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Full text of "Réflexions importantes sur l'impôt du tabac /"

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REFLEXIONS  •„£ 

IMPORTANTES 

SUR 

L’IMPÔT  DU  TABAC. 

Par  M.  Duvaucel,  Fermier-généraL 


A PARIS, 

DE  L’IMPRIMERIE  DE  GUE  RB  ART,; 
Porte  S.  Jacques , et  au  Pont-neuf,  n.°  194 

lH£NEWe£K»Y 

ubrarv y 


RÉFLEXIONS  IMPORTANTES 

sua. 

L’IMPÔT  DU  TABAC* 

O n vient  m’apprendre  en  ce  moment  que 
le  rapport , concernant  l’impôt  du  tabac , a 
été  fait  hier  à l’Assemblée  nationale. 

Je  demande  envain  quel  plan  a été  pro- 
posé , l’on  ne  peut  m’en  rien  dire.  Mon 
premier  mouvement  a été  un  regret  de  ne 
pouvoir,  s’il  est  susceptible  d’objections, 
y faire  celles  , qu’une  longue  étude  et  un  peu 
d’expérience,  peut-être , auroient  pu  me  dic- 
ter : mon  second,  la  pensée  qu’il  vaîoit 
mieux , sans  doute  , pour  la  liberté  de  mon 
opinion  , ne  pas  connoitre  le  résultat  du 
rapport.  Grâce  à cette  ignorance  , je  n’aurai 
point,  aux  yeux  d’un  Législateur  que  je 
respecte  , le  tort  d’avoir  prétendu  le  com- 
battre ; ou,  pour  mieux  cire,  jeJîe  com- 
battrai point  , puisque , ne  sachant  quelle 
opinion  il  a énoncée  , ce  n’e$t  point  l’atta- 
quer , que  lui  soumettre  la  mienne. 

Betiré  à la  campagne,  pour  y méditer  un 

A 2 


— m 

’tïâvâiî.  assez  important  sur  plusieurs  ôtn 
jets  cle  même  nature  , je  vais  en  extraire  à 
Î4  hâté  tout  ce  qüe  j’âvois  crû  intéressant 
de  dire  sur  ia  question  présente,  et  qui  iai- 
soifc  partie  d’un  ouvrage'  beaucoup  plus 
étendu. 

.Depuis  qü’ôn  s’occupe  de  l’impôt  , le 
Comité  chargé  de  cette  importante  portion 
des  travaux  de  l’Assemblée  , a reçu  , m’a- 
t-on  dit  , sur  celui  dü  tabac  , plusieurs 
plans  , plusieurs  systèmes  j tous  opposés  les 
ups  aux  autres  , tous  offrant  à la  fois  des 
inconvéniens  et  des  avantages  , tous,  par- 
consequent,  aussi  vivement  appuyés  que  com- 
battus. 

.On  avoit  proposé  quelque  teins  (et  der- 
nièrement encore  , un  Membre  de  l’Assem- 
blée en  renouvella  là  motion)  , de  conser- 
ver le  régime  actuel*  II  me  semble  que 
d ‘invincibles  obstacles  s’y  opposent.  Pré- 
mièrement  , l’opinion  l’a  compris  dans  le 
11  ambre  des  impôts  proscrits  d’avance  par 
i’imagina%n  des  Peuples.  C’est  une  loi 
pour  leurs  Représentants  , et  il  seroil  pour 
eux,  peut-être,  aussi  impossible  de  s’en 
écarter  , que  dangereux  de  le  vouloir.  Se- 
condement , toutes  les  perceptions  s’opé- 


r oient  précédemment  par  une  association 
gens  et  de  moyens  : mais  la  plupart  se  trom- 
pant détruites  , les  frais  supportés  jusqu’ici 
par  toutes  ensemble,  ne  pesercient  plus  dès- 
lors  que  sur  le  peu  qui  reste,  et  dès-lors 
fiussi , ces  mëipes  frais  11e  serpient  plus  en 
proportion  avec  la  recette*  Troisièmement , 
l’ancien  système  comportoit  des  variétés* 
des  privilèges , des  exemptions  : le  nouveau 
les  repousse  ; il  interdit,  avec  raison,  toute 
différence  entre  les  diverses  parties  d’un 
pième  Empire;  il  établit  un  principe,  qui 
jamais  n’auroit  dû  être  méconnu  ; celui 
d’une  égalité  parfaite  parmi,  tous  les  Mem- 
bres du  Corps  politique,  et  d’une  constante 
uniformité  dans  toutes,  les  branches  de  son 
administration. 

