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Full text of "Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique 16.1901-02"

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REVUE 

DE 

L’HYPNOTISME 

ET DE LA 

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE 




SEIZIÈME ANNÉE 


REVUE 

DE 

L’HYPNOTISME 

ET DE LA 

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE 

Paraissant tous les mois 


PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE 
MALADIES MENTALES ET NERVEUSES 


Rédacteur en chef : Docteur Edgar BÉRILLON 

COLLABORATEURS FONDATEURS 

CHARCOT, DUMONTPALLIER ; LITÏS; MESNET ; Aug. VOISIN; AZAM; 
DELBOEUF (de Liège) ; HAGKTUKE (de Londres); SEMAL (de Mons). 

PRINCIPAUX COLLABORATEURS 

MM. les D rs BERNHEIM, p r à la Faculté de Nancy ; BABINSKI, méd. de la Pitié; 
BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. do l’Asile de Villejuif; 

CRUISE (de Dublin); L. DAUR1AO, prof, à la Faculté des lettres de Montpellier; 
GU1MBEAU ; W. DEKHTEREFF (de St-Pétcrsbourg) ; VanEEDEN (d’Amsterdam) ; 
GRASSET, prof, à la Faculté de Montpellier; A. de JONG (La Haye); 
BINET-S ANGLE; O. JENNINGS,P. JOIRE, (de Lille); JAGUARIBE(San-Paulo); 
LACASSAGNE, prof, à ia Faculté de Lyon; LADAME (de Genève); 
LIÉBEAULT (de Nancy); LEGRAIN, méd. de l’Asile de Vaucluse ; Henry LEMESLE 
LLOYD-TUCKEY (deLondies); MANOUVRIER; prof, à l’Ecole d’Anthropologie; 
MASOIN, prof, à l’Université de Louvain ; Milne BRAMWELL (de Londres) ; 
MABILLE, méd. de 1 Asile de Lafond; Paul MAGNIN, prof, à l’Ecole de psychologie; 
MORSELLI (de Gênes); DE PACKIEWICZ (de Riga); 

PITRES, prof, à la Faculté de Bordeaux; RAFFEGEAU (du Vésinet); 

Félix REGNAULT; Charles RICHET, prof, à la Faculté de Paris; 

Van RENTERGHEM, (d’Amsterdam); Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); 
SPERLING (de Berlin); TOKARSKI,(de Moscou); J. VOISIN, méd. de la Salpétrière ; 
STEMBO(de Vilna); VLAVIANOS(d’Athènes); WETTERSTRAND (de Stockholm); 
LIÉGEOIS, prof, à l’Univ. de Nancy; BOIRAC, recteur del’Univ.de Grenoble; 
Pierre JANET, agrégé de l’Université; Max DESSOIU (de Berlin); 

TARDE ; STUMPF, prof. àl’Univ. de Berlin ; Ch. JULLIOT ; 

Max NORDAU ; A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc. 

Secrétaire de la Rédaction : D r Paul FAREZ. 


LE NUMÉRO : 60 CENT. 


Rédaction et Administration : 14, rue Taitbout, Paris (9 e ). 
(Téléphona : 324-0f)': / 

19 0 2 • - - 





REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16« Année — N« 1. 


Juillet 1901. 


BULLETIN 


La Revue de l’hypnotisme et le mouvement 
psychologique. 


La Revue de l'hypnotisme, fondée en 1886 sous les auspices de 
Charcot, Dumontpallier, Mesnet, Delbœuf, Liébeault et des 
maîtres de l’École de Nancy, entre dans sa seizième année. 
Depuis sa fondation, la Revue a enregistré impartialement tous 
les faits scientifiques se rattachant à l’étude de l’hypnotisme. 
Elle s’est ainsi conformée au programme publié dans son pre¬ 
mier numéro. 

Nos lecteurs nous rendront cette justice que nous n’avons ja¬ 
mais fait la moindre concession au néo-mysticisme qui s’est 
manifesté avec tant d’intensité au dernier Congrès de Psycho¬ 
logie, en août 1900. 

Elle s’est toujours inspirée des règles de la méthode expéri¬ 
mentale enseignée par Claude Bernard et par les physiolo¬ 
gistes contemporains. C’est à cet esprit scientifique qu’il faut 
attribuer le succès des œuvres dont elle a provoqué ou facilité 
l’organisation. Parmi ces œuvres, il convient de citer en pre¬ 
mière ligne le premier Congrès international de l’hypnotisme 
tenu en 1889, sous la présidence de Dumontpallier et le second 
Congrès réuni en août 1900, sous la présidence de M. Jules 
Voisin. Il faut aussi rappeler qu’elle a permis le groupement 
des fondateurs et la Société d'hypnologie et de psychologie. 
Cette Société, qui compte cent cinquante membres français et 
étrangers et comprend dans son sein les hommes les plus uni¬ 
versellement estimés pour leurs recherches en hypnotisme et 


1 




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REVUE DE L’HYPNOTISME 


en psychologie, est à la fois une des plus actives et des plus 
fréquentées de Paris. Elle va célébrer, le 16 juillet prochain, 
le dixième anniversaire de sa fondation et réunira à cette 
occasion dans un banquet un grand nombre de ses adhérents» 

Rappelons aussi la création de l’Institut psycho-physiologique 
et celle de l’Ecole de psychologie, dont les cours, grâce à l’assi¬ 
duité de nos lecteurs, ont obtenu un succès si considérable. 

La constatation de ces succès devait provoquer des ému¬ 
lations. Elles se sont manifestées sous des formes différentes. 
Nous trouvons dans ces tentatives la meilleure approbation que 
nous puissions souhaiter pour nos efforts personnels. La Revue 
de Vhypnotisme peut revendiquer une part des plus importantes 
dans le mouvement psychologique qui s’accomplit. Les idées 
aujourd’hui acceptées par les médecins et par les psychologues 
en matière d’hypnotisme, de psychothérapie, de pédagogie cli¬ 
nique et de psychologie appliquée, sont celles qu’elle ne cesse 
de défendre et de vulgariser depuis quinze ans. Il est possible 
que les nouveaux venus dans ces études no s’empressent pas 
de reconnaître le mérite qui revient à nôs collaborateurs dans 
cette évolution scientifique. Quoi qu’ils fassent, l’histoire impar¬ 
tiale rendra à chacun la justice qui lui est due. D’ailleurs le 
moment n’est-il pas venu de répéter après Braid cette réflexion 
si judicieuse : « In the progrès of improvements, itis always 
agood sign of their appréciation, when attemps are made to rob 
the authors of the merit due to them ». — C’est toujours un 
bon signe de la valeur des initiatives et des recherches scienti¬ 
fiques lorsque l’on constate que des efforts sont tentés pour 
dépouiller les auteurs du mérite qui leur revient. . . » 

E. B. 


Les rapports de l’hypnotisme avec l’hystérie ( l 2 ) 

Par le D r Paul Magnin 

Vice-président, de la Société d’hypnologie 


Dans son livre intitulé Neurypnologv , James Braid définit 
l’hypnotisme « un état particulier du système nerveux déter¬ 
miné par des manœuvres artificielles » ('-). 

(1) Rapports présentés au deuxième congrès international de l'hypnotisme. 

(2) James Braid : Neurypnology . Or the rationale of nervous sleep considered in 
relation with animal magnetism. Illustrated by numérous cases of its succesful ap- 



LES RAPPORTS DE L’HYPNOTISME AVEC L’HYSTÉRIE 3 

Cette définition, tout insuffisante qu’elle puisse être, a du 
moins l’avantage de ne rien préjuger sur la nature intime des 
phénomènes observés. Or, le^ recherches entreprises scienti¬ 
fiquement depuis Braid ont montré précisément combien la 
question était complexe et combien en dehors de toute inter¬ 
prétation la constatation rigoureuse des faits présentait par 
elle-même de difficultés. 

A plus forte raison, cette interprétation a-t-elle donné lieu 
à des discussions très vives et, aujourd’hui encore, les auteurs 
sont loin de s’entendre à ce sujet. 

Pour les uns, Charcot et ses élèves, « l’hypnotisme représente 
cliniquement un groupe naturel comprenant une série d’états 
nerveux différents les uns des autres, chacun d’eux s’accusant 
par une symptomatologie qui lui appartient en propre » (*). 

L’hypnotisme est une névrose expérimentale. Les phéno¬ 
mènes d’hypnose dépendent toujours d’un trouble du fonc¬ 
tionnement régulier de l’organisme et l’hystérie joue ici le plus 
grand rôle (-). 

Pour les autres, le sommeil nerveux n’a rien de pathologique. 
Pour Liébeault et ses élèves, c’est un phénomène presque 
normal, identique au sommeil naturel. On l’obtient plus ou 
moins facilement chez tous les sujets. Point n'est besoin d’une 
tare névropathique. Il n’existe aucun rapport entre l'hypno¬ 
tisme et l’hystérie. Il n’y a pas de névrose hypnotique et l’hyp¬ 
notisme tel qu’il a été compris à la Salpêtrière, n’existe pas (“). 

Les arguments que les élèves de Charcot ont fait valoir pour 
défendre la doctrine du maître sont connus de tous. Ils ont 
été développés tout particulièrement par Pitres, Gilles de la 
Touretfe et Babinski. 

Les sujets hystériques sont seuls hypnotisables. Entre la 
léthargie, la catalepsie et le somnambulisme hypnotique et 
les états de même nom appartenant à l’hystérie, il n’existe pour 
M. Gilles de la Tourette que cette différence, à savoir que les 
premiers états sont provoqués, les autres spontanés. Or, la 
différence est apparente et’ non réellepuisque dans certains cas, 


plicatior? in the relief and cure of disease. London and Edinburgh, 1843, trad. fran¬ 
çaise par le D r Jules Simon, 1883, p. 19. 

(1) J. M. Charcot: Note sur les divers états nerveux déterminés par Vhypnotisation 
sur les hystéro-épileptiques. C. R. de l’Ac. des Sciences, 13 février 1882. Progrès 
médical 1882, p. 124. - Exposé des titres scientifiques de J. M. Charcot , 1882, p. 172. 

(2) P. Richer: Etudes cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie. 2° édi¬ 
tion, 1885, p. 105 et suivantes. 

(3) A. Liébeault : Le sommeil provoque et les états analogues 1889. — Bernheim : 
De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique , 2 e édition, 1888. 



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REVUE DE L HYPNOTISME 


les états dits hypnotiques peuvent apparaître spontanément et 
qu’il s’agit toujours d’hystériques dans la circonstance. Par 
cela même qu’un malade est sujet à des attaques de léthargie, 
de catalepsie, de somnambulisme, on peut en induire à coup 
sûr qu’il est hystérique ('). 

Une seconde raison réside pour le professeur Pitres dans ce 
fait que tous les symptômes que l’on observe chez les sujets 
hypnotisés peuvent se rencontrer sur des hystériques à l’état 
de veille et font éventuellement partie du cortège des symp¬ 
tômes de l’hystérie. Les manœuvres hypnogéniques ont pour 
effet de déterminer, chez certains sujets, l’apparition de phé¬ 
nomènes musculaires sensitifs et psychiques dont la sériation 
régulière ou irrégulière constitue les formes typiques du grand 
hypnotisme ou les formes frustes ou incomplètes du petit hyp¬ 
notisme. 

Or, si, dit le professeur Pitres, chacun d’eux peut exister iso¬ 
lément chez des hystériques en dehors de l’état d’hypnose pro¬ 
voquée, n’est-on pas en droit de les considérer comme des acci¬ 
dents de nature hystérique, quand ils se montrent réunis à la 
suite de manœuvres expérimentales. 

De même les zones hypnogènes et hystérogènes d’un même 
individu sont toutes de nature hystérique. De même enfin, pour 
MM. Gilles delà TouretteetCathelineau, les divers états hyp¬ 
notiques se jugent par une formule clinique identique à celle 
découverte antérieurement par les mêmes auteurs pour l’at¬ 
taque et les états de mal hystérique. 

« Entre l’hypnose provoquée et l’hypnose spontanée, conclut 
le professeur Pitres, il n’y a aucune différence de nature. Hyp¬ 
notiser un sujet, c’est lui donner artificiellement une attaque 
de sommeil ; le réveiller, c’est faire cesser cette attaque par des 
manœuvres expérimentales. 

Or, nous avons vu précédemment que l’attaque de som¬ 
meil n’est qu’un fragment détaché ou tout au moins un équiva¬ 
lent clinique de la grande attaque complète et régulière de 
l’hystérie. Nous sommes donc amenés à conclure que l’hypnose 
artificielle a la même signification nosographique. Elle est une 
des manifestations de la diathèse névropathique, un des symp¬ 
tômes hystériques qui peuvent être provoqués ou arrêtés par 
des excitations expérimentales » ( 2 ). 

(1) Gilles de la Tourette s Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie , seconde 

partie, I, p. 298. 

ft>ï 4. Pitres; Leçons cliniques sur l'hystérie et V hypnotisme , t. II, p. 346 et suiv. 



I 


LES RAPPORTS DE L’HYPNOTISME AVEC L’HYSTÉRIE 5 

De même pour M. Babinski, les anesthésies, les paralysies 
flasques, les contractures, la catalepsie sont des manifestations 
communes à l’hystérie et à l’hypnotisme. 

L’exaltation de la suggestibilité, caractère fondamental de 
l’hypnotisme, appartient aussi à l’hystérie. — Les somnambules 
hypnotiques sont parfois tout comme les somnambules hys¬ 
tériques plongés dans un état psychique second. — L’influence 
thérapeutique de l’hypnotisme s’exerce d’une façon prédomi¬ 
nante sur les troubles qui relèvent de l’hystérie. — Il existe 
entre l’hypnotisme et les manifestations hystériques un balan¬ 
cement analogue à celui qu’on peut observer dans les divers 
accidents qui dépendent de l’hystérie, — Enfin une attaque 
hypnotique peut s’enchevêtrer parfois avec une attaque hysté¬ 
rique ( 1 ). 

M. Tamburini pense au contraire que l’hypnotisme, dans le 
cas même de grande hystérie, ne constitue jamais une névrose, 
mais ne fait que mettre en évidence des phénomènes patholo¬ 
giques de l’hystérie qui se réduisent tous à des manifestations 
d’excitabilité réflexe exagérée, phénomènes qui, ou préexistent 
(dans la veille même), ou sont chez le malade à l’état latent. 
L’hypnotisme ne représente ici qu’un réactif capable de mettre 
en évidence les stigmates les plus cachés de l’hystérie. 

D’ailleurs les phénomènes hypnotiques peuvent varier à 
l’infini suivant les sujets, suivant qu’il s’agit d’hystériques, de 
névropathes ou d’individus sains. C’est même chez ces der¬ 
niers qu’on aura les phénomènes vrais, simples, nets, naturels, 
du pur sommeil hypnotique. 

Les caractères fondamentaux de l’hypnose doivent être ré¬ 
duits à deux, savoir : une certaine augmentation de l’excitabi¬ 
lité réflexe et une augmentation en général considérable de la 
suggestibilité. En somme, c’est l’état d’automatisme qui est 
caractéristique de l’hypnose. 

Les formes innombrables que peut revêtir l’hypnotisme dans 
les divers cas ne sont produites (à l’exception des degrés possi¬ 
bles du sommeil) que par tout ce que les conditions patholQ- 
giques préexistantes spontanément ou la suggestion artificiel¬ 
lement peuvent y superposer ( 2 ). 

Toute autre est l’opinion des observateurs de l’Ecole de 


(1) J. Babinski: Hypnotisme et hystérie , leçon faite à la Salpêtrière, le 23 juin 
1891. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie. Juillet 1891. 

(2) A. Tamburini : Sur la nature des phénomènes somatiques dans l’hypnotisme. Re¬ 
vue de l’Hypnotisme, 6°année, 1892, p. 141 et suivantes. 



6 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Nancy; et parmi eux M. Delbœufct M. Bernheim ont émis des 
idées radicalement opposées à celles de Charcot. Ils suppri¬ 
ment d’un seul coup l’hypnotisme; un seul phénomène, la sug¬ 
gestibilité remplace tout, explique tout, est le primus movens de 
tous les faits observés. 

L’état hypnotique n’est pas un état spécial, anormal, arti¬ 
ficiellement provoqué par le sommeil braidique ou suggestif. 
Ce sommeil n’est pas nécessaire pour obtenir les phénomènes 
dits hypnotiques ; ils existent à l'état de veille chez certains 
sujets. Tous les sujets, sans exception, qui les réalisent dans 
le sommeil vrai ou apparent provoqué, les réalisent aussi par 
affirmation simple ou entrainement suggestif à l’état de veille. 
La suggestion ne produit que rarement le vrai sommeil, mais 
chez la plupart et même chez les meilleurs somnambules seu¬ 
lement l’illusion suggérée du sommeil. 

Ce qu’on appelle l’hypnotisme n’est autre chose que la mise 
en activité d'une propriété physiologique du cerveau, la sugges¬ 
tibilité. Il n’y a pas d’état spécial méritant le nom d’hypno¬ 
tisme, il n’y a que des sujets suggestibles plus ou moins 
auxquels peuvent être suggérés des idées, des actes, des 
hallucinations. 

Braid remplaça l'ancien magnétisme par l'hypnotisme; c’est 
la fixation d’un point brillant et l’attention concentrée qui 
créent un sommeil artificiel dans lequel existent la sugges¬ 
tibilité, l’hallucinabilité, etc., dues à l’imagination seule du 
sujet. 

Liébeault remplaça l’hypnotisme de Braid par le sommeil 
suggestif.. C’est la suggestion seule qui fait le sommeil, qui 
développe la suggestibilité, qui fait la guérison. 

M. le professeur Bernheim dégage la suggestion du sommeil 
provoqué artificiel suggestif ou braidique et pense que les phé¬ 
nomènes dits hypnotiques ne sont pas fonction d’un état parti¬ 
culier de l’organisme artificiellement créé, mais d’une pro¬ 
priété normale du cerveau, plus ou moins développée suivant 
les sujets : la suggestibilité (*). 

Dans un travail très intéressant sur la suggestibilité, M. Crocq 
(de Bruxelles) a montré la progression de la suggestibilité nor¬ 
male à la suggestibilité pathologique, la rapidité de cette pro¬ 
gression dépendant du rapport existant entre les deux facteurs 


(1) Bernheim : A propos de Vétude sur James Braid, par le D v Milne-Bramwell , etc. y 
in-Revue de l’Hypnotisme, 12° aimée, 1893, p. 143 et suivantes. 



LES RAPPORTS DE L’HYPNOTISME AVEC L'HYSTÉRIE 7 

en jeu : d’une part l’impressionnabilité, de l’autre,'la force de 
résistance du sujet. 

Pour l’auteur, la suggestibilité hypnotique varie d’ailleurs 
dans des proportions aussi grandes que les suggestibilités 
normales et pathologiques à l’état de veille. 

« Si, dit M. Crocq, l’hypnose n’est qu’une manifestation de la 
suggestibilité, il faudrait croire que ceux seuls qui possèdent 
à l’état de veille une hypcrsuggestibilité très accentuée, sont 
susceptibles de présenter un somnambulisme profond, ce qui 
nous amènerait à croire avec Charcot que les névrosés sont 
plus hypnotisables que les normaux. 

« En admettant l’existence de l’hypnotisme et en le considé¬ 
rant comme dû à la dissociation fonctionnelle des centres ner¬ 
veux aboutissant à une annihilation plus ou moins forte du 
centre psychique supérieur et conscient, dissociation pouvant 
résulter de toutes les impressions capables de distraire le cen¬ 
tre de son rôle de contrôle, de fixer l’attention, on conçoit qu’un 
individu intellectuellement normal puisse se transformer en 
automate et l’on comprend pourquoi les individus normaux 
sont en général plus hypnotisables que les névrosés dont l’at¬ 
tention ne peut être fixée » (*). 

Quant à nous, nous nous refusons absolument à partager 
l’opinion de M. le professeur Bernheim. Elle nous paraît en 
contradiction formelle avec une observation rigoureuse des 
faits. Les nombreux sujets hystériques sur lesquels il nous a 
été possible de provoquer l’hypnose nous ont paru plongés 
dans un véritable sommeil et ne pas avoir seulement l’illusion 
suggérée de ce sommeil 

D’ailleurs, dans un très grand nombre d’expériences, nous 
avons déterminé l’hypnotisme en dehors de toute espèce d’au¬ 
tosuggestion de la part du sujet, en dehors de toute espèce de 
suggestion de notre part. 

Si nous nous plaisons à reconnaître que, dans un très grand 
nombre de cas, la suggestion est seule en cause, il nous semble 
juste cependant de ne pas exagérer son rôle. Il faut bien savoir 
qu’on peut agir aussi en dehors d’elle et que, même chez les 
hystériques qui lui sont pour la plupart si sensibles, on peut 
provoquer des phénomènes très nets sans son intervention. 

Il est même certains d’entre eux que nous n’avons jamais 
réussi à produire par suggestion, entre autres l’hyperexcita- 

(1) M. Crocq fils (de Bruxelles) : Revue de psychologie clinique et thérapeutique . 
Juin et Juillet. 1898. •• 



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BEVUE DE l’hYPN0TI8ME 


bilité neuro-musculaire. Nous nous sommes adressé intention¬ 
nellement à des sujets hystériques très intelligents, nous leur 
avons fait de la façon laplus claire, la plus nette, la description 
des contractures localisées que nous voulions obtenir; les 
malades ont certes répondu à nos suggestions, mais toujours 
et seulement par à peu près. Aucune comparaison à établir 
entre les contractures diffuses obtenues de la sorte et les phé¬ 
nomènes que l'on a observés chez les sujets chez lesquels se 
montre l’hyperexcitabilité neuro-musculaire vraie. 

Quoi qu’il en soit, depuis l'état de veille jusqu’à l’état hypno¬ 
tique le plus complet, depuis l’hypnose la plus légère jusqu’à la 
léthargie la plus profonde on peut observer tous les intermé¬ 
diaires. C^est là un fait sur lequel nous avons été le premier à 
insister il y a longtemps déjà è). Et à ce point de vue, ne suffi¬ 
rait-il pas de rappeler combien à un certain moment se sont 
trouvés multipliés par les divers observateurs les états décrits 
dans la sommation provoquée. 

Si nous avons quelquefois constaté sur des sujets en appa¬ 
rence sains une suggestibilité au-dessus de la normale, nous 
avons été loin de réussir à les endormir dans les proportions 
indiquées par beaucoup d’auteurs. 

Dans les cas où il nous a semblé mettre les sujets en état appa¬ 
rent de sommeil nous avons conservé de très grands doutes 
sur la réalité du phénomène produit. Aucun caractère bien 
défini ne nous a permis d’en affirmer l’existence. Peut-être 
avons-nous fait simplement accepter à ces sujets l’idée suggé¬ 
rée du sommeil. 

Dans le cas d’observations sur des sujets sains ou soi-disant 
tels, il est réellement souvent bien difficile de savoir où finit 
l'état de veille, où,commence le sommeil. 

Braid considérait comme la caractéristique de l’hynotisme 
la perte de la mémoire de façon qu’au réveil le patient n’ait au¬ 
cun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil, mais 
qu’il se souvienne cependant lorsqu’il est plongé dans le même 
état. Et de fait, l’oubli au réveil a été considéré par beaucoup 
d’auteurs comme le signe fondamental de l’état hypnotique. 

M. Bérillon a fait justement remarquer que cette définition 
trop étroite excluait du domaine de l’hypnose un grand nombre 
de faits qui s’y rattachent manifestement. 

S’il est, dit-il, un phénomène qui marque d’une façon plus 

(1) M. P. Magnin : Remarques générales sur l’hypnotisme. C. R. Soc. Biologie, 
15 décembre 1883. — Les états mixtes de l’hypnotisme. Revue scientifique, 12 juin 1886. 



LES RAPPORTS DE L’HYPNOTISME AVEC L’HYSTÉRIE 9 

précise la limite qui sépare l’état normal de l’état hypnotique, 
c’est celui qui a été désigné sous le nom de paralysie psy¬ 
chique motrice ( , ). 

Remarquons en passant que ces paralysies, lorsqu’elles se 
développent en dehors de toute expérimentation se montrent 
généralement sur des sujets hystériques et c’est encore sur les 
hystériques qu'il est possible de les reproduire expérimentale¬ 
ment avec la plus grande facilité. 

Si le sommeil artificiel ne s’observe pas chez les seuls 
malades atteints de névrose confirmée, il n’en est pas moins 
vrai que la plupart des personnes chez lesquelles on le pro¬ 
voque avec quelque facilité sont à des degrés divers en puis¬ 
sance de nervosisme ( 1 2 ). 

Les diverses formes du sommeil non naturel, spontané ou 
provoqué ne sont, comme l’a dit justement M. Barth, que les 
manifestations d’un seul et même état morbide, la diathèse 
nerveuse ( 3 ). 

Si nous ignorons la nature de cette débilité fonctionnelle du 
système nerveux qui constitue l’état névropathique, nous ne la 
voyons pas moins, transmise par hérédité ou développée par 
accident, engendrer toutes les névroses. Or, cette même prédis¬ 
position commune à la plupart des maladies nerveuses se 
retrouve plus ou moins nettement dessinée dans l’étiolçgie de 
toutes les formes du sommeil pathologique. Ici encore, soit dans 
les antécédents personnels du sujet, soit dans ceux de sa 
famille, on découvre toujours la même tache originelle, l’état 
névropathique et c’est encore ce même état qui existe plus ou 
moins latent chez les sujets impressionnables aux manœu¬ 
vres de l’hypnotisme (Barth). 

De toutes les causes prédisposantes, si l’on peut dire, au 
développement du sommeil hypnotique, la diathèse hystérique 
reste, à notre avis, la plus importante. En s’adressant aux 
hystériques les plus hystériques, on devra, comme l’a fait 
remarquer M. Richer, obtenir les phénomènes d’hypnotisme les 
plus marqués. C’est effectivement ce qui a lieu chez les hystéro- 
épileptiques. Et c’est ici qu’apparaissent dans toute leur évi¬ 
dence les liens étroits qui unissent l’hystérie et l’hypnotisme. 

Que d’observations ont été publiées dans des ouvrages d’hyp- 

(1) M. E. Bérillon : L'hypnotisme et les paralysies psychiques motrices . Revue de 
l’hypnotisme, 15* année 1900, p. 22. 

(2) Legrand du Saule : Les hystériques , 1883. 

(3) H. Barth : Du sommeil non naturel . Ses diverses formes. Th. agrégation, 1886, 
p. 158 et suivantes. 


1 . 



10 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


notisme thérapeutique, pour lesquelles le diagnostic semble 
douteux et dans lesquelles celui qui les lit et les analyse atten¬ 
tivement croit pouvoir reconnaître l’hystérie. Et de fait, le 
diagnostic de la névrose n’est pas toujours exempt de diffi¬ 
culté ; mieux que tous autres, les travaux de Charcot et de ses 
élèves l’ont péremptoirement démontré. 

Les excitations périphériques les plus diverses peuvent 
déterminer chez l’hystérique la production des phénomènes 
hypnotiques. Telle est le plus souvent la facilité avec laquelle 
la sommation s’établit qu’on doit en somme considérer la sen¬ 
sibilité hypnogénique comme un des symptômes de la grande 
hystérie. 

Ces excitations périphériques s’adressent soit à la sensibi¬ 
lité générale soit à la sensibilité spéciale. Elles sont, suivant 
les circonstances, conscientes ou inconscientes. Elles peuvent 
agir par ou sans la suggestion. Elles produisent, suivant le 
déterminisme de l’expérience des effets sensitifs, moteurs ou 
psychiques (’). 

Et c’est précisément dans cette possibilité d’instituer des 
expériences sur les hystériques que réside pour nous l’intérêt 
principal des rapports étroits qui unissent l’état d’hypnose à la 
névrose. On peut, en observant les règles du déterminisme 
scientifique le plus rigoureux, poursuivre des recherches aussi 
bien au point de vue physiologique que psychologique ou thé¬ 
rapeutique. L’irritabilité réflexe exagérée des sujets s’étend à la 
totalité de leur axe encéphalo-médullaire. Et d'ailleurs les dif¬ 
férentes formes du sommeil provoqué avec les phénomènes 
qui les caractérisent dépendent précisément du rapport existant 
entre les fonctions obscurcies ou abolies et les fonctions per¬ 
sistantes ou excitées. 

Les expériences d'hypnose hémicérébrale sont à cet égard 
on ne peut plus démonstratives. Particulièrement intéressantes 
aussi sont les observations faites sur des sujets chez lesquels 
on produit simultanément deux des périodes de la sommation 
provoquée, les résultats étant alors en rapport, pour chaque 
côté du corps avec le degré d’activité de l’hémisphère cérébral 
qui commande à ce côté. 

Là réside surtout l’intérêt de l’étude du grand hypnotisme 
chez la grande hystérique. Chez aucun autre sujet sain, ou soi- 
disant tel, ou même atteint d’une autre affection du système 


(1) P. Magnin : Etude clinique et expérimentale sur Vhypnotisme. Th. de Paris, 1884. 



LES RAPPORTS DE L’HYPNOTISME AVEC L’HYSTÉRIE lt 

nerveux et hypnotisable, le médecin ne pourra pousser plus 
loin l’investigation psychologique. 

Plus que tous autres, les phénomènes observés dans l’hyp¬ 
nose démontrent qu ainsi que l’a dit le professeur Brissaud, 
chacun des segments superposés dont l’ensemble constitue le 
névraxe, chaque métamère, bien qu’en connexion intime avec 
ses voisins, garde néanmoins vis-à-vis d’eux une indépendance 
relative (*). Ils prouvent que le système nerveux cérébro-spinal 
est tout comme la chaire ganglionnaire des articulés « une 
collection d’organismes, comme l’a écrit il y a longtemps Durand 
de Gros, donnant à cette conception le nom de polyzoïsme. 
C’est une collection de moi distincts et l’unité apparente est 
tout entière dans l’harmonie d’un ensemble hiérarchique dont 
les éléments rapprochés par une coordination et une subordi¬ 
nation étroites portent néanmoins, chacun en soi, tous les at¬ 
tributs essentiels, tous les caractères primitifs de l’animal 
individuel » ( 2 ). 

Or c’est précisément cette coordination qui fait défaut dans 
l’hypnose. Les phénomènes observés sont essentiellement des 
produits de l’automatisme cérébral. Ainsi que l’a si bien dit le 
professeur Raymond, on retrouve « pour rendre compte des 
phénomènes de l’hypnotisme la pathogénie invoquée pour 
rendre compte des autres manifestations de l’hysterie. Là, 
comme ici, nous avons affaire à des désordres psychiques qui 
relèvent d’un trouble de la personnalité, d’une obnubilation du 
moi » ( 3 ). 

Bichat, ainsi que l’a fait remarquer M. Bérillon, pensait avec 
raison que chacun des organes de la vie de relation peut être 
en état de sommeil pendant que d’autres organes du même 
ordre restent en activité. Il est le premier qui ait attribué une 
•grande importance à la possibilité du sommeil partiel ou local 
de certaines parties pendant que d’autres parties restent à l’état 
de veille, c’est-à-dire demeurent aptes à fonctionner. « Le som¬ 
meil général, dit-il, est l’ensemble des sommeils particuliers. » 

Les états de conscience que l’on comprend sous le nom d’hyp¬ 
notisme correspondent à ces sommeils particuliers dont parlait 
Bichat. Ils en sont la reproduction expérimentale ('■). 

(1) E. Brissaud : Leçons sur les maladies du système nerveux , 1895, p< 225 et suiv< 

(2) Durand de Gros cité par M. Duval. Art. Nerfs. Dict. de méd. et de chir.pra¬ 
tiques, p. 582. 

(3) F. Raymond : Discours prononcé à Vinauguration du monument élevé à la mé¬ 
moire de Charcot. Nouvelle iconographie de la Salpêtrière , 1898, p. 413. 

(4) E. Bérillon : Introduction à VEtude de l'hypnotisme . Revue de l’hypnotisme, 
14 e année* 1899-1900, p. 39 et suivantes. 



12 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


D’ailleurs lea recherches si remarquables de Brown-Séquard 
sur l’inhibition et la dynamogénie, les notions anatomiques 
nouvelles démontrant que les neurones n'ont probablement 
entre eux que des relations de contact ou de contiguïté ont 
donné naissance à des théories psychologiques du plus grand 
intérêt, conceptions nouvelles laissant entrevoir la certitude d’ar¬ 
river, dans un avenir prochain, à une interprétation rationnelle 
des phénomènes de l’hypnotisme. 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du 16 avril 1901. — Présidence de M. Jules Voisin 
\ 


La séance est ouverte à 4 h. 35. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui com¬ 
prend : 1° Une lettre par laquelle M. le D r Henry Lemesle s’excuse de 
ne pouvoir assister à la séance ; 2° Une brochure dans laquelle notre 
collègue M. le D r Stadelmann expose l’installation et les avantages 
d’une école qu’il vient de fonder pour les enfants nerveux à Wurtz- 
bourg. 

Les communications portées à l’ordre du jour sont faites par 
MM. Liégeard (de Bellême), Jules Voisin, Paul Farez, Bérillon et Paul 
Joire. 

La séance est levée à 6 h. 30. 


Etude anatomique et psychologique de quelques monstres 

humains 

Par MM. les D™ Bérillon et Félix Régnault. 

MM. Bérillon et Félix Régnault présentent un monstre humain carac¬ 
térisé par l’absence de membres supérieurs et inférieurs et désigné à 
cause de cette particularité sous le nom de a l’homme tronc ». Ils com¬ 
parent ce sujet à d’autres privés eux aussi de bras et de jambes, en 
particulierMissHawtin, John Valérius (du Palatinat) et Matthew Burgra- 
vius, dit le petit homme de Nuremberg. Kobelkoffest le quinzième de 
seize enfants : il s’est lui-même marié et a eu onze enfants dont six 
sont vivants et bien portants. Il est fort intelligent, et par l’utilisation 
d’un très court moignon conique qu’il possède à l’épaule droite et qu’il 
oppose à sa joue droite, il a acquis une dextérité surprenante. En s’ai¬ 
dant de son épaule, de son menton et de sa joue droite, il peut écrire, 




SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 13 

manger, boire, dessiner, peindre. Son caractère présente aussi diverses 
particularités intéressantes ; il est doué de beaucoup d’énergie et fait 
preuve d’une très grande égalité d’humeur. 


Mutisme, bégaiement et tremblement général 
guéris par la suggestion hypnotique 

Par M. le D r Jules Voisin 

Le 12 janvier dernier, se présentait à ma consultation externe de la 
Salpêtrière, une femme âgée de 36 ans, atteinte de neurasthénie et de 
quelques phénomènes d’hystérie (strangulation, envie de pleurer, émo¬ 
tivité très grande). Cet état durait depuis deux mois, époque à laquelle 
cette femme avait perdu une fillette. Je lui prescrivis des douches et un 
régime tonique. 

Huit jours plus tard, cette femme revint à la consultation, mais avec 
des phénomènes nouveaux. Elle ne pouvait plus parler et était toute 
tremblante. Quand oh lui faisait une question, son tremblement devenait 
plus intense et se généralisait. Il s’étendait aux membres supérieurs et 
inférieurs ; la malade avait de la peine à marcher et elle tenait difficile¬ 
ment un objet à la main. Les lèvres étaient agitées de mouvements, 
ainsi que la mâchoire inférieure ; quand là malade voulait parler, elle se 
mettait à bégayer, au point qu’on ne pouvait comprendre le sens de ses 
paroles. L’écriture était impossible, car la malade ne pouvait parvenir 
à faire ses lettres. Son nom était illisible tant le tremblement était pro¬ 
noncé. Quelquefois la malade présentait une véritable confusion men¬ 
tale. Elle ne comprenait pas la question qu’on lui posait et ses yeux 
étaient hagards. 

Sa sensibilité à gauche était diminuée. Il existait un point ovarien et 
sous-mammaire à gauche. 

Ce tremblement général, ce bégaiement et ce mutisme complet ayant 
duré un jour entier, étaient survenus à la suite d’une contrariété 
que cette femme avait eue avec son mari. Il y avait eu une ébauche 
d’attaque d’hystérie avec strangulation, cris et grands mouvements des 
bras, sans chute, ni perte de connaissance le jour même de la discus¬ 
sion. 

Cette femme était très bien portante avant la mort de sa fillette. Elle 
avait présenté seulement à l’âge de 18 ans une attaque d’hystérie, mais 
depuis lors elle n’en avait plus eu. Ses parents étaient bien portants et 
je ne trouve aucune maladie nerveuse ou mentale à relever dans la 
famille. 

Je conseillai à cette malade de se laisser endormir. Aussitôt, elle fut 
prise d’un tremblement plus prononcé : par ses signes et ses cris inarti¬ 
culés, elle montra qu’elle se refusait à ma proposition. 

Je lui dis alors d’en parler à son mari et de venir me revoir le lende¬ 
main ou le surlendemain. Je lui donnai en même temps l’assurance 
qu’elle guérirait, 



14 REVUE DE L'HYPNOTISME 

Le lendemain elle vint avec son mari. Elle présentait les mêmes 
symptômes. 

Je fixai son regard et après quelques minutes d’oscillation pupillaire, 
elle s’endormit profondément. Elle était dans la résolution com¬ 
plète. 

Je lui suggère alors qu’elle ne tremblera plus, qu’elle parlera très 
bien et je l’invite à répéter ces mots. Elle fait un effort et n’y parvient 
pas. J’affirme qu’elle peut le faire et aussitôt elle prononce correctement 
les suggestions faites. 

Au bout d’un quart d'heure, je la réveille et elle rentre chez elle 
guérie, ne tremblant plus et parlant bien. 

Deux jours après, elle revient. A la suite d’une nouvelle petite 
contrariété avec son mari, elle avait été reprise, le matin, des mêmes 
phénomènes. 

1 Je fais disparaître de nouveau par le sommeil hypnotique le tremble¬ 
ment et le bégaiement, et je fais écrire la malade qui transcrit couram¬ 
ment son nom et son adresse. 

Une autre fois, elle fut prise d’amnésie. Etant chez la fruitière, elle ne 
put se rappeler le nom des objets qu’elle voulait acheter, et elle dit : 
« Donnez-moi.M. Voisin ». 

Le lendemain elle vint me voir, et depuis cette époque elle n’a plus rien 
présenté d’anormal. Elle est complètement guérie. Le 15 février et le 
1 er mars, je revois la malade, la guérison persiste. La sensibilité est 
normale. 


Importance de la constatation exacte des troubles 
de la sensibilité dans l’hysté rie 

Par le D r P. Joire (de Lille). 

Quand nous avons un traitement hypnotique à entreprendre chez un 
malade ou plus généralement quand un nerveux se présente à notre 
examen, il est delà plus grande importance de bien faire le diagnostic 
de l'hystérie. Parmi les éléments du diagnostic, les troubles de la sensi¬ 
bilité sont des premiers à envisager, les réflexes oculaire et pharyngien 
sont de ceux que l’on interroge le plus fréquemment, et leur impor¬ 
tance, du reste, est telle qu'un clinicien sérieux ne saurait les négliger. 
Je veux insister ici sur l’importance de cet examen bien fait, et sur la 
manière dont il faut le pratiquer pour cela, importance qui m’a été 
démontrée par un grand nombre d’observations qui viennent aussi 
confirmer les idées que je soutiens depuis longtemps sur les troubles de 
la sensibilité compensés chez les hystériques. On se bornait autrefois 
à toucher la cornée avec un corps mousse et à chatouiller le pharynx 
avec un abaisse-langue, le manche d’une cuillère ou un instrument 
quelconque. Un examen aussi grossier ne peut plus être admis dans 
l’état actuel de nos connaissances cliniques, car cette exploration super- 




SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 15 

ficielle peut très bien provoquer des réflexes oculaires et pharyngiens, 
alors qu’il existe des troubles certains de la sensibilité qui passeront 
ainsi inaperçus et induiront en erreur. J’ai constaté, en effet, relative¬ 
ment au réflexe oculaire, que dans un certain nombre de cas, le bord 
ciliaire de la paupière est le siège d’une hyperesthésie, de sorte que le 
moindre contact de l’instrument provoque un réflexe très violent, tandis 
que la cornée elle-même est insensible si on la touche isolément. Dans 
d’autres cas, j’ai constaté l’anesthésie de la cojnée pour un seul œil, 
tandis que de l’autre côté la sensibilité était normale ou exagérée. Enfin 
chez d’autres sujets plus rares, on trouve sur la cornée du même œil 
une zône d’anesthésie et une autre zône de sensibilité normale ou 
d’hyperesthésie. Ces zones d’anesthésie sont essentiellement variables 
quant à leur situation, c’est tantôt la région interne, tantôt la région 
externe, tantôt la région supérieure ou la région inférieure, etc. Ces 
zônes irrégulières constatées sur un seul œil ne peuvent en aucune façon 
permettre de préjuger l’état de la sensibilité de l’autre œil, qui peut 
être normal ou anesthésié, én totalité ou en partie. La présence de zônes 
partielles d'anesthésie cornéenne a tout autant d'importance au point de 
vue du diagnostic qu'une anesthésie totale. Il est donc évident qu’un 
examen trop rapide ou superficiel, ou fait avec un instrument gros¬ 
sier est capable d’induire en erreur, soit parce qu’il se bornera à cons¬ 
tater la sensibilité d’un point, soit parce qu’il portera tout à la fois 
l’excitation sur un point anesthésié et sur un point sensible qui provo¬ 
quera le réflexe. 

Pour ce qui concerne le réflexe pharyngienne signalerai les diverses 
observations suivantes : Chez certains sujets j’ai constaté une anesthé¬ 
sie de toute une moitié latérale du voile du palais, avec hyperesthésie 
ou sensibilité normale de l’autre moitié. Chez d’autres, anesthésie 
de la partie supérieure du voile du palais et hyperesthésie du bord infé¬ 
rieur y compris la luette, ou l’inverse réciproquement. Dans d’autres 
cas, la muqueuse horizontale du palais est sensible et la muqueuse ver¬ 
ticale du voile du palais est insensible. D’autres fois il y avait insen¬ 
sibilité du voile du palais mais une hyperesthésie très prononcée de la 
base de la langue, de sorte que si l’on touchait quelque peu la langue 
en explorant le voile du palais on provoquait un réflexe énergique. Enfin 
un phénomène encore plus délicat consiste en des plaques d’anesthésie 
qui siègent indifféremment sur un point quelconque du voile du palais. 
Ces plaques d’anesthésie pouvaient avoir la dimension d’une pièce de un 
ou de deux centimes et laissaient une sensibilité normale ou exagérée 
sur toutes les autres parties de la muqueuse. 

Par conséquent, pour tous ces cas, comme pour ceux que je signalais 
tout à l’heure concernant le réflexe oculaire, une exploration peu atten¬ 
tive, ou faite avec un instrument trop volumineux, devait le plus sou¬ 
vent provoquer le mouvement réflexe, et empêchait de constater un 
trouble de la sensibilité existant en réalité. 



16 RETUE DE L'HYPNOTISME 

Nous tirerons de ces différentes observations les conclusions sui¬ 
vantes : 

1° Il est de la plus grande importance de bien faire le diagnostic de 
l’hystérie et en particulier de rechercher les troubles de la sensibilité. 

2* L’exploration des réflexes oculaire et pharyngien a une très grande 
importance ; il importe donc que cette exploration soit bien faite. 

3° Pour cela, il faut se servir d’un instrument très fin, permettant de 
porter l’excitation sur une partie très limitée de la muqueuse, à l’exclu¬ 
sion de toute autre. 

4° Relativement au réflexe oculaire, il faut examiner les deux yeux et 
explorer successivement les différentes parties de la cornée. 

5° Pour le réflexe pharyngien il faut examiner le palais, le voile du 
palais et la base de la langue isolément. 

6 # Il faut en particulier examiner les différents points du voile du 
palais, pour constater les zônes d’anesthésie et d’hyperesthésie qu’il 
peut présenter. 


Hémichorée récidivante, datant de trois mois, 
guérie en une séance de suggestion hypnotique 

Par M. le D r Paul Farez 

Une jeune fille, âgée de 19 ans, M n * Y. G., m’est amenée dans le cou¬ 
rant du mois de décembre 1900. Son bras droit et sa jambe droite sont 
animés de mouvements choréiques, involontaires, rapides, irréguliers, 
Dès qu’elle a saisi un objet avec sa main droite, elle le laisse infaillible¬ 
ment tomber, si bien qu’elle ne peut plus ni écrire, ni coudre, ni même 
manger seule ; et cela dure depuis trois mois. En outre, elle se plaint 
d’insomnies rebelles. 

Il y a environ trois ans, M I,e Y. G. a déjà été atteinte d’une semblable 
hémichorée. Voici dans quelles circonstances. Un jour, à six heures du 
soir, on vient la chercher précipitamment à son pensionnat pour la 
mener au chevet de sa mère qui, dans la matinée, a été opérée d’un 
cancer et que l’on croit sur le point de mourir. Notre jeune fille en 
éprouve une émotion considérable et les mouvements choréiques appa¬ 
raissent dans la jambe ainsi que dans le bras droit; dès lors, elle laisse 
tomber tous les objets qu’elle tient de la main droite, tant celle-ci est 
devenue malhabile. 

On la met dans une maison de santé où elle reste pendant six mois. 
En dépit des douches, du bromure, du chloral et du régime lacté, son 
état, loin de s’améliorer, se perpétue et même s’aggrave. Outre la fonc¬ 
tion motrice, l’intellectualité est touchée. M lle Y. G. se trouve dans un 
état spécial d’obnubilation ; son cerveau, dit-elle aujourd’hui, était 
comme endormi ; peut-être s’est-il agi d’une espèce d’état second 
pendant lequel « elle avait tout à fait l’air d’une idiote », au dire d’une 
parente* 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIET KT DE PSYCHOLOGIE 


17 


Au bout de six mois de séjour dans cette maison de santé, elle ne va 
guère mieux. Sa mère, qui n’est point morte et jouit d’une rémission, 
reprend saillie auprès d’elle en février 1898, puis l’envoie, d’abord à la 
mer, ensuite à Vichy. Une amélioration se manifeste et, au bout de 
quelques mois, M lle Y. G. paraît guérie. 

Mais, au mois de mai 1900, sa mère redevient malade : son cancer 
récidive et se généralise. Notre jeune fille la soigne avec un grand 
dévouement, devient une garde-malade modèle, passe les nuits, se 
fatigue, se surmène, et s’alimente insuffisamment. La malade meurt en 
septembre. Sa fille en éprouve une désolation profonde, mais ne peut 
pas verser une seule larme. Toutefois, en revenant du cimetière, elle est 
de nouveau prise d’hémichorée, avec maladresse de la main. O’est pour 
cette récidive qui dure depuis trois mois que cette jeune fille m’est ame¬ 
née en décembre dernier. 

Ses insomnies sont dues à un même rêve qui la harcèle toutes les 
nuits. Elle voit sa maman à ses côtés ; prise de peur, elle veut crier ; 
elle se réveille alors en sursaut et ne peut plus se rendormir. 

Déjà fixé par les détails qui viennent d’être rapportés, j’explore sa 
sensibilité et je découvre une hémianesthésie totale à droite. Le diag¬ 
nostic n’est pas douteux : il s’agit donc d’une hémichorée hystérique. Je 
promets alors catégoriquement à ma malade une guérison complète et 
rapide ; puis-, je lui donne rendez-vous pour le surlendemain. Elle est 
très convaincue que je tiendrai ma promesse et, déjà, elle m’en exprime 
toute sa reconnaissance. Quant à moi, je présume bien que ce délai de 
deux jours va encore accroître sa confiance en moi. La malade, en effet, 
désire ardemment voinarriver l’heure de notre rendez-vous et, dès que 
je la revois, je la trouve tout à fait « à point » pour être traitée par la 
suggestion. 

Je l’endors, séance tenante, avec la plus grande facilité. Puis, je lui 
affirme qu'à son réveil ses membres seront redevenus tout à fait dociles 
à sa volonté, qu’ils ne présenteront plus aucun mouvement irrésistible, 
qu’elle aura recouvré son adresse manuelle et se sentira tout à fait 
guérie. 

Je la réveille et l’observe : les mouvements choréiques ont totalement 
disparu. Je lui présente un verre d’eau : elle le saisit et le porte à sa 
bouche sans aucune difficulté. Je lui passe successivement un certain 
nombre d’objets usuels, tels que porte-plume, crayon, règle, cuiller, 
fourchette, couteau, ciseaux, etc. : elle les prend avec dextérité, les 
conserve dans sa main et s’en sert correctement. Je lui demande ensuite 
d’enfiler plusieurs aiguilles et enfin de faire un ourlet : elle s’en acquitte 
très convenablement. 

A la faveur de l’empire que j’ai acquis sur elle en l’endormant du 
sommeil hypnotique, je continue, après son réveil, à lui faire des sug¬ 
gestions intenses ; je ne cesse de lui parler avec assurance et autorité ; 
j’annonce formellement ce qui va se passer ; j’exalte son attention et je 
stimule sa fonction perceptive. Quant à elle, enthousiasmée par le 



18 REVUE DE ^HYPNOTISME 

succès de toutes ces expériences, elle ne doute pas de sa guérison 
définitive. 

Toutefois, ma tâche n’est point terminée. Je sais qu’il existe une 
hémianesthésie droite ; si je ne la fais point disparaître, je n’aurai peut- 
être qu’une amélioration passagère et ma malade restera exposée à une 
rechute prochaine. J’ai donc recours à diverses pratiques aesthésiogéni¬ 
ques, telles que frictions, massage, pulvérisations de chlorure d’éthyle, 
douche statique, électricité faradique, etc. Bientôt, la sensibilité rede¬ 
vient normale dans tout le côté droit. 

Mais j’insiste sur ce point: la suppression de l’hémichorée par sugges¬ 
tion verbale a précédé la restauration de l’esthésie (*). 

Pour rendre cette guérison durable, j’ai fait revenir encore trois ou 
quatre fois ma malade, mais surtout afin de lui faire des séances 
d'æsthésiogénie. 

J’ai dit plus haut que M lle Y. G. se plaignait d’insomnie rebelle, 
laquelle était due à un rêve émotionnel. Lors de notre première séance 
même, pendant qu’elle dort, j’ai soin de dissocier ce rêve, d’en inhiber 
chacun des éléments, de prévenir leur retour et de suggérer un sommeil 
paisible pour les nuits suivantes. En effet, *otre jeune fille s’endort le 
soir même à onze heures et dort d’un seul somme jusqu’au lendemain 
à dix heures et demie du matin. Dès lors notre jeune fille a retrouvé son 
sommeil normal. 

A notre seconde séance, M lle Y. G. me raconte qu’elle a, par moments, 
mal dans le ventre et qu’elle ne peut se baisser sans y éprouver des 
douleurs intolérables. Il existe en effet une zône douloureuse dans la 
fosse iliaque droite, aux environs de l'ovaire ou de l'appendice. Me rap¬ 
pelant les cas d’« appendicite fantôme ); déjà publiés, me souvenant 
aussi que l’hypnotisme est parfois un précieux instrument de diagnostic, 
je me hasarde à suggérer d’emblée la disparition de cette douleur, et 
cette douleur disparaît. Devant moi, la malade peut se baisser, se rele¬ 
ver et faire des contorsions en tous sens, sans souffrir aucunement. Il 
s’agissait donc vraisemblablement d’une algie hystérique. Mais l’hypno¬ 
tisme offre cet avantage bien appréciable que, non content de dévoiler 
la nature hystérique d’un point douloureux, il en est en même temps 
l’agent curateur. 

Encouragé par ces succès, je vais plus loin. Notre jeune fille souffre 
de constipation opiniâtre. Je lui suggère que chaque matin, à son réveil, 
elle aura une garde-robe abondante et, cette fois encore, l’effet attendu 
se réalise. 

On me dira que la suggestion s’est exercée ici sur un sujet éminem¬ 
ment propice : je n’en disconviendrai pas. Mais puisque, dans certains 
cas, elle est d’un maniement si sûr et si facile, c’est une raison de plus 
pour qu’on se décide à y avoir recours, toutes les fois que l’indication 
s’en présente. 

(1) A aucun moment la fonction menstruelle n’a été notablement troublée. 



SOCIÉTÉ d’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


19 


Il y a mainténant quatre mois que j’ai traité cette jeune fille ; elle 
jouit d’une santé excellente et, en deux mois, elle a augmenté de quinze 
livres. 


Un curieux cas de léthargie. 

Par M. le D r Liégeard, de Bellême (Orne). 

t 

M llc Emilie L... âgée de 35 ans, institutrice, à tempérament débile, 
lymphatico-nerveux, au front déprimé, sujette à des migraines et à 
des névralgies diverses, menstruée tardivement à 16 ans, fut prise d’une 
grande frayeur, à la suite de la chute de la foudre sur sa classe, 
dans l’après-midi du 13 juillet 1883. Relevée sans connaissance, elle 
fut transportée dans sa chambre et ramenée en voiture le lendemain 
chez ses parents à quelque distance de là. 

ÎS’ous la vîmes pour la première fois, le 2 août 1883, et voici, de 
mémoire, quel était à peu près son état. Etat cataleptique très mani¬ 
feste, raideur musculaire, nystagmus, abolition de la sensibilité au 
contact et à la douleur : on peut impunément lui enfoncer des aiguilles 
dans les masses musculaires sans la réveiller, promener une barbe de 
plume sur les cornées et la muqueuse nasale sans éveiller la moindre 
sensation ; abolition de la sensibilité réflexe de la moëller constatée par 
la titillation de la plante des pieds ; bruits du cœur faibles mais régu¬ 
liers ; clignotement permanent des paupières, contraction des pupilles, 
contracture des mâchoires qui empêche l’alimentation de la malade ; 
absence de sensibilité olfactive. 

Du 7 au 15 août, la malade est soumise à l’action des courants fara¬ 
diques ; il se produit des contractions musculaires énergiques, mais 
rien ne peut la réveiller. 

L’alimentation par la bouche étant rendue impossible par la contrac¬ 
ture des mâchoires, nous avons recours, aux lavements nutritifs, trois 
ou quatre fois par jour ; souvent ils ne sont pas gardés. Il y a aussi des 
urines involontaires en petite quantité. Cet état de vie végétative per¬ 
siste jusqu’au 25 décembre, c’est-à-dire pendant près de cinq mois. — 
Dans les jours qui précèdent le réveil, on note des contractions fibril- 
laires dans les muscles du visage où le nystagmus est toujours le 
phénomène dominant. 

Le jour de Noël la malade sort de son sommeil léthargique et demande 
à manger. Elle ne conserve aucun souvenir de ce qui s’est passé depuis 
le 13 juillet et parait fort étonnée „de se trouver chez ses parents. La 
sensibilité au contact est rétablie, mais des zônes d’anesthésie per¬ 
sistent sur différentes parties du corps, ce que nous constatons dans 
notre visite du 26 décembre ; il existe une grande faiblesse, mais un 
amaigrissement-peu apparent malgré les cinq mois d’abstinence. 

Emilie L... se remet peu à peu au courant de la vie et songe à 
reprendre sa classe après les vacances de Pâques. Elle en est empêchée 
par l’état de ses forces et envoie sa démission pour raison de santé. 



20 


REVUE DE l’HVPNOTISME 


Je perds de vue la malade que je considère comme guérie, lorsqu’en 
février 1885, c’est-à-dire 8 mois après la première attaque, elle est 
reprise, à la suite d’une dispute avec sa sœur, d'une attaque d’hystérie 
convulsive qui la fait retomber dans son état primitif avec aphasie, 
akinésie, état hypnotique, etc. Sur mes conseils, Emilie L... entre dans 
mes salles, à l’hospice de B., le 10 mars 1885. Cette fois l’état hypnotique 
cesse après 60 jours ; l’amaigrissement est plus sensible qu’aprèB la 
première crise de cinq mois. La malade se lève, circule dans les salles, 
travaille au crochet, se nourrit copieusement. La religieuse qui la 
soigne remarque qu’elle devient mystique, elle se met à genoux plu¬ 
sieurs fois par jour dans la salle commune, fait des excentricités dans 
la chapelle de l’hospice dont il faut lui interdire bientôt l’accès ; elle 
refuse parfois toute nourriture, tombe peu à peu dans une grande 
dépression mentale touchant à la mélancolie. Une brusque hémorragie 
cérébrale termine la scène, le 17 novembre 1885, plus de deux ans après 
la terreur initiale. 


COURS ET CONFÉRENCES 

PÉDAGOGIE 


L’initiation & l’étude des sciences physiques (■). 

par M. C.-A. Laisant 

Docteur ès-sciences, Examinateur à l’Ecole Polytechnique. 


Mesdames, Messieurs, 

Il y a deux ans à peu près, dans cette même salle, je faisais une con¬ 
férence ayant pour objet l’initiation mathématique ( 1 2 ). Le sujet dont je 
dois vous entretenir aujourd’hui, l'initiation à l'étude des sciences phy¬ 
siques, est du même ordre, et je me verrai conduit à replacer sous vos 
yeux leB principes immuables de toute saine pédagogie, principes que 
l’on commence à proclamer, dont on n’ose plus désormais contester la 
justesse, mais dont, hélas ! dans la pratique, on se tient encore le plus 
souvent si éloigné. 

Ma tâche est aujourd’hui plus facile, en ce que les faits dont nous 
avons à parler, étant directement observés dans la nature, comportent, 
pour un observateur superficiel, une moindre somme d’abstraction que 
ceux qui appartiennent à ce qu’on appelle si improprement encore les 
sciences exactes ou les sciences abstraites. Il ne faudrait pas cependant 
s’exagérer la différence, et se rendre dupes d’une apparence pure ; c'est 

(1) Conférence faite le 15 février 1901 à l’Institut psycho-physiologique et publiée 
par la Revue scientifique, dirigée par M. Ch. Richet. 

(2) Voir Revue Scientifique, 25 mars 1899. 




COURS ET CONFÉRENCES 


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une considération que je me contente d’indiquer, sur laquelle j’aurai 
l’occasion de revenir, et qu’il me suffit de signaler au passage. 

Le cerveau de l'enfant, disais-je à propos de l’initiation mathématique 
est un merveilleux appareil enregisteur, mais d’une délicatesse extrême. 
Et j’ajoutais que c'est grande pitié quand on voit des mains maladroites 
ou brutales manier lourdement cette machine de précision, ne pas 
savoir en tirer ce qu’elle peut et ce qu’elle doit rendre et souvent faus¬ 
ser les ressorts d’une façon irrémédiable. Si de telles remarques sont 
incontestablement applicables à l’étude première des nombres et de 
l'espace, combien davantage encore elles s’appliquent à l’initiation aux 
phénomènes physiques ! 

Epris de curiosité, avide de faits, l’enfant, le petit enfant est admira¬ 
blement doué pour voir et retenir les phénomènes, et par cela même 
pour s’y intéresser. S’ils offrent une apparence un peu paradoxale et in¬ 
compréhensible tout d'abord, ils ne s’en implanteront que mieux dans 
le cerveau. Il suffit d’avoir observé quelquefois un auditoire enfantin 
assistant à une séance de prestidigitation, pour constater cette vérité. 
Les exclamations, les cris de joie, les rires de ces petits êtres montrent 
assez l’attention avec laquelle ils suivent le spectacle, auquel s’ajoute 
encore cette admiration du merveilleux, de l’incompréhensible, que 
l’homme actuel tient de ses ancêtres, héritage dont il faudra des siècles 
bien nombreux peut-être pour se débarrasser. 

Cependant, mettre des faits sous les yeux d’un enfant ne suffit pas. Il 
faut tout d’abord apprendre à voir, et sans que l’apprentissage soit diffi¬ 
cile, encore faut-il y penser et s’en préoccuper. Je dis que c’est chose 
facile, parce qu’on y amène, l’enfant par une véritable suggestion, et 
qu’il est suggestionnable au plus haut degré. Du reste, soit dit en pas¬ 
sant, l’éducation tout entière est-elle autre chose qu’une suite ininter¬ 
rompue de suggestion ? C’est une banalité que de dire que l’élève doit 
avoir confiance en son maître, pour tirer des leçons qu’il reçoit tout le 
profit possible. Cette confiance présuppose évidemment une action psy¬ 
chologique, personnelle, une influence morale et cérébrale ; si elle est 
mal placée, si le maître n’en sait pas tirer parti, l’influence sera nulle 
quelquefois funeste ; mais si la confiance ne s’est pas implantée, il n’y 
aura pas d’enseignement, pas d’éducation. Tout y contribue, l’intonation, 
le geste, l’allure ; et l’on pourrait placer indéfiniment un petit être 
humain en présence d’un phonographe lui racontant les plus belles cho¬ 
ses du monde dans la plus belle langue imperturbable, sans obtenir le 
moindre résultat éducatif. 

Donc il faut apprendre à voir ; c’est la première des conditions pour 
commencer à pénétrer dans ce domaine des sciences physiques. Quand 
j’emploie ce mot voir, j’entends voir par tous les sens, se rendre un 
compte précis des perceptions arrivant au cerveau par l’intermédiaire 
de l’oreille, de l’odorat, etc., aussi bien que de l’œil. Il faut en outre 
que ces perceptions ne soient pas éphémères, mais qu’au contraire elles 
s’enregistrent dans la mémoire d’une façon durable. On y arrivera, ici 



22 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


comme partout, grâce à la répétition des mêmes impressions ou d’im¬ 
pressions analogues. 

Mais de quelle nature sont ces impressions, et comment les faire naî¬ 
tre ? Il faut ici que j’arrive à tin éclaircissement nécessaire. Je parle des 
sciences physiques ; à proprement dire, toutes les sciences sont physi¬ 
ques, toutes les sciences sont expérimentales. Cependant, au milieu de 
l’infinie variété des faits que nous présente la nature, il a fallu, pour s’y 
reconnaître, opérer une classification. Elle était indispensable pour 
permettre de se retrouver dans ce dédale ; mais elle n'est ni absolue ni 
parfaite, ni éternelle ; et elle est loin d'avoir l’importance qu’on lui 
attribue généralement. Toutes les sciences s’entr’aident et se pénétrent; 
aucune n’a des frontières bien nettement délimitées. Malgré cela, l’en¬ 
semble des phénomènes considérés dans l’étude de ce que nous appelons 
la Physique et la Chimie correspond suffisamment à l'objet que j’ai en 
vue, surtout lorsqu’il s’agit exclusivement de la première initiation, et 
non d'une étude approfondie. Je laisse donc systématiquement de côté 
le domaine des sciences naturelles, où la pure observation joue un rôle 
prépondérant, qui dépasse de beaucoup celui de l’expérience, et toutes 
les observations que j’aurai à vous présenter s’appliqueront aux deux 
sciences dont je viens de prononcer le nom. 

Toutes deux sont d’une importance pratique dont l’évidence crève 
les yeux ; toutes deux ont fait d’immenses progrès au cours du xix e siècle, 
ont conduit à d’innombrables applications, qui ont transformé les con¬ 
ditions de la vie humaine ; toutes deux étudient des phénomènes qui 
nous enveloppent, qui nous enserrent, qui pèsent sur notre organisme 
physique et moral à tous les instants de notre existence. Nous vivons 
dans un immense laboratoire, chacun de nous est un laboratoire ; et le 
plus vulgaire des faits naturels que nous pouvons contempler ou dont 
nous pouvons être affecté représente une collection pour ainsi dire infi¬ 
nie de phénomènes physiques ou chimiques superposés. O’est précisé¬ 
ment cette superposition qui nous aveugle ; pour connaître ces phéno¬ 
mènes, pour en avoir la perception précise, il faut arriver à les isoler, 
au moins relativement, à créer un mode d’expérimentation qui fasse 
tellement prédominer le phénomène principal qu’on a en vue, que tous 
les autres passent inaperçus. C’est, dans le domaine de l’expérience, 
une opération un peu analogue à celle de l'abstraction mathématique, 
et qui doit s’inspirer des mêmes principes. 

Mais quand on aura isolé, ou à peu près, un fait spécial, quand on en 
aura fait pénétrer la perception dans le cerveau de celui à qui on le 
présente, on n’aura pas beaucoup avancé. Un fait isolé ne prouve rien ; 
il frappera d’étonnement peut-être, mais n’instruira pas; d'autre part, 
deux faits physiques ne sont jamais identiques, pas plus que deux feuil¬ 
les d’arbre ou deux grains de sable. Seulement, si deux phénomènes 
sont produits dans des conditions d’analogie très grandes, nous consi- 



COURS ET CONFÉRENCES 


99 

dèrons ces conditions comme identiques. C'est encore une abstraction. 
Puis si, dans ces conditions assimilables, les choses se passent la 
seconde fois d'une façon qui nous paraît être la même que la première ; 
si, recommençant vingt fois v cent fois, mille fois, il en est de même, 
alors l’esprit est frappé de cette concordance, et il arrive à la notion de 
loi physique, toute loi pouvant s’exprimer ainsi : lorsqu’on se sera 
placé dans telles et telles conditions déterminées, tel fait se produira et 
pourra être constaté. 

L’énoncé sous cette forme peut quelquefois devenir d’une complication 
et d’une obscurité extrêmes. D’autre part, les lois physiques ainsi 
comprises ne nous instruiraient que sur des faits isolés, ne relieraient 
pas ces faits entre eux, n’expliqueraient rien, ne donneraient pas de 
satisfaction à l’esprit et ne feraient guère avancer la science ; les pro¬ 
grès de celle-ci ont invariablement consisté à expliquer un plus grand 
nombre de faits particuliers par un fait plus général, qui leur sert de 
cause ; de cause immédiate, bien entendu, les causes premières étant 
inabordables et anti-scientifiques. 

Nous n’en avons pas fini encore. Une pareille explication, un tel rat¬ 
tachement d’un ensemble de faits spéciaux à un fait général n’est pos¬ 
sible qu’avec l’intervention de l’hypothèse. L’hypothèse dans les sciences 
physiques remplit un rôle à la fois très important et très délicat. Elle 
est indispensable; sans elle, pas de science possible ; et d’autre part, si 
on lui attribue la valeur d’une réalité effective, on peut tomber dans les 
plus grossières erreurs et Ton s'interdit tout progrès. Ce n’est en somme 
qu’une supposition de nature à expliquer les phénomènes observés et 
connus. Bonne et utile tant que des phénomènes nouveaux ne viennent 
pas la contredire, elle cesse d’être acceptable à partir du jour où des 
découvertes bien établies en démontrent l’insuffisance. Certaines hypo¬ 
thèses peuvent subsister pendant des siècles ; d’autres n’auront qu’une 
durée éphémère ; toutes auront eu leur utilité ; toutes deviendraient 
funestes si l’on s’y attachait comme à des articles de foi, puisqu'on 
serait conduit à les conserver encore, alors qu'elles auraient rempli 
leur tâche, et cessé d’expliquer les faits de la nature. Les exemples 
abondent; l’histoire de la science m’en fournirait à foison; mais je veux 
éviter d’allonger inutilement cet entretien, et je vous demande de me 
faire crédit sur ce point et d’admettre de confiance une vérité banale, 
dont le contrôle peut du reste aisément se faire par chacun. 

Vous voyez — et c’est le but que je voulais seulement atteindre en 
plaçant sous vos yeux ces observations — quelles précautions logiques, 
quelle complexité des opérations de l’esprit exige l’étude des sciences 
physiques. Vous voyez combien j’avais raison dès le début, et à l’en¬ 
contre d’un préjugé trop général, de vous mettre en garde contre le 
degré de difficulté psychologique qu’on a coutume d’attribuer aux 
sciences mathématiques par opposition aux sciences physiques. Dans 
ces dernières, l'abstraction, comme dans les premières, intervient d’une 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


façon impérieuse, et il y faut ajouter, vous venez de le voir, une foule 
d’autres éléments. Pour être complet, nous devons dire encore que 
l’étude approfondie de la Physique et de la Chimie exige absolument 
la notion de mesure, que la science des quantités est par conséquent 
indispensable dans ce nouveau domaine, et que même c’est la nécessité 
d’analyser les faits de la nature qui a vraiment provoqué la création de 
la science mathématique. 

Telle est la vérité. Et cependant chacun de nous ne sent-il pas que 
l’étude dont nous parlons est devenue et devient chaque jour plus indis¬ 
pensable à chaque être humain d'instruction moyenne ? Sous peine de 
vivre en aveugle dans un monde où se présentent en foule les applications 
industrielles des sciences physiques, il n’est pas permis d’en • ignorer 
les éléments. Une certaine culture, sur ce point, nous est d’autant plus 
indispensable que les applications auxquelles je fais allusion se pré¬ 
sentent jusque dans le fonctionnement normal de la vie quotidienne, de 
la vie domestique. 

Rien n’est plus vrai, me répondra-t-on peut-être. Et la nécessité de 
l’étude des sciences physiques, au moins dans leur partie élémentaire, 
est tellement peu contestée que cette étude figure dans tous les program¬ 
mes de l’enseignement secondaire, et qu’on l’exige pour les plus modestes 
diplômes. A merveille. Mais cette instruction, comment la donne-t-on? 
Comment serait-il raisonnable de la donner ? Voilà ce que je voudrais 
maintenant examiner avec vous. 

Je veux bien croire que les choses se sont un peu améliorées depuis 
les très longues années qui me séparent de l’époque où l’on m’enseigna 
les premières notions de Physique et de Chimie dans un lointain collège 
de province. Un vieux professeur à l’apparence bourrue nous dictait 
mot à mot son cours. Il fallait respecter jusqu’à la disposition calligra¬ 
phique, mettre la ponctuation comme il l’indiquait, et représenter les 
cahiers à la leçon suivante. Les interrogatoires équivalaient, ou peu s’en 
faut, à une récitation. La moindre défaillance de mémoire, la plus 
légère inexactitude dans la tenue du cahier amenaient de sévères puni¬ 
tions. On allait en tremblant à la leçon de ce terrible homme. Ses dictées 
cependant étaient quelquefois interrompues par des expériences. Mais 
la salle était obscure, le nombre des élèves assez grand, et la discipline 
la plus sévère interdisait de quitter sa place pour tâcher de voir quelque 
chose. La vérité, c’est que nous n’avions d’autre ressource, pour essayer 
d’acquérir quelques notions, que l’étude dans un livre ; si d’ailleurs 
un élève se fût permis de demander un éclaircissement quelconque au 
professeur, il eût été considéré comme un mauvais esprit et traité de 
façon à lui faire passer toute velléité de récidive. 

Je le répète, les choses ont assurément changé depuis lors, mais 
moins dans le fond que dans la forme. L’enfant n’est l’objet, en réalité, 
d’aucune initiation préalable. Dès le début de ses études dans le 
domaine des sciences physiques, on lui donne (et l’on ne peut guère 



COURS ET CONFÉRENCES 


25 


faire autrement) un enseignement doctrinal tout préparé, sans parti¬ 
cipation directe de son initiative d’esprit ; là, comme ailleurs, c’est la 
mémoire qui est surtout en jeu, ce sont des mots qui entrent dans son 
esprit; les hypothèses se transforment vite en articles de foi; quant aux 
expériences, il les voit de loin, n’y participe guère, même en pensée ; et 
les manipulations, bien rares du reste, n'arrivent que plus tard. 

D’un pareil système on ne doit raisonnablement faire reproche ni au 
corps enseignant, ni aux hommes chargés de l’administration des établis¬ 
sements universitaires. Les uns et les autres se débattent au milieu d’in¬ 
surmontables difficultés! Ce qui est vicieux, c’est le plan général de 
l’organisation de l’enseignement scientifique, c’est la méconnaissance 
des facultés de l’enfant, l’obstination systématique à vouloir obtenir de 
lui ce qu’il ne peut pas donner, et à ne pas profiter de ses dispositions 
naturelles. Supposez en effet, au lieu du tableau que nous venons d’es¬ 
quisser, un auditoire de jeunes gens, entraînés depuis leur enfance; 
depuis l’âge de cinq ou six ans par exemple, à l’observation des faits, 
supposez qu’en se jouant, ils aient eux-mêmes provoqué ces faits, c’est-à- 
dire pratiqué de nombreuses expériences. Les théories qu’on leur pré¬ 
sentera, étant donnée cette préparation antérieure, n’auront plus pour 
objet que de coordonner des notions précédemment acquises, que de 
préciser l’idée de loi physique, entrevue le plus souvent d’instinct, et à 
laquelle il n'y a plus qu’à attribuer un caractère systématique. Quant 
aux expériences, elles intéresseront, parce qu’on y retrouvera des choses 
déjà vues, déjà faites, et maintenant mieux expliquées et plus complè¬ 
tement comprises. Pour tout dire d’un mot, il est nécessaire, là encore, 
de faire précéder l’enseignement rationnel d’une initiation expérimen¬ 
tale, instinctive, dépouillée de tout appareil pédagogique apparent, au 
cours de laquelle on cherche à amuser l’enfant, à profiter de sa curio¬ 
sité naturelle, sans jamais lui demander un effort de mémoire. 

Je vais maintenant au-devant de l’objection. Toute cette théorie édu¬ 
cative, me dira-t-on, est en effet charmante et séduisante, mais c’est une 
pure chimère. Elle est radicalement inapplicable. Avez-vous les moyens 
matériels de la mettre en œuvre? Faudra : t-il que dans chaque famille, 
dans chaque école primaire ou maternelle, on installe un cabinet de 
Physique et un laboratoire de Chimie? Où trouver les ressources? Où 
trouver le personnel? 

Eh! l’objection ainsi présentée est d'une réfutation facile. La nature 
entière, je l’ai dit plus haut, est un vaste laboratoire; elle place sous 
nos regards d’incessants phénomènes, et il suffit d’ouvrir les yeux pour 
en retirer les plus précieux des enseignement. Mais cela ne suffit cer¬ 
tainement pas, et il faut, à côté de l’observation, instituer l’expérience. 
Or, en s’inspirant des idées de Frœbel et de Pestalozzi, des tentatives 
ont été faites, depuis un certain nombre d’années, qui fournissent la 
plus topique des réponses. Elles succédaient d’ailleurs à de très nom¬ 
breuses publications antérieures qui, sous le nom de Récréations scien- 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


tifiques ou sous d’autres appellations analogues, méritaient de retenir 
l’attention. Il semble que les hommes chargés par leurs fonctions du 
développement intellectuel de la jeunesse auraient dû se précipiter avec 
avidité sur les nouveaux moyens qui leur étaient offerts, les analyser, 
les étudier, en tirer la quintessence, réformer de fond en comble l’en¬ 
seignement, avec le secours de ces éléments inespérés. Tout au con¬ 
traire, ils sont passés à côté de ces tentatives avec une suprême indiffé¬ 
rence, accompagnée d’un dédain non dissimulé. Les auteurs de 
Récréations scientifiques à leurs yeux n’étaient que de vulgaires amu¬ 
seurs. Songez donc! Apprendre quelque chose à l’enfance sans l’en¬ 
nuyer; quelle folie! Lui mettre dans le cerveau une longue suite 
d’observations, de faits, de résultats, et la préparer ainsi à recevoir 
plus tard des idées justes, à réfléchir, à raisonner; quelle entreprise 
révolutionnaire ! Le spectacle que nous donne l’administration pédago¬ 
gique m’autorise à dire que nous ne sommes pas beaucoup plus avancés 
à ce point de vue qu’on ne l’était au moyen âge. 

Voulant éviter de m'étendre indéfiniment, je me bornerai, parmi les 
innovateurs dont je viens de parler, à vous en signaler un très petit 
nombre. 

C’est d’abord un volume de Gaston Tissandier : Les Récréations 
scientifiques ; la Physique sans appareils ; la Chimie sans laboratoire , 
dont j’ai entre les mains un exemplaire de la G e édition, portant la date 
de 1893. L’Académie française, en 1883, avait donné à l’auteur l'un 
des prix Montyon destinés à récompenser les livres utiles. Puis, la 
Science amusante , en 3 volumes; l'auteur, qui signe Tom Tit, est un 
ingénieur fort remarquable, et dont la grande instruction se révèle aisé¬ 
ment aux yeux de qui cherche un peu à lire entre les lignes. 

Dans l’un et l’autre de ces deux excellents ouvrages, le même esprit 
se révèle : on se propose, sans dépense appréciable, en se servant à peu 
près uniquement d’objets usuels se trouvant dans toutes les familles, 
d’instituer de petites expériences qui font apparaître beaucoup.de faits, 
et mettent en relief beaucoup de lois. 

S’agit-il de la pesanteur, des propriétés du centre de gravité des corps 
solides, dû pendule, de la chute des corps? Des pièces de 5 ou 10 cen¬ 
times, des bâtons, des couteaux, des fourchettes, des verres, des bou¬ 
teilles, des bouchons, des aiguilles permettront de mettre sous les yeux 
de l’enfant une quantité considérable de faits. Bien mieux, on l’exercera 
à préparer et à faire lui-même les expériences. L’habileté de la main se 
formera, en même temps que l’attention se portera sur le sujet, avec une 
bien autre intensité que sur une leçon qu’il faudrait apprendre par cœur 
pour la réciter ensuite. Avec un simple canif, tiré de sa poche., l’écolier 
fera tenir un crayon par la pointe sur le bout du doigt. Cela ne lui don¬ 
nera-t-il pas, sur la stabilité des corps pesants, une notion plus précise, 
le satisfaisant mieux, que des raisonnements puisés dans un livre? Les 
raisonnements viendront plus tard, en leur temps, lors de l’étude 



COURS ET CONFÈRENCES 


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rationnelle. N’oublions jamais que nous sommes dans la période d’ini¬ 
tiation. Un bâton, auquel on suspendra par son extrémité un seau plein 
d’eau, fera saisir à la fois les propriétés du centre de gravité et celles 
du levier. 

Nous arrivons à l’hydrostatique. L’équilibre des'liquides superposés, 
le principe de Pascal, l’extension aux gaz de quelques-unes des pro¬ 
priétés des liquides exigeront comme matériel de l’eau, du vin rouge, 
de l’huile, quelques verres communs, des verres de lampes, parfois 
un bout d’étoffe légère. La pression atmosphérique sera mise en évi¬ 
dence à Taide du même matériel. 

Pour la capillarité, il faudra des aiguilles à coudre, des allumettes, 
un verre d’eau. Avec quelques pièces de monnaie, on fera ressortir 
l’importance des ménisques liquides, que même des personnes instrui¬ 
tes ne soupçonnent guère, si elles n’y ont pas réfléchi en regardant de 
près les phénomènes. 

Les propriétés générales des gaz, la chaleur, l’électricité, le magné¬ 
tisme, l’acoustique, la lumière se prêtent aussi à des expériences impro¬ 
visées qu’il serait fastidieux d’énumérer ici. Dans beaucoup d’entre 
elles, les phénomènes chimiques se produisent parallèlement, et peu¬ 
vent aisément être remarqués de l’enfant, pourvu qu’on l’incite à y 
porter son attention. 

C'est un véritable honneur pour l’Académie française que d’avoir 
accordé un prix important à l’éminent directeur du journal la Nature 
pour son ouvrage si utile. Il est cependant, qu’on me permette cette 
petite remarque incidente, un peu bizarre peut-être que le soin de 
récompenser des œuvres scientifiques incombe à l’Académie française. 
Sans doute, en revanche, quelque jour, verrons-nous des œuvres litté¬ 
raires jugées par l’Académie des Sciences. Ce sont là de ces paradoxes 
élégants, dont l’absurdité sans importance ne saurait choquer que des 
étrangers, ne comprenant rien à la légèreté et à la finesse de notre 
esprit français. Ce qui est plus grave que tous les prix académiques 
c’est le fond des choses. Aujourd’hui, malheureusement, M. Gaston 
Tissandier est mort. Mais si la prétendue organisation de l’enseigne¬ 
ment public de l’enfance était chez nous autre chose qu’un vaste décor, 
ce grand éducateur aurait été appelé par les pouvoirs compétents, au 
lendemain même de la publication de ses Récréations scientifiques , et 
invité à organiser le premier enseignement des sciences expérimentales. 

A l’heure actuelle, des administrateurs soucieux du développement 
intellectuel de l’enfance chercheraient à découvrir qui se cache modes¬ 
tement sous le pseudonyme de Tom Tit, et trouveraient là un inspec¬ 
teur général de l’Instruction primaire, qui ferait certainement plus en 
quatre ou cinq ans, que tous les bureaux officiels n’ont pu faire en un 
demi-siècle. 


Dans l'ordre d’idées où je me suis placé, je voudrais vous signaler 



t 


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REVUE DE L’HYPNOTISME 


encore une petite curiosité bibliographique que j'ai gardée précieuse¬ 
ment depuis plus quarante années. C’est un modeste Almanach de la 
Chimie pour 1856, publié àRouen etsigné des simples initiales H. du M., 
dont je n’ai jamais découvert (ni d’ailleurs essayé de découvrir) le mys¬ 
tère. J'y trouve, entre autres curiosités, une usine à gaz en miniature, 
obtenue au moyen d’une pipe de 5 centimes, d’un réchaud de cuisine et 
d'une poignée de terre glaise. J’y rencontre aussi, à propos de la con¬ 
servation des viandes, un passage qui vous frappera certainement, 
lorsque vous vous souviendrez de l’époque à laquelle les lignes sui¬ 
vantes étaient écrites : 

« M. Malaguti (professeur de chimie agricole à la Faculté de Rennes) 
a appelé l’attention de ses auditeurs sur une expérience faite récemment 
par MM. Schroder et Dush, qui pourrait, a-t-il dit, contenir le germe 
d’un moyen de conservation fort bizarre. Ces messieurs ont conservé 
pendant vingt-cinq jours du bouilli plongé dans son bouillon, en renou¬ 
velant l’air contenu dans le récipient; mais l’air qu’ils remplaçaient 
sans cesse était obligé, avant d’arriver au contact du bouillon, de par¬ 
courir un tube long de 60 centimètres et large de 5 centimètres, rempli 
d’ouate de coton. 

« Il est possible qu’un jour on parvienne à populariser ce moyen, qui 
semble prouver que si l’oxygène est indispensable pour provoquer la 
putréfaction, dans quelques cas il a besoin de l’intervention de certains 
principes qui l’accompagnent dans J’air et qui jusqu’à présent nous 
sont encore restés inconnus. 

« Toutefois il nous semble que ces principes pourraient bien être des 
sporules de moisissures invisibles à l’œil, mais dont l’existence est 
démontrée par la production de la moisissure elle-même. » 

Cela ne vous produit-il pas un peu l’impression d’une prophétie, qui 
ne porte du reste aucune atteinte à la gloire de Pasteur ? 

De cette citation, qui pourrait paraître un hors-d’œuvre, je tirerai 
seulement une conclusion; c'est que l’histoire de la science, surtout 
celles des sciences physiques, devrait tenir dans notre enseignement, à 
tous les degrés, une place plus importante. N’est-il pas plus intéressant 
pour l’esprit d’un enfant, de suivre les progrès d'une idée, d’être initié à 
la vie des savants, à leurs luttes, à leurs efforts, plutôt que d’enregis¬ 
trer la série des massacres et des crimes de toutes sortes, et la chrono¬ 
logie sèche et vide qui composent assez généralement la substance de 
l’enseignement élémentaire de l’histoire ? 

Pour revenir plus directement à mon sujet, je dois accorder que les 
moyens si précieux sur lesquels j’ai appelé votre attention, et qui sont 
énumérés notamment dans les livres de Gaston Tissandier et de Tom 
Tit, ne suffiraient peut-être pas à une initiation complète aux sciences 
physiques. 

Pour l’électricité, notamment, une petite machine statique, un élé¬ 
ment de pile sont des compléments, utiles, sinon indispensables, pour 



COURS ET CONFÉRENCES 


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produire plus aisément et d’une façon plus frappante certains phénomè¬ 
nes. En Chimie, un petit matériel spécial serait aussi, précieux. Mais 
tout cela représente une dépense très légère, et beaucoup de familles 
pourraient aisément s'outiller de la sorte. En tous cas, les écoles publi¬ 
ques devraient partout, sans exception, jusque dans les moindres 
hameaux, être pourvus de ce petit matériel. Que de dépendes, au centu¬ 
ple, inutiles et parfois nuisibles, figurent dans les budgets municipaux 

C’est une horlte, que chaque école n’ait pas, sous une forme rudi¬ 
mentaire, sa collection et son outillage scientifique, son cabinet de Phy¬ 
sique embryonnaire, son laboratoire lilliputien, ses modèles, son musée. 
Celui-ci se compléterait souvent, sans bourse délier, en y ajoutant 
- quelques-uns de ces jouets que nous voyons apparaître au commence¬ 
ment de chaque année, productions éphémères oubliées et dédaignées 
bientôt, et qui cependant sont si souvent de véritables merveilles d’ingé¬ 
niosité mécanique ou physique. Ces jouets pourraient et devraient com- 
tribuer à l’instruction; on les abandonne après s'en être amusé; et, 
sans les examiner seulement, on les jette à la ferraille. 

Avec un peu de bonne volonté, de suite dans les idées, d'observation 
consciencieuse des facultés cérébrales de l’enfance, on arriverait 
rapidement dans notre pays à former des générations conscientes 
d’elles-mêmes et du milieu qui les entoure, aptes à se rendre compte des 
progrès incessants qui s'accomplissent dans le domaine des sciences 
physiques et de leurs applications. Ces progrès sont tellement formida¬ 
bles que, tous ici, nous pouvons bien dire sans jeu de mots que* nous 
avons vraiment vécu deux siècles, si nous comparons seulement l’état 
de choses actuel et celui qui remonte à une vingtaine d’années. Et 
cependant, dix-neuf sur vingt de nos contemporains, pour le moins, ne 
se rendent pas plus compte des merveilles qui les entourent qu’un Hot¬ 
tentot transporté au musée du Louvre ne se rendrait compte de la 
beauté des œuvres d’art. 

Voulons-nous que nos enfants, et les générations qui les suivront 
restent dans le même état mental? Trouvons-nous, au cohtraire, que 
cette organisation n’est pas parfaite, et qu’il y a quelque chose à chan¬ 
ger? Au fond, c’est tout le problème de l’éducation populaire qui sc 
pose, et il peut se résumer ainsi : 

Le but de l’instruction publique est-il de former et de développer le 
cerveau de l’être humain, et de préparer celui-ci pour la vie? A-t-il 
pour objet de discipliner les esprits, de les maintenir dans une situa¬ 
tion d’engourdissement et d’ignorance les mettant hors d’état de penser 
par eux-mêmes; et, sous prétexte d’instruction, doit-il fatiguer la 
mémoire, au point de tuer les facultés d’initiative? 

Dans le deuxième cas, tout est bien; inclinons-nous, et ne modifions 
rien. Il serait toutefois plus franc, et plus économique, de ne pas 
apprendre même aux enfants la lecture ni l’écriture. 

Dans le premier, reconnaissons hardiment qu’il y a une réforme pro¬ 
fonde à faire, et préparons-la. C’est à cette tâche que je travaille dans 
la petite mesure de mes forces, et je vous demande d'y travailler aussi. 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Séance annuelle de la Société d’hypnologie et de psychologie 

La dixième seance annuelle de la Société d’hypnologie et de psychologie 
aura lieu le mardi 16 juillet 1901, à quatre heures précises au palais des 
Sociétés Savantes, 58, rue Serpente, sous la présidence de M. le D r Jules 
Voisin, médecin de la Salpétrière. 

Les auteurs sont invités à adresser dès à présent les titres de leurs com¬ 
munication à M. le D r Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout. 

ORDRE DU JOUR : 

1° Compte-rendu de la situation morale et financière de la Société. 

2° Communications et lectures. 

3° Présentation de malades. 

4° Vote sur l’admission de nouveaux membres. 

5° Elections. 

6° Rapport sur la souscription Dumontpallier. 

Après la séance annuelle', un banquet aura lieu à sept heures comme les 
années précédentes, au restaurant du palais des Sociétés Savantes. Tenue 
de ville. 

N. B. — Les membres de la Société sont invités à prendre bonne note que 
la date de la séance annuelle est fixée au mardi 16 juillet à quatre heures 
précises. 

. Communications déjà inscrites 

I> Jules Voisin : Traitement des contractures spasmodiques par l’hypno¬ 
tisme et la suggestion. 

D r Paul Magnin: Psychologie des sentiments affectifs : traitement psychothé¬ 
rapique dans un cas d’affectivité morbide. 

D' Bérillon : 1° Pathologie du sommeil : Les rêves prolongés; 

2° Le traitement psycho-mécanique de la chorée, des tics et 
des habitudes automatiques. 

D‘‘ Paul Farez : Deux cas de vomissements incoercibles guéris par sugges¬ 
tion. 

D 1 ’ Pau de Saint-Martin : Note sur un cas de catalepsie compliquée, 

traitée et guérie par l’hypnotisme. 

D r Bourdon (de Meru) : Applications de la méthode hypno-pédagogique au 

traitement des habitudes vicieuses. 

T) v Henry Lemesle : Fausses grossesses et grossesses nerveuses. 

D r Félix Régnault : Le dédoublement de la personnalité. 

D r Le Menant de Chesnais ; Suggestion curative dans le cours d'une atta¬ 
que d’éclampsie. 

D 1 Bellemanière : Kleptomanie guérie par la suggestion hypnotique. 

D r IIickmet (de Constantinople) : Rôle psychique des cautérisations ignées 

dans la thérapeutique des Arabes. 

D r Aragon : Étude médico-légale sur le doute. 

D r Paul Joire (de Lille): Emploi de la suggestion dans l’éducation artis¬ 
tique et dans l’étude de la musique. 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


31 


D r M. Lépinay : Les agents provocateurs de l’hystérie chez quelques ani¬ 
maux. 

D r Manfroni (de Turin) : Analgésie suggérée dans le sommeil normal. 

D r Gino Maiorfi (de Sienne) : Deux cas de sitophobie obstinée chez des 

aliénés. 


Un cas de démence chez un chien. 

A la dernière réunion des neurologistes et psychiâtres de l’Allemagne du 
Sud, le D r Nissl (d’Heidelberg) a communiqué l’observation d’un chien âgé 
de deux ans, indemne de toute tare héréditaire ! », dont les allures se mo¬ 
difièrent subitement au cours d’une profnenade : il prit et conserva un air 
stupide ne s’intéressant plus aux personnes qui composaient son entourage 
habituel. Il ne reconnaissait plus son maître; sans cesse il tournait en cer¬ 
cle. Les fonctions de relations allèrent en déclinant. Il devint gâteux. 
Cependant, l’appétit et les fonctions digestives se maintinrent en bon état. 
Les pupilles étaient dilatées; elles réagissaient paresseusement. 

On se décida à sacrifier l’animal, afin de pouvoir procéder à l’examen de 
son cerveau. Seule, l’écorce grise des hémisphères fut trouvée altérée. Les 
parois des vaisseaux étaient le siège d’une infiltration massive par des cel¬ 
lules arrondies ; celles-ci distendaient les gaines adventices. Les cellules et 
les fibres nerveuses, ainsi que la névroglie, étaient dans un état d’intégrité 
relative. L’ensemble du processus rappelait assez Lien ce qu’on observe 
chez les sujets de l’espèce humaine dans les cas d’encéphalite non suppurée. 


Un nouveau cas de léthargie. 

Un cas nouveau de léthargie vient de se produire dans l’hôpital de Saint 
Spiridion en Roumanie. Il s’agit d’une jeune fille qui s’endormit après avoir 
subi une opération sous l’influence du chloroforme, et qui depuis ne donne 
signe de vie que pour quelques instants, toutes les douze ou quinze heures, 
se rendormant aussitôt. Les médecins attribuent ce sommeil léthargique à 
l'effet du chloroforme sur le système nerveux de la jeune fille. 


Suggestion olfactive 

M. de Parville rapporte dans sa « Revue des sciences » un cas amusant de 
suggestion, d’après la Psychological Review . Le fait a été raconté par 
M. Slosson et s’est passé à l’Université de Wyoming. 

cc J’avais préparé, dit M. Slosson, une bouteille remplie d’eau distillée, 
soigneusement enveloppée dans de la ouate et enfermée dans une boîte. 
Après quelques expériences faites dans une conférence, je déclarai que je 
désirais me rendre compte avec quelle rapidité une odeur se diffuserait 
dans l'air de Y amphithéâtre. En conséquence, je demandais aux assistants de 
lever la main aussitôt qu’ils percevraient l’odeur. 

« J’énlevai le coton de la bouteille avec précaution et je versai à la sur¬ 
face un peu du contenu du flacon, en faisant mine de m’éloigner un peu. Je 
pris une montre à secondes et j’attendis le résultat. 

« J’expliquais à haute voix que j’étais absolument certain que personne 
dans l’auditoire n’avait jamais senti l’odeur du composé chimique que je 



32 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


venais de verser et j’exprimai l’espoir que, si l’odeur devait sembler forte 
et caractéristique, du moins elle n’incommoderait personne. » 

Au bout de 15 secondes, la plupart des auditeurs placés près du profes¬ 
seur levèrent la main. En 40 secondes Y « odeur » se répandit jusqu’au fond, 
de l’amphithéâtre par ondes parallèles assez régulières. Les trois quarts 
environ de l’auditoire déclarèrent percevoir l’odeur. 

Au bout d’une minute, M. Slosson était obligé d’interrompre l’expérience 
plusieurs des auditeurs du premier rang se trouvant gênés par 1’ « odeur » 
au point de vouloir quitter la salle ! 


Le centre du sommeil. 

M. Soca a rapporté récémment l’observation d’une jeune fille qui fut 
atteinte d’un sommeil prolongé pendant sept mois, et chez laquelle on 
trouva à l’autopsie, une tumeur comprimant le plancher du troisième ven¬ 
tricule. Cette observation vient à l’appui des faits expérimentaux qui ont 
amené M. Raphaël Dubois (de Lyon), il y a déjà plusieurs années, à admet¬ 
tre l’existence, entre le bulbe et le cerveau, d’un centre jouant un rôle pré¬ 
pondérant dans lp mécanisme du sommeil et aussi du réveil. Quand, par suite 
du travail, de la fatigue, etc., une quantité suffisante d’acide carbonique 
s’est accumulée dans les tissus et dans le sang, il en résulte une parésie de 
la région en question ; la température s’abaisse, les mouvements respira¬ 
toires diminuent de nombre et d’amplitude, et le sommeil se produit. Pen¬ 
dant celui-ci, l’acide carbonique continue à s’accumuler dans le sang ; 
lorsque sa proportion est suffisante, le centre en question, au lieu d’être 
engourdi, se trouve excité ; les mouvements respiratoires s’accélèrent et 
très rapidement, comme il arrive pour toute narcose produite par un gaz, 
le réveil arrive. En d’autres termes, c’est le même agent, l’acide carbonique 
qui produit le sommeil et le réveil. 

Un cas de jeûne prolongé chez la vache. 

Les animaux à sang chaud peuvent digérer en quelque sorte, leurs diffé¬ 
rents organes. Les animaux hibernants ont cette heureuse faculté de ne pas 
être obligés de boire. Et M. Liberge, vétérinaire à Bellême (Orne), vient 
d’apporter un nouveau document à l’étude du jeûne. Il s’agit d’une vache 
normande, âgée de huit ans, appartenant aune cultivatrice du Haut-Cissey, 
commune du Gué-de-la-Chaîne, près Bellême (Orne). Dans la nuit du 
b octobre dernier, la vache disparut de son herbage. Le 17 novembre, 
quarante jours après! on retrouva la pauvre bête. Elle s’était, comme disent 
les témoins du fait, emmanchée entre trois meules de paille. On eut fort 
heureusement l’idée de démolir les meules pour faire du battage et l’on 
retrouva le corps de la vache encore vivante. 

Enfoncée dans une dépression du sol, comprimée dans la paille, la vache 
était absolument emprisonnée. On constata qu’elle avait les lèvres collées, 
qüe sa maigreur «était extrême, et qu’elle présentait la silhouette générale 
d’une levrette. Mais enfin ellé yivait. On la rentra à l’étable, on la mit au 
régime lacté, on la purgea, et au bout d’une huitaine de jours cette vache 
se gonflait et engraissait. Il y a là un cas d’autophagie très intéressant. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU, rue Gerbert, 10. 




REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


10 e Année — N° 2. Août 1901. 

Les indications de l’hypnotisme et de la suggestion 
dans le traitement de l’alcoolisme (') 

Par le D r Tokarsky (de Moscou) 


Pendant 13 ans, j’ai fait plus de 700 observations sur l’appli¬ 
cation de l’hypnotisme chez des alcooliques et je présente au 
Congrès mes conclusions. 

Les résultats obtenus ont été très favorables; je compte 
près de 80 0/0 de guérisons pour les malades qui se sont pré¬ 
sentés chez moi de leur propre volonté, ce qui est la condition 
nécessaire sans laquelle je n’entreprends pas le traitement 
hypnotique. L’état des malades avant le traitement était très 
souvent déplorable. La plupart des alcooliques buvaient près 
d’un litre d’eau-de-vie russe (40 0/0 d’alcool pur) par jour, ou 
encore une plus grande quantité pendant plusieurs jours, avec 
des intervalles de sobriété variant de 15 jours à 6 ou 8 mois. 
Tous ne pouvaient pas résister par eux-mêmes à cette tendance 
vers l’alcool, et beaucoup d’entre eux s’étaient ruinés, devenus 
incapables de travail. Ces malades appartenaient à toutes les 
classes de la société : savants, professeurs, médecins, prêtres, 
marchands, commis, ouvriers, paysans. Je n’ai soigné qu’une 
vingtaine de femmes et je ne peux en dire rien de particulier. 
Les malades que je compte pour guéris sont ceux qui n'ont 
plus recommencé à boire après l’hypnotisation pendant un an 
au moins. 


(i) Rapport présenté au 2° Congrès international de l’Hypnotisme expérimental et 
thérapeutique (août 1901). 


2 



34 


REVUE DE L HYPNOTISME 


. B 

Les personnes qui abusent de l’alcool peuvent être réparties 
en plusieurs catégories : ' é 

1° Des personnes bien portantes qui commencent à boire sous 
l’influence du milieu, qui contribue à faire boire de l’alcool à 
chaque occasion même la plus minime : à propos d’une fête 
de famille par exemple. Après des abus de cette sorte, courts 
et sans conséquence, au bout de quelques années, certaines 
personnes se sentent tellement entraînées vers l’alcool qu’elles 
ne peuvent plus résister à cette tendance, tantôt d’une manière 
continue, tantôt par accès qui durent plusieurs jours, une 
semaine environ. Ces personnes conservent quelquefois assez 
longtemps l’aptitude au travail qui est interrompue de temps à 
autre par des accès qui sont quelquefois suivis par des accès 
cle délire des alcooliques qui ne se développent pas complète¬ 
ment dans la plupart des cas et se bornent aux hallucinations 
pendant deux ou trois jours. 

2° Les mêmes personnes héréditairement saines mais deve¬ 
nues alcooliques par suite d’une mauvaise habitude peuvent 
atteindre des degrés plus avancés d’empoisonnement et en 
devenant des alcooliques chroniques présentent des signes de 
l’activité psychique affaiblie, la faiblesse de la mémoire, l’abais¬ 
sement de l'énergie,une tendance vers la mélancolie, le sommeil 
mauvais, quelques signes physiques comme le tremblement 
général, la congestion du foie, quelquefois la névrite alcoolique. 

3° Des personnes qui, avant de devenir alcooliques, présen¬ 
taient des signes de dégénérescence psychique. Il ne s’agit ici 
que de la dégénérescence très peu marquée qui ne se manifeste 
que par le changement d’humeur, qui devient instable et 
passe de l’animation à la dépression, des idées gaies aux 
idées tristes et désespérées. Ces états d’excitation et de dépres¬ 
sion se développent d’ordinaire longtemps avant que les abus 
commencent. On observe souvent en pareil cas que les pre¬ 
mières gorgées d’alcool bues dans un état de dépression 
font disparaître cette dernière, chassent les idées tristes et 
l’angoisse.. Cette circonstance grave est la cause principale 
que les malades au lieu de fuir les boissons spiritueuses, les 
recherchent consciemment comme un soulagement de leur état 
dépressif, loin de penser qu’ils deviennent peu à peu des 
alcooliques chroniques. Les résultats de ce traitement sont 
évidents : le système nerveux affaibli par le vin, réagit par le 
retour de l’angoisse dans un degré encore plus fort qu’avant 
et le cercle vicieux se forme. 



INDICATIONS DE L’HYPNOTISME DANS L’ALCOOLISME 35 

4° Des dégénérés plus avancés qui présentent l’instabilité 
des désirs, en général accompagnée de changements d’hu¬ 
meur, une irritabilité prononcée de leur système nerveux et 
l’impossibilité presque complète de se retenir. Ce sont des 
impulsifs qui pendant toute leur vie sont entraînés d’un désir 
à un autre, d’une passion à une autre. Ce sont tantôt des 
joueurs de cartes, tantôt des sportsmens passionnés, tantôt 
des amateurs de femmes, enclins à s’oublier à tout propos et 
à s’adonner à différents excès. Ces gens, une fois qu’ils 
commencent à boire, deviennent aussitôt des ivrognes pas¬ 
sionnés qui avalent l’alcool sous n’importe qu’elle forme, même 
avec les saletés qu’on jette dedans pour les en dégoûter. 
C’est une espèce de fureur alcoolique qui saisit le malade, et il 
ne peut pas s’en débarrasser, bien qu’il en conserve souvent 
une pleine connaissance. Les mêmes personnes dans d’autres 
circonstances deviennent opiophages, morphinistes, cocaï- 
nistes, etc. Pour la plupart des cas, ce sont des gens incapa¬ 
bles de travailler par leur nature même. 

5° Le groupe le plus rare des ivrognes est celui des ivrognes 
héréditaires. On aurait pu même douter de l’existence de ce 
groupe si quelques observations sur la tendance prononcée 
vers l’alcool chez des enfants nouveau-nés n’attiraient pas 
l’attention de ce côté. 

6° Enfin, il faut toujours avoir en vue des aliénés qui abusent 
de l’alcool. On observe cela assez souvent chez des malades 
atteints de la folie circulaire, en état maniaque. Quelquefois 
l’abus de l’alcool dissimule tellement la vraie maladie, qu’on 
traite les malades pendant des années comme de simples 
alcooliques. Dans ce groupe, on voit souvent des cas de 
fureur après l’abus des spiritueux, des cas d’enivrement 
pathologique. 

Les trois premières catégories présentent les conditions les 
plus favorables pour l’intervention thérapeutique. 

La plupart des ivrognes appartiennent justement à ces trois 
catégories. 

Ainsi la possibilité de guérir des ivrognes n’appartenant 
qu’à ces trois catégories constitue déià un fait de très grande 
importance. 

De tous les moyens qu’on emploie à l’heure actuelle, il faut 
mettre à la première place le traitement des ivrognes par la 
suggestion hypnotique. 

L’action favorable de la suggestion hypnotique se manifeste 



REVUE DE L’HYPNOTISME 


3'i 

même dans l’état d'empoisonnement aigu par l’alcool où les 
narcotiques (opium et chloral) sont particulièrement indi¬ 
qués. En employant la suggestion hypnotique, on peut se con¬ 
tenter habituellement de doses beaucoup plus petites d’opium 
et se passer complètement du chloral hydraté, ce qui supprime 
les conséquences fâcheuses de grandes doses de narcotiques, 
la lourdeur et les maux de tête. 

Dans les cas où l’empoisonnement par l’alcool ne se mani¬ 
festait que par l’insomnie, la mauvaise humeur, le mauvais 
appétit et le tremblement général, j’ai souvent été frappé par 
l’aspect frais et réconforté des malades le lendemain de 
l’hypnotisation. 

L'action principale de l’hypnotisation et de la suggestion 
réside dans son influence calmante sur le système nerveux 
surexcité par l’alcool, ce qui amène immédiatement un change¬ 
ment d’humeur qui devient calme et forte. 

Ce changement d’humeur est un signe très important pour le 
pronostic. Dans tous les cas de guérison les malades perdent 
leur tendance vers l’alcool après la première hypnotisation, 
mais on ne peut regarder le traitement comme terminé qu’après 
la disparition complète de l’angoisse. 

Le traitement est institué en uéiiéral de la manière suivante : 

On hypnotise le malade dans l’état où il se trouve. Il est pré¬ 
férable cependant qu’il n’ait rien bu le jour de l’hypnotisation. 
Il vaut mieux hypnotiser les ivrognes périodiques au milieu de 
leur période d’abstinence, ou aussitôt après la fin de cette 
période. Le moment le moins favorable est le temps qui précède 
la période de l’abus. Pendant la première hypnotisation on fait 
déjà la suggestion de ne plus boire. Le jour suivant, l’hypno- 
tisation se répète avec la même suggestion. L’état du malade 
s’améliore habituellement après deux suggestions, tellement 
qu’on peut ne l’hypnotiser qu’au bout de deux ou trois jours, 
puis au bout d’une semaine, puis de deux semaines, puis d’un, 
deux, trois, quatre mois. On peut considérer le malade comme 
guéri au bout d’un an de traitement qui comprend 15-20 sug¬ 
gestions. Ce terme dépend de ce fait, qu’on ne peut pas se 
rendre compte en moins d’un an des oscillations du système 
nerveux propres à chaque organisation individuelle. 

Dans les cas favorables, les malades ne boivent pas une goutte 
d’alcool dès le commencement du traitement ou, mais c’est 
une exception assez rare, ils boivent très peu le premier ou le 
deuxième jour. 



INDICATIONS DE L’HYPNOTISME DANS L’ALCOOLISME 


37 


Si le malade commence à boire après la troisième hypnoti¬ 
sation ou s’il recommence à boire pendant le traitement, au 
bout d’une semaine ou deux après la première hypnotisation, 
— ne fut-ce que très peu, — il faut regarder le cas comme 
incurable. 

La suggestion doit être formelle : ne buvez pas une seule 
goutte d’alcool. 

La suggestibilité des ivrognes est habituellement très consi¬ 
dérable, même beaucoup plus considérable que celle d’autres 
personnes et on pourrait même dire que c’est chez les alcooli¬ 
ques que l’hypnotisme est le plus facilement appliqué. 

En ce qui concerne les autres modes de traitement il faut les 
associer tous à l’hypnotisme. 

Au point de vue de la valeur, il faut mettre en tête la strych¬ 
nine et l’opium. 

Le traitement par la strychnine est habituellement le seul et 
unique mode de traitement appliqué aux ivrognes par plusieurs 
médecins et une grande quantité des malades que j’ai soignés 
avaient déjà subi des injections de strychnine. Presque tou¬ 
jours on leur faisait des injections à 0.001 de strychnine pen¬ 
dent deux ou trois semaines. Quelquefois une certaine amé¬ 
lioration en résultait, quelquefois le traitement restait sans 
résultat. Dans les cas où il y avait amélioration elle ne durait 
que pendant quelques mois tout au plus. 

Mais la strychnine jointe au traitement par l’hypnotisme 
agit comme auxiliaire puissant. 

Il faut l’administrer à partir de 0.003 pro dosi 3 fois par jour 
et descendre en un mois à peu près à 0.001. Il faut continuer 
ce traitement pendant 6-10 mois et le remplacer par l’arsenic, 
le fer, etc. 

Dans des cas excessivement rares, les malades ne suppor¬ 
tent pas la strychnine même à très petites doses, ce qu’il faut 
surveiller pour la remplacer à temps. 

Avec la strychnine, il faut administrer encore l’opium à 
petites doses 0.015 par dose 3 fois par jour. Ce traitement doit 
être continué pendant un an. En le remplaçant par d’autres 
remèdes ou en cessant ce traitement brusquement, je n’ai 
jamais eu d’inconvénients. 

Quelquefois, pendant les premiers jours du traitement on a 
besoin de doubler la dose de l’opium. Dans ces cas il faut 
hypnotiser plus souvent. 



38 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Enfin, l’hydrothérapie peut aussi venir en aide surtout dans 
les cas de neurasthénie d’origine alcoolique. 

Mais tous les traitements doivent être regardés comme auxi¬ 
liaires du traitement par l’hypnotisme, parce qu’il n’y a que la 
suggestion qui peut enlever d’une manière définitive la tendance 
même vers les boissons alcooliques. 

Quant à ce qui regarde les dernières catégories, les malades 
qui échappent à l’influence favorable de l’hypnotisme doivent 
être mis d’abord dans des établissements spéciaux pour les 
alcooliques et plus tard, après la rechute, dans des asiles pour - 
les alcooliques incurables. 

Discussion. 

M. Bérillon. — Je me rallie entièrement aux conclusions de M. le 
D r Tokarsky. Elles sont conformes à ce que j’ai observé dans ma pra¬ 
tique personnelle. J’ajouterai seulement que je considère comme fort 
important d’organiser la résistance du malade à l’impulsion de boire 
par l’emploi de procédés psycho-mécaniques divers. Par exemple, le 
sujet étant hypnotisé, je lui mets un verre dans la main et je lui suggère 
que son bras est paralysé et que cette paralysie réapparaîtra dès qu’il 
aura dans la main un verre rempli d’une boisson alcoolique quel¬ 
conque. Cette paralysie psychique se reproduit quand le malade a dans 
la main un verre rempli de vin ou d’alcool. Elle dure assez longtemps 
pour que la conscience ait le temps d’intervenir et que la résistance à 
l’impulsion se manifeste. 

J’ai désigné cette manœuvre sous le nom de création de centres psij- 
chiques d’arrêt et je la considère comme constituant une manœuvre des 
plus efficaces pour favoriser la guérison. 


De la suggestion pendant le sommeil naturel ( l ) 

Par M. le D r Paul Farez 


La psychothérapie a, de nos jours, définitivement conquis 
son droit à l’existence ; elle s’est imposée au monde scienti¬ 
fique par la variété, la multiplicité et la stabilité de ses effets 
curatifs. 

Ses principaux moyens d’action sont d’inégale valeur. La 
suggestion directe pendant l’état de veille et la suggestion 

(1) Traduction d’un article publié dans le premier numéro de The Journal of 
Mental Pathology, juin 1901, New-York, 290, Broadway. 




DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMMEIL NATUREL 39 

indirecte (par les médicaments, l’électricité, etc.) ont donné 
des succès indéniables. Mais, à coup sûr, la suggestion pen¬ 
dant le sommeil provoqué est le procédé de choix, le procédé 
héroïque ; c’est elle qui permet d’agir le plus efficacement 
sur le malade ; c’est elle qui réalise les guérisons les plus 
durables. 

En effet, l’individu que l’on vient d’hypnotiser est plongé 
dans l’état d 'hypotaxie, selon l’expression de Durand de Gros ; 
il n’est nullement distrait ; il n’oppose aucune résistance ; il se 
montre soumis et docile; il est rendu éminemment sugges¬ 
tionnable ; il offre une sorte de terrain fécond sur lequel Vidéo- 
plastie salira faire germer la suggestion active. 

Aussi, l’une des principales préoccupations des psychothé¬ 
rapeutes, à l’heure actuelle, est-elle de parvenir à hypnotiser 
plus vite et plus facilement un plus grand nombre de sujets. 
C’est pour cela que de nombreux praticiens s’appliquent à 
perfectionner leur technique et proposent de nouveaux 
procédés, appareils ou instruments aussi ingénieux que 
variés ( 1 ). 

Toutefois, en dépit de ces efforts très louables, bon nombre 
de malades dont le cas est justiciable de la suggestion ne 
parviennent pas à être hypnotisés ; d’autres refusent de se 
laisser endormir, manifestant à l’égard du sommeil provoqué 
des craintes et des préventions injustifiées mais irrésistibles. 
Or, ces deux catégories de malades ne doivent pas définitive¬ 
ment renoncer à être traités par la psychothérapie ; ils pour¬ 
ront bénéficier de la suggestion curative si celle-ci consent à 
utiliser le sommeil normal. 

★ 

* * 

Des observations authentiques, des expériences probantes, 
des guérisons avérées témoignent de l’efficacité de la sugges¬ 
tion faite à la faveur du sommeil naturel. On peut même dire 
qu’elle est le succédané ou le substitut de la suggestion hypno¬ 
tique et que son action peut s’appliquer à tous les cas qui 
relèvent de la psychothérapie. 

La suggestion faite d’emblée à l’oreille d’un malade qui vient 
de s’endormir de son sommeil naturel s’est parfois montrée 
efficace ; mais, le plus souvent, elle échoue. La raison de cet 

(l) Citons en particulier les appareils présentés dans ces derniers temps au 

Congrès international de l’Hypnotisme (août 1900, Paris) et à la société d’Hypno- 
logie de Paris, par MM. Bellemanicre et W-ateau, Bérillon, Henry Lemesle, Pau de 
Saint-Martin et Charles Verdin. 



40 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


échec est double : ou bien le malade s’éveille dès que l’on for¬ 
mule la suggestion verbale, ou bien il continue à dormir très 
profondément et la suggestion ne l’impressionne pas. C’est 
qu’avant de faire œuvre de suggestion active, il est indispen¬ 
sable d’imposer au malade une sorte de préparation dont le 
double but est : 1° Qu’on puisse lui parler à l’oreille sans 
l'éveiller ; — 2° que la suggestion parvienne jusqu’à lui et s’ins¬ 
talle dans la pleine lumière de la conscience. Ce double but 
est rempli grâce à des procédés très simples, mais minutieux 
et délicats, qui exigent du psychothérapeute beaucoup de 
patience et de circonspection. Rappelons-nous cette vérité 
psychologique, à savoir que l’état d’hypotaxie est réalisé le 
plus aisément par le maintien d'une sensation simple, homo¬ 
gène, uniforme, continue, exclusive. Dans le cas actuel, je fais 
intervenir-plus volontiers la sensation auditive. Voici, dans sa 
teneur générale, la technique que je préconise avec d’autant 
plus de confiance que les lois psychologiques la légitiment 
pleinement et que les succès thérapeutiques l’ont amplement 
justifiée. 

Plusieurs temps sont à distinguer. 

Premier temps 

Le soir, quand le malade est endormi, je pénètre sans bruit 
dans sa chambre. Je me tiens d’abord à quelques mètres du 
lit et, d’une voix très basse, à peine perceptible, sur un rythme 
lent, monotone, je commence à articuler les deux syllabes 
dor... dor... que je suis prêt à répéter sans aucune 

impatience aussi longtemps que cela sera nécessaire. Petit à 
petit je m’approche du lit et j’arrive bientôt à quinze ou vingt 
centimètres de l’oreille du dormeur; je n’ai pas cessé un seul 
instant d’articuler mes deux syllabes sur le même rythme lent 
et monotone, d’une voix très basse, à peine audible. 

Deuxième temps 

Lorsque je suis près de l’oreille du dormeur, je continue à 
nettement articuler mes deux.syllabes uniformément scandées; 
je maintiens le même rythme, mais, au bout de quelques 
minutes, je hausse le ton ; ma voix augmente d’intensité, petit à 
petit, sans soubresaut, sans heurt, sans brusquerie. 

Que se passe-t-il alors psychologiquement? 

La sensation auditive, d’abord vague, à peine existante, 



. DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMMEIL NATUREL 


41 


s’installe peu à peu, devient de plus en plue nette, atteint le 
seuil de la conscience, passe de la pénombre à la pleine 
lumière et bientôt atteint la vivacité des représentations imagi¬ 
natives du rêve, délirantes ou non. Or, l’excitation sensorielle 
produite par dor... mq..., dor... me\..., ne cesse d’être main¬ 
tenue et progressivement accrue; la sensation auditive per¬ 
siste donc comme un « état fort » ; de plus en plus vivace, elle 
devient prépondérante et, peu à peu, elle « réduit » les autres 
représentations qui auparavant occupaient toute l’aire de la 
conscience. Ces dernières deviennent de plus en plus faibles, 
s’atténuent, se dégradent, jusqu’à ce qu’elles tombent sous le 
seuil de la conscience et soient ainsi tout à fait écartées. A ce 
moment, il ne subsiste plus guère que la seule sensation 

auditive causée par dor... me\..., dor... me\ . Toutes les 

autres représentations antagonistes ont été réduites et sont 
disparues. 

Troisième temps 

On sait que la conscience ne peut rester longtemps identique 
à elle-même ^ elle comporte, à certains égards, la « perception 
d’une différence » ; elle ne tardera pas à se voiler et à 
s’obscurcir si son contenu n’est pas successif et nettement 
différencié. 

Alors, persistons à répéter dor... me\..., dor... mq..., avec 
une intensité non plus progressivement croissante, mais, cette 
fois, maintenue à dessein uniforme et constante. Dès lors, la 
quantité et la qualité du phénomène conscient ne variant plus, 
notre sensation simple et homogène, tout à l’heure pleine¬ 
ment consciente, va devenir de moins en moins consciente, 
puis subconsciente, c’est-à-dire, pratiquement inconsciente. A 
ce moment, la vie psychique est, pour ainsi dire, vide de tout 
contenu ; elle réalise un état très favorable de docilité, de 
malléabilité, de réceptivité ; notre sujet est devenu apte à être 
suggestionné : il pourra être influencé comme s’il était plongé 
dans le sommeil hypnotique. Cet << anidéisme » artificiel 
permet de réaliser par suggestion un « monoïdéisme » ou, 
pour être plus exact, un « oligoïdéisme » favorable à la cure 
des phénomènes morbides dont il s’agit dans chaque cas par¬ 
ticulier. 

Mais, est-on jamais certain d’avoir réalisé cet état de récep¬ 
tivité ? A quel moment en est-on averti ? A quel caractère 
peut-on le reconnaître? 


2. 




42 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


Afin d’articuler, suivant un rythme isochrone, chaque couple 
de syllabes dor... me\...,dor... je m’applique aies rendre 

synchrones aux mouvements respiratoires du sujet; en d’autres 
termes, chaque syllabe dor... est énoncée pendant chaque inspi¬ 
ration, chaque syllabe me\... pendant chaque expiration ( 4 ). Or, 
j’ai remarqué que si, au bout d’un temps certes variable, je 
modifiais légèrement le rythme de mes paroles, le rythme 
respiratoire du malade était modifié de même, accéléré ou 
retardé, suivant que mon rythme vocal était lui-même accéléré 
ou retardé ( 1 2 3 ). 

Lorsqu’ainsi j’ai pu agir indirectement et comme à volonté 
sur les mouvements respiratoires du sujet, j’estime qu’il se 
trouve « à point » et que le moment est propice pour la sug¬ 
gestion : la période préparatoire est terminée, la phase vérita¬ 
blement active ( A ) commence. 

Quatrième temps 

Le contenu des suggestions curatives varie, on le conçoit, 
avec les conditions psychologiques du malade et la nature de 
ses phénomènes morbides. Des suggestions spéciales s’impo¬ 
sent dans chaque cas particulier.-N’y insistons pas ici, puisque 
nous n’exposons qu’une technique générale. 

Rappelons toutefois le précepte formulé par Auguste Voisin, 
à propos de la suggestion hypnotique ; il s’applique exacte¬ 
ment à la suggestion pendant le sommeil naturel : « Il ne faut 
pas faire trop de suggestions pendant une même séance, sans 
quoi l’on détermine un malaise évident qui se traduit par des 
crispations de la face. » En outre, les suggestions seront expri¬ 
mées avec netteté, conviction et autorité, en phrases brèves, 
concises, martelées, réduites au strict minimum. Chacune des 
syllabes de chaque, mot sera nettement distincte des autres et 
articulée suivant le rythme des mouvements respiratoires. 
Grâce à cette règle du synchronisme, on ne se laissera pas 
entraîner à parler trop vite; le malade aura plus de chances 

(1) C’est on vue cIg faciliter lVxécution de cette technique opératoire que MM. les 
D rs Pellemanière et Wateau ont fait construire et présenté au 2° Congrès de 
niyi motisme (Paris, août 1900), un minuscule et très ingénieux appareil à hyp¬ 
notiser. 

(2) Ce fait a été confirmé par plusieurs observateurs et, en particulier, par le 
D p Manfroni (de Turin), i o* séance annuelle de la société d’Hypnologie et de Psycho¬ 
logie de Paris , IG juillet 1901. 

(3) Active, et non point passive, ainsi que le comporte par erreur le texte 



DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMMEIL NATUREL 43 

d’appréhender toutes nos paroles et il en résultera pour lui un 
utile entraînement de l’attention. 

Cinquième temps 

La fin de la séance n’est pas à négliger. Prescrivons au 
malade de ne s’éveiller qu’à telle heure déterminée ; ordonnons- 
lui de dormir toute la nuit d'un sommeil calme et, pendant toute 
la durée de son sommeil, de rêver uniquement à ce que nous 
lui avons suggéré. En outre, quand il se réveillera, il ne sera 
pas fatigué, il se sentira plein d’entrain, il aura l’esprit alerte 
et dispos. Ne le quittons pas brusquement; éloignons-nous petit 
à petit, en répétant dor... dor... avec une inten¬ 

sité progressivement décroissante. 

★ 

* * 

Combien de temps doit durer une séance ? 

On ne peut sur ce point formuler aucune règle précise, car 
les conditions de l’intervention varient d’un sujet à l’autre. 
L’appréciation de cette durée sera donc laissée à l’initia¬ 
tive du psychothérapeute ; et celui-ci devra agir différemment, 
suivant que lui-même sera ou ne sera pas fatigué, que le 
malade demeurera placide ou paraîtra énervé, que les sugges¬ 
tions précédentes auront bien ou médiocrement réussi, qu’on 
sera au début ou à la fin du traitement (*). Toutefois, je puis 
bien dire qu’une séance comme je la conçois ne peut guère 
comporter moins d’une demi-heure. 

Faut-il espacer les séances ou les faire à intervalles très 
rapprochés ? Cela encore dépend des cas. Il ne me paraît pas 
exagéré d’intervenir quotidiennement, au moins au début. Dans 
la suite, on espacera plus ou moins les séances, suivant la 
gravité ou la complexité de la maladie, suivant aussi le degré 
de l’amélioration obtenue. 

★ 

+ * 

On est convenu d’appeler suggestion hypnotique la suggestion 
faite à la faveur du sommeil artificiel ou provoqué. Comment 
appeler d’un seul mot la suggestion faite à la faveur du sommeil 
normal? Je propose l’expression : suggestion somnique. Je sais 
bien que ce vocable n’est pas irréprochable ; toutefois, je l’em¬ 
ploie, faute de mieux ; les mots, d’ailleurs, ont le sens et la 
valeur qu’on est convenu de leur accorder. 

(1) Pour plus de détails, voyez Paul Farez, De la suggestion pendant le sommeil 
naturel , Paris, Maloine, 1898. 



REVUE DE L’HYPNOTISME 


D'autre part, je signale deux succédanés de la suggestion 
somnique : la suggestion présomnique et la suggestion inter- 
somnique. La première est faite au malade, dès qu’il s’est mis 
au lit, avant même qu’il ne s’endorme. La seconde s’adresse 
au malade que notre voix vient d’éveiller, soit délibérément, 
soit involontairement au cours de la suggestion somnique ; 
elle a lieu entre deux sommes, à savoir celui que nous avons 
interrompu et celui qui va commencer après notre départ. 
Dans les deux cas, le contenu de nos suggestions risquera de 
devenir la matière d’un rêve. Dans les deux cas, aussi, il sera 
utile de clore les yeux du malade et de solliciter ainsi son 
activité psychique à se concentrer uniquement sur le sens 
auditif, par l’intermédiaire duquel s’insinue notre suggestion 
verbale ('). 

* 

♦ # 

Pour terminer, je voudrais dire quelques mots à l’adresse 
des aliénistes. 

Il est certaines formes d’aliénation, (non pas toutes, bien 
entendu), que l’on pressent avoir eu une cause principalement 
psychologique et qui paraissent susceptibles de s’amender ou 
même de guérir, par un traitement suggestif. Malheureuse¬ 
ment, « les aliénés ne sont pas hypnotisables », répète-t-on 
communément. Or, dès 1880, Auguste Voisin a démontré que, 
prise absolument, cette proposition était fausse. Au prix d’une 
patience, d’une persévérance, d’une ténacité, d’un dévouement 
et aussi d’un temps considérables, il est parvenu à plonger 
dans le sommeil hypnotique un certain nombre d’aliénés ; et, 
après les avoir hypnotisés, il les suggestionnait de telle sorte 
qu’il a obtenu non seulement dos améliorations, mais des gué¬ 
risons durables ; il a eu ainsi la joie de préserver de la séques¬ 
tration perpétuelle des malades réputés incurables. Dans une 
communication qui date de 18<89, il rapporte le cas de quelques 
malades dont la guérison remontait à trois, quatre et même 

(1) Le texte angluts publié dans le journal cité plus haut contient ici une autre 
errrnr ; il représente la suggestion présomnique et la suggestion intersomnique 
connue les deux espèces d’un genre, connue les deux modes de la suggestion soin- 
nique. Lut vérité; est qu’il y a là trois sortes de suggestions : 

1° la suggestion présomnique laite pendant la veille qui précède immédiatement le 
sommeil; 

2° la suggestion intersomnique faite pendant la courte veille qui vient s’intercaler 
entre deux sommeils ; 

3* la suggestion somnique faite pendant le sommeil lui-même. 

Pour plus de clarté, cette dernière pourrait même s’appeler suggestion intrasoiü- 
îique. 


L. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 45 

cinq ans : sur 22 aliénés traités parla suggestion hypnotique, 
' 14 avaient été complètement guéris. En 1896, au Congrès de 
Munich, la statistique de ses guérisons comportait 42 cas ('). 

Toutefois, Auguste Voisin avouait qu’il n’avait guère pu 
hypnotiser plus de dix aliénés sur cent. Cette proportion est 
considérable si l’on songe qu’avant lui tous les aliénés étaient 
réputés réfractaires à l’hypnotisme ; elle est infime si l’on 
considère le grand nombre des malades que l’on pressent 
devoir être améliorés par la thérapeutique psychique et devant 
lesquels on enrage de demeurer presque impuissant, faute do 
pouvoir les suggestionner. 

Or, si un aliéné, pris à l’état de veille, se montre ouverte¬ 
ment hostile à toute intervention thérapeutique et refuse avec 
entêtement de se laisser hypnotiser, si, d’autre part, sans 
manifester de résistance, il offre un esprit ou trop obsédé ou 
trop distrait, n’insistez pas outre mesure, ne perdez pas un 
temps précieux, ne risquez pas de vous énerver, de vous impa¬ 
tienter et de vous décourager. Attaquez-vous au malade 
pendant qu’il dort de son sommeil naturel ; consentez à appli¬ 
quer une technique, sans doute, longue, minutieuse et délicate, 
mais, en somme, simple, commode et à la portée de tous. Votre 
suggestion pourra ainsi impressionner fortement votre aliéné 
en dehors de son consentement, à son insu, pour ainsi dire 
malgré lui, à un moment où il sera presque sans défense et 
n’essayera guère de résister ; vous l’aurez devant vous calme, 
tranquille et passif; vous lui appliquerez en toute sécurité la 
thérapeutique morale, soit simplement palliative, soit vérita¬ 
blement curative. 

--- * --- 

SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du 21 Mai 1901. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 30. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le Secrétaire général annonce à la Société qu’un de ses membres, 
M. le D r Déjerine, agrégé, médecin de la Salpêtrière vient d’être nommé 

(1) Marchant sur les traces d’Auguste Voisin, de nombreux médecins ont obtenu 
des succès en appliquant, la thérapeutique psychique au traitement de l’aliénation, 
en particulier, MM. Burkhardt, Burot, Bérilion, Dufour, Van Eedmi, Farez, 
Grasset, von Krafft-Ebing, Ladame, Lombroso, Van Kenlerghem, Repoud, Séglas, 
vi*n Sehrenck-Nolzing, Tokarsky, Jules Voisin, etc. 



46 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


professeur d'histoire de la médecine et de la chirurgie à la Faculté de 
Médecine de Paris. La Société vote à l’unanimité des félicitations àM. le 
Professeur Déjerine et charge M. le Secrétaire Général de les lui trans¬ 
mettre. 

MM. Henry Lemesle, Félix Régnault, Lionel Dauriac, Watteau et 
Bérillon prennent successivement la parole pour faire les communica¬ 
tions portées à l’ordre du jour. 

La séance est levée à 6 h. 35. 


Ce qu'il faut entendre par la suggestion 

Par le D p Félix Régnault 

Il semble que la définition de la suggestion soit fort simple. Pour 
tout le monde, suggestionner signifie imposer sa volonté au moyen de 
simples ordres . Mais en psychologie la suggestion s’est étendue à 
nombre de faits qui sont pourtant bien différents. 

Prenons des exemples. 

Imitation. — Certains sujets en état de fascination ou de somnam¬ 
bulisme, imitent servilement tous les mouvements, les gestes et les 
paroles (écholalie) de l’opérateur. De même certains aphasiques con¬ 
servent le pouvoir de répéter ce que l’on dit. Si on commande à un sujet 
« marche » et que ce sujet répète « marche » sans bouger, cet acte d’i¬ 
mitation est bien différent de celui de suggestion qui consiste à obéir 
et à marcher. On ne confondra pas ces deux faits en les définissant de 
même. 

1 Automatisme. — Les pensées et les actes automatiques, nombreux 
chez le sujet normal, sont également fréquents à l'état hypnotique. 

Les somnambules exécutent des actes, ont des pensées en apparence 
intelligents, mais en réalité automatiques qu’on ne peut confondre 
avec la suggestion. 

Prenons une expérience d’automatisme bien connue. On met un 
mouchoir dans les mains d’un somnambule, il se mouche, puis plie 
son mouchoir, le met enfin dans sa poche. 

Pour le suggestionner, il aurait fallu lui donner l’idée de se moucher; 
le commandement interprété par le cerveau entraîne l’acte : il y a par¬ 
ticipation active du cerveau. 

Au contraire, la sensation passive du mouchoir dans la main amène 
mécaniquement une série d’actes : c’est de l’automatisme. 

Les actes du médium sont automatiques et non point dus à la sug¬ 
gestion. L’expérience de Chevreul révèle bien cette origine : si on tient 
un pendule à la main et qu’on le fixe avec attention, on lui communi¬ 
quera des mouvements oscillatoires dont on n’aura pas conscience. 

Cette expérience qui nous révèle l’existence d’actes automatiques et 
inconscients, explique ceux plus accentués qui se produisent : 

Dans Vexpérience de Cumberland , recherche d’un objet en tenant par 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


47 


la main celui qui l’a caché : on se guide sur les mouvements incons¬ 
cients de la main, qui sont d’autant plus forts que l’on se rapproche 
de la cachette. 

Chez les sourciers . Recherche des sources et des trésors : on se 
guide sur les mouvements de la baguette divinatoire tenue dans la 
main. Ces mouvements sont communiqués par le sourcier lui-même 
bien qu’il n’en ait pas conscience. 

Dans l'expérience des tables tournantes , ce sont les personnes atta¬ 
blées qui font elles-mêmes tourner les tables. 

Chez les médiums . Ils répondent aux questions qui leur sont faites, 
ou encore écrivent ces réponses. Il s’agit encore d’automatisme incons¬ 
cient et non de suggestion ; car il est évident que personne ne lui sug¬ 
gère ses réponses ; bien mieux, souvent ces dernières suggestion¬ 
neront l’entourage. Le médium est dans un état hypnotique qui rappelle 
celui du somnambule. Chez lui comme chez le sujet soumis aux expé¬ 
riences de Chevreul et de Cumberland, comme chez le sourcier et l’ama¬ 
teur de tables tournantes, il y a un dédoublement de la personnalité, 
l’une, consciente, assiste avec étonnement aux actes automatiques et 
inconscients de l’autre. 

Une curieuse expérience met en évidence l’automatisme de nos pen¬ 
sées. Si on demande à quelqu’un de penser à une carte, on évoquera 
les figures les plus simples, le roi, la reine, etc... Si on présente 
des cartes disposées en éventail, on prendra de préférence celles qui 
sont au milieu. Et on est persuadé avoir choisi. En réalité, la pensée 
est ici automatique, elle a agi suivant le mode le plus simple, le moins 
pénible. Et celui qui en profite pour deviner la carte pensée ou choisie 
est-il un suggestionneur ? Non, car il n’a rien suggéré, mais il a 
simplement tiré profit de sa connaissance de l’esprit humain : c’est un 
adroit psychologue. 

Habitude. — Qu’il s’agisse de pensées ou d’actes, il convient de défi¬ 
nir l’habitude, la tendance a larépétition de toute excitation neurique. 
Quelle que soit la cause de la première excitation, automatisme, imita¬ 
tion, suggestion ou raisonnement, toute pensée ou tout acte une fois 
produits tendent à devenir habituels. Ainsi on redit à satiété le même 
refrain, le même calembour, le même mot d esprit, etc., etc. Il im¬ 
porte de ne pas confondre des pensées et des actes d’habitude avec la 
suggestion. 

Prenons un exemple dans le livre de M. Binet sur la suggesti¬ 
bilité. Ce psychologue arrive par d’ingénieuses expériences à créer 
des habitudes de pensée ( 1 ). Il donne à examiner à des enfants une 
série de lignes de plus en plus grandes, puis il en montre deux ou 
trois égales. Certains enfants, accoutumés à la progression, peuvent 
les affirmer de plus en plus grandes. On les a trompés en leur créant 
des idées directrices ou mieux, des habitudes, mais on ne les a pas 


(1) A. Binet : La suggestibilité. Paris, Schleidier, éditeur. 



48 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


suggestionnés. L’idée directrice, elle-même, est fondée sur un juge¬ 
ment juste : mais une fois l’habitude acquise, celle-ci s’est substituée à 
la raison. Pour qu’il y ait suggestion, il faudrait que l’expérimentateur 
affirmât à l’enfant que la ligne est plus grande alors qu’elle est égale. 
Ces faits devraient être rangés au chapitre répétition des actes et habi¬ 
tude et non à celui suggestion. 

Pour montrer combien l’analyse des faits psychiques est parfois 
complexe, prenons une expérience du même genre; le vulgaire jeu de pi¬ 
geon vole. Il y a à la fois dans ce jeu : 1° de la suggestion, car on affirme, 
par exemple, « cochon vole » pour faire lever les mains, 2° de l'imitation, 
car on lève la main pour que les autres fassent de même, et 3° de l’habi¬ 
tude d’actes, car on fait lever plusieurs fois de suite les mains en énon¬ 
çant des animaux qui volent réellement, puis on en dit un qui ne vole 
pas, et les mains continuent à se lever. Ce jeu, en apparence si simple, 
est donc une expérience psychologique très complexe. 

Nous avons examiné plus haut les mouvements automatiques; ceux- 
ci peuvent se répéter et devenir habituels. Prenons l’expérience sui¬ 
vante de M. Binet : l’enfant regarde à gauche un métronome et tient 
dans sa main droite qui doit être comme morte, une des deux 
extrémités d’un balancier. Un écran sépare ce dernier du métronome. 
L’expérimentateur dit à l’enfant de compter attentivement les batte¬ 
ments du métronome et, saisissant l'extrémité du balancier, il accom¬ 
pagne ces battements de mouvements isochrones. Après avoir ainsi 
amorcé le mouvement, il abandonne le balancier. La main de l’enfant 
qui serre ce dernier, accoutumée au mouvement, peut continuer à le 
produire d’une façon inconsciente. 

Ces mouvements varient chez le même sujet suivant les expériences; 
ils sont d’autant plus constants que le sujet est plus jeune. 

Ces mouvements automatiques, répétés par habitude, sont bien diffé¬ 
rents de mouvements analogues qu’on obtendrait par suggestion : car 
ceux-ci auraient pour point de départ l’ordre donné au sujet de balancer 
son bras. Il y aurait participation active du cerveau qui interpréterait 
cet ordre. 

On peut modifier l’expérience en mettant une plume dans la main 
d’un enfant et en la lui cachant par un écran. Cette main doit être molle, 
on la prend et on lui imprime quelques mouvements graphiques, puis 
on l’abandonne doucement à elle-même. La main peut alors continuer 
l’impulsion acquise et exécuter un gribouillis. 

Si on répète l’expérience, elle se perfectionne et on peut arriver à 
l’écriture médiumique. 

Ceci est encore de l’automatisme et non de la sueçestion. Le çribouil- 
lis est formé de jambages tous semblables ; il est produit par des 
mouvements de la main automatiques et se répétant par habitude. 
Quand ce gribouillis devient de l’écriture, le cerveau intervient; il four¬ 
nit des pensées que la main exprime par des lettres et des mots variés. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 49 

V 

Mais ces pensées elles-mêmes sont automatiques ; aucun ordre ne les a 
suggérées. 

La répétition des mouvements s’observe également à un certain 
degré d’hypnose. Pour les produire, on prend les bras du sujet et on 
les fait tourner en cercle l’un autour de l’autre : ce mouvement continue 
indéfiniment. C’est là un acte passif et automatique continué par 
habitude. 

Au contraire, la suggestion consisterait à ordonner au sujet de tour¬ 
ner ses bras indéfiniment. 

