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EN VENTE AU MÊME BUREAU,
14, RUE DU TEMPLE, À PARIS.
HISTOIRE NATURELLE DE LA SANTÉ ET DE LA MALADIE chez les vé-
gétaux et les animaux en général et en particulier chez l'homme, — par
F.-V. RASPAIL. — 3e édition, entièrement refondue et considérablement
augmentée, avee des figures sur bois dans le texte, et 19 planches gravées
sur acier d’après les dessins de son fils F.-Benj. Raspaiz. 3 forts volumes
grand in-8.
; À avec figures en noir,.............. 30 fr.
Le Det bp RO { avec The coloriées:,............ 40 fre
Afin de mettre cet ouvrage à la portée de toutes les bourses, on a pris le
parti de le vendre par volume et même par série de livraisons, quoique l'ou-
vrage soit complet et achevé depuis mars 4860.
REVUE ÉLÉMENTAIRE DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DOMES-
TIQUES: ainsi que des sciences accessoires et usuelles, mises à la portée de
tout le monde, par F.-V. RASPAIL, 2 beaux vol., — 1847-1849. Prix de
Chaque VOILE sr e nait Se Se ne ie Es Emeline PRUDENT NDS DIR
Pal AS pOSIE ne can se nant b ns ee se Ross tds 00 SAC R TETO ER
REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES. APPLIQUÉES à la Médecine
et Pharmacie, à l'Agriculture, aux Arts et à l'Industrie, par F.-V. RASPAIL.
6 vol. in-8o. Ce recueil, exclusivement consacré aux Sciences d'observation,
et qui à paru du {er août 1854 au 4er juillet 4860, est une publication com-
plémentaire de toutes les publications de M. Raspail, ne renfermant que des
articles originaux, résultats raisonnés de ses nouvelles observations, expé-
riences ou applications, en médecine humaine ou vétérinaire, pharmacie,
physiologie animale et végétale, météorologie appliquée à l'agriculture,
études sur l’agriculture des Flandres, etc., arts, industrie, chhnie, physique,
études physiognomoniques et toxicologiques, etc., etc.
Ce recueil est la continuation de la Revue élémentaire de Médecine et Phare
macie domestiques, journal qui a cessé de paraître le 15 mai 1849. Prix*de
chaque volume, Ve UN LOGE TE MT ant Tdee EUD ER
Par la postes este UN ee bu trot en ee st eee Diéeiie SIREN
NOUVELLES ÉTUDES SCIENTIFIQUES ET PHILOLOGIQUES (1861-
4864), par F.-V. RASPAIL. Gros in-80, avec 44 planches (10 sur cuivre-et
4 sur pierre), dessinées, gravées et lithographiées par son fils F.-Bexg.
Raspaiz, — Le caractère de ce recueil est suffisamment indiqué par l’épi-
graphe : De omni re scibili (On ne doit rester étranger à rien de ce que l’on
peut apprendre). — 11 peut être considéré comme une continuation, sous
une forme non fliiodique, de la Revue complémentaire des Sciences appli-
quées (1854-1860). — Prix... ses assssssessmerossesesess 10 fr.
Parle poste nes eme edue cles dune sed ent papes HN LA TEES OU)
NOTICE THÉORIQUE ET PRATIQUE SUR LES APPAREILS ORTHOPÉ-
DIQUES de la méthode hygiénique et curative de F.-V. RASPAIL, par
CAMILLE RASPAIL FILS, médecin, — Brochure in-8o, avec figures sur boïs dans
lefexste, er PRE ee does dense vase so de de es uir ANA at AURES ATOS
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REVUE COMPLÉMENTAIRE
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
MÉDECINE ET PHARMACIE,
À L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L'INDUSTRIE.
Tout exemplaire des ouvrages de M. Raspaiz, qui désormais ne porterait pas
sa signature, doit être réputé contrefait. L'éditeur se réserve le droit de tradue-
tion en langues étrangères.
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Clichy. — Imp. Maurice Loicxox et Cie, rue du Bac-d'Asnières, 12.
REVUE COMPLÉMENTAIRE
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A [LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
À L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L'INDUSTRIE,
PAR F.-V. RASPAIL
Oblivia ergistuli,
Solalia exilii,
Honzstamenta otit.
Premier volume.
3e TIRAGE.
Vu les traités internationaux, l’auteur et l'éditeur se réservent le droit de
reproduction et de traduction à l'étranger.
PARIS, BRUXELELES,
CHEZ L'ÉDITEUR DES OUVRAGES
de M. Raspail
A 4, RUE DU TEMPLE, 14, | LIBRAIRIE NOUVELLE
A L'OFFICE DE PUBLICITÉ,
(près de l'Hôtel de ville). 39, Rue Montagne de la Cour, 39.
1854—1855
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/revuecomplmentO0pari
{re Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE Aer Août 1852.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
AVERTISSEMENT.
Je reprends, sous un titre modifié, l'œuvre de la Revue Élémen-
taire de Médecine et de Pharmacie domestiques, dont les événements
m'avaient forcé, en 1849, d'interrompre la publication.
De 1849 à 1854, on le pense bien, je n’ai pas dù rester inactif;
il n’est pas de chaines pour la pensée. De ces travaux longuement
médités, cette Revue Complémentaire deviendra chaque mois le
dépositaire. Au fond, ce nouveau recueil a le même but que l'an-
cien : populariser les moyens de se guérir et de se préserver de la
maladie; initier en même temps les lecteurs aux principes et à la
philosophie des sciences, dont la médecine n’est qu’une utile appli-
cation.
Seulement, comme mes lecteurs ont grandi depuis cinq ans
d'épreuves, et que l'éducation des masses, au milieu du choc des
dernières discussions, a poursuivi son cours par une progression
rapide, je supprimerai, dans le cadre de cette publication, les divers
cours élémentaires qui, il y a cinq ans, donnèrent une si grande
impulsion à leur envie d'apprendre.
Au lieu d'analyser les idées connues, j'en émettrai de nouvelles;
et je publierai de nouveaux faits, en ayant soin d’en rédiger l'expo-
_sition d’une manière élémentaire.
C1
2 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Au lieu de publier à ja fois les résultats obtenus sur divers cas
maladifs, je m’appliquerai à grouper les cas du même genre, et à
développer.de Ia manière la plus intelligible le mécanisme physio-
logique de la cause et les circonstances pratiques de la médication;
chaque article sera ainsi, en général, un cours complet sur l'applicax
tion de la nouvelle méthode à un eas maladif partieulier, et servira
de complément à l'un des chaniires oe r éfisioire Naturelle de la Santé
et de la Maladie, du Manuel annuarre de la Santé et du Fermier
Vétérinaire qui vient de paraître.
Mais ce ne sont pas là les seuls de mes travaux intellectuels que
je cherche chaque jour à enrichir de faits nouveaux et à complé-
menter par des additions incessantes ; le Nouveau Système de Chimie
organique, le Nouveau Système de Physiologie végétale,mes Leçons
Élémentaires d'agriculture, recevront dans ce recueil de nom-
breuses additions qui, aies dans le texte, constitueraïent tout
autant d'éditions nouvelles,
L'industrie et les arts auront ici une part aussi large que l’agri-
culture.
Enfin, les études météorologiques que j’ai poursuivies nuit et jour,
quand j'avais un cachot pour observatoire, sorte de privilége dont
ne jouissent pas nos riches observateurs, et que l'observateur philo-
sophe m’enviera sans doute plus d’une fois au milieu du tourbillon
des distractions dont la liberté l’assaille, mes études météorologiques
apporteront leur contingent, quelquefois même comme sujet princi-
pal, à cette collection d’idées nouvelles ; je jetterai chaque mois les
fondements d’un nouveau système de météorologie, livrant à la dis-
eussion publique, fraction par fraction, les principes auxquels m'ont
amené des observations comparées et contrôlées pendant cinq ans
de retraite et de silence.
Peut-être que, dans cette livraison, la part faite à la météorologie
paraitra beaucoup trop grande. J'attends de mes lecteurs un peu d’in-
dulgence à cet égard; j'aurais eru mériter un tout autre reproche,
si j'avais scindé ce travail. La composition de la livraison suivante
ne s’en trouvera ainsi que plus variée.
Il est inutile que je le fasse observer, ce recueil sera purement
scientifique, et ne s’occupera de rien de ce qui divise les hommes,
au sujet de l’art d’administrer leurs intérêts matériels et de régler
leurs divergences religieuses et politiques. Ce recueil est un réper-
AVERTISSEMENT. 3
toire de dissertations sur les grandes lois de la nature, et non de récri-
minations et de querelles de partis.
À certaines époques, nous passerons en revue Jes faits scientifi-
ques qui nous paraitront présenter quelque intérêt, dans la foule de
ceux qu’enregistre la presse périodique; et nous soumetirons à une
diseussion spéciale les idées sérieuses qui nous sembleront renfermer
le germe d’une vérité ou d’une erreur nouvelle.
Au point où nous en sommes arrivé de notre carrière, nous
croyons avoir le droit de donner une direction au lieu de la recevoir.
Nous accepterons toutes les observations, nous ferons notre profit de
tous les conseils ; mais nous voulons ne nous adresser qu’à des lec-
teurs aussi avides d'apprendre que nous qui étudions toujours. Nous
recherchons encore plus le lecteur que sabonné; notre habitude a
été, dans tous les temps, moins de faire parler de nous que de publier
des choses nouvelles.
La conspiration du silence que, depuis 1815, Escobar a pris tant de
soin d'organiser contre notre nom, nous a toujours inspiré plus de
pitié que de contrariété et d'inquiétude. Le plagiat, qui ne fait
jamais défaut à chacune de nos publications, nous dédommagerait
amplement de ce silence systématique, alors même que nous n’au-
rions pas le droit d'être fier de ne devoir qu'à nous-même et à nos
œuvres l'estime que l’opinion publique accorde à nos travaux.
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CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE.
ÉTUDE THÉORIQUE ET PRATIQUE DU PANARIS.
SOMMAIRE. — Nomenclature, définition, étymologie. — Siége, causes et effets du panaris.
— Explication physiologique et anatomique des phénomènes de ce mal. — Médication
nouvelle. — Médication ancienne par les cataplasmes, le bistouri et le mercure. — Cas
remarquables de guérison de panaris occasionnés par les ravages du bistouri ou d’une
esquille. — Résultat effrayant de l'emploi des remèdes mercuriels dans un cas analogue.
Nous avons rédigé cet article de manière à nous rendre intelligible à tout le
monde, au malade et à ceux qui le soignent, tout aussi bien qu'au médecin.
Nous nous flattons que ces deux classes de lecteurs trouveront à la lecture autant
à apprendre et à désapprendre les uns que les autres. Nous ne réclamons de
l'indulgence que de la part des ignorants; quant au savant de profession et à
l'homme du métier médical, nous ne sommes rien moins qu'aussi exigeants;
que ceux-là nous lisent attentivement, cela nous sufbt; et qu'ils en médi-
sent ensuite : ce sera pour eux le dédommagement du double sacrifice d’avoir à
désapprendre et à guérir à peu de frais; qu'ils frappent, mais qu'ils écoutent; cela,
j'en suis sûr, pourra profiter à bien du monde, et ne me fera pas grand mal, à
moi, si j'en juge par ma vieille expérience.
$ 1. DESCRIPTION DU PANARIS.
NOMENCLATURE ANCIENNE du PANARIS, Vulgairement MAL D'AVENTURE OU TOURNIOLE.
En latin : Panaritium ou Panaricium.
En grec : Paronychiè.
NOMENCLATURE DE LA NOUVELLE MÉTHODE (*).
Par les causes : Acanthogénose indiciunquéale purulique.
Par les effets : Unguéalgie purulique acanthogène ou entomogène.
Dérixirion. Le panaris est une affection douloureuse et lancinante qui a son
siége dans la dernière phalange de l'index et plus rarement des autres doigts de
la main.
ÉrymoLocres : Paxaris vient du latin Panaritium ou Panaricium, lequel est dé-
rivé de deux mots grecs : aire, je hache, je détruis; pan, tout (ce que je ren-
contre sur mon passage); ce mot définit les effets. Les Grecs, au moins Hippo-
crate, le désignaient sous le nom de paronychiè, de para, à l'entour, auprès, et
onyx, ongle; ce mot définit le siége de la maladie.
Le peuple le désigne sous les noms de : 4° mal d'aventure, c'est-à-dire mal
(*) Voy. Hist. Nail, de la Sunté et de la Muludie, tom. I, p. 37.
DÉFINITION, SIÉGE, CAUSES ET EFFETS DU PANARIS. #
du hasard qui a fait entrer une esquille plutôt là que partout ailleurs; 2° de
tourniole, et par corruption fourniote; comme qui dirait : tour ou accident occa-
sionnant les mêmes douleurs au doigt qu'une niole (coup sec) appliquée sur
l'ongle.
SIÉGE Du MAL. Le panaris est une affection spéciale à la dernière phalange du
doigt. La cause de ce mal, ayant son siége dans l’une ou l’autre des deux autres
phalanges, y produit un désordre sans doute, mais jamais une douleur aussi lan-
cinante, aussi caractéristique, ni un ravage aussi profond que dans la phalange
onguifère.
Le panaris survient presque toujours à la dernière phalange de l'index de la
main droite, et très-rarement aux autres doigts de la même main.
Si, par hasard, la cause du panaris avait son siége dans la phalange onguifère
de tout autre doigt, toutes choses égales d'ailleurs, la douleur qui en résulterait
serait moins forte dans le medius, encore moins dans l’annulaire et très-faible
dans le petit doigt. Il n’en est plus de même du pouce où le panaris cause au-
tant la fièvre que lorsque ce mal s’attaque à l'index.
Causes pu panaris. La cause immédiate du panaris est l'introduction, dans
les tissus de la dernière phalange, d’un corps étranger, animé ou inanimé, qui
désorganise les tissus, soit par déchirement (la eause est alors simplement trau-
matique (*)), soit par décomposition (la cause est alors traumatique et toxique (**)
à la fois).
Errers. Dans l’un et dans l’autre cas, le déchirement des tissus en amène la
décomposition en pus; la formation du pus ajoute la fièvre de son fait à la fièvre
et aux douleurs laneinantes qui émanent de l'action mécanique du corps étranger
sur la partie nerveuse de cette articulation. Les ravages continuant, les ligaments
disparaissent comme les autres tissus, l'os de la dernière phalange se détache
tout aussi bien que l’ongle; et, si une médication irrationnelle joint son action
désorganisatrice à celle du corps étranger, si le bistouri rivalise avec l'écharde
et l'emploi du mercure en médicament avec le venin inhérent à la piqûre, le
doigt s’estropie de plus en plus, et l'amputation finit par faire justice de la faute
de la maladie et de celle de la médication.
Une écharde, une esquille d'os, un simple bout de fil introduit par le talon de
l'aiguille entre euir et chair, un poil de certaines plantes, tous ces fétus qui ne
donneraient lieu partout ailleurs qu’à la formation d'un simple petit bouton, sont
dans le cas de déterminer les douleurs les plus lancinantes, et de causer les plus
graves désordres, quand le hasard les introduit à l'extrémité des doigts, surtout
à l'extrémité de l'index.
Que si le corps étranger est hérissé de dents ou d’aspérités, barbelé de pi-
quants dirigés d'avant en arrière, qui permettent au corps étranger d'avancer et
non de reculer, oh! dès ce moment, il faut s'attendre aux résultats de désorga-
nisation les plus compliqués, que notre médication, et c'est encore là un de ses
plus grands suceès, se borne à limiter et à dépouiller de toute douleur. J'ai re-
marqué, sous ce rapport, que les fils de coton sont plus désorganisateurs que les
(*) Du grec trauma, blessure.
(**) Du grec toæicon, poison.
6 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
fils de chanvre où de lin; la fibrille de coton, en effet, est un poil, et les fibrilles
de chanvre sont des vaisseaux ; or, tout poil est hérissé d’aspérités plus ou moins
visibles au microscope.
La dent du brochet et de certains autres poissons, un simple fragment d’une
arête de blé ou autre graminacée, produit ces ravages sur une plus grande
échelle; viennent ensuité les échardes de certains bois, spécialement du sapin.
Ces brins s'iñsinuent vite, voyagent dans toüs les sens, ét bHächént tout ce qu'ils
rencontrent, les chairs, les nerfs et lés ligamienñts articulaifes; cé Qui fait que l'os
dé là dernière phalañge se détache, comine pat l'œuvre la plus adfoite du bis-
touri.
À ces causes inanimées et inertes par elles-mêmes, il faut joindre l’iitroduction
dans les tissus de cétte dérnière phalanige, l'introduction, dis-je, du dragontieau
et de tout autre ver où larve d’ässéz petit calibré pour pouvoir échapper à li vue
ét se glisser dans la peau sans être äperçus ou devinés; le drigonnéau, éspèce
de fil animé, qui séjourne dans là fañge, et se jette d’un trait sur la péaü et de là
däns les chairs.
8 2. EXPLICATION PHYSIOLOGIQUE DES PHÉNOMÈNES MORBIDES SPÉCIAUX
AU PANARIS.
À. OBSERVATIONS IMMÉDIATES.
Trouver la raisof et lé mécanisme d’uné cause, c'est trouver la voie qüi con:
duit directement aux moyens de l’éliminer. Or, pour bien comprendre 16 rnéta-
nisme d'action de la cause douloureuse et déchirante du panaris, il faut préala-
blement s’étré fait une idée juste des caractères de structure ét de sensibilité des
tissus qui servent de siége à la mäladie; nous allons les décrire en peu de mots,
müis d’une manière touté nouvelle:
4° Nos sensätions fie nous viennent que par les expansions des extrémités
des rameaux nerveux, ét non par le tronc du rameau lui-même; en d'autres
termés, le nerf n’est sensible qu'à son extrémité papilläire et nôn dans sa
longueur. Piquez le tronc nérveux du plus fort calibre, s'il est isolé de pa-
pilles nérveusés, c’est-à-dire de bourgeons destinés soit à continuer ses bifurea-
tions, soit à tapisser le derme, cette piqûre, qui ferait bondir, si elle avait lieu sur
la plus petite papille de la peau, ne produira pas méme une sensation appré-
ciable. Les päpilles sont des organes des sens; les troncs ne sont que des véhi-
cules de la sensation, que des tiges végétäntes et régénératrices, c'est-à-dire, qui
fournissent au développement indéfini des organes papillaires.
do Les rameaux nerveux arrivés à la surface du corps, comime à la surface des
organes internes et dés viscères, se subdivisent à l'infini en extrémités papillaires,
dont la contiguïté serrée forme la couche dermique, qui n'est absolument qu'une
marquéterié, une mosaïque, si jé puis m'exprimer äinsi, de papilles nerveuses.
5° De là vient que le bistouri a beau retrancher des lambeaux du derme, la
peau sé réforiie souvent sans qu'il en reste la moindre apparence de cicatrice.
Tailléz un arbre à tête arrondie, l’année suivante il aura regagné, en circonférence
et en aspect, tout ce que la cisaille lui avait enlevé l'année précédente; les bour-
geons inférieurs à la taille auront, en se développant à leur tour, regagné le ter-
rain et comblé la lacune, par leurs rameaux qui engendrent à leur tour d'autres
rameaux par d'incessantes bifurcations.
4° Ces organes papillaires, bourgeons nerveux reproducteurs, sont dans leur
DÉFINITION, SIÈGE, CAUSES ET EFFETS DU PANARIS. 7
petitesse tout aussi compliqués, pour percevoir les sensations, que l’est lui-même
le globe de l'œil, cette papille d’un énorme calibre, dont nous pouvons admirer
dans ses moindres détails la structure optique. Mais leur organisation n’est nulle-
ment identique; autrement elles ne nous donneraient qu'une seule et même sen-
sation; tandis que les corps extérieurs se manifestent à nous par cinq sensations
principales que nous désignons par tout autant de noms différents.
>° Cependant cette division ancienne de nos sensations en cinq espèces n’est
pas tellement rigoureuse, qu’en physiologie nous devions l’admettre, comme dans
le langage usuel; car le sens du toucher qui, d’après les définitions de l’école, est
répandu sur toutes les surfaces externes de notre corps, nous paraîtra suscep-
tible de plus d’une subdivision ultérieure, si nous voulons nous donner la peine
d'en analyser les diverses sensations, selon qu'elles nous viennent de telle ou telle
surface.
Par exemple, pour qui voudra y réfléchir sérieusement, il sera facile de distin-
guer les sensations que le toucher nous transmet par la surface palmaire de nos
mains de celles qui nous viennent de leur surface dorsale, ou de la surface de toute
autre partie du bras. Nous trouverons ensuite que la surface palmaire de l’extré-
mité des doigts nous donne des indications bien plus nettes et plus précises sur
les caractères des corps ambiants que ne le fait la paume de la main ; enfin il nous
sera tout aussi facile de constater que, sous ce rapport, l'index jouit d’une faculté
de discernement bien plus grande que les autres doigts de la main; or la diffé-
rence intellectuelle et impressionnable que nous signalons, entre Ja surface pal-
maire ou plantaire et entre les autres surfaces du corps, est si prononcée, que
peut-être ferait-on bien de subdiviser le sens du toucher en trois : le toucher
proprement dit, qui serait inhérent aux surfaces palmaire et plantaire; le tact, qui
serait le sens spécial de toutes les autres surfaces externes du corps, et la sensi-
bilité pour désigner le tact des muqueuses.
6° Des cinq doigts, l'index et le pouce sont doués d’une plus grande sensibi-
lité que les trois autres, dont la faculté même déeroit par rang en s’éloignant
de l'index, en sorte que la surface palmaire du petit doigt est l'organe le plus
émoussé des trois; il suflit, pour s’en convaincre, de toucher successivement le
même corps avec chacun de ces einq doigts.
7° Il y a plus : les extrémités des membres participent de la sensibilité des
extrémités papillaires des nerfs ; elles font l'office de papilles et d'organes, Toutes
choses égales d ailleurs, la même sensation sera plus vive sur le doigt que sur le
bras, beaucoup plus sur la dernière phalange que sur les inférieures, et beau-
coup plus sur le bout du doigt que sur sa longueur. La génération actuelle, qui n’a
pas eu affaire à la brutalité des professeurs d'autrefois, ignore heureusement le
raffinement de cruauté qui faisait donner les coups de férule sur le bout des
doigts, au lieu de les appliquer sur la paume; l’une de ces douleurs en valait
bien vingt des autres. Qui ne sait que le froid produit une sensation bien moins
tolérable au bout des doigts que sur les autres parties de la main ? Qui ne sait en-
core que les aveugles distinguent les qualités des corps et en reconnaissent l'ori-
gine, en promenant sur ces corps la surface palmaire de l'index, et qu'ils ont
ainsi, pour ainsi dire, leurs yeux au bout des doigts?
8° Enfin, de toutes les surfaces qui recouvrent l'extrémité des doigts, l'ongle,
à la racine surtout, est plus vivement impressionné que toutes les autres papilles.
Or, tous ces phénomènes s'expliquent de la manière la plus satisfaisante, lors-
qu'on a recours à l'étude anatomique du doigt.
8 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
B. ÉTUDE ANATOMIQUE DU DOIGT.
1° Les nerfs qui animent la sensibilité et la motilité des doigts, et qui ém2-
nent des dernières bifurcations du nerf médian du bras, se divisent à leur tour,
vers l'origine et la séparation des doigts, en deux couples de bifurcation, l’une
dorsale et qui envoie à chacun des deux doigts contigus un rameau qui borde
la surface dorsale du doigt et se dirige droit vers son extrémité; l’autre couple
envoyant de même à chacun de ces doigts un rameau qui borde la surface pal-
maire, et se dirige également en droite ligne vers l'extrémité onguifère, Chaque
doigt reçoit ainsi ses nerfs collatéraux de deux troncs nerveux différents. Le
couple dorsal, en s’'épanouissant, vient donner naissance à l’ongle qui n’est qu’une
papille nerveuse développée sur une grande échelle. Les deux rameaux pal-
maires, en s'anastomosant d’une manière inextricable sur la surface pulpeuse ou
palmaire, communiquent à cette région une sensibilité caractéristique. Ainsi
l'extrémité du doigt est une espèce de papille gigantesque, et qui perçoit les im-
pressions et les sensations beaucoup plus activement que toute autre surface du
corps.
2° Ce n'est pas tout, les surfaces palmaires et plantaires possèdent une struc-
ture qu'on ne retrouve sur aucune autre surface du corps; on n’a qu'à s’armer
d’une simple loupe pour s'assurer qu’elles sont guillochées d'une manière inex-
tricable par de petites bandes qui sont plus saillantes à l'extrémité des doigts
que partout ailleurs. Chacune de ces bandes est piquetée d’une rangée de petits
enfoncements en segments de sphère, espacés avec une certaine régularité. Si l’on
demande à l'anatomie comparée l’analogie de ces petits organes, ainsi que je l'ai
fait dans le Nouveau Système de chimie organique, on découvre que ces petits
enfoncements remplissent les mêmes fonctions que les gros suçoirs qui bordent
les appendices ou bras des calmars, sèches et autres céphalopodes ; ce sont des
espèces de suçoirs qui s’attachent aux surfaces en faisant le vide; ce sont, comme
je les ai appelées, des cupules d’appréhension et de palpation, si l’on peut s’ex-
primer ainsi. Chacune de ces petites cupules est animée par un nerf dont elle n’est
que l'expansion, ce qui devient de la dernière évidence par la dissection de l’un
des bras d’un céphalopode.
De là vient que nous nous attachons mieux aux corps étrangers par la surface
palmaire ou plantaire que par toute autre surface de notre corps, etque, sur la surface
palmaire des pieds et des mains, le tact prend un tout autre caractère, une espèce
de clairvoyance, qui a fait dire que certaines gens, tels que les aveugles, ont des
yeux au bout des doigts; cette idée, analysée physiologiquement, n'est, on le
voit, qu'une exagération.
CONSÉQUENCES PHYSIOLOGIQUES ET PRATIQUES DE CES priNcires. Les membres de
notre corps sont donc des supports d'organes d’un tact particulier qu'on pour-
rait appeler le sens de l'appréhension ou le toucher. Ce sens réside dans les
surfaces palmaires et plantaires; il est plus développé dans les extrémités des
doigts que .dans la paume des mains ou la plante des pieds, et beaucoup plus
dans l'extrémité de l'index ou de l’orteil que dans celle des autres doigts.
L'inextricable réseau des ramuscules nerveux qui viennent s'épanouir, en or-
gane onguiculé, sur la surface dorsale de ia dernière phalange du doigt, et en une
pulpe plutôt nerveuse que charnue sur la surface palmaire de la même phalange,
imprime à cette papille d'un énorme volume une sensibilité qui devient une
torture à la moindre désorganisation de ses tissus.
ÉTUDE ANATOMIQUE DU DOICT. 1
L'index, sentinelle avancée de cet organe d’appréhension, est par conséquent
plus sujet à l'invasion de ce ma! d'aventure qui fait tant souffrir; et les ravages
de ce mal sont plus euisants et plus graves dans l'index que dans tous les autres
doigts ; parce que non-seulement il est le plus sensible, mais encore le plus mo-
bile, et que Le mouvement favorise l'introduction et la reptation du corps désor-
ganisateur.
Le corps étranger qui, en s’introduisant dans les tissus, est capable d'occa-
sionner de tels ravages, opère, ou chimiquement et par voie de décomposition, ou
mécaniquement, en sciant et déchirant les tissus. Dans ce dernier cas, chaque mou-
vement musculaire ajoute à la puissance de destruction du corps, en le poussant
dans une région nouvelle. C’est ainsi que, selon le calibre, la solidité et la struc-
ture de ce corps, les anastomoses ou mailles du réseau du tissu nerveux se bri-
sent; que la sensibilité de la région s’émousse et s'éteint; que l’action muscu-
laire se paralyse; que les ligaments articulaires se déchirent, et que l'os de la der-
nière phalange s’isole et se sépare des chairs de cette région, comme un noyau
de la chair d’un fruit, ou comme les os se séparent d'une chair soumise à l'ébul-
lition; toutes circonstances de destruction qui ne sauraient avoir lieu, dans une
région aussi papillaire, dans une telle expansion nerveuse, qu'avec des douleurs
atroces, etquiserenouvellent, comme partoutautant de coupsdelancette, à chaque
pas nouveau que le corps étranger fait dans le tissu. Les tissus déchirés ne tar-
dent pas à se décomposer en pus qui, à son tour, devient une cause de décompo-
sition chimique pour les tissus ambiants, par sa nature corrosive ; de là ces fusées
purulentes qui filent sous la peau jusqu'à la paume de la main et aggravent en-
core, par une fièvre brûlante et parla tension toujours croissante du dépôt, les souf-
francés qui émanent du déchirement des chairs; car le pus étant acide infiltre la
fièvre, en coagulantle sang dansles vaisseaux cireulatoires; etson volume, grossis-
sant tous les jours du produit du sang extravasé et des solides déchirés, sous l’en-
veloppe d’un épiderme qui se dessèche en perdant son adhérence avec les chairs,
les chairs se trouvent comprimées de plus en plus, les vaisseaux sont étranglés,
la circulation est interrompue et donne lieu à une enflure générale qui compli-
que de jour en jour les caractères du mal. D'un autre côté, les nerfs sont des cor-
dons d’un tissu serré, qui opposent la plus forte résistance à tous les agents dés-
organisateurs, aux agents qui décomposent les tissus, comme à ceux qui les
déchirent; car, par la macération dans l’eau, tout pourrit et se désagrége autour
d'eux, qui ne semblent pas avoir subi un commencement d'atteinte; si on les
laisse sécher, ils acquièrent la dureté, la compacité et l'aspect de la corne dont ils
possèdent la composition chimique. Or nous avons dit que les nerfs collatéraux,
qui viennent se rejoindre à l'extrémité du doigt, y forment un réseau inextrica-
ble; ce réseau peut donc être comparé à un filet à mailles serrées qui laisseront
pénétrer les corps barbelés dans la substance de la pulpe, et s'opposeront à leur
recul. De là vient queles corps étrangers, toutes choses égales d’ailleurs, occasion-
nent plus de souffrances et produisent plus de ravages dans la pulpe de la der-
nière phalange des doigts, que dans celle des deux autres phalanges ou de toute
autre région charnue.
$ 5. MÉDICATION DU PANARIS.
La théorie si détaillée que nous venons d'exposer des phénomènes du panaris
nous mettra en état de formuler le pansement le plus expéditif, parce qu'il sera le
10 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
plüs rationnel, et d'apprécier les obstacles que la guérison peut rencontrer selon
les diverses circonstances du hasard.
4° L'introduction d'un corps étranger étant l'unique eause du panaris, il est
évident que le premier soin à donner c'est d'extraire au plus tôt ce corps, en totalité
où au moins en plus grande partie ; si vous avez l'assurance dé pouvoir l’atteindre,
ne craignez pas de pratiquer une entaille assez large pour l'attirer au dehors ; cette
souffränce d'un instant, cette blessure volontaire, vous préservera de bien des
souffrances plus poignantes et de blessüres d’une plus grande étendue et plus
difficiles à cicatriser. On fait une incision, si cela est nécessaire, avec la pointe
d’un canif; on saisit lé bout dece corps avec la pince, et on l’entraine hardiment,
au risqué dé déchirer les tissus qu'il a perforés. On lave la plaie à grande eau
pure, puis à l’eau alcoolisée au moyen de quelques gouttes d'alcool camphré, ce
qui arrête net l’hémorrhagie; et on pañse ensuite au €érat camphré (Voy. le
Manuel dé 1854, p. 105) ou simplement en entourant le doigt d’une bande de
sparadrap (ibidem, p.135) qu'on laisse à demeure, et que l'on remplace, s’il tombe
avant qué la cicatrisation se soit opérée.
2% Si l'extraction du corps devient impossible, parce qu'on ne l’aperçoit pas,
où qu’en fouillant au hasard on finirait pas produire plus de ravages qué ne doit
le faire le corps lui-même, le but que doit se proposer la médication, c'est
d'émousser, pour ainsi dire, là puissance destructrice de ce corps barbelé et de
s'opposer à la transformation du sang en pus; et si, malgré ces soins, Le pus se
forme, de lui donner une issue aû dehors, dès qu’on s'aperçoit qu’il est possible
de le faire sans blesser le doigt.
Pour émousser l'action désorganisatrice du corps étranger, rien ne séussit
mieux que d’envelopper l'extrémité du doigt d'une bande detoile ou de calicot, im-
prégnée d'alcool camphré, et qu'on arrose fréquemment de ce liquide; on enferme
le doigt ainsi emmaillotté dans un doistier soit en caoutchouc, Soit en vessie de
porc, soit en mousseliné fortement empesée (Manuel de 1854, page 95); pour
arroser les bandes d’aleool camphré, on n’a qu'on soulever un peu les bords du
doigtier.
Ce moyen suffit pour évuper court instantanément aux souffrances. Depuis que
j'eñ ai fait l'application, je n'ai pas rencontré un seul panaris dont les douleurs
lancinantes aient résisté à ce moyen.
L'alcool ecagulant les sues albumineux et ayant la propriété de porter son
action coagulatriee j jusqu'à de grandes profondeurs, il arrive d’abord que l’extra-
vasation du sang ne suit pas la déchirure des vaisseaux cireulatoires et que dès ee
moment rien n'alimente plus le foyer purulent ; il arrive, secondement, que l'albu-
mine coagulée et, pour ainsi dire, durtie par l’action de l'alcool, émousse les
pointes ou les dents du corps étranger, éomme on émousse de plus grosses poin-
tes en y implantant un bouchon de liége. Si le corps étranger est animé, l'al-
cool l’asphyxie et le momifie, en quelque sorte, sur place; et ensuite la loi du
développement indéfini des êtres organisés se faisant de dedans en dehors, avec
le temps le corps étranger se trouvera expulsé au dehors, sans douleur, sans
ravage, sans besoin de la moindre opération.
Que si l'ancienne médication a déjà eu le temps de soumettre le doigt panarisé
au pansement par les cataplasmes, ce qui produit toujours l’intumescence du
doigt et la formation d’un foyer purulent sous-cutané, on se hâtera de donner
issue au pus, en fendant l’'épiderme qui forme poche au dépôt, et cela avec la
pointe du canif où même d’une simple aiguille. Le pus s'échappe avec abondance
MÉDICATION DU PANARIS. 11
par la première ouverture que l'on pratique, et la douleur, si lancinante qu'elle
soit, cesse comme par enchantement à la première évacuation du liquide; on
achève de fendre l’épiderme sur toute la longueur de la poche avec les ciseaux
ou le canif; on lave à grande eau pure d’abord et ensuite à l’eau alcoolisée comme
ci-dessus, et l’on recouvre la plaie avec des petits plumasseaux enduits de pom-
made camphrée (Voy. Manuel de 1854, p. 152), que l'on maintient avec de petites
bandes de toile imbibées d’alcool camphré, le tout emprisonné dans le doigtier
dont nous avons parlé plus haut. On renouvelle ce pansement soir et matin,
La vertu antiseptique (antiputride) du camphre s'oppose à la décomposition
des tissus et à la formation du pus; l’action coagulatrice de l'alcool s'oppose à
l'extravasation du sang qui autrement alimenterait le foyer purulent; et le corps
gras de la pommade s’opposant à l'action immédiate de l'air, et remplaçant
l'épiderme par une espèce de vernis analogue, permet à la pellicule de cicatrisa-
tion de se former pour redevenir épiderme. En sorte que si le bistouri aveugle et
brutal n'a pas passé par là, et que les chairs n'aient pas été charcutées par les
errements de l’ancienne méthode, ou par les ravages d’un corps étranger ineapa-
ble de reculer, le doigt reprendra sa forme normale; il ne portera pas la moindre
trace de cicatrice après la guérison, et n'éprouvera pas la moindre douleur pen-
dant tout le cours de la guérison même. J'ai traité souvent des panaris parvenus à
une certaine époque, en me contentant d'entourer simplement la phalange avec
des bandes de sparadrap (Manuel de 1854, p.135), que je laisais à demeure, et en
arrosant d'alcool camphré les phalanges inférieures. Ce pansemeut suffit, toutes les
fois que le corps étranger s'est arrêté aux couches externes de la pulpe et y a
déterminé une pustule ou bouton purulent ; le sparadrap a la propriété d’aspirer
le corps étranger au dehors, de faire crever la pustule, et de permettre à la peau
de se reformer à l'abri de l’action comburante de l'air extérieur,
Dans les deux procédés, on a soin chaque soir de laver le doigt avec l’eau de
goudron tiède (Manuel, p. 118), ou à son défaut dans l’eau alcoolisée avee quel-
ques gouttes d'alcool camphré.
«+ EXAMEN CRITIQUE DE LA MÉDICATION SCOLASTIQUE. Les succès constants de la mé-
thode de pansément que je viens de décrire ont rendu cette médication po-
pulaire, mäis nullement scolastique; et la médecine ancienne conserve tous
ses vieux procédés, quand elle a encore un panaris à traiter. Elle a recours à
l'application constante des cataplasmes; ensuite elle chareute le doigt à coups de
bistouri; et, quand les souffrances deviennent intolérables, elle les apaise avec les
onguents mércutiels ;. or il se trouve au bout de tout ce compte, que le remède
a rivalisé avec la cause du mal pour estropier le doigt et torturer le malade.
1° Les cataplasmes, en ramollissant les tissus, facilitent la reptation et l'œuvre
de destruction et de désorganisation du corps étranger, cause immédiate de la
maladie; ils favorisent l’extravasation du sang par l'absorption incessante de
leur partie aqueuse, et alimentent ainsi constamment le foyer de la fermentation
purulente; le doigt enfle ainsi en raison de la désorganisation des tissus; les dou-
leurs deviennent de plus en plus lancinantes à mesure que le corps désorganisa-
teur pénètre plus profondément dans la pulpe et hache un plus grand nombre
de mailles du réseau nerveux.
2° Le médecin, harcelé par l'impatience du malade, a recours à l’action du
bistouri qui, poursuivant en aveugle la cause du mal, ajoute ravages à ravages,
devient à son tour une nouvelle cause de panaris, et estropie le doigt sur une
19 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
plus large échelle; car c’est une écharde gigantesque que le bistouri. Il pourrait
se faire que sa pointe atteignit le corps étranger et lui ménageñt une issue au de-
hors; mais c'est un cas aléatoire, un jeu du hasard dônt la science jusqu’à ce
jour ne s’est pas attribué le privilége, à cause de la grande rareté du fait.
9° J'ai vu alors des médecins, à bout de moyens, sinon de guérir, du moins
de soulager, avoir recours à l’application des onguents mercuriels; et à leurs
yeux le résultat de la médication est un immense succès, car la souffrance est cal-
mée et la cicatrisation s’opère quelquefois. En effet, le mercure, base essentielle-
ment désorganisatrice des tissus, paralyse la souffrance, en se combinant avec
l'élément nerveux, en dépouillant le nerf de sa conductibilité pour la douleur; il
cicatrise la plaie, en s’opposant à la fermentation purulente; le mercure, en sa
qualité d'agent désorganisateur, est essentiellement antiputride. Mais le revers de
la médaille ne tarde pas à apparaître; et quand le mercure à fini de se combiner
avec les tissus morbides, il les isole des tissus sains parce qu’il les frappe de mort
et quil les rend impropres à continuer le développement indéfini des organes
adjacents. De là un nouveau genre de plaie quine tarde pas à succéder à l’ancienne
plaie, à la rouvrir, pour ainsi dire, par suite du travail intestin des doubles dé-
compositions et des recompositions; dès lors, le mercure de nouveau précipité
réagit, comme la première fois, avec sa première puissance, sur une nouvelle cou-
che de tissus; il ronge les chairs, effrite les muscles, carie les os, déchire les li-
gaments, désartieule les phalanges; il étend et multiplie ses ravages en raison du
volume que la cicatrisation en a absorbé; et cette fois la chirurgie ampute ce que
la médecine a désorganisé, et je dirai même empoisonné; heureux encore, quand
le poison n'a pas passé dans les régions voisines, par le véhicule de la circulation
Iymphatique. Car, on ne saurait le prôner trop haut et trop de fois : tout panse-
ment par le mercure est ie point de départ d'un cercie vicieux de eicatrisations
et de plaies ; c’est une médication qui ne soulage que pour estropiér, qui ne ei-
catrise que pour paralyser et atrophier. Qui nous débarrassera enfin d’un remède
qui est le pire des maux ?
$ 4. CAS REMARQUABLES DE SOULAGEMENT ET DE GUÉRISON PAR LE NOUVEAU
SYSTÈME:
L
4° Vers la fin de septembre 1852, une jeune couturière se pique, sous ia àer-
nière phalange de l'index de la main droite, avec le talon de son aiguille, mais su-
perficiellement et en déchirant simplement l’épiderme; elle retire l'aiguille, recolle
le petit lambeau et se croit quitte de la piqüre, comme cela lui était arrivé bien
des fois auparavant. Mais cette fois il n’en fut plus de même; ii paraît qu'il était
resté dans la petite plaie une fibrille de fil noir dont l'aiguille était enfilée; et deux
jours après l'événement, engourdissement de la dernière phalange qui se commu-
nique successivement aux phalanges inférieures ; puis douleurs lancinantes, fièvre.
Le 10 octobre, travail devenu impossible et insomnie complète. Elle panse le
doigt avec des cataplasmes de farine de graine de lin; le mal empire. Le 13 oc-
tobre, elle appelle le médecin, qui, selon l’ancienne méthode, lui fait une incision
longitudinale sur la surface palmaire de la phalange et lui ordonne la continua-
tion des cataplasmes; le mal empire encore et les douleurs n’en sont que plus
insupportables; le laudanum ne les calme pas. Le 24 octobre, nouvelle incision
couronnée du même insuccès, et d’un redoublement de souffrances.
C’est alors que, sur les conseils de mon fils, elle jette à les cataplasmes, pour
se panser à la pommade camphrée ; dès lors soulagement. Le 2 novembre avant
CAS NOUVEAUX DE GUÉRISON DU PANARIS. 15
chaque pansement, injections à l'eau de goudron dans les fistules creusées par le
pus; et à la suite disparition complète des souffrances, et progrès journaliers
de la cicatrisation, qui est entière sur la fin de décembre; mais le bout du doigt
est resté estropié par les incisions, et il conserve depuis lors une grande sensi-
bilité au froid et aux orages. Le médecin, à qui on n'a pas osé révéler ce change-
ment de médication, s’applaudit de son triomphe, qu'il devrait se reprocher
aujourd'hui, comme étant l'auteur d’une blessure involontaire qui a privé à jamais
la malade de son gagne-pain; car il est impossible à la malade désormais de
se servir de ce doigt pour la couture. Estropier un doigt pour un fétu ! poursuivre
un fétu à coups de bistouri! ce ne devrait plus être pardonnable, aujourd'hui
que le pansement nouveau a 16 ans d'épreuves et de suecès.
20 Plus tard, vers le commencement de l'hiver passé, une jeune cuisinière
attrape un panaris, dont elle ne nous parle que lorsque la force de la douleur ne
lui permet plus de le dissimuler. Une pustule jaune à pourtour enflammé s'était
déjà formée vers la racine de l’ongle. Aussitôt on entoure l'extrémité du doigt
avec une compresse imbibée d’ alcool camphré, qu’on arrose fréquemment; la pus-
tule crève et on panse alors avec une compresse imbibée de pommade camphrée ;
on renouvelle tous les soirs le même pansement, en ayant soin de laver préala-
blement à l’eau alcoolisée. Au bout de trois jours, on se contente d’enfermer le
doigt dans un doigtier en sparadrap, qui reste à demeure et qu'on renouvelle
toutes les fois qu’il tombe faute d’adhérence; au bout de huit jours, la plaie était
cicatrisée, le panaris avait disparu, et le doigt n’en conserve pas la moindre trace.
3° Sur la fin de mars 1854, un charron s'enfonce une esquille de bois dans
l'articulation de la dernière phalange de l'index de la main droite. Les ouvriers
savent {ous ce qui peut arriver de cet accident, et ils ont hâte d'inciser bravement
la blessure avec le tranchant de leur ciseau, pour extraire avec leur pince le corps
étranger. Cette opération n’est pas toujours couronnée de succès, et il n’est pas
si facile qu’on le pense, soit d'atteindre l’esquille, soit de l’extraire tout entière.
De là un panaris qui par l’ancienne méthode donnait lieu aux plus graves acci-
dents et à des souffrances incessantes.
Notre ouvrier n'ayant pu extraire le corps étranger, ne tarda pas à éprouver
les plus vives souffrances; il enveloppa le doigt d'un cataplasme qui, on le pense
bien, ne fit pas disparaitre la douleur, et n’empêcha pas l’enflure de se déclarer et
le doigt de se déformer; de là, fièvre, douleurs poignantes, insomnie et perte
complète de l'appétit.
Le malade m'arriva dans cet état vers le milieu d'avril ; le doigt avait acquis
un volume énorme; l’épiderme en avait complétement disparu et se trouvait rem-
placé par une surface charnue rougeâtre, vermieulée; l'extrémité du doigt ren-
dait du pus fétide. Je n’hésitai pas à envelopper le doigt d’une compresse imbibée
d'alcool camphré, en dépit de la vive cuisson que cette application détermina; au
bout de quelques secondes, je fis envelopper tout le doigt d’un linge enduit de
pommade camphrée; et dès ce moment le soulagement commença à se faire
sentir.
Ce pansement renouvelé trois fois par jour fit disparaitre la fièvre, ramena
l'appétit et le sommeil ; de temps à autre on lotionnait le poignet à l'eau sédative.
Peu à peu l’épiderme se reforma sur toute la longueur du doigt, qui en peu de
temps eut repris son volume ordinaire. Seulement, sur la surface palmaire de la
dernière phalange, on remarquait une fente bordée de deux grosses lèvres, qui re-
fusait de se cicatriser, et qui plus tard laissa voir comme un bourbillon noirâtre,
14 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mais sans produire une goutte de pus; je fis réappliquer sur cet endroit l'alcool
campbré pur dont j'avais fait cesser l'emploi an bout de quelques jours.
Vers le milieu de juin, ce bourbillon faisait une assez forte saillie ; je n’eus
qu'à le pincer avec le linge du pansement, pour l’extraire en entier sans occa-
sionner la moindre hémorrhagie; je reconnus alors que j'avais extrait, avec aussi
peu d'effort et d'appareil opératoire, l'os lui-même de la dernière phalange.
L'esquille de bois, cause unique de ces désordres, avait haché les ligaments qui
l'attachaient à l'articulation, et l'avait isolé, bien mieux que n’eût fait le bistouri,
de son périoste, de ses muscles et même du bulbe reproducteur ou matrice
de l’ongle qui se dessinait encore assez bien, Le malade ne revenait pas de sa
surprise : « Tiens! disait-il ébahi, c'est un os qu'il m'a retiré et il ne m'a pas
fait le moindre mal. » Le 15 juin, il est revenu me montrer son doigt dont le bout
maintenant se eicatrise et ne semble presque pas s'être déformé; on y voit la
place de l’ongle, et la phalange commence à obéir aux mouvements musculaires,
comme si l'os n’en avait pas été extrait.
Immédiatement après les premiers pansements, cet ouvrier se remit à l’ou-
vrage, plutôt gèné par l'appareil du pansement que distrait par la plus petite
souffrance; et, vers le milieu de juin, il avait même achevé à lui seul une grosse
roue de charrette.
$ 5. EXEMPLE EFFRAYANT DE L'EMPLOI DES REMÈDES MERCURIELS DANS
LE PANSEMENT DES MAUX D’AVENTURE.
4° Un tapissier établi, Hollandais d'origine, se blesse à la hauteur de l’articula-
tion métacarpo-phalangienne du médius. La cicatrisation refuse de s’opérer à l’aide
de cataplasmes ; une illustration chirurgicale cherche à l'obtenir au moyen d'on-
guents mercuriels; au lieu d'une cicatrisation il obtient une carie de l'os de la
première phalange; d’un coup de tenaille il abat tout le doigt. Mais la cicatrisa-
tion se montre encore plus rebelle : cependant, à force de cautérisations, elle finit
par s’opérer. Maisle mercure remonte aux ganglions axillaires et de là se répand
dans les muscles pectoraux, avec le cortége de tous ses ravages carcinomateux.
Le chirurgien enlève d’un large coup de bistouri tout ce matelas de museles ; et
ce côté de la poitrine reste à nu avec une simple pellicule qui recouvre les côtes,
Cet homme se présente à la nouvelle médication dans un état désespéré, couvert
de croûtes dartreuses, de chancres, et les poumons déjà tuberculisés ; ruiné
dans sa santé, ruiné dans sa fortune, on lui fournit les premiers médicaments ;
il n'ose pas revenir ung seconde fois à la provision; il prend le parti de retourner
à l'hôpital, comme le papillon à la lumière qui le brüle ; au bout de quinze jours il
y mourait; le nouveau système n'aurait pu que différer d’un à deux mois cette
triste conclusion d'une médication mereurielle, sur laquelle un jour la médecine
versera des larmes bien amères; Dieu fasse que ce jour ne soit pas très-éloigné!
M © DC —
ALIMENTATION VERMIFUGE CONTRE LE VER SOLITAIRE.
J'en suis arrivé à ce nouveau mode de combattre les attaques de ce vampire,
qui semble s’accoutumer à tous les vermifuges, en m'ingéniant tout cet hiver
contre une maladie qui prenait les formes les plus bizarres et souvent les plus
effrayantes, et dont les accès résistaient aux ingrédients les plus efficaces de la nou-
yelle méthode. ; |
ALIMENTATION VERMIFUGE CONTRE LE VER SOLITAIRE. 15
Le malade éprouvait des hallucinations et des vertiges àla moindre contention
d'esprit; on était obligé de ne plus le perdre de vue; la faim le faisait défaillir,
la digestion lui eausait des tortures dont le siége était d'abord à la région du
pylore; tout à coup le bol alimentaire passait comme d'un bloc dans le gros in-
testin, et semblait éprouver un obstacle au commencement de l'S iliaque, comme si
là il s'était opéré un rétrécissement intestinal. Les lavements ne forçaient l'ob-
stacle que pour produire un gonflement douloureux, et séjourner à leur tour
dans le côlon sans pouvoir être rendus. La paralysie venait fréquemment com-
pliquer ces symptômes, et ne se dissipait qu'à force d’affusions abondantes d'eau
sédative sur le crâne et sur les membres, qui s’engourdissaient; la vision se per-
dait tout à fait ou s’affaiblissait pendant les crises; une nuit toute entière les mem-
bres inférieurs furent en proie à des soubresauts qui se répétaient à chaque mi-
nute et faisaient pousser les hauts eris au patient. Le malade avait fini par ne
plus oser mettre un pied à terre, et par craindre de s’alimenter.
Je crus un instant pouvoir attribuer ces symptômes aux mauvaises qualités
d’un pain qui nous avait tous rendus malades, et dont je pus étudier sur moi-
même les ficheux effets, ce qui me permit de déterminer la nature de la substance
toxique que le hasard sans doute avait mêlée à la farine.
Mais force me fut bientôt, tant les crises yariaient de caractères, de ne pas
les mettre toutes sur le dos de cette falsification, et de reporter tous mes soup-
cons sur la présence du yer solitaire, dont du reste j'avais cru remarquer de
longs débris en voie de décomposition dans le produit des selles obtenues à force
de lavements et de médicaments vermifuges.
Mais le ver solitaire résista à tout l'arsenal de la médication prescrite dans le
Manuel. J'en vins alors à l'emploi d'un condiment que j'ai beaucoup trop négligé,
à cause de la fétidité qu'il communique à l'haleine, je veux parler de l'emploi
de l'ail, qu'Horace voulait substituer à la ciguë pour punir les parricides :
Si quis parentis olim fregerit quitur
Edat allium cicutà nocentius (*) ; ;
Colère de coquet et de libertin, ainsi que le prouve la fin plus que graveleuse
de l’ode.
L'ail, grâce à Hygie, ne sera ciguë que pour le ver solitaire ; l'haleine en de-
yiendrasans doute moins embaumée pour ceux qui préfèrent le muse ou le tabac;
mais quand chacun en mangera, personne ne le sentira; car deux haleines égales
se détruisent, et ce que tout le monde sent, personne ne le sent.
Quoi qu'il en soit, tous les symptômes si alarmants ci-dessus décrits, se dissi-
pèrent comme par enchantement, en faisant prendre au malade, chaque matin,
une salade au cresson assaisonnée de la manière suivante.
Cresson de fontaine . . . . . une botte - re
Vinaigre faible. . . .-. . . deuxcueillers. .
More d'olive tes ie Vente or tte Rois enedlert "1, 5 SL
; POLE... -:4n ip 6 2e. +. Une demi-chiller, .,;.,
RU TA M TR 2 à Led OS COR 2
Ail. . . . . . . . . . . trois gousses hachées menu.
AUTOS RE us hérite
N, B. On écrase l'ail avec le poivre et le sel dans le yinaigre; on bat et l'on
(*) S'il se trouve jamais un enfant assez dénaturé pour couper la gorge à son père, qu'on le
condamne à croquer une gousse d'ail, poison pire que la ciguë.
16 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
attend quelques secondes avant de verser l'huile; on bat encore ; on fatigue le
cresson ou autre salade, quand la saison du cresson est passée, dans cette sauce,
et on y mêle les œufs durs coupés par tranches. (Ayez soin de ne vous servir que
de poivre moulu en votre présence, et recueilli dans un tiroir que vous aurez
visité; car on vend souvent des gâteaux pulvérisés de colza pour du poivre.)
Depuis ce jour, j'ai prescrit, avec le plus grand suecès, cette alimentation à un
assez grand nombre, dont les maux résistaient à tous les autres vermifuges.
S'il se rencontrait des malades assez mal disposés pour ne pas pouvoirsurmonter
leurrépugnance à l’endroitde cettealimentation hygiénique, on commencerait, pour
les y habituer, à leur administrer la même quantité d'ail sous forme de pilules,
en roulant chaque dose partielle dans du papier fin en tout autant de boulettes.
L'haleine qu'ils contracteront par cette ingestion ainsi dissimulée les habituera
en deux jours à adopter l’autre forme de médication qu'ils finiront par trouver
assez agréable.
Je conseille de plus à mes lecteurs de mêler au camphre dont ils bourrent
leurs cigarettes une bonne moitié d’ail haché menu.
Dans le village que j'habite, on ne connaissait pas encore l'ail; nous sommes
les premiers sans doute à l'avoir fait entrer dans la culture du jardinage; et ce
ne sera pas un mince service que nous aurons rendu à ces pauvres habitants, s'ils
finissent par en adopter l'usage. Dansles premiers jours de notre arrivée, il nous
était difficile de trouver de l'ail, au moins non avarié, à Bruxelles; nous étions
obligés de le faire venir de Paris.
VOGUE PASSÉE DES CIGARETTES DE CAMPHRE.
On se rappelle encore sans doute la première vogue des cigarettes de camphre ;
il fut un temps où ce mot avait pris rang parmi les cris de Paris, faisant concur-
rence aux allumettes chimiques; je rencontrais alors, à chaque coin de rue,
l’éventaire du marchand de cigarettes; on en fabriquait en grand et en petit;
chaque ouvrier sans travail, mais honnête, se faisait fabricant le soir et vendeur
le jour; au commerce des cigarettes en plume se joignait celui des cigarettes en
os, ivoire, Coco, émail, qui n’était pas moins actif; une fabrique s'établit à Saint-
Claude, qui expédiait les cigarettes de ce dernier genre par grosses. Toutes ces
fabriques en grand ou en miniature étaient censées êlre inspectées par moi : Ci-
garette de camphre? me cria un jour un marchand ambulant qui venait de prendre
possession d’un coin de rue.—Je le veux bien, répondis-je, si elles sont bien fa-
briquées, — Je vous les garantis, me répond hardiment mon homme, M. Raspail
les visite chaque matin. — Alors, au lieu d'une, donnez-m'en deux, vepris-je, et
je payai double, en raison de la garantie.
La cigarette à elle seule faisait alors des merveilles contre la toux et les maux
d'estomac; ne croyez pas qu'elle ait perdu de sa vertu, parce que son usage est
devenu un peu moins fréquent; elle n’a point perdu de sa vogue, mais seulement
grâce à Dieu, les occasions de s’utiliser. Ce n’est pas elle qui a passé de mode,
mais bien la toux et la gastrite, grâce au régime hygiénique prescrit par le Ja-
nuel. À cette époque, nous étions encore en pleine médecine à l'eau de gomme et à la
diète ; les ascarides vermiculaires pullulaient dans l'estomac et se glissaient jus-
que dans les voies respiratoires; et il suffisait d’une simple aspiration camphrée
VOGUE PASSÉE DES CIGARETTES DE CAMPHRE. 17
pour expulser la cause de son siége et par conséquent pour dissiper le mal; la
cigarette opérait d'autant plus de merveilles, que ces maux paraissaient plus re-
belles à l’ancienne médication. Depuis lors, la médecine scolastique cédant à la
puissance de Ja révolution opérée par lemouveau système, a modifié de fond en
comble sa thérapeutique; elle n’a pas encore tout abandonné de sa manière an-
cienne, mais elle fait un plus grand usage de mets épicés, de médicaments aro-
matiques ; la nutrition, se conformant aux théories du nouveau système, est deve-
nue éminemment vermifuge, etne permet plus aux ascarides vermiculaires, encore
moins aux lombricoïdes, d’élire domicile dans le canal intestinal pour se glisser de
là dans les organes respiratoires. La gastrite et la toux, ne reconnaissant plus aussi
souvent la même cause, appellent plus rarement à leur secours le même traite-
ment. Le grand ennemi qui nous reste maintenant à combattre, après le mercure
etl’arsenic, dans lesquels la médecine se retranche encore, comme dans sa dernière
citadelle, c’est le ver solitaire, vampire interminable qui ne eède pas à de simples
aspirations. Quant aux cigarettes de camphre, la rareté actuelle de leur emploi,
c'est leur triomphe ; un remède n’a jamais mieux atteint son but que lorsqu'il
commence à être inutile, après avoir bien servi.
Une autre raison contribuait, vers la même époque, à cette vogue populaire et,
pour ainsi dire, des rues; c’est qu'alors deux ou trois pharmaciens seulement,
moins rétrogrades que la foule des autres, avaient eu la hardiesse de vendre des
cigarettes; le peuple de toutes les elasses en demandait, la pharmacie scolas-
tique les refusait. Mais comment lutter avec succès contre le courant de l'opinion
publique? elle sait bien se passer de quiconque refuse de lui prêter son con-
cours. La haute pharmacie refusait; le peuple se fit une pharmacie ambulante,
une pharmacie du coin des rues; et la haute pharmacie se vit bientôt forcée de
suivre le torrent; parce qu'avant tout il faut vendre, et que l'article se vendait
bien. Aujourd'hui tout pharmacien vend des cigarettes; l’article a passé de l'éven-
taire sur le comptoir ; on ne le crie plus dans les rues, depuis que chacun sait
où en trouver au besoin.
CHAPITRE IL — MÉTÉOROLOGIE *
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE.
À chacun de mes changements de domicile, ma première pensée, après avoir
mis le mobilier à sa place, est de me demander à quel genre de travail utile je
pourrai me livrer dans ma nouvelle position; le travail, en effet, c’est pour moi
la respiration; son absence m'asphyxie.
Lors done qu'en avril 1849, je me vis claquemuré dans un cabanon pouvant
à peine contenir un lit, un poêle, une table à manger, une table à écrire et deux
chaises, le tout éclairé par une fenêtre grillée, je compris qu'après avoir terminé
(*) De Logos, étude (des phénomènes qui se passent) ; méta, au delà; aeiros, de ce qui est élevé au-
dessus de notre tête, de l'air; ou bien : logos, étude; meleoron, des météores ou phénomènes de la
nature qui se passent dans les airs. :
18 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mes travaux en voie de publication, l'étude qu'il me serait plus aisé de poursui-
yre désormais, c'était celle de l'atmosphère : les vents, la pluie, les nuages, la
température et la pesanteur de l'air. Je n'eus d'abord à mon service que des in-
struments très-imparfaits ; dans l'incertitude où j'étais de ma position, je n'avais
que faire de m'en procurer de plus riches. Plus tard, ayant acquis la conviction
que mon bail dans le même endroit serait à long terme, je n'eus rien de plus
pressé que de m'organiser un observatoire météorologique muni d'instruments
perfectionnés à l’aide desquels il me devint facile de rectifier mes premiers ré-
sultats. Dans le principe, mon cabanon étant exposé au couchant, j'avais beau-
coup de peine à garantir mon thermomètre des rayons du soleil toute l’après-
midi, et j'étais forcé de placer mon baromètre dans le fond de Ja pièce, tant que
je ne fis pas de feu, Plus tard, ayant été transporté dans l'ancienne caserne des
mousquetaires, j'y occupais deux pièces, l’une au midi et l’autre au nord; celle-
ei m'offrit toutes les conditions exigées pour un observatoire; et dès lors mes ob-
servations demandèrent bien moins de corrections. J’ai transporté dans l'exil tous
ces appareils de ma captivité, et j'ai continué mon journal après une simple in-
terruption nécessitée par le déplacement et l'installation.
La position d’un prisonnier est celle qu'un météorologue doit voir avee le plus
d'envie; là seulement on peut se passer d'aides et ne se fier qu'à soi, Aussi, et mon
journal en fait foi, il est peu d'heures dans la journée, et même dans le courant
de la nuit, où je n’aie consigné une observation utile.
Ce n’est pas ce journal que je me propose de publier dans cette partie de la
Revue; qu'on ne redoute rien de semblable; je n'ai pas entrepris une si longue
série d'observations pour en partager les ennuis, mais seulement les avantages
avec ceux qui voudront bien se donner la peine de me lire. Dans les faits parti-
euliers, je ne vois qu'un moyen d'arriver à une loi; quand cette loi a éf par moi
suffisamment vérifiée, contrôléeet discutée, je la publie avec les preuves à l'appui.
Mon journal formerait deux gros volumes; la vérité énoncée prend la place de
quelques mots; ces quelques mots annulent des volumes, et en absorbent la
valeur.
Je vais aujourd'hui énoncer, discuter et établir une de ces vérités nouvelles ;
les autres viendront à la suite, et je pense habituer peu à peu ainsi mes lecteurs
aux principes d’un tout nouveau système de météorologie, applicable à l'agricul-
ture et même à la médecine.
4re ÉTUDE MÉTÉOROLOGIQUE.
EN VERTU DE QUELLE CAUSE IL PEUT TOMBER UNE COUCHE PLUS ÉPAISSE DE
PLUIE SUR UN ESPACE QUE SUR UN AUTRE, SI RAPPROCHÉES QUE SOIENT LES
DEUX LOCALITÉS,
(HYPOMÉTRIE COMPARÉE.)
J'écris hydométrie et non udométrie comme le font les livres classiques, et j'ose
prétendre que ce n’est pas moi, mais bien les livres qui commettent une faute
d'orthographe contre toutes les règles reçues de l’étymologie. Je m'occuperai
du mot après avoir défini et décrit la chose.
L'hydomètre (udomètre des livres) est un instrument destiné à évaluer l'épais-
seur de la couche d’eau que la pluie a déversée sur la surface du sol. Cet instru-
ment n’est nullement compliqué; car, en définitive, il ne se compose que d'un
HYDOMÉTRIE COMPARÉE. 19
entonnoir qui recueille la pluie et d’un tube gradué qui en indique la quantité,
L'entonnoir est formé par un cylindre adapté à un cône, lequel est terminé par
un goulot; c'est là la forme qui seule puisse ne laisser échapper aucune des gout-
tes de pluie qui tombent dans l'ouverture, sous quelque angle d'incidence que la
pluie y arrive, À la rigueur, un simple cylindre pourrait offrir la même condi-
tion; mais il devrait avoir une assez grande hauteur, pour que les gouttes qui
tomberaient sur le fond plat ne fussent pas exposées à rejaillir, de manière à pas-
ser par-dessus les bords, Cela étant, supposons que le cylindre ait une ouverture
de 25 centimètres en diamètre, et présente ainsi à la pluie une surface horizon-
tale de 49 centimètres carrés ou 49,000 millimètres carrés environ. Toutes les
fois que le vase aura recueilli 49,000 millimètres eubes d’eau, il est évident qu'il
sera tombé une couche de pluie d’un millimètre d'épaisseur à travers l'ouverture
du cylindre; d'où l'on conclut que, partout où le nuage a passé dans le voisinage
du vase, il est tombé la même épaisseur de couche d’eau, Si le vase a recueilli
deux fois ce volume, il sera tombé une couche épaisse de 2 millimètres, et ainsi
de suite; en désignant donc par v le volume d’eau recueilli, par s la sur-
face d'ouverture du cylindre, et par Q l'épaisseur de la couche d'eau tombée par
la pluie, on aura la formule
V
S
—= (.
Pour déterminer le volume, on se servira d’un tube gradué par demi-centimé-
tres cubes, ce qui est plus que suffisant pour l'exactitude de pareils résultats.
Mais comme ce jaugeage demande du temps, on peut se faire construire un
hydomètre qui vous fournisse exactement l'indication voulue, sans qu'on ait besoin
de le déplacer, et d’avoir recours à la formule que nous avons donnée ci-dessus;
il suffira pour cela d'adapter un entonnoir à un tube gradué de manière qu'il
marque, en millimètres et fractions de millimètre, l'épaisseur de la couche d’eau
de pluie qui aura passé par l'ouverture de l'entonnoir.
Soit un entonnoir ordinaire de 25 centimètres de diamètre à l'ouverture, et dont
le goulotrentre, au moyen d'un fort bouchon, dans l'ouverture d’un long tube de
verre cylindrique et à patte, d'une longueur de 50 centimètres et d’un diamètre
de 6 centimètres environ. En graduant ce vase par un volume de 49 centimètres,
chacune de ces divisions équivaudra à une couche d'eau de pluie d’une épaisseur
d'un millimètre ; en subdivisant chaque degré principal au moyen d’un volume de
24 centim. 5, cette subdivision nous fournira l'indication des demi-millimètres ;
en subdivisant ces nouveaux degrés par un volume de 42 centim. 25, on obtien-
dra les quarts de millimètre, ainsi de suite, tant que l'espace permettra de sub-
diviser. Mais pour éviter la peine de ramener, chaque fois, le vase au niveau
adopté pour effectuer la division, on aura soin de marquer à la fois les divisions
sur deux échelles opposées; dès ce moment, dans quelque position que se trouve
le vase, et sans avoir besoin de s'occuper de l’horizontalité de sa position, il
suflira de noter le point d’affleurement sur chacune des deux échel'es, et de pren-
dre la moyenne des deux indications, pour déterminer la vraie hauteur du vo-
Jume.
Un robinet, adapté à la base du cylindre gradué, permettra de le vider sans le
déplacer,
Je donne à ce cylindre une hauteur de 50 centimètres, parce que les divisions
millimétriques étant distantes de 47 millimètres, l'eau recueillie de certaines
pluies d'orage serait exposée à déborder le vase, surtout si l'orage durait long-
20 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
temps. L'orage du 29 juillet 4850, à Doullens, déchargeaune couchede 37 mill.6,
en 40 minutes ; si j'avais recueilli ce produit dans un cylindre de 30 centimètres
de haut, au moyen d’un entonnoir de 25 centimètres d'ouverture, l’eau aurait dé-
bordé bien avant la fin de l'orage. Rarement les produits de l'orage sont aussi
abondants en un temps aussi court ou même pendant l’espace de 24 heures; mais
enfin on doit s’attendre à de pareilles exceptions et ne pas s’exposer à perdre une
observation précieuse faute de vase suffisant.
L'hydomètre ainsi confectionné, on le fixe sur un poteau, à la hauteur de deux
mètres au-dessus du sol, et à une distance convenable de tout ce qui pourrait y
faire parvenir par ricochet les quantités de pluie que l’entonnoir n’aurait pas
recueillies sans ce voisinage. |
Voulant arriver à constater les pius petites quantités d’eau recueillies même de
la rosée, j'avais un instant disposé, à côté de l'hydomètre du haut de mon jardin à
Boitsfort, un hydomètre ayantun entonnoir de22cent., mais un récipient composé
d'un tube de verre long de 40 centimètres et d'un centimètre de diamètre in-
térieur; je l'avais divisé par centimètres cubes d’eau; en sorte que la graduation
pouvait indiquer de la sorte non-seulement les 38" de millimètre d'épaisseur de
pluie recueillie, mais même très-lisiblement les 0!!,003 ou 1/580 de millimètre.
Ce tube était trop fragile pour me servir longtemps; mais tant qu'il dura il
me donna les indications de quantités Qui auraient passé inaperçues dans les
autres hydomètres.
$ 17. RECTIFICATION ÉTYMOLOGIQUE.
C'est une remarque que chacun a pu faire comme moi, combien dans toutes
les sciences nous sommes riches en mots et pauvres de faits observés; la nomen-
clature forme les trois quarts de chaque science, et semble souvent tenir lieu du
vrai savoir. L'instrument destiné à évaluer les quantités de pluie a, à lui seul,
jusqu'à quatre noms différents : on l’a appelé pluviomètre, barbarisme composé
d'un mot latin et d'un mot grec ; ombromètre, dénomination amphibologique qui
peut signifier mesureur de la pluie, ou mesureur de l'ombre, selon que l’on dérive
ombro du grec ou du latin; hyetomètre, dénomination qui semble exelure les
produits du grésil, de la neige ou de la grêle (hyetos ne signifiant que la pluie);
enfin, wudomètre, dénomination la plus généralement adoptée, mais qui pèche
centre tous les principes de l'orthographe française. On a voulu sans doute éviter
par là de confondre l'Aydomètre avec l'hygromètre, instrument propre à constater
l'humidité de l'air; si l’on s’arrêtait à de pareilles méticulosités de langage, on
devrait estropier un peu le terme de météorologie, crainte de le confondre avec
celui de métrologie. En conséquence nous adopterons de préférence, avec son or-
thographe étymologique, le mot d’hydomètre, pour désigner le vase destiné à
évaluer les quantités d’eau (hydor), recueillies, que ce soit par la pluie, la neige,
la grêle, le grésil, les brouillards et même la rosée; car la construction ci-
dessus décrite est capable de constater les plus minimes produits de la rosée
même.
$ 2. NIVOMÈTRE.
L'hydomètre cependant ne fournirait pas toujours des indications exactes,
quand la neige tombe avec une certaine abondance, alors même que l’on donne-
rail à la portion cylindrique de l'appareil une longueur exagérée. Car il tombe
souveni jusqu'à deux mètres de neige en certains endroits; un entonnoir de ce
NIVOMÈTRE. 21
calibre ne pourrait s'établir que dans les observatoires publics. J'ai trouvé un
moyen si simple de mesurer la hauteur de la neige, que j'ai de la peine à lui
laisser le nom d'appareil.
Les flocons de neige se déposent par stratifications ou couches uniformes qui
se moulent surles accidentsde terrain, et qui deviennent parallèles quand la neige
tombe sur un plan horizontal; la nature cotonneuse de leurs cristallisations stel-
liformes, c’est-à-dire par rayonnements de petits cristaux ajoutés bout à bout, est
cause qu'ils peuvent s’'amonceler à pic et sans céder à aucune force d’incli-
naison.
Soit donc une planchette carrée fixée horizontalement à l'extrémité d’une tige;
la neige, s’amoncelant par stratifications uniformes sur la planchette, y formera
un parallélipipède de la plus grande régularité, dont on n'aura plus besoin que
de mesurer la hauteur pour évaluer la couche de neige qui sera tombée sur le sol
des environs du lieu d'observation ; ce moyen m'a toujours donné des résultats
plus concordants entre eux que l'emploi des entonnoirs. Seulement il faut avoir
soin de déblayer souvent la planchette après en avoir mesuré le produit, non-
seulement crainte que le vent n'abatte le tas qui présenterait trop de surface à
sa violence, mais encore et surtout afin de ne pas laisser au produit le temps de
se tasser et de diminuer de volume en vertu de sa pesanteur.
Pour évaluer ensuite l'épaisseur de la couche d’eau que représente l'épaisseur
de la couche de neige, on ne s’écartera pas beaucoup de la réalité en admettant
le rapport de 1 : à 14, que j'ai constamment obtenu de mes expériences, toutes les
fois que j'ai pris la neige quelques instants après sa chute. Ce rapport aug-
mente avec le temps et peut descendre jusqu'à 1 : 8, alors même que la neige
n'éprouverait d'autre tassement que celui qui provient de sa pesanteur. Car pour
augmenter artificiellement la densité de la neige, il suffit de la ramasser en plon-
geant, si doucement qu'on s’y prenne, le vase dans le tas.
On peut vérifier avec succès ces rapports à l’aide du nivomètre; car en mesu-
rant la hauteur on obtient immédiatement le volume par la surface de la plan-
chette; on recueille ensuite le tas avec précaution, et on le mesure dans un tube
gradué, après l'avoir fondu, pour avoir le rapport de l’eau à la neige. On trouvera
ainsi, par des moyennes, qu'on peut admettre en général, sans s’exposer à s'écar-
ter trop de la réalité, que la neige recueillie sans être tassée est à la neige ramenée
à la forme liquide comme 14 est à 1, que par conséquent, si le parallélipipède de
neige a 14 centimètres de haut, il équivaut à une couche de pluie d’un centimètre
d'épaisseur.
Quand la couche de neige atteint 2 mètres, elle équivaut done à une couche
d’eau de 14 centimètres d'épaisseur environ, quantité si élevée que, si une telle
couche de neige recouvrant la surface de quelques lieues carrées ou d’une mon-
tagne venait à fondre instantanément, elle produirait une inondation locale telle
qu'on n’en aurait pas vu de mémoire d'homme; heureusement que la fonte des
neiges s'opère lentement et peu à peu, et que le sol absorbe l’eau à fur et mesure
que la neige la distille, pour en alimenter les sources qui écoulent ce produit à
mesure qu'elles le reçoivent goutte à goutte ; ce qui ne cause que des inondations
historiques.
Quoi qu'il en soit, quand, dans les tables qui accompagnent ce travail, je men-
tionnerai la quantité de neige recueillie en même temps sur des endroits voisins,
je n'entendrai évaluer que la quantité recueillie par les entonnoirs de mes hydo-
mètres de comparaison, la démonstration des principes que je vais établir exi-
92 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
geant ce mode d'évaluation; car dans mes tableaux météorologiques, dressés
d'après mon journal, l’autre mode à la planchette a été toujours employé pour
désigner la moyenne de la quantité de neige tombée sur le sol.
$ 5. TOMBE=T-IL PLUS D'EAU DE PLUIE A LA BASE QUE SUR LA PLATE-FORME
D'UN ÉDIFICE ?
En 1817, on établit à l'Observatoire de Paris deux hydomètres de même di-
mension; l'un au milieu de la cour sud du monument, et l’autre sur la plate-
forme ou terrasse qui est élevée de 27 mètres au-dessus du sol. En comparant
annuellement les quantités d'eau recueillies par ces deux instruments, on trouva
que l’hydomètre de la terrasse en avait moins recueilli que celui de la cour; et
en prenant la moyenne de vingt ans, de 1817 à 1857, le rapport des deux quan-
tités se trouva être de 50 : 57 centimètres.
Voici, du reste, le tableau des résultats annuels dont ces chiffres sont la
moyenne :
DANS SUR DANS SUR
ANNÉES. ANNÉES,
LA COUR. |LA TERRASSE. LA COUR. |LA TERRASSE.
1817 57 51 1898 65 59
1818 52 43 1829 59 56
1819 69 62 1830 64 D7
1820 43 38 1851 61 D3
1821 65 bS 1832 D3 45
1822 48 49 1833 56 50
1823 52 46 1834 46 42
1824 65 D7 1835 49 41
1825 52 47 1856 ERA LA © |
1826 47 41 1837 62 D5
1827 58 50 1838 60 | 52
Il résulte de ce tableau que le chiffre de l’hydomètre inférieur dépasse toujours
celui de l’hydomètre qui est à 27 mètres au-dessus, et qui, à cause de sa moins
grande distance des nuages, semblerait devoir recueillir plus de pluie que l'hydo-
mètre inférieur qui en est plus éloigné.
Ce fait étant admis, on ne rencontre plus la moindre constance dans le rap-
port des deux chiffres pour chaque année ; ce rapport variant de 1 :1,14:4,15:
1,11, etc. En sorte, que la moyenne obtenue au bout de vingt ans d'observation
ne sera plus la même que celle qu’on obtiendra au bout de trente années.
Il y a plus, ces rapports varient à chaque mois de l’année. Ainsi, les observa-
tions récentes donnent pour le mois de mars 1854 :2 millim. 12 de pluie, re-
cueillis par l'hydomètre de la cour, et 4 millim. 14 par l'hydomètre de la terrasse :
(rapport 1:1,85); et pour le mois d'avril, 28 millim. 04 par l'hydomètre dela
cour et 25 millim. 58 par l'hydomètre de la terrasse (rapport — 1 :1,95).
Donc, ces chiffres n'énoncent que des résultats variables d’une cause qu'il s'agit
de déterminer, et non une loi qui serve à prédire les résultats d'avance.
Ce rapport varie selon les localités, mais nullement en raison de la hauteur
RAPPORTS DES QUANTITÉS DE PLUIE, 23
de la terrasse, ainsi que le démontre le tableau suivant dressé par M. Schow,
en admettant l'hÿdomètre supérieur == 1 :
DIFFÉRENCE
VILLES. de
NIVEAU. inférieur,
HYDOMÈTRE
DURE 1: d'éstie 65 mètres, .d,18
Copenhague. 39 4,27
FAIRE die à 4,14
Londres, . 4,29
Pavie. . . 4,01
Penzance. . 4,91
$ 4, LES RÉSULTATS FOURNIS PAR L'HYDOMÈTRE SONT “ILS APPLICABLES A
TOUTE UNE RÉGION OU MÊME A UNE LOCALIFÉ FORT CIRCONSCRITE ?
Non. Car 1° lorsque j'habitais le plateau de Mont-Souris, à deux portées de
fusil de la barrière Saint-Jacques à Paris, il ne se passait pas de mois, en été sur-
tout, que je n’eusse l’occasion de constater qu'il pleuvait à gauche et à droite de
nous, dans la vallée de Gentilly et sous Meudon, à l'Observatoire même de Paris
situé en dedans de la barrière, pendant que notre plateau ne recevait pas une
goutte de pluie. Le plateau étant moins élevé que la plate-forme de l'Observa-
toire, nous aurions pu conclure de ce fait fréquent d'observation qu'il tombe
plus de pluie sur une hauteur que dans la plaine. Ce plateau était à découvert
et n’était abrité par aucune colline; je dirai plus tard à quoi cela tenait.
2° On.comprendra du reste facilement que le nuage qui décharge sa pluie a
une limite, et qu’ainsi, de deux localités très-rapprochées, l'une recevra plus de
pluie que l’autre, selon que l’une sera en deçà et l’autre au delà de la limite.
On concevra encore mieux peut-être que le nuage n'ayant pas partout la même
épaisseur, et son épaisseur variant en raison des mille bizarreries des accidents
de sa surface, la localité qui se rencontrera perpendiculairement sous sa partie
ventrue recevra plus de pluie que celle au-dessus laquelle se déchargeront les
bords amincis.
3° Supposons cependant que l'épaisseur du nuage pluvieux soit à peu près la
même dans toute son étendue : si la pluie tombe perpendiculairement à l'horizon,
je ne concevrais pas queles divers hydomètres de larégion exposée à la pluie pus-
sent recueillir des quantités différentes d’eau; les hydomètres inférieurs seule-
ment mettraient un léger retard à accomplir leur œuvre, c'est-à-dire qu'il cesse-
rait plutôt de pleuvoir sur les hauteurs que dans les lieux bas. Mais sans
modifier en rien l'hypothèse d’un nuage pour ainsi dire parallélipipède, admet-
tons que la pluie tombe obliquement à l'horizon : la région située perpendieulai-
rement sous le bord opposé à la direction de la pluie ne recevra pas une goutte
d'eau, tandis que la région contiguë pourra en être inondée, en admettant même
que ces deux régions soient situées sur un même plateau découvert de tous côtés.
4° Allons plus loin encore, et admettons, ce qui se réalise tous les jours; que
24 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
de deux lieux d'observation, sur lesquels se décharge le nuage de même épaisseur,
l’un soit situé au delà d'une élévation et l’autre en deçà ; je dis que, l'élévation
servant d’abri à l’un et d'arrêt à l’autre, il s’'ensuivra que le localité abritée re-
eueillera moins d'eau que le lieu opposé; e’est là un principe qui, rédigé de la sorte,
parait d'une évidence banale, et qui à lui seul résout le problème, quoiqu'il ne
soit venu à la pensée d'aucun observateur. Cinq ans d'observations consignées
dans les tables ci-jointes ont établi à mes yeux ce principe de la manière la plus
irréfragable ; je vais en faire comprendre ici toute l'importance relativement au
point de doctrine qui nous occupe. Supposons que l’une des deux localités soit
située au nord et l’autre au sud de l'élévation ; lorsque la pluie est chassée par le
vent du sud, toutes choses égales d’ailleurs, la région sud recevra une plus grande
quantité de pluie que la région nord; ce sera l'inverse quand la pluie sera chas-
sée par le vent nord. La localité abritée recevra, à la vérité, Loutes les quantités de
pluie qui suivront l'hypoténuse du triangle formé par la hauteur perpendieu-
laire de l'obstacle et la ligne horizontale à l'extrémité de laquelle est situé le lieu
d'observation. Mais l’autre localité recevra en grande partie des quantités que
l'obstacle, les arrêtant au passage, accumulera ainsi sur ses flancs en brouillard,
et fera rejaillir et réfléchir, pour ainsi dire, sur ce grand hydomètre.
5° La vue, sur ce point, peutsurprendre le fait indiqué par le raisonnement; il
suffit de l’observer au bas d’une colline contre laquelle chasse le vent; on voit
alors la pluie arriver par tourbillons contre le flane de la colline, et d’autres tour-
billons venir se heurter contre les premiers, des troisièmes se choquer contre les
seconds, pour remonter et rejaillir en arrière faute d'espace et en vertu des lois
de l’élasticité. Évidemment la pluie s’'accumule sur ce point, comme le feraient
des vagues contre un barrage; car l'air chargé de pluie obéit aux mêmes lois de
mouvement que l'eau imprégnée d’air. Évidemment l’hydomètre recueillera en
cet endroit des quantités de pluie qui lui auraient échappé sans l'obstacle, et qui
auraient été rétablir la balance dans l’hydomètre de la localité abritée; ear la
quantité que le nuage, en passant librement, aurait apportée successivement à
celui-ci, étant interceptée par l'obstacle, a grossi le compte de celui-là.
6° L'égalité se rétablira entre les deux produits, dès que le vent, si fort qu'il
soit, qui fouette la pluie, croisera la précédente direction et viendra d'est cu
d'ouest. Car dans celte hypothèse les deux localités n'auront ni abri ni obstacle.
La maison que j'habite à Boitsfort est en face d’une longue colline en amphi-
théâtre qui abrite du nord et forme obstacle au vent d'ouest ; quand la pluie fouette
par les vents d'ouest, tout ce que je viens de décrire se dessine à mes yeux de la
manière la plus pittoresque.
7° En poussant encore plus loin la conséquence, nous admettrons que l'hydo-
mètre recueillera des quantités d’eau d'autant plus grandes qu'il sera plus près de
l'obstacle, et des quantités d'autant plus petites qu'il sera plus près de l'abri;
rapport qui augmentera encore selon que l'abri ou l'obstacle seront plus élevés.
Cela est trop évident en fait pour que je cherche à le démontrer.
Cependant j'ajouterai qu'il suffit de réfléchir sur ce qui se passe par les temps
dé neige, pour évaluer ce qui se passe par les temps de pluie; et il sera très-fa-
cile, quand l'observation se fera sous cette forme, de voir combien les indications
de l'hydomètre sont restreintes à une faible surface.
8° D'un autre côté, et c'est ici un des points importants de la question, chacun
sait, par sa propre expérience, qu'alors qu'on éprouve un calme plat dans la val-
lée, le vent souflle plus ou moins fort, mais constamment, sur la crête des hau-
RÉSULTATS COMPARATIFS DE L'HYDOMÉTRIE. 25
teurs et sur le sommet d'un édifice ; et que le vent qui souffle sur la vallée devient
d'autant plus fort que l’on s'élève davantage. Il sera done facile de conclure, en
combinant cette considération avec les précédentes, que la même impulsion qui
accumulera la pluie sur le versant d'une colline ou à la base d’une édifice, ba-
layera la pluie sur le sommet de Ja colline ou sur le plateau du monument, à
moins que le plateau du monument ne soit à son tour borné par un obstacle; car,
dans ce dernier cas, il tomberait une quantité de pluie égale et à la base et sur le
plateau. |
9° La pluie évidemment, quand elle est chassée par le vent, se comporte commela
neige, à la pesanteur près. Or, mesurez de proche en proche, après la tourmente,
l'épaisseur de la couche de neige qui recouvre le sol; vous la verrez varier exacte-
ment d’après la loi des abris et des obstacles que nous venons d'indiquer ; la surface
rasée par les vents aura une couche de neige plus épaisse que celle qui est abritée du
vent; et la neige s’accumulera contre toute élévation qui lui formera obstacle, de
telle sorte que les chemins creux disparaitront, si profonds qu'ils soient, et que tout
semblera de niveau dans les régions les plus tourmentées géologiquement et les plus
accidentées. Vous trouverez ainsi jusqu'à trois mètres d'épaisseur de neige dans tel
endroit, et à peine quelques centimètres à quelques pas de là. Sur plusieurs cen-
taines d'hydomètres, vous le voyez, placés à des distances assez rapprochées, au-
cun peut-être ne vous aurait donné exactement les mêmes indications. Ces sortes
d'observations, j'ai eu occasion de les renouveler à chaque chute de neige, par
moi-même sur plusieurs hectares de terrain, et par le témoignage des voyageurs,
sur plusieurs lieues de superficie. Ceux qui ajoutent une foi si religieuse aux in-
dications hydométriques, et se creusent le cerveau pour pousser plus loin le
perfectionnement de la graduation de l'instrument, ceux-là resteraient confondus,
s'ils prenaient la peine de répéter pas à pas ces constatations de la couche de neige.
Ici la surface du sol fait office d'hydomètre, en conservant le volume du produit
recueilli, c'est-à-dire, l'épaisseur de la couche d’eau tombée sous forme de neige;
certes le résultat cherché ne peut se présenter d'une manière plus facile à con-
stater, d’une manière plus directe; on ne pourrait pas rencontrer un hydomètre
plus étendu.
Et pourtant, en présence de la sécurité unanime des observateurs et de la foi
aveugle qu'ils professent dans leurs observations hydométriques, je ne me suis ha-
sardé à formuler ainsi ces propositions en axiomes qu'après cinq ans d'observa-
tions non interrompues et faites souvent d'heure en heure, ce dont au besoin mon
journal pourrait faire foi.
$ 5. SÉRIE D'OBSERVATIONS FAITES DANS LA CITADELLE DE DOULLENS.
C’est à partir de février 4851 seulement que ma position a pu se prêter à un
plan d'observations comparées offrant toutes les garanties voulues. Je venais
d'être transféré dans l’ancienne caserne que les mousquetaires oceupaient dans
la citadelle, du temps de Vauban ; j'habitais au premier étage deux cabanons, l'un
au sud et l’autre au nord. Le bâtiment sépare deux cours transformées en jar-
ins, celle du nord beaucoup plus étendue en largeur que celle du sud, leur lon-
gueur dans le sens d’est à ouest étant la même.
1° Dans la cour du jardin nord, je plaçai un hydomètre portatif, au-dessus d'un
poteau ; l'ouverture de l’entonnoir était à 4 mètre 90 du sol, à la distance de
7 mètres 57 du mur nord de l'antique caserne, à 9 mètres environ du mur d'en-
ceinte nord, à 36 mètres du mur d’enceinte est, et à 14 mètres du réfectoire qui
26 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sert de mur d'enceinte à l’ouest; le mur d'enceinte n’a que 4 mètres environ de
haut. Ayant constaté la hauteur du pignon, 8 mètres B0, et la distance de l’hy-
domètre au plan perpendiculaire qui passe par le pignon du bâtiment, je trouvai
que la pluie, par sud, pour arriver jusqu'à l'hydomètre, ne devait pas tomber
sous un angle moindre que 32°, et la pluie par oùest, sous un angle moindre de 16°
environ. La cour ne renfermait à proximité aucun arbre. L'ouverture de l’enton-
noir étant de 12 centimètres, le diviseur de la formule ci-dessus pour évaluer la
couche de pluie, était 11,510 millimètres,
4 —
11,510un— °°
20 Un autre hydomètre de même ouverture fut placé plus tard, à la même hau-
teur au-dessus du sol, sous ma fenêtre dans le jardin sud, à 4 mètres de dis-
tance du mur du bâtiment d’un côté et du mur d'enceinte de l’autre, à 6 mètres
du mur est, et 40 mètres du bâtiment ouest. Cet hydomètre était plus abrité
contre les vents sud et nord que contre les vents est et ouest; le diviseur de ce-
lui-ci était le même que pour l’autre,
5° À un ou deux pas de cet hydomètre, j'avais placé une cuvette carrée en
erblanc élevée de À mètreau-dessus du sol, ayant une ouverture de 14,375 mill.
en superficie et le fond plat; je n'avais qu'à plonger un décimètre dans le vase,
pour constater la couche d’eau tombée, sans avoir besoin de déplacer le vase; et
pour obtenir une mesure plus exacte j'avais recours à la formule
v
14,575um ©
Ce vase m'a servi une ou deux fois à déterminer le chiffre de l'évaporation men-
suelle.
4° À un pied et démi au-dessus de la faitière du corps de bâtiment que j'ha-
bitais, c’est-à-dire à 9 mètres environ au-dessus du sol, je fis placer un entonnoir
dont le produit était amené par des tuyaux en zine dans un bocal gradué, placé
contre les barreaux de ma fenêtre sud. L’entonnoir avait dans le principe 16 cen-
timètres de diamètre, et la formule de son produit était alors
\ 4
D00cent
Plus tard, le 22 octobre 4832, je le remplaçai par un entonnoir de 26 centim.
de diam. La formule de son produit devint alors:
V
5,100 — ©
3° Enfin, pour compléter le cadre et le contrôle de mes investigations, j'adap-
tai au bord du fronton incliné de ma lucarne une gouttière qui, par un tuyau,
m'apportait le produit de la pluie recueilli sur cette surface, dans un bocal gra-
dué également placé contre les barreaux de ma fenêtre sud. Quand le vent souf-
flait par sud, je divisais le produit par 676,800 millim., parce qu’alors la pluie
tombait perpendiculairement à la surface inclinée, triangle isocèle dont la
base avait 441 centim. et la hauteur ou apothème 96. Quand, au contraire, la
pluie tombait par calme et perpendiculairement à l'horizon, obliquement par
FORMULES ET EXPOSITIONS DES DIVERS HYDOMÈTRES. 97
conséquent à la surface du fronton, j'avais, pour diviseur de la formule, 554,600
millimètres, surface de la base d’un prisme triangulaire dont le fronton aurait été
le plan diagonal. La formule du produit était alors :
V
554,600um — 2”
Cet hydomètre d'un nouveau genre me permettait de constater si, dans la nuit,
la pluie était tombée par calme ou si elle avait été fouettée par le vent, selon que
le résultat se rapprochait plus de celui des autres hydomètres par l’un ou l’autre
diviseur, Mais on doit s'attendre que le produit recueilli de cette façon ne pou-
vait jamais être identique avec les autres, d'abord parce que les premières cou-
ches de pluie étaient absorbées par la porosité des ardoises, que les secondes
saturaient l'air de leur évaporation, que les gouttes de pluie rebondissaient en
grande partie sur le toit ou sur le sol, en raison de leur angle d'incidence. Le
produit se rapprochait d'autant plus des autres que la pluie était plus fine, que
le calme était plus complet, et que la toiture avait été plus longtemps humectée
par une pluie précédente : tout autant de constatations qui ne me servaient pas
peu à évaluer les nombreuses conditions de ce grand problème de météorologie
appliquée à l’agriculture.
Voilà pour les appareils; quant aux constatations, je m’empressais de mesurer
lés produits de ces cinq appareils hydométriques, dès que la pluie cessait, lors-
que toutefois les communications étaient libres, ou autrement dès que les portes
du cachot s’ouvraient.
La série de ces recherches n’a pas été interrompue de février 1851 à mars 1854:
sur la fin, j'ai cru m'apercevoir que la malveillance avait altéré les résultats du
produit de l'hydomètre placé dans la cour du nord, le seul que je ne pusse pas
surveiller de mes fenêtres ; j'ai mis de côté ces observations.
$ 6. SÉRIE D'ORSERVATIONS A BOITSFORT-LEZ-BRUXELLES.
À Boitsfort-lez-Bruxelles, une fois fixé sur la terre d’exil, je n'ai eu rien de
plus pressé que de recommencer ces recherches, avec les coudées franches que
me laissait ma nouvelle position.
Dès les premiers jours de juillet 1855, je posai deux hydomètres de même di-
mension et gradués comme je l'ai décrit au commencement de cet article, dans
mon jardin potager qui occupe le versant ouest de la colline, sur le plateau de
laquelle est située la maison d'habitation. L'un de ces instruments fut placé sur
le haut du versant, au bout d’un poteau et à 2 mètres au-dessus du sol, à 4 mè-
tres 80 du mur de clôture qu'il dominait et à 7 mètres 80 du mur de Ja maison ;
le mur de clôture formant obstacle aux vents d'ouest et d'abri un peu bas contre
les vents d'est, et la maison faisant obstacle contre les vents de nord-ouest et abri
contre les vents de sud-est, L'autre hydomètre fut disposé de même à 1 mètre
50 au-dessus du sol, à 90 mètres environ de distance du premier; le niveau de
son entonnoir élait à 8 mètres environ au-dessous de celui du premier hydomè-
tre. À 12 mètres au sud de ce second hydomètre s'élevait une berge de à mètres
de haut, qui l'abritait contre les vents de sud et sud-ouest et formait obstacle aux
vents du nord,
Plus tard, le 27 septembre 1855, j'élevai un hydomètre exactement semblable
aux deux précédents au-dessus du toit de la maison, en fixant la tige en fer qui
le supportait contre le cadre en bois de la lucarne ouest de la maison. Le niveau
28 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
de l’entonnoir de ce troisième était à 8 mètres au-dessus de celui de l’entonnoir
du haut du jardin, et à 16 mètres au-dessus de celui de l’entonnoir placé au bas
de la côte. L'hydomètre du toit n'avait d'autre abri et d’autre obstacle qu'un pan
de tuyau de cheminée d’une largeur d’un mètre, lequel dépassait le toit à l’est de *
l’hydomètre et à quatre mètres de distance. L'ouverture de chacun des trois en-
tonnoirs avait 22 centimètres de diamètre; la formule du produit était done pour
chacun :
V
5S000mm ©
Les bocaux semblables avaient un diamètre de 5 centimètres au goulot, et de
5,5 centimètres à la base; ayant été gradués, de la manière que j'ai expliquée en
commençant, par un volume de 38 centimètres cubes et par deux ou trois de ses
subdivisions, les divisions principales avaient vers le bas un centimètre et vers
le haut jusqu’à 3 centimètres de distance, ce qui me permettait de constater, sans
déranger les deux instruments du jardin, jusqu’à 0 "",195 de couche de pluie.
$S 6. RÉSUMÉ DE CES DISPOSITIONS EXPÉRIMENTALES, POUR L'INTELLIGENCE
DES TABLES QUI VONT SUIVRE.
Nous entendons par abri une éminence qui préserve de la pluie battante, et par
obstacle une éminence qui arrête la pluie battante au passage. La même éminence
est abri d'un côté et obstacle de l’autre contre la même direction du vent.
o À Doullens, lhydomètre du jardin nord n'avait qu'un très-faible abri contre
les vents du nord, et un très-faible obstacle contre les vents du sud. L'abri était
plus considérable contre les vents de sud et d'ouest, obstacle contre les vents de
nord et d'est. L’hydomètre du jardin sud était abrité grandement contre les vents
du nord, moins contre ceux du sud, peu contre les vents d'est et presque pas
contre les vents d'ouest. Il faut en dire autant de la cuvette quadrangulaire pla-
cée à un pas environ du poteau de l'hydomètre.
Le fronton de la lucarne était fortement abrité contre les vents du nord, point
contre les vents du sud. Les vents d’est et d'ouest en balayaient la surface.
L'hydomètre de la faitière du toit n'avait ni abri ni obstacle; il dominait un peu
la crête des fortifications qui abritaient toutes nos cours.
20 A Boitsfort l'hydomètre du haut du jardin avait un mur très-bas pour abri
contre les vents horizontaux d'est, obstacle contre les vents d'ouest; la maison
l'abritait contre les vents de sud-est, obstacle contre les vents de nord-ouest.
L'hydomètre du bas du jardin avait la berge pour abri contre les vents du sud,
vbstacle contre les vents du nord, et la chine pour abri contre les vents d'est et
obstacle contre les vents d'ouest. L’hydomètre du toit n'avait d'autre abri que le
pan du tuyau de cheminée contre les vents horizontaux d'est, obstacle d’un
mètre contre les vents horizontaux d'ouest.
J'ai consigné dans les tableaux suivants les résultats de cette étude comparative;
on rencontrera beaucoup de lacunes dans la colonne de la lucarne et de la cuvette
sur Jes tableaux de Doullens, parce qu'il arrivait souvent que la cuvette et le
bocal de la lucarne débordaient pendant la nuit; car le bocal d'une capacité d'en-
viron 5 litres devait déborder, dès qu’il tombait 6 millimètres d'épaisseur de pluie.
Après avoir disposé comparativement les chiffres du quotient obtenu pour chaque
hydomètre, j'établis comparativement sur la même ligne, dans tout autant de
colonnes, moins une, le rapport de ces nombres entre eux, la quantité de Phydo-
.
RÉSUMÉ DES DISPOSITIONS EXPÉRIMENTALES. 29
mètre de la faitière pour Doullens et de l’hydomètre du haut du jardin pour
Boitsfort étant — 1.
Les personnes qui voudront suivre, pour ainsi dire, de l'œil les déductions que
nous tirerons des tableaux que nous joignons à ce travail, n'auront qu'à tracer
sur le papier, d'après les renseignements topographiques ci-dessus donnés, la
position respective des divers hydomètres encadrée par les quatre points cardi-
naux.
Dans les tables, j'ai indiqué la force du vent, d’après les heures où je consignai
dans mon journal l'observation météorologique; mais il est évident que cette
force a dû varier de bien des manières, et que la direction même a pu n'être pas
constante, quand la pluie a duré un certain nombre d'heures, et surtout pen-
dant toute la nuit. L'indication de la force du vent n’est donc pas d’une exactitude
rigoureuse, et on doit tenir compte de cette circonstance dans la lecture des
tableaux.
De même, la durée de la pluie n'indique pas qu'il ait toujours plu pendant ee
temps et par le même vent, mais seulement l'espace de temps qui s’est écoulé
entre le moment où il a commencé de pleuvoir et celui où l’éclaircie a permis de
recueillir les produits de la pluie dans les hydomètres comparatifs. C’est pour
atténuer les erreurs qui pourraient résulter de l'incertitude de ces indications,
que j'ai tant multiplié les observations comparatives de ce genre, dans la citadelle
de Doullens où je n'avais pas la liberté de mes mouvements. Aussi les observa-
tions faites à Boitsfort présentent-elles un accord bien plus précis et des résul-
tats plus conformes à la théorie, par cela seul que je pouvais les vérifier à chaque
instant du jour et de la nuit, tandis qu'à Doullens les vérifications ne pouvaicnt
se faire que dans la journée.
_ 30 REVUE COMPLÉMENTAIRES DES SCIENCES APPLIQUÉES.
HYDOMÉTRIE COMPARÉE. — CITADELLE DE DOULLENS, 1851.
r ; RAPPORT
Jours Durée VENT. .… Forme QUANTITES DU PRODUIT. À au produit avec celui de
la faitière=1,
pu EN CS pu RE nn our EEE
Direc- Fai- |jardin|jardin|lucar-| cu- jardin |jardin | lucar-
Force. PRODUIT. |tière. | nord. | sud. | ne. vette,| nord. | sud. | ne.
MOIS. } HEURES. tion,
velte.
À CENT. | CENT. | CE NT.| CENT. | CENT. À CENT. | CENT. | CENF, | CENT.
G févr.|12 h. 0, très-fort. pluie. 0,895|0,70910,470 à 2e 0,79010,525 0,477
7a8 116 (eo) violent, pluie. 1,288 1, 3500 |0, 7900 82011,20310,698l & 10,636
9 6 0. NO raffales. pluie, 0,143|0, 7204 0,14510,080 0107 1,433|1,01410,56010,748
11 k E. léger. brouillard. 0 012|0 2013 0 ,013 I I
17 l SSE calme. gel. blanche0,00 0,005 0,625
27 3 O0, NO rafales, neige. 0,00410,026
ler mars} 2 (0) léger. neige, 0,05910,07010,07510,03610,03411,18611,27110,61010,576
10 SE tempête, neige. 0,163 D 7354 0. 1353 0 286|0,290 Ÿ 17112,174 M1 1754 1 1779
10 au 11H16 NO bouffées. neige, pluie.l1,540/1,604/1,2150,842|0,920f1 *042/0:788/0,546 0,500
17 0 très-fort. pluie. 0,960 10 1804 0,55810,79410, 7654 0.83710,58110,827|0 768!
18 au 19} 4h. 30 m.10 léger. pluie. 0,94#710, 7928 0 2707 0,936|0 314 0,98010,747 0! 98810 7542
21 kb. S0 raffales, gréle-pluie. 10,116 0,110 7056 0,948 0,482
23 5 0 violent. gréle-pluie. [0,25310,203)0,19410,146)0,12510,802/0,766/0, 2577|0,494
26 2 (e) violent, pluie. 0,63110.626|0,43310,36410.348 0,833 0,686 0, :576|10,551
30 1 Q violent. pluie. 0,400 10,375 0,344 0,23710,18010.937|0,860 05920 ,450
8 avrill 0 h. 10 m.ÎNE léger. gréle-pluie. [0,216/0,265|0,274/0,088/0,205| 1.227/1,268|0,407|0,949
20 9 SE violent, fpluie. 0457/0,278/0.282/0,304/0:2180,608/0,617/0,664/0° 2477
22 14 S violent. pluie, 1,50711,23311,05011,189/0.89010,818|0, 769610 7790 0 590
29 au 23129 0 très-violent pluie. 1,091 1,08310,937 0,754 0.724 0,993 0, 851 0° 69110,660
23 15 NO calme, pluie, 0,184[0,19410,194,0,14410,12011,055|1 055 0,78210.650
97 11 NE calme. pluie. 0,44710,:4210,46:10.28%10.31310,998 1.038 0,635|0,700
29 9 ®) violent. grêle-pluie. 10,575|0,517]0,459|0,330|0.27110,900!0,832/0,574| 0.471
29 au 30111 SO lég.-violentipluie. 1,46811.56911,222 0.925{1.068|0,803 0,630
30 3 080 violent, [grêle-pluie. |0,596/0,6410.557/0,380 0,380[1,075/0,935)0 637|02637
ler mai.} 6 NO calme. pluie. 0,497 0! 53010,660 10,250 0139 1,066|1,325|0,500|0.279
2 0 léger. grêle-pluie. [02083 |0,088/0,075/0,040 [0,031 12060/0,903[0,482|0.373
3 au 4 113 N calme. pluie. 0,17410,132 0419/0085 0,07310,760|0.683|0.488|0,420
k ns N calme. grêle-pluie. {0,15810,133/0,14510,050!0, 0410 84110.91710.316/0 283
5 0 b.2m. JONO léger. averse. 0,38510,24310,212 0,149 0,1#210.63110,550!0,387|0,370
5 2 NO calme. pluie fine. 10,037/0,010|0.040 10,020 1.081/1,08110,510
6 3 NO moyen, pluie. 0,679 0257910 ,48610.365|0,28810.852,0,71510,53810,424
10 0 h. 30 m.}S. SE raffales. orage. 0,017|0,010 02017 0,003 0.588/1,00010,176
11 2 E calme. averse. 0,298/0,20310,22510,18010,18010,68710,755|0,605|0,605
13 0 h.18 m.iNE ass. fort, |averse. 0,11110,102|0,119 0,051 0,050/0,919/1,072/0,450|0,450
18 3 OE moyen. pluie fine. {0,10010,06610,045|0.040 0.666,0,45010,#00
19 1 0 léger. averse, 0! 203 0° 212 0. 192/0,16210,14910,80710.730|0,616 0,533
19 2 0 moyen, grêle-pluie. [0 2149/0,102/0,106/0,063 0.68:10,71110,42
19 3 (0) violent. averse. 0,629 0° 4331044010, 7301 0.68810,70010.,478
8 juin | 5 0 violent, averse. 0,306 0,33010,34010,27010,20011,078/1.11110.882/0.652
10 aut41}10 N violent, pl. torrent. 0,646|0 2649 0, 2587 0,43810,468/1.00%10.90810,677|0.724
13 3 SO violent. pluie, 021 19 0,092 0;084/0,071|0 03410,77310,706|0,597|0,285
21 0h. 5 m. ÎSE orage. grêle-pluie.}0,024[0,02210,018 0,007 0,912/0,750|0,291
21 1 S orage, pluie. 0,12110,12310, 2097 0,116/0,030/1,01610,80110,95910,248
22 2 0 calme, pluie fine. 0,159 0, 16310,137|0,112 1,02510,862/0 704
2 juil. | 7 S orage. averse. La75/11308 11,307 |1,098/1,097/0:951|0,987|0,798/0 798
10 (l 0 violent, pluie. 0,258 0! 238|10,238|10,180 0,926/0,92610,691
10 0 h. 10 m.j0 rafales, pluie, 0,176/0,17210.152/0,121 0.983/0,86410.687
10 9 h. 30 m. O0 raffales, pluie, 0,547 0,433 0,398 0, 324 0,37210,791 0,727 0.592 0.680
14 4 s0 fort. pluie. 0,63210,4#55[0,400 0, 7489 0,29910,72010.633|0,773|0,473
15 5 0 violent, grêle. 0,26810,203 0! 269 10,174 0,757 1,004|0.642
16 2 0 moyen. pluie. 1,507/1,441 12199 /1.159 0,98010.956/0,795/0,769/0,650
20 10 S0 violent, averse, 1,892/1,720|1,568|1,860!1,220/0.909/0,83010.98310,64k
23 3 N calme. pluie. 0,73110,73810,729|0,564 0! 52811,00910,997/0,771|0,722
25 5 S0 calme, pluie. 0,260 10,260 10,17#10,169/0, 71041 ,000/0,670/0,6%0!0,400
27 3 h. 30 m.INO violent, pluie, 0 45010,4#210 ,80 0,37410,28710. 1982 0,855|0,831 10,637
350 4 NE. E léger. orage. 3,76113,200 |2 1882 2 2000 0,850 0! 766/0,532
17 août. 2 ,880)0 1662 0,674
NO calme. orage. 0,98210, 897 |0”870 0, 1650 0,66210,91310
——_—_—_—_—_—— 1m
Jours
pu
MOIS.
Durée
HEURES.
HYDOMÉTRIE COMPARÉE
CITADELLE DE DOULLENS, 1851 ET 1852.
VENT.
Direc-
tion.
Force.
SR
Forme
pu
PRODUIT.
QUANTITÉS DU PRODUIT.
Fai. |jardin jardin |lucar-
tière. | nord,
sud, ne,
rie!
RAPPONT
31
du produit avec celui de
jardin
nord,
la faitière=1,
a —
jardin |Inçar-
sud, | ne,
CENT. | CENT, | CENT. | CENT. | CENT. R CENT, | CENT. | CENT. | CENT,
25 {he qe calme, averse, ),783 9.587 0,6 ,616]0,488 ous 0.718 pe 0,623| 0,563
28 tempête, Javerses. 2,36312,157|1,557 1,20010,9 210.756 0,507
30 11 N fort. averses. 2,340] ?,330|2 270 1,306 0.996! 1.055 [0,558
ler sept.} 1 NO calme, brouillard, 02039 0,048|0 0.048 1,230 Le
kaub | 8 NNE calme. averse, 0.209)0,247|0,270|10,156 1,18011,29110,793
18 au 19/12 NE calme, pluie fine. Î0,065|0/079 0,058 1,215 0 892
9 N fort et calmipluie forte, 10,902/0,963/0,915 10,685 1.067|1,01410,759
a al 16 NNE calme, pluie. 1.87812,290|1,958 1,230 er
2% 8 E calme, pluie, 1,00711.08 ;| 1,008 1,075|1,000
25 1 SSE calme, brouillard. 0.02010,02610,026/0,915 100|1 ,30010.750
25 4 -[S50 raffales. pluie, 1,16410,159/0,12810,148 0.970|0 780 |0 203
le oct.) 5 h. SSE violent averse. 0,15#10,12910,1145/9,122 0,837[0 76/0792
4 à M 30 m. Pua très-fort, ont 0.66210,636|0, 2654|0. 660 0,430/0-960 0: 000 ts 0,648
6) 0 très-fort. pluie 0,535[0.5610, 481 0.475 1,056 88
6 À Fr très-fort. [pluie. 02070 ae 0.062|0,059 1,071 Get )10,8:2
6 £ très-fort, fpluie, 0,#2310.,46810,362|0,376 1,106 0,888
Gau7 F2 0 léger, averse. 0.838 6,9#610,8:4 x 1128] 1.007! ”
Tau8 | 9 0 léger, pluie, 0,19619.23410.150[0.196 1,19:10 765|1,000
9 au 10 # 0 léger. pluie fine. 10,82510,85110,67010,773 1,04310,81310,937
15 au 16) 8 s0 La pluie. 0,562/0,579/0,506|0,538/0,578/1,030)0,722|0,957| 1,028
16 9 Gin léger. pluie, 0,14210,176 0,122 1,239 0,859
29 11 A calme, pluie, 0,498)0,58710,46#10,#55 1,179,0,93210,914
29 au 30/15 NO calme. pluie. 0,189 023 0,198/0.173 1:286/1,046 02915
2 nov.i 3 D léger. pluie, 0,43410,43710,29010,450 1,069 !0,666/|1.036
5au6 | 9 NO calme. pluie. 0,696/0:778/0.,6:5|0,54010,528] 1,118/0 928/0:77310,75s |
6au7 | 3 NO calme, pluie, 1,08#|1,290| 1,096|0,862 1,187|1,01110,795
0. [n (SE [aime {ont lo,276)0230) 0259! |osscl |0,030
13 au 14/17 NO |ealme. rouitara, 0,037/0,035/0,057/0,084.0,035]0,946| 1,810 /0,919/0,020
14 0 h, 10 m.ÎNE ‘[raffale. pluie, 0,02%|0,035 0,004 1,458 0,113
17 l e) calme. neige. 0,06010,14110,11610,071 2,910 Lit
18 Û NO {nn [neige. 0,042] 9,169 0,06 4,023 0,857
18 au 19122 NO calme, pluie-neige, [0,#1010,53410,477|9,2853 1,30011,16310.69ÿ
21 au 22118 0. N violent, pluie. 1,52811,787|1,167|1 7053 1,16110.76#10,690
22 au 23120 N,0 violent, pluie, 0,370|0,327|0, 278 0, ie 0,88410,75110,538
24 au 25112 S. SSE {violent, raffales. 11,75411,650 0,9#110,550/0,85110,520
1852
17 jan. | 6 NO calme. pluie, 0,7#1|0,813 he 600 1.097 0,809
2! au 22/13 S très-violent}pluie, 1,950 1,325 1,273 0,679 0,652
Sat Jan 0. NO (nant pluie, 1,402| 1.388 0,990
28 au 20/14 NO moyen. pluie-neige.[0,641}0,725 0,#70 1,131 0,733
29 au 30 31 SET) 0 calme, lui mn: : 8
As sS0. (Aolent, pluie. 1,705/1,610 1,614 oo 0,888
12 mai À 4 S10 violent, pluie. 0,582! 0,424 0,436 0,729 0,750
13 | ON0.0 Moyen. [Plui0: 1,226| 1,220 1,082! {o,005) |o,ss2
19 EE Sie) calme. pluie. 0,27110,256 0,219] 0,94 0,508
29 y NE. Q talme, pluie, 0,639] 0,667 0,482! 1,044 0,754
29 au 30/21 N.NE.NO {ne pluie. 0,226| 0,246 | 1,088
52 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
CITADELLE DE DOULLENS 1852.
? ne RE
QUANTITÉS Piesrs
JOURS DURÉE VENT. FORME Re PRESS
pu EN re ml tt À ja faîtière 1.
MOIS. HEURES. Direction. Force. PRODUIT. À faitière| 127 din | lucar- jardin | Jucar-
nord 2e nord. | ne.
CENT. CENT CENT. CENT. CENT,
G juin À 2 SE. OSO | fort. giboulées 0,030 | 0,031! 0.027 À 1,033 | 0.900
ê 2 SE très-fort. pluie. 0,107 | 0,071| 0,068 0° 682| 0,637
8 0h.13 m.|SE calme. forte pluie. Ë 2084 0,082| 0,063 | 0,976 | 0 2750
12 6 NO calme. pluie. 0194 0,194! 0,153 | 1,000 0,788
2% 1 OS0 calme. pluie. 0,400 | 0,443] 0,320 f 1,107 0! ,800
24 2 0 calme. pluie. 0 164 | 0,172! 0,16#11 2049 1 2000
26 k NO calme, pluie. 0,234 | 0,245] 0,172 1 1 2047 0. 34
28 0h.35m.10 calme, pluie. 02155 0,177| 0,104 1149 0,670
14 juil il O0. NE calme. orage. 0.087 | 0,093! 0.056 ! 1,069| 0,643
17 0h.20m.|0.SO | came, orages 0,161 | 0,177| 0,099 | 1,099! 0,614
25 au 26 | 15 0 Vie | pluie. 0,496 | 0,438| 0,349 | 0,883 | 0.703
26 au 27 | 18 SO.SE très-fort. pluie. 0,069 | 0,067! 0,036 | 0,971 | 0,522
28 2 SE calme. orage. 0,139 | 0,177| 0,070 À 1,273] 0, 7504
29 { NE fort. pluie. 0,202 | 0,215] 0, 135 1,064| 0,668
Enr té Oxo {im pluie. 0,803 | 0,726! 0,604 | 0,918] 0,752
5 3 S. Ÿ calme. pluie. 0,159 | 0,177] 0,149 | 1,113] 0,938
6 3 S violent. orage. 0,308 | 0,247| 0,229 | 0,802] 0,743
11 2 SE violent. orage. 0,326 | 0,207 0 277 | 0,635| 0 849
17au18} 9 SE calme. orage. 0,912 | 0,888| 0,676 | 0,973| 0.741
18 O0h.10m.)SE calme. pluie, 0,433 | 0.473| 0,351 | 1,092! 0,810
20 7 NNO calme. pluie. 1,473 | 1,627| 1,203 À 1,100! 0,817
5 sept. | 3 E. NE calme. brouillard. À 0,428 | 0,429| 0,329 à 1,002! 0,769
5au6 |i4 Ë calme. pluie. ,002 | 1,139| 0,949 Ÿ 1,136 0947
7 9 E calme. averses 4,731 | 1.777 1,026
8 15 NE orage. aveises. 2,221 | 2,546] 1,609 [ 1,146] 0,724
13 0 h.i0m.}0 assez fort ; averses. 0,088 | 0,102 0,072 1,159] 0,818
18 au 19 | 12 SE. O violent averses. 2,798 | 2,626| 2,316 | 0,905! 0,827
19 0h. 33 m.} O0 calme, pluie. 0,159 | 0,168 0, 117 | 1,056! 0,736
2% NE. calme. TOUTES 0,032 | 0,018] 0,009 } 0,562] 0,28]
au?!) : tempête.
Art SE s0 | TE pluie. 3,863 | 3,497 0,905
Ù 13 0 { RE DE pluies 0,127 | 0,146| 0,090 | 1,149] 0,708
3 1 (e) calme. pluie. 0,476 | 0,477| 0,339 } 1,002| 0,722*
kau5 | 7 0 très-fort. | averses. 3,132 | 3,258 1,043
19 12 N calme. rosée. 0,010 | 0,013 1,300
20 12 E calme. rosée. 0,012 | 0,014 1,166
22 3 ESE calme. averse. 0, 206 0,223 1.082
22 au 23 | 10 S calme. averse. 1,431 | 1,671 1,166
26 au 27 | 1 h. 30 m (o) tempête. f averses. 2? 306 | 2,236 0,970
28 0 très-léger. | pluie. 0,164 0,177 1,079
calme.
29 au 30} 13 O id lent pluie. 0,735 | 0,813 1,106
30 2 0 violent, piuie. 0,012 | 0,013 1,833
7au8}, violent,
ae à |. SO Mie pluie. 0,178 | 0,208 14,145
15 au 16 | 12 N.S raffales. pluie. 0,595 | 0,631 1,060
17 au 18 | 20 S. S0 raffales. pluie. 0,204 | 0,239) 0,214 | 1,122] 1,045
18 au 20 | 19 S. SO molGte.: EE pluiés 0,539 | 0,570! 0,462 À 1,059! 0,856
20 au 21 | 24 S calme. pluie, 2,439 2,#70 1,012
26 au 27 } 17 (0) calme, pluie. 0,450 | 0,513 1,140
27 au 28 | 12 S léger. pluie. 0,163 0,16% 1 2006
29 5 NO calme. pluie fine. | 1,120 | 1,357 ail
He 14 SSE calme. | bruine. 0,337 | 0,340! 0,311 À 4,008 | 0,922
8 12 S fort. pluie. 4,747 | 1,972 1,112
13 5 SSE calme. pluie, 0,607 | 0,621 1,023
14 au 15 | 18 SE calme. pluie. 0, 2082 0,102 1 268
“ Nouvel entounoir.
CG GRR OO Ÿ
HYDOMÉTRIE COMPARÉE. 33
CITADELLE DE DOULLENS, 1552. (Suite).
UANTITÉS mAPLORT
Jours | vouée VENT. FOGME sir pd PARA
pu EN pu ms" mm la faiticre—=1{,
MOIS. HEURES. Direction. Force. PRODUIT. À faitiëvel Jardin | lucar- jardin | lucar-
uord, | ne. nord. pe.
CENT. CENT. CENT, CENT. CENT,
45 déc. } Oh. 35 m.|0 | violent. averses. 0,470 | 0,420 0,893
15 au 16 À 17 0 { tempête. averses. [0,694 | 0,7! | 0,618 | 1,039 0,933
16à 171 8 0 violent. averses. 1,171 | 0,867 0,740
21 6 0 violente L'bruine, 0,019 | 0,022 1,158
24 au 25 | 24 0.S très-fort, | pluie fine. 0,229 | 0,230 | 0,205 | 4,004| 0,896
31 S léger. brouillard. À 0,023 | 0,628 | 0,007 1 1,217! 0,304
N.-B. A partir du 18 janvier, les résultats purent être faussés, faute de surveillance, et ils ne
m'inspirèrent plus de confiance. Celui de la faîtière seul était à l'abri de toute cause d’altéra-
uon.
JARDIN DE BOITSFORT, 1855.
Jours | DURÉE VENT. FORME D re RAPPORT |
Fe _ nn A du produit;
MOIS. HEURES. Direction. | Force. PRODUIT. Et Es on : . : pre res
TETE CENT, CENT. ERA ER |
15 août | 2h. NE. fort. pluie. 0,0470 |0,0375 0,797
29 5 NO calme. bruine. 0,012510,012ë 1,000 |
23 : | nuit. N HE brouillard. Î0,09:510,0875 0985 |
23 au 24 | nuit. ONO.E calme { Diane, 0,5925 |0,5687 0,950 |
24 12 E calme. averse. 0,5575|0,5813 1,042 |
2% 6) S0 calme. averse. 0,8500 |0,8375 0,985 |
24au25}11 O.SO.SE calme. averse. 0,150010,1500 1,000 |
25 9 G.S0 fort. bruine. 0,1500 10,181 1,205
26 nuit Ss0 moyen. pluie, 0,087510,0875 1,000
29 5 O.ESE calme, averse. 0,5625 [0,537 0,955
31 nuit, SO calme. pluie. 0,0250 |0,0125 0,500
2 sept. ! nuit. SO fort. Abe 0,7875|0,7870 1,000
/ calme. ruine. ms ;
2 au 3 | nuit. 0 e averses. 10,750 |0,6750 0,900
3 2 0 tempête. averse. 0,0750 |0,0500 0,666
3 5 O.NO violent. pluie. 0,0687 |0,0500 0,725
3 au # | nuit. NE calme. pluie, 0,1000!0,0875 0,875
4 3 NNE calme, pluie, 0,7437|0,7750 1,043
A 0 h. 30 m. AN calme, PRUéS AS 0,0500 see
1 N.E calme, pluie, 0250 |0,0250 1,000
5 nuit, NE calme. pluie, 0,0250 |0,0250 11000
7 44 NE violent, raffales. 0,0500 |0,0187 0,374
Tau8 |ouit N.NE assez fort. pluie. 0,0500 |0,0375 0,750
A1 au 12 | nuit, SO calme. brouillard. 1 0,0500 [0,0250 0,500
12 au 13 | nuit, à) calme. brouillard. 10,0325/0,0162 0,500
I3aut# fuit. [NNO jeunes bruine. [0,3:50l0,3000| 0,500
1% au 15 | nuit. ë calme. brouillard. 10,287510,2750 0,956
1ù 3 Ë calme, pluie. 0,018710,0125 0,608
15 au 16 | ouit. NE calme. brouillard, 10,3187,0,3125 0.989
18 au 19 | ouit N calme. brouillard, 10,0187|0,0187 1.000
19 au 20 } nuit ( calme. brouillard. f0,0250 |0,0187 0,750 |
20 au 21 nuit NNO léger. brouillard, 10,037510,0312 0 831
21 au 22 | nuit S.NE calme. brouillard. F0,0312/0,0125 0.300 |
2% 1h (e) violent. raffales, 0, 75010,1650 0,933 |
25 au 26 | nuit, e) tempête. raffales. 0,1000 [0,3500 0,875 |
28 nuit, 0 SO . [tempète. bourrasques. | 1,7000 |0,8buC 0,500
= + Es en ch pmamteen. cmt — —————— = Le
221 ze a — ES ——
31 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
BOITSFORT, 1853.
à us
: ANTITÉS
| JOURS | DURÉE VENT. Forme |QU: RE à RAPPORT
| pu EN FT 2 or pu Let mal Ge 1 Lu du produit ;
— Er Fos haut du | ; l'hbydomètre du
| MOIS HEURES. Direction. orce PRODUIT. jardin | toit. jardin =—
| CENT. CENT, CENT.
| Ter oct. 7h 0 calme averse. 0,2500!0.2500 1,000
| der 2 0 violent averse. 0,0880|0,0500 0,568
&au 5 |} nuit, SSO calme. pluie. 0,0437|0,0500 4,144
5 au 6 } nuit. SO calme. bruine. 0,150010,1500 4,000
6au7 | nuit. SO calme, pluie. 0 72625 0 2250 0.857
9 au 10} nuit. SO calme, brouillard. 0° 3052 0° 2750 0,900
12 8 OS0. E léger. brouillard. } 0,092110.0710 0,77)
14 au 15} nuit. SO calme. pluie. 0,2600|0 2900 0,960
16 3 S moyen pluie. 0 20750 0’0500 0,666
16 2 SO fort. orage. 1 70720 0.7500 0,697
| 21 12 SO très-fort. pluie. 0! ,0625|0,0500 0,710
31 nuit O0 calme, brouillard. 0.037510, 20375| 4,000
6 nov. } 12 SO calme. pluie. 0,3750|0,3750 1,000
nuit. SO calme. brouillard. 0, 203750 20375 1,000
8 nuit NO calme. brouillard. 0,0375/0, 0375 1,000
Sau9 }16 NO très-fort, brouillard. | 0 0750/0,050u 0,666
11 10 NE calme brouillard, 0,0375|0,0375 4,000
[ nuit. SSE calme. brouillard. 0 °0250 0,0250 1,000
15 au 171 12 ONO calme brouillard. À 0,1500/0,1500 1,000
19 nuit oS0 calme. gel. blanche. | 0,0375|0 70375 1,000
22 nuit NNE calme. brouillard. 008120, 10812 1,000
| 24 nuit SE calme. brouillard. | 0,0375|0,0374 1,000
28 au 29! 24 SO léger, neige. 1,0000!0,0500 0,500
3 déc. | nuit. SO calme. brouillard. À 0,95000,0125 0,250
| 15 au 46! nuit. s { lets neige. 0,1875|0,1250 0,256
| 17 nuit. SO calme neige. 0,2250 0,187: 0,833
[47 au 18 À nuit. SSO léger. neige. 0,032510,0132 0.403
BOITSFORT, 1853 ET 1854.
F2 GE QUANTITÉS mpronr |
|| JOURS DURÉE VENT. FORME RAR du produit, le
il Æ Le à jardin haut=—{.
| | Per
|| mois. HEURES. Direction. Force. PRODUIT, le | Jr toit. Jardin! : ;
| haut. bas. $
L cExT. | CENr. | CENT. | cer. | cenr. I
| 25 déc. À 18 NNE violent, { A 0,1650/0,0878 |0,0460] 0,532| 0,280
|26 au 27 | 18 N. NE. NO us neige. 0,4750|0,4000 |0,3500! 0,842! 0,739
| 1854. |
ne 4 18 NO tourmente, | neige. 0,487510,150010,08751 0,308 | 0,181
3 au 5 E. SE violent. Se 1,8125/0,8625 085001 0,610! 0,600 |
5au7 12 SO léger. averses. 0,225010,2065 10,22504 0,913 | 4,000 |
8 12 SSA léger. pluie. 0,750010,5675 |0,75001 0,755 | 4,000
Jau10} & SSO calme. bruine. 0.431210,#125[0,4500f 0.957 | 1,043
10au11} #4 OS0. SSE |calme. bruine. 0,250010,2500 10,25004 1,000 | 1,000
18 au 49 21 NNO calme. brouillard. 10,043710,031210,018510,71#| 6,423
122 SSE calme. gel. blanche 10,014410,0065 |0,0059F 0,451 ! 0,409
| 24 au 25 | 24 s0 violent. pluie, 0,600010,55000,55001 0,916 | 0,916
| 26 nuit, 0 violent. pluie, 0,2250|0,1250 |0,1500/0,555 | 0,600
28 au 30 S. O violent. pluie. 0,750010,5000 10,675010,640 | 0,900
Aer »
- pis NNE (calme: bruine. 0,7500|0,5875|0,6875|0,870| 0,916
3au% 119 NE calme. brouillard. 10,013210,0131 |0,0132/1,000 | 1,000
| &au 5.1 11 S0. NO violent, pluie. 0,675010,5375 |0,5250/0,796| 0,777
| 6 nuit, 0 violent, pluie. 0,087510,087510,01974 1,000! 0,225
71à8 21 (0) calme. bruine. 0,618110,53750.62508 0,869] 1,041
APPLICATIONS DE L'HYDOMÉTRIE A L'AGRICULTURE. 33
CONCLUSIONS IMMÉDIATES.
Que l’on se représente graphiquement la position particulière des hydomètres,
de leurs abris et de leurs obstacles respectifs, d’après les renseignements topo-
graphiques que j'en ai donnés ci-dessus, et l'on ne manquera pas d’en dé-
duire, avec moi et avant moi, les conclusions suivantes :
À. OBSERVATIONS DANS LA CITADELLE DE DOULLENS.
1° La différence des rapports varie à chaque observation de ce genre.
2° Plus la pluie tombe par calme, et plus les rapports s’approchent de l'iden-
tité; je veux parler d'un ealme plat, d’un calme rare, et qui ait régné dans les
régions supérieures comme dans les cours où j'observais; car je ne pouvais no-
ter que le calme qui étui à ma portée, et l'air était souvent très-agité à la hau-
teur de la crête des fortifications qui s’élevaient assez haut au-dessus de nos têtes.
3° Lorsque le calme ne régnait qu'au fond de notre grand entonnoir, alors
le chiffre de l'hydomètre de la faitière baissait, et celui des hydomètres de la
cour montait.
4 C'était tout le contraire quand la violence du vent se manifestait dans les
régions inférieures; car alors, outre leurs abris respectifs, les hydomètres des
deux cours avaient l'abri général des fortifications, qui arrêtaient la pluie au pas-
sage et en amoncelaient les produits dans les champs, tandis que par la force du
vent la pluie arrivait à l’entonnoir de la faitière,
5° À chaque vent, les rapports changent, selon la position respective et la haur-
teur des abris et des obstacles.
6° Par les vents du nord, le chiffre de l'hydomètre de la cour nord augmente,
il din inue par les vents de sud et d'ouest.
7° Par les vents de sud, le chiffre de la lucarne augmente, et il diminue par
les vents du nord, contre lesquels la faitière l’abrite, d'autant plus que le vent
est plus violent; et ensuite par les vents d'est et d'ouest qui glissaient sur sa
surface et en balayaient les produits.
8° Le chiffre de l'hydomètre de la cour sud diminuait par les vents du nord,
se relevait un peu par le sud, et beaucoup par le vent d'ouest qui lui arrivait
sous un angle très-faible, à cause de la longueur du couloir et de la distance du
bâtiment ouest.
9° Les anomalies que l’on pourrait rencontrer dans certains nombres ne doi-
vent être attribuées qu'à l'insuffisance des indications sur la coïncidence de la
pluie et du vent marqués sur les tables; la direction et la force du vent n'étant
constatées qu'à. certains instants de la journée, et la direction et la force ayant
pu varier de plusieurs manières dans le laps de temps intermédiaire.
10° L'infériorité du chiffre de la cuvette tient à sa forme, à son fond plat ; mais
ce chiffre augmente et diminue par les mêmes raisons que le chiffre de l'hydo
mètre de la cour sud.
11° Par la neige, les produits des hydomètres inférieurs dépassent toujours
ceux des hydomètres supérieurs ; parce que la neige, plus légère que le brouillard
même, tourbillonne et s'accumule dans les bas-fonds et s'arrête moins sur les
hauteurs, et parce que tout était obstacle dans nos cours pour elle, et que rien na
l'était sur la faitière,
56 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
420 Par le brouillard, le chiffre des rapports varie selon que le brouillard
monte de terre, ou qu'en fine bruine il descend des nuages; et, dans ce dernier
cas, selon que le vent se lève plus tôt ou plus tard pendant qu'il tombe; quand
il monte de terre comme la rosée, le chiffre des hydomètres inférieurs dépasse
celui des hydomètres supérieurs.
15° Le chiffre du produit de la lucarne est d'autant moindre, toutes choses
égales d’ailleurs, que la pluie survient après une longue sécheresse, la toiture
s’en imbibant, avant d’en laisser couler. Cette dernière conclusion devient évi-
dente par le journal que j'ai tenu de toutes mes observations.
B. OBSERVATIONS DANS MON JARDIN POTAGER DE BOITSFORT.
4° Ici, comme à Doullens, les rapports approchent d'autant plus de l'identité
que la pluie tombe par un temps plus calme; ils s’en éloignent d'autant plus que
le vent est plus fort.
2° Par la violence du vent, l'hydomètre du toit recueille souvent à peine un
peu plus que la moitié du produit de l'hydomètre du haut du jardin; et bien
moins encore, quand c’est la neige qui tombe.
5° Ici encore le rapport des produits du brouillard change, selon que le brouil-
lard monte ou descend.
4° Le chiffre du produit de l’hydomètre du bas du jardin s'élève par les vents
du nord et d'ouest, etbaisse par les vents du sud, à cause de la berge sud qui lui
sert d'obstacle dans le premier cas et d’abri dans le second.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
40 Le produit de la pluie recueilli par un hydomètre est d'autant plus consi-
dérable que l'hydomètre se trouve en face d'un obstacle plus élevé, et que le
vent qui aceumule la pluie au pied de l'obstacle est plus fort.
20 Les produits de deux hydomètres placés l’un au pied et l’autre sur le som-
met dela hauteur, laquelle oppose obstacle au vent qui fouette la pluie, sont iden-
tiques par le calme plat.
35° Le produit de l'hydomètre supérieur l'emporte sur le produit de l’hydomètre
inférieur, quand la hauteur sert d’abri et non d’obstacle pour celui-ci.
4° Les deux produits seraient identiques, quelle que fût la force ou la direction
du vent, si l'hydomètre supérieur était à son tour au pied d’un obstacle égal à
celui de l'inférieur, toutes choses égales d'ailleurs.
APPLICATIONS AUX RÉSULTATS OBTENUS DANS LES DIVERS OBSERVATOIRES.
4° L'hydomètre inférieur, se trouvant placé dans la cour sud que borne au
nord l'édifice d’un observatoire, son produit l'emportera sur celui de la plate-
forme par les vents du sud, et cela en raison de leur force; il sera inférieur à
l'autre par les vents du nord. Les deux produits seront identiques par le calme
plat. Les rapports varieront en raison de la situation de l'observatoire, par rapport
aux collines et aux édifices voisins qui peuvent multiplier à l'infini les abris et les
chstacles.
GPINION DES PAYSANS SUR LEURS MALADIES. 37
Or, comme il pleut beaucoup plus souvent par les vents du sud que par les
vents du nord, il s'ensuit qu'en additionnant les produits respectifs recueillis
dans ces établissements, le chiffre de l'hydomètre inférieur dépasse toujours celui
de l'hydomètre supérieur, et que les rapports généraux d'un mois ou d’une année
y varient selon la fréquence et la force de tel ou tel vent.
APPLICATIONS A LA MÉTÉOROLOCIE ET PAR CONSÉQUENT A L'AGRICULTURE.
1° L'hydomètre des observatoires ne donne qu'une indication locale très-bor-
née ; la quantité de pluie varie à chaque pas. C’est une grave erreur de croire
qu'on puisse déduire, des indications de cet instrument, le volume d’eau tombé
sur la surface de plusieurs hectares, j'irai plus loin, d'un seul hectare, non-seu-
lement à cause de la diversité des expositions, de la force et de la direction des
vents, mais encore parce qu'un nuage qui se décharge n'a pas dans toute son
étendue la même épaisseur.
2° Le versant d'une montagne ou d'une colline alimente d'autant plus les
sources à qui elle sert d'hydomètre, qu'il fait obstacle à un plus grand nombre
de vents pluvieux. Dans l'Europe occidentale, les collines sont d'autant plus
arrosées qu'elles sont plus exposées au sud et à l'ouest; et à même niveau les
plaines au nord doivent être moins humides que les plaines au sud de ces abris
et obstacles.
3° De deux bassins géologiques, séparés par une chaine de montagnes, celui-là
recueillera une plus grande quantité de pluie qui aura, peur obstacle à opposer
aux vents pluvieux, le versant de la montagne. Le contraire arrivera, si le versant
sert d'abri.
4° On approchera d'autant plus près d'une moyenne suffisante, dans l'évalua-
tion des quantités d’eau tombée sur la surface d'une localité, qu'on multipliera
davantage les hydomètres dans les expositions différentes. Jusqu'à ee jour, tous
les chiffres que l’on croit avoir obtenus ne fournissent que des indications d’une
application très-restreinte, vraies dans la cour, fausses au delà du mur d'enceinte.
5° Ces résultats pourront être pris utilement en considération, dans le tracé
des sillons et fossés destinés à accumuler ou à écouler les eaux de la pluie.
Dans les terrains plats, s'ils sont secs et élevés, on tracera les sillons de manière
à faire obstacle à la pluie; dans les terrains humides, au contraire, la direction
devra en être la même que celle du vent pluvieux. Dans les terrains en pente,
les sillons doivent toujours couper la pente, pour empêcher les eaux pluviales
d’entrainer l'humus et le fumier même dans les régions inférieures.
CHAPITRE III, — VARIÉTÉS,
OPINION DES PAYSANS SUR L’ORIGINE DE TOUTES LEURS
4 MALADIES.
Le système nosologique des paysans des Flandres n’est nullement compliqué;
ils ne peuvent être malades en général que par échauffeture (par échauffement)
36 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ou par morfondure (par refroidissement); ils ne souffrent que parce qu'ils se sont
trop échauffés au travail, ou qu’ils se sont trop vite refroidis, en revenant du
travail. Ils raisonnent ainsi quand ils n'ont pas une eause plus visible à assigner
à leurs souffrances; car s'ils reçoivent un coup de bâton, ou un eoup de pied, ou
une tuile sur la tête, ils n’ont garde d'en rendre responsables ou le chaud ou le
froid.
Et cette opinion, qui forme toute leur science nosologique, n'est pas d’origine
moderne; c’est une vieille tradition, aussi vieille que leur langue, qu'ils ont ap-
prise en jouant sur les genoux de leur mère et qu'ils transmettront à leurs
enfants en les faisant à leur tour sauter sur leurs genoux. Guérissez-les vite et à
peu de frais, vous en saurez plus qu'eux en connaissance des simples; mais
quant au principe de la maladie, ils en savent, dieu merci, tout autant que vous.
Leur grand père n'est-il pas mort d’une échauffeture? et leur aïeule d'une mor-
fondure? Pouvez-vous le nier? tout le village l’a vu et vous l’attestera au besoin.
Du temps de Joubert, chancelier de la faculté de médecine de Montpellier
en 1580, cette opinion était aussi accréditée qu'aujourd'hui dans le vulgaire. La
fièvre venait du froid, et toutes les autres maladies découlaient du morfonde-
ment et du larfondement (*); larfondement, quand on rendait par le fondement
ou par les urines comme des substances lardacées et glaireuses.
En France, ces deux mots ont encore toute leur vigueur, quand il s’agit de
parler maladie des bestiaux. Le berger se respecte trop pour les employer en
fait de maladies de chrétiens; il est assez poli pour se servir alors des mots
échaufjement et refroidissement; c’est la même idée, ce ne sont pas les mêmes si-
gnes de langage, et Ja politesse réside tout entière dans le choix des expres-
sions; c’est par les formes du langage qu'on établit les lignes de démarcation et
qu'on fixe les prééminences.
Cependant, nos bergers ont modifié une de ces deux expressions par une es
pèce de traduction qui semble impliquer une idée différente; ils appellent gras-
fondurelelarfondement. « Le Larfondement, d'après Joubert, a lieu quanden ses
excrémans (comme urine et fiante) on rand la graisse fondue, tout ainsi que du
lard, d'où vient l'appellation. » Les bergers ont remplacé le lard par de la graisse,
et la médecine vétérinaire a enregistré le mot; car en fait de mots, la science est
toujours aux ordres de ce qu’elle appelle le vulgaire ; qui la lirait, si elle ne par-
ait pas le langage de tout le monde? Les savants lisent peu les savants,
Mais revenons à l'antiquité de l'opinion qui réduit toutes les maladies, dont
on ne connait pas autrement les causes, au morfondement et à l'échauffeture.
Vous n’en ririez pas tant, si je vous prouvais qu'en cela les paysans sont dans
les vrais principes de la médecine hippocratique, aux yeux de laquelle toute ma-
ladie venait ou du froid, ou du chaud, ou du sec, ou de l'humide. Car, ce principe
fondamental est écrit en vingt endroits de la collection hippocratique et dans Ga-
lien; etil n'y a pas quinze ans que la formule était encore au nombre des artieles
de foi de la médecine orthodoxe et fidèle au serment d'Hippocrate.
Mais depuis que le paysan a le Manuel entre les mains, il a fait comme la
science; il a commencé à croire pour le moins à une cinquième cause de mala-
dies : aux vers intestinaux, quand il en voit sortir.
(*) 2e Partie des Erreurs populaires, chap. I et chap. III, pag. 11 et 22, édit. de Paris, 4580. Dans la
prochaine livraison nous donnerons une idée de cet ouvrage et de son auteur,
2) Le —
CHOLÉRA. — MALADIES DES VÉGÉTAUX. 59
LE CHOLÉRA. — SA TOPOGRAPHIE, SON PRÉSERVATIF.
Ce fiéau a fait sa réapparition depuis plus d’un mois dans les deux hémisphères ;
il a sévi autant en Amérique qu'en France, autant à Paris qu’à Saint-Pétersbourg;
et chose remarquable, sa topographie pour la France est en 4854 exactement la
même qu'en 1849. A part la lisière marine, tout ce qu’enferme la rive gauche de
la Loire, depuis sa source jusqu'à son embouchure, ainsi que la ligne de sa rive
droite qui s'étend d'Orléans à la mer, en général, dis-je, toute cette région est épar-
gnée. Ainsi qu’en 1849, le fléau, inexorable en quelques heures, n’est qu'une affec-
tion bénigne au début; on le conjure par des précautions ; on en triomphe par une
médication promptle et conforme à la nouvelle théorie sur son origine entomogène.
À part quelques têtes récalcitrantes, le riche, qui a sa provision de médica-
ments sous la main, succombe bien moins souvent que le pauvre qui ne sait nas
prudemment prélever, sur son gain ou son salaire, de quoi parer aux premiers
coups de l'invasion. L'expérience a parlé assez hautement en faveur du nouveau
système de médication pour qu'il n’en soit plus à se démontrer encore; mais J'an-
cienne médecine s’obstine à ne se mettre qu’à la remorque de l'opinion publique,
et avec une mauvaise grâce qui frise l’entêtement. S'il lui plait de vouloir substi-
tuer un système de son invention à ce système devenu populaire, c'est pour
émettre quelque idée à priori, qui ne se rattache à aucun principe; ne nous
a-t-elle pas préconisé les armatures de cuivre, dont personne ne parle plus à
l'heure qu'il est? Quant aux académies, vous en connaissez l'esprit; elles propo-
sent des prix, mais elles en tracent le programme; elles vous disent trouvez, mais
ne cherchez que dans ce cerele d'idées, qu’elles tracent en quelques lignes autour
de vous. M. Bréant, un des adeptes du nouveau système, laisse en mourant un
legs à l'Académie des sciences, pour donner en prix à celui qui décrira l'insecte
auteur intime du choléra; l’Académie prend le prix mais refait le programme,
ct peine sévère à qui trouverait ce que désigne M. Bréant. Un académicien a
fait des découvertes agricoles, en désignant sous le nom de substances azotées les
substances animales, et en trouvant de l'ammoniaque dans l'air, alors que depuis
nos révélations personne n'en doute plus; cet académicien trace à son tour un
programme de recherches, et propose de découvrir, si l'on veut mériter le prix,
le genre de combinaison ammoniacale qui pourrait être dans l'air Ja cause du
choléra. Que le premier individu adresse à telle académie la note Ja plus éhour-
riffante, on en donnera lecture, et l’auguste assemblée en analysera le contenu
dans ses comptes rendus ; on traitera l'idée en amie et en bienvenue; on dormira
un peu moins pour l'écouter; après quoi la tâche est remplie, la séance est levée
et l'on va diner; mais tout cela pourvu que l'idée ait un air orthodoxe.
L'opinion publique a pris le parti de ne plus porter sa cause à de pareils tri-
bunaux, et s'occupe de ses propres affaires, sans avoir recours à l'intermédiaire
de ses procureurs. Que chacun prenne le parti de l'opinion publique, et le cho-
léra sera moins destructeur. Qu'on ait toujours présent à l'esprit qu'il vaut mieux
se préserver que d'avoir à se guérir. Qu'on ait toujours sous la main son arsenal
de remèdes ; et qu’on suive à la lettre la médication préventive que nous avons
tracée dans le Manuel annuaire de la santé pour 1834, en y ajoutant la preserip-
tion moins dispendieuse que nous avons donnée plus haut, en parlant du ver so-
litaire (pag. 15).
J'ose prédire, sans crainte d’être démenti par les faits, que celui-là n'aura rien
à redouter du choléra, qui, à déjeuner et à diner , CONSOMMERA 4 LBI SEUL, EN ASSAI-
49 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
SONNEMENT OU SOUS SA FORME PRIMITIVE, TROIS OU QUATRE GOUSSES D’AIL CRU. Que le pau-
vre donne l'exemple, ce remède est à la portée de sa bourse; le riche l'imitera
bientôt, en dépit de sa répugnance pour cette odeur; ce qui préserve sent tou-
jours bon; et l’ail aura la réputation de l'ambre, dès l'instant qu'il aura fait ses
preuves de préservatif.
MALADIES DES VÉGÉTAUX.
Depuis l'année 14843, je n'ai cessé de professer cette opinion que les maladies
épidémiques qui ont frappé les cultures à dater de cette époque, au lieu d'être
produites par des insectes où des moisissures, comme l'admettaient les Acadé-
nies, n'étaient au contraire que des effets des orages, enfin que les végétaux
malades ne l’étaient que par la combustion du feu du ciel, qu'iis étaient brülés
ct flambés plutôt que dévorés par des parasites.
Je n'ai jamais laissé passer une occasion, à partir de cette époque, pour sur-
prendre ces accidents sur le fait. Ainsi, je faisais observer un champ tous les
jours et même au commencement de l'orage, puis immédiatement après l'orage,
et nous trouvions toujours que les pommes de terre, par exemple, ne devenaient
jamais malades qu'après ces décharges de l'électricité; que l'invasion du mal
était subite, aussi prompte presque que la foudre; que ces plantes.étaient fou-
droyées enfin avec tous les caractères que la foudre produit quand elle, frappe les
corps organisés : les fanes noircissaient et se desséchaient presque sur pied, en ré-
pandant une odeur de pourri insupportable; les feuilles se charbonnaient, comme
si elles avaient été flambées au souffle enflammé du chalumeau métallurgique.
Je viens, cette année, de constater les mêmes effets, non-seulement sur la pomme
de terre, mais sur beaucoup d'autres végétaux cultivés.
Ainsi, le 5 mai, les pêchers de nos environs étaient couverts de jeunes pêches;
un orage survient par nord; et presque tous les espaliers qui élaient dans la di-
reclion nord se dépouillent le lendemain de leurs feuilles qui noircissent et se
charbonnent avant de tomber; les jeunes pêches durent un peu plus longtemps,
mais maculées et frappées dans leur développement.
Plus tard, un autre orage dépouille de ses feuilles nos groseillers à grappes,
qui n'en ont pas moins müri leurs fruits, en dépit de ce marasme et de ce flam-
bage. Le 14 juillet, une pluie d'orage passe sur un village voisin ; le lendemain, on
trouve, dans certains endroits, des traces de la maladie, mais par trainées et
comme par suite de ces jets de flamme qui ne brülent que là où ils passent.
Dès cette époque, la maladie a apparu sur tous les points. Le 14 juillet j'avais
bien observé un carré de pommes de terre de mon potager; il était sain ; le 43 ar-
rive un orage; le soir même je vois les fanes languir; le lendemain elles noircis-
saient, et aujourd'hui elles sont desséchées, comme, du reste, presque toutes les
pommes de terre de ce canton ; dans certains endroits il serait difficile de trouver
la place de Ja fane, tant elle s’est ratatinée. C’est à la même époque, l’année pas-
sée, et également à la suite d’un orage, que la maladie se déclara dans nos
parages.
Cependant le flambage électrique n’a pas pénétré jusqu’au tubereule; nous
mangeons Lousles jours de ces pommes de terre nouvelles ; elles sont excellentes;
je n'en ai trouvé jusqu'à présent que fort peu de maculées. Quant à la vigne, elle
pe donne ici aucun signe d’altération.
DO —
2e bin. RENUE COMPLÉMENTAIRE 14 sepenbre 1554.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER, — MÉDECINE.
EXEMPLES FRÉQUENTS D’EMPOISONNEMENTS DOMESTIQUES
ET INDUSTRIELS.
SOMMAIRE. — Occasions multipliées. — Olivier victime de ses biscuits. — Préparations des
cours de chimie et physique. — Fixation des couleurs ; sublimé corrosif en teinturerie et
médicament; caractères des empoisonnements par les sels mercuriels. — Fondeurs de
plomb. — Papiers peints en vert et non vernis. — Pâte phosphorique contre les rats; em-
poisonnement par l’abus des allumettes chimiques; ravages opérés par leur fabrication.
— Théorie de l’action des émanations du phosphore et de celle de la médication prévene
tive et curative contre ce genre d’empoisonnement.
Nous jouons avec les poisons; nous les consacrons à nos usages journaliers;
ils entrent dans nos parures, dans nos ornementations; la médecine en gorge ses
malades ; la chimie en brave les dangers, à force d'en étudier la nature; ils sé-
journent à côté de nos mets; ils coulent à flots dans.les ruisseaux des rues; ils
infectent nos champs et nos récoltes par le fumage. Chaque industrie a un poison
favori, indispensable, sans lequel elle ne sait plus opérer. Depuis dix ans, je crie
cela sur les toits; je dis à tous : Mais vous vous empoisonnez, vous et le voisi-
nage! —« Laissez done, répond la médecine, le poison est un médicament pré-
cieux entre des mains habiles. » Et je vois le médecin qui se joue avec ce médi-
cament tomber aussi vite que son malade.
4° BISCUITS MERCURIELS D'OLIVIER.
Olivier, le docteur Olivier, fabricant des biscuits mercuriels de ce nom, et qui,
par crainte qu'on ne surprit ses petits secrets de fabrication, fabriquait, cuisait,
empaquetait lui-même, Olivier s’est ankylosé sur toutes les articulations, comme
un crabe; il est mort faisant, pour ainsi dire, corps avec son fauteuil.
20 PRÉPARATIONS DES COURS DE CHIMIE ET DE PHYSIQUE.
Combien j'ai vu périr jeunes, de préparateurs de chimie ou de physique ! Que
d'enfants de chimistes j'ai vus se détériorer, gagner des scrofules, des cancers
À
42 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
osseux, por suite du plaisir qu'ils prenaient, dès que le père abandonnait le iabo-
ratoiro, d'aller rafraichir leurs mains dans le bain de mercure !
9° FIXATION DES COULEURS PAR LE SUBLIMÉ CORROSIF. —— SUBLIMÉ CORROSIF EN
MÉDICAMENT.
Un chimiste manufacturier, fort estimé à Mulhouse, entreprend de fixer les
couleurs par l’action du sublimé corrosif sur le gluten; ses essais ont été inter-
rompus bien vite par la mort.
J'ai été témoin, ce printemps, de deux exemples funestes de l'emploi à l'exté-
rieur et à l’intérieur du sublimé corrosif, un des sels mereuriels que la médecine
applique avec un laisser-aller vraiment alarmant pour les générations futures.
La même médication avait été appliquée dès la fin de décembre au père, qui est
fortement constitué, et à sa jeune fille de dix à onze ans, qui était d’une eom-
plexion délicate et d’une grande susceptibilité. Elle venait d'être atteinte d'une
tumeur blanche au genou ou plutôt d’une fausse ankylose d’un faible volume.On
applique le sublimé corrosif: l'ankylose ne disparait pas, bien au contraire; mais,
l'absorption ayant porté le poison dans toute l'économie, la poitrine s’entame et
le cerveau s’affaiblit; une toux sèche se joint à une émaciation croissante; des
accès de frayeur subite prennent à chaque instant et au moindre bruit [a jeune
malade, qu’un grand danger, auquel elle avait échappé par miracle, n'avait déjà
que trop impressionnée ; les ravages de cette phthisie mercurielle marchent avec
la rapidité de l’empoisonnement, et aboutissent en un mois à une mort dont la
médication nouvelle n’a pu qu'endormir l’agonie.
Quant au père, dont la constitution a eu assez d’étoffe pour parer à toutes ces
sortes de ravages, il ne tarda pas, ainsi que cela lui avait été prédit, à être pris
de rages de dents, que l’éther pouvait à peine dissimuler; les gencives s’exco-
riaient, des furoncles énormes pullulaient sûr la joue et autour du cou; des
douleurs arthritiques et goutteuses voyageaient d’articulation en articulation.
L'emploi des plaques, de l’eau zinguée, de l'alcool camphré, du camphre avec
salsepareille, de l’éther et de l’aloès a fini par triompher chez lui de tout ce cor-
tége d'accidents qui heureusement ne s'étaient portés qu'à la périphérie.
J'ai souvent émis le vœu qu’une loi forçât les médecins à prendre les premiersles
remèdes qu'ils ordonnent aux malades ; la thérapeutique serait bien vite, de cette
manière, débarrassée, non des médecins qui sont assez prudents pour eux-
mêmes, mais des remèdes empoisonneurs.
Cette idée me rappelle un eas qui serait plaisant, s’il n'avait été terrible, et
que rapporte, je crois, lady Montague, savante anglaise, qui résidait à Constanti-
nople vers-1712,.et dont les lettres furent publiées après sa mort, en 1762, en
Angleterre, et traduites en français, en 1763, par Anson, administrateur des
postes. |
La grande sultane étant tombée malade, et les médecins du sérail étant à
bout de leurs ressources, on déterra je ne sais quelle rebouteuse italienne, qui
exerçait son art avec un succès local dans quelque coin ignoré du pays. Celle-ci
commence par ordonner des lavernents, remède inusité alors dans la pharmaco-
pée ottomane. On lui dit de le préparer; on lui fournit les simples, l'eau, la
bouilloire, et on lui procure une seringue toute neuve, et que le marchand avait
fabriquée exprès pour Sa Hautesse. Mais dès que l'eunuque, qui la surveillait de
près et ne perdait pas un de ses mouvements, voit que la seringue était remplie
CARACTÈRES DE L'EMPOISONNEMENT PAK LE SUBLIMÉ. 43
de liquide, il se fait expliquer la manière dont on doit administrer ce médicament
à son auguste maitresse, que Dieu garde; il fait répéter, réfléchit, et, par un
trait subit de lumière, il trousse la rebouteuse et lui administre, pour l'essayer
sur l’auteur, ce grand remède, selon toutes les règles et avec toutes les précau-
tions de l’art, Par Mahomet, en entendant les cris de douleur que poussait la
patiente, l’eunuque se félicite d’avoir préservé sa maitresse du danger de ce re-
mède qui pouvait faire tant de mal; le malheureux l'avait administré tout chaud
et tout bouillant, sans vouloir entendre les explications de la pauvre femme;
car, ayant une longue file de corridors à traverser avant d'arriver jusqu'à l'ap-
partement de la sultane, elle avait jugé à propos de remplir la seringue du lave-
ment bouillant, crainte qu'il ne se refroidit trop vite en route.
Vous concevez que je me garderais bien de désirer qu'on usât d’une telle sur-
prise envers les médecins, en leur appliquant ce qu’ils ordonnent; Dieu m'en
garde mille fois! Seulement, je désirerais que le malade ne prit rien de ce que le
médecin ne prend pas lui-même et à la même dose. Cela suffirait pour que, dèsee
moment, l'on biffàt du codex tout remède qui, avec la prétention d'être efficace,
recèlerait quelque chose d’offensif.
49 CARACTÈRES DE L'EMPOISONNEMENT INTERNE PAR LE SUBLIMÉ CORROSIF (DEUTO-CHLO-
RURE DE MERCURE) OU AUTRE SEL MERCURIEL, TEL QUE LE CALOMÉLAS (PROTO-CHLO-
RURE DE MERCURE) A HAUTE DOSE.
La peau se marbre et se vergète de teintes bleues; les extrémités enflent, la
figure bouffit; le bas du visage, surtout le pourtour de la bouche, devient d’un
bleu intense, qui s’affaiblit parfois pour revenir plus tard. Cet effet a lieu, en
moindres proportions, il est vrai, après qu'on a pris dix à douze Fentigranmes
de calomélas seulement.
Au bout de quelques heures, les vergetures bleues apparaissent sur la suriace
dorsale des mains; les déjections sont noires comme de l'encre et corrosives:
les gencives se déchaussent, les dents s’ébranlent; le malade tombe très-vite dans
la stupeur, et, selon la dose, comme foudroyé; il rend, comme tout autant d’ex-
pectoralions spontanées, des lambeaux cartilagineux de la muqueuse de l'œso-
phage et du pharynx; dès le début du mal, il a les yeux caves, le regard héhété,
la mémoire dificile; la peau noireit d'autant plus, surtout aux extrémités, que la
mort est plus proche. Lelendemain de la mort, ce bleu fait place à un blane de cire.
Avec de tels caractères, la mort n'est pas naturelle, c’est-à-dire qu’elle
annonce une désorganisation due aux préparations mercurielles qui agissent
violemment à petite dose.
Je décrivai plus tard les effets de ce poison, dans le cas où le malade survit à
l'empoisonnement.
Que chacun relise bien ce paragraphe, et se le grave dans la mémoire, afin
que la malveillance sache qu'elle est surveillée de près, et afin que la médecine
s'amende, crainte d'être confondue, à tort sans doute, avec la malveillance.
ai appelle de tous mes vœux l'époque où les gouvernements interdiront la vente
au moins de l’arsenic et du sublimé corrosif.
5° CHAPELLERIE, DORURE AU TREMPÉ,
Les ouvriers chapeliers en feutres, qui secrètent au nitrate de mercure, les
doreurs au trempé qui se servent de ce sel, Na) peu à ressentir les effets de
44 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
cet empoisonnement que leur impose leur industrie, s’ils opèrent sans précau-
tion.
G° TEINTURERIE
Un teinturier souffrait de la poitrine et se fatiguait à expectorer; il était tombé
dans un état complet de marasme ; je lui prescrivis de s'éloigner quelque temps
de son usine, pendant qu'on travaillerait à augmenter le tirant des cheminées de
dégagement. L’éloignement de ces dégagements de vapeurs acides le ramena à la
santé, tout autant que le régime hygiénique.
7° FONDEURS DE PLOMB.
Deux ouvriers, membres de la même famille, sont venus de France, il ya peude
jours, pour me consulter; l’un se plaignait de la poitrine, et l’autre d’une difii-
culté quelquefois invincible de digérer. J’ausculte la poitrine de celui qui tom-
bait dans le marasme, et je ne trouve aucun signe de phthisie. Je leur demande
leur état; ils fondent le plomb ; ce mot m'explique toute leur maladie; et quand
je leur fis observer que leurs maux divers ne venaient que de là, vu qu'ils opé-
raient au grand air et non sous le manteau d’une bonne cheminée, ils sont frap-
pés de cette idée et ils s'expliquent pourquoi, dans cette localité, ils ne pouvaient
élever ni lapins, ni poules, ni chiens et chats; car les vapeurs de plomb, par
suite de leur pesanteur spécifique, s’accumulant dans les couches d’air voisines
du sol, les petits animaux devaient en être asphyxiés, faute de pouvoir changer
d’atmosphère.
8° POUSSIÈRE ARSENICALE SE DÉTACHANT DES PAPIERS PEINTS.
Pendant les grands froids de cet hiver, je remarquai sur les traverses des chas-
sis et sur la tablette en marbre des fenêtres du salon une fine poussière verte,
grenue comme le sable vert dont on saupoudre l'écriture, Je reconnus, sur
les charbons, que cette poudre n'était autre que de l’arsénite acéteux de cuivre
ou vert de Schéele. D'où venait ce poison? En examinant avec attention, Je vis
que cette poussière vénéneuse, désagrégée par le froid, se détachait des feuilles de
papier vert, dont on recouvre dans ce pays les deux vitres supérieures des fenê-
tres, pour donner un faux jour aux pièces d’un appartement.
Ce papier par économie n'avait pas été verni, et la couleur ne tenait qu’à
la détrempe. Si l’on avait déposé un mets sur la tablette de Ja fenêtre, pen-
dant que celte poussière pleuvait ainsi, nous aurions gagné quelque colique
dont la cause nous aurait alors échappé. Les fabricants de papier peint devraient
avoir le plus grand soin de ne vendre que vernis leurs papiers colorés par des
poisons, et l'autorité devrait leur défendre d'en vendre d’autres et de spéculer
sur la lésinerie des acheteurs, qui exposent leur vie, en voulant satisfaire leur
vanité à meilleur marché.
LL
9° EMPOISONNEMENT INDUSTRIEL PAR LA FABRICATION DES ALLUMETTES CHIMIQUES.
Chacun sait aujourd’hui que les allumettes chimiques ont pour base le phos-
phore; mais ce qu'on ne savait pas dans le principe, c’est que la fabrication de
ces brindilles inflammables peut causer aux fabricants des altérations morbides
F
FABRICATION DES ALLUMETTES CHIMIQUES. 45
dignes d’effroi. Nous croyons avoir été le premier à signaler un exemple de ce
genre de maladie en France, et en même temps un exemple de guérison qui a
étonné bien du monde. Nous en publions ici les détails pour la première fois.
En1846, un ouvrier nommé Fontaine, qui vivait du produit de cette fabrication
en chambre, se présenta à mes consultations dans un état alarmant; sa figure
n'était plus qu'une espèce d'ostéosarcome où l'on découvrait encore des yeux, l'un
plus haut que l’autre, un nez de travers et une houche oblique et presque per-
pendiculaire au menton, le tout recouvert d’une peau tendue, rougeâtre, sous
laquelle on ne sentait qu'un coussinet dur etosseux. Ce brave garçon, qui ne pou-
vait ni mastiquer ni articuler un son, avait pour interprète et garde malade sa
jeune femme aussi fraiche qu'il était, lui, devenu fétide et dégoûtant ; et cette digne
personne le soignait avec tout son premier amour; ce n'était pas du courage et
du dévouement, c'était une naïve et bonne tendresse. Vraiment, il faut voir ces
petits ménages d'ouvriers de près, pour s’imaginer combien la vertu y est désin-
téressée et facile; je suis persuadé que cette jeune femme aurait eru qu’on se mo-
quait d'elle, si on lui avait proposé le prix de la vertu. Quoi qu'il en soit, leur
jeune enfant avait au coude ce que le père avait gagné à la mâchoire; le père
respirait à pleine haleine ce que le petit apprenti ne touchait que du coude, en
servant son père.
En voyant une telle désorganisation qui avait ainsi confondu les mâchoires avec
les gencives, les gencives avec les parois buccales, et fait de tous ces tissus, si di-
vers à l’état normal, une tumeur quasi osseuse, le chirurgien certainement n’au-
rait eu d’autre ressource que l'opération, une opération désespérée, à l’aide d’un
vaste retranchement par la scie de tout ce qui faisait obstacle à l'introduetion des
aliments, sauf à remplacer cette perte de substance par un organe artificiel qui,
pour faire quelque illusion à la vue, eût imposé un embarras de plus au patient.
J'entrevis un moyen de ramener ce visage à l’état normal, sans avoir recours à
aucun moyen violent et opératoire.