Ne  pouvant  conserver  la  forme  de  T im- 
pôt , on  a mis  en  question  s’il  ne  seroit 
pas  possible  de  le  supprimer  entièrement  ; 
mais  , dans  cette  hypothèse  ; ou  , l’on  ne 
inçfctoit  rien  à sa  place,  et  alors  y on  per- 
doit  un  revenu  de  trente  millions  et  plus  ; 
sacrifice  qu’assurément  l’état  des  finances,, 
et  de  nos  besoins  ne  permet  pas  de  faire  ; 
ou  ,.1’on  y substituoit  une  autre  perception^ 
et  alors  ? comme  l’a  très-bien  observé  Mr^ 

A3' 


f 


(6) 

Dupont , on  /aisoit  payer  k la  tota'ité  des 
Citoyens  le  remplacement  dune  fantaisie, 
payée  jusqu  ici  par  le  petit  nombre,  s en- 
lement , de  ceux  pour  qui  elle  étoit  une 
jouissance  ; et  (ce  qui  prouve  en  deux  mots 
l’injustice  d’une  pareille  opération  ) il  en 
reaultoit  , que  , sur  huit  personnes,  on  en 
surchargeoit  sept,  pour  n’en  soulager  qu’une 
seule.  ' 

Cette  double  objection  a donné  naissance 
à un  autre  système;  c’étoit  de  supprimer  * 
non  1 impôt , mais  les  exemptions,  et  d’é- 
tendre à toutes  les  Provinces  de  la  France 
la  prohibition  de  la  culture. 

Un  nom  >re  infini  d avantages  naissoient  de 
ce  parti.  L uniformité  du  régime  multiplioit 
le  nombre  des  consommateurs,  augmentoit 
la  consommation  par  l’extinction  de  la  con- 
trebande , dïmînuoit  les  frais , puisqu’il  ne 
falloit  plus  de  barrières  ; et , par  ce  moyen  r ' 
réduisant  de  beaucoup  le  prix  de  la  mar- 
chandise sans  aucune  diminution  sur  le 
produit  de  1 impôt , sans  aucune  perte  pour 
le  trésor  pub  ic  , qui  retrouvoit  la  différence 
du  prix  sur  1 accroissement  de  la  vente , il 
en  résûitoit  pour  les  Peuples  un  soulage- 
ment considérable  ; car,  il  étoit  possible 


( 7 y 

meme  , de  donner  aux  Provinces  privéeâî 
de  leurs  anciens  privilèges , un  dédommage^ 
ment  sur  d’autres  impositions,  qui,  en  détrui- 
sant les  inconvéniens  du  régime  d’exceptions  * 
n’en  détruisoit  pas  pour  elles  les  avantages*. 

On  a fait  contre  celte  opinion  quelques  ob- 
jections qui , je  crois,  ne  sont  justes  qu’en  ap- 
parence, et  auxquelles  il  est  aisé  de  répondre* 

Deux  sur-tout  paroissent  importantes. 

La  première ,,  est  l’ inconséquence  d^adop- 
ter  un  régime  prohibitif , au.  milieu  des  prin- 
cipes de  la  liberté- 

Cette  objection  seroit  parfaitement  juste, 
s’il  s’agissoit  d’accorder  le  privilège  de  ven- 
dre une  marchandise  quelconque,  à un  * 
ou: plusieurs  individus,  qui  profiteroient , du 
bénéfice  , à l’exclusion  , ou  même  au  dé- 
triment de  tous  les  autres. 

