait très-probable, Pallas l'avait
déjà formellement annoncé, et celte seule circonstance aurait pu faire
pressentir à Cuvier qu’on pourrait toujours lui objecter que sa mâchoire
d'Eppelsheim était de la même espèce que celle de Pallas, dont le
sentiment se trouvait ainsi confirmé par cette nouvelle pièce (r).
Nous avons vu, d'une part, que Cuvier ne parle pas de sa forme,
et que, par conséquent, rien n'indique que sa symphyse ne soil pas
allongée et rétrécie comme celle du Tichorhinus, et que, d'un autre
côté, dans le même lieu où on l'a découverte, se trouvait un crâne de
Tichorhinus ; rien ne montre donc que cette mâchoire n'ait pu
provenir de cette espèce, tout aussi-bien que du crâne de M. Schleyer-
macher, en connexion duquel on voit, par la relation de Cuvier,
qu’elle n'a pas été trouvée.
Tout porte donc à croire que Cuvier ne l’a attribuée à l'Incisius,
que parce que, refusant des incisives au Tichorhinus, l'existence
des incisives sur cette pièce ne lui a pas permis de l'attribuer au
Tichorbinus.
Maintenant que nous avons rétabli une parlie des caractères de la
première grande espèce de Rhinocéros fossile, établie par Cuvier,
soit en montrant qu'elle était pourvue d’incisives, soit en faisant
connaître ses molaires inférieures, caractérisées par un petit cône
silué sur le côté interne du deuxième croissant (2), nous passerons à
l'examen de la seconde espèce établie par Cuvier; en traitant de la
(x) Je sens parfaitement qu'on pourra toujours m’objecter que ma mâchoire
a’appartient point au Tichorhinus; il est possible que cela soit, mais j'ai dù la
rapporter au Tichorhinus, puisqu'elle présente tous les caractères spécifiques que
Cuvieret Pallas ont indiqués dans la mâchoire inférieure de celui-ci. La comparaison
effective ou l'examen d’une bonne figure auraient peut-être pu me faire reconnaître
quelque différence entre les mâchoires de Pallas et la mienne; une description de la
mâchoire 4’Eppelsheim m’eut aussi été très-utile.
(2) Ce caractère est incontestabiement acquis à l’espèce; il résulte de l’observation
de ma mâchoire, ek.est indépendant des rapprochemens que j'ai cru pouvoir signaler
à ce sujet,
(24)
troisième, je complèterai ce que j'ai pu dire de l’Incisieus, dont une
partie de l'histoire entrait, comme élément de solution, dans les
questions relatives à la première espèce.
IV.
L'espèce de Rhinocéros d'Italie, à narines non cloisonnées { Rh.
Leptorhinus), n'ayant été établie par Cuvier que sur un dessin de la
tête de M. Cortési, il sera bien évident que cette espèce ne peut être
maintenue, si on parvient à reconnaitre que le dessin consulté par
Cuvier dénature complétement les caractères spécifiques du crâne de
M. Cortési , et que celui-ci provient de l'espèce à narines cloisonnées
(Rh. Tichorhinus),.
Il suffit de jeter un coup-d’œil sur ce dessin (fig. 7, pl. XI, 1. II
des Recherches sur les ossemens fossiles ), pour reconnaître, dès le
premier abord, que la mâchoire inférieure est si mal rendue qu’on
y reconnait à peine la forme d'une mâchoire de Rhinocéros. Les
apophyses coronvïdes, qui dans tcus les Rhinocéros sont si hautes, sont
ici tellement écrasées, que le crotaphite et le masséter auraient à peine
pu s’y implanter , et dans aucun cas n'auraient pu s’y fixer as-ez solide-
ment pour pouvoir soulever la mâchoire avec force ; bien plus, avec
une telle brièveté de l’apophyse coronoïde , il eüt été impossible que
le condyle eût pu atteindre la cavité glénoïde du temporal, lorsque
les molaires inférieures auraient été appliquées contre les molaires
supérieures, en sorte que l'articulation de cette mâchoire avec le crâne
‘eût élé physiquement impossible (1).
Le sommet de l’occiput, qui est tronqué carrément dans les autres
Rhinocéros, est tellement pointu dans cette tête, que le ligament
(x) En donnant cette figure, Cuvier n’a eu d'autre but que de représenter le
caractère essentiel des mâchoires inférieures de Leptorhinus, c’est-à-dire la brièveté
de la symphyse; or, ce dessin remplissant parfailement cette condition, on n'avait
pas à y chercher autre chose, et ce que j'ai pu en dire eût été complètement inutile
si le Leptorhinus eut existé.
(25)
cervical postérieur, ainsi que les muscles superficiels de la région
postérieure du cou , auraient à peine pu y trouver des points d'attache ;
il en fallait cependant de très-solides pour soulever une tête bicorne et
aussi allongée que l’est le crâne de M. Cortési. L’omission de cette
ironcature entrainait presque nécessairement une plus grande élévation
de la partie posterieure du crâne, une pente plus rapide de la face
antérieure de la pyramide de celui-ci, et permettait de soupçonner,
dans le reste du dessin, d’autres imperfections que celles qui sont
manifestes, surtout lorsqu'on tenait compte des déformations de la
mächoire inférieure.
L'inexactitude du dessin de la tête de Leptorhinus est facilement
expliquée par la simple comparaison de ce dessin, fig. 7, avec un dessin
plus exact de la même tête, fig. te.
Ayant exprimé à M. le colonel de la Marmora les doutes que j'avais
conçus sur l'exactitude du dessin de Leptorhinus publié par Cuvier,
ce savant recommandable à bien voulu me procurer d'autres dessins
du crâne de M, Cortési, conservé au Musée des mines à Milan.
M. Gené, professeur de zoologie à Turin, m'annonce, en m'envoyant
ces dessins, qu'il les à fait faire lui même sous ses yeux, ce qui ne me
permet pas de douter que les détails anatomiques n’en soient très-exacls.
Avant de montrer en quoi consistent les rapports et les différences
qui peuvent exister entre Le dessin de Cuvier et celui de M. le professeur
Gené, il ne sera pas inulile de rappeler les caractères spécifiques du
Leplorhinus, tels qu'ils ont dù paraître à Cuvier; on verra par là que
ces caractères rentrent en réalité dans ceux du Tichorhinus, comme
cela doit être dans l'hypothèse où le le crâne qui a servi à établir le
Leptorhinus provient réellement du Tichorhinus.
« En comparant le crâne du Leptorhinus avec les autres crânes. de
« Rhinocéros à narines cloisonnées, observe Cuvier, on s'aperçoit
« aussilôl : 1° que le crâne du Leptorhinus a la partie cérébrale moins
« prolongée, moins rejelée en arrière; 2° que l'orbite est au-dessus de
« la 5° molaire ; 3° que les os du nez se terminent en pointe libre et
«ne s'attachent pas aux inter-maxillaires par une cloison verticale.
« Comparé au bicorne du Cap, continue Cuvier, ce erâne lui
4
(26)
# ressemble plus qu’à tout autre ; il en diffère néanmoins sous beau-
coup de rapports. Ses os du nez n’ont pas la même conformation ; ils
« sont minces , droits et pointus, tandis que ceux du bicorne du Cap
« sont excessivement épais et bombés ; il y a un enfoncement plus
« marqué entre la partie qui porte la deuxième corne et la partie qui
« se relève pour former la crête occipitale. »
On voit, par l'exposé de ces caractères, que la tête du Leptorhinus
ne différerait de celle du Tichorhinus que par trois caractères princi-
paux , dont un seul aurait réellement une valeur spécifique. Et en effet,
les divers degrés de prolongement en arrière de la partie cérébrale
du crâne résultent principalement du plus ou moins de développement
de la crête occipitale et des cellules qui communiquent avec les sinus
frontaux, parties qui, dans tous les animaux où elles prennent un
grand accroissement , et dans les pachydermes en particulier, présen-
tent d’excessives variations dans leur étendue , suivant l’âge de l'animal
dans lequel on les observe. Pour qu'un caractère basé sur le moindre
prolongement de la partie cérébrale pût être considéré comme spéci-
fique dans le Leptorhinus , il aurait donc fallu pouvoir le constater sur
divers individus d’âge différent, ou au moins sur un individu vieux.
Or, le dessin de Cuvier ne permet pas de juger l’âge de ce crâne de
Leptorhinus.
Nous voyons du reste, comme on devait s’y attendre, que Île
prolongement en arrière de la partie cérébrale du crâne de Ticho-
rhinus, est moins considérable dans quelques individus que dans
d’autres, et que précisément celui du crâne que je reproduis, fig. 1,
ne diffère pas beaucoup de celui du crâne du Lepiorhinus; il n’est
cependant pas celui de tous ceux des crânes figurés par Cuvier qui soit
le moins marqué.
En présentant ces observations, je suis loin de prétendre que le
prolongemënt en arrière de la partie cérébrale du crâne ne soit réel-
lement un caractère propre au Tichorhinus ; mon intention est
uniquement de montrer que le défaut de ce prolongement n'aurait
pu caractériser le Leptorhinus, qu’autant qu'on aurait pu l'observer
sur un vicil individu.
(27)
Quant à la position de l'orbite au-dessus de la cinquième molaire
ce ne peut être un caractère distinctif du Leptorhinus, car l'orbite est
aussi placée sur la cinquième molaire dans le Tichorhinus. Reste donc
le caractère de l’absence de cloison et du défaut de jonction des os du
nez aux incisifs.
Si ce caractère eut été réel , comme a du le penser Cuvier , d’après
le dessin qu'il avait sous les yeux , nul doute qu’à lui seul il n'eût suffi
pour distinguer une espèce quelconque de celle à narines cloisonnées ;
mais ce caractère n’est qu’un simple accident produit, en grande
parlie , par l’inadvertance du dessinateur qui n’a rendu ni la portion
considérable de cloison, À , ui la cassure des os du nez, B, qu'on voit,
de la manière la plus évidente , dans le dessin du professeur Gené,
fig. xx. En sorte que les os du nez, tels qu'ils sont représentés dans la
fig. 7, ont dû paraître à Cuvier dépourvus de cloison et terminés
naturellement en pointe libre, tandis que la cassure de leur partie
antérieure montre qu'ils ne s’arrétaient pas à ce point , mais qu'ils
devaient, ainsi que la cloison, se continuer jusqu’à la rencontre de
l'extrémité des os incisifs. En continuant à comparer le dessin de
Cuvier avec celui du professeur Gené , on voit que la forme générale
du crâne est à peu près la même dans tous deux; l’arcade zigomatique,
la fosse temporale, la position de l'orbite, la proportion de la
longueur du crâne à sa hauteur, diffèrent à peine dans chacun ;
néanmoins on s'aperçoit que, dans le dessin de Cuvier, la pente anté-
rieure de la pyramide du crâne est plus rapide, ce qui fait paraître le
prolongement en arrière de la partie cérébrale moins considérable
qu'il ne l’est dans la fig. 11 , où l’on voit encore , par les cassures qui
y sont marquées , qu'une portion de la crête occipitale a dû être
rompue. Dans les deux dessins, on voit, à peu de chose près, la
même échancrure des narines, la même courbure, la même longueur,
la même épaisseur , en un mot, la même forme des os du nez. La
seule différence bien importante qu'il y ait entre ces deux dessins,
c'est que dans l’un la cloison des narines est rendue , tandis qu’elle est
omise dans l’autre. Il n’est pas enfin jusqu'à la direction de la portion
antérieure du maxillaire supérieur , qui, dans les deux figures, ne
C28)
soit semblable à celle du Tichorhinus ; on voit que celte partie a dû
se relever un peu pour aller joindre l'extrémité des os du nez.
Quant aux différences que Cuvier signale entre le Leptorhinus et le
bicorne du Cap, on les retrouvera aussi dans tout crâne de Tichorhinus
dont les os incisifs , la cloison et l’extrémité des os du nez auront été
brisés. s
Les dessins que je dois à l'obligeance de MM. de la Marmora et
Gené , sont à moitié de la grandeur naturelle , circonstance qui m'a
permis d'en constater plus sûrement tous les caractères. Ils repré-
sentent le crâne de M. Cortési, l’un vu du côté droit, l’autre vu du
côté gauche, Afin de ne point multiplier inutilement les figures, je me
borne à en donner un seul réduit au liers et par conséquent au sixième
de la grandeur naturelle. Le dessin du côté gauche, qui correspond
à la fig. 7 de Cuvier, ayant son arcade zigomatlique presque entières
ment mutilée, je n’ai pu le donner , craignant que cette circonstance
n’altérâl sa ressemblance avec celui de Cuvier , que je place au-dessus ;
je lui ai donc substitué le dessin du côté droit en ayant le soin de le
retourner. L'arcade zigomatique de celui-ci étant conservée , permet
d'en comparer la forme ainsi que celle de la fosse temporale à celles
de la figure de Cuvier. On voit qu'il manque dans ce dessin une
portion du bord supérieur du maxillaire , du bord antérieur du jugal,
el même un peu du bord antérieur et latéral du frontal. La moitié
antérieure de la eloison est cassée juste au-dessus de la première
molaire ; l’autre moilié est plus profondément échancrée dans son
centre que dans tout autre point , et il devait presque nécessairement
en être ainsi à cause de la plus grande résistance qu'offraient sa partie
inférieure et sa partie supérieure fixées solidement , l'une aux inter
maxillaires , l'autre à la voûte des os du nez; je suis, en outre , porté
à penser que la partie centrale de cette cloison est la plus mince, et
par conséquent le plus exposée à être rompue. La cloison est aussi
échancrée de la même manière dans le crâne de Tichorhinus , fig. +,
mais avec cette différence que c’est la partie postérieure de la cloison
qui manque. Si les os incisifs eussent été rompus dans ce crâne de
Tichorhinus, et que le dessinateur eût omis d'en rendre la cloison,
on aurait eu inévitablement un crâne de Eeptorhinus.
(29)
L'échancrure nasale , dans mon dessin, n’est pas sensiblement exa-
gérée, du moins quant à la longueur, par la rupture du maxillaire ;
on peut s'en convaincre en considérant qu’elle s'arrête en avant du
trou sous-orbitaire et au-dessus de la seconde molaire , comme dans le
dessin de Cuvier et dans les crânes de Tichorhinus. L’extrémité des os du
nez manque , mais on distingue parfaitement , dans les grands dessins
du professeur Gené , que cet os est rompu et se termine carrément
par suile de la cassure.