Les actes automatiques des somnambules sont aussi d’ordinaire habi¬ 
tuels; ce sont des actes répétés qui ont déjà été accomplis pendant la vie 
normale. Ils se produisent sans qu'on les ait suggérés. 

Certains pourront trouver ces questions bien stériles. Il importe 
pourtant de les résoudre, ne fut-ce que pour éviter de vaines discus¬ 
sions qui ne reposent que sur un manque d’entente dans les définitions. 

Mais de plus, l’analyse des faits, la comparaison, le classement sont 
d’importance capitale en psychologie. Le progrès dans cette science 
comme dans les sciences naturelles tient à une bonne classification (*). 


Guérison par la suggestion hypnotique d’un rétrécissement 
spasmodique du canal de l’urèthre durant 
depuis trois mois. 

.par MM. les docteurs Bérillon et Wateau. 

Un jeune étudiant en médecine, licencié en philosophie, âgé de 20 ans, 
souffrait depuis près de trois ans de spasmes nerveux du canal de 
l’urèthre. L'urine s’écoulait en un mince filet ou môme goutte à goutte, 
et la miction nécessitait de grands efforts, à tel point qu’il lui fallait 
quelquefois exercer avec les mains une forte compression sur le ventre : 
quelquefois même, mais rarement,, malgré tous ses efforts, il n’arrivait 
pas à rejeter une seule goutte d’urine pendant trois heures consécu¬ 
tives, et, alors, il était en proie à de très vives souffrances. Des crises 
de cette dernière sorte s’étaient répétées quatre à cinq fois. 

Néanmoins, dans ces crises, il n’osait consulter de médecin, de peur 
de sondages ou d’opérations, se sachant nerveux et attribuant ces phé¬ 
nomènes en grande partie à sa nervosité. D’autre part, une personne 
très autorisée lui avait dit qu’il ne fallait jamais se laisser sonder qu’en 
cas d’extrême nécessité. Son médecin habituel lui répétait qu’il n’y 
avait pas moyen de soigner un paquet de nerfs comme lui, qu'il n’avait 
qu’à se figurer ne plus être malade et qu’il ne le serait plus en réalité. 
Mais l’auto-suggestion pure et simple fut toujours impuissante : d’ail- 

(1) Ce travail fait suite à celui publié dans la même Revue, en décembre der¬ 
nier, p. 164 : Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique . 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


leurs, psychologiquement parlant, il n’y avait pas grande confiance ; il 
lui fallait le sommeil provoqué et la suggestion directe. 

Désirant, dès le commencement de sa médecine, se spécialiser dans 
la psychothérapie à laquelle le prédisposaient ses études précédentes, 
fl vint nous trouver à la Cliniqne dans de très bonnes conditions, ayant 
très grande confiance en nous et persuadé que si nous voulions, nous le 
guéririons radicalement même en une seule séance. 

Le sommeil fut provoqué très facilement. Rappelons ici que, la veille, 
sa certitude d’être guéri par nous le lendemain, avait déjà, d’après son 
dire, à moitié opéré la guérison. Le succès de cette séance de sommeil 
fut complet : pour plus de sécurité, il revint encore de lendemain nous 
trouver avant de partir. 

Depuis lors, au lieu d’opérer très péniblement la miction dix ou vingt 
fois par jour, le nombre est redescendu à cinq ou six mictions faciles. 
L’inhibition suggérée a donc été très bien suivie par l’organisme. Mais, 
en plus, et sans que nous y ayons été pour rien, notre suggestion a créé 
des phénomènes de dynamogénie psychique, en ce sens que ce jeune 
homme qui, par sa seule volonté, ne pouvait pas, auparavant, régler son 
besoin d’uriner, le peut maintenant, s’il se présente trop fréquent, de 
façon à ne pas dépasser le nombre fixé. 

Cette simple suggestion psychothérapique l’a remis pour ainsi dire en 
possession de lui-même, lui a redonné son pouvoir d'inhibition person¬ 
nelle et volontaire sur ses organes génito-urinaires qui, à la faveur de 
ce spasme simulant si bien un vieux rétrécissement, s’y étaient complè¬ 
tement soustraits pour revenir au pur automatisme fonctionnel. 

La guérison dure depuis plusieurs mois : tout porte à croire qu’elle 
est définitive, malgré la brièveté du traitement. Si ce spasme nerveux 
revenait, quelques suggestions de plus le déracineraient complètement. 

Il serait bon d’attirer l’attention sur le traitement psychothérapique 
de bon nombre de maladies des organes génito-urinaires pour lesquelles 
opérations et traitements divers ne peuvent qu’offrir des dangers, tandis 
que de simples suggestions les réduiraient si facilement. Chez bon 
nombre de sujets nerveux, il ne faudrait recourir à une autre médecine 
que quand la psychothérapie aurait bien et dûment, et par des mains 
compétentes, été reconnue incapable de guérir ces troubles qui peuvent 
affecter les formes les plus diverses. Le cas que nous venons de rap¬ 
porter en est un exemple frappant. 

Discussion 

M. Félix Régnault. — La suggestion a une énorme influence sur la 
miction. Une preuve suffisante est l’expérience vulgaire des charretiers 
à leurs chevaux et des mères à leurs enfants. S’ils constatent que la 
'miction tarde à se faire, ils la déterminent en disant : Psitt... psitt... 

Le D r Hikmet nous cite un remède populaire en Turquie contre l’in¬ 
continence d’urine chez les enfants. Il suffit de faire manger au patient 



SOCIÉTÉ ü’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


51 


du rat rôti ; mais il faut que l’enfant saohe ce qu’il mange, sinon la gué¬ 
rison ne se produirait pas. Le dégoût qp’il éprouve lui procure une 
secousse nerveuse salutaire. M. Bérillon en rapproche avec raison la 
pratique ancienne de nos paysans qui faisaient manger une taupe rôtie à 
l’enfant incontinent. 

Je citerai un cas curieux d’incontinence par auto-suggestion chez un 
névropathe. La vue d’une vespasienne éveillait en lui chaque fois le 
besoin d’uriner ; s’il causait avec quelqu’un, il le quittait posément et 
se dirigeait tranquillement vers l’édicule. Mais, arrivé à quelques pas, 
l’idée devenant plus intense, il pressait le pas et finissait par s’y préci¬ 
piter. S’il ne trouvait pas de place, il bousculait les gens et s’attirait 
des ennuis. La suggestion améliora son état sans le guérir. 


Le jeune violoniste Kun Arpad 

Par M. le Professeur Lionel Dauriac. 

Invité par M. le D r Bérillon à examiner, de concert avec les profes¬ 
seurs de l’Ecole de Psychologie, ,1e jeune violoniste Kun Arpad, je désire 
vous exposer brièvement'mon opinion au sujet de cet enfant qualifié 
de « prodige ». 

La science, comme on le sait, a pour fin de réduire le plus possible 
le nombre des soi-disant miracles. Elle ne nie pas le rare ; elle nie l’ex¬ 
traordinaire. Les comètes sont rares. Leur apparition n’est pas un pro¬ 
dige. Il n’y aura donc point à crier au miracle, s’il arrive à un jeune 
violoniste de sept ans, tel que le jeune hongrois Kun Arpad d’exécuter 
des variations de Paganini. D’abord il les a apprises. Il s’y est exercé. 
Ensuite il ne les joue pas comme les jouerait un Marsick ou un F. Thi- 
baud. Il ne joue ni avec ampleur, ni avec une parfaite justesse. Mais cela 
tient précisément à ce qu’il est un enfant et que sa main ne présente ni 
le développement ni la force musculaire d’une main d’adulte. Il joue des 
morceaux qu’exécutent d’ordinaire des violonistes de vingt ou de trente 
ans ; il imite ces derniers comme un enfant imite une grande per¬ 
sonne ; il sait faire avec sa main des mouvements que les enfants de 
son âge sont d’ordinaire incapables d’accomplir; il se tire de la diffi¬ 
culté ; il reste enfant dans une partie de son jeu. En somme, il jouit 
d’une précocité remarquable ; il po-ssède une extrême rapidité dans le 
doigté et une étonnante sûreté de mémoire ; la nature l’a étonnamment 
doté ; mais il a encore de grands progrès à faire au point de vue de 
l’ampleur, de la justesse et de la mesure. 

En outre, cet enfant compose, mais, là encore, on retrouve l’enfant de 
son âge. Il compose en ce sens qu’il invente des thèmes. Mais ces 
thèmes sont courts. Ils sont calqués sur les thèmes que l’enfant est ha¬ 
bitué à lire. Son invention est pénétrée d’imitation. Kun Arpad est un 
admirable précoce. Quand il sera grand, si ces lignes lui tombent sous 
les yeux, il ne s’offensera pas qu’il se soit trouvé quelqu’un à Paris pour 



52 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


lui refuser le nom « d’enfant prodige ». La nature ne fait pas de prodi¬ 
ges. Elle ne les fait pas durables. Kun Arpad, lui, qui est très enfant 
quand il ne joue pas de violon, et qui même, l’archet en main trahit son 
âge, peut si on sait lui épargner la fatigue, se promettre une longue et 
belle carrière d’artiste. Il est en avance sur presque tous ses contempo¬ 
rains d’Europe, futurs violonistes. Pour être sûr de garder toujours cette 
avance il demande à être surveillé, entretenu, mais non surmené. 

Discussion . 

M. Félix Régnault. — Il convient, ce me semble, de distinguer : 

1° l’ enfant précoce, qui exécute ce que d’autres ne réalisent qu’à un âge 
plus avancé, 

2o Venfant prodige qui fait ce que l'énorme majorité des humains ne 
peut réaliser. 

En musique, Venfant précoce sera virtuose, Venfant prodige compo¬ 
siteur. 

Il y a des enfants précoces, mais peut-il exister des enfants prodiges ? 
Les enfants peuvent-ils inventer, faire œuvre originale et géniale ? 

Les récits qui courent sur l’enfance de musiciens tels que Mozart 
et Saint-Saëns, de mathématiciens tels que Pascal et Ampère, sont-ils 
vrais ? Ou bien ne s’agit-il que de témoignages exagérés qu’il importe 
de soumettre à la critique ? 

Les compositions d’enfance des grands musiciens ne sont peut-être 
que des réminiscences très nettes et sans originalité d’œuvres musi¬ 
cales qu’ils ont entendues. De même on se demande si Pascal enfant 
découvrit réellement les théorèmes d’Euclide, ou s’il en a entendu par¬ 
ler, et s’ils lui sont revenus à la mémoire par une réminiscence incons¬ 
ciente. 

M. Lionel Dauriac. — Sans doute, l’enfant précoce est celui qui, très 
jeune, fait ce que d’autres ne font qu’à un âge beaucoup plus avancé. 
Par contre, l’enfant prodige est non seulement précoce, mais il accom¬ 
plit ce que les autres ne pourront jamais accomplir à aucun moment de 
leur vie. Pour moi, je nierais volontiers les enfants prodiges ; j’estime 
qu’il n’y en a pas, au sens propre du mot. Que de grands musiciens 
aient composé, par exemple, des sonates dans leur enfance, cela ne me 
paraît pas invraisemblable ; mais je pose en principe que leurs phrases 
ressemblent à celles des musiciens antérieurs ; elles sortent du sein 
même des œuvres préexistantes. L’invention musicale est toujours 
dans une certaine mesure une imitation ; ou plutôt, le compositeur va 
toujours de l’imitation à l’invention ; les grandes œuvres ne sont pas 
toujours les dernières, mais à coup sûr elles ne sont jamais les pre¬ 
mières. On a fait remarquer que Kun Arpad n’a aucun grand musicien 
dans son ascendance ; mais les aptitudes musicales peuvent se trans¬ 
mettre sans avoir été apparentes et sans s’être dépensées au dehors. Je 
me rappelle à ce propos une boutade de Renan : dans un banquet qu’on 



PSYCHOLOGIE COMPARÉE 


53 


lui offrait à Quimper, il rendit un hommage public à ses ancêtres et il 
les remercia d’avoir pendant plusieurs générations laissé leur intelli¬ 
gence inculte pour permettre à leurs descendants de la dépenser en 
prodigues. 

P. S. — Il m’a été donné récemment, d’entendre à une matinée d’enfants, 
une jeune fillette violoniste, d’un an à peine plus âgée que Kun Arpad. Elle 
a joué une transcription de la Chanson du Printemps de Mendelssohn. Elle 
s’en est tirée, sans trop faire défaussés notes, avec des tout petits sons. Mais 
elle s’enest tirée. Cette enfant n’est pas donnée comme un enfant prodige, 
en quoi l’on a raison. Mais en l’écoutant, si je mesurais la grande distance 
qui la sépare du jeune Kun Arpad, le chemin m’apparaissait long, rien de 
plus. Il ne me semblait nullement « infranchissable » . C’est là le point. 

L. D. 


PSYCHOLOGIE COMPARÉE 


Expérience pratiquée sur un lion, à la ménagerie du Muséum, 

le 19 mai 1901. 

Il nous a paru curieux de chercher à savoir si un grand carnassier 
comme le lion (sur les facultés psychiques duquel nous ne possédons 
que des renseignements bien indécis) serait assez « ingénieux » pour 
ouvrir une boîte au fond de laquelle on aurait placé un appât. Nous 
avons pensé que le résultat positif ou négatif d’une telle expérience 
pourrait être commenté d’une façon intéressante au point de vue de la 
psychologie comparée. 

Le lion, poussé dans la cage où Ton avait placé la boîte à pâture, 
manifesta d’abord un sentiment d’inquiétude ; on le lisait clairement 
dans ses attitudes, et, si j’ose dire, sur sa « physionomie ». Puis, il se 
rassura et, après quelques hésitations, s’approcha très doucement de 
la boîte, la flaira, se convainquit de l’existence de son contenu et, dès 
lors, manifesta un vif désir de s’emparer de l’appât. Cependant il 
n’essaya nullement de briser les planches ; il examinait l’appareil avec 
beaucoup d'attention et, finalement, il prit délicatement entre ses dents 
le bord du couvercle et le souleva sans violence. 

Il se trouvait alors devant la boîte, du côté opposé aux charnières ; il 
fallait donc qu’il avançât le cou au-dessus de la boîte, en tenant le cou¬ 
vercle, et qu'il n’abandonnât celui-ci qu’après l’avoir assez largement 
ouvert pour le faire retomber de l’autre côté, et il fallait qu’il le fît mal¬ 
gré la tentation offerte par la viande au moment où sa gueule passerait 
au-dessus de l’appât. Or, tous ces mouvements ont été exécutés par le 
lion, sans hâte, d’une façon relativement précise et, pour ainsi dire, 
raisonnablement . 

L’épreuve a duré trois minutes. 



54 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Un procès-verbal de cette expérience à été établi, signé par tous les 
assistants et placé dans les archives de notre Institut. 

P. IIaçhet-Souplet. 


COURS ET CONFÉRENCES 


Un cas d’hystérp-traumatisme (*) 

Par M. le professeur Raymond 

L’homme que je vous présente est un ouvrier terrassier, âgé de vingt- 
huit ans. Il y a cinq mois, victime d’un éboulement, il se trouve subite¬ 
ment enterré jusqu’au cou et perd complètement connaissance. On le 
dégage et on le transporte dans son lit. Il revient à lui trois heures 
après. Il sent alors une douleur dans le côté gauche, puis le lendemain 
dans le genou gauche. Tandis que la douleur du côté cède à une fric¬ 
tion médicamenteuse, celle du genou augmente de jour en jour et 
empêche notre homme de se lever. Un médecin fait des pointes de feu, 
sans qu’il en résulte aucune amélioration. Un autre médecin, appelé 
ensuite, craint un commencement d’ankylose ; il endort le malade au 
chloroforme, met la jambe en flexion sur la cuisse et maintient le tout 
par un bandage qu’il enlève au bout de vingt-quatre heures ; il est obligé 
alors de faire des efforts considérables pour remettre le membre infé¬ 
rieur en extension. Celui-ci, depuis lors, est resté complètement raide. 
Ajoutons que notre malade dort,très mal la nuit; il ne cesse de rêver de 
médecins et il craint qu’on ne lui fasse du mal. ' 

Cette jambe gauche présente un raccourcissement très net; elle est 
en état permanent de contracture et le malade marche tout déhanché- 
L’impotence fonctionnelle réside surtout dans l’articulation du genou. 
Il y a, en outre, un amaigrissement en masse des régions voisines ; il 
s’agit donc de parésie avec contracture. Notons enfin que le pied est 
ballant. 

Or, cette contracture qui n’affecte guère que les muscles périarticu- 
laires du genou est vraiment singulière et aucune affection organique 
ne saurait la réaliser. 

Si je plante une épingle dans la peau de la jambe gauche de cet 
homme, non seulement il n’éprouve aucune douleur, mais il ne sait 
même pas que je l’ai piqué. Il en est de même pour son bras gauche. 
Sans doute, si j'ausculte son cœur au moment où j’enfonce mon épingle, 
je m'aperçois que les battements sont accélérés : s’il s’agissait d’une 
anesthésie organique, ma piqûre n’exercerait aucune action sur les 
battements cardiaques. En outre la pupille de notre malade se dilate au 
moment de la piqûre et, si l’on mesure la pression sanguine dans la 

(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux, à 
la Salpêtrière. 



COURS ET CONFÉRENCES 


55 


« 

carotide, on constate qu'elle est augmentée. Mais cette piqûre n’affecte 
point la conscience. 

Notre malade est complètement anesthésique à gauche ; non seule¬ 
ment il ne s’aperçoit pas qu’on le pique, mais il ne sent ni de la moitié 
gauche de la langue ni de la narine gauche ; il présente en outre un 
rétrécissement considérable du champ visuel à gauche. Il s’agit donc de 
contracture hystérique et de rien d’autre. 

Comment les choses se sont-elles passées ? 

Le terrain était préparé et par l’éthylisme et par une certaine somme 
d’hérédité. Survient l’accident: notre homme est ensevelijusqu’au cou et 
perd connaissance; au réveil, il se trouve endolori, ce qui lui paraît tout 
naturel, en vertu des compressions causées par l’éboulement. Mais les 
douleurs persistent. Surviennent les pointes de feu qui sont très péni¬ 
bles et n’amènent aucune amélioration. Le malade est obsédé par la 
persistance de son mal ; il y pense sans cesse le jour et en rêve la nuit : 
il crée lui-même sa maladie et entretient sa contracture. Lorsque le 
second médecin lui parle d’ankylose, fait intervenir le chloroforme, 
immobilise le membre par un bandage, notre malade est pénétré de la 
gravité de son cas, lequel, dès lors, devient de plus en plus tenace. 
C’est un exemple très net d’hystéro-traumatisme. 

Dans ces circonstances, souvent un procès s’engage et le médecin est 
consulté. Il est très difficile de se prononcer sur la gravité du cas. 
Affirmez que la vie n’est pas menacée, mais abstenez-vous de dire 
combien de temps durera l’affection, car vous n’en savez rien. 

Que faut-il faire ? 

Pratiquer l’isolement moral, enlever le malade à sa famille, à son 
milieu, aux conditions dans lesquelles l’idée s’est emparée de son 
esprit, confier ce malade à un médecin intelligent, instruit et honnête 
qui, par la suggestion verbale, instituera un traitement méthodique ; il 
faudra intervenir non pas une fois, mais peut-être cent fois et cela pourra 
durer des mois. 

Des circonstances favorables peuvent hâter la guérison ou la réaliser 
brusquement. Je me rappelle un individu qui avait été atteint de mono¬ 
plégie à la suite d’un traumatisme. Il apprend que le tribunal vient de 
lui allouer quinze ou vingt mille francs de dommages-intérêts,... et, le 
soir même, il allait danser au Moulin-Rouge ! 

Un cas de folie morale (*) 

Par M. le professeur Raymond 

Voici une jeune fille de seize ans qui paraît jouir de toute son intelligence 
et ne présenter aucun état délirant quelconque. D’autre part, sa sensi¬ 
bilité et ses réflexes n’offrent rien d’anormal. 

(1) Présentation de malade faite à la clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 



56 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Cette jeune fille dérobe de l'argent* toutes les fois qu'elle en trouve 
l'occasion ; elle vole pour voler et, depuis quelque temps, elle dérobe de 
fortes sommes. 

En second lieu, elle ment avec une facilité stupéfiante et elle amplifie 
tant qu’elle peut. 

En outre, elle raconte sur son père et sur sa mcre des vilenies et des 
atrocités qu'elle invente de toutes pièces ; elle accuse aussi son petit 
frère d’avoir des vices horribles. 

De plus, on l’a mise en apprentissage chez une modiste, chez une 
couturière, etc. ; il est impossible qu’elle reste dans aucune maison et 
qu'elle se décide à travailler. 

On se demande si c'est au médecin ou bien au moraliste que de tels 
sujets doivent être adressés. 

Les cas de ce genre sont bien connus en médecine mentale ; ils ont 
été décrits sous le nom de folie morale et il existe sur cette question des 
travaux très nombreux. 

Deux facteurs principaux entrent en jeu : l’hérédité, d’une part, et, de 
l’autre, l’éducation. 

L’hérédité est le fait principal : elle prépare le terrain. Ici, elle se 
révèle clairement par des stigmates de dégénérescence, les uns somati¬ 
ques, les autres psychiques. Cette jeune fille, incapable d’attention et de 
volonté, éminemment suggestionnable,a subi l’effet de mauvais conseils, 
de mauvais exemples, de mauvaises lectures et elle est devenue vicieuse. 

Il ne s'agit pas d’une entité morbide, mais d’une manière dêtre, en 
ce qui concerne les sentiments moraux. Certains sont, comme on l’a dit, 
des anesthésiques moraux, des amoraux ; ils ne discernent pas ce qui 
est bien ou mal ; ils y sont complètement indifférents. D’autres ont la 
notion qu'ils font mal et ils désirent s’amender ; mais ils sont impuis¬ 
sants à résister aux sollicitations mauvaises. 

Notre jeune fille vit dans un rêve perpétuel; elle écrit, pour elle-même, 
le journal de ses faits et gestes ; elle se ment avec la plus grande facilité 
et est dans un état romanesque permanent. 

Deviendra-t-elle une hystérique, une épileptique, une scrupuleuse ? 
Sur ces terrains-là, tout peut germer. Actuellement, elle est entre l’im¬ 
bécile et le déséquilibré. 

Au point de vue thérapeutique, tant vaudra l’éducateur, tant vaudra la 
cure. On devra s’emparer de sa volonté puis, parla suggestion verbale, 
la façonner et la pétrir. Le traitement doit donc être uniquement moral. 


Un cas d’œdème hystérique ( l ) 

par M. le professeur Raymond. 

Voici une affection qui a souvent donné lieu à de graves erreurs de 
diagnostic de la part des médecins et des chirurgiens ; une fois même, 

(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux, 
à la Salpêtrière. 



COURS ET CONFÉRENCES 


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à ma connaissance, une erreur de ce genre a coûté la vie à un malade. 

La jeune fille que je vous présente est âgée de 16 ans. Elle a eu une 
évolution normale et a été régléè à 14 ans 1/2. Toujours un peu nerveuse, 
elle a même présenté du somnambulisme nocturne. L’ogive de la voûte 
palatine et le prognathisme de la mâchoire supérieure sont, chez elle, la 
signature d’une hérédité manifeste. 

Considérez son membre supérieur gauche. La face dorsale de la main 
et du poignet est considérablement augmentée de volume ; la peau est 
lisse, rouge, chaude ; le poignet est contracturé ; les doigts sont infléchis 
au point qu’on a dû garnir d’ouate la paume de la main, pour empêcher 
les ongles de s'enfoncer dans cette dernière. L’œdème se continue à 
l’avant-bras, presque jusqu’au niveau du coude et se termine par une 
ligne circulaire, en partie sphacélée, semblable à une cicatrice de 
brûlure, avec de loin en loin, des sortes de croûtes prêtes à tomber. 
Le bras tremble tout le temps que je le soulève pour l’examiner devant 
vous. 

Le point de départ de tout cela est un panaris survenu sur la face dor¬ 
sale de l’index gauche. Ce panaris est incisé par l'infirmière de la pen¬ 
sion et notre jeune fille en éprouve une violente douleur qui se continue 
pendant plusieurs semaines, avec de l’hyperesthésie de tout l’avant-bras, 
des élancements surtout la nuit, des insomnies, etc. Au bout d’un mois, 
le gonflement apparaît; il débute au dos du poignet, puis, petit à petit, 
gagne presque tout l’avant-bras ; et la douleur diminue au fur et à mesure 
que le gonflement augmente ; maintenant que celui-ci est à son apogée, 
la malade a cessé de souffrir ; mais elle a toujours ses rêves et ses cauche¬ 
mars. Notons que ce premier panaris en a semé sur l’auriculaire un autre 
petit qui s’est ouvert tout seul. 

A quoi pense tout de suite le médecin en pareil cas ? Le panaris a été 
la porte d’entrée d’éléments infectieux et a, vraisemblablement, donné 
lieU'à un phlegmon. 

Je me rappelle un malade analogue qui présentait un œdème limité 
au poignet ; on le reçut à l’hôpital Saint-Antoine dans un service de chi¬ 
rurgie ; on lui fit une incision... et il n’en sortit rien. Dans ces cas, en 
effet, il s’agit d’un œdème dur; le doigt détermine bien une petite dé¬ 
pression, mais celle-ci ne persiste pas. L’œdème est égal partout; il 
n’offre ni point douloureux, ni trace de fluctuation sous-jacente. On ne 
doit donc pas faire le diagnostic de phlegmon, même chronique, car ce¬ 
lui-ci ne va pas sans toucher l’état général. Néanmoins ce faux diagnostic 
de phlegmon, a été fait plus d’une fois et cela peut devenir dangereux : 
jadis, à la Charité, dans le service de Trélat, on amena un homme atteint 
de paraplégie des membres inférieurs avec œdème rouge et chaud ; 
on fit une incision et il en résulta des accidents très graves. 

Quelquefois, le médecin croit voir non pas un phlegmon, mais du rhu¬ 
matisme et, chez un de mes malades, dont j’ai publié l’observation, 
j’avais fait jadis ce diagnostic parce que je n’avais pas pu réduire les 
contractures, même après chloroformisation ; chez lui, il y avait, du côté 



58 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


malade, un abaissement de température qui atteignait neuf degrés. Dans 
le cas actuel, l’abaissement de la température est de quelques degrés; 
d’autre part la contracture est active et il n’y a ni pseudo-contracture, 
ni déformation. 

On pourrait penser à la phlegmatia alba clolens , car celle-ci peut se 
développer en dehors de la puerpéralité. Mais, dans la phlegmatia, le 
membre inférieur présente toujours à la fois une corde veineuse et un 
œdème bien différent de celui que nous trouvons ici. 

Est-ce de la lèpre ? Mais celle-ci se caractérise soit par do petits no¬ 
dules néoplasiques soit par des macules annulaires ou circulaires. 

Quant à la syringomyélie, elle donne bien lieu à la main succulente 
comme chez cette jeune fille, mais elle comporte des dissociations et 
des troubles de la sensibilité qui n’existent point ici. 

L’œdème auquel se rapporte celui que présente notre malade est uni¬ 
latéral, débute par une extrémité et y prédomine ; il est dur, indolore; 
il se superpose à des contractures ou à des paralysies ; il va de pair 
avec des troubles de sensibilité. 

Cette jeune fille, en effet, présente à gauche une anesthésie totale 
complète et du rétrécissement du champ visuel. Si l’on pince la peau, 
la pupille se dilate d’une manière réflexe, mais aucune douleur n’est 
perçue : cette hémianesthésie est d’origine fonctionnelle. En outre les 
réflexes sont normaux. Nous sommes donc en présence d’une hystérique 
qui a fait de l’œdème hystérique. 

La genèse de cet œdème peut se ramener à ceci. Le panaris s’installe, 
une infirmière fait une incision accompagnée et suivie de douleur; celle- 
ci fait appel à l’hyperesthésie, laquelle s’emmagasine, pour ainsi parler, 
dans l’esprit de cette femme qui est une névropathe héréditaire. Un beau 
jour survient l'oedème, plus accentué le jour que la nuit, avec, en outre, 
des bulles de pemphigus et des troubles trophiques qui simulent la gan¬ 
grène de la peau. 

Pour comprendre la pathogénie de cet œdème, il faut se reporter à ce 
qui sc passe dans la lésion ortiée ou dans le dermographisme. Le milieu 
est blanc, le pourtour rose, puis il existe une zone nettement rouge. Les 
bouquets d artérioles de la peau se paralysent; les veinules n’arrivent 
pas à débiter tout le sang et elles se distendent; il y a alors diapédèse 
des globules blancs dans les parties du derme inextensible; là l’exsudât 
est sous pression : il provoque l’anémie et la coloration bleue. 

La diapédèse porte quelquefois, non seulement sur les globules blancs, 
mais encore sur les globules rouges ; alors quand l’œdème a disparu 
l’hématoïdine peut subsister, colorer la peau en rouge et môme donner 
naissance aux stigmates sanglants tel, le cas de Louise Lateau. 

Pomme la pression exercée par l’œdème provoque de l’anémie, il suf¬ 
fit que la peau subisse une pression meme peu intense ou que le coude 
s'appuie d'une certaine façon pour que la gangrène apparaisse. 

Quand l'exsudât parvient à franchir la barrière épidermique: ce sont 
les bulles de pemphigus qui entrent en scène. 



COURS ET CONFÉRENCES 


59 


L’œdème hystérique n’est pas une nouveauté. Sydenham Ta décrit 
comme étant unilatéral, extrêmement dur et associé à des contractures. 
Carré de Montgeron en a rapporté plusieurs cas, lesquels sont, d’après 
lui, tantôt rouges, tantôt bleus; on devrait plus justement les dénommer 
la variété chaude et la variété froide. Dans le premier cas, les chirur¬ 
giens ont la fâcheuse habitude d’inciser; dans le second, les médecins 
pensent à la syringomyélie. Depuis la leçon de Charcot en 1889, l’œdème 
hystérique est entré dans la pratique courante et les médecins instruits 
savent le diagnostiquer. 

Au point de vue de la physiologie pathologique, c’est, dans ces cas, 
l’appareil vaso-moteur qui est plus particulièrement touché. Les centres 
vaso-constricteurs et vaso-dilatateurs sont dissociés : il n’y a plus équi¬ 
libre entre eux; ils ne sont plus retenus ni refrénés. 

Quant à cette jeune fille, elle sera soumise à la suggestion hypnotique 
et elle guérira très rapidement. Une grande crise d’hystérie pourrait 
très bien amener ce résultat, mais il serait imprudent de provoquer dé¬ 
libérément cette crise et de faire appel aux phénomènes convulsifs 
Je compte vous présenter prochainement notre malade complètement 
guérie. » 

N.-B. — Quinze jours après, cette malade fut, en effet, présentée guérie; 
il ne subsistait plus qu’une simple ligne circulaire rappelant la localisation 
des lésions de sphacèle. 


RECUEIL DE FAITS 


Une nouvelle variété de rongeurs 

Nous connaissions, écrit M. Talamon dans la Médecine Moderne , les 
rongeurs d’ongles, que M. Bérillon a proposé de nommer lesonychopha- 
yes, et les rongeurs de porte-plume qu’on n’a pas cru nécessaire de 
décorer d’un nom grec. Ces deux espèces de rongeurs s’observent sur¬ 
tout parmi les enfants des deux sexes. M. Bérillon en a montré l’extrême 
fréquence chez les écoliers de la ville de Paris. Il estime à 25 pour 100 
la proportion des petits Parisiens qui ont la mauvaise habitude de se 
ronger les ongles ou de ronger le bout de leur porte-plume. Ce sont 
ainsi deux espèces distinctes; il est rare quelles rongeurs de porte- 
plume rongent en même temps leurs ongles. 

Il y a aussi les rongeurs de poils, qu’on pourrait appeler les 'pilivoves. 
La manie de ceux-ci peut avoir des conséquences plus fâcheuses que 
l’onycophagie. On a cité des cas de gastrotomie où l’on a trouvé dans 
l’estomac de ces rongeurs de poils de véritables tumeurs formées 
uniquement de débris de poils et de cheveux agglomérés dans la cavité 
gastrique. 

Un médecin australien, le docteur Saw, vient même de publier dans 
le British medical journal du 23 février un cas d’appendicite, observé 



60 


REVUE DE 


l'hypnotisme 


par lui chez un de ces « pilivores ». L’appendice contenait un calcul de 
la grosseur d’un pois^ formé de couches concentriques, dont le centre 
était occupé par un poil, de 4 à 5 millimètres de long. 

Ce poil correspondait exactement comme couleur et comme texture aux 
poils de la moustache du malade ; l’identité était absolue sous un verre 
grossissant. 

Or, le malade, homme d’un tempérament très nerveux, avait l’habitude 
de mâchonner et de mordiller ses moustaches surtout quand il était un peu 
préoccupé. Nul doute, dit le D r Saw, qu’un bout de poil ainsi rongé et 
avalé n’ait été s’insinuer dans l'appendice, où il est devenu le point 
d’appel et le noyau du calcul formé. 

A ces diverses variétés de rongeurs j’en ajouterai une nouvelle, celle 
des rongeurs de fils. Faut-il les appeler des « filivores » ou des a fili- 
phages »? Je viens d’observer le cas suivant chez une jeune fille de 
18 ans dans mon service de Bichat. 

Cette jeune fille, exerçant la profession de modiste, était dans le ser¬ 
vice depuis quelque temps pour une indisposition légère, quand la sur¬ 
veillante me fit remarquer que la malade passait son temps à ronger 
son fichu de laine. Ce fichu en tricot était en effet percé de deux larges 
trous déchiquetés, comme s’il avait servi aux ébats d’une bande de rats. 
Le lendemain, ces deux trous n’en faisaient plus qu’un dans lequel on 
pouvait passer la tête. Au bout de quatre à cinq jours, le tiers du fichu 
était dévoré. Du reste la malade nous raconta qu’en septembre dernier, 
étant en villégiature, elle avait ainsi, dans ses moments de loisir, mangé 
tout un fichu en moins d’un mois. 

Ces habitudes de rongeur se sont développées vers l’âge de 17 ans. A 
l’atelier, elle a constamment entre les dents des bouts de fils qu’elle 
ronge et qu’elle avale. Quand elle n’a pas de fil, elle ronge son mouchoir 
ou son fichu. Elle ne se ronge pas les ongles. Elle ne ronge pas non 
plus le bois ou le papier. Il lui faut du fil où une étoffe, peu importe 
qu’elle soit de coton ou de toile. 

Son estomac paraît s’accommoder assez bien de ce genre d’aliments. 
Elle nous dit cependant qu’elle a parfois des vomissements et qu’elle 
rend alors une grande quantité de bouts de fil. Dans l’espérance de la 
guérir df sa .manie je lui ai déclaré qu’on serait obligé de lui ouvrir 
l’estomac pour lui en retirer les pelotons de fil qu’elle y accumule, et je 
lui ai cité le cas que vient de publier le D r Jacobson dans le Medical 
News, d’une jeune fille de 11 ans qui avait l’habitude de ronger le bout 
de ses cheveux et chez laquelle il fallut pratiquer la gastrotomie pour 
retirer de son estomac une énorme tumeur pileuse du poids de 500 gr., 
mesurant 13 pouces de long sur 2 pouces et demi de large et 2 pouces 
et quart d'épaisseur, et reproduisant exactement le moule de la cavité 
gastrique du cardia au pylore. Cette menace n’a pas paru émouvoir 
outre mesure ma malade, l’ouverture du ventre étant une perspective 
que la femme s’est habituée sans doute de nos jours à envisager avec 
sérénité. A ce propos, M. Henri de Parville, dans la Revue scientifique 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


61 


des Débats, écrit : « Il eût fallu, je crois, recourir à la suggestion hyp¬ 
notique pour la guérir de cette singulière manie. » 

Ce cas semble correspondre à la catégorie de ceux que les anciens 
médecins désignaient sous le nom de pic a ou malacia. Grisolle définit 
la pic a, une dépravation du goût portant les malades à manger des 
objets qui ne contiennent rien d’assimilable, et la range parmi les 
névroses de l’estomac qu’on observe surtout chez les chlorotiques. 

Je ne crois pas que l’estomac soit en cause chez cette mangeuse de 
fils ni qu’il y ait là la moindre dépravation du goût. Il s’agit bien plutôt 
d’un trouble psychique, d’une variété de manie obsédante. La malade 
nous disait que par moments l’envie de ronger du fil la prend comme 
une crise nerveuse, avéc une sensation d’angoisse qui ne se calme que 
lorsqu’elle a pu se mettre un morceau de fil sous la dent. G’est bien là 
le caractère d’une obsession, et la manie de ronger du fil, comme celle 
des rongeurs de poils ou d’ongles, me parait constituer une tare, un 
stigmate névropathique, bien plutôt qu’un trouble chlorotique de 
l’estomac. 


Priseurs de cocaïne 

D’après YAmérican Druggist, la ville de Chattanooga est en proie à 
une.véritable épidémie de cocaïne. Oet alcaloïde exerce des ravages 
inquiétants surtout parmi la population noire, mais les blancs n’y échap¬ 
pent pas. 

La cocaïnomanie a pris de telles proportions qu’il n’est pa§ de nuit 
où l'on ne ramasse par les rues de trois à quatre cents personnes en 
état d’ivresse cocaïnique complète. Tous prisent avec fureur de la 
cocaïne. Le mal est devenu tel que le Conseil municipal a pris un arrêté 
interdisant la vente de la cocaïne sans ordonnance du médecin. 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Banquet de la Société d’Hypnologie. 

Après la séance annuelle de la société d’hypnologie et de psychologie 
les membres de la Société se sont rendus au Banquet. M. leD r Jules Voi¬ 
sin, médecin de la Salpêtrière présidait. Parmi les nombreux convives 
nous devons citer M. le professeur Lionel Dauriac, M. Melcot, avocat gé¬ 
néral à la Cour de cassation, M. le D r Leblond, médecin de Saint-Lazare, 
M. le D r Bérillon, médecin inspecteur des asiles d’aliénés, M. le D r Paul 
Magnin, vice-président de la Société, M. le D r Paul Farez, secrétaire 
général adjoint, MM. le D r Castroman, de Montévidéo, Virgilio de Re- 
zende, deSan Paulo ; Teixera Alvarez, de Ubérala (Brésil); Campbell, 



62 


REVUE BE L’HYPNOTISME 


d’Edimbourg; MM. les D rs Perrier,d’Epinay; Paul Joire, de Lille; Bour¬ 
don, de Méru; Le Menant des Chesnais, Baraduc, Le Fournier, Maurice 
Bloch, Pottier, M. Blech, docteur en droit ; M. Brocard, avocat à la Cour 
d’appel, MM. Séghers et Jules Bois, hommes de lettres, M. Lépinay, mé¬ 
decin vétérinaire, M. le D r Moiroud, dentiste des hôpitaux de Paris, 
M. Dumont, professeur à Tunis, etc., etc. 

M. le Secrétaire général donne lecture de nombreuses lettres d’excu¬ 
ses parmi lesquelles, celles de M. le professeur Raymond, de M. le pro¬ 
fesseur Joffroy, de M. le professeur Proust, de MM. les D rs Paul Richer 
et Huchard, membres de l’Académie de Médecine, deM. Boirac, recteur 
de l’Académie de Grenoble, de M. le D r Deny, médecin de la Salpétrière, 
de M.le professeur Bianchi, de l’Université de Parme, de MM. les D rs Félix 
Régnault, Aragon, Wateau, Henry Lemesle, de M. Marcel Dubois, pro¬ 
fesseur à la Sorbonne, de M. le professeur Beaunis, de M. le professeur 
Tarde, de M. Albert Colâs, trésorier. 

M. le D r Paul Magnin, vice-président, en termes chaleureux porte la 
santé du président de la Société, M. Jules Voisin, et exprime les sen¬ 
timents d’affection et de respect qui unissent tous les membres de la So¬ 
ciété au président perpétuel. 

M. Jules Voisin, président, porte un toast à la Société, dont il cons¬ 
tate la croissante activité et la prospérité. 

M. le D r Bérillon salue le présence des convives étrangers, MM. les doc¬ 
teurs Costroman, de Rézende, Teixera Alvarez, Campbell, qui repré¬ 
sentent au banquet des nations amies de la France, et il souhaite la 
bienvenue aux nouveaux membres de la Société. 

M. le D r Leblond, médecin de Saint-Lazare, exprime sa satisfaction de 
prendre part à une réunion aussi cordiale et dont les éléments tout en 
étant très différents sont animés du même esprit de philosophie scienti¬ 
fique. 

Après le banquet, M. Jules Bois a soumis aux assistants un projet d’en¬ 
quête sur l’état actuel des études psychologiques. A ce sujet une discus¬ 
sion scientifique s’est élevée au cours de laquelle MM. Séghers, Paul 
Magnin, Bérillon, Melcot, Bourdon, Baraduc, ont exposé leurs opinions 
sur les diverses questions soulevées par M. Jules Bois. 

Tous les assistants se sont retirés enchantés de constater les senti¬ 
ments de cordialité et d’union qui unissent tous les membres de la So¬ 
ciété d’hypnologie. 


Le Congrès d’anthropologie criminelle d’Amsterdam 

Le cinquième congrès d’anthropologie criminelle se tiendra à Ams¬ 
terdam, du 9 au 14 septembre 1901 dans l’aula, de l’Université. 

Parmi les questions mises à l’ordre du jour, nous pouvons signaler : 
1° Caractère anatomique et physiologique des criminels; 

2° La psychologie et la psychopathologie criminelles; 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


63 


3° L'anthropologie criminelle dans ses applications légales et admi¬ 
nistratives; 

4° Sociologie criminelle ; causes économiques du crime; criminalité 
et socialisme; 

5° L’anthropologie criminelle et l’ethnologie comparée; 

6° Questions diverses : l’alcoolisme; la criminalité juvénile, l’hyp¬ 
notisme^ la psychologie criminelle dans la littérature. 

La Société d’hypnologie et de psychologie a désigné pour la repré¬ 
senter à ce congrès M. le D r Jules Voisin, président, M. le D r Bérillon, 
secrétaire général, M. Melcot, avocat général à la Cour de cassation. 


L’Institut de psychologie zoologique 

L’Institutde psychologie zoologique qui vient d’être fondé par M. Hacliet- 
Souplet,bien connu parsestravaux de psychologie comparée, a pour but 
l’étude expérimentale des Animaux du Muséum d’Histoire Naturelle. 

Les Membres fondateurs de l’Institut de psychologie zoologique ont 
pensé qu'il serait intéressant d’appliquer le principe de l’expérience à 
l'étude des facultés psychiques des animaux. 

En effet, si la simple observation des animaux sauvages vivant en 
liberté ou en captivité et des animaux domestiques, nous a fourni quel¬ 
ques informations psychologiques précieuses, il faut avouer qu’elles sont 
assez rares. En dehors des espèces de très petite taille — et surtout des 
insectes, dont on peut observer les mœurs générales dans un coin de jardin 
— il est extrêmement difficile d’examiner les animaux à l'état de liberté 
et de les suivre dans leurs pérégrinations sans troubler leur quiétude. 
D’autre part, les animaux en cage ne peuvent faire preuve d’aucune ini¬ 
tiative puisque aucun événement ne traverse leur existence. Quant aux 
animaux domestiques, ils donnent quelquefois le spectacle d’actes 
remarquables au point de vue psychologique, mais de tels actes ne se 
produisent qu’accidentellement, et ce ne sont pas toujours des psycho¬ 
logues ou des naturalistes qui ont la bonne fortune d’en être témoins. 
Les savants ont donc été forcés jusqu’ici (comme J. Romanes, par 
exemple) de se contenter presque toujours d’enregistrer les faits qui 
leur étaient rapportés par des correspondants plus ou moins compétents. 

Or, pour combler la lacune qui existe dans la psychologie animale 
quelles expériences serait-il désirable de pratiquer Ÿ 

Elles peuvent être de deux genres différents. 

1° Les unes consisteront à faire naître des circonstances particulières 
dans la vie de l’animal pour pouvoir constater comment il se comporte 
en présence de ces circonstances inaccoutumées. 

2° D’autreS expériences se rapporteront à une espèce de dressage 
scientifique. Il ne faut pas se méprendre à ce mot : certes, il ne s’agit 
pas ici de chercher à obtenir des exercices plus ou moins brillants! Il 



64 


REVUE DE L HYPNOTISME 


s’agit seulement d'établir les conditions de l’obéissance de la bête. Les 
moyens dont l’expérimentateur doit se servir pour l’amener à obéir peu¬ 
vent, en effet, être considérés comme des espèces de criteria de ses 
facultés psychiques, Est-ce que le dresseur, doublé d'un observateur 
éclairé et consciencieux, ne se trouve pas vis-à-vis de ses élèves, dans 
la position d’un maître qui fait passer un examen ? Est-ce que, d’après 
les notes qu’il donne aux espèces, il ne lui est pas possible de leur assi¬ 
gner un rang en raison des facultés psychiques dont elles ont fait preuve ? 
Si, par exemple, un animal comprend la mimique et, dans une mesure, 
la voix humaine, s’il se laisse persuader d’obéir, s’il est, en un mot, 
possible de lui faire associer des idées, il est évident que la preuve de 
son intelligence sera établie. La persuasion peut donc être prise comme 
le critérium de l’intelligence animale, . . . mais nous ne pouvons entrer 
ici dans la démonstration de la méthode adoptée par notre Institut et 
nous n’avons cherché qu’à indiquer très sommairement la voie où nous 
voudrions entrer. 

Il est évident que l’application d'une pareille méthode offrirait des 
difficultés presque insurmontables s’il ne s'était pas trouvé un psycho¬ 
logue connaissant à fond les procédés pratiques mis en usage par les 
dresseurs prolessionnels pour instruire toutes espèces d’animaux. Nous 
voulons parler de M. P. Ilachet-Souplet, qui, le premier, a considéré 
les moyens efficaces d’éducation comme des critéria en psychologie 
animale et a exposé, dans plusieurs ouvrages, les résultats qu’il a déjà 
obtenus en se plaçant à ce point de vue. 

D'autre part, nous devons à la haute bienveillance de MM. Liard, 
directeur de renseignement supérieur, et Ed. Perrier, directeur du 
Muséum, l'édification d’un vaste laboratoire de psychologie zoologique 
dans les annexes du Jardin des Plantes. Enfin de grandes facilités ont 
été données au directeur de notre Institut par M. le professeur Oustalet 
pour pratiquer certaines expériences à la ménagerie même. 

Ces épreuves (est-il besoin de le dire n'ont rien de cruel; il s’agit 
d’éveiller les facultés psychiques des animaux et non d abrutir nos frères 
inférieurs avec des coups. Les travaux de l'Institut, psycho-zoologique 
doivent donc intéresser tous ceux qui aiment les bêtes : les protection¬ 
nistes qui comprendront que démontrer l'existence de l'intelligence 
chez les animaux supérieurs c'est donner de nouvelles raisons de les 
aimer; les sportsmen. les fanatiques du cheval de selle ou du chien de 
chasse, qui voudront être renseignés sur maints procédés de dressage 
tenus secrets, et surtout, cela va de soi, les esprits philosophiques et 
tous ceux qu intéressent les problèmes de la science. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. Ql'ELQLEJEU; rue Gerbert, 10. 



REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16* Année — N° 3. 


Septembre 1901. 


Des représentations mentales et des hallucinations vi¬ 
suelles et auditives post-hypnotiques conscientes chez 
les personnes ayant subi le tràitement hypnothéra- 
pique (*). 

Par le D r Jules Voisin, 

Médecin de la Salpêtrière. 


Un certain nombre de neurasthéniques ayant des phobies et 
des idées fixes traitées par l’hypnotisme, évoquent dans le cours 
de leur traitement, quand leurs craintes ou leurs idées fixes 
reviennent, l’image et les paroles du docteur qui les soigne. 
Ces représentations mentales suffisent souvent pour faire dis¬ 
paraître leurs craintes. Je soigne en ce moment-ci une malade 
qui a la peur de ne pouvoir digérer ce qu’elle mange et qui a la 
crainte de mourir par le fait de l’absorption des aliments. Cette 
malade après chaque séance d’hypnotisme mange très bien et 
n’a aucune crainte de mourir pendant plusieurs jours, mais au 
bout de 8 à 10 jours, ses craintes reviennent. Alors cejfie per¬ 
sonne s’installe dans son fauteuil chez elle, comme elle est ins¬ 
tallée chez moi lors de sa visite, et elle évoque ses souvenirs 
et elle me voit et entend les paroles que j’ai l’habitude de pro¬ 
noncer. Elle s’endort profondément et au bout d’une demi- 
heure se réveille tout à fait rassurée. 

Une autre malade, une jeune fille de 19 ans, très intelligente, 
ayant subi plusieurs échecs à son examen par le fait de la peur, 
vint me trouver et me demanda la force, l’énergie nécessaire 
pour vaincre son émotion le jour de son examen. Je l’endors 

(1) Note lue en Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique (août 
1900). 




66 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


et je lui fais la suggestion qu’elle passera très bien son examen, 
qu’elle ne sera pas émue, qu’elle répondra à toutes les ques¬ 
tions et que sa volonté sera maîtresse. 

Immédiatement avant de se rendre à l’Hôtelde-Ville, elle 
évoque mon souvenir, elle me voit, m’entend et Rendort pen¬ 
dant 15 minutes. A son réveil elle se trouve très bien et sent 
qu elle affrontera sans crainte les examinateurs. Elle fut reçue 
avec la note très bien. 

Par ces deux exemples très frappants, on peut juger de 
l'importance que joue, dans le traitement psychothérapique, la 
réviviscence suggérée des représentations mentales. Ce pro¬ 
cédé est employé systématiquement par plusieurs auteurs. 
Bonjour, de Lausanne, l’utilise couramment dans sa pratique 
et Bérillon nous a signalé les bons résultats qu’il en a obtenus 
dans le traitement de troubles névropathiques divers (trac des 
chanteurs, mal de mer, agoraphobie, onanisme, timidité,etc...). 

La représentation mentale des suggestions faites antérieu¬ 
rement dans le sommeil hypnotique suffit pour neutraliser les 
états d’anxiété, comme si le malade se trouvait en présence du 
médecin. Le procédé qui consiste à les évoquer dans les cir¬ 
constances où cela est nécessaire constitue donc un adjuvant 
précieux à l’emploi de la suggestion hypnotique. 


DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE. 


Séance du 14 août 1000. — Présidence de M. le D r Jules Voisin. 
Présidents d’honneur : MM. les D rs von Schrenk-Notzing (de Munich) 
et Aiue de Jong (de La Haye). 


L’Hypnotisme expérimental devant la loi du 30 novembre 1892. 
Intervention des pouvoirs publics dans la règlementation. 


Rapport lu par M. Ch. L. Julliot, Docteur en droit, Secrétaire du Congrès. 


Messieurs, 

Il ne m’appartient de vous entretenir ici que de Y hypnotisme 
expérimental , et, par là, j’entends, par opposition à l’hypnotisme 
thérapeutique, toute pratique de l’hypnose employée dans un 




l’hypnotisme expérimental 67 

but étranger au traitement des affections maladives, quel que 
soit ce but. 

La question mise à l’ordre du jour est celle de savoir s’il est 
opportun de solliciter des pouvoirs publics une règlementation 
spéciale de l’hypnotisme. Pour répondre à cette question, il me 
faut préalablement vous exposer l’état de la législation régis¬ 
sant actuellement l’hypnotisme en France. 

I. — Etat de la Législation 

L’hypnotisme n’a fait en France l’objet d’aucune règlementa¬ 
tion particulière. Il relève uniquement des principes du droit 
commun. Au point de vue expérimental, il est resté en dehors 
des prévisions du législateur de 1892. Je vais m’efforcer de le 
démontrer. 

Je crois que les faits d’exercice illégal de la médecine peu¬ 
vent se grouper en trois catégories : 

1° Prescription d’un médicament, rédaction d’une ordon¬ 
nance. — C’est là le principal attribut du médecin, consacré par 
l’art. 32 de la loi du 21 germinal de l’an XI. La science s’est 
complue quelquefois à comparer la production du sommeil 
hypnotique à l’administration d’un médicament relevant l’une 
et l’autre de certaines règles de posologie bien déterminées ; 
mais ce n’est là qu’une comparaison. L’hypnose, même em¬ 
ployée dans un but curatif, n’est pas un médicament. 

2° Pratiques chirurgicales. — Nous n'avons pas à insister. 
L’hypnotisme ne rentre pas davantage dans la chirurgie. 

3° Dans une troisième catégorie nous ferons rentrer un cer¬ 
tain nombre d’actes qui, par eux-mêmes, examinés en soi, ne 
constituent pas, à proprement parler, des actes de médecine ou 
de chirurgie. Au premier plan, nous placerons l’hypnotisme. 
La provocation du sommeil n’est pas, en elle-même, un acte 
médical. De même le magnétisme, (dont il ne nous appartient 
pas ici de juger la valeur scientifique), le massage, l’électri¬ 
cité, la prescription d’un régime alimentaire ou autre, les 
conseils d’hygiène, etc. Ce sont là des actes, qui, en eux- 
mêmes, ne sont pas du domaine exclusif de la médecine, mais 
qui peuvent revêtir un caractère médical, lorsqu’ils sont 
employés dans le but de traiter une affection maladive. Ces 
actes, lorsqu’ils ont été pratiqués par des gens non pourvus 
du diplôme requis, peuvent tomber sous le coup de l’art. 16 de 
la loi du 30 novembre 1892 et emprunter le caractère délictueux 



68 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


aux birconstances dans lesquelles ils sont accomplis. Ces cir¬ 
constances relèvent de deux facteurs : 

a) But poursuivi : traitement des maladies. 

b) Fréquence des faits : traitement habituel, direction 
suivie. 

Je trouve cette manière de voir, qui, au surplus ne me parait 
pas contestable, consacrée dans un jugement du Tribunal de 
la Seine du 26 janvier 1893 (affaire du zouave Jacob) : 

«.Qu’en effet, il appert des travaux préparatoires de la loi 

que, si le législateur n’a pas voulu réserver exclusivement aux 
médecins les expériences du magnétisme et de l’hypnotisme, 
c’est à la condition que les profanes resteraient dans le domaine 
des expériences purement scientifiques et n’entreraient pas 
dans celui de la médecine proprement dite, c’est-à-dire ne se 
serviraient pas du magnétisme et de l’hypnotisme pour exercer 
la profession de guérir. » 

Les travaux préparatoires auxquels font allusion les consi¬ 
dérants de ce jugement sont principalement le rapport de 
M. Chevandier, dans lequel nous lisons ces mots : « Le temps 
n’est pas loin où tout docteur en médecine, qui osait parler de 
magnétisme animal, était gourmandé par ses confrères. Décon¬ 
sidéré par les exhibitions publiques, il a failli succomber sous 
le mépris des savants. Aujourd’hui que, sous les noms de sug¬ 
gestion ou d’hypnotisme, la science accueille les faits, les con¬ 
trôle, en recherche la loi, est-il juste et sage d’en tarir la source 
et d’en décerner le monopole à ceux-là mêmes, qui, obligés de 
se défendre, par une critique rigoureuse, contre les effron¬ 
tés et les charlatans, se montrèrent hostiles aux manifesta¬ 
tions physiologiques nouvelles, dans la crainte d’être 
dupes de faits mal observés ou falsifiés ? Nous ne l’avons pas 
pensé, laissant à chacun la liberté ou la responsabilité de ses 
actes. Nous croyons que le moment n’est pas venu d’en¬ 

lever ces expériences aux profanes, et de les confier exclusi¬ 
vement aux médecins. » 

Et les considérants du jugement précité ajoutent: « Que le 
rejet par le Parlement de l’art. 12 du contre-projet de loi de 
M. David, qui avait pour but d’atteindre tout particulièrement 
les hypnotiseurs, ne peut intéresser ces derniers que comme 
savants à la recherche de phénomènes magnétiques nouveaux 
et jamais comme guérisseurs. » 

Nous voyons, Messieurs, que l’hypnotisme expérimental est 
demeuré en dehors des prévisions de la loi de 1892. Ses méfaits 





l’hypnotisme expérimental 


69 


relèvent donc des principes du droit commun. Passons-les 
rapidement en revue. 

Dans le domaine de la responsabilité civile, nous sommes 
armés des articles 1382 et 1383 du Code civil : 

Art. 1382. — « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à 
autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est 
arrivé à le réparer. » 

Art. 1383. — « Chacun est responsable du dommage qu’il a 
causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence 
ou par son imprudence. * 

Ces textes fondamentaux de notre droit civil permettront en 
mainte occurrence à l’hypnotisé de demander des dommages 
et intérêts à l’hypnotiseur. Il en serait ainsi notamment dans 
le cas où les expériences auraient eu pour effet d’ébranler la 
santé du sujet. Je pense que ce droit lui appartiendrait alors 
même qu’il se serait prêté de bonne grâce aux expériences. En 
général il n’y aura consenti que sur l’assurance de l’expéri¬ 
mentateur que ses pratiques étaient inoffensives, ou tout au 
moins dans cette conviction, et l’opérateur se sera bien gardé 
de la lui enlever. J’irai même plus loin : j’estime qu’alors même 
que l’hypnotiseur aurait prévenu le sujet des troubles qui 
pourraient en résulter pour sa santé, il ne serait pas à l’abri 
d’une demande de dommages et intérêts, car le sujet aurait 
donné un consentement contraire à l’ordre public, et pourrait, 
à mon avis, se prévaloir, par analogie des dispositions de 
l’art. 1133 du Code civil: « La cause est illicite quand elle est 
prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs 
ou à l’ordre public. » 

Une question plus délicate serait de nature à se poser: Un 
hypnotiseur endort un assistant et lui fait accomplir en public, 
soit séance tenante, soit ultérieurement, par une suggestion 
posthypnotique, des actes ridicules ou contraires à la morale 
ou aux bonnes mœurs. Le sujet serait-il fondé à demander des 
dommages et intérêts à l’hypnotiseur pour atteinte portée à sa 
considération ? Je crois qu’il y a surtout là une question de 
faits. Si le sujet a consenti par avance aux actes suggérés, je 
pense que l’hypnotiseur ne saurait être recherché, tout au 
moins au point de vue civil. Si, au contraire, l’expérimentateur 
avait abusé du pouvoir qu’il avait acquis sur le patient pour 
lui faire commettre des actes non prévus et non consentis par 
avance, et susceptibles de nuire à la considération du sujet, il 



70 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


me paraîtrait rationnel de décider qu’il pourrait être recherché 
de ce chef. 

Dira-t-on, ce qui est contestable, que l’influence de l’hypno¬ 
tiseur est telle que certains hommes peuvent être endormis 
contre leur volonté et malgré leur refus de se prêter à l’expé¬ 
rience, ou que, tout au moins certains hypnotiseurs disposent 
d’un tel pouvoir que des esprits faibles ne sauraient résister à 
la suggestion de se prêter à ces expériences, et que, par con¬ 
séquent, nous ne saurions faire état du consentement donné 
parle sujet? Je répondrai que l’inégalité d’intelligence et de 
volonté des différents hommes est un fait en présence duquel 
le législateur se trouve désarmé et que, à moins de supposer 
qu'il y ait eu violence ou dol de la part de l’opérateur, auquel 
cas les articles 1111 et 1116 du Code civil pourraient trouver 
leur application, nous ne pouvons que constater l’ascendant 
de certains hommes sur leurs semblables. 

Nous arrivons à une question des plus graves. N’est-il pas à 
craindre que des gens peu scrupuleux n’abusent du pouvoir 
dont ils disposent sur d’autres, grâce à la suggestion hypnoti¬ 
que, pour leur faire souscrire certains actes ou engagements 
pécuniaires, (testament, donation, reconnaissance, contrat 
synallagmatique avantageux pour l’hypnotiseur, décharge, 
quittance ou même simple déclaration) ? 11 est incontestable 
que ce danger existe et qu’il n’a pas été prévu par les auteurs 
du Code civil, qui ignoraient alors l’hypnotisme. Néanmoins 
j’estime que nous pouvons trouver dans le Code civil les éléments 
nécessaires à la protection des hypnotisés. 

Nous trouvons d’abord ce grand principe de droit commun 
qu’un acte ne peut exister que s'il y a eu consentement. L’acte 
d’un fou est non seulement nul, mais inexistant. Il devrait en 
être de même, à mon avis, de l’acte consenti par un hypnotisé, 
car l’hypnose est un état de folie momentanée. Malheureuse¬ 
ment la théorie des actes inexistants, très en honneur dans la 
doctrine, ne pénètre que difficilement dans la jurisprudence, 
et, en attendant que les tribunaux lui aient accordé droit de 
cité, nous sommes obligés de nous contenter des actions en 
nullité et de faire des distinctions. 

S’il s’agit spécialement d’un acte à titre gratuit, (donation ou 
testament), nous trouvons l’art. 901 du Code civil, qui décide 
que : « Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il 
faut être sain d’esprit. » — Or, il est incontestable qu’une 
personne hypnotisée n’est pas saine d’esprit, et que la nullité 



l’hypnotisme expérimental 


71 


du testament ou de la donation pourrait être demandée, s’il 
venait à être* démontré que le donateur ou le testateur n’a 
disposé que sous l’influence de la suggestion. 

La donation ne peut être faite que par acte authentique. Le 
testament peut également revêtir cette forme. L’intervention 
du notaire est certainement une garantie ; mais nous savons 
qu’il ne serait pas impossible d’obliger un sujet à se rendre 
chez un notaire, pour y dicter son testament ou y signer une 
donation, soit pendant le sommeil hypnotique, avec l’apparence 
de l’état de veille, soit par suggestion post-hypnotique, au 
réveil, soit enfin par simple suggestion à l’état de veille, et cela, 
sans que le sujet eût cessé de conserver l’apparence d’une 
personne saine d’esprit. Je crois donc que la nullité de ces 
actes pourrait être demandée même si la signature avait 
été donnée en présence d’un notaire, et même si le sujet avait 
agi à l’état de veille. Il suffirait à mon avis de démontrer que 
la cause déterminante de l’acte a été la suggestion hypnotique. 

Je pense même que, dans le cas de testament authentique, 
il ne serait pas nécessaire de recourir à l’inscription de faux, 
car la constatation par le notaire de la sanité d’esprit du testa¬ 
teur est une constatation que celui-ci n’a pu faire que d’après 
des apparences, qui relève du domaine de la science médicale 
et que l’on peut discuter sans mettre en doute la véracité du 
notaire. 

J’ajoute qu’en dehors de l’imputation d’insanité d’esprit, la 
demande en nullité pour cause de violence ou de dol, que nous 
étudierons tout à l’heure, serait également recevable en matière 
d’actes à titre gratuit. 

Le raisonnement que nous venons de faire relativement aux 
libéralités entre vifs ou testamentaires peut s’appliquer aux 
actes à titre onéreux; mais le Code civil s’est montré beaucoup 
plus difficile pour reconnaître la nullité du consentement en 
cette matière, car un acte à titre onéreux n’est jamais aussi 
grave, par définition du moins, qu’un acte à titre gratuit. Nous 
admettons facilement qu’une personne hypnotisée est momen¬ 
tanément aliénée. Mais le législateur ne croit pas beaucoup à 
l’aliénation mentale des personnes non interdites et non sé¬ 
questrées dans un asile d’aliénés. Il faut, pour le convaincre, 
être interdit ou interné, c’est-à-dire officiellement aliéné, ou à 
la veille de recevoir la consécration judiciaire de l’interdiction. 
Témoins les articles 503 et 504 du code civil (*) et l’article 39 

(1) Art. 503. — « Les actes antérieurs à l’interdiction pourront être annulés si la 



72 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


delà loi du 30 juin 1838 (*), qui rendent presque impossible 
l’action en nullité lorsque la démence ne résulte «pas de l’acte 
même, et lorsque la personne n’est ni interdite ni internée. La 
démence ne résultera jamais de l’acte lui-même, car celui-ci 
sera l’œuvre de l’hypnotiseur, c’est-à-dire d’un homme essen¬ 
tiellement maître de ses facultés. 

Nous croyons donc que lorsqu’il s’agira d’actes à titre oné¬ 
reux, il deviendra à peu près impossible d’invoquer la dé¬ 
mence de l’hypnotisé. Nous devrons, le cas échéant, demander 
protection à d’autres textes et je pense que ces textes ne sont 
autres que les art. 1111 et 1116 déjà cités : 

Art. 1111. — « La violence exercée contre celui qui a contracté 
l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été 
exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la conven¬ 
tion a été faite. » 

Art. 1116.— « Le dol est une cause de nullité de la convention, 
lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont 
telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie 
n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être 
prouvé. » 

La violence dont parle l’article 1111 n’est pas forcément une 
violence physique; le fait, pour une personne, d’imposer par 
l’hypnose sa volonté à autrui, en vue de lui arracher une signa¬ 
ture est assurément la pire des violences, puisque c’est une 
violence contre laquelle il est impossible de résister. 

Quant au dol, on peut le définir : toute espèce de manœuvre 
dont on se sert pour tromper autrui et sans laquelle celui-ci 
n’aurait pas contracté. 

Dans quel cas y aura-t-il violence ; dans quel cas y aura-t-il 
dol? 

Je pense que c’est là une question de circonstances. Il y aura 
violence quand l’hypnotiseur aura endormi le sujet, soit malgré 
sa volonté, ce qui sera évidemment rare, soit avec son consen¬ 
tement et sous un prétexte quelconque, et aura profité de son 
influence pour lui donner l'ordre de signer, soit pendant son 
sommeil, soit à son réveil. 

cause de l'interdiction existait notoirement à l’époque où les actes ont été faits. » 

Art. 504. — « Après la mort d’un individu, les actes par lui faits ne pourront 
être attaqués pour cause de démence qu’autant que son interdiction aura été pro¬ 
noncée ou provoquée avant son décès; à moins que la preuve de la'démence ne 
résulte de l’acte même qui est attaqué. » 

(1) « Les actes faits par une personne placée dans un établissement d'aliénés 
pendant le temps qu’elle y aura été retenue sans que son interdiction ait été pro¬ 
noncée ou provoquée, pourront être attaqués pour cause de démence. » 



l’hypnotisme expérimental 


73 


Il y aura dol, au contraire, quand l’opérateur, sans agir vio¬ 
lemment, sans suggestions impératives, aura procédé par per¬ 
suasion et ne se sera servi, soit du sommeil hypnotique, soit 
de la simple suggestion à l’état de veille, que comme adjuvants 
de ses raisonnements. 

La ligne de démarcation entre la violence et le dol sera sou¬ 
vent bien délicate, surtout quand l’opérateur aura provoqué le 
sommeil, car, dans cet état, les raisonnements équivalent en 
général à des ordres. 

Quelle que soit l’étiquette employée, (violence ou dol), la con¬ 
séquence sera la même, (nullité de l’engagement), avec cette 
seule différence que le dol n’est une cause de nullité qu’autant 
qu’il est pratiqué par l’autre partie contractante ou tout au 
moins avec sa complicité, tandis que la violence est toujours 
une cause de nullité, quelle que soit la personne de qui elle 
émane. Mais cette distinction elle-même n’a guère d’intérêt ici, 
car nous ne concevons pas un individu extorquant une signa¬ 
ture s’il n’est lui-même le bénéficiaire ou le complice du béné¬ 
ficiaire de cette signature. 

Nousvenons d’étudier les conséquences des actes accomplis 
au moyen de l’hypnose en restant sur le terrain des principes 
du droit commun en matière puremeqt civile. Il nous reste à 
passer en revue les conséquences pénales de ces actes. 

Plusieurs espèces peuvent être prévues. La première qui se 
présente à l’esprit est celle des crimes ou prétendus crimes 
qu’un hypnotiseur peut suggérer à un sujet de commettre. 

La possibilité de semblables actes a été contestée. 

L’école de Nancy prétend qu’un acte criminel peut être com¬ 
mis inconsciemment par une personne à laquelle il a été sug¬ 
géré pendant le sommeil. L’Ecole de la Salpêtrière soutient, 
au contraire, que de semblables actes ne peuvent réussir que 
lorsqu’ils ont été suggérés à titre d’expériences de laboratoire 
et par simple simulacre, mais que les suggestions échoueraient 
s’il s’agissait d’imposer à un sujet l’exécution d’un crime véri¬ 
table. 

Il ne m’appartient pas de trancher cette grave controverse. 
Des voix plus autorisées que la mienne ont soutenu les deux 
opinions opposées. Je cite notamment MM. Delbceuf (‘) et 
Liébeault ( 1 2 ). 

(1) Delboeuf : Discours prononcé à l’Académie Royale de Belgique, le 12 décem¬ 
bre 1894. Revue de VHypnotisme, 9° année, p. 226 et 260. 

(2) Liébeault : Revue de VHypnotisme, 9° année, p. 289. 


3 . 



74 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Quoi qu’il en soit de cette discussion, et en supposant la 
possibilité des suggestions criminelles, qu'il nous suffise de 
constater que la loi pénale n’est pas désarmée. 

Le sujet n’est, dans la perpétration du délit que l’instrument 
passif de la volonté d’autrui; et j’estime que l’acte commis par 
lui ne saurait attirer sur sa tête aucun châtiment. L’art. 64 du 
Code pénal est formel : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le 
prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lors¬ 
qu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » 

« Mais si, dans l’exécution d’un ordre, l’hypnotisé est irres¬ 
ponsable, jouira-t-il de la même immunité, alors qu’il accom¬ 
plit un acte criminel préconçu avant la suggestion, quand bien 
même cette dernière en serait la cause déterminante? Si la res¬ 
ponsabilité implique le concours de l’intelligence et de la volonté 
libre, il est hors dé doute que, dans un délit commis sous l’in¬ 
fluence de la suggestion, les conditions obligatoires de la res¬ 
ponsabilité font défaut. Si le sujet avait, au moment d’agir, pos¬ 
sédé la plénitude de ses facultés intellectuelles, ne se serait-il 
pas abstenu d’accomplir son dessein, bien qu’il l’ait prémédité?.. 

.« Si l’acte n’est pas en conformité parfaite avec l’état 

moral qui est habituel au sujet, sa sanction pénale ne pourrait 
lui être appliquée. Mais, au contraire, la loi doit toujours inter¬ 
venir, quand le délit est le reflet de la perversité pour ainsi 
dire idiosyncrasique de l’hypnotisé, quand, de propos délibéré, 
il a jugé opportun de recourir à l’hypnotisme, pour l’exécution 
d'un délit préconçu, et cela, soit pour échapper à la répres¬ 
sion, soit pour accomplir son dessein plus sûrement et sans 
faiblesse, grâce à la suggestion. » (*) 

Quant à la responsabilité qui incombe à l’hypnotiseur, il est 
incontestable que le véritable violateur de la loi est celui qui a 
suggéré l’acte coupable; c’est lui qui en est rigoureusement 
responsable. J’invoque sur ce point l’autorité de MM. Liégeois, 
Campili, Auguste Voisin ( 1 2 ), Garraud ( 3 ) et tant d’autres. 
M. Garraud affirme que l’hypnotiseur doit être déclaré complioe 
dans les termes de l’art. 60 du Code pénal. Or, nous savons que 
l’art. 59 punit le complice de la même peine que l’auteur du 
crime ou du délit, c’est-à-dire de la même peine que celle pro¬ 
noncée par la loi contre le crime ou le délit commis par l’auteur 


(1) A. Nicot : Analyse de l’ouvrage de Campili : Le grand hypnotisme dans ses 
rapports avec le droit pénal et civil . (Revue de l'Hypnotisme , 2° année, p. 55 et 56.) 

(2) Revue de VHypnotisme , 6° année, p. 93. 

(3) Précis de Droit criminel , p. 1G8. 




l’hypnotisme expérimental 


75 


principal, ce qui permet de condamner l’hypnotiseur tout en 
reconnaissant l’irresponsabilité de l’hypnotisé. 

Nous pouvons supposer que l’hypnotiseur aura abusé de son 
influence pour se livrer sur son sujet à des actes attenta¬ 
toires ou contraires aux bonnes moeurs. Les art. 331 et 332 
du Code pénal, qui punissent le viol et les attentats à la pu¬ 
deur s’appliqueront sans difficulté. 

Enfin nous avons vu tout à l’heure que le Code civil permet¬ 
tait d’obtenir l’annulation des engagements, contrats ou actes 
à titre gratuit souscrits sous l’influence de la suggestion. Ce 
serait vraiment s’en tirer à bon compte que de s’exposer sim¬ 
plement à voir prononcer par les tribunaux la nullité de ces 
actes. Aussi sommes-nous heureux de constater que la loi pé¬ 
nale revendique également ses droits dans la circonstance : 
« Quiconque aura extorqué par force, violence ou contrainte la 
signature ou la remise d’un écrit, d’un acte, d’un titre, d’une 
pièce quelconque, contenant ou opérant obligation, disposi¬ 
tion ou décharge, sera puni de la peine des travaux forcés à 
temps. — Quiconque, à l’aide de la menace écrite ou verbale... 
aura extorqué ou tenté d’extorquer soit la remise de fonds ou 
valeurs, soit la signature ou remise des écrits énumérés ci- 
dessus, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et 

d’une amende de cinquante à trois mille francs.» Ainsi 

s’exprime l’art. 400 du Code pénal. L’art. 405 peut également 

trouver son application : « Quiconque. en employant des 

manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses 
entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, ou pour 
faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un acci¬ 
dent ou de tout autre événement chimérique se sera fait 
remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou déli¬ 
vrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions 
billets, promesses, quittances ou décharges, et aura par ces 
moyens, escroqué ou tenté d’escroquer la totalité ou partie de 
la fortune d’autrui, sera puni d’un emprisonnement d’un an au 
moins et de cinq ans au plus et d’une amende de 50 fr. au 
moins et de 3,000 fr. au plus. » 

J’en ai fini avec l’exposé des principes de notre législation 
applicables aux responsabilités ou délits pouvant résulter de 
la pratique de l’hypnotisme. 


(à suivre) 





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REVUE DE L’HYPNOTISME 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du 18 Juin 1901. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 35. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

MM. Bourdon (de Méru), Félix Régnault, Jules Voisin, Hickmet et 
Bérillon prennent successivement la parole pour faire les communica¬ 
tions portées à l’ordre du jour. 

Les candidatures de MM. les D rs Lefournier et Voilier, mises aux voix, 
sont adoptées à l’unanimité. 

La séance est levée à 6 h. 35. 


L'onanisme et son traitement par la suggestion hypnotique, 

par le docteur Bkrillon, 

Médecin inspecteur des asiles puldics d’aliénés. 


Les habitudes d’onanisme, lorsqu’elles revêtent un caractère d’irré¬ 
sistibilité, dénotent, chez les individus qui les présentent, des pertur¬ 
bations fonctionnelles profondes des centres cérébro-spinaux. Lors 
même que les sujets sont doués d’un certain développement intellec¬ 
tuel, on peut toujours constater qu’ils présentent une véritable aboulie 
par rapport à l’habitude automatique dont ils sont atteints. En effet, ces 
sujets, tout en ayant conscience des dangers que leur font courir les 
pratiques d’onanisme, se déclarent absolument impuissants à y résister. 

On a imaginé un grand nombre d’appareils de contention et de cein¬ 
tures dites de chasteté pour réprimer les habitudes d’onanisme chez les 
enfants. Aucun de ces appareils n'a jamais amené la guérison d’un seul 
malade. Au contraire, nous avons pu constater que l’usage prolongé 
des appareils de contention, ainsi que i’usage d’attacher les mains des 
enfants onanistes pendant la nuit, exerçait l’influence la plus mauvaise 
et avait pour effet de créer une disposition à Y incurabilité de Fhabi- 
tude : nous affirmons même que l’emploi des appareils de contention et 
le fait d’attacher les mains semblent créer ce que nous serions tenté 
d’appeler l'onanisme chronique. 

Cela est tellement exact que, lorsque nous éprouvons quelque diffi¬ 
culté à obtenir la guérison, nous pouvons sans crainte de nous tromper, 
affirmer que l’enfant a été longtemps attaché pendant la nuit, ou qu’il a 
porté une ceinture de chasteté pendant plusieurs mois. 

Il se passe quelque chose d’analogue à ce qu’on observe chez les aliénés 
longtemps soumis à la contrainte de la camisole de force. Ces malades 
ne tardent pas à revêtir un aspect particulier et beaucoup d’aliénistes 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


77 


considèrent que l’emploi de ces moyens de coercition augmente la dis¬ 
position des troubles mentaux à passer à l’état chronique. 

L’emploi de moyens de coercition dans le traitement de l’onanisme 
est non seulement sans efficacité, mais encore il augmente la gravité de 
l’habitude vicieuse. Cela tient à ce qu’il importe avant tout, non d’em- 
pôcher par des moyens mécaniques la réalisation de l’impulsion auto¬ 
matique, mais bien de procéder à la rééducation de la volonté et de 
créer chez ces malades de véritables centres psychiques d’arrêt. 

Au contraire, on arrive assez rapidement à la guérison de l’onanisme 
par l’emploi de la suggestion hypnotique à laquelle il faut associer une 
gymnastique spéciale. 

Voici notre procédé. L’enfant étant hypnotisé, nous lui levons les bras 
en l’air et nous lui suggérons l’apparition dans ses bras d’une véritable 
paralysie psychique. Nous lui affirmons que lorsque l’impulsion à céder 
à l’onanisme se manifestera, la paralysie dont il est l’objet se repro¬ 
duira immédiatement et qu’il sera, par conséquent, dans l'impossibilité 
matérielle de céder à l’habitude. En même temps, nous nous appli¬ 
quons, par des suggestions appropriées, à éveiller la conscience de l’acte 
répréhensible et à faire en sorte qu’ils ne puissent plus l’accomplir 
inconsciemment. En général, il est nécessaire d’appuyer les sugges¬ 
tions par des raisonnements et d’invoquer à leur appui les arguments les 
plus capables de leur imposer l’horreur de l’onanisme. 

Après deux ou trois séances, les sujets .ne tardent pas à reconnaître 
qu’ils sont capables de résister dans une certaine mesure à l’impulsion. 
Bientôt leur résistance s’organise et la guérison s’établit. 

L’argumentation devra varier selon le degré de culture morale et les 
influences du milieu. C’est là affaire de tact. 

Dans certains cas, l’impulsion à l’onanisme se trouve associée à de 
véritables altérations du sens moral. Il est évident, dans ces cas-là, que 
l’on devra utiliser l’état d’hypnotisme non seulement pour procéder à 
la rééducation de la volonté et à la création de centres psychiques d’ar¬ 
rêt, mais aussi à l’éducation de la sensibilité morale. 

On ne saurait s’imaginer à quel point la provocation préalable de 
l’état d’hypnose augmente la puissance de la suggestion. Quand l’hyp¬ 
notisme est obtenu, la guérison est la règle. Sans l’hypnotisme, la sug¬ 
gestion pratiquée à l’état de veille ne donne que des insuccès. C’est 
pourquoi nous pouvons déduire de notre pratique déjà longue que c’est 
l’hypnotisme qui joue le rôle prépondérant dans la guérison de l’ona¬ 
nisme et des états mentaux qui s’y rattachent. 

La durée du traitement varie nécessairement selon l’ancienneté des 
habitudes et le terrain névropathique sur lequel elles se sont dévelop¬ 
pées. Chez les onanistes dont le développement intellectuel est suffisant 
et dont les stigmates de dégénérescence sont peu accentués, la guéri¬ 
son de l’onanisme par la suggestion est rapide et durable. 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


La Transverbération de Sainte Thérèse d’Avila 

par le D r Henry Lemesle 

Ceux d’entre vous, Messieurs, qui ont visité l’église de Sancta Maria 
délia Vittoria à Rome, ont pu y admirer un groupe de marbre, chef- 
d’œuvre du chevalier Bernin, dont la présence en un tel lieu cause avant 
tout un profond étonnement. Le sujet est cependant éminemment reli¬ 
gieux, car il s’agit de l'Extase, ou, pour parler plus précisément, de la 
Transverbération de sainte Thérèse . 

Dans l’espoir de réformer l’impression que m’avait produite l’œuvre 
du Bernin, j’ai consulté les critiques autorisés qui l’ont appréciée, et j’ai 
étudié la vie de sainte Thérèse dans ses biographes et dans ses propres 
mémoires; mon opinion première n’en fut que confirmée. 

Voici d’ailleurs, parmi d’autres analogues, au fond, l'appréciation de 
Taine [in Voyage en Italie , t. I, p. 298) : 

« Elle est adorable : couchée, évanouie d’amour, les mains, les pieds 
« nus pendants, les yeux demi-clos, elle s’est laissé tomber de bonheur 
« et d’extase. Son visage est maigri mais combien noble ! C’est la vraie 
a grande dame qui a séché dans les feux, dans les larmes, en attendant 
« celui qu’elle aime. Jusqu’aux draperies tortillées, jusqu’à l’alanguise- 
« ment des mains défaillantes, il n’y a rien en elle ni autour d’elle qui 
v n’exprime l’angoisse voluptueuse et le divin élancement de son trans¬ 
it port. On ne peut rendre avec des mots une attitude si enivrée et si 
« touchante. Renversée sur le dos, elle pâme, tout son être se dissout: 
a le moment poignant arrive, elle gémit: c’est son dernier gémissement, 
a la sensation est trop forte. L’ange cependant, un jeune page de 14 ans, 
« en légère tunique, la poitrine découverte jusqu’au-dessous du sein, 
« arrive gracieux, aimable, c'est le plus joli page de grand seigneur qui 
« vient faire le bonheur d’une vassale trop tendre. Un sourire demi- 
« complaisant, demi-malin creuse des fossettes dans ses fraîches joues 
o i luisantes : sa flèche d’or à la main indique le tressaillement délicieux 
« et terrible dont il va secouer tous les nerfs de ce corps charmant, 
« ardent, qui s’étale devant sa main. On n’a jamais fait de roman si 
« séduisant et si tendre. » 

On pourrait objecter avec raison que le Bernin a mal interprété et 
déformé les sensations intimes dont sainte Thérèse nous dit avoir été 
l’objet ; il importe donc de connaître la description de la scène fameuse 
de la Transverbération que nous détachons des Mémoires de la sainte 
(édition Arnault d’Andilly) : 

« A mon côté gauche, j’ai vu un ange dans une forme corporelle. Il 
» était petit, d’une merveilleuse beauté et son visage étincelait de tant 
« de lumière, qu'il me paraissait un de ceux de premier ordre qui sont 
" tout embrasés de l’amour de Dieu et que l’on nomme séraphins... Cet 
« ange avait à la main un dard qui était d’or, dont la pointe était fort 
'/ large et qui me paraissait avoir à l’extrémité un peu de feu; il me 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


79 


« semble qu’il l’enfonça diverses fois dans mon cœur et que toutes les 
« fois qu’il l’en retirait, il m’arrachait les entrailles et me laissait toute 
« brûlante d’un si grand amour de Dieu, que la violence de ce feu me 
« faisait jeter des cris, mais des cris mêlés d’une si extrême joie que je 
« ne pouvais désirer d’être délivrée d’une douleur si agréable ni trouver 
« de repos et de contentement qu’en Dieu seul. Cette douleur dont je 
« parle n’est pas corporelle mais toute spirituelle, quoique le corps ne 
« laisse pas d’y avoir beaucoup de part. » 



C’est donc bien une réalité que le Bernin a fait exactement revivre 
dans le marbre. Mais alors quelle interprétation scientifique pourrez- 
vous donner de la scène de la Transverbêrution? Cette extase doit être 
considérée, pourrions-nous dire, comme l’extase majeure qu’ait éprouvée 
sainte Thérèse, après un long entraînement ; la sainte avait à cette 
époque quarante-quatre ans, et son curriculum vitæ , jusqu’à cet âge, 
doit nous faire penser, que cette extase soit attribuable à la troisième 


80 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


période dite des attitudes passionnelles de la grande attaque d’hystérie, 
ou plus probablement qu’elle se rattache au syndrôme que Briquet a 
dénommé les attaques d'extases , que sainte Thérèse, était, à ce moment, 
travaillée par une ménopause tumultueuse. 

La plupart des auteurs qui ont étudié sainte Thérèse au point de vue 
psychologique, ont bien dit qu’elle devait être considérée comme une 
grande hystérique, à manifestations hallucinatoires et extatiques, mais 
il me semble que c’est là une appréciation tout a priori , car ils ont 
négligé de rechercher au jour le jour dans la vie de la sainte et de 
mettre en lumière les signes diagnostiques qui permettent de recon¬ 
naître l’origine de l’extase et les symptômes que présentait le sujet dans 
l’intervalle des crises, ce qui est cependant rigoureusement nécessaire 
pour caractériser la nature de l’extase ; c’est ce travail qu’il m’a paru 
utile d’accomplir. 

C’est dans la vie de la sainte écrite par elle-même et dans son bio¬ 
graphe, Ribera, que j’ai moissonné tout ce qui doit entraîner une con¬ 
viction relativement à la nature hystérique des extases de sainte 
Thérèse. 

Sainte Thérèse, nous allons le voir, fut une grande sainte parce qu’elle 
ne fut pas une grande courtisane : femme d’une grande beauté, d’une 
intellectualité éminente, elle était douée d’un tempérament passionné, 
de l’imagination la plus vive, de la suggestibilité la plus parfaite. Un 
de ses critiques a dit : « Dans ses écrits, qui restent des modèles inimi¬ 
tables, il suffirait de changer le nom de Jésus pour avoir des hymnes 
d'amour plus brûlants que les strophes de Sap/io,et dans toutes les cir- 
contances de sa vie s’imposera à notre attention l’expression alterna¬ 
tive ou combinée de ses personnalités humainement ou divinement 
amoureuses. 


Nous verrons ces deux personnalités, dans leur imprécision, se 
pénétrer l’une l’autre. 

Par nécessité, elle fut amenée à discipliner ses sens, à ne pas laisser 
libre cours aux désirs ou aux sensations voluptueuses dont ils étaient le 
point de départ ; les moyens physiologiques et normaux d’apaisement 
des sens lui étaient interdits par les vœux qu’elle avait prononcés et 
dans l’observance desquels elle entendait se tenir, elle se fit des satis¬ 
factions de convention, afin de donner carrière aux expansions de son 
tempérament hystérique ; elle s’entraîna et parvint à donner, par l’in¬ 
tensité de l’idéation provocatrice d’hallucinations, un substratum et un 
aliment à ses sensations voluptueuses, elle se créa un centre nerveux 
de dérivation, j’allais dire d’inversion sexuelle; elle nous fournit un 
exemple de ce que l’amour Jiumain et l’amour divin, si dissemblables 
qu’ils paraissent, en principe, en arrivent en définitive, poussés à leurs 
dernières conclusions, à mettre enjeu les mêmes centres nerveux, pro¬ 
vocateurs de mêmes sensations voluptueuses. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 81 

A sainte Thérèse, esprit supérieur et délicat, l’auto-suggestion, 
l’idéation seule suffît à peupler sa pensée d’images qui procurent 
l'extase ; à des cerveaux intellectuellement inférieurs, tels que ceux des 
Ursulines de Loudun (introduisant un crucifix dans leur lit dans un 
but voluptueux), des nonnes d'Uvertet et de beaucoup d’autres victimes 
dë l’hystéro-démonomanie des cloîtres au moyen âge, il faudra un sub¬ 
stratum matériel, instrument d’association et trait d'union tangible de 
l’amour mystique aux manifestations érotiques les plus cyniques. 

Les extases de sainte Thérèse apparaissent au psychiâtre comme 
relevant de la psychopathie sexuelle; il importe donc, se dégageant de 
toute idée confessionnelle, au risque même d’apporter une note discor¬ 
dante à ce que Jaurès qualifie de chanson à bercer la misère humaine, 
d’établir au grand jour de la discussion scientifique, cette symptomato¬ 
logie morbide. 

★ 

* * 


Dès son plus jeune âge, Thérèse reçut les suggestions qui, presque 
infailliblement, font éclore une vocation, elle fut dirigée vers les pra¬ 
tiques religieuses par son père, « fort affectionné, nous dit-elle, à la 
lecture des bons livres » ; elle avait un frère avec lequel elle se trouva en 
parfaite communion d’idées,et avec lequel elle résolut, pour gagner le 
ciel, d’aller se faire couper la tête chez les Maures. 

a Comme je voyais les martyres que, pour Dieu, souffraient les saints, 
« il me parut qu'ils achetaient à vil prix le bonheur de jouir de Dieu, et 
« je désirai de mourir ainsi. C'est pourquoi je me mis à me concerter 
« avec mon frère sur le moyen d'y arriver, et nous décidâmes d'aller 
a chez les Maures, en demandant l’aumône le long du chemin, afin qu’ils 
« nous coupâssent la tête. Il me semblait que Dieu nous en donnerait le 
« courage à un âge si tendre, pourvu que nous trouvions quelque moyen... 
« mais le plus grand embarras était notre famille... » 

Aux portes même d’Avila les deux enfants trouvèrent malencontreu¬ 
sement leur oncle, qui leur fît, l’oreille basse, réintégrer le paternel 
logis. 

a Dès que nous vîmes qu'il nous était impossible d’aller nous faire 
« tuer pour l’amour de Dieu, nous résolûmes de nous faire ermites. Dans 
« un jardin qu’il y avait à la maison, nous construisions des grottes en 
«c entassant des pierres qui aussitôt croulaient. Impossible de satisfaire 
a nos désirs ! » 

Quand la fillette devint femme, cette transformation s’accompagna de 
symptômes nerveux et de tendances rien moins que religieuses. La 
puberté de sainte Thérèse produisit une certaine perturbation morale; 
elle devint une jeune fille lisant des romans, soucieuse de plaire, flirtant 
avec ses cousins, et elle laissa sans doute parler ses sens puisqu’elle 
nous dit : 

« Quand je commençai à lire les confessions de ce grand saint (saint 




82 REVUE DE L’HYPNOTISME 

« Augustin), je m’y vis, ce me semblait, comme dans un miroir qui me 
a représentait à moi-même telle que j’étais. » 

Or, saint Augustin, on le sait, fut au point de vue de l’incontinence, un 
modèle du genre ; nous voulons croire cependant que sainte Thérèse, 
par tournure naturelle de caractère sans doute, a transformé ses défauts 
en vices. 

<c Ce que je vais rapporter me fait quelquefois considérer combien 
« grande est la faute des pères et des mères qui ne prennent pas soin 
« d’empêcher leurs enfants de rien voir qui ne les puisse porter à la 
« vertu... 

a Ma mère prenait plaisir à lire des romans et ce divertissement ne 
« lui faisait pas tant de mal qu’à moi ; nous oubliions nos autres devoirs 
.« pour ne penser qu’à cela seul. Mon père le trouvait si mauvais qu’il 
« fallait bien prendre garde qu’il ne s en aperçût pas. Je m’appliquai 
« donc entièrement à une si dangereuse lecture, et cette faute que l’exem- 
« pie de ma mère me fît faire causa tant de refroidissement dans mes 
« bons désirs, qu’elle m’en fit commettre beaucoup d’autres. 

« Je commençai de prendre plaisir à m’ajuster et à désirer de paraître 
« bien; j’avais un grand soin de mes mains et de ma coiffure; j'aimais 
«c les parfums et toutes les autres vanités, et comme j’étais fort curieuse 
« je n’en manquais pas. Mon intention n’était pas mauvaise et je n’aurais 
« pas voulu être cause que quelqu’un offensât Dieu pour l’amour de 
« moi... 

a Comme mon père était extrêmement prudent, il ne permettait 
« l’entrée de sa maison qu’à ses neveux, mes cousins-germains. Et plût 
« à Dieu qu’il la leur eût refusée aussi bien qu’aux autres! 

« Ces parents dont je parle n’étaient qu’un peu plus âgés que moi ; 
« nous étions toujours ensemble, ils m’aimaient extrêmement, mon 
« entretien leur était .fort-agréable; ils me parlait du succès de leurs* 
« inclinations et de leurs folies et, qui pis est, j’y prenais plaisir, ce 
« qui fut la cause de tout mon mal... 

a Je reçus un grand préjudice d’une de mes parentes qui venait 
« souvent nous voir. Comme si ma mère qui connaissait la légèreté de 
« son esprit eût prévu le dommage qu’elle devait causer, il n’y avait 
« rien qu’elle n’eût fait pour lui fermer l’entrée de la maison. Je m’affec- 
« tionnai extrêmement à elle et ne me lassais point de l’entretenir parce 
« qu’elle contribuait à mes divertissements... 

« Ayant ensuite entièrement perdu la crainte de Dieu, il me resta 
« seulement celle de manquer à ce qui regardait mon honneur, et elle 
« me donnait des peines continuelles. Mais me flattant de la créance 
« que l’on n’avait point de connaissance de mes actions, je faisais plu- 
« sieurs choses contraire à l’honneur de Dieu et même à celui du monde 
« pour lequel j’avais tant de passion. » 

Mais ici-bas tout passe et tout casse, le père de Thérèse, Antonio de 
Cépéda, comprit, un peu tard peut-être, que sous les espèces et appa¬ 
rences de cousins, il avait introduit chez lui des renards à manger ses 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 83 

poules, il s’aperçut que la compagnie qu’il avait donnée à sa fille n'avait 
point menée à bonne fin l'éducation de cette dernière, et qu'en défini¬ 
tive la jeune Thérèse allait mal tourner; il fut^alors contraint de prendre 
ce que nos contemporains appelleraient irrévérencieusement une mesure 
de correction paternelle : 

«... Trois mois s’étaient passés lorsqu’on me mit dans un monastère 
« de la ville. Cela se fit avec tant de secret qu’il n'y eut qu’un de mes 
« parents qui le sut. » 

L’Eglise doit une grande reconnaissance à Antonio de Cépéda, car 
sans la détermination qu’il prit, elle compterait certainement une grande 
sainte de moins. 

Le nouveau genre de vie auquel fut astreinte sainte Thérèse ne tarda 
pas à faire se révéler tout un ensemble de troubles hystériques jus¬ 
qu'alors latents. 

Au premier rang, en intensité et en durée, se montrèrent les vomis - 
sements nerveux qui persistèrent pendant vingt ans, et les maux de 
cœur dont la sainte se plaindra à chaque page de son histoire; puis ce 
furent des syncopes répétées. 

« Le changement de vie et de nourriture altéra ma santé quoique j'en 
« fusse fort contente : mes défaillances augmentèrent et mes maux de 
« cœur étaient si grands que se trouvant joints à tant d'autres maux, on 
« ne pouvait les voir sans étonnement. Je passai ainsi la première année. 
« Le mal était si grand que je n'avais toujours que fort peu de connais- 
« sance et je la perdais quelquefois entièrement. » 

Plus loin sainte Thérèse nous dit : 

a J’ai durant vingt ans été travaillée d’un vomissement qui ne me 
« permettait de manger qu a midi et quelquefois encore plus tard. » 

Ailleurs encore : 

« Je ne suis aussi presque jamais sans ressentir diverses douleurs, 
« et elles sont quelquefois bien grandes principalement des maux de 
« cœur , quoique je ne tombe pas souvent dans cette défaillance qui 
« m'était autrefois si ordinaire. » 

Avec une très grande rigueur d’observation, sainte Thérèse nous 
fait part d’un symptôme dont la valeur diagnostique ne saurait échap¬ 
per : Vexagération de la sensibilité morale: 

« J’ai oublié de dire que durant l’année de mon noviciat, des choses 
« qui étaient de peu de conséquence en elles-mêmes me causaient beau- 
« coup de chagrin. » 

Sainte Thérèse ne tarda pas à donner la mesure de sa suggestibilité . 
Sous l'influence d'une auto-suggestion elle détermina une exacerbation 
de ses maux de cœur: 

« Il y avait alors une religieuse malade d'une effroyable maladie, qui 
(( lui causa bientôt la mort. C’étaient des ulcères qui s'étaient faits en 
« son ventre par lesquels elle rendait la nourriture qu'elle prenait. Ce 
« mal qui donnait de l’horreur à toutes les sœurs ne produisit d’autre 
« effet en moi que de me faire admirer la patience de cette bonne reli- 



84 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


« gieuse. Je disais à Dieu que s’il lui plaisait de m en accorder un sem- 
« blable il n’y avait rien que je ne fusse prête à souffrir : et il me semble 
« que j’étais véritablement dans cette disposition, parce que j’avais un 
« si violent désir de jouir des biens éternels que j’étais résolue d’em- 
« brasser tous les moyens qui me les pourraient procurer.... 

« Dieu exauça ma prière. Deux ans n’étaient pas encore accomplis, 

« que je me trouvai en tel état, qu’encore que mes souffrances ne fus- 
a sent pas de la même nature que celles de cette bonne religieuse, je 
« crois qu’elle n’étaient pas moins grandes.... » 

Sainte Thérèse avait si bien atteint son but et les maux de cœur aug¬ 
mentaient à tel point, qu’il fallut consulter les médecins d’Avila ; ces 
derniers furent impuissants : 

« Et parce que les médecins ne réussissaient point à me traiter, mon 
« père me fit transporter dans un autre lieu où il y en avait que l’on 
« disait être fort habiles... Je demeurai presque un an dans le lieu où 
« l’on me mena et la quantité de remèdes que l’on employa durant trois 
« mois me fit tant souffrir que je ne sus comment je pus les supporter. » 
A cet éndroit eut lieu une intrigue amoureuse, toute platonique d’ail¬ 
leurs, avec un ecclésiastique, mais cette intrigue nous montre une fois 
de plus l'esprit romanesque et le tempérament nerveux de Thérèse. 

a II y avait là un ecclésiastique qui avait d’assez bonnes qualités ; je 
« le pris pour confesseur. Lorsque je commençai de me confesser à ce 
<t prêtre séculier il me prit en fort grande affection... cette affection 
« était si excessive quelle ne pouvait passer pour bonne . Je lui faisais 
« connaître que pour rien au monde je n’aurais voulu offenser Dieu en 
« des choses importantes et il m’assurait qu’il était dans la même dis- 
« position. Ainsi nous entrâmes en de grandes communications... Je 
« n’ai jamais cru que l’affection qu’il me portait fût mauvaise quoi- 
« qu’elle eût pu être plus pure, car il s’est rencontré des occasions où 
« j’aurais pu commettre de plus grandes fautes, si je n’avais toujours 
« appréhendé d’offenser Dieu, mais comme je l’ai déjà dit je n’aurais 
« jamais voulu faire ce que j’aurais cru être un péché mortel, et il me 
« semble que cette disposition dans laquelle cet ecclésiastique me 
« voyait augmentait l'affection quil avait pour moi . » 

Cependant aucune amélioration ne se produisit et les crises nerveuses 
s’installèrent avec leur mise en scène habituelle. Sainte Thérèse dut 
revenir au couvent d’Avila plus malade encore qu’en le quittant : 

« J’eus durant trois mois de très grandes douleurs au lieu dont je 
•'v viens de parler... Les médecins qui me virent durant les deux pre- 
« miers mois me mirent presque à l’extrémité : et ce mal de cœur si 
« extraordinaire , pour lequel on me traitait, s’augmenta avec tant de 
« violence qu'il me semblait quelquefois qu’on me l’arrachait avec des 
« ongles de fer : et il me mettait dans un tel état que l’on appréhendait 
« que l’excès d’une douleur si insupportable ne passât jusqu'à la rage . 
« La fièvre ne me quittait point : les médecines que l’on m’avait 
« données sans discontinuation durant un mois m’avaient si extrême- 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


85 


« ment abattue que j’étais réduite à ne pouvoir prendre que des bouil- 
« Ions : le feu qui dévorait mes entrailles fit que mes nerfs se retirèrent 
« avec des douleurs si excessives que je n’avais ni jour ni nuit un seul 
« instant de repos, et tant de maux joints ensemble me mirent dans 
« une profonde tristesse. 

« Ce qui me donnait de la peine n’était pas de me voir condamnée par 
« les médecins, c’étaient les douleurs que ce retirement de nerfs me 
« faisait souffrir depuis la. tête jusqu'aux pieds. 

« Je fus travaillée de la sorte que je viens de dire depuis le mois 
« d’avril jusqu’au 15 août, et alors la fête de l’Assomption de la Sainte 
« Vierge étant venue, je voulus me confesser. Il me prit cette même 
■ nuit une défaillance qui dura près de quatre jours, sans qu’il me 
« restât aucun sentiment. La fosse pour m’enterrer avait durant un 
« jour et demi été ouverte dans notre monastère, lorsqu’il plut à Dieu 
« de me faire revenir comme des portes de la mort. Je me confessai 
« aussitôt et communiai en répandant une quantité de larmes : mais il 
« me semble que ces larmes ne provenaient pas du seul regret d’avoir 
« offensé Dieu... 

a Ma langue était toute déchirée à force de l’auoir mordue, et mon 
« gosier en tel état, tant pour mon extrême faiblesse qu’à cause que je 
« n’avais rien pris durant ce temps, que l’eau même n’y pouvait passer, 
« j’étais comme étranglée. Il me semblait que mes os n’avaient plus de 
« liaison : j’avais un étourdissement de tête incroyable; j’étais toute 
« ramassés comme en un peloton; je ne pouvais souffrir que l’on me 
« touchât, pour peu que ce fût. Je demeurai ainsi jusqu’au dimanche 
« des Rameaux... mes douleurs cessaient assez souvent, pourvu que 
« Von ne me touchât pas. » 

C’est au milieu de ces crises nerveuses, si complètes qu’à elles seules 
elles fourniraient la symptomatologie de la grande hystérie avec phéno¬ 
mènes épileptoïdes tels que : morsures de la langue, suffocation hys¬ 
térique, élèvement sur la pointe des pieds , retirements de nerfs de la 
tête aux pieds , hyperestésie cutanée, crises de larmes, etc. ; c’est au 
milieu de ces crises que sainte Thérèse eut ses premières visions : 
Jésus à la colonne ; l'Enfer-, saint Pierre et saint Paul; la Vierge; 
sainte Catherine de Sienne ; sainte Catherine de Cardone; sainte Claire; 
lui apparurent successivement. 

Puis bientôt elle commença ce quej'appellerai l'entraînement d’extases. 
Je voudrais citer dans leur intégralité ces pages d’une profondeur 
psychologique si grande, dans lesquelles sainte Thérèse observe et in¬ 
terprète le phénomène de fixation de l'attention, et j’ajoute sans crainte 
d’être contredit, que les Mémoires de sainte Thérèse, contiennent l’in¬ 
dication et l’application des lois sur la concentration de l'attention, 
l’hypotaxie et l’idéoplastie, dont Durand de Gro3 s’est fait le protago¬ 
niste parmi les psychothérapeutes. 

-Quatre degrés sont nécessaires pour parveniràl’extase: 1° Oraison sim¬ 
ple; 2° Oraison de quiétude : « cela se fait en recueillant au-dedans de 



86 


REVUE DE L HYPNOTISME 


soi toutes ses puissances, c’est-à-dire l’entendement, la mémoire et la 
volonté » ; 3° Oraison d'union, qui est la phase idéoplastique prépara¬ 
toire seulement de l’extase ; 4° Oraison d'extase ou d'élèvement et trans¬ 
port d'esprit , dont la description est intéressante et constitue une page 
très précise de pathologie nerveuse. 

« Lorsque, dans cette quatrième manière d’oraison, une personne 
« cherche ainsi son Dieu, peu s’en faut qu'elle se sente entièrement dé- 
« faillir; elle est comme évanouie; à peine peut-elle respirer... les yeux 
« se ferment d’eux-mêmes et s’ils demeurent ouverts ils ne voient pres¬ 
te que rien; si on parlait à cette personne, elle n’entendrait même pas 
a ce qu’on lui dirait. Il m’est arrivé quelquefois, dans cette sorte d’o- 
« raison, de me trouver si hors de moi-même, qu’après qu’elle était 
« finie, je me trouvais toute baignée de larmes , sans savoir quand ni com- 
« ment elles ont commencé à couler... 

« En d’autre temps, je me sentais enlever l'âme et la tête, sans que je 
« pusse l'empêcher, et quelquefois tout mon corps, en sorte qu’il ne 
« touchait plus à terre. » 

Puis, à propos de cette oraison d'extase , sainte Thérèse revient encore 
sur la suffocation hystérique qu’elle a déjà plusieurs fois signalée 
comme la tourmentant : « c’est comme une personne qui, ayant la corde 
« au cou, et étant prête d'être étranglée, s’efforce de respirer. » 

Elle exprime encore à nouveau les sensations de légèreté et d'élève - 
ment sur la pointe des pieds , si fréquentes jîhez nos hystériques : «c II 
« me semblait souvent, lorsque ces ravissements m’arrivaient, que mon 
« corps ne pesait plus rien et quelquefois je le sentais si léger que mes 
« pieds ne paraissaient plus toucher à terre ». 

Charcot a signalé, au nombre des troubles psychiques de la grande 
hystérie, l'hallucination se produisant dans un certain sens et toujours 
le même . Sainte Thérèse réalisa ce symptôme ; pendant deux ans et demi 
elle marcha, voyant Jésus toujours a sa droite . 

Tout cet ensemble de crises nerveuses, d’hallucinations, d’extases, fut 
sévèrement jugé par certains des contemporains de Thérèse qui attri¬ 
buèrent ces phénomènes au démon et même à la folie, à la mélancolie, 
comme nous le dit sainte Thérèse. 

C’est alors qu’intervint un saint personnage, le bienheureux Pierre 
d’Alcantara qui fut constitué comme souverain juge de la question de 
connaître si les pratiques de Thérèse d’Avila étaient condamnables ou 
recommandables. 

Après Antonio de Cépéda, c’est à Pierre d’Alcantara que l’Église catho¬ 
lique est redevable de la grande figure de sainte Thérèse de Jésus. 

Les renseignements que sainte Thérèse nous a donnés sur son confes¬ 
seur Pierre d’Alcantara sont assez complets pour qu’il ne plane aucun 
doute sur la valeur des synthèses psychiques du cerveau de ce... bien¬ 
heureux : 

« Ce saint homme avait passé quarante ans sans dormir plus d’une 
« heure et demie pendant la nuit et le jour ; durant le peu de temps 



SOCIÉTÉ ü'hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


87 


« qu’il était assis pour dormir, il appuyait sa tête contre un morceau 
« de bois scellé dans le mur. Il passa plusieurs années sans regarder 
« aucune femme et il me disait que s'il les voyait c’était comme s’il ne 
« les voyait pas. Il était quand je commençai à le connaître si atténué 
« et si décharné que sa peau ressemblait plutôt à une écorce d’arbre 
« desséché qu’à de la chair. —Il portait un cilice qu’il n’avait pas quitté 
« depuis 22 ans. — Il criait à haute voix et de telle sorte que ceux qui 
a l’entendaient le prenaient pour un insensé. » 

Pierre d’Alcantara était lui-même, on le voit, un numéro intéressant 
d’aberration psychique, proche parent de ces dégénérés que l’auteur de 
cette étude a dénommés algomanes et auto-destructeurs . Quoi qu’il en 
soit il laissa sainte Thérèse « fort contente et fort consolée par l’assurance 
« qu’il lui donna que tout ce qui se passait en elle venait de « Dieu ». 

La sœur Thérèse fut dès lors entourée de la vénération universelle, 
elle s’abandonna à ses extases qui devinrent de plus en plus parfaites 
jusqu’à la grande crise de la Transoerbération dont il me semble main¬ 
tenant avoir amplement justifié mon appréciation dudébut de cette étude. 


* * 

Des âpres cimes de la sierra d’Avila, planant sur les Castilles, le Léon, 
PEstramadure, sur l’Espagne des Ferdinand, des Oharles-Quint, des 
Gonzalve de Cordoue et des Christophe Colomb, devaient s’élever deux 
renommées qui s’imposèrent à la mémoire des hommes. 

A l’immortel tortionnaire de Santa-Cruz, Thomas de Torquemada, 
les esprits dédaigneux des spéculations scientifiques, et qui peuvent 
laisser chanter en leur cœur la poésie de l’ignorance, ont la consolation 
d’opposer, en une cinglante antithèse, au nom de la même croyance reli¬ 
gieuse, se dressant en grandeur et en beauté, l’impérissable figure de 
sainte Thérèse de Jésus. 


- Deux cas d’incontinence nocturne d’urine guéris 
en une seule séance de suggestion pendant le sommeil naturel. 

Par M. le D r Bourdon (de Méru). 

I 

Jules P..,, âgé de 9 ans, de tempérament lymphatico-nerveux, urinait 
au lit presque toutes les nuits, depuis l’âge où les enfants cessent ordi¬ 
nairement de le faire. 

Différents moyens avaient été employés en vain, par différents méde¬ 
cins, pour le guérir de cette petite infirmité (ergotine ou ergot de seigle 
et fer, belladone, hydrothérapie, toniques, reconstituants, etc., sans 
excepter la fameuse souris grillée, et autres moyens plus ou moins 
empiriques). 

Un soir que j’étais appelé pour sa mère malade, le trouvant endormi 



88 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


et ayant été déjà, à plusieurs reprises, prié de m'en occuper, j’eus l’idée 
d’essayer de le suggestionner pendant son sommeil naturel. Avec des 
précautions infinies pour ne pas le réveiller, mais sans espoir de succès, 
je le confesse, je me mis à lui parler doucement, à voix basse, très 
basse d’abord, et en scandant les mots, en suivant le rythme de la 
respiration, comme le conseille le D r Paul Farez. Elevant un peu le ton 
et en allant crescendo, je répétai plusieurs fois les suggestions : « Tu 
n’urines plus au lit, tu n’urines plus jamais au lit, tu prends l’habitude 
d’uriner tous les soirs, avant de te coucher, et tu ne veux plus jamais 
uriner au lit, etc. » 

Avec des variantes, j’insistai beaucoup, sans qu’il se réveillât. 

Faisant cette expérience pour la première fois, j’avoue que je n’avais 
qu’une demi-confiance et que je partis sans espoir de résultat favo¬ 
rable. 

Or, quel ne fut pas mon étonnement, lorsque quelque temps après et 
alors que je l’avais presque oublié, n’ayant pas eu l’occasion de revoir 
sa mère, j’appris un jour par elle que l’expérience avait réussi au delà 
de toute espérance et c’était avec une grande joie, à laquelle se mêlait 
la mienne, qu’elle m’apprenait que son enfant n'urinait plus jamais au 
lit depuis que je lui avais parlé pendant son sommeil. 
v Une seule séance avait suffi et le l’ésultat se maintient toujours. Il y 
a de cela plus d’un an. 


II 

Julia R..., 11 ans, vive et nerveuse, urinait au lit toutes les nuits depuis 
sa naissance, et tous les matins ses frères et soeurs prenaient un malin 
plaisir à aller constater que « la petite mare », comme ils disaient, 
existait toujours sous le petit lit en fer qu’une urine abondante avait 
traversé. 

Comme elle me fuyait pour ne pas être endormie, sachant que tous 
les soirs elle s’endormait sur la table après le dîner, je résolus, pour 
tourner la difficulté, d’aller essayer de la suggestionner pendant son 
sommeil. 

J’arrivai donc un jour entre 8 h. et 9 h. du soir et je la trouvai 
endormie sur la table, la tête sur les deux bras, au milieu de sa nom¬ 
breuse famille et des ouvriers de son père. 

Avec toutes les précautions nécessaires et comme j’avais fait pour le 
premier sujet, je commençai très doucement, très bas, à lui suggérer, 
toujours en scandant les syllabes et suivant le rythme respiratoire, 
qu’elle n’urinait plus jamais au lit, que, prenant l’habitude d’uriner 
toujours avant de se coucher, elle aurait la volonté de ne plus jamais- 
uriner au lit. 

Je répétai ces suggestions plusieurs fois en renforçant un peu la voix. 
J’y arrivai sans la réveiller. Sa mère s’en étonna beaucoup, parce que, 
me dit-elle, elle avait le sommeil assez léger. 



SOCIÉTÉ o’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 89 

On la réveilla ensuite sans qu’elle se doutât de rien, sans savoir ce 
qui s’était passé. Et cette seule séance suffit; plus jamais, au grand 
étonnement de tous, Julia R... n’urina au lit, ce qu’elle n’avait jamais 
manqué de' faire un seul jour jusque-là, et le résultat s’est toujours 
maintenu. 

Ces faits montrent la grande suggestionnabilité des enfants, aussi bien 
dans le sommeil normal que dans l’autre. 

Discussion. 

M. Paul Farez. — Le cas d’incontinence que j’ai récemment rapporté 
avait aussi été guéri en une séance. La rapidité et la persistance de ces 
guérisons est à signaler à ceux qui, systématiquement, déclarent la 
suggestion pendant le sommeil normal impraticable ou inefficace. Ce 
mode d’intervention sera souvent mieux accepté et même plus facile¬ 
ment applicable que la suggestion hypnotique proprement dite ; 
peut-être deviendra-t-il la méthode de choix contre l’incontinence 
d’urine. 

M. Pau de Saint-Martin. — J’ai aussi traité une incontinence d’urine 
par suggestion pendant le sommeil naturel, en me conformant à la 
technique de M. Farez. Il m’a, il est vrai, fallu plusieurs séances, mais 
la guérison a été complète et définitive. 

M. Bérillon. — C’est la suggestion, sous toutes ses formes, qui modifie 
le plus sûrement l’incontinence ; les nombreux médicaments prônes 
comme spécifiques, n’agissent que par suggestion. 


Des suicides (<) 

Par M. le D p Félix Régnault. 

Il faut distinguer parmi les suicides : 

1° Le suicide volontaire, raisonné, accompli avec pleine conscience 
de l’acte que l’on commet ; c’est en réalité le vrai suicide. C’est celui 
de l’homme qui s’asphyxie avec un poêle et attend la mort. 

2° Le suicide indirectement obtenu. Un être qui, par désespoir, se 
laisse mourir de faim, par exemple un chien, un oiseau ne commet pas 
un suicide actif, raisonné. Le chagrin seul l’empêche de manger, mais 
on aurait tort de penser qu’il ne mange pas avec l'intention bien arrêtée 
de mourir. 

Cette mort par désespoir pourrait s’observer chez l’homme, en cer¬ 
tains cas de nostalgie, de perte d’un être chéri, etc. 

3° Je placerai ici le suicide inconscient. Un homme est pris de vertige 
dans les montagnes ou au sommet d’un édifice, il se laisse choir et 
se tue. 


(1) A propos des récentes communications de M. Caustier et de M. Lépinay. 



90 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


La mort par vertige est aisée à expliquer en psychologie. Le cerveau 
est envahi par une idée unique et intense, l’idée de la chute. Or, nous 
savons que toute idée entraîne à la réalisation de l’acte ; et l’être ainsi 
obsédé accomplit les mouvements nécessaires à la chute (*). 

Ce n’est pas un suicide à proprement parler ; le sujet n’en avait aucu¬ 
nement l’intention. 

4° Il y a enfin le suicide malgré soi. On l’observe chez les fous. J’ai 
soigné ainsi en 1887, à l’hôpital Saint-Antoine, un homme qui, malgré 
lui, avait envie de se couper la gorge avec un rasoir et avait huit fois 
cédé à cette tentation. Il en était d’ailleurs désespéré. Ayant, en l'inter¬ 
rogeant, appris qu’il avait eu la syphilis, je lui affirmais que son obses¬ 
sion tenait à cette maladie, que le cas était très connu, etc..., et qu’elle 
cesserait entièrement par \e traitement spécifique : ce qui arriva. Je le 
revis deux ans après, il n’avait plus eu la moindre obsession. 

Il importe de distinguer ces divers modes de suicide, qu'on l’étudie 
chez les animaux ou chez l’homme : la psychogénie en est entièrement 
différente. Cette distinction est encore fort utile au point de vue pratique : 
il importe à la famille de savoir, soit au point de vue religieux soit au 
point de vue héréditaire, si le suicide a été volontaire ou non. 


Œdème bleu chez une hystérique guéri par Tapplication 
de raimant (suggestion armée) 

Par M. le D r Jules Voisin 

Vous savez, Messieurs, que l’œdème bleu des hystériques a longtemps 
été méconnu. C’est Charcot qui, dans ses leçons à la Salpêtrière, sut très 
bien le mettre en évidence. La non connaissance de ce fait tient à ce que 
ce phénomène d’œdème est quelquefois la première manifestation de 
1 hystérie et ne s’accompagne pas d’autres symptômes évidents de cette 
névrose. 

Au mois de février dernier, une jeune fille de 17 ans, de mon service, 
se plaint de ne pouvoir travailler. Depuis quelques jours elle a des 
engelures au 1 er et 2 e degré sur la face dorsale de la main droite et 
depuis ce matin-là seulement elle présente un gonflement considérable 
des doigts, de la main et du poignet jusqu’à 4 ou 5 centimètres au-dessus 
de celui-ci. 

Ce gonflement n’est autre qu’un œdème dur et ayant l’aspect 
bleuâtre. 

L’application du doigt provoque une légère dépression et fait dispa¬ 
raître l’aspect violacé de la peau à ce niveau. 

(1) Le rétrécissement de la pensée qui aboutit à l’idée unique s’observe dans 
l’hystérie, l’hypnotisme. L’idée unique est celle qu’impose l’expérimentateur et 
l’acte suit mécanique. Gomme l’a dit ici même M. Farez (Bulletins, 1901, p. 193). 
M. Renouvier avait étudié ce fait et l’avait défini, vertige mental. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


91 


Les doigts sont boudinés, très gros, la malade les plie difficilement. 

La température de cette extrémité du membre est plus basse d'un 
degré que celle du côté opposé. 

La sensibilité est très obtuse au tact et à la douleur sur toute l’éten¬ 
due de l’oedème. Au-dessus de l’œdème, la température et la sensibilité 
sont normales. 

Cette disposition anatomique de l’œdème et de la sensibilité me font 
penser immédiatement à l’œdème bleu hystérique. 

'Je recherchai les autres stigmates de l’hystérie et je ne trouvai que 
l'insensibilité du pharynx et des conjonctives. Légère douleur à la pres¬ 
sion au niveau de l’ovaire droit, mais pas de sensation de boule ni 
d'étouffement. 

Jamais de manifestations convulsives ni d’hémianesthésie. La malade 
a présenté seulement de temps en temps des troubles dyspeptiques. 

Intelligence peu développée. Cette jeune fille fut renvoyée de ses 
places comme étant nonchalante, paresseuse et n’a jamais été consi¬ 
dérée comme étant malade. 

Traitement. — J’affirmai à la malade qu’elle guérirait très bien avec 
le moyen énergique que j’allais employer. Je pris un gros aimant, je lui 
fis tenir le fer doux et lui montrai la puissance de cet instrument. 

J’appliquai cet aimant à côté de sa main sur une table et je lui recom¬ 
mandai de regarder attentivement sa main. Celle-ci se dégonflerait 
à vue d'œil. 

Au bout de 20 minutes sous l’influence de cette « expectant attention » 
et de légers massages, la main était revenue à son état normal. La gué¬ 
rison persista le lendemain et les jours suivants. 

Cette observation est importante à plusieurs points de vue. 

D’abord, l’œdème a été la première manifestation de l’hystérie chez 
cette malade. 

Deuxièmement la suggestion armée a parfaitement réussi. 

Les engelures du début ont été le point de départ de cet œdème. 
La malade, en lavant, souffrant un peu de cette dermite et ne voulant 
plus travailler, concentra toute son attention sur sa main. Elle l’immo¬ 
bilisa avec précaution et vit l’œdème se produire en quelque sorte avec 
plaisir, parce que de cette façon on ne la forcerait plus à travailler. 
Cet œdème étant devenu très considérable au bout de deux jours, elle 
s’en inquiéta ensuite, et la malade fut heureuse du pronostic favorable 
que je portai. 


Discussion 

M. Hikmet (de Constantinople). — Je puis citer un cas analogue 
d’œdème hystérique, compliqué de quelques autres symptômes. 

Madame X..., âgée de 19 ans, grasse, blonde, robuste, de grande 
taille, est née à Lausanne (Suisse). Sa mère est morte d’apoplexie ; elle- 
même est hystérique. 

Chaque semaine, elle a des crises à grand fracas, perd connaissance 


92 


REVUS DE L’HYPNOTISME 


et offre le tableau classique des grandes attaques. Mais elle éprouve un 
symptôme très rare : chaque fois, une ou deux heures après son attaque, 
elle est prise d’hémoptysies, et, sans tousser, elle crache un sang 
rutilant et écumeux. Il n’y a aucun symptôme stomacal, mais ello 
éprouve, dans la suite, des douleurs de poitrine. Le sang expectoré est 
tantôt très abondant, tantôt en petite quantité. A l’auscultation on 
entend parfois quelques râles passagers, le plus souvent rien. 

Pendant 13 ans, elle a eu ces hémoptysies sans altération aucune de 
la santé générale. 

Dans ces dernières années, elle offrit un nouveau symptôme : brus¬ 
quement après l’attaque ou en dehors de toute attaque, les pieds enflaient 
et devenaient bleuâtres. L’œdème n’avait pas de ligne de démarcation 
bien tranchée ; elle ne pouvait mettre ses souliers et accusait ceux-ci 
d’ètre trop étroits ; l’œdème persistait de un â trois jours. 

Sur la face interne des cuisses apparaissaient des plaques ecchymo- 
tiques sans rapport avec le trajet des veines. 

Elle avait aussi de l’amnésie et, fait plus cuiieux, une perte de la mé¬ 
moire des mouvements et de la sensibilité musculaire. Au lieu de poser 
le verre sur la table, elle le lâchait dans le vide ; au lieu de coudre son 
ouvrage, elle se perçait la peau ; en tirant son fil elle le cassait, car elle 
ne savait plus calculer ses mouvements, mais elle accusait le fil d’être 
mauvais. 

M. Bérillon. — Dans les œdèmes qui surviennent chez .les cardia¬ 
ques, M. Huchard enseigne que les diurétiques n’agissent guère qu’après 
une mise en train. Celle-ci s’obtient, soit par le massage, soit par la 
suggestion. Je me rappelle le cas d’un individu qui, atteint d’anasarque, 
n’urinait pas depuis plusieurs jours, malgré de nombreux diurétiques. 
Je l’ai vu avec Mesnet ; en employant la suggestion, nous avons pu le 
dégonfler et provoquer une très abondante diurèse. 

M. Félix Régnault. — Le point important dans l’observation du doc¬ 
teur Jules Voisin comme dans celle récemment publiée par le professeur 
Raymond, est la rapidité et la facilité de la guérison par la suggestion 
psychique. Jusqu’à présent, on ne croyait par l’idée pouvoir guérir que 
des idées: contractures, paralysies, anesthésies, etc., dépendant d’un 
trouble d’idéation. En guérissant ce trouble, on supprimait l’état orga¬ 
nique. 

Dans ces deux observations, comme dans celle que j’ai rapportée ('), 
il y a lésion matérielle : de la sérosité s’est répandue dans les tissus. 

Pour que l’idée agisse, il faut invoquer l’influence vaso-motrice. Cette 
théorie ouvre un large champ à la suggestion curative. 

Elle doit aussi être reprise pour expliquer les troubles hystériques 
qui, jusqu’à présent, ont été regardés comme purement idéaux. P. Janet 
a montré que l’anesthésie hystérique était un trouble central d’idéation : 

(1) Voir Société d’hypnologie, séance du 20 novembre 1900, dans Revue de l'Hypno¬ 
tisme, février 1901, p. 236. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


93 


ses ingénieuses expériences prouvent qu’il en est souvent ainsi. Mais 
en certains cas elle pourrait être dûe à des troubles périphériques vaso¬ 
moteurs ( 4 ). Le membre anesthésié est exsangue et, quand la sensation 
revient, le sang reparaît également. 

M. Jules Voisin. — J’ai pu, de nombreuses fois, supprimer par sug¬ 
gestion une hydarthrose à répétition qui survenait au genou, chez une 
jeune fille de mon service, toutes les fois qu’elle avait envie de ne pas 
travailler et de rester couchée. 

M. Bourdon (de Méru). — J’ai modifié également par la suggestion 
une petite tumeur d’apparence graisseuse qui siégeait dans la région 
axillo-mammaire. 

M. Félix Régnault. — La fausse tumeur dont parle M. Bourdon (de 
Méru) a été décrite par Potain, sous le nom de pseudo-lipome rhuma¬ 
tismal : c’est uii œdème dur localisé à la région claviculaire survenant 
chez des diathésiques. Rien d'étonnantque cet œdème puisse disparaître 
par suggestion. 

Cette notion d’œdème dur et localisé pouvant apparaître chez les 
nerveux, est importante. Elle explique les faux cancers du sein qui ne 
sont que de l’œdème dur localisé à la glande mammaire et finissant, par 
s’ulcérer probablement sous l’influence d’onguents et de pommades pré¬ 
tendues résolutives et en réalité irritantes. Elle explique également la 
rapidité de résolution sous l’influence suggestive comme de nombreux 
cas en ont été rapportés ( 1 2 ). 

Tous ces faits ont la même cause : œdème par trouble vaso-moteur. 
Il n’est pas étonnant que le même traitement psychique leur soit 
applicable. 


VARIÉTÉS 


L'hypnotisme collectif en Tunisie 

M. Laignel-Lavastine vient de publier dans la Presse Médicale un 
intéressant article sur l'hypnotisme collectif en Tunisie, dont nous 
extrayons les passages suivants : 

« L’an dernier, nous avons eu occasion de voir les disciples de la con¬ 
frérie de Sidi-Aissa, de Téboursouk (Tunisie au sud de la Grande-Krou- 
mirie), se livrer à leur séance mensuelle d’hypnotisme. Il nous a paru 
intéressant de rapprocher des principes de technique du médecin anglais 
les moyens mis en œuvre par les religieux arabes. Au cours de leurs 
exercices, les Aissahouas sont dirigés par les Marabouts avec les procé¬ 
dés usités actuellement dans les services de maladies nerveuses. Aussi 

(1) Voir observation, Société d’hypnologie, séance du 17 juillet 1893. 

(2) Voir Revue de VHypnotisme, 1901, p. 24G. 




94 REVUE DE L’HYPNOTISME 

le fait suivant peut être classé comme une observation d’hypnotisme 
collectif (1). 


« A notre arrivée, la mosquée éclairée et murmurante étaitdéjà pleine 
d’Arabes en burnous. Les voûtes cintrées étaient supportées par deux 
rangs de piliers. Du plafond pendaient au bout de fils de fer de petites 
lampes brillantes, aux verres blancs, verts, jaunes et rouges. Les 
hommes étaient couchés en rang sur des nattes, pieds nus et leurs 
balouches à la main. Ils faisaient face au mur garni d’une grille de fer 
qui protégeait des pas indiscrets de la foule l’endroit le plus sacré de la 
mosquée. 

« Entre ce mur et la première rangée de colonnes, se tenaient les 
anciens, les premiers hommes de la tribu par la sainteté ou la richesse, 
et les vieux Aissahouas mélangés aux chanteursetjoueursdetambourin. 

« La séance commença par du plain-chant, scandé de coups de tam¬ 
bourins d’un rythme lent ; le chœur était interrompu toutes les deux ou 
trois minutes, et dans le silence s’élevait une mélopée plaintive à notes 
très aiguës, chantée par une voix nasillarde. 

« Cependant, des hommes en burnous se levaient un à un de tous les 
coins de la salle, entraient dans la sacristie, enlevaient leur turban, leur 
burnous, leur haik ( 2 ), et, seulement vêtus d’un séroual ( 3 ), d’un gilet et 
d’une gandoura (■'), tête et pieds nus, ils s’alignaient, le dos contre la 
muraille grillée. Ils étaient 22, placés par rang d’âge; le plus jeune, âgé 
de sept ans, le fils du Caïd, était à une extrémité; le plus âgé n’avait 
pas plus de cinquante ans. 

« D’abord, ils oscillaient la tête et le thorax, très légèrement en avant 
et en arrière, et lentement; ce mouvement alternait avec un mouvement 
latéral; bientôt, les deux se conjuguèrent; la musique durait toujours; 
aux bruits des tambourins frappés par intervalle, les hommes se pros¬ 
ternaient; de temps en temps, un Arabe, placé au milieu de la rangée, 
frappait trois fois dans ses mains et modifiait par ce signal la forme et le 
rythme des oscillations. La musique se faisait très douce, en sourdine. 
Le pied droit marquait la mesure par un double coup claqué; au deu¬ 
xième coup, les 22, tendant le torse, poussaient un hurlement expiratoire 
rauque, inarticulé ; déjà beaucoup fermaient les yeux. La musique reprit 
plus fort et plus vive, les mouvements de flexion et d’extension des 
jambes commencèrent et devinrent de plus en plus rapides. A un coup 
de tambour tous les mouvements cessèrent, tandis que le premier chan¬ 
teur égratignait sa mélopée. Les mouvements reprirent avec toujours 
des intermittences et des variations de rythme, et cela, jusqu’à la fin. 
Tout à coup, le cinquième Aissahoua sortit du rang, hurla, roula fréné- 

(t) Cf. Gustave Le Bon. — « Psychologie des foules. » Alcan, 189G. 

(2) Pièce d’étoffe dans laquelle les Arabes se drapent. 

(3) Culotte courte à plis, serrée à la taille. 

(4) Sorte de blouse analogue à celle des oaysans normands. 



VARIÉTÉS 


95 


tiquement sa tête sur les épaules, enleva son turban, ses vêtements 
jusqu’à la ceinture ; l’un des trois marabouts chargés de^manier les Ais- 
sahouas lui donna une longue aiguille de 50 centimètres terminée par 
une boule de fer de la grosseur d’un œuf d’autruche. Il la prit, marcha 
d'un bout à l’autre de la mosquée la pointe de l’aiguille posée sur son 
ventre, puis s’arrêta, les bras en croix. 

« Alors, le marabout lui enfonça la pointe de l’aiguille dans la peau 
du ventre; prit ensuite de plus petites aiguilles, lui transperça les lèvres 
supérieures et inférieures de part en part, lui enfonça d’autres aiguilles 
dans le front, deux dans le cou et deux dans la poitrine. Pendant cinq 
minutes, le marabout promena l’homme ainsi lardé, puis lui enleva les 
aiguilles ; l’homme aussitôt s’échappa, et se jeta par terre tout de son 
long. Après quelques convulsions, il se releva sain d’esprit. Tout à coup, 
un spectateur, soldat tirailleur, se précipita dans l’enceinte en hurlant et 
gesticulant. Sa crise fut longue; le marabout le calma par l’imposition 
des mains sur les côtés de la poitrine et du ventre; l’homme tomba 
comme mort; au bout de deux minutes, il était revenu à lui. Les possédés 
se succédaient et se multipliaient; leurs forces semblaient augmentées, 
car, en se précipitant sur les marabouts, ils les faisaient tournoyer. 
Ceux-ci calmaient leur délire en leur donnant ce qu’ils leur avaient 
suggestionné de vouloir. A l’un, renversant la tête, le corps penché en 
avant, ils donnaient des morceaux de verre qu’il croquait avec délices 
en se prosternant. A l’autre, le cou tendu en arrière, ils laissaient tomber 
dans la bouche, la pointe en l’air, de longs clous rouillés. Quelques Ais- 
sahouas étaient insatiables. J’en ai vu un avaler cinq clous de 6 à 10 cen¬ 
timètres de long chacun; j’en ai vu un autre si difficile à rassasier 
de verre, que le marabout lui bourrait la bouche des derniers débris que 
contenait le mouchoir qui servait à envelopper les éclats. 

a Le délire gagnait ; un vieux, parmi les spectateurs, se leva, se mit 
le torse nu, et s’élança dans la campagne ; il revint cinq minutes 
après, comme on l’avait déjà oublié, le dos tout chargé de feuilles de 
cactus ; il les mit par terre, se coucha dessus ; le marabout monta sur 
son dos ; ensuite il se roula sur les feuilles, et s’en frappa le dos à coups 
redoublés. Son voisin, en burnous, se jeta sur une des feuilles, la cro¬ 
qua, la brouta ; il en prenait déjà d’autres : on lui enleva les cactus pour 
l’empêcher de manger tout ; il rumina alors, marcha à genoux, se roula, 
fit le chameau ; d’autres l’imitèrent ; ils tournaient à dix en même temps. 
C'était un désordre général : hurlements, mouvements désordonnés ; 
scène de cabanon de furieux. 

« La musique se fit moins forte et moins rapide ; des mélodies de plain- 
chant, rappelant tout à fait les vêpres catholiques, s’élevèrent ; cela de¬ 
vint de plus en plus doux ; le tambourin avait cessé ; les marabouts 
passaient la main sur les yeux des Aissahouas, leur souillaient sur le 
visage et leur pressaient les fosses iliaques. Chacun reprit peu à peu 
ses sens ; la séance était finie. 


96 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


' ★ 

* * l 

a Ainsi, les sujets des marabouts, comme les malades de Braid, de 
Charcot, de Bernheim, de Raymond, de Janet, etc., sont hypnotisés par 
des moyens analogues où prédominent la fixation du regard et la mono¬ 
tonie des bruits. Les sujets des marabouts, comme les sujets de Char¬ 
cot, ont de l’anesthésie avec vaso-constriction périphérique (leurs plaies 
ne saignent pas), de l’état cataleptique, des convulsions. Les marabouts 
savent agir sur le sommeil, comme le savent les médecins, en pressant 
les globes oculaires, ou en soufflant sur les yeux. 

« Enfin, comme les médecins, ils savent faire avorter les crises con¬ 
vulsives par la compression des fosses iliaques ( 1 ). 

« Laignel-Lavastine. » 


RECUEIL DE FAITS 


L’Hystérie en Chine 

Le D r Matignon, médecin de la légation de France en Chine, vient 
d’adresser à l’Académie de médecine un important mémoire intitulé : 
Hystérie et Boxeurs en Chine. 

Trois choses, écrit M. Matignon, frappent tout d’abord celui qui fré¬ 
quente et observe les Chinois : leur naïveté, leur crédulité et leur sug¬ 
gestibilité. On peut y ajouter l’impulsivité qui les rend susceptibles, 
sous des influences diverses, de colères d’une rare violence les 
conduisant aux actes les plus invraisemblables et fréquemment au 
suicide. 

Tous les caractères de l’hystérie et surtout l’insensibilité des mu¬ 
queuses, les zones d’anesthésie, etc., se retrouvent chez la plupart des 
Chinois. 

Les scènes destinées à exciter le fanatisme et à démontrer le pouvoir 
surnaturel des Boxeurs rappellent de tout point celles que nous avons 
vues fréquemment chez les Aissaouas. 

Ces malheureux que la suggestion avait ainsi fanatisés se précipi¬ 
taient inconscients dans la mêlée, entraînant avec eux des femmes et 
des enfants. 

Tout cela tend à expliquer la rapidité avec laquelle s’est développé le 
mouvement boxeur dans le Nord de la Chine. 

(1) Une question qui se présente naturellement à l’esprit, est ce^le de savoir si 
la singulière nourriture des Aissahouas produit des lésions mécaniques de leur tube 
digestif. Il est assez difficile de répondre, le contrôle médical n’existant pas. Mais 
il est probable que le kousskous extrêmement épais qu’ils mangent avant leurs 
exercices, enrobe en quelque sorte les corps étrangers qu’ils avalent. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 

Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU, rue Gerbert, 10. 


M 









REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N° \. 


Octobre 1901. 


BULLETIN 


L’hypnotisme au congrès d’anthropologie criminelle 

d’Amsterdam 

La Société d’hypnologie et de psychologie, fidèle à son pro¬ 
gramme qui embrasse toutes les questions relatives à Vaction- 
intermentale et à l’influence exercée par l’homme sur son sem¬ 
blable, avait chargé une délégation, composée de MM. les 
D rs Jules Voisin, président, et Bérillon, secrétaire général, de 
la représenter au Congrès d’anthropologie criminelle. 

Les délégués ont eu le plaisir de se rencontrer à Amsterdam 
avec un grand nombre de membres de la Société parmi lesquels 
nous devons citer : MM. les D" van Renterghem, d’Amsterdam ; 
Arie de Jong et Wijnaendts Franckel, de la Haye ; Crocq, de 
Bruxelles ; Dektereff, de Saint-Pétersbourg, etc. 

La première partie du congrès a été consacrée à la discus¬ 
sion des théories Lombrosiennes, qui ont trouvé d’éloquents 
et d’ardents défenseurs dans MM. Lombroso, Enrico Ferri, 
Sighèle, Carrara, et dans les professeurs Bénédick, devienne, 
et Tschisch, de Dorpat. 

La contre-partie a été soutenue avec beaucoup d’autorité et 
de talent par MM. les D rs Paul Garnier, de Paris; E. Martin et 
Mayet, de Lyon; par M. Lejeune, ancien ministre de l’intérieur 
en Belgique; par M. Gauckler, professeur à la Faculté de droit 
de Nancy. 