Ellè  auroit,  peut-être  même  encore,  une 
apparence  de  réalité , si , comme  auparavant* 
les  revenus;  étant  plus  ceux  du  Roi  que 
de  là  Nation,  on  pouvoit  en  conclure  que 
ce  droit  exclusif  est  un  privilège  du  Prince, 
et:  non  une  convention  générale  au  profit 
de  la  Communauté  entière. 

Mais  ce  n’est  rien  de  tout  cela  ; et  si  une 
prévention  aveugle  ne  nous  empêchoit  pa& 

A 4 


0ejpuis  long-tèms  devoir  les  choses  ce  qu’elles 
«ont,  <on  reconnoitroit , que  le  grand  in- 
térêt dit  moment  est  d’alimenter  le  trésor 
public  ; que  tout  moyen  d’y  parvenir  est 
un  gain  pour  la  Nation  ; que  c’est  ce  moyen 
précisément  que  ses  Représentants  sont  char- 
gés  de  rendre  le  moins  onéreux  possible  f 
èt  que,  s il  réside  dans  là  vente  exclusive 


d une  consommation  quelconque , alors  cette 
vente  , exercée  par  la  Nation  elle-même  , 
pour  le  plus  grand  avantagé  de  la  Nation, 
ix  est  point  un  privilège  odieux  , mais  une 
loi  bienfaisante , dont  l’effet  est  de  tourner 
âu  profit  de  la  totalité  des  Citoyens,  ce  qui  * 
par  une  vente  libre,  ne  seroit  au  profit 
cpte*  dé  ceux-là  seulement  qui  en  ferpient 
îë  cômmèrce. 

Ce  n’est  donc , il  faut  le  répéter  sans  cesse, 
que  faute  de  s’entendre  , qu’on  a attaché 
uné  idée  générale  de  réprobation  à ce  mot 

•V  rr.7:v;n'  ■ fit  , . ■ A 

ae  vente  exclusive.  Le  moment  au  contraire 

; rp  io,  1 no.  -è  ; \ ■ r y;  - - , 

qui  remettoit  les  revenus  publics  dans  les 

mains  de  la  Nation,  devojt  rendre  invio- 

« 'mosn  ri  u jj  q„:  . . :r  . : „ 

labié  ce  qui  concourent  a les  faire  plus  ai- 

, us  -hLc,;  * y • - r 

«ement  et  plus  sûrement  percevoir.  Car, 

dès-lprs  , il  41e  s’agissoit  plus  d’un  privilège 
individuel  , mais  d’un  privilège  national  ; 


C 9 ) 

et,  autant  un  Peuple  qui  s’organise  doit  re: 
pousser  les  uns  , autant  il  doit  multiplier 
les  autres  , puisqu’ alors  l’intérêt  général  s’en- 
richit, de  tout  ce  qu’on  retranche  à Tinté- 
rét  particulier. 

Et  non-seulement  un  tel  commerce  , ex- 
clusivement attribué  à la  Nation  , peut  être 
pour  elle  un  gain  inappréciable  : je  soutiens 
encore  qu’il  est  des  cas  , où  c’est  pour  elle 
un  devoir  de  se  le  reserver.  Par  exemple  , 
s’il  est  démontré  que  la  vente  libre  d’une 
marchandise  ( et  le  tabac  est  une  de  celles- 
là)  peut  entraîner  des  inconvéniens  inévi- 
tables , que  l’avidité  mercantile , sous  T appas 
d’un  gain  léger  , peut  répandre  des  matières 
corrompues , empestées  et  nuisibles  à la 
conservation  des  individus  ; n est-ce  pas 
alors,  comme  je  le  disois,  un  devoir  im- 
posé aux  délégués  du  Peuple,,  de  se  méfier 
de  l’intérêt  particulier,  lorsqu’il  s’agit  d’un 
objet  qui  appartient  si  essentiellement  à 
l’intérêt  public  ? De  ne  pas  livrer  à la  mau- 
vaise foi  de  quelques  Négociants  , ce  qui 
peut  influer  sur  l’existence  des  Citoyens  ? 
De  n’en  confier  enfin,  la  surveillance,  qu’à 
l’administration,  qui,  seule,  ne  peut  s’isoler 
dans  ses  spéculations,  et  dont  l’intérêt  n’est 


. ( 10) 

fentre  chose  que  la  réunion  de  tous  Tes  îî*4 
teréts  du  Corps  social  ? 