En continuant à comparer mon dessin avec celui de Cuvier, on voit
que dans le premier la cassure, € , qui se trouve à la partie qui porte
la deuxième corne , correspond au point S, où se réunissent les deux
lignes courbes qui forment le front dans le second. En faisant dispa-
raîlre cette sinuosité accidentelle , on a une courbure uniforme du
front comme dans le Tichorhinus.
Les os du nez sont un peu trop relevés dans le dessin de Cuvicr,
ils le sont moins dans les dessins du professeur Gené , et ne diffèrent
en rien de ceux du Tichorhinus, comme on peut s’en convaincre par
la comparaison des fig. 11 et r. L'arcade dentaire est placée horizon-
talement sur la même ligne que la base postérieure du crâne , dans le
dessin de Cuvier , en d’autres termes elle est parallèle à l’axe longi-
tudinal du crâne ; dans mon dessin, l'arcade dentaire est placée obli-
quement par rapport à l’axe du crâne ; il en est toujours ainsi dans le
‘Fichorkinus. Dans les deux dessins , les molaires occupent la même
position relative ; la troisième est en arrière du trou sous-orbitaire,
la cinquième est au-dessous de l’orbite absolument comme dans le
Tichorhinus. L'angle du front , l’'apophyse orbitaire à laquelle vient
s'implanter le ligament qui cerne l'orbite en arrière , est évidemment
beaucoup trop reculée dans le dessin de Cuvier. On n'a qu’à se repré-
senter les désordres qu’ane telle conformation aurait dû entraîner
dans les fonctions de plusieurs organes importans, pour être bien
convaincu qu’elle n’a jamais pu exister. Ainsi les muscles logés dans la
fosse temporale auraient été refoulés en arrière et gênés dans leur
développement et dans leurs fonctions ; le globe de l'œil et tous les
organes qui s’y rattachent n'étant point retenus en avant, auraient pu
(30 )
rentrer en arrière sous la paupière , à moins que celle-ci ne fût
démesurément fendue , mais auraient toujours été exposés à être
comprimés ou chassés en avant par l’apophyse coronoïde , lors de
l'élévation de la mâchoire inférieure. Dans le dessin du professeur
Gené , cette apophyse sus-orbitaire est placée plus en avant , au point
où elle se trouve dans tous les crânes de Tichorhinus.
L'apophyse qui termine en arrière l’arcade zygomatique, et qui,
dans tous les Rhinocéros , contribue à la solidité de l'articulation de
la mâchoire inférieure, en l’empêchant de se mouvoir beaucoup de
droite à gauche et surtout d'avant en arrière, manque dans mon
dessin , fig. 11, et dans celui de Cuvier , mais on la voit dans le second
dessin du professeur Gené. Dans ce dernier on peut très-bien juger
des détails de ia partie postérieure du crâne mutilée dans le dessin que
je donne ; mais comme il n’y a là rien de bien essentiel pour la
question, on a peu à les regretter.
En comparant attentivement le crâne du Leptorhinus de Cuvier,
fig. 7, avec tous les cränes de Tichorhinus représentés dans le second
volume des Recherches, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'en tenant
compte de l’omission accidentelle de la cloison , il a les principaux
caaractères de cette dernière espèce ; si bien, qu’en appliquant le
doigt sur la partie de ces dessins qui correspond à la cloison et aux os
incisifs, on transforme tous ces crânes de Tichorhinus en crânes de
Leptorhinus, C’est un essai qu’on peut facilement tenter sur le crâne
de Tichorhinus, fig. 1.
Nous avons vu précédemment que Cuvier attribuait au Leptorhinus
une mâchoire inférieure à courte symphyse et sans incisives ; c’est
ainsi en effet que semble être la mâchoire inférieure de la fig. 7, pl. xt
du tome 11 des Recherches (1). Mais dans ce dernier cas encore , la
chose me paraîl être purement accidentelle ; l'extrémité antérieure
de la symphyse de cette mâchoire est en partie mutilée dans le dessin
que m'en a transmis le professeur Gené, et cette circonstance est même
(1) N'ayant pas reproduit le dessin de cette mâchoire, je crois devoir rappeler que
c’est celle qui appartient au crâne de M, Cortési.
(31)
indiquée dans la fig. 7 de Cuvier. Il m'a paru, d'après les dessins du
côté droit et du côté gauche de eette mâchoire, qu'elle devait se ter-
miner en pointe el présenter la symphyse allongée qui caractérise le
Tichorhinus. Cependant il peut se faire qu'il n’en soit rien ; c’est là
une question qu’on ne doit pas décider sur un simple dessin.
Comparés au profil de ma mâchoire de Tichorhinus, fig. 5, ces
dessins ne présentent d'autre différence essentielle que celle qui résulte
des cassures ; je ne puis cependant assurer qu'il y ait des incisives sur
la mâchoire de M. Cortési, car mes dessins ne conduisent à aucun
résullat positif ; il est possible cependant que le dessinateur ait voulu
y représenter des alvéoles ou des restes d’alvéoles d'incisives.
Il ne faudrait pas conclure de ce qui vient d’être dit qu'il n’existât
pas d'autres mâchoires présentant les caractères que Cuvier attribuait
à la mâchoire inférieure du Tichorhinus , c’est-à-dire qu'il ne pût y
avoir des mâchoires à courte symphyse et sans incisives; celle de notre
fig. 8, empruntée aux planches de Cuvier, n'est pas la seule de cette
sorte qu'il ait représentée, et comme on ne peut pas douter pour
celles-ci que les dessins et les descriptions n’en soient exacts, et que
d’ailleurs Cuvier à vu l’une d'elles, elles doivent réellement appar-
tenir à une espèce différente du Tichorhinus. Peut-être appartien-
draient-elles à l’espèce de M. Schleyermacher; je n’ai du reste aucun
motif qui puisse me porter directement à adopter ou à rejeler cette
opinion , je me borne à signaler une chance possible ; toujours est-il
que ces mâchoires à courtes symphyses ne peuvent provenir du Lep-
torhinus puisque cette espèce n’a point existé , et qu’elles ne peuvent
pas non plus provenir du Tichorhinus puisqu'elles n’ont pas la longue
symphyse qui caractérise celte dernière espèce.
Pour compléter ce que mes recherches ont pu me faire connaître
touchant la seconde grande espèce de Rhinocéros fossile établie par
Cuvier, ce serait ici le lieu de montrer que les molaires supérieures,
que Cuvier est porté à attribuer au Leptorhinus, proviennent de
l'espèce de M. Schleyermacher , c'est-à-dire de l'espèce à laquelle
Cuvier avait donné le nom de Rhinocéros {ncisivus. Mais comme les
caractères de ces molaires ne peuvent être convenablement exposés
(32)
si on ne les compare à ceux des molaires des autres espèces, je ne
pourrai en parler que lorsque j'aurai traité des molaires de l'espèce de
M. Schleyermacher , c’est-à-dire du Rhinocéros incisivus , qui forme
la troisième grande espèce de ce genre établie par Cuvier. C'est à
l'examen de celle-ci qu'est consacré le paragraphe suivant: c’est là
seulement que je pourrai montrer que les os des membres attribués
par Cuvier au Leptorhinus proviennent de l’Incrsieus,
ne
Si Cuvier n’eut pas connu les incisives isolées de Rhinocéros, ik
n’eût certainement pas établi le Rhinocéros ncisicus , car les autres
pièces qu'il a rapportées conjecturalement à ee dernier ne pouvaient ,
quelque différentes qu'elles pussent être de celles des deux autres
grandes espèces , lui paraître suffisantes pour prouver à elles seules
l'existence d'un Rhinocéros muni d'incisives ; elles pouvaient bien
montrer qu'il existait un troisième grand Rhinocéros fossile , mais ne
pouvaient point montrer que ce fût un {ncisivus.
Ainsi les molaires supérieures à bourrelet et la molaire inférieure
à crochet d'Avaray, le crâne sans incisives de M. Schleyermacher,
ne pouvaient servir à établir le Rhinocéros incisious ; la mâchoire
d'Eppelsheim elle-même, pouvant être semblable à celle de Pallas,
n'aurait point conduit à un résultat différent.
On se rappelle que Cuvier lui-même assure n'avoir attribué les
incisives isolées à une nouvelle espèce, que par l'impossibilité où il
se trouve de les rapporter au Tichorhinus où au Leptorhinus. Or,
pous avons vu combien il était possible que ces incisives pussent
provenir du Tichorhinus ; on ne pourrait donc plus arguer aujourd'hui
des autres pièces rapportées par Cuvier à l'Incisivus, pour maintenir
l'établissement de celte espèce.
Celle-ci une fois élablie par les seules incisives isolées, Cuvier dut
être porté à lui attribuer toutes les pièces qu'il trouvait différentes de
celles des deux autres grandes espèces.
C'est donc uniquement par suite d’une première crreur, que Cuvier
a rapporté au Rhinocéros incisivus le crâne de M. Schleyermacher.
(33)
Ce crâne étant en effet fort différent de celui des deux autres grandes
espèces , il était assez naturel de le rapportér à la troisième espèce
inconnue , à celle qu’on avait cru signalée par les incisives isolées.
Cependant il y avait encore une autre chance dont il eût fallu tenir
compte, alors même qu'elle eût paru moins probable que toute autre :
c'est que ce crâne, tout différent qu'il fût de ceux du Thicorhinus et du
Leptorhinus, ne provenait pas nécessairement pour cela de la troisième
grande espèce à incives , il pouvait provenir d'une quatrième espèce
inconnue , car , indépendamment de ce qu’on ne lui connaissait ni
incisives ni alvéoles d'incisives, on ne savait même pas si ses inter-
maxillaires étaient conformés de manière à pouvoir loger des incisives.
Il me paraît qu’en se décidant à rapporter à l'Incisivus le crâne de
M. Schleyermacher, Cuvier a eu pour but d'éviter de trop multiplier
le nombre des espèces de Rhinocéros fossiles, bien plus qu'il n’a voulu
voir dans ce crâne la preuve que les incisives fossiles provenaient de la
même espèce que ce deruier, Il est, en effet, bien difficile de penser
qu'il n'ait pas senti tout ce qui manquait à sa détermination pour
qu'elle fût définitive et à labri de toute objeclion , c’est-à-dire qu’il
n'ait été frappé du défaut d'indication des incisives sur le dessin du
crâne de M. Schleyermacher. S'il eut été certain de l'existence des
iacisives ou des alvéoles d’incisives sur ce crâne , il n’eûtl certainement
point omis de le dire dans la description qu'il donne de celui-ci ; c'était
là le point capital de la question, Cuvier avait trop bien approfondi
cette matière pour qu'il soit permis de supposer qu’il ail pu ne pas
s'en apercevoir ; on a d’ailleurs la preuve du contraire, lorsqu'on
voit que précisément la seule chose qu'il ait cru devoir dire de la mà-
choire inférieure trouvée dans le même gissement que le erâne, c'est
qu'elle portait des incisives. L’attention qu'il a eue , en discutant les
caractères du Tichorhinus, de traiter fort au long et avec beaucoup
de soin le même sujet et de rapporter l’opinion de Pallas, de Camper,
de Collini sur une question entièrement semblable et liée à celle-ci de
la manière la plus intime , montre bien que s'il a gardé le silence sur
les incisives du crâne de M. Schleyermacher , c’est que le dessin qu'it
avaitsous les yeux ne lui donnait pas les moyens d’en dire davantage.
5
(34)
Je crois donc être assez fondé à conclure qu’on ignore jusqu’à pré-
sent, si le crâne du Rhinocéros incisivus est où non muni d'incisives ;
tout ce qu'on en sait, c'est qu'il est bicorne et se rapproche de celui
du bicorne de Sumatra plus que d'aucune autre espèce ; là s'arrête
l'observation.
Que si l’on veut entrer dans le champ des conjectures , rien ne
s'oppose absolument à ce que l’on puisse croire que ce Rhinocéros
bicorne ait pu manquer d’incisives comme le bicorne du Cap. On
serait d’aulant plus autorisé à considérer cette supposition comme
possible, que Cuvier lui-même n’a point rejeté la possibilité d’une
telle conformation, lorsqu'il a admis qu'un Rhinocéros bicorne , à cs
du nez allongés et sans cloison, en un mot, le Leptorhinus, était
dépourvu d’incisives.
D'un autre côté, on peut arriver à un résultat probable tout opposé,
en considérant que le crâne de M. Schleyermacher, ressemblant
beaucoup à celui du bicorne de Sumatra, a pu avoir des incisives
comme en a ce dernier.
Si l’on doutait encore que Cuvier n'ait entendu rapporter que
conjecturalement à l’'Incisivus le crâne de M. Schleyermacher , on en
trouverait la preuve dans le passage suivant.
« Selon M. de Schlotheim, observe Cuvier, on a aussi extrait un
« crâne de Rhinocéros bien conservé, du grand dépôt d’os fossiles de
« Thiède près VWWolsembüttel ; mais je n’en vois aucune trace dans la
« gravure de ce dépôt que j'ai sous les yeux. Cet auteur dit que c'était
« un Rhinocéros Unicorne ; en ce cas , il est bien à regretter qu'on
« n’en ail pas encore publié de figure, car ce fait confirmerait l'exis-
« lence d'une espèce particulière annoncée par les incisives fossiles
« dont nous parlerons bientôt. » :
Si, comme cela pourrait fort bien arriver , la découverte du crâne
de M. de Schlotheim se fût confirmée , ce crâne Unicorne serait
aujourd'hui l’{ncisivus , et le crâne Bicorne de M. Schleyermacher ne
serait point présenté comme étant celui de l'espèce d'où proviennent
les incisives de Sœmmering.
La découverte que j'ai faite, dans les sables du terrain marin supé-
(35)
rieur de Montpellier, d’un crâne entièrement semblable à celui de
M. Schleyermacher , me permet de confirmer pleinement les carac-
tères que Cuvier a reconnus dans ce dernier , et de montrer, ainsi
que l'avait annoncé Cuvier, qu'il se rapproche de l'espèce de Sumatra
plus que d'aucune autre, mais qu'il en est spécifiquement différent.