Nous reviendrons sur ces intéressants débats dont la con¬ 
clusion générale est qu’il devient nécessaire de conformer la 
procédure judiciaire aux progrès scientifiques; « Le criminel 
ne devant plus être toujours considéré comme un vicieux 
qu'il faut punir, mais souvent comme un malade qu’il faut 
interner ou guérir ». 


4 




98 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


Do toutes les séances, la plus importante, à notre avis, fut 
celle dans laquelle furent abordées les questions relatives à 
l’enfance coupable et àla« délinquence juvénile ». Tout d’abord, 
dans un rapport très documenté, M. le D 1 Paul Garnier, méde¬ 
cin en chef de l'Infirmerie spéciale à la préfecture de police, a 
exposé avec une grande clarté les causes de la criminalité 
juvénile. Il a démontré que l’énorme progression de cette crimi¬ 
nalité était directement en rapport de causalité avec les pro¬ 
grès parallèles à l'alcoolisme et insisté sur le rôle de l’éducation 
envisagée comme agent de redressement moral. Ensuite M. le 
D r Jules Voisin, médecin de l’asile d’aliénés et de l’école de 
réforme do la Salpêtrière, a donné les résultats de cette école 
de réforme. De son remarquable rapport, il résulte que les 
enfants confiés à ses soins ne méritent par la dénomination de 
vicieux, mais bien celle de malades. La presque totalité pré¬ 
sente en effet des troubles psychopathiques, très caractérisés se 
rattachant à l’épilepsie, à l’aliénation mentale, à l’hystérie ou à 
la dégénérescence. Les guérisons obtenues à l’école de réforme 
sont nombreuses. Elles le deviendront encore d’avantage lors¬ 
que les traitements les plus efficaces, et en particulier la sug¬ 
gestion hypnotique, y seront l’objet d’applications suivies. 

Enfin le D r Bérillon, médecin inspecteur des asiles d’aliénés 
de la Seine, a fait ressortir les avantages que présentent les 
applications de l’hypnotisme à l’éducation des enfants vicieux 
ou dégénérés. Il a surtout insisté sur le traitement des vices 
les plus graves tels que la kleptomanie, l'onanisme, l’onychopha- 
gie et la perversité morale et démontré que seul l’hypnotisme 
était capable d’amener la guérison durable de ces impressions 
morbides. » Du rapport de M. Bérillon se dégage en outre ce 
fait important c’est que l’hypnotisme peut servir à distinguer 
les incorrigibles de ceux qui 11e le sont pas. Dès à présent il se 
croit fondé à formuler cet axiome : « Tout sujet hypnotisable 
est curable. » 

Les rapports présentés par ces trois représentants de l’école 
de Paris ont été très applaudis. La préoccupation de la science 
française de se maintenir sur le terrain des faits positifs a été 
très remarquée et lui a valu un succès marqué. 

L’hypnotisme a aussi été étudié au point de vue sociologique 
dans deux remarquables rapports de M. le D r Jelgersma sur 
la psychologie des foules et de M. le D l Scipio Sighele, de Rome, 
sur le crime collectif. Nous publierons la partie essentielle do 
ces rapports. 



BULLETIN 


99 


Il convient également d’adresser de vifs remerciements aux 
organisateurs du Congrès. MM. les professeurs Van Ilamel, 
président, Winlder, vice-président, Wertheim Salomonsen, 
secrétaire général, et M. le D r Van Deventer, médecin en chef 
de l’asile d’aliénés de Meercnberg, méritent tous les éloges 
pour la façon si courtoise avec laquelle ils ont reçu leurs 
hôtes. Au banquet de clôture, M. le D r Bérillon s’est fait l’inter¬ 
prète de ces sentiments au nom de la Société d’hypnologie et 
de psychologie. 

Enfin pour terminer, nous devons mentionner la visite faite 
par MM. Voisin et Bérillon à l’Institut Liébeault fondé à 
Amsterdam par M. Van Renterghem, et à la Polyclinique 
cl’hypnothérapie dirigée à la Haye par le D r Arie de Jong. 
L’accueil si cordial et si sympathique fait par MM. Van Ren¬ 
terghem, de Jong et Wijnaendts Franckel à leurs collègues de 
Paris, est un nouveau témoignage de l’esprit de solidarité qui 
unit tous les membres de la Société d’hypnologie et de psy¬ 
chologie. 

Note sur le traitement de l’incontinence d’urine 
par la suggestion ('), 

par le Docteur A. Cullerre, 

Directeur-Médecin de l’Asile d’aliénés de La Roche-sur-Yon. 

Dans un mémoire publié en 1896 dans les Archives de 
Neurologie ( 2 ) je donnais une première statistique de 24 cas 
d’incontinence essentielle d’urine traités par la suggestion et 
m’ayant fourni 20 guérisons, 2 améliorations et 2 insuccès. 

Depuis cette époque, j’ai traité 44 nouveaux sujets dans les 
mêmes conditions ; 4 de ces malades ne s’étant présentés à ma 
consultation qu’une ou deux fois et n’ayant plus donné de leurs 
nouvelles, je ne puis les faire figurer dans ma seconde statis¬ 
tique qui se trouve ainsi réduite à 40 cas, m’ayant fourni 30 
guérisons, 8 améliorations et 2 insuccès. 

En combinant ces deux statistiques, on obtient sur 64 sujets 
(37 garçons, 27 filles) 50 guérisons, 10 améliorations, 4 insuccès, 
soit les proportions suivantes : 

Guérisons . . 78 pour 100 

Améliorations 15,6 — 

Insuccès ... 6,4 — 

(1) Communication faite au Congrès international de l’Hypnotisme. 

(2) A, Cullerre : l'Incontinence d'urine et son traitement par la suggestion (Archives 
de Neurologie, 1896, n°7). 



100 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Ces chiffres portent sur une pratique de huit années ; on ne 
saurait donc les considérer comme le résultat d’une série heu¬ 
reuse. Leur nombre, d’autre part, est assez considérable pour 
écarter l’idée que j’ai pu avoir affaire à des cas exceptionnels. 
Je puis donc soutenir de nouveau, avec le petit nombre de mé¬ 
decins compétents qui se sont occupés de la question, que la 
suggestion est le traitement de choix à appliquer à l’inconti¬ 
nence essentielle d’urine. 

Et si l’incontinence d’urine cède à la suggestion c’est que 
l’élément psychique joue dans sa genèse, un rôle prépondérant, 
sinon exclusif. J’ai développé cette idée au congrès des alié¬ 
nistes et neurologistes de Toulouse, en 1897 (*), qu’il existe une 
affinité étroite entre l’incontinence essentielle d’urine et l’hys¬ 
térie. La mentalité des jeunes incontinents se rapproche en 
effet extrêmement de celle des hystériques et sans reprendre 
les arguments déjà développés dans le travail précédent, citons 
quelques particularités psychologiques observées dans ma 
seconde série de sujets et de nature à confirmer mon hypothèse. 

Chez 17,5 pour 100 de mes jeunes malades, il existait, au 
moment du premier examen, de la polydipsie et de la polyurie, 
phénomène d’auto-suggestion qui est d’ailleurs le premier 
influencé par le traitement. 

Une enfant de 9 ans, incontinente nocturne, depuis sa nais¬ 
sance, est mise à l’école. En peu de temps elle devient inconti¬ 
nente diurne, par l’appréhension qu’elle a de ne pouvoir garder 
ses urines pendant la classe. Deux ou trois séances de sugges¬ 
tion suffisent à la rendre continente aussi bien la nuit que le 
jour. 

Un garçon de vingt ans, incontinent depuis son enfance, est 
rapidement guéri par la suggestion. Toutefois, au bout de six 
mois il a une rechute pendant laquelle l’incontinence nocturne 
se limite exactement à la nuit du lundi au mardi de chaque 
semaine. Je n’ai pu avoir la clef dé cette bizarre auto-sugges¬ 
tion, mais quelle meilleure preuve peut-on avoir de la nature 
psychique de l’incontinence que cette périodicité mathématique 
dans le retour éloigné de l’accident ? 

Une jeune fille de 18 ans vient me confier qu’elle doit se 
marier dans six mois, mais qu’elle est atteinte d’incontinence 
d’urine, ce qu’ignore naturellement son fiancé, et me demande 
de la débarrasser de cette infirmité. 

(1) A. Cullerre : De Vincontinence d'urine dans'ses rapports avec l'hystérie infantile 
(Congrès des aliénistes et neurologistes. Toulouse, 8° session, 1897). 



l’incontinence d’urine et la suggestion 101 

Le traitement est institué et bientôt suivi de succès. Quelques 
mois après, je vois reparaître dans mon cabinet la jeune 
personne éplorée : la nuit môme de ses noces, l’incontinence 
avait reparu ! Je ne crois pas me tromper en pensant que, 
l’esprit hanté par la peur du retour de son infirmité, elle 
avait précisément provoqué ce retour en se suggestionnant 
elle-même. 

Une femme, mère de deux enfants, l’un de 11 ans, l’autre de 
8 ans, atteints d’incontinence nocturne, vient s’entendre avec 
moi sur le jour où elle devra m’amener ses petits malades. 
Elle rentre chez elle et leur annonce alors qu’elle les conduira 
le dimanche suivant au médecin des aliénés pour les faire soigner. 
A partir de ce moment les deux enfants ont été radicalement 
guéris de leur infirmité. (Inutile de dire que ces deux cas ne 
figurent pas dans ma statistique.) 

Comme parmi les malades de ma première série, je relève 
dans la seconde, un certain nombre de sujets manifestement en 
puissance d’hystérie : stigmates permanents, crises convul¬ 
sives, rêves somnambuliques. Chez plusieurs, ainsi que je l'ai 
signalé précédemment, la miction involontaire est la conclusion 
d’une période d’agitation onirique intense, sorte de crise hys¬ 
térique en miniature. Sur les 64 sujets traités je trouve 7 hysté¬ 
riques à crises : 4 filles et 3 garçons. 

Chose à noter, sur les 4 insuccès, tous fournis par les garçons, 
on trouve 1 cas d’hystéro-épilepsie, 1 cas de psychose émotive, 

1 cas de folie morale et 1 cas d’excitation maniaque légère 
avec tics : c’est-à-dire quatre enfants profondément atteints 
dans leur système nerveux. 

Ma nouvelle série d’observations confirme les idées que j’ai 
précédemment émises sur la valeur de l’incontinence comme 
stigmate de l’hérédité nerveuse. Dans les familles auxquelles 
appartiennent ces malades, j’ai noté surtout les convulsions, 
les paralysies infantiles, la méningite, l’hystérie et l’épilepsie 
chez les frères et sœurs, et, chez les parents, la migraine, la 
névropathie, les névralgies, l’hystérie et l’instabilité mentale. 

Enfin, ces nouveaux faits contribuent à établir l’opinion que 
j'ai soutenue en 18%, à savoir que le nombre des incontinents 
appartenant à la même parenté est tel, que cette infirmité revêt 
dans certains cas les caractères d’une véritable maladiefami- 
liale. Parmi la nouvelle série de malades traités se trouvent 

2 fois les deux frères, 1 fois les deux sœurs. Dans la parenté 
des autres je relève 14 cas d’incontinence. 



102 


REVUE DE L HYPNOTISME 


Dans une famille, je trouve le père, sa sœur et deux de ses 
enfants atteints de cette infirmité ; dans une autre, le père et les 
deux fils; dans une troisième, le père et la fille. 


DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE. 


Séance du 11 août 1000. — Présidence de M. le D r Jules Voisin. 
Présidents d’honneur : MM. les D r * von Schrenk-Notzing (de Munich) 
et A rie de Jong (de La Haye). 


L’Hypnotisme expérimental devant la loi du 30 novembre 1892. 
Intervention des pouvoirs publics dans la règlementation. 


Rapport lu par M. Ch. Julliot, Docteur en droit, Secrétaire du Congrès. 

{suite et fin) 


J’aborde la seconde partie de ce rapport. 

IL— Conviendrait-il de solliciter des pouvoirs publics une réglementation 
de l’hypnotisme expérimental ? 

Je m’empresse de déclarer ici que je suis à priori partisan de 
la plus grande liberté laissée aux citoyens, et qu’à moins qu’il 
ne résulte des débats que pourront soulever les considérations 
qui vont suivre, j’estime qu’une loi d’exception ne pourrait être 
réclamée qu’en présence de dangers très graves. 

Ce n’est cependant pas ce qu’ont pensé nos voisins de 
Belgique qui, depuis le 30 mai 1892, jouissent des bienfaits 
d’une loi réglementant l’hypnotisme. Permettez-moi de vous 
citer à titre de document le texte de cette loi : 

Aiit. 1 er . — Quiconque aura donné en spectacle une personne 
hypnotisée par lui-même ou par autrui sera puni d’un empri¬ 
sonnement del5joursà6 mois etd’une amende de 26 à 1,000 fr. 

Art. 2. — Sera puni d’un emprisonnement de 15 jours à 
1 an et d’une amende de 26 à 1,000 francs quiconque aura 
hypnotisé une personne n’ayant pas atteint l’âge de 21 ans 
accomplis ou n’étant pas saine d’esprit, s’il n’est docteur en 
médecine ou muni d’une autorisatian du gouvernement. L’au¬ 
torisation ne sera valable que pour une année. Elle sera révo¬ 
cable et pourra être suspendue. 



l'hypnotisme expérimental 


103 


En cas de concours avec les infractions punies par les dispo¬ 
sitions légales concernant l’art de guérir, la peine prononcée 
par le présent article sera seule appliquée. 

Art. 3. — Sera puni de la réclusion quiconque aura avec une 
une intention frauduleuse ou à dessein de nuire fait écrire ou 
signer par une personne hypnotisée un acte ou une pièce énon¬ 
çant une convention, des dispositions, un engagement, une 
décharge ou une déclaration. La même peine sera appliquée 
à celui qui aura fait usage de l’acte ou de la pièce. 

Art. 4. — Les dispositions du chap. VII du livre l or et de 
l’art. 85 du Code pénal sont applicables aux infractions prévues 
par la présente loi. 

Le vote de cette loi avait été provoqué par un vœu émis par 
l’Académie royale de médecine dans sa séance du 25 novembre 
1888 : « L’Académie royale de Belgique, considérant les in¬ 
convénients et les dangers de la pratique vulgarisée de l’hyp¬ 
notisme, estime qu’il y a lieu de solliciter de la législation des 
dispositions tendant à : 1» Interdire les représentations publi¬ 
ques d’hypnotisme; 2° Prévenir et réprimer les abus qui peu¬ 
vent résulter de la pratique de l’hypnotisme. » 

Il est curieux de rapprocher l’esprit de cette loi de celui qui 
a présidé en France au vote de la loi du 30 novembre 1892, sa 
contemporaine. Nous verrons que les considérations qui ont 
influencé nos voisins n’ont pas paru décisives au Parlement 
français. M. le D r Chevandier, dans son rapport déjà cité, s’ex¬ 
primait ainsi : « Quant aux conséquences physiques ou morales 
de l’hypnotisme, on les a beaucoup exagérées. Sans doute, il 
serait désirable que nul ne se livrât à ces procédés que dans 
l’intérêt de la science ou de la santé du sujet. Mais où commen¬ 
cera le délit ? Frappera-t-on ceux qui, souvent, par le seul sen¬ 
timent delà curiosité, essaient sur le premier venu, dans une 
maison particulière, une pratique dont ils ont constaté les 
effets ? Se retournera-t-on contre les exhibitions publiques ? 
Pour constater les premières, il faudrait se départir du respect 
du domicile ; les secondes peuvent si souvent être doublées de 
supercherie qu’on s’exposerait à frapper l’expérimentateur 
convaincu, alors que le saltimbanque ne pourrait être atteint 
par la loi. » Et le rapporteur conclut au rejet, qui, effective¬ 
ment, fut prononcé, de l’amendement déjà cité de M. David. 

Si maintenant nous comparons le texte de la loi belge avec 
l’économie des règles de droit commun applicables en France 
à la pratique de l’hypnotisme expérimental, nous voyons que la 



104 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


loi belge ne diffère de la législation française, au point de vue 
des principes que sur deux points : 

1° Interdiction des représentations publiques ou privées 
d’hypnotisme. 

2° Interdiction aux individus non médecins ou non munis 
d’une autorisation spéciale, d’hypnotiser des mineurs ou des 
personnes qui ne seraient pas saines d’esprit. 

Les autres points prévus par ladite loi trouvent, ainsi que 
nous l’avons vu, une sanction suffisante dans la législation 
française. 

Nous aurons l’occasion de reparler de cette loi belge. Reve¬ 
nons à notre question. Convient-il de solliciter des pouvoirs 
publics une réglementation de l’hypnotisme expérimental? Je 
crois qu’il y a lieu d’envisager successivement l’hypnotisme 
employé par un particulier dans un domicile privé et les 
représentatiorts publiques d’hypnotisme données par un pro¬ 
fessionnel. 

1° Pratiques hypnotiques ' employées par un particulier en un lieu 
privé. — Si nous mettons de côté les manœuvres tendant à un 
but criminel ou délictueux, nous pouvons supposer qu’un 
particulier se livre aux pratiques hypnotiques dans un but, 
soit de recherche scientifique, soit de simple curiosité, soit 
enfin de pédagogie, d’éducation ou d’orthopédie mentale. Il 
appartenait au législateur de prévoir les conséquences civiles 
et pénales de ces actes, et nous avons vu que, s’il n’avait pas 
prévu spécialement les manœuvres hypnotiques, tout au moins 
nos textes étaient suffisamment armés pour en assurer la 
réparation civile et la répression pénale. J’estime que nous ne 
pouvons demander davantage aux pouvoirs publics. L’intérêt de 
la science et les principes de liberté et de respect du domicile 
commandent cette solution, ainsi que le faisait remarquer 
M. le D r Chevandier à la Chambre des députés. M. Masoin, 
dans son rapport à l’Académie royale de médecine, s’exprimait 

dans le même sens : «.Les séances privées semblent devoir 

échapper à l’action des lois, absolument comme l’ivresse qui 
se cache à domicile ; c'est une chose bien délicate et bien 
grave que d’ouvrir la maison du citoyen aux visites de la police 
pour y faire prévaloir en cette matière les dispositions légales », 
et M. Masoin, qui cependant réclamait une réglementation 
étroite de l’hypnotisme, admet « volontiers qu’un homme de 
science, qu’un naturaliste, qu’un philosophe institue des expé¬ 
riences prudentes et convenables ». La loi belge elle-même 



l’hypnotisme expérimental 


105 


reconnaît le droit à l’expérimentation dès lors que le sujet est 
majeur et sain d’esprit. Mais elle se montre intraitable lorsqu’il 
s’agit de donner en spectacle un individu hypnotisé, ce spec¬ 
tacle fût-il donné dans un salon ou dans tout autre lieu privé. 

« Du moment où des expériences d’hypnotisme seront faites, 
même dans une séance privée, pour satisfaire la simple curio¬ 
sité des spectateurs, il y aura infraction punissable. — La loi 
va même plus loin: un professeur de clinique ne pourra plus, 
sans se mettre en contravention, faire des expériences aux¬ 
quelles assisteraient des profanes appelés par lui ou attirés 
par le désir de voir des choses intéressantes. Il ne pourra faire 
ses démonstrations devant d’autres spectateurs que les élèves 
admis à suivre ses leçons. » (*) 

Encore une fois, je n’ai pas à faire la critique de la loi bçlge; 
mais, de l’assentiment de savants belges eux-mêmes, il me 
semble que nos voisins ont eu la main un peu lourde, tout au 
moins en ce qui concerne les séances privées d’hypnotisme. 
Ce n’est pas que je veuille dire que ce genre de divertissement 
soit absolument sans inconvénients. Je pense même, comme 
j’aurai l’occasion de vous le dire tout à l’heure, que les expé¬ 
riences privées d’hypnotisme pourraient être de nature à 
présenter des dangers plus sérieux que les exhibitions publi¬ 
ques. Je veux simplement dire que ces inconvénients ne sont 
pas à mon sens assez graves pour autoriser les pouvoirs publics 
à s’immiscer dans la vie privée des citoyens et permettre les 
violations de domicile. Le remède serait pire que le mal ; 

2° Représentations publiques d’hypnotisme. — J’arrive ici, 
Messieurs, au point capital de la question mise à l’ordre du 
jour du Congrès: y a-t-il lieu de solliciter des pouvoirs publics 
l’interdiction des séances publiques d’hypnotisme ? 

Il n’existe aucune loi en France qui prohibe ce genre de 
spectacle, mais il rentre dans les attributions de police des 
autorités locales d’interdire ou d’autoriser ce genre d’exhi¬ 
bitions. 

Je constate qu’en France, la plus grande liberté est en général 
laissée aux hypnotiseurs de tréteaux. A Paris, néanmoins, les 
autorisations sont généralement refusées. Je trouve de sembla¬ 
bles interdictions à Bordeaux, à Marseille, à Poitiers, motivées 
par les représentations du célèbre Donato. Le recteur de l’Aca¬ 
démie de Poitiers, vers 1889, interdisait également toute repré- 


(1) Revue de l’Hypnotisme , 6 e année, p. 194, sous la signature du D r L. Merveille. 


4 . 



106 


REVUE DE L HYPNOTISME 


sentation de cette nature dans les écoles de son ressort. 

A l’étranger, au contraire, je constate une tendance très 
marquée à l’interdiction de ces spectacles. 

En Danemark, à la suite d’un rapport du Conseil de santé de 
Copenhague, du 30 décembre 1886, le ministre de la justice 
adressa une circulaire aux commissaires de police du royaume 
interdisant toutes séances publiques d’hypnotisme. 

Nous connaissons déjà la mesure radicale prise en Bel¬ 
gique. 

Nous relevons de semblables interdictions en Autriche, en 
Italie, en Portugal, en Allemagne, en Russie et en Hollande, 
dans un grand nombre de cantons suisses (Bâle, Neufchâtel, 
Vaud, Genève, Berne, etc.), enfin dans certaines montrées de 
l’Amérique notamment au Cincinnati. 

Si nous consultons maintenant les différentes sociétés sa¬ 
vantes qui ont eu à s’occuper de la question, nous constatons 
une réprobation presque unanime contre les représentations 
publiques d’hypnotisme. Au mois d’avril 1888, la section d’hy¬ 
giène et de médecine publique de l’Association française pour 
l’avancement des Sciences, dans sa session d’Oran, émettait à 
l’unanimité, sur la proposition de M. le D r Bérillon, un vœu ten¬ 
dant à ce que les séances publiques de magnétisme et d’hypno¬ 
tisme fussent interdites sur toute l’étendue du territoire 
français. 

Je vous ai déjà cité, Messieurs, la motion formulée dans le 
même sens par l’Académie de médecine de Belgique, le 25 
novembre 1888. J’y ajouterai des vœux identiques émanant de 
la Société de biologie de Paris, de la Société de médecine légale 
de Paris, (sur la proposition de MM. Brouardel et Gilles de la 
Tourette), et de la British médical association. 

Enfin, je dois vous rappeler que notre premier Congrès de 
1889 a formulé la proposition suivante: « Les séances publi¬ 
ques d’hypnotisme doivent être interdites au nom de l’hygiène 
publique et de la police sanitaire. » 

Sans doute, noüs ne sommes pas liés par cette proposition 
émanant de notre premier Congrès. Néanmoins, et malgré tout 
le libéralisme dont je voudrais faire preuve, je me sens mal à 
l’aise pour vous demander de vous déjuger après le remar¬ 
quable réquisitoire formulé alors par M. le D r Ladame, et qui 
a motivé la proposition que je viens de vous citer. J’ajoute que, 
étranger à la médecine, je n’ai pas la compétence nécessaire 
pour prendre position sur la question de savoir si l’hypnotisme 



l’hypnotisme expérimental 


107 


employé par des professionnels non médecins offre, au point 
de vue de l'hygiène publique et de la santé des spectateurs ou 
sujets, des dangers suffisants pour entraîner l’interdiction des 
séances publiques. 

Réservant donc la question purement médicale, je me con¬ 
tenterai de vous exposer brièvement les arguments qui ont été 
formulés pour et contre la liberté de ce genre d’exhibitions et 
en me plaçant uniquement au point de vue moral et au point de 
vue social. 

Les principaux défenseurs des représentations publiques 
d'hypnotisme sont: M. Delbœuf, professeur à l’Université de 
Liège, M. le professeur Morselli, de Turin, MM. Ruel et Kuborn, 
de l’Académie de médecine de Belgique. 

Le principal argument qu’ils invoquent et qui ne manque pas 
de grandeur, c’est que toute atteinte portée à la liberté des 
citoyens ne doit être autorisée qu’en présence de dangers 
manifestes, et ces dangers, précisément ils les considèrent 
comme imaginaires ou tout au moins comme singulièrement 
exagérés. — Je ne serais pas éloigné de partager leur senti¬ 
ment en comparant l’hypnotisme de représentation publique 
à ce que j’appellerai l’hypnotisme domestique, l’hypnotisme 
occulte. 

D’un côté nous assistons à des jeux innocents qui se font sous 
la direction de professionnels généralement fort habiles, capa¬ 
bles par conséquent de mesurer les conséquences de leurs 
actes et d’approprier leurs expériences au tempéramentdu sujet 
sans s’exposer à occasionner chez lui des troubles pathologi¬ 
ques. Les expériences se font au grand jour, sous le contrôle 
de la police, en présence d’une assistance nombreuse, qui ne 
manquerait pas de protester, si le spectacle devenait indécent 
ou si l’opérateur profitait de l’empire acquis sur le sujet pour 
lui imposer des suggestions contraires à son intérêt, à la 
morale, ou à l’ordre public. 

De l’autre côté, nous voyons, au contraire, des gens souvent 
inexpérimentés, dangereux par conséquent en raison même de 
leur imprévoyance et de leur manque d’habitude, se livrant 
presque toujours sur le même sujet, à des expériences non plus 
isolées et accidentelles, comme cela a lieu dans une réunion 
publique, mais à des expériences souvent journalières et qui, 
par leur fréquence et leur durée, sont susceptibles d’entraîner 
des désordres qu’un fait isolé aurait dû ne pas faire naître : — 
Et puis, ces manœuvres sont pratiquées en petit comité, à 



108 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


huis clos et souvent même sans témoins, en dehors de toute 
espèce de contrôle moral ou administratif. Le sujet est à la 
discrétion de l’opérateur et les pires suggestions peuvent lui 
être faites. Voilà où se trouve le véritable danger. Il n’est pas 
sur la scène des théâtres. Et cependant nous avons reconnu 
l’impossibilité d’une réglementation de l’hypnotisme domes¬ 
tique. A fortiori ne devrait-on pas laisser toute liberté aux 
professionnels publics? 

On a ajouté d’autres arguments. Les représentations publi¬ 
ques, loin d’être nuisibles, seraient très utiles; elles permet¬ 
traient aux sujets prédisposés à la suggestibilité de s’éclairer 
sur les dangers de l’hypnotisme et de se prémunir contre ces 
dangers. 

Enfin je n’insisterai pas sur ce dernier argument dont l’exac¬ 
titude matérielle me paraît contestable. On prétend que l’in¬ 
terdiction des exhibitions publiques amènerait une recrudes¬ 
cence des expériences privées. 

M. Delbœuf ajoute que c’est aux magnétiseurs et hypnoti¬ 
seurs de théâtres que les médecins doivent ce qu’ils savent en 
matière d’hypnotisme. J’ignorejusqu’àquel point cette assertion 
est fondée. Elle me rappelle simplement un souvenir person¬ 
nel. Il m’est arrivé de recueillir de la bouche d’un médecin 
hypnotiseur, que je ne nommerai pas, cet aveu : « Ce sont les 
hypnotiseurs de foires qui m’ont véritablement appris à me 
servir de l’hypnotisme. » 

Je n’insiste pas et j’arrive à l’opinion opposée, celle qui 
réclame l’int.erdiction des exhibitions publiques. Je ne puis 
rien ajouter au rapport de M. Ladame. Lui aussi se réclamait 
des principes de liberté, mais son client n’est plus le même 
que celui des adversaires. Ceux-ci plaidaient la liberté des 
hypnotiseurs. M. Ladame prend en mains la cause de l’hypno¬ 
tisé « l’homme-lige obscur du brillant magnétiseur ». « —Au 
nom de la liberté, dit-il, nous demandons l’interdiction des 
spectacles publics, du servage le plus absolu auquel un homme 

puisse être réduit par son semblable.L’hypnotisé, livré en 

spectacle à la foule vibrante d’émotions malsaines, tourné 
publiquement en ridicule, fasciné brutalement, halluciné jus¬ 
qu’à la folie furieuse, mis aux abois par les suggestions 
grotesques ou criminelles que le magnétiseur lui ordonne 
d’accomplir, au risque de compromettre sa santé mentale ou 
physique, l’hypnotisé des représentations publiques est bien 
une victime. » 




l’hypnotisme expérimental 


109 


Permettez-moi, Messieurs, d’ajouter une citation que j’em¬ 
prunte au rapport de M. Masoin à l’Académie de médecine de 
Belgique : « Il est imprudent de montrer aux foules par quels 
moyens simples on arrive à produire des phénomènes aussi 
graves. Il n’est pas convenable de donner ainsi l’homme en 
spectacle, le découronnant vis-à-vis dç tous et le transformant 

en voleur, en assassin, en faussaire. Il n’est pas prudent 

d’exhiber cette névrose expérimentale devant le peuple déjà 
trop impressionnable de notre époque.; les séances publi¬ 

ques appellent et provoquent les autres. Des magnétiseurs 
habiles et puissants excitent le sentiment des foules ; ils met¬ 
tent l’hypnotisme à la vue et à la portée de tous; ils laissent 

derrière eux. toute une série d’adeptes qui peuvent faire 

indéfiniment des recrues; la révélation est faite et possède des 
apôtres souvent moins réservés et moins honnêtes que les 
maîtres eux-mêmes. » 

M. Crocq exprime la même idée : « Par les séances publi¬ 
ques on donne un funeste exemple à de mauvais drôles, à des 
chenapans; on leur donne des leçons dont ils tireront profit ; on 
leur indique les procédés qu’ils peuvent mettre un jour en 
usage pour arriver à leurs fins. » 

Voici, impartialement exposés, les arguments que l’on a fait 
valoir dans les deux sens. 

Je soumets à la haute appréciation du Congrès la question 
de savoir s’il y a lieu de renouveler le vœu du premier Congrès 
de 1889. 

Et pour conclure, indépendamment de cette question des 
représentations publiques, je sollicite au nom de la science et 
de la liberté la plus grande latitude en faveur de l’expérimen¬ 
tateur, savant ou psychologue, ou même du simple particu¬ 
lier qui se sert de l’hypnose dans un but de bienfaisance, 
d’utilité pratique, de moralisation ou même de simple curio¬ 
sité. Laissons à chacun la responsabilité de ses actes puisque, 
nos lois sont suffisamment armées pour défendre la société 
contre les méfaits des gens mal intentionnés. Le sentiment de 
cette responsabilité fait la force des peuples libres. Nous 
n’avons donc aucune règlementation particulière à solliciter 
et aucune intervention à réclamer des pouvoirs publics. 

J’ose espérer que vous voudrez bien me faire l’honneur de 
vous rallier aux conclusions de ce rapport. 






110 


REVUE DE L HYPNOTISME 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance annuelle. 

Le lundi 16 Juillet 1901. —Présidence de M. Jules Voisin. 


La correspondance comprend des excuses de MM. les professeurs 
Jofïroy, Raymond, Ch. Richet, de la Faculté de médecine, de M. le pro¬ 
fesseur Beaunis, de M. le professeur Tarde, du Collège de France ; de 
MM. les D rs Paul Richet et lluchard, membres de l’Académie de Méde¬ 
cine; de M. Boirac, vice-président, recteur de l’Académie de Grenoble : 
Muteau, député de la Côte-d’Or, etc... et une lettre de M. le D r Le Four¬ 
nier, remerciant la Société de son élection. 

La Société charge le Secrétaire général d’exprimer ses condoléances 
à M. te professeur Raymond, membre de la Société, à l’occasion de la 
mort de son gendre, M. le D r Delpeuch, médecin des hôpitaux. 

M* lé Secrétaire général donne lecture du compte-rendu moral et 
financier del’année 1900-1901. Lesrecettes se sont élevées à 1.535 francs ; 
les dépenses à 1.210 francs. — L’avoir de la Société se compose de 
1.305 fr. 90. — La Société remercie M. Albert Colas, trésorier, de sa ges¬ 
tion et lui vote des félicitations. 

Candidatures : 

M. le professeur Beaunis est élu, a l’unanimité, membre d’honneur de 
la Société. 

M. Brocard, avocat à la Cour d’Appel ; M. le D r Leblond, médecin de 
Saint-Lazare; M. leD r Salomon, de Savigné-l'Evêque (Sarthe) ; M. le doc¬ 
teur Teixeira Alvarez, de Ubérala (Brésil), sont élus membres titulaires 
h l’unanimité. 

La séance a été suivie par un banquet dont le compte-rendu a été 
publié dans le numéro d’août 1901. 

La Société décide que la séance annuelle aura lieu désormais au mois 
de juin. 


De remploi de la suggestion dans l’éducation artistique et en 
particulier pour l’étude de la musique 

Par le D r Paul Joihe. 

Professeur à l’Institut Psycho-Physiologique de Paris, Président 
de la Société d’Elude> Psychiques. 

Nous ne nous occuperons dans cette étude que de l’interprétation des 
œuvres musicales ; laissant pour le moment de côté tout ce qui a trait à 
la composition et au travail de l’auteur. 

L’interprétation d'une œuvre musicale se compose de deux actes suc¬ 
cessifs, qui sont nécessairement exigés de l’artiste : 

1° Comprendre la pensée de l’auteur. 

2° L’exprimer. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 111 

Il y a une partie, d’un mécanisme général, préliminaire, qui est com¬ 
mun à l’interprétation de toute œuvre musicale, que cette interprétation 
soit faite au moyen de la voix ou au moyen d’un instrument, c’est la 
lecture musicale. La lecture de la musique écrite est le moyen par lequel 
l’auteur communique à ses interprètes les idées et les sentiments qu'il a 
voulu exprimer. 

La lecture musicale exige que le musicien reconnaisse simultanément : 
1° Le mouvement, c’est-à dire la mesure et la cadence propres au moi- 
ceau et à chacune de ses parties; 2° La tonalité générale du morceau, et 
successivement les changements de tonalité qui peuvent y être intro¬ 
duits; 3° Le nom et la hauteur des notes; 4° Les signes accidentels qui 
sont destinés à élever ou à abaisser momentanément la hauteur d’une 
note ; 5° Les signes d’expression qui s’appliquent à l’ensemble du mor¬ 
ceau, à ses différentes parties, à des phrases, à des mesures, ou seule¬ 
ment à des notes. 

Comme on le voit par ces quelques détails, la lecture musicale est 
infiniment plus complexe que la lecture de la parole écrite. De plus, ici 
les difficultés varient avec les différents auteurs et d’un morceau à un 
autre. Ces difficultés, pouvant s’appliquer à chacune des parties que nous 
venons d’énumérer, peuvent être, pour ainsi dire, multipliées à l’infini : 
changements de mesure et changements de tonalité fréquents dans le 
cours d’un morceau; intervalles irréguliers et plus difficiles entre diffé¬ 
rentes notessuccessives ; signes accidentels inattendus etmultipliés, etc... 
tout cela peut compliquer considérablement la lecture musicale. D’autre 
part, un artiste qui veut être capable d’interpréter une composition doit 
être préparé à surmonter toutes ces difficultés. Aussi, dans les cours et 
les examens de solfège a-t-on l’habitude de les multiplier le plus possi¬ 
ble, pour que l’élève soit apte à toute interprétation. La difficulté est 
donc grande pour les élèves, qui ont en plus à compter avec leur inex¬ 
périence, le manque d’habitude et de confiance en eux-mêmes, la timi¬ 
dité, etc... 

La suggestion peut considérablement leur venir en aide, tout à la fois 
pour les mettre en possession de tous leurs moyens naturels, pour 
affermir les connaissances déjà acquises et leur permettre de les 
utiliser. 

L’expérience confirme ces données ; j’en citerai une observation. 

M llc A.., élève du Conservatoire, vient me trouver, elle craint beaucoup 
les difficultés de son examen. D’autres occupations dont elle ne peut 
s’affranchir, ne lui permettent pas de consacrer à ses études musicales 
autant de temps que ses camarades, et la mettent dans un état d’infé¬ 
riorité évidente pour le concours. 

Deux mois environ avant son examen, je lui fais des séances de sug¬ 
gestion deux fois par semaine, pendant lesquelles je l'accoutume succes¬ 
sivement à vaincre toutes les difficultés que j'ai énumérées tout à 
l'heure, en insistant particulièrement sur celles qu’elle me signale et 
qu’elle ale plus de peine à surmonter. Dès les premières séances, elle 



112 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


remarque une plus grande facilité pour ses études, néanmoins c’est 
toujours avec beaucoup de crainte qu’elle voit approcher la date de 
l’examen. 

Résultat final : M Ile A... passe son concours sans difficulté et obtient 
le second prix. 

Quand l’artiste a compris la pensée de l’auteur, il doit alors la tra¬ 
duire pour les auditeurs, faire passer les impressions et les sentiments 
dans l’âme du public. 

C’est ici que commence v le second acte qu’il doit remplir : exprimer 
les idées de l’auteur. 

Il faut distinguer au point de vue de notre étude deux manières 
d’exprimer la pensée musicale : on peut l’exprimer au moyen d’instru¬ 
ments; on peut l’exprimer par la voix. 

L’instrument, quel qu’il soit, présente pour l’exécution d’une œuvre 
musicale un certain nombre de difficultés; qui peuvent être classées 
dans deux catégories : 

Difficultés de mécanisme. 

Difficultés d’expression. 

Les difficultés de mécanisme varient suivant le genre d’instrument ; 
elles peuvent toutefois, d’une manière générale se subdiviser encore 
en deux groupes : 1° L’agilité des mouvements des doigts ; 2° La combi¬ 
naison de mouvements différents de l’une et de l’autre main. 

A cela vient s’ajouter, pour les instruments à vent, les mouvements 
des lèvres et de la langue ; pour l’orgue en particulier les mouvements 
des pieds, qui peuvent être chargés d’un jeu spécial. 

Quant à l’expression donnée au moyen des instruments, elle est sur¬ 
tout le résultat de la souplesse des mouvements ; elle peut concerner 
les deux mainS; comme dans le piano, orgue, harpe, etc., ou simplement 
la main droite, comme dans les instruments à cordes et spécialement à 
archet*; ou enfin, le mouvement des lèvres et de la langue, comme dans 
les instruments à vent. 

11 est bien évident que nous ne pouvons ici entrer dans le détail des 
difficultés de mécanisme de tous les instruments ; cette étude doit 
être faite pour chaque cas particulier. Nous avons seulement indiqué 
ici les grandes lignes qui sont communes à l’instrumentation en 
général, mais nous voyons déjà l’importance que peut y avoir la sug¬ 
gestion. 

On sait quelle part considérable revient à l’automatisme, dans les 
mouvements exécutés pour le jeu des divers instruments. Le pianiste, 
le violoniste, ne peuvent arriver à l’agilité surprenante de mouvements 
qui leur est nécessaire, que par une habitude acquise par de longs 
exercices, et grâce à laquelle ces mouvements s’exécutent sans 
que la volonté consciente ait à intervenir. Or, les mouvements auto¬ 
matiques sont essentiellement ceux sur lesquels la suggestion a le plus 
de prise. 

Le résumé de quelques observations le démontreront. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


113 


J’avais en traitement un M. B..., qui avait été autrefois pianiste d’une 
force remarquable ; jouant à première vue les œuvres les plus difficiles 
des compositeurs les plus célèbres. Mais, depuis plusieurs années, les 
troubles des mouvements, résultat de la maladie pour laquelle il était 
en traitement, l'avaient forcé, à son grand regret, à abandonner la 
musique. Lorsque i la guérison fut suffisante pour lui permettre de 
reprendre son instrument, il se plaignit vivement de ne plus exécuter, 
avec la perfection qu’il exigeait de lui-même, les morceau^ qu’il voulait 
jouer. C’est alors qu’il me vint à l’idée de faire avec lui l’expérience 
suivante, à laquelle il se prêta volontiers. 

Je lui dis de choisir un des morceaux les plus difficiles qu’il avait 
joués autrefois, mais qu’il n’avait pas revu depuis sa maladie, c’est- 
à-dire depuis plusieurs années, puis de jouer une seule fois ce 
morceau. 

Il le déchiffra en effet, mais l’exécution était bien loin de ce qu’il 
faisait autrefois ; les traits lûi paraissaient difficiles, les doigts 
lourds, certains passages laissaient particulièrement à désirer; il était 
découragé. 

Je lui prescrivis alors de ne plus regarder une seule fois ce morceau 
pendant dix jours, il ne devait non plus faire aucun exercice sur le 
clavier, qui aurait pu faciliter l’exécution du morceau ; mais chaque 
jour je lui faisais, au moyen d'une suggestion, répéter mentalement son 
morceau, une seule fois, d’un bout à l’autre, insistant particulièrement 
sur les difficultés qui pouvaient se présenter. Bien entendu, pendant 
cette suggestion, je veillais à ce qu’il n’y eut aucun mouvement, même 
involontaire, des doigts. 

Le dixième jour, M. B... se met au piano et exécute le morceau, d’un 
bout à l’autre, sans hésitation, sans la moindre faute. Stupéfait lui- 
même du résultat, il avoua qu’il n’avait jamais joué ce morceau avec 
plus de perfection lorsqu’il l’avait autrefois étudié pour le posséder à 
fond. 

Par des suggestions analogues, après avoir guéri ce malade des trou¬ 
bles moteurs qui faisaient le fond de sa maladie, je l’aidai à faire rapi¬ 
dement sa rééducation^ musicale. Il s'est maintenant complètement remis 
à la musique et a pu en faire sa profession. 

J’ai fait la même expérience, non plus chez un malade, mais chez un 
violoniste qui, par suite de circonstances particulières, avait dû com¬ 
plètement abandonner son instrument pendant très longtemps. Au mo¬ 
ment où il se préparait à reprendre la musique, craignant de ne plus 
retrouver la facilité d’autrefois, il se soumit à l’expérience. Pendant 
plusieurs jours, sans lui permettre de toucher son instrument, je lui fis 
des suggestions qui lui rappelaient les exercices abandonnés depuis 
longtemps, et je lui fis repasser mentalement divers morceaux qu’il 
avait joués. Au jour fixé, ces morceaux furent exécutés aussi bien et 
avec autant d’aisance que s’il n’avait jamais abandonné la pratique de 
son instrument. 



114 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Je citerai encore l’observation d’une élève du cours de piano du Con¬ 
servatoire. A l’approche d’un examen elle éprouvait une grande appré¬ 
hension, surtout à cause des difficultés de mécanisme qu’elle avait 
beaucoup de peine à surmonter; à la vue des passages compliqués qui 
se présentaient dans un morceau, elle hésitait, son jeu devenait incertain 
et souvent incorrect. Je l’endormis quatre ou cinq fois et lui fis des sug¬ 
gestions dans le sommeil hypnotique, enfin après la dernière séance, je 
lui fis jouer devant moi les morceaux qu’elle redoutait le plus. Résultat : 
son examen fut passé sans la moindre difficulté et elle pratique main¬ 
tenant son art avec succès. 

Nous devons, dans cette étude, séparer la musique vocale de la mu¬ 
sique instrumentale bien que la voix puisse être considérée comme un 
instrument; mais la musique vocale présente certaines difficultés par¬ 
ticulières, et de plus, ici, nous exerçons une influence directe sur l’ins¬ 
trument lui-même. 

L'auteur, dans toute œuvre musicale traduit des sentiments qu’il res¬ 
sent lui-même, ou ceux que le personnage qu’il met en scène est censé 
éprouver. 

Dans toute musique qui n’est pas la musique dramatique, ce sont 
presque toujours des idées générales qui sont exprimées ; mais il faut 
remarquer que l’auteur personnifie, même les idées les plus abstraites, 
en leur donnant la forme qui s’adapte le mieux à ses propres sentiments. 

La même idée pourra donc, surtout en musique, être exprimée de 
plusieurs façons différentes par des auteurs différents. L’artiste qui tra¬ 
duit cette pensée doit pouvoir la rendre aussi sous les différents aspects 
sous lesquels elle peut être présentée. Il est nécessaire pour cela, qu’il 
se place d’abord dans la situation d’esprit de l’auteur; puis que, par un 
effet d’imagination, il se représente l’idée telle que l’auteur se l'est re¬ 
présentée lui-même, ou qu’il éprouve le sentiment de la même façon et 
avec la même intensité. 

Plus que toute autre, la musique vocale, et surtout la musique dra¬ 
matique, doit transmettre à l’auditeur les sentiments vrais de l’auteur, 
et elle atteint sa perfection quand elle les lui fait éprouver à lui-même. 

Dans la musique dramatique, où il s’agit de traduire les sentiments 
d’un personnage figuré, le travail de l’artiste est très complex*e. En effet, 
la situation relative du personnage, et son état d’âme, résultant des cir¬ 
constances qui l’entourent et de ses impressions, entrent en cause pour 
modifier l’expression de ses sentiments. 

Analysons sommairement le travail psychologique qui doit être fait 
par l’artiste. 

Il doit s’assimiler la personnalité, successivement d’une foule de per¬ 
sonnages différents. Tantôt prince, tantôt simple ouvrier, soldat ou pay¬ 
san, poète ou homme du monde, il faut qu’il représente les qualités et les 
défauts, les vertus et les vices de tous ces types différents. Puis, pour 
chaque personnage particulier, il doit savoir se placer dans toutes les 
conditions de la vie, et, en général, plus particulièrement dans les situa- 



SOCIÉTÉ d’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


115 


lions les plus difficiles ; en proie à des sentiments auxquels il faut donner 
une intensité violente pour leur permettre d’atteindre le public de le tou¬ 
cher et de lui donner l’illusion de la réalité à travers le mirage et les 
atténuations qui résultent d’un entourage de convention. 

Si les sentiments sont au fond identiques dans leur essence chez tous 
les personnages différents, il faut observer qu’ils varient à l’infini pour 
ce qui est de leur expression et de leur manifestation extérieures. 

Les sentiments d’amour, d’orgueil ou de colère se manifesteront d’une 
manière différente chez des personnages appartenant aux populations 
délicates et raffinées d’Europe et chez des individus de^ race asiatique 
vivant au milieu des mœurs et de la grossière civilisation orientales. 

L’impression de l’amour sera, chez un prince, tempéré, d une part, par 
le sentiment de sa dignité, l’orgueil de son rang ; mais, d’autre part, 
l’usage de la souveraine puissance, l’habitude du commandement, se 
feront sentir dans l’exigence du caprice, et la hauteur de la volonté. 

Tout autre sera la manifestation de ce même sentiment chez le poète, 
chez l’artiste délicat, qui sauront naturellement l’élever par l’habitude de 
la contemplation de l’idéal. 

Nous pourrions prendre ainsi successivement la femme du monde, élé¬ 
gante et raffinée, et l’ouvrière habituée aux rudes travaux et aux priva¬ 
tions ; le savant et l’homme des champs, la princesse et la petite bour¬ 
geoise. 

Chez tous, nous verrions les influences de race, d’éducation, de milieu, 
modifier l’impression produite par les sensations reçues et la manifesta¬ 
tion des sentiments. 

Après cela viennent seulement les différences individuelles de toute 
personnalité, résultat de dispositions physiologiques et psychologiques, 
du fonctionnement plus ou moins parfait de diverses facultés, de la déli¬ 
catesse des organes des sens, qui font que chacun des individus d’une 
même catégorie possède des caractères propres tels qu’il ne ressemble 
à aucun autre. 

L’artiste qui veut rendre le sentiment traduit par l’auteur dans une 
œuvre artistique doit comprendre tout cela, se placer dans telle ou telle 
situation d’esprit, enfin s’assimiler l’individualité de tous les personnages 
dont il doit traduire l’état d’âme. 

Il faut pour cela arriver à s’oublier soi-mème ; il faut faire abstraction 
de ses idées propres, de ses préjugés, s’affranchir de toutes les influen¬ 
ces reçues par l’éducation, par l’entourage, faire table rase des habitu¬ 
des acquises et des idées préconçues. Tout cela doit, pourainsidire,faire 
le vide dans le cerveau de l’artiste pour qu’il ne lui reste plus rien de 
lui-même. 

Ce premier travail étant fait, il faut le sensibiliser de nouveau, et, après 
avoir substitué la personnalité nouvelle à la personnalité ancienne, le 
rendre apte à recevoir les impressions de Fauteur. 

Ces quelques considérations nous montrent les difficultés qui se pré¬ 
sentent à l’artiste pour s’assimiler la pensée de l’auteur; mais déjà nous 



116 


REVUE DE L HYPNOTISME 


voyons aussi que, pour les vaincre, la suggestion peut lui venir puis¬ 
samment en aide. 

Il suffit de nous observer nous-mêmes quelques instants, et d’observer 
les personnes qui nous entourent pour nous rendre compte combien il 
est difficile de s’oublier soi-même. Dans les circonstances où l’on s’ob¬ 
serve le plus, ne voit-on pas à chaque instant les préjugés, les idées pré¬ 
conçues, les habitudes reprendre le dessus. Pour dominer toutes ces 
influences que nous sentons en nous, pour réprimer toutes ces impul¬ 
sions, il faut déployer une grande énergie de volonté. Chez un grand 
nombre de perspnnes cette volonté se fatigue et faiblit ; de plus, quand 
elle s’applique ainsi à dompter ce qui est au dedans de nous-mêmes, 
l’attention est moins apte à recevoir des impressions nouvelles, la faculté 
d’assimilation pour d’autres idées est moins développée. 

Au contraire, que se passe-t-il sous l’influence de la suggestion? Les 
idées se modifient sans effort, sans même que le sujet ait besoin d’y son¬ 
ger; certaines idées s’effacent, d’autres sont atténuées, les habitudes 
disparaissent. La sensibilité et la faculté de recevoir des impressions 
se développent, des idées nouvelles surgissent sans effort et l’esprit se 
les assimile parfaitement. 

Je citerai à ce sujet une observation bien caractéristique. On ne se fait 
guère l’idée du travail énorme exigé des artistes dans les théâtres de 
province. Les principaux artistes jouent trois ou quatre fois par semaine; 
toutes les autres soirées sont consacrées aux répétitions. Une œuvre 
goûtée du public est jouée au plus trois ou quatre fois, mais en général 
une même pièce n’est pas jouée plus de deux fois dans une saison. C’est 
dans ces conditions de surmenage que Mme P. vint me trouver, devant 
créer un rôle dans une œuvre nouvelle. Elle se trouvait dans un état de 
surexcitation nerveuse développée par le travail, la mémoire affaiblie, 
la voix fatiguée, il lui semblait impossible de réussir. Je connaissais sa 
sensibilité hypnotique, l’ayant déjà endormie, et je m’efforçai d’abord de 
la rassurer. Chaque séance, pendant laquelle je l’endormais durant 
environ un quart d’heure lui procurait un repos complet, elle y trouvait 
des forces et un calme qui combattaient le surmenage. En même temps 
j’en profitais pour lui faire étudier son rôle, la pénétrer de tous les sen¬ 
timents qu’elle aurait à y développer, lui en faire sentir toutes les nuan¬ 
ces. La suggestion augmentait aussi la puissance de sa mémoire et 
remédiait à la fatigue de sa voix. Le résultat fut tout ce qu’elle désirait : 
un succès complet maintenu pendant toute la saison et complété par un 
nouvel engagement. 

La musique vocale présente encore cette particuliarité qu’elle doit 
être accompagnée de l’expression de la physionomie et du geste.' Cette 
mimique n’est que la manifestation extérieure de l’impression produite 
par le sentiment. 

Nous avons déjà vu ailleurs l’importancé de la suggestion pour donner 
l’expression juste du sentiment et le geste vrai qui convient à la situa¬ 
tion. Mais pour que l’impression soit ressentie vivement par l’artiste et 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 117 

que le sentiment se développe avec toute l'intensité de la réalité, il faut 
que rien ne vienne le distraire, qu’aucune idée étrangère ne puisse l'in¬ 
fluencer, et ce sentiment étant développé, il faut que rien ne vienne en¬ 
traver sa manifestation extérieure. 

Pour bien rendre son rôle l’acteur doit être maître de lui-même. Tout 
le monde sait que rien n’est plus nuisible à un artiste que ce doute de 
soi-même, cette phobie du public vulgairement appelée le trac ; rien 
cependant n’est plus fréquent. 

De nombreuses observations nous montrent la puissance de la sugges¬ 
tion pour vaincre cette influence qui paralyse tous les moyens. • 

Une jeune artiste vint un jour me trouver au moment des débuts de 
la troupe lyrique. Elle était vivement impressionnée de cette épreuve 
devant un public qu'elle ne connaissait pas ; elle redoutait le jugement, 
souvent fantaisiste et peu éclairé il est vrai, d’une commission des dé¬ 
buts, qui pouvait en quelques instants briser son avenir. D'un tempé¬ 
rament très nerveux, très impressionnable, elle était devenue absolu¬ 
ment incapable de faire valoir les qualités sérieuses qu'elle possédait. 
Cette crainte avait augmenté de jour en jour à tel point qu'elle avait 
perdu toute confiance en elle-même, elle n’était plus sûre de sa voix ni 
de sa mémoire. Son état était tel qu’il y avait sérieusement à craindre 
pour elle un échec, et la circonstance la plus grave était qu’elle venait 
seulement me trouver dans l’après-midi du jour où devaient avoir lieu 
ses débuts. Je la rassurai de mon mieux; mais, ne l’ayant pas encore 
eue entre les mains, j’ignorais moi-même jusqu’à quel point je pourrais 
obtenir un effet aussi rapide. Néanmoins je lui proposai d’employer la 
suggestion hypnotique, ce qui fut accepté aussitôt. Heureusement 
j’avais à faire à un sujet d’une grande sensibilité hypnotique; je pus 
d’emblée l’endormir profondément et la placer dans un état de som¬ 
nambulisme du second degré, c’est-à-dire bien suffisant pour rendre 
efficaces toutes les suggestions thérapeutiques. Le résultat fut très satis¬ 
faisant, les débuts lui furent tout à fait favorables. Le trac ne s’est plus 
représenté chez elle, elle est maintenant un des bons sujets de l’Opéra- 
Comique. 

Nous avons encore signalé, dans la musique vocale, l’influence que la 
suggestion peut avoir sur l’instrument lui-même. En effet, il ne suffit 
pas que l’artiste soit bien identifié au personnage qu’il doit représenter, 
qu’il soit sûr de sa mémoire et de son geste, qu’il n’ait plus aucune 
appréhension de se présenter devant le public. Tout cela ne {}eut lui 
servir qu’à condition qu’il possède un organe qui soit apte au rôle qu’il 
doit remplir. 

Or, dans l’organe de la voix nous reconnaissons quatre qualités 
dépendant de l'instrument lui-même et nécessaires à son bon fonction¬ 
nement. Ces quatre qualités sont : L’étendue, la souplesse, le timbre et 
la justesse. Ces qualités peuvent toutes, jusqu’à un certain point, être 
modifiées par le travail et l’exercice ; mais la suggestion hypnotique 
produit des effets bien plus rapides et plus puissants, et permet d’obte- 



118 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


nir des modifications de l’organe auxquelles on ne pourrait arriver par 
aucun autre moyen. 

L’étendue est cette qualité de la voix qui lui permet d’atteindre les 
notes les plus élevées et les notes les plus basses.. On indique généra¬ 
lement une étendue moyenne de la voix dans les différents registres, 
mais cette étendue varie suivant les individus. 

La suggestion hypnotique peut faire accroître, chez certains sujets, 
l'étendue de la voix d’un ton ou d’un demi-ton, dans les notes élevées ou 
dans les notes basses. Des observations qu’il serait trop long de citer 
ici le prouvent. 

La souplesse est cette qualité qui fait que le chanteur peut donner 
successivement des notes séparées par des intervalles variés plus ou 
moins considérables. Les différentes notes doivent pouvoir être données 
avec une grande rapidité, avec aisance et avec toutes les qualités de 
nuance et d’expression requises pour le son. La souplesse s’acquiert et 
se développe par l’exercice ; mais la suggestion rend plus facile l’émis¬ 
sion des sons, leô régularise, enlève la difficulté de certains intervalles, 
de sorte que la voix est donnée sans secousse et sans effort. 

Le timbre de la voix a souvent été confondu à tort avec le registre. 
Quand une note quelconque est donnée par un instrument ou par la voix, 
le son fondamental n’est pas le seul qui se fasse entendre; il est toujours 
accompagné d'un certain nombre de sons harmoniques qui varient en 
nombre et en intensité; ce composé rend le son plus agréable à l’oreille, 
plus harmonieux. Le timbre de la voix dépend du nombre de notes har¬ 
moniques qui accompagnent le son fondamental et de leurs intensités 
relatives. 

Les harmoniques contenus dans le son de la voix sont renforcés iné¬ 
galement par les différentes cavités qui lui servent de résonateurs, de 
là vient le timbre de la voix. 

Il résulte de là que, puisqu’une partie des cavités du résonneur de la 
voix échappe à l’influence de la volonté, le timbre de la voix ne se laisse 
pas modifier par l’exercice. Mais ces cavités sont sous l’influence des 
contractions musculaires et de la circulation, celle-ci agissant surtout 
par l’intermédiaire de l’hyperhémie ou de l’anémie des muqueuses. Or, 
nous savons que tous les muscles, même ceux qui ne sont pas soumis à 
l’action de la volonté, de même que la circulation sont influencés par la 
suggestion. Il en résulte que la suggestion hypnotique bien dirigée peut 
aussi exercer une influence utile sur le timbre de la voix. 

La justesse de la voix dépend en partie aussi de la production des sons 
secondaires. Si les notes secondaires ne sont pas dans un rapport simple 
de vibrations avec la note fondamentale on a le faux absolu ; c’est la 
voix fausse, c’est l’instrument qui résonne faux. Mais dans le chant on a 
plus souvent affaire à la justesse relative qui dépend de la hauteur du 
son principal émis. Gettè note fondamentale doit donner un nombre de 
vibrations correspondant aux notes données par les instruments qui ac¬ 
compagnent la voix, ou par l’ensemble des autres notes déjà émises par 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 119 

la même voix. Ici le chanteur peut, involontairement mais consciemment; 
émettre une note à côté de celle quil devrait donner. Cela arrive ordi¬ 
nairement parce que, soit par défaut d’exercice, ou par manque de sou¬ 
plesse, ou bien à cause de la difficulté des intervalles, il ne sait pas con¬ 
duire sa voix comme il le voudrait. 

Nous ne pouvons traiter ici la question du faux absolu et du faux 
relatif, question très peu connue même des musiciens, elle nous entraî¬ 
nerait trop loin de notre sujet, nous la réserverons pour l’approfondir 
dans une autre circonstance. 

Ce qu’il importe de constater ici c’est l'action puissante de la sug¬ 
gestion. 

Sans m’étendre d’avantage, je citerai un artiste, fatigué par une 
longue maladie, auquel la suggestion rendit toute l’étendue et la sou¬ 
plesse de la voix et permit d’aborder de nouveau le théâtre. 

Un autre chanteur d’un nervosisme excessif augmenté par le surme¬ 
nage, trouvait sa voix tellement compromise qu’il était sur le point de 
résilier son engagement. Une première séance de suggestion lui donna 
un tel succès qu’il continua le traitement et n’eut plus la pensée de se 
retirer. 

Une jeune artiste, après une maladie aigüe de la gorge, était encore 
presque aphone ; elle devait, à une date fixée depuis longtemps, chanter 
un rôle auquel elle tenait beaucoup. Quelques suggestions lui rendi¬ 
rent la voix et, au bout de peu de jours, à la grande satisfaction 
de son directeur, elle était en état de jouer et le faisait d’une façon très 
brillante. 

La suggestion agit donc sur les quatre qualités fondamentales de la voix. 

Elle peut rendre à la voix son étendue diminuée par la fatigue, par la 
maladie, ou par des circonstances particulières ; elle peut même aug¬ 
menter son étendue normale. 

Elle développe sa souplesse d’une manière considérable, et quand 
elle vient s’ajouter à l’exercice et au travail, elle permet au chanteur 
d’aborder avec aisance les plus grandes difficultés. 

Le résultat s’obtient avec une rapidité que l’on ne trouverait jamais 
par le travail seul. 

Le timbre est amélioré par un mécanisme qui appartient en propre à 
la suggestion et ne peut appartenir qu’à elle seule, puisqu’il s’agit d’une 
action sur la fonction de circulation et sur des muscles qui ne sont pas 
soumis à l'empire de la volonté. 

La suggestion donne encore à l’artiste la possibilité de conduire 
sa voix sans hésitation et sans défaillance ; elle lui donne la sûreté dans 
l’attaque de chaque note et le sentiment absolu des distances, par con¬ 
séquent la justesse. 

Son action sur les organes secondaires qui produisent le timbre, et 
son action sur la concordance des sons, lui donnent donc, jusqu’à un 
certain point, une influence non seulement sur la justesse relative, mais 
aussi sur la justesse absolue de la voix. 



120 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


L’étude que nous venons de faire est moins un raisonnement 
théorique que la conclusion naturelle d’un grand nombre d’observations 
appartenant à une catégorie spéciale et dont nous avons signalé les plus 
importantes. 

Ces faits démontrent suffisamment l’utilité de l’emploi de la sugges¬ 
tion hypnotique dans l’éducation musicale. 


/ 

Suggestion curative dans le cours d’une attaque d’éclampsie. 

par M. le D r Le Menant des Chesnais 

J’aurais été heureux de pouvoir signaler à la Société la guérison par 
suggestion d'accès complets d’éclampsie puerpérale. 

Je n’en ai pas lu d’exemples dans nos revues, mais nous savons tous 
que les accidents nerveux, môme dus à une intoxication, sont susceptibles 
d’amélioration par la méthode suggestive. 

Néanmoins le résultat que j’ai obtenu chez la malade qui fait lobjet 
de cette communication m’a paru assez intéressant pour vous être rap¬ 
porté. 

Il s’agit d’une femme de 30 ans dont la constitution grêle est due pour 
beaucoup aux conditions misérables dans lesquelles s’est faite sa crois¬ 
sance. 

Elle avait vingt ans quand je lui donnai mes premiers soins, et souf¬ 
frait d’une grande anémie, mais ne présentait aucune lésion organique. 

Au moral elle est d’un caractère très doux et la parfaite correction de 
son maintien aussi bien chez elle que dans la rue, s’harmonisait avec la 
délicatesse de ses sentiments et de ses goûts et la distinguait des autres 
filles de son rang. Elle était domestique. 

Quand elle se maria un an ou deux plus tard, elle se portait bien. Elle 
tomba malheureusement sur un individu alcoolique, appartenant à un 
milieu des plus vulgaires, et de nouveau elle eut à lutter contre la mi¬ 
sère et des tribulations de toutes sortes. 

J’avais constaté, quand elle était fille, combien il m’était facile de l’hypno- 
tiser. Il me suffisait de lui commander de dormir, ou qu’elle devinât à 
mon regard que je voulais qu’elle s’endormit, pour qu’elle entrât immé¬ 
diatement dans un sommeil des plus profonds, devenant complètement 
automatique, insensible et étrangère au monde extérieur, ayec amnésie 
totale au réveil. Tous ceux qui pratiquent l’hypnotisme savent combien 
chez de pareils sujets l’influence suggestive est profonde. Si l’hypnose 
n’est pas indispensable à la suggestion efficace, du moins, peut-on affir¬ 
mer que dans l’hypnose, l’efficacité de la suggestion est en raison di¬ 
recte de l’intensité du sommeil. 

Aussi ai-je pu en maintes circonstances employer utilement chez elle 
la méthode suggestive contre des troubles fonctionnels et surtout contre 
les tendances au découragement, et lui rendre ainsi l’énergie et la rési¬ 
gnation nécessaires pour supporter ses tribulations de chaque jour. Par 



121 


SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 

contre il est remarquable de constater que chez cette femme si sugges¬ 
tible le milieu dans lequel elle vit n’a jamais eu d’influence sur son fond 
moral. Elle est restée aussi douce, honnête et aussi réservée dans son 
maintien et ses paroles qu’étant jeune fille. 

Il y a un an, elle accouchait de son troisième enfant. Les deux pre¬ 
miers accouchements s étaient passés sans incident particulier. La sage- 
femme vint me prévenir un matin qu’après un accouchement assez ra¬ 
pide la veille au soir, elle avait été prise de crises nerveuses, avec perte 
de connaissance. Depuis elle paraissait dans une sorte de coma, les cri¬ 
ses revenaient de temps en temps, ne s’accompagnant pas de véritables, 
convulsions, mais les mouvements des orbites quand elle entr’ouvrait les 
paupières donnaient à son visage un aspect très impressionnant. 

La sage-femme n’avait pas eu l’occasion d’analyser les urines n’ayant 
pas vu la jeune femme pendant son dernier mois de grossesse. 

Je me rendis près de la malade que l’on avait, par bien des petits 
moyens, cherché à faire reprendre connaissance. 

Elle était calme à mon arrivée, et inerte sans contracture. Je la pinçai 
elle était insensible. Je soulevais les paupières, les sclérotiques seules 
se voyaient. 

Confiant dans mon influence sur elle je lui dis : Marie-Louise, réveillez- 
vous complètement, j’ai à vous parler. 

Lentement elle revint à elle, me regarda et prononça mon nom. 

Je lui dis alors de m’écouter attentivement et je la prévins qu’elle 
allait se rendormir d’un sommeil tout à fait calme, pendant lequel on lui 
donnerait ce que j’aurais prescrit, mais sans qu’elle se réveillât. J’in¬ 
sistai sur ce fait qu’elle dormirait ainsi, dans un calme profond .sans 
aucune crise nerveuse, jusqu’au lendemain matin et qu’elle se réveille¬ 
rait alors se sentant tout à fait bien, et surtout la tète complètement dé¬ 
gagée. 

Et par prudence, je prescrivis du chloral à donner par la bouche et 
en lavements si les crises reparaissaient. v 

Cette prescription fut inutile, car le sommeil resta calme comme je 
l’avais dit, et je retrouvai le lendemain matin, ma malade bien éveillée 
se sentant seulement très faible. 

La convalescence fut régulière. 

On peut évidemment dans le cas présent se demander si les crises 
avaient été réellement de l’éclampsie. 

Les éléments de contrôle ordinaire nous ont ici fait défaut, mais les 
circonstances dans lesquelles apparurent les crises nerveuses signalées 
par la sage-femme et l’entourage de la malade, avec persistance de la 
perte de connaissance jusqu’à mon arrivée permettent tout au moins 
l’hypothèse sinon l’affirmation d’un état éclamptique. . 

Aussi me suis-je cru autorisé à vous présenter ce cas avec cette épi¬ 
thète,, ne serait-ce que pour encourager nos confrères à joindre la mé¬ 
thode suggestive, même dans les cas d’éclampsie confirmée, aux autres 
traitements plus classiques du chloroforme, du chloral et de la saignée. 



122 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


RECUEIL DE FAITS 


Aphonie hystérique ; guérison par suggestion ( ] ), 

parM. Crespin, externe des hôpitaux de Lille. 

Nous venons d’avoir l’occasion d’observer, dans le service de M. le 
professeur Combemale, une hystérique qui y est entrée pour un accident 
dépendant de sa névrose, accident assez fréquent d’ailleurs et bien 
connu. Notre intention n’est donc que d’en rapporter brièvement l’obser¬ 
vation à titre documentaire, d’autant plus que la malade a guéri par 
un traitement suggestif et que par là même, le diagnostic est certain. 

Observation. — Le 21 février 1901, entrait à l’hôpital de la Charité, 

dans le service de M. le professeur Combemale, la nommée Dh.Octa- 

vie, dévideuse, âgée de 26 ans (salle Sainte-Clotilde, n° 7). La malade 
se plaint d’avoir la voix éteinte. Réglée à 12 ans, elle l’a été régulière¬ 
ment jusqu’à 18. A cet âge, grossesse normale ; depuis cette date, épo¬ 
ques menstruelles irrégulières ; parfois très abondantes. Deux pertes, 
l’une à trois mois, l’autre à cinq mois. La malade est mariée depuis deux 
ans. 

Rien comme antécédents héréditaires : père et mère bien portants ; 
un frère et une sœur morts de variole en bas âge„ 

Lamalade a toujours été fort impressionnable, riant et pleurant pour 
les choses les plus futiles ^Crises nerveuses qui ont débuté à 19 ans et 
qui surviennent à la suite d’émotions, de contrariétés, etc., très fréquem¬ 
ment. Un soir, huit jours avant son entrée à l’hôpital, à la suite d’une 
discussion d’ordre matrimonial, crise très violente avec perte de con¬ 
naissance. Le lendemain matin, notre malade se réveille sans voix, com¬ 
plètement aphone. 

A l’examen fait le jour de son entrée, on constate une impossibilité 
absolue de parler à voix haute. Elle n’a conservé que le chuchotement 
11 n’existe aucune trace d’aphasie, tous les mots sont correctement pro¬ 
noncés. Cette aphonie des plus nettes est très caractéristique et domine 
l’hystério de cette malade : c’est d’ailleurs la première fois que pareil 
phénomène se produit chez elle. 

Pas de zones hystérogènes ; les réflexes cornéens et pharyngé conser¬ 
vés. 

En revanche, champ visuel très rétréci, comme on peut s’en rendre 
compte d’après les chiffres suivants. 

Œil droit : en haut : 10. 

» en bas : 15. 

» en dedans : 20. 

» en dehors : 10. 


(1) Echo médical du Nord. 




RECUEIL DE FAITS 


123 


Œil gauche : en haut : 15. 

» en bas : 20. 

» en dedans : 15. 

» en dehors : 20. 

De plus, à l’auscultation du cœur, on perçoit un souffle au premier 
temps, à la pointe, sans retentissement à l’aisselle ; on l’entend aussi, 
mieux même, au niveau des vaisseaux du cou. La malade accuse de la 
dypsnée au moindre effort, dans la vie ordinaire. 

En présence des symptômes cités plus haut et surtout du début de 
l’aphonie, l'idée d’hystérie s’impose naturellement et on a recours à la 
suggestion au moyen de badigeonnages à l’éther picriqué. L’effet théra¬ 
peutique ne tarde pas à se produire : la voix revient progressivement 
à tel point que le 1 er mars la malade sort tout à fait guérie ». 

Les troubles du langage qu’on peut observer chez les hystériques 
affectent différentes formes. On constate soit le mutisme, soit le bégaie¬ 
ment, soit l’aphonie motrice (ce qui est plus rare), soit enfin l’aphonie, 
comme dans le présent cas. , 

L’aphonie hystérique est caractérisée par la perte de la parole à voix 
haute : c’est là sa définition. Le début en est toujours brusque, à la suite 
d’une émotion vive, d’une attaque, d’une laryngite, d’une angine, d’un 
traumatisme local, etc , ou de toute autre cause. Boulay cite le cas 
d’une jeune fille, à nombreux stigmates hystériques concomitants, qui 
devenait aphone à chaque époque menstruelle j 1 ). 

La toux et ses caractères habituels : le chant à haute voix est con¬ 
servé, ainsi que le rêve parlé ( 2 ). L’aphonie n’est donc que partielle ; 
les contractions volontaires des muscles vocaux sont seules troublées; 
ces troubles sont liés à l’existence de paralysies, d’ordinaire bilatérales, 
susceptibles de varier d’intensité et de localisation d’un jour à l’autre, 
frappant tantôt les constricteurs, tantôt le transverse, tantôt le thyroary- 
ténïdien (Lermoyez et Boulay). 

L’aphonie hystérique s’accompagne souvent d’anesthésie de la 
muqueuse du larynx. L’excitabilité électrique des muscles est conservée. 
L’aphonie peut être observée à l’exclusion de tout autre accident 
hystérique. La respiration est normale. 

La durée peut en être fort longue; parfois des années (Dejerine). 
Jonquiùres a publié dans le « Correspondent Blatt » 1882, un cas 
d’aphonie hystérique singulier. Une fillette de 17 ans devenue subi¬ 
tement aphone à la suite d’une angine — durée : 13 mois — guérison 
subite — 3 mois après : rechute. La compression des hypochondres avec 
le poing ramenait immédiatement la voix. 

L’aphonie, hystérique peut guérir subitement comme elle est venue 
ou disparaître progressivement, il en est qui récidivent d’une façon 

(1) Boulay. — Diagnostic et traitement de Vaphonie hystérique. — Galette hebdoma¬ 
daire, 1 er mai 1896. 

(2) Gerhard. — Deutsche mèdic . Wochenschrift. 



124 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


décourageante. On en a vu enfin des rebelles à tout traitement; pour 
celles-là on a émis l hypothèse de la contracture des muscles anta¬ 
gonistes des adducteurs. L’aphonie peut précéder le mutisme hysté¬ 
rique (*). 

Le traitement n’agit évidemment qu’à titre suggestif. On a préconisé 
l’introduction d’une sonde dans le larynx, ayant en vue l’effet psychique 
bien entendu ; puis, après l’avoir retirée, on fait épeler le malade à haute 
voix, on le fait compter lentement, et enfin articuler les mots, progres¬ 
sivement, en commencement par les plus faciles et les plus usuels. 
Riceda emploie cette méthode pendant le sommeil hypnotique (Afonia 
isteria). On a vanté l’électrisation extérieure ou intérieure du larynx, 
le massage du larynx (Seifert), l’examen rhino-pharyngien ( 1 2 ). Mais 
encore une fois, ces modes de traitement n’agissent que par suggestion: 
ce qui explique leur nombre et leur diversité. 

Chez notre malade, un badigeonnage simple de la région a suffi 
pour amener la guérison complète. 


COURS ET CONFÉRENCES 


Un cas intéressant de fugue mixte ( 3 ) 

Par M. le professeur Raymond 

Au point de vue clinique, on distingue trois sortes de fugues, celles 
des épileptiques, celles des hystériques et celles des psychasthé¬ 
niques. 

La première débute d’ordinaire par une aura. L’épileptique présente 
quelques petits phénomènes convulsifs, puis il marche d’une manière 
tout à fait inconsciente ; tous les actes qu’il accomplit sont, eux aussi, 
inconscients ; après la fugue il éprouve un irrésistible besoin de 
dormir. 

La fugue hystérique est celle qui dure le plus longtemps, parfois des 
jours, des semaines et même des mois. L’hystérique se comporte alors 
comme s’il était dans son état normal ; personne ne se doute qu’il fait 
une fugue; ses actes sont adaptés à ses besoins ; en outre, le souvenir 
de tout ce qui s’est passé pendant la fugue peut être retrouvé dans le 
sommeil hypnotique, ce qui n’a pas lieu pour l’épilepsie. 

La fugue du psychasthénique, autrement dit, du dégénéré, n’est pas 
inconsciente. En proie à une idée obsédante, le psychasthénique est 
obligé d’y obéir. Pitres a rapporté l’histoire d’un grand négociant de 

(1) Ernoul. — Le mutisme hystérique, thèse de Paris, 1897. — Thaon, Congrès 
laryng. de Milan , sept. 1880. — Scheppegrell, Médical News, 16 septembre 1893. 

(2) Mighelsen. — Soc. néerlandaise laryng., Amsterdam 1894. 

(3) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 



COURS ET CONFÉRENCES 


125 

Bordeaux qui, de temps à autre, est obligé de marcher pendant trois ou 
quatre jours de suite, jusqu’à ce qu’il tombe exténué ; pour accomplir 
ses fugues, il a fait construire une piste autour de son hôtel. Je connais, 
pour ma part, un courtier de commerce qui, le jour, se conduit comme 
tout le monde. Le soir, il se couche vers 9 h. 1/2 ou 10 heures. A minuit, 
minuit et quart, il se lève, regarde par la fenêtre, attend que le dernier 
tramway, soit passé et que le marchand de vins d’en face ait éteint ses 
lumières. Alors, persuadé que personne ne le verra sortir, il s’en va 
marcher autour des Halles. Pendant toute la durée de sa fugue, il est 
parfaitement conscient de ses actes ; mais ces marches n’ont pas tardé 
à fcrcer son cœur et il est maintenant albuminurique. 

Or, parfois la nature rentre difficilement dans les cadres que nous 
traçons ; il est des fugues qui ne correspondent point uniquement et 
complètement à l’une de nos trois grandes variétés cliniques ; témoin 
le cas de cet homme. 

Il a 37 ans. Jadis marchand de vins, il est maintenant valet de cham¬ 
bre. Depuis quelques mois, il a un sommeil agité, entrecoupé de fré¬ 
quents cauchemars. Il revoit sa mère et son frère dont la mort l’a beau¬ 
coup frappé et il se réveille en sursaut. Alors, il se sent obligé de se 
lever, marche dans sa chambre une heure ou deux et se recouche. Dans 
ces derniers temps, il est même sorti de chez lui. Après avoir marché 
quelque temps dehors, il rentre se coucher ; mais, parfois, il ne' peut 
s’empêcher de sortir à nouveau trois ou quatre fois dans la même nuit. 
Notez qu’il n’y a pas d’amnésie consécutive. Cet homme sait et raconte 
très bien tout ce qui lui arrive. Il s’agit d’une fugue consciente, par 
conséquent psychasthénique. 

Cependant, cette fugue est à début brusque ; elle commence par de 
petites contractions musculaires ; notre homme sent des coups dans la 
nuque, voit des ombres devant les yeux ; sa face est grimaçante et il 
subit une certaine obnubilation ; dès qu’il rentre chez lui, il dort d’un 
sommeil de brute. Par tous ces côtés, cette fugue, on le voit, se rattache 
à l’épilepsie. 

Ce n’est pas tout. Cet homme est hypnotisable, au moins dans une 
certaine mesure, et, pendant son sommeil hypnotique, il retrouve la 
mémoire de certains faits dont il n’a pas conscience à l’état normal. Il 
se rappelle, par exemple, qu’un jour il est allé à la Cascade du Bois de 
Boulogne, qu’il a joué à la manille avec des cochers, qu’il a reçu une 
- blessure à la main, qu’il a failli être écrasé par une voiture, etc. Par 
conséquent, au cours de ces fugues, certains actes sont conscients ; 
d’autres paraissent oubliés, mais peuvent être remémorés grâce au 
sommeil hypnotique. Par ce côté la fugue serait donc hystérique. 

En fait, elle est complexe et participe de chacune de nos trois variétés 
Ce malade a été frappé par l’hérédité : sa mère était une hystérique à 
grandes crises et son frère est mort dans un asile. Lui-même, tout 
jeune, était très impressionnable et a même présenté du somnambulisme 
nocturne ; aujourd’hui, il a de l’hypoesthésie dans le côté gauche du 



126 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


corps, voilà pour l’hystérie. Il a été marchand de vins et, l’alcool aidant, 
ea prédisposition héréditaire s’est accentuée ; notons en outre que, coup 
sur coup, il a perdu sa mère et son frère ; cette double émotion n’a fait 
qu’accroître sa psychasthénie. Est-il en même temps épileptique ? C’est 
très possible ; Charcot et Magnan ont bien montré que plusieurs 
psychoses ou névroses peuvent coexister chez le même individu. En 
devenant alcoolique, il a pu exciter ses centres moteurs et faire appel 
au mal comitial. D’ailleurs il a eu conscience que son métier de mar¬ 
chand de vins était pernicieux ; il s'est fait valet de chambre et est 
devenu sobre. Il est donc dans une bonne voie et la suggestion achèvera 
de le guérir. 


Maladie des tics avec coprolalie (<) 

Par M. le professeur Raymond 

Voici une jeune fille de 13 ans et demi. Vous l’entendez prononcer 
des mots orduriers, mais malgré elle, d’une manière involontaire 
et inconsciente. Elle présente, en outre, à gauche, dans le bras, la 
jambe et la face, des mouvements qui ont débuté par le bras, il y a 
quatre ans. 

Née à terme, elle a été nourrie au sein et élevée dans de bonnes 
conditions. Elle a eu la rougeole, la scarlatine, du rhumatisme, et, à la 
suite de ce dernier, une arthrite infectieuse du genou gauche. 

Son affection actuelle a été diagnostiquée danse de Saint-Guy, mais 
on a fait en cela preuve de grande ignorance. Dans la chorée, en effet, les 
mouvements sont incohérents, absurdes, illogiques, tandis qu’ici ils sont 
rythmés ; en outre, ils semblent reproduire un acte et se rapporter à un 
but. C’est une maladie des tics, laquelle est non pas une maladio à part, 
mais une partie détachée de l’histoire des myoclonies. 

Friedreich avait décrit sous le nom de Paramyoclonus des contrac¬ 
tions rapides, brusques, instantanées de groupes musculaires déter¬ 
minés, mais respectant toujours la face. Avec trois ou quatre observa¬ 
tions seulement, il avait voulu constituer un type. Or, le type est 
beaucoup plus complexe qu’il ne l’a dit. Le paramyoclonus n’occupe pas 
seulement le tronc et les membres, il peut être généralisé. La chorée 
électrique des adolescents, celle d’Hénoch-Bergeron est aussi un cas 
particulier de la myoclonie. Il en est de même de la chorée fibrillaire 
de Morvan. 

Cette maladie des tics comporte, outre les contractions musculaires, 
un terrain de dégénérescence tel que le tiqueur n’est plus maître ni de 
sa parole, ni de sa pensée. Il faut donc modifier le terrain par un traite¬ 
ment général comportant l’hydrothérapie, des médicaments toniques, 
l’huile de foie de morue, etc., puis, par une sorte de suggestion faire 

(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpétrière. 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


127 


Téducation des mouvements, surtout en apprenant au malade à faire les 
mouvements inverses de ceux qui lui sont habituels. 

Si la maladie des tics est abandonnée à elle-même, elle ne lait que 
croître. Je connais des femmes qu’on n'a pas soignées et qui, mariées, 
mères de famille, ne peuvent s’empêcher, dans les dîners, dans les 
soirées, de donner libre cours à leur besoin de dire à jet continu des 
mots orduriers. 

Ici, comme dans tout traitement analogue, tant vaudra le médecin, 
tant vaudront les résultats. 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

Les prochaines séances de la Société auront lieu le mardi 15 octobre 
et le mardi 19 novembre 1901. 

Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. 

Adresser les communications à M. le D' Bérillon, secrétaire général, 
14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place 
Jussieu. 


Un guérisseur de paralysie au XVIII e siècle. 

Dans les Nouvelles , petite gazette qui se publiait à Amsterdam, à la 
date du 21 avril 1724, nous trouvons relatée l’histoire d’un inconnu à 
Paris qui guérit des paralytiques. 

« On voit ici (à Paris) le détail des trois cures extraordinaires de para¬ 
lysie faites par un particulier demeurant rue Tiquetonne, dans la maison 
de M. de laBeaume, maître des comptes. 

« Au mois de mars 1723, il guérit la fille du S. Dupuis, marchand de 
vins dans la rue St-Nicaise, affligée depuis 3 ans et 7 mois d’une si 
cruelle paralysie qu’on était obligé de la porter, parce qu’elle ne pouvait, 
en aucune façon, se tenir sur les piez ayant la jambe et les genoux sans 
mouvement et soudez avec lés cuisses, les nerfs de derrière les jambes, 
nommés les fléchisseurs, raccoursis de trois doigts, ce qui avait retiré 
et courbé les muscles et la plante des piez avec des roideurs si extraor¬ 
dinaires qu’il n’était pas possible de les faire mouvoir ; elle était enfin 
déclarée incurable par plusieurs médecins de la Faculté de Paris qui 
l’avaient vue, et néanmoins ce même particulier l’a fait marcher et elle 
marche présentement comme si elle n’avait jamais été paralytique. 



128 


REVUE DE L HYPNOTISME 


« Le marquis de Briqueville, mestre de camp d’infanterie, fils aîné du 
marquis de Luzerne, demeurant rue de l’Université, paralytique depuis 
4 ans des deux jambes, avait les nerfs fléchisseurs retirez sous les 
genoux d’environ 3 doigts, les muscles de la plante et les doigts des 
piez courbés en dessous, roides et sans mouvement, beaucoup 
d’humeurs pétrifiées et durcies aux deux piez, en sorte qu’il ne les 
pouvait mettre à terre ni marcher; ayant fait quantité de remèdes, pris 
les eaux de Bourbon et Barège, l’espace de 3 ans consécutifs, sans 
soulagement, M. Maréchal, premier chirurgien du roi, informé de la 
cure, ce dernier lui a conseillé de se mettre entre les mains du même 
particulier, lequel l'a si bien fait marcher qu’il a été l’automne dernier 
à la chasse et pendant plusieurs mois. 

« Au mois de juillet 1723, le sieur Chevance, avocat, demeurant rue 
de la Monnaye, paralytique depuis 8 ans des deux jambes, sans pouvoir 
marcher, même avec des béquilles, marche à présent seul avec deux 
cannes. 

« Ces trois faits m’ont été affirmés par une attestation de deux notaires 
de Paris. » 

(Interméd. des Cherch. et des Curieux , 30 août). 


Le géant Hugo 

Hugo, le géant de l’Exposition de 1900, est né à Saint-Martin (Alpes- 
MaritimeB). Ce colosse est âgé de 22 ans, mesure la taille de 2 m. 29. Il 
pèse 201 kilos. Dans sa bague passe librement une pièce de 10 centimes. 
Il couvre facilement une pièce de cinq francs avec son pouce. Avec sa 
main, il atteint une hauteur de 3 mètres. Les bras étendus, il développe 
la largeur de 2 m. 47. Ses souliers ont la pointure 59; son tour de taille 
et de poitrine est de 1 m. 96. Il se couche dans un lit de 3 mètres de 
long et 1 m. 50 de large. 

Le géant Hugo a toujours été dans des proportions extraordinaires ; 
il pesait, en venant au monde, 15 livres ; à l’âge de 6 ans, il mesurait 
déjà l in. 25 ; à 10 ans, 1 m. 70 ; à 15 ans, 2 m.; à 20 ans, 2 m. 25, et 
aujourd’hui, mesurant 2 m. 29, il s’est encore aperçu qu’il avait grandi 
de 2 centimètres l’année dernière. 

Il est bien le colossal Gargantua du Vieux Paris, à l’Exposition de 1900. 
C’est, du reste, pour cela qu’il a été jugé seul capable de remplir ce 
rôle. Hugo détient le record des géants et jette un défi à tous les cham¬ 
pions du monde entier. Les parents de Hugo sont de petite taille ; le 
père mesure 1 m. 64 et la mère 1 m. 68; son frère cadet fut exempté du 
service militaire faute de taille. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU, rue Gerbert, 10. 


REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N° 5. Novembre 1901. 

Physio-psychologie des religieuses 

Par le D r Charles Binet-Sanglé 


Les religieuses de Port-Royal 

(Troisième série de cinq observations) 

Observation /.-Henriette-Marie d’ANGENNES DU FARGIS 

hérédité. — Henriette-Marie d’Angennes du Fargis était 
fille de Charles d’Angennes du Fargis et de Magdelène de 
Silli. Le Dictionnaire de Moréri (1759) contient quelques ren¬ 
seignements d’ordre biologique sur les familles d’Angennes et 
de Silli, dont plusieurs membres subirent avec succès les 
suggestions religieuses. Les noms de ces derniers sont écrits 
ci-dessous en italique. 

I. — Famille paternelle. — La famille d’Angennes, origi¬ 
naire du Perche, tira son nom de noblesse d’une terre située 
dans cette province. Elle a laissé des traces dans l’histoire 
à partir du xiv® siècle. Le premier ancêtre connu s’appelait 
Robert. 

Jacques I er dit d’Angennes, qui mourut en 1562, eut 12 enfants, 
parmi lesquels 5 sont à signaler : Charles I or , Nicolas, Claude, 
Louis et Philippe. 

Charles I KT d’Angennes naquit le 30 octobre 1530, et mourut le 
23 mars 1587, à 56 ans, 4 mois et 24 jours. 

Il fut sacré évêque du Mans le 12 octobre 1559 (29 ans), assista 
à la conclusion du concile de Trente en 1563 (33 ans), fut nommé 
ambassadeur auprès du pape Michèle Ghislieri (Pie V), qui le 
fit cardinal en 1570 (40 ans), prit part en 1572 (42 ans) au con¬ 
clave qui élut le pape Ugo Buoncompagni (Grégoire XIII), 
auprès duquel il reste comme ambassadeur; assista et sous¬ 
crivit en 1583 (53 ans) à un concile de la province de Tours, et 
enfin fit partie en 1585 (55 ans) du conclave qui élut le pape 
Felice Pereti (Sixte V). 


5 




130 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Nicolas d’Angennes eut parmi ses petits-enfants les trois 
religieuses dont les noms suivent : 

1° Clarice-Diane d'Angennes, morte le 9 mars 1670, abbesse 
d’Hières. 

2° Isabelle-Louise d’Angennes, morte en 1707, dans un âge 
avancé. Abbesse de Saint-Etienne, elle avait été bénite le 9 sep¬ 
tembre 1657. 

3° Charlotte-Catherine d’Angennes, née en 1623, morte le 
21 mai 1691, dans sa 69 e année. Elle avait fait profession en 
1638 (16 ans), et était devenue abbesse d’Hières après la mort 
de sa sœur Clarice-Diane. 

Claude d’Angennes naquit le 26 août 1538, et mourut le 15 mai 
1601, à 62 ans, 8 mois et 20 jours. 

Envoyé à Rome auprès du pape Michèle Ghislieri, il fut 
nommé, peu après 1577 (39 ans), évêque de Noyon, assista en 
1583 (45 ans) à un concile tenu à Reims, et, en 1583 (47 ans), à 
l’assemblée générale du clergé de France tenue à Paris. Il 
défendit, dans cette dernière assemblée, les libertés de l’Eglise 
gallicane, et publia, la même année, une Remontrance du clergé de 
France: Après la mort de son frère Charles; il fut transféré à 
l’évêché du Mans, où il fit son entrée le 3 avril 1588 (50 ans). Il 
alla ensuite annoncer au pape Felice Peretti, de la part du roi 
Henri III, qui les avait fait assassiner les 23 et 24 décembre 1588, 
la mort de Henri I er de Lorraine, duc de Guise, et de Louis II de 
Lorraine, cardinal de Guise. En 1589 (51 ans), il publia deux 
ouvrages intitulés, l’un : Lettre de l’évêque du Mans avec la ré¬ 
ponse faite par un docteur en théologie, en laquelle il est répondu à 
ces deux doutes : Si on peut suivre en sûreté de conscience le parti du 
roi de Navarre et si l'acte de frère Jacques Clément doit être ap¬ 
prouvé en conscience, et s'il est louable ou non; l’autre, Avis de Rome 
tirés des lettres de l’évêque du Mans à Henri de Valois. Enfin, en 
1593 (55 ans), il alla à Rome rendre, au nom du roi Henri IV, 
obédience au Saint-Siège. — Il établit au Mans un séminaire de 
prêtres de la congrégation de l’Oratoire. 

Louis d’Angennes eut parmi ses six enfants : 

Jacques III d’Angennes, né en 1577, mort le 14 mai 1647, à 
70 ans. Il fut sacré évêque de Bayeux en 1607 (30 ans), assista 
à l’assemblée du clergé de France tenue à Paris en 1625 (48 ans), 
et bénit, le 18 mars de la même année, l’église des Carmélites 
de Caen. Il mourut dans son prieuré de Monstiers. 

Philippe d’Angennes, seigneur du Fargis, grand-père 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


Î31 


paternel du sujet qui fait l’objet de cette observation, épousa 
Jeanne de Hallwin. 

La famille de Hallwin, originaire de Flandre, tira son nom 
de noblesse d’une ville située dans ce pays. Elle a laissé des 
traces dans l’histoire à partir du xn e siècle. Le premier 
ancêtre connu s’appelait Vautier. 

Josse dit de Hallwin, qui vivait au xv° siècle, eut parmi ses 
huit enfants : 

Pierre de Hallwin, évêque d’Alet. 

Marie de Hallwin , religieuse. 

Isabeau de Hallwin, religieuse. 

Louis de Hallwin. 

Celui-ci eut six enfants parmi lesquels : 

François de Hallwin, évêque d’Amiens, mort en 1537. 

Philippe de Hallwin, qui mourut avant son père et qui eut 
pour fils unique : 

Antoine de Hallwin. 

Des sept enfants de ce dernier, trois sont à signaler : 

Jean de Hallwin, abbé de Gard et de Saint-Pierre de 
Châlon. 

Charlotte de Hallwin, abbesse de Bartaucourt, près Amiens. 

Charles de Hallwin, dont l’un des neuf enfants fut Jeanne 
de Hallwin, qui épousa Philippe d’Angennes du Fargis : 
De ce mariage naquit Charles d’Angennes du Fargis. 

Ce dernier, conseiller d’Etat, maréchal des camps et armées 
du roi, puis ambassadeur en Espagne, fit le traité de Monçon 
avec cette nation, et fut désavoué pour n’avoir pas voulu suivre, 
en cette occasion, les instructions du capucin François Leclerc 
du Tremblay (le père Joseph), confident du cardinal de Riche¬ 
lieu. Il fut le père d’Henriette-Marie d’Angennes du Fargis. 

II. Famille maternelle. 

La famille de Silli, originaire de Normandie, tira son nom de 
noblesse d’une terre située dans cette province. Elle a laissé 
des traces dans l’histoire à partir du xm e siècle. 

Le premier ancêtre connu, Gautier dit de Silli, qui vivait 
en 1289, eût trois enfants, parmi lesquels : 

Jacques de Silli, prieur de Sausseuse 

et Bertin de Silli, qui eût trois enfants. L’un mourut jeune, 
un autre sans alliance et avant son père. Le troisième 
était Charles de Silli. 



132 


REVUE DE L HYPNOTISME 


Des quatre enfants de ce dernier, l’un mourut sans postérité. 
Le deuxième était Louis de Silli. 

Il eut trois enfants, dont le troisième, Antoine de Silli, épousa 
Marie de Lannoi, dont je n’ai pu retrouver le nom dans l’article 
du Dictionnaire de Moréri consacré à la famille de Lannoi. 

De ce mariage naquirent deux filles : 

1° Françoise-Marguerite de Silli, une dévote, mère de Jean- 
François-Paul Philippi (dit de Gondi), cardinal de Retz ; 

2° Magdelène de Silli, dame d’atours d’Anne d’Autriche, 
qui épousa Charles I er d’Angennes du Fargis. 

De ce mariage naquirent successivement : 

1° Charles II d’Angennes du Fargis, né le 9 novembre 1613, 
tué le 2 août 1640 ; 

2° Marie d’Angennes du Fargis, morte jeune; 

3° Henriette-Marie d’Angennes du Fargis, qui fait l’objet de 
cette observation. 

Cette dernière était donc la cousine germaine du cardinal de 
Retz. Elle comptait encore parmi ses parents éloignés une 
dévote, amie de Port-Royal, Anne-Geneviève de Bourbon, 
duchésse de Longueville. 

état général. — Henriette-Marie d’Angennes du Fargis 
naquit en décembre 1618. Elle avait une-propension à l’extase. 
En effet, lorsqu’elle priait, elle entrait « dans un tel recueille¬ 
ment qu’elle paraissait comme immobile » (') Elle eut deux 
de ces rêves intensifs qui sont si fréquents chez les prophètes, 
les saints et les hystériques. Au cours du premier, qui eut lieu 
lors de la signature du formulaire imposée à Port-Royal 
(1661-43 ans), c’est-à-dire en pleine exaltation religieuse, elle 
vit Corneille Jansen, évêque d’Ypres, le fondateur du Jansé¬ 
nisme, qui lui dit : « Vous êtes obligée de demeurer ferme 
jusqu’à la mort, sans que jamais le mauvais exemple vous 
ébranle en rien. » Le second rêve survint dans la nuit du 4 au 
5 septembre d’on ne sait quelle année. 

Henriette-Marie fut d’ailleurs « tellement ébranlée par la 
violence de la peine » (-) que lui causa l’affaire du formulaire, 
qu’elle tomba malade et faillit mourir. 

(1) Vies intéressantes et édifiantes des religieuses de Port-Royal et de plusieurs 
personnes qui leur étaient attachées. Aux dépens de la compagnie, mdccli. T. II, 
p. 118 et s. 

(2) Ibid. 1. 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


133 


« Ses maladies continuelles la portèrent à së démettre de 
sa dignité d’abbesse » (*). 

Enfin elle « fut éprouvée les quatre dernières années de sa 
vie par une fâcheuse maladie » ( 1 2 ). Cette maladie commença le 
23 mai 1687 (68 ans). 

En 169U (72 ans), elle souffrit de « grandes, infirmités » ( 3 ), et, 
tout l’hiver, elle tomba d’un mal dans l’autre. Le 3 juin, elle 
écrivait : « J’ai commencé depuis un mois à perdre la vue cor¬ 
porelle » ( 4 ). Elle devint en effet aveugle 

Le 23 mai 1691, « il lui vint un érésypèle qui rentra bientôt à 
cause de sa fièvre » ( 5 ), et, le 3 juin, sur les sept heures du 
matin, elle entra en agonie. Elle expira dans l’après-midi, à 
l’âge de 72 ans et 7 mois, « ayant souffert ces derniers jours 
tout ce que l’on pouvait souffrir et dans toutes les parties de 
son corps » ( 6 ). 

émotivité. — Comme on a pu en juger par la maladie qu’elle 
fit lors de l’affaire du formulaire, son émotivité était de beau¬ 
coup supérieure à la normale. 

suggestibilité. — II en était de même de sa suggestibilité. 

Elle avait été élevée, jusqu'à l’âge de 7 ans, par une dévote, 
Françoise-Marguerite de Silli, sa tante maternelle. 

« Cette première éducation contribua beaucoup à lui inspirer 
l’esprit de piété » (7). 

A 7 ans (avril 1626), on la mit au couvpnt de Port-Royal, 
où « la Mère Angélique (Jacqueline Arnauld) prit un soin tout 
particulier de la former à la vertu et de lui inspirer le mépris 
du monde et d’elle-même » (8). Ces exhortations firent une 
profonde impression sur la petite pensionnaire. On lit dans 
une de ses lettres : « Je me souviens... d’une parole de la 
Mère Angélique, qu’elle m’a dite plusieurs fois : « Ma fille, 
tout ce qui n’est pas éternel ne me fait point peur » (9). 

Le résultat de ces suggestions ne se fit pas attendre : 
« Lorsqu’elle fut en âge de faire choix d’un état de vie, elle 
forma la résolution d’être Religieuse »> ( l0 ). 

(1) Vies intéressantes, etc., t. II., p. 109 et s. 

(2) Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité des xvir et 
xviii® siècles, mdgclx. 

(3) à (7) Vies intéressantes, etc., t. II, p. 118 et s. 

(8) Ibid . II, 107. — (9) Ibid. 

(9) Vies intéressantes, etc., II, 118. 

(10) Ibid . II, 107. 



134 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Elle prit l’habit le 24 février 1635 (16 ans). 

Le 2 août 1640 (21 ans), son frère Charles fut tué. Sa sœur 
Marie était déjà morte, et son père, n’ayant plus qu'elle cl’enfant, 
voulut la reprendre. Mais la pauvre fille, « ayant consulté 
M. du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (directeur 
spirituel des religieuses), ses avis l’affermirent de telle sorte 
dans sa vocation^ que M. son Père ne put rien gagner sur 
elle, quoiqu’il redoublât ses prières et ses caresses » (•). Il 
alla jusqu’à se mettre « à genoux devant elle, la conjurant 
avec larmes de se rendre à la volonté d’un Père qui se voyait 
sans enfant, et de prendre parti dans le monde afin de ne pas 
laisser périr sa maison. Mais tout cela ne fit aucune impression 
sur le cœur de la jeune novice » (•). Elle fit profession le 
11 novembre 1640, à 21 ans et 11 mois. 

Au reste, « jamais on ne vit une obéissance plus pohctuelle 
que la sienne l’a été dans tous les moments de sa vie. Sa sou¬ 
mission et sa docilité envers ses supérieures et les personnes 
qui la conduisirent, ont été eji elle des dons singuliers. C’est 
ce qui paraissait surtout par la manière humble avec laquelle 
elle recevait les corrections et lés pénitences » ( :i ). « On ne vit 
personne plus soumise et plus humble qu’elle, et qui choisit 
plus volontiers les travaux les plus bas » ( 4 ). 

Elle était d’une « ferveur extraordinaire » ( 5 ). « Toujours 
assidue au chœur, tant de nuit que de jour, outre l’office cano¬ 
nial, elle donnait beaucoup de tems à la prière, qu’elle faisait 
toujours à genoux » (°). « Elle était presque toujours dans un 
profond silence, seulement occupée à la prière » ( 7 ). On lit 
encore dans son épitaphe qu'«elle avait un grand amour du 
silence », parce qu’elle était « appliquée à la mortification » ( 8 ). 

Elle était très charitable, mais surtout de cette charité chré¬ 
tienne dont le prosélytisme est le principal élément. Elle fut 
deux fois abbesse de Port-Royal. 

(A suivre). 

(1) Ibid. II, 108. 

(2 )Ibid. 

(3) Ibid. II, 109. 

(4) Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité. 

(5) Vies int ., II, 109. 

(6) Ibid. II, 118 et s. 

(7) Nécrologe de Vabbaie de Notre-Dame de Port roial des Champs, ordre de Cîteaux, 
institut du Saint-Sacrement. A Amsterdam, chez Nicolas Potgieter, libraire vis-à-vis 
de la Bourse, 1723. 

(8) Vies int., II, 118. 



LES PETITS VAGABONDS DE CAGLIARI 


135 


Les petits vagabonds de Cagliari 

Par M.le D r Mario Carrara 
Professeur de médecine légale à l’Université de Cagliari. 

La criminalité enfantine de Cagliari offre un intéressant 
champ de recherches. En l’absence d’industries capables d’em¬ 
ployer ces faibles forces sociales, un grand nombre de jeunes 
garçons de 10 à H ans restent inoccupés et oisifs, envahissent 
et infestent les rues de la ville, dont ils constituent ainsi un 
pitoyable élément. L’oisiveté, la misère, l’abandon de la famille, 
l’exemple des camarades constituent autant d’excitations au 
crime. Bien que ces réunions de jeunes garçons ne constituent 
pas de véritables associations de malfaiteurs telles que les 
conçoivent les polices de tous les pays, il est avéré que l’habi¬ 
tude quotidienne, la communauté d’intérêts et de plaisirs, l’âge 
et l’égalité des conditions forment entre eux ou au moins entre 
certains groupes des liens plus étroits que les liens d’une 
simple amitié, souvent renforcés par d’abominables rapports 
sexuels. 

Nous avons étudié, le D r Murgia et moi, une cinquantaine 
de ces garçons en recueillant les données, non seulement anthro¬ 
pologiques, anatomiques, fonctionnelles et psychiques, mais 
encore les faits anamnésiques. 

Les mensurations purement anatomiques concernent le crâne, 
le visage, les membres inférieurs, la taille, et elles s’étendent 
à tout le corps, pour ce qui concerne des anomalies patholo¬ 
giques ou dégénératives ; naturellement elles ne se prêtent pas 
à être examinées et exposées synthétiquement. Nous avons 
pourtant cru devoir donner à ces mensurations, faites sur les 
mineurs criminels, une plus grande signification en recueillant 
d’autres mensurations aussi, faites sur des garçons fréquentant 
les écoles communales, qu’on présume être normaux. 

Plus démonstratives encore que les simples mensurations 
sont les anomalies retrouvées chez ces enfants et qui résultent 
mieux que d’une description analytique de l’examen des photo¬ 
graphies. 

Notre examen a donné pour résultat que parmi eux le véri¬ 
table type criminel est très rare. Non que dans chacune de ces 
physionomies ne puissent se trouver des anomalies dégéné¬ 
ratives, mais elles ne se trouvent pas cumulées chez le même 
individu, de façon à constituer selon M. Lombroso, le type cri¬ 
minel. Seulement nous n’avons pu les reconnaître dans la pro- 

(l) Communication au Congrès d’anthropologie criminelle, 1901. 



136 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


portion de 10 %, c’est-à-dire dans un rapport très inférieur à 
celui qui constitue le type criminel, mais encore, très inférieur 
au nombre qui, selon les calculs de MM. Lombroso et Ferri, se 
trouve chez la masse de tous les criminels (40 %)• 

Le jeune âge de nos sujets ne peut pas diminuer la valeur de 
cette conclusion pour ainsi dire statistique. Le type criminel 
justement par le fait qu’il révèle une anomalie profonde et con¬ 
génitale de toute l’organisation individuelle, apparaît déjà dans 
les premières années, c’est-à-dire dans un âge inférieur à celui 
qu’avaient mes sujets. 

Cette conclusion signifie donc que sous le rapport anatomi¬ 
que, on ne rencontre pas chez ces mineurs de véritables grands 
criminels ; l’examen psychologique, particulièrement l’exa¬ 
men anamnésique, a confirmé chez tous mes jeunes sujets l’exa¬ 
men somatique. 

Ils ne descendent pas, au moins pour la plupart, de familles 
profondément criminelles, à peine le 5 % d’eux ont des parents 
dans les prisons ou dans les asiles. Et encore il faut remarquer 
que nous avons inclus dans ce 5 % les emprisonnements pour 
rixe, pour contraventions, ou pour rébellion contre les agents: 
faits qui ne révèlent évidemment pas une criminalité bien 
grave. 

Il est vrai que certains ont été en prison même plusieurs 
fois, jusqu’à 15 ou 20 fois. Mais, comme je le disais, ils ne repré¬ 
sentent pas pour cela, selon nous, une forme de criminalité 
très grave ; non seulement pas à cause de la nature des crimes 
commis, mais aussi à cause de la présence de beaucoup de 
facteurs économiques, familiaux, sociaux que notre enquête a 
mis en lumière et qui diminuent évidemment le rôle que le 
facteur anthropologique individuel joue dans l’étiologie de cette 
sorte de criminalité. 

Le milieu familial, en effet, bien qu’il ne soit pas un milieu 
vraiment criminel, est pourtant dans la plupart des cas, un - 
milieu abominable. La misère tarit vraiment la source des 
affections familiales les plus instinctives, et chaque enfant ne 
représente vraiment autre chose dans une famille qu’une bou¬ 
che à nourrir. Etant enfants, ils furent envoyés pendant une 
ou deux années à l’école où ils n’apprirent rien, et après, étant 
trop grands pour aller à l’école, ils furent placés auprès d’un 
patron pour apprendre un métier. Ici, intervient alors le fac¬ 
teur individuel, qui naturellement n’est pas normal ; car au lieu 
de poursuivre le travail entrepris et de s’en faire une profession 



LES PETITS VAGABONDS DE CAGLIARI 


137 


plus ou moins productive, il se révèle chez eux un phénomène 
qui se produit régulièrement dans le sens criminel : ils ne trou¬ 
vent jamais, comme on dit, « l’arbre bon pour se pendre » soit 
qu’ils trouvent le salaire trop bas, soit que les patrons leur 
donnent des coups, ou soit qu’ils ne réussisent pas dans leur 
travail. Pour le moindre prétexte, ils passent indifféremment 
d’une profession à une autre, puis, la délaissant tout de suite 
après l’avoir embrassée ; ce qui montre que la faute n’est pas 
imputable à la nature du travail, mais à la nature de ses enfants 
et à leur insurmontable paresse. 

Il faut pourtant reconnaître, et nous avons pu le constater, 
que nul encouragement affectueux ne les soutient, ni les guide 
dans ces premiers pas de la vie professionnelle. Aux premières 
difficultés, aux premières révoltes contre la dure discipline du 
travail, la famille les met dans l’aternative de donner tout l’ar¬ 
gent qu’ils peuvent gagner, ou d’être renvoyés de la maison. La 
plupart adoptent volontiers la seconde alternative, et quittent 
la maison, dressant leur tente dans la rue, où, grâce au climat de 
Cagliari, ils passent toute leur vie, le jour et la nuit. Alors 
commence véritablement pour eux la vie vagabonde sous l’ap¬ 
parence d’une profession très rudimentaire et très répandue à 
Cagliari de « Picciocchi des crobi » « garçons à corbeille ». 
Grands et petits, déguenillés d’une façon incroyable, munis de 
leur corbeille traditionnelle, ils offrent leurs services de com¬ 
missionnaire au bourgeois cagliaritain. Quelquefois ils cumu¬ 
lent cet emploi avec un autre qui n’est pas beaucoup plus lu¬ 
cratif, celui de vendre des allumettes, et tâchent de gagner de 
cette façon les sous nécessaires pour acheter un peu de soupe, 
ou de figues pour se nourrir. Dans cette vie d’oisiveté et de com¬ 
pagnonnage, le crime, sous forme de vol, devient l’habitude 
quotidienne; « nous volons »,nous confessait ingénument l’un 
d’eux, « car nous n’avons rien à faire. » Ce sont en effet des 
larcins de comestibles, d’objets presque sans valeur, qu’ils 
trouvent sous leurs mains, charbons, bois, œufs, peignes, pa¬ 
niers . La misère de ces larcins correspond vraiment à la misère 
du pays qu’ils habitent, et à l’étroitesse de leur champ intel¬ 
lectuel . Le. produit du vol ou l’argent qu’ils retirent de cette 
vente, est d’ordinaire joyeusement mangé en compagnie; quel¬ 
ques-uns pourtant portent l’argent ainsi gagné à la maison, 
se vantant de l’avoir gagné en travaillant. 

Mais bien qu’aggravée par une énorme récidive leur crimi¬ 
nalité ne va pas plus loin. Bien rarement les crimes de sang 



138 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


mettent leurs tâches rouges dans leur vie. Leurs altercations 
finissent ordinairement à coups de poing, rarement à coups 
de pierre. Ils n’ont jamais dans leur poche — étrange excep¬ 
tion chez le peuple italien — ni couteau, ni autre arme offensive. 

Une autre forme de criminalité, si on peut la considérer 
comme telle, qui s’adjoint à celle-ci, est la criminalité sexuelle. 
Bien que cette partie de nos recherches ait été difficile et déli¬ 
cate et peu sûre, nous avons pourtant pu vérifier, et par les 
déclarations de quelques-uns d’eux et par la présence des mala¬ 
dies vénériennes, la précocité des rapports, soit hétérosexuels, 
soit homosexuels favorisés par la promiscuité dan3 laquelle 
ces garçons passent la nuit dans le fond des barques, dans les 
cavernes, sous les portiques. Un d’eux, âgé de 14 ans, accom- 
pagnait sa sœur à peu près du môme âge, sur les navires et 
partageait avec elle les gains infâmes. Presque tous sont reli¬ 
gieux et accomplissent les pratiques religieuses. Tous sont 
illettrés, même ceux qui vendent les journaux, les reconnais¬ 
sant au format, et cela malgré la loi sur l’instruction obliga¬ 
toire, qui existe depuis 25 ans en Italie. 

. Ils comprennent instinctivement eux-mêmes le rôle que joue 
l’influence des amis et des camarades à les pousser aux délits 
— ce que le véritable criminel n’admet jamais. Au contraire 
ils rejettent volontiers sur les amis la cause de leur criminalité 
non seulement pour s’excuser, mais vraiment par la conscience 
qu’ils ont de mal faire; et plus d’un exprimait le désir (d’autant 
plus remarquable que l’émigration ne correspond aucunement 
aux tendances des Sardes) de s’embarquer sur un navire et 
d’aller travailler en Tunisie ou en Sicile. Et même volontaire¬ 
ment un d’eux se fit envoyer dans une maison de correction de 
Naples, pour rompre définitivement avec les anciennes rela¬ 
tions, le plus grand stimulant au crime. 

En prison presque tous déclarent qu’ils se trouvent mal, pas 
tant par l’alimentation que par l’isolement. 

Ils ne sont donc pas pour ce qui ressort de nos recherches, 
des criminels nés, mais plutôt des criminels d’habitude, ou d’oc¬ 
casion, des criminaloïdes (Lombroso). Et ce qui confirme cette 
conclusion, c’est le fait qu’en devenant adultes, ils perdent pres¬ 
que tous leurs tendances criminelles. Quand avec l’âge les 
rapports d’amitié, de compagnie, de complicité sont rompus, 
ils finissent pour la plupart par trouver une occupation fixe 
et par en vivre bien misérablement, mais sans avoir recours 
au crime. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


139 


De sorte que, tandis que cette grande armée enfantine paraî¬ 
trait menacer Cagliari d’une véritable armée de criminels 
adultes, en réalité, au contraire, la criminalité de cette ville 
en rapport avec le nombre de ses habitants, ses conditions éco¬ 
nomiques et son degré de civilisation, n’est ni très grave ni 
très abondante. Ce qui, tout en étant consolant, nous fait, 
regretter, qu’il n’existe pas encore des institutions aptes à 
améliorer la condition sociale de ces enfants et à atténuer dans 
la plus grande mesure possible leurs tendances à l’oisiveté, à 
la paresse et au vagabondage par une bonne prophylaxie 
enfantine. 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 

Le lundi 16 Juillet 1901. —Présidence de M. Jules Voisin. 


Orthopédie mentale et morale. 

La suggestion pédagogique dans le sommeil hypnotique et à son défaut, dans 

le sommeil naturel. 

par M. le docteur Bourdon (de Méru). 

Au milieu du mouvement psychologique qui s’accomplit et auquel la 
Société d’Hypnologie et de Psychologie prend une si grande part, on 
ne saurait trop faire ressortir, parmi les nombreuses applications de 
la psychothéraphie, celle, si importante, de la suggestion hypnotique 
comme moyen pédagogique à des sujets mauvais, vicieux ou malades. 

Avec l’intuition d’un génie précurseur, Durand (de Gros) avait bien 
dit, dès 1860 : « L’éducation et la médecine de l'âme trouvent dans le 
braidisme, (c'est-à-dire l’hypnotisme) des moyens d’action d’une puis¬ 
sance inouïe, qui, à eux seuls, portent la découverte de Braid au rang 
des plus glorieuses conquêtes de l’esprit humain... » Et encore : « Le 
braidisme nous fournit la base d’une orthopédie intellectuelle et morale 
qui, certainement, sera inaugurée un jour dans les maisons d’édiication 
et dans les établissements pénitentiaires... » Puis encore : « Le rachi¬ 
tisme de l’intelligence, les déviations du caractère trouveront en lui 
(l'hypnotisme) leur orthopédie. o> 

C’était beaucoup, certes, que cette conception, que cette prévision 
d’une haute portée, il y avait le mérite incontestable de l’initiateur, la 
valeur de l’idée par rapport au fait, mais cela ne suffisait pas pour ran¬ 
ger, dans le domaine des faits positifs, les applications pédagogiques de 
la suggestion hypnotique, il fallait en un mot la réalisation. 

Le mérite en revient surtout au D r Bérillon qui, le premier, a systéma¬ 
tiquement soigné par l’hypnotisme des enfants vicieux ou malades 



140 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


et apporta des observations de kleptomanie , de mensonge , de troubles 
du' caractère, d'onanisme irrésistible, d'onychophagie, de pusillani¬ 
mité , de terreurs nocturnes , d'impulsion a la débauche, etc., guéris 
par la suggestion. 

« Le but de cette pédagogie suggestive, disait-il, est d’arriver, soit à 
la correction des impulsions instinctives et des habitudes automatiques 
chez les enfants, soit au développement des aptitudes normales arrêtées 
dans leur évolution. Ce but est atteint, selon le cas, par deux procédés 
différents : l a La création de centres d’arrêts psychiques et la culture du 
pouvoir d’inhibition volontaire. 2° L’exercice et l'excitation automatique 
de l’énergie psychique et de la fonction excito-motrice. » 

D’où l’application de plusieurs principes fondamentaux qui découlent 
de l’observation des faits ; «l’opération psychologique de l’hypnotisme 
pédagogique, qui apparaît au début comme un asservissement de la 
conscience, se traduit finalement, par un développement de la person¬ 
nalité consciente. » 

La méthode d’application ne pouvait se dégager que de l’observation 
de faits nombreux. Les expériences de pédagogie clinique poursuivies 
sans relâche par le D r Bérillon ont fait passer la pédagogie suggestive 
dans le domaine de la pratique et l’orthopédie mentale et morale est ainsi 
devenue une science positive dont noùs lui sommes redevables et dont 
les médecins, parmi lesquels je m’honore de figurer, ainsi que bon nombre 
de pédagogues, ont ensuite appliqué les principes avec le même succès. 

Ce qu’il importe également de faire ressortir, c’est que la suggestion 
hypnotique , quand elle ne peut être employée, pour une raison quelcon¬ 
que, a un précieux succédané, qui est la suggestion dans le sommeil 
naturel, mise en honneur par le D r Paul Farez. Elle est très efficace et on 
ne l’utilise pas assez comme agent moralisateur et éducateur. On n’utilise 
pas assez ces deux modes de suggestion comme moyen thérapeutique ou 
orthopédique contre les lésions d’ordre moral, congénitales ou acquises, 
comme aussi pour la stimulation et le développement des facultés 
ou aptitudes naturelles. Et cependant toutes ces choses et toutes les 
cures d’orthopédie mentale et morale sont de celles qui font le plus 
d’honneur à l’hypnotisme et à la suggestion, dont elles constituent une 
application relativement récente. 

« Si l’on y avait recours comme moyen curatif, a-t-on dit avec raison, 
dans beaucoup de cas on pourrait se dispenser d’enfermer dans des 
maisons de correction des enfants sur lesquels tous les moyens habi¬ 
tuels dont dispose la pédagogie ont échoué. » 

I 

Troubles du caractère , mouvements impulsifs . — La suggestion 
pédagogique dans le sommeil hypnotique. — Aptitudes normales 
stimulées et développées. 

Gaston 0., âgé de 9 ans, dont le père est garçon boulanger et la mère 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


141 


lessiveuse, était un enfant docile et obéissant, d'intelligence moyenne, 
assidu à l’école et sans mauvais instincts. Mais depuis que, à l’époque 
du jour de l’an, il est allé à Paris, chez une tante, plus fortunée que ses 
parents et qu'il y a bien vécu, bien mangé et même bu du champagne, 
en un mot depuis qu’il a goûté des jouissances à lui jusque-là inconnues, 
un changement profond est survenu dans son caractère, il a été dévoyé, 
et a eu des goûts nouveaux, non en rapport avec sa modeste condition. 
Il s’est mis d’abord à faire l’école buissonnière et, se levant le matin de 
très bonne heure, au lieu d’accomplir, comme auparavant, certaines 
petites choses du ménage pour aider sa mère, il se faisait du chocolat, 
prenait les clefs des meubles faisait son paquet clandestinement, allait, 
au premier train trouver le commissionnaire qui, tous les jours, va à 
Paris, et lui demandait de le conduire chez sa tante. 

Bien qu’une première tentative n’eût pas réussi, il était revenu à la 
charge plusieurs fois et persistait opiniâtrement dans cette voie. On ne 
le voyait plus jamais à l’école, et il échappait facilement à la surveil¬ 
lance de ses parents qui travaillaient au dehors. Il ne voulait plus rien 
faire, il aspirait à bien vivre et était devenu très gourmand. Il ne songeait 
qu’à retourner à Paris chez sa tante, où l’on était mieux que chez ses 
parents et ces dispositions se maintenaient quand même, au point de 
faire le désespoir de sa mère. 0 

Comme hérédité, rien à noter que l’alcoolisme du père. 

C’est dans ces conditions que sa mère me l’amena, « pour le guérir, 
s’il était possible, de ses mauvais penchants. » 

La suggestion hypnotique, seule, pouvait atteindre ce but. Seulement 
comme il résistait, qu’il ne voulait pas être guéri, qu’il avait quelque 
crainte de ce que l’on voulait lui faire, il ne devait pas être aussi facile¬ 
ment hypnotisé. Je parvins toutefois à l’hypnotiser, du moins, je crus* 
l’avoir fait dans une première séance, après laquelle je lui donnai 
même, pour l’encourager, des sous et des friandises. 

Mais, malgré les apparences, le sommeil n’avait pas été profond, il y 
avait eu plutôt état passifs qu’hypnose vraie. Outre les suggestions né¬ 
cessaires et dans le but de créer un centre d'arrêt psychique , contre 
ces mouvements impulsifs et pour le redressement de ce caractère, 
j’avais, en même temps, cherché à développer ou à stimuler ses facultés 
d’attention, de mémoire et d’intelligence. 

11 y eut peu de résultat et sa mère crut remarquer qu’il avait fait sem¬ 
blant de dormir ; elle le lui lit même presque avouer. D’ailleurs la sugges¬ 
tibilité devait être d’autant moins grande chez lui que son intelligence 
était moins développée, ce qui augmente quelquefois la difficulté chez 
les enfants. On revint donc à la charge avec plus de bonne volonté appa¬ 
rente de sa part et, dans une deuxième séance, je lui dis qu’il ne devait 
pas fermer les yeux tout de suite pour me faire plaisir, comme il avait 
fait la première fois. Et, cette fois, ne cédant qu’à l’influence du regard 
prolongé, aidé de la parole, il s'endormit véritablement d’un sommeil 
assez profond, sinon somnambulique, avec anesthésie, résolution des 



142 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


membres, etc. Je lui dis : « Tu ne veux plus faire ton paquet, tes effets 
sont là, tu ne peux pas les prendre, » et il faisait de vains efforts pour y 
arriver, « Tu ne penses plus à retourner à Paris, tu n’aimes pluslabonne 
chair ni le champagne. Tiens, en voilà. » « Non, dit-il, je n’en veux pas, 
ce n’est pas bon. n « Tu ne veux plus faire l’école buissonnière. » A son 
réveil, il ne se souvenait de rien. 

Toujours est-il qu'il y eut, cette fois, un vrài commencement de résul¬ 
tat, puisqu’il cessa de faire l’école buissonnière, ne songea plus à faire 
son paquet en même temps que son chocolat pour aller à Paris, et qu’il 
commença à redevenir plus attentif, plus docile et plus obéissant. 

Dans une troisième séance, il s’endormit plus facilement et plus pro¬ 
fondément encore et, outre les suggestions précédentes, inhibitrices, 
‘concernant les mouvements impulsifs et les troubles du caractère, je 
lui répétai, au point de vue dynamogénique et de l’énergie psychique, 
qu’il serait très studieux et appliqué à l’école, qu’il apprendrait et com¬ 
prendrait mieux, qu’il aurait plus de mémoire, etc. 

Dans une quatrième, puis une cinquième et enfin une sixième séance, 
à deux ou trois jours d’intervalle, je répétai ces suggestions et le résul¬ 
tat fut définitif au double point de vue du redressement, ,de l’orthopédie 
morale et mentale et du développement des aptitudes. Non seulement 
il ne song» plus à fuir l’école, à se sauver à Paris, etc., mais il est 
docile et attentif, il prend du goût au travail, son intelligence s’éveille, 
sa mémoire augmente; il devient un bon élève et fait des progrès assez 
marqués, qui étonnent son maître. Il y a de cela plusieurs mois, et le ré¬ 
sultat se confirme et s’accentue. En outre, il cherche les occasions de 
me manifester son affection et sa reconnaissance. 

‘ II 

Fillette de dou^e ans très vicieuse , menteuse, voleuse, etc., 
guérie par suggestion dans le sommeil naturel. 

Marie S... âgée de 12 ans, brune et vive, est, au point de vue de 
l’hérédité, la fille d’une alcoolique, aux mœurs assez dissolues, comme 
le sont, d’ailleurs, plus ou moins, d’autres membres de la famille. Cette 
enfant est effrontée et pleine de vices, mais surtout menteuse ; elle forge 
à plaisir des histoires incroyables ; elle est aussi voleuse et quelque 
peu impudique, de mauvaise compagnie, enfin, pour ses camarades dont 
les parents l’éloignent autant que possible. 

Un soir qu’une de ses parentes me racontait tout cela, je lui dis qu’il 
faudrait tâcher de modifier ces dispositions en l’endormant du sommeil 
hypnotique. Bien que je n’eusse pas l’intention d’agir tout de suite dans 
ce sens, tout en parlant à cette fillette et en la regardant, je m’aperçois 
qu’elle a une tendance à s’endormir et alors, malgré moi, je suis .porté 
à en profiter; par conséquent j’insiste, je la fixe davantage et la voilà 
tout-à-fait endormie. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 143 

Je lui suggère qu’elle ne veut plus, qu’elle ne peut plus mentir que 
lorsqu’elle sera pour le faire, sa langue ne pourra pas tourner; je répète 
qu’elle a horreur du mensonge, qu’elle ne peut plus jamais prendre ce 
qui ne lui appartient pas, que tout cela lui répugne que lorsqu’elle sera 
sur le point de prendre de l’argent ou toute autre chose qui ne lui 
appartient pas, sa main ne pourra se mettre en mouvement et je lui 
mets sur la table une pièce de monnaie en lui disant de la prendre sans 
qu’on la voie ; elle esquisse un mouvement pour le faire, à plusieurs 
reprises, mais elle ne peut l’achever et finit par dire qu’elle ne veut pas, 
que ce n’est pas bien. 

Je lyi suggère en outre qu’elle est convenable, réservée et même un 
peu timide, comme il convient à une jeune fille, etc. 

Je la réveille de son sommeil quasi-somnambulique et je constate 
l’amnésie au réveil ; elle ne se souvient de rien. Je suis heureux d’avoir 
à faire à un sujet favorable. Le surlendemain, j’ai l’occasion de revoir 
sa tante et sa grand’mère en son absence et j’apprends qu’il y a déjà eu 
un commencement d’effet pour leur fillette, puisque, me disent-elles, 
étant sur le point de mentir comme d’habifude, tout-à-coup elle s’était 
arrêtée en disant: « Non, il rte faut pas que je mente, M. Bourdon ne 
veut pas, et puis ce n’est pas bien... » Et encore ayant été sur le point 
de garder des sous sur l’argent donné pour une commission, comme 
elle avait l’habitude de le faire, subitement prise de remords, elle dit : 
« J’ai encore deux sous, j’allais les garder, mais il ne faut pas, M. Bour¬ 
don ne veut pas, ce n’est pas bien. » 

Heureux de ce premier résultat, naturellement encouragé par ce 
début, mais pensant bien que cela ne suffirait pas, je veux continuer 
mon œuvre par une deuxième séance, mais quel n’est pas mon étonne¬ 
ment de voir le jeune sujet s’enfuir à mon approche, en criant qu’elle ne 
veut pas, et se cacher sans qu’on puisse l’atteindre. 

Comment expliquer cela ? La première fois, elle a été surprise sans 
doute et ensuite la prédominance des mauvais instincts l’emporte ou 
bien elle a honte qu’on connaisse tous ses défauts ou tous ses vices, 
dont l’habitude est pour elle une seconde nature ? Aussi avait-elle 
recommencé à mentir. 

Toujours est-il qu’elle est devenue inabordable et que j’en suis réduit à 
tenter la suggestion à l’état de veille qui devient illusoire et d’ailleurs 
aussi impossible que l’autre, quand elle peut s’échapper. Je suis donc 
obligé d’en venir à la suggestion dans le sommeil naturel, qui présenta 
aussi des difficultés, la rusée coquine se doutant de quelque chose et ne 
s’endormant que très tard. 

Un jour, néanmoins je puis commencer à 10 heures du soir, après 
qu’elle se fût enfuie dans la journée en m’apercevant. 

Depuis une heure elle est endormie profondément. Avec mille précau¬ 
tions, j’approche d’elle le plus possible, tout en évitant de trop m’ap¬ 
procher de l’oreille pour ne pas chatouiller la figure avec l’air expiré à 
chaque émission de voix, d'un rythme lent et monotone, d’une voix 



144 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


d’abord très basse puis s’élevant peu à peu suivant une progression 
régulière, en scandant les syllabes et en observant le synchronisme de 
l’articulation verbale et des mouvements respiratoires, selon la techni¬ 
que indiquée par le D r Paul Farez, je répète longtemps, à plusieurs 
reprises, les suggestions que je lui avais faites la première fois dans le 
sommeil hypnotique, tout cela se fait sans qu’elle se réveille. 

Le lendemain je répète la même chose. Le surlendemain et les jours 
suivants, elle n’a ni menti ni cherché à voler. On a été étonné de son 
changement, de sa réserve, de sa docilité et de son obéissance. Tous les 
deux ou trois jours, plusieurs séances ont été répétées pendant plus de 
vingt jours et toujours de la même façon. 

Le résultat est des plus satisfaisants. Il se maintient après plus d’un 
mois écoulé ; c’est à faire croire qu’il est acquis définitivement. Toute¬ 
fois, je me propose de continuer encore pour consolider la guérison. 

Comme on le voit, si la suggestion dans le sommeil normal réclame 
certaines précautions, présente certaines difficultés, elle offre aussi des 
avantages, puisqu’elle peut se passer du concours du sujet ; elle est, 
d’autre part, aussi efficace que la suggestion dans le sommeil hypnotique 
et pourrait être souvent utilisée. 

III 

Pour mémoire et brièvement, je rappellerai le cas d’une fillette de 
10 ans qui, à la suite d’une grande peur, était devenue comme idiote, à 
moitié folle, et paraissait avoir perdu toutes ses facultés. 

Lucie B..., d’un bon tempérament et exempte de tare héréditaire, 
était malade depuis près d’un an ; elle riait continuellement sans motif, 
avait perdu l’intelligence et la mémoire, lesquelles étaient très dévelop¬ 
pées chez elle. Ne comprenant plus rien et ne pouvant plus apprendre, 
elle avait quitté l’école où elle était une des premières. Le physique 
allait de pair avec le moral et l’intellect ; l’appétit était perdu, la nutri¬ 
tion s’en ressentait, il y avait dépérissement et la santé générale péri¬ 
clitait. 

Elle fut facilement hypnotisable et très suggestible en raison même 
de son intelligence native. 

Trois séances de suggestion hypnotique suffirent à la guérir, à lui 
faire recouvrer, avec l’appétit et les forces, toutes ses facultés de 
compréhension, d’intelligence et de mémoire : le résultat fut durable et 
définitif. 

IV 

Spleen , dégoût de la vie , alcoolisme , efc., à la suite de chagrins . — 
Guérison par la suggestion hypnotique . 

Victor B., 26 ans, de tempérament un peu nerveux et sans tare héré¬ 
ditaire appréciable, est malade, dit-il, depuis deux ans, de cette mala¬ 
die mentale caractérisée par l’ennui, le spleen des Anglais; depuis deux 
ans, il est en proie à un dégoût profond de la vie, à la suite de chagrins 



SOCIÉTÉ d’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


145 


d’amour, qu'il n’a pu surmonter; il y pense toujours ; rien ne lui sourit, 
dit-il, rien ne le distrait, il se décourage facilement; d’où cet esprit 
faible a été amené, comme on dit, à noyer son chagrin dans le vin, à 
boire et aussi à fumer toutes les fois qu’il en trouve l'occasion (relative¬ 
ment rare parce qu’il est employé et n’a que de rares sorties), ce qu’il 
ne faisait pas auparavant, étant très sobre. Il le regrette beaucoup, il 
sent sa faiblesse dans l'adversité et il en est désolé, d’autant plus qu’il 
est plus intelligent et sans mauvais instincts. Il est très sensible, très 
impressionnable, a une grande mobilité de caractère; il paraît toujours 
triste et préoccupé, un peu timide, a été quelquefois traversé par des 
idées de suicide. Il a parfois des tendances aux syncopes. 

Il était autrefois somnambule et l’est encore un peu, il a parfois des 
rêves, dans lesquels il marche, agit et parle sans s’éveiller. 

Il désire beaucoup guérir et il l’espère depuis qu’il a entendu parler 
des bienfaits de l’hypnotisme et j’ai constaté qu’il était hypnotisable et 
suggestible. Oe sont là, en effet, de bonnes conditions pour la restaura¬ 
tion d’une volonté malade. 

Vient enfin la première séance, attendue par lui avec impatience et 
dans laquelle il est endormi assez facilement par le regard et la parole, 
en état de somnambulisme (anesthésie, etc.) Je lui suggère qu'il ne 
pense plus aux causes de ses chagrins d’autrefois, qu’il ne veut plus, 
qu’il ne peut plus y penser, que ses chagrins d’ailleurs, n’existent plus 
et que l’ennui, le dégoût de la vie, qui en ont été la conséquence, ont 
disparu avec eux et que, par suite, l’idée, le besoin de boire et de fumer 
pour oublier, ont disparu en même temps. Il ne peut plus boire ni fumer ; 
n’en ayant plus besoin ; il ne le veut plus ; sa volonté redevient ce qu’elle 
était autrefois; il retrouve sa sotfriété. Il n’a plus de faiblesses, plus de 
tristesse, plus d’ennui, ni de dégoût de la vie, plus d’idées de suicide, il 
rentre en possession de sa force de caractère, de sa gaieté naturelle. Il 
n’a plus non plus jamais de tendance aux syncopes. Il dort bien toutes 
les nuits, tranquillement, sans rêver, ni marcher, ni parler. 

Ayant répété plusieurs fois ces suggestions, avec force et conviction, 
je le laisse dormir près d’une heure, pendant laquelle il n’entend que 
ma parole et est insensible à toute excitation étrangère. A son réveil, je 
puis constater une amnésie complète. Il se sent très bien, semble heu¬ 
reux et moins disposé à la tristesse. 

A la deuxième séance, qui a lieu trois jours après, le résultat est déjà 
sensible. Il avoue n’avoir plus ressenti l'ennui et le dégoût de tout, au¬ 
tant qu’auparavant. Il a eu l’occasion de boire et l’a évitée, il se sent 
moins faible de volonté, il espère beaucoup et a confiance dans la gué¬ 
rison finale. Il a hâte d’être endormi et le sommeil vient en quelques 
minutes, profond et somnambulique. Les suggestions sont répétées plu¬ 
sieurs fois avec patience. Je lui dis de prendre un verre de vin et une 
cigarette qui sont sur la table à sa portée; il fait des tentatives légères 
pour obéir à la suggestion, mais j’ajoute qu’il ne peut pas les prendre et 
il finit par dire qu’il n’en veut pas, qu’il ne veut plus boire ni fumer. Il 



146 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


dort encore pendant une heure, le sommeil prolongé aidant à la guéri¬ 
son. Au réveil, il se trouve encore très bien et de moins en moins enclin 
à la tristesse et à l’ennui, avec une volonté plus forte. 

A la troisième séance, il m’annonce qu’il y a encore du mieux en lui 
et l’on peut constater en effet que la restauration de la volonté et du 
caractère s’accentue de plus en plus. Il s’endort très vite et profondé¬ 
ment comme aux séances précédentes, les suggestions sont répétées à 
plusieurs reprises ainsi que l’expérience du verre et de la cigarette; 
dont il ne veut pas davantage; il n’en a plus besoin, dit-il, puisqu’il n’a 
plus d’ennui et ne pense plus à ses chagrins d’antan et qu’il veut rede¬ 
venir un homme, etc. A son réveil, il paraît de plus en plus heureux. 

Tous les deux ou trois jours, ces séances sont répétées pendant près 
de six semaines, après lesquelles Victor B., débarrassé de son spleen, 
de son dégoût de la vie, etc., ne boit plus, ne fume plus, n’est plus le 
jouet des moindres impressions ; il parait tout-à-fait guéri et avoir re¬ 
couvré sa gaieté, son caractère et sa volonté. Il n’y a de cela encore que 
. quelques semaines, mais il y a tout lieu d’espérer que le résultat sera 
durable ; je vais l’observer encore et, si besoin est, je me propose de 
revenir à la charge pour assurer et consolider la guérison. Il est évi¬ 
dent que c’était là un sujet favorable, qu’on ne rencontre pas tous les 
jours, mais le résultat n’en est pas moins intéressant à signaler. 

Voilà donc des faits remarquables, après beaucoup d’autres. Quels 
moyens autres que la psychotérapie auraient pu fournir de semblables 
résultats? devrait-on se demander. Quand nous disons que cette bran¬ 
che si importante de la thérapeutique n’est malheureusement pas assez 
dans la pratique courante et qu’il est regrettable pour la science et la 
société, que les médecins entrés dans cette voie soient encore une infime 
minorité, nous croyons être dans le vrai et ne cesserons de le répéter, 
étant donné le bien énorme qui pourrait résulter d’un état de chose 
différent. 

Nous ajouterons que les médecins devraient aussi combattre un peu 
plus le préjugé, (entretenu par certaines gens), qui consiste à avoir 
peur de l’hypnotisme dont il faudrait au contraire travailler à faire 
comprendre les bienfaits au lieu de laisser croire à ses dangers illusoires. 