Et  qu’un  enthousiasme  affecté  pour  la  li- 
berté , ne  vienne  pas  me  répondre,  que  ce 
mot  seul  d’exclusion  est  trop  contraire  aux 
principes  constitutionnels!  Je  n’ai  qu’une 
seule  question  à faire.  Prétend-on  accorder 
à tous  Citoyens  le  droit  de  battre  monnoie  ? 
Non,  sans  doute  : eh  bien  ! C’est  donc  un 
droit  exclusif  que  la  Nation  se  réserve;  et 
ce  qu’elle  se  permet  par  de  simples  motifs 
de  politique,  le  refusera-t-elle  à des  motifs, 
d’humanité  ? 

La  seconde  objection  contre  l’opinion  que-, 
je  discute,  est  la  crainte  que  les  Provin- 
ces frontières  , dont  elle  détruit  les  prfvi- 
léges  , n’y  apportassent  une  opposition  in- 
surmontable, ou  même  ne  finissent  par  se 
séparer  de  la  Monarchie.  A cela  je  ré- 
pondrai : 

Que  ces  Provinces  ont  trop  bien  prouvé 
leur  soumission  à la  constitution  nouvelle, 
pour  qu  on  puisse  seulement  se  permettre* 
conir  elles  un  pareil  soupçon* 

En  effet , elles  ont  adopté  la  division  du 
Royaume  , qui , pour  l’administration  , le* 
assimile  à toutes  les  autres  , qui  annule 


( il  ) 

Jours  chartes  de  réunion  ou  de  donatîdW^ 
qui  enfin  les  rend  méconnoissables  pour  elles- 
mêmes.  Elles  ont  accédé  à la  subversion  de 
leurs  tribunaux  , qui,  pour  quelques-unes 
étoient  inhérents  à leurs  constitution  , et 
vont  y substituer  ceux  de  création  nouvelle. 
Elles  ont  , à l’exemple  de  toutes  lés  autres 
Provinces  , consenti  la  transmutation  des 
biens  ecclésiastiques  en  domaines  natio- 
naux , malgré  la  perte  qui  en  résultera  pour 
quelques  unes.  Or  , si  aucune  considéra- 
tion n’a  été  écoutée,  lorsqu’il  s’agissoit  de 
se  réunir,  de  se  confondre  dans  le  reste  de 
la  Nation  Française,  peut-on  supposer  qu’el- 
les s’y  refusassent,  lorsqu’il  s’agiroit  du  moin- 
dre de  leurs  sacrifices  ? 

2.0  Il  seroit  juste,  peut-être,  et  certaine- 
ment facile  , de  leur  accorder  sur  une  autre 
perception,  une  diminution  quelconque  qui 
leur  tint  lieu  du  bénéfice  qu’elles  ont  trouvé 
jusqu’ici  dans  le  privilège  de  la  culture  du 
tabac  ; bénéfice  qui  cependant  deviendroit 
nul  par  le  fait,  comme  il  va  être  aisé  de 
s’en  convaincre. 

3.°  Les  Provinces  privilégiées  jusqu’à  cette 
époque  n’ont  pas,  sans  doute,  la  prétention 
de  conserver  un  régime  distinct  j celui  que 


) 


l on  adoptera  % soit  de  liberté  , sqiç. d'exclu- 
si 043 , sera  désormais  commun  à tçutes.  Ory 
bien  certainement  il  vaut  mieux,  pour  Y in- 
térêt de  celles-ci  * partager  avec  le  reste  de  la 
France  , la  défense’ de  cultiver  le  tabac , que 
si  toute  la  France  en  partageoit  le  droit  avec 
elles;  car  il  est  reconnu  que  cette  production  , 
dans  le  midi  du  Royaume,  auroit  une  telle 
supériorité  sur  celle  du  nord  , que  ces  mêmes 
Provinces,  favorisées  auparavant , seroient; 
de  ce  moment  les  plus  maltraitées. 