Trois ou quatre fois par jour, on appliqua sur l’intumescence une compresse
imbibée d'alcool camphré ; avec un petit tampon de linge imbibé du même li-
quide on touchait çà et là, de temps en temps, l'intérieur des parois buceales; le
malade se gargarisait ensuite à l'eau salée. 11 prenait du camphre et de la salse-
pareille; puis, tous les trois jours, de l’aloès. Immédiatement après l’évaporation
de l'alcool, on lui recouvrait toute la surface des joues et du dessous du menton
avec une toile enduite de cérat camphré, qu'on maintenait en place par des ban-
des appropriées. Il portait une cigarette habituellement à la bouche. Le même
pansement fut appliqué au bras du petit.
Pour suffire à toutes les dépenses qu'entrainait la perte de temps et l'achat des
médicaments, j'avais mes ressources ordinaires; chaque riche que je traitais, je
lui donnais un pauvre à secourir; et j'étais très-sévère sur le payement de ce que
j'appelais mes honoraires portés ainsi à domicile par mes débiteurs. Je dois dire,
du reste, qu'à peine j'ai trouvé un seul riche qui n’ait pas rempli ces sortes d'en-
gagements avec un dévouement qui partait plutôt du cœur que de la crainte de
me déplaire.
Bref, sous l'influence de ce traitement, exécuté scrupuleusement par la jeune
épouse et subi courageusement par le pauvre aflligé, la tumeur diminuait pro-
gressivement, le nez reprenait sa place, la bouche se dessinait; et un jour une
partie de la mâchoire inférieure se prit à remuer, comme une dent qui se détache
de son alvéole; cette portion nécrosée ne tenait plus aux autres que par ses deux
”
46 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
bouts; plus tard, il ne fallut qu'y mettre les doigts pour la détacher comme un
os inutile. Ce qui était arrivé à cette portion arriva, au bout de quelque temps, |
aux portions voisines; la branche montante du côté droit se détacha tout aussi
facilement que l'avait fait la branche horizontale; puis vint le tour de la branche
horizontale du eôté gauche; et enfin, au bout d'un an, il ne restait plus de l’an-
cien appareil de la mâchoire inférieure que la branche montante du côté gauche;
celle-ci tenait à son articulation et aux muscles quila fontmouvoir, avec une persis-
tance qui finit par perforer en cet endroit la paroi correspondante de la joue; à
travers un petit abcès qui aboutit, nous vimes un jour percer les deux apophy-
ses ; et ici l’action des doigts restant insuffisante, et la perforation demandant
quelques fils de suture, n'ayant du reste en ce moment, et au milieu de la foule
qui encombrait la salle, ni aide ni temps pour opérer, je renvoyai le patient à
l'hospice, afin de se faire coudre la perforation.
Grand fut l'étonnement des chirurgiens, en examinant de près un Cas aussi
extraordinaire : un morceau de mâchoire qui ne tenait plus que par un reste de
ligament à l'articulation, et, à la place de l'ancienne mâchoire, tout un nouvel os
reformé sur le modèle de l’ancienne charpente, une nouvelle mâchoire inférieure
enfin, jouant aussi bien que l’ancienne que nous avions arrachée par lambeaux,
sans souffrance comme sans effort! Si cette nouvelle mâchoire avait eu des dents
comme l’ancienne, on aurait crié miracle ; mais, enfin, c'était bien assez merveil-
leux comme cela, pour que les chirurgiens eussent bien envie de révoquer le fait
en doute, jusqu'à ee que ce brave ouvrier leur eût apporté sa vieille mâchoire
qu'il avait conservée religieusement dans un bocal, afin de pouvoir la retrouver
au jugement dernier. On le retint à l'hospice comme infirmier.
Dépuis cette époque, il a été reconnu partout que cette fabrication causait des
accidents presque identiques, et que l’action du phosphore se portait de préfé-
rence sur los de la mâchoire inférieure, chez quiconque s’exposait à en respirer
les vapeurs.
Méorcarion. Que ce fait serve de leçon à ceux qui se livrent à la fabrication
des allumettes chimiques : qu’ils n'opèrent que sous le manteau d’une cheminée
à fort tirant; qu'ils adaptent à l'ouverture de la cheminée un châssis vitré qui
leur permette de surveiller l'opération et de manipuler à l'abri des émanations
délétères; qu'ils aspergent fréquemment d’eau de chaux et d’ammoniaque les
joints et les fissures par lesquels la vapeur pourrait s’échapper;. qu’ils tiennent
à la bouche un morceau de craie trempée dans le lait, et, qu'en travaillant, ils
se passent sur les gencives le doigt trempé tantôt dans l'alcool campbhré qui
empêchera l'absorption de l'acide phosphorique, et tantôt dans l'eau sédative
qui le saturera et en paralysera ainsi l’action par la combinaison de son ammo-
niaque.
10° EMPOISONNEMENTS DOMESTIQUES PAR L'USAGE ET L'ABUS DES ALLUMETTES
CHIMIQUES.
Chaque jour les journaux nous signalent les accidents sinistres occasionnés par
l'imprudent emploi desallumettes chimiques et par le phosphore; les empoison-
nements en résultent aussi fréquemment que les incendies.
Vers la fin de janvier, un de nos voisins, pour empoisonner les rats énormes
qui infestaient sa loge à pores, eut l’idée de bourrer les trous avec du pain qu'il
avait eu soin de larder de phosphore; de douze de ces tranches de pain, il en
L.
EMPOISONNEMENTS PAR LES ALLUMETTES CHIMIQUES. 47
manquait le lendemain neuf qu'avaient emportées les rats, pour les croquer mieux
à leur aise. Mais le même jour toutes les poules de la basse-cour tombaient en
convulsions les unes après les autres et périssaient comme frappées d'apoplexie.
Les rats, qui, en fait d'empoisonnements, sont plus avisés qu'on ne pense, n'a-
vaient pas tardé à se défaire, en courant à travers le poulailler, d'un butin aussi
dangereux, et qui leur brülait déjà les lèvres; les poules plus gloutonnes s’en
étaient emparées, et bien mal leur en prit. On retrou va les restes becquetés des
neuf miches de pain phosphorisé sur le fumier de la basse-cour.
Quelques jours auparavant, un autre voisin, ayant jeté sur la route un restant
de pâte phosphorique dont il n’avait plus que faire, les poules du quartier, qui
vinrent gratter dans cette place, y restèrent, frappées de cette espèce d'épidémie,
dont on ne soupçonnait pas la cause tout d’abord.
La chair de ces poules aurait à son tour causé bien des accidents et même des
empoisonnements, si l'on ne s'était pas empressé d'en enfouir les cadavres dans
la terre et à une certaine profondeur,
On a enterré ici, le 21 juin 1854, un enfant de 3 ans 1/2, qui s’est empoisonné
avec les allumettes chimiques, de la manière la plus singulière. Depuis 24 heures,
il était en proie à des crispations et à des convulsions effrayantes. Les mâchoires
étaient serrées et ne permettaient de lui faire avaler ni médicaments ni liquides;
ses petites mains étaient fermées d'une telle force qu'on lui aurait brisé les doigts
pour les lui ouvrir, Cependant quelques personnes remarquaient que de temps à
autre son haleine était phosphorescente et jetait des lueurs dans l’obseurité; mais
cette remarque fut très-tardive; car, dans une dernière et plus violente convul-
sion, l'enfant expira, se détendit, ouvrit les mains, dans l’une desquelles on
compta neuf petites tiges d’aliumettes chimiques, dont il avait avalé une à une les
extrémités phosphorées, sans doute leur trouvant le goût de la ciboulette ou de
l'ail.
Toutes les mères du village ont conduit leurs jeunes enfants à l'enterrement de
ce pauvre petit suicidé, pour les préserver d’un aussi mauvais goût, par l'im-
pression que la cérémonie lugubre devait faire sur leur imagination épou-
vantée.
Un peu plus de précaution vaudrait mille fois mieux que ces leçons dram:-
tiques; car, lorsque je vois l’insouciance avec laquelle on laisse trainer dans les
poches, sur les tables, les bureaux et les tapis, des paquets d’allumettes chi-
miques, je me demande comment il se fait qu'il n'arrive pas plus d'incendies,
de combustions spontanées, pour ainsi dire, et d'empoisonnements.
Ménication. Il faut se garantir des petits empoisonnements comme des grands,
parce que la somme des petits peut quelquefois égaler un grand. Si la fumée du
phosphore cause de si grands ravages en fabrication, elle doit en causer de sem-
blables, sur une moindre échelle, il est vrai, quand on le respire à plus petite
dose et à des époques moins rapprochées. Qu'on ait done soin de n’enflammer ces
allumettes que sous le manteau de la cheminée, ou en évitant de se placer sous
le vent.
Qu'on ne porte sur soi ces matières inflammables, que dans une boite métallique
à parois assez fortes pour n'être pas écrasées sous le poids du corps. Qu'on ne
jette qu'au feu celles qui refusent de prendre par le frottement. Que la boite n’en
soit jamais suspendue près des fourneaux dela cuisine et des tables où l’on prépare
les mets. N’en jetez jamais dans les latrines, allumées ou non; on a vu des explo-
sions s'y produire à la suite d'une telle imprudence. N'en jetez jamais dans les
:
43 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
bois, dans les moissons, dans les greniers et les écuries. Ayez plutôt deux boîtes :
l'une pour contenir les bonnes, et l’autre pour recevoir en dépôt les mauvaises.
Que si un empoisonnement a lieu malgré toutes ces précautions, hâtez-vous
de faire prendre au patient un blane d'œuf battu avec de la craie, puis un peu
d'eau-de-vie pure ou étendue d’eau, selon les habitudes, et enfin un grain d'éméti-
que ou de l'huile, pour provoquer le vomissement. Ne cessez de lotionner tout le
corps et d'arroser le crâne avec de l’eau sédative ; et recommencez à donner l’an-
tidote, si les signes de l'empoisonnement ne disparaissent pas du premier coup.
Quand un enfant est en proie à des convulsions que les vermifuges ne dissipent
pas, portez votre attention sur un empoisonnement ; car il n’y a pas de convulsion
sans l’une ou l’autre de ces causes.
A1 EXPLICATION CHIMIQUE DES RAVAGES ANATOMIQUES PRODUITS PAR LES VAPEURS
DU PHOSPHORE, ET THÉORIE DE LA MÉDICATION.
4° Nos tissus ne s'organisent qu’en combinant l’eau avec le carbone et les sels;
ils tendent tous à s’ossifier, en se combinant avec les sels calcaires et spécialement
avec le phosphate de chaux; les os qui forment la charpente de notre corps ne
doivent leur solidité qu’à la quantité de phosphate et de carbonate calcaire dont
leurs cellules se sont incrustées. Avec l’âge tous les autres tissus tendent à s’os-
sifier ; de là vient que la vieillesse semble n'être plus qu’une vaste ossification.
Maïs le phosphate calcaire est dissous par l'acide phosphorique encore plus que
par tout autre acide; la dissolution en dépouille l'organe ossifié ; la région ainsi
dépouillée de la base de son organisation se détache comme frappée de mort des
régions adjacentes, elle se nécrose. La solution de continuité arrête les communi-
cations et prive la région isolée des bienfaits incessants de la circulation qui ali-
mente le développement des organes; cette région circonscrite par ces ravages
devient un corps étranger, un séquestre, un obstacle et un foyer de désorganisa-
tion, d'infection enfin. Dès ce moment les chairs s’engorgent, et prennent une
consistance osseuse, par suite de l'abondance du phosphate de chaux dissous par
l'acide phosphorique que la circulation charrie dans tous ces tissus; ce mélange
de chairs bourrées de tissus crétacés est sans fonction utile et presque sans
nom; c’est une métamorphose qui fait peine à voir. Les cartilages sont plus vite
désorganisés par cette action de l'acide phosphorique que la région osseuse; les
ligaments articulaires plus vite que les cartilages, parce que les ligaments ne sont
qu'un faible et premier degré, et les cartilages qu'un deuxième degré d’ossifica-
tion : de là vient que l'os se désarticule avant même d’être PRO GAREERS en-
tamé.
2° L'emploi de l'alcool camphré arrête la propagation de la circulation de
phosphate de chaux acide en obstruant les canaux circulatoires par la coagulation
du suc albumineux; l’action du camphre s'oppose à l’infection, en s’opposant à la
décomposition putride des tissus frappés de mort par leur isolement et leur dés-
organisation intime. Le camphre préserve les tissus sains; l'alcool isole peu à
peu, molécule à molécule, les tissus frappés de mort, comme le ferait un bistouri
microscopique capable de disséquer les infiniment petits. La loi du développement
qui agit du dedans au dehors, et pousse vers la périphérie tout ce qui a fait son
temps et s’est sacrifié aux développements intérieurs, cette loi achève l’œuvre de
la médication, en repoussant comme une écorce inutile, sous forme d’exfoliations
nacrées, tout ce que l'alcool a isolé des tissus vivants. L’os se détache sans
souffrance, parce qu'il s’isole sans déchirements; les joues désenflent, parce que
HISTORIQUE DES PLAQUES GALVANIQUES. 49
les parois buccales s’exfolient de jour en jour et se débarrassent ainsi de tout ee
qui n'est pas normal. Et comme la matrice de los n'a pas été frappée de mort.
elle répare ses pertes par un développement nouveau, qui offre en général les
mêmes formes et se prête aux mêmes usages, parce qu'il a été, si je puis m’ex-
primer ainsi, jeté au même moule.
Si le bistouri s’en était mêlé, il n'aurait fait que seconder l’œuvre de destruc-
tion de l'acide; il aurait tranché ce que celui-ci n'aurait pas encore dévoré; et
l'action des cataplasmes appliqués sur Ja plaie de cette double origine aurait fini
par couronner l'œuvre de mutilation à l’aide de la décomposition.
TS ———
PLAQUES ET APPAREILS GALVANIQUES.
SOMMAIRE. — Iistorique depuis le nouveau système. — Plagiats. — Modification. —
Historique avant le nouveau système ; préjugés faute de théorie. — Le Dr Joubert, régent
de la faculté de médecine de Montpellier, redresseur de préjugés et réformateur de l’or-
thographe française en 1580. (Nous donnerons sur Joubert une note le mois prochain.)
$ 47. HISTORIQUE DEPUIS LE NOUVEAU SYSTÈME ; ELAGIATS.
M'étant convaincu, par une assez longue pratique, de la multitude de maux
que la médication mereurielle laisse en gage à ceux qu’elle prétend avoir guéris,
et par conséquent de l'inutilité de la médication aromatique toute simple, contre
une foule de cas portant, au catalogue, le même nom nosographique que ceux
dont le nouveau système triomphe quelquefois en un instant, l’idée me vint
d'attaquer les maux suspects de cet héritage, et rebelles à mon traitement, par
la puissance d'un moyen physique qui éliminât le métal empoisonneur sans
passer par le canal intestinal déjà si affaibli en cette circonstance.
Dès 1847, je mettais à exécution cette idée à l’aide d’une pile galvanique ré-
duite à sa plus grande simplicité ; e’était un seul couple composé d’une feuille mince
de cuivre rouge, sur laquelle s’appliquait une plus large feuille de zine, avec de
l’eau salée interposée entre les deux feuilles (*).
Le succès le plus inattendu couronna cette innovation, dans tous les cas mala-
difs dont l’action mercurielle était la cause primitive. J’oserai même avancer que
le succès ne m'a pas paru être moindre, dans les cas où l'organisation était entra-
vée dans sa marche par le dépôt de tout autre métal, arsenic, cuivre, zine et même
fer hydraté.
Les plaies baveuses et phagédiniques, c'est-à-dire rongeantes, les bubons et
chancres, les ophthalmies hydrargyriques, les affections goutteuses et rhumatis-
males, la carie des os, ete., tout s'améliora sous l'influence de ces applications
jointes au premier traitement.
L'évidence des faits parla encore plus éloquemment que les reproches des ma-
lades aux médecins, à qui revenait de droit la responsabilité du mal que les pla-
ques soulageaient ou guérissaient. Que faire, en pareil cas, pour ne point s'écarter
de l'usage antique et solennel, en ce qui nous concerne ?
Se taire, laisser faire et laisser passer, ainsi que le veut la loi de la conspira-
tion du silence, expression académique et escobardique usitée depuis 1815, quoi-
qu'elle ne soit pas encore insérée dans le dictionnaire de l'Académie ? Mais se
(*) Voyez Revue élémentaire de médecine et de pharmacie, 2 livr., 15 juillet 4847, t. ler, pag. 69.
50 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
taire sur quelqu'un, c’est se condamner à ce qu'on se taise sur soi-même; le si-
lence ne plane que sur celui qui le garde; je vois chaque jour tous ces grands
silencieux, ces conspirateurs un doigt sur la bouche, ces harpocrates mortels
passer, sans que personne les ait aperçus dans leur ombre ;.et j'ai vu le monde
parler de ceux sur lesquels ces adeptes du fauteuil prenaient tant la peine de
se laire.
Mais au revers de cette méthode, ils en ont une autre; et au défaut de la pre-
mière, force est bien d’avoir recours à la seconde ; cette seconde, c’est l'expropria-
tion forcée au profit des amis et protégés à tour de rôle; c’est l'adage également
académique: Emparez-vous de ça ; qu'on ne s’effarouche pas du terme, je le copie
et ne l'invente pas; il est, du reste, vieux comme Moïse, quine fit aucune difficulté
de s'emparer des vases d’or des Égyptiens, adorateurs d’idoles, pour les faire
servir au culte du vrai Dieu : méthode, en fait d'idées à publier, dont les résultats
doivent faire excuser le mobile; le spoliateur du nom se fait propagateur de l’idée
utile; il n’y a de lésé en cela qu’un amour-propre déplacé.
Le premier qui s'est emparé des plaques galvaniques, ce fut feu le pieux doc-
teur Récamier, qui, dès 1851, les dissémina par molécules pulvérulentes, limaille
de cuivre et limaille de zine mélangées, dans un tissu ouaté, qu’on devait appli-
quer sur la peau, dans le cas de goutte, rhumatisme, migraine, etc.
Un pharmacien de la capitale s’empressa de faire de l’idée de Récamier une
branche de commerce, sous le nom de tissu électro-magnétique, approuvé par
l'Académie de médecine et journellement expérimenté dans les hôpitaux. Nous
voyez comme l'idée marche et force les portes des Facultés.
La veine était bonne; les exploitants n’y firent pas défaut. L’un annonça à son
de trompe nos CHAINES GALVANIQUES, patentées par Sa Majesté l'empereur d'Autriche,
approuvées par les gouvernements royaux de Prusse, de Saxe, de Danemarck de
Belgique, de Bavière, l'Académie de médecine de Vienne, et un grand nombre de
médecins jouissant d'une réputation européenne.
En même temps, un autre prenait un brevet d'invention pour des buses électro-
magnétiques. Un dernier, à l’aide d’un seul disque formé de cuivre et zinc, annon-
çait qu'on se guérirait infailliblement du choléra; le dire de celui-ci était à l’état
de prédiction et non d'application; et cependant ce fut lui qui obtint les hon-
neurs de la polémique ; enhardi par ce succès d’hypothèse, il a fini par fonder sur
ce simple disque une nouvelle branche d'exploitation médicale qu’il a nommée
métallothérapie, comme l'usage antique des bains d’eau froide a pris le nom d’Ay-
drothérapie; la pierre philosophale en médecine, c’est la nomenelature; deux mots
grecs associés ensemble transforment l’eau du ruisseau en eau de Jouvence, et
les métaux en or.
Mais malheureusement le choléra est venu se soumettre cette année à l’expé-
rience; et l'engouement à disparu bien vite devant le déplorable insuccès. L’an-
nonce de l’armature a déserté du coup la 4° page des journaux.
Un orthopédiste en liquidation a cru pouvoir relever son édifice parisien en
le transformant en institut médical électro-biologique et biodynamique. Compre-
nez-vous la différence des deux mots qui terminent l'annonce ? Faites-m’en part,
je vous prie.
J'allais oublier le citron voltaïque, ou pile végétale dans laquelle l’acide eitri-
que remplace l’eau salée. ;
A l'instant juste où je relis ces lignes, il me tombe sous la main une réclame
belge qui s'adresse à tous ceux qui tiennent une plume, mais qui la tiennent en
ANTIQUITÉ DES APPAREILS GALVANIQUES. 51
tremblotant : il s’agit d’un porte-plume électro-galvanique, qui guérit des mouve-
ments convulsifs dont le siége est au bout des doigts. L'auteur, dit-il, a présenté
son admirable découverte à l'Académie des sciences de Paris (ce qui ne signifie
pas que l'Académie l'ait honorée de sa haute sanction) ; le président à lu la lettre
de l'inventeur (comme il lit tout ce qu'on lui adresse, bon ou mauvais); et il l'a
renvoyée à une commission (ce qui équivaut en général à la boite aux oublies);
mais supprimez tout ce que nous avons écrit entre deux parenthèses, et le public
est amorcé ; le tour de la réclafne est fait; l'Académie a approuvé le tour sans
s’en douter. Les académies feraient bien de solliciter une loi faisant pendant à la
dernière sur les brevets d'invention, et en vertu de laquelle il füt ordonné à la
réclame qui se présente à l’Académie de ne paraitre dans les journaux qu'avec le
correctif suivant, en grosses lettres : SANS AUCUNE GARANTIE DE L'ACADÉMIE.
J'en passe sans doute d’autres et des meilleurs; je m'arrête aux annonces ri-
vales que j'ai vues figurer le plus souvent côte à côte à la quatrième page des
grands journaux depuis 1852, et qui toutes, selon l'usage, donnaient leurs appa-
reils comme des remèdes à tous maux, n’osant pas encore en limiter les effets aux
maladies mercurielles, ce dont la code, si riche en préparations de mercure, au-
rait bien pu se trouver blessé. Car la médecine a, pour combattre certaines mala-
dies, des remèdes qui causent d’autres maladies, dont il faut combattre les effets
par de nouveaux remèdes; elle ne guérit pas d’un mal, elle lui en substitue un
autre; ce qu'il serait très-maladroit de révéler.
$ 2. HISTORIQUE AVANT LE NOUVEAU SYSTÈME,
Nous venons de parler de la pile que l’on emploie aujourd’hui en sachant pour-
quoi; sans le dire; mais il ne sera pas sans intérêt de faire connaitre que, de temps
immémorial, on l’a employée sans le savoir, le but en ayant disparu plus tard
sous les enjolivements de la mode.
Car, d'abord, il faut bien se persuader que la mode a toujours débuté par une
utilité, et qu'elle n’est devenue caprice qu'en se détournant de son objet pririi-
tif. Le besoin invente, le caprice imite, et souvent Ja flatterie fait une mode d’une
grande incommodité; la migraine deviendrait de mode, si les riches seuls en
paraissaient affectés.
A la suite de cette réflexion, il s’en présente nécessairement une autre : c’est
qu'il n'est pas dans le monde une seule substance qui n'ait eu une certaine vogue
dans l’art de soulager les maux de l'humanité, Le hasard l'ayant un jour mise en
présence d’un mal dont elle était l’antidote, parce qu’elle en paralysait la cause
cachée, et comme toutes les maladies ont cela de commun qu’elles font souffrir, on
pensa que le remède qui avait dissipé une souffrance était en état de les dissiper
toutes; et la substance employée avec un succès merveilleux une fois parut
dès lors un remède à tous maux, une vraie panacée. Plus tard, les désappointe-
ments survinrent dans les cas dont la cause n’était plus de la compétence de ce
remède; son emploi fut mis dès lors au rang des préjugés, et l’on attribua à
l'action du hasard les guérisons qu'il lui était arrivé de produire.
Enfin, lorsque tôt ou tard on parvient, par des déductions scientifiques, à déter-
miner d'abord la cause du mal et par conséquent à trouver un moyen de la tuer
ou de l’éteindre, on semble n'avoir rien inventé du tout, vu qu'on ne saurait rien
employer en connaissance de cause, qui n'ait été employé aveuglément, dans les
temps modernes, ou anciens.
Pour nous borner à la question des piles gavaniques appliquées en thérapou-
52 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tique, il n'est pas d'antiquité si reculée où l’on ne retrouve en vogue la mode
des bracelets, des colliers, des pendants d'oreilles et même des pendants de nez,
en or, argent et même cuivre jaune; la Bible , Homère, l’histoire de la Chine
et les souvenirs traditionnels des sauvages en font foi. Mais ces ornements mas-
sifs sont trop incommodes pour qu'ils n'aient pas commencé à être employés
comme des objets utiles ou de première nécessité. Ils ont été souvent même
considérés comme sacrés et portés en amulettes , tant on les vénérait comme pré-
servatifs des maux qui menacent l'humanité.
Les amulettes n'étaient dans le principe que des remèdes dont la puissance,
occulte comme la cause du mal, inspire la vénération qui se rattache à Ja bien-
faisance qui se cache. Les bulles métalliques qu’on attachait, chez les Romains, au
cou des enfants qui passaient à l’adolescence ne devinrent une décoration que lors-
qu'on s'imagina de les fabriquer en or; mais ces bulles sont à nos yeux un dimi-
nutif des colliers ou chaines galvaniques ; le catholicisme les transforma plus tard
en croix d'or que l'on portait sur la peau, ainsi qu’on les porte encore dans les
montagnes où le goitre est endémique, à cause de la qualité mercurielle des
eaux potables ; ces amulettes sont capables de soutirer le principe métallique
qui déterminerait le goitre en se déposant dans la glande thymus, si volumi-
neuse dans le jeune âge.
La mode et la dévotion n’ont vu plus tard qu'un bijou et un symbole dans
cette croix galvanique, et on s’est peu inquiété de la laisser appliquée sur la
peau; on en à ainsi annulé les bons effets, en voulant trop la mettre en évidence,
comme ornement de toilette.
Je n’ai jamais, moi, révoqué en doute l'efficacité des boucles d'oreilles et
même, chez les sauvages, des boucles du nez, en certains cas qu'il est facile de
déterminer aujourd’hui, depuis la théorie que nous avons publiée de l'action
hygiénique des piles galvaniques. Toute constitution hydrargyrique, scrofu-
leuse, infectée enfin, soit héréditairement, soit médicalement, soit industrielle-
ment, de mercure, toute constitution semblable en retirera des effets puissants,
et quelquefois même si puissants, que le lobe de l'oreille en sera décomposé
comme par un caustique, ce que j'ai vu chez une jeune personne fort sage, mais
dont toute la famille était dévorée de dartres; la simple action d’un petit couple
galvanique lui avait déjà fait une large échancrure au lobe inférieur de l'oreille;
une boucle d'oreille aurait fini par lui dévorer jusqu'aux cartilages voisins. Ce
cas, je le répète, est infiniment rare, parce qu'il est rare de rencontrer une fa-
mille que les aïeux aient ainsi pétrie, pour ainsi dire, avec cette quantité de virus
merecuriel; mais, par l'exagération exceptionnelle des effets des boucles galvani-
ques en ce cas, on peut évaluer l'utilité de cet appareil dans le plus grand
nombre des autres. On concevra, de la sorte, qu’un simple anneau d’or passé au
travers du lobe inférieur de l’oreille, a pu, en soutirant le mercure, faire dispa-
raître ou diminuer les maux de dents, les ophthalmies, les inflammations des
paupières et les migraines, etc.
De même, les anneaux d'acier aimanté ont pu soulager des douleurs goutteu-
ses fixées au doigt, quand la cause de ces douleurs résidait dans la présence d’un
précipité du fer du sang, ou dans l'introduction fortuite de quelque limaille de
fer; contre de pareilles causes, si je venais à les soupçonner, je n’emploierais pas
d'autre remède.
Car, qu'une paillette de fer s'échappe par le choc du marteau jusque sous la
paupière du forgeron; pour le guérir de ce mal cuisant, rien ne sera plus prompt
MODES GALVANIQUES. 53
que l'emploi d’un aimant qu'on approchera du siége du mal; on dissipera la souf-
france en amenant au dehors par le mécanisme de l'attraction magnétique le corps
grossier qui la cause.
On conçoit qu'il serait absurde de prétendre guérir par le même procédé tous
les maux d'yeux d’une tout autre origine; on concevra de même aujourd'hui
qu'il n’est pas moins absurde de préconiser contre une foule de maux, sans en
préciser l’origine, les plaques, chaines, tissus, ete., qui, depuis nos révélations et
notre publication de 1847, encombrent la 4° page des journaux politiques; car
les nombreux insuceès qu’on en obtiendrait finiraient plus tard par en reléguer
la puissance curative au rang des fables.
Je viens de faire comprendre que l’action des appareils galvaniques et soustrac-
tifs des métaux désorganisateurs a pu se cacher sous l'emploi de simples orne-
ments ou d'amulettes sacrés.
Mais je trouve même, dans les vieux auteurs, que ces chaines de toilette ont
été considérées comme ayant une vertu curative par ceux que les doctes appe-
laient bonnes gens.
C’est ainsi qu’un médecin, chancelier de l’université de Montpellier, écrivain
qui, par l'originalité de ses idées et la hardiesse de sa diction, peut tenir sa place
entre Rabelais et Guy Patin, le docteur Joubert, qui vivait sous les trois Henri,
met au rang des préjugés populaires le remède suivant :
« Contre la goute grampe. Faut porter, toute la nuit aux piès, contre les
» chevilhes, un jazerant, comme des bracelets, fait de léton vierge (*). »
Le jazerant, qu'on connaît aujourd’hui sous le nom de jaseron, est une chaine
faite de fils de cuivre doré, de laiton, d'or ou d'argent, tressés en une espèce de
cordonnet.
Nous l'avons déjà fait observer, il est des modes adoptées de temps immémo-
rial dans une nation circonserite, et qui ne nous paraissent bizarres ou ridicules
que parce que nous en ignorons la raison, et que de cette raison la tradition lo-
cale à fini par perdre les traces.
C’est ainsi que dans la Frise, province septentrionale dela Hollande, il n’est pas
une femme qui ne porte, en dessous de sa coiffure, une espèce de calotte métalli-
que en or, argent ou cuivre, selon le rang et la fortune. Cette calotte descend sur
les oreilles, comme le font les bandeaux bouffants de la chevelure de nos dames;
et elle tient lieu de cette partie de la chevelure. Évidemment, cette coiffure métal-
iique répond à un besoin hygiénique, et je suis porté à croire que les femmes de
re pays éprouveraient de violents maux de tête, et que leur cuir chevelu se cou-
vrirait de dartres, si elles consentaient, dans leur propre patrie, à se coiffer à la
parisienne. Leur calotte n’est autre chose qu'une plaque galvanique, d'autant
plus puissante qu’elles l’ornent de plus de diverses montures de diamants et de
breloques de divers métaux, ainsi que le pratiquent les plus riches. Or, dans la
Frise et le Hanovre, ainsi que dans tous ces pays plats et éloignés des grandes
chaines de montagnes, l’eau dont la terre est constamment imprégnée dépose et
ne lave pas; le mercure et les autres bases y restent incrustés pendant des siècles.
L'instinct des peuples en a combattu les effets morbides avec efficacité, avantque
la science eût révélé la cause du mal; et la mode n’a fait plus tard qu'ornementer
(*) Seconde partie des erreurs populaires et propos vulgaires louchant la médecine et le régime de
santé, réfutés ou expliqués, per M. Laur.Jouserr, conseiller et médecin ordinaire du Roy et du Roy de
Navarre, premier docteur regeant, chancelier et juge de l’université en médecine de Montpellier, etc,,
2: edition. Paris, 1580, p. 216. Nous renverrons la note sur Joubert à la livraison prochaine.
54 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
l'hygiène, en transformant en une parure un préservatif. L'analyse chimique ne
laisse plus de doute sur l'existence du mercure dans les polders de la Frise et
du Hanovre.
a
MODIFICATION APPORTÉE AUX PLAQUES GALVANIQUES.
Les plaques galvaniques, telles qu’elles sortent de la filière, égratignent et font
même des entailles par leurs bords et par leurs angles. Ces petites plaies sont ve-
nimeuses, par le cuivre tout autant que par le zinc; il n’est pas rare de les voir
suivies de l’enilure des régions ambiantes : c’est ce qui fait que je recommande
avec tant de soin d'en sertir les bords avant de les employer, précaution que
certains malades se dispensent de prendre,
Je viens d'en faire construire dont la forme ovale et les bords sertis avec soin
mettent à l’abri de ces mconvénients.
Entre la plaque de cuivre et zinc se trouve une mousseline interposée que l’on
imbibe d’eau salée, ce qui augmente l’action galvanique. La plaque de zine
se détache à volonté, au moyen d’une coulisse, de la plaque de cuivre, pour pou-
voir s'appliquer par une de ses moitiés sur la peau.
On peut, en certaines circonstances, placer le côté zinc en dessous, ce qui
donne à l'appareil une énergie assez forte pour qu’on doive abréger la durée de
l'application.
J'ai fait construire également des petites tigelles galvaniques, capables d'entrer
sans érosion dans les fistules les plus étroites, et de se ployer selon les contours
des cavités dans lesquelles on doit les faire pénétrer.
Si, malgré toutes ces précautions, on venait à se faire des égratignures enveni-
mées, on se hâterait de recouvrir l’entaille d'une compresse imbibée d’alcoul cam-
phré, et les régions voisines, en cas de tuméfaction, d’une compresse imbibée
d’eau sédative; on arrêterait ainsi tout court les progrès de la contagion.
' CHOLÉRA.
Je ne puis m'expliquer la mortalité du choléra que par l’insouciance des mala-
des qui auraient pu s’en préserver, et des garde-malades qui auraient parfaite-
ment pu les guérir, en suivant à la lettre les prescriptions du Manuel, et la petite
addition du 1° numéro de cette Revue, pag. 39. La médecine fait tous les jours un
pas vers le nouveau système; à ce train-là elle guérira du choléra dans 30 à 40 ans.
Ainsi, par exemple, chacun de nos lecteurs a pu s'assurer que, par économie, nous
remplaçons la pommade camphrée par la pommade à la térébenthine; que nous
réservons la térébenthine, qui coûte moins cher, pour soigner les chevaux, et la
pommade camphrée, qui a une odeur moins forte, pour nos semblables. Savez-
vous ce que fait un médecin sur ces entrefaites ? 11 découvre, à lui tout seul, qu’on
guérit le choléra de l'homme par les frictions à la térébenthine des chevaux, mais
dela térébenthine employée par sa méthode, sans doute celle de la rue Rambuteau (‘),
et en forme de passes mesmériques. Le sujet est trop triste pour qu'on ait la force
d'en rire, de rire et de l'inventeur ct du Journal médical qui insère une pareille
ruse du métier. Frictionnez-vous au camphre ou à la térébenthine, nous vous en
avons laissé le choix; mais ne vous arrêtez pas là, je vous en conjure, et com-.
battez le mal, à l’intérieur et à l'extérieur, jusqu’à disparition des symptômes, par
() Voyez Manuel pour 1854, avertissement, p, VI,
CHOLÉRA. 55
le traitement complet que nous vous avons indiqué et dont le succès a été toujours
infaillible. Voilà pour la découverte de la térébenthine administrée en friction
sous les yeux du docteur.
En voici un autre qui ne vise pas à l'économie, car il ne voit de salut que dans
l'emploi du sulfate de quinine, qui coûte fort cher, avec glace dans la bouche
pour arrêter les vomissements occasionnés par la quinine, et, dans les cas graves,
45 à 20 sangsues sur la base de Ja poitrine. Nous nous garderons bien de prêter
les mains à cette médication trop vieille de 25 ans. Mais, pour prémunir le lec-
teur contre l'emploi d’un pareil moyen, nous le prions de lire attentivement l'ar-
ticle qui va suivre. La note que les journaux ont publiée de cette recette est
d'autant plus dangereuse que les indications, quant aux doses, sont laissées à la
libre interprétation de chacun. Que signifie, par exemple, 0,01 et 0,045 de sulfate
de quinine par 60 grammes de véhicule aqueux à prendre en quatre fois
d'heure en heure par jour? Qu'on ait le malheur de croire que le premier 0 rem-
place kilog., et dès lors la décimale signifierait dix grammes, et quinze grammes,
ce qui seraitune dose épouvantable ; on ne joue pas ainsi avec des chiffres, quand
il s’agit de l'emploi d'un poison que chacun est invité à s’administrer par soi-
même.
Enfin, un journal d'Aix du 13 août, plus poli envers le malade que le docteur
à la térébenthine, et moins hasardeux que le docteur à la strychnine, mais tout
aussi hostile à tout ce qui pourrait rappeler le nouveau système, recommande
comme remède contre le choléra, remède éprouvé dans l'hôpital du lieu par
une sœur hospitalière, le mélange de deux cueillers d’eau-de-vie ou de rhum,
avec six cueillers d'une décoction très-chaude de camomille et de menthe poi-
vrée; ce sont là deux des succédanés que nous avions donnés au camphre, pour
les esprits timorés ; puis, si cela ne suffit pas, une noisette de thériaque (autre
succédané très-composé et fort cher du camphre).
Vous le voyez, la faculté arrive, mais au tout petit pas, vers le nouveau sys-
tème ; elle y arrive un peu par le véhicule de la contrefaçon partielle; mais il
feut lui savoir gré de ces faibles efforts; elle est sur la pente, c’est beaucoup ; la
pente l’entrainera vers le reste.
ABUS MORTELS DU SULFATE DE QUININE (;, THÉORIE DE SON
up ACTION.
L'engouement pour le sulfate de quinine ne s’est pas encore dissipé, dans l’es-
prit des médecins de la fournée de 1824, époque à laquelle une théorie académi-
que fit préférer au quinquina cette combinaison d’un des éléments fort affaiblis
de cette écorce, et où une récompense de dix mille francs fut, pour deux fabri-
cants privilégiés, le germe d’une fortune millionnaire, au grand détriment de la
santé des malades des hôpitaux. Là, le pauvre malade, qui n'aurait jamais pu ob-
tenir de l'administration une orange de 15 centimes, se voyait, au moindre sym-
ptôme, gorgé de six francs de sulfate de quinine fourni par l'adjudication.
Comme le sulfate de quinine ne coupe pas toujours la fièvre, même au bout de
quelques jours de médication, on y joignait la saignée, puis les sinapismes, puis
les moxas, puis les vésicatoires d'une dimension gigantesque, et constamment la
diète, assaisonnée d’une dose toujours croissante de sulfate de quinine. Avec quoi
(*) La quinine est une base ammoniaco-résineuse, que l'on extrait de l'écorce de quinquina ; et le
sulfate de quinine est la combinaison de l'acide sulfurique avec cette base.
d6 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
voulait-on que le patient se rattachât à la vie, qui n’est en définitive que le pro-
duit de l'alimentation ?
L'eût-on alimenté comme, depuis la publication du nouveau système, on ose
un peu le faire, il aurait duré quelques jours de plus, et l’'empoisonnement eût
été tant soit peu moins actif.
Car l'emploi du sulfate de quinine n’est rien moins, en définitive, qu’un empoi-
sonnement caustique par l'acide sulfurique.
En effet, la base prétendue, dénommée quinine (mélange d'ammoniaque et
d'une huile essentielle ou d’une résine), est, ainsi que le quinquina dont elle est
extraite, éminemment décomposable par le travail stomacal de la digestion; vous
pe retrouverez jamais les caractères de cette base dans les fèces d’un malade
qu'on aura gorgé de quinine ou de quinquina ; au bout de douze heures, vous ne
les retrouverez pas davantage dans l'estomac d’un animal soumis à cette expé-
rience.
Mais l’action de la digestion est incapable de décomposer l’acide sulfurique, et
en fût-elle capable, la nouvelle forme de l'acide ainsi décomposé serait peut-être
pire que la première; tout au plus, les sels du bol alimentaire sont-ils en état de
saturer l'acide sulfurique, sans le remplacer par un autre acide tout aussi corro-
sif que lui. À quoi se réduirait, du reste, cette éventualité digestive, si le malade
voué, par ordonnance médicale, à la diète, est condamné à se passer du secours
de la digestion ?
Ainsi, en décomposant la base qui sature l’acide et en neutralise l’action, la di-
gestion élimine l'acide, avec toute sa propriété corrosive, qui doit se reporter sur
tout ce qu'il rencontre, et, quandelle ne rencontre rien autre, nécessairement sur les
parois stomacales ; mais l’acide sulfurique, mis en contact avec un tissu animal
ou végétal, le décompose, en s’emparant des bases qui concourent à son organi-
sation vitale; il en fait une bouillie informe de proche en proche; or, ce qui a
lieu dans nos cucurbites ne doit pas cesser de se reproduire, par cela seul que la
cucurbite est l'estomac; bien s’en faut.
En conséquence, l'empoisonnement, par l’acide sulfurique éliminé du sulfate de
quinine, s’opérera d'autant plus rapidement que la diète sera plus sévère, que la
dose du sulfate sera plus forte et plus souvent répétée, et que le malade sera
plus exténué.
I y a plus de dix ans qu’un train spécial du chemin de fer vint me prendre à
Paris, pour m'emmener dans l’une des principales villes de France, à l'effet de
donner mes soins à la jeune fille du chirurgien en chef de l’hospice; un an
auparavant, j'avais été admis à leur table et j'avais entrevu cette jeune personne;
elle était douée d’une belle santé. Quelque temps après, elle avait été mariée à
un jeune homme presque de son âge; et le père, étant tombé malade après le ma-
riage, par suite de quelque congestion cérébrale, était mort au bout d’une fort
courte maladie.
Lorsqu'on m'appela auprès de la jeune mariée, elle était alitée par suite de
couches qui avaient été heureuses; la fièvre de lait l'avait seule retenue au lit; le
mal avait empiré; on la confia aux soins du médecin ami de la maison, qui avait
soigné le père un an auparavant; celui-ci, croyant reconnaître à la maladie de la
jeune accouchée les mêmes caractères qu’à celle qui avait conduit sonillustre père
au tombeau, eut recours à la même médication par le sulfate de quinine, et mal-
heureusement il ne l'épargna pas plus dans ce cas que dans l’autre.
Je trouvai cette jeune mère dans un état alarmant, et qui me parut désespéré ;
ABUS MORTELS DU SULFATE DE QUININE. 57
elle était couchée sur le dos, les bras flasques et étendus le long du corps; ou-
vrant sans but des yeux déjà voilés, articulant des mots sans suite, et ne répon-
dant plus aux caresses que lui prodiguait son époux. L'action de l’eau sédative,
en compresses et en cataplasmes, lui ramena un instant la connaissance et le sou-
venir; elle se rappela m'avoir vu à la table de son père; je profitai de cet instant
pour lui faire avaler un verre de je ne sais plus quelle tisane ; elle m'en revomit
aussitôt la valeur de deux, d'un aspect verdâtre mais limpide. Je répétai cet
essai deux ou trois fois avec le même triste résultat; et je restai convaincu que
les parois stomacales, décomposées par l'acide sulfurique, ne faisaient plus l'office
que d'un vase inerte. Je bornai là mes soins, malgré la lueur d'espérance que la
première action de l'eau sédative avait fait naître dans l'esprit de toute cette fa-
mille en pleurs. Je ne voulais pas être témoin d’un accident inévitable que rien
ne pouvait plus conjurer; depuis que je me suis mis à soigner les malades, lors-
que mes soins ne soulagent pas, alors même que je suis convaincu que rien au
monde ne saurait plus soulager, je me reproche l’insuccès comme une faute, et
j'en passe de fort mauvaises nuits.
« Grand Dieu! s’écriait la famille, elle se meurt de la même maladie que son
père ! » — Certes non, me disais-je en moi-même, mais de la même médication
qui a privé les malades d’un chirurgien habile et honnête homme, et qui prive
maintenant un jeune homme plein de cœur d'une épouse accomplie, mère d'un
fort et bel enfant.
Dernièrement, dans l’une des grandes administrations européennes, où les
employés supérieurs, pleins de bienveillance pour moi, étaient venus causer de
mon système pendant qu'on faisait droit à mes réclamations, l’un d’entre eux
me décrivait les symptômes alarmants survenus à l’une de ses sœurs à la suite de
couches. — Certainement, lui dis-je, on a gorgé la pauvre malade de sulfate de
quinine. — Précisément, me répondit-il, on lui en a donné jour par jour; mais
comment l’avez-vous deviné ? — Aux caractères de ses vomissements, lui répon-
dis-je.
Et, en effet, tous les symptômes de cette infortunée et jeune accouchée étaient
les mêmes que ceux que j'ai décrits plus haut.
Deux jours après, la malade rendait le dernier soupir.
Quand, un jour, la médecine future, par un regard rétrospectif, comparera
los résultats obtenus au moyen de l'usage interne du sulfate de quinine avec ceux
qu'obtient en si peu de temps et d’une manière si assurée l'emploi de l’eau séda-
tive à l'extérieur, elle ne manquera pas, je le pense, de maudire toutes les tracas-
series dont la médecine actuelle n’a cessé de poursuivre la propagation du nou-
veau système depuis plus de quinze ans.
CHAPITRE IT. — MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE.
HYGROMÉTRIE.
SOMMAIRE. — Étymologie, définition, principes fondamentaux de cette branche de la phy-
sique. — Historique de l’hygrométrie. — Instruments divers : 1° Æygromètres à absorp-
tion, de Lambert, Saussure, ete.— Explication physiologique de leurs anomalies. — Appli-
5
58 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
cation de ces principes. — 2 Hygromètres à condensation, de l’académie del cimento, de
Fontana et des modernes. — Leurs inconvénients et inexactitudes. — Conclusions. —
3° Projet de deux nouveaux hygromètres, l’un à stipa et l’autre à éponge et à balance.
L'averomèrre (*) est un instrument destiné à marquer les divers degrés d'hu-
midité de l'air; à mesurer, pour ainsi dire, à l’œil, les quantités d’eau que l'air
atmosphérique tient en dissolution. L'uyerométRtE est cette branche des études
physiques qui traite de la construction et de la théorie de cet instrument, et de
l'interprétation ou évaluation des indications comparatives qu’il donne.
$ 4. PRINCIPES DE PHYSIQUE.
40 L'air dissout l’eau, comme l’eau dissout l'air; c’est cette quantité d’eau
tenue en dissolution dans l’air que l’hygromètre est destiné à indiquer. Nous ne
nous occupons pas ici des vapeurs d’eau que l'air tient en suspension, sous forme
de brouillards, et qui se précipitent en bruine et en rosée, ou qui montent en
nuages, quoique cette nouvelle quantité impressionne grandement l'instrument;
cette question se rattache à un autre genre de théorie.
L'eau dissoute dans j’air n’en trouble nullement la transparence; et c’est cet
état qui constitue réellement l'Aumidité de l'air, l'humidité atmosphérique.
29 Cette quantité d’eau dissoute dans l'air obéit aux mêmes lois d'équilibre
que les fluides et les liquides; elle tend à se répandre uniformément dans les
régions ambiantes, et par conséquent dans les corps qui n’en sont pas encore im-
prégnés. Ainsi, si l’on passe d’un air chaud et sec dans une atmosphère humide,
on ne tarde pas à sentir ses vêtements mouillés, c’est-à-dire imprégnés de l’hu-
midité qu’ils ont absorbée et soutirée à l'air qui en est surchargé ; et on sent qu'ils
s’en humectent proportionnellement au temps que l’on reste dans ces régions
humides.
3° L'air atmosphérique peut dissoudre l’eau pure, se charger d'humidité, se
combiner enfin avec l’eau, d’une manière indéfinie. Seulement, quand dans ce mé-
lange la quantité d’eau commence à dépasser la quantité d'air, e’est, pour ainsi
dire, alors l’eau qui dissout l'air, qui l’entraine par sa pesanteur, en passant de
l'état de vapeur, selon le langage des écoles, à l’état liquide; et elle tombe sur la
surface du sol sous forme de brouillard, de pluie, de grésil ou de neige.
4 Les corps solides absorbent l'humidité d'autant plus vite et en quantité
d'autant plus grande qu'ils sont plus poreux. Mais les corps organisés ont en
outre la propriété, quand ils sont secs, de reprendre peu à peu leur volume pri-
witif en s’imbibant progressivement de l'humidité de l'air. Les fils et les tiges
se raccourcissent en se tordant par la sécheresse, et s’allongent en se déroulant
par l'humidité; les membranes se crispent et se ratatinent par la sécheresse,
s'étendent et se ramollissent par l'humidité. Car l'organisation, produit de la com-
binaison vésieulaire de l’eau, de l'air et des bases salifiables, ne perd jamais son
avidité pour l’eau dont la sécheresse et la mort l'ont dépouilléé; en s’imbibant de
nouveau, elle semble reprendre en quelque sorte la vie. On connaît même des
plantes, les mousses, par exemple, et les lichens, qui, après la plus longue dessie-
cation dans les feuilles d’un herbier, reprennent instantanément leur verdeur, se
redressent et végètent de nouveau, dès qu’on les humecte d’un peu d’eau ou qu'on
les expose à l'air humide; les mousses étalent dès ce moment leurs feuilles avec
la régularité de leur disposition habituelle; celles qui sont attachées en parasites
(*) Du grec hygros, humide, et melron, mesure.
HISTORIQUE DE L'HYGROMÉTRIE. 59
aux troncs d'arbres ou à la surface des pierres paraissent brûlées et torréfiées par
la chaleur des jours caniculaires; que la moindre goutte de pluie les atteigne, et
elles ressuscitent avec toute la fraicheur de la végttation la mieux alimentée. Le
nostoc, espèce de champignon qui ressemble à un grumeau de gélatine noire, et
qui pousse sur Îles pelouses, se réduit à un si petit volume par la sécheresse qu'il
serait difficile, sous cette forme, d'en découvrir la trace sur le sol; à la première
pluie, ‘il se gonfle comme une éponge, reprend son volume primitif et semble
alors avoir poussé, en si peu de temps, tout d’une pièce.
$ 2. HISTORIQUE DE L'HYGROMÈTRE FONDÉ SUR CES PROPRIÉTÉS DES CORPS
ORGANISÉS.
Le vulgaire, avait fort bien remarqué ces propriétés des corps organisés, et s’en
était même servi pour constater l'humidité de l’air et aussi pour prédire la pluie,
bien avant que les physiciens eussent songé à les utiliser dans la construction
d'instruments de précision.
Le géomètre Lambert est le premier qui ait tenté de faire, de l'étude de ces
propriétés organiques, une branche des connaissances positives, et c’est de lui
que nous vient le nom d'hygrométrie, qui a été généralement adopté pour dési-
gner l’art de mesurer, sur un cadran, les degrés de l'humidité de l'air atmosphé-
rique (Mém. dé l'Académie de Berlin, 1769); il se servait de cordes à boyau
pour la construction de son instrument. La physique amusante s’empara de cette
idée pour transformer l'instrument en joujou: et il n’y a pas longtemps encore
qu'on remarquait, dans le réduit des rentiers retirés des affaires, des petits chà-
teaux de carton à deux portes, dont l’une laissait sortir un personnage armé d'un
parapluie, quand l’autre laissait entrer un personnage endimanché, et vice-versû;
ce qui avait pour but de prédire la pluie et le beau temps, mais ce qui en réalité
n'avait d'autre usage que de marquer au lieu de prédire; car il pleuvait déjà de-
puis longtemps, quand le monsieur à parapluie se présentait. Or, tout le mystère
de ce va-et-vient tenait à une simple corde de violon qui s’enroulait autour du
pivot des deux personnages.
Les botanistes se servaient à ce sujet d’un hygromètre construit par la nature,
de la longue arête du stipa pennata, dont la moitié inférieure, se tordant par la
sécheresse et se détordant par l'humidité, fait faire dans les deux sens le tour du
cadran à sa moitié supérieure qui est plumeuse.
Bien avant 1775, Saussure (Horace-Bénédict), ce grand observateur des phé-
nomènes météorologiques, avait cherché à obtenir des indications rigoureuses et
comparables d'un instrument qui, malgré tous les calculs de Lambert, était sujet
à tant d'anomalies et d'irrégularités; et, après avoir remplacé sans succès la
corde à violon de Lambert par une foule d’autres corps hygrométriques, il avait
fini par adopter le cheveu. Mais ce ne fut qu'en 1780 que, rendu aux tra-
vaux de cabinet, il soumit son instrument à des expériences rigoureuses, dont il
consigna les résultats dans un traité spécial, qui parut in-4°, en 1785, sous le titre
d'Essais sur l'hygrométrie. C'est l'hygromètre qu'on désigne également sous les
noms d'hygromètre à cheveu où hygromètre de Saussure, le seul qui soit resté
à la science.
* Ces essais furent critiqués par Delue, Chiminello et le père Jean-Baptiste,
qui étaient, de leur côté, auteurs chacun d’un hygromètre construit d'une diffé-
vente façon. Deluc remplaçait le cheveu par les copeaux de baleine, et le père
capucin Jean-Baptiste par un ruban de baudreuche; quant à Chiminello, il em-
60 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ployait le tuyau d’une plume rempli de mercure, lequel montait dans un tube
thermométrique dont le tuyau de plume était la-boule, quand le tuyau se con-
tractait par la sécheresse, et descendait quand il se dilatait par l'humidité. Mais
comme ces trois critiques ne prirent pas la peine de donner la formule de la pré-
paration du levier hygrométrique auquel ils donnaient la préférence, et que, dès
lors, leur instrument n’était pas comparable, mais sujet à une foule de variations;
que, du reste, ils n'avaient pas soumis leurs appareils à des contre-épreuves ri-
goureuses, à l'effet de fixer les points extrêmes de l'humidité et de la sécheresse,
il ne fut pas difficile à Saussure de réduire au silence ses trois contradicteurs et
de reléguer leurs instruments dans le nombre des mille tentatives de ce genre
dont la science n’avait nullement à s'occuper.
Dans l’hygromètre de Saussure, le cheveu remplace la corde à violon de Lam-
bert; par un bout il s'attache à un point fixe, par l’autre à la gorge d'une poulie
qui fait mouvoir une aiguille sur un cadran ou une portion de cadran. Un con-
tre-poids de trois grains (15 centigrammes), pendant au bout d'un fil de soie qui
s’enroule dans une des deux gorges de la poulie en sens contraire du cheveu, fait
remonter l'aiguille, quand le cheveu se relâche par l'humidité; la force de con-
traction du cheveu occasionnée par la sécheresse, surmonte celle du contre-poids
pour faire descendre l'aiguille. |
Cet instrument n’a jamais paru parfait, et son exactitude a été souvent contes-
tée; mais Saussure avait tellement pris soin d'évaluer ses anomalies par des ex-
périences répétées avec attention, qu'à force de l'employer, faute d'autres, on a
fini par le consulter comme on consulte le thermomètre et par prêter un certain
degré de confiance à ses indications comparatives sur l’état hygrométrique de
l'air.
La préparation des cheveux destinés à la confection des hygromètres consiste
à les faire bouillir, par échevaux de la grosseur d’une plume à écrire, cousus dans
une longueur de toile fine, à les faire bouillir, dis-je, pendant 25 à 30 minutes,
dans une dissolution de carbonate de soude cristallisé (un centième de ce sel dans
l’eau pure).
L'instrument une fois construit, Saussure déterminait le point d'humidité ex-
trême que devaitatteindre l'aiguille, en laissant l'instrument plongé sous une clo-
che de verre, dans un air saturé d'humidité au moyen d’une nappe d'eau que
contenait l'assiette sur laquelle reposait la cloche. II déterminait le point extrême
de la sécheresse, en tenant l'instrument plongé sous une cloche ou dessus du
mercure, dans une atmosphère en contact avec la potasse caustique. IL divisait
ensuite en 100 degrés la distance de ces deux points extrêmes.
La monture doit être en métal, pour éviter que les contractions et les dilata-
tions du bois ne faussent les indications spéciales du cheveu hygrométrique.
Mais un observateur aussi patient et consciencieux que l'était Saussure ne
pouvait manquer de découvrir à son instrument, outre les difficultés inhérentes
à son exécution, des anomalies et même des contradictions, dont il a cherché avec
plus dé patience ingénieuse que de succès réel à se rendre compte. Ainsi, son
hygromètre exposé à la vapeur d'alcool, d'essence de térébenthine ou d’éther,
marchait vers | humidité, comme s’il eût été exposé aux vapeurs a1queuses.
L'hygromètre, si le temps passe subitement du sec à l'humide, rétrograde
quelquefois vers la sécheresse, pour ne revenir qu’un peu plus tard vers le côté
qui marque l'humidité extrême. De même, si le temps humide prolongé passe
tout à coup au beau, l'aiguille continue souvent à marcher vers le point de l'hu-
L
PHYSIOLOGIE APPLIQUÉE A L'HYGROMÉTRIE. G1
midité extrème, pour ne retourner que très-tard vers le côté opposé qui marque
la sécheresse. Enfin, quand l'aiguille est parvenue au point extrême de l'humi-
dité, si le temps pluvieux ou le brouillard se prolonge, on voit l'aiguille dépas-
ser cette limite et quelquefois de dix degrés. Pour réparer ce dernier inconvé-
nient, Saussure attache l'extrémité du cheveu à un pas de vis, au moyen duquel
on peut toujours ramener l'aiguille au point de l'humidité extrême; mais j'ai vu
souvent le même écart se reproduire à chaque nouveau brouillard , ce qui exige
tout autant de réparations nouvelles.
On comprend, quoique Saussure soutienne que, l'aiguille ayant été ainsi ra-
menée à 100°, l'instrument marche dès lors avec sa régularité habituelle, on
comprend, dis-je, que le physicien ne peut se défendre de voir dans ce phéno-
mène quelque chose d’irrégulier que l’on corrige par quelque chose d’arbitraire
et comme par un coup de pouce, C’est ce qui a fait que les météorologues mo-
dernes ont donné la préférence à un autre instrument fondé sur un autre prin-
cipe, et dont la première idée remonte jusqu'au temps de l'Académie del cimento
de Florence, ce berceau de la révolution qui s'opéra dès le commencement du
dix-septième siècle, dans l’étude des phénomènes de la nature. Nous nous occu-
perons plus bas de ce nouvel ordre d'appareils, après avoir puisé dans la physio-
logie la théorie de la marche et des anomalies de l'instrument de physique dont
nous venons de parler.
$ 3. PRINCIPES DE FHYSIOLOGIE PROPRES A EXPLIQUER LES ANOMALIES DES HY-
GROMÈTRES COMPOSÉS DE SUBSTANCES ORGANISÉES QU MÊME ORGANIQUES
(HYGROMÈTRES PAR ABSORPTION).
Toutes les fois que l’on doit se servir en physique d'agents tirés du règne or
ganique, il est indispensable de se faire une idée exacte de la structure intime,
de l'organisation spéciale, des caractères enfin physiologiques etchimiques de ces
corps, afin de ne pas s’exposer à confondre ensemble des phénomènes de diffé-
rents ordres, des effets d’un simple mécanisme de structure avee des influences
météorologiques. IL est telle anomalie qui a souvent bien embarrassé le physi-
cien, et qu'une simple observation microscopique suffit à ranger au nombre des
faits les plus simples et les plus naturels; nous allons en donner ici un nouvel
exemple.
Les substances organisées, qu'elles appartiennent à l’un ou à l’autre règne,
sont également le produit du développement spiro-vésiculaire que nous avons
depuis longtemps démontré dans le Nouveau système de Physiologie végétale.
Tout être organisé émane d’une vésicule qui a engendré d’autres vésicules, par
l'accouplement de deux spires qui se déroulent en sens contraire. Du nombre de
paires de ces spires et de l'inégalité de vitesse de leurs circonvolutions, résulte
la variéte infinie de formes et de dimensions que prennent en se développant les
êtres organisés,
La vésicule organisée se remplit d’un liquide organisateur, pour élaborer et
engendrer de nouvelles cellules. Ce liquide est alimenté par la circulation de
l'individu, qui répare sans discontinuité les pertes incessantes qu'occasionnent
l'évaporation et la transpiration.
Dès que la circulation tarit ou est interceptée, que la cellule cède son liquide à
l'air etn'enreçoit plus de l'organisation, non-seulement ses parois se rétrécissent,
son diamètre diminue, mais encore elle s’aplatit en rapprochant ses parois. Les
spires génératrices, dont les arcs s’enroulaient avec régularité, devenant flasques
62 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
à leur tour, se rapprochent au hasard en certains endroits et s’écartent davan
tage en d'autres.
Ces deux phénomènes se représentent à l'œil nu, quand on jette les yeux sur
la dessiccation d'une vessie de pore (gigantesque vésieule), contre les parois de
laquelle, à l'extérieur ou à l’intérieur, on aurait eu soin d'enrouler, avec une
certaine régularité, une longue corde à boyau.
Prenons cette grosse vésicule toute desséchée, après avoir mesuré, dans cet
état, son diamètre longitudinal, et soumettons-la à l'influence de l'humidité ou
au contact de l'eau même. Il se produira, dès ce moment, un double effet d’allon-
gement et de raccourcissement, dont l’un formera une anomalie, quand il l'em-
portera sur l’autre. Les paroiïs de la vessie s’étendront, à la vérité, en s’imbibant
d'eau, mais en même temps le diamètre longitudinal de la vessie se raccourcira,
parce que la vessie en se remplissant de liquide, tendra à s’arrondir et à prendre
un diamètre égal dans tous les sens.
D'un autre côté, les spires de cordes à boyau, s’imbibant toutes d’une manière
égale, reprendront leurs espacements égaux et rapprocheront par conséquent
leurs tours rendus flasques et distants par la dessiecation; la distance de leurs
deux bases diminuera donc par suite de ce retour vers un simulacre de vitalité.
La longueur totale qu'avait prise la vessie en se desséchant diminuera done dès
les premiers contacts de l'humidité, pour augmenter ensuite par l'effet du pro-
longement de ce contact même; car l’imbibition est une augmentation incessante
de volume.
C'est ce qui explique pourquoi les cordes de violon et autres instruments à
cordes cassent plus vite quand le temps passe subitement à l’humide que lors-
qu'il passe au sec. Dans le premier moment l’humidité semble les contracter, et
les raccourcit réellement; elle les tend plus fort que leur structure ne le com-
porte; elle rapproche les tours de spire, par cela seul que le côté de la spire le
plus immédiatement en contact avec l'humidité s'étend seul, les autres étant en-
core stationnaires. En effet, essayez, sur un tour de spire de fil en métal, d’étirer
un arc de si faible étendue que ce soit, et vous rapprocherez évidemment les deux
tours contigus de spirale.
Les cordes de chanvre se tendent d’abord dès que la pluie les mouille, pour se
détendre ensuite si Ja pluie continue quelque temps.
On se rappelle sans doute que lorsque, sur les ordres de Sixte V, l'architecte
Fontana entreprit de placer sur un piédestal l’obélisque qui décore la première
place de Rome, les cordes se refusant tout à coup de marcher d’après ses calculs,
l’obélisque restait opiniâtrément éloigné de la surface que devait occuper sa base;
en dépit de l’ordre papal, qui pendant la durée de l'opération imposait le silence
absolu sous peine de la potence, une voix partie de la foule eria : Mouillez la
corde. Ce mot fut un trait de lumière pour l'architecte qui s’empressa de faire
jeter des seaux d’eau sur les cordages; et un simple effet hygrométrique, plus
puissant que les leviers et les treuils, amena doucement et aux applaudissements
de la foule le monolythe sur son dé. Le succès du bon conseil sauva l'heureux in-
discret de la peine, et le pauvre diable se crut ainsi suffisamment récompensé.
Passons à un autre ordre de considérations physiologiques.
Les cellules organisées n’ont pas toutes le même genre d'élaboration; elles
combinent l'air qu’elles aspirent avec l’eau chargée de sels qu'elles absorbent dans
le torrent de la circulation, pour transformer ce mélange les unes en gluten et
en albumine et les autres en substance oléagineuse. Les cellules des membranes
APPLICATION À L'HYGROMÉTRIE INSTRUMENTALE. 63
intestinales dont se composent les cordes à boyau sont plus albumineuses qu'oléa-
gineuses; les cellules du cheveu sont plus oléagineuses qu'albumineuses, elles
n'ontmême d’albumineux que leurs parois. On conçoit par là que les cordes à
boyau seront beaucoup plus hygrométriques, c'est-à-dire avides d'eau, que le
tissu des cheveux. Pour augmenter la propriété hygrométrique du cheveu, il
suffit de lui enlever une certaine quantité de la substance oléagineuse condensée
dans ses tissus. C'est le résultat que l’on obtient en le dégraissant dans l'alcool,
“dans l’éther, dans l’ammoniaque, ou, selon la méthode de Saussure, dans une dis-
solution d'un centième de carbonate de soude cristallisé.
Non pas que par ce moyen on ne fasse que le dépouiller d'un vernis oléagi-
neux qui recouvrirait sa surface, car ce vernis n'existe nullement, et un simple
lavage dans l'eau suffirait pour nettoyer le cheveu de tout ce qui l’encrasse et
peut le soustraire à l’action de l'humidité; la préparation de Saussure ne fait que
dépouiller les cellules du cheveu de leur substance oléagineuse concrète jusqu'à une
certaine profondeur de son tissu, en savonulant la substance oléagineuse par l'al-
cali libre du carbonate de soude. Ce dépouillement, réduisant la partie corticale
à une simple couche de parois cellulaires, confère en partie au cheveu les pro-
priétés hygrométriques de la corde à boyau, tout en lui conservant la ténacité
qui l’en distingue.
$ 4. APPLICATION DE CES PRINCIPES A L'HYGROMÉTRIE INSTRUMENTALE.
Les corps organisés les plus hygrométriques, c’est-à-dire le plus vite impres-
sionnables au contact de l'humidité, sont les corps dont les cellules ne sont point
distendues par des substances oléagineuses. Les cordes à boyau, les arêtes de
stipa sont, sans avoir subi aucune préparation, bien plus hygrométriques que
les cheveux.
Le lessivage alcalin communique aux cheveux une certaine hygrométricité, en dé-
pouillant de leurs substances grasses la couche épidermique de leurs cellules. Mais
pour obtenir des effets constants et comparables, il faut que les cheveux soient
de même calibre et de même couleur; que la dose d’alcali soit minime; que les
cheveux soient soumis à son action parallèlement les uns aux autres, et non pe-
lotonnés; que l’action légèrement alcaline leur arrive tamisée par une toile et non
par bouffées irrégulières; toutes conditions plus faciles à prévoir qu’à réaliser.
Ce qui fait que tel cheveu est plus profondément dépouillé qu'un autre, que l'ac-
tion alcaline a pénétré ici perpendiculairement, et là parallèlement à l'axe; et c’est
ce qui cause des variations sans nombre dans les indications respectives de ces
agents; en sorte que Saussure est forcé d'admettre que les observations sont suf-
fisamment comparables, quand ces instruments ne diffèrent entre eux que de 4 à
ù degrés.
Les cheveux, même préparés, n’en conservent pas moins leurs propriétés vitales
et végétatives, si je puis m'exprimer ainsi; isolés, ils continuent à élaborer en
s'épuisant, comme ils auraient continué en se développant, s'ils tenaient encore
au cuir chevelu: l'air qui les aurait vivifiés les dévore ; ils s'usent à l'air comme
tout autre débris organisé. Ils perdent done chaque jour de leurs qualités hygro-
métriques, et cela sur une échelle d'autant plus large que leur tissu a été plus
profondément pénétré par l’aleali.
A celle cause progressive d'altération, s’en joint une autre plus variable, mais
aussi plus prompte. Le cheveu, ainsi que tout autre agent hygrométrique, absorbe
l'humidité ambiante proportionnellement à la quantité que l'air en dissout et à
64 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
la durée de cet état de l'air; quand la saturation de l'air se tient au degré équi-
valant à la saturation de l'air du bocal sous lequel on a constaté le point de l'hu-
midité extrême de l'hygromètre, et que cet état de l'air atmosphérique est peu
durable, l'aiguille ne dépasse pas 100°. Mais que l'humidité augmente par l’abais-
sement de la colonne barométrique, que cet état dure quelque temps, le cheveu
s’imbibant indéfiniment s’allonge de plus en plus, et l'on voit alors l'aiguille dé-
passer bientôt, de dix degrés même, le point de l'humidité extrême. Qu'on ramène
l'aiguille à ce point au moyen de la vis de rappel à laquelle est attachée l'extré-
mité supérieure du cheveu; si le temps continue, l’aiguille continuera encore à
dépasser le degré100. Par certains temps de pluie, de brume et de brouillard, je
me suis vu forcé de recommencer jusqu'à cinq fois cette rectification, sur un hy-
gromètre parfaitement bien construit par Bunten; la clef destinée à tourner la vis
de rappel (et c’est là un détail vicieux de la construction) s’est usée définitivement
à la peine et sous l'effort de ces torsions trop souvent répétées.
Nous avons expliqué plus haut (p.62) pourquoi le cheveu très-sec fait marcher
l'aiguille vers la sécheresse à la première impression d humidité, et vice versü.
Or, si l'air devient tout à coup humide et passe ensuite au see, et vice versé,
l'hygromètre n'aura rien indiqué de ce changement atmosphérique. Soient deux
hygromètres, l’un de corde à boyau et l'autre à cheveu, exposés tous les deux
aux émanations d'alcool, d'éther ou d'huile essentielle; il est évident par ce que
nous avons dit plus haut(pag. 65) que l'hygromètre de corde à boyau marquera la
sécheresse, quand l'hygromètre à cheveu semblera marquer l'humidité; car l’al-
cool contractera et distendra la corde fibrineuse, quand, en se combinant avec la
portion oléagineuse de ses tissus, ses vapeurs allongeront et relàcheront le che-
veu. Les essences laisseront stationnaires les indications de la corde à boyau, et
produiront au contraire sur le cheveu les mêmes effets que les vapeurs d'alcool.
Ainsi, le point d'humidité extrême de l'échelle de l'hygromètre à cheveu ne
correspond nullement au point de saturation du cheveu par l'humidité; l'hygro-
métricité du tissu cellulaire est indéfinie dans un milieu constamment saturé
d'humidité; il y passe avec le temps de l'humectation à la dissolution et à la dé-
composition, ce qu'il est facile d'établir, en abandonnant dans l’eau ou même
dans un air constamment humide une membrane animale quelconque.
L'hygromètre à cheveu sera done d’autant plus infidèle à son échelle, que le
même élat hygrométrique de l'air durera plus longtemps.
Quant à la sécheresse extrême, son zéro ne saurait être qu’un point de con-
vention; car pour dépouiller le cheveu de l'humidité qu'on pense lui être étran-
gère, il faudrait le soumettre non pas à un air desséché par son contact prolongé
avec une substance avide d’eau, mais à l’action d’une chaleur telle que son tissu
pourrait bien en être altéré, en devenant tellement sec qu'il aurait plus tard
bien de la peine à redevenir humide.
Malgré toutes ces anomalies inhérentes à l'instrument, il n’en est pas moins
vrai que le travail de Saussure, ainsi que celui de Lambert, sont empreints d’un
esprit d'exactitude et d’un caractère consciencieux qu'on trouve rarement dans
les ouvrages de ce genre. Plus le sujet se hérissait de difficultés, et plus Saus-
sure redoublait de persévérance ; on voit dans tout le cours de ses expériences
que, désespérant d'obtenir une règle générale et invariable, il s’est attaché à mul-
tiplier les évaluations des exceptions et des variations intrinsèques; malheureu-
sement le sujet ne comportait pas tant d'exactitude. C'est ainsi que, par des expé-
riences comparatives minutieuses, l’auteur a entrepris de corriger son hygromètre
HYGROMÈTRES A CONDENSATION PAR ÉVAPORATION. 65
des effets propres à la chaleur, qui à son tour allonge aussi le cheveu; mais que
peut une correction de deux degrés, par exemple, qui sont le fait de la chaleur,
quand de son propre fait le cheveu peut s'allonger de quatre et dix degrés d’ano-
malie ?
Une dernière réflexion achèvera peut-être de faire comprendre combien les
indications de ces sortes d'instruments sont dans le cas d’avoir une signification
contraire à celle que leur prêtent les idées reçues. En effet, quand l'air se charge
d'humidité, il en soustrait à tout ce qui en est imprégné, au cheveu de l'hygro-
mètre, comme à tout autre corps poreux; l'hygromètre marchera donc d'autant
plus vers le point extrême de la sécheresse que l'air continuera à devenir plus
humide. Ce sera le contraire quand l'air se dépouillera de son humidité : les
corps poreux s'en chargeront; et l'aiguille de l'hygromètre à cheveu marchera
d'autant plus vite vers l'humidité que l'air deviendra plus sec.
$ 5. HYGROMÈTRES A CONDENSATION PAR ÉVAPORATION.
L'Académie del cimento, fondée à Florence par les disciples de Galilée, avait
eu l'idée de constater l'humidité de l'air par la condensation des vapeurs d’eau
répandues dans l'atmosphère. L'instrument se composait d’un vase de verre co-
nique que l'on tenait constamment rempli de neige ou de glace pilée; les vapeurs
d'eau atmosphérique, venant à se condenser contre les parois externes du cône
renversé, distillaient goutte à goutte par le sommet du cône; le volume de cette
eau ainsi recueillie donnait le degré de l'humidité de l'air.
L'abbé Fontana de Florence modifia plus tard ce procédé, en condensant
les vapeurs sur une lame de verre exposée préalablement à une température
très-basse, et en pesant la lame avant et après l'observation ; la différence du
poids lui marquait les degrés hygrométriques de l'air.
De nos jours on a repris l’idée première de l'Académie del cimento, mais en
produisant l'abaissement de la température par l'évaporation de l’éther et en no-
tant sur un thermomètre le degré d'abaissement de la température, où les va-
peurs commencent à ternir une surface métallique polie. Soit, par exemple, un
thermomètre dont la boule plonge enveloppée de coton dans un dé en or ou en
argent poli et bruni. Si l'on mouille d'éther le coton qui enveloppe la boule, du
thermomètre, l'évaporation de l'éther produira instantanément un abaissement
progressif de température et sur la boule du thermomètre et sur les parois du dé
métallique. À un certain degré la surface du dé se couvrira de vapeurs conden-
sées en rosée; dès que ce phénomène deviendra sensible, on notera au moyen
d'un télescope le degré du thermomètre; et l'on conclura que l'air renfermait
d'autant plus de vapeurs d’eau que le thermomètre est descendu moins bas à l'in-
stant où la rosée s’est déposée.
Je fis venir à Doullens un de ces instruments auxquels on a donné le nom de
roromètres ou psychomètres ; le fabricant erut me faire un insigne plaisir en m'en-
voyant cet instrument modifié par un académicien; la modification consistait dans
un vase rempli d'eau qui communiquait avec le réservoir d'éther évaporatoire ;
on ouvrait un robinet placé au bas du vase, l'écoulement de l'eau oceasionnait
dans le récipient de l’éther un courant d'air qui en activait d'autant l'évaporation
et par conséquent avait pour but de produire plus vite la condensation par
l'abaissement de la température. Or, pour mettre cet instrument en état, il me
fallait 20 minutes, et puis 20 minutes pour le nettoyer après l'observation, sans
parler ici de la difficulté de maintenir en place les viroles des thermomètres:
66 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
40 minutes pour une observation qu'il faut répéter souvent toutes les heures,
pour l'observation fugitive d'un phénomène que le passage d'un simple nuage
fait varier instantanément, et l’on concevra que la journée de plusieurs hommes
ne sufhrait pas pour de telles constatations :
Le moment où j'observe est déjà loin de moi.
Ce serait désespérant, si la météorologie ne pouvait se passer de ce mode de me-
surer l’hygrométricité de l'air. Mais une simple réflexion qui, jointe à la précé-
dente, nous meitra à même de ne pas trop regretter l'emploi de ces riches instru-
ments, c’est que la rosée se dépose sur la surface de l'or ou de l’argent bien avant
qu'elle ne la ternisse, et qu’on la sent au toucher bien avant que l’œil armé d’un
télescope ne la distingue; j'ai constaté ce fait assez de fois pour être sûr de ce que
j'avance; en sorte que le thermomètre ne donne l'instant de la formation de la
rosée qu'après coup, et plus ou moins longtemps après que la première couche
d'humidité s’est déposée.
Ces instruments, fondés sur un principe théorique en apparence plus rigou-
reux que les hygromètres à absorption, et accompagnés de tables destinées à éva-
luer la tension correspondante des vapeurs d'eau, ces instruments sont tout aussi
défectueux et arbitraires dans l’application que tous les autres; ils sont beaucoup
plus chers, plus incommodes, et occasionnent une plus grande perte de temps.
CONCLUSIONS.
1° HyGROMÈTRES À ABSORPTION, HYGROMÈTRE DE SAUSSURE. Les points extrêmes de
la graduation du cadran des hygromètres à absorption sont arbitrairement pris,
quoique, en suivant les mêmes procédés de constatation, les instruments puissent
être comparables.
20 La constatation de la sécheresse extrême est encore plus illusoire que celle
de l'humidité extrême, par l'impossibilité où nous nous trouvons de préciser la
limite où la dessiccation d’un corps organisé finit, et où sa désorganisation ignée
commence.
3° Quoi qu'il en soit, pour peu qu’un changement brusque succède à un état
prolongé, dans la constitution atmosphérique, les indications de l'instrument le
plus parfait sont grandement retardataires ; en sorte que sile changement brusque
n'est que de courte durée, l'hygromètre n'en aura absolument rien dit,
4 Le point extrême de l'humidité se déplace à mesure que l'humidité de l'air
se prolonge, et ce déplacement serait indéfini dans une atmosphère constamment
humide; ce qui fait que trois ou quatre fois par mois, en certaines saisons, on est
forcé de ramener l'aiguille à son ancien point extrême, d’un écart de dix degrés
fort souvent.
HyGROMÈTRE A CONDENSATION. 1° Le grand inconvénient de ces instruments, c’est
de n'être point portatifs, de coûter fort cher, et d'occasionner des pertes de temps
incalculables, pour ne donner qu’un résultat d’uhe importance fugitive.
2° Le phénomène que ces instruments doivent indiquer se produit longtemps
avant que l'œil ne le distingue, et l’on s'expose ainsi à des erreurs de plusieurs
degrés thermométriques.
APPLICATIONS A L’HYGROMÉTRIE ET A LA PHYSIQUE AGRICOLE.
4° Ce serait une grande illusion de juger de l’état hygrométrique de la région
inférieure de l'atmosphère par les indications de l'hygromètre suspendu habi-
tuellement à la vue du cabinet d'observation. Car les indications de l'instrument
HYGROMÈTRE PAR ABSORPTION AU STIPA. 67
à la même heure varieront par des amplitudes assez grandes, selon qu'on le
transportera dans la cour, sur le sommet de l'édifice, dans les champs, à l'ombre
ou au soleil, dans tel ou tel courant d'air.
20 Jusqu'à ce jour, l'hygrométrie n’a été applicable à la physique agricole que
d'une manière détournée et comme pour mémoire. Cependant le sol absorbe
l'humidité de l'air, comme il absorbe la pluie; et il est telle contrée aride où les
plantes ne vivent que de l'humidité des nuits. Le meilleur instrument de ce genre
sera celui qui permettra de suivre de l'œil les quantités d'humidité que le sol
soustrait par absorption, ou restitue par exhalaison à l'air atmosphérique.
3° Les instruments de ce genre destinés à l'agronomie doivent être d'une con-
struction facile et peu dispendieuse; car la météorologie ne fera des progrès, en
théorie eten pratique, qu’en multipliant les observateurs assidus, patients, et
casaniers. L'agriculteur seul, dans son éloignement du tourbillon des villes, peut
se trouver dans une position favorable à l'observation.
Les deux hygromètres que je vais décrire me semblent remplir parfaitement
ces conditions. La matière première en coûte fort peu, et leur construction ne de-
mande qu'une adresse vulgaire.
ms 1 DO em —
NOUVEAUX HYGROMÈTRES.
A. UYGROMÈTRE PAR ABSORPTION A L'AIDE DE LA GRAINE DU stipa pennata.
La balle qui enveloppe la graine du gramen qui porte le nom de stipa pennata
et qui infeste les pacages arides et arénacés, cette balle, dis-je, se termine par
une Jongue et belle arête de quarante centimètres de long environ; cette arête se
compose de deux parties distinctes : l'inférieure, de dix à douze centimètres de
long, est la partie éminemment hygrométrique; elle se tord par la dessiceation, de
droite à gauche, et se détord par l'humidité de gauche à droite; sa portion ter-
minale, qui est plumeuse et soyeuse (*) et qui a 50 centimètres de long, lui sert
d’aiguille, pour ainsi dire, et marque en tournant les amplitudes de torsion ou de
détorsion, selon que la tige s’imbibe ou se dessèche, Le moindre souflle fait dé-
crire des quarts de cercle à la partie plumeuse qui sert d'aiguille. On peut donner
trois formes différentes à l'hygromètre de stipa.
PREMIÈRE FORME, en conservant l'organe dans toute son intégrité.
On fixe la base de la balle de manière qu’elle ne puisse pas obéir au mouve-
ment de torsion de l’arête. On fait passer l’arête à travers le trou central d’un
cadran en cartonnerie, dont le cerele gradué ait à peu près un rayon de trente
centimètres, de manière que la portion tortile de l’arête sorte de deux millimètres
hors du cadran; on recouvre alors l'appareil d’une lame de verre parallèle au
cadran, qui déborde suffisamment le cadran et qui en soit à dix centimètres de
distance. On peut alors placer l'appareil horizontalement sur une table ou per-
pendiculairement contre un mur,
Pour marquer le zéro correspondant à l'humidité extrême, on aura eu soin de
laisser l’arête plongée dans l’eau pendant toute la nuit ; on la mettra vite en place,
et l'on marquera le zéro de la graduation à l'endroit où l'extrémité de la portion
plumeuse se trouvera après la fixation de la balle basilaire. Ne vous occupez pas
de la sécheresse extrême proprement dite; la portion de l'arête qui sert d'aiguille |
(*) Les touffes de ces arêtes soyeuses sont dans le cas de fournir aux chapeaux des dames les plus
jolis marabouts que je connaisse; on les implante au centre d'uu petit pompon de fleurs naturelles
ou artificielles.
68 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
fera trois tours et demi du cadran pour revenir au point de dessiccation qui est sa
limite naturelle. et qui correspond dans nos climats à la plus grande sécheresse
de l'air que nous respirons. Deux flèches dessinées sur le cadran marqueront la
direction de la sécheresse et celle de l'humidité. Les écarts de l'aiguille seront si
grands au moindre soufle qu’on pourra bien se dispenser de graduer le cadran
en 560. Toute la difficulté qu'offrira cette construction pour les évaluations hygro-
métriques, ce sera de savoir, quand on observera à des temps assez éloignés, le
nombre de tours du cadran que l'aiguille aura faits pour revenir au point où on la
trouve. On obtiendra cette indication de Ja manière suivante. Soit une petite roue
en papier à 4 palettes qui se croisent à angle droit; le cylindre en papier, contre
lequel leurs plans s'adaptent parallèlement à l'axe, tourne autour d’une tigelle
implantée perpendiculairement sous le cadran et à la portée de Ia portion tortile
de l’arête de stipa. Traversez l'extrémité de cette portion tortile d’un bout de fil
de métal, qui puisse faire mouvoir la roue à palettes en s'appliquant successivement
sur chacune d'elles. Que l’une de ces palettes soit marquée 0 et corresponde au
zéro du cadran, et que les autres portent les chiffres 1, 2 et 3. Au premier
tour de l’arête tortile, son aiguille métallique ramènera la palette O sur la tan-
gente, et la palette 4 sur le rayon du 0 du cadran; on verra ainsi que sa portion
plumeuse poursuit son deuxième tour; au second tour, l'aiguille métallique amè-
nera la palette numérotée 1 sur la tangente, et la palette n° 2 sur le rayon de 0 de
la graduation, et on verra que l'aiguille poursuit un 5° tour; ainsi de suite, en
marchant vers la sécheresse. Si l'humidité la fait mouvoir, l'aiguille fera mou-
voir les palettes en sens contraire. Je n’emploie que quatre palettes, parce que,
d’après mes observations, l’arête, pour en revenir à sa destination habituelle,
ne décrit que trois tours et demi.
DEUXIÈME FORME DE CONSTRUCTION DE L'HYGROMÈTRE A stiPa. Pour simplifier l’'appa-
reil et le réduire à un moindre volume, je retranche toute la portion plumeuse
de l’arête, ne réservant que la portion tortile; je traverse son extrémité [libre
d’une aiguille métallique qui y entre à angle droit, et que j'obtiens en redressant
une portion de trois centimètres du fil métallique qui s’enroule autour de la
corde sol du violon. Je place le pivot de la roue en papier à quatre palettes à l'ex-
térieur et près de la circonférence du cadran; l'aiguille fait mouvoir cette roue,
et marque ainsi en se mouvant et le nombre de tours et le nombre de degrés de
chaque tour. Je me suis servi quelque temps de cet hygromètre et je ne l’aban-
donnai que dans l'espoir d'obtenir, avec des hygromètres d’un grand prix, des
observations comparables. J'eus tort; car avec les hygromètres à cheveu ce but
est impossible à atteindre, tant par suite de la rouille qui s'attache au pivot et en
rend les mouvements difficiles, que par suite des variations incessantes de l'hy-
grométricité du cheveu. L'hygromètre que je propose donne des indications qui,
si elles manquent de précision, comme dans tous les instruments de ce genre, sont
cependant suffisamment comparatives, pour tenir compte des changements sur-
venus dans la constitution de l'air atmosphérique. J'extrais de mon journal une
observation faite avec cet instrument le 25 août 1850.
A 9h. 1/2, l'arête qui avait passé la nuit dans l’eau a été fixée sur sa base et
de manière que l'aiguille correspondit à zéro du cadran. — A 1 h., l'aiguille, pre-
pant sa direction à gauche, marquait 65°.—1 h. 1/2 l'aiguille marque 90°. — La
pluie cesse et le vent se lève, et à 7 h. 20! l'aiguille marque 221°.— 10 h. elle
marque 325°, — Le 24 à 8 h. du matin, l'aiguille marque 345°; — à 8 h. 1/2 elle
HYGROMÈTRE PAR ABSORPTION ET A BALANCE. 69
marque 360° et recommence son second tour. — À 9 h. elle est à à 8°; à 10 h. à
QU» ; à 414 h. à 460° ; à midi à 280°; à 4 h. à 304°; à 2 h. à 555; à 2 h. 20’, elle
recommence son troisième tour et marque 10°; à 5 h. 1/2 elle ue à 160, et alors
elle s’est prise à rétrograder; dès ce moment elle a commencé à donner les in-
dications de l'humidité de l'air; tout ce temps ayant été employé à se débarrasser
de l'humidité dont elle s'était imprégnée et saturée par son séjour dans l'eau.
Un simple souflle lui faisait décrire en un.clin d'œil le quart du cadran.
TROISIÈME FORME DE CONSTRUCTION DE L'HYGROMÈTRE A SriPa. Soit le cadran,
l'aiguille et le contre-poids de l'hygromètre à cheveu; au lieu d'un cheveu
qu’on enroule autour de l'arbre du pivot, un fil de soie qui par l'autre bout
s'attache à l'extrémité de la position tortile de l'arête de stipa maintenue
horizontale par un cylindre formé d'une spirale de fil métallique ; on a soin de
clouer la graine contre le plan, l'arête ayant toute liberté de se mouvoir dans
sa gaine à jour. Il est évident qu'en se tordant par la dessiccation, l'arête enrou-
lera une portion de fil de soie, et fera mouvoir d'autant l'aiguille, et qu'en se dé-
roulant par l'humidité, elle permettra au contre-poids de l'aiguille de ramener
celle-ci vers le zéro du cadran. De cette manière, on maintiendrait les amplitudes
de l'aiguille dansune portionde circonférence de cercle; et l'aiguille ne serait plus
exposée à faire trois fois et demi le tour du cadran. En 4850, j'envoyai le modèle
de cet hygromètre à un constructeur d'instruments de physique qui me fournis-
sait mes autres instruments; je n’en ai jamais eu de nouvelles, et je ne m'en oc-
cupai plus, mes vues s'étant portées sur un autre genre d'appareil.
N. B. Les corps organisés tendent tous à se détériorer, après qu'ils ont atteint
le plus haut degré de développement; il sera bon de remplacer tous les ans l’arête
par une nouvelle de la récolte de l’année. Mais, tant que cette arête liendra à la
balle qui enveloppe la graine, elle conservera dans toute leur intégrité ses qua-
lités hygrométriques, parce que la faculté germinative de la graine alimente pen-
dant assez longtemps, et quelquefois pendant plusieurs années, la vitalité des
enveloppes auxquelles elle tient d’une manière organique.
B. HYGROMÈTRE PAR ABSORPTION ET A BALANCE, OU SPONGOMÈTRE.
Soit une éponge bien sèche et dont la dessiccation ait été obtenue par un séjour
prolongé sous un bocal renfermant une suffisante quantité, soit de chlorure de
chaux, soit d'acide sulfurique. Qu'on l'expose à l'air extérieur sous une calotte
quadrangulaire en toile cirée, dont on aura mesuré exactement l'ouverture La
différence du poids de l'éponge, avant et après son séjour dans l'air, donnera la
quantité d'humidité dont elle se sera imprégnée pendant ce laps de temps.
Or, comme la terre (ager bibax) est une éponge qui absorbe l'humidité avec au-
tant d'avidité que l'éponge ordinaire elle-même, et d'une manière indéfinie
comme elle, il s’ensuivra que l’on connaitra de la sorte combien, pendant ce laps
de temps, la terre aura absorbé de vapeurs d’eau par centimètre carré.
Si le plan d'ouverture de la calotte est de 400 centimètres carrés, ou 40,000 mil-
limètres carrés, et que l'éponge suspendue librement dans la capacité de cette
calotte ait absorbé 4 grammes d'humidité, on conelura que l'humidité absorbée
par la terre est de 4 milligramme par surface de 10 millimètres carrés.
Si l’air avide d'humidité en soustrait à la terre, il en soustraira également à
tous les corps qui en sont imprégnés, et à l'éponge par conséquent. La différence
du poids indiquera alors la perte par surface.
Au lieu de transporter chaque fois l'éponge sur le plateau de la balance,
70 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
transformons l'appareil en balance même, et que son levier devienne une aiguille
de graduation; l'appareil fonctionnera comme un hygromètre, tout en fournissant
immédiatement des indications précieuses dans leur application à l’agronomie.
* On saura ainsi, presque à chaque instant du jour, combien la terre reprend ou
rend de l'humidité si nécessaire au développement des plantes.
Qu'on suspende donc l'éponge encapuchonnée de sa calotte au bout d’un bras
de levier, d’un poids tel que, dans l’état de la complète dessiceation de l'éponge,
l'extrémité de l’autre bras se rapproche plus ou moins de la perpendiculaire à
l'horizon. En ajoutant successivement des poids à l'éponge, on fera marcher à
droite le bras libre du Levier, fléau de cette balance romaine, comme une aiguille,
et l'on notera en degrés tous les points où elle s'arrêtera à chaque addition de
poids. Plus le volume de l'éponge sera considérable, et mieux l’on pourra constater
de petites quantités d'humidité absorbée. Dans les grands établissements d’obser-
vations agricoles, on arriverait peut-être par ce moyen à constater, par des milli-
grammes, Îa quantité absorbée par l'éponge. Je commençai à me servir de cet
appareil le 27 décembre 4850 ; la calotte avait 400 centimètres carrés d'ouverture.
De 8 h. du matin à 6 h. 25’ du soir, l'éponge avait absorbé 3 grammes, 41.
De 5 h. du soir au lendemain 28, à 8 h. du m., elle avait absorbé 3 gramm. 10.
Au 19 janvier 1851, j'en employai deux, la précédente sur ma fenêtre, et une
autre à 20 cent. de terre, sous un capuchon de 720 cent. carrés d'ouverture.
Le 20 janvier, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait absorbé 3 gramm. 45; et
l'éponge du jardin, 4 gramm. 60.
Le 21, et en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait absorbé 30 centigr. seulement,
Le 22, en 26 h., elle avait perdu 2 gr. 90; et l'éponge du jardin avait ab-
sorbé 1 gr. 05.
Le 25, l'éponge du jardin était restée neutre, par un temps de gelée; l'éponge
de la fenêtre avait absorbé 1 gr. 10, en 22 heures.
Le 24, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait absorbé 95 centigr.; et l'éponge
du jardin 73, par un temps de brouillard.
Le 25, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait perdu 95 centigr.; et l'éponge
du jardin 1 gr. 20 centigr.
Le 26, en 24 h., l'éponge du jardin avait absorbé 95; l'éponge de la
fenêtre 65 centigr.
Le 27, en 24 h., l'éponge du jardin avait perdu 55 centigr.; celle de la
fenêtre absorbé 2 gr. 53.
Le 28, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait absorbé 75 centigr.
Le 29, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait perdu 10 centigr.; celle du jar-
din, absorbé 48 centigr.
Le 30, en 24 h., l'éponge de la fenêtre avait perdu par un grand vent
5 gr. 20; l'éponge du jardin n'avait perdu que 45 centigr.
Le 51, en 24 h., l'éponge de la fenêtre gagne 95 centigr.; celle du jardin perd
55 centigr. par un vent très-fort.
Le 1° février, en 26 h., l'éponge de la fenêtre avait absorbé 35 centigr.
Le 26 avril, l'éponge de la fenêtre, par un tempscalme, absorbe, en 24h., À gr.98.
Je ne donne ces observations, que comme des essais propres à faire connaitre
combien les quantités absorbées où exhalées sont pondérables, et partant faciles
à apprécier à l'aiguille d’une romaine tant soit peu sensible,
En combinant, à différentes heures de la journée, les indications de cet hygro-
mètre de nouvel ordre, avec celles de l'hygromètre à cheveu, du thermomètre,
MÉDICATION DES VÉGÉTAUX PAR LEUR SÉVE. 71
du baromètre et de la rose des vents, on arrivera, je le pense, à des applications
pratiques dont l'agriculture pourra tirer un grand parti dans ses prévisions.
Ce qui m'a arrêté, dans le perfectionnement de cet instrument, c'est principa-
lement le peu d’entrain des constructeurs modernes pour tout instrument qui
n’a pas l'espoir d’être introduit dans les laboratoires du professorat ofliciel, sous
la protection académique. Autrefois, je les ai vus un peu plus confiants dans
la valeur intrinsèque des instruments destinés à l'enseignement libre.
Je n'ai noté, plus haut, les variations de l'absorption et de l’exhalaison, que
toutes les 24 à 26 heures, parce que les pesées, je les faisais directement à la
balance, et que ce mode, faute d’un instrument perfectionné, entraine une
grande perte de temps. Mais à l’aide des pesées spontanées et indiquées par la
marche du fléau-aiguille, on noterait les variations à chaque heure au moins.
On aurait, en effet, grand tort de croire que l'observation de 24 heures püt se
répartir par une règle de proportion sur chaque heure de la journée ; la marche
des hygromètres ordinaires nous apprend suffisamment que l'hygrométricité de
l'air varie d’instant en instant.
CHAPITRE LIL — VARIÉTÉS.
MÉDICATION DES VÉGÉTAUX PAR LE VÉHICULE DE LA SÈÉVE. —
EMPLOI DE L’ALOËS EN IRRIGATION.
J'ai publié, depuis plusieurs mois, dans les journaux, et tout dernièrement
dans le Fermier vétérinaire, un moyen externe de préserver et de débarrasser les
végétaux de leurs parasites, à l’aide de simples affusions d’aloès.
Ainsi, des troncs et rameaux de pommier, couverts de pucerons lanigères, ont
été débarrassés de cette vermine par une seule lotion d’une dissolution d’aloès ; et,
l’année suivante, les pucerons éclos des œufs de l'année précédente n’ont fait qu’ap-
paraitre quelques jours sur ces troncs, quoique la lotion n'ait pas été renouvelée.
Sur des pêchers, dont toutes les feuilles étaient affectées de cette espèce de
boursouflure maladive que les jardiniers désignent sous le nom de cloque, nous
avons vu ces feuilles dégénérées faire place en peu de temps à une nouvelle vé-
gélation luxuriante, par cela seul que j'avais enveloppé leurs troncs crevassés,
avec une couche de terre argileuse pétrie dans une dissolution aloétique. Chez
ces espèces d'arbres, la cloque ne provenait pas du parasitisme des pucerans; je
n’en observais pas un seul individu à cette époque sous les feuilles dégénérées.
Je m'imaginai que cette maladie était due à la présence et à la succion de ces
individus dans les crevasses du tronc.
Cette année, l'orage du 5 mai ayant flambé deux de ces arbres en entier, et, en
partie, un autre, voisin des premiers, toutes les feuilles ayant noirci et s'étant
charbonnées, pour ainsi dire, en un jour, ce qui me porta un instant à penser
que les branches qui s’en étaient dépouillées avaient été frappées de mort, j'appli-
quai à leurs trones le remède qui avait préservé d'autres arbres, et je les enve-
loppai d’une forte couche de terre argileuse pétrie dans une dissolution d’aloës,.
Le succès dépassa mes espérances; ear l’un des trois était rongé jusqu’à la
moelle, et nous l’avions réduit presque à son écorce, à force d’en retirer ce qui
était gélif. Or, de nouveaux rameaux chargés d'une belle foliation ont repoussé
sur les anciens, bien avant la séve d’août, et pas un puceron ne s’est montré sur
72 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
la page inférieure; aucune fourmi ne rôde sur les rameaux à la recherche de ces
insectes ; et la fourmi est très-friande de leurs œufs.
Notez que je n’ai point lotionné les rameaux, et que, par conséquent, les feuilles,
en poussant, n’ont pu s’enduire d’aloès par l'effet des pluies.
Et pourtant, les insectes parasites refusent de sucer les feuilles, comme si elles
étaient revêtues d'un enduit de chicotin.
Ne serait-ce pas qu'elles se sont aloétisées par le moyen de la séve? Le tronc
et les racines n’auraient-ils pas absorbé cette substance pour la transmettre aux
feuilles par le torrent de la circulation ? Pourquoi pas, puisque les racines trans-
mettent à la séve l’arsenic, le mercure et les autres métaux ?
Je me souviens que Porta et d’autres auteurs des derniers sièeles conseiïllaient
de médicamenter les végétaux en les: arrosant de médicaments. Ils pensaient qu'il
suffirait d’arroser les racines d’un poirier, par exemple, avec de l'huile de ricin,
pour rendre les poires purgatives. Cette idée a dû être regardée depuis comme
une folie, par les savants de cabinet; car elle a été totalement oubliée dans les
compilations scientifiques ; et pourtant, rien n'est plus conforme aux principes
de la physiologie.
Tout me porte done à croire qu'on préservera certains végétaux de leurs para-
sires, en arrosant leurs racines d’eau aloétique ; on leur communiquera ainsi une
dose d’amertume suffisante pour en dégoüter les insectes, quoique insensible à
notre palais.
ALIMENTATION LIQUIDE.
Les habitudes des peuples ne sont, en général, que des besoins modifiés par les
circonstances de la localité. Un Français, grand mangeur de pain et très-friand
sur la qualité de cet aliment qui est la base de sa nutrition, s'explique diffcile-
ment comment il se fait que les habitants du Nord, Anglais, Hollandais, Belges,
n'usent du pain, en quelque sorte, que pour mémoire, et comme pour s’essuyer
les doigts; et de quel pain encore! des espèces de grosses et lourdes brioches
qu'on dirait avoir été pétries avec du son et sans levain, tant la mie y abonde et
tant elle est mate.
Mais quand on fait la remarque que cette habitude alimentaire n'existe que
chez les peuples buveurs de bière, on se l'explique facilement; car la bière est
un pain liquide, et renferme, sous cette forme, même après la fermentation la
plus complète, tous les éléments nutritifs que contient le meilleur pain sous
forme solide. Ces peuples boivent le pain, que nous dévorons, nous, à belles dents.
Dans son pays, force est bien au Hollandais de boire beaucoup de bière et de
manger fort peu de pain. Comment y serait-il sobre, alors qu'il n’a, pour étan-
cher sa soif, que Ja boisson fermentée ? Dans un pays aussi plat, aussi dépourvu
de montagnes, les sources vives sont remplacées par des étangs et des flaques
d'eau; et bien rarement l’eau y est-elle potable. Scaliger (De admirandis Hol-
landiæ) adressait à Durza, son ami, ces regrets qui sont chez lui une réminis-
cence de la France :
In mediis habitamus aquis, quis credere possit!
El tamen hic nullæ, Durza, bibuntur aque.
et Guy Patin ajoute : € Il n’y a Jà ni bon vin, ni bon pain; il n’y a pas même de
bonne eau. » (Lett. 503°.)
En Angleterre l’eau est excellente, mais le vin est cher; que le prix en descende
à la portée de tout le monde, et l'Anglais deviendra grand mangeur de pain.
—…—…—…"mr"
3° Livraison, REVUE COMPLÉMENTAIRE 1er Octobre 1854.
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A LAGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER, — MÉDECINE.
CHOLÉRA.
SOMMAIRE. — Nomenclature ancienne et par le nouveau système. — Étymologie. — Syno-
nymie. — Complication vermineuse du choléra. — Histoire naturelle et effets morbipares
de la classe des cousins auteurs présumés du choléra. — Médication et alimentation anti-
cholérique. — Cholérine dyssentérique à Bruxelles + médication. — Drôlerie de certains
journaux sur le Camphre.
$ 14. NOMENCLATURE DE L’ANCIENNE MÉDECINE :
Cholera, cholera-morbus de Celse et Dioscoride; choléra asiatique, choléra de-
puis 1817.
NOMENCLATURE D'APRÈS LE NOUVEAU SYSTÈME :
Par Les causes : Cônôpigénose (*) intestinale foudroyante.
Par Les grrets : Viscéralgie générale cyanogénique (rendant les téguments
bleus) cônôpigène (produite par l'invasion de cousins microscopiques).
Érywococre : morbus, maladie; cholera du grec choléra ou cholérè, déborde-
ment de bile (cholé) par le haut et par le bas.
Syxonvure : Mordecchi à Java, de temps immémorial. Le choléra n'est pas une
maladie nouvelle, mais seulement une maladie dont on a commencé à suivre
l'itinéraire dès 1817, et qu'on a voulu dès lors distinguer, sous le nom de
choléra asiatique, du choléra décrit par Celse, parce que, dans ces derniers
temps, son point de départ a semblé être, la zone torride de l'Asie : Java, Ma-
lacca, les bords du Gange, où ce mal est endémique de toute antiquité. Il est évi-
dent que l'invasion de cette maladie a été tout aussi fréquente dans certains
sièeles qu'aujourd'hui, et que le fléau faisait alors comme aujourd'hui le tour du
monde, On l’a connue dans l’histoire, et selon les temps, sous les noms de al
des ardents, maladie noire, trousse-galant suette, peste, ete.
(*) Cénôps en grec, culeæ en latin, kinnim eu hébreu, cousin en fraucais ; génose, maladie engen-
drée par; conopoi, des cousins.
74 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
$ 2, COMPLICATION VERMINEUSE DU CHOLÉRA.
Le nouveau système de médecine a tellement éveillé l'attention publique sur
je rôle que jouent les helminthes dans le plus grand nombre de nos maladies,
que chäcun recueille avec soin lés cas de ce genre qui, sans l'observation du
garde-malade, échapperaient au médecin, lequel ordontie et n’a pas le temps d'ob«
server. Or, dans les hôpitaux de Paris, on ne saurait s’imaginer combien il est
commun de voir les cholériques rendre des lombrics par le bas et par le haut;
on voit les helminthes sortir par le nez des cadavres mêmes, quand la morta
rapproché les mâchoires.
On nous rapporte le même fait d’un grand nombre d’endroits, et spécialement
d'une sous-préfecture du département de Vaucluse, où la médecine a fulminé
en vain contre la nouvelle médication, et où, en dépit de la faculté ou plutôt à
cause de ses déplorables insuccès, chacun s’est mis à se traiter d’après le Manuel,
ce qui a rendu la mortalité presque nulle.
On nous rapporte même que le curé de la localité, témoin des heureux ré-
sultats de cette méthode, n’a pas craint de la préconiser en chaire, et, le Manuel
à la main, d'en expliquer une à une les prescriptions aux paysans.
Or, on n'a pas été peu surpris, dans cette ville, de l'énorme quantité de lom-
brices et d’ascarides qu'ont rendus tous ceux qui se sont traités d’après l’article
du Manuel sur le choléra.
Il ne faudrait pas conclure de là que les helminthes soient la cause immé-
diate du choléra ; mais comme le remède qui guérit du choléra chasse en même
temps les helminthes, il est évident que la cause du choléra est analogue à celle
des maladies vermineuses, que c'est une cause animée. C'est une immigration
d'infiniment petits insectes nomades, analogues aux cousins, qui se propagent
avec une effrayante fécondité, en déposant leurs larves à l’une ou l’autre des ou-
vertures du canal intestinal, comme le font cértaines grosses mouches, telles
que celles des œstres.
$ 5. MOUSTIQUES CAUSES DE CHOLÉRA.
Les cousins visibles à l'œil nu ne se plaisent que sur les bords des eaux, sur-
tout des eaux dormantes, parce que cette position leur permet et de pourvoir à
l'avenir de leurs œufs qu'ils déposent sur la surface des eaux, et de se nourrir
aux dépens des êtres vivants riverains de ces parages.
Leurs hordes, en se déplaçant, ne manquent jamais de suivre les bords des
flaques d’eau, des grands lacs et des fleuves; sur les hauteurs, elles s'arrêtent
infiniment rarement; de là vient qu’en Laponie, où ce fléau règne comme une
plaie d'Égypte dès le retour du printemps , les troupeaux de rennes n’ont d’au-
tre ressource, pour se soustraire à la torture, que de se réfugier sur les hau-
teurs.
Or, remarquez que les pérégrinations du choléra suivent aussi le cours des
fleuves, et que le fléau sévit rarement et d’une manière tout exceptionnelle dans
les parages privés de cours ou de grands amas d’eau,
Pour admettre que la race des cousins ou une race analogue puisse être la
cause d’une maladie dont les ravages sont si rapides et si multipliés, et qui se
propage presque avec la vitesse du vent, il faudrait pouvoir établir que les
cousins se multiplient d’une manière presque incalculable; que leurs larves sont
MOUSTIQUES CAUSES DU CHOLÉRA. 75
capables de s’introduire dans le canal intestinal et de vivre à ses dépens, enfin
que leur petitesse puisse être telle qu’elle échappe à notre attention.
Or, 1° les voyageurs en Laponie attestent tous avee quelle effrayante fécondité
la race des cousins se multiplieen certains parages etsur les bords des grandsamas
d'eaux stagnantes ; tellement que ce fléau des quadrupèdes et de l'homme y de-
vient presque l'unique pâture des oiseaux aquatiques. Quant aux pauvres Lapons,
leur unique moyen de défense, contre les piqüres et l'invasion intestinale de ces
vampires ailés, consiste à remplir leur hutte de fumée, préférant ainsi larmoyer
et tousser sans cesse, plutôt que de se voir assaillis de ces innombrables enne-
mis (*).
Dans les régions intertropicales, ce fléau n’exerce pas ses ravages sur une
moindre échelle ; les moustiques et les maringouins ne sont pas moins âpres à
la eurée que le furent les kinnim en Égypte, à l'époque de Moïse, et que ne le
sont les cousins altérés de sang (Culex pipiens, Linn.) en Laponie (**).
Les Européens qui les premiers abordèrent ces iles furent épouvantés de l'im-
mense pullulation des mousquites qui les dévoraient, à la lettre, et ne leur lais-
saient ni trêve, ni repos; on raconte même à ce sujet, à la Havane, une légende
qui démontre jusqu'à quel point ces hordes inspirèrent de la terreur aux pre-
miers colons, On dit qu'un des sages de la colonie eut l’idée d'apporter des
individus de la race de nos cousins européens, afin de les mettre aux prises avec
les gigantesques et féroces cousins de ces parages, pensant bien que la race eu-
ropéenne de ces insectes ailés jouirait du même ascendant qui avait rendu
l'homme du Nord maitre et vainqueur de l'homme des Indes; et l'on ajoute que
ses prévisions furent couronnées des plus heureux succès. Les cousins de petite
taille dévorèrent les gigantesques moustiques de Cuba ; ils en exterminèrent la
race et se substituèrent à elle; depuis cette époque ils sont restés maitres du
pays, et l'homme y a gagné d’avoir des maitres un peu moins voraces et dont il
peut ainsi se garantir à l’aide de quelques précautions (***).
Dans nos parages, il arrive des époques où nos petits cousins se multiplient
d'une manière remarquable, et occasionnent des tortures de plus d’une façon,
mais dont la cause n'échappe à personne.
Vers le commencement d'octobre 1855, le département des Bouches-du-Rhône
se trouva tout à coup en proie à une invasion de ce genre qui ressemblait à une
plaie d'Égypte. Des nuées de cousins venus des marais de la Camargue, fondi-
rent sur la ville de Marseille, et se mirent à en molester de bien des manières la
(*) On aurait tort de croire que la fumée des cheminées où l'on brûle du bois soit nuisible à la
santé ; elle est au contraire, par ses vapeurs empyreumatiques, éminemment hygiénique, parte qu'elle
est éminemment vermifuge. C'est un avantage qu'on achète par des tortures ; mais la sante floris-
sante des Lapons, qui ne vivent presque que de lait des rennes, prouve suffisamment en faveur de
l'efficacité de la fumée du bois comme condiment, En Angleterre, au xve siècle, d'après Bulwer, les
provinces avaient un préjugé prononcé contre l'usage des cheminées; on regardait la fumée comme
très-salutaire et pour la maison et pour celui qui l’habite; on croyait que l’action de la fumée con-
solidait les murs et préservait l'homme des rhumes et catarrhes; et la théorie du nouveau système
donne süffisamment la raison de cette opinion, qui n’est plus un préjugé qu'à cause de son incommo-
dité, alors que nous possédons des succédanés plus commodes à prendre. Car nous avons le gou-
dron liquide à la place des vapeurs larmoyantes du goudron en fumée.
(**) Voyez Histoire naturelle de la santé et de la maladie, tome Il, p. 397, en note, Vattable, dans ses
commentaires de la Bible, traduit le mot kinnimi, dont l'hébreu se sert pour désigner une des plaies
d'Egypte, par celui de cousins, quoiqu'il avertisse que les auteurs rabbiniques entendent par kinnim
les poux de la tête; et ce mot avec cette dernière acception est passé dans le patois des villes du midi
à synagogue.
(***) Voyez la Havane, par Mme la comtesse Merlin, t. Ier, p. 315, 1844.
76 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUEES.
population. Les paysans de la campagne n'avaient qu’une seule occupation, celle
de se défendre des piqüres de ces moustiques; et chacun faisait des vœux pour
que le terrible mistral vint, en jetant ces insectes dans la mer, débarrasser les ha-
bitants d’un fléau plus insupportable que ce vent même.
Le 10 septembre 4853, nous avons éprouvé ici une pareille calamité; les
maisons de Bruxelles se trouvaient envahies par des hordes de ces suceurs de
sang; et à deux lieues de ià, nous n’étions nullement à l'abri de cette recrudes-
cence d’un fléau qui nous assiége, avec moins d'intensité il est vrai, pendant toute
la belle saison, à cause du voisinage de nos étangs.
2° Arrivons maintenant à l'étude de leurs ravages. Outre le cousin volant (Culex
pipiens, Linn.), il existe deux autres espèces tout aussi communes, le cousin ram-
pant (Culex reptans, Linn.), et le cousin puce (Culex pulicaris, Linn.); celui-ei se
glisse en rampant entre les poils des animaux et surtout des chevaux, et entre la
chair et la chemise de l'homme. Le cheval entre en fureur, assailli par ses pi-
qüres; les bras de l’homme se couvrent d'espèces d’indurationsrougeâtres, mais
ayant une aréole centrale jaunâtre, qui ne tarde pas à se changer en une ampoule
pleine d'eau.
Tous ces jours-ci nous avons été témoins de ces ravages, contre lesquels le
remède souverain est de se frotter de pommade camphrée et de saupoudrer son
lit de camphre; quant aux animaux, on les en préservera en les brossant avec une
dissolution alcoolique de camphre et d’aloès, ou simplement avec une dissolu-
tion aqueuse d’aloès. Si l’on n’a pas eu cette précaution, on neutralise les effets
de ces cuisantes piqüres au moyen de lotions à l’eau sédative.
Le 29 juillet 1852, à Doullens, des accidents de ce genre devinrent une véri-
table épidémie. Les bras se couvraient quelquefois de trainées rougeñtres qui
causaient d'insupportables euissons. Le fléau remonta de la ville à la citadelle;
un soldat en eut toute la main tuméfée.
5° Il nous reste à démontrer que les ravages de ces vampires ne se bornenrt pas
à la peau, mais qu'ils peuvent s'étendre au canal intestinal lui-même; et pour-
quoi pas, si l'insecte peut se ruer dans ce milieu où les vaisseaux sanguins su-
perficiels sont plus amples et plus fournis que les capillaires de la peau ?
Or, jugez des effets de ces piqûres sur l’économie générale, si elles venaient à
s'étendre sur la muqueuse des intestins. Quelle inflammation! quelle fièvre,
conséquence de cette inflammation! quelle infection sanguine, quand l’insecte
inoculerait dans le sang avec sa trompe les produits de Ia défécation! quelles
convulsions, quand sa trompe s’implanterait dans un centre nerveux interne,
alors qu’elle produit de telles crispations, quand elle n’atteint qu’une papille ner-
veuse de notre derme!
Qu'on se rappelle les effets rapides et effrayants d’une piqüre de lancette in-
fectée, d'une simple piqüre ! et avec quelle rapidité les conséquences de cet atome
d'infection marchent vers la décomposition et la mort; en deux ou trois jours,
l’œuvre de destruction est accomplie ; en deux ou trois heures, l'œuvre de décom-
position est commencée : Cyanose, torpeur, convulsion et tétanos, fièvre d’abord
brülante, et ensuite atonie croissante. Transportez la eause de ce terrible mal sur
une large surface du canal intestinal, et vous aurez devant les yeux tous les ca-
ractères et Jes symptômes du choléra. Car une piqûre d’insecte produit une plaie
plus profonde que lasimple égratignure d'une épingle empoisonnée, égratignure
qui seule peut causer Ja mort.
Que le cousin puisse s’introduire dans le canal alimentaire, soit pour y exercer
RAVAGES INTERNES ET EXTERNES DES COUSINS. 77
ses piqûres, soit pour y déposer ses œufs, c’est là un fait acquis depuis longtemps
à la science, et dont on peut être témoin, quand on cherche à observer attentive-
ment l'œuvre des ravages de ces vampires ailés, à l’époque de leurs invasions
épidémiques.
A l’époque dont j'ai parlé plus haut, le 30 juillet 1852, à Doullens, alors que
tant de gens avaient les bras bourgeonnés, mon jeune fils se sentit piqué à l'inté-
rieur de la gorge; il lui survint une amygdalite qui menaçait la déglutition; le
4 août suivant, je ressentis le même effet et j’eus les amygdales enflées. Ces maux
se dissipèrent par la médication que j'ai indiquée dans le Manuel contre l'angine ;
la cigarette de camphre les prévenait. Au reste, les maux de gorge étaient ces
jours-là très-fréquents dans la ville, et ne cessèrent qu'à la disparition des petits
maringouins rampants. De la gorge au canal intestinal la route est facile aux in-
sectes ; mais la plupart ne font pas ce trajet impunément; et s'ils rentrent dans la
bouche, c’est moins pour y élire domicile que pour y déposer leurs œufs, que la dé-
glutition introduit ensuite dans toute la longueur du canal intestinal, où l’incuba-
tion est prompte et où la larve trouve un milieu propice à sa nutrition et à son
développement qui ne peut avoir lieu qu’à nos dépens. C'est ainsi que l’œstre
introduit ses œufs dans le canal intestinal des chevaux, chez qui cette pullulation
occasionne tous les symptômes d’un typhus cholérique; à l'autopsie, on trouve
les intestins de ces animaux incrustés et criblés de pupes qui accomplissent leur
métamorphose, pour s'échapper ensuite en mouches par l'anus de l'animal.
Les médecins lisent peu les naturalistes : sans cela, ils seraient un peu moins
portés à nier, sans discussion, les conséquences rigoureuses que nous déduisons
des principes établis dans l'Æistoire naturelle de la santé et de la maladie. Car
Linné, qui ne manquait jamais de recueillir les faits observés par l'homme des
champs, cet observateur de toutes les heures, Linné a rapporté, au retour
de son voyage en Laponie, qu'il arrive fréquemment que le cousin (culex pipiens)
et à plus forte raison le eousin rampant (culex reptans), en s'introduisant dans le
canal intestinal et dans les poumons des mammifères, et de l'homme en particu-
lier, y produit une inflammation qui peut devenir mortelle en 4 à 5 heures (*).
N'est-ce pas là le choléra ?
4° Maintenant que la race des cousins puisse renfermer des espèces si petites
qu’elles ne fixent pas l'attention des hommes, quelque grande que soit leur pullu-
lation, qui pourrait le nier, en voyant le passage des dimensions du cousin géant
des tropiques qui cause des hémorrhoïdes (culex hœæmorrhoïdalis, Linn.), à la taille
des petits cousins qui infestent ici nos habitations vers la tombée de la nuit?
Pendant les jours caniculaires, nous avons été fatigués par des hordes de mou-
ches presque imperceptibles qui se jetaient dans le nez, dans les yeux, dans la
bouche; et je suis bien sûr que moi seul y ai fait attention, et que bien des gens
ont dù voir un certain tie dans les mouvements fréquents que je faisais pour m'en
préserver en écrivant; car qui s’imaginerait que se qui ne tombe pas sous les sers
puisse être à redouter pour les êtres de notre taille, et qu'un ciron microsco-
pique soit en état de frapper de mort le Roi de l'univers ? Pauvres orgueilleux
vainqueurs qu'un grain de sable étouffe ! Pauvres Rois de l'univers qu'un ciron
détrône en quelques minutes ! Redoublez de prudence et de sagesse en diminuant
de fierté! Apprenez à vous défendre, en étudiant de près le danger; et devenez
(*) In intestina pulmonesque mammalium interdüm irrepens et inflammatlionem 4-5 horis aliquande
lethalem ciens, (Lin., Syst. nat.)
78 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
vos propres médecins, en devenant naturalistes, scrutateurs de la nature, dans la
plus large acception de ce mot. |
Quant à moi, je vous ai indiqué depuis longtemps les moyens préventifs et pré-
servatifs du choléra; je viens de vous en faire évaluer la cause. L'expérience a
confirmé toutes mes prévisions, qui sont toutes conformes aux notions les plus
irrécusables de l'histoire naturelle. Aidez-moi à propager ces doctrines théoriques
et ces moyens pratiques. Propager ce qui est vrai et incontestablement utile, e’est
un devoir sacré; l'hostilité systématique serait, en pareil cas, un délit de lèze-
humanité.
$ 4. APPLICATION DE CETTE HYPOTHÈSE AUX CARACIÈRES ET SYMPTOMES
DU CHOLÉRA.
Ainsi que dans toute autre maladie, rien n’est plus variable que la marche et
les effets du choléra. Ceux qui ne s’attachent qu'aux symptômes feraient un vo-
lume pour décrire l’histoire de ce terrible fléau ; celui qui remonte à la cause est
en état de prédire d'avance toutes les modifications qu’il peut revêtir dans la promp-
titude de son invasion, dans la durée de son action, dans la terminaison heureuse
ou fatale de ses ravages.
Admettons, en effet, que le choléra ne soit l'œuvre que de l'invasion et de la pul-
lulation de hordes nomades d'infiniment petits cousins dont les larves se glis-
sent dans les intestins, soit par l'anus, soit par la bouche. C’est un fait connu
de tous les agronomes naturalistes que certains diptères ont soin de pondre
leurs œufs dans le voisinage de l'anus, pour qu'à l'époque de leur éclosion , les
larves, pénétrant plus facilement et avee plus de chances par l’orifice anal dans
les intestins, s'appliquent sur les muqueuses et infectent ensuite la cireulation de
leurs piqûres envenimées par le développement soit d'un acide, soit d'un
virus ammoniacal. Il est évident que, dans les premiers instants de leur succion
intestinale, le malade n'éprouverà qu'une forte fièvre et une colique qui devien-
dra d'autant plus intense que le nombre de ces parasites sera plus grand et que
leur action sera moins interrompue par l’ingestion d'un vermifuge. Car l’inflam-
mation de la piqûre, qui donne déjà la fièvre quand son siége est sur la peau, sera
bien plus fébrile sur la muqueuse des intestins ; les agacements nerveux qu'elle
produit sur la peau se traduiront en mouvements convulsifs quand la piqüre
atteindra les papilles nerveuses d’une région aussi sensible que la surface des
intestins; qu'on se rappelle, en effet, les convulsions effrayantes que sont dans le
cas d’occasionner les piqûres des vers intestinaux.
La décomposition putride n’est pas longue à se développer sur ces surfaces en
contact avec les produits de la défécation ; et cette putridité inoeulée par la pi-
qûre de ces larves portera, avec la rapidité de la foudre, l'infection dans tout le
torrent de la circulation. De là l'affaiblissement et la torpeur, la eyanose ou cou-
leur bleue que revêtiront les surfaces, à cause que la putridité, étant éminemment
alcaline, bleuira la couleur rouge et acide du sang en le décomposant. De là en-
suite une espèce de carbonisation croissante, conséquence immédiate de l'action
ammoniacale sur les tissus organisés.
La diarrhée et les vomissements auront lieu selon que le lieu d'élection de ces
larves sera au-dessus ou au-dessous du canal cholédoque, c’est-à-dire de l'orifice
par lequel les produits alealins de l’élaboration du foie viennent dans le duodé-
num transformer le chyme acide en chyle alcalin. La diarrhée pourra se changer en
APPLICATION DE CETTE HYPOTHÈSE AU CHOLÉPRA. 79
dyssenterie par suite de l'excoriation et de la désorganisation des surfaces intes-
tinales déchirées par l'application dévorante de ces petits êtres trop multipliés.
L'intensité du mal dépendra du nombre des parasites. Qu'on se rappelle ce qui
se passe quand un animal se trouve assailli par les guêpes ou les abeilles : deux
ou trois piqüres le mettent en fureur et un plus grand nombre le jettent dans les
convulsions; si l'essaim tout entier s'attache à sa peau, la mont devient fou-
droyante. Transportez par analogie le théâtre de ces désordres sur les intestins et
vous aurez toute l'histoire du choléra.
On remarque, dans le cours d’une épidémie cholérique, qu’une foule de maux
divers et de différents noms règnent épidémiquement et pour ainsi dire parallè-
lement au choléra. Ces maux de caractères différents émanent de la même cause
et se transformeraient tous en choléra, si le siége en était le même, et le nombre
des agents morbipares aussi grand.
Ainsi, que ces vampires s’attachent aux fosses nasales, de là maux de tête et
rhume de cerveau (coryza); qu'ils s'attachent au voile du palais et à la luette,
toux et nausées,
Qu'ils s'aventurent dans les voies respiratoires, rhume de poitrine, quintes de
toux, laryngite turberculeuse.
Dans l'œsophage et dans l'estomac ? gastrite, indigestion, crampes atroces d’es-
tomac, vomissements d'abord glaireux et ensuite noirâtres (vomito negro), quand
le sang décomposé se fera jour à travers la piqûre.
Dans les canaux biliaires, dont leur succion troublera la fonction et dont leurs
masses ou leurs produits seront dans le cas d’intercepter l'écoulement : jaunisse,
tuméfaction du foie, diarrhée acide et corrosive, à cause que le chyme acide pas-
sera tel dans le côlon.
Que l'invasion descende dans le côlon, là commencera la série des phénomènes
les plus caractéristiques du choléra; car là l'inoculation par les piqüres se fera
à l’aide de la défécation, et chaque piqüre sera un empoisonnement suffisant
pour donner la mort.
On conçoit de la sorte que l'épidémie de choléra puisse se réduire à une épidé-
mie de coryza, de cholérine, de gastrite, de divers malaises, d'agacements ner-
veux, si le nombre des auteurs microscopiques de tous ces ravages n’est pas
assez grand pour couvrir d'assez grandes surfaces d'organes, et si l’alimentation
où la médication les empêche d'envahir le canal intestinal.
On conçoit encore que, dans la même population, tel individu ne ressentira que
quelques atteintes du mal qui dévore et jugule son voisin.
Quant aux vers intestinaux, dont la pullulation peut coïncider avec celle des
larves choléripares (*), les vers intestinaux, parasites de nos tissus vivants,
s'échappent au plus vite hors du corps, dès que ces tissus commencent à se dé-
composer ; on les voit sortir par l'anus et par le nez des cadavres , dès que le
malade a passé de vie à trépas, et que la décomposition succède à l'élaboration
vitale.
Or, si la décomposition intestinale s'opère déjà sur le vivant, par l'action
dévorante des larves, il est évident que les malades atteints du choléra rendront
des vers intestinaux par le haut et par le bas, selon que la décomposition agis-
sant à tergo les chassera vers l’une ou l’autre ouverture; et c'est ce qu'aujour-
d'hui on remarque partout où règne le choléra,
(*) De pario, j'enfante, je cause ; cholera, le choléra.
80 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
$ 5. MÉDICATION ET ALIMENTATION ANTICHOLÉRIQUES.
On comprendra, par tout ce que nous venons dedire, que l'alimentation que nous
opposons aux helminthes préserve également du eholéra; ear toutes les larves
redoutent les vermifuges. Mais, comme l'invasion des larves qui nous occupent
a lieu avec une rapidité effrayante, que leur pullulation est indétinie et leurs ra-
vages presque instantanés, on conclura que, dans le cas d’une apparition des
symptômes caractéristiques du choléra, la médication doit s'appliquer avec une
incessante activité; elle ne doit, en effet, laisser ni paix ni trêve à un ennemi qui
se multiplie avec la rapidité de l'éclair.
Que chacun propage donc avec zèle et courage les méthodes préventives et
curatives qui, depuis dix ans au moins, ont fait leurs preuves, avec un succès in-
contestable, dans les deux hémisphères; je parle la main sur la conscience et non
sur la bosse de la vanité : aujourd’hui cette propagande est un devoir. C’est l’opi-
nion publique qui, il y a près de cent ans, entraina la médecine récalcitrante dans
la voie de l’inoculation de la petite vérole; c’est à elle à l’entrainer aujourd'hui,
tout aussi récalcitrante qu’alors, dans la voie de la médication et de l’alimenta-
tion contre le choléra. Qu'elle surmonte partout la répugnance à l'ail, que
n'éprouvaient pas les petits maîtres de la régence. L'ail, en quantité suflisante,
est un préservatif à la portée de toutes les classes; c’est pour cela que le riche
doit en manger, afin que le pauvre ne craigne point, en en mangeant, de rebuter
le riche.
On a objecté à cela qu’à Marseille, où le choléra a exercé plus de ravages que
partout ailleurs, l'ail est presque l'alimentation habituelle du pauvre; ceux qui
ont fait cette objection ignorent que, dès que le choléra s’est montré dans cette
ville, la médecine scolastique, encore imbue des doctrines de Broussais, a pré-
cisément défendu tout ce que Broussais avait relégué dans Îles alimentations in-
cendiaires, et que l'ail, comme les épices, a été frappé de proscription par la
doctrine à la diète et à l’eau de gomme. Marseille a renoncé à l’ail précisément
au moment où cette alimentation devenait plus nécessaire. La leçon servira pour
plus tard; car dans les départements voisins on commence à s’apercevoir que l’on
avait fait fausse route, et tous ceux qui y sont revenus au nouveau système se
sont préservés du fléau ou guéris en peu de temps de ses premières atteintes.
Proscrivez les fruits non mùrs, les fruits fades et juteux; mais que les épices,
le piment, les oignons et l’ail surtout soient employés en cuisine en plus grande
quantité que dans toute autre circonstance. Avec cette simple précaution, le cho-
léra ne sera pas plus à craindre que la petite vérole et la rougeole, quand on les
traite par l'eau sédative et les frictions. *
$ 6. CARACTÈRES ET MÉDICATION D'UNE CERTAINE FORME LE CHOLÉRINE, QUI A
RÉGNÉ DANS ERUXELLES ET DANS LES ENVIRONS, PENDANT LA PREMIÈRE
MOITIÉ DE SEPTEMBRE.
Vers la fin d'août, un de nos amis, domicilié depuis près de trente ans à
Bruxelles, et qui suit, dans sa famille, le nouveau système, de manière à faire
rougir jusqu'au blanc des yeux l’auteur anonyme de la note relative aux huit
fous de camphre de l'hospice de John Bull(‘), cet ami, dis-je, se sentit pris d’une
'
(*) Voy. le $ suivant,
CARACTÈRES ET MÉDICATION D'UNE CHOLÉRINE ÉPIDÉMIQUE. 81
affection qui l'inquiétait et qui nous paraissait infiniment légère; car le pouls
était calme, l'appétit excellent, et le visage florissant de santé. Mais il éprouvait
des flatuosités accompagnées de petites coliques, et rendait du sang en allant à
la selle. Je ne voyais en tout cela que l'apparition d'hémorrhoïdes internes; et
réellement l'emploi des bougies camphrées lui rendit la confiance, en calmant
les épreintes et facilitant les selles.
Plus tard, çà et là dans la ville, on se plaignit de diarrhées et de quelques-uns
des symptômes ci-dessus, mais pourtant moins prononcés ; bientôt ayant été pris
violemment moi-même de douleurs qui m'offraient exactement tous ces caractè-
res, j'ai pu étudier le mal d’une manière plus suivie et partant plus profitable
aux autres; car de pareils cas ne tardèrent pas à se représenter sur une foule de
points de ce pays.
Je vais décrire et le mal et le remède, tels que je les ai observés et appliqués
sur un de mes amis de France.
Le 6 septembre, à déjeuner, il avait mangé une grosse pomme calvi, et à diner
deux petites pêches d’une maturité douteuse.
Le 7, en se levant, il s'aperçoit en allant à la selle qu’il rend du sang liquide
et en caillots par l'anus ; il mange une gousse d'ail, et s’introduit de la pommade
camphrée dans l'anus. À midi, selle normale. Mais le soir, à six heures, selle
sanguinolente. Le fruit non mür avait-il produit un commencement de dyssente-
rie, ou déterminé, par des concrétions de tartrate insoluble, l'apparition d’hé-
morrhoïdes internes ? Il prend, en rentrant, de la bourrache et beaucoup ce
bouillon aromatique : il ne rend de sang ni la nuit ni le lendemain. Il avait pris
du camphre trois fois par jour.
Le 8, il fait du sang toutes les fois qu’il va à la selle.
Le 9, les symptômes s’aggravent ; le sang s'échappe, à chaque selle, par cail-
lots accompagnés de matières fécales gluantes et noires, comme celles que l’on
rend aprèsavoir pris une certaine quantité de calomélas; elles brülent et semblent
excorier le fondement. À deux heures, même selle. Les urines sont de moins en
moins abondantes (à peine 25 centimètres cubes chaque fois). Le ventre est bal-
lonné ; le malade se jette sur son lit vers quatre heures, après avoir avalé un petit
verre de la liqueur hygiénique du Manuel. Il dort un peu et reprend de la liqueur
hygiénique, puis se couvre le ventre d'alcool camphré quatre ou cinq fois; le
…… ventre désenfle.
Le 10, selle encore un peu sanguinolente; il prend, le soir, du bouillon aux
herbes, et rend, avec les mêmes matières gluantes et noires, des glaires comme
du blanc d'œuf, puis des excréments calcinés ; l'anus est tout en sang; fourmille-
ments continuels aux extrémités.
Le 11, huile de ricin avec bouillon aux herbes à neuf heures; l'huile n’agit
qu'à midi, en selle liquide qui passe brülante, mais sans aucune trace de sang.
Le soir un peu de faiblesse, mais bon appétit.
Le 12, urine, pour la première fois, rouge, épaisse et bourbeuse, et très-peu
abondante. Dès ce moment il prend trois ou quatre fois par jour de la liqueur
hygiénique, il se brule le fondement plus souvent qu’à l'ordinaire, avee un linge
imbibé d'alcool camphré. Lavement à la graine de lin, avec un grumeau d’aloès,
trois pincées de poudre de racine de fougère, et un dé à coudre de pommade
camphrée; le lavement calme les boyaux, dissipe les borborygmes; plus de
selles sanguinolentes.
Dans la nuit du 12 au 15, vers le matin, continuels borborygmes, impression
82 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
subite de froid, fourmillement aux extrémités. Les lotions à l’alcool camphré
sur le ventre font taire un instant les borborygmes qui reviennent après.
À 9 heures, le malade prend un petit verre plein de la liqueur hygiénique, et
tout symplôme cesse comme par enchantement. Lavement comme ci-dessus.
Les urines reprennent leur limpidité; leur densité est un peu plus forte qu’à l'or-
dinaire. À 10 heures, en voulant rendre le restant du Jlavement qui se traduit
par un simple vent, il remarque dans le pot comme un fragment de ver décom-
posé, de 20 centimètres de long, et qu'on aurait pris certainement pour un
fragment décomposé de ver solitaire. À midi déjeuner copieux, précédé et suivi
de deux autres petits verres de liqueur hygiénique. De temps à autre, dans le
courant de la journée, application à l’anus d’une forte compresse imbibée d'alcool
camphré; et tous les symptômes ont disparu. Les selles, le 13, étaient tout à
fait normales. Par précaution, on continue la liqueur hygiénique, les applications
de compresses alcooliques à l'anus, les lotions à l’eau sédative sur le ventre.
(Les coliques les plus atroces et les plus opiniâtres cessent comme par enchan-
tement, dès la première fois qu’on prend un petit verre de liqueur hygiénique).
Avec tout autre système, ce mal aurait cerlainement revêtu tous les caractères
du choléra.
CONCLUSION.
Quand ces premiers symptômes apparaissent, liqueur hygiénique d’après la
formule du Manuel, deux, trois et même quatre fois par jour; lotions fréquentes,
tantôt à l'alcool camphré, tantôt à l’eau sédative, sur le ventre; application forte et
fréquente de compresses imbibées d’alcool camphré sur l’anus et assez profondé-
ment; puis introduction de pommade camphrée dans le fondement. Le matin,
lavement à la graine de lin, poudre de racine de fougère (trois pincées) assa fœ-
tida (une pincée), aloès (gros comme une demi-lentille) et huile camphrée (un dé
à coudre) ; au besoin, huile de riein. Dans une foule de cas de ce genre, la liqueur
hygiénique seule arrêtera au début tous les symptômes.
Renvoyez ensuite les récalcitrants et les sots (quorum infinitus est numerus) à
l'hospice des aliénés de St.-Ignace à Londres et au paragraphe suivant.
$ 7. MYSTIFICATION SUR UNE VASTE ÉCHELLE D'UNE CERTAINE PRESSE PÉRIODI-
QUE AU SUJET DU CAMPHRE; — TERRIBLES EFFETS QU'ELLE A PRODUITS DANS
CERTAINES LOCALITÉS FANATIQUES D’IGNORANCE.
Le 9 septembre à 8 heures du soir, je reçois la visite d’un de mes bons voisins,
l'un des premiers hommes politiques de la Belgique et qui a occupé, dans la ma-
gistrature représentative, le plus haut rang auquel l'élection puisse élever un
citoyen; il m'apportait, véritablement affecté, le n° du journal l'Observateur dont
il est la pensée et le propriétaire; il ne savait quelle plume avait glissé dans la co-
lonne des sinistres l’article suivant :
« Huit personnes ont été admises à la maison des aliénés de Londres dans un
état d’aliénation mentale causée par la consommation d’une certaine quantité de
camphre pour se préserver du choléra, Quelques-unes de ces personnes en por-
taient dans leurs poches, et de temps à autre en mangeaient de petites quantités;
d'autres en faisaient dissoudre dans l’eau-de-vie. C’est un fait bien connu qu'une
très-petite quantité de camphre rendra fou un chien, et que l'animal en mourra
même bientôt après l'avoir pris. »
Qui done avait eu l'effronterie de glisser une pareille drôlerie dans les colonnes
MYSTIFICATION D'UNE CERTAINE PRESSE PÉRIODIQUE. 83
de L'Observateur, à l'insu de la rédaction principale? Celle-ci fait une enquête; et
tout ce qu'elle peut découvrir, c’est qu'on avait trouvé dans la boite cet article
coupé au ciseau dans un autre journal, et que la personne chargée des entre-
filets l'avait donné à l'impression comme article de remplissage, L'Observateur a
dû depuis rendre hommage à la vérité, en faisant justice de cette pieuse ruse.
Mais, dansle même moment, l’article paraissait dans l’'Emancipation, journal de
la Société de Jésus, et il se trouvait reproduit, comme sur les ailes du télégraphe,
presque le même jour, dans une foule de journaux de la couleur de cette dernière
feuille, de Londres à Rome, à Marseille, à Montpellier, Lyon, Nantes, ete., ete.
Ce qu'il y a de moins explicable, c'est que l'article était extrait d’un journal
anglais, le Tarento coloniste, dont je n'ai jamais entendu parler, et qu'il avait été
reproduit les yeux fermés par le grave Morning Chronicle, qui du reste, en bien
d’autres circonstances n'y regarde pas de si près pour donner satisfaction à son
antipathie contre toute idée utile.
Évidemment cette bourde ne devait être mise sur le compte ni de la politi-
que, ni du corps médical, qui ne procède jamais avec un tel ensemble et une telle
catholicité, je veux dire universalité. Chacun devine les auteurs qui ont l'habi-
tude de porter ainsi des coups dans l'ombre; c’est un tour de leur pieuse gibe-
cière, une fraude pieuse; je ne dirais pas que Dieu le leur rende, ma plume n’a
jamais blasphémé. |
Mais quant au journalisme qui n’a pas fait ses vœux, etqui n’a d'autre but que de
porter à la connaissance de ses lecteurs des idées justes et des applications utiles,
à celui-là j'oserai dire qu'il manque à ses devoirs envers ses abonnés qui le
payent pour s’instruire, quand, sur la foi d'une note anonyme et honteuse de son
origine, il donne ainsi, les yeux fermés, place dans ses colonnes à de fausses an-
noncés qui concernent la salubrité publique et la santé des populations. D'une
simple phrase, comme celle que les journaux ont reproduite, ne peut-il pas dé-
couler des maux incalculables, dans le cas où le contraire et la contre-partie de
la phrase serait la vérité? Comment! c'est au bout de 18 ans de vogue d’un sys-
tème, alors que vous tous vous avez, j'ose l'assurer, pris par la bouche ou par
le nez d'assez fortes doses de camphre, alors que le tiers de toute population au-
jourd'hui fait un usage journalier de cette huile essentielle, c'est alors que vous
insérez dans vos colonnes, sans plus vous en inquiéter, une note qui suffirait pour
faire mettre son auteur à l'hospice de John Bull, en compagnie des huit fous
qu'il a de la sorte camphrés ?
Les auteurs d'une pareille note sont bien coupables, et ils le sont sciemment ;
mais vous, si toutefois vous n'avez commis en cela qu'un acte de légéreté, vous
devez l'avoir déjà assez expié par vos remords; je désire que votre légèreté n'ait
pas de conséquences plus graves. Car voyez, par ce qui s’est passé en ce genre, ce
qui pourrait en arriver encore dans l'avenir : A Marseille, où quelques faux esprits
se sont attachés à poursuivre le nouveau système, la mortalité a été si effrayante
qu'ils ont reculé devant leur œuvre et se sont tous lâchement enfuis du foyer de
la contagion; à Londres, où peut-être cette bourde du Morning Chronicle à pu
C're prise au sérieux par le pauvre peuple, on parle déjà de plus de sept mille
morts du choléra. Partout, au contraire, où on a suivi à la lettre le nouveau sys-
tème, partout le choléra est resté à l'état de menace, et s'est arrêté à des symptô-
mes précurseurs.
Le journalisme, quand j'en faisais, me paraissait un sacerdore; et je veillais,
nuit et jour, près de l'autel, crainte qu'une main impie ne profitàt de mon som
84 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
meil pour venir y sacrifier aux faux dieux de ce monde. Mais en ne l’acceptant que
comme une industrie, le journalisme ne doit pas oublier que ce genre de com-
merce a des règles spéciales de probité qu'on ne saurait enfreindre sans se ren-
dre coupable; l’abonné, qui figure l'acheteur, a droit de recevoir ce qu’il paye
exempt de fraude et de falsification ; or, en fait de journalisme, les choses oiseuses
sont la fraude, et les erreurs la falsification. Quant à l'insulte que renfermait ce
bout de note à mon adresse, j'ai une trop longue habitude de ce qui me revient
du soin que je prodigue à l'humanité malade, pour me formaliser d’une insulte
mise ainsi sur le compte de huit fous, plus un neuvième qui ne se nomme pas.
CHAPITRE IT, — ILLUSIONS D’OPTIQUE
EXPLIQUÉES PAR LA THÉORIE NOUVELLE DE LA VISION.
POURQUOI NOS DEUX GRANDS LUMINAIRES (le soleil et la lune) NOUS PARAISSENT-ILS D’Au-
TANT PLUS GRANDS QU'ILS SONT PLUS PRÈS DE L'HORIZON, QUOIQUE LEUR DIAMÈTRE APPA-
RENT RESTE LE MÈME, QUAND ON LE MESURE À L'HÉLIOMÈTRE (*) OU PAR D’AUTRES PROCÉDÉS,
A QUELQUE HAUTEUR QUE L’ASTRE SE TROUVE ?
La difficulté n’est pas d'expliquer pourquoi le soleil et la lune nous paraissent
d'autant plus grands qu'ils sont plus près de l'horizon. Il est évident, en effet,
pour tout le monde, que cette ampliation apparente est un effet de la réfraction
des couches inférieures de l'atmosphère, qui sont d'autant plus denses, plus
chargées d'humidité, plus brumeuses, enfin, qu’elles sont plus voisines du sol.
Ces couches forment ainsi l'équivalent d’une lentille de verre grossissant.
Mais la difficulté à résoudre c’est de savoir pourquoi, alors qu’on mesure avec
des instruments de précision le diamètre apparent des deux astres, on le trouve
le même près de l'horizon et à toutes les hauteurs.
S 1. HISTORIQUE DE LA QUESTION.
Cette difficulté a fort occupé les premiers penseurs; et puis personne n’y a plus
songé, depuis que Malebranche le grand métaphysicien a expliqué le fait par
un raisonnement que tous les physiciens ont dénaturé en se le transmettant les
uns aux autres; ce qui fait que l'opinion de Malebranche ne semble plus aujour-
d'hui pouvoir soutenir l'examen.
Tout se dénature par la compilation, car nul ne veut copier littéralement; qui
n’invente pas veut se donner les airs de bien traduire, de rédiger plus élégam-
ment, de modifier la tournure de la phrase; et toutes ces belles modifications de
la phrase finissent, à la longue, par n'être que des altérations de la pensée.
Prenons, par exemple, un des ouvrages les plus compétents sur la matière, le
Traité d'astronomie de J.-F.-W. Herschell, traduit en français par Die
en 4856, et nous y lirons, page 39, ce qui suit :
« La dilatation apparente que le soleil et la lune éprouvent ordinairement près
de l'horizon, et qui les fait paraitre plus grands que lorsqu'ils en sont fort éloi-
gnés, ne provient point de la réfraction; c’est une illusion due à l'interposition
(*) Instrument propre à donner la mesure (metron) du soleil (helios).
POURQUOI LE SOLEIL PARAIT-IL PLUS GRAND A L'HORIZON? 85
des objets terrestres, auxquels on peut alors les comparer. Dans cette position du
soleil et de la lune, nous les voyons et les jugeons comme nous avons coutume
de voir et de juger des objets terrestres, d’après une inspection détaillée de leurs
parties. Quand les astres sont près du zénith, toute comparaison devient impos-
sible, et leur isolement dans le ciel nous porte à diminuer leur grandeur appa-
rente, plutôt qu'à l’'augmenter. La mesure que nous en prenons à l’aide d’un in-
strument convenable redresse cette erreur, mais sans détruire notre illusion.
Nous apprenons ainsi que l'angle visuel soutendu par le soleil est exactement le
même que lorsqu'il est à une grande hauteur. »
A la prolixité de cette rédaction, on sent que l'auteur se débat contre une ex-
plication qui répugne à sa raison, et qu'au lieu de puiser cette explication à la
source même, en ayant recours à Ja lecture de l'ouvrage de Malebranche, il n'a
eu devant les yeux que la modification banale qui s’est transmise de main en
main, et pour ainsi dire oralement, depuis ce grand métaphysicien.
D'autres auteurs classiques, voulant éluder la difficulté par la concision, se
contentent de dire que les deux astres nous paraissent plus grands à l'horizon,
par la comparaison que nous en faisons avec les objets terrestres.
Or, ces explications prolixes ou concises tomhent devant une observation
que chacun est à même de vérifier à chaque instant du jour.
Car lorsque le soleil et la lune sont arrivés au méridien, point culminant où ils
nous apparaissent plus petits que durant tout le reste de la journée, qu'on se
place, pour fixer leur disque, au bas d’une colline boisée ou de l'édifice le plus bi-
zarrement ornementé, et le diamètre de leur disque sera le même que si on les
regarde de la plaine la moins accidentée. L'ampliatton illusoire du diamètre,
quand ces deux astres apparaissent à l'horizon, ne vient donc pas de la comparai-
son que nous nous en faisons avec les objets terrestres; et l'on aurait raison de
s'étonner que cette idée si simple, ne fût pas venue à l'esprit du grand pen-
seur, dans le cas où il aurait formulé son opinion de la façon qu'on lui prête.
Aussi, ce n’est nullement là la formule originale de Malebranche : « Les objets
que nous voyons à l’horizon, disait-il, nous paraissent d'autant plus petits qu'ils
sont plus éloignés; leur image diminue de grandeur en raison de leur distance :
en sorte qu'à un certain point d'éloignement, l'arbre le plus élevé devient à
peine visible. Or, quand la lune ou le soleil sont vus au bout de l'horizon, où
tout ce qui est grand devient si petit, ils doivent nous paraître d'autant plus
grands qu’ils ne se sont pasrapetissés comme tout ce qui les avoisine en apparence.
Quand, au contraire, les astres sont arrivés au zénith, nous ne les voyons plus à
travers cès jalons de la perspective horizontale, et nous ne devons pas, par con-
séquent, éprouver la même illusion optique, la comparaison manquant pour
égarer notre raisonnement. »
Une opinion ainsi formulée mérite qu’on la réfute sérieusement. C’est ce qu'a
fait Voltaire, dans sa traduction des principes de Newton (*) qui parut en 1758,
sous le titre d'£léments de phitosophie de Newton. I] y parle de l'expérience suivante
(*) Para es nombreux titres de Voltaire, on oublie en général d'inscrire la gloire d'avoir le pre-
mier fai naître en France les principes de Newton, de les avoir vulgarisés par une traduction
élégante et par des remarques qué Newton n'aurait pas désavouées, alors que l'université en était
encore à l'engouement des tourbillons de Descartes. Plus tard il parvint à propager l'inoculation de la
petite vérole, préservatif contre lequel ne cessaient de fulminer à son apparition et les médecins etles
parlements ; et la faculté et Thémis, aux facultés toujours propice. La plume de Voltaire fut plus puis-
sante que la main de justice. Il est vrai que Voltaire faisait inoculer les gens, sur les terres de Genève,
par Tronchin, médecin, philosophe et homme d'esprit.
86 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
qui lui semble réfuter amplement la théorie optique &e Malebranche : Il fit
construire un ample cylindre de plusieurs pieds de long, et il regardait la lune ou
le soleil à l'horizon, à travers ce tube qui en isolait l’image des corps terrestres ;
or, ces astres lui paraissaient aussi grands à travers ce tube qu’à l'œil nu; et
tous ceux qui assistèrent à cette expérience furent du même avis que lui.
On aurait pu objecter que ce tube, en isolant l’image de celle des objets terres-
tres, ne faisait pas perdre le souvenir de la comparaison, qui n’en restait pas
moins présente à la pensée, pendant tout le temps que durait l'isolement.
Quoi qu'il en soit, Voltaire crut devoir abandonner l’explication de Male-
branche, que plus tard les livres ont défigurée ; mais il ne fut pas heureux en lui en
substituant une autre qui lui parut péremptoire, et qui n’est qu’un paradoxe en
flägränt délit de contradiction avec tous les principes de la perspective. Maïs ce
paradoxe 4 l'air de quelque chose sur le papier; et si l’image de la lune se prêtait
à ce mécanisme graphique, comme le fait le compas, il faut avouer que le pro-
blème serait résolu par un trait de plume. Le docteur Smith, car c’est à lui que
Voltaire emprunta l'explication, prétendait que, sous la voûte des cieux, nous
voyons tout comme sous une arcade surbaissée, c'est-à-dire dont le rayon ver-
tical soit moindre que le rayon horizontal : témoin, disait-il, la couche des
nuages, qui paraît plus près de nous, aü zénith, que vers l'horizon. En fait, l’hy-
pothèse n’est rien moins que vraie; mais admettons-la pourtant comme telle.
Cela étant, ajoutait-il, divisons le plan de l’arc diurne de la lune ou du soleil, en
secteurs d’un angle égal à celui que soutend cet astre à l'horizon; puisque, au
zénith, la lune nous paraît plus rapprochée de nous, quoique son angle visuel
reste le même, il faut bien qu'elle nous paraisse plus petite qu'à l'horizon, puis-
que au zénith le secteur est limité par un arc de circonférence d’un rayon
moindre. L'auteur traitait l’image de la lune comme une balle élastique que l’on
enfoncerait dans un cornet, et dont le diamètre se rapetisserait d'autant plus
qu'on l'y enfonce plus profondément.
Mais malheureusement les lois de la perspective sont là pour s’opposer à la
réalisation du phénomène. Si nous rapprochons instrumentalement ou naturel-
lement un objet de notre vue, nous l’agrandissons, et vice versà. Done, si nous
rapprochions illusoirement l’image de la lune de nos yeux, quand elle est au
zénith, elle devrait nous apparaître plus grande qu'à l'horizon, en vertu des lois
invariables de la perspective. Il est vrai que l’auteur objectera que, puisque nous
la voyons sous le même angle en la rapprochant, il faut bien qu'elle nous paraisse
plus petite; mais voilà précisément ce qu'il faudrait expliquer, et ce qui n'est
que la proposition retournée. Malebranche se demandait pourquoi il voyait les
astres plus grands à l'horizon, et Smith, pourquoi on les voit plus petits au
zénith; et pour répondre, ils avaient tous les deux recours à un raisonnement
que l’un et l’autre prêtent à notre imaginative; comme si l'imaginative était la
même chez tous, et que les erreurs d'interprétation ne soient pas variables à
l'infini.
Nos illusions, quand elles sont générales, viennent des sens, et non de l'ima-
gination; et c’est dans le jeu de la vision que nous devons en chercher l'explica-
tion et la théorie. On découvre alors que ces illusions ne sont que les consé-
quences naturelles des combinaisons des louis générales de l'optique.
Mais ce qui a toujours jeté la science dans les explications les plus contradic-
toires eh fait d'optique, c’est l'isolement dans lequel chaque branche des con-
naissances humaines s’est opiniatrément tenue par rapport aux autres branches.
PRINCIPES D'OPTIQUE FONDÉS SUR LA THÉORIE DE LA VISION. 87
On semble avoir voulu n’étudier les phénomènes d'optique qu'en dehors de
l'œil, et comme si les phénomènes visuels s'accomplissaient exclusivement dans
l'espace et au bout de l'objectif de l'instrument des observations. C’est en suivant
la méthode contraire que nous arriverons à concilier les apparences avec la réa-
lité, et à démontrer que la nature ne se joue pas de notre jugement, et que nos
illusions ne sont que de fausses interprétations de phénomènes naturels, c'est-à-
dire qui découlent du jeu régulier des grandes lois qui régissent le monde.
$ 2. PRINCIPES D'OPTIQUE FONDÉS SUR LA NOUVELLE THÉORIE DE LA VISION (*).
4° Notre œil ne perçoit pas les images sur la rétine et ne voit pas les objets
renversés, comme on le professe dans les écoles. Cette idée bizarre n'avait été
émise par Descartes qu'à la suite d’une expérience interprétée contrairement à
tous les principes d'optique.
2° La vision a lieu sur le point de l'humeur vitrée où viennent converger les
rayons lumineux réfractés par la cornée transparente, l'humeur aqueuse et le eris-
tallin,
3° Ce point se déplace selon que l'angle que sous-tend l’image de l'objet est
plus ou moins ouvert. Il se rapproche du cristallin, en même temps que l'objet
se rapproche de l'œil, et il s’en éloigne avec l'éloignement de l’objet. Ce que l’on
concevra facilement, en se rappelant que les rayons émanés des limites du corps
observé sont forcés, pour arriver à l'humeur vitrée par le cristallin quilesréfracte,
de passer au travers de la pupille, Tracez sur le papier une circonférence égale à
celle de la pupille; faites passer graphiquement par cette circonférence les lignes
qui émanent en convergeant des limites d'images quelconques, et vous peindrez
ainsi Ja démonstration.
4° Cependant, la circonférence de la pupille n’est pas invariable ; la pupille est
susceptible de se dilater et de se contracter. Les oiseaux de nuit ont la pupille
très-contractée le jour, et très-dilatée la nuit; le chat ferme presque sa pupille
à la trop vive lumière. Chez l'homme à l'état de santé, ces covtraetions et dilata-
tions de la pupille sont moins faciles à remarquer, que lorsqu'il est en proie à
certaines maladies, telles que l'amaurose et l'empoisonnement ou la médication
par la belladone et autres narcotiques.
5° Des expériences exactes faites sur moi et sur d’autres ont établi, comme un
fait démontré à mes yeux, que notre pupille se contracte d'autant plus que lalu-
mière blanche est plus vive, et qu'elle se dilate d'autant plus qu’elle fixe une colo-
ration rouge plus prononcée; enfin qu'entre ces deux extrêmes, la dilatation dimi-
nue d'autant plus que le rayon bleu succède au rayon rouge et le jaune au bleu.
Notre pupille n'est jamais plus contractée que lorsqu'elle fixe le soleil; elle se con-
tracterait davantage encore, s’ilétait possible de rencontrer une lumière plus vive,
ce qui n'existe pas dans notre système planétaire,
6° J'ai pris soin de mesurer le diamètre de ma pupille, en me regardant dans
la glace. Lorsque la glare reflète un fond blanc, ma pupille ne dépasse pas trois
millimètres en diamètre. Si la glace reflète un fond rouge, le diamètre de ma
pupille atteint einq millimètres. Dans le premier cas, la circonférence de cette
ouverture n'a à peu près que 9" 4; elle acquiert environ, dans le second cas,
DA 7.
(*) Voyez Nouveau sysième de chimie organique, t. I, p. 338, 1838, et Revue élémentaire de médecine
et de pharmacie, t, ler, p. 167 et 187, 1847,
88 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
7° Non-seulement le rayon rouge oblige de dilater la pupille et le rayon blanc
de la contracter, mais encore on peut revêtir un objet blane, la neige elle-même,
d’une teinte rose, enimprimant, par une attention violente, une grande dilatation
à la pupille; et, par contre, revêtir d’une teinte blanche une surface rose, en
contractant violemment cette ouverture; ce qui démontre que le sentiment de
la couleur se perçoit dans l'œil par zones concentriques analogues à celle de
l'arc-en-ciel, la zone du rouge étant à l'extérieur et la zone du blanc étant la plus
interne: Chacune de ces couleurs et des nuances émanant du mélange de deux
perceptions voisines imposent une dilatation particulière à l'ouverture pupillaire,
par laquelle passent les rayons qui convergent vers l'humeur vitrée.
8° Louverture de l'angle de convergence des rayons qui éma nent des objets,
nous fait juger de leur distance ou de leurs proportions, quand nous les regar-
dons avec la même ouverture de la pupille. La dilatation anormale de la pupille
les rapproche et les agrandit d'une manière illusoire; nos illusions ne provien-
nent que du trouble de nos fonctions. Un individu empoisonné par la belladone
(la belladone dilate la pupille) se croirait assailli et écrasé par tous les objets
qu'il fixerait; sa vision aingi altérée ne serait plus qu’une hallucination voisine de
la folie. Donc évidemment le même objet nous paraïtra et plus grand et plus
proche, quand sa couleur passera du blane qui contracte la pupille au rouge
qui la dilate.
9° Placez, à une égale distance de l'observateur et à la même élévation, deux
verres de même forme et de même dimension, l’un blanc et l’autre rouge, et tous
les deux éclairés par transparence au moyen d’une lumière de même intensité ;
quelque averti qu’il soit, mais surtout s’il n’est pas averti, le verre blanc lui pa-
raitra moins grand que le rouge. L’illusion sera encore plus forte, si l'observa-
teur se place au milieu de la ligne à chaque bout de laquelle sont fixés les deux
verres. À défaut de ces lanternes, contentez-vous de deux grands ronds de papier,
l'un blanc, l’autre rouge, de même diamètre, également éclairés et également dis-
tants de l'observateur, et le résultat sera le même; le rond rouge vous paraitra
plus grand que le blane, et d'autant plus grand que vous serez moins averti.
40° Or, sans changer de position, mesurez leur grandeur angulaire, c'est-à-
dire l'arc que leur diamètre soutend, et l’angle se trouvera le même et par consé-
quent le diamètre apparent identique, quoique à l'œil on en juge différemment, et
que le rond rouge paraisse énormément plus grand que le rond blanc. Dans ce
dernier paragraphe se trouve toute la solution de la question qui nous occupe.
$ 5° APPLICATIONS DE CES PRINCIPES À LA QUESTION QUI NOUS OCCUPE.
4° Les deux grands luminaires nous paraissent d'autant plus grands que leur
disque est plus coloré en jaune ou en rouge; ils nous paraissent d'autant plus
petits que la lumière en est plus blanche et plus vive.
2° En général leur disque nous parait d'autant plus rouge qu'il est plus près
de l'horizon : car, à cettehauteur, la lumière qui en émane traverse, pour arriver
à notre œil, les couches les plus denses et les plus réfringentes de notre atmo-
sphère. Au zénith, la réfraction du milieu que la lumière traverse est bien moins
forte, parce qu'à cette hauteur la lumière ne traverse cette couche que dans le
sens de la flèche du ménisque atmosphérique, tandis qu’à l'horizon elle la traverse
dans le sens du rayon du cercle dont l'observateur occupe la base.
4 Non-seulement, toutes choses égales d’ailleurs, à l'horizon la lumière se
APPLICATIONS DE CES PRINCIPES. 89
réfracte en traversant une plus grande épaisseur de la couche réfringente; mais
encore dans le sens de la flèche cette couche diminue de densité progressivement
de bas en haut; tandis que sa densité est partout la même dans le sens hori-
zontal.
5° Dans les temps brumeux, et quand l'atmosphère est chargée de brouillards,
le soleil au zénith nous parait quelquefois tout aussi grand qu’à l'horizon, et en
même temps il nous parait presque tout aussi rouge ou jaune rougeàtre. Toutes
les fois enfin qu'il nous parait plus grand, il nous paraît moins blanc; son dis-
que est d'autant plus grand que sa lumière est moins blanche et moins vive. Si, à
l'horizon, par une circonstance météorologique quelconque, le soleil venait tout
à coup à briller de tout l'éclat qu’il possède au zénith, il nous y apparaïtrait avec
le même diamètre. Or cette hypothèse n’est pas sans exemple : Le 1‘ juin 4721,
Voltaire écrivait à Fontenelle : « Nous venons d'apprendre tout à l'heure que le
soleil a paru couleur de sang tout le matin, qu’ensuite, sans que l'air füt ob-
seurci d'aucun nuage, il a perdu sensiblement de sa lumière et de sa grandeur (‘). »
6° Nous avons expliqué plus haut pourquoi un corps nous parait acquérir un
plus grand diamètre apparent, à mesure qu'il passe de la coloration blanche à la
rouge. Ce n’est pas l’angle que son diamètre soutend qui s’est amplifié, mais le
rayon du cercle dont son diamètre forme une corde. Le diamètre enfin soutend
le même arc de circonférence, mais sur un cercle à plus grand rayon; car les
rayons qui partent des bords du disque pour venir converger dans le globe de
l'œil, y arrivent par une ouverture plus grandement dilatée.
7° Quand l'ouverture de la pupille reste la même, les images de divers diamè-
tres ne peuvent converger dans l'humeur vitrée de l’œil que sous différents an-
gles. C’est par la différence de ces angles et la distance du point visuel où les
rayons convergent que nous jugeons de la différence des dimensions ou de la dif-
férence des objets de même dimension.
Mais que la pupille se dilate, et le mème objet, quoiqu'à la même distance et
quoique vu sous le même angle, nous paraitra plus grand, mais revêtu d’une
teinte rougeûtre. Il sera vu non pas sous un angle plus grand, mais sous la même
corde ou le même arc pris sur une circonférence d’un plus grand rayon. Cette
apparence sera alors placée au rang des illusions d'optique.
8° Lorsqu'on voudra mesurer la grandeur angulaire des deux astres, à ses di-
verses hauteurs, il est évident que si l’on procède à cette opération à l'œil nu, le
même mécanisme de la vision qui augmente ou diminue le diamètre apparent de
l'astre agrandira ou diminuera aussi les dimensions de la mesure dont on se
servira, el qu'on verra la mesure et l’astre sous le même angle, à quelque hau-
teur qu'on observera l’astre.
Si l'on observe l’astre à travers un tube héliométrique, dès ce moment on ra-
mènera le diamètre apparent à la même dimension, puisqu'on fera parvenir dans
l'œil les rayons émergents à traversune pupille artificielle et tubulaire d’un diamè-
tre invariable ; l'ouverture de l’oculaire, en effet, remplacera l'ouverture de la
pupille et maintiendra celle-ci dans une état constant de dilatation, puisque les
rayons n’arriveront à l’œil que sous le même angle d’une circonférence de même
rayon.
9° On peut obtenir ie même résultat, sans avoir recours à des instrumens té-
lescopiques ; un simple tube de carton ou de papier, sans aucune espèce de verre,
(*) Correspondance de Voltaire, lett. 31. Édition des frères Baudoin, Paris, 97 volumes.
90 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sufüit pour ramener le diamètre de l’astre à son lever au diamètre de l’astre à son
point de culmination (de plus grande élévation au-dessus de l'horizon). Le diamè-
tre de l’astre, à son lever et à son coucher, nous paraitra d’autant plus petit que
l'ouverture du tube sera plus étroite. Enfin, à défaut du tube, on parviendra au
même résultat si l'on regarde ces astres en faisant un tube de sa main; on rape-
tisse ainsi leur image autant qu'on veut.