En décrivant ses molaires, je montrerai que Cuvier avait en réalité
rencontré juste, lorsqu'il lui avait attribué les molaires à bourrelet
saillant au bord interne de la couronne, mais qu’il s'était trompé
lorsqu'il avait rapporté au Leptorhinus les molaires à colline dentelée,
découvertes par M. Pentland. Celles-ci appartiennent encore à l'espèce
de M. Schleyermacher.
Les os incisifs manquant dans mon crâne , ne nous apprennent pas
plus que le dessin de M. Schleyermacher, si cette espèce était ou non
pourvue d'incisives. Comme, d'un autre côté, rien n'indique que les
incisives de Mayence et d’Avaray appartiennent à cette espèce, il serait
peu conforme aux règles d’une bonne nomenclature de conserver
à l'espèce de- M. Schleyermacher un nom basé sur un caractère qui
n'aurait pu être constaté , et qui par conséquent peut ne point exister.
Nous verrons plus tard que M. Marcel de Serres , ayant cherché à
s'assurer de l'existence des alvéoles dans les os incisifs d’un crâne qui,
d'après mon opinion particulière , est de la même espèce que celui de
M. Schleyermacher, assure que rien n'y en indique la moindre trace,
et qu'il paraît que ce crâne n'avait point de véritables incisives.
Ne pouvant donc conserver à cette espèce le nom hypothétique
d’Incisivus et ayant cependant besoin d’un nom univoque que je puisse
. employer dans la description de mon crâne et dans la comparaison de
ses caractères avec ceux des autres espèces, je lui donnerai le nom de
Æhinocéros Megarhinus de péyx (magnus) et de py (nasus). Indé-
pendamment de ce que ce nom , rappelant la grandeur assez caracté-
ristique des os du nez de cette espèce , sera tiré des parties qui ont
porté Cuvier à former les noms de Tichorhinus et de Leptorhinus,
il sera encore conforme à l’usage établi par Cuvier qui a introduit le
mot uéya dans la nomenclature Paléonthologique , comme on le voit
par les noms des genres Mégathérium, Mégalonix, Mégalodon,
Mégalosaurus,
4 36)
Afin de faire connaître dans tous ses détails mon crâne de Méga-
rhinus, je vais entreprendre d’en donner une description aussi exacte
qu'il me sera possible de le faire ; j'essayerai d’abord de le peindre
en quelques traits, ce sera comme une ébauche des formes princi-
pales qui lui donnent sa physionomie propre ; puis j'entrerai dans les
détails de chaque caractère particulier comparé à ceux des autres
espèces, en décrivant le crâne vu premièrement de profil , fig. 12,
secondement vu en dessus, fig. 13.
Le crâne du Mégarhinus est bicorne : il a une forme étroite et très-
allongée. Les arcades zigomatiques sont peu convexes et peu écartées
en dehors , basses et horizontales en avant , relevées subitement et
très-convexes en haut et en arrière. Le front est étroit, prolongé en
pointe en arrière, et n’est guère plus large que les:os du nez. Les
fosses temporales, très-rapprochées l’une de l’autre, ne laissent en
dessus et en arrière du front qu’une forte crête sagittale , et non un
pian élargi comme dans la plupart des autres espèces , ce qui donne
au crâne une forme étranglée en arrière du front. Les os du nez sont
larges, allongés, droits, horizontaux, non massifs mais foris et
élancés , sans cloison en dessous , brusquement coudés vers leur ex-
trémité libre qui se termine en pointe recourbée en bas et un peu en
avant. L'occiput est carrément tronqué au sommet, peu prolongé en
arrière ; sa face postérieure est à peine inclinée en arrière ; la pente
antérieure de la pyramide du crâne est relativement peu rapide , et se
trouve presque sur la ligne de la pente générale du front.
Ses os incisifs sont incomplétement connus.
Ses molaires supérieures , fig. q, n’ont jamais que deux fossettes
sur la couronne ; les antérieures ou de remplacement ont un large
bourrelet à la base du côté interne, et le crochet de leur colline
postérieure est bifurqué.
C’est au crâne du bicorne de la grande race de Sumatra que le crâne.
du Mégarhinus ressemble le plus ; il en diffère néanmoins à certains
égards, principalement par un plus grand développement des os du
nez et par un plus grand étranglement de la région située entre le
front et le sinciput ; il est d’ailleurs beaucoup plus grand, plus grand
(37)
même que celui d'aucune espèce vivante. C’est dans la comparaison
du profil que sa ressemblance avec celui du bicorne de Sumatra est
plus complète ; la comparaison du chanfrein offre d'assez grandes
différences. 1
1° Ce crâne, fig 12, est moins fort, mais aussi long que la plupartde
ceux du Tichorhinus: il n’est nullement ramassé comme celui du bicorne
du Cap, fig. 14, mais a une forme allongée comme celui du bicorne de
Sumatra , fig. 15; 2° sa partie cérébrale est moins prolongée , moins
rejetée en arrière que dans le Tichorhinus , elle s'élève néanmoins
aussi haut ; toute cette région diffère à peine de celle du bicorne de
Sumatra. 3° La pente antérieure de cette partie cérébrale est presque
sur la ligne de la pente générale du front , circonstance qui donne au
profit de ce crâne une physionomie tout-à-fait différente du celle du
bicorne du Cap, et le rapproche de celui du bicorne de Sumatra :
dans l’espèce d'Afrique , fig. 14, la pente antérieure de la pyramide
forme avec celle du front un angle moins ouvert que dans mon crâne ;
cet angle est à peu près le même dans mon crâne et dans l’espèce de
Sumatra. 4° La face postérieure de l’occiput n’est ni inclinée en
avant, comme dans les unicornes de l’Inda et de Java, ni verticale,
comme dans le bicorne du Cap , mais un peu plus inclinée en arrière
que dans le bicorne de Sumatra ; cette_inclinaison est bien moindre
que dans la plupart des crânes de Tichorhinus. J'insiste sur cette
particularité, parce que Cuvier a montré que les diverses inchinaisons
de la face postérieure de l’occiput étaient caractéristiques dans les
diverses espèces de Rhinocéros vivans ou fossiles. Cependant , comme
la fig. 15 représente un jeune individu de l'espèce de Sumatra , la
différence qu’elle présente avec mon crâne pourrait bien ne dépendre
que de l’âge ; il est possible que, dans les vieux bicornes de Sumatra ,
le sommet de l’occiput étant plus développé soit un peu plus incliné
en arrière, 5° Les os du nez sont beaucoup plus allongés, et, par suite,
paraissent moins massifs que ceux du bicorne du Cap ; ils ne présen-
tent pas cette courbure uniforme et longitudinale que l’on voit dans
ceux du Tichorhinus ; ils ne sont pas non plus relevés en haut comme
dans celui-ci, mais ont à peu près la même forme, la même longueur
(38)
et la méme direction que dans le bicorne de Sumatra. Dans leurs
deux tiers postérieurs , ils sont droits et horizontaux , et se maintien-
nent dans la direction d’une ligne qui serait l’axe longitudinal du
crâne ; leur extrémité mince ct pointue se recourbe brusquement en
bas et un peu en avant, formant ainsi au tiers antérieur de leur
longueur un coude très-marqué. Sur les faces supérieures et latérales
de ce coude se trouvent des granulations ou rugosités très-fortes , qui
forment la protubérance où se fixait la première corne ; cette protu-
bérance est plus rugueuse et plus saillante que la seconde. Le dessous
ou la voûte des os du nez est creusée en forme de bateau , et présente
dans son milieu une forte arête mousse et arrondie , sorte de raphé
longitudinal qui aboutit en diminuant de largeur et d'épaisseur à
l'extrémité libre des os du nez, concourant ainsi puissamment à aug-
menter leur solidité. On ne voit, du reste , contre cette voûte aucune
apparence de cloison osseuse , ce qui prouve, de la manière la plus
évidente , que dans le Tichorhinus la cloison osseuse n’est point un
simple produit de l’âge, ainsi que le supposait Faujas , mais qu’elle
est un caractère d'espèce , comme l'a avancé Cuvier ; car dans mon
crâne qui est très-vieux , puisque toutes les sutures des os ont disparu
et que les molaires sont très-usées, il n’y a pas vestige de cette cloison.
6° L'arcade zigomatique a sa moitié antérieure dirigée horizontale-
ment ; sa moilié postérieure se relève brusquement et devient forte-
ment convexe vers le haut, où elle dépasse sensiblement le niveau du
conduit auditif externe , ressemblant entièrement par sa forme et ses
relations avec les diverses parties du crâne, à celle du bicorne de
Sumatra. On ne voit pas, au milieu de la longueur de son bord
supérieur , cette forte apophyse pyramidale où s'implante le ligament
destiné à cerner l'orbite en arrière , si marqué dans l’unicorne de
l'Inde et encore sensible dans le bicorne de Sumatra , surtout
dans le dessin qu’en donne Sparrman ; ce bord est uni comme dans le
bicorne de Sumatra. 7° La fosse temporale est peu profonde,
étroite, longue et comme étirée obliquement de bas en haut et
d'avant en arrière ; elle est beaucoup moins large que dans les
unicornes de l'Inde et de Java, que dans le bicorne du Cap, et
(39)
ressemble parfaitement à celle du bicorne de Sumaira ; son axe
est presque droit comme dans ce dernier, au lieu d’être fortement
coudé comme dans le bicorne du Cap. 8° Lors de l'extraction de ce
crâne de la couche sableuse où il était enseveli, les inter-maxillaires
furent brisés en fragmens si menus, qu'il me fut impossible de les
restaurer , en sorle que je n'ai pu reconnaître s'ils avaient ou non
des alvéoles d'incisives. Ayant examiné avec beaucoup d'attention les
plus gros de ces fragmens , je n'ai pu y découvrir aucune trace
d’alvéole , ce n’est cependant pas une raison suffisante pour pouvoir
assurer qu'il n'y en ait pas eu; elles peuvent d'ailleurs avoir été
oblitérées, comine cela est arrivé habituellement dans le Tichorhinus.
Quant aux incisives, il est bien certain qu'il n’y en avait pas, car en
supposant qu’elles eussent été brisées, j'en aurais facilement distingué
les fragmens à leur tissu, à leur couleur et aux portions de leur
émail. 9° L'orbite est placé au-dessus de la sixième molaire, comme
dans le bicorne de Sumatra ; il est placé beaucoup plus avant dans les
unicornes de l'Inde et de Java. Il rne paraît que cette position reculée
de l'orbite est commune à tous les bicornes vivans et fossiles, et
qu’elle doit tenir à l'allongement plus considérable du crâne ; le bord
antérieur en étant cassé dans mon crâne, l’orbite paraît dans le dessin
plus avancé qu'il ne l’est réellement. 10° Le trou sous-orbitaire offre
lamême forme et se trouve dans la même position que dans le bicorne
de Sumatra ; il est ovalaire, assez étroit et situé sur le bord de
l'échancrure nasale, au-dessus de la troisième molaire : ce trou se
trouve au-dessus de la première molaire dans tous les unicornes, et
au-dessus de la deuxième dans le bicorne du Cap. r1° Le trou auditif
est très grand ; il se continue sous la forme Œune large et profonde
gouttière qui remonte un peu en arrière de la crête occipitale, et
est située un peu au-dessous du niveau de la convexité du bord supérieur
de l’arcade zigomatique, absolument comme dans l’unicorne de Java.
1° Vu en dessus , ce crâne, #g. 13, offre beaucoup de ressemblance
avec celui du Tichorhinus, fg. 16, quant aux contours ; il est néan-
moins beaucoup moins large, et a ses os du nez plus allongés ; il
s'éloigne entièrement de la forme large et ramassée de l’unicorne de
Co)
l'Inde et du bicorne de Cap, et est au contraire étroit et allongé È
sa partie cérébrale est néanmoins presque aussi étranglée que dans
le premier, mais beaucoup plus prolongée. Comparé au-dessus du
crâne du bicorne de Sumatra, fig. 17, il s’en rapproche plus que
d'aucun autre Rhinocéros vivant , mais en diffère encore sous beau-
coup de rapports : ses os du nez sont plus larges à proportion , leur
convexité transversale est plus saillante ; le front est plus étroit, et
par suite l'intervalle des orbites est moindre ; les fosses temporales
plus rapprochées ne laissent entre elles en arrière du front qu’une
crêle sagittale étroite , et non , comme dans l'espèce de Sumatra , un
plan rectangulaire élargi. Cuvier avait déjà parfaitement signalé tous
ces caractères dans le dessin de M. Schleyermacher. 2° Le front est en
forme de losange étiré en arrière ; sa largeur est proportionnelle-
ment moindre que dans aucune autre espèce, et ne dépasse celle
des os du nez que par suite de la saillie anguleuse des apophyses
orbitaires ; les granulations qui forment la protubérance de la
seconde corne, le couvrent entièrement et se prolongent beaucoup en
arrière ; elles forment des stries convergentes vers le centre du front,
où se trouve une empreinte irrégulièrement circulaire et peu profonde.