4-°  Comme  le  Gouvernement,  dans  cette 
hypothèse , diminueroit  d’un  tiers  environ  le 
prsx  du  tabac,  ces  Provinces , forcées  main- 
tenant, pour  débiter  celui  de  leur  crû  , de  le 
mêler  avec  du  tabac  étranger , ou  ne  trou- 
veroient  plus  aucun  avantage  dans  la  cul- 
ture, si  elles  continuoient  ce  mélange  : ou 


( i3  ) 

Cependant , malgré  l’utilité  du  système  , 
âoht  je  viens  de  détailler  et  les  inconvéniens 
prétendus  et  les  avantages  réels,  on  a tienté 
d’en  indiquer  un  autre,  qui  ménageât  à lafois 
les  intérêts  du  trésor  public  et  nos  principes 
de  liberté,  si  mal  interprétés  souvent  ! 

On  a proposé  d’établir  dans  tout  lePioyau- 
me  la  libre  culture  du  tabac  , en  la  soumet- 
tant, toutefois,  à certaines  règles,  pour  ne 
pas  lui  laisser  prendre  une  extension  exa- 
gérée. Puis , comme  on  ne  peut  se  dissimuler 
que  le  tabac  indigène  a besoin  du  secours 
des  tabacs  étrangers , on  réservoit  au  Gou- 
vernement le  droit  de  fournir  exclusivement 
ceux-ci , de  les  fabriquer,  de  les  vendre  dans 
toute  l’étendue  de  la  France.  On  assuroit  que 
cette  vente,  et  les  droits  payés  par  eux  à 
l’entrée  du  Royaume , rendraient  à-peu-près 
moitié  des  produits  actuels  de  la  ferme  du 
tabac , et  pour  couvrir  fautre  moitié,  on  pro- 
posoit  un  impôt  de  remplacement. 

Je  ne  trouvois  malheureusement  dans  ce 
système  qu’une  réunion  des  défauts  de  tous 
les  autres  , sans  aucun  des  avantages  qui  pou- 
voient  les  faire  oublier. 

J’y  voyois  premièrement  , une  prétendue 
liberté  de  culture , contrariée  par  des  entra- 


J 


( a ) 

ves  intérieures , pires  que  les  prohibitions. 

2.0  Un  privilège  exclusif  à coté  d’une  vente 
libre;  ce  qui  est  bien  plus  odieux  qu’une  ex*- 
clusion  totale. 

3.°  Un  impôt  de  remplacement,  dont  nous 
avons  reconnu  toute  l’injustice. 

Aussi  m’a-t-on  assuré,  meme  avant  mon 
départ,  que  déjà  on  avoit  renoncé  entière- 
ment à cette  idée. 

Quelle  est  donc  celle  adoptée  par  le  Co- 
mité, dans  son  rapport  d’hier?  Je  ne  puis  le 
deviner  ; mais  j’oserai  indiquer  ici  la  marque 
distinctive  à laquelle  on  pourra  reçonnoitre 
si  le  plan , quel  qu’il  soit , est  utile  ou  dan- 
gereux. 

Oui , Représentai  d’un  grand  Peuple  que 
vous  voulez  rendre  heureux,  j’ose,  au  nom 
sacré  de  la  Patrie  , invoquer  votre  plus  sé- 
rieuse attention  sur  ce  que  je  vais  dire.  J’ose 
vous  sommer  de  dépouiller  ici  toute  préven- 
tion. Si  l’on  vous  demande  une  culture  libre, 
une  vente  libre,  on  vous  propose,  sans  le 
vouloir,  sans  doute,  de  consacrer  la  plus 
grande  des  fautes  politiques. 