$ 4. APPLICATION DE CES PRINCIFES D'OPTIQUE A LA PERSPECTIVE ORDINAIRE
ET AÉRIENNE.
4° La perspective ordinaire a pour but de tracer sur la toile les angles sous
lesquels les rayons émanés des objets que nous voulons y représenter viennent
converger dans notre œil.
La perspective aérienne ne s’occupe que de la dégradation des teintes, en raison
de l'éloignement des objets.
Plus un objet s'éloigne, plus sa grandeur apparente diminue. La perspective
apprend à déterminer l'angle de son éloignement.
Plus un objet s'éloigne, plus sa couleur devient terne ets efface ; ici les règles
mathématiques sont remplacées par le coup d'œil, par l'habitude d'observer et
de peindre; cette étude ou plutôt cette habileté constitue la perspective aérienne,
c'est-à-dire celle qui nous parait l'œuvre des couches d'air interposées entre
notre œil et l’objet.
29 On comprendra, par ce que nous avons dit plus haut, combien, dans l’artde
la peinture, la perspective aérienne est dans le cas de fausser les plus exactes
constructions de perspective ordinaire. Ainsi, la couleur rouge amplifiant le dia-
mètre apparent d’un objet, le même objet, dessiné rigoureusement sous l’angle
déterminé par la perspective ordinaire, pourra paraître plus ou moins distant,
selon qu’on le peindra en blanc ou en rouge; le coup d’œil du peintre sera forcé
de rectifier le tracé de la perspective, comme si ce tracé était le résultat d’une
erreur, et d'amoindrir l’objet que sa coloration flamboyante serait dans le cas
d'avancer de tout un plan.
3° La dégradation des teintes, l'harmonie suave des couleurs, cet art si rare
des grands coloristes, n’a d'autre théorie que celle dont nous venons d’esquisser
une partie au sujet du mécanisme de la vision. Ce talent consiste à ne pas faire
passer la pupille, d’une manière brusque, d’un excès de dilatation par le rouge à
un excès de contraction par le blanc, et ne présenter suecessivement à
l'œil attentif que des teintes dont l'influence modifie insensiblement l'ouverture
de la pupille. Car toute transition brusque dans nos perceptions est une fatigue
et une souffrance à laquelle la nature ne nous a pas habitués. La transition,
c’est le plaisir; la brusquerie, c’est la souffrance.
Re e Eets-ne=l ee
CHAPITRE IT, — PHYSIQUE INSTRUMENTALE,
PERFECTIONNEMENT A APPORTER AU BAROMÈTRE FORTIN.
Chacun sait que le baromètre est un instrument de physique destiné à indiquer
les variations qui surviennent dans la pesanteur de la colonne atmosphérique. Si,
dans un tube de verre recourbé et maintenu verticalement, on introduit une cer-
PERFECTIONNEMENT A APPORTER AU BAROMÈTRE FORTIN. 91
taine quantité de mercure, et que les deux branches soient ouvertes, le mercure
se tiendra à la même hauteur dans l'une et l’autre branche; car dans l’une et
dans l’autre il supportera le poids d’une colonne atmosphérique de même den-
sité et de même hauieur. Que si, au contraire,”"on ferme hermétiquement lex-
trémité de l’une des deux branches de ce siphon, l’autre branche restant en com-
mumication avee l'air extérieur, on verra tout à coup le mercure monter à une
plus grande hauteur dans la branche fermée ; car celle-ci n'aura plus à suppor-
ter que la pression de la faible quantité d’air qui sera restée emprisonnée dans le
haut du tube fermé. Que si l’on élimine cette quantité d'air emprisonnée par le
mercure, c'est-à-dire si l’on fait le vide dans cette branche fermée, on verra le
mercure envahir toute la capacité de la branche , et, si le tube est assez long, lemer-
cure s'élevera en général jusqu’à la hauteur de 75 millimètres au-dessus du ni-
veau du mercure de l’autre branche,par un beau temps et sur le bord de la mer.
Il montera et il descendra plus ou moins, selon les circonstances atmosphériques
que nous évaluerons plus tard.
Si l’on veut mesurer la hauteur de la colonne de mercure qui s'élève dans la
branche fermée, et qui fait balance à la colonne d'air atmosphérique que sup-
porte le niveau du mercure de la branche ouverte, évidemment ce niveau sera le
zéro de l'échelle de mensuration; car ce niveau figure un des deux plateaux de
la balance que les poids égaux de la colonne atmosphérique et de la colonne mer-
eurielle tiennent en équilibre. Mais ce niveau venant à varier à chaque variation
de poids, c’est-à-dire de hauteur de la colonne atmosphérique, on sera, à chaque
observation, obligé de faire concorder le zéro de l'échelle avec ce nouveau ni-
veau, ou bien d'évaluer la hauteur absolue de la colonne barométrique détermi-
née provisoirement par le chiffre de l'échelle immobile que son extrémité a atteint,
en retranchant de ce nombre le nombre dont le niveau du mercure dans la
branche ouverte dépasse le zéro de l'échelle, ou en ajoutant à ce nombre le nom-
bre de millimètres dontilest descendu au-dessous de zéro ; opération fort sujette à
erreur, s’il s’agit d'évaluer les fractions de millimètre, et même les millimètres.
La variation de niveau est d'autant moins sensible que la branche ouverte
s'élargit davantage ; mais cette largeur a des limites. Pour que l'instrument soit
portatif, au lieu d'employer un tube recourbé en siphon, il faut plonger, par le
côté ouvert, un tube plein de mercure dans une cuvette renfermant une certaine
quantité de ce métal: on a ainsi un baromètre suffisant pour les observations de
pluie et de beau temps. Mais de tels baromètres ne sauraient convenir aux dé-
terminations précises que demandent la géographie et la météorologie. Car pour
satisfaire aux exigences de ces deux sciences, il faut arriver à pouvoir estimer la
hauteur de la colonne barométrique jusqu’à 011,99 au moins.
Le baromètre Fortin, qui par sa forme portative convient éminemment aux
voyageurs, s’est le plus approché des conditions de ce programme, en permettant
de mesurer la hauteur de la colonne mercurielle au moyen d'une échelle fixe.
Cela tient à ce qu’un piston, mù par une vis de rappel, amène le niveau du mer-
cure de la cuvette au zéro de l'échelle, qui concorde avec une pointe fixée ver-
ticalement au couverele immobile de la cuvette. Quand on a constaté que le
point d’affleurement du niveau du mercure renfermé dans la cuvette concorde
avee l'extrémité de la pointe, on n’a plus, pour déterminer la hauteur de la
colonne, qu’à constater, sur l'échelle graduée en millimètres, le point qui est de
niveau avec le sommet de la convexité qui termine la colonne mereurielle, dans
le tube barométrique; et, au moyen d'un vernier, on détermine ensuite la frac-
92 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tion de millimètre. On a alors la hauteur absolue de la colonne mercurielle
au-dessus du niveau de la cuvette, qui correspond au zéro de l'échelle. On
nomme ces sortes de baromètres à niveau constant, c’est-à-dire à niveau que l'on
rend constant, par un mécanisme de rappel qui l'élève ou l’abaisse à la hauteur
du zéro de l'échelle immobile.
Ce baromètre offre encore une cause d'erreur que l’on rectifie par le calcul,
et qui réside dans la différence d'action de la capillarité des parois de la
cuvette et de celles du tube barométrique. En effet, le ménisque qui termine la
colonne barométrique doit avoir sa flèche beaucoup plus longue que le ménisque
que forme la surface du mercure dans la euvette; les lois de la capillarité le
veulent ainsi. Donc, la hauteur de la colonne barométrique ne sera pas toute
entière le résultat de la pesanteur atmosphérique; la capillarité y entrera pour
une certaine part, qu'il s'agira d'évaluer, le chiffre évalué devant être ajouté à
celui de chaque observation. Mais ce baromètre a un inconvénient non moins
grave, et qui varie selon le jour, le point de vue, les changements apportés par
l'âge à la vision, et la différence dans la portée de la vue. Voilà cinq ans que
je m'en sers, et plusieurs fois dans la journée ; or, j'avoue, à ma honte peut-être,
que je n’ai jamais été certain d’avoir amené juste l’affleurement du mercure au
niveau marqué par la pointe qui concorde avec le zéro. Le miroitement de la
surface mercurielle fait croire à une distance, quand la pointe touche à la sur-
face. Le tube barométrique, en plongeant dans le mercure, le déprime, en vertu
des lois de la eapillarité, et produit ainsi un bourrelet circulaire dont on doit
amener la crête au contact de la pointe; or, la détermination de la crête varie
selon le point de vue par la parallaxe. On est done, chaque fois, exposé à amener
la pointe zéro plus bas ou plus haut que la crête du bourrelet, qui est le vrai
point d’affleurement, quand on veut obtenir la hauteur absolue de la colonne
barométrique.
Je le déclare, aujourd’hui que je n’en rougis plus, vu que maintenant je suis
bien convaineu qu'il n’y a pas de ma faute, je le déclare en toute humilité,
mais jamais je n’ai été certain de déterminer le zéro de mon baromètre avec-une
rigoureuse exactitude.
Le moyen de remédier à ce dernier inconvénient m'a paru être l'introduction
du baromètre à siphon dans la cuvette même du baromètre Fortin.
En effet, soit un tube barométrique recourbé, à sa base, de la longueur d’un
à deux centimètres, et parfaitement calibré sur toute sa longueur; que l’orifice
de la branche recourbée puisse être facilement recouvert de mercufe par le jeu
de la vis de rappel ordinaire; si l’on place le zéro de l'échelle fixe sur la tangente
au sommet du ménisque de mercure, qui termine l’orifice de la branche ouverte,
il est évident qu’on n’aura, pour chaque observation, qu'à amener la surface du
mercure de la cuvette au-dessus des bords de l’orifice et à ramener assez vite la
même surface au-dessous, à lire aussitôt la hauteur de la colonne barométrique
sur le point de l'échelle qui concorde avec le plan tangent au ménisque supé-
rieur, Le secours des yeux ne sera presque nécessaire que pour cette lecture,
l'affleurement inférieur se faisant de lui-même et avec le seul secours des doigts.
Ajoutez à cela que, le calibre des deux branches étant exactement le même, on
n'aura plus à s'occuper des différences de capillarité.
Je n’ai pas encore fait construire de baromètre sur cette donnée; mais si quel-
que mécanicien-opticien ose faire exécuter ce plan selon toutes les règles de
l'art, je lui retiens d'avance un instrument de ce genre, au prix de l'ancien.
LA PHYSIOGNOMONIE EST-ELLE UNE SCIENCE? 93
CHAPITRE IV. — BEAUX-ARTS.
PHYSIOGNOMONIE, PHYSIOGNOMIE OU PHYSIONOMIE DE LA MAIN.
À. DÉFINITION ET ÉTYMOLOGIE DE LA PHYSIOGNOMONIE EN GÉNÉRAL.
La physiognomonie, dit Cicéron, est l’art de reconnaître les mœurs et les
caractères de l'homme par son physique, son regard, les traits de son visage,
les accidents de son front.
PuysroewomonE, de deux mots grecs : gnômôn, indication, caractères extérieurs ;
physis, dela nature intime, du naturel. —Puaysionomie, altération de physiognomie,
ou bien venant de deux mots grecs : nomoë, règles et lois; physis, de la nature
organisée.
Les Grecs cherchaient à définir l’idée par la composition du mot, et en asso-
ciant ensemble deux mots déjà bien définis. Leur langue, si poétique et si eupho-
nique, se prêtait-elle mieux que les autres à l'élégance et à la précision de ces
combinaisons; ou bien, l'habitude de ce langage philosophique a-t-il conféré à
leur langue le privilége de ces innovations? Ce qui est certain, c’est que les Latins
adoptèrent toutes leurs locutions composées et qu'ils n’eurent jamais recours
qu’à la langue grecque pour composer des mots-définitions. Horace fit même de
cela un précepte dans l’art poétique. Nous avons, nous tous les peuples occiden-
taux, suivi l'exemple d'abnégation des Romains ; nous ne nous reconnaissons le
droit de forger des mots qu’à l’aide du dictionnaire grec.
Le mot de physionomie est passé dans le langage usuel; on dit: Il a une
bonne ou une mauvaise physionomie, c'est-à-dire : Il est porteur d’un visage dont
l'expression habituelle indique un bon ou un mauvais cœur.
Le mot physiognomonie, qui est moins connu, aune signification plus étendue ;
il s'applique à toutes les habitudes du corps. La physiognomonie a pour but de
reconnaître le caractère et les goûts de l’homme, non-seulement à sa physio-
nomie, mais à Ja structure de sa tête, à l'emmanchement de son cou, à la forme
de ses mains et de ses doigts, et même aux linéaments et plis de la paume de la
main ; ce dernier point de la science frise la chiromancie, cheiromancie, l'art des
bohémienngs, qui ont la prétention de prédire l'avenir (mantikè, divination), par
la seule inspection des plis de la paume de la main (cheir).
B. LA PHYSIOGNOMONIE EST-ELLE UNE SCIENCE ?
On dit d’un observateur qu’il est bon physionomiste, quand il a le tact assez
fin pour deviner le caractère de l’homme sous les traits de son visage. Je dis le
tact et non le talent ou l’art, carla physiognomonie s'apprend peu. Nous possédons
depuis Aristote beaucoup de livres sur cette branche de la physiologie; j'en ai lu
beaucoup et je cherche encore dans tous ces traités ce qui peut constituer une
science. Le dernier qui a écrit sur la matière, et longuement écrit, Lavater, si
vanté par les gens du monde, est peut-être celui qui a créé le moins pour la
science; dans toutes ses pages il ne cherche qu'à faire un appel à l'instinet d'ob-
servation du lecteur ; il lui met sous les yeux un dessin, et lui demande ce qu'il
en pense, et puis luidit ce qu'il en pense lui-même; son livre est une galerie d'ori-
94 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ginaux, devant lesquels il vous promène, en émettant ses conjectures et s'impa-
tientant contre l’infidélité du dessin. Quant à des règles basées sur les rapports,
la triangulation, si je puis m’exprimer ainsi, de la face, sur la forme et la cour-
bure. que le jeu des passions imprime aux muscles et aux traits du visage, j'y
cherche en vain des règles, des principes, des conséquences, un système enfin qui
constitue une science. C'est un livre fait à bâtons rompus, un livre illustré, et
dont les illustrations ont fait oublier la pénurie du texte.
J'ai cité, dans la Revue élémentaire de médecine et de pharmacie (*), un pe-
titouvrage du quinzième siècle, qui renferme, en quelques pages et dans un ordre
systématique, plus de substance, plus de règles physiognomoniques que les qua-
tre gros volumes in-fol. de Lavater (*). Cet auteur est le médecin Guillaume
Gratarolus de Bergame, et son livre est intitulé : De prædictione morum (sur
l’art de deviner le moral par le physique); il a été imprimé en 1554, à Bâle, chez
Nicolas Episcopus jeune; on trouve à la fin un traité spécial de physiognomid,
recueil de formules d’une piquante précision. J'ai dit plus haut que, dans son
état actuel, et en dépit des nombreux traités qui ont paru depuis Aristote sur la
matière, en dépit de l'engouement qui prit les écrivains pour Lavater, que fort
peu ont eu mème l’occasion de feuilleter, tout traité sur la physiognomonie en
est encore réduit à l’état de dissertation, et ne forme jamais un corps de doc-
trine. La physiognomonie ne s’enseigne pas ; c’est un taet et un instinct qui nous
vient en naissant; voyez cet enfant qui se réfugie dans les bras de sa mère, à l'as-
pect des traits d’un tueur d'hommes, qu'il soit un héros ou un assassin, et qui
se laisse embrasser, sans l'avoir jamais vu auparavant, par un Vineent de Paul,
ou par un Guillaume Penn, Qui lui a ainsi appris à distinguer d’un coup d'œil ces
deux genres de caractère ? celui qui lui a appris à sucer le lait de sa mère.
Ce tact se perfectionne avec l’âge et l'expérience, mais il se perfectionne à à nos
dépens; on apprend à connaitre les hommes à force d'en avoir été trompé;
chaque leçon s’achète au prix d’une déception; le plus bel âge de la vie se passe
à être dupe des hommes ; à l’âge de raison et des idées positives, la philosophie
seule peut nous amener à leur pardonner; nous sommes devenus alors excellents
physionomistes et parfaits égoïstes, si notre pensée ne sait pas s'élever plus haut
que notre cœur, et si l'intérêt de l'humanité n’absorbe pas tous les froissements
de notreintérêt propre. Aussi rien ne jure avec le fond du livre de Lavater comme
Ja 2° partie deson titre, ce membre de phrase qui semble renfermer dans chaque
titre d'ouvrage la définition : Essai sur la physiognomonie, destiné à faire connaître
l'homme Et À LE FAIRE AIMER. Le faire connaitre, bien; mais le faire aimer, en nous
apprenant à distinguer un honnête homme dans une foule de méchants et de
fous ! Ce mot sans doute a échappé au cœur du ministre du saint Évangile, comme
un vœu et un correctif; mais ce mot n’est pas vrai, mais ce vœu est une illusion.
La philosophie, qui ne cesse jamais d’être vraie et bonne en même temps, aurait
mis à la place de ce second titre : ouvrage qui apprend à connaître des homunes et
à leur pardonner.
C. PHYSIONOMIE DE LA MAIN DANS SES APPLICATIONS AUX ARTS DU DESSIN.
Les habitudes physiques de la main sont aussi un caractère souvent très-ex-
pressif des habitudes morales; à ses formes on reconnait l’âge, le sexe, la profes-
(*) Tome I, pag. 352, avril 1848.
(**) Essai sur la physiognomonie, destiné à faire connaître l'homme et à le faire aimers par J.-G. Lava-
ren, citoyen de Zurich et ministre du saint Évangile. & vol, in-folio avec planches. La “Haye, 1786.
PHYSIONOMIE DE LA MAIN. 95
sion, la nation même; à ses mouvements habituels, les passions de l'âme; la
main qui commande n’a plus le profil de la main qui exécute.
Que les Normands aient aujourd'hui les doigts erochus, je ne l'ai jamais re-
marqué; que leurs ancêtres en aient eu de ce genre, cela est dans l’ordre des
choses possibles ; mais ce qui est certain, c’est que l’avare a les doigts osseux et
fort enclins à accrocher.
Lavater à consacré tout un chapitre à la physionomie de la main {*); ses de-
vanciers n'avaient pas oublié ce point de la physiognomonie; Montaigne a énu-
méré quarante-six exercices de la volonté et de la pensée que nous exprimons
avec la main, quarante-six physionomies diverses de la main , quand ces exerci-
ces deviennent des habitudes.
On distinguait anciennement, aux doigts crochus ou non, les Christs peints
par des jésuites ou des jansénistes, parce que, lorsque le peintre invente, il peint
ses mœurs et ses habitudes. L'hypocrite envahisseur fléchit dans tous ses mem-
bres ; il dissimule ses projets en dissimulant et effaçant ses gestes; c’est l'arai-
gnée qui se pelotonne et recourbe ses pattes, quand elle épie et qu'elle craint de
manquer sa proie; un peintre de ce caractère, sans le vouloir, habille Dieu à sa
manière.
Les peintres véridiques, les peintres les plus utiles à l'histoire des mœurs, sont
ceux qui copient, et se gardent, quoi qu'ils copient, d'y mettre rien du leur. Sous
ce rapport, je ne sache pas de peintres plus instructifs que ceux des écoles hol-
landaise et flamande; l'idéal, ils s’en défendent, personne en leur pays ne le com-
prendrait; l'esprit, ils le prennent sur le fait et le dessinent; tout leur esprit, à
eux, est dans le choix des modèles ; et leur talent est de rendre dans la perfection
ce qu'ils ont devant les yeux.
Sans sortir d'une galerie de tableaux flamands et hollandais, on connaît les
Flandres et la Hollande comme si on y avait toujours vécu : habitudes, manières
de vivre, formes, physionomies, modes, habitations et paysages. Quant aux pein-
tres italiens, leurs dieux, leurs saints, leurs déesses, leurs saintes, tout cela vient
d’un pays inconnu, avec des formes trop belles pour qu'elles intéressent , trop
au-dessus de la réalité pour qu'elles rappellent un doux souvenir ou qu'elles in-
spirent un soubait possible; c’est beau, mais c’est froid; ce sont des rêves qui ne
laissent rien dans le cœur au réveil. Soyez sûr que le peintre flamand n'oublie
rien dans ce qu'il copie; ne lui attribuez jamais une anomalie que vous remar-
queriez dans un coin de son sujet; cette anomalie est un trait de mœurs et de
caractère ; c’est là un de ces mérites qui ont conservé leur prix à tous ces tableaux,
et qui font que, après deux centsans environ, les magots de Teniers, que Louis XIV
cxpulsait de sa chambre, se vendent au poids de l'or, tandis que les Amours
et les Vénus, dont le grand roi ornait ses boudoirs, ont été s’enterrer, à sa mort,
dans la poussière du garde-meuble:
Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
Or, pour en revenir à la physionomie de la main, après toutes ces observations
préliminaires et peut-être trop longues, je suis porté à croire que l'on pourrait
reconnaitre les diverses nations aux caractères de la main, quand les peuples ont
conservé leur nationalité et ont peu croisé leurs races avec les races étrangères.
Ainsi la pose de la main flamande au repos n’est nullement celle de la main
(*) Tome III, page 3#2,
96 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
française, et encore moins celle de la main italienne; la grâce de l’une n’a rien de
commun avec la grâce de l'autre; enfin, à la pose des mains seules on peut re-
reconnaitre un tableau de l’école flamande et hollandaise, au moins de celle qui
n'a pas été à Rome s'inspirer des Grees et des Romains.
Mon attention était fortement fixée, il y a quelques mois, par un magnifique
portrait de grand personnage, peint en 1722 par Vollevens junior, le Rigaud de
la Hollande et le président de la société de peinture de la Haye; une seule chose
avait l'air de provoquer ma critique, c'était la disposition des doigts de la main
gauche que le personnage tient appuyée sur sa poitrine; le médius et l’annulaire
sont posés l’un contre l’autre et même J’annulaire un peu sous le médius, et les
deux autres doigts s’en séparent. Cette manière était-elle une afféterie habituelle
du personnage, que le portraitiste serupuleux n'avait pas cru de sa compétence
de ramener au naturel ? Cependant dans tous les pays du monde les peintres ont
le droit de tout arranger pour le mieux ; et les défauts, ils les dissimulent. L'idée
me vint que cette disposition des doigts pouvait bien être nationale, comme toute
autre disposition caractéristique des formes académiques de leurs peintures. Par
exemple, leurs baigneuses diffèrent des baigneusesitaliennes, en ce que les femmes
flamandes ont le bassin plus développé que le thorax, les bras grêles, et les cuisses
fortes; tandis que les baigneuses italiennes ont le thorax un peu plus développé
que le bassin et les bras d’une belle proportion. Aussi chez les ltaliennes les pas-
sions sont ardentes comme la volonté, mais la fécondité est rare. Les Flamandes,
calmes et froides, sont d'une prodigieuse fécondité; des familles de dix à douze
enfants, c'estici chose fort ordinaire. L'Italienne a l’activité, l’orgueil, la pétulance
stérile qu'anime une large respiration ; la Flamande a le calme du cœur et les
formes du corps qui se prêtent à une conception efficace et à une heureuse gestation.
L'Italienne adore son enfant, même quand elle hait le père qu’elle avait adoré;
la Flamande ne haïit personne, le devoir lui tient lieu d'amour. A l'Italienne, il
faut conquérir et se dévouer ; àla Flamande, ilne faut que conserver. L'uniformité,
c'est l'ennui pour la première. Le changement est un fléau pour la seconde; son
bonheur est dans l'habitude et dans la régularité; qu’elle aime une fois et elle
aimera toute sa vie; si elle devient jamais infidèle, c’est qu’elle n’a pas commencé
à aimer ; Je parle ici de la Flamande pur sang. Or, qu'un physionomiste se place
sous les yeux deux tableaux de baigneuses, l’un italien et l’autre flamand, il ne
se trompera pas sur le caractère des deux nations, rien qu’à la vue des formes
académiques; le cachet des deux caractères nationaux est dans la différence du
torse de leurs modèles. Passez-moi ces détails; nous faisons ici de la science
qui s'allie à la morale la plus pure, qui peut tout voir sans vouloir, et pour qui
le vouloir c’est le devoir.
Que les faibles de cœur jettent un voile sur tout ce qui précède, et qu'ils ne s’ar-
rêtent que sur le caractère physionomique tiré des mains, tel que je l’ai indiqué
plus haut. Eh bien, cette disposition des doigts d’une afféterie qui n’est pas
sans grâce, je me suis assuré qu'elle est naturelle et nationale ; et ce n’est pas un
des moindres cachets de ces deux écoles de peinture du Nord, dont les restes
font aujourd'hui plus que jamais la passion des connaisseurs. Vous trouverez en
général, sur tous les tableaux de l’école flamande, la main au repos disposée de
manière que les doigts annulaire et médius se tiennent unis et séparés des deux
autres,
Pour vérifier cette loi physiognomonique, j'ai devant les yeux, avec le portrait ci-
dessus cité, des baigneuses de Bremberg qui fleurissait en 4540; une sainte fa-
NOTE SUR LAUR. JOUBERT DE MONTPELLIER. 97
mille attribuée à Van Balen, le premier maître de Van Dyck : une petite esquisse
de la Madeleine attribuée à Van Dyck; une esquisse de Rubens représentant la
Vierge adorée par saint George, saint François d’Assises, saint Augustin, saint
Ambroise, saintes Madeleine, Barbe, Élisabeth et Catherine; deux têtes,
l’une du Christ et l'autre de la Vierge, par Van Eyck ou Jean de Bruges, inven-
teur de la peinture à l’huile, en 1410, ete., et j'ai vérifié ce détail caractéristique
sur un grand nombre de tableaux des collections particulières.
Or, vous ne verrez jamais cette disposition desmains sur les tableaux des écoles
française ou italienne; les doigts s'y groupent d’une tout autre façon.
Parmi les nombreux dessins de la main que Lavater joint à son texte et que
son dessinateur a dû copier sur les tableaux des meilleurs maitres de ces diverses
écoles, j'en trouve trois qui offrent le caractère dont je parle. Lavater n’en indi-
que nullement l'origine ; il dit de l’une : «On résistera difficilement à l'éloquence
persuasive et aux instantes prières de la 12%» (c’est le n° 12 de la pl., pag. 346,
tom. HIT) ; et de l’autre : « la 5° figure me fait conjecturer un naturel très-sensi-
ble et même voluptueux » (pag. 349). Évidemment, à mes yeux, ce sont là deux
mains copiées sur des tableaux de l’école flamande.
CHAPITRE V. — PHILOLOGIE (”),
NOTE SUR LAUR. JOUBERT,
Docteur régent, chancelier et juge de l’université de médecine de Montpellier, conseiller et médecin
ordinaire du roi Henri II et du roi de Navarre,
(Voyez page 58 de la 4'° et 49 de la 2° livraison.)
Joubert, né en 1529 et mort en 1583, appartient à la grande famille des ré-
formateurs de ce siècle où la pensée bouillonna dans toutes les têtes, pour décla-
rer la guerre de plume à tous les préjugés.
Joubert horna ses attaques aux erreurs populaires et propos vulgaires touchant
la médecine. Par l'originalité de ses idées, les excentricités de son langage et la
hardiesse de ses innovations, il prend place entre Rabelais qui le devance, et Guy
Patin qui le suit. Ce n’est point un discoureur, mais un annotateur; on aime àle
lire, parce qu’on peut le lire vite et qu’on le comprend en courant. Sur sa por-
traiture, qui est placée en tête deses œuvres, on distingue facilement les yeux d’un
penseur et la bouche d’un frondeur; on devine que s’il ne rit pas, et cela parres-
pect pour sa toque, c’est qu'il se pince les lèvres; le peintre a placé le signe de
Jupiter derrière sa tête; c’est de l’astrologie qui alors n’était pas un préjugé po-
pulaire, un préjugé mais royal.
Dans l'ouvrage que nous avons cité plus haut, il donne la liste des erreurs po-
pulaires et des propos vulgaires, plutôt qu’il ne les réfute ou ne les explique; il y
ajoute bien, de temps à autre, des erreurs et propos de son erù, sur la bile, les hu-
meurs peccantes, ete. Mais c'est la langue universitaire de ce temps, et qui n’a
pas encore tout à fait passé de mode.
L'orthographe française lui parait aussi une erreur populaire ; et d’un trait il
la réforme, sans plus s'inquiéter de ce que diront les beaux esprits, qui dans tous
ies temps ont tenu avec une certaine opiniâtreté à tout ce qu'ils ont appris à l’é-
{*) De deux mots grecs philein, qui aime; logos, les questions relatives au mécanisme du langage.
98 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
cole, à l’aide de la férule et du pensum. Mais cette innovation neréussit pasmieux,
alors que la langue paraissait libre, qu'aujourd'hui que l’Académie française la
tient emmaillotée dans deux gros volumes:in-4°, sous la rubrique des 24 lettres
de l'alphabet. Il supprime les doubles lettres, et il écrit comme l'on prononce:
Ainsi il écrit fou, cou, mou, sou, au lieu de fo!, col, mol, saoul; ce qui prouve
qu'alors on prononçait ces mots comme aujourd'hui. Il écrit jans pour gens; an-
tandons pour entendons; fames pour femmes; meurs pour mœurs; sutiles pour
subtiles : preuve qu’alors on ne prononçait pas le b; aus pour aux; abilles pour |
habiles ; abilher pour habiller, parceque, pour distinguer / mouillée, il adopte le
lh des espagnols ; mangeans et non manjans, ce qui serait plus conforme à sa
méthode, erainte de confondre manjan avec mantant, le j servant di alors. Il ter-
mine par une s les participes passés (qui alors et plus tard, jusque vers la fin du
dix-septième siècle, prenaient un z), afin de les distinguer de la 2° personne; il dit:
ils Sont nés et non pas nez, ils ont été donnés et non pas donnez ; et cette réforme
s'est fait jour au bout d’un siècle dans l'usage ordinaire. Il supprime l’n à la
3° personne du pluriel et écrit : ils frapet pour ils frappent, le t distinguant le plu-
riel du singulier. Après l'orthographe, il s’en prend à la syntaxe, et il écrit, par
exemple : pourquoy ordonne-l'on? pour pourquoy ordonne-t-on ? et certes sa tour-
nure est plus logique en cela que la nôtre; puisque, en règle générale, nous for-
mons nos interrogations en mettant le pronom personnel à la suite du verbe.
Mais cette innovation ne fut par plus contagieuse de son vivant qu'après sa
mort, alors qu’on faisait grand cas de son livre. De son vivant, ses enfants firent
paraître une apologie de sa manière d'écrire; et maître Honorat Rambaud vint
prêter aide et secours à cette réforme, en publiant, à Lyon, chez Jean de Tournes,
la Déclaration des abus que l'on commet en écrivant.
Tant qu'il existera des hommes dont la grammaire et la syntaxe sont l'unique
science, cette réforme de l'orthographe sera reléguée au rang des utopies; on ne
se laisse pas dépouiller ainsi par un trait de plume d’une légitime propriété, et
encore moins de tout ce que l’on possède,
Dès le milieu du dix-septième siècle, d'Ablancourt et les Port-Royalistes firent
une tentative dans cette voie; les derniers même, joignant l'exemple aux nou-
veaux préceptes, publièrent en orthographe réformée la traduction des fables de
Phèdre. Les jésuites durent soupçonner que cette innovation avait de l’avenir ;
car le père Berthier, un des leurs, fit paraître en 1714 une grammaire francaise
sur un nouveau plan, et ce plan n’était autre que la réforme de l'orthographe
française.
Plus tard, Dumarsais, Boinvilliers, Adanson, Voltaire, etc., ont échoué à la
tâche.
Le Genera plantarum de Jussieu n’a si bien réussi à s'approprier tout le sys-
tème d'Adanson que parce qu'Adanson avait osé écrire tout le premier vo-
lume de ses Familles des plantes en orthographe réformée. Le réformateur de la
classification botanique, en voulant réformer par la même occasion l'écriture vul-
gaire, n’a travaillé qu’au profit du spoliateur, qui, lui, se contentait d’être fort en
thème et de mettre les points sur les 1. Quant à Voltaire, qui ne visait pas à une
réforme aussi radicale, son impiété bien reconnue a failli compromettre la sub-
stitution de l’& à l’o, dans les mots tels que francais, allait, chantait; car j'ai vu
le bon Lamennais lui-même s’obstiner à écrire francois, j'avois, j'allois. Mais enfin
l’a de Voltaire l’incrédule a reçu le baptême académique, et il s’est naturalisé
dans l’art de parler et d'écrire correctement,
ORTHOGRAPHE CACOGRAPHE. 99
Une certaine fatalité pèse sur ce genre de réforme. Notre belle langue, on ap-
prend à la bien parler sans difficulté et en peu de temps; à peine, au bout de sa car-
rière, peut-on se vanter de l'écrire correctement. L'orthographe, qui nous a valu
tant de pensums au collége, nous échappe et glisse sous notre plume dès que nous
n'épluchons plus nos mots. Nous passons plus de temps à meubler et encombrer
notre mémoire des incohérences puériles d'une orthographe bizarre, œuvre de
pédants, et qui devrait plutôt s'appeler cacographe, que nous n'en consacrons à
nous initier dans l'étude des connaissances positives et dans la démonstration des
grandes lois de la nature. Fussiez-vous un Buffon, un Monge, un Laplace, s’il
vous échappe une faute d'orthographe, il n’est pas jusqu'au dernier plumitif qui,
se redressant sur la pointe du pied, ne vous dépasse d’une coudée. A la chute de
Napoléon, le plus grand coup que ses ennemis surent porter à sa gloire vint d'une
Pttre de plus ou de moins qu'ils crurent rencontrer dans quelques lignes de son
écriture indéchiffrable. A l'Athénée, quand Chaptal nous balbutiait que Napoléon
ne savait pas écrire sa langue, Chaptal avait l'air d’un orateur. Un grammairien
de profession ne pourra jamais se persuader que le maréchal de Richelieu ait en
le talent de prendre Mahon et de charmer les belles, lui qui a écrit les billets
doux que les marchands d'autographes ont recueillis.
« Je ne consentirai jamais à écrire tout à fait comme ma cuisinière, nous disait,
en 1822, M. de Jouy, l'auteur élégant de l'Jermite de la chaussée d'Antin.» Le tout
à fait est mis là à propos, reprenait tout bas son prote. — Et il avait raison, le
prote! car, sans lui, la réputation justement méritée que M. de Jouy s'était faite
d'homme d'esprit et de goût aurait reçu une rude atteinte; et le quartier du
Marais, souffre-douleur habituel de la causticité du bon hermite, aurait eu dès
lors le sujet d’une de ces répliques qui laissent un bel esprit sur le carreau.
Quant à moi, qui me surprends si souvent en défaut sur ces vétilles, après les
avoir apprises et désapprises plus de vingt fois, si je me connaissais assez de pré-
tention à l'esprit pour faire partie de la société des gens de lettres, j'oserais
leurécrire chaque jour :« L’orthographe vous use la moitié de votre verve, en vous
forçant d'avoir recours au dictionnaire à chaque jet de votre imagination. Chez
bien des gens, cette étude a étouffé le germe de l'esprit et de l’ originalité : elle
n'a jamais bien profité qu’au pédantisme. Croyez-moi, ayez le courage d'écrire
comme vous prononcez, vous qui parlez si bien (*) ».
Je dirais cela aux gens d'esprit et de pensée; car le savant en mots et en us
pourrait bien s’imaginer qu’en ceci je parle comme le renard sans queue, et que
je ne possède rien de ce qu'il possède trop et de ce qui lui semble tenir lieu de
tout ce qui lui manque.
Mais revenons à notre docteur regeant Laurent Joubert, chancelier et juge de
l'université an médecine de Montpellier.'Son livre des Erreurs populaires et pro-
Pos vulgaires touchant la médecine et le régime de santé, réfutés et expliqués, a
été publié en deux parties, qui forment deux ouvrages séparés.
La seconde édition de la 2° partie parut en 1580. Cette 2° partie est devenue
(") Voltaire le puriste, Voltaire, l’auteur du Temple du goût et des commentaires philologiques sur
Pierre Corneille, Voltaire n’a jamais eu le courage de relire sa copie ; il ne corrigeait que sur les épreu-
ves imprimées : « attendu, dit-il, que l'esprit semble plus éclairé, quand les yeux sont satisfaits
(lettre 3077); ne faites pas attention à l'orthographe, écrivait-il à Duclos (lettre 3148) ; on corrigera
le tout sur l'impression. » Sa verve se serait glacée à ce travail d'a, b, c, d. Il dit ailleurs: « Sur l'inspec-
tion d'une feuille imprimée, je corrige toujours vers et prose. Les caractères imprimés parlent aux
yeux bien plus fortement qu'un manuscrit, On voit le péril bien plus clairement; on y court, on fait
de nouveaux efforts, on corrige et c'est ma méthode, » (Lettre 4#262e, déc. 1765.)
100 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
très-rare de nos jours; et elle paraît avoir été rare même de bonne heure, tant
l'édition s’épuisa promptement. Car Guy Patin qui, dans sa 193° lettre datée du
7 septembre 1654, exprime son opinion sur le mérite des ouvrages de Joubert,
ne fait pas la moindre mention de son livre des Erreurs populaires, qui eut une
telle vogue que le mot en est resté. « Pour les autres médecins de Montpellier,
dit Guy Patin, qui se sont rendus illustres par leurs écrits, Ôtez Rondelet et Jou-
Fert, quorum est admodüm mediocris gloria, et qui dumtaæat fuerunt poletarii
scriptores (dont la gloire est fort médiocre, et qui ne furent que des écrivains aux
gages des libraires) ; desquels même j'aurais bien des choses à dire, je n’en con-
nais aucun autre... Pour JouBERT, TOUT CE QUE NOUS SAVONS DE LUI n’est qu'un
recueil de leçons qu'il a faites en mu de professeur, et qui n’ont jamais été
imprimées qu’une fois. »
Quelle que fût la haine parisienne et professorale que Guy Patin ressentit à
l'endroit de la faculté de Montpellier, il aurait parlé à sa façon du livre des £r-
reurs populaires, s’il l'avait connu, lui qui était à l'affût des nouveautés médica-
les et qui tenait tant à enrichir sa bibliothèque.
Ce n’est pas de ce livre, du reste, qu’il aurait pu dire qu'il n’a été imprimé
qu'une fois, s’il l’avait possédé; car nous avons entre les mains la 2° édition :
Le tout reveu, corrigé et augmenté, par l'auteur maime, pour la segonde édition,
avec privilège du Roy.
CHAPITRE VI. — AGRICULTURE.
SINGULARITÉS HORTICULTURALES DE CETTE ANNÉE.
Boisfort, 9 septembre 1854.
La végétation des potagers et des verg?rs a présenté dans ce pays de singuliers
phénomènes cette année.
Toutes les salades, romaines ou chicons (Lactuca sativa), ont pourri, après avoir
été liées, pendant les jours pluvieux; elles ont toutes monté en graines quand la
saison s’est remise au beau. Du reste, les paysans ici renoncent à cette culture ;
leur terrain argilo-sablonneux ne lui convient pas.
Nous nous sommes rejetés sur l’endive (Cichorium endivia) et l'escarole ; ellesont
également pourri pendant la saison pluvieuse, au lieu de blanchir et de pommer ;
et les derniers repiquages d'août et juillet montent presque tous en graines. Le
même contre-temps a frappé les légumes d’Alost, ce potager de Bruxelles; les
maraichers apportaient au marché les plantes montées, pour montrer au chaland
que la disette de ces denrées ne provenait pas de leur négligence ou de leur
mauvaise volonté. ‘
Les fèves ont été piquetées par les orages; leurs feuilles sont quelquefois eri-
blées de trous circulaires, à rebords couleur marron et ayant à peu près le même
diamètre; leurs sommités ont été de bonne heure couvertes de pucerons noirs.
Les groseilliers, je l'ai déjà dit, ontété dépouillés de leurs feuilles, dès le mois de
juin, quoique couverts de grappes qui ont müri, mais dont le jus a refusé de se
prendre en gelée, même en forçant la proportion de sucre ; une seconde cuisson
n'a pas amené de meilleurs résultats que la première.
Nos pêchers, dans certaines directions, ont été flambés par l'orage du 5 mai, et
n’ont conservé leurs fruits que sur les rameaux qu'a épargnés ce flambage.
SINGULARITÉS HORTICULTURALES DE CETTE ANNÉE. 101
Nos pommes de terre, flambées sur leurs fanes avant la floraison, donnent en
tubercules à peine le tiers des années moyennes, et ce tiers n’a été épargné ni par
les mulots, ni par le ver du hanneton et autres larves de coléoptères. Dans notre
potager, où nous en avons planté environ huitares, noussommes mieux partagés que
dans les autres champs; pourtant, nous n’avons fumé le terrain qu'avec le produit
. de nos lieux d’aisance, tandis qu’en général ici on met une grosse poignée de fu-
mier de vache dans chaque trou et puis la pomme de terre sur ce lit de fumier.
Notre manière de fumer faisait hausser les épaules aux matadors du village; et la
plupart des fermiers aujourd'hui se voient condamnés à retourner la terre, tant
la récolte de leurs pommes de terre leur parait de peu de valeur ; en certains en-
droits, sur six trous ils ne trouvent pas un tubercule; dans d’autres trous, le peu
de pommes de terre qu’on rencontre ne dépasse pas la grosseur d'une noisette.
(Partout le paysan est assez porté à croire que le principal du fumier, c’est la
paille. La paille n'est que l'excipient de l’engrais; son principal avantage est
d’amender et de tenir la terre meuble; or, dans la contrée que j'habite et dans
un assez grand rayon, le terrain est si meuble, à 40 pieds de profondeur fort sou-
vent, qu'on le dirait uniquement composé de sable. Mais le paysan d’iei qui,
pour arroser ses champs avec ce qu’il appelle la pisse des vaches, piaffe dans la
mare jusqu’au genou et n’a d'autre fourche que celle du père Adam, ce brave
travailleur craindrait de se salir les doigts, en manipulant la poudrette liquide,
même avec tous les ménagements inspirés par la circonstance).
Les choux-fleurs du printemps n’ont pommé qu’en une espèce de balai à quatre
ou cinq branches. On en a repiqué à la fin de juin; tous ont refusé même de bour-
geonner leur pomme. En les arrachant, j'ai trouvé la racine principale annihilée
et remplacée par un bourrelet long, creux et conique, dont le sommet partait du
collet et descendait, en s’élargissant, dansla terre, où ilse couvrait denodosités ar-
rondies dela grosseur d’une noisette, sans cavités, quoiqu’elles semblassent l’œuvre
de la larve de la mouche du chou (Musca brassicaria L.). Cependant, j'avais fait
fumer le terrain cette seconde fois, et disposer le fumier en forme de couches de
15 centimètres d'épaisseur environ, recouvertes de 20 centimètres de terre.
Dans les jardins terreautés, on n’a pas été plus heureux que nous; partout dans
nos environs les choux-fleurs n’ont poussé qu’en tourmentant leur racine en navet
bosselé et sans radicules.
Autre singularité. Nos poireaux porte-graines ont formé leur tête comme à
l'ordinaire; mais, l’autre jour, nous avons vu ces têtes de fruits se détacher, leur
point d'attache tombant en poussière; la hampe était rongée à l’intérieur par
une larve de pyrale d’un centimètre de long, lisse, à tête marron et cornée, avec
un bouclier plus clair sur le premier anneau ; les autres anneaux étaient piquetés
de six points distants, quatre sur le dos disposés en trapèze et un de chaque côté;
les trois premières paires de pattes cornées, et tous les autres anneaux, à par-
tir du sixième jusqu’au neuvième, ayant une paire de pattes coniques et membra-
neuses, Pas une seule hampe de poireau sur dix n’a été épargnée.
A l'exception des cerisiers, des abricotiers et de quelques pêchers, tous les ar-
bres à fruit ont été frappés par la gelée du milieu d'avril, et leur récolte est
nulle. La vigne est magnifique en pampres; mais les pluies du printemps ont fait
couler presque toutes Jes grappes, et celles qui ont résisté sont bien pauvres.
Les pois et les haricots ont parfaitement réussi,
La récolte seule des céréales et du foin a dépassé toutes les espérances.
102 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
PLANTATION DES POMMES DE TERRE.
On plante ici les pommes de terre vers le 20 avril.
J'ai planté les nôtres vers le 22 mars; la gelée du 24 avril a mouché celles
qui sortaient de terre; elles ont repris ensuite avee plus de vigueur que les autres
et ont été très-précoces.
La méthode de planter ces tubercules consiste à pratiquer des rangées de
trous d’un coup de pioche; les trous se touchent, les rangées sont distantes d’un
pied. Dans chaque trou on dépose une poignée de fumier consommé, puis par-
dessus deux pommes de terre entières, qu’on recouvre de la terre qu’on enlève
pour faire le trou suivant. Quand la fane sort de terre, on sarcle, et quand elle
a atteint quinze centimètres de haut environ, on la butte en sillons, en renversant
sur une rangée de plants la terre qui la sépare de la rangée suivante.
Un propriétaire s'est obstiné à ne fumer ni butter son champ de pommes de
terre, et il n’a pas laissé qüe d’avoir une des meilleures récoltes.
J'ai fumé notre terrain avec nos vidanges étendues d’eau; je n’ai pas employé
d’autre fumier ; et notre récolte, malgré la maladie de la fane, a été une des plus
prospères des environs.
J'ai essayé de ne planter dans chaque trou qu’un œil séparé, au lieu de pom-
mes de terre entières ; elles ont bien poussé; malheureusement, j'en ai butté quel-
ques plants deux fois, etle buttage a rendu ces plants stériles. Les autres ont pro-
duit des pommes de terre le double plus grosses que les ordinaires de la même
espèce (violette). Celles qui avaient été plantées d’après la méthode du pays ont
produit le double en poids, mais presque toutes petites et bonnes seulement pour
la bouillie des vaches; celles que j'ai plantées par fractions de tubercule en ont
produit très-peu de petites; du reste, celles-ci se trouvaient à l'ombre de groseil-
liers touffus, et les autres étaient en pleine lumière.
On conçoit l'économie qu’on apporterait à la culture des pommes de terre, si
l'on obtenait le même rendement en divisant le plant. Au lieu de 24 sacs de
pommes de terre de semailles par hectare, on n’en emploierait que 5 à 6 sacs,
c'est-à-dire qu’on ne dépenserait en semailles que 55 à 66 fr. au lieu de 264 fr.
L'expérience a assez bien réussi cette année, dans des conditions très-défavorables,
pour mériter qu’on la recommence l’année prochaine.
a — EE ———_—_—_—_—_—]_—_——_—_—_——_—_—— —— — "2 —
CHAPITRE VII. — PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE,
CURIEUX EFFET DE LA GELÉE SUR LES TIGES DES DAHLIAS.
Dès que le thermomètre descend à zéro, les feuilles et fleurs de dahlia de-
viennent flasques ; si la gelée continue une heure, elles se fanent, noircissent et
retombent émaciées comme frappées par le feu du ciel; car tout ce qui désorga-
nise le végétal le carhonise, que ce soit l'excès de froid ou l’excès de chaleur. La
tige du dahlia ne tarde pas à subir le sort des feuilles; elle devient moite au
toucher et noirâtre à la surface. Si on la brise, on est tout étonné de voir la ca-
pacité de ses entre-nœuds remplie d’un cylindre de glace qui s’est moulé sur elle.
On remarque, en même temps, que ce cylindre s’est formé par couches suecessi-
ves et superposées, qui offrent quelque chose d’analogue à des diaphragmes, ce
CURIEUX EFFET DE LA GELÉE SUR LES TIGES DE DAHLIA. 103
qui fait que, sous l'effort des doigts, ce cylindre casse transversalement comme la
moelle du sureau.
Cependant, à l'état normal, et quelque humide que soit l'atmosphère, les entre-
nœuds du dahlia sont toujours creux et ne renferment jamais que de l'air, D'où
vient donc l'eau qui s’est congelée dans la capacité, sous l'influence de l'abaïsse-
ment de température? Les explications dans lesquelles nous allons entrer ne
laisseront pas, nous le pensons, le moindre doute sur la théorie de ce phéno-
mène :
4° Lorsque la température s’abaisse, l’eau diminue de volume jusqu’à +-
4 centigrades; à partir de ce degré, si l'abaissement continue à marcher, le
volume de l’eau augmente jusqu'à zéro, point de sa congélation et de son plus
grand volume.
29 Si la capacité de l’entre-nœud d’une tige articulée est vide d’eau et pleine
seulement d'air, il n’en est pas moins vrai que les cellules organisées, qui ren-
trent dans la composition du tissu des parois sont remplies de séve; il suflit de
déchirer la tige verte et saine, pour s'assurer que les parois des entre-nœuds sont
riches en liquide.
9° Les parois des cellules se congèlent comme nos toiles humides qu'on laisse
exposées au froid; elles deviennent cassantes en se congelant, comme nos toiles
les plus fortes, si difficiles à déchirer quand il fait chaud, cassantes comme des
lames de verre quand il fait froid,
4 Dans tout tissu, les parois doivent se congeler les premières, et servir alors
d'abri au liquide qu’elles renferment; la glace comme la neige est un isolant pen-
dant quelque temps, c’est-à-dire tant que l’abaissement de la température reste
stationnaire:
5° Le liquide renfermé dans ces cellules microscopiques à parois congelées et
cassantes augmentera progressivement de volume, à partir de + 4° centigrades ;
il finira donc par casser son vase de glace, comme l’eau d’une carafe la brise en
se changeant en glaçon. Car les parois gelées sont des parois vitrifiées, et n'ont
plus leur première élasticité, pour se prêter à l'augmentation de volume du li-
quide qui les emplit.
* 6° Il arrivera done un moment où l'eau encore liquide brisera ses enveloppes,
qui sont les parois devenues cassantes de la cellule organisée, et d’où elle s'échap-
pera au dehors.
7e Mais comme le côté interne de la cellule est le moins résistant, parce qu'il
est le plus étiolé, c’est de ce côté que le liquide se fera jour; il tombera donc
dans le fond de la capacité de l’entre-nœud.
8 Remarquez que le froid gagne le végétal en procédant de haut en bas; ear
c'est par le haut que le végétal est toujours le plus tendre, le plus jeune, le
moins compacte et, pour ainsi dire, le moins ossifié.
9° C’est donc par les cellules du haut que la désorganisation commencera, en
vertu du mécanisme que nous venons de décrire. Le liquide de cette zone vien-
dra donc se congeler le premier dans le fond de l'entre-nœud; puis arrivera le
tour du liquide de la zone suivante qui formera une deuxième couche, distincte
de l’autre, et marquée par le diaphragme de la superposition, c'est-à-dire par la
ligne de démarcation faute de soudure.
10 De là résultera un cylindre de glace analogue au cylindre de la moelle du
sureau, cassant comme celle-ei transversalement.
42° Les parois ainsi vidées de leur liquide deviendront ilasques comme des
104 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
feuilles, dès qu’on les exposera à une température plus élevée ; et elles noireiront
comme elles, décomposées comme elles par le froid. Car le froid, en dépouillant
leurs tissus de leur eau d'organisation, un de leurs éléments essentiels, doit né-
cessairement tendre à réduire leur charpente au carbone qui est leur autre base
élémentaire.
N. B. Ce qu'il fallait démontrer, comme disent les géomètres.
CHAPITRE VII — MIRACLE MÉDICAL.
Le Nouvelliste de Marseille, journal éminemment camphrophobe et arcano-
phile, donne place, dans ses colonnes, à l'extrait suivant d’une lettre qu'il as-
sure lui avoir été adressée par un Marseillais, habitant Cadix depuis plusieurs
années :
« La ville de Cadix est en ce moment en grand émoi, en présence des faits extraordinaires
qui s’y passent.
» Le choléra a fait, depuis l’invasion, de nombreuses victimes ; mais les habitants sont à
l'avenir à l’abri de ses ruelles conséquences, grâce aux eures miraculeuses qu’opèrent à
chaque instant des Indiens, des Malais récemment arrivés des iles Philippines. Jusqu’à pré-
sent tous les malades confiés à leurs soins ont été guéris. Voici comment ils opèrent :
» Ils font coucher sur le dos la personne atteinte, et mettent à découvert la poitrine et le
ventre ; puis, pratiquant d’une certaine manière, à eux seuls connue, des frictions sur ces
parties du corps, ils finissent par faire arriver sous leurs doigts un petit corps rond, qu'ils
amènent au centre de l’épigastre, et qu’ils pincent fortement comme pour l’écraser. Ce
corps est ainsi maintenu jusqu’à ce que le malade ait dans l’estomac une tasse de thé qu’ils
lui font boire, et auquel se trouvent mélées quelques gouttes d’une liqueur par eux compo-
sée. La guérison instantanée qui résulte de l'opération est si complète que la personne
guérie n’a plus, pour se remettre entièrement, qu’à se promener au grand air. Ces Indiens
affirment que, dans des cas fort rares, deux de ces petits corps ronds, dont il est parlé, se
manifestent au lieu d’un, et qu’alors le mal est incurable.
» La veille du jour où j'écris (29 août), 87 personnes confiées aux soins des Indiens ont
toutes été sauvées en présence de nombreux témoins. Il en est de même de toutes celies qu'ils
ont traitées. Un individu qu’on portait sur un brancard à l’hôpital, et qui était dans un état
désespéré, a recu dans la rue même les soins d’un des Indiens ; en quelques minutes le miracle
annoncé se réalisait en présence de la foule groupée autour de lui; l’Indien a congédié son
malade en lui disant : Va-t’-en, tu es guéri; et le brancard est retourné vide à l'hôpital.
Dans une taverne, où il se reposait des fatigues de la nuit passée en visites, ce même Indien
a guéri en quelques minutes une petite fille mourante et qu'on croyait perdue.
» Ces Indiens prétendent que le choléra, qui règne continuellement dans leur pays, est
guéri en quelques instants par leur procédé, que, du reste, ils cachent avec grand soin. Ils
expliquent la cause du mal par l'existence de petits vers qui s’attachent au cœur et provien-
AVE climat; ils disent qu'ils Les tuent en écrasant un petit corps rond qu’ils font descendre
de la région du cœur à l’épigastre.
» Si leur opinion est peu scientifique, leur zèle et leur désintéressement sont au-dessus de
tout éloge : ils n’acceptent rien. Le gouvernement les a solennellement autorisés à visiter les
malades atteints par l'épidémie. Ils sont au nombre de einq, et l'administration a mis à leur
disposition tous les moyens nécessaires pour qu’ils puissent multiplier leurs cures, qu’eux
seuls savent opérer. »
Rérzexions, Cette note n’est pas venue de Cadix, mais du TARENTO COLONISTE,
comme l’autre qu’a insérée pieusement le Nouvelliste (Voy. page 82 de cette
livraison) ; les cinq Indiens thaumaturges sont nés natifs de la Cannebière; leur
secret, qu'ils refusent de communiquer, tant leur désintéressement est grand,
n’en est plus un pour ceux qui connaissent la théorie et le traitement du Manuel.
Le Nouvelliste aurait dû recevoir deux mois plus tôt cette révélation; alors
on n'aurait proscrit ni la liqueur hygiénique ni même le camphre de Marseille,
et Le fléau aurait disparu beaucoup plus tôt de cette ville que tant de Marseillais
poltrons ont livrée à son malheureux sort,
2 0 RE
4° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 1° Novembre 1854.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
AVIS AUX ABONNÉS.
La livraison de septembre a dü arriver un peu tard à nos lecteurs; c’est la
suite d’un malentendu avec l'administration du chemin de fer; car le ballot a
dù être rendu le 27 septembre à la station de Paris; ce malentendu ne se repré-
sentera plus, nous l’espérons. Au reste, il nous importe de faire remarquer, pour
bien fixer les dates de nos articles, que la copie est livrée à l'impression au plus
tard le 16 au matin; que les exemplaires sont expédiés à Paris, par le chemin
de fer, le 22 au plus tard ; qu'ils doivent arriver le 27 à Paris; et que l'éditeur s’em-
presse aussitôt de prendre toutes les mesures pour que la livraison soit expédiée
aux abonnés le 1°.
La publication de la Revue étant une œuvre de propagande théorique et pra-
tique dans l'intérêt de tous, et une œuvre totalement étrangère à la politique et
à la polémique des partis, nous attendons que nos abonnés veuillent bien secon-
der nos efforts et contribuer au succès toujours croissant de la Revue complémen-
taire, en répandant dans le cercle de leurs connaissances les indications spéciales
qui leur paraitront plus immédiatement applicables aux divers cas dont ils seront
témoins. À la modicité du prix du recueil, on jugera facilement que l'éditeur a
été le premier à nous seconder, par un sacrifice pécuniaire, dans l’entreprise à
laquelle nous consacrons nos veilles.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE.
KYSTE.
ÉrymoLocre : Kyste vient de kustè, mot grec qui signifie poche et la vessie
urinaire.
Dérmnrriox : Un kyste est une poche imperforée, ovoïde en général, à parois
cartilagineuses et d'une épaisseur d’un millimètre, adhérentes à la peau et à tous
les tissus adjacents, implantée sur un ligament ou un tendon (‘), enfin pleine
(*) Les ligaments sont les membranes blanches, flexibles et compactes, qui tiennent en présence les
deux extrémites contiguës et articulaires des os. Les tendons sont les extrémités musculaires qui s'ate
tachent aux os en devenant de plus en plus cartilagineuses.
8
106 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
d'un liquide albumineux, dans lequel nagent des corps blancs reproducteurs.
NOMENCLATURE DE LA NOUVELLE MÉTHODE (ist. nat. de la santé, etc.):
Par Les causes : Zoophytogénose articulaire?
Par Les errers : Desmalgie cystiforme, zoophytogène ?
CaracrÈres : On sent sous Ja peau une tumeur arrondie ou ovoïde, élastique,
et qui parait pleine de liquide à la pression des doigts. Lés parois en sont si
compactes qu elles résisteraient aux plus fortes contusions. En général, à l’inté-
rieur, elle est partagée en deux compartiments qui communiquent entre eux.
La capacité en est occupée par un liquide limpide, dans lequel nagent des cor-
puscules visibles à l'œil nu, blancs comme des grumeaux d'albumine coagulée,
mais doués d’une organisation spéciale qui offre bien des rapports avec celle des
helminthes voisins des zoophytes (*). On rencontre, sur les parois de la poche,
des tubereuies coniques, rougeâtres au sommet, rangés sur des lignes courbes,
et qui semblent être les bourgeons ou germes de nouveaux développements
kystiformes et destinés à remplacer les anciens. Le point d'attache de la poche
est difficile à découvrir; car elle tient intimement à tout ce qui l'enveloppe, ten-
dons, ligaments, os et derme, ce qui distingue le Kyste des GLANDES, Corps ovoi-
des ou discoïdes et élastiques, qui sont mobiles sous la peau et ne tiennent aux
organes adjacents que par un tissu cellulaire lâche et pour ainsi dire aranéeux.
sIéGE DU KYsT£. Le kyste ne vient qu'aux articulations. Son point d'attache
semble partir des ligaments. La consistance de ses parois tient de Ia nature des
tendons et des cartilages. J'en ai extirpé du tendon sous-rotulien; j'en ai brülé
qui partaient de presque toutes les articulations des os du carpe et du métacarpe,
sans gêner en rien la flexibilité des mouvements de la main. Ils sont très-fré-
quents à l'articulation du poignet. En général, ils gênent moins qu'ils ne sont
désagréables à voir; rarement la gêne qu'ils causent est accompagnée de souf-
frances; chez un ouvrier charpentier qui en portait un attaché au tendon sous-
rotulien (tendon qui attache la rotule au tibia), ce kyste le gênait si peu, qu'il
lui servait presque de coussinet, quand il fallait travailler à genoux. Le cas que
nous allons décrire dans l’articlesuivant fait exception en apparence à cette règle:
KYSTE IMPLANTÉ DANS UNE TUMEUR BLANCHE DU GENOU.
Un artiste d'un beau talent dansle portrait et la peinture de genre, M. Del...….,
est affecté depuis l’âge de neuf ans (il en a cinquante aujourd'hui) d’une
tumeur blanche au genou gauche, qui l’a toujours obligé de marcher avec des
béquilles et sans pouvoir appuyer le pied de la jambe affectée, jusqu’à ce qu'il
ait adopté les appareils et la médication du nouveau système.
A l’âge de neuf ans, il tomba sur le genou en jouant dans les allées caillou-
teuses des Tuileries à Paris; la douleur fut si violente qu’on le transporta chez
lui. Dubois père lui appliqua une pommade du temps , et l'enfant n'en resta pas
moins estropié pour la vie; il faut dire que sa constitution était éminemment
lymphatique, pour me servir des termes de l’école.
A partir de cette époque, et lorsque les douleurs de la chute se furent cal-
mées, il ne marcha plus qu'avec des béquilles, et la jambe gauche ne fut plus
qu'un membre inutile, qu'il pouvait faire mouvoir dans tous les sens, comme si
elle avait été artificiellement articulée.
(*) Voy. Nouveau système de chimie organique, tome I, page 628, et pl, 12, fig. 7; 18383 ot Hisloirs
nalurelle de la santé et de la maladie, tome II, page 436, et pl, 8, fig. 4; 1846,
KYSTE IMPLANTÉ DANS UNE TUMEUR BLANCHE DU GENOU. 107
En 1850, cédant aux instances d’un médecin ami de la maison, il se laissa ap-
pliquer des pommades mercurielles sur la surface du genou atteint de tumeur
blanche. Ainsi qu'on s’y attend, le résultat de ce traitement fut d'ajouter la souf-
france à l'estropiement; les douleurs devinrent pendant quelque temps si into-
lérables, surtout au moindre frôlement, qu'il se voyait forcé de tenir son genou
suspendu et isolé dans le lit au moyen d’une sangle attachée au plancher.
Convaineu par cet insuccès qu'il allait faire fausse route, et ayant entendu
parler des bons effets de la nouvelleméthode, il se mit à lire le Manuel ; et, comme
il est homme de résolution autant que d'intelligence, à peine avait-il fermé le
livre qu'il préparait déjà tout ce que comporte le nouveau pansement.
Son espérance ne fut pas déçue. Le soulagement survint graduellement, Le
genou supporta les frôlements-sans souffrance; mais la tumeur blanche, vieille
de quarante ans, ne disparaissait pas avec la souffrance ; il trouvait, du reste, que
c'était déjà un assez beau résultat que de ne pas souffrir,
A peine étais-je emménagé à Boitsfort, qu’il vint me demander quelques con-
seils supplémentaires. L'eau zinguée, l'eau sédative en compresses, l'application
fréquente des plaques galvaniques sur le genou, et puis celle de cérat camphré
entre les pansements; à l'intérieur, le camphre, la salsepareille et l’aloès : ce fut
assez pour amener du soulagement, diminuer la tuméfaction des os qui constituent
la tumeur blanche, et s'opposer à l'accumulation du liquide synovial qui con-
stitue l’hydarthrose (*), circonstance aggravante de ces sortes de tumeurs. Mais
cette jambe pendante était plus qu’un embarras, c'était un obstacle au progrès de
la médication. Une jambe qui pend est un poids qui tient les surfaces articulaires
séparées et fait le vide dans l'articulation. Les muscles de la cuisse s’émacient,
faute d'action et de mouvement; la cuisse maigrit faute d'usage, comme maigri-
rait tout autre membre, si l'on cessait de s'en servir, surtout alors qu’à cette
cause se joindrait la tendance que le lymphatisme d’un os communique à tout ce
qui s’insère sur sa surface.
Je conseillai donc à notre artiste (en mai 18553) de se faire fabriquer un des ap-
pareils à l’aide desquels nous avons rendu la locomotion facile à tant d’estropiés
comme lui; lui promettant qu'à l’aide de cet appareil, il pourrait se servir de la
jambe estropiée, presque aussi facilement que de l’autre, et se passer de bé-
quilles,
Les points d'appui de ces appareils sont pris dans l’aine en dedans, sur la
ceinture au dehors, et quelquefois même sous l’aisselle à l'aide d'un tuteur qui
s'appuie sur la ceinture.
Le succès le plus complet couronna la confiance du malade, et, au bout de
quelque temps, vers la fin de juin, il revenait de Paris, marchant pour la pre-
mière fois sans béquilles, lui qui ne les avait jamais quittées depuis 41 ans.
Quand il passait dans les rues, on ne distinguait la jambe malade de Ja saine
qu'à une petite gêne dans l’acte de la locomotion.
Remarquez que l'utilité de l'appareil ne se borne pas à dissimuler l'infirmité;
mais qu’en imposant à la jambe la nécessité d’obéir à certains mouvements mus-
culaires, et de peser sur certains points d'appui, il tend à porter la vitalité et le
développement dans tous les tissus qui s'émaciaient faute d'usage et se rouil-
laient, pour ainsi dire, comme des engrenages qui cesseraient de fonctionner.
Revenons à notre sujet. De temps à autre, le malade avait eu l'occasion d'ob-
(*) De deux mots grecs : Aydor, eau qui s'accumule ; artäros, daus l'articulation,
108 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
server, sur la ligne horizontale de l'articulation une bosselure, qui faisait saillie à
l'extérieur, et supportait la pression des doigts sans occasionner de la douleur.
Cette bosselure s'effaçait quelquefois pour se montrer de nouveau sur d’autres
faces. En même temps, notre artiste éprouvait, quand il appuyait sur Ja
jambe, je ne sais quelle impression, qui lui semblait indiquer comme l'interpo-
sition d’un coussinet élastique entre les deux surfaces articulaires du fémur et
du tibia ; impression dont il m'a entretenu seulement après le succès bien constaté
de l'opération dont je vais parler.
La même bosse ayant reparu sur le côté interne de l'articulation, vers le milieu
d'avril, je conseillai d'y tenir une lame de sparadrap constamment appliquée,
moyen en général très-efficace pour attirer le pus et lui fournir une issue, sans
avoir recours au bistouri.
Le 2 mai 1854, il m'écrivait que le manque de sommeil lui donnait, quoique en
très-bonne santé, tous les inconvénients de la maladie; que les fausses et dou-
loureuses positions du genou se présentaient si souvent dans le lit, qu’il passait
le temps du repos à se retourner pour en trouver une moins pénible.
Je l'invitai alors à donner une issue au liquide quelconque que pouvait ren-
fermer cet organe, que je prévoyais bien n'être autre qu’un kyste articulaire, au
moyen du procédé suivant : recouvrir la bosse d’une plaque de sparadrap, ayant
au centre une ouverture du diamètre d’un pois; entourer cette ouverture d’un
bourrelet de sparadrap faisant l'office d’une espèce d’entonnoir; cela fait, on ap-
pliquerait sur la peau laissée à nu par cette ouverture l'extrémité d’un bâtonnet
de potasse caustique, jusqu’à ce que le sang vint à sourdre sur la peau. Dès ce
moment, enlever avec précaution la potasse, étancher le sang, laver sans cesse la
plaie, et faciliter l'écoulement du liquide par toute espèce de pressions.
L'ordonnance fut exécutée à la lettre : la goutte de sang n’apparut qu’au bout
d’une heure; et aussitôt la poche commença à se vider; il en sortit avec abon-
dance un liquide limpide, inodore, transparent comme de l’albumine, et dans le-
quel nageaient des grumeaux blancs agglomérés.
Évidemment, nous n’avions eu affaire qu'à un kyste, mais à un kyste qui s’éten-
dait très-avant dans l'articulation, et que les mouvements et la pression de la
jambe mettaient en saillie tantôt sur un point et tantôt sur un autre.
Pendant ving-cinq jours la suppuration de ce liquide, mêlé quelquefois de stries
de sang plus ou moins décoloré en jaune, fut très-abondante, et charriait des
parties solides grises informes, et d’autres de la grosseur de graines de lin, d’un
blanc nacré, ressemblant quelquefois aux œufs de brochet.
Rien ne manquait ainsi aux caractères du kyste. Peu à peu le liquide devint
moins abondant et finit par n'être plus qu’une suppuration; et, dans une visite
du milieu de septembre, j'ai trouvé la plaie complétement cicatrisée. Mais long-
temps avec cette époque, le malade s'était aperçu que la jambe pouvait supporter
le poids du corps sans douleur, que les positions dans le lit devenaient indiffé-
rentes, et que le coussinet, qui semblait tenir à distance les surfaces articulaires,
ne donnait plus lé moindre signe de sa présence; enfin, que les deux surfaces
commençaient à s'engrener, et à ne plus laisser les mouvements s’exécuter à
l'aventure.
Seulement, il reste encore des traces d’une infiltration consécutive sur le de-
vant du tibia, dont je n'ai pas encore parlé : quelques jours après l'opération, le
pied présenta les caractères d’une enflure qui s’étendit sur toute la surface du de-
ant de la jambe, jusque sous la tête du tibia; cette enflure était causée par une
RÉFLEXIONS THÉORIQUES SUR CE CAS D'HYDARTHRE. 4109
induration sanguine du tissu cellulaire, qui ne conservait pas l'impression des
doigts comme l'œdème, mais était comme l'œdème frappée d’insensibilité. C'était
l’œuvre de l'infiltration de la potasse, qu'il faudra, en pareille occasion, rempla-
eer invariablement par le caustique de Vienne (mélange par égale part de potasse
et de chaux caustique); la chaux, en coagulant les liquides et ossifiant, pour ainsi
dire, les tissus organisés, oppose à l’action dissolvante de la potasse un obstacle
insurmontable, qui l'empêche de filer dans les tissus adjacents et d'y reporter
une partie de son action désorganisatrice, toujours trop puissante sur l'orga-
nisme, si faible qu’elle soit chimiquement.
Au reste, l'œdème du pied a totalement disparu; et l'induration de la peau qui
recouvre la partie antérieure du tibia tend chaque jour à perdre de son épaisseur
et de sa consistance; la facilité de la locomotion ne fait que progresser.
RÉFLEXIONS THÉORIQUES ET PRATIQUES.
La formation et le développement de ce kyste articulaire a joué le plus grand
rôle dans l’histoire de cette hydarthrose du genou:
4° Dans ce cas, l'accumulation du liquide qui constitue le caractère de l'hyd-
arthrose n’était autre que le liquide reproducteur qui forme le caractère du
kyste.
20 Ce kyste avait poussé ses prolongements, pour ainsi dire, herniaires, dans
toute la capacité de l'articulation, tout autant dans la capsule de la rotule qu'entre
les deux condyles du fémur. Car un kyste simple, ovoïde et sans étranglements,
se vide en quelques minutes; celui-ci, pendant plus de deux mois, a dégorgé
des quantités (bien appréciables encore dans les derniers temps) et de liquide et
de corps reproducteurs.
3° La présence de ce kyste, se prolongeant ainsi entre les deux surfaces articu-
laires et formant coussinet entre les extrémités contiguës du fémur et du tibia,
explique suffisamment pourquoi, dans la position debout, le fémur semblait glisser
en divers sens sur la surface articulaire du tibia, et pourquoi le genou semblait
se disloquer, et pouvait tourner dans deux ou trois sens que ne comporte nulle-
ment l’état normal de l'articulation.
4 Quant à l'irritable sensibilité que contracta postérieurement le genou sous
l'influence du moindre frôlement, tout cela doit être mis exclusivement sur le
compte des pommades mercurielles que la médecine scolastique eut l'idée d’appli-
quer, en 4850, sur la surface de la tumeur blanche.
5° J'airencontré bien des tumeurs blanches qui n'étaient autres que des hydar-
throses, et bien des hydarthroses qui ne provenaient que de l'interposition de
kystes articulaires faisant plus ou moins saillie à l'extérieur de la boite du
genou.
6° L’intumescence qui caractérise ces sortes de maladies osseuses affecte tou-
jours de préférence la région des condyles du fémur; de même, quand la tumeur
blanche se montre à l'articulation du coude, c'est l'extrémité analogue de l'os
humérus qui prend leplus de développement. En un mot, dans tout cas semblable
qui arrive à une articulation quelconque, c’est l'extrémité de l'os la plus éloi-
gnée du corps qui éprouve la plus grande intumescence. Car les os se dévelop-
pent, comme les rameaux végétaux, par leur extrémité et non par leur base. Leur
développement est d'autant plus vigoureux qu'il éprouve moins d’obstacle et
moins de pression. L’extrémité stationnaire de l'os se développera done beaucoup
plus que dans le cas où elle remplirait ses fonctions normales, et qu'elle jouerait
110 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
librement pour accomplir les divers mouvements imposés par la volonté. Par
l'usage, toute surface dépense le liquide de ses cellules, pour lubréfier les parois
contre le frottement ; et elle se dépouille par exfoliations des téguments cellulaires
que le frottement a épuisés de leur liquide.
7° Lorsque, dans le cas d’une tumeur blanche, on présume que la formation
d'un kyste est la cause occasionnelle du mal; tout en continuant le traitement
indiqué dans le Manuel contre la tumeur blanche, on doit avoir l'œil sur toute
saillie qui viendrait à se montrer à la hauteur de la ligne articulaire. Dès que la
pression du doigt indique une fluctuation élastique, on doit procéder à la cauté-
risation du point central de la saillie avec toutes les précautions que nous avons
plus haut indiquées. Mais, on doitapporter la plus grande attention, à ce que la
cautérisation n'arrive pas jusqu'aux surfaces osseuses, et que les produits alcalins
de Ja cautérisation ne s’infiltrent pas dans les tissus adjacents; pour cela il faut
aller vite, éponger continuellement le liquide, envelopper en-dessus et en-des-
sous les surfaces avec des compresses imbibées d'alcool camphré. Dès que l'on
est à peu près assuré qu'il ne reste plus rien du caustique, on pratique dans la
capacité du kyste des injections à l'eau de goudron légèrement alcoolisée avec
l'alcool camphré ; on panse ensuite deux fois par jour à la pommade camphrée.
8° L'emploi du bistouri remplacerait dans ce cas avec avantage celui de la
cautérisation; mais bien des médecins encore retardataires refusent de se con-
former en ce cas aux vœux du malade, et tout malade recule devant l’idée de se
donner lui-même un coup de bistouri. Quant aux chirurgiens, le prix qu'ils at-
tachent à la moindre opération de leur art dépasse les ressources du plus grand
nombre des malades.
La cautérisation (par le caustique de Vienne) est à la portée de toutes les
bourses et de tous les courages; et ses conséquences n’offriront jamaisle moindre
danger à quiconque aura bien médité, dans cet article, le procédé d'opération.
CHUTES VIOLENTES. — COMPRESSION MUSCULAIRE SOUS LE CHOC D'UN POIDS
DE 45O@ KILOGRAMMES.
4° Un peintre en bâtiment, occupé à badigeonner l'extérieur d’une maison de
campagne, glisse avec son échelle et tombe d’une hauteur de dix à douze pieds;
il rencontre dans sa chute un massif d'arbres qui, par ricochet, le renvoie sur le
gazon à la renverse. On le relève sans connaissance; et on se contente de l’as-
seoir contre un mur; il commence à rouvrir les yeux, mais sa figure se décom-
pose; la stupeur est peinte sur ses traits pâles et tiraillés ; la fièvre le prend; il
commence à éprouver des mouvements convulsifs. Son ouvrier, eroyant avoir
assez fait en le plaçant sur une chaise, se remet à l'ouvrage sans s'occuper autre-
ment de son bourgeois qui se mourait ; on rencontre très-rarement des ouvriers
de ce genre. Cet endroit est privé de médecin et de pharmacien.
Heureusement que la maison était habitée, et que les gens de la maison n’hé-
sitent pas à appliquer le nouveau système. On étend aussitôt un matelas dans la
pièce la plus voisine. On arrose d’eau sédative le crâne de ce brave homme, qui
tombait en défaillance, puis en convulsions. On lui applique sur la région du
cœur une forte compresse imbibée de cette eau; on lui entoure les poignets
d’une autre compresse. Quelques instants après, sa figure était moins grippée,
l'œil moins hagard, et la coloration moins maladive. Pendant qu'on préparait la
bourrache, on lui fait avaler un verre d’eau aiguisée d’une cuiller à café d’eau
CHUTES VIOLENTES. 111
sédative; mais, aussitôt saisi par le froid de cette boisson, le patient est pris
d’un tremblement nerveux violent, d'un frisson opiniâtre. Heureusement que
l'infusion chaude arrive; et tous ces symptômes se dissipent dès que le malade
a fini d’en avaler un verre. La moiteur revient à la peau; le tremblement ner-
veux cesse; la figure n'est plus grippée; et le malade témoigne ressentir un
bien-être général. On lui administre de l’aloès; on continue la bourrache de
quart d'heure en quart d'heure, et les compresses d’eau sédative à demeure ; on
recouvre le malade pour faciliter la transpiration qui devient abondante. Une
heure après, le malade change de linge, se relève pour retourner à la surveil-
lance de son ouvrage, à peine un peu endolori.
29 Il y a deux mois environ qu'un maitre menuisier tombe sur le payé, de ri-
cochets en ricochets, du haut d'un échafaudage mal assujetti et de la hauteur
du deuxième étage. On le rapporte sans connaissance sur un brancard à son ate-
lier, qui se trouve à une assez grande distance; pendant qu’on envoie chercher
le médecin, un ouvrier intelligent, et que ses camarades appellent le docteur, à
cause du zèle qu’il met à soigner les blessés et les malades, ce brave ouvrier ne
perd pas un instant, et, le Manuel à la main, il arrose à grands flots d’eau sédative
et frictionne sans relâche son excellent bourgeois, qui revient peu à peu à lui-
même sous l'influence de ces soins incessants. Quand le médecin arrive, le ma-
lade était sauvé, la saignée devenait inutile aux yeux du praticien; quelques jours
de repos et la continuation de la médication indiquée dans le Manuel, contre les
rechutes, ont sufhi pour remettre sur pied ce malade qu'on avait ramené dans un
état désespéré.
5° Un soir du mois de mars dernier, un traiteur est invité à donner un coup de
main à son voisin, pour décharger une charrette qui apportait des tonneaux de
vin. C'est un homme grêle, mais fort, et qui, comme les hommes de cette trempe,
se plait à jouer avec les diflicultés. Mal secondé dans un mouvement, le pied lui
manque, il tombe sur le derrière; la pièce de vin roule sur lui, mais oblique-
ment, ce qui fait que le choc porte sur le pavé d’abord par un bout, et amortit
d'autant la chute qui, sans cela, aurait brisé les os de la jambe ou le fémur, C’é6-
tait un tonneau de 150 litres de vin.
Cet homme erut avoir la jambe cassée; il fallut le porter sur son lit, en proie
à une fièvre toujours croissante et à toutes les conséquences morbides d'un pareil
coup; il poussait des cris autant de douleur que de frayeur, car une longue ma-
ladie ne pouvait être que la ruine de ses intérêts.
En l'absence du médecin, qui reste fort loin de ce pays, on se met à appliquer
le nouveau système. Le moindre frôlement sur la cuisse faisait pousser des
cris au malade, On n'hésite pas pourtant à couvrir la cuisse d'une compresse
constamment arrosée d’eau sédative ; on lui place une autre compresse autour du
‘eou et sur la région du cœur. En quelques minutes, on put toucher la cuisse im-
punément, et la presser avec les doigts pour s'assurer que l'os n'était point frac-
turé. De même que dans le premier cas rapporté ci-dessus, dès qu'on lui eut
donné un verre d’eau froide alcalisée d’une cuiller à café d’eau sédative, le trem-
blement le prit avee claquement de dents; mais tous ces symptômes de trismus
cessèrent dès qu'on lui eut fait avaler un bol d'infusion de bourrache, avec un
grumeau de camphre. Aussitôt on administre l’aloès, et, au bout d’une demi-
heure de soins, la fièvre avait entièrement disparu. L'assurance qu'il n'existait
pas de fracture avait ramené le calme dans le moral. La nuit fut excellente ; le
malade éprouvait plutôt une espèce de gène que des douleurs dans les muscles
412 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
contusionnés. Le lendemain il mettait pied à terre; et si on lui fit garder la
chambre, c'était plutôt par un excès de prudence que par nécessité. Au bout de
huit jours on leva ses arrêts qui lui paraissaient forcés, et il vaqua comme d'or-
dinaire à ses occupations journalières.
CONCLUSION PRATIQUE.
Dans les cas analogues de chute, de contusion, d'écrasement des chairs, de
fièvre à la suite d’une lésion violente, ne faites rien boire de froid au malade;
mais le plus tôt que vous pourrez, une infusion bien chaude de bourrache, en cer-
tains cas alcalisée d’une cuiller à café d’eau sédative, surtout quand il existe
une forte congestion au cerveau.
CHAPITRE IL. — MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE.
AVERTISSEMENT.
Dans les trois premières livraisons de la Revue complémentaire, j'ai abordé
trois ou quatre questions de météorologie expérimentale et instrumentale, sans
avoir cherché à établir le lien qui les unissait, ce qui, du reste, aurait demandé
des développements d’une trop grande étendue. Je pourrais suivre, dans le cours
des livraisons suivantes, la même méthode d'analyse, qui permet d'aborder les
points que l’on veut, à l'instant où l'on se trouve en possession des matériaux
destinés à en démontrer l'hypothèse.
Cette méthode, facile dans le principe, finit aussi par rencontrer sur sa route
des obstacles et des difficultés qui forcent à laisser des lacunes dans la démon-
stration, en coupent le fil, et, par conséquent, l'évidence, par des renvois à des
explications ultérieures.
Je vais rentrer dorénavant dans mes habitudes primitives de synthèse, de mé-
thode et d’enchainement d'idées. L'analyse facilite les recherches; la synthèse
seule est l'instrument de la démonstration. On étudie isolément les questions ;
mais on ne démontre que lorsqu'on a découvert le principe d'où elles découlent,
comme par une espèce de filiation.
Mais cette filiation ne se révèle qu'après de longues recherches, poursuivies par
d’opiniâtres expérimentations et une méditation prolongée. L'observateur de la
nature ne prend la plume que lorsque ce trait révélateur est venu coordonner
tous les détails d'observation qu’il avait eu soin de recueillir avec une scrupu-
leuse exactitude.
Mes lecteurs habituels savent de longue date que je n'écris sur une science
qu'après avoir consacré de longues années à en approfondir les lois par l’expé-
rience, à les coordonner par la méditation, à trouver, enfin, le joint par lequel
elle tient aux autres sciences, grandes fractions de l'unité qui est l'âme de la
nature.
En publiant ce nouveau système de météorologie dans la Revue, je procéderai
comme j'ai toujours procédé pour les autres fractions de la science universelle.
Les premiers fondements de ce système ont été jetés, en 1838, dans la quatrième
partie du Nouveau système de chimie organique; c'est là que j'ai esquissé à grands
FORMATION DES VAPEURS D'EAU. 113
traits le programme de l'astronomie atomistique, et que j'ai démontré que l'atome
chimique ne suivait pas, dans ses combinaisons, d’autres lois que ces grands
orps planétaires, corps immenses pour notre imagination, simples et frêles atomes
dans la main de la nature; enfin, que tous les mouvements des corps célestes qui
errent dans l’espace se reproduisaient dans un simple verre d’eau.
La solitude profonde dont j'ai joui pendant les six dernières années m'a per-
mis de me livrer exclusivement à cette fraction de mes études, et d'arriver, de
résultats en résultats, à un enchäinement d'idées qui porte le caractère de la dé-
inonstration, et qui nous fournira le mot de bien des énigmes météorologiques.
Je vais exposer ces nouvelles idées par la voie démonstrative, c’est-à-dire par
leur déduction consécutive. Je prie mes lecteurs de ne passer à un théorème
qu'après s'être familarisés avee le théorème précédent; de mon côté, j'éviterai
tout ce qui aurait l’air de formules algébriques et de calculs compliqués. Les lois
de l’univers sont toutes faciles à comprendre, elles sont toutes physiques. Le eal-
cul sert à évaluer la puissance de leurs résultats; mais l'observation seule suffit
pour arriver à leur découverte.
$ IT. FORMATION DES VAPEURS D'EAU.
4. L’atome de la vapeur, c’est-à-dire son fractionnement poussé idéalement jus-
qu'à ses dernières limites possibles, est une sphère. En effet, remarquez, dans le
bouillonnement de l'eau, la forme que prend la vapeur en traversant le liquide :
c’est une sphère parfaite, tant qu'elle ne s'élève pas avec une certaine rapidité. Or,
les parties d'un tout de même nature ne peuvent être que semblables entre elles
et partant semblables au tout qu’elles composent.
Des fractions anguleuses et semblables entre elles ne s'arrangeront jamais en
sphère.
Des sphères seules peuvent composer de plus grandes sphères.
2. Si l'on veut avoir plus longtemps sous les yeux le moyen de vérifier cet
axiome, qu'on jette, dans une eau acidulée avec de l'acide acétique même (vinai-
gre), de petits fragments de coquille d'œuf finement broyée; l'acide carbonique
qui se dégagera de chaque petit fragment par la substitution de l'acide acétique,
cette portion équivalente d'acide carbonique non-seulement s’arrangera en bulle
sphérique adhérente à la surface du fragment de coquille, mais encore elle l’en-
lèvera, comme le ballon aérostatique enlève la nacelle, jusqu’à la limite de la
couche d’eau, où elle restera pendant quelque temps tranquille et suspendue,
pour ainsi dire, commeau plancher, jusqu'à ce qu'enfin, par sa force d'expansion,
elle crève à la surface, et laisse tomber au fond du vase le fragment solide qu’elle
soutenait.
On remarquera que toutes ces bulles de gaz carbonique sont exactement sphé-
riques.
3. En outre, il sera facile à la loupe de distinguer comme une pellicule de
poussière dont la sphère gazeuse s’est incrustée en se dégageant.
4. Quel est le gaz qui, dans l'eau pure, purgée d'air, et bouillant dans un
vase à parois indécomposables, forme ces bulles sphériques qui se dégagent en
vapeurs? Donnez-lui le nom que vous voudrez; désignez-le provisoirement par
le signe algébrique de l’inconnue ; appelons eette substance vaporigène, hydro-
gène, ou calorique, ou éther, peu importe, pourvu qu'elle soit une substance, c'est-
à-dire une puissance, etque ses atomes soient sphériques, puisque de leur agré:
gat résulte une sphère.
114 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPBIQUÉES.
5. L'atome de tout liquide est une sphère, comme l'atome de la vapeur et
l'atome du gaz; le gaz est une vapeur que le refroidissement change moins vite en
liquide ; c’est une vapeur permanente à la température ordinaire de notre atmo-
sphère.
La gouttelette d’eau, libre de toute adhérence et abandonnée elle-même, s'ar-
range toujours en une sphère, ainsi que la gouttelette du mercure : il suffit pour
s’en convaincre de remarquer les gouttelettes de rosée qui séjournent, comme des
perles transparentes, dans les concavités des feuilles de chou, dans le cornet des
feuilles d'hydrocotyle ou de capucine, et dans les éventails des feuilles non épa-
nouies des églantines.
6.Si, par hasard, la gouttelette d’eau s'échappe sur une terre desséchée et pou-
dreuse, on la voit se couvrir de petits grains de terre qui courent sur sa surface
jusqu'à ce que, à la suite de la spirale qu'ils décrivent, ils aient fini par se mettre
en rang. On observe souvent de ces gouttelettes dont la surface est ainsi tout
incrustée d’une écorce de sable, sphère creuse à qui la sphère d’eau fait office de
vapeur; vésicule de corpuscules solides, qui viennent, en décrivant des spires,
s'arranger autour de la sphère liquide, comme les atomes liquides viennent, en
décrivant également des spires, former une vésicule servant d’écorce à la sphère
de la puissance inconnue, qu'on peut également nommer éther ou calorique.
Cet arrangement vésiculaire des atomes d’eau forme ce qu'on appelle vapeur
d'eau.
7. Des vésicules sphériques ne peuvent se grouper en une sphère générale, si
ce n’est à la condition de s'arranger par rang de diamètres, d'autant plus près du
noyau central que leur diamètre est plus petit, et d'autant plus éloignées que leur
diamètre est plus grand, en suivant une progression d’accroissement de rangs en
rangs concentriques, progression dont la raison est trois, le noyau central étant
un (1:5:9:97 : 81, etc.); la Loi du rapport du diamètre à la circonférence
l'exige ainsi. {l faut douze boules égales pour entourer une boule d'égal dia-
mètre ; donc, pour entourer cette boule composée de treize boules, une centrale
et douze corticales, il faudra douze boules d’un diamètre égal à celui de Ja sphère
composée des treize boules, c’est-à-dire d’un diamètre égal à trois, le noyau
central étant un; et ainsi de suite à l’infini.
8. Les vésicules de vapeur sont, ainsi que les globules d'eau, éminemment
élastiques, et tendent invariabiement à reprendre la forme sphérique, dès que Ja
compression ne forme plus obstacle à cette forme. Cette tendance à reprendre
la forme sphérique, tendance qui est capable de repousser les plus gigantesques
obstacles, revient en quelque sorte à ce que les physiciens désignent sous le nom
de tension, terme jusqu’à présent si mal défini.
9. Cette tension n’a pas seulement pour obstacle les corps solides, mais encore
les rangées de sphères liquides ou gazeuses d’un autre diamètre; et celte propo-
sition, l'une de celles dont nous ferons plus fréquemment application, va être
mise en évidence par l'hypothèse suivante. Admettez qu'on ait enlevé d'une
sphère solide un secteur conique ou pyramidal, et que, par suite d’une circon-
stance quelconque, au sommet de ce secteur se trouve comprimée une sphère
élastique de vapeur, ou même un liquide non susceptible d'adhérer aux parois de
ce cône vide. La masse gazeuse ou liquide devra, pour reprendre sa sphéricité,
s'élever jusqu’à Ja hauteur où le diamètre du cône sera égal à son propre dia-
mètre, toutes autres circonstances atmosphériques restant étrangères au phé-
nomène hypothétique dont nous parlons.
FORMATION DU BROUILLARD. 115
10. Eh bien, l'atmosphère terrestre représente cette sphère solide; elle est
formée non pas de colonnes, mais de secteurs coniques, séries progressives de
bulles de vapeurs ou de gaz; en sorte que la bulle de vapeur qui se trouve à la
surface de la terre est la plus petite, et que celles qui suivent sont de plus en
plus grandes, par une progression dont la raison est 5, et cela à l'indéfini, pour
ne pas dire à l'infini.
ILest évident, dès lors, que les bulles de même diamètre se trouveront à une
égale distance du centre de la terre, et que chaque circonférence se composera de
bulles de même diamètre, le diamètre de chaque bulle croissant proportionnelle-
ment au rayon de chaque zône.
11. Toute bulle de vapeur qui se dégage montera done jusqu'à ce qu'elle ar-
rive au rang des bulles d’un diamètre égal au sien, repoussée de proche en proche
par tous les rangs composés de bulles d’un diamètre inférieur.
12. Si cette bulle se dégageait vers les régions supérieures, elle serait re-
poussée en sens contraire, c'est-à-dire de haut en bas par les rangs de bulles d'un
diamètre supérieur, jusqu'à ce qu'elle eüt trouvé le numéro de sa case. Arrivée
à ce point, sa tension sommeille, et ne se réveille que lorsqu'une nouvelle quan-
tité de calorique vient augmenter le volume de sa sphère, ou qu’une certaine
quantité de calorique soustraite par les corps ambiants a diminué d'autant son
volume; elle se déplace encore pour aller prendre rang parmi celles d’un dia-
mètre égal à celui qu'elle vient d'atteindre.
12. Et comme cet échange de calorique survient à chaque instant de la jour-
née, par suite de la révolution diurne de notre grand luminaire, de là le mouve-
ment aérien, mouvement infiniment variable mais perpétuel.
15. Toute molécule de vapeur, étant donc formée d’une sphère de gaz ou de
calorique enveloppé d'une couche d’atomes d'eau, apparaîtrait comme une sphère
creuse, si nous possédions des verres grossissants d'un pouvoir réfringent assez
puissant pour nous permettre d'observer d'aussi petites agglomérations d’atomes.
14. Les bulles de vapeur troublent d'autant plus la transparence de l'air
qu'elles diffèrent davantage de volume avec celles que l'air tient en dissolution
autour de nous. De là vient que sur une hauteur nous apercevons fort souvent,
dans la vallée, un brouillard qui se lève et dont les habitants de la vallée ne se
doutent même pas. On voit souvent aussi, au beau milieu d'un champ ou d’une
prairie, s'élever un brouillard blanc qui semble sortir d'une chaudière: si vous
tournez autour de cet endroit vous ne l’apercevrez plus du tout, et vous le rever-
rez encore, en revenant à la même position; c'est-à-dire, que vous verrez ce dé-
gagement du point où rien ne se dégage encore, ou bien du point d'où le courant
d'air balaye ce qui se dégage; vous n'apercevrez plus le dégagement du point où
il se dégage une vapeur analogue. Nous ne distinguons pas Je milieu aérien dans
lequel nous sommes plongés; l'air le plus pur et qui nous laisse voir le ciel le plus
bleu est celui dans la composition duquel n’entrent que des vésicules de vapeur de
même volume par couches superposées; chaque colonne de ces vésienles forme
alors un système de lentilles conjuguées, qui favorise la vision au lieu d'y mettre
obstacle.
$ 2. FORMATION DU BROUILLARD.
15. Le brouillard n’est que la vapeur d'eau produite par la nature. Il se com-
pose de vésicules d’eau pleines d’un gaz quelconque qu'il s’agit d'évaluer.
16. Toutes les fois qu'un gaz se dégage dans l'eau, ou qu'en se dégageant il
116 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
est forcé de traverser une nappe d’eau, ses atomes simples ou composés s’enve-
loppent d'une couche sphérique d’eau (6.), et contribuent ainsi à former la va-
peur d’eau dans nos laboratoires, et le brouillard dans le grand laboratoire de
la nature.
47. Or, dans le sein des eaux marines ou douces, il se dégage, incessamment
et nuit et jour des gaz de toutes sortes. En effet, les plantes et les animaux
aquatiques en expirent des quantités immensurables par les organes qui font of-
fice de poumons. L'action du soleil favorise amplement la décomposition de
l'eau, par l’affinité pour l'oxygène des bases métalliques, du fer surtout, qui forme
le fond de vase ou y arrive par le cours des ruisseaux. L'hydrogène, dans ce dé-
gagement de gaz sur une vaste échelle, joue le principalrôle. Les lacs, les étangs,
les cours d’eau et la mer sont donc une immense chaudière à vapeur, un im-
mense laboratoire de brouillard.
18. Les plantes et animaux terrestres donnent également leur contingent à
ce dégagement incessant de vapeurs. Placez une eloche sur une plante ou même
sur une tige de plante dont vous aurez mastiqué le bout, et les parois de la clo-
che ne tarderont pas à se couvrir de vapeurs condensées, vapeurs dégagées par
les organes respiratoires et foliacés du végétal. Entrez dans une salle où auront
séjourné beaucoup de personnes à la fois, et vous pourrez évaluer la quantité de
vapeur qu'elles auront expirée; vous ne verrez quelquefois les bougies qu'à
travers un épais brouillard.
19. Ainsi l’eau s'élève continuellement en vapeurs, de la surface des eaux et
de la surface du sol. L'élaboration de vapeurs d’eau est universelle et incessante.
20. Mais cette vapeur d’eau, cette vésicule aqueuse, peut avoir pour moule
sphérique, pour base gazeuse, une foule de substances volatiles, différentes de
densité et de propriétés. Le brouillard peut être formé en effet par Le dégage-
ment d'acide carbonique, hydrochlorique, nitrique, etc., d'oxygène, d'hydrogène
pur ou combiné; et, comme l'hydrogène a une affinité puissante pour tous les
métaux, qu'il s’en imprègne toutes les fois qu'il se dégage à leur contact, les
vésicules du brouillard pourront être à base d'hydrogène carboné, ferré, arséni-
qué, sulfuré, phosphoré, etc.; en sorte que tel brouillard pourra être nuisible
et tel autre inoffensif; que l’un sera un véhicule de contagion et d’affections qu’on
-appellera alors épidémiques, tandis que dans la localité voisine le brouillard ne
produira que l'humidité. Dans telle localité le brouillard séjournera plus long-
temps à la surface du sol, à cause de la pesanteur de sa base gazeuse; tandis que
dans l’autre il s’élèvera rapidement dans les airs à cause de la légèreté de ses
vésicules. De là vient aussi qu'il existe des brouillards fétides et des brouillards
inodores; jugez de la fétidité d’un brouillard dont les vésicules de vapeurs se-
raient à base d'hydrogène sulfuré, ce qui est plus fréquent qu'on ne pense, là ou
les eaux séjournent ou courent sur un sous-sol riche en sulfures de fer ou au-
tres !
21, Les vésicules du brouillard, ou autrement les vésicules de vapeurs, sont
d'autant plus volumineuses que la température est plus élevée; mais alors elles
sont d'autant plus légères; car leur augmentation de volume ne provient que de
l'addition du calorique, substance impondérable, vu que, répandue dans tout
l'univers, elle ne gravite sur aucun globe de préférence (nous rendons en ceci
notre pensée d’après le langage des écoles, car plus tard nous démontrerons que
la gravitation est une expression tout aussi impropre que celle d'attraction).
22. Plus le volume de vapeurs augmente et plus sa transparence se rapproche
ROSÉE. 117
ds celle de l'air; quand les deux espèces d’atomes ont atteint environ le même
volume, l'air est limpide et pur, et le ciel d’un bleu plus prononcé; c’est alors le
ciel d'Italie, disent les peintres.
25. Que la température vienne à baisser tout à coup, c’est-à-dire que des cou-
ches d'air plus froides arrivent pour soustraire et partager le calorique de toutes
ces vésicules de vapeurs, ces vésicules, perdant de leur légèreté en perdant de
leur volume, descendront dans les régions les plus basses de l'atmosphère, où
elles deviendront plus visibles et troubleront la transparence de l'air par la dif-
férence de leur pouvoir réfringent. Le brouillard deviendra d'autant plus épais
que la température baissera plus vite. De là vient qu'en général le brouillard se
montre le soir ou le matin, après la journée la plus belle, au printemps et en au-
tomne, dans les vallées humides.
24. Par la raison des contraires, les vésicules de vapeurs, augmentant de légè-
reté en augmentant de volume par le calorique, monteront de plus en plus dans
les régions élevées de l'atmosphère. La vésicule, en effet, est un aérostat dont la
croûte d'eau forme l'enveloppe et que le calorique ou l'hydrogène distendent de
plus en plus. L’ascension de l'aérostat serait indéfinie, si l'enveloppe se prêtait
indéfidiment à la dilatation, et si le calorique arrivait indéfiniment pour la
d'stendre.
Donc, la vapeur d’eau est capable de s'élever dans les flus hautes régions de
l'atmosphère, et de devenir d'autant moins visible qu’elle s’élèvera plus haut.
25. On voit souvent des brouillards couvrir une vallée jusqu’à la crête des
collines qu'elles ne dépassent pas. Cela tient à ce que la température de la val-
lée est assez basse pour que les vésicules ne montent pas, le courant d'air chaud
rasant alors la crête des collines et ne s'engouffrant pas dans le vallon, Dès que
les rayons du soleil viennent à plonger dans la gorge, le brouillard se dissipe,
non en tombant, non en fuyant, mais en montant imprégné de chaleur et par
conséquent de transparence.
26. L'eau étant essentiellement susceptible de se dissoudre dans l'air, de se
former en vésicules de vapeur en se rangeant atomistiquement autour des atomes
d'air ou autre gaz qui se dégage, il s'ensuit qu’à tout instant du jour ou de la
nuit le brouillard se forme, quoiqu'il ne soit visible qu'à une basse température.
6 3. ROSÉE.
97. Lorsque le brouillard tombe, le sol et les plantes se couvrent de perles
de rosée qui ne prennent pas ce nom en plein jour.
28. Si ces perles se montrent sur la surface du sol, sur les feuilles des plan-
tes par une belle matinée, ce phénomène prend le nom de rosée et a donné lieu
aux explications les plus torturées.
29. Cela vient de ce que l’explicateur est dans son lit, pendant que se forme
la rosée, et qu'en se levant, il se demande, en voyant ce spectacle, comment, par
un temps see, il a pu se former.
30. La rosée se forme rarement dans la nuit; elle n'apparaît, en général, qu'une
heure avant le lever du soleil ; c’est en effet là l'heure où la température s'abaisse
davantage; c'est l'heure critique pour les gelées du printemps.
31. Or, dès que la température baisse, la vapeur d’eau à bulles moins volumi-
neuses commence à se rapprocher de plus en plus de la terre, et elle se liquéfie, en
se groupant en perles d’eau sur toutes les surfaces concaves qui ne l'absorbent
pas.
118 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
52. On a observé que la rosée se dépose sous une cloche de verre comme sur
les plantes qui ne sont pas à couvert : d’où on a conclu que la rosée sortait de
terre exprès pour venir se déposer sur les plantes voisines du sol. Cette conclu-
sion n’est pas immédiate. Car les vapeurs d’eau existaient sous la cloche, comme
elles existent dans les régions libres de l'air; le même abaissement de tempéra-
ture qui transforme les vapeurs atmosphériques en rosée, condense nécessaire-
ment de la même manière la quantité de ces mêmes vapeurs qu'emprisonne la
cloche, pour couvrir les parois de la cloche d’une buée, et les organes concaves de
la plante de perles d’éau. Cela ne dit pas que la rosée qui tombe ne soit pas venue
du sol, quoiqu’elle puisse venir de toute autre région voisine, de l’évaporation
de l’eau des étangs et des rivières ou même de la mer; mais enfin cette humidité
que l’air tenait en dissolution ne retombe sur les objets à fleur de terre que par
suite du refroidissement matinal; ce sont, comme le disaient les poëtes anciens,
les larmes de l'aurore ; et les observations thermométriques donnent le mot de
celte fiction.
$ 4. GELÉE BLANCHE.
53. Si, après que la rosée s’est déposée, la température baisse jusqu'à zéro,
chaque gouttelette devient glaçon; et la rosée est gelée blanche; on eût mieux fait
de dire rosée blanche.
La rosée blanche perd son nom lorsque, dans le jour, un froid subit transforme
en glaçons les goutelettes que la pluie vient de déposer sur les corps voisins du
sol et sur les plantes; il est une foule de mots qui expriment la même idée, seu-
lement prise dans des circonstances différentes. (La suite au numéro prochain.)
CHAPITRE IL, — CUISINE AUXILIAIRE DE LA MÉDECINE
ET REMPLAÇANT L’OFFICINE.
SOMMAIRE. ANTIQUITÉ DES CONDIMENTS CONTRE LES ÉPIDÉMIES (mar pes ARDENTS,
TROUSSE-GALANT, CHOLÉRA-MORBUS (*), MALE-MORT, PESTE, etc.) —Camphre, camphrier, casse-poi-
trine, fil-en-quatre; antiquité du vin grenatisé; sa formule du temps de Caton et
son emploi du temps d'Édouard Ier. — Porte-cuisine, cuisine de poche et de voyage. —
Bière aromatisée des Écossais.—Pavé des appartements jonché d’épis de lavande.—Enor-
mité et luxe des salières et porte-sauces en Angleterre, — Poivre vendu au poids de
l'or. — Autopsie de l’infortunée Marie Leczinska, reine de France.—Olla podrida des Es-
pagnols et aïoli des Marseillais, — Loi du Veidam pour les enfants nouveau-nés. — Ali-
mentation aromatique des créoles de l'ile Maurice. — Ananas à la croque au sel. — Bétel
préparé par les jeunes Malaises. — Sucre et sel. — Épidémie et dyssenterie faute de sel.
— Art culinaire chez les Romains. — Peuples guerriers et peuples fainéants. — Cuisiniers
et médecins esclaves. — Cuisinière bourgeoise des Romains, dans ses rapports avec la Cui-
sinière bourgeoise de la France actuelle ; analyse du livre de Cœlius Apicius, le Carême
des Romains, sur l’art culinaire. — Ail peu usité dans la cuisine des Lucullus et des
Apicius et très-recherché par l'habitant des campagnes. — Méthode romaine et russe
d’enleveraux champignons leurs qualitésnuisibles.—Moyen antique de conserver lesraisins.
À. CAMPHRE, CAMPHRIER, SE CAMPHRER, DANS LE VIEUX LANGAGE DES FAUBOURGS DE PARIS.
Bien avant que le nouveau système eüt fait passer l'usage du camphre dans les
habitudes hygiéniques du peuple, le mot de camphre était très-usité sous une
(*) Du temps de Guy-Patin, trousse-galant était synonyme de choléra-morbus. « Le médecin del'H6-
tel-Dieu, dit-il, a un choléra-morbus, autrement un trousse-galant, dont il a failli mourir (lettre 528e,
10 septembre 1670).
ANTIQUITÉ DE L'EMPLOI DES CONDIMENTS. 119
autre acception dans les rues populeuses de Paris, Le camphre signifiait le casse-
poitrine, le fil-en-quatre, c'est-à-dire le cognac du peuple, l'eau-de-vie un peu
roide. — Deux sous de camphre, c'était un petit verre d’eau-de-vie, — Se cam-
phrer, c'était faire un léger extrà d’eau-de-vie, c'était visiter plus souvent que
d'habitude le comptoir du débitant en détail. — Le camphrier, c'était le buveur
d'eau-de-vie dans l'impénitence finale, le dégustateur sombre et passionné de la
quintessence du vin, pour qui rien n’était plus assez fort, et qui seulement eût
trouvé au gosier l'eau-forte un tant soit peu trop roide.
Or, à l'époque dont nous parlons, l’eau-de-vie camphrée était entièrement sortie
de la pharmacopée.
Le système Broussais avait balayé de la thérapeutique et de l’hygiène tout ce
qui eût chatouillé un peu trop fortement au gosier l'entité de l'inflammation.
Cependant, l'eau-de-vie camphrée avait été jadis employée contre les maux
externes; et tout porte à croire que, durant les grandes épidémies, le peuple avait
mêlé du camphre à l'eau-de-vie qu’il prend tous les matins, et s’en était fort bien
trouvé sans chercher à s'en rendre compte. Plus tard, le nom de l'accessoire prit
celui du principal, car cet accessoire parut éminemment hygiénique; et l’eau-
de-vie conserva la dénomination de camphre, alors que la médecine théorique
fut venue à bout de ramener l’eau-de-vie à l’état de pure et simple boisson,
B. ANTIQUITÉ DE L'EMPLOI DES CONDIMENTS.
Tout le passé de notre histoire est en pleine contradiction avec les prétentions
hygiéniques de la médecine de nos derniers cinquante ans; rien n'était plus
usité chez nos pères que l'emploi abondant des condiments, surtout de ceux qui
nous viennent de l'Inde.
Dans le compte des achats faits à Gand par Édouard [°", roi d'Angleterre, dans
le voyage qu'il y entreprit, en 1297, pour conduire safille Élisabeth auprès de son
époux Jean, comte de Hollande, figure un payement fait à Richard De Monte,
apothicaire à Londres, pour des grenades et du vin grenatisé, ete.
L'usage du vin grenatisé remonte jusqu'à Caton, qui le recommandait à jeun
contre les lombrics et le ver solitaire, ou bien contre les épreintes et le dévoie-
ment (car alors, comme aujourd'hui, la médecine ne soupconnait la cause du dé-
voiement que lorsqu'elle voyait sortir la vermine). Voici sa recette : « Contre les
épreintes et le dévoiement, ou bien lorsqu'on est tourmenté par les lombries et
les vers solitaires (lumbrici et tineæ), prenez trente écorces de grenade /mala
punica acerba, ce qui fait deux kilogr. environ d’écorce), broyez-les, faites-les
macérer dans une cruche avec trois conges (9 litres 717) de vin noir généreux,
Bouchez le vase et cachetez-le avec de la cire. Au bout de trente jours, tirez à
clair, et la liqueur est bonne à prendre. Buvez-en une hémine (un grand verre) à
jeun (‘). »
On ne formulerait pas mieux aujourd'hui; et observez qu’au temps de Caton
iln'y avait, à Rome, ni médecins ni apothicaires ; les esclaves de la famille fai-
saient l'office des uns et des autres, sans s’en douter. Dans le prochain numéro
de la Revue, je donnerai toute la pharmacopée de Caton, en médecine et vétéri-
naire; On y verra non-seulement que la rédaction impérative de nos formules”
nous vient de lui, par le véhicule de l’école de Salerne, mais encore que le nou-
veau système adopterait toutes ces formules au besoin; qu’elles étaient toutes
(*) M. Caro, de Re rusticä, page 32, art. 126, édit, de Robert Étienne, 1543, Caton vivait dans le”
3e siècle avant l'ère chrétienne,
120 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
rationnelles, toutes conformes à la nouvelle théorie, et que si la médecine galéni-
que en à fait perdre l'habitude, c’est parce que nulle pratique n’est durable, tant
que Ja théorie n’a pas trouvé le mot de l'énigme et n’en a pas donné la raison.
L'usage des condiments se retrouve, à Paris, dans toutes les époques de l’his-
toire des épidémies. Au moyen âge, on portait, en voyageant, ce qu'on appelait
une cuisine de poche, une collection des condiments culinaires, qu’on n'aurait pu
trouver alors dans aucune boutique de village (l'épicier n’était pas encore venu au
monde à cette époque-là) : c'était de la muscade, des clous de girofle, du poivre
et du sel, Dans une très-vieille comédie, on trouve ce vers :
Porte-cuisine en poche et poivre concassé.
Usage que Voltaire, toujours vrai d’érudition en ce qui regarde les mœurs,
même alors qu'il invente la légende, usage dise, qu'il a rappelé ainsi dans le
dix-septième chant de {a Pucelle :
I1se souvient que notre ami Rousseau
Suivait toujours l’usage antique et beau,
Très-sagement établi par nos pères,
D'avoir sur soi les choses nécessaires
Muscade, clou, poivre, girofle et sel
Seulement, il a fait un double emploi des clous de girofle en supprimant le
de et séparant le régime de son substantif.
Walter Scott, ce peintre si fidèle des mœurs, est plein de pareils témoignages.
D’après lui, les montagnards d'Écosse ne se servaient que d’eau-de-vie d'orge,
distillée avec du safran et autres herbes aromatiques {Chronique de la Canon-
gate, ch. v.). Du temps de Charles I et plus anciennement, avant de boire la
bière (ale),onavait soin, dit Walter Scott, de la remuer avec une branche de roma-
rin. On était dans l'habitude alors, en Écosse, de joncher le plancher de fleurs de
lavande et autres plantes odoriférantes (Redgauntlet, lett. 3.). Dans les repas, à
côté de chaque convive, était un petit nécessaire de voyage en maroquin garni
d'argent, qui contenait plusieurs fioles remplies des meilleures sauces, où les as-
saisonnements étaient mélangés avec la précision d'un pharmacien (Péveril
du Pic).
La salière, dans le xvi° siècle, était une pièce d’argenterie d'une grandeur
énorme, et représentant différents sujets, une tour, un château, un rocher, le
tout divisé en autant de cases qu'on servait alors de sauces assaisonnées, d’at-
chars, enfin. ;
Les matrones ne servaient l’ale qu'après l'avoir fait chauffer avec des épices;
la haute société avait une boisson privilégiée qu'on appelait syllabub; c'était un
composé de lait, de vin, de sucre et d'épices.
Les Anglais d'aujourd'hui ont réduit les proportions de la salière à épices, tout
en lui conservant la variété et le montant de ses sauces. ñ
Les épiceries sont tellement un besoin hygiénique, que du temps des Romains, et
jusqu'aux voyages des Portugais autour du monde, on payait le poivre au poids
de l’or ; d’où vient le dicton : cela est cher comme le poivre, ou c'est poivré (‘);
5, à 3 L LES L
… (*) Piper in Indos petilur, pondere emitur ut aurum et argentum (Puin., lib. XII, c. 7); le poivre qui
nous vient des Indes, on l’achète au poids de l'or et de l'argent. Le poivre est resté cher si longtemps
qu'on ne le trouve pasmmentionné dans la vieille formule italienne de la salade : salata ben salata,
poco acelo, e ben ogltala (que la salade soit bien salce, peu vinaigrée et bien huilée).J'ai rencontré cette
formule dans les auteurs du quinzième siècle, et tout Italien la sait par cœur encore aujourd'hui.
UNIVERSALITÉ DE L'EMPLOI DES CONDIMENTS. 121
ce dernier mot a pris un autre sens dans le langage syphilitique, à cause du poi-
vre cubèbe qui a été longtemps un spécifique fort en vogue en pareil cas.
Plus tard, la médecine galénique ayant envahi l'art culinaire, et ayant pris
dans son département l'article des assaisonnements, il arriva que l'usage des
condiments cessa d’être si fort en crédit.
On rapporte qu'à l’autopsie de Marie Leczinska, épouse angélique du libertin
égoïste Louis XV (morte le 24 juin 1768 au soir), ses entrailles ayant été trouvées
gangrenées, les médecins de l’époque, déjà précurseurs de Broussais, n’expli-
quèrent cette circonstance que par l'usage des épices dont lescuisiniers polonais de
la reine assaisonnaient ses mets. Comme si la gangrène, ce symptôme de la pu-
tréfaction, était compatible avec l'usage des épices, qui sont éminemment anti-
putrides et embaumantes. La pauvre Leczinska était de trop dans cette atmo-
sphère de libertinage; ses vertus faisaient trop ressortir l'anomalie de certaines
intimités.
C. UNIVERSALITÉ DE L'EMPLOI DES CONDIMENTS.
Si les épices oceasionnaient la gangrène des intestins, les pays chauas seraient
bien vite dépeuplés par la gangrène. L’aïoli des Marseillais, bouillie de morue,
d'huile et d'ail presque par égale part, l'olla podrida des Espagnols, salmigondis
bouilli de volaille, pommes de terre, choux, oignons, poireaux, ail, poivre et sel,
qu'on mange en guise de soupe, sont, sous ee rapport, les mets les plus incen-
diaires que je connaisse ; et ce sont pourtant les mets favoris et presque habituels
des peuples qui habitent les bords de la Méditerranée.
Le poireau est pour le Gallois en Angleterre, ce que la pomme de terre est
pour l'Irlandais : à sa fête nationale de St.-David, on lui voit un bouquet de poi-
reaux à la boutonnière; l'odeur du poireau à pour lui le parfum de la violette :
ce qui seconde la digestion sent toujours bon.
Qu'on mette ces hommes au régime des sucreries, et la population sera bien-
tôt décimée par le typhus. Ce besoin d'épices est bien plus impérieux encore dans
la zone torride ; il prend l'homme au berceau et ne se relâche à aucune heure de
la journée. L’Arabe du Sahara se regarderait comme perdu, s’il était condamné
à vivre de dattes sans mélange d’une autre nourriture.
A peine le fils d’un brahmane est-il né, que, pour se conformer aux lois du
Veidam, on lui frotte la langue avec de la poix résine détrempée avec de la fa-
rine, dans le même but que le grand père d'Henri IV lui frotta dès sa naissance
les lèvres avec de l'ail.
A l’île Maurice on prépare les aliments avec autant d'épices que dans les Indes :
les femmes surtout, étant les plus oisives et les plus sujettes aux vers, recher-
chent avec avidité les mets où abondent le safran, le citron, le gingembre, le
piment, ete., les jambons et les salaisons de tout genre; elles assaisonnent de la
sorte des larves blanches qu’on nomme moutones, les nids remplis de larves de
certaines guêpes, les chauves-souris de la grande espèce (*).
A Singapore, l’Indien se garderait bien de manger un ananas autrement qu'à la
croque au sel ; sans cette précaution il s'en repentirait sur l'heure.
A Malacca les jeunes filles vous font les honneurs de la maison en vous offrant
une chique de bétel, comme elles vous offrent en Europe le thé ou des pâtisse-
ries. À cet effet elles prennent sur leurs genoux un plateau en laque rouge, sur
(*) Statistique de l'ile Maurice, par d'Unienville, 1838, tome I, page 259,
122 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
lequel elles étalent des boites à savonnetteen cuivre, renfermant différents piments
qu’elles pétrissent, et dont elles forment des boulettes pourles offrir aux arrivants:
en avertissant les Européens que cela brûle : arde, arde. Elles pétrissént aussi
les feuilles du poivre bétel avec de la chaux vive; et ce mets incendiaire remet
vite la digestion en bonne voie, bien loin de la troubler.
Les peuples éloignés des bords de la mer sont avides de sel marin, tout autant
que les peuples maritimes sont avides de sucre, L'Anglais consomme quatre fois
plus dé sucre que le Français, et le Hollandais six fois plus que le Français et un
tiers de plus que l'Anglais. Le Français consomme quatre fois plus de sel:
Un seigneur russe ayant voulu retirer la ration du sel à ses paysans, céux-ci
en contractèrent la jaunisse et l'œdème : ils étaient dévorés de vérs intestinaux:
et ils né reprirent la sanié que lorsque cet avare eut réformé son ordofinance.
Carnot (Défense des places) tite une ville qui se vit forcéé de capituler, parce
que, le sel étant venu à manquer, la garnison se trouva ravagée par la dyssentérié.
En Saxe, dans l'Erzgebirge, durant une année de disette, les paysans, réduits à
ne vivre que de pommes de terre sans sel, furent pris d'une maladie scorbutique,
dont les mineurs, à qui on distribuait une ration de sel, étaiént totalement
exempts. Le gouvernement ayant abaissé les droits sur le sel, l'épidémie disparut
comme par enchanteméent.
Notre cheval avait dernièrement gagné un dévoiement fort prononcé pour avoir
trop mangé de fourrage vert composé de tiges d'avoine et de vesces ; deux tran-
ches de pain bis bien saupoudrées dé sel suflirent pour faire disparaitre sur-le-
champ ces premiers symptômes; ef ce n’est pas d'aujourd'hui que les agronomes
ont constaté combien l'usage du sel profite aux béstiaux !
& Voulez-vous, disait Caton l’ancien, qué vos bœufs sé portent bien, et soient
bien soignés, voulez-vous que ceux qui ont perdu l'appétit le reprennent et man-
gent avec plus de goùt que jamais, ayez soin d'asperger de saumuüre le four-
rage que vous leur distribuez (*). »
D. ART CULINAIRE CHEZ LES ROMAINS.
Les peuples laborieux ou guerriers ont peu recours à la multiplicité des con-
diments et à la variété des mets. Les oignons, l'ail et le sel suffisent à relever le
goût du pain noir qu’ils dévorent à belles dents et qu’ils digèrent sans obstacle;
tels étaient les premiers Romains, alors qu'ils ne quittaient le manche de la
charrue que pour prendre l'épée. Le mouvement et la fatigue forment les pre-
miers condiments de l'homme, en facilitant l'écoulement de la bile, ce vermifuge
par excellence.
Mais dès que la conquête du monde eut concentré les richesses des peuples
entre les mains de quelques particuliers plus rapaces que les autres, l’oisiveté et
le luxe nécessitèrent l'introduction dans la euisine d’une variété de méts destinés
à flatter le palais, cette sentinelle vigilante de l'élaboration stomacale; à réveil-
ler l'appétit émoussé ; à protéger enfin la digestion contre la pullulation des hel-
minthes que favorisait la nonchalance et la mollesse de ces riches désœuvrés.
C'est alors que l’art culinaire devint la fidèle servante de la médecine, pour
(*) Boves uti valeant et curati bené sint, et qui fastidiunt cibum, uti magis cupidè appetant, pabu-
lum, quod dabis, amurcà spargito (Caro, de Re ruslic@, cap, 103 ; edit. Rob. Stephani),
ART CULINAIRE CHEZ LES ROMAINS. 123
me servir d'une expression de Donat (*) : Coquina medicinæ famulatrix est,
Bonne cuisine
Bonne voisine
De médecine.
A cetté époqué, ces deux arts occupaient le même rang social, étant exclusive-
ment dévolus à la classe des esclaves; le cuisinier et le médecin s’achetaient au
marché pour faire partie de la famille. Plus tard, le médecin s’'émancipa à force de
lire dans les gros livres des Grecs; et le cuisinier, qui n'avait pour lui que sa
vieille routine, resta esclave comme devant; mais les Romains grands seigneurs
faisaient plus de cas d’un bon esclave cuisinier que d’un médecin homme libre.
Un de ces esclaves cuisiniers nous a transmis le recueil des préparations ceuli-
naires usitées de son temps; ce livre est la Cuisinière bourgeoise des anciens Ro-
mains ; el ses recettes valent certainement bien celles de Carême qu’il a précédé
de plus de dix-sept siècles. Ce qui se trouve le plus piquant de Ia circon-
stance, c’est que l’esclave cuisinier porté le nom du plus grand et du plus fas-
tueux gourmet des premiers temps de l'empire romain; peut-être appartenait-il
à la familia (troupeau d'esclaves) de la descendance de ce Grimaud de la Reynière
de l’ancienne Rome; ou bien le livré qui porte son nom n'est-il qu’une édition
refondue des recettes adoptées dans la cuisine de cet illustré mangeur.
Cælius Apicius, qui vivait, dit-on, vers la fin du règne de Trajan, a écrit dix
livres ou chapitres (car les livres des Romains n'étaient pas plus volumineux que
les longs chapitres de nos livres) sur l’art de la cuisine : Apicii Cælii, de opsoniis
et condimentis, sive de arte coquinarià, libri decem.
Ce livre n’est qu’un recueil de recettes culinaires, peut-être même des recettes
usitées dans la cuisine et l'office du célèbre viveur Apicius, qui, d’après Pline,
était doué d’un admirable génie pour tout ce qui avait rapport au luxe et à la
sensualité (ad omne luxus ingenium, mirum). La rédaction n'entre dans aucune
_ dissertation oiseuse; notre Cuisinière bourgeoise peut seule rivaliser de concision
avec les formules de ce vieux livre. Il faut bien l'avouer, notre nomenclature
culinaire descend en droite ligne de celle des Romains; on voit ici qu’à toutes
les cuisines passées et présentes on s’est fait un jargon sui generis, par la corrup-
tion des vieux mots ou le pêle-mêle de tous les langages; c’est ce qui est arrivé
dans les pays à esclaves du nouveau monde; les esclaves venus des quatre par-
ties du monde, et agglomérés sur un même point, ont fini par se composer une
langue à eux, un argot, avec les bribes de toutes les langues.
Or, il est évident que notre langue culinaire actuelle a beaucoup conservé de
la langue d'alors; notre mot lier une sauce, qui veut dire y délayer de la farine,
vient évidemment du mot {yare, qu'emploie Apicius; et ce mot vient du grec.
luein, dissoudre (il emploie aussi dans le même sens le mot obligare, qui revient
à notre mot lier, unir); nos colis ou coulis viennent de coliculus, colare, mots pris
par lui dans le même sens.
Quant au fond des recettes, il serait curieux de mettre en parallèle celles
d'Apicius et celles de notre Cuisinière bourgeoise, et je ne sais pas à laquelle des
deux les gourmets, en bien des cas, donneraient la préférence.
Sans doute, les condiments en différent souvent des nôtres, comme les nôtres
différent de ceux qu’emploient les peuples méridionaux nos contemporains ; ainsi
(*) Commentaires sur l'Andrienne de Térence,
424 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
nous ne serions pas peu étonnés que les Romains aient fait un usage fréquent de
la rue, des semences de fenouil ou d’ache, des feuilles d'hyssope, de l’épi du
pardus indien; en fait de condiments, chaque région a les siens de préférence.
Mais on ne trouve pas une seule recette, dans Apicius, où les condiments les
plus énergiques ne jouent le plus grand rôle, et ne rendent la sauce bien meil-
leure encore que le poisson : meilleure au goût et meilleure pour la santé. La
gastrite devait être inconnue des sybarites de la table qu'on nourrissait de ces
sortes de jus; quant à l’indigestion, c’est une autre affaire; mais ils s’en guéris-
saient comme les Anglais, en se fourrant le doigt dans la gorge, et ils recommen-
çaient ensuite à bien manger.
Ces saines doctrines de la cuisine antique se sont conservées de main en main
pour la table des Lucullus de chaque siècle; la médecine, de temps à autre, les a
défendues au pauvre peuple, qui s’en est fort mal trouvé. Si les Lucullus avaient
su joindre la sobriété à cette alimentation hygiénique, ils auraient ajouté à tous
leurs priviléges incomparable privilége de la longévité. Rien ne serait plus facile
de démontrer que nos cordons bleus actuels descendent en ligne directe des coqui
romains, et qu'ils sont restés les dépositaires des saines doctrines hygiéniques
que pratiquaient les esclaves cuisiniers et médecins des seigneurs de l'empire des
Césars ; et que s’ils ont quelquefois altéréle texte des préceptes antiques, ce n’a été
que pour se conformer aux exigences du climat et du commerce. C’est ainsi qu'ils
ont substitué le sucre, que les Romains ne connaissaient qu’en pharmacie, au miel
qui était le sucre des Romains; ils ont abandonné beaucoup de condiments fort
recherchés des gourmets de Rome, des princes de la gueule, tels que la rue, le
coriandre, la fève d'Égypte (colocosia), le sylphium ou laser, le ligusticum (ou
angélique des montagnes) ; les Romains ne composaient pas une sauce sans y faire
entrer le garum ou liquamen, comme Apicius appelle le garum, qui était une
saumure faite avec de la chair broyée de divers poissons, cuite au sel et au vin,
et tenue renfermée dans certains vases propres à sa conservation.
Afin de mieux démontrer combien la haute cuisine actuelle est restée fidèle aux
principes de la cuisine antique, il me suffira de placer sur deux colonnes une
recette analogue de chacune d’elles. F’emprunterai l’une à Cælius Apicius, de Re
coquinarià, qui vivait vers la 420° année de notre ère, et l’autre à la Cuisinière de
la campagne et de la ville, dont la 52° édition a paru en 1852.
RAGOUT DE TRUFTES
D'APRÈS
Czlius Apicius, de Re coquinarià, | Cuisinière de la campagne et de laville,
lib. 7, cap. 14.
Pelez vos truffes, faites-les bouillir,
saupoudrez de sel et enfilez-les à une
brochette en bois, pour les faire rôtir à
petit feu et comme à la broche; pen-
dant cetemps, méêlez sur le feu, dans une
casserole, de la saumure ou garum, de
l'huile vierge, un peu de vin cuit, du
poivre moulu, un peu de miel; dès que
celte sauce entre en ébullition, liez-la
avec de la fine farine, et faites-y risso-
éd. 52°, pag. 155.
Lavez et brossez des truffes à plu-
sieurs eaux ; pelez-les, coupez-les par
tranches; mettez-les dans une casse-
role avec assez de jus pour qu'elles y
baignent, un verre de vin rouge, un
peu de sel, gros comme une noix de
sucre ; faites cuire. Au moment de ser-
vir, vous liez la sauce avec un peu de
fécule, et servez seul pour entremets
ou pour garnitures...
MOYEN DE CONSERVER LES GRAPPES DE RAISIN. 123
ler vos truffes après les avoir piquetées, Truffes au vin.
pour qu'elles s'imbibent bien de ce jus ; Vous les faites euire entières dans
quand onles aura laissées suffisamment | yne casserole avec du lard haché, bou-
bouillir dans ce jus, disposez-les pro- quet garni, une gousse d'ail, jus,
prement sur l'assiette et servez ("). bouillon et une demi-bouteille de vin
blanc. Servez sous une serviette pliée.
(Page 339.)
Je pourrais multiplier les exemples comparés de ce genre. Il y a pourtant une
chose assez singulière à observer : c’est que l’ail ne figure que deux fois dans les
recettes d'Apicius. On comprend que les sybarites pour lesquels ce Carême ro-
main écrivait, disciples de l'épicurisme d'Horace, n'avaient pas oublié la défense
du maitre (**); ces beaux du siècle voulaient, tout en mangeant assaisonné, con-
server encore leur haleine. L’ail, alors comme aujourd'hui, était le condiment du
pauvre, son condiment unique et qui lui tenait lieu de tous les autres; le sel était
son sucre ; 0 dura messorum ilia! à entrailles de fer des moissonneurs ! pour qui
vers le milieu brülant du jour, Thestylis avait soin de broyer un aÿoli qui les pré-
servait de la peste et leur donnait du cœur à l'ouvrage (**).
J'ai dit ce que la cuisine a conservé en fait de préparations hygiéniques de
l’école romaine ; je dois ajouter que sur certains points elle en a altéré la tradition
d'une manière dangereuse pour la santé. Par exemple, Apicius ne préparait les
champignons, ces grands traitres de l'art de manger, il ne les préparait qu'après
les avoir fait cuire à grande eau et exprimés : £lixi calidi, exsiccati; et il les em-
baumait ensuite, par une nouvelle cuisson, de vinaigre, leur antidote, de vin cuit,
d'huile, de poivre et de sel. C'est, je crois, ainsi que les paysans russes les prépa-
rent, ce qui leur permet de manger impunément les espèces qui sont chez nous
les plus mortelles.
L'esclave cuisinier a joint à son recueil des procédés de conservation pour les
fruits, les légumes, les truffes et même les huitres. Je termine cet article en tra-
duisant son procédé de conservation des raisins que nos traités de cuisine ont tort
de ne pas avoir publié, car il est fort connu dans la pratique actuelle :
MOYEN DE CONSERVER LONGTEMES LES GRAPPES DE RAISIN.
Prenez les plus belles grappes sur la treille même. Faites bouillir jusqu’au tiers
de son volume de l’eau de pluie; versez-la dans un vase convenable et plongez-v
Les grappes. Bouchez le vase; recouvrez le goulot de cire et puis de plâtre. Dépo-
sez-le dans un endroit froid et où le soleil ne pénètre jamais (dans le fond d'un
puits par exemple) ; et vous trouverez en tout temps vos grappes aussi fraîches
que sur la treille. Quant à l’eau où elles auront séjourné, vous pourrez la donner
aux malades en place d'hydromel (Cælius Apicius, liv. 1, eh, XVII),
Cette dernière phrase vous rappelle suffisamment que, chez les anciens, cuisine
et médecine se donnaient la main, et que Comus et Esculape étaient frères. Escu-
(*} Tubera radis, elixas et asperso sale in surcullo infigis, subassas ; et mittes in cacabum liqua-
men, oleum viride, carænum vivum et piper confractum, et mellis modicum: et ferveat ; cüm fer-
baerit, amylo obligas, et tubera compunges, ut combibant illud ; cum benè ferbuerit, exornes,
inferes (CÆLius Artcivs, de Re coquinariä).
(**) Voyez lie livr. de la Revue complementaire, août 1854, page 15.
(res) Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
Allia serpyllumque, herbas contundit olentes (Vir., Eyl, 2).
426 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Jape a Sens joué du monseigneur ; _mais mal en a prisàses quailles, et souvent à
ments que comporte sa haute tion sociale.
Offrez un coq à Esculape; car, désormais, à l’aide de notre nouvelle cuisine,
yous pourrez vous passer de lui.
CHAPITRE IV. — PHYSIOLOGIE ANIMALE.
À. DE L'IMPRESSION DU CHAUD ET DU FROID,
Si je disais qu'on peut éprouver une impression de chaud à 10 ou même 15 de-
grès centigr, au-dessous de zéro, et à l'ombre, et par contre, éprouver une impres-
sion de froid à 20° même au-dessus de zéro, au soleil en rase campagne, la
hrase aurait l'air d’un Raradoxe; car elle semblerait signifier qu'à — 10°il
peut faire chaud, et qu'à + 20° il peut faire froid; ou bien qu'à + 20° on peut
avoir plus froid qu'à — 10° en rase campagne.
Comme le fait énoncé dans la première phrase est le résultat d’une observation
que j'ai suffisamment répétée, et que la seconde implique une contradiction, nous
allons en donner une explication qui conciliera l'apparence du sophisme avec la
réalité de l'observation.
Nous éprouvons une impression de froid, toutes les fois que nous cédans du
calorique aux corps ambiants qui sont à une température inférieure à la nôtre;
par une chaleur violente touchez une table de marbre à l'ombre, et vous croirez
avoir de la glace sous la main.
Nous éprouvons une impression de chaleur, toutes les fois que nous reprenons
du calorique aux corps ambiants; si la main, exposée à une température de —
10°, vient à se mettre en contact avec un objet exposé à la température de zéro,
elle éprouvera un sentiment de chaleur.
Le calorique, soumis aux mêmes lois que tous les fluides liquides ou volatils,
tend invariablement à l'équilibre et à se répartir uniformément dans tous les
corps ; son niveau c'est l'égalité en volume.
La soustraction active du calorique chez les animaux se traduit par l'impres-
sion ou le sentiment de chaleur ; la soustraction passive, au contraire, se traduit
par l'impression de froid.
Le thermomètre note les degrés de température et ne résume pas Les obserya-
tions antérieures; il indique le fait actuel, sans marquer de quel genre de sous-
traction il émane.
Or, alors qu'il marque 10° au-dessous de zéro, que l’air ambiant se réchauffe
ou qu’il survienne un courant d'air chaud, le liquide thermométrique montera
en s’en imprégnant; mais les surfaces de notre corps, reprenant, par la même loi,
du calorique au lieu de continuer à en perdre, éprouveront le sentiment de cette
acquisition, et nous aurons une impression de chaleur.
De même, si à + 20° (20° au-dessus de zéro), l'air ambiant se refroidit, les
surfaces de notre corps maintenues jusque-là à cette température, cédant à leur
tour une part de leur calorique, nous éprouverons une impression de froïd, et
nous nous trouverons plus mal à l'aise qu'à la température de —- 40° (109 au-
dessous de zéro) quand le thermomètre commence à monter.
PE LA CHALEUR ANIMALE, 127
Ainsi, on ne peut pas dire réellement qu'il fasse froid à + 20°, quand on
éprouve les premiers frissons du froid, ni qu'il fasse chaud à — 10° et même —
20°, quand on commence à sentir les premières bouffées de chaud.
Mais, dans l’un et l'autre de ces deux cas, on doit dire qu'il commence à faire
froid ou chaud, et que dans ce moment le thermomètre commence à baisser ou
à monter.
D'où il suit qu'on peut s'enrhumer par 20° au-dessus de zéro, et braver le
rhume au grand air, par 20° au-dessous, sans modifier en rien le volume de ses
vêtements,
B. DE LA CHALEUR ANIMALE.
Les physiologistes sont portés à croire que chaque espèce d'animal possède
un degré de chaleur constant, maintenu à une moyenne invariable par l'élabora-
tion incessante de nos organes.
Si cela se trouvait ainsi, ce serait une exception flagrante aux lois immuables
de la répartition du calorique, et les lois de la nature ne comportent aucune ex-
ception.
Il faudrait admettre, en effet, pour cela que tel individu, capable de digérer un
kilogramme d'aliments ne produirait pas plus de calorique que tel autre, pour
qui un simple biscuit forme toute la nourriture,
Notre nutrition étant une fermentation, le calorique qui s'en dégage est en
raison de la masse qui fermente et de l'énergie de l'organe qui en absorbe les
produits. Notre respiration étant une combustion, la chaleur qui en résulte est,
comme dans toute combustion, en raison du volume de l'air aspiré et combu-
rant, et de la quantité de la substance combustible qui fournit la matière de
l'expiration.
Qui oserait admettre que, quand on étouffe de chaleur, la température intime
de nos organes soit au même degré que lorsque nous grelottons de la fièvre ou
du froid ? Ce serait soutenir que Te sentiment de chaleur et de froid est une sim
ple illusion, et qu'il est confiné sur nos surfhces; et en poussant jusqu'à leurs
dernières limites les inductions, on arriverait à croire que l'animal qui meurt de
froid a conservé le même degré de température jusqu’à l'instant de son dernier
soupir, et qu'il n'a été complétement gelé que dans l’espace d’une minute,
Dès que le froid se fait sentir, l'air extérieur soutire du ealorique à nos sur-
faces externes, par conséquent celles-ci le soutirent consécutivement aux cou-
ches qu’elles recouvrent, et ainsi de suite, si l'individu reste soumis, pendant
une durée de temps suffisante, à ee refroidissement continu de l'air; jusqu'à ce
qu’enfin les organes intimes de l'élaboration nutritive aient été dépouillés de la
quantité de calorique nécessaire à leur fonction, ou, comme le disaient les phy-
siolagistes de l’alchimie, à la cuisson des aliments. Le froid complet, c’est la
mort; la chaleur insuflisante c’est la maladie. Mais le degré de chaleur varie chez
les diverses espèces, chez les divers individus de Ja même espèce, et enfin chez
le même individu, selon que l'individu est plus ou moins énergique, qu'il se
livre à la fatigue ou au repos, qu’il use ou qu'il abuse des agré NC de la vie,
qu'ilal habitude de se vêtir plus ou moins amplement, etc., ete. : différences
qui varient à l'infini, et que nos divisions thermométriques trop Pre ne peu-
vent qu'indiquer très-faiblement dans le plus grand nombre de cas.
Pour constater la température habituelle d’un individu, on lui tient la boule du
thermomètre plongée soit dans la bouche, soit dans l'anus, soit sous l’aisselle,
428 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
toutes régions que l'on peut considérer comme également éloignées des vrais
foyers de l'élaboration animale, et comme simples excipients du calorique qi se
dégage de l'intérieur.
Ayant entrepris une série d'observations de ce genre sur moi-même, je n'avais
d'autre moyen, pour suivre des yeux l’ascension da thermomètre, que de placer
la boule du thermomètre dans le creux de la main que je tenais bien fermée; je
terminais l'expérience, quand le degré du thermomètre restait fixe pendant une
minute,
Le thermomètre centigrade dont je me servais est gradué sur verre, sans
monture; il marque les cinquièmes de degré; et avee un peu d'attention on peut
noter les dixièmes même. Son zéro vérifié à la glace fondante tous les trois
mois, pendant quatre ans, a rarement dépassé + 0,4; la correction en a été né-
gligée dans les expériences suivantes, les résultats en étant plutôt comparatifs
qu'absolus.
Pour procéder à l’expérimentation, je notais la température de l'air extérieur
sur ce thermomètre; je serrais aussitôt la boule dans le creux de ma main gauche,
en tenant Ja main hors des barreaux de ma fenêtre exposée au couchant, et mon
coude appuyé sur la traverse de ces barreaux; de la main droite, je notais mi-
nute par minute l'ascension du liquide thermométrique. L’indication du baro-
mètre a été réduite à la température de zéro.
4" SÉRIE D'EXPÉRIENCES.
40 juillet 1850, 7 h. 22 m. du mat.; | demie. Thermomètre externe + 13°;
th. ext. + 10°; th. int. + 17°; bar. | baromètre à 4 h. = 755,90.
absolu, 754,06. Heur. min. Therm.
Heur. min. Therm, dans le creux 7 5. . . . . e , . . 35°,0
RAR DT. 4e pe tee 20) SUR ES
7 DANIEL ST ER 290 ;
AE PE A
D OPPADE MEN EE NUSUAEN AE 51,0 19,9 UN GENRES
» 4 ET RDe LR TAN CES 51,4 v AASE LS CINCE TE RPORNERSS 36, 8
A SAT os ET RE 35,6 de 36,6
10 juillet, après déjeuner; th. ext. 41 Te 10h. 38 m. matin, avant
+ 15°; bar., 755,72. déjeuner. Therm externe + 47°; baro-
Heur. mio. Therm. | mètre, 755,50.
À 22, REPARER OR FAR SEAL OS 199,0 Heur. min. Therm.
UN 4" 1: OR ENRNRTE ER ES RRES SOS PERTE 29/0. 52 EU MOSS
200. ne 5e 21e 290 NES EN TU UNE
LS: FUERNO EG EPP QT EE 1 4430... OO
DUO 0 0201000, 41) 9450... €. : ONE
RAA Le re a a M EC OUED » 47,0. . SARA LS
à re TAC LCA RE su 17 juillet, 9h. 4A m. 5, avant dé-
LONG SN ENTANENNE SE CESR jeuner. Thermomèt. externe, + 25°;
pis 52,0: 5 DC Le. OA
RO: CAR Ha ME LE
» 55,0. M > 0,4 | QUAD NN. 2 TENNRESSS
40 juillet, ; h. 5 5 midu soir, après | » AN. ....:,. . LU ONND
avoir taillé le gazon de mon jardinet | » 45. . . . . . . . . 55,4
avec une cisaille, pendantune heure et | » 46. . . . . . + + + 92,8
PREMIERE SÉRIE D'EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 129
Heur, win. therm.
Re 00 li DPI 35,9
» D2. 56,0
» 0. 36,0
41 août, en na bain de vs |
à l’eau salée. Therm. interne + 20;
barom., 752,29.
Heur. min, Therm.
40 9. 30,0
AT 0. Us he dede 91, 4
ne 6. dy 2 … 62,0
DR. 6 32,6
443,6
04" 08,8
MR LR nn rss 1 34,9
5 de SN il 544
» 26 54,6
25 août, 7h. BA : m. matin, en pre-
nant un bain semblable, au sel, à la
température de + 41° d'abord, puis
de 55°, Therm. interne de la chambre
+ 48°; bar., 757,179.
Heur, min. Therm,
AN ER ge rer de 06 25 025,0
LC LR SORT 28,2
ets an IT. 1420:0
dc ESA TRT 30,0
219: or 30,4
PART... : US 30,6
» HR: : 351,8
11 21 UMR EPRMENNNE TEASER +022
LS ET SU SE
ANSE ARR 32,6
0. 7 PAR és ; 32,8
MMS 53,0
SN 582
RE is cé à ji 84,0
2 LR 34,0
Ra HE 1e 0
» 28 À à 04,0
»..00.:. 54,0
51 août, 6 h. 1 matin. Thermom.
externe + 5°,8 ; barom., 761,50 ; gelée
blanche le matin.
Heur. min. Therm,
Fe BC ONE EURE 24,8
» 40. SARL LORS 26,6
» 20. 28,4
def scpténi BH 9 h. 5: m.,en Sais
un bain de pieds au sel marquant 44°,8
au début. Therm. dela chambre + 17
barom., 763,23. Therm. dans l'aîné
gauche recouverte de ma robe de
chambre.
F) min. Therm,
D. à L 20,0
mir. Gi F 35,0
Re Ne 36,0
48: PRE MR AE TEE 56,2
MR a ls ON BA 36,4
24497: 36,4
» 16. 26,4
Je vRiS de 1 thérmuthates dans
le creux de la main, et ma main ap-
puyée sur la table.
Heur. min. Therm.
9 23. HÉRE « 30,0
» 24. : pt 39,0
» 925 RTE 33,4
» 26. : 34,0
ù 27. $ 34,2
» 29. : à 54,4
De DO E LE SUR ART DAS SR ALERER
DORE NERE LARMES
» 33 $ : 54,8
» 54. " 55,0
» 468. 35,0
à DU DEE! Th. 93 m. ou matin ;
th. ext. + 10°, boule du therm. dans
le creux de la main, et la main sur
les barreaux; bar., 760,492.
Heur. min. Therm.
PL 17,0
» ei: Pol : 28,0
P)2:08 k 29,0
» 39 : 51,4
» 40, 32,0
» 41. 32,0
6 Se tobbré, à 6 h. 50 m. 4 mA-
tin; th. ext. 8,8; bar. 765,12. J'étais
faiblement vêtu, et j'éprouvais une im-
pression de froid à la fenêtre, en te-
nant ma main sur les barreaux.
Heur. min. Therm
RAT GEL ts ER
» Re M ORNE : 24,0
» Er ON RMERERT : À 26,2
» RE 0 LL SR AN TSX &
26,6
» 45. . . . . . 26,8
1350
Heur, miu.
LS à se te 20,0
» 90. PILES 26.6
8 septembre, à 8 h. du matin, en
prenant un bain de pieds; th. de Ja
chambre 16°; bar., 765,54; boule du
therm. dans la main.
Heur. min. Therm.
D ÉRARE: iU 7 Qi ice!
D'OR ave | LR jo 2,4
D tu AS RO PIIENE D
9 DAT Sr" SRE VREL SEE D
Boule du th. dans l’aisselle.
Heur. min. Therm
9 4 D ER OR AU Re Un 9 RE
» PR RS LAN EAU + À à
a. A 0e EE LS RES
n 10: LEE RG
le bain marquait alors 37°,5.
45 septembre, à 8 h. 54 m. du ma-
tin, en prenant un bain de pieds à l’eau
salée marquant 41°; j'avais été indis-
posé la veille, et j'avais pris le matin,
par extraordinaire, un petit verre
d'eau-de-vie après mon café à l’eau;
th. int., 470; bar., 759,62.
Heur, minut. Therm
8 c Ci ue Cle
DE ne PAC) ee AD 5
12 50,70: 33,0
(3) : SES 54,2
» . 35,0
» 4. 39,6
» 8. e 99,8
» 40. 35,8
2 4.15. 36,2
PRE LEE 56.2
» 20. 36,2
En
le bain marquait 37°,8.
43 octobre, à 7 h. du matin, la
boule du th. dans le creux de la main;
th. ext. + 5°,5; bar., 761,55,
Heur. min. Therm,
GOT cit te ce 480
7 0. . 20°,0
» 2. + 60°,8
» 4. + 3199
» 6. + 91°,4
8. Pret CA
0,; , . 91°,8
Therm.
REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
14 juillet 1852, midi 46 m., therm.
ext., 28° ; bar., 755,40, ciel couvert; la
boule du th. dans le creux de la main,
et la main sur une planchette soute-
nue par le barreau.
Heur. min. Therm,
midi 46.7..." .: SN ISSONRESRES
» 47, 5 ee Ne TOR RU
D (AS (0 4 SE 7
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CSS CORRE
D -D4, à 20 RENE
» 58. 36,4
4:75: 56,6
AE À 56,7
» 14. 36,8
N. B.— On voit, par ces 46 expé-
riences, que le minimum de chaleur
de la main fermée n’est pas descendu
au-dessous de + 26,8 (et avec la ré-
duction + 26,4) et que son maximum
n'a pas dépassé + 36,8 (et avec sa ré-
duction + 36,4). La moyenne de ces
16 expériences serait de + 339,6
seulement (et avec la réduction de
+ 55,2).
J'ai soumis à la même expérience,
le 9 juillet 4850, 5 h. moins 5 m. du
soir,‘une dame âgée de 50 ans, après
son diner. Elle tenait la boule du ther-
momètre dans le creux de la main, et
la main surle genou, la température
de la chambre étant à 18°.
Heur. min. Therm.
LE ar tr SRE 21°,4
Eat PORTE 220,4
n 5. 33°,0
: der 330,4
Nr 5: 349,4
» Le 34,8
DCE 390,1
Me LP 99,2
La main étant relevée en l'air, le
thermomètre est descendu tout à coup
à 34° et en deux minutes à 552,6. Car
le sang arrivant alors en moins grande
quantité à l'extrémité du bras, la cha-
leur de la main diminuait d'autant.
DEUXIÈME SÉRIE D'EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 151
9e SÉRIE D'EXPÉRIENCES,
Ces expériences ont eu pour but de
constater les différences thermométri-
ques, selon que la boule du thermo-
mètre est placée cinq minutes dans le
creux de la main, dans l’aisselle, dans
J'aine, ou dans la bouche.
Aine, aisselle,
97 juin 4850
414 h. un qt.
après déjeu-}... + 36°... + 35°
ner ; th. ext.
- 2350
Main, bouche, aisselle,
de 2 }h. 131)
à2h.30;:th.}36° ... 36 .…. 36°
+ 29205, )
Gh1S, après
diner, th. + Vos FJD ut
210.
Main, aine, aisselle.
928 j isa &h;
De 00 64 304
+ 230,5
40 D. dusoi
habillé, sens Motel OS Æ
+ 23.
99 juin 7 h.
male) 562 . 360,0 .… 560,0
th. + 23°,
Main, aine, aisselle,
40 h. dus.
hors du ir, 5" 2 RAR RP DA 359,0
th. + 90°
cal Main, aine, aissella
AjuilletGh. )
m,. dansmon 350,6 ....,..... . 359,0
lit; th. + ap)
6 juillet 7 h.
m. dans mon 53 4 .. 550,4 ... 549,6
lit; th, + 19°,
N. B. On voit par ces expériences
que la main fermée donne assez sou-
vent un degré plus élevé que l’aisselle ;
et que le thermomètre monte ou des-
cend selon qu’on éprouve à l'extérieur
du corps ou d’une partie du corps une
impression de chaud ou de froid.
Ma main ne transpirant jamais, le
thermomètre n'y était pas influencé par
l'évaporation dela sueur, comme dans
l'aine et dans l’aisselle; de [à vient
qu'en général le thermomètre y mar-
quait un degré plus élevé.
Donc, pour procéder à ces sortes
d'expériences, il vaut en général mieux
employer la main que toute autre ré-
gion du corps.
0 SÉRIE D'EXPÉRIENCES DESTINÉE A VÉRIFIER L'INFLUENCE DE TEMPÉRATURE DE L'AIR
AMBIANT, SUR LES INDICATIONS DU THERMOMÈTRE.
9 juillet 4850, après déjeuner, la
fenêtre de la chambre étant ouverte, et
en tenant la boule du thermomètre
dans le creux de la main. Température
de la chambre = + 16°. température
de l'air extérieur —+ 13°, 5. Dans la
chambre :
Heur, min. sec, Therm.
ir à à lo TT 10
PORN AU 7e + 60
DASMMMRERUX + , ,° 3088
» + S'ÉUASEMEE: -: :. 667.0
np, D AONERONT,. : . 566.4
» 7 00, 36°,2
La main hors la fenbtre, et par un
vent assez fort :
Her. min. Therm
CET CRNP DM AU PRE EU RENE el
NE LOS INR EPL EE 549
BARS NTAUL 359,6
CU AMEN 35°,0
N.B.N resulte de là que l'impres-
sion de l'air extérieur, sur la tige du
thermomètre et sur l'extérieur de la
main, se traduit par un abaissement
sensible dans les indications thermo-
métriques.
CONCLUSIONS.
4° La chaleur animale varie, selon
les variations et de l'atmosphère et de
l'élaboration de nos organes.
20 La moyenne doit donc varier se-
132 REVUE COMPÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
lon la constitution de l'individu et se-
lon la gravité de la maladie.
5° Le maximum à l'état normal ne
dépasse pas + 37° e., et le minimum
ne descend pas au-dessous de + 28°;
moyenne de ces extrêmes — 32°,5.
Nous avons trouvé plus haut que la
moyenne de 16 expériences faites sur
moi-même était de + 35°,6.
4° T1 doit donc paraitre évident que
la chaleur animale des organes inter-
nes du corps peut atteindre des de-
grés de plus en plusélevés par l’inflam-
mation, et descendre à des degrés de
plus en plus bas par le refroidisse-
mentetl'atonie, jusqu’au froid extrême
de la mort : vérité banale, que les prin-
cipes physiologiques de l’école sem-
blaient pourtant heurter de front; ce
qui prouve que la science n’est pas
toujours d'accord avec le simple bon
sens.
CHAPITRE V. — PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE.
PERSISTANCE DES FEUILLES SUR LES ARBRES ET DES NEIGES SUR LE SOL,
DANS CES CLIMATS DU NORD.
La couleur printanière des arbres dure ici jusqu’au delà de l'automne; les
tons chauds de l'automne des contrées méridionales se remarquent fort tard et
encore d’une masière très-peu prononcée. Tout reste vert sur le sol, et dans les
forêts; toujours de la verdure humide, point de plages brülées et sèches, dont le
contraste prête un si grand charme à l'ombrage des forêts; à force de monotonie,
cette verdure devient triste et mélancolique ; et le berger flamand ne compren-
drait nullement le bonheur que pouvait goûter Tityre à s'étendre mollement sous
l'ombrage du hêtre, pour faire résonner les bois du nom de la belle Amaryllis ;
ici les erapauds et les grenouilles qui grouillent sous l’herbe, pendant la plus
belle saison de l’année, indiquent suffisamment qu'il y fait trop humide pour
s'étendre ou s'asseoir sur le gazon.
Ce sol, sablonneux à d’étonnantes profondeurs, ne comporte pas la sécheresse
même sur les plus hautes collines; les étangs de la vallée rendent par la eapil-
larité l'humidité aux collines, en échange de la pluie que les collines ont trans-
mise aux étangs. Pendant les deux tiers du mois de mars passé, le ciel est resté
magnifique et n'a pas donné une goutte d'eau, et le therm., qui s'élevait à
17° 7 centigr., n'est pas descendu au-dessous presque de 9°; le sol paraissait
desséché. Eh bien, sur la colline même on n'avait qu'à gratter à deux pouces
pour rencontrer l'humidité.
Dans un pareil sol les racines pâtissent peu d’une sécheresse momentanée, et
la végétation reçoit sans cesse de quoi fournir à son développement indéfni et
conjurer la décrépitude; et cette verdure est si bien entretenue par ce privilége
du sol qu'elle brave même la rudesse du elimat. Il y a pour nous méridionaux
quelque chose qui agace, à éprouver le frisson d'automne et du commencement
de l'hiver même, en face de ce feuillage printanier; c'est comme la glace de la
vieillesse sous les traits fleuris de l'adolescence.
PERSISTANCE DES FEUILLES SUR LES ARBRES,
Lavait commencé à geler ici, l’année passée (1853), dèsle 45 nov. ; du 13 nov.au
9 déc. le therm. était descendu, toutes les nuits et'souvent le jour, au-dessous de
zéro, Le bouleau conservait toutes ses feuilles; la plupart de nos rosiers, de nos
PERSISTANCE DE LA NEIGE. 155
pêchers, poiriers et pommiers avaient encore toutes leurs feuilles vertes, Mes
phlox et mes gueules-de-loup allaient épanouir de nouveaux boutons.
Les charmilles dont on fait des haies fort bien entretenues, autour des jardins
et des pares, conservent leurs feuilles desséchées longtemps après que les bour-
geons printaniers sont épanouis. On a alors sur le même pied lautomne et le
printemps. La feuille ici, comme les fruits, mürit tard et par conséquent tombe
tard.
Les hêtres qu’on laisse grandir en futaie dans les haies prennent une forme
différente des hêtres des bois; ils ont, pour ainsi dire, deux têtes : une tête termi-
pale et une collerette de branches à 7 pieds environ du sol; tous les trois ans,
on coupe celle-ci pour le chauffage de l'habitation; or, cette collerette, ainsi que
la charmille, n’a perdu ses feuilles d'automne qu'après le bourgeonnement prin-
tanier ; et pourtant le froid de cet hiver a été un des plus rigoureux qu'on ait
ressentis ici depuis un siècle; le 26 décembre, à 7 heures du matin, le thermo-
mètre marquait sur ma fenêtre — 20°,4, et celui du bout de mon potager était
descendu à près de — 22°,
PERSISTANCE DE LA NEIGE.
A partir du 15 décembre 1855, il est tombé abondamment de la neige, dans
toute la Belgique, et à divers intervalles, jusqu'au 5 janvier où le dégel com-
mença, le thermomètre s'élevant déja à prés de 5° au-dessus de zéro à l'ombre
et au nord. Le 8 janvier, le thermomètre était à + 7° à midi; le 19, il n'était
redescendu qu'à + 4°; il se releva ensuite jusqu’à atteindre + 6° le 21 janvier et
7° le 26, oscillant ainsi de + 2° à + 7° (et même + 9 le G février), avee mé-
lange de brume, pluie et beau temps.
Or, à cette dernière époque, il restait, contre la berge exposée au nord, dans
notre potager, un ruban de neige de plusieurs pieds de long.
Sur le versant exposé au sud-est de la colline qui se recourbe devant nous en
amphithéâtre, il s’est conservé un long ruban deneige de trois pieds de large et de
20 pieds de long j Jusque vers le 10 mars. Le 7 mars on remarquait une large
bande de neige contre la berge nord de la route de Waterloo, à la distance d’une
lieue de notre habitation, quoique le thermomètre fût monté ce jour là à + 44e,
à l'ombre et au nord, et qu'il füt tombé fréquemment et abondamment de la
pluie.
Les chemins creux et les vallées forment glacière, quand le terrain est sablon-
neux à une grande profondeur. Le sable fait l'office de la paille dont on se sert
dans les glacières c'est un filtre qui laisse passer l’eau provenant de la neige
fondue, eau qui aurait hâté la fonte du restant, en lui servant, pour ainsi dire,
de dissolvant. Si l'on examine alors la neige qui persiste, on trouve que, dans ce
travail de filtrage, la neige a subi un PERS SRREE et comme une métamor-
phose dans sa cristallisation; de neige cotonneuse elle est devenue agglomé-
rat de glaçons; la surface de la bande est mamelonnée, et sa substance se
compose, non plus d'étoiles, mais de prismes hexagonaux à pyramides termi-
pales d'une très-faible hauteur et qui semblent échapper à la vue.
La partie de la neige à peine fondue le jour, et, si je puis m’exprimer ainsi, à
l'état sirupeux et peu susceptible de filtrer, comme la portion plus liquide, s'est
reslacée et cristallisée de nouveau pendant l'abaissement de température de la
nuil.
154 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
PLANTES HERBACÉES DEVENANT LIGNEUSES A CERTAINES EXPOSITIONS.
Si nous voulons bien avoir présents à l'esprit les caractères des malvacées indi-
gènes de nos climats du Nord, nous aurons de la peine à comprendre comment
les bergers de Virgile s'y prenaient, pour se faire une houlette des rameaux verts
d'une espèce de cette famille (kibiscus), et une houlette pour chasser vers l’établé
leurs troupeaux de chevreaux :
Hædorumque ÿregem viridi compellere hibiscos
Vinc., Églog. 2.
Nos dictionnaires traduisent le mot hibiscus par celui de guimauve, dent les
tiges ne sont rien moins que vertes, mais cotonneuses,
L'hibiseus dont parle Virgile est l’hibiscus Syriacus de Linné, qui croit en
Italie, comme en Syrie, et y devient arborescent, En France, au moins dans
le Nord, nos malvacées, même celles que l'horticulture a importées de l'Orient
(Alihœa rosea, L:, vose trémière (*); Althœa officinalis, L., guimauve), s'élèvent si
peu haut et restent tellement herbacées, que le premier coup de gaule qu'on
donnerait avec leur tige ne permettrait pas d'en donner un second, et serait de
plus très-inoffensif; et, cependant, j'ai vu, dans mon jardin de Doullens, des
roses trémières s'élever jusqu'à huit pieds.
Cependant, le climat et la culture sont dans le cas d'imprimer à ces végétations
herbacées une telle impulsion qu'elles deviennent arborescentes, et vice versà ;
c'est ainsi que les espèces arborescentes des tropiques restent herbacées, lors-
qu'on les cultive dans nos climats tempérés.
Quant à la culture et à la fumure, jointes à l'influence de l’exposition, elles
opèrent quelquefois de ces transformations, sur une assez grande échelle, chez
les espèces indigènes ou acclimatées dans nos parages.
Chacun connait combien s'élève peu et combien est rampante la végétation de
Ja mauve frisée (Malva crispa, L.), dont lesgrandes feuilles, d’un beau vert, rondes
comme des soucoupes, aux bords élégamment crépus, parent si bien les assiettes
de fruit. Rien ne la fait remarquer autrement, ni sa stature, ni ses petites fleurs
roses qui se cachent dans l’aisselle des pétioles.
Cependant, cette malvacée est capable de devenir ligneuse et d'acquérir une
hauteur prodigieuse.
En entrant dans le quartier des anciens mousquetaires, en automne 41850, à
Doullens, mon attention se porta sur un plant de mauve frisée, qui avait bien sept
pieds de haut; la plante était venue contre un mur exposé au midi, et dans le
coin formé par les lieux d’aisance. Au commencement de l'hiver, la tige dépouil-
lée de feuilles restait vigoureusement debout.
J'avais besoin alors d’une longue perche pour soutenir, à plusieurs pieds hors
de ma fenêtre, l'extrémité d’un fil conducteur d'électricité. Mais à des perches
en bois de cette longueur le règlement refusait l'entrée. À tout hasard, l'idée
me vint de me servir de cette longue tige de mauve frisée; et je la trouvai, en
l'arrachant, aussi forte qu'une perche; je la laissai quinze jours près de mon poële
(*) L'épithète de trémière que quelques jardiniers prononcent première, est une altération d'(ou)tre-
mer. Car la rose trémière s'appélle aussi rose d'outremer, rose de mer, rose de Damas, parce qu’elle a
été importée de l'Orient en France, à l'époque des croisades. On l'appelle encore passe-rose, parce que
certaines de ses variétés doubles semblent effacer l'éclat de la rose. Quand je vois les belles fleurs
semi-doubles de cette plante, avec leur pompon d'étamines transformés en pétales faisantsaillie au mi-
lieu du disque aplati des vrais pétales, je suis tenté de croire que c'est à cette plante que, dans la guerre
civile de la Rose blanche et de la Rose rouge (1457-1462), les Anglais empruntaient leurs signes de ral-
liement: ces fleurs, en effet, ont exactement la forme de leurs cocardes actuelles,
ORIGINE DES VIEILLOTTES, MOYETTES OU DEMOISELLES. 155
pour la sécher, et la fixai ensuite par le talon contre ma fenttre sud; dans cette
position, elle dépassait le mur de cinq pieds environ. Or, les plus forts ouragans
de cette année lui imprimaient à peine une légère flexion. Au bout d'un an, je la
retirai dans le même état que je l'avais posée; elle aurait encore formé un ex-
cellent manche de houlette pour le berger ou le chevrier, et d’aiguillon pour le
bouvier :
Hxdorumque gregem veteri compellere hibisco.
Au printemps, je semai de la graine de ce plant, de chaque côté de la porte de
mon escalier, contre le mur exposé au nord, et dans deux bandes de terre for-
mées par l'enlèvement d’une simple rangée de pavés; j'eus soin d’arroser tous
les jours cette terre viergeavec de l’eau mélangée d'urine. Ges plants privés de so-
leil n’en devinrent pas moins élevés; seulement leurs tiges restèrent grèles, faute
de lumière, Que n’obtient-on pas avec la chaleur, et avec la fumure de chaque
jour, si liquide et si délayée que celle-ci soit ?
CHAPITRE V, — AGRICULTURE,
ORIGINE DES VIEILLOTES, MOYETTES OU DEMOISELLESÿ USITÉES DANS LE
NORD (*) PE LA FRANCE.