3° Les os du nez sont larges et très-longs ; leur extrémité Hbre est
fortement arrondie horizontalement et ne devient pointue que parce
qu'elle est dépassée en dessous par l’extrémité de l’arête-mousse qui
règne longitudinalement contre la voûte nasale ; je n'ai pu distinguer
cette espèce d'appendice terminal que dans le bicorne de Sumatra. La’
proiubérance de la première corne est beaucoup plus rugueuse et plus
saillante que celle de la seconde ; elle se trouve placée à l'extrémité des
os du nez qu’elle déborde de chaque côté. Au sommet et au centre de
cette protubérance, on voit une fossetle assez profonde, d'un pouce
de diamètre , d’où part une rainure longitudinale , qui aboutit à
Fextrémité libre des os du nez et fend complétement l'espèce d’appen-
dice que jai signalé ; des bords de la protubérance partent, de chaque
côté, deux rainures semblables qui convergent vers la fossette. Celle
dernière particularité se présente dans le Tichorhinus et dans l’unicorne
des Indes ; quant à la rainure longitudinale, qui part de la fosseite et
\
(4)
ta à la pointe des os du nez, elle est fort différente dans le bico rnedu
Cap, où elle divise le bord antérieur de la protubérance en deux lobes
largement séparés, et est remplacée par une forte crête, À, dans le
Tichorhinus, fig. 16. Cette dernière circonstance est signalée par
Cuvier ; elle est clairement indiquée dans le dessin qu'il donne du
dessus du crâne du Tichorhinus, et nous verrons qu’elle ne écra pas
sans utilité dans la solution d'une question que j'examinerai incessam-
ment. J'ignore comment toutes ces parlies sont conformées dans les
vieux individus de l’espèce de Sumatra; dans aucun cas, on ne devrait
s'étonner de ne pas les trouver dans les jeunes sujets. 4° Les arcades
zigomaliques sont relativement peu écartées et non fortement con-
vexes en dehors, comme dans presque tous les Rhinocéros vivans ;
elles sont, pour ainsi dire, comprimées de dehors en dedans à peu
-près comme dans le Tichorhinus ; on remarquera que ce caractère
est en rapport avec l’étroitesse et l'allongement du crâne, et que,
dans les espèces vivantes, les arcades zigomatiques sont d'autant plus
convexes , d'autant plus écartées en dehors, que le crâne à une forme
plus ramassée.
Dans sa comparaison du cräne de M. Schleyermacher avec le bicorne
de Sumatra, Cuvier remarque que le premier est moins long à
proportion. De mon côté, je trouve aussi que mon crâne, malgré sa
forme allongée, est un peu plus haut à proportion que celui de Sumatra ;
la distance de l’arcade dentaire au plan supérieur du front parait
relativement plus considérable que dans l'espèce de Sumatra, en sorte
que, vu de profil, le crâne du Mégarhinus peut paraître moins allongé
que celui-ci; mais, vu en dessus , il n’en est plus de même, il parait
au contraire plus long à proportion.
D'après Cuvier, les arcades zigomatiques du cräne de M. Schleyer-
macher sont plus écartées, moins allangées, moins hautes que dans le
bicorne de Sumatra ; les arcades zigomatiques de mon crâne me
prraissent, au contraire, plus comprimées de dehors en dedans, plus
allongées et aussi hautes que dans l'espèce de Sumatra. Une légère
inexactitude dans le dessin de M. Schleyermacher peut très bien rendre
raison de cette différence qui, d’ailleurs, ne dépasse pas les limites des
6
| (42)
différences individuelles, car c’est précisément sur le plus ou le moïns
d'écartement des arcades zigomaliques que portent les différences
individuelles les plus sensibles que l’on peut observer sur les crânes des
animaux d'une même espèce.
D'après Cuvier, l’occiput est moins élevé dans l'Incisivus que dans
le bicorne de Sumatra, dans mon crâne il me paraît qu'il l’est
davantage. Du reste, le sommet de l’occiput est encore l’un des points
où les différences individuelles sont très-sensibles ; elles sont même
toujours très-fortes lorsqu'on compare cette partie dans des individus
d'âge différent ; dans les vieux, le sommet de l’occiput sera beaucoup
plus élevé, à cause du grand développement de la crête occipitale
à peine marquée dans les jeunes individus ; le développement des
sinus frontaux, qui dans mon crâne se prolongent jusqu'au sommet
de l'occiput, a aussi puissamment concouru à son élévation. J'ai pu
observer dans la collection de mon ami, le docteur Pittore, un
sommet d’occiput provenant d’un jeune crâne entièrement brisé,
mais dont j'ai vu les dents et plusieurs fragmens qui m'ont permis d'en
reconnaître l'espèce. et j'ai vu que la crêle occipitale et les sinus
frontaux de cet occiput étaient à peine développés. Le crâne dont il
provient, quoique élant de la même espèce que le mien, devait avoir
son occiput moins élevé et de la même hauteur que le crâne de
M. Schleyermacher.
Dimension du crâne de Mégarhinus.
Distance en ligne droite de la pointe des os du nez au sommet de
Vogcipus., NEA alt HET CARE PARA DO CR PS0.
Id... en suivant les courbures du chanfrein, . . . . . . . 0,530.
Distance de la pointe des os du nez au bord postérieur des k
condyles.occipitani(a}re AU, AT 0, 760
Id... à la partie inférieure de la crête occipitale, , . . . 0,650.
(x) Quoique ces derniers manquent dans le dessin, j'ai pu les mettre en place
pour prendre la mesure ci-dessus.
(43)
Longueur de larcade zigomatique. . . ... ....,, 0"300.
Distance de l'apophyse sur-orbitaire à la crête occipitale, 0,295.
Distance de la pointe des os du nez au fond de l’échan-
CRC POP RS MR ee à eue 1 O2 0:
RP OMMIE BON ySe Sur -OTRAAITES 2e ce ie ce ie + + 0,900
Hauteur de l’occiput au-dessus du bord inférieur des
COMANENOECIpA AE APE ME PR EE RE VO 220.
Epaisseur des os du nez prise au milieu de leur longueur. 0,080.
Parreéundes DSdu nes, NS EE ENT Co, r40,
PRES érantetlafeeur: du fronts... 40 Tes ei à 0,220.
Distance horizontale du point de la plus grande convexité
d'une srcadézigomatique"à l'autre”... . 1. 7,9" 0,313.
Distance entre les extrémités internes dés facettes glé-
HABES ES TEMpOrAUR. ee Me eme esse se 21e 10,090:
On se rappelle qu'un grand nombre des os des membres trouvés
en plusieurs lieux de l'Europe, mais principalement en Italie, étaient
rapportés par Cuvier au Rhinocéros Leptorhinus. Ces os présentant des
. dimensions moindres que celles des os du Tichorhinus, on était fondé,
jusqu’à un certain point, à les rapporter au Leptorhinus, qui passait
pour moins fort que le Tichorhinus. Mais on voit dans l’une des
additions placées à la fin du T, nr des Recherches, que Cuvier annonce
qu'après avoir reçu cinq squelettes complets de l’espèce de Sumatra,
il s'est convaincu que « les os des membres de cette espèce de Sumatra
« sont ceux de tous qui approchent le plus de l'espèce fossile d'Italie
« (R. Leptorhinus). » On est donc amené à penser que ces os d'Italie,
si semblables à ceux du bicorne de Sumatra, doivent provenir de la
même espèce que mon crâne et celui de M. Schleyermacher, si
semblables eux-mêmes au crâne du bicorne de Sumatra. Maintenant
que nous savons que le Leptorhinus n’a point existé , il est bien certain
pour nous que ces os d'Italie lui ont été attribués à tort, ainsi que je
l'ai annoncé au commencement de ce Mémoire ; on peut donc regarder
comme infiniment probable qu’ils proviennent da Rhinocéros Méga-
rhinus : nous verrons bientôt que la chose est certaine pour les molaires,
Les molaires du bicorne de Sumatra n'ayant été décrites par aucun
(44)
auteur , je ne pourrai reconnaître si la même ressemblance qui existe
entre le crâne et les os des membres du Rhinocéros Mégarhinus et les
mêmes parties du bicorne de Sumatra se continue jusque dans les
molaires de ces deux espèces. C’est une question que pourront facile-
ment éclaircir les naturalistes de la Capitale ; je ferai en sorte qu'ils
puissent trouver dans cet écrit une partie des élémens nécessaires à sa
solution.
Afin de ne point ajouter à la complication déjà assez grande du sujet
que je traite, j'avais évité jusqu'à ce moment d'entrèr dans la discus-
sion des caracières spécifiques des molaires de chacune des espèces
que nous avons passées en revue. Il eût été, en effet, d'autant plus
difficile de discuter plutôt ces caractères , que les espèces qui étaient
censées les présenter n'étaient pas elles-mêmes suffisamment distin-
guées , que l’une d'elles devait ne pas être conservée, et que les
molaires attribuées à plusieurs espèces devaient être rapportées à une
seule et en partie distraites de l'espèce qni devait être rejetée.
. Néanmoins , quoique le nombre des grandes espèces connues de
Rhinocéros fossiles soit maintenant réduit à deux , les caractères de
toutes leurs dents seront incomplétement connus, parce que la
question se complique non-seulement du nombre de ces espèces con-
nues, mais encore de celles qui peuvent n'être que douteuses, et sur-
‘tout des six sortes de molaires qui doivent se trouver nécessairement
dans chaque espèce. Ainsi, en tenant compte des deux espèces connues,
le Rhinocéros Tichorhinus et le Phinocéros Mégarhinus, il faut
encore songer qu'il y a des dents isolées qui peuvent ne point leur
appartenir, et que, parmi celles qui leur appartiennent réellement, il
ya, à la mâchoire supérieure, des dents de lait , des dents de rem-
placement et des arrière-molaires dont les caractères particuliers
peuvent être fort différens, et qu’enfin une suite de circonstances
pareilles se reproduit dans les molaires inférieures , si différentes des
premières que les analogies les plus éloignées ne peuvent faire servir
la connaissance des caractères spécifiques des ungs à la connaissance
des caractères spécifiques des autres.
Si à ces considérations on ajoule que les molaires d'au moins une
(45)
petite espèce de Rhinocéros peuvent facilement être prises pour dés
molaires de lait de l’une où de l’autre de nos grandes espèces , et
réciproquement que des molaires de lait de celles-ci peuvent être prises
pour des molaires de remplacement de la petite espèce, on verra
qu'il reste encore bien des particularités à connaître avant de parvenir
à distinguer une espèce de Rhinocéros, au moyen d'une molaire
quelconque considérée isolément. Cependant, j'ai lieu d'espérer qu’au
moyen de quelques observations, que j'essayerai d'ajouter à celles bien
plus étendues qui ont été faites par Cuvier, on pourra, dans le plus
grand nombre de cas el avec des dents isolées, arriver à une déter-
mination précise de l’espèce , et qu'on y arrivera toujours lorsqu'on
pourra consuller une arrière-molaire et une molaire antérieure fixées
au maxillaire supérieur.
Avant d'en venir à l'examen des molaires fossiles , il ne sera peut-
être pas inutile de rappeler les caractères des molaires des Rhinocéros
vivans , tels qu’ils ont été indiqués par Cuvier.
La couronne des molaires supérieures de tous les Rhinocéros, #5.
18 et suivantes , est à peu près rectangulaire et à peu près aussi large
que longue ; sa hauteur varie comte dans tous les herbivores suivant
que la dent est plus ou moins usée.
La face trilurante offre une réunion de fossettes et de lobes plus
ou moins tronqués à leur sommet, selon qu’on les considère à des
degrés plus ou moins avancés d'usure. Ces lobes et ces fossettes parais-
sent au premier abord fort irréguliers et assez confusément distribués
sur la couronne ; il ne fallait, en effet, rien moins que le génie
observateur de Cuvier et ses profondes connaissances dans tous les
caractères des autres genres, pour opérer la division , non arbitraire
mais philosophique , de toutes ces parties , en élémens distincts que .
l'on pût suivre , au milieu de toutes leurs transformations, jusque dans
ceux des autres genres dont Cuvier a signalé les rapports avec celui
des Rhinocéros.
Quelque attrayant que soit ce sujet , je n'ai point à le développer
ici ; en faisant connaître plus tard un genre remarquable de mammi-
fère terrestre , que j'ai découvert depuis assez long-lemps, j'aurai
(46)
octasion de confirmer et d'étendre ce que Cuvier nons a appris sur ce
sujet important ; pour le moment il me suffira de rappeler que la
division des diverses parties des molaires de Rhinocéros établie par
Cuvier n’est point arbitraire ou simplement graphique , mais qu’elle
est éminemment philosophique et fondée de la manière la plus satisi
faisante sur la nature intime des choses ; elle est l’un des points les
plus remarquables de la science des rapports dans les êtres organisés:
On peut se borner à considérer dans les molaires de Rhinocéros ,
fig. 18, etc., les élémens suivans.
1° Une colline externe, A.B., dirigée dans le sens de la longueur
de la dent ; 2° deux collines internes, A. C., et B. D., placées paral-
lèlement, en travers de la dent : la première colline s'appelle aussi.
longitudinale, les deux autres /ransversales ; Fune de celles-ci est
antérieure , l’autre postérieure ; 3° un crochet, T, qui, partant
du müieu de la colline transversale postérieure, se dirige vers la
colline antérieure , traversant ainsi le vallon, V, qui sépare les
deux collines transvérsales. Dans certaines espèces, fg. 20 el 31, ce
crochet, T, se joint à la colline transversale antérieure , A. C. ; dans
d'autres espèces , fig. 18, 21 ef 23, àl ne s’y joint pas et s’arrêle
au milieu du vallon. 4° Enfin , au bord, postérieur de la dent est une
forte échancrure, E, pratiquée sur le flanc de la colline transversale
posiérieure,
Lorsque la dent est suffisamment entamée par la détrition, l’échan-
crure postérieure, E, se change en une fossette , ainsi que le vallon,
Ÿ, ce qui forme alors deux fossettes sur la couronne, comme on peut
le voir dans les fig. 9, 21 et 22, dans lesquelles le nombre et la place
des fossettes sont indiqués par des chiffres.
Mais dans les espèces vivantes ou fossiles, fg. 31 ef 20, dans
lesquelles le crochet, T, de la colline postérieure se joint à la colline
antérieure, le vallon, V, se trouve partagé et forme deux fossettes
séparées, lesquelles, ajoutées à celle de l’échancrure postérieure,
portent le nombre des fossettes à trois.
Ainsi, il y a des molaires à lrois ou à deux fossettes, selon que le
crochet de la colline transversale postérieure se joint ou ne se joint pas
à la colline antérieure,
(47)
: La série complète des molaires est de sept dans tous les Bhinocéros,
mais la première tombe dès le jeune âge; celle-ci et la dernière
offrent des formes assez différentes des autres. Comme leur examen
ne nous conduirait à aucun caractère spécifique, nous n’en ferons pas
mention.
En comparant entre elles les molaires des espèces vivantes, on
reconnaît que, dans l’unicorne de Java, fig. 22, il n’y a jamais que
deux fossettes sur la couronne, tandis qu'il y en a trois dans l’unicorne
des Indes, fig. 3r. Ce que j'ai exposé précédemment explique
comment s'effectue cette différence. Dans le bicorne du Cap, fig. 23,
il n’y a non plus que deux fossettes sur la couronne; mais dans ses
molaires de lait, fig. 24, le crochet de la colline postérieure se
joignant à la colline antérieure, il se forme trois fossettes sur la
couronne, quand la dent est suffisamment usée.