Représentez-vous  le  premier  moment  où  la 
culture  du  tabac  seroit  rendue  libre  pour  tout 
le  Royaume;  l’idée  d’une  prohibition  de  plu* 


( i-5  ) 

sieurs  siècles , levée  en  un  instant  ; l’ espérance 

un  gain  inconnu  ; fimagination  exaltée  par 
une  fausse  application  de  liberté  ; l’attrait 
que  toute  chose  nouvelle  a pour  nous;  avec 
quel  empressement  chacun  se  hâtera  d’en  user? 
Dès  le  lendemain  je  vois  la  France  entière 
métamorphosée  en  un  champ  de  tabac  , la 
funeste  leçon  de  l’année  dernière  oubliée  ; 
tios  campagnes , qui  suffisent  à peine  au  blé 
nécessaire  à leurs  habitans , n’en  portant  pas 
un  seul  grain  peut-être  ; le  Cultivateur  , pau- 
vre, expirant  de  faim  auprès  d’une  récolte 
abondante,  mais  inutile;  et  l’homme  aisé,  car 
il  n’est  déjà  plus  de  riches,  achevant  sa  ruine, 
et  forcé  d’échanger  le  peu  d’or  qui  lui  reste, 
contre  les  grains  de  l’étranger,  qui  ne  man- 
quera pas  d’abuser  de  notre  sottise  et  de  nos 
besoins. 

Le  second  danger,  moins  frappant , peut- 
étre  , pour  les  yeux  de  la  multitude,  mais 
non  moins  effrayant  pour  des  hommes  éclai- 
rés , c est  celui  que  j’ai  seulement  indiqué 
plus  haut,  et  qui,  dans  une  vente  libre,  ré- 
sulterait, pour  les  individus,  de  la  falsifica- 
tion des  tabacs,  de  leur  fabrication  vicieuse 
des  corps  étrangers  enfin,  que  l’avidité  tou- 
jours égoïste,  y pourrait  introduire. 


Qü’ôft  se  fâppelie  ce  qui  s’est  passé  en  Bre- 
tagne il  y a peu  .d’années  ; quelles  épreuves 
furent!  faites  sur  des  tabacs , fabriqués  , il  esE 
Vrai,  parla  ferme  générale,  mais  corrompus 
par  ses  débitans  ; quels  dangers  furent  recon- 
nus dans  les  manœuvres  coupables  que  ces 
derniers  s’étoient  permises  ; quelle  quantité 
de  tabac  fut  aussi-tôt  livrée  au3t  fiâmes  , pour 
enlever  de  la  consommation  des  matières 
pernicieuses*  Or,  si  ces  débitans,  surveillés 
par  une  compagnie  qui  , par  honneur  pre- 
mièrement,Jet  pour  son  propre  intérêt  ensuite* 
doit-être  soigneuse  de  se  montrer  irréprocha- 
ble , ont  pii  soustraire  à sa  vigilance  des  mélan- 
ges criminels  et  des  matières  empoisonnées  ; 
de  quoi  ne  peut-on  pas  supposer  capable  une 
multitude  de  vendeurs  en  détail , sans  frein  * 
sans  règle  * sans  inspection,  dont  rien  ne  pré- 
viendra les  désordres  , et  dont  les  bénéfices 
croîtront  en  proportion  de  leurs  fraudes  ? 
L’homme  à son  aise  alors , achètera  seul  le 
tabac  de  bonne  qualité  ; mais  le  malheureux , 
qui  verra  le  bon  marché  de  près  , et  de  loin 
seulement  le  danger  , achètera  des  poisons 
et  la  mort* 

• Ce  dernier  mot  doit  être  décisif.  Que  1© 
Couvernement  néglige*  s’S  le  veut*  tout  ce 


qui  tient  au  riche,  il  peut  s’en  rapporter  à 
lui-mëme  du  soin  de  son  individu  ; mais  le 
pauvre,  que  le  présent  occupe  trop  doulou- 
reusement pour  qu’il  pense  à l’avenir  ; la 
pauvre,  qui  n’a  pas  le  tems  de  prévoir,  parce 
qu’il  ale  besoin  d’user;  c’est  sur  lui,  c’est 
sur  ses  intérêts  qu’il  faut  veiller  sans  cesse. 
Le  Gouvernement  est  le  tuteur  que  l’huma-i 
nité  lui  donne;  il  ne  doit  au  riche  que  la  jus- 
tice ; mais  il  doit  au  pauvre  la  protection , le 
secours , et  sur-tout  une  vigilance  continuelle 
sur  sa  conservation. 

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