Les agents provocateurs de l’hystérie chez quelques animaux 

par M. Lépinay, médecin-vétérinaire 

Cette communication aurait dû être précédée d’une étude de la men¬ 
talité des animaux, de leur degré d’intelligence et de suggestibilité. 
J’ai l’honneur de m’adresser à un milieu connaissant la question et bien 
évidemment d’avis que l’animal ne possède pas que de l’instinct, mais 
aussi de l’intelligence, une intelligence moins développée que la nôtre, 
mais susceptible d’éducation, et de développement. 



SOCIÉTÉ d’hypnOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 147 

Il en résulte que leur nervosité est comparable à la nôtre, et que nous 
retrouvons chez eux des états pathologiques analogues aux nôtres, tout 
aussi bien pour le corps que pour le cerveau. 

En somme l’hystérie existe chez les animaux; Eleti, Olver et notre 
grand maître Charcot l’ont remarqué nombre de fois et nous ont trans¬ 
mis leurs observations. 

Il suffira à mes confrères et à ceux qui s’occupent de nos frères infé¬ 
rieurs (?) de réfléchir et d’observer pour compléter ces travaux et rendre 
à l’hystérie ce qui lui appartient. Dans les nombreuses maladies ner¬ 
veuses que nous sommes appelés à constater, le plus souvent l’animal 
atteint de troubles aussi graves que ceux provoqués par un état hysté¬ 
rique, est inutilisable et rapidement sacrifié, l’examen en est incom¬ 
plet et puis la question est si neuve que peu de vétérinaires oseraient 
poser le diagnostic hystérie; on parle d’épilepsie et surtout de rage. 

En effet, tout ce qui est trouble nerveux, particulièrement chez le chien 
et le chat, est mis à l’actif de la rage ; les médecins-vétérinaires eux-mê¬ 
mes voient de la rage, partout, ne cherchent plus à faire un diagnostic 
différentiel, à tel point que, comme l’écrit humoristiquement un publiciste 
distingué, Paul Degouy « jamais on n’a tant pris de mesures contre les 
enragés, jamais on n’en a tant abattu, jamais on n’a vacciné autant de 
gens, jamais le public n’a été autant prévenu, et, malgré tout, à en 
croire les statistiques, le nombre des cas de rage augmente chaque jour, 
dans des proportions si considérables, que l’Institut Pasteur, le seul à 
bénéficier de la panique, va devenir trop petit, et qu’il y a lieu de se 
demander si les assureurs ne seraient pas les incendiaires. 

Je me garderai bien d’être aussi sévère pour une certaine classe de 
savants, mais il n’en est pas moins vrai que les cas de rage sont bien 
moins nombreux qu’on ne le dit et que, bien des fois, on se trouve sim¬ 
plement en présence de crises hystériques. 

Je reviendrai sur cette question et la traiterai quelque jour à fond, 
aujourd’hui je me contenterai de parler des agents provocateurs. 

Je prendrai comme guide, dans cette étude, un remarquable ouvrage 
de M. Georges Guinon, ancien chef de clinique du professeur Charcot, 
Les agents provocateurs de l’hystérie. 

Les agents provocateurs sont chez les animaux presque aussi nom¬ 
breux que chez l’homme. Nous allons les passer rapidement en revue. 

Emotions morales vives. — Les émotions morales ne sont pas géné¬ 
ralement très vives chez les animaux, dont la compréhension est bien 
un peu obtuse, à part chez quelques sujets spéciaux, éduqués, raffinés; 
malgré cela, elles peuvent être ressenties suffisamment pour produire 
un choc nerveux et provoquer des phénomènes hystériques. 

La peur, et je citerai notamment la peur qu’ont les chevaux des ma¬ 
chines à vapeur, des automobiles, a fait naître, chez quelques-uns, des 
tremblements, des boiteries, des pseudo-paralysies, dont la véritable 
origine est passée inaperçue. La peur de la correction chez les petits 
animaux, la joie de revoir le maître bien aimé ont donné naissance à 



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REVUE DE L'HYPNOTISME 


des crises plus ou moins persistantes mises au compte de l’épilepsie. 
Une chienne de mes clientes, est mise chaque année en pension au mç- 
ment des vacances; au retour, il faut avoir bien soin de ne pas remettre 
en contact maîtresse et chienne, sans cela celle-ci présente une crise 
qui se répète pendant quelques mois. 

Voici un cas de troubles hystériques provoqués par la peur et relatés 
par le D p Hygyer de Varsovie. 

Le serin du D r Hygyer fut le héros de l’histoire. La frayeur fut 
l’agent provocateur de la crise. Le serin exécutait dans sa cage ses 
trilles les plus variés, quand un chat entra brusquement dans la cham¬ 
bre et se précipitant sur la cage, la jeta à.terre. Le Docteur accourut à 
temps pour mettre en fuite l’animal avant que l’oiseau eût été blessé 
ou même touché, mais la secousse avait été telle que le canari gisait 
sans voix et sans mouvement, sur le plancher de la cage. On ne put le 
rappeler à la vie qu’en l’aspergeant d'eau froide. Il reprit alors ses sens 
et, au bout d’un instant, il se mit à sautiller et voleter comme d’habi¬ 
tude. Mais il était devenu subitement muet. L’aphonie totale persista 
pendant six semaines; aussi soudainement qu’il l’avait perdue, il recou¬ 
vra la voix et se trouva en pleine possession de tous ses moyens musicaux. 

Influence du traumatisme. — Le choc traumatique est tout différent 
du choc nerveux, celui-ci est la conséquence d’une émotion vive, celui- 
là d’un accident. 

Bien souvent un cheval victime d’un accident a présenté une boiterie, 
une paralysie sans qu’aucun symptôme apparent pût expliquer d’une 
manière plausible des manifestations aussi graves; et lorsqu’on sacri¬ 
fiait le malade, l’autopsie ne décélait aucune lésion pouvant justifier la 
maladie. 

Les compagnies d'assurance pourraient nous fournir un grand nom¬ 
bre d’observations de ce genre. 

Le D r Hygyer nous cite un autre cas de paralysie hystéro-traumatique. 

Un chat, âgé de neuf mois, fut mordu par un chien qui le poursuivait. 
Le chat s’affaissa aussitôt comme paralysé, et, de fait, à dater de ce 
moment, il ne marcha plus qu'en traînant l’arrière-train. 

Le tiers postérieur du tronc et les extrémités postérieures ‘étaient 
complètement anesthésiés aussi bien que la queue qui avait perdu tout 
mouvement. On n’observa pas l’atrophie des muscles et les sphincters 
restèrent intacts. 

Deux mois environ après l’accident, une servante voulant se rendre 
compte si les chats paralysés retombaient toujours sur leurs pattes, 
comme les chats bien portants, jeta la pauvre bête par la fenêtre du 
premier étage. Le chat tomba en effet sur ses pattes et, résultat mer¬ 
veilleux, au bout d’un instant, détala à toutes jambes. Du coup cette 
nouvelle émotion l’avait complètement guéri de sa paralysie sensitivo- 
motrice. 

Je me souviens de plusieurs cas de chiens devenus aphones à la suite 
d’un accident, d’une bataille avec un congénère, etc. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


149 


La foudre tombant sur une écurie a souvent produit des blessures ou 
des brûlures insignifiantes suivies d’accidents hystériques graves, le 
plus souvent une paralysie ou une contracture. 

Les accidents arrivés depuis quelque temps sur les plots électriques 
ont été tout spécialement étudiés par le vétérinaire Iluet et dans ses 
relations, on y relève des troubles hystériques indéniables. 

Influence des maladies générales et infectieuses. — La gourme, la 
fièvre typhoïde chez le cheval laissent des paraplégies, des embarras de 
la locomotion, des abolitions du hennissement, des affections laryn¬ 
giennes avec cornage, des tics, des troubles cérébraux, qui font naître 
le vice rédhibitoire immobilité, le tout sans lésions, et qui, mieux étudié, 
pourrait certainement, en partie tout au moins, être attribué à l’éclo¬ 
sion hystérique. 

La maladie des jeunes chiens est suivie d’accidents nerveux épilepti¬ 
formes, choréiques, dans lesquels l’hystérie a sa part. 

L’ hyperexcitabilité génésique ; la continence ; la castration. — Il ne 
faudrait pas oublier d’étudier de près les accidents nerveux des juments 
soumises constamment à la reproduction, les animaux et surtout chiens 
et chiennes, chats et chattes, auxquels les maîtres imposent la conti¬ 
nence la plus absolue, malgré la vie continuelle en commun. Ne sont-ce 
pas des crises hystériques, ces fureurs de chiennes inassouvies, accom¬ 
pagnés de paralysies, d’anesthésies partielles et que à tort on qualifie 
sans preuves d’accès de rage? Ne peut-on en dire autant de crises inter¬ 
mittentes de méchanceté, de fureur, présentées par certaines juments 
chez lesquelles la castration même ne donne aucun résultat. La castra¬ 
tion du cheval a quelquefois déterminé des accidents insuffisamment 
étudiés et qui probablement, auraient pu être interprétés par le phéno¬ 
mène hystérique. M. Aruch de l’Ecole-Vétérinaire de Milan a relaté les 
observations suivantes, qui viennent elles aussi à l’appui de ma com¬ 
munication. 

Il s’agit de chiens ayant présenté sous l’impression de causes d’ordre 
moral des troubles nerveux très accentués. 

Un de ces animaux, qui avait déjà dans ses antécédents une maladie 
survenue à l’occasion d’un départ de son maître tomba malade envoyant 
pour la première fois sa maîtresse tenant dans ses bras le nourrisson 
auquel elle venait de donner le jour. C’était une jeune chienne de deux 
ans et demi très intelligente et très caressante. Les troubles qu’elle 
présenta furent d’abord, de la dysphagie, de la toux, de la polyurie, une 
altération de la voix et une humeur capricieuse ; puis une parésie pro¬ 
gressive des membres s’établit, et la bête devint aphone. Il y avait une 
notable diminution de la sensibilité cutanée, sans atrophie musculaire. 
L’administration de noix vomique détermina des convulsions cloniques. 
L’animal ayant été sacrifié, on ne constata, à l’autopsie, aucune lésion 
des centres nerveux. 

Dans le second cas, il s’agit d’un chien de onze ans très casanier 
obèse, affectueux et intelligent, qui fut atteint, pour la première fois 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


d’une attaque convulsive, sans perte de connaissance, à l’occasion d’une 
vigoureuse réprimande de son maître. Depuis ce jour, cet animal était 
repris de semblables accès chaque fois que son maitre rentrait à la 
maison. Les accès de convulsion avaient remplacé les accès de joie 
habituels. 

La troisième observation se rapporte à un jeune terrier de deux ans 
ayant présenté autrefois une paraplégie dont il était guéri depuis un 
an. Sa maîtresse lui ayant donné pour compagne une petite chienne il 
perdit aussitôt sa gaieté et son appétit habituels. Son instinct sexuel, 
jusqu’alors endormi, ne se réveilla que très incomplètement, et des trou¬ 
bles paralytiques multiples se manifestèrent : dysphagie, altération de 
la voix, paraplégie progressive avec conservation des fonctions du rec¬ 
tum et de la vessie. L’administration de noix vomique provoqua égale¬ 
ment des convulsions cloniques chez cet animal, qui guérit très rapide¬ 
ment dès qu’il fut séparé de sa compagne. 

M. Aruch, se fondant sur la nature de ces troubles sur leur marche et 
sur l’absence de lésions visibles des centres nerveux, capables de les 
expliquer, propose de les assimiler aux troubles hystériques observés 
dans l’espèce humain. Ce sont dans tous les cas, des troubles d’origine 
manifestement psychique. , 

J’ai parlé trop brièvement de l’hystérie, j’ai passé rapidement en 
revue tout au moins les principaux agents provocateurs de ces troubles 
psychiques chez les animaux; je n’ai point entendu épuiser la question; 
elle est trop neuve, comme je le disais au début, pour être traitée utile¬ 
ment en quelques minutes; j’ai simplement voulu la mettre à l’ordre du 
jour et attacher le grelot; j’y reviendrai personnellement, mais je vou¬ 
drais voir ceux qui s’occupent de psychologie comparée, je voudrais 
voir mes confrères les médecins vétérinaires, s’intéresser à cette étude 
si alléchante des phénomènes psychiques chez les animaux et venir 
prendre part aux travaux de cette société qui ne cesse de faire des 
études comparées; ils y trouveraient le même accueil que j’y ai ren¬ 
contré et que je n’oublierai pas; ils y puiseraient des connaissances 
bien utiles et apporteraient à nos éminents collègues les médecins de 
l’homme, des aperçus qui, j’en suis convaincu, aideraient la solution des 
problèmes complexes touchant la mentalité des êtres que nous sommes 
appelés à soigner. 

C’est d’ailleurs une union que je demande depuisbienlongtemps, union 
que je souhaite pour la science en général, mais qui surtout a sa raison 
d’être ici. 


Deux cas de sitophobie obstinée chez des aliénés 

par M. le Docteur Gino Maiorfi (de Sienne). 

Quiconque fréquente les asiles d’aliénés observe facilement des cas 
de sitophobie. Les causes de cette grave complication de l’aliénation 


i 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


151 


mentale sont multiples ; mais le plus souvent c’est d’un état pathologi¬ 
que de l’appareil digestif (estomac, intestin) que relèvent la plupart des 
cas de ce genre. Cependant quelquefois le refus de nourriture est sous 
la dépendance d’une fausse sensation, d’une fausse conception, d’une 
idée morbide, insensée, éclose dans le cerveau détraqué de ces mal¬ 
heureux et qui, d’emblée, ou petit à petit, s’est incrustée dans leur pensée, 
au point de se transformer en une idée fixe. Ordinairement la sitopho- 
bie est passagère et, après une période plus ou moins longue, les soins, 
la médication opportune, le passage de la sonde oesophagienne, triom¬ 
phent de ce grave symptôme. Mais, quelquefois, spécialement dans les 
cas d’origine psychique, la sitophobie devient tenace et dure fort long¬ 
temps. 

Dans ma longue pratique à l’asile de Saint-Nicolas de Sienne, j’ai pu 
observer deux cas de ce genre, qui m’ont paru assez intéressants, et 
dont je donne ici la courte observation. 

Le premier cas est celui de Peloni L., âgé de 34 ans, tailleur, de con¬ 
dition médiocre, marié, admis dans l’asile le 6 août 1834. 

Doublement héréditaire du côté des collatéraux, (aliénation mentale 
et crime), atteint de délire hypocondriaque et d’impulsions au suicide, 
il s’est fait avec un couteau sept blessures au côté gauche du thorax, 
mais sans succomber. Il présentait des hallucinations vives et multiples 
de la vue et de l’ouïe, ainsi que des idées de persécution. Le diagnostic 
fait lors de son entrée à l’asile est le suivant : 

« Lypémanie simple avec idées délirantes de persécution, hallucina¬ 
tions de plusieurs sens, impulsions délirantes au suicide. » 

La maladie mentale évolua, chez le nommé Peloni, avec des amélio¬ 
rations et des aggravations. Habituellement taciturne, triste, en proie à 
une insomnie persistante, refusant obstinément de se soigner, il pré¬ 
senta à plusieurs reprises des périodes d’anxiété évidemment produites 
par les hallucinations de l’ouïe qui le tourmentaient sans cesse. C’est 
pendant l’une de ces périodes que, pour la première fois, il refusa toute 
nourriture. D’abord il se montra sitophobe pendant un jour ou deux, 
puis pour trois ou quatre jours, puis pour une semaine ou deux, enfin 
pour des mois entiers, et la sitophobie était 'toujours accompagnée de 
fort accès autoimpulsifs, pendant lesquels il tâchait de se nuire, soit en 
se frappant la tête contre la muraille ou le pavé, soit en cherchant à se 
couper la gorge en l’appuyant sur le tranchant du rasoir, lorsqu’on lui 
faisait la barbe. 

Ces alternatives continuèrent jusqu’aux premiers jours du mois de 
janvier 1885. A partir de ce moment, son état s’aggrava. La sitophobie 
devint presque continue, avec de rares et courtes interruptions ; il refu¬ 
sait obstinément de manger, et lorsqu’on le questionnait il répondait 
qu’on lui interdisait de se nourrir, de répondre, etc., etc. Ces ordres 
venaient des voix qu’il entendait résonner à ses oreilles. La dénutrition 
et la chloroanémie consécutives à l’alimentation artificielle pratiquée 
deux fois par jour s’aggravèrent alors, et le malade, devenu gâteux, 



152 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


était tombé dans le marasme ; il contracta une pleurésie exsudative pu¬ 
rulente dont il ne voulut pas se soigner, et il mourut le 25 juillet 1889. 

La sitophobie dura dans ce cas plus de quatre ans, et, sans la maladie 
qui survint, elle aurait pu durer encore pendant des mois. 

Le second cas est celui de Massarri L., âgée de 42 ans, mariée, 
femme de ménage, admise à l’asile le 21 juin 1896. 

Sa sœur est hystérique, son père alcoolique. 3a fonction menstruelle 
a toujours été anormale et, au moment de* l’admission, les règles sont 
suspendues depuis deux mois. Cette femme a toujours souffert de trou¬ 
bles hystériques qui se sont aggravés à propos de son mariage. Elle 
accuse en effet son mari de l’avoir contagionnée et elle devint très 
jalouse. Ses troubles principaux étaient : idée de suicide, délire vague, 
refus de toute nourriture, spasmes cloniques et toniques des membres 
et du tronc, paralysie de la vessie et attaques classiques de grande 
hystérie. Le début de la maladie remonte au mois de mai de la même 
année. 

Le diagnostic porté au moment de son entrée à l’asile est le suivant : 

« Phrénose hystérique à forme maniaque. » 

Elle est inquiète et agitée; son attention est prompte, sa faculté de 
perception est facile, mais son idéation est obscure et confuse. Elle a 
des idées délirantes relatives à l’appareil sexuel. Elle dit qu’elle est 
remplie, qu’elle a le corps bondé, qu’elle n’est plus pourvue de ses ori¬ 
fices naturels; elle croit qu’elle ne peut plus évacuer son ventre, ni uri¬ 
ner, et, en conséquence, elle crie, s’agite, parfois même se jette par 
terre. Elle prétend qu’elle ne peut plus parler, parce qu’elle a dans sa 
bouche « deux parlements » dont l’un prime l’autre, et c’est précisément 
celui-là qui l’empêche de parler. En effet elle parle en hâchant ses mots, 
en prononçant seulement la première syllabe de chaque mot ; par exem¬ 
ple elle dit : « Oh di ! » au lieu de « Oh dio ! » « non po » au lieu de 
« non posso » « mangia » au lieu de « mangiare ». 

On note aussi de profondes altérations de la sensibilité viscérale ; il 
n’y a pas d’hallucinations visuelles ou auditives, ni d’impulsions aggres- 
sives ou impulsions au suicide, mais refus complet d’aliment, délire 
vague et insomnie. 

Son état est resté pendant quatre années et demie à peu près station¬ 
naire; seulement elle ne parle plus du tout, car le <* parlement du 
silence » a pris le dessus dans sa bouche, depuis deux ans. Habituelle¬ 
ment tranquille, elle éprouve de temps en temps des secousses aux 
extrémités et dans tout le corps, mais ordinairement elle reste dans son 
lit, couchée, dans la même position de décubitus dorsal, une main de 
chaque côté appuyée sur l’oreiller, la paume tournée en haut. 

Elle accepte avec résignation l’introduction de la sonde œsophagienne , 
deux fois par jour; puis elle se tourne sur le côté et crache hors du 
lit un peu de mucus, puis reprend sa position ordinaire, qu’elle ne 
quitte plus que pour descendre de son lit, lorsqu’elle doit aller à la 
garde-robe ou uriner; elle en descend et y remonte toute seule. Elle n’a 




SOCIÉTÉ d’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 153 

jamais eu de vomissement, et au physique elle n’est qu’un peu amaigrie 
et anémiée. 

Dans ce cas donc la sitophobie dure déjà depuis plus de quatre ans et 
demi et promet de durer encore, sans apporter une grave atteinte à la 
constitution de la malade. 

★ 

•¥• * 

Ces deux cas de sitophobie longue et obstinée sont intéressants à plus 
d’un titre et je les ai rapprochés avec intention. 

Tous les deux ont présenté une longue durée, le premier est, il est 
vrai, quelque peu intermittent dans son évolution, mais le second pré¬ 
sente une continuité étonnante et menace de durer encore longtemps. 

Dans les deux cas, la sitophobie ne dérive pas d’un état morbide de 
l’appareil digestif, car alors la dénutrition eut été rapide et la mort n’eut 
pas tardé à survenir. Il s'agit donc de sitophobes obsédés par des con¬ 
ceptions morbides, fausses, idées délirantes primitives fixes ou mainte¬ 
nues par des hallucinations. Celà explique qu’elles durent si longtemps 
et qu’elles résistent au traitement. Dans un petit nombre de cas, où se 
manifeste une chloroanémie précoce, la reconstitution organique peut 
quelquefois amener sinon la guérison totale, au moins une amélioration 
notable de l’état mental. Mais lorsque la maladie dure depuis quelque 
temps, l’état général de l’organisme peut s’améliorer sans qu’il en ré¬ 
sulte aucune modification de l’état psychique. 

Dans le premier cas, la mort a été causée, au bout de quatre ans et 
demi par une pleurésie purulente. Mais dans le second, le sujet conti¬ 
nue à vivre depuis quatre ans et demi, presque cinq ans et probable¬ 
ment restera encore longtemps dans cet état. Cette différence de réac¬ 
tion de l’organisme à la même cause morbide, tient à diverses causes. 
D'abord, si la malade est un peu anémiée, un peu amaigrie, elle est loin 
de présenter la profonde désassimilation dont avait été atteint le nommé 
P.... Puis elle reste toujours dans son lit, dans la même position, sans 
se mouvoir, elle ne fait aucune dépense de force organique. En outre, 
elle n’a jamais souffert d’aucune maladie intercurrente. En dernier lieu 
il ne faut pas oublier que la femme M... est une hystérique et on sait 
que ces malades supportent très aisément les privations de nourriture, 
aussi rigoureuses qu’elles soient, pendant un long laps de temps. J’ai 
actuellement dans mon service une autre hystérique phrénasthénique, 
extravagante et bizarre, qui, d’ordinaire, ne mange par semaine qu’un 
peu de pain et une grosse assiette de vermicelle. » Elle ne se porte pas 
précisément très bien; elle est très maigre, mais elle vit ni plus ni 
moins mal que beaucoup d’autres malades qui mangent à belles dents. 


La cautérisation en Turquie 

Par M. le D r Hikmet (de Constantinople) 

J’ai été envoyé en mission scientifique, en 1885, par Sa Majesté le 
Sultan, et pendant quatre ans j’ai parcouru la Tripolitaine, l’Egypte, 



154 


REVUE DE L’HYPNOTISME 

l’Arabie, l’Asie-Mineure, le Kurdistan, la Perse, les Indes, et ai pu 
étudier dans ces divers pays la pratique de la cautérisation. 

Dans tout l’empire, la cautérisation est pratiquée, mais surtout dans 
le Hedjaz et la Tripolitaine. Elle est faite par des spécialistes qui se 
transmettent la profession de père en fils. 

Les cautérisateurs les plus en renom se trouvent à Grian, petite ville à 
quatre jours de marche de Tripoli-de-Barbarie. 

Pendant quelques mois je me suis mis élève dans l’officine d’un cau- 
térisateur célèbre de cet endroit, « Kâlife ». Elle est tenue par deux 
frères juifs, à barbe longue et aux manières très suggestives. 

Les instruments à cautériser sont en fer, mais non spéciaux à cet 
emploi ; on se sert de pincettes pour le feu, de butons en fer, de clous, 
et môme d’un fer à cheval. Le « Kâlife » avait aussi quelques cautères 
spéciaux avec manche en bois, tels qu’ils étaient usités dans la méde¬ 
cine ancienne. 

Pour l’application il n’y a pas de lieu d’élection ; ainsi on peut parfai¬ 
tement brûler la jambe pour une maladie des yeux : ce qui prouve 
l’action suggestive de ce remède. ' 

Le cautérisateur affirme d’ailleurs qu’un nerf va de la jambe à l’œil 
malade. 

Les Arabes sont peu sensibles à la douleur, et on les opère sans qu’il 
soit nécessaire de les tenir. Il n’en est pas de même des Européens qui 
sont maintenus par des aides ou même liés. On fait d’ailleurs d’énormes 
et profondes brûlures avec le cautère chauffé au rouge cerise : après la 
brûlure, on panse aux baumes (mélange de suif ou de cire avec du 
styrax ou du mastic). 

La cautérisation doit être considérée à quatre points de vue diffé¬ 
rents : 

1° C’est un acte brutal que rien ne justifie et sans efficacité. En bien 
des cas elle doit être ainsi jugée ; 

2° Elle a une action suggestive et calme les douleurs ; 

3° Elle est parfois utilisée d’une façon médicale : j’ai vu pour la scia¬ 
tique mettre le cautère aux points de Valleix. Elle agit alors par réflexe 
comme décongestionnant ; 

4° Elle peut constituer le seul moyen de guérison. J’ai vu guérir ainsi 
une sciatique rebelle à tous les autres traitements. 

Elle est d’ailleurs employée pour toutes les maladies : tuber¬ 
culose pulmonaire, cancer, gastralgie, toutes les névralgies, ophtal¬ 
mies, etc., etc. 

Un médecin en chef des hôpitaux de Constantinople, Ahmed Pacha 
s’en sert systématiquement pour tous les malades quel que soit le 
diagnostic, et il récite en même temps des prières : il réussit souvent et 
aune grande réputation. 

Le cautérisateur se distingue du barbier. La spécialité de ce dernier 
se limite à saigner et à extraire les dents. La saignée est très populaire 
en Turquie, en Perse, surtout en Arabie ; il n’est pas de bains où on 



SOCIÉTÉ D’HYPNOpOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 155 

ne pratique cette opération; les femmes y recourent pour le moindre 
trouble utérin. 

Le cautérisateur, bien que sans diplôme et même illettré, fait le méde¬ 
cin. Il donne des médicaments, panse, pratique des opérations spéciales, 
parfois très délicates et notamment la taille. 

J’ai vu à Tripoli le Kâlife accepter, après plusieurs journées de mar¬ 
chandage, de faire une taille pour trois francs.. 

Le patient fut étendu dans la rue, sur un fumier, maintenu par quel¬ 
ques personnes de bonne volonté. L’opérateur prit dans sa poche un 
canif rouillé, l’aiguisa sur la semelle de son soulier, et fit une incision 
périnéale antéro-postérieure. Comme la plaie saignait, il posait la main 
sur le fumier, puis l'appliquait à plat sur la plaie en guise d’hémosta¬ 
tique. Il arriva ainsi à la vessie, y mit les doigts et en retira une pierre 
grosse comme un petit œuf de poule. Il fit ensuite une couture avec une 
grosse aiguille, trempant de temps à autre sa main dans le fumier et 
demandant aux assistants de tirer le fil. La plaie une fois cousue, il y 
versa de l’eau de neige : cette eau provenant de neige des montagnes, 
dissoute est fort réputée ; il en arrosa aussi un torchon sale qu’il appli¬ 
qua sur la plaie. Il fit porter l’opéré dans une écurie et vint le voir tous 
les jours. La fièvre survint et trois jours après la plaie suppurait, il la 
pansa au baume ; la cicatrisation se fit et le malade guérit. 


Extraction dentaire sans douleur sous l’influence 

de la suggestion hypnotique chez un jeune homme de 17 ans 

Par M. le D r Moiroud, dentiste des hôpitaux 

Le 30 avril 1900, M. D., un de mes clients, m’amenait son fils et me 
priait de l’examiner au point de vue de son appareil dentaire et de lui 
donner les soins spéciaux que je jugerais utiles. 

L’inspection des dents me fit découvrir une légère carie des deux 
incisives supérieures gauches et une carie très avancée avec symptô¬ 
mes de périostite alvéolaire de la première grosse molaire supérieure 
gauche. 

Pour des raisons qu’il est inutile de développer ici, je crois devoir 
conseiller l’extraction de cette dent de préférence au traitement conser¬ 
vateur. 

J’entrepris de suite le traitement des incisives qui furent obturées 
dans une séance ultérieure. 

Quant à la dent dont l’extraction s’imposait, aucune décision ne fut 
prise immédiatement. 

Quelques jours plus tard, il fut convenu avec M. D. père, que l’opéra¬ 
tion aurait lieu sous l’influence de la suggestion hypnotique, son fils, 
très effrayé de l’intervention que j’avais proposée, étant bien résolu à ne 
pas la laisser pratiquer dans les conditions ordinaires. 



156 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Pour obtenir cet état particulier chez son fils, M. D. le conduisit chez 
notre confrère le D r Bérillon. « Tel jour (23 mai 1900), dit notre confrère 
à ce jeune homme, vous irez chez le D r Moiroud ; celui-ci pratiquera 
une injection de cocaïne et vous enlèvera votre dent sans douleur 
aucune ». M. D. père vint me prévenir du résultat de sa visite chez le 
D r Bérillon et me demapder de le recevoir le mercredi 23 mai. 

Le jour convenu, je vis arriver chez moi M. D. fils accompagné de son 
père ; sans mot dire et comme mû par une force invisible, il se plaça sur 
le fauteuil d’opération dans la position la plus favorable. 

Je fis deux piqûres et non deux injections de cocaïne comme à mon 
habitude, car je dois à la vérité de dire que je fis le simulacre de l’in¬ 
jection. 

Après quelques minutes d'attente, pour donner à la cocaïne le temps 
de produire son effet, je plaçai mon davier, et j’enlevai, non sans être 
obligé de déployer une force très grande, une molaire solidement 
implantée avec ses trois racines très écartées. Mon jeune client à aucun 
moment ne témoigna de la moindre sensibilité et garda jusqu’au bout 
une immobilité absolue. 

L'opération terminée, il descendit spontanément du fauteuil d’opéra¬ 
tion. Alors seulement il me parut se réveiller et revenir à son état 
normal. 

Oette observation est intéressante à deux points de vue : 1° La sugges¬ 
tion a donné une anesthésie absolue ; 2° Mais en outre elle a permis une 
opération à laquelle le jeune homme était bien décidé à ne pas se sou¬ 
mettre. 

C’est donc une ressource dans bien des cas chez des sujets pusilla¬ 
nimes, pour leur faire accepter les explorations ou les interventions 
nécessaires. 


Analgésie suggérée pendant le sommeil normal, 

par M. le D r Ange Manfroni (de Turin) 

Un garçon de pharmacie, âgé de 15 ans, souffre beaucoup d’un cor au 
pied droit qui l’empêche, depuis un mois, d’accomplir sa besogne, de 
monter à bicyclette, de se chausser et même de mettre le pied par terre. 
C’est qu’il a irrité ce cor par toutes sortes d’interventions inopportunes ; 
l’infection est survenue avec une zone inflammatoire sur le pourtour et, à 
distance, des traînées de lymphangite. 

Un beau jour, je trouve notre jeune homme en train de dormir sur une 
chaise. Il me vient aussitôt l’idée de profiter de son sommeil pour l’hyp- 
notiser ; j’aurai d’ailleurs là une occasion de contrôler la méthode pré¬ 
conisée par M. Parez. Notons que ce jeune homme avait déjà assisté deux 
fois à des séances d’hypnotisation et, bien qu’il en eût pu constater les 
résultats manifestes, il proclamait que jamais personne ne pourrait l’en¬ 
dormir. 



COURS ET CONFÉRENCES 


157 


M’approchant donc de lui dans les conditions que je viens de rapporter, 
je m’aperçois qu’il dort paisiblement et même qu’il ronfle. Sans le toucher, 
j’applique à la lettre la technique que M. Farez m’a enseignée pendant 
mon séjour à Paris. 

Je ne tarde pas à constater que mon dormeur fait des grimaces comme 
s’il voulait se moquer de moi ou me résister. J’insiste et bientôt j’observe 
le clignotement des paupières ainsique le mouvement des globes ocu¬ 
laires. Je suis convaincu que le malade entre alors dans le sommeil hypno¬ 
tique. En effet, ses membres sont flexibles, malléables, flasques et n’offrent 
aucune résistance. J’enfonce assez profondément une épingle dans la peau 
du visage : je provoque une légère contraction des muscles superficiels, 
mais sans réveiller'le patient. Je lui fais alors la suggestion que sa dou¬ 
leur du pied est disparue et qu’à son réveil il pourra marcher sans diffi¬ 
culté. J’invite enfin le malade à se réveiller; l’hypnotisation a duré un 
quart d’heure. Le malade à son réveil ne se souvient de rien et s’étonne 
de ne plus éprouver aucune douleur. Je lui raconte alors tout ce qui s’est 
passé et je lui répète que la cessation de la douleur va persister. Je n’ai 
pas voulu toucher à son cor ni y appliquer un pansement quelconque, 
désireux de savoir combien de temps durerait l’analgésie provoquée par 
suggestion. 

Depuis deux jours entiers, il n’avait pas souffert et avait même pu 
faire plusieurs courses à bicyclette ; une personne lui marche acciden¬ 
tellement sur le pied : cela suffit pour ramener la douleur qui toutefois 
est moindre. 

N'ayant pas alors de temps à ma disposition, je n ai pas tenté d'autre 
expérience sur ce sujet. 

Je tiens à noter, pour terminer, un point de détail déjà signalé par 
M. Farez : au cours de ma séance de suggestion j’ai pu à volonté modi¬ 
fier le rythme respiratoire de mon dormeur et le rendre synchrone à 
mon rythme vocal. 


COURS ET CONFÉRENCES 


Hystérie et ménopause (*). 

Par M. le P r Raymond. 

Cette femme a 52 ans. Sa mère était une triste et avait de grandes 
crises; son père était nerveux, colère, irritable. Elle a été réglée à 
12 ans. A cette époque, elle commence à présenter des ébauches de 
crise, avec perte d’appétit, bouffées de chaleur, etc. Plus tard appa¬ 
raissent les crises convulsives proprement dites, sans perte de connais¬ 
sance, au moins au début. Elle a la sensation classique de boule qui 

(t) Présentation de malade faite à la clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 



158 


REVUE DE L HYPNOTISME 


remonte, puis du vertige, une tendance à se trouver mal..., elle Se 
débat et tout se termine par une explosion de larmes. Vers 80 ans, tous 
les soirs à 9 heures, elle a des hallucinations visuelles : un ami qu’elle 
a jadis beaucoup affectionné lui apparaît et elle cause avec lui. Dans la 
journée elle a de grandes et de petites crises. Alors, sur le conseil de 
Charcot, elle entre dans une maison d’hydrothérapie et elle se trouve 
bien portante pendant 20 ans. 

Chez cette héréditaire, Tapparition des règles a donc fait appel àl’hys- 
térie : leur disparition va provoquer le retour des phénomènes hysté¬ 
riques. En effet, avec la ménopause, survenue il y a deux ans, les crises 
convulsives ont reparu. 

Aujourd’hui, cette femme présente une analgésie totale absolue. Les 
diverses sensibilités, tactile, thermique, musculaire, articulaire, ainsi 
que la perception stéréognostique sont conservées ; mais on peut piquer 
avec une aiguille et transpercer une région quelconque de la surface 
cutanée : cette malade ne sent absolument rien et regarde impassible 
.les piqûres qu’on lui fait. Dans d’autres cas, c’est le sens stéréognos¬ 
tique seul qui a disparu alors que les autres sensibilités restent in¬ 
tactes. L’hystérie est capable, à elle seule, de réaliser ces dissociations 
de la sensibilité, tout aussi bien que les injections.sous-arachnoïdienhes 
de cocaïne ou que la syringomyélie, le tabes, la syphilis cérébro-spi¬ 
nale, etc. Il ne faut donc pas se fier uniquement aux troubles de la sen¬ 
sibilité pour faire des diagnostics différentiels. 

Actuellement, cette femme présente encore un autre phénomène 
curieux. La nuit, elle dort profondément et se trouve comme « enfouie 
dans son sommeil » ; mais, à 4 heures du matin, elle s’arcboute sur les 
mains, d’une part, sur les talons, de l’autre, puis se soulève et retombe 
tout d’une pièce. Cela se répète régulièrement toutes les cinq minutes 
pendant deux ou trois heures. La malade possède alors toute sa luci¬ 
dité d’esprit; elle est très consciente de ce qui se passe. Si elle se lève, 
elle sort complètement de son sommeil et ces phénomènes cessent; si 
elle se recouche, ils se reproduisent. Il y a là une sorte de tic rythmé 
très fréquent dans l’hystérie. Ce tic se passe dans le champ de l’auto¬ 
matisme ; il s’accomplit en dehors de la volonté, malgré elle, et répond 
à un rêve oublié. 

Enfin, quand cette malade a eu dans la journée une violente émotion 
ou une forte crise, elle présente un piqueté hémorrhagique au pourtour 
des yeux et des seins. On a prétendu à tort que ce piqueté, semblable à 
des piqûres de puces était spécial au mal comitial ; chez cette femme 
il s’agit seulement d’un accident hystérique. 

Le traitement de cette malade peut se formuler ainsi : la remonter au 
physique et au moral, la rassurer, la calmer, attirer souvent son atten¬ 
tion sur ses troubles de sensibilité, en somme la tonifier et la sugges¬ 
tionner. 



CONGRÈS 


159 


CONGRÈS 


Sur la théorie de l’obsession (V 

Par M. le D r F.-L. Arnaud (de Vanves) 

On a appliqué à l’obsession l’une et l’autre des deux théories princi¬ 
pales de l'émotion, la théorie intellectuelle et la théorie physiologique . 
Ces deux théories paraissent également insuffisantes pour expliquer cet 
état morbide. 

La théorie intellectuelle néglige presque absolument les symptômes 
organiques, elle admet que tout vient d’en haut, c’est-à-dire de l’idée 
dont les autres symptômes sont de simples réactions. On lui objecte que 
l’idée ne devient obsédante que grâce à l’existence d’un trouble préala¬ 
ble ; les obsédés sont des malades avant d’avoir des obsessions précises. 
En outre, dans certaines obsessions, les symptômes émotifs précèdent 
et annoncent l’apparition de l’idée. D’un autre côté, la marche de l’obses¬ 
sion par accès, le défaut de rapports constants entre la nature dp l’idée 
obsédante et l’intensité de l’angoisse, la variabilité de l’idée (dans les 
cas de panophobie, par exemple) comparée à l’identité des symptômes 
émotionnels, etc., tout cela s’accorde mal avec l’hypothèse qui attribue 
à l’idée un rôle toujours prépondérant dans l’obsession. 

Inversement, la théorie physiologique ou émotive (Lange, W. James, 
Ribot, etc.) exagère l’influence des troubles vaso-moteurs et de l’expres¬ 
sion émotive, au détriment des centres cérébraux supérieurs. Il n’est 
pas du tout prouvé que, toujours, nous soyons tristes parce que nous 
pleurons ou effrayés parce que nous tremblons ; il s’en faut qu’il y ait 
toujours parallélisme entre l’intensité de l’émotion et son expression. 
Dans bien des cas, il paraît évident que l’émotion nait de l’idée ; à plus 
forte raison pour l’obsession, dans laquelle l’élément intellectuel est 
plus important que dans l’émotion simple. 

Nous pensons que le rôle essentiel, dans la genèse de l’obsession, 
appartient aux troubles de la volonté . Si l’on étudie l’état des obsédés, 
en dehors de leurs crises angoissantes, on reconnaît que ces malades 
sont tous des abouliques, qu’il s’agisse des mouvements ou des idées. 
L’étude des mouvements volontaires est, à cet égard, très instructive 
chez les obsédés. On retrouve ces troubles moteurs dans la folie du 
doute , type des obsessions dites intellectuelles , aussi bien que dans les 
diverses phobies. C’est la perte ou l’amoindrissement considérable du 
contrôle de la volonté qui permet la formation de systèmes psychologi¬ 
ques, produits de l’automatisme, qui s’imposent à la conscience et qui 
l’obsèdent. 

En résumé, l’obsession morbide est un phénomène très complexe, 
dont la condition fondamentale est un trouble primitif et généralisé, 
affectant les éléments moteurs communs à la volonté et à l’intelligence; 

(1) Congrès des aliénistes et neurologistes, 1901. 



160 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


ce trouble est une aboulie permanente qui préexiste aux obsessions et 
les prépare. L’influence des idées et des émotions se fait sentir dans le 
développement, dans l’orientation et dans l’intensité de l’obsession, ainsi 
que dans l’apparition et le rappel des accès. Mais l’obsession est, avant 
tout, une maladie de la volonté. 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

Les prochaines séances de la Société auront lieu le mardi 19 novem¬ 
bre et le mardi 17 décembre 1901. 

Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. * 

Adresser les communications à M. le D r Bérillon, secrétaire général, 
14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place 

Jussieu. 

\ 

Un hypnotiseur de serpents. 

Il existe à Delhi, dans l’Inde anglaise, un spécialiste, nommé Kullan, 
qui, pour capturer le serpent, procède par hypnotisme. Quand il a dé¬ 
pisté un reptile, il le force à quitter son trou en fourrageant dans celui- 
ci avec une longue baguette ; la bôte apparaissant, Kullan se dandine 
rythmiquement devant elle en la regardant fixement. Le serpent dresse 
sa tête et la balance selon la mesure indiquée par l’homme ; dès que le 
reptile commence à s’engourdir, l’hypnotiseur lui fait devant les yeux 
des passes lentes et méthodiques, puis il le saisit doucement par le cou 
et l’enfourne dans son sac. 

En rentrant de cette chasse qui lui fournit en moyenne une douzaine 
de cobras par jour, il retire un à un ses reptiles du sac et les étrangle à 
moitié pour les forcer à ouvrir la gueule toute grande dans laquelle il 
jette alors une petite boule de verre creuse et dont la paroi est percée 
d’un trou. Le reptile, une fois libre de nouveau, se met en fureur, bave 
tout son venin sur la boule et une partie du terrible liquide pénètre 
dans celle-ci comme en une fiole. Ce venin, Kullan le cède moyennant 
une guinée par mois, au D** palmette, pour la production du sérum con¬ 
tre la morsure des serpents. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 





REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N° 6. Décembre 1901. 

Physio-psychologie des religieuses 

Par le D r Charles Binet-Sanglé 


Les religieuses de Port-Royal (suite) (') 
(Troisième série de cinq observations) 


t 

Observation II. — Marguerite d’ANGENNES 

hérédité. — Je n’ai pas retrouvé le nom de Marguerite 
d’Angennes dans l’article du Dictionnaire de Moréri consacré à 
cette famille, et j’ignore les liens de parenté qui pouvaient 
l’unir à Henriette-Marie d’Angennes du Fargis. 

ETAT GÉNÉRAL. 

Tuberculose pulmonaire . — Autant et plus que beaucoup de 
maladies, la tuberculose pulmonaire modifie l'étal mental. 
Aussi, chez Marguerite d’Angennes, qui, à ce qu’il semble, fut 
tuberculeuse dès l’âge le plus tendre, ce sera la tuberculose 
que j’étudierai d’abord. 

Marguerite d’Angennes naquit en 1643. En nourrice, « il lui 
vint un mal dont elle ne fut pas bien pensée (sic) ; de quoi elle 
eût une jambe plus courte que l’autre et fut boiteuse toute sa 
vie » ( 1 2 ). Il s’agissait vraisemblablement, si l'on en juge parce 
qui va suivre, d’une tuberculose osseuse ou articulaire, peut- 
être d’une coxalgie. 

A 16 ans (24 janvier 1659), elle entra au monastère du Port- 
Royal des Champs, et « dans ce commencement elle ne se porta 
pas bien » ( 3 ). « Au bout de neuf mois qu’elle eût passés dans 
le noviciat, s’acquittant de toute sa Règle avec une exactitude 


(1) V. Revue de l’Hypnotisme. Numéro précédent. 

(2) Vies intéressantes, etc., t. III, p. 210 

(3) Ibid. III, 215. 


G 




162 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


extraordinaire, elle tomba dans une maladie qui l’a conduite 
lentement à la mort » ('). La relation de cause à effet entre 
l’hygiène déplorable des religieuses et le développement 
du bacille tuberculeux est ici presque soulignée. 

Cette « maladie qui servit à la purifier... fut une toux accom¬ 
pagnée d’un crachement de sang » ( 1 2 ). En effet, le 23 octobre 
1659 (16 ans), « il lui prit, dit sa biographe, Angélique Arnauld 
d’Andilly, une fort grande toux, et en même tems un crache¬ 
ment de sang dont celles qui étoient avec elle s’apperçurent 
avant qu’elle le dit. Cela fut si violent qu’elle jeta dix à douze 
palettes de sang pendant qu’on étoit venu nous avertir » ( 3 ). Cette 
hémoptysie « qui faisoit horreur,., dura près d’une demi-heure 
avec très peu d’intervalle, et lui reprit encore un quart d’heure 
après. Je commençai pour lors à douter de sa vie, tant le sang 
l’étouffoit, dont elle jetta pour le moins vingt palettes ( 4 ) cette 
première fois ». Elle eut une syncope, « on la saigna ( 5 ), et 
on lui donna d’autres petits remèdes » ( 6 ). « Ce crachement de 
sang lui reprit plusieurs fois pendant deux ou trois jours, mais 
avec moins de violence » ( 7 ). Elle était dès lors « dans un tel 
état, que son père eût eu assez de peine à trouver un couvent 
(autre que Port-Royal) qui voulut s’en charger » ( 8 ). Il avait 
en effet songé à la retirer de Port-Royal. 

« Vers la mi-carême (même année 1659), elle recommença à 
cracher le sang, et quoique cela ne dura guère, elle en demeura 
beaucoup plus mal que l’autre fois, son poumon paraissant 
tout à fait affecté, et sa toux accompagnée d’une fièvre lente 
se rendant fréquente et violente. Depuis cela ellç a toujours 
empiré et diminué peu à peu » ( 9 ) . La fièvre redoublait « toutes 
les après-dînées avec un grand frisson » ( 10 ). 

(1) Vies int. III, 225-6. 

(2) Nécrol. des plus célèbres dé/, de la vérité 

(3) Vies int., III, 227. 

(4) La palette était un petit récipient destiné à recueillir le sang, et qui en con¬ 
tenait d’ordinaire 125 gr. L’hémoptysie aurait donc été de 2 litres et demi. Mais il 
est probable qu’on vidait la palette avant qu’elle fût complètement pleine. Bien 
que la quantité de sang expectorée dans l’hémoptysie tuberculeuse ne dépasse guères 
un litre, elle peut être beaucoup plus considérable. Laënnec parle d'un jeune homme 
qui perdit ainsi 5 kilogr. de sang en 24 heures. 

(5) C’était la saignée dérivative, employée jadis contre l’hémoptysie, et qui réus¬ 
sissait parfois, en déterminant un spasme réflexe des vaisseaux du poumon. D’ail¬ 
leurs, on abusait de la saignée au xvn* siècle, et cet abus doit être rangé parmi les 
causes de l’hystérie à cette époque. Si l’on songe que les religieuses de Port- 
Royal s’entresaignaient à toute occasion, souvent même pour des accidents hystéri¬ 
ques, on conçoit à quel degré de gravité pouvait atteindre cette maladie. 

(6) et (7) Vies int. III, 227-8. 

(8) et (9) Ibid. III, 225-6. 

(10) Ibid. III, 260. 


PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


163 


Elle resta huit ou neuf mois à l’infirmerie du noviciat, sans 
toutefois garder le lit. Il y eut, pendant cette période, une 
rémission de deux mois. Elle « s’aflaiblissoit... beaucoup, et 
elle devint vers le mois de juin (1660,17 ans) en état qu'elle... 
ne pouvoit plus descendre pour communier. » Ses nuits se pas¬ 
saient « à tousser sans, dormir avec des sueurs fort grandes 
qui l’affaiblissoient beaucoup, sans parler d’un dévoiement 
continuel. » (*). 

Trois mois environ avant sa mort, c’est-à-dire vers le 30 juil¬ 
let 1660, le mal s aggrava. « Elle n’avait plus de repos les 
nuits », qu’elle « passait souvent avec une toux violente et pres¬ 
que continuelle »( 1 2 >. « On fut d’avis quelle prît des petits grains ( 3 ) 
pour la faire dormir. Le premier qu’elle prit ne produisit pas 
cet effet ; mais il charma son mal et sa toux, et la laissa dans 
un fort grand calme d’esprit qui est un effet assez ordinaire 
de ce remède ». 

Pendant les deux derniers mois de sa vie (août et septembre 
1660), on nous signale chez elle un symptôme intéressant, « une 
faim qui la dévoroit, et qui lui prenoit régulièrement avec le 
redoublement de la fièvre : cette faim était si violente qu’elle 
ne pouvait penser à autre chose. » ( 4 ) C’est la boulimie hystéri¬ 
que, l’hystérie, c’est-à-dire la dégénérescence des neurones, 
ayant été probablement déterminée chez elle par le poison 
tuberculeux. 

Elle était devenue très maigre. 

« Quinze jours avant sa mort... l’affaiblissement extrême de 
son corps la rendait incapable de toutes sortes d’occupations, 
et d’appliquer son esprit à quoique ce fut » ( 5 ). 

Elle mourut à la chute des feuilles. 

En effet, le 29 septembre 1660, « elle passa tout le jour... dans 
une fort grande agitation de sa toux et de son oppression qui 
étaient fort grandes »( 6 7 ). A cinq heures du soir, elle fut très mal, 
mais « au bout d’une heure et demie, son oppression et sa toux 
diminuèrent » (’). Néanmoins « elle fut toute la nuit dans une 
situation bien fâcheuse » ( 8 ). Le 30 septembre, l’oppression 

(1) Vies III, 246. 

(2) Ibid. III, 233. 

(3) Probablement des grains d'extrait d’opinm. 

(4) Vies III, 243. 

(5) Ibid. III, 231. 

(6) Ibid. III, 260. 

(7) Ibid. III, 260. 

(8) Ibid. III, 261. 



1 


164 REVUE DE L’HYPNOTISME 

augmenta peu à peu, et, à deux heures après midi, l’agonie 
commença, accompagnée de sueur. La mort survint à trois 
heures et demie. L’affection datait de onze mois. 

Un fait trouve ici sa place. Le 30 septembre, Angélique Ar- 
nauld d’Andilly amena auprès de la moribonde « la petite demoi¬ 
selle Dalbert. » « Je lui dis, dit Angélique, que j’avais désiré 
qu’elle la vit en l’état où elle était, parce qu’il est utile aux 
enfants d’avoir quelque impression dans les sens de ce que 
c’est que la mort » (*). Tant il est vrai que les religieux ne 
négligent aucun moyen de suggestion. 

imagination et intelligence. — La tuberculose pulmonaire 
détermina chez Marguerite d’Angennes un affaiblissement de 
l’imagination et de l’intelligence. « La défaillance universelle 
de son corps... affaiblissoit la vigueur de son esprit » (*). Elle 
ne pouvait plus « s’appliquer à Dieu par l’esprit et par la pen¬ 
sée. » ( 2 ) Elle se plaignait de « sa stupidité pour s’appliquer 
âux choses spirituelles, et des distractions où elle se trouvoit 
pour des choses basses qui ne regardoient que son corps » ( 3 ). 

Joie et tristesse. — Au moment où elle entra à Port-Royal, 
elle était d’un caractère enjoué, et « il y avoit... plusieurs 
petites choses comme les coulpes qui se disent aux assemblées, 
d’avoir perdu, rompu, cassé quelque chose qui lui donnoient 
envie de rire » ( 4 ). Mais ensuite on ne nous parle plus que de 
sa tristesse, soit qu’il se fût produit chez elle une conversion 
de l’émotivité, parallèle à la conversion religieuse et due au 
régime du couvent, soit que cette altération eût été la consé¬ 
quence du progrès de la tuberculose pulmonaire. « J’ai eu bien 
souvent de la peine, dit Angélique Arnauld d’Andilly, à modé¬ 
rer ses larmes et à consoler son esprit de la douleur que lui 
causoient ses moindres manquemens et la vue de ses infidé¬ 
lités envers Dieu et de son peu d’amour pour lui, dont elle s’ac- 
cusoit toujours. » ( 5 ) « Je l’ai vue pleurer deux ou trois fois avec 
beaucoup de douleur, dit-elle encore, d’une petite antipathie 
naturelle qu’elle ressentoit pour une personne. » ( 6 ). 

colere. — Aussi bien elle présentait une certaine inclination 
à la haine et à la colère. Un jour, dit encore sa biographe, 

(1) Vies , III, 252. 

(2) Ibid. III, 233. 

(3) Ibid. III, 255. 

(4) Ibid. III, 215. 

(5) Ibid. III, 223. 

(6) Ibid. III, 239. 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


165 


« elle vint, pour ainsi dire, nie faire sa confession générale avec 
une douleur aussi grande que si elle eût fait des meurtres, de 
toutes les impatiences et les colères auxquelles elle avoit été 
sujette par son naturel pendant qu'elle étoit dans le monde » (*). 
Lors de l’hémoptysie du 23 octobre 1659, « elle dit que depuis 
quelques jours elle avoit senti des mouvements d’impatience et 
de promptitude, qui auroient été de la colère comme autrefois, 
si elle en eût eu l’occasion » ( 1 2 ). Il semble ici que l’intoxication 
tuberculeuse ait joué un rôle. 

crainte. — « Elle avoit une appréhension naturelle à être 
saignée » ( 3 ). 

Le crachement de sang dont il est question plus haut déter¬ 
mina chez elle une « appréhension de mourir », parce que, 
disait-elle, « elle n’étoit pas encore convertie » ( 4 ), et, « toutes 
les fois quelle le sentoit venir, son appréhension de mourir 
redoubloit » ( 5 * ). 

Mais plus tard, et alors que la phthisie était en pleine évolu¬ 
tion, elle désirait la mort, et « avoit de la compassion pour 
celles qui paroissoient la craindre » ( G ). Elle parlait même 
de ce désir aux autres « avec tant d’ardeur et de piété qu’en 
effet elle en persuada quelques-unes » ( 7 * * ). 

Toutefois « Dieu l’éprouva les six dernières semaines par un 
état intérieur tout-à-fait pénible » (8). En effet, « elle fit bien voir 
à la fin de sa maladie que les nuits lui étoient devenues si 
fâcheuses que, quoiqu’elle ne se plaignit point des autres maux, 
elle m’exprima la peine qu’elle souffroit de cette effroyable 
inquiétude et cet anéantissement où elle croyoit tomber dès 
qu’elle pensoit un peu fermer les yeux » (9). Et la veille du 
dénouement, bien qu’elle montrât « une douceur d’esprit et 
une égalité admirable », néanmoins « la pensée de la mort 
lui donnoit de tems en tems des inquiétudes » ( 10 ). 

suggestibilité. — « Destinée par M. son père, cadet de sa 
maison, à être Religieuse » ( J1 ), elle subit les suggestions de 


(1) Vies int. III, 224. 

(2) Ibid. III, 228. 

(3) Ibid. III, 220. 

(4) et (5) Ibid. III, 228. 

(6) et (7^ Ibid. III, 247. 

(8) Ibid. III, 252. 

(9) Ibid. III, 257. 

(10) Ibid. III, 260. 

(11) Nécr . des plus célèbres dèf. de la vérité . 



166 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Mme de Fontaineriant, sa tante, ainsi que celles de de Séez, 
docteur en théologie et prédicateur; et elle s’imprégna si bien 
de la Fréquente communion d’Antoine Arnauld, qu’ « elle ne 
pouvoit souffrir de personne aucune contradiction sur cette 
matière » ( , ). 

Elle avait paru entrer dans le dessein de son père, à la 
condition toutefois qu'elle se retirerait à Port-Royal-des- 
Champs. Elle y prit en effet l’habit de postulante le 24 janvier 
1659 (16 ans). 

« Entrée au cloître à 16 ans, sans aucun dessein d’y demeurer, 
elle fut bientôt après si puissamment touchée de Dieu, qu’elle 
embrassa avec ferveur tous les exercices réguliers, et devint 
en peu de temps l’exemple de tout le noviciat par une parfaite 
docilité et son exactitude à toutes les observances » ( 1 2 ). Cet état 
d’esprit coïncidait avec les premières manifestations de la 
tuberculose pulmonaire. 

Sur ces entrefaits, « M. son père, prévenu par les faux bruits 
répandus contre cette sainte maison » ( 3 ), voulut s’opposer à ce 
qu’elle y fit profession, et écrivit dans ce sens des lettres à 
Port-Royal. « Elle devint pâle comme la mort dès qu’elle les 
vit » ( 4 ). « Néanmoins, les Religieuses voyant l’extrême désir 
qu’elle en avoit la reçurent » ( 5 ). 

Aussi bien sa suggestibilité était des plus grandes. « Il a 
toujours paru en elle de l’exactitude à l’obéissance et de l’appli¬ 
cation à se conformer à tout ce que faisoient les autres » ( 6 7 8 ), « sa 
vertu n’ayant été que le fruit d’une parfaite docilité d’esprit 
qui la rendit comme une bonne terre capable de recevoir toutes 
sortes de semences, à mesure qu’on les répandoit dans 
son cœur par les instructions qu’on lui donnoit » (7). « Je 
ne me souviens point, dit Angélique Arnauld d’Andilly, qu’elle 
ait jamais témoigné aucune difficulté à tout ce qu’on a exigé 
d’elle, saine ou malade, excepté à être saignée » (s). « Cette 
docilité lui a donné tant de facilité à entrer dans tout ce qu'on 
lui faisait voir que Dieu demandoit d’elle, qu'il sembloit que les 
pensées des autres fussent devenues les siennes, quand on 


(1) Vies int. III, 211. 

(2) Nécrologe de Port-Royal. 

(3 ) Nècr. des plus célèbres déf. de la vérité. 

(4) Vies int. III, 225. 

(5) Ibid. III. 

(6) Ibid. III, 215. 

(7) Ibid. III, 218. 

(8) Ibid. III, 220. 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


167 


l’avoit persuadée qu’elle devoit avoir d’autres sentiments que 
ceux qu’elle avoit eus auparavant par elle-même, quoique le 
motif lui eût paru bon » (*). Phrases remarquables et qui 
montrent bien que les religions, aussi bien que les morales sen¬ 
timentales, ne sont que le fruit de la suggestion. 

Cette « docilité extraordinaire de son esprit » ( 1 2 ) ainsi que 
cette « obéissance sans réplique pour tout ce qu’on lui ordon- 
noit » ( 3 ), la livraient naturellement à toutes les mortifications 
du monastère. 

« Elle avoit un attrait singulier pour le travail et le si¬ 
lence » ( 4 ), qu’elle observait « avec une exactitude extraordi¬ 
naire. » ( 5 ) En effet « elle aima si fort l’usage des signes, quoi¬ 
que d’abord c’eût été de ces choses dont elle se moquoit, qu’elle 
s’en servoit continuellement et ne parloit point du tout, jus¬ 
que-là que quelquefois les sœurs qui étoient avec elle en avoient 
un peu de peine, parce qu’elles ne pouvoient comprendre les 
signes qu’elle composoit quelquefois, ne les comprenant pas 
tous assez bien » ( 6 7 8 ). Par une sorte d’instinct salutaire, elle de¬ 
vint plus silencieuse encore, lors de ses premières hémoptysies. 
« Une sœur de la communauté, qui étoit Réfectorière, et qui 
l’avoit été avec elle deux ou trois mois, disoit en ce tems-là à la 
Conférence qu’elle ne savoit encore comment elle avoit la voix 
et de quel ton elle parloit, parce qu’elle ne l’avoit jamais en¬ 
tendue parler depuis qu’elles étoient ensemble. Toutes celles 
qui ont été à l’Infirmerie du Noviciat pendant huit ou neuf mois 
qu’elle n’en a bougé sans être néanmoins alitée, pourroient dire 
la même chose; car, excepté l’heure qu’on donne aux malades 
pour s’entretenir, elle étoit dans un silence si exact, qu’elle 
doutoit même si ce n’étoit pas faire une faute que de dire aux 
personnes qui venoient chercher quelqu’un ou qui étoient en 
peine de quelque chose ce qu’elle en savoit pour les empêcher 
de perdre davantage de tems. » (7) 

« Son humilité n’avoit pas de bornes, aussi bien que sa pé¬ 
nitence. » (8) C’est ainsi qu’ « elle buvoit dans le dernier mois 
de sa maladie dans une certaine petite écuelle assez usée et 


(1) Yies. 111, 218. 

^2) Ibid. III, 238. 

(3) Ibid. III, 242. 

(4) Nécr. des plus célèbres déf. de la vérité. 

(5) Vies III, 216, 

(6) Ibid. III, 220. 

(7) Ibid. III. 230. 

(8) Nécr . des plus célèbres déf. de la vérité. 



168 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


dégoûtante qui étoit toujours auprès d’elle, et quelquefois bien 
poudreuse ou qui le paroissoit du moins par sa couleur. » (*) 
Voici encore un exemple de cet amour de la mortification 
d’origine suggestive. Le lendemain du jour où elle prit son pre¬ 
mier grain de narcotique, « apr^s s’être plaint de l’impuissance 
où elle commençoit à se trouver bien souvent de s’appliquer à 
Dieu à cause des inquiétudes et des affaiblissemens où elle étoit 
\p, plupart du tems, elle me dit (c’est encore Angélique Arnauld 
d’Andilly qui parle) que Dieu l’avoit néanmoins un peu conso¬ 
lée cette nuit, et que, n’ayant pas toussé comme les autres, 
elle s’étoit trouvée pendant deux heures dans une si grande 
liberté d’esprit, si occupée de Dieu et remplie de consolation, 
qu’elle croyoit être en Paradis. Je lui dis en riant qu’elle ne se 
trompoit pas et qu’elle était au Paradis terrestre, parce que 
c’étoit l’ordinaire des petits grains d’y mener les personnes 
qui en font usage, en leur donnant le calme d’esprit qui leur 
ôte le sentiment de toutes sortes de peine. Elle fut presque 
fâchée d’apprendre que cet effet étoit naturel. » ( 1 2 ) 

Cette aùecdote ouvre des horizons sur le rôle considérable 
qu’ont joué les substances enivrantes dans la genèse et le 
développement des religions. L’Asie, qui est leur pays d'ori¬ 
gine, est aussi le pays des vins généreux, de l’opium, du has¬ 
chich et du bétel. D’après M. Jules Bois, qui a voyagé aux 
Indes, tous les religieux hindous , contemporains font usage 
de narcotiques. 

(A suivre). 


La vie de Jésus devant la science hypnotique ( 3 4 ) 

par le D r Félix Régnault 


Nous ne nous proposons pas de discuter la valeur des Evangiles, ni 
de rechercher lequel est le premier en date et le plus authentique («) ; 
mais prenant les textes tels qu’ils sont parvenus jusqu’à nous, nous 
nous proposons de les étudier avec les ressources toutes nouvelles et 
encore peu connues que nous fournit la science hypnotique. Examinons 
seulement tous les miracles accomplis par Jésus, et nous verrons que, 

(1) Vies III, 243. 

(2) Ibid. III, 233. 

(3) Leçons professées à l’Ecole de psychologie, 1901. 

(4) Ceux qui veulent être au courant de ces recherches n’ont qu’à lire l’article fort 
bien fait sur l’Evangile, par M. Vernhes, dans le dictionnaire la Grande Encyclo¬ 
pédie, Paris, Ladmirault, éditeur. 



LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 


169 


quoi qu’on ait dit, ils sont parfaitement explicables et n’ont rien d’in¬ 
vraisemblable. 

★ 

* * 

Les attaques de nerfs sont certainement une des manifestations ner¬ 
veuses les plus connues. De tous temps on les a regardées comme dûes à 
des démons, et les malheureux qui les subissaient étaient des possédés. 
Oes accès étaient fréquents chez les Hébreux. Marc les décrit fort bien 
(IX, 18-22) : « L'esprit l’agite par des convulsions partout où il le saisit; 
il écume, grince des dents eUdevient tout raide; l’esprit l’a souvent 
jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr, » ils connaissaient aussi 
la dernière phase de résolution (IX, 26), « l’esprit sortit en jetant un grand 
cri et en l’agitant avec violence, et l’enfant devint comme mort » (*). 

Nous diagnostiquerions aujourd’hui épilepsie ou hystéro-épilepsie. 
Pour les Hébreux comme au Moyen-Age et même pour beaucoup d’esprits 
de nos jours, ces attaques étaient l’œuvre de démons, parfois nombreux 
chez le même individu : Telle Marie qu’on appelait Magdeleine, de la¬ 
quelle étaient sortis sept démons (Luc VIII, 2). Même guéries, ces attaques 
pouvaient revenir : « lorsqu’un esprit immonde est sorti d’un homme, il 
va par des lieux arides, cherchant le repos et il n’en trouve point. Alors il 
dit: je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti; et étant revenu, il 
la trouve vide, balayée, et ornée.... (Matt. XII, 27, id. Luc XI, 24.) Pour 
éviter ces rechutes, Jésus commande aux démons non seulement de 
sortir du corps du possédé, mais de n’y plus rentrer (Marc IX, 25); 
ou mieux encore il les envoie habiter des pourceaux (Mat. VIII, 31), 
ceux-ci entrant en crise se précipitent dans le lac et s’y noient (Luc 
VIII, 33). 

Jésus admettait que d’autres chassaient les démons, mais ses concur¬ 
rents le faisaient au nom du diable, tandis que lui agissait au nom de 
Dieu (Mat. XII, 27 et Luc Xr, 19). Au contraire les pharisiens l’accu¬ 
saient de recourir au prince des démons (Mat. IX, 32 et XI, 22). Les 
exorcismes étaient alors fréquents: Josèphe (Cantiq . VIII, 2-5) rapporte 
avoir vu de ses yeux un exorciste juif qui tirait les démons du nez des 
possédés au moyen d’un anneau et de formules magiques empruntées 
à Salomon ; en sortant, le démon renversait sur son ordre un vase plein 
d’eau disposé à cet effet. 

Plus tard les apôtres guérirent les possédés comme l’avait fait Jésus 
(dictes V, 16; VIII, 7; XVI, 16-20). 

Jésus guérissait aussi la surdité et la cécité (amaurose) hystériques. 
Dans certains cas il n’y a pas de doute sur ce dernier diagnostic puis¬ 
que les évangiles spécifient que le sujet muet était possédé par un 
démon (Mat. IX, 32 et Luc XI, 14) et que le démoniaque était soit aveu- 

(1) Déjà au xviii® siècle on commença à s’élever contre la prétendue possession. 
Plusieurs écrivains montrèrent qu’il s’agissait tout simplement de maladies nerveu¬ 
ses. Voir A. Maury, la Magie et VAstrologie, Paris, Didier et Gie, éditeurs, 1860, 
page 337. 


6, 



170 


REVUE DE L’HYPNOTISME 

gle, soit muet (Mat. XII, 22). Dans d'autres la nature démoniaque de 
l’affection n’est pas spécifiée (Mat. XX, 30; Luc XVIII, 35...) 

Il convient de rapprocher le miracle rapporté dans les Actes XXII, 6). 
Paul fut rendu aveugle par une grande lumière venant du ciel en même 
temps qu’il entendait une voix lui dire « Paul, Paul, pourquoi me per¬ 
sécutes-tu. » Cette cécité par suggestion fut guérie par un nommé 
Ananias. Le même Paul rendit aveugle par suggestion un magicien 
(Actes XIII, tl). 

Jésus guérit une cyphose, (Luc, XIII, 11), il s’agissait d'une manifes¬ 
tation hystérique car la femme était possédée d’un esprit qui la rendait 
infirme depuis dix-huit ans ; elle était courbée et ne pouvait absolument 
pas se redresser. 

Il guérit une maladie qui était fort commune autrefois, la lycanthro- 
pie : les sujets se croient transformés en animaux sauvages. Ceux de 
l’évangile habitaient des tombeaux comme des hyènes (Mat., VIII, 28) ; 
ils ne portaient pas de vêtements (Luc, VIII, 27), semblables aux men¬ 
diants sabouleux' du Moyen-Age ou aux mendiants chinois que nous a 
décrits Matignon, nus comme ver pendant les plus grands froids. 
C’étaient d’ailleurs comme eux des névropathes, car l’évangile nous dit 
qu’ils étaient possédés du démon (’). 

La paralysie est une des manifestations hystériques les plus curables. 
Témoin l’innombrable quantité de béquilles pendues en ex-votos dans 
les lieux de pèlerinages. Jésus guérit des paralytiques pour accomplir 
la prophétie d’Isaïe : alors le boiteux bondira comme un cerf. L’un d’eux 
attendait près d’une source thermale intermittente le mouvement de 
l’eau : car un ange descendait à un certain moment et troublait l’eau ; 
le premier qui entrait après que l’eau avait été troublée, était guéri 
(Jean, V, 3). Il n’avait personne pour le jeter dans l’eau, Jésus le guérit 
par la simple parole. Ses apôtres firent de même (Actes, III, 1-10 ; VIII, 
7; IX, 31, etc.). 

11 guérit aussi un hydropique, l’hydropisie peut être nerveuse, mais 
là-dessus nous n’avons point de détails (Luc, XIV, 2). 

Il guérit des fièvres assez graves pour tenir les malades au lit (Mat., 
VIII, 14 ; Luc, IV, 38 ; Marc, I, 30). Quelle en était la nature, nous 
l’ignorons. Nous sommes plus heureux pour l’apôtre Paul qui guérit un 
malade atteint de fièvre et de dysenterie (Actes, XXVIII, 7). Nous dirons 
simplement qu il existe des fièvres nerveuses d’une extrême violence, et 
que la suggestion peut même couper des fièvres symptomatiques comme 
celles intermittentes. 

Il guérit une femme malade d’une perte de sang depuis douze ans 
(Mat , IX, 20 ; Luc, VIII, 43 ; Marc, V, 25). Or, la suggestion possède 
une action vaso-motrice efficace. 

Peut-être faut-il prendre simplement comme un arrêt de l’hémor- 

(1) Saint Chrysostome parle aussi de démoniaques qui malgré les menaces, mal¬ 
gré les chaînes dont on les charge, se refusent à sortir des cimetières. — Alfred 
Maury, p. 306. 



LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 171 

ragie, le miracle de l’oreille du sacrificateur qu’un coup d'épée enleva, 
et que Jésus guérit par simple attouchement (Luc, XXII, 51). 

Jésus a ressuscité trois morts : Lazare, la fille de Jaire et le fils de la 
veuve de Nain. 

Au xvni e siècle, Schleiermacher (') admettait déjà qu’il s’agissait de 
simples léthargies, Salverte émet plus tard la même opinion ( 2 ). Jésus 
lui-même eut la même pensée, puisqu’il dit : la jeune fille n’est pas morte 
mais elle dort (Mat., IX, 24 ; Marc, V, 39). Il est vrai que Marthe dit de 
Lazare : Seigneur, il sent déjà, car il est là depuis quatre jours. Mais 
ces dernières paroles prouvent que c’était une conviction plus qu’une 
idée motivée par l’odorat; car les juifs croyaient que, pendant trois jours 
l’âme voletait autour du cadavre et le quatrième elle le quittait et l’aban¬ 
donnait à la pourriture. Strauss ( 3 ) objecte que la parole ne peut avoir 
de prise sur des léthargiques. Cela est vrai en général, mais non d’une 
façon absolue. 

Des miracles semblables sont d’ailleurs fréquents dans l’antiquité. Le 
plus célèbre est celui de l’Ancien Testament (Rois, II, IV, 8-37). Elisée 
pour ressusciter l’enfant de la femme de Sunein employa des procédés 
médicaux et fit la respiration artificielle : Elisée entra donc dans la 
maison ; et voici, l’enfant était mort et couché sur son lit. Et étant entré, 
il ferma la porte sur eux deux, et pria l’Eternel. Puis il monta et se 
coucha sur l’enfant, et mit sa bouche sur la bouche de l’enfant, ses yeux 
sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et s’étendit sur lui; et la chair 
de l’enfant fut réchauffée. Puis il se retirait et allait par la maison et 
remontait et s’étendait encore sur lui; enfin, l’enfant éternua sept fois 
et ouvrit les yeux. » 

Les apôtres Pierre (Actes, IX, 40) et Paul ressuscitèrent des morts. 
Mais, Paul reconnut également qu’il s’agissait d’une simple léthargie en 
disant : « Ne vous troublez point, car son âme est en lui » (Actes, XX, 10). 
Ils pouvaient aussi amener la mort ou plutôt la léthargie par sugges¬ 
tion. Pierre fait périr Ananias et sa femme pour les punir de ne pas 
avoir donné tous leurs biens à la communauté. (Actes, V, 1.) 

A cette époque, les païens même ressuscitaient les morts. Les Héca- 
mins, prêtres égyptiens, prétendaient pouvoir ressusciter les morts ; 
chez les Grecs, Hercule, Chiron, Empédocle, Esculapé savaient ressus¬ 
citer les morts. 

Apollonius de Tyane réveilla ainsi une jeune fille qu’on portait au 
bûcher ; mais son biographe avoue que la pluie qui tomba sur son visage 
avait pu commencer à éveiller ses sens. 

Une cure semblable, opérée par Rhazès, mérite d’être rapprochée de 
celle du Christ : 

« Léon l’Africain dit que Rhazès, passant un jour dans les rues de Cor- 
doue, vit le peuple assemblé, demanda la raison de ce concours, et apprit 

(1) Dans Strauss, trad. Littré: Vie de Jésus, 1839, vol. I, p. 22-28. 

(2) Salverte : Des sciences occultes. Paris, J.-B. Baillière, 1856, 3* édit., p. 338. 

(3) Strauss, ibid., 1.1, p. 22. 



172 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


qu’un citoyen qui se promenait était tombé mort. Il s’approcha, et après 
avoir examiné cet homme, il se fit promptemant apporter des baguettes 
qu’il distribua à ceux qui l’environnaient, en garda une pour lui, et exhorta 
les assistants à l’imiter. Alors il se mit à frapper le corps immobile, du 
citoyen sur toutes les parties et spécialement sur la plante des pieds; les 
autres en firent autant. Le reste de l’assemblée les regardait comme des 
fous, mais au bout d’un quart d’heure l'homme que l'on croyait mort com¬ 
mença à se remuer, il revint ensuite parfaitement à lui, au milieu des ac¬ 
clamations du peuple, qui criait au miracle. Almansar n’eut pas plutôt 
appris cet évènement, qu'il fît venir Rhazès, et lui dit en le complimentant : 
« Je vous connaissais pour un excellent médecin, mais je ne vous croyais 
« pas homme à ressusciter les morts. — J'avoue que j’entends la médecine, 
« répondit Rhazès, mais je ne sais pas rendre la vie aux morts, c'est l'ou- 
« vrage de Dieu. Quant à ce que je pratiquais dernièrement avec tant de 
« succès, je ne l’ai trouvé dans aucun livre de médecine, ni ne le tiens 
« d'aucun maître; mais il m’arriva de faire en compagnie le voyage de 
« Bagdad en Egypte. En entrant dans les déserts quelques Arabes, gens de 
« qualité, se joignirent à nous. En chemin faisant, un d’entre eux se laissa 
« tomber de son cheval, comme s’il eût été mort. Un vieillard de notre 
« troupe mit pied à terre sur le champ, et coupant une poignée de verges, 
« il hous en distribua à tous, et nous commençâmes à nous exercer sur le 
« prétendu mort, comme nous fîmes, il y a quelques jours sur le citoyen de 
« cette ville et avec Je môme succès. Tout le mérite de la cure se réduit 
« donc à avoir .remarqué que le cas du citoyen était le même que celui de 
« l’Arabe; quant à l’évènement c’est un pur hasard... » Ce récit .plut à 
Almansar, qui dit avec admiration à Rhazès que le pays qu'il habitait pou¬ 
vait se vanter de posséder en lui un Galien; à quoi Rhazès répliqua modeste¬ 
ment : L'expérience vaut mieux que le médecin , mot profond, qu’un homme de 
vrai mérite et dédaigneux des suffrages de la foule, seul peut trouver. 
(Eloy, Dict. historique de la médecine , t. IX, p. 6) ('•). • 

Jésus guérit des lépreux , mais il est difficile de savoir à quelle maladie 
on donnait le nom de lèpre. Dans l’antiquité, ce mot qui vient de Astus, 
écaille, servait à désigner toute maladie squameuse. Dans le Lévitique 
(XIII 1-28), on diagnostique lèpre toute tumeur ulcérée, toute cicatrice 
blanc rougeâtre, toute plaie tendant à l’envahissement, si cicatrice et 
plaie sont déprimées sur la surface de la peau, et si le poil qui pousse 
sur les parties malades a blanchi. Le sacrificateur auquel se présentent 
les malades doit déclarer ces derniers souillés : il proclamera pur au 
contraire celui dont la lèpre couvre toute la peau de façon à rendre le 
malade tout blanc et sans chair vive (probablement le psoriasis). ( 2 ) 

(t) Reproduit dans Bouchut, Histoire de la médecine , t. I, p. 245. 

(2) De même au Maroc on distingue deux sortes de lèpre. 

L’expression Djdem est usitée pour définir la lèpre affection qui, d’après les tobibs 
et les gens un peu instruits, fait tomber les sourcils, laissent intacts les cheveux, 
sauf aux endroits où il y eu des plaies, détermine des mutilations des doigts et des 
orteils qui se recroquevillent, etc. 

A côté du Djdem, ou lèpre vraie, il y a le Baras qui n’est autre chose que les 
taches blanches, vitiligo, fréquent chez les gens à peau bronzée, cicatrices des 



LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 


173 


C’est ce dernier genre de lèpjre qui est décrit dans les 'miracles de 
l’Exode (c. IV, 6) : 

L’Eternel dit encore à Moïse : mets ta main dans ton sein. Et il mit sa main 
dans son sein ; puis il la retira, et voici, sa main était blanche de lèpre 
comme la neige. Puis Dieu dit : remets ta main dans ton sein; et il remit sa 
main dans son sein; puis il la retira de son sein, et voici qu’elle était rede¬ 
venue comme son autre chair. 

ou encore, Nombres (XT, XII, XIII) : 

Ainsi la colère de l’Eternel s’embrasa contre eux; et il s’en alla, et la nuée 
se retira de dessus le tabernacle. Et voici, Marie était frappée de lèpre, et 
blanche comme la neige ; Àaron se tourna vers Marie, et voici, elle était 
lépreuse. [Exode , IV, 6.) 

ou encore dans les Rois (II-VI) : 

Or, Naaman, chef de l’armée du roi de Syrie, était un homme puissant 
auprès de son seigneur et fort honoré, parce que l’Eternel avait délivré les 
Syriens par son moyen; mais cet homme fort et vaillant était lépreux. Et 
quelques troupes étaient sorties de Syrie et avaient emmené prisonnière une 
petite fille du pays d’Israël, et elle servait la femme de Naaman. Et elle 
dit à sa maîtresse : Oh ! si mon seigneur était devant le prophète qui est à 
Samarie, il le guérirait aussitôt de sa lèpre! Naaman vint donc le rapporter 
à son seigneur, et lui dit : la jeune fille du pays d’Israël a dit telle et telle 
chose. Et le roi de Syrie dit : pars, va, et j’enverrai une lettre au roi d’Israël- 
Et il partit. 

Lorsque le roi d’Israël eut lu la lettre, il déchira ses vêtements et déclara 
qu’il n’avait point le pouvoir divin pour guérir la lèpre. Mais le prophète 
Elisée demanda qu’on lui envoya Naaman. 

Naaman vint donc avec ses chevaux et son char, et s’arrêta à la porte de 
la maison d’Elisée. Et Elisée lui envoya un messager pour lui dire : va, 
lave-toi sept fois au Jourdain, et ta chair te reviendra et tu seras pur. Mais 
Naaman se mit fort en colère, et s’en alla en disant : Voici, je me disais : il 
sortira certainement vers moi; il se tiendra là; il invoquera le nom de l’E- 
ternel, son Dieu ; il étendra sa main sur la plaie et guérira le lépreux. 
L’Abana et le Porpor, les fleuves de Damas, ne valent-ils pas mieux que 
toutes les eaux d’Israël? Ne pourrais-je m’y laver et devenir pur? Ainsi il 
s’en retournait et s’en allait tout en colère. Mais ses serviteurs s’approchèrent 
et lui dirent : mon père, si le prophète t’eût dit quelque chose de difficile, ne 
le ferais-tu pas? Combien plus lorsqu’il te dit : lave-toi et tu seras pur? 
Alors, il descendit et se plongea dans le Jourdain sept fois, selon la parole 
de l’homme de Dieu; et sa chair lui revint semblable à la chair d’un petit 
enfant et il fut pur. 

Naaman, plein de reconnaissance, voulut récompenser Elisée, mais celui- 
ci refusa de rien accepter. Guéhazi, serviteur du prophète, poursuivit Naa¬ 
man sur la route et lui demanda faussement de la part de son maître des 

lésions tuberculeuses ou*syphilitiques, morphée, etc. Au contraire le mot Baras, en 
Algérie et dans d’autres pays musulmans signifie la lèpre, l’éléphantiasis des 
Grecs dans toutes ses manifestations; au Maroc, il a une définition plus spé¬ 
ciale. 



174 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


présents pour deux jeunes fils de prophètes. Naaman lui remit deux talents 
et deux robes. 

A son retour, le serviteur, interrogé par Elisée, nia sa vilaine action. 

Mais Elisée lui dit : mon esprit n’est-il pas allé là où cet homme a quitté 
son char pour venir à ta rencontre? Est-ce le temps de prendre de l’argent, 
de prendre des vêtements, puis des oliviers et des vignes, des brebis et des 
bœufs, des serviteurs et des servantes? C’est pourquoi la lèpre de Naaman 
s’attachera à toi et à ta postérité à jamais! Et il sortit de devant Elisée, 
blanc de lèpre comme la neige. 

Il semble que ce sont plutôt des cas de psoriasis. 

Les lépreux du Nouveau Testament sont décrits d’une manière moins 
explicite. C’est un homme tout couvert de lèpre, qui veut être rendu 
net (Luc, V, 12) et Jésus déclare : « Sois net ». Après quoi, suivant la 
loi hébraïque, les lépreux guéris vont se montrer aux sacrificateurs. 

Nous sommes encore moins renseignés sur fa maladie de la main 
sèche (Mat., XII, 10 ; Luc, VI, 0 ; Marc, III, 1). Peut-être s’agissait-il de 
contracture et atrophie hystériques. 

La transfiguration du Christ a pu être due à une hallucination des 
apôtres. Ellè n’est d’ailleurs qu’une imitation de l’enlèvement d’Elie 
{Rois, II, ch. II, 1-12). La marche sur les eaux s’explique de même. 

L'apaisement de la tempête et du vent a pu n’être qu’une coïncidence, 
et la pêche miraculeuse, une bonne pêche qui a été exagérée. 

La transmutation de Veau en vin {Je an, II, 2) est une suggestion col¬ 
lective ; les disciples ont bu de l’eau en croyant que c’était du vin. Cette 
expérience hypnotique est d’une réalisation facile. Des croyances sem-r 
blables se retrouvent ailleurs : 

« Saint Epiphane dit qu’à Cybire, ville de Carie, il existe une fontaine 
dont l’eau, à certaines heures, se change en vin. Il déclare sur parole 
avoir bu de ce vin miraculeux, et soutient que ce prodige arrive à plu¬ 
sieurs endroits j> (*). 

La multiplication des pains et des poissons peut recevoir la même 
explication. Elle rappelle singulièrement la multiplication de l’huile de 
la veuve {Rois, II, IV, 1-17). 

La résurrection du Christ a été expliquée de deux façons diffé- 
rentes : 

1° Elle est l’effet d’hallucinations collectives des apôtres et des saintes 
femmes. Plusieurs fois déjà les disciples avaient été effrayés par des 
apparitions ; 

2° Elle est réelle, Jésus étant simplement tombé en léthargie (P. de 
Régla) (*). 

Jésus n’était, en effet, resté que trois heures sur la croix, alors qu’or- 
dinairement la mort est très lente. Le coup de lance qu’on lui aurait 
donné n’aurait pu faire sortir du sang s’il avait' été réellement mort. 

(1) A. Debay : Histoire des sciences occultes , Paris, E. Dentu, édit., 1860, p. 217. 

(2) Paul de Régla : Jésus de Nazareth. Carré, édit., 1801, 3° édit., p. 329. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE BT DE PSYCHOLOGIE 


175 


Hérodote et Josèphe citent des exemples de crucifiés qui revinrent 
à eux. 

Il est encore certains faits de la vie de Jésus sur lesquels les nouvelles 
sciences peuvent nous éclairer. 

Jésus fut un enfant précoce : à l’âge de douze ans, il discutait avec les 
docteurs dans le temple (Luc, II, 43). On peut rapprocher ce fait d’autres cas 
nombreux de précocité d’hommes de génie. 

Pendant un jeûne de 40 jours, il fut tenté par le diable (Luc, IV, 1). Cela 
n’a rien d’étonnant pour qui connaît les hallucinations provoquées par le 
jeûne. Les sorciers de tous temps et tous lieux se soumettaient au jeûne pour 
obtenir des crises hystériques et des hallucinations. 

Jésus et ses disciples vivaient en vagabond ; et ils ne craignaient pas de 
manger les épis qu’il^ trouvaient sur leur chemin (Luc, VI, 1 ; Marc, VII, 23). 
Cette conduite, répréhensible à notre point de vue, est encore parfaitement 
justifiée de nos jours en Orient. Tout voyageur a droit de prendre sur les 
récoltes de quoi satisfaire sa faim, mais ils ne doit rien emporter. On com¬ 
prend combien une pareille licence favorise l’existence des vagabonds et 
des saints... 

Jésus reconnut que Judas allait le trahir (Jean, XII, 21). Le fait n’a rien 
d’impossible, car certains esprits perspicaces peuvent lire sur la physiono¬ 
mie les pensées de leur voisin. Le fait a été plusieurs fois observé. 

(à suivre) 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du 16 juillet 1901. — Présidence de M. le D r Jules Voisin. 


Le traitement psycho-mécanique 
de la chorée, des tics et des habitudes automatiques 

Par le D r Bérillon, 

Médecin-inspecteur des asiles d’aliénés de la Seine. 

En 1890, au Congrès international de Berlin, dans un travail ayant 
pour but de fixer les indications de la suggestion hypnotique en neuro¬ 
pathologie et en psychiatrie, nous avons démontré les services que ce 
traitement peut rendre dans le traitement des différentes formes de 
chorée (*). Après avoir exposé les résultats de notre pratique, nous insis¬ 
tions sur Futilité de faire exécuter au malade, pendant l'état d'hypnose , 
des exercices de gymnastique réguliers. Depuis lors nous n’avons cessé 
d’insister sur les avantages de cette méthode mixte, constituée par Lasso* 
dation de l'hypnotisme et des actions mécaniques, actives ou passives, 
et nous l’avons désignée sous le nom de traitement psycho-mécanique. 

(I) Bérillon. — Les indications formelles de la suggestion hypnotique en psychia¬ 
trie et en neuro-pathologie, Revue de VHypnotisme , 5° année, 1890, p. 103. 



176 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


Le traitement psycho-mécanique est applicable au traitement de 
toutes les affections caractérisées par l’apparition de mouvements invo¬ 
lontaires et en particulier de la chorée, des tics, des habitudes automa¬ 
tiques. On peut en généraliser l’emploi au traitement des tremblements 
et de la maladie de Parkinson. 

Nous croyons devoir y revenir encore aujourd’hui pour exposer cer¬ 
tains détails de technique destinés à en faciliter l’application. Comme 
toutes les applications de la psychothérapie, le traitement psycho-méca¬ 
nique constitue une opération à plusieurs temps que l’on peut décom¬ 
poser ainsi : 

1 er Temps. — Production de l'état d'hypnose . — Il ne faut rien négliger 
pour obtenir l’hypnose à un degré aussi profond que possible. Pour 
arriver à ce résultat, si le sujet se montre réfractaire aux procédés 
suggestifs habituels, il ne faudra pas hésiter à recourir à l’intervention 
des agents physiques (fatigue des yeux par la fixation d’un objet brillant, 
bruit monotone, etc.) ou par l’emploi d’un narcotique anodin (hypnal, 
chloral), destiné à faciliter la production du somftieil. En un mot, il faut 
obtenir l’apparition d’un état d’automatisme accentué dont l’utilisation 
sera faite dans les temps suivants. 

2 e Temps. — Suggestions destinées à modifier Vétat psychique . — 
Dans la plupart des cas, les sujets atteints de chorée, de tics, d’habitudes 
automatiques présentent une véritable aboulie quf existait le plus souvent 
avant l’apparition des troubles moteurs, mais qui s’est accentuée avec 
leur développement. L’insuffisance de la volonté d’arrêt est manifeste et 
les malades n’hésitent pas à reconnaître qu’ils sont très mal doués au 
point de vue du pouvoir modérateur. En effet, ils sont enclins à la colère, 
aux troubles du caractère et à toutes les impulsions. Leur manque 
d’attention et leur défaut d’application se sont surtout révélés à l’école, 
où leurs progrès étaient lents. Les suggestions devront donc tendre 
tout d’abord à cultiver leur volonté, à développer leur attention et à 
leur demander de participer à leur guérison par une intervention 
volontaire. De plus, et qu’on nous permette d’insister sur ce point, la 
suggestion devra être utilisée également pour combattre les troubles 
de la sensibilité morale, de l’intelligence et de la volonté, si fréquemment 
observés chez ces malades ; pour diminuer leur instabilité mentale et 
favoriser leur sommeil nocturne. 

3 e Temps. — Intervention d'actions mécaniques dans l'état d'hypno¬ 
tisme . — Depuis longtemps nous insistons sur l’intérêt que présente en 
psycho-thérapie l’emploi des artifices destinés à renforcer la suggestion. 
De tous ces artifices, les plus efficaces sont les actions mécaniques 
destinées à réaliser la création de centres psychiques d'arrêt (*). Un fait 
très remarquable, c’est que les mêmes actions qui se montrent impuis^ 
santés lorsquelles sont exercées à l’état de veille, deviennent d’une 

(1) Dérillon. — Action psycho-mécanique associée à la suggestion. — Création 
d’un centre d’arrêt. Revue de VHypnotisme , 0“ année, 1895, p. 306. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


177 


efficacité remarquable, lorsqu'elles le sont chez le malade plongé dans 
létal d’hypnotisme. 

Le monoïdéisme qui caractérise l’état psychique de l’hypnotisé pour¬ 
rait suffire à donner une explication de ce phénomène. Pour le moment 
nous nous bornerons à constater le fait et à l’utiliser thérapeuti¬ 
quement. 

Le sujet atteint de chorée ou de tics étant dans l’état d’hypnotisme, 
l'action mécanique consistera essentiellement à neutraliser ou à contra¬ 
rier les mouvements involontaires. On arrivera à ce but, soit en impo¬ 
sant l'immobilité , soit en faisant exécuter passivement des mouvements 
antagonistes. 

L'immobilité d’abord difficile à obtenir du sujet lui-même, lui sera 
imposée par l’opérateur qui s’appliquera à fixer avec les mains les 
muscles atteints de mouvements involontaires. Après quelques séances 
on diminuera la contrainte et l’on demandera au sujet de seconder 
volontairement les efforts de l’opérateur. Enfin, on l’invitera à assurer 
l’immobilité sans aucun concours extérieur. 

Pour la production de mouvements passifs, l’opérateur saisira forte¬ 
ment le membre du malade et lui imprimera, au commandement, des 
mouvements réguliers bien rythmés. L’état de passivité du sujet, déve¬ 
loppé par la production de l’hypnose, facilitera cette manceùvre. 

Mais, à notre avis, l’intervention la plus efficace sera celle qui tendra 
à obtenir la création de centres psychiques d'arrêt et à utiliser ce que 
le professeur Renault, de Lyon, désigne d’une façon si heureuse sous le 
nom de. la mémoire du neurone. Pour arriver à ce résultat, on invite le 
sujet à exécuter volontairement le mouvement musculaire anormal 
qu’il présente .habituellement d’une façon involontaire et inconsciente, 
et on s’applique par la force à neutraliser l’exécution du mouvement. 
En même temps, par une suggestion appropriée on accentue la notion 
de la sensation d’arrêt qu’il ressent, associant ainsi à la représentation 
psychique d’arrêt le souvenir d’un arrêt physique réel toujours supérieur 
à une simple représentation virtuelle. 

Il en résulte l’apparition d’un nouvel état de conscience en rapport 
avec le besoin du sujet et l’utilisation de cette nouvelle aptitude, de 
cette nouvelle acquisition, de cette nouvelle adaptation, ne tarde pas à 
se faire. Lorsque les exercices tendant à créer et à développer des cen¬ 
tres d’arrêt auront été faits h plusieurs reprises dans l’état d’hypnose, 
ils pourront être exécutés alternativement dans l’état d’hypnose et à 
l’état de veille. 

Ensuite, ils ne le seront plus qu’à l’état de veille. C’est ainsi que l'au¬ 
tomatisme du début fait progressivement place, à l’état conscient. 

Dans certains cas les résultats du traitement psycho-mécanique sont 
immédiats. Ainsi, chez un enfant de 1 4 ans, que les mouvements inces¬ 
sants d’une chorée généralisée, mettaient depuis trois mois dans l’impos- 
sibifité absolue de tenir une plume et par conséquentd’écrire, fut guéri 



178 REVUE DE L’HYPNOTISME 

en une seule séance, après l’exécution de mouvements passifs dans l’état 
d’hypnose (*). 

Le biit de cette communication est surtout de fixer un point de 
l’histoire de la psychothérapie et de rappeler la part qui nous revient 
légitimement dans l’idée d’appliquer le traitement psycho-mécanique 
dans la thérapeutique des chorées, des tics et des habitudes automa¬ 
tiques. 


Fausses grossesses et grossesses nerveuses 

Par M. le docteur Henry Lemesle. 

La Cour de Serbie a été le théâtre et la reine Draga a été l’héroïne de 
récents événements qui ont eu en Europe un assez grand retentisse¬ 
ment. Pour l’explication de phénomènes qui ne sont cependant pas nou¬ 
veaux, et dont la science a enregistré d’assez fréquents exemples, les 
interprétations les plus fantaisistes ont été données, les suppositions les 
plus diverses ont été mises en circulation. 

La fausse grossesse de la reine de Serbie ayant donné un regain d’ac¬ 
tualité à cette page de la pathologie nerveuse, il m’a semblé que notre 
Société était mieux qualifiée qu’aucune autre pour discuter la question 
dont il s’agit et pour la mettre au point. 

En vous présentant cette communication, mon but a été de résumer 
la question et de provoquer ainsi un échange d’observations qu’elle ne 
saurait manquer de vous suggérer. 

Les fausses grossesses sont le plus souvent d’origine nerveuse directe 
ou indirecte, mais il convient de ne pas oublier que la suggestion qui 
explique la plupart des fausses grossesses, semble cependant ne pas les 
comprendre toutes. Il paraît exister des observations dans lesquelles le 
facteur psychique doit être vraisemblablement écarté ; il est certain que 
des femmes indifférentes à l’idée de grossesse ont pu à tort se croire 
enceintes; mais n’y a-t-il pas lieu de se demander si, dans ces cas, la 
suggestion n’agirait pas encore par suite d’une crainte ou d’un désir de 
grossesse évoluant dans la sphère du subconscient ? Je pose la question 
sans la résoudre. 

D’autre part, nous devons mentionner que, dans la série animale, des 
fausses grossesses ont été observées qui à priori ne semblent pas dériver 
d’une cause psychique. Des observations d’une authenticité certaine ont 
été produites ; le docteur Haugton a signalé dans le Journal de médecine 
de Dublin , le fait de fausses grossesses chez un zèbre femelle ; Girard 
de Lyon a noté des faits identiques chez des chattes et chez des vaches; 

(1) Les mouvements passifs dans l’état d’hypnose peuvent porter mieux sur les 
muscles de la langue. Chez plusieurs enfants choréiques qui ne pouvaient parler 
et se mordaient la langue, nous avons, en une ou plusieurs séances, obtenu la gué¬ 
rison de ces états pénibles en exécutant les tractions rythmées de la langue, d’après 
la méthode du D r Laborde. 


/ 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


179 


Boyer, chez des chiennes, et Harvey a fait la même observation sur des 
lapines et des femelles de daims. 

Il semble difficile, je ne dis pas impossible, d’invoquer une raison 
psychique dans les cas des bêtes ayant l’apparence d’être pleines et 
prenant leurs dispositions pour mettre bas. 

★ 

* * 

Pour en revenir aux fausses grossesses dans l’espèce humaine, il est 
presque toujours possible d’en faire remonter l’étiologie à un facteur 
psychique. Il convient toutefois de distinguer nettement : 

1° Les grossesses nerveuses à substratum organique ; 

2° Les grossesses nerveuses essentielles. 

1° Grossesses nerveuses a substratum organique 

Une lésion organique de l’utérus ou des annexes peut être le prétexte 
et le point de départ de la fausse grossesse : l’idée de grossesse s’installe, 
à la faveur de cette lésion. 

Le cortège symptomatique de l'hystérie avec les aberrations du goût, 
les vomissements sans lésions de l’estomac, les troubles salivaires, l'ir¬ 
régularité des fonctions menstruelles, les rêves ou hallucinations lais¬ 
sant le sujet persuadé de l'authenticité des faits rêvés, en impose sou¬ 
vent pour des troubles de retentissement de l’utérus gravide. 

La métrite chronique, l’ascite utérine (cas de Guillemeau et de 
Scanzoni), la diathèse adipeuse (grossesse adipeuse de Depaul), les 
kystes ovariques, peuvent être une cause de fausses grossesses. 

Mais les cas bien véritablement dignes de retenir notre attention sont 
ceux dans lesquels le facteur psychique intervient seul et où l’on se 
trouve en présence d’une grossesse nerveuse d’origine purement sug¬ 
gestive. 

2° Grossesses nerveuses essentielles 

Il faut envisager : 

a) La grossesse nerveuse résultant de la crainte de la maternité; 

b) La grossesse nerveuse résultant du désir de la maternité. 

a) Grossesse nerveuse par crainte de la maternité. 

Les deux observations suivantes sont à ce sujet très caractéristiques. 
La première est due au docteur Hubert de Louvain. 

« Je vois encore, nous dit M. le D r Hubert, quoique l’aventure date 
« de loin, entrer, avec sa fille dans mon cabinet, un vieux médecin de 
« village, ruiné de corps et intellectuellement éteint... Il me contalabo- 
« rieusement, en résumé, que sa fille était sortie depuis un an de pen- 
« sion et se disait enceinte de l’aumônier. Me trouvais-je devant un d?s 
« drames les plus poignants qu’on puisse rencontrer? Cela ne me parais- 
« sait pas possible à première vue; l’air candide de la fillette m’avait 
« frappé, même les ingénues à terme ont du ventre et celle-ci ne parais- 



180 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


« sait pas en avoir. Je priai le père de me laisser un moment seul avec 
« sa fille, pour la mettre plus à l'aise, et je me mis à la confesser. Les 
« règles sont supprimées depuis le retour de pension ; les seins ont 
« grossi; il y a eu des nausées: elle sent des mouvements, mais le ventre, 
« assez gros, est sonore dans toute son étendue! Qu’est-ce que cela 
« signifie? 

« Voyons, dis-je à la jeune fille, contez-mo'i bien tout; vous êtes sortie 
« du couvent il y a un an, vous avez donc revu l’aumônier depuis. — 
« Non, jamais. — Mais alors votre grossesse daterait de plus d’un an ! 
« Pourquoi imaginer des histoires absurdes qui mettent votre brave 
« père au désespoir? — Mais monsieur, je n’invente rien. — L’aumô- 
« nier, il y a un an, vous a-t-il dit ou fait des choses dont vous ayez à 
« rougir? — Oh! non, il ne m’a même jamais adressé la parole. — 
« Pourquoi alors vous croyez-vous enceinte de lui? — Je l’aimais et 
« chaque fois que je le voyais c’est comme si j’avais reçu un choc dans 
« le ventre! 

« — Ah ! vous nous délivrez d’un bien gros poids ! 

« Je tins au père, à peu près le discours suivant : votre fille est naïve. 
« comme on ne l’est plus guère aujourd’hui à dix ans... elle est inno- 
« cente... l’aumônier aussi; prescrivez-lui (pas à l’aumônier) du fer, du 
« quinquina, de l’hydrothérapie et un mari... réel... et remerciez Dieu 
« d’en être quitte pour la peur. » 

Je vous demande la permission de vous citer d’autre part un extrait 
d’une observation intéressante due à notre distingué collègue, le D r Ma- 
randon, de Monthyel, médecin en chef de l’asile de Ville-Evrard : 

« Depuis l’internement de son mari, Madame X... avait à lutter contre 
« les poursuites d’un séducteur riche et libre, qui lui promettait de 
« l’épouser dès qu’elle serait devenue libre de son côté. A l’occasion de 
« cette dernière confidence, je constatai chez la jeune femme une idée 
u fixe qui la dominait complètement, celle que, bien que n’ayant jamais 
« eu d’enfants, elle serait immédiatement engrossée si elle avait le mal- 
« heur de tromper une fois seulement son mari. Aussi elle me déclarait 
« qu’à défaut de tout autre sentiment, cette certitude suffirait à l’empê- 
« cher d’écouter les propositions de son adorateur... Une année s’écoula, 
« M. X... arrivé à la troisième période de sa paralysie générale, était 
« alité constamment. Je constatai tout à coup un grand changement 
« chez sa femme que je voyais deux ou trois fois par semaine, elle sem- 
« blait triste, très préoccupée, sa santé générale s’altérait et elle mettait 
« une insistance même déplacée à s’informer si son mari en avait encore 
« pour longtemps à vivre... Il y avait un peu plus de deux mois que 
« cette transformation s’était produite chez Madame Eugénie X..., 
« quand un après-midi elle arrive dans mon cabinet encore plus boule- 
« versée que d’habitude et me fit ses adieux en me déclarant que sa 
« résolution était bien prise et que le soir elle se suiciderait... éclatant 
« alors en sanglots elle me confessa qu’elle était grosse de trois mois, 
a Elle avait commis la faute impardonnable de céder aux instances de 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 181 

« celui qui, depuis deux ans la poursuivait de ses assiduités et de ses 
« promesses de mariage et ce qu’elle redoutait s’était produit. Le châti- 
« ment ne s’était pas fait attendre elle avait été d’emblée engrossée. 

« Elle n’était pas sortie des bras de celui à qui elle venait de se livrer 
« que l’idée fixe l’obsédait. C’est dans une anxiété des plus vives qu’elle 
<» attendit l’époque de la menstruation, car elle cessait d’être précisé¬ 
es ment réglée quand elle fauta. Les règles ne vinrent pas : sinapismes, 
« bains chauds, injections chaudes et autres moyens restèrent ineffi- 
« caces. Les craintes et sa certitude s’accrurent et elle n’eut plus aucun 
a doute quand, le mois cfaprès l’aménorrhée persista, d’autant plus 
« qu’elle commença à avoir les divers symptômes qu’elle avait maintes 
« et maintes fois constatés chez ses amies aux débuts de leurs gros- 
« sesses : gonflement des seins avec picotements, anorexie, nausées et 
« vomissements le matin, salivation abondante, bâillements répétés... 
« Le troisième mois l’affola; non seulement la menstruation ne parut 
cc pas d’avantage, bien que l’époque fût écoulée depuis quatre jours déjà, 
« non seulement tous les symptômes précédents s’accrurent, mais le 
« ventre grossit; Madame Eugénie X... se vit contrainte d’élargir ses 
<* vêtements. 

« Il est incontestable qu’une grossesse était dans l’ordre des choses 
« possibles. Je l’examinai et trouvai l’utérus avec un volume de beau- 
« coup inférieur au volume normal; il y avait évidemment de ce côté 
« une anomalie de conformation susceptible d’expliquer et la stérilité 
a et les atroces douleurs de, la menstruation depuis la puberté. De toute 
« évidence j’avais affaire à une fausse grossesse déterminée par la 
<c crainte de devenir mère du vivant de son mari malade. Je me relevai 
« en éclatant de rire et en lui déclarant que son cas était bien amusant. 
« Madame X... se rhabilla avec une joie d’enfant et une heure s'était à 
« peine écoulée qu’elle revenait en courant dans mon cabinet m’an- 
« noncer que ses règles étaient revenues. Il avait donc suffi d’enlever 
a par une simple suggestion à l'état de veille l’obsession qui jouait le 
« rôle d’arrêt. » 

b) Grossesse nerveuse par désir de la maternité. 

c< Nous devons nous défier particulièrement, dit Pajot, des femmes 
parvenues à l’âge de 30 à 40 ans et qui n’ayant jamais eu d’enfants en 
désirent avec d’autant plus de passion qu’elles sentent approcher l’heure 
où toute espérance sera perdue. Oes affolées de grossesse prennent 
leurs désirs pour des réalités et avec tant de conviction et de bonne foi 
qu’il est vraiment difficile d’éviter le piège de leurs illusions. » 

En outre du désir de maternité, l’illusion de grossesse de la méno¬ 
pause peut encore être accentuée par les troubles nerveux ou autres 
qui marquent cette crise de la vie féminine. 

•K 

* * 

En ce qui concerne le cas de la reine Draga, nous avons vu entrer en 
jeu plusieurs causes dont une seule aurait pu suffire à provoquer l’illu- 



182 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


sion de grossesse. Ce sont d’abord ces lésions, dont nous avons noté 
l’importance dans notre paragraphe relatif aux pseudo-grossesses à 
substratum organique. En effet, le professeur Cantacuzène de Bukha- 
rest, nous a fait connaître que la reine de Serbie est atteinte d'une 
inflammation de la matrice, compliquée d'une ancienne périmètrite 
qui a provoqué des déviations. Par un communiqué officiel de la léga¬ 
tion de Serbie à Paris, nous avons pu savoir que la grossesse nerveuse 
avait été occasionnée par une affirmation de grossesse antérieure et 
inexacte. — Il faut enfin tenir compte en troisième lieu d’un violent 
désir de maternité chez une femme approchant du terme de la vie 
sexuelle, chez une reine de laquelle tout un peuple attend un rejeton 
avec une impatience telle que certaines informations, à la suite de cet 
événement sensationnel, nous représentèrent le ministère serbe offrant 
sa démission et conseillant au roi de divorcer d’avec la reine qui se 
serait retirée dans un couvent. 


Un cas de vomissements nerveux incoercibles guéris 
par suggestion, 

Par M. le D r Paul Farez. 

Une jeune fille de vingt ans m’est amenée, il y a environ dix mois. 
Elle se plaint de vomir régulièrement à chaque repas. Dès qu’elle a 
avalé son potage, une tasse de lait, quelques bouchées de pain ou de 
purée, son estomac se soulève et s’exonère. Elle essaie de manger à 
nouveau et, plusieurs fois de suite, le môme phénomène se reproduit. 
Elle ne rejette pas intégralement tout ce qu’elle a absorbé, mais elle en 
garde fort peu. Aussi est-elle très maigre et ne pèse-t-elle que 73 livres, 
— toute habillée. 

Cette jeune fille a. eu, six mois auparavant, pendant environ une 
semaine, des crises de vomissements, tantôt verts, tantôt jaunes, tantôt 
couleur jus de pruneau. On les rapporta, me raconte-t-on, à une appen¬ 
dicite, une périmétrite ou une péritonite. Le diagnostic fut très hésitant 
et l’on prescrivit des sangsues,'le repos au lit, ainsi qu’un traitement 
médicamenteux. L’état aigu ne tarde point à s’améliorer : la malade 
peut se lever et reprendre ses occupations; mais les vomissements 
ne sont point supprimés pour cela; ils passent à l’état chronique. Cepen¬ 
dant, au bout de deux mois, ils s’atténuent et l’accalmie dure environ 
deux nouveaux mois. — Il y a quelques semaines, ils sont redevenus 
de plus en plus fréquents et, au moment où je vois cette malade pour la 
première fois, ils appparaissent à chaque repas. 

L’examen me décèle une liypoesthésie dans tout le côté gauche, un 
rétrécissement assez important du champ visuel pour les deux yeux, de 
l’anesthésie pharyngée, etc. Il s’agit donc d’une hystérique manifeste. 
En outre, j’acquiers bien vite la conviction que ses vomissements sont 
entretenus par une influence suggestive. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ÉT DE PSYCHOLOGIE 183 

Notre malade habite avec son père qui, veuf depuis de longues années, 
ne vit que pour elle; il l’entoure de soins vraiment maternels; il l’acca¬ 
ble d’une tendresse débordante et... maladroite. En effet, dès qu’ils se 
mettent à table, ce père est inquiet, anxieux; il regarde sa fille avec 
commisération, il surveille son faciès, épie la moindre nausée et lui 
répète avec insistance: « As-tu besoin de vomir, vas-tu vomir, veux-tu 
que je te passe le vase? etc., etc. » En somme, l’acte de vomissement, 
est, à chaque repas, suscité dans l’esprit de la malade à l’état de repré¬ 
sentation obsédante;... et, par cela même, il s’accomplit ponctuellement. 

Cette jeune fille à une sœur qui, elle, est mariée. Toutes les fois que 
celle-ci voit notre malade, elle essaie de la remonter; elle lui explique 
que ses vomissements sont purement nerveux, qu’ils sont le résultat 
d’une mauvaise habitude et que, si elle le voulait très résolument, elle 
pourrait les empêcher. Notre jeune fille est très vexée d’un tel langage; 
elle ne peut admettre que, si ses vomissements se perpétuent, c’est de sa 
faute à elle ; elle proclame qu’elle est incapable d’y rien faire et, pour ne 
point donner raison à sa sœur, elle ne songe pas à tenter le moindre 
effort pour conserver ses alimehts dans son estomac. 

Quant à moi, je suis bien persuadé aussi que ces vomissements sont 
purement nerveux et qu’ils ne font que perpétuer une mauvaise habitude 
contre laquelle rien n’est venu s’opposer dès le début. Mais je me garde 
bien de tenir le même langage que la sœur; et voici en substance ce que 
je dis à malade : 

a Vos vomissements ont, en effet, une cause physiologique: je vais 
supprimer cette causeet, par conséquent, l'effet serasupprimé. Cette cause 
est double : c’est, d’abord, un trouble de sensibilité de la région stomacale 
et, en outre, un trouble de la nutrition d’où il résulte que votre organisme 
est encombré de toxines et de produits de fermentations anormales. Le 
trouble de la sensibilité est justiciable de l’électricité statique; quant à 
vos toxines, je vais vous en débarasser grâce à cette pilule que vous 
prendrez tout à l’heure ; elle les diluera et les chassera dans votre urine 
qu’elles coloreront en bleu. Vous serez guérie très vite, et, pour vous 
donner lapreuve que vos vomissements peuvent être facilement supprimés, 
vous allez, séance tenante, absorber, sous mes yeux, une tasse de lait que 
vous garderez sans éprouver la moindre nausée. » 

Cela dit, j’installe ma malade sur le tabouret isolant ; je donne un 
bain statique, puis une douche et enfin je fais jaillir quelques étincelles 
dans la région du creux épigastrique. Cela fait, je déclare que mainte¬ 
nant l'estomac est devenu capable de supporter ma pleine tasse de lait. 
J’en fais boire une cuillerée à café, puis aussitôt je redonne une douche 
électrique à la région de l’estomac et j’en tire quelques étincelles ; je fais 
ainsi jusqu’à ce que la dernière cuillerée soit absorbée. Mais pendant tout 
ce temps je n’ai cessé de parler ; je fais des suggestions autoritaires en 
même temps que persuasives : « Ce lait est avalé sans difficulté, il des¬ 
cend le long de l’œsophage, il pénètre dans l’estomac, il ne provoque 
aucune sensation, vous n’éprouvez aucun malaise d’aucune sorte, vous 



184 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


n ètes nullement incommodée, le fluide électrique qui s’échappe de ces 
pointes rend votre estomac très tolérant, ces étincelles maintiennent le 
liquide dans l’estomac et empêchent celui-ci de se contracter ; — vous 

avez déjà absorbé le quart.la moitié de la tasse, prenez encore une 

nouvelle cuillerée, celle-ci passera et sera supportée aussi bien que les 
précédentes, etc., etc. » Je parle, je parle, je parle ainsi sans disconti¬ 
nuer, je m’empare de l’attention de la malade, je l’empêche de réfléchir 
à quoi que ce soit ; je parle une heure durant. Je suis très fati¬ 
gué, mais la tasse de lait a été absorbée intégralement : la partie est 
gagnée ! 

Notre jeune fille est à la fois stupéfaite et enchantée d’un si beau 
résultat; elle est pleine d’espoir et sent bien que sa guérison ne va pas 
tarder. Avant de la congédier, je lui fais avaler une pilule de bleu de 
méthylène. 

Deux jours après, elle revientet m’apprend avec joie qu’elle a pu prendre 
deux repas sans vomir. Je refais une seconde séance d’électricité et je 
redonne une pilule de bleu de méthylène. J’ajoute ceci : « Pour vous 
immuniser et hâter encore votre guérison, je vais vous appliquer au 
creux de l’estomac, une mixture dont la propriété est de fixer l’électricité, 
de la condenser, de l’accumuler; vous allez ainsi emporter avec vous 
une forte provision de fluide électrique, de telle sorte que vous pourrez 
conserver tous vos aliments aussi aisément que vous avez, l’autre jour, 
conservé la tasse de lait que je vous ai administrée. » Et, cela dit, je lui 
badigeonne la région épigastrique avec du collodion au bleu de 
méthylène. 

Après la quatrième séance, les vomissements ont presque totalement 
disparu; il n’y a eu que quelques légers accrocs. Alors je lui dis : 
« Vous êtes bien guérie, complètement guérie, tout à fait guérie; vous 
ne vômirez plus du tout et cela est si vrai que je vous supprime tout, 
électricité, pilule, badigeonnage ; vous n’avez plus aucun besoin de mes 
soins. » Cette triple suppression lui est un argument péremptoire ; elle 
se sent, en effet, complètement guérie et, dès lors, les vomissements 
cessent radicalement. J’ai soin, néanmoins, de lui prescrire un régime 
alimentaire et médicamenteux, pour assurer le bon fonctionnement de 
son tube digestif et corriger sa tendance à la constipation. 

Cette jeune fille ne tarde pas à avoir un bon appétit; au bout de quel¬ 
ques semaines, elle a gagné quinze livres. Sa santé est aujourd’hui 
excellente et elle s’est mariée le mois dernier. 

Notons encore un détail. Depuis la crise aiguë dont il a été question 
plus haut, cette personne avait conservé, dans la fosse iliaque droite, 
un point douloureux qui la faisait parfois beaucoup souffrir. Il s’agissait 
simplement de topoalgie hystérique, car il a totalement disparu, à 
la suite d’une seule application de collodion au bleu de méthylène. 




v SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


185 


Séance du 15 octobre 1901. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 40. < 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le Secrétaire général donne connaissance de lettres adressées par 
MM. les D rs Wateau, Aragon, Jaguaribe (de San Paulo), Oh. Richet, 
Mac Donald (de Washington), ainsi que des invitations adressées par le 
1 er congrès égyptien, et par le congrès de l’Assistance familiale. La 
Société délègue au premier M. le D r Eïd du Caire et au second MM. les 
D r ‘ Bérillon, Paul Farez, Félix Régnault, Pau de Saint-Martin. 

Les communications portées à l’ordre du jour sont faites par MM. Ooste 
de Lagrave, Félix Régnault, Jaguaribe (de San Paulo), Paul Farez, 
Bérillon. 

M. le Secrétaire général présente à la société M. Modiano, le lecteur 
de pensées qui a fait l’objet de la communication de M. Paul Farez. 
M. Modiano procède à quelques-unes de ses expériences coutumières. 

La séance est levée à 6 h. 45. 


La volonté et l’auto-suggestion 

Par M. le D r Coste de Laguave 

Nous avons en nous une puissance très grande. O’est la volonté. 

Comme toutes nos facultés et aptitudes, la volonté est soumise à des 
règles et à des lois. 

Pour que la volonté fonctionne très bien, pour qu’elle réagisse avec 
effet, pour qu’elle donne la plus grande somme de travail possible, 
il faut que les règles et les lois qui régissent cette volonté soient 
satisfaites. 

* 

* * 

Quelquefois nous voulons accomplir des actes qui ne sont pas faciles. 
Par exemple: « Ecrire et avoir de bonnes idées. » 

La volonté que nous sollicitons de toutes nos forces ne peut taire 
accomplir qu'un travail insignifiant; par exemple, une dizaine de lignes. 

C’est que nous ne savons pas employer notre volonté 

Nous ne savons pas utiliser la puissance que nous avons de vouloir. 

Nous ne savons pas faire rendre à la volonté tout le travail dont elle 
est capable. 

La règle qui régit la volonté, la loi qui commande à la volonté est la 
suivante : 

« Tout acte , toute idée ou toute pensée , pour être produite doit avoir 
d’abord sa représentation mentale dans le cerveau. » 

Conclusion. — Il faut provoquer dans notre cerveau la représen¬ 
tation mentale de l’idée, de la pensée, de l'acte que nous voulons 
produire. Dans l’exemple qui nous occupe, c’est : « Ecrire et avoir de 
bonnes idées. » 



186 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


Il y a deux manières de développer la représentation mentale dans 
notre cerveau : 

1° La méditation. 

2° L’auto-suggestion. 

1° La méditation. — Ce procédé est le plus ancien. Il est connu depuis 
des siècles. Par la méditation nous prenons un sujet et nous le 
développons dans notre pensée. La représentation mentale se déve¬ 
loppe par ce travail de méditation, d’une façon spontanée et suivant nos 
aptitudes naturelles ; 

2° L’auto-suggestion. — L’auto-suggestion consiste à se donner à soi- 
même une suggestion. 

C’est-à-dire, à fixer en soi, en son cerveau la représentation mentale 
de l’acte que l’on veut accomplir, acte, idée ou pensée. 

Dans l'exemple précédent, c’est : a Ecrire et avoir de bonnes idées . » 

Loi.— Toute impression perçue est cause de représentation mentale . 

Par conséquent, comme première condition, il faudra supprimer 
toutes les impressions autres que celle qui est proposée : « Ecrire et 
avoir de bonnes idées . » 

Pour cela l’esprit doit s’abstraire, se plonger dans l’abstraction. 

Pour une fois que la représentation mentale « Ecrire , avoir de bonnes 
idées » aura été provoquée, un acte pourra être produit. 

Cet acte ou résultante sera : « Ecrire une bonne idée . » 

Pour dix fois que la représentation mentale aura été provoquée, 
ce qui équivaut à dix représentations mentales : « Ecrire , avoir de 
bonnes idées », l’acte ou résultante pourra être produit dix fois ; dix 
fois une idée bonne pourra être écrite, et chaque fois une idée différente. 

Si * la représentation mentale : Ecrire et avoir de bonnes idées » 
est provoquée cent fois, la résultante pourra être : Ecrire cent bonnes 
idées. 

Ceci est théorique. 

En pratique, il faut solliciter plusieùrs fois la représentation mentale : 
« Ecrire , avoir de bonnes idées », pour arriver à la résultante : « Ecrire 
une bonne idée . » 

L’entraînement facilite dans une très grande mesure ce travail de la 
pensée. 

★ 

* * 

Il y a une différence entre la méditation et Vautosuggestion. 

1° La méditation. — Dans l’exemple actuel la méditation prend les 
idées et les fixe par le souvenir. Le développement du sujet à traiter se 
présente à l’esprit. Les pensées associées viennent à la suite les unes 
des autres par le fait des facultés, imagination, association des idées, 
mémoire. Chaque idée qui se présente naturellement forme une repré¬ 
sentation mentale distincte. — Autant d’idées, autant de représentations 
mentales différentes. 

2° L’auto-suggestion.' — Avec l’auto-suggestion, ni l’association des 
idées, ni l’imagination, ni la mémoire n’entrent en jeu. — L’ordre est 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 187 

donné au cerveau : « Ecrire , avoir de bonnes idées ». La représentation 
mentale: a Ecrire , a voir de bonnes idées », se développe seule, en dehors 
de tout autre idée. Elle se développe dix fois, cent fois, mille fois. Sui¬ 
vant le nombre d’auto-suggestions. 

On pourra donc donner comme différence entre la méditation et l’auto¬ 
suggestion : 

Méditation. — Mille idées, mille représentations mentales. 

Auto-suggestion. — Une idée, mille représentations mentales. 

C’est-à-dire, pour la méditation, mille idées différentes donnent 
chacune une représentation mentale, ce qui donne pour l’ensemble de 
la méditation* mille représentations mentales différentes. 

Pour l’auto-suggestion, une seule idée donne lieu à mille repré¬ 
sentations mentales de cette idée par le travail particulier de l’auto¬ 
suggestion. 

Aussi la puissance de l’idée proposée mille fois par l’auto-suggestion 
sera considérablement plus grande que par la méditation. 

Cette idée mille fois fixée par mille représentations mentales accumule 
la puissance utile pour produire l’acte, la résultante. Dans l’exemple 
actuel : « Ecrire , a voir de bonnes idées . » 


L’autosuggestion du vertige et le suicide 

par M. le docteur Félix Régnault. 

Le vertige qui entraîne une personne à se précipiter malgré elle dans 
le vide, montre plus que tout autre acte la puissance de l’autosuggestion 
involontaire. Le sujet contemple le vide, il a la représentation mentale 
d’une chute, or toute idée d’acte s’accompagne d’exécution, et cela 
d’autant mieux que l’idée est plus intense. 

L’étude des particularités qui accompagnent le vertige montre com¬ 
ment se crée cette autosuggestion. Rien n’est plus dangereux pour la 
provoquer que de lancer une pierre dans l’abîme ; on la suit des yeux et 
la représentation intense de la chute détermine à l’accomplir soi-même. 
De même quand on traverse un gué, il est recommandé de porter ses 
regards en amont. Si l’on suit en aval l’eau qui coule, l’idée de son mou¬ 
vement excite à l’imiter et on quitte le gué pour suivre le courant. 

Enfin on suscite le vertige si on met en garde la personne contre lui. 
N’est-il pas de plus bel exemple de suggestion que le suivant ? Une 
jeune fille était allée en partie de plaisir dans les Alpes. On campe en 
un endroit charmant. Comme toute joyeuse et en jouant elle se dirigeait 
vers un précipice, on la prévient que l’endroit est dangereux et on l’invite 
à revenir. Elle approche au contraire de l’abîme, le regarde et disparaît 
saisie par le vertige. 

Rapprochez de ce fait cet autre cas infiniment moins grave, mais de 
même ordre, d’une bonne qui lâchait régulièrement la vaisselle qu’elle 
tenait en mains dès qu’on lui disait :/lf Faites attention, vous allez tout 
casser. » / 



188 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Une autosuggestion de même genre peut se produire dans certaines 
maladies mentales. J’en citerai \in exemple dont je possède l’observation 
minutieuse. X..., sans aucun antécédent de folie héréditaire, a subi à 
l’âge adulte l’opération de la castration totale, pour tuberculose testi¬ 
culaire. Il est devenu malade imaginaire. S’il fréquente un ataxique, un 
cardiaque où s’il en entend parler,... il pense avoir la même maladie et la 
décrit à son médecin, avec grand luxe de détails. Ses craintes sont d’au¬ 
tant plus grandes qu’il chérit la vie. Il ne redoute rien tant que la mort. 
Il évite soigneusement les enterrements, les messes mortuaires, etc. 
Son extrême suggestibilité constitue pour lui une infirmité : ainsi le fait 
de voir une vespasienne lui suggère l’idée de l’acte, au point de s’y pré¬ 
cipiter pour y satisfaire immédiatement. 

X... vécut ainsi dix ans environ. Comme je le soignai, il me confia 
alors que toutes les fois qu’il se penchait à la fenêtre, il avait envie de 
s’y précipiter. Il avait pu jusqu’à présent se soustraire à cette idée, 
mais il redoutait cette impulsion. Il n’y avait d’ailleurs aucune obses¬ 
sion, et quand il ne voyait pas le vide, il ne pensait aucunement à 
enjamber la fenêtre. 

Je lui conseillai d’habiter un rez-de-chaussée et de ne jamais monter 
d’escaliers. Mais sa maison était à étages, il ne suivit pas cette pres¬ 
cription, et quelques mois après il se tua en se jetant par la fenêtre. 

Je possède un second cas analogue chez un hypocondriaque qui a fini 
par se tuer d’un coup de revolver; mais ici j’ai moins de détails. 

Ces faits éclairent la genèse de certains suicides. Pour combattre ces 
impulsions, le médecin doit soigneusement écarter l’objet qui sugges¬ 
tionne l’acte du suicide. Ces malades, ne voulant pas se suicider, n’ac¬ 
compliront pas, de propos délibéré, des actes compliqués dans ce but. 
Ainsi ils n’achèteront pas de charbon, ne calfeutreront pas leur chambre 
et n’allurrferont pas de réchaud, actes complexes qu’il faut vouloir. Leur 
suicide est le résultat d’une autosuggestion involontaire. 

Le mélancolique pense constamment au suicide, il le médite, il le 
veut. Au contraire, dans les cas que j’ai cités, non seulement le sujet ne 
veut pas se suicider, mais il n’a pas non plus l’obsession de cet acte. 
Chez lui le suicide est dû à une impulsion subite, résultat d’une auto¬ 
suggestion brusque et involontaire. 


COURS ET CONFÉRENCES 


Angoisse hystérique et angoisse ^ psychasthénique (') 

Par M. le professeur Raymond 

Voici deux malades qui se plaignent de sentiment de peur, d’an¬ 
goisse, de serrement, de poids, de palpitations. Dire, avec Freud, qu’il 

(1) Présentations de malades faites à la Clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 



COURS ET CONFÉRENCES 


189 


s’agit de névrose d’angoisse, ce n’est pas faire de la clinique. Allons au 
fond des choses. 

Cet homme est très impressionnable à cause de son hérédité bilaté¬ 
rale. Il y a un an, il a eu une grosse peur : Un dimanche à la campagne, 
une voisine vient en pleurant chercher quelqu’un pour <c décrocher son 
père » ; il y court et voit un homme se balancer au plafond. Six mois 
après, par un beau clair de lune, il aperçoit quelque chose qui se 
balance à un arbre ; c’est un tablier quon y a suspendu pour le faire 
sécher ; mais notre homme croit revoir son pendu et éprouve une 
nouvelle émotion. Il en résulte une dissociation des centres cérébraux ; 
ceux-ci fonctionnent les uns en dehors des autres ; de là naissent des 
troubles de la personnalité et des manifestations de la grande névrose. 
En effet, on constate à gauche de l’hypoesthésie, du rétrécissement du 
champ visuel, en outre, au niveau de l’estomac, là où se localise le 
serrement, des plaques d’anesthésie ou d’hypoesthésie, puis, de la con¬ 
tracture du diaphragme, des muscles intercostaux et même des^ muscles 
abdominaux. Oes derniers phénomènes entretiennent l’émotion subcons¬ 
ciente. 

Cette femme, d’autre part, dès l’âge de 12 ans, rougissait à propos 
de rien ; elle est timide, impressionnable et se crée toutes sortes de 
chimères ; avant d’entrer en place, elle se demande avec anxiété si 
elle sera capable de satisfaire ses maîtres ; si on la regarde, elle 
s’imagine qu’on lui trouve la figure de travers ; c’est une scrupuleuse 
qui, à force de faire vibrer son émotivité Ta amenée à l’état d’équilibre 
instable. 

Chez l’homme de tout à l’heure, l’angoisse était d’origine hystérique ; 
ici elle est d’origine psychasthénique. Le traitement ne sera pas le 
même dans les deux cas. Notre premier malade guérira vite et facile¬ 
ment lorsque, soit par la suggestion, soit par des massages on aura 
supprimé les troubles de la sensibilité et décontracturé les muscles. 
Cette femme, au contraire, est sur les frontières de l’aliénation et un 
rien suffirait à lui faire franchir la limite qui l’en sépare ; il est très 
difficile de changer ses représentations et de modifier sa personnalité ; 
néanmoins, on devra, par. un traitement moral, lui montrer la faus¬ 
seté de ses idées et la prémunir contre leurs conséquences ; mais 
cela demandera nécessairement beaucoup de temps et beaucoup de 
peine. 


BIBLIOGRAPHIE 


La Psychologie du Rêve au point de vue médical, par N. Vaschide et 
H. Piéron, 1 vol. in-18 de 98 pages, cartonné, (J.-B. Baillière et fils, à 
Paris). 

Il y a dans le rêve une source précieuse de renseignements non seule¬ 
ment sur notre état psychologique, mais aussi sur notre état physiolo- 




190 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


gique le plus intime ; il faut que le médecin s’habitue à cette investigation 
comme aux autres ; après quelques tâtonnements, il y arrivera aussi 
bien. 

C’est naturellement la pathologie nerveuse qui est la plus intéressée 
à connaitre Tétât du rêve ; mais la pathologie générale ne doit pas négli¬ 
ger les signes qui peuvent lui être fournis de ce côté. 

Le rêve a une importance particulière dans les maladies infectieuses, 
la fièvre typhoïde par exemple. Il a une importance capitale dans les 
affections localisées : intestinales, cardiaques, pulmonaires. 

Le rôle du rêve dans les psychopathies, puis dans l’aliénation mentale 
est longuement étudié : on a dans les rêves un signe précurseur fréquent 
des maladies mentales, au moment de leur période d’incubation, parfois 
fort longue. 

Dans l’hystérie, le rêve n’est plus seulement un symptôme, mais sou¬ 
vent le facteur même des troubles qui peuvent le produire. Le rêve des 
épileptiques donne lieu à de curieuses constatations et est souvent un 
élément utile dans le diagnostic différentiel avec l’hystérie. 

Cette intéressante étude, publiée dans la collection des Actualités 
médicales , rendra service au médecin qui n’a jamais trop de signes pour 
aider à son diagnostic, parfois délicat et difficile. 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

Les prochaines séances de la Société auront lieu le mardi 17 décem¬ 
bre et le mardi 21 janvier 1902. 

Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. 

Adresser les communications à M. le D r Bérillon, secrétaire général, 
14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place 
Jussieu. 


La suggestibilité dans la fatigue 

M. Féré a communiqué à la Société de biologie une note dans laquelle 
il étudie la suggestibilité dans la fatigue. Si dans le cours d’un travail, 
alors que la fatigue se fait sentir, on détermine sur le sujet des phéno¬ 
mènes de suggestion motrice en exécutant devant lui et suivant un 
rythme approprié les mêmes mouvements que ceux qu’il doit produire, 




CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


191 


on peut observer soit une augmentation de la puissance motrice, soit 
une dépression, suivant la durée de la suggestion. En tous cas, lors¬ 
qu'on a obtenu une augmentation du travail, il est indispensable de 
continuer à produire la suggestion sous peine de voir succéder à l’exci¬ 
tation motrice une dépression très marquée. 


Les antimusiciens. 

Dans un ouvrage de l’Allemand Billroth, on trouve de curieuses 
observations en ce qui regarde les personnes réfractaires à la percep¬ 
tion du rythme. Des statistiques officielles faites en Autriche, il résulte 
que la plupart des recrues sont incapables de marcher au pas ; ce sont 
donc des individus qui manquent absolument du sentiment du rythme et 
qui possèdent par conséquent le suprême degré d’inaptitude à la musi¬ 
que. D’autre part, chez certaines personnes, l’incapacité de marcher au 
pas ou de danser en mesure provient d’une gaucherie naturelle ou de 
la timidité ; Beethoven n’a jamais pu danser correctement même avant 
sa surdité. On trouve aussi des réfractaires moins complets mais plus 
nombreux; ceux qui, tout en possédant le sentiment du rythme n’aiment 
que la musique vulgaire et sont incapables de distinguer les hauteurs 
des sons, les notes fausses et le timbre des instruments. Chose étrange : 
presque tous les poètes sont antimusiciens, nonobstant les transports 
de Beaudelaire qui célébra les poèmes à ogve de Wagner. C’est ainsi 
que Gautier définissait la musique : «Le plus désagréable et le plus cher 
de tous les bruits » et que Victor Hugo n’estimait le quatuor de Rigoletto 
que parce qu’il superposait les sentiments de quatre personnages à 
la fois. 

(La Voix.) 


Un cas de léthargie 

Les journaux quotidiens ont raconté qu’une jeune fille de dix-huit ans, 
demeurant dans le faubourg de Toulon, à Périgueux, était endormie 
depuis une huitaine de jours et que tous les moyens employés pour la réveil¬ 
ler était restés sans succès. 11 paraît que,depuis quelques années, cette 
jeune fille a dû s’aliter à diverses reprises sous l’action d’un sommeil 
invincible qui, jusqu’à présent, n’avait pas dépassé une durée de cinq 
jours. — Nous demanderons à nos confrères de Périgueux de nous ren¬ 
seigner sur ce cas intéressant. 


Guérie par la foudre 

Les journaux autrichiens racontent que la femme d’un paysan de 
Nemet-Saroslak, en Carinthie, alitée depuis dix ans par suite d’une 



192 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


paralysie, eut une telle frayeur en voyant la foudre pénétrer dans sa 
chambre, qu’elle se leva et se sauva. Elle était guérie par la violence 
même de l’émotion ressentie. L’éclair avait rompu un mur au-dessous 
d’une image de la Vierge, et, après avoir emporté un fragment du miroir, 
était ressorti par la fenêtre. Les villageois de la contrée viennent depuis 
lors en pèlerinage à Nemet-Saroslak ; ils croient à une intervention 
divine. 


NOUVELLES 


Enseignement de l’hypnotisme et de la psychologie 
' physiologique : 

Cours pratique d’hypnologie et de psychothérapie. — MM. les 
D rs Bérillon et Paul Farez feront, pendant le semestre d’hiver, un cours 
particulier d’hypnologie et de psychothérapie. Le cours comportera 
douze leçons. On s’inscrit à l’Institut psycho-physiologique, 149, rue 
Saint-André-des-Arts, les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. — 
Le cours ne comprend qu’un nombre limité d’élèves. 

Cours de psychothérapie a Lille. — M. le D r Paul Joire, commencera 
le mercredi 20 novembre 1901, un cours de psychothérapie annexe de 
l’Institut psycho-physiologique. Ce cours aura lieu tous les mercredis, à 
8 h. 1/2 du soir à l’ancienne faculté des sciences. 

Cours de psychothérapie a San-Paulo (Brésil). — M. le D r Jaguaribe 
vient de créer, à San-Paulo, un Institut psycho-physiologique, corres¬ 
pondant de celui de Paris, pour l’enseignement et la pratique de la 
psychothérapie. Le succès de/cette création a été très grand et ,a 
groupé déjà un nombre important d’élèves. 

Conférences de l’Institut psycho-physiologique. — Les conférences 
auront lieu les vendredis, 49, rue Saint-André-des-Arts, à 8 h. 1/2 du 
soir, à partir du vendredi 17 janvier 1902. 

Ecole de psychologie. — La réouverture des cours de l’Ecole de psy¬ 
chologie aura lieu le lundi 13 janvier 1902, à 5 heures, à l’Institut 
psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts. 

Les cours seront faits par MM. les D P8 Bérillon, Paul Magnin, Félix 
Régnault, Paul Farez, Bellemanière, Henry Lemesle et Wateau, et par 
MM. Caustier, Lépinay et Wycroskoroska. Le programme en sera 
publié dans le prochain numéro. 

Salpêtrière. — Le cours de M. le D r Jules Voisin sur les maladies 
nerveuses et mentales aura lieu de décembre à mai, les jeudis à 10 heures. 

La Pitié. — M. le D r Albert Robin commencera son cours le ven¬ 
dredi 4 décembre, à 10 heures. 

L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 





REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N° 7. 


Janvier 1901. 


Définition de l’hystérie (’) 

Par M. le docteur J. Babinski, médecin de la Pitié 


Malgré le grand nombre des travaux dont l’hystérie a été 
l’objet, les médecins ne semblent pas se faire tous une concep¬ 
tion indentique de cette névrose. Dans notre Société même, 
composée cependant de membres élevés pour la plupart à la 
même École, il y a eu plusieurs fois des discussions tendant à 
montrer qu’il y a de notables différences dans la manière dont, 
les uns et les autres, nous comprenons l’hystérie. 

Le désaccord tient sans doute à ce que les auteurs qui ont 
traité de l’hystérie n'en ont pas donné une définition suffisam¬ 
ment nette, que même beaucoup d’entre eux n’ont pas cherché 
à la définir, semblant ainsi donner raison à Lasègue, qui a 
déclaré que « la définition de l’hystérie n’a jamais été donnée 
et ne le sera jamais ». 