D'autres différences, dont on sentira incessamment l'importance,
se font remarquer encore dans les molaires adultes de cette dernière
espèce, fig. 23. 1° Dans les molaires de remplacement, A, le crochet
de la colline postérieure cest bifurqué; cettè bifurcation se montre
aussi, mais moins constamment et à un moindre degré, dans les
arrière-molaires, B. 2° Une crête verticale, placée dans le vallon,
part de l'angle antérieur externe de la couronne et se dirige vers la
pointe libre du crochet; cette crête existe encore, mais beaucoup
moins forte, dans les arrière-molaires. 3° Un bourrelet saillant règne
à la base des 2°, 3° et 4° molaires; ce bourrelet n'existe pas dans les
arrière-molaires : Cuvier, comme nous l'avons déjà vu, en signalant
les molaires fossiles d’Avaray, a insisté sur ce dernier caractère.
J'ignore entièrement quels sont les caractères spécifiques des molaires
de la grande race du Rhinocéros de Sumatra ; tout ce que j'en sais,
c’est qu’elles n’ont point de bourrelet à la base de leur bord interne.
En examinant les molaires de Rhinocéros fossiles qu'il avait à sa
disposition , ainsi que les figures qui en avaient été publiées par divers
auteurs, Cuvier reconnut qu'il s’en trouvait de deux sortes, les unes
à rois fossettes, comme les molaires de l'unicorne de l'Inde , lesautres
à deux fossetles, comme les molaires de l’unicorne de Java.
(48)
On peut voir, fg. 20, une molaire à {rois fossettes : c’est celle dé Ja
fig. 4, pl. xur, du Tom. ar des Recherches, et, fg. 9 et 21, plusieurs
_molaires à deux fossettes. Les 6° et 7° de la fig. g, sont entièrement
semblables à celle de la fig. 5, pl. xut du Tom. n des Recherches.
Mais ces différences légères indiquent-elles des espèces différentes?
C’est là une question que Cuvier n’entreprend pas de résoudre d’une
manière complète; quelques circonstances le font pencher pour
Vaffirmative ; d’autres le portent vers la négative.
« Ce qui est bien certain, observe-t-il, c'est que l'espèce à narines
« cloisonnées a des molaires à fossettes (1). On les voit très-bien aux
« figures de Pallas (Nov. Com. XVII, pl. XVI, fig. 1}, et l'on aperçoit
« que les antéricures vont se cerner au erâne dont l'Académie de
« Pétersbourg m'a envoyé le dessin, et que j'ai fait graver p£.1X fig.6,
« ainsi qu'au crâne dessiné par M'° Morland, zbrd., fig. 4.
« Mais j'ai le regret de n'avoir point examiné de près les molaires
« du Leptorhinus, en sorte que j'ignore si elles présentent des
« caractères analogues à ceux qui distinguent les molaires des éspèces
« vivantes, C’est une recherche que les naturalistes italiens ne manque-
« ront pas sans doute de faire, et qui donnera peut-être les moyens
« de se diriger dans le discernement des dents que F'on trouve isolées. »
Maintenant que l’on sait que le Leptorhinus n'existe pas, il ne peut
QG) Il n’est pas douteux qu’en, observant que le T'ichorhinus a des molaires à
fossettes , Cuvier n’ait voulu dire des molaires à rois fossettes; on peut s’en
convaincre en consultant dans son ouvrage les diverses remarques qui précèdent le
passage cité. Cependant, je dois dire qu’on y trouvera une manière de compter les
fossettes différente, quant aux termes, de celle que j’ai cru devoir adopter, mais la
même quant au fond. Ainsi, Cuvier désigne, comme moi, pour premiére fossette ,
celle qui résulte de l’échancrure du bord postérieur de la couronne; pour seconde,
celle qui résulie de la portion du vallon cerné par le erochet de la colline postérieure,
mais ne donne pas le nom de fossette au reste du vallon; cependant, comme cette
portion du vallon est susceptible de se transformer en fossette , quoique plus tard à la
vérilé que l’autre partion, je n’ai pas vu d’inconvénient à lui donner le nom de
troisième fosselte : il m’a paru plus simple de dire molaire à trois fossettes, que
molaire à deux fossettes et une portion de pollen. *
(49)
plus être question de rechercher les caractères de ses molaires; mais
on n'en à pas moins à rechercher de quelle espèce peuvent provenir
les molaires à deux fosseltes signalées par Cuvier, el même par Merk
et par Faujas, car ces deux observateurs ont, en effet, distingué ces
deux sortes de dents, mais en attribuant à tort les unes au bicorne du
Cap, les autres à l’unicorne de l'Inde, espèces que Faujas assimilait
complétement à leurs congénères perdus.
Un assez grand nombre de molaires de Rhinocéros fossiles, que j'ai
pu observer les unes isolées, d’autres encore en place sur le crâne,
me permettent d'indiquer l'origine de celles qui n’ont que deux
fossettes.
La fig. 9 offre les six molaires du côté gauche de mon crâne de
Mégarhinus ; les arrière-molaires, 5°, 6° et 7°, ont évidemment le
crochet, T, de leur colline postérieure séparé de leur colline anté-
rieure , ressemblant entièrement en cela aux molaires de l'unicorne de
Java et à celles du bicorne du Cap. Elles sont très- usées et ne
présentent que deux fossettes, la première provenant de l’échanerure
postérieure, la seconde provenant du vallon qui n’est pas encore cerné,.
Les molaires de remplacement, 2°, 3° et 4° de la série, offrent leur
vallon fortement cerné et n'ont non plus que deux fossettes; on y
reconnaît, à une légère inflexion du bord postérieur de la fosseite
antérieure, le vestige du crochet, T, qui a été usé jusqu'à sa base.
Mais ce qu'il est important d'observer, c’est que le bord interne
de ces deuxième, troisième et quatrième molaires offre un large bour-
relet saillant, À, que l’on ne voit que dans les deuxième , troisième
et quatrième molaires du bicorne du Cap.
Cuvier avait déjà remarqué, dans le dépôt d’Avaray, ces molaires
à bourrelet sur le bord interne de la couronne , et les rapportait à
l'incisivus. On voit qu'elles proviennent effectivement de la même
espèce que le crâne de M. Schley rmacher : mais on ne peut trouver
en cela une preuve que cette espèce a été telle que la supposait Cuvier,
c'est-à-dire munie dincisives ; car , in lépendarmment de ce que j'ai
pu dire sur l’{ncisious ; il ne faut point oublier que Cuvier avait ob-
servé que ces molaires à bourrelet ne se voient dans aucun Rhinocéros
(50)
vivant muni d'incisives, mais uniquement dans le bicorne du Cap qui
n'a point d'incisives.
Les six molaires du côté droit de mon crâne de Mégarhinus sônt
identiquement semblables à celles de la fig. g, te qui ne me permet
pas de douter que les formes de toutes ces dents ne soient constsnles,
et qu’on ne puisse, dès à présent, les considérer comme l'expression
des caractères propres à toute l'espèce.
Que si l’on en doutait, j'aurais encore à produire d’autres molsires
entièrement semblables à celles que je viens de faire connaître , et qui
proviennent d’un second crâne de Mégarhinus, sur lequel je les ai vues
fixées.
La fig. 21 représente l’une des molaires de ce second crâne de Mé-
garhinus, c’est la cinquième du côté gauche ; la sixième dont je ne
donne pas de dessin est entièrement pareille à celle-là ; les autres mo-
laires de ce crâne sont brisées. Dans ces deux molaires le crochet ,T,
de la colline postérieure ne joignant pas la colline antérieure , il n’y
a, comme dans mes molaires de la fig. g, que deux fossettes sur la
couronne , l’une résultant de l’échancrure postérieure , l'autre résul-
tant du vallon,
Enfin je donne , fig. 26, une deuxième molaire du côté droit de
ce second crâne de Mégarhinus ; elle est absolument semblable aux
molaires de remplacement de la fig. 9. On y voit les deux fossettes, ct
sur le bord interne, au point À , le bourrélet qui n'a pas été rendu
par le dessinateur, Ce dessin n’est point entièrement exact, cependant
‘comme on y reconnaît le nombre des fosseltes et que d'ailleurs je
l'ai emprunté à un mémoire publié par M. de Serres, j'ai dù n'y rien
changer. Ce dont on peut être assuré, c'est qu'ayant vu la dent fixée au
crâne , je me suis complétement assuré de l'identité de ses caractères
avec ceux de mes molaires antérieures, #g. 9, et surtout de l'existence
du bourrelet ; c'est même la première chose qui m'a frappé lorsque
j'ai jeic les yeux sur cette dent.
Ces molaires, comme on le voit, ne diffèrent en rien de celles de
-mon crâne et se rapprochent par conséquent, comme ces dernières ,
des moluiïes du bicorne du Ca ; elles sont, au contraire , fort diffc-
(51)
rentes de celles du Tichorhinus et de celles de l’unicorne de l'Inde ;
elles diffèrent encore de celles de l’unicorne de Java, par l'existence
du bourrelet dans les antérieures.
J'ai donné la descriplion du crâne qui porte la série des molaires à
deux fossetles de la fig. g, en sorte qu'on est fixé sur l'espèce dont
l'un et l’autre proviennent ; en donnant, comine preuve de la cons-
tance des caractères des molaires du Mégarhinus, ceux des autres
molaires que je viens de décrire, je dois montrer encore que celles-
ci proviennent réellement d’un crâne de Mégarhinus ; c'est ce que je
ferai, lorsque j'aurai entièrement exposé ce que mes observations ont
pu me faire connaître touchant les divers états que présentent les
molaires du Mégarhinus.
Ces divers états offrent des différences qu’il est assez difficile de
ramener à un type primitif, car , ainsi que l’observe Cuvier , pour
bien connaître les dents des herbivores , il ne suffit pas de les voir,
comme celles des carnassiers, à une seule époque de la vie; comme
ces dents s’usent continuellement , la figure de leur couronne change
aussi continuellement , et le naturaliste doit les suivre depuis l'instant
où elles percent la gencive, jusqu’à celui où elles tombent hors de la
bouche. :
N'ayant pu suivre sur des crânes de Mégarhinus tous les changemens
que la détrition a pu produire dans la figure de la couronne de leurs
molaires , je ne pourrai indiquer ces changemens qu'au moyen de
molaires isolées ; aussi les résultats auxquels je pourrai parvenir, n’au-
ront-ils pas le même degré de certitude que ceux que j'ai déjà annoncés.
Nous avons vu que dans les trois arrière-molaires du Mégarhinus,
fig: 9, le crochet de la colline postérieure ne joignait pas la colline
antérieure , que la même particularité avait lieu dans les molaires de
remplacement , mais que, dans celles-ci , il y avait, de plus qu'aux
autres , un large bourrelet appliqué contre le bord interne de la
couronne.
Or, nous retrouvons tout cela dans les molaires du bicorne du Cap,
muis de plus on observe, dans ces dernières , que le crochet des
molaires de remplacement est bifurqué à son extrémité libre , et
(52)
qu’en outre, une crête verticale, partant de l’angle antérieur externe
de la couronne , se dirige vers l'issue du vallon,
La molaire, A, du bicorne du Cap , fig. 23, présente tous ces
caractères.
Si cette dent était usée jusqu’au degré où le sont celles de la fig. 9,
on n'y relrouverait certainement.ni la bifurcalion du crochet , ni la
crête verticale qui part de l’angle antérieur externe de la couronne ;
ce qui me porle à penser que, si les dents de la fig. g étaient moins
usées qu’elles ne le sont, on pourrait y:retrouver et le crochet;bi-
furqué et la crête verlicale des molsires du bicorne du Cap, dè même
qu'on y a déjà trouvé et la non jonction du crochet et le bourrelet du
bord interne de la couronne.
Or, la fig. 25 présente une molaire , la quatrième du côté droit,
qui remplit toutes ces conditions: elle a 1° comme dans le bicorne da
Cap et le Mégarhinus, un bourrelet, A, sur le bord interne de la cou-
ronne ; 2° comme dans le bicorne du Cap et le Mégarhinus, un crochet,
T, qui ne joint pas la colline antérieure , et enfin la bifurcation du
crochet et la crête verticale du bicorne du Cap.
N'est-il pas très-probable que cette dent provient du Mégarhinus
et qu’elle ne diffère de celles de la fig. 9 que par un moindre degré
d'usure ?
Je ne balance pas à me prononcer pour l’affirmative , car puisque
le Mégarhinus a les deux caractères spécifiques du bicorne du Cap,
c’est-à-dire la non jonction du crochet et le bourrelet du bord interne
de la couronne , les analogies les plus simples doivent porter à croire
qu'il à aussi les deux autres caractères du bicorne du Cap, c'est-à-dire,
la bifurcation du crochet et la crête verlicale de l'angle antérieur ex-
terne. Cette conjecture prend un caractère de démonstration, lors-
qu’on trouve des molaires qui, comme celle de la figure 25, avec
la non jonction du crochet et le bourrelet du bord interne, présentent
encore la bifurcation, T, du crochet et la crête verticale, R, de
l'angle antérieur externe de la couronne. pe
On peut opposer cette molaire, bord contre bord , à la molaire,
À, dela fig. 23, et on retrouvera dans toutes deux les mêmes parties,
(53 )
J'ai vu plusieurs molaires pareilles à celle de la fig. 25, quise trouve
dans ma collection, et jen ai même vu dont les collines ne sont point
enlamées ; en sorte que je ne doute pas que la forme n'en soit cons-
tante,
Ce sont là les molaires que Cuvier attribuait au Leptorhinus, et
bien qu'il n'en ait pas donné de figure, il est impossible de ne pas les
reconnaitre à la description très-exacte qu'il en donne.
En effet, dans une addition relative à de nouvelles découvertes d’os
de Leptorhinus et placée à la fin du Tom. nr, il annonce que M.
Peutland a rapporté de Toscane, « des dents dont la colline posté-
« rieure, au lieu d’un seul crochet, en donne plusieurs petits en
« avant; ce qui fait paraître cette colline dentelée vers sa base quand
« elle commence à s’user.» Tout cela se retrouve exactement dans
toutes nos molaires pareilles à celle de la fig. 25.