Voilà bien des noms pour désigner des gerbes ou javelles placées verticalement
sur le sol; c’est que de loin leurs silhouettes simulent, vers le soir, une proces-
sion de vieilles encapuchonnées, et, dans le jour, un pensionnat de blanches de-
moiselles, ou bien une volée de mouettes cendrées ou goëlands (Larus), qui se-
raient venues $e rabattre sur le rivage (‘*) ; je erois même qu'en temps de guerre,
et par une nuit obseure, la panique pourrait bien les prendre pour des bataillons
ennemis. L'usage de javeler ainsi est connu dans le département de la Seine-
Inférieure depuis 1816; on dit qu'il y a été importé d'Angleterre où il n'était
pas connu depuis longtemps.
L’Avgleterre importe beaucoup plus qu’elle n’invente; plus commerçante en-
core qu'industrielle, elle a un tact exquis pour deviner l'utilité des découvertes
inappréciées dans la patrie des inventeurs; la vulgarisation des procédés lui tient
lieu de leur invention, et lui en confère toute la gloire; le continent lui sait gré
d’avoir accueilli favorablement ce qu'il aurait négligé et méconnu sans elle,
Les moyettes des départements du Nord ont pu venir d'Angleterre en France ;
mais ce qui me parait certain, c'est qu'elles ont préalablement passé des Flandres
en Angleterre; elles sont, en effet, en usage de temps immémorial dans les Flandres,
avec une foule de modifications dont nos moyettes sont la plus simple.
Voici comment on construit ces javelles dans ce pays où la moisson se fait à la
sape, c’est-à-dire avec une petite faux à manche court qu'on ne tient que d'une
main.
Une femme à la suite du moissonneur ramasse le produit de deux coups de
sape, les forme en une botte au moyen d'un lien de paille étendu par terre et sur
lequel elle pose le haut de la brassée. Elle commence à javeler, dès qu'elle en a
fait ainsi onze semblables. Alors elle en range trois sur une seule ligne, en arcs-
boutants, les épis en haut, et la base dilatée pour leur donner du pied; elle en
appuie deux contre chacune des trois, une de chaque côté, ce qui fait un carré
de nœufs disposées sur trois lignes parallèles; pour donner plus de solidite à ce
(*) Voyez Revue élémentaire de médécine et de pharmacie, tome 1, page 103, août 1847,
(*) Moyeltes pourrait bien venir aussi, par corruption, de mouillées, qui signifie une certaine quantité
de poignées de paille.
156 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
groupe, elle en appuie encore deux autres, une de chaque côté d'une même rangée,
ce qui porte le groupe à onze. Dans certains endroits et selon que l'on redoute
les coups de vent, on ajoute deux autres ares-boutants qui se croisent avec les
deux premiers; le groupe se compose alors de treize bottes ayant les épis en
haut. La disposition des bottes ou gerbes peut se figurer ainsi dans les deux cas :
Enfin, et c’est ici la modification qui a donné lieu aux moyettes de France,
d'autres fermiers ont eu l’idée de recouvrir la tête de la moyette d’un chaperon
de paille à épis renversés.
On dispose ainsi les javelles pour l’avoine, comme pour le seigle et le blé.
On ne lie pas le sommet de ces grosses moyettes, si ce n'est pour le seigle
dont la paille monte si haut qu’elle dépasse de beaucoup ici la taille de l'homme;
j'ai vu des champs où la moisson de seigle atteint sept pieds de haut; aussi la
paille en est très-grêle.
Le but qu’on se propose ici, en javelant de la sorte, est d'achever la dessiccation
et la maturation du grain; car on a soin de saper un peu avant la maturation
complète. Il faut dire, du reste, que ce procédé serait impraticable, si l’on atten-
dait la maturité complète; car l’épi supporté par une paille herbacée se courbe
de tout son poids; etla moisson serait bien pauvre ici, si l’épi restait droit comme
dans les pays méridionaux; ce serait là un signe de pénurie et d’avortement
des grains.
Or, comment pourrait-on agencer ces bottes sans égrener les épis, si les épis
ainsi courbés étaient arrivés à une maturité complète ?
Ce que l’on cherche à obtenir en Frangçe, en chaperonnant une moyette droite
par une moyette renversée, s'obtient ici par la disposition naturelle des épis re-
courbés ; la pluie coule de la sorte sur les balles, comme sur une toiture; et le
grain est à l'abri.
Dès qu’on juge que l’épi a achevé de mürir et de sécher, par le courant d'air
qui circule librement entre tous les tuyaux de ces gerbes, on s'empresse de
rentrer en grange pour battre pendant l'hiver. Les grands fermiers rentrent avec
leurs charrettes; mais le petit paysan, qui n'a d'autre âne que son chien, rentre
avec sa brouette à fumier et à claire-voie qu’il pousse par derrière et quele chien
tire par devant; ce va-et-vient animé, quand on l'observe des hauteurs, donne
au village l'air d’une grande fourmilière occupée à transborder ses œufs.
Quant à l'ancienneté de cet usage dans ce pays, on ne saurait le révoquer en
doute, lorsqu'on examine un tableau de moissonneurs d’un peintre flamand
de l’ancienne école. J'ai sous les yeux la gravure d’un tableau de Gerbrand Van-
den Eeckhout, tiré du cabinet de M. Le Brun, et qui rep la scène d’entre-
vue de Ruth et Booz sur le champ de la moisson :
Les moyettes flamandes et hollandaises y sont représentées avec leurs épis re-
fléchis, exactement comme on les construit encore aujourd'hui; on voit dans le
lointain le moissonneur à la sape et la femme qui pose le produit de deux coups
de sape en une brassée, sur le lien de paille dont elle reprend les deux bouts.
Or, Gerbrand Vanden Eeckhout peignait vers le milieu du dix-septième siècle.
nl
de Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 1e Décembre 1 854.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
AVIS À NOS ABONNÉS.
La livraison de novembre est arrivée à nos abonnés tout aussi tard que celle
d'octobre : une nouvelle difficulté s’est encore élevée à l'administration du chemin
de fer; on y avait, dit-on, perdu le certificat d'origine, qu'il a fallu faire revenir
de Bruxelles. Nous espérons que la fois prochaine l'administration ne perdra
plus rien; car nous ne verrions alors dans ses procédés qu’une intention hostile.
La Revue complémentaire, œuvre de propagande théorique et pratique, reste
totalement étrangère à la politique et à la polémique des partis; elle s'adresse à
tous, dans l'intérêt de tous, et parle à ses lecteurs comme s'ils ne devaient la lire
que dans plusieurs années. Les retards que nous éprouvons ne peuvent donc
partir que d'une négligence isolée, à qui sans doute cet avertissement suflhra.
Car jusqu'à présent l'impression et l'envoi de la Revue complémentaire ont eu
lieu aux jours et heures fixés pour que la distribution ait pu se faire le 4*%.
La copie est livrée en entier, le 16 au matin, à l'imprimerie; l'impression est
terminée le 22 au matin; le ballot part le 22 au soir; il arrive le 27 à la station
de Paris; trois ou quatre jours sont bien suffisants pour remplir les formalités
voulues. Or cette fois le ballot n’a été livré à l'éditeur à Paris que le 7 novembre.
CHAPITRE PREMIER.
MÉDECINE HUMAINE ET VÉTÉRINAIRE.
ANKYLOSE (*) DU POIGNET PAR SUITE D’'UNE FORTE COMPRESSION CHIRURGI-
CALE, ET PARALYSIE CONSÉCUTIVE DES DOIGTS.
A. NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
Érvmouoce. La nomenclature médicale dérivant tout entière des ouvrages
d'Hippocrate, qui avait étudié peu de maladies anatomiquement, et ne désignait
les maladies que par le nom que le peuple leur donnait, cette nomenclature ne
possède presque pas un mot qui comporte avec lui sa définition; c’est un langage
sans règles et principes et ne présentant que des excepluions; e'est une science
(*) Du grec agkulos (prononcez ankylos) courbé, fléchi, contourne,
138 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sans enchaînement d'idées, et, par conséquent, c'est la négation de la science.
Le mot ankylose ne signifiant proprement que courbure, flexion, peut tout
aussi bien s'appliquer, dans le langage ordinaire des Grecs, à la flexion normale
et passagère d’un membre, qu’à son état maladif de flexion. Ce mot ne définit
donc rien. Il dit même quelquefois tout le contraire de ce qu'il devrait désigner;
car il existe des cas d’ankylose sans la moindre flexion.
Dérrrion. L’ankylose est une maladie des extrémités articulaires des os, qui,
en leur imprimant un développement inusité, rend le jeu de l'articulation de plus
en plus douloureux et difficile, et finit par souder entre elles les extrémités conti-
guës des deux os.
En général, cette intumescence maladive fait subir au membre une flexion pro-
gressive ; car elle force d’un côté plutôt que d’un autre l’antagonisme musculaire;
quand l’intumescence a lieu dans tous les sens, le membre reste droit.
Errers. Le tiraillement produit par l’intumescence ne peut manquer d’occa-
sionner des douleurs très-vives ; ce sont les douleurs de l’ex-torture.
L’articulation ne pouvant plus jouer librement, les cartilages des surfaces ar-
ticulaires doivent finir par se souder et se confondre; car tout dans le corps
humain tend par le repos à s’ossifier, c’est-à-dire à s’incruster de phosphate cal-
caire. Il arrive donc un moment où les deux os n’en font plus qu’un, exactement
comme l'ont fait, sur la ligne du menton, les deux branches horizontales de la
mâchoire, qui dans le fœtus sont séparées, et qui restent telles à tous les âges
chez certaines classes d'animaux, telles que les reptiles et les poissons. Cette sou-
dure normale se nomme symphyse: de deux mots grecs, physis organisation, sun
avec, c’est-à-dire soudure organique.
La mâchoire inférieure des mammifères offre trois soudures semblables, car
primitivement elle se composait de quatre branches, qu'on retrouve séparées et
articulées chez les poissons.
La soudure articulaire est dans le cas de s’arrêter sans accomplir son œuvre;
l'articulation conserve alors un certain jeu; on nomme cet état fausse ankylose;
on devrait plutôt dire ankylose incomplète.
Causes. Tout corps étranger, animé ou inanimé, qui vient à se loger dans le
tissu d'un os, imprime à cette région une tendance au développement; et ce dé-
veloppement continue tant que la eause, par sa succion ou sa présence, imprime
cette impulsion. Rien n'est plus facile que de surprendre, chez les végétaux, l’ar-
tisan à cette œuvre, et de trouver l’insecte dans le centre de l’ossification ligneuse
qui déforme le tronc ou le rameau. Chez les añimaux, un globule de mercure
amené dans le tissu osseux par le torrent de la cireulation, et révivifié de sa
combinaison saline par le travail des doubles décompositions et des précipitations
chimiques, ce globule mercuriel joue le rôle d’un insecte, et jette, pour ainsi dire,
au moule, comme un potier à sa roue, une foule d'organes de superfétation, qui
déforment la charpente osseuse en général ou telle portion de membre, de la ma-
nière la plus bizarre et la plus pénible à voir. Un coup, une blessure peut égale-
ment imprimer une impulsion insolite de développement à un tissu osseux.
Ces notions sufliront, je pense, pour faire apprécier l’utilité de la nomencla-
ture nouvelle (*) :
Par LES CAUSES : ENTomMocÉnosE (nose maladie, gen engendrée, entomos par les
insectes), où nxpRARGÉNOSE (maladie engendrée, hydrargyro, par l'argent liquide ou
(*) Voyez Hist,nat, de la santé et de la maladie, tome IE, pages 31 et 425 : 1848
ANKYLOSE DU POIGNET. 139
mercure), OU TRAUMAGÉNOSE (maladie engendrée par, trauma, une blessure); ostéo-
arthritique (ayant son siége dans les os de articulation), gonotale (du genou),
anconale (du coude), coxale (de la cuisse), omale (de l'épaule), carpale (du poi-
gnet), tarsale (du cou-de-pied), phalangiale (des phalanges), ete.
Par LES EFFETS : OSTÉALGIE (a/gè maladie, osteo des os) arthritique (ayant son
siége dans l'articulation) gonotale (du genou) etc., entomogène? (engendrée par les
insectes), hydrargène? (engendrée par le mercure), traumagène? (engendrée par
une blessure). Le point d'interrogation indique que c’est là la cause à recher-
cher, qui peut être triple. Dès qu’on l’a trouvée, on désigne la maladie par la
cause spéciale qui l'engendre. Dans ces deux cas la phrase devient une complète
définition, j'oserais même dire une suffisante description. Dans le cas particulier
qui va nous occuper, nous aurons les deux phrases suivantes :
Par La CAUSE : {raumagénose osléo-arthritique carpale.
Par LES Errers : ostéalgie arthritique carpale traumagène.
B. ANKYLOSE DU POIGNET PAR SUITE D'UNE COMPRESSION CHIRURGICALE PROLONGÉE.
Une demoiselle de 25 ans avait été atteinte d’une enflure de la main gauche,
par extravasation du sang. Les douleurs qu'elle éprouvait de cet accident étaient
devenues intolérables et la forcèrent à réclamer les secours de la chirurgie, qui,
sans doute, vit dans ce cas les caractères d'une rupture spontanée ou trauma-
tique d’artère; et comme l’état de l’avant-bras et de la main ne permettaient pas
d'arriver jusqu’à la solution de continuité du vaisseau artériel, dans le but d’opé-
rer deux ligatures, l’une en deçà et l’autre au delà, l'opérateur eut recours à la
compression violente par des éclisses appliquées tout autour du poignet.
C'est du moins ce que j'ai pu recueillir des renseignements transmis par la
malade.
À la suite de ce traitement, le poignet se trouva ankylosé, la main fléchie pres-
que à angle droit, les doigts fléchis à leur tour, recroquevillés, et privés de mou-
vement, ainsi que toute la main.
Les muscles fléchisseurs du poignet et des doigts ayant leurs tendons plus
éloignés des deux os de l’avant-bras (cubitus et radius) que les muscles exten-
seurs, il est évident que la main a dû subir toute sa flexion, sous la compression
violente et permanente des éclisses. Mais la permanence de cette compression a
dûù produire l’adhérence des tendons aux os du carpe (poignet), et la soudure eal-
leuse des os du carpe soit entre eux, soit avec les extrémités contiguës du cubitus
et du radius. C’est ce dont on s’aperçut en enlevant l'appareil; et nul traitement
scolastique, depuis cette époque, n’a pu réparer ce que l'opération avait occa-
sionné. Cette demoiselle se soumit alors à la médication du nouveau système.
Trois fois par jour, envelopper le poignet d’une forte compresse imbibée d’eau
sédative pendant un quart d'heure; y appliquer un autre quart d'heure les pla-
ques galvaniques, et envelopper ensuite le poignet d’un linge enduit de cérat
camphré, jusqu’au prochain pansement.
A l'intérieur, camphre à prendre, trois fois par jour, au moyen d’un bol de ti-
sane de salsepareille; et aloès tous les trois jours. Plus tard bains locaux de sang,
à l'abattoir; la salsepareille et le bain de sang dans la supposition que ce mal
pouvait s'être compliqué de l'emploi de quelques remèdes mercuriels, que la mé-
decine de la localité emploie à tous maux.
Sous l'influence de ce traitement, les doigts se dégagèrent peu à peu de leur
140 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
inertie, se redressèrent, reprirent leurs mouvements d'extension et de flexion
habituels ; un bout d’un mois et demi cette demoiselle était en état de se servir
de sa main gauche, tout aussi bien que de la main droite, pour les procédés les
plus délicats de la broderie.
Le poignet est plus lent, on le concevra bien, à revenir à sa position naturelle;
on ne diminue pas le volume des os dans le même laps de temps qu'une médica-
tion détache des tendons de leurs points d’adhérence artificielle. Mais, par les
résultats déjà obtenus, on conçoit que le reste n’est plus qu’une affaire de pa-
tience.
Plus tard, une coupeuse de papier, employée dans une papeterie, s'étant ouvert
l'artère radiale à la hauteur du poignet, et, faute de pouvoir arriver à la solu-
tion de continuité, la compression par les éclisses ayant été également employée,
il en résulta Ja même espèce d’ankylose, avec flexion du poignet et recroque-
villement des doigts; la malade est en voie de traitement, et l'on ne désespère
nullement de lui rendre l'usage de la main, ainsi que dans le cas qui précède.
SUPPLÉMENT A L’HISTOIRE NATURELLE ET MÉDICALE DU
TÆNIA IMPROPREMENT APPELÉ VER SOLITAIRE.
SOMMAIRE. — Historique : livre hippocratique des maladies; Aristote, Caton l’ancien,
Pline sur le tænia ou tinea, ou ver plat; notre opinion adoptée sur l’anatomie physiologi-
que du ver. — Nomenclature : origine des mots keria, lœnia de {ainia tinea, vers cucurbi-
tains, cestos et non cestros, ver solitaire, solium et cingulum. — Progrès classique de nos
idées ; prix de l’Institut de France décerné en 1854 à un mémoire sur les vers intestinaux;
nouveauté contestée de ce travail. — Nouveaux faits à ajouter à l’histoire du développe-
ment des fænia. — Vers cucurbitains fossiles ou cailloux roulants dans les Flandres,
avec figures sur bois, dessinées par Benj. Raspail.
Hisrorique. Le premier auteur qui ait parlé du tænia ce n’est pas Hippocrate ;
car le traité de la collection hippocratique des Maladies (Peri Nousôn, lib. IV), où
ilen est fait longuement mention, n’est pas d'Hippocrate; on l’attribue à son
gendre Polybe; et Galien, ce grand commentateur d'Hippocrate, dans le
deuxième siècle de notre ère, c’est-à-dire près de 700 ans après Hippocrate,
Galien n’a pas eu connaissance de ce livre.
Aristote, qui peut-être connaissait ce livre de la famille hippocratique, est le
premier en date qui fasse mention du tainia, qu’il nomme helmins plateia, hel-
minthe ou ver plat.
Caton, qui vivait deux cents ans après Aristote et trois cents ans avant notre
ère, prescrit un remède contre le ver solitaire, qu'il désigne sous le nom de tinea ;
et certes ce n’est pas dans les livres des médecins grecs, inconnus alors à Rome,
qu'il avait puisé ce qu'il en dit, mais dans la tradition romaine et dans l'expé-
rience des vieux Jahoureurs ses devanciers; car un ver intestinal de cette lon-
gueur a dü être connu de toute antiquité chez les divers peuples, avant que les
savants s’en soient occupés dans leurs écrits. 4
Pline en a parlé comme Caton. Tous les auteurs qui ont succédé à Galien, tant
crabes que latins, ont fait mention de quelques cas où ils avaient observé, dans
leur pratique, ce vampire des intestins. Quant à la description, elle n’a com-
mencé à prendre un caractère scientifique que depuis que l’on a apporté une cer-
taine sévérité de contrôle dans les observations microscopiques; le merveilleux
que les médecins avaient jusque-là puisé dans une étude superficielle se dissipa
SUPPLÉMENT A L'HISTOIRE NATURELLE DU TÆNIA. 1M
peu à peu au foyer des verres grossissants. On étudia avec soin la tête et ses
organes accessoires, et les prolongements concaténés qui arrivent à une longueur
démesurée. Mais l'analogic fut laissée de côté; et préoccupé, comme toujours,
des rapports des êtres vivants avec l'anatomie humaine, on s’obstina à chercher,
dans ce ver, des organes qui pussent offrir quelque analogie de forme et de posi-
tion avec les organes de l’homme; prenant sans cesse les accessoires de forme de
l'élaboration stomacale nour les organes intimes de la nutrition et de l’assimila-
tion, pour le siége enfin de la puissance vitale.
Nous avons, je crois, par nos travaux, déshabitué l'observation de cette fausse
analogie, et nous avons fini par persuader qu'en anatomie générale et comparée,
ce n’est pas dans les rapports de forme, mais d'élaboration intime et organique, qu'il
fallait rechercher les rapprochements des classes, et qu'on arrivait ainsi à établir
une filiation de types, de manière à pouvoir arriver des animaux les plus compli-
qués jusqu’à la cellule organisée, et vice versä. Ces idées aujourd'hui ne sont plus
les nôtres ; ainsi que toutes les idées empreintes du cachet de l'évidence, ellcs
n'ont plus de nom d'auteur, elles sont du domaine public.
Nous allons revenir sur ce point de vue, en ajoutant de nouvelles révélations à
celles que nous avons déjà publiées sur le ver solilaire, dans notre Histoire natu-
relle de la santé et de la maladie, tom. II, pag. 425 et suiv., 1846.
Nowexciarure. Aristote désigne le ver solitaire par les mots de helmins plateia,
ver plat; l’auteur du livres des Maladies, attribué à Hippocrate, se sert de la
même désignation.
Il paraît, d’après Galien et Érotien, que, dans le langage vulgaire, les Grecs,
de temps immémorial, désignaient ce ver sous les noms de kèria ou keiria et de
tainiä, deux mots qui signifient également un ruban; or ce ruban acquiert quel-
quefois une longueur démesurée et se pelotonne sur lui-même comme autour
d'un dévidoir.
L'expression de tainia passa dans la langue latine, mais en subissant une mo-
dification orthographique. Caton l’ancien, qui vivait trois cents ans avant notre
ère, se sert, pour désigner le ver solitaire, du mot tinea, qui signifie aussi la teigne,
papillon dont la larve ronge nos pelleteries (*).
Pline se sert tantôt de l'orthographe fænia, qui est la vraie et rend très-bien le
tainia des Grecs, et tantôt de celle de tinea, qui est dès lors une amphibologie.
J'avais cru d'abord qu'en ces endroits il y avait une faute de copiste; mais cette
faute se retrouve dans tous les manuscrits.
L'auteur du livre hippocratique ci-dessus cité pensait que ce ver en engen-
drait d’autres qu’il compare à des graines de courge, oïon sicyou sperma, que les
latins ont désignés ensuite sous le nom de vermes cucumerini ou cucurbitini et
les Français sous celui de vers cucurbitains. Ces prétendus vers ne sont que Ics
anneaux détachés et ayant acquis une vie indépendante, en quelque sorte, à l'épo-
que où ils doivent disséminer les œufs dont ils sont la matrice.
Dans un vieux glossaire grec, le ver solitaire prend le nom de cestos, que quel-
ques éditions fautives écrivent cestros, ce qui est un barbarisme. Cestos signifie
une ceinture de femme, la ceinture de Vénus, une ceinture brodée, à cause des
festonnements que l’on voit comme imprimés sur les anneaux développés du ver
solitaire. Nos classificateurs, qui auraient pu se servir du mot tœænioïdes pour
désigner la classe des tænias, ce que tout le monde aurait entendu, ont préféré
(*) Voy. Revue complémentaire, livr. de novembre 1854, pag. 119.
142 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
celui de cestroïdes (en tombant juste dans le barbarisme), mot plus savant, parce
qu'il est moins connu du vulgaire; notre nomenclature d'histoire naturelle ne se
forme pas autrement; Linné procédait avec plus de correction.
Quant au mot de ver solitaire, c’est au docteur Andry que nous en sommes
redevables (*), et cela parce que Andry avait adopté l'opinion ancienne que le
tænia existait toujours seul de son espèce dans les entrailles d’un individu. Andry
s’appuyait sur l'opinion d’Arnold de Villeneuve, le commentateur de l'école de
Salerne, qui désigne le ver solitaire sous le nom de solium ou cingulum. Andry
a cru que solium était synonyme de solus, comme les nomenclateurs académi-
ques ont pris cestros pour cestos; mais Arnold de Villeneuve, écrivain du
xive siècle, était trop bon latiniste pour s’être permis un tel barbarisme, et nous
soupçonnons ici une faute assez grave de copiste, qui aura transformé koilon
(ruban concave) en solium; à moins qu'il n'ait écrit en abrégé skolikion, ver
qui produit dans les troncs d'arbres ces vermoulures inextricables, qui semblent
imiter le moule des replis tortueux du tænia.
L'opinion qui a dicté à Andry la dénomination devenue aujourd'hui classique
remonte, par une fausse interprétation, jusqu'à Aristote, qui s'exprime ainsi :
Le ver solitaire prend naissance dans le gros intestin seul; monû en enterô.
Quelques copistes ont écrit monè qui se rapporterait au ver solitaire, au lieu
de moné qui se rapporte à l'intestin; ce qui, d’après eux, a signifié : le tænia
aaît et vit seul dans l'intestin. Or c’est une erreur aujourd’hui bien démontrée;
© car beaucoup de malades nourrissent au moins deux de ces vampires dont la
croissance n’a pas de fin. ’
Nous avons déjà fait remarquer, ailleurs, que non-seulement ce ver n'existe pas
seul de son espèce dans les intestins du même individu, mais qu'il vit de com-
pagnie avec les ascarides vermiculaires et lombricoïdes, lesquels se hâtent d’aban-
donner le siége, à la première impression des vermifuges avec lesquels on attaque
le tænia. I est donc d’une bonne nomenclature que l’on abandonne l'expression
de ver solitaire, et qu’on s’en tienne à celle de ver plat ou de tænia (ver ruban),
qui a le mérite de la comparaison ; l'autre, jusqu’à présent, n’a eu de justesse
que dans un calembourg (”).
$ 2. PROGRÈS CLASSIQUES DES IDÉES ÉMISES DANS L’HISTOIRE NATURELLE DE
LA SANTÉ ET DE LA MALADIE, AU SUJET DU TÆNIA.
Les ravages du tænia sont done connus depuis la plus haute antiquité; mais
jamais on ne le soupçonnait que lorsque le ver laissait échapper au dehors des
signes de sa présence, c’est-à-dire des fragments de ses anneaux, ou bien que le
malade éprouvait des accès de faim canine.
Le grand principe développé dans l'Histoire naturelle de la santé et de la ma-
ladie, que la similitude des effets indiquait la similitude de la cause, est devenu
le germe d’une révolution médicale qui a fini par entraîner dans son mouvement
les plus retardataires. On reconnaît aujourd’hui la présence des vers intesti-
naux, avant que le malade en ait donné des signes.
Auparavant, on professait publiquement, à la Faculté de médecine de Paris,
(*) De la génération dés vers, édit. de 1699, par Nicolas Andry, dr régent de la faculté de médecine
de Paris.
(**) On citait à Voltaire, en faveur du mérite poétique de Lemière, ce vers si connu :
Le trident de Neptune est le sceptre du monde.
C'est beau, répondit-il, mais c'est un vers solitaire; trouvez-m’en un autre de cette qualité dans ce
morceau.
COURONNE ACADÉMIQUE. 445
que jamais enfant de Paris n'avait été sujet aux vers; aujourd'hui, la Faculté
rencontre des vers dans le plus grand nombre des malades des hôpitaux, même
de leur vivant.
La question des vers intestinaux est donc devenue à l’ordre du jour, de-
puis plusieurs années. En 1852, l'Académie des sciences, voulant naturaliser
dans son sein, selon l'usage antique et solennel, nos découvertes qui sont pour
elles des choses exetiques, mit au concours, pour le grand prix de physiologie,
la question suivante : Faire connaître par des observations directes et des expé-
riences le mode de développement des vers intestinaux et celui de leur transmis-
sion d'un animal à un autre; appliquer à la détermination de leurs affinités na-
turelles les faits anatomiques et physiologiques ainsi constatés.
Rédaction qui ne brille ni par la méthode ni par la clarté, mais qui a l'air
de mettre en programme le cadre que nous avions rempli dans l'ouvrage ci-des-
sus cité.
En 1853 deux champions in Rahent) et deux champions très-puissants ;
car en six ou huit mois ils avaient démontré ce que nous avions mis six ans à
découvrir et trois ans à faire comprendre par des faits et des figures gravées.
Dans la séance publique de janvier 1854, le grand prix fut adjugé à M. G. J. Van
Beneden, profésseur à l’université catholique de Louvain; à son retour de
Paris, une ovation triomphale accueillit à Louvain le lauréat des vers intesti-
naux; une autre ovation l’attendait à Malines, et, le 25 février, la commune lui
offrait une médaille commémorative pour ce haut fait académique.
Mais si l’on désire savoir comment l'Académie des sciences s’est assurée de la
vérité des démonstrations, nous allons traduire la phrase du rapport, fort long,
fort embrouillé, la phrase qui résume le tout, et conciut de la manière la moins
obscure:
« Le travail (de M. Van Beneden) est accompagné de planches et de plusieurs
préparations. Les premières sont exécutées avec soin, mais évidemment incom-
plètes au point de vue anatomique. Quant aux préparations, un grand nombre ont
souffertet n’ont rien pu nous apprendre. Heureusement, parmi celles qui ont ré-
sisté, il en était de fort importantes, entre autres celles qui montrent la transfor-
mation des cysticerques (hydatides) en ténias, les premiers développements
rubanaires, et surtout la déformation qu’il éprouve lorsqu'il se transporte dans
la cavité péritonéale. Aussi, tous ces faits paraissent-ils à votre commission avoir
été nettement établis (*). » Et puis viennent les restrictions.
Nous sommes encore à nous demander comment le rapporteur a pu voir, au
moyen d'objets conservés dans une fiole, le passage d’un ver rubanaire dans la
cavité péritonéale; nous demanderions encore bien autre chose, si la réponse ne
nous était pas donnée dans un autre -endroit du rapport. En effet, dit le rappor-
teur: « Le travail inscrit sous le n° 4 est moins un mémoire qu’un ouvrage
très-considérable sur la matière qui nous occupe; il se compose d’un texte de
875 pages in-folio (manuscrit) et d'un atlas de 92 planches renfermant près
de 1,000 figures : l'Académie comprendra que nous ne pouvons donner d'un
pareil travail une analyse même sommaire (**). »
Ainsi, c'est de confiance en général que les faits principaux ont été adoptés. Le
nombre des figures ne semble pas avoir étayé des faits très-nombreux ; et ces faits,
(*) Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tom. 38, 30 janvier 1854,
pag. 192.
(**) Ibid., pag. 179.
444 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tels qu'ils sont spécifiés dans lerapport, ne sontautres que les faits nouveaux qui
ont été consignés dans l'Histoire naturelle de la santé et de la maladie, et qui ont
mis en évidence : que les vers intestinaux pouvaient passer dans tous les tissus,
surtout au moyen de leurs œufs ; que les cysticerques n’étaient que le jeune âge
du tænia; que le tænia n'avait aucun appareil digestif; que ses anneaux ne com-
muniquaient pas entre eux par un appareil circulatoire ; que le trichina d'Owen,
que l’on rencontre dans les muscles, n'était que l'œuf du Zombricoide apporté
dans ces régions par le canal de la circulation. Sans doute ces opinions d’un
hérétique scientifique avaient besoin du bap tême académique pour devenir ortho-
doxes; nos lécteurs peuvent done maintenant les professer sans crainte d’une
excommunication majeure; Dieu soit béni! Nous allons donc maintenant émettre
de nouvelles hérésies scientifiques, qui, au concours académique, deviendront
tôt ou tard des articles de foi, quand un rapporteur aura daigné les proclamer
tels sous un nom moins désagréable aux oreilles bien pensantes. Car chacun sait
qu'un seul homme à l’Académie décide d’une question, et que l'Académie adopte
de confiance les conclusions du rapporteur, sujet à erreur pour son propre
compte, mais infaillible quand il parle au nom de ses collègues et ex cathedrà,
c’est-à-dire du haut de son fauteuil.
$ 5. NOUVELLES PARTICULARITÉS DU TÆNIA.
4 L'histoire naturelle ne saurait faire de grands progrès, tant qu’on établira
l’analogie sur la forme des organes et non sur la nature des fonctions. Ainsi, on
se perd dans ses recherches, toutes les fois qu’on veut retrouver dans chaque
classe d'animal l'équivalent des divers appareils de la digestion des classes élevées.
Longtemps on a cherché dans les tænioïdes une bouche, des intestins, un
cœur, des poumons, etc. À quoi tout cela aurait-il servi à un animal qui, appli-
quant son extrémité céphalique sur les parois des intestins, absorbe ainsi le chyle
tout préparé, à la manière des suçoirs innombrables par lesquels nos intes-
tins transmettent le chyle au torrent de la circulation? La trompe du tænia,
c’est un organe suflisant de nutrition; car c’est ce qui lui suffit pour absorber
le sue nutritif élaboré par l'appareil de la digestion de l'animal dont il est
parasite.
Autour de cet appareil non digestif mais nutritif et chylifère, on remarque qua-
tre stigmates aspirateurs, car leur forme est exactement celle des stigmates res-
piratoires des insectes; c’est à leur faveur et par le vide qu'ils font, que la tête ad-
hère, aux surfaces intestinales. Ces quatre organes remplissent done l’oflice d’or-
ganes respiratoires ou de poumons; ils aspirent l'air comburant des surfaces dont
le proboscis aspire les sucs chylifiés ; et, par un effet secondaire de l’aspiration, ils
adhèrent à la surface qu'ils aspirent. Que manque-t-il pour vivre, comme tout
autre animal, au tænia, quand il a du chyle à sa disposition et de l’air pour oxy-
géner ce chyle et le transformer en sang blanc? Les cinq vaisseaux parallèles, qui
partent de chacun de ces cinq organes, effectuent la rencontre du chyle et de l’air,
dont ils sont respectivement les dépositaires, en se réunissant à l'extrémité du
corps proprement dit, qui constitue ce que nous nommons improprement le cou
du tænia. Ainsi, sans appareil buceal, sans œsophage, sans estomac, sans canal
intestinal et sans poumons ou branchies, le tænia a tout ce qui suffit à un hel-
minthe ou ver suceur, pour fournir à l'élaboration de ses organes et à l’incessante
reproduction de ses ovaires concaténés. Chaque anneau du tænia, en effet, est une
matrice, mais une matrice qui, détachée du corps de l'animal, conserve encore
NOUVELLES PARTICULARITÉS DU TÆNIA. 113
longtemps des mouvements qui lui sont propres, et une vie indépendante qui lui
est encore nécessaire pour fournir à la nutrition et ensuite à l'expulsion des œufs
qu'elle recèle. Qu'y a-t-il d'étonnant que cette matrice isolée effectue des mouve-
ments, quand chaque anneau du corps'de certains insectes exécute pendant long-
temps des mouvements de locomotion, qui souvent semblent animés d' intelli-
gence, et quand le bras du céphalopode, détaché du corps, conserve tellement ses
habitudes, que Cuvier en a pris un pour un ver nouveau (*); quand enfin, pen-
dant tout le temps de la gestation et de la parturition, la matrice des mammi-
fères est douée elle-même de mouvements indépendants de la volonté?
20 Nous arrivons maintenant à une observation nouvelle, qui doit jeter un
nouveau jour sur l’analogie des tænias et des cysticerques, je veux dire sur leur
filiation, que nous avons déjà signalée plus haut. Nous espérons qu'après cette
démonstration l’Académie des sciences voudra bien remettre encore la question
au concours, afin de l'absoudre par une couronne.
La figure 5, pag. 146, représente un œuf d'hydatide qui s'incruste dans le lard
du cochon et lui donne la ladrerie (Finnen en allemand), et que Werner, à qui
nous empruntons cette figure, a rencontré également dans les museles de
l'homme (*); à l’intérieur de cet œuf on remarque une vésicule allongée qui est
le véritable vitellus. La figure 6 est celle de la première enveloppe détachée; et
la figure 5 est celle du vitellus emprunté à la planch. 4° du premier des trois
traités de Werner (**). C’est de ce vitellus que sort le petit tænia, qui, à cette
époque embryonaire, forme le cysticerque ou l'hydatide ; car l'embryon n'a pas
encore d'ovaires, cela se conçoit aisément.
Mais les œufs du tænia, qui vont ainsi s'implanter dans les tissus adipeux et
museulaires, pour aspirer les sucs destinés au développement de l'embryon, ces
œufs, dis-je, ne pourraient-ils pas rester implantés sur les parois de l'articulation
ovarienne qui leur a donné naissance, et s’y développer comme partout ailleurs ?
Pourquoi pas, puisque nous voyons les œufs de beaucoup d’autres helminthes se
développer dans le corps et sortir tout éelos de la matrice ?
Ce fait, qu'indique à priori l'analogie, j'en ai été témoin tout dernièrement, en
examinant au microscope les déjections d’un malade atteint du tænia.
Le 24 mars 1854, ce malade s'était senti le ventre bourrelé de gaz et de mou-
vements intestinaux, après avoir pris une salade de mâches aux œufs durs et à
l'ail ; il alla à la selle immédiatement après déjeuner.
Le 25, au matin, il prit une salade au cresson et aux œufs durs; et il se passa
souvent dans le jour de l'alcool camphré sur le ventre.
Le soir, à neuf heures, ayant examiné ses matières, je les trouvai cannelées,
comme si elles avaient tourné dans un éerou de pas de vis. Elles étaient en outre
comme inerustées en nombre considérable de plaques cartilagineuses et épaisses,
qui m’offraient, à la première vue, les plus grands rapports avec les vers cucur-
bitains (anneaux ovipares du tænia); mes soupçons furent confirmés par une ob-
servation détaillée à la loupe; (il est inutile de faire observer que rien dans ce
qu'avait mangé le malade ne pouvait avoir l'ombre d’une ressemblance avec de
pareils corps). Je les détachai avec soin, et les lavai à grande eau; ils jaunirent à
l'air et dans l’eau, comme le fait le tænia que l’on conserve dans une fiole ;
(*) Voy. Nouveau système de chimie organique, tome IT, pag. 277. 1838.
(**) Vermium intestinalium brevis expositicnis continuatio secunda , auct. P. C.-Fr. Werner.Leipzig
4786, tab. I, fig. 11.
(**) Vermium intestinalium præsertim tæniæ humanæ brevis expositio, Leipzig, 1782.
446 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mais ce qui frappa le plus mon attention, c’est la multitude d’embryons qui adhé-
raient à la surface interne de ces fragments des articulations de tænia. La figure 4
représente un de ces fragments cartilagineux (b) d’une. articulation ovarienne,
d'où sortaient en grand nombre les vitellus d'hydatides (a) ou œufs de tænia en
voie de développement; chacun de ces vitellus (a) était intimement empâté sur
la paroi interne du fragment de l'articulation, ainsi qu’on peut mieux le voir sur
la figure 2, sur laquelle on aperçoit en outre les mailles du réseau vaseulaire qui,
sur la surface du ver cucurbitain vivant, fig. 2, se dessine par des festonnements.
Ainsi, ilest évident que les œufs des tænias (hydatides) se développent, tout aussi
bien en restant adhérents aux parois ovariennes qui leur ont donné naissance
que sur les tissus où le torrent de la circulation à pu les déposer; que les anneaux
cucurbitains et ovariens du tænia sont tout aussi souvent vivipares qu'ovipares,
double parturition que l’on observe chez les strongles et autres helminthes ; en-
fin que, bien loin d’être solitaire dans le canal intestinal, il peut se développer
des myriades de ses œufs dans la région qu'il habite.
SICYOLITHES OÙ VERS CUCURBITAINS FOSSILES. 147
J'ajouterai que les ayant traités par l’ammoniaque, chacun de ces petits corps (a)
s’enfla en espèces de bouteilles, dont le ballonnement faisait remonter, comme une
nacelle d’aérostat, les fragments cartilagineux d'articulations, jusqu’au-dessous
de la surface de l’eau; quand ces groupes se renversaient, on les aurait pris pour
de petites méduses, et, quand ils flottaient entre deux eaux, pour des araignées
aquatiques. Les petites bouteilles avaient alors quinze millimètres de long et pre-
naient exactement la forme de la figure 3 que Werner a dessinée sur une hyda-
tide du lard.
L'identité de ces corps (fig. 2et 4) avec les œufs développés du tænia est donc
bien exactement démontrée ; et, ainsi qu’on le voit, unesimple loupe d’un pouce
de foyer suffit pour se rendre compte de ces faits.
$ 4. SICYOLITHES (*) OU VERS CUCURBITAINS FOSSILES.
L'étude de ces fragments vivipares de vers cucurbitains, ou articulations dé-
tachées de tænia, fut pour moi un trait de lumière révélateur d’une grande analo-
gie, et me donna, mieux que n'auraient fait les plus longues recherches, le mot
de l'énigme que je cherchais depuis longtemps à deviner, au sujet de cailloux
roulants que l'on trouve, ici, dans cette portion des Flandres, en nombre incalcu-
lable sur la crête des coteaux sablonneux.
En effet, on n’a qu'à gratter la terre des hauteurs de ces monticules de sable,
pour rencontrer des cailloux agatisés de toutes les formes accessoires et de toutes
les dimensions et proportions.
Dans la plaine on en trouve moins fréquemment, et la raison en est simple: les
pluies, ici surtout, quand elles tombent par torrents, charrient dans la plaine la
portion argileuse de cette terre argilo-sablonneuse, et la filtrent, pour ainsi dire,
à travers la portion sablonneuse plus dense et immiscible à l'eau, dont elles en-
traînent des portions moins considérables. Done, à la longue, les cailloux roulés
doivent se rapprocher sur les hauteurs, et disparaître dans la vallée sous les
monceaux de vase qui s’y accumulent de plus en plus par les torrents des nuages.
Quoi qu’il en soit, sur la hauteur de la colline que j'ai en face, ayant eu besoin
de faire pratiquer un trou d’un mètre de profondeur, la bêche fut forcée de grat-
ter à travers des monceaux de ces cailloux, ne pouvant s'enfoncer à travers ces
obstacles à plus de deux ou trois pouces de profondeur.
Ces cailloux sont tous agatisés; et quand on les polit, ils offrent une belle eau
d’agate brune, bariolée de belles figures de fortifications blanches; on pourrait
en faire de jolies pièces principales de divers ornements de bureau. Un de mes
amis, amateur distingué de tableaux à Bruxelles, m'a fait cadeau d’un petit serre-
papier en agate polie, qu'il avait acheté à une vente d’antiques; il s’est trouvé
que ce joli ornement n’est autre qu'un de ces cailloux usé et poli à l’émeri.
Ils varient de dimensions depuis deux jusqu'à douze centimètres, et dépassent
peu cette dernière grandeur, qui est même assez rare, les plus gros ordinaire-
ment n’atteignant que huit centimètres; mais tous sont aplatis, même ceux qui
ont été surpris par Ja fossilisation, à l'instant où ils se contractaient; ce qui les
distingue principalement des ascidies fossiles, qui offrent avec les sicyolithes une
certaine analogie d’agatisation et de grosseur, et qui possèdent comme ceux-ci
deux ouvertures intestinales,
() Du grec sicyou (sous-entendu sperma) corps semblables aux graines de citrouille, et Zithos trans-
formés en pierres.
{48 REVUE COMPÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Quant à la forme, il devient évident pour quiconque aura étudié les distomes
ou les douves (articulations de tænia) à leur état de vie indépendante, il devient
évident, dis-je, que les variations de leur forme, variations indéfinies, ne sont
que l'effet de la dernière contraction dans laquelle l’agatisation fossile a surpris
chacun de ces animaux mous.
En les étudiant de plus près, il m'a été impossible de ne pas reconnaitre que
ces corps fossiles possédaient tous les caractères que j'avais observés avec soin sur
les distomes ou vers eueurbitains du chien; quelques-uns de ces cailloux ont
même les contours presque rectangulaires du distome qui se tient allongé.
D'abord onremarque, en général, sur chaque caillou deux ouvertures, l’une supé-
rieure et l’autre latérale, comme sur le distome du chien, dont on voit la figure
sur la planche 15, fig. I, de l'Histoire naturelle de la santé et de la maladie. Ces
traces d'ouverture se conservent, à quelque épaisseur qu'on use le caillou pour
le polir.
ER |
NSSS
La figure du milieu de la planche ci-dessus, qui est de grandeur naturelle,
met en évidence l'existence de ces deux ouvertures (A et B). Mais ce qui com-
SICYOLITHES ; CAILLOUX ROULANTS ET NON ROULÉS. 449
plète l’analogie, et je dirai presque la démonstration de l'identité des deux êtres,
l'un actuel et l'autre fossile, c'est le travail extérieur et superficiel qui est con-
stant sur tous les individus. En effet, en les examinant à la vue simple, on recon-
nait l'analogie des plaques cartilagineuses ou fragments cartilagineux et vivipa-
res (fig. 2 et 4) des articulations du tænia, tels que je les ai décrits plus haut à la
page 146, avec ces larges plaques lisses et blanches qui, de distance en distance,
s'offrent sur la surface des cailloux d’une certaine grosseur, les plus petits étant en
général lisses. Mais si on examine à la loupe les espaces intermédiaires, il arrive
fort souvent qu'à travers ces vermiculations feutrées et inextricables (fig. C de
la planche ci-contre), on voit se dessiner des ampoules incrustées, qui rappellent
exactement la forme des œufs de tænia (a) implantés sur la surface du fragment
cartilagineux (b) de l'articulation ovarienne (fig. 2 et 4 de la pag. 146). Les bandes
noires et irrégulières que l'on remarque sur la surface de la grande figure du
milieu de la page 148 sont des taches d'oxyde de fer.
Enfin, que l’on place bout à bout un certain nombre de ces cailloux par ordre
de taille, et l’on obtiendra une concaténation analogue à celle des anneaux d’un
tænia; les plus petits, qui sont les plus jeunes, étant dépourvus d'œufs vivipares,
qui forment un feutre inextricable sur les plus grands. Nous avons représenté un
spécimen bien restreint, faute d'espace, d'une concaténation semblable sur la plan-
che de la page 148 ; chaque figure est réduite au quart environ de la grandeur de
l'objet dont elle représente les contours. On pourrait en composer de plus régu-
lièrement décroissantes, si l’on voulait s'amuser à assembler des centaines de
ces cailloux. Mais le spécimen que nous en donnons suflira pour l'appréciation
de l’idée, et pour juger de la constance de l’analogie, à travers cette variété de
contours, simples effets d'une contraction musculaire variable à l'infini. Or, on
sait que les articulations ovariennes du tænia s’enchainent'avec cette augmenta-
tion de dimensions, à partir du côté de la tête, les plus petits étant à l'âge im-
pubère et les autres arrivant de proche en proche à l'état adulte et prolifère.
Lorsqu'on casse un de ces cailloux, on en trouve la pâte homogène, parce que
les différents organes internes étant tous également mous, ont dû se confondre
dans une agatisation commune, tandis qu'à la surface le relief des œufs vivipares
a dû se conserver, aucun autre objet voisin sur ces limites ne pouvant participer
à cette combinaison du tissu organisé avec la silice.
Sans doute, nous avons là sous les yeux des articulations gigantesques de
tænia fossile. Mais quand on songe à la taille gigantesque de certains animaux
antédiluviens qui, ainsi que nos baleines et nos poissons actuels, ont dù nourrir
des vampires dans leurs entrailles, on ne recule pas devant l'idée que des hel-
minthes du calibre de ceux que nous venons de décrire fossiles, aient pu exister
à l'état vivant dans ces monstres marins du monde primitif dont aucun animal
actuel n’a pu atteindre la grosseur.
Nous avons donc cru être suffisamment autorisé à donner à ces cailloux rou-
lants (*) le nom de sicyolithes ; de deux mots grecs : sicyos, courge; lithos, chan-
(*) Nous appelons cailloux roulants, ou susceptibles de pouvoir glisser ou rouler, ce que les géolo-
gues appellent communément cailloux roulés, ou dont la forme serait le produit de l'usure par le
frottement du roulis. Il est évident, dans ce cas particulier, que la forme et les accidents de surface
de nos sicyolithes ne sauraient être l'effet du frottement par le roulis. Car d'abord le roulis arrondit
les corps en billes, et nos sicyolithes sont aplatis et contractés ; ensuite le roulis use les surfaces et ne
les couvre pas de configurations saillantes, avec cette fidélite que le burin seul d'un artiste est en
état de reproduire. Voyez de plus ce que nous avons dit des cailloux roulants dans la partie géolo-
gique de notre Nouveau système de physiologie végélale et de botanique, tom. 2, pag. 341. 1837.
150 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
gée en pierres fossiles ; nous avons sous-entendu le mot sperma, graine, qui au-
rait rendu le mot trop compliqué; nous avons dit plus haut que les articulations
indépendantes du tænia avaient été comparées, par le traité hippocratique des Ma-
ladies, à des graines de citrouille, oïon sicyou sperma (voy. pag. 141), d'où les
latins ont fait leur mot vermes cucurbitini, et nous celui de vers cucurbitains.
On nous demandera sans aucun doute comment il se fait que la substance
corticale des articulations du tænia se soit ainsi déchirée par plaques, et qu'après
cette violente solution de continuité, l'articulation ait conservé sa forme. Il sera
facile de le comprendre, par ce que nous avons dit au sujet des articulations ou
vers cucurbitains rendus par le corps humain, dans la circonstance dont nous
avons parlé plus haut. En effet, des œufs qui se développent et deviennent vivi-
pares dans le corps même de l'organe utérin, doivent finir par rompre l'enveloppe
maternelle en divers fragments; mais comme ces embryons continuent à se dé-
velopper, en restant empâtés sur la paroi nourricière du fragment qui leur sert,
pour ainsi dire, de placenta, il s’ensuit qu’en se feutrant entre eux ils retien-
dront en place les fragments placentaires et conserveront à peu près à l’ensemble
la forme qu'avait le distome vivant à son dernier degré de développement. Dans
les déjections humaines nous avons rétrouvé quelques-uns de ces distomes dé-
chirés de la sorte, mais non encore désorganisés.
CONDIMENT EXCELLENT POUR LES BESTIAUX.
J'ai assez démontré, dans le Fermier vétérinaire, que si nos bestiaux tombaient
si souvent malades, ce n’est que parce que de fausses théories de chimie agri-
cole sont venues bouleverser tout le système ancien de l'alimentation à l’étable :
système empirique, avons-nous dit, qu'avait adopté l'expérience des siècles, et
que la pratique doit reprendre aujourd'hui que nous en avons enfin donné la rai-
son. Toute nourriture sans condiments tourne au profit de la pullulation des
helminthes, et par conséquent au détriment de l'animal domestique; dans les
champs, les bestiaux par instinct savent bien trouver et démêéler le condiment
protecteur de l’élaboration intestinale; dans l’écurie ou l’étable que nous leur
donnons pour prison, ils nepeuvent manger que ce qu’on leur distribue, et ce
qu’on leur sert n’est souvent que le produit de l’art, qui fait fausse route et de-
vient d'autant plus funeste qu'il s'éloigne davantage de la nature.
L’addition suivante à Ia ration journalière de leur fourrage les préservera
de tout malaise interne, et pourra contribuer à donner des forces et de la viva-
cité aux animaux de selle, de trait ou de labour; autant que de l’embonpoint aux
animaux à l’engrais.
On prend une tranche entière de pain noir, on la saupoudre de sel des deux
côtés, on fait entrer le sel dans la mie en frottant avec le doigt. On larde ensuite
la mie, surtout vers la croûte, de petites tranches de gousses d’ail, en pratiquant
avec le couteau de petites entailles; on ne doit point entrelarder le pain de
gousses entières, à cause que celles-ci glissent sous la dent de l’animal, qui en
rejette alors le plus grand nombre.
On donne tous les jours ou de temps en temps cette ration de pain ainsi pré-
parée au cheval, avant l’avoine, dont il est par habitude plus friand ; l'animal
mange ce pain avec une telle avidité qu’il lèche ensuite toutes les surfaces sur
lesquelles il a pu tomber quelque grain de sel. Les chèvres et les brebis n’en
sont pas moins friandes.
CONDIMENT EXCELLENT POUR LES BESTIAUX. 151
On peut remplacer le pain par du son de la mouture à la grosse; on en donne
aux chevaux un à deux litres mêlés intimement avec 2 onces (64 grammes) de sel
gris, égrugé finement, et toute une tête d'ail tranchée menu; on pourrait égale-
ment leur faire bouillir ce mélange, ou le leur distribuer en pâtée. Quant aux
bêtes bovines et porcines, on mêle le sel et l'ail haché à leur bouillie du soir; ec
simple ingrédient améliore les qualités de leur chair et de leur lait, et les pré-
serve de la vermine intestinale, cause de tant de sortes de maladies que l’art vété-
rinaire ne saurait ensuite remplacer que par tout autant d’autres maladies. Car,
l'art vétérinaire s'étant élevé de nos jours à la hauteur de l’art médical, si toute-
fois il ne l’a pas dépassé en connaissances positives, s’est un peu trop laissé en-
trainer par la partie conjecturale de l’art de guérir, et a fini par reléguer, dans le
domaine des routines populairés, les bonnes méthodes de médication que nous
avait transmises l'expérience des vieux temps, expérience dont les théories galé-
niques avaient fait perdre la piste.
En effet, lorsque, depuis mes recherches nouvelles, je me suis remis à relire
les vieux auteurs d'économie rurale, que l'on étudie si peu sur le banc des écoles,
je n’ai pas peu été surpris d'y retrouver des formules que mon nouveau système
aurait toutes adoptées, tant elles étaient conformes, comme succédanés, à celles
que la théorie et la pratique m'avaient indiquées et dont la popularité est deve-
nue presque universelle. Voici une de ces formules que j'emprunte à Caton l’an-
cien, et qui offre avec la mienne les plus grands traits de ressemblance :
FORMULE D'UN CONDIMENT HYGIÉNIQUE POUR LES BESTIAUX, D'APRÈS CATON L'ANCIEN.
« Médicament pour les bœufs. Pour préserver vos bœufs de la maladie, don-
nez-leur, quand ils sont en bonne santé, un mélange de : trois pincées de sel, trois
feuilles de laurier, trois têtes de poireaux, trois têtes de ciboule, trois têtes d'ail,
trois grains d'encens, trois pieds de sabine, trois feuilles de rue, trois surgeons
de vigne-vierge, trois pieds de fèves blanches, trois charbons ardents et trois
sétiers de vin, que vous aurez soin de cueillir, broyer et servir debout. Il faut
que celui qui administre ce remède soit à jeun. Vous donnerez trois fois en trois
jours cette potion à chaque bœuf, un tiers chaque fois à chacun. On aura atten-
tion que le bœuf et celui qui l’administre se tiennent debout. Servez-vous d’un
vase de bois (*). »
Il n’y a de superstitieux en cela que la posture indiquée pour opérer et admi-
nistrer; et le vieux Caton a aussi ses idées superstitieuses, dont nous aurons oc-
casion de parler plus tard.
Il ajoute plus bas :
« Si le bœuf tombe malade, donnez-lui sur-le-champ un œuf de poule cru, et
faites qu'il l'avale tout entier. Le lendemain broyez une tête de ciboule ou ail sau-
vage dans un grand verre de vin; et faites-le-lui boire, Ayez soin de vous tenir
debout en broyant et de vous servir d’un vase de bois, Que le bœuf lui-méme
soit debout et la tête haute en avalant, comme celui qui lui administre le remède;
et qu'ils soient à jeun tous les deux (**). »
Li
(*) Bubus medicamentum. Si morbum metues, sanis dato : salis micas III. folia laurea II. porri
fibras II. ulpici spicas HI. alii spicas ML. thuris grana IL herbæ sabinæ plantas IL rutæ folia IL.
vitis albæ caules III. fabulos albos III, carbones vivos LL. vini sextarios II. Hæc omnia sublimiter
legi, teri darique oportet. Jejunus siet qui dabit. Ter triduum de eà potione unicuique bovi dato. Ita
dividito, cum ter unicuique dederis, omnem absumas. Bosque ipsus et qui dabit, facito ut uterque
sublimiter stent. Vase ligneo dato (Caro, de Re rusticä, cap. 70, ed. Rob. Stephani, 1543).
(**) Bos si ægrotare cœæperit, dato continud ei unum ovum gallinaceum crudum, integrum facito
152 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
On conçoit la position debout pour que l’animal avale, même à contre-cœur,
sans encombre, et que le médicament ne dévie pas de sa route; on conçoit que
l'animal soit à jeun, pour que l’action du remède soit immédiate et non para-
Iysée par la digestion. Quant à la valeur de l'œuf eru en fait de thérapeutique,
c'est comme un antidote albumineux contre un empoisonnement métallique : nous
nous en servons en pareil cas, et, dans le cas contraire, son emploi a pour but
d'attirer la vermine dans l'estomac pour l’y attaquer plus immédiatement par le
vermifuge; ou bien c’est un moyen de lubréfier les parois de l'appareil des pre-
mières voies de la digestion chez les ruminants, et un moyen de faire couler plus
facilement dans la panse stomacale le bol stationnaire dans la caillette et que
l'animal éprouve de la difhiculté à ruminer. ‘
L'expérience avait appris à ces hommes des champs que le procédé était bon
en général; la théorie peut indiquer aujourd’hui les cas où son action est utile,
quoique dans tous Îes autres elle soit inoffensive.
Je termine par une variante que nos lecteurs latinistes auront sans doute soup-
çonnée, en lisant, dans la dernière livraison page 122, la traduction française de
la note empruntée à Caton : Nous avons traduit par saumure le mot amurcà qui
ordinairement signifie crasse ou lie d'huile; c’est que, par ce que nous avons
transcrit plus haut et ensuite par le verbe spargito qui précède, il est évident
que c’est murià qu'il faut lire, mot dont un seribe a pu aisément faire à murcà,
l'i devenant c. Je n'ai sous les yeux que l'édition de Rob. Étienne.
CONCLUSION.
Au lieu de donner des friandises et des morceaux de sucre à vos chevaux pré-
férés, ayez soin de leur offrir quelques grains de sel : et ils auront raison alors
de vous en être reconnaissants, Car vous leur aurez rendu un meilleur
service. ,
BULLETIN DU CHOLÉRA.
Le choléra a cessé presque de sévir en France; de tous les points du pays nous
recevons les renseignements les plus consolants sur le succès de notre méthode
préservative et curative contre ce fléau si terrible jadis; et nous croyons être en
droit, aujourd'hui plus que jamais, d'assurer qu’au début la maladie s'arrête
aux premiers symptômes, et que, dans les cas invétérés et désespérés aux yeux et
par les traitements de l’ancienne médecine, on arrache encore bien des choléri-
ques au tombeau.
Dans aucun département de la France ce fait n’a été mis dans une plus grande
évidence que dans celui de Vaucluse. Là, dans le plus grand nombre de villes et
villages, les autorités religieuses et municipales ont laissé toute latitude au zèle
des partisans diplômés ou non du nouveau système.
A Carpentras, M. le curé a expliqué lui-même en chaire aux paroïssiens et
aux paysans surtout, dans leur langue provençale, le nouveau traitement du Ha-
nuel, avec une patience dont le succès l’a amplement récompensé; il en surveillait
lui-même l'application au pied du lit des malades; aussi les dix-neuf vingtièmes
des malades ont été sauvés dans cette ville. M. Ulpa, pharmacien de eette wille et
devoret. Postridiè caput ulpici conterito cum heminà Vini; facitoque ebibat ; sublimiter teras et vaso
ligneo des. Bosque ipsus et qui dabit, sublimiter stet ; jejunus jejuno bovi dato (lbid., cap. 78.)
BULLETIN DU CHOLÉRA. 155
propagateur de la nouvelle méthode, a vendu, pour la seule petite ville de Pernes,
qui n’a pas trois mille âmes, plus de 1200 paquets contenant tous les ingrédients
de la liqueur hygiénique ; en quinze jours seulement il a vendu 150 douzaines de
cigarettes, 2 kilog. d'écorce de grenade, 60 kilog. de camphre; sa pharmacie était
littéralement assiégée, tellement qu'il a fini par tomber malade de fatigue. M. le
maire de Villeron s'est empressé de se procurer la pharmacie complète du nou-
veau système, afin de pouvoir lui-même administrer aux pauvres de sa commune
le moyen si eflicace de se sauver.
À Vaison, ainsi que l’atteste un certificat revêtu de la légalisation des signa-
tures et de l'attestation personnelle de M. le maire Mazen, le choléra ayant été
traité d'après le Manuel, dès son apparition, le succès en a été tel que le curé,
les sœurs et le médecia lui-même ont confié leurs malades aux soins de ces mé-
decins sans diplôme qui prodiguaient leurs veilles au soulagement de leurs con-
citoyens atteints de ce fléau. Le médecin, ayant été atteint à son tour, n’a voulu
être traité que par ces citoyens recommandables , dont M. Gély (Louis) semblait
être le major. On cite surtout parmi ces hommes de dévouement, MM. Jules
Tarascon et son épouse, Bayle, horloger, Guépin fils ainé (‘), Gély aîné, aubergiste,
Cluse (Adolphe), Béraud fils, Mège (Antoine), Martin et M" Mercier.
A Bruxelles on a vu çà et là quelques cas isolés de choléra depuis un mois et
demi; mais lorsqu'on va aux renseignements on découvre que ceux qui succom-
bent ont suivi un traitement opposé diamétralement au nouveau système. Dans
le peuple travailleur, la liqueur hygiénique est tellement en faveur, qu’au plus
petit symptôme de colique, on voit arriver le possesseur de l’une de ces bou-
teilles, pour en administrer, bon gré, mal gré, un petit verre au souffrant, et la
colique cesse comme par enchantement. Il est tel droguiste qui ne cesse de la
journée de vendre les petits paquets d'ingrédients qui rentrent dans la composi-
tion de cette liqueur, et l'acheteur vérifie avec son Manuel posé sur le comptoir,
pour voir si le nombre des ingrédients est au grand complet. Ne craignez pas
qu'il fasse avec sa dive bouteille des libations intempestives; il n’en est pas avare,
mais aussi il n’en est pas prodigue; il ne la débouche que dans l’occasion. Un
de nos jeunes amis, qui possède une grande fabrique de chandelles et de savon,
traite tous ses ouvriers, qu'il considère comme ses enfants, d'après le nouveau
système, et il fait la fortune du pharmacien son voisin, à qui il a communiqué
(*) La pauvre et digne mère de ce brave jeune homme, en voyant ces cures si inattendues, a pensé
que rien, pas même la disparition d'un organe, ne saurait résister à un pareil système; rien n'a pu
l'arrêter dans le projet qu’elle avait formé de venir à Boitsfort, pour me consulter de vive voix. Son
état me parut tellement désespéré que je l'engageai à retourner au plus vite dans son beau pays;
elle n’en a plus eu la force, et en quelques jours elle à succombé, après avoir éprouvé jusqu’au der-
nier soupir une amélioration dans ses souffrances, qui la portait à croire à une guérison. Mais ce
système ne crée et ne remplace pas des organes essentiels à la vie; la matrice était dévorée. Cette
digue mère d’orphelins en bas âge, à la tête d'une fabrication de chapeaux de feutre que lui avait
laissée son mari, s'était mise à l’œuvre et au sécrétage par le mercure comme un infatigable ouvrier :
la matrice, cet organe aspirateur du mercure, avait fini par s’ulcérer ; la médecine avait, par des
cautérisations au nitrate de mercure, apporté son contingent à cet empoisonnement industriel ; je
suis convaincu que la matrice était désorganisée en entier, quand elle est venue me donner la triste
mission dapporter quelques soulagements à ses souffrances, dans ce climat perfide aux malades du
Midi. Les jambes avaient désenflé, les douleurs avaient disparu, le sommeil était revenu ainsi que
l'appétit ; elle expira dans son fauteuil, le soir de l’une des journées qui lui inspiraient les plus douces
espérances ; son fils, qui l'avait accompagnée dans son pèlerinage, et lui servait nuit et jour de garde-
malade, venait de descendre un instant ; il la trouva inanimée en remontant. L'industrie est meurtrière
comme certains systèmes de médecine; et ses ateliers sont des champs de bataille où les plus braves
tombent les premiers, parce qu'ils semblent rougir des précautions de la prudence, comme de tout
autant d’actes de lächeté.
11
154 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
une partie de sa philanthropie; son Manuel est son vade mecum. C’est une des
belles et bonnes natures brabançonnes pur sang.
Ici, à Boitsfort, nos gros fermiers ont fait leur provision de da hygiéni-
que, pour leur famille et pour les pauvres gens, et nous avons dans un village
voisin un brave médecin qui les encourage à agir de la sorte, au lieu de s’en for-
maliser ; c’est un médecin charitable et non harpagon.
Je pourrais citer une foule de pareils exemples, si j'étais autorisé à les faire
connaitre d’une manière authentique; mais peut-être qu’alors les pages de la
Revue ne sufhraient pas à les consigner tous.
Je suis heureux quand j'y pense; mais ceux qui agissent ainsi sont peut-être
plus heureux que moi, car ils sont plus à l'abri que moi de la tentation de la va-
nité.
J'ai mes raisons pour être soupçonneux de près; mais, croyez-moi, j'ai l’intime
persuasion, quoi qu'on en dise, que dans ce monde où chacun a ses mauvais mo-
ments et ses mauvais besoins, il y a encore plus de belles âmes que de gens as-
sez faibles pour être méchants dans l’occasion.
——2t0 0 Œ———
LÉMENTI AUTHENTIQUE ET PRESQUE OFFICIEL DE LA PROLERIE DES JOURNAUX
D'UNE CERTAINE CATÉGORIE, RELATIVEMENT A LA PRÉTENDUE FOLIE CAUSÉE
PAR LE CAMPHRE.
(Voy. Revte complémentaire, livr. d’oct. 1854, pag. 82.)
Nos lecteurs se rappellent que, vers le commencement de septembre et presque
le même jour, une note fut insérée dans les journaux de France, d'Angleterre, de
Belgique, etc., pour avertir le public que le camphre rendait fou, et donnait la
mort à petites doses. On y lisait que « huit personnes avaient été admises à la
maison des aliénés de Londres, dans un état d’aliénation mentale, causé par la
consommation d'une certaine quantité de camphre. »
M. Verhaegen, membre et ex-président de la chambre des représentants bel-
ges, qui avait trouvé, à sa grande surprise, une pareille note dans le journal
L'Observateur, dont il est un des principaux propriétaires, voulut s'assurer pour
l'acquit de sa conscience, et d’une manière presque officielle, de l’origine d’une
telle note et d'un pareil abus de la publicité. Il s'adressa à cet effet au chargé
d’affaires de Belgique à Londres, M. Drouet, qui, après une enquête suffisante,
lui a répondu en ces termes :
Londres, 16 septembre 1854.
Mon cher monsieur Verhaegen,
J'ai pris des renseignements au sujet du camphre. Les médecins, à qui j'en ai
parlé n’ont rien appris des accidents en question que par les articles des jour-
naux. Soit dans leurs réunions, soit dans leur clientèle, ils n’ont point, pour
leur part, d'exemples de ce genre à citer, Ils inclinent à penser que c'est une
Listoire de journaux. L'une de mes autorités est un des médeeins les plus habiles
et les plus instruits de Londres. [I ne croit pas à l'exactitude des faits râpportés.
J'ai l'honneur, etc.
C. DROUET,
La presse, d'une certaine couleur, avait donc été dupe d’une honteuse et cou-
pable mystification; nous comptons trop sur son hostilité pour espérer que, par
FORMATION DES NUAGES. 155
une rectification sincère, elle ait la force de rendre hommage à la vérité. Quoi
qu'il en soit, cette espèce de folie du camphre appartient au même genre que la
folie piedagnel, que nous avons décrite en 1847 dans la Revue élémentaire de
médecine et pharmacie, pag. 19 et 79; elle se nommera folie pieux-mensonge.
CHAPITRE IL. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L'AGRICULTURE. (Suite.)
(Voy. pag. 112, livr, de novembre 1854.)
$ 5, FORMATION DES NUAGES.
54, Le brouillard (15) qui s'élève dans les airs ou que l’on aperçoit de loin est
un nuage; le nuage qui rase la terre ou dans lequel on est plongé est un brouil-
lard.
55. Rien ne représente mieux un nuage que la fumée de bois qui sort d’une
cheminée, et la vapeur d’eau qui se dégage de la cheminée d’une locomotive ;
cette circonstance aussi futile, en apparence, de ce dégagement de vapeurs d’eau
d'une chaudière en mouvement, est pour moi, toutes les fois que j'en suis té-
moin, une source inépuisable d’analogies météorologiques, et me met sur la voie
de la solution de bien des problèmes.
36. Remarquez d'abord, en ce qui concerne la fumée des cheminées, deux
périodes fort distinctes, selon que la combustion a lieu aux dépens du bois plus
ou moins vert ou aux dépens seulement du bois devenu charbon. Dans le pre-
mier €as, la cheminée dégage un nuage qui monte en tourbillons blanes, s'ils
réfléchissent la lunrière, gris plus ou moins noirâtres selon leur volume, s'ils
s’interposent entre le soleil et notre vue; cette fumée se compose en plus grande
partie de vapeurs d’eau que le feu dégage du bois vert. Dès que la carbonisatiou
succède à la combustion du bois, la fumée ne se distingue plus qu'à la seintilla-
tion qu'elle imprime à la lumière (*); le dégagement est gazeux (acide et oxyde
de carbone) au lieu d’être vaporeux,
57. Mais tant qu'il est vaporeux, rien ne le distingue du brouillard, quand cette
fumée rabat et rase la terre, ou du nuage, quand elle monte dans les airs, rien
si ce n'est son origine : même nature et même aspect, En certains jours ici, et
à certaines heures, la vallée est couverte d’un épais brouillard, qui n’est autre
que de la fumée qui séjourne dans les régions inférieures de l'atmosphère et n’est
pas assez légère pour lutter contre la pesanteur de l'air; cela se voit surtout aux
heures où le ‘paysan fait la dépense d’un peu de fagots pour la bouillie des va-
ches, de 5 à 6 heures du matin et du soir, avant de partir ou en revenant des
champs ; dans les tableaux de Paul Potter, vous trouvez toujours une cheminée
qui fume; c'est le moment de ce retour des champs, qui inspirsit le mieux le
pinceau mélancolique de ce grand peintre des génisses flamandes
Et jam summa procul villarum culmina fumant ;
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ (**).
(Vinc., Egl. I.)
(*) Nous publierons plus tard Ja solution du problème de la scintillation des étoiles, qui a antar!
embarrassé les savants que celui du diamètre apparent des astres à l'horizon.
(**) Voyez déjà dans le lointain la fumée s'élever des toits du village, et l'ombre des montagnes
s'allouger de plus en plus dans la plaine,
156 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Quoi qu'il en soit, pour qui ne serait pas averti, cette fumée de vapeurs qui
couvre la vallée et y séjourne souvent toute la nuit, cette fumée aurait tous
les caractères du plus beau brouillard vu de loin, c’est-à-dire du plus blanc
nuage.
58. Quant à la vapeur d’eau qui se dégage ou qui dégorge violemment des
locomotives, le météorologue ne saurait trouver un meilleur objet de comparai-
son, pour l'étude de la formation des nuages. Tous les phénomènes que nous
contemplons dans l’espace se représentent exactement alors à quelques pas de
nous : influence de l’air qui repousse ou qui chasse les tourbillons et les spirales
de vapeurs; influence de la lumière qui les blanchit ou les colore selon qu’elle
les frappe ou les traverse ; influence de la température et de la pesanteur de l'air,
qui les élève en colonnes ou les rabat en nappes, qui les transforme en nuages
ascendants ou en brouillards et puis en pluie; influence des bois voisins qui sem-
Llent exercer sur euxune attraction particulière etles aspirer par la force de leurs
courants d'air. Dans ces bulles de savon qui amusent les passants, la météorologue
peut puiser l'explication des plus grands phénomènes; la nature n'est puérile en
rien; l'inattention seule est frivole. e
39. Il est évident, par ce que nous avons dit ci-dessus (2), que chacune de ces
vésicules de vapeur peut servir d’aérostat à une ou plusieurs molécules des sub-
stances solides qui se détachent des corps combustibles, pendant la durée de
l'ignition : molécules de charbon d’abord enflammé et s’éteignant dans les airs,
de sels potassiques, calcaires, métalliques et surtout volatils, qui rentrent dans
l’organisation du bois et dans sa réduction en cendres ; et ce qui le démontre
mieux que toutes les inductions logiques, c’est ce dont chacun de nous est chaque
jour témoin, dans un appartement rempli de fumée; en effet, quelque calme qui
ait régné dans l’air extérieur et intérieur, tous les meubles en quelques instants se
trouvent couverts d’une couche de cendres mêlées à du pulvérin de charbon, Je
ne rappellerai pas ici les torrents de cendres que l’éruption des volcans fait pleu-
voir autour du cratère et à de grandes distances, ce dont Pompeïa est un des plus
terribles monuments; je ne me sers pas de cet exemple, parce qu’on peut en
attribuer les effets à la puissance de l'explosion qui lance en l’air des quartiers
de roche et à plus forte raison des brouillards de pulvérin. Mais je m'’arrête à
l'exemple d’une fumée qui se dégage par calme d’une ignition alimentée par l'air
en repos, et cela suffit pour confirmer l'induction théorique et prouver que la
vapeur d’eau ou de toute autre substance volatile est en état de porter dans les
airs, à des hauteurs prodigieuses, un peu de toutes les substances qui rentrent
dans la composition organique ou inorganique du combustible,
40. Ce qui se passe dans l’intérieur de nos appartements peut done également
se passer dans les régions de l'atmosphère; et la vapeur d’eau, qui s’y élève en
nuages, peut s’y dépouiller, et des corps solides auxquels elle servait d'aérostat,
et des substances volatiles que l’air peut dissoudre, comme il dissout les molécules
d’eau. L'air que nous respirons n’est donc pas si pur que le prétendait la chimie
classique, avant Ja publication du Nouveau système de chimie organique; et il
est évident que, si l'analyse n’y trouvait rien de tout ce qui se dégage de l’évapo-
ration dés fleuves, étangs, marais, lacs et mer, de la fumée des diverses fabri-
ques, de la respiration des plantes et des animaux, etc., c’est que l'analyse n'avait
pas combiné ses moyens d'investigation d’après les inductions logiques.
Depuis nos observations , la chimie a reconnu combien son analyse de l'air
était incomplète; mais, comme elle ne se défait pas aussi vite de ses prétentions
F2
RÉFORME DE L'ANALYSE DE L'AIR. 157
exclusives que de ses opinions erronées, la voilà encore qui nous donne comme
invariables les résultats qu'elle vient d'obtenir, et comme applicables à tous les
lieux les nombres qu'elle a trouvés dans le rayon très-borné d'une atmosphére
locale. Fiez-vous à elle, et ne vous donnez pas la peine de vérifier son travail
dans le voisinage; elle vous assure que vous ne trouverez rien de plus et rien de
moins qu'elle, Comme siles courants d’air, qui varient, à chaque heure, de direc-
tion et d'intensité, n'étaient pas en état de balayer les impuretés de l'atmosphère,
et d'y en ajouter de nouvelles quantités et d’une nouvelle nature; comme si la
fumée et les vapeurs qui se dégagent de nos manufactures ou de nos grands amas
d'eau n'étaient pas en état de séjourner dans les régions basses de l'atmosphère ou
de monter plus ou moins haut, selon l'élévation ou l’abaissement de la colonne
barométrique, et selon la dilatation par la chaleur ou la concentration par le
froid des vapeurs répandues dans l'air; comme si, enfin, le dégorgement des cent
bouches de ce vaste laboratoire des villes et des champs fonctionnait par égalité
de poids et de volume, en toute saison, à toute époque de chaque saison, à cha-
que jour du mois et à toute heure de la journée. Laissons là cette prétention, qui
ressemble beaucoup à celle d'un riche manufacturier des environs de Paris, à qui
un maraicher, son voisin, demandait une indemnité convenable. Ce pauvre
maraicher avait acheté un champ qui lui paraissait propre au jardinage, à cause
du peu de profondeur du puits et du voisinage des étangs; ce champ était con-
tigu au mur d'enceinte d'une fabrique de phosphore et autres produits chimi-
ques. Or, malgré les labeurs du pauvre diable, rien ne venait à point, ni fleurs,
ni légumes; tout se tachait et se flétrissait, et rien n'était présentable. Le
paysan s'aperçut enfin que son grand ennemi ce n'était pas l’ingratitude du sol,
mais l’impuretédel'atmosphère, et que l'industrie était mortelle à sa voisine l’hor-
ticulture; il avisa même que les peupliers de la route périssaient un à un, mais
qu'au moindre symptôme de marasme, l'industriel les achetait pour les faire
disparaitre. Oh! alors, il demande ou bien que l'industriel Jui reprenne son
champ ou qu'il cesse une industrie aussi funeste au voisinage; de là, procès.
La chimie officielle prit parti pour l'industriel ; aux yeux de l’analyse, rien n'était
plus pur que le fond de cet air incriminé. Je fus ehargé de dire mon avis, et,
après enquête suflisante, je pris parti pour le maraïcher; or il fallait qu'il eût
bien raison de se plaindre, car il gagna son procès.
41. Oui, l'air est dépositaire de tout ce que dégorgent les chaudières naturelles
ou industrielles; et l’agriculture n’est pas toujours compatible avec certaines in-
dustries d’un pays. Il viendra un temps où l’on confinera toutes les industries
de même sorte dans une même localité et loin des grands centres de production
agricole, au lieu de les éparpiller ainsi et de les enchevêtrer de distance en dis-
tance, selon les hasards de la localité et les convenances individuelles.
Il arrivera un temps, en outre, où l’on obligera l'industrie à perfectionner telle-
ment ses procédés d'évaporation et de combustion, que rien ne s’en dégage que ce
qui ne peut pas nuire, et que la fumée se réduise à son état élémentaire d’eau et
de gaz, que la végétation puisse absorber à son profit et dont la respiration ani-
male n’ait rien à craindre. Cela est possible, donc cela sera.
42. Ainsi, de même que les vapeurs élevées peuvent retomber en rosée sur le
sol, à mesure que la soustraction du calorique, qui forme leur sphère enveloppée,
vient à diminuer leur volume; de même, à mesure que le volume augmente par
de nouvelles acquisitions de calorique, elles peuvent s'élever de plus en plus et
indéfiniment dans l’espace.
458 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
45. Mais, nous dira-t-on, eomment ces vésicules seraient-elles capables d’aug«
menter ainsi de volume, par l'acquisition d’un surcroit de calorique, en s’éle-
vant dans les couches successives de l'atmosphère, dont la température décroit
proportionnellement à la hauteur, de telle sorte qu'à la plus grande hauteur
qu'aient pu atteindre les aéronautes, le thermomètre est descendu à —30° en
certains cas ?
Cette difficulté est fondée sur une simple généralisation de quelques observa-
tions particulières.
11 ne faut pas montersi haut pour remarquer des températures si froides, puisqu’à
fleur de terre et en certains pays habitables le mercure est descendu bien plus
bas: or, dans ces mêmes pays, au bout de quelques mois et souvent de quelques
heures, le thermomètre remonte à la température du printemps, et en été on y
éprouve une chaleur beaucoup plus forte que dans nos pays tempérés.
Pourquoi ces variations, dues aux saisons ou aux causes accidentelles, n’arrive-
raient-elles pas dans l'atmosphère comme à la surface du sol? Pourquoi les jeux
de la réflexion et de la réfraction ne produiraient-ils pas dans les airs les mêmes
phénomènes que sur la terre ? et de quel droit donnerions-nous à l'élévation dans
les airs une constance dans là progression, que nous n'’oserions pas attribuer à
l'élévation de nos montagnes, sur le sommet desquelles il fait quelquefois beau-
coup plus chaud qu'à la base.
44. Non, la progression du froid n’est pas constante, mais très-variable, à me-
sure que l’on s'élève dans l'atmosphère; et, par suite d’une foule de circonstances,
elle peut varier du tout au tout.
Mais en admettant un instant que la progression marche avec une raison con-
stante, il n’en est pas moins vrai que, dans la belle saison, la température au-des-
sous de zéro ne commence à se faire sentir qu'à des hauteurs considérables et
souvent supérieures au sommet des plus hautes montagnes de la localité; pour
le moment présent, cette concession suffit aux démonstrations qui vont suivre.
43. Qu'arrivera-t-il au brouillard s’élevant dans les airs en tourbillons nua-
geux, dès qu'il aura atteint une couche d'air à la température de la glace ? néces-
atterieht ce qui arrive à la surface du sol quandil gèle, par un brouillard si léger
et si peu visible qu'il soit : la surface du sol, celle des branches d'arbres, des
plantes et des perches plantées dans la terre se couvre peu à peu de givre, dont
j'ai pu étudier bien des fois la formation, et spécialement le 3 décembre 1853
dans mon jardinet à Doullens. L'air était plutôt brumeux que brouillardé : les
ramuseules de givre s’allongeaient de plus en plus, par l'addition successive de
petits cristaux de glace qui semblaient s'ajouter, en glissant contre leurs parois, aux
cristaux déjà formés. Ces petits cristaux sont des prismes hexagonaux terminés
par des pyramides à peine saillantes, qui s’accolent chacun sur un côté du der-
nier formé et le dépassent environ de la moitié de leur longueur; on dirait alors
des petites aiguilles qui ont glissé les unes contre les autres. Ces ramuscules de
cristaux ajoutés côte à côte s’allongent, par un tel mécanisme, d'une manière tel-
lement indéfinie, et ils finissent souvent par parcourir une telle longueur, que
Les plus fortes branches des ärbresfléchissent et cassent même sous le poids ; acci
dents qui ont été souvent le fléau des pommiers dans la Normandie. Je le répète,
on peut voir cés cristaux se former et s'ajouter sous ses yeux, si l’on prend la
précaution de mettre le phénomène à l'abri de la chaleur de l'haleine, cv un
écran interposé.
46 Pour que le givre se forme ainsi en festons pendants des arbres ou en ro-
DIVERSES CATÉGORIES DE NUAGES. 159
sée blanche (27) sur le sol, il suffit que l'hygromètre soit à 100°, les sphères de
vapeurs fussent-elles assez volumineuses et assez légères pour ne pas ternir la
transparence de l'air.
47. Or, les lois de la nature étant sans exception; ce qui se passe ainsi sous nos
yeux doit se reproduire à de plus grandes hauteurs, dès que les conditions se-
ront les mêmes, et se reproduire avec d'autant plus de rapidité, d’instantanéité
enfin, que le refroidissement surviendra plus vite.
47. Or, rien n’est plus fréquent qu'un pareil phénomène, quand on prend soin
d'observer régulièrement l’état du ciel, c’est-à-dire de l’atmosphère. Par le ciel le
plus pur, alors que l'atmosphère offre la plus belle transparence, tout à coup i
apparait des stries qui s’allongent, épaississent, se ramifient dans tous les sens,
et finissent par offrir une vaste toile d’araignée qui s’attacherait aux quatre coins
de l'horizon; c’est alors une fabrication naturelle de givre sur un espace immense
des régions de l'air. Ces nuages ainsi improvisés par la transformation du brouil-
lard en givre, nous les nommerons nuages givreux ou aranéeux.
48. Ces rameaux ne sont pas toujours en stries décurrentes les unes sur les
autres; les bouffées de refroidissement qui président à la formation de ces bouf-
fées de givre ne marchent rien moins qu'en lignes droites dans toutes les occa-
sions ; la ligne courbe est plus naturelle à leur mouvement ; elles n'en dévient que
par la violence avec laquelle se produit la soustraction du calorique. Aussi, dans
le plus grand nombre de cas, ces longues stries ne tardent pas à s'enrichir comme
de barbes de plumes, par la flexion de leurs rameaux latéraux, de manière à imi-
ter la penne du plus beau panache, et d’un panache qui s'étendrait du nord au
sud ; jenommerai ces sortes de nuages empennés ou panachés, selon que les barbes
en sont roides ou fléchies.
49. Lorsque les courants du refroidissement partent en divergeant d'un même
point de l'horizon, on voit se former tout autant de pennes ou nuages empennés,
qui semblent s'insérer sur le même point, et former une digitation grandiose et
souvent d’une admirable régularité; je nomme ces nuages digités ou palmés selon
que le talon ou point d'insertion est étroit ou largement développé.
30. Le jeu bizarre en apparence de ces apparitions givreuses ne s'arrête pas
là. Avez-vous quelquefois fixé vos regards sur ces arborisations que l'hiver in-
cruste contre la vitre qui laisse échapper le calorique de l'appartement et retient
au passage la molécule d'eau cristallisée ?
Eh bien, ce phénomène se représente en hiver assez souvent, à quelques mille
mètres au-dessus de nos têtes. Jamais je n'ai vu ce phénomène se reproduire
avec plus de régularité de formes, et sur une aussi grande étendue du ciel, que
le 14 janvier 4850, à 1 h. 95! après midi, par une température de — 4° cent. et
sous la pression barométrique de 748 ""%, environ. Toute la voûte du ciel était
guillochée d’arhorisations de même forme et de même grandeur, ayant toutes la
découpure des pétales latéraux de la fleur de lis des armoiries, ou de ces plumes
du corps d'oiseaux recroquevillées en coquilles, enfin en larges virgules. On au-
rait dit que ce travail de la nature avait été jeté au moule ou tracé à coups de
compas ; et cette voûte arborisée resta fort longtemps suspendue sur nos têtes,
obéissant à un mouvement à peine sensible, et semblant immobile comme un
plafond de cristal, Ces sortes de nuages cristallisés, nous les nommerons ds
nuages arborisés ; il peuvent l'être en feuilles de fougères, en flocons, en virgul 5,
en larmes bataviques aplaties.
(La suite au prochain numéro.)
160 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
CHAPITRE II. — MUSIQUE INSTRUMENTALE.
MOYEN DE DONNER UNE BELLE SONORITÉ AUX INSTRUMENTS A
CORDES.
A l’époque où je m’occupais de la théorie de l'audition, question qui tient à la
fois à l'anatomie et à la musique, mon attention fut plus d’une fois arrêtée sur
les imperfections inhérentes à la construction des instruments à cordes, dont la
forme s’est à peine modifiée depuis trois cents ans, tandis que l’art d’en jouer est
parvenu à une perfection si désespérante pour les simples amateurs.
Savart a échoué dans sa tentative de modifier la forme arabesque du violon ;
ce n’est pas ici la place de développer le motif de cet insuccès. La modification
nouvelle que nous allons proposer n’a, au reste, aucun rapport théorique ou pra-
tique avec celle que proposait Savart; elle est fondée sur un tout autre principe ;
je vais donc immédiatement développer ce principe.
Tout violoniste sait que, des quatre cordes du violon, chacune possède un timbre
différent, et si différent que, lorsqu'on est assez peu habile pour ne savoir
jouer un air qu’à la première position, ce qui nécessite pour le même air l'emploi
alternatif des quatre cordes, on produit sur les auditeurs uneffet aussi désagréable
que si l’on donnait la même romance à chanter, par fractions et une mesure
à Jun et une mesure à l’autre, à quatre chanteurs d’un timbre et d’un registre
différents, basse, baryton, ténor et soprano. La romance chantée ainsi, par frag-
ments de registres, ne serait que la parodie la plus grotesque de la mélodie.
En voici la raison : Toute phrase musicale est l'expression d’un sentiment, qui
ne saurait être scindé; ce serait, en effet, le comble de l'absurde qu’un sentiment
püt être éprouvé par partie et fraction; en fait d'impression et de sentiment, tout
ce qui s’écarte de l’unité est ridicule, et si ridicule qu'on n'aurait pas la force
d’en rire.
Que la même phrase ainsi morcelée par différents timbres vienne à être exé-
cutée, au contraire, selon les règles de l'art, par une seule voix ou sur une seule
corde de violon, elle prendra dès lors un caractère de vérité qui fixera l’atten-
tion et parlera au cœur; le sentiment chanté conservera alors son unité d’ex-
pression et de langage, dans la variété de ses notes et de son accent.
La variété des notes émane de la différence dans le nombre des-vibrations ;
la forme des vibrations, si je puis m’exprimer ainsi, constitue le timbre et la dii-
férence des phonations.
Dans la construction des instruments à cordes (violon, alto, basse, etc.), les
cordes sont isolées les unes des autres, et leurs vibrations diffèrent en nombre
et en forme, à cause soit de la différence de leur substance, soit de celle de leur
calibre et de leur tension.
Il y a plus : c'est qu'après avoir tout fait pour communiquer à la caisse la so-
norité la plus complète, on semble avoir pris à tâche d'amortir le timbre par la
manière dont on a attaché les cordes. Il est évident que ce lourd morceau de
bois (le tirant), à l'un des bords duquel s’attachent les quatre cordes, sur une
ligne parallèle au chevalet, que ce tirant, dis-je, fait là l'office d’une sourdine en
bois. Le sillet, sur chacune des quatre encoches duquel glisse une des quatre
cordes, pour aller s'attacher, en s’enroulant, aux chevilles au moyen desquelles
on leur donne la tension voulue, le sillet est un tirant encore plus étoulfant, et
MOYEN D'AUGMENTER LA SONORITÉ DES CORDES. 161
qui imprime au son quelque chose de nasillard ou plutôt de raclant, qui fait que
les bons exécutants évitent d'attaquer les cordes à vide.
Un monocorde d'une longueur égale à la somme des quatre cordes obvierait à
ce défaut sans doute (‘); mais le bras de l’homme ne saurait parcourir un man-
che de cette longueur, pour suffire aux quatre octaves et demie que fournissent
les quatre cordes.
De là, la nécessité d'employer quatre cordes au lieu d’une seule, laquelle ap-
procherait le plus alors, dans tous ses registres, du timbre de la voix humaine,
cet instrument naturel dont les instruments de musique les plus parfaits ne sont
que de bien pâles échos.
L'idée me vint un jour de remplacer l'unité de longueur du monocorde par
l'unité de contact, si je puis m’exprimer ainsi, des quatre cordes à leur deux
points extrêmes d'insertion ; et l'exécution confirma de tous points ces prévisions
théoriques.
Ce qui peut-être n'avait pas peu contribué à me faire naître cette idée, c’est
que, pour faire résonner la corde d’un instrument, on n’a qu’à faire vibrer la corde
homogène et montée au même diapason sur un autre instrument de ce genre ;
et quand sur le même instrument à archet on attaque sur une corde la note du
quatrième doigt, on fait résonner à vide la corde suivante; car on sait que les
instruments à archet, tels que le violon et la basse, sont montés par quintes. De
plus, quand on fait résonner à vide le so, il est facile, avec un peu d'attention,
d'entendre résonner en même temps sa quinte le ré sur la corde suivante, puis
le la quand on racle le ré, et le si quand on racle le /a. Il y a, pour ainsi dire,
une telle sympathie entre la tonique et la dominante de l'accord parfait, qu'on
ne saurait jamais entendre l’une sans l’autre. Est-ce la pratique ou la théorie qui
a indiqué l'utilité de monter le violon et la basse par quintes, pour obtenir cette
sonorité qui les distingue entre tous les instruments de musique? Je l’ignore.
Mais ces vibrations, me disais-je, qui sympathisent ainsi à distance, s’harmoni-
seraient bien mieux encore par un contact intime et immédiat.
Cela dit, je remplaçai le tirant en bois de mon violon par une corde à boyau
assez forte (un ré de basse, par exemple), dont je nouaiï les deux bouts, en lui
laissant la longueur du tirant en bois; je l'attachai d’un côté au bouton des
éclisses, et j'attachai à l’autre bout les quatre cordes par tout autant de nœuds
coulants, de manière qu'en montant le violon, ces quatre cordes se serraient
l’une contre l’autre par leurs extrémités respectives. Dès ce moment, la sono-
rité de mon détestable violon devint si pure et si agréable à l'oreille qu’elle me
parut égaler celle des violons de prix. Auparavant, son ré était si sourd, si criard,
si racleur, si mat, que j'osais à peine y démancher à la troisième position, et
j'esquivais la difficulté en passant vite sur la note, par quelque fioriture de rem-
plissage qui dissimulait le défaut du son.
Or, avec cette simple et première modification, cette corde ré prit une harmonie
d'une suavité qui me charmait l'oreille, et me permettait d'aborder les positions
élevées sans crainte des couics qui auparavant me faisaient d'avance frissonner,
et me causaient des distractions pénibles, quoique je ne jouasse que pour moi,
et loin de tout témoin difliciie.
Car n'allez pas me croire un musicien ; après le physicien, je n'étais plus qu'un
mélomane prisonnier, c'est-à-dire fort maladroit. Or, mon pavillon étant éloigné
(‘) La vielle harmonisée qui n'a qu'une seule corde le démontre suflisamment.
162 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
de tous les autres, j'étais sûr, dès que la nuit amenait la fermeture, de ne faire
subir à personne l'ennui de mes fausses notes. Je n'avais dès lors d'autres audi-
teurs que mes cerbères, dont les oreilles avaient une tout autre destination, et
ne s'offensaient pas pour si peu; mon bonheur de chaque soir n’a jamais fait ainsi
la moindre victime. Passez-moi cette petite manie; ne la croyez pas, je vous prie,
prétentieuse; elle n'était qu'intime et secrète. La liberté et le deuil m'en ont, du
reste, suffisamment guéri depuis deux ans.
Cette première amélioration obtenue, il me sembla que je pourrais la seconder
encore, en rassemblant les cordes en contact derrière le sillet, comme je l'avais
fait derrière le chevalet. Je fis passer dans ce but les quatre cordes par un petit
anneau métallique qui les forçait à rester toutes les quatre en contact; cette mo-
dification ajouta encore à la puissance de l’autre.
Si l’on venait à adopter cette seconde modification, je pense qu'on s’occuperait
de réformer complétement la ercsse où s'engagent les cordes pour s’enrouler au-
tour des chevilles, qu’on la remplacerait par la forme du manche des guitares,
et qu’on adapterait à chaque clef un appareil à vis sans fin, ce qui donnerait la
facilité d'accorder le violon, dans l'intervalle d’une à deux mesures, et sans
s’estropier les doigts, comme on le fait aujourd'hui.
L’arrangement de la corde-tirant, dont j'ai parlé plus haut, présente une diffi-
eulté, en ce que, lorsqu'une corde casse, on est souvent obligé de détendre les
trois autres.
On obvierait à cet inconvénient, en faisant passer les cordes par le petit appa-
reil suivant, qui s’attacherait à la corde-tirant simple ou double, par un anneau
métallique :
Soit un parallélipipède en ébène, buis, os ou ivoire, percé par derrière de qua-
tre trous calibrés sur chaque corde, et venant tous les quatre converger vers
une ouverture antérieure d'où les quatre cordes se rendraient au chevalet. Un
nœud retiendrait chacune d'elles à son trou spécial; et l'ouverture unique, par
où elles seraient forcéestoutes les quatre de sortir, les obligerait dese presser l’une
sur l’autre; si ensuite l’une d'elles venait à casser, on en retirerait le nœud avec
la pince, et on pourrait aisément en faire converger une nouvelle vers l’ouver-
ture antérieure. Cet appareil pourrait prendre le nom de noix convergente.
Derrière le sillet, on ferait converger de nouveau les quatre cordes, au moyen
d’une ouverture pratiquée dans le milieu d'un deuxième si/let.
Pour la basse et la contrebasse, on serait peut-être obligé de faire fabriquer
des cordes-tirants d’un calibre plus fort que les plus fortes cordes actuelles, soi,
en boyau, soit en fil métallique.
Je soumets ces innovations aux essais des hommes compétents et des artistes
habiles ; je me tromperais fort dans mes inductions théoriques, s’il arrivait que
le résultat que j'ai constamment obtenu ne fût qu’un cas particulier applicable
à un mauvais instrument, ou que l'effet de perceptions spéciales d’une ouïe ex-
ceptionnelle et prévenue.
Si cette amélioration soutient, comme je le pense, l'épreuve de l'expérience,
on pourrait l'appliquer avec un égal succès à la guitare et à la mandoline, ce qui
corrigerait la sécheresse et le grattement des sons.
Mais un résultat d’une plus haute importance, ce serait de donner de la tenue
aux notes élevées du clavier de piano, à qui les forte et les piano sont inappl:-
cables, et dont le son passe aussi vite que le coup de marteau.
Je suis presque convaincu qu'on atteindrait ce but, en faisant communiquer
CULTURE DE LA GARANCE A BOITSFORT, 163
chacune de ces cordes avec l’une de leurs octaves ou de leurs quintes inférieures,
au moyen d’une corde enroulée autour des clefs de l’une et de l'autre note et ten-
due suffisamment.
Autre moyen à essayer et qui résoudrait peut-être plus vite le problème : Soit
par exemple l'ut de la dernière demi-octave que l'on voudra harmoniser par
communication, au moyen des consonnances des ut ou sol des octaves inférieures,
Qu'on tende à l'unisson, soit de l’ut soit du sol, une corde, au moyen de deux
clefs placées côte à côte, l’une de la clef de la note haute et l’autre de la clef de
la note basse. Quand cette corde pincée vibre à l'unisson, qu'on rapproche inti-
mement les clefs contiguës au moyen d’une vis de pression, et je suis porté à
croire que ce simple moyen donnerait de la durée au son de la note supérieure.
Ce moyen, je ne l'ai pas expérimenté, je le déduis de mes expériences sur les
instruments à archet ; mais je suis porté à croire que si, à lui seul, il ne suflit pas
pour résoudre complétement le problème, il mettra du moins sur la voie pour
en trouver un meilleur.
RÉSUMÉ.
Voulez-vous rendre plus harmonieux et plus homogènes les sons des instru-
ments à cordes et à archet? faites que les cordes se pressent entre elles avant
d'arriver au chevalet, et après avoir quitté le sillet.
J'en dirai autant pour les instruments à cordes que l’on pince.
Voulez-vous harmoniser les sons des cordes supérieures du piano? faites com-
muniquer leurs clefs avec celles des octaves ou des quintes inférieures, au moyen
d’une troisième corde à l'unisson de la tonique ou de la dominante.
Plus tard, je reviendrai sur la théorie des vibrations sonores.
CHAPITRE IV. — AGRICULTURE,
ESSAI DE CULTURE DE LA GARANCE A BOITSFORT.
La garance (Rubia tinctorum, L.), rubiacée tinctoriale, dont les racines don-
nent la couleur rouge écarlate connue de temps immémorial sous le nom de rouge
d'Andrinople, était anciennement tirée de Smyrne où on la cultivait en grand.
Cependant, dès le commencement du 18° siècle, sa culture s'étant répandue
dans les Flandres et la Hollande, les environs de Lille en Flandre en fournissaieni
des quantités considérables au commerce, qui cependant en importait beaucoup
encore de Smyrne par la voie de Marseille.
Les succès que cette culture obtenait dans le nord de la France engagèrent, en
1756, le ministre, à accorder des priviléges assez étendus à tous ceux qui entre-
prendraient de cultiver cette racine. Duhamel-Dumonceau fut chargé de recueil-
lir les procédés de culture, de récolte, de séchage, de broyage de cette racine, et
de rédiger à cet égard une instruction sommaire qu'il publia en 1757, et qu'il
augmenta considérablement dans une nouvelle édition, qui parut huit ans plus
tard en 1765 (*).
Ce ne fut que treize ans plus tard, en 1778, qu’un Persan, nommé Althen, en-
treprit de cultiver la garance en Provence, ou plutôt dans le comtat venaissin,
dans des paluds ou terrains marécageux entre le village de Monteux et Avignon
(:) Traité de la garance et de sa culture, avec la description des étuyes pour dessécher cette plante,
et des moulins pour la pulvériser, 2e édit., 1766.
164 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Il était très au fait du mode de culture usité aux environs de Smyrne, et la
graine dont il se servit venait de ce pays. Son exemple, qui fut couronné d’un
incontestable suceès, ne tarda pas à être suivi par les paysans; ils se mirent à
louer ces terres incultes, à les dessécher par des saignées appropriées ; et en trois
ans, tous les locataires de ce sol eurent de quoi en devenir les’ propriétaires; ces
marais abandonnés jadis forment aujourd'hui les plus belles terres du pays;
riches d’un humus séculaire, meubles à de grandes profondeurs, elles n'avaient
de trop que la stagnation des eaux pour pouvoir produire pour ainsi dire sans
fumure., La richesse des familles des environs n’a pas d'autre origine. Car l'élève
des vers à soie ne convient qu'aux grandes habitations, et le petit paysan aurait
manqué d'espace pour prendre part à ce bénéfice.
L'Alsace ne se mit à cultiver la garance que beaucoup plus tard.
Aujourd'hui cette culture paraît être entièrement abandonnée dans la Hol-
lande, la Belgique, et dans le nord de la France; sans doute parce que le Midi,
avec son soleil brûlant et sa main-d'œuvre moins chère, faisait au Nord une trop
forte concurrence dans cette production tinctoriale. Peut-être aussi que le man-
que toujours croissant de grandes manufactures d’étoffes, et par conséquent de
teintureries, a fini par priver ce genre d'exploitation agricole de débouchés à
courte distance, et par le surcharger de frais de transport capables d'en absorber
le bénéfice net.
Cependant, à une époque où la pomme de terre, ce froment du paysan de ce
pays-ci, trompe si grandement les espérances, même alors que la maladie a cessé
d'atteindre le tubercule, vu que la tige nourricière est frappée si souvent par
l'électricité des nuages avant même d’avoir fleuri, j'avais pensé qu'il serait peut-
être plus profitable de remplacer la culture d’un comestible insuffisant par celle
d’une substance industrielle non encore frappée de dégénérescence, et capable de
donner abondamment un moyen d'échange contre les denrées alimentaires ve-
nues d’ailleurs.
J'ai donc, cette année, entrepris un essai de culture de cette plante tinctoriale
sur une petite échelle, dans mon potager de Boitsfort, et dans la portion la plus
sablonneuse et partant la plus pauvre de ce coin du pays.
Cette terre argilo-sablonneuse à de grandes profondeurs, car les collines en
sont formées de la base au sommet, retient peu le fumier, dont la partie liquide
y passe comme à travers un filtre; aussi est-on obligé d'arroser de purin assez
souvent les plantes potagères. De là vient que l’eau n’est pas potable sur les hau-
teurs, et que l’eau de source même retient un peu de tout ce que le fumier com-
porte; et Dieu me garde de boire l’eau des puits qui sont creusés au bas des ci-
metières, qui du reste ici sont assez mal entretenus et ont plus l'air d’un charnier
que d’une villa des morts.
Lorsque le terrain est en pente, il ne tarde pas à devenir entièrement sablon-
neux; car la pluie le dépouille beaucoup plus de ses particules argileuses que des
particules sablonneuses, à cause de la plus grande légèreté des premières et de
leur plus grande solubilité. Qu'un orage violent survienne, et chaque torrent de
pluie y creuse des ravins d’une profondeur quelquefois surprenante; la vallée
s'enrichit alors de la partie la plus substantielle de la colline; les terres inférieu-
res s’engraissent aux dépens des hauteurs, si toutefois toutes ces richesses ne vont
pas se gaspiller sur la route et sous les pieds des passants.
Nous avons eu un exemple assez frappant d’un événement de ce genre, ce
printemps, après les dernières plantations de pommes de terre. Un ouragaa
CULTURE DE LA GARANCE. 165
étant survenu, il se trouva, sur la route de Waterloo, que toutes les pommes de
terre plantées sur le versant d’une colline descendirent en avalanche et se confon-
dirent en un seul tas, au bas de la côte, au grand embarras des cultivateurs,
obligés de tomber d'accord entre eux sur la quantité de ces épaves qui devait
revenir à chacun d'eux ; de là, querelles qui auraient menacé de devenir sérieuses,
sans un bon philanthrope qui passait par là, et qui les mit tous d'accord, en leur
proposant de se réunir tous ensemble pour planter le champ de chacun indis-
tinctement avec la quantité de tubercules qu’ils pourraient extraire du chemin,
se chargeant, lui, de combler le déficit avec sa propre bourse. De pareils actes
d'humanité valent bien mieux que l’aumône.
C’est dans un terrain analogue, appauvri d'humus, maigre d'argile et renfer-
mant à peine des traces de 2e que j'ai entrepris mon essai; je n'avais fumé
le sol qu'avec le produit liquide des lieux d’aisance.
Ce sol est en pente en regard du nord, et ombragé, en certaines saisons, par
une assez haute berge boisée qui est située à 14 mètres au sud environ.
Les graines ont été achetées à Paris; il me semble qu'il y en avait beaucoup
d’avariées ou de naturellement stériles.
L’essai a été fait sur une planche de 14 mètres 60 de long et 4 mètre 40 de
large; ce qui forme 20 centiares 44. La longueur de la planche croise la ligne
de pente et se dirige d'est à ouest.
Le G avril 1854, j'ai planté au plantoir, sur sept lignes parallèles distantes de
20 centimètres environ, trois ou quatre et même cinq graines dans chaque trou,
les trous à distance de dix centimètres les uns des autres. Le poids des graines
consacrées à cet ensemencement s’est élevé à 80 grammes.
Le temps resta sec pendant plusieurs jours, et la levée des graines se fit bien
attendre; le th. montait dans la journée à 10 ou 12°, et le bar. ne s’éloignait pas
beaucoup de 765 mn,
La fane, très-maigre jusqu'au commencement de l'été, prit un essor vigoureux
dès que j'eus fait arroser avec le purin des lieux d’aisance; au milieu de septem-
bre, elle était aussi belle que les plus belles du Midi, quoique la grande séche-
resse d'avril eût fait manquer quelques trous vers l’un des bouts de Ja plate-
bande. Les tiges ont fleuri dès le mois de juillet; mais bien des fleurs ont coulé,
et les bonnes graines sont rares, et non doubles comme ordinairement; une des
deux aavorté dans chaque fleur fertile. Aujourd’hui 27 octobre, ces graines sont
toutes vertes, et par conséquent non encore müres, ce qui indiquerait qu'au
moins la première année il ne faudrait pas compter sur la récolte des graines, et
que peut-être serait-on obligé, en tout état de cause, de faire venir la graine du
Midi. Quoi qu'il en soit, craignant les gelées hâtives des premiers jours de novem-
bre, j'ai recouvert les fanes de six pouces de terre prise des deux côtés, comme
on le pratique dans le midi de la France, où, dans ma jeunesse, j'ai beaucoup cul-
tivé cette rubiacée.
En effet, afin de pouvoir recouvrir, à chaque automne, les fanes qui doivent
donner une nouvelle couche de racines, on a soin de semer par planches paral-
lèles, mais séparées par une bande vide, qui fournit la terre destinée à couvrir la
planche productive; en sorte qu’au bout de deux ans, les planches se trouvent
séparées par un assez profond fossé. C'est à cette époque que l’on récolte la ra-
cine.
On conçoit que le meilleur labour ne pourrait jamais égaler le travail d'un
bouleversement aussi considérable, et quelle puissance de culture la garance
166 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
doit apporter dans la rotation des assolements; aussi le blé succède-t-il avec un
immense avantage à la garance, dans les terres compactes.
Je dois dire qu’en recouvrant de terre la planche de mon ensemencement, j'ai
r_acontré plus de racines en ereusant le fossé qui limite la planche au nord que
dans le fossé du sud. Les racines, organes nocturnes, se dirigent de préférence à
l'opposé de la lumière,
(La suite au prochain numéro.)
DES INCONVÉNIENTS DU SARCLAGE POUR CERTAINES CULTURES
ET EN CERTAINS PAYS,
Nous avons déjà fait connaître le mode de plantation et de culture de la pomme
de terre dans les Flandres de Belgique (*). Nous avons dit qu'on plante un tuber-
cule de moyeñne grosseur, où deux de la dimension d’une noix, dans chaque
trou ; que les trous sont disposés en lignes; qu’on butte en renversant la terre des
iterlignes sur les lignes, après avoir sarelé dès que la plantemontre trois feuilles
au-dessus du sol. Mais quand on a butté, les mauvaises herbes ont beau envahir
toute la plantation (‘*), on les laisse pousser, fleurir, grainer et sécher sur pied,
pour les récolter en même temps que la pomme de terre et les brüler en même
temps que la fane, quand l'électricité comburante épargne celle-ci.
Dans les premiers moments, j'avais bien envie de gourmander la paresse des
cultivateurs, qui négligeaient un si abondan t sarclage; et, cependant, j'étais té-
moin du soin que les fermiers mettent à sareler à la main leurs navets et leurs
champs de blé, au moyen d’une espèce de houlette plate dont ils arment le bout
de leurs longs bâtons (‘*); en enfonçant la lame droite de cette petite binette,
ils coupent la racine au-dessous du sol et du collet de la plante, et cela sans
offenser les racines de la plante cultivée.
Sans doute, quoi qu'ils en disent, et quelle que soit la fertile humidité d’un sol
aussi profondément sablonneux, un second sarclage ne saurait que profiter au
tubereule. Mais à côté de cet avantage se place un grave inconvénient : c’est
que sur un sol aussi meuble, les pieds du sarcleur, en pesant sur le tubercule
naissant, ne manqueraient pas de le détacher de la racine mère, et la racine du
collet. Peut-être encore que cette moisson de mauvaises herbes conserve une hu-
midité propice au tubercule, qui, ainsi qu'on le sait, se développe presque à fleur
de terre.
Au reste, dans les bonnes années, les tubercules que l'on récolte ici dépas-
sent en nombre et en grosseur ceux que nous cultivons avec tant de soin en
France.
Et qu'on ne pense pas que le personnel de ces herbes soit restreint à un
petit nombre d'espèces disséminées à distance. C’est une vraie prairie artificielle,
(*“) Revue complémentaire des sciences appliquées, livr. d'oct. 185k, pag. 402.
(*) Pourquoi ne dirait-on pas toute la solanière, comme on dit houblonnière? Le langage des scien-
ces devrait se distinguer par l'uniformité de nomenclature, ce qui donnerait plus de facilité d'écrire
et de démontrer. Chaque espèce de culture devrait être désignée par le radical de la plante et la ter-
minaison ière, ou toute autre terminaison uniforme : garancière (champ cultivé en garance), fromen-
tière (champ de froment), colzière (champ de colza), avenière (champ d'avoine), seglière (champ de
seigle), navetlière (champ de navette), œilletière (champ de pavot, pour œillette), cannebière (champ
de chanvre), linière (champ de lin), napière (champ de navets) et caulière (champ de choux), ete.
(***) Ces bâtons leur servent en même temps de défense contre les animaux hostiles et contre les
ch'°ns enragés ; d'autres, surtout les facteurs de la poste des villages, arment ces bâtons d’une petite
fourche d'acier à deux dents. Ce ne sont nullement là des armes prohibées, bien s’en faut, Cette arme
est dans la main des commis, huissiers, facteurs, etc., le bâton du constable contre les chiens qui
s’aviseraient de mettre obstacle à l'exécution de la loi.
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DU SARCLAGE. 167
où l’on pourrait faire pacager les chèvres et les moutons. Quand les fanes ont
élé calcinées par l'électricité des orages, la solanière a l'air d'être alors une
jachère; elle disparaît sous une espèce de moisson à mille espèces semées au gré
c'es vents et par égale part; c’est une vraie flore de toutes les plantes les plus com-
munes du pays, dont voici la liste que j'ai prise sur leterrain : Oxalis corniculata L.
(olante congénère de l'Alleluia, rare dans les champs des énvirons de Paris, et
qui pousse ici en touffes serrées depuis le printemps jusqu’en hiver); Euphorbia
peplus L. (aussi commune que l’oxalis) ; £rysimum cheiranthoïdes L. ; Mercurialis
annua L. ou foirole (deux plantes qui occupent le second rang après les deux pré-
mières); Chenopodium lanceolatum T,., ou patte-d'oie; Senecio vulgaris L., ou
seneçon; Alsine media L. morgeline (*) ou mouron des oiseaux; Anagallis ar-
vensis L., mouron rouge; Rumex patientia L., patience ou parelle; Rumex ace-
tosella L., petite oseille sauvage; Fumaria officinalis L., Fumeterre; Polygo-
num aviculare L., trainasse; Polygonum convolvulus L., vrillée bâtarde;
Polygonum persicaria L., persicaire à fleurs rouges ou blanches ; Thlapsi bursa
pastoris L., bourse-à-pasteur; Solanum nigrum L., morelle rampante; Chrys-
cnthemum inodorum L., fausse camomille ou matricaire; Nepeta cataria L.,
herbe-aux-chats; Lamium purpureum ; L., Sonchus oleraceus L., laitron ; Sonchus
arvensis, L.; Serratula arvensis L., chardon hémorrhoïdal; Æthusa cynapium
L., petite ciguë; Poa annua L., paturin; Triticum caninum L., chiendent (rare
à cause des soins que mettent les paysans à purger le sol de ses chaumes tra-
çants); Panicum viride L.; Holcus lanatus L.; Anthoxanthum odoratum L.,
flouve (plus rare); Agrostis spica venti, interrupta L., épi-du-vent; Agrostis
vulgaris L.; Phleum pratense L.; Cynosurus cristatus L.; Dactylis glomerata
L., ete., etc. )
Car j'en oublie certainement encore quelques-unes; tout cela se presse, se
feutre, prospère, fleurit, mürit et vit en commun de la meilleure intelligence,
pour se ressemer l'année suivante, en dépit du soin que prend le cultivateur de
les brüler en fagots, sur le champ même, après la récolte.
Si nous avions, dans nos cultures des environs de Paris, un tel personnel de
mauvaises herbes, et en bataillons si serrés, nous n'y trouverions pas grand
profit.
TRANSFORMATION DES ESPÈCES DE FRUITS FAR LA SIMPLE FUMURE LIQUIDE.
_ L'année dernière, un petit poirier en espalier, exposé au couchant, ne nous avait
donné que des poires d'un si petit volume qu'on les recouvrait avec le pouce, si
gercées qu'on les aurait crues malades.
Pendant tout l'hiver, je fis arroser, tous les deux à trois jours, la plate-bande
avec les eaux grasses et les urines étendues souvent d’eau de savon. Cette année,
si peu favorable aux fruits et surtout aux poiriers dans ces parages, ce petit
arbre de quelques branches a donné six belles poires, dont une égalait la gros-
seur du poing, et dont la peau n’offrait pas même la plus petite tache. On aurait
dit, à la différence énorme de ses produits, que cet arbre avait changé de caractè-
res et d'espèce.
Nos pêchers au levant, qui jusque-là n'avaient pas même fleuri, nous ont donné
d'excellentes pêches; et les plus grosses et les plus suceulentes appartenaient à
un petit rogaton de tronc dont j'avais enlevé les trois quarts, y compris la
moelle.
(*) Morgeline, de morsus gallinæ, à cause de l'avidité avec laquelle les oiseaux et la volaille tom-
bent sur ses graines,
168 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Tout l'hiver, ces pêchers avaient reçu la fumure liquide ci-dessus, et leurs
trones avaient été incrustés de terre pétrie dans une dissolution d’aloès.
CHAPITRE V. — PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE.
VARIATION DES CARACTÈRES SPÉCIFIQUES DES PLANTES SELON LE TERRAIN EY
L'EXPOSITION, AU SUJET DE L'ORCHIS DIVARICATA, RICH.
La flore des environs de Paris enregistre, sous le nom d’Orchis divaricata, une
orchidée que Richard père a rencontrée une seule fois à St-Gratien ; cette plante
différerait de l'Orchis latifolia et maculata principalement en ce que ses bulbes
radicaux étaient divisés seulement en deux parties, tandis qu'ils sont divisés et
palmés en quatre parties chez les deux autres orchidées.
Une pareille différence suffisait, à cette époque, pour augmenter les œuvres dela
création d’une espèce, et la nomenclature d’une nouvelle dénomination; on ne
s’arrêtait pas même à cette idée, qu’une plante qui ne se montre qu'une fois dans
un pays parcouru en tous sens par les collecteurs d'espèces n'est pas douée
d’une bien grande puissance de reproduction, et qu'elle ne saurait être qu'une
simple déviation exceptionnelle du type.
Or, le 19 juin dernier, ayant suivi l'allée du bois qui part de la chaussée de
Boistfort, en face de l’'embranchement de la chaussée de Boendael, et se dirige pa-
rallèlement au chemin de fer vers Groenendael, je rencontrai sur la berge une
multitude d'Orchis maculata, et l'idée me vint d’en arracher quelques-unes ; les
plants étaient profondément enracinés ; mais comme ce terrain est aussi meuble
que du sable et très-humide, l'opération ne fut pas diflicile. Or, les bulbes radi-
caux, au lieu d’être charnus, épais et ne se divisant qu'au sommet en quatre di-
gitations divergentes et se terminant brusquement en un prolongement radieu-
laire filiforme, chacun de ces bulbes, dis-je, se divisait, souvent à partir du collet,
en deux prolongements radiculaires fusiformes, ce qui aurait porté à croire que
cette espèce possédait quatre bulhes au lieu de deux. Or, ce n'était, dans cette cir-
constance, qu’un eas de monstruosité exceptionnelle. J'en arrachaï plus d’une cin-
quantaine de tels, pris de distance en distance. J'en trouvais même qui n'offraient
en apparence que deux bulbes fusiformes, et je dirais même linéaires et filifor-
mes, à cause de la disparition, par épuisement, du bulbe nourricier qui s'était
sacrifié au développement et de la plante et du bulbe reproducteur pour l’année
suivante, Les fleurs de ces individus en étaient tantôt blanches et tantôt roses.
Tous ces plants appartenaient à la portion de la berge la plus humide et au
terrain Je plus meuble. Sur la hauteur, et dans le terrain sec, les bulbes redeve-
paient palmés, comme chez l'espèce normale et classique qui porte le nom d'Or-
chis maculata, à cause des taches noires qui maculent ses feuilles, et dont notre
espèce anormale ne différait que par ses bulbes bifides et profondément divisés.
Cette variété de forme, si commune dans ce bois, a donc pu trouver les mêmes
conditions de reproduction dans les terrains spongieux et humides qui envi-
ronnent l'étang de Saint-Gratien près Paris.
ERRATA.
Livraison re, page 27, ligne 25 : 1854, lisez 1853.
» 3e » 91, » 15: 75, lisez 750.
« Le » 195, » 45: cænus lisez coELIUS.
6° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 4e Janvier 1855.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
AVIS AUX ABONNÉS.
La Revue complémentaire est un recueil exclusivement consacré aux sciences
d'observation; elle doit rester étrangère aux questions qui s’agitent entre les
partis. Elle ne renferme que des travaux originaux destinés à complémenter
tous les ouvrages de M. Raspail, mais surtout à perfectionner, par les observa-
tions de chaque jour, le nouveau système de médecine développé dans l'Histoire
naturelle de la santé et de la maladie et résumé dans le Manuel annuaire de la
santé, qui chaque année à son tour s'enrichit de ces observations nouvelles.
La copie de chaque livraison est livrée à l'imprimerie rigoureusement le 16 du
mois; elle est imprimée le 22. Le ballot part de Bruxelles le 25 au plus tard par
le chemin de fer. Deux ou trois jours suflisent pour remplir les formalités vou-
lues. Donc si le numéro arrivait aux abonnés plus tard que le 1°, ce serait le ré-
sultat d’une négligence de l'administration du chemin de fer.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE.
JEUNE ENFANT NOYÉ DANS UN NAUFRAGE ET RAMENÉ A LA VIE AU BOUT DE DEUX
HEURES DE SOINS ASSIDUS, PAR L'APPLICATION DE LA MÉDICATION INDIQUÉE
DANS LE MANUEL (aliéna 274, 20).
M'L. Beuzeboec, un de nos abonnés, du Havre, partisan éclairé et plein de zèle
de la nouvelle méthode, nous adresse l'extrait suivant du Journal du Havre
(samedi 9 déc. 1854), que nous publions en entier, afin de rendre pleinement
un hommage exemplaire, et à la puissance de Ja médication, et au beau dévoue-
ment des braves gens qui l’appliquent avec un si éclatant succès :
« Nous trouvons dans le journal de la Guienne le récit émouvant d'un sinistre maritime
arrivé sur les côtes de Gascogne, et où tout l'équipage a péri, à l'exception d’un petit mousse
sauvé du naufage par les courageux efforts d’un sous-brigadier de douane ; voici les détails
de ce naufrage, dont nous avons déjà fait mention, tels qu’ils ont été recueillis à l'endroit
même où s’est passé l'événement :
« Le 50 du mois dernier, vers dix heures du matin, le sous-brigadier Espagne, chef du
poste de la douane appelé Nicolas, situé sur les bords du golfe de Gascogne, dans la com-
mune de Vendays (Médoc), aperçut un navire caboteur à deux milles environ au large des
12
470 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
brisans. Il monta sur un #ruc, d'où il vit que ce navire louvoyait sous sa misaine seulement;
le vent n’était pas fort. I1 s’étonna que ce navire conservât sa voilure de cape, laquelle, loin
de pouvoir lui faire gagner le large, pouvait au contraire le jeter à la mer, les vents soufllant
de l’ouest,
» Cependant, comme il était encore loin, il rentra au poste, fit part à ses hommes de ce
qu’il venait de voir, ef revint se placer à son point d’observatjon, d’où il put se convainere
que le navire faisait des efforts infructueux pour se haler au large. Il commanda aux em-
ployés de se tenir prêts à tout évènement.
» À onze heures et demie, le navire se rapprochant des brisans, on le vit tout-à-coup lais-
ser arriver vers la côte; la marée était pleine en ce moment, et les vagues s’amoncelaient
furieuses autour du navire désemparé qui était tour à tour précipité au fond des abimes ou
lancé au-dessus des flots écumants, Le brigadier et deux hommes se dirigèrent alors au pas
de course du côté où le naufrage leur paraissait imminent. Pendant ce temps, une lame
enleva le gouvernail et brisa l'arrière du navire.
» Le timonnier, voyant que toute lutte devenait impossible, s’élança dans les haubans,
où déjà un autre matelot se tenait cramponné. Le vent d’ouest les poussait toujours à Ja
côte où ils auraient pu se sauver, si un effroyable coup de mer n’eût pris le navire en flanc
et ne l’eût chaviré et crevé ; ce fut alors que le drame devint horrible. La mer se couvrit
d’épaves et des débris de la cargaison, et les matelots avaient été engloutis; aucun d’eux ne
paraissait à la surface du terrible élément,
» Le sous-brigadier Espagne, qui s'était jeté à la mer dès qu'il avait vu disparaitre les
hommes de l’équipage, n’apercevant rien autre chose que des pièces ballotées par les flots,
lesquelles mettaient sa vie en danger, allait retourner à terre, désespéré de n’avoir pu sau-
ver aucun de ces malheureux, lorsqu'il vit dans une lame une main, puis un pied. L'intré-
pide brigadier s’élança pour disputer cette victime à la mort; il parvint, après d’inimagina-
bles efforts, à saisir le corps livide d’un enfant qu’il transporta, épuisé de fatigues, sur le
haut de la grève.
» Le pauvre enfant complétement nu et ne donnant aucun signe de vie, fut transporté.
dans les trucs, où le chef du poste fit allumer du feu avec du gourbet; il l’enveloppa dans
sa capote et dans la veste dn préposé Frèche, puis envoya au poste, distant de trois à quaize
kijomètres du théâtre de l’événement, chercher une bouteille d'alcool camphré et une d’eau
sédative, ainsi que des couvertures de laine. Dès que ces objets furent arrivés, Espagne, ou-
bliant qu’il était à moitié nu et mouillé se mit à frictionner le corps du petit naufragé avec
de l’alcool camphré, lui mit une compresse imbibée de ce liquide autour du cou, lui arrosa
la tête d’eau sédative, et vit enfin, après deux heures d’angoisses et de fatigues, ses charita-
bles soins couronnés de succès : l’enfont leva les yeux vers son sauyeur et fit quelques mou-
vements, mais ne prononça aucune parole.
» Le sous-brigadier, heureux maintenant de sa belle action, le fit transporter au poste
Saint-Nicolas, le fit mettre dans un lit bien chaud, lui administra quelques gouttes de cor-
diaux, renouvela les frictions à la pommade et à J’eau-de-vie camphrées, lui fit prendre un
peu de bouillon, lui administra, en un mot, des remèdes si efficaces, que le médecin de Ven-
days a déclaré devant les autorités que, sans les soins intelligents que le brave brigadier
avait prodigués à celui qu’il avait arraché à la fureur des flots, la mort aurait été le résultat
inévitable des émotions et des souffrances que l'enfant avait éprouvées pendant cette terrible
matinée.
» Aussi, les officiers et Ies préposés sont-ils unanimes dans les éloges qu'ils donnent au
courage du sous-brigadier Espagne, et au dévouement de ce généreux sous-brigadier, sur la
poitrine duquel brille déjà une médaille d'argent de première classe, qui lui a été décernée
pour avoir sauvé, le 50 juillet 4851, au péril de ses jours, deux marins naufragés apparte-
nant à l'équipage du navire le Superbe, de Bordeaux. Ils font des vœux auxquels nous som-
mes heureux de nous joindre, pour que Je gouvernement récompense l’homme qui pousse
l’abnégation et le dévouement jusqu’à l’héroïsme.
» Le petit naufragé, qui a eu quelques jours de fièvre et de délire, est aujourd'hui en
pleine convalescence, quoique encore alité ; il a répondu à nos questions qu'il était Borde-
lais, âgé de treize ans, qu’il se nommait Georges Demène, et qu’il habitait avec ses parents
dans la rue des Vignes , 16, Il a donné, sur le chasse-marée l’Amour-de-lu-Patrie, les ren
seignements suivants :
« Le navire, a-t-i] dit, était depuis quatre jours en mer. Il était monté par le capitaine
Favier, un novice, lui mousse, et un autre enfant de six ans. Il était chargé de vins d'Espa-
gne à la destination de Bordeaux. Lorsqu'il a été jeté à la côte, il y avait déjà deux jours
ÉCHAUBOULURES, COMBUSTIONS ET CAUTÉRISATIONS. 471
qu'il faisait eau et que l’équipage était à la pompe. II croit que le plus jeune mousse était
dans la ehambre du capitaine lorsque le naufrage a eu lieu.
» Au moment où nous quittons la plage Saint-Nicolas, les autorités procèdent à la visite
du navire, et n'ont pas découvert le cadavre de l'enfant. Quant au capitaine et au novice, il
est certain qu'ils ont été engloutis dans les flots, le canot étant échoué et brisé à un kilomè-
tre environ du navire. — Al. Vincent. »
CONCLUSION.
Que de malheureux noyés on sauverait chaque jour, si chacun avait le courage
et le zèle de sa conviction, comme le braye sous-brigadier Espagne !
D
ERULURES, ÉCHAUPOULURES, COMBUSTIONS, CAUTÉRISATIONS.
Dérinrrions. Nous nommons échauboulure, la désorganisation des tissus vi-
vants par l’action des liquides bouillants ou bien près de bouillir. Nous em-
ployons le mot combustion pour désigner la désorganisation des chairs par le
contact immédiat des charbons ardents ou de la flamme. L'échauboulure tend à
dissoudre et à transformer en gélatine les tissus qu'elle atteint successivement,
épiderme, derme, tissus cellulaires et musculaires, et surtout les nerfs qui s'épa-
nouissent en papilles innombrables sur la surface de la peau. La combustion ear-
bonise en évaporant l’eau qui, combinée avec le carbone, forme la base organique
des tissus. La congélation carbonise et désorganise, en congelant la partie aqueuse
des tissus et l'isolant ainsi du carbone. La brülure n’est que le résultat super-
ficiel et peu durable de l’'échauboulure et de la combustion. La cautérisation est la
désorganisation des tissus par l’action des acides qui s'emparent de leur base
terreuse, et par celle des bases dites caustiques, qui se substituent aux bases des
tissus, en les dépouillant de leur eau d'organisation. Nous nommerons fulmina-
tion la combustion produite par le dard de l'éclair, combustion rapide et instan-
tanée, telle qu'aucun des jets de flamme de nos plus hauts fourneaux ne saurait
e) égaler la puissance et en reproduire le moindre des effets; dans le cours de
météorologie nous en parlerons plus amplement.
Nouexccarure d’après l'Histoire naturelle de la santé; par les causes :
Zégénose (maladie causée par l’ébullition).
Pyrogénose (maladie causée par le feu).
Acidogénose (maladie causée par la eausticité des acides).
Koniagénose (maladie causée par la causticité des bases métalliques, Conia).
Kéraunogénose (maladie causée par l'action comburante de la foudre, Æe-
raunos). |
Krumogénose (maladie engendrée par la congélation, Ærumos).
N. B. Je ne m'occuperai dans cet article que des échauboulures (Zégénoses) à
des combustions (Pyrogénoses).
EFFETS DES ÉCHAUBOULURES ET COMBUSTIONS.
Les plaies qui en résultent diffèrent des plaies ordinaires par solution de con:
tinuité, en ce que non-seulement elles dénudent les chairs, les mettent à vif et les
livrent sans défense et sans protection à l’action comburante et désorganisatrice
de l'air extérieur, mais encore en ce qu’elles ont désorganisé les papilles et ra-
muscules nerveux à une profondeur plus grande que les chairs elle-mêmes, ce
qui rend la violence du mal plus intime et plus contagieuse. L'instrument tran-
chant dénude, mais n’altère pas la vitalité des tissus qu'il respecte et laisse en
172 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
place, et qui reprennent leur jeu et leur développement ordinaires, dès que la
médication et le pansement les ont mis à l'abri du contact de l'air. Mais l’action
du calorique porte la mort bien loir, la mort subite par suite d’une désorgani-
sation immédiate, et la mort plus lente par la contagion des produits acides de
la désorganisation, produits qui élèvent la fièvre à sa plus haute puissance.
Ces terribles accidents ne se présentent à l'observateur qu’en hiver dans les
localités ordinaires; mais ils sont de toutes les saisons dans les manufactures où
l'industrie tient tant de compte du perfectionnement des moyens de production
et si peu de compte des moyens de précaution et de prévoyance, et où l’ouvrier,
téméraire en face du danger, regarde comme une espèce de couardise le moindre
acte de prudence qui viendrait retarder d’une minute l'élan de son activité.
Tant que j'apprendrai qu'un homme a pu tomber dans une chaudière bouil-
lante, je dirai: Honte à la lésinerie de l’industrie qui par un simple grillage au-
rait pu prévenir un aussi horrible malheur!
Je ne me montrerai pas moins sévère envers les parents qui ont le malheur de
laisser leurs enfants exposés aux combustions, faute d’un garde-feu qui tienne
constamment ces petits bambins à distance.
Après cette insouciance de précaution, rien n’égale encore aujourd'hui l’insou-
ciance dans les moyens de médication ; tout l'arsenal meurtrier de la médecine
ancienne et de la médicastrerie des bonnes femmes est épuisé, avant qu’il vienne
dans l'esprit d’une seule commère d’avoir recours à la médication du Manuel,
qui calme instantanément les souffrances et amène une si prompte guérison.
Cette médication consiste à mettre les surfaces dénudées à l'abri du contact de
l'air, en les tenant continuellement recouvertes d’une couche de pommade cam-
phrée ou de cérat camphré, qui serve d’épiderme par son corps gras et d'agent
antiseptique et préservatif de la décomposition purulente par l’action du camphre.
A la suite de ce traitement, en général, la brülure ne laisse pas même de cica-
trices.
Je ne désespérerais pas de sauver l’homme retiré vivant d’une chaudière, si à
l'instant même on le tenait enveloppé d'huile camphrée sur toutes les surfaces
désorganisées par l’action du liquide bouillant. Le moyen le plus expéditif ce
serait de le plonger dans un bain d'huile que l’on camphrerait pendant ce temps.
La médication aurait d'autant plus de chances de succès qu’elle serait exécutée
d'une manière plus rapide. En même temps, on lotionnerait à l’eau sédative
les surfaces qui seraient restées intactes, on en ferait avaler de temps en temps
une cuiller à café dans un bol de bourrache. On nourrirait tout d’abord le ma-
lade, dès qu’il demanderait à manger, avec du bouillon coupé de lait:
Voici quelques exemples que l'hiver passé nous a fournis, de l’eflicacité infail-
lible de cette méthode, pour guérir ou soulager et préserver de toute souffrance,
même dans les cas désespérés, c’est-à-dire quand la désorganisation a malheureu-
sement intéressé Les organes essentiels de la vie.
EXEMPLES D'ÉCHAUBOULURE ET DE COMBUSTION.
Vers les derniers jours de novembre 1853, un jeune enfant de l’un de nos voi-
sins s’'amusait à je ne sais quoi au pied de la table, à l'instant où la bonne appor-
tait la soupe toute bouillante ; le pied manque à la bonne, qui laisse tomber tout
le liquide en ébullition sur le dos du pauvre enfant, de la nuque jusqu'aux fesses.
L'échauboulure fut si profonde que l'enfant se roulait comme un épileptique sur
le pavé, et poussait des hurlements de torture. La chemise faisait corps avec la
ÉCHAUBOULURE GUÉRIE EN QUELQUES JOURS. 175
peau, qui n’offrait plus qu’une excoriation sur toute la région dorsale, Une voi-
sine indiqua, comme un moyen de pansement, l'empois et puis de l'huile mélée à
de la litharge.
L'enfant passa une nuit affreuse, poussant des cris continuellement, et n'ayant
ni paix ni trêve, dévoré d'une fièvre ‘brülante. Désespéré, le père s'adresse enfin
à une personne qui, possédant le Manuel, se faisait un devoir d'en administrer
gratuitement les conseils et les remèdes dans le village, La première chose fut
de jeter aux lieux le paquet de poudre qu'on m'apporta et que je reconnus être
de la litharge; ces braves gens auraient gagné la colique des peintres en soi-
gnant ainsi leur malheureux enfant. Ensuite, et sans perdre de temps, on recou-
vre toute l'étendue de l'excoriation avec des linges enduits de pommade cam-
phrée; on lotionne à l’eau sédative les surfaces que le liquide bouillant n'avait
pu atteindre.
Au bout de quelques instants la fièvre disparaît complétement pour ne plus
revenir; l'enfant s'endort du sommeil le plus paisible ; il demande à manger à
son réveil, et mange de fort bon appétit. Le lendemain on remplace la pommade
camphrée par le cérat camphré. Mais alors l’action de la litharge se révèle; le
pourtour de l’excoriation se couvre de petits boutons enflammés, et à l'angle in-
terne d'un œil parait un phlegmon noir qui fait enfler toute cette région ; on ap-
plique une compresse imbibée d'alcool camphré sur le phlegmon, et on lotionne
à l'eau sédative toute la surface érysipélateuse du pourtour de l’excoriation; au
bout de deux jours l’un et l’autre symptôme avaient entièrement disparu ; et la gué-
rison ne se fit pas attendre. Pendant tout le temps que dura le traitement l’en-
fant mangea, dormit, joua comme à son ordinaire, sans éprouver le moindre mal-
aise; et il ne porte pas la moindre trace de cet accident. Je ne sais pas s’il ne
serait pas mort de la fièvre par l’autre médication ; mais certainement il en aurait
gardé sur le dos les stigmates par une profonde cicatrice couturée et sensible
aux changements de temps.
29 A l'instant où la cure de cet enfant s’achevait au grand ébahissement de
tout le monde, on accourt tout à coup pour demander le bénéfice du même trai-
tement en faveur d'un enfant du plus pauvre quartier du village, que l'on ve-
nait de retirer presque rôti de l’âtre où il était tombé sur le dos en l'absence de
ses parents. Il avait été confié à la garde d’une pauvre idiote qui, le voyant dans
le feu, au lieu de l’en retirer immédiatement, avait été chercher de l’eau à
l'étang pour éteindre la braise; et puis, changeant d'idée au retour de sa course,
elle s'était mise à retirer l'enfant en plongeant les mains dans le feu ; l'enfant
avait l'épine dorsale rôtie et couverte d’une croûte charbonnée épaisse comme
une écorce d'orme, les bras et les jambes privés de mouvement; ce pauvre pe-
tit était presque privé de vie. Nous ne connümes l'accident que par l’arrivée de
l'idiote, qui nous apportait ses mains décharnées à soigner, pendant que les voi-
sines s’occupaient de l’enfant lui-même. Ce fut en lui demandant le comment et le
pourquoi, que nous apprimes tout le reste, dont elle s’oceupait fort peu pour
l'instant. L'hiver était rude, les chemins difficiles, et les médecins étaient loin;
on n'hésita donc pas à prodiguer des soins à cette pauvre petite victime; on cou-
vrit de pommade camphrée toutes les surfaces brülées, on lotionna à l'eau séda-
tive les surfaces épargnées.
Ce ne fut qu'au bout de trois jours de pansement à la pommade camphrée et
de lotions à l'eau sédative, que les parents exécutaient nuit et jour, ce ne fut,
dis-je, qu'au bout de ces trois jours de soins assidus que l'enfant reprit connais-
174 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sätite ét répondit aux caresses dë sès parents qui eriaient au miracle, comme s'ils
étaient témoins d'utie éspècé dé résurrection. Mais la médication ne refait pas
une épine dorsale et encore moins une moelle épinière; les bras et les jambes ne
feprirént plus leur mouvement, le centré hefveux d'où ces membres émanent
étant frippé de mort. Lorsqu'où essayait de 18 rédrèsser sur soh séant, il s’affais-
sait Sur lui-même, comme si ses jambes n'étaient bourrées que de coton. La vie
ainsi éteinte dans le céntre, la contagion de la Mort gägnäit de proche en proche,
et finit par atteindre les organes éssentiels à la vie; “Tenfant mourut en s’endor-
mant d’un päisiblé ofntitéif: on avait prolohgé de quelqués jours une existence
qui aurait duré sans Cela quélques héures et aüfait fini däns uñe agonié terrible
à voir.
Je ne parle pas de l’idiote, dont les doigts bién pansés à la pommade camphrée
ne tardèrent pas à se cicatriser ou plutôt à se refaire, pour ainsi dire, sans con-
server la moindre trace de cicatrices.
3° Ce cas-là n'ajouta pas moins de merveilleux au cas de guérison du premier
enfant, qui jouait dans la rue. Mais le nouveau système était, par la fatalité, ap-
pelé à marcher cés jours-là d'horreurs en horreurs désespérées.
A l’autre bout du village, s’agitait jour et nuit dans des souffrances atroces et
en poussant des cris à vous fendre le cœur, ün autre petit enfant que l'on traitait
depuis six semaines à là mode du pas, ’est-à-dire en couvrant les surfaces d’un
onguent lithargiré qu'on arrachait à chaque pansement, sas plus ample souci;
de sorte que chaiqué nouveau pansement fortiait une nouvelle plaie, et qué l'en-
fant ne pouvait voir arriver sa rébouteuse qu'en hurlant dé terreut et de déses-
poir. Ons ‘imagine bien qu'il fit à la nouvelle méthode le même accueil qu’à l’an-
cienne, la première fois qu'on remplaça la lithäïge par la pommade camphréc;
mais dès qu'il en eut ressenti les premiers soulageriente, qui furent instantanés,
il déclara qu'il ne voulait plus êtré pansé que par la personne qui venait de lui
procurer un repos qu’il ne connaissait pius depuis tant de jours et de nuits. Il dor-
mit d'un bon somme, il Mmangea de bon appétit ; il ne poussa plus üñ seul eri, et
pour la première fois il demandä à se lever de son lit pour aller sûr les genoux
de sa mère émerveillée. Mais à quel état ce petit martyr était réduit! Son corps
n'était qu'une vaste plaie; il fallait chaque jour un grand pot de pommade cam-
phrée pour le pansement; la charpente osseuse semblait êtré récouverte non de
muscles, mais d’une pellicule qui, sur le ventre, prenait la transparence d'une
pellicule d'oignon, et laissait voir au travers toutes les circonvolutions intesti-
nales; on tremblait à chaque instant d'être témoin d’une éventration par la rup-
ture de cette pellicule; la personne qui fut chargée de le panser la première
fois se sentit défaillir à un pareil spectäcle. La seconde fois nous envéloppämies
tout le corps d’un linge enduit de cérat camphré qui resta à demeure, et l’on se
contentait de verser de temps en temps de l'huile entre le cérat et la peau; on se
serait exposé à briser comme du verre cette peau excoriée, si on avait renouvelé
le pansement chaque jour. À la faveur de ces soins, l'enfant mangeait de bra
appétit, dormait d’un sommeil calme et paisible; on l'eût dit en bonné santé.
Mais quand on a tant à panser, il est rare qu’on n'oublie pas quelque chose, ét
c'est toujours par ce quelque chose que la fatalité se fait jour. Un matin qué l’en-
fant jouait sur les genoux de sa mère, on le voit pousser un soupir et se reénver-
ser ; il était mort. En relevant le bras, il s'était déchiré la pellicule qui lui tenait
lieu de peau sous l’aisselle; l'air s'était engouffré en sifflant dans la veine; or ce
genre d'asphyxieest aussi prompt quel'éclair; il s'accomplit en moins d’une seconde.
MAUX DE DENTS D'ORIGINE MERCURIELLE. 175
La leçon a été immense dans ce coin du pays. Ne craignez plus qu’on y aban-
donne les enfants à eux-mêmes pendant que l’âtre brûle, ou, si par un hasard
imprévu, les mêmes accidents se représentaient, qu'on ait recours à d'autre
pansement qu’à celui dont ils ont constaté les heureux effets. Il n'y a pas une
bonne commère qui ne connaisse la pommade camphrée ét ne sache en faire un
bon emploi dans ces sortes de cas et dans bien d'autres encore.
Re
MAUX DE DENTS D'ORIGINE MERCURIELLE (ODONTALGIES HYDRARGÈNES, D'APRÈS
LA NOUVELLE NOMENCLATURE, OU HYDRARGÉNOSES ODONTALGIQUES (*).
Ma longue pratique me permet d'assurer que rien n'est plus commun que les
maux de pareille origine, et ils sont les plus difficiles à calmer. Le hasard et les
accidents involontaires multiplient ces sortes de cas d'une manière tellement
fréquente que je voudrais porter l'effroi dans le cœur de chacun, afin de rendre
Ja prudence plus vigilante. Comment en serait-il autrement à une époque où la
médecine sé joue de ce poison, où elle le prodigue, sous la forme la plus corro-
sive, à tous les maux, et avec un abandon qui fait que nul malade ne s'en méfe
et ne prend la moindre précaution pour se mettre, lui et autrui, à l'abri d’une
méprise et d'un fâcheux accident.
« Je renoncerais à la médecine, disait à ses élèves un oculiste en vogue, si,
pour faire droit au nouveau système, on me privait de la ressource du mercure,
qui est une panäcée à mes yeux, quand on l'applique avec habileté. »
Un artiste de mes amis me racontait qu'ayant prêté pour quelque temps à un
médecin de ses amis son grenier, comme lieu de débarras, il lui prit un jour
un certain retour de méfiance, après la lecture de la page du Manuel sur les
poisons; et il n'eut de cesse qu'il n'eût visité au grenier les effets qu'y avait
remisés son ami. Le premier objet qui frappa sa vue, ce fut une collection de
petits paquets de médicaments qui roulaient pêle-mêle avec bien d’autres choses;
l'étiquette de sublimé corrosif figurait sur un paquet plus lourd que les autres.
Vous jugez de l’effroi dont il dut être saisi, en trouvant une telle dose d'un poison
aussi actif à petites doses dahs un endroit presque ouvert à tout venant et à sa
petite fille même! Le médecin eut beau sourire de l’effroi de son ami, il fallut
bien qu'il vidàt les lieux en un quart d'heure et sans plus tarder. Chacun pourra
calculer d'avance par la filière de combien d'accidents et de hasards imprévus, le
poison aurait pu se glisser dans les mets et les boissons; et il en faut bien peu
de cette poudre de succession pour produire d’incaleulables ravages.
Prescrivez ensuite de ces petits paquets à un pauvre cuisinier ou palefrenier, à
une bonne ou fille de cuisine, qui les acceptent de confiance et comme moyen de
soulagement ou de guérison pour eux, et par conséquent inoffensif pour les
autres; sans prévoyance, puisqu'ils sont sans méfiance, que de calamités ils sont
dans le cas de faire naître, de la meilleure foi du monde, et peut-être sans que
personne devine ni ne soupçonne ensuite la cause d’un fléau qui peut envelopper
toute la famille! ‘
J'ai connu plus d’une rage de dents qui ne découlaitque d'accidents semblables ;
ces sortes de cas ñe sont nullement rares; c’ést pourquoi je ne dois pas différer
plus longtemps de décrire les caractères dé la maladie et la médication qu'on
doit lui opposer.
(*) Voy. Hisi, nat, de la santé el de la maladie, tom. HI, pag. 31 et 125, 1846.
176 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
A. CARACTÈRES ET SYMPTÔMES DU MAL DE DENT OCCASIONNÉ PAR L'INGESTION DU
SUBLIMÉ CORROSIF EN MÉDICAMENT OU EN ALIMENT.
L'action du sublimé corrosif est prompte comme celle de toutes les précipita-
tions chimiques; le mercure qui lui sert de base se sépare de son acide (l'acide
hydrochlorique) dès que ce sel se trouve en contactavec un tissu organisé, surtout
si ce tissu est riche en phosphate de chaux comme le sont les dont On conçoit
done que si ce sel est en petite quantité dans la substance ingérée, son action
corrosive s'arrête aux parois buccales qui sont les premières en contact avec lui.
Or, les premières régions qui se mettent en communication avec une telle
substance, ce sont les dents, par la mastication, puis les gencives, où les aliments
mâchés font grenier, puis la voûte du palais où la langue les applique pour en
percevoir la saveur (*).
Mais il est évident que les tissus dont les papilles nerveuses sont le plus à
découvert seront les premiers à donner des signes de leur désorganisation et
de leur souffrance.
Aussi, dès les premières bouchées, la voûte du palais s’enflamme, les escaliers
qui la guillochent s’effacent, sa sapidité s'émousse. Les gencives enflent peu à
peu, les ganglions sublinguaux, jusque-là imperceptibles, s'engorgent, gonflent et
soulèvent jusques à la hauteur des dents le plancher de la muqueuse qui les re-
cnuvre; il en est de même des ganglions qui se dissimulent dans le fond du fossé
qui sépare la surface extérieure des gencives des parois buccales.
La douleur ne tarde pas à suivre ces premiers symptômes. Chaque accroisse-
ment d’un ganglion, opérant un dédoublement, à l'instar d’un coin qui se ferait
place, produit un sentiment de déchirement qui porte le malade à pousser malgré
luiun cri de douleur, surtout pendant qu'il veut s’assoupir. Les dents qui ont eu le
privilége de recevoir les premières atteintes du poison ne tardent pas à causer des
douleurs violentes, on dirait qu'elles sortent peu à peu de leurs alvéoles, et qu’on
les y fait rentrer en serrant les mâchoires. Le côté du menton qui a été le plus
envahi se déforme souvent d’une manière hideuse par le développement rapide
de glandes et par l'induration des chairs. Le malade n’a plus ni paix ni trêve, il
ne dort que par soubresauts ; le moindre frôlement contre les poils de la barbe
lui donne comme une secousse électrique; il appelle à grands cris le dentiste, qui
pour le soulager se verrait forcé de lui arracher toute une rangée de dents, et
ne ferait peut-être que propager davantage l'infection, en lui ouvrant, par le déchi-
rement des vaisseaux sanguins, de nouvelles voies de communication avec les
régions plus profondes. Du reste, lorsque le poison s’est fixé sur les dents à une
certaine dose, les dents finissent par tomber assez bien d’elles-mêmes pour que le
dentiste soit dispensé de faire usage de sa clef.
Si le poison n’est pas tout épuisé quand la substance ingérée arrive à l’isthme
du gosier, les amygdales, la luette, tout ce pourtour de l'organe de la dégluti-
tion subit une révolution telle et prend des développements si insolites, si énormes
et si rapides, que souvent le malade est menacé de suffocation et que la peau
éclate même sous la tension. Quelquefois il survient des clous et des phlégmons
dans le voisinage. Enfin si la substance ingérée arrive, en toutou en partie, dans
le canal intestinal, le malade est pris en quelques instants d’une diarrhée et sou-
vent d’une dyssenterie qui lui permet à peine de se déshabiller et Jui excorie le
fondement. Le lendemain il tombe dans une espèce de stupeur qui ne lui laisse
(*) Voy. la théorie de la saveur, dans le Nouveau système de chimie organique, tom.Il, pag. 280; 1838.
CARACTÈRES DU MAL DE DENT MERCURIEL. 477
pas même la faculté de la mémoire; une question qu'on lui adresse lui produit
une telle fatigue, une telle contention d'esprit, que son cerveau semble ballotter
comme dans un espace vide. L’extrémité de ses doigts bleuit; sa peau se vergète
de bleu; le pourtour de la bouche bleuit jusqu'au menton; les yeux se cernent de
noir, et le regard semble hébété comme par un rêve. Si le malade survit à ce cor-
tége de symptômes affreux, il ne tarde pas à voir l’enflure envahir tous ses mem-
bres sous la masse des ganglions qui s’engorgent de toutes parts. Si la mort sur-
vient, le cadavre bleuit sur des surfaces d'autant plus étendues que le poison a été
ingéré à plus haute dose; puis, deux jours après, il prend une couleur de cire
blanche, et la décomposition s'établit avec une odeur que le plus intrépide ne
saurait supporter.
Avis. — Je ne copie ce que je vous dis dans aucun livre ; je vous peins ce que
J'ai vu et découvert, j'ajouterai, ce que j'ai éprouvé moi-même : Car, depuis
la fatale époque de 1815, trois fois j'ai pu dire comme Clément XIV : So per
che moro, so da che moro, basta assai. «Je sais par qui je meurs; je sais de quoi
je me meurs, ne m'en demandez pas davantage.» Seulement, étant mon propre
médecin, j'ai pu ajouter : « mais je sais aussi à l’aide de quoi je n'en mourrai
peut-être pas, » et cela, je vais vous le dire :
B. MÉDICATION CONTRE LES MAUX DE DENTS HYDRARGÈNES (MERCURIELS , SPÉCIALE-
MENT PAR LE SUBLIMÉ CORROSIF OU DEUTOCHLORURE DE MERCURE).
4° La chose la plus pressante pour l’homme c’est de se raser, afin de faciliter l’ac-
tion des applications sur la joue. Tmmédiatement après, dans le but de limiter
le mal. à ses premiers ravages, on se passe avec le doigt un tampon d'alcool
campbhré pur sur les gencives et sur les soulèvements ganglionnaires. On écrase
sous les dents endolories un tampon de cotuu imbibé d'alcool eamphré ; on s’ap-
plique sur la joue correspondante et sous le menton une compresse imbibée d’al-
cool camphré également.
29 Avec ce pansement doit alterner l'application des plaques galvaniques sur
les surfaces externes et des tigelles galvaniques (*) sur les surfaces internes, sur
les gencives et les dents.
5° On se gargarise souvent à l’eau salée faite avec l’eau zinguée (voir le Ha-
nuel, 110. N. B.), surtout après l'emploi de l'alcool camphré sur les parois buc-
cales,
4° Si la douleur ne cède pas, on passe un peu d'éther sur les gencives, et
l’on applique sous la dent un tampon de coton imbibé d'éther. On prend trois à
quatre gouttes d'éther dans un verre d’eau ou de tisane, surtout le soir avant de
se coucher.
5° Trois ou quatre fois par jour, on écrase sous la dent gros comme un pois
de camphre que l'on avale au moyen d’un bol de tisane de salsepareille.
6° On se purge tous les jours à l’aloès avec bouillon aux herbes; car la con-
stipation fait empirer le mal, et le mal amène la constipation et la rareté des uri-
nes. La purgation à l'huile de ricin procure un plus grand soulagement que la
purgation simple à l’aloès.
7° Tous les matins, lavement à la graine de lin, eau de pluie qui coule des gout-
tières en zinc, et une pincée de sel gris de cuisine.
8° Mais ce qui procure le plus de calme et prépare le mieux la guérison, c’est
(*) voir Revue complémentaire, liv. de sept, 1854, p. b4.
178 REVUE COMPLÉMENTAÏÎRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
l'application d'un cataplasme aloétique du Manuel, arrosé, au lieu d’eau séda-
tive, de huit à dix gouttes de laudanüum. On garde ce cataplasme à demeure, jus-
qu'à ce qu'on éprouvé le besoin de le remplacer par un autre plus chaud; tar
le éataplasme doit être appliqué très-chaud et à l'instant où là surface dorsale de
la main commence à pouvoir lé supporter. On peut garder le catäpläsme toute la
nuit et tout le jour.
N. B. Qu'on n'oublie pas que le laudanum est un poison subtil à l’intérieur,
et qu'à l'extérieur on ne doit jamais l’appliquér sur uné gerçure où une plaié sai-
gnarile ; on doit exercer la plus grande surveillancé sur l'emploi de cet ingrédient
et enfermer le flacon sous bonne clef dès qu'on n’en à plus que faire.
9° On remplace, une heure ou deux, le cataplasme par les plaqües galvaniqués,
dont on a bien soin de nettoyer le cuivre après chaque application; à cet effet, on
laisse quelques instants la plaque de cuivre dans une eau vinaigrée, on l’essuie
avec un linge, et on l'exposé quelques minutes à la chaleur du feu; on la
replongé encore une minute dans l’eau vinaigrée, et on l’essuie bien au chiffon;
elle est bonne alors à resservir.
10° Cette médicätion amène la guérison complète du mal de dents en deux
ou trois jours; et pendant tout ce temps elle rend les douleurs très-supportables
ATTAQUES D’APOPLEXIE.
URGENCE DE DÉPOSER DANS TOUTES LES MAISONS COMMUNALES UNE PROVISION
D'EAU SÉDATIVE.
Un de ces jours, dans un cabaret voisin, un bourrelier s'était attablé tranquille-
ment en revenant de Bruxelles, et avait déjà pris un verre de bière ; il sort un
instant sur la route et revient tout aussitôt reprendre sa place; mais tout à coup
sa Canne lui tombe des mains et sa pipe se détache de sa bouche ; il s’adosse con-
tre le mur, il était mort. Ce cabaret étant éloigné du village, et le village n’ayant
d'autres médecins que ceux des villages voisins, le premier soin de l'hôte fut d’a-
vertir l'autorité communale, Pendant le long laps de temps qu’exige la course,
nul n’osa donner des soins au moribond, qui, malgré l'absence du pouls, conser-
vait pourtant toute sa chaleur naturelle : tant on redoute les reproches de
l'homme de l’art, aux yeux de qui souvent les soins que l’on donne au malade
sont des empiétements sur ses droits! Sile médecin avait eu le temps d'arriver,
certainement tous les soins qu'il aurait pu donner d’une manière diplômée au-
raient été insuffisants; au bout de quatre heures que durèrent les formalités à
remplir, le moribond ne pouvait plus être qu’un cadavre. ra
Or tout m'autorise à affirmer que cette attaque d’ apoplexie se serait dissipéc
en un quart d'heure, comme je l'ai vu tant de fois, si quelque bonne âmé, plus
bardie que les autres, avait eu le soin, dès les premiers symptômes, d'appliquer
à ce brave homme le traitement indiqué dans le Manuel contre l’apoplexie :
c'est-à-dire, ARROSER LE CRANE D'EAU SÉDATIVE, EN FAIRE RENIFLER, ENTOURER LE COU
ET COUVRIR LA RÉGION DU COEUR DE COMPRESSES IMBIBÉES DE LA MÈME EAU ; EN LOTIONNER,
LE DOS ET LES REINS, ET LES FRICTIONNER SANS RELACHE A LA POMMADE CAMPURÉE 3 PUIS, DÈS
QUE LE MALADE OUVRE LA BOUCHE, LUI FAIRE AVALER UN BOL DE BOURRACHE CHAUDE AVEC
UNE CUILLER A CAFÉ D'EAU SÉDATIVE,
Il n’en faut pas davantage, dans tous les cas exempts d’épanchement au cerveau
ou de rupture d’anévrisme, pour ramener à la santé le malade en apparence fou--
droyé.
SECOURS À DONNER AUX APOPLECTIQUES: PANARIS. 4179
Or, qu'aurait pu diré le médecin quëé, pot la régularité dé la circonstance,
l'autorité communale aurait pu ramener de sa résidence éloignée, dans le cas où
il aurait surpris ces soins en voie d'exécution ?
S'il avait trouvé le malade rappelé à la vie, il n'aurait certainement pas fait un
procès à Ceux qui l'auraient soigné avec tant de succès, ou bien il faudrait en
faire un à quiconque entoure de soins un malade, pendant qu'on va appeler le
médecin.
Mais je suppose que ces soins eussent été infructueux, le médecin se serait
montré fort ignare, en accusant l'application de l’eau sédative de ce triste in-
succès. Car toute la médecine est unanime aujourd’hui pour préconiser, dans ces
sortes de cas, l'efficacité de l’eau sédative. Il faut qu'il se soit produit dans le crâne
quelque épanchement hémofrhagique pour que son actiüti resté impuissänte;
mäis, même dans ce cas, elle rappelle le sentiment, rétablit la circulation et rend
quelquefois la pensée et la parole pour quelques instants au malade.
Cet accident ne peut être traité efficicement qu’au début; il n’est plus temps,
si l'on tarde.
L'appel du médecin est une formalité légale, comme l'appel de l'autorité com-
munale. Mais son concours est rarement eflicave en paréil cas; son coup de lan-
cette ne produit que bien rarement une émission Saänguine; et si la saignée rap-
pelle à la vie le malade, c'ést pour le laisser hémiplégique (paralysé d'un côté)
pour le restant de ses jours.
Donc nous ne saurions trop inviter les autorités à placér dans la maison com-
munale une boite de secours, fournie abondamment d’eau sédative contre
les coups de sang, et puis de tous les ingrédients que nous employons contre les
blessures. Que de morts n’aurait-on pas sauvés, si l’on avait procédé ainsi depuis
la propagation du nouveau système! Quel est le village aujourd'hui où l’on ne
trouve pas un certain nombre dé citoyens très-experts dans l'application du nou-
veau système; et pourtant ils restent malgré eux spectateurs impuissants des acei-
dents qu’ils pourraient conjurer, s'ils n'étaient paralysés dans leur zèle par la crainte
d’une dénonciation de la part des gens du métier.
Qu'un seul conseil communal ait enfin le courage de sa conviction, ét les méde-
cins les plus retardataires se montreront plus dociles aux nobles inspirations de
la profession qu'aux sordides appréhensions du métier.
Qu'un seul conseil communal commence, et son exemple te manquera pas
d'imitateurs,
Mais en attendant le bienfait officiel de cette institution, que chaque citoyen
ait à son tour le courage de prodiguer ses soins au malade avec intelligence et
d'après les règles du Manuel, pendant qu'on court à la recherche du médecin
préposé légalement à la constatation des cas de mort subite, Aucune loi ne leur
interdit ce devoir d'humanité, et nul n'aurait le droit de leur faire un reproche
de leur insuccès,.
ENCORE UN PANARIS SAUVÉ DE LA SOUFFRANCE ET DE L'ESTROPIEMENT PAR
LES COUPS DE BISTOURI, (Voy. Revue complémentaire, livr. d'août 1854.)
La médecine scolastique persistant dans son vieux et déplorable traitement
du panaris, nous ne saurions trop, à notre tour, multiplier les exemples de sou-
lagement et de guérison par notre méthode. Car l’unique moyen qui nous
reste de faire entrer la médecine dans une meilleure voie, c’est de nous adresser
480 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
à l'intelligence du malade ; le malade, mieux informé, finira par réformer le mé-
decin.
Vers le 26 novembre, une jeune fille se piqua au-dessous de la racine de l’on-
gle avec le talon de son aiguille, pendant qu’elle cousait. Elle eut beau se battre
la piqûre, comme les couturières le font en pareil cas, elle cicatrisa ainsi la piqüre,
mais aussi elle enferma le loup dans la bergerie. Car il était resté dans la chair
quelques brins de fil, ce dont elle ne tarda pas à subir les conséquences ; tous
les symptômes du panaris se déclarèrent dans la nuit par des douleurs lancinan-
tes, qui, pendant toute une semaine, ne lui ont laissé ni paix ni trêve le jour
comme la nuit.
Elle se décida alors, en désespoir de moyens de soulagement, à avoir recours
au pansement de la nouvelle méthode; il s'était formé à la base de l’ongle une
pustule jaunûtre très-proéminente.
Son doigt fut enveloppé de petites bandes de toile imbibées d'alcool cam-
phré, et introduit ainsi emmailloté dans un doigtier de vessie de porc; elle n’a-
vait qu'à verser de l’alecol dans le doigtier, toutes les fois que la réapparition
de la douleur lui indiquait que les linges étaient à sec. Avec ce simple moyen
toute la souffrance disparut instantanément, et elle passa une très-bonne nuit.
Le surlendemain de ce traitement la pustule avait crevé, et un petit bourgeon
charnu faisait saillie sur le côté de la phalange. L'alcool camphré fut remplacé
alors par des bandes enduites de pommade camphrée, qu’on alimentait d'huile
camphrée, toutes les fois que le corps gras se solidifiait, en en versant dans le
doigtier de vessie. À la faveur de ce pansement la jeune fille se servait de son
doigt emmailloté, comme de ceux qui n'étaient pas malades.
Deux jours après, la peau de la surface dorsale du doigt semblait présenter
un commencement d'inflammation; on en revint à l’alcool camphré, pour parvenir
à produire le décollement qui effectivement s’accomplit du jour au lendemain.
Le moment parut arrivé pour vider la poche transparente qui s’étendait de
l'ongle jusqu'à l'articulation des {re et 2° phalanges, et laissait distinguer une
fluctuation d’un liquide grumelé et couleur chocolät. On saisit un point de cette
peau décollée, au moyen de la pince à dents; d’un coup de ciseaux on détacha la
portion que tenait la pince; le liquide grumelé s’échappa par cette ouverture; on
bassina le doigt dans l'eau pour mieux vider cette capacité, ensuite on fendit toute
la poche d’un coup de ciseaux à pointes mousses, et on trancha tout ce qui ne
tenait plus aux chaïrs; lorsqu'on fut arrivé à la racine de l’ongle, apparut le
siége primitif du panaris, par deux ouvertures circulaires communiquant entre
elles à travers la portion charnue de la dernière phalange; de chacune de ces
ouvertures sortait une houppe bleuâtre d’un bourbillon que la pince rétira en en-
tier. On bassina alors le doigt dans de l’eau tiède aiguisée de quelques gouttes
d'alcool camphré, et quand le suintement sanguinolent qui filait par ces deux
ouvertures se fut presque tari, on pansa tout le doigt à la pommade camphrée.
Ce pansement ne fut ni accompagné ni suivi de la moindre douleur; l'alcool
seulement produisit un picotement qui n'avait rien de désagréable.
Le lendemain quand on renouvela le pansement, la pellicule de cicatrisation
était formée sans Ja plus petite trace de pus; la nouvelle peau était rose comme
celle des lèvres ; le doigt se prêtait sans obstacle à tous les mouvements: la jeune
fille s'en servait comme des autres pour le travail habituel de la maison, et la
guérison à été telle que ce doigt ne conserve aucune trace de l'accident. I eût été
estropié certainement par l’ancienne méthode aux cataplasmes et aux coups de
FORMATION DES NUAGES. 181
bistouri; car ces sortes de panaris causés par l'introduction des fils de couture
et de couleur dans la dernière phalange de l'index sonten général des plus graves.