Or, une définition étant « une énonciation des attributs qui 
distinguent une chose, qui lui appartiennent à l’exclusion de 
toute autre » (Dictionnaire de la langue française, par Littré), 
soutenir que l’hystérie n’est pas définissable équivaudrait à 
dire que l'hystérie ne se distingue par aucun caractère d’autres 
affections nerveuses et qu’il y a lieu de rayer cette prétendue 
névrose spéciale des cadres nosologiques. Tout médecin qui a 
porté, ne serait-ce qu’une fois, le diagnostic d’hystérie, à 
moins d’employer des mots .qui soient pour lui dépourvus de 
sens, doit s’être formé au préalable une idée plus ou moins 


(1) Extrait des comptes rendus des séances de la Société de Neurologie de Paris. 
(7 novembre 1901.) 



194 


REVUE DE L HYPNOTISME 


' nette de ce qui distingue cet état névropathique, ce qui revient 
à dire qu’il doit au moins l’avoir définie dans son esprit à sa 
façon. 

Mais pour s’entendre sur les questions relatives à l’hystérie, 
qui sont encore l’objet de discussions, il serait indispensable 
de posséder une définition de cette névrose unanimement 
admise et qui de plus fût claire et précise. Ces dernières condi¬ 
tions seront remplies si l’on arrive à déterminer des caractères 
faciles à observer, communs à toutes les manifestations de l’hys¬ 
térie et qui leur soient exclusivement propres. 

Pour atteindre ce but, il faut passer en revue les divers syn¬ 
dromes que tous les médecins s’accordent à appeler hystériques, 
les analyser et les rapprocher des divers troubles nerveux que 
l’on est unanime à séparer de l’hystérie. 

Considérons les grondes manifestations de l’hystérie, les 
crises nerveuses, les paralysies, les contractures, les anesthé¬ 
sies. Quels en sont les attributs copimuns ? On peut dire que 
ces divers troubles sont purement fonctionnels, mentaux, 
qu’ils sont susceptibles d’être provoqués par des causes psy¬ 
chiques, de se succéder sous différentes formes chez les 
mêmes sujets, qu’ils ne retentissent pas gravement sur la 
nutrition générale et sur l’état mental des malades qui en sont 
atteints. 

Mais est-on en droit, comme certains aiiteurs l’ont pensé, de 
se servir de ces caractères pour définir l’hystérie? 

Tel n’est pas mon avis, car aucun d’eux n’appartient exclu¬ 
sivement à cette névrose. Il existe, en effet, bien d’autres 
affections qui sont fonctionnelles, mentales. L’hystérie n’est 
pas seule susceptible d’être provoquée par des causes psychi-, 
ques ; les commotions morales peuvent exercer une influence 
sur la genèse des troubles mentaux indépendants de l’hystérie, 
elles sont même capables de faire apparaître chez les diabéti¬ 
ques des accidents nerveux et de déterminer des troubles 
circulatoires graves chez les sujets atteints de lésions vascu¬ 
laires ; c’est ainsi que l’hémorragie cérébrale peut être consé¬ 
cutive à une vive émotion. De même que l’hystérie, la goutte 
peut se manifester par des accidents variés qui se succèdent et 
se substituent les uns aux autres ; c’est là une notion si bien 
établie qu’il est inutile d’insister sur ce point. Enfin, il y a 
d’autres affections nerveuses qui ne retentissent pas gravement 
sur la nutrition générale et sur l’état mental des malades ; la 
neurasthénie peut durer des années sans amener aucun trouble 



DÉFINITION DE L’HYSTÉRIE 


195 


de la nutrition; il en est de même de la maladie du doute, qui 
n’apporte aucune perturbation dans l’état général et n’affaiblit 
pas les facultés intellectuelles. 

Il faut donc poursuivre l’examen et chercher d’autres carac¬ 
tères, à la fois communs à toutes les manifestations hystériques 
et spéciaux à l’hystérie. 

La possibilité d’être reproduits par suggestion avec une 
exactitude rigoureuse chez certains sujets et de disparaître 
sous l’influence exclusive do la persuasion me paraissent être 
des caractères de ce genre. Mais avant de chercher aie prouver, 
je crois indispensable d’indiquer le sens qu’il faut, selon moi, 
donner à ce mot « suggestion », qui, comme le mot « hystérie », 
ne me semble pak avoir été défini avec une précision suffi¬ 
sante. 

Le mot « suggestion » signifie généralement, dans le langage 
courant, « insinuation mauvaise » (Dictionnaire de la langue 
française , par Littré). Dans le sens médical, ce mot me parait 
devoir exprimer l'action par laquelle on cherche à faire accepter 
à autrui ou à lui faire réaliser une idée manifestement dérai¬ 
sonnable. Par exemple, dire à quelqu’un qui se trouve dans un 
endroit obscur qu’il est entouré de flammes éblouissantes cons¬ 
titue de la suggestion, car cette idée est en désaccord flagrant 
avec l’observation ; soutenir à un individu dont les muscles fonc¬ 
tionnent d’une manière normale qu’il est paralysé d'un bras, 
que désormais il ne. pourra plus le remuer est encore de la 
suggestion, car cette affirmation est contraire au bon sens. 
Si ces idées sont acceptées, si l’hallucination visuelle ou si la 
monoplégie brachiale est réalisée, on peut dire que le sujet en 
expérience a subi la suggestion, qu’il a été suggestionné. Le 
mot « suggestion » doit donc impliquer que l’idée qu’on cherche 
à insinuer est déraisonnable. En effet, si on ne donnait pas à ce 
terme ce sens spécial, il serait synonyme de persuasion ; c’est 
cette confusion, du reste, que l’on commet quand on prétend 
obtenir des guérisons par suggestion. Déclarer à un malade 
atteint d’une paralysie psychique que ce trouble est purement 
imaginaire, qu’il peut disparaître instantanément par un effort 
de volonté, et obtenir ainsi la guérison n’est pas une sugges¬ 
tion, bien au contraire, car l'idée émise,loin d’être déraisonnable 
est éminemment sensée; le médecin en agissant ainsi, loin de 
chercher à suggestionner le malade, tend à annihiler la sugges¬ 
tion ou l’autosuggestion cause de la maladie. Il n’agit pas par 
suggestion, mais par persuasion. 



196 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Ainsi donc, comme je le disais plus haut, je soutiens que tous 
les grands accidents hystériques, toutes les variétés de paraly¬ 
sies, de contractures, d’anesthésies, toutes les formes d’attaques 
peuvent être reproduits par suggestion chez certains sujets, en 
particulier chez les grands hypnotiques ; cette reproduction est 
rigoureusement .exacte et il est impossible de distinguer les 
troubles hystériques de ceux qui sont créés par la suggestion 
expérimentale, ce qui conduit à admettre qu’ils résultent d’une 
autosuggestion. Au contraire, aucune des affections actuelle¬ 
ment bien classées hors du cadre dè l’hystérie ne peut être 
reproduite par suggestion ; il est tout au plus possible d’en 
obtenir par ce moyen une imitation très imparfaite, qu’il 
est facile de distinguer de l'original (’). Que l’on essaie par 
exemple de reproduire chez un grand hypnotique l’hémi¬ 
plégie faciale périphérique, la paralysie radiale vulgaire, le 
sujet en expérience, quelle que soit sa suggestibilité et quelle 
que soit la patience de l’expérimentateur, ne parviendra jamais 
au but qu’on se propose de lui faire atteindre ; il ne sera pas en 
son pouvoir de réaliser l’hypotonicité musculaire d’ou dérive 
la déformation caractéristique de la face dans la paralysie du 
nerf facial ; il sera incapable aussi de dissocier dans le mouve¬ 
ment de flexion de l’avant-bras sur le bras l’action du long supi¬ 
nateur de celle du biceps, comme le fait la paralysie radiale. 

De même que tous les grands accidents hystériques peuvent 
être reproduits par suggestion, ils sont fous susceptibles de 
disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion ; il n’y a 
pas un seul de ces accidents qu’on n’ait vu parfois s’éclipser en 
quelques instants après la mise en œuvre d’un moyen propre à 
inspirer au malade l’espoir de la guérison ( 1 2 ). Aucune autre 
affection ne se comporte de cette manière et, si l’on n’a pas 
l’expérience de ce mode de traitement, on est même surpris des 
échecs que l’on essuie quand on cherche à guérir par persua¬ 
sion certains malades sur lesquels ce moyen semble a priori 
devoir agir efficacement. Voici, par exemple, un sujet atteint de 
la maladie du doute bien caractérisée et tourmenté par des pho¬ 
bies diverses ; c’est du reste, un homme intelligent, n’ayant 
aucune idée délirante, se rendant parfaitement compte de l’ab¬ 
surdité des pensées qui l’obsèdent, sachant bien que ses craintes 


(1) J’ai déjà développé cette idée dans mon travail sur lamigraine ophtalmique hys¬ 
térique, paru en 1801 dans les Archives de Neurologie. 

(2) Voir : Hypnotisme et Hystérie. Du rôlede l’hypnotisme en thérapeutique. Leçon 
faite à la Salpêtrière, par J. Babinski, et publiéeen 1801 dans la Galette hebdomadaire. 



DÉFINITION DE l/HYSTÉRIE 


197 


ne se réaliseront pas et animé d’un ardent désir de se débarasser 
d’un trouble qui rend sa vie intolérable ; admettons de plus que 
ce malade soit hypnotisable. Il semble vraiment qu’un cas de 
ce genre réunisse les meilleures conditions pour guérir sous 
l’influence de la persuasion. Or l’observation vient donner un 
démenti à ces vues préconçues ; la persuasion pourra procurer 
à ce malade un peu de calme, mais elle est incapable de le guérir. 
Il n’y a pas une seule affection nerveuse bien définie et située 
hors des limites de l’hystérie que la psychothérapie seule soit 
en mesure de faire disparaître ; si son intervention est utile, ce 
que je reconnais volontiers, elle n’est pas suffisante ; ce qui le 
prouve bien, c’est que jamais, dans les cas de cet ordre, la per¬ 
suasion n’est suivie d’une guérison immédiate. On a affaire, par 
exemple, à un neurasthénique, qui, alarmé de son affaiblisse¬ 
ment cérébral, est tourmenté par de sombres pensées, des idées 
hypocondriaques qu’il ne peut pas chasser ; il se voit menacé 
de folie et cette obsession, qui constitue un véritable travail 
de l’esprit, aggrave les phénomènes neurasthéniques. Si l’on 
arrive à persuader au malade que ses craintes ne sont pas fon¬ 
dées et qu’il doit nécessairement guérir, on procure à son 
esprit le repos qui lui est indispensable et l’on accélère ainsi 
le retour à l’état normal. En réalité, la psychothérapie a rendu 
service, elle a eu pour résultat d’empêcher la neurasthénie de 
s’accentuer, mais elle n’a pas été le seul agent de la guérison qui 
a nécessité l’adjonction d’autres moyens, en particulier d’un 
repos cérébral plus ou moins prolongé. 

Tout ce qui précède s’applique aux accidents que j’appelle 
primitifs, de beaucoup les plus importants, du reste, les anes¬ 
thésies, les paralysies, les contractures, les crises, etc., qui 
sont susceptibles d’apparaître sans avoir été précédés d’autres 
manifestations de l’hystérie. Je crois qu’il est légitime d’appe¬ 
ler encore hystériques des troubles qui, sans présenter les carac¬ 
tères des accidents primitifs, sont liés d’une façon très étroite à 
un de ces accidents et lui sont subordonnés ; mais il faut ajouter 
à ces troubles l’épithète de secondaires. L’atrophie musculaire 
dans l’hystérie (')estletype du genre : elle n’apparait jamais pri¬ 
mitivement ; la suggestion ne peut la faire naître ; elle est liée à 
la paralysie ou à la contracture hystérique qu’elle ne précède 
jamais, dont elle estla conséquence et elle ne tarde pas à dispa¬ 
raître quand la fonction musculaire est redevenue normale. Ce 

t 

(1) Voir à ce sujet : De Vatrophie musculaire dans les paralysies hystériques , par 
J. Babinski. Travail publié en 1880 dans les Archives de Neurologie, 



l'J8 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


sont là les caractères dont la réunion peut servir à définir les 
troubles secondaires ; c’est parce qu’ils sont intimement liés à 
des phénomènes hystériques primitifs qu’on doit les rattacher 
à l’hystérie. 

Mais, me dira-t-on peut-être, jusqu’à présent vous avez cher¬ 
ché à définir les accidents hystériques; comment définissez-vous 
l’hystérie elle-même ? Je répondrai que l’hystérie sans mani¬ 
festations hystériques est en quelque sorte une abstraction ; 
on peutdire que c’est un état d’esprit en vertu duquel on est apte 
à présenter des manifestations hystériques.- 

En résumé, voici la définition que je propose : 

L’hystérie est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve capa¬ 
ble de s'auto suggestionner. 

Elle se manifeste principalement par des troubles primitifs et 
accessoirement par quelques troubles secondâmes. 

Ce qui caractérise les troubles primitifs, c'est qu'il est possible de 
les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse che\ 
certains sujets et de les faire disparaître sous l'influence exclusive de 
la persuasion. 

Ce qui caractérise les troubles secondaires, c'est qu’ils sont étroite¬ 
ment subordonnés à des troubles primitifs ('). 

Comme on vient de le voir, j’ai été conduit à déterminer les 
attributs qui sont propres à l’hystérie et qui, par conséquent, la 
définissent par une analyse comparative des divers troubles sur 
la nature desquels il n'y a plus de discussion, que l’on s’accorde 
à classer les uns dans le cadre de l’hystérie, les autres en dehors 
de ce cadre. 

Pour ce qui Concerne les troubles qui sont l’objet de discus¬ 
sions, j’estime qu’il y a simplement lieu de rechercher s’ils 
possèdent ou non les caractères de la définition proposée; c’est 


(1) Dans mon travail intitulé Hypnotisme et Hystérie , que j’ai mentionné plus haut 
j’ai développé la thèse que les phénomènes hypnotiques sont de meme essence que les 
phénomènes hystériques ; cette idée ressort aussi de ma définition de l’hystérie. Mais 
je voudrais être plus précis et déterminer avec exactitude le lien qui unit l’hystérie 
à l’hypnotisme. On peut définir l’hypnotisme de la manière suivante : 

L'hypnotisme est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve susceptible de subir 
la suggestion d'autrui. 

Il se manijeste par des phénomènes que la suggestion fait naître , que la persuasion 
fait disparaître et qui sont identiques aux accidents hystériques. 

Les manifestations de l’hystérie sont donc exactement semblablesàcelles de l’hyp¬ 
notisme. Ce qui distingue ces deux états c’est que dans le premier les troubles sont 
le résultat de l’autosuggestion,qu’ilssontdus, dans le second, àla suggestion d’autrui 
et cèdent plus facilement à la persuasion ; l’hystérique est en quelque sorte actif, 
l’hypnotique e$t passif. Mais, à la vérité, cette distinction est quelque peu artificielle, 
car généralement un sujet qui est susceptible de subir la suggestion d’autrui est 
capable de s’autosuggestionner à l’occasion, et réciproquement. 



DÉFINITIONS DE l’hYSTÉIUE 


199 


tout bonnement une question d’observation et d’expérimenta¬ 
tion cliniques. 

Je prévois une objection que l’on pourrait me faire. Il n’est 
pas rare d’observer des cas d’hystérie incontestable se mani¬ 
festant par des crises ou quelque autre accident bien caractérisé 
qui sont réfractaires à la persuasion, au moins en apparence ; 
soutiendra-t-on pour ce motif que l’hystérie n’est pas en cause? 
Je ne prétends pas, répondrai-je, qu’on soit toujours sûr de 
guérir par persuasion les manifestations hystériques, je dis 
seulement qu’elles sont toutes susceptibles de guérir par ce 
moyen et si, dans un cas donné, malgré l’échec essuyé par la 
psychothérapie, j’affirme qu’il s’agit d’hystérie, c’est que j’ai 
observé au préalable d’autres cas ayant un aspect clinique 
identique et tout à fait spécial, que j’ai pu reproduire par 
suggestion et faire disparaître par persuasion. Pour préciser 
ma pensée, je prendrai un exemple. Soit un malade atteint 
d’une monoplégie brachiale flasque et complète, de plusieurs 
mois de durée ; les réflexes tendineux et osseux du membre 
paralysé sont normaux et les muscles ne présentent pas la D R ; 
nous pouvons affirmer, même si les tentatives psychothérapi¬ 
ques ont échoué, que la monoplégie est hystérique ; en effet, si 
elle dépendait d’une lésion cérébrale, le membre devrait être 
contracturé et les réflexes tendineux exagérés ; si elle était due 
à une névrite, les réflexes tendineux seraient affaiblis ou abolis 
et il y aurait de la D R ; aucune autre cause que l’hystérie ne 
peut produire une paralysie de ce genre ; mais si nous sommes 
arrivés à cette notion, c’est que nous avons auparavant observé 
des cas de monoplégie ayant les mêmes caractères cliniques, 
qu’il nous a été possible de guérir éxelusivement à l’aide de la 
persuasion et que nous avons été en mesure de reproduire par 
suggestion la même forme de monoplégie. Je demande qu’on 
procède de la même manière en présence d’un trouble encore 
non classé qu’on veut faire entrer dans le cadre de l’hystérie ; 
qu’on le reproduise d’abord par suggestion, qu’on le guérisse, 
au moins dans un cas, par persuasion, et que l’on démontre 
qu’il a des caractères cliniques spéciaux, distinctifs ; on sera 
ensuite, mais alors seulement, en droit, en présence d’un 
nouveau cas identique, de diagnostiquer l’hystérie, même si le 
traitement psychique reste sans effet. Du reste, j’ajouterai que, 
dans les cas d’hystérie où la psychothérapie ne semble pas 
donner de résultats, l’échec est toujours dû à ce que l’auto¬ 
suggestion ou la suggestion plus ou moins consciente de 



200 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


l’entourage vient contre-balancer ou annihiler la persuasion du 
médecin ; s’il est possible de placer le malade dans des condi¬ 
tions qui entravent cette action pernicieuse, on arrive généra¬ 
lement à le guérir. 

Ce que je viens de dire s’applique aux accidents primitifs. 
La définition que j’ai donnée des accidents hystériques secon¬ 
daires suffit pour connaître les conditions qu’un trouble doit 
remplir afin d’êfrc admis dans ce groupe. Je le répète, pour 
éviter tout malentendu, il est nécessaire que la relation de 
cause à effet entre les troubles en question et une manifestation 
hystérique primitive s’impose; il est indispensable que le lien 
entre l’accident primitif et l’accident secondaire soit intime et 
il faut bien se garder de se laisser tromper par de simples 
coïncidences. Si, par exemple, on n’avait observé qu’une seule 
fois l’amyotrophie liée à la paralysie hystérique, malgré l’appa¬ 
rition de l’atrophie musculaire très peu de temps après le début 
de la paralysie et la disparition rapide de l’atrophie suivant de 
très près la guérison de la paralysie, il eût été impossible 
d’affirmer l’existence d’une amyotrophie hystérique ; ce n’est 
qu’à la suite de nombreuses observations identiques que l’affir¬ 
mation a été permise. 

C’est en m’appuyànt sur ces idées que je soutiens depuis 
longtemps, contrairement à la plupart de mes collègues, que 
l’exagération des réflexes tendineux ne peut être provoquée 
par l’hystérie ( 1 ). Je dis qu’il est impossible d’exagérer par 
suggestion les réflexes tendineux et de ramener à l’état nor¬ 
mal, par la persuasion, des réflexes tendineux exagérés; donc 
ce phénomène ne peut être rangé dans le groupe des manifes¬ 
tations hystériques primitives. Je dis de plus qu’il n’existe pas 
de faits bien nets où une exagération des réflexes tendineux 
aurait accompagné une paralysie hystérique et aurait disparu 
après la guérison, que, par conséquent, on n’est pas autorisé 
à considérer ce phénomène comme un accident hystérique 
secondaire. J’en dirai autant du phénomène des orteils, de 
l’immobilité pupillaire, de la paralysie limitée au territoire 
d’un nerf, comme, par exemple, la paralysie du moteur oculaire 
commun ou la paralysie du moteur oculaire externe. Les 
observations de ce genre qu’on a publiées et qui ont été ran- 


(1) Voir : Contracture organique et hystérique, par J. Babinski, Soc. medicale , 
5 mai 1803, et aussi Diagnostic différentiel de l'hémiplégie organique et de l’hémi¬ 
plégie hystérique, par J. Babinski. Leçon publiée dans la Galette des hôpitaux, 
5 et 8 mai 1900. 



201 


DÉFINITION DE L’HYSTÉRIE 

gées dans l’hystérie sont loin d’être démonstratives selon moi, 
car elles ne remplissent pas les conditions exigées. 

La définition que je viens de donner me paraît tout à fait 
satisfaisante au point de vue nosographique, car, parmi les 
affections névropathiques et mentales, il n’y en a pas une 
autre de laquelle on puisse tracer des traits distinctifs aussi 
spéciaux. Elle me semble aussi inattaquable au point de vue 
pratique ; n’est-il pas essentiel, en effet, de réunir dans un 
même groupe tous les troubles sur lesquels la persuasion peut 
avoir une pareille action et d’en éliminer tbus ceux qui sont 
privés de cette propriété ? / 

On est même en droit de dire que l’hystérie ainsi définie est 
l’affection mentale qu’il importe le plus au point de vue du 
traitement de savoir reconnaître, car un trouble hystérique, 
peut guérir rapidement, instantanément, sous l’influence des 
pratiques de la persuasion mises en œuvre avec habileté, ou 
durer des années, la vie entière, suivant que sa nature est 
reconnue ou méconnue. 

Si l’on m’objectait que ma délimitation de l’hystérie est 
arbitraire, voici ce que je répondrais. Il est, comme je l’ai déjà 
dit, légitime et même utile de faire avec les troubles présentant 
les caractères sur lesquels je viens d’insister un groupe noso¬ 
logique spécial, quelle que soit l’étiquette qu’on y applique. 
On pourrait, en se servant d’un néologisme, leur donner la 
dénomination de troubles pithiatiques (•), qui exprimerait au 
moins l’un de leurs caractères distinctifs et dissiperait tout 
malentendu; il serait en effet impossible de confondre dans 
une classification des phénomènes « pithiatiques », c’est-à-dire 
guérissables par la persuasion, avec des accidents que la per¬ 
suasion ne peut faire disparaître. Si je me sers du mot hystérie, 
quoiqu’il fût plus raisonnable d’abandonner l’usagc d’un terme 
qui n’a plus pour personne son sens primitif et étymologique, 
c’est pour ne pas rompre trop brusquement avec la tradition. 
Mais si l’on continue à appeler hystériques cès troubles dont 
la propriété essentielle est leur dépendance intime' de la 
suggestion et de la persuasion, il est logique de refuser cette 
épithète à des manifestations qui n’ont pas cet attribut; il 


(1) Los mots grecs « ttsiOo) » et « ta to; » signifiant le premier « persuasion » le 
second « guérissable », le néologisme « pithiatisme » pourrait tort bien désigner 
Tétât psychique qui se manifeste par des troubles guérissables par la persuasion et 
remplacerait avantageusement le mot « hystérie ». L adjectif « pithiatique » serait 
substitué à « hystérique ». 



i * 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


est logique, en effet, de ne pas désigner par un même mot deux 
choses profondément différentes. 

J’espère avoir bien fait comprendre ma pensée et, comme il 
paraît essentiel de s’entendre une fois pour toutes sur la défi¬ 
nition de l’hystérie, j’invite mes collègues, s’ils n’acceptent pas 
celle que je propose, à nous faire connaître leur manière de 
concevoir l’hystérie et à indiquer le sens qu’ils attachent à ce 
mot, c’est-à-dire à le définir à leur tour. 


Physio-psychologie des religieuses 

Par le D r Charles Binet-Sanglé 


Les religieuses de Port-Royal ( fin ) (') 

(Troisième série de cinq observations) 


Observation III. — Françoise-Magdelaine BAUDRAND 

état général. — Françoise-Magdelaine Baudrand naquit en 
1639. Malgré sa « force de tempérament..., différentes maladies 
et infirmités... l’ont exercée pendant les cinquante ans qu’elle 
a passé dans cette maison » ( 2 ), entre autres une « sciatique 
dont elle fut extrêmement incommodée les dernières années 
de sa vie » ( 3 ). Les « douleurs, très violentes, ne lui laissoienl 
pas de relâche » ( 4 ). 

Elle mourut le 21 avril 1706, à 67 ans. 

intelligence et énergie. — Sa biographe, Louise du Mesnil, 
' parle de la « facilité de son génie » ( 5 ) et de son « ardeur pour 
le travail » ( (i ). 

suggestibilité. — Elevée chez les Ursulines de Lyon, elle 
passa, à 14 ans, au monastère dePort-Royal-des-Champs. Elle 
y fit preuve de « docilité envers ses maîtresses » ( 7 ) ; et, à 17 ans, 
elle voulut être religieuse. Elle entra en effet au noviciat, le 
25 mars 1658 (18 ans et demi), et s’y montra « silencieuse, rece¬ 
vant humblement les corrections de sa maîtresse, qui souvent 
étoient très mortifiantes; parce qu’elle n’épargnoit point celles 
qui aspiroient à la profession de religieuse » .(s). 

(1) Voir Revue de VHypnotisme. Numéros 5 et 6. 

(2) it (7) Vies int. III, 65-8. 

(8) Nécrologe de Port-Royal. 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


203 


Observation IV. — Magdelaine-Claude BAUDRAND 

état général. — Magdelaine-Claude Baudrand, peut-être pa¬ 
rente de la précédente, naquit en 1642. 

Ail ans, on nous signale chez elle « une grande colique qui 
lui revenoit après de courts intervalles » ( l ). 

A 13 ans, d’autres accidents apparurent qui persistaient 
à 15 ans : « Maux de tête, colique, débilité générale, ex¬ 
trême difficulté de respirçr, c’étoit là ses maux habituels ; 
mais le pire de tous étoit une enflure prodigieuse depuis plu¬ 
sieurs années » ( 2 ). Cette phrase peut se traduire, en langage 
scientifique, de la façon suivante : « Céphalalgie hystériquë, 
colique hystérique, amyosthénie hystérique, dyspnée hystéri¬ 
que, c’était là ses maux habituels, mais le pire de tous était 
une tympanite hystérique qui datait de plusieurs années. » 

En effet, de tous ses maux et de cette « enflure prodigieuse » 
Magdelaine-Claude Baudrand « fut miraculeusement guérie, 
dit Angélique-Arnauld d’Andilly, sa biographe, par la vertu de 
la Sainte-Epine que l’on conserve dans notre Eglise », c’est-à- 
dire par suggestion. 

Les certificats médicaux attestant le miracle portaient la date 
du 2 juin 1657, et étaient signés par les médecins dont les noms 
suivent: Martin Dalencé, Etienne Guillard, Jean Hamon, Gui 
Isoré et Isaac Renaudot. 

A l’époque où ces médecins observèrent, l’hystérie était une 
maladie à peu près inconnue. A part quelques pages obscures 
des livres hippocratiques, d’Aretaios, de Cœlius Aurelianus, de 
Paulos (d’Egine), de Serapion, de Jean Fernel et de Daniel 
Sennert, il n’existait, sur la matière, qu’un ouvrage non moins 
imprécis de Charles Lepois, médecin de Pont-à-Mousson, 
ouvrage datant de 1618. Le livre d’Highmore ne devait paraître 
qu’en 1660, et celui de Thomas Willis qu’en 1667. L’hystérie 
restait donc, pour le xvn* siècle, ce qu’elle avait été pour l’anti¬ 
quité et le Moyen-Age, une maladie démoniaque, une posses¬ 
sion, qui ne regardait que les exorcistes. 

Les médecins dont j’ai cité les noms ne pouvaient d’ailleurs, 
à ce qu'il semble, fournir des certificats d’une bien grande va- 

(1) Pierre-Thomas du Fossé. Mémoire s pour servir à V histoire de Port-Royal. A 
Utrecht, aux dépens de la Compagnie, mdccxxxix. 

(2) Jérôme Besoigne. Histoire de Vabbaye de Port-Royal . A Cologne, aux dépens 
de la Compagnie, 1752. 



20 i 


REVUE DE L HYPNOT1SME 


leur scientifique. Martin Dalencé, Etienne Guillard et Gui Isoré 
sont absolument inconnus. 

Isaac Renaudot, fils du docteur Théophraste Renaudot, con¬ 
tinuait les Galettes de son père, et s’occupait moins de méde¬ 
cine que de journalisme. Sur lui et sur son frère Eusèbe, 
médecin comme lui, Gui Patin, professeur de médecine au 
Collège de France, est catégorique : « Ils ne valurent jamais 
rien, et même l’ainé des deux est le médecin ordinaire de Port- 
Royal de Paris ». 

D’une autre lettre de Gui Patin, en date du 2 juin 1657, et par 
conséquent postérieure à la mort de Théophraste Renaudot 
(1653), j’extrais le passage suivant relatif probablement à Isaac 
Renaudot: 

e II est mort ici un honnête homme de votre ville de Lyon (*), 
nommé Monsieur du Gué de Bagnols, jadis maitre des Requêtes. 
Il étoit un chef du parti janséniste ; homme fort sage, fort dévot 
et fort réglé. Il a tant jeûné et tant fait d’austérités qu’il en est 
mort ; et de peur qu’il n’en échappât, Guenaut et Y un des gantiers 
lui ont donné du vin émétique, dont il est mort dans l’opéra¬ 
tion. Qu’elle (sic) sottise, de prendre ce poison dans une inflam¬ 
mation du poumon, et de jeûner si rûdement qu’il en faille 
mourir. C’est une espèce de folie de se traiter si cruellement 
pour mourir jeune. Tantum Religio potuit suadere malorum, dit 
Lucrèce. » ( 2 ). 

Toutefois, je dois rappeler que Gui Patin n’était pas lui- 
même à l’abri de tout reproche au point de vue scientifique, 
(il niait la circulation du sang), qu’il était enclin à la médisance, 
et qu’entin il avait été en procès avec Théophraste Renaudot. 

Quant à Jean Hamon, solitaire de Port-Royal et médecin 
« ordinaire et domestique de cette abbaye, ideoque remsandus 
tanquam suspectas », dit Gui Patin, sa véritable place eût été 
aux Petites Maisons. Par mortification, ce psychopathe jeûnait, 
jusqu’au soir, ne mangeait que le pain des chiens, prenait ses 
repas debout, couchait sur une planche, se levait à deux heures 
du matin, traversait Paris, vêtu des habits les plus grossiers 
et les plus sales, ne se chauffait presque jamais, passait ses 
journées à prier, à composer des livres de piété ou à labourer 
la terre, employait ses loisirs à tricoter, et, entre temps, son- 

(1) Cette lettre est adressée à M. C. S. C. M. D. R. Les trois dernières lettres 
sont probablement les initiales des trois mots : Médecin du roi. C’était là un titre 
purement honorifique et qui s’obtenait assez aisément. 

12) Guy Patin. Lettres choisies t 1725, 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


205 


nait les cloches du couvent à toute volée. Quant à sa façon 
d’envisager la maladie et les malades, nous avons le témoi¬ 
gnage de Nicolas Fontaine : « M. Hamon ne regardoit que Dieu 
dans la nature et que les maladies des âmes dans celles du 
corps » ( 1 ). 

De ces praticiens, choisis tous évidemment parmi les amis de 
Port-Royal, le premier et les deux derniers étaient de véri¬ 
tables médicastres de sacristie. Déjà, l'année précédente, ils 
avaient fourni une attestation de miracle pour la guérison de 
Marguerite Périer, nièce de Biaise Pascal, guérison dont j’ai 
parlé ailleurs( 2 ); et, à cette occasion, Dalencé (ou d’Alençay) 
avait fait preuve d’une ignorance absolue quant à l’évolution de 
la dacryocystite chronique. 

Nous voilà dès. lors fixés sur les qualités de ces cinq témoins, 
et l’erreur de diagnostic qu’ils commirent n’aura plus lieu de 
nous surprendre. 

« Ils attestent, dit la Sentence du miracle : savoir, le dit Hamon 
avoir traité et médicamenté depuis quatre ans environ (11 ans), 
la dite Claude Baudrand, pensionnaire au Port-Royal des 
Champs, d’une colique dont elle étoit travaillée, et depuis deux 
ans ou environ (13 ans), d’une tumeur dans le bas du ventre, qui 
l’occupoit entièrement et étoit comme une loupe intérieure, 
laquelle se remplissoit des impuretés de tout le corps, (c’est 
là une hypothèse de Jean Hamon, une pure spéculation), et, par 
un long amas de matière, étoit venue à une grosseur extraor¬ 
dinaire et lui causoit beaucoup de douleur, sans que, par tous 
les remèdes qu’il lui avoit prescrits, la dite tumeur fut dimi¬ 
nuée, au contraire s’étoit toujours augmentée depuis cinq ou 
six mois qu’elle étoit demeurée en la même consistance; et 
que, depuis le jour du jeudi saint dernier, la dite Baudrand 
avoit perdu la voix (aphonie hystérique) ; ayant un grand mal 
de tête et oppression de poitrine (céphalalgie et dyspnée hysté¬ 
rique) : tous lesquels maux lui avoient continué jusqu’au jour 
de la Sainte-Trinité dernière » ( 3 ). 

Cette tumeur, lit-on d’autre part dans les Mémoires de 
Pierre Thomas du Fossé, « s'augmentoit peu à peu, principale¬ 
ment depuis deux ans, et devint si monstrueuse qu’elle avoit le 


(1) Nicolas Fontaine. Mémoires pour servir à Vhistoire de Port-Royal, A Cologne. 
Aux dépens de la Compagnie, mdccxxxviii 

(2) Charles Binet-Sanglé. Histoire des suggestions religieuses dans la famille 
Pascal (in Revue de Vhypnotisme et de la psychol, physioî 1898-99-1900.) 

(3) Vies , III, 268. 



206 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


ventre plus gros que la plus grosse femme toute prête d’ac¬ 
coucher » (*). 

On envoya la malade à Paris consulter les médecins amis 
dô la maison. Ils déclarèrent à leur tour avoir trouvé « une 
grande tumeur et dureté dans toute l’étendue du bas-ventre, 
accompagnée d’enflure, laquelle enflure et dureté était causée 
par un corps étranger qui paroissoit avoir son siège dans le 
mésentère, contenant une matière fluide enfermée dans un sac 
et enveloppe particulière, avec inondation et fluctuation mani¬ 
feste, la dite tumeur paroissant comme d’une hydropique, et 
que lorsqu’ils touchoient la partie malade, la dite Baudrand 
se plaignoit disant qu’elle souffroit beaucoup de douleur ( 2 ), et 
parloit si bas qu’à peine la pouvoit-on entendre » ( 3 ). 

La sensation de corps étranger et de fluctuation n’étoit pas 
illusoire, et elle est facile à comprendre. Il existe en effet, 
dans ces cas, des contractures circulaires et localisées de l’in¬ 
testin, délimitant une poche dans laquelle sont emprisonnés les 
solides, les liquides et les gaz. Cette «tumeur fantôme » peut se 
déplacer, et c’est ce qui fit croire à Ilippocratès et à Jean 
Fernel que la matrice se mouvait comme un animal. D’ailleurs il 
peut exister en même temps des contractures des muscles de 
la paroi abdominale ou du diaphragme. Cette dernière serait, 
d'après Talma, la cause principale de la saillie du ventre, et 
elle pourrait expliquer la dyspnée et l’aphonie de Magdelaine- 
Claude Baudrand, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir 
ici les paralysies et les contractures des muscles du larynx, qui 
ont été constatées dans l’aphonie hystérique. 

Les médecins « résolurent d'ouvrir le mal le lendemain » ( 4 ). 
Ce fut le commencement de la guérison. La « pauvre fille 
inquiette au dernier point d’une telle résolution, alla adorer la 
Sainte Epine avec beaucoup de dévotion et de foi » ( 5 ). 

Cette épine, débris supposé de la couronne dont, au 
témoignage des quatre évangélistes, les soldats du procura¬ 
teur Pontius Pilatus affublèrent le nabi Ioshua (de Nazareth) 
(Jésus-Christ) après son arrestation, était une de ces innom¬ 
brables reliques que répandirent dans la chrétienté la naïveté 
et la mauvaise foi ( 6 ). Elle se trouvait, en 1656, entre, les 

(1) J’ai observé pour ma part une femme atteinte de tympanite hystérique qu’on 
eût dit au terme de la grossesse. 

(2) C’est l’entéralgie de la tympanite hystérique. 

(3) Fies, III, 268. 

(4) et (5) Pierre-Thomas du Fossé, Mémoires . 

(6) Aujourd’hui encore on montre : 

1° Le prépuce de Jésus-Christ dans huit églises différentes, savoir : h Rome, 4 



PHYSIO-PSYCHOLOGIE DES RELIGIEUSES 


207 


mains d’un certain de la Potterie, ecclésiastique, qui l’avait 
confiée pour quelque temps aux religieuses de Port-Royal ; et, 
depuis deux jours, Madeleine-Claude Baudrand, avait com¬ 
mencé une neuvaine en son honneur. 

Après la consultation des médecins, elle resta une demi- 
heure en prière» devant la relique, et l’exaltation religieuse 
compléta l’effet de la terreur. 

« S’étant retirée dans sa chambre pour s’aller coucher, elle 
fut bien surprise en se déshabillant de ne pas voir ni sentir 
cette horrible grosseur dont j’ai parlé, et de se trouver tout à 
fait guérie » (*). 

En effet, le lendemain, les médecins « auroient trouvé icelle 
Baudrand parfaitement guérie de tous les rhaux ci-dessus 
sans qu’il parut aucune marque ni vestige de ladite tumeur, 
enflure et dureté, son ventre étant rétabli en son état 
naturel » ( 2 ). 

De plus elle « avoit la voix fort claire et intelligible » ( 3 ). Elle 
était enfin « rétablie en- une parfaite santé, sans qu’on lui 
eût fait' aucun remède ni qu’elle eût eu aucune évacua¬ 
tion » ( 4 ). 

Deux grandes émotions successives avaient ébranlé les 
neurones de l'hystérique, déplacé leurs molécules, fait se rel⬠
cher leurs prolongements rétractés, rétabli les circuits inter¬ 
rompus, rendu l’équilibre à la machine nerveuse, et, comme 
par l’effet d’une commutation électrique, fait disparaître ins¬ 
tantanément contractures et paralysies. L’émotion ou mieux 
la cause émotionnelle n’agit pas autrement que le coup de 
pouce qui, déplaçant la limaille du cohéreur d’Oliver Lodje, 
change les conditions de transmission du système. Rien là de 
plus merveilleux que la télégraphie avec ou sans fil, et, à coup 
sûr, rien là de surnaturel. 

Conques (Aveyron), à Puy-en-Velay (Haute-Loire), à Poitiers, à Golombs (Eure- 
et-Loir), à Metz, à Anvers et à Holdesheim (Saxe). 

ï* Une do ses larmes {sic), à Vendôme, à Allouagne (Pas-de-Calais) et à Liège. 

3° Sa tunique, à Rome, dans les églises de Saint-Jcan-de-Latran et de Sainte- 
Martinelle. à Argenteuil (Seine-et-Oise), à Trêves et à Moscou. 

Enfin, s’il faut en croire la Revue religieuse de Rode% et de Mende , du 7 juin 1876, 
le monastère de Sainte-Foi, à Conques, posséderait, outre le prépuce de Jésus-Christ, 
de ses cheveux, do son sang, un morceau de sa robe, le linge avec lequel il essuya 
les pieds des apôtres, du pain de la Cène, un morceau de la colonne à laquelle il fut 
attaché, et des aliments qu’il distribua à ses disciples après sa résurrection. 

Quant aux épines de la couronne, il en existait une à l’abbaye de Flines (Nord) et 
une dans une église d’Aire (Pas-de-Calais). Voir Malvert, Science et Religion , Soc, 
d’édit, scient. 1899. 

(1) Pierre-Thomas du Fossé. Mémoires . 

(2) (3) (4) Vies inter . et édif. III, 269-70. 



REVUE DE L’HYPNOTISME 


2(fR 

Dans son Etude clinique du dynamisme psychique, Henri Aimé 
rapporte un cas de tympanite hystérique, observé par le 
professeur Haushalter, et qui présente une analogie frappante 
avec le précédent : 

« C... est une fillette de 12 ans. Elle n’est jamais sortie de 
son village, détail à souligner. Père cultivateur, nerveux; mère 
journalière, obtuse. 

« Il y a quelques mois, Tendant qui, d’après sa mère, avait 
déjà un ventre assez gros, aurait vu ce ventre augmenter telle¬ 
ment, qu’on aurait cru à une grossesse. Elle ne pouvait sup¬ 
porter aucune ceinture ; on était obligé d’accrocher la robe en 
haut du corset. Après les repas, elle était forcée de se desser¬ 
rer ; elle ne pouvait plus monter d’escaliers ni sauter de 
fossés. 

« Un médecin diagnostiqua une tumeur abdominale et con¬ 
seilla de la conduire à l’hôpital. 

« A la consultation elle donna, à un exameh sommaire, l’im¬ 
pression d’une péritonite tuberculeuse. Le ventre était énorme, 
tendu, dur comme celui d’une grossesse assez avancée. Par 
places, il y avait comme de la submatité. L’état général est du 
reste excellent. Dans la journée, la fillette entre au service. 
Elle n’est revue que le lendemain matin à la visite. A ce moment, 
au grand étonnement de tous les assistants, à la stupéfaction 
de la mère qui, en pleurant, était venue voir ce que sa fille 
avait, le ventre est redevenu normal, souple. L’enfant est restée 
dix jours à l’hôpital, ne présentant plus aucun trouble nerveux, 
aucun symptôme du côté de l’abdomen » ( 1 ). 

La guérison était due à l’émotion de l’entrée à l’hôpital 
et probablement à la crainte d'une opération. 

Les médecins de Magdelaine-Claude Baudrand « s’écriè¬ 
rent que c’étoit le plus grand miracle qui se fût fait par la 
Sainte-Epine, et qu’ils l’estimoient autant que la résurrection 
d’un mort » ( 2 ). 

Cette religieuse mourut le 24 juin 1662, à 20 ans, d’une maladie 
inconnue. 

suggestibilité. —La guérison précédente montre assez quelle 
était la suggestibilité de cette fille. 

Elle « fut mise à Port-Royal à l’âge de neuf ans, et y fut élevée 
dans la piété » ( 3 ). 

(1) Henri Aimé. Etude clinique du dynamisme psychique. Paris, 1897, p. 93. 

(2) Du Fossé. Mémoires . 

(3) Vies int. III, 266. 



PHYSI0-PSYCH0L0G1E DES RELIGIEUSES 


209 


Immédiatement après sa guérison, elle fit vœu de se faire 
religieuse, et elle avait déjà pris l’habit, lorsqu’un ordre du roi 
fit sortir de Port-Royal les pensionnaires et les novices. 

Elle mourut « dans une maison séculière où elle avoit vécu 
comme dans un monastère » (*). 

Observation V. — Marie-Antoinette Le BLOND 

Marie-Antoinette Le Blond mourut le G janvier 1G54, d’une 
maladie qui datait de six mois. 

suggestibilité. — Entrée à Port-Royal au plus tard en 1627, 
elle « se rendit recommendable pour son humilité, son obéis¬ 
sance et un vrai mépris de soi-même... emploïant tous le tems 
qu’elle pouvoit à la prière, où elle auroit passé une partie des 
nuits, si l’obéissance ne l’eût retenue... Elle ne cherchoit pour 
soi-même que d’être méprisée des créatures » ( 2 ). 

Résumé 

Je relève : 

1° L’hérédité religieuse chez une des cinq religieuses que je 
viens d’étudier (Ilenriette-Marie d’Angennes du Fargis) ; 

2° La maladiveté chez une (la même) ; 

3° La tuberculose (pulmonaire et probablement osseuse) chez 
une (Marguerite d’Angennes) ; 

4° Une névralgie sciatique chronique chez une (Françoise- 
Magdelaine Baudrand) ; 

5° La cécité, suite de maladie, chez une (Henriette-Marie 
d’Angennes du Fargis) ; 

6° Des symptômes d’hystérie chez trois (Henriette-Marie 
d’Angennes du Fargis — immobilité extatique, rêves intensifs; 
Marguerite d’Angennes — boulimie ; Magdelaine-Claude Bau¬ 
drand — céphalalgie, colique, amyosthénie, dyspnée, aphonie, 
tympanite (guéris par suggestion); 

7° La surémotivité chez deux (Henriette-Marie d’Angennes 
du Fargis et Magdelaine-Claude Baudrand) ; 

8° Une prédisposition à la colère et à la crainte chez une 
(Marguerite d'Angennes) ; 

9° L’hypersuggestibilité chez toutes ; 

10° Deux,dont.nous connaissons le genre de mort, moururent, 

(t) Vies int. III, 267. 

(2) Nécrologe de Port-Royal, 



210 REVUE DE L’HYPNOTISME 

l’une de tuberculose pulmonaire, l’autre à la suite d'un érysi¬ 
pèle ; 

11° Quatre, dont nous connaissons l’âge de la mort, mouru¬ 
rent : la première à 17 ans (Marguerite d’Angennes) ; la seconde 
à 20 ans (Magdelaine-Claude Baudrand) ; la troisième à 67 ans 
(Françoise-Magdelaine Baudrand) ; la quatrième à 72 ans et 
7 mois (Henriette-Marie d’Angennes du Fargis). La moyenne 
de la durée de la vie de ces quatre religieuses est de 46 ans. 


La vie de Jésus devant la science hypnotique 

par le D r Félix Re&nault 
(suite) 


Après avoir examiné les miracles, il faut étudier les procédés hypno¬ 
tiques du Christ. 

Tantôt il agit par simple commandement, il dit au démon : Tais-toi et 
sors de lui (Marc, I, 25), au lépreux: Je le veux, sois nettoyé (Marc, I, 40 ; 
Mat., VIII, 3 ; Luc, V, 12, 13), ou encore : Lazare, sors de là (Jean XI). Une 
foisil emploie une parole magique pour guérir un sourd qui parlait diffici¬ 
lement « Ephphatah », mot magique araméen qui veut dire «ouvre-toi »• 
Parfois il annonce au delà de ce qu’on lui demande pour faire admettre 
sa toute-puissance, comme lorsqu’il dit au paralytique: «Lève-toi, prends 
ton lit et marche ». L’impotent ne peut qu’ajouter foi à un guérisseur qui 
lui annonce, non seulement qu’il pourra marcher, mais qu’il emportera 
son lit. 

Pour certains sujets, il est préférable de ne pas donner d’ordre direct 
de peur d’éveiller l’esprit de contradiction qui s’oppose à la suggestion. 
Jésus usait souvent du procédé indirect. Il dit au paralytique : « Mon 
enfant, tes péchés sontpardonnés », et puis : « Lequel est le plus aisé de 
dire au paralytique tes péchés sont pardonnés ou de dire lève-toi, prends 
ton grabat, et marche » (Marc, II, 7), ou encore il fait dévier la question 
en demandant s’il est permis de guérir le jour du sabbat (Marc, III, 4). 

Il connaît assez l’esprit de contradiction pour en tirer profit. Il défend 
aux gens de dire le miracle à qui que ce soit, et il obtient le résultat 
inverse : « plus il le leur défendait, plus ils le publiaient (Mat., VII, 36). 
Il est vrai que lorsqu’il avait affaire à des esprits dociles, il leur ordonnait 
au contraire de raconter ce qu’il avait fait (Luc, VIII, 39). 

Il pratiquait aussi l’imposition des mains, si usitée par tous les théra¬ 
peutes. ïltouchaitla partie malade, les yeux des aveugles (Mat., XX, 34,) 
l’oreille des sourds (Marc, VI, 1)... Il suffisait parfois que le malade 
touchât une frange de ses vêtements (Mat., XIV, 36; Marc, VI, 56). 

Plus tard, au temps des apôtres, la foi était plus vive, des procédés 
plus simples encore pouvaient réussir. 




LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 


211 


L’ombre de Pierre suffisait à guérir, on apportait des malades dans les rues 
de Jérusalem, on les mettait sur des lits et sur des couchettes afin que, quand 
Pierre viendrait à passer son ombre du moins en couvrît quelques-uns 
(Actes, V, 15) ou encore on portait sur les malades les mouchoirs et les linges 
qui avaient touché son corps ; et ils étaient guéris de leurs maladies et les 
malins esprits sortaient (Actes, XIX, 12). 

Mais Jésus avait souvent affaire à des cas difficiles. Il employait alors 
des procédés complexes pour frapper l’imagination. Il imbibait son 
doigt de sa salive et le mettait sur les yeux de l’aveugle (Marc VIII, 23), et 
dans les oreilles du sourd (Marc VII, 33). La salive possédait alors, et 
a encore de nos jours, dans le peuple, une grande réputation. Ainsi 
Vespasien, promu favori des Dieux devant la plèbe alexandrine, cracha 
dans les yeux d’un aveugle qui, nécessairement, recouvra la vue. De 
même l'empereur Adrien et Pyrrhus ( Tacite , hist. IV, 81 et Suétone ). 
Plus tard Mahomet fit de même. 

Jésus faisait encore un mélange de salive et de terre, puis avec cette 
boue il oignait les yeux de l’aveugle (Jean IX, 7). Ce dernier, alla se 
laver au réservoir de Siloé et revint voyant clair. Ce procédé était habi¬ 
tuel à cette époque, car le miraculé répond aux questions qu’on lui fait: 
cet homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il en a oint mes yeux... 
Jean IX, 11) et plus loin : « or, c’était un jour de sabbat que Jésus a fait 
de la boue » (Jean IX, 14), sans spécifier qu’il a fait un mélange de salive 
et de terre, comme il l’eût indiqué nécessairement, si le mélange avait 
été inusité. 

Pour guérir le malade, il fallait qu’il eût la foi. Traduisez, si vous le 
voulez, qu’il ait confiance absolue en son médecin, et vous admettrez 
que cette condition est encore nécessaire quand on consulte un hypno¬ 
tiseur. Jésus connaissait admirablement la toute-puissance de la foi. Il 
attendait que le malade lui demandât la guérison, comme ce lépreux 
qui lui dit : « Seigneur, si tu veux, tu peux me rendre net (Mat. VIII, 2; 
Luc V, 13) ou cet autre paralytique qui faisait percer le toit de la chau¬ 
mière où se trouvait Jésus, pour arriver à lui (Marc II, 4). Souvent il 
attendait qu’on l’ait suivi quelque temps pour opérer ses cures : « plu¬ 
sieurs le suivirent et il les guérit tous » (Mat. XII, 15), ou encore « de 
grandes multitudes l’y suivirent et il guérit là leurs malades » (Mat. 
XIX, 2). On ne pouvait l’approcher facilement : telle la femme cana¬ 
néenne qui importune les disciples. Ceux-ci disent au Christ : « renvoie- 
la, car elle crie après nous » (Mat. XV, 21), mais Jésus lui permit alors 
d'approcher. Une seule fois Jésus guérit quelqu’un qui ne lui demanda 
rien. C’est le paralytique qui attendait sa guérison d’une source inter¬ 
mittente, dans laquelle on devait le plonger (Jean V, 7); le seul fait de 
se trouver là indiquait sa confiance. 

Il opéra quelques guérisons à distance, le malade étant loin de lui ; 
mais alors il s’assurait auparavant que le parent qui implorait la gué¬ 
rison avait une foi profonde, or, rien n’étant plus communicatif dans une 
famille unie, le malade devait donc aussi l’avoir. Telle la foi du oen- 



212 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


turion de laquelle Jésus dit : « En vérité je n’ai trouvé une aussi grande 
foi chez nul homme en Israël » (Mat. VIII, 8). 

Jésus avouait d’ailleurs parfaitement que le miracle ne dépendait pas 
seulement de lui mais de la personne qui l’implorait. Ainsi il dit : « Ta 
foi t’a sauvé (Marc X, 52; Luc XVII, 19). Il tenait également compte de 
la foi de l’entourage qui exerce une si grande influence. Quand l’aveu¬ 
gle demande la guérison (Marc X, 47), l’entourage augmente sa foi par 
ces mots : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle. » Si l’entourage n’a 
pas la foi, il soustrait le malade « il emmène l’aveugle de Béthsaïda 
hors du bourg (Marc VIII, 23), ou encore il tire de la foule à part un 
muet qui parlait difficilement (Marc VII, 33). 

Il ne pouvait guérir ceux qui ne croyaient pas en lui. En effet il ne put 
faire de miracles en son pays, on n’avait point confiance en celui qu’on 
avait connu enfant. Jésus en reconnu la cause «dans leur incrédulité 
dont il s’étonne » (Marc VI, 3-6 ; Mat. XIII, 57-58). 

Il lui était nécessaire d’attendre pour opérer le miracle que celui qui 
l’implorait ait la foi. Un homme avait amené son fils possédé d'un esprit 
muet et demanda : « Si tu peux quelque chose, aide-nous et ai compassion 
de nous ». Jésus lui répondit : « tu me dis, si tu peux, toutes choses sont 
possibles à celui qui croit. » Aussitôt le père de l’enfant s’écria : Je crois î 
viens en aide à mon incrédulité ! (Marc IX, 23). 

Il refusait de faire des miracles à ceux qui n’avaient pas la foi « cette 
race est méchante, elle demande un miracle et il ne lui en sera pas 
donné... » (Luc XI, 29; Marc VIII, 12). 

Ces restrictions de la part de Jésus font dire à Renan que Jésus ne 
fut thaumaturge et exorciste que malgré lui, puisqu’il défend d'en rien 
dire à personne et qu’il refuse les miracles à ses ennemis (<). Ces res¬ 
trictions prouvent qu’au contraire il était excellent hypnotiseur. 

La foi ne devait pas appartenir seulement au miraculé mais au mira- 
culeur. Ceci est connu ; l’hypnotiseur, pour réussir, doit avoir lui-même 
confiance, il aura ainsi une voix et des gestes qui convainquent. Cette 
foi, Jésus l’avait au plus haut degré, mais ses disciples réussissaient 
moins bien, à cause de leur peu de foi (Mat. VII, 19). Enfin Jésus recon¬ 
naît parfois la nécessité d’adjuvants pour rendre l’esprit favorable à la 
suggestion « certains démons ne sortaient que par la prière et par le 
jeûne » ( Mat. id. Marc XXIX, 9). 

Jésus admettait la toute-puissance de la foi « Si vous aviez de la foi 
gros comme un grain de senevé, vous diriez à ce sycomore : Déracine- 
toi et va te planter dans la mer, et il vous obéirait » (Luc XVII, 5), ou 
encore « la foi qui soulève les montagnes v (Marc XI, 23). Ces sug¬ 
gestions peuvent môme aujourd’hui se réaliser facilement avec certains 
sujets prédisposés. Elles font comprendre la possibilité de miracles tels 
que la métamorphose de l’eau en vin et la multiplication des pains dans 
un milieu aussi favorable. 


(1) Renan : Vie de Jésus , 15’ édition, 1876, 8”, page 256. 



LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 


213 


Jésus expliquait les miracles autrement que par sa toute-puissance 
divine. Il croyait à une force. Ainsi il dit : « Quelqu’un m’a touché; car 
j’ai senti une force sortir de moi. » (Luc VIII, 46). Cette croyance était 
partagée : « Et toute la multitude tâchait de le toucher parce qu’il sor¬ 
tait de lui une force qui les guérisait tous » (Luc VI, 19). 

Jésus transmit sa force à ses apôtres (Luc IX, 1). /Notez que cette 
explication métaphysique des guérisons miraculeuses est encore acceptée 
aujourd’hui par beaucoup d’esprits. 

La force mystérieuse n’était, en réalité, que la suggestion ou, pour em¬ 
ployer un autre terme, la foi. Cette foi communicative, Jésus l’avait au 
plus haut degré. Il ne parlait pas comme un rhéteur qui cherche à vous 
convaincre par de faux raisonnements, ni comme un rabbin qui invoque 
toujours la loi. Mais, suivant la tradition des poètes orientaux, il 
parlait par sentences et maximes, employant le mot qui frappe. C’était 
la parabole ou enseignement exprimé par l’image : telle par exemple la 
parabole du semeur (Mat. XIII, 1). Aussi Justin Martyr dit : « Ses dis¬ 
cours étaient courts et topiques, car il n’était pas un sophiste, mais sa 
parole était la force de Dieu » ( Apologie I, 14). 

Il s’adressait à un peuple éminemment suggestionnable et qui atten¬ 
dait le Messie. On donne la naissance du christianisme comme le plus 
grand des miracles , mais en réalité le terrain était merveilleusement 
préparé. Comme en toute société, il y avait des rétrogrades, les phari¬ 
siens qui s’en tenaient à la coutume et aux pratiques extérieures, et des 
novateurs, les Sadducéens qui rejetaient toute croyance qui n’était pas 
dans le texte écrit de la loi. Ils niaient la résurrection, l’existence d’an¬ 
ges, d’esprits, etc. Il y avait enfin les exaltés, les Esséniens, qui van¬ 
taient la pauvreté et le célibat, pratiquaient des agapes, ne faisaient 
point de sacrifices aux Dieux. Havet nous les décrit ainsi (<) : 

« A l’époque où nous sommes, la Judée présentait le spectacle d’une com¬ 
munauté de plus de 4.000 hommes, célèbre sous le nom d’Essées ou d’Essènes, 
établie à quelque distance du rivage occidental de la Mer Morte. Ils étaient 
distribués en divers groupes de cénobites, vivant du travail de la terre. Il 
n’y avait pas de femmes parmi eux ; il n’y avait pas non plus d’esclaves : ils 
se servaient les uns les autres. Tout appartenait également à tous, et nul 
n’était reçu sans s’être dépouillé d’abord de son bien. Ils s’abstenaient de se 
frotter d’huile ; ils étaient toujours vêtus de blanc ; ils s’interdisaient toute 
volupté ; ils donnaient une partie de leur temps .à la prière et àlaméditation ; 
ils faisaient des œuvres de charité. Us croyaient et ils enseignaient l’immor¬ 
talité des âmes, et cet appât, dit Josèphe, agissait fortement sur ceux qui 
avaient une fois goûté à leur sagesse. C’était une communauté de saints 
administrée par des prêtres. L’étonnement qu’ils causaient était tout-à-fait 
semblable à celui que donna plus tard au monde la vie monastique. » 

C’est dans ce milieu que Jésus devait surtout trouver ses disciples. 

Il avait eu des précurseurs : Josèphe parle d’un Juda de Gamala (rive 
orientale du lac Tibériade) qui se révolta en niant la légitimité de l’im- 

(1) Havet : Le Christianisme et ses origines , 1871-1884, 8*, tome 1, page 473. 



-14 


HEVCE DE L'HYPNOTISME 


pot. Pour Renan e était le chef d'une secte galiléenne. La sédition fut 
ocrast-e. mais école subsista. On la retrouve fort active dans les der- 

I 

mères luîtes .Les Juifs contre les Romains. 

D'autres protestaient en menant la vie d’ermites : tel saint Jean-Bap¬ 
tiste lui paya de sa tète ses attaques aux puissants. 

Il existait donc un milieu propice de gens nerveux, excitables, prêts à 
se grouper autour d'un chef. 

Cela explique l'étincelle première qu’alluma Jésus en Palestine. Mais 
comment 1 étincelle devint-elle un feu qui gagna le monde entier? 

l'eoi est l'œuvre de la. paix romaine. Forçant les nations ennemies à 
\ivre en bonne intelligence, elle modifia profondément les idées. Cha¬ 
que peuple avait autrefois des Dieux locaux, particularistes. Sous le 
lom; de Rome, on commença à comprendre que les homme3 étaient 
frères, ils devaient donc avoir le même Dieu. Le monde civilisé était 
prêt à adopter une religion uniforme et meilleure. Sous l’influence de la 
paix, les sentiments s’étaient adoucis, on cherchait une divinité de misé¬ 
ricorde et de pitié. Telle cette Isis charitable dont le culte vint d’Égypte 
et lit un moment de grands progrès. Le christianisme affirmait l’éga¬ 
lité des hommes, il prêchait l’amour et le communisme, ce n’était pas 
une religion de nation, mais une religion d’humanité (*). En dehors 
de ces principes fondamentaux, Jésus n’avait introduit ni un dogme, ni 
une pratique nouvelle. Mais ses paroles d’amour vinrent à l’heure pro¬ 
pice où le monde pacifié était prêt à les recevoir. Comme le dit Renan : 
« Le judaïsme fournit le levain qui provoqua la fermentation, mais la 
fermentation se fit hors de lui. » 

Pour que ce triomphe fût possible, il était de toute nécessité que Jésus 
fit des miracles. Car les Juifs exigeaient des signes de l’homme en qui 
ils devaient avoir foi (Paul, épître aux Corinthiens , I, 22). Pour être pro¬ 
phète il faut accomplir des miracles. « Quel miracle nous montres-tu 
pour entreprendre de faire de telles choses (Jean II, 18), demandaient 
les principaux sacrificateurs et les anciens à Jésus. » 

Les docteurs de la loi et les pharisiens l’abordent en lui demandant 
do leur faire voir un signe (Mat. XXII, 23). Une autre fois ils précisent 
H, exigent un signe du ciel (Mat. XVI ; Marc VIII, 11). 

Car les anciens prophètes ont fait des miracles et Isaïe a pro¬ 
clamé qu’à la venue du Messie « les yeux des aveugles s’ouvrent et 
Ioh oreilles des sourds se débouchent; alors le boiteux bondit comme un 
cerf, et la langue du muet fait entendre des cris d’allégresse » (paroles 
d’Isaïe, XXXV, 5) c’est parce que Jésus a fait des miracles que Pierre 
après la descente du Christ (dictes II, 22) l’appelle « un homme accrédité 
auprès des Juifs, par les effets de puissance, les signes et les miracles 
que Dieu a faits en lui. » 

(A suivre). 


(I ) llavot, id. page 71- 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


215 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 

Séance du mardi 19 novembre 1901. — Présidence de M. Jules Voisin 


La séance est ouverte à 4 h. 35. 

Le procès-verbal de la dernière séance ést lu et adopté. 

La parole est donnée successivement à MM. les D rs Maurice Bloch, 
Henry Lemesle et Bérillon, pour les communications inscrites à l’ordre 
du jour. 

M. le D r Paul Farez présente à la Société l’ouvrage posthume de 
Durand de Gros : Questions de philosophie morale et sociale. 

M. le Président met aux voix les candidatures de MM. de Framond, 
avocat à la Cour d’appel, etGrollet, médecin-vétérinaire. Ces candida¬ 
tures sont adoptées à l’unanimité. 

La séance est levée à 6 h. 40. 


Onanisme et onanomanie 

Par M. le docteur Maurice Bloch 

M lle M... est âgée de 27 ans ; ses antécédents héréditaires sont assez 
chargés : la mère aurait eu pendant sa grossesse plusieurs attaques de 
nerfs, suivies de perte de connaissance. 

Les crises de masturbation, qui se sont révélées de très bonne heure, 
semblent se régler dès l’âge de treize ans ; à partir de cette époque, en 
effet, elles se montrent trois fois par an durant une période de 15 à 
20 jours. 

Plus tard, elles n’ont plus lieu qu’une fois par an, sauf dans les 
deux dernières années où elles ont éclaté à trois reprises différentes. 

Comme toujours, en pareil cas, elles sont suivies de fatigue intellec¬ 
tuelle et de prostration générale. 

Quelques jours avant la crise, M lle M... est agitée et cherche querelle à 
tous ceux qui l’entourent; à cette agitation succède ordinairement une 
accalmie de 24 heures, au bout de laquelle elle éprouve le besoin de se 
masturber. 

Elle résiste d’abord assez facilement pendant deux ou trois jours ; 
mais l’excitation devenant plus intense, elle entre bientôt en crise et se 
livre à la masturbation pendant quinze jours consécutifs, en se servant 
non de ses doigts, mais de ses cuisses qu’elle rapproche sans cesse à 
l’aide de petits mouvements d’adduction. Dans l’intervalle de ses crises, 
la malade est très malheureuse et a horreur d’elle-même. 

Je me suis demandé au sujet de cette observation, s’il ne serait pas 
logique de dédoubler la masturbation en périodique et apériodique ou 
mieux encore en onanisme et onanomanie, et à ce propos je serais tenté 



216 REVUE DE L’HYPNOTISME 

d’établir une comparaison entre le cas que je viens de décrire et la dip¬ 
somanie. 

En effet, quels sont les caractères qui ont fait distinguer la dipsomanie 
de l’ivrognerie ? Ce sont : 

1* Le retour de l’accès, plus ou moins périodique, une, deux, trois fois 
par an ; 

2° La répugnance du malade pour ses accès auxquels il ne peut se 
soustraire et dont il a parfaitement conscience ; 

3° Le changement de caractère, tristesse, dégoût, irritabilité avant 
l’accès ; 

4° L’incurabilité de ces accès comparativement à l’ivrognerie qui peut 
se modifier. 

Or, tous ces caractères se retrouvent chez ma malade : c’est une mas- 
turbatrice à périodes presque fixes et dont l’accès dure chaque fois le 
même laps de temps ; elle a horreur de son vice ; ses accès sont régu¬ 
lièrement précédés de phénomènes généraux ; c’est une incurable et une 
dégénérée. 

Je ne pense pas que ces signes se retrouvent avec la même netteté 
chez les masturbatrices ordinaires. 

J’ignore si des faits analogues ont déjà été rapportés et je serais 
heureux que la Société voulût bien m’éclairer à ce sujet. 

Discussion 

M. Juies Voisin. — L’onanisme se rencontre fréquemment à l’état 
périodique chez les idiots et les imbéciles. Le cas que nous rapporte 
M. Bloch, est celui d’une vraie maladie mentale s’accompagnant pendant 
quelques jours de symptômes prodromiques (changement de caractère, 
diposition mélancolique) et arrivant chez une personne intelligente. Le 
rapprochement qu’il fait entre l’état mental de la malade et celui d'une 
dipsomane est exact. C’est une forme de folie héréditaire essentiellement 
intermittente et paroxystique. La malade a conscience do son état, mais 
elle ne peut faire autrement. Elle se sent poussée d’une manière 
invincible à cet acte et sa volonté succombe devant l’obsession qui la 
domine. 

M. Bf.rillon. —M. Bloch considère ces accès d’onanomanie comme 
incurables. Le mot incurable ne peut être prononcé tant que tous les 
modes de traitement n’ont point été employés ; or, par l’hypnotisme, j’ai 
obtenu des guérisons dans des cas analogues et même, certaines fois, 
en une seule séance. Chez ces malades, l’onanisme est, dit-on, irrésis¬ 
tible ; or, précisément, l’hypnotisme permet d’organiser la résistance 
à cette impulsion. 

M. Pau de Saint-Martin. — J’ai observé jadis, en Afrique, un sous- 
officier qui, tous les mois, avait pendant trois jours une crise d’onanisme, 
toujours consécutive à un rêve sanglant. Il n’y avait chez lui ni dégoût 
de lui-même, ni essai de résistance, c’était presque l’équivalent d’une 
période menstruelle. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


217 


Vomissements gravidiques incoercibles et ptyalisme 
guéris par suggestion 

Par M. le Docteur Paul Parez. 

M me P... est mariée et mère de deux enfants, dont Paîné a huit ans 
et l’autre six. Elle a eu ses règles pour la dernière fois le 23 mars. 
Comme elle ne les voit point revenir en avril, elle craint d otre enceinte 
et se lamente à la pensée qu’un nouvel enfant pourrait lui survenir. 
Elle recourt alors à tous les emménagogues dont elle a entendu parler 
dans son entourage, bains de pied sinapisés, café très fort avec beau¬ 
coup d’alcool, absinthe pure, armoise, apiol, injections très chaudes, etc., 
et les règles n’apparaissent pas. 

Dès les premiers jours du mois de mai, elle est prise de vomissements 
qui reviennent à intervalles de plus en plus rapprochés ; bientôt elle 
vomit ses aliments à chaque repas, mais elle supporte encore le lait. 

Enfin, quand elle vient me voir, au commencement du mois de juin, 
elle ne tolère même plus le lait ; depuis quatre ou cinq jours, elle est 
inévitablement prise de vomissements toutes les fois qu’elle tente d’in¬ 
gurgiter quoi que ce soit. 

En outre, elle est atteinte d’un ptyalisme extrêmement abondant ; elle 
ne cesse pour ainsi dire pas de cracher, si ce n’est pendant la nuit. Le 
jour où elle vient me voir pour la première fois, ayant constaté que 
plusieurs personnes doivent passer avant elle, elle n’ose rester et atten¬ 
dre son tour, de peur d’être obligée d’inonder mon parquet de salive ; 
elle âort donc et va avec son mari dans un café voisin* attendre la fin de 
ma consultation. Dans ce café elle a tellement craché qu’elle a fait 
autour d'elle une mare dont elle a honte, mais qu’il lui a été impossible, 
dit-elle, de ne pas faire Un fait, toutefois, est à noter : pendant qu’elle 
me parle et m’expose son état, son ptyalisme est comme suspendu ; elle 
a craché seulement deux fois (et cela dans son mouchoir) pendant les 
trois quarts d’heure qu’a duré notre entretien. 

Sans méconnaître le très mauvais état de son tube digestif, je ne puis 
tout de même pas songer a prescrire des médicaments, car il est bien 
certain qu’elle les vomira. Le plus pressé est de lui supprimer ses vomis¬ 
sements et je n’hésite pas à le tenter en faisant appel aux seules 
ressources de la suggestion. 

Je fais donc à cette femme une bonne séance d’électricité statique ; je 
lui explique qu’à la suite de cela ses vomissements vont devenir moins 
fréquents et qu’après plusieurs séances semblables ils auront tout à fait 
disparu (*). Je lui donne alors rendez-vous pour le surlendemain. 

Au jour dit, on me fait savoir que la malade est incapable de venir 
me voir et l’on me demande de me rendre auprès d’elle. Je la trouve au 
lit, exténuée, épuisée. Près d’elle, un bol de taille respectable est rem- 

(1) Ce cas est à rapprocher de celui que j’ai public dans le n° de décembre 1901. 
La technique a été sensiblement la même. 



218 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


pli de ce liquide mousseux qui, presque sans cesse, s’échappe de ses 
lèvres. Depuis l’avant-veille, elle a encore vomi pas' mal de fois, mais 
elle a pu supporter la boisson que je lui avais prescrite, à savoir un 
œuf bien battu à neige et délayé dans du lait froid. 

N’ayant plus de machine statique à ma disposition, je modifie mon 
traitement suggestif. Je délimite soigneusement au phonendoscope les 
contours de l’estomac et, dans la région comprise à l’intérieur de la 
ligne courbe tracée au crayon dermographique, j’étends une abondante 
couche de collodion au bleu de méthylène. Au bout de deux jours, je 
renouvelle cette application : après ce deuxième badigeonnage, les 
vomissements ont complètement disparu. 

Encouragé par ce succès, j’essaye d'arrêter aussi le ptyalisme. 
J’explique à la malade que tout ce liquide qu'elle crache lui vient des 
glandes salivaires et que, si j'agis sur ces dernières avec la même 
mixture, je diminuerai de plus en plus leur sécrétion, laquelle ne tardera 
pas à redevenir normale. 

Je badigeonne donc avec mon collodion au bleu de méthylène les régions 
cutanées qui répondent aux glandes parotides et sous-maxillaires. 
J’annonce que ce large collier bleu va exercer son action curative pen¬ 
dant la soirée et toute la nuit suivantes, puis que, le lendemain matin, 
la malade constatera avec bonheur une très notable atténuation de son 
ptyalisme. Celui-ci, en effet, dès le lendemain môme, a beaucoup 
diminué et il est devenu tout à fait insignifiant après la troisième appli¬ 
cation. 

Il va sans dire qu’une fois les vomissements supprimés et la tolérance 
stomacale rétablie, je me suis attaché à traiter les troubles gastro-intes¬ 
tinaux (antifermentescibles, antiputrides, antiseptiques, absorbants, 
laxatifs, lavements, etc.) L’état du tube digestif n’est redevenu normal 
qu’après plusieurs semaines, alors que les vomissements et le ptyalisme 
avaient été en quelques jours jugulés par la suggestion. 

Le collodion au bleu de méthylène joue, on le voit, un grand rôle en 
thérapeutique psychique. La coloration intense qui dure plusieurs jours 
frappe le malade qui croit à la persistance constante d’une action 
médicamenteuse. Quant au collodion, il provoque par sa rétraction une 
gêne et, parfois même, une petite douleur qui ramène à chaque instant 
la pensée du malade sur la suggestion qui lui a été faite. J’ai eu aussi 
des succès avec le collodion coloré en jaune par l’acide picrique. 


* * 

Post-Scriptum . — Lorsque j’ai vu cette malade pour la première fois, je 
n’ai fait aucun examen obstétrical et je me suis bien gardé d’affirmer la 
réalité d’une grossesse. Je pouvais, en effet, me trouver simplement en pré¬ 
sence d’un de ces nombreux cas de pseudo-grossesse avec aménorrhée, par 
crainte de la maternité. Ultérieurement, les bruits du cœur du fœtus ont été 
nettement perçus ; il s’agissait donc bien, dans le cas actuel, de vomisse¬ 
ments gravidiques. 



COURS ET CONFÉRENCES 


219 


COURS ET CONFÉRENCES 


Paroxysmes d’angoisses, épilepsie et hystérie f 1 ) 

par M. le Professeur Raymond 

I 

Notre premier malade est âgé de 52 ans; il exerce la profession de 
mécanicien. Depuis huit ans, il a des crises qui se sont aggravées, il y 
quelques semaines. Il se trouve mal à l’aise, il tremble de tout le corps 
et voit les objets s’éloigner, puis, brusquement, instantanément, il 
éprouve un choc du côté du cœur, des palpitations surviennent et, sou¬ 
vent, il perd tout à coup connaissance. Après cela il ressent un impé¬ 
rieux besoin de dormir et son sommeil dure pendant 7 ou 8 heures. Au 
réveil, il se sent très fatigué. Il n’a pas uriné sous lui et ne s’est pas 
mordu la langue. D’autres fois, ce sont seulement de petites crises : les 
mains tremblent, les objets s’éloignent ou se rapprochent et notre 
homme est pris d’une faim vorace, bien que, d’ordinaire, il mange très 
peu. Parfois cet impérieux besoin de manger constitue toute la crise. 

Il s’agit ici de mal comitial tardif, lequel débute à vingt, trente, qua¬ 
rante, soixante ans; ...je l’ai même vu débuter à quatre-vingts ans pas¬ 
sés. Cette épilepsie a une signification assez grave; elle est liée à l’ar¬ 
tériosclérose et on l’a vue causer la mort sur la voie publique. 

Notre malade est fils d’une mère hypocondriaque, morte à la Salpê¬ 
trière; un de ses cousins-germains présente des crises convulsives. Il a 
été très bien portant jusqu'à douze ans. A cet âge, il fait une fièvre 
typhoïde grave qui dure trois mois et s’accompagne de délire : ic ; , 
comme ailleurs, le délire est en raison de l’hérédité. 

Parvenu à l’âge d’homme, il se tourmente de tout et s’exagère ses 
sensations; de plus, il croit qu’on lui en veut : fils de triste, il reste 
triste toute sa vie. Comme il est instruit et intelligent, il s’abandonne 
aux spéculations métaphysiques; depuis huit ou dix ans, il se torture à 
résoudre le problème des causes finales; perpétuellement il se demande 
ce que c’est que l’homme, pourquoi il est venu sur la terre; ce qu’il de¬ 
viendra, etc. En proie à ses idées obsédantes, à ses scrupules, à ses 
doutes, à ses craintes, il s’angoisse tout seul, il a des battements de cœur; 
puis, un beau jour, il perd connaissance. 

On se demande si l’angoisse sur un terrain d’hérédité et d’artériosclé¬ 
rose n’a pas pour aboutissant le mal comitial ou même si le paroxysme 
d’angoisse n’est pas déjà de l’épilepsie. Les accidents d’épilepsie tar¬ 
dive sont peut-être ainsi la résultante des progrès de l’âge sur un ter¬ 
rain prédisposé. 

Le traitement de l’épilepsie, on le sait, consiste à donner du bromure. 

(1) Présentation de malades faites à la Clinique des maladies du système ner¬ 
veux à la Salpêtrière. 



220 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Toutefois, quand un individu comme celui-ci présente à la fois des obses¬ 
sions et des paroxysmes d’angoisses, il faut non seulement le bromurer 
iqais le raisonner, le rassurer et combattre les troubles psychopathi¬ 
ques par un traitement moral. 

II . 

Ce jeune garçon de 13 ans a, lui aussi, des crises convulsives, mais le 
diagnostic en est différent. 

Il va à l’école depuis l’âge de 5 ans. Or, il y a six mois, il a été en¬ 
fermé dans les cabinets par un de ses camarades; il est aussitôt pris de 
la peur de ne pouvoir en sortir et une violente émotion le gagne. Au 
bout de quelques minutes, on le délivre et il rentre chez lui. Le soir, il 
se sent étourdi et voit tout tourner; la nuit il dort mal et rêve beaucoup. 
Depuis lors il présente, à peu près tous les jours, une crise qui débute 
par une sorte d’aura. Ce sont des battements aux tempes, des sifflements 
dans les oreilles, des sensations de tournoiement et de serrement; le 
cœur bat fortement, puis notre malade tombe brusquement à terre où 
il se raidit et se débat. Au début, il ne perdait pas connaissance ; au¬ 
jourd’hui la perte de connaissance est la règle. La crise dure environ 
deux minutes; il se relève très fatigué, pleure abondamment mais 
n’éprouve pas le besoin de dormir. Notons que, jusqu’à cette peur, il 
n’avait présenté rien de semblable. 

Quelle est la nature de ces crises? 

C’est toujours un problème très difficile de séparer l’hystérie de l’épi¬ 
lepsie. L’aura, qu’elle soit somatique ou psychique, ne peut servir à les 
départager. Certains individus sont, non pas hystéro-épileptiques, 
comme on l’a dit, mais à la fois hystériques et épileptiques. Ils présen¬ 
tent des attaques séparées. Ce sont des hystériques qui ont des crises 
d’épilepsie ou des épileptiques qui ont des crises d’hystérie. 

Notre malade a-t-il uriné sous lui? Une fois seulement. D’ailleurs, 
cela se rencontre aussi dans l’hystérie. Quelquefois il s’est mordu la 
langue et ce fait est un signe de probabilité en faveur de l’épilepsie. Par 
contre, il est plus faible du côté gauche, mais ce n'est pas un argument 
suffisant en faveur de l’hystérie, car on a vu subsister, après les crises 
épileptoïdes, des paralysies transitoires, hémiplégies ou monoplégies. 
Les réflexes tendineux et osseux sont normaux. Mais il existe des trou¬ 
bles de la sensibilité. A gauche, on constate une anesthésie absolue dis¬ 
tribuée géographiquement, localisée dans le tiers supérieur du bras et 
limitée par une ligne circulaire ; immédiatement au delà de cette der¬ 
nière on constate de l’hyperesthésie. L'hyperesthésie et l’anesthésie 
portent sur tous les modes de la sensibilité. 

Si nous n’avions pas eu d’anesthésie, nous aurions été très embar¬ 
rassés pour faire un diagnostic différentiel. Toutefois, pour s’éclairer, 
il faut toujours rechercher comment les malades sortent de leurs crises. 
Notre épileptique de tout à l’heure reste dans le stertor et a envie de 
dormir; ce jeune homme, au contraire, termine sa crise par une envie 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


2-2 i 


de pleurer, puis il se reprend et se trouve très gai. C’est donc d’hystérie 
qu’il s’agit ici. 

Le traitement sera suggestif ; on s’appliquera à exalter l’attention, à 
détruire l’anesthésie, à rétablir la sensibilité. S’il le faut, on utilisera le 
sommeil hypnotique pour détruire le souvenir de l’émotion qui a servi 
de point de départ à ces phénomènes morbides. 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpétrière. 

La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 21 janvier 1902. 
Communications inscrites : 

lo D r LeMesnant des Chesnais : Un cas de grossesse nerveuse ; 

2° D r Bérillon : Traitement des habitudes alcooliques par la suggestion 
hypnotique ; 

3° D r Bianchi : Phonendoscopie cérébrale : Applications à l’étude de 
l’hypnotisme ; 

4° D r Bellemanière : Les diverses formes de l’attention selon les âges ; 
Inscrits : MM. Bérillon, Paul Magnin, Paul Farez, Lionel Dauriac. 

Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. 

Adresser les communications à M. le D r Bérillon, secrétaire général, 
14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place 
Jussieu. 


Les sensations d’un professeur électrocuté 

Au lendemain de l’électrocution de Czolgolz, après que l’on a déjà 
beaucoup parlé de ce genre d’exécution, il nous paraît intéressant de 
rapporter, d’après un journal, les sensations éprouvées par M. André 
Broca, le distingué professeur agrégé de physique qui, expérimentant 
un jour une bobine de Rhumkorff, fut soumis, à l’action d’un courant 
d'une puissance considérable. 

« Je tenais fortement dans les mains deux larges électrodes : ce qui 
empêcha les brûlures, dit M. Broca. Je fus violemment jeté à terre, et, 
songeant à une expérience de physique, je me dis très nettement : 
« Mon cœur va s’arrêter, je suis perdu ». J’essayai d’appeler alors mon 
préparateur pour lui faire couper le circuit, mais je ne pus pousser 
qu’un cri informe. Je n'eus plus alors la sensation de l’existence de mes 
mains et de mes bras, étant étendu à terre, et les murs de la salle me 




222 


REVUE DE L HYPNOTISME 


parurent s'incliner vers la droite et se colorer en vert ; puis je perdis 
connaissance. Mon préparateur ayant coupé le circuit, me releva et je 
revins à moi. Je marchai un peu, mais seulement avec la curieuse 
sensation que ma tête et mes jambes existaient seules. J’essayai de 
remuer les bras. Ils étaient paralysés. On me pinça violemment; je ne 
sentis rien ; au contraire, une hyperesthésie, c’est-à-dire une grande 
sensibilité du tissu sensitif, fut constatée au doigt. Je touchai une règle 
métallique qui me parut très froide et retirai brusquement'ma main. 
Environ un quart d’heure apres, je pus remuer les doigts et avec beau¬ 
coup de peine j’écrivis une ligne. J’essayai de marcher ; je fus tout 
de suite essoufflé. En rentrant chez moi, je pus lentement monter 
mes cinq étages. Quelques heures après, j’éprouvai une violente 
affection cardiaque. Mais, au bout de deux jours, il ne restait plus trace 
de rien. » 

De cette expérience forcée, M. Broca a donc recueilli quelques impres¬ 
sions pittoresques. Une constatation est intéressante: c’est queM. Broca, 
quelques instants après la décharge, a conservé sa lucidité, puisqu’il a 
eu la sensation très nette qu’il était perdu. On peut alors facilement 
imaginer les angoisses que doivent éprouver les condamnés américains; 
si le même phénomène se produit pendant ce laps de temps si court et 
pourtant terriblement long ! (Gazette médicale de Paris.) 


NOUVELLES 


COURS & CONFERENCES DE 1902 

à, l’Institut psycho-physiologique 

4g, rue Saint-André-des-Arts, 4 g 


LES VENDREDIS, A 8 HEURES ET DEMIE DU SOIR 
CONFÉRENCES 

Vendredi 17 Janvier, à huit heures et demie, M. le D r Bérillon médecin ins¬ 
pecteur des asiles publics d’aliénés, fera une conférence sur : L'hypno¬ 
tisme et les variations de la personnalité. — (Cette conférence sera accom¬ 
pagnée de projections à la lumière oxydrique.) 

Vendredi 24 Janvier, à huit heures et demie, M. le D r Jules Voisin, médecin 
à la Salpêtrière, fera une conférence sur : La psychologie de l'enfant 
anormal. L'organisation et les résultats de VÉcole de Réforme de la Sal¬ 
pêtrière . 

Vendredi 31 Janvier, à huit heures et demie, M. Lionel Dauriac, profes¬ 
seur honoraire à la Faculté des lettres de Montpellier, fera une confé¬ 
rence sur : L'imagination musicale. 

Vendredi ^Février, à huit heures et demie, M. le D r Paul Joire, de Lille, fera 
une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie musicale . 




NOUVELLES 


223 


Vendredi 14 Février, à huit heures et demie, M. le D p Bérillon fera une 
conférence sur : Psychologie de la prestidigitation . — Cette conférence 
sera suivie de démonstrations expérimentales faites par M. Jacobs, du 
théâtre Robert-Houdin. 

Vendredi21 Février^ huit heures et demie, M. le D r Henry Lemesle, licencié 
en droit, fera une conférence sur : Les visions et les extases de saint 
François d’Assise. — (Cette conférence sera accompagnée de projections 
à la lumière oxydrique.) 

Vendredi 28 Février, à huit heures et demie, M. le capitaine Villetard de 
Laguèrie fera une conférence sur : Psychologie comparée : Les asiatiques 
jaunes: Chinois , Coréen, Japonais. 

Vendredi 7 Mars, à huit heures et demie, M. le D r Paul Joire, de Lille, fera 
une conférence sur : Les états médiumniques de l'hypnose. — Etats hypno¬ 
tiques profonds. 

Vendredi 14 Mars, à huit heures et demie, M. de Gâtines fera une conférence 
sur: Les lois de V équitation et la psychologie du dressage. — (Cette confé¬ 
rence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.) 

La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de 

malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations 

expérimentales et de présentations d’appareils. 

ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE 

4g, rue Saint-André-des-Arts, 4g 

(Au siège de l’Institut psycho-physiologique) 

COMITÉ DE PATRONAGE 

MM. Berthelot, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de 
l’Académie française; Boirac, recteur de l’Académie de Grenoble; Lionel Dau- 
riac, professeur honoraire de la Faculté de Montpellier; Marcel Dubois, professeur 
à la Sorbonne; Giarû, professeur à la Sorbonne; Huchard, membre de l’Académie 
de médecine; Ribot, professeur honoraire au Collège de France, membre de 
l’Académie des sciences morales; Albert Robin, membre de l’Académie de méde¬ 
cine; Tarde, professeur au. Gollège de France, membre de l’Académie des 
sciences morales; Jules Soury, sous-directeur à l’Ecole des Hautes-Etudes; Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

COURS DE 1902 


L’inauguration des cours aura lieu le lundi 13 janvier, à cinq heures, 

sous la présidence de 

M. le D r Albert Robin, membre de l’Académie de médecine. 


Hypnotisme thérapeutique 

M le D r Bérillon, professeur. 

Objet du cours : La thérapeutique des maladies de la volonté. 
Les lundis et jeudis à cinq heures , à partir du lundi 1 3 janvier. 

Hypnotisme expérimental. 

M. le D r Paul Magnin, professeur. 

Objet du cours : L’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques. 
Les lundis à cinq heures et demie , à partir du lundi i3 janvier . 



224 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Hypnotisme sociologique. 

M. le D r Félix Régnault, professeur. 

Objet du cours : Action organique et vaso-motrice de l’hypnotisme; 
Les guérisons miraculeuses. 

Les vendredis à cinq heures et demie , à partir du vendredi ly janvier. 

Psychologie normale et pathologique. 

M< le D r Paul Farez, professeur. 

Objet du cours : La psychologie du sommeil naturel. 

Les mardis et samedis à cinq heures , à partir du mardi 14 janvier. 

Psychologie de l’enfant. 

M. le D r Bellemaniêre, professeur. 

Objet du cours : Du rôle de la suggestion dans l’éducation. 

Les jeudis à cinq heures et demie , à partir du jeudi 16 janvier. 

Psychologie du criminel. 

M. le D r Wateau, professeur. 

Objet du cours : L’enfance délinquante et criminelle. 

Les vendredis à cinq heures , à partir du vendredi iy janvier. 

Psychologie des foules et Folklore. 

M. le D r Henry Lemesle, professeur: 

Objet du cours : La foule religieuse. Pèlerinages et sanctuaires. 

Les mercredis , à cinq heures et demie , à partir du mercredi 1 5 janvier. 

Anatomie et Psychologie comparées. 

M. E. Caustier, agrégé, professeur de l’Université. 

Objet du cours : Les fonctions psychiques dans la série animale. 

Les samedis à cinq heures et demie , à partir du samedi 18 janvier . 

Psychologie des animaux. 

M. le D r Lépinay, professeur. 

Objet du cours : Névroses et psychoses chez les animaux. 

Les mercredis, à cinq heures , à partir du mercredi 1 5 janvier. 

Psychologie des sensations et Psychométrie. 

M me le D r Wycroskorosde, chargée de conférences. 

Objet du cours : Sensations et perceptions. — Instruments et appareils 
employés en psychométrie. 

Les mardis , à cinq heures et demie , à partir du mardi 14 janvier . 


HORAIRE DES COURS 


(heures 

LUNDIS • 

MARDIS 

MERCREDIS 

JEUDIS 

VENDREDIS 

lESSSEU ! 

B 

Bérillon 

Farez 

# 

Lépinay 

Bérillon 

Wateau 

Farez 


Paul Magnin 

Wycroskorosde 

Lemesle 

Bellemaniêre 

Félix Régnault 

Caustier 


VAdministrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 





























REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N» 8. 


Février 1901. 


L’Ecole de Psychologie 


La réouverture des cours de l’Ecole de psychologie a eu lieu 
le lundi 13 janvier, à cinq heures, au siège de l’Institut psycho¬ 
physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts, sous la présidence 
de M. le D r Albert Robin, membre de l’Académie de Médecine. 
Aux côtés de M. Albert Robin, avaient pris place M. le D r Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière, membre du Comité de 
patronage, et tous les professeurs de l’Ecole, MM. les 
D rs Bérillon, Paul Magnin, Félix Régnault, Paul Farez, Belle- 
manière, Wateau, Henry Lemesle, M. Caustier, professeur 
agrégé de l’Université, et M. Lépinay, secrétaire général de la 
Société de pathologie comparée. 

Les salles de l’Institut psycho-physiologique ne pouvaient 
suffire à contenir l’assistance extrêmement nombreuse qui 
avait répondu à l’invitation de l’Ecole. Elle était composée de 
médecins, de magistrats, de professeurs de l’Université, de 
publicistes et d’étudiants de toutes les Facultés. 

Au début de la séance, M. le D r Bérillon donne lecture de 
lettres par lesquelles MM. les D r > Huchard et Lucas-Champion- 
nière, membres de l’Académie de Médecine, M. le D r Godon, 
directeur de l’Ecole dentaire de Paris, M. Edmond Lepel- 
letier, conseiller municipal de Paris, etc., s’excusent de ne 
pouvoir assister à la séance. 

Ensuite, M. le D r Bérillon prononce l’allocution suivante : 

Allocution de M. le D r Bérillon 

Messieurs, 

Mon premier devoir, au nom des Professeurs de l’École de Psycho¬ 
logie, est d’exprimer toute notre reconnaissance à notre éminent maître, 


» 


8 




226 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


M. le D r Albert Robin, membre de l’Académie de Médecine, pour 
l’honneur qu’il nous fait en présidant la séance de réouverture de nos 
cours. 

M. Albert Robin n’avait pas attendu la réunion d’aujourd’hui pour 
nous donner des encouragements auxquels nous attachons le plus 
grand prix ; dès la création de l’Institut Psycho-Physiologique, il avait 
accepté de faire partie du Comité de Patronage et son nom se trouvait 
associé à celui de ses collègues des hôpitaux de Paris et de l’Académie 
de Médecine : Dumontpallier, Luys et Mesnet. 

En 1896, à la Pitié, dans une de ses leçons intitulée le Nouveau vita¬ 
lisme , le professeur Albert Robin disait excellemment: « à V organisme 
« anatomique , il faut opposer l'organisme fonctionnel. Il faut savoir 
« que nombre de maladies débutent par un trouble fonctionnel quel- 
« quefois général, souvent localisé ; que ces maladies restent fonction- 
« nelles pendant un temps plus ou moins long ; que ce vice de fonction, 
« primitif ou commandé par des actes nerveux morbides, peut être 
« enrayé ou modifié par une thérapeutique dont la précision laisse loin 
« derrière elle les méthodes traditionnelles. 

« Cette thérapeutique n’est pas hasardeuse. Son but est de modifier 
« le trouble fonctionnel en agissant directement ou indirectement sur 
« la cellule vivante aux fonctions déréglées, dont, suivant les cas, elle 
« exalte, modère ou modifie les aptitudes réactionnelles : le nom qui 
« lui convient le mieux est celui de thérapeutique des réactions cellu- 
« laires, et comme les réactions cellulaires sont une des manifestations 
« de la vie, je l’appelle thérapeutique vitale ». 

En proclamant ainsi l’origine fonctionnelle d’un grand nombre de 
maladies et en démontrant ainsi la nécessité d’orienter la thérapeu¬ 
tique vers le traitement des fonctions, notre maître nous guidait vers la 
voie dans laquelle nous sommes aujourd'hui définitivement engagés. 
La psychothérapie, qui est à la psychologie ce que la science appliquée 
est à la science pure, est essentiellement une thérapeutique des réactions 
cellulaires ; et lorsque nous nous efforçons de calmer l'irritabilité des 
cellules nerveuses, d’équilibrer les fonctions mentales, d’utiliser ou 
d’économiser l’énergie potentielle et surtout de la transformer en éner¬ 
gie actuelle, nous ne faisons que nous conformer aux doctrines de notre 
maître, Albert Robin. Sa présence au milieu de nous marque un fait 
considérable. Elle détermine la place importante que doit jouer la psy¬ 
chothérapie, envisagée comme un précieux agent de thérapeutique 
générale. 

Mais puisque M. Albert Robin nous a permis de compter sur sa bien¬ 
veillance, nous lui rappellerons bientôt sa promesse d’exposer ici les 
idées qu’il professe sur la thérapeutique vitale et sur la valeur de la 
psychothérapie. 

Dans chacune de nos réunions solennelles, vous ne serez pas surpris 
de nous entendre évoquer le souvenir de maitres qui nous sont chers à 
divers titres, en particulier ceux de Dumontpallier, de Charcot et de 



l’école de psychologie 


227 


Luys.Nous n’oublierons jamais que, soit à la Pitié, soit à l'Hôtel-Dieu où 
il nous initia à la pratique de l’hypnotisme, soit à la Société d’Hypno- 
logie et de Psychologie, dont il fut le pi’ésident perpétuel et où il nous 
associa à ses travaux, soit dans cette Ecole où il continua son ensei¬ 
gnement lorsqu’il fut médecin honoraire d'hôpitaux, Dumontpallier ne 
cessa d’être notre meilleur inspirateur. Charcot, lors de la fondation de 
la « Revue de l’Hypnotisme », lui accorda à la fois son patronage et 
sa collaboration ; par ce fait, il en assura le succès. Le don que Luys 
nous a fait de son matériel d’enseignement, a été le point de départ 
de notre musée psychologique. 

Après cet hommage aux précurseurs, nous devons adresser nos 
remerciements à tous les membres de notre Comité de Patronage. L’an¬ 
née dernière, vous avez applaudi aux encouragements que nous donnait 
M. le professeur Tarde, lors de notre séance d’inauguration. Nous lui 
en gardons une très vive reconnaissance. 

Il ne me reste plus qu’à vous donner quelques renseignements sur les 
progrès réalisés par l’Ecole de Psychologie,, dans le cours du dernier 
exercice. 

Tout d’abord, notre Comité de Patronage s’est complété par trois 
adhésions des plus précieuses : MM. les professeurs Berthelot, du Col¬ 
lège de France, Giard et Marcel Dubois, de la Sorbonne, en acceptant 
de faire partie de ce Comité, nous ont rendu un service moral dont 
nous apprécions tout le prix. Je ne vous apprendrai rien en vous rap¬ 
pelant les titres de ces maîtres à notre admiration. 

Berthelot, après avoir conçu la synthèse organique, créé la thermo¬ 
chimie, base de la chimie moderne et de la thermogenèse animale, étu¬ 
dié avec une science profonde les origines de l’alchimie, couronne son 
œuvre générale par un enseignement philosophique de la plus haute 
élévation. Il nous démontre que la science est le seul fondement iné¬ 
branlable de la moralité des peuples et même des individus. 

Giard est peut-être le seul de tous les naturalistes français qui mérite 
le nom de biologiste. Il n’a pas voulu localiser ses recherches dans 
une région étroite du domaine de la nature. La botanique, la zoologie, 
la chimie, la physiologie, la psychologie ne sont pas pour lui séparées 
par des cloisons étanches. Par ses conceptions, il est un des maîtres 
de la philosophie contemporaine. Ajoutons que renouvelant, les idées de 
Lamark et de Darwin, il les a complétées par des faits ingénieusement 
observés et par des théories basées sur une érudition impeccable. 

Marcel Dubois est, à notre avis, le philosophe de la géographie. 
Dans son enseignement, empreint d’un caractère si nouveau et si per¬ 
sonnel, il nous apprend que la géographie n’est pas que de la géologie* 
mais qu’elle doit être surtout de la sociologie. 

Dans l’année qui vient de s’écouler, notre maître Jules Soury a 
publié l’œuvre la plus considérable qui ait jamais été tentée pour l’étude 
du cerveau et du système nerveux central. Comme nous ne pourrons 
jamais vous parler des fonctions du cerveau de l’homme sans nous ins- 



22S 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


pirer des enseignements de ce savant maître, je m’empresse de saisir 
l’occasion qui m’est offerte par la publication de son livre pour lui 
adresser l’expression de notre vive admiration. 

Les professeurs de l’Ecole de psychologie, poursuivant leurs études 
personnelles, les ont présentées pour la plupart à la Société d’hypnologie 
et de psychologie. Dans plusieurs circonstances, ils ont été appelés à se 
réunir pour l’étude de phénomènes anormaux ou de faits exceptionnels 
concernant la psychologie. 

Tout d’abord, ils ont eu l’occasion d’étudier un jeune violoniste prodige, 
âgé de 7 ans, Kun Arpad. Les conclusions de cette étude ont été pré¬ 
sentées à laSociété d’hypnologie par le professeur Lionel Dauriac et par 
le D r Félix Régnault. Un peu plus tard, un liseur de pensées, M. Modiano 
est venu, de Salonique, sè soumettre à l’examen des professeurs de 
l’Ecole de psychologie. Nous avons pu constater selon l’heureuse expres¬ 
sion de William James, qu’il s’agissait non d’un liseur de pensées, 
mais d’un liseur de muscles. L’analyse approfondie de ces phénomènes 
a été soumise aux discussions de la Société d’hypnologie par le D r Paul 
Farez, et paraîtra dans la Revue de l'Hypnotisme. 

Notre enseignement s’est élargi et s’est complété par l’adjonction de 
nouveaux cours. La chaire nouvelle de Psychologie des animaux a été 
confiée à M. Lépinay, secrétaire général de la Société de pathogie com¬ 
parée. La chaire d'Hiérologie psychologique sera occupée par M. le 
D r Binet-Sanglé dont vous connaissez les remarquables études sur la 
famille de Biaise Pascal et sur diverses questions de psychologie sociolo¬ 
gique et religieuse. En outre, M mo Wyczolkowska, docteur en philoso¬ 
phie, a été chargée de faire une série de leçons sur la Psychologie des 
sensations et la Psychométrie. 

Les membres de notre Comité de patronage nous donnent souvent un 
concours des plus actifs. Cette année nous aurons la satisfaction d’en¬ 
tendre une conférence de M. le D r Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière, 
sur la Psychologie des enfants anormaux, et un autre de M. Lionel 
Dauriac, sur l'Imagination musicale. 

Partisans d’une large décentralisation, nous acceptons hors de Paris, 
les collaborateurs qui s’inspirent de nos doctrines et acceptent de pro¬ 
pager nos enseignements psychologiques. Depuis plusieurs années déjà 
notre collègue, le D>- Paul Joire, fait chaque année à Lille, dans un cours 
annexe de notre Ecole, des leçons très suivies sur l’Hypnotisme et la 
Psychothérapie. 

Un de nos collaborateurs, M. le D r Jaguaribe, vient de créer à Sao- 
Paulo (Brésil), un Institut psychologique, en relations très suivies avec 
le nôtre. Nous tenons à remercier notre ami M. le D r Jaguaribe, des 
marques d’effective sympathie qu’il ne cesse de nous prodiguer, en dépit 
de la distance qui nous sépare de lui. 

Comme vous le voyez, notre oeuvre est en voie de progrès manifeste. 
Je suis heureux de reconnaître qu’elle ne doit pas seulement ses succès 
à l’autorité de notre Comité de patronage, au zèle et au dévouement de 



l’école de psychologie 


229 


nos professeurs, mais surtout à l’excellent et au bienveillant concours de 
nos fidèles auditeurs, auxquels je suis heureux de souhaiter la bien¬ 
venue et d’exprimer nos sympathies. Je cède la parole à notre président, 
M. le D r Albert Robin. 

Discours de M. le D' Albert Robin, président. 

Messieurs, 

En me demandant de présider à l’inauguration des cours de l’Ecole 
de Psychologie, vous m’avez fait un très grand honneur dont j'apprécie 
hautement le prix, et dont je veux d’abord vous remercier, parce que je 
tiens en grande estime l’œuvre que vous avez eu le courage d’entre¬ 
prendre et l’énergie de poursuivre. 

A une époque où la centralisation pèse d’un si lourd poids sur l’évo¬ 
lution des sciences médicales, où toute science qui n’est pas officielle¬ 
ment reconnue et subventionnée végète le plus souvent dans l'indiffé¬ 
rence, vous avez eu la généreuse audace des conquérants qui font de 
toute résistance, même passive, un point d’appui pour marcher de 
l’avant et dont l'effort se manifeste toujours plus dur que l’obstacle. 

Votre Ecole de Psychologie a franchi les difficultés du début; elle vit 
de sa vie personnelle ; elle est devenue un centre d’études justement 
appréciées. Elle est quelque chose de plus encore, cette Ecole ! Elle est 
un grand exemple de ce que peut créer une initiative individuelle qui 
s’est dévouée à la recherche de la vérité, avec une conviction assez 
solide pour que rien ne la rebute. Souhaitons que cet exemple soit suivi, 
que les hommes de science et de bonne volonté se réunissent, comme 
vous l’avez fait, libres, indépendants des coteries et même des attaches, 
plus attentifs aux faits qu’épris de synthèses, et que dans toutes les 
branches de la Biologie s’élève, au-dessus des systèmes assombris, la 
floraison nouvelle ! 

Cette Ecole a encore le mérite d’intéresser à sa cause, c’est-à-diro à 
son succès, M. Berthelot, l’homme de génie qui, reculant la limite des 
puissances terrestres, a fait jaillir de son front l’étincelle créatrice et 
réalisé le rêve de Prométhée, à qui la France et le monde universel de 
la Science décernaient réctemment, en une inoubliable fête, les honneurs 
du triomphe, et qui est monté jusqu’à cette gloire de planer vivant sur 
son immortalité ! Les noms qui figurent à côté du sien, dans votre Comité 
de Patronage, témoignent aussi de tout l’intérêt que votre œuvre ins¬ 
pire. MM. Boirac, L. Dauriac, Marcel Dubois; M. Tarde qui présida, 
Van dernier, cette séance d’ouverture et sut avec de si encourageantes 
paroles louer votre méthode de travail ; M.H. Huchard, le grand maître 
et le rénovateur de la pathologie du cœur; MM. Giard, Jules Voisin, 
J. Soury, Ribot, dont les ouvrages sont aujourd’hui classiques, tous 
suivent les progrès de cette Ecole et applaudissent à son développement. 

Votre enseignement, Messieurs, a pour but d’étendre la portée et 



230 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


l’exactitude des moyens de diagnostic dans le domaine psychique, de 
rechercher ce qu’il y a de fondé et de véridique dans les phénomènes 
encore mystérieux que revendique l’occultisme, d’asseoir la psycho¬ 
logie sur les bases définies de l’observation rigoureuse et de l’expé¬ 
rimentation, puis d’utiliser les certitudes acquises en les appliquant 
au traitement des états morbides de la volonté, de la conscience, de 
l’intelligence et de la pensée. Cet enseignement a donc pour sanction la 
thérapeutique. 

Vous savez combien celle-ci est négligée, combien sont peu croyants 
ceux-là même qui devraient l’enseigner et quelle place dérisoire elle 
tient dans les concours qui ouvrent la porte des emplois officiels de la 
médecine. Les successifs écroulenients des théories et des doctrines 
pathogéniques d’où l’on tire les indications du traitement des maladies, 
l'incertitude apparente des actions médicamenteuses, la grandeur et la 
décadence si rapides des médications nouvelles qui uniformisent, comme 
une mode, la thérapeutique d’un moment, enfin et surtout l’héritage 
compact et pesant d’un organicisme séculaire, sont les principaux motifs 
de cette désaffection des corps enseignants pour la partie la plus noble 
et la plus humaine de notre science. 

L’organicisme a mis la maladie tout entière dans la lésion matérielle 
des organes. Il a fait de la symptomatologie l’expression extériorisée 
des troubles que la lésion apportait dans les organes ; la thérapeutique 
qu’il commandait ne pouvait avoir pour moyen que l’attaque directe de 
cette lésion par d’illusoires médications. On conçoit que ses insuccès 
aient dérouté ceux qui étaient aux prises avec la pratique et engendré 
le scepticisme actuel. 

Mais, voici que la vieille tradition vitaliste, qui part du naturisme 
d’Hippocrate, traverse l’antiquité et le moyen-âge pour s’obscurcir avec 
les archées de Van-Helmont et l ame médicale de Gaspard Hoffmann, 
réparait avec le principe vital de Bapthez, les forces vitales de Bichat, 
de Chaussier et de Frédéric Hoffmann, l’excitabilité de Brown, l’irrita¬ 
bilité de Haller et de Broussais, le duodynamisme de Lortat, etc., voici, 
dis-je, que cette tradition latente renaît sous le vocable de néo-vitalisme 
physiologique. Cette renaissance qui ne répudie rien des admirables 
conquêtes de l’organicisme, jette comme un pont entre les doctrines 
jadis adverses et devient le point de départ d’une thérapeutique nou¬ 
velle. 

S’inspirant, pour les choses de la pathologie, de la célèbre formule 
physiologique de Darwin, « c’est la fonction qui crée l’organe », le néo¬ 
vitalisme observe des faits qui lui montrent que la maladie est antérieure 
à la lésion, qu’elle est fonctionnelle avant d’être matérielle, que la lésion 
n’est qu’une étape, un incident ou un résidu de la maladie, ou encore 
qu’elle est l’expression d’un effort réactionnel de l’organisme à l’encontre 
de la cause morbigène. 

Il oppose ainsi ce que l’on pourrait appeler l’organicisme fonctionnel 
à l’organicisme anatomique ; il introduit dans la séméiologie l’étude des 



231 


l’école de psychologie 

échanges organiques qui permet de reconnaître l’existence de troubles 
encore latents de la fonction, de diagnostiquer la maladie à une période 
où elle échappe aux anciens moyens d’investigation, et de pénétrer le 
secret des prédispositions morbides qu’on désignait, sans les définir, 
des termes vagues de terrain ou d’idiosyncrasie. Par la patiente étude 
des faits et l’observation plus éclairée et plus profonde des maladies 
aidée de l’expérimentation, suivant la méthode % de Claude Bernard, il 
comprend que l’état de maladie n’est qu’une déviation de l’état physio? 
logique, et il inscrit au fronton de son édifice cette loi pleine d’espérance: 
« C’est le trouble de la fonction qui crée la lésion de l’organe. » 

Cette loi est, en effet, pleine d’espérance ! puisqu’elle oppose la théra¬ 
peutique des réactions cellulaires, et, disons hardiment le mot, la théra¬ 
peutique vitale qui peut, suivant le sens du trouble fonctionnel, l’exalter, 
le modérer ou le régulariser et obvie au déséquilibre organique précur¬ 
seur de la lésion; qui tente d’atteindre celle-ci quand elle est constituée, 
en influençant la vitalité générale ou les fonctions des éléments anato¬ 
miques lésés ; puisqu’elle oppose, dis-je, cette thérapeutique vraiment 
physiologique aux médications décevantes issues de l’organicisme anato¬ 
mique et dont les incertitudes ont légitimé tant de découragements ! 

Messieurs, en étudiant, comme vous le faites, les déviations des 
grandes fonctions nerveuses, en fixant les variations des échanges orga¬ 
niques qui sont les conditions ou les résultantes de ces déviations, en 
vous efforçant de les impressionner directement par les divers modes 
de la psychothérapie, ou indirectement par l’intermédiaire des agents 
qui modifient la nutrition nerveuse, en diminuant, par vos méthodes 
d’enseignement pédagogique l’aptitude des centres aux troubles de leur 
fonctionnement, vous faites de la thérapeutique* et de la prophylaxie 
fonctionnelles, et vous vous rangez ainsi parmi les défenseurs autorisés 
de ce néo-vitalisme physiologique encore flottant et indécis dans la 
médecine, quand, sous d’autres formes et avec d’autres noms, une évo¬ 
lution similaire dans la manière de percevoir, de comprendre et de 
sentir a rénové les arts comme la littérature et changé les assises de la 
sociologie et de la philosophie contemporaines. 

Les noms et les travaux des hommes éminents qui assurent, avec 
mon ami M. Bérillon, l’avenir de l’Ecole de Psychologie, la rigueur et 
la probité scientifique avec laquelle ils étudient les problèmes obscurs 
qu’ils ont pris à tâche d’élucider, les résultats acquis qu’enregistre, 
depuis quinze années, votre excellente Revue, sont les sûrs garants d’un 
succès croissant dont se réjouiront, avec ceux qui aiment l’initiative, le 
courage et la science, les malades de l’imagination et de la pensée 
dont vous aurez bercé l’angoisse ou guéri les souffrances. 



232 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


L’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques (') 

Par le D’ Paul Magnin, professeur à l’Ecole de psychologie 


Le cours de cette année a pour objet : L’hypnotisme et la 
suggestion chez les hystériques. 

Voyons donc tout d’abord ce qu’il faut entendre par ce terme 
d’hypnotisme. 

Dans l’état actuel de nos connaissances sur ce sujet, la défi¬ 
nition la moins mauvaise nous semble être celle de Braid légè¬ 
rement modifiée par M. Ri cher 

L’hypnotisme est l’ensemble des états particuliers du système 
nerveux déterminé par des manœuvres artificielles. 

Tout insuffisante qu’elle puisse être, cette définition a du 
moins l’avantage de ne rien préjuger sur la nature intime des 
phénomènes observés. Or, il faut bien l’avouer, ni les écrits 
des philosophes et des psychologues, ni les recherches des 
physiologistes, ni les travaux des cliniciens n’ont réussi à nous 
éclairer sur ce point. 

Conservons-la donc en attendant mieux. 

Dans, son bel ouvrage sur la grande hystérie, ouvrage que 
devraient commencer par connaître à fond tous ceux qui veulent 
s’occuper d’hystérie et d’hypnotisme, M. Richer a tracé de 
main de maître les règles de la méthode à suivre dans ce genre 
d’études. 

Elles peuvent, ainsi qu’il l’a démontré, se résumer dans les 
propositions suivantes : 

1° Choisir comme matière d’expérimentation des sujets dont les 
conditions physiologiques et pathologiques parfaitement connues et 
facilement appréciables soient les mêmes . 

Or, de toutes les causes prédisposantes au développement 
des phénomènes de la somniation provoquée la diathèse hysté¬ 
rique est certainement la plus importante. En s’adressant aux 
hystériques les plus hystériques on devra comme l’a fait très 
justement remarquer M. Richer, obtenir les phénomènes 
d’hypnotisme les plus marqués. C’est effectivement ce qui a lieu 
chez les hystéro-épileptiques. Et c’est ici qu’apparaissent dans 
toute leur évidence, ainsi que je l’ai dit ailleurs, les liens étroits 
qui unissent l’hystérie et l’hypnotisme. C’est précisément dans 

(1) Gours professé à l’Ecole de psychologie. 



l’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques- 233 

la possibilité d’instituer des expériences sur les hystériques 
que réside l’intérêt principal des rapports qui unissent l’hyp¬ 
nose à la névrose. Au point de vue expérimental, les hystéro- 
épileptiques resteront toujours les sujets sur lesquels il* sera 
possible d’entreprendre les recherches physiologiques et 
psychologiques les plus variées, d’obtenir les résultats les 
plus précis. 

2° Soumettre les diverses conditions expérimentales à un déter¬ 
minisme rigoureux. 

Il faut, en effet, procéder en matière d’hypnotisme comme 
dans toutes les recherches scientifiques bien conduites, quel 
que soit d’ailleurs leur objet. A ce point de vue, contrairement 
à ce qu’on pensait autrefois, l’étude du sommeil provoqué nt- 
fait pas exception à la règle. 

Une fois le sommeil produit, il faut savoir bien distinguer, 
ainsi que l'a fait observer M. Richer, les symptômes qui se 
développent de par le fait même de l'hypnose de ceux que l’on 
peut provoquer à l'aide de manœuvres artificielles sans modifier 
l’état général primitivement obtenu. 

Tout spécialement, il faudra se garder de voir la suggestion 
partout et encore plus de l’introduire toujours et constamment 
partout. s 

D’ailleurs, la suggestion .elle-même est loin de pouvoir être 
provoquée dans toutes les phases de la somniation chez les 
hystériques et les conditions de sa production sont, d'autre 
part, ainsi que nous le verrons plus tard, parfaitement 
déterminées. 

3° Procéder du simple au composé, du connu à l’inconnu. 

Il est de toute évidence qu’il faudra considérer d’abord les 
cas les plus simples et, une fois ceux-ci bien connus, se risquer 
alors seulement dans l’étude des cas plus complexes. Il faudra 
aussi se garder des explications hâtives et savoir accumuler 
un grand nombre de documents avant d’essayer d’en tirer la 
moindre conclusion. 

4° Se mettre en garde contre la simulation. 

Cette règle ne peut être citée que pour mémoire, car aujour¬ 
d’hui l’observateur, le médecin véritablement instruit doit 
savoir se mettre à l’abri de toute intervention active de la part 
du sujet, en un mot, de toute simulation. 

Et cependant n’avons-nous pas vu récemment encore des . 
maitres éminents, dont la valeur et l’esprit scientifiques sont 
connus de tous, considérer comme démontrés les résultats 


8. 



234 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


d’expériences dont le déterminisme ne nous a jamais semblé, 
quant à nous, très rigoureusement établi ? 

5° S'attacha' surtout aux cas simples, c’est-à-dire, ceux dans 
lesquels les différents phénomènes se montrent avec le plus de 
netteté et le plus isolés les uns des autres. 

Ce sont là des cas analytiques dont l’étude est tout particu¬ 
lièrement intéressante et utile. Leur observation facilite la 
compréhension des faits incomplets ou complexes en présence 
desquels l’expérimentateur se trouve le plus souvent. 

Qu’ils* ne correspondent pas au plus grand nombre, que leur 
description soit par rapport à l’observation de tous les jours 
un peu schématique, cela est possible ; mais il n'en est pas 
moins vrai qu’ils sont les plus simples, les plus éclairés, les 
plus frappants. 

6° Rechercher suivant la méthode des nosographes à classer les 
divers phénomènes en séries naturelles. 

La principale difficulté dans l’étude des phénomènes du 
sommeil provoqué réside, comme l’a fort bien dit le professeur 
Pitres, dans l’inconstance et la mobilité dés phénomènes pro¬ 
voqués par l’expérimentation clinique. 

Lorsqu’on soumet un grand nombre do sujets aux manœu¬ 
vres hypnogéniques, on sait que, même chez les hystériques, 
on obtient des résultats en apparence contradictoires. L'aspect 
du malade endormi varie suivant le sujet, suivant aussi le pro¬ 
cédé employé pour l’endormir. 

De plus, sous l’influence de la cause la plus minime, sans 
raison apparente même, les états obtenus peuvent se modifier 
subitement et se transformer rapidement les uns dans les 
autres, si bien que les phénomènes présentent une grande appa¬ 
rence de complexité. 

Dès le début de ses recherches à la Salpêtrière, Charcot 
avait immédiatement compris la nécessité de différencier nette¬ 
ment les uns des autres ces divers états et il n’est que juste. 
de dire que sa classification des phénomènes de l’hypnotisme 
a été le point de départ de toutes les recherches véritablement 
scientifiques entreprises sur ce sujet. 

Les phénomènes si nombreux et si variés qui s’observent 
sur les sujets hypnotisés ne répondent pas, dit Charcot, à un 
seul et même état nerveux. 

L’hypnotisme représente cliniquement un groupe naturel 
comprenant une série d’états nerveux, différents les uns des 



L’HYPNOTISME ET LA 8UGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES 235 

autres, chacun d’eux s’accusant par une symptomatologie qui 
lui appartient en propre. 

Ces différents états, dont l’ensemble représente toute la 
symptomatologie de l'hypnotisme, peuvent se ramener à trois 
types fondamentaux : 

1° L’état cataleptique ; 

2° L’état léthargique ; 

3° L’état somnambulique. 

Chacun de ces états jouit d’une autonomie réelle en ce sens 
qu’ils peuvent tous, dans certaines conditions, se présenter 
primitivement et persister isolément, mais comme ils peuvent 
aussi tous les trois, dans le cours d'une même observation 
être produits successivement dans tel ou tel ordre au gré de 
l’observateur, on pourrait les considérer comme représentant 
les phases ou périodes d’une seule affection. 

Rappelons très sommairement les caractères de ces divers 
états : 

1° Etat cataleptique. — Le sujet cataleptique est immobile, 
comme fasciné. Les yeux sont ouverts, le regard fixe, sans 
clignement des paupières. — Les membres et toutes les parties 
du corps peuvent garder, souvent pendant un temps fort long, 
les attitudes qu’on leur a communiquées. Ils n’offrent aucune 
résistance aux déplacements qu’on leur imprime et paraissent 
d’une grande légèreté quand on les soulève.— Les réflexes 
tendineux sont abolis. Il y a analgésie complète, mais persis¬ 
tance partielle de l’activité sensorielle. De là la possibilité, 
ainsi que nous le verrons plus tard, de provoquer, au moyen 
de certaines excitations, des impulsions automatiques et des 
hallucinations variées. 

2° Etat léthargique. — L’hystérique en léthargie est en état 
de résolution générale de tous ses muscles. Les membres sont 
flasques, pendants et, soulevés, ils retombent lourdement 
quand on les abandonne à eux-mêmes.— L’analgésie de la peau 
et des muqueuses accessibles à l’exploration est également 
complète. — Les réflexes tendineux sont exagérés. L’hyper- 
excitabilité neuro-musculaire est plus ou moins dévoloppée 
mais ne fait jamais défaut. 

3° Etat somnambulique. — Ici l’hyperexcitabilité neuro-mus- 
eulaire de l’état léthargique n’existe plus, mais il est possible 
d’observer des contractures diffuses sous l’influence d'excita¬ 
tions légères de la peau. Il y a analgésie cutanée, mais en 



236 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


même temps hyperacuité de certains sens spéciaux. La sugges¬ 
tibilité des sujets est des plus manifestes. 

Telle est dans ses grandes lignes la classification de 
Charcot. 

(A suivre .) 


La vie de Jésus devant la science hypnotique (<) 

par le D r Félix Régnault, professeur à l’Ecole de psychologie 


Plusieurs auteurs ont admis que les évangélistes avaient attribué 
tous ces miracles à Jésus, pour qu’on admit son rôle de Messie. Nous 
ne discuterons pas le degré d’authenticité des évangiles, cela sort des 
limites que nous nous sommes tracées. Mais il est évident, par l’étude 
qui a précédé, que les quatre évangélistes étaient fort au courant de la 
pratique des miracles qui étaient probablement fréquents à leur époque ; 
et qu’ils croyaient aux miracles qu ils ont décrits : le luxe de détails 
vrais, alors qu’ils paraissaient faux avant que la science hypnotique fût 
fondée et dont nous n’avons pu par suite comprendre la portée que 
tout récemment, nous impose cette conclusion. 

Tout autres eussent été leurs descriptions de miracles s’ils les 
avaient inventés ou écrits sans y croire. Nous aurions alors un récit ana¬ 
logue à celui que fit le biographe d’Apollonius de Tyane( 1 2 3 ) : Oe thauma¬ 
turge qui naquit sous le règne de Néron et mourut à Ephèse en 97, exé¬ 
cuta de nombreux miracles que les philosophes du xvin e siècle opposèrent 
à ceux de Jésus. Il suffit de lire ces prodiges pour noter la différence 
qui existe entre Philostrate, le latin homme de lettres fin et sceptique 
qui les a écrits, et les évangélistes animés par la foi. 

Ainsi quand il chasse les démons ( 3 ) : 

« Comme il dissertait sur les libations, il vint dans son auditoire un jeune 
homme d’une tenue si noble et si efféminée, qu’il était devenu le héros de 
quelques chansons de table. Il avait pour patrie Corcyre, et il se disait des¬ 
cendu d’Alcinoüs le Phéacien, l’hôte d’Ulysse. 

« Apollonius parlait donc des libations, et disait qu’il ne fallait pas boire 
soi-même, mais conserver le breuvage pur et intact pour le Dieu. Il ajouta 
que le vase devait avoir des anses, et qu’il fallait verser la libation du côté 
de l’anse, parce que l’homme ne boit jamais de ce côté : à ce moment le 
jeune Corcyrécn fit entendre un éclat de rire bruyant et plein d’inso¬ 
lence. Apollonius tourna les yeux vers lui et lui dit : « Ce n'est pas vous 

(1) Cours professé à l’Ecole de psychologie. 

(2) Le Merveilleux dans l’antiquité, Apollonius de Tyane. Traduct. Chassang, 
1862, 8-. 

(3) Id. page 157. 




LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 237 

qui êtes coupable, c'est le démon qui vous pousse sans que vous le sa¬ 
chiez. » En effet, ce jeune homme ne savait pas qu'il était possédé : aussi 
lui arrivait-il de rire de ce qui ne faisait rire personne, puis tout à coup de 
se mettre à pleurer sans cause, ou bien de se parler à lui-même et de chan¬ 
ter. On croyait généralement que c’était la fougue de la jeunesse qui le 
rendait si peu maître de lui, mais il ne faisait que suivre les impulsions 
d’un démon ; et, comme il venait de se conduire en homme ivre, les assis¬ 
tants le croyaient ivre. Mais, Apollonius continuant à fixer sur lui ses 
regards, le démon poussait des cris de peur et de rage, comme un malheu¬ 
reux qu'on aurait brûlé ou torturé; il jurait de quitter ce jeune homme et 
de ne plus entrer chez personne. Mais Apollonius l'apostropha avec co¬ 
lère, comme eût fait un maître envers un esclave rusé, menteur et impu¬ 
dent; il lui commandait de partir et de donner quelque signe de son 
départ. « Je renverserai telle statue », cria le démon, et il montra une des 
statues du portique royal, près duquel se passait cette scène. La statue 
chancela et tomba. Le bruit qui s’éleva, l'admiration et les applaudisse¬ 
ments qui éclatèrent alors, je renonce à les décrire. Le jeune homme parut 
sortir d’un profond sommeil : il se frotta les yeux, les tourna vers le soleil, 
et fut confus de voir tous les regards fixés sur lui; il n’y avait plus rien en 
lui d’immodeste, son regard n'était plus égaré, il était rentré en possession 
de lui-même absolument comme s'il venait de prendre quelque remède. 
Bientôt il quitta son manteau, les étoffes délicates dont il était couvert, et 
tout l’attirail de la mollesse. Il s’éprit de l’extérieur négligé et du grossier 
manteau d'Apollonius, et embrassa tout son genre de vie. » 

Lisez encore la réapparition d’Apollonius à un disciple et opposez-la 
à la résurrection du Christ ( 4 ) : 

« Il était venu à Tyane un jeune homme, hardi dans la controverse, et qui 
se rendait difficilement à la vérité. Apollonius n’était plus au nombre des 
vivants, on admirait son changement d’existence, et pas un homme n’osait 
prétendre qu’il ne fut pas immortel. Comme il y avait alors à Tyane un 
certain nombre de jeunes gens épris de philosophie, la plupart de leurs dis¬ 
cussions roulaient sur l’âme. Notre jeune homme ne pouvait admettre qu’elle 
fût immortelle. 

« Voici dix mois, dit-il à ceux qui l’entouraient, que je prie Apollonius de 
me révéler la vérité sur l’immortalité de l’âme ; mais il est si bien mort que 
mes prières sont vaines, et qu’il ne m’est apparu, pas même pour me prouver 
qu’il fût immortel. » 

« Ainsi parlait ce jeune téméraire. Cinq jours après, il reparla du môme 
sujet avec ses compagnons, puis s'endormit dans le lieu même où avait eu lieu 
la discussion : des autres jeunes gens, les uns étaient occupés à lire, les 
autres traçaient sur le sol des figures géométriques. Tout d’un coup, le 
jeune disputeur bondit comme en proie à un accès de démence : il était à 
moitié endormi, et couvert de sueur. « Je te crois ! » s’écria-t-il. Ses cama¬ 
rades lui demandèrent ce qu’il avait. « Ne voyez-vous pas, leur répondit-il, 
le sage Apollonius ? Il est au milieu de nous, écoute notre discussion, et 
récite sur l’âme des chants merveilleux ». — Où est-il ? dirent les autres. 
Car nous ne le voyons pas, et c’est un bonheur que nous préférerions à 


(1) B. 392. 



238 


BEVUE DE D'HYPNOTISME 


tous les biens de la terre. — Il paraît qu’il est venu pour moi seul : il veut 
m’instruire de ce que je refusais de croire. Ecoutez donc, écoutez les chants 
divins qu’il me fait entendre : 

« L’âme est immortelle ; elle n’est pas à vous, elle est à la Providence. 
Quand le corps est épuisé, semblable à un coursier rapide qui franchit la 
barrière, l’âme s’élance et se précipite au milieu des espaces éthérés, pleine 
de mépris pour le triste et rude esclavage qu’elle a souffert. Mais que vous 
importent ces choses? Vous les connaîtrez quand vous ne serez plus. 
Tant que vous êtes parmi les vivants, pourquoi chercher à percer ces 
mystères ? 

Ce sont là des phrases de rhéteur philosophe qui se soucie avant tout 
du style. 

La foi profonde des évangélistes, leur parfaite connaissance des 
conditions nécessaires à la production des miracles, nous feront écarter 
également l’interprétation des gnostiques : pour eux les miracles étaient 
de pures allégorieà (*). 

Pour Origène, cette explication seule nous révèle la portée profonde 
de la Bible. Ainsi, dans la résurrection de Lazare, le miracle n’est que 
l’accessoire, l’essentiel est ailleurs, il est dans le « ego sum resurrectio 
et vita » dont ce miracle n’est que le symbole (Herder, Strauss). 

De même la transmutation de l’eau en vin (Jean II, 2) a aussi reçu 
une explication symbolique, car Jésus compare son enseignement à du 
vin et à du vin nouveau qu'il ne faut pas mettre dans de vieilles outres 
(Mat. IX, 17). 

Si les évangélistes avaient eu l’idée, en rappelant les miracles, de 
n’écrire que des allégories, ils n’auraient pu donner ce luxe de détails 
vrais que nous avons relevés. 

Notre étude des miracles permet aussi de repousser au moins pour 
beaucoup d'entre eux, l’explication naturelle qu’ont voulu donner cer¬ 
tains auteurs des xvm e et xix e siècles. Ainsi pour Paulus (1828), si Jésus 
a marché au-dessus de la mer, cela signifie qu’il a marché sur un rivage 
plus élevé que le niveau de la mer. Pareille explication est enfantine, il 
ne faut voir dans ce miracle qu’une simple hallucination de disciples 
exaltés. 

Plusieurs critiques ont soutenu que les évangélistes avaient sciemment 
altéré la vérité. 

Ainsi Havet affirme ( 1 2 ) : 

Des paralytiques et des lépreux instantanément guéris; des sourds, de 
muets, des aveugles-nés qui recouvrent tout à coup l’ouïe, la parole ou la 
vue par un attouchement ou par un mot de Jésus, il est clair qu’il n’y a là 
aucune réalité. Non seulement Jésus n’a jamais rien fait de pareil, mais j’a¬ 
joute hardiment qu’on n’a pas pu dire, qu’on n’a pas pu croire cela de son 

(1) Max Muller et son école ont prétendu, à l’exemple des gnostiques, expliquer 
toute la mythologie par de simples allégories. Cela peut être vrai en quelques cas, 
mais on est aujourd’hui revenu sur ces théories dans ce qu’elles Ont de trop absolu. 

(2) Havet : Christianisme : les origines, 1884, t, IV, p. 10. 



LA VIE DE JÉSUS DEVANT LA SCIENCE HYPNOTIQUE 239 

vivant. Ce n’est qu’à distance et longtemps après qu’on a imaginé de pareilles 
choses. 

Quand la critique refuse de croire à des récits de miracles, elle n’a pas 
besoin d’apporter des preuves à l’appui de sa négation : ce qu’on raconte est 
faux simplement parce que ce qu’on raconte n’a pas pu être. Mais il reste à 
la critique une obligation, celle de rechercher comment on en est venu à 
croire à ces miracles. C’est ce qui n’est pas très difficile à dire dans le cas 
présent. On a cru que Jésus avait fait des miracles parce qu’on a cru que 
Jésus était le Christ, et qu’on croyait que le Christ devait faire des miracles. » 

C’est là l'interprétation messianique des miracles, ceux-ci ayant été 
inventés uniquement pour donner raison aux prophéties bibliques. D’au¬ 
tres admettent la possibilité de certains miracles et nient les autres au 
nom du bon sens, sans s’expliquer d’ailleurs comment l’imagination 
humaine a pu les créer et y croire. Ainsi Strauss dit : ,( 

Ce qui eût été étrange c’est que sur tant de personnes, l’imagination 
surexcitée et la force de l’impression n’en eussent guéri ou soulagé un cer¬ 
tain nombre, effets qu’on ne pouvait manquer d’attribuer à la vertu miracu¬ 
leuse de Jésus. 

Mais il est des « impossibilités extrêmes » : pour lesquelles « toute expli¬ 
cation naturelle devient chimérique : multiplication des aliments; marche sur 
les eaux sans y enfoncer. » 

Il n’a pu faire « passer pour une résurrection ce qui n’aurait été que la 
simple découverte d’une léthargie ». Il n’a pu davantage guérir par parole 
ou par attouchement des aveugles, des soqrds 04 des lépreux. 

De même Renan est bref sur ce sujet : « il est impossible de savoir si les 
circonstances choquantes d’efforts, de frémissements, et autres traits 
sentant la jonglerie, sont bien historiques (*). » 

Les explications que ne pouvaient concevoir les anciens critiques, une 
science nouvelle nous les donne, l’hypnotisme. Elle explique et renou¬ 
velle l’étude de la vie de Jésus-Christ telle que nous Vont transmise les 
Evangiles. 

★ 

* ¥ 

Il convient d’opposer les miracles de Jésus à ceux des autres reli¬ 
gions. Là encore l’avantage est au christianisme, car ses miracles ont 
été accomplis et rapportés avec sincérité. Jésus et plus tard les apôtres, 
les saints guérissaient parce qu’ils croyaient à leur vertu miraculeuse. 
Tout autres étaient les miracles des prêtres païens. Ceux-ci étaient 
gens experts dans les sciences physiques et chimiques de leur époque ; 
ils usaient de l’acoustique, de l’hydrostatique, etc., pour illusionner les 
fidèles ( 2 ). Aussi les chrétiens eurent-ils beau jeu pour critiquer ces faux 
miracles, dûs à de simples trucs, tandis que les leurs provenaient de la 
seule foi. 

Les miracles Boudhiques diffèrent plus encore de ceux de Jésus. 

(1) Renan, id, p. 259. 

^2) Voir pour plus de détails Revue de l’hypnotisme 1899, p. 366. 



240 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Le récit de ces prodiges fait dans l’Avadana-Cataka, réunion de 
légendes boudhiques, montre que nous avons affaire à un peuple qui 
n’a aucun souci du vraisemblable et se complaît dans Ja fantasmagorie. 
On doit les rapprocher des légendes des peuples mais elles diffèrent 
des miracles chrétiens. 

Ainsi, les fleurs jetées en l’honneur de Boudha, se tiennent au-dessus 
de lui en formant comme un pavillon de fleurs, une maison à étages en 
pierres précieuses, un parasol en pierres précieuses, un pavillon en pierres 
précieuses (*). 

Boudha envoie des rayons lumineux de la couleur de l’or ayant une puis¬ 
sance supérieure à celle de mille soleils, en sorte que la maison en fût 
éclairée. 

Il s’éleva dans l’air à l’endroit où était la fumée et il se tint au-dessus 
* d’elle comme le sommet d’un grand nuage. 

Boudha guérit un enfant malade. Que Çakra, le roi des Dieux, dit-il, 
apporte de la montagne de Gandka Madana une herbe laiteuse. Au moment 
même où cette pensée fut produite, Çakra, le roi des Dieux, apporta de la 
montagne une herbe laiteuse et la remit à Boudha, Boudha la prenant de 
ses mains, la passa à Vadrika en disant : « Voici qui calmera les souffrances 
cuisantes de ton corps ( 1 2 ) ». 

k Telle encore la lutte d’un boudhiste et d’un adhérent de Purana à Tràvasti. 

L’adhérent des Tirthikas (Boudha) fit le premier l’offrande démonstrative 
de la vérité : « S’il est vrai, dit-il, que Purana et les autres docteurs soient 
supérieurs dans le monde, si cela est vrai, que ces fleurs, cet encens, cette 
eau se dirigent vers eux ». A peine ces paroles eurent-elles été prononcées 
que les fleurs tombèrent à terre, le feu (de l’encens) s’éteignit, l’eau s’en 
alla dans la terre, se perdit totalement. 

Alors, l’auditeur de Bhagavat : « S’il est vrai, que Bhagavat soit le premier 
de tous les êtres, si cela est vrai, que ces fleurs, cet encens, cette eau se 
dirigent vers Bhagavat ». Ces paroles n’eurent pas été plutôt prononcées 
queles fleurs se mirent en mouvement... la fumée de l’encens comme unamas 
de nuage, l’eau comme des pailleties de lapis-lazuli. 

. Puis les fleurs se fixèrent au-dessus de Bhagavat ainsi que la fumée 

et l’eau au sommet. 

Ces récits font saisir toute la différence qui existe entre les miracles 
des boudhistes et ceux des chrétiens. 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Un soi-disant liseur de pensée 

Par M. le D r Paul Farez, professeur à l’École de Psychologie 

Il y a quelques jours, M. le D r Bérillon avait convoqué les Profes¬ 
seurs de l’Ecole de Psychologie à une séance de lecture de pensée que 

(1) Annales du Musée Guimet, t. XVIII, p. 25, 28, 31, 34, 39, 45, etc. + 

(2) Annales du Musée Guimet . Visite des Boudhas dans Pile de Lanka. 





SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 241 

devait donner un jeune homme venu de Salonique à Paris pour faire 
apprécier son talent. 

A l’annonce de pareils phénomènes, nous nous laissons, d’ordinaire* 
facilement envahir par une certaine pointe de scepticisme et même de 
défiance. Nous tous, en effet, qui pratiquons l’hypnotisme, nous avons 
été, de ci, de là, dans le monde ou ailleurs, maintes fois sollicités d’al¬ 
ler observer des phénomènes stupéfiants, surnaturels, merveilleux, 
dont l’authenticité nous apparaîtrait, affirmait-on, avec une aveuglante 
clarté. Parfois, les fameux phénomènes promis s’obstinent à ne point 
se montrer et la séance que Ion nous avait représentée comme devant 
être pleinement démonstrative n'aboutit qu’à un échec lamentable. 
D'autres fois, de véritables phénomènes se produisent; mais bientôt on 
se rend compte qu’ils n’ont rien d’extraordinaire et que la science les 
explique simplement, ou bien on ne tarde pas à découvrir que le médium 
est un illusioniste expert, un habile prestidigitateur, dont l’audace n’a 
d’égale que la crédulité des spectateurs. Le plus souvent, ces séances 
ne laissent voir que des enfantillages ou des puérilités, et, en ce qui me 
concerne, j’ai plus d’une fois très sincèrement regretté le temps qu’on 
m’avait fait perdre pour de simples billevesées. 

Cette fois, cependant, il ne s’agit plus d’un sujet venu dans le but de 
faire pâmer d’admiration béate toute une assemblée crédule, au sens 
critique obnubilé. Ce jeune homme s’offre loyalement à l’examen libre 
et désintéressé de médecins et de psychologues, experts en ces ques¬ 
tions, habitués à observer autrement qu’avec les yeux de la foi, assez 
indépendants pour proclamer l’authenticité d’un fait qui, même officiel¬ 
lement répudié, leur apparaîtrait comme réel, mais très résolus aussi à 
démasquer les trucs et à dépister les supercheries. 