Ces dentelures de la colline postérieure ne sont autre chose que
la bifurcation du crochet, ainsi que le remarque Cuvier, et elles
varient de figure suivant qu’on les observe dans des dents usées à des
degrés différens ; si, pour les représenter , j'ai choisi une dent moins
usée que plusieurs de celles que j'ai observées , c'est afii de montrer
que ces dentelures résultent de la bifurcation du crochet, et qu’ainsi
toutes ces molaires à colline postérieure dentelée sont des molaires à
crochet bifide , semblables à celles du bicorne du Cap. Je dois, néan-
moins, observer qu'indépendamment des deux branches principales
du crochet , on trouve souvent une petite crête placée sur les côtés du
crochet, de manière que celui-ci paraît alors trifurqué ; dans ce cas,
les dentelures de la colline usée sont plus nombreuses, ]
Les arrière - molaires ne présentent point de bifurcation à leur cro-
chet, en sorte que leur colline usée ne peut paraître dentelée ; mais
on y reconnait la crête qui part de l'angle antérieur externe. Cette
crête est représentée dans la fig. 21, que j'ai aussi tirée du mémoire
de M. de Serres.
Nous pouvons donc dès à présent établir, d'après des molaires
trouvées sur deux crânes et d’après plusieurs molaires isolées, les
carcières parliculiers des molaires de Mégarhinus ; nous pourrons
C54)
même reconnaître tous les changemens que la détrition peut opérer
sur la figure de la couronne ; car nous avons vu celle-ci très-usée sur
un premier crâne, moins usée sur un second, et enfin à un degré
d'usure si peu avancé, dans des molaires isolées, qu'on peut facilement
conclure de celui-ci tous les autrés degrés qui l'ont précédé.
1° Ces molaires n’ont habiluellement que deux fossettes sur la cou-
ronne. 2° Le crochet de leur colline postérieure ne se joint jamais à
l’antérieure. 3° Ce crochet est bifurqué ou trifurqué dans les molaires
de remplacement, et simple dans les arrière-molaires. 4° Une crête
verticale part de l'angle antérieur externe de la couronne et se dirige
vers l’issue du vallon. 5° Un large bourrelet est appliqué contre le
bord interne des molaires de remplacement. :
Le l'indication de ces caractères découlent nécessairement toutes
les modifications qui peuvent résulter des divers degrés d'usure de la
couronne , aussi n’ai-je pas dû signaler comme caractère les dentelures
qui à une certaine époque apparaissent sur le bord antérieur de Ja col-
line postérieure; pour le même motif je n’ai pas dû metire au nombre
de teurs caractères la ressemblance de ces dents avec celles du bicorne
du Cap, celle-ci se déduit de leur description.
Si réellement, comme l'annonce Cuvier et comme on doit être
porté à le croire , les molaires du Tichorhinus ont pour caractère la
jonction de leur crochet à la colline antérieure , il sera maintenant
assez facile , dans la plupart des cas, de reconnaître de quelle espèce
de Rhinocéros proviennent les molaires isolées qu'on pourra découvrir;
mais je ne puis m'empêcher de partager encore les doutes exprimés
par Cuvier à cet égard.
En effet, de toutes les molaires que j'ai vues ou dont j'ai pu con-
sulter les dessins, soit dans Cuvier , soit dans divers auteurs, il n’en
est qu’une seule dans laquelle j'aie pu m'’assurer de la jonction du cro-
chet à la colline antérieure, c’est celle de la fig. 20, tirée du Tom. 17
des Recherches.
J'ai vu sans doute un assez grand nombre de dents et de dessins de
dents dans lesquels on reconnaît évidemment trois fossettes | mais
ces trois fossetles n’y sont point le résultat de la réunion du crochet à
(55)
Ja colline antérieure, et c'est là une différence sur laquelle j'insiste
d'autant plus volontiers qu’elle a déjà été admise par Cuvier , sans
toutefois qu'il lui ait accordé la généralité que je suis porté à lui
‘supposer.
I observe, en effet, que dans une molaire , fig. 9, pl. X117 du
Tom. II des Recherches, et que je reproduis, fig. 28, on remarque
« cela de très-particulier, que le crochet de la colline postérieure
«s’y contourue et va joindre le bord externe , en sorte que le trou
« antérieur a dû y être distinct du vallon dès la première détrition
« de la dent.
« En outre, la colline antérieure est elle-même creusée d’une fossette
« peu profonde ; l’échancrure postérieure est très-grande et ne doit
& se changer que tard en fossette à cause du peu d’élévätion du bord.»
Il pense que ce peut être là une quatrième dent de lait,
En examinant attentivement Loutes les figures à rois fossettes pu-
bliées par Cuvier , on voit que toutes , une seule excepté , présen-
tent la même particularité de la réunion du crochet au bord externe,
en sorte qu’on en est à se demander comment il se fait que, si dansle
Ticorhinus le crochet de la colline postérieure se joint à l’antéricure,
il ne se soit trouvé qu'une seule molaire de cette espèce parmi les
autres figures de l’ouvrage de Cuvier.
Afin de présenter d’une manière plus claire les termes de la ques-
lion , je donne, fig. 29, le dessin d’une molaire qui m'a été commu-
niqué par le professeur Buckland, et qui, étant entamée , permettra
d'en discerner les parties et de les comparer aux parties correspon-
dantes des autres molaires, plus facilement qu’on n'aurait pu le faire
dans celle de Cuvier , fig. 28.
Quelque différente que puisse paraître au premier abord la physio-
nomie de ces deux dents, il n'en est pas moins vrai qu'elles sont
identiques ; le nombre et la disposition des élémens anatomiques est le
néme dans chacune d'elles. L'une est du côté gauche et n’est point
entamée ; l’autre est du côté droit et est entamée : c’est en cela
seulement qu’elles diffèrent.
Dans celle de la fig. 29, on reconnaît parfaitement que le crochet, T,
(56)
de la colline postérieure, B. D, se contourne et joint la colline
externe, A. B, et non la colline antérieure, A. C, comme cela a lieu
dans la fig. 20.
I ya, dans l’une et l’autre de ces deux dernières dents, trois
fossettes ; mais la réunion du crochet s’y fait d'une manière essentielle-
ment différente. e
Lorsque l’on considère l'importance que des modifications très-
légères en apparence peuvent avoir daus la distinction des caractères
des molaires propres à une espèce, et qu'on se rappelle que les molaires
de plusieurs genres, celles des divers genres de Ruminans, par
exemple, ne sont même distinguées que par des modifications de ce!te
nature, on ne pourra s'empêcher d'accorder quelque valeur à la
modification que je signale, et qui n'en a pas moins été signalée par
Cuvier bien qu’elle lui ait échappé, à ce qu’il me paraît, en plusieurs
autres circonstances,
Lorsque le crochet de la colline postérieure se joint à la colline
antérieure, cette jonction se fait directement et sans l'intermédiaire
d'aucun élément anatomique; lors, au coniraire, qu'il se joint à la
colline externe, c'est par l'intermédiaire de la crêle verücale de
l’angle antérieur externe de la couronne.
Cette crête verticale de l’angle antérieur de la couronne existe-t-elle
dans les molaires de Tichorhinus, et dans le cas où elle s’y trouve,
est-elle invariablement fixée à la même place ? Ce sont là des questions
que l’on est étonné d’avoir encore à se faire, quand on songe à la
quantité de dents de Rhinocéros qui se découvrent journellement dans
toutes les parlies de l'Europe ; leur solution jetterait cependant
beaucoup de jour sur toute céite matière,
Les distinctions que je viens d'établir, entre les deux modes de
jonction du crochet de la colline postérieure aux autres collines, m'ont
été suggérées par des modifications accidentelles que j'ai reconnues
dans des molaires de Mégarhinus, et qui, mal interprétées, ne
conduiraient à ricn moins qu’à faire rapporter au Tichorhinus des
molaires de Mégarhinus. t
En examinant des molaires de Mégarhious évidemment pourvues
(57)
des caractères propres à cette espèce, je me suis aperçu que l'extrémité
du crochet de la colline postérieure se rapprochait quelquefois beau-
coup de la crête verticale de l’angle antérieur externe de la couronne ;
que d’autres fois ce crochet touchait la crête, sans néanmoins s’y
souder, et que, dans d’autres circonstances, la crête et le crochet
étaient entièrement réunis sans trace de séparalion, en sorte qu'alors le
crochet se trouvait joint à la colline externe, cernait une portion du
vallon , et formait ainsi une troisième fossette.
Les fig. 25 et 27 rendent sensibles ces disposilions. La molaire de
Ja fig. 27, dans laquelle le crochet et la crête sont intimement réunis,
est une 2° gauche de remplacement; comparée à la 2° molaire de
Mégarhinus de la fig. 9, elle en reproduit tous les détails et a les
mêmes dimensions. En appliquant l’une sur l’autre, je me suis assuré
de la coïncidence de toutes les sinuosités de leurs bords. On voit encore
au point F, sur la 2° molaire de la fig. 9, le reste de l’échancrure qui
correspond à celle du bord-antérieur de la fig. 27, indiquée aussi par
la même lettre.
Cette dernière représente donc à la fois et la circonstance acciden-
telle de la réunion du crochet à la crête de l'angle antérieur externe
de la couronne, et le degré le moins avancé d'usure des molaires de
remplacement ; c'est à M. Marcel de Serres que je la dois : elle a été
trouvée avec une autre toute pareille , aussi peu entamée et qui provient
probablement du même individu. Dans cette dernière, le crochet ne
touche point la crête, mais en est si rapproché que je n'ai pu faire
passer entre eux la pointe très-aiguë d’un compas.
On voit, d'après ce qui précède, que le Mégarhinus peut avoir
accidentellement des molaires à trois fossettes, sans que pour cela it y
ait jonction du crochet à la colline antérieure ; aussi ai-je eu soin de
tenir compte de cette circonstance dans l'énoncé des caractères de ses
molaires. €
Il ne faudrait pas conclure de ces observations que la molaire de
Cuvier ne soit point une dent de lait; je suis, au contraire, porté à
croire que c'est une molaire de lait de Mégarhinus, et voici pourquoi :
Nous avons vu que lous les caractères de nos molaires adultes de
8
(58)
Mégarhinus coïncidaient complétement, un à un, avec les caractères
des molaires adultes du bicorne du Cap; cette circonstance doit nous
permettre de penser qu’il peut en êlre encore ainsi pour les molaires
de lait de ces deux espèces. Or, les molaires de lait du bicorne du
Cap, fig. 24, sont plus longues que larges, n’ont plus de bourrelet à
la base, et la jonction du crochet s’y fait à la colline externe.
N'est-il pas très-probable dès-lors que la molaire de Cuvier, qui
ressemble si fort aux molaires de lait du bicorne du Cap, est réelle-
ment une molaire de lait de Mégarhinus ?
A l'inverse, il ne faudrait pas non plus conclure que la molaire,
fig. 27, est une molaire de lait parce qu’elle a son crochet joint à la
colline externe; lorsqu'on la retourne, on voit que sa base est plus
large que longue; que ce qui reste de ses racines ne présente pas ces
apparences de carie que M. Frédéric Cavier signale dans les molaires
de lait, et que j'ai eu occasion de vérifier sur des centaines de dents
d'animaux de divers genres. Ce que j'ai dit des divers degrés du
rapprochement de l'extrémité du crochet et de la crête dans deux
dents, qui proviennent probablement du même individu, est une
raison non moins fondée de la considérer comme une molaire de
remplacement, car on trouve en cela la preuve que la jonction du
crochet à la colline externe est accidentelle el non point normale,
comme tout porte à croire qu'elle l’est dans les molaires de lait. Enfin,
la présence du bourrelet du bord interne montre encore que c'est une
-molaire de remplacement.
Dire de quelle espèce proviennent les-molaires à trois fossettes,
par suite de la réunion du crochet à la colline externe, dont divers
auteurs donnent les dessins, c’est là une tâche qu’on ne pourrait
remplir convenablement qu'après avoir consulté les objetseux-mêmes ;
mais, en général, il m'a paru que ces dents pouvaient être des dents
de lait ; je n'ai vu de bourrelet bien apparent sur aucune.
On trouve encore à Montpellier, dans les couches sableuses qui
renferment les restes du Rhinocéros Mégarhinus, d’autres molaires
qui ne diffèrent de celles que j'ai précédemment fait connaître que
par l'absence du bourrelet,
(59) |
M. Marcel de Serres possède une série presque complète de ces
dents, et quoiqu'on ne les voie adhérentes à aucune portion de maxil-
laire, je ne doute pas qu’elles ne proviennent toutes du même individu.
Elles ne sont point usées au même degré, mais leur usure va en di-
minuant graduellement du commencement à la fin de la série, comme:
cela doit être dans des molaires provenant d'un même individu. Chaque
dent porte sur l'émail de ses bords antérieur et postérieur l'empreinte
correspondante aux saillies des bords de la dent qui la précède et de
celle qui la suit, en sorte qu’en rapprochant ces dents on voit qu'elles
s'arliculent , en quelque sorte, les unes avec les autres. Elles ont été
trouvées toules à la fois dans le même endroit, et tout me porte-à
croire que les ouvriers qui les ont trouvées ont brisé le maxillaire
auquel elles étaient fixées.
M. Marcel de Serres ayant bien voulu les mettre à ma disposition,
j'y ai reconnu les troisième, quatrième, cinquième et sixième du côté
droit , les quatrième et septième du côté gauche.
J'ai représenté, fig. 18 et 19, les sixième et quatrième du côté droit ;
ces deux-là suffisent pour donner une idée complète de la série, puisque
l’une est une arrière-molaire et l’autre une molaire de remplacement.
L'arrière-molaire , fg. 18 , ne diffère en rien des arrière-molaires
de Mégarhinus que nous connaissons déjà ; son crochet est simple et
séparé de la colline antérieure comme dans la molaire, fig. 2r. Ainsi
que dans cette dernière , on y distingue la crête verticale, R, qui part
de l’angle antérieur externe de la couronne.