Dans la nouvelle nomenclature on doit les désigner par la phrase suivante :
SPARTOGÉNOSE (*) TRAUMATIQUE SUBUNGUÉALE, Ce qui signifie : maladie (nose) engen-
drée (gen) par une blessure (trauma) qui à introduit un fil de couture (sparté)
sous l’ongle (subunçquéale).
CHAPITRE II. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE (Suite).
{Voy. pag. 155; livr. de déc. 1854.)
SUITE DU $ 5. — FORMATION DES NUAGES.
51. Les nuages dont nous parlons se forment à des hauteurs de l'atmosphère
bien supérieures au sommet des plus hautes montagnes connues, dans ces ré-
gions que nul aérostat n’a encore pu atteindre et où le thermomètre descendrait à
un degré bien plus bas encore que sur les mers de glace voisines du pôle. Il
est donc impossible que, le givre se joignant au givre par couches successives, il
n’en résulte pas à la longue une lame de glace compacte. Or, la glace étant d'autant
plus transparente qu’elle est plus compacte, il s’ensuivra que ce radeau immense
formé par une couche de glace passera sous la Tune ou le soleil sans en cacher
l'image. Or c’est ce qu'il sera facile d'observer une fois qu'on en sera averti, et
c’est ce que j'ai pu constater pendant les longues soirées où ma promenade soli-
taire était une constante observation dans le but de ce système. Un brouillard
obseureit le ciei, et laisse rarement percer l’image de l’un ou de l’autre lumi-
naire sans altération de grandeur ou d'éclat; or, lorsque le ciel charriait des
nuages analogues à ceux dont je parle, tout ce radeau passait sous la lune, sans
en diminuer grandement l'intensité lumineuse et sans en déformer les contours
le moins du monde; seulement les accidents d'épaisseur et de surface se dessi-
naient en passant sous son disque par traits plus ou moins ombrés. Quand on
réfléchit ensuite que ce radeau, qui couvre souvent toute la calotte du ciel, vogue
ainsi à plusieurs lieues au-dessus de notre tête, on reste confondu de l’immensité
incalculable de ses dimensions; c’est un océan de glace qui glisse sans obstacle
au-dessus de tout un hémisphère peut-être, pour aller porter la pluie ou la grêle
au loin avec la rapidité du vent. Nous appellerons ces nuages nuages glacés.
52. On me demandera sans doute, avec une certaine inerédulité, comment une
immense calotte de glace pourrait rester ainsi suspendue sur nos têtes, et voguer
dans les airs comme le ferait un immense radeau sur la surface des mers. Je vais
l'expliquer de la manière la plus péremptoire, après avoir fait remarquer que le
fait ne saurait être nié, à cause des lois immuables de la réfraction lumineuse,
qui sont les mêmes, on le comprend bien, à toutes les hauteurs de notre atmo-
sphère et même dans les espaces imaginaires du système du monde. La glace
seule peut nous laisser voir la lune ou le soleil par transparence : donc le nuage
transparent est un nuage de glace. Le fait étant incontesté, cherchons l'explication
du phénomène statique.
d5. Mais auparavant je dois parler d’une autre espèce de nuages plus com-
() Du grec sparté, fil de couture.
182 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mune que la précédente, et dont la statique s’expliquera de la même manière que
la précédente : Je veux parler des nuages en montagnes de neige. Ces sortes de
nuages ne sont visibles dans tout le grandiose de leur splendeur éblouissante, de
la variété de leur profil et de l’immensité de leurs chaines, que lorsqu'ils arrivent à
l'horizon. Les glaciers de la Suisse ne sont plus que des collines vulgaires en com-
paraison de ces immenses crêtes, pitons et vallées, de ces Pélion entassés sur Ossa
en flocons qui se déforment lentement, s’affaissent et se recourbent les uns sur les
autres, se condensent enfin par les rayons que darde le soleil sur leurs masses
gigantesques. Quand ces glaciers atmosphériques arrivent au-dessus de nos
têtes, ils n'offrent plus que des surfaces ardoisées et unies ; la montagne de neige
dont nous n’aperceyons que la base ne se révèle alors qu'aux régions dont,
dans cette position, elle limite l'horizon. C’est, par un ciel pur et à l’heure de
midi, le plus beau spectacle météorologique qui puisse s’offrir à l'observateur,
pourvu que, ainsi que je l’ai fait, il ait préalablement étudié les divers phéno-
mènes optiques qu'offre la neige accumulée sur le sol, quand le soleil darde ses
rayons sur elle. Après une pareille étude, on peut décrire ce qui se passe dans ces
glaciers atmosphériques, avec autant de précision qu'on le ferait à l'égard des
tas de neige que le vent a accumulés tout près de nous. Ces nuages nous les ap-
pellerons glaciers atmosphériques, ou nuages en montagnes de neige, ou nuages
neigeux.
54. Arrivons maintenant à la théorie de leur suspension dans l'atmosphère.
1° Jamais un nuage ne reste suspendu, stationnaire et immobile dans les airs.
Il se déplace plus ou moins vite et vogue dans un sens ou dans un autre, alors
qu’il nous semble ne pas bouger de place; en effet, détournez un instant la tête,
et, quand vous voudrez l'observer encore, vous le trouverez grandement déplacé.
La vapeur d’eau ou nuage de brouillard monte, à moins que la force du vent ne
la rabatte; mais tout nuage neigeux, givreux ou glacé, descend par son propre
poids.
90 Jamais il ne saurait arriver qu’un nuage, même en lame de glace, tombe per-
pendiculairement; ear il faudrait, dans cette hypothèse, qu'il tombât par le vide
et que la couche d'air interposée eût disparu entièrement. Lancez une lame de
plomb d’une hauteur quelconque, ceux qui se trouvent placés dans la ligne per-
pendieulaire ne courront aucun risque d'en être atteints, et la diagonale que la
lame décrira dans sa chute sera d'autant prolongée que le point de départ sera
plus élevé et la lame plus étendue en surface; vous aurez une diagonale bien
plus longue encore si cette lame de plomb voyage dans l’eau. Cette diagonale est
la résultante et de la résistance opposée par l'épaisseur de la couche d'air et de la
pesanteur de la lame ou du nuage. Une feuille de papier irait tomber bien plus
loin qu'une feuille de plomb de Ja même épaisseur et largeur. Admettons qu’un
nuage de glace se soit formé à la hauteur de quatre Jieues dans l'atmosphère, il
faudrait souvent qu'il parcourût une diagonale correspondant à un côté du
rectangle de plus de cinquante lieues, avant d'atteindre la bauteur d'une mon-
tagne ordinaire; et dans le trajet ce nuage aurait le temps de fondre, en trayer-
sant aussi lentement les couches de plus en plus basses de l'air.
Nous supposions là que ce nuage de glace, formé à une telle hauteur, jouit de la
même densité que la glace qui se forme : à la surface de l’eau de nos fleuyes.
3° Mais nous allons démontrer qu'il n’en est point ainsi, et que la glace formée
dans les hauteurs de l'atmosphère est d'autant moins dense que la région où elle
se forme est plus élevée.
COMMENT SE SOUTIENNENT LES NUAGES DE GLACE. 183
4° En effet, la glace nese forme qu’en condensant l'air atmosphérique qui se
cristallise avec elle; cet air n'en trouble nullement la transparence; c’est de
l'air dissous dans l’eau et qui fait corps avee elle, Car l'air que l’eau ne dissout
pas forme-bulle; or, plus la glare est épaisse et compacte, c’est-à-dire plus il con-
tinue à geler, et plus la glace est transparente.
5° Afin de bien se pénétrer de cette idée, que l’eau dissout d'autant plus d'air
que sa température s'abaisse davantage, rappelons-nous que pour purger l’eau
d'air nous n'avons qu'à la soumettre à l'ébullition; au-dessous de l’ébullition
l'eau conservera une quantité d’air proportionnelle à sa température.
Pour qu'elle reprenne l'air dont l’ébullition l'avait dépouillée, on n’a qu’à la
laisser exposée à l'air pendant un temps suflisant, et si on la soumet à une ébul-
lition nouvelle, on en retirera, toutes choses égales d’ailleurs, la même quantité
d’eir qu'auparavant. Cette quantité sera d'autant plus grande, chaque fois, que
l'exposition suffisamment prolongée de eette eau aura eu lieu par une tempéra-
ture plus basse (‘). Done, plus la température baisse, plus l’eau et par consé-
quent la glace doit absorber et dissoudre de l’air.
60 Et c’est cette grande quantité d'air en dissolution condensée qui rend la
glace plus légère que l’eau et tient les plus énormes glaçons, les montagnes mêmes
de glace, flottant et naviguant sur la surface des mers, comme des vaisseaux or-
dinaires.
7° Du reste, dès que la température s'élève et pénètre le glaçon, on voit s’échap-
per, comme par fout autant d'interstiees, la quantité d'air dont la dissolution n’est
plus comportée par une telle température. Les bulles d'air voyagent alors, sous
les yeux de l'observateur, comme on fait voyager les bulles d'acide carbonique
par les interstices osseux, quand on traite une lame osseuse par un acide miné-
ral quelconque. Que l’on plonge un fragment de glace sousune éprouvette pleine
de mercure ou d’eau, on en retirera ainsi toute la quantité d’air qu'avait dissoute
la glace, à mesure que la glace fondra sous ce récipient.
Ces stries que trace la fuite de l'air à travers les blocs de glace quand la tem-
pérature s'élève, sont d'autant plus visibles que l’on tient le glaçon plongé dans
la nappe d’eau.
7° Mais nous avons déjà fait observer (24) que l'air est d'autant moins dense
qu'il stationne plus haut ; en effet, les gaz les plus légers montent ; l'hydrogène, le
plus léger des gaz, doit monter indéfiniment. Donc l'air que condensera la forma-
tion de la glace sera d'autant plus léger que la glace se formera plus haut dans
l'atmosphère. Donc cet air interposé entre la glace pourra donner au nuage une
densité telle qu'il se tiendra à telle surface de l'océan aérien, eomme nos glaçons
sont soutenus par l’air interposé à la surface de l’eau qui n’est qu’une combinai-
son plus condensée d'oxygène et d'hydrogène. Les molécules d'air forment ainsi
aérostat pour le poids de la glace, surtout quand cet air renferme encore plus
d'hydrogène que d'oxygène; et il est évident que l'hydrogène abonde d’autant
plus dans le mélange aérien que les couches d’air sont plus élevées.
Done le plus immense nuage de glace doit voguer dans les hautes régions de
l''imosphère comme un aérostat ordinaire ; il peut bien ne s'abaisser qu'avec
une excessive lenteur, et à mesure qu’un courant de chaleur ou le dard des rayons
(*) De là vient que les boissons exclusivement chaudes rendraient la digestion pénible, et que rien
n'est digestif comme l'eau fraîche, vu qu'elle apporte par chaque gorgée une nouvelle quantité d'air à
la fermentation stomacale qui, ainsi que toute autre fermentation, ne s'opère jamais par le vide. Pe
là vient qu'après les grands repas, les sorbets glacés sont si avidement recherchés par tout le
monde, è
1484 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
solaires vient le dépouiller d’une quantité d'air interposé, proportionnelle à la
quantité de calorique dont le glaçon nuageux s'était dépouillé. La descente du
nuage glacé dans les régions inférieures de l'air sera d'autant plus rapide que la
bouffée de chaleur lui arrivera plus rapidement et à un degré plus voisin de la
flamme ; mais cette descente n’en aura pas moins lieu en suivant une diagonale
plus ou moins inelinée selon les circonstances de ce dégagement gazeux.
55. Maintenant, pour nous livrer avec plus de fruit à l'étude des effets si va-
riés des nuages, il est bon d'entreprendre une étude préalable des effets optiques
que la lumière produit sur des blocs de glace ou de neige, quand nous en avons
à notre portée; car les lois de la réfraction et de la réflexion de la lumière étant
les mêmes, à quelque hauteur qu’elles s’exercent, rien ne nous apprendra mieux
à interpréter l'aspect infiniment varié des nuages que ce que nous aurons con-
staté, sous ce rapport, sur les objets homogènes qui se trouvent tout près denous,
et dont la vérification peut se faire à l’aide de tous nos sens.
56. Dès que l’occasion s’en présentera, placez done un énorme bloc de neige
sur un filet en corde ou sur un treillage en métal, ou bien, si cela est possible, sur
un châssis en verre, et cela par un magnifique soleil :
1° A distance, tout ce que frappera la lumière directe vous paraîtra d’un blanc
éblouissant, accidenté par des demi-teintes plus ou moins ardoisées, selon la pro-
fondeur des creux et sillonnements qui séparent les flocons les uns des autres;
mais cette couleur ardoisée deviendra d'autant plus intense que vous considérerez
le bloc par la surface opposée à la surface lumineuse. Le même phénomène s’ob-
serve sur les flocons de vapeurs d'eau que dégorgent les chaudières à vapeur
quand ces flocons réfléchissent par un beau jour la lumière du soleil; mais il y a
cette différence, entre cet effet et celui des flocons de neige, que les formes des
flocons de vapeurs sont fugitives et passent comme le vent, même par un temps
calme.
20 Ces gros flocons d’une blancheur éclatante, vous paraîtront s’abaisser les
uns sur les autres, à mesure que la chaleur des rayons solaires les pénétrera.
On voit ces pitons, ces pics, s'ineliner peu à peu sur les erêtes de ces petites
montagnes, se confondre avec elles en un relief nouveau; le bloc se tasse ainsi
peu à peu, se condense, altère et teinte de plus en plus son admirable blancheur
de reflets ardoisés, et finit par former comme un culot compacte de glace fon-
dante, dont tous les accidents de surface se sont successivement effacés.
3° Pendant tout ce temps il pleut à grosses gouttes sous le filet, et la surface
inférieure du eulot de neige s’assombrit de plus en plus.
4° Dans un verre à boire, vous pourrez vous rendre compte de tous ces détails
la loupe à la main. Le bloc de neige se réduit de plus en plus et diminue de
volume dans le sens de la hauteur et du diamètre horizontal; il se détache de
toutes les parois du verre en tournant sur lui-même ; il augmente de densité et
de dureté à mesure qu'il diminue de volume, et là, ne pouvant filtrer la portion
fondue, il semble la reprendre pour la solidifr de nouveau ; le bloc de neige re-
devient presque bloc de glace en se rapetissant.
5° La blancheur de la neige se teintera de toutes les nuances du spectre so-
laire, si le rayon qui l'éclaire ne lui parvient qu'à travers une lame de glace ou
par la réflexion d’une couche voisine de neige.
G° Au lieu de placer la neige en bloc sur ce filet, étendez-la en une couche
plus ou moins mince; elle semblera, sous l'influence des rayons solaires, se dé-
chirer d’une foule de manières plus bizarres les unes que les autres, à mesure
CARACTÈRES DES NUAGES NEIGEUX. 185
qu’elle se filtrera en pluie à travers ses propres flocons ; et ces résidus en réseau
dentelé se coloreront là d’ardoise sur un fond blanc de neige, là de festonnements
blanes de neige sur un fond ardoisé.
7° Eh bien, tous ces phénomènes visuels, vous les verrez se reproduire, à
une époque ou à une autre, dans les nuages atmosphériques, et vous n'aurez
plus la moindre peine à vous les expliquer, quand une fois vous aurez contracté
l'habitude du genre d'observation précédente.
56. Cette montagne de neige dont vous distinguiez les pics, les crêtes, les
aiguilles floconneuses à l'horizon, ne sera plus à vos yeux qu’un nuage ardoisé,
à teinte unie et pour ainsi dire tamisée, dès qu’elle sera parvenue à votre zénith.
d7. Ce point, ce grain, pour me servir d’une expression de matelot, que vous
distinguiez à peine à l'horizon, grossira de plus en plus en approchant, et finira
par couvrir l'horizon de quelques lieues dont votre position est le centre.
58. Ce nuage, qui au-dessus de vos têtes n'avait l’air que d’un simple flocon,
vous paraitra s'étendre en descendant dans les régions inférieures de l'atmosphère,
et ce flocon inaperçu finira par vous cacher la calotte du ciel.
59. D'un autre côté, ce nuage immense s'amoindrira de plus en plus, quand,
au lieu de descendre par la fusion de ses molécules, il montera dans les régions
supérieures par des raisons que nous expliquerons plus bas, mais surtout en
condensant des molécules de gaz aériens de moins en moins denses; il finira par
disparaitre à votre vue, comme s’il se dissolvait dans l'air, ainsi qu’on l’observe
sur l’aérostat aux dimensions les plus colossales à mesure qu'il s'élève plus haut.
Grands et immenses phénomènes qui émanent des mêmes lois que les phéno-
mènes que nous manipulons, pour ainsi dire, de nos faibles mains, et dont l'inter-
prétation la plus juste est toujours la plus banale et le plus à portée de l’intelli-
gence du vulgaire.
$ 6. FORMATION DE LA NEIGE.
58. La neige ne tombe en été que dans des cas infiniment rares et exception-
nels; sa formation est un phénomène météorologique spécial à l'hiver et qui ne
peut se reproduire que lorsque les couches élevées de l'atmosphère sont à une
température inférieure à zéro; 4"° condition.
29. 2% condition : Il faut que ces couches de l'atmosphère soient envahies
par un brouillard; un de ces brouillards qui nous cachent le ciel par une teinte
sombre, unie, sans le moindre accident de surface, et tamisent la lumière comme
le font les brouillards dans lesquels nous sommes plongés. Le ciel gris légère-
ment ardoisé, et le refroidissement continu de l'air, joint à la faible clarté, à Ja
clarté presque crépusculaire du jour, communiquent à nos sens instinctifs comme
un pressentiment de neige.
60. Il se passe alors, dans les régions élevées où les mouvements atmosphéri-
ques ont porté le brouillard, les mêmes phénomènes dont nous avons été té-
moins pendant la formation du givre, avec une différence émanant de celle des
régions.
lei bas le givre se dépose à terre, il est vrai, en forme de neige pulvérulente;
mais comme il ne se forme pas bien haut, ses flocons grossissent peu dans le
trajet et ne prennent pas, par conséquent, le nom de flocons de neige. Quant au
givre qui s'attache aux branches d'arbres ou d'herbes, ou même au bois mort
et aux corps inorganiques, mais bons conducteurs de calorique, j'ai presque
toujours fait la remarque que la formation de ce givre affecte le côté nord de tous
ces corps vivants, morts ou inorganiques ; c’est par là que ses festonnements se
15
186 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
\
prolongent indéfiniment, le côté exposé au sud restant très-souvent nu et sans
même ternir sa surface.
(La suite au numéro prochain.)
CHAPITRE IL
MALADIES VÉGÉTALES ENTOMOGÈNES, OU ENTOMOGÉNOSES
VÉGETALES ().
ALUCITE DONT LA LARVE DÉVORE LA MOELLE DE LA HAMPE DU POIREAU (azzivm
PORRUM, L.)
Parmi les singularités horticulturales de cette année, j'ai parlé d’une larve de
phalène qui a dévoré la moelle de la hampe de nos poireaux porte-graines, et
a fait avorter la maturation de la semence. (Rev. compl. 3° Liv. p. 400.)
Je suis aujourd'hui en mesure d'en donnér l’histoire complète; et ces sortes
de bonnes fortunes de l'observation fixent encore plus l'attention de l’agronome
que la curiosité du naturaliste, depuis l'apparition du nouveau système de méde-
cine animale et végétale; auparavant les végétaux n'étaient malades, comme les
animaux, que par l’influence d’une entité occulte qui dispensait l’observateur de
toute espèce d'intervention dans l'explication de ce mystère.
81. OBSERVATIONS PRÉLIMEINAIRES.
Lorsque le mot de l'énigme de Ja maladie végétale a été donné, les agriculteurs
ont eu hâte de s'adresser aux naturalistes, afin de connaitre l’histoire des êtres
animés qui sont pour les récoltes des fléaux pires que la grêle et la gelée. Mais
il s’est trouvé alors que le naturaliste en savait encore moins sur ce sujet que
l'agronome ; car en général, de tous ces parasites, il n’estimait que l’insecte parfait;
pour enrichir sa collection et en faire des échanges. L'histoire naturelle était
devenue une nomenclature synonymique, et de l’histoire, qui est le but du phi-
losophe, elle n'avait conservé que le nom; la facilité des classifications nominales
avait fait abandonner la voie de l'observation que Réaumur et Degeer avaient
tracée, comme le but philosophique dont la classification ne peut jamais être
qu’un moyen. À la mort de ces deux grands hommes, la passion des collections
détrôna l'observation.
Aussi l’entomologie, comme la botanique, avait-elle fini par être classée parmi
les manies oiseuses, puériles et sans profit, qui n'entrent que dans des organi-
sations faibles et incomplètes; on disait un amateur de papillons, comme on
dirait un amateur de chinoiseries.
Tout à bien changé aujourd’hui, depuis que l’histoire naturelle a tendu la
main à l’agriculture, pour lui enseigner à surpendre et à conjurer les causes
morbipares qui lui ravissent en quelques jours le fruit des travaux d’une année,
La plus belle acquisition pour elle, ce n’est plus le plus bel insecte, mais l'histoire
(*) Du grec: nosos, maladie; gèn, engendrée ; entomo, par les insectes. (Nomenclature de l'Histoire nat,
de la santé.) La science qui s'occupe de l'histoire naturelle des insectes n'avait pas encore de nom du
temps de Bonnet; il proposa pour la désigner le mot d'insectologie (Traité d'insectologie ou observañions
sur les pucerons, par Charles Bonnet, Paris, 1745, tom. ler, pag. 111). Mais ce mot, étant composé d’un
mot grec et d’un mot latin, fut remplacé par celui d'entomologte, qui est plus conforme à la syntaxe.
Le mot grec entomos se compose lui-même de deux autres : temno, je coupe, en, en deux, à cause de
l’étranglement qui sépare le corselet de l'abdomen chez les insectes.
HISTOIRE NATURELLE DE L’ALUCITE DU POIREAU, 187
la plus complète d'un insecte ravageur et le moyen d'en conjurer les ravages;
et malheureusement le collecteur est pris souvent au dépourvu à ce sujet; les
noms d'espèces abondent et les faits observés manquent presque partout; ce qui
fait souvent que la richesse de la nomenclature est une richesse nominale et
basée sur une foule de doubles emplois,
Je ne voudrais pas pour tout au monde qu’en parlant de la sorte, on me soup-
connât de céder à l’antipathie que m'ont toujours inspirée les prétentions
de la profession de savant. Afin de me laver de la moindre teinte de ce soupçon,
je demande la permission de transcerire le compte-rendu d’une séance (celle du
3 avril 1850) de la Société nationale et centrale d'agriculture de Paris, où il
s'estagi d'une question semblable. Il y est dit: « que M. Vilmorin a déposé sur le
bureau des pousses d’épicéa qu'il a recueillies dans son domaine, qu'il a trouvées
en très-grand nombre au pied de trois Epicéas groupés sur un point, tandis que
les plantations de même essence des autres localités ne lui avaient offert rien
de tel. Il est porté à croire, du reste, que ce dommage aurait été causé par
un insecte qu’il a reconnu sur l'épicéa, et dont le nid forme une petite excrois-
sance ayant de la ressemblance avec une noix imbriquée; insecte parfait est une
petite mouche allongée de couleur verdâtre. M. Guérin Méneville ne pense pas
que les larves d'une mouche aient pu produire le dommage signalé par M. Vil-
morin ; il croit plutôt qu’on doit l’attribuer à un coléoptère. M. Huzard renchérit
sur ces messieurs, en disant qu’on a vu souvent des pies couper des pousses d’ar-
bres comme ces pousses-là (Revue scientifique, mai 1850, pag. 278) ». M. Gucrin
est un entomologiste de profession, M. Vilmorin un horticulteur, et M. Huzard
un professeur de vétérinaire: et vous voyez que tous les trois avouent obser-
ver le fait entomologique pour la première fois, et ne point en connaître la cause.
Or rien n’était plus connu à cette époque de ceux qui possédaient l'Histoire
naturelle de la santé et de La maladie. Car ces messieurs avaient sous les yeux l'œu-
vre d’un puceron {aphis epiceæ) dont nous avons fait graver la figure sur une bran-
che verte et une morte d’épicea (Voy.Hist. nat. de la santé, 1846, pl.15 fig.13-16).
Réaumur et Degeer ont décrit et figuré sur un rameau de pin l'œuvre analogue
d’un puceron que Linné désigne, d’après eux, sous le nom d’Aphis pineti.
Ne rougissez donc pas de votre ignorance, vous qui allez vous occuper de
maladies entomogènes ; observez et décrivez avec soin; celui-là est le savant le
plus utile qui passe à approfondir une question le temps que d’autres gaspil-
lent à enrichir leur mémoire de détails isolés et incomplets.
Lorsqu'il vous arrivera de rencontrer une larve morbipare, ne la quittez plus
que vous n’en sachiez toute l’histoire. Il se trouvera bien souvent que vous l'aurez
écrite le premier; et si vous avez été dévancé dans la découverte, votre témoi-
gnage n'en sera pas moins une confirmation importante d’un fait déjà observé.
Nous sommes je le répète, très-riches en figures d'insectes arrivés à l’état par-
fait; nous sommes infiniment pauvres en fait de leur histoire.
$2 HISTOIRE NATURELLE DE L’ALUCITE DU PQIREAU (Alucites porrella, Nob.)
Le 7 septembre 1854, nous nous aperçümes que toutes les ombelles de nos
poireaux porte-graines se détachaient du bout de la hampe avant d'avoir muüri,
cette extrémité ayant été littéralement réduite en poussière. La hampe était ron-
gée à l’intérieur par une chenille très-alerte, mais très-affamée, que je m'em-
pressai de recueillir afin d'en étudier l’histoire; ear je ne trouvais nulle part que
les naturalistes eussent fait mention d’une larve rongeant la hampe du porreau.
188 REVUE COMPÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
J'arrachai quatre ou cinq de ces hampes que je ployai de manière à pouvoir être
renfermées dans une gaze que je liai par les quatre bouts (). En même temps,
et pour l'observation journalière, j'en conservai quelques-unes entières et sans
les envelopper de gaze.
Cuemze. Elle ne dépasse pas en longueur un centimètre. Elle a sept paires
de pattes, trois cornées sous les trois premiers anneaux, et quatre membraneuses
sous les quatre anneaux qui suivent le cinquième. Quand on ouvre son repaire,
elle s’agite convulsivement et cherche à filer son nœud en dévidant un fil de soie
qui lui sert de parachute. Elle vit et se débat fort longtemps encore, quand on la
tient plongée dans une nappe d'huile, qui pourtant asphyxie bien vite les insectes
parfaits.
Son corps est lisse, d’un jaune grisâätre pointillé de noir. Sa tête est lavée
d’une teinte marron, et le premier anneau porte un écusson d'un marron plus
clair encore. A l'exception de celui-ci, chaque anneau est marqué de six points
noirs, semblablement disposés, si ce n’est sur les deux derniers.
Disposition des points sur les dix anneaux :
2 o
Disposition des points sur les deux derniers anneaux :
Cette larve ne ronge pas tout dans la hampe, elle fait un choix dans ces tissus;
elle égrène le parenchyme, qui semble ensuite n'être plus qu'une moelle blanche
émiettée; elle ne descend pas jusqu’à l'oignon. Je suis porté à croire qu'elle s'in-
troduit par le haut de la hampe, car c’est toujours là la portion la plus ancien-
nement entamée.
Curysaue ou purs. Le 14 septembre, je vis que les hampes, que j'avais Jais-
sées sur le sol de mon cabinet, présentaient sur leur surface des accidents que je
n’y avais pas remarqués jusque-là. Ces accidents, qui revêtaient de loin l’image
de boursouflures farineuses, n'étaient autres que les coques de soie que la che-
nille s'était filées pour s’y transformer en chrysalide. On remarquait tout auprès
la perforation qu'avait pratiquée la chenille sur la paroi de la hampe du poireau
pour sortir de sa prison.
Mais le travail de la coque diffère du tout au tout de celui du cocon. Ce n’est
qu’une dentelle blanche, d’une grande force de résistance, et dont les mailles iné-
sales, hexagones, pentagones, mais plus souvent quadrangulaires et triangulai-
res, dépassent peu un tiers de millimètre en tous sens. Quant à la coque, qui
imite la forme d’une moitié de poire appliquée contre la hampe, elle ne dépasse
pas en longueur huit millimètres.
A travers son réseau, on distinguait parfaitement la puppe ou chrysalide, qui est
bien une puppe de phalène, pointue vers l'anus, arrondie vers la tête, jaune, avec
une tache marron de chaque côté des anneaux, et lavée de quatre stries marrons
onvergentes sur le fourreau des ailes. Cette chrysalide n’a que six millimètres de
long; elle s’agite vivement, quand on l’a sortie de son filet de soie. En voyant la
Ÿ “ “ - » . .
(*) Je préfère ce moyen de conservation à celui des bocaux : Il est plus économique et moins embar-
rassant; car on peut tapisser les murs de son laboratoire de ces sortes de paquets.
HISTOIRE NATURELLE DE L’ALUCITE DU POIREAU. 189
larve se changer en puppe si tard, J'étais porté à croire que la puppe passerait
l'hiver dans son cocon et ne se transformerait qu'au printemps prochain. Mais
le 48 novembre, je trouvai dans la gaze lesspapillons alertes et sautillant, comme
font les teignes et l'altica; tous leurs cocons étaient vides. J'en emportai, pour les
étudier de plus près, une vingtaine dans une chambre à coucher où l'on fait du
feu continuellement et dont la température est celle de l'été. Elles étaient en-
fermées dans un verre à confiture recouvert d'un double de calicot blane de les-
sive; le lendemain au soir elles étaient toutes mortes, tandis que dans mon
laboratoire, dont la température était à + 4°, elles vivaient encore le 29 novembre ;
je ne trouve au fond du vase rien qui ressemble à des œufs, quoique, pendant
le court espace de leur vie, ils m'aient paru s'accoupler ; le 40 décembre elles
étaient mortes dans mon laboratoire.
Cette alucite a tout à fait le port des teignes, les ailes enveloppant le corps en
fourreau et se redressant un peu en crête à l'extrémité du dos. Si ce n'était la
différence des taches, elle se rapporterait exactement aux deux figures 5 et 6,
pl. exzv de Schæffer (Zcones insectorum Ratisbonnensium, tom. 11), que l’auteur.
désigne par la phrase suivante : phalena seticornis alis eonvolutis quinta.
Ce papillon appartient donc à la division des phalènes ou papillons de nuit;
voyons maintenant dans quel genre il rentre et de quelle espèce connue il se rap-
proche le plus.
Ce papillon a sa trompe plus longue que le corselet, fine comme une soie de
cochon, jaune et se roulant en spirale, quand l’insecte ne veut plus s'en servir.
Deux antennules se redressent comme deux défenses d'éléphant, une de chaque
côté de la trompe, et dépassent de moitié la tête; leurs articulations légèrement
ciliées les font paraitre denticulées. Ce n’est donc pas au genre teigne qui a quatre
de ces antennules, mais au genre alucite qui n'en a que deux, que notre phalène
appartient.
Les antennes filiformes, composées d’articulations en grains de chapelet au
nombre de plus de 40, se rangent flexueusement sur les côtés des ailes pendant le
repos, et atteignent la moitié de la longueur des ailes. La couleur générale des
ailes et du corps est bistre marbré de gris pour les individus les plus courts, et
noir brocardé d'argent pour les plus longs.
4° Dimensions des individus grisâtres et courts ou mâles :
Longueur du corps, de la tête au bout des ailes. . . . . . . Gmil 3,
Lpngueur des ailes supérieures. . . . . . . . . . . . Gmil,
US Lea eu LOU ANRT TU) TL En EE
Mhngnenur des ailes inférieures. ,:1;45444 indienne be 00e Bei,
Longueur du corps de la tête à l'anus. . . din: SP
2° Dimensions des individus noirâtres broc rés d' argent ou femelles :
Longueur de la tête au bout des ailes. . . , . . . . . . "7m,
Longueur des ailes supérieures. .. . . . . . . . . . .' Gmil B,
Antennes longues de. . . PAR EN SORT ES
3° Caractères de la livrée de lodividu nicht
Le corps est noir, marqué en dessous sur chaque articulation d'un triangle
blanc dont le sommet coïncidant avec la ligne médiane est tourné du côté de la
tête. Le corselet noir comme la tête. Les antennes marron foncé.
Les ailes supérieures offrent un fond marron foncé marbré de taches noires et
brocardé de points d'argent qui représentent un tissu argenté sur une trame
noire. Le bord postérieur en biseau est frangé et marqué d’une bande noirûtre,
190 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
puis d’une bande blanche. On remarque près du corselet une figure d'équerre
blanche et au-dessous une tache en triangle isocèle dont le sommet, ainsi que ce-
lui de l'équerre, est dirigé du côté de la tête. Cette tache triangulaire est formée
par la réunion de deux taches semblables que les deux ailes supérieures portent
sur leur bord dorsal.
Les ailes inférieures sont unicolores, grisàtres et frangées sur le bord interne
de cils parallèles soyeux, longs de 1/4 de millimètre.
Les deux jambes postérieures, très-longues, ont la cuisse renflée et conformée
pour le saut. La cuisse a un millim. de long. Le tibia, armé de quatre piquants
égaux et croisés, est long de 5 millim., et Le tarse à cinq articulations est long
de 4 mill. 5.
Synonvuie. La seule espèce cataloguée par Linné, qui pourrait offrir quelques
rapports avec l’alucite que nous venons de décrire, serait la tinea trigonella, 595,
qui, d’après Linné, a les ailes marron, et sur le dos une double tache blanche
triangulaire. Mais la phrase n’est accompagnée d'aucun autre renseignement, si
ce n’est que l’insecte parfait se trouve sur les plantes d'Europe.
Si la présence de la larve dans les hampes du poireau avait été connue du
temps de Linné, celui-ci n'aurait pas manqué de l'appeler tinea porrella (teigne
du poireau). Car c’est là un fait de mœurs des insectes assez curieux pour motiver
une désignation spéciale.
Nous avons dit que les figures 5 et 6, planche 145 du tome II de l’Zconographie
des insectes des environs de Ratisbonne, par Schæffer, se rapporteraient très-bien
à notre insecte, sans les nombreux points blancs qu’on remarque sur le fond noir
des ailes.
Je ne doute nullement que l’insecte parfait ne soit commun dans les collec-
tions et qu'il n’ait été mentionné dans les catalogues d'espèces sous un nom ou
sous un autre. Je suis même porté à croire que la femelle a dù être prise pour
une espèce différente du mâle, à cause de la différence de leurs livrées. Mais
quant à l'histoire complète, je ne sache pas d'auteur qui en fasse mention et qui
en fixe le siége dans une hampe de porreau; je n’ai ici à ma disposition qu’une
partie minime de ma bibliothèque; si plus tard je rencontrais qu’un auteur en
ait parlé, je ne manquerais pas de le mentionner dans un article complémen-
taire, comme fait d’érudition. En attendant, voici en latin et en français la phrase
spécifique, telle que nos auteurs devraient la rédiger pour chaque espèce d’in-
sectes qu'ils ont à cataloguer :
ALUCITES PORRELLA, Rasp.
ALUCITE DU POIREAU.
Tinea trigonella, L.? Phalena quinta alis convolutis, Schæff. Ie. ins. Ratisb.
pl. 145, fig. 5 et 6?
PHRASE LATINE.
Larva 14-poda lævis grisea, articulis nigro sex-punctatis, 4 centim. longa, in reticulo sericeo sese
* includens metamorphoseos ergo, autumnali tempore.
Puppä anticé obtusa, rubescens, quatuor strigis fuscis suprà alarum clypeolum, sex, mill, longa.
Papilio 6-7 mill. Jongus, saltatorius, alis superioribus convolutis basi dorsaliter assurgentibus, fuscis
nigro maculatis, albo punctatis, supra dorsum maculà trigonà albà. Alis inferioribus griseis, uni-
coloribus, longë ciliatis. Habitat larva in porri fistuloso scapo.
PHRASE FRANÇAISE.
Chenille à sept paires de pattes, lisse, blanc grisâtre ; ayant six points noirs sur chaque
annéau. Longue de À centim., 8e filant une coque en filet dé soic pour se changer en chrysa-
lide.
NOTE EXPLICATIVE SUR LES POISONS COMESTIBLES. 191
Chrysalide arrondie, couleur brique lavée de quatre bandes brunes sur le fourreau des
ailes, longue dé 6 millim.
Papillon long de 6-7 millim., organisé pour le saut, à ailes enveloppantes se redressant
à la base sur le dos, les supérieures à fond brun marbré de noir et pointillé d'argent, offrant
sur le dos une tache triangulaire blanche; les inférieures grises unicolores, frangées de larges
cils gris.
Hamirarion. La larve vit dans la hampe du poireau, à Boitsfort.
nr QQ QC
NOTE EXPLICATIVE SUR LES POISONS COMESTIBLES.
Nous venons de décrire une larve qui s’accommode fort bien des tissus de la
hampe du poireau; et pourtant nous considérons le poireau comme un de nos
succédanés vermifuges de premier ordre. Ce fait impliquerait donc une anomalie
ou une contradiction. Mais l’une et l’autre disparaitront devant les explications
suivantes :
1° Le poireau est un poison pour les vers intestinaux, mais non contre les
larves d'insectes.
2° La larve de l’alucite du poireau ne vit pas, du reste, dans le bulbe, où réside
principalement la vertu vermifuge, mais dans la hampe porte-graine, qui ne se
développe qu’en absorbant et dénaturant les sues propres de son oignon.
5° La larve, en outre, ne dévore pas tous les tissus indistinctement de la hampe; .
elle sait y faire un choix et déméler, dans les cellules qui la composent, la cellule
toxico-aromatique qu'elle n'entame pas de la cellule saccharo-glutinique qui con-
vient à sa digestion. On sait en général que les alliacées, oignons et poireaux sur-
tout, abondent en sues saccharins.
L'exemple suivant, qui se présente à la vue simple, nous mettra à même de
mieux comprendre ce mécanisme d'élection que possèdent les mandibules des
insectes. Dans un envoi d’écorces de grenade du Midi, nous ne fûmes pas peu
étonnés de rencontrer une foule de larves de teignes, fait qui semblait détrôner
souverainement la réputation antique de la grenade comme vermifuge; mais, en
y regardant de plus près, on s'assurait que ces larves n'avaient vécu qu'aux
dépens des graines qui sont sucrées et nutritives, et qu'on avait oublié d'éplu-
cher, mais non ‘aux dépens de l'écorce, à laquelle elles ne touchaient nullement,
s'étant fait une coque de la partie ligneuse du test de la graine.
4 Cependant, alors même que la larve du poireau aurait la propriété de
digérer indistinctement ces deux genres de tissus, l’un vermifuge et l’autre nutri-
tif, de la hampe du poireau, je ne verrais rien en cela d'incompatible avec les
lois générales de Ja digestion; et ce ne serait point du tout un fait exceptionnel
et unique en entomologie. Dernièrement j'ai rencontré une larve de coléoptère
nichée dans les tissus d’une racine sèche d’angélique, quiest pourtant un merveil-
leux spécifique contre les vers intestinaux. Leeuwenhoek (epist. 996, mars 1696)
a parfaitement décrit et figuré deux insectes dont la larve vit l'une dans les fleurs
de la noix muscade, et l'autre dans la noix muscade elle-même. Qui ne sait que
les champignons les plus vénéneux sont la pâture d'une bande de larves de
mouches et coléoptères, qui n'en épargnent rien, pédicule, feuillets et chair
du chapeau ?
Mais sans avoir besoin de s’étayer d'exemples pris dans les infiniment petits,
nous savons aujourd'hui que certains quadrupèdes se jouent avec force poi-
sons minéraux (tels le rât et le loir avec l’arsenic), et que la chèvre s’accommode
fort bien des plantes les plus mortelles pour l’espèce humaine; je ne sais plus
492 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
quel poison végétal lui donner qu'elle rebute : la ciguë, la jusquiame, la bella-
done, les tithymales au suc lactescent, âcre et caustique, la linaire à laquelle les
autres bestiaux ne touchent jamais, la mercuriale ou foirole, enfin le tabac que je
lui ai donné jusqu’à la dose d’un cigare, sans qu'elle en ait paru le moins du monde
incommodée et dont elle se montre également avide à chaque fois; tout ce qui
végète semble être pour elle de bonne prise et de facile digestion, pourvu qu’on
varie ses mets.
Voilà au moins une belle et bonne anomalie, qui expliquerait à elle seule toutes
les autres, si une fois nous en trouvions Ja raison.
5° Cette raison nous parait facile à concevoir. Le mécanisme de la digestion,
avons-nous dit dernièrement (‘), diffère selon les genres d'animaux, quoique le
travail intime de la nutrition soit identique dans toutes les classes. Ainsi la chè-
vre rumine; et les animaux solipèdes avalent et ingèrent dans l'estomac d’un seul
trait; la chèvre fait provision d'aliments broyés dans la caillette et ses dépen-
dances, qui est pour elle la première étape, pour ainsi dire, du travail de la di-
gestion; la caillette est une poche d’approvisionnement et non un organe de fer-
mentation digestive; elle conserve en grenier, mais elle n’absorbe pas, comme le
fait l'estomac proprement dit, les produits de la fermentation nutritive.
Cependant le bol alimentaire, qui arrive à la caillette après avoir été broyé par
la mastication, ne saurait séjourner nulle part et encore moins dans une poche
organisée et vivante, sans entrer dans un travail intime de décomposition et de
transformation. Les éléments vénéneux qui se décomposent dans l'estomac des au-
tres animaux, mais se décomposent au détriment de l'organe qui les absorbe et
les transmet au torrent de la circulation, ces éléments vénéneux doivent égale-
ment se décomposer dans la caillette, qui élabore mais n’absorbe rien-: de là
vient qu'après cette première élaboration le bol passe dans l'estomac, inoffensif
et dépouillé de toutes ses propriétés vénéneuses primitives; la rumination l'en
a purifié.
Or, les insectes toxicophages ont aussi un estomac composé de plusieurs
chambres élaborantes et non absorbantes, et qui transmettent au vrai estomac
absorbant le bol alimentaire dépouillé de tout élément vénéneux; ces divers esto-
macs consécutifs se distinguent par tout autant d’étranglements qui font office
de soupapes, et ne livrent passage à la nourriture qu’au moment que l'instinct
désigne, l'instinct, cette intelligence de chaque fonction. |
6° Mais que l’on place ces insectes en contact avec les produits de la distilla-
tion de ces plantes ou racines dont ils se nourrissent impunément, et leur vie
ne durera pas deux minutes.
L'huile essentielle les enveloppant de toute part à haute dose, et atteignant
alors de sa vapeur leurs stigmates respiratoires, portera son action asphyxiante
dans tous les organes, mais surtout dans celui de la respiration. Dans la plante
l'insecte glissait impunément entre les atomes de cette huile, atomes enfermés
du reste, comme dans une outre, dans le sein d’une cellule spéciale à laquelle
l'insecte avait grand soin de ne pas toucher, n’entamant avec le jeu de ses man-
dibules que les cellules pleines d’un suc nourricier et laissant de côté les cellules
dépositaires du poison des infiniment petits, qui doit par conséquent servir de
baume préservateur aux infiniment grands ; ou bien, s’il venait à en avaler quel-
ques-unes par mégarde ou accident, la portion d’intestin qui leur sert de cail-
(*) Revue complémentaire, livr. de décembre 1854, pag. 144.
ORNITHOLOGIE MUSICALE. 195
lette et de pocl® préparatoire pour la digestion a la faculté de dénaturer le ve-
nin, avant de le livrer aux organes d'absorption.
7° Pour obtenir un résultat analogue à la rumination, l’homme a ses prépa-
rations culinaires et préliminaires de la digestion; il a la cuisson plus ou moins
secondée par certains ingrédients de décomposition, qui lui permet de manger
impunément, au sortir du feu, des substances qu'il se garderait bien d’avaler
toutes crues. Les fruits non mürs deviennent comestibles en marmelade, et la
pomme de terre devient aliment par la cuisson, et un aliment rival des céréales.
CONCLUSION.
Donc, certains animaux peuvent vivre de poisons végétaux; leur appareil
intestinal étant conformé pour les dénaturer avant qu'ils n'arrivent dans l’organe
destiné à l'absorption. Certains ruminants et certains insectes toxicophages
dénaturent les poisons végétaux avant de les digérer.
CHAPITRE IV. — ORNITHOLOGIE (*) MUSICALE.
DU CHANT DE LA GRIVE DES VIGNES (LE ROSSIGNOL DES ÉCOSSAIS).
« Je crois entendre la voix de cette reine infortunée, dit un fidèle partisan de
Marie Stuart, dans le roman de Walter Scott intitulé l'Abbé (ch. 17), je crois
entendre sa voix, aussi douce, aussi harmonieuse que le chant de la Grive (**), »
et le traducteur ajoute en note : « Grive Mavis (Turdus musicus de Linné), dont
le chant est si agréable et dont le nom se retrouve dans les poésies écossaises,
aussi souvent que celui du rossignol dans les poésies du Midi. »
Voilà comment s'expriment, sur le chant de la grive, les romanciers et bardes
écossais. Les ornithologistes du continent se sont fort peu arrêtés à ce caractère de
la grive européenne, dont ils ne parlent que sur le témoignage d'autrui : « On dit,
rapporte Vieillot (**), que, dans son pays natal, le mâle de la grive mauvis (***)
(Turdus iliacus L.) fait entendre un ramage agréable, Son cri dans nos climats
est tau, tau, kau, kau. » En parlant de la grive des vignes, qui est le vrai Turdus
musicus de Linné, il dit : « Le mâle a un chant assez remarquable qu'il fait en-
tendre depuis les premiers jours du printemps jusqu'au mois d'août, et quel-
quefois plus tard; en tout autre temps, k n'a qu'un petit sifflement qui semble
exprimer les deux syllabes zipp-2ipp. »
Tous les chasseurs que nous avons tr n'ont jamais connu de la grive
que ce cri, qu'ils imitent pour l'appeler dans leurs piéges. Polydore Roux (***)
copie si fidèlement les expressions de Vieillot, qu'il ne paraît pas parler du chant
de la grive par suite d’une observation qui lui soit personnelle. Les auteurs des
pays du Nord ne tarissent pas, au contraire, sur les qualités musicales des di-
verses espèces de grives; Linné a donné le titre de grive musicienne {Turdus
musicus) à celle que nos chasseurs désignent sous le nom de grive des vignes, où
ils la prennent, quand elle y passe en émigrant, et dont ils ne connaissent d'autre
eri que le cri de rappel d'émigration zipp-zipp; quel être chante en s'exilant ?
{*) Du grec : logos, traité ; ornithôn, des oiseaux.
(**) Walter Scott parle également du chant harmonieux de la grive dans les Chroniques de la Ca-
mongate, chap. 10.
(***) Faune française; Oiseaux, pag. 460.
(E*) Mauvis où mawis, du latin malum vitis, fléau de la vigne qu'elle vendange la première.
(**###) Ornithologie provençale, tom. I, pag. 260 et 261, 1825.
€
494 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Aussi, le suave rossignol des Écossais n’est sur la route de l'exil nie la grive des
vignes.
Linné, qui écrivait sous la même latitude qüe les bardes écossais, ne manque
jamais de faire entrer les qualités musicales dans la phrase, par laquelle il dé-
crit en quelques mots les diverses espèces de grives : il dit du turdus viscivo-
rus (*) : « Perché sur la cime des arbres des forêts, il fait entendre un chant des
plus agréables dès les premiers jours du printemps » ; du turdus iliacus (grive
nan « Par une belle soirée de printemps, perché sui la cime d’un arbre, il
semble vouloir imiter les roulades du rossignol » ; du turdus polyglottus (indi-
gène de Virginie et de la Jamaïque): « Il a un chant délicieux, il est susceptible
d' apprendre des airs; et, tout en volant de branche en branche, il se plait à imiter
les cris de tousles animaux » ; du turdus orpheus (de l'Amérique): « Quand il s’é-
lève de terre, il fait entendre des mélodies ravissantes et dont n’approche aucun
autre oiseau chanteur ; il s'élève droit dans les airs, en chantant et animant à lui
seul tous les échos de Ia forêt. »
Parlez aux chasseurs du centre de la France de la voix mélodieuse de la grive,
et dites-leur qu’en Écosse son chant inspire l’imagination des bardes du pays, ils
seront tentés de rire et de votre crédulité et des oreilles des Écossais; et quand
vous ajouterez que Marie Stuart chantait comme une grive, ‘au dire de ses his-
toriens, ils auront une triste idée du timbre enchanteur de cette reine de beauté,
dont la hache seule du bourreau put rompre la magie, même après dix-huit ans
de la plus dure captivité. Pour lui, tout le répertoire de la grive des vignes est
dans les deux coups de l’appeau.
Cependant le chasseur a tort ; il n’entend à son passage, que le cri de rappel; la
grive, ainsi que tous les oiseaux, ne chante que là où elle aime, c’est-à-dire dans
le pays natal; mais là son chant a un charme particulier et les intonations les
plus variées; je puis en parler par une observation personnelle. Les prisonniers
de la catégorie de Versailles laissèrent, en partant pour Belle-Ile en mer, un
grand nombre de petits oiseaux à qui on avait rogné l'aile, et qui vivaient libre-
ment dans une très-longue cour transformée en jardin. Après le départ desgrands
prisonniers, les gardiens, courroucés de se voir mis à pied, prenaient un barbare
plaisir à décharger leur colère sur ces petits prisonniers, et les tuaient à coup de
pierre. Je ne pus faire cesser ce carnage que fort tard, et lorsqu'il ne resta plus
qu'une alouette des prés ou becfigue d’hiver (anthus arboreus L.), et une grive
soit des vignes ({urdus musicus, L.), soit mauvis (turdusiliacus, L.); car même avec
les figures de la faune française sous les yeux, je ne sais pas encore à laquelle
de ces deux espèces si voisines on pourrait bien Ja rapporter. Bien des gens, du
reste, confondent ces deux espèces, et ils ont raison.
Quoi qu'il en soit, le becfigue d’hiver finit par reprendre son vol au-dessus
des murailles; mais il s’en éloignait peu, et, je ne sais combien de fois par heure,
il s'élevait droit dans les airs,comme un trait, pour retomber en chantant sur la
potence de la lanterne qui lui servait de perchoir, et sa dernière note cessait au
moment juste où il posait la patte sur le fer. Jusque-là on l'eût pris pour un
hanneton volant, à ses ailes redressées et à ses pattes allongées.
La grive ne recouvra jamais la faculté de voler; elle sautillait, glissait sous les
plantes, courait d'un bout du jardin à l’autre sans être aperçue, chantant fort
loin quand on la croyait très-près, et ramassant à la course des graines, des
(*) Syst. nat., Aves, 107, 1. éd. 13.
LANGAGE MUSICAL DES GRIVES. 195
araignées, des larves et surtout des vers de terre qu’elle avalait d'un trait, après
les avoir fortement pincés à la tête et sur le bât. Elle avait, en outre, chaque
jour, un repas composé de mie de pain et de viande hachée. Une planchette mo-
bile lui permettait de descendre au bassin, pour y aller boire.
Pendant un an, depuis avril 1831 jusqu’au 22 mai 1852, j'ai pu l'entendre et
l'observer ; au bout de cette époque, nous la trouvâmes noyée. Or, pendant tout
ce temps, j'ai pu noter ses vocalises, en les imitant sur le violon; et dès qu'elle
m'entendait les répéter ainsi, elle accourait d’une volée, relevant la tête pour voir
si la fenêtre, d'où partait l'écho de son chant, ne renfermait pas quelqu'un de sa
race, prisonnier comme elle. C'était principalement un peu avant le lever du
soleil qu'elle commençait ses modulations, et elle les continuait jusqu'à sept
heures; elle reprenait ses exercices à midi pendant une heure, et ensuite à cinq
heures jusqu'au coucher du soleil. Elle a suivi ce programme tout l'été et tout
l'hiver; car l'oiseau ne chante que ses souhaits et ses espérances, il se tait dès
qu'il est heureux; et notre pauvre prisonnière, espérant en vain pendant l'hiver
comme au printemps, ne cessait de chanter et de chanter encore. Rien n'est plus
facile que d’imiter son chant, en prenant la position la plus rapprochée possible
du chevalet; je notais chaque mesure dès que j'étais parvenu à la reproduire
sous l’archet avec exactitude. Je transcris ci-dessous et la musique et les paroles
des mesures qu’elle répétait le plus souvent; car mes lecteurs ne sont, sans
doute, plus encore assez arriérés pour penser que les oiseaux n'aient pas un
langage, dont nous-mêmes pouvons très-souvent comprendre une foule de ter-
mes. Quel est le chasseur qui ne distingue leurs expressions de colère ou d'ami-
tié, d'amour conjugal ou maternel, de crainte et d’ épouvante, de joie et de bon-
heur, leurs avis d'appel ou de départ? Tout le reste n'en est pas moins une
langue parlée, quelque inintelligible qu’elle nous paraisse.
Sans doute, si l'on compare les inimitables roulades du rossignol, avec ces in-
tonations calmes, tantôt plaintives, tantôt joyeuses, mais si sobres d'ornements
et de ficritures, on trouvera entre les deux artistes une immense différence , la
différence qui existe entre la mélodie et le récitatif, entre la musique italienne et
celle de Lulli. Mais Lulli, fit le charme de nos aïeux, après avoir détrôné la
musique du temps de Marie Stuart, qui avait eu sa vogue; et plus tard la mé-
lodie italienne a détrôné le récitatif de Lulli.
La beauté dé la voix ne doit pas étre confondue avec la beauté du chant; et dans
tous les systèmes de composition, une belle voix conserve toujours l'empire de son
charme. Donnez-moi une belle et touchante voix, et qu'elle me chante ce qu'elle
voudra, du Rossini ou du plain-chant, je l'écouterai avec une émotion égale. Mais
quand, dans leur éxtrême Yieillessé, nos prime donne thanteront à léurs petits en-
fants les mélodies les plus suaves de Rossini et de Donizetti, ces petits enfants,
respectueux envers leurs vieilles grand’mères, adresseront leurs éclats de rire à
la mémoire des deux maestri italiens. Nous n'avons jugé Palestrina et la musique
du temps de Marie Stuart, et même celle de Lulli, que sur le chevrottement de nos
grand'mères (*).
Je concois donc que ces douces et plaintives modulations que la grive fait en-
tendre en construisant son nid, dans sa belle patrie écossaise, aient dù flatter
l'oreille à l'instar des roulades de notre rossignol, et que les bardes n'aient pas
(:) A l'instant où l’on imprimait ces lignes, un de nos compatriotes, résidant en Belgique, me pro-
mettait de m'envoyer une grive mauvis, à laquelle il a pu apprendre deux airs assez longs, avec la
serinette,
196 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
trouvé de plus belle comparaison, pour exalter le charme de la voix enchanteresse
de cette reine, qui inspira tant de sublimes et infortunés dévouements. On ne
saurait nier non plus que si le rossignol avait pu se faire entendre à leurs oreilles,
Philomèle n’eût détrôné la grive à jamais dans leur appréciation, et que dès lors,
. pour eux, Marie Stuart n'eüt chanté comme Philomèle.
#
Tchio tchio f fi tsi tchio tsio wit tsio wif tsiou tsiou tchioa tchioit
tchioit ït toui- o tsiritsi tsiritsi miutso miutso miaou tsinttsinttsint Dio bé nis
tsio-1 tsio-i tsi tsio-i-tsi tchi rétsa miou miou soat si i so at si à tra - i
tchio tchio fi fi tchiotchiofi fi tchio tchio fi fi to -i-u toui toui toui
miu Jo miu Jo miu Jo tsi tsi tsi tsi vo-iou vitchatouitouitouitouitoui tsisi tsitsi tsi
tsi sli tsi tsi tsi tsio ouit vit chio vit chio tchi voï tchi voi tchi voi tchi voi
tsion tsiou tsiou tsiou tséri tséri tséri tsibi tsibi tsibi so ut si © ré tsi tsi tsi tsi
tsoï tsoi tchouï
Mais ce que les ornithologistes ne font pas remarquer, c’est que le rossignol
ne passe pas la Manche, qu'il est inconnu en Angleterre; à ce chantre du prin-
temps, il faut desboispaisibles et solitaires, et non d'abruptes rochers; illui faut
une compagne que pul et rien ne lui dispute, ni la férocité d’un rival, ni les tem-
pêtes de l'Océan. Or, cette réflexion, ce n’est pas un naturaliste qui l’a émise le
premier; c’est Jean-Jacques Rousseau (lett. 685° de sa Correspondance) pendant
le triste séjour qu'il fit dans le royaume uni. Le rossignol est antipathique au
climat de l'Angleterre; et c'est la raison pourquoi l’histoire locale n’a pu don-
ner à Marie Stuart que la voix de la grive et non celle du rossignol.
ESSAI DE CULTURE DE LA GARANCE A BOITSFORT. 197
EEE aa EL
CHAPITRE V, — AGRICULTURE.
ESSAI DE CULTURE DE LA GARANCE A BOITSFORT. (surrs.)
(Voy. livr. de dée. 1854, pag. 65.)
Par l'aspect général, la garance (Rubia tinctorum,L.) diffère peu du caille-lait
Galium verum, L.) ou du grateron (Galium aparine, L.), qui croissent dans nos
buissons et nos haies, et s’accrochent à nos habits au moindre frèlement de
l'étoffe.
La garance (Rubia tinctorum sativa, L.) pousse naturellement dans les haies
et dans les bruyères des environs de Montpellier et d'Angers; et pourtant sa cul-
ture ne nous est venue que par l'Orient, où cette plante est connue et employée
de temps immémorial, pour la teinture écarlate ou rouge d’Andrinople, sous le
nom d'Azala ou Isari, et, avec l’article arabe, Al-izari ; c’est la racine qui donne
cette belle couleur. Un grand nombre de plantes congénères et sauvages fournis-
sent une couleur semblable, quoique moins brillante, mais que la culture peut-être
pourrait améliorer ; telles sont la croisette velue (Valantia cruciata, L.), le caille-
lait (Galium verum, L..), plante dont en s’est servi pour faire cailler le lait, etc.
De toutes ces plantes à feuilles verticillées, le système naturel a fait la famille
des Rubiacées, qui, dans notre système physiologique (*), se range dans la
grande division des plantes diurnes pétiolo-binaires, c'est-à-dire dont les loges du
fruit sont disposées par deux ou ses multiples. Car le fruit des rubiacées indi-
gènes se compose de deux coques opposées, faisant corps chacune avec une seule
graine, à périsperme oléagineux, et à embryon arqué de manière à ce que sa ra-
dicule se tourne vers le sol.
Le fruit est infère et surmonté de la corolle campanulée et à limbe divisé en
cinq ou quatre parties triangulaires terminées par une petite pointe.
La fleur jaune est tout aussi petite que celle du eaille-lait. La corolle est munie
de quatre étamines et le fruit surmonté de deux styles.
L'inflorescence est axillaire et en grappes disposées par opposition croisée,
comme la foliation.
Chaque articulation est entourée d’une collerette de quatre et plus rarement
six ou huit feuilles, toujours en nombre pair; si le nombre paraissait impair, on
s'apercevrait facilement, par la symétrie, que cette imparité ne provient que
de l'avortement d’une feuille. Car chaque collerette est le produit du rapproche-
ment organique de deux ou plusieurs articulations, et chaque articulation
primitivement n’a que deux feuilles opposées, qui croisent la ligne des deux
feuilles de l'articulation inférieure et de l'articulation supérieure; ce qui fait
que l'articulation composée est munie de quatre feuilles en croix, si elle est le
résultat du rapprochement intime de deux articulations, ou bien qu'elle est mu-
nie de six ou huit feuilles, si elle résulte du rapprochement de trois ou quatre
articulations primitivement superposées. Avee un peu d'attention on distingue,
sur une articulation composée, la paire de feuilles qui appartient à chacune de
ces articulations partielles; car chaque paire s’insère évidemment un peu au-
dessus de la paire de l'articulation inférieure, et ses feuilles en sont un peu plus
courtes et moins larges.
En effet, quand la tige de la garanca sort de la terre, on la prendrait pour une
(*) Voy. Nouveau syslème de physiologie végétale et de botanique, tome 2, pag. 499.
198 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tout autre plante. Car à cette époque ses trois ou quatre premières articula-
tions n’ont chacune que deux feuilles opposées et qui croisent les deux de l’arti-
culation immédiatement inférieure ou supérieure. Ce n’est qu’en s’élevant au-
dessus du sol que plusieurs articulations se sont rapprochées de manière à n'en
former plus qu’une seule à la vue simple.
La tige participe de cette disposition des feuilles, en ce qu’elle est quadrangu-
laire, ainsi que cela a lieu chez toutes les plantes en général à foliation opposée-
croisée. Ainsi que chez beaucoup d'espèces de la même famille, les angles de la
tige sont armés de gros piquants blancs, cornés et terminés chacun par un petit
crochet recourbé en bas.
Ces mêmes piquants avec leur crochet recourbé bordent les feuilles et la ner-
vure médiane saillante sur la page inférieure; mais là les crochetssont dirigés du
côté de la tige, ce qui fait que, lorsque la feuille est redressée, ils sont dirigés de
haut en bas, comme ceux de la tige elle-même. Les feuilles sont roides, sessiles
et lancéolées, entièrement lisses sur la page supérieure, d’un vert foncé.
C’est cette multitude de piquants si régulièrement disposés qui rend la tige
et les feuilles accrochantes.
Les articulations de tous mes plants n’ont partout que quatre feuilles, et bien
rarement cinq par l'avortement de la sixième, lesquelles atteignent, vers le mi-
lieu, six centimètres de long sur quinze millimètres de large; ce qui fait une belle
végétation. J'ai dit qu'à cause, sans doute, des bizarreries de la saison, peu de
graines sont venues à point, et que j'ai enfoui la fane, le 27 octobre, ayant que
les fruits n’eussent acquis la couleur noire qui caractérise leur maturité. Enfin,
je n’ai pas renconiré de fleurs fertiles qui aient produit plus d’une graine; l’une
des deux a toujours avorté.
J'ai décrit minutieusement tout ce que j'ai remarqué sur mes plants, afin
que, par comparaison avec ceux des autres localités, on puisse évaluer les
différences que la nature du sol, de l'exposition et du climat est dans le cas
d'imprimer aux caractères de la végétation de la plante.
La formule botanique des plants cultivés dans ce petit coin serait done, d’après
les principes établis dans notre Nouveau système de physiologie végétale et de
botanique : |
2 binO
2bin1 — binIN —| Le
| 9 bin U— bin éE.
Ou, en termes vulgaires : foliation croisée et par quatre sur chaque articula-
tion; inflorescence opposée-croisée; point de calice; corolle à quatre ou cinq
divisions ; quatre étaminesinsérées sur la corolle, et alternant avec les divisions de
la corolle ; fruit infère à la corolle, à deux coques, croisant deux paires d'étamines
qu'on peut supposer insérées sur la dernière articulation de la fleur.
CHAPITRE VL — PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE.
NOUVELLES DES SCIENCES.
GLANDES NECTARIFÈRES.
En général, nous lisons peu de travaux académiques sur la physiologie, ce‘
nous n’y perdons pas beaucoup; nous ne lirions Le plus souvent qu’une traduc-
tion plus ou moins libre et plus ou moins défigurée des principes que nous avons
FACÉTIES MÉDICALES DE LA PRESSE QUOTIDIENNE. 199
établis dans notre Nouveau système de physiologie végétale et de botanique, ou bien
des travaux de novices qui, mettant l'œil pour la première fois au microscope, se
prennent d’une belle envie de nier ce qu’ils ne savent pas voir.
Mais voici une découverte d'organes nouveaux et jusque-là inconnus, dont
l'auteur a vérifié l'exactitude depuis 1838 (17 ans) sur une foule de végétaux , et
qu’il démontre au moyen de figures détaillées ; nous ne saurions traiter un pareil
travail avec le sans-façon avec lequel nous traiterions celui d’un auteur qui se
nommerait Personne,
L'auteur de la découverte, c'est M. Ad. Brongniart ; et les organes nouveaux
qu'il décrit et figure ne seraient autres, d’après lui, que des glandes, inconnues jus-
ques à lui, qui secréteraient le nectar qu'on voitsuinter dans le fond de la corolle;
il appelle ces organes glandes neclarifères septales, c'est-à-dire glandes attachées
à la cloison de l'intérieur d'une loge d'ovaires et destinées à élaborer le nectar
qu’elles distilleraient par un vaisseau excréteur dans le fond de la fleur.
Cette révélation piquait d'autant plus notre curiosité que nous avons ouvert,
disséqué, dessiné et fait dessiner plus de cinq à six mille ovaires de plantes, pour
servir à la rédaction du texte et à l’iconographie des mille figures des soixante
planches qui forment l'atlas de notre physiologie végétale, et que, à notre honte
sans doute, nous n'avons jamais rien aperçu qui puisse se rapporter aux organes
signalés par M. Ad. Brongniart (‘); et nous avouons, en toute humilité, que ce
n’est pas la première fois que pareil désappointement nous arrive. Aussi avons-
nous apporté toute notre attention à l'étude des figures, qui disent toujours beau-
coup mieux que le texte. Or quel n’a point été notre étonnement, en retrouvant,
dans ces glandes, de simples ovules au premier état de leur développement, ou
qui sont restés à cet état embryonnaire, faute de fécondation et de nutrition; no-
tre Atlas est plein de pareilles glandes, que nous avons eu soin de désigner sous
le nom d’ovules non encore fécondés ou avortés.
Afin de mieux faire comprendre tout le mérite de cette découverte, qu'on se re-
présente de mémoire les pois qu’on aura écossés; on se souviendra qu'en passant
du sommet à la base du fruit, le volume des pois décroit de telle sorte que, du côté
de la queue, ils sont réduits à la valeur d'un grain de millet. Eh bien, ces petits
embryons de pois sont pour M. Ad. Brongniart des glandes nectarifères septales.
Le maraicher dirait : Mais ce sont des pois qui n’ont pas grossi. Le maraicher
aurait tort d'avoir ainsi raison ; le savant a toujours raison d’avoir tort, au moyen
de deux ou trois termes inintelligibles pour le commun des observateurs pra-
tiques de la nature; et la GLANDE NECTARIFÈRE SEPTALE figurera désormais dans le
programme des études, à côté de l’exposmose et ExOSMOSE et du DÉVELOPPEMENT
cenrRirèrTe. Los aux Escholes!
CHAPITRE VII,
FACÉTIES MÉDICALES DE LA PRESSE QUOTIDIENNE.
TIMBRES-POSTE ONGUENT CONTRE LES COUPURES.
Tous les journaux qui ont horreur du camphre se sont empressés de donner
place dans leurs colonnes à l’article suivant, que nous transcrivens, nous aussi,
(*) Annales des sciences naturelles, ke série, tome 11. — Bolanique, page 1, pl. 1—4, Oct. 1854.
200 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
comme un exemple de l'intérêt sérieux que les écrivains d’une certaine catégorie
portent à la santé de leurs lecteurs habituels :
« On vient de faire, dit le Pays de Caux, une application des timbres-poste à laquelle on
était loin de songer lorsqu'ils ont été créés, et qui doit, si elle se généralise, en augmenter
considérablement le débit. Ces timbres remplacent aujourd’hui le taffetas d'Angleterre et le
sparadrap. Ils s'appliquent sur les coupures. On les emploie également pour couvrir les
tumeurs que le contact de l’air pourrait envenimer.
Nous avons vu, ces jours derniers, une personne qui s’était appliqué sur la joue gauche
un timbre de 40 c. pour garantir de l’air une légère tumeur. Un autre ayait recouvert de la
moitié d’un timbre une coupure qu’il s’était faite en se rasant au-dessous de la lèvre infé-
rieure, et le remède avait opéré merveilleusement. Pour peu que les essais continuent et
obtiennent le même succès, nous verrons bientôt les timbres-poste employés à la guérison
des durillons, cors aux pieds, ete. Nous recommandons la recette. — Un plaisant disait :
« La belle découverte! Nous avions bien assez d'hommes timbrés sans cela. » Et il ajoutait:
« Veut-on nous faire eroire que les hommes de notretemps, comme les paquets, pour cireu-
ler, ont besoin d’être affranchis ? »
Nous nous permettrons de rappeler aux arbitres souverains de la publicité
périodique, que, s'ils consacraient à l'étude sérieuse des choses utiles le temps
qu'ils perdent à courir après le calemboursg, ils auraient appris que le timbre-
poste ne diffère chimiquement du taffetas d'Angleterre qu'en ce que le taffetas y
est remplacé par le papier imprimé d’un côté; que le papier et le taffetas sont
également enduits de colle de poisson du côté qu'on veut faire adhérer contre
une surface. Or, qui ne sait qu'on emploie fréquemment le taffetas d'Angleterre
pour recouvrir les légères coupures et rapprocher les bords d’une légère solu-
tion de continuité ? fort mauvais moyen, du reste, parce que, la colle de poisson,
se racornissant par la sécheresse, finit par occasionner moins de soulagement que
d’agacements nerveux. Le timbre-poste aurait donc les mêmes avantages et les
mêmes inconvénients; seulement, il coûte, selon sa couleur, 20, 40 et 100 fois
plus que le taffetas d'Angleterre.
Voici des moyens moins comiques et plus économiques de guérir les coupures.
Si elles ne sont pas profondes, il suffit de les laver avec de l'alcool camphré ou
de l’eau de Cologne suffisamment étendue d’eau. On doit toujours se laver avec
l'un ou l’autre de ces mélanges, dès qu’on a fini de se raser; on est sûr de ne con-
server les traces d'aucune coupure, éraillure ou suintement ; tout virus est inter-
cepté dans les eapillaires par ce moyen, et l’on coupe court ainsi à toute infection
qui pourrait provenir de la saleté du rasoir. Le sentiment de cuisson qui résulte
de l'emploi de l'alcool passe si vite qu’on ne s’en aperçoit presque pas; je vois ici
nos garçons de ferme, déjà pleinement aguerris au nouveau système, tremper
leur doigt dans l'alcool camphré, dès qu'ils se font une entaille; dans ce cas
vraiment la cuisson est douloureuse et leur fait faire mainte grimace , mais elle
passe vite et le doigt est guéri presque instantanément.
Si l’entaille est plus profonde, après l'avoir lavée avec de l’eau mêlée à quel-
ques gouttes d'alcool camphré, on en tient les bords rapprochés avec une petite
bande de sparadrap ou même simplement de cérat camphré, delargeur suffisante;
il n’y paraîtra guère si l’on étend le cérat sur du ealicot couleur de chair; et la
souplesse du sparadrap ou du cérat se prêtera à tous les mouvements muscu-
laires, sans produire la moindre distraction.
ERRATUM.
Livr. de déc. pag, 146, lign. 8 : fig. 2. Lisez fig. 1.
4 ©
7e Livraison. RENUE COMPLÉMENT AIRE {er Février 1859.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LaA*
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L’AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE ET CHIRURGIE,
LARGE FLAIE PAR SOLUTION DE CONTINUITÉ, COMPLIQUÉE PAR LA PRÉSENCE DE
GRAINES D'UNE PLANTE VÉNÉNEUSE. — ÉPISODE DU SINISTRE ARRIVÉ, LE 18 OC-
TOBRE 1855, SUR LE CHEMIN DE FER DE POITIERS.
On se rappelle encore avec horreur que, le 18 octobre 1833, à 4 heures du
matin, une rencontre inattendue de deux convois, sur le chemin de fer de Poitiers
à Bordeaux, produisit une de ces calamités qui portent en un instant le deuil
dans un grand nombre de familles.
Le malade dont nous allons parler a fait partie des victimes de ce sinistre; et,
quoique dès le premier abord sa blessure ne parût pas grave, il n'y a pas un
mois, aujourd'hui 1° janvier, que le blessé a pu se considérer comme définitive-
ment guéri. Dans les cas ordinaires, une plaie semblable est.cicatrisée au bout de
deux ou trois semaines; la guérison des nombreuses complications auxquelles
celle de notre malade a donné lieu n’ayant pu s'effectuer qu’au bout d’une année,
c'était là une énigme dont il importait de trouver le mot ; et ce mot c’est le hasard
qui nous l’a fait connaitre.
À. DESCRIPTION DE L'ACCIDENT ET DE LA MALADIE QUI EN À ÉTÉ LA SUITE.
M. R..., employé dans une des grandes administrations de Paris, fut lancé par
le choc sur le talus de la chaussée et roula jusque sur les bords de la Vienne.
Il se relève, remonte hardiment sur Ja voie, et là il perd tout à coup connaissance.
On le transporte, avee une foule de blessés, dans une auberge voisine où, en re-
venant à lui, il retrouve un de ses compagnons moins maltraité que lui, et qui
lui fait observer que son bas lui retombait sur la chaussure.— Tu es bien bon, lui
répondit notre malade, d'appeler cela mon bas; c’est bien ma chair qui pend en
lambeaux.— Il ne put être pansé que vers les onze heures du matin, sept heures
après l'événement : Le médecin de l'administration lava la plaie et la pansa par
première intention, après quoi le malade fut dirigé sur Paris.
La peau de la jambe avait été fendue, à partir de la malléole externe en sui-
vant la ligne de péroné, dans une étendue de 45 centimètres; là l'incision se di-
14
F
202 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
rigeait cireulairement jusqu’au côté interne du mollet, ce qui permettait à l’an-
gle du lambeau de retomber sur la chaussure.
La crête du tibia portait l'empreinte d’une forte contusion à quelques centi-
mètres au-dessous de son extrémité supérieure, et peut-être aussi vers le milieu
de sa longueur,
On pansa la plaieau cérat ; mais, arrivé à Paris, cette plaie prit un caractère gi
peu définissable, et la place de la contusion se transforma en une tumeur d'un
aspect si douteux et si insolite, que MM. les docteurs Bégin et Maisonneuve,
appelés en consultation, ne surent comment la qualifier. On employa dèslors
l'extrait de saturne et la pommade à l’iodure de plomb.
Mon fils Camille ne fut appelé que le 45 janvier 1834 pour donner des soins à ce
malade. La jambe avait alors l’aspect suivant : l’enflure du pied s’étendait jus-
qu'aux malléoles et avait nécessité l'emploi d’un bas lacé; la crête du tibia sup-
portait en haut une tumeur rouge, dure, un véritable ostéosarcome de la
grosseur d’un œuf de poule, et vers le milieu une exostose (*) de la grosseur
d’un œuf de pigeon. La plaie musculaire paraissait marcher vers la cicatrisation.
Mon fils ne s’occupa donc que de la tumeur ostéosarcomatique et de l'exostose
du tibia.
On appliqua trois fois par jour, sur la tumeur, pendant 20 minutes, des cata-
plasmes salins arrosés d’eau sédative employés brülants et, dans les intervalles,
de la pommade camphrée. A l’intérieur, trois fois par jour, tisane de salsepareille
ioduro-rubiacée du Manuel.
Jamais ce malade n’a pu endurer l'application de l'alcool camphré autour du
pansement, tandis que les cataplasmes brûlants lui procuraient un soulagement
indicible.
La tumeur aboutit vers les premiers jours de février, et ne rendit que de la sé-
rosité. Mais, deux jours après cet événement, on s'aperçut qu'il en sortait aussi des
graines végétales que l'on recueillit avee soin et que mon fils m’apporta plus tard
pour les déterminer; la fistule avait quatre centimètres de profondeur. On y pra-
tiquait, avant chaque pansement, des injections répétées à l'eau de goudron et à
l'huile eamphrée; mais chaque application alcoolique était suivie d’une éruption
de boutons.
À peine l’ostéosarcome avait-il abouti, que la plaie du bas de la jambe se rou-
vrit d'elle-même et mit à découvert force bourgeons charnus; en même temps,
une éruption érysipélateuse couvrit toute la surface de la jambe. Le pansement
de la plaie se fit de la manière expliquée à l’article Blessures dans le Manuel; et
l’on continua de traiter l’ostéosarcome et l’exostose comme nous l'avons dit ci-
dessus,
Dans le courant d'avril, deux autres tumeurs se formèrent, l’une sur la sur-
face interne à la hauteur de la moitié du tibia, et l’autre à la naissance du mollet.
De celle-ci sortirent force graines du même genre que les précédentes, plus des
caillots sanguins et comme des lambeaux de chair décomposés.
Ces trois tumeurs ont disparu au bout de trois semaines de traitement; les
trois fistules qui leur servaient de canaux d'écoulement avaient, la supérieure,
quatre centimètres, la moyenne deux eentimètres, et la troisième, celle de l'exos-
tose, à peine quelques millimètres de profondeur.
Mais vers la fin d’août les mains enflent, puis se couvrent de boutons qui ga-
(*) Voy. ces mots dans le Manuel.
LU?
k Sr
L'Ar
COMPLICATIONS ACCIDENTELLES D'UNE PLAIE ORDINAIRE. 203
gnent de proche en proche, d’abord la tête et puis le visage, redescendent à
l'abdomen, aux parties, aux cuisses, aux jambes, aux pieds, avec les caractères
d'un rupia en larges plaques sous la plante des pieds et de l’eczema (*) sur tout le
reste du corps.
On combat cette nouvelle apparition en promenant constamment, sur toutes
les surfaces envahies, des cataplasmes salins arrosés d’eau sédative. Le liquide de
l'eezema sortait avec une fétidité et une ahondance peu ordinaires. Tous les
trois jours, alternativement huile de ricin et bains sédatifs portés à 300 grammes
d'ammoniaque. A l'intérieur, salsepareille alternativement iodurée et rubiacée.
Linges graissés à la pommade camphrée nuit et jour. Très-souvent bourrache à
Ja place de la salsepareille.
Ce traitement donnait au malade un appétit extraordinaire. Le 20 octobre
l'eczema avait complétement disparu ; et le malade a pu vaquer à ses occupations
et sortir vers lespremiers jours de décembre, ne conservantaucune trace ni de l’os-
téosarcome ni de la plaie, mais seulement quelques fort légers boutons qui pas-
sent et reviennent sur la jambe. Quant à la santé générale, au milieu d'une pa-
reille perturbation, elle n'a jamais subi la moindre atteinte, et l'appétit s’est
toujours soutenu d'autant plus fort que l’on administrait plus fréquemment
l'huile de ricin.
B. THÉORIE DE CES ACCIDENTS CONSÉCUTIFS D’UNE PLAIE ORDINAIRE.
Il ne faut pas plus de quinze jours en général, par l'application du nouveau
système, pour amener la cicatrisation à peu près complète d’une pareille plaie
par décollement. Cette fois la guérison a demandé un an de traitement à travers
les péripéties les plus bizarres, et, il faut le dire, fort embarrassantes, avant que
la sortie de ces graines, causes de tant de désordres, ne fussent venues donner le
mot de cette énigme impossible à deviner.
La présence de ces corps étrangers enfermés, comme le loup dans la Mordgrid
dans Ja plaie, à l'insu du chirurgien, a occasionné tous ces ravages, ainsi que nous
allons l'expliquer.
* Et tout d’abord, occupons-nous de déterminer l'espèce de plante à laquelle ap-
partiennent ces graines.
Lorsque je les examinai pour la première fois, je les pris pour les graines de
la carotte sauvage (Daucus carotta sylvestris), ombellifère qui pousse abondam-
ment sur les bords des chemins, et surtout sur les talus des chemins de fer, où
nul ne passe et où aucun animal ne broute. Ses graines, en effet, portent, entre
chaque valléeule de leur surface dorsale, une crête de lames recourbées vers le
haut et souvent terminées par un poil assez long, ce qui les rend accrochantes
pour les objets étrangers et pour elles-mêmes, en sorte qu'à la maturation on
trouve tous les rayons de l'ombelle et des ombellules de la plante rapprochés
par l’adhérence feutrée de toutes les graines entre elles. Au reste, cette plante
sauvage ne se distingue de la même espèce cultivée que par un aspect plus rus-
tique, plus poudreux et d’un vert moins tendre.
Mais, entre les graines de la carotte sauvage et les graines qui nous oceupent,
il y a cette différence que les nôtres portent, sur les valléeules mêmes de la sur-
face dorsale, des lames tronquées, isolées les unes des autres, assez courtes, dis-
posées du reste, comme les premières, dans un même plan sur chaque vallé-
cule.
(*) L'ecsema se distingue par de petits boutons qui suintent des eaux rousses Fr.
204 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Elles sont, si je puis m'’exprimer ainsi, moins féroces que celles de la carotte
sauvage ; et celles-ci auraient certainement produit de plus graves ravages, si
elles s'étaient glissées comme les autres entre les lèvres de la solution de conti-
nuité. Elles ont également moins de relief et sont moins convexes, peut-être
parce qu'à celte époque la plante n'avait pas atteint toute sa maturité.
Une étude minutieuse et comparative m'y a fait reconnaitre de la manière la
plus évidente les graines de la ciguë commune (Coniun maculatum, L., Cicuta
major, Lam.), ombellifère qui, en certains endroits ncultes, pousse aussi abondam-
ment que la carotte sauvage.
On comprend maintenant, à ne pas en douter, qu'après s'être ainsi déchiré
Ja jambe, le blessé, en glissant sur le talus, a malheureusement rencontré des
plants de ciguë en pleine fructification, car l'accident a eu lieu en octobre; ces
graines, qui forment paquet aux sommités des ombelles et qui s’accrochent à
tout, ainsi qu'entre elles, n’ont pas dù manquer de s’acerocher aux chairs et de
s’y implanter profondément par la force du frottement. On a eu beau laver la
plaie à l'eau pure; l’eau n’enlève que ce qu'elle dissout et non ce qui adhère.
L'opération du pansement a ainsi enfermé le loup dans la bergerie, un agent de
désorganisation et de décollement entre les lambeaux de chair qu'il s'agissait de
réunir et de ressouder, et, quiplusest, une substance vénéneuse par sa simple appli-
cation sur la peau, et dont l’action toxique devait finir par devenir bien plus ac-
tive par son contact constant avec des chairs vives et des vaisseaux sanguins.
Il parait plus que probable qu'une certaine quantité de ces graines se se-
ront incrustées, par la puissance du choc, dans la peau qui recouvre la partie an-
térieure et supérieure du tibia ; mais quand même la théorie n’aurait pas la res-
source de cette explication, et quel’introduction de ces paquets de grainesn'’aurait
eu lieu que par la large plaie béante du mollet, la sortie de ces graines par
l'ostéosarcome de la tête du tibia ne s’expliquerait pas avec moins de facilité par
la faculté de reptation intestine que communique à ces sortes d'organes la
disposition recourbée des petites lames qui hérissent les côtes de leur surface. IL
arrive à ces graines ce que nous avons fait remarquer tant de fois au sujet des
épis qui, introduits dans la manche de l’habit par leur base, finissent par arriver
d'eux-mêmes jusqu’à l'épaule, d'autant plus vite que la manche est plus étroite(*),
à cause des piquants recourbés de leurs arêtes qui permettent à l’épi d'avancer
et jamais de reculer; et les mouvements du bras les font avancer sans cesse. De
même ces graines, mises en mouvement par l’action incessante des muscles de Ja
jambe, ont dû voyager à reculons sur leurs mille jambes, jusqu’ à ce qu'elles se
soient pratiqué une issue fistuleuse pour aboutir, résultat que l’eau sédative
a accéléré en attendrissant le derme. Le recollement complet des lèvres de la
plaie et la fermeture définitive des fistules n’a pu s’opérer que lorsque la dernière
de ces graines reptatoires a fini par être expulsée de ces régions.
L'alcool camphré faisait souffrir le malade, au lieu de le soulager ; et c'est ce
qui arrive toutes les fois qu’on l’applique sur un clapier purulent ; or la présence
de ces graines produisait beaucoup de ces clapiers.
Mais il ne faudrait pas s'attendre à ce que des graines végétales, arrivées à leur
complète maturité, ne jouent que le rôle de corps étrangers dans un milieu hu-
mide et non privé d’air, Leur tendance à la germination se manifeste danstoute cir-
constance qui reproduit les conditions que la graine trouve dans le sein de la terre.
(*) Voy. Hisl. nat. de la santé el de la maladie, tom. 1, pag. 276, éd, de 1846.
Ké
HYGIÈNE AGRICOLE ET DOMESTIQUE. 205
Or la germination, en crevant l'enveloppe du test et du péricarpe, a dû mettre en con-
tactavecles chairs l'huile vireuse qui réside et dans les vaisseaux du péricarpe et
dans les cellules du périsperme et de l'embryon. L'intoxication que ces graines pro-
duiraient, si on les appliquait pilées sur le derme dénudé, a donc dû se produire
plus violente, quand le suc vireux dégagé dans le sein des chairs vives s'est mis en
contact avec les petits vaisseaux déchirés par les piquants reptatoires, qui coupent
comme des petites lames de couteau. De là l’éruption qui s’est manifestée à une
certaine époque, sous la forme de l’eczema sur tout le corps et avec celle du rupia
sous la plante des pieds.
Ajoutez à cela que bien d’autres substances toxiques ont pu s’introduire dans
les chairs, en même temps que les graines de la grande ciguë; car le sol de déblai
ne manque pas de poisons ou végétaux ou minéraux pulvérisés ensemble; donc
l'infection a pu aussi se compliquer de plusieurs : autres espèces de matières in-
toxicantes.
L’arsenic, si commun partout, a pu jouer son rôle dans les circonstances de ce
phénomène, et l’arsenic ne tarde jamais à pousser à la peau, même quand il n’est
pris qu’à des doses infinitésimales, ainsi qu'on l’observe aux eaux de Louesche
(dans le Valais), qui n’en renferment que des quantités impondérables.
En conséquence, dans ce cas de cicatrisation qui de prime abord aurait pu pa-
raître insolite, il n’est pas la circonstance la plus bizarre, qui ne trouve son expli-
cation rationnelle, et qui ne porte avec elle un précieux avertissement pour les
chirurgiens qui auraient plus tard à opérer un pansement dans des conjonctures
anslogues. Dorénavant, on devra bien fouiller, éplucher, laver et relaver, avant
de réunir par première intention les lèvres d’une plaie.
Dans la nomenclature nouvelle, ce cas nosologique si intéressant devra être
désigné par la phrase suivante :
Coccogénose toxico-traumatique et ostéosarcomatique, supra-tibiale, soléale et cutanéale.
ou, en termes vulg gaires : maladie (nose) engendrée (gen) par l'introduction de
graines (coccos) vénéneuses (toxicon) dans une blessure (trauma), et déterminant
upe tumeur ostéosarcomatique, la tumeur ayant son siége sur la partie supérieure
et antérieure du tibia, la blessure intéressant le musele soléaire, et l'éruption
cutanée en ayant été la conséquence.
Voyez, à la fin de cette livraison, une note botanique sur les rapports mutuels
des espèces d'ombellifères vénéneuses et usuelles.
.
HYGIÈNE AGRICOLE ET DOMESTIQUE.
CHAULAGE DES GRAINS POUR LA SEMENCE. — CHAULAGE DES RACINES DES
ARBRES:
M. le docteur Lazowski, médecin à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), nous invite
à dire notre avis sur une question qui intéresse la salubrité publique : il s'agit
de savoir si le chaulage des grains par les substances vénéneuses est dans le eas
d'offrir des inconvénients graves pour la santé. Nous nous empressons de répon-
dre à son appel.
Le chaulage est l'action de passer les grains de semence à la chaux (d’où vient
le nom) ou à d’autres bases toxiques, afin de les préserver des maladies qui en
arrêteraient la germination ou-le développement. Or nous savons maintenant que
ces maladies ne peuvent provenir que de la dent des petits animaux vertébrés
me? + NVAE
_ù ju
206 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ou de la suecion des insectes. Donc, tout ce qui est insectifuge peut servir à
chauler les grains.
Nous donnerons le même nom de chaulage à l'irrigation des racines des arbres,
avec des sucs qui, charriés par la sève, préservent la végétation du parasitisme
des insectes. :
De notré temps on a substitué à la chaux, pour le chauläge des grains, les
dissolutions de cuivre ou d’arsenic, et nous avons toujours prétendu qué cette
substitution n’était pas heureuse pour la salubrité publique.
Ce danger vient d'être révoqué en doute dans un journal de Rouen, la Vie des
Champs, tom. II, pag. 55, n° 47, novembre 1854. L'auteur du travail, n’envi-
sageant qu'un seul des points d’une question aussi compliquée, a analysé les
grains de froment provenant d’une récolte dont la semence avait été chaulée à
Farsenie, et il n’y a pas trouvé un atome d’arsenic.
En admettant le fait comme démontré par cette courte expérience, et comme
se reproduisant généralement sans exception, je dis que la cause du chaulage
par l’arsenié ne serait pas pour cela gagnée; car le côté de la question envisagé
par le journal la Vie des Champs est bien le dernier par lequel j'aurais incriminé
ce procédé. | :
Mais je n’accorde pas même que l'analyse ait démontré la pureté des grains;
car nos procédés d'analyse sont trop grossiers, et les quantités de grains analy-
sées sont trop minimes pour pouvoir mettre en évidence les quantités minimes
que chaque grain de l’épi doit recevoir de la sève; or l'arsenic agit sur la santé
par des quantités minimes qui, prises chaque jour, finissent par former des som-
mes assez considérables pour pouvoir se traduire par des effets morbides.
Chaque jour, en opérant en grand, on découvre de l'arsenic dans des eaux où
l'analyse ordinaire n’en avait pas révélé même des traces ; et si l'on savait combien
il en faut peu chaqué jour pour compliquer la maladie ou altérer la santé, on se
montrerdit un peu plus réservé dans l'emploi de certaines substances en indus-
trié et das le laisser aller de la manipulation, Que de maladies je vois échapper
à la puissance habituelle de la médication, par suile d'ingestions ou d'aspirations
accidentelles desubstances vénéneuses dont l’origine ne me saute aux yeux quesur
une révélation fortuite du malade! Jamais nous n’avonsautant de maladies pulmo-
naires épidémiques (toux, coryza, grippe, etc.) que sous le vent des démolitions
des maisons antiques qui se fontsur une grande échelle. Le vent, disséminant dans les
airs en poussière les débris des substances toxiques qui restaient enfouies depuis
des siècles dans les fissures, les murailles, sous les tentures et le mobilier des appar-
tements, l'organe de la respiration est le premier à absorber le poison en quan-
tités suffisamment morbipares, alors que l'analyse aurait de la peine à en faire
soupconner l'existence.
Mais laissons de côté ce qui regarde les dangers qui découleront du chaulage
à l’arsenic lors de la consommation de la récolte.
Là ne se termine pas la difficulté : pour chauler les grains, on les trempe
dans une dissolution assez dense d’arsenic ou de cuivre, on les enlève à Ja
passoire, on les lave à une seconde eau, et on les met sécher pour s’en servir
comme grains de semence. Malheur au consommateur, si, par méprise, cette por-
tion chaulée passe dans la réserve de la consommation ! Laissons encore ce cas,
qui est peut-être moins exceptionnel qu'on ne pense.
Mais est-ce que le semeur n’a rien à craindre de l'évaporation d’une poussière
arsenicale soulevée par le frottement des grains qu'il secoue dans Le sac à chaque
INSALUBRITÉ DU CHAULAGE DES GRAINS A L'ARSENIC. 207
volée? Car enfin on n’espèré pas, enlavant lés grains ainsi chaulés, les dépouiller
complètement de l’arsenic du chaulage; à quoi sérvirait alors de les chauler ? On
ne pense pas non plus que l’arsenie soit absorbé si profondément qu'il n'adhère
nullement à la surface; et les pellicules superficielles du grain sont si fragiles, si
faciles à s’'émietter et à se détacher, qu'il ne fautpas un frottement bien prolongé
pour les réduire en une fine poussière que le pauvre semeur aspirera de toute la
force de ses poumons.
Que la plante charrie ensuite l’arsenie par le véhicule de la sève dans tous les
organes de sa végétation et de sa floraison, c’est un fait que l’on ne saurait révo-
quer en doute, en physiologie, et que mettent en évidence les graminées qui naissent
dans certains parages dont le sol est mercuriél et arsenical ; les moutons qui en
mangent ne tardent pas à y être attaqués d’un rachitisme, qui déforme leur char-
pente de la manière la plus hideuse à voir, Le gramen, froment ou chiendent,
absorbera donc également la petite quantité d’arsenie du chaulage, puisque la
végétation est capable d'en absorber des quantités d’un effet si appréciable; nier
le moins en admettant le plus, ce ne serait rien moins que de la logique.
Mais si la plante n’absorbe pas l’arsenic de la graine, et que le grain le con-
serve en entier pour se défendre contre la dent des animaux petits ou infiniment
petits, cet arsenie, mis en liberté par la décomposition progressive des tissus or-
ganiques, deviendra partie intégrante et du sol et de la poussière que par les jours
caniculaires doit soulever le vent. Cet arsenic, entraîné par les pluies ét filtré à
travers les terrains sablonneux, n'ira-t-il pas reparaitre en quantité morbipare
dans les eaux de sources ou de rivières? L’ouvrier briquetier, en maçonnant Je
pisai, né s’administrera-t-il pas une friction arsenicale aussi longue que durera
la manipulation? On voit d'ici sous combien de formes inattendues l'arsenic
pourra se glisser au gré du hasard dans nos organes, par le fait seul du chaulage ;
et jé ne crois pas qu’un seul de mes lecteurs pense maintenant que le chaulage à
l'arsenie, au cuivre, et je dirai même à la chaux, soit aussi inoffensif qu'on a cher-
ché à l’établir sur des expériences de laboratoire; je dis la chaux, dont l'action
caustique n’a certainement pas des conséquences aussi fâcheuses que ces autres
substances, mais qui ne laisse pas que de déterminer plus ou moins passagère-
ment des désordres assez graves dans toutes les dépendances des voies aériennes.
Enfin, puisqu'il ne s’agit que de préserver la semence de la dent des oiseaux,
muloté, etc., et la végélation naissante du parasitisme des insectes et des larves
qui s’abritent sous le sol, pourquoi s’attacherait-on, avec une préférence qui fri-
serait un peu l’entêtement systématique, à chauler avec des poisons violents pour
l'hômme tout autant que pour les animaux parasites; alors qu'on a à sa dispo-
sition une substance qui écarte les insectes et ne saurait nuire à qui l'emploie? Je
veux parler de l'aloès.
Faites dissoudre un hectogramme d’aloès dans un tonneau de 300 litres;
cette quantité de liquide pourra vous servir à chauler la semence de trois ou
quatre hectares de terrain au moins, si vous ne gaspillez pas le liquide. Or, j'ose
vous assurer qué la puissance de ce chatilage préservera de l'invasion des parasites
non-seulement le grain de semence, mais toute la végétation ; l'expérience que
j'en ai faite cette année sur des arbres, qui auparavant étaient chaque année dévo-
rés d'insectes, ne me laisse aucun doute à cét égard; le chaulage à l'aloès pro-
duira bien, sans doute, sur les récoltes, ce qu'un simple arrosage avec cette sub-
stance produit sur la végétation des arbres fruitiers.
me D
208 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
NOTE SUR L?’ANTIQUITÉ DU PROCÉDÉ DU CHAULAGE DES GRAINS DE SEMENCE
ET DES RACINES DES ARBRES.
L'idée de chauler les grains de semence n’est rien moins qu’un procédé mo-
derne. Virgile en parle en termes très-précis comme d’un usage assez répandu
en Italie :
Semina vidi equidem multos medicare serentes,
Et nitro priüs et nigrä perfundere amurc& (*).
. Virc., Georg., 1, v. 193.
Caton et Varron ne se sont pas occupé, de ce procédé qui pourtant était
connu des auteurs grecs d’agriculture. Car le recueil des Géoponiques (3° siècle)
donne un extrait du livre perdu d’Africain, auteur postérieur à Virgile, sur les
moyens à employer avant de semer, afin de mettre la récolte à l'abri de tout ra-
vage (**) ; et là l'auteur indique clairement que ces divers modes de chaulage ont
pour but de préserver la semence des ravages des oiseaux et autres genres de
parasites. L’Africain conseille de plonger la semence dans une dissolution de jou-
barbe, d'hellébore; dans une macération putride de crustacés marins tels que
les tourteaux ; dans un hachis de tithymale, de corne de cerf ou de défense d’élé-
phant. Pallade reproduit un de ces moyens pour préserver la graine de la dent
des mulots (***); il ne prévoit pas d’autres ennemis de la récolte que les oiseaux et
les mulots. Mais aucun de ces auteurs n’a recours, pour ce genre de préservatif,
aux poisons minéraux, dont nous faisons un usage si abusif depuis Paracelse;
ils n’emploient que des poisons végétaux et les poisons végétaux se décompo-
sent dans la terre.
On voit que les anciens n'avaient pas fait de la maladie une entité dont la
cause échappe à nos sens. fls ne désignaient pas tous les ennemis des semailles ;
mais les ravages dont ils voulaient préserver leurs grains, ils les attribuaient bien
à des causes animées, d'un calibre fort appréciable, et qu'ils avaient pu maintes
fois surprendre sur le fait.
Je rencontre en outre, dans les Géoponiques et dans Pallade, un procédé de
chaulage des racines des arbres, qui a été perdu de vue, comme un procédé su-
perstitieux sans doute, et que je n'ai fait que renouveler à mon insu, mais d’une
manière logique et par suite de ma théorie sur la sève des végétaux. On se sou-
vient que j'ai annoncé qu'en arrosant le tronc et les racines des arbres avec une
dissolution d’aloès, on préserve leurs feuilles et leurs fruits des parasites de petit
ou de gros calibre. « Si vos fruits sont véreux, dit Pallade, touchez les racines de
l'arbre avec le fiel de bœuf, et les vers ne tarderont pas à mourir (***). » C'est la
traduction de la phrase de Didyme en ses géorgiques, que cite Florentin dans
les géoponiques grecques (****).
La science qui démontre n’a l'air souvent que d’avoir exhumé ce que la routine
empirique avait consigné dans les livres, et ce sur quoi la pratique avait passé
outre, faute d’en connaitre la raison.
(*) J'ai déjà vu un grand nombre d'agriculteurs médicamenter les grains pour la semence, en les
saupoudrant de nitre et de lie d'huile rance,
(**) Geopon., lib. 2, cap. 19.
(***) Adversüs mures agrestes Apuleins asserit semina bubulo felle maceranda antequam spargas.
(Pall., de re rust., lib. 1, tit, 35.); c'est-à-dire pour préserver la semence de la dent des mulots, Apulée
conseille de la laisser macérer dans le fiel de bœuf. — (Le fiel de bœuf est un succédané de l’aloès
que nous conseillons pour le même usage.)
(“*#*) Pallade, de re rustic@, lib. &, tit, 10.
(se#) Lib, 10, cap. 46,
HYGIÈNE DÉ LA BARBE. RASOIRS A REPASSER. 209
CONCLUSION.
Voulez-vous préserver vos récoltes et vos arbres fruitiers des maladies ento-
mogènes (moucheture, langueur, rouille, charbon, nielle, cloque, blanc ou
meunier), chaulez vos grains de semence et arrosez les troncs et les racines de vos
arbres avec une dissolution d’aloès. Ce chaulage est un préservatifinfaillible pour
les plantes, et un moyen nullement insalubre pour le cultivateur. Ajoutez qu'il est
plus économique que tous les autres.
HYGIENE DE LA BARBE.
MOYEN FACILE DE DONNER DU FIL AUX RASOIRS, SANS LES RÉAIGUISER.
Je conseille chaque jour aux partisans de la nouvelle méthode de ne se raser
ou se faire raser qu'avec leurs propres rasoirs. J'ai vu en effet tant d'accidents
occasionnés par les égratignures faites avec des rasoirs impurs, tant d'infections
mereurielles couvrir par cette voie la figure de pustules dartroïdes, que je pré-
féverais m'exposer à m'écorcher avec mes propres rasoirs plutôt que de me raser
avec le rasoir qui aurait déjà fait son office sur le premier venu. On ne doit
prêter à personne ni son peigne, ni son rasoir. Mais ce qui oblige le plus souvent
de recourir aux soins d'autrui, c'est la mauvaise qualité des rasoirs que l’on
achète, et la difliculté qu’on éprouve à se raser avec ces instruments, si on ne les
envoie pas chaque fois à repasser sur la meule. Le procédé suivant donnera
chaque fois le fil à la lame la plus dure en moins de quelques minutes.
Que l'on approche un instant du feu la lame du rasoir, qu’on la repasse immé-
diatement après sur le cuir pendant deux minutes, par les deux faces de la lame,
et qu'aussitôt on trempe la lame dans l’eau fraiche pure ou dans l’eau salée,
voire même l’eau de savon, et le rasoir semblera sortir des mains du rémouleur.
Et cela est facile à expliquer. On sait que la chaleur détrempe l'acier, que
l'acier redevient mou, si on le laisse lentement refroidir, après l'avoir exposé au
feu, tandis qu’il se retrempe d'autant plus fortement qu’on le jette plus vite dans
l'eau froide au sortir du feu; or, cet effet est proportionnel à la température, et
ne se reproduit pas moins, en partie, quand l'acier n’est soumis qu’à la chaleur
du frottement. Donc si on abandonne la lame du rasoir à elle-même après l'avoir
échauffée par le frottement du cuir à repasser, elle se détrempera en partie et
perdra d'autant de son fil en refroidissant lentement. Elle se retrempera de nou-
veau, au contraire, si on la plonge subitement dans l’eau, et le fl du tranchant ac-
querra ainsi une dureté propice, que la résistance du poil de barbe ne pourra
ni ébrécher ni émousser. Ce procédé est applicable à toute espèce de lames.
Voyez de plus, pour les lotions après la barbe, le dernier chapitre de la livraison
précédente.
CHAPITRE IT,
TOXICOLOGIE (* ET MÉDECINE LÉGALE.
COMMENT, EN FAIT D'EMPOISONNEMENT PAR L’ARSENIC, ON DOIT RECHERCHER
L'ORIGINE AVANT LE COUPABLE, ET NE JAMAIS TROP SE PRESSER D’ACCUSER,
Vers la fin de l’année 1842, un de mes plus intimes amis d'alors, riche, savant
et plein de cœur, sorte de trinité rarement réunie en une seule et même per-
(*) Du grec logos, traité ; toæicôn, des poisons.
910 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sonne, un de mes amis, dis-je, me pria instamment d'aller donner mes soins à un
de ses parents affecté d'une maladie intermittente, horrible dans ses accès,
Desépreintes àsetordre mais sans dévoiement, des envies atroces de vorhif sans
pouvoir rendre autre chose qué quelques glaires brülantes, peu de fièvré dans
ces tortures, horreur du manger et même des liquides; et après les accès, qui
düraient souvent des journées entières, retour subit à la santé:
C’est dans ce dernier état que je le trouvai lors de ma première visite. Nous cau
sâmes avec intérêt; il m’expliqua sa maladie en homme de l’art et en homme
du monde; il entra dans les circonstances les plus détaillées que la médecine
ancienne néglige d'entendre, et que le nouveau système, qui se rattache à tout,
recueille avec le plus grand soin. La conversation se prolongea assez avant dans
la soirée, sans qu'il parût fatigué de me répondre ou de me questionner; mon
malade était un fort aimable causeur, un homme de bonnes plutôt que de belles
manières, très-instruit et ne l’affichant nullement. Mais, un petit accès dont j'au-
rais pu être un instant témoin, lé plus court instant même, aurait mille fois mieux
rempli le but de ma visite que cette observation de mœurs. L'accès ne vint pas.
Je réfléchis, je cherchai à rattacher les effets décrits à une cause morbipare ordi-
naire; j'écrivis ma prescription, que j'expliquai, en présence de son maitre, à son
dévoué serviteur, de la manière la plus détaillée. La confection des médica-
ments devait être confiée à un pharmacien, me dit-il, qui était aussi dévoué à sa
personne que son bon domestique; et je me retirai en fixant ma visite nouvelle
au-troisième jour.
Grand désappointement quand je revins: ma médication, qui calme si vite,
même alors qu'elle ne trouve que des organes rebelles à la guérison, ma médica-
tion n’avait pas enrayé le mal d’une minute ni donné le moindre signe d'un sou-
lagement. L'accès avait accompli sa période sans dévier d’un point de sa ligne.
Je n'avais pas encore inventé les plaques galvaniques; mais le fil de mes
recherches m'y portait déjà, quoique d’une manière assez vague; j’essayai de l’ap-
plication prolongée d’un fer à cheval aimanté sur l'abdomen. Je ne me rappelle
plus trop l'effet qu’il produisit; mais cet effet fut qualifié par nous deux de bien
faible, D’autres essais, tout aussi négatifs pour le malade, m'amenèrent à une con-
séquence tellement aflirmative, que je reculai devant elle, comme devant une
mauvaise pensée, une horrible pensée, une pensée accusatrice; cette maladie ne
pouvait être à mes yeux qu’une arsénigénose, une maladie issue de l'ingestion
quotidienne d’une dose d’arsenie, capable de préparer la mort de longue date, mais
non de la donner subitement.
Je demandai donc, et cela en rougissant, à mon ami et à toute sa famille, de
me retirer cette mission, de confier la santé de leur parent à un autre système
de médecine; car je déclarai que le mien était en défaut.
La famille qui avait été témoin des résultats si prompts et si précis du nouveau
système, même dans les cas désespérés aux yeux de l’ancien, la famille ne voulut
pas me tenir quitte, sans savoir la raison de mon découragement. À bout de dis-
simulation, je lui fis une révélation nette et franche, mäis d'une franchise que
je croyais à brüle-pourpoint; de vive voix cela m'eüût été difficile :
J'exposai les symptômes dont j'avais été témoin, les moyens que j'avais siinu-
tilement employés pour les combattre: de tout quoi je conclus que, pour moi, si
le malade était dans une autre position sociale, je n'hésiterais pas un seul instant
à affirmer qu’il était victime d’un empoisonnement lent par l’arsenic. Mais comment
ne pas reculer devant une énormité semblable, quand il s'agissait d’un homme
HISTOIRE D'UN EMPOISONNEMENT SANS COUPABLE. 211
aussi riche et célibataire, parent de gens quatré fois plus riches que lui, entouré
de domestiques si franchement dévoués à sa personne, ne s’occupant d'aucune
cütreptise, ne se livrant à d’autres jouissances qu’à celle de l'étude. L'induction
dé ma médication ne pouvait être qu'une erreur dont je n'avais pas le mot; mais
son application continuée sur ces basés ne serait qu'une calomnie à l'adresse d'un
innocent. Dans cet état, je ne pouvais, en honnête homme, que déposer ma dé-
mission entre les mains de la fatnille qui avait bien voulu me confier ces pénibles
fonctions. |
La lettre que je reçus me tomba des mains ; elle était aussi catégorique que
là mienne. Sans le vouloir, j'avais deviné Ja vraie cause du mal, me disait mon
ami, au nom de sa famille; on soupconnait bel et bien pour cause à ces maux
un empoisonnement intéressé; je n'avais fait que révéler la nature du poison;
au liéu de mé retirer, il était donc, ajoutait-on, de mon devoir de ne point aban-
donnér ce malade à ses vampires. Là-dessus, explications étendues et complètes,
détails de mœurs que je n'accéptai pourtant que sous bénéfice d'inventaire et
avec la discrétion d’un médecin, pour qui tout doit rentrer sous le sceau du se-
cret, de ce qui n'importe pas au salut du malade ou de la victime.
Muni de ces renseignements et de ces pleins pouvoirs, je retourne auprès du
malade; je le questionne sur ses habitudes, ses rapports, ses plaisirs, ses liaisons
intimes, sa manière de vivre, sa nourriture et ses boissons, Ma franchise un peu
brutale a pourtant quelquefois un caractère si bienveillant qu’elle devient com-
municative; et dans un de ces moments d'entrainement, ma foi, à tout risque, je
lui lâchai le grand mot. Il én parut ébahi, la bouche béante et les yeux grande-
ment ouverts, et nous reslârmes Court tous les deux; nous ne savions plus com-
ent reprendre le fil de la conversation. — Quoi! — Mais oui, que voulez-
vous, cette révélation me pesait sur la conscience; je me sens soulagé maintenant
de l'avoir faite. — Mais impossible... impossible... Non, non cela ne peut pas
être.—Je le désire et je fais les vœux les plus ardents pour je sois dans l'erreur;
mais maintenant que je suis tenu par cette erreur comme par une vérité incon-
testable, maintenant que j'apprends que votre famille la partageait avant moi,
conspirons ensemble, monsieur, vous pour m'aider à me convaincre du con-
traire, et moi pour vous arracher au danger, si c'est moi qui ne me trompe
pas. — J'y consens volontiers, et je compte sur votre discrétion, pour que, pen-
dant le cours de nos recherches, aucun nom ne se trouve compromis.
Le pacte ainsi signé, je lui prescrivis une potion d'hydrate de peroxyde de fer,
antidote classique de l’arsenic. Il part pour sa campagñe, voulant assistér aux
obsèques de son infortuné père. La cérémonie se passa sans que mon malade
éprouvât le moindre malaise. En rentrant au château, il prend une simple cuil-
lerée de la potion, préparée par le pharmacien qui jouissait de toute sa confiance ;
et jamais il n'eut un accès si terrible ; il me le marqua avec désespoir.
Sans qu'on le veuille, laconséquence post hoc, érgù propter hoc{après cela, donc à
cause de cela) se présente à l'esprit le moins prévenu. Cette circonstance aggrivames
soupçons. Je le priai de m'envoyer le restant de la bouteille, et trouvai, à la vue,
que le dépôt trop épais avait pu offenser cetestomac déjà bien délabré ; la famille
y vit toutautre chose, et me pria de garder la fiole scellée avec le cachet du malade.
L'affaire me paraissait de plus en plus grave, à chaque pas que je faisais dans
mes investigations; il fallait sortir de ce cas scabreux par des moyens catégori-
ques, et marcher vers l'élimination de la vérité, en prenant les précautions les
plus grandes et en suivant un programme approuvé de toutes les parties.
212 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Après bien des pourparlers, il futeonvenu, sur ma proposition, qu'il me serait
adjoint deux médecins, l’un au choix du malade et l’autre au choix de la famille
du malade, laquelle, je le déclare ici hautement, n’avait aucune prétention surl'hé-
ritage de son parent. Il se trouva que le médecin choisi par mon malade était
l'ami commun et du malade et de la personne sur laquelle la famille faisait planer
des soupçons de captation d'héritage.
La réunion médicale eut lieu dans la maison du malade même; j'exposai les
raisons qui me faisaient suspecter une cause arsenicale à des maux qui résis-
taient depuis si longtemps aux ressources de ma médication; la famille partageait
mes soupçons sous l'influence des circonstances morales; il y avait donc lieu à
douter et à prendre toutes les précautions les plus convenables pour arriver à
l'élimination de la vérité.
Les deux docteurs partagèrent entièrement ces vues, et nous arrêtèmes
unanimement que l’on présenterait à l'acceptation du malade les propositions
suivantes : 4° tout le personnel des domestiques serait momentanément renvoyé
au château, pour aller y préparer les appartements et vaquer à d’autres genres
d'ouvrages de réparation; 2° le malade ne serait plus servi que par deux sœurs
de charité à notre choix qui se relèveraient chaque jour; 5° sa nourriture lui
serait fournie par un restaurateur et ses médicaments par un pharmacien égale-
ment choisis par nous; 4° les deux docteurs m'assisteraient à tour de rôle dans
les visites que je ferais chaque jour.
Le médecin ordinaire du malade fut chargé d’aller lui soumettre ces trois pro-
positions, qu'il accepta de la meilleure grâce du monde.
Mais l’homme propose et certains hasards (dont je me garderai bien d’aceuser
Dieu) disposent : Le lendemain, 15 mars 1844, arriva pour moi ce terrible em-
poisonnement que j'ai décrit dans le tom. 4* de mon Yistoire naturelle de la
santé et de la maladie, pag. 193; pendant trois mois j'en subis les conséquences,
dont je ne me souviens encore aujourd'hui qu’en frissonnant, tant mon agonie me
paraissait hideuse à voir; aussi, tout étranger, médecin ouautre, fut consigné à ma
porte, jusqu’à ce que mon courage eût triomphé de la mort qui m'attendait; et
mor courage à souffrir a été grand, je vous le jure.
Voyez comme tout concourt, dans cette affaire, à grossir la somme des soupçons!
Cet empoisonnement arrivait juste le lendemain de la résolution péremptoire et
dont l'exécution devait nous mettre sur la voie de la vérité. Il y a plus, malheu-
reusement : un instant avant l'accident, le domestique du malade était venu
m'apporter une lettre de son maître; je le laissai un instant dans ma salle à man-
ger, pour aller répondre ; mon café était auprès du feu, ma tasse sur la cheminée ;
je prends mon café après son départ; et à l'instant le froid de la mort me glace les
extrémités, et des convulsions atroces me gagnent pour ne me quitter que trois
heures après.
La famille du malade, en apprenant cette nouvelle circonstance, voulait immé-
diatement poursuivre les auteurs soupçonnés d’un tel méfait; je m'y opposai de
toutes mes forces, dès que j’eus repris V usage de la main; il était venu d’autres per-
sonnes; et puis, depuis trois mois, j'avais eu deux ou trois atteintes d'empoison-
nement par le sublimé corrosif, dont j'avais fini par découvrir l’auteur. Il est vrai
que cette fois l’'empoisonnement avait lieu par la strychnine; mais il se compliqua
des résidus des trois premiers.
Cependant j'écrivis au malade une lettre d'adieu, dans laquelle je laissai per-
cer peut-être les caractères que j'attribuais à ma maladie; je lui souhaïitai meil-
L'ART D'EMPAILLER ÉTAIT LE SEUL COUPABLE DU DÉLIT. 213
leures chances que celles qui m’apparaissaient devoir être inexorables pour moi;
et je me lavai les mains du tout, en plaignant la pauvre humanité présente. Je ne
sais pas comment procédèrent mes deux collègues ; quant à la famille elle renonça
comme moi à poursuivre sa tâche.
Mais plus tard mes relations d’ancien voisinage avec un naturaliste empailleur
amenèrent notre conversation sur un amateur fort riche, qui dès sa tendre enfance
avait pris goût à faire une collection d'oiseaux et qui avait acquis un certain ta-
lent dans l'art d'empailler ; l'ouvrier du naturaliste allait même souvent lui prêter
aide. Or ce riche amateur n’était autre que le malade dont je viens de m'’entretenir.
Voyez déjà quel trait de lumière ! L'empaillage ne se pratiquait, à cette époque,
qu'à grands lavages à l'arsenic, opération dont les naturalistes, sans s’en douter,
ont tous reçu les plus graves atteintes; notre naturaliste en était lui-même tombé
dans le marasme; ses enfants semblaient s’étioler dès qu'ils assistaient à ses opé-
rations. Aujourd'hui on se ravise de toutes parts, grâce à nos idées sur cette
matière, et l’on substitue l’aloès à l'arsenic; mais alors on avalait la poussière
d'arsenic par toutes les voies et par tous les pores.
Notre riche amateur, ancien militaire, s’y prenait plus bravement, c'est-à-dire
plus imprudemment que les autres ; et il s'empoisonnait chaque jour à hautedose,
sans en avoir le moindre soupçon : car jamais cette idée ne lui vint pour nous en
faire part, à moi et aux deux docteurs; et ni l’un ni l’autre de ces deux docteurs
ne m'arrêtèrent dans mes démonstrations, pour me donner ce mot de l'énigme qui
explique tout, et, jusqu'à preuve du contraire, innocente tout, sous le rapport
d’empoisonnement. L'art seul en était coupable ; et s’il y a eu ensuite captation
d'héritage, ce n’a pu être que par des enchantements que la morale peut
reprendre, mais que la loi ne saurait incriminer.
Le malade a fini par succomber en 1849, époque où la division se glissa entre
les meilleurs amis du monde, devenus tous hommes de parti, souvent sans le
vouloir; il aurait rougi, lui, de m'être redevable d'un service, et moi, on le sait,
j'aurais rougi d'accepter une rémunération. Avant de mourir, il écrivit à un curé
que,sachant que je ne voulais rien accepter, et lui ne voulant rien me devoir, il en-
voyait aux pauvres de la commune, dont il me croyait alors habitant, la somme
de cent francs, à mon intention. On me fit part de la missive, et je répondis :
« PuisqueM.*** veut bien fixer un prix à mes services, il doit les évaluer à leur
juste valeur. La somme de 100 francs ne représente pas même la dépense de mes
courses en voiture. Écrivez-lui, dis-je au curé, que pour le reste il est redevable
encore, envers les pauvres de la commune, de 900 francs à mon intention. »
J'ignore si mon observation a été transmise; je la recommande, dans le cas
contraire, aux héritiers, quels qu'ils soient; ils rempliront bien certainement les
intentions d'un honnête homme qui y aurait fait droit, s’il les avait connues ; car
il était aussi bon envers les pauvres qu’envers ceux qu'il aimait, et qu'il a peut-
être aimés jusqu’à la faiblesse. Cette faiblesse a fait rejaillir, sur ceux qui l’appro-
chaient de plus près, des soupçons dont, sans cette circonstance, on aurait sans
doute entrevu l'injustice plus tôt. Mais nous n’étions préoccupés que d'elle, dans
le cours de cette affaire, quand il était si facile de trouver le mot de l'énigme, si
près et dans un empoisonnement quotidien, sans autre coupable que l’insalubrité
de l’art. A cette époque on n'était pas sur le qui-vive, pour surveiller les empoison-
nements industriels et artistiques, comme on l’est depuis le succès du Manuel ; et
sans le plus grand des hasards, le mot de cette énigme, si facile à deviner aujour-
d'hui, m'aurait encore échappé fort longtemps et peut-être pour toujours.
214 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
CONCLUSION.
Toutes les fois qu’on croit trouver matière à accusation, on se laisse trop en-
trainer par le désir de surprendre le coupable. Alors que la voix de l'humanité
ne nous. en ferait pas un devoir, les terribles méprises, que l’histoire et notre
expérience journalière ont constatées après coup, nous commandent au contraire
de ne nous laisser dominer, dans les recherches de l’accusation qui nous sont
confiées, que par le vœu de découvrir que l'accusé soit innocent. Toute accusation
doit au moins s'arrêter et faire halte devant le moindre doute. Tant que la justice
humaine croira qu’il importe à la société de se protéger en punissant, il faut
qu’elle accemplisse cetie terrible mission avec la conviction mathématique que
jamais une réhabilitation n'arrivera sur une tombe ni même sur les plus courtes
tortures.
CHAPITRE LL. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE (SUITE).
(Voy. pag. 181; livr. de janv. 1855.)
$ 6. FORMATION DE LA NEIGE (SUITE).
61. En terminant le dernier article, nous avons fait observer que le givre se
formait de préférence du côté qui regarde le nord, sur les objets inertes ou organi-
sés, en sorte que le côté sud est le plus souvent ou à nu ou bien moins chargé
que le côté nord.
Et cela doit être, ainsi que l'on va le comprendre. La cristallisation de l’eau ou
de toute autre dissolution saline n’a lieu que par la soustraction du calorique
qui la liquéfiait auparavant. Dans toute espèce de corps, le côté exposé au nord
possède moins de calorique que le côté exposé au sud; toutes les observations
thermométriques mettent ce fait en évidence. Done le côté nord est celui qui
soustraira le plus de calorique et qui par conséquent facilitera le plus la eristal-
lisation des liquides ambiants, D'un autre côté les végétaux vivants élaborent en
hiver comme en été, quoique dans une proportion moindre; en hiver ils doivent
soustraire plus de calorique à l'atmosphère qui les enveloppe, que tout autre
corps inerte quoique organisé. Donc legivre s'attachera de préférence aux végétaux
vivants, et cela dans une progression continue, correspondant à la progression
continue de l'élaboration vitale du végétal, ce qui se traduira par le prolonge-
ment indéfini des festonnements givreux, dont le volume peut devenir tel que le
rameau plie ou casse sous le poids.
62. Mais dans les hautes régions de l’atmosphère, le brouillard qui se change
en givre par l'abaissement de la température ne rencontre pas de corps étrangers
qui servent de point d'appui et d’origine première à ses festonnements indéfinis.
La première vésicule de brouillard qui se transforme en cristal de glace de-
vient dès ce moment un centre de soustraction de calorique, qui, par tous ses
angles, transforme en tout autant de cristaux semblables à lui les vésicules de
brouillard qui l’enveloppent. Ce groupe forme déjà une petite étoile, Mais cha-
eun de ces cristaux de 2° formation contribue à son tour à la formation de eris-
taux de 5° rang par tous ses angles libres; et ainsi de suite, pendant tout le trajet
que parcourt le groupe à travers le brouillard, en obéissant à la pesanteur qui
l'entraine vers la terre. C’est alors un flocon de neige dont le volume varie à l'in-
FORMATION DE LA NEIGE. 913
fini, selon l'épaisseur des couches de brouillard qu'il a eu à traverser depuis
l'époque de la formation de son cristal central.
La neige n’est donc que du givre qui se forme dans les airs.
63. Quant aux figures que peuvent affecter les flocons de neige, il est plus
facile de les concevoir que de les surprendre sur le fait. Comme on ne peut les
étudier que sur le porte-objet du microscope, et que l'haleine et la chaleur du
corps ne tardent pas à les fondre, ils se déforment si vite sous les yeux de l'obser-
yateur qu'on ne peut en continuer le dessin que de souvenir; et le souvenir ne
saurait retenir toutes les modifications de formes, d'aspect et de réfraction de la
lumière. Aussi les figures que les auteurs nous ont transmises des flocons de
neige présentent-elles une régularité de symétrie et des ornementations de sur-
face qui ne doivent être que l'œuvre du travail à l'équerre et au compas, dans le
silence du cabinet; jamais vous ne rencontrerez un flocon de neige que l'on puisse
rapporter exactement à l’une des trente figures que les compilateurs se transmet-
tent au décalque depuis l'invention du microscope; du moins je n'ai jamais été
assez heureux pour retrouver sur mon porte-objet un de ces hasards de l'obser-
vation. Les groupes neigeux sont trop floconneux pour affecter jamais une figure
étoilée avec tant de symétrie.
64. Ainsi que la pluie, la neige tombe soit par calme et presque perpendicu-
lairement, soit chassée par le vent sous une inclinaison plus ou moins grande selon
la force du vent. Elle n’arrive souvent vers le sol qu’à des distances considérables
de la verticale où elle se forme. On voit alors ses tourbillons voyager à travers
les airs poussés par la raffale, sous forme de nuages d’une teinte plus grise que
le fond du ciel, sur lequel ils se dessinent en ondulations, qui se déforment, se
mêlent, se fondent entre elles, et se reforment un peu plus loin. Il neige alors
au-dessus de nos têtes, quoique la neige ne tombe souvent qu'à vingt et trente
lieues plus loin.
65. Mais le brouillard, avons-nous déjà dit, ne s’arrête de préférence dans au-
eune zone limitée de notre atmosphère ; il monte indéfiniment, quand sa vésicule
centrale d'hydrogène ou d'autre gaz s'enrichit indéfiniment de calorique. Si done
ce brouillard parvient à des hauteurs considérables et que là, surpris par un cou-
rant d'air glacial, il se givre et se transforme en flocons de neige, il pourra arri-
ver que ces flocons imprégnés de gaz plus légers (moins condensés) que la couche
de gaz qui rase notre terre, que ces flocons aient le temps de grossir indéfiniment
et de servir de premier support et de noyau, pour ainsi dire, à un agrégat in-
défini de flocons de neige, formant ainsi la boule de neige dans les espaces presque
imaginaires de notre atmosphère terrestre, et finissant par apparaitre à nos re-
gards avec l'aspect grandiose de ces immenses chaînes de montagnes de neige qui
naviguent au-dessus de nos têtes, comme le font les montagnes gigantesques de
glace sur les mers polaires.
66. D'autres fois une lame de glace déjà organisée, comme nous l'avons dit
plus haut (31), pourra servir, de plancher à la formation de ces montagnes de
neige, en recueillant et en interceptant au passage, comme un de nos nivo-
mètres (‘), les flocons qui se forment dans la région supérieure à celle qu'il tra-
verse en ce moment. Il est évident que ces deux hypothèses sont également ad-
missibles, puisque la neige s'amoncelle dans les régions supérieures de notre
(*) De niphas (d'où vient nivis, nominatif primitif dont on a fait nivs par abréviation, et mix par
syncope), neige, et metron, mesure. On pourrait dire æiphomètre,
216 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
océan aérien, comme elle s’amoncelle à la surface terrestre, et que ces montagnes
y restent suspendues, comme elles restent fixées sur le sol.
L’analogie donne le mot de toutes les énigmes de la nature; c’est le fil qui
nous conduit sans le moindre effort dans le labyrinthe des phénomènes météoro-
logiques, que l'étude exclusive des détails semble rendre inextricable.
67. Lorsqu'on observe attentivement les nuages par un temps de neige, on
constate facilement que le nuage qui décharge des flocons de neige est venu
sous forme de brouillard; car il avance à la manière de la fumée qui roule et
déroule ses tourbillons. Dès qu'il a atteint la couche d’air où la neige s’était for-
mée la première fois, une nouvelle ehute de neige recommence, à travers la-
quelle le ciel disparaît sous un voile d’une teinte grise et ardoisée. Les flocons
tombent alors d'autant plus larges que leur formation s’est opérée par un temps
plus calme; j'en ai observé qui avaient la largeur d’un écu de cinq franes; ils
grossissent en tombant par l'accession des flocons qu’ils rencontrent.
68. Que si, dans leur chute, ils ont à traverser un courant d'air chaud, cha-
que flocon en fondant redevient goutte de pluie; ou bien la neige tombe mêlée de
pluie, selon que certains flocons traversent plus vite que les autres le courant et
n'ont pas le temps de subir une fusion complète.
$ 7. FORMATION PE LA PLUIE.
69. Lorsque le courant d'air chaud rase la surface du sol, la neige fond à me-
sure qu’elle tombe. Done, si le courant d’air chaud cireule à une certaine hauteur,
la neige formée dans une couche plus élevée tombera sous forme de pluie, ainsi
que nous venons de le faire observer.
70. Examinons la question de la pluie sous tous ses autres rapports. .
Le brouillard qui voyage, en forme de nuage, à travers des cougçhes élevées
de l'atmosphère, peut avoir à parcourir une couche assez froide pour condenser
la vapeur et pas assez pour la congeler en forme de givre(46); dès ce moment il
tombera soit une pluie fine, soit une bruine souvent si imperceptible qu’on ne.
s’en aperçoit que parce qu'elle mouille le sol. Le sol est alors le récipient de la
grande et incessante distillation atmosphérique, dont les mers, les lacs et les
cours d’eau sont la chaudière-où la eucurbite, et la couche d’air froid le réfri-
gérant.
71. Mais cette explication ne rend compte que d’un seul cas et qui ne se
réalise presque que pendant la saison froide ou les journées fraiches des autres
saisons.
+72. 1° La pluie peut résulter de la fusion de la neige qui traverse un courant
d'air chaud après s’être formée en traversant un courant d'air froid. Cette pluie
tombe comme glaciale et avec la densité de l’eau à + 4° centigr. environ; ses
gouttes ont la largeur des gouttes de pluie d'orage; les nuages qui couvrent le
ciel ont une teinte ardoisée bleuâtre, unie et pour ainsi dire tamisée, surtout vers
l'horizon.
2° Voilà le cas le plus fréquent de la pluie en toutes saisons. Ces immenses
glaciers de neige ne séjournent pas longtemps dans les régions supérieures de
l'atmosphère, sans subir soit les influences des rayons solaires pendant le jour et
longtemps après que la nuit a commencé pour nous (car il fait jour longtemps
encore à ces hauteurs), soit celles des courants d'air chaud qui les atteignent
pendant la nuit.
La lumière directe ou réfléchie se concentrant ainsi dans les vallées, les an-
FORMATION DE LA PLUIE. 247
fractuosités, les cavernes de ces chaines de montagnes deneige, ne peut manquer
de reproduire au sein de ces vastes régions la température la plus chaude de l'été ;
ne sont-elles pas abritées par les pics élevés qui accidentent leurs vastes surfaces ?
Qui ne sait que, dans nos montagnes, pendant les plus fortes gelées de l'hiver le
plus rigoureux, on retrouve la température de l'été, dès qu'on rencontre une
gorge abritée du nord et exposée en plein midi (*)?
Or, nous avons fait observer plus haut (56) que la fusion de tout bloc de
neige suspendu dans les airs se traduit par la pluie qui filtre à travers les inter-
stices des flocons non encore fondus.
Donc, lorsque ces montagnes atmosphériques de neige seront parvenues à no-
tre zénith, par une telle température, il pleuvra sur notre horizon; et le ciel nous
paraîtra couvert d’un voile ardoisé, souvent sans le plus petit accident de surface,
alors que peut-être cette couche ainsi tamisée peut servir de base aux chaines de
montagnes neigeuses les plus accidentées de crètes, pics escarpés, pitons élancés
et profondes vallées. Le nuage pourra nous sembler suspendu et immobile sur
nos têtes, pendant que cet immense traineau glisse peut-être avec la rapidité de
la tempête au-dessus de nous. Comment l’apprécierions-nous, quand la fusion ni-
velle ainsi la surface accessible à notre vue, que cette surface uniforme tamise la
pluie, que tout ce qui fuit ressemble à ce qui vient, et que notre œil ne perçoit,
pour ainsi dire, que des ombres et pas un clair? C'est l'infini qui passe et n’a plus
d'heure ni de jour.
3° D'autres fois, on voit arriver le nuage de neige fondante et qui décharge sa
pluie en passant ; resplendissant de lumière à l'horizon , il semble se nuancer de
plus en plus de tons ardoisés et sombres, à mesure qu'en avançant, il présente de
plus en plus, à l’œil qui l’observe, sa base qui filtre la pluie, à la place de ses crêtes
qui fondent au soleil.
4° Le ciel reparait et se recouvre encore, et cela quelquefois pendant des jour-
nées entières et d’instants en instants, selon que ces nuages partiels arrivent plus
nombreux et plus distants, à la suite les uns des autres.
5° D’autres fois, échelonnées dans les diverses couches superposées de l'air, les
montagnes partielles et isolées passent en dessous de ces immenses montagnes
qui couvrent l'horizon d'un voile ardoisé, et elles se dessinent alors en glissant
comme des flocons blancs sur ce fond sombre et grisâtre.
6° Si la pluie, en tombant, rencontre une bouffée plus ou moins durable de vent
qui la chasse, alors elle forme aussi une apparence de nuage plus ardoisé que
tout le reste, ou plutôt enfumé, qui prend en fuyant toutes les formes d’ondula-
tions les plus variables, formes qui se heurtent, se mêlent et se confondent, se
séparent un peu plus loin et tourbillonnent, comme la fumée que le vent chasse
dans les airs. Alors la pluie voyage au-dessus de nos têtes et ne tombe pas sur
notre horizon.
75. Les traineaux de nuages de glace, en fondant aux rayons condensés du so-
leil, peuvent en certains cas donner lieu à la formation de la pluie; mais ce n'est
pas en la filtrant; c’est en la déversant, quand les laes, que la fusion a formés dans les
anfractuosités de la surface exposée à la chaleur, trouvent une issue que la fusion
(*) Lorsque, dans ma jeunesse, je professais au collége, mes plus beaux jeudis je les passais, en hi-
ver, dans les abris profonds creusés au pied de nos collines de sable, que l’on nommait alors des
cagnards : là je pouvais relire avec délices les belles poésies d'Horace et d'Anacréon sur le printemps,
pendant que j'entendais siffler sur ma tête le terrible mistral ou la bise glaciale. Ce contraste entre
ce qu'on entend etce qu’on éprouve, daus ces solitudes profondes, était chaque fois pour moi le plus
üoux délassement de mon métier.
218 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
leur ouvre ou que leur ménage l'inclinaison du bloc. Cette pluie peut alors deve-
nir une #rombe d'eau, un déluge de quelques lieues carrées, qui s’aceomplit en
quelques instants etcomme d’un seul bloc, quirompt les digues et les ponts, déra-
cine les arbres etengloutit des villages entiers, comme cela arriva, le9 août 1850,
au village de Quincy, arrondissement de Soissons (Aisne).
74. La pluie, déchargée et tamisée par les nuages de neige fondante, tombe en
gouttes d'autant plus larges que le nuage est plus bas. En effet, la goutte d’eau
qui tombe, et qui rencontre la colonne d'air sur sa route, se partage nécessaire-
ment en deux ; chacune de ces deux parties, ayant à vaincre la résistance d’une
nouvelle colonne d'air, se partage à son tour en deux autres gouttes, et ainsi de
suite, jusqu’à ce que la colonne d'air ne soit plus assez forte pour faire obstacle
et intersection.
Que deux observateurs se placent aux fenêtres de deux étages très-distants
d’une tour élevée comme l’est le donjon de Vincennes; et qu'un troisième jette
de la plate-forme une suffisante quantité d’eau par une gargouille située dans le
plan des fenêtres ; l'observateur recueillera les gouttes d'autant plus grandes qu'il
sera placé plus près de la gargouille, et cette pluie artificielle ne sera souvent
qu'une simple bruine au pied de la tour.
La pluie naturelle n’obéit pas à d’autres lois que la pluie artificielle, qu'elle
tombe de la hauteur d’un nuage ou de la hauteur d’une tour.
75. Lorsqu'il pleut finement, rien ne sera plus facile que de ‘vérifier le fait,
sans avoir besoin d'aide, en se plaçant près d'une gargouille qui déverse le trop-
plein des toits. On trouvera alors que la pluie du ciel tombe en gouttes fines et
celle de la gargouille en gouttes d'autant plus larges, qu'on les recueille plus
près du toit. Remarquez combien les phénomènes les plus subtils de la météoro-
logie peuvent s'expliquer par des observations sibanales qu’elles en paraîtraient
puériles, si on les présentait isolément et non comme moyens de vérification.
76. Or, pour mesurer ainsi comparativement les gouttes de pluie, rien n'est
plus commode que le procédé suivant, que je nommerais volontiers stagomé-
trie (*), s'il était plus compliqué. Remplissez d’un sable très-fin et très-sec le cou-
vercle en bois ou en tôle d’une boîte quelconque, et nivelez la surface du sable
au moyen d’une règle; fixez ce couvercle au bout d'un manche assez long, qui
vous permette de soumettre le sable à la pluie et de retirer l'appareil aussitôt.
Chaque goutte de pluie, entombant à plat sur ce sable sec, se reformera en sphère
aussitôt, s’enveloppant des grains de sable au lieu de les imbiber et de filtrer à
travers la couche terreuse. L'étendue de la croûte de sable qu’elle aura détachée
en s’y appliquant, sera marquée par une empreinte creuse qui représentera la
surface qu'avait la goutte de pluie en tombant. Le diamètre de cette empreinte
donnera done immédiatement le diamètre de la goutte de pluie. On pourra re-
commencer bien des fois l’expérience, en effaçant les empreintes et recueillant
de nouvelles gouttes d'eau; on remplacera la couche de sable dès qu'elle com-
mencera à se mouiller par suite d'essais trop souvent répétés,
Au moyen du stagomètre, on pourra donc s'assurer non pas de la hauteur ab-
solue des nuages, mais de leur hauteur comparative, le nuage étant d'autant plus
bas, ou bien les flocons de neige ou les grélons se changeant d'autant plus bas
en gouttes de pluie, que les gouttes recueillies par l'appareil sont plus larges.
Si jamais on peut constater la hauteur absolue de quelque nuage dont
(*) Du grec stagôn, goutte de pluie, et metron, mesure.
ÉTUDE DE LA GRÊLE ET DES GRÊÉLONS. 219
on aura mesuré les gouttes de pluie, alors la largeur des gouttes pourra servir à
évaluer la hauteur absolue soit du nuage, soit de la limite inférieure de Ja couche
d'air chaud où a achevé de s’opérer la fusion du flocon de neige ou du grélon.
La violence du vent, en imprimant une plus forte impulsion à la chute,
peut amener une cause d'erreur dans l'évaluation, cause d'erreur dont on pourra
plus tard tenir compte, à l'aide d'une série spéciale d'expériences. Mais enfin ce
procédé, par les temps calmes, doit paraitre de quelque valeur, et je m’en suis
souvent servi dans le courant de mes observations quotidiennes de météorologie.
$ 8. ÉTUDE DE LA GRÊLE ET DES GRÉLONS.
717. Nous voici arrivés à une question de météorologie qui ne semble avoir
rien d’analogue dans les phénomènes qui se passent sous nos yeux et dans les
couches de l'atmosphère qui rasent notre sol. Le physicien, qui cherche à expli-
quer ce phénomène, est tout aussi impuissant à le reproduire par l'expérience
directe que l'agriculteur qui a la prétention de conjurer le fléau par des pratiques
plus ou moins mystérieuses.
On peut lire, dans le dernier chapitre du premier livre des Géoponiques (‘)
(Travaux des champs) et dans le chap. 35 du premier livre de Pallade, tous les
Moyens singuliers qu'avaient proposés les anciens Grecs et Romains, pour préser-
ver un champ de la grêle, Pallade adopte ces pratiques de la meilleure foi du
monde; mais en ceci la foi ne sauve pas les récoltes. Quant à l’auteur des Géopo-
niques, après avoir énuméré ces procédés et ces amulettes agricoles, il a soin de
s’en laver les mains, en avouant que pour lui il croit que tout cela n’est bon à
rien, et que s’il s’est donné la peine de tout transcrire, c’est seulement pour ne
rien omeltre dans son recueil de ce qu'en ont dit les anciens. On y voit, en effet,
la peau du crocodile, de l'hyène, du veau marin y jouer un rôle; mais le plus cu-
rieux de tous ces procédés, c'est de présenter un miroir au nuage qui est suspect
de porter la grêle dans ses flancs : cette mégère, en effet, mère de la dévastation
et de la famine, ne saurait manquer de reculer d'horreur, en s'y voyant si laide.
La science moderne, meilleure diplomate et plus digne dans ses rapports
envers les puissances constituées, a tenté de traiter la grêle sur le même
pied que la foudre; et il y a quelque vingt ans que nous avons vu la haute
agronomie, infatuée d'un paragrèle, demander au gouvernement de vouloir bien
faire les frais de quelques millions de perches terminées par quelques brins de
paille : Franklin n’avait-il pas prévenu l'explosion de la foudre en lui offrant un
conducteur ? Les savants, qui alors voyaient de l’électricité partout, n’avaient-ils
pas attribué à l'électricité la formation de la grêle ? et dès lors n’empêcherait-on
pas la formation de la grèle en soutirant l'électricité qui pourrait l’engendrer ?
Un brin de paille, à la hauteur de 30 à 40 pieds, devait paralyser ainsi un phéno-
mène qui malheureusement se forme à plusieurs milliers de mètres dans l’atmo-
sphère, Mais enfin l’idée était assez grandiose pour fixer l’attention des agronomes
de cabinet; et bien des gens, voyant que le gouvernement faisait la sourde
oreille, se dévouèrent à l'expérience et hérissèrent leurs propriétés de perches
(*) Les Géoponiques sont un recueil en grec, par ordre de matières, d'extraits de tous les auteurs
grecs ou latins qui ont écrit sur l’agriculture. Cet ouvrage, dédié à Constantin le Grand (4: siècle), est
divisé en 20 livres; les auteurs latins y sont traduits en grec, ce qui a fourni des éléments précieux
à la philologie, Palladius (Rutilius Taurus Æmilianus), agronome latin du be siècle, nous a laissé un
cours complet d'agriculture en 14 livres, dont deux de généralités et douze consacrés aux travaux de
chaque mois.
220 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
paragrêles. Mais la grêle broya les paragrèles, et personne n’en parla plus (*).
Nous allons, dans les alinéas suivants, non pas donner le moyen de conjurer la
grêle, mais la théorie rationnelle de sa formation, déduite de l'observation et de
l'analogie, en reconnaitre enfin la cause, ce qui a autant de prix aux yeux du
philosophe que toute autre découverte pratique. Le philosophe (‘) est fier de
comprendre ce qu'il ne saurait conjurer.
78. À° Nous avons dit (58) que la neige est un phénomène d'hiver. La grêle,
au contraire, est plus spécialement un phénomène d'été; elle a cela de commun
avec les orages. Il y a plus, elle ne tombe qu'en plein jour, et par les journées les
plus chaudes de la saison; c’est en cela qu'elle diffère du tonnerre, qui éclate La
nuit comme le jour.
20 La neige cristallise d’une manière régulière en petits prismes hexagonaux,
qui s'associent d'une manière plus ou moins symétrique. La grêle n’affecte au-
cune forme cristalline constante ni même régulière. Les grèlons ressemblent à
des éclats de glace plutôt qu’à des cristaux.
3° Les gouttes de pluie de la même ondée sont en général de même diamètre;
les flocons de neige de la même formation et pris dans le même instant affectent à
peu près le même volume. Rien n'est variable, au contraire, comme la grosseur
des grélons dans une ondée de grêle; depuis le plus gros jusqu’au plus petit, le
volume varie à l'infini, tout aussi bien que la forme (nous ne nous occupons ici
que de la grêle et non du grésil).
4 Le volume des grélons est encore bien plus variable à chaque grêle, Les
habitants des villes ne se font pas une idée de la grosseur que peuvent atteindre
les grélons; les pauvres campagnards sont presque tous en état de dire que la
chute des grêlons de la grosseur d’un œuf de pigeon et même de poule n’est
pas chose si fabuleuse qu'ils n’en aient été témoins et victimes au moins une fois
dans leur vie.
Le 29 juillet 850, iltomba à Doullens, par une pluie torrentielle qui, en 40 mi-
nutes, fournit 3 cent. 76 d’eau au pluviomètre, il tomba, dis-je, des grêlons qui
étaient gros comme une noisette dans la citadelle, et comme un petit œuf de
poule dans les champs.
Le 29 juillet également de l’année suivante (1851), par une pluie également
torrentielle, il tomba une grêle si forte et si abondante que toutes les capucines
qui tapissaient le mur de mon jardinet furent hachées, broyées, réduites en pâte.
Les plus gros atteignaient 20 millim. de diamètre, et ils s'étaient brisés en route
en deux portions, ils avaient ainsi la forme de ménisques irréguliers et couverts
d’aspérités; en certains endroits le sol en avait un pouce d'épaisseur; il s’en était
accumulé jusqu'à un demi-pied dans les encoignures des murailles; ces grêlons
ainsi accumulés s’agglutinèrent en bloc par un commencement de fusion, et ils
mirent trois jours à fondre. Le pluviomètre (hydomètre) marqua en 20 minutes
(*) Lorsqu'une grande découverte se manifeste, elle donne toujours lieu à la manie des applications
préconçues. Quand l'inoculation ou la vaccine eut triomphé de l’opiniätre résistance des facultés mé-
dicales, alors les facultés médicales crurent avoir trouvé un remède à tous maux dans l’inoculation;
on inocula jusques à la gale pour préserver de la gale; on inocula même la peste; aujourd’hui la
même idée est revenue à flot, et l'on inocule les bêtes à cornes pour les guérir de la maladie ento-
mogène du poumon. Toutes ces tentatives disparaissent, dès qu'on a trouvé la vraie cause du mal :
Qui donc parlerait d'inoculer la gale pour guérir de la gale, aujourd’hui que l'on sait que la gale est le
produit d'un pou ? De méme on ne parlera plus de moyens de conjurer la grêle, quand on aura évalué
avec nous les causes de sa formation.
14%) Felix qui poluit rerum cognoscere causas, Virc,
VOLUME ET POIDS DES GRÉLONS. 291
1 centim. 955. Le lendemain, une nouvelle pluie torrentielle sans grélons donna
à l'hydomètre, de8 h.15!à10 h. 30", la valeur de 5 cent. 761 (5 centimètres 696
jour deux heures de temps).Cet orage du 29 avait traversé tout l’est de la France
Jt la Belgique; les grêlons avaient la grosseur d’une noix à Lyon, et celle du
poing dans le Brabant. Or, des grélons de ce volume et d'un volume bien supé-
rieur ne sont pas rares en France et en Europe, ainsi qu'on en jugera par le re-
levé que j'ai pris soin d'en faire depuis cinq ans, en les classant d’après le mode
d'évaluation adopté par chaque observateur :
Grêlons gros comme une noisette ou une balle de fusil : 1850, le 3 avril à
Thann (Haut-Rhin); à Dublin (frlande)le 18 avril; le 16 mai à Doullens (Somme) ;
le 44 mai à Castres (Tarn).
Grêlons gros comme une noix : le 5 juillet 1850 dans l'Yonne, l'Aube, la
Côte-d'Or, etc.; le 16 novembre 1852 à S'-Mihiel (Meuse); le 23 août 1853 à
Courtray (Belgique); le 24 août 1853 à Moulins (Allier).
Grélons gros comme des œufs de pigeon et de poule : le 25 juillet 1851 dans
toute la France; le 17 juillet 1852, à Arcis-sur-Aube (Aube).
Grélons de 3 ou 4 centimètres de diamètre : le 48 août 1852 à Lure (Haute-
Saône).
Grélons pesant de 10 à 25 grammes : le 4 juillet 1854, à Blotzheim (Bas-
Rhin).
re pesant plus de 40 grammes : le 24 mai 1854, à Bitche (Moselle).
Grêlons pesant 100 grammes : le 9 juillet 1853 à Rouen (Seine Inférieure).
Grêlons pesant 200 grammes (près d’une demi-livre) : le 28 juin 1853, à
Valenciennes (Nord).
Grêlons pesant 260 grammes (plus d’une demi-livre) : le 4 juin 4832 dans le
territoire de Sénas près Orgon (Bouches-du-Rhône); le 9 juillet, 14853 à Laon
(Aisne),
Grêlons pesant 500 grammes (une livre) : le 17 juillet 1850, à Sommerange
(Moselle); le 9 juillet 4853, autour du château royal de Laeken, près Bruxelles,
pendant l'orage qui en laissa à Rouen du poids de 100 grammes. (Voy. ci-dessus.)
Grêlons d’une grosseur prodigieuse et comme des morceaux de glace brisée : à
Rouen, le 9 juillet 1853; le 16 mai 1854 à Lustin (Namur); ils ressemblaient à
des tessons de bouteilles cassées.
Les historiens en citent de plus gros encore, et d'une grosseur qui paraîtrait
incroyable, à ceux qui mettent la formation de la grêle sur le compte de l’électri-
cité:
Le 15 juin 4829, il tomba à Cazotta, en Espagne, des blocs de glace pesant
2 kilogrammes (quatre livres).
Le 14 juillet 1788 (‘), pendant que le roi chassait dans la forêt de Rambouil-
let, l'orage qui traversa toute la France avec la rapidité de l'éclair, sur une bande
de quatre à cinq lieues seulement, déchargea des grélons de dix livres (3 kilo-
grammes) qui brisèrent les chênes comme des roseaux, écrasèrent les troupeaux,
labourèrent la terre de crevasses profondes, enfoncèrent les toitures, ete.
Le 8 mai 1802, en Hongrie, il tomba un grélon qui avait un mètre en long et
en large et 70 centimètres d'épaisseur.
Un bloc presque aussi gros tomba près de Seringapatnam, sur la fin du règne
de Tippoo-Saïb (vers 1799).
(*) Mémoires historiques de la princesse de Lamballe, par Mme Guénard. 4801, tom. 3, pag. 87.
299 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
79. Les auteurs classiques ont cherché à expliquer l'énormité gigantesque de
ces grêlons par l'agglutination de plusieurs grêlons ensemble. Cette explication
est inadmissible pour nous qui avons vu comment les grêlons s’agglutinent sur
le sol; ils se soudent par la congélation de la portion de leur surface qui avait
commencé à fondre, mais ils ne forment jamais entre eux une masse homogène
compacte et transparente de glace; ils conservent toujours, dans cette es-
pèce de poudingue (*), leurs formes et leurs dimensions individuelles. Or, qui
pourrait croire que, pendant les quelques minutes que la grêle met à tomber, les
grélons, en se heurtant et se brisant dans les airs, eussent le temps de s’aggluti-
ner en glaçons, mieux qu'ilsne fontpendant un séjour prolongé sur la terre ? Cette
idée est absurde: le choc brise et n’agglutine pas. La forme seule de ces énormes
glaçons indique suffisamment qu'ils sont le produit d'une cassure et non celui
d’une agglutination : rien n’est bizarre et variable comme leurs contour&: vous
ne pouvez en reproduire de tels qu’en eassant la glace à coups de pioche; et la
similitude de ces grêlons et de ces fragments de glace est frappante.
80. Quelques observateurs assurent avoir rencontré dans certains grélons des
fragments de paille. En Islande, dans le voisinage du volcan Hécla, on dit avoir
trouvé dans les grêlons de la cendre volcanique. Il pourrait arriver que ces im-
puretés ne se fussent agglutinées au grêlon qu'après qu'il est tombé sur la terre,
et s’est de nouveau glacé à la suite d’un commencement de fusion. Mais, d’après
ce que nous avons expliqué plus haut (59), rien n'est plus vraisemblable que de
pareils débris et de plus gros encore puissent être transportés dans les régions
supérieures de l'atmosphère, à la faveur des bulles de vapeur qui leur servi-
raient d’aérostat.
J'ai analysé avec le plus grand soin les gros grêlons de 20 centimètres de dia-
mètre qui tombèrent à Doullens le 29 juillet 1851. Ces grélons ayant séjourné
Jeux jours amoncelés dans les encoignures des murs d'enceinte, j'ai pu en étu-
dier la structure à diverses reprises, en les faisant fondre sur le porte-objet.
Lorsqu'ils commençaient à fondre et que l’air condensé (54,6°) s’en déga-
geait, on aurait eru avoir sous les yeux un fragment de moelle végétale, avec
ses cellules à coupe transversale hexaédrique dessinée par les interstices dans
lesquels cireulait l'air qui se dégageait. J'essuyai plusieurs fois ces grélons,
à mesure que leur surface corticale fondait, afin de leur enlever avec le plus
grand soin les impuretés dont ils auraient pu s’incruster en tombant sur la terre;
et dans tous je rencontrai des grains de quartz (sable) et des particules d'humus
dont ils n’avaient pu se pénétrer qu’en se formant en glaçons, c’est-à-dire dans
les couches élevées de l'atmosphère. Or, je l'ai déjà fait remarquer, ces grêlons
étaient assez gros et assez lents à fondre pour que l'observation ainsi poursuivie
ait été à l'abri de toute interprétation hasardée.
81. Résumé. La forme des grélons, leur énormité souvent gigantesque, leur
frappante ressemblance avec des éclats de glace rompue par des chocs violents,
les impuretés terreuses qu’ils renferment, et qu'ils ne sauraient rencontrer sus-
pendues dans les espaces aériens qu'ils traversent, toutes ces considérations,
établies sur des faits incontestables et tant de fois observés, s'opposent à ce qu'on
soit autorisé à admettre que les grélons se forment par l'influence instantanée
(*) En géologie on nomme poudingue un agglomérat de cailloux sondés entre eux par une pâte sili-
ceuse ou calcaire.
TROIS TÊTES DANS UN CHOU. 293
de l'électricité sur les gouttes de pluie. La cause de leur formation est moins
physique que mécanique, ainsi qu'on l'appréciera dans les paragraphes suivants,
(La suite au prochain numéro.)
CHAPITRE IV, — HORTICULTURE LÉGUMIÈRE,
CHOUX A TROIS TÊTES OU CHOUX MULTIPOMMES, NOUVELLES VARIÉTÉS
DU CHOU MILAN DORÉ ET DU CHOU CABUS ROUGE.
J'ai trouvé, cette année, dans mes carrés de choux, un assez bon nombre de
pieds d’upe structure curieuse ; les habitants du village m’assurent n’en avoir ja-
mais obtenu de tels. Dès ce moment, j'ai défendu qu’on y touche, et je les con-
serve pour graines, afin de constater s’ils peuvent se reproduire d'une manière
assez constante pour mériter le nom de variété, et ne pas être rangés dans les
déviations organiques et passagères.
On cultive dans le Brabant trois espèces de choux pour les provisions du mé-
nage : le chou de Bruxelles, que dans certaines localités on nomme chou de Pa-
ris ou pour Paris, le chou cabus dit pommé rouge, et le chou milan doré.
On repique le chou de Bruxelles au printemps; on a soin de détacher les
feuilles qui commencent à se faner ; de l’aisselle de chacune de ces feuilles pousse
un petit chou de la grosseur d'une noisette que l’on récolte vers le milieu de
l'automne, et jusqu’à la fin de l'hiver. On retourne le terrain à cette époque pour
une autre culture. Un are de ces choux est plus que suffisant pour la consomma-
tion hivernale d’une famille.
On repique le chou cabus rouge au commencement de l'automne ou vers la fin
d'août, Il est pommé à la fin de l'été suivant; on le mange souvent cru en salade;
il est un peu dur à la cuisson.
On repique en même temps le chou milan doré, et on commence à le récolter
environ à la même époque; il donne jusqu’au printemps suivant et supporte très-
bien l'hiver. Ce petit chou est très-tendre et de facile digestion; on en fait une
excellente soupe. Les plus grosses pommes ne dépassent pas vingt centimètres
de diamètre, et elles sont rares de cette dimension; les plus communes n'attei-
gnent que douze centimètres ; elles sont ovoïdes, lâches, à feuilles gauffrées, les ex-
térieures non recouvrantes, devenant d'un jaune doré à l'approche de l'hiver. Les
feuilles qui n’appartiennent pas à la pomme sont larges, étalées, d’un vert noirâ-
tre, moins gauffrées que les feuilles de la pomme.
C'est parmi cette espèce que j'ai rencontré la variété que je vais décrire la pre-
mière, et que je désignerais volontiers sous le nom de cnov À rroïs TÊTES, quoique
J'en trouve qui en ont jusqu’à cinq, ce qui, si le fait se représentait au prochain
semis, permettrait d'adopter la dénomination de chou milan multipomme.
Le repiquage en eut lieu sur la fin de l'été 1853, dans un carré fumé avec une
poudrette composée du purin de nos lieux d’aisance et des cendres du charbon de
terre quenous consommons. La terre, du reste, est une des meilleures du potager ;
l'argile y est plus abondante qu’en tout le reste de ce terrain argilo-sablonneux.
Dans un terrain aussi meuble, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le faire ob-
server, la partie active, le fumier, filtre assez vite vers les couches profondes, et
séjourne peu de temps autour des racines des plantes; de là vient qu'on arrose
ici deux ou trois fois le pied des légumes, avec ce qu'ils appellent la pisse des va-
294 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ches, pendant la croissance du végétal; on n'obtient de belles pommes de chou
qu’à ce prix. A cet effet, on pratique un trou tout près de la racine, on l'emplit de
purin liquide, et deux jours après on recouvre le trou de terre.
Je n’ai rien fait de tout cela; aussi mes plants se montrèrent-ils paresseux pen-
dant tout le printemps; alors je fis donner à chaque pied une mouillure avec le
produit liquide de la fosse aux lieux d'aisance, qui est en plein air; et bientôt
les pommes se formèrent.
Mais dès la fin de l'été je remarquai des plants qui, au lieu de pommer au som-
met, bourgeonnaient au contraire comme en rayonnant. L’un de ces plants fixa
plus spécialement mon attention, en ce que son pied (caulis) s'était divisé en trois
branches principales, deux qui, plus près du sol, commençaient à pommer en
conservant les caractères foliacés de l'espèce, et l’autre qui se ramifiait, mais en
rosettes serrées de feuilles glauques, lisses, plates, spathulées, et qui tenaient un
peu des caractères des feuilles du chou de Bruxelles. Cette branche évidemment
montait en graines pendant que les autres pommaient à la base; mais elle ne
fleurit pas, et aujourd’hui, 28 décembre, on remarque, au centre des rosettes, des
groupes de boutons qui attendent le printemps pour fleurir. Les deux pommes
de la base n’ont pas cinq centimètres de diamètre.
Dès ce moment je recommandai de ne toucher à aucun de ces pieds en appa-
rence dégénérés. Aujourd’hui la plupart d’entre eux ont des pommes aussi belles
que les plus belles de l'espèce authentique. Un entre autres en porte trois au
bout de trois tiges qui s’insèrent, comme les rayons d’une ombelle à trois bran-
ches, sur le même point de la tige qui sort du sol ; un autre supporte quatre de
ces pommes un peu moins fortes; un autre en a jusqu'à six en voie de belle for-
mation ; les autres promettent de marcher sur les traces de leurs devanciers. Je
les laisserai tous gfener, en prenant note des modifications de forme que présente
chaque pied.
J'ai vu des individus dont le chou pommé a été coupé au commencement de l'été;
et depuis le trognon a poussé trois ou quatre bourgeons dont les uns sont en train
de pommer encore, et dont les autres ont trois belles têtes, en sorte que ces pieds
donnent deux récoltes.
Il en est qui se rapprochent tellement de l'aspect des choux de Bruxelles peu
hauts en tige, qu’on s’y tromperait sans quelques traces de leur origine qu'on re-
marque çà et Jà. Car les choux de Bruxelles forment aussi assez souvent à leur
extrémité une toute petite pomme, et cette petite pomme ressemble à celles de
certains pieds de la nouvelle variété, à la première époque de leur formation.
J'en trouve même un dont la pomme est tellement celle du milan doré, qu'on
s'y méprendrait, sans les bourgeonnements comestibles que l’on remarque sur la
tige, à l’aisselle des feuilles inférieures déchues. |
Les choux cabus rouges présentent le même phénomène de multiplication que
les choux milans dorés, aveccette différence que leurs pommes sont moins avancées
en grosseur, mais que le nombre sur chaque pied en est beaucoup plus considé-
rable; j'en compte jusqu'à huit, grosses comme le poing, sur un plant.
Cette déviation du type local tient-elle au mode de fumure ou à toute autre
cause ? J'en ai fait repiquer, vers la fin de l'été 1854, sur un carré de terre ana-
logue, mais fumée abondamment avec le fumier de cheval: nous verrons si ce
carré nous reproduira une anomalie semblable,
NOTE BOTANIQUE SUR LES RAPPORTS DES OMBELLIFÈRES. 2%
OBSERVATION PHYSIOLOGIQUE.
Nous avons fait souvent observer que les espèces végétales du même genre, et
à plus forte raison les variétés de la même espèce, ne sont que des déviations d’un
type commun, déterminées par les influences du sol, de la latitude, del’exposition
et du mode de culture, y compris le mode de fumure,
Ce qui se passe ici sous nos yeux est un des nombreux exemples que nous avons
cités de cette loi, et peut nous mettre sur la voie de l’origine de l'espèce (‘).
La variété qu'on désigne sous le nom de chou de Bruxelles n’est évidemment
que le dérivé du chou milan doré qui prospère dans les Flandres de temps immé-
morial. Le chou de Bruxelles dégénère vite à Paris, dans ce sol ou gypseux ou
calcaire compacte; (il n'y a pas vingt ans qu'on s’y est mis à le cultiver; il n’y a pas
trente ans qu'on y a commencé à en importer les petits jets, de Bruxelles même,
comme mets de luxe); et, sans le moindre doute, le chou des Vertus, qui se
maintient si bien au village des Vertus (Seine) dont le sol est éminemment gyp-
seux, perdrait vite ses caractères dans le sol arénacé des Flandres.
La culture des choux, qui réclame tant d'arrosage en certains pays, n’exige
presque aucune espèce de soins dans ce sol si meuble et si humide. On les re-
pique assez serré pour que tout sarclage devienne à une certaine époque com-
plétement inutile, les mauvaises herbes se trouvant étouffées par l'ombre des
larges feuilles qui s’étalent sur le sol. Ces choux, qui demandent si peu de soins
de culture, sont bien plus suceulents et plus hygiéniques que ceux que les ma-
raichers sont forcés d’arroser pour hâter leur croissance. Tout s’affadit dans
les jardins par les fréquents arrosages; on dirait que l'eau délaye et emporte la
saveur (**).
NOTE BOTANIQUE
SUR. LA DIFFICULTÉ DE DISTINGUER, DANS LA FAMILLE DES OMBELLIFÈRES,
LES ESPÈCES VÉNÉNEUSES DES ESPÈCES USUELLES.
(Voy. pag. 205 de celle livraison.)
Les toxicologistes nous disent chaque jour, dans leurs livres et dans leurs
cours : « Gardez-vous bien de confondre l'espèce vénéneuse avec l'espèce usuelle,
dans cette classe de végétaux dont toutes les espèces ont entre elles un si grand air
de famille. » Mais quand on leur demande sur quel caractère spécifique on peut
établir la différence, sans crainte de tomber dans une erreur souvent irréparable,
ils se trouvent alors un peu plus embarrassés et montrent bien moins d'assurance
que dans leurs livres. Quant à moi, je voudrais que l'on prit sérieusement l'in-
verse de la phrase, et qu’au lieu de dire : Gardez-vous bien deles confondre, on
dit au contraire : « Ayez soin de commencer toujours par les confondre, avant de
vous en servir, C'est-à-dire afin de ne pas vous exposer à vous en servir, toutes
les fois que vous les rencontrerez dans les champs. Ne vous servez que des espères
cultivées. » Car je suis persuadé que sans la culture elles seraient toutes indis-
(*) Ces permutations de formes spécifiques, qui fixaient si peu l'attention des naturalistes, avant
nos travaux sur les métamorphoses, n'échappaient pasle moins du monde aux anciens. Pallade fait
observer que la semence vieille du chou donne lieu à la variété du chou-rave: Semen brassicæ vetus-
tum mulalur in rapa. Pall., tit, 24, lib. III,
(**) Caule suburbano, qui siccis crevit in agris,
Dulcior ; irriguo nihil est elutius horto.
Honr., Satyr, &., lib. 44.
226 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tinctement vénéneuses ; la culture seule, en leur fournissant un sol perméable à
l'air, du fumier et de l’arrosage, décompose en assez grande partie leurs qualités
vénéneuses, les transforme ou les délaye et les étend de manière à en diminuer
la dose indéfiniment. Je suis encore persuadé que la ciguë vireuse, cultivée avec
aussi peu de soin que nos carottes mêmes, finirait, à la troisième génération, par
pouvoir entrer impunément dans le ragoüt et la salade à la même dose que le
persil; les feuilles d'’ombellifères, en effet, ne sont employées qu'à faible dose.