Cette crânerie nous rend ce jeune homme sympathique et nous décide 
à l’aller voir. D’ailleurs, nous autres, ennemis du surnaturel, nous som¬ 
mes journellement accusés de fermer les yeux à la lumière et de ne 
point croire parce que nous ne voulons point voir. Il est bien évident 
que si les phénomènes qu’on nous annonce sont réels, nous serons 
impardonnables de leur avoir tourné le dos et d’avoir retardé, ne fût-ce 
que de quelques heures ou de quelques jours, l’éclosion d’une nouvelle 
parcelle de vérité. Et puis, dans cette réunion, nous aurons notre franc 
parler; il nous sera loisible d’interpréter et déjuger; peut-être serons- 
nous amenés à signaler' des fautes contre les règles de l’expérimenta¬ 
tion rigoureuse, à remettre au point une question qui aura dévié, à 
rectifier une interprétation erronée. Or, redresser une erreur, c’est 
encore, d’une certaine manière, servir la cause de la. vérité scienti¬ 
fique. 

Donc, au jour dit, nous nous rendons rue Saint-André-des-Arts. Le 
corps enseignant de l’École de Psychologie n’avait point voulu que 
cette épreuve eût lieu en secret ; au contraire, il avait admis des mem¬ 
bres de la Société d’Hypnologie, des médecins, des psychologues, des 
journalistes, quelques gens du monde qui se passionnent pources ques- 



242 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


tions et plusieurs invités de marque. Le sujet est entouré de quelques 
parents et amis; un journaliste de Salonique, celui-là même qui Ta 
décidé à venir à Paris, nous le présente et expose en quoi consistent les 
expériences auxquelles nous sommes conviés. 

Il s’agit, nous dit-on, de faire accomplir au sujet un acte quelconque 
qui lui aura été ordonné mentalement. Ce sera, par exemple, prendre le 
lorgnon de M. X. et le mettre sur le nez de M. Z. — déboutonner la 
redingote d’un tel, prendre son portefeuille dans telle poche et le porter 
à tel assistant, — enlever la bague de telle personne et la mettre à tel 
doigt de telle autre personne, etc., etc. L’ordre mental ne doit pas être 
collectif. Un assistant, désigné à cet effet, servira de conducteur. Ce 
dernier pensera fortement à l’acte convenu, il le voudra énergiquement, 
il le commandera avec ténacité, il en détaillera successivement toutes 
les phases dans son esprit : sans qu’il ait prononcé une seule parole, sa 
pensée, nous dit-on, sera lue par le sujet et l’ordre mental sera effectué 
fidèlement. 

En dehors de la présence du sujet, on convient de faire exécuter à 
celui-ci un acte analogue à ceux énoncés plus haut. Le sujet entre. Il 
prend une des mains de son « conducteur », l’applique à l’une de ses 
tempes et l’y maintient pendant toute la durée de l’expérience. Celle-ci 
se réalise ponctuellement. D’autres -sont proposées et réussissent de 
même. D’où, enthousiasme de quelques spectateurs et stupéfaction de 
quelques autres; le sujet et son entourage manifestent une très légitime 
satisfaction ; quelques adeptes résolus de la suggestion mentale triom¬ 
phent ouvertement. 

Quant à nous, bien résolus à ne subir aveuglément aucune contagion 
morale, nous nous gardons de tout enthousiasme irréfléchi et nous 
conservons pleinement notre sang-froid. Il nous importe peu que le 
sujet obtienne des succès personnels ou qu’il subisse une déconvenue ; 
nous sommes, en quelque sorte, indifférents à sa réussite ou à son 
insuccès; nous n’avons aucune préférence, aucune opinion personnelle 
à faire prévaloir. Nous sommes uniquement préoccupés de nous rendre 
compte et de trouver une explication rationnelle, si faire se peut. Aussi, 
pendant que se déroulent ces expériences, nous y appliquons toute notre 
attention ; nous les analysons en nous-mêmes et nous les critiquons, au 
sens psychologique du mot, bien entendu, c’est-à-dire que nous les 
jugeons. 

★ 

* * 

Tout d’abord, nous disons-nous, la suggestion mentale proprement 
dite, si elle existe, implique l’absence de tout intermédiaire physiolo¬ 
gique entre le liseur de pensée et celui dont ce dernier lit la pensée. 

Or, dans la circonstance, il y a contact permanent du conducteur et 
du sujet. 

S’il s’agissait véritablement de suggestion mentale, l’expérience, pour 
être concluante, devrait, entre beaucoup d’autres conditions, satisfaire 



SOCIÉTÉ d’hYTNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 243 

au moins à la suivante, à savoir l’absence de tout contact. Comme dans 
les expériences dont nous sommes témoins ce contact est permanent, 
c’est qu’il est de quelque utilité, à moins qu’il ne soit la condition sine 
qua non de la réussite. Et, tout de suite, nous reviennent à l’esprit les 
célèbres expériences de Cumberland, le pendule de Chevreul et 
l’explication très simple que la science donne de ce genre de faits. 

L’homme est un complexus de phénomènes plus ou moins indissolu¬ 
blement liés les uns aux autres ; en lui, les phénomènes physiologiques, 
d’une part, et les phénomènes psychologiques, d’autre part, forment un 
couple qu’il est très difficile de séparer. Pour ce qui concerne la vie 
ordinaire d’un chacun, on peut formuler cette loi qu’à tout état psycho¬ 
logique (c’est-à-dire intellectuel, mental, moral) est associé un éta 
physiologique (secrétoire, circulatoire, musculaire, etc.), — et inverse¬ 
ment. Toute idée a une tendance naturelle à passer à l’acte; la repré¬ 
sentation d’un mouvement, pour peu qu’elle soit intense et que rien ne 
vienne la contrarier, entraîne l’exécution ou, tout au moins, l’ébauche 
de ce mouvement. 

Revenons à l’expérience de Chevreul. Soit un corps pesant quelconque 
attaché à un fil. Prenons ce fil entre le pouce et l’index et abandonnons 
ce pendule à lui-même. Supposons que nous voulions diriger ses oscil¬ 
lations dans la direction Nord — Sud..., Est— Ouest...,Nord-Est—Sud- 
Ouest..., etc. Pensons-y fortement, appliquons-nous à le vouloir avec 
persistance, représentons-nous mentalement avec intensité la direction 
désirée... et nous verrons le pendule venir, en fin de compte, osciller 
exactement dans cette même direction. 

Qu’est-ce à dire ? Ce n est pas que notre pendule a docilement obéi à 
un ordre mental pur; nos muscles digitaux ont présenté des contractions 
fibrillaires, aussi minimes qu’on voudra, inaperçues pour nous-mêmes, 
mais en rapport avec la pensée dont nous étions pleinement occupés ; ce 
sont ces contractions musculaires, pour ainsi dire imperceptibles, qui 
ont, peu â peu, amené, puis maintenu le pendule dans la direction que 
nous avions choisie. 

N’en est-il pas de même dans les expériences auxquelles nous venons 
d’assister ? 

Le conducteur doit, selon les exigences requises pour l’expérience, 
penser fortement : « Vien3 par ici, va à droite, va à gauche, avance, 
recule, arrête-toi, etc. ». Si toute sa pensée se concentre sur les ordres 
mentaux qu’il formule en lui-même, si son attention est entièrement 
concentrée sur la représentation des mouvements qu’il veut faire accom¬ 
plir, il ignore si ses muscles n’accompagnent point ses ordres mentaux 
de tressaillements correspondants ; il ne s’en préoccupe pas ; il n’a pas 
à les réfréner. Dès lors, il est persuadé, de la meilleure foi du monde, 
qu’il ne donne qu’un ordre mental, alors qu’en réalité il donne aussi et 
surtout une espèce d’ordre musculaire. Ces mouvements fibrillaires 
s’accomplissent le plus naturellement du monde en vertu de la loi bien 
connue rappelée plus haut; ils se produisent aussi faibiement qu’on 



244 


revue! de l’hypnotisme 


voudra, mais d’une manière cependant appréciable, pour que le sujet en 
soit impressionné et leur obéisse. 

Or, le sujet est ici quelque chose de plus que le pendule inerte de 
Chevreul. Ce pendule ne fait que subir l’impulsion digitale. Notre sujet 
a une faculté perceptive très affinée ; il est fort intelligent ; non seule¬ 
ment il enregistre les mouvements musculaires, mais il les interprète ; 
avec de l’entraînement et une certaine habitude, il arrivera même à les 
provoquer et à les susciter d’une manière plus ou moins inconsciente. 
Mais de toute manière il est un liseur de muscle et non un liseur de 
pensée . 

Or, comment de simples contractions fibrillaires peuvent-elles expri¬ 
mer un ordre précis et faire connaître toutes les phases successives d’un 
acte relativement compliqué ? 

Le sujet ne va pas droit à la personne désignée, il n’accomplit pas 
d’emblée, sans hésitation, l’ordre mental, et il serait tout naturel qu’il 
le fit, s’il lisait véritablement la pensée. Il tâtonne, cherche, hésite, s’y 
reprend à plusieurs fois avant de se décider. C’est que les tressaille¬ 
ments musculaires du conducteur, ne peuvent guère signifier que oui 
ou que non. C’est donc au sujet à varier et à multiplier ses sortes d’in¬ 
terrogations. 

S’agit-il de trouver d’abord la personne désignée ? Il s’essaie dans 
divers sens. Aux mouvements fibrillaires du conducteur il comprend qu’il 
va dans une mauvaise direction... Enfin les muscles ont acquiescé : il 
suit la bonne piste. Mais il marche prudemment, s’arrête quelques 
secondes devant chacun des assistants et si, en interrogeant les musèles 
de son conducteur, il en reçoit une réponse négative, il passe au suivant ; 
en face de la personne que vise l’expérience, ces mêmes muscles 
donnent enfin une réponse affirmative ; le sujet la perçoit et la première 
partie de l’expérience se trouve réussie. 

Reste l’acte à accomplir ou l’objet à saisir. 

Icj encore le sujet va tâtonner. Il touche successivement les cheveux, 
puis toutes les parties du visage, passe au cou, au tronc, aux membres 
supérieurs, aux membres inférieurs. C’est, semble-t-il, après une série 
d'éliminations successives qu’il se décide enfin à s’arrêter à l’objet 
demandé ou à la région visée. Qu’est-ce à dire, sinon qu’ici encore les 
muscles du conducteur ont répondu par non et par oui à toutes les 
questions que n’a cessé de leur poser le sujet? Celui-ci opérera de 
mémo pour la suite de l’expérience. Or, ce qu’il faut bien savoir, c’est 
que le conducteur conduit peu ; il ne suggère pas un acte ou un autre ; 
il se contente de refuser ou d’accorder son adhésion aux nombreux 
essais que multiplie l’esprit inventif du sujet. Celui-ci, en effet, au ris¬ 
que d'échouer, doit savoir passer successivement en revue toute la série 
des possibles. Qu’il en oublie un seul et que ce soit précisément celui-là 
qu’en attende de lui, l’expérience sera manquée. Cela, d’ailleurs, s’est 
produit devant nous. Il s’agissait d’enlever une épingle située au revers 
de la redingote d’un assistant et de la porter sous le buvard sur lequel 



SOCIÉTÉ D'hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


?45 


écrivait M. le D r Bérillon. Le sujet trouve facilement la personne, 
enlève l’épingle, se dirige vers M. Bérillon, dépose l’épingle à gauche 
du buvard, attend quelques secondes, puis la reprend ; il la dépose — 
à droite, attend — puis la reprend encore ; il la dépose sur le buvard, 
puis la reprend de bouveau ; il la dépose en divers endroits de la table 
pour la reprendre un nombre considérable de fois. Il semble bien qu’à 
toutes ces nombreuses tentatives, le conducteur répondait non, si le 
sujet avait pensé h soulever le buvard, le conducteur se fût empressé de 
répondre oui. Mais le sujet n’y a pas pensé et le conducteur n’a pas 
pu lui suggérer mentalement cet acte formel, parce que, dans l’es¬ 
pèce, il ne s’agit pas plus de suggestion mentale que de lecture de 
pensée. 

I ★ 

¥ * 

C’est ainsi que notre conviction se forme peu à peu au cours des expé¬ 
riences. Mais il ne suffit pas que notre explication soit simple, plau¬ 
sible, vraisemblable ; beaucoup d’hypothèses possèdent ces caractères 
et restent indéfiniment à l’état d’hypothèses, à moins qu’elles ne soient, 
un jour, contredites par les faits. L’occasion se présente de confirmer 
notre interprétation et, par des contre-expériences, de montrer à l’audi¬ 
toire qu’elle est tout à fait fondée. 

Le conducteur ordinaire de notre sujet propose une expérience à 
laquelle celui-ci a été entraîné et que, d’habitude, il mène à bien. On 
appelle cela « la scène de l’assassinat ». On suppose que M me X. a frappé 
M. Y à tel endroit du corps, avec telle arme, parce que M. Y. a volé à 
M me Z. tel objet. Le sujet devra désigner M m< * X. (l’assassin pré¬ 
sumé), M. Y., (la victime), l’endroit de la blessure (plante du pied), l’arme 
employée (l’épingle à chapeau de M me A.), M me Z., qui a été volée, et 
l’objet dérobé (sa broche). ' 

Cette expérience impressionne, par sa complexité ; celle-ci n’est 
qu’apparente. En somme, il s’agit d’une suite de recherches successi¬ 
ves, lesquelles, prises séparément, ne sont ni plus faciles, ni plus diffi¬ 
ciles que toutes celles qui viennent d’ètre effectuées. 

J’accepte très volontiers d’étre, cette fois, le conducteur. 

Je ne propose pas de suggestionner mentalement le sujet, sans qu’il 
me touche en aucune manière ; je suis trop convaincu de l’échec qui 
l’attend et aussi du refus qu’il m’opposera. D’ailleurs, notre rôle est, 
dans lacirconstance, de nous soumettre docilement au modus operandi 
exigé par le sujet, libre à nous d'en faire la critique. 

Il s’obstine à maintenir ma main contre satempe; jem’y prête. Mais j’ai 
soin de rendre ma main et mon bras aussi flasques, aussi inertes, aussi 
passifs qu’il m’est possible ; j’avance, si le sujet m’entraîne ; je recule, s’il 
me fait reculer ; je ne fais aucun mouvement spontané ; je supprime 
consciemment toute espèce de contraction musculaire, de tressaille¬ 
ment ou d’acquiescement ; je le prive de tout ce qu’il a trouvé jusqu’a¬ 
lors chez ses conducteurs habituels, — sauf de la suggestion mentale. 
Je veux mentalement, de toute la force de mon vouloir, l’acte qu'il doit 



246 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


accomplir. Mais le sujet tâtonne, peine, presse nerveusement ma main, 
apparemment pour provoquer ou pour arracher une indication, un 
aveu, une direction ; mais ma main reste inerte... De guerre lasse, il se 
déclare très fatigué et avoue qu’il ne peut rien trouver. 

Loin de triompher insolemment, j’explique à l’auditoire que si le sujet 
a échoué, c’est que j’ai systématiquement supprimé en moi tous ces 
mouvements minuscules qui accompagnent d’ordinaire la représenta¬ 
tion intense d’un acte ou d’un geste. Uniquement réduit à lire ma pen¬ 
sée, il ne l’a point lue, comme il fallait s’y attendre. Mais on peut faire 
varier les conditions de l’expérience. « Je vais, ajouté-je, ne plus exer¬ 
cer aucune espèce de contrôle sur les contractions musculaires de mes 
doigts ; je ne m’appliquerai qu’à vouloir mentalement. Dans ces nou¬ 
velles conditions, l’expérience réussira tout aussi bien qu’au début de la 
séance. Le résultat annoncé ne se fait pas attendre. 

Ainsi, plusieurs fois de suite, suivant que je pratiquais l’inhibition de 
mes mouvements tibrillaires ou que je leur laissais leur libre dévelop¬ 
pement, j’annonçais à l’auditoire que le sujet serait incapable de réus¬ 
sir ou qu’il allait réussir sans peine. Pas une fois, mes prévisions n’ont 
été démenties. 

★ 

'¥ * 

Les sujets qui pratiquent ces sortes d’expériences ne sont pas tous 
dans le même état psychologique. Au début, ils exercent, pour ainsi 
dire, automatiquement et machinalement cette faculté qui les étonne 
eux-mêmes ; leur subconscient interprète le subconscient du conducteur ; 
ils ressemblent au pendule de Chevreul ; ils subissent, sans la soup¬ 
çonner, la direction que leur imprime la dynamique musculaire de la 
personne dont ils tiennent la main : tout se passe à l'insu de leur pleine 
et claire conscience. Mais, au fur et à mesure qu’il multipliera ses 
expériences, ce sujet comprendra que tout ce qu’il peut apprendre du 
conducteur, il l’apprend par le toucher et par le sens musculaire ; 
aiguillonné par le besoin et l’habitude du succès, il concentrera toute 
son attention sur ses sensations digitales ou palmaires: il sera à l’afTût 
du moindre tressaillement et il l'interprétera avec la pleine conscience 
de ce qu’il fait. Puis, comme certains conducteurs sont à la fois sans 
défense et sans méfiance, ce sujet sera tenté, non plus seulement d’en¬ 
registrer leurs contractions musculaires inconscientes, mais, il les 
appellera, les suscitera, les provoquera ; par certaines pressions brus¬ 
ques et saccadées, en utilisant la fatigue et l’énervement du conducteur, 
il saura soutirer de celui-ci toutes les indications utiles. Arrivé à cette 
étape, le sujet n’est plus guère qu’un habile prestidigitateur. 

Quant au jeune homme à l’occasion duquel sont écrits tous ces com¬ 
mentaires, je ne le crois pas encore arrivé à la dernière étape ; mais il me 

paraît aussi n’en être déjà plqs à la première. 

★ 

* * 

On peut distinguer aussi plusieurs sortes de conducteurs. Les uns 
ont une volonté molle, leur représentation mentale du m ouvement est 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 247 

faible ; ils n’ordonnent pas avec tout leur être ; ils ne « rendent » pas, 
comme on dit vulgairement ; ils sont d’un médiocre secours et, avec 
eux, l’expérience échoue le plus souvent. Quant à ceux qui se mettent 
sur la défensive, s'observent, inhibent toute espèce de mouvement, ils 
sont aussi de mauvais conducteurs : je l’ai fait un certain nombre de 
fois au cours de la séance dont il s’agit ici, mais dans un but unique¬ 
ment expérimental, afin de démontrer qu’on devait dissocier et distin¬ 
guer deux facteurs à savoir la suggestion mentale pure, d’une part, les 
mouvements musculaires de l’autre. Les conducteurs véritablement 
bons se donnent sincèrement; ils n’ont aucun désir de critique; ils 
n’essaient même pas de comprendre le mécanisme du rôle qu’ils jouent; 
ils se contentent de vouloir pleinement, avec toute l’énergie dont ils 
sont capables, tel acte déterminé et, aux interrogations tactiles du sujet, 
ils ne manquent pas de répondre musculairement par oui ou par non. 
Il y a plus. Quand le conducteur est un convaincu qui désire ardemment 
le succès de l’expérience, il la favorise de toutes ses forces, mais, incons¬ 
ciemment, je l'accorde, par des mouvements musculaires plus intenses, 
par des oui et des non beaucoup plus catégoriques. Si enfin le conduc¬ 
teur est un parent ou un ami du sujet, s’il est une sorte dé barnum, si 
Ion se trouve dans une salle de spectacle, si des questions d’amour- 
propre, de réputation et surtout d’intérêts pécuniaires sont en jeu, — ce 
conducteur échappera difficilement au soupçon de jouer simplement le 
rôle de compère. Il est si facile en effet que, par suite d’une convention 
établie entre le conducteur et le sujet, tel tressaillement musculaire 
signifie oui et tel autre non ! Or nous avons vu que, pour un sujet intel¬ 
ligent, doué d’un esprit inventif, ces simples réponses affirmatives ou 
négatives, suffisent pleinement à la réussite des expériences en appa¬ 
rence les plus difficiles. 

★ 

* * 

Si, au lieu de venir très sincèrement se soumettre à notre examen, le 
sujet avait envoyé de Salonique des relations de ses nombreuses expé¬ 
riences ou s’il les avait publiées dans un copieux article de Revue, 
beaucoup de personnes, bien intentionnées et très sincères, je le recon¬ 
nais, mais facilement crédules, n’auraient pas manqué de proclamer 
triomphalement :« Voilà de nouvelles preuves indiscutables de lecture 
de pensée ! » Au contraire, il a eu, les uns diront la candeur, nous, 
nous dirons la loyauté de venir en personne nous demander notre appré¬ 
ciation. Nous devons à la fois Ven féliciter et l’en remercier. Il nous a 
fourni l’occasion de remettre une fois de plus les choses au point et de 
séparer l’ivraie du bon grain ; nous avons montré que là où tant de 
gens persistent à voir des faits nouveaux et étranges, il s’agit de phéno^ 
mènes, réels sans doute, mais pas le moins du monde surnaturels et, en 
tous cas, très facilement explicables ; dans une certaine mesure, nous 
avons rempli le rôle sanitaire d’une sorte de Conseil d’hygiène intellect 
tuelle ; nous avons participé à l’œuvre que Durand de Gros appelait la 
Scientification du merveilleux. D’autre part, nous avons rendu service 



248 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


au sujet lui-même ; car, en l’éclairant sur la valeur exacte de ce qu’il 
considérait comme une extraordinaire faculté, en lui montrant qu’il n’y 
a là rien qui soit inédit ou qui doive révolutionner les esprits, nous lui 
avons peut-être évité des déconvenues et des déboires ultérieurs. Par 
surcroît, notre démonstration a eu la bonne fortune de ramener à la saine 
interprétation des faits, plusieurs assistants qui, jusqu’alors, avaient été 
des zélateurs ardents des explications extra scientifiques. 

Décidément, nous n’avons pas, ce soir-là, perdu notre temps... 


La lecture de pensée chez les animaux. 

par M. Lépinay, professeur à l’Ecole de Psychologie. 

M. le D r Farez vient de nous exposer avec beaucoup de clarté et 
de précision l’examen qu’il a fait d’un jeune homme liseur de pensée. Il 
nous a démontré que ce prodige n’avait rien de surnaturel, mais qu’il 
usait en somme d’un subterfuge; que la main du conducteur qu’il prenait 
et s’appliquait à la tempe, constituait un récepteur merveilleux et invo¬ 
lontaire, lui transmettant les moindres mouvements, les moindres 
impressions, mouvements etimpressions qui lui permettaient de deviner. 
Et bien, si, parmi les bipèdes,la lecture de pensée, est l’exception, parmi 
les quadrupèdes c’est la règle. 

Nos chiens et chats, pour ne citer que ces deux espèces, nous en 
donnent de merveilleuses preuves tous les jours. 

Ils agissent à la manière des escrimeurs, ils nous fixent et arrivent 
rapidement à deviner nos projets, nos ordres, nos intentions. 

Il est bien évident qu’ils ne devinent pas plus que le bipède, mais ils 
interprètent notre regard ; ils comprennent rapidement si c’est la colère, 
ou la bienveillance, si nous allons frapper ou caresser, dans le premier 
cas ils fuient, dans le second ils s’approchent. Il est probable que « le 
célèbre chien de Jean de Nivelle, qui fuit quand on l'appelle, » 
était un liseur de pensée recevant moult corrections. 

Les animaux interprètent nos gestes, aussi petits soient-ils, et com¬ 
prennent si nous allons sortir, leur donner à manger, etc., etc. 

On a exposé nombre d’animaux liseurs de pensée et toujours les 
observateurs ont constaté qu’en réalité ils interprétaient un geste, un 
clignement d’yeux de leur barnum. 

Cependant on vient de montrer dans des cercles des plus fréquentés de 
Berlin, un chien basset qui paraît être un véritable liseur de pensée. 

Le chien a été mis plus de 20 fois, par des personnes différentes, son 
maître présent ou absent, devant un jeu de cartes ou un certain 
nombre d’objets divers, à chaque fois et, sans la moindre hésitation, 
après avoir fixé les yeux de celui qui pensera à l’une des cartes ou à 
l’un des objets, il a pris et apporté l’une ou l’autre. 

Ce chien est doué du don d’interprétation au plus haut degré, mais, 
bien entendu, il n’a pas une double vue. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


249 


Séance du mardi 17 décembre 1901. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 40. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

La parole est donnée successivement à MM. Maurice Bloch, Bérillon 
et Paul Farez pour les communications inscrites à l’ordre du jour. 

M. le secrétaire général prononce -l’éloge du D r Tokarsky (de Moscou) 
qui fut un des présidents d’honneur du 2 e congrès de l’hypnotisme et 
l’un des représentants les plus autorisés de la psychothérapie en Russie. 

La séance est levée à 6 h. 45. 


L’auto-microsthésie et l'incoordination motrice 

par M. le D r Maurice Bloch. 

A la suite d’un auteur allemand qui a décrit sous le nom de micros- 
thésie une maladie du toucher, caractérisée par l'altération des sensations 
de poids et de volume, je vous ai demandé de désigner avec moi sous 
l’appellation d’auto-microsthésie, le même symptôme lorsque le malade 
au lieu de rapporter ses sensations à des objets ou à des personnes 
étrangères les rapporte à lui-même. 

Je vous ai rapporté à ce sujet l’observation d’une dame qui se plaignait 
de trouver à la palpation son thorax rétréci, sa tête diminuée, en un 
mot de maigrir, alors qu’il n’en était rien. 

Je désire aujourd’hui signaler à votre attention l’histoire d’un tabé¬ 
tique. M. P... est âgé de 45 ans. ; c’est un ancien syphilitique. Il présente 
les signes essentiels du tabès : douleurs fulgurantes, abolition des 
réflexes, symptôme d’Arghyll-Robertson, incontinence d’urine, etc. 
Grâce à une rééducation soignée, il est parvenu à corriger son incoordi¬ 
nation, mais pendant trois mois il n’a pu marcher que très difficilement 
en raison disait-il de l'étroitesse et de Vexiguité de ses pieds . 

Le malade avait parfaitement conscience de son erreur, mais, pour 
guérir, il a eu besoin des secours de la suggestion. 

J’ai pensé que ce nouveau cas d’auto-microsthésie pourrait peut-être 
éclairer le problème de la basophobie, c’est pourquoi j’ai cru utile de 
vous le signaler. 


Psychopathie religieuse. — Le Martyre de Robert d’Arbrissel 

Par M. le D r Henry Lemesle, professeur à l’Ecole de Psychologie 

Afin de conserver leur vertu, les premiers Pères de l’Eglise, fuyant 
la femme, se sauvèrent au désert. Le xi e siècle à son déclin vit s’élever 
un esprit plus solidement trempé qui réprouva cette manière de capi- 



250 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


tuler et envisagea de façon toute opposée les moyens à employer pour 
résoudre ce brûlant problème. 

Robert d'Arbrissel, abbé fondateur de l’abbaye d’hommes et de fem¬ 
mes de Fontevrault, entrait courageusement dans le lit de ses reli¬ 
gieuses, « afin, disait-il, qu’en s’exposant à la tentation de les posséder, 
« en aiguisant ses sens contre un corps de femme, il remportât plus 
« haute victoire sur eux par le refus qu’il leur faisait de les satis- 
« faire ». 

Jean de la Mainferme, abbé de .Fontevrault, qui s’est fait l’historien 
et le défenseur de Robert d’Arbrissel, nous dit que ce dernier, après de 
nombreuses et retentissantes prédications « résolut de se reposer et de 
« fixer ses tabernacles à la forêt de Frontevaux. Il ne faut pas oublier 
« qu’il y eut en même temps deux autres célèbres prédicateurs qui 
« convinrent avec lui de partager les deux sexes et de lui laisser le 
« choix des femmes pendant qu’ils se chargeraient des hommes. 

a On eut beau représenter à notre Robert le péril où il s’exposait par 
« ce grand attachement à la direction du sexe, il rejeta cet avis comme 
« des ruses de Satan et se fortifia de l’exemple de saint Jérôme. Cui 
« insulsi obloquebantur. Aristarchi , quod scriberet ad mulieres, eas- 
« que viris anteponeret, quorum cavillationes venustissima et copio- 
« sissima retundit devotisexuscelebratione sacris exlitterisdeductaT>( > ). 

Nous trouvons dans les Manuscrits de l'Abbaye des Vaux de Cernay, 
la façon dont d’Arbrissel opérait ses conversions et dont il recrutait les 
religieuses de Fontevrault : 

« Et il fallait bien, puisque la direction du sexe lui était échue, qu’il 
<r cherchât principalement les brebis galeuses. Il allait nuds pieds par 
« les rues et par les places afin d’exhorter à la pénitence les filles de 
« mauvaise vie et il entrait même dans le bordel afin de leur faire des 
<t exhortations. Il y entra un jour dans Rouen et s’alla mettre auprès 
« du feu afin de chauffer ses pieds. Il se vit bientôt entouré de femmes 
« persuadées qu’il n'était venu que pour goûter les plaisirs vénériens ; 
« mais il leur parla de toute autre chose : il leur annonça les paroles 
a de vie et la miséricorde du fils de Dieu. La principale d’entre elles 
« surprise de ce langage lui dit que depuis 25 ans qu’elle hantait cette 
« maison, elle n’avait vu entrer personne qui parlât de Dieu ou qui 
« leur fit espérer grâce ; mais que si elle pouvait prendre confiance en 
« ce qu’il disait, elle ne manquerait point de changer sa vie, et sur la 
« réitération des promesses de miséricorde, elle et ses compagnes se 
« jetèrent aux pieds de Robert et s’engagèrent à se repentir. Il pro- 
« fita de ce bon mouvement et, les faisant sortir de la ville, les amena 
« toutes dans son désert » ( 1 2 ). 

Sous la règle de d’Arbrissel, le moutier de Fontevrault devait être 
pour certains et pour certaines un lieu de pénitence assez recherché. 

(1) Joan. de la Mainferme Clypéi T. I, p. 118. 

(2) Manuscrits de l’Abbaye des Vaux de Cernay, 1210. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


251 


Mais les vagissements de nouveau-nés apprenaient trop souvent et de 
façon trop indiscrète les dangers de ces recrutements en masse prati¬ 
qués dans le monde où Ton s'amuse. Sous la menace des évènements 
du neuvième mois, certaines nonnes rompaient leur clôture, tandis que 
d’autres accouchaient dans leurs cellules. Le Clypeus nascentis Ordinis 
Fontebraldensis , t. I, p. 69, nous renseigne sur ce point : « Hujus igi - 
« tur facti temeritatem miserabilis exitus probat . Aliæ enim , fractis 
« ergastulis elapsæ sunt, aliæ in ipsis ergastulis peperunt ». 

Ces faits de religieuses prolifiques étaient d’ailleurs assez ordinaires 
dans les couvents d’autrefois pour que le pape Léon X ait cru devoir 
s’occuper de taxer la Fornication des nonnes. Au Livre des Taxes a la 
cour de Rome , paru à Rome en 1514, sous le titre Regulæ , constitution 
nés, reservationes , cancellariæ S. Domini nostri Leonis papæ decimi, 
noviter editæ et publicatæ , nous lisons (traduction Du Pinet , 1564) : 

« Une nonnain ayant paillardé plusieurs fois dedans ou dehors le pour-? 
pris de son monastère, sera absoute et réhabilitée à pouvoir tenir toutes 
dignités de son ordre, voire la dignité abbatiale, moyennant 36 tournois 
et 9 ducats. » 

Le monastère de Fontevrault n’avait donc rien de ce chef qui le dis¬ 
tinguât de la plupart des autres, et il ne doit sa célébrité qu'à la règle 
originale édictée par son fondateur qui, prêchant d’exemple, s’imposa 
le martyre qu’il avait imaginé. 

Le fait a été contesté, mais des documents d’une authenticité indis¬ 
cutable l'établissent formellement. 

Ce sont d’abord les lettres de Geoffroy , abbé de Vendôme , qui, con¬ 
temporain de d’Arbrissel, lui écrivait pour l’avertir du'fâcheux bruit qui 
courait, touchant sa conduite et des inconvénients de cette conduite. 
Ces lettres ont été publiées en 1610 par le Père Sirmond, d’après le 
Manuscrit de VAbbaye de la Couture qui fut ensuite transporté à la 
bibliothèque des Cordeliers à Santa-Croce de Florence. Nous en déta¬ 
chons le passage suivant : « Il y a quelques femmes avec lesquelles 
« vous êtes toujours de bonne humeur, prompt, actif, alerte, si com- 
« plaisant que vous n’épargnez rien de tout ce qui leur peut marquer 
« votre honnêteté ; mais quant aux autres, si quelquefois vous daignez 
« leur adresser la parole c’est pour leur dire des duretés : vous les 
« traitez en censeur rigide et vous les laissez exposées à la faim, à la 
« soif et au froid », 

Le Clypeus nascentis Ord. Fontebraldensis (T. I, Dissert 1, p. 38), 
reproduit également les lettres de Geoffroy de Vendôme : « Femina- 
« rum quasdam, ut dicitur, nimis familariter tecum habitare permittis, 
« et cum ipsis etiam et inter ipsas noctu fréquenter cubare non erubes- 
« cis. Hoc si modo agis, vel aliquando egisti, novum et inauditum sed 

« infructuosum martyrii genus invenisti.Mulierum quibusdam, sicut 

« fama sparsit et nos ante diximus sæpe privatim loqueris, et earum 
« accubitu novo martyrii genere cruciaris ». 

Un autre contemporain de Robert d’Arbrissel, Marbodus , évêque de 




252 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Rennes, lui adressait des avertissements analogues : « Mulierum coba¬ 
lt bitationem diceris plus amare. Has ergo non solum communi mensa 
o per diem, sed et communi accubitu per noctem dignaris, ut refe- 
« runt ». (Olypeus p. 41). 

Enfin Pierre de Saumur, moine de Saint-Florent, avait écrit à 
Robert une lettre dans le même sens que celle de Geoffroy de Vendôme. 
Gette lettre que posséda le P. Viguier de l’Oratoire, fut détruite par ce 
dernier à la prière de Jeanne Baptiste de Bourbon, abbesse de Fonte- 
vrault. 

- » 

¥ * 

Le cas de Robert d’Arbrissel n’est d’ailleurs pas isolé dans l’Histoire 
ecclésiastique et nous pouvons croire que l’abbé de Fontevrault en édic¬ 
tant cette règle,, s’était inspiré de l’exemple de saint Adhelme. On peut 
lire en effet in Beauval ( Hist . des Ouvrages des Savants , avril 1689, 
p. 164 et 165) : 

« Saint Adhelme fut un moine anglais dans le vm e siècle, que son 
g savoir et sa piété élevèrent à l'épiscopat. Le plus grand éclat de sa 
a sainteté étoit une chasteté à toute épreuve et elle étoit d'autant plus 
g admirable qu’elle lui avoit coûté de furieux combats ; car l’auteur de 
« sa vie raconte qu’il se plongeoit dans l’eau ou dans la neige pour 
a éteindre les flammes de la concupiscence. Il fallait que le mal fut 
a pressant pour recourir à un remède si violent. Cependant, il dompta 
g tellement cette chair rebelle que la présence des plus belles filles 
« n’alarmoit plus sa conscience. Il poussa môme sa victoire plus loin 
g en couchant avec une jeune fille afin de triompher des tentations les 
« plus dangereuses et où les plus grands saints seraient peut-être 
g embarrassés. Tout autre aurait eu bien des distractions dans une 
g situation si délicate. Pour lui, il récita par ordre tout le psautier et 
a son cœur ne sentit des émotions que pour le Ciel. Il dit que le démon 
g frémit de rage en le voyant braver le péril et affermir sa vertu dans 
« une occasion où elle succombe d’ordinaire ». 

Dans le même ordre d’idées, nous voyons qu’en 1537, la duchesse de 
Guastala , sur les conseils que lui en donna un jacobin, Baptiste de 
Crêmè , fonda la Confrérie de la Victoire sur soi-même et sur la chair . 
Les organisateurs de cette confrérie faisaient coucher dans le même 
lit un jeune homme et une jeune fille : un crucifix placé entre eux devait 
suffire à les préserver de toute tentation. 

★ 

* * 

Trois solutions se présentent à nous pour interpréter le cas de l’abbé 
de Fontevrault : 

1° Robert d’Arbrissel n’était « pas de bois » au lit de ses religieuses et 
tout se passait normalement. Cette hypothèse très facile ne doit pas satis¬ 
faire exclusivement le psychologue. 

2° Robert d'Arbrissel était un inverti ou un diminué sexuel. Le seul 
contact des bondissantes poitrines de ses blanches nonnains était peut- 



COURS ET CONFÉRENCES 


253 


être assez efficace pour déterminer en lui des réactions aboutissant au 
même résultat que dans la première hypothèse. Peut-être encore, notre 
Robert se contentait-il des avant-goûts, agissant ainsi que ces maris 
dont parle Senèque ( Controverses II, livre I) : Novimus istam maritorum 
abstinentiam qui etiamsi primam virginibus timidis remisere noctem 
vicinis tamen locis ludunt. 

3o Une dernière hypothèse est celle de la suppression de l'appétit 
sexuel, abolition spontanée ou acquise. Pour une fois que la critique 
scientifique ne nous oblige pas à déboulonner la statue d'un bienheu¬ 
reux, apportons avec empressement à la tradition religieuse l’appoint de 
notre opinion. Il nous semble très possible que d'Arbrissel ait pu effectuer 
ce que nous, psychologues et psychothérapeutes, efîectuonspar lasugges- 
tion : la suppression d'une fonction , qu'il ait pu créer en lui par auto¬ 
suggestion et entrainement méthodique des centres d’inhibition , des 
crans d'arrêt suffisants pour faire face au danger. Nous laissons d'autre 
part aux théologiens le soin de trouver l'acle méritoire là où il n’existe 
plus de privation. 

Nous pouvons donc admettre que l’abbé de Fontevrault n'ait, pas 
connu charnellement les religieuses dont il partageait le lit. Il serait 
réconfortant de songer que la même continence pût être observée par 
tous les moines qui se soumirent à cette règle. Mais alors, qui nous 
dirait jamais les états d’àme des infortunées créatures devenues les 
sujets d'expériences de ces chercheurs d'occasions chaudes, qui nous 
dirait léfc tortures de ces malheureuses sacrifiées pour lesquelles nous 
ne saurions avoir une pitié assez profonde s’il est exact de répéter avec 
Gresset : 

Désir de fille est un feu qui dévore. 

Désir de nonne est cent fois pis encore. 

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

La prochaine Séance de la Société aura lieu le mardi 18 février 1902. 
Communications inscrites : 

1° D r Bérillon : La pyschologie du buveur d’habitude. 

2° D r Bianchi : Phonendoscopie cérébrale : Applications à l’étude de 
l’hypnotisme ; 

3° D r Bellemanière : Les diverses formes de l’attention selon les âges ; 
Inscrits : MM. Bérillon, Paul Magnin, Paul Farez, Lionel Dauriac, Félix 
Régnault. 

Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. 




254 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Adresser les communications à M. le D r Bérillon, secrétaire général, 
14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place 
Jussieu. 


Alimentation artificielle des aliénés 

Les Archives de Neurologie indiquent le procédé employé par le 
D r Newt, procédé qu’il pratique avec succès depuis trente ans, et qu’il 
décrit dans le Journal of médical sciences . On place le malade dans la 
position couchée ou à demi couchée et l’opérateur fixe la tète, soit avec 
le bras gauche, soit en la prenant entre ses genoux ; un drap est 
enroulé autour des jambes du malade, et un aide, agenouillé à côté des 
jambes, saisit les poignets et les abaisse, en évitant toute pression sur 
le corps ou sur les membres. Alors l’opérateur introduit l'index de la 
main gauche dans la joue que l’on distend le plus possible : on empêche 
ainsi toute contraction de l’orbiculair.e des lèvres et du buccinateur et 
le malade est dans l’impossibilité de cracher les aliments. On verse dans 
la poche formée par la joue distendue environ deux cuillerées à soupe 
d'un aliment liquide qui descend graduellement dans le tube digestif. Il 
n’est pas nécessaire d’écarter les dents, car même si l’on ne peut pas 
profiter du vide que laisse fréquemment une dent manquante, le liquide 
a largement la place de passer derrière la dernière molaire pour arriver 
jusqu’au pharynx. Si cependant le malade s’obstinait à refuser d’avaler, 
il suffirait de pincer légèrement le nez pour mettre obstacle à la respi¬ 
ration nasale et forcer le malade à respirer par la bouche ; le succès est 
certain, puisque, pour respirer, il faut qu’il avale. Quand le malade a 
été alimenté de cette façon pendant quelques jours et quand il s’est 
aperçu qu’il était absolument sans défense, il se fatigue ordinairement 
d’une résistance inutile et recommence à s’alimenter volontairement. 
L’auteur espère que ceux qui prendront la peine d’essayer ce petit 
moyen ne tarderont pas à abandonner pour toujours la sonde œsopha¬ 
gienne. 


Un établissement pour le suicide 

Le D r Charles Jacobs, spécialiste des maladies nerveuses à Chicago, 
a demandé l’autorisation d’établir dans cette ville un « établissement 
pour le suicide » où, moyennant une somme modique, les gens qui 
veulent mettre fin à leurs jours pourraient accomplir leur dessein 
avec le plus grand confort possible. Il avait envoyé précédemment 
des prospectus aux vingt-trois clubs de suicide qui existent aux Etats- 
Unis. 

Le maire de Chicago, M. Harrison, a déclaré à ce singulier spécialiste 
que, pour le moment, il ne pouvait accorder l’autorisation demandée. 



NOUVELLES 


255 


NOUVELLES 


Conférences de l’Ecole de psychologie 


LES VENDREDIS, A 8 HEURES ET DEMIE DU SOIR 


CONFÉRENCES 

{suite) 

Vendredi 14 Février, à huit heures et demie, M. le D r Bérillon fera une 
conférence sur : Psychologie de la prestidigitation . — Cette conférence 
sera suivie de démonstrations expérimentales faites par M. Jacobs, du 
théâtre Robert-Houdin. 

Vendredi21 Février, àhuit heures et demie, M. le D r Henry Lemesle, licenoié 
en droit, fera une conférence sur : Les visions et les extases de saint 
François d } Assise, — (Cette conférence sera accompagnée de projections 
à la lumière oxydrique.) 

Vendredi 28 Février, à huit heures et demie, M. le capitaine Villetard de 
Laguèrie fera une conférence sur : Psychologie comparée : Les asiatiques 
jaunes: Chinois , Coréen , Japonais. 

Vendredi 7 Mars, à huit heures et demie, M. le D r Paul Joire, de Lille, fera 
une conférence sur : Les états médiumniques de Vhypnose.—Etats hypno¬ 
tiques profonds . 

Vendredi 14 Mars, à huit heures et demie, M. de Gâtines fera une conférence 
sûr: Les lois de i équitation et la psychologie du dressage .— (Cette confé¬ 
rence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.) 


La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de 
malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations 
expérimentales et de présentations d’appareils. 


ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE 

4g, rue Saint-André-des-Arts, 4g 

(Au siège de l’Institut psycho-physiologique) 

COURS DE 1902 


HORAIRE DES COURS 


IjllEURES 

LUNDIS 

MARDIS 

MERCREDIS 

JEUDIS 

VENDREDIS 

SAMEDIS 

n 

Bérillon 

Farez 

Lépinay 

Bérillon 

Wateau 

Farez 

5 h. 1/2 

Panl Magnin 

Wyczolkotska 

Lemesle 

Bellemanière 

Félix Régnault 

Gaustier 




























256 


REVUS DE L’HYPNOTISME 


NÉCROLOGIE 


M. Eugène BÉRILLON 

Notre rédacteur en chef vient d’être cruellement éprouvé par la 
mort de son père, M. Eugène Bérillon, décédé subitement à l’âge de 
75 ans. 

M. Eugène Bérillon était l’auteur de nombreux travaux historiques et 
sociologiques. Un de ses livres, la Bonne ménagère agricole, a eu un 
succès considérable et n’a pas été tiré à moins de 60.000 exemplaires. 

Ses obsèques ont eu lieu à Guerchy (Yonne) au milieu d’une affluence 
considérable. L’Ecole de psychologie s’était fait représenter par une 
délégation composée de MM. les docteurs Paul Magnin, Henry Lemesle 
et Lépinay, professeurs. Les cordons du poêle étaient tenus par 
MM. Surugue, maire d’Auxerre, Besnard, maire de Joigny, le capitaine 
Echard, le D r Lesueur, conseillers généraux, et M. Lenoir, conseiller 
d’arrondissement. 

Au cimetière, des discours furent prononcés par MM. Perreau, maire 
de Guerchy, Besnard, maire de Joigny, le capitaine Lenoir qui rappe¬ 
lèrent les services rendus à l’enseignement par M. Eugène Bérillon et 
sa conduite héroïque, comme capitaine, pendant la guerre de 1870. 
Après avoir déposé une couronne au nom de l’Ecole de psychologie, 
M. le D r Henry Lemesle a prononcé le discours suivant: 

« Au nom de l’Ecole de Psychologie de Paris, nous venons respec¬ 
tueusement nous incliner devant cette tombe si brusquement et si 
brutalement ouverte. M. Bérillon depuis longtemps s’intéressait à nos 
études dont il fut pendant le Congrès de 1900, le collaborateur ' plus 
immédiat. 

« Il était d’ailleurs des nôtres par le caractère de ses travaux péda¬ 
gogiques ou historiques, qui tous portent la marque d’un esprit scienti¬ 
fique éclairé et d’un esprit philosophique des plus élevés. 

« Unis par de communes aspirations, nous poursuivions la recherche 
d’un même idéal. Champion de nos idées psychologiques, ouvrier comme 
nous de la pensée libre et de la raison indépendante il y avait entre 
nous une parenté philosophique qui s’augmentait, de notre part, d’un affec¬ 
tueux respect. 

« La vie de celui que nous pleurons sera pour nous un enseignement 
et comme une resplendissante manifestation de ce que peuvent produire 
les qualités du cœur unies aux qualités de l’intelligence et servies par une 
volonté qui ne faillit pas. 

« Ces qualités ont été par lui transmises, avec un éclat qui ne s’est 
pas atténué à chacun des membres de cette famille si unie et particu¬ 
lièrement à notre maître, notre collègue et notre ami le D r Bérillon. 

« C’est pourquoi nous conserverons pieusement la mémoire de celui 
qui vient de disparaître et c’est pourquoi aussi ce deuil inattendu a été 
par nous tous si douloureusement ressenti. » 

P. P. 


U Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 




REVUE DE L’HYPNOTISME 


EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16 e Année — N° 9. 


Mars 1902. 


BULLETIN 


Enquête sur l’occultisme. Une lettre du D r Liébeault. 


Un écrivain qui peut passer pour un des plus érudits sur les 
questions de psychologie, M. Jules Bois, a ouvert dans le 
Matin une enquête sur l’occultisme et les forces inconnues. Il a 
voulu connaître l’opinion que professent sur ces questions les 
hommes les plus autorisés par leur compétence ou leurs recher¬ 
ches pe^onnelles. S’étant adressé à M. le D r Liébeault de Nancy ; 
il a reçu de notre éminent maître la lettre que nous reprodui- 
sôns ci-dessous, encadrée de commentaires qu’elle avait inspi¬ 
rés à Jules Bois. Nos lecteurs trouverons dans cette lettre du 
D r Liébeault la marque de la puissance d’esprit et de la rigueur 
scientifique qui l’on fait considérer à juste titre comme un des 
maîtres les plus puissants de l’hypnotisme et de la psycholo¬ 
gie contemporaine. 

« Qu’est-ce que le médium ? — Le plus souvent un sujet hypnotique, 
victime de ses propres suggestions et de la suggestion ambiante, cons¬ 
ciente ou non, des assistants, pendant les séances. La plupart des 
« esprits » ne sont que des suggestions reçues par le médium ; les 
réponses des tables, même les plus sincères, sont d’ordinaire suggérées. 
La télépathie elle-même peut être assimilée à une suggestion à 
distance. 

Tout le monde est suggestible à des degrés différents, même et quel¬ 
quefois surtout les intelligents. L’éloquence, l’éducation, le journalisme 
sont de puissants moyens de suggestion, qui n’ont pas attendu, pour 
agir, les médecins hypnotiseurs. 

Ainsi tous pouvons-nous par nous-mêmes nous forger une idée rudi¬ 
mentaire de ce que sont les médiums; ils poussent à l’excès, jusqu’à 


9 



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REVUE DE L’HYPNOTISME 


NÉCROLOGIE 


M. Eugène BÉRILLON 

Notre rédacteur en chef vient, d’être cruellement éprouvé par la 
mort de son père, M. Eugène Bérillon, décédé subitement à l’âge de 
75 ans. 

M. Eugène Bérillon était l’auteur de nombreux travaux historiques et 
sociologiques. Un de ses livres, la Bonne ménagère agricole, a eu un 
succès considérable et n’a pas été tiré à moins de 60.000 exemplaires. 

Ses obsèques ont eu lieu à Guerchy (Yonne) au milieu d’une affluence 
considérable. L’Ecole de psychologie s’était fait représenter par une 
délégation composée de MM. les docteurs Paul Magnin, Henry Lemesle 
et Lépinay, professeurs. Les cordons du poêle étaient tenus par 
MM. Surugue, maire d’Auxerre, Besnard, maire de Joigny, le capitaine 
Echard, le D r Lesueur, conseillers généraux, et M. Lenoir, conseiller 
d’arrondissement. 

Au cimetière, des discours furent prononcés par MM. Perreau, maire 
de Guerchy, Besnard, maire de Joigny, le capitaine Lenoir qui rappe¬ 
lèrent les services rendus à l’enseignement par M. Eugène Bérillon et 
sa conduite héroïque, comme capitaine, pendant la guerre de 1870. 
Après avoir déposé une couronne au nom de l’Ecole de psychologie, 
M. le D r Henry Lemesle a prononcé le discours suivant : 

« Au nom de l’Ecole de Psychologie de Paris, nous venons respec¬ 
tueusement nous incliner devant cette tombe si brusquement et si 
brutalement ouverte. M. Bérillon depuis longtemps s’intéressait à nos 
études dont il fut pendant le Congrès de 1900, le collaborateur ' plus 
immédiat. 

« Il était d’ailleurs des nôtres par le caractère de ses travaux péda¬ 
gogiques ou historiques, qui tous portent la marque d’un esprit scienti¬ 
fique éclairé et d’un esprit philosophique des plus élevés. 

« Unis par de communes aspirations, nous poursuivions la recherche 
d’un même idéal. Champion de nos idées psychologiques, ouvrier comme 
nous de la pensée libre et de la raison indépendante il y avait entre 
nous une parenté philosophique qui s’augmentait, de notre part, d’un affec¬ 
tueux respect. 

a La vie de celui que nous pleurons sera pour nous un enseignement 
et comme une resplendissante manifestation de ce que peuvent produire 
les qualités du cœur unies aux qualités de l’intelligence et servies par une 
volonté qui ne faillit pas. 

a Ces qualités ont été par lui transmises, avec un éclat qui ne s’est 
pas atténué à chacun des membres de cette famille si unie et particu¬ 
lièrement à notre maître, notre collègue et notre ami le D r Bérillon. 

« C’est pourquoi nous conserverons pieusement la mémoire de celui 
qui vient de disparaître et c’est pourquoi aussi ce deuil inattendu a été 
par nous tous si douloureusement ressenti. » 

P. P. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 





REVUE DE L’HYPNOTISME 


EXPÉRIMENTAL ET TlIÉRAf'ELTR/L'E 




r 






258 


REVUE DE L HYPNOTISME 


l'illusion du rêve éveillé, cette puissance de suggestibilité que l’homme 
équilibré possède à la dose normale. 

Si nous devons l’hypnotisme à Charcot principalement, la théorie et 
la pratique rituelle de la suggestion nous viennent d’un homme de génie, 
peut-être aussi grand, en tout cas plus modeste et plus humanitaire, le 
docteur Liébeault. 

C’est lui le chef de cette fameuse Ecole de Nancy, dont les renseigne¬ 
ments et les prodiges bataillèrent contre les renseignements et les pro¬ 
diges de la Salpêtrière. 

Charcot ne voyait qu’un phénomène corporel « somatique », dans le 
sommeil provoqué ; le docteur Liébeault y voit un phénomène psychique, 
l’influence de l’idée sur l’organe, et, pour parler plus clairement, la 
puissance de l’âme sur le corps. Ainsi par la volonté seule peut-on 
guérir bien des maux physiques... 


Aujourd’hui le docteur Liébeault est un vieillard complètement retiré 
de la lutte, parce qu’il a triomphé. L’école nouvelle a adopté ses ensei¬ 
gnements. Ses disciples les plus directs, Bernheim, Liégeois, Beaunis, 
Bérillon appliquent sa méthode d’une manière éclatante. Il a conquis 
même le camp adverse. Le professeur Raymond, successeur de Charcot 
à la Salpêtrière, et son collaborateur Pierre Janet se filient au moins 
autant au docteur Liébeault qu’au maître de la Salpêtrière. Nous avons 
recueilli par écrit, comme pour le docteur Cesare Lombroso, l opinion 
du docteur Liébeault. Elle était indispensable à cette enquête, et elle 
dissipera peut-être maintes inquiétudes dans le public par sa lucidité et 
son bon sens. 


Cher monsieur, 

Ce n’est pas sans un certain charme que je réponds à la lettre que vous venez de 
m’écrire à propos du mysticisme, du spiritualisme, etc. 11 est grand temps dépor¬ 
ter la lumière dans ces productions ténébreuses de l’esprit humain. 

Ceci dit, je viens aux questions que vous me posez. 

1° Y a-t-il, dans la recrudescence du mysticisme de notre époque, un signe de 
dégénérescence dans la marche de l’esprit humain? Non. Il y a seulement une 
tendance de beaucoup d’esprits désillusionnés de leurs anciennes croyances par la 
lumière que la science porte dans leur esprit; il y a une tendance vers l’adoption de 
connaissances nouvelles plus en harmonie avec leur besoin de croire et leur amour 
du merveilleux; mais il n’y a pas déviation fausse dans la marche de l’esprit humain. 
Cependant, je ne pense pas que les clartés lumineuses que répand la science, tou¬ 
jours en voie de progrès, feront jamais disparaître entièrement ces tendances vers 
les explications mystérieuses, parce qu’en même temps il y aura toujours parallèle¬ 
ment pour la science qui les fait disparaître des limites dans l’inconnu qu’elle pourra 
reculer, mais franchir jamais. 

2° Ma conviction est qu’il y a dans le mysticisme spirite des formations de phé¬ 
nomènes psychiques réels, mais ces phénomènes sont mal interprétés et n’ont 
presque jamais été rapportés à leur véritable cause. Cette cause n’est pas hors de 
l’homme, elle est en lui, dans son cerveau, elle prend ses racines vraies surtout 
dans les états passifs dont le sommeil et les rêves sont le terrain de formation. 

3° Les recherches expérimentales de MM. Crookes, Lombroso, etc., qui sont 



BULLETIN 


259 


encore pour moi à être vérifiées, n’ont pas exercé sur mon esprit une influence con¬ 
vaincante. Je voudrais, dans des cas pareils, surveiller, voir, palper, etc., les phé¬ 
nomènes produits en* présence de ces savants. Pourquoi les faits qu’ils rapportent 
sont-ils environnés de conditions si difficiles à réaliser, et pourquoi ne se mani¬ 
festent-ils que sur des sujets privilégiés, sinon introuvables? 

4° Quant à la télépathie et à la communication de pensée (je me lais sur le dédou¬ 
blement des personnes et sur les matérialisations, que je ne saurais envisager 
sérieusement) dont on n’a pas encore trouvé les conditions ni les lois, et dont, par 
conséquent, on n’a pas encore pu renouveler les phénomènes à volonté, je suis loin 
de les rejeter comme absurdes et je ne doute pas qu’on en trouvera le germe expli¬ 
catif dans les propriétés actives du cerveau pensant et tel qu’il fonctionne normale¬ 
ment. 

5° Gomme les hommes sont insatiables de bonheur — ils en ont si peu! — ils se 
forgent un monde meilleur au delà de leur vie terrestre. Ce qui les entretient 
surtout dans ces aspirations, ce sont les rêveries qu’ils font naître dans leur esprit, 
rêveries dont ils ne peuvent plus se déprendre et qu’ils transportent dans le monde 
de l’inconnu. 

Les croyances religieuses, nées dans les états passifs de la vie, me paraissent 
devoir se transformer, s’épurer fatalement, et même s’absorber les unes dans les 
autres; et la science, grâce à l’esprit d’examen, tout en les disséquant et les réduisant 
à leurs éléments simples, en diminuera sans doute l’importance; mais elle ne les 
pourra jamais détruire, parce qu’il y aura toujours pour les hommes des inconnues 
à chercher et de l’inconnaissable, c’est-à-dire un terrain sans limite et largement 
ouvert aux croyances mystiques invérifiables de ceux qui ont plus de sentiment 
et de sensibilité que de raison, et ils sont et seront toujours nombreux. 

A. Liebeault. 

i 

Je ne saurais trop appeler l’attention dea lecteurs les plus sérieux sur 
l’idée principale du docteur Liebeault, qui est que le phénomène psy¬ 
chique, quels que soient ses aspects extérieurs, mêmeles plus bruyants, 
les plus grossiers,' a, sans doute, sa source unique dans notre cerveau. 
Une analyse attentive nuit à l’hypothèse des spjrites qui veulent vôir 
partout, comme les fétichistes, des intelligences extérieures dans 
l'univers, tandis qu’ils sont dupes, le plus souvent je pense sinon 
toujours, des seuls reflets de leur propre esprit. Il n’y a pas de mani¬ 
festation psychique sans médium. C’est le cerveau humain qui est le 
créateur (au second degré du moins) de tous ces prodiges qu’il admire 
ensuite et attribue à d’autres qu’à lui par ignorance. — Jules Bois. 


Le Mécanisme de la suggestion (*) 

d'après les travaux de M. F. Myers {de Cambridge) 

par M. Marcel Mangin. 


On sait que sous le nom de « Conscience subliminale » 
M. Myers englobe un grand nombre de phénomènes en appa¬ 
rence disparates mais d’origine commune, ou, si l’on veut, 

(1) Il nous a paru intéressant de présenter aux lecteurs de la Revue le résumé 



260 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


ayant ce caractère commun de ne pas faire partie de l’enchaî¬ 
nement ordinaire d’états de conscience que nous identifions avec 
notre moi. 

Depuis le rêve jusqu’à l’écriture automatique, depuis l’hallu¬ 
cination jusqu’à l’état de trance, le champ est vaste. 

Personne ne l'a plus exploré dans tous les sens* que M. Myers. 
Et, comme il arrive en pareil cas, cette absorption intense et 
unique dans un seul sujet l’a amené à donner à ce sujet une 
importance exagérée. Toute sa métaphysique sera construite 
sur cette base et bien prématurément, car à mon avis, si l’on 
peut avec raison dire que tous les hommes — et même les 
animaux — ont une conscience subliminale tout jusqu’à présent 
nous fait supposer qu’elle n’a une grande extension que chez 
des sujets exceptionnels. Ce n’est pas ainsi que l’entend 
M. Myers. Semblable en cela aux anciens philosophes pour 
qui toute âme humaine, même celle du Papou ou du gâteux 
était faite sur un même modèle, celui de l’âme abstraite du 
manuel du baccalauréat. M. Myers généralise et ne fait pas 
de distinction entre l’âme des médiums fameux, M m « Piper ou 
Eusapia Paladino, par exemple, et celle de M. X., homme d’une 
cinquantaine d’années ayant assez d’instruction et de bon sens 
pour avoir toujours fort bien pu s’observer et n'avoir jamais dé¬ 
couvert en soi la plus petite parcelle de médium nité d’aucun genre. 

Mais peu importe pour le point qui va nous occuper. Il va 
s’agir de suggestion. Laissons de côté la question de savoir si 
nous sommes tous ou quelques-uns seulement ce qu'on appelle 
des sujets. Je n’ai pas du reste à faire ici de critique. J’ai seule¬ 
ment à exposer comment M. Myers comprend « Le mécanisme 
de la suggestion ». 

Voyons d’abord sa métaphore du spectre. Il compare notre 
champ de conscience habituel au spectre de l’optique dont la' 
physique et la chimie nous ont appris l’extension au delà des 
limites visibles. D’un côté, par exemple, correspondant aux 
rayons ultra-rouges, il y aurait dans la conscience les phéno¬ 
mènes infraphysiologiques « ces fonctions complexes appar¬ 
tenant à la nutrition et au bien-être du corps ; fonctions que nos 
ancêtres éloignés étaient peut-être capables de modifier à 
volonté, mais qui, à nous, semblent si entièrement en dehors 


suivant d’un chapitre du travail considérable sur : « La conscience subliminale » 
qu’avait entrepris M. Myers, l’éminent psychologue anglais, le membre le plus actif 
de la « Society for Psychical Researches » dont la mort prématurée a douloureu¬ 
sement ému tous ceux qui s’occupent de ces passionnantes recherches. 



LE MÉCANISME DE LA SUGGESTION 


261 


de notre sphère de volition que si nous voulons les modifier 
nous ne le faisons pour ainsi dire, que de l’intérieur et par des 
médicaments et exactement de la même manière qu’il s’agisse 
de notre corps ou de celui de notre voisin. 

De même de l’autre côté, « en dessous de la limitepsycho- 
logique, se trouvent ces « inspirations de génie » que la raison 
ne peut ni expliquer, ni renouveler et tout ce royaume inconnu 
de la télépathie et de la clairvoyance que nous nous efforçons 
d’explorer spécialement. » 

Enfin, correspondant aux lignes noires du spectre de l’opti¬ 
que, il y aurait les lacunes, les interruptions venant d’arrêts 
de développements de nos sens actuels, comme l'odorat qui a 
même dégénéré ou d’absence complète de certains sens comme 
le sens magnétique ( 1 ). 

M. Myers propose pour plus de clarté trois divisions gros¬ 
sièrement faites parmi ces faits nouveaux qui se découvrent 
encore chaque année, presque chaque moi! et paraissent dépen¬ 
dre d’une façon si inexplicable de qualités personnelles à la 
fois de l’opérateur et du sujet. 

Nous examinerons donc : 1° les faits qui sont plutôt de dissocia¬ 
tion (inhibition de la souffrance) ; 2° ceux d’association, de synthèse 
(production et contrôle de fonctions organiques que l’homme 
ordinaire est incapable d’exercer ou d’influencer le moins du 
monde, et 3° les opérations intellectuelles ou morales de l’hypno¬ 
tisme, opérations basées sans doute sur des changements physio¬ 
logiques ressemblant aux changements compris dans les deux 
premières classes, « mais qui cependant ont nécessairement 
pour nous une signification plus profonde et suggèrent des 
problèmes encore plus profonds. 

I 

La suppression de la douleur par la suggestion est dûe à 
une dissociation de sensations considérées jusqu’à présent 
comme inséparables. La réalité du fait avait bien été constaté 
de tous temps et dans tous les pays, particulièrement chez les 

(1) La découverte des rayons Rœtgenet celle de la télégraphie sans fil empêchent 
aujourd’hui de repousser comme ridicule l'hypothèse que ce sens magnétique ou 
plutôt un certain sixième sens que nous ne pouvons encore pas définir existerait 
chez les sujets lucides. Il se passerait là ce qui s’est toujours passé dans le cours 
de l’évolution, dans l’histoire des races : les nouvelles facultés ont d’abord été le 
privilège de quelques individus et comme elles se trouvaient les favoriser dans la 
lutte pour l’existence, les descendants de ces individus se sont multipliés davan¬ 
tage et la faculté a fini par devenir générale. 


M. M. 



262 


REVUE DE i/HYPNOÏISME 


sorcières au moyen âge, chez maintes peuplades sauvages, 
chez les Aïssaouas, etc.; mais ce qui est nouveau c’est l’emploi 
méthodique de cette nouvelle médication par le médecin. 

Ce qu’il nous faut surtout remarquer c’est l'intelligence qui 
se manifeste dans cette suppression. Il y a sélection des sensa¬ 
tions désagréables- Ce n’est pas la pure insensibilisation de 
certaines portions du corps ou d’un groupe particulier d’ex¬ 
trémités nerveuses (comme en produit par exemple la cocaïne) 
mais c’est aussi la suppression de beaucoup de sentiments con- 
comittants, comme la nausée, l’épuisement, l’anxiété qui ne 
dépendent pas toujours directement de la souffrance principale 
mais qui ont besoin d’être reconnus subjectivement comme 
désagréables avant d’être choisis pour Vinhibition. 

L’affranchissement de la souffrance est obtenu sans engour¬ 
dir ou disloquer le système nerveux général. L’état de trance 
n’est mêjne plus nécessaire. Soit qu’on se serve de la sugges¬ 
tion à l’état de veille, soit qu’on se serve de la suggestion post¬ 
hypnotique. 

Il y a utilisation d’une faculté de dissociation et M. Myers 
fait ici un rapprochement très frappant avec cette autre disso¬ 
ciation si surprenante que peut produire aussi la suggestion 
hypnotique : « l’hallucination négative » ou « anesthésie systé¬ 
matisée ». Là aussi il y a des séparations de groupes particu¬ 
liers d’impressions sensorielles qui passent du moi supralimi- 
nal dans le moi hypnotique. Les images, les sons, les contacts 
qui restent inaperçus par la conscience supraliminale du sujet 
sont perçus par sa conscience subliminale. Il doit d’une façon 
ou d’une autre entendre et reconnaître la voix de M. A. 
pour savoir qu’il ne l’entend pas. Bien loin d’être absorbée 
sur un point unique : l’hypnotiseur, comme on le disait d’abord, 
la conscience subliminale du sujet s'applique à une surveillance 
spéciale qui s’ajoute à sa surveillance ordinaire. 

II 

On pourra dire avec raison que si dans tout cela il y a disso¬ 
ciation, il y a également association puisqu’il y a formation 
d’un groupede sensation,groupe complexeetsij’osaisdire, bien 
serré. Aussi la division qu’établit M. Myers est-elle plutôt un 
procédé d’exposition de son sujet qu’une division existant bien 
réellement et nous n’avons aucun saut à faire pour arriver aux 
cas suivants. Ils se distinguent seulement des précédents en ce 



LE MÉCANISME DE La SUGGESTION 


263 


que les groupes de sensation que suscite la suggestion vont 
être formés pour être aperçtis et non plus inaperçus. 

Avant de les examiner, M. Myers croit utile de rappeler que 
les différents phénomènes vitaux de notre organisme sur 
lesquels s’étend graduellement notre pouvoir, passent par trois 
périodes. Ils sont d’abord spontanés, ensuite produits empiri¬ 
quement, et enfin, produits scientifiquement. Ceux que nous 
allons décrire entrent précisément dans la période empirique, 
c’est la période pendant laquelle nous pouvons quelquefois 
mettre la machine en train sans savoir comment elle marche. 
Il est donc important de faire l’inventaire de toute la série des 
phénomènes spontanés correspondant à ceux que nous essayons 
de reproduire. Nous pouvons mieux ainsi ne pas nous écarter 
de la ligne qui conduit au progrès. 

Considérons donc les exemples d’influence de l’esprit sur le 
corps qui étaient connus avant qu'il fut question de suggestion 
hypnotique. Nous établirons parmi eux trois divisions : 

1° Les petites extensions du pouvoir ordinaire que certaines 
personnes peuvent exercer à l’état de veille ; 

2° Les effets non spécialisés de l’émotion sur l’organisme ; 

3° Les effets spécialisés de la suggestion externe non inten¬ 
tionnelle ou de l’auto-suggestion involontaire, produisant non 
plus des résultats vagues et diffus, mais un résultat intelligent 
qui répond exactement à la nature du choc. 

1° Nous n’avons ici encore que très. peu d’exemples. On 
connaît quelques cas de contrôle s’exerçant sur le système 
digestif, ou de « rumination volontaire » et d’accélération des 
mouvements péristaltiques. On connaît l’histoire du colonel 
Townsend, qui pouvait accélérer ou ralentir les battements de 
son cœur. Il y a des gens qui peuvent, dit-on, contracter ou 
dilater leurs pupilles à volonté... 

2° Par résultats non spécialisés de l’émotion, j’entends les 
effets déterminés dans une direction ou dans une autre, plutôt 
par les conditions antérieures de l’organisme que par le carac¬ 
tère spécifique de l’émotion même. Celle-ci peut être réconfor¬ 
tant ou déprimante. Des impressions mentales réconfortantes 
ont amélioré la santé générale de bien des manières. Des chocs 
déprimants ont affecté presque tous les organes du corps. La 
nausée, la purgation, la transpiration, le frisson, la sécrétion 
du lait arrêté, la décoloration des cheveux sont des résultats 
connus. Nous connaissons aussi des cas de surdité, de cécité, 
d’aphasie, d’asthme spasmodique, de jaunisse ainsi produits. 



264 


REVUE DE L’HYPNOTIBME 


La chorée, l’épilepsie, la rupture de vaisseaux pulmonaires, 
les convulsions tétanoïdes, l’hémiplégie, l’idiotie, peuvent aussi 
survenir et la syncope, l’apoplexie peuvent tuer du coup. 

3° Notre troisième classe consistera en résultats spécialisés, 
non par les conditions antérieures de l’organisme, mais par la 
nature même de la cause excitante. Ce sont des suggestions 
venant en partie de l’extérieur, en partie de l’imagination du 
sujet — d’un genre spontané mais morbide et arbitraire. Les 
plus importantes, si elles étaient bien prouvées, seraient les 
influences agissant sur l’embryon par l’intermédiaire de l’or¬ 
ganisme de la mère ('). Il y a aussi des maux ou des marques 
dûs à la sympathie qui viennent quelquefois de la vue d’une 
souffrance ou d’un accident. 

Tels sont encpre les cas d’imitation involontaire ou morbide, 
depuis le bâillement suggéré jusqu’au spasme ou à la paralysie 
imitatifs (croup, épilepsie, paraplégie, etc.). Quelquefois le 
stimulus externe peut être très faible et l’auto-suggestiôn très 
forte (cas d’une dame en proie à un violent catarrhe et une 
forte émission de larmes par suite de la présence d’une rose 
dans la chambre). 

Dans l’hystérie, de nouvelles auto-suggestions peuvent se 
former chaque jour, toute l’activité semble dominée par cette 
auto-suggestibilité déréglée, véritable maladie du moi hyp¬ 
notique. 

Naturellement les auto-suggestions spontanées peuvent aussi 
être avantageuses (variété des effets de la pilule de pain, anes¬ 
thésie par la bouteille de chloroforme vide). 

Ceci nous conduit à la médecine suggestive moderne, car 
l'hypnotisme est un nom pour un groupe de moyens empiriques, 
par lesquels nous pouvons arriver à prendre possession des facultés 
subliminales. 

MM. Beaunis, Krafft-Ebing et Bérillon ont ralenti les pulsa¬ 
tions du cœur par suggestion. MM. Dumontpallier, Focachon 
et d’autres, ont obtenu de la rougeur, des ampoules. Les D rs Ma- 
bille, Ramadier, Bourru, Burot ont produit de la congestion 
localisée, des saignements de nez, de l’ecchymose. Le D r Fo- 
rel et d’autres ont rétabli des sécrétions arrêtées aune heure 
fixée. 

M. Krafft-Ebing a élevé la température (par exemple de 37° 

(1) Les médecins pourraient suggérer aux femmes enceintes des marques d’un 
genre bien défini, mais sans inconvénient, pour avoir des preuves expérimentales 
directes ; on utiliserait ensuite cette influence pour le bien de l’enfant. 



LE MÉCANISME DE LA SUGGESTION 


265 


à 38°,5) à un moment fixé par lui. Burot l’a abaissée de 10° pour 
une main. Rien de plus frappant que Visolabilité de ce phéno¬ 
mène qui ordinairement indique si exactement l'état de l’orga¬ 
nisme entier. 

Ici, M. Myers reproduit le cas publié dans la Revue de ïHyp¬ 
notisme en juin 1890, p. 353, l’expérience de Charcot pour 
reproduire une anormalité hystérique excessivement rare, 
l’enflure avec cyanose locale et abaissement de température 
superficielle. Puis il cite les cas de vésication suggérée obtenue 
par le D r J. Rybalkin (Revue de juin 1890, p. 361) et de marques 
en forme de croix obtenues trois fois par le D r Biggs de Lima, 
sur des sujets différents. Dans le second de ces derniers il y 
aurait même eu l’apparition d’une partie d’S, première lettre 
de deux mots suggérés Sancta crucis. La croix parut nettement 
tous les vendredis pendant quatre mois, époques fixées. Dans 
le troisième cas, elle parut par suggestion mentale à l’insu de 
la conscience supraliminale du sujet. 

Il est à mon avis extrêmement important de noter que dans 
les trois cas, la peau du sujet reçut l’impression d’une croix au 
moment delà suggestion. La première fois, le D r Biggs appuya 
avec son index, la deuxième et la troisième, il appliqua une 
petite croix en cristal qu’il avait dans sa poche. Est-ce que 
l’explication la plus simple p’estpas de supposer une mémoire 
des parties impressionnées. Notre cerveau sait situer ses 
impressions. Chez le sujet hypnotique, cette faculté acquiert 
une extrême précision. Pour M. Myers, le phénomène est 
encore et doit rester (?) mystérieux. « Il semble douteux, 
dit-il, qu’on puisse s’imaginer une douleur en forme de croix 
ou du moins occupant une petite portion de la surface du 
corps ( 1 ). » 

Le caractère intellectuel du phénomène organique provoqué 
se montre d’une manière frappante et complexe, dans le cas 
suivant dû aux D rs Jendrassik et von Krafft-Ebing et observé 
à Gratz (Styrie), en 1888. Le sujet M Ile lima S... avait des 
ampoules par suggestion avec une extrême facilité. Elle était 
anesthésique d’une façon permanente du côté droit. Un K fut 
appuyé par le D r Jendrassik, sur l’épaule gauche. Après 
quelques heures, une ampoule en forme de K très nette parut 

(1) Quand les phénomènes du soi-disant spiritisme seront admis, comme, suivant 
moi, il devront l’être un jour, il faudra bien attribuer’ aux cerveaux de certains 
sujets un pouvoir idéo-plastique agissant même à distance dont les faits en question 
en ce moment ne paraîtront que les effets les moins merveilleux. 

M. M. 


9 * 



266 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


à l’endroit correspondant du côté droit. Mais ce K rte fut pas du 
tout une reproduction exacte de l’original. Ce fut bien un K capital, 
mais d’une autre écriture et d’une grandeur un peu différente. 
Il y avait confirmation du fait le plus curieux dont nous avons 
parlé plus haut : l’apparition tardive d’une partie d'un 8 comme 
résultat d’une suggestion qui n’avait pas été aidée par le 
contact physique d’un objet en forme d’S et l’exactitude de la 
position de ce fragment en dessous de la croix suggérée. 

(à suivre). 


L’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques f) 

Par le D r Paul Magnin, professeur à l’Ecole de psychologie 

(Suite) 


On a fait à cette manière de voir de nombreuses objections. 
Elles ont été présentées surtout par les observateurs qui ont 
étudié l’hypnotisme sur des sujets sains ou soi-disant tels. 

L’hystérie de la Salpêtrière, a-t-on dit, est une hystérie de 
eulture. La description des trois états est une création pure¬ 
ment artificielle, résultant de suggestions inconscientes. 

Il est possible qu’à la Clinique des maladies nerveuses, on 
rencontre actuellement moins de grandes hystériques, moins 
de grandes hypnotisables que du temps de Charcot. Le type 
classique complet s’observe peut-être moins fréquemment. 

Cela se comprend parfaitement d’ailleurs. L’influence 
personnelle du maître, celle du milieu, l’esprit d’imitation, 
l’auto-suggestion de la part de l’observateur, tels étaient les 
principaux facteurs de l’action desquels il faut tenir grand 
compte. 

A coup sûr, il y avait là une sorte d’entraînement. Il est 
certain, en effet, qu’en matière d’hypnotisme, la susceptibilité 
du sujet s’accroît en raison directe du nombre des expérien¬ 
ces. Ce fait est la conséquence d’une loi physiologique générale 
bien connue : la loi de répétition. 

Au reste, la justesse des critiques adressées aux idées de 
Charcot, est loin d'être démontrée. 

Et tout d'abord, de part et d’autre, les sujets soumis à l’ob- 

(1) Cours professé à l’Ecole de psychologie. — Voir le numéro de février. 



l’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques 267 

servation étaient différents. Partant, le déterminisme expéri¬ 
mental n’était plus le même et a priori les résultats ne devaient 
pas être comparables. 

Rappelons de plus que les phénomènes provoqués expéri¬ 
mentalement à la Salpêtrière peuvent se montrer spontané¬ 
ment chez les hystéro-épileptiques. 

Cette considération a d’ailleurs conduit certains auteurs, 
M. Tamburini, entr’autres, à admettre que l’hypnotisme, dans 
le cas même de grande hystérie, ne constitue jamais une 
névrose, mais ne fait que mettre en lumière des phénomènes 
pathologiques de l’hystérie qui, ou préexistent (dans la veille 
même) ou sont chez le malade à l’état latent. L’hypnotisme ne 
représenterait donc qu’un réactif capable de mettre en évidence 
les stigmates les plus cachés de l’hystérie. 

Quoi qu’il en soit, reste toujours la valeur de la première 
expérience. Dans celle-là, le sujet ne pouvait savoir ce que 
l’observateur attendait de lui pas plus d’ailleurs que celui-ci 
ne pouvait prévoir la nature des phénomènes qu’allait provo¬ 
quer son expérimentation. 

A la Salpêtrière, tout comme ultérieurement à la Pitié, on a 
très bien su, quoiqu’on en ait pu dire, se mettre à l’abri de 
toute suggestion inconsciente. On a même eu une supériorité, 
celle précisément de ne pas vouloir voir quand même la sug¬ 
gestion partout et de ne pas l’introduire systématiquement 
partout. 

Et du reste, si la suggestion était constamment la seule cause 
des résultats observés, tous les phénomènes qui caractérisent 
l’hypnose devraient, de pat* ce fait, pouvoir être reproduits par 
suggestion. Or nous savons fort bien qu’il n’en est pas ainsi. 
Pour n’en citer qu’un exemple, personne n’a jamais pu provo- 
' quer par suggestion le développement de l’hyperexcitabilité 
neuro-musculaire. 

Pourrait-on même obtenir tous ces phénomènes par sugges¬ 
tion que cela ne prouverait encore pas qu’ils ne puissent se 
manifester en dehors d’elle. 

J’ai montré, il y a bien longtemps déjà, ce que pouvait avoir 
d’un peu absolu la description des trois états envisagés isolé¬ 
ment et je me suis efforcé de mettre en relief les rapports inti¬ 
mes qui existent entre les différents degrés de l’hypnose. 

Chez les hystériques, l’hypnotisme peut être évidemment 
regardé comme une névrose expérimentale à plusieurs degrés; 
les différentes formes ou mieux les différents degrés du som- 



268 


REVÜE DE L’HYPNOTISME 


meil provoqué dépendent du rapport existant entre les fonc¬ 
tions obscurcies ou abolies et les fonctions persistantes ou 
excitées. 

D’ailleurs, outre les états qu’on a appelés francs (somnam¬ 
bulisme, catalepsie, léthargie) on en observe d’autres, non 
moins intéressants à étudier et que par opposition nous avons 
désigné, Dumontpallier et moi, sous le nom de mixtes. 

Ils sont à première vue complexes, mais cette complexité 
est plus apparente que réelle. 

En y regardant de plus près, il est facile de se convaincre 
qu'il y a simplement mélange des phénomènes qui caractéri¬ 
sent les divers degrés de la somniation. 

Ces états mixtes ne sont que des phases intermédiaires, des 
traits d’union entre les périodes franches et, en somme, tous 
les états différents décrits dans l’hypnose ne sont que des 
degrés dune même affection, degrés entre lesquels il ne sau¬ 
rait y avoir de transition brusque. 

L’hypnotisme doit être envisagé comme un processus essen¬ 
tiellement progressif çt depuis l’état de veille jusqu’à la léthar¬ 
gie qui nous semble être le degré le plus profond du sommeil 
provoqué, on observe tous les intermédiaires, soit du moins 
au plus et sans parler t des périodes mixtes, le somnambulisme 
et la catalepsie. 

Cela est si vrai qu’on peut, au moyen d’une même excita¬ 
tion suffisamment prolongée, faire passer le sujet de l’état de 
veille à l’état somnambulique, puis insensiblement à l’état cata¬ 
leptique et enfin à l’état léthargique. 

Dans une série de communications faites à la Société de bio¬ 
logie en 1883, M. Brémaud (de Brest), attira l’attention sur un 
état spécial, l’état de fascination qui, pour lui, représentait 
pour ainsi dire l’hypnotisme à son minimum d’intensité. 

Or, ces expériences, M. Brémaud les a faites sur des sujets 
hommes et, en apparence au moins, parfaitement sains. Il n'a 
jamais pu les reproduire sur les femmes hystéro-épileptiques 
sur lesquelles il a eu l’occasion d’expérimenter, comme si la 
susceptibilité trop grande des sujets les avait fait tomber de 
suite dans un état plus profond du sommeil provoqué. 

Et même chez les sujets masculins, les expériences étant 
multipliées, l’impressionnabilité du sujet croissant, l’état 
de fascination disparaissait ; l’état établi d’emblée était la 
catalepsie. 

Chez les sujets hystéro-épileptiques même, la sensibilité aux 



l’hypnotisme et la suggestion chez les hystériques 269 

diverses manœuvres hypnogéniques est variable et les résul¬ 
tats différents que l’on observe sur les diverses malades 
soumises à l’hypnotisation dépendent soit de l’état du sujet 
avant l’expérience, soit des moyens employés pour l’en- 
dormir. 

Telle excitation périphérique qui, chez l’une ne produira que 
le somnambulisme ou la catalepsie plongera l’autre d’emblée 
dans la léthargie la plus profonde. 

Si d’ailleurs le fait que nous énonçons n’est pas évident au 
premier abord et ne semble pas avoir été vu par les observa¬ 
teurs qui se sont occupés de la question avant nous, c’est que 
l’etablissement d’une période donnée de l’hypnotisme s’effectue 
souvent avec une rapidité telle que l’observation devient, dans 
ce cas, fort difficile. 

Je n’en veux pour preuve que l’exemple suivant : Voulant un 
jour produire la léthargie d’emblée chez une malade, je lui 
appuyais sur le vertex. Quelqu’un étant venu me parler, je 
cessai la pression et laissai là ma malade. Lorsque je revins 
auprès d’elle, je constatai qu’elle était endormie, mais en som¬ 
nambulisme. Or, sur les nombreuses malades que nous avions 
eu l’occasion d’hypnotiser, nous avions Dumontpallier et moi, 
fait, à diverses reprises, la remarque suivante : Lorsque nous 
voulions les placer d’emblée (par un procédé classique) dans 
la période léthargique du sommeil provoqué, il nous arrivait 
souvent de les faire passer par la phase cataleptique et cela 
surtout lorsqu’il s’agissait de sujets présentant quelque résis¬ 
tance aux manœuvres hypnogéniques. Même observation avait 
du reste été faite par d’autres expérimentateurs. 

Tenant compte de cette remarque, je me demandai si le 
résultat que j’observais ne tenait pas simplement à l’insuffi¬ 
sance de durée de l’action hypnogénique et je constatai alors 
que, par une pression du vertex suffisamment prolongée, je 
pouvais faire passer mon sujet de l’état de veille à l’état som¬ 
nambulique, puis du somnambulisme en catalepsie et de la 
catalepsie en léthargie. 

Pendant des mois, j’ai placé la malade d’emblée en léthargie 
par pression du vertex et comme d’une’ part, ce sujet était très 
sensible et que, d’autre part, la pression était suffisante et, par 
habitude, peut être toujours à peu près la même, je n’avais pas 
vu que, dans chaque expérience, ma malade devenait somnam¬ 
bule, puis cataleptique et alors seulement léthargique. 

J’avais donc, chez ce sujet, au moyen d’une même excitation 



270 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


produit successivement les diverses phases du sommeil 
provoqué. Mêmes sensations sur d’autres malades et quelque 
fut d’ailleur le moyen employé pour les endormir, même 
résultat. 

On prévoit de suite combien les divisions des périodes 
de l’hypnose pourraient être multipliée pour ainsi dire à 
l’infini. 

Dans ses leçons cliniques sur l’hystérie, le professeur Pitres 
ne distingue pas moins de douze états dérivés du somnambu¬ 
lisme, de la catalepsie et de la léthargie, et nous savons com¬ 
bien sont multiples les degrés du sommeil admis par les obser¬ 
vateurs de Nancy. 

Le fait de cette multiplication possible des états de l’hypnose 
est particulièrement évident, précisément lorsqu’on cherche à 
déterminer les différentes phases de la sommation provoquée 
en se servant d’une même excitation prolongée pendant un 
temps suffisant. 

Pour ne reprendre que le même exemple, une faible pression 
sur le vertex suffit-elle à rendre une malade somnambule, 
qu’on l’exerce plus énergique ou mieux, que, sans en aug¬ 
menter l'intensité, on continue l’excitation pendant un temps 
plus long, le sujet deviendra cataleptique. Mais ce passage du 
premier état dans le second ne se fera pas brusquement et 
tout d’un coup. Il s’opérera au contraire graduellement et dès 
lors ce n’est que progressivement et lentement que les phéno¬ 
mènes du somnambulisme feront place aux caractère de la 
catalepsie. On observera tous les intermédiaires entre ces 
deux phases et il est facile de comprendre que si subitement 
on vient à supprimer l’action hypnogénique, on pourra laisser 
le sujet dans un état, arrêter le malade pour ainsi dire à un 
degré qui ne sera déjà plus le somnambulisme franc, qui ne 
sera pas encore la catalepsie vraie, mais bien un état mixte 
qui présentera mélangés et réunis les phénomènes que l’on 
regarde comme principes du somnambulisme et de la cata¬ 
lepsie . 

De même on pourra observer tous les intermédiaires entre 
la catalepsie et la léthargie. 

(.Y n’est pas à dire qu’on ne puisse, au moyen d’excitations 
brusques et intenses, produire tous les phénomènes qui ont 
été observés dans la sommation provoquée, mais les excitations 
faibles et prolongées permettent bien mieux que tous les moyens 
violents de saisir les relations qui unissent entre eux les ditïé- 



l'hypnotisme et la suggestion chez les hystériques 271 

rents symptômes de l’hypnose et de déterminer leur ordre de 
succession naturel. 

On pourrait volontiers comparer l’hypnotisme à un escalier 
dont le nombre des marches pourrait être multiplé à l’infini 
au gré de l’expérimentateur. En haut serait l’état de veille, en 
bas la léthargie ; aux principaux étages le - somnambulisme et 
la catalepsie, chaque marche représentant pour ainsi dire un 
degré dans les états intermédiaires. Certains sujets, rares il est 
vrai, en état parfait d’équilibre physique et psychique, ne s’y 
engageront que s’ils le veulent bien. C’est effectivement pour 
moi le cas des sujets sains. Quelques autres descendront un 
peu plus bas mais resteront encore cantonnés dans les degrés 
supérieurs (états de fascination, de somnambulisme léger, etc.) 
Les autres et c’est le plus grand nombre, descendront plus 
ou moins vite suivant leur plus ou moins grande impression¬ 
nabilité, leur moindre degré de résistance à la suggestion, 
leur état de névrosisme plus ou moins prononcé. Et dans 
cette foule nombreuse, les grandes hystériques tiendront le 
premier rang. 

Cette fa$on d’envisager la sériation des phénomènes hypnoti¬ 
ques a du reste été adoptée depuis par un certain nombre d’au¬ 
teurs, entre autres par Luys. 

Elle est conforme aux idées émises au sujet du somnam¬ 
bulisme spontané par Bail et Chambard et j’ai eu le plaisir de 
la voir confirmer en 1889, au Congrès de l’Hypnotisme par 
M. Drzewiecki (de Saint-Pétersbourg). Cet observateur a lait 
très justement remarquer que l’envahissement progressif de 
l’hypnose paralyse successivement les facultés psychiques 
dans l’ordre exactement inverse de celui dans lequel elles se 
sont superposées par l’éducation et le développement du sujet. 
Les facultés les plus fraîchement acquises et par conséquent 
les moins solidement assises cèdent les premières; ce sont les 
facultés critiques ou de contrôle, ceci se constate par la crédi¬ 
vité des sujets captés, ou se trouvant sous la forme la plus 
légère, c’est-à-dire dans la phase ante du post-hypnotique. 
Dans la phase plus profonde, celle du somnambulisme, le sujet 
a perdu outre les facultés critiques son initiative psychique 
propre ; il a conservé une certaine causalité, mais le point de 
départ de ses déductions doit lui être suggéré. Dans la phase 
suivante, celle de la catalepsie, le fonctionnement psychique 
est borné aux reflexes seulement, le sujet cataleptisé est un au¬ 
tomate qui ne répond réflectivement qu’aux signes extérieurs. 



272 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


A un degré plus profond encore du sommeil hypnotique, le 
sujet a perdu jusqu’à ses reflexes et n’a conservé de la vie que 
les fonctions végétatives. En comparant ce tableau, ditM. Drze- 
wiecki à celui que nous présente le développement psychique 
d’un individu depuis sa naissance jusqu’à son complet dévelop¬ 
pement, nous voyons que c’est dans l’ordre précisément in¬ 
verse que se sont formées, développées, et pour ainsi dire 
stratifiées, par couches successives, les facultés psychiques. 
L’enfant à la naissance ne possède que les fonctions végétati¬ 
ves accumulées par hérédité, puis ses premières impressions 
provoquent des manifestations qui deviennent reflexes par 
leur répétition, ensuite les liens de cause à effet relient la 
chaîne de ses impressions psychiques et enfin les facultés criti¬ 
ques acquises en dernier lieu, permettent à l’individu de con¬ 
trôler ses perceptions. 

On voit donc l’intérêt qu’il y a à étudier les phénomènes de 
l’hypnose dans leur ordre de succession normal et l’on com¬ 
prend ce qu’ont d’un peu artificiel toutes les coupes pratiquées 
dans leur situation naturelle. 

Néanmoins et malgré les quelques reproches qu’on peut 
lui faire, la description de Charcot reste l’expression exacte du 
fait observé dans l’hypnose des hystériques. 

Cette description peut ne contenir qu’une part de la vérité, 
c’est possible ; mais il n’en est pas moins vrai qu’elle a été le 
point de départ de toutes les études réellement scientifiques 
publiées depuis sur la question.. 

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque où elle a été faite il s’agis¬ 
sait ainsi que l’ont fait remarquer trèsjustement Féré et Binet, 
d’établir la réalité d’un certain nombre de phénomènes hypno¬ 
tiques et de démontrer leur existence par des caractères sai¬ 
sissants. 

Or, les travaux de la Salpêtrière ont prouvé précisément que 
les phénomènes de l’hypnotisme pouvaient être étudiés « sui¬ 
vant les procédés les plus perfectionnés de la clinique et de la 
physiologie expérimentales et que c’est exclusivement avec 
les caractères fournis par ces procédés d’étude que la science 
peut se faire ». 



SOCrÉTÉ d’hypnologie et de psychologie 


273 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du mardi 14 Janvier 1902. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 40. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

MM. Le Menant des Chesnais, Paul Farez, Félix Régnault, Henry Le- 
mesle, Bérillon et Paul Magnin font les communications inscrites à 
l’ordre du jour. Prennent la parole dans les discussions, outre les 
auteurs des communications, MM. Aragon, Lépinay, Jules Voisin et 
Lionel Dauriac. 

M. Henry Lemesle prend la parole au sujet de la pétition adressée au 
Parlement par les magnétiseurs ; il propose de mettre aux voix la mo¬ 
tion suivante, qui est adoptée à l’unanimité des membres présents : 

En conformité des conclusions formulées par le Congrès de l’Hypno¬ 
tisme de 1900, la Société d'Hypnologie et de Psychologie émet le vœu 
que l'hypnotisme thérapeutique, alors même qu'il est employé sous le 
nom de « magnétisme », soit soumis a la loi du 30 mars 1892. 

La séance est levée à 6 h. 45. 


La définition de la suggestion 

Par M. le D r Félix Régnault. 

Dans la communication de M. Babinski sur la définition de la sugges¬ 
tion, cet auteur rappelle celle qui se trouve dans le dictionnaire de 
Littré: « insinuation mauvaise». Cette définition est défectueuse et 
abandonnée depuis longtemps ; en effet, la qualité de mauvaise est 
très relative; ce qui est mauvais pour l’un est bon pour l’autre. D’ailleurs, 
depuis longtemps on parle de suggestion thérapeutique, c’est-à-dire de 
suggestion éminemment utile. 

Pour conserver au terme suggestion la définition du dictionnaire, 
M. Babinski propose d’employer le mot persuasion pour suggestion 
utile. C’est détourner ce mot de son acception habituelle. Persuader, 
indique qu’on emploie comme arguments des sentiments. Il existe plu¬ 
sieurs mots qui ont été fort bien employés par le public, et que les 
psychologues ont à tort détournés de leur acception. Examinons-les 
en prenant un exemple. Un officier veut entraîner ses soldats à 
l’assaut : 

Il se précipite tout simplement en avant, ses soldats le suivent 
machinalement, c’est de l'imitation. L’imitation pure se rapproche d’un 
réflexe cérébral. 

Il crie : « en avant ! » Le soldat avance machinalement, c’est de la 
suggestion. Le cri a éveillé l’idée de l’acte qui est accompli. 



274 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Il leur tient un discours pour éveiller leurs sentiments: Vous ne lais¬ 
serez pas en péril l’honneur du régiment, la Patrie a les yeux sur 
vous, etc., il les persuade . 

Il emploie des arguments: Le premier qui refuse d’avancer,je lui 
brûle la cervelle, ou : celui qui recule sera exécuté par les gendarmes 
qui surveillent les fuyards ; il convainc ses soldats. 

Il peut enfin employer un raisonnement serré : Vous aurez plus de 
chance de mourir en reculant, frappés à la fois par les balles des ennemis 
et celles des gendarmes, qu’en avançant. Donc il vaut mieux avancer : 
ceci est une démonstration. 

Jusqu’à présent on a englobé : l’imitation, la suggestion, la persuasion, 
la conviction et la démonstration sous le terme général de suggestion. 
On peut continuer ainsi, à la condition qu’on veuille distinguer à l'occa¬ 
sion ces diverses variétés ; cela est d’autant plus important que, suivant 
le caractère du sujet hystérique ou hypnotisé,un de ces moyens réussira 
de préférence aux autres (-). 


Traitement hypnotique d’un cas de névrose trémulante 
chez une femme de 76 ans 

Par M. le D p Paul Parez 

M mo V... est âgée de 76 ans; elle a deux enfants bien portants, dont 
l’un est âgé de 53, l’autre de 50 ans ; elle est veuve depuis l’âge de 
62 ans ; elle a été ménopausée à 51 ans. Jusqu’à il y a deux ans, elle a 
toujours joui d’une bonne santé. 

Quand je la vois pour la première fois, elle présente un tremblement 
de la tête et dès membres supérieurs. Ce tremblement, d’un rythme 
régulier, est moyen comme amplitude et rapidité ; il s’effectue dans le 
sens horizontal, disparaît pendant le sommeil et s’exaspère dans les 
mouvements volontaires ; il affecte aussi la langue et les lèvres, car la 
parole est trémulante ; il est devenu assez intense pour empêcher cette 
femme de vaquer aux soins de son ménage et surtout de gagner sa vie 
comme par le passé en faisant des travaux de couture. 

Les caractères de ce tremblement et l’âge de M me V... donnent, de 
prime abord, l’impression qu’il s’agit d’un tremblement sénile. Toutefois 
ce diagnostic comporte certaines réserves. 

En effet, il y a deux ans, M me V... est un beau jour prise de frissons ; 
elle se met à grelotter et à trembler; il s’est agi, paraît-il, d’une conges¬ 
tion pulmonaire qui mit sa vie en danger et qui la retint au lit pendant 
six semaines. La convalescence dura longtemps ; cette femme resta 
pendant quelques mois débilitée. 

Six mois après cette maladie, comme elle vient de faire chez elle un 

(1) Voir Babinski, Soc. neurologie de Paris,1 novembre 1901. 

(2) Voir pour plus de détails Revue de l'Hypnotisme 1900, p. 164, et 1896, décembre. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


275 


nettoyage à grande eau, elle ressent un frisson très intense et se remet 
à trembler ; elle croit à l’imminence d’une nouvelle congestion pulmo¬ 
naire. Cette affection ne se déclare pas, mais le tremblement persiste 
pendant quinze jours. 

Un an après, elle est prise de diarrhée cholériforme qui dure huit 
jours et l’affaiblit au point de nécessiter le repos absolu au lit : ce trem¬ 
blement réapparaît ; petit à petit M mc V... devient de plus en plus inca¬ 
pable de se servir de ses mains, comme aussi de gagner sa vie en cou¬ 
lissant de grands rideaux, ainsi qu’elle l’avait fait jusqu’alors. 

Il y avait plusieurs mois qu’elle était dans cet état, lorsqu’elle vit 
notre collègue le D r Manfroni, venu de Turin à Paris pour compléter 
son instruction médicale et s’initier à la pratique de l’hypnotisme. 

Le D r Manfroni hypnotisa plusieurs fois M mc V... et, grâce à la sugges¬ 
tion, l’améliora beaucoup. Au moment de quitter Paris, pour aller fonder 
à Coni sa clinique infantile, il me demanda de m’occuper de M m ° V..., 
ce que j’acceptai avec empressement. Mais la malade laissa passer 
quelques semaines avant devenir me voir et elle ne s’y décida qu’après 
avoir perdu en grande partie le bénéfice de l’amélioration réalisée par 
le D r Manfroni. 

Je note que M me V... est très impressionnable : une émotion, une con¬ 
trariété, une attente prolongée, la moindre préoccupation, exaspèrent 
son tremblement. Jadis, lorsque son mari mourut, elle se trouva désem¬ 
parée ; elle crut même qu’elle ne pourrait pas toute seule « supporter le 
fardeau de l’existence » et elle désira vivement mourir aussi. Toute sa 
vie elle a été une inquiète. Aujourd’hui, elle a des insomnies rebelles 
pendant lesquelles elle se lamenté sur son état et entretient son émoti¬ 
vité. Elle n’ose même plus lire un journal, car le récit du moindre 
accident la bouleverse au plus haut point. 

Son tremblement offre la symptomatologie du tremblement sénile ; il 
n’est point polymorphe, comme l’est souvent le tremblement hystérique ; 
et, d'autre part, M inc V... ne présente point de stigmates manifestes 
d’hystérie. Cependant nous savons que les maladies inflammatoires, 
fébriles, infectieuses, les intoxications, aussi bien que le surmenage, la 
débilité, les privations, etc., peuvent faire appel à une hystérie latente. 
Aussi étant donné ce qu’a présenté cette femme depuis deux ans, son 
état mental et son hyperesthésie psychique actuelle, je ne suis pas 
éloigné du tout de considérer son tremblement comme étant de nature 
hystérique. A la faveur d’une affection inflammatoire et de la débilité, 
l’hystérie se serait installée et développée ; elle aurait de la sorte condi¬ 
tionné et entretenu le tremblement. 

Quoi qu’il en fût, je me suis mis en devoir d’hypnotiser M me V... J’y 
suis parvenu avec autant de facilité que chez bon nombre de nos malades 
beaucoup plus jeunes ; et très rapidement l’action bienfaisante de la 
suggestion s’est manifestée. Bientôt M me V... dort la nuit d’un bon som¬ 
meil pendant six ou sept heures consécutives ; son impressionnabilité 
diminue et le calme renaît dans son esprit. Pendant la journée elle reste 



276 


REVUE DE L’HTPNOTISMB 


quelquefois une heure entière sans trembler du tout ; quand le tremble¬ 
ment revient, elle se trouve de plus en plus capable de l’arrêter ou de 
le suspendre. Au bout de quelques séances, elle peut, sans en répandre 
une seule goutte, monter un plein bol de lait de chez la crémière à son 
logement situé au quatrième étage. Finalement elle reprend son aiguille 
et se remet à gagner son salaire quotidien. 

Cette courte observation m’amène à insister sur les points suivants et 
à les mettre en vedette : 

I. — Tout d’abord, l’hystérie peut apparaître très tard. Dans une 
de ses dernières cliniques, le professeur Raymond rappelait qu’il 
l’avait vue débuter non seulement à 30, 40, 60 ans, mais même après 
80 ans. 

II. — En second lieu, on doit toujours penser à l’hystérie, même chez 
les vieillards, toutes les fois que l’on aura constaté quelqu’une de ses 
causes provocatrices habituelles, à savoir maladie inflammatoire, 
ou infectieuse, intoxication, surmenage, débilité, misère physiolo¬ 
gique, etc. 

III. — En outre, certains tremblements sont, chez les vieillards, 
abandonnés à eux-mêmes sous prétexte qu’on les a étiquetés séniles et 
qu’on les attribue à l’affaiblissement ou au grand âge. Dans certains de 
ces cas, ils peuvent être de nature hystérique et comme tels justiciables 
de la suggestion que l’on devrait bien employer au moins dans les cas 
douteux. 

IV. —‘ Bien plus, on tend aujourd’hui à englober dans un genre 
unique que l’on dénomme Névrose trémula,nte les trois espèces de 
tremblements héréditaire, hystérique, sénile. Le tremblement sénile 
proprement dit est donc à l’heure actuelle considéré comme une névrose. 
L’avenir nous dira si la suggestion ne peut pas améliorer cette névrose 
sénile même lorsqu’aucun signe ne peut faire penser à l’hystérie franche. 
Pour n’être qu’hypothétique cet espoir n’est point illégitime, puisque la 
suggestion s’est déjà montrée efficace dans certains autres cas de névrose 
trémulante non sénile et non hystérique, ainsi que j’en ai par exemple 
rapporté une observation il y a quelques années. 

V. — Enfin, par un de ses côtés, le cas que je viens de rapporter, 
réfute une opinion erronée d’après laquelle certains enfants et une 
minorité d’adultes pourraient seuls être hypnotisés. Le grand âge ne 
confère pas aux vieillards une immunité à l’égard de l’hypnotisme. 
Outre Mm e V... qui avait, on s’en souvient, 76 ans lorsque je l’ai soignée, 
je pourrais signaler le cas d’une autre femme, âgée de 70 ans, et dont 
j’ai eu à m’occuper, il y a deux ans, pour une obsession passionnelle 
avec mélancolie, dégoût de la vie et idées de suicide. A la stupéfaction 
d’un confrère de province qui m’avait appelé en consultation auprès de 
cette malade, je l’ai endormie très facilement dès la première séance. 
A son réveil elle éprouva un tel bien-être qu’elle s’écria toute extasiée : 
a On dirait que je suis dans le Paradis ! » J’accorde que cette dernière 
malade avait l’allure d’une hystérique. J’y insiste même pour contribuer 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


777 


à montrer qu’en dehors des enfants, des jeunes filles, des femmes 
adultes, et même des hommes laits, l’hystérie peut encore, en dépit 
de l’opinion courante, se manifester chez les personnes d’un âge très 
avancé. 


Fausses grossesses nerveuses 

Par M. le Dr Le Menant des Chesnais 

L’expression courante de grossesse nerveuse est incomplète au point 
de vue scientifique puisqu’elle caractérise un état où la grossesse 
n’existe pas. Il en est de même de l’expression : fausse grossesse, sans 
autre qualificatif, puisqu’il y a une autre fausse grossesse : celle où 
par une dégénérescence de l’ovule ou de ses enveloppes il se forme 
simplement dans l’utérus une prolifération vésiculaire connue sous le 
nom de môle. • 

Appelons donc fausse grossesse nerveuse l’ensemble de ces phéno¬ 
mènes dont j’apporte deux observations avec le désir de provoquer 
parmi nous une discussion au point de vue psycho-physiologique. 
Notre Société, en effet, est une sorte d’avant-garde scientifique compo¬ 
sée de pionniers dont le but, quelles que soient les opinions philoso¬ 
phiques de chacun de nous, est de rechercher en toute occasion, les 
rapports qui existent entre la vie psychique et la vie organique, afin 
de préciser par des faits l’influence que le moral peut avoir sur l’har¬ 
monie fonctionnelle de notre organisme, et dans la pathologie des affec¬ 
tions nerveuses. 

Voici tout d’abord mes deux observations : 

Une dame de 40 ans a eu d’un premier mariage une fille aujourd’hui 
âgée de 18 ans. Remariée il y a 7 ans, elle regrette vivement de n’avoir 
pas d’enfants de ce second mariage. 

Elle me consulta un jour sur un retard de ses règles. Comme sa 
santé générale est bonne, j’émets l’opinion de la possibilité d’une gros¬ 
sesse, et je remarque la grande joie qu’elle en éprouve. Les mois sui¬ 
vants, les règles continuent à ne pas paraître, et ma cliente ne doute 
plus de sa grossesse. 

Cependant au sixième mois, comme je lui fais remarquer que son 
ventre paraît, à travers ses vêtements, peu développé, elle s’empresse 
de me répondre qu’elle est bien sûre d’être enceinte, puisqu’elle sent 
de temps en temps les mouvements de l’enfant. En même temps, elle 
ne manifeste aucun désir d’un contrôle qui aurait pu trancher la ques¬ 
tion. 

Enfin au neuvième mois, un soir, elle me fait appeler. Depuis quel¬ 
ques jours, il lui semble que son ventre a baissé, elle se souvient qu’il 
en fut de même lors de sa première grossesse. Depuis le matin, elle 
ressent des petites douleurs dans les reins, et une pesanteur dans le 
bas-ventre. 



278 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Pendant qu elle me parle, les douleurs reparaissent. Je la prie de 
s'étendre sur son lit pour l'examiner, et au toucher vaginal je ne ren¬ 
contre aucune partie fœtale. J’ai sans doute affaire à une présentation 
du tronc, je fais la malade se déshabiller afin de me rendre un compte 
exact de la position de l’enfant. Grand est alors mon étonnement. Dès 
que je mets la main, sur le ventre je ne sens aucune masse dure. Le 
tympanisme intestinal est partout exagéré, et l’examen intus et extra 
avec les deux mains, me permet d’affirmer à la fausse parturiente 
qu'elle n’est pas enceinte. 

Et de fait, le tympanisme intestinal disparut peu à peu les semaines 
suivantes. Quant aux règles, elles ne revinrent pas, Mme X. était tout 
simplement au début de sa ménopause. 

Le second cas a trait à une femme plus jeune, 33 ans, également 
remariée et sans enfant après cinq ans de ménage, et bien qu’elle en ait 
eu un il y a 12 ans, de son premier mariage, et qui mourut peu après sa 
naissance. 

Elle me consultait pour une entérite catarrhale à forme intermittente, 
datant déjà de plusieurs mois et au cours de laquelle elle avait beau¬ 
coup maigri. 

A l'une de mes visites, elle me raconta son profond chagrin de n’avoir 
pas d’enfants et comme elle insistait pour en savoir la cause, je lui pro¬ 
posai de l’examiner. 

Ses menstrues étaient régulières mais douloureuses. Au toucher 
vaginal je constatai un col très en arrière et dur avec utérus un peu 
fléchi en avant, mais bien mobile Au spéculum le col paraissait sain 
mais en introduisant l’hystéromètre, je sentis à la partie supérieure du 
col, une résistance qui me parut plus difficile à vaincre qu’elle n’est 
d^ordinaire. L’utérus a une profondeur normale de 7 centimètres. 

A la suite de cet examen, je dis à Mme X. que le rétrécissement que 
je venais de constater pouvait être à la fois la cause de ses règles dou¬ 
loureuses et l’obstacle à une grossesse. Peut-être une dilatation du col 
donnerait des chances de succès. 

Cette espérance fut acceptée avec joie par la malade. En quelques 
jours, par l’application à demeure de tiges de laminaria, j’obtins, une 
dilatation d’un demi-centimètre environ. 

Je prévins à ce moment le ménage qu’il pouvait tenter l’expérience. 

Le résultat fut très curieux. 

Une transformation complète se produisit chez ma cliente, sa diar¬ 
rhée disparut, les digestions se régularisèrent et quand je la revis, un 
mois après, elle avait une toute autre mine. Elle était sensiblement 
engraissée et sentait chaque jour revenir ses forces. 

Ses seins lui paraissaient avoir particulièrement augmenté de 
volume. Cependant ses règles avaient encore reparu, mais moins abon* 
dantes, disait-elle, et non douloureuses. Néanmoins elle était convaincue 
d’ètre enceinte. 

L’amélioration générale se continua les mois suivants. Je la revis ail 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 279 

sixième mois; c’était une toute autre femme. Ses forces d’autrefois 
étaient revenues avec l’embonpoint. Quant à ses règles, elles persis¬ 
taient chaque mois. 

Me souvenant que notre maître Pajot ne croyait guère à la persis¬ 
tance des règles pendant la grossesse, j’émis de nouveau des doutes 
sur l’existence de celle-ci, malgré le développement de la poitrine et du 
ventre. La seule hypothèse admissible était celle d’une insertion 
vicieuse du placentk sur le col, causant de petites hémorrhagies. Je 
demandai à Mme X. de l’examiner. Elle y consentit, mais comme à 
regret. 

L’auscultation, le toucher vaginal, le palper à travers un abdomen 
devenu très adipeux me confirmèrent dans mes craintes. 

M me X... les rejeta énergiquement; elle aussi, croyait avoir senti son 
enfant remuer, et quoique troublée elle s’entêta dans l’idée de l’existence 
d’une grossesse. 

J’attendis donc qu’elle me fît appeler de nouveau, et je la revis vers 
la fin du huitième mois. Elle me dit: « Mes règles ont reparu chaque 
mois, mais je sais que bien des femmes continuent à voir pendant tout 
le cours de leur grossesse. » En se contentant des apparences extérieures 
qu’elle présentait à ce moment, le doute, en effet, ne paraissait plus 
possible. 

Je proposai un nouvel examen. C’est inutile, me dit-elle, puisque 
dans quelques semaines nous serons fixés. 

A la fin du neuvième mois, le mari vint me voir. Un de ses amis, 
médecin, mais qu’il ne me nomme pas, après examen de sa femme, lui 
aurait affirmé la grossesse. Puis il m’ajouta : d’après ce que ressentait 
ma femme la nuit dernière, il est bien probable que vous serez réveillé 
par nous la nuit prochaine. Attendez-vous y. 

Mais on ne me réveilla ni cette nuit-là, ni les suivantes. M me X... dût 
se résigner a un nouvel examen, 'qui confirma le premier sans la con¬ 
vaincre encore complètement. 

Sur ces entrefaites, notre regretté maître Dumontpallier étant venu 
voir une autre de mes malades, je lui recontai l’histoire de M ,ue X..., et 
il me proposa d’aller la voir. 

J’entends encore Dumontpallier, après l’avoir examinée, lui dire avec 
son ton si paternel : « Mon enfant, votre cas m’en rappelle un autre à 
peu près semblable, survenu dans la région même que vous habitez. 
Votre grand désir d’avoir un enfant s’est greffé sur l’espérance que vous 
a donnée mon confrère, et a produit chez vous ce que l’on appelle une 
grossesse nerveuse. Vous n’êtes pas enceinte. » 

Malgré la peine profonde, ressentie par M ra ®X... sa santé resta bonne ; 
je la revis quelques mois plus tard, elle avait diminué de volume mais 
conservait un suffisant embonpoint. La forme du ventre à travers les 
vêtements paraissait d’autant plus modifiée, que vexée d avoir été 
déçue dans une espérance qu’elle avait si ostensiblement promenée, 



280 REVUE DE L’HYPNOTISME 

M me X... s’efforçait de dissimuler à l’aide de son corset le développement 
adipeux de cette région. 

Ces deux observations nous montrent encore une fois l’influence que 
l’imagination peut exercer sur l’activité de nos fonctions, et la variété 
des phénomènes auxquels cette influence peut donner naissance, suivant 
les circonstances et les individus. 

L’imagination, disait Balzac, est la folle du logis, et il avait vraiment 
raison. Tant que cette faculté reste dans son rôle secondaire, elle donne 
simplement à nos souvenirs et à nos sensations la note gaie ou triste, 
sans troubler notre jugement, mais elle fausse ce dernier, dès qu'elle se 
substitue à la raison et veut diriger notre entendement. 

Or, il faut souvent bien peu de chose pour que notre imagination 
s’empare ainsi de la direction de notre vie psychique. 

Unè circonstance quelconque fait naître en nous une idée, qui s'ac¬ 
corde avec un vif sentiment de désir ou de crainte ; et cela souvent 
suffit pour que notre imagination entre en jeu avec une intensité telle 
qu’elle paralyse la raison, et jette le trouble non seulement dans notre 
vie psychique, mais jusque dans notre vie purement végétative. 

Chez mes deux clientes, il existait un très vif désir de redevenir 
enceintes. 

L’opinion émise par moi d’une probabilité de grossesse chez la pre¬ 
mière, d’une possibilité chez la seconde, après mon intervention, a fait 
naître chez ces deux femmes une espérance qu’au début la raison 
n’avait aucun motif de combattre. Alors l’imagination s’en est emparée 
et a transformé cette espérance en une conviction. 

Les souvenirs des précédentes grossesses se sont réveillés, et les 
diverses sensations éprouvées autrefois ont repris vie. Sous l’influence 
de l’imagination, elles croient même sentir leurs enfants remuer, et 
chez la première, au neuvième mois, des douleurs apparaissent simu¬ 
lant celles d’un prochain accouchement, comme si l’organisme tout 
entier se prêtait passivement à cette illusion. 

La raison ne peut plus se faire entendre, même quand des motifs de 
doutes se présentent à leur attention, comme ma remarque à la pre¬ 
mière sur le peu de développement de son ventre au sixième mois, et 
mes réflexions à la seconde sur la persistance de ses règles, et les signes 
négatifs de mon examen. 

Cependant, il est à remarquer que chez ces deux femmes une sorte 
de mauvaise foi existe. Elles sont convaincues d’être enceintes* mais en 
face de mes doutes, elles ne recherchent pas un nouvel examen. Au 
contraire, elles l’évitent, comme si dans le cas d’une fausse grossesse* 
elles préfèrent se tromper elles-mêmes, et savourer ainsi leur illusion 
le plus longtemps possible. En réalité, leur conviction ne devait pas 
être absolue. 

Sur l'organisme, l'action de l’imagination est également intéressante 
à analyser. 

Dans les deux cas, le ventre a présenté les apparences d'une gros- 



SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 281 

sesse ; chez Tune par un relâchement des fibres striées de l'intestin, et 
des muscles abdominaux, entretenant, ainsi du météorisme, seule 
manière chez cette femme plutôt maigre, de donner à son ventre la 
forme voulue ; chez l'autre, c’est par un développement considérable 
du tissu cellulaire sous-cutané que le même résultat a été obtenu. Chez 
l’une et l’autre, après le neuvième mois, tout est revenu peu à peu à 
l'état normal. 

L'imagination a donc eu chez ces deux femmes une réelle influence 
jusque sur la participation de la vie végétative à la forme de 
leurs ventres, et l’apparition ainsi que la disparition des phénomènes 
anormaux ont bien correspondu à deux états psychiques opposés, celui 
de l'illusion et celui de la désillusion. 

Néanmoins, quand on y réfléchit, cette influence n'a pas été aussi 
considérable qu’on pourrait le croire tout d’abord. En effet, pen¬ 
dant la période pseudo-gravidique, mes deux clientes devaient s’efforcer 
de donner à leur corps l’attitude la plus favorable aux apparences d’une 
grossesse. Au contraire, après leur déception, elles ont dû agir en sens 
inverse afin d'en faire disparaître toutes traces. 

Nous devons rapprocher de ces deux cas, ceux qu’il y a quelques 
années, le D r Marandon de Monthyel signala à la Société, dans une très 
intéressante communication. 

Il s’agissait également de deux grossesses nerveuses, mais à l’envers 
des cas ordinaires, elles avaient été produites par crainte de la mater¬ 
nité. Dans ces deux cas, sous la violence de ce sentiment de crainte, 
l’imagination avait provoqué un arrêt dans le retour des règles, de trois 
mois dans le premier cas, de deux dans le second. 

Une habile suggestion à l’état de veille, fit presqu’aussitôt reparaître 
les règles chez ces deux femmes. 

Les fausses grossesses nerveuses ne sont pas très rares, et peuvent 
quelquefois se présenter avec des symptômes encore plus marqués que 
dans mes observations. 

Au cours de leur carrière médicale, plus d’un parmi nous ont dû ren¬ 
contrer de ces cas curieux ; il serait intéressant de les connaître, et 
qu’une discussion appuyée sur le plus grand nombre possible de faits, 
nous permît de constater jusqu’à quel point, dans ces cas, l’imagina¬ 
tion peut influencer les diverses fonctions de notre organisme. 

t 

Discussion 

M. Lépinay. — La grossesse nerveuse existe dans les espèces ani¬ 
males, moins cependant le développement du ventre, que les manifes¬ 
tations qui accompagnent la parturition. Ainsi, beaucoup de chiennes 
présentent, 62 ou 63 jours après les chaleurs, une inquiétude ressemblant 
exactement à l’inquiétude des chiennes qui vont mettre bas. De plus, le 
lait descend dans les mamelles, et il n’est pas rare de voir des chiennes 
faire quelques efforts. Le plus souvent, quand elles s’aperçoivent qu’elles 



282 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


n’ont pas de petits, elles adoptent, dans leur couchette des morceaux de 
laine ou d’étoffe, et les couvent, en quelque sorte, comme elles le feraient 
de leurs propres petits. Ces manifestations sont tellement ressemblantes 
à celles existantes chez les animaux qui ont réellement mis bas que, le 
plus souvent, les propriétaires s’y méprennent et vous amènent leur 
bête, en vous déclarant que, sans doute, elle a mangé ses petits, mais 
en spécifiant bien, toutefois, qu’ils ne savent comment la bête a été cou¬ 
verte et qu’ils ne s’én sont pas aperçus. 

Peut-il, en pareil cas, y avoir, comme chez la femme qui désire un 
enfant, un phénomène suggestif? C’est douteux. 

En somme, chez ces animaux, l’utérus et les organes de la reproduc¬ 
tion sont mis en action au moment des chaleurs et cette action se continue 
absolument comme si la bête avait été fécondée. 

Je profite de ce que j’ai la parole pour déposer sur le bureau de la 
Société, à seule fin d’être mis au Musée de Psychologie, un collier, 
composé d’une série de morceaux de liège, et que j’ai enlevé du cou 
d’une parturiente. Cette bête était une chienne ne pouvant pas faire ses 
petits et, au dire de la propriétaire, ce collier lui avait été mis, non seule¬ 
ment pour faciliter l’accouchement, mais aussi pour faire passer le lait, 
attendu que sa présence ne paraissait plus avoir sa raison d’être, puis¬ 
que les petits étaient morts. Cette propriétaire m’a dit qu’elle n’avait 
fait qu’imiter ce qui se fait dans son pays, pour les femmes en situation 
analogue. 


Hypnotisme de degré différend pour chaque côté du corps 

par les D rs Bérillon et Paul Maonin. 

Il arrive très fréquemment que des auteurs, commettant une erreur 
de terminologie, se servent indifféremment des mots de suggestion et 
d’hypnotisme pour caractériser les phénomènes de l’hypnotisme. Nous 
avons eu à maintes reprises à nous élever contre cette confusion dont 
notre maître M. le D r Liebeault avait déjà signalé les inconvénients. 

Dans une lettre qu’il nous écrivait à ce sujet, M. Liebeault disait ex¬ 
cellemment : 

« Dire avec le paradoxal Delbœuf qu’il n’y a pas d’hypnotisme, c’est- 
à-dire de science du sommeil , c’est en nier les phénomènes, ce qui est 
absurde ; dire qu’il n’y a que de la suggestion, c’est en plus affirmer qu’on 
ne reconnaît que le mécanisme psychique, que la suggestion, ce qui est 
encore plus absurde. Ces deux choses du sommeil sont parties insépa¬ 
rables : l'une d'elle est cause et l'autre effet. 

A chaque instant, des faits viennent démontrer la réalité de cette affir¬ 
mation. Tel est le cas de la malade que nous présentons à la société. 

Mlle X..., âgée de 13 ans, a été bien portante jusqu'à il a trois mois. 
Elle éprouva subitement une peur profonde qui parut tout d’abord n’a¬ 
voir exercé qu’une influence légère sur sa santé. Cependant deux jours 



JURISPRUDENCE MÉDICALE 


283 


après, elle était prise, à une heure du matin, d’accès de somnambulisme 
dans lesquels elle mimait la scène qui avait provoqué la peur. 

Ces accès se sont continués toutes les nuits jusqu’au jour où elle nous 
fut amenée. Notre examen nous révéla l’existence de divers stigmates 
d’hystérie, en particulier d’une analgésie à la figure, généralisée, mais 
plus marquée du côté droit. La malade sentait les piqûres, mais n’en 
éprouvait aucune douleur. 

Dès la première visite, nous la plongeons dans l’état d’hypnose par 
fixation des yeux et suggestion du sommeil. Elle tombe presque immé¬ 
diatement dans un sommeil profond. Dès qu’elle est hypnotisée, nous 
constatons : d’abord qu’elle est devenue complètement anesthésique, 
ensuite, levant en l'air les bras de la malade, nous sommes surpris de 
constater que le bras gauche soulevé reste en catalepsie, et que le bras 
droit soulevé retombe lourdement en état de léthargie. La même cons¬ 
tatation est faite pour les membres, inférieurs. Le membre inférieur 
gauche soulevé reste en catalepsie. Le membre droit retombe lourdement 
en état de léthargie. Après le réveil, qui n’est obtenu que par l’association 
de la suggestion et de l’acte de souffler avec insistance sur les yeux, la 
malade revient à l’état antérieur. 

Ainsi la même cause, (fixation des yeux et suggestion) a provoqué 
un état d’hypnotisme différent pour chaque côté du corps, catalepsie 
à gauche et léthargie à droite. 

La constatation de ce fait démontre, avec évidence, la distinction qu’il 
convient d’établir entre la suggestion cause et l’hypnotisme effet , la 
même cause pouvant d’une façon simultanée, sans aucune intention de 
l’expérimentateur, provoquer l’apparition d’un état d’hypnotisme de 
degré différent, pour chaque côté corps. La même cause produit en effet 
de la catalepsie à gauche et de la léthargie à droite. 


JURISPRUDENCE MÉDICALE 


Exercice illégal de la médecine par les magnétiseurs 


MÉDECINE. — EXERCICE ILLÉGAL. — MAGNÉTISME. — MAGNÉTISEUR. — 
DIPLOME (ABSENCE DE). — PASSES MAGNÉTIQUES. — LOI DU 30 NOVEMBRE 

1892. 

Le magnétiseur étant un 'véritable agent thérapeutique, il s'ensuit que 
l’individu qui emploie des passes magnétiques pour atténuer ou gué¬ 
rir des maladies se livre a un véritable traitement et commet le délit 
prévu et puni par l’article 16 de la loi du 30 novembre 1891, s'il est 
dépourvu de tout titre l’autorisant à exercer la médecine. 

(Cour d’appel de Rennes, 6 mars 1901). 

La Cour de Rennes était saisie de la question, comme Cour de renvoi, 
à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation, du 29 décembre 1900, cas- 




284 REVUE DE L'HYPNOTISME 

sant un arrêt de la Cour d’Angers du 23 Juillet 1897 (Voir le Droit du 
19 janvier 1901). 

Après plaidoiries de M e * Chesneau (du barreau d’Angers) et Comby 
(du barreau de Paris), sur les réquisitions de M. Denier, avocat général, 
la Cour de renvoi a consacré l’opinion qui avait prévalu devant la Cour 
suprême, dans les termes suivants : 

« La Cour, 

a Considérant qu’il résulte de la procédure, des débats et des aveux 
du prévenu Mouroux, qu’il a, dans l’arrondissement d’Angers, au cours 
des années 1895 et 1896, c’est-à-dire depuis moins de trois ans avant le 
commencement des poursuites, reçu chez lui ou visité chez eux un très 
grand nombre de malades, et que, sans leur prescrire aucun médicament, 
il a pratiqué sur leurs personnes, par-dessus leurs vêtements, des passes 
magnétiques en leur faisant espérer la guérison ou le soulagement de 
leurs maux ; 

« Qu’en agissant ainsi et en répétant, pendant des semaines et quel¬ 
quefois des mois, sur le même malade, ses passes magnétiques, il avait 
nécessairement pour but, à moins d’être un vulgaire charlatan ou un 
véritable escroc, d’atténuer ou de guérir les maladies dont ils souffraient; 

« Considérant que le treizième Congrès international de médecine 
légale a déclaré que le magnétisme est un véritable agent thérapeutique ; 

« Qu’il suit de là qu’en l’employant comme il vient d’être dit l’in¬ 
culpé Mouroux, dépourvu de tout titre l’autorisant à exercer la médecine, 
s’est livré au traitement des maladies ; 

« Considérant que la Cour n’a pas à rechercher quelle peut être'la 
valeur du moyen curatif employé ; 

a Qu’elle doit se borner à constater qu’il en a été fait habituellement 
usage ; 


COURS ET CONFÉRENCES 


Deux cas d’hystéro-traumatisme (*) 

par le M. Professeur Raymond 

I 

Le cas de cette femme est très intéressant parce qu’il soulève une 
double question de diagnostic et de responsabilité. 

Il s’agit d’une femme de chambre âgée de 32 ans. Le 12 décembre 1900, 
elle est heurtée par une voiture de maître; elle reçoit le timon dans la 
poitrine, est renversée et pirouette sur elle-même; une roue lui passe, 
paraît-il, sur le thorax et sur la jambe gauche. Sur le coup, elle ne perd 

(1) Présentations faites à la clinique des maladies du système nerveux à la Sal¬ 
pêtrière. 





COURS ET CONFÉRENCES 


285 


pas connaissance et on la porte chez le pharmacien. Pendant le trajet 
commence ce que Charcot appelait la période de méditation : cette 
femme envisage le danger qu’elle a couru,... et elle s’évanouit. Dès 
qu’elle revient à elle, on la transporte à l'hôpital dans un service de 
chirurgie. Sa peau, raconte-t-elle, était noire partout où la roue avait 
passé. Y a-t-il eu fracture de côte ? Ce que nous pouvons savoir, c’est 
qu’on lui a laissé autour du thorax un appareil inamovible pendant 
26 jours. A la suite de son accident, elle a eu des hémoptysies, peut-être 
traumatiques, mais, peut-être aussi nerveuses. En tous cas, actuelle¬ 
ment, l’examen minutieux du cœur et des poumons ne révèle rien d’a¬ 
normal. Vous voyez qu’elle présente en ce moment un tremblement à 
oscillations étendues et rapides ; mais elle est impressionnable et vibre 
à propos de rien. 

Je la fais marcher devant vous. Vous constatez qu’à gauche elle ne 
pose à terre que la pointe du pied; la jambe est en extension, le bassin 
incliné à droite. Il est très difficile d'obtenir la flexion de la jambe, car 
celle-ci présente au niveau du genou une contracture, qui s’étend jus¬ 
qu’à la hanche, laquelle se trouve inerte et immobilisée comme le ge¬ 
nou. En outre la cuisse gauche est un peu amaigrie : sa circonférence 
mesure quatre centimètres de moins qu’à droite; la peau de cette région 
est, en outre, rouge et froide. S’agit-il d’arthrite ou simplement d’ar- 
thralgie? 

Notez qu’il existe, dans le membre inférieur gauche, et pour tous les 
modes de sensibilité, une anesthésie totale qui occupe, en forme de 
botte, la moitié inférieure de la jambe. Toute la moitié gauche du corps, 
y compris la face, présente de l’hypoesthésie ; il existe, en outre, toujours 
à gauche, un rétrécissement du champ visuel, puis aux faces interne et 
externe du genou, des points d’hyperesthésie. 

Il ne faut donc pas s’en laisser imposer par les troubles trophiques et 
l’atrophie musculaire. Ce n’est ici que de l’hystérie. Il semble que le 
genou et la hanche soient très pris; en réalité, il n’y a qu’une contrac¬ 
ture des muscles fonctionnels. Cette contracture est causée par la dou¬ 
leur périphérique ou dermalgie. 

Quand cette malade guérira-t-elle? Je n’en sais rien. Si l’on me de¬ 
mande un certificat, je décrirai avec beaucoup de soin les phénomènes 
qui fondent mon diagnostic d’hystéro-traumatisme. Mais je me garderai 
bien de rien prédire, quant à la durée de cette affection. Parfois, elle 
guérit spontanément; mais, d’ordinaire, elle persiste, au moins pendant 
tout le temps que l’action judiciaire reste pendante; la malade est en 
effet, sous le coup de çetle préoccupation constante : « Obtiendrai-je ou 
n’obtiendrai-je pas une indemnité ? » 

Retenez que des cas de ce genre ont donné lieu à de monstrueuses 
erreurs de diagnostic; des chirurgiens ont même été jusqu’à pratiquer 
l’arthrotomie et la désarticulation de la hanche, alors que le traitement 
doit être, pardessus tout, moral et suggestif. 



286 


REVUE DE L’HYPNOTISME 

II 


Cet homme est charretier. Il y a 20 mois, il était sur le bord de la 
Seine, occupé à décharger son tombereau, lorsque son cheval recule, le 
jette dans une péniche et tombe sur lui. On le porte à un poste de se¬ 
cours. Pendant le trajet, il réfléchit qu’il aurait pu être tué,... et il perd 
connaissance. Il est anemé ensuite à l’hôpital dans un service de chi¬ 
rurgie où on lui panse la région de la hanche pendant treize jours ; il 
n’y avait donc vraisemblablement qu’une plaie très superficielle. Mais 
il ne peut marcher et reste chez lui pendant trois mois, toujours impo¬ 
tent. Un médecin consulté ordonne le massage et l’électricité, sans suc¬ 
cès d’ailleurs. On s'avise de faire la radiographie de la région contuse 
et l’opérateur diagnostique une fracture du bassin. On décide alors de le 
mettre pendant quarante jours dans un appareil ; mais celui-ci est telle¬ 
ment douloureux qu’on doit le retirer tout les quatre ou cinq jours. Sur 
ces entrefaites, le médecin de l’assurance affirme l’hystérie et considère 
notre homme comme un simulateur. 

Vous le voyez, il a un tremblement généralisé qui date de l’époque 
du traumatisme et qui s’accroît à la moindre émotion. A droite, l’arti¬ 
culation de la hanche est comme soudée ; il existe un creux dans la ré¬ 
gion rétrotrochantérienne et le pli fessier est descendu. Si j’effleure la 
peau de ces régions, je constate de l’hyperesthésie ; si, au contraire, j’ap¬ 
puie brusquement et profondément, j’arrive à vaincre la douleur. Donc 
la douleur a son point de départ dans la peau et non dans les parties 
sous-jacentes : c’est de la dermalgie. En outre, à cette plaque d’hy¬ 
peresthésie au toucher, se superpose une plaque d’hypoesthésie à la pi¬ 
qûre. Cette hypoesthésie s’étend à toute la jambe droite dont les mus¬ 
cles sont même un peu atrophiés. 

Chez cet homme il y a immobilisation de la hanche par contracture 
des muscles fonctionnels. Le bassin, en effet, a été radiographié dans 
le service : il est absolument intact et ne présente aucun signe de frac¬ 
ture récente ou ancienne; il n’y a pas non plus d’arthrite. 

Dans des cas analogues, un triple problème se pose : s’agit-il d’une 
affection organique, ou d’une affection purement nerveuse, ou de l’as¬ 
sociation des deux? Pour faire le diagnostic différentiel, nous avons 
deux moyens : le chloroforme et l’hypnotisme. Si nous chloroformons à 
fond un malade comme celui-ci, nous parvenons à vaincre les contrac¬ 
tures, et, lorsque l’action du chloroforme s’éteint, la douleur revient 
non parles muscles ou les articulations, mais par la peau, là où la der¬ 
malgie avait déjà été constatée. L’hypnotisme de son côté, fournit aussi 
un excellent moyen de diagnostic, en même temps qu’un agent de 
curation. 

Dans un rapport médico-légal, ne dites pas : a Ce n’est rien, c’est 
purement hystérique ! » Ces malades sont parfois dans l’impossibilité 
absolue de travailler; ils peuvent rester impotents pendant des années, 
comme aussi guérir subitement. Mais, jusqu’à ce qu’ils soient guéris* les 
dommages-intérêts leur sont dûs. 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


287 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 19 mars 1902. * 
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois 
à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y as¬ 
sister. 


Cours de M. le D r Huchard à, Necker. — La méditation sur la 
vie. — Discours de M. Albert Robin. ~ Les réformes de 
l’enseignement secondaire. 

Le 14 février, M. Huchard ouvrait son cours, consacré comme tou¬ 
jours à la thérapeutique. Deux cents personnes au moins, parmi les¬ 
quelles un grand nombre de médecins des hôpitaux qui avaient tenu à 
apporter au maitre l'affirmation de leur sympathie, et des médecins de 
la ville, qui sont toujours assidus aux leçons si pratiques du professeur 
de l’hôpital Necker. 

M. Huchard a traité de la thérapeutique générale et développé le pro¬ 
gramme des leçons qui vont suivre. Par des exemples bien choisis, il a 
montré que le médecin pouvait beaucoup de bien ou beaucoup de mal 
dans le traitement des maladies ; il a surtout insisté sur l’utilité et la 
nécessité qu’ily a de réagir contre la tendance funeste de l’enseignement 
officiel au cours des quinze ou vingt dernières années, lequel, comme 
on l’a dit, faisait de la médecine une longue et navrante méditation 
sur la mort. M. Huchard, avec un rare bonheur d’expression, a dit que 
désormais, pour être fécond, renseignement devait devenir une médi¬ 
ta tion sur la vie . 

Rendant justice aux idées exposées lors de l’ouverture des Cours de 
l’Ecole de psychologie par M. Albert Robin, l’orateur a montré qu’il 
s’attache, lui N aussi, à appuyer la thérapeutique sur la physiologie et 
sur la pathogénie, seul moyen de faire une thérapeutique logique et 
sérieusement utile. 

Après cette remarquable leçon, M. Albert Robin, qui était présent, a 
fait, dans une improvisation très chaleureuse, ressortir tout ce que la 
tentative de M. Huchard, de créer un enseignement nouveau dans les 
hôpitaux, agrandissement de l’idée première de Dujardin-Beaumetz, 
avait de profondément avantageux pour les élèves, et il a accepté d’ap¬ 
porter sa collaboration au programme de M. Huchard. Celui-ci, en 
effet, a l’habitude de prier des conférenciers nombreux d’apporter 
dans son amphithéâtre et pour le plus grand bénéfice de ses audi- 



288 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


teurs, le fruit de leurs travaux personnels. Cette innovation est certaine¬ 
ment excellente, aussi a-t-elle été fort bien accueillie par les auditeurs. 

★ 

* * s 

Nous donnons ici les quelques paroles prononcées par M. Albert 
Robin : 

Mon cher Huchard, 

Messieurs, 

Permettez au collègue qui tient votre oeuvre scientifique en légi¬ 
time admiration, au médecin qui a eu l’occasion d’apprécier à tant 
de reprises votre haute valeur professionnelle, à l’ami qui vous a voué 
depuis si longtemps une inaltérable affection que les années, les 
longues années dissolvantes, n’ont fait que grandir, permettez, dis-je, 
de vous exprimer tout l’intérêt avec lequel j’ai écouté — et je suis sûr 
de n’être démenti par aucun de vos auditeurs, en disant, nous avons 
écouté — votre magnifique leçon. Voilà de la vraie pratique, voilà de la 
vraie médecine! 

Vous m’avez fait le très grand honneur de citer mon nom parmi ceux 
des ouvriers de la renaissance thérapeutique qui marquera, je l’espère, 
l’aurore du siècle actuel: je vous en remercie. Comme vous l’avez dit 
en une de ces formules lapidaires que vous savez si bien trouver et 
exprimer : à la méditation sur la mort, qui forme le fond de l’enseigne¬ 
ment ofïidiel, il faut substituer la méditation sur la vie ; ne pas faire de 
la lésion le substratum de la maladie, mais bien la considérer comme 
une étape, un incident ou un résidu de celle-ci et, par conséquent, ne 
pas l’attaquer directement, mais traiter le trouble fonctionnel dont elle 
n’est fréquemment que la conséquence. 