Les molaires de remplacement , dont la figure 19 représente la
quatrième , se distinguent de nos autres molaires de remplacement
par l’absence du bourrelet du bord interne , mais on y voit toujours
la bifurcation du crochet , T, et la crête verticale, R, de l'angle
antérieur externe de la couronne. '
On reconnait dans le crochet de cette molaire une disposition à se
trifurquer et les trois branches en sont distinctes dans les deux autres
molaires de remplacement, en sorte que leur colline postérieure a
son bord antérieur dentelé.
Sur ces deux autres molaires de remplacement on ne voit pas plus
(60 )
que dans celle-là de vestige du bourrelet , et cependant cette diffé-
rence avec nos autres molaires ne tient évidemment pas à ce que
le bord anguleux du bourrelet aurait été usé dans les unes et non
dans les autres ; car , d’un côté, l’absence du bourrelet se monire
indifféremment sur des molaires à peine entamées, tandis que, de
l’autre, on voit parfaitement le bourrelet sur des molaires tellement
usées que la courone ne montre plus ni collines ni fossettes.
Ces différences annoncent-elles deux espèces ?
Si le bourrelet des molaires de remplacement du bicorne du Cap
se montrait sans exception et à un même degré de développement
dans tous les individus de l'espèce , rul doute que nos molaires sans
bourrelet ne dussent être attribuées à une espèce différente de celle
d'où proviennent les molaires à bourrelet. C’est 1à une question que
pourront sans doute éclaircir les naturalistes placés auprès des grandes
collections. |
Quant à moi, je dois me borner à signaler quelques circonstances
qui me paraissent être en faveur de l'hypothèse dans laquelle l'absence
du bourrelet ne tiendrait qu’à une différence individuelle : il m’a paru
que ce bourrelet variait d'abord dans le degré de son développement
et même dans sa position dans le. bicorne du Cap, et qu'il variait
encore , quant à sa position , dans l'espèce fossile, au point que dans
quelques cas il se montre même dans les arrière-molaires ; ainsi je
vois ce bourrelet dans une septième molaire figurée par Cuvier et
dans une cinquième ou sixième figurée par le professeur Buckland ,
dans son grand ouage (Reliquie Diluvianæ) qu'il a bien voulu
m'adresser.
Sans admettre deux espèces, on peut encore croire que , de même
qu'il y a deux races distinctes dans l'espèce du bicorne de Sumatra ,
de même il y a deux races dans l'espèce du Mégarhinus. - ;
La supposition que ces molaires sans bourrelet pourraient être
des molaires de lait ne saurait être admise, puisqu'elles ne sont pas
sensiblement plus usées que leurs-arrière-molaires et qu’elles sont
beaucoup plus larges que longues ; j'avais cependant émis cette opinion
(61)
dans un précédent écrit (1), c’est là une erreur que j'ai du relever dès
que l’occasion de le faire s’est présentée.
J'aurais encore bien des observations à presenter sur ce sujet, mais
le défaut de moyens de comparaison effective doit m'engager à attendre
que des circonstances plus favorables aient entièrement dissipé les
doutes qué j'ai pu concevoir sur leur exactitude,
VI
J'ai précédemment annoncé que le second crâne dont j'avais exa-
miné les molaires provenait du Mégarhinus ; je suis d’autant plus dans
l’obligation d'en offrir les preuves, qu'indépendamment de ce qu’on
doit y trouver une confirmation de la constance des caractères des
molaires du Mégarhinus, ce second crâne a été déjà décrit par
M. Marcel de Serres qui en a fait une espèce particulière rejetée par
Cuvier , et que Cuvier, de son côté, l’a rapporté à l'espèce à narines
cloisonnées , au Rhinocéros Tichorhinus.
Ce crâne de Rhinocéros appartient à M. l'Évéque de Montpellier.
M. Marcel de Serres en a donné la description et le profil dans un
Mémoire publié, au mois de juin 18:19, dans le Journal de physique,
et Cuvier en a donné le profil et une courte description, dans le
Tom. 1v des Recherches.
M. Marcel de Serres ayant admis la rectification faite par Cuvier
et ayant en conséquence indiqué depuis lors l'espèce de Rhinocéros à
narines cloisonnées parmi les animaux fossiles des terrains marins
supérieurs de Montpellier, j’éspérais que le crâne en question pourrait
me donner les moyens de m’assurer par moi-même des caractères des
molaires du Tichorhinus; mais en voyant ce crâne j'ai reconnu aussitôt
qu'il provenait de la même espèce que le mien , c’est-à-dire da
Mégarhinus. |
Malgré cela j'ai dû y chercher encore les deux caractères principaux
(x) Mémoire sur la comparaison de l’ancienne population de mammifères des
bassins de Pézenas et de Montpellier , 1832.
(6) :
du Tichorhiaus, c’est-à-dire, dans les molaires, la jonction du crochet
de la colline postérieure à la colline antérieure ; dans le crâne, la
réunion des os du nez aux os incisifs.
Ni l’un ni l’autre de ces caractères ne s’y trouvent.
M. Marcel de Serres les y a bien indiqués, mais je ne doute pas
qu'un nouvel examen de ce crâne ne lui fit adopter ma maniêre de
voir , car il ne.s’agit poiut d’une interprétation des faits, mais bien
de faits évidens et faciles à constater.
Les os du nez sont séparés des os incisifs de toute la largeur de
l’échancrure nasale ; dans les molaires, le crochet de la colline posté-
rieure est séparé de la colline antérieure.
Ce crâne étant sous un châssis vitré qu’il ne m’a pas été possible
d’enlever , et se trouvant placé sur une table adossée au mur, dans
un local où le jour ne pénètre qu’à travers le feuillage des arbres qui
masquént la fenêtre, je n’ai pu en voir distinctement toutes les parties,
En outre , Le crâne étant posé sens dessus dessous, je n'ai pu y bien
reconnaître la forme de toute la région du front ; mais j'ai pu y
distinguer parfaitement tous les détails des molaires et les parties
latérales et antérieures des os du nez.
J'ai donc pu examiner sans difficulté les parties les plus importantes
à connaître, celles qui peuvent montrer si ce crâne appartient ou non
à l'espèce à narines cloisonnées (Hh. Tichorkinus).
Je reproduis , fig. 30, le profil de ce crâne tiré du Tom. 1v des
Recherches. Ce crâne étant beaucoup moins vieux que le mien,
rsssemble davantage à celui du jeune bicorne de Sumatra, fig. 15.
1° Ce crâne est bicorne ; sa forme m'a paru relativement étroite
et allongée, absolument comme celle de mon crâne de Mégarhinus ;
il est moins vieux que ce dernier , aussi a-t-il ses molaires moins usées
et les protubérances de ses cornes moins rugueuses, {
2° Ses os du nez sont aussi longs et ont la même forme que ceux
du Mégarhinus ; ils sont élancés et sensiblement horizontaux, c’est-
à-dire parallèles à l'axe du crâne. Ils sont droits dans leurs deux tiers
postérieurs, de Den E, et ne présentent point la courbure longitu-
dinale, D.E, que l’on voit dans le Tichorhinus, fg. 1, 7 élus.
(65)
ÏÎs se terminent en pointe libre recourbée en bas et en avant, mais
moins brusquement que dans mon crâne où la protubérance est beau-
coup plus rugueuse et plus saillante, C’est là le résultat d’une diffé-
rence d'âge.
Leur extrémité n’est point cassée en avant, mais sur le côté il y
manque une faible portion du bord gauche; cette cassure est indiquée
au point C.
On voit sur la protubérance de la première corne la fossette et la
rainure longitudinale que j'ai signalées dans le Mégarhinus ; d’après
Cuvier , cette rainure ést remplacée dans le Tichorhinus par une crête
saillante, À , fig. 16. C’est là un caractère assez important , puisqu'il
présente des modifications fort différentes dans les diverses espèces de
Rhinocéros vivans et fossiles. :
3° Les os incisifs sont très-longs et leur extrémité m'a paru sur-
montée d’une forte tubérosité ; ils s'étendent jusqu’au point A de la
fig. 30. Je n'ai pu voir à leur extrémité non plus qu’à celle des os du
nez aucune apparence de fracture, l’os m'y a paru entièrement intact.
Malgré toute mon attention et quoique j'y sois revenu à plusieurs
reprises, je n'ai pu parvenir à voir aucune lrace de cloison des narines;
à la vérité, l’échancrure nasale est remplie de sable et de graviers
agglutinés ; mais par la manière dont les os du nez et les os incisifs
embrassent la gangue , il est permis de croire qu’il n’y a jamais eu
de cloison osseuse.
Ces os incisifs sont séparés des os du nez de toute la largeur de
l'échancrure nasale. Les points A. B. de la figure 30 se rapportent,
le premier , à l'extrémité antérieure des os incisifs ; le second, à l’ex-
trémité antérieure des os du nez.
La face inférieure des os incisifs est sur le même plan que la voûte
palatine. Sa largeur va en diminuant de la base à l'extrémité libre.
Celle-ci est très-étroite, mais non pas assez pour n'avoir pu donner
place à des incisives. :
Je n'ai pu trouver aucune trace d’incisives ni d’alvéoles d'incisises ,
et cependant , sur ce point , l'os est plutôt sali que recouvert par le
sable.
(64)
4° L'échancrure nasale est certainement aussi longue et a la méme
forme que dans mon crâne ; elle est beaucoup plus longue que dans
le Tichorhinus M
5° La pyramide du crâne, P, est bien moins prolongée, bien moins
inclinée en arrière que dans le Tichorhinus , fig. 1.
Le degré d’inclinaison et de prolongement en arrière de cette partie
cérébrale du crâne, est comme dans mon crâne de Mégarhinus et
dans celui du bicorne de Sumatra.
6 Je n'ai pu assez bien voir la région du front pour la décrire ;
néanmoins elle m'a paru étranglée en arrière, comme dans le
Mégarhinus. Les rugosités des crêtes temporales, des apophyses
orbitaires, en un mot, toutes les attaches des muscles que j'ai pævoir,
m'ont paru moins marquées que dans mon crâne. La différence est
surtout très -sensible dans les protubérances des cornes. Dans mon
crâne, la protubérance de la seconde corne forme une bosse qui
n'exisle pas dans celui-ci. 0
Cependant ce que je crois avoir assez bien vu pour pouvoir l’assurer, -
c’est que les os du nez sont beaucoup moins larges que dans le Ticho-
rhinus ; je crois même qu'ils n’atteignent pas lout-à-fait la largeur de
ceux de mon vieux crâne et qu'ils sont un peu moins forts ; la phy-
sionomie de leur face supérieure , de leur extrémité libre, est la
même que dans le Mégarhinus, et ils ne diffèrent de mon crâne
que parce que les rugosités de la protubérance sont beaucoup moins
saillantes. ,
Le profil publié par Cuvier m'a paru d’une extrême exactitude ; j'y
ai ajouté approximativement l'indication de l’échancrure nasale , et ai
marqué par des lignes ponctuées l'étendue de la gangue qui remplit
l'échancrure nasale et se prolonge au-delà de l'extrémité des os du nez.
J'ai apporté beaucoup d'attenkon dans l'examen des molaires ;
elles sont parfaitement dégagées de la gangue, et leur couronne étant
tournée vers le côté d'où vient le jour, j'ai pu voir très-distinc-
tement toutes leurs parlies et en constater sans hésitation tous les
caractères. ;
En tenant compte des alvéoles, il m'a paru que le nombre des
(65)
molaires était de six de chaque côté. Cependant, n'ayant pu voir
d’assez près les tronçons de celles des dents dont la couronne est brisée,
il est possible que je n’aie pas bien vu la séparation qui existe entre
chacun d'eux. Du reste la chose est peu importante, on sait qu'il existe
sept molaires dans le genre entier des Rhinocéros, et que la première
tombe d’assez bonne heure.
Ces molaires sont complétement semblables à celles du Mégarhinus
par les dimensions et par tous les détails de leurs caractères, elles sont
dans un état moyen d'usure.
Les 1°, 2°, 3e et 4° du côté gauche manquent ou sont briséés.
Les 5e et 6° du même côté sont conservées ; ces deux arrière-
molaires étant absolument pareilles , je n’en représente qu’une, la 5°,
fig. 21 ; mais ce que j'en dis s'applique à toutes deux. Le crochet, T,
de la colline postérieure , B. D., ne joignant pas la colline antérieure,
A. C. , il n'y a que deux fossettes sur la couronne, lune , +, resultant
de l’échancrore postérieure , l’autre, 2, résultant du vallon entier.
Ces deux arrière - molaires sont, comme nous l’avons vu précé-
demment , entièrement semblables à leurs correspondantes de mon
crâne de Mégarhinus.
La dernière ou septième du côté gauche manque, mais la forme
triangulaire de son alvéole pleine de sable se distingue parfaitement.
La deuxième molaire du côté droit, fg. 26, actuellement la pre-
mière en place, est lrès-uste et ne présente évidemment que deux
fossettes. On y reconnaît, à une légère inflexion de l'émail du bord
postérieur de la seconde fossette , le vestige du crochet, TT, qui a été
usé jusqu’à sa base. On voit parfaitement, en À, le large bourrelet
qui règne sur le bord interne de la couronne. Cette molaire de rem-
placement est entièrement semblable à sa correspondante , fig. 9, de
mon crâne de Mégarhinus , mais est du côté opposé.
Dans la description qu'il avait donnée de ce crâne, M. Marcel de
Serres avait annoncé qu'il différait de celui de l'espèce à narines cloi-
sonnées, mais qu'il lui ressemblait plus qu'à ceux des espèces vivantes.
Il y avait signalé des caractères qui me paraissent ne point s’y trouver
et qui sont en partie propres au Tichorhinus.
(66 )
Ainsi, il avait admis la réunion des os du nez aux os incisifs , €t,
dans les molaires, /a jonction du crochet de la colline postérieure à la
colline autéricure , caractères qui distinguent le Tichorinus,
Ii avait encore été amené à penser que les os du nez de ce crâne se,
relevaient si haut, que leur niveau atteignait celui de la crête occipi-
tale , el c'est en cela qu'il trouvait la différence la plus essentielle
entre sa nouvelle espèce et celle à narines cloisonnées,.