Quant aux caractères botaniques qui distinguent les plantes vénéneuses de
certaines autres espèces cultivées, je suis plus persuadé que jamais que la cul-
ture, l'exposition, le fumage, les arrosages fréquents, et surtout la nature du sol,
sont dans le eas de les modifier et de les confondre de la manière la plus illimitée ;
et, pour nous borner dans cet article, je me contenterai de faire l'application de
ces idées aux trois espèces qui, dans le langage usuel, portent le nom de cigué,
et jouissent, comme plantes vénéneuses, d’une égale réputation; ces trois espèces
sont :
4° La petite ciguë (Æthusa Cynapium, L..) ;
2° La grande ciguë (Conium maculatum, L.);
5° La cicutaire aquatique (Cicuta virosa, L. Cicutaria aquatica, Lam.).
La petite ciguë peut se confondre avec le cerfeuil.
La grande ciguë avec le persil par ses feuilles et avec le panais par sa racine.
La cicutaire avec l’angélique sauvage.
Examinons les signes auxquels on prétend qu’on peut à coup sûr les en dis-
tinguer.
$ 1. RAPFORTS DE LA PETITE CIGUË AVEC LE CERFEUIL.
En certaines circonstances la petite ciguë ressemble tellement au cerfeuil eul-
tivé, que bien des méprises ont dù avoir lieu sans qu'il en soit résulté des con-
séquences ficheuses, d'autant plus que le cerfeuil cultivé n’est employé qu'à des
doses où la grande ciquë pourrait lui être substituée impunément.
En effet, la petite ciguë a le même feuillage que le cerfeuil, avec une teinte
verte plus foncée. Or la teinte spéciale du eerfeuil ne provient que de ce qu'on
le sème dru dans les jardins, et que ses tiges en se serrant doivent s’étioler, ainsi
que leurs feuilles. Mais ayez soin d’espacer les plants à un demi-pied les uns
des autres, de manière que l’air et la lumière puissent circuler librement autour
de chaque pied, et la teinte du cerfeuil deviendra aussi sombre que celle de la
petite ciquë.
Les ombelles sont par la même raison plus ramassées, plus engoncées, chez le
cerfeuil que chez la petite ciguë. |
Car toute tige s’élance haut, au grand air, et y prend de la consistance.
. Quant à la structure de l’ombelle, elle est au fond la même chez les deux es-
pèces, les involucelles ou folioles qui servent de collerette aux ombellules ou
ombelles de 2e ordre, les involucelles se composant de trois folioles isolées, sim-
ples, plus ou moins longues et réfléchies d’un seul côté.
Les petites fleurs blanches, lavées souvent de rose, n'offrent aueune différence
ni dans la forme ni dans la couleur des pétales, des étamines et du pistil.
Où réside donc leur différence spécifique ? — Dans la forme du fruit; en sorte
qu'avant la fructification, on ne saurait distinguer l'une de l'autre, autrement
que par la place où on a semé la plante usuelle. y
Le fruit de la petite ciguë se compose de deux coques ovoïdes lisses rayées de
RAPPORT DE LA GRANDE CIGUË ET DU PERSIL, 297
bandes d'un vert foncé sur un fond d’un vert plus tendre, mais sans aucune can-
nelure en relief,
Le fruit du cerfeuil est allongé en forme d’une espèce de prisme légèrement
cannelé.
C’est là sans doute une différence, mais une différence entre les fruits d’une
plante cultivée et d’une plante à l’état sauvage, une différence dans la forme ex-
térieure plutôt que dans la structure du fruit. Or, que l’on sé rappelle les diffé-
rences qui existent entre les fruits des arbres sauvages et des mêmes arbres
améliorés par la culture et le semis; et qui oserait soutenir que ces deux caté-
gories d'arbres fruitiers ne soient pas issues de la même souche et ne puissent
revenir au même type? En effet, semez les pepins de la plus belle poire cultivée,
et la graine reprendra son caractère sauvage et retournera à son origine, parce
que cette fois elle ne rencontrera plus la réunion des circonstances qui ui avaient
imprimé sa première tendance au développement.
Je dirai même que le fruit de la petite ciguë m'a toujours paru un produit mor-
bide et une déviation accidentelle d’un type primitif, au simple liquide qui sort,
par la pression, de ses deux coques vésiculaires.
Donc la différence entre les deux fruits du cerfeuil cultivé et de la petite ciguë
ne s'oppose pas à ce que l’une ne puisse revêtir les caractères de l’autre. Notez,
du reste, que la petite ciguë ne vient que dans les lieux cultivés, et presque jamais
par touffes, mais par pieds isolés, et que le personnel du genre se réduit à une
seule espèce.
$ 2. RAPPORTS DE LA GRANDE CIGUË (Conium maculatum, L.) AVEC LE PERSIL
(Apium petroselinum, L.)
De même, la vraie différence entre le persil abandonné à l’état sauvage et la
grande ciguë n'existe que dans le fruit, garni de petites lames tronquées sur les
côtes chez la grande ciyuë, et qui est privé de ces rangées de lames chez le persil.
Mais ce sont là des caractères que la physiologie ne regarde que comme des ac-
cidents fugaces, et que la culture est en état de modifier ou de faire disparaître
de mille manières différentes. Nous aurons, du reste, à apprécier plus bas la va-
leur de ce caractère.
La racine du persil peut acquérir les dimensions de celle de la petite ciguë et
même de celle du panais, dès la seconde année.
$ 5. RAPPORTS DE LA CIGUË AQUATIQUE ( Cicula virosa, L.) AVEC L'ANGÉLIQUE
SAUVAGE (Angelica sylvestris, L., Imperaloria sylvestris, L'AM.).
Vers le milieu de septembre 1854, ayant voulu gagner l'ancien prieuré de
Groenendael (transformé aujourd'hui en restaurant champêtre), par la route qui
part du dépôt de mendicité de la Cambre et traverse tout le bois, j'aperçus à
une certaine distance du prieuré, et dans des fourrés de bois de chène assez mai-
gres, une grande quantité de magnifiques ombellifères qui s’élevaient haut et se
pavanaient avec leurs énormes ombelles de bouquets de fleurs blanches comme
la neige, dominant de plusieurs pieds toute la végétation d’alentour. L'accès en
était assez difficile ; ce terrain, inondé l'hiver, est coupé de saignées que dissimule
souvent une voûte de ronces ; mais je n’en arrivai pas moins à mes fins, et je crus
avoir mis enfin Ja main sur la ciguë aquatique (Cicuta virosa, L.), telle que l'a
figurée Bulliard (*), et que nous avons tant de fois inutilement recherchée aux
environs de Paris.
(*) Plantes vénéneuses de la France, 1784, pl. 151, pag 97,
298 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
En effet, l'échantillon que je rapportai, confronté avec la figure, n’offrait pas la
moindre différence ; à cette époque, les fruits étant peu avancés, et n'avaient rien
qui ne püt convenir à la figure bien incomplète du fruit qu’en a donnée Bulliard
(de son temps on s’occupait fort peu des détails de l'analyse de la fleur et du
fruit).
Je poursuivis cette observation, en dirigeant tous les huit jours mes pérégri-
pations vers cette localité privilégiée, et qui est à une bonne lieue de mon habi-
tation. Dans le bois où la plante croissait en moissons par place, certains indivi-
dus atteignaient jusqu’à six pieds de haut et davantage; la grosseur de la tige à
la base mesurait de deux à trois centimètres de diamètre; elle était articulée-
fistuleuse, c’est-à-dire creuse entre chaque articulation; et comme les entre-
nœuds diminuaient et de longueur et de diamètre de la base au sommet, il est
évident qu’en les séparant les uns des autres par une incision faite au-dessous de
chaque articulation, et puis les soudant côte à côte par rang de longueur, on
aurait fabriqué ainsi un de ces chalumeaux antiques, dont nos jeux d'orgue sont
la reproduction, et que l’on rencontre encore entre les mains des musiciens am-
bulants et des châtreurs de cochons dans le midi de l'Europe. En effet, les anciens
composaient leurs pipeaux ou chalumeaux rustiques, soit avec des tuyaux
d'avoine parallèlement disposés,
Sylvestrem tenui musam meditaris avenû (*).
Virc., Egl. I.
soit avec les tuyaux de l’Arundo Donax, haute canne très-commune en Italie, et
dont se servent encore les bergers et les châtreurs, dans le midi de la France,
pour former leurs pipeaux à la manière antique,
Agrestem tenui meditabor arundine Musam (**).
Virc., Egl. VI.
soit avee Ses tuyaux de la ciguë aquatique,
Häc te nos fragili donabimus ante cicutà.
Hæc nos : Formosum Corydon ardebat Aleæin;
Hæc eadem docuit : Cujum pecus? an Meliboei (***) ?
VirG., Egl. V.
La plante croissait également en abondance et dans l’ancien étang transformé en
prairies, au moyen de saignées qui divisent le terrain en losanges, et sur la pente
qui y conduit; mais ici l'espèce exposée à l'air et au soleil n’acquérait pas des
proportions aussi grandes. Quoi qu'il en soit, à cette époque, la plante, même à
son état gigantesque, n’offrait pas de différence soit avec la figure de Bulliard
soit avec les descriptions des auteurs les plus exacts à décrire.
L'ombelle n'avait pas d'involuere ou gardait à peine un reste de foliole. Les
ombellules avaient un involucelle ou collerette composée de quelques folioles dé-
liées, exactement comme cela a lieu chez la ciguë aquatique. Mais l'absence ou la
présence de ces collerettes de feuilles n’est qu’un caractère de persistance ou de
caducité d'organes foliacés qui ont existé chez toutes les ombellifères dans le
principe; car chaque rayon de l’ombelle, étant une tige, n’a pu pousser que dans
(*) Tu essayes un air champêtre sur un léger chalumeau composé de tuyaux d'avoine.
(*) J'essayerai une chanson champêtre sur mon chalumeau en tuyaux de canne.
(**) En récompense, je te ferai cadeau de ce chalumeau en tuyaux délicats de ciguë ; il m’a servi
à répéter la mélodie de deux de mes églogues, dont l’une commence par ces mots : « Corydon brù-
lait d'amour pour le bel Alexis, » et l’autre: « à qui donc ce troupeau? est-ce à Mélibée ? »
RAPPORTS DE LA CICUTAIRE ET DE L’ANGÉLIQUE SAUVAGE. 229
l’aisselle d’un organe foliacé, organe cadue comme toute espèce de feuille ; et eela est
si évident que l’on voit sur cette plante des ombelles axillaires sortir de la gaine
des feuilles ordinaires. Il y a plus, j'ai rencontré jusqu’à trois et cinq grandes et
belles ombelles partant du même point au sommet de la tige etconservant chacune
à leur base les larges gaines de feuilles ailées avec impaires, dans l’aisselle des-
quelles elles avaient pris naissance : en sorte que la plante était alors surmontée
d’une vraie ombelle de trois à cinq larges ombelles à trois longs rayons, avec un
involucre gigantesque de trois à cinq gaines de feuilles caulinaires formant col-
lerette. J'ai même vu jusqu’à quatre étages d’ombelles et ombellules émanant
les unes des autres.
Des circonstances aussi faciles à se perdre, se conserver ou se modifier de mille
et mille manières, ne sont donc rien moins que propres à caractériser une espèce,
et à établir une ligne infranchissable de démarcation entre elle et ses congé-
nères.
La fleur de nos individus ne différait pas non plus de celle de la ciguë aqua-
tique, telle que tous les auteurs la décrivent et la figurent.
Arrivons au fruit; car c’est encore à ce point culminant et terminal de la tige
que nous allons retrouver le caractère de l'espèce que nous cherchons à déter-
miner.
Le fruit de la ciguë aquatique doit se composer de deux coques (curpelles des
auteurs) convexes et sillonnées chacune de cinq petites côtes saillantes.
Le fruit de notre espèce se composait de deux coques fort peu convexes et
même aplaties, s’élargissant sur les bords, ce qui donnait au fruit l'apparence de
quatre ailes parallèles deux à deux; et sur le dos, chaque coque n’était sillonnée
que de trois côtes peu saillantes et contiguës.
Mais que les coques fussent un peu plus bombées et que les bords, au lieu de
s'étendre en deux ailes, eussent gardé la dimension d’une côte, et notre fruit au-
rait été exactement celui de la ciguë aquatique; or, qui pourrait regarder cette
simple modification comme incapable de se reproduire accidentellement ou d’une
manière durable ?
Mais plus tard les individus que je ramassai, pour continuer ces recherches,
m'ofirirent sur la même ombellule trois espèces de fruits : les uns à coques con-
vexes (c'étaient les jeunes), d’autres plus âgés, avec les quatreailes dont je viens de
parler, et enfin les plus âgés de tous et les plus externes portant trois ailes dor-
sales plus ou moins chiffonnées, plus ou moins complètes et qui s'étaient déve-
loppées irrégulièrement dans la séparation des trois petites côtes dont je viens
de parler ; ce caractère reléguait du coup notre ciguë aquatique dans le genre
angélique, sous le nom d’angélique sauvage (Angelica sylvestris des auteurs mo-
dernes, Imperatoria de Linné et puis de Lamarck).
Mais ce qui atténue encore la valeur spécifique du caractère tiré de ces ailes
qui poussent avec l’âge sur le dos des deux coques, c’est qu’elles coïneidaient
avec la présence, dans le fruit, de la larve du charançon des ombellifères (Curcu-
lio lugistici, L.), dont la niche se distinguait à un orifice à bords noirâtres et
prolongés au dehors; l'apparition tardive et successive de ces ailes pourrait bien
n'être ainsi qu'une effet morbide de la présence de la larve du charançon; car
l'œuf de cette larve, déposé dans le fruit encore en miniature, est bien capable
d'imprimer à son développement une impulsion qui le dépouille de tous les ca-
ractères qu'il aurait revêtus sans cette circonstance.
Rien ne me prouve donc que cette plante d’une si belle végétation, d’une végé-
250 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
tation si dominatrice (Z{mperatoria), n'ait été prise par les uns pour la ciguë aqua-
tiguèvet par les autres pour l’angélique sauvage, selon les circonstances variables
de la fructification.
Aussi Bulliard a-t-il soin de faire remarquer que « la méprise des feuilles (de
la plante qu’il figure) pour celles de l'angélique sauvage a été funeste à plusieurs
personnes à qui on avait voulu administrer ces dernières comme médicament. »
Mais voici venir Richard fils qui, dans une note communiquée à Orfila (*), pré-
tend que Bulliard a figuré la Cicuta maculata de L. à la place de la Cicuta virosa
de L., conjecturant qu'il aura pris ses échantillons dans quelque jardin où la
plante américaine se sera propagée d'elle-même après son importation en France.
S'il en était ainsi Ja plante de Bulliard se renconirerait encore dans les mêmes
parages, ce qui n'est pas. Seulement, nous trouvons dans un supplément ter-
minal de la Flore parisienne de Mérat (pag. 446, 1821), que l’infortuné Gode-
froid, qui fut massacré à Manille par les indigènes, avait rencontré cette plante,
avant 4820, sur les bords des fossés de Pontchartrain, près Paris.
Richard publie, dans l’atlas d'Orfila, une figure de ce qu’il regarde comme la
vraie ciguë aquatique, d’après des échantillons qu'on luiauraitenvoyés de Picardie
et d'Alsace. Mais dans la Normandie, sur les bords de la Béthune, rivière qui se
joint à la rivière d’Arques, avant d'arriver à Dieppe, j'ai vu cette plante varier tel-
lement de foliation, selon les localités plus ou moins inondées, que l’on pourrait
en dessiner bien des figures qui ne se ressembleraient nullement. Richard publie
en même temps la figure de ce qu'il prend pour la ciguë maculée, qu'il regarde
comme celle que Bulliard aurait dessinée; et à part les fruits, qui ne sont peut-
être pas bien authentiques, la figure qu'il en donne concorde exactement avec la
plante que nous décrivons.
D'après Richard, tous les auteurs de toxicologie auraient copié servilement la
figure de Bulliard, en voulant faire connaître à leurs lecteurs la vraie ciguë aqua-
tique. Cela n'est pas vrai; car la figure que Roques (*} a jointe en 4821 à son
texte est tout à fait semblable à celle qu'a publiée Richard en 1836 (**), et qui
est peut-être calquée sur celle de Roques.
Quelque soin que prenne l’auteur pour fournir aux élèves le moyen de distin-
guer les deux espèces, les différences qu'il indique dans le texte sont tellement
démenties par les deux figures qu’il publie, que je porte le défi de eultiver l’une
et l’autre de ces deux plantes, sans que leurs plants se dépouillent des carac-
tères respectifs qu’on leur impose ainsi d’un trait de plume, et tellement qu'on
ne sache plus à quoi s’en tenir sur ce point.
Mais revenons au parallèle de la ciguë aquatique et de l’angélique sauvage.
D’après les modernes, la différence, entre les deux plantes, estune barrière infran-
chissable à la nature : la ciguë aquatique serait petite (haute d'un à deux pieds),
tandis que celle de l’angélique sauvage atteindrait trois à quatre pieds. Je passe
sur les autres différences que j'ai déjà indiquées.
Mais si je m'adresse aux anciens observateurs, à Haller par exemple, un des
plus grands physiologistes du xvm° siècle et qui a étudié avec tant de soin et
d'érudition les plantes de la Suisse, je rentre dans tous mes premiers doutes et
me vois porté à prendre, pour la ciguë aquatique des botanistes qui font autorité,
cette belle ombellifère qui forme moisson dans les parages susindiqués, et dont
(*) Traité de médecine légale, tom. UNI, pag. 426. 1836. H
(**) Phytographie médicale, par Joseph Roques, tom. II, pag. 72. 1821.
(**#) C'est la figure de la pl. 41 bis de l’atlas annexé au livre d'Orfla.
DISSENTIMENTS DES AUTEURS SUR LA CIGUÉ. 231
j'ai rencontré des individus isolés sur la grande chaussée qui va à Louvain, En
effet, d’après Haller (*) : Æ
« La cicutaire de Tournefort (notre ciguë aquatique) serait Ja plus grandiose
des ombellifères helvétiques, sa tige fistuleuse ayant plus d’un pouce (2 à 3 cen-
timètres) de diamètre, et atteignant quatre pieds de haut. Les feuilles double-
ment pinnées ont un pied d'envergure, à folioles bordées de dents parallèles.
L'ombelle formée d'innombrables rayons, comme dans notre plante, possède un
involucre de larges feuilles, comme sur certains individus de notre plante à om-
belles composées ; les rayons des ombelles sont velus comme dans nos échantil-
lons. Enfin, les fruits ovales sont parcourus de trois sillons si proéminents, qu’on
peut les appeler des ailes, comme sur les fruits à charançons de nos échantillons.
L’odeur en est particulière, mais non pas fétide,
» L'angélique sauvage, au contraire (/mperatoria, Linn, et Haller), ne s’élève-
rait pas à plus d’un pied. Ses feuilles pinnées n'auraient que cinq folioles, les pre-
mières divisées presque en trois lobes, l’impaire trilobée (comme dans la figure de
Richard); un involucre nul ou à une seule feuille, l’'ombelle ample; l'involucelle
composé de petites folioles peu nombreuses; le fruit ovale, émarginé, prolongé
en aile sur les bords, et ayant trois sillons sur la surface dorsale. »
Voyez comme tout change sous la plume des observateurs, quand il s’agit de
circonscrire des espèces de la même famille, et de quelles faibles ressources on
peut faire usage quand on veut les distinguer.
Tous ces caractères sont tranchés sur le papier,
Tout est doute et confusion quand on les recherche sur la plante.
L'étude dans l’herbier est hérissée de difficultés innombrables.
La culture confond tellement les caractères les plus disparates ensemble, que
le jardinier botaniste, ne s’y retrouvant plus, n'a d'autre parti à prendre que de
jeter le tout au rebut, comme un tas d'êtres dégénérés de leur première origine.
Il ya vingt ans que je disais aux possesseurs du Jardin des plantes : « Mais ce
que vous rejettez ainsi, c’est précisément ce que vous devriez recueillir avec le
plus de soin ; c’est dans ce fouillis que la science trouverait la solution de bien des
problèmes physiologiques; ne voyez-vous pas que ce que vous appelez dégéné-
rescence n’est que la continuation de la création, qui n’a pas tout dit en six jours,
et qui continue son œuvre d'admirables combinaisons, à notre insu et à travers
les siècles, en décrivant un cercle dont vous ne voulez connaitre que les an-
neaux et non la chaine? »
Ces possesseurs sont restés sourds à l'appel; ils piochent, fument, sèment, éti-
quettent, et jettent au fumier les produits. Le programme ne change pas d'un
iota depuis vingt années; et de cette manière la nature a tort en face des livres ;
croyez et n'observez pas. Observateurs philosophes, le contraire seul est le vrai.
CONCLUSION.
Dans la détermination des caractères distinctifs d’une famille homogène,
comme l'est celle des ombellifères, nous attachons trop d'importance à des cir-
constances que l'expérience peut modifier à l'infini, selon que l’on varie les con-
ditions du sol, de l'exposition et de la culture.
Telle plante qui, venant dans tel sol et à telle exposition, acquiert des propriétés
(*) Alberli Haller Hisloria stirpium indigenarum Helvetiæ, tom, ], pag. 333 et 357. 1768.
252 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
vénéneuses, peut s'arrêter aux caractères d’une plante simplement aromatique
dans une exposition contraire et surtout par la culture.
J'ajouterai que les substances minérales du sol, absorbées par les racines et
portées dans toute l’organisation par le véhicule de la circulation et de la sève,
sont dans le cas d'entrer pour une part dans les qualités vénéneuses de la plante.
Regarder comme invariable le caractère spécifique d’une plante tiré de la
présence ou de l'absence de quelques poils dont se hérissent certains fruits, c’est
oublier le principele plus incontestable de l'horticulture qui établit: que les plantes
sauvages velues perdent leurs poils et leur duvet quand on en sème les graines
dans nos jardins arrosés, et que les plantes glabres deviennent velues par la
même émigration. Quand tout se modifie ainsi sous nos mains, de quel droit re-
fuserions-nous à la nature le même privilége de transformation ? Ne manipulons-
nous pas en mettant en présence les mêmes substances et les mêmes lois ?
Enfin, lorsque nous parlons des propriétés vénéneuses de certaines ombelli-
fères, telles que la petite et la grande ciguë, nous oublions de remarquer que ces
propriétés ne sont constatées que sous de fortes doses; et lorsque nous
désignons d’autres espèces, telles que le cerfeuil et le persil, comme condiments
de nos mets, nous savons bien qu’on ne les emploie qu’à petites doses. Je ne
pense nullement que les feuilles de la petite et même de la grande ciguë, em-
ployées par méprise à la dose du cerfeuil ou du persil, ce qui du reste a dù arri-
ver plus d’une fois sansqu’on y ait faitattention, je ne pense pas, dis-je, que la mé-
prise puisse avoir les moindres conséquences fàcheuses ; je ne me rappelle pas
que les livres de toxicologie aient même jamais relaté un seul empoisonnement
provenant de cette substitution à la dose ordinaire dans une salade. D'un autre
coté, si l’on administrait une dissolution concentrée de cerfeuil et de persil, à la
dose à laquelle on a administré la cigué aux condamnés, je pense encore que
l’on n’en serait pas quitte à meilleur marche.
Cependant admettons dans la pratique qu'en fait d'ombellifères, on ne doit jamais
faire usage que des espèces cultivées et venues de graines que l'on aura semées;
car la culture ne change pas les conditions physiologiques : même culture, même
type; car à l’étatsauvage leurs qualités aromatiques peuvent se condenser jusqu'à
devenir toxiques ; et d’un autre côté la transformation de leurs caractères bota-
niques, sous l'influence de mille circonstances qui peuvent se rencontrer sous le
souffle du vent, est dans le cas d'amener des méprises dont le meilleur botaniste
aurait de la peine à se préserver.
GR Ce
ADDITION EXPLICATIVE À LA PAGE 72 DE LA 2 LIVRAISON (septembre 1854) DE LA
REVUE COMPLÉMENTAIRE.
Quelques-uns de mes lecteurs me rappellent qu’en parlant des eaux des pol-
ders de la Hollande et des pays plats des Flandres, j'ai oublié de traduire Les deux
vers de Scaliger à ce sujet :
In mediis habitamus aquis, quis credere possil?
El tamen hic nullæ, Durza, bibuniur aque.
Cela signifie :
Ah! quel pays, Durza! c’est à ne pas le croire:
Nous habitons dans l’eau, mais ne pouvons en boire. ;
Supplice dont nos Tantales se consolent, en se noyant dans un verre de faro, 6
nectar du pays flamand,
3° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 4° Mars 1855.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE.
ATTAQUE D’APOPLEXIE
DISSIPÉE EN UN QUART D'HEURE PAR L'ACTION DE L'EAU SÉDATIVE.
De ce que je disais dans l'avant-dernière livraison (janvier 1855, page 178)
nous venons d’avoir, à notre porte, une confirmation de plus à ajouter à tous les
exemples que j'ai donnés ailleurs de l'efficacité de ce traitement en pareil eas. Le
lundi 29 janvier, un de nos voisins voulut aller au-devant de ses enfants, quoi-
qu’il se sentit mal à l'aise, par un froid de 3° au-dessous de zéro et par un pied
de neige qui couvrait les chemins ; il était midi et demi; il rentre presque aussi-
tôt, plus malade encore, et tout à coup il tombe sars connaissance, l’œil fixe et ha-
gard, les membres roides, les mains agitées d’un mouvement convulsif, les dents
serrées, et absence complète de pouls. A l'instant on accourt auprès de la per-
sonne du village qui possède le mieux son Manuel et en fait l'application avec
le plus d'intelligence et de succès. Sans perdre de temps, on arrose le crâne d’eau
sédative, on en entoure le cou, on en place une compresse sur la région du cœur,
éton en lotionne avec la main la poitrine et le ventre. Sous l'influence de ce trai-
tement, les membres se déroidissent, les convulsions de la main cessent, le pouls
redescend peu à peu au poignet, le malade recouvre la vue, et la première parole
qui lui échappe exprime le bien-être qu’il ressent de ce traitement. On profite
de ce retour pour lui faire avaler une cuiller à café d’eau sédative dans un grand
bol d’infusion de bourrache bien chaude, puis gros comme un pois d’aloès, et
un quart d'heure plus tard on lui donne un petit verre de liqueur hygiénique.
Le voilà dès ce moment sur pied, quoique un peu rompu par la crise qui vient de
le quitter.
Le soir, étant assis auprès du feu, il semble redouter une nouvelle crise par
des espèces de crampes qui lui torturent les jambes ; l’eau sédative employée en
lotions sur les cuisses démontre, par le soulagement qui en est la conséquence,
que cette terreur n'était qu’une fausse alerte. On lui administre en même temps
une cuiller d'huile d'olive qui finit par amener une évacuation par le haut, ce qui,
secondé par l'effet ordinaire de l’aloès et par celui d’un lavement à la graine de
lin, au sel de cuisine et à l’aloès, achève de rétablir le malade et lui per-
234 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
met de manger. Le lendemain il n'éprouvait qu'une grande fatigue, et le sur-
lendemain il était sur pied.
Cependant, le 1+r février, on remarqua que le malade se plaignait d’un poids au
côté gauche, que la constipation était revenue et que les urines étaient troubles.
Le camphre pris trois fois par jour rendit la limpidité aux urines; l’aloès üf ces-
ser amplement la constipation; l'ail, joint aux deux précédents ingrédipats,
acheva de débarrasser l'estomac de la vermine intestinale qui avait contribué,
autant que le froid, à paralyser la digestion d’une manière si menaçante pour le
malade.
Cette attaque peut se désigner, d'après la nouvelle nomenclature, par la
phrase suivante : |
ATHERMOGÉNOSE STOMACALE INDIGESTIVE ET CONGESTIVE.
Ou, en termes vulgaires : Maladie (nose), gen (engendrée), athermos (par lere-
froidissement) de l’estomac, d'où s’en est suivie une indigestion, et par le refroi-
dissement des vaisseaux, d'où sont résultées une congestion cérébrale et une
menace d'apoplexie.
THÉORIE DE L’ACCÈS ET DE LA MÉDICATION.
Dans les temps de neige, nous avons dans la commune des centaines d’habi-
tants sans ouvrage et par conséquent sans moyen d'avoir du pain et du bois pour
se chauffer : car ces pauvres malheureux sont privés, par les neiges, de la possi-
bilité d’aller à la forêt pour se procurer de la bruyère et deséclats, qui leur servent,
la bruyère à la confection de leurs balais, et les éclats de bois à faire des petits
fagots gros comme le poing, qu’ils vont vendre à Bruxelles; c'est avec ces petits
paquets d’éclats de bois qu'on allume les poêles.
Or, dans ces mauvais jours-là, chaque paysan approvisionné vit de privation,
afin d’avoir quelque bribe à donner aux pauvres dénués de tout; la nourriture
est ainsi chez tous aussi insalubre qu'’insuffisante, et la digestion, déjà détournée
de ses habitudes journalières, a encore à lutter contre 1 mauvaises influences
de l’inactivité forcée, de la privation du grand air, et de la tristesse qu ‘inspire
le spectacle de tant de misères.
Le malade dont nous parlons est un des pius accessibles à cette dernière im-
pression. Depuis trois jours il se sentait mal à son aise; les produits d’une di-
gestion anormale s’accumulaient ainsi dans l'estomac; à midi il avait pris la
soupe comme c’est l'habitude ; le froid du dehors acheya l'œuvre de cetté lente
indigestion, et le bol alimentaire, inerte dans un organe qui cessait de fonction-
ner, ne dut qu'occasionner mécaniquement et physiologiquement l'afllux du sang
dans les sinus de la boîte crânienne et dans lès vaisseaux de la moelle épinière.
La digestion, totalement supprimée, avait amené un coup de sang, un accès
d’apoplexie qui, sans être foudroyante, n’en était pas moins un dant de mort.
Tout retard dans le traitement pouvait être funeste au malade. La saignée, si on
l'eût employée, aurait bien pu ne pas obtenir une goutte de sang; et en tout cas,
si le malade avait dü revenir à la vie par ce moyen, ce retour eût été incomplet
et n'aurait été obtenu qu'au prix de la paralysie de quelque membre ou de la
perte de quelque faculté mentale.
L'emploi de l’eau sédative, à l'extérieur et à l’intérieur, a remis en civeulat'on
le sang, coagulé par le froid dans les vaisseaux de tous les membres, € et co’13es-
tionné dans les méninges ou membranes vasculaires qui enveloppent org: ne
cérébro-spinal. La bourrache chaude a secondé l’action, déjà si puissante par
SECOURS AUX ASPHYXIÉS ET AUX PENDUS. 235
elle-même, de cette médieation, en imprégnant l'estomac d'une chaleur nou-
velle, et en apportant un dissolvant au bol alimentaire desséché et frappé d'iner-
tie : dissolyant rendu plus actif par le nitrate de potasse (salpêtre) que renferme
abondamment la bourrache. La cuiller à café d'eau sédative qu'on méla à la
bourrache contribua à porter, par la voie stomacale, l'efficacité de l’eau sédative
dans le torrent interrompu de la circulation.
Enfin, l'huile et l’aloès ont achevé de débarrasser l'estomac de tout ce qu'une
élaboration paresseuse avait pu y accumuler d'indigeste et de pesant.
Le lavement hâla l'évacuation des matières que l’action de l’aloès accumulait
successivement dans le gros intestin, et porta en même temps dans cet organe
un liquide capable de protéger les muqueuses contre l'âcreté de ces matériaux
si mal élaborés.
CONCLUSION.
Dans tout cas semblable, n’attendez pas la visite du médecin pour vous met-
tre à l'œuvre. Tout retard est une aggravation du mal et une chance de plus de
mort.
Dans toutes les boîtes de secours déposées à la mairie, on ne doit pas oublier
de faire entrer, eau sédative ou les ingrédients pour la composer, et de plus aloès
et bourrache. Cur la mairie n'est pas toujours à proximité des maisons où tout
cela est en permanence.
Les noyés, les pendus, les asphyxiés, les apoplectiques doivent être traités de
la manière ci-dessus décrite, sans désemparer et coûte que coûte, dût le méde-
cin mal avisé le trouver fort mauvais. Quant aux pendus, nous devons recom-
mander-à tout venant de ne pas suivre l’ancienne méthode expectante, et de ne
as attendre que l'autorité soit arrivée sur les lieux pour se mettre à les décro-
cher. Dès qu'on s’en aperçoit, on doit, tout en appelant des témoins et du secours,
prendre avec le bras gauche le pendu sous les aisselles et le soulever ainsi au-
tant qu'on le peut, et de la main droite couper la corde ou délier le nœud; puis
descendre le corps avec précaution, l’étendre sur un matelas, lui entourer le cou
d'eau sédative, lui en arroser le crâne, lui en lotionner la poitrine, en exerçant
de douces pressions sur les côtes, et l’on ne doit cesser de lotionner et de fric-
tionner ainsi que lorsque tout espoir de rappeler le patient à la vie est entière-
ment perdu.
Soyez bien sûrs que l'autorité n'aura qu'à applaudir à cet acte de dévouement,
quelle ‘qu'en soit l'issue.
A l'instant où nous écrivons ces lignes, les journaux de Paris nous appren-
nent les circonstances du suicide de l’infortuné Gérard de Nerval, qui s’est pendu
au eroc d'une boutique de la vieille rue de la Lanterne. Si on eùt coupé la corde dès
qu'on s'en est aperçu et qu'on l’eût lotionné d’eau sédative dans un endroit
chaud, ce pauvre poëte était sauvé : car lorsqu'on le détacha de sa potence, au
bout d'une demi-heure, il respirait encore. Le médecin survint et tenta de
le saigner (la médecine routinière n’en démord pas); il n’obtint aucun résultat.
Eh bien, encore à cette heure tardive l'eau sédative avait des chances de le sauver.
Que cet exemple si triste engage du moins les hommes de lettres à se joindre
à nous, pour triompher et des appréhensions expectantes des témoins et des
méthodes impuissantes de la médecine scolastique.
256 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ACIDOGÉNOSE (‘) PULMONAIRE,
OU MARASME PRODUIT FEAR LA RESPIRATION DES VAPEURS ACIDES.
Un jeune homme se présente exténué, toussant, rendant des erachats blanes,
ayant eu d'assez fréquentes hémoptysies (hémorrhagies pulmonaires), dormant peu,
digérant mal et à bout de ses forces. L’ayant interrogé sur le genre de ses occu-
pations, j'apprends qu’il est employé au laboratoire du télégraphe : que le local,
étroit, bas, humide et mal aéré, est habituellement rempli des vapeurs de la pile;
et dans un pareil foyer d'empoisonnement acide, ce pauvre garçon a pu durer
cinq ans, commençant à tousser dès les premiers jours de son entrée en fonctions.
Deux de ses camarades y sont tombés dans le même marasme que lui. L’admi-
nistration a eu l'humanité de les dispenser du service, tout en leur continuant
leurs appointements; cette mesure est digne d’éloge, mais elle ne répare qu’en
faible partie le mal déjà produit. C'est maintenant le local qu’il faut penser à
rendre moins insalubre, ou nous prédisons que tous ceux qui y entreront n’en
sortiront que par la porte de ces trois jeunes gens.
Pour cela faire, il faut placer tous les appareils à dégagement de vapeurs sous
le manteau d’une cheminée à fort tirant et même vitrée. Le local doit être élevé
et s'aérer par un courant d'air établi sous le comble ; on doit laver le payé et
blanchir souvent les murs à l’eau de chaux; faire souvent rincer la bouche aux
employés avec du bicarbonate de soude, leur en faire renifler; leur faire la-
ver les mains à l’eau sédative et en asperger même le sol; placer des fragments
de craie ou de marbre ou bien de la cendre de bois, toutautour des appareils et
du tablier de la cheminée; en garnir enfin leurs pipes ou cigarettes de plumes.
Mais surtout on doit penser à établir un tirant violent, une aération rapide
vers le comble et rez-terre, par des ouvertures opposées. Sans ces précautions, ces
sortes d'emplois sont des meurtres opérés lentement.
D D ——
DE LA LOCALISATION DU CANCER {0STÉALGIE (**) FUNGIQUE DE LA NOUVELLE NOMEN-
CLATURE) ET DES CAS OU LA MÉDICATION PEUT EN DÉBARRASSER LE MALADE.
Le cancer proprement dit n’est pas une maladie , dans le sens exact du mot;
car la maladie procède par décomposition, et Le cancer est un développement pa-
rasite, une nouvelle réorganisation implantée et greffée sur l'organisation an-
cienne. [1 joue, dans le règne animal, le même rôle que la fongosité dans le rè-
gne végétal; il croit sur des tissus qu’il frappe peu à peu de mort, et dont ül
s’approprie la vitalité et la substance ; et l'analogie des deux végétations se sou-
tient dans toutes leurs phases; elle va même nous servir à établir quelques prin-
cipes capables d'offrir quelque utilité dans la pratique et de mettre notre esprit sur
la voie qui tôt ou tard doit nous faire découvrir un moyen définitif d’enrayer ce
fléau ou d’en réparer les ravages.
1° Le vrai cancer doit être considéré comme une végétation parasite, dont la
portion cartilagineuse et spongieuse d’un os est le support, le point de départ, le
thallus (***) et la matrice, pour ainsi dire,
(*) Du grec nose (maladie), gen (engendrée), acido (par les acides sur), pulmonaire (les poumons).
(1) Du grec algè, maladie ou douleur ; osteôn, des os; fungique, de fungus, champignon.
{”) Du grec thallein, bourgeonner, pulluler.
DE LA LOCALISATION DU CANCER. 237
Le développement du cancer ne s'arrête qu'après avoir épuisé et dévoré, en
quelque sorte, toute la substance de l'organe qui le supporte.
2° Le cancer du sein, je ne l'ai jamais vu pointer qu'au-dessous du sein même,
comme s'il prenait son développement primitif sur les fausses côtes cartilagi-
neuses par leur moitié antérieure. Le cas contraire ne serait qu'une exception ap-
parente à celte règle générale.
Ce cancer n'est d'abord qu'une bosselure conique et immobile et que la pres-
sion du doigt ne déplace ni ne déprime; la bosselure adhère à la peau et la fait
rougir de plus en plus sur cet endroit en se développant. Une glande ou un gan-
glion engorgé ne présentent jamais l’ombre de cette double adhérence, et sont
mobiles comme des œufs durs qui rouleraient sous la peau.
3° Sur les autres os vous ne verrez jamais le cancer se développer ailleurs que
sur leur extrémité cartilagineuse, sur leur symphyse ou épiphyse (‘).
4° On a beau amputer ce produit parasite, aussi près que l’on peut de la sur-
face qui lui sert de support, il n'en repousse qu'avec plus de vigueur et de vi-
tesse, exactement comme la branche gourmande d’un arbre s'élance de nouveau,
et d’un seul jet, au-dessous de la taille qui l'avait d’abord supprimée. On dirait
que l'air extérieur mis ainsi en contact avec les tissus des deux organisations vé-
gétale et animale, imprégnant cette entaille devenue comme le stigmate artifi-
ciel de la matrice de ces organes hétérogènes , imprime une activité plus puis-
sante et comme une nouvelle fécondation au thallus de la branche et du cancer.
5° Mais ce qu'offre de plus curieux l'analogie de cette fongosité animale avec
les fongosités et même les ramifications végétales, c’est que vous ne ver-
rez jamais le cancer pousser en se dirigeant vers le bas, deorsüm. La direction de
son développement a toujours lieu vers le haut du corps (sursüm), à moins qu’un
obstacle ne s’y oppose et ne le détourne de sa route; et alors il reprend sa direc-
tion primitive dès que l'obstacle est franchi.
Ainsi, que le cancer encéphaloïde se développe sur la tête du tibia ; au lieu de
redescendre autour du mollet en dédoublant la peau, il remontera vers la cuisse
et formera manchon autour des muscles qui enveloppent le fémur.
S'il se développe sur le coude, il remontera pour former manchon autour des
muscles qui enveloppent l'humérus.
S'il se développe sur le poignet, il remontera vers le coude.
De même, le cancer qui se forme au-dessous du sein ne redescend pas sur l’ab-
domen, mais remonte vers le haut de la poitrine, se glisse sous l’omoplate et
tend de plus en plus à envelopper le haut du tronc, si toutefois une de ses rami-
fications ne refoule pas devant elle un muscle intercostal pour pénétrer dans la
poitrine, et hâter ainsi la mort du sujet en l’asphyxiant par compression et stran-
gulation pulmonaire, si je puis m’exprimer ainsi.
Si le cancer se développe sur un des os de la mâchoire, il ne descendra pas sur
le cou, mais il remontera vers l'os de la pommette et vers l'oreille.
6° Le cancer n’est pas plus contagieux que ne le sont les fongosités végétales; ce
n'est pas une maladie générale, mais une simple affection locale; maladie indivi-
duelle et nullement héréditaire, quoiqu'il puisse arriver que, soumis aux mêmes
influences, deux individus de la même lignée soient affectés de ce même mal.
7° En conséquence, quand l'os sur lequel est implanté et aux dépens duquel
végète le cancer aura été complétement dévoré pour fournir au développement
(*) Symphyse, soudure de deux os symétriques ; du grec : sun, avec,et physis, soudure. Épiphyse,
implantation d'un os accessoire sur un os principal ; du grec : epi, sur, et physis, soudure ou adhérence.
258 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
de son parasite, ou qu'il aura été enlevé par une opération chirurgicale, il n'y à
pas à craindre que ce cancer, par une conséquence immédiate, se développe sur
un os même contigu. Si le contraire se présentait un jour, ce dont jusqu'à présent
je n'ai pas vu d’ éxétple, cela ne pourrait arriver qu’en vertu de l’action nouvéllé
d’une cause analogue, et non comme conséquence du premier accident et comine
effet consécutif d’une tendance générale et d’une prédisposition spéciale ét con-
stitutionnelle de tous les tissus de l'organisation. Je le répète, je n’ai pas encore
été témoin de la réapparition du cancer sur un os contigu, après Que l'opération
chirurgicale en a eu séparé en entier l'os cancéreux, et cela quinze ans après
l'opération première.
Ce n’est pas à dire que le développement indéfini du cancer #’épuise 5as
la santé générale, quoiqu'il ne désorganise que l'os sur lequel il est implanté;
car un développement aussi actif ne peut être alimenté quë paÿ la circulation
sanguine, qui elle-même n’est alimentée que par la nutrition et la chylification.
Donc, un pareil organe de superfétation absorbera la part de sübstance nutritive
qui reviendrait aux différents organes normaux du corps animal ; done ces orga-
nes ne sauraient manquer de s'exlénuer de faim, et de muigrir d'autant plus que
le cancer se développera davantage aux dépens de los dont il absorbe et déniatüre
là substance de jour en jour.
8° Des nombreuses observations que j'ai entreprises afin d'arriver à un moyen
de guérir de ce terrible fléau, la plus importante de toutes est cértainement la
suivante : Tout os dont une cause quelconque désorganise progressivement le
tissu tend à se régénérer, à se développer dé nouveau sous [a même forte gé-
nérale et à occuper la place de l’ancien, sauf quelques modifications accessoires.
J'ai publié depuis longtemps un exemple frappant de cette loi dans la 4" livrai-
son de la Revue élémentaire (pag. 51, juin 1847), au sujet d'une tumeur cancé-
reuse survenue sur la portion horizontale de la branche droite de la mâchoire
inférieure. Le traitement par des applications multipliées d'alcool éamphré à
l'extérieur et à l'intérieur, sur la base de la tumeur cancéreuse, frappa dé mort
son développement; et la portion d'os qui lui servait de thallus s'étant détachée
sous forme d'os nécrosé, il se trouva qu’elle était remplacée par une égale portion
d'os de nouvelle formation. J'ajouterai que le cancer n'a plus réparu Chez la
dame qui fait le sujet de cette observation,
On doit se rappeler que j'ai décrit dernièrement un fait de ce genré, plus cu-
rieux et plus inattendu encore, dans la 2€ livraison, pag. 45 (sept. 1854), de cette
Revue complémentaire, en parlant de ce brave fabricant en chambre d'allumettes
chimiques, dont toute la mâchoire inférieure s’est régénérée (sauf les dents),
après la chute, pièce par pièce, de celle que les émanations phosphoriques avaient
transformée en une espèce de cancer.
9° Ainsi le cancer, en dévorant la substance d’un os, ne s'oppose pas à la ré-
génération de cet os même; la cellule-mère de l'os est toujours là pour remplacer
l'os désorganisé par un os d’une organisation nouvelle, tant que l'instrument
tranchant ne vient pas éventrer et dépouiller cette cellule de son unité repro-
ductrice.
10° Donc, si l'on pouvait, sans inconvénient pour la santé générale, attendre
que le développement du tissu parasite eût achevé d’épuiser la substance de los
qui lui sert de thallus, il arriverait que le cancer se détacherait de lui-même,
comme se détachent les feuilles d’une écorce qui a fait son temps, et comme se
détachent les fruits de la sommité de la tige que la maturation a épuisée, L’os
THÉORIE DU CANCER. — APPLICATIONS PRATIQUES. 239
nécrosé se trouverait alors remplacé par un os de nouvelle formation et semblable
sinon tout à fait égal. Ce fait peut se réaliser quand le cancér 8e développe sur
un os de petit calibre et dont la vitalité emprunte peu à l'élaboration générale de
l'orgañisation de l'individu. Mais quand il s’agit d’un os d'un volume énorme,
tel que l'humérus et le fémur, les deux 6s de l’avant-bras et les deux de la
jambe, organes dont Ia régénération progressive exige une si grände absorption
de phosphäte et carbonate de chaux, par le véhicule d'uné si abondäñite cireula-
tion et Sous l'influence d'un appareil nerveux d'un si grand développement papil-
läire, on conçoit que l’organisation la plus robuste ne pourrait fournir sans
S'épuiser à unë élaboration anormale sur une aussi vaste échelle, et que l'on ait
récours à l’amputation, afin de débarrasser l’organisation généralé de ce para-
sitisme local si dévorant.
416 D'un autre côté, il est des positions où cette médication expectante aurait
un résuhat aussi déplürable par une autre espèce de mécanisme, et finirait par être
fatilé au sujet, non én épuisant les ressources de la vie par un paräsitismé affamé,
inais en S'opposant de plus en plus au jeu d’üneé fonction indispensable. Ainsi le
cäncer qui se développe sur une fausse côte ne semble pas porter un grand préju-
dite au sujet sous le rapport de la santé générale; mais en $e glissant, par la loi
dé Son accroissement, jusque dans l'intérieur du thorax, il devient fätal, non par
épuisement, mais Comme cause mécanique d'asphyxié et par la compression qu'il
exerce'sur les lobes du poumon.
190 [1 né faut pas confondre le cancer proprement dit, sorte de végétation ani-
male, ävec lé cancer mercuriel qui ronge les chairs et les o$; 16 premier se dé-
véloppe en une espèce d'organe et par le même mécatiisme physiologique que
se développent les vrais organes chez le f&tus ; le second arche de proche en
proche én désorganisant les tissus, et les couvrant d'ülcérations et de bourgeons
éharnus lieux à voir; dans ce dernier cas, les organes tombent en lambeaux
comme sous la dent corrosive de la cause occulte de ce mal, moins perfide que
lé Cähcer, mais plus rongeant et plus désastréux encore.
45° Il në faut confondre non plus ni l'un ti l’autre de ces maux aveë les dé-
veloppemeñts insolites des chairs, des lèvres surtout, espèces de chäncres in-
durés qu'y détermine l’emploi à l'extérieur où l’intérieut des médicameñts arse-
üicaux ou mercuriéls. Ces chancrés Sont Moins envahissants et prennent une
éxtension moins considérable. Peut-être que l'expectation, à l'aide de la médica-
tion tiouvelle, obtiendrait à leur égard un résultat plus prompt et plus décisif,
APPLICATIONS PRATIQUES:
Ces notions générales mettent l'esprit d'observation sur une voie nouvelle, qui
pourrait bien nous mener un jour à la découverte d'un traitement assuré contre
ün mal qui jusqu'à présent a résisté à tous les traitements possibles.
Le cancer se développant à la manière de toute autre espèce d’organe normal,
ce n'est pas en l'attaquant sur sa périphérie qu'on peut espérer d'en arrêter la
croissatite et d'en paralyser la vitalité. Vous auriez beau tailler et retailler ses
bourgeonnéménts et ramifications indéfinis, vous ne feriez qu'imprimer une
plus grande activité au développement du tronc reproducteur : tant le contact
de l'air extérieur exerce sur sa végétation uné influence fécondatrice.
Mais, quelque volume que le cancer ait pu atteindre, la guérison en serait ra-
dicale, ét ja masse du plus monstrueux de ces sortes d'organes anormaux se
détacherait sans plus d'accident que le fait là feuille morte, si, par un procédé
240 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
quelconque, on parvenait à frapper de mort l'empâtement pour ainsi dire radi-
culaire et parasite par lequel il entretient son développement aux dépens de l’or-
gane normal sur lequel on le trouve greffé.
Attendre que le cancer ait fini de ronger l'os qui le supporte, afin de laisser à
Ja matrice de l'os le temps de reproduire un nouvel os semblable au premier, ce
moyen peut être couronné de succès, surtout avec l’aide de la nouvelle médica-
tion, dans le cas où l’os qui sert de sujet à cette greffe anormale ne serait ni d’un
volume trop considérable ni placé sur une région où le cancer menace d’étouffer
une des fonctions indispensables à l'entretien de la vie générale; mais cette mé-
thode expectante ne serait qu’une méthode épuisante, dans le cas où l'os qui sert
de sujet à ce parasitisme affecterait soit un volume trop considérable et emprun-
terait une trop grande part à la nutrition générale, soit une position d'où ses ra-
mifications pourraient se glisser dans les cavités où doivent fonctionner librement
les organes de la nutrition, de la pensée et de la respiration.
Quand l'os qui supporte le développement cancéreux est abordable par toutes
ses faces, et n’est revêtu que de membranes soit cutanées soit muqueuses de peu
d'épaisseur, on diminue énormément l'accroissement de l'organe, et par consé-
quent son action épuisante, en attaquant l'os par toutes ses faces abordables, au
moyen d'applications réitérées de tampons imbibés d'alcool camphré. C'est ainsi
que je traite le cancer des mâchoires; et par les deux cas que j'ai déjà cités on
peut juger des résultats qu'on obtiendrait quant aux autres, si le malade avait
la patience de se laisser traiter ainsi. Mais c’est ce qui n'arrive pas toujours, sur-
tout quand Je malade s'aperçoit que le cancer acquiert au dehors un assez gros
volume, et que l’ancienne médecine est là pour décourager le patient et le dégouù-
ter de l'emploi de notre innovation. J'ai de ce découragement un exemple affli-
geant sous les yeux, à l'instant où j'écris ces lignes : Une femme sur le retour est
venue me consulter pour une maladie des gencives de la branche droite de Ja
mâchoire inférieure qui offrait tous les caractères d’un développement cancéreux ;
nous avions commencé les cautérisations à l'alcool camphré par le côté interne
de la mâchoire ; le mal en fut enrayé pendant plusieurs mois; mais tout à coup
le développement cancéreux ayant pris sa direction vers la joue et menaçant d’ac-
quérir un certain volume, la pauvre malade me semble avoir perdu patience et
s'être laissé elfrayer; elle n’a pas eu le courage de venir me rendre témoin de
cette nouvelle phase de son infirmité. Et pourtant je suis convaincu que ce cas
n’est pas sans remèe, tant que le cancer ne prendra pas sa direction vers l’isthme
du gosier :
Les cautérisations fréquentes à l'alcool camphré arrêteraient la décomposition
putride des tissus, préviendraient l'infection de la circulation capillaire, par
l'action antiseptique du camphre, et accéléreraient la nécrose de l'os dont le can-
cer est parasite, au moyen de l’action cautérisante de l'alcool, et l’os de nouvelle
formation aurait ainsi le temps de prendre toute sa croissance. Je pense que la
peur que je lui ai fait du traitement mercuriel préservera la malade de cette
médication vénéneuse, et la ramènera à son premier traitement par la cautérisa-
tion à l'alcool camphré, les gargarismes à l’eau salée, les tisanes de salsepareille
rubiacée, et l’aloès tous les trois jours dans l'intérêt de la santé générale.
Quant aux cancers des autres os, et surtout au plus dangereux de tous, celui
du sein, dont le sujet osseux ne saurait être enlevé impunément par l'opération
chirurgicale ; quant à ces sortes de cancers, on pourrait attaquer journellement
le pédicule d'implantation, en y enfonçant de grosses aiguilles rougies au feu,
RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR LE CANCER. 241
avec les précautions indiquées par les connaissances anatomiques; en y entre-
tenant une application constante d'alcool camphré au moyen d’un tube en
caoutchouc qu'on introduirait par une fistule artificielle ; enfin en soumettant
constamment le pédicule à l’action d’une forte pile dont les deux pôles vien-
draient s’y implanter.
Si à ces moyens thérapeutiques on pouvait ajouter le moyen chirurgical de la
ligature, on parviendrait, je pense, à détacher ainsi le cancer de son empâtement
nourricier et à en frapper de mort le germe.
Quoi qu'il en soit, et si, en dépit de ces moyens destructeurs ou paralysateurs,
le cancer continuait son développement ordinaire, je n'hésiterais pas à multi-
plier les retranchements de substance et les opérations chirurgicales, afin de
préserver du moins la santé générale de l’action fatale de cette masse épuisante ;
et cela jusqu'à ce que l'os de nouvelle formation eût le temps de remplacer l'os
nécrosé.
Mais, je le répète, toute médication doit attaquer ce mal dans son pédicule
reproducteur; c'est par là qu'on pourra en paralyser la croissance; l'instrument
tranchant viendra en aide à la médication, toutes les fois que l'accroissement
de l'organe anormal aura échappé à ces moyens de frapper le mal dans sa
racine,
‘CONCLUSIONS ET RÉSUMÉ.
4° Le cancer proprement dit est un mal local; c’est un organe de superféta-
tion, parasite d'un os qu'il désorganise, et de la santé générale dont il épuise les
sucs, pour suffire à son incessante organisation.
2° Que le cancer se développe sur un os des membres thoraciques ou pelviens ;
en désarticulant cet os on n’a nullement à craindre que le cancer continue à se
développer sur l’autre. Ainsi, si le cancer se développait sur la tête du tibia, au
lieu d'amputer la cuisse on doit se contenter de désarticuler la jambe, et de re-
couvrir les condyles du fémur avec les muscles et la peau que le cancer aurait
dédoublés; car, dans ce cas, le fémur est sain, et la cuisse aura, pour la loco-
motion artificielle, beaucoup plus de force que par l’'amputation dans sa conti-
nuité.
9° Si le cancer se développe sur une côte ou fausse côte, attaquez-en le pédi-
cule nourricier au moyen de la double cautérisation par les aiguilles rougies au
feu et par l’action constante de l'application d’un tube rempli d'alcool camphré,
d'un tube en caoutchouc à demeure, et dont on pourra renouveler le liquide
sans déplacer l'appareil, au moyen d’un entonnoir approprié. Retranchez ensuite
les bourgeonnements et ramifications par l'instrument tranchant, autant de fois
qu'ils pulluleront et se régénéreront en dehors; pansez enfin la plaie à la pom-
made camphrée, comme l'indique le Manuel, à l'article BLessures, et combattez
la fièvre de la souffrance par l’eau sédative.
4 Si le cancer se développe sur une fraction des os de la mâchoire, attaquez-
le par des applications réitérées d'alcool camphré en dehors et en dedans; et,
dans le plus grand nombre de cas, la chute et l'oblitération du cancer sera spon-
tanée et ne réclamera l'aide d'aucun moyen chirurgical.
d° Si Le cancer survenait à une phalange des doigts, on tiendra la phalange con-
stamment enveloppée delinges imbibés d'alcool camphré, et recouverte d'une por-
tion de vessie qui empêche l'évaporation du liquide alcoolique. L'alcool desséchera
le produit anormal, le désorganisera en le préservant de la décomposition putride,
pendant que la puissance physiologique de reproduction des tissus réorganiser
949 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
un 6$ de fouvelle formation, pour remplacér en quelque sorte l'os nécrosé par
le parasitismé du tissu cäncéreux.
6° Attaquez lés chancrés indurés des lèvres par les mêmes moyens, c'ést-à-
dire, par des piqures d’aiguilles brûlantes, par des applications fréquentes d'alcool
camphré sur la peau et sur les muqueuses correspondant au pédicule générateur
de ces chancres, ét nè vous effrayez pas trop dé leur développement.
7° Dans tous ces cas, ne redoutez pas l'usage prolongé de la poudre de raci-
nes de garance; car c’est jusqu'à présent là Substance connue qui s’incorporé lé
mieux aux 68 ét qui, par cofséquent, est dans le cas dé frapper au cœür le
serré du dévéloppemient parasite.
8° Pouf porter le feu de la désorganisation dans ce germe dévorant, je voudrais
qu'on essayât de l’action de la pile voltaïique, dont chiätun des pôles serait mis
én contact, au moyén d’un fil métalliqué, ävec deux aiguilles enfoncées bout à
bout dans le tissu du pédicule cancéreux.
On pourrait graduéllement augmenter là force du Coürant, en commeñéant
l'essai par le courant le plus faible. Ce moyéhn de désorgaähisation serait béut-
être le plus éflicäce et le moins douloureux, en ce qu'il pourait être le plus
constimment employé, sans causer au malade d'autre vraie souffrance Qué celle
qui résulterait de l'implantation des aiguilles d'acier, or, argent ou plätiné
qu'on laisserait ensuite en place:
N. B. C'est dans les hôpitaux que de telles expérimentations peuvent être
poursuivies avec plus de méthode, parce que là seulement la bonne volonté du
malade n’a pas à subir les assauts que lui livréraient dans le monde le comimé-
rage et la rivalité de métier.
CHAPITRE IL, — PHARMACOPÉE,
SOLENNELLE RÉCEPTION DES PLAQUES GALVANIQUES A LA PLUS
DOCTE DES CINQ ACADÉMIES.
Lorsque, dans la 9 livraison de cette Revue (septembre 1854, page 49), jé
faisais l'énumération de tous les réinventeurs de nos modestes plaques galväni-
ques, et que je savourais à ma manière l'encens de tant d'hommages rendus à
une application utile par tant de témoignages divets et sous tant de formes diver-
ses : cataplasmes et tissus électriques; colliers, plumes galvaniques pour les
vieux doigts, et râteliers galvaniques qui préviennent les maux de dents
chez les mâchoires qui ont perdu leurs dents; quoi! me disais-je, pas un
mot académique même en faveur des râteliers galvaniques? C'était à désés-
pérer de la sugacité de mes bons amis mes vieux ennemis! Et j'avoue qü'ut
grain d'amertume se mêlait à la douceur de ma joie; car il manquait quel-
que chose à ce triomphe intime. La plus docte des académies n'avait pas entoré
dit son mot à cet égard, ce mot que tout réinventeur connait, ce mot gravé en
lettres d'or de Montyon dans le règlement secret de l’auguste assemblée, ce mot
qui perd de son harmonie en passant dans le langage vulgaire, comme le grand
mot que les Juifs devaient ne jamais prononcer, mais se contenter d'indiquer
du bout des doigts. Mais triomphe! victoire! ce mot enfin vient d'être dit!
O déesse aux cent bouches et aux cent oreilles, ouvre bien celles-ci, et apprête-toi.
à bien souffler de cellés-là; la conspiration du silence te l’ordonnée, Car il né
s'agit plus de moi. Et vous, gentils mignons jadis de la publicité académique,
RÉCEPTION ACADÉMIQUE DES PLAQUES GALVANIQUES. 943
aujourd'hui barbons vieillis dans le service du métier, jetez là vôs plumes d'oie
et ajustez vos plus belles plumes métalliques ; vous allez avoir à parler d'or et
d'argent, avec un peu de mercure. Voyez-vous de loin arriver sur la pointe de ses
petits pieds, le jarret tendu et le pas étudié, cherchatt à élever sa petite taille
jusqu'à la hauteur de son génie, le savant qui de témps immémorial est chargé
de la difficile mission de chapérogñér les réinventeurs orthodoxes de nos jan-
sénistes découvertes? Chut! place, messieurs! debout, messieurs! Dumas, més-
sieurs !.. Silence, messieurs !.., Dumas est à son fauteuil... messieurs, asseyez-
vous. . chut! Le voilà qui promène sür l'assemblée ün regard bienveillant; qui
sort un mouchoir brodé, pour étouffer éur sés lèvres une petite toux prépara-
toire; qui hume une larme d’eau sucrée, ce nectar du professorat; qui étale sur
le bureau son manuscrit à ganses roses et sa correspondaticé sur päpiéf ministé-
riel. 11 daigne enfin parler... pour äntioncer à l’univers entier un résultat
capable de faire passer ses auteurs à la postérité la plus reculée, et qui les dési-
gne d'avance au prix Montyon. Enfin, pour dire le mot, on a réinventé le
moyen de soutirer, par l'action de la pile galvanique, le mercure, l'or et l'ar-
gent qui peuvent se trouver accumulés. dans les veines d’un malade! (Applau-
dissements prolongés de la conspiration du silence.)
Vous allez croire, lecteur, que ces réinventeurs honorés d’un aussi auguste
patronage sont ceux que tant de fois a chaperonnés M. Dumas, dés téinvetiletré
pris dans les rangs élevés de la science? Non, messieurs : ce n’est plus son im-
mortel ami M. Payen, lui qui prend si dextrement son bien partout où il lé trouve;
ce n’est plus M. Ad. Brongniard, son illustre beau-frère, pour qui tout à des
pattes de ce qui se meut dans j’océan du microscope, et pour qui tout embryon
qui sommeille est occupé à distiller le nectar des fleurs; ce n’est plus le rabbin
révélé à M, Landerer de Smyrne, réinventeur rétrospectif et dé tout temps
ignoré de Ja liqueur contre le choléra (°).
Assez et trop longtemps les honneurs de la réinvention se Sont maintenus
dans ces régions élevées; il s’agit non plus de science mais d'humanité : la réin-
vention doit descendre plus bas et plus près de nous autres humains qui fampons
sur la terre!
Demandez-vous le nom du réinventeur ? au lieu d’un, il y en a deux: ce n’est
pas trop de quatre épaules pour supporter le poids de tant de gloire. Ces deux
roms, l'illustre savant les connait seul, mais il les révèle. Leur réinvention, pér-
sonne n’en a été encore témoin, tandis que l'invention hétérodoxe a gagné,
subrepticement sans doute, des milliers d'adeptes; mais la réinvention à {a
garantie de Dumas, qui vaut celle du monde, aux yeux du feuilleton actuel de
la Presse de Paris (**), feuilleton qui fut un jour notre sténographe (à la faculté
de médecine, en 1836, je crois), et ce jour, grâce à Dieu, n'eut pas de léndemain ;
l'encens et l'ambroisie ne conviennent ni à notre position sociale ni à notre tem-
pérament, Æt nunc plaudite (et maintenant applaudissez) : ainsi se termi-
nent toutes les farces de Plaute, O vous done, âmes timorées qui souffrez de trop
de mercure, de trop d’or ou d'argent, et qui ne saviez comment vous en défaire,
nos piles galvaniques n'ayant pas encore reçu le baptême académique, respirez
enfin à votre aise! Vous pouvez vous guérir sans faillir à vos pieuses répugnan-
ces; vous allez pouvoir vous dépouiller de vos métaux sanguins sans trop en
épuiser vos escarcelles, Car, sur les fonds Montyon, l'Académie va faire deux
(*) Voy. Revue élémentaire de médecine et de pharmacie, Ge livr., nov: 1848, pag: 189.
(**) Voy. la Presse, 7 février 1855,
244 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
parts, l’une pour les réinventeurs et l'autre pour les souffre-douleurs : unbillet de
10,000 franes attaché à une couronne de laurier pour ceux-là, et une distribution
gratuite de dix mille plaques galvaniques à ceux-ci. Qu'importerait à l'humanité
souffrante qu’on récompensât l'inventeur d’un moyen de soulager, si de la même
main on ne distribuait pas le moyen lui-même ? Les fonds Montyon ne serviraient
ainsi qu'à celui qui n’en a pas besoin, ce qui a pu arriver plus d’une fois sans
doute, mais ce qui ne doit plus arriver désormais : car, je vous le dis en vérité, la
grande ombre de Montyon commence à murmurer de voir que ses fonds tardent
tant àarriver à l'adresse du plus grand nombre et de ceux qui en ont le plus besoin.
Cher lecteur, j'ai fini, pour passer à des idées plus sérieuses. Deux pages con-
sacrées à de pareilles jovialités académiques, j'avoue que c'est trop long ; mais le
fou rire empêche d'être court.
LL AREMR ENn
POURQUOI LA MÊME DOSE DE CALOMÉLAS PRODUIT-ELLE MOINS D’ACCIDENTS
HYLRARGYRIQUES (MERCURIELS\, ADMINISIRÉE EN UNE SEULE FOIS QUE PAR
FRACTIONE ?
Les médecins qui ont la malheureuse idée d’administrer le calomélas à la
dose d’un gramme, autorisée par le codex, obtiennent ainsi une superpurgation
violente, qui en général ne porte pas son action sur les glandes salivaires et le
système dentaire d’une manière aussi prononcée que lorsqu'ils administrent
cette dose par quantités fractionnées d'heure en heure; et ce résultat leur parait
peu susceptible d’une explication satisfaisante.
Cependant rien ne nous paraît plus facile à expliquer.
Le calomélas est un sel mercuriel qui n’acquiert une certaine action sur l’éco-
1omie animale qu’en acquérant une certaine solubilité sous l'influence du sue
gastrique. La conséquence de cette action physiologique développée par la dis-
solution chimique, c'est de produire la superpurgation. Cette superpurgation
entraine nécessairement avec elle toute la quantité de calomélas qui est restée
insoluble, faute d’une suffisante quantité de l'acide que développe la digestion
dans un moment donné. Done la dose entière d’un gramme de calomélas admi-
nistré en une seule fois peut ne pas agir plus que n'aurait fait la dose de dix à
quinze centigrammes saturés d'acide. Que si, au lieu de donner à la fois la dose
tout entière d’un gramme, vous l'administrez d'heure en heure par fractions
de 20 centigrammes, c’est cinq superpurgations mercurielles que vous pro-
eurez en un jour au malade; c’est le commencement d’un vrai empoisonnement,
qui se révèle par des épreintes affreuses, par une salivation incessante et fétide,
par des rages de dents, des vergetures sur la peau, des déjections noires comme
de l'encre, et des agacements nerveux qui vont jusqu'à la convulsion.
J'ai été appelé, il y a plusieurs années, auprès d'un enfant à l’agonie, à la
suite de ce que l’on qualifie de fièvre typhoïde, et auquel je me mis incontinent
à administrer un lavement camphré; il me rendit aussitôt de l'encre au lieu de
l'eau du lavement, Sa fièvre typhoïde n'était qu'un empoisonnement par le
calomélas ; les intestins en étaient carbonisés. Car lorsque le calomélas devient
soluble, à la faveur de l’acide hydrochlorique qui abonde dans les tissus et qui
se dégage par les doubles décompositions physiologiques, le calomel devient
sublimé-corrosif.
On peut voir, dans le Manuel de 1855, que j'ai définitivement renoncé à l’em-
ploi du calomélas, et que je l’ai remplacé par l'ail, dont l'ingestion produit, sans
le moindre accident, un effet vermifuge bien supérieur à celui de ce sel.
FORMATION DE LA GRÊLE 245
CHAPITRE III. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L'AGRICULTURE (surrs).
(Voy. pag. 214, livr. de fév. 1855.)
$ 9. FORMATION DE LA GRÈLE.
82. La théorie de la formation de la grêle, telle que nous allons l’exposer,
va paraitre d’une hardiesse telle, qu'à la première lecture, et si l’on n’y arrive
pas préparé par les précédentes considérations, on serait tenté de la reléguer
dans la classe de ces conceptions de l’autre monde, que Cyrano de Bergerac a
seul eu le privilége de retrouver dans son cerveau. Cette première impression
doit être mise au compte de l’ancienne science, qui, dans ses théories, ordonne
de croire, bien plus souvent qu’elle n'arrive à démontrer; en sorte que l'énoncé
de toute démonstration contraire à ses assertions a l’air tout d’abord d’une ré-
yolte contre le haut enseignement, ce qui fait que depuis 35 ans nous ne sommes
presque pas sortis des rangs des révoltés. Je vais tâcher au plus vite de prouver
encore une fois que je ne me révolte pas contre la raison, en levant la plume
contre la haute science.
Nous admettons done en principe que les hautes régions de l'atmosphère
charrient des nuages de glace, tout aussi facilement que les mers du Nord char-
rient des espèces de petits continents d’eau congelée. De ce simple fait va découler
non-seulement la théorie de la grêle, mais celle de la foudre, des éclairs et
du vent.
83. Et d'abord remarquez que la grêle ne tombe jamais, comme la pluie, dans
toutes les directions. Elle suit une bande qui correspond dans sa largeur à peine
à deux lieues, quand la route qu’elle parcourt dépasse quelquefois une cinquan-
taine de lieues ; la grêle voyage et ne se dissémine pas ; or ce qui émane de l’élec-
tricité ne procède jamais ainsi. La vraie grêle, celle qui atteint des grosseurs
considérables, n’affecte aucune forme et aucune dimension constante; la forme
des grêlons ne diffère aucunement des fragments de glace qui commencent à
fondre et qu'on a soin de faire entre-choquer quelque temps en les secouant
dans un panier ; or l'électricité imprime à ses produits des caractères moins va-
riables.
Les grands orages qui ébranlent toute une région pendant des journées en-
tières n'engendrent point la grêle à chaque détonation; la grêle est même le
cas exceptionnel, et heureusement fort exceptionnel, des orages. Et cependant, si,
pour la formation de la grêle, ilne fallait que l’action de l'électricité sur les gouttes
d'eau, ces deux circonstances sont trop intimement en présence, pendant toute la
durée des détonations, pour que la formation de la grêle ne fût pas continue.
Laissons donc ces conjectures et arrivons aux données de l'induction.
84. On ne niera pas que deux blocs de glace puissent se rencontrer dans les
airs, comme ils se heurtent sur la surface des mers polaires; qu'une lame de
glace soit capable de se précipiter sur l’autre, en obéissant à une impulsion que
celle-ci ne subit pas. Le résultat de cette rencontre sera de faire voler en éclats
l’un et l’autre radeau, en éclats de toutes les formes et de toutes les grosseurs. La
poussière de glace ne tardera pas à se transformer en gouttes de pluie, à travers
les couches échauffées de l'air; les autres fragments, n'ayant pas le temps de fon-
246 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
dre, arriveront sur le sol avec des dimensions variables à l'infini, mais avee des
angles émoussés par la fusion de leurs arêtes vives, ou usés par les chocs et les
ricochets de leurs rencontres multipliées. |
Une fois qu’on admet la possibilité d’un choc entre deux montagnes de glace
qui se rencontrent, on ne saurait révoquer en doute la conséquence que nous en
tirons.
La chute de grélons de plusieurs mètres de superficie n’a done plus rien de fa-
buleux, quoique le cas ne soit pas le plus fréquent, vu la hauteur où les nuages
se heurtent et la puissance pulvérisante du choc.
83. L'ancienne théorie faisait bien découler la génération de la grêle de la ren-
contre de deux nuages; mais elle entendait deux nuages en brouillards et seule-
ment plus chargés d'électricité que les autres. A ce titre, nosbrouillards terrestres,
qui se rencontrent aussi fréquemment que les brouillards aériens, et qui sont
chargés de tout autant d'électricité que ceux qui voguent au-dessus de nos têtes,
ces brouillards, dis-je, devraient engendrer quelque chose qui eût l’air de la grêle,
chose qui ne s’est jamais vue.
Mais des nuages de brouillard se mêlent et se confondent, ils ne se heurtent
pas; il répugne au simple bon sens qu'ils aient dans les airs une propriété qui
est le contraire de leur nature sur la terre, que la vapeur enfin ait quelque paré
une propriété qui ne caractérise ici-bas que les corps solides. Ce sont là des idées
plutôt fantastiques que scientifiques.
Pour que des nuages se précipitent d’un bloc les uns sur les autres, tournent
sur eux-mêmes sans £e déformer, et se heurtent avec fracas, il faut que ce soient
des nuages solides, des nuages d’eau glacée, des blocs de glace, en un mot.
86. De ces sortes de rencontres nos yeux ne peuvent pas être souvent témoins,
les nuages pluvieux formant rideau, au-dessus de nos têtes, entre nos yeux et
ces vastes champs de bataille aériens. Cependant le phénomène a été bien des fois
surpris sur le fait; en voici un exemple frappant : Le 13 juillet 1853, à Calonne-
Ricouart (Pas-de-Calais), un orage épouvantable, tel qu'on en observe seulement
dans le midi de la France, éelata sur toutes les communes environnantes ; la
pluie tombait par torrents, au milieu des détonations de la foudre. Le tonnerre
cessant tout à coup, on espérait que l'orage allait se dissiper, quand subitement
un vacarme, un bruissement épouvantable se fait entendre : les arbres ploient en
deux et craquent sous l'effort, les nuages prennent une teinte sinistre, le vent
du nord souflle avec violence ; la pluie rase la terre ; la raffale balaye les récoltes,
les fumiers et les cailloux, et entraine tout ce qu ‘elle rencontre sur son passage.
C’est alors, à six heures du soir, qu’on vit venir du sud un nuage blanc sillonné
de jets de lumière blafarde, qui roule sur lui-même comme une montagne sur
le penchant d’une autre montagne, et se précipite, avec la rapidité d'une opome
tive, sur un autre nuage qui vient en tourbillonnant du côté du nord. Le choc fut
terrible. Pendant trois minutes chacun en resta dans la stupeur; le fracas de
cette rencontre assourdissait au point qu'on ne distinguait plus le vent des
éclats du tonnerre; l'épaisseur des ténèbres était telle qu'on ne voyait plus les
éclairs ; et dès que le ciel s’éclairait un peu, on apercevait dans la vallée des mil-
liers d'oiseaux noirs qui s’entre-choquaient en tourbillonnant dans l’espace ; les
vitres volaient en éclats, les grosses branches d'arbres, les charriots même fen-
daient l'air et venaient battre en brèche les murs des habitations. La population
à genoux s'attendait à la fin du monde ; quand tout à coup la pluie succède à ce
chaos infernal, une pluie fine qui permet à chacun de se faire une idée des ra-
THÉORIE DE LA GRÈLE ET DU GRÉSIL. 247
vages que la tempête avait laissés sur ses traces : maisons écroulées, cheminées
renversées, toits enlevés, étables écrasées, prairies recouvertes de sable, moissons
fauchées, murs du château lézardés ; partout la désolation, la ruine et le deuil.
Attribuez, après un tel récit, un pareil choc entre deux masses aériennes à la
rencontre de ces nuages de vapeurs que le souflle d’un enfant semblerait pou-
voir dissiper dans l’espace.
87. Quand bien même ces chocs aériens ne se seraient pas produits aussi sou-
vent à la portée des regards, et n'auraient pas eu pour témoins oculaires ou pour
historiens les poëtes de tous les siècles (*), une fois qu'il est admis qu'il se forme
des nuages de glace dans les hautes régions de l'air, il en découle nécessaire-
ment qu'ils doivent, en certaines circonstances, se rencontrer, se heurter, s’entre-
choquer et se broyer mutuellement en une fine poussière. Évaluons seulement
une des circonstances qui peuvent donner lieu à ces immenses fracas.
88. Une lame de glace qui vogue à travers un océan aérien doit être expo-
sée à des soulèvements qui en déplacent le centre de gravité, plus facilement en-
core que si elle voguait à travers l'océan terrestre. Cette lame qui, par le temps
calme, suivait tranquillement la diagonale, soulevée vers un bout par l'ascension
d'une vague aérienne montagneuse, et faisant alors bascule, tombera de tout son
poids et avee d'autant plus de rapidité que son plan se rapprochera davantage
de la perpendiculaire; frappant alors comme un pilon incommensurable le bloc
de nuage glacé qui se trouvera sur son passage, il faudra bien que les deux se
broient mutuellement en éelats, qui, jaillissant en gerbes dans les airs, retom-
beront sur la terre sous forme d’une pluie de grêlons ou de gouttes d’eau, les-
quelles ne sont souvent que des grêlons fondus en traversant les airs.
89. Ee bruit de ce choc est toujours perceptible, quand il a lieu à une dis-
tance assez rapprochée, el quand la grêle ne vient pas de loin charriée par la
yiolence de la tempête.
Dans les averses intermittentes de grêle, j'ai toujours bien perçu le bruit du
choc générateur de l’averse; fort souvent ce bruit avait le timbre du tonnerre
lointain, et chacune de ces détonations était suivie d’un torrent de grélons.
Nous nous occuperons des autres circonstances qui peuvent concourir à ces
rencontres, dans le $ 11 où nous aurons à aborder la théorie du tonnerre et des
éclairs.
$ 10. FORMATION DU GRÉSIL ET DES GRÉSILLONS.
90. Les grésillons sont d’un volume à peu près égal entre eux, ovoïdes ou
polyèdres, mais alors à cristallisation qui semble émaner d'un même type, et le
plus souvent ils semblent s'être formés sur un moule inscrit dans un cône.
Les grésillons ovoïdes ont un aspect cotonneux, et à la loupe ils sont évidem-
ment composés de plus petits grésillons agglomérés. J'ai vu de ces grésillons
ovoïdes ayant cinq millimètres dans leur plus grand diamètre, et dont les gré-
sillons intégrants avaient jusqu'à un millimètre de diamètre.
Le grésillon polyèdre n'est que la goutte de pluie ou flocon de neige qui, fondue
dans une région chaude de l'atmosphère, s'est congelée en traversant plus bas
un courant d'air glacé.
Par unetempérature de 7 à8 degrés au-dessous de zéro, qu'on jette de l'eau d’une
(*) Armorum sonitum toto Germania cœlo
Audit... Vinc., Georg. I, 475.
Par toute la Germanie on entendit dans les airs le cliquetis des armes.
248 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
grande hauteur, et les gouttes arriveront en bas sous forme de tout autant de
polyèdres de glace.
Le grésillon ovoïde et floconneux n’est que le flocon de neige qui n’a pas eu le
temps de fondre en goutte de pluie, mais seulement de rapprocher une partie de
ses molécules de glace par la demi-fusion de l’autre partie. C’est, en petit, le cu-
lot de neige en voie de fusion dont nous avons déjà parlé (56, 4°) pag. 184 de la
livraison de janvier.
La formation de ces grésillons n’est précédée d'aucune détonation spéciale et
caractéristique de la formation de la grêle. Leur chute suit quelquefois les coups
de tonnerre, mais n’en émane pas directement.
$ 11. TONNERRE, FOUDRE, ÉCLAIRS.
91. Avez-vous entendu quelquefois, dans les bois, certaines détonations dont
vous ne pouviez pas vous rendre compte, tant elles s’éloignaient du volume de
l'explosion du fusil et se rapprochaient de celle d’un coup de canon ? C'était
tout simplement l'éclat du tronc d'arbre qui tombait sous les coups de Ja hache.
Avez-vous entendu en hiver, et pendant les hivers rigoureux, dans les bois,
des détonations bien plus fortes encore, répétées ensuite par un long chapelet
d'échos ? C'était l'éclat d’un tronc qui se fendait par la dilatation subite de la sève
en vapeur, sous l'influence de l’abaissement rapide de la température, ou plutôt
par la décomposition de la sève en gaz et la combinaison de ces gaz sous une au-
tre forme (‘). Rien ne ressemble davantage à la détonation de la foudre.
Avez-vous entendu, au pied des glaciers des Alpes, ces détonations subites qui
semblent ébranler la vallée, et cela par le jour le plus serein ? C’est une montagne
de glace qui se fend, et la fente n’est pas fort large.
Avez-vous été témoin de la chute d’une avalanche de neige, qui fond du haut
d’un pie sur la vallée, ou même, pour n'invoquer qu'un exemple citadin, de la
chute de ces avalanches de neige qui coulent de nos toits au premier dégel? Le
premier choc est suivi d’un roulement qui ne se termine qu’à la dernière brassée
de neige.
Avez-vous entendu la détonation que produit un simple rayon de soleil sur le
mélange d'hydrogène et de chlore d’un volume assez considérable ? Le vase part
en mille éclats sous la puissance de ce trait de lumière qui combine les deux gaz
entre eux. Portez un ballon immense dilaté par un pareil mélange, portez-le dans
les hautes régions de l'air, et les habitants de la localité sous-jacente croiront en-
tendre la foudre, et cet éclat de la foudre ne sera pas sans éclair.
Dans nos laboratoires et avec la faible puissance de la bluette électrique, l'oxy-
gène se combine à l'hydrogène avec détonation. Une forte compression est en
état de produire entre deux gaz une combinaison accompagnée d'explosion et de
flamme.
Rappelons-nous enfin que le choc seul du fer du cheval contre la glace en fait
jaillir une gerbe d’étincelles, comme d’un silex pyromaque; et avec ces notions
banales et journalières, nous avons de quoi expliquer le mécanisme de ces phéno-
mènes grandioses qui ébranlent la terre, et devant lesquels la puissance physique
(*) Si le tronc n'éclatait que par la dilatation de l'eau ou sève qui se transforme en glace, il ne
ferait quese fendre, et le bruit n'en serait pas très-grand ; mais le tronc, en ce cas, éclate en mille
pièces ; ses fibres se déchirent, s’isolent les unes des autres, comme la teillée de chanvre. Ce n’est pas
une fissure, c’est une explosion qui ie broie ainsi. Or une explosion n'a lieu que par la combinaison
de deux gaz, sous l'influence du rayon solaire ou de la bluette électrique.
THÉORIE DU TONNERRE. 249
de l’homme est réduite à néant, mais qui, à leur tour, ne vont plus être que des
phénomènes atomistiques, devant cette puissance intellectuelle qui nous rap-
proche de celle de Dieu.
92. Deux blocs immenses de glace ne sauraient se heurter sans produire du
calorique sensible ou visible, et dont la puissance, c’est-à-dire le volume, sera
proportionnelle à la force d’impulsion des deux corps. Car tout choc dégage du
calorique par compression, et la glace a aussi son calorique.
Le choc, c’est l'éclat du tonnerre; le calorique dégagé violemment, c’est l'éclair
qui frappe nos yeux ; c’est la foudre qui frappe nos corps et qui peut fondre les
rochers et nous réduire en gaz et en cendres. Les éclats de ces blocs qui, en se
heurtant, se sont mutuellement broyés, c’est la grèle, si elle parvient jusqu'au
sol sans être entièrement fondue; c’est une averse de pluie, autrement. Il ne faut
prêter à l'orage qu’un peu d'attention, pour s'assurer que, en général et en l'absence
de la tempête qui s’opposerait à la perpendicularité de la chute, chaque déto-
nation est suivie presque immédiatement d’une averse; en calculant le temps qui
s'écoule entre la détonation et le moment de la chute de l’averse, on arrivera
un jour à déterminer la hauteur où le choc aura eu lieu.
92. La détonation est simple et sans roulements, lorsque aucun autre nuage
glacé ou neigeux ne se rencontre au-dessous des deux nuages qui se heur-
tent. Le roulement a lieu, dans le cas contraire, par le choc successif des portions
de l'avalanche sur le nuage qui forme obstacle et s’interpose comme un plancher.
Rien n’imite mieux le timbre et le rhythme de ces roulements conséeutifs de la
foudre que la chute d’une avalanche de neige, ou mieux des grands blocs de glace
détachés d’une montagne escarpée et qui tombent d’aplomb sur la vallée. Vous
avez un diminutif bien accentué de ces effets, au premier dégel qui fait couler des
toits dans la rue une couche de plusieurs pieds de neige.
93. Anciennement on expliquait ces roulements par l’action de l'écho, c’est-à-
dire de la réflexion ou répercussion du son. Mais, 4° dans un pays plat et éloigné
de tout groupe de montagnes, il est fort difficile d'admettre l'existence de tant
de foyers de répercussion ; or le tonnerre a ses roulements, dans ces sortes de pays,
tout autant que dans les pays de montagnes.
2° Les échos multipliés ne sauraient coexister dansle même espace et conserver
le même timbre; l'écho d’un lieu ne l’est qu’une fois; le timbreen diminue et s’af-
faiblit à mesure que le foyer de réflexion s'éloigne. Or les éclats de la foudre
semblent tous partir du même point, quand la détonation a lieu au-dessus de nes
têtes, et leur roulement n’a rien qui rappelle une succession d'échos disséminés
dans l’espace.
5° En outre, dans les pays plats, l'écho ne saurait provenir que par l'effet acou-
stique, par l'effet de la répercussion des sons sur les blocs de nuages disséminés
dans les airs; dans ce cas toute détonation devrait être suivie du même nombre de
roulements ; mais dans l'intervalle de deux minutes, on entend souvent une déto-
nation effrayante sans roulements, et une autre détonation suivie d’un chapelet de
détonations qu'on dirait se produire sur une même ligne verticale; or les échos
transmettent cireulairement et non linéairement les sons qui les frappent.
4° Enfin, par un temps de violent orage, la détonation du canon du plus fort
calibre n’est jamais répereutée en roulements par les nuages amoncelés dans l’at-
mosphère; on s'aperçoit facilement que le roulement de l'explosion ne provient
que de la répercussion des accidents du terrain.
5° On à vu souvent chaque détonation particulière correspondre à un éclair, en
17
250 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sorte que le dard de la foudre se reproduisait à chaque note du roulement. Si le
choc produit l'éclair, cette succession rapide d'éclairs correspondait done à une
succession de chocs ; le roulement n’était done que la progression des chocs par-
tiels de chaque fraction de l’avalanche.
94. Mais ces sortes de détonations ne sont que de faibles bruits, en comparai-
son de celles dont nous allons donner la théorie.
Nous avons dit que les nuages de glace ne sauraient se former, dans les hautes
régions de l'air, sans condenser et l’air atmosphérique (oxygène et azote) et l'hy-
drogène qui se dégage de la terre et qui, par salégèreté, tend à monter de plus
en plus dans les airs. Or, dès que les rayons solaires viennent à converger comme
vers un foyer dans le centre du nuage de glace, à fondre cette région focale en
eau et à dégager l'hydrogène et l'oxygène dans cette cavité artificielle, la force
expansive de ces deux gaz suflirait déjà à elle seule pour faire voler en éclats les
plus hautes montagnes; car cette force est pluspuissante que celle de Ia vapeur”).
Mais la puissance de la combinaison de l'hydrogène et de l'oxygène en eau, ainsi
que celle de l'azote et de l'oxygène combinés en acide nitrique sous l'influence du
rayon solaire, du rayon électrique, dépasse de mille eoudées la puissance de l’ex-
pansion de ces gaz; car dans l'acte de la combinaison, c’est le calorique qui se dé-
gage. Donc quand un pareil dégagement aura lieu dans le sein d'un nuage de l'é-
tendue d’une lieue, cette montagne de glace volera pulvérisée avee une explosion
capable d'ébranler la croûte terrestre, et avec un dard de flamme capable de ré-
duire en cendres tous les cèdres du Liban, en moins d’instants que le dard denos
chalumeaux ne dissipe une paille en fumée.
Les phénomènes météorologiques ne diffèrent pas des phénomènes physiques que
nous reproduisons de nos faibles mains; ils n’en diffèrent que par l’immensité
de leur volume; nous n'avons pas d'instruments pour les reproduire, mais nous
en avons pour les imiter; et par l'intelligence qui les conçoit et les explique, nous
semblons marcher de pair avec la nature qui les produit.
L'ignorance les contemple avec terreur et les conjure par la superstition. La
science les contemple avec vénération; et les résultats qu’elle obtient de ses ar-
dentes recherches sont le plus bel hommage qu’elle puisse rendre à la Divinité.
Elle n’implore pas, elle scrute; elle cherche à ravir au ciel sa lumière, au cra-
tère bouillonnant son énigme, dût la Jumière du ciel nous frapper de Ia foudre,
dût le cratère du volcan nous dévorer. Pour elle, savoir c’est avoir; tout le reste
n’est à ses yeux qu'un@addition de grains de sable; qu'elle connaisse un seul de
ces grains à fond, et elle vous dira : Prenez tous les autres ; c'est moi qui les pos-
sède, car je les comprends.
94. Cette théorie plus que hardie au premier abord étant une fois admise après
müre méditation, on concevra qu'il n’y a plus rien d'étonnant et de diflicile à ex-
pliquer dans la chute de grélons en fragments de glace du poids de plusieurs
kilogrammes et du volume de plusieurs mètres. Si la météorologie était une
étude dévolue aux paysans, ces observateurs de toutes les heures, les cas de ce
genre perdraient de leur caractère exceptionnel, et l’histoire de chaque jour en
enregistrerait de plus extraoydinaires. Maisle paysan, quiexprime si mal ce qu’il
sait si bien, pâlit devant le savant de cabinet, qui sait si bien parler même de ce
qu'il ignore; car le grand livre de la nature qu'il feuillette chaque jour lui pa-
rait moins bien doré que ceux qu’il ne sait pas lire ; et l’or c’est le signe de l’in-
(*) On en a un exemple dans la force expansive de l'acide carbonique cristallisé, qui dépasse sous
un faible volume celle des plus fortes charges de nos mortiers, .
ROULEMENTS DE LA FOUDRE. 251
telligence à ses yeux ; ce préjugé lui passera comme tant d’autres, et Ja science y
gagnera.
95. On doit comprendre maintenant pourquoi l'été est la saison des orages, et
pourquoi l'orage est d'autant plus violent que la température se rapproche
davantage de la chaleur caniculaire; car c'est dans cette saison que le soleil
frappe plus perpendiculairement les nuages, et que l'atmosphère est brülante à
de plus grandes hauteurs : dès lors la glace fond plus vite, les gaz s'accumulent
en moins de temps et sous un plus fort volume dans une enveloppe cristalline qui
s’amincit de plus en plus, et la montagne de glace éclate soit par la force expan-
sive des gaz, soit par l'explosion qui résulte de leur combinaison intime. L'éclair
frappe avant que la détonation ne s'entende, et la foudre éclate avant que les
éclats de glace n'arrivent à terre sous forme de pluie ou de grélons.
96. On comprend pourquoi la grêle parcourt une bande assez étroite, et n'a
jamais l'étendue de l'orage; elle suit la marche du nuage dont elle dissémine
les débris. C'est un accident d'une cause qui fend les airs avec la rapidité du
vent, Lancez au loin un seau d’eau sur le sol, il n’y aura jamais qu’une bande
de terre de mouillée.
97. L'explosion dont nous venons d'expliquer le mécanisme peut se repro-
duire sur plusieurs nuages à la fois, ou successivement sur une série de nuages:
de là cette suite de détonations qui se succèdent avec fracas pendant certains
orages. Ce chapelet de détonations ne doit pas être confondu avec le roulement g
consécutif de certaines détonations, roulement qui est produit par la chute
fractionnée de l’avalanche sur le plancher d’un nuage inférieur.
98. Mais de pareilles explosions ne sauraient avoir lieu sans des déplace-
ments d'air qui rapprochent, séparent, abaissent, élèvent et fassent entre-choquer.
enfin les nuages environnants, de manière à produire par ricochet tout autant
d’explosions nouxelles. 11 est de ces commotions dont le choc est capable de
renverser les édifices terrestres, de fendre et de pulvériser les arbres, accidents
qu’on attribue à tort à l’action du feu céleste, quand l'éclair accompagne le choc.
L'éclair est un dard de flamme qui brüle et ne frappe pas, qui peut déterminer
des explosions, en mettant, pour ainsi dire, le feu à la mèche, mais non par la
force d’un choc. Les zigzags que décrit l'éclair à travers les nuages ne sont que
les effets de ricochets par la rencontre des obstacles; chacun des angles
est produit par la réflexion d’une surface; car la flamme obéit aux mêmes lois
de réflexion et de réfraction que la lumière. Vous imiteréz parfaitement ces zig-
zags en lançant obliquement le dard du chalumeau à émailleur contre la surface
interne de l’une ou l’autre de deux lames de verre parallèles ; chaque ricochet
de la flamme se faisant sous le même angle d'incidence et de réflexion , la marche
du dard, si rapide qu’elle soit, s'effectuera en zigzags visibles à l'œil, surtout si
l'expérience a lieu dans un endroit privé de lumière.
99. Mais si le choc de l'explosion aérienne est capable de produire de tels
déplacements non-seulement sur les nuages environnants, mais encore sur les
_objets terrestres, commeut oserait-on nier qu'une explosion partie de la terre
soit capable de produire des déplacements dans les corps aériens, en proportion
de sa puissance? Ce serait nier la similitude des effets en admettant la similitude
des causes. L'explosion du canon n’est pas autre chose, quant au mécanisme
physique, que l'explosion d'un nuage; et l'ébranlement qu'elle produit dans les
airs, est dans le cas de repousser le nuage qui s’avance, de soulever le nuage
qui plane et de le rapprocher violemment du nuage supérieur, d’éclaireir un ciel
252 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
nuageux, soit en dissipant les nuages, soit en les faisant se résoudre en eau, et
de déterminer, en entre-choquant deux nuages entre eux, l'explosion de la
foudre; il faudrait n'avoir jamais assisté au tir prolongé du canon par un
temps nuageux pour nier ce phénomène. Il n'est pas un sonneur de cloches,
dans les pays méridionaux, où les orages se déploient avec une terrible puis-
sance, il n’est pas un sonneur prudent qui ne melte sa cloche en branle, quand
il voit poindre l'orage à l'horizon, et qui ne se garde bien de le faire, quand
l'orage se prépare au-dessus de sa tête; il saittrop bien que les ébranlements qu'il
imprimerait à l'air sont dans le cas de faire crever la nue (voyez comme les ex-
pressions populaires sont presque toujours la traduction anticipée des vérités
que l’on démontre plus tard), et il sait aussi que le va-et-vient de sa cloche
ferait l'office du piston d’une pompe foulante et aspirante sur la foudre, dont le
dard arriverait de la sorte droit à lui; et ces sinistres ne sont pas rares dans les
cas où l'urgence fait taire la prudence.
De même l’homme qui prend la fuite pendant l'orage attire le dard de la fou-
dre sur lui, parce qu’il fait le vide derrière lui, et que le dard, qui aurait ricoché
sur la couche d’air dont l'homme était enveloppé, arrive droit à lui faute d'ob-
stacle. Cette cause d'attraction apparente est bien plus puissante quand il s’agit
d'une voiture, d’un train de waggons, d’un navire à toutes voiles.
100. L’électricité de l'éclair ne diffère done pas de la flamme qui darde; et
l'électricité qui s’accumule dans un corps n'est autre que le calorique qui se com-
munique. Les corps #auvais conducteurs d'électricité sont mauvais conducteurs
de calorique; ce sont des corps réflecteurs, sur la surface desquels le dard ri-
coche et qu’il atteint sans les frapper. Les corps bons conducteurs d'électricité
sont bons conducteurs de calorique, ce sont des corps dits réfracteurs. I serait
facile de démontrer que tout corps fondu est mauvais conducteur, et que le
même corps battu au marteau est un conducteur d'une grange puissance. Le
marteau, en allongeant les molécules, multiplie le nombre de canaux intersti-
tiels qui forment réseau ensemble et où le jet de calorique et d'électricité voyage
sans obstacle. La fusion, en organisant le corps sphéroïdalement (1,2,5), fait ri-
cocher le jet, au lieu de lui livrer passage.
Enveloppez un corps conducteur d’une couche non conductrice, et faites dar-
der le jet électrique sur le premier par une ouverture pratiquée sur la seconde;
celle-ci, en réfléchissant de ricochet en ricochet le dard vers l'extrémité vppo-
sée, accumulera le calorique-électricité dans le corps conducteur, et ce calorique
y séjournera jusqu’à ce que l'enveloppe protectrice éclate ou s'ouvre pour lui li-
vrer passage.
Mais ce n’est pas le lieu de développer ici cette nouvelle analogie; nous revien-
drons à la question physique du phénomène, quand nous aurons épuisé les pro-
blèmes météorologiques qui le concernent.
(La suite au prochain numéro.)
CHAPITRE IV, — CHIMIE ORGANIQUE.
QU’ESI-CE QUE L’ASPARAGINE QU’ON A SIGNALÉE DANS LE SUC LE LA
BETTERAVE ?
A. OBSERVATIONS HISTORIQUES.
Dès le moment que, dans un mémoire paru en 1805, Sertuerner eut fixé l’at-
tention générale sur la substance que Baumé d’abord et Desrones ensuite avaient
ASPARAGINE DANS LE SUC DE BETTERAVE,. 253
extraite de l’opium, sous le nom de sel essentiel azoté, et que le nom de mor-
phium que Sertuerner lui avait donné eut été adopté avec une simple modifica-
tion (morphine), les chimistes entrèrent avec une activité fébrile dans cette voie
de recherches, et ne s’attachèrent presque plus qu'à retrouver, dans chaque plante
usuelle ou médicinale, le sel essentiel dans lequel devaient résider sa vertu et sa
propriété caractéristique. La formule de l'analyse était simple, les recherches
spéciales n'en étaient qu'une servile application; ces sortes de travaux chatouil-
lent d'autant plus l'amour-propre qu'ils coûtent fort peu à la méditation; aussi
la liste des alcaloïdes en ine grossissait d’une manière menaçante pour la mémoire
la plus heureuse.
L'apparition du Nouveau système de chimie organique arrêta l'analyse sur la
pente de ces travaux faciles et trompeurs, en éliminant de la liste les précipités
informes qui n'avaient rien de cristallisé, et ensuite en démontrant que ces pré-
tendues substances immédiates ne pouvaient être que des sels ammoniacaux com-
binés avec des résines ou des huiles essentielles plus ou moins oxygénées, de
même que le nouveau système avait démontré que cette foule d’acides végétaux,
dont la liste grossissait indéfiniment sur une ligne parallèle à celle des alealoïdes,
que ces acides, dis-je, ne pouvaient être que des combinaisons d'acide carbonique
et d’une huile essentielle, souvent avec addition d'oxyde de carbone.
Dès ce moment chacun fut sur ses gardes et apporta dans ses travaux une plus
sévère attention; les prétendues découvertes diminuèrent; l'engouement se
rallentit, et bientôt la chimie, faisant volte-face, quitta cette voie trop bat-
tue pour rentrer dans la veine d’études rationnelles que la théorie venait de dé-
couvrir. :
Mais ici l'abus se glissa dans cette branche d’études; et, au lieu de ramener la
complication apparente des résultats de l'analyse vers la simplicité de la synthèse
et de chercher à se rapprocher de l'unité qui est l'âme de la nature, au lieu enfin
d'expliquer les faits particuliers par la loi générale, on ne s’appliqua plus qu’à
multiplier les faits particuliers, afin de poursuivre la découverte préconçue d'une
nouvelle loi générale. En combinant un acide avec des bases organiques ou des
huiles essentielles et des résines, et en variant les proportions, puis analysant le
mélange, on est parvenu à créer tant de formules nouvelles que cette partie de
la chimie, partie arbitraire, est devenue plus volumineuse que la chimie organi-
que naturelle. On est entré ainsi dans une voie sans fin et sans issue; car en va-
riant les doses, le volume du mélange, l’élévation de température, la durée de la
macération, les proportions des éléments, les procédés de la manipulation, ete.,
on peut multiplier à l'infini les caractères physiques et les résullats numé-
riques de la composition, de manière à grossir indéfiniment la nomenclature
de noms de genres, d'espèces et de variétés, et encombrer les traités de chimie
avec des formules dont on ne retrouvera pas deux fois la valeur par un nouvel
essai.
La chimie organique adoptée et professée par les académies ne se compose
presque plus que de ces fugitives notions. Quant à nous, nous avons pris le parti,
en désespoir de cause, de ne pas savoir un mot de cette chimie, enfant dénaturé
de notre ouvrage, et qui semble vouloir ramener le chaos par la porte que nous
avions ouverte pour le chasser du temple.
Mais je reviens à l'asparagine. Après avoir déblayé le chemin de bien de ces
substances en ine, je m'arrêtai peu aux autres; et l’asparagine fut l’une de celles
que je cherchai le moins à étudier; je me contentai d'indiquer de quel genre de
254 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mélange elle pourrait bien être le résultat trompeur (*). Mais vers le mois de jan-
vier 1852, les journaux académiques ayant signalé la présence de l’asparagine
dans le suc des betteraves, je vis qu'il fallait bien m'occuper un peu plus spécia-
lement d’une substance qui, tout imaginaire et artificielle qu’elle me parût, était
dans le cas de faire faire fausse route à la fabrication du sucre indigène, par le
rôle que la théorie renouvelée de 1826 allait lui faire jouer. Je vais consigner
ici les résultats de cette étude.
B. ÉTUDE ANALYTIQUE DE L'ASPARAGINE,
L’asparagine est un alcaloïde de la création de Vauquelin et Robiquet, qui
l'avaient retirée du suc de l’asperge (Asparagus officinalis, L.), d’où vient son
nom. Ils l'avaient retrouvée ensuite dans les sucs de la réglisse, de la guimauve,
de la grande consoude, de la pomme de terre, de la dame d'onze heures (Orni-
thogalum); on n’a pas droit de s'étonner dès lors qu'on l’ait trouvée dans le sue
de la betterave.
Le procédé d'extraction n’a rien de fort compliqué : on fait bouillir le sue
d’asperge, on le défèque par décantation pour le séparer de tout ce qui est inso-
luble, on le concentre et on l’expose ensuite à une évaporation spontanée pendant
quinze à vingt jours, pendant lesquels il se forme deux espèces de cristaux, les
uns rhomboïdaux, durs et cassants, et les autres aiguillés. On sépare ceux-ci, qui
paraissent aux auteurs être de la mannite; les autres forment l’asparagine, que
l'on fait cristalliser de nouveau pour la purifier ; dans le suc de guimauve, il ne se
forme que des cristaux rhomboïdaux.
L’asparagine ne rougit que faiblement la teinture de tournesol. Sa dissolution
aqueuse n’est troublée ni par la noix de galle, ni par l’oxalate d’ammoniaque,
ni par l’acétate de plomb, ni par le chlorure de barium. L'alcool anhydre et
l'éther sont sans action sur elle. La potasse en dégage de l'ammoniaque. L’aspa-
ragine se décompose, à la température ordinaire, en un sel ammoniacal, que les
deux chimistes désignent sous le nom d’asparmate d’ammoniaque. D'après leur
analyse, elle serait composée de 56,7 de carbone, 56,1 d'oxygène, 5,9 d'hydro-
gène, 21,5 d'azote.
Ce sont là, on le voit, des caractères tranchés et en apparence invariables ; qui
oserait les révoquer en doute et les imputer à quelque illusion? C’est pourtant
ce que nous allons faire.
Le suc d’asperge présentant, d’après Vauquelin et Robiquet, un mélange de
cristaux soyeux et de cristaux d’asparagine, nous avons opéré sur le sue de gui-
mauve (Althœæa officinalis, L.), qui ne contient, d'après eux, que des cristaux
d’asparagine.
Le 29 février 1859, j'ai pris 12,52 grammes de racines de guimauve que j'ai
dépouillées avec soin de leur écorce et divisées par petits copeaux en les déchirant
parallèlement à la moelle; je les ai mises bouillir trois quarts d'heure dans une
grande capsule de porcelaine contenant plus d’un litre d’eau de pluie; j'ai décanté
après refroidissement, et remis sur le feu, pour concentrer et filtrer.
D'un autre côté, j'en ai fait macérer une certaine quantité à froid dans l’eau de
pluie.
L'ébullition a transformé la couleur blanche des fragments de racine en couleur
de rouille, qui est celle de l'écorce de ces racines mêmes.
(*) Voy. Nouveau système de chimie organique, tom. IT, pag. 655, 1838.
ANALYSE DE L'ASPARAGINE, 255
Le 6 inars, le liquide n'avait pas déposé encore une ombre de cristallisation.
Je réduisis de nouveau le liquide; et, dès le 7 mars, ce liquide se rouilla de nou-
veau; la couleur se déposait contre les parois du verre. Cette crasse bleuissait
par le prussiate ferruré de potasse; elle était réellement ferrugineuse. Dès ce
moment le fond du vase présenta un dépôt informe et très-peu apparent après
dessiceation.
Le 20 mars, le liquide était entièrement rougeûtre, et on remarquait au fond
du vase un dépôt qui paraissait rouge à travers ce liquide, et qui reprit sa
blancheur une fois qu'il en fut séparé par décantation, Mais, examiné au micro-
scope et même à l’aide d’une simple loupe, au lieu de cristallisations, il ne se
montrait composé que de petits globules de même diamètre, qui en se serrant les
uns contre les autres semblaient former une de ces membranes animales qui
recouvrent (futur épiderme) le fœtus de brebis. Le liquide circulatoire des
insectes dépose sur le porte-objet, en se desséchant, un semblable pavé de petites
granulations sphériques.
Peu à peu ces petites granulations, déposées au fond du vase par l’évaporation
spontanée du sue de la guimauve, finissent par s’agglutiner et par former ur2
membrane qui sert de thallus à des végétations cryptogamiques, lesquelles r >
naissent jamais sur de vrais cristaux.
Si on laisse sécher à l'air ce précipité globulaire, il devient dur, cassant;
et sa cassure, avec un peu de complaisance, peut présenter quelque chose
d'approchant d’une figure quelquefois obscurément rhomboïdale, de même que
l'amidon de froment séché en masses volumineuses, et sillonné par l’écoule-
ment de l’eau dont il était imprégné, offre après sa dessiccation des cannelures
qu'on avait prises pour des signes de eristallisation, avant que nous n’eussions
démontré que les molécules intégrantes de ces prétendues cristallisations ne sont
que des cellules végétales organisées.
Le 4 avril, je soumis ce résidu desséché à la carbonisation dans un creuset de
platine ; la matière se boursoufla ; et, ce que ne font pas les cristaux, il resta une
carbonisation luisante et lamelleuse. A une certaine époque de l'opération, la fumée
rougit fortement le papier bleu, puis elle répand une odeur insupportable de
corne, plume, œuf brülés, et bleuit le tournesol. Le charbon traité par l'acide
nitrique s'incinère avec la plus grande difficulté. Les cendres en sont grisâtres,
compactes, fendillées, et ne font pas effervescence par les acides. Leur dissolution
devient louche instantanément par l'oxalate d'ammoniaque; le prussiate ferruré
de potasse acidulé lui communique une couleur bleu verdâtre; les nitrates d’ar-
gent et de baryte ne le troublent pas.
Le 5 avril, le liquide macéré à froid ne renfermait au fond du vase que ces
végétations verdâtres que l’on remarque au fond de toutes les eaux qui séjournent
dans un vase exposé à l'air; je le filtrai et le fis évaporer sur le feu jusqu’au tiers
de son volume. Le liquide rougissait, quoique faiblement, le papier tournesol, Ce
liquide abandonné ensuite à lui-même se mit à fermenter. Le 5 avril il donnait
des signes évidents d'acidité, et dès ce moment commença à se former le précipité
qui avait eu lieu dans la première dissolution, et qui se comporta aux réactifs
exactement comme l’autre.
C. ÉVALUATION ANALYTIQUE ET COMPARATIVE DE CES CARACTÈRES,
Les vraies eristallisations n’ont pas besoin &a temps pour se former. Concen-
trez la dissolution, et elles ne tarderont pas à apparaitre. Un précipité qui n'a lieu
256 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
que par suite de la fermentation lente ne saurait être qu'un produit organisé,
Nous venons de voir que le précipité, obtenu par le séjour prolongé à l'air
d’une dissolution suffisamment concentrée du suc de la racine de guimauve, ne
se compose que de granulations sphériques du même diamètre. Ces granula-
tions, visibles à la loupe, ne sauraient être parties intégrantes d’une cristallisation;
nous les reproduirons plus bas par la synthèse (*).
Mais cette réunion de globules, en s’agglutinant par la dessiccation, forme une
couche solide qui, par sa blancheur et son mode de cassure, peut, avec un peu de
l'ancienne complaisance pour la cristallographie végétale, simuler une opaque
cristallisation. On pourrait considérer, par la même tendance d'esprit, la gomme
arabique comme une cristallisation, et cela d’une manière d'autant plus excu-
sable que la gomme a la transparence du cristal, tandis que notre prétendue
asparagine est blanche et opaque.
Ce précipité est insoluble dans l’eau froide; il peut s’y dissoudre à l’aide de
l'ammoniaque ou de l'acide acétique concentré, propriété qui est celle de l’albu-
mine animale et végétale. L'agitation peut lui donner un semblant de dissolu-
tion, en faisant monter en suspension les globules isolés qui composent le dépôt;
mais alors le liquide est opalin et trouble. L’élévation de température est dans
le cas de le redissoudre, et nous expliquerons pourquoi un peu plus tard.
L'oxalate d'ammoniaque et les autres réactifs indiqués par Vauquelin et Ro-
biquet ne précipitent rien du liquide qui surmonte ou dissout par suspension le
précipité, parce que ces réactifs ne peuvent pas précipiter un précipité déjà pro-
duit et encore moins des globules organisés et insolubles.
Mais la potasse dégage de l'ammoniaque de ce précipité, et en se putréfant
il s’y forme un prétendu sel que les chimistes désignent sous le nom d’asparmate
d'ammoniaque; nous évaluerons plus tard ce genre de décomposition,
J'ai dit plus haut que notre prétendue asparagine de la racine de guimauve,
brülée dans une capsule de porcelaine, répand des vapeurs acides et une odeur
infecte de corne et d'écrevisse brülées.
Or en m'occupant, à Doullens, de l'analyse des excellentes eaux potables de ce
plateau crayeux, il m'arriva un jour de vouloir dessécher dans un creuset de
platine un résidu de l’eau provenant de la précipitation de la chaux par l’oxalate
d'ammoniaque, de l’alumine par une forte ébullition, et de la magnésie par le
phosphate de soude ammoniacal; dès que l’eau se fut évaporée, les parois du
creuset se couvrirent d'un produit charbonné qui répandait une «bondante
fumée et une odeur insupportable d’écrevisse ou de coquille d'œuf brülées. Le
creuset ayant été plongé dans la braise, le résidu charbonné s’incinéra et les
parois s’incrustèrent d’un dépôt d’un beau blanc.
Afin d’écarter toute supposition que cette odeur de corne brülée püût provenir
de quelque substance organisée, je soumis au feu, dans un creuset de platine,
un mélange de phosphate de soude et d'oxalate d'ammoniaque, et l'odeur de Ja
fumée fut exactement la même. La vapeur d'eau ne donna aucun signe d'alcali-
nité pendant l’ébullition, mais seulement à l'instant de la fusion, et quelques
instants après, la vapeur devint acide.
(*) L'analyse isole les principes immédiats d’un corps (du grec analuein, séparer, dissoudre); la
synthèse reproduit ce corps en réassociant ses principes (de sunthemi, réunir, rassembler) ; la synthèse
est la contre-épreuve de l'analyse, comme la soustraction est la preuve de l'addition, et vice versa.
L'analyse, par exemple, sépare l'eau en gaz oxygène ct gaz hydrogène ; la synthèse met en présence
le même volume d'oxygène et d'hydrogène, et en recompose de l'eau,
SYNTHÈSE DE L'ASPARAGINE. 957
(On voit combien la réaction de la fumée et de la vapeur sur les papiers réac-
tifs est une indication incertaine, quand il s’agit de distinguer les substances
animales ou azotées des substances végétales ou non azotées.)
L'oxalate d'ammoniaque seul, soumis à la même température, ne donna pas
l'ombre de cette odeur, de même que le phosphate d'ammoniaque isolé, dont
la fumée ne devint alcaline qu'au moment de l'incinération.
L'odeur que répandent les tissus cornés qui brülent provient donc du phos-
phite d'ammoniaque qui se dégage par la chaleur, mêlé au gaz oléfiant fourni
par la décomposition de l'acide oxalique, et a pour cause la double décomposition
du phosphate de chaux et des sels ammoniacaux que renferment les substances
dites azotées.
Donc évidemment notre prétendue asparagine n’est qu’un précipité globulaire
de cette albumine végétale qui abonde dans les cellules de la racine de guimauve,
des tiges d'asperges et d’une foule de plantes d’une analogue organisation, Ces
plantes renferment de l’'ammoniaque combinée, qui sert de dissolvant à l’albu-
mine. À mesure que ce sel ammoniacal s'évapore ou se sature, la quantité d’al-
bumine correspondante se précipite; or, l'albumine ne se précipite lentement
que sous forme de globules, ainsi que nous l'avons démontré dans le Nouveau
système de chimie organique, tom. IT, pag. 175.
En effet, le sue des plantes dont on extrait la prétendue asparagine est essen-
tiellement albumineux, ainsi qu'on le démontre en le traitant par l'alcool con-
centré. L'albumine est essentiellement azotée, c’est-à-dire combinée à un sel am-
moniacal, Par suite de la fermentation spontanée, ce suc se dépouille de son
ammoniaque qui s’évapore ou se combine ; et chaque jour le précipité d’albu-
mine abandonnée par son dissolvant, augmente en proportion.
Quant aux cristaux aiguillés que Vauquelin et Robiquet ont vus se mêler à la
prétendue asparagine dans le suc de l’asperge exclusivement, et qu'ils soupçon-
nent être des cristaux de mannite, nous n'y voyons que les aiguilles de phosphate
de chaux que nous avons signalées dans tous les tissus des plantes monocotylé-
dones, dès 4826, aiguilles innombrables et longs prismes à base hexagonale que
quelques auteurs avaient prises pour des poils (*).
D. ÉTUDE SYNTHÉTIQUE DE L'ASPARAGINE.
Nous venons d'établir par l'analyse que l’asparagine n’est qu'un précipité glo-
bulaire de l’albumine végétale que renferment le suc de la guimauve et celui de
l'asperge, ete.; nous l'avons reproduite par synthèse avec du blanc d'œuf de la
manière suivante :
Le22juin1852,je traitaile blanc d'œuf frais par moitié d’eau et d'ammoniaque ;
j'agitai et y mêlai ensuite de l'acide acétique concentré. Le liquide décanté fut
abandonné à l'air dans un verre à patte.
Le 24, point d'odeur fétide; il se formait déjà un précipité globulaire d’aspa-
ragine.
Le 26, point d'odeur caractéristique; le liquide est neutre aux réartifs; le
dépôt d’asparagine est de plus en plus abondant,
Le 50 juin, le liquide est toujours neutre et sans odeur. Le précipité a l'aspect
de l’asparagine, mais à globules moins isolés, parce qu'ils sont moins calcaires et
par conséquent plus mous.
(*) Voy. Nouveau système de chimie organique, tom. IT, pag. 597.
258 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Le 2 juillet, ayant décanté le liquide qui surmonte le précipité, liquide opalin,
je le traitai par l’acétate de chaux, qui le rendit très-louche.
Le 10 juillet, le précipité continuait, mais en moins grande abondance, parce
que laliqueur était très-acide et que l'acide acétique en excès est un dissolvant de
l'albumine. Mais le liquide n'était nullement sirupeux ni putréfié, quoique, depuis
le 2 ou le 5, la température se fût maintenue à + 28° centigr. J'y ajoutai de
J'immoniaque qui le jaunit.
Le 5 août, le liquide avait conservé son odeur acide; le précipité était abon-
dant et distinctement globulaire: il resta sur le filtre, et se comporta comme
l'asparagine.
ÆE. APPLICATION DE CES RÉSULTATS A LA FABRICATION DU SUC DES BETTERAVYES.
Il est fort peu de racines qui, traitées comme l’asperge, ne soient en état de
fournir plus ou moins abondamment le précipité si mal dénommé asparagine;
car toutes les racines renferment de l’albumine végétale, dans laquelle abondent
Jo phosphate calcaire et les sels ammoniacaux à acides végétaux. La betterave
est riche en cette sorte d'albumine. Il est évident que le suc immédiatement
extrait de cette racine donnera de l’asparagine, quand on l’abandonnera à sa dé-
composition spontanée et au contact de l'air; mais ce précipité sera bien plus
ebondant et plus prompt à se former lorsqu'on aura traité le suc par la chaux
caustique pour le déféquer ; car la chaux, en éliminant lammoniaque de ses com-
binaisons organiques, mettra ainsi en liberté dans le liquide le plus puissant des
dissolvants de l'albumine, etla quantité d'albumine dissoute par ce menstrue sera
beaucoup plus abondante dans la dissolution qu'auparavant, Donc, le précipité
se formera à son tour avec plus d’abondance, à mesure que l’ammoniaque qui
le tenait en dissolution s’évaporera.
CONCLUSION.
L’asparaGinE n’est qu'un précipité globulaire de l’albumine végétale que ren-
ferment les racines et les tiges éliolées des végétaux, et que l’eau tient en disso-
lution, dans le suc qu'on en a exprimé, à la faveur des sels ammoniacaux qui y
abondent.
Le précipité a lieu par suite de l'évaporation du menstrue, et l'évaporation du
menstrue par suite de la fermentation et de la transformation lente des principes
du suc exposé à l’action de l’air. Ce produit n’est donc d'aucune importance,
dans la manipulation, pour la fabrication du sucre indigène.
CHAPITRE V. — VARIÉTÉS,
EX-VOTO VÉTÉRINAIRES ANCIENS ET MODERNES. — FAUSSE IDÉE QU’ON SE FAIT
DES AFFECTIONS ET DES PRÉFÉRENCES DU PAYSAN.
Le vieux Caton est très-positif, mais il n’est pas moins religieux. Je soupçonne
pourtant que ses prescriptions superstitieuses cachent fort souvent de justes
prévisions contre des désobéissances frauduleuses. Ainsi quand il recommande
à ses esclaves d’être à jeun et de se tenir droits et debout pour administrer
les remèdes à ses bêtes bovines (*), c’est évidemment dans la crainte de quelque
(*) Voy. Revue complémentarre, livr, de déc, 1854, pag. 151.
s“
EX-VOTO VÉTÉRINAIRES. 259
libation matinale qui pourrait leur rendre la jambe moins ferme, la main moins
sûre et l'esprit plus distrait.
L'ex-voto suivant, qu'il prescrit pour obtenir du ciel la santé de ses bœufs,
semble pur de toute idée économique; je le traduis mot à mot :
Ex-volo pour les bœufs ().
« Pour conserver la santé ou obtenir le rétablissement de vos bœufs, faites l’ex-
voto suivant : Rendez-vous dans le jour aux pieds de la statue de MarsSylvain, au
fond du bois qui lui est consacré, et offrez-lui, pour chaque tête de bête bovine,
5 livres de belle farine de froment, quatre livres et demie de lard, idem de la plus
belle viande ét trois setiers (grands verres) de vin. Vousjetterez tout ce qui est co-
mestible dans la même marmite, et toute lu quantité de vin dans le même broc.
Vous pourrez confier à un esclave ou à un homme libre le soin de faire cette of-
frande selon les rites. Dès que la cérémonie sera terminée, on consommera le
tout sur place. On ne doit permettre à aucune femme de concourir à la cérémo-
nie, ni même d'y assister. On pourra renouveler tous les ans cet ex-volo. »
Quandije dis que cette fois la prescription du vieux Caton est exempte de toute
idée de précaution ou de caleul, je crois que je présume trop de sa bonhomie.
D'abord il défend aux femmes d'y assister, parce que les anciens Romains pro-
fessaient un grand respect pour la femme, et que Caton prévoyait bien qu'une
libation d’un tel volume, si sacrée qu'en fût l'intention, ne pouvait manquer d’a-
mener à sa suite quelques irrévérences bachiques. Quant au reste, je crois en-
core que, si cet eæ-volo était intéressé, ce n'était pas un mauvais calcul que cette
dépense. En effet si, après cela, les bœufs étaient tombés malade$, on n'aurait pu
l'attribuer qu’à quelque oubli, de la part de l’officiant, envers le dieu Mars, qui
est le dieu de la vengeance; et certes l’année suivante on n'aurait pas manqué
de changer de pontife. L'esclave ou le serviteur officiant avait donc un intérêt à
bien soigner le troupeau toute l'année, afin que le maitre lui continuât ce casuel
annuel. Le sage Caton ne manquait pas de petites malices, dans la théorie de son
doit et avoir.
Nos pauvres paysans ont aussi leurs ex-voto vétérinaires, imités de l'antiquité ;
mais ceux-là n'y mettent aucune malice, et ils y vont avec la foi du charbonnier.
En voici un exemple : Dans le cours des excursions dont j'ai parlé dans la livrai-
son précédente (pag. 227), derrière le prieuré de Groenendael, mon attention
fut assez vivement portée sur une niche en bois d'une plus grande dimension que
celles qu'on rencontre ici appendues, au haut du tronc d’un arbre, à chaque em-
branchement de routes (**).
(*) Votum pro bubus, ut valeant, sic facito. Marti Silvano in silva interdius, in capita singula boum
votum facito : farris adorei libras HI. et lardi P. III S, et pulpæ P. II, $. vini sextarios tres. Id in
unum vas liceto conjicere, et vinum item in unum vasliceto conjicere. Eam rem divinam vel servus,
vel liber licebit faciat. Ubi res divina facta erit, statim ibidem consumito. Mulier ad eam rem divinam
nec adsit, neve videat quomodo fiat. Hoc votum in annos singulos, si voles, licebit vovere. (M. Caro,
De re rusticâ, 83, ed. Rob. Steph: 1543.)
(**) Ces petites niches en bois ou petites chapelles renferment en général des petites madones, que
le temps respecte moins que les passants. En certains endroits, elles sont remplacées par de petites
chapelles grillées en pierre et à hauteur d'appui. En outre, dans chaque maison de paysan, même
dans chaque cabaret, on voit une de ces petites chapelles en bois appendue contre le mur le plus en
évidence; et tous les samedis la piété de ces braves gens fait les frais d'une chandelle qui brûle
devant la Vierge jusqu'à extinction. Nous avons une esquisse de Pierre Wouwermans, qui représente
un paysage fantastique traversé par un pont branlant en poutres; à la tête du pont une de ces peti-
tes niches est fixée au bout d'un bâton ; et certainement le voyageur qui s’aventure en se crampon-
nant à larampe, dans ce passage dangereux, a dû invoquer la madone avant de risquer l'entreprise.
260 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
La chapelle était fixée à un poteau au pied duquel gisaient vermoulus les dé-
bris d’un ancien autel sans doute, vieux bois que les voleurs de bois se garde-
raient bien de voler. Au pied de l’arbre le plus proche on découvrait, à travers le
gazon, un fragment de pierre sépulerale qui laissait voir encore un écusson por-
tant deux mains enlacées (signe antique de la concorde et de la fraternité). Tout
le fond de la petite chapelle en bois était occupé par une peinture d'une bonne
exécution, comme sont toutes les peintures de sainteté dans les Flandres; mal-
gré l'usure de son exposition à l'air, on distinguait encore parfaitement le prin-
cipal personnage : c’est un pape, qu’un ange vient couronner, et on lisait au bas
ces deux fragments de mots :
Grecor... II.
CORNELIV..….
On pouvait juger de la réputation du saint par les ex-voto qui appendaient au
vieux poteau de sa chapelle, ainsi que par un petit cierge que la flamme n'avait
pas encore entamé. Les ex-voto n'étaient pas riches : les dieux des païens étaient
gourmands, surtout le dieu de la guerre; les saints du catholicisme sont sobres
et amis de la pauvreté ; en fait d'hommage, le signe leur suffit, et ils se contentent
de ce que chacun donne selon ses moyens. La pauvre paysanne, ne pouvant rien
donner de mieux détache ses jarretières rouges et les noue autour du poteau,
qui en est pavoisé : honny soit qui mal y pense! chaque jarretière était la mar-
que d’une douleur qui implorait assistance. Je n’eus de cesse que je me fusse
informé, dans le voisinage, de la nature de ces vœux ; il me fut répondu que cette
chapelle en plein vent était consacrée à saint Cornelis, que le village voisin
venait tous les ans implorer, pourla préservation et le vélage, et des bêtes à cornes,
et, par la même occasion, d’autres animaux domestiques d'une moins noble race
et d'une dénomination moins homonyme. J'avais rencontré dans ces bois antiques
l'ex-voto du vieux Gaton sanctifié sans doute par le catholicisme.
On me demandera auprès de quel saint des bois le paysan va en procession
pour implorer la conservation de ses enfants; et puis viendront les vieilles
inculpations à son adresse, sur les préférences de cœur qu'il donne à ses bestiaux
plutôt qu’à ses propres enfants. L'inculpation a mal compris la pensée du pauvre
qui féconde la terre.
Un jour, une brave paysanne des environs de Paris vint me consulter sur la
santé de son enfant en bas âge ; le cas me paraissait grave et pressant; je m'éver-
tuai à faire comprendre à la pauvre femme la manière dont elle devait s’y pren-
dre pour tirer au plus vite son nourrisson d’embarras; et quand je lui eus donné
l'assurance qu’en suivant bien ces conseils son enfant reviendrait vite à la vie,
clle me regarda avec un embarras qui semblait indiquer combien il lui impor-
tait, mais aussi combien il lui en coûtait de me demander autre chose.
— Allons done, partez vite, lui dis-je; quand il s’agit d’un enfant en danger,
les minutes sont des semaines ;
— J'y courons; mais, not’ bon mossieu...
— Eh bien, quoi? que faites-vous là à me regarder? Partez vite.
— Oui, oui, j'y courons, not bon mossieu du bon Dieu; mais si j'osions… je
vous demanderions encore queuque petit’chose.
— Quoi donc? Parlez donc et promptement.
— C'est que, mossieu, j’avons aussi not'vache malade.
L'ENFANT ET LA VACHE A SOIGNER. 261
— Mais pensez donc à votre enfant d’abord; nous nous occuperons ensuite de
la vache.
— J'y pensons à l’enfant, au pauvre chéri, mossieu; mais itou, si votre bonté
du bon Dieu pouvait faire queuque chose pour not’ vache... C'est un puits de lait,
que ce cher animal; je vous en prions, mossieu, faites queuque chose pour not’
vache.
— Je vois que votre vache va vous faire oublier ce que je vous ai dit pour
l'enfant.
— Non, non, mon bon mossieu, non, je ne l'avons pas oublié; tenez, j'allons
vous le réciter comme not’ Pater.
Et aussitôt la brave femme me répéta mot à mot ma prescription, avec une
volubilité qui se ressentaitévidemment de la préoccupation de la vache, ce puits
de lait de la chaumière.
Pour la récompenser de la mémoire de son cœur maternel, je ne pus me dis-
penser de lui donner une prescription pour la vache; et je ne sais laquelle des
deux prescriptions elle a retenue le mieux; mais celte fois ses jambes la servirent
autant que l'avait fait sa mémoire.
Lorsque je racontais cet épisode de mon métier, mes auditeurs en riaient
jusqu'aux larmes, et ils avaient tort d'en rire; car moi j'en avais les larmes aux
yeux, mais d'attendrissement. On ne comprend pas combien, sous ce voile de
sordidité et d'égoisme, il se cache, pour la pauvre paysanne, de touchantes appré-
hensions. Ne faites pas injure à son cœur de mère, car je ne sache pas de mère
plus aimante que la femme des champs; elle donnerait sa vie pour sauver celle
de son enfant, mais elle la donnerait aussi pour sauver ce qui fait vivre son
enfant et sa famille. La mort de son enfant, c’est un poignard de douleur qui
s'enfonce dans son âme; la mort de sa vache, c'est la perte de son gagne-pain,
de sa fortune, de son avenir, comme on dit depuis quelques années, c’est la fa-
mine pour toute sa famille; et la faim, pour le pauvre honnête, c’est la mort de tout
ce qui l’entoure, en France comme ici; car mendier, à ses yeux, e’estla honte (*).
Il n’y a pas huit jours, aujourd'hui 45 janvier, que dans un recoin de ce village
on a trouvé, se mourant de faim, sur le pavé de sa chaumière, une de ces pauvres
femmes qui n'avait pas eu le courage de demander la charité; et depuis ce mo-
ment la misère est devenue affreuse autour de nous. Espérons que les petits et
pauvres villages belges ne tarderont pas à suivre l'exemple que Bruxelles vient
de leur donner, Une société de conseillers communaux, négociants, pharma-
ciens, ete. (société dite pu Rexan), a fondé, sur le modèle d'une société analogue
de Paris, un établissement dans lequel chaque jour, à l'heure de midi, on vend,
au prix de 10 centimes le litre, des soupes économiques, soupes grasses, au riz et
aux pommes de terre, et que l’on pourrait également appeler hygiéniques, car
elles sont aromatisées d’après les principes du Manuel. Nous remarquons parmi
les membres du comité : MM. Ranwet, conseiller à la cour; Bartels, avocat ; La-
vallée, avocat; Depaire, pharmacien; Hauwaert, brasseur : tous cinq conseillers
communaux ; Fontainas, échevin (agjoint), ete. Du 26 décembre 1854 au 21 jan-
vier 1855, il a été vendu 25,552 cartes à 10 centimes, et la perte de la société
n’a été que de 60 francs 97.
(*) Chez les paysans si sobres de ces villages de Flandre, celui qui possède un porc est dans
l’aisance, et qui possède à la fois une vache et un porc est riche. Ils ont bien perdu depuis que l'ad-
ministration leur a enlevé le droit, sauf rétribution, de paissance et de glandage dans les bois de
l'État. Sous le premier régime, il n'y avait ici de pauvres que les fainéants.
262 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
C’est là un bel acheminement vers l'extinction du paupérisme.
— = —
E
FALSIFICATION DES SUBSTANCES ALIMENTAIRES.
Tout marchand honnête devrait avoir à tâche de dénoncer le fraudeur, parce
qu'autrement il s’en rend complice, et que la fraude sur cet article équivaut fort
souvent à un assassinat.
Quant aux comités de salubrité publique, si pointilleux d'habitude sur des
vétilles qu'ils en paraissent tracassiers, ils ne devraient pas attendre qu'on leur
dénonçât la fraude pour la découvrir; ils ont à leur disposition assez de moyens de
surveillance pour la prévenir, et ils préviennent bien peu de chose. Par exemple,
voilà plus d’un an que le commerce de détail et de gros est infesté d'une qualité
de sucre d’un bel aspect et d’une saveur abominable; faites-en dissoudre un
morceau dans l’eau la plus pure, et votre verre d’eau sucrée aura un goût affreux
de vidange et de cadavre. C'est un sucre qui a été terré non pas avec l'argile
pure, mais avee de la terre végétale riche en fumier. Comment les gardiens de
la salubrité publique n’ont-ils pas surpris le défaut de la manipulation dans la
fabrique, et la fraude chez l’épicier ?
Quant au pain, nous espérons n'avoir plus désormais à donner des avertisse-
ments sur les mélanges frauduleux et sur les ingrédients funestes dont quelques
boulangers se rendaient jadis coupables pour faire une concurrence peu loyale à
la généralité de leurs confrères. Quoi qu'il en soit, on a des employés pour assister
aux diverses opérations du brassage de la bière; il n’en coûterait pas beaucoup
d’en avoir pour visiter l'opération du pétrissage et la nature des provisions en
magasin; les fraudeurs ne tarderaient pas ainsi à s’amender ou à être surpris.
CHAPITRE VI, — GALERIE MÉDICALE,
Sous ce titre je me propose trois choses : 4° d’esquisser de temps à autre le
caractère des médecins qui ont fait époque dans l’histoire de l’art de guérir
ou de tuer selon la formule ; 2 de soumettre leur influence personnelle à la dis-
eussion; 3° enfin de déterminer, d’après les principes de la nouvelle méthode, le
genre des maladies qui ont aflligé les hommes historiques, et l'influence que leur
constitution sanitaire a pu exercer sur leur talent, sur leurs habitudes et sur le
rôle qu'ils ont joué dans l'histoire.
Je commencerai la liste par l'étude de Guy Patin, l’une des grandes célébrités
littéraires, médicales et politiques du xvu° siècle (*).
ÉTUDE SUR GUY PATIN,
Docteur en médecine, professeur au Collége royal et doyen de la Faculté de médecine de Paris.
Guy Patin naquit à Houdan en Bray, àtrois lieues de Beauvais (Oise), le 31 août
4601, « de bonnes gens, comme il le dit lui-même (**); je ne voudrais pas avoir
(*) Je puise les matériaux de cette biographie dans les b volumes de lettres françaises que nous
avons de lui; les deux volumes de lettres latines manquent à ma collection. Ces lettres furent pu-
bliées en Hollande, après la mort de Guy Patin, et il s’en fit plusieurs éditions de 4695 à 1707. Elles
sont adressées à Falconet, médecin de Reims, à Spon et Belin, médecins de Troyes, à Cousinot, méde-
cin consultant du Roi, etc. — (**) Lett, 295e du tom. II de sa correspondance, et lett, 189 du 6e volume.
—lett, 30e, 5 nov. 1669 ; tom, I,
ÉTUDE SUR GUY PATIN. 265
changé contre de plus riches; j'ai céans leurs portraits devant mes yeux; je me
souviens tous les jours de leurs vertus, et suis bien aise d’avoir vu l'innocence
de leur vie qui était admirable. » .
Cependant, dans une lettre précédente, relative à son décanat, il donne la des-
cription des armoiries de sa famille qui étaient de gueules (fond rouge) au chevron
(équerre) d'or, accompagné de deux étoiles d'argent en chef (en haut) et d’une
main de même en pointe (en bas) (*). Mais il n'entend par là que des armoiries de
bourgeois, espèces d'écussons qui n’ont d'autre valeur que celle d’un paraphe,
et qui ne servent qu'à estampiller les livres de la bibliothèque, afin de les re-
trouver au besoin entre les mains des emprunteurs retardataires.
Son père était un notable de sa localité et en fut député en 1601 (**), sans
doute pour assister aux cérémonies et fêtes qui suivirent le mariage d'Henri IV
avec Marie de Médicis (contracté le 9 décembre 1600). Guy Patin naquit cette
même année.
Sa première jeunesse dut être fortement impressionnée, et par les souvenirs
récents de la Ligue, et par la mort d'Henri IV (1610), dont on accusait hautement
Marie de Médicis, et par les premières horreurs du règne de Louis XII.
Des événements de ce caractère laissent toujours des traces profondes dans une
âme de cette trempe, et décident du parti qu’elle prendra dans chaque événe-
ment futur.
Le jeune Guy Patin, nourri de fortes et solides études, et voulant conserver
l'indépendance de sa position et puis donner un libre cours à sa haine des
royautés dissolues et des moines fainéants, qui devait le jeter dans la Fronde,
se réfugia dans la profession médicale, la liberté philosophique des médecins,
comme il le dit lui-même (‘*), leur permettant impunément de n’aimer telle sorte
de gens.
On le voit à peine reçu docteur et dès l'âge de 22 ans, préférant l'étude à sa
clientèle et sa bibliothèque au commerce des grands, fouiller dans les archives
pour travailler à l'histoire de la Faculté de médecine de Paris. Il avait, en 4630,
ramassé plus de 500 thèses soutenues depuis 20 ans (***) ; il se mit en quête d’en
demander, en échange de ses doubles, à ses amis de province; il était remonté,
pour continuer ce recueil, jusqu’à l’année 1300. II découvrit que la Faculté exis-
tait en 1009 (règne de Robert), et qu'en 4390 on ne comptait à Paris que 40 mé-
decins; il avait aussi retrouvé, dans le coffre des vieux papiers de la Faculté, un
titre de 4132 (règne de Louis VI), portant : Nouvelle confirmation des priviléges
de la Faculté de médecine de Paris (****) ; etces priviléges, il les défendit toute sa
vie et surtout pendant son décanat, avec une inflexible rigueur. A l'âge de
27 ans (*****) il épousa une digne personne, mais aussi inexorable sur ses privilé-
ges d'épouse que son mari l'était sur ceux de la Faculté; et les femmes de cette
trempe, économes souvent jusqu’à la pareimonie (‘*****), ne voient pas de bon œil
les dépenses non lucratives d’un époux, qu’elles aient pour but les plaisirs ou de
l'esprit ou du corps; or Guy Patin dépensait beaucoup pour enrichir sa biblio-
thèque, qui devint une des plus riches bibliothèques particulières de France.
Me Guy Patin, économe autant que ses père et mère étaient avares (***"***"*), était
sujette à des accès de colère bilieuse qui, en 1662, faillirent lui être funestes ; et
(*) Lett. 69e; 28 juin 1652; tom. I. — (**) Lett, 32e; 16 nov. 4636 ; tom. IV.— (***) Lett. 40e; 20 mai
4632 ; tom. IV. — (****) Lett. 4 ; 20 avril 4630; tom. IV. (*****) Lett. 158; 27 fév. 1658; tom. V;
ett. 52; 30 déc. 1650; tom, I. — (*#*#*) Lett, 41e; 20 mai 1632; tom, AV. — (*###*) Lott, 283 ;
26 déc, 1662 ; tom. LI. — (*'*#"4#) Lett, 22e; 43 juin 1640, et lett, 32e; 4 fév, 1650; tom. I.
264 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
dans cette terrible maladie elle ne voulut être traitée que par son fils cadet,
qu'elle n'avait aimé pourtant que fort tard. « Je voudrois bien qu'elle soit
guérie, écrit Guy Patin à un de ses amis, et surtout qu'elle soit moins colère à
l'avenir. On dit que la loi salique est fondée sur le vers suivant :
Provida consilia quia nescit curia matrum »
(Car de la mère la gérance
Suit peu les conseils de prudence).
C'était une bonne fluxion de poitrine dont la tira son heureux tempérament,
en dépit de huit fortes saignées, auxquelles Guy Patin attribue sa guérison, en
s’écriant avec Joachim du Bellay :
O bonne, à sainte, à divine saignée!
Bosquillon n’a pas connu ce vers, qu'il eüt fait graver en lettres de sang sur
la porte de l’hospice confié à sa pratique.
De cette brave femme, qui lui survécut, il avait eu trois fils et une fausse espé-
rance; le second fils qu'elle n'avait pas nourri, mourut, à l'âge de deux mois,
du choléra-morbus. L’ainé, Robert, l'idole de sa mère, devint un linguiste et un
médecin aussi couru que son père; il mourut de la phthisie, le 4% juin 1670,
âgé de 41 ans, près d'Argenteuil, laissant trois garçons et une petite fille (l’ainé
avait 9 ans); il fut enterré auprès de sa grand mère maternelle, ainsi que de son
frère François, dans l’église de Notre-Dame à Cormeilles, près du chœur. Le
père ne tarda pas à voir son afiliction se changer en indignation, à la lecture du
testament dont se prévalait sa bru Magdeleine, la fille de son intime ami le mé-
decin Hommetz, et qui ne tendait à rien moins qu'à le ruiner, ainsi que son autre
fils. « Cet ingrat, » dit-il, « m'a trompé méchamment, même en mourant (*). »
Il lui avait obtenu la survivance de sa charge de professeur royal au collége de
France (*)
(La suite au prochain numéro.)
TEMPÉRATURE A BOITSFORT.
Depuis la fin de janvier, nous avons ici une température presque sibérienne.
Le 51 janvier, le thermomètre est descendu dans la nuit à — 9° centigr. ; le
9 février, à—16°. Le temps s'était radouci du 5 au 7; mais, à partir du 8 jus-
qu'au moment où j'écris, 49 février, le froid à midi a varié entre — 8° et —109.
Le 10 février le thermom. est descendu à — 14°; Le 17 février, à — 16°,5 ; le 18
février, à—15°; le 49 à minuit il marque—17°, et à 5 h. 1/2—18°,5. Et nous
avons six cents pauvres qui en ce moment n'ont pas une büche pour se chauffer.
D CE ——
La
ERRATA.
Liv. 7e, pag. 222, ligne 26 : 20 centimètres, lisez : 2 centimètres.
— — 47 : sondés, lisez : soudés.
(*) Lett. 519 et 538; & juin 1670 et 23 juillet 1671; tom. III. — (*) Lett. 457; 12 août 1667; tom, JII,
9° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 1er Avril 1855.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
AVIS AUX PARTISANS DE NOTRE MÉTHODE.
Nous recevons souvent des lettres par lesquelles ceux de nos abonnés qui pra-
tiquent avec dévouement la nouvelle médecine nous font part des succès qu'ils
ont obtenus.
Ils comprendront facilement que si nous ne les relatuns pas toujours, c’est
faute d’une formalité, qui est pour nous une garantie, et pour ceux qui nous
écrivent un moyen de couper æourt à tous les démentis des ennemis intéressés
du système nouveau.
Cette formalité consiste à faire apposer au bas du récit la signature léga-
lisée des témoins oculaires de la médication et de la guérison. La Revue ne serait
point un journal sérieux de faits et de doctrines, si elle inscrivait des noms et
des succès sans avoir la certitude légale de leur réalité.
Nous sommes fier que nos lecteurs attachent la valeur d’une récompense à
une mention honorable dans ce recueil; mais que deviendrait le mérite de la ré-
compense, si on l'obtenait sans le contrôle de l'attestation et simplement sur
parole ?
CHAPITRE PREMIER, — MÉDECINE,
BAINS DE SANG. — NOUVEAUX BAINS DE PATÉE. — HYGIÈNE DES PROFESSIONS
DE BOUCHER, DE CHARCUTIER, D'ÉQUARRISSEUR , DE BOULANGER PETRIS-
SEUR, ETC. — TAUROBOLES DES ROMAINS. — BAINS DE CHAIR HUMAINE
VPALPITANTE AUTORISÉS FAR UNE CHARTE FÉODALE DES SIÈCLES DE BAR-
BARIE,.
Je ne saurais rien ajouter en théorie à l’article que j'ai consacré aux bains
de sang, dans le Manuel pour 1855; quant aux succès que leur emploi nous
procure chaque jour, ils ne se démentent jamais : dans les cas où il s’agit de
soutirer au corps humain les métaux toxiques que le hasard ou la médication
scolastique y à introduits, ils secondent admirablement les plaques galvaniques.
Mais voici une nouvelle [orme de leur application que le hasard des soins du
18
26€ REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES,
ménage vient de me fournir; et si le fait est-constant, aïusi que l'indique la théo-
rie, nous aurons, dans les procédés culinaires, un équivalent des bains de sang,
qui répugnent d'une manière insurmontable à certaines organisations.
Une jeune personne avait chaque hiver les mains rugueuses, engelivées (cou-
vertes d’engelures), ou bien gercées transversalement sur la surface dorsale, en
sorle que chaque pli que fait la peau, lorsque l'extension succède à la flexion des
doigts, était marqué d'une entaille. L'eau de zinc en ablution de temps à autre
dans la journée, et les onctions de pommade camphrée la nuit, amenaient une
amélioration notable, mais passagère; en sorte que, pour la rendre constante, il
eût fallu tenir constamment la surface dorsale des mains recouverte de pommade
ou de cérat camphrés.
Le hasard voulut que, dans un moment de presse, elle se chargeñt de pétrir
elle-même la pâtée de débris de viande cuite et de rogatons de pain trempés,
pour les animaux domestiques; et quelques jours après elle se trouva avoir la
peau douce comme celle d’un gant. La viande, même privée de la vitalité et de
son calorique normal, possède donc la propriété aspiratrice que l'expérience nous
a fait reconnaitre à la chair palpitante des animaux et au sang encore chaud,
que les physiologistes avaient dénommé de la chair coulante; la pâte du pain,
même rassis, participe également de cette propriété par son gluten, cet élément
élastique des céréales qui est l'équivalent de la fibrine, élément organisé des
chairs musculaires et élément organisateur que charrie le sang.
Ce qui vient à l'appui de ce fait, c’est ce que chacun est à même d'observer
chez tous les individus qui manipulent et pétrissent habituellement la viande ou la
pâte pour le pain : rarement on observe chez eux les ravages que l'hiver exerce
chez les personnes étrangères à ces professions ; tes bouchers ou équarrisseurs,
les boulangers et pâtissiers, même de constitution lymphatique, je dirai plus,
un tant soit peu serofuleuse, semblent être à l'abri d'engelures, de gereures aux
extrémités qui manient ou pétrissent la viande ou la pâte; et les traits de leur
visage même portent l'empreinte d’une florissante santé. Qui n’a remarqué com-
bien les bouchers et bouchères ont le teint fleuri ? Cette constitution sanitaire qui
est la règle générale, chez les personnes d’une même profession commerciale, ne
peut être que l’œuvre des influences de la profession elle-même.
Supposez deux enfants mâles du même boucher, d'une égale force et d'une
égale santé; que l’un se consacre à l’une des nombreuses professions sédentaires,
dites encore libérales, et l’autre à la profession paternelle. Le premier prendra
les formes sveltes de l'homme du monde, l’autre acquerra, s'il ne se livre aux
excès de la débauche ou de la médication, la stature et la santé florissante qui
a distingué dans tous les temps les sacrificateurs; c'est presque là une règle
sans exception.
Il en sera de même de deux filles d'un boucher, dont l’une deviendra grande
dame, épouse d'un médecin, d’un avocat, d’un homme de robe, et l'autre gran-
dira dans le comptoir et autour de l’étal. A Ia pâleur du visage et à la taille svelte
de la première, aux chaudes couleurs et à la carrure de la seconde, on ne soup-
çonnerait guère qu'elles soient nées sœurs et dans le même berceau.
La puissance médicatrice des bains de sang n'avait pas échappé à la sagacité
des anciens; les prêtres d'alors en avaient fait une prescription religieuse. Comme
tout ce qui découle des lois de la nature vient de Dieu, les prêtres, qui avaient
la prétention de $e croire ministres de Dieu, ne manquaient jamais d'en faire un
de leurs priviléges. Le remède prenait la forme du sacrifice; la médication pre-
BAINS DE SANG. TAUROBOLES. 267
nait le caractère d’une cérémonie religieuse (res divina, comme le dit le vieux
Caton); et l'honoraire du médecin était une offrande à Dieu, que Dieu aban-
donnait ensuite à ses serviteurs intimes.
L'emploi des bains de sang fut donc jadis en usage dans les sacrifices :
Ainsi, le taurobole, sacrifice du taureau, se pratiquait en assommant un tau-
reau aux cornes dorées (car l'or était chose sainte : auri sacra fames, dit Virgile,
sainte ou maudite soif de l'or) et au front couronné de fleurs. L'autel sur lequel
se faisait le sacrifice était une vaste pierre circulaire et concave; et au centre de
la concavité était pratiqué un trou pour l'écoulement du sang de l'animal ; au-
dessous de la pierre on avait construit une chapelle en forme de baignoire, où les
croyants afiligés de maux que la médecine profane avait déclarés incurables ve-
naient pieusement recevoir, sur toutes les surfaces de leur corps, le sang encore
bouillant que la massue bénite du pontife sacrificateur venait de répandre en
l'honneur du dieu du temple; et je ne doute nullement qu'à l'aide de cette céré-
monie sanglante suflisamment renouvelée, le miracle de la guérison ait été bien
des fois obtenu radicalement. La chair du taureau restait aux prêtres, le dieu du
temple se contentant de la vapeur du sacrifice. Le remède coûtait un peu cher au
malade, mais les dieux avaient l'habitude de se faire payer cher l'honneur d’être
suppliés ; et d'un autre côté, la santé valant tous les biens du monde, l'acheter au
prix de quelques taureaux de la ferme, c'était vraiment l'obtenir presque gratis;
après la guérison, on avait hâte d'apporter en plus son ex-voto au temple.
Dans la nuit du 4 août 1789, on se le rappelle, la noblesse de France, frater-
nisant avec le tiers-état, ce vrai peuple gaulois, par le plus bel élan d'enthousiasme
que mentionne l'histoire, se mit à déchirer à l’envi et à sacrifier, sur l'autel de la
tribune dont Mirabeau fut le premier pontife, les titres qu’elle tenait de ses aïeux,
les conquérants des Gaules. Un cultivateur breton avait presque donné, à lui seul,
l'élan à ce mouvement unanime de la plus illustre des assemblées modernes, en
dénonçant à l'indignation commune une charte féodale, par laquelle le seigneur
avait le droit, lorsqu'il souffrait de la goutte, de faire éventrer un de ses malheu-
reux serfs, afin d'enfoncer ses pieds endoloris dans les entrailles de la victime,
comme dans une chancelière vivante : un serf gaulois n’était, aux yeux des fils
des barbares du Nord, qu’un animal destiné aux sacrifices.
Je recule d'horreur en pensant, comme j'en suis convaincu, que cet atroce
moyen a dù guérir de la goutte l’un de ces monstres, si toutefois il a pu en exister
un seul qui ait eu la barbarie d'user de ce droit féodal, autrement qu'en en pre-
nant acte par le signe, et en substituant ensuite, après la menace, un animal do-
mestique à ce souffre-douleur séculaire, que la nuit du 4 août rendit d'abord légal
et, deux ans plus tard, le maitre à son tour de son ancien seigneur.
Les inventions dont l'utilité devient incontestable ne sont le plus souvent, on
le voit, que les réinventions raisonnées et démontrées d’usages qui étaient tombés
en désuétude, soit par le ridicule de leur théorie superstitieuse, soit par la bar-
barie de leur application.
ah sm
CORYZA OÙU RHUME DE CERVEAU.
Déeinrriox. On entend par coryza une affection morbide de la membrane pi-
iuitaire, c'est-à-dire de la membrane muqueuse qui tapisse l'organe de l'olfaction
et toutes les dépendances de la cavité du nez. Elle se manifeste par un écoule-
ment qui à lieu soit par les narines, soit par le voile du palais,
268 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Nomenczarure. Coryza est un mot grec composé de deux autres, corus (casque,
et, par métaphore métonymique, boîte cränienne, qui est lecontenant pour le con-
tenu), et ze6, bouillir, couler en débordant par suite de l’ébullition. On voit quela
dénomination de rhume de cerveau traduit assez bien la dénomination grecque
dans tout ce qu’elle a de contraire aux idées anatomiques.
Rhume (rheuma en grec) signifie écoulement, de rheô, couler.
Coryza est, en français, synonyme de rITuITE; et piluila, en grec, signifie un
flegme, une humeur visqueuse analogue à celle qui coule des ulcères sanieux
qui se forment sur les troncs des pins (pitus signifie pin en grec). Pituita à na-
ribus profluens, dit Columelle, pour désigner la morve quicoule des naseaux des
bestiaux.
Il ne faudrait pas croire que l'expression de rhume de cerveau dérive d’un pré-
jugé populaire; elle est bien celle de la pensée de la médecine hippocratique
et galénique, qui croyait, tout aussi bien que le peuple, que l'humeur pituitaire
émanait du cerveau même, par cela seul qu'elle coulait du côté du cerveau; et
le dictionnaire de Morel (1558) se montre conforme à la vraie tradition médi-
cale, quand il traduit les mots de pituita et de coryza par cette phrase : roupie
ou morve qui descend du cerveau par les narines.
L'anatomie a démontré que le cerveau est enveloppé de membranes et d’une
boîte osseuse qui n’effriraient point d’issue à untel écoulement, s'il venait du cer-
veau; et la physiologie démontre que si ie cerveau pouvait se résoudre ainsi,
même superficiellement, en un écoulement pituitaire, on n'en serait pas quitte à
si bon marché.
Mais la nomenclature médicale survit à la démonstration qui en met l’absur-
dité en évidence; tout progresse autour d'elle, qu'elle semble ne pas s’en aperce-
voir ; c’est une de ces vieilles étiquettes qui restent incrustées sur le bocal, dont
le contenu change du tout au tout à chaque siècle. Cette nomenclature étant en
opposition formelle avec les faits anatomiques et physiologiques, on ne doit pas
hésiter à l’'abandonner ; nous la réformerons à la fin de cet article.
A. OBSERVATIONS GÉNÉRALES DE CHIMIE PHYSIOLOGIQUE.
4 Notre existence n’est qu’un développement continu; nous ne vivons qu’en
nous régénérant, et en remplaçant les tissus qui ont fait leur temps par d’autres
tissus émanés des premiers, qui croissent pour engendrer d'autres tissus et se
sacrifier ensuite à leur nutrition et à leur croissance; la vie n’est qu'une longue
succession de pertes et d’acquisitions, qu’une longue chaine de morts et de
résurrections partielles. Tout organe élémentaire s’épuise en fonctionnant, et il
fonctionne en se régénérant. L'être vivant meurt tout entier, quand il a fini de
s'acquitter de toutes ses fonctions; c’est ce qu'exprimaient les Latins par le mot
defunctus (*) que nous avons altéré en celui de défunt.
L'exfoliation superficielle de nos organes est l'effet incessant de cette loi géné-
rale; c’est la mise au rebut d’une couche d'organes élémentaires qui ont fait leur
temps, en sesacrifiant à la génération, à la nutrition et à l’accroissement d'organes
plus internes qu'eux, et qui à leur tour s’exfolieront après avoir rempli les mêmes
fonctions. Les générations d'organes se succèdent et se remplacent comme les
générations d'individus.
2 Chaque jour, quedis-je ? à chaque instant, la couche externe de notre épiderme
(*) Fungor, s'acquitter d'une fonction; defunclus, qui s'en est acquitto.
CORYZA OÙ RHUME DE CERVEAU. 269
se détache par fragments, pour ainsi dire, d'écailles sèches, ou bien sous forme
d’une erasse glutineuse noirâtre, quand la sueur arrive en abondance à la périphé-
rie pour l’humecter. Vous aurez beau vous laver la surface du corps, vous en re-
tirereztoujours de la crasse par une friction nouvelle. Cette crasse n'est que l'épi-
derme qui s'exfolie, quand vous ne l'imbibez pas, et qui tomberait de lui-même,
dans lecas où vous en laisseriez accumuler les couches, faute de soins de propreté.
5° Nous donnons le nom de membrane muqueuse ou de muqueuse à l'épiderme
dont se recouvrent les cavités du corps qui sont en communication avec l'air exté-
rieur par une ouverture naturelle, Nous donnons le nom de membranes séreuses
ou de séreuses simplement aux membranes qui tapissent les cavités non accessi-
bles immédiatement à l'air atmosphérique.
Les muqueuses s'exfolient de la même manière que l'épiderme, mais elles s’ex-
folient comme desmembranes humides et non sous forme d'écailles sèches, à eau. e
de l'humidité constante de leur milieu. [1 vous sera facile de vous en assurer en
détachant avec les dents la couche superficielle des parois de la bouche; vous
pourrez le faire assez souvent sans en ressentir la moindre douleur; cette mem-
brane superficielle se détache seule lentement, et se rend au dehors par le véhicule
de la salive et des crachats, ce dont il est facile de s'assurer même à l’aide d'une
simple loupe.
La surface de nos poumons s’exfolie de même et arrive au dehors sous forme
d'expectorations. La surface de nos intestins s'exfolie à chaque minute et recouvre
chaque produit partiel de la fermentation fécale, chaque boule du caput mortuum,
ce dontilest facile de s'assurer mécaniquement et par l'observation microsco-
pique,
La membrane qui recouvre le fond de l'oreille s’exfolie sous forme de cerumen,
et nécessite l'emploi réitéré du cure-oreille. Nos urines sont parlois chargées
d'exfoliations filantes de la muqueuse de la vessie et de ses dépendances, mais
le plus souvent ces exfoliations passent dissoutes et décomposées par l'acide du
liquide urinaire.
La muqueuse de la matrice et de ses dépendances a aussi ses exfoliations, de
consistance plus ou moins membraneuse.
4° Quand ces exloliations devenaient trop abondantes et anormales, les anciens
les désignaient sous le nom de catarrhe, qui signifie écoulement au dehors (de
catô, en bas, et rheô, je coule); on distinguait ainsi autant de catarrhes qu'il existe
de cavités du corps qui communiquent au dehors : catarrhe de la vessie, catar-
rhe de la matrice, catarrhe de poitrine, catarrhe pituitaire, catarrhe de l'oreille, ete.
Le catarrhe est une exfoliation provoquée par une cause de désorganisation qui
frappe de mort la couche de cellules élémentaires, avant qu'elle ait rempli à l'état
normal le cercle de ses fonctions naturelles; c'est une exfoliation morbide, ou plu-
tôt c'est une désorganisation.
B. APPLICATION DE CES NOTIONS AU CORYZA.
Lorsque ce genre de désorganisation s'attaque à la muqueuse qui tapisse les
cavités de l'organe olfactif, le mal prend alors le nom de coryza. L'organe olfac-
tif ou le sens de l'odorat (osphrèsis en grec, olfactus en latin) se compose de
toutes les papilles du nerf olfactif qui, par d'innombrables dichotomies, viennent
s'épanouir et se presser en espèce de mosaïque, pour former la surface de la mem-
brane qu'on désigne sous le nom de membrane pituitaire; les cornets des deux
marines sont le vestibule de cette double chambre olfactive; le voile du palais
270 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
établit un couloir mobile de communication entre elles et les voies aériennes ou
voies de la respiration, de telle sorte qu'on puisse respirer la bouche fermée ou
pleine de liquide, enfin qu’on respire par le nez comme par la bouche, et que
d’un autre côté l'air et les liquides que l'on aspire et que l’on hume par la bou-
che, on puisse les rendre par le nez, et vice versà.
De là vient que les mucosités normales ou morbides, que les exfoliations enfin
de la membrane pituitaire et de ses dépendances, on peut les rendre soit par les
narines, soit par la bouche; on les mouche ou on les crache, selon quele siége du
mal permet la déclivité par les cornets du nez ou par-derrière le voile du palais.
Le coryza change alors de symptômes. On rend par le nez des eaux filantes ou
des mucosités épaisses, jaunâtres, lobulées, selon la nature de la cause désorga-
nisatrice, dans le cas où la déclivité, par suite du voisinage qu'affecte le siége du
mal, se fait par les cornets du nez; quand, au contraire, la déclivité a lieu par
derrière le voile du palais, l’âcreté de la matière, chatouillant la glotte sur la-
quelle elle tombe goutte à goutte et à chaque instant, provoque des quintes de
toux plus ou moins violentes qui, étant suivies de l'expulsion d'un crachat, si-
mulent des expectorations et porteraient à croire qu’on a affaire à un rhume de
poitrine, alors que les poumons se trouvent dansle meilleur état de santé
possible.
On conçoit donc qu’on puisse se moucher autant par la bouche que par le nez,
dans le cas d’un coryza; il est même des personnes qui, à l'état de la meilleure
santé, ne mouchent jamais que par la bouche, et ne rendent qu'en les crachant
les exfoliations muqueuses de la membrane pituitaire.
Il n’est pas difficile de comprendre qu’une exsudation, morbide et anormale, de
cette large expansion de papilles olfactives ne saurait avoir lieu, sans compro-
mettre d'autant plus la santé générale que le mal est plus durable et qu'il finit
par intéresser les couches les plus profondes. Tout agacement nerveux réagit sur
le cerveau, ce siége de la vitalité et de l'intelligence, ce centre commun où con-
vergent les perceptions, où se combinent les sensations et d'où émanent la vo-
lonté et la fonction animale. D'un autre côté, dans le coryza, le siége du mal
étant plus voisin des membranes qui enveloppent l'organe cérébral, les conges-
tions sanguines, qui sont la conséquence inévitable de toute espèce de trouble
dans les fonctions, ces congestions, s’accumulant ainsi autour du siége du mal,
doivent gagner de proche en proche les vaisseaux des méninges, et produire,
par compression sur le cerveau, cet alourdissement, cette pesanteur de tête qui
suit toujours le rhume de cerveau. Donc toutes les fonctions du corps humain
doivent finir par se ressentir du trouble survenu dans ce réservoir de la vitalité
où chacune d'elles s'alimente.
C. CAUSES ET EFFETS DU CORYZA.
Toute sensation est le produit de la combinaison de la surface de l'organe des
sens avec l'air extérieur, que cet organe perçoit sous une forme ou sous une
autre, c'est-à-dire dont il est apte à percevoir telle ou telle propriété.
Toute combinaison est une mort, car c’est un changement de forme, chez un
organe qui a accompli sa fonction, qui a achevé son sacrifice eb qui a fait son
temps; c'est un produit vieilli qui est repoussé par le développement de la cou-
che qui recommence,
Ainsi l’exfoliation de la membrane pituitaire a lieu à chaque instant, dans l’état
normal, parce que ses perceptions se font à chaque instant; et nous en débar-
CAUSES ET EFFETS DU CORYZA. 271
rassons de temps à autre l'organe, en mouchant ou en crachant, je dirais presque
en renäclant, si le terme était moins vétérinaire, car c'est le terme le plus juste
pour exprimer ces sortes de crachements.
Mais ces exfoliations changeront de caractère et deviendront plus abondantes,
si quelque cause désorganisatrice s'attache à la membrane muqueuse et procède
à sa désorganisation anormale et arüficielle. Énumérons ces causes et leurs
effets :
4° Une des causes les plus fréquentes, et à laquelle on ne pensait pas avant la
publication du nouveau système, c’est la présence, dans les cavités nasales, d'un
insecte ou larve d'insecte, ou l'introduction d’un helminthe ou ver intestinal qui
s’y glisse par derrière le voile du palais,
2° L'aspiration et le reniflement de poussières irrilantes, telles que celles du
fruit de platane, des débris de l’ortie, du battage des grains, de l'évaporation des
meuneries et des amidonneries, du balayage des greniers à foin et à blé.
N. B. Sous l'influence de ces deux sortes de catégories, le coryza est, pour ainsi
dire, traumatique, et a lieu par tout autant de blessures, de solutions de conti.
nuité, la succion des helminthes, les mandibules des insectes, et le sciage des
débris barbelés des végétaux, etc., produisant une désorganisation mécanique
d'un effet analogue.
Dans tous ces cas on éprouve un prurit au nez, d'abord incommode, puis d’une
violence telle que l’attention finit par en être entièrement absorbée ; les mucosi-
tés sont épaisses, d'abord jaunâtres, puis elles se transforment en matière quasi-
purulente, de mauvaise odeur, d’une couleur suspecte et livide; et souvent le mal
se complique de saignement de nez. On tousse sans cracher, on éternue fréquem-
ment; on cesse de respirer du nez; quelque soin qu'on prenne de se mou-
cher, on sent à chaque fois comme un corps étranger qui ferme l'ouverture des
narines; et si l'une des narines s’en débarrasse, en même temps l’autre s’en ob-
strue, et vice versä. La lutte du malade contre ce mal en devient impatien-
tante,
5° Le reniflement de vapeurs d'acides, tels que les acides hydrochlorique,
nitrique, acétique, etc., cause un coryza dont la gravité est en raison de
la quantité de ces vapeurs qui se dégagent. Si ces vapeurs sont répandues dans
l'atmosphère, la désorganisation ne peut manquer de gagner de proche en pro-
che la surface des voies respiratoires; et les affections des amygdales et du pou-
mon accompagnent le coryza. Les acides concentrés, en effet, dissolvent les mu-
queuses animales, les liquéfient ou les rendent filantes selon la durée de leur
contact, la force de leur densité et la dose de leur volume. Les mucosités coule-
ront alors diversement colorées, selon la nature de l'acide ; rosées par l’acide acé-
tique, bleues d'abord par l'acide hydrochlorique , jaunes par l'acide nitrique, et
quelquefois charbonnées quand le mal se prolongera. L'hémorrhagie se décla-
rera, dès que l'action dévorante de l'acide aura pénétré assez avant dans la sub-
stance du vaisseau sanguin.
4° Le reniflement de l'ammoniaque produit des effets analogues ; car l'ammo-
niaque estun dissolvant puissant del’albumine, laquelle est l'élément fondamental
de l'organisation des muqueuses. Mais l'écoulement, provenant alors de la décom-
position de la membrane pituitaire, est marbré ou pointillé de noir; car les al-
calis, en s'emparant des acides qui rentrent dans l’organisation des tissus ani-
maux, en isolent lé carbone plus facilement que ne font les acides, et tendent
de plus en plus à les carboniser,
272 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Les poussières d’alcalis fixes, potasse. soude, chaux, etc., caustiques,produisent
des écoulements analogues et plus ou moins filants, selon que la base est plus
ou moins soluble. Par l’action de la chaux, par exemple, l'écoulement est lobulé
et caillebotté. 4
5° Les ravages sont bien plus profonds et plus durables lorsque les émana-
tions, vapeurs ou poussières, sont infectées de mercure à l'état métallique, mais-
surtout à l'état de sel. La désorganisation pénétrant alors de plus en plus pro-
fondément, et cela jusqu'aux surfaces osseuses, l'écoulement nasal finit par
prendre les caractères de la sanie fétide jaunâtre, teintée de bleuâtre, qui coule
des ulcères osseux.
6° La poussière d’arsenie, de sels ou oxydes de cuivre et de plomb, ete., ne
porte pas si avant ses ravages sur la membrane pituitaire; elle l'exfolie plutôt
qu'elle ne la dissout. Son action étant superficielle, le mal se dissipe quand la
cause disparait de l’atmosphère que l’on respire par le nez.
7° On comprendra, par tout ce qui précède, combien les coryzas doivent être
fréquents dans les temps de grandes démolitions, alors que, pour assainir une
ville ancienne, on est forcé d’abattre les masures séculaires, et cela surtout si
ces démol'tions ont lieu par un temps sec et par un vent violent. L'industrie et
l’ornementation ont tellement accumulé de substances vénéneuses dans ces habi-
tations antiques, que la poussière des décombres -ne peut manquer d'être
cause, parmi la population, d'une épidémie d'affections pulmonaires, coryzas,
grippes, rhumes, engorgements des amygdales, etc.
8° Il faut en dire autant des brouillards qui s'élèvent du sol dans les villes
manufacturières, et qui retombent chargés de toutes les vapeurs acides, mercu-
rielles, ammoniacales, que dégorgent dans les airs les cent bouches de l’indus-
trie et de la manipulation.
9° Mais une cause plus générale et moins facile à éviter de coryza, c’est
l’abaissement de la température. L'air glacial désorganise en un instant les mem-
branes animales ou végétales : l'effet semble en être instantané. Transportez
une plante exotique d’une serre à cent pas de là, en arrivant vous la trouve-
rez fanée; vous pourrez même suivre de l'œil l’œuvre de cet alanguissement
progressif, à chaque pas que vous ferez vers le but. Les feuilles fléchiront,
s'amolliront, deviendront pendantes et flasques d'abord, et puis rigides ensuite,
et finiront par tomber comme en déliquescence en arrivant dans un endroit
chaud. Quant aux fleurs, elles parcourront en un instant ce cercle de désorga-
nisations progressives.
Les membranes animales ne se décomposent pas moins promptement par
l’action subite du froid, et cette décomposition est d'autant plus profonde que
le froid a été plus intense, et que les surfaces ont été plus longtemps en contact
avec cet air glacial. L'écoulement nasal, dans ce cas, est filant et limpide
d’abord ; il ne se manifeste que dès qu'on arrive dans une atmosphère chaude,
de même que la glace ne fond que par la chaleur.
Si l'action du froid a pénétré dans les couches plus profondes de la membrane
pituitaire, l'écoulement devient de plus en plus consistant, glutineux, jaunâtre
et fétide; car la décomposition purulente ne tarde pas à s'établir sur cette large
plaie occasionnée par le froid.
Cet effet se produit proportionnellement au degré de refroidissement; et tou-
tes les fois que la température extérieure baisse, on s'expose à gagner un coryza
proportionnel, le thermomètre marquät-il+ 20°. Car, dès qu’une membrane s'est
THÉORIE DE LA GUÉRISON DU CORYZA. 273
mise à élaborer à une température donnée, elle tend à cesser ses fonctions, et
marche par conséquent vers la décomposition, dès que le calorique, qui est un
élément de sa fonction, ne lui arrive plus sous le même volume.
10° Enfin, si l’action de toutes ces causes de désorganisation s'étend de pro-
che en proche en passant derrière le voile du palais, atteint les amygdales,
l'isthme du gosier, pénètre dans la trachée-artère, les bronches, les poumons, le
canal nasal qui communique avec l'intérieur des paupières (car le nez aspire
aussi un peu par les yeux, et alors le coryza est accompagné de larmoiements),
la maladie, quoique émanée de la même cause, prendra tout autant de noms
différents qu’elle atteindra telle ou telle région.
D. THÉORIE DE LA GUÉRISON.
La guérison du coryza, ainsi que de toutes les autres maladies des muqueuses
aériennes et respiratoires, se classe dans la catégorie des cicatrisations, puisque, en
définitive, ces sortes de maladies ne sont que des dénudations de surface, par
l’exfoliation ou la déliquescence de la membrane qui les recouvrait, les abritait,
leur tamisait l'air et la chaleur d'une manière favorable à leur développement
et à leur élaboration.
La durée de la guérison dépendra donc du nombre de couches de ces mem-
branes superposées, de ces générations successives de membranes élaborantes
que la cause désorganisatrice aura pu atteindre, c'est-à-dire, elle dépendra de la
profondeur à laquelle son action aura pu parvenir.
Pour que l'état normal se rétablisse, il faut que, sous cette couche désorgani-
sée et qui, cessant de fonctionner, continue pourtant encore d’abriter, il faut,
dis-je, qu'une nouvelle muqueuse ait le temps de se former de toute pièce,
qu'elle soit parvenue à ce degré de maturité, à cel âge, pour ainsi dire,
qu'elle aurait atteint sous l'influence protectrice des couches qui devaient l'ali-
menter; car il faut qu’elle soit apte à fonctionner à son tour, pour que l’état
normal de l'organe olfactif se rétablisse et que le sens puisse suflire à la per-
ceplion.
Ainsi, sous l'influence d’une médication fondée sur ces principes, la guérison
pourra employer plus ou moins de jours, selon la nature de la cause et la
profondeur de la désorganisation; quand la cause sera animée, il suflira souvent
de la simple aspiration d’un arôme pour dissiper le mal comme par enchan-
tement.
De toutes ces affections, les plus opiniâtres sont celles qui émanent du mercure
et du froid ; car ce sont les plus profondes.
Æ. NOMENCLATURE NOUVELLE DE TOUTES CES FORMES DE CORYZAS.
Par l’Errer :
Csphralgie (de algè, maladie; osphrèsis, odorat). On recherche ensuite si elle
émane de la présence d'une cause animée (entomogène?); de la respiration soit
d'un acide (acidogène?), soit d'un alcali (alcaligène?), soit des vapeurs ou pous-
sières mereurielles (4ydrargène?), arsenicales (arsénigène?), plombiques (mo-
lybdogène?), ete.; enfin de l'action du froid (athermogène ? ).
Par les causes :
On termine ces locutions grecques par la désinence ose, parexemple, athermogé-
nose (maladie engendrée par le froid sur) pituitale(la membrane pituitaire ou mem-
brane qui recouvre l'organe de l’odorat ou plutôt les milliers de papilles conti-
guës qui tapissent le fond des cavités nasales et dont chacune est à elle seule un
274 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
organe olfactif), rheumatique (qui se traduit par un écoulement plus ou moins
fluide).
F. mÉDicarion.
De tout ce que nous venons d'expliquer, il résulte évidemment que la médiea-
tion doit être variable comme le sont les causes du mal:
4° Quand la cause est animée, il suffit souvent d’une simple aspiration ou
reniflement d’une arôme acide ou alcalin, d’une simple prise de poudre de tabae
ou de camphre, pour l’expulser de son lieu d'élection, surtout si la cause animée
est de très-petit calibre. Lorsqu'elle est d’un certain volume, ce moyen a besoin
d'être répété assez souvent pour déloger le vampire ; mais alors on y ajoute des
reniflements ou injections spontanées d’eau salée et aiguisée de quelques gouttes
d'alcool camphré : et toutes les fois qu’on a reniflé ou prisé, on se pince les nari-
nes, afin de priver l’insecte d'air extérieur, de l’asphyxiér, pour ainsi dire, et
de l’enfumer dans son gite.
90 Lorsque la cause est caustique, on oppose aux causes acides des aspira-
tions ou injections légèrement alcalines, et aux causes alcalines des aspirations
ou injections légèrement acides; et après avoir cherché à neutraliser la Cause,
on protége les surfaces compromises en les revêtant d’une couche protectrice et
qui simule en quelque sorte la muqueuse qui a disparu : on renifle de l’albumine
ôu blanc d'œuf suffisamment étendu d’eau, ou plutôt de l’huile camphrée, qui sert
de vernis protecteur en même temps qu'elle prévient la décomposition putride
des tissus.
Et, ce qu'il est bon de pratiquer dans toutes les espèces de coryzas; on se passe
très-souvent de l'huile camphrée sur la racine du nez, sur la surface externe qui
touche aux yeux. On dirait que le corps gras passe instantanément à travers les
sutures dés os proprés du nez, pour aller porter, mieux que ne le ferait le reni-
flement, le vernis protecteur sur les muqueuses dénudées.
3° Quand la cause désorganisatrice est mercurielle ou arsenicale, outre tous
les moyens précédents, on reniflera de l’eau zinguée (soit l’eau de pluie qui coule
des gouttières bien propres en zinc; soit de l’eau tenant en dissolution un gramme
de sulfate de zinc par litre d’eau, soit de l’eau dans laquelle on aura plongé une
lame de zine qui aura séché à l’air, après avoir été mouillée de vinaigre; soit
même de l’eau qui aura séjourné quelque temps dans un baquet de zinc). On
s’introduira souvent dans le nez une tigelle galvanique, que l’on aura soin de
bien essuyer chaque fois. Après cela, on pourra s’introduire des lanières de lard
et de viandes fraiches prises surtout chez un animal tué sur-le-champ. Enfin on
se mettra à la tisane de salsepareille,
4 Si le coryza a pour cause le refroidissement subit de l'air ou l’abaissement
de la température au-dessous de zéro, on ne s’apercevra de ce mal qu’en entrant
dans un endroit chaud ; car là seulement la membrane muqueuse congelée tom-
bera en déliquescence., Dès ce moment il faudra se tenir exclusivement dans
un endroit chaud, afin de favoriser et d'activer la formation d'une nouvelle
muqueuse; on reniflera fréquemment du blanc d'œuf étendu d’eau tiède et aroma-
tisée de quelques gouttes d'alcool camphré ; on s'enduira la peau du nez de pom-
made camphrée, que l'on essuiera de temps à autre avec l'alcool camphré; on se
gargarisera fréquemment à l’eau salée, pour combattre les engorgements des or-
ganes voisins du voile du palais; on s'introduira dans le tuyau auditif un petit
tampon de coton imbibé d'huile ou d'alcool campbhrés.
Pour prévenir un pareil accident, il faut porter un gros plastron ouaté sur la
MEDICATION DU CORYZA. 275
poitrine, outre Île gilet de flanelle, et en augmenter l'épaisseur à mesure que la
saison devient plus rigoureuse; qu'on ne se dépoitraille jamais, mais qu’on porte
des gilets croisés et d’étoffes bien chaudes ; enfin que l'on ne sorte jamais sans s’en-
tourer le cou et se couvrir les oreilles de ce qu’on appelle si improprement un
cache-nez, qu’on devrait plutôt appeler un cache-oreilles, car le nez ne pourrait en
être impunément enveloppé, puisque la bouche le serait aussi. Seulement le cache-
nez ou cache-oreilles maintient autour de la bouche et du nez une température
constante et chaude, à travers laquelle l'air extérieur perd un peu de son refroi-
dissement et se réchauffe d'autant avant d’être aspiré.
On ne doit jamais sortir sans se protéger ainsi le cou et les oreilles. Celui-là
sera à l'abri et du coryza et du rhume de poitrine, qui saura se tenir les pieds et
les mains à l'abri du froid humide, qui portera un fort plastron sur la poitrine etsur
les épaules, un bon foulard autour du cou et un couvre-chef qui garantisse lefront.
La sagesse des nations a de tout temps mieux compris l'hygiène du vestiaire
que ne fait la mode. Le soldat russe brave le froid sibérien en se cuirassant la
poitrine d’un plastron bombé; les nonnes ne laissaient à découvert que le vi-
sage à partir des yeux; les paysannes des Flandres ne sortiraient pas, les jours
de fête ou de visite, sans se couvrir la tête d'un beau et bon foulard ployé en deux,
deux des pointes sur le devant et la troisième pointe sur le dos; quand elles se
rendent à l'église ou qu'elles en sortent, on croirait voir une procession de nonnes
de toutes les couleurs, c’est-à-dire de toutes les règles, qui se mêlent ensemble
sans se disputer la préséance, ce qui ne s’est jamais vu dans l’histoire des moines,
des chanoines et des nonnes.
Les modes vestiaires d’un peuple travailleur et l'uniforme des corps sont tou-
jours fondés sur un principe d'hygiène. Les modes des villes et des centres d'oi-
siveté ne sont jamais dictées que par le caprice et la folie; ce sont des déguise-
ments du carnaval, sous lesquels on rit en grelottant et l’on s'amuse en se tuant.
—
CHAPITRE IT, — RÉINVENTIONS.
LES PLAQUES GALVANIQUES MENACÉES D'EXHÉRÉDATION A LA PLUS DOCTE DES
CINQ ACADÉMIES ; PAR SUITE DE L’INDISCRÉTION DU FEUILLETON DE
LA PRESSE DE PARIS.
(Voy. 8e livraison de la Revue, page 242.)
C’est fâcheux, mais ce n’est que trop vrai, la publicité est souvent un enfant
terrible, qui compromet ceux qu'elle aime ou qui la payent; mieux vaudrait un
sage ennemi; et nous pourrions vous réciter la fab. X, liv, LIT de la Fontaine, tout
aussi à propos que ce qui vient d’advenir au feuilleton de {a Presse et aux deux
protégés de M. Dumas, MM. P.et V., réinventeurs des plaques galvaniques. Voici
le fait dans toute sa simplicité :
Dans son numéro du 7 février 4855, le feuilleton ami des sciences et des sa-
vants académiques avait eu l'imprudence (l'événement l’a bien prouvé) de vou-
loir faire passer par anticipation MM. P. et V. à la postérité la plus reculée,
comme devant prendre rang parmi les bienfaileurs de l'humanité, pour avoir
trouvé le moyen de soutirer le mercure, l'or et l'argent aux coustitutions qui
en souffrent,
« Puissions-nous, s’écriait avec enthousiasme le feuilleton, puissions-nous
avoir souvent l'occasion de porter de telles découvertes à la connaissance des
076 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
amis de l'humanité! Après le bonheur de les faire, en est-il de plus grand que
d’avoir à les signaler à l'admiration et à la reconnaissance publiques ? » Suivait la
description de la découverte.
Mais, à imprudent ami ! pendant que, dansle modeste réduit de notre Revue com-
plémentaire (voy. la dernière livraison, mars 1855, pag. 242), nous faisions
part à nos lecteurs de la joie que nous inspirait cette sixième édition ou réin-
vention de nos plaques galvaniques, et que nous invoquions les fonds Montyon en
faveur de ces nouveaux venus dans l’art de soustraire l'or et l'argent et puis le
mercure, au même instant il tombait, des quatre coins dela France, sur le bureau
de l’enthousiaste feuilleton, une avalanche de réclamations adressées par des mé-
decins de province (entre autres par MM. les docteurs Laureau, médecin à la
Chauvinière (Indre-et-Loire), et d'Arbaud de Blonzac), et qui lui rappelaient assez
énergiquement que MM. P. et V. avaient copié la chose, au lieu de l’inventer. A
ces nouvelles, le feuilleton en resta étourdi, et si étourdi qu'il inséra quelques
phrases de ces lettres, renvoyant le surplus à une petite feuille où il se reproduit
toutes les semaines, ce qui fait ainsi deux journaux au moyen d’un seul, comme
à Bruxelles on en fait trois à la fois, par une triple mise en pages et par de simples
transpositions.
Les réclamants rappelaient au feuilleton de Za Presse que l’idée de MM. P. et
V. se trouve en toutes lettres dans notre Revue élémentaire, A5 juillet 4847, et
dans les 7 éditions de notre Manuel qui ont eu lieu depuis cette époque; ils rap-
pelaient que l'application de ce moyen est journalière et devenue banale, enfin
qu'ils en retirent dans leur pratique les meilleurs et les plus infaillibles avantages.
Le feuilleton répondit (*) «qu'il l’ignorait, et qu’il voyait que M. Raspail a de cha-
leureux amis », ce qu'il n'aurait jamais cru, car ces amis ne sont pas dans /a Presse.
Aussi le feuilleton avait consacré trois colonnes et demie à l’annonce de la
réinvention qu'il connaissait seul, de compte à demi avec M. Dumas.
Il daigna seulement extraire quelques lignes de la réclamation en faveur de
l'invention. Cependant, et malgré ce, nous lui savons gré de celte infraction aux
règles ordinaires du journalisme ; car l'insertion, cette fois, a été gratuite et spon-
tanée , et les réclamations se payent cher dans ce journal !
Après tout quoi, le feuilleton et M. Dumas se lavent les mains de toute l’af-
faire, et semblent dire à MM. P. et V. : « Maintenant arrangez-vous. J'ignorais,
vous ignoriez, il ignorait que l’autre a découvert ce que vous venez de découvrir. »
Je vous le dis en vérité, il y a quelque chose de plus dangereux encore qu’un
ignorant ami, c'est l'accord trop chaleureux de quatre ignorants amis (ignorants
du fait); mieux vaudrait un sage ennemi qui le leur fit connaitre.
MM. P. et V. ne se Liennent pas pour battus. alors que leurs illustres patrons
reculent, un tant soit peu confus; et, par une longue lettre que le rédacteur in-
sère en entier dans la 2° édition in-4° du feuilleton in-&°, ils veulent bien convenir
que l'idée était publiée; mais tout à coup, d’'accusés devenant accusateurs, et
nous plaçant sur la sellette, nous qui n’avons pas réclamé à la barre de leur tri-
bunal, ils nous posent des questions récriminatoires, auxquelles cependant nous
allons répondre, en vertu de notre ancienne habitude d’accusé et d’accusable à
merci, depuis 40 ans (comptez, depuis 1845!) (*).
(*) Voy. la Presse, feuilleton du 2 mars.
(**) Nous aurions peut-être dû garder le silence sur ce point, comme sur le sujet de l’article qui
suiyra celui-ci, Mais de tous les côtés nos lecteurs nous invitent à rappeler une bonne fois à la pudeur
et les corps savants et leurs journalistes ; ces sortes de leçons profiteront, nous dit-on, à d’autres
travailleurs qui pourraient être à leur tour en butte à ces menées académiques.
RÉCLAMATIONS AU SUJET DES PLAQUES GALVANIQUES. 277
1° D. Pourquoi, dit M. P., dela Havane selon la Presse, et de New-York d'après
les Comptes Rendus, car M. V., qui, je crois, est de Paris, n'a pas signé la lettre ;
pourquoi donc l’idée de M. Raspail n’a-t-elle pas été reproduite dans les ouvrages
spéciaux sur l'électricité et surtout dans ceux qui traitent de l'électro-thérapeu-
tique ?
R. Nous prions M. P. de nous excuser du silence de ces messieurs les livres
classiques ; est que, ainsi que les royautés déchues ou touristes, nous ne pouvons
voyager dans ces parages qu'incognito et sous des pseudonymes. Notre vrai nom
vous ne le rencontrerez jamais dans les livres orthodoxes, vu qu'il est à l'index
depuis longtemps, et affiché comme tel aux portes du tribunal sacré de la Rota
à Rome. Mais nos idées, il est permis de les adopter et de les transérire sous un
nom Justement révéré. C'est ainsi que nos travaux sur la fécule et autres y voya-
gent sous le nom de M. le chevalier de Payen ; nos idées sur la transformation
en,pierre et la coloration artificielle des bois, sous celui de M. le marquis de Bou-
chery ; nos idées sur le charbon de détritus ou charbon de Paris voyagent dans
les rues de la capitale sous le nom de Popelin, esq., et ont été décorées, à Lon-
dres, d’une croix et d'une médaille grand format sur la poitrine de l’esquire; que
nos idées sur les grandes irrigations appliquées aux terres labourables, portent
les noms anglais de Kennedy, Telfrée, et de leur interprète M. de Gasparin; que
nos idées sur la sphéricité des atmosphères de calorique s'appellent dans les cours
M. le comte de Boutigny; et que nos idées sur la physiologie végétale ou ani-
male prennent toutes sortes de noms des divers fiefs de la science et terminés en
gnard, en yer, en ir,en on, en ul, ie tout pour la plus grande gloire de ces dieux
de la science, et la plus grande confusion des hérétiques comme nous.
Pour en revenir plus spécialement aux plaques galvaniques, M. P. aurait pu,
avee un tant soit peu de talent de devination, les découvrir sous une foule de
masques dont on s’est plu à les affubler, comme dans un jour de carnaval. Feu le
pieux Récamier les a déguisées le premier en cataplasmes; un autre en tissus
électro-magnétiques; un autre en collier breveté de la reine Victoria et d’une
foule de rois tout aussi puissants de la terre; un autre en porte-plumes ; un autre
enlin en un
Râtelier de dents, réparant, à tout âge,
Du mercure rongeur l’irréparable outrage,
sans parler d'une foule d’autres déguisements qui passent et repassent chaque jour
et dans Les livres électro-thérapeutiques, et dans la quatrième page des journaux,
ce grand bal paré, masqué, de toutes les découvertes de l'époque.
Que MM. P. et V. n'aient jamais lu la quatrième page des grands journaux,
cela est tout aussi facile à admettre que leur ignorance complète du Manuel;
mais qu'un ami des sciences si zélé pour la propagation des découvertes utiles,
lui qui connait les idées les moins connues de tout le monde, ignore compléte-
ment les idées que tout le monde connait et que tout le monde applique, c'est là
un tour de force de l'absence de mémoire auquel nous n'aurions pu croire, S'il
ue nous l'attestait pas.
Napoléon le grand disait un jour : « Je parie qu'il existe un village en France
où mon nom est entièrement inconnu. » Pourquoi, nous chétif, nous plain-
drions-nous que notre Manuel, qui est entre les mains de tout habitant de Paris,
qui depuis dix ans à passé par les mains d'un habitant au moins de chaque ville
el village, qui s'est répandu dans tous les pays, soit sous sa forme française, suit
par le véhicule de plus de dix traductions en langues les plus connues, dont une
278 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
espagnole, très-répandue à Ia Havane, une contrefaçon en français et deux ou
trois traductions en anglais, également répandues à New-York, que ce Manuel,
disons-nous, ait été inconnu de MM. P. et V., qui n’ont jamais lu la quatrième
page des journaux ? La chose est possible et exeusable pour eux, pauvres villa-
geois de la Havane ou de Paris. Mais un feuilleton des sciences, mais un profes-
seur des sciences? Avouez que cela est plus difficile à admettre, quoique, pour
l'honneur des sciences, nous l’admettions volontiers, cependant en répétant
encore :
Rien n’est plus dangereux qu'un ignorant ami,
Mieux vaut un sage ennemi.
Passons donc à une autre question :
2 D, La propriété des plaques galvaniques de M. Raspail, pour soutirer les
métaux de l'organisme, est-elle bien REourÉ par des expériences exactes et exé-
culées avec soin ?
R. Illustres inconnus, nous confessons que nous, novice dans l’art d’expéri-
menter, nous avons besoin de faits nombreux pour démontrer notre exactitude.
Eh bien ! ces faits sont aussi nombreux que les guérisons obtenues. Un homme
est infecté de mercure, il en est rongé; son hydrargyrie résiste à tous les autres
moyens : on le soumet à l’action des plaques galvaniques, soit seules, soit appli-
quées dans un bain sédatif, et les ulcères finissent par se cicatriser, les rhuma-
tismes par se dissiper, la goutte par se taire, les ganglions et glandes par dispa-
raitre, et la guérison par se produire à la suite d’une amélioration progressive.
La disparition des effets du mercure ne vous indique-t-elle pas la soustraction de
la cause? Nous vous le soumettons, à vous illustres inconnus, qui possédez si bien
l'art de procéder avec exactitude.
Cependant, je dois vous prévenir que les réactions que vous indiquez pour re-
connaitre le mercure déposé sur les plaques galvaniques n'ont aucune espèce de
valeur et d’exactitude en chimie; on prendrait toutes sortes de choses pour du
mercure avec de telles indications ; je vous le dis pour votre gouverne. Quant à
vos bains aiguisés d'acide sulfurique, muriatique et nitrique, je dois vous avertir
qu'ils sont aux antipodes de tous les principes de physiologie thérapeutique, et
qu'ils produiraient, sur la santé des malades, des effets désastreux, des empoison-
nements acides, substitués à des empoisonnements mercuriels ou autrement mé-
talliques; il ne faut pas croire qu'on puisse traiter le corps humain comme un
bronze à dédorer.
5° D, Ces plaques ont-elles réellement la faculté d'éliminer les métaux qui se
trouvent dans la profondeur des organes ?
R. Certes oui, quand la circulation met ces métaux en communication avec la
puissance de la pile, par le véhicule de l’eau sédative et salée du bain, et même
simplement par le véhicule de la sueur qui est salée et acide,
4° D. Ces expériences ont-elles été seulement limitées au mercure ? En a-t-on
fait l'application aux autres métaux ?
R. Non, pour le premier membre de la phrase ; oui, pour le second : on vous
Va répété à satiété dans le Januel et à chaque cas maladif décrit dans le Manuel.
La pile est toujours la pile et ne perd pas ses propriétés, en modifiant ses formes
accessoires.
bo D, Vous dites qu'on a reconnu, seulement en certains cas exceptionnels, que
le côlé de la plaque de cuivre qui touche la peau se couvrait d'une couche visible
DEMANDES ET RÉPONSES SUR LES PLAQUES GALVANIQUES. 279
de mercure : M. Raspail n’a donc vu Peffet de ces plaques que dans des cas
exceptionnels.
R. lustres inconnus, je vous en demande pardon, mais vous n’avez pas com-
pris la phrase; et pourtant vous vous ditesdoreurs ! Permettez-moi de m’en éton-
ner; car, moi aussi, j'ai été cinq ans doreur, alors que je défendais les doreurs
français contre tout l'Institut qui avait pris parti pour les doreurs anglais, et j'ob-
tins gain de cause devant le tribunal; ce qui a fait que jamais, en France, le do-
reur anglais, quoiqu'il füt un trés-galant homme, je me plais à le reconnaitre,
n’a pu régner sur la dorure que sous les noms de Moulet d'abord et de Christofle
ensuite. Or done, je vous dirai que, pour dorer, au mercure ou non, il faut dé-
rocher et décaper le cuivre; le cuivre décapé aux acides forts a une couleur d'un
rose tendre ; trempez alors ce cuivre dans une dissolution faible d’un sel mercu-
riel, et sa couleur ne paraitra pas avoir changé de teinte. Il faut une forte cou-
che de mercure pour le couvrir d’une manière visible, quoiqu'il en soit couvert
réellement. Vous commencez à comprendre ?
Dans les maladies mercurielles ordinaires, la quantité de mercure qui cause la
maladie est si faible qu'on ne saurait la distinguer sur la lame de cuivre; alors
la lame de cuivre ne se couvre pas d’une couche visible de mercure, quoique le
soulagement indique suffisamment que le mercure cause de Ia maladie a été
soustrait (sublatä causà tollitur effectus, donc sublato effectu tollitur causa). Mais
il est des cas, heureusement exceptionnels, où le doreur au mercure s’est imprégné
d'une si grande quantité de ce métal, où le malade a été empoisonné par une si
grande quantité de médicaments mercuriels, qu’alors la plus courte application
des plaques galvaniques les recouvre d'une couche visible de mercure, tant la
couche en est épaisse. à
En un mot, les plaques soutirent toujours les métaux, car ces plaques sont un
couple de la pile, cela est évident, Mais leur effet est d'autant plus visible que la
quantité de métal à soutirer est plus grande. Cette observation du Manuel était
à l'adresse des ignorants qui auraient pu perdre leur confiance en ne distinguant
rien. Les ignorants l'ont comprise mieux que les savants de profession; décidément
les ignorants s'émancipent.
Vous le voyez, le sens était clair et net, si ce n’est pour vous, du moins pour
ceux qui vous patronnent, pour les distributeurs de réclames scientifiques et de
prix académiques. Nous vous excusons, vous; vous cherchez à grimper au mât
de cocagne académique, et vous agissez des pieds et des mains en conséquence.
Mais les hommes qui se mettent en quête de noms pour avoir le droit de cou-
ronner la chose, mais les hommes dont la mission, depuis 40 ans, est de briser
cette plume qui n'a jamais écrit pour eux, oh! de ceux-là l'histoire des sciences
fera un jour une éclatante justice, Pour nous, qui avons autre chose à faire que
de les incriminer, nous en sommes en ce moment à nous reprocher ces quelques
lignes de réminiscence comme une perte de temps; nous savons ces messieurs
aussi incorrigibles que nous sommes peu susceptible.
Nous sommes un exemple, encore vivant, qu'on peut mériter l'estime de ses
concitoyens, et se faire un nom cosmopolite, sans avoir jamais obtenu, de la part
de cette race savante (dont le moule européen date de 1815), que de ces coups
de pied auxquels le lion dédaigne de répondre, même alors qu'il a recouvyré sa
liberté, sa force et son orgueil,
280 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
UN LERNIER MOT.
Voyons, là, parlons franchement, sans mauvaise plaisanterie, et la main sur
le cœur : MM. P., V. et D. ! vous auriez inventé votre réinventien le 16 avril 1852,
et vous n’en auriez fait part au public français qu'en 1855 ! Cela ne saurait être,
j'en atteste votre amour de l'humanité souffrante. Voulez-vous que je vous dise à
quoi me semble tenir la date de 1852 ? Ne vous fâchez pas! À ce que vous n'aviez
entre les mains que l'édition du Manuel pour 1853. Si vous aviez eu l'édition
pour 1852, votre découverte ne porterait-elle pas la date de 1851 ? je vous le de-
mande, sauf à vous à dire non. Si vous aviez eu l'édition pour 1851, votre décou-
verte ne remonterait-elle pas à 1850, et ainsi de suite jusqu’en 1847? A bon en-
tendeur suffit. Maintenant que l’Académie vous bénisse avec son goupillon d'or
de Moniyon, cela ne nous regarde plus; bonne chance, et n’en parlons plus.
Passez-moi, cher lecteur, celte seconde petite boutade; la critique fine et déli-
cate a peu de prise sur la peau des endurcis; un petit coup de fouet les redresse
sans leur faire trop de mal; dorénavant je reprendrai mon indifférence ordinaire,
et mon laissez-faire laissez-passer.
4
CHAPITRE IT, — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L'AGRICULTURE (suzrr).
(Voy. pag. 245, livr. de mars 1855.)
$ 12. ADDITION AU $ 6, ALINÉA 65, SUR LES FORMES CRISTALLINES DE LA NEIGE.
63 bis. Lorsque j'ai dit que la neige n’affecte aucune symétrie, j'ai voulu parler
des gros flocons, des flocons qui se forment dans les régions supérieures de l'air et
qui traversent lentement la région atmosphérique où le brouillard se transforme
en givre. Mais quand la neige se forme dans les régions voisines du sol, et que
la température est descendue à plusieurs degrés au-dessous de zéro, il arrive sou-
vent qu'elle affecte une régularité et une symétrie qui se conservent dans
toutes les modifications et les accidents secondaires de sa cristallisation ; or cette
symétrie émane du type primitif qui lui sert, pour ainsi dire, de moule.
4° Ce type, c’est le prisme hexagonal dont la hauteur paraît au microscope
presque nulle, en sorte que, d'un autre côté, Les assises décroissantes qui forment
la pyramide de chaque bout étant individuellement tout aussi minces, et la py-
raide paraissant à peine saillante, le prisme n'a l’air que d’une tablette hexa-
gonale dont les bords très-ombrés augmentent la transparence et la limpidité. I
est probable que la goutte de brouillard qui a donné lieu à ce prisme si large et
si court est descendue dans la région nivigère, en tournant verticalement autour
de la ligne qui forme l’axe du cristal, ce qui par la force centrifuge l’a aplatie
en lamelle, en rapprochant les deux extrémités de l'axe.
2° Lorsque la goutte de brouillard, qui s’allonge en tombant, tourne, non ver-
ticalement autour de l'axe, mais horizontalement, et pivote sur le bout inférieur,
alors le prisme s’allonge et s'amincit; on le trouve sur le porte-objet en forme
d'aiguille; mais, examinée avec soin, cette aiguille est un prisme à six pans ter-
miné par deux pyramides dont les faces concordent avec les bords de la base
hexagonale; ou, pour me servir des expressions cristallographiques, ces pyramides
FORMES CRISTALLINES DE LA NEIGE. 281
sont formées par décroissement sur les faces. Ce sont des assises hexagonales dé-
croissantes, à mesure que la matière à cristalliser diminue, ainsi que la force de
la cause qui préside à la cristallisation.
3° Avec ces deux modifications principales du même type, on peut d'avance
tracer sur le papier toutes les formes symétriques que prend la neige, lorsqu'elle
tombe en petit pulvérin par les matinées les plus froides.
4° En effet, tracez un hexagone régulier, forme primitive de la neige et généra-
trice dé toutes les formes accessoires; sur chaque côté de l'hexagone construisez
tout autant d'hexagones tronqués par le bout contigu et dont les côtés soient au
côté de l'hexagone central et générateur : : 4 : V 5. Vous croirez voir, sur chaque
côté de l'hexagone central, un pentagone irrégulier, dont un côté se confondra,
avec le côté de l'hexagone, et dont les quatre autres seront égaux entre eux,
deux parallèles entre eux et perpendiculaires au côté de l'hexagone qui le sup-
porte ; ce groupe formera alors une étoile à six branches, d’une symétrie par-
faite.
Sur les deux côtés les plus externes de ces pentagones apparents, construisez,
en suivant le rapport : : 4 : \/ 3 et en rongeant le segment contigu, un nouvel
hexagone; et l'étoile se compliquera d’un nouvel ordre d’additions symétriques, et
ainsi de suite; on pourrait continuer ces constructions indéfiniment, et l’on au-
rait alors une espèce de mosaïque en rosace, qui représenterait le développement
du plus large flocon de neige.
5° Prenons maintenant le prisme hexagonal allongé et aiguillé, et représentons-
nous-le tournant autour de son axe horizontal, au lieu de le faire autour de J’axe
vertical-; il se formera à chacune de ses extrémités une espèce de roue verticale,
c'est-à-dire perpendiculaire à l’axe. Car, sur chacune des faces de la base de ses
pyramides, il se formera un de ces faux pentagones irréguliers dont nous venons
de parler; et, sur les faces les plus externes de ces faux pentagones, il pourra
s'en former d’autres d'un nouveau rang et ainsi de suite; le pulvérin neigeux
ressemblera alors à un essieu terminé par ses deux roues.
6° On observe souvent de ces espèces d’essieux à trois roues, dont l’une est au
milieu de la longueur du cristal.
7° La cristallisation de ces prismes ne rencontre pas toujours des quantités de
malière suffisantes, ni des circonstances également favorables à la symétrie de
sa formation : la pyramide d’un côté peut avorter, alors que l’autre est très-pro-
noncée ; un côté de l'hexagone central et génératenr a pu s’allonger plus qu'un
autre, faute de matériaux suffisants pour faire arriver ce côté jusqu'à coïncider
avec la corde d'un are de 60°. Dès ce moment ce cristal semblera cunéiforme;
et s'il s'implante non sur une des faces de l'hexagone générateur, mais sur des
angles de sa base, l'étoile qui en résultera aura des branches plus déliées, qui,
servant par leurs extrémités de matrices à d’autres branches de ce genre, finiront
par composer une figure moins massive et plus festonnée que l’autre; mais
l'étoile n’en sera pas moins à six branches dans le principe.
8° Enfin si la cristallisation d'abord troublée, tronquée, déformée par mille
et mille de £es causes qui varient avec le souflle du vent, devient peu à peu de
moins en moins régulière, on aura une étoile à six branches, festonnées en feuilles
de fougère et qui s’allongent en massue, de manière que leurs extrémités se
terminent en des fragments d'hexagone striés par les assises décroissantes d’une
fraction de pyramide. La figure ci-derrière représente la forme du pulvérin étoilé
qui est Lombé ici le 43 février au matin, par une température de 9 centigr. au-
19
282 REVUE COMPLEMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
dessous de: zéro. Ces étoiles, presque toutes de même forme et de même gran-
deur, et toutes de la même régularité, avaient quatre millimètres de diamètre,
c'est-à-dire que chaque rayon avait deux millimè- 3
tres de long ; et, comme elles tombaient assez dis-
tancées, on pouvait les observer et les comparer
exactement. Cette figure ne se retrouve pas sur les
planches des ouvrages classiques. Le lendemain
matin, mercredi 14 février, par une température
semblable, le pulvérin varia de forme; et il tom-
bait, soit des tablettes génératrices hexagonales
(1°) isolées, soit des étoiles à branches faussement
pentagonales (4), soit des groupes d'hexagones
qui s’accolaient entre eux en mosaïque, rarement
en étoiles à longues branches (8°), et enfin des étoiles que je ne pourrais n mieux
décrire qu’en représentant vues par dessous six feuilles de laurier-rose formant les
six rayons équidistants d’un cercle; ces rayons n'étaient autres que les branches de la
figure ci-dessus qui avaient subi un commencement de fusion. Cette figure ne se
retrouve pas plus que l’autre sur les planches des ouvrages classiques, dont on
peut se passer, en se faisant, comme nous venons de l'essayer, une idée mathé-
matique de la formation primitive du pulvérin neigeux. Tracez au compas, sur
les modèles ci-dessus, toutes les figures imaginables qui en dérivent immédiate-
ment ou par transformations accidentelles, et on peut prédire que chacune de
ces figures sera reproduite un jour ou l’autre par l'influence du froid sur les
molécules d’un brouillard qui se congèle dans les hautes régions de l'air.
9° Ce pulvérin ne s'était pas formé bien haut, çar chaque étoile tombait sous
mes yeux sur le rebord de la fenêtre, comme si elle s'était moulée d’une seule
pièce à cette hauteur ; je n’en voyais pas voltiger dans l’espace.
$ 13, EFFETS DE LA FOUDRE (sure pu S 11),
101. Les effets produits par la foudre paraissent souvent inexplicables; ils
sont cependant tous susceptibles d’être reproduits en proportion et en petit, au
moyen du dard enflammé d’un simple chalumeau pour souder. Je m'arrêterai à
l'un de ces effets qui a le privilége, depuis 1786, que l’a signalé Franklin, de
mettre à la torture l'imaginative des savants. Au rapport de Franklin, un homme
se trouvant sur le pas de sa maison, vit la foudre tomber sur un arbre placé vis-
à-vis de lui; on découvrit sur la poitrine de cet homme la contre-épreuve de l’ar-
bre foudroyé.
J'ai cent fois entendu raconter dans mon enfance un fait de ce genre, dont tout
le pays ayait pu être témoin. Un enfant était monté sur un peuplier d'Italie pour
aller y dénicher un nid d'oiseau; la foudre éclate et jette l’enfant sur le sol; ce
pauvre malheureux portait sur la poitrine le décalque du peuplier, sur un ra-
meau duquel on distinguait fort bien et le nid et l'oiseau tant convoité.
Une foule de faits analogues. cités par les chservateurs, démontrent que la
foudre décalque fort souvent, sur la peau du foudroyé, les objets qu'il porte sur
lui ou qui se trouvent sur le passage du dard électrique.
Or, une fois qu’il est admis que l'éclair foudroyant n’est qu’un dard combu-
rant, rien n'est plus facile à expliquer que ces résultats qui jusqu'ici ont paru
inexplicables. |
En effet, le dard enflammé affecte une forme conique. Les objets qui se trou-
ÉTOILES FILANTES. PIERRES TOMBÉES DU CIEL, 283
vent sur son passage et dont le plan est perpendiculaire à à son axe, forment un
écran capable d’intercepter les rayons qui y aboutissent, et de faire ombre, pour
ainsi dire, à son action, sur le corps que tout le reste du dard doit atteindre.
Done, tout ce qui aura fait écran colorera autrement la peau du foudroyé que
les rayons qui l'auront frappée sans obstacle; il pourra même arriver que, lors-
que l'écran est perméable, le rayon du dard qui le traversera en transporte la
couleur vaporisée et non calcinée sur le décalque. Or, la figure de l'écran sera
d'autant plus réduite que la surface foudroyée se trouvera située plus près du
sommet de ce dard conique. La lentille de verre produit une telle réduction en
réfractant les rayons lumineux; le cas qui nous occupe n'est qu’une application
de la théorie du compas de réduetion,
101 bis. Dans le langage vulgaire, que les physiciens ont adopté à la lettre,
on dit que la foudre est tombée sur tel endroit, lorsque l’on entend en cet endroit
une détonation spéciale. Un dard enflammé ne saurait être comparé à un corps
lourd qui tombe; ce dard pénètre et ne chute pas; mais s’il rencontre à sa pointe
une atmosphère locale de certains gaz hydrogénés, ce dard sera cause d'une ex-
plosion analogue à celle qui accompagne toujours la combustion de l'hydro-
gène ou de tout autre gaz.
Quant à l’action du paratonnerre sur la foudre, l’action en est bien restreinte;
et elle n'empêche pas toujours la foudre de frapper à côté et même très-près de
la tige. 11 suffit pour cela que le dard, par ricochet, prenne une direction hori-
zontale, ou que la pointe du paratonnerre ne se trouve pas sur Ja ligne exacte que
parcourt le dard,
Les académies, s'ingéniant à prévenir ces infidélités de l'appareil, les attri-
buent au défaut de construction ou à l'usure et à l'oxydation de la pointe. Elles
croient atteindre le but en vissant et soudant un cône de platine ou de cuivre à
l'extrémité des paratonnerres. Ce moyen ne profitera qu'à la bourse des con-
structeurs qu'elles patronneront ; et Ja foudre aura l'air de se jouer tout autant
de ces additions que des tiges actuelles, Est-ce que la pointe de fer ne se dérouille
pas, et je dirai même ne se déroche pas, dans tous les orages, par l'acide nitri-
que qui se forme alors et dont s’imprègne la pluie? Multiplions les paratonnerres
sur les hauteurs environnantes; et si simples qu'ils soient, nos villes seront
plus à l'abri du tonnerre que par suite de quelques modifications insignifiantes
et très-dispendieuses à établir.
12. MÉTÉORES.
102. Onnous demandera, sans aucun doute, commentilse fait que de ces sortes
d'explosions de nuages solidifiés en blocs de glace, nous ne soyons jamais les
témoins oculaires, J'ai déjà fait observer que cela vient du voile que les nuages
inférieurs et la formation de la pluie interposent entre nous et la région où l’ explo-
sion éclate; mais que cependant l'histoire fait mention de ces sortes de phéno-
mènes et de nuages qui crèvent en produisant la foudre, nuages isolés dans l’at-
mosphère et charriés par un ciel serein. Enfin de ees sortes d'événements nous
sommes très-souyent témoins sans nous douter de l’analogie; et ce que nous
voyons alors nous l'appelons météore, c'est-à-dire phénomène météorologique
qui se passe à une trop grande distance de notre terre pour que nous nous
crayions compétents à l'interpréter. Les étoiles filantes, les trainées de feu qui
s'épanouissent dans les airs en chandelles romaines, et dont chaque fragment
lancé dans l’espace éclate à son tour en une gerbe de feu, cette immense explo-
284 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sion que l'éloignement nous fait paraître silencieuse, qu'est-ce autre chose que ce
qui tonne etéclateavec fracas, quand là région que le phénomène occupe se trouve
à la portée de notre ouïe ? Ceci va paraitre paradoxal aux adeptes du classicisme,
et ils préféreront de longtemps l'explication par les aérolithes ou pierres tombées
du ciel; tâchons de vaincre encore leurs scrupules, qui tiennent sinaturellement à ce
qu'en latin on nomme ur scrupule (un petit caillou), et persuadons-leur que la
présence d’un si petit corps ne saurait être l'agent de ces immenses phénomènes,
dont le volume est assez démontré par leur apparition sensible à ces distances ou
l'espace d'une lieue aurait à peine la dimension d'un point.
Sans doute, il tombe des pierres météoriques, et nous admettrons même qu'en
bien des circonstances ces pierres on£ pu arriver tout embrasées sur le sol.
Mais d’abord cet embrasement ne saurait être le fait dela rapidité avec laquelle
elles traversent l’air; car siun corps solide s’embrasait, en traversant les espaces
où la glace se forme, la grêle deviendrait impossible, vu que chaque grêlon fon-
drait en tombant. Ensuite nous connaissons le volume de toutes le pierres qu'on a
vues tomber ou auxquelles on a reconnu la constitution chimique des pierres tom-
bées du ciel; eh bien, les plus grosses connues sont encore si petites pour expli-
quer ce phénomène, queleur chute ne serait pas visible à cinquante mètres de là;
or, certains grands météores qui éclatent en chandelles romaines sont visibles
dans un rayon de plus de cinquante lieues. I] n’est pas une seule de nos pierres
reconnues pour être tombées du ciel, qui puisse être considérée comme la
cause d'un pareil phénomène; il faudrait en admettre une grosse comme une
montagne, pour que son explosion fût visible à cette hauteur; et, si une pareille
pierre éclatait ainsi dans les hautes régions de l'atmosphère, en fragments du
volume de celles qu’on a trouvées sur le sol, comme chacun de ces fragments
tomberait dans la même direction que ses congénères, le sol en serait couvert
dans le rayon de plus d’une lieue.
J'admets enfin que ces météores, qui éclatent à nos yeux dans des régions éle-
vées peut-être de quelques miliers de lieues au-dessus de nos têtes, proviennent
de l'explosion d’une masse solide qui s’enflamme tout à coup, son explosion s’ex-
pliquerait par l'explosion des nuages de giace (94); et, comme les lois de la na-
ture sont les mêmes dans tout l'univers, la cause de l'explosion dans les deux
cas serait la même : explosion par la combinaison des gaz, et combinaison des
gaz sous l'influence du rayon solaire, seule bluette électrique qu'on puisse ad-
mettre dans ces espaces imaginaires.
Enfin on a vu d'immenses globes de feu raser la terre; on a suivi de l'œil leur
direction; on s’est transporté sur les lieux où leur explosion définitive a eu lieu ;
là on aurait Gù trouver une grêle de pierres météoriques; et pourtant il ny en
existait pas même de traces; tout s'y était vaporisé en eau et en gaz.
Mais maintenant que nous sommes forcés d'admettre que l'air peut charrier
des montagnes de glace, grâce à l'hydrogène qui les imprègne et dont la faible
densité peut les rendre légers au vol comme un brin de paille, il nous sera tout
aussi facile d'admettre : 1° que leur ascension soit pour ainsi dire indéfinie, et qu'ils
puissent aborder de si hautes régions de l'atmosphère que là, pendant qu'il fait
nuit pour nous, il fasse jour pour eux; 2 que le rayon solaire puisse venir les
frapper en face, se concentrer par la réfraction dans l'intérieur de leur masse, y
dilater les gaz divers, de manière à les mettre en contact par leur expansion mu-
tuelle, et les combiner par leur contact en les enflammant, en sorte que la plus
haute montagne de glace éclate coinme nos flacons remplis d’un mélange de gaz
EXEMPLES DE MÉTÉORES. 283
combustibles ; explosion qui réduirait en cendres des régions entières de notre
globe, si elle avait lieu plus près de nous.
Je prends dans les faits contemporains deux cas de ce genre, dont le phéno-
mène, restreint à la surface d'une de nos anciennes provinces, peut donner l'idée
des explosions d'une plus grande dimension qui se passent à des hauteurs plus
grandes.
Le mercredi 5 juin 1850, à 10 heures moins un quart du soir, je vis à Doul-
lens un magnifique météore venant de l’est-sud-est et éclatant en une brillante
chandelle romaine, qui illumina tout mon cabanon, comme si l'on y avait tout à
coup introduit une lampe. L'explosion eut lieu silencieuse, mais au zénith; il
aurait dù tomber sur notre horizon une pluie d’aérolithes, ce qui certes n'eut
pas lieu, ou bien une pluie de cendres, si l'on voulait admettre que la division
produite par l'explosion eût été jusqu'à pulvériser la masse (*).
Le lendemain matin jeudi 6 juin, de 41 heures un quart à 11 heures et demie,
une effroyable détonation ébranla en même temps la ville de Dijon et les villages
environnants, à dix lieues à la ronde. Les habitants de Mont-Afrique et ceux de
Bretennière au sud-est de Dijon virent en plein jour ce météore et ils affirment
l'avoir vu éclater au-dessus du village d’Aiserey; partout on crut à l'explosion
d’une mine formidable. Tout Aiserey aurait dù être couvert d’aérolithes; on
eut beau chercher, on n'en trouva pas même la poussière; encore là rien que
du gaz et des vapeurs.
Le 11 mai 1852, un météore semblable parcourt l'Alsace, en passant au-dessus
des communes de Wærth, Gæœrsdorff, Liebfrauenberg; quelques instants après
son passage sur ce dernier village, on entend une forte détonation dans la mon-
tagne voisine : les rédacteurs du journal d'où j'extrais le fait expliquent la
puissance de cette explosion par la chute d’un aérolithe; jugez du calibre qu'au-
rait dù avoir l’aérolithe pour produire un tel bruit en tombant sur le sol; on
eut beau chercher, on ne trouva pas sur les lieux la plus petite pierre de ce
genre.
En un mot, toute explosion suppose une expansion, toute expansion suppose
la présence de gaz accumulés et mis en présence. Le choc d'une pierre capable
d'un pareil bruit indiquerait la chute d'une montagne solide, ce qui ne s’est
jamais vu, Il ne peut éclater dans l'air que ce qui s’élabore dans l’air, ce qui
s’y forme chaque jour, ce qui yéclate habituellement, Ces explosions sont la foudre
dans les deux cas; dans l’un elle éclate au milieu de nombreux nuages accumu-
lés sur nos têtes; dans l’autre elle est l’œuvre d'un nuage isolé; or la chute des
pierres qui tombent du ciel et qu'on retrouve sur la terre, n'est ni précédée de
telles illuminations ni accompagnée d’un bruit semblable.
Quant à la trainée lumineuse qui suit le météore et en précède l'explosion,
la théorie en est la même que celle de l'éclair qui précède le tonnerre. L'hydro-
gène qui s'enflamme peut brûler pendant assez longtemps et voyager à la suite
de tout ee qui lui ouvre la route à travers les airs,
On objectera que, dans cette hypothèse, il devrait pleuvoir dans Je lieu de la
chute et cela par un temps serein; or, c'est ce qui arrive et ce dont il n'est pas
rare d'être témoin, J'ai souvent été à même, par un temps serein, d'entendre
une détonation suivie d'une petite averse, quoique je n’aperçusse aucun nuage
dans les airs : mais l'averse, n'ayant lieu qu’à quelques pas autour de moi, indi-
(*) Voy. Événement 10 et 1i juin 1850.
286 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
quait suffisamment qu’elle était le produit d'un nuage trop petit pour être
visible. (La suite au numéro prochain.)
CHAPITRE IV, — AGRICULTURE,
EFFETS GÉNÉRAUX DE LA TEMPÉRATURE RIGOUREUSE DU MOIS LE FÉVRIER
SUR LES CULTURES.
(Voy. liv. de mars, au bas de la page 264.) (*)
28 février 4855:
Le 25 février, le dégel a commencé par + 5° et par une pluie fine mais abon-
dante et le lendemain par un brouillard qui s’est dissipé à midi. Le pluviomètre
a marqué alors 7 mill. 257; la neige avait disparu, si ce n’est dans quelques
sillons et chemins creux. Chacun a pu dès lors se faire une idée des ravages que
ce froid si intense et si prolongé a laissés sur ses traces.
Sur toute la route de Bruxelles, les choux de Bruxelles ne sont plus que des
bâtons desséchés. Nous avons récolté encore une bonne portion de petits jets
comestibles sur la plupart des nôtres, mais très-près du sol.
Les choux verts (ou milans dorés) tombent partout en déliquescence. Ceux
qui sont bas de tige ont été le plus épargnés; et nous continuons à en récolter
de tels. Nos pieds de choux multipommes n’ont élé endommagés qu'en partie
sur le même individu; celles de leurs quatre ou cinq pommes qui étaient cou-
chées à terre sont intactes, les autres tombent en déliquescence; mais leurs
fruilles, se desséchant et devenant comme papyracées, serviront d'abri protec-
teur au cœur ou bourgeon interne et terminal qui doit monter en graines.
Les choux verts que les paysans ont renversés sur le sol, en soulevant la racine
d'un coup de pioche, ont pu être sauvés en partie. En voici la raison : Ces choux
verts supportent très-bien la saison rigoureuse, quand elle est sèche; mais quand
le froid les surprend, après que l’eau de la pluie ou de la neige fondue s’est in-
troduite entre leurs feuilles, la congélation de cette eau déchire les feuilles,
comprime leur pétiole, et fait éclater ce bocal foliacé, par le même mécanisme
que la congélation fait éclater les bocaux de verre; dès ce moment la feuille est
frappée de mort; privée, faute de communication naturelle, du calorique vital
de la sève, elle gèle et tombe en délisquescence un premier dégel, en répandant,
ce qu’on observe encore aujourd’hui dans tous les champs, une odeur nauséa-
bonde de choux pourris.
Les choux, au contraire, dont la pomme est inclinée forment parasol par leurs
feuilles extérieures, sur lesquelles l’eau glisse comme sur une toiture; l’intérieur
de la pomme ne sert pas ainsi de réservoir à l’eau de la pluie, de la neige ou
des brouillards. C’est ce qu'ont très-bien compris les paysans; car dès la fin de
l'automne, ils se hâtent de coucher leurs choux et même de les recouvrir d'une
pelletée de terre. J'ai retrouvé dans cette position quelques pommes de choux
rouges parfaitement conservées, quoique le pied en füt pourri.
Les navets, comme toujours, sont intacts.
Les artichauts recouverts d'une bonne litière de fumier de cheval n’ont perdu
(*) Dans la note ci-dessus indiquée, nous nous sommes arrêtés au 49 février. — Le therm, cent.
est descendu dans la nuit : le 20 février, à — 41°; le 21, à — 42,4; le 22, à — bo,k; le 23, à — 110,4,
le 24 à — 4o,
PRÉTENDU ROLE DE L'ACIDE CARBONIQUE. 287
que leurs feuilles hâtives. Ceux qu'on a laissés moins bien revêétus sont pourris.
En automne j'avais fait planter une centaine d'œilletons d’'artichauts sur une
couche en plein air (un pied de terre sur un demi-pied de fumier de cheval); je
les ai fait recouvrir au commencement de l'hiver, d'une bonne épaisseur de feuil-
les sèches et puis d’une autre de litière avec son crotlin; ils mé paraissent en bon
état. Il en est de même de nos repiquages de choux faits en automne sur une cou-
che à peu près analogue ; ils n’ont pas été protégés contre le froid, et ils végètent
avec vigueur; partout ailleurs ces repiquages ont péri. Les épinards n’ont pas
souffert, ni les porreaux non plus. Le cerfeuil s’est conservé sans abri; le per-
sil n'a point souffert, parce qu'on l’a recouvert de branches de pin et de tiges
sèches de porte-graines d'asperges. La chicorée sauvage enfouie, pour blanchir, a
à peine végélé, quoique recouverte dans un trou profond d’une forte couche de
fumier ; je ne parlerai pas de celle de nos caves; les caves ici sont exposées à tous
les vents et ne sont pas voûtées. Les blés d'hiver ne sont pas susceptibles dans
cé terrain arénacé; le grand froid ne peut que les débarrasser et des mauvaises
herbes et des parasites.
15 mars,
’
Il a gelé le 4; le temps s’est remis au beau jusqu’au 7. Dans la nuit du 7 au 8,
le therm. est descendu à — 4° et il a neigé; du 8 au 9 à —2°,4; du 9 au 10, à—
5,4; idem du 10 au 14.— Le19, neige qui s’est changée en pluieet a produit au
pluviomètre 5"11,264. Le barom. à midi était descendu à 724,49; je ne l'ai ja-
mais vu si bas ici; il a remonté dès le soir, et le lendemain à midi il était à 755,62,
Quant au therm., il à alternativement dépassé le zéro au-dessus et en dessous;
ces alternatives sont favorables à l’agriculture, en ce que le froid tue les insectes
que la douceur de la température avait fait éclore.
CHAPITRE V, — CHIMIE GÉOLOGIQUE.
ROLE DE L’'ACIDE NITRIQUE DANS LA COMPOSITION DES EAUX;
FORMATION DES SOURCES ET DU MINERAI DE FER A TRAVERS
LES TERRAINS SABLONNEUX.
Comment l’oxyde et le carbonate de fer, le carbonate de chaux et autres sels
insolubles sont-ils tenus en dissolution dans les eaux de source ou de rivière ? Le
chimiste nous répond que c’est à l’aide de la quantité d'acide carbonique libre
dont se charge l’eau exposée à l'air ou filtrant à travers les sols calcaires.
Muis cet acide supposé libre ne peut manquer de se combiner avec les bases
tenues en dissolution dans l’eau et avec l'ammoniaque que renferme l'atmo-
sphère, et, dans ce cas, il devrait permettre à tous ces sels, insolubles par eux-
mêmes, de se précipiter en vertu de leur pesanteur spécifique; ce qui n'arrive
pas.
D'un autre côté, ilexiste des eaux alcalines d’une manière très-prononcée, et qui,
par conséquent, ne peuvent plus être supposées renfermer de l'acide carbonique
libre; et pourtant ces eaux contiennent en dissolution des quantités assez consi-
dérables de fer, de carbonate calcaire, qui n’en troublent nullement la limpidité,
et ne s’y trouvent pas par conséquent à l'état de suspension.
Telle est l'eau qui filtre à travers les plateaux de craie, et qui est bien l'eau
988 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
la meilleure du monde et la plus favorable à la digestion. Telle est également
l'eau de Doullens que j'ai analysée pendant tout l'hiver de 4851 à 1852, à
plusieurs reprises ; or à chaque fois je me demandais comment il se faisait que le
fer, par exemple, dont elle renferme près de 2 centigrammes par litre, n’en
troublât pas la limpidité, précipité par le sel alcalin que ces eaux renferment.
Cette eau alcaline conservait sa limpidité cristalline, non-seulement à froid,
mais encore pendant tout le temps de son ébullition à grand feu; elle ne con-
traclait pas le moindre louche, tant que j'avais soin d’en renouveler le volume.
Or, il est évident qu'après une heure d'ébullition, elle aurait dù se dépouiller
de toute la quantité d'acide carbonique qu'on pouvait y supposer renfermée à
froid.
Mais si je laissais réduire le volume d’eau par évaporation, le liquide con-
tractait de plus en plus une couleur rouille, dont l'intensité augmentait progres-
sivement jusqu'à réduction complète; le culot solide était alors fortement coloré,
et cette couleur ne provenait nullement de la présence d’une matière organisée,
dont ces eaux ne renferment pas un atome appréciable; les réactifs démontraient
que cette couleur rouille était le fait exclusif du fer à un état quelconque de
combinaison.
Un nouveau litre de cette eau dissolvait par la chaleur ce culot solide et si
fortement coloré; et quand la dissolution était achevée, l'eau reprenait encore
sa limpidité incolore, pour se recolorer, à mesure que l'évaporation par ébullition
la réduisait au dixième de son volume.
Ayant traité ce culot par l'acide nitrique pur comme réactif et étendu d’eau, il
perdit sa coloration rouille, et se dissolvit en entier, sans rendre louche le liquide.
La couleur redevint encore plus rouge à mesure que le liquide avança vers la
dessiceation. Or quand tout ce culot était parfaitement see, je n'avais qu’à le recou-
vrir même de l’eau ordinaire dont j'étais en train de faire l'analyse, pour qu'il se
dissolvit tout entier et en perdant sa coloration, de manière que rien ne troublait
la limpidité du liquide: ici le fer était évidemment à l'état de nitrate. Je recom-
mençai plusieurs fois-cettealternative de dissolution et de dessiccation; et le résul-
tat en fut toujours respectivement le même. Je traitai le fer ordinaire par l'acide
pitrique, en le mêlant à de la chaux; encore cette fois tout le résidu se colo-
rait en rouille par la dessiccation; et, après la calcination la plus prolongée, tout
se redissolvait dans une suffisante quantité d’eau bouillante, sans en troubler en
rien la limpidité.
Il est donc plus naturel de supposer que le fer se trouve, dans les eaux qui
en déposent, à l’état de nitrate qui est soluble, qu'à l'état de carbonate que l'alca-
linité ne manquerait pas de précipiter.
Or cette explication découle rigoureusement de la présence de l'acide nitrique
dans l'eau des pluies d'orage; une eau ainsi acidulée, en filtrant à travers les
couches géologiques, doit transformer en nitrates toutes les bases qu'elle ren-
contre sur son passage, mais surtout le fer.
Donc le fer peut exister en quantité assez appréciable dans les eaux, à la fa-
veur de cette combinaison intime. On objectera que le fer décompose l'acide ni-
trique concentré, en s’emparant d’une partie de son oxygène, et le transforme en
acide nitreux qui se dégage en vapeurs rutilantes; mais ce que nous venons de
faire observer prouve suffisamment que, dans cette décomposition, le fer ne fait
pas que s’oxygéner, mais qu'il entre en combinaison avec une partie decet acide,
après avoir décomposé l’autre; ou pour parler d’une manière plus conforme aux
NITRATE DE FER DANS LES EAUX DE SOURCE. 289
principes que nous avons posés, à l'égard des acides (*) (d'après lesquels l'acide
nitrique ainsi que l'acide sulfurique doivent être considérés comme des acides
tenant en dissolution leur propre base, l'acide sulfurique ordinaire étant l'acide
sulfurique radical plus une dose de soufre, et l'acide nitrique ordinaire étant l’a-
cide nitrique radical tenanten dissolution du nitrieum), dans cette hypothèse, dis-je,
qui explique si bien tous les phénomènes de ces deux agents, le fer, mis en contact
avec l'acide nitrique, en décompose une partie pour s’oxyder, en sorte que la base
nitricum de cette partie décomposée s’incorpore à la quantité d'acide ordinaire,
s’y dissout et lui imprime une tendance à se dégager et à s'évaporer sous forme
de vapeurs rutilantes; mais le fer oxydé ne laisse pas que de se combiner avec
une fraction de cet acide ainsi modifié, et forme un sel fortement basique, qui re-
tient fortement son acide; ce qui le rend soluble dans une suffisante quantité d’eau,
et lui laisse reprendre sa couleur tritoxydée, quand l’eau qui le dissolvait est
entièrement évaporée.
Les eaux doivent donc renfermer des nitrates, sur lesquels l'attention des ana-
lystes doit se porter, et dont la présence ne leur a échappé que faute d’un réactif
assez puissant pour le leur révéler.
La dissolution de bases insolubles dans les eaux, et surtout dans les eaux al-
calines, s'explique ainsi tout naturellement. F’autre explication, par la présence
de l'acide carbonique, était impossible à admettre, surtout dans le dernier cas,
sans heurter de front toutes les lois les mieux constatées en chimie.
Je le repète, puisqu'il est constaté que l’eau de pluie renferme de l'acide nitrique
libre ou combiné à l'ammoniaque, et je pourrais ajouter que l'air atmosphérique
et les brouillards des grandes villes et des localités à grandes fabriques en ren-
ferment des quantités plus appréciables encore, il faut bien admettre aussi que
le sol s’en imprégnera, et que là l'acide nitrique trouvera plus d'une sorte d’em-
ploi, au milieu de ces bases qui en sont si avides. Done, le fer qui abonde dans
certains sols et qui existe d’une manière évidente dans tous, se combinera en
nitrite ou nitrate avec l'acide qui le rendra ainsi très-soluble dans les eaux les
plus chargées d’autres sels et même de bases alealines.
Une fois l'hypothèse admise en principe, les conséquences de la plus haute
importance en géologie doivent en découler et nous donner l'explication ratio-
nelle et péremptoire d'une foule de faits observés.
Par exemple, je ne sache pas de sol sablonneux plus riche en molécules fer-
rugineuses que le sol environnant le pays que j'habite; en certains endroits, ce
n'est qu’une fine poussière tellement rougeâtre qu’on pourrait s’en servir comme
couleur. Eh bien, je rencontre quelquefois, dans le fond des vallées, des ruis-
seaux alimentés par de petites sources, et où la première fois j'ai cru que l’eau
charriait du sang, tant elle y avait déposé d’ocre rouge et d’un rouge pourpré;
et pourtant le fond du terrain à travers lequel filtraient les petites sources
était un des moins colorés par l'oxyde de fer; il n’avait qu’une teinte jaunâtre.
Les eaux de ces sources avaient done apporté cette dissolution ferrugineuse du
sommet de la colline où le sol est rouge de sang; elles n'avaient pu l'apporter
qu'en dissolution, car un filtre aussi épais que cette colline de sable ne laisserait
rien passer de ce qui est en suspension et de ce que pourraient charrier les
eaux sous forme solide.
Arrivée dans le ruisseau où la pluie entraine le fumier des champs et la boue
(* Voy. Nouveau système de chimie organique, tome I, pag. 734. «
290 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ammoniacale de la route, la base de ce nitrate de fer ne peut manquer d'être
précipitée par les bases calcaires, potassiques et ammoniacales du fumier et de
la boue, et de former là tôt ou tard une couche épaisse plus ou moins ocreuse
et plus ou moins limoneuse. Mais le fer qui se dépose ainsi s’agglutine molécule
à molécule et finit par former corps et masse solide; les précipitations de fer ne
se comportent pas autrement, ainsi qu'on peut s’en faire une idée par les incrusta-
tions qui se forment dans le fond des vases renfermant des sels de fer, lors-
qu'on les laisse ouverts et exposés à l'air extérieur. Donc il doit se former,
dans le fond de ces ruisseaux ce que les géologues appellent du fer limoneux.
Retenons bien cette conséquence qui se traduit souvent ici en un fait observé.
Je m'étais demandé souvent, depuis que je suis dans ce pays, comment, à tra-
vers des collines qui ne sont composées que de sable argileux, il pouvait s'établir
des sources constantes, ainsi que j'en retrouvais en certains endroits où elles exis-
tent de temps immémorial, au dire des habitants; et ces sources fournissent une
eau limpide et excellente à boire, par exception avec l’eau des puits des hauteurs.
Muis l'observation ci-dessus me donnait immédiatement l'explication du phé-
nomène; et il me devenait presque évident à priori que ces eaux, par le dépôt :
progressif de leur base ferrugineuse, s'étaient pratiqué des tuyaux de conduite
imperméables, jusqu’à l'endroit où elles dégorgeaient en toute saison.
Cr, je ne tardai pas à surprendre sur le fait l'exactitude de cette explication,
dans les grandes excavations que l’on pratiquait un peu plus loin, soit pour les
remblais des chemins de fer, soit pour l'extraction du minerai de fer, qui en cer-
taines localités produit, pendant un laps de temps assez long, un ample bénéfice
aux paysans qui sont propriétaires de ce sol ou qui achètent le droit de l'exploi-
ter par défrichement dans le bois de l’État. Là j'ai retrouvé deces sortes de tuyaux
naturels de conduite, carrément canaliculés, et comme si on les avait construits
à l’aide de petites briques irrégulières ; le minerai qu'on en extrait ne se com-
pose que de fragments aplatis des parois de ces sortes de tuyaux naturels. La
chimie souterraine avait ainsi moulé, par précipitation du fer, un vaste réseau de
drainage, Et ces tuyaux, à parois épaisses de deux et même quatre centimètres,
dépassent souvent 15 centimètres de côté; ils ont à l'intérieur la couleur et la
consistance du fer limoneux le plus pur, précipités qu'ils sont par les bases alca-
lines, à des profondeurs qui les mettent à l’abri de l'oxydation par l'air atmo-
sphérique; leur surface externe seule est un agglomérat ocracé de quartz et
d'argile soudés par la portion d'oxyde de fer qui s’est précipitée la première.
Ces tuyaux, conducteurs d’eau de source, se forment partout où l’eau peut se
pratiquer une pente. Mais dans d’autres endroits où l’eau séjourne sans issue,
et qui forment, pour ainsi dire, chaudron, là le fer limoneux, le fer précipité de
sa dissolution par les bases alcalines, se dépose en masses considérables lamel-
leuses et comme schisteuses, en fragments énormes de rochers, et même en paral-
lélipèdes d un pied de hauteur etarrangés comme des tas de payés, ce que j'ai vu
dans une excavation qu'on a pratiquée à l’'embarcadère de Boitsfort, qui existe
lui-même sur le plan d'une excavation assez profonde pratiquée au-dessous du
pont que traverse la chaussée, c’est-à-dire la route pavée, Ces dépôts sont des
agglomérats de fer, d'argile et de silice ; ce sont des poudingues de &rains de sable
cimentés avec du fer précipité,
Lorsque ce ciment ferrugineux ne se dépose qu’en quantité suffisante pour
agglutiner les uns aux autres et non pour recouvrir en entier les grains de sable,
le poudinque prend alors un aspect tout autre et une forme générale infiniment
POUDINGUES DE FORMATION RÉCENTE. 291
approchant de ces rognons de silex pyromaque que l’on rencontre, en stratifica-
tions parallèles, dans la craie des environs de Paris et dans les falaises de la Nor-
mandie. Ce sont des rognons bosselés, contournés, fouillés, hérissés, comme de
têtes d'os et de longs tubercules arrondis ou aigus, et que l’on prendrait quelque-
fois pour des fragments d'os d'une grande charpente animale. On en trouve de
deux à quatre pieds dans toutes les dimensions; et en certains endroits, tels que
la colline que j'habite, il ne faut donner que quelques coups de bêche pour en
déterrer de tels; ce sont des agglomérats de grains de sable qui se sont soudés, soit
par le précipité de fer, soit par la silice précipitée d’un silicate tel que le silicate
de chaux dont on fait ici un si grand usage comme mortier ; et certainement ils
ne datent pas du déluge; car, par tout ce que nous venons de dire, il est évident
qu'il doit s’en former tous les jours,
Les plus gros servent de bornes; les moins bizarres par la forme servent aux
fondations; mais les rognons les plus bizarres et les plus tuberculeux, on les em-
ploie à l’ornementation des portes d'entrée des murailles d'enceinte ; on en recou-
vre la sommité des pilastres; l'artiste qui a du goût les assemble de manière à
imiter la flamme de ces braseros en marbre, dont l’ornementation architecturale
avait emprunté l'idée aux monuments espagnols, et que l’on plaçait de distance
en distance, sur les balcons des plates-formes, comme de gigantesques lampions
postiches. Mais tous nos artistes n’ont pas conservé la bonne tradition, en sorte
que ces réunions de rognons siliceux sur les pilastres des portes, quand elles sont
badigeonnées de blanc, ont un peu l'air d’un vaste bonnet de coton renversé et
rempli de pommes de terre.
Si jamais il arrivait que ce dépôt ferrugineux rencontrât les cailloux roulants
que nous avons déjà désignés sous le nom de sicyolithes (*), il les agglutinerait
en poudinques semblables à ceux que l’on trouve dans les couches géologiques
des autres régions. Mais, ainsi que nous l'avons fait observer déjà, ces corps
agatisés n'existent ici d'une manière abordable que sur lés hauteurs des col-
lines, et ce n’est pas là que le fer peut se précipiter de son nitrate; la dissolution
filtre trop vite à travers ce sol sablonneux, pour avoir le temps de se décom-
poser et de se déposer en ciment sur les cailloux ou les grains de sable; tout
dépôt se produit par le repos. Gependant je né désespère pas de rencontrer ici un
jour de ces sortes de poudingues à une certaine profondeur.
Qu'il se produise chaque jour de pareils poudingues, il suffit d'entrer dans
quelque arsenal où l'on dépose les débris des vieux naufrages, pour rencontrer
des corps ferrugineux incrustés de cailloux siliceux, de coquillages et d’un peu
de tout ce qui gisait à côté de ces débris dans le fond de Ja vase. Il y a plus de
quinze ans qu'en allant donner des soins à un armurier qui tenait un tir aristo-
cratique à Chaillot, j'ai vu dans sa cour une vieille caronade en fer qu'on avait re-
tirée de la mer, relique d'un grand vaisseau qui avait fait naufrage. La surface en
était incrustée de cailloux que le marteau aurait plutôt brisés que séparés, tant le
ciment qui les unissait était ferrugineux.
Plus tard j'ai rencontré dans les sables humides des morceaux de fer fabriqué,
des clous par exemple, qui étaient également incrustés de petits cailloux siliceux ;
il s'était formé tout autour de leur surface, et aux dépens de leur substance, un
vrai petit poudingue,
Or une telle formation est facile à concevoir : l'acidité aue contractent les eaux,
(*) Livr, de déc. 1854, pag. 148.
292 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
soit par les pluies d'orage, soit par les produits de la fermentation des corps or-
ganisés qui se décomposent dans leur sein, cette acidité dissout d’abord le fer; qu'il
survienne ensuite une phase ammoniacale dans la fermentation de ces corps or-
ganisés, ou bien qu'une vague apporte dans ce foyer une dissolution calcaire, et
le fer se précipitera sur la surface de tous les cailloux qui enveloppent les débris
ferrugineux ; puis ce précipité, en se solidifiant, formera une première couche de
ciment pour les souder et au débris et entre eux. Or cette alternative de dissolu-
tion et de précipités se reproduisant chaque jour, en si petit volume que ce soit,
finira par déposer une couche si épaisse, dans les interstices, que l'agglomérat
accidentel en sera transformé en une apparence de fragment de rocher.
CONCLUSION.
Dans les terrains sablonneux à de grandes profondeurs et riches en pulvérin
ferrugineux plus ou moins impur, partout où vous trouverez des sources d'eau
limpide qu’on ait observées dans cet endroit de temps immémorial, il est infini-
ment probable que la source vous mènera, comme par la mAin, à une excellente
veine de fer limoneux et de minerai d'une qualité exploitable.
Dans les pays où abondent les pyrites (sulfures de fer) trop peu riches pour pou-
voir être transformées lucrativement en sulfate, on pourrait les utiliser pour fa-
briquer des briques de toutes les formes et de toutes les dimensions, en les
abandonnant à l'air jusqu’à ce que tout le sulfure de fer qu’elles renferment se
fût transformé par déliqueseence en sulfate de fer (vitriol vert); on pétrirait alors ce
magma avec du sable ou des cailloux ; on pourrait jeter cette pâte informe dans
des moules ereusés dans le sol, et arroser chaque jour le tout avec l’urine, même
le purin du fumier, enfin avec tout autre liquide naturel ou artificiel chargé d’un
alcali quelconque (ammeniaque, chaux, soude, potasse, magnésie, ete.); le fer,
précipité de sa dissolution sulfatée par l’action de ces bases, deviendrait un ci-
ment capable de sonder l’agglomérat, de manière à former ainsi une pierre de
poudingue toute taillée et d'une dureté supérieure à celle du marbre, après
dessiccation. On jetterait ainsi au moule la pierre à bâtir, sous toutes les formes
requises par l'architecture, même des cintres tout entiers et autres ouvrages d’un
plus grand volume et d’une plus grande étendue, tels que le pavé des voies de
communication, enfin des fondations imperméables pour les édifices, des conduits
d'eau et des égouts, etc., etc. Un principe une fois établi, ses applications sont
illimitées.
CHAPITRE VI — GALERIE MÉDICALE.
ÉTUDE SUR GUY PATIN,
Docteur en médecine, professeur au Collége royal et doyen de la Faculté de médecine de Paris (*).
(Suite, voir livr. de mars, pag. 262.)
Nous avons dit que Guy Patin, dans son extrême vieillesse, eut à se plaindre
des dernières volontés de son fils Robert, qui le précéda dans la tombe; pour ce
qui est de Charles, son second fils, qu’il appela toujours mon Carolus, la diversité
(*) Je puise les matériaux de cette notice dans les 5 volumes de Jettres de Guy Patin, qui ont été
publiées après sa mort, par le soin des destinataires ou de leurs ayants cause: Falconet, médecin de
Rheims, Belin et Spon, médecins de Troyes, Cousinot, médecin consultant du Roi, etc. Les deux der-
ÉTUDE SUR GUY PATIN. 293
de ses études et sa vaste érudition auraient fait la consolation de son vieux père, si
les ennemis que lui créa sa libre manière de penser ou mieux encorela jalousie des
savants (*), dont l’un entre autres eût voulu s'approprier le fruit de ses recherches,
si enfin peut-être la politique ombrageuse du gouvernement ne l'avait pas forcé,
en 1668, de quitter la France et de se réfugier en Allemagne. Guy Patin mou-
rut sans avoir pu ni obtenir sa grâce, ni découvrir les motifs de son exil. C’est à
Robert Guy Patin que nous sommes redevables de l'Æistoire numismatique des
empereurs romains, et d'une foule de dissertations sur les médailles.Les bontés
des princes d'Allemagne et de l’empereur le consolèrent, pendant tout son exil,
des rigueurs du roi de France; et les succès littéraires qu'obtinrent auprès des
sociétés savantes de l'Italie et de l'Allemagne, et son épouse, Magdeleine Hommetz,
et ses deux filles, durent le rendre, sur la terre d’exil, le père le plus heureux du
monde; il avait une académie dans l'intérieur de son ménage; tout y était étude
et amour. Magdeleine Hommetz était fille d'un médecin, intime ami de Guy Patin
le père (*).
Quant à Guy Patin le père, quoiqu'il ait professé toute sa vie une haine non
contenue contre la sanglante tyrannie de Richelieu et l’avare et rusée administration
de Mazarin, quoiqu'il ait pris une large part à ce qu’il appelait la guerre mazari-
nesque par des pamphlets anonymes qui eurent un grand succès, qu'il n'ait ja-
mais caché l'horreur que lui inspiraient les Jésuites, ni le dégoût qu’il professait
pour les moines fainéants; cependant il eut l’art d'échapper à toutes les pour-
suites pendant le cours de sa longue et laborieuse existence; et si la cour, qui
devait le connaitre, ne pensa jamais à lui pour lui confier la santé de ses maitres,
il n’en parvint pas moins aux plus grands honneurs auxquels la profession de
médecin eût alors le droit de prétendre : il fut doyen de la faculté en 1652 (le
décanat alors était conféré par l'élection); et, en 1655, il succéda au grand Riolan
dans la charge de professeur royal au collége de France, comme on l’a appelé
de nos jours. De tels honneurs ne l'infatuèrent point; et il fournit une preuve
convaincante de la solidité de ses prétentions à la vraie gloire, en entrant en
charge.
Car à l'époque des licences, on faisait frapper des jetons pour les donner aux
docteurs reçus ; il était d'usage d'y mettre d’un côté les armes de la Faculté et de
l’autre celles du doyen. Quant à lui, au lieu de ses armes, il y fit graver son por-
trait; « le sculpteur, dit-il, tout habile qu'il est, n’y a pas bien rencontré pour la
ressemblance, principalement à l'œil; mais il n’y a point de remède » (***).
Je suis convaincu, que si le portrait que l’on trouve en tête du premier volume
de ses lettres a été pris sur cette médaille (ce qu'indiquerait déjà la défectuosité
qu'on y remarque à l'œil droit, et ce qui reçoit un plus grand cachet de probabi-
lité, quand on pense que l'édition a eu lieu sous les yeux de Spon, à qui la plupart
de ces lettres furent adressées), on peut établir l'horoscope de ce savant sur une
telle empreinte. Il y est représenté revètu des insignes du décanat et en petit cos-
tume : en souquenille avec manchettes aux poignets, camail d'hermine sur
niers volumes paraissent être la traduction des lettres latines, dont l'éditeur de Hollande des lettres
françaises, en 3 volumes, avait annoncé la publication prochaine. En 1846, J. H. Reveillé-Parise a
donné une nouvelle édition, en 3 volumes in-8e, de ces cinq volumes édités de 1697 à 1707 en Hol-
lande ; il n'y a ajouté que quelques bribes de lettres trouvées dans les ouvrages du temps, une notice
et une table de matières auxquelles nous n'avons pas eu besoin de recourir. — (*) Lett. 353, 20 mars
4665, tom. IL. — (**) Lett. 470, 12 mai, lett. 478, 13 sept. 1668 ; lett. 490, 26 avril 1669; lelt. 537,
23 juillet 4671, tom. 1. — (**) Lett, 69, 28 juin 1652 ; leut. 72, 31 janv. 1653, tom. I.
294 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
les épaules (en grand costume de cérémonie, les docteurs portaient la chape
rouge (*), grand rabat d’étamine noire bordé de blanc sous le menton, et bonnet
carré sur la tête, Il parait poursuivre une pensée du côté du spectateur, il est
assis dans sa bibliothèque, devant une table de travail fort étroite, sans ornemen-
tation et surmontée d’un petit pupitre de bois, avec une sonnette d’un côté, une
écritoire et un sablier de l’autre; il tient à la main le volume posthume de ses
lettres, son vrai titre à la célébrité.
Cette tête semble avoir été taillée dans le marbre ; la forme générale en est celle
d'une pyramide renversée; vaste cervelle, faibles appareils de la mastication;
menton aigu surtout ayec sa courte royale; lèvre supérieure ombragée d'une
aussi faible moustache que la mode du temps le permettait, la pointe médiane
s’emboitant dans l’échancrure en cœur de la lèvre inférieure; nez fortement
aquilin, ce qui avait fait dire à un de ses amis, que ce trait achevait de complé-
ter son parallèle avec Ovidius Naso (guy ou quido venant d'Ovidius, Ovide, le
poëte proscrit de la cour pour ses mazarinades anticésariennes (‘*); sour-
cils grandement arqués et obliques, séparés par le sillon des soucis et de
la méditation; prunelles pétillant sur ce visage sérieux. Il y a là du Voltaire
avec un peu moins de malice et plus de cette indignation qui inspire les satires
politiques ; puis finesse d'appréciation, amour des études solides et sérieuses,
mémoire heureuse, aversion pour les excès, conversation animée et spirituelle,
assaisonnée de pointes de bon ton et de citations venant à propos et sans pédan-
tisme; culte du beau et du bien, dégoût de la courtisanerie et de ses faveurs,
de Ja superstition et de ses tartufes; car ce mot était passé dans le langage
usuel dès le lendemain de la représentation de la pièce de Molière, et Guy Patin
s’en sert souvent,
L'éditeur de la nouvelle édition (1846, en 3 volumes) des Lettres de Guy Pa-
tin, le docteur J.-H, Réveillé-Parise, a placé en tête de l'ouvrage un portrait de
Guy Patin fort bien gravé, d’après l'original qu'Orfila a donné à l'Académie de mé-
decine, comme un portrait venant de la famille. En vérité, la collection de l'Aca-
démie de médecine joue de malheur, en fait de portraits de grands médecins : la
toile que l’archiâtre Portal lui a léguée, comme étant le portrait de Vésale, peint
par le Titien, n’est évidemment que la portraiture médiocre d’un mignon du
temps de Henri HIT (**), ainsi qu'on pourra s’en assurer, en confrontant la copie
gravée, soit avec le portrait de Vésale placé en tête de l'édition de Bâle (in-folio,
4542), suit avec la figure de la belle statue en bronze que Bruxelles a érigée, sur
une de ses places publiques, à son immortel compatriote.
Le portrait donné à l’Académie, par Orfila, est très-éloigné de la coupe de
figure, des traits et de la physionomie du portrait de Guy Patin, que les éditeurs
de Hollande ont placé en tête de ses lettres, portrait qui émanait de Spon, l'intime
ami de Guy Patin; et je m'étonne encore que Réveillé-Parise, qui reproduit
cette édition, ne se soit pas aperçu de la mystification nouvelle de l’Académie.
Ce n’est certes pas dans une pareille tête que les physionomistes du temps au-
raient trouvé des analogies, surtout par le nez, avec les grandes figures histo-
piques d'Ovide et de Cicéron. Ces yeux écarquillés, ces sourcils redressés
d'effroi, ce regard effrayé et plongeant à terre, cette ligne concave du nez (Guy
Patin avait un nez aquilin très-prononcé), tout cela forme un assemblage de
traits bouleversés et grippés qui conviendraient mieux à ce docteur Saint-
(*) Lett, 30, 5 nov. 4649, tom. I. — (**) Lett. 42, 16 août 1650, tom. [,
(**) Voy. Revue élémentaire de médecine et pharmacie tome 2, livr. 2, pag. 55, juillet 1848,
ÉTUDE SUR GUY PATIN. 295
Jacques, qui de doyen alla se grimer en Guillot Gorju, sur les tréteaux de l'hô-
tel de Bourgogne, qu'au type d'un homme aussi distingué par son esprit, ses
manières et la gravité de ses études que le fut le doyen Guy Patin.
Comme dans ces têtes à vaste érudition, l'observation des faits naturels et les
combinaisons des études expérimentales trouvent peu à se loger, il arrive que si
jamais des hommes de cette trempe prennent un parti dans une discussion scien-
tifique, ils s’y arrêtent avec d'autant plus d’opiniâtreté et le défendent avec d'au-
tant plus de feu, qu’ils ont épuisé, à raisonner ainsi, et toutes les ressources de
leur esprit et toute la bonne foi de leur âme. Ils mériteraient d’avoir raison, tant
ils ont fait d'efforts pour être justes,
Aussi, durant tout le cours de son existence, et elle est fort longue, Guy Patin
ne se départit jamais du rôle qu'il avait une fois pris en politique, en science et
en religion.
Un de ses compagnons d'étude soutenait qu'un parfait honnête homme devait
vivre 80 ans, et il mourut à 81. Guy Patin approcha beaucoup de ce signe de
perfection, car il mourut septuagénaire en 1672; comptant chaque jour, dans
quelqu’une de ses leltres, le vide que la mort faisait autour de lui. Sa dernière
lettre est du 22 janvier 4672; il y annonce la mort de Gronovius de Leyde et de
Plempius, savant médecin hollandais, qui de huguenot se fit catholique, pour
être professeur à Louvain, et qui disait ensuite à Riolan que, si les états voulaient
lui donner une de leurs charges de professeur à Leyde, il se referait huguenot,
« C'est, dit Guy Patin, qu'il était dès ce temps-là mal payé de ses gages. » Et
il ajoute avec malice : « C’est encore pis à présent à ceux qui restent. » La gloire
de Louis XIV avait, dès cette époque, achevé de vider les coffres de l'État, en
ruinant la France ; lefise faisait main-basse sur tout et ne payait plus personne, les
professeurs du Collége royal encore moins que les auires employés du royaume.
Guy Patin réunissait les trois qualités qui constituent le professeur universi-
taire : l’érudition, la connaissance approfondie des trois langues classiques et
la facilité d'improvisation autant en français qu'en latin. Il écrivait à ses amis
avec ce bon et piquant laisser-aller de langage que l'on n'a jamais cessé de parler
en France, mais que l’Académie française tendait de plus en plus à remplacer
par le beau langage, le langage de l’antithèse qui vous berce et des énigmes à
deviner. Son style ne parait pas toujours correct; et quand ce n'est pas la faute
des éditeurs, cela vient souvent de ce qu'il n'a pas eu le temps de relire sa lettre.
À part ces incorrections, on y trouve souvent le piquant et la grâce du style de
Me de Sévigné, avec quelques formes de celui de Rabelais. Si les limites de cet
article melaissaient la latitude de transcrire une de ses meilleures lettres en entier,
je mettrais volontiers sous les yeux de mes lecteurs la 65° du premier volume
(22 déc. 1651), où il rapporte la mort de la fille du célèbre graveur sur médailles,
Varin, que, pour 25 mille écus, ce père avait mariée, toute belle et jeune qu'elle
était, à un correcteur des comptes, fils d’un riche marchand de marée; cet époux
était boiteux, bossu et écrouelleux; le soir de ses noces, quatre hommes se mi-
rent à le déshabiller, démontant son corps à vis et lui ôtant une jambe d'acier, le
resle du corps étant tout contrefait. La pauvre fille, le 10° jour de ses noces, étant
à déjeuner, tira de la pochette de sa jupe une poudre qu'elle mit dans l'œuf,
comme on y met d'ordinaire du sel; c’était du sublimé corrosif; elle mourut trois
quarts d'heure après, sans autre bruit sinon qu'elle dit : Il faut mourir, puis-
que l'avarice de mon père l’a voulu. Les femmes de la halle assurèrent que cette
pauvre femme était morte vierge et martyre.
296 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Cette page vaut tout un roman.
Vient ensuite la mort d'un brigand de grand chemin, qui reste sur le carreau,
en atiaquant un carrosse à la tête de sa bande, et qui se trouva être le fils d’une
autre espèce de brigand, le maitre des requêtes Laubardemont, lequel condamna
à mort, en 1655, le pauvre curé de Loudun, Urbain Grandier, et le fit brüler vif,
sous ombre qu’il avait envoyé le diable dans le corps des religieuses de Loudun,
que l’on faisait apprendre à danser, afin de persuader aux sots quelles étaient
démoniaques. Assassin juridique, père d’un assassin de grand chemin; un bri-
gand fils d’un inquisiteur !
Puis vient le portrait du jeune Chartier, auteur d’un livre en faveur de l’anti-
moine ; « livre que la gueuserie (car il n'avait ni pain ni souliers) lui avait fait
entreprendre, pour suflire aux frais de huit procès qu'il avait à soutenir : contre
son père, contre la Faculté de médecine, qui est comme sa mère, contre sa femme,
contre son beau-frère, contre la veuve Cousinot pour 4000 livres de dette, contre
une chambrière (le mot que je remplace est trop rabelaisien) à qui il devait 250 fr.
de rente pour l’entretien de deux enfants qu'il avait reconnus siens; contre son
hôtesse, coutre son propre frère pour un bénéfice qu'il lui avait vendu et revendu
à un autre; et ilen a peut-être bien d’autres que je ne sais pas, dit Guy Patin;
car on dit tout haut dans Paris qu'il doit à Dieu et au monde. » Et cependant ce
Chartier gagna son procès contre la Faculté, en 1653, par l'influence du président
de Mesmes et sur la recommandation de Guenaud, médecin du roi, grand partisan
de l’antimoine, médecin si connu et si courant à cheval qu on disait de lui, à
Paris, Guenaud et son cheval :
Guenaud sur son cheval en passant m'éclabousse.
Boileau, Sat. VI.
En un mot, qui voudrait épuiser ces matières,
11 compterait plutôt combien dans un printemps
Guenaud et l’antimoine ont fait périr de gens.
Boiceau, Sat. IV.
Il est peu de lettres de Guy Patin où ce Guenaud et son confrère Vallot, tous
deux médecins de la cour, ne reçoivent plus d’une estafilade ; mais ce n’est qu’en
correspondance; ce sont des secrets de Midas confiés à la terre, et que la terre
seule du tombeau devait laisser venir au jour.
Les vers de Boileau ci-dessus cités ne sont nulle part mentionnés dans les let-
tres de Guy Patin, quoiqu'ils semblent avoir été faits pour servir à sa guerre de
plume; et c’est une chose digne de remarque que ce grand érudit, qui est au cou-
rant de tout ce qui s'imprime sur la médecine et la littérature latine, ne sem-
ble s'être aperçu d’aucun des monuments immortels de notre littérature française,
qui s’accumulaient alors et soulevaient l'enthousiasme à la cour comme à la ville.
C’est ainsi qu'à la mort d'Anne d'Autriche, il fait mention d’un sermon (orai-
son funèbre) fort maladroit du père Faure à Saint-Denis, et ne dit pas le moindre
mot de l’oraison funèbre de Bossuet (*). Pas le moindre mot de l'oraison funèbre
d’Henriette d'Angleterre (**). Nulle part rien sur l’oraison funèbre de Madame
(1670), oraison si célèbre par ce cri de terreur et d'accusation : Madame se
meurt, Madame est morte (°*).
(*) Lettre 395, 16 février 1666, tome III, — (**) Lett. 499, 20 sept. 1669, tome III. — (**) Lett. 525,
lett. 530, 17 sept. 1670; lett, 606, déc. 1669, tome III.
(La suite au prochain numero.)
10° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 1er Mai 1855.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE.
MIASMES PUTRIDES QUI SE DÉGAGENT DES FOSSES D’AISANCE, DES TOMBEAUX,
DES ÉGOUTS OU MÈME DE DESSOUS LES PAVÉS DES VILLES POPULEUSES ET
MAL TENUES, ETC. — CAS D’ASPHYXIE, DE PROSTRATION TOTALE ET MÊME
LD’APOPLEXIE FOUDROYANTE QUI EN RÉSULTENT.
On s'expose à de bien graves accidents toutes les fois qu’on se mêle de vou-
loir recommencer la science par un bout sans s'être fait une idée préalable
de tous les autres. Qui voudrait aujourd'hui réinventer le paratonnerre, sans
avoir pris connaissance des expériences de Franklin, pourrait bien se voir fou-
droyé au premier début de ses recherches.
Le cas suivant est un exemple du danger que l’on court en voulant être son
propre maitré dans la manière d'appliquer une idée qu’on a pu surprendre dans
la conversation de ceux qui savent, ou dans une lecture à la dérobée de quelque
page d’un traité spécial.
Pendant mon séjour, de 1849 à 1850, dans les cellules du quartier dit de
Bourges, à la citadelle de Doullens, un de nos compagnons se trouva pris tout
à coup de symptômes si alarmants, que je ne me les expliquai point, si ce est
comme étant produits par une attaque de choléra.
Sans perdre de temps, et tout en attendant la permission, je me mis à le soi-
gner par les moyens de la nouvelle méthode; quand le médecin de la prison
survint, il augura que le malade était perdu et le confia à mes soins; à minuit
environ le malade était rétabli, il dormait d’un profond sommeil, et je pus aller
me mettre au lit à mon tour, succombant à la fatigue du métier.
Il y avait pourtant, dans la série des accidents de ce mal subit, des caractères
que j'avais de la peine à mettre sur le compte du choléra, et qui me paraissaient
tenir à un autre ordre de phénomènes, ce qui fit que je me mis à étudier de plus
près, dès ce moment, et sans faire part de mon idée à personne, les habitudes
journalières du prisonnier.
Pendant près de quinzejours, je l'avais vu transformer nos allées en étang, dans
le but d'obtenir une vase des plus fines; puis tamiser la terre, afin de la débar-
rasser de tout ce dont la dureté prenait l'air d’un caillou. Notre sol se compo-
20
298 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sait d’une terre fortement argileuse et qui durcissait au soleil, après que les
pluies l'avaient un tant soit peu détrempée; des grumeaux durs comme des
cailloux se reformaient après chaque tamiisage, en sorte que si, en désespoir de
cause, notre artiste n'avait pas mis fin à ce tamisage sur tamisage, ce travail
d'élimination sans cesse renouvelé aurait fini par tout retenir au-dessus du ta-
mis; il y renonça après deux ou trois opérations de ce genre. Que voulait-il
faire de cette terre finement tamisée ? Il voulait composer une poudrette pour
l'engrais de son jardin; tout était déjà en pleine végétation dans les jardins des
autres, que le sien en était encore à servir d'aire à ce fumage en espérance.
Pour fabriquer sa poudrette, il avait pratiqué dans la terre un trou de deux
pieds environ, dont il avait jonché le fond de morceaux de viande crue qu'on lui
donnait chaque jour pour son pot-au-feu, de débris de viande cuite qu'il économi-
sait sur sa nourriture, enfin des oiseaux qu’il ne parvenait pas à élever; et il avait
recouvert le tout de deux pieds de sa terre silaborieusement et si finementtamisée.
Jusque-là le danger n'aurait pas été fort grand, tant qu'on n'aurait pas tou-
ché à ce charnier avant un bon nombre d'années.
Mais ce n’est pas ce qu’entendait faire notre novice expérimentateur; et vous
allez concevoir pourquoi il avait pris soin de réduire en fine poussière, à tant de
frais, la terre dont il avait comblé la fosse : Pour ajouter à la richesse du com-
post futur, chaque matin et à l'ouverture des cabanons, il courait à sa fabrique
et se hâtait de faire parvenir jusqu'au tas de viandes ensevelies le produit so-
lide et liquide de ses déjections nocturnes; et pour cela faire, il enfonçait un bâ-
ton à travers la terre si meuble qu’elle ne présentait aucun obstacle; et par ce
goulot souterrain, il déversait toutes ses vidanges sur la viande qui pourrissait;
il refermait ensuite soigneusement le trou, crainte que les exhalaisons n’eussent
révélé aux passants le secret de sa méthode expérimentale. Dans le jeur, il lui
arrivait de quitter brusquement la compagnie, pour aller un instant dans son
cabanon, crainte de priver son dépôt d'engrais d’une goutte du liquide urinaire.
Dès que j'eus surpris le manipulateur sur le fait, sa maladie, dont je l'avais si
heureusement guéri, me fut parfaitement expliquée; car je découvris en même
temps qu'avant de construire cette fosse éloignée, il avait commencé par en faire
une semblable sous la fenêtre de son cabanon qui était au rez-de-chaussée, afin
de pouvoir l’arroser à sa manière, sans sortir de chez lui. Il était évident que sa
première maladie, il l'avait gagnée en manipulant ce premier cimetière, qu'il
avait heureusement abandonné depuis lors à sa propre décomposition.
Je l’avertis aussitôt qu’il jouait là à un jeu terrible; je lui citai des cas de
mort subite qui n'étaient pas dus à une autre cause. Mais toutes les pas-
sions se ressemblent; elles sont aveugles sur le danger. Notre expérimentateur
continua son manége, triomphantet fier de voir, pendant un certain laps de temps,
que mon pronostie n'était qu'une fausse crainte; le charnier n’en était pas en-
core à la phase de la fermentation putride.
Mais un jour que je me trouvais au parloir avec ma famille, je le vois rentrer
pâle, l’œil cave, les tempes creuses, les bras pendants, chancelant sur ses jam-
bes comme un homme ivre : « À mon secours, me dit-il, je me meurs »; et je
n’eus que le temps de le prendre dans mes bras et de le porter sur son lit, en
dépit de la résistance des gardiens à qui leur consigne défendait de me laisser
sortir du parloir pendant la durée de la visite.
Une fois dans le cabanon du prisonnier : « Au nom du règlement, leur dis-je,
(car ils se mettaient en mesure de m'arracher de ce lieu), courez chercher l’au-
IMPRUDENTE FABRICATION DE POUDRETTE. 299
torité et le médecin ; ce prisonnier est en danger de mort,» Ils ne se le firent pas
dire deux fois. Le médecin, qui accourut aussitôt, en jugea comme moi; il ne
trouva dès lors aucun inconvénient à me charger de la mission de soigner ce
malade comme je l'entendrais; et il ordonna au pharmacien de me transmettre
les médicaments dont j'allais lui donner la liste, Je pris congé de ma famille et
me mis à l'œuvre sans désemparer; et il était temps : car le pouls était déjà re-
monté jusqu'au coude; les idées déménageaient et tous les ressorts se déten-
daient de seconde en seconde, Sur-le-champ, je lotionne les bras, le cou, le der-
rière des oreilles, la région du cœur avec l’eau sédative; je lui en fais prendre
une cuiller à café dans un bol d’infusion de bourrache. Le froid le gagnait aux
extrémités ; je le déshabille, le transporte dans son lit bassiné; je l'y lotionne à
l'alcool camphré sur le bas-ventre pour dissiper une épreinte qui le torturait.
Il demande à aller à Ja selle et rend des fétidités d'une puanteur insupportable;
je fais brüler du vinaigre sur une pelle rougie au feu, que je promène dans tous
les coins du cabanon; je lui administre un lavement camphré; je lui donne à
avaler un grumeau de camphre, et je ne discntinue pas de le lotionner à l’eau
sédative et de le frictionner à la pommade camphrée sur le dos, Les symptômes
n'empirent pas, mais cet état ne se maintenait qu'à force de ces soins. A minuit,
le mieux se déclara d'une manière plus décisive; à une heure du matin, le ma-
Jade était hors de danger; je crus pouvoir l’abandonner à la surveillance d’un
auxiliaire ou homme de peine des prisons, et j'allai prendre un peu de repos,
pour me retrouver en état de tenir encore tête am mal, en cas qu'il survint une
nouvelle attaque; ce qui n'eut pas lieu. Le lendemain matin, le médecin, l'ayant
trouvé sur pied à son grand étonnement, lui dit : « Vous devez une belle chan-
delle à votre sauveur. » Mon salatre n’a pas été précisément de ce genre; mais
de cela il ne m'en est resté aucun souvenir.
Pendant trois jours, je fus obligé de donner le bras au malade; les jambes, à
la suite d’une telle secousse, lui faisaient défaut. Mais le quatrième jour il était
redevenu ingambe.
Dès ce moment je fis arracher les plantes grimpantes qui formaient, au devant
de sa fenêtre, un rideau imperméable à l'air et à.la lumière.
Sur mes révélations, on jeta du chlorure de chaux sur la plate-bande qui
longeait la fenêtre ; on enleva ensuite les morceaux de viande pourris de ce char-
nier premier en date, en ayant soin d'arroser de chlorure de chaux la terre à
mesure qu'on la découvyrait à chaque pelletée,
Quant au charnier n° 2 du fond du jardin, j'insistai pour que personne n'y
touchàt; je le fis seulement arroser de chlorure; et crainte d’une nouvelle ten-
tation, le malade, dès qu'il fut rétabli et en état de marcher sans lisière, fut sur-
veillé de plus près, Mais il n’en avait plus besoin; les inconvénients de son fu-
mage l'avaient même dégoûté du plaisir du labourage; les fleurs, pour Jui, c'était
l'accessoire; le principal c'était le compost à préparer; il ne pensa plus à semer
des fleurs, dès qu'il n'eut plus de poudrette à refaire, Dans le même moment, nous
avions un autre prisonnier dont le goût n'était pas de planter, mais de déplanter
les fleurs; il eultivait toute l’année et retournait le terrain, semant toujours et
retournant toujours jusqu'à la fin de l'automne; cet exercice, moins poétique,
était du moins hygiénique.
Mais de ce cas passons à l’histoire des miasmes putrides,
L'inconséquence est le grand fléau des sciences d'application et surtout de
l'économie domestique : une foule de calamités publiques découlent nécessaire-
500 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ment de la négligence dans l'application de certains principes que l'on connaît
parfaitement en théorie.
Ce qui se passait dans le tout petit coin d’une prison d'État se passe plus sou-
vent qu’on ne pense, au gré du hasard, sur des surfaces d’une bien plus grande
étendue; mais on a toujours besoin de l'invasion d’une grande calamité, pour
prêter son attention à la cause immédiate. Rappelez-vous eombien il a fallu de
siècles pour qu’on ait renoncé à l'usage de déposer les cadavres des riches au fond
de caveaux creusés dans l'enceinte de l’église, et à celui d'établir les cimetières
dans l'intérieur des villes. C’est à la philosophie des grands littérateurs da
48e siècle et à Ja logique inexorable de la révolution de 89, l'immortelle fille de
cette grande philosophie, que l’on est redevable de l'abolition, sur la surface de
toute la France, de ce système auquel nos aïeux ont été redevables de tant d'épi-
démies autrement inexplicables.
Parmi la foule d'exemples d’épidémies de ce genre qu'a enregistrées l’histoire,
uous citerons, comme le moins contestable, le suivant : En 17753, à Saulieu, en
Bourgogne, les enfants, au nombre de soixante, étant rassemblés dans l’église,
afin d'y faire leur première communion, on s’avisa de creuser une fosse dans
l'église, pour y enterrer un nouveau mort le soir même; mais à peine le fossoyeur
était-il à la moitié de son œuvre, qu’il s’éleva de la terre une exhalaison si ma-
ligne que le curé, le vicaire, quarante enfants et plusieurs paroissiens qui venaient
d'entrer, en moururent (*). En cet endroit étaient entassés des cadavres enterrés
depuis longtemps et que la pidthe du fossoyeur venait de mettre à découvert.
Si le miasme se fût dégagé par une fissure, et sans l'intermédiaire du fossoyeur,
les médecins n'auraient soupçonné dans cette calamité qu’une épidémie d’apo-
plexies foudroyantes.
Et c’est précisément ainsi qu'on a raisonné en 1852, année où les cas d'apo-
plexie foudroyante se multipliaient, dans les rues de Paris, de Ia manière la plus
alarmante. On voyait des personnes les mieux portantes, des deux sexes et de
tout âge, les animaux eux-mêmes, tomber comme foudroyés, ou plutôt s’affaisser
sur eux-mêmes, en passant de la chaussée sur le trottoir, et quelquefois en en-
trant dans la loge du portier ou dans toute autre pièce au rez-de-chaussée.
La médecine ne savait à quoi attribuer ce qu'elle appelait l'invasion de cette
épidémie. Mais la cause n'en était rien moins que difficile à deviner.
Un nouveau système de vidanges venait de s'établir sur une grande échelle.
Les auteurs étant parvenus à rendre inodore ou plutôt moins puante l'extraction
des matières accumulées de longue date dans les fosses d’aisance, et cela en sépa-
rant les matières liquides des solides, n'avaient trouvé rien de mieux que de
déverser la portion liquide dans les ruisseaux des rues, emportant Je reste pour
la confection de la poudrette. Mauvais calcul et désastreuse conséquence; mau-
vais calcul, parce que cette portion liquide que l'on jetait ainsi au ruisseau eût
constitué un excellent engrais, tout inodore qu’elle était d'abord; conséquence
désastreuse, car, quoique inodore à l'instant de l'extraction, cette matière liquide
n’en était pas moins putrescible, et propre à reprendre le cours de sa fermenta-
tion putride en séjournant dans quelque dépôt. Or, ce dépôt ne pouvait man-
quer de se former dans le sous-sol, à travers les fissures du sol et la séparation
des pierres, sous les pavés et les trottoirs, en sorte qu'en bien des endroits de Paris
il devait s'établir de petites fosses souterraines, où la matière accumulée et
(‘) Voy. les feuilles publiques du temps, et Voltaire, fragments sur l'Inde, art, 12.
ÉPIDÉMIE D'ASPHYXIES FOUDROYANTES. 304
stagnante devait se mettre à fermenter, tout aussi bien que dans une fosse d'’ai-
sance ordinaire; car la loi de la fermentation putride fonctionne toujours de la
même manière, quel que soit le volume des matériaux fermentescibles.
Donc, de ces petites fosses souterraines il devait se dégager, de temps à autre,
des moffettes ou, en d’autres termes, ce que les vidangeurs appellent le plomb,
gaz foudroyant qui fait tomber le vidangeur comme une masse de plomb, s’il
ne prend pas les précautions d'usage; or nous savons, en chimie, combien il
faut peu de ces sortes de gaz pour frapper de mort l'homme le plus robuste et
même l'animal le plus colossal,
Fort de cette conviction fondée sur les règles les plus rigoureuses de la logi-
que, j'adressai à l'Estafette la lettre suivante, que je reproduis sans l'en-tête trop
flatteur dont le rédacteur la fit précéder :
A M. le rédacteur de L'ESTAFETTE.
Monsieur ie rédacteur,
Le nombre des cas d’apoplexie foudroyante que la presse parisienne enregistre chaqu2
jour depuis bientôt deux ans est une de ces anomalies d'hygiène publique dont le caractère
exceptionnel doit appeler toute la sollicitude de l’autorité municipale.
Permettez-moi d’user de la bienveillante hospitalité de votre feuille pour soumettre quel-
ques réflexions sur ce point à l’édilité parisienne.
On peut remarquer tout d’abord que, toutes choses égales d’ailleurs, ces cas de mort sont
fréquents à Paris et dans les cités populeuses, et rares dans les campagnes. La cause parait
donc en être, au premier coup d'œil, une cause locale.
Une autre réflexion non moins importante, c’est que l’apoplexie foudroyante frappe bien
plus souvent dans la rue ou au rez-de-chaussée que dans les appartements élevés et aérés.
Peut-être même, sans trop de témérité, on serait en droit d'avancer que ce terrible accident
atteint l’homme bien plus souvent sur le trottoir que sur la chaussée. C'est du moins ce que
j'ai cru voir ressortir, avec une certaine probabilité, du dépouillement que j'ai pris soin de
faire des divers cas enregistrés par votre feuille.
Enfin la constitution des personnes victimes de ces hasards est si diverse, ainsi que leurs
habitudes, que la cause ordinaire de la vraie apoplexie foudroyante ne saurait plus être la
cause de celle dont nous parlons.
Dans les cas dont nous parlons, on tombe foudroyé, comme on tombe à l'ouverture des
fosses d’aisance, ou bien comme l’ouvrier qui arrive au fond d’un puits infecté d'acide
carbonique, comme le malheureux qui aspire l’acide prussique, comme le chimiste qui se
mettrait à aspirer une forte dose d'hydrogène arseniqué. Dans cette manière de voir, la
cause de ces sortes de morts ne serait que la moffette des mineurs et le plomb des vidan-
geurs, ou enfin une exhalaison foudroyante analogue à ces deux genres d’exhalaisons ; et
l’apopleæie foudroyante de nos rues mériterait plutôt le nom d’asphyxie foudroyante.
Or, je pose en principe qu'avec l’état actuel de propreté, ou plutôt de malpropreté de la
voirie de Paris, il est impossible que le plomb des vidangeurs, ce gaz qui frappe comme la
fondre, ne se dégage pas quelquefois d’entre les pavés des rues de Paris et de dessous les trot-
toirs bordés d’un ruisseau, comme il se dégage des latrines dont on descelle la pierre. En
effet, la fermentation des déjections animales a tout aussi bien lieu dans une petite cavité que
dans une grande, et ses produits sont identiques dans l’une comme dans l’autre occasion.
Quant au volume du gaz, qui certes diffère en raison de la masse des matières qui le déga-
gent, il n’en faut pas tant pour anéantir subitement une existence humaine ; tout chimiste
en conviendra.
Mais n'est-ce pas un fait incontestable que la masse de ces déjections solides ou liquides
que les particuliers et l’industrie déversent chaque jour dans le ruisseau doit s'infiltrer, à
travers les interstices des dalles et des pavés, dans les cavités accidentelles du sous-sol, et y
former là des dépôts analogues à celui des latrines, et dès lors fermentant et dégageani des
produits capables de donner la mort? Il faudrait nier la constance des lois chimiques pour
ne pas admettre cette induction.
Donc, dès qu'un éboulement ou qu’un ébranlement du pavé ménagera une issue à ces
produits délétères, malheur à celui qui passera par là pour l’aspirer ! il tombera comme tombe
5302 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
le pauvre vidangeur qui n’a pas pris les précautions convenables ; il sera foudroyé.
Donc, il devrait être interdit, dans les grandes agglomérations humaines, de rien jeter sur
la voie publique en fait de matières animales solides ou liquides, même inodores, en fait de
résidus de fabriques capables de fermentation et d’empoisonnement. Le payé d’une grande
ville devrait être propre comme celui de la grande cour d’une bonne maison.
Du reste, pourquoi perd-on en gaz délétères des matières dont les champs en culture n’ont
jamais de trop, et qu’ils savent transformer en utiles produits?
Quoi qu'il en soit de l'effet que pourront obtenir ces conseils émanés d’une plume brisée,
et comme je suis convaincu de l'évidence de ces inductions, je conseillerai à mes concitoyens
de porter habituellement sur eux un petit flacon d'acide acétique concentré, ou plutôt d’acé-
tate d'ammoniaque ou esprit de Mendererus (*) et de l’aspirer souvent en route; c’est un
excellent antidote contre toute espèce d’émanation.
Agréez, monsieur le rédacteur, l'assurance de ma considération.
F.-V. Rasralr.
Citadelle de Doullens, 23 septembre 1852.
L'insertion de la lettre dans l’Estafette avait eu lieu le 26 septembre; et déjà
les journaux du 30 septembre faisaient mention d’un accident terrible, venant à
l'appui du contenu de la lettre.
Le 29 au matin, des ouvriers marbriers occupés, dans lé cimetière du Père-
Lachaise, à construire un mausolée, trouvèrent, inondée par la pluie, la fosse
qu'ils avaient ereusée la veille pour les fondations. Mais à peine s’étaient-ils mis
à l’œuvre pour la vider que trois d’entre eux tombèrent frappés comme par la
foudre ; deux gardiens du cimetière, étant descendus dans la fosse pour en retirer
les trois cadavres, y restèrent sans connaissance ; mais, plus heureux que les trois
ouvriers, ils revinrent à la vie, à la suite des soins qu'on leur prodigua.
Évidemment l’eau de pluie avait filtré, pour arriver dans la fosse, à travers
des terrains où pourrissaient des cadavres; le lieu du sinistre expliquait suffi-
samment, en cette circonstance, la cause du mal. Mais quand le sinistre se re-
présentera partout ailleurs, la similitude des effets devra désormais faire soup-
çonner la similitude de la eause, et tracer la marche des soins à administrer
sur-le-champ et sans désemparer.
Cet exemple, survenu à la suite de la publication de ma lettre, fixa enfin l’at-
tention du comité de salubrité publique, et il fut défendu à l'administration des
vidanges prétendues inodores de vider leur matière liquide sur la voie publique.
THÉORIE DE CES CAS D’ASPHYXIE FOUDROYANTE.
Les corps organisés qui se décomposent et rentrent en fermentation ne font
en cela que désassocier leurs éléments organisateurs, en rendant leurs bases ter-
reuses à la terre, et à l'air leurs éléments gazeux (hydrogène, oxygène, carbone et
azote) isolés ou combinés entre eux : deux à deux, en eau (oxygène et hydrogène),
(*) L'acétate d’ammoniaque dont nous conseillons l'emploi dans la précédente lettre est peut-être
le sel le plus facile à préparer. Versez de l'ammoniaque liquide dans l'acide acétique, goutte à
goutte, et avec les précautions voulues contre les vapeurs des deux agents, et vous ne tarderez pas
à voir se déposer au fond du vase des cristaux blancs; si vous continuez, tout l'acide, se saturant
d’ammoniaque, se transformera en une masse cristalline, qu'il ne s'agira plus que de laver légère=
ment à l’eau, pour Ja dépouiller de tout excès d'acide ou d'ammoniaque qui pourrait adhérer à ses
particules; on laisse un instant sécher et l'on enferme le sel dans un flacon, Si l'on n’a pas à sa dis=
position de l’acide acétique concentré, on se servira avec un égal succès du vinaigre ordinaire le plus
fort qu'on aura sous la main; il suflira de méier ensemble le double de vinaigre à la quantité
d’ammoniaque qu'on pourra employer, et de conserver ce produit liquide dans un flacon bouché à
l'émeri; si l'odeur d'ammoniaque dominait, on ajouterait du vinaigre. On n'a bésoin d'en préparer
que des petites quantités à la fois ; car on n’emploie ce sel que pour le respirer en cas d'infection.
HYDROGÈNE VÉHICULE DE TOUS LES POISONS. 303
en acide ou oxyde carbonique (carbone et oxygène), en acide nitrique (azote et
oxygène), en huile essentielle (iydrogène et carbone), en ammoniaque (azote et
hydrogène); puis ces diverses combinaisons binaires combinées entre elles en
combinaisons quaternaires : acélale d'ammoniaque, carbonate d'ammoniaque,
nitrate d'ammoniaque; acide acétique (huile essentielle et acide carbonique), enfin
acide prussique et prussiate, dont la composition est plus compliquée et dont
l'action est la plus foudroyante de toutes.
Mais l'hydrogène, en outre, jouit de la propriété de former des combinaisons
gazeuses avec tous les métaux que ce gaz rencontre en se dégageant; et l'on
peut dire que, sous ce rapport, l'hydrogène est le véhicule le plus actif de tous
les métaux capables de porter la mort dans nos organes. Nous connaissons les
effets foudroyants de l'aspiration de l'hydrogène arseniqué et surtout de l'acide
prussique (hydrogène carboné et azoté). Mais nous ne nous doutons pas de l’ac-
tion (qui cependant doit être tout aussi terrible) de l'hydrogène hydrargyré et de
l'hydrogène servant de véhicule au sublimé corrosif (deutochlorure de mercure).
Tout me porte à croire que ce gaz binaire ou ternaire doit jouer un grand rôle
dans les cas d’asphyxie foudroyante; et je ne conseillerai pas d'ouvrir, si ce n’est
sous un bon tirant de cheminée, les cercueils, tels que celui du maréchal Lannes (‘),
qui renferment des corps embaumés, à la manière de Cadet de Gassicourt, par le
séjour du cadavre dans un bain de sublimé corrosif. Le plomb de ces sortes de
cereueils peut bien réduire et décomposer une portion de ces moffettes hydrar-
gyrées; mais le contact de l’air ne manquerait pas d'en soulever d'autres quan-
tités qui pourraient bien venir se neutraliser, en portant la mort dans l'organe
pulmonaire de l’imprudent qui les aspirerait.
J'ai lu quelque part, dans Mézeray ou Sainte-Foix, que, dans le dix-septième siè-
cle, on ouvrit la tombe d’une personne morte de la petite vérole; et que tous
les assistants atteints par les émanations furent pris de la petite vérole à leur
tour. Comme on traitait à cette époque par le mercure la petite comme la grosse
des maladies de ce nom, il est évident pour moi que ce qu'on prit pour une
éruption varioloïde n'était qu'une éruption mercurielle, provenant des exhalai-
sons d'hydrogène hydrargyré qui s’échappèrent de la tombe et infectèrent tous les
assistants. Même effet arriverait à quiconque, aujourd'hui, ouvrirait le cercueil
d'un cadavre embaumé au sublimé corrosif ou à l’arsenic, ou d’un cadavre qui
aurait suecombé à un empoisonnement criminel ou médical par les sels mercu-
riels ou arsenicaux.
CONCLUSIONS ET APPLICATIONS.
4° Toutes les fois que la putréfaction s'établit dans un corps, appartenant sur-
tout au règne animal, il s'en dégage des gaz délétères capables de produire, sur
les êtres vivants, des effets d'autant plus prompts et plus terribles que le dégage-
ment a lieu sur une plus grande échelle.
2° Les prussiates ammoniacaux occupent la première place parmi ces moffettes
de mort. Mais l'hydrogène, éliminé par le travail de toute espèce de fermenta-
tion, peut servir de véhicule à une foule de bases désorganisatrices des liquides
(*) Dans le cours de l'opération d'embaumage, les vapeurs étaient si fétides que Cadet Gassicourt en
fut gravement indisposé, I] attribua ces effets à la putréfaction du cadavre, comme si le sublimé cor-
rosif n'était pas employé en assez grande partie pour paralyser la putréfaction, Au reste, Cadet Gas-
sicourt ne tarda pas à tomber dans un état maladif présentant, selon nous, tous les caractères d'une
maladie mercurielle qui le conduisit au tombeau
504 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
de la circulation ou des tissus solides de l’organisation : phosphore, plomb,
cuivre, arsenic, mercure; que ces bases se trouvent dans le corps putréfé ou
dans le sol que traversent les gaz éliminés par le travail de la putréfaction.
3° Quand ces exhalaisons ne sont pas assez volumineuses pour frapper de mort
comme le ferait la foudre, et renverser comme une masse de plomb, ou comme
frappé au cœur par une balle de plomb (d’où vient le nom donné à ces moffettes),
l'animal qui passe à point pour les respirer, elles ne laisseraient pas que de déter-
miner des maladies assez graves, des épidémies tout aussi meurtrières que le
plomb, quoique d'une manière plus lente, et qui, par les éruptions charbonneu-
ses ou phlegmoneuses qui les accompagnent, sembleraient prendre les caractères
ou du choléra ou de la peste.
4° Ces exhalaisons sont d'autant plus meurtrières que la médecine locale ou
l'art des embaumements emploie en plus grande abondance les ingrédients véné-
neux, tels que l’arsenic et le mercure. D'un simple changement dans le système
de médication, il peut arriver ainsi que les exhalaisons cadavériques soient
moins meurtrières dans tel endroit que dans tel autre.
5° Le premier pas à faire dans l'assainissement des grandes agglomérations
humaines, c’est de supprimer en médecine tout ce qui, pris à une certaine dose,
est capable de donner la mort, de supprimer l'emploi de l’arsenic et du mercure
autant dans les arts et l’industrie que dans la médecine.
6° Le second pas dans cette voie de réforme, c'est de ne rien jeter de fermen-
tescible sur le pavé des rues, si inodore que paraisse le produit; car ce n'est pas
l'odeur qui caractérise la propriété fermentescible, et le laitage le plus pur ne
tarde pas à devenir fétide quand il séjourne à l'air et dans pan Chaque pavé
de nos rues peut recéler une fosse à putréfaction, dans l’état actuel de nos habi-
tudes domestiques; or la moindre fissure, capable dé donner issue aux produits
gazeux de cette fermentation souterraine, peut être l'occasion d'une mort subite
pour le passant le mieux portant auparavant.
7° Toute déjection humaine liquide ou solide devrait être immédiatement
transformée en poudrette sur le lieu même, et de manière à pouvoir être transpor-
tée toutes les semaines dans les champs ; nous avons indiqué comment il faudrait
s’y prendre dans le Fermier-vétérinaire. La salubrité publique y gagnerait tout
autant que l’économie agricole, qui centuplerait de la sorte ses moyens fertilisa-
teurs, tandis que notre inecurie les gaspille et les laisse se perdre dans les airs,
sans profit pour le sol et au grand détriment de la santé publique.
8° Défense sévère devrait être faite par l'autorité d'abandonner à l’air les ca-
davres des animaux domestiques. Chacun doit avoir soin, dans ce cas, de les en-
fouir sous une couche de terre plus ou moins épaisse selon la taille de l'animal ;
mais cela ne suffit pas : avant de les recouvrir de terre, il faut les envelopper
d’une épaisseur suffisante soit de cendres de bois, soit de chaux. Car sans cette
précaution, malheur souvent au bêcheur ou au charretier et à son attelage, si le
coup de pioche, de bêche ou le soc de la charrue ménage une ouverture aux
gaz que la fermentation accumulera dans cette fosse! Malheur au passant qui la
foule aux pieds au moment où quelque ver de terre ou quelque larve d'insecte,
en se creusant un refuge ou une issue, ouvre un débouché à ces gaz foudroyants!
9 Mais c’est à la police des cimetières que l’on devrait faire l'application la
plus rigoureuse des principes que nous venons d'émettre. L'idée de transformer
les cimetières en villas de tombeaux, en nécropoles {‘, où l’on se rend pour faire
(*) Polis, ville; necrôn, des morts.
RÉFORME DES CIMETIÈRES, 305
une visite pieuse à leur mémoire et pour embaumer de fleurs le lit de pierre où
l'illusion du cœur les voit reposer, cette idée n'est pas seulement consolatrice,
elle serait éminemment hygiénique, si la fosse commune n'était pas là tout auprès
pour conserver les traditions hideuses des siècles de barbarie. Cette fosse désor-
donnée, où l'on empile les cadavres destinés à s’y putréfier, est une insulte faite
par Ja nécessité à la mémoire du pauvre travailleur ; c’est de plus un foyer perma-
nent d'infections, autant souterraines qu'aériennes, c'est-à-dire d'empoisonne-
ments que les morts transmettent aux vivants, autant par le véhicule des infiltra-
tions pluviales, que par celui des courants d'air; autant par le véhicule des eaux
de puits ou de source, que par celui de la respiration. C'est ainsi que les morts
se vengent des insultes des vivants.
Au lieu de ces fosses informes, de ces laboratoires d'infection, les anciens brü-
laient les cadavres, et en recueillaient les cendres dans une urne; ils pouvaient
conserver le souvenir et les restes de leurs proches sous un moindre volume, et
ils se mettaient ainsi à l'abri des résultats pestilentiels de leur décomposition
souterraine. Nous qui croyons montrer plus de respect envers les morts, en les
laissant ronger par les vers et tomber en déliquescence hideuse et mortelle, au
lieu de les faire dévorer et incinérer par le feu purificateur, nous ne sommes en
cela que plus illogiques et moins prudents. Si l’action du feu nous paraît une
insulte, et que nous préférions l’action caustique et plus lente de la chaux,
n'épargnons pas du moins cette substance; mais au lieu d'empiler les morts dans
une fosse qu'inonde la pluie, pourquoi, à Paris par exemple, n’utilisons-nous
pas les catacombes, en les transformant en souterrains dallés, voütés et cimentés,
ct puis murés successivement de proche en proche, dès que chaque comparti-
ment se trouverait rempli. Là la décomposition, beaucoup plus stationnaire déjà
par l’abaissement de la température, serait en outre détournée de sa tendance à
la putréfaction par l'action de la chaux caustique. Pendant ce temps, un tuyau
temporaire de dégagement permettrait à l'air de balayer, par doses infinitésimales,
tous les produits gazeux de la décomposition par la chaux. D'un autre côté, un
nonument spacieux, construit au-dessus de ces tombeaux souterrains, permet-
trait au pauvre de venir visiter la mémoire des siens, après avoir inscrit sans
frais le nom du défunt sur les parois de ce temple commun à tous les cultes.
Car honte à tout culte qui veut établir une ligne de démarcation entre ceux
qui ont été contempler de près l’auteur de tous les êtres et connaitre le mot des
énigmes qui divisent ici-bas les faibles mortels!
IL existe encore des localités (mais heureusement ce n’est plus en France de-
puis 89) où le mort qui n’a professé aucun des cultes reconnus par l'État se voit
fermer la porte de tous les cimetières et doit aller pourrir, comme un chien,
dans le coin de quelque grand chemin ou de quelque grande rue. Qui que vous
soyez, réparez ce méfait, ce crime de lèse-humanité ; montrez-vous enfin meilleur
que votre siècle, en élevant un tombeau à ce martyr posthume d'un insultant
préjugé; vous ferez du reste en cela une œuvre éminemment hygiénique, et vous
pourrez bien préserver les coupables des conséquences funestes de leur excom-
munication et de leur acharnement contre une ombre représentée par un être qui
a cessé d'exister,
Je connais en outre des localités qui ne se font pas de scrupule d'établir les
cimetières dans les bas-fonds où l'eau séjourne, et dont les cimetières sont si
étroits que, tous les dix ans, on expulse les anciens cadavres pour faire place aux
nouveaux, sans s'inquiéter autrement de ce qui peut en arriver de contraire à }7
306 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
salubrité publique. À ces peuples, encore enfants, il manque un homme qui s’en
constitue l'âme et l’intelligence, pour ainsi dire.
Que ces avis soient pris en bonne part par tout Je monde. Je respecte le sen-
timent religieux, sous quelque forme extérieure qu’il se manifeste; mais le pre-
mier devoir de tout culte, c’est d’abord de préserver l’œuvre de Dieu de la des-
truction accidentelle, et ensuite de laisser à Dieu seul le soin de la juger, quand
la mort l’a ravie aux soins de tous et à l'amour de ses proches.
ee D Qc
APOPLEXIE FOUDROYANTIE CHEZ UNE PERSONNE DE 74 ANS, DISSIPÉE EN QUEL-
QUES INSTANYS PAR L'ACTION DE L'EAU SÉDATIVE.
(Voy. livr. de mars 1855, pag. 255).
Mie Verbelen, agée de 74 ans, demeurant rue de Flandres, à Bruxelles, est
affectée depuis deux ans d’une paraplégie qui la prive de l'usage des jambes et
même des bras; elle souffre habituellement de crampes d'estomac qu'elle calmait,
à l'aide decordiaux, d’une manière passagère. Le 17 février dernier, elle est frap-
pée d’apoplexie : on la trouve roide, immobile, l'œil hagard et fixe, sans pouls et
privée de sentiment. Par un hasard des plus heureux, sa nièce se trouvait auprès
d'elle (c’est la même personne qui à donné des soins au malade dont nous avons
parlé dansla Revue(*). Sans écouter les personnes présentes qui voulaient attendre
l'arrivée du médecin, elle se met à appliquer à sa tantele traitement qui avaitsi bien
réussi au malade dont nous parlons; elle lotionne la région du cœur, les poignets,
les tempes, à l’eau sédative, elle lui entoure le cou d’une cravate imbibée de cette
eau; et au bout de vingt minutes, la tante revient comme d'une léthargie, recon-
naît tout le monde, parle comme auparavant, et ne conserve aucune trace de son
attaque. On lui fait prendre de l’aloès et de la bourrache, et après ses repas de
la liqueurhygiénique; or, voilà que, outre sa résurrection, elle a gagné à ce traite-
ment de l'appétit qu’elle avait perdu et des digestions faciles. Les crampes d'esto-
mac, quand elles menacent de la reprendre, se dissipent subitement au moyen
d’un petit verre de liqueur hygiénique.
Mon cher lecteur, encore un encouragement pour ne pas hésiter à traiter de
cette manière les apoplectiques, sans désemparer et aussitôt que le mal se dé-
clare.
——
EE] ———"—"——_…— ——— —————— ——
CHAPITRE IT, ;
ENTOMOGÉNOSES VÉGÉTALES OU MALADIES CAUSÉES AUX VÉGÉ-
TAUX PAR LE PARASITISME DES INSECTES.
8 X. EFFETS MORBIDES DU PARASITISME DU PUCERON COTONNEUX
(APHIS LANIGERA) (**).
Le puceron dont nous parlons est le fléau des pommiers, sur les branches et
le tronc desquels il se propage avec une telle rapidité, que les surfaces des ra-
meaux ne semblent plus être qu'un tissu ouaté; les poiriers n’en sont pas atta-
qués. L'année passée, un de nos plus beaux pommiers enespalier, en a été envahi ;
(*) Voy. livr, de mars 1855, pag. 23h.
(*) Voyez-en la figure dans l’Hist, nat, de la sante el de la maladie, Lom. T, pl. 6, fig. 7.
TUMEURS LIGNEUSES, OEUVRE DU PUCERON DU POMMIER. 307
il était auparavant d’une si belle venue que je n'avais pas songé à le badigeonner
de terre aloétisée.
Vers le milieu de mars dernier, ayant été l’examiner avant de le badigeonner,
je remarquai que ses branches envabhies étaient bosselées par destubereules d’un
centimètre environ de diamètre, tantôt isolés, tantôt formant chapelets ou bourre-
lets autour des cicatrices de la taille précédente.
On reconnaissait que chacun de ces tubercules occupait la place sur laquelle
s'était fixée une famille de pucerons, en ce que leur surface était couverte de
ouate provenant de la mue de ces insectes. Quant aux pucerons, je les retrouvais,
morts et dépouillés de leur coton ou duvet, dans les gerçures que leur parasi-
tisme avait déterminées sur l'écorce, qui avait crevé sous l'effort du développe-
ment de la branche. Ces tubercules, quand on les a bien essuyés, ont la couleur
rose des pommes d'Api; ce sont des organes développés sur l’aubier et recou-
verts de la même écorce que la branche; leur substance offre une organisation
analogue à celle d'une moitié de pomme très-jeune et n'ayant encore que le
diamètre d’un centimètre ; les fibres se distribuent à droite et à gauche avec une
grande régularité. 2
11 y avait telle branche qui n'avait pas conservé un pouce d’un contour eylin-
drique.
Or, j'avais remarqué chez un autre pommier en plein vent et qu’en arrivant
ici j'avais trouvé couvert de pucerons cotonneux (‘), j'y avais remarqué, dis-je,
des loupes, éparses sur le tronc comme sur les branches, et d'une grosseur pro-
portionnelle à la grosseur des rameaux; les loupes du tronc font souvent une
saillie de dix centimètres. ;
En 1855, j'avais débarrassé cet arbre de ces parasites, en Le lavant à l’eau d’aloès.
Ayant négligé ce moyen au printemps de 1854, comme l’eau de la pluie avait
enlevé la couche d’aloès en bien des endroits, les pucerons y reparurent en cer-
taines places. Or, ces places sont marquées partout autant de ces tuméfactions
roses disposées tout autour de la base des anciennes loupes; et la surface de
ces anciennes loupes est bosselée, sur tout leur périmètre, par de semblables tu-
meurs décolorées,
Il est donc évident que ces grosses Joupes de notre pommier en plein vent
ne sont que la somme des petites; c'est le produit du développement progressif
de ces organes de superfétation, auxquels la succion du puceron a imprimé cette
impulsion, pour ainsi dire, cancéreuse, Chaque campagne et chaque génération
de ces parasites ajoute une assise de plus à cet édifice végétant, mais une assise
par la base, et je ne sais pas à quelles dimensions ne parviendraient pas ces
excroissances épidermiques, si la vitalité du pommier s’y prêtait sans en être
paralysée.
L'effet de la succion du puceron lanigère ou plutôt cotonneux est done de
déterminer, dans l’aubier du pommier, une impulsion à un développement can-
céreux, dont l'axe est perpendiculaire à l’axe de la moelle du tronc.
Or, ce fait ne paraît pas être l'œuvre exclusive du puceron couvert de duvet
blanc; car j'ai remarqué, dans la partie du bois de la Cambre qui est située à
l'Ouest de notre village, un trone de chêne qui, à la hauteur de six pieds du sol,
était entouré d'un énorme bourrelet, analogue, quant à ses accidents de surface,
aux tuméfactions ou loupes du tronc de notre pommier. Le tronc du chène
(*) Voy. Ferimier-vélérinaire, pag. 83,
308 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
avait à peine 50 centimètres de diamètre, et le bourrelet avait 70 centimètres de
diamètre et 50 centimètres en hauteur; ses deux bouts venaient se rejoindre du
côté du Sud, et formaient en se rejoignant deux énormes mamelons séparés par
un enfoncement vertical très-peu profond (°).
Nous nommerons ces loupes : alburnalgie aphigène cancéreuse, ou maladie
cancéreuse de l’aubier (alburnum) produite (gène) par un puceron (aphis).
$ 2. ÆCIPIE DES FEUILLES DU TUSSILAGE, OEUVRE DU PARASITISME B'UNE
LARVE DE MOUCHE.
Les botanistes modernes ont forgé un terme pour classer parmi les fongosités
ces taches noires, jaunes ou rouges que l’on rencontre sur la page inférieure des
feuilles, taches dont les unes s'ouvrent par la dessiccation et dont les autres res-
tent fermées. Ce mot nouveau qui est de la création de Person, c’est celui d'Æ-
cidium (*). Bulliard avait rangé ces taches au nombre des moisissures (mucor),
mais pour mémoire et comme choses douteuses. Decandolle et les botanistes de
cette école, féconde en créations nominales, ont multiplié tellement les espèces de
ce genre et de genres analogues, qu'il faut l'équivalent d’un volume pour en con-
tenir le catalogue.
Nous avons depuis longtemps cherché à arrêter les jeunes gens sur la pente
d’une idée aussi bizarre, en leur faisant observer qu’il y avait contradiction dans
les termes, d’assimiler à des fongosités, qui ne se développent que sur des tissus
frappés de mort, des taches, tubercules, poussières, pilosités qui recouvrent des
feuilles vertes, organes pleins de vie et en voie de végétation.
Plus tard, nous leur démontrâämes que ces prétendues fongosités étaient la
trace et le produit des piqûres d’un parasite quelconque à suçoir, que ces tuber-
cules ou taches, enfin, étaient les analogues des boutons ou autres extravasations
sanguines que la piqûre d’une puce, d'une punaise, d’un cousin, d'un œæstre dé-
termine sur notre épiderme ; il est aussi facile de surprendre à l’œuvre l'artisan
de ces ravages végétaux que l'artisan des ravages de notre peau.
En un mot, ces taches désignées sous les noms d'uredo, œæcidium, xyloma,
puccinia, etc., sont des maladies végétales de la peau, produites par la succion
des insectes, et dont il importe de trouver et de décrire les auteurs. Cette étude
est donc une étude mixte de botanique et d'insectologie, qu'il importe à l’agro-
nome de poursuivre dans cette nouvelle direction ; tandis qu'auparavant elle ne
pouvait être que l'objet d’une passion malheureuse et encombrer la mémoire
de mots sans valeur, la différence de ces créations finissant par ne plus résider
que dans la différence des plantes sur les feuilles desquelles on rencontrait ces
maculatures. 1
Nous allons fournir un nouvel exemple à l'appui de ces nouvelles idées.
Les botanistes désignent, sous le nom d’Æcidium tussilaginis, des taches jaunes
et oranges qui viennent, non pas sous l'épiderme (comme les uredo), mais sur
l'épiderme de la page inférieure des larges feuilles de la plante que le vulgaire
(*) Je noterai ici, pour servir à l'histoire des cochenilles, que sur l'espalier de pommier dont j'ai
parlé j'ai rencontré la vieille dépouille d'une cochenille, ayant la forme d’une valve d'Unioret qui
servait d'abri à 5 ou 6 œufs blancs pyriformes, dont la longueur ne dépassait pas un dixième de
millimètre.
(**) Il est curieux de remonter à l’étymologie des mots que les botanistes se plaisent à tirer du grec.
Je pense que par le mot d’'Æcidium, Persoon, qui en est l’auteur, a voulu désigner une petite maison
(oikidion); ou une outre (askidion) ; on devrait donc écrire où OEcidium ou Ascidium.
LARVE DE SYRPHE, ARTISAN D'UN ÆCIDIUM. 309
connait sous le nom de pas-d'âne ou tussilage, feuilles d’un vert sale sur la page
supérieure et couverte d'un coton aranéeux fort épais sur la page inférieure.
Cette plante est très-commune dans les terrains humides et glaiseux; les feuilles,
toutes radicales, lärgement anguleuses et pétiolées, ne poussent qu'après la chute
de la hampe des fleurs. Une fois développées, elles tendent à se tacher de
rouge plus ou moins jaunâtre en dessous, et ce sont ces laches que les bota-
nistes prenaient pour des fogonsités du genre de leurs œcidies.
Vers la fin de septembre 1854, j'eus l’occasion de recueillir un assez bon nom-
bre de feuilles ainsi tachées de tussilage, dans un état très-favorable à l’obser-
vation, car la page inférieure était toute marbrée de ces taches serrées.
Les ayant soumises à la loupe, nulle de ces taches ne m'offrit rien de conforme
aux idées que nous avons d’une végétation sui generis; chacune d'elles était plu-
tôt un groupe de cellules épidermiques ossifiées qu’un développement nouvelle-
ment organisé; au microscope nul autre caractère spécilique ne se montrait ;
seulement, en détachant ces taches à la pointe d'une aiguille, j'emportais un
pourtour de cellules normales de l’épiderme, et qui, par leur contour et leur
transparence, auraient pu simuler une espèce de périmètre et de thallus de cha-
cune de ces taches; ce que j'avais sous les yeux était donc le produit, non d'une
organisation parasite, mais d'une désorganisation, œuvre de quelque parasite
animé.
Or, ce parasite, je le trouvai à l'œuvre presque sur chaque tache; c'était une
larve apode, d'une belle couleur carmin, effilée antérieurement et postérieure-
ment, ayant le suçoir à l'extrémité d'un très-long cou rétractile. Elle se tenait
appliquée d'une manière presque inséparable sur la tache que son parasitisme de-
vait agrandir chaque jour; cette larve était évidemment une larve de ces mouches
que l’on a rangées dans le genre syrphus; dans sa plus grande extension elle ne
dépassait pas deux millimètres. On en voyait souvent trois ou quatre s'attacher,
comme autant de sangsues, sur le même point, et puis jouer, pour ainsi dire, en
s'enlaçant les unes autour des autres, tout en s'allaitant ainsi à la même mamelle
de la feuille. La place qu'elles suçaient était invariablement marquée d'une
tache, à laquelle ces larves communiquaient leur couleur et une consistance li-
gneuse, en échange des sucs nutritifs qu'elles soutiraient.
La vaste toile de coton qui recouvre la page inférieure de la feuille leur servait
de filet protecteur, et leur permettait de changer de place, sans s’exposer à tom-
ber sur le sol. Ce filet inextricabie de coton n’est autre que la charpente de l'épi-
derme qui à fait son temps, et qui cède progressivement la place à l'épiderme de
nouvelle formation.
Afin de recueillir l'insecte parfait en emps utile, j'enfermai une de ces feuilles
dans une gaze; et au mois de décembre, je me mis à en vérifier le contenu pour
voir si la larve ne s'était pas métamorphoséeen puppe. I paraitquela feuille s'était
desséchée trop vite, et avait fait défaut à la nutrition de ses parasites; car je les
trouvai tous morts à la peine, attachés à la place qui les nourrissait auparavant,
morts de la mort de la feuille nourricière, et ratatinés sur eux-mêmes de ma-
pière qu'ils avaient l'air de tout autant de thrips rouges (‘) qui auraient été privés
de leurs pattes; dans cet état ils n'avaient plus qu'un millimètre de long; leut
corps se plissait transversalement en 12 anneaux aplatis. Exposés à la chaleur et
déposés dans l'eau tiède, ces parasites n’ont pas donné signe de vie; on voyait
(*) Voy. Hist. nat. de la santé el de la maladie, tom. J, pl. 9, fig. 9.
510 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
flotter dans l’eau des sphères jaunes et transparentes, analogues aux gouttelettes
oléagineuses que la farine de maïs laisse échapper dans l'acide sulfurique, lors-
qu'on l'observe sur le porte-objet du microscope, Ces sphères étaient-elles des
œufs non développés que la mouche aurait continué à déposer dans le duvet de
la feuille ? Tout cela est à vérifier à la saison nouvelle.
CHAPITRE II. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L’AGRICULTURE (surrs).
(Voy. pag. 280, livr. d'avril 1855.)
$ 144 FORMATION DU VENT.
103. Le vent n’est que de l’air en mouvement, c'est un simple déplacement
d'air sous une pression quelconque. Notre soufle c’est du vent, c’est de l’air ex-
pulsé par la contraction et le rapprochement des parois de l'organe pulmonaire
qui l'avait aspiré. Le soufllet produit du vent en chassani l'air aspiré par le rap-
prochement de ses deux tables. Le mouvement de l'éventail ou de la main qui
frappe l’air produit du vent. Voilà des causes mécaniques de la formation du
vent, dont chacun de nous fait l'application à toute heure, sans se douter de
l'importance de l'observation en fait de théories météorologiques.
Lorsque vous chauffez une cucurbite à la lampe, l'air qui se dilate est forcé de
sortir du col de la cornue, avec une vitesse capable d’éteindre la flamme ou d'ali-
menter la combustion, selon la force que lui imprime le calorique qui le dilate
de plus en plus. C’est une portion d'air qui est chassée par l’autre portion que
le calorique dilate.
104, Le déplacement d'air qui constitue le vent reconnaît donc deux causes :
l'une simplement mécanique et par compression, et l’autre physique et par
dilatation. Dans le premier cas, la cause qui produit le vent est étrangère à sa
masse ; dans le second cas, la cause est inhérente à lui-même, c’est la consé-
quence de l’une de ses propriétés.
105. La vitesse est le rapport numérique de la distance que le vent parcourt
avec le temps qu'il a mis à la parcourir; le vent est d'autant plus rapide qu'il
met moins de temps à parcourir ur espace donné. Quoique la force du vent soit
en raison de sa vitesse, cependant l’idée que nous avons de la première ne se con-
fond pas avec la seconde. On conçoit des circonstances où le vent peut avoir la
même vitesse, sans laisser sur ses traces les mêmes preuves de sa force. La force
du vent s’estime par la force des obstacles que son soufle est en état de déplacer;
et cette force des obstacles, nous en jugeons plutôt par rapport à notre propre
force que d’une manière exacte et mathématique; car tel filet de vent capable de
renverser une paille peut avoir la même force proportionnelle que telle masse de
vent qui renverse une poutre; la différence dans les deux cas n’est que dans le
volume du courant d'air, la vitesse étant la même.
106. La force météorologique du vent ne doit donc pas s'évaluer par rapport
à nous, Lorsque nous soulllons sur des cirons, il doit faire pour ces insectes une
effroyable tempête; car notre soufle les lance fort loin. Si jamais le vent nous
imprimait la même impulsion proportionnelle, nous nous croirions à la fin du
VENT PRODUIT PAR LA CHUTE D'UN PAN DE FALAISE, 311
monde; et pourtant il ne faut pas recourir à la violence des tempêtes, pour qu'un
homme puisse être balayé par le vent comme notre souflle enlève une paille ou un
ciron, Dans une de mes visites à Dieppe, on me raconta qu'un jour un brave
homme s'était endormi au pied de la falaise, lorsque tout à coup un pan de cette
haute muraille se détache d'une seule pièce (‘); les spectateurs poussèrent un
eri d'effroi ; mais pendant qu'ils s’occupaient de chercher l’homme sous les décom-
bres, on l’aperçut à une grande distance de là se débattant dans les flots de la
mer où on alla le pêcher. La compression de l'air, sous ce vaste soufllet formé
par un éboulement géologique, avait sufh pour le lancer à la mer longtemps
avant que le pan de falaise füt arrivé sur la terre. Ce pan de falaise avait produit
un effet analogue à celui du soufllet hydraulique, espèce de cloche qui chasse l'air
en s’enfonçant dans l'eau.
Si lé pan de falaise n’était pas tombé d’un bloc, mais par petites fractions, cet
homme eùt été trouvé pulvérisé sous les décombres. L'air, par sa force de résis-
tance, avait ralenti la chute et amorti le coup; et, par la compression qu'il avait
subie, il avait acquis la force de la tempête, et avait lancé l'homme comme une
paille à une grande distance du rivage.
J'insiste sur tous ces exemples que le hasard ou l'habitude mettent à notre
portée, afin de nous familiariser avec les grandes applications de ces exemples
banals aux phénomènes météorologiques qui n’en diffèrent qu'en proportion ;
car les effets de la nature sont partout les mêmes, et la similitude des effets
décèle toujours et partout la similitude des causes. Ces notions préliminaires une
fois comprises et combinées avec tous les principes que nous avons posés en com-
mençant ce cours, la théorie du vent météorologique en découlera comme une
conséquence rigoureuse,
En météorologie, comme dans l’ordre des phénomènes qui se passent chaque
jour sous nos yeux, le déplacement d'air émane de deux causes distinctes par
leur origine, plutôt que par leur mécanisme : la dilatation par la chaleur, et la
pression par l'abaissement progressif ou la chute d’un corps quelconque.
107. VENT PAR DILATION ET ÉCHAUFFEMENT DE L'AIR. Les couches d'air dilatées
par la chaleur chassent nécessairement devant elles les masses d'air conti-
guës, dans la direction opposée à la source d'où émane le calorique. Le lever du
soleil est annoncé par un vent d’Est très-sensible, lorsque le temps est serein;
à mesure que le soleil monte sur l'horizon, le vent prend toutes les direc-
tions de la Rose des vents comprises entre Est et Sud; et à midi, le courant
se fait du Sud au Nord; puis à mesure que le soleil redescend, le vent change
(*) On a observé que, chaque année, il se détache de la falaise environ 30 centimètres d'épaisseur
pariétale, La falaise est un banc de craie ou calcaire coupé à pic, sur la paroi de laqu@le on distingue
bien les stratifications parallèles et horizontales des larges rognons de sileæ pyromaque où sileæ &
briquet ; ces rognons sont espacés entre eux, et leurs stratitications sout distantes environ d'un mètre.
Or, ces rognons repris par la mer à chaque chute annuelle, s'y façonnent par le roulis en boulets
presque sphériques qui reçoivent alors le nom de galets, à peu près comme l'on fabrique les billes des
enfants en roulant des fragments de marbre dans un tonneau, Mais quand la mer est en fureur, elle
lance avec fracas tous ces galets contre le pied de la falaise ; elle sape et bat en brèche ce mur à coups
de ses boulets roulants, çe qui mine le mur pour une nouvelle chute. Les côtes correspondantes de
l'Angleterre ont la même structure géologique et sont exposées aux mêmes accidents; il est indubi-
table, pour qui voit ce terrain, que la Manche était autrefois terre ferme, et que l'Angleterre n'était
qu'une presqu'île de l’Europe et une dépendance du bassin français. Or, si l'on pouvait considérer
comme constante la chute annuelle d'une épaisseur de 30 centimètres de ces falaises, il s'ensuivrait
que la mer du Nord aurait achevé de séparer les deux royaumes par le canal de la Mauche à uno
époque fabuleuse; mais tout porte à croire que le roulis de la mer du Nord enlevait des portions de
l'obstacle beaucoup plus larges que ne le fait le cours de la Manche en rasant les parois du canal,
5312 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
successivement, en parcourant le quart de cercle de la Rose des vents de Sud à
Ouest; le vent d'Ouest suit le coucher du soleil. Mais à mesure que le soleil
s’abaisse au-dessous de l'horizon, toutes ces colonnes d’air refoulées successive-
ment, pendant le jour, vers les régions septentrionales, tendent à revenir sur
elles-mêmes par le refroidissement successif des régions d’où elles avaient été
chassées, et la direction du vent parcourt alors tout l’arc septentrional de la Rose
des vents, d’une manière plus ou moins complète, selon les accidents de terrain :
dans ces marées atmosphériques, le vent de nuit est le reflux du vent du jour.
Cette concordance de la Rose des vents avec la marche diurne du soleil est tou-
jours assez facile à observer, au moyen de girouettes infiniment sensibles, et
faites avec des corps que le moindre souflle est capable d’agiter, tels que les flo-
cons d'édredon, la penne de l’arête du stipa pennatu, ete. Il faut seulement
qu'il n'existe sur l'horizon aucune autre cause de déplacement aérien que la cha-
leur du soleil, et que les rayons du soleil agissent directement sur l'atmosphère,
et sans être réfléchis en même temps par des accidents plus ou moins élevés
du terrain.
108. En effet, supposez qu’au Nord-Est de la région où l’on observe, s'élève
en amphithéâtre une chaîne de collines ou de montagnes coupées à pic; lorsque
le soleil sera parvenu à l'azimuth Sud-Ouest, ses rayons, dardant sur cet immense
réflecteur, détermineront, par la dilatation, un déplacement d'air par Nord-Est,
alors que, sans ce réflecteur géologique, il aurait dû venter par Sud-Ouest, C'est
donc en combinant entre elles les deux données, et de la marche diurne ascen-
dante et descendante du soleil, et de la configuration des accidents du terrain,
que l'on pourra se faire une statistique locale de la direction des vents, par dila-
tation des couches d'air au moyen de la chaleur du soleil.
109. Mais le soleil exerce, sur la dilatation des couches atmosphériques, une
influence bien plus puissante encore, par son mouvement annuel que par son
mouvement diurne. Dans la spirale sans fin qu’il parcourt pour s’avancer du Sud
vers le Nord et retourner du Nord vers le Sud, la dilatation de l'air, qui émane
de l’action de sa chaleur, se fait dans le sens de la direction annuelle, et cela par
le flux des couches d'air qu'il chasse devant lui et par le reflux de celles qu'il
quitte. Pour plus de facilité, je me sers du langage de Ptolomée au lieu de ce-
lui de Copernic, ce qui est indifférent pour la démonstration qui nous occupe, et
jadmets que chaque cercle diurne est un tour de spire de la spirale annuelle que
décrit le soleil pour compléter son orbite. Or, la marche ascendante du soleil
se faisant par Sud-Est et la marche descendante par Nord-Est, il s'ensuit que, du
solstice d'hiver au solstice d'été, son action calorifique déterminera un déplace-
ment d'air du Sud-Est vers le Nord-Ouest, et qu’au contraire, à partir du solstice
d'été au solstice d'hiver, elle déterminera un déplacement d'air du Nord-Est au
Sud-Ouest. | |
Combinez cette donnée avec celle des grands réflecteurs géologiques qui for-
nent la charpente montagneuse des divers continents, ou avec celle des accidents
de terrain particuliers à certaines contrées, et vous arriverez à la théorie la plus
claire et des vents alizés ou vents constants d'Est (N-E. et S-E.), qui règnent sur
les vastes surfaces des grands Oséans, et des moussons où vents qui souflent six
mois d’un point de l'horizon et six autres mois d’un point opposé, selon les sai-
sons el les diverses contrées du globe.
La surface d'une mer n’opposant aucun obstacle, la direction d'un vent quel-
conque peut conserver son identité sur toute l'étendue de la région liquide.
VENTS PAR DILATATION, PAR ABSORPTION ET PAR COMPRESSION. 313
Ainsi, les vents alizés du grand Océan ne se rencontrent qu'à de grandes dis-
tances de la côte occidentale de l'Amérique, à cause de la longue chaine des
Cordilières, celte épine dorsale du continent américain, qui sert, pour ainsi dire,
de paravent contre les vents d'Est; tandis que le parallélisme et la direction d'Est
à Ouest des deux grandes chaines de montagnes de l'Afrique (l'Atlas et les mon-
tagnes de la Lune) encaissent les vents d'Est {les alizés N-E. ou'S-E.), de ma-
nière à les rendre presque invariables sur l'océan Atlantique.
Sur les continents, ces vents n'affectent ni la même direction ni la même con-
stance, à cause des diverses réflexions produites par l'obstacle des accidents des
terrains. Les vents alizés et les moussons ne règnent que sur les grands Océans;
les méditerranées ont leurs vents étésiens, mais qui varient suivant les côles, ce
que nous expliquerons plus bas. Passons à l'étude de la formation du vent par
compression, qui est celui qui complique le plus les observations météorologiques
ordinaires.
110. La fonte des glaces et des neiges des régions polaires occasionne, à son
tour, un déplacement d'air, que je nommerai par soustraction, par absorption de
calorique, et qui est l'inverse du déplacement d'air par dilatation et échauffement
de l'air.
411. Vent PAR compression. En météorologie, cette sorte de déplacement
d'air ne saurait venir que de la pression des nuages. Or, rappelons-nous (ce que
nous avons établi aux alinéas 53 et 82) que l'air charrie des montagnes de
neige et d'immenses blocs de glace; ensuite (54), que nul de ces grands agglo-
ruérats d'eau congelée ne saurait rester stationnaire sur notre océan aérien; que
chacun d'eux obéissant à sa propre pesanteur, et rencontrant une résistance pro-
portionnelle dans la colonne d'air qui le supporte, suit, en se mouvant et en ten-
dant à se rapprocher du sol, une diagonale quiest la résultante des deux forces.
Évidemment la pression de tels nuages doit chasser l'air qui leur fait obstacle,
d'une manière d'autant plus violente, que leur masse sera plus pesante. Tout
nuage neigeux ou glacé fait l'office du soufflet hydraulique, et de la chute de ce
pan de falaise dont nous avons parlé au début de ce chapitre (106).
112. L'approche de tout nuage est précédée d'un coup de vent ou d’une bouf-
fée de vent. Le coup de vent est d'autant plus’ violent que le nuage descend plus
vile et qu'il pèse davantage sur la colonne d'air qui le supporte.
Cette grande loi qui ne comporte aucune exception est d'autant plus facile à
vérifier que le ciel est moins couvert; et c’est surtout à l’époque des giboulées de
mars, alors que les nuages se succèdent, passent et se suivent à d'assez grands
intervalles, par un ciel qui se couvre et s’éclaireit tour à tour, c’est alors,
dis-je, que l'observation n'exige d’autre travail d'esprit que le soin de noter l'in-
stant où la bouflée de vent commence à souffler et celui où le nuage apparaît à
l'horizon. Jamais on ne verra arriver un de ces gros nuages ardoisés en dessous,
respiendissant sur les bords et qui déchargent en passant au zénith une averse de
pluie ou de grésillons (90), sans que quelques instants auparavant on ait senti
une bouffée de vent, avant-coureur de cette masse qui descend de couche en
couche vers les régions inférieures de l'air.
Ilest inutile que je rapporte les dates de mes observations de ce genre consi-
gnées dans mon journal météorologique depuis cinq ans; la règle étant générale,
les exemples seraient une superfétation; chacun, étant désormais averti, trou-
vera de fréquentes occasions de les répéter sans rencontrer ia moindre anomalie.
115. Cette coïncidence des bouffées de vent et de l’arrivée des nuages est moins
21
514 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
évidente, lorsque le ciel est couvert et tamisé, ou que le nuage est trop élevé par
un ciel serein; mais, par un ciel couvert, on peutencore en surprendre les traces,
lorsque les nuages en dessous se dessinent en grandes masses distinctes. Lorsque
le nuage est trop élevé dans les airs, et qu'il surplombe sur nos têtes, ce n’est pas
nous qui pouvons apprécier le déplacement d'air, car nous nous trouvons alors
plongés dans la colonne que le nuage comprime perpendiculairement; le vent
produit par une telle compression n'est sensible qu'à de plus grandes distances.
Un homme placé sous une cloche hydraulique qui s’abaisse ne se douterait pas
du déplacement d'air, qui le glacerait s’il se plaçait en face du tuyau par où
s'échappe l'air comprimé et qui fait l'office de tuyau d’un soufllet de forge.
Nous ne sentons pas le déplacement des couches superposées d'air, mais seu-
lement le déplacement des colonnes d'air : car les couches superposées se succè-
dent et se remplacent plutôt qu’elles ne se déplacent, tandis que les colonnes
d'air se déplacent brusquement, et nous occasionnent tout à coup des sensations
opposées; dans un cas, c’est une transition, on s'y habitue sans y penser; dans
l’autre, c’est une saccade, un changement instantané, une soustraction ou une addi-
tion subite de calorique; les papilles nerveuses indiquent une souffrance par leur
écart ou leur rapprochement trop subits (°).
114. Maintenant on comprendra aisément que la force du vent dépendra et de
la rapidité de la chute et du volume du nuage. La compression de tel nuage ne
donnera lieu qu'à une brise et à un simple zéphyr; celle d’un nuage d'une lieue
d'étendue occasionnera une tempête telle que, devant ce souffle immense, nous
ne tiendrions pas plus que des cirons ne tiennent devant le soufile d’un enfant.
115. On comprendra également que le même nuage, en comprimant la co-
lonne d’air qui le supporte, doit chasser l'air dans plusieurs sens à la fois, et
qu’ainsi, sous l'influence d’une cause unique de ventilation, les girouettes des
localités environnantes peuvent marquer des vents diamétralement opposés.
416. Il y à plus; et, en théorie, on doit admettre que, sur la même localité
ct d’un instant à l’autre, la giroueite pourra changer successivement de place, et
même tourner à chaque instant dans tous les sens. Car le déplacement du nuage
varie en raison des pertes qu'il fait en voyageant, en sorte que son centre de gravité
changeant à toute minute, il s’abaisse plus dans un sens que dans l’autre, que par
conséquent il chasse l'air beaucoup plus dans une direction que dans l’autre, et
qu'enfin, en quelques instants, il lance la girouette de manière à lui faire parcours
brusquement toute la rose des vents, ou qu'il la fouette d'un point à un autre.
Suspendez horizontalement une large planche au-dessus d'une petite girouette en
paille ou en plume, et vous n'aurez qu’à en abaisser brusquement les bords dans
ua sens ou dans un autre pour faire changer la direction de l'aiguille.
C'est ce qui explique ces fouettements subits qui déplacent l'aiguille des gi-
roueltes les mieux isolées, et qui les rendent mobiles ou folles, et cela des journées
entières, en sorte qu’en l’espace de deux ou trois minutes elles indiquent suc-
cessivement vent du Nord et vent du Sud, vent d'Est et vent d'Ouest, mais pres-
que toujours deux vents assez voisins l’un de l’autre sur le cadran.
La direction du vent peut donc dépendre des diverses inclinaisons du nuage
qui approche du zénith et surplombe sur la girouette,
417. Mais cette direction est dans le cas d'être grandement déviée par l'ac-
cident des localités et par le mécanisme des ricochets : tout ce qui se meut dans
(*) Voy. Nouveau Système de chimie organique, tom. I}, pag. 751. 1838,
VENTS PAR RICOCHETS. 315
la nature peut être réfléchi par un obstacle, de manière que l'angle de réflexion
soit toujours égal à l'angle d'incidence, Par exemple, que sur une haute muraille
exposée au Sud, le vent du Sud-Est arrivé par un angle de 45%, il en sera réfléchi
sous un angle de 4°, c’est-à-dire dans la direction du Nord- Est; et deux girouettes
placées respectivement sur l’un de ces courants marqueront ainsi deux directions
contraires, quoiqu'elles ne soient distantes entre elles que de quelques dizaines
de pas.
Les longues chaines de montagnes doivent nécessairement exercer sur la direc-
tion du vent la même influence que la muraille dont nous venons de parler,
influence modifiée par la déclivité des pentes, l’escarpement des rochers, la hau-
teur des cimes, la courbure de la chaine et les sinuosités de l’encaissement des
vallées; et l'on peut affirmer que le même souffle de vent météorologique,
que ce résultat du même déplacement d'air occasionné par la pression du
même radeau de nuages, prendra telle direction dans une localité, et la direc-
tion diamétralement opposée dans la localité voisine, séparée seulement de la
première par un accident capable de faire ricocher le courant d'air.
Done, à une lieue de distance, on n’a presque jamais la même indication sur la
Rose des vents. L’assertion paraitra sans doute exagérée aux personnes que le
classicisme a habituées à regarder comme invariable tout ce qui est consigné sur
un tableau météorologique. En nous occupant dé ce genre de recherches, nous
l'avions bien prévu, et c’est pour répondre à cette objection que, dès les pre-
miers jours que nous nous sommes établi à Boitsfort, nous avons entrepris la série
d'expériences qui va suivre.
15. SÉRIE D'OBSERVATIONS A L’APPUI DE LA THÉORIE SUR LA FORMATION DU
VENT PAR COMPRESSION.
118. La disposition du toit de la maison que j'habite ne m’ayant pas permis
de placer une girouette sur Le faitage, je la fis établir sur la lucarne du grenier :
celte lucarne regarde le Nord. La tige de cette girouette traverse le toit et est
tournante; elle porte à sa base une aiguille qui me marque le vent sur un c1-
dran suspendu au-dessous du plafond, en sorté que je puis en reconnaître les in-
dications sans sortir de mon domicile.
Mais je ne tardai pas à m ‘apercevoir qu'à certaines époques du mois l'aiguille
se mettait à parcourir tout le cadran, d’une seule volée, allant et révenant sur
elle-même, dans un sens ou dans l’autre, s’arrêtant un instant au Nord ou au Sud
où à l'Est, etc., et reprenant ensuite sa volée de plus belle; de manière que ces
jours-là elle marquait tant de vents qu'elle n’en marquait plus positivement au-
cun. Force me fut de recourir, ces jours-là, à d'autres girouettes du village; et en
quelques jours d'observation, j'acquis la certitude que cette folie ne prenait ma
girouette que par le Sud-Ouest qui est le vent le plus fréquent à Boitsfort.
, Or, voici la cause de cette défectuosité locale. Le faitage de nôtre toit croise, à
angle droit, la ligne qui continue le faitage de Ja lutitné: la distance de la tige
de la girouetté à 14 ligne du faitage du toit est de 2,50. Mais, à la distance de
5 mètres du point de jonction des lignes des deux faitages, s ‘élève de chaque côté
un tuyau de cheminée, à la hauteur d'un peu plus d’un mètre; les faces oppo-
sées des deux tuyaux sont quadrilatères et parallèles. La tige tournante de la
girouelte et le milieu des faces des deux cheminées se trouvent done aux trois
angles d'un triangle horizontal et isocèle, dont la tige de la girouette occupe le
sommet, triangle ayant six mètres de base et deux mètres cinquante de hauteur.
316 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Les vents du Sud ne peuvent arriver au drapeau de la girouette qu’en s’en-
caissant entre ces deux cheminées. Le vent du Sud arrive directement et sans
plus ricocher d’un côté que de l’autre; la girouette le marque sans trop osciller.
Mais qu'il tourne un peu plus à l'Est et à l'Ouest, et dès ce moment, le dra-
peau de la girouette le recevant sous une foule d’angles, qui varient en raison
de la force du vent et des ricochets que se renvoient les deux cheminées, le dra-
peau se trouve dévié par tous ces courants et lancé plus ou moins violemment
dans une direction ou dans une autre, en sorte que lorsque rien ne s'oppose à la
première impulsion qui lui est donnée, et que le souflle baisse après l'avoir vio-
lemment lancé, il fait le tour du cadran d’une seule course et entame même sur
le tour suivant.
Lorsque le vent souffle avec plus de constance, mais en variant d'intensité, la
girouetle se trouve ainsi ballottée de droite à gauche et de gauche à droite, n’in-
diquant plus rien de fixe à force de trop indiquer.
Supposez maintenant la girouette placée entre deux collines ou montagnes
qui s'étendent parallèlement dans une direction quelconque,et tout vent qui s’en-
gouffrera dans la gorge obliquement rendra la girouette folle et tournoyante ;
cela est évident : c’est l'équivalent du remous de l'eau qui coule obliquement entre
deux obstacles.
Force me fut alors, quand régnaient les vents deS,S-EetS-0., d’avoir recours
aux indications d'une autre girouette que la mienne et que je pusse observer des
fenêtres de mon cabinet. Une seule dans le pays pouvait se prêler à ce genre
d'observation : c'était celle du restaurant connu dans Bruxelles, depuis plus de
deux cent cinquante ans, sous le nom de la Maison-haute, rendez-vous de
chasse dont Philippe I fit présent à son garde général des bois de la Belgique (*),
et qui a passé de père en fils jusqu'au propriétaire actuel.
Au lieu d’une girouette, ce bâtiment en porte deux, une à chaque bout du
faitage de son principal corps de logis. Mais ici nouveau désappointement ; les
deux girouettes, absolument égales par la forme et par la hauteur, ne sont
jamais d'accord entre elles, et il arrive souvent que l'une marque N-0., quand
l’autre marque N-E. Cette maison est située beaucoup plus bas que la nôtre
sur la pente de la colline. ‘
Laquelle de ces deux girouettes fallait-il croire, surtout quand ni l’une ni
l’autre ne s’accordaient avec la mienne, même lorsque les vents soufilaient de la
moitié Nord de la Rose des vents ?
Évidemment les indications contradictoires de ces deux girouettes voisines et
absolument égales de forme, de hauteur et de position, différant seulement par
la distance qui est peut-être de dix mètres, ces indications, dis-je, devaient pro-
venir des ricochets des constructions voisines et plus élevées que ce bâtiment
sur le penchant de la colline; or, la principale de ces constructions isolées, c'est
l'église qui lui est parallèle et dont le chœur, qui est à l'Ouest, comme cela a tou-
jours lieu dans l'architecture catholique, est surmonté d'une assez haute tour
carrée; évidemment les vents obliques doivent ricocher sur la tour autrement
que sur la nef,
La maison que j'habite, quoiqu'une des plus élevées du village, est dominée, à
(*) La forêt de Soignes s'étendait alors jusqu'aux portes de Bruxefles, et les trois villages, qui
composent aujourd'hui la commune de Boitsfort n'étaient que collines hoisées et grands lacs dans
les vallées aujourd'hui couvertes de maisons. Il n’y a pas 20 ans que la forêt s'étendait jusqu'aux
Umites du faubourg d'Ixelles, au Sud de Bruxelles,
TOPOGRAPHIE. POSITION DES GIROUETTES. 317
son tour, à l'Est, par une longue colline boisée, et, au Nord, par une colline
toute nue.
Afin de départager ces témoignages contradictoires, je fis placer, le 13 août 1853,
sur la crête de la colline Nord, mais à l'Ouest de notre habitation, une girouette
fixée au bout d'une perche profondément plantée dans la terre, mais de sorte
que le drapeau de la girouette se trouvait élevé de cinq mètres au-dessus de la
surface du sol. De la fenêtre Ouest du second étage de notre habitation, je pou-
vais l'observer à l’aide d’un porte vue, comme de la fenêtre Est je pouvais ob-
_ server au moins l’une des deux girouettes de la Maison-haute.
Plus tard, le drapeau de la girouette de la crête de la colline ayant été tordu
par la tempête, j'en fis construire une plus solide et beaucoup plus sensible, que
je posai, le à octobre 1854, à la même place que la précédente. Le drapeau en
étant équilibré par un contre-poids, elle est d'une grande sensibilité, et donne
les indications les plus fidèles, même depuis qu’un ouragan d'une grande violence a
fait pencher un peu la tige (la rigueur de l'hiver ne m'a pas permis d'aller
la redresser). Mais les indications de cette nouvelle girouette ne se sont pas plus
montrées concordantes que celles de la précédente. Ces dispositions prises, j'ai
eu soin denoter, trois fois par jour, pendant un mois de suite, les indications de
ces quatre girouettes aux mêmes heures ; au bout d’un mois, négligeant d'observer
celle des deux girouettes de la Maison-haute que je ne pouvais apercevoir que
du jardin, je n’ai plus noté que les indications des trois autres ; la quatrième, du
reste, n'étant jamais tombée d'accord avec aucune des trois autres.
Il serait trop long de consigner au grand complet, dans des tableaux, les résul-
tats de toutes ces observations, qui n'ont éprouvé aucune interruption depuis
près d'un an et demi, ainsi qu'on pourrait s’en convaincre sur mon journal mé-
téorologique, si ce n’est que depuis quelque temps je ne note plus que les indi-
cations de ma girouette et de celle de la colline, la démonstration n'ayant plus
besoin du témoignage des deux autres.
Dans le tableau ci-joint je me contenterai donc de mettre en regard un certain
nombre d'observations comparatives, que je elasserai par ordre des vents signa-
lés par la girouette de la colline. Mais pour l'intelligence des conséquences que
je dois tirer de ce tableau, il est indispensable de le faire précéder de quelques
renseignements topographiques sur la position respective de ces girouettes et sur
les accidents de terrain qui peuvent envoyer le vent par ricochets sur chacune
d'elles.
La girouette de notre habitation étant prise pour point d'observation, la gi-
rouette de Ja colline est sur la ligne de l'Ouest-Nord-Ouest, à gauche de la ligne
Nord-Ouest qui joint Boitsfort au grand théâtre de Bruxelles, ce que j'ai vérifié,
le 21 janvier, jour de l'incendie de ce monument, par la colonne de fumée qui, à
9 heures du matin, s'est élevée perpendiculairement vers les nuages, et ce que je
vérifie chaque soir par la réverbération des nuages placés au-dessus de
Bruxelles. Les girouettes de la Maison-haute sont sur la ligne de l'Est-Nord-Est.
Au Nord, la crête de la colline que nous avons en face de nous se courbe en am-
phithéâtre, pour arriver, par un are de cercle, de l'Ouest à l'Est ; là elle est cou-
pée par une gorge, qui court, du Sud au Nord, le long de la colline boisée de
l'Est, contre laquelle est adossée la majeure partie du village; cette colline nous
abrite en haut comme en bas contre les vents d'Est. L'église est au Sud de la
Maison-haute; celle-ci est située en face de la gorge du Nord et a devant elle,
mais plus bas qu'elle, deux ou trois habitations.
318 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
La figure suivante peindra aux yeux, mieux que ne fait cette description, la
situation respeclive des trois points d'observation.
ire
|
ll
M maison que j'habite. O girouette placée sur la ligne Ouest-Nord-Ouest de la
colline qui termine l'horizon au Nord. E, Ed position de la Maïson-haute. E
girouette à l'Ouest, et E d girouette à l'Est de la Waïison-haute. e église. S N
colline boisée, contre la base de laquelle est adossée la grande rue du village et
qui domine toutes les autres hauteurs du pays. P pont du chemin de fer à
l'Ouest, d’où la route se dirige en pente jusqu'à la vallée du village.
Dans le tableau qui va suivre nous consignons dans tout autant de colonnes
les indications des diverses girauettes, désignant par gir. O. la girouette de la
colline, par gir. M. celle de notre habitation, par gir. E. celle de la Maison-
haute qui occupe le point Ouest de ladite maison, et par E d celle qui est au
bout opposé du faitage. La colonne suivante marque les jours et heures, et la
dernière la force du vent au moment de l'observation; les chiffres 7, m, 5, qui sui-
vent l'indication des jours, désignent sept heures du matin, midi et cinq heures
du soir, heures des observations.
Au bout d’un mois, je cessai de prendre les indications de la girouette E, qui
n’était apercevable que du jardin ; après la dixième observation du tableau, on
ne trouvera donc plus que trois indications du vent.
419. TABLEAU DES DISCORDANCES DES GIROUETTES.
cm O. cm. Me em E. ci Ed. Jours, MEURES.
E-à NNE E à NNE ENE " NE 45 août 4855, ni
E | E à NE 0 E 24 — 7
LE aàaNE E à NE NE NO 45 _— 5
NE NE NE NO 44 — 7
NEàE N d'E à NO N NO _ = EA
O0 à NO 0 àaN0 Ss0 SE 18 _ 7
S S à SS0 SsSE 0 16 _ 7
S 1. de ONO à ESE S tournante SE à 0 S lente à O0 47 — m
so SO à Ss0 SE SE 49 _ m
NàNE N à NO oo NO 23 — 7
DISCORDANCE DES GIROUETTES VOISINES.
cum. © cum. Me cum. Ed. JOURS. HEURES: FORCE DU VENT,
E S S 29 août 4853 7 calme,
E FE à ESE NNO 45 septembre — 7 léger.
E SE SE 44 octobre _ 4 calwe,
E ENE E 4 novembre — m _
E NO S 21 — — 8 -
SE SE S 5 - — 8 léger.
SE S S 49 octobré — 8 calme
SE 050 SE 21 septembre — m léger.
SE S à O0 SE 4 novembre — m —
SE E SE 42 octobre - 4 calme
ESE E SE — — m léger.
ESE ESE ESE 5 novembre — m —
ESE SE S 5 — — 8 —
SSE S de SO à SE SSE 40 septembre — 7 —
SSE SSE SSE 21 — — 7 calme.
SSE so SE 6 novembre — 8 —
SSE SO S — — m —
S s0 S ae — — 8 calme plat.
S (0 050 10 — _— 4 æÆ
S S0 S 51 octobre — 4 —
N NE NO 8 septembre — m _
NE ENE SE 24 août _ m _
NE NNE NE —_ on 5 —
NE N N 22 — _— 5 —
NE N d'ONO à ENE N 4 septembre — y léger.
NE N à NNE N — — 5 —
NE NàNE N 5 _ — 7 _
NE NàE N de NE à NO — — m _
NE NE N 6 — _ 7 calme,
NE : NaE NNE — — 5 léger.
NE vibr E folle àN NO 7 — —— m violent.
NE NNO NO 8 — — 7 léger.
NE NNE E 22 novembre — m _
NE NNE NNE — — 4 —
ENE NNE NO 4 septembre — m calme,
ENE ENE NO 9 _ rm 2
S so S 51 octobre — 4 _
S so SE 4novembre — 4 _
S 0 0s0 140 — _— 4 _
so SO Ss0 2 octobre — m _
so SO dSào0 SSE 5 — — m léger.
so 050 so 42 — — 8 calme,
so SU SE 45 — — m léger.
so SO à SE S 46 — — 8 —
so so S 47 _— _ 8 violent
Gin so SsO 24 — — 8 léger.
So s0 SsOo 25 — — m fort,
so so S — — 5 calme.
s0 SO de SàanN S 28 _— — 8 fort.
SO 0 So 30 _ _ 8 calme.
Ss0 S0 à0 S 29 — — 8 moyen.
so S SE 2 novembre — m _
0 0 S 48 octobre — 8 En
0 0450 SE 8 == — 4 léger.
0 o so 20 septembre — 8 _
0s0 0 ar ce 5 =
050 folle à O. 0 lente à ONO 0 — — m fort.
NO N0ào NO 22 août — m calme.
NO NO NO 23 _ _ m Es
NO folle NO à S0 SO 27 septembre — m fort.
No 0 à ONO N 2 — — 5 moyen.
NO ONO NNO 3 octobre — 5 calme.
NO () Ox0 41 — — | À =
N.B. Je m'arrête à cette série d'observations, quoique, chaque jour, je continue
à tenir note des discordances. Je renverrai à la livraison prochaine les conséquen-
ces qui résultent de la combinaison des éléments comparatifs de ce tableau avec
les notions topographiques qui le précèdent. Il est très-probable que bien de mes
lecteurs, munis ainsi de ces deux ordres de documents, me préviendront dans ce
travail d'induction et d'application météorologique. Il me suffira de faire pres-
sentir, dès aujourd'hui, combien on a fait fausse route quand on a voulu géné-
raliser les observations particulières de ce genre, même celles qu'on à conti-
nuées pendant de longues années, mais dans une seule localité.
(La suite au numéro prochain.)
O1
19
O REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
CHAPITRE IV. — GALERIE MÉDICALE,
ÉTUDE SUR GUY PATIN,
Docteur en médecine, professeur au Collége royal, et doyen de la Faculté de médecine de Paris,
(SuitéF voir livr. d'avril, pag. 292.)
Si Guy Patin garde le plus complet silence sur les chefs-d'œuvre oratoires de
Bossuet, ce n'est pas qu'il n’ait jamais entendu parler de cet illustre person-
nage; car, en deux endroits de ses lettres, il le cite, lui ainsi que le père Masca-
ron, comme deux hommes fort habiles; mais voilà tout (*).
Quant aux Racine, aux Boileau, aux Corneille, aux la Fontaine, et même aux
Molière, etc.. qui déjà remplissaient la cour et la province d'admiration, et ren-
daient notre littéralure européenne, ils passent devant Guy Patin sans en être
aperçus; à peu près comme le torrent de la révolution française avait passé
inaperçu de ce brave astronome de la tour de Cluny, occupé le jour à dormir et
le soir à fouiller dans le ciel pour être le premier à y surprendre une comète. Ne
recevant plus, un certain jour, ni son huile pour la lampe, ni son lait du matin,
il alla en demander la raison au prévôt des marchands; il n’y avait à sa place
que la commission municipale; il se recommanda de ses amis, MM. de Lalande
et Lavoisier; on lui répondit qu'il n’y avait plus des messieurs, mais des ciloyéns.
Tout avait changé de face sur la terre pendant que son ciel ne changeait pas;
quel cauchemar vaudrait une pareille déconvenue !
Trois fois, cependant, je rencontre dans la correspondance de Guy Patin quel-
que chose qui semble se rapporter un peu à ce Molière dont chacun retenait les
vers : Guy Patin se sert du mot tartufe en quelques endroits; dans la 47° de ses
lettres, il annonce la mort d'un vieux marchand de grande réputation, âgé de près
de 80 ans, nommé Robert Poquelin, qui eut lieu le 4 août 1668 ; je ne sais si
c’est le père du grand Molière; et une troisième fois, au sujet d'une comédie sur
les médecins, que Molière devait faire représenter à la cour, sous le titre Le mé-
decin fouetté et le barbier c..…., pièce dont le sujet était emprunté à l'affaire du
médecin Crecé, attiré dans un guet-apens par le barbier barbant, Griselle, fort ja-
loux et pour cause (**).
Quant à Racine et à Corneille, on s'attend dans un endroit qu'il s’aventure à
les citer, ce qui était une belle occasion pour mettre leurs génies en présence;
car il s’agit de la tragédie de Bérénice, qu'on représentait en ce moment à la cour:
« deux divers poëles, ajoute-t-il, y ont travaillé; on verra ceux qui y auront
mieux réussi ("**). » Et il n’en parle plus dans la suite. [l est vrai qu’à cette épo-
que de grande vieillesse, sa correspondance se ralentit et que ses lettres devien-
nent rares.
Cette indifférence pour la littérature contemporaine de la part d’un homme
si épris de la littérature ancienne in uträque linguä, et si érudit en touteschoses,
n'a rien qui doive nous étonner. En fait d’études littéraires, il arrive une époque
de grande préoccupation où l'homme studieux ne pense plus à grossir son ba-
(*) Lett. 505; 13 déc. 1669. — Lett. 529 ; 47 sept. 1670. — (**) Lett. 503, 504, 505 et 807; 22 et 23
nov., 43 et 25 déc. 4669, tome II. — (***) Lett. 531, 45 déc. 1671.
TRIUMVIRAT : MÉDECIN, PROCUREUR ET CONFESSEUR. 321
gage de ce côté-là, et où il ne vit plus que de ce qu'il en a appris dans sa jeu-
nesse et sur le banc des écoles. Lorsque, en 1824, dégoûté du monde, que j'avais
entrevu et flairé un instant, et de la politique que je voyais faire son marché et
escompter son dévouement à une coterie occulte, lorsque je dis adieu à tout ce
qui n’était pas ma chère étude, je devins tellement étranger aux nouvelles politiques,
théâtrales et littéraires, que je me surpris, six ans plus tard, au même point où j'en
étais en 4824, et qu'il n'y avait pas une soubrette qui ne füt plus au courant de la
littérature contemporaine que moi. J'en étais resté au Sylla de M, de Jouy et au
Marius de M. Arnaud; exactement comme, au plus beau temps de Boileau, Guy
Patin en était encore à la Pucelle de Chapelain.
Et pourtant Guy Patin hanta jusqu'à sa mort la maison de Lamoignon, avec
iequel il fit souvent, le verre en main, assaut de bons mots et de citations latines,
et chez lequel, toutes les semaines, il se tenait une espèce d'académie où assis-
taient tous les beaux esprits et les savants de Paris, mais là chacun se conformait
aux goûts classiques du maitre et de ses contemporains; et Guy Patin, par
le tour de son esprit, y dut éclipser bien des beaux génies : ear un médecin,
s'il a de l'esprit, ne tarde jamais à prendre le haut bout de la conversation
intime. En ce temps-là, où la médecine ne vivait que d’arcanes, le médecin
était un oracle; heureux quand on pouvait l'entendre parler ! Il n'avait en cela de
rivaux que l'homme de loi et le confesseur. Les trois grandes terreurs des hommes
ne sont-elles pas la souffrance, la pauvreté et la mort? Et le médecin, l'avocat et
le confesseur les plus courus ne sont-ils pas ceux qui vous dorent le mieux ces
trois sortes de pilules? Or, Guy Patin possédait une verve intarissable, qui
attirait le publie à ses leçons (*) et jusques à ses thèses latines et à ses leçons du
Collége royal. C'était bien autre chose encore quand il plaidait lui-même, au
nom de la Faculté, devant messieurs du Parlement: le plus subtil, le plus mali-
cieux des avocats se trouvait alors désarçonné du coup par cet autre homme de
robe, qui, sous le même bonnet que lui, réunissait trois êtes aussi fortes l’une
que l’autre : l'esprit, la science et la procédure ; à lui seul il était ainsi trois con-
ire un.
L'un de ses plus beaux triomphes en ce genre fut le procès qu'il gagna, en
août 1642 et mars 1644 (*), contre ce brave Théophraste Renaudot, qui était
camus et punais, ce pourquoi Guy Patin l'appelait Cacophraste (‘*).
Au sortir du palais, notre malin docteur l'aborde en lui disant : « M. Renau-
dot, vous pouvez vous consoler, car vous avez gagné en perdant, — Comment
done ? —C'est, lui répond-il gravement, que vous étiez camus lorsque vous êtes
catré ici, et que vous en sortez avec un pied de nez. »
Renaudot ainsi battu et berné ne dut pas ce jour-là tremper sa plume de
(*) Dès l’âge de 31 ans, il professait la chirurgie à ses élèves ; et au Collége de France, il faisait sou-
vent des dissections humaines (voy. lett. du 2 janvier 1632, tome IV).
(**) Lett. #2e, 16 août 1640, tome 1. — Lett, 80e, tome IV.
(***) Théophrasie signifie : homme au langage divin, du grec théos, dieu, et phrazein, parler. Caco-
phraste, au contraire, signifiait : punais, du grec cacos, mauvais, et osphrésis, odorat,
Théophraste Renaudot, le père du journalisme, qui a fondé la Gazette de France, le plus ancien
journal français, avait encouru ja haine de la Faculté et en particulier celle de Guy Patin, comme
ayant été la créature de Richelieu et de Mazarin. On le poursuivait devant les deux juridictions, parce
qu'il était médecin reçu à Montpellier et non encore à Paris, où il voulait exercer ; ensuite parce qu'il
vendait des remèdes sans être pharmacien, et surtout parce que, dans sa Gazette, il précouisait l’anti-
moine, ce médicament excommunié par la Faculté. En outre, Théophraste prêtait à la petite semaine
et sur gages, et il « tenait, dit Guy Patin, un bureau, où il exerçait une juifverie horrible et mille
autres infâmes métiers. » (Lett. 80e, tome IV).
522 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
gazetier dans l'eau de rose, Mais ce n'était pas un esprit vulgaire que ce Méri-
dional Renaudot ; et quoique du pays d’Adieousias, comme l'en accuse le Parisien
Guy Patin, il ne s’en maintint pas moins, en dépit des franchimans, dans tous
les priviléges de ses créations littéraires, commerciales et philanthropiques (‘).
Renaudot est le fondateur de la presse quotidienne en France, idée qu’il im-
porta d'Italie, où chaque feuille du journal se vendait una gazetta (petite pièce
de monnaie) ; le nom du prix resta à la marchandise, L'esprit conservateur et la
couleur politique de Renaudot se sont perpétués dans la Gazette de France qui
dure encore malgré toute sa pâleur littéraire; l'idée du prêt sur gage fut une
autre des importations du docteur du pays d’adieousias qui donna lieu à la créa-
tion des monts-de-piété; quant à l'antimoine, qu'il préconisait jusque dans ses
excès, il en est resté l’émétique dont on ne se sert plus que dans des cas infini-
ment exceptionnels.
La Faculté de Paris, l’une des quatre filles aïnées de nos rois, n’entendait se
relâcher en rien de ses antiques priviléges ; elle prétendait régenter toutes les Fa-
cultés de province, jusqu’à sa rivale la Faculté de Montpellier, peut-être plus an-
cienne qu’elle; et Guy Patin, docteur régent ou doyen, montait toujours le pre-
mier sur la brèche, quand il s'agissait de défendre les droits et la juridiction de la
nourrice de ses études, alma mater. On peut voir, dans sa trentième lettre, tome I,
comment, à l’âge de 25 ans, ayant été prié de porter le dais à la procession de sa
paroisse, il s'affuble de sa chape d'écarlate (”), et prétend avoir le pas sur tout
ce qui n’est pas conseiller à une cour souveraine, en vertu de sa qualité de doc-
teur de l'alma universitas ; et il obtient gain de cause sur le terrain du débat et le
soir dans le salon du président de Belièvre. En d’autres circonstances, et plus
tard, il se moqua des questions de préséance; mais c'est quand il sut que le pre-
mier président de Lamoignon s’en moquait lui-même, le jour où la procession de
la Sainte-Chapelle et celle de Notre-Dame se disputèrent le pas à grands coups
de croix et de bannières (**),
On jugera encore par sa lettre 142°, tome V, avec quelle sévérité d'examen
la Faculté traitait les médecins des Facultés de province et même ceux de Mont-
pellier, lorsqu'ils venaient lui présenter requête pour exercer leur profession
dans le ressort de Paris.
La Faculté ne devant admettre que des catholiques comme professeurs, Dieu
garde qu’à son escient il s'y glissât un huguenot! Guy Patin était sur ce point
inexorable, et pourtant ses lettres ainsi que ses conversations sentaient grande-
ment le fagot; car il est fort peu de ses missives où il ne décoche quelque bon
mot contre Rome qu'il appelle illa negotiosa otiosorum mater (cette mère si be-
sogneuse de tant de vieux fainéants), contre le célibat des prêtres toutes les fois
(*) Adieousias est un mot méridional, et plutôt provençal que languedocien, qui signifie à dieu soyez
ou adieu. À ce sobriquet que les Parisiens donnaient aux Provençaux et aux docteurs de Montpellier,
ceux-ci, qui ne sont pas en reste de réplique, répondaient par le sobriquet de franchimans, vieux
mot qui s’est conservé en Prowence où Jes Francs ne pénétrérent pas, pour désigner les habitants
des régions septentrionales qui se laissèrent envahir par les hommes francs (/rancimans), Woy. lett.
356, 28 avril 1665, tom. JIL. ,
(*) C'était l’ornement que prenaient les docteurs dans toute grande cérémonie, aux enterrements
de leurs confrères, et quand ils disputaient ou qu'ils passaient docteurs; d'où vientle nom de cardinale
que l’on donnait à leurs dernières thèses. |
*#) Événement que rappelle Boileau par ces deux vers du Lutrin, chant V, v. 185.
Jlustre porte-croix, par qui notre bannière
N'a jamais en marchant fait un pas en arrière,
HUGUENOT PAR L'ESPRIT, CATHOLIQUE PAR LES ACTES. 323
qu'on roue un prêtre en place de Grève pour avoir oublié ses vœux de chas-
teté (*); contre le purgatoire, qu'il appelle une gentille invention (‘*); contre
les cardinaux qui se battirent dans le conelave (***); contre les frères mendiants
qu'il définit : « Cet animal encapuchonné qui s’en va de porte en porte chercher
des bribes, mendier des miches pour emplir sa besace et en nourrir des frères
frelons » (****); enfin .contre les jésuites, sur le compte desquels sa verve ne tarit
pas, et à qui il n'épargne pas les épithètes de nebulones nequissimi et pessimi,
portant même l'audace philosophique jusqu’à citer, lui bon catholique, les pa-
roles de l'avocat général Servin, qui disait que les jésuites étaient les janissaires
du pape et les moines ses argoulets (carabins), et puis celles du huguenot Théo-
dore de Bèze qui les appelait ultimum Satanæ crepitum (la dernière incongruité
de Satan) (*****), ete., etc. De plus longues citations sortiraient du cadre de cette
Revue. On se demande, en lisant ces intarissables plaisanteries du libre penseur,
comment la Faculté, animée de cet esprit rabelaisien et un tant soit peu hugue-
notique, s'attachait tant ensuite à invoquer la loi intolérante et inquisitoriale de
l'État, qui excluait les huguenots des chaires de la Faculté (‘****). Cette contra-
diction flagrante nous remet un peu en mémoire la conduite de l'avocat Élie de
Beaumont qui, après avoir défendu la famille Calas contre l'injustice des lois
qui frappaient les protestants en France, se mit, un an plus tard et pendant que
ce procès pendait encore, à invoquer les mêmes lois d'incapacité civile pour re-
vendiquer un héritage en faveur de sa femme. A cette nouvelle Voltaire bondit
d’indignation; mais Élie de Beaumont gagna ce procès, comme l’autre, et se jus-
tifia par le bien jugé dans ces deux cas contradictoires. Comme la valeur des
choses change avec le point de vue et avec les yeux de l'intérêt!
On se demandera peut-être comment, avec cet esprit philosophique dont
Guy Patin ne cessa de se montrer animé, il put parvenir jusqu'à une extrême
vieillesse sans être persécuté! C’est qu'un médecin avait alors presque le droit
de tout dire dans le tête-à-tête, et qu'ensuite Guy Patin, aussi adroit que le fut
plus tard Voltaire, eut toujours soin, pour mieux attaquer les jésuites, de se te-
nir sous l'aile des grands opposants et des magistrats. Que pouvait-on lui repro-
cher, s'il parlait ainsi des moines, à l’époque où M. le premier président de La-
moignon donnait à Boileau l'idée du Lutrin, ce divin récit d'une bagatelle,
lorsque Ariste (M. le président de Lamoignon), le grand Condé et le roi lui-
même, loués avec tant de finesse, de tact et d’à-propos, dans le cours de cette
débauche poétique, répétaient ensuite avec délices à leurs courtisans respectifs
les tirades les plus hardies du poëme contre
Ces chanoines vermeils, et brillants de santé
S’engraissant d’une longue et sainte oisivité.
Saus sortir de leur lit, plus doux que leurs hermines,
Ces pieux fainéants faisaient chanter matines,
Veillaient à bien diner, et laissaient en leur lieu,
A des chantres gagés, le soin de louer Dieu.
Ou bien ces autres vers de la 2 satire :
#
Je n’aurais qu'à chanter, rire, boire d'autant ;
Et comme un gras chanoine, à mon aise et content,
() Lett. 168, 7 mai 1660; lett. 181,12 juillet 1661, tom. V.— (**) Lett. 280, 24 oct. 1662, tom. I1.—
(“*) Lett. 512, 20 mars 1670, tom. III. — (****) Let. 511, 44 mars 1670, tom. II, — (“***) Lelt. 153,
30 juin 4657, tom. V; lett. 122, 44 oct. 1658, t, I.— (+) Lett. 177, & mai 4660, tom. I].
324 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
&
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mais rentrons dans le sujet qui est plus spécialement du ressort de cette revue,
c'est-à-dire ne nous occupons de Guy Patin que dans ses rapports avec la Fa-
culté et ceux qui en relevaient alors.
A cette époque encore (et l'usage en remontait du reste à la plus haute anti-
quité de la Faculté), le décanat ne durait que deux ans et le doyen était nommé par
l'élection. Tous les deux ans, le samedi après la TOneaine à neuf heures
du matin, on proclamait le nouveau doyen. A cet effet la Faculté ayant été
assemblée, speciali articulo, le doyen prêt à sortir de sa charge remerciait la com-
pagnie de l'honneur qu’elle lui avait fait et la priait d'élire un nouveau doyen à
sa place. Alors les noms de tous les docteurs présents (car on ne pouvait élire des
absents) étaient éerits sur tout autant de billets (en 1650, 112 docteurs seulement
prirent part à l'élection du doyen); on mettait d'abord dans un chapeau les noms
de la moitié qui occupait le grand bane, c’est-à-dire les noms des plus anciens for-
mant la moitié de l'assemblée; le plus ancien de ceux-ci ballottait et remuait
chaque fois tous ces billets dans le chapeau, et le doyen sortant en tirait trois bil-
lets l'un après l’autre. On remettait dans le chapeau les noms de l’autre moitié
qui occupait le bane d'en bas, le banc des plus jeunes; et cette fois-ci on ne tirait
que deux noms. Ces cinq docteurs ainsi élus par le sort devenaient électeurs,
prêtaient serment de fidélité, étaient renfermés dans la chapelle, et là ils choisis-
saient, sur cinq des docteurs présents, trois noms de ceux qu'ils jJugeaient les
plus dignes, deux pris sur le grand banc et un sur le petit. Ces trois noms, éerits
sur tout autant de billets, étaient remis dans le chapeau par le plus ancien, et le
doyen sortant en tirait un qui par ce fait était proclamé doyen rentrant. On voit
que ce mode d'élection se rapproche beaucoup de l'élection de l’évêque de Bourges
par le peuple, et pour laquelle le peuple assemblé s’en rapporta à Sidoine Apol-
linaire, évêque de Clermont (‘). C'était le suffrage à deux degrés.
Guy Patin fut un des cinq électeurs deux fois (1640 et 1646) : il fut un des
trois élus quatre fois (1642, 1644, 1648 et 1652); son nom sortit du chapeau la
quatrième fois. Le plus ancien docteur s'appelait l’ancien maitre; un arrêt de
la cour lui défendait de jouer sur le mot en prenant le titre de doyen d'ége. Le
doyen de la Faculté était, d’après les statuts (qui sunt edicta principis confirmés
en Parlement), le maître des bacheliers qui étaient sur les bancs de la Faculté
{eaput Facultatis) ; il veillait à la discipline des cours (disciplinæ vindex et custos
legum) ; ilétait le gardien des registres, qui à cette époque dataient de plus 500 ans;
il avait les deux sceaux de la Faculté, recevait les honoraires des docteurs ré-
gents et leur en rendait compte, signait et approuvait toutes les thèses; il prési-
dait, assisté des deux professeurs de pharmacie, aux examens et réceptions des
apothicaires, avait le droit, suivi de la même assistance, de visiter, deux fois
l'an, leurs officines, mais aux jours et heures que désignaient eux-mêmes les apo-
thicaires en vertu d’un arrêt, ce qui rendait ainsi la surveillance illusoire. II
nommait à tour de rôle les présidents des examens, assemblait quand il voulait
les membres de la Faculté, qui ne pouvaient, pour s’assembler, se passer de son
consentement que d’après un arrêt de la cour; il faisait partie des quatre exami-
nateurs pour le grand examen qui durait une semaine; il était un des trois
doyens qui avec le recteur gouvernaient l'Université et un de ceux qui concou-
() C. Sol. Apollinaris Sidonii opera, éd. Sismoudi, pag. 199,
DÉCANAT ÉLIGIBLE; CHAIRE AU CONCOURS. 325
réaient à l'élection de ce dernier; son revenu était le double de celui des docteurs
régents (*).
Le décanat était sans doute un grand honneur, mais aussi une rude charge et
un grand tracas d'affaires; le doyen sollicitait dans les procès de la Faculté et
prenait la parole avant l'avocat général. Avec une telle omnipotence et un libre
arbitre aussi exempt de contrôle, les malversations devaient être faciles; et ce-
pendant, à la connaissance de Guy Patin, deux seuls doyens furent aceusés de
coneussion : Vignon et le nommé Saint-Jacques qui, sans doute , après avoir
été expulsé tacitement des rangs de la Faculté, alla plus tard jouer la parade,
sous le nom de Guillot Gorju, à l'hôtel de Bourgogne (*).
Au Collége royal, Guy Patin fut nommé par ordonnance et sur la proposition
de Riolan, qui le choisit pour son successeur dans là chaire de botanique, de
pharmaceutique et d'anatomie (***). Mais deux chaires étant venues à vaquer en
1669, l'une de philosophie et l’autre de médecine, Louis XIV voulut qu'en exé-
eution de l'arrêt rendu sous Charles IX, l'an 1566, sur les conseils du chancelier
l'Hospital, arrêt tombé depuis en désuétude, les deux chaires fussent mises à la
dispute (au concours) ; ce qui eut lieu le 5 octobre 1669, le jury étant composé
de six professeurs du roi, de six hommes savants, plus le président, tous treize
au choix du roi (***).
Guy Patin, avons-nous dit, fit la guerre à Mazarin, en qualité d’auxiliaire du
Parlement, ce qui lui valut toute sa vie la protection des lois £ontre la vengeance
du pouvoir arbitraire; il fut l’ami de M. le duc de Beaufort, le Roi des halles;
ses lettres sont pleines de larmes à la nouvelle de sa mort sur le champ de ba-
taille de Candie ; et c’est de Guy Patin que nous tenons l’anecdote de M. de Beau-
fort avec les dames de Ja halle, au jeu de paume, et la tentative d'empoisonne-
ment dont ce prince faillit être victime (*****). Notre auteur fit toute sa vie, sous les
bannières de la Faculté, la guerre de plume et de plaidoiries contre les méde-
eins partisans de l’antimoine, contre les chirurgiens de Saint-Côme, et contre
les apothicaires ; et s’il ne gagna pas le premier procès au tribunal du public,
dont le bon sens naturel a toujours pressenti l'inutilité et partant le danger des
saignées et les avantages souvent décisifs des évacuants, il gagna les deux autres
au tribunal de la justice, et là il avait affaire à rudes parties; car c'étaient de
puissants solliciteurs que les barbiers, qui caressaient chaque matin le menton à
la justice barbue, et les apothicaires, qui venaient si souvent, en posture de
suppliants, apporter up soulagement si prompt à la justice constipée, se trou-
vant ainsi les uns et les autres, à point nommé, à ce moment si favorable aux
solliciteurs, d'après Voltaire, où Monseigneur a pu aller à la garde-rohe !
Les apothicaires avaient porté plainte en diffamation contre Guy Patin au sujet
de sa dernière thèse; ils furent déboutés en Parlement, après avoir été bafoués,
sifllés, bernés par plus de six mille auditeurs, et par la cour elle-même, dont l'é-
locution spirituelle de Guy Patin dérida le front pendant plus d'une heure (*"*"*)
Les chirurgiens barbiers de l hospice Saint-Côme voulurent faire bande à part,
et n'avoir rien de commun avec les barbiers barbants; ils avaient de leur propre
autorité érigé leur hôpital en faculté de chirurgie, et fait inscrire ces deux mots :
collegium chiriatricum (collége des chirurgiens) au-dessus de la grande porte de
leur hospice. Ils avaient osé, de quatre à cinq planches ajustées ensemble, dres-
(*) Lett. #7, 4 nov. 4650; tom. 1; lett. 446.25 août 1655, lett. 158, 27 fév. 1658. tom.V.—(**)Lett. 222,
14 déc. 1660, tom. II. —(*"*) Lett. 92, 9 oct. 4655, tom. I. — (****) Lett. 500 et 501, 26 sept. et 12 oct.
1669, tom. lil, — ("***) Lett, 16, 14 mai 1649, tom. 1. — (******) Lett, 9, 10 avril 1647, tom. I.
526 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
ser une chaire de professeur, faire subir des examens et conférer des grades,
porter robe, rabat et bonnet doctoral. La Faculté de médecine, on le comprend
bien, ne dut pas voir une telle rébellion relever la tête à sa porte, sans prendre
sa massue pour l’abattre ; et elle obtint divers arrêts contre ces audacieuses pré-
tentions. Mais l'hydre avait plusieurs têtes qui ne cessèrent jamais de repousser;
la médecine a vu plus tard l'humble chirurgie venir prendre la plus haute place
dans les rangs de la Faculté même, et le barbier de Saint-Côme s'appeler un jour
le baron Dupuytren. Le dernier rejeton de la chirurgie en capuchon a survécu à
Dupuytren même; il avait exercé la chirurgie de la vessie sous tous les régimes,
après avoir été chirurgien major de la gendarmerie de la République française,
en 1799, juge-juré de Marie-Antoinette eu 1795, de Danton et Camille Desmoulins,
en 1794. Il n'y a pas einq ans que ce doyen des lithotomistes s’est endormi dans
la tombe à l'âge de 94 ans, le lendemain du jour où il avait encore fait bien pres-
tement l'opération de la taille; nous l'avons vu battre des entrechats à l’âge de
80 ans; il s'appelait Souberbielle; il avait sous tous les régimes conservé le pri-
vilége de dire : Monsieur de Robespierre, comme le disait impunément le plus
ancien messager de la chambre des députés sous la restauration; c'était là une
double énigme pour tout le monde. Il était chirurgien lithotomiste, et par droit
de conquête et par droit de naissance, en sa qualité de neveu du frère Côme, si
connu par la pâte arsenicale qui porte son nom.
Guy Patin eut l’insigne honneur de remporter un complet triomphe sur l’ar-
mée des frères barbiers chirurgiens. |
Un arrêt de Parlement leur enjoignit d'effacer l'inscription de la porte, de ren-
verser Ja chaire du professorat, de elaquemurer Ja salle des réceptions, de déchi-
rer les robes, de remplacer le bonnet par la perruque, et ordonna h jonction des
barbiers-barbants aux barbiers-priants, ainsi que leur soumission commune à
leur mère nourrice (alma mater) l'antique Faculté de Paris (*).
Le jour de la Saint-Luc, fête de la Faculté (18 octobre) (saint Luc, on le sait,
est le patron des peintres et des médecins, comme ayant été l’un et l'autre), il y
avait une grande assemblée aux écoles de médecine, à la suite d’une grande
messe ; à on lisait publiquement les statuts; le lendemain on disait une autre
messe pour les médecins décédés, à laquelle tout médecin vivant était engagé par
serment d'assister; et à la fin d’icelle les apothicaires et les chirurgiens venaient
humblement faire hommage à la Faculté, et jurer, entre les mains du doyen,
qu’ils reconnaissaient les médecins pour leurs maitres (**) « afin, ajoute Guy Patin,
que les chirurgiens, en particulier, se souviennent qu'ils ne sont que les ofliciers
de la médecine, ministri artis (***) ».
Gil Blas, devenu l'aller ego du docteur Sangrado, se servait d'une expression
moins déguisée, en les nommant les exécuteurs des hautes œuvres de la médecine.
La science, qui nivelle toutes les conditions, ne tarda pas d’élever les exécuteurs
au rang des juges, et leur mérite personnel les éleva souvent encore plus haut,
Quant aux démélés.de la Faculté avec les apothicaires, il ne s'agissait plus ici
de juridiction et de préséance; et c’est sur ce point qu'apparait dans son vrai
jour l'âme probe et humaine de Guy Patin. El aimait bien un peu, lui aussi, de
vivre de Ja maladie des autres; il ne laissait pas que de se plaindre de la morte
saison, quand tout le monde se portait bien (****); il aimait tout aussi bien qu'un
(*) Let, 163, 10 fév. 1660, tom. L. — (**) Lett. 209, 16 oct. 1660, tom. II, — (**) Lett. 130, 9 jan-
vier 1659, tom. 1.— (****) Lett, 194, 17 mars et lett, 195, 25 mars1664, tom. V. Lett. 546, 31 décem-
bre 4674, tom, HI.
LE MÉDECIN CHARITABLE; GUERRE AUX APOTHICAIRES. 327
autre festoyer, boire et rire aux fêtes de la Faculté et aux réceptions des bache-
liers (*). Mais il lui paraissait honteux d'avoir recours à la polypharmacie pour
exploiter la bourse du riche et vider celle du pauvre. Aussi Guy Patin n'a jamais
trop de bile et contre les jésuites et contre les apothiquaires qu'il appelle en latin,
(tant la langue française lui fournit peu d’épithètes) les plus méchants pendards,
les plus honteux grippe-sous, les plus misérables faiseurs, des syrupastres et des
julapistes (gargotiers en sirops et juleps (“), la peste de la médecine comme les
moines, dit-il, sont la peste de la religion (**); « y aurait-t-il quelque saint en
paradis, s'écrie-t-il, qui veuille aider à des gens qui font chaque jour tant de
fourberies aux pauvres malades (****), qui sont des fricasseurs d'Arabie, qui n’ai-
mént à se servir que de remèdes venus de loin et qui coûtent fort cher (*****)? »
Mais adobtant les vues de la Faculté, Guy Patin fit mieux que de défiler ce
chapelet de gros mots à l'adresse des apothicaires ; il opposa à leur mercanti-
lisme, ruineux pour les familles, un petitlivre publié sous les auspices de la Fa-
culté même et dont l'intention a précédé de deux cents ans celle qui nous a in-
spiré le Manuel annuaire. L'auteur dont la Faculté adoptait le livre y apprenait au
peuple non pas à se soigner lui-même, ceci aurait ruiné la Faculté, mais à pré-
parer lui-même le petit nombre de médicaments qui entraient dans les formules,
ce qui ruina presque du coup les apothicaires de Paris. Ce livre avait pour titre
le Médecin charitable, et pour auteur Philbert Guybert, médecin ; il ne presceri-
vait que des remèdes peu coûteux, faciles à préparer (£Æuporista et facilè parabilia
remedia) et que la femme de chambre pouvait composer pour le riche et la mère
de famille pour le pauvre (**"").
« Les apothicaires enragent et contre le Médecin charitable, écrivait-il à Fal-
PR et contre les PA qui, pour empêcher leur tyrannie, ordonnent en
français et font faire les remèdes à la maison; ce que j'en fais n'est que pour le
soulagement des familles. La casse, le séné, le sirop de fleurs de pêcher, de roses
pâles et de chicorée composé avec rhubarbe, suffisent presque à tout » AE HE
Non-seulement la faculté protégeait la propagation de ce livre, que nous analyse-
rons dans un article prochain; mais même elle permettait à l'éditeur Jean Jost, rue
St- Jacques, à l'enseigne du St-Esprit, d'en vendre les compositions fort bien faites,
et à un prix fort raisonnable, Guy Patin n'hésite pas à se vanter d’en « envoyer
querir chez Jost, quand il en avait besoin pour quelque malade » (*******).
Cette idée, quoique incomplète, ne laissa pas que d'être utile à la bourse du
malade; quant à sa santé, elle s'en trouva ni plus mal ni mieux; la médecine ne
pouvait donner alors que ce qu’elle avait : des doutes, des hypothèses, des tâtonne-
ments, le tout revêtu d'un langage qui a toujours l'air d'être savant par cela seul
qu'il est inintelligible au vulgaire. Aussi, quand la médecine était à bout de ses
ressources, peu coûteuses, il est vrai, mais ineflicares contre la violence et le pro-
grès du mal, le malade finissait par avoir recours à l'apothicaire; et c’est ce qui
est arrivé en dépit de toutes les tentatives de ce genre qui n’étaient fondées que
sur là réforme de la boutique et non sur celle de la théorie de la santé et de la ma-
. ladie : Le Médecin de soi-même, publié par Jean Devaux, à Leyde, en 1687(°"*****%**):
(‘)Lett. 169, 23 mars 4660, tom. HI.—(*") Lett, 376, 43 oct. 1665, tom.1ll.—("**) Lett. 20, 48 juin 16,9,
tom, 1.— (****) Lett. 198,31 août 1660, tom. 11.—(*****) Lett. 108, 28 oct. 1648, tom, V.—(***#*) Lett.15e,
1632 tom, 1V , lett. 55, 7 mars 1661, leut, 250 , 18 avril 1664, tom. II, lett. #09, 18 juin 1666, tom, I].
— (ft) Lett, 409,18 juin 1666, t. Ille, — (*"*****) Lect. 15e, 1633, tom, IV.
(##%%) Ne confondez pas avec la contrefaçon du; Manuel annuaire que le pseudonyme Florent
Dubois a publiée, en 1845, sous ce même titre,
328 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
l'Avis au peuple de Tissot ; la Médecine et chirurgie des pauvres, publié sans nom
d'auteur en 1794, tous ces essais enfin qui eurent pour but de faire descendre
l'officine dans la cuisine ont disparu de la circulation, parce qu'en même temps
nul n'avait encore trouvé le mot de l'énigme de l’art de soigner , ni ramené les
arcanes de la médecine à des explications qui tombent sous les sens.
Le seul moyen de réduire le nombre et d'abaisser les prix des remèdes, c'était
de pouvoir expliquer à quoi ils sont bons. La polypharmacie ne pouvait tomber
qu'avec la vieille nosographie; la réforme des théories médicales devait néces-
sairement amener à sa suite la réforme de la pharmacie. Il y a 17 ans que nous
avons travaillé aux deux ; la seconde de ces réformes nous a valu 15,000 fr. de
condamnation et les frais, ce qui fait 20,000 fr. (*) ; la première nous a valu 17 ans
de persécutions patentes ou occultes. Mais qu'importe? Les deux réformes ont
triomphé; la pharmacie réduit ses prix ; la médecine se laisse entrainer par le pu-
blic, devenu compétent, dans le torrent des nouvelles idées; ce double gain de
cause vaut bien pour nous la perte de notre gain. Je n'ai jamais été assez simple
que de croire qu'en jetant à poignées des idées utiles dans le monde on travaille
pour soi.
Enfants mal élevés qui me poursuivez de vos clameurs et vous essouflez à la
course, pour m'atteindre pendant que j'avance et que j'avance encore à travers
ceux qui m'aiment, continuez, si cela vous amuse; je n’ai guère le temps de me
retourner ; et je continue ma route, sans qu'il me vienne même l'idée de vous
plaindre.
La haine que Guy Patin portait aux moines de toutes les robes, aux cardinaux
ministres, aux chirurgiens et aux apothicaires, ne remplissait pas toute la
capacité de son cœur; il y restait encore deux autres places, l’une pour haïr les
chimistes et l’autre pour maudire les libraires. Mais tout cela il le dit en latin,
crainte du cabinet noir de l'époque, qui n'était pas encore lettré.« Tria sunt, dit-il,
animantia mendacissima, loyolitæ, botanistæ et chymistæ. Si tribus illis nebulo-
nibus liceatsuperaddere quartum, sit ille bibliopola ; namque non novi animal men-
docius (*). Je prie MM. les libraires de ne pas m'en vouloir, si je donne la tra-
duction fidèle de ce passage; je compte sur la charité bien reconnue des trois
autres, pour qu'ils ne confondent pas, dans leur pieuse indignation, la traduction
avec l'original ; à tout risque donc cela signifie :« Il y a par le monde trois espèces
d'animaux les plus portés au mensonge que je connaisse; ce sont les loyolites,
les herboristes et les chimistes ; si à ces trois espèces de bandits, il était permis
d'en ajouter une quatrième, ce serait l'espèce libraire; je n'en sache pas de plus
menteur. »
Je ne me chargerai de défendre ni le libraire ni le loyolite; la haute réputa-
tion de probité dont jouissent ces deux classes de citoyens les défend assez;
quant au pauvre herboriste, il a fini par se faire épicier ; il me reste le chimiste
à défendre ; car, ce chimiste ainsi outragé n’était autre que l’immortel Van Hel-
mont, le plus grand homme, après Vésale, que la Belgique ait vu naitre dans
le domaine de la science.
(*) Voy. l'historique de ce procès dans la brochure intitulée : Nouvelle défense et nouvelle condam-
nation de F.-V. Raspail à 15,000 fr. de dommages-intéréts, etc. 1847, Prix : 50 c.
(**) Lett. 447, 8 oct, 1655, tom. V.
(La suite au prochain numéro.)
11° Livraison. REVUE COMPLÉMENTAIRE 1er Juin 1855.
DES
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE,
CHUTE DE DEUX PHALANGES A LA SUITE D'UN PANARIS DE PIRE NATURE (*).
Le jeudi 45 février, un garçon brasseur, ayant passé plusieurs heures à récurer
avec la main un des vieux tonneaux de bière vides, s'aperçut, en quittant ce
travail, d'une douleur pungitive à la dernière articulation du petit doigt, qu'il at-
tribua à l'introduction d'une esquille. Après avoir vainement tâché de retirer le
corps étranger à la pointe de l'aiguille, ilappliqua, selon l'usage du pays, sur le
point douloureux, un petit emplâtre de poix de Bourgogne ou onguent de la mère
(je crois), qu'ils appellent ici le baume pour tirer.
La douleur ne fit qu'empirer, et, le mercredi des Cendres, il se décida à avoir
recours à la pratique des personnes qui soignentles panaris (que l’on nomme ici
doigts blancs) d'après la méthode du Manuel.
Rien ne faisait saillie au dehors, et il était impossible de distinguer, à travers
cette peau calleuse, le point par lequel la cause de ce mal avait pu s’introduire
dansles chairs, pour les tarauder avec des douleurs aussi cruellement lancinantes.
On tint le doigt constamment enveloppé de compresses imbibées d'alcool cam-
phré, et le lendemain toute l'étendue de l'épiderme qui correspondait au siége
de la douleur était devenue blanche et peau morte, à cause d’une certaine quan-
tité de pus qui s'était formée en dessous. Mais cette peau morte opposait au bistouri
une résistance de cartilage, tant le travail de brasseur durcit, épaissit et rend
calleux l'épiderme de ces braves gens, qui portent un grand seau de puits avec
le seul petit doigt plus facilement que nous ne le soulèverions à l'aide des deux
mains réunies.
On se fera une idée suffisante de la force de résistance qu'un tel épiderme doit
opposer au tranchant du meilleur bistouri, en apprenant que son épaisseur, sans
exagérer, était d’un millimètre; les ciseaux avaient de la peine à y mordre.
Après avoir enlevé, avec les ciseaux mousses et courbes, toute la portion de
l'épiderme qui s'était séparée de la chair, et cela si proprement que la chair ne
(*) Voyez, sur la théorie des ravages du panaris et sur son traitement, la 1re et la 6e livraison de la
Revue complémentaire, pag. # et 179.
22
330 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
donna pas une seule gouttelette de sang, on distingua parfaitement, à sa couleur
noire et comme charbonneuse, la place. par laquelle la cause du mal avait com-
mencé son travail de désorganisation intestine.
On replongea le doigt dans l'alcool ; la cuisson, on se l'imagine bien, doit en être
fort vive, au moins-pendant les deux ou trois premières minutes; mais il ne faut
pas reculer ‘devant une telle torture, toutes les fois qu’on a maille à partir ayec
les caractères de l’escarre êt du charbon. Du reste, celte souffrance ne paraît in-
supportable que la première fois ; on la supporte facilement après l'avoir éprou-
vée; l’alcool, agissant moins en caustique qu'en sa qualité de substance coagula-
trice, ne tarde pas à recouvrir les chairs d’une couche épidermique et artificielle
qui protége les couches profondes contre sa causticité, ét ne tamise plus, pour
ainsi dire, que sa propriété antiseptique et isolante, la propriété qu'il possède
d’intercepter la communication du virus aux tissus ambiants. à
En général, au prix de deux ou trois minutes de souffrance de son fait, l’action
de l'alcool a mis fin à tout jamais aux souffrances lancinantes du panaris.
Dans le cas qui nous occupe, l'alcool n’apportait qu’un soulagement local
sur les places dénudées, l’épiderme du restant du doigt, calleux comme un euir,
étant aussi imperméable à son action que le serait la paroi d'un flacon de verre.
Cependant, le décollement de l'épiderme se produisant de proche en proche
autour de la surface dénudée, on put chaque jour débrider de place en place ce
doigt ballonné par le progrès du mal, c’est-à-dire par l'intumescence des chairs,
et chaque débridement était suivi d’une dose équivalente de soulagement.
Mais au bout de quelques jours un foyer purulent s'établit sans doute sur la
surface dorsale du doigt, et une fusée purulente vint déterminer une phlyétène
sur la région de la peau correspondant à la moitié antérieure de l'os métacar-
pien. L’ hftuité se communiquait successivement à la main, à l’avant-bras;
l'engourdissement gagnait même l'épaule. On prédit au mälade les plus graves
accidents, s’il s'obstinait à user des applications d’eau tiède et de cataplasmes, pré-
férant ainsi endurer une souffrance continue, dans la crainte d’une cuisson d’une
minute par l’alcool eamphré. Cette fusée lui fit passer la nuit dans l’insomnie ;
ne sachant que faire pour calmer le feu de la phlÿctène, il se contentait de tenir
cette portion de la main en contact avec l'eau chaude. Mt #
Le lendemain matin, s'étant rendu au pansement, on lui creva cette ampoule,
et la douleur disparut aussitôt; on recouvrit de pommade camphrée la peau dé-
nudée de son épiderme, et cette phase du mal n'eut pas de suite, parce que ce
brave garçon ne recula plus devant l’action de l'alcool camphré.
Le doigt n’en continuait pas moins, en dépit du pansement, si infaillible d'or-
dinaire, par la pommade camphrée, le mal, dis-je, ne continuait pas moins à exer-
cer ses ravages; le petit doigt devenait de plus en plus monstrueux, et comme
d'un aspect carcinomateux. PES
Un); jouron s ’aperçut que l'articulation unguéale était fléchie vers le côté latéral
interne, c’est-à-dire que par la force des muscles latéraux internes cette phalange
faisait coude avec la phalange suivante. La phalange inférieure avait bien trois
centimètres de diamètre. EL va
Mais ce qui s’annonçait d'une manière plus sinistre encore, c’est que l'ongle
noircissait ainsi que la pulpe de l'extrémité du doigt, et qu’ une suppurätion sus-
pecte semblait vouloir s'établir sous l’ongle même. T1 n’y avait pas à hésiter,
pour circonscrire de tels ravages; le malade replongea son doigt dans l'alcool
camphré avant chaque pansement par la pommade camphrée.
PANARIS DE LA PIRE ESPÈCE. 991
Par ce moyen la gangrène resta stationnaire ; mais l'os de la phalange se dénuda
de ses chairs; ét le désossement se fit comme cela aurait eu lieu en tenant cette
extrémité plongée dans l’eau bouillante. Bientôt Los de cette dernière phalange,
avec les débris noirs de l’ongle, devint blane comme la neige, et ne tenait plus à
l'os de la deuxième phalange que par une portion de ses ligaments; il ne fallait
pas même un semblant d'opération pour le détacher.
Mais l'os de la deuxième’ phalange ne tarda pas à se dénuder à son tour, comme
l’autre, les chairs se repliant sur la première, sans douleur et sans suppuration
trop abondante. Vers la fin d'avril, l'os se détacha de lui-même, et aujourd’hui,
6 mai, tout annonce que cet accident sera le dernier, la cicatrisation étant opé-
rée.et les chairs tendant à se rapprocher de pe en plus au- u-dessus de l'os qui
reste.
Du reste, depuis longtemps toute douleur a disparu ; la peau s'est refaite saine
et d’üne bonne consistänce ; et pendant toute la durée de 1x deuxième période du
mal, c’est-à-dire dès lès prémiers soulagements, l’ouvrier n’a cessé de travailler de
son état et de se sérvir de sa main afligée tout aussi facilement qu'il le faisait avant
cet accident. Dès le quinzième jour dû traitement il s'était remis à tout faire.
QUELLE A PU ÊTRE LA CAUSE D'UN TEL RAVAGE ?
À la vue de tels progrès et d’une marche ainsi envahissante comme d'étage
en étage, pour un mal que la médication soulage d’ abord et guérit si vite ensuite,
sans laisser la moindre trace de ses ravages, il y avait vraiment lieu de s’ef-
frayer, et de se demander avec angoisse par quels autres moyens il serait facile
de l'arrêter. Mais tout autre a E n'aurait fait qu'ouvrir de nouvelles issues à
Ja contagion, que compliquer la souffrance et qu'agrandir la sphère d'action de
la cause dévorante du mal. C'était comme un incendie dont on ne pouvait arrèter
les ravages que par une circonvallation.
Depuis seize ans que j ‘ai eu à traiter des panaris de toutes les sortes et à toutes
les époques de leur progrès, je n'en ai jamais vu un d’un caractère aussi
vorace.
Sans doute la constitution des habitants des Flandres approche un peu de
celle des habitants de la Hollande, constitution lymphatique et même scrofu-
leuse; sans doute le vice de cette constitution est aggravé encore par Jes suites
des traitements mercuriels qui, depuis des siècles, sont si en vogue dans la thé-
rapeutique dé ces deux pays limitrophes, surtout dans la thérapeutique des hos-
pices des enfants trouvés, et notre brave ouvrier est de cette origine (‘).
Cette raison explique déjà le caractère carcinomateux de cette “désorganisation.
Mais quant à la cause immédiate et occasionnelle du mal, il n'est pas aussi
facile de la déterminer. Elle est restée invisible ; ni dans le pus, ni dans les
chairs béantes, ni dans le cours de ce désossement, on n’a jamais rien aperçu
qui eût la forme ou les dimensions d'une esquille ligneuse.
Nous savons que certaines esquilles barbelées chareutent les chairs et peuvent
même scier les ligaments de manière à détacher un os, comme le ferait le bis-
(*) Ilest peu de maisons de paysans, dans ce pays, qui ne trouventunavantage à prendre au berceau
uu de ces enfants des hospices ; on reçoit 30 francs par lan pour lés élever, jüsqu'à l’âge où ces enfants
se rendent utiles et peuvent gagner leur pain en prêtant aide à leurs parents adoptifs. Ces orphelins
s’attachent tellement à leurs maîtres , ils prennent tant à cœur leurs intérêts, ils deviennent enfin si
laborieux, que l’on est souvent obligé de leur PERS le repos de force et d'autorité. ils sont, du reste,
traités comme les enfants du logis, à 04
3532 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
touri lui-même : la dent du brochet est renommée en fait de tels ravages.
Mais ici rien de tel ne s’est offert aux yeux, et il aurait fallu une esquille
d’une dimension bien visible, pour procéder avec cette puissance de désorgani-
sation et avec cette rapidité dans sa marche.
Nous savons encore que l'ingestion du seigle ergoté amène à sa suite la désar-
ticulation des os. Mais cette désarticulation se fait sans souffrance; et du reste
rien de tel ne s’est présenté chez les personnes qui mangent le même pain que
cet ouvrier, et qui brassent et boivent la même bière.
Il nous veste à nous rejeter sur trois autres espèces de causes: l'introduction
d'un virus, l’action d'une cause animée, ou celle du grand froid du mois de
février.
4o L'introduction d’un virus. On connaît avec quelle effrayante rapidité, à la
suite de la plus petite piqûre, l'inoculation d’un poison peut étendre ses ravages
dans les tissus et porter même en peu d’instants la mort jusqu'au centre
de la vitalité même. Les cas semblables ne sont malheureusement pas rares
dans nos salles de dissection, où la simple piqüre de la pointe du bistouri qui
dissèque le cadavre a causé si fatalement en deux ou trois jours tant de morts
précoces.
Dans le cas qui nous occupe, il a pu se faire que l'esquille qui est entrée dans
les chairs du doigt de notre ouvrier, pendant le récurage de ce tonneau depuis
longtemps exposé à l'air, que cette esquille, dis-je, se soit trouvée antérieurement
en contact avec le venin d’une araignée, d’un crapaud, d’une cantharide ou de
tout autre insecte venimeux, ou bien encore d’un morceau de viande quelconque
en putréfaction, pour expliquer l’activité désorganisatrice du phénomène chez
ce brave ouvrier : heureux encore que la constriction de son épiderme calleux ait
fait l'office d’une ligature capable de localiser le mal dans la dernière phalange et
d'arrêter ainsi les progrès de la contagion.
99 L'action d'une cause animée. I existe une foule d'insectes ou de vers dont
la petitesse échappe à la vue, et dont l’action corrosive et infectante est suscep-
üble de produire les plus graves désordres. Les acares sont dans ce cas, mais sur-
toutle dragonneau qu gordius, helminthe sicommun dansles tas d’ordures, les ter-
rains fangeux et les allées inondées des jardins. Le dragonneau perce l’épiderme et
s’introduit dans les chairs avec la rapidité d’une flèche; il taraude les muscles,
tranche les nerfs et les ligaments, de telle sorte que, dans les Indes, où la chaleur
du climat le rend plus âpre à La curée, il n’est pas rare de voir le pauvre Indien
perdre un doigt de pied, comme si le bistouri l'avait désartieulé. Ce dragonneau
est fréquent dans nos contrées; dansla vase des chemins de mon jardinet de Doullens
j'en ai rencontré de 15 centimètres de long; ils étaient minces comme une corde
à boyau, et rouges comme s'ils étaient gorgés de sang.
5° Enfin La température exceptionnelle du mois de février de cette année, a pu
jouer sinon le principal rôle, du moins un rôle secondaire dans la production
des résultats morbides et heureusement exceptionnels de cette affection :
En effet, le jeudi 45 février, jour où l’ouvrier s’est aperçu de l'accident, le
therm. centigr., au devant de ma fenêtre, marquait—-8°, 5 à huit heures du ma-
tin; — 4° à midi et à 4 h: du soir.
Le vendredi 16 février, il descendit dans la nuit à — 10°, 5; à 8 h. du matin,
il marquait — 10°; à midi — 7°, 5 ; à 4 h. du soir — 7°, 9.
Le samedi 17, il descendit dans la nuit à — 16°. Il marquait à 8 h. du ma-
tin — 16°; à midi — 11°, 8; à 4 h, — 10°.
ACTION DÉSARTICULATRICE DU FROID. 333
Le dimanche 18, il descendit dans la nuit à — 15° environ; à 8 h. il mar-
quait — 9; à 4 h. — 8e, 4.
Le lundi 19, il descendit dans la nuit à — 17°,4. Il marquait à 8 h. — 12°;
à midi — 4°; à 4h. — 4°.
Le mardi 20, il descendit dans la nuit à — 41°. I] marquait à 8 h. — 10°, 4;
à midi — 6°, 6; à 4 h. — 5°.
Le mercredi 21 février, jour où l’ouvrier se mit dès le soir au nouveau sys-
tème, en proie à une fièvre brülante, le therm. était descendu, dans la nuit, à
— 12°, 4. I] marquait à 8 h. — 10°, 8; à midi — 5°, 2; à 4h. — 4°,8.
Cet ouvrier, pendant tout le temps de ses souffrances, a gardé Ja main du
doigt malade inactive et partant exposée plus que l’autre à l'influence désorgani-
satrice de ce froid sibérien ; ceux qui connaissent le courage et l'amour du travail
de la classe laborieuse de ce village n’auront pas de peine à comprendre que
notre malade a pris fort peu de précaution pour garantir son doigt endolori
contre l'inclémence du climat.
Or, il ne faut pas une température aussi sibérienne pour que l’inactivité soit
faiale à un membre. Le thermomètre n'est pas descendu au-dessous de — 9 en
Crimée, le jour où tant de sentinelles ont vu leurs pieds tomber désartieulés.
Mais le froid n'est pas resté moins intense depuis que le doigt de l’ouvrier
s’est dénudé de son épiderme protecteur, et que les chairs en ont été exposées à
vif à une aussi basse température :
Le 23 février, le therm., qui était descendu dans la nuit à — 11°,4, était
encore à — 6°, à vers S h. du matin.
Or, dès les premiers soulagements apportés par le pansement du nouveau sys-
ième, le malade s’est remis au travail habituel avec le même entrain que ses
camarades, en dépit de la défense de ses maitres, qui sont des modèles d’affec-
tion pour leurs ouvriers. Le jeu musculaire de la main et des doigts n'était pas
propre à favoriser le recollement de ces chairs si souvent exposées à l'influence
désorganisatrice du froid. Au reste, ce brave garçon s’applaudit d’en être quitte
à si bon compte, tant les souffrances qu'il endurait avant Ja médication étaient
atroces, Lant les ravages du mal commençaient à envahir et la main et le bras , et
tant il semble n'avoir rien perdu, par la facilité des mouvements de ce qui lui
reste.
CONCLUSION.
1° On ne saurait trop apporter d'attention à préserver des atteintes du froid
toute surface dénudée, et tout membre qu'une affection quelconque condamne à
l’inaetiy Quand on voit le membre le plus sain se désarticuler par suite d’une
exposilion trop prolongée à une basse température, de quel danger ne doit pas
être menacée, dans les mêmes circonstances, une surface dénudée de son épi-
derme protecteur et du tissu cellulaire adipeux qui auparavant formait autour
d'elle une couche isolante !
2° Dès les premiers moments de l'invasion d’un panaris, on ne doit pas hésiter
à tenir le doigt plongé dans l'alcool camphré, en l’enveloppant d'un linge im-
bibé et le coiffant d’un doigtier en baudruche, ou vessie de pore, ou caoutchouc.
Il faut encore moins hésiter à avoir recours au même moyen, si violent qu'il pa-
raisse, dès que les chairs dénudées présentent quelque point noir et de nature
suspecte. Il y aurait une espèce de sotte inconséquence, pire que l'enfantillage,
à reculer devant une cuisson d’une minute, alors qu’au prix de cette souffrance
354 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
violente, mais passagère, on peut se débarrasser des souffrances lancinantes qui
qui ne laissent ni paix ni trêve au malade pendant une quinzaine de jours le plus
souvent, surtout älors que l’on sait que la cuisson par l'alcool met le doigt à
l'abri des incisions du bistouri, auxquelles a toujours recours la méthode sco-
lastique.
3° En règle générale, et à part le cas exceptionnel dont nous venons d'évaluer
les causes, ‘dès les premières immersions du doigt dans l'alcool eamphré, les ra-
vages du panaris sont enrayés; l épiderme correspondant au siége du mal, sesou-
levant de lui-même, permet d'ouvrir une issue au liquide et de donner passage
à la cause du mal, sans que les chairs sous-jacentes reçoivent la moindre atteinte
et supportent la moindre solution de continuité. (Voyez le Manuel pour le traite-
ment du päbaris ordinaire.)
4° Les précautions précédentes sont également applicables à toutes les classes
diverses d'animaux domestiques ; le mode d'opération et de paisement est seule-
ment alors à modifier. (Voyez le Fermier-vétérinaire.)
b° Detoutes ces considérations, et comme toutes les chances de probabilité sont
en faveur de l'hypothèse qui met tous ces râvages sur le compte de riotre hiver
exceptionnel, il résulte que, d’après la nomenclature de la nouvelle méthode, cette
variélé de pañaris serait une ATHERMOGÉNOSE (maladie produite par la gelée)
BIPHALANGIALE DÉSARTICULATRICE (ayant prodüit la désarticulation de deux phalanges).
ÉTHÉRISATION FOUR LES OPÉRATIONS CHIRURGICALES.
L'idée d’endormir un malade, avant de l’opérer, et de le soustraire par le
harcolisme aux souffrances de l'opération, remonte à la plus haute antiquité,
et était encore usitée dans le xiv° Siècle, ainsi que nous l'avons démoñtré en
plusieurs circonstances (‘). La vertu soporifiante de l’éther, surtout associé au
catiphré, nous l’avions signalée dans les premières éditions dü Manuel. Les
chirurgiens américains puisèrent dans cette indication l'idée de soustraire les
opérés à l'horreur que leür inspire lä vue de l'opération.
Mais on ne tarda pas à s'assurer, plus tard, qu’à côté de cet avantage se pläçäit
un terrible inconvénient ; et les cas de mort produits par l’éthérisation devinrent
si nombreux dans les hôpitaux, qu'on n’osa pas en publier la statistique ; on ne
tint cothpte que des cas d'opérations en ville, qu'il était impossible de dissimuler ;
et ce compte à porté assez häüt le chiffre des morts:
L’attention publique fut détournée de ces revers mortels, lorsqu'un acadé-
icien eüt l’idée de Substituer à léther sulfurique un éther hydrochlorique
revêtü d’un noi qui semblait d'impliquer aucune idée d’éthérisätion, d'un nom
un peu barbare comme tous ceux que fabrique la chimie nouvelle: je veux
parler du chloroforme.
L'éther américain fut détrôné par le chloroforme parisien; comment se flätter
d’obteñir des rapports favorables, si l’on s’avisait de ne pas adopter ce qu'indique
ui acidénicien ? C’est le tas ou jamais dé brûler ce qu'on avait adoré et d’adorer
ce qué, venant d’un aütre, on aurait brûlé, Un cri de triomphe accueillit, sur
(*) Voy. lievue élémentaire de méd, et de pharm., tome 1, page 205, 1847, — Là Lunelte de Doullens,
4850, page 89, — Eslafetle, feuilleton du 6 mai 1852.
ÉTHÉRISATION POUR LES OPÉRATIONS CHIRURGICALES. 335
toute la ligne, l'apparition du chloroforme, quiæe devait avoir aucun des inconvé-
nients de l'éther : car M, Flourens, doublement infaillible, en sa double qualité
d'icadémicien, venait de démontrer, par ses belles expériences, et par une théorie
savamment et judicieusement développée, que le chloroforme, plus docile au
chirurgien que l’éther, produit une anesthésie (*) progressive, qu'il agit d'abord
sur l'intelligence, ensuite sur la sensibilité et finalement sur la locomotion, ou,
pour parlér anatomiquement, sur es lobes cérébraux d’abord, puis sur Le cer velet
ét ensülle sur La moelle épinière (sorte de distinction bizarre que nous trariseri-
Yons et sommes bien loin d'adopter); done, en s’arrétant à l'instant où l'on sent
que son action sé porté sur la moelle épinière et est sur le point d'énerver la
locomotion, on est à l'abri de toute espèce de crainte. Mais malheureusement
l'effet ne répondit pas à la beauté de la théorie, et le chloroforme a causé autant
dé révets que l'éthèr lui-même. Cette belle théorie est de M. l'académicien ; mais
c'est M. Baüdens qui devint possesseur privilégié du secret de la mise en
phâtique; c’est ce dont un chirurgieñ militaire a informé l'Académie des sciences
de Päris, dâns une de ses dernières séances; aussi ce chirurgien militaire et
ses élèves seuls ne comptent-ils pas un revers dans le cours de leurs opérations
dü Moyen du chloroforme, si souvent fatal entre les mains des autres chirurgiens.
Céci est fort heureux pour les malades qui peuvent se faire opérer au Val-de-
Grâce; fais pour tous les autres, il y à danger de mort sañs doute, et les jour-
naux en ont mentionné uñ as$ëz grand nombre. Dans l'intérêt de l'humanité,
nous deiañdons qu'on ne chloroformise plüs de malades que sous là haute
itispection de M. Bäudens, qui seul connait la sävante théorie de M. Flourens;
pourtant, et au préalable, à condition que, par des expériences suflisimment répé-
tées chez les animaux, M, le chirurgien militaire aura démontré que son secret
est infaillible.
En attendant, nous demandons qu'il soit formellement interdit d'éthériser ou
de chloroformiser personne; car je de sais quel nom donner à l'idée d'exposer
un homme à une chance de mort, dans le but de lui éviter une douleur de cinq
minutes. Quand il s’agit d'opérer un soldat, cette idée m'a l'äir d’une insulte :
c’est un soupçon de pusillanimité.. 4
L'engouement chirurgical pour l’éthérisation se pare un peu trop du nom de
philanthrôpie. La première philanthropie serait d'opérer moins souvent, de
faire moins souvent appel au bistouri pour des maux que l'on guérit fort bien
pür la médication nouvelle. La seconde philanthropie consisterait à panser
d’après la nouvelle méthode, qui préserve infailliblement de tout accident, au
lieu de continuer l’ancienhe si féconde en accidents et en revers de toute sorte.
La théorie du nouveau pansement, dont l'application ne compte pas un insuccès,
n'est ni savante, ni académique; chacun peut l'appliquer aussi facilement que
la comprendre; la philanthropie exigerait qu'on lui pardonnât un peu de n'être
rien moins qu'académique.
Quant à cet entêtement qu'on met à vouloir éthériser et endormir un homme
avant d'opérer, j'ai eu toujours une certaine peine à le comprendre. Ce bienfaits
si ce n'est pas souvent un homicide, n’en est qu'un incomplet : La plus grande
douleur pour un malade, ce n’est ni la vue, fi l'action du bistouri qui la cause ;
tout cela passé fort vite, et n'est qu'une simple piqüre en comparaison des
(*) Anesthésie signifie assoupissement et narcotisme, Mais le mot est plus savant en ce qu'il est plus
nouvellement adopte,
536 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
longues et vives souffrances qui ont précédé l'opération. Le malade est bien
résigné quand l'instant de l'opération arrive; ou, s'il ne l'est pas, l'effroi que lui
inspire l'approche de l'opération, lui cause plus de souffrance que l'opération elle-
même; quand on a tremblé d'épouvante pendant huit jours, on tient peu à cinq
minutes de souffrance. Exposer un malade à une chance de mort pour lesoustraire
à quelques minutes d'angoisse, cela me parait quelque chose d’approchant de
l'homicide par imprudence. Aussi les chirurgiens qui ne se croient pas le don
de distinguer dans l'éthérisation les trois temps de la théorie académique
ont-ils pris le parti de ne jamais suggérer aux malades l’idée de se faire
éthériser, et d'attendre, pour le soumettre à l'inhalation soporifiante, que le
malade en fasse la demande expresse, et qu'il insiste après qu'on lui en aura fait
comprendre l'inconvénient.
C'est là un bon acheminement vers l'abandon d’un procédé trop souvent homi-
cide. L'abandon sera complet dès que la chirurgie aura compris l’eflicacité de la
nouvelle médication, qui réduit à un si petit nombre de cas la nécessité de l’opé-
ration chirurgicale, et préserve ensuite les opérés de toute espèce de résultat
fâicheux. Cela viendra sans doute; mais il y a déjà seize ans que cela aurait dû
venir : car depuis seize ans nous avons mis les chirurgiens à même d'apprécier
de leurs propres yeux l'infaillibilité des résultats de la nouvelle méthode : l'étude
de la nouvelle méthode éthérise l'appréhension des opérations et inspire le
courage de les supporter et d'en braver la souffrance.
Les méthodes les plus lentes à se faire jour, ce sont toujours celles qui lèsent
les intérêts pécuniaires d'une corporation privilégiée, dussent les bienfaits de
leur application profiter à tout le monde.
CHAPITRE IT.
ENTOMOGÉNOSES VÉGÉTALES ET ANIMALES (‘) (sup).
$ 5. THRIPS CARNIVORES AUTANT QU’'HERBIVORES.
Le thrips physapus, L., s'attache spécialement aux tissus glutineux des plantes
dont sa succion déforme les organes; il est l’auteur des maladies végétales con-
nues sous le nom de blanc ou meunier, de carie et de charbon des ovaires des
céréales, d’ergot de seigle, ete. (”).
Mais les tissus glutineux des végétaux se rapprochent tellement des tissus
albumineux de nature animale, par leurs propriétés chimiques et nutritives,
qu'à priori il ne devrait pas paraître élonnant que ces petits insectes puissent
devenir parasites des animaux tout autant que des végétaux. Cependant ni Linné,
ni Fabricius n’en ont fait la remarque, et quant à nous, nous ne nous en doutions
pas aux environs de Paris; nous ne nous en sommes aperçu que dans le Nord,
à la saison où les céréales commencent à manquer à leur nutrition dans les
champs par suite de Ja maturité des récoltes.
En entrant dans les cabanons de Doullens, vers le commencement d'avril 1849,
je m'aperçus que mon logement étaitenvahi parune multitude de thrips physapus ;
(*) Voy. livr. de mai, page 306.
(**) Voy, Hist. nat. de la santé et de la maladie, tome II, page 181, 1846.
THRIPS CARNIVORES AUTANT QU'HERBIVORES. 937
j'expliquai le fait par le soin qu’on avait pris de frotter les planches avec du
gazon, ce qui produit sur le bois une espèce de cirage.
Mais, le 6 juillet 1850, par une température de + 18°, en remontant du jar-
din, je me trouvai couvert de cette vermine, qui m'ocecasionnait les démangeai-
sons les plus vives; mes visiteurs éprouvèrent le même sort, Il avait plu la
veille.
Le 17 juillet, ayant voulu soulever des rameaux secs d’absinthe, je fus assailli
par une nuée de ces petits insectes; ils se promenaient dans mes cheveux, dans
ma barbe, et m'impatientaient de leurs piqüres.
Le 7 août, les gardiens, dont le logement était au rez-de-chaussée, au cou-
chant, en avaient la figure couverte.
Le 6 juillet 1855, à Boitsfort, nous étions assaillis d’une nuée de ces insectes ;
on voyait des troupeaux de ces points noirs courir sur nos manches de chemise;
et cela se renouvelait toutes les fois que le temps était lourd et menaçait de
l'orage.
Le 27 juillet enfin, ‘cette invasion devint une vraie plaie d'Égypte. Nos
appartements en étaient infestés ; nos rideaux de mousseline en étaient pointillés
de noir; ces insectes se jetaient sur nous avec une telle âpreté, que nous nesa-
vions, non-seulement comment les chasser, mais encore comment les arracher
de notre peau. Le cuir chevelu en devenait couvert de petits boutons, qui occa-
sionnaient un prurit et puis une cuisson insupportable. La température était à
29%: et, de 7 h. du matin à 40 h. du soir, le baromètre était descendu de 758,19
à 754,57. La pluie étant survenue, dans la nuit du 27 au 928 juillet, les thrips
avaient tous disparu et étaient retournés aux champs.
Ces thrips noirs étaient tous mâles; la femelle, qui est jaune rougeâtre, est pri-
vée d'ailes; les plus gros dépassaient à peine deux millimètres en longueur.
En général, nous faisons peu d'attention à des ennemis d'aussi petite taille; les
anciens, meilleurs observateurs que nous, ne professaient pas la même indiffé-
rence, et ils n'ignoraient pas que de ces petits pou volants il pouvait surgir
de bien graves maladies :
Varron et Pallade ont grand soin de conseiller de ne jamais faire choix, pour
l'emplacement de l'habitation rurale, du voisinage des endroits marécageux qui
se dessèchent en été : ce qui engendre, disent-ils, des insectes ailés si petits que
l'œil ne peut les distinguer, mais si âpres à la curée qu'en s'introduisant par la
bouche et par le nez dans les voies respiratoires ou dans l’œsophage, ils y occa-
sionnent des maladies difhciles à guérir (°).
$ 4, INSECTES RONGEURS DES POIREAUX
Nous avons donné l'histoire d’une alucite dont la larve vit aux dépens de la
moelle de la hampe du poireau (**), insecte que n'avait signalé aucun livre d'agro-
nomie,
Cette plante a un autre ennemi tout aussi caché et tout aussi dévastateur,
ignoré des modernes et fort connu de tous les agronomes anciens et de leurs com-
mentateurs des derniers siècles. Théophraste ("**) appelle ces insectes prasocou-
rides, qui rongent et rasent (kourein), les poireaux"(prasos): mot que les traduc-
teurs latins ont rendu par celui de porricideæ.
(*) Varno, lib, L, cap. 12; et PazcaDius, lib. 1, tit. VIT. De re rusticä.
{*+) Voyez Ge livraison, janvier 1855, page 186, — ("**) Tuéoranaste, Hist. plant., lib. 7, cap. 5.
558 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUEES.
Théophraste ajoute que, comme ces insectes aiment beaucoup le fumier, il est
facile de les prendre au moyen de cette substance.
L'auteur des Géoponiques (‘) ei Pallade qui le traduit (*) indiquent un
autre moyen pour purger le sol de ces insectes avides de pourriture : il conseille
d’enfouir sous terre, dans le voisinage des poireaux, la panse ou le gros intes-
tin (koilia) d’une jeune brebis, tout rempli des produits de la digestion ; les por-
ricides, attirés par l'odeur, envahiront toute la capacité intestinale, ce qui per-
mettra d’en purger le sol, si l'on a soin de visiter tous les deux jours le piége
qu’on trouvera à chaque fois encombré de ces insectes amis du fumier.
Nous avons traduit le koïlia des Géoponiques et le ventriculum vervecis de
Pallade par le mot de gros intestin, car c’est le seul boyau qui renferme quelque
chose d'analogue au fumier. Mais il serait fort possible aussi que koilia désignât
la caillette, et que le mot de kopros (fumier) dont se sert l’auteur des Géoponi-
ques, et celui de sordes (ordure) dont se sert Pallade, ne désignassent que le pro-
duit de la première digestion des jeunes brebis.
Car tous les auteurs s'accordent à dire que les prasocourides ou porricides se
rapportent à nos blaties, hémiptères intermédiaires entre les pénce-orcilles et les
grillons, dont l'espèce, Blatta orientalis, Lin, ou cri-cri, à été importée dans
le nord de l'Europe depuis plus de trois cents ans, et s’est multipliée en Belgique
depuis 1759, de telle sorte qu’on y soulève peu de parquets d'appartéments qui
n’en soieñt infestés. Cet insecte fuit la lumière, recherche la chaleur, sé pro-
pige derrière les fours des boulangers, les cheminées dé cuisitie, dans les moulins,
où le soir où l'entend répéter son cri-cri, et recherche avec avidité tout ce dont
l'homme se nourrit, le pain, là farine, les viandes préparées avec force condi-
ments, mêrie le cuir des chaussures, etc. 11 n’est donc pas étonnant qu'il re-
cherche les poireäux, puisqu'il aime les mêts préparés äu poireau et aux con-
diments plüs relevés encore. Quant au fumier, je suis persuadé qu'il l'häbite à
cause de sä températüre,; mais qu'il ne s’en nourrit pas.
Donc la cäillette des jeunes brebis, où commence la digestion, est plus faite
pour l’attirer que le gros intestin rempli de matières fécales, rebut épuisé de la
digestion nutritive.
Cetle espèce de blätte ne serait-elle parasite des poireaux que daïs le midi de
l'Europe orientale? Je n’ai pas encore trouvé un seul pied de ces légumes qui
offrit des traces de là imoindre lésion souterraine, parmi ceux que l’on nous
achète où que nous cultivons en dbondance pour notre propre consommation:
La température qui leur convient, ces hémiptères ne la trouvent dans le Nord
que derrière l’âtre ; la terre y est sans doute habituellement trop froide pour eux.
© D QE ———
ACARIGÉNOSES OU MALADIES CUTANÉES ENGENDRÉES PAR LE PARASITISME DES
ACARES.
Nos contemporains doivent se souvenir de toutes les contrariétés que nous
avons dü essuyer avant d'amener Ja médecine scolastique à l’opinion que la plu-
part des maladies de la peau étaient dues au parasitisme de très-petits insectes,
parmi lesquels les acares devaient jouer un rôle principal; l'histoire de l’insecte
de la gale a passé bien du temps avant d'obtenir grâce devant la médecine fondée
(*) Géoponiques, lib, 12, cap, 9, — (**) PauLabius, De re ruslicü, lib, 4, cap. 30.
BLATTES PARASITES DES POIREAUX. ACARES. 33
sur les entités maladives. Dès le principe, nous répondimes aux quolibets de la
médecine stationnaire par une étude approfondie du sujet; et nous en avons
cousigné les résultats accompagnés de figures exactes dans l'Histoire naturelle de
la santé et de la maladie, tom. If, 1846. Ceux- là seuls qui voudront recommen-
cer ce genre de travail sauront se rendre compte du temps que demande le des-
sin exact du plus petit détail de chaque figure.
La nouvelle génération médicale commence, depuis trois ou quatre ans, à se
jeter dans cette nouvelle voie de recherches ; mais il nous semble qu “elle y pro-
cède plutôt avec l'envie de trouver du nouveau quand même, qu'avec celle de
vérifier d'abord ce qui a élé trouvé déjà ; et qu’elle vole à l'inconnu avant de
s'être fait une idée rigoureuse du connu.
Or, « une étude superficielle, avons-nous dit depuis longtemps, multiplie les
espèces du catalogue, une étude approfondie les réduit. »
Nos observateurs ne paraissent pas disposés à réduire; cette gloire nég ative ne
vaut pas, à leurs yeux, celle de léguer à la science un nouveau nom à inscrire au
catalogue.
Nous avions attribué la plique polonaise au parasitisme des poux, et cer-
taines affections teigneuses au parasitisme d’ un insecte indéterminé. Les journaux
allemanüs de 1852 à 1855 ont publié la figure des insectes prétendus de la plique
polonaise et des follicules sébacés, Tout nous porte à croire qu'ils ont figuré des
êtres imaginaires ou mal observés. Nous avons sous les yeux la figure que le
Dr Willigk publie d'un acare qu'il a trouvé sur la tête d’un teigneux et qu'il a
vainement cherché depuis sur d’autres têtes affectées de la même maladie. Or,
cette figure, dessinée trop vite et sur un acare déjà mutilé, n’est autre que la
figure de l’acare de l’insecte du cheval (sarcoptes equinus, Nob.) dont nous avons
donné les figures détaillées dans notre Nouveau système de chimie organique,
2e édit. pl. 15, fig. 1-7, et une figure dans notre Hist. nat. de la santé et de Le
maladie, tom. I, pl. 6, fig. 16.
On voit souvent cet acare de Ia gale du cheval se jeter sur le cuir chevelu des
enfants ou des palefreniers ; mais ilge s’y multiplie pas, comme il le fait dans la
crinière du cheval même.
CHAPITRE IT, — RÉINVENTIONS ‘”.
DÉCORTICAGE ET PERLAGE DU BLÉ POUR LA MOUTURE.
Tous les journaux du commencement de février 1855 ont à l'envi, et presque en
mêmes termes, rendu hommage à une invention dont ils exaltent l'avantage: il
s’agit d'üne révolution dans la moutüre, au iüyen du décorticage du blé; un
pharmacien d'Alger en serait l'auteur: Lës journaux n’en disent pas le nom; mais
ils ne commettent pas le mêine oubli à l'égird de deux citoyens de Paris, qui
poursuivent ces intéressantes expériences ayant pour but la décortication du blé ;
ces messieurs se nomment de Beville et Acar.
À cette nouvelle, d'autres cœurs justement ambitieux se sont émus; et leurs
réclamations commencent à faire feu de file. On lisait, dans L'Observateur de
(} Voyez livr, d'avril, pag. 275. Le présent articlé devait paraître on üvril; il est itprimé depuis
cebte époque,
310 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Bruxelles, du 22 février 1855, une lettre de M. le vicomte Van Leempoel, an-
cien sénateur, qui réclame en termes très-sympathiques la priorité de cette in-
vention « en faveur de M. Grenier fils, meunier à Vendeuil, près de Saint-
Quentin (Aisne), lequel aurait découvert un moyen de décortication consistant à
mouiller légèrement le grain de blé avant de le jeter dans le réservoir de la ma-
chine, où il se décortique par un mouvement de rotation; ce procédé s’applique-
rait à la décortication de toutes autres espèces de graines.
« Donner de la publicité à des services éminents rendus à la population, ajoute
M. le vicomte, en améliorant la qualité des denrées alimentaires, est un devoir;
et, à ce titre, j'aime à croire que cette communication sera bien accueillie par
mes concitoyens. » Et les journaux se sont empressés, comme on devait s’y
attendre, de s'associer à la pensée généreuse qui a dicté cette lettre.
Nous sommes au désespoir vraiment de ne nous mêler à ce triomphe que pour
troubler un instant les joies des triomphateurs, qui ne vont pas manquer de de-
mander leur part de cette gloire; on jugera du déplaisir que nous éprouvons à
dessiller les yeux du publie, par le retard même de la publication de cet article.
Müais cette invention si éminente est vieille, par son application, de vingt ans; et
le principe sur lequel elle repose date de 1827; on la trouvera longuement dé-
crite dans le second volume de notre Nouveau système de chimie organique,
2e édition, pag. 159 et suivantes, jusques et y compris la pag. 446.
Nous sommes redevable de cette innovation à l'étude microscopique que nous
fimes du grain de blé, dans notre travail sur la prétendue substance que Proust
avait cru découvrir, qu'il nomma hordéine, et à l'étude de laquelle il consacra
trois longs mémoires, publiés dans les Annales de chimie et de physique. Nous
démontrâmes, en 1827, que l’hordéine de Proust n’était que du son très-divisé;
et nous expliquâmes théoriquement et expérimentalement comment l'erreur
s'était produite aussi grossière entre les mains d'un manipulateur aussi habile et
d’un théoricien aussi profond que Proust : la grande chimie appliquée aux corps
organisés ne pouvait en commettre que de telles ; et c'était toute une révolution
que d'associer la chimie à la physiologie, œil clairvoyant dont la chimie devrait
être le bras. °
Notre mémoire lu à l'Institut, et le fait étant démontré aux yeux de tous, Gay-
Lussac nous en demanda la copie pour l'insérer dans les Annales de chimieet de phy-
sique, dont il était l’un des deux rédacteurs en chef. Mais l’autre rédacteur se nom-
mait Arago; et quoique ce travail ne fût pas de sa compétence, cependant ce fut
lui qui fut chargé officiellement de me remettre mon mémoire, comme étranger
aux matières que les Annales devaient traiter exclusivement. Ce travail, qui rec-
tifiait une erreur de chimie, n’était plus de la chimie, dès l'instant que la physio-
logie intervenait pour donner sur les doigts à la chimie, avec tous les ménage-
ments que l’on devait au nom qui s’était trompé. Arago m'avait arrêté dans la rue
pour me faire cette communication; je repris mon manuscrit en riant au nez du
professeur d'astronomie, et c'est la seule fois que j'ai adressé la parole à l’illus-
tre opposant officiel sous tous les régimes. Le mémoire fut publié dans les A£é-
moires du Muséum, tom. XVI, 1827.
La conclusion pratique de ce travail, c’est qu'en soumettant l'orge perlé à la
mouture on obtient une farine plus blanche encore que celle du plus beau
froment. Là se trouve consignée aussi, pour la première fois, la thévrie du la-
vage préalable des grains de blé, procédé si usité dans les moulins du midi de
la France. L'effet de ce lavage est de donner au son ou écorce du blé une cohé-
RÉFORME DANS LES PROCÉDÉS DE MOUTURE. 341
sion qui lui permet de se détacher, par l’action de la meule, en fragments assez
larges pour ne plus passer à travers le bluteau, qui ne tamise alors que la plus
fine farine.
Plus tard, en 1854, ayant entrepris une étude approfondie de tous les procédés
de mouture usités à 20 lieues à la ronde, je visitui surlout, grâce à certaines
connaissances, les usines de Seine-et-Marne, après avoir établi mon quartier
général à Lagny près du moulin de M. Collé. Le malheureux Pepin avait placé là
sa fabrication de perlage d'orge et de décorticage des graines légumières qu'il y
avait importée de la Hollande. J'avais été étonné, dans mes excursions, des dé-
penses incaleulables qu'exigeait la mouture perfectionnée etde la foule de procédés
par lesquels le grain devait passer avant d'arriver à donner une belle farine. Je
dis à mes hôtes : « Vous voyez ces belles usines, tous ces raffinements de la méca-
nique, tout ce nombre de procédés qui s’enchainent presque sans fin, à l'effet
d'obtenir silonguement une belle farine : eh bien, avec votre mouture à la grosse
et même à l’aide du plus grossier moulin à vent, je m'engage, en une demi-jour-
née, à vous faire obtenir cette farine de gruau de la plus belle qualité, qu'on ne
peut jusqu’à présent obtenir qu'à l’aide de ces riches usines que vous avez
admirées avec moi ».
Le défi accepté, je fis perler un sac de blé ordinaire dans la machine à perler
l'orge; je le fis moudre ensuite et bluter avec les meules et le bluteau de la mou-
ture grossière; or, la farine que l’on recueillit émerveilla les garçons, qui n'ont pas
intérêt à dissimuler ; les propriétaires ne furent pas longtemps maitres de l’éba-
hissement qui les avait saisis. Pepin porta le sac de farine à la halle, où les plus
fins connaisseurs y furent trompés et l'acceptèrent comme la plus belle farine de
gruau de sassage.
Ma tournée terminée, je m'apprêtais à publier, dans le National, le résultat
de mes observations et de mes expériences. L'article relatif au perlage du blé,
pour en obtenir de la belle farine en trois opérations, était déjà livré à l'impres-
sion, lorsque Pepin, qui en fut informé, je ne sais par qui, accourut tout décon-
tenancé, en me disant que cette révélation d’une partie de mes essais allait com-
promettre sa fabrication; qu'il s'était mis à fabriquer de la farine par ce procédé,
que la réussite en était complète; il me pria, en conséquence, de lui permettre
de prendre, en mon nom et au sien, une addition à son brevet de perlage de l'orge.
Je vis que ce brave industriel en serait tombé malade; je lui donnai un mot pour
le National (24 juillet); l’article tont composé fut distribué (c'est-à-dire décom-
posé dans les casses), et le lendemain Pepin prenait un brevet d'addition inscrit
sous le n° 315 à la préfecture de la Seine. J'ai entre les mains la lettre de Pepin
qui m'annonce sa visite pour le 22; la réponse de E. Bequet du National à ma
lettre du 24; la quittance donnée à Pepin par la préfecture de la Seine, ke 95 juil-
let 1834, et signée Benoit, pour le dépôt de 42 franes relatif à sa demande d'un
brevet d'addition; enfin la reconnaissance sous seing privé que Pepin me douna
le 24 juillet, avant d'aller à la préfecture, pour m'assurer la propriété de l’idée de
cette invention dans l'art de la mouture, et la moitié dans les bénéfices nets de
l'exploitation.
Me voilà, allez-vous dire, à la tête d’une belle entreprise; je n'eus pas cette
idée : je connaissais trop les habitudes des industriels d'alors, même des plus hon-
nêtes. Tous ces beaux billets que j'ai entre les mains furent pendant un an tout
autant de lettres mortes; je n'entendis pas plus parler de mon usine et de mon
associé que si je ne les avais jamais connus. Je n'avais, du reste, pris tant de pré-
542 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
cautions que pour me réserver le droit de divulguer et de donner au publie ma
part de privilége dans une édition que je projetais. Mon bénéfice net arriva un
an plus tard.
Lorsque l’infortuné Pepin se trouva impliqué dans laffreuse, l’'épouvantable
affaire Fieschi, sur laquelle je ne dois pas m'expliquer ici, affreux mystère qui se
dévoilera peut-être un jour, prétexte politique qüi servit admirablement le gou-
vernement d'alors pour se débarrasser de la plus gênante des libertés publiques,
ainsi que des écrivains qu'on avait vainement essayé d’intimider, l'accusation,
exhumant alors mes vieux titres d’inventeur, voulut transformer l'associé évincé
depuis un an en complice, et le manipulateuroublié en conspirateur dissimulé. Un
jugement de non-lieu me rendit la liberté, mais après six mois de prévention; il
fut démontré que je n'avais conspiré avec Pepin que pendant vingt-quatre heures,
mais conspiré pour l'amélioration des procédés qui ont pour but la fabrication
des substances alimentaires.
Je pus alors me remettre à la rédaction interrompue et de ma Physiologie végé-
tale, et de la 2° édition du Nouveau système de chimie organique, où je consignai,
dans l'intérêt de tout le monde, les procédés de mouture que ‘j'avais tant
simplifiés.
Depuis lors, bien des industriels de la ville de Paris se mirent à l’œuvre;
ces procédés furént même appliqués à la Rochelle, dans la manutention des
vivres pour la marine; des expériences en furent faites à la manutention de
Paris par ordre du ministre de la marine. Les industriels tinrent le procédé se-
cet, crainte d’avoir des rivaux dans la petite minoterie, et dans les meuniers des
moulins à vent; la politique et la science firent chorus pour étouffer le bruit sous
le poids de la conspiration du silence; tout marcha pour le mieux dans le meil-
leur de cés systèmes de défense. Mais les temps sont changés; et chaque petit
cachotier se met à se procurer un patronage pour attraper quenE bribe de la
gloire d’une utile invention.
Nous ne pouvons qu’applaudir à cette concurrence, mais à une condition :
c’est que ces habiles exploitateurs de l’idée se montrent un peu moins âpres sur
le gain, et qu'ils réduisent les prix de mouture, en raison de la réduction que
l'idée a fait subir aux frais de manipülation; c’est-à-dire, que tout lé monde retire
un profit de ce qui a tant profité à quelques-uns depuis près de vingt années. Nous
nous croirons alors suffisamment indemnisé de nos six mois de tortures, le plus
net des profits que nous ayons retirés de cette révolution dans la niouture.
CHAPITRE IV. — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE A L'AGRICULTURE (sure).
(Voy. pag. 310; livr. de mai 1855.)
8 146. MÉTHODE D'INTERPRÉTER LES DISCORDANCES DES GIROUETTES DE NOTRE
LOCALITÉ. PAR LA (CONFIGURATION TOPOGRAPHIQUE DE LA PAG. 518 DE LA
LIVRAISON PRÉCÉDENTE,
120. Si l'on a présente devant les yeux la pasition des girouettes qui ont
-servi aux observations consignées dans le tableau de la page 319, par rapport à
la configuration des collines’ et des vallées, il sera facile de s'expliquer la discor-
THÉORIE DES DISCORDANCES DES GIROUETTES. 343
dance de leurs indications respectives sous l'influence d’un courant d'air d’une
direction même invariable,.
1" onservarion. Le vent d'est arrive directement sur les gir. @ et M qui do-
minent les autres positions; il ne peut arriver sur les gir. E et Ed que par les ri-
cochets de la gorge du nord, qui leur transmet ce vent réfléchi plus obliquement
à la gir. Ed, qui marque nord-est, qu’à lagie. E, qui dès lors marque est-nord-
este
2 oservariox. Le vent d'est est très-rare dans cette localité, à cause du rideau
de collines boisées qui nous abritent de ce côté; il faut qu'il surplombe pour
qu'il ne passe pas insensible par-dessus nos têtes. Mais quand il souffle, il à
moins de force et ne fait osciller la gir. BE qu'à nord-est; par ricochet de notre
colline, il arrive par ouest à la gir. Æ, qui se trouve sur le passage du courant
réfléchi, la gir. voisine restant sur le courant d'est,
6° owservarion. Le vent souflle d'ouest à nord-ouest sur les deux hauteurs.
Il ricoche sur la colline de la gir. BH et arrive par conséquent par sud-sud-
ouest sur la gir. E; mais le courant qui va ricocher sur la colline exposée à
l'ouest arrive par suë- est sur Ja gir. Ed.
40° onsenvarion. Le vent souflle de nord à nord-est sur la gir. ®; il fait os-
cillér la gir. RE de nord à nord-ouest par le ricochet de la cheminée ouest; et
puis, ricochant sur le versant exposé à l’ouest de la gorge qui sépare les deux
grandes collines, il atrive par ouest-nord-ouest sur la gir. ÆE’ct par nord-
ouest sur la gir, Ed, |
Chacun pourra continuer ce mode d’explications en confrontant les indications
du tableau comparatif des observations de la page 319 avee le plan topographi-
que de la page 518.
17. DÉDUCTIONS GÉNÉRALES DE LA THÉORIE SUR LA FORMATION DU VENT.
191. Mais on aura toujours présent à l'esprit que la direction du vent ne se
fait jamais en ligne rigoureusement droite; qu’elle décrit des courbes de diffé-
rents rayons par le seul fait des rencontres des divers eourants d’air, de la résis-
tance des divers reliefs de terrain, et du balancement des nuages qui compriment
l'air et produisent le vent en s’abaissant progressivement par une diagonale plus
ou moins rapide.
D'un autre côté, on devra s'attendre à des ricochets de direction souvent con-
traire, suivant que le courant d'air rasera la terre ou surplombera plus ou moins
perpendiculairement sur les girouettes. Quand Je nuage généräteur du vent
s’abaissera perpendiculairement, il arrivera que la girouette ne fera que tourner
sur elle-même et ne s'arrêtera sur aucun point du cadran.
2. On concevra que la même girouette pourra marquer, dans une heure de
temps, une foule d'indications diverses sur le même quart de cercle, et qu'ainsi
la notation pourra souvent varier du tout au tout, selon qu'on la fera d'un quart
d'heure à un autre quart d'heure; et que celui qui observera à quatre heures
pourra bien indiquer une direction qui se trouvera toute contraire pour l'obser-
vateur de cinq heures. Dépuis peu de temps, on a construit des girouettes qui
marquent minute par minute les changements de vent à mesure qu ‘ils s'opèrent :
C’est une invention rationnelle; mais il né faut pas perdre de vue que les indica-
tions de l'appareil ne sauraient être généralisées, qu’elles sont toutes locales, et
544 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
qu’il serait difficile de rencontrer deux girouettes voisines, et à plus forte raison
de localités éloignées, qui s'accordent à tous les instants,
493. La discordance des girouettes d'une même ville sera d'autant plus varia-
ble que le relief du sol de la ville sera plus accidenté, que les édifices domine-
ront ou seront dominés, que la ville se trouvera encaissée dans une vallée ou bâtie
sur une hauteur, qu’elle sera située sur le cours d’une rivière ou d’un fleuve, sur
tel ou tel versant d’une haute chaine de montagnes : en sorte que deux observa-
teurs séparés par une seule petite montagne auront souvent à noter deux direc-
tions contraires du même vent au même instant de la journée.
124. Nous distinguerons la direction du vent par compression en direction
primitive ou génératrice et direction accidentelle ou déviée. La direction primi-
tive se connait par celle des nuages d’où émane le vent; il arrive quelquefois que
la direction accidentelle indiquée par la girouette est diamétralement opposée
à la direction prümitive; nous en avons suffisamment expliqué la cause ci-
dessus.
495. Mais il arrive aussi que deux courants de nuages suivent une direction
contraire. Or ces nuages de direction contraire peuvent voguer dans la même
couche de l'atmosphère ou dans deux couches différentes superposées :
1° Dans la mème couche. On voit souvent deux montagnes aériennes de neige
arriver de deux points opposés du ciel à la rencontre l’une de l’autre, tout en
déformant leurs contours et leurs accidents de surface par l'effet des rayons
solaires qui dardent sur eux; leur centre de gravité variant alors par les chan-
gements que la fusion de leur substance apporte à leurs configurations, on distin-
gue fort bien qu'ils tendent à tourner sur eux-mêmes, jusqu à ce qu'ils soient
parvenus à se rencontrer, pour marcher ensuite de conserve en suivant la résul-
tante de leurs deux impulsions. Ce concours de deux directions contraires de
nuages amène nécessairement à sa suite des oscillations fort variables de la
girouette. C’est par un ciel bleu pur que ces observations sont plus fréquentes ;
les nuages alors paraissent franchement découpés et profilés; ils sont d'un
blanc resplendissant sur les bords frappés par la lumière du soleil ou celle de la
lune, et d’un gris ardoisé sur la surface inférieure, dont la couleur devient d’au-
tant plus intense que la neige fond plus vite et que l’eau fondue filtre à travers la
masse générale pour venir se condenser en dessous (56,4°).
20 Ou bien ces nuages de direction contraire occupent des régions superposées
de l’atmosphère; les uns vogüent en dessous des autres, Nous désignerons les uns
par nuages en dessus et les autres par nuages en dessous.
En général, les nuages en-dessous ne sont que des brouillards ou des raffales
de pluie que la force du vent chasse dans les airs, sans leur permettre de tomber
eur la terre.
Ces nuages de pluie ne sont pas générateurs du vent; ils reçoivent l'impulsion
et ne l’impriment pas. L’impulsion leur vient des nuages de glace qui descendent
en immenses lames, ou des nuages de neige qui engendrent la pluie en fondant
et la chassent devant eux en pesant sur la colonne d’air qui s'oppose à leur chute
perpendiculaire. Or, supposez qu'une banquise de glace ou de neige glisse vers
l’est en inclinant son plan dans la même direction, il est évident que sa direction
sera par ouest, mais que la compression qu'elle exercera sur la colonne d'air
chassera vers l’ouest la pluie qui émane de la fusion de sa substance. Dès ce mo-
ment on verra des nuages en dessus filer vers l’est, tandis que les nuages en-
dessous marcheront comme des colonnes de fumée vers l’ouest, par ondulations
REMOUS DES NUAGES. 345
et par tourbillons qui changent de formes à chaque seconde, et semblent en fuyant
se dissoudre dans l'air.
126. Les tableaux de météorologie ne marquent que les indications locales de
la girouette, et non la direction des diverses couches de nuages et la force du vent;
on £omprendra combien il importe désormais d'y faire entrer ces deux dernières
données, bien plus importantes que la première pour les besoins de la météoro-
logie générale. Cependant, dans le plus grand nombre de cas, la direction du vent
qui rase la terre est la même que celle des nuages qui l'engendrent.
127. Un nuage peut être d'une dimension, d'une étendue et d'une vitesse telles,
que sa marche soit la génératrice du vent qui souffle directement ou par ricochets
sur toute une vaste contrée.
128. On ne doit pas perdre de vue que toute cause qui imprime une impulsion
à l'air détermine, dès qu'il se présente un obstacle, deux courants inverses l’un
de l’autre, un courant et un contre-courant, ce qui constitue, selon l'étendue du
bassin, un mouvement circulaire ou elliptique. Lorsque les deux courants inverses
ont leurs deux axes horizontaux, on les nomme des remous, des tourbillons: nous
les désignerons sous le nom de remous horizontaux ; si l'un de leurs axes est ver-
tical, nous les nommerons remous verticaux.
129. Le remou horizontal peut mettre en contradiction les girouettes de toute
une contrée.
Le remou vertical peut imprimer aux nuages inférieurs une direction passive
diamétralement opposée à celle du nuage générateur du vent, et par conséquent
amener entre eux des rencontres plus ou moins violentes, comme la rafale le
fait entre les vaisseaux amarrés dans le même port. Nous avons suffisamment
expliqué plus haut (86, 91) les effets météorologiques de ces chocs entre les
nuages.
150. IL peut arriver aussi que, par suite de la disposition des obstacles que
rencontre le courant d'air, il s'établisse un remou horizontal dans les régions
élevées de l'atmosphère; nous verrons alors les nuages suspendus sur nos têtes
affecter une foule de directions diverses : phénomène qui peut également découler
du déplacement continuel du centre de gravité de chaque nuage par suite des
progrès de la fusion de leur substance. Dans ce cas le nuage pourra même se
mettre en voie de tourner sur lui-même.
151. Tout affaissement d'une couche considérable de neige doit produire un
courant d'air proportionnel, à quelque distance que cette couche se trouve de
terre, la distance ne füt-elle que de quelques pieds.
Or, lorsque les premières tiédeurs du printemps des montagnes auront par la
fusion produit un vide entre la surface de la montagne et les zones inférieures
de la couche de neige qui la recouvre, cette couche de neige, s'approchant de plus
en plus de la terre par le surbaissement de la voûte qui continue à fondre, fera
l'office de la table d’un vaste soufllet, et chassera d'autant par compression la
masse d'air qui s'est engouffrée dans le vide opéré par suite de l'infiltration de
la neige fondue à travers le sol. [1 descendra alors sur la vallée un courant d'air
capable d'acquérir la force du vent le plus violent. Ce courant descendant déter-
minera un courant ascendant sur le versant de la montagne opposée, et un tour-
billon violent dans les vallées creusées en entonnoir.
25
346 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
$ 18. APPLICATIONS DE CES PRINCIPES ET DE CES OBSERVATIONS A QUELQUES
GRANDS BASSINS GÉCGRAPHIQUES.
32. Soit, par exemple, le bassin de la Garonne encaissé du côté du sud par
les Pyrénées, et vers l'est par les Cévennes et les chaînes du Cantal ; la chaine des
Cévennes se dirigeant du sud-ouest au nord-ouest, jusqu'à Mende, et celle du Cantal
qui fait le coude à Mende s'étendant du sud-est au nord-ouest jusqu’à Saint-Flour.
Le vent par sud-ouest arrivera droit et sans obstacle à Mende, en longeant le ver-
sant nord-ouest des Cévennes; et puis, se brisant à Mende, ilse dirigera sur Saint-
Flour par sud-est pour arriver par est sur Aurillac; mais la portion du courant
d'air qui ricochera sur le milieu de la distance de Mende à Saint-Flour reviendra
en contre-courant par nord-est sur Rodez.
Si le vent soufile par ouest sur le versant des Cévennes occupé par Saint-Affri-
que, il arrivera par sud à Saint-Flour, d'où il pourra ricocher par sud-est sur
Tulle.
Le vent du nord-ouest rasant Île versant sud-ouest de la chaine du Cantal,
pourra, dévié par le coude de Mende, arriver par nord-est à Castelnaudary.
Cette portion Est du bassin sera moins exposée aux vents de nord, nord-est,
sud-est et est qu'aux vents de nord-ouest, sud-ouest et ouest.
133, Prenons le bassin français du Rhône, encaissé à l’ouest par la chaine des
Cévennes qui s'étend du sud-ouest au nord-est jusqu’à Tournon environ, et marche
droit au nord par l'Ardèche jusqu’à la Côte-d'Or qui la termine ; encaissé à l’est
par les sinuosités des Alpes, et au nord par les ramifications du Jura.
Le vent du sud s’engouffrera entre ces deux grandes chaines parallèles de
montagnes, et ira, sans rencontrer de grands obstacles, dans la vallée dela Saône
jusqu'aux Ardennes, où il ricochera sur la Normandie par est-sud-est; le vent
sud-ouest arrivant par Montpellier, Avignon, Montélimart, sur Grenoble, rico-
chera sur la Chartreuse pour se diriger par sud-est sur Lyon. La portion du
courant qui suivra la ligne de Marseille, Forcalquier, Embrun, ira ricocher à
Briançon par sud-est sur Grenoble et Vienne.
Le vent nord suivra le Rhône en droite ligne.
Le vent nord-est, glacé par la traversée des crêtes de la Suisse et ricochant vers
Privas, sur le versant est de la chaine de l'Ardèche, arrivera à Avignon par
nord-ouest : terrible mistral, qui brüle les plantes et amaigrit en un instant les
animaux.
Tout ce bassin sera plus exposé au vents sud et nord qu'aux vents ouest et est.
154. Quant à la grande chaine des Vosges, qui court du nord au sud, les vents
d'ouest y ricocheront verticalement et en seront arrêtés en général au passage,
en sorte que la vallée du Rhin y sera moins exposée qu'aux vents d'est,
Le vent sud-ouest y ricochera par sud-est sur la frontière franco-belge, Le
vent nord-ouest, au contraire, y ricochera par nord-est sur la Côte-d'Or, la Nièvre,
le Cher et l'Allier, et peut-être jusqu’à Bordeaux,
435. Dans les précédents alinéa, nous avons eu en vueles courants d'air d’une
grande puissance d’impulsion, causés par la compression d’un nuage d’une éten-
due presque continentale, et qui passent comme sur une surface plane sur tous
les petits accidents de terrain que le défaut de comparaison nous fait placer au
rang des montagnes, et qui limitent le bassin de nos petits ruisseaux, affluents
inappréciables, sur nos cartes, des fleuves qui courent à la mer.
Mais ce relief des petits bassins ne laisse pas que de donner lieu à des dévia-
%
FORCE ET VITESSE DU VENT; ANÉMOMÈTRE. 347
tions de courants d'air d’une force ordinaire, de manière à établir une discor-
dance notable entre les girouettes de deux localités voisines,
156. Chacun pourra continuer ce genre d'applications météorologiques, en
ayant sous les yeux une carte détaillée du relief des grandes chaines de monta-
gnes qui séparent les nations, ou des chaines de collines d’une localité restreinte.
Nous dépasserions les bornes de notre cadre et nous nous livrerions à des déve-
loppements inutiles au but que nous nous proposons, en donnant plus d’éten-
due à ces relevés de topographie météorologique,
$ 19. FORCE ET VITESSE DU VENT.
137. La force et la vitesse du vent sont deux circonstances inséparables l’uné
de l’autre, deux points de vue différents du même phénomène, deux expres-
sions différentes de la même puissance avec laquelle le calorique dilate ou le
nuage comprime une colonne d'air. On peut évaluer cette puissance de deux
manières : soit par l’espace que l'air, qui obéit à la compression, parcourt en un
moment donné (c’est la vitesse), soit par le degré de résistance d'un obstacle
donné (c’est la force). Mais un courant d'air acquiert d'autant plus de vitesse qu'il
est chassé avec plus de force, et il a d'autant plus de force qu'il est animé
de plus de vitesse. En météorologie et à ciel ouvert, aucun obstacle ne saurait
neutraliser sa force et ralentir sa vitesse; la direction seule en est déviée.
158. Done, l'instrument destiné à mesurer la vitesse du vent donne en même
temps le rapport de sa force, et vice versä. Get instrument se nomme anémo-
mètre (metron, mesure; anemos, vent) ; il en existe de toutes les sortes ; voici celui
que j'adopterais, si j'attachais une grande importance à des constatations sem-
blables.
439. Cetappareil, placé horizontalement sur un très-long drapeau de girouette,
se composerait d'une caisse beaucoup plus longue que large, à quatre pans
(prisme à base carrée). Elle renfermerait une longue mais souple spirale en lai-
ton verni, à l’un des bouts de laquelle, mais du côté par où vient le vent, serait
adapté un petit chariot surmonté d’un drapeau dont le plan serait perpendicu-
laire à l'axe de la caisse et ferait face au vent qui déplace la girouette, Une rai-
nure ou fente, pratiquée dans la longueur du pan supérieur de Ja caisse, permet-
trait au chariot d’obéir à la force du vent, en exerçant une pression contre les
tours de spire de la spirale qu’il rapprocherait ainsi les uns des autres, et de
vaincre d'autant plus fortement leur résistance d'élasticité que la puissance du
vent serait plus grande, En travers de la rainure de la face supérieure de la
caisse, serait disposé un curseur capable d'être entrainé par le mouvement en
avant du chariot, mais qui resterait en place pendant que la spirale, reprenant
sa force, en l'absence du vent, ferait rétrograder le chariot vers sa place ordi-
naire; ce curseur indiquerait le maximum de la force du vent pendant une pé-
riode venteuse, Il est inutile de faire observer que les parois latérales de la
caisse, ou au moins une, seraient graduées en fractions de mètre.
Ces sortes d'instruments seraient comparatifs, si l’on convenait d'adopter, dans
leur construction, les mêmes dimensions, le même poids pour chaque organe, et
une spirale de même résistance. Ou bien on pourrait diviser la caisse- “règle, en
adoptant pour unité de mesure le déplacement du chariot, que produirait la
compression exercée perpendiculairement sur une colonne d'air d'un mètre de
haut et d'une base carrée de dix centimètres de côté, par la chute d’un piston
du poids d'un kilogramme, l'air s’échappant de la base de ce prisme quadrangu-
348 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
laire par un tuyau conique de 3 ou 4 centimètres de diamètre à l'ouverture.
L'espace parcouru par le curseur, sous le choc de ce courant d'air artificiel,
formerait l'unité anémométrique, que l’on pourrait subdiviser en fractions déci-
males.
140. Quant à prétendre noter la force du vent à ehaque bouffée, ce serait du
temps bien malheureusement perdu. Car si l’on médite bien les principes que
nous avons établis plus haut, il sera évident pour tout le monde que la force du
vent doit varier de minute en minute. Pour quiconque désormais voudra bien se
donner la peine d'observer attentivement cet ordre de phénomènes, il résultera
que, pendant les journées les plus tempêtueuses, le vent ne souffle que par bouf-
fées, que ces bouffées augmentent et diminuent de force à chaque instant, et
que souvent un calme assez long sépare chacune de ces bouffées.
En effet, les nuages générateurs du vent n’ont ni le même poids, ni la même
surface, ni la même hauteur, ni la même direction; ils ne suivent done pas la
même diagonale, ils n’exercent leur pression ni sur les mêmes colonnes d'air m
dans la même direction. Entre le maximum et le minimum de la force du vent
qui a soufilé pendant une fraction de journée on trouverait une infinité d’indica-
tions diverses; ce serait, je le répète, une perte de temps, que le temps consacré
à des observations semblables,
4141. Sans autre anémomètre que la cime d'un arbre, chacun pourra se faire
une idée suflisante de l’inconstance et de la variabilité de ces sortes d'indications.
Que l’on fixe devant ses yeux, et parallèlement à la direction du vent, un cercle
rapporteur dont le fil d'aplomb coïncide bien avec la tige flexible que l’on ob-
serve, etque l’on note d'instant en instant l’are de cercle que parcourra la branche
fléchie par le vent, on ne le trouvera peut-être pas deux fois le même.
J'ajouterai qu’un pareil moyen anémométrique me parait suflisant pour les
besoins actuels de la science. L’amplitude des flexions de la tige est l'indice le
plus ordinairement invoqué pour caractériser la force ou la violence d’un coup
de vent : le vent était si fort, dit-on chaque jour de tempête, que la cime de tel
végétal courbait jusqu'à terre, c’est-à-dire parcourait le quart du cercle. Gra-
duez ce quart de cercle, et vous pourrez évaluer chaque jour, au moyen de la
cime de cet arbre, la force du vent selon que la eime courbera plus ou moins.
142. Nous avons hâte d'arriver à un nouvel ordre de démonstrations qui
nous permettront de découvrir la cause des oscillations barométriques; elles
nous paraissent de nature à fournir la clef des problèmes météorologiques qu'il
importe Je plus à l’agriculture de résoudre.
Je ne désespère pas, à la faveur de ces nouveaux principes, d'arriver à ce qu'un
jour on fixe d'avance l'instant des variations de l'atmosphère et des change-
ments de temps, avec la même précision que l'on calcule le retour des éclipses.
Car dès à présent il m'arrive de prédire, quinze jours et, si je m'en donne la
peine, plusieurs mois d'avance, la pluie, la neige et le beau temps avec la même
probabilité que l’on prédit le retour d’une comète. Voilà plus de quatre ans que
je fournis à ceux qui m'entourent des indications de ce genre, et cela à d'assez
grandes distances de l'événement, avee une latitude de probabilité d’un à deux
jours, soit avant, soit après le jour fixé par le caleul.
(La suite au prochain numéro.)
TEMPÉRATURE DE LA GLACE ET DE LA NEIGE. 349
CHAPITRE V, — PHYSIQUE,
DE LA TEMPÉRATURE DE LA NEIGE ET DE LA GLACE.
Les physiciens attachent à cette question une importance spéciale, et c’est un
de ces problèmes dont la solution est encore à obtenir, vu que les occasions fa-
vorables à cette étude sont assez rares et que, lorsqu'elles se présentent, peu de
gens trouvent de l'attrait à les affronter.
Quant à nous, nous la proclamons insoluble dans les termes où on l’a posée,
et nous osons prédire que les chiffres qu'on obtiendra dans le cours de ces re-
cherches ne concorderont pas deux fois entre eux.
Notre assertion sera moins difhicile à démontrer que le problème à résoudre.
Le refroidissement de l'atmosphère produit la neige et la glace. La neige et la
glace ne sont que deux états de l’eau modifiée par la soustraction du calorique
qui la maintenait liquide.
L'abaissement de la température de l'atmosphère pouvant suivre une progres-
sion indéfinie, le refroidissement de l’eau liquide et de l’eau solidifiée doit sui-
vre la même progression; ce sont deux progressions par différence dont la raison
est la même.
Ainsi, la neige et la glace peuvent être de plus en plus froides, à mesure que
l'atmosphère continue à se refroidir. La glace et la neige du Groenland sont plus
froides que la glace et la neige de nos parages, par la raison que la moyenne de
l'abaissement de la température, sous le cercle polaire, dépasse de beaucoup la
moyenne de nos climats.
D'un autre côté, la neige ne diffère de la glace que par l’espacement de ses
molécules; c'est la différence entre le bloc de marbre et la poussière que le
broiement en a détachée. Chaque cristal de neige est un bloc de glace infiniment
petit. Dans les deux cas, c’est de l’eau rendue solide par la soustraction de la
quantité de calorique qui est nécessaire pour lui conserver son état de liquéfac-
tion, de même que les métaux refroidis, et partant solidifiés, ne sont que
la forme solide des métaux que la température des hauts fourneaux tenait liqué-
fiés.
Or, le refroidissement de tout corps solide est indéfini. Qui oserait dire qu'un
bloc de fer ou de marbre conserve la même température, qu'il soit exposé à une
température prolongée de — 10° où — 20°? Ce serait nier la théorie et l'évi-
dence du thermomètre, dont le liquide ne marche que par le refroidissement ou
l'échauffement du verre qui le contient.
Eh bien, que l'on taille un tube thermométrique dans un bloe de glace trans-
parent, et qu'on le remplisse de mercure, vous y verrez le mercure monter ou
descendre selon que l'air extérieur se réchauffera ou se refroidira, marcher
enfin parallèlement avec le liquide de tout autre thermomètre en verre.
Ne croyez pas que cette idée ne soit pas réalisable ; on a réalisé bien d’autres
plans de construction avec la glace dans les climats du Nord.
Olaus Magous cite des remparts de glace improvisés par les assiégés dans les
régions septentrionales (*).
(") Historia de gentibus septentrionalibus, 1553,
550 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Pendant l'hiver de 4740, dont le froid dépassa celui de 1709, la ezarine Anne
fit construire, à Saint-Pétersbourg, un palais de glace de 52 1/2 pieds (17,05 mè-
tres) de longueur sur 16 1/2 (5,46 mètres) de largeur, et 20 pieds (6,50 mètres)
de haut. La glace de la Néva, qui avait trois pieds (un mètre) de profondeur, en
avait fourni les blocs, que l’on sciait et que l’on ornait de sculptures selon les
règles de l’art. Au devant du bâtiment on avait placé six canons de glace du
calibre de 6 livres de balle et de 5 livres de poudre, et deux mortiers à bombe,
dans les mêmes proportions que ceux de fonte. On chargea l’un de ces canons
d'un quarteron de poudre et d’un boulet de fonte, qui alla percer une planche de
deux pouces d'épaisseur à la distance de 60 pas (*).
Un thermomètre, on le conçoit, serait plus facile à construire qu'un de ces
canons, dans une température où la glace conserve si longtemps sa compacité
de pierre de taille; et qui oserait dire que cet instrument ne fonctionnerait pas
de la même manière qu'un instrument en verre, tant que la température reste-
rait au-dessous de zéro, une fois qu'on l'aurait gradué par comparaison avec
tout autre obtenu à la manière ordinaire ?
En admettant cette hypothèse comme un fait d'avance démontré, la question
de la variation indéfinie de la glace selon que varie la température de l'air, cette
question, dis-je, est résolue de la manière la plus incontestable.
Ayons recours à une expérience plus à la portée des manipulations de nos
climats; enfonçons dans la glace un thermomètre dont la boule sera protégée
par un manchon en métal contre la contraction et la pression que pourrait exer-
cer sur le verre le progrès de la congélation; on verra le liquide marcher en
raison des variations de la température ambiante.
Mais il ne faut pas s'attendre que le thermomètre plongé soit dans la neige,
soit dans une épaisseur de glace, marque exactement la température de Pair
extérieur, Il marquera, au contraire, toujours une température un peu plus éle-
vée quand la température de l'air continuera à baisser.
En effet, le refroidissement ou soustraction de calorique a lieu par les couches
en contact immédiat avec l'air ambiant; celles-ci, pendant que la température
baisse, doivent être toujours plus froides que les couches plus inférieures, et cela
en raison de la profondeur de celles-ci; en sorte que la 1"° couche de glace ou la
plus externe sera plus froide que la 2e, Ia 2° que la 5°, et ainsi de suite à l'infini.
Il en sera de même des couches de neige, avec cette différence que le refroi-
dissement marchera dans ce cas d’une manière plus rapide, et que la raïson de
la progression sera plus forte que dans le premier cas, à cause de la consistance
cotonneuse de la neige et de sa plus grande perméabilité à l'air extérieur.
Mais tout corps, liquide ou solide, diminuant de volume et augmentant de den-
sité, par conséquent, par le refroidissement, il est évident que la neige et la glace
considérées comme corps solides, comme eau solidifiée, augmenteront de densité
en raison de l’abaissement de la température. Car le volume étant le résultat de
la distance des atomes enveloppés d’une atmosphère de calorique, chaque sous-
traction d'une couche de calorique atomique rapprochera d’autant les atomes et
diminuera d'autant le volume de la masse qui en est l’agrégat.
Done, la glace et la neige seront d'autant plus denses et pesantes que la tempé-
rature sera plus basse; done la glace du cercle polaire sera plus dense que la
(*) Voyez la relation de cette fête, publiée par Krafft, professeur de physique, à cette époque, dans
l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg. Elle a été traduite en français par P.-L. Le Roy, en 17H,
LA NEIGE ABRITE COMME LE COTON, 351
glace de nos climats, et celle du pôle plus dense que celle du cercle polaire,
Dans nos climats, la glace exposée à un froid prolongé de 10° sera plus
dense que la glace exposée à un froid de 4°, et celle-ci plus dense qu'à zéro.
La glace doit done avoir une densité plus grande que celle de l’eau, puisque
c'est de l'eau solidifiée et dépouillée de toute la quantité de calorique qui en te-
nait les atomes à une assez grande distance pour en maintenir Ja fluidité.
D'où vient done que les montagnes de glace flottent à la surface des mers?
Nous l'avons déjà dit (54), cela tient à la masse d'air interposé entre les molécu-
les de glace. Placez un morceau de glace dans un vase d’eau sous la cloche de la
machine pneumatique, et faites le vide; vous verrez le morceau de glace descen-
dre progressivement au fond de l’eau (‘).
On a remarqué qu’une couche de neige abrite la terre et sa végétation. Cela
est facile à comprendre : la neige n’est qu'un amas de glaçons sous forme co-
tonneuse, et n'agit pas dans ce cas autrementque n’agirait, en quelque sorte, une
couche de coton d'épaisseur équivalente. Recouvrez deux portions conligués
d'une même culture, l’une avec une couche de neige et l'autre avec une couche
de coton, toutes deux de même densité et de même épaisseur, pendant que la
température continuera à baisser ; si les circonstances d'exposition sont exacte-
ment les mêmes, deux thermomètres plongés à la même profondeur, l'un dans
la couche de coton et l'autre dans celle de neige, mareheront d'une manière à
peu de chose près parallèle. La couche de coton se maintiendra à la même tem-
pérature que celle de neige; elle se refroidira comme elle; mais aussi la couche
de neige préservera du refroidissement qu'elle subit, la couche de terre qu'elle
recouvre, tout autant que le fera la couche de coton, parce que, ainsi que nous
l'avons dit, le refroidissement commençant par les couches immédiatement en
contact avec l'air extérieur, la terre se trouvera, de cette manière, toujours moins
froide que la neige.
Ajoutez à cela que la neïge et le coton renferment beaucoup d'air dans leur
tissu, et s'opposent en raison de cette atmosphère intime à la transmission rapide
du froid extérieur, l'air étant plus mauvais conducteur de calorique que les corps
solides, pour me servir des termes de l'école, c'est-à-dire, d'après notre théorie,
les atomes de l'air étant enveloppés d’une atmosphère de calorique en repos
(ou éther) plus épaisse que celle de tous les autres corps, et pouvant fournir à la
soustraction par refroidissement de l'atmosphère du globe, bien longtemps avant
que d'arriver à l'équilibre avec les atmosphères de calorique qui enveloppent les
atomes des corps voisins. (Voy. cette théorie développée dans la 4° partie, tom, IF,
du Nouveau système de chimie organique 1858.)
Enfin, il suit de tout ce que nous venons de dire que le thermomètre marquera
une température d'autant moins basse que la boule de l'instrument sera plon-
gée à une plus grande profondeur dans la neige,
CONCLUSION.
La glace et la neige n'ont aucune température propre. Leur température
varie en raison de celle de l'air ambiant, et pourra descendre indéfiniment,
comme l'atmosphère du climat où se fait l'expérience.
La neige et la glace se refroidissent à la manière de tout corps solide.
(*) Dortous de Mairan s'en est assuré par l'expérience directe; voyez sa Dissertation sur la glace,
1749, page 265, édit. in-12, imprimerie royale. Cet ouvrage est rempli d'aperçus qu'ont confirmés les
expériences actuelles, et d'expériences qui auraient épargné bieu des hypothèses futiles à nos physi-
ciens actuels, s'ils avaient eu l'occasion de le lire, :
532 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
CHAPITRE VI. — GALERIE MÉDICALE,
ÉTUDE SUR GUY PATIN,
Docteur en médecine, professeur au Collége royal, et doyen de la Faculté de médecine de Paris.
(Suite et Gn; voir livr. de mai 4855, pag. 520.)
Pour Guy Patin, le père de la chimie médicale, l'auteur du beau travail
sur la pierre de la vessie, le frondeur si spirituel des doctrines galéniques, Van
Helmont enfin, « n’est qu'un méchant pendard flamand, qui est mort enragé de-
puis quelques mois, et qui n’a jamais rien fait qui vaille (‘); c'est un grand im-
posteur indigne d'être réfuté (*) ». L'indignation de Guy Patin est capable de
poursuivre la mémoire du grand homme jusqu'à la génération la plus reculée ;
car sa plume est aux anges, et il ne se possède pas de joie, lui si tolérant d'ha-
bitude et même un peu enclin aux idées de la réformation, lorsqu'il apprend
que le fils de Van Helmont à été arrêté prisonnier, sur l’ordre de l’évêque élec-
teur de Mayence, « pour ses hérésies et impostures, et de là envoyé à Rome,
pieds et mains liés, afin d'aller en répondre devant linquisition (‘*) ». Eh
quoi! l’homme le plus honnête ne serait done plus qu'un tissu de contradictions,
quand son intérêt ou son amour-propre se trouve aux prises avec sa conscience !!!
Je n’ai pu relire ces dernières paroles de Guy Patin qu'avec un serrement de
cœur. Mais pardonnons-les à sa mémoire; il les a suffisamment expiées plus
tard, lorsqu’à son tour la persécution l’atteignit lui-même dans la personne de
son Carolus chéri (****)
Et puis, quand il manque ainsi de bienveillance et d'équité, ce n’est point
faute de bonne foi et en cédant à aucune passion sordide. Ces excès de plume,
ces aveuglements de la haine sont Île revers et le mauvais côté de l’indignation
que d'autres événements lui inspirent avec juste raison ; c’est un houillonnement
qui dépasse les bords et serépand surtout ce quientoure le vase. Lerègne sanglant
du Richelieu, l'interrègne astucieux et fourbe du Mazarin, les déportements des
hommes à qui la société croyait avoir confié le soin de prier Dieu et de veiller
à la morale publique, le despotisme orgueilleux et sans entrailles de Louis XIV,
tout ce qu'il ressentait d'horreur en recueillant, dans le fond du cabinet de M.le
premier président, les anecdotes de ces scènes de folies intimes dont le peuple était
le souffre-douleur ; il fallait bien que tout cela débordât sur quelqu'un de sa con-
naissance; et ce quelqu'un, quand l'indignation ne peut pas atteindre le vrai
coupable, ce quelqu'un est nécessairement le premier venu. Ainsi le père de fa-
mille qui se trouve froissé d’une injustice ou d’une insulte, passe sa colère, en ren-
trant au logis, même sur l'être qu’il affectionne et pour qui il ressent d'ailleurs la
plus vive sympathie.
Guy Patin avait vu tomber la tête de Cinq-Mars et celle de de Thou coupable
seulement d’avoir donné de bons conseils qui furent stériles ; il avait
vu mourir Louis XII pour faire place au Mazarin, le vrai mari de la Reine; il
avait vu sur le point de succomber à une tentative d’empoisonnement son héros,
le duc de Beaufort, cette idole des dames de la halle, ce roi des halles, à qui ces
() Lett, 3,7 avril 4645, tom.I.— (*) Lett. 451, 24 mars 1657, tom. V.— (**) Lett. 183, 13 mai 1602,
tom, V. — (****} Voyez plus haut pag. 293.
CINQ-MARS, DE THOU, FOUQUET, TURENNE, CONDÉ. 553
braves femmes voulurent, en se cotisant, fournir une liste civile (*). Quant à tous
ces vaillants guerriers, Condé et Turenne, qui vendaient leurs épées de guerre
dans l'espoir d’un pardon ou d’une épée de connétable, s'ils viennent à tomber
en danger de mort, il fait d'avance leur oraison funèbre en ces termes : belle
dme devant Dieu, s'il y croyait (*). Mais s'il apprend que le scorbut règne dans
les hôpitaux, le médecin, chez lui, fait place au philanthrope, et il déclare que
« qui guérirait la pauvreté du peuple guérirait bien ce scorbut » (***); si la
chambre de justice fait mettre à la Bastille un habile et consciencieux avocat,
M. Buray, pour avoir osé écrire en faveur de M. Guénégaut, trésorier de l'épar-
gne, il ne craint pas d'écrire: « Ces prisons sont glorieuses, et l'intérêt de la
cour ne doit pas empêcher les avocats de dé’endre leurs parties » (****); etenfin,
pour nous arrêter à ce dernier trait, lorsque l'arrêt de bannissement prononcé
contre Fouquet fut converti par « le Roy, son rival d'amour, » en une prison per-
pétuelle, Guy Patin soupçonne une intention qui certainement a été conçue; et il
semble prédire un événement qui a pu avoir lieu à l'insu de l'histoire, laquelle
ne mettait pas le nez, à cette époque, dans le fond des cachots : « Utinam, s’écrie-
t-il, non degeneret eis thanaton ! (mélange de latin et de grec destiné à trorn-
per l'œil des profanes) : plaise à Dieu que ce bannissement ne dégénère pas en un
arrêt de mort! car, ajoute-t-il, quand on est entre quatre murailles on ne mange
pas ce qu'on veut, et on mange quelquefois plus qu'on ne veut; et de plus Pigne-
rol produit des truffes et des champignons; on y mêle quelquefois de dange-
reuses sauces pour nos Français, quand elles sont apprêtées par des Italiens » (*"***),
Au reste, aux yeux de qui raisonne, cet empoisonnement eùt été un crime plus par-
donnable que les 18 ans de tortures morales que le malheureux Fouquet, à ce
qu'on dit, a dü endurer entre les quatre murs de Pignerol : la mort n’est qu’une
torture d'une minute ; 18 ans d'un tel cachot équivalent ainsi à 9,467,280 morts.
Le même soupçon est également et nettement formulé dans la lettre 55,
4 mars 1650, tom. I, où il parle de l'emprisonnement, à Vincennes, de Condé,
Conti et Longueville, « Il est à craindre, dit-il, qu'ils n'y mangent quelque chose
de pis que du pain bis, savoir des champignons de l'empereur Claude; » ce
dont Condé s’occupait fort peu, chantant, jurant, entendant la messe le matin,
dinant et jouant au volant, et demandant une imitation de M. de Beaufort,
pendant que Conti demandait une imitation de Jésus-Christ.
Je le répète, lorsque l'âme d’un homme a subi l'empreinte de tant d'événe-
ments politiques, il s'est façonné à une indignation qui prend souvent les formes
de la haine et tombe dans une flagrante injustice, toutes les fois qu'elle change
d'objet.
Cependant, malgré tous les faux pas que Guy Patin put faire dans une carrière
de 71 ans accomplis (il mourut le 30 août 1672 (******), dans une vie si pleine de
jours laborieux, je dirai même constamment patriareale d'un bout à l'autre,
Guy Patin est un de ces beaux caractères de la vieille roche, un des plus beaux
types de ce 17° siècle, époque où l'étude des sciences n'était pas encore la grande
observation de la nature et ne se faisait qu'avec des livres. Homme probe et indé-
pendant, capable d’une longue amitié et d'un dévouement à toute épreuve, d'un
dévouement désintéressé et sans aucune arrière-pensée de récompense; sévère
{) Lett, 16, 1# mai 1649, tom. I. — (*#*) Lett. 157, 6 déc. 1657, tom. V. — (**) Lett, 510, 13 mars
4670. tom. IL; — (***) Lett. 364, 24 juillet 41665, tom. III. — ("*""*) Lett. 342, 25 déc. 1665, tom. II.
— (***#*) Il était né le 31 août 1601. Sa mort fut presque l'anniversaire de sa naissance.
+
334 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
sur tous les principes, trop sévère sur les priviléges du corps qu'il honorait ;
simple dans ses mœurs, fier défenseur des litres de l'Université sa seconde mère ;
économe pour ses-goûts, prodigue pour sa bibliothèque; percevant ses hono-
raires qui étaient modérés et à prix fixe, réduisant tant qu'il pouvait les comptes
d'apothicaire, qui alors pas plus qu'aujourd'hui ne faisaient mentir le proverbe;
sobre à table, si ce n’est aux gueuletons scolastiques et parlementaires, où il se
permettait, par extraordinaire, d’arroser de vin de Beaune des bons mots en
français, des tirades en latin, et des citations de omni re scibili, sur tout ce
qu’on savait à cette époque; diseiple en cela du grand Julien, ce philosophe
empereur, ce César grand écrivain, ce Voltaire sur le trône, qui ne connut en
toute sa vie la volupté que dans les fêtes de ses Dieux; et la volupté était pour
lui une pénitence, car c’était une perte de temps.
Le souvenir de Guy Patin est resté comme l'un des plus beaux de ces types
qui n'étaient rares alors ni dans les facultés, ni dans le parlement; deux régions
retirées, où l'on se levait de si grand matin pour consacrer son temps aux autres,
où l’on se couchait si tard pour enrichir son propre esprit, et où l’on mourait
si vieux, parce qu'on vivait tempérant et chaste, enfin où l’on ne mourait qu’en
une fois, qu’en un instant, juste au bout du cadre que la nature avait tracé à
chacun. +
Guy Patin travailla peu pour sa gloire; ses mazarinades ne furent que des dé-
bauches d'esprit, ses thèses que d’élégants et savants replâtrages, ses bons mots
que des feux folleis qui ne laissent aucune trace. Mais la gloire lui est venue de
l'endroit par où il l'attendait le moins : de ses lettres intimes, qu’il adressait sous
tant d’enveloppes, qu'il cachetait avec tant de soin, pour qu'aucun œil suspect
ne püt en déchiffrer l'écriture, et afin qu’elles n'eussent qu’un seul lecteur. Après
sa mort, elles ont eu autant de lecteurs qu'il y a eu de lettrés; et, tout en nous
révélant l'étendue de son savoir et la bonté de son âme, elles sont devenues des
documents indispensables à l’histoire du dix-septième siècle : car là se trouvent
soit des révélations authentiques qui seules donnent l'explication de bien des
ambiguïtés historiques, soit des faits importants qui sans lui seraient restés
ignorés. Il est à regretter que cette correspondance n'ait pas été accompagnée
d’une espèce de table chronologique et accessoire des faits y contenus, ce qui
eût centuplé le prix de ce recueil.
Ses lettres à la main, l'ombre de Guy Patin a pu se mêler à la foule des grands
hommes du grand siècle, et j'en sais à qui on a dressé des statues, qui l'ont
moins mérité que lui.
Peut-être, à mon insu, depuis 4846, Beauvais se sera-t-il acquitté de cet acte
de reconnaissance nationale; je n’en ai aucune remembrance. Mais si cet honneur
était encore à rendre à ce grand caractère, je conseillerais à la ville des vieux
souvenirs d'associer, dans le même marbre, Guy Patin le père et son fils chéri
Carolus, comme deux athlètes marchant sur les traces l’un de l’autre, qui ont
souffert persécution ou combattu pour la cause de la justice, et qui sont sortis
enfin de la tombe pour présenter à l’histoire, l’un les cinq volumes de ses Lettres,
et l’autre ses travaux numismatiques et son grand traité des Médailles des empe-
reurs romains (*).
(*) Les traits du père et du fils ont été reproduits de leur vivant par la gravure à la taille ou en
relief, voy. pag. #94. La Faculté de médecine doit posséder dans ses archives une médaille à l'effigie
du père. Le portrait du fils est en tête de son ouvrage; il a été du reste gravé plusieurs fois en
France, en Allemagne et en Italie; Les curieux recherchent celui qui est sorti du burin de Masson.
ANALYSE DU LIVRE LE MÉDECIN CHARITABLE, 555
NOTE SUR LE MÉDECIN cuariTABL£. (Voy. pag. 527 de la livr, de mai.)
Philbert Guybert, escuyer, docteur régent en la Faculté de médecine de Paris,
avait composé son Médecin charilable, pour appendre au malade à se passer
non pas du médecin, mais de l’apothicaire. H entrait en cela dans les vues de la
faculté, aux yeux de laquelle l'apothicaire commençait à sentir grandement
l'hérésie, entrainé qu'il était, par la nature de ses études, dans la voie de la chi-
mie médicale qu'avaient ouverte Paracelse et surtout Van Helmont.
Dans l'impuissance où la Faculté médicale se trouvait de forcer l’officine phar-
macopole dans cette retraite, elle voulut prendre sa sœur par famine; et comme
le livre du Médecin charitable fournissait au peuple les moyens de préparer soi-
même les médicaments, la Faculté accorda au livre et à l’auteur sa protection et
ses moyens de propagande. Quand on pense qu’alors, comme à l'époque de la
publication de notre Manuel, l'apothicaire gagnait deux mille pour cent sur les
remèdes, et vendait souvent six francs un médicament composé qui ne lui reve-
nait pas à 20 centimes, on ne saurait nier qu’en cela la Faculté d'alors n'ait servi
les intérêts du peuple, en apprenant au peuple à se passer du pharmacien. Mais
si Guybert s'était mêlé d'apprendre au peuple à se passer du médecin, en même
temps que de l’apothicaire, je ne sais pas trop si le Châtelet eût été une prison
assez dure pour lui, et si quelques-unes de ses phrases n'auraient pas paru assez
malsonnantes pour mériter l’estrapade et les fagots. Quoi qu'il en soit, Guybert
eut là une excellente idée; seulement il aurait dù intituler son livre l’Apothicaire
charitable ; car ce n’est qu’un recueil de recettes, pour composer soi-même les re-
mèdes les plus vulgaires et les moins dangereux; ce livre est terminé par le tarif
du prix net des matières premières, et du prix de revient des médicaments com-
posés. Le malade n’avait besoin, en cela, que de s’approvisionner chezle droguiste;
et, ce tarif à la main, il était sûr de n'être pas surfait. Deux ans après l'apparition
du Médecin charitable, Guybert publia l’Apothicaire charitable, comme complé-
ment de son premier ouvrage, et qui n'aurait dù en former que la seconde partie,
à cause de la similitude et du but et du sujet. Dans l’Apothicaire charitable, il
donne les recettes pour composer les remèdes moins usités, les sirops, apozè-
mes, électuaires, emplâtres, trochisques, les préparations de litharge, eaux dis-
tillées, ete. C'était là la traduction abrégée du Codex medicamentarius ; c'était,
si je puis m'exprimer ainsi, la messe médicale mise en français, ou le protestan-
tisme pharmaceutique; et, en cette circonstance, les huguenots c’étaient les méde-
cins. Dès ce moment la guerre entre les apothicaires et les médecins se fit avec le
même acharnement que toute autre guerre religieuse.
Guybert publia depuis une foule de traités écrits sous la même inspiration :
4° Choix des médicaments; 2 Traité du séné, la plus ñoble et plus salutaire
plante qui soit en l'univers; 5° Manière de faire à peu de frais les gelées ; 4° Traité
des confitures au sel et au vinaigre, au moust, au vin cuit, au raisiné, au su-
cre, ete,; 5° Conservation de la santé; 6° Discours sue la peste; 7° Traduction
du livre de Galien sur l’art de guérir par la saignée; 8° Méthode agréable et fa-
cile pour avoir des fruits purgatifs et médicamenteux par la simple culture;
99 Traité des vins médicinaux ; 10° Manière d'embaumer les morts.
Après la mort de Philbert Guybert, son éditeur, Sébastien Martin, imprimeur-
libraire juré, à Paris, rue Saint-Jean-de-Beauvais, à l'enseigne de Saint-Jean
l'évangéliste, réunit toutes ses œuvres en un seul volume, qu'il dédia à Guy Pa-
tin. Cette dernière édition parut en 1669, in-8° de 559 pages.
356 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
À l'exemplaire que j'en possède, il manque neuf feuillets (de la page 350 à
la page 569), qu'aura déchirés quelque main, ou trop timorée, ou trop courrou-
cée, ou trop besoigneuse. Ainsi que les ouvrages sur le débit desquels compte le
libraire, celui-ci est imprimé sur un papier des vieux almanachs, sur un papier
en quelque sorte d'emballage.
On le voit, ce livre était moins une révolution qu'une bonne action. Il eùt été
difficile aux apothicaires de rendre guerre pour guerre aux médecins; on ne di-
vulgue pas des mystères comme des recettes, et l'on ne saurait rendre intelligi-
bles au peuple des théories que les médecins eux-mêmes ne comprennent pas.
Vouloir mettre le fatras d'Hippocrate et de Galien à la portée du peuple, autant
aurait-il été facile de mettre le chaos en abrégé, et de s’escrimer contre des om-
bres.
L'apothicaire, afin de se venger de la Faculté, et d'user de représailles, se
contenta d'adresser ses clients à des médecins polypharmaques. et qui savaient
formuler d'une manière large et lucrative pour les deux.
Malgré toute la bonne envie qu'avait Guybert de simplifier Ia pharmacie do-
mestique, il ne laisse pas que de sacrifier un peu au veau d’or de la polyphar-
macie marchande; car le nombre des matières premières qu'il adopte dans le
Médecin charitable s'élève à près de 200, et celui des remèdes composés à
150, et c’est bien pis encore dans son Apothicaire charitable ; il fallait être bien
riche pour recevoir ainsi la charité : ce qui fait que la réforme porte moins sur
la vieille pharmacopée elle-même que sur la réduction de ses prix arbitraires aux
prix Courants du commerce de la droguerie ; et c'est peut-être depuis cette époque
que les confiseurs de la rue des Lombards se sont transformés en apothicaives,
trouvant en cela que la concurrence était plus lucrative avec Jean Jost qu'avec
le fidèle Berger.
Car Guybert a soin de n'indiquer les prix des substances premières et de ses
médicaments composés que d’après les prix courants des droguistes.
Une remarque qui me frappe tout d’abord en parcourant son tarif, c’est
de voir combien peu ont varié les prix des drogues depuis cette époque
(1669).
L'aloès succotrin y est porté à 6 livres la livre. Il était à ce prix, à l’époque
de l'apparition de notre système. L'extension de la consommation a donné une
plus grande activité à cette branche du commerce maritime, et en a fait descen-
dre le prix à 4 fr. 60 la livre. L'année passée, une note que nous avons fait insérer
dans les journaux politiques, sur l'emploi de cette substance comme chaulage et
en lotions pour les animaux, en a rendu le débit si prompt, qu’elle est venue à
manquer et qu'en certains endroits le prix s'en est élevé à 12 fr. la livre. Les
nouveaux arrivages l'ont remise à son prix de 32 à 40 sous la livre.
Le camphre valait alors 100 sous la livre. C'était à peu près son prix, à l’ap-
parition de notre système; mais bientôt il monta jusqu’à 24 fr. la livre. Son em-
ploi étant devenu populaire, les approvisionnements successifs l'ont fait descen-
dre à 5 fr.50 c. la livre.
La meilleure eau-de-vie valait 20 sous la pinte (qui équivaut à notre
litre).
Les fleurs de bourrache (car on ne se servait pas alors des feuilles) valaient
16 sous lalivre, Aujourd'hui, chacun en cultivant dans son jardin, cette plante ne
coûte presque que le prix de la cueillette.
La gomme arabique est mise à 40 sous la livre dans le tarif, la gomme du
RAPPORT DES PRIX ANCIENS ET MODERNES. 357
pays n'y vaut pas davantage. La gomme arabique vaut trois francs aujourd'hui,
à cause de son emploi dans les arts.
Le safran très-beau valait 16 livres la livre. Il vaut 20 fr. aujourd'hui les 500
gramm. (équivalent de la livre d'alors).
Le scmen contrà valait 3 livres 10 sous la livre.
La salsepareille valait 35 sous la livre; elle vaut le double aujourd'hui.
Le sel gemme valait 16 sous la livre.
Le graine de lin 5 sous la livre.
Le sucre 15 sous la livre.
L'angélique 3 livres 10 sous la livre.
L'assa fœtida 3 livres 10 sous la livre.
Guybert ne fait mention ni de l'ammoniaque, ni du calomélas, ni de la fou-
gère, ni de la garance, ni du goudron, ni de l'huile de ricin, ni de la mousse de
Corse, ni du houblon, ni de la chicorée sauvage, ni du lichen d'Islande ; mais, à la
place, son tarif est riche de toutes les drogueries oubliées aujourd'hui, depuis le
bézoard des exeréments des animaux (cependant en avertissant qu'il ne sert à
rien et que c'est un pur abus), jusqu'au bol d'Arménie, au corail rouge, à la cus-
cute, à l'améthyste, l'émeraude, les grenats, l'hyacinthe, les saphirs, la topaze,
le lapis lazuli, la pierre d'éponge (*), la litharge d'or, la litharge d'argent, le tale
de Venise, la tuthie (oxyde de cuivre et de zinc), la turbie, la terre sigillée, le
vise de chêne, ete., etc., enfin presque tout l'arsenal des ressources inoffensives
de l’art médical dans l'embarras.
Car le médecin patron de Guybert se trouvait tout aussi embarrassé, en bien
des cas, que le médecin de la polypharmacie. La maladie n'en était pas moins,
pour les deux sortes d'Esculape, un canevas que le docteur avait à broder de ses
visites et des comptes d'apothicaire.
La charité du Médecin charitable, et c'en était une grande, consistait à dimi-
nuer le prix des couleurs de la palette de l'artiste, au risque de faire broyer
un peu plus de noir au pharmacien, en faisant arriver l'eau au moulin du dro-
guiste.
CHAPITRE VIT. — NÉCROLOGIE,
Le nouveau système vient d’essuyer une perte difficile à réparer, dans la per-
sonne de M. le docteur E. De Lamontagne, médecin à Fontenay-Rohan-Rohan
(département des Deux-Sèvres, arrondissement de Niort). Sa mort inattendue a
porté le deuil dans toutes les classes de la population de ce canton ; il a suecombé
à la peine, ses succès et sa réputation de bienfaisance et d'humanité envers les
malades ne lui permettant plus le repos nécessaire à sa santé,
Notre nouvelle méthode l'a compté, dès son apparition, au nombre de ses
(*) N'allez pas croire qu'émule de Cléopâtre et de Lucullus, et désespérant de rencontrer des sub-
stances à ingérer d'un prix assez élevé, Guybert cherche à jeter ainsi des perles et des diamants dans
le fumier de la digestion de ses malades. Il n'évalue ces pierres précieuses qu'a 8 à 10 sous l'once
(32 grammes). Vous soupçonnerez sans doute, à ce prix, quelque substitution de strass et de pierres
fausses; désabusez-vous ; c'était bien là le prix de ces substances précieuses, mais de ces substances
en poudre; or le diamant en poudre cesse d'être diamant, il n’est plus que poussière de charbon ou
pulvérin de sable; c’est la limaille du lapidaire, lequel devait s'estimer doublement payé de ce que
la médecine voulüt bien, de ces déchets de l’art, faire un de ses caprices thérapeutiques et jeter, à
si peu de frais, la poudre de diamant aux yeux de ses malades,
558 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
partisans les plus probes et les plus éclairés; et sa sympathie touchante ne s'est
jamais démentie au milieu de la persécution qui nous a frappé pendant cinq ans.
Le 4% novembre 4849 il m'écrivait, à Doullens, les lignes suivantes, qu'on ne
peut bien apprécier que dans les circonstances atroces de tortures et d'humilia-
tions incessantes où je me trouvais alors :
« Si vous pouvez trouver dans cette longue lettre quelques instants d’oubli
de Ja triste position qu'on vous a faite, je serai heureux de vous l'avoir écrite. »
« En médecine, comme en politique, vous serez toujours l'homme dont je sui-
vrai les maximes, certain que je suis qu’elles seront toujours l'expression d’un
cœur honnête et dévoué à l'humanité. »
La dernière phrase dépeint le caractère et l’âme de cet homme de bien, mieux
que ne ferait le plus long éloge.
Pendant que tant de dévouements faiblissaient, M. De Lamontagne nous est
toujours resté fidèle d'esprit et de cœur, et il n'a cessé de porter haut et fier
son double attachement au prisonnier et à ses doctrines. Il pratiquait nos doc-
trines comme il les professait, sans aucune arrière-pensée, et par cela seul qu'il
les jugeait utiles aux autres.
Sa mort a laissé un grand vide dans sa localité; les riches comme les pauvres
auront peut-être longtemps à le regretter encore.
Le trait suivant est un des mille que nous pourrions citer parmi ses bienfaits
et comme preuve à l'appui de l'indépendance de son caractère :
Ainsi qu'aux autres époques de l'invasion du choléra, l'épidémie de 1849
n’exerça ses ravages dans ce département que dans les localités riveraines de la
Sèvre-niortaise, qui coule en grande partie à travers des marais étendus; Fon-
tenay-Rohan-Rohan est situé sur la lisière de ce bassin épidémique.
Mais à einq lieues de là se trouve la commune de Sansais, dont un village
nommé La Garelle est situé tout à fait sur le bord de la rivière, borné au midi
par un coteau très-élevé. Quoique n'ayant le marais que d'un côté, ce village fut
frappé plus rigoureusement peut-être que les autres localités entourées tout à
fait d’eau.
Ce bourg possède deux médecins : les six premiers cas de choléra soignés par
ces deux praticiens furent suivis de mort. L'administration de Niort y organisa
un service, c'est-à-dire y envoya chaque jour deux médecins à tour de rôle,
assistés par deux sœurs de l'Espérance. La mortalité n’en fut nullement enrayée,
il y avait à peu près autant de décès que de cas; en peu de jours le chiffre des
morts s’éleva à 29 sur une population de 280 habitants.
C'est alors que la population en appela au dévouement de M. De Lamontagne,
sur le bruit que faisaient, dans les localités environnantes, dix ou douze succès
obtenus par lui, d'après la méthode du Aanuel annuaire dans un village situé
entre la Garelle et Rohän-Rohan.
Le premier cholérique qu'il vit en arrivant avait déjà subi la médication des
médecins ofliciels depuis vingt-quatre heures, et s’en allait mourant comme tous
les autres, condamné sans ressources par ces messieurs, qui ne purent $e défen-
dre de sourire dans leur barbe, en voyant dans quelles circonstances défavorables
avait à débuter un sectateur de ce qu’ils nommaient le maudit (c'est de nous
qu'ils parlaient),
La terreur qui régnait dans le village était telle que la maison d’un cholérique
se trouvait dès lors frappée d'interdiction, que nul n’osait y porter secours, que
les parents mêmes ne se décidaient qu’en tremblant à prêter assistance.
NÉCROLOGIE : MM. DE LAMONTAGNE ET ALEXANDRE. 9259
Chez le malade en question qui avait une trentaine d'années, les vomissements
et les déjections se succédaient sans interruption avec les caractères particuliers
à ce genre d'affection (aspect d’eau de riz avec des flocons blancs nageant à la sur-
face); crampes atroces, yeux caves et ternes, teint terreux, voix cassée, urines
supprimées : c'était bien là le choléra.
L'épreuve de l'application de la méthode ne pouvait avoir lieu dans des cir-
constances moins favorables. Après un moment de recueillement, M. De Larmon-
tagne se met courageusement à l'œuvre ; il rassure les parents, frictionne lui-
même le malade, et montre aux assistants tout ce qu’ils avaient à faire jusqu’au
lendemain. Comme il allait sortir de la maison, il voit passer une des deux
sœurs de l'Espérance; il la prie d'entrer, lui explique le genre de médica-
tion qu'il venait de prescrire, l'invite à y prêter les mains. Cette bonne fille
accepte de la meilleure grâce du monde: ce qu'ayant appris les médecins scolas-
tiques, ils voulurent intimer l’ordre à la sœur de laisser là ce malade; mais les
parents et la sœur firent leur devoir, et à sa visite du lendemain M. De Lamon-
tagne {rouva son malade sauvé.
Ce jour-là il fut appelé par tous les malades de la localité; et le jour suivant
les médecins abandonnèrent la commune à son malheureux sort, emmenant avec
eux les deux sœurs que l'autorité avait mises sous leurs ordres. Le journal de la
préfecture expliqua leur départ, en assurant que l'invasion avait totalement
quitté la commune de la Garelle. On va juger de cette véracité quasi officielle
d'alors.
Pendant une quinzaine, M. De Lamontagne consacra chaque jour 4 à 5 heu-
res qu'il dérobait à sa clientèle Locale, pour aller prodiguer ses soins aux cholé-
riques de ce pays et ses instructions à leurs parents. Sur 55 cholériques qu'il eut
à traiter, il n’en perdit que quatre, dont deux furent pris des atteintes du mal
en son absence et moururent avant qu'on se füt mis en mesure de les traiter.
Apprenant alors que le journal de Ja préfecture avait été induit en erreur,
que l'épidémie continuait à sévir à la Garelle, et que presque tous les habitants
en étaient atteints, le préfet y renvoya de nouveau ses médecins; et il ordonna
une procession et une messe en plein air pour conjurer le fléau : cérémonie à la-
quelle i} voulut assister en personne, accompagné des médecins que les habi-
tints avaient éconduits. La veille de la cérémonie, il fit demander à M. De La-
montagne, par l’entremise du maire, la liste des malades qui s'étaient confiés à
ses soins.
Le jour indiqué, notre docteur se trouve à son poste, et M. le préfet lui
ayant adressé la parole , le colloque suivant s'établit entre eux :
— Monsieur le docteur, je vous remercie des soins que vous avez donnés aux
malades de ce malheureux village; mais il faudrait rassurer la population, ne
pas parler de choléra et surtout n’en pas voir partout.
— Douteriez-vous, Monsieur le préfet, de l'exactitude de la note que vous
m'avez demandée? Vous avez avec vous des hommes capables d'en apprécier
l'exactitude. De plus, voulez-vous venir avec moi auprès des malades que je
vous ai désignés ?
— Mais non, mais non; je ne suspecte pas un instant votre bonne foi. Seule-
ment ces messieurs se plaignent qu'on les à fort mal accueillis dans les maisons
où ils se sont présentés,
— Monsieur le préfet, ceci n’est plus mon affaire, et je vous quitte pour re-
tourner à mes malades, J'ai bien l'honneur de vous saluer,
360 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Ce trait vous peint l'homme de dévouement. Le préfet des Deux-Sèvres était
alors M. Degouves de Nuncques, de la confrérie du National.
Mais qu'allais-je faire ? un souvenir de nos mauvais jours sur la tombe d’un
honnête homme! N'y déposons que des paroles de bénédiction, nous serons en
cela les interprètes de ses compatriotes : que sa mémoire soit en honneur, et
que sa vie serve d'exemple! Il fut bon envers ceux qui souffrent, cherchant le
vrai afin d’être plus utile aux autres ; et pendant tout le cours de sa vie, il ne mit
les ressources de son esprit qu'au service de son cœur.
Il faut qu'il ait fait beaucoup de bien dans sa localité, nous écrit, le 6 avril,
M. Girauld, licencié en droit à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), pour que la Revue
de l'Ouest (de Niort) lui ait consacré un éloge funèbre et que l'instituteur pri-
maire ait cru devoir se rendre l'interprète des regrets de la population, en pro-
nonçant sur sa Lombe un discours auquel les assistants ont répondu par des
larmes.
Nous venons de faire une perte tout aussi regrettable pour les malades, dans
la personne de M. Alexandre, médecin exerçant d’abord à Mont-de-Marsan
(Landes), dont la Revue élémentaire a eu tant d'occasions d'enregistrer les suecès
et les actes de dévouement. Nous