Vous ne définissez pas la médecine comme les classiques modernes 
qui l’appellent l’art de connaître les maladies ; je suis sûr que vous dites : 
la médecine est l’art de connaître les maladies dans le but de les guérir, 
rendant ainsi à la thérapeutique, la place qu’elle n’aurait jamais dû 
perdre. Cette thérapeutique, jouet des doctrines, qui n’estplus enseignée 
à l’Ecole, exclue des concours, même du concours des hôpitaux, qui est 
à ce point dédaignée que les chirurgiens s’emparent aujourd’hui d’une 
partie de notre incontestable domaine. Vous continuez à la tenir comme 
le but suprême de la médecine. 

Vous renouez la tradition interrompue des maîtres disparus à qui 
nous devons le meilleur de notre initiation, de Germain Sée, de Gubler, 
pour ne citer que les derniers, et c’est pour cela que je m’associe de 
toutes mes forces aux applaudissements de vos auditeurs. Vous serez 
applaudi encore par tous ceux qui aiment la médecine, qui demeurent 
croyants en thérapeutique et qui gardent inscrite dans leur pensée en 
ineffaçables caractères cette sublime parole du père de la médecine : 
« G’est une œuvre divine que de guérir les malades, de savoir calmer la 
souffrance humaine et de garder son cœur ouvert à la pitié. » 

L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, iO. 



REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


■16 e Année — N° 10. 


Avril 1902. 


BULLETIN 


L’hypnotisme et la psychologie au Collège de France 


M. le professeur Pierre JANET 

La chaire de Psychologie expérimentale au Collège de 
France, vacante par suite de la retraite volontaire de M. le 
professeur Ribot, vient d’échoir à M. le D r Pierre Janet. Celui- 
ci avait déjà, pendant plusieurs semestres, suppléé M. Ribot; 
sa carrière scientifique et ses travaux spéciaux le désignaient 
plus que tout autre pour cette succession ; aussi sa nomination 
est-elle universellement approuvée dans le monde philoso¬ 
phique et médical. 

Le nouveau professeur du Collège de France n’a que qua¬ 
rante-cinq ans. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, 
brillant agrégé de philosophie, il va d’abord professer au 
lycée du Havre. Dans cette ville, il se livre, en compagnie du 
regretté D r Gibert, à l’étude des maladies nerveuses, en parti¬ 
culier de l’hystérie et de l’hypnotisme. En 1889, il soutient 
devant la très libérale Faculté des Lettres de Paris une thèse 
de doctorat qui fait époque; l’Automatisme psychologique, en 
effet, est une œuvre considérable d’érudition, de fine analyse 
et d’expérimentation vraiment scientifique. 

Nommé professeur de philosophie dans les lycées de Paris, 
M. Pierre Janet termine ses études médicales, devient un 
assidu du service de Charcot et dans sa thèse de doctorat en 
médecine expose magistralement l'Etat mental des hystériques. 

Directeur du Laboratoire de psychologie de la Clinique des 
maladies nerveuses à la Salpêtrière, il publie, en 1898, en col¬ 
laboration avec M. le professeur Raymond, Névroses et idées 
fixes, deux gros volumes bourrés de faits cliniques, d’observa- 


10 


290 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


tions psychologiques, de mesures graphiques et d’applications 
thérapeutiques de l’hypnotisme. 

Nous n’avons pas oublié que M. le professeur Pierre Janet 
fut un des membres fondateurs de la Société d’hypnologie et 
l’un des premiers collaborateurs de la Revue de VHypnotisme ; 
il fut, en outre, membre du comité d’organisation du premier 
Congrès international de l’hypnotisme de 1889. En 1900, les 
adhérents de notre deuxième Congrès n’eurent qu'à se louer 
de la bienveillance et de l’affabilité avec lesquelles il leur fit 
visiter le Laboratoire de psychologie de la Salpêtrière, ainsi 
que le musée Charcot et leur présenta quelques malades des 
plus intéressants. Aussi est-ce, pour tous les rédacteurs de 
cette Revue , un très agréable devoir d’adresser au nouveau 
professeur du Collège de France les félicitations les plus vives 
et les plus sincères. 


La psychothérapie et la suggestion vigile 

Par M. le D r Spehl, professeur à TUniversité de Bruxelles 


Dans l’enseignement Universitaire on a aussi semblé ignorer 
jusqu’ici les résultats de la psychothérapie; et pourtant, qu’on 
le veuille ou non, elle pénètre chaque jour, davantage dans 
la pratique médicale et, dès maintenant, elle y tient une place 
assurément plus importante que ces innombrables médica¬ 
ments qui, d côté de quelques moyens et remèdes vraiment sérieux , 
encombrent de plus en plus la thérapeutique moderne, et dont 
l'effet curatif est si problématique et le mode d’action plus 
obscur encore ! 

Ceci nous remet en mémoire cette boutade d’un vieux profes¬ 
seur, très savant et très distingué, de l’Université de Heidelberg : 
« qu'un médecin ne devenait réellement fort que lorsqu’il pou- 
« vait inscrire sur l’ongle de son pouce tous les médicaments 
« dont il se servait 1 » 

Le thérapeute ne doit pas se borner à nier des faits nettement 
établis, par ce seul motif qu’ils paraissent extraordinaires , et 
qu’ils détruisent certaines légendes admises depuis toujours 
et passées à l’état d’axiomes qu’on ne discute et ne vérifie 
plus ; l’entêtement et la routine sont absolument contraires au 
véritable esprit scientifiquë, et n’empêchent heureusement pas 
la science de progresser quand même ; et, en ce qui concerne 



LA PSYCHOTHÉRAPIE ET LA SUGGESTION VIGILE 


291 


la difficulté d’expliquer certains faits, que l’on veuille bien 
ne pas oublier que « la plupart des phénomènes naturels sont 
« plus ou moins inexplicables, et cependant la science ne les 
nie pas (') ». 

Le vrai rôle et le devoir du clinicien consistent, à notre avis, 
à s’incliner devant les faits bien observés, quels qu’ils soient, 
mais à chercher en même temps à les comprendre et à les 
interpréter le plus logiquement possible, afin de pouvoir les 
utiliser lui-même pour le plus grand bien des malades ; c’est 
la tâche que nous nous sommes imposée, sans aucune 
prétention d’ailleurs, et c’est le résultat de nos observations 
qui fait l’objet de ce cours. Charcot a dit avec infiniment de 
raison : « le miracle thérapeutique a son déterminisme, et les 
« lois qui président à sa genèse et à son évolution commencent 
« à être suffisamment connues, pour que l’ensemble des 
« faits qu’on englobe sous ce vocable n’échappent plus à notre 
« appréciation ( 1 2 ) ». 


Quant à la méthode que nous avons adoptée dans nos 
recherches, elle diffère essentiellement de celle qui a été 
suivie par la plupart de nos devanciers. Ceux-ci ont surtout 
étudié les phénomènes de la suggestion sur des objets choisis, 
facilement hypnotisables, bien entraînés, parfois même dressés, 
peut-on dire, dans un but de démonstration ; puis ils ont trop 
souvent voulu généraliser ce qui, en définitive, n’avait été 
constaté que chez quelques malades, très intéressants sans 
doute, mais absolument exceptionnels. C’est ce que l’on 
peut appeler l’hypnotisme de laboratoire et certainement il a 
rendu d’immenses services, car il a été le point de départ 
de tous les travaux actuels, mais c’est l’opposé de la psycho¬ 
thérapie. . 

Nous ne nous sommes pas confiné dans l’étude systématique 
de l’hypnotisme; nous^nous sommes efforcé de faire de la 
thérapeutique psychique, et nous avons utilisé la suggestion 
dan*s le seul but et avec l’unique intention de guérir. Nous, 
qui sommes le partisan le plus sincère et le plus convaincu 
de la méthode expérimentale, nous n’avons pourtant soumis 
aucun de nos patients à une expérience proprement dite, et 
cela pour plusieurs raisons : d’abord, le médecin ne dispose 

(1) L. Büchner. — A l’aurore du siècle. 

(2) J. Charcot. — Faith-healing. 



292 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


pas, à notre avis, du droit d’appliquer la suggestion expéri¬ 
mentale à ses malades , même avec leur consentement, soit à 
l’hôpital, soit dans sa clinique, soit dans sa clientèle privée. 
Ensuite nous pensons qu’en matière de psychologie, il faut 
être très circonspect dans l’interprétation de certains phéno¬ 
mènes provoqués de nature essentiellement subjective, et qui 
n’offrent pas toujours toutes les garanties nécessaires pour 
inspirer une conviction complète. Nous citerons comme 
exemples, les expériences sur la suggestibilité, sur l’hypnoti- 
sation à distance, sur la suggestion posthypnotique, sur 
l’extériorisation de la sensibilité, sur le dédoublement de la 
personnalité, etc. 

Dans cet ordre d’idées, et sans vouloir remettre en doute ce 
qui est définitivement acquis et surabondamment démontré, 
nous sommes cependant d’avis qu’en général, l’observation 
d’un fait d'ordre psychique non provoqué expérimentalement, 
mais surpris pour ainsi dire, et nettement constaté, chez une 
personne quelconque ne remplissant pas le rôle de « sujet », 
est plus probante que les résultats artificiellement obtenus, 
sous le sommeil hypnotique, dans des conditions où l’élément 
subjectif intervient d’une manière exclusive et échappe à toute 

vérification comme à tout contrôle. 

* 

* * 

Nous avons donc scrupuleusement observé et noté les phéno¬ 
mènes que nous avons eu l'occasion de constater, soit chez des 
personnes considérées comme normales, soit chez les malades 
dont le traitement nous a été confié à l'hôpital, ou qui ont 
réclamé nos soins dans notre pratique privée ; nous les avons 
ensuite classés et comparés, et de cet examen se sont dégagées 
un certain nombre de conclusions positives concernant, les 
unes, la psychologie générale, les autres la psychothérapie 
proprement dite. Parmi ces dernières, nous en signalerons 
immédiatement quelques-unes : 

1. La suggestion agit très activement dans toutes les mala¬ 
dies quelles qu’elles soient, organiques ou fonctionnelles 
(maladies infectieuses ; affections cardiaques ; maladies plus 
ou moins graves du tube digestif, comme l’ulcère de l’estomac 
par exemple ; troubles de la nutrition générale, comme la 
chloro-anémie, le diabète ; tuberculose pulmonaire au début ; 
certaines maladies de la peau ; maladies organiques consécu¬ 
tives à une dépression morale ; maladies nerveuses centrales 
ou périphériques, etc.) 



LA PSYCHOTHÉRAPIE ET LA SUGGESTION VIGILE 293 

2. Le traitement psychique est d’une efficacité tout à fait 
remarquable, et donne même souvent des guérisons instan¬ 
tanées et définitives, dans de nombreux cas ayant résisté 
à tous les autres modes de traitement pendant des mois, 
parfois pendant des années ; nous citerons parmi les plus 
fréquents : 

a) Troubles de la motilité ; paralysies des membres, para¬ 
lysies oculaires, mutisme, aphonie nerveuse, bégaiement, 
parésies, atrophies musculaires fonctionnelles, marche titu¬ 
bante, attaques convulsives hystéro-épileptiques généralisées, 
convulsions cloniques localisées, tremblements, chorée, tics 
convulsifs, contractures permanentes, crampes, vomisse¬ 
ments incoercibles, hoquet, toux convulsive, rire convulsif, 
spasmes, etc. ; 

b) Troubles de la sensibilité ; névralgies (faciale, stomacale, 
utérine, ovarienne, vésicale, scrotale, sciatique, intercostale), 
douleurs fulgurantes et en ceinture du tabès, points douloureux, 
hyperesthésies, anesthésies, paresthésies, céphalalgies diver¬ 
ses, douleur rétrosternale, sensation de boule et constriction à 
la gorge, etc. ; 

c) Troubles sécrétoires ; ptyalisme, sécheresse de La bouche 
et de la gorge, hyperhidrose, anhidrose, crises de larmes, 
aménorrhée fonctionnelle, ténesme vésical, incontinence noc¬ 
turne de l’urine, diabète insipide, diarrhée émotionnelle habi¬ 
tuelle, constipations, etc. ; 

d) Troubles psychiques ; insomnie persistante, affaiblissement 
de la volonté, hyperexcitabilité nerveuse, nervosisme, impuis¬ 
sance génitale d’origine psychique, « trac » des artistes, 
neurasthénie, idées fixes, certaines impulsions, nombreuses 
obsessions, perte de mémoire, innombrables peurs ou phobies, 
modifications du caractère, hypochondrie, hallucinations 
de la sensibilité générale, hallucinations visuelles ou audi¬ 
tives, etc. ; 

e ) Autres troubles ; inappétence, boulimie, tendances synco¬ 
pales, onychophagie, onanisme, morphinomanie, dipsomanie, 
certains troubles trophiques de la peau, etc. (*). 

3. Beaucoup de guérisons attribuées à l’action des médica- 


(l) Nous prévoyons que beaucoup de ces symptômes seront « simplement » 
attribués à ce que Ton est convenu d’appeler en médecine l’Hystérie ; mais 
l’étiquette nous importe peu ; le point capital, à notre avis, est de les guérir. Or, 
tous les médecins savent que les symptômes de l’Hystérie sont souvent plus 
difficiles à guérir qu’une maladie organique, comme une bronchite ou une fièvre 
muqueuse, par exemple. 



HXT'TE DE L HTPX0T1SME 


m- "■> : : ï ï ' interventions, sont dues en réalité àl’auto- 



'.stitue le fond de toute la pédagogie ainsi 

er.'ale. 

;■ inion courante, les individus les moins 
:l ns susceptibles du traitement p'sychique : 
■•.ce sur les idiots, les aliénés proprement 
: : as âge. Inversement, ce sont les sujets 
eu les plus compréjiensifs qui, toutes 
: s. oliront le plus-de ressources pour le 

ce observation résultant de notre expé- 
a '.a paelle nous attachons la plus grande 
u contrairement aussi aux idées reçues, 
v: •.'.ccss.mv pour obtenir un effet curatif, 
'es: suggestion vigile qui est la plus 


* Puas a es vr a -.os années de pratique psychothérapique, 

ao•;< r s. s con:- rmé aux principes généralement 

a v as en r.'rv': -;aut la suggestion qu’après hypnose préala- 
Ko : tau:s lu'::: : •• eus avon<. p>ur différents motifs,• complè¬ 
te:-e-: abondce::e méthode, et nous sommes revenu à 
no'.-.v p de dmcarî primitif, en n’employant plus que la 
sugaestu'u à l ete.t de veille, ou plus exactement à l’état de 
,vuc e ec 'l::.e. Ce procédé présente un avantage énorme à 
iuk \eu\ : contraire-mont à ce qui se passe pour la suggestion 
hypnotique, le malade a la certitude de ne pas aliéner sa per¬ 
sonnalité et. de plus, il sait exactement tout ce qui lui a été 
•mr.::oiv; or. ceci est toujours une garantie très grande pour 
lui et aussi pour le médecin. 


A l’appui de notre théorie sur l’influence de la suggestion à 
létal de veille, il nous parait intéressant de reproduire ici ce 
que pense à ce sujet l’illustre médecin et philosophe allemand 
l ouïs l Incliner, auteur de Y Homme selon la science, de Force et 
\laltère, etc., et dont l’opinion, en l’occurence, a une impor¬ 
tance toute spéciale. Voici ce qu’il dit dans son dernier travail, 
paru récemment et intitulé : A l’aurore du siècle: 

« Mais l’adulte lui-même est soumis à la puissance de la 
.ï niiegestion. Personne n’est mieux pénétré de cette vérité que 
n l. fi médecins, qui doivent peut-être la moitié de leurs succès 












LE MÉCANISME DE LA SUGGESTION 


295 


« à la seule suggestion. La seule présence du médecin auprès 
« du malade opère souvent des miracles. Chacun sait qu’en 
« prescrivant de l'eau distillée ou des pilules de mie de pain on 
« peut obtenir tous les effets des médicaments les plus actifs. 
« Dans ce cas, la suggestion agit même sur les organes de la 
« vie végétative. 

... « Enfin,.c’est également par la suggestion que s'expliquent 
« les guérisons soi-disant miraculeuses obtenues aux lieux de 
« pèlerinage, et personne ne niera que la suggestion du milieu 
« ait une grande influence sur les succès remportés dans les 
« établissements thermaux et autres. 

« La puissance de l’imagination peut être assez forte pour 
« empêcher de ressentir la douleur. C’est ce que montre 
« l’exemple des martyrs et des fanatiques de toutes les religions 
« qui supportent des supplices affreux sans marquer la moindre 
« souffrance. 

« Si l’on étudie la suggestion à un point de vue général, 
« on s’aperçoit que son domaine est illimité et qu’il n’y 
« a pas un seul de nos actes qui ne lui soit plus ou moins 
« soumis. » 

En ce qui concerne Y interprétation de ces phénomènes, nous 
l'avons cherchée uniquement dans la structure anatomique et 
dans les lois de la physiologie, telles qu'elles sont admises 
actuellement, car nous estimons avec M. Ernest Solvay, 
que « les phénomènes de la vie peuvent et doivent s’expli- 
« quer par le jeu des seules forces physiques qui régissent 
« l’univers. » 

S’il existe encore des points obscurs, nous pensons qu’ils ne 
resteront pas éternellement inexpliqués; tout permet d’espérer, 
au contraire, que la lumière se fera de plus en plus complète 
dans le domaine des sciences psychiques, aussi bien que dans 
tous les autres domaines. 


Le mécanisme de la suggestion (') 

d’après les travaux de F. Myers (de Cambridge) 
par M. Marcel Mangin 
(Suite et fin) 


'Quelle peut être l’origine de ces pouvoirs mystérieux ?. 

Quand nous constatons une faculté chez l’homme ou chez les 
animaux, nous nous demandons ordinairement de quels ancê- 

(1) Voir le numéro de mars. 




296 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


très il a hérité cette faculté, pour répondre à quelle nécessité 
extérieure elle a été maintenue et développée; pourrions-nous 
donc trouver dans notre ascendance quelque chose nous 
rappelant ces pouvoirs intimes modifiant la circulation, accélé¬ 
rant la prolifération des cellules, altérant les phénomènes de 
formation d’une manière inconnue ? 

.... C’est un fait général que dans l’homme et les animaux 
supérieurs, l’accroissement dans le pouvoir de modifier l’action 
de l’organisme dans son ensemble a toujours paru compensé 
par une diminution du pouvoir de modifier ses parties internes 
ou ses éléments constituants. Le pouvoir que l’amibe a de se 
transformer elle-même, celui que le ver ou le crabe a de refaire 
ses organes, s’efface graduellement devant les progrès de la 
fixité des organismes des mammifères supérieurs. 

Mais il serait possible que cette fixité fût plus apparente que 
réelle. Nous pouvons regarder l’organisme humain comme une 
agrégation d’organismes primitifs unicellulaires qui ont divisé 
leurs fonctions et sont devenus plus nombreux pour répondre 
aux exigences du milieu et ont suivi la marche d’évolution indi¬ 
quée par leur origine. Il se peut aussi que tous ces processus qui 
commencent aux mouvements amiboïdes de la cellule primitive, 
aient été accompagnés par une capacité de retenir les excita¬ 
tions antérieures, une mémoire rudimentaire qui, à l’origine, 
constituait toute la conscience de nos ancêtres inférieurs. Plus 
tard, dans le cours de l’évolution, qui tend toujours vers la com¬ 
plexité, les processus primitifs de transformations cellulaires 
se stéréotypaient par suite d’une longue hérédité, la mémoire 
de ces changements primitifs devenait subliminale, échappait 
à l’effort volontaire, disparaissait du champ de la conscience 
supraliminale. 

Mais comment savons-nous si une acquisition psychique est 
pour toujours perdue ? ou même si un souvenir a perdu de 
sa force-parce qu’il n’est plus sous le contrôle de la volonté (*) ? 
Il pourrait y avoir des artifices spéciaux pour revivifier les sou¬ 
venirs primitifs et pour mettre en activité des procédés physio¬ 
logiques qui peuvent à une certaine époque de notre histoire 
ancestrale avoir été employés avec intention quoiqu’en aveugle. 

(I) Lorsque nous cherchons un nom oublié, après avoir fait des efforts volontaires 
inutiles, nous savons tous que le mieux, est de ne plus chercher. Laissons faire la 
conscience subliminale et tout d’un coup le souvenir ressuscitera. Un des résultats 
des études du soi-disant spiritisme sera la constatation de la richesse inouïe de la 
mémoire subliminale et de la résurrection possible de souvenirs dont nous n’avons 
aucune conscience. M.M, 



LE MÉCANISME DE LA SUGGESTION 


297 


III 

( 

Mais cette hypothèse est-elle assez vaste pour embrasser tous 
les faits? Tous les effets de la suggestion hypnotique peuvent- 
ils s’expliquer par la plus complète résurrection des souvenirs 
"ancestraux, ou bien y a-t-il un point au delà duquel ces analo¬ 
gies ne pourront plus nous servir. Nous avons déjà fait allusion 
aux changements moraux et psychologiques que la suggestion 
* peut produire. Ils doivent reposer sur une base physiologique, 
mais cette base implique un cerveau bien développé, un cer¬ 
veau humain. L’intelligence.des centres corticaux qui doit exis¬ 
ter quelque part pour rendre possibles ces changements, ne 
peut vraiment guère avoir été héritée d’ancêtres pré-humains. 
(C’est ici le point faible de la théorie de M,. Myers, comme j’es¬ 
saierai de le montrer un peu plus loin.) Rien n’est d’un plus 
profond intérêt que de voir poindre la possibilité de dégager 
du labyrinthe cérébral qui représente les goûts et le caractère 
d’un homme, les processus spéciaux qui arrêtent une tentation, 
par exemple ceux qui déterminent la réaction de l’organisme 
contre l’alcool, la morphine, etc. 

Des effets moraux se rattachent à ces effets de réaction. 
(Guérison de l’ivrognerie accompagnée par celle de la klepto¬ 
manie. Voir Revue, sept. 1890, Bérillon. Rétablissement des 
convictions religieuses et de l’habitude de la prière chez une 
dipsomane. D r Voisin). 

Les victoires remportées par le D r Bérillon et par d’autres 
sur des défauts d’enfants qu’on aurait pu croire dépendant de 
conditions trop diffuses et intangibles pour pouvoir être faci¬ 
lement isolées et écartées ont une immense portée philoso¬ 
phique. 

J’insiste, continue M. Myers, sur la nécessité d’attribuer de 
l’intelligence à la faculté qui nous permet d’obtenir de pareils 
résultats. Les explications qu’on a proposées de ce pouvoir 
auquel ne semble échapper aucun organç, aucune pensée, sont 
de trois sortes : 1* l’hypothèse de Mesmer, du fluide passant de 
l’opérateur au sujet est abandonnée, bien qu’il y ait des preu¬ 
ves importantes d’une influence échappant à nos sens ordi¬ 
naires, mais elles ne s’appliqueront qu’à certains cas. 

2° Heidenham attribuait l’état hypnotique à une inhibition de 
l’action des cellules ganglionnaires de l’écorce cérébrale pro¬ 
duite par une faible excitation continue d’autres nerfs. Dans 
les cas de fascination, d’imitation, de rigidité, cette théorie 


10. 



298 


REVUE DE fc’HYPNOTISME 


d’un raccourci que prendrait le mouvement nerveux explique¬ 
rait comment une action est exécutée en réponse à une sug¬ 
gestion sans que la conscience en ait aucune connaissance ; 
mais c’est tout, et il s’agit ici, au contraire, d’expliquer le con¬ 
trôle croissant et profond du cerveau sur l’organisme. 

3° Le mot de suggestion est utile pour réunir les faits. Les 
actions sont exécutées parce qu’elles sont suggérées. La doc¬ 
trine de Nancy a été nécessaire et efficace comme protestation 
contre des théories incomplètes, rien de plus. 

C’est donc dans un champ presque débarrassé d’hypothèses 
que je vous propose la mienne : à savoir qu’un courant de con¬ 
science passe au fond de nous en dessous du niveaù de la vie 
ordinaire éveillée et que cette conscience comprend des pou¬ 
voirs inconnus dont les phénomènes hypnotiques nous donnent 
le premier exemple, les indications éparses ; pouvoirs exercés 
quelquefois spontanément ou en exécution de quelque volonté 
supérieure, mais quelquefois aussi obéissant à une sommation 
envoyée par le Moi supraliminal. Donc tantôt le Moi subli¬ 
minal se décide de lui-même ; tantôt il obéit à un étranger, tan¬ 
tôt à son compagnon le Moi supraliminal. 

[Dans les trois cas il est le pouvoir exécutif. Et si dans des 
cas morbides et exceptionnels il peut être comme une véritable 
machine, il n’en est pas moins infiniment probable que d’une 
manière générale il obéit en connaissance de cause. M. M.] En 
un mot, l’auto-suggestion doit être le type central, et la sug¬ 
gestion extérieure une aide à la croyance du sujet. 

On sait qu’un malade qu’on a eu toutes les peines du monde 
à hypnotiser parce qu’il s’auto-suggérait qu’il ne serait pas 
guéri, peut devenir capable de s’endormir lui-même sans l’aide 
du docteur. L’auto-suggestion est et sera de plus en plus ensei¬ 
gnée au sujet. 

Il ne nous faut donc plus regarder les phénomènes hypnoti¬ 
ques comme quelque chose d’isolé ou d’exceptionnel ; ils ren¬ 
trent ainsi naturellement dans des lois plus larges dont nous 
commençons à entrevoir la portée. Ils indiquent une communi¬ 
cation entre notre conscience supraliminale et une conscience 
subliminale douée de pouvoirs encore inconnus. Ils forment 
un département dans un vaste royaume de communications 
entre état et état, entre conscience et conscience, entre person¬ 
nalité et personnalité dans le même individu. Ils ne sont qu’un 
chapitre dans l’ensemble de notre étude (*). 

(1) La conscience subliminale. 



LE MÉCANISME DE LA SUGGESTION 


299 


Avant de terminer, M. Myers essaye d’écarter tout de suite 
une objection à sa théorie très mystique de l’origine de ces 
pouvoirs inconnus subliminaux. C’est pourtant seulement au 
chapitre suivant (le mécanisme du génie) qu’il l’exposera vrai¬ 
ment, cette théorie d’une origine pré-terrestre. Mais il est 
naturel que dès maintenant il soit gêné par l’objection redou¬ 
table tirée de l’obéissance canine — c'est son expression—de ce 
moi à facultés ultra-humaines. Comment ce moi, en qui habite 
un Dieu, essaye-t-il de se jouer des tours à lui-même quand 
on le lui dit? La réponse est bien simple, je l’ai indiquée, au 
commencement de cette étude. M. Myers veut trop généraliser, 
une théorie générale de la nature humaine n’est pas possible. 
Il y a entre les individus beaucoup trop de différence pour cela. 
J’admets avec Myers l’existence d’une conscience subliminale 
chez tous les hommes, même chez les animaux (du moins ceux 
qui rêvent), mais, c’est tout. Mais combien y a-t-il de faits 
psychologiques, qui n’existent que chez certains individus ! 
Actuellement chez l’individu normal les deux consciences ne 
sont presque pas dissociables à l’état de veille et souvent le 
sommeil artificiel hypnotique ne peut s’obtenir même avec la 
meilleure volonté du monde de la part du sujet. Mais chez celui 
qu’on appelle d’un mot fort malheureusement emprunté aux 
spirites, le médium, la dissociation peut aller jusqu’à cetteextré- 
mité du tour, du très mauvais tour joué à soi-même. Jusqu’au 
crimepar suggestion? Peut être? Mais ce ne sont pas les crimes 
de laboratoire qui le prouvent. Car je suis persuadé qu’en ce cas 
le moi subliminal a conscience qu’il exécute une expérience, et 
ce qui le prouverait c’est la peine beaucoup plus grande 
qu’éprouve l’opérateur à faire exécuter au sujet une simple 
inconvenance, comme d’ôter ses souliers en public. Du reste, 
ces expériences absolument dangereuses et immorales doi¬ 
vent être abandonnées. On se rappelle l’histoire de ce jeune 
homme devenu voleur et condamné à la prison malgré toutes 
les instances du docteur, son hypnotiseur. 

Quant à la théorie de l’évolution, indiscutée maintenant, et 
que M. Myers accepte malgré son mysticisme, c’est la forcer 
au point de la fausser, que de dire comme il le fait : « Tous nos 
progrès ont été un lent développement des capacités d'un 
premier germe. » Non! mille fois non! le premier germe ne 
contient pas du tout les capacités de l’être qui lui succédera 
après des milliards de siècles. Aucun des mollusques de l’âge 
des mollusques ne contenait le germe du génie de Beethoven, 



300 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


ni même celui du génie d’Inaudi. « Chaque sens qui s’est déve¬ 
loppé, continue M. Myers, chaque faculté qui a été acquise, n’a 
été qu’une entrée en puissance de tout ce qui s’était déjà 
accumulé dans cette trésorerie préhistorique. » C’est là, je le 
répète, fausser la théorie de l'Evolution, c’est oublier l’impor¬ 
tance énorme de l’influence du milieu, et oelle'de la sélection 
naturelle. La nature, dans l'être vivant, a des poussées dans 
toutes sortes de directions, fait des essais de tous genres qui 
avortent ou qui réussissent suivant les influences ambiantes. Il y 
a des organes rudimentaires qui ne servent à rien, sinon à 
montrer une unité dq plan. 

Et maintenant pourquoi donc l’évolution serait-elle arrêtée ? 
Ce qui résume le mieux la marche des phénomènes, l’évolution, 
c’est, cofnme l’a montré Spencer, le passage de l’homogène à 
l’hétérogène, du simple au compliqué, c’est la multiplication 
croissante des rapports des choses et ensuite des êtres vivants entre 
eux. Chacune de nos invontions nouvelles est un pas en ce sens 
comme l’a été chacun des progrès faits dans la formation des 
organismes vivants. 

Si ce sont les sens et les facultés que nous considérons par¬ 
ticulièrement, nous en comprendrons le développement de la 
même manière et nous n’irons pas leur chercher une origine 
pré-terrestre. Là aussi nous trouverons que le progrès con¬ 
siste dans une multiplication croissante des actions réciproques 
et des intercommunications. A côté des cinq sens connus nous 
en verrons poindre un nouveau, celui des somnambules luci¬ 
des, la vue à distance, à côté des facultés connues nous 
commençons à en voir de nouvelles qui, comme la télesthésie, 
la télékinésie rendront le successeur de l’homme aussi supé¬ 
rieur à l’homme que celui-ci l’est aux animaux. 

.Mais laissons là ces rêves de grandeur et pour le 

moment reproduisons simplement les quelques lignes par 
lesquelles termine M. Myers et qui nous paraissent, cette fois, 
la vérité même :... « Et ces expériences hypnotiques avec toute 
leur étrangeté et leurs côtés grotesques, conduisent au même 
but : elles nous enseignent l’existence d’une puissance 
cachée ; elles nous apprennent qu’en se respectant soi-même, 
en se connaissant, en se contrôlant, l’homme peut devenir le 
maître de son propre esprit et l’artisan de sa destinée. » 




301 


SOCIÉTÉ DHYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du mardi 14 Janvier 1902. — Présidence de M. Jules Voisin. 


Sensibilité et hypnotisme chez les hystéro-épileptiques * 

par le D r Paul Magnin, professeur à l’Ecole de Psychologie. 

Dans l’avant-dernière séance, M. Bérillon vous a présenté une petite 
malade atteinte de grande hystérie, à propos de laquelle j’avais fait quel¬ 
ques remarques qui, pour des raisons matérielles, n’ont pu paraître au 
compte rendu. Je vous demande la permission de les reprendre sous 
forme de communication. 

Vous avez vu sur cette malade deux états de l’hypnose, différents pour 
chaque côté du corps, produits simultanément sous l’influence d’une 
même cause : fixation des yeux et suggestion. 

Le côté droit de la malade était en léthargie, le côté gauche en cata¬ 
lepsie. 

Or, un examen antérieur à l’hypnotisation avait permis de constater 
une analgésie généralisée, mais toutefois beaucoup plus marquée du 
côté droit. 

Ce cas est une confirmation de plus des faits que nous avons si souvent 
constatés à la Pitié, Dumontpallier, Bérillon et moi. 

Les excitations périphériques les plus diverses peuvent, chezl’hystéro- 
épileptique en état d’opportunité, déterminer la production des phéno¬ 
mènes hypnotiques. Telle est le plus souvent la facilité avec laquelle la 
somniation s’établit qu’on doit en somme considérer la sensibilité hypno- 
génique comme un des symptômes de la grande hystérie. 

Toutefois, certaines conditions ont une influence marquée sur la pro¬ 
duction plus ou moins rapide des diverses périodes du sommeilprovoqué, 
sur le développement plus ou moins complet des phénomènes qui les 
caractérisent. 

Il nous semble tout particulièrement légitime'd’admettre que, dans 
l’hystéro-épilepsie, les troubles sensitifs suivent une marche parallèle à 
celle de la névrose elle-même. Leur intensité, leur étendue sont en rap¬ 
port avec le degré de l’affection qu’ils accompagnent pas à pas dans 
toutes ses phases, en rapport avec l’état des centres encéphaliques. 

Aussi l’examen de la sensibilité du sujet avant l’expérience présente- 
t-il un intérêt tout particulier. 

Soit un malade totalement hémianesthésique, dont la sensibilité (géné¬ 
rale et spéciale) est, sur un côté du corps, complètement éteinte dans 
tous ses modes : les divers procédés hypnogéniques n’auront d’action 
qu’à la condition de porter sur les organes ou les régions de la peau 
sensibles ; ces mêmes procédés seront sans effet s’ils portent sur les 
organes ou les régions de la peau anesthésiques. Les phénomènes pro- 



302 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


duits n’intéressent dans ce cas que le côté primitivement sensible ; le côté 
anesthésique reste, au contraire, en l’état. Il y a hypnose unilatérale. 

Remarquons cependant qu’on peut réussir quelquefois (au bout d’un 
temps très variable) à endormir le sujet en s’adressant à son côté anes¬ 
thésique. Cela tient à ce fait que j’ai montré, il y a bien longtemps déjà, 
à savoir qu’on peut obtenir des effets æsthésiogènes en se servant d’exci¬ 
tations mécaniques faibles et répétées. En y regardant de près, on 
s’aperçoit que le sommeil ne survient qu’après réapparition de la sensi¬ 
bilité. 

Dans le cas où la sensibilité peut être, par un procédé quelconque, 
transférée d’un côté à l’autre du corps, les phénomènes hypnotiques 
sont eux-mêmes transférés du côté devenu sensible, tandis qu’ils cessent 
d’exister du côté dcvenu'insensible. 

Les expériences sont démonstratives encore lorsqu’on ramène expé¬ 
rimentalement et d’une façon passagère seulement la sensibilité tant 
générale que spéciale des deux côtés du corps. Dans ces conditions, les 
états somnambulique, cataleptique, léthargique peuvent être produits 
des deux côtés. Toutefois, les phénomènes qui caractérisent les phases 
du sommeil provoqué se montrent à un degré moins accusé que dans 
les expériences d’hypnose hémilatérale. Or, dans les conditions que 
nous venons de dire, la sensibilité ramenée momentanément des deux 
côtés du corps est affaiblie ou plutôt moindre qu’elle n’était lorsqu’elle 
n’occupait qu’une des moitiés du sujet. 

Dans le cas où l’état de la sensibilité est différent pour chaque côté 
du corps, les phénomènes de l’hypnose offrent, pour chacun de ces 
côtés, un développement en rapport avec l’état de la sensibilité. Il se 
produit alors, le plus généralement, deux états différents et simultanés 
sous l’influence de la même excitation périphérique. L’une des moitiés 
du corps, celle dont la sensibilité est la plus marquée avant l’expérience, 
se trouve placée dans un état plus profond, plus complet, dans un degré 
plus avancé du sommeil provoqué. C’est précisément ce que vous avez 
constaté chez notre petite malade. 

En résumé, la facilité de production des différentes périodes de l’hyp¬ 
notisme, l’intensité des phénomènes qui les caractérisent dépendent de 
l’état de la sensibilité (générale et spéciale). Elles lui sont en quelque 
sorte proportionnelles. 

Mais l’état de la sensibilité ne fait que traduire au dehors l’état de 
fonctionnement des hémisphères cérébraux. On peut donc dire, en 
somme, que les résultats obtenus sont en rapport, pour chaque côté du 
corps, avec le degré d’activité de l’hémisphère cérébral qui commande 
à ce côté. 

Et cela est si vrai que, sans avoir examiné la sensibilité du sujet avant 
l’expérience, on peut, presqu’à coup sûr, juger de son état d’après le 
degré et l’intensité des phénomènes obtenus. 

Chez les hystéro-épileptiques et, d’une façon plus générale, chez les 
hystériques, on constate toujours, en y regardant de près, une asynergie 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE P8YCHOLOGIE 


303 


plus ou moins grande de fonctionnement des hémisphères cérébraux, 
asynergie si marquée qu'elle nous semble être la caractéristique psy¬ 
chique principale de la maladie. 

Tous les faits que nous avons observés, Bérillon et moi, depuis plus de 
vingt ans n’ont fait que nous confirmer dans cette façon de voir. 

Quoi qu’il en soit, chez les nombreuses malades que nous avons eu 
l’occasion d’examiner, nous n’avons jamais réussi à provoquer l’hypnose 
qu’autant que leur sensibilité (générale et spéciale) n’était pas intacte 
dans tous ses modes. Nos tentatives ont toujours échoué lorsque les 
troubles dont il s’agit avaient disparu d’une façon complète et durable 
sous l’influence d'un traitement approprié. 

Il suit de là que les modificateurs périphériques susceptibles de rame¬ 
ner la sensibilité seront, de ce fait, capables de déterminer le réveil et 
partant d'empècher tout phénomène hypnotique. 

Nous avons, il y a près de vingt ans, insisté à diverses reprises sur 
l’intérêt majeur que présente l’étude de la sensibilité dans l’hystérie et 
l’hypnotisme. Dans son enseignement, à la Pitié, Dutnontpallier ne man¬ 
quait jamais de proclamer que le critérium de la guérison de l’hystérie 
résidait dans le retour complet et durable de la sensibilité (générale et 
spéciale) dans tous ses modes. 

L’idée d’ailleurs n’était pas neuve et un homme qui connaissait à fond 
toutes les questions se rattachant à l’hystérie et dont je m’honore d’avôîF 
été l’élève, Burq, l’avait parfaitement développée, il y a bien longtemps. 

« Il n’y a peut-être pas, dans toute la pathologie, écrit-il, dn autre 

symptôme qui ait autant de valeur que l’anesthésie et l’amyosthénie. 

Elles n’existent jamais impunément, suivent la névrose dans toutes ses 
'phases, augmentent ou diminuent avec elle dans la même proportion, 
disparaissent seulement avec son dernier signe et ne restent absentés 
que tout le temps que dure la guérison. Il y a, sous ce rapport, aussi 
bien que sous celui des renseignements et des indications de toute 
sorte dont il est la source, tant de ressemblance entre ce symptôme et le 
pouls dans l’inflammation, que nous n’hésitons pas à le regarder méta¬ 
phoriquement comme le véritable pouls de l’hystérie, qu’un médecin 
doit tout aussi souvent tâter que l’autre. Les renseignements qu’il 
fournit sur la névrose sont d’une grande exactitude et autrement précieux 
que ceux qui résultent des réponses des malades. 

Ainsi, l'anesthésie et l’amyosthénie ont-elles augmenté, qu’on s’attende 

à une explosion plus forte des accidents.Tout moyen, qu’il soit tiré 

de la thérapeutique proprement dite, de l’hygiène ou d’ailleurs, doit, 
pour guérir la névrose, avoir une action certaine sur la sensibilité et la 

motilité.Tout le traitement consiste donc à trouver un agent ou un 

moyen, quel qu’il soit, qui soit capable de ramener ces deux fonctions à 
l’état normal. » 

Tout métaphorique que soit parfois le langage de Burq, il nous parait 
être, aujourd'hui encore, l’expression exacte de la vérité. 






304 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Constipation opiniâtre et suggestion hypnotique 

Par M. le D r Paul Parez, professeur à l’École de Psychologie. 

Je désire vous dire quelques mots d’un tout petit incident survenu, il 
y a quelques semaines, dans ma clientèle; il me paraît intéressant 
parce qu’il apporte une contribution à la question si débattue de la 
résistance aux suggestions. 

Il s’agit d’une femme âgée de 35 ans. C’est une hystérique qui a eu, 
jadis, de nombreuses crises convulsives et la plupart des troubles de la 
grande névrose. Les crises convulsives ont tout à fait disparu depuis 
plusieurs années; la malade ne perd plus jamais connaissance, mais 
elle présente, de loin en loin, des troubles cutanés périphériques, à la 
fois sensitifs et vaso-moteurs, avec modification del’élat mental. Toutes 
les fois que, pour une cause ou pour une autre, ces accidents réappa¬ 
raissent, elle m’appelle auprès d’elle ou vient me voir et, après quelques 
séances de suggestion hypnotique, tout rentre dans l’ordre pour un cer¬ 
tain nombre de mois. 

Tout dernièrement, elle vient me voir de nouveau. Je constate, de ci, 
de là, des plaques d’anesthésie, d’autres d’hyperesthésie, des topoal¬ 
gies, de l’œdème nerveux et quelques idées fixes. Je recours, cette fois 
encore, à la suggestion hypnotique et un mieux appréciable se fait 
sentir dès la première séance. Comme elle se plaint de constipation 
opiniâtre, je lui recommande de se soumettre à ce traitement qui donne 
de si remarquables et de si durables effets, à savoir la douche rectale 
froide, prise quotidiennement à une très faible pression, dans la position 
horizontale avec une grande canule de caoutchouc rouge et le bock à 
injection. 

Quand elle me revient, quelques jours après, cette malade me raconte 
qu’il lui est impossible de faire entrer la canule ; si celle-ci parvient 
à pénétrer de deux ou trois centimètres, c’est l’eau qui ne peut pas 
trouver domicile dans l'intestin et reste stationnaire dans le bock. J’ap¬ 
prends alors, ce qu’on ne m’avait pas encore révélé, qué, depuis plu¬ 
sieurs semaines, les rares matières qui sortent du rectum affectentla 
forme rubanée, comme si elles passaient à travers un laminoir. Il 
s’agit donc, non pas de la constipation ordinaire, chronique, par atonie 
intestinale et parésie de la fibre musculaire lisse de l’intestin, mais 
d’une névrose intestinale, consistant en une sorte de spasme du sphincter 
de l’anus, peut-être avec contracture plus ou moins marquée du rectum. 

Comme cette malade s’endort très facilement et réalise, à la lettre, 
toutes les suggestions qu’on lui fait pendant son sommeil hypnotique, 
je songe à régulariser ses évacuations alvines à l’aide de la suggestion. 
En effet, après l’avoir hypnotisée, je lui parle en ces termes : 

« Tout à l’heure, dès que je vous aurai réveillée, vous éprouverez un 
très violent besoin d’aller à la garde-robe. Vous me demanderez de 
vous faire conduire aux cabinets et vous y ferez une selle très abon- 



SOCIÉTÉ d'hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


305 


dante. Il n’y aura plus aucun spasme, aucune contraction ; les parois 
intestinales seront bien lubrifiées ; les matières passeront sans peine, 
elles seront copieuses et bien moulées... » 

Ce n’est pas tout. Je suis fort désireux de pouvoir contrôler si ma 
suggestion s’est réalisée jusqu’au bout. Aussi, comme rien de ce qui 
est médical n’est vil pour le médecin, j’ajoute ceci : « Je veux m’assurer 
que vous avez bien exécuté ma suggestion ; je veux.voir par moi-même 
si vos matières sont bien moulées et non plus laminées, si elles sont en 
outre satisfaisantes comme quantité, comme couleur, comme consis¬ 
tance, etc. Vous aurez donc soin, après avoir terminé, de ne point faire 
manœuvrer le système du tout à l'égout. » 

Cela fait, je réveille ma malade. Celle-ci remet son chapeau en toute 
hâte et, avec une précipitation qui ne lui est point coutumière : « Vite, 
vite, dit-elle à son mari, allons-nous-en ! » 

Je les reconduis tous deux jusqu’à la porte, tout en disant à la ma¬ 
lade : a Qu’avez-vous donc ? Vous ne paraissez pas dans votre état 
normal ! 

— Mais, je n’ai rien, rien du tout... Allons-nous-en vite, répète-elJe 
à son mari ! » 

Comme elle est tout chose et qu’elle a l’air de trépigner, j’insiste. Ne 
sachant pas exactement ce qui se passe en elle, j’essaie, comme on dit, 
de lui tendre la perche : * 

— N’auriez-vous pas, par hasard, besoin d'aller aux cabinets?... Ne 
vous gênez pas du tout ; venez, je vais vous y faire conduire... 

— Non, non, pas du tout, réplique-t-elle. Sur ce, elle entraîne vive¬ 
ment son mari et descend l’escalier en courant. 

Je suis un peu interloqué. Ma suggestion a-t-elle donc complètement 
échoué ? Mais alors, pourquoi ce souci de me quitter si précipitamment? 
Après tout, me dis-je, j’en aurai le cœur net à mon prochain jour de 
consultation. 

Le surlendemain, elle ne paraît point, — pas plus qu’aux deux con¬ 
sultations suivantes. Enfin je la revois avec sôn mari qui me dit : « Elle 
ne voulait plus revenir et j’ai eu beaucoup de mal à l’amener? » 

— Pourquoi donc n’êtes-vous pas venue comme il avait été décidé ? 

Je la vois un peu troublée et pas du tout confiante, ni docile comme 

à l’habitude. 

— Allons, parlez-moi franchement. Vous avez quelque chose sur le 
cœur ? N’hésitez pas et dites-le carrément ! 

— Eh bien, voilà, reprend-elle. En sortant de chez vous, l’autre jour, 
j’ai été prise d’une telle envie d’aller à la garde-robe, que j’ai dû vous 
quitter en toute hâte. J’ai été ridicule et cela m’a vexée. Or j’avais peur, 
si je revenais vous voir, de me retrouver dans le même état et surtout 
d’être obligée de vous demander les cabinets. 

— A ce propos, que devient votre constipation? 

— Oh ! pour ça, je suis enchantée ; je ne sais pas comment s’est opéré 
ce changement, mais mes matières sont moulées, la canule entre sans 



306 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


difficulté, l’eau du lavement pénètre bien, j’ai maintenant tous les 
matins une belle garde-robe facile et abondante. 

— Ce pressant besoin d’aller aux cabinets, c’est moi qui vous l’avais 
suggéré pendant votre sommeil hypnotique. Cette suggestion a puis¬ 
samment agi sur vous et nous devons nous en féliciter puisque mainte¬ 
nant votre constipation est vaincue et l'exonération quotidienne rétablie. 

Nous faisons alors la paix. Maintenant qu’elle a compris, non seule¬ 
ment elle n’a plus d’appréhension, mais elle me remercie vivement. 

Il me reste toutefois à éclaircir quelques points que je ne me suis pas 
encore expliqués. Je compte le faire pendant le sommeil hypnotique. 

Une fois endormie, ma malade retrouve facilement, sur ma sollicita¬ 
tion expresse, le souvenir de ce qui s’est passé pendant son précédent 
sommeil hypnotique. Je poursuis alors mes investigations : 

— Vous rappelez-vous la suggestion que je vous ai faite ? 

— Mais certainement et elle a joliment réussi, car, une fois réveillée, 
j’ai été prise d’une envie extrêmement violente... 

— Pourquoi, alors, n’êtes-vous pas allée aux cabinets avant de sortir? 

— C’est que ça m’aurait ennuyé de vous le demander. Toute ma vie, 
j’ai eu horreur de parler de ces choses-là, surtout à un homme, comme 
aussi d’aller aux cabinets ailleurs que chez moi. Dans votre sug¬ 
gestion, ce qui surtout m’a révoltée, c’est que vous m’avez enjoint de ne 
pas faire fonctionner le tout à l’égout. 

— Cependant, je vous avais prescrit formellement de me demander, 
une fois éveillée, de vous faire conduire... 

— C’est vrai ; mais, au moment où vous me donniez cet ordre, je me 
suis dit en moi-même : « Non, non, je n'obéirai pas ! » 

— Bien. Alors racontez-moi ce qui s’est passé quand vous m’avez 
quitté si précipitamment. 

— Voilà. Le violent besoin que j’éprouvais m’avait mise en sueur. 
J’ai descendu votre escalier quatre à quatre. Une fois dans la rue, j’ai 
cherché si je voyais un café. J’y suis entrée, j’ai demandé les cabinets 
et je m’y suis installée. Or, cet endroit était si malpropre, si mal tenu, 
que j’en ai été dégoûtée, et je suis sortie sans m’être exonérée. J’ai pu 
regagner mon domicile sans être trop tourmentée ; mais, deux fois le 
soir même, trois fois le lendemain, j’ai eu d’abondantes débâcles. J’étais 
stupéfaite, car je ne me serais jamais figurée qu’une aussi grande quan¬ 
tité de matières pouvait s’accumuler dans mon intestin. 

Depuis lors, cette dame va à la selle quotidiennement et supporte très 
bien sa douche rectale. 

* 

* * 

J’ai rapporté fidèlement ce fait, non point pour prouver que la sugges¬ 
tion hypnotique peut influencer une fonction de la vie végétative, comme, 
par exemple, la défécation ; cela est bien connu et n’a plus besoin d’être 
démontré. Mais, tel qu’il s’est passé, ce fait équivaut à une véritable 
expérience et me parait provoquer plusieurs réflexions. 

Lorsqu’une suggestion se heurte à une idée préconçue, à un senti- 



ÉTUDES PSYCHIQUES 


307 


ment tenace, à une crainte, une appréhension, une répugnance, etc., le 
sujet peut trouver en lui assez de force de résistance pour ne point subir 
ladite suggestion. 

Dans la circonstance, j’estime que j’aurais obtenu un résultat com¬ 
plet si, au lieu de faire une suggestion à échéance, c’est-à-dire réalisable 
au moment du réveil, j’avais envoyé cette malade aux cabinets pendant 
son sommeil hypnotique. 

Ma suggestion se serait surtout réalisée, à ce qu’il me semble, si, 
pendant que cette malade dormait, je lui avais commenté mes exi¬ 
gences, si j’avais fait une sorte de plaidoyer, si j’avais gagn,é son adhé¬ 
sion et obtenu son consentement formel. En général, il ne suffît pas 
d’intimer un ordre ; cet ordre doit être appuyé 1 de raisons. Pour le cas 
actuel, j’avais omis ce point parce que cette malade m’avait habitué à 
une obéissance parfaite. 

D’autre part, l’amnésie au réveil est quelquefois regrettable. Le sujet 
ne connaît point la cause de l’état spécial dans lequel l’a mis la sugges¬ 
tion ; il se torture pour se l’expliquer et il trouve des explications baro¬ 
ques ou fantaisistes. Ici, il eût été bon de suspendre l’amnésie au moins 
pour ce qui concernait mes exigences expresses. 

Enfin, au point de vue psychologique, ce fait apporte une preuve nou¬ 
velle de l’influence du moral sur le physique, puisqu’un sentiment de 
dégoût a pu inhiber ou, tout au moins, retarder un besoin fonctionnel 
très impérieux. 


ÉTUDES PSYCHIQUES 


L’antévision, par M. Martial Vergnolle 

Au nombre des manifestations cérébrales dont l’étude passionne 
aujourd’hui de nombreux chercheurs et qui constitue, pour ainsi dire, 
une science nouvelle, il en est une, observée sur des sujets à l’état de 
veille, et qui doit peut-être à sa banalité de n’avoir pias attiré plutôt l’at¬ 
tention des psychologues. 

Décrivons-la tout d’abord à l’aide d’un exemple : 

Vous êtes dans une rue. 

Tout à coup vous apercevez, à distance, quelqu’un dont l’allure, la démar¬ 
che, les traits même vous paraissent familiers et vous dites : « Tiens, voilà 
M. X... » 

Vous vous approchez, ce n’est pas lui,... 

Vous continuez à marcher et, à quelques minutes de là vous voyez, vous 
rencontre à ne pas vous y tromper cette fois, le personnage que vous avie\ 
cru voir au début. 

Cette description se rapporte à la forme typique de cette manifesta¬ 
tion qui peut aussi se présenter avec quelques variantes ne modifiant 
d’ailleurs pas sa nature. 




308 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Ainsi la sensation peut se présenter brusquement à l’esprit sans avoir 
pour objet un passant. Dans ce cas elle reste purement intellectuelle et 
ne se matérialise pas. 

Ou encore, la personne que vous allez rencontrer vous est plus ou 
moins connue ; mais vous la connaissez au moins de visu. Par contre 
vous pouvez lui être complètement étranger. 

Enfin il convient évidemment d’écarter de la question le cas où la 
rencontre serait préparée et où elle aurait quelque raison de se produire. 
Pour le phénomène qui nous occupe, elle est toujours fortuite. 

Bien quç le nombre des sujets qui ont éprouvé cette manifestation soit 
considérable, elle n’a pas été étudié^, croyons-nous, d’une façon spéciale. 

Camille Flammarion, dans son très intéressant ouvrage : l'Inconnu et 
les problèmes psychiques, au chapitre : L % action psychique d'un esprit 
sur un autre , en relate quelques observations. C’est même à l’une d’elles 
que nous empruntons textuellement Pexemplc reproduit plus haut. Mais 
ces observations se trouvent mélangées à des faits, dont il importe de 
les distinguer et toutes les manifestations décrites dans ce chapitre sont 
considérées à un point de vue unique. 

Selon nous, voici leurs traits distinctifs : 

Lorsqu’il s’agit d’avertissements, de perceptions subjectives, de divi¬ 
nation accidentelle et isolée de pensée (*), de pressentiment, de sensations 
diverses, les sujets intéressés se trouvent, au moment où le phénomène 
se produit, en rapport conscient. Il y a entre eux échange d’impression. 
Ils sont, en un mot, tous les deux actifs. Alors que, dans la manifesta¬ 
tion que nous étudions spécialement ici, on peut toujours distinguer un 
sujet actif et l’autre passif, absolument inconscient de la sensation qu’il 
provoque. 

La fréquence même de cette manifestation et la constance de sa forme 
viennent encore le différencier des diverses télépathies auxquelles on l’a 
assimilée. 

Pour distinguer ce phénomène, que Flammarion appelle vue a dis¬ 
tance , nous proposons le mot antévision , qui, croyons-nous, le définit 
plus exactement. 

Recherchons maintenant à quelle cause il peut être attribué. 

L’auteur précité émet l’hypothèse suivante pour expliquer les « com¬ 
munications à distance entre vivants » : 

Tout être vivant est un foyer dynamique. La pensée elle-même est un acte 
dynaïnique. Il n’y a aucune pensée sans vibration corrélative du cerveau. 
Qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce que ce mouvement se transmette à une 
certaine distance, comme dans le cas du téléphone ou même encore du 
photophone et de la télégraphie sans fils ? 

(1) C’est à dessein que nous soulignons : accidentelle et isolée car les prétendus 
liseurs de pensées qui opèrent en publie ne sont autres que des sensitifs guidés par 
le - contractions librillaires du « penseur ». Il faut aussi remarquer que ce dernier 
doit être en contact permanent avec l’opérateur. Les observations que M. le docteur 
Paul Farez, professeur à l’école de psychologie, vient de présenter à la Société d’hyp- 
nologic, ne laissent aucun doute sur la façon dont s’exerce cette prétendue faculté. 



ÉTUDES PSYCHIQUES 309 

Des opinions conformes à cette hypothèse avaient déjà été exprimées : 

La plupart des somnambules, dit Deleuze (Histoire du magnétisme ani¬ 
mal, 1813) voient un fluide lumineux et brillant environner leur magnétiseur 
et sortir avec plus de force de sa tête et de ses mains... 

Plus tard, Jes docteurs Despine et Charpignon pensèrent, à la suite 
de quelques expériences, que- quelques somnambules percevaient les 
radiations électriques et môme les effluves qui s’échappent de quelques 
corps. 

Vers la même époque, le baron de Reichembach affirma que l’état 
somnambulique n’était pas nécessaire pour déterminer la perception des 
sensations lumineuses et qu’elle se produisait, chez certaines personnes 
après un séjour prolongé dans l’obscurité complète. 

Plus près de nous, les expériences du colonel de Rochas l’ont porté 
à admettre que le corps humain émet un fluide et que ce fluide, dont la 
nature nous est inconnue, se projette à distance, s'extériorise. 

Pour nous, l’hypothèse de Flammarion explique parfaitement la plu¬ 
part des manifestations dont il a recueilli des observations aussi nom¬ 
breuses que variées. 

Mais cette hypothèse parait inapplicable à l’antévision, voici pour¬ 
quoi : 

Nous avons dit plus haut que, des deux sujets intéressés par le 
phénomène, un seul était actif : celui qui possédait le don de voir à 
distance. Nous l’appellerons Vantévoyant. L’autre, Yantévu, n’a jamais 
conscience de la sensation qu’il provoque et, de plus, l’antévoyant peut 
lui être complètement inconnu. On ne peut admettre alors que la pensée 
de l’antévu rayonne vers l’antévoyant pour déterminer chez celui-ci une 
sensation visuelle subjective. On ne peut admettre davantage qu’au mo¬ 
ment de la vision les vibrations cérébrales de l’antévoyant et celles de 
Tantévu soient synchroniques, parce qu’alors l’antévu serait, lui aussi 
antévoyant, et la sensation deviendrait réciproque, alors que les obser¬ 
vations recueillies établissent qu’un seul des deux sujets l’aperçoit. 

Ajoutons que l’hypothèse de Flammarion pourrait cependant s’appli¬ 
quer à ce cas d’antévision réciproque, évidemment.possible, quoique 
inobservé. Les deux sujets se trouveraient alors respectivement dans le 
même état psychique et éprouveraient simultanémentla même sensation. 

Cherchons la cause de l’antévision dans d’autres états cérébraux 
définis. 

Est-ce purement un effet de l’imagination ? On pourrait le supposer 
a priori', mais comment expliquer que la vue d’une personne évoque 
l’image d’une autre qui, le plus souvent, ne lui ressemble nullement ? 

Taine et avant lui Gratiolet ont établi, à l’aide de nombreuses obser¬ 
vations, que la simultanéité entre la sensation d’un objet présent, clai¬ 
rement et distinctement aperçu, et le renouvellement spontané d’une 
sensation antécédente est d’autant moins possible que ces deux images, 
matérielle et intellectuelle, sont plus différentes. 



310 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Serait-ce une illusion visuelle en considérant, comme dans le cas pré¬ 
cédent, la matérialisation de l’image ? 

Non, ce n’est pas une illusion proprement dite puisque l’appréciation 
erronée subsiste à peine quelques secondes et que la rectification se pro- 
duit-presque aussitôt. 

On ne peut admettre davantage l’hallucination qui, en dehors des 
psychoses confirmées ou de certaines intoxications ne se produit que 
dans quelques états cérébraux transitoires qu’il est aisé de mettre en 
lumière. Or, la plupart des antévoyants, que nous connaissons n’ont 
jamais rien présenté d’anormal au point de vue cérébral ou nerveux. 

Enfin ce qui distingue essentiellement l’antévision de ces divers étals, 
c’est que limage réelle suit toujours, à courte échéance, la vision sub¬ 
jective. 

Si, d’autre part, nous considérons le cas où l’image de l’antévu reste 
purement intellectuelle et ne se matérialise pas sur un personnage quel¬ 
conque, on ne peut alléguer que le fait de passer à un endroit ou de se 
trouver en un lieu où vous avez rencontré telle personne suffise pour 
évoquer son souvenir lorsque vous êtes certain de n’avoir jamais vu 
cette personne en pareil lieu et qu’enfîn ce souvenir, existât-il, ne 
pourrait amener la présence réelle. 

On ne peut raisonnablement avancer que l’antévoyant voit à travers 
les obstacles, attendu que cette faculté, encore fortement contestée, 
n’aurait été observée que chez certains sujets en état d’hypnose. 
D’ailleurs, dans l’antévision, le phénomène est toujours limité à une 
seule personne alors que, si l’antévoyant était doué d'hyperopie, il per¬ 
cevrait en même temps tout ce qui se trouverait dans son champ visuel. 
En admettant l’hyperopie comme cause unique, le phénomène serait 
inexplicable au moyen de la théorie actuelle de la vision. 

A quoi donc attribuer l’antévision ? 

Nous hasarderons, à défaut d’autre explication, la suivante qui 
exige deux conditions : 

Le rayonnement émis par l’antévu irait impressionner le cerveau de 
l'antévoyant, qui se trouverait à ce moment dans un état favorable , et 
y réveillerait une image déjà reçue. 

Ce rayonnement provoquerait, en somme la réminiscence d’une phy¬ 
sionomie connue. 

Il faut admettre en premier lieu cette réceptivité accidentellement 
favorable du cerveau de l’antévoyant pour expliquer que celui-ci n’antê- 
voie pas toutes les personnes qui lui sont connues et qu’il rencontre. La 
cause de réceptivité nous échappe comme, du reste, celle de la plupart 
des états psychiques anormaux et transitoires dont la constatation s’im¬ 
pose néanmoins. 

Comme deuxième condition, il faut que l'antévoyant connaisse au 
moins « visuellement » l’antévu. Il est indispensable qu’à un moment 
ses centres nerveux aient reçu l’impression de cette image qu’ils ten- 



COURS ET CONFÉRENCES 


311 


dront dès lors à reproduire et qui ne s’effacera qu’après un temps plus 
ou moins long. 

A défaut de cette condition, et en ne retenant que la première, l’anté- 
voyant pourrait voir subjectivement toute personne qui se distinguerait 
par quelque particularité mais qui lui serait inconnue. Des faits d’anté- 
vision qui n'auraient pas réuni ces deux conditions n’ont d’ailleurs 
jamais été observés. 

Mais ce n’est là qu’une hypothèse assurément imparfaite, hâtons-nous 
de le reconnaître. Dans cette courte étude nous avons moins cherché à 
expliquer l’antévision qu’à en définir les caractères propres et à l’isoler 
d’autres manifestations cérébrales avec lesquelles elle n’a que peu d’ana¬ 
logie. 

Espérons que l’étude des phénomènes télépathiques viendra bientôt 
éclairer ces faits étranges en découvrant le procédé qui, plus satisfaisant 
que toutes les théories, permettra leur reproduction expérimentale. 


COURS ET CONFÉRENCES 


Amnésie rétro-antérograde et intoxication par l’oxyde 

de carbone (<) 

Par M. le professeur Raymond 

Voici un malade au sujet duquel on pourrait faire une grosse erreur 
de diagnostic, si l’on n’y prenait pas garde. 

C’est un homme âgé de 35 ans ; jusqu’à il y a quelques mois, méca¬ 
nicien de chemin de fer, il s’est acquitté de son travail à la satisfaction 
générale ; il s’est marié et a eu une excellente conduite ; il ne présente 
pas d’hérédité pathologique, à proprement parler ; il buvait un peu de 
cognac et d’amer Picon, mais sans excès; il a toujours été un peu triste 
et emporté. 

Il y a deux ans, à la suite d’un accident, il a l’arcade zygomatique 
gauche fracturée ; il en guérit assez vite, reprend son métier et ne pré¬ 
sente aucun trouble notable apparent. Il y a quelques mois, il rentre 
chez lui vèrs six heures du soir, dîne, puis se met à écrire;sa femme 
vient regarder au-dessus de son épaule et lit: « Ma chère Jeanne, tu 
m’abandonnes .... » Mais alors, il a donc une liaison en ville ! 

Notre homme sort, va mettre sa lettre à la poste, revient chez lui et 
dit à sa lemme : « Je ne veux pas que tu couches avec moi ; va te coucher 
avec ta mère ! » Mais la femme partage néanmoins le lit de son mari et, 
fatiguée, elle finit par s’endormir. 

Vers deux ou trois heures du matin, elle se réveille à demi-asphyxiée ; 
elle gagne le couloir et y tombe la face contre terre ; son mari est dans 

(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux à 
la Salpétrière. 




312 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


un état comateux. La grille de la cheminée, que l’on remplit chaque 
soir, avait été amenée au milieu de la chambre. 

La femme revient rapidement à elle. Le mari reste pendant quatre 
jours dans un état semi-comateux. Au bout de quatre jours, il com¬ 
mence à reprendre conscience de lui-même, mais non pas de la situa¬ 
tion ; il conserve son état d’hébétude et de torpeur intellectuelle ; sa 
mémoire demeure obstinément fermée toutes les fois qu’on lui parle de 
sa lettre à Jeanne et de sa tentative de suicide ; il les nie même et parait 
de très bonne foi. Il y a donc amnésie rétro-antérograde pour une 
période de cinq à six jours. 

Notre homme se remet à manger, à dormir, à vivre comme par le 
passé ; mais sa torpeur intellectuelle subsiste. Il reprend son métier de 
mécanicien et lui, jadis si actif, si avisé, devient indifférent à tout ; il 
travaille sans goût, fait mal sa besogne et reçoit des reproches auxquels 
il ne comprend rien. Enfin ses chefs impatientés le mettent en congé. 
Il n’en demande même pas les raisons ; cela lui est égal. Dans la journée, 
il dort, ou bien lit sans aucun goût n’importe quel livre qui lui tombe 
sous la main ; aux repas, il mange gloutonnement. 

Je ne crois pas du tout que ce soit un simulateur ; ses actes sont 
marqués au coin d’une autre personnalité ; ils sont la manifestation d’un 
état second. Notre homme, jusque-là intelligent et actif, est victime d’un 
accident de chemin de fer et subit un traumatisme violent. Le terrain 
e st préparé ; l’intoxication par l’oxyde de carbone a fait le reste. 
Aujourd’hui il présente, outre son amnésie rétro-antérograde , un 
certain degré d’hémianesthésie à gauche ; il ne déraisonne pas, mais a 
seulement de la torpeur intellectuelle ; son état ressemble à ceux que 
produit le choc cérébal. 

C’est précisément cet état de torpeur intellectuelle qui en a imposé aux 
médecins qui l’ont soigné jusqu’à présent. Ils se sont crus en présence 
d’aune paralysie générale progressive au début». Après avoir fait 
devant vous l'examen de ce malade, ai-je besoin de vous faire remar¬ 
quer que $ien ne justifie, ni de près, ni de loin, ce diagnostic. Il n’existe 
ni signe somatique se rapportant à cette affection (incoordination géné¬ 
ralisée, perte du réflexe lumineux, tremblement de la langue, etc., etc.), 
ni signe psychique (affaiblissement global des facultés intellectuelles, etc.) 
Un semblable diagnostic est fautif à tous égards. Il s’agit bien, en l’espèce, 
simplement, de troubles relevant de la grande névrose, c’est-à-dire de 
l'hystérie. * 

Jusqu’à présent, on a essayé une seule fois de l’hypnotiser ; on n’y a 
pas réussi, mais on reviendra à la charge ; on aura la clef de ce mys¬ 
tère et on guérira le malade. 

Les quatre cinquièmes des empoisonnements sont dus à l’oxyde de 
carbone ; les trois cinquièmes résultent de tentatives de suicide. Je vous 
rappelle le cas d’une couturière, âgée de 40 ans, que je vous ai présentée 
il y a six mois environ ; elle faisait de mauvaises affaires et devint mé¬ 
lancolique avec idées de suicide ; bientôt elle allume dans sa chambre 



COURS RT CONFÉRENCES 


313 


un réchaud de charbon. Quand on force sa porte, on trouve celte femme 
dans le coma, en train de râler. On constate quelle a une paralysie radi¬ 
culaire supérieure du bras gauche : en tombant, elle avait provoqué 
l’élongation des racines du plexus brachial. Mais, en outre, elle pré¬ 
sente une aphasie amnésique : elle ne parle que si on lui donne le com¬ 
mencement d’un mot ; elle est aphasique parce qu’elle est amnésique et 
cette amnésie ne porte que sur certains mots ; il n’y a ni surdité, ni 
cécité verbales, ni aphasie motrice. 

Les aphasies motrices, les surdités verbales, etc., peuvent être cau¬ 
sées par l’oxyde de carbone, aussi bien que les hémiplégies, les para¬ 
lysies, l’astasie-abasie, etc. Et ce ne sont pas là les seuls méfaits de ce 
poison : il a causé des délires aigus, des hallucinations qui ont duré 
huit à dix jours, quelquefois même un délire chronique, non pas le 
délire de persécution proprement dit, mais un état délirant avec accès 
de mélancolie, chez des sujets prédisposés par l’hérédité. 

Le phénomène sur lequel je veux surtout attirer votre attention au¬ 
jourd’hui est l’amnésie. Celle-ci n’est pas toujours faite de la même 
façon. Tantôt elle est continue ; les souvenirs nouveaux ne peuvent pas 
s'adapter aux anciens. Tantôt elle est antéro-rétrograde ; elle part d’un 
événement capital et s’étend jusqu’au jour où le malade revient à lui. 
On cite le cas d’un jeune médecin qui, intoxiqué par son poêle pendant 
dix-huit mois, en était arrivé à oublier le nom de sa rue. D’autre part, 
un homme et une femme décident de se suicider par l'oxyde de carbone ; 
la femme meurt ; le mari survit, mais on l’accuse d’avoir voulu donner 
la mort à sa femme ; il se défend mal, on l’incarcère, il va passer aux 
assises. Au bout de quelques mois seulement, la mémoire lui revient : 
il peut alors s’expliquer et se disculper. 

Dans un cas de Raffegeau et Boucherôt, il s’agit d’un homme qui avait 
toujours été très actif et très propre. Après une intoxication par l’oxyde 
de carbone, il devient sale, présente des pertes de mémoire, du trem¬ 
blement, des troubles du côté des yeux, des hémorrhagies rétiniennes. 
On incline à porter le diagnostic de paralysie générale ; or cet homme 
a très bien guéri. 

Il est important de dire quelques mots de pathogénie pour justifier 
des conclusions thérapeutiques. L’oxyde de carbone se fixe sur les glo¬ 
bules rouges ; il sort des vaisseaux par dialyse, comme les autres gaz, 
et il va imprégner directement les muscles, mais aussi le tissu nerveux 
pour lequel il a une affinité spéciale. A l’autopsie, on trouve une dilata¬ 
tion vasculaire énorme, consécutive à la violente constriction survenue 
au moment de l’empoisonnement. 

Les malades intoxiqués par l’oxyde de carbone peuvent donc être 
pris pour des paralytiques généraux ; ils présentent des troubles de 
l’automatisme cérébral ; ils peuvent dédoubler leur personnalité. Leur 
guérison exige une grande persévérance ; on essayera l’hypnotisme, on 
tonifiera le système nerveux, on exaltera la fonction respiratoire par 



314 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


des bains d’oxygène comprimé. Mais pour débarrasser complètement 
un malade de son oxyde de carbone, il faut quelquefois des années ; si 
on ne le soigne pas, il deviendra vite un dément. 


MÉDECINE PROFESSIONNELLE 


A propos de la pétition des masseurs et magnétiséurs. 

par le docteur L. Salomon (de Savigné-rEvéque) 

Il est urgent d’examiner quelle attitude le corps médical doit prendre 
en face des prétentions des magnétiseurs, qui veulent faire réformer 
l’article 16 du 30 novembre 1893, réglant l’exercice de la médecine. Cet 
article, en effet, est devenu menaçant pour eux, depuis qu’un récent 
arrêt a condamné l’exercice de leur art. 

C’est au Syndicat de la Sarthe que revient le mérite d’avoir posé net¬ 
tement devant les tribunaux, la question des magnétiseurs, en faisant 
poursuivre la femme Blin, et c’est au Syndicat d’Angers que revient 
l’honneur d’avoir fixé la jurisprudence, en poursuivant Mouroux jusqu’en 
Cour de cassation, et en le faisant condamner par la Cour de Rennes. 

C’est à cet arrêt de la Cour de Rennes, ^que l’on doit attribuer l’émoi 
des magnétiseurs, qui, se voyant désormais traqués, et sous le coup de 
poursuites pour exercice illégal de la médecine, ont eu l’idée de faire 
circuler une pétition, qui est aujourd’hui couverte de signatures, non 
seulement de magnétiseurs et de masseurs, mais d’individus appartenant 
à tous les mondes. D’après l'Eclair, qui en donne le texte, cette pétition 
a été déposée le mois dernier sur le Bureau de la Chambre, par un dé- 
puté-médecin , qui se propose de la défendre. Elle est accompagnée d’un 
rapport, se terminant par une proposition de loi, modifiant l’article 16, 
de façon à permettre à tout le monde de soigner tous les malades, par 
n’importe quel procédé (magnétisme, massage,électricité, hydrothérapie» 
etc., etc.), à la seule condition de ne pas administrer de médicaments. 
C’est la porte ouverte à deux battants aux charlatans et aux rebouteurs 
de toutes sortes ; rien ne saurait échapper à cette tolérance, non seule¬ 
ment médicale mais chirurgicale (car, avec l’entorse, les fractures, la 
luxation et les contusions de toute nature rentreront bien vite dans le 
domaine des masseurs). 

L ’Éclair fait suivre les protestations des magnétiseurs, de quelques 
considérants qui enlèvent le dernier doute que nous pourrions avoir sur 
les intentions des pétitionnaires: 

a Cette pétition, qui reçoit de nombreuses signatures, sera suivie d’un 
« projet de loi portant modification à l’article 16, lequel projet émanant 
« d’un député-médecin sera déposé à la fin du mois. 

« Les organisateurs de ce pétitionnement font valoir que les facultés* 
« le don, le pouvoir de guérir les malades, n’appartiennent qu’à un 
« petit nombre d’individus. » 



MÉDECINE PROFESSIONNELLE 


315 


Bien entendu, en dehors de toute connaissance spéciale, ce qui veut 
dire en bon français, que n'importe qui, le plus illettré comme le plus 
savant, peut guérir mieux que le médecin préparé par des études 
sérieuses à son art. 

L’ÉcJair ajoute : 

» 

« Les médecins ne peuvent pas toujours avoir le pouvoir de guérir 
« qui exige des dispositions physiques et morales particulières.» 

C’est eh cela que consiste la plus grave erreur assez généralement 
répandue, que tous les individus n’ont pas d’aptitudes suffisantes aux 
exercices du magnétisme. Avec l’éducation et la pratique, tous, nous 
pouvons répéter ces expériences des professionnels, qui nous surprennent ; 
c’est notre indifférence coupable pour cette branche importante de la 
thérapeutique, l’hypnotisme, qui fait le triomphe des charlatans qui l’ex¬ 
ploitent; pour faire comme eux, nous n'avons qu’à nous en donner la 
peine, et nous aurons ce don physique que VÉclair attribue à certains 
hommes, à l’exclusion des autres. Quant au don moral qui nous est 
refusé, cette affirmation est peu flatteuse pour nous, surtout lorsque 
nous nous apercevons que cette comparaison, peu avantageuse pour le 
médecin, est faite avec des aventuriers, d’une moralité aussi douteuse 
que celle de Donato et autres charlatans. Et alors, l’auteur de l’article 
s'apitoie sur le sort des magnétiseurs, « qui pouvaient jusqu’ici exercer 
a sans crainte leur action bienfaisante, et qui ont vu cette tolérance dispa- 
« raître depuis l’arrêt de la Cour de cassation ». Et pourtant, toujours 
suivant VÉclair, « quoi de plus juste, que celte tolérance. Le même 
« praticien ne peut embrasser toutes les branches de l'art de guérir; ne 
« pourrait-on pas diviser le travail entre deifx ordres de praticiens: les 
« médecins qui continueront à traiter les affections qui exigent une 
« thérapeutique médicamenteuse et compliquée, et des praticiens moins 
« instruits : magnétiseurs, masseurs, et qui appliqueraient les ressources 
a de leur art au traitement des affections qu’ils sont plus aptes à guérir. 

a D’après le D r Chevandier, le rapporteur de la loi, l’article 16 ne vise 
« pas les magnétiseurs ni les masseurs, ainsi qu’il a eu soin de l'écrire 
« au comte de Constantin, le Président du Congrès du magnétisme de 
« 1897. Eh bien, malgré cette opinion d’un homme si bien placé pour 
« interpréter la loi, Mouroux a été condamné ». 

C’est la lecture d’un tel article qui a déterminé le D r Ledrain à deman¬ 
der la convocation du bureau du Syndicat des Médecins de la Sarthe. 
La pétition qui est l’objet de l’article semble menacer de très près notre 
monopole, d’autant plus que les masseurs et magnétiseurs ont eu soin 
de comprendre parmi les personnes devant profiter du même privilège 
tous les guérisseurs. 

Cependant, les magnétiseurs sont mal inspirés, lorsqu’ils invoquent 
la tolérance qui leur était accordée ; cette tolérance, en effet, est toute 
nouvelle, elle date à peine de 1885. Avant cette époque et dans tous les 
temps, leur pratique a été regardée comme dangereuse et considérée 



316 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


comme exercice illégal de la médecine, et cela, non seulement en France, 
mais dans tous les pays civilisés. 

Mesmer, lui-même, que sa qualité de médecin aurait dû mettre à 
l’abri, a été l’objet d’une enquête, sa pratique ayant déterminé en se 
vulgarisant des crimes de toutes sortes, et en particulier des attentats 
aux moeurs et à la morale publique. ' 

Le 9 mars 1784, c’est le lieutenant-général de police, qui, chargé de 
faire un rapport à ce sujet, déclare que pour faire cesser tous ces scan¬ 
dales, il est urgent de promulguer une loi réprimant l’exercice du magné¬ 
tisme. 

Le 11 octobre 1825, l’Académie de médecine demande la répression 
de la pratique des magnétiseurs, rappelant que, dans les pays du Nord, 
où elle est très répandue, elle est prohibée ou réglementée. En effet, en 
1825, en Russie, l’empereur Alexandre rendit un ukase défendant l’em¬ 
ploi du magnétisme par d'autres que par le médecin. 

En 1887, le roi de Danemarck admet le magnétisme dans la pratique 
médicale seulement. La même année, le roi de Prusse n’autorise que 
les médecins à pratiquer le magnétisme. 

En 1815, l’Autriche réserve aux médecins seuls le droit de faire du 
magnétisme. 

Pondant ce temps, en France, les magnétiseurs sont considérés comme 
exerçant illégalement la medecine. 

Le 19 mars 1874, la cour d’Aix établit, par un jugement, qu’il y a 
exercice illégal de la médecine de la part de l’individu qui traite 
par le magnétisme, alors même que ce traitement serait gratuit. 

En 1852, la cour de Douai condamne à 25 francs d’amende un ama¬ 
teur qui a déterminé par le magnétisme, chez un jeune garçon, des 
accidents qui durent plus d’une année. 

En 1850, les époux Mongruel et leur complice, le D r Grubouski, 
sont- condamnés pour exercice illégal de la médecine, à la suite de 
pratiques de magnétisme. La Cour de Bordeaux les condamne à un an 
de prison. 

Le magnétisme a donc eu les honneurs de l’audience jusqu’en 1885, 
et à chaque fois il y a eu condamnation. Ce n’est qu’à partir de cette 
époque, assez rapprochée de nous, que les magnétiseurs semblent trou¬ 
ver grâce devant les juges. 

Le comte de Constantin n’est pas le seul membre de la noblesse qui 
ait défendu la cause des magnétiseurs ; nous pouvons placer à côté de 
lui de grand noms : de Puységur, du Pottet, et enlin nous trouvons, 
« étalant dans l’ouvrage de Gilles de laTourette, un certificat du duc de 
La Rochcfoucauld-Doudeauville et une lettre du comte d’Hédouville. 
Tous semblent inspirés par une conviction profonde. 

En effet, ce qui a fait la fortune des magnétiseurs, c’est qu’ils ont 
y né ri un grand nombre de malades abandonnés parles médecins. Le 
|) r Lcdrain raconte qu’au procès de la femme Blin, il a vu défiler un 
grand nombre de témoins, qui tous affirmaient avoir été guéris d’affec- 



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Entre des rxa_x? xxixes :xe :fües dx x x*. .x. xx\.:x; ;;x 

ment immoral et xaxxerexi. vx x - x -:s; y.x> a cxxg;xr ix> \ :;.;xs 
des charlatans gxi ! exi:i::ex:. ; x.. x:xx gxax; d: ab x:x 0 x xx ‘ x"- 

nêteté nécessaire, :x: if:f rxxixe irsaxeidexts ::rr bhs. îxxi x,; yx xix 
vue physique qxfax x ::x: devxe xirrah K est xxxx r.: xxssx.re ;,,x xx> xra 
tiques dangereuses s::ex; reglf xiex:ées et tombent xxrxrii ;xxxxr; xi axs 
le domaine médical. Pour cela, il faut d'abord qui! ne s x ; * y'xs vx> s * 
sible de nous adresser le reproche d'rtre incapables d *env.\o\cr ; x\ x- 
notisme au traitement de nos malades. Il faut que nous nous emparions 
par la pratique d'une méthode quia fait ses prouves, et s <! esterai, 
comme le disent les magnétiseurs, que le praticien ne peut pas tout faire, 
eh bien, l'hypnotisme pourra devenir pour quelques-uns d entre nous 
une spécialité, comme l'électricité. 

Dans tous les cas, nous devons défendre, le client contre le magnéti¬ 
seur et autres charlatans, et bien démontrer aux pouvoirs publics 
qu’il est en effet urgent de modifier la loi, mais pour la rendre plus 
rigoureuse, contre des individus qui compromettent la santé publique. 

L’hypnotisme, le massage, l'électricité, l’hydrothérapie, sont des 
méthodes thérapeutiques très utiles, mais elles deviennent nuisibles 
lorsqu’elles échappent à la direction médicale. 11 est grand temps de 
les rendre au médecin, si l’on désire voir disparaître les accidents 
qu’elles occasionnent entre les mains des ignorants. Alors on ne \orra 
plus d’accidents nerveux touchant l’aliénation mentale, après des pra¬ 
tiques d’hypnotisme mal dirigées ; le massage ne déterminera plus la 
mort subite, par son application intempestive à la phlébite ; l'electricité 
ne mettra plus en état de contracture les membres do certains paraplé¬ 
giques, traités par les courants interrompus. Enfin, I on no verra plus 
d’albuminuriques victimes de l’hydrothérapie employée mal è propos, 
Sur la proposition qui en est faite, le bureau du Syndicat dos Médecins 
de la Sarthe décide qu’il sera demandé a l’Union don Syndicats de l’aire 
le nécessaire auprès des confrères députés, afin d’ompéchcr la pétition 
des magnétiseurs d’être accueillie favorablement par le Parlement et 
d’avoir la suite qu’ils espèrent. 







318 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le D r Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 15 avril 1902. 

Les médecins et les étudiants sont invités à y assister. 

Avis important. — M. le B r Paul Farez, secrétaire-général-adjoint, 
93, rue de Courcelles, Paris, a accepté de remplir les fonctions de tréso¬ 
rier. Pour faciliter les recouvrements, les Membres de la Société sont 
invités à lui adresser le montant de leurs cotisations. 


Liseur de pensée, liseur de muscles, et sensibilité tactile. 

Nous avons reçu de M. Giard, professeur à la Sorbonne, une très 
flatteuse et très intéressante lettre de laquelle nous détachons le passage 
suivant : 

« Dans une récente communication de M. Bloch à la Société de Bio¬ 
logie, je relève un passage . qui me paraît avoir quelque intérêt et 
appuyer d’une façon singulière l’explication si ingénieuse donnée par le 
D r Farez des procédés des liseurs de pensée (liseurs de muscles) (*). Ce 
n’est pas sans raison que la main du conducteur est placée sur lu 
tempe ! » 

La communication dont il s’agit est intitulée le Sens de VAuto-Topo¬ 
graphie. M. A.-M Bloch y étudie le degré de précision et d’exactitude 
avec lequel nous localisons sur les différentes parties du corps le point 

sur lequel nous exerçons un contact. « L’inspection de la Ggure 

montre les degrés de la sensibilité qui, faible au front, augmente à 
mesure qu’on descend vers le nez, les joues, le menton ; enfin, elle met 
en relief un fait inattendu, à savoir, l'augmentation de la précision 
sensorielle vers les côtés de la face , TEMPES et joues, par rapport à 
la partie antérieure. » 

Il n’est donc pas étonnant que le soi-disant liseur de pensée applique 
systématiquement la main conductrice' à sa tempe, puisque cette 
région est précisément celle où se percevront avec le plus de netteté les 
mouvements musculaires desquels dépendra la réussite des expériences. 

(1) Revue de l’Hypnotisme, février 1902, p. 240. 




CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


319 


La Psychologie est la science de la volonté 

Dans un récent article publié dans la Révue Thomiste, sous le titre : 
Les limites de la. biologie, M. le professeur Grasset, de Montpellier, 
s’applique à démontrer l’autonomie de la psychologie en tant que seience 
particulière. D’après lui vouloir concilier les sciences morales et les 
sciences naturelles, autant chercher à rétablir la paix dans un ménage 
divisé par l’incompatibilité d’humeur. Mieux vaut reconnaître que la 
Biologie n’est pas apte à tout expliquer et, quelque étendu que soit son 
domaine, qu’il y a quelque chose qui lui échappe. Ce « quelque chose » 
doit être l’objet de la Psychologie. 

« On a fait de grands efforts dans ces derniers temps, écrit le profes- 
« seur Grasset, pour supprimer l’individualité de la Psychologie et la 
« noyer dans la physiologie, et par suite dans la Biologie. C’est avec les 
« appareils enregistreurs, dans les laboratoires de physiologie et à la 
« Salpêtrière, que l’on étudie la Psychologie aujourd’hui. Il est certain 
« que, les diverses parties de notre humanité étant étroitement soli- 
« daires, il y a des chapitres-frontières que le psychologue ne. peut 
« étudier qu’en connaissant la physiologie notamment du système 
« nerveux : c’est là l’objet d’une science récente qui n’a pas dit son 
« dernier mot, la psycho-physiologie. Mais on ne peut pas plus supprimer 
« la psychologie qu’on ne peut supprimer la physiologie elle-même, en 
« la remplaçant par la psycho-physiologie. La psychologie est une 
a science à part qui a ses modes et procédés d’étude et son objet, spé- 
« ciaux et distincts de ceux de la Biologie. Son mode spécial de connais- 
« sance est ce que l’on appelait autrefois la conscience : c’est l’observation 
« intérieure, l’auto-observation. » 

. « Selon la définition de Fouillée, la psychologie serait, en dernière 
« analyse, la seience de la volonté , de même que la physiologie est la 
« science de la vie. » 


Coprophages 

Une secte bien étrange, qui s’intitule « les mangeurs d’immondices, » 
vient de se fonder à Saint-Louis. 

Le fondateur et chef de la nouvelle communauté, M. William Winsor 
prétend que son système est basé sur des études scientifiques. Il invoque 
l’exemple des bêtes qui ont un goût naturel pour la coprophagie. 

i Elles ne souffrent, dit-il, jamais de maux d’estomac tandis que les 
hommes sont atteints de toutes sortes de dyspepsies. » 

Les disciples de M. Winsor, prennent chaque jour une cuillerée « d’im- 
mondice » qui n’est autre chose que de la vase du Mississipi. 

Il faut dire que M. Winsor, qui collectionne cette matière, la stérilise 



320 REVUE DE L’HYPNOTISME 

et la vend ensuite par petits paquets du prix d’un franc vingt-cinq cen¬ 
times. 

A quand l’exploitation de l’eau de Seine par des « coprophages » pari¬ 
siens ? Elle est riche, l’eau de Seine. 


Cours du docteur Bérillon. 

A L’ÉCOLE PRATIQUE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE 


M. le docteur Bérillon, médecin inspecteur des-asiles d’aliénés, direc¬ 
teur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera, le lundi 21 avril, à 
cinq heures du soir, à l'École pratique de la Faculté de médecine, 
amphithéâtre Cruveilhier, un cours libre sur les Applications psycho¬ 
logiques, cliniques et thérapeutiques de l'hypnotisme. 

Il le continuera les Lundis et Jeudis suivants à cinq heures. 


Lundi 21 Avril. 

Jeudi 24 Avril. 
Lundi 28 Avril. 
Jeudi 1 er Mai . 
Lundi 5 Mai. . 

Jeudi 8 Mai. . 
Lundi 12 Mai . 

Jeudi 15 Ma i . 


PROGRAMME 

L’hypnotisme. — Phénomènes généraux et défi¬ 
nitions de l’hypnotisme.— Rôle de l’hypnotisme 
en psychologie et en médecine. 

La technique de l’hypnotisme. —Les procédés 
pour provoquer les états profonds de l’hypnose. 

La suggestibilité et l’hypnotisme. — Mécanisme 
de la suggestion. 

Phénomènes somatiques de l’hypnotisme. — Les 
rapports de l’hypnotisme avec l'hystérie. 

Phénomènes psychiques de l’hypnotisme : illu¬ 
sions ; hallucinations ; variations de la person- 

• nalité, etc. 

Fête de l’Ascension. 

Psychologie des fonctions de la vie organique. — 
L’hypnotisme et les phénomènes vaso-moteurs. 
Méthode graphique. 

Applications psychologiques, cliniques, thérapeu¬ 
tiques et pédagogiques de l’hypnotisme. — La 
méthode hypno-pédagogique. 


Le cours sera complété par des démonstrations expérimentales, à 
l’Ecole de Psychologie, 49, rue St-André-des-Arts (le Jeudi à 10 h. 1/2). 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUËJEU rue Gerbert, 10. 




REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16« Année — N° H. 


Mal 1902. 


La sociologie criminelle (') 

Par M. le professeur Niceforo, de Lauzanne 


On croit généralement que lorsqu’on sait par cœur les quatre 
ou cinq cents articles qui composent un code pénal, et lorsqu’on 
a fait ^analyse logique et grammaticale de ces articles, — on a 
épuisé le domaine de la science criminelle. 

La plupart croient que la science qui s’occupe de l’homme 
criminel n’est que l’étude de la pénalité qui attend le criminel 
et l’analyse de la façon dont cette pénalité doit être mesurée 
pour chaque criminel. — En effet, le droit pénal d’aujourd’hui 
se limite à peser, d’un côté la quantité du crime, et cherche à 
mettre, sur l’autre côté de la balance, une dose de pénalité qui 
rétablisse le prétendu équilibre moral. 

On oublie complètement, ainsi, une autre partie de la science 
du crime, une partie fondamentale : la partie qui étudie les causes 
de la criminalité et le criminel lui-même. 

Je pense que, pour la science comme pour la société, il ne 
suffît pas d’affirmer que le crime est une infraction à la loi 
pénale, infraction que le code punit avec une certaine quantité, 
plus ou moins lourde, de prison. Il faut savoir pourquoi 
l’homme devient criminel, pourquoi on commet des crimes. En 
un mot, il faut savoir quelles sont les causes générales et spé¬ 
ciales de la criminalité. C’est uniquement en connaissant les 
causes d'un phénomène dangereux, que vous pouvez agir sur 
ce phénomène en cherchant à couper ses racines ; — c'est-à- 
dire en agissant sur ses causes. 

Jusqu’à présent la science qui étudie le crime s'était bornée 
— à étendre la liste sèche et aride des crimes, et à décréter, 


(1) Leçon faite à l’Université de Lausanne. 




322 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


pour ces crimes, des peines, qui se rapprochaient plus de la 
vengeance de la société offensée que de la défense de la société 
assaillie. Les savants employaient tout le phosphore de léurs 
cerveaux pour peser la grandeur du crime d’un côté et pour 
appliquer de l’autre un poids égal de pénalité. 11 est évident, 
au contraire, que la science du crime doit être plus large, plus 
moderne, et plus scientifique. —11 ne suffit pas de faire un 
catéchisme criminel dans lequel sont numérotés les crimes et 
leurs peines. Il faut d’abord étudier les causes de la criminalité 
et chercher, après, des mesures qui, d’un côté préviennent les 
crimes en diminuant leurs causes, et qui, de l’autre côté, répri¬ 
ment les crimes qu’on n’a pas pu empêcher. 

Comme vous voyez, le droit pénal d’aujourd’hui ne comprend 
qu’une seule branche de cette science nouvelle, c’est-à-dire la 
branche qui s’occupe de réprimer directement les crimes. 
Le droit pénal d’aujourd’hui considère le crime comme un 
phénomène qui naît du néant. Il ne cherche pas, — il ne veutpas 
chercher pourquoi le crime est né. Il lui suffit d’avoir le crime. 

L’expérience a démontré qu’on ne peut pas lutter contre le 
crime avec les codes modernes. La lutte rationnelle contre le 
crime exige que la société, avant de perdre son temps à réprimer 
des faits dont les causes continuent à survivre, doit chercher à 
couper jusqu’aux racines, ces causes, — et seulement après on 
pourra et on devra penser à la répression. 

Il s’agit donc de substituer au droit pénal, qui, — comme nous 
le verrons dans la suite, —est non seulement une doctrine qui 
n’a pas une véritable valeur scientifique, mais aussi une 
doctrine sans valeur pratique, car elle n’a pas diminué la 
marche du crime, — il s’agit donc, dis-je, de substituer au 
droit pénal, une science plus large qui étudie les causes de la 
criminalité et qui, en s’appuyant sur les résultats de cette 
étude, cherche à lutter contre l’augmentation ou la stagnation 
de la criminalité. 

J’appelle cette nouvelle science la sociologie criminelle, et 
c’est justement de la Sociologie Criminelle que nous parlerons 
aujourd’hui et dans les leçons suivantes. 

Je vous ai dit que la sociologie criminelle étudie, d’abord, les 
causes de la criminalité. 

Le droit pénal, dans cette partie, se tire d’affaire d’une façon 
_ aussi erronée que simple. La cause du crime, selon lui, est le 
libre arbitre du criminel. Le crime n’aurait ses racines que dans 
la libre volonté du criminel. 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE ' 


323 


Les sciences naturelles ont démontré que tout phénomène du 
monde organique et inorganique est le résultat, non seulement 
des causes intérieures, mais aussi des causes extérieures. 
Le crime n’échappe pas à cette loi. Le crime n’est pas seule¬ 
ment le résultat du cerveau humain. Il est aussi le résultat du 
milieu dans lequel le cerveau vit, pense et agit, et ce milieu 
est, — soit le milieu social , c’est-à-dire la société, soit le milieu 
physique, c’est-à-dire le climat, l’altitude, la latitude, etc., etc., 
— le milieu géographique, en un mot. 

Les causes de la criminalité sont donc triples : 

1° La constitution organique et psychologique de l’individu ; 

2° Le milieu social ; 

3° Le milieu géographique. 

On peut très bien comprendre les règles qui gouvernent les 
causes de la criminalité en se souvenant des règles qui, en 
mécanique, gouvernent le parallélogramme de forces. Vous 
savez qu’un corps quelconque, mis sous la pression de forces 
diverses qui le poussent en directions différentes, n’obéit à 
aucune de ces forces, mais suit une direction qui est la diago¬ 
nale des parallélogrammes qui peuvent se construire sur les 
lignes de ces forces. Cette diagonale est la résultante des diffé¬ 
rentes forces qui agissent sur le corps. 

L’homme est toujours comparable à ce corps sous la pression 
de mille forces différentes qui cherchent à le pousser dans diffé¬ 
rentes directions. Il obéit, comme le corps, à la résultante. C’est 
ainsi que l’homme est poussé au crime ou éloigné de lui par 
plusieurs forces. Il obéit à la résultante. 

Le droit pénal moderne croit que le crime n’est qu’une force 
unique, dépendant surtout du libre arbitre de l’individu, tandis 
qu’il est, au contraire, la résultante d’un ensemble de cent et 
cent forces, comme la rivière est la résultante de cent et cent 
affluents. 

Nous étudierons toutes ces causes (causes individuelles, 
causes sociales et causes physiques) que le droit pénal n’étudie 
pas. Il est bien étrange, en effet, qu’une science qui étudie le 
crime et sa répression, mette dans une espèce de quarantaine 
scientifique les causes du crime. Il n’y a pas une science qui, 
en se donnant pour but l’étude d’un phénomène quelconque, 
ne commence par l’étude des causes qui produisent ce phé¬ 
nomène. 

Pourquoi donc, la science du crime devrait-elle être une 
exception? Cela constitue, justement, une des nombreuses 



324 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


lacunes que nous trouverons dans le droit pénal conçu comme 
doctrine scientifique et que la Sociologie Criminelle tâche de 
combler. 

Comme vous le voyez, la profonde différence initiale entre le 
droit pénal et la sociologie criminelle, qui est l’amplification, 
la modernisation et la vivification du droit pénal, consiste 
surtout dans ceci : le droit pénal étudie le crime sur le code 
pénal; la sociologie criminelle étudie le crime sur les faits vrais 
et palpitants de la vie criminelle. Le droit pénal étudie le 
crime comme un phénomène abstrait et oublie complètement, 
soit l’étude du criminel, soit l’étude des causes qui ont formé 
le criminel ; — la sociologie criminelle, au contraire, étudie le 
crime comme la résultante de causes individuelles, sociales, 
et physiques, et loin d’oublier le criminel elle commence par 
l’étudier. 

La sociologie criminelle donc, a introduit dans le droit pénal 
le courant scientifique qui s’appelle positivisme et qui dit : je 
veux que les doctrines et les théories s’appuient non sur 
d’autres théories, mais sur des faits, sur des observations, et 
sur des études expérimentales. Car il n’y a pas de science 
durable qui ne s’appuie sur des faits et des observations. 

Les faits sont de la monnaie en or, tandis que les théories 
abstraites ne sont que des billets d'une banque sans valeur. 

Il est facile après tout cela, de voir que le courant scientifique 
qui a créé la sociologie criminelle est un courant tout à fait 
opposé à celui qui a créé les codes pénals modernes et qui 
s’appelle courant de Vécole classique. 

Ces deux courants, en effet, sont la manifestation extérieure 
des deux courants philosophiques que vous verrez pousser 
partout où pousse la grande sève de la pensée humaine. 

Partout vous trouverez que l’homme a cherché la vérité avec 
deux systèmes, deux armes, deux guides : ou la métaphysique ou 
le positivisme. 

La métaphysique part d’un principe déterminé que personne 
n’a jamais démontré et que personne ne démontrera jamais, 
— et sur ce principe elle bâtit ses théories et ses affirmations. 
Le positivisme, au contraire, qui est le plus récent, ne part 
que des faits et des observations, et par ces faits et ces obser¬ 
vations il cherche la vérité. La métaphysique n’est jamais une 
démonstration : elle est toujours une foi, — et bien souvent une 
foi aveugle. Le positivisme, au contraire, n’est jamais une foi — ; 
il est toujours une démonstration. 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE 


325 


On pourrait comparer la métaphysique et le positivisme à 
deux pyramides dont l’une — la métaphysique — s’appuie sur 
sa pointe et l’autre, le positivisme, sur sa base. 

Et cela parce que la métaphysique part d’un seul principe a 
priori , pour expliquer l'univers entier — tandis que le positi¬ 
visme part d’une multitude de faits et d’observations pour 
remonter au sommet de la vérité. (Spencer). 

Il n’y a pas à douter que la pyramide qui repose sur la base 
est bien plus sûre, dans son équilibre, que celle qui repose 
sur la pointe, et que les théories qui reposent sur des faits, 
sont bien plus proches de la vérité que celles qui reposent 
sur un unique principe a priori qui n’a jamais été démontré. 

Ces deux méthodes de recherches scientifiques partagent en 
deux camps opposés et ennemis toute manifestation de la pensée 
humaine. 

Il suffît de regarder autour de nous pour nous en apercevoir. 
Dans les sciences naturelles, l’évolutionnisme de Lamarck et 
de Darwin est le résultat logique du positivisme, qui a étudié 
les faits de la vie animale et humaine. Mais ceux qui se font 
conduire par la métaphysique nient l’évolutionnisme, c’est- 
à-dire l’observation, et ferment les yeux plutôt que de recon¬ 
naître les faits qui, par milliers, nous démontrent que l’homme 
n’est que le résultat le plus brillant et le plus récent de l’évo¬ 
lution animale. 

Dans les sciences qui étudient les sentiments et la pensée de 
l’homme, c’est-à-dire dans les sciences psychologiques, vous 
trouverez le même dualisme. Ceux qui font de la psychologie 
en se refusant à étudier dans la chair palpitante le système 
nerveux de l’animal et de l’homme, ceux qui ont la prétention 
d’étudier la pensée de l’homme sans avoir étudié d’abord 
l’homme lui-même, — ceux-là, dis-je, affirment que la pensée, 
la volonté, etc., etc., ne sont que des choses abstraites soufflées 
par je ne sais qui dans le cerveau humain. Mais ceux qui se 
défient de la métaphysique et qui préfèrent étudier les faits, — 
ont commencé par l’étude anatomique et physiologique du cer¬ 
veau et du système nerveux et ils ont trouvé par milliers les 
faits qui démontrent que les sentiments et la pensée ne sont 
que des fonctions organiques de la matière, comme la sécré¬ 
tion est une fonction de la glande, — la bile une sécrétion du 
foie. 

Même dans la géologie, qui, en étudiant les mystérieuses 
transformations de la matière qui forme notre globe, semble 



326 


RETUE DE L’HYPNOTISME 


devoir se tenir éloignée de cette question, — même dans la géo¬ 
logie, il y a ceux qui bâtissent leurs systèmes sur des idées 
métaphysiques et ceux qui ne consultent que les faits. Les uns 
vous diront que la terre et les animaux fossiles ne sont que le 
résultat des créations séparées, successives et complètes, 
issues du néant ; — les autres vous démontreront qu’il ne s’agit 
pas de créations successives, mais de transformations lentes 
et continues de la même matière. Ils vous diront, après avoir 
recueilli les faits, que la terre s’étant développée de la nébu¬ 
leuse solaire, a transformé, moyennant des lois tout à fait 
naturelles, la vie organique et a formé toute l’échelle zoolo¬ 
gique, — depuis les formes primitives et inférieures jusqu’à 
l’homme. 

Il faut bien reconnaître que le positivisme a gagné presque 
partout, dans le monde des sciences naturelles, et aussi dans 
la psychologie (car la psychologie aussi est une science natu¬ 
relle), la bataille qu’il a livrée avec tant d’ardeur à la métaphy¬ 
sique. Un des exemples les plus évidents de la lente, mais sûre 
et complète victoire du positivisme sur la métaphysique, est 
la façon dont on concevait et dont on conçoit maintenant les 
maladies mentales et nerveuses. Dans les ténèbres du moyen 
âge, éclairées seulement par les flammes des bûchers allumés 
par l’Eglise de Rome, la métaphysique, qui a toujours été la 
sœur jumelle de la superstition religieuse, expliquait les ma¬ 
ladies nerveuses et mentales par l’influence diabolique, et soi¬ 
gnait les fous en les brûlant, comme des hérétiques. Après, 
quand la force de l’Eglise fut diminuée et que la mode des 
bûchers passa, on mit les fous dans les chaînes et on les traita 
comme aujourd’hui nous traitons nos criminels. C’était tou¬ 
jours la science métaphysique qui, en se refusant d’étudier les 
fous, expliquait toujours la folie par les influences diaboliques. 
Mais quand, moyennant les recherches scientifiques, on com¬ 
mença à s'occuper directement des fous et de la folie, c’est- 
à-dire quand le positivisme scientifique commença à être appli¬ 
qué aux sciences médicales, les médecins trouvèrent que la 
folie était une maladie organique. Alors les chaînes tombèrent 
comme étaient déjà tombés les bûchers — et les maisons 
d’aliénés surgirent. 

Mais quand on a essayé, il n’y a pas longtemps, de trans¬ 
planter la méthode positive, qui avait si bien vivifié les sciences 
naturelles et médicales dans le champ fermé des sciences 
sociales et juridiques, les métaphysiciens, qui étaient les rois 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE 


327 


de ces doctrines, ont opposé une résistance d’autant plus 
acharnée qu’aveugle. 

Tandis que la méthode positiviste devenait la règle dans 
les sciences naturelles, — elle n’était que l’exception dans les 
sciences sociales. C’est justement à ces deux courants tout à 
fait opposés, le courant métaphysique d’un côté et le courant 
positiviste de l’autre, — que se rattachent les deux écoles cri¬ 
minelles dont nous parlions tout à l’heure : l’école classique et 
l’école positiviste. L’école classique a créé les codes pénals 
modernes ; — elle s’est limitée à bâtir des théories abstraites 
sur le crime. — L’école positiviste a créé la sociologie crimi¬ 
nelle ; — elle a cherché à étudier les criminels, les milieux cri¬ 
minels, les prisons, et, surtout, elle a cherché les moyens 
pratiques pour empêcher l’augmentation du crime. 

Ce qui a donné une grande force à la sociologie criminelle, 
c’est qu’elle s’est développée en prenant pour base les con¬ 
quêtes récentes des sciences naturelles et médicales. L’école 
classique, au contraire, qui a commencé avant les découvertes, 
tout à fait récentes, des sciences naturelles, surtout de la psy¬ 
chologie expérimentale et de la psychiatrie (cette science mer¬ 
veilleuse qui étudie toutes les gammes de la folie et des ma¬ 
ladies nerveuses), l’école classique, dis-je, a continué à se 
développer en dehors des découvertes de ces sciences. Elle a 
continué sa route, ignorant et voulant ignorer qu’il existât des 
sciences qui avaient grandi et qui avaient donné une base nou¬ 
velle à la conception de la vie humaine. 

La sociologie criminelle, au contraire, a pris comme point 
de départ, soit la méthode qui avait révolutionné les sciences 
naturelles, soit les découvertes indéniables de la psychologie 
expérimentale et de la psychiatrie. En effet, il aurait été bien 
étrange qu’une science qui, comme la science criminelle, avait 
pour but l’étude de l’homme criminel, eût fermé les yeux devant 
les découvertes de deux sciences qui, comme la psychologie 
et la psychiatrie, donnaient des bases nouvelles à l’étude de 
l’homme. Le droit pénal classique a ignoré ces découvertes, la 
sociologie criminelle, par contre, en a absorbé les résultats, et 
voilà la raison de sa naissance. 


(A suivre). 



328 


REVUE DE L HYPNOTISME 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du mardi 18 Février 1902. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 40. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

La parole est à M. le Secrétaire Général pour la lecture de la corres¬ 
pondance. 

MM. les D" Bérillon et Gorinin traitent des Phénomènes réactionnels 
marquant la transition de l'état de veille à l'état d'hypnose. Prennent 
part à la discussion : MM. Paul Magnin, Lépinay et Jules Voisin. 

M. le D r Goste de Lagrave fait l’exposé d’un e Méthode d'auto-sugges¬ 
tion. Prennent part à la discussion: MM. Paul Magnin, LionelDauriac, 
Bérillon et Félix Régnault. 

M. le D r Paul Farez interprète un Cas de résistance partielle a la sugges¬ 
tion hypnotique. 

M. le Président met aux voix les candidatures de MM. les D rs Orlitzky 
(de Moscou) et Corinin (de Paris). Ces candidatures sont adoptées à l’una¬ 
nimité. 

La séance est levée à 6 h. 45. 


Petite méthode d’auto-suggestion. 

par M. le D r Coste de Lagrave. 

. I. — Définition. 

L’a uto-suggestion a pour but de se donner à soi-même une sugges¬ 
tion. 

L’auto-suggestion, pour donner de bons résultats, doit être pratiquée 
avec méthode. 

* 

¥ ¥ 

Le terme a uto-sug gestion s’emploie dans trois sens différents : 

1° h'auto-suggestion est l’ensemble de la pratique qui consiste à se 
donner une suggestion. 

2° L’a uto-sug gestion est la suggestion ou l’idée que la personne se 
donne à elle même. 

3° C'auto-suggestion est l’acte exécuté à la suite de la pratique de 
l’auto-suggestion. 

Pour différencier ces trois sens, on peut leur ajouter les termes sui¬ 
vants : 

1° Auto-suggeslion mise en pratique, ou pratique de l’auto-sugges- 
tion; 

2° Auto-suggestion idée, ou pensée, ou ordre ; 

3° Auto-suggestion résultante ou acte. 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 329 

Bien souvent, en sous-entendant auto-suggestion, on dit : l’idée propo¬ 
sée, la pensée proposée (par l’auto-suggestion). 

On dit également l’acte résultant en sous-entendant de l’auto-sug- 
gestion. 

II. — Du MEILLEUR MOMENT DE L’AUTO-SUGGESTION. 

Il est des conditions nécessaires à la pratique de l'auto-suggestion. 

Le meilleur état pour pratiquer l’auto-suggestion est la somnolence 
qui précède ou accompagne le sommeil. 

Dans cette somnolence toutes les facultés sont au repos. L’abstraction 
de l’individu peut être complète. Par abstraction on entend cette puis¬ 
sance de l’individu à se séparer du monde extérieur pour ne penser 
qu’à un seul objet. Certains savants, mathématiciens ou philosophes, 
sont arrivés à la puissance d’abstraction par un travail continu et par 
un entraînement obtenu dans la période de veille. Cette abstraction a 
lieu bien plus facilement dans la somnolence qui accompagne le som¬ 
meil. 

Plusieurs causes s’opposent à la pratique de l’auto-suggestion. Exem¬ 
ples : Bruits du dehors, mauvaise musique, bavardages entendus, 
coups de fusils, pour l’ouïe. — Froid aux pieds ou aux mains, chaleur 
exagérée pour les sensations de tact. — Douleurs, migraines, coliques, 
rhumatismes, névralgies dentaires ou autres, etc. 

Par conséquent il faut d’abord favoriser la pratique del’auto-sugges- 
tion et l'abstraction qui est nécessaire en assurant l’absence de distrac¬ 
tions et en supprimant les impressions qui s’opposent à cette pratique. 

La solitude, l’isolement sont très favorables. 

Si l’isolement ne peut être obtenu dans une grande ville ou même un 
village, on peut pratiquer l’auto-suggestion la nuit de 1 heure à 3 heu¬ 
res du matin, au moment où tout le monde dort. C’est en effet le meil¬ 
leur moment pour pratiquer l’auto-suggestion, car la somnolence que 
l’on obtient à ce moment est la plus parfaite pour l’abstraction et pour 
la pratique proposée. 

Il est d’autres moments pendant lesquels on peut pratiquer l’auto¬ 
suggestion. 

Le soir, étant couché, avant de s’endormir. 

Le matin, étant couché, avant de se lever. 

Ces deux moments de pratiquer l’auto-suggestion : 1° avant de s’en¬ 
dormir ; 2° après le sommeil de la nuit, ont chacun leurs avantages. 

1° Avant de s’endormir. Le sommeil ou la somnolence est favorisé par 
la fatigue de la journée et l’auto-suggestion se fait très facilement. Mais 
chez les débutants, il y a cet écueil, que le sommeil arrive dès les pre¬ 
miers moments de l’auto-suggestion. L’auto-suggestion est trop courte, 
le sommeil naturel qui succède involontairement y mettant fin. 

Le grand avantage de l’auto-suggestion pratiquée le soir avant de 
s’endormir, c’est que, après la pratique bien faite de l’auto-suggestion, 


11 . 



330 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


vient succéder le sommeil naturel de la nuit. Or le sommeil naturel de 
la nuit succédant à l’auto-suggestion, lui donne une puissance bien plus 
grande, deux ou trois fois plus grande ; l’auto-suggestion est bien plus 
parfaite et plus facile à exécuter. 

2° La pratique de l’auto-suggestion peut avoir lieu au réveil du matin 
chez le débutant; c’est le meilleur moment car il ne s’endormira pas de 
nouveau, et s’il s’endort il se réveillera facilement. A ce moment, l’indi¬ 
vidu est plus maître de son sommeil et de sa somnolence. L’inconvénient 
est qu’il faut se lever pour les travaux de la journée et que le temps 
nécessaire ne peut être consacré à la pratique de l’auto-suggestion. 

Les meilleurs moments de pratiquer l’auto-suggestion, pour une per¬ 
sonne expérimentée, sont, le soir avant de s’endormir ou la nuit en se 
réveillant. 

Pour le débutant, le meilleur moment est le matin. 

III. Comment pratiquer l’auto-suggestion 

L’auto-suggestion se pratique en se donnant mentalement une idée, 
une impression, un ordre, dans la somnolence la mieux appropriée. 

Le sujet, pour se donner le mieux possible cette idée, cette pensée, 
ou cet ordre, doit se les répéter mentalement plusieurs fois de suite. 

Le mieux serait de se répéter mentalement une seule pensée, indéfi¬ 
niment. Mais il faut des moments de repos carie travail d'auto-sugges¬ 
tion s'accompagne d’une certaine fatigue. 

Soit l’auto-suggestion avoir de bonnes idées, que le sujet veut se pro¬ 
poser. Le sujet se met d’abord dans la somnolence favorable. Puis il se 
répète mentalement cette idée, cette pensée, cet ordre : avoir de bonnes 
idées. 

L’avantage immense de l’auto-suggestion c’est que les bonnes idées 
viendront. Toutefois elles viendront dans la mesure de l’intelligence et 
du développement cérébral du sujet. Il n’y a pas d’autre moyen connu 
pour faire produire de bonnes idées à un individu qui n’en a pas l’habi¬ 
tude. Ce résultat est obtenu par la suggestion et par l’auto-suggestion. 
Le sujet agissant lui-même et sur lui-même, 

IV. — Premier exercice d’auto-suggestion. 

Le premier exercice d’auto-suggestion est de se réveiller et de s’en¬ 
dormir à volonté. 

1° Se réveiller à volonté. — C’est le premier exercice à eflectuer 
parce qu’il est nécessaire aux exercices suivants. On peut penser le soir 
en s’endormant : « Se réveiller au milieu de la nuit. » On répète men¬ 
talement cette pensée pendant vingt minutes environ en se reposant de 
temps en temps. Puis on s’endort en favorisant le sommeil. 

Il arrive le plus souvent que le réveil dans la nuit a lieu lors du pre¬ 
mier exercice. On en profite pour faire l’auto-suggestion de s’endormir 


L. 



SOCIÉTÉ d'hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 331 

et se réveiller de nouveau, pour fixer l’état de somnolence le plus voisin 
du sommeil. 

2° S’endormir à volonté. — Oet exercice se fait le soir, lorsque ayant 
terminé les exercices d’auto-suggestion, on veut dormir. Le sujet répète 
mentalement : « Dormir ». 

Le matin, si l’on s’éveille de bonne heure, on peut faire l’exercice 
d’auto-suggestiôn pour s’endormir très peu de temps. Il arrive, quand 
l’exercice est bien fait, que l’on s’endort pendant un quart d’heure ou 
vingt minutes. Quelquefois le sommeil dure seulement cinq minutes. 

Quand on est suffisamment expert, quand on a vérifié que l’on se 
réveille la nuit à volonté, et plusieurs fois par nuit, on pratique l’auto¬ 
suggestion pour les besoins du moment, pour les nécessités du lende¬ 
main, pour les devoirs à accomplir dans le temps à venir. 

V. — Du NOMBRE DES AUTO-SUGGESTIONS. 

Pour que l’auto-suggestion soit la mieux faite possible, il ne faut 
qu’une pepsée. 

S’il n’y a qu’une pensée proposée en auto-suggestion, c’est la pensée 
unique, c’est en quelque sorte l’analogue de l’idée fixe, préméditée, 
expérimentale. Cette pensée unique proposée en auto-suggestion, acca¬ 
pare toute la puissance de l’individu dans un seul but. 

Toutefois quand une seule idée est proposée en auto-suggestion, la 
fatigue arrive rapidement. Ce sont les-mêmes cellules cérébrales qui 
sont sollicitées et constamment en activité. Au bout de quelques minutes, 
la fatigue survient et elles ont besoin de repos. 

Pour obvier à cette fatigue provenant de l’auto-suggestion unique, le 
sujet peut pratiquer plusieurs auto-suggestions. Il pourra prendre trois 
ou quatre pensées et se les proposer l’une après l’autre. 

Mais quand on pratique plusieurs auto-suggestions, c’est aux dépens 
de la perfection de chacune d’elles. La force dont l’individu est capable 
étant répartie sur quatre auto-suggestions différentes, chaque auto-sug¬ 
gestion est exécutée avec moins de puissance et moins de perfection. 

Chaque pensée proposée en auto-suggestion devra être répétée men¬ 
talement un nombre de fois assez grand ; de dix à cinquante fois de 
suite. Et ce même travail sera exécuté successivement pour les autres 
auto-suggestions. 

Soit les auto-suggestions : 1° Avoir de bonnes idées. — 2° Ecrire. — 
3° Avoir de l'Ordre. 

Le sujet qui voudra se les proposer se mettra d’abord dans la sonu 
nolence favorable. 

Puis, 1° il répétera mentalement de dix à cinquante fois, a voir de 
bonnes idées , et il se reposera deux minutes. 

Puis, 2° il répétera mentalement de dix à cinquante fois, Ecrire , et se 
reposera deux minutes. 



332 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Puis, 3° il se répétera mentalement de dix à cinquante fois, avoir de 
Vordre et se reposera deux minutes. 

Voilà comment il devra s’y prendre théoriquement. 

, Le sujet répétera un ordre de dix à cinquante fois. Le nombre peut 
être variable. C’est la fatigue éprouvée qui doit le fixer. Quand la phrase 
est longue comme a voir de bonnes idées la fatigue arrive au bout de 
peu de fois, dix, vingt ou trente fois. Quand la phrase est courte, comme 
Ecrire , la fatigue arrive beaucoup moins vite. Au bout de quarante ou 
de cinquante fois seulement. C’est la fatigue qui doit régler le nombre 
de fois que l’idée est proposée mentalement. 

Le sujet choisit et reprend chaque idée un peu suivant son inspiration 
ét suivant le désir qu’il a d’accomplir l’acte. Par exemple, s’il tient da¬ 
vantage à l’auto-suggestion a voir de bonnes idées, c’est à celle-là qu’il 
reviendra le plus souvent ; les deux autres, écrire , a voir de Vordre , 
étant proposées moins souvent. Mais chaque fois que le sujet reviendra 
à une idée proposée, il devra se la répéter mentalement au moins dix 
fois de suite pour bien la fixer dans son esprit. 

Le nombre d'auto-suggestions qui peuvent être proposées facilement 
en une séance est de trois. A ce nombre, les auto-suggestions sont bien 
pratiquées et donnent des résultats certains. On peut aller jusqu’à 
quatre auto-suggestions différentes dans la même séance et avoir des 
résultats satisfaisants. Mais plus on augmente et moins les auto-sug¬ 
gestions sont bien exécutées. Si le nombre d'auto-suggestions propo¬ 
sées dans une séance est trop grand, le résultat est nul, négatif. Souvent 
plus de cinq auto-suggestions proposées en une séance ne donnent au¬ 
cun résultat. 

Cependant on peut tourner la difficulté. Le sujet pourra se proposer 
dans une séance deux auto-suggestions les plus vigoureusement dési¬ 
rées, il leur consacrera la plus grande partie du temps employé à cette 
séance. Ce sont les auto-suggestions principales. Puis un temps relati¬ 
vement très court sera consacré aux auto-suggestions secondaires. De 
la sorte le sujet pourra se proposer plus de cinq auto-suggestions. 

Exemple : Les auto-suggestions principales seront : 1 ° Ecrire y2°Avoir 
de bonnes idées. Ces auto-suggestions seront répétées aussi longtemps 
que le sujet le pourra, le temps sera limité par la fatigue seule. 

Les auto-suggestions secondaires seront : 1° Avoir de Vordre ; 2° Etre 
sage ; 3° Réussir ; 4° Plaire\ 5° Causer. C’est un exemple de cinq auto¬ 
suggestions secondaires qui pourront être exécutées comme repos, 
comme variété de travail intellectuel, lorsque les auto-suggestions prin¬ 
cipales auront amené la fatigue. De la sorte, ces auto-suggestions se¬ 
condaires seront salutaires. Leur résultat sera petit, modeste, en com¬ 
paraison des auto-suggestions principales, mais ce ne sont pas elles qui 
sont recherchées le plus, elles ne'sont pas difficiles à exécuter. 

Et le résultat final, recherché, écrire et avoir de bonnes idées , sera 
obtenu. 



SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


333 


Il faut ajouter que lorsque le sujet est bien entraîné à la pratique de 
l’auto suggestion, il n'est jamais fatigué. 

VI. — De la méditation. 

La méditation est un travail cérébral qui vient compléter l’auto¬ 
suggestion et s’y'associer très heureusement. 

Mais la méditation a un pouvoir bien différent de l’auto-suggestion. 

L’auto-suggestion crée les idées. 

La méditation groupe les idées, elle s’exerce grâce à une faculté diffé¬ 
rente. 

L’auto-suggestion crée les idées. Cette pratique de l’auto-suggestion 
appelle l’activité de l’individu sur certains centres nerveux. Elle déve¬ 
loppe certaines facultés et ce développement, à cause de la facilité des 
cellules nerveuses à se reproduire en raison du travail qui leur est 
demandé, ce développement est l'occasion d’une création ou d’une 
augmentation de certains centres nerveux. 

Considérons le centre nerveux dans l’exemple d’auto-suggestion, 
a voir de bonnes idées. Le centre nerveux qui préside à ce travail peut 
donner dans une journée un nombre d'idées assez restreint, par exemple 
dix bonnes idées. Quand l’auto-suggestion avoir de bonnes idées aura 
été pratiquée, le centre nerveux qui préside à ce travail aura été solli¬ 
cité, son activité aura été stimulée, et il produira un travail dix fois 
plus grand, soit cent bonnes idées dans une journée. 

Si ce même centre nerveux est sollicité tous les jours, si son activité 
est stimulée tous les jours par une auto-suggestion bien pratiquée, en 
vertu de la loi d’entraînement, le centre nerveux grandira, grossira, 
s’augmentera; les cellules nerveuses se multiplieront. Et là où il n’y 
avait qu’une cellule nerveuse, il y aura dix ou cent cellules nerveuses, 
effectuant un travail dix ou cent fois plus grand. Il existera un véritable 
centre nerveux, nous assistons à la création d’un centre nerveux. 

Ce sont en effet les cellules nerveuses qui produisent tout travail, 
musculaire ou intellectuel. Une idée produite ou un mouvement produit 
sont des résultantes qui ont pour origine l’activité de centres nerveux. 
Le muscle qui se contracte se contracte parce que l’impulsion vient du 
centre nerveux qui lui est spécial. L’idée émise est émise parce que 
l’impulsion vient du centre nerveux qui lui est spécial. 

VII. — Exercice d’auto-suggestion. 

Pour enseigner la pratique de l'auto-suggestion, nous allons prendre 
un autre exemple, soit l’idée proposée. — Plaire . — Cavser. — à déve¬ 
lopper par l’auto-suggestion. 

Plaire. — Causer. — Ce sont deux idées qui seront associées. 

On commence par se mettre dans la somnolence favorable à l’abs- 
tr action. 

Puis on pense de dix à cinquante fois plaire, plaire, plaire , plaire , 



334 


RETUE DE L’HYPNOTISME 


plaire, plaire, plaire, etc. On n’a pas besoin de compter sur les doigts 
pour savoir combien de fois on répète mentalement l’auto-suggestion 
plaire. On s’arrête quand la fatigue se fait sentir. Elle se fait sentir au 
bout de vingt ou trente fois. Pour arriver à penser mentalement une 
auto-suggestion plus de cinquante fois de suite, il faut être entraîné 
depuis longtemps. 

Quand on a pratiqué l’auto-suggestion, plaire vingt ou trente fois de 
suite, on se repose une minute, puis on passe à l’auto-suggestion sui¬ 
vante, causer. 

-On agit pour cette seconde auto-suggestion, causer, comme pour la 
première, plaire. On répète dix à cinquante fois de suite, causer, cau¬ 
ser, causer, causer, causer, causer, causer, etc. 

Quand la fatigue arrive, au bout de vingt à trente fois, on se repose 
une minute. 

Puis on reprend la première auto-suggestion plaire ; on la renouvelle 
comme il a été dit précédemment. 

On peut prendre successivement l’auto-suggestion n» 1 plaire, et 
l’auto-suggestion n° '2 causer. 

Il est plusieurs procédés que l’on peut employer et qu’il faut con¬ 
naître : 

1® On peut aussi prendre plusieurs fois de suite, avec intervalles de 
repos, l’une ou l’autre des auto-suggestions. 

Par exemple, on prendra l’auto-suggestion plaire, on la répétera 
vingt fois environ. 

Puis on se reposera une minute. 

On reprendra cette même auto-suggestion plaire, on la répétera vingt 
fois. 

Puis on se reposera. 

On pourra renouveler plusieurs fois cette pratique, et de la sorte 
l’auto-suggestion n° 1 plaire aura été répétée cent ou deux cents fois de 
suite, mentalement avec des intervalles de repos. 

Puis on fera de même pour l’auto-suggestion n® 2 causer. 

On la pensera mentalement par groupes de vingt ou trente fois avec 
des intervalles de repos, et en fin de compte on aura pensé mentalement 
cent ou deux cents fois l’auto-suggestion-causer. 

2® On peut varier les procédés. 

Une méthode consiste à prendre ces deux auto-suggestions plaire. — 
causer. — et à les répéter l’Une après l’autre de la sorte : plaire, causer. 
— plaire, causer. — plaire, causer. — plaire, causer. — plaire, cau¬ 
ser. — etc. 

Celte méthode repose des méthodes précédentes. 

Au bout de quelque temps, le repos devient nécessaire ; on intercale 
des périodes de repos succédant à la pratique simultanée de ces deux 
auto-suggestions. 

3® Une méthode mixte, et c’est la plus facile, consiste à penser cinq 
ou six fois l’auto-suggestion n® 1 plaire, puis cinq ou six fois l’auto-sug- 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


335 


gestion n° 2 causer', on revient tantôt à l’une, tantôt à l’autre, de la sorte : 

Plaire, plaire, plaire, plaire, plaire, plaire. Causer, causer , causer, 
causer, causer, causer, plaire plaire plaire plaire plaire, causer, cau¬ 
ser, causer, causer, causer, plaire, plaire, etc. 

On se repose quand on est fatigué, puis on reprend. 

On peut associer les méthodes précédentes et on aura la façon de pro¬ 
céder suivante : 

Premier groupement : 

1° Plaire, plaire, plaire, plaire .20 ou 30 fois de suite. — Repos. 

2° Causer, causer, causer, causer .20 ou 30 fois de suite.— Repos. 

Le premier groupe sera renouvelé un certain nombre de fois. 

Avec l’exercice répété, la fatigue survenant, on passe à la deuxième 
méthode. 

Deuxième groupement : 

1° Plaire, plaire, plaire, plaire .5 ou 6 fois. — Repos. 

2° Causer, causer, causer, causer .5 ou 6 fois. — Repos. 

On renouvelle cette pratique un certain nombre de fois, dix ou vingt 
fois, puis on passe à la troisième méthode. 

Troisième groupement : 

Plaire, causer, plaire, causer, plaire, causer, plaire causer .20 ou 

30 fois. — Repos. 

Puis on recommence. 

On passe ainsi une demi-heure environ à pratiquer cette auto-sugges¬ 
tion. Alors il est bon de prendre un repos un peu plus long, de cinq à 
dix minutes. 

Si l’on est débutant, il est bon de terminer à ce moment l’exercice 
d’auto-suggestion. 

VIII. — Combien de temps doit-on consacrer a l’auto-suggestion ? 

Pour que l’auto-suggestion donne un résultat certain, il faut lui con¬ 
sacrer un minimum de vingt minutes. C'est l’expérience qui a donné 
cette mesure. Quelquefois on pourra y consacrer moins de temps, mais 
le travail effectué sera minime. 

Quand on veut avoir un résultat parfait, complet, net, précis, évident; 
quand on pratique l’auto-suggestion couramment, tous les jours ou 
toutes les nuits ; quand on est entraîné, on peut y consacrer deux ou 
trois heures. C’est la bonne mesure. Elle comporte les moments de 
repos. 

Il est bon de couper ces deux ou trois heures consacrées à l’auto-sug- 
gestion. Par exemple, on pratiquera l’auto-suggestion pendant une 
heure ou une heure et demie le soir avant de s’endormir ; puis on prati¬ 
quera l’auto-suggestion une heure ou deux heures dans la nuit; puis on 
pratiquera l’auto-suggestion une demi-heure ou une heure le matin. 

On peut aller jusqu’à cinq heures d’auto-suggestion par jour; c’est un 
maximum que l’on peut atteindre facilement quand on est entraîné. 








336 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Mais, quand on pratique l’auto-suggestion trop longtemps, elle est l’oc¬ 
casion d’une fatigue très grande, fatigue qui empêche la perfection des 
résultats, fatigue qui empêche le travail attendu de s’effectuer, fatigue 
qui ne laisse plus de forces pour produire un travail, une résultante 
louable et belle. 

IX. — Note 

Cette petite méthode est le résumé de plus de vingt années de médi¬ 
tations et de recherches. Elle expose la question de l’auto-suggestion 
dans ses grandes lignes. Mais chaque point devrait être l’origine de 
développements nombreux et intéressants. Les méthodes courtes sont 
les meilleures, et on ne doit pas traiter les parties avec trop de détails. 

Je veux ajouter cependant un avertissement pour ceux qui seraient 
tentés de mettre cette méthode en pratique : 

1° Il faut être intelligent ; 

2 D II faut avoir peur des détraquements, car ils surviennent facile¬ 
ment chez certains prédisposés ou chez ceux qui manquent de prudence 
Tout entraînement est soumis à des lois auxquelles il faut obéir. 

Les détraquements sont tous ces symptômes nerveux décrits par les 
traités, en nombre si considérable et en formes si variées. Beaucoup de 
ces détraquements sont dus à une auto-suggestion spontanée, faite en 
violation des lois de l’organisme. 

Des Commentaires feront suite à cette petite méthode. 

Discussion. 

M. Félix Régnault. — On peut, en s’endormant, s’auto-suggestionner 
de seréveiller de bonne heure. Supposez, par exemple, qu’ayant l’habitude 
de s’éveiller à sept heures, on veuille se lever à cinq heures. On y pen¬ 
sera en s’endormant. Très généralement on se trompe et le sommeil 
cesse à trois heures, puis à quatre heures, enfin à cinq et on a passé 
une mauvaise nuit. 

Dans les couvents, on conseille aux fillettes qui veulent se lever de 
bonne heure, de demander en se couchant aux âmes du Purgatoire de 
les réveiller à telle heure, leur promettant des prières si elles font bien 
leur office. 

Il faut distinguer diverses auto-suggestions comme il existe diverses 
hétéro-suggestions. 

L’auto-suggestion dont nous parle M. Coste de Lagrave consiste à 
répéter machinalement en s’endormant ce qu’on veut se suggestionner. 

Je rapprocherai l’auto-suggestion que je fis avec succès à un hypo¬ 
condriaque, lui conseillant d’écrire chaque soir sur le mur avec de la 
poudre phosphorée, ces mots : « Je suis gai » et de s’endormir en les 
contemplant. 

Ici, l’auto-suggestion est mécanique, machinale ; elle se rapproche 
beaucoup de l’hétéro-suggestion. Comme dans celle-ci, paroles prb- 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


337 


noncées ou lettres écrites pénètrent par les oreilles ou les yeux pour 
agir sur le cerveau : elle ne fatigue pas ce dernier. 

L’auto-suggestion voulue, méditative, qui se force à penser d’une 
manière continue à l’acte que l’on veut exécuter, est au contraire péni¬ 
ble et fatigante. Elle ne peut être réalisée que par les gens très volon¬ 
taires, et à ce titre il ne conviendrait pas de la recommander à ceux 
qui veulent par la suggestion suppléer à un manque de volonté. 

Je ne conseillerai à personne d'en faire un emploi courant, à moins 
que ce ne soit dans un but de recherches scientifiques. On peut alors 
arriver à des résultats extraordinaires. 

Je citerai le cas d’un européen que j’ai connu il y a dix ans dans un 
voyage que je fis aux Indes. Ayant vu les exercices des fakirs, il voulut 
les imiter, et s'aperçut qu’il suffisait de le vouloir fortement pour rester 
vingt minutes à une demi-heure les bras étendus en croix à l’égal des 
hystériques. De même, il pouvait, sans souffrir aucunement, s’enfoncer 
de longues aiguilles dans les joues et dans ïes mains ; les plaies restaient 
exsangues. Lorsqu’il négligeait de vouloir au contraire, il souffrait et la 
plaie saignait. 

Un prodige exhibé chez Barnum, Tomasso, l’homme pelote d’épingles, 
montre des phénomènes de même ordre : il s’enfonce de3 épingles sans 
éprouver aucune douleur, et les piqûres ne saignent pas mais il affirme 
que l’anesthésie n’apparaît que lorsqu’il le veut. Sinon, il éprouve une 
douleur et les piqûres saignent. Tomasso commande non seulement à 
ses vaso-moteurs mais encore à son cœur; il peut activer ou ralentir à 
son gré la circulation de-son sang. 

Il y a d’ailleurs longtemps que les physiologistes ont étudié des sujets 
qui pouvaient à volonté arrêter leur cœur. 

M. Bérillon. — La méthode de M. Coste de Lagrave, qui lui est abso¬ 
lument personnelle, car on n’en trouve d’indication dans aucun auteur, 
présente un grand intérêt. Elle permettrait de réaliser dans certains 
cas une auto-suggestion thérapeutique d’une grande efficacité. Il m’est 
souvent arrivé d’en enseigner l’emploi à des malades intelligents, après 
les avoir adaptés à son usage par un entraînement hypnotique préalable. 
J’ai remarqué que les guérisons obtenues chez ces malades étaient 
beaucoup plus marquées et qu’on obtenait par l’association de la sug¬ 
gestion hypnotique et de l’auto-suggestion méthodique des transforma¬ 
tions durables dans le caractère et la volonté 


Les phénomènes réactionnels du début de l’état d’hypnose. 

Par le D r Bérillon. 

Chez un assez grand nombre de personnes, le passage de l’état de 
veille à l’état de sommeil normal, de même que le retour à l’état de 
veille après le sommeil, s’accompagne de phénomènes objectifs assez 



338 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


marqués. Les uns ne s’endorment qu’après avoir eu plusieurs spasmes, 
tels que bâillements, mouvements de déglutition, clignottement des 
paupières ; d’autres exécutent divers mouvements, se tournent et se 
retournent dans leur lit. L’apparition de ces phénomènes marque une 
limite entre les deux états si différents de veille et du sommeil. 

Quand il s’agit de l’apparition du sommeil normal, leur constatation 
présente peu d’intérêt. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de la 
production du sommeil provoqué. Il est très intéressant de connaître 
les signes précurseurs du sommeil et leur constatation peut servir à 
l’hypnotiseur pour la direction de l’opération. 

Par la connaissance de ces signes, on peut déterminer souvent d’une 
façon précise la limite qui sépare les deux états et connaître le moment 
où s’effectue le passage de l’état de veillte à l’état de sommeil. 

M. le D r Liébeault, auquel on doit tant d’observations ingénieuses, 
avait souvent conclu que l’entrée dans le sommeil artificiel s’accom¬ 
pagne assez fréquemment de phénomènes insolites. Les plus importants 
sont les phénomènes objectifs, car l'expérimentateur peut en apprécier 
l’importance. Les plus faciles à constater, car ils se passent sous les 
yeux de l’observateur, sont : 

1. Des mouvements alternatifs de resserrement et de dilatation de la 

pupille, ou son relâchement complet. 

2. La convulsion des globes oculaires en haut. 

3. Le clignotement répété et de plus en plus précipité des paupières. 

4. Des mouvements de déglutition. 

5. Des mouvements spasmodiques des muscles de la face et en parti¬ 

culier des muscles frontaux, qui se contractent et se relâchent 
alternativement dans leur ensemble, ainsi que les orbiculaires des 
paupières. 

6. Du tremblement, des secousses dans les membres, des contractures 

et des mouvements automatiques, qui peuvent gagner tout le corps. 

7. L’apparition très fréquente d’un accès d’hilarité sans motif, qui cesse 

subitement au moment de l’entrée dans le sommeil. Plus rarement, 
on constate du larmoiement, également passager. 

D’autres signes objectifs sont d’une constatation plus difficile. Parmi 
eux, nous indiquerons en première ligne des phénomènes cardiaques 
assez accentués et, en particulier, une élévation de la tension artérielle. 
Nous avons souvent constaté cette élévation de la tension artérielle à 
l'aide du sphygmomètre de Verdin. On observe aussi des changements 
dans le rythme respiratoire qui semble d’abord se ralentir et qui parfois 
se modifie au point que la respiration devient ensuite haletante. 

A ces phénomènes s’en joignent d’autres, mais leur caractère 
purement subjectif diminue leur intérêt. Pour les connaître, il fau¬ 
drait interroger le sujet, et cette interrogation interromprait forcément 
la production du sommeil. Les phénomènes subjectifs les plus habituels 
sont de la lourdeur de tête, des sensations d’engourdissement, de four- 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE BT DE PSYCHOLOGIE 


339 


nullement dans les membres, de la constriction épigastrique, de l'op¬ 
pression, de l’énervement. 

Tous ces phénomènes précèdent l’apparition du sommeil. Ils en sont 
les signes avant-coureurs et leur cessation brusque marque l’apparition 
de l’état de résolution. 

M. Liébeault donnait de ces faits une explication basée sur un dépla¬ 
cement de l'attention , qu’il envisageait dans ses manifestations comme 
un influx nerveux. 

Nous serions plus disposés à les considérer comme sous la dépen¬ 
dance d’un état émotif et liés à l’existence d’un état d’hystérie plus ou 
moins accentué. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que ces 
phénomènes sont d’autant plus accentués que l’hystérie est elle-même 
plus développée. Les hystériques, même lorsqu’elles sont calmes, 
n’exercent sur les fonctions de relation qu’une apparence de contrôle. 
L’apparition du sommeil provoqué diminue encore leur pouvoir de con¬ 
trôle, déjà atténué, et cette abolition du pouvoir de contrôle donne libre 
cours aux troubles fonctionnels en imminence. 

En un mot, ces phénomènes réactionnels seraient l’équivalence de la 
période d’excitation du sommeil chloroformique. 

La connaissance de ces faits est extrêmement utile pour l’hypnoti¬ 
seur. Par la suggestion ou la persuasion, il peut à son gré les modérer, 
les calmer. L’appréciation de ces phénomènes réactionnels lui donne 
de précieuses indications sur la suggestibilité du sujet, sur son émoti¬ 
vité, sur ses dispositions aux troubles hystériques. Leur apparition lui 
indique l’entrée dans les premiers degrés du sommeil hypnotique et lui 
permet de pronostiquer que le sujet ne tardera pas à être plongé dans 
un état profond de l’hypnose. 


Discussion. 

M. Paul Magnin. — Mes observations confirment pleinement celles de 
M. Bérillon; j’ai constaté très souvent de semblables phénomènes, aussi 
bien dans ma clientèle que d^ns le service de Dumontpallier à la Pitié. 
L’expérience nous avait appris qu’il ne fallait pas s’en émouvoir et que 
le sang-froid de l’opérateur, ainsi que son autorité sur le sujet, était le 
meilleur moyen d’en limiter les effets et de les utiliser pour arriver à la 
production du sommeil provoqué. 

M. Voisin. — Tous ces phénomènes sont des ébauches de crises 
d’hystérie; il faut que les médecins en soient instruits, qu’ils ne soient 
point déroutés par leur apparition et qu’ils puissent faire avorter ces 
crises commençantes. Cela prouve une fois de plus que l’hypnotisme ne 
devrait jamais être pratiqué que par un médecin et encore par un mé¬ 
decin compétent en la matière. D’ailleurs, comme l’hystérie est un des 
états qui sont le plus justiciables du traitement de l’hypnotisme, sa 
constatation ne fait que constituer une indication de plus pour le traite¬ 
ment psychothérapique. 



340 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


M. Lépinay. — M. le D p Bérillon vient de nous montrer chez sa 
malade des excitations au début du sommeil hypnotique. Il a rappelé 
auparavant que le chloroforme donnait quelquefois des excitations sem¬ 
blables. C’est juste, et j’ai pu l’observer chez un certain nombre de 
personnes chloroformées. Je l’ai observé aussi sur des petits animaux 
soumis à l’influence du chloroforme, et, tout récemment, nous avons pu 
étudier ces excitations avec un chirurgien de Paris, M. le D p Aubeau, 
sur une petite chienne que nous anesthésions pour une opération de 
hernie. Elle eut des clignotements des paupières, des tremblements des 
lèvres, des mouvements choréiques de différentes parties du corps, et 
notamment des pattes de devant; enfin, pendant un certain temps, elle 
poussa des petits cris qui paraissaient n’être que des tremblements de 
la partie pharyngienne. 

Ces faits donneraient raison à M. le D p Bérillon, qui pense qu’il y a 
là. de la part des sujets endormis, une opposition à l’influence exercée 
sur eux. 

J’ai l’occasion actuellement d’employer l’acide carbonique pour l’abat¬ 
tage, à la fourrière, des animaux qui doivent être mis à mort, et j’exa¬ 
mine à quel degré ces animaux sont anesthésiés par l’acide carbonique 
avant d’être tués. Je verrai si, au début de l’anesthésie par l’acide car¬ 
bonique, on constate ces mouvements réflexes. 


Réflexes généraux pendant l’état d’hypnose 

Par M. le docteur Corinin 

La malade dont nous voulons vous parler ne présente pas un grand 
intérêt au point de vue de l’histoire de sa maladie, ou de sa guérison 
par la suggestion hypnotique. Des cas analogues vous ont été commu¬ 
niqués maintes fois. 

Mais si nous avons tenu, M. le D** Bérillon et moi, à vous parler d’elle, 
c’est parce que nous avons pu observer très distinctement chez cette 
malade certains phénomènes réactionnels qui marquent la transition de 
l’état de veille à l’état d’hypnose et qui, en règle générale, ne se produi¬ 
sent pas avec une intensité si nette. 

Voici d’abord en quelques mots son histoire. La malade, une jeune 
fille robuste de 19 ans, jouissait toujours d’une parfaite santé; son 
examen ne nous révéla qu’une hypoesthésie du côté droit. Il y a trois 
ans, la voiture dans laquelle elle se trouvait a été heurtée violemment. 
La jeune fille eut peur de tomber de la voiture et fut pressée par la roue ; 
elle perdit connaissance et on la transporta à son domicile, où elle resta 
alitée pendant plus d’un mois. Cet accident produisit chez elle de fortes 
contusions au niveau des côtes et dans la région épigastrique. Pendant 
plusieurs nuits de suite, la malade eut des cauchemars : elle rêvait de 
son accident et se réveillait en jetant des cris d'effroi. Depuis lors, elle 
eut toujours le sommeil agité et troublé par des cauchemars, quoiqu’elle 
eut cessé de rêver de son accident. 



SOCIÉTÉ d’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


341 


Trois mois après l’accident, la jeune fille commence à avoir des crises 
qui se répètent tous les mois d’abord, tous les quinze jours ensuite et 
depuis un an, régulièrement tous les huit jours. Oes crises s’annonçaient 
ordinairement par une sensatien à l’épigastre de pesanteur et d’une 
boule remontant jusqu’au cardia et de. fortes douleurs suivies d’étouffe¬ 
ments, de crises de larmes et de convulsions. La malade perdait par¬ 
fois connaissance. Sa crise durait une, deux et même trois heures. Cette 
jeune fille vint à la clinique il y a trois semaines et depuis elle n’a eu 
qu’une seule crise le lendemain de la première séance de traitement par 
la suggestion hypnotique ; c’était le huitième jour, précisément le jour 
où la crise devait se produire. Les deux autres crises, qu’elle devait 
avoir ne se sont pas produites. La malade dort mieux et son sommeil 
est calme. La sensibilité est devenue égale de deux côtés. 

Mais je vous ai dit au commencement que ce n’est pas sa maladie, ni 
sa guérison qui présentent pour nous en ce moment un réel intérêt et 
j’ai hâte d’aborder ces phénomènes réactionnels et émotionnels mar¬ 
quant la transition de l’état de veille à l’état d’hypnose que nous avons 
pu observer chez elle mieux que chez les autres et dont je dois vous 
parler. Je serai bref et je me bornerai à vous indiquer les réactions qui 
se manifestaient chez cette jeune fille. Le D r Bérillon vous a indiqué 
les différents phénomènes réactionnels qu’on peut observer plus ou 
moins nettement chez certaines personnes. Chez notre malade nous les 
avons nettement constatés. 

Dès que nous fixions ses yeux et lui touchions le front, la malade se 
contracturait, le sang affluait à ses joues et sa figure exprimait de 
l’anxiété, la respiration devenait accélérée et saccadée, quelques san¬ 
glots s’échappaient de sa poitrine. Ces phénomènes ne duraient pas 
longtemps, la malade s’endormait vite d’un sommeil profond avec de 
l’amnésie au réveil et se calmait presque immédiatement sous l’influence 
de nos paroles. Ses réactions émotionnelles diminuaient d’intensité à 
chaque séance et actuellement le passage de la veille au sommeil se fait 
par une transition calme et sans aucun trouble. 

Mais cette personne aprésenté, pendant les premières séances d’hypno¬ 
tisme, quelques phénomènes particuliers d’un ordre un peu différent. 
Quand elle dormait, si on s’approchait d’elle et si on lui touchait la 
main, on voyait survenir de légères secousses dans tout le corps, ses 
yeux se remplissaient de larmes et elle pleurait pendant quelques 
instants. Puis elle sei calmait et reprenait le cours de son sommeil à peine 
interrompu. Ces phénomènes réflexes survenant dans le cours du som¬ 
meil par l’influence du moindre contact indiquaient une susceptibilité 
et une irritabilité particulière de l’organisme. Ils pouvaient être consi¬ 
dérés comme une défense automatique de l’organisme persistant pen¬ 
dant le sommeil. Ils ont disparu progressivement et actuellement le 
contact pendant le sommeil ne les provoque plus. 



342 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Séance du mardi 18 mars 1902. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte à 4 h. 40. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le D r Jules Voisin rapporte l’observation d’un cas de tremblement 
hystérique guéri par la suggestion hypnotique. 

M. le D r Orlitzky rapporte un fait de suggestion collective et de cynan- 
thropie survenu en Russie, pendant un repas de noces, par crainte du 
prétendu pouvoir démoniaque d’une sorcière. 

M. le D r Paul Magnin fait une étude d’ensemble des rapports de la 
sensibilité et de l'hypnotisme chez les hystéro-épileptiques ; il met au 
point les problèmes que soulève l’æsthésiogénie, laquelle a eu pour 
initiateur Burq et remonte déjà à un demi-siècle. 

M. le D r Bérillon expose les points principaux de la psychologie du 
buveur d’habitude ; il montre que l’aboulie est le facteur essentiel et que 
l’hypnotisme, supprimant cette aboulie, apparaît comme le procédé de 
traitement le plus efficace. 

M. le D r Bérillon présente en outre un jeune garçon de dix ans, atteint 
depuis neuf ans, d’un balancement céphalique, lequel survient, sous 
forme de tic, aussitôt que l’enfant s’endort ; quelques séances d’hypno¬ 
tisme ont déjà amené une amélioration considérable. 

M. le D r Félix Régnault discute l’Apollon saurochtone du Louvre. Il y 
voit une application de l’hypnotisme chez les animaux et propose de 
substituer au qualificatif saurochtone celui de fascinateur. 

M. le D r Paul Farez signale un récent travail de M. Bloch, sur l’auto- 
topographie, lequel contient un argument en faveur de l’explication 
récemment donnée de la lecture de pensée : le prétendu liseur de pensée 
maintient à sa tempe la main de son conducteur parce que les tempes 
sont la partie du corps humain où la sensibilité tactile est le plus 
affinée. 

M. le Président annonce à la Société que MM. les docteurs Bérillon 
et Voilier, ainsi que M. Dyvrande, procureur delà République à Dieppe, 
ont été nommés officiers de l’Instruction publique ; il adresse aux 
nouveaux promus les félicitations unanimes de leurs collègues de la 
Société. 

M. le Président met aux voix les candidatures de : 

1° M. le D r Edwin Schutz (de New-York), présenté par MM. les D" Bé¬ 
rillon et Paul Farez. 

2° M. le D r Poussard (de Rueil), présenté par MM. les D r " Hamaide et 
Bérillon. 

3° M. Guénon, vétérinaire en premier au 25® d’artillerie à Chàlons- 
sur-Marne, présenté par M. Lépinay et M. le D r Bérillon. 

La séance est levée à 6 h. 50. 



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343 


Un cas de suggestion collective et de cynanthropie. 

Par M. le D r Oscar Orlitzky (de Moscou). 

Il existe encore en Russie de nombreuses régions où l'influence des 
sorciers est considérable, témoin le fait suivant, 

Dans une province centrale de la Russie, un mariage devait avoir lieu. 
Les deux fiancés sortaient de deux familles aisées ; c'était un mariage 
d'inclination et tout le monde approuvait cette union. En un mot il 
semblait que tout dût réussir à ce jeune couple. Après la cérémonie 
religieuse, tout le monde se réunit chez la jeune fille pour prendre part 
au festin. Tout à coup les parents du nouveau marié s'aperçoivent qu’on 
a omis de convier une vieille femme, laquelle passait pour sorcière dans 
le village. Craignant la susceptibilité de cette personne et redoutant sa 
vengeance, on s’empresse d'aller la chercher, afin qu’elle vienne assister 
à la noce. Cette femme ne tarde pas à se rendre au repas; mais la bonne 
humeur de tous les convives s'en trouve tarie ; la vaisselle, dans laquelle 
on apporte les mets, se brise, et tous y voient un mauvais présage, une 
sorte d’anathème, lancé par la vieille sur le jeune couple. Tout le monde 
se sent bouleversé ; le jeune marié tout particulièrement. Alors l’idée 
de détruire la sorcière s’empare de tous les cerveaux. On se jette sur 
la malheureuse et on la frappe avec tout ce qu’on trouve sous la main. 
Sur le point d’expirer, la victime a encore le temps de prononcer ces 
mots : a Misérables chiens ! » 

Au même instant le jeune marié, qui observait cette scène avec atten¬ 
tion, se met tout à coup a aboyer très distinctement ; il s’enfuit de la 
salle en continuant à hurler dans la cour. La noce se termine par l’ar¬ 
restation de tous les invités. A l’audience, personne ne nie sa culpabilité; 
chacun affirme qu’il était nécessaire de tuer cette femme, laquelle devait 
avoir des relations avec de mauvais esprits et attirer le malheur sur le 
toit des jeunes gens. Quand le marié fait le récit de l’aventure, et qu’il 
en arrive au moment où la vieille a lancé son imprécation, il recommence 
de nouveau à aboyer devant les juges. 


COURS ET CONFÈRENCES 


Hémisomnambulisme hystérique. — Douleurs oculaires résultant 
d’un trouble mental pur (<). 

Par M. le Professeur Raymond. 

La malade dont je veux vous entretenir et dont le cas est extrême¬ 
ment intéressant a été placée dans une position telle que le symptôme 
saillant de sa maladie soit évident pour vous. Elle est assise devant une 

(1) Présentations de malades faites à la Clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 




344 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


glace fixée au fond du couvercle d’une boîte et parle rapidement, sans 
s’arrêter. Je ferme cette boite ; la malade continue à parler, jusqu’à ce 
que, m’entendant causer, elle cesse enfin de parler. 

Je soulève le couvercle de la boîte ; immédiatement, la glace attire 
son regard et, après quelques éclats de rire involontaires, elle se met 
de nouveau à causer sans répit. Elle parle de sa vie passée et de sa vie 
présente. Elle a perdu son mari, elle a perdu son fils qui est mort de la 
diphtérie ; elle raconte, — sans faire attention à l’assistance, sans 
s’adresser à elle, — que sa belle-mère lui reproche d’avoir tué son mari, 
qu’on la gronde parce que la chambre est sale et qu’on se plaint de ce 
que les poules ne sont pas nourries... et elle continue, elle continue 
ainsi sans arrêt. 

Je ne l’ai pas interrogée, je ne lui ai pas adressé la parole ; c'est la 
vue de la glace qui lui a donné son hallucination ; elle parle même 
quand elle ne voit plus la glace ; elle parle tout le temps, comme si elle 
tenait conversation à quelqu’un, mais pas à nous. Je l’arrête en la pin¬ 
çant. Elle se tait également quand je cause depuis un moment, car elle 
est entraînée à m’écouter et son hallucination est détruite ; mais, je n’ai 
qu’à ouvrir la boîte et à lui mettre la glace sous les yeux pour qu’im- 
médiatement renaisse l’hallucination et que le bavardage recommence. 
.Les mots se précipitent, les phrases se suivent avec rapidité, la malade 
parle sur tout sujet, elle cause à un être imaginaire, sans savoir ce 
qu’elle dit ; elle n’a pas le contrôle de ses sens. 

En résumé, cette personne est de celles chez qui, étant donnée une 
certaine manière d’être, une certaine susceptibilité qui leur est propre, 
on peut créer une hallucination. Les phénomènes qu’elle nous présente 
sont ceux de Yhémisomna.mbulisme hystérique. 

Les signes de son hystérie sont très nets ; elle a un fort rétrécisse¬ 
ment du champ visuel de l'œil droit et une hémianesthésie droite totale. 
Elle me cause raisonnablement, répondant bien aux renseignements 
que je lui demande pour que vous connaissiez ses antécédents ; en con¬ 
versant ainsi avec elle, je relève la glace et aussitôt elle rit et commence 
à parler comme une automate ; cette parole automatique est de tous 
points comparable à l’écriture automatique d’autres hystériques. 

C’est à 20 ans que la maladie a commencé chez cette personne qui, 
aujourd’hui, en a 28. Les périodes d’hémisomnambulisme qu’elle a tra¬ 
versées ont été plus ou moins longues ; elle est restée quatre mois et 
plus à bavarder sans arrêt ; elle a été guérie à plusieurs reprises et elle 
est retombée depuis deux mois. 

Les conditions dans lesquelles son état s’est constitué sont intéres¬ 
santes. Son père était un homme nerveux qui avait delà tendance à 
parler seul, comme ces gens qui, lorsqu’ils sont préoccupés, remuent 
les lèvres sans parler ou parlent haut. Une de ses tantes était une.hys¬ 
térique à grandes crises, qui avait un automatisme semblable au sien, 
et est restée des années à bavarder. Elle a vu sa tante, elle l’a entendue 
et la forme de l’hystérie de la tante a déterminé celle de l’hystérie de la 



COURS ET CONFÉRENCES 


345 


nièce. Réglée à 15 ans, mariée à 16, notre jeune femme est veuve à 
17 ans et, peu après, elle perd son enfant. Elle rentre dans sa famille et 
ne peut plus s’entendre avec sa mère ; elle n’est pas d’accord non plus 
avec sa belle-mère. Elle se plaint, elle se plaint à haute voix et, en 
pensée, prend sa tante, absente, pour confidente et lui raconte ses 
peines. 

Dès les premières manifestations de cet état, à 20 ans, elle est soignée 
à Bordeaux par M. Pitres, qui voit là un cas d’hémisomnambulisme 
hystérique et d’automatisme de la parole. En deux séances d’hypnoti¬ 
sation, il guérit la malade : quinze jours après, elle a une rechute et, 
de nouveau, elle est rapidement guérie. On l’endort très aisément. Nous 
l’endormirons, nous la guérirons, mais la guérison, je le crains, ne sera 
que passagère, car la suggestion n’est pas seule maîtresse des phéno¬ 
mènes morbides que nous l’employons à combattre. 

Dans notre cas, en effet, et dans tous les cas analogues, la suggestion 
joue un rôle capital, essentiel, et ici, la tante a été l’agent provocateur 
de la forme sous laquelle l’hystérie se manifeste. Mais, la suggestion 
n’est pas tout dans l’hystérie ; jusqu’à 16 ans, pourquoi notre malade 
n’a-t-elle pas été suggestionnée, alors que toutes les conditions hérédi¬ 
taires étaient réunies en elle? Il a fallu qu’elle se mariât et qu’elle 
perdit son mari, son enfant, et qu’elle eût encore, après ces malheurs, 
des peines morales ; il a fallu qu’elle acquit un état spécial de sugges¬ 
tibilité. 

Il y a des distraits qui ne sont pas suggestionnables. Pour qu’une 
série d’idées s’empare de toute la conscience, il faut une diminution 
du champ de la conscience, il faut un rétrécissement de la mentalité. 
Pour qu’un sujet arrive à un état tel que celui de cette jeune femme, il 
faut que la suggestibilité existe avant la suggestion et notre malade est 
arrivée à cette suggestibilité parce qu’elle était dans des conditions 
héréditaires favorables et parce que d’autres événements sont venus 
diminuer sa mentalité. 

* 

* ♦ 

Cette femme a 26 ans. Elle porte un bandeau sur les yeux. Et pour¬ 
quoi ce bandeau ? Parce qu'elle a des douleurs épouvantables dans les 
globes oculaires : à l'entendre, « Jésus, dans sa passion, n'a pas souf¬ 
fert autant qu elle * : et elle supplie qu’on la soigne et qu’on la gué¬ 
risse . 

On est donc tout porté à la croire ; elle se plaint, elle a un bandeau 
sur les yeux, donc elle souffre. — Mais, quand on enlève ce bandeau et 
qu’on examine la malade, on remarque qu’elle n’a pas de strabisme, ni 
de ptosis, ni de nystagmus ; elle n a pas de conjonctivite : les mouve¬ 
ments des globes oculaires se font régulièrement. Quand on veut lui 
faire préciser la nature des douleurs qu’elle éprouve, elle dit qu’elle 
ressent les mêmes douleurs que si certaines étoffes couvraient ses 
yeux. Si on lui demande de lire, elle voit les lettres, mais les lettres 
dansent devant elle... 



346 


REVUE DE L HYPNOTISME 


En somme, et malgré tout cet appareil dramatique qu’elle déploie, 
elle voit clair et tous les oculistes qui l’ont vue lui ont dit qu’elle n’avait 
rien aux yeux. Un seul a prononcé le mot d’asthénopie nérveuse, et 
c’est déjà trop dire : elle n’a que des sensations purement subjectives. 

A l’âge de 20 ans, elle a été endormie par un hypnotiseur célèbre. 
Avant cette époque, elle était nerveuse, impressionnable, mais pas d’un 
nervosisme morbide. A 22 ans, elle perd son enfant, son caractère 
change, elle souffre de partout, elle ressent des douleurs très vives dans 
l’utérus; elle traduit sa souffrance dans un langage imagé ; un chirur¬ 
gien lui enlève l’utérus, et je crois bien que le diagnostic qu’il aurait 
fallu porter pour ces douleurs utérines est le même que celui qui con¬ 
vient aux douleurs oculaires. 

Pendant la convalescence de cette opération, étendue sur un bran¬ 
card, elle lisait les journaux, les romans, sans que sa lecture fixât 
sérieusement son attention ; elle regardait les lettres sans les voir, elle 
les voyait s’allonger, danser, se mêler; elle en arriva à ne plus les coor¬ 
donner. Cela l’effraya et elle rapporta ces phénomènes anormaux à un 
mauvais état de ses yeux, comme jadis elle avait été amenée à se plain¬ 
dre de son utérus. Elle fut convaincue que ses yeux étaient gravement 
lésés et de là à dire qu’elle souffrait, il n’y avait pas loin ; elle le dit et 
souffrit effectivement, et, dans le langage qu’elle avait à sa disposition, 
elle rendit compte d'une façon dramatique de ce qu’elle ressentait. Si 
elle avait été physiologiste, elle se serait rendue compte que son atten¬ 
tion, sa volonté étaient malades et non ses yeux. 

On lui mit des collyres à l’ésérine, au sulfate de zinc, et plus le col¬ 
lyre la piquait, plus elle se disait souffrante ; une commère lui conseilla 
l’eau sédative et cette application augmenta sa douleur; elle s’écria 
qu’on avait percé <r la membrane de l’œil, qui est si délicate » et affolée, 
elle est accourue vers nous. 

Elle ne présente aucun stigmate d’hystérie ; elle n’a pas l’état mental 
de l’hystérie ; on l’a endormie jadis, mais l’hystérie n’est pas la cause 
des accidents actuels. C’est un cas d’aboulie sur un terrain nerveux, 
c’est de la psychasthénie, un pur trouble mental; c’est une question de 
transformation de la personnalité. Cette femme a fait de l’algie des 
yeux, avec crainte de cécité. L’algie est réelle et elle est centrale. La 
malade ne comprend pas son cas et ne l’explique pas bien ; sa souffrance 
est réelle, mais elle dramatise la situation à ce point que, jadis, on lui 
a enlevé son utérus ; j’ai connu un homme de 30 ans, avec état mental 
semblable au sien et à qui on a coupé successivement les doigts, le bras 
et les nerfs à leur racine. 

Je crois que notre malade est hypnotisable. Mais, d’autre part, elle 
est intelligente, on lui expliquera quel est exactement son état et com¬ 
ment lui sont venues ses douleurs et elle guérira très bien. 

De pareils cas sont importants à connaître; il est bon d’en avoir vu, 
ne serait-ce que pour empêcher des interventions chirurgicales désas¬ 
treuses et non justifiées. 



RECUEIL DE FAITS 


347 


RECUEIL DE FAITS 


Suggestion hypnotique comme moyen thérapeutique 

Par le D r Lebailly de Pont-d’Ouilly 

Je n’ai pas la prétention, en publiant ces observations, de présenter 
des choses nouvelles. Mais le monde médical se désintéresse de ces 
questions pourtant très sérieuses. Bien des troubles maladifs imputables 
à certaines modifications du système nerveux, guérissent parfaitement 
par l’hypnotisme et la suggestion. Il m’a paru intéressant de rapporter 
certains faits de ma pratique, très concluants à ce point de vue. 

L’hypnotisme, à mon sens, est une science qui s’applique à l’étude 
d’un état particulier des êtres vivants, dont le système nerveux présente 
un manque d’équilibre résultant de troubles de l’organisme (mens¬ 
truation, intoxications). Dans cet état, la volonté, le moi est atténué ou 
même supprimé, et peut obéir à la volonté d’un tiers. Par contre* 
certaines facultés acquièrent une puissance remarquable, encore inex¬ 
plicable dans l’état actuel de la science. 

Ceci dit, voici huit de mes principales observations. 

Observation I. —Mme X..., cabaretière, 40ans.—Constitution excel¬ 
lente. Est devenue nerveuse, irritable depuis quelques années à la suite 
de l’abandon de son mari. Un jour, dans une rixe entre charretiers 
avinés, elle reçoit un coup de pied dans le flanc droit. A la suite de cet 
accident, souffrances très vives et crises nerveuses fréquentes. Je suis 
amené à provoquer le sommeil hypnotique pour calmer les douleurs. 
Au bout de quelques mois, on constate une tumeur arrondie venant 
bomber dans le cul de sac vaginal droit. Le pus se vide par le vagin. 
Je la fis alors examiner par un chirurgien ; l’examen était particulière¬ 
ment difficile à cause de l'indocilité de la malade. Je provoquai 
l’hypnose, et elle supporta sans le moindre mouvement un examen qui 
dura près de trois quarts d’heure. 

Observation II. — X..., 45 ans, maréchal-ferrant. — 1 Alcoolique invé¬ 
téré. Est pris un jour de délirium tremens. Appelé le lendemain auprès 
du malade que deux ou trois hommes maintiennent (difficilement depuis 
la veille, j’administre un lavement de choral et des injections de mor¬ 
phine. Au moment où le malade se calme un peu, je fais la pression 
des yeux et du creux de l’estomac et, en deux minutes, j'obtiens le 
sommeil hypnotique. Je procède alors à une conservation avec mon 
alcoolique qui réclame à boire à grands cris. Je lui donne de l’eau qu’il 
boit avidement, croyant prendre du champagne et du vin blanc. Je lui 
suggère alors de dormir six heures, et j’ai obtenu un très bon som¬ 
meil. 

Observation III. — Mlle X..., seize ans, bonne santé antérieure. 
Présente depuis un an des troubles du début menstruel; n’a pas vu 



348 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


depuis plusieurs mois. Elle vient me consulter à mon cabinet à deux ou 
trois reprises, puis je suis appelé chez elle, car elle ne peut marcher; 
elle présente de la contracture permanente des pieds en dedans. Je 
l’hypnotise, et aussitôt les pieds reprennent la position normale. Je 
suggestionne, espérant la suppression de la contracture. Mais elle se 
reproduit quelques instants après mon départ. Je revois la jeune fille 
deux fois. Malgré une longue suggestion et des exercices de marche, la 
contracture se reproduit, avec maux de tête atroces. Je suis remercié. 
Entre parenthèses, ma pratique me fit beaucoup de tort dans l’esprit 
des gens du pays. J’appris quelques semaines après que l’on avait con¬ 
sulté un autre confrère qui soumit la malade à la médication bromurée 
intensive. Depuis, la jeune fille est morte tuberculeuse. La tuberculose, 
s’étant greffée sur de l’hystérie, était sans doute une des causes de la 
permanence de la contracture. 

Car, dans l’observation suivante, j'ai obtenu une guérison qui date de 
deux ans et demi. 

Observation IV. — M lle X..., fillette de quatorze ans et demi, de 
constitution chétive. — Les parents sont meuniers et la tare éthylique 
est probable, car la fillette a eu des convulsions dans son enfance et est 
très nerveuse. Depuis une dizaine de mois, le caractère a changé, cha¬ 
leurs dans le ventre, seins ayant grossi, douloureux, en imminence de 
formation, a eu une très vive secousse (peur ?) cinq à six jours avant ma 
visite. Depuis cette secousse, elle présente une agitation avec des mou¬ 
vements à faire croire à la danse de Saint-Guy. Insomnie complète. 
Dans le pays, on croit à un sort jeté. Elle est ensorcelée. Pression des 
points sensibles, ovaires et des yeux ; sommeil hypnotique, après deux 
minutes au plus. 

Suggestion, pression, massage des bras, des jambes, traitement 
tonique pour aider à la formation. 

Je revois la fillette deux fois en consultation, puis après une éclipse 
de trois mois environ, une voiture s’arrête à ma barrière, et les parents 
m’apportent dans leurs bras la fillette ne pouvant se tenir debout, les 
pieds contracturés. Je l’endors très facilement et, après un exercice de 
marche d’un quart d’heure, je lui ordonne de remonter seule dans la 
charrette, dont le marche-pied offre une certaine difficulté d’ascension, 
comme le savent les médecins de campagne. 

Je suis la fillette prêt à la recevoir, et aussi pour la maintenir sous 
l’influence de ma volonté. On arrive ainsi près du cheval qui, retour¬ 
nant la tête, souffle largement dans le visage de l’endormie. Réveil su¬ 
bit. Recontracture des pieds. Je soutiens d’un bras la fillette et de l’autre 
main presse les yeux, et la fillette monte tranquillement dans la voiture. 
Je la laisse endormie, et recommande à son oncle, demeurant à 4 kilo¬ 
mètres, de la faire descendre endormie, puis de la réveiller en lui souf¬ 
flant dans la figure. L’oncle remplit mon rôle à plusieurs reprises. 
Guérison. Les règles s’établissent quelque temps après. L’oncle m’a dit 
dernièrement que la fillette allait très bien. 



RECUEIL DE FAITS 


349 


Observation V. — M ma X..., âgée de 38 ans, embonpoint excessif, rien 
à signaler dans son enfance. Réglée tardivement. Domestique de ferme 
jusqu’à l’époque de son mariage datant de 8 ans. Deux ans avant, c’est- 
à-dire il y a 10 ans, elle éprouve une secousse nerveuse violente. Au 
moment de ses règles, seule avec sa maîtresse, elle avait dû séparer et 
rattacher deux chevaux entiers qui se battaient dans l’écurie. Depuis 
cette époque, les règles sont dangereuses, difficiles, après une interrup¬ 
tion assez longue, elle éprouve souvent des étouffements, la sensation 
de boule, etc. 

Les rapports conjugaux sont très rares et souvent impossibles. L’an¬ 
neau vulvaire, contracté et douloureux, ne permet pas le coit. Depuis 
près d’un an, l’ennui, des idées lugubres, l’anéantissent. Elle dort à 
peine, ne mange pas, et est incapable de tout travail. Jugeant ma visite 
nécessaire, je vois cette malade, le 16 février 1900, dans son lit. 

Je procède à un examen minutieux de la malade. Aucun organe lésé. 
Le toucher ne révèle rien. Ovaires très sensibles. J’endors la malade 
par la pression ovarienne et oculaire. Je suggestionne longuement cette 
nerveuse, et j’insiste sur les rapport conjugaux. Comme traitement mé¬ 
dicamenteux : eau chloroformée contre les spasmes de l’estomac et 
phosphate de soude, tonique nerveux. Je lui impose de revenir à ma 
consultation, huit jours après, puis de quinze jours en quinze jours. La 
suggestion a réussi, et obéissant, elle revint tous les quinze jours 
d’abord, puis tous les mois, ensuite tous les deux mois. La malade, 
contre vent et tempête, prend le chemin de mon cabinet, obéissant à 
une impulsion inconsciente. Je revois cette personne il y a trois mois 
environ. Sa santé est transformée. Elle se trouve bien, elle a repris cou¬ 
rage et travaille. Elle s’endormait à la parole, autrefois. Cette fois-ci, 
elle résiste. Je n’insiste pas, d’autant plus que la présence d’une tierce 
personne, derrière la porte, et dont elle est consciente, l’a fait résister. 
Mais son état de santé actuel rendrait l’hypnotisme plus difficile. En 
dehors du bon résultat obtenu par la suggestion, je noterai l’économie 
du traitement. Depuis son mariage, tout l’argent économisé et dispo¬ 
nible s’était évanoui, gaspillé en inutiles consultations et en achat de 
médicaments variés et très onéreux. 

Observation VI. — M me X..., âgée de quarante-deux ans. Embonpoint 
très marqué. Bonne santé habituelle. Rien à signaler dans son enfance. 
Vient me consulter à deux reprises en avril 1900. Cette femme a perdu 
il y a quatorze mois un fils unique âgé de sept ans. Le chagrin a en¬ 
traîné des troubles profonds. Depuis six mois, suppression menstruelle. 
Insomnie, picotement de toute la peau. Zones d’hyperesthésie et d’in¬ 
sensibilité. Inertie presque complète. Inutilité des bromures prescrits 
lors de deux consultations. Le 9 mai, je me rends près de la malade. 
Aucune lésion d’organe. Creux de l’estomac très sensible (pointe du 
sternum). La pression de ce point et des yeux produit presque instan¬ 
tanément le sommeil. Suggestion. 

Je maintiens cette nerveuse pendant plusieurs mois sous l’influence 



350 


REVUE DE L HYPNOTISME 


de mes conseils, en suivant la même méthode que dans l’observation 
précédente. Retour à la santé. Je rencontre fréquemment cette per¬ 
sonne, lorsque je me rends à Condé. Sa santé est bonne et elle est con¬ 
solée dans la mesure du possible. 

Remarque. — Sous l’influence des troubles nerveux, alors que les 
ovaires sont troublés dans leurs fonctions, il peut se présenter un em¬ 
bonpoint excessif, comme chez les êtres mâles ou femelles châtrés 
(observations I, V, VI). 

Observation VII. — M lle X..., dix-huit ans, ouvrière de filature. Ses 
parents me font appeler fin novembre 1892. 

Cette jeune fille présente de la fièvre vive avec un ensemble de symp¬ 
tômes simulant la fièvre muqueuse ou fièvre typhoïde légère. Rien à 
signaler dans ses antécédents. Sur cet ensemble se greffent des acci¬ 
dents nerveux (boule). Tous ces troubles ont été causés par chagrins 
d’amour, rupture de mariage. Points ovariens sensibles, mais point 
sternal (pointe) très sensible produisant l’étouffement. Pression de ce 
point et pression oculaire, sommeil hypnotique très rapide, suggestion. 
Deuxième, visite le 2 décembre, mieux sensible. Nouveau sommeil. Je 
fais lever la malade, les yeux bandés. Elle transporte un objet d’un en¬ 
droit à un autre selon ma volonté. 

Troisième visite le 6 décembre. Désirant me rendre compte si la 
conscience persistait dans cet état, et après avoir averti la mère, j’im¬ 
pose à mon hypnotisée de s’habiller, de faire un petit paquet de ces 
affaires, puis d’embrasser sa mère qu’elle doit quitter pour toujours et 
pour être à mes ordres en tout et pour tout. 

La jeune fille résiste, obéit, mais arrivée à la porte, elle éclate en 
sanglots, se cramponne à la porte. Je la réveille en soufflant dans la 
figure pour mettre fin à cette scène pénible. 

Observation VIII. — M lle X..., dix-sept ans, grosse fille robuste et de 
bonne santé, prend le lit, atteinte d’une fièvre très vive, mal de tête, 
envie de vomir, langue sale, étouffements: un ensemble* de symptômes 
pouvant faire croire à un début de fièvre typhoïde. Le début brusque 
éloigne cette idée. J’apprends que les règles ont été arrêtées brusque¬ 
ment il y a cinq à six jours, cette domestique ayant éprouvé une grande 
frayeur en voyant son patron se colleter avec un de ses voisins. 

Sommeil. Suggestion. Guérison. 

Les observations VII et VIII ont pour point de départ l’arrêt des 
règles. Par le sang menstruel, en dehors de la ponte des œufs, la femme, 
surtout la jeune fille, se débarrasse de toxines, question dont on s’occupe 
beaucoup en ce moment. Ces toxines ont sans doute produit cet ensemble 
simulant un état typhoïde. 

L'utilité de l’hypnotisme et de la suggestion dans ces sortes d’affections 
est indéniable. 


(VAnnée médicale de Caen.) 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


351 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Société d’hypnologie et psychologie 

Les séances de la Société d’hypnologie et de psychologie ont lieu le 
troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des 
Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le D r Jules 
Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 20 mai 1902. 

Les médecins et les étudiants sont invités à y assister. 

Avis important. — M. le D r Paul Farez, secrétaire-général-adjoint, 
93, rue de Courcelles, Paris, a accepté de remplir les fonctions de tréso¬ 
rier. Pour faciliter les recouvrements, les Membres de la Société sont 
invités à lui adresser le montant de leurs cotisations. 


Séance annuelle de la Société d’hypnologie 

La séance annuelle aura lieu le mardi 17 juin 1902. L’année dernière il a 
été décidé que la séance annuelle serait avancée d’un mois. Comme les 
années précédentes, la séance annuelle sera suivie d’un banquet. Nous 
comptons cette année sur la présence d’un grand nombre de nos collè¬ 
gues de la province et de l’étranger. 


La guerre du Transvaal et la folie en Angleterre. 

On remarque, en Angleterre, que beaucoup de gens revenus de 
l’Afrique du Sud sont en proie à une surexcitation nerveuse manifeste. 
D’autre part, il y a un accroissement du nombre des vésanique dont 
la cause serait, d’après M. Claye Shaw, la guerre du Transvaal. En tous 
cas, le rapport de la Commission des asiles de Londres, constate qu’en 
1901 le nombre des aliénés s’est élevé de 16. 358 à 21.369. 


NOUVELLES 


L’enseignement médical de la Pitié 

Quatre médecins de l’hôpital de la Pitié se sont réunis pour instituer, 
dans cet hôpital, un enseignement tel que, chaque matin, les étudiants 
puissent entendre une ou deux leçons faites sur une branche spéciale de 
la pathologie. Cet enseignement n’est pas seulement didactique, une 
large part est réservée à la pratique aussi bien dans les salles de malades 
que dans la salle des consultations spéciales, en ce qui concerne les ma¬ 
ladies de la nutrition, les affections du système nerveux, la dermatologie, 



352 


REVUE DE L HYPNOTISME 


la gynécologie médicale. Les élèves seront mis à même de suivre les 
examens cliniques, les soins donnés dans les divers cas, en même temps 
que les leçons théoriques. 

Maladies du système nerveux 

M. Babinski commencera ses conférences cliniques sur les maladies 
du système nerveux le samedi 3 mai à 10 h. 1/2 et continuera tous les 
samedis suivants. 

Dermatologie 

M. Darrier. 

Samedi, à 9 h. l/k. — Amphithéâtre — Leçons cliniques et théoriques sur 
les maladies de la peau. 

Jeudi, à 10 h. — Laboratoire Piorry — Conférences avec démonstrations 
microscopiques sur l’histologie des maladies de la peau. 

Lundi et vendredi, à, 9 h. 1/4. — Salle des consultations spéciales — Con¬ 
sultations dermatologiques. 

Mardi, à. 10 h. — Salle Piorry — Opérations dermatologiques. 

Gynécologie médicale 

M. Paul Dalché commencera ses leçons de gynécologie médicale, le 
lundi 21 avril à 10 h. 1/4 et continuera les lundis suivants. 

Objet du cours : la Puberté 

Mardi, à 9 h. — Salle Cruveilher —• Maladies des femmes. 

Mercredi, à 9 h. — Salle des consultations spéciales — Même sujet. 
Vendredi, a 9 h. — Salle Monneret — Clinique générale. 

Maladies de la nutrition 

M. Albert Robin reprendra ses leçons de clinique thérapeutique, le 
mercredi 16 avril, à 10 h., et continuera les mercredis suivants. 

Objet du cours : Thérapeutique des maladies de la nutrition. 
Jeudi, à 9 h. — Salle des consultations spéciales — Diagnostic des 
maladies de la nutrition : M. Michel assistant. 

Samedi, à 9 h. — Salles Serres et Valleix — Présentation de malades 
avec discussion du traitement. 


Ecole de psychologie. — Le cours de M. le D r Bérillon à l’Ecole 
pratique de la faculté de médecine sera complété par une conférence, 
avec projections lumineuses, faite à l 'Ecole de psychologie, 49, rue 
Saint-André-des-Arts, le jeudi 22 mai, à cinq heures. Sujet de la confé¬ 
rence : Le grand hypnotisme d'après les travaux de Charcot et de 
Dumontpallier. — Les médecins et les étudiants sont invités à y assister. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert, 10. 



REVUE DE L’HYPNOTISME 

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 


16* Année — N° 12. Juin 1902. 

La sociologie criminelle 

Par M. le professeur Niceforo, de Lauzanne 
(suite et fin) 


Celui qui croit qu’une science quelconque peut se développer 
en dehors des autres sciences commet une faute qui condamne 
à mort cette science. Toutes les sciences, dans l’univers scien¬ 
tifique, se tiennent, — et les découvertes qu’une d’elles accom¬ 
plit, se répercutent dans les autres comme les vibrations d’un 
écho sans fin. 

C’est, justement, en raison de cette loi admirable d’harmonie 
scientifique, qu’une science, surtout une science qui étudie une 
des nombreuses activités humaines, ne peut pas se passer des 
autres sciences qui étudient, d’après nature, l’homme même. 

Tout acte de présomption scientifique commis dans ce sens 
porte avec lui la condamnation à mort de cette science orgueil¬ 
leuse. 

Je vous disais que c’est surtout aux médecins et aux alié¬ 
nistes que nous devons les premières tentatives d’application — 
à la science du crime — soit de la méthode expérimentale, qui 
avait donné des résultats si merveilleux dans les autres 
sciences, soit des découvertes des sciences naturelles et médi¬ 
cales. Les juristes, en effet, surtout les juristes classiques, 
n’auraient jamais fait cela. 

Il y avait, d’abord, une question d’incompétence. 

Des juristes, enfermés dans leurs théories abstraites, ne 
connaissant que l’homme réel et vivant rien de positif, ne pou¬ 
vaient pas s’apercevoir de l’importance qu’apportaient les nou¬ 
velles découvertes des sciences naturelles et médicales. Ils se 
trouvaient, en face de ces découvertes, un peu comme les in- 


12 


354 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


digènes d’Amérique lorsque, pour la première fois, ils virent 
les bateaux et les hommes de Christophe Colomb. 

Il s’agissait, en effet, de découvertes que j’appellerais techni¬ 
ques et qui se reliaient à la psychologie, l’anthropologie, l’his¬ 
tologie, l’anatomie humaine et comparée, l’cmbriologie, etc. 
On ne s’étonnera donc pas si le droit pénal classique a conti¬ 
nué, vis-à-vis de l’arabe incompréhensible pour lui de ces 
découvertes, à battre son chemin ét à rester toujours semblable 
à lui-même sans même comprendre la grande révolution qui 
s’accomplissait autour de lui. 

Mais les innovateurs ne se déclarèrent pas vaincus devant 
cette indifférence du droit pénal classique. Au contraire, ils 
redoublèrent leurs efforts, et quand surgirent d’autres hommes 
qui, avant de sc dédier au droit pénal, jugèrent nécessaire de 
passer à travers le creuset des sciences médicales et natu¬ 
relles, la Sociologie criminelle était fondée. 

Il ne faut pas croire, pourtant, que la sociologie criminelle 
soit le résultat d’un heureux mariage entre la médecine et le 
droit pénal. 

La sociologie criminelle prend seulement, comme point de 
départ, les résultats do la psychologie, de la psychiatrie et 
d'autres sciences naturelles, et elle étudie l’homme criminel 
avec la méthode expérimentale, en se servant de la lumière qui 
a jailli des découvertes des sciences médicales et naturelles. 
Ces découvertes, en un mot, tout en étant le point d’arrivée de 
certaines sciences naturelles, ne sont que le point de départ 
de la sociologie criminelle. Voilà la différence. 

Quelles sont donc ces découvertes qui ont révolutionné le 
champ du droit pénal ? 

On pourrait condenser en deux larges catégories les résul¬ 
tats de la psychologie et de la psychiatrie qui, — (à part l’ap¬ 
plication de la méthode expérimentale dans la science du 
crime), — ont déterminé la naissance de la sociologie crimi¬ 
nelle. 

Voilà la première catégorie, — due plus à la psychologie 
expérimentale qu’à la psychiatrie. 

Tout acte de l’homme, soit intérieur, soit extérieur, n'est que le 
résultat nécessaire de la constitution organique de l’homme et du 
milieu, soit social, soit physique, qui agit sur lui. 

Voilà, maintenant, la seconde catégorie due plus à la psy¬ 
chiatrie qu’à la psychologie : 

Le criminel est, dans sa conformation organique et psychologique , 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE 


355 

tout à fait différent des autres hommes. Toutes ces différences 
constituent des phénomènes de pathologie qui s'appellent dégénéres¬ 
cences. 

Vous comprenez de suite quelle révolution apportent ces 
deux théorèmes scientifiques dans l’étude du crime et de 
l'homme criminel. En disant que tout acte de l’homme n’est que 
le résultat nécessaire de la constitution organique de l’individu 
et du milieu (soit social, soit physique) qui agit sur lui, — on 
dit que ce n’est pas la libre volonté de l’hommo qui guide ses 
actions, mais la constitution organique individuelle en concur¬ 
rence avec les pressions que le milieu exerce sur lui. En disant 
que la constitution organique du criminel est différente de la 
constitution organique de l’homme normal, on dit qu’on devient 
criminel parce qu'on a dans sa constitution organique des 
stigmates de dégénérescence que l’homme normal n’a pas. 

Le crime n’est donc pas le fils du libre arbitre, ou de la 
volonté du criminel ; — il n’est que le résultat de la constitution 
organique et psychique, et du milieu dans lequel le criminel a 
vécu. 

L’école classique, qui s’est refusée à étudier l’homme, sa psy¬ 
chologie, son cerveau, sa constitution organique, etc., etc., au 
lieu de partir de ces deux théorèmes scientifiques, partait pour 
bâtir son catéchisme des crimes et des peines, d’un principe 
tout à fait opposé. 

Elle a dit : L’homme criminel commet son crime parce que 
son libre arbitre l’a poussé au crime. Il faut cependant recon¬ 
naître — (c’est toujours le droit pénal classique qui parle) — il 
faut cependant reconnaître que dans certaines circonstances ce 
libre arbitre diminue (comme dans la passion, l’âge avancé, la 
force irrésistible) — ou disparait complètement comme dans la 
démence. 

Et alors —(c’est toujours le droit pénal classique qui parle) 
et alors, — pour punir le criminel je mesure la quantité de son 
libre arbitre. Si son libre arbitre est complet, l’homme criminel 
est responsable complètement ; si l’homme criminel ne jouit que 
d’un libre arbitre moins complet, je diminue sa responsabilité ; 
— si l’homme criminel, enfin, n’est pas libre du tout, je ne le 
rends responsable de rien. 

J’ai dit que ce principe est erroné. C’est la psychologie et la 
psychiatrie qui se sont chargées de prouver sa fausseté, en 
démontrant que, tout acte de l’homme ne dépend pas de son 
libre arbitre;, mais qu’il est le résultat soit de la constitution 



356 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


organique, soit du milieu physique et social dans lequel 
l’homme vit. 

Je dis, aussi, que ce principe est illogique. En effet, du 
moment qu’il admet des causes qui diminuent ou détruisent la 
liberté humaine, de quel droit ou avec quel critérium osera-t-il 
affirmer que ces causes sont seulement la démence, la folie 
morale, la minorité, la force irrésistible, etc. ? Et pourquoi 
n’osera-t-il pas donner d’autres causes dont tout le monde 
reconnaît l’existence et l'importance sur les actions humaines, 
c’est-à-dire, le degré d’instruction du criminel, la misère 
économique, l’influence nerveuse d'une journée orageuse et 
chargée d’électricité, la chaleur, le froid, le degré de la civili¬ 
sation dans lequel le criminel se développe, son tempérament 
qui peut être sanguin ou nerveux, lymphatique ou bilieux, — 
sa race, qui peut être irritable ou tranquille, dégénérée ou 
saine ? 

Voilà donc la contradiction. On est forcé, — (je ne sais avec 
quel critérium) à établir que quatre ou cinq causes seulement 
influent sur les actions criminelles — tandis qu’il y en a, non 
seulement quatre ou cinq, — mais cent mille. J’ai dit que ce 
principe était faux et illogique. Je dirai, aussi, qu’il est d’une 
application pratique impossible. En effet, le droit pénal classi¬ 
que prétend mesurer la liberté humaine de chaque criminel afin 
de lui appliquer une dose tout à fait égale de responsabilité, 
et, en conséquence, de pénalité. Mais, comment peut-on faire, 
je demande, pour mesurer exactement la quantité de liberté 
humaine? Non seulement; mais aussi, comment peut-on faire 
pour appliquer une pénalité qui soit exactement correspondante, 
comme poids et comme mesure, à la liberté humaine qu’on a cru 
mesurer? 

Il faut ajouter, aussi, que le principe de la liberté humaine 
est non seulement combattu par la psychologie expérimentale, 
laquelle a démontré que tout acte de l’homme est le résultat de 
la constitution organique et de la pression du milieu dans lequel 
l’homme vit, — mais qu’il est aussi combattu par une multitude 
respectable de philosophes qui sont arrivés à cette vérité par 
un autre chemin que celui de la psychologie expérimentale. Et 
alors, je demande, comment peut-on baser tout l’édifice de ce 
système répressif, qui forme une partie si grande et si puissante 
de la fonction sociale du pouvoir, sur une doctrine qui non 
seulement est fausse d’après la science, qui non seulement est 
illogique par elle-même, qui non seulement est d’une applica- 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE 


357 


tion pratique impossible, — mais qui est aussi disputée dans 
tout le domaine de la pensée humaine soit scientifique, soit 
philosophique ? 

Nous étudierons plus tard où il faut placer la base de la 
responsabilité du criminel; mais, avant d’établir des théorèmes 
et faire des définitions, — étudions les faits. Suivons le criminel 
dans sa vie, — pénétrons dans son cœur, fouillons dans son 
âme comme les botanistes fouillent dans la terre pour chercher 
les racines des plantes, suivons le criminel dans les prisons, 
— cherchons les causes qui l’ont poussé au crime — et seule¬ 
ment après ces observations, nous pourrons parler du droit 
répressif. 

Parce que seulement cette méthode d’observation porte, dans 
toutes les manifestations de la vie, à la découverte de la vérité ; 
c’est seulement cette méthode qui vivifie et immortalise toute 
recherche scientifique; c’est seulement cette méthode, enfin, 
qui élève un système de recherches et d’applications pratiques 
à la dignité de science. Et nous verrons plus tard que, grâce 
à cette méthode, la sociologie criminelle n’est pas — comme le 
droit pénal d’aujourd’hui, un catéchisme sec et égoïste de ven¬ 
geance sociale, mais une véritable science, une science qui 
prend sa racine dans la vérité et dans la justice et qui cherche 
à faire de cette société humaine pour laquelle nous tous tra¬ 
vaillons, non pas une aveugle vengeresse, mais une juste pro¬ 
tectrice du Droit. 

Résumons donc le domaine de la sociologie criminelle. 

La sociologie criminelle est composée de trois parties. La 
première partie étudie d’abord les causes du crime, — et comme 
ces causes sont des causes physiques, des causes individuelles 
et des causes sociales, elle commence par étudier le milieu phy¬ 
sique, dans lequel le criminel se développe, le milieu social, qui 
le pousse au crime, et sa constitution organique. Pour l’étude 
du milieu physique, la sociologie criminelle puise à la Socio- 
géographie, qui a été aujourd’hui admirablement développée 
par Ratzel et qui étudie l’influence du milieu géographique en 
général (tel le climat, la latitude, l’altitude, etc.) sur l’homme. 
Pour l’étude des causes individuelles du crime, c’est-à-dire 
pour l’étude de la constitution organique du criminel, la socio¬ 
logie criminelle puise à l 'Anthropologie criminelle qui étudie la 
constitution physique du criminel, et à la Psychologie criminelle 
qui étudie les sentiments et l’intelligence du criminel. 

Pour l’étude des causes sociales du crime, c’est-à-dire pour 



358 


BEVUE DE L’HYPNOTISME 


l’étude du milieu social qui forme le criminel, la sociologie cri¬ 
minelle puise à cctle source intarissable qui est la Statistique. 
Les statistiques economiques, morales et criminelles, lui four¬ 
nissent une véritable mine où elle cherche et trouve le filon 
d’or brillant de la vérité. 

La deuxième partie de la sociologie criminelle étudie le cri¬ 
térium et les moyens de répression du crime, en s’appuyant sur 
les résultats de la première partie, c’est-à-dire sur des études 
positives du criminel. Cette deuxième partie correspond, à 
peu près, à ce qu’on appelle aujourd’hui le droit pénal, avec 
cette différence cependant que— lorsque le droit pénal décrète 
la responsabilité du criminel et les mesures répressives, il ne 
connait ni le criminel, ni le milieu qui a formé le criminel : 
cette partie de la sociologie criminelle, au contraire, bâtit son 
système répressif sur les résultats que l’étude minutieuse du 
criminel et du milieu criminel lui fournit. Le « critérium » 
de la répression étudie le problème de la responsabilité du 
criminel, la notion du crime et le procédé de faction pénale- 
Les « moyens de répression » étudient les différents systèmes 
de répression imposés aux différentes catégories de criminels 
par la loi. 

La troisième partie de la sociologie criminelle s’occupe de 
prévenir les crimes en agissant sur les causes sociales, physi¬ 
ques et individuelles, qui les produisent, et que la première 
partie de la sociologie a étudiées et éclairées. J’aimerais appe¬ 
ler celte partie politique criminelle, parce qu’elle étudie les 
façons avec lesquelles les gouvernements peuvent substituer 
à un état de choses producteur de criminalité, un autre état 
qui ne le soit pas. Je rattache aussi à cette partie l’étude scien¬ 
tifique du traitement du criminel dans les pénitenciers, dans 
les colonies agricoles, et, enfin, dans les établissements où le 
droit répressif envoie les criminels pour les corriger ou pour 
les isoler de la société. 

Parce qu’il ne suffit pas que la loi répressive envoie, par 
exemple, — le criminel dans une colonie agricole et l’oblige au 
travail; — non, il faut aussi suivre jour par jour la vie du cri¬ 
minel dans le nouveau milieu qu’on lui donne, pour établir, 
d’après les observations psychologiques, le degré de perver¬ 
sion ou les progrès de son amélioration morale. 

La politique criminelle — a donc deux parties : — une, la pre¬ 
mière, préventive, qui cherche à couper les causes sociales, phy¬ 
siques et individuelles des crimes ; — et l’autre, répressive, qui 



LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE 


359 


surveille le traitement des criminels dans les différents établis¬ 
sements où la loi répressive les envoie. 

J’ai résumé dans le tableau suivant le champ d’investigation 
de la sociologie criminelle. 

SOCIOLOGIE CRIMINELLE 
lo Les causes du crime. 

Causes physiques. — [Sociogéographio : rapports entre le climat, la lati¬ 
tude, l'altitude, le milieu tellurique et l’homme criminel); 
Causes individuelles. — ( Anthropologie criminelle : étude du crâne, 
du squelette, des viscères, delà physionomie des criminels) ; 

b) ( Psychologie criminelle: étude des sentiments, de l’in¬ 
telligence et de la psychologie physiologique du criminel) ; 
Causes sociales. — (Statistique criminelle: étude des rapports entre le 
milieu social et le criminel, —moyennant la méthode sta¬ 
tique) ; 

2 ° Le « Critérium » et les moyens de répression. 

a) « Critérium » de la répression — étude do la responsabilité, de la 

notion du crime, et de l’action pénale. 

b) Moyen de répression — étude des différents systèmes de répression 

(élimination et correction) imposés par la loi aux criminels. 

3° Politique criminelle. 

a) Politique criminelle préventive — recherche des moyens qui pré¬ 

viennent le crime. 

b) Politique criminelle répressive — étude du traitement des criminels 

dans les différents établissements où la loi répressive les 
envoie. 


SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 


Séance du mardi 15 Avril 1902. — Présidence de M. Jules Voisin. 


La séance est ouverte a 5 h. 45. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

La parole est à M. le Secrétaire général pour la lecture de la corres¬ 
pondance. 

La séance est levée à 6 h. 30. 



360 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


Tremblement trépidatoire hystérique guéri par la 
, suggestion hypnotique 

parM. le D r Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière. 

Je vous présente l’observation d’une jeune fille de 17 ans, qui, mes¬ 
sieurs, sous l’influence d’une vive émotion, a été prise d’un tremblement 
trépidatoire, de tout le côté gauche d’abord, puis trois jours après des deux 
côtés, et qui fut guérie par la suggestion hypnotique. Cette malade fut 
apportée à ma consultation externe de la Salpétrière (elle était dans l’im¬ 
possibilité absolue de marcher), et s’en retourna à pied complètement 
guérie (*). 

Voici l’histoire de cette malade : 

Son père est sommelier et éthylique ; sa mère est morte à la suite de 
couches. Réglée pour la l re fois il y a 9 mois sans accidents, cette jeune 
fille eut dans son enfance plusieurs maladies, rougeole, scarlatine, bron¬ 
chite et amygdalite ; mais à partir de 9 ans elle se porta bien et se déve¬ 
loppa normalement. Placée dans une crémerie, elle travaille beaucoup et 
est chargée d’aller porter le matin de bonne heure le lait chez les clients. 
Il y a trois semaines, en revenant de livrer du lait à 6 h. du matin, sur le 
quai Morland, elle fut interpellée et suivie par un individu qui lui occa¬ 
sionna une grande frayeur. Elle se dépêcha de rentrer chez son patron 
où elle arriva très pâle et très émotionnée. Elle n’en continua pas moins 
son travail. Mais cette scène du jeune homme lui revenait souvent à l’es¬ 
prit et l’angoissait. Ce ne fut cependant que quinze jours après cette ren¬ 
contre qu’elle présenta les symptômes pour lesquels elle vint nous con¬ 
sulter. Le tremblement débuta le matin, en se levant, par le pied droit, 
puis le lendemain le tremblemement s’étendit au membre supérieur du 
même côté. Enfin trois jours après les quatre membres furent pris et il 
fut impossible à cette jeune fille de marcher sans soutien. Le tremble¬ 
ment est très bien rhythmé, les oscillations ont lieu d’avant en arrière et 
sont constitués par des mouvements d’extension et de flexion, de petite 
étendue et de vibrations encore moins étendues. Ce tremblement qui a 
été hémiplégique le premier jour, est maintenant étendu aux quatre 
membres. Il produit ce petit tapottement des pieds que nous entendons 
d’une manière régulière. Ces oscillations qui sont au nombre de deux à 
trois par secondes et d’une très petite étendue, augmentent d’étendue et 
diminuent de nombre quand la malade fait des mouvements intentionnels. 
Nous voyons alors de véritables secousses qui rappellent celles de la 
chorée ou de l’ataxie. Pas de mouvements du côté de la langue et des 
lèvres. Dans la position horizontale, c’est-à-dire quand la malade est 
couchée ces mouvements diminuent et même cessent, tout à fait quand 

(1) Cette malade a été l'objet d’une leçon à mon cours à la Salpêtrière le 30 jan¬ 
vier 1902. 



SOCIÉTÉ d’hYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 301 

on ne parle pas à la malade. En même temps que ce tremblement, nous 
constatons de l’anesthésie et de l’analgésie qui d’abord limitée au côté 
droit s'étendit au côté gauche le jour ou le tremblement apparut de ce 
côté. Points hystérogènes au niveau de l’ovaire droit, sous le sein gauche 
et au niveau de l’épine dorsale sur la ligne médiane à la 12 e vertèbre* 
Anesthésie de la face et des oreilles, excepté au nez. 

Le cuir chevelu est sensible. 

L’ouïe, l’odorat, le goût sont normaux, mais la muqueuse extérieure 
des lèvres et des yeux est insensible. 

Le champ visuel est très rétréci des deux côtés, mais surtout à droite. 
Pas d’achromatopsie. 

La compression de l’ovaire produit la sensation de boule. Elle remonte 
jusqu’à la gorge et produit la toux et une sensation d’étouffement. Pas 
d’attaques convulsives. 

Le sens musculaire est modifié. Au dynamomètre, l’aiguille à droite 
s’arrête à 10 et à gauche à 60 quand le tremblement et l’anesthésie n’exis¬ 
taient pas de ce côté, mais du jour où les deux côtés furent anesthésiés et 
animés de trépidation, le dynamomètre varia entre 10 et 15. Si on met le bras 
en l’air la malade ne reconnaît pas du premier coup la position de ses 
bras ; elle ne le reconnaît qu’au bout de 5 à 6 secondes mais après un 
mouvement intentionnel. Le sens musculaire et articulaire sont donc un 
peu modifiés. 

Le sens stéorognostique ou sens de relief est intact. 

L’intelligence est intacte et les appareils pulmonaire et circulatoire ne 
présentent rien de particulier. Rien de particulier non plus du côté de 
l'appareil gastro-intestinal. Les digestions se font bien. Règles régulières. 

Diagnostic . — En présence de ce tremblement trépidatoire très bien 
rhythmé, de cette anesthésie généralisée, de cette abolition du sens mus¬ 
culaire et articulaire, de ces points hystérogènes, le diagnostic était facile. 
Il fallait penser à l’hystérie quoique la malade n’eut jamais de convul- 
tions. La maladie de Parkinson, lachorée, l’ataxie locomotrice qui présen¬ 
tent quelque analogie avec ce tremblement rhythmé accompagné de se¬ 
cousses sont facilement éliminés par l’étiologie de la maladie, l’ensemble 
des symptômes et l’âge de la malade. Le traitement par l’hypnose et la 
guérison immédiate après une séance d’hypnotisme est encore une 
preuve de la nature hystérique de toutes ces manifestations. 

Traitement. — J’endormis la malade par la fixation du regard ; je lui 
suggérai de n’avoir plus de tremblement et d’anesthésie et d’être très 
bien portante. Au bout d’un quart d’heure je la réveillai et la malade 
était très bien portante. Il n’y avait plus de tremblement et d’anesthésie. 
Je prescrivis en outre des douches brisées et du valérianate d’ammo¬ 
niaque. 


12. 



362 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


L’aboulie chez les buveurs d’habitude. 

par le docteur Bérillon. 

Un fait qui nous a souvent frappé lorsque nous avons étudié l’état 
mental des buveurs d’habitude, c'est que dans la grande majorité des 
cas l’habitude de boire avec intempérance remonte à une date déter¬ 
minée qui correspond toujours avec un événement ayant joué un rôle 
important dans l’existence de l’individu. 

Il peut arriver que l’événement se soit présenté sous forme d’un acci¬ 
dent assez grave, ayant entraîné des blessures ou n’ayant provoqué 
qu’une commotion nerveuse tel qu’on l’observe dans le ralway brain ou 
le ralway spine. Tel était le cas d’un officier de cavalerie, très sobre 
jusqu’au moment où il fit une chute de cheval. Il se relève n’ayant pas 
d’autres blessures que des contusions qui l’obligèrent à garder le lit 
pendant plusieurs jours. A partir de ce moment, on constate de notables 
modifications dans son caractère. Autrefois actif, audacieux et même 
téméraire, il parut transformé en un homme hésitant, timoré et presque 
dépourvu d’initiative et de volonté. Peu après il se mit h boire et devint 
absolument intempérant, à tel point qu’il présente des accès de délirium 
tremens. 

Les événements liés à des causes morales sont de beaucoup les plus 
fréquentes. Parmi ceux qui jouent un rôle considérable dans la vie de 
l’individu et déterminent l’apparition d’un véritable état d’aboulie, il 
faut noter : 

1° Les émotions dépressives résultant d’un amour contrarié, d’un pro¬ 
jet de mariage rompu. 

2° Les chagrins domestiques et les malheurs conjugaux. — Les ennuis 
consécutifsà la trahison conjugale jouent assurément le rôle le plus 
important dans le développement des habitudes d’intempérance. 
. 3° La perte d’un être aimé : La mort d’un conjoint ou d’un enfant, par 
exemple. 

4° La perte d’une situation, la ruine, les condamnations judiciaires, en 
un mot la diminution de la situation matérielle ou morale. 

Quand l’une de ces circonstances est survenue d’une façon inattendue, 
elle revêt l’allure d’un véritable choc moral. II en résulte un trouble 
profond qui se manifeste essentiellement par l’apparition ou l’accen¬ 
tuation de l’état d’aboulie. L’individu semble, depuis ses ennuis ou son 
malheur, absolument dépourvu de volonté. Il le reconnaît et il met sur 
le compte de l’aboulie tous les désordres de sa conduite, se déclarant 
incapable de résister aux entraînements. De plus il avoue qu’il n’est 
heureux que lorsqu’il est sous l’influence de l’excitant alcoolique qui 
lui donne l’illusion du retour momentané de la volonté. 

Dans quelques cas, l’abus des boissons alcooliques n’a d’autre cause 
qu’une grande timidité naturelle. Nous avons relevé un grand nombre 



SOCIÉTÉ D’HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE 363 

de faits qui corroborent cette opinion. Nous nous bornerons à en citer 
un seul exemple, très frappant : 

M. D..., sous-officier d’administration à Vincennes, âgé de 22ans, vient 
nous trouver pour nous demander de le guérir de ses habitudes d'alcoo¬ 
lisme. 

Il n’a commencé à boire que depuis quelques mois. Etant très timide, 
il a commis quelques bévues dans son service, de ce fait il a subi quel¬ 
ques réprimandes d’un de ses supérieurs. Depuis lors, la présence de ce 
supérieur provoque chez lui de véritables états d’anxiété : quand il est 
interrogé par lui, il se trouble, il tremble, il balbutie. Il s’est aperçu que 
le seul remède à cet état était l’absorption d’une certaine quantité 
d’alcool. Après avoir pris quelques petits verres, il recouvrait toute son 
assurance. Il n’a pas tardé à contracter l'habitude de boire. 

En résumé, chez tous les buveurs d’habitude que nous avons observés, 
nous avons constaté l’existence d’un état d'aboulie très manifeste. U est 
vrai que cette aboulie existait fréquemment d’une façon relative avant 
l’apparition des habitudes d’intempérance, mais toujours sous l’influence 
d’un choc moral, d'un événement ayant mis en jeu l’émotion d’une façon 
anormale, cette aboulie s’est aggravée et accentuée et c’est de ce jour 
que l’iridividu est devenu un buveur d’habitude. 

La conclusion est que le traitement rationnel doit consister dans la 
rééducation de la volonté, réalisée avec l’aide t de la méthode hypno- 
suggestivc. 


PSYCHOLOGIE ANIMALE 


Inintelligence des ours blancs. 

M. le docteur Oscar Orlitzky, de Moscou, nous adresse la relation 
suivante : 

« Pendant un voyage que je fis sur l’Océan glacial arctique, il m’est 
arrivé de visiter la «Nouvelle Zemble». Cette triste île, couverte de 
collines pierreuses, paraît être oubliée du reste du monde. 

« Les ours blancs, les phoques, les morses, les otaries sont presque 
les seuls habitants de ces espaces immenses. Toutefois, il y a quelques 
années, le gouvernement russe y a envoyé une colonie composée de 
soixante Samoyèdes environ, qui y chassent et y pêchent. 

« Pendant près de neuf mois, entourés de glaces, de neiges et de 
ténèbres, ils ne communiquent pas .avec la terre ; en été, au commence¬ 
ment et à la fin de la navigation, on leur envoie un bateau à vapeur avec 
des comestibles, et tout ce qui leur est indispensable pour vivre ; en 
échange les Samoyèdes livrent tout leur butin, composé de poissons, 
d’ours blancs, de morses, de phoques et d’otaries, capturés pendant 
l’hiver. 

« Ayant passé quelque temps au milieu de ce peuple primitif et 




364 


REVUE DE L HYPNOTISME 


presque sauvage, j’ai pu remarquer en lui une grande finesse d’obser¬ 
vation, qui le rend prudent, circonspect et habile. Très souvent inquiétés 
par les ours blancs qui rôdent autour de leurs habitations et qui mon¬ 
tent pendant la nuit jusque sur les cabanes, les Samoyèdes sont devenus 
de bons tireurs. J’ai connu un jeune Samoyède de onze ans, qui, bien 
que borgne, tuait son ours à chaque coup. 

« En outre, les Samoyèdes connaissent en détail la vie des ours blancs. 
Ils en savent mieux, que tous les naturalistes, les habitudes et les 
ruses. Comme l’ours blanc aime à s’en aller par les glaçons dans la mer, 
les Samoyèdes, qui connaissent son manège, suivent ses traces ; mais 
l’ours blanc, devinant à une grande distance la poursuite des chasseurs, 
casse la glace avec sa patte, plonge dans la mer et nage sous le glaçon 
à la rencontre des chasseurs ; quand il a rejoint et dépassé ces derniers, 
il casse de nouveau le glaçon et fuit rapidement le danger qui le mena¬ 
çait. Tandis que les chasseurs, ne soupçonnant pas la manœuvre de l’ani¬ 
mal, continuent à suivre ses traces ; ils arrivent alors au trou fait par 
l’animal dans la glace et ils comprennent que l’ours les a joués. 

« Pendant la chasse aux phoques, les ours blancs ont recours à une 
autre ruse. 

« Les phoques remarquent de loin l’ours blanc rien qu’à son museau, 
dont le bout est foncé, mais ils ne peuvent pas apercevoir son corps, 
lequel, étant blanc, se confond avec la neige. L’ours blanc, ayant pour 
ainsi dire conscience de cette particularité, cherche un morceau de 
glace, en masque le bout de son museau et, de cette manière, se glisse 
vers les phoques, alors il se débarrasse du glaçon et saisit sa proie, avant 
que celle-ci ait soupçonné l’approche de son ennemi. 

« Je ne sache pas que, jusqu’à présent, aucun naturaliste ait fait ou 
publié cette curieuse observation. » 


COURS ET CONFÉRENCES 

Tic d’épilation et fausse pelade. —Méfaits 
d’hypnotiseurs amateurs 0), 

par M. le professeur Raymond. 

La jeune fille que voici n’a pas les cheveux très longs, mais, au moins, 
ce sont les siens. Il y a quelques mois, quand elle est venue pour la 
première fois, elle avait une magnifique chevelure blonde, — mais qui 
n’était pas à elle. Lorsqu’elle enlevait cette fausse perruque, elle décou¬ 
vrait un crâne lisse sur presque toute sa surface; d’immenses plaques 
étaient totalement dépourvues de cheveux ; de loin en loin émergeaient 
de petites touffes de cheveux en brosse. 

(1) Présentations de malades faites à la Clinique des maladies du système nerveux 
à la Salpêtrière. 




COURS ET CONFÉRENCES 


365 


On a soigné cette malade à St-Louis pour la pelade ; pendant quatre 
ans de suite, elle a accepté docilement toutes les frictions et tous les 
médicaments qu’on lui a prescrits. Sa santé générale est restée bonne. 
Or ce n’est pas de pelade qu’il s’agit. 

Un beau jour, on découvre la vérité : cette jeune fille s’épile! C’est un 
véritable tic qui apparaît par accès: elle éprouve,d’abord, des agitations 
dans les bras et dans les jambes, puis une grande angoisse; alors sur¬ 
vient l’idée obsédante de s’arracher les cheveux ; elle n’a pas la volonté 
de s’opposer à cet acte, elle l’accomplit et aussitôt après elle sent un 
grand soulagement. 

A l’âge de cinq ou six ans, cette jeune fille avait déjà manifesté le 
besoin de se tirer le nez, les oreilles, les ongles, les cheveux, puis de 
déchirer ses mouchoirs et ses robes ; enfin toutes ces manies se sont 
concentrées dans celles de l'épilation. 

Une première fois, nous l’avons remontée et rééduquée : elle est restée 
trois mois sans s’arracher les cheveux. Depuis quelques semaines, elle 
a recommencé ; elle se les éclaircit, comme elle dit. Pour la guérir 
à nouveau, nous donnerons à sa volonté ce qui lui manque pour vaincre 
l’obsession. 

Dans un cas comme celui-ci, le développement de l’enfant s’effectue 
en apparence normalement; mais les fonctions supérieures du système 
nerveux, l’attention et la volonté surtout, font défaut. S’agit-il d’accomplir 
un travail, l’enfant n’en a ni la volonté ni le pouvoir; il ne présente que 
de l’agitation stérile, sans but déterminé; la rumination mentale et 
l’angoisse font appel au trouble moteur automatique. 

Les tics qui apparaissent dès les premières années sont un signe do 
psychasthénie : l’enfant est marqué au sceau de la dégénérescence. Si 
on le gâte, si on l’élève mal, si l’on satisfait tous ses caprices, il aura non 
plus seulement des tics et des manies, mais des idées fixes et des 
obsessions; il versera dans la folie morale. Si, au contraire, on l’éduque 
bien, si on lui applique une bonne pédagogie, si l’on tonifie son système 
nerveux, si l'on remonte sa volonté, on fera qu’il soit le moins psychas¬ 
thénique possible, 

★ 

* ¥ 

Voici une jeune femme de 22 ans qui, depuis sept mois, présente de 
grandes crises ; elle en a eu plusieurs, tout à l’heure, quand elle est entrée 
dans la salle de consultation. 

Ces crises comportent quatre périodes. C’est d’abord une apra prémo¬ 
nitoire : la malade est énervée et voudrait bien casser quelque chose. 
Puis, elle jette un cri, tombe à terre, décrit un grand arc de cercle, avec 
une série de salutations. Ensuite vient une courte période de calme. 
Enfin se déroule un délire émotif : elle voit des animaux, surtout des rats, 
des chiens, des serpents qui la poursuivent et la mordent violemment; 
elle conserve, par la suite, le souvenir de ces morsures. 

Cette zoopsie fait penser à l’éthylisme. Or cette femme est très sobre. 



366 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


D’ailleurs l'examen détaillé de la malade, les caractères de la crise et la 
genèse des accidents montrent qu’il s’agit d’autre chose : ce délire repro¬ 
duit un état émotionnel dans lequel elle s’est trouvée placée. 

Elle présente une sorte d’analgésie généralisée, peu prononcée, il est 
vrai, puis de l’hypoesthésie à gauche et du rétrécissement du champ vi¬ 
suel, également à gauche. En outre, elle a déjà eu des crises analogues, 
il y a deux ans. 

Elle est fille d’un père à la fois épileptique et alcoolique. Toute jeune? 
elle s’est montrée nerveuse et a eu des peurs morbides. Réglée à 13 ans, 
mais très irrégulièrement depuis, elle a eu quelques troubles digestifs et 
de l’anorexie. 

A 19 ans, elle devient enceinte. Son enfant meurt à l’âge de huit mois ; 
pendant quelque temps elle a des crises de nerfs, puis elle revient à peu 
près à l’état normal. 

Il y a un an, elle fait la connaissance d’un sous-ofïîcier. Celui-ci est 
très jaloux et veut savoir ce que fait sa maîtresse. Comme elle parle, la 
nuit, en dormant, il en profite pour lui faire raconter tout ce qu’elle fait 
pendant la journée ; elle ne dévoile d’ailleurs rien que de très régulier et, 
au réveil, ne conserve aucun souvenir de ces interrogatoires. 

Ce sous-ofïicier est bavard et fanfaron ; à la caserne, il raconte ses 
bonnes fortunes. Un autre sous-ofïicier se dit alors : a Puisqu’elle est 
hypnotisable, je vais tâcher d’en profiter. » Il l’hypnotise en effet et de¬ 
vient son amant. 

Voilà donc cette femme prise entre ces deux hommes, chacun d’eux 
lui faisant la suggestion de ne plus revoir l’autre, si bien qu’ils arrivent 
à la détraquer. Cette personne, qui avait une petite teinte d’hystérie, est 
ainsi devenue la victime de ses hypnotiseurs d’occasion. 

Or, si l’hypnotisme, manié par des médecins consciencieux et habiles, 
est un merveilleux agent de thérapeutique, il peut devenir dangereux 
lorsqu’il est employé par des amateurs qui manquent d’expérience qui 
ne savent pas où ils vont et sont incapables de limiter leur action. 

Ainsi ballottée de l’un à l’autre, cette femme a eu des idées de persé¬ 
cution; tout, le monde lui veut du mal. Elle a fait de la folie hystérique. 

Cette jeune femme est entrée dans nos salles; l’action néfaste de ses 
deux sous-officiers s’est ainsi trouvée supprimée. Les premiers jours, 
elle a eu des crises très nombreuses avec cris perçants ; au bout de 
quatre ou cinq jours, elle s’est trouvée rassurée et calmée. 

Malheureusement l’un et l’autre lui ont écrit et lui ont fait ainsi de la 
suggestion par lettre; elle est, dans une certaine mesure, retombée sous 
leur influence et elle nous a quittés au bout de très peu de temps. 

Elle va rentrer dans le service. On calmera son système nerveux; on 
lui fera de l'hypnotisme, mais du bon, de l’hypnotisme thérapeutique. 

Pour terminer j’insiste sur ce point : le délire de cette femme ne doit 
pas être mis sur le compte d’une psychose quelconque ; c’est un accident 
hystérique causé par les méfaits de ses deux hypnotiseurs rivaux. 

% 



BIBLIOGRAPHIE 


367 


BIBLIOGRAPHIE 


par M. lo Docteur Paul Farez. 


Questions de philosophie morale et sociale, par J. P. Durand (de Gros), 
avec une introduction de D. Parodi, Félix Alcan, 1901, 

Il y a exactement un an ( 4 ), au sein même de cette Société, nouâ 
déplorions la perte d’un homme éminent dont la disparition mettait en 
deuil la science tout entière, mais plus particulièrement encore le mondé 
des hypnologistes et des psychologues. Pendant les dernières semaines 
de sa longue et laborieuse vie, Durand (de Gros) avait fait un dernier 
effort de production pour écrire un livre dont les feuillets épars, écrits 
souvent d’un premier jet, sans même parfois avoir été relus par leur 
auteur, viennent d’être pieusement recueillis et publiés par M. Parodi 
sous le titre de Questions de philosophie morale et sociale. L’occasion 
s’offre à nous de célébrer l’anniversaire de la mort de notre très regretté 
maître, non point par des cérémonies rituelles, ihais en donnant une 
dernière fois la parole à cette voix d’outre-tombe. Aussi bien pour cet 
esprit passionné de vérité la plus grande joie et la plus solide récompense 
ont toujours été de voir ses opinions et ses idées étudiées, propagées, 
discutées. 

Plusieurs fois déjà, ici même ou ailleurs, on a eu l’occasion de dire 
que Durand (de Gros) était de la lignée de ces grands penseurs qui furent 
indissolublement à la fois savants et philosophes, sans que jamais l’un de 
ces caractères fit tort à l’autre. Ainsi que l’avaient fait Aristote, Descartes 
Leibnitz ettant d’autres, Durand (de Gros), après s’être adonné aux sciences 
et les avoir fait étonnamment progresser sur plus d’un point ( 1 2 ), après 
avoir d’autre part affronté les problèmes les plus ardus de l’ontologie, 
se tourna vers le domaine de la morale et delà vie pratique. Le nouveau 
livre que j’ai l’honneur de vous présenter est la suite, le complément et 
pour ainsi dire la conclusion de ses deux derniers ouvrages : Nouvelles 
recherches d'Esthêtique et de Morale et Variétés philosophiques. Nous 
y retrouvons l’ancien révolutionnaire de 1848, l’ancien proscrit du Deux 
Décembre, le démocrate militant qu’il a été toute sa vie. Avec une ardeur 
de conviction toute juvénile, il vient, sur des questions pratiques d’un 
intérêt palpitant, apporter les conseils et les solutions dictés à la fois par 
son expérience consommée, sa logique intrépide, sa passion désinté- 

(1) Cette présentation d’ouvrage, faite à la séance de novembre 1901 de la Société 
d’hypnologie et de psychologie, n'a pu pour diverses raisons être insérée plus tôt. 

(2) J’ai, à diverses reprises, exposé en détail les conquêtes scientifiques que nous 

devons à Durand (de Gros), notamment dans une conférence faite à l’Institut psycho¬ 
physiologique, en janvier 1900 et dans les leçons que j’ai faites à l’Ecole de psycho¬ 
logie pendant le semestre d’hiver de 1901. P. F. 



368 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


ressée du vrai et du bien. II ne se perd point en considérations plus ou 
moins spéculatives et arides; il s’installe d’emblée dans le domaine des 
faits. Mais, au cours de ses développements, de son argumentation et 
de ses déductions, le logicien de la Taxinomie veille! Il pose nettement 
les problèmes et les réduit aux termes essentiels ; il énonce des défini¬ 
tions précises, il distingue, il disjoint, il met de l'ordre dans les touts 
composites, disparates et hybrides ; il fait bonne justice des malentendus, 
des équivoques, des quiproquos et des fausses antinomies qui entravent 
et paralysent la pensée, qui embroussaillent les controverses, en font des 
combats de nuit, mettent aux prises des adversaires qui n’en sont pas 
et qui n’ont, en réalité, rien à démêler entre eux. 

Résumons à grands traits. 

★ 

♦ ♦ 

Jadis, la morale traditionnelle et la religion, sa puissante suzeraine, 
avaient deux grands ennemis, le matérialisme et l’athéisme ; de nos 
jours, la simple morale du devoir, la morale laïque trouve comme anta¬ 
gonistes des doctrines scientifiques comme le déterminisme, l’évolution¬ 
nisme ou transformisme et le « struggelforlifisme ». Ces doctrines se 
donnent volontiers comme « moralicides », mais elles ne paraissent telles 
que par suite d’une fausse et trop peu exacte interprétation des faits. A 
les mieux considérer, on constate que, non seulement elles ne suppri¬ 
ment pas, mais qu’elles résolvent à la fois la question morale et la ques¬ 
tion sociale. 

Durand (de Gros) est trop imbu du véritable esprit scientifique pour 
n’être pas, du point de vue de la science, un déterministe convaincu. 
Mais, tout de même, il montre que, dans la pratique, le déterminisme 
le plus rigoureux n’implique point l’inertie et n’a rien de contradictoire 
avec l’action la plus énergique, le vouloir le plus résolu : l’homme doit 
donc s’appliquer à raisonner, délibérer, vouloir, agir dans le sens qui lui 
parait le meilleur. 

On proclame, au nom du déterminisme, que les criminels sont des 
malades, que leur seul tort est d’être les descendants de leurs ascen¬ 
dants, que leurs actions résultent inévitablement de leur mentalité native 
et des circonstances qui les entourent, en un mot qu’ils sont irrespon- 
ponsables. Or, il est pratiquement dangereux de répéter ces opinions, 
car l’absence du sentiment de la responsabilité porte une sérieuse atteinte 
à la santé morale de la société, tandis que ce sentiment de la responsa¬ 
bilité personnelle, lorsqu’il existe, est, pour ainsi dire, le frein de lalocomo- 
tive sociale. Tout malfaiteur, en effet, porte en lui un germe d’amende¬ 
ment moral, à l’état plus ou moins potentiel et latent ; c’est comme une 
étincelle cachée sous la cendre et d’où peut renaître la flamme. On tra¬ 
vaille à éteindre cette étincelle, on pousse au crime, quand on dit au 
criminel : vous n’avez ni plus ni moins de mérite que les héros de la 
bonté; chacun de vous est ce que le sort l’a fait. Parler ainsi au malfai¬ 
teur, c’est le fermer à double tour de clef dans son enfer de perversité, 



BIBLIOGRAPHIE 


369 


en traçant sur la porte l’inscription du Dante : Lasciate ogni speranza ! 
Un langage opposé eût peut-être été capable de le retenir au bord du 
précipice et, d’autre part, absoudre à l’avance un criminel sous prétexte 
qu’il est malade est aussi injuste et immoral que de dire à un malade : 
« Tu es incurable, ton état est sans espoir, il est inutile de rien tenter 
pour te guérir ou pour adoucir tes maux; prends et fais ce qui te fera 
plaisir, tu es perdu ! » 

Il n’est guère possible de traiter la question de la responsabilité crimi¬ 
nelle sans dire un mot de l’œuvre de Lombroso. « On doit à celui-ci 
d’avoir soulevé un grand et salutaire remue-ménage d’idées, qu’il reste 
toutefois à mettre en bon ordre ».... a L’école italienne a eu le grand tort 
de vouloir faire de son uomo delinquente un type fixe, d’ériger en une 
entité une et homogène ce qui est en réalité une confusion de choses 
très distinctes et quelquefois disparates. Etre frappé d’une condamna¬ 
tion à mort, au bagne ou à la prison, semble, pour Lombroso, désigner 
suffisamment ce qu’il entend par le criminel. Mais que n’a-t-il fait cette 
réflexion qu’à pareil compte Socrate, Jésus, Vanini, Servet, Jeanne d’Arc, 
en un mot tous les martyrs de la foi religieuse, de la foi philosophique, 
de la foi patriotique et de la foi politique, se Irouverft confondus sous la 
piême étiquette avec les plus atroces meurtriers, avec les plus vils mal¬ 
faiteurs ?» La pierre de touche est illusoire ; le « criminel-né » n’apporte 
en lui-rien de fixe, ni d’ab'solu ; les signes diagnostics de la criminalité 
native, tels que les définit Lombroso, sont une chimère. 

A vrai dire, au moral comme au physique, il existe des anomalies, c’est- 
à-dire des malformations, des difformités et des maladies, soit acquises 
par le sujet, soit héritées de ses ancêtres. Mais est-il logique de crier si 
fort que le vice est une maladie, que le crime, la faute, le péché sont 
des actes morbides, et en même temps de se préoccuper si peu de créer 
la pathologie et la thérapeutique de ces anomalies qui sont les unes, sans 
doute, absolues, mais les autres, relatives ou larvées ? Par l’emploi de 
moyens moraux, par une action dirigée sur les esprits, par une impres¬ 
sion faite sur les sentiments, il serait possible d’appliquer à ces malfor¬ 
més, infirmes, malades, vicieux ou criminels une hygiène, une thérapeu¬ 
tique et une prophylaxie sociales. Nous retrouvons ici le prosélytisme 
de cet initiateur de génie qui, il y a un demi-siècle, avait déjà prévu et 
énuméré toutes les diverses applications de l’orthopédie mentale. 

★ 

♦ + 

La doctrine transformiste se compose de deux thèses tout à fait dis¬ 
tinctes, l’une fondamentale, celle de Lamarck, l’autre complémentaire, 
celle de Darwin. Pour Lamarck, «toutes les espèces dérivent d’un premier 
rudiment commun par des séries de variations successives et graduelles 
dues à des variations correspondantes dans les conditions d’existence 
ou les milieux ». Darwin, lui, se demande uniquement quel est le pro¬ 
cédé suivant lequel les espèces anciennes sont éliminées par les nou¬ 
velles et celles-ci par quelques-unes de leurs congénères contemporaines 



370 


HEVUE DE L’HTPNOTISME 


privilégiées. A une telle question, Darwin a trouvé cette réponse : îa 
sélection naturelle résultant de la lutte pour la vie ou struggle for life. 

La conception darwinienne telle qu’on la comprend presque univer¬ 
sellement aujourd’hui implique que tous les frères de la grande famille 
biologique sont « autant d’ennemis mortels les uns pour les autres, 
acharnés à s'entre-détruire, c’est-à-dire autant de féroces concurrents à 
la vie, se disputant des subsistances insuffisantes dans une lutte 
implacable, qui, naturellement, doit aboutir à la victoire des forts et à 
l’écrasement des faibles. Cette vision du drame de la nature vivante peut 
se traduire par le V:n victis des anciens. » 

L’esprit antireligieux a fait adopter ce Darw inisme comme un allié 
providentiel par le parti de l’égalité et de la fraternité humaines; or 
pour être Darwiniste conséquent, il faudrait abjurer l’égalité et l’huma¬ 
nité! 

A vrai dire, les conséquences morales et sociales que comporte rigou¬ 
reusement le darwinisme ne sont pas tout à fait celles que les apparences 
semblent tout d’abord mettre à sa charge. L’expression anglaise de 
Darwin, struggle for life est imparfaitement traduite par lutte pour la 
vie. Le mot struggle ne comporte pas nécessairement l’idée de lutte, 
c'est-à-dire d’un corps-à-corps avec un adversaire, mais seulement d’un 
effort plus ou moins violent déployé en vue de la conservation person¬ 
nelle ; to struggleveut dire se débattre, se démener, faire tous ses efforts 
pour conserver la vie, pour se tirer d’affaire et ce n’est qu’exceptionnel- 
lomentqu’il signifie lutte. 

Sans doute, dans le règle animal, les individus d’espèces différentes 
sont tous en conflit naturel ; ils tendent à se contrarier à se nuire, et à 
se supprimer réciproquement. Au contraire, chacun des organismes 
animaux offre un ensemble de parties composantes qui ne sont point in¬ 
cohérentes et éparses, qui ne se rencontrent pas pour se Heurter et se 
combattre, qui sont réunies en un tout systématique, qui participent 
toutes à un travail commun ; chacune de ces parties a son emploi propre 
qui complète celui de toutes les autres et reçoit, pour prix de sa coopé¬ 
ration, sa juste part d’entretien, « Bref, l’individualisme incohérent, 
divergont, antisynergique et antagonique, le struggle for life en un mot. 
est le caractère propre et l’essence des agglomérations confuses, des 
assembléos non organisées; c’est un mal inhérent au manque d’organi¬ 
sation ; c’est la manifestation du Désordre. Le collectivisme harmonique, 
c’est-à-dire le groupement systématique des parties et leur synergie 
concordante dans l’œuvre d’utilité commune, c’est-à-dire l’antithèse du 
struggle for life. x oilà le caractère distinctif des ensembles organisés, 
soit naturels, soit artificiels, c’est l’expression de l’Ordre. » 

Comme l’animalité, l’humanité a été jusqu’ici une arène de lutte sau¬ 
vage, de subversion, de dévastation et de massacre ; mais elle marche 
dans une voie d’organisation progressive vers sa constitution en un 
organisme complet dont tous les organes seront solidaires, concordant 
et harmoniquement unis. Le struggle for life interhumain qui a dû natu- 



BIBLIOGRAPHIE 


371 


Tellement régner sur une humanité embryonnaire et ignorante devient 
de moins en moins individuel, de plus en plus collectif; les antagonismes 
s’établissent entre groupes de plus en plus étendus; et ce n’est plus la 
force brutale qui l’emporte, c’est la supériorité intellectuelle et morale 
qui tend à devenir propondérante; à l’avenir, auront le dessus dans la 
lutte, les meilleurs, « aristoi », les meilleurs en intelligence, les meil¬ 
leurs en moralité, ceux qui posséderont au plus haut degré l’énergie, la 
volonté, la persévérance, l'amour du travail, puis, couronnant le tout, 
l’esprit d’association et le zèle des intérêts collectifs, enfin les sentiments 
vraiment humains, l’équité et la bonté. 

A un autre point de vue, les lois d’airain et de fer décrétées par le 
darwinisme sur l’inviolable fixité de la race et la souveraineté absolue 
de l’atavisme méconnaissent l’influence des circonstances, des milieux 
et de toutes les autres causes modificatrices, « C'est une dangereuse 
erreur de croire que l’on est lié par une infirmité de race, alors qu’on 
serait puissant si l’on se savait capable d’agir... Il est pernicieux de 
proscrire toute culture humaine et toute éducation comme inutile, cha¬ 
cun de nous n’ayant, ce semble, rien à attendre, en qualité comme en 
défaut, que de son héritage ancestral. » Or le principe proclamé par 
Lamarck est essentiellement égalitaire; il autorise et encourage toutes 
les espérances d’amélioration, de perfectionnement et de relèvement. 
L’homme a le pouvoir et le devoir de s’élever par sa volonté plus haut 
que l’échelon où la nature l’a déposé; la victoire sera moins à ceux qui 
luttent contre les autres qu’à ceux qui luttent contre eux-mêmes. 

★ 

» * 

L’idéal socialiste a une valeur théorique et morale. Briser la chaîne 
du salariat, émanciper les prolétaires, tenter une œuvre de rénovation 
sociale qui diminue l’égoïsme et l’iniquité, tout cela est rationnel, légi¬ 
time et louable. Mais, si le but est louable, les moyens proposés le sont- 
ils pareillement? 

« Emparons-nous des pouvoirs publics, et tout le reste nous sera 
donné par surcroît. » Tel est le premier et le dernier mot, l’alpha et 
l’oméga de la grande politique socialiste. 

Les uns prétendent, par un coup de force, par un cataclysme, parune 
révolution, mettre en pièces brusquement et brutalement l’organisme 
social existant. Or les moyens violents sont à la fois aléatoires et 
périlleux. « Si de tels chefs peuvent conduire à une victoire révolu¬ 
tionnaire, ce sera pour le plus grand malheur du prolétariat; car ils 
ne seront que des destructeurs parfaitement incapables de rien recons¬ 
truire... Rien n’est prêt pour l’inauguration de la société future. 

Il ne suffit pas de supprimer par décret la vieille société pour que 
celle-ci disparaisse et que la société nouvelle s’improvise, constituée de 
toutes pièces, munie de tous ses agrès et prenne immédiatement sa 
place sans une heure d’interrègne... Avant que le travail pût être 
réorganisé sur des bases toutes nouvelles, il serait arrêté, arrêté dans 




372 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


toutes ses branches, et partout serait arrêtée aussi l’alimentation publi¬ 
que... Le programme du collectivisme révolutionnaire devrait être 
prêt et applicable sur le champ, hic et nunc, et dans son entier. Sinon, 
gare la casse ! Et entre temps ce serait le chômage universel. Mais 
l'homme ne supporte pas longtemps le jeûne : affamées et désillusionnées, 
les foules seraient les premières à implorer le secours d’un « Sauveur » 
et se remettraient d’elles-mêmes sous un joug.plus lourd que jamais. A 
cet égard le passé répond pour l’avenir. » C’estdonc folie de faire la révo¬ 
lution avant d’être en état de l’utiliser ; c'est courir au devant d’un 
désastre. 

Ce sont de faux apôtres du socialisme ces arrivistes, ces charlatans 
politiciens qui chauffent à blanc les colères populaires, qui essaient de 
galvaniser les masses avec des hâbleries, des formules générales et 
vagues, des théories qui n’ont rien de précis, rien de mûri, rien de pra¬ 
tique. Arriver au pouvoir, voilà leur rêve, leur préoccupation dominante, 
le but constant de leurs efforts. Mais, devenus maîtres des pouvoirs 
publics à la suite d’une victoire électorale, ils ne pourraient exercer ce 
pouvoir tant convoité, car, hors d’état de réaliser l’ombre des espérances 
qu’ils ont fait naître, et résolus néanmoins à ne pas se démettre, ils ne 
manqueraient pas, conformément à la tradition, de tourner la force 
armée contre ce même peuple qui les aurait, la veille, élevés sur le 
pavois. Tant que l’idéal de la société future n’aura pas été précisé dans 
ses moindres détails et rendu complètement applicable, les socialistes 
doivent se garder du pouvoir ; leur rôle est dans l’opposition. « Que le 
socialisme soit représenté dans les parlements, c’est bien ; mais qu’il se 
contente prudemment d’y figurer en minorité, une minorité autant que 
possible respectable, avec laquelle il faudra compter, et dont le rôle sera 
de désagréger petit à petit le vieil édifice social et de préluder à la cons¬ 
truction future par une série de réformes préparatoires. » 

Le plus grand obstacle à l’émancipation des prolétaires, c’est l’état 
lamentable de leur mentalité, leurs désordres, leur intempérance, leur 
imprévoyance. « Que leur sert-il, aujourd’hui, d’arracher au patronat 
une réduction des heures de travail et une augmentation de salaire, si le 
loisir gagné est consacré au cabaret, à l’alcool, et si le supplément de 
paye prend le même chemin ? » 

Ce qu’il faut avant tout, c’est les arracher à l’ivrognerie, à la débauche, 
à la passion du jeu, à la cruauté, les rendre sobres, rangés, économes, 
maîtres d’eux-mêmes, puis les régénérer, les éduquer, hausser leur 
niveau moral, éclairer les intelligences, former les caractères, les arra¬ 
cher à la fois à la misère et au vice en leur prêchant les saines vérités. 
« C’est une chimère que la révolution sociale, tant qu’on n’aura pas à 
mettre à sa disposition d’autres hommes que ceux que nous sommes. Il 
faut nous réformer, il faut faire peau neuve..., il faut faire des hommes, 
non des hommes à l’image de la présente société, antagonique, inique 
et méchante, mais des hommes faits pour vivre dans un milieu de paix, 



BIBLIOGRAPHIE 


373 


de bonté, de concorde... ; il faut créer le levain de la future pâte 
humaine. » 

Pour tirer le corps social actuel de sa phase embryonnaire, pour 
l’amener de l’état larvaire à l’état d’organisme achevé, il ne faudra peut- 
être pas moins d’un siècle ou deux de patientes recherches, de tâtonne¬ 
ments laborieux, d’essais divers, de perfectionnements successifs et 
variés ; il faudra mettre à l’étude tout un ensemble de règles de détail 
précises, toute une technique où les difficultés soient prévues et trouvent 
leur solution ; en tous cas il faut substituer à la Révolution la méthode 
d’évolution. 

Le salut et la rénovation sont dans le tout-puissant principe de l’asso¬ 
ciation volontaire et libre. L’humanité actuelle devra faire l’apprentissage 
du régime de l’association intégrale en fondant dès à présent toutes les 
associations économiques partielles que comportent les ressources du 
parti et la tolérance des lois existantes, c’est-à-dire, en plus des syndi¬ 
cats de protection et de défense des travailleurs, à côté des syndicats de 
combat, instituer des syndicats d’achat, des coopératives de consomma¬ 
tion, des coopératives de production, sous la direction d’organisateurs et 
d’administrateurs capables et probes, habiles et prudents, doués de 
l’esprit d’initiative et de progrès, par dessus tout dévoués à leur œuvre 
absolument et sans arrière-pensée. Ainsi un lien de fraternité réalisera 
l’union des espérances, la convergence des efforts dans un sentiment 
cordial de mutualité et de solidarité. 

Dès lors, le socialisme sera devenu l’associationnisme, ou, si l’on veut, 
le collectivisme, au sens large et purement étymologique, non au sens 
sectaire. Cet organisme où la complication et la spécialisation iront sans 
cesse croissant, grandira graduellement l’individu en grandissant le 
rôle de celui-ci ; et en même temps il supprimera les frottements et les 
entrechoquements douloureux. Chaque zoonite formateur ne sera plus 
un salarié, mais un associé. Dans le milieu sociétaire, toutes les supé¬ 
riorités et toutes les originalités natives pourront se faire jour et prendre 
leur plein essor. 

Ainsi le polyzoïsme de Durand (de Gros), si fécond en zoologie, atteint 
une haute portée sociale, car il devient le principe, la loi, l’idéal d’a une 
ère sociale nouvelle, radicalement différente de ce qui l’aura précédée, 
puisqu’elle doit faire succéder la paix à la guerre, l’union à l’antago¬ 
nisme, la solidarité des intérêts à la lutte des intérêts, le groupement 
sociétaire au morcellement individualiste, l’amour passionné du-travail 
productif au génie de la destruction, et enfin l’indivisible unité sociale 
à la hiérarchie factice des classes. » 


Ce livre est précédé d’une très remarquable introduction de M.Parodi, 
professeur agrégé de philosophie au lycée de Bordeaux. M. Parodi y 
étudie l’homme et le philosophe ; il rend à ce ferme et puissant esprit le 
seul hommage qui lui convienne, le seul qu’eût accepté son indépen- 



374 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


dance intellectuelle, celui qui consiste en « un effort de pensée pour le 
comprendre, et de liberté, pour le juger. » 

Alors qu’il était professeur au lycée de Rodez, M. Parodi eut la bonne 
fortune de connaître Durand (de Gros) et, pendant quatre ans, de vivre 
presque dans son intimité, e Si quelqu’un jamais pratiqua sa doctrine 
et mérita les beaux noms de philosophe et de sage, au sens où l’antiquité 
les entendait, où ils impliquent l’intime conformité des actes et des 
spéculations, ce fut bien celui-ci »... « Jamais, ajoute M. Parodi, je 
n’oublierai nos conversations interminables, dans ce milieu unique, 
loin de toute ville, sur la hauteur d’Arsac, dans le complet isolement où il 
vivait, seul avec quelques domestiques... Son œil brillant, fixé droit 
devant lui, semblait aigu et perçant comme une pointe ; sa parole à la 
fois ardente et lente, laissait de longs intervalles d’un mot à l’autre, 
pénible comme l’effort même de cette pensée toujours tendue pour 
s’éclaircir ou trouver son expression définitive ; et, par moments, comme 
des soubresauts de conviction, et un éclat de voix, et la main frappant 
la table, attestaient qu’il avait vu, et que c’était là des faits ; ou bien que 

telle théorie était démontrée, et que la raison ne pouvait avoir tort. 

Souvent, ces tête-à-tète, commencés avec le plein soleil de midi ne se 
terminaient qu’au jour baissant ou à la nuit proche, et c’était comme le 
décor de quelque conte d’Hoffenbach. Mais le décor seul était fantastique : 
car, même dans les récits les plus extraordinaires, même lorsqu’il 
s’agissait d’expériences personnelles, la pensée restait maîtresse de soi, 
ferme et sûre dans sa méthode, prudente dans ses démarches, éprise de 
logique rigoureuse et d’entière certitude. » 

« Telle resta, jusque sur le lit de mort, celte claire et forte intelli¬ 
gence. Il vit venir sa fin de très loin ; il n’en éprouva d’autre émotion 
que la hâte de terminer à temps le livre qu'il écrivait. Les rancunes ou 
les colères de ses luttes scientifiques s’étaient éteintes, et dans le grand 
apaissement de la dernière heure, il trouvait la force de ne pas être 

injuste pour ceux mêmes qui l’avaient été envers lui.Il resta ferme 

dans toutes ses croyances philosophiques et scientifiques, aussi éloigné 
que jamais de toute religion révélée, aussi sûr que jamais de la puis-, 
sance de la raison. Et il mourut en évoquant les grandes images de ceux 
qui surent partir avec sérénité, sans regrets aux faux biens d’ici-bas, et 
seulement épris des choses éternelles, ses derniers mots nommèrent 
Hoorale, Jésus, le Bouddha. » 


CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


Séance annuelle de la Société d’hypnologie et de psychologie 

La séance annuelle de la Société d’hypnologie et de psychologie aura 
i |< : mardi 17 juin à quatre heures précises , sous la présidence de 
‘A, Jules Voisin, médecin à la Salpêtrière, au palais des Sociétés Savan- 
•> ; rue Danton. 







CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


375 


ORDRE DU JOUR : 

1° Distribution du volume des comptes rendus du 2° Congrès interna¬ 
tional de l’Hypnotisme. 

2° Compte rendu de la situation morale et financière de la Société. 

3° Communications et lectures. — Présentation de malades. 

4° Candidatures. 

5° Banquet. Après la séance le Banquet annuel aura lieu à sept heures 
au palais des Sociétés savantes. Tenue de ville. 

Communications déjà inscrites 

D r Jules Voisin : Incontinence d’urine et hystérie. 

D r Bérillon : Présentation d’un appareil vibrateur destiné à favoriser 
l’hypnose. 

D r Paul Magnin : Contractures et hyperexcitabilité neuro-musculaire chez 
les hystériques hypnotisables. 

D r Paul Farez : Un cas de pseudo-coxalgie suggérée par le milieu fami¬ 
lial. 

D* Aragon : Une théorie pathogénique du doute. 

D r Féliy Régnault : Les caractères chez les monstres doubles. 

D r Paul Joire (de Lille) : Considérations sur l’hystérie. 

D r Damoglou (de Omduran, Egypte) : Hyperacuité visuelle et audition 
chez les nègres soudanais. 

D r Ch. Haeberlin (deHambourg): Action vaso-motrice de la suggestion. 
D r Stembo (de Vilna) : Un cas de paraplégie guéri par la suggestion. 

I) p Bellemanikre : Diverses formes de l’attention chez l'enfant. 

D r Paul Tesdorpf (de Munich) : Corrélation des troubles somatiques et 

psychiques de l’hystérie. 

M. Lépigay : L’hypnotisme chez le cheval. 

D r Délius (de Hanovre) : Note sur l’apparition des symptômes de l’hys¬ 
térie. 

M. Caustier. Sur la méthode en psychologie zoologique. 

AVIS : Les auteurs sont invités à adresser le titre de leurs communi¬ 
cations au Secrétaire général, 14, rue Tailbout, ainsi que leur adhésion 
au banquet. _ 

Le réformatoire d’Elmira 

Les malfaiteurs ne sont-ils que de simples malades ? La question est, 
depuis longtemps, partout controversée. Mais, seuls, les Américains pa¬ 
raissent y avoir répondu dans le sens de l’affirmative. J’en ai la preuve, 
dit le D r Auguste Luling dans le journal Le Temps , au cours de mon 
dernier voyage dans l’Etat de New-York où j’ai pu visiter un des plus 
vastes établissements pénitentiaires qui soient au monde et dans lequel 
le régime appliqué aux condamnés s’inspire uniquement de cette idée 
que l’homme qui fait le mal est un malade le plus souvent guérissable. 
En ma qualité de médecin l’expérience tentée aux Etats-Unis m’intéres¬ 
sait particulièrement. Aussi ai-je accepté avec empressement l’autorisa¬ 
tion que me donnait le président du conseil d’administration des prisons 



376 


REVUE DE L*HYPN0TI8MB 


de l’État de New-York de visiter le pénitencier où les détenus sont a soi¬ 
gnés et guéris » et auquel on a donné le nom symbolique de a réforma- 
toire ». Vous allez voir, en effet, que c’est une œuvre de « réformation » 
qu’a entreprise l’État de New-York. 

Elmira, où a été érigé ce réformatoire, est séparé de New-York par onze 
heures de rapide. Un train me débarquait à huit heures du matin au pied 
de la colline sur laquelle se trouve le vaste et luxueux établissement. Si 
je n’avais pas vu sur les murs d’enceinte un cordon de sentinelles armées 
de carabines, j’aurais cru entrer dans un château plutôt que dans une 
prison. Un concierge géant me conduisit auprès du directeur qui me fit 
introduire dans son cabinet après avoir pris connaissance d’une lettre de 
recommandation qui m’avait été remise pour lui à New-York. 

Je me trouvai en face d’un homme jeune, paraissant à peine trente ans, 
d’une physionomie intelligente, douce et empreinte de bonté. Il est doc¬ 
teur en médecine et se voue avec la plus ardente conviction à l’accom¬ 
plissement de sa mission. Il croit que les malfaiteurs sont des malades 
et qu’il y a plus de profit pour la société à les guérir qu’à les punir. J’ai 
employé cinq heures à visiter dans sa compagnie et dans celle du médecin 
en chef de l’établissement les diverses parlies du réformatoire. J’en suis 
sorti en sentant s’augmenter en moi l’admiration que m’ont toujours ins¬ 
pirée les Américains pour la tranquille audace avec laquelle ils abordent 
les questions les plus paradoxales en apparence et les solutions pratiques 
et ingénieuses qu’ils réussissent souvent à leur donner. 

Tout d’abord le mot a prison » n’est jamais prononcé là-bas, pas plus 
que le mot «prisonnier ». C’est le « réformatoire » avec Ses « habitants ». 
Seuls, les hommes y sont admis au nombre dé 1.500 environ. Ils ne peu¬ 
vent y entrer que de seize à trente ans, à condition qu’ils n’aient pas été 
l’objet d’une condamnation supérieure à vingt ans de détention. Le juge, 
en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, peut ordonner l’envoi d'un con¬ 
damné à Elmira. 

Si vous le voulez bien, nous suivrons un homme arrivant au « réfor¬ 
matoire » avec une peine de vingt ans à purger. Après avoir été nettoyé 
et désinfecté, il prend l’uniforme de la maison dit « teinte neutre ». Cet 
uniforme est noir. Le nouvel « habitant » est conduit à la visite médicale. 
Si le sujet est jeune et si le médecin considère que ses muscles ne sont 
pas suffisamment exercés pour fournir un travail continu, il commence 
à l’envoyer pour une période plus ou moins longue — le médecin seul en 
est juge — au gymnase. 

La salle de gymnastique, qui a environ 150 mètres de longueur, est 
chauffée suffisamment pendant la mauvaise saison, pour que les « habi¬ 
tants » puissent y travailler légèrement vêtus. Èlle est munie des appa¬ 
reils les plus perfectionnés et combinés de façon que l’arrivant y exerce 
tous scs muscles. Tous les jours il prend une leçon de natation dans une 
piscine d’eau tiède et est soumis à un massage. Lorsque l’arrivant, au 
lieu d’être simplement faible, musculairement parlant, est envahi par 
la graisse, il va régulièrement à l’étuve pour tâcher d’éliminer ce qu’il a 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


377 


en excès. En un mot, on en fait d'abord un homme résistant. Quand le 
médecin juge qu’il est en état de travailler, le directeur le fait venir et 
lui demande s’il a une préférence marquée pour un métier quelconque. 

Notre homme désire-t-il, par exemple, être maçon : il sera envoyé dans 
l'équipe de ces ouvriers et il apprendra à se servir de la truelle, du niveau, 
du fil à plomb, à construire des voûtes, des murs, à élever des construc¬ 
tions qui seront démolies aussitôt terminées. Le a réformatoire » a pour 
principe de ne pas faire concurrence à l’industrie privée, et cette règle 
est scrupuleusement observée pour tous les objets produits par les pro¬ 
fessionnels de la maison. Ce sont toujours les mêmes briques qui servent, 
et, au lieu de chaux, on emploie une terre suffisamment cohésive avec 
les autres matériaux pour que la bâtisse ne s’effondre pas. 

Lorsqu’il aura terminé son apprentissage de maçon, 1’ a habitant » 
passera successivement dans l’équipe des charpentiers, ou des menui¬ 
siers, ou des tourneurs sur bois ou sur métaux, des fondeurs de cuivre 
ou de fer, des peintres en bâtiment, des peintres-décorateurs, des ébé¬ 
nistes, des ferblantiers, des étameurs, des rempailleurs ou remboureurs 
de meubles. 

Si ses aptitudes et ses goûts lui permettent de se livrer à des travaux 
plus difficiles ou plus délicats, il lui sera loisible d’apprendre la sténo¬ 
graphie, la composition typographique, le maniement de la machine à 
écrire, la reliure, etc. En un mot, on met à sa disposition, au réforma¬ 
toire d’Elmira, le moyen de devenir un homme utilisable et régénéré. 11 
convient de dire que, presque tous les habitants, à leur sortie du réfor¬ 
matoire (de 80 à 90 0/0 environ) trouvent facilement à s’occuper. 

Voilà pour le côté professionnel de la « réformation o des condamnés. 
Voyons ce que les Américains ont imaginé pour l’amélioration de leur 
état moral. 

Notre homme, je l’ai dit, a été, dès son arrivée, revêtu d’un uniforme 
noir. On le conduit à la comptabilité, où il lui est ouvert sur le grand 
livre de l’établissement un compte particulier. Son travail est évalué à 
2 fr. 50 par jour et, chaque mois, il lui est remis un extrait de son compte 
courant. S il se conduit bien, on lui donne, après avoir été vêtu de noir 
pendant six mois, des vêtements bleus. Le bleu est la teinte privilégiée. 
Elle lui confère le droit de se nourrir au restaurant de la maison, d’y 
commander un jour ce qu'il désire manger le lendemain, d’y être assis 
à une table couverte d une nappe et à pouvoir, pendant les repas causer 
avec ses voisins. 

Naturellement, ces repas servis au restaurant sont payants et il faut 
que l’a habitant » s’arrange de façon àne pas dépasser son budget ; mais, 
même en cas de déficit, on ne lui coupe pas immédiatement les vivres. 
Le directeur le fait appeler, lui fait observer qu’il a tort de contracter 
des dettes, que chaque demi-dollar (2 fr. 50) dû par lui représente une 
journée de plus à passer au réformatoire, et il arrive presque toujours, 
m’assure-t-on à lui donner des goûts d’économie. Il n’est pas rare de 
voir un condamne économe sortir de là avec un pécule de 1.200 ou 1.500 



378 


REVUE DE L HYPNOTISME 


francs. De toute façon, la maison ne le laissera pas partir sans lui remet¬ 
tre 50 dollars, soit 250 francs, qui devront lui assurer du pain jusqu'à 
ce qu'il ait trouvé de l ouvrage. 

Si l'état moral du condamné ne s'améliore pas, si au lieu de se bien 
conduire et d'arriver au bout de six mois à posséder le vêtement bleu, il 
se montre indiscipliné, injurie le personnel, casse le mobilier, cherche 
querelle à ses codétenus, on commence par lui infliger des amendes ; j’ai 
vu, sur le grand livre, le compte d'un de ces révoltés qui était arrivé à 
avoir ainsi un déficit de près d’un millier de francs. Quand les amendes 
ne suffisent pas on lui donne la tenue rouge qu'il est obliger de garder 
six mois avant de reprendre la teinte neutre, c’est-à-dire l’uniforme noir 
qu'il devra garder encore pendant le même laps de temps avant d’être 
vêtu de bleu. Il va sans dire qu’à la teinte rouge correspond un régime 
sévère. Plus de restaurant, le silence imposé partout, la surveillance 
rendue plus étroite, etc. Néanmoins, dans le dessein de ne pas décou¬ 
rager complètement certains « habitants » de la catégorie « rouge », le 
directeur a la faculté, le 4 juillet, jour de la fête nationale des Etats-Unis, 
de faire une remise partielle ou complète des peines. 

— Et, me disait le jeune directeur du réformatoire d’Elmira, j’en use 
largement. 

L’administration et la surveillance générale du réformatoire sont assu¬ 
rés par les budgets de l’Etat de New-York. Les surveillants ordinaires 
appointés par l’Etat sont aidés, en ce qui concerne notamment les exer¬ 
cices militaires auxquels les « habitants » sont astreints, par un colonel, 
des capitaines, des lieutenants et des sous-officiers recrutés parmi les 
condamnés. Tous manœuvrent fort bien aux sons de leur excellente mu¬ 
sique militaire. Mais, et c’est là une contradiction dans les vues des 
Américains, à la sortie des condamnés, l’État refuse formellement de les 
incorporer dans l’armée américaine. J’en ai fait la remarque au directeur 
et j’ai cru deviner à son geste, que j'avais touché en lui un point sensible. 

Le service médical m’a paru fort bien organisé. Tous les tuberculeux 
sont isolés. Leur linge qui a une teinte spéciale, est lavé séparément et 
les cellules qu’ils habitent sont désinfectées régulièrement toutes les se¬ 
maines. 

Les cellules des « habitants » occupent un bâtiment d’une hauteur de 
trente mètres environ. Il y a six rangées de cellules superposées avec 
des galeries en fer pour assurer la circulation. Au réveil les hommes se 
lèvent, se lavent et viennent se poster devant la porte de leurs cellules 
qui sont ouvertes par des porte-clefs spéciaux pour se rendre en file in¬ 
dienne à leurs travaux. 

En dehors des ablutions journalières, les hommes prennent tous les 
huit jours une douche. En entendant l’expression de mon admiration 
pour cette installation de douches tiedes, le directeur me disait : 

— Comment voulez-vous qu’un homme recherche la propreté si cela 
lui est désagréable? 

J'ajoute qu’il n’entre pas dans l’idée du directeur de séparer complè- 



CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE 


379 


tement ses pensionnaires de la vie du dehors. Certains* habitants » sont 
chargés de lire les journaux et les revues et, chaque semaine, il paraît 
un journal imprime dans le réformatoire même qui rend compte des 
faits politiques, scientifiques ou autres, de tout, en un mot, ce qui peut 
intéresser des hommes. On n’expurge que tout ce qui a trait aux crimes 
ou aux vols. ' 

Résultats : le réformatoire restitue à la société de 75 à 80 0/0 de ses 
« malades » radicalement guéris et utilisables. 20 à 25 0/0 des malfai¬ 
teurs qui y entrent sont des incurables, des inguérissables. C’est, du 
moins, ce qui m’a été formellement affirmé. 


Le prophète de r Avenue des Gobelins. 

Phtisiques, écoutez!... Un homme extraordinaire habite avenue des 
Gobelins. Un jour, il entendit, nous rapporte le Journal des Débats , une 
voix du ciel, qui lui dit que la prière était le remède à tous les maux. 
Sachant que la Providence se sert volontiers des causes secondes pour 
donner à la terre des marques de bienveillance, il chercha comment la 
prière opérait sur une maladie donnée, et par exemple sur la phtisie. Il 
en vint à conclure que son action se manifeste de quatre façons. 

1° « Pendant la prière, disent ses prospectus, le poumon prend un 
mouvement lent et vibratoire, qui, comme tout genre de gymnastique, 
augmente la résistance et la compressibilité du poumon par rapport à 
tous les efforts destructifs. 

2° « Pendant la prière l’absorption de l’air et par conséquent l’absor¬ 
ption de l’oxygène augmente et en sachant prier Dieu cette absorption 
peut grandir de trente à quarante fois par comparaison à celle des per¬ 
sonnes qui ne prient pas Dieu. Avec l’air rentrent dans notre poumon 
l'oxygène et la chaleur ; une grande quantité d’oxygène, qui pénètre 
durant la prière, renouvelle les cellules vieilles et malades, aussi bien 
celles du poumon comme celles du corps entier, les transformant en 
cellules nouvelles grâce au sang qui afflue. Outre cela, l’oxygène facilite 
la formation de la chaleur, qui, comprise avec la chaleur fournie grâce 
à l’air, augmente la somme totale de la chaleur de l’organisme; cette der¬ 
nière, c’est-à-dire la chaleur, est le remède général à toutes les maladies 
et par suite de la phtisie. 

3° « Pendant la prière, grâce au mouvement lent et vibratoire, aussi 
bien que dans la toux, grâce aux secoucments rapides, la glaire se déta¬ 
che du poumon et se présente dehors, mais avec cette différence que, pen¬ 
dant la toux, cela se fait vite, mais le poumon se déchire quelquefois, 
d’où il s'ensuit hémoptysie ; pendant la prière, cela se produit dans 
période prolongée de temps, mais n’est pas accompagné par la déchirure 
du poumon et par l'hémoptysie, car pendant la prière le poumon ne res¬ 
sent pas d’aussi fortes tensions comme pendant la toux. 

4° « Le quatrième effet de la prière est le surnaturel. » 




380 


REVUE DE L’HYPNOTISME 


Ce traitement n'est point particulier à la phtisie. Comme l inspiré des 
Gobelins pense que le principal remède en ce monde est la chaleur, en 
partant de cette maxime que la prière développe de la chaleur , il con¬ 
clut que la prière produit la guérison universelle. Le malade fera bien, 
d’ailleurs, de la pratiquer à la campagne ou dans le désert. Ainsi ont fait 
les patriarches de l’Ancien Testament, qui gardèrent une belle verdeur 
dans l’extrême vieillesse : Abraham, Isaac, Jacob, etc. 

Le prophète de l’Avenue des Gobelins a reçu encore d’autres commu¬ 
nications de l’au-delà. Il a eu des lumières sur l’art de guérir ces mala¬ 
dies, et enfin des conseils politiques de la plus grande sagesse. La Voix 
l’a engagé à remplacer les armées nationales par une seule armée uni¬ 
verselle, montée par actions, qu’on appellerait où besoin serait. Ainsi 
seraient supprimées les batailles : elles supposent deux armées, et il n'y 
en aurait qu’une. 

A quand l’internement de cet étrange prophète dans un asile d’aliénés. 


A propos de la voyante de Boulleret. 

On lit dans la Semaine religieuse du Puy : 

« Mgr l’évêque du Puy apprend avec étonnement et regret qu’il cir¬ 
cule dans le diocèse un bulletin d’un abbé Olive, de Cette (Hérault), 
relatif aux prétendues révélations d’une voyante de Boulleret (Cher). Ce 
bulletin a pour titre : « Lettre aux membres de la pieuse et dévote 
association du Cœur de Jésus et de Notre-Dame des Sept-Douleurs. » 
Contrairement aux règles de l’Eglise, il paraît sans l'imprimatur de 
Mgr l’évêque de Montpellier, dans le diocèse duquel il est publié. Aussi 
Mgr l’évêque se fait-il un devoir d’en interdire la lecture dans son dio¬ 
cèse, lecture qu’il juge propre à fausser la piété des fidèles et à jeter le 
ridicule sur notre sainte religion. 

« A ce propos, nous mettons de nouveau en garde contre ces publi¬ 
cations de plus en plus nombreuses qui, sous couleur de dévotions nou¬ 
velles, n’ont le plus souvent d’autre but que d’exploiter la naïveté de 
leurs trop crédules lecteurs. Plusieurs de ces annales ou revues ne sont 
pas autre chose que des organes d’agences financières : les articles de 
piété n’y sont qu’une étiquette dissimulant d’habiles réclames d’argent. 
Œuvres de messes, constructions d’églises, entretiens d’œuvres, tout 
est imaginé pour recueillir des souscriptions ; et le développement de 
cette industrie malhonnête ne prouve que trop combien de dupes elle 
fait. 

« D’autres publications, si elles n’ont pas ce but intéressé, sont diri¬ 
gées par des personnes sans théologie ni piété éclairée. Les niaiseries 
n’y sont pas rares; les faits merveilleux y fourmillent, et les lecteurs, 
gavés de sornettes, perdent le goût de la spiritualité solide et vraie. Au 
point où elle en est, cette littérature pseudo-pieuse devient un péril 
pour les âmes et fournit des armes contre le catholicisme. » 




TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 


Aboulie chez les buveurs d’habitude, par 
Bérillon, p. 362. 

Alcoolisme (Les indications de l’Hypo- 
tisme et de la suggestion dans le trai¬ 
tement de P), par Tokarsky (de Moscou), 
p. 33. 

Alimentation artificielle des Aliénés, 
p.254. 

Amnésie rétro-antérograde et intoxica¬ 
tion par l’oxyde de carbone, par Ray¬ 
mond, p. 311. 

Analgésie suggérée pendant le som¬ 
meil normal, par AngeManfroni,p. 156. 

Antévision (L’), par Martial Vergnolle 
p. 307. 

Angoisse hystérique et angoisse psychas¬ 
thénique, par Raymond, p. 188. 

Angoisse, épilepsie et hystérie (Paroxys¬ 
mes d’), par Raymond, p. 219. 

Antimusiciens (Les), p. 191. 

Aphonie hystérique, guérison par sug¬ 
gestion, par Grespin, p. 122. 

Auto-microsthésie et l’incoordination 
motrice (L’), par Bloch, p. 249. 

Auto-suggestion (Petite méthode d’), 
par Goste de Lagrave, p. 328. 

Bérillon (Eugène), nécrologie, p. 256. 

Bérillon (Edgar), discours, p. 227. 

Gautérisation en Turquie (La), par 
Hikmet, p. 153. 

Chorée, tics et habitudes automatiques 
(Traitement psycho-mécanique) par 
Bérillon, p. 175. 

Collège de France (L’hypnotisme et la 
psychologie au), p. 289. 

Cocaïne (Priseurs de), p. 61. 

Coprophages, p. 319. 

Conférences de l’Institut psycho-ohysio. 
logique, p. 192, 222. 

Congrès d’anthropologie criminelle 
d’Amsterdam, p. 62. 

Constipation opiniâtre et suggestion 
hypnotique, par Paul Farez, p. 304. 

Cours pratique d’hvpnoîogie et de psy¬ 
chothérapie. p. 192. 

Cours de psychothérapie à Lille, p. 192. 


Cours de psychothérapie à San Paulo 
(Brésil), p. 192. 

Cours du D p Jules Voisin à la Salpé¬ 
trière, p. 192. 

Cours du D p Albert Robin à la Pitié, 
p. 192. 

Cours du D r Bérillon à l’École pratique 
de la Faculté de médecine, p. 320. 

Démence chez un chien (Un cas de), 
p. 31. 

Douleurs oculaires résultant d’un trou¬ 
ble mental pur, par Raymond, p. 343. 

Eclampsie (Suggestion curative dans le 
cours d’une attaque (d’),parLe Menant 
des Chesnais, p. 120. 

Ecole de psychologie, p. 192, 223, 225, 
255, 352. 

Electrocuté (Les sensations d’un profes¬ 
seur), p. 221. 

Enseignement médical de la Pitié (L ), 
p. 351. 

Expérience pratiquée sur un lion, à Ja 
ménagerie du muséum, par Hacliet- 
Souplet, p. 53. 

Extraction dentaire sans douleur sous 
l’influence de la suggestien hypnotique 
chez un jeune homme de 17 ans, par 
Moiroud, p. 155. 

Folie en Angleterre (La guerre au Trans¬ 
vaal et la), p. 351. 

Folie morale (Un cas de), par Raymond, 
p. 55. 

Foudre (Guérie par la), p. 191. 

Fugue mixte (Un cas intéressant de), 
par Raymond, p. 124. 

Géant Hugo (Le), p. 128. 

Grossesses nerveuses et fausses grosses¬ 
ses, par Henry Lemesle, p. 178. 

Grossesses nerveuses (fausses), par Le 
Menant de Chesnais, p. 277. 

Guérisseur de paralysie au XVIII* siècle 
(Un), p. 127. 

La guerre du Transvaal et la folie, p. 351. 



382 


REVUE DE L'HYPNOTISME 


Hémichorée récidivante, datant de trois 
mois, guérie en une séance de sugges¬ 
tion hypnotique par, Paul Farez,p. 26. 
Hémisomnambulisme hystérique, par 
Raymond, p. 343. 

Huchard (Discours de) p. 287. 

Hypnose (Les phénomènes réactionnels 
du début de l’état d’), par Bérillon, 
p. 337. 

Hypnose ( Réflexes généraux pendant 
l’état d*), par Gorinin, p. 340. 
Hypnotiseur de serpents, p. 160. 
Hypnotiseurs amateurs (méfaits d’), par 
Raymond, p. 365. 

Hypnotisme au Congrès d’anthropologie 
criminelle d’Amsterdam, p. 97. 
Hypnotisme collectif en Tunisie (L’),par 
Laignel-Lavastine, p. 93. 

Hypnotisme expérimental devant la loi 
du 30 novembre 1892 (L’), par Julliot, 

p. 60, 102. 

Hypnotisme et la suggestion chez les 
hystériques (L*), par Paul Magnin, 
p. 232, 266. 

Hypnotisme de degré différent pour 
chaque côté du corps, par Bérillon et 
Magnin, p. 282. 

Hystéro-épileptiques (Sensibilité et hyp¬ 
notisme chez lçs), par Paul Magnin, 
p. 301. 

Hystérie (Définition de 1’) par Babinski, 
p. 193. 

Hystérie et ménopause, par Raymond, 
p. 157. 

Hystérie on Chine (L’), p. 96. 

Hystérie chez quelques animaux (Les 
agents provocateurs de T),parLépinay, 
p. 146. 

Hystéro-traumatisme (Un cas d’), par 
Raymond, p. 54. 

Hystéro-traumatisme (Deux cas d*), par 
Raymond, p. 284. 

Incontinence nocturne d’urine guérie en 
une seule séance de suggestion, pen¬ 
dant le sommeil naturel (Deux cas d’) 
par Bourdon (de Méru), p. 87. 
Incontinence d’urine par la suggestion 
(Note sur le traitement de 1’), par 
Cullerre, p. 99. 

Initiation à l’étude des sciences physiques, 
par Laisant, p. 20. 

Institut de psychologie zoologique (L’), 
p. 63. 

Intelligence des ours blancs, par Orlitzky, 
p. 363. 


Janet (M. le Professeur Pierre), p. 289. 
Jésus devant la science hypnotique (La 
vie de) par Félix Régnault, p. 16?, 210. 
236. 

Jeune prolongé chez la vache (Un cas de), 
p. 32. 

Léthargie (Un cas de), p. 191. 

Léthargie (Un curieux cas de), par Lié- 
geard (de Bellême), p. 19. 

Léthargie (Un nouveau cas de), p. 31. 
Lecture de pensée chez les animaux (La), 
par Lépinay, p. 248. 

Liseur de pensée (Un soi-disant), par 
Paul Farez, p. 240. 

Liseur de pensée, liseur de muscles et 
sensibilité tactile, p. 318. 

Liebeault (Une lettre duD r ), p. 257. 

Magnétiseurs (Exercice illégal de la mé¬ 
decine par les), p. 283. 

Masseurs et magnétiseurs (A propos de 
la pétition des), par Salomon, p. 314. 
Méfaits d’hypnotiseurs amateurs, par 
. Raymond, p. 365. 

Monstres humains (Etude anatomique et 
psychologique de quelques), par Bé¬ 
rillon et Félix Régnault; p. 12. t 
Musique (De l’emploi de la suggestion 
dans l’éducation artistique et en par¬ 
ticulier pour l’étude de la), par Paul 
Joire, p. 110. 

Mutisme, bégaiement et tremblement 
général guéris par la suggestion, par 
Jules Voisin, p. 13. 

Névrose trémulante chez une femme de 
76 ans (Traitement hypnotique d’un cas 
de), par Paul Farez, p. 274. 

Obsession (Sur la théorie de 1’), par Ar¬ 
naud, (de Vanves), p. 159. 

Occultisme (Enquête sur), par Juîes Bois, 
p. 257. 

Œdème hystérique (Un cas d’), par Ray¬ 
mond, p. 56. 

Œdème bleu chez une hystérique, guéri 
par l’application de l’aimant(Suggestion 
armée), par Jules Voisin, p. 90. 
Onanisme et son traitement par la sug¬ 
gestion hypnotique (L’), par Bérillon, 
p. 76. 

Onanisme et onanomanie, par Bloch, 
p. 215. 



TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 


383 


Pédagogique dans le sommeil hypnoti¬ 
que et à son défaut dans le sommeil 
naturel (La suggestion), par Bourdon 
(de Méru), p. 139. 

Philosophie morale et sociale (Questions 
de), par Durand de Gros, p. 367. 

Port-Royal (Les religieuses de), par 
Ch. Binet-Sanglé, p. 129, 161, 202. 

Prophète de l’avenue des Gobelins (Le), 
p. 379. 

Psychologie est la science de la volonté 
(La), par Grasset, p. 319. 

■ Psychothérapie et suggestion vigile, par 
Spehl, p. 290. 

Questions de Philosophie morale et so¬ 
ciale, par Durand (de Gros), p. 367. 

Rapports de l’hypnotisme avec l’hystérie 
(Les), par Paul Magnin, p. 2. 

Réformatoire d’Elmira (Le),p. 375. 

Revue de l’hypnotisme et le mouvement 
psychologique (La), par E. B. p. 1. 

Rétrécissement spasmodique du canal 
de l’urèthre durant depuis trois mois 
(Guérison par la suggestion hypnotique 
d’un), par Bérillon et Watteau, p. 49. 

Représentations mentale et des halluci¬ 
nations visuelles et auditives post¬ 
hypnotiques conscientes chez les per¬ 
sonnes ayant subi le traitement hypno- 
thérapique (Des), par Jules Voisin, p. 
65. 

Réformatoire d’Elmira (Le), p. 375. 

Rêve (La psychologie du), par Vaschide 
et Piéron, p. 189. 

Robin (Discours d’Albert), p. 229, 288. 

Robert d’Arbrissel (Le martyre de), par 
Henry Lemesle, p. 249. 

Rongeurs (Une nouvelle variété), p: 59. 


Séance annuelle de la Société d’Hypno- 
logie, p. 351. 

Sensibilité dans l’hystérie (Importance 
de la constatation exacte des troubles 
de), par Paul Joire, p. 14. 

Sitophobie obstinée chez des aliénés 
(Deux cas de), par Gino Maiorfi, p. 150. 

Sociologie criminelle (La), par Niceforo, 
p. 321, 353. 


Société d’hynologie et de Psychologie, 
p. 12, 30, 45, 61, 76, 110, 127, 160, 185, 
190, 215, 221, 249, 253, 273, 287, 318, 328, 
342, 351, 359, 374. 

Sommeil (Le centre du), p. 32. 

Sommeil naturel (De la suggestion pen¬ 
dant le), par Paul Farez, p. 38. 

Suggestion (La définition de la), par 
Félix Régnault, p. 273. 

Suggestion (Le mécanisme de la), par 
Marcel Mangin, p. 259, 295. 

Suggestion olfactive, p. 31. 

Suggestion (Ce qu’il faut entendre par la), 
par Félix Régnault, p. 46. 

Suggestibilité dans la fatigue, par Féré, 
p. 190. 

Suggestion collective et cynanthropie 
(Un cas de), par Orlitzky, p. 343. 

Suggestion hypnotique comme moyen 
thérapeutique, par Lebailly, p. 317. 

Suicide(Unétablissementpour le),p.254. 

Suicides (des), par Félix Régnault, p. 89, 

Tic d’épilation et fausse pelade, par 
Raymond, p. 364. 

Tics avec çoprolalie (Maladies des), par 
Raymond, p. 126. 

Transverbération de Sainte Thérèse 
d’Avila, par Henry Lemesle, p. 78 

Tremblement trépidatoire hystérique 
guéri par la suggestion hypnotique, 
par Jules Voisin, p. 360. 

Vagabonds de Gagliari (Les petits), par 
Mario Carrara, p. 135. 

Vertige et le suicide (L’autosuggestion 
du), par Félix Régnault, p. 187. 

Violoniste Kun Arpad (Le jeune) par 
Lionel Dauriac, p. 51. 

Volonté et l’auto-suggestion (La), par 
Goste de Lagrave, p. 185. 

Vomissements nerveux incoercibles gué¬ 
ris par suggestion (Un cas de), par 
Paul Farez, p. 182. 

Vomissements gravidiques incoercibles 
et ptyalisme guéris par suggestion, par 
Paul Farez, p. 217. 

Voyante de Boulleret (A propos de la), 
p. 380. 

FIGURES 

La transverbération de Ste Thérèse 
d’Avila, p. 78. 



TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS 


Arnaud, p. 159. 

Babinski, 193. 

Bérillon, 1, 12,49, 76, 89, 92, 175, 216, 225, 
282, 337, 362. 

Binet-Sanglé, 129, 161, 202. 

Bloch, 215, 249. 

Bourdon, 87, 93, 139. 

Bois (Jules), 257. 

Carrara, 135. 

Crespin, 122. 

Cullerre, 99. 

Coste de Lagrave, 185, 328. 

Corinin, 340. 

Dauriac (Lionel), 51, 52. 

Durand de Gros, 367. 

Farez (Paul), 16, 38, 89, 182, 217, 240, 274, 
304, 367. 

Féré, 190. 

Grasset, 319. 

Hachet-Souplet, 54, 

Hikmet, 91, 153. 

Joire (Paul), 14, 110. 

Julliot, 66, 102. 

Laignel-Lavastine, 93. 

Laisant, 20. 

Liégeard, 19. 

Lebailly, 347 

Lemesle (Henry), 78, 178, 249. 


Le Menant des Chesnais, 120, 277. 
Lépinay, 146, 248, 281, 337, 340. 

Luling (Auguste), 375. 

Magnin, 2, 232, 266, 282, 301, 337, 339. 
Maiorfi, 150, 

Manfroni, 156. 

Moiroud, 155. 

Mangin, (Marcel), 259, 295. 

Myers (F.), 259. 

Niceforo, 321,323, 353. 

Nissl, p. 31. 

Orlitzky, 343, 363. 

Pau de St-Martin, 89, 216. 

Parodi, 367. 

Piéron, 189. 

Régnault (Félix), 12, 46, 52, 89, 92, 93, 
168, 187, 210, 236, 273, 328. 

Raymond, 54, 55, 56, 124, 126, 157, 188, 
219, 284, 311, 343, 364. 

Robin (Albert), 229. 

Spehl, 290. 

Salomon, 314. 

Tokarsky, 33. 

Vaschide, 189. 

Vergnolle, 307. 

Voisin (Jules), 13, 65,90,93,216,337,339, 
360. 

Watteau, 49. 


L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON 


Paris. Imprimerie A. QUELQUEJEU rue Gerbert. 10. 




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