. Nous avons vu que les os incisifs, À, et les os du nez, B, sont
séparés de Loute la largeur de l'échancrure nasale , et que l'extrémité
de chacun d'eux est terminée en pointe libre, comme dans le Még:=
rhinus et dans le bicorne de-Sumatra; que, dans les molaires , fig. 21,
le crochet, T, de la colline postérieure, B. D., est évidemment
séparé de la colline antérieure, À. C., comme dans le Mégarhinus, et
que par conséquent ilne peut y avoir sur la couronne les trois fossettes
qu caractérisent le Tichorhinus. On peut d'autant moins douter de
de l'exactitude de ces caractères, que la figure 2r, qui les repré-
sente ,\ est elle-même tirée du Mémoire de M. Marcel de Serres et
que j'ai pu m'assurer complétement de l'exactitude de cette figure,
Quani à l'énorme saillie que M. de Serres supposait dans les os du
nez, il est à présamer qu'elle ne lui a paru telle que par suite de la
position du crâne. Celui-ci, étant renversé, touche , par le sommet
de l’occiput et par la protubérance du nez, le plan horizontal sur
lequel il repose ; en sorte qu'alors le front paraît très dépriiné, tandis
que les os du nez semblent faire saillie. :
En renversant la figure 30 , qui représente ce crâne , et plaçant
horizontalement la ligne N O, on voit qu’en effet Les os du nez parais-
sent atteindre le niveau du sommet de l'occiput et faire saillie au-delà
du niveau du front ; mais en replaçant ce crâne dans sa posilion natu-
rclle, on voit que la saillie des os du nez est singulièrement diminuée
et qu'elle est loii de s'élever jusqu'à la hauteur de la crête occipitale.
M. Marcel de Serres avait néanmoins montré que la longueur de
l'échancrure nasale était caractéristique dans cette espèce, qu'elle
égalait le tiers de la longueur totale du cräne et qu'elle était par con-
séquent bien plus considérable qne dans le Tichorhinus ; il avait aussi
(67)
insisté sur le grand développement des os du nez, et avait annoncé
que si son espèce formait réellement une espèce distincte du Ticho-
rhinus, « leurs différences devaient tenir principalement à la forme
de leurs os du nez. »
Ce qu'il dit des os incisifs est trop important pour que je puisse
me dispenser de rapporter le passage de son Mémoire où il en est fait
mention, d'autant que c’est la seule description qu’on ait eue jusqu’à
présent des os incisifs du Rhinocéros /ncisious de Cuvier : « leur épais-
« seur moyenne {1), observe-til, est d'environ 21 mullimètres, et
« Jeur longueur prise depuis Hi dernière molaire jusqu’à leur extré-
« mité, de 122 millimètres, Ces os n'étant pas très-dégradés , j'ai
« cherché à m'assurer s'#s présentaient quelques traces d'akéoles
« puisque visiblement on n’y voyait point de vestiges de dents. Rien n'y
« en indique la moindre trace. Us se délitent cependant en feuillets
« longitudinaux, et nécessairement s’il y avait eu des alvéoles, pour s
« pelites qu’on les suppose , il y auraït eu interruption entre ces
« feuillets , et l’on n’en voit pas /e moindre indice. À paraît donc que
« notre fossile n'avar! point de veritubles incisives. »
Cette observation de M. Marcel de Serres est donc très-précieuse
pour la science ; elle montre que si le Rhinocéros /ncisious avait des
incisives, celles-ci devaient tomber d’assez bonne heure et leurs
alvéoles s’oblitérer, ainsi que cela a lieu dans le Tichorhinus.
On appréciera , je pense , toutes les conséquences qui découlent
de ce fait, si on se rappelle tout ce que j'ai avancé au sujet des inci-
sives fossiles de Mayence et d'Avaray, des alvéoles d’incisives des
crânes de Pallas et du docteur Buckland, et du défaut d'incisives dans
le crâne de M. Schleyermacher, On reconnaîlra également que, pour
arriver à ce résultat, il éjait indispensable de montrer que le crâne
de Montpellier n’appartenait ni à l'espèce établie par M. Marcel de
(1) Quoique M. Marcel de Serres se soit servi du mot épaisseur, c’est bien
réellement de la largeur des os incisifs qu’il entend parler ; c’est ce dont on peut
se convaincre par le passage suivant de son Mémoire : « Nous avons déjà dit que la
« larseur moyenne des os incisifs lait de 21 millimètres, etc. »
-( 68 )
Serres, ni à celle à laquelle le rapportait Cuvier, mais qu'il prove-
nait de la même espèce que le mien et celui de M. Schleyermacher ,
c'est-à-dire du Mégarhinus. Enfin, on trouvera dans ce fait la preuve
que la mâchoire inférieure à incisives d'Eppelsheim ne provenait pas
nécessairement de l'{ncisivus , puisqu'il est très-possible que ce dernier
fut dépourvu d'incisives , comme le bicorne du Cap.
On ne saurait donc attribuer maintenant les incisives fossiles de
Sœmmering au Rhinocéros /ncisious plutôt qu'au Thicorhinus, en se
fondant sur l’étroitesse des os incisifs de ce dernier. Ce qu'il y a de
bien certain, c’est que si les os incisifs du Tichorhinus ne sont pas assez
larges pour avoir pu loger les plus grandes incisives fossiles, ceux de
l'Incisieus n'étant pas plus larges n’ont pas dû pouvoir davantage les
loger.
La largeur de l'extrémité des os incisifs du Tichorhinus , prise sur
le crâne de Coll est dé... Las ee Giono
La largeur moyenne des os incisifs de l’Ancisivus, prise sur le crâne
décrit par M. Marcel: de Serres,uest,de:, pme. 0-0 Ou
Lorsque Cuvier put consulter un profil exact de ce crâne, et que,
loin d’y reconnaître l'énorme saillie des os du nez qui avait principa-
lement porté M. Marcel de Serres à établir sa nouvelle espèce , il lui
eut trouvé de la ressemblance avec celui du Tichorhinus , il dut penser
qu'il provenait réellement de celte dernière espèce , puisque, dans sa
description, M. Marcel de Serres avait indiqué la réunion des os du
nez aux os incisifs, et, dans les molaires, la jonclion du crochet de
la colline postérieure à la colline antérieure ; aussi ne peut-on plus
invoquer , dans cette question, l'opinion imposante de l'illustre auteur
des Recherches, qui serait péremploire sans doute, s'il s'agissait d’un
fait qu'il eût pu constater par lui-même et non d’un fait sur lequel
il n'a pu obtenir que des renseignemens imparfaits.
Quoi qu'il en soit , il faut reconnaître aujourd'hui que M. Marcel
de Serres est le premier naturaliste qui ait vu, distingué et dénommé
le crâne de l'espèce de Rhinocéros à laquelle j'ai donné le nom
de Mégarhinus; mais que c'est à Cuvier que l’on doit de con-
naître celte espèce, car c’est lui qui, en décrivant le cräne de
(69)
M. Schleyermacher, en a exposé les véritables caractères, en mon-
trant que ses os du nez étaient séparés des os incisifs, et qu'elle se
rapprochait de celle de Sumatra plus que d’aucune autre espèce de
Rhinocéros vivant.
Quant à moi, je ne puis avoir d'autre mérite que celui d'avoir su
profiter des observations de mes devanciers,
Ne pouvant conserver à celte espèce le nom de Rhinocéros /ncisious,
que lui avait donné Cuvier, plutôt que le nom de Rhinocéros de
Montpellier que lui avait antérieurement donné M. Marcel de Serres,
c'est un nouveau motif que je puis ajouter à ceux que j'ai déjà fait
connaitre , pour désigner cette espèce sous le nom de Rhinocéros
Mégarhinus.
Je Lerminerai par cette remarque, que si le Rhinocéros Leptorhinus
et le Rhinocéros {ncrsivus ont été cités par plusieurs auteurs et entre
autres par M. Brongniart et par M. de la Bêche, ça été le plus souvent
d’après l'autorité de Cuvier , et non point d'après la découverte de
nouvelles pièces qui eussent pu en confirmer l'existence. Je dois cepen-
dant établir une exception en faveur de MM. Bertrand de Douai,
Robert et le docteur Hibbert qui annoncent avoir découvert des débris
de Leptorhious ; je dois aussi étendre la même exception à M. Meyer
qui aurait découvert l'incisivus à Eppclsheim et à Friedrichsgemünd.
Comme j'ignore sur quelles pièces ils basent leur détermination, je
ue puis combattre directement leur sentiment.
Avant d'avoir reçu les dessins de M. de la Marmora et de M. le pro-
fesseur Gené, j'avais moi-même annoncé le Leptorhinus, en me fon-
dant sur les caractères de celles de mes molaires qui sont semblables à
celles de M. Pentland ; comme, d’un autre côté , j'avais toujours
douté de l'exactitude du dessin de Leptorhinus, et que je savais que
Cuvier n'avait point vu l'original de ce dessin , j'étais porté à penser
que le crâne à narines non cloisonnées de M. Cortési pourrait bien
être semblable à celui de M. Schleyermacher et au mien, et je me
proposais, malgré les différences qui auraient existé entre mon nou-
veau Leptorhinus et l’ancien, de maintenir ce nom consacré par
Cuvier et reçu de tous les naturalistes ; je me serais alors borné à
C7o)
rectifier les caractères de cette espèce ; mais, d’après les dessins de
MM. de la Marmora et Gené, il n’est plus possible de rapporter le
crâne de M. Cortési à une espèce à narines non cloisonnées. :
Du reste, on a dû remarquer que les résultats auxquels je crois être
parvenu ne diffèrent de ceux qui ont été annoncés par Cuvier , qu’au-
tant qu'ils se rapportent à des objets que Cuvier n’a pu connaître que
d’après des figures ou d’après des renseïgnemens plus ou moins exacts,
et qui n'offrent plus dès-lors les garanties que l’on retrouve dans les
objets que Cuvier a pu lui-même examiner ; malgré cela, c’est encore
à lui que l’on doit de connaître le Mégarhinus, puisque c’est lui qui le
premier en a décrit la têle, les molaires et les os des membres, et que
je n'ai eu qu’à réunir ces parties éparses d'un même animal. Néanmoins
il reste encore des doutes sur ses incisives el sur sa mâchoire inférieure.
La symphyse de celle-ci est-elle prolongée, et dans le cas où elle le
serait, de quelle espèce proviennent les mâchoires à courte symphyse
d'Italie ? L'Unicorne de M. de Schlotheïm existerait-il ?
Ayant fait irès-rapidement ce travail, puisque à raison de certaines
circonstances particulières j'ai dû n'y consacrer que quelques jours , je
regrette de n'avoir pu lui donner toute la maturité que l’on désirerait
trouver dans un sujet qui a été développé par Cuvieg et traité par plu-
sieurs autres célèbres naturalistes.
FIN,
Fig.
Fig.
Fig.
Fig.
Fig.
Fig.
Fig.
EXPLICATION DES FIGURES (à).
x, Crâne de Rhinocéros à narines cloisonnées (Rh. Tichorhinus).
2. Mächoire inférieure, à longue symphyse, du Rh, Tichorhinus, tirée de
l'ouvrage de Cuvier.
3.1#Id.
4 ITd:
. Mächoire inférieure de la même espèce, trouvée à Montpellier.
5
. 6. La même, vue en dessus, (Elle perte des alvéoles d’incisives comme celle
de Pallas, fig. 3.)
7. Dessin du crâne de M. Cortési, représentant , selon Cuvier, le Rhino-
céros à narines non cloisonnées (Rh. Leptorhinus).
8. Mächoire inférieure, à courte symphyse, du Leptorhinus de Cuvier,
g. ge Molaires du Rhinocéros Mégarhinus (nobis) trouvées à Montpellier.
10, Molaire inférieure de la mâchoire , fe. 5.
r1. Autre dessin du crâne de M. Cortési, fig. 7, représentant, selon nous, le
Rhinocéros à narines cloisounées (Rh. Tichorinus). A. reste de la
cloison osseuse.
12, Crâne de Rhinocéros Mégarhinus (nobis) , trouvé à Montpellier.
13. Le même vu en dessus.
14. Crâne de Bicorne du Cap, tiré de l’ouvrage de SPARRMAN,
15. Crâne du Bicorne de Sumatra, tiré de l’ouvrage de Cuvier.
16. Crâne de Tichorhinus vu en dessus,
17. Cràne d’un jeune Bicorne de Sumatra vu en dessus.
18. 6° Molaire supérieure droite du Rhinocéros Mégarhinus? trouvée à
Montpellier,
RE en ee + D CD D € on
1) Ces figures n'ayant pas été retournées sur la pierre lithographique , toutes les
5 ÿ P P grapaique ,
pièces que je donne comme élant du côté droit paraissent être du côté gauche, et
réciproquement.
19. 4° Molaire supérieure droite du même #rdividu que la précédente.
20. 5° ou 6° Molaire supérieure gauche à trois fossettes, trouvée dans le
dép! du Gard, et tirée de l’ouvrage de Cuvier (Rh. Tichorinus),
21. 5° Molaire supérieure gauche de Rhinocéros Mégarhinus , trouvée à
Montpellier , et tirée du Mémoire de M. M°! de Serres.
22. Molaire supérieure gauche de l’Unicorne de Java.
23. A,4° et,B, 5° Molaires supérieures gauches du Bicorne du Cap.
24. Molaire de lait du côté gauche de la mâchoire supérieure du Bicorne du
Cap.
2b. 4° Molaire supérieure droite du Rhinocéros Mégarhinus, trouvée
Montpellier,
26. 2° Molaire supérieure droite du Rhinocéros Mégarhinus, trouvée à
Montpellier, et tirée du Mémoire de M. M! de Serres.
27. 2° Molaire supérieure gauche du Rhinocéros Mégarhinus, trouvée à
Montpellier.
&-
28. 4° Molaire de lait du côté gauche de la mâchoire supérieure de Rhino-
céros, tirée de l'ouvrage de Cuvier.
29. Molaire supérieure gauche de Rhinocéros, tirée d’un dessin du professeur
Buckland,
30. Dessin tiré du Tom. 1v des Recherches, représentant, selon Cuvier, un
crâne de Rh. Ticorhinus, et, selon nous, un crâne de Rh. Mégarhinus.
3r. Molaire supérieure gauche de l’Unicorne de l'Inde.
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Sig: 22.42 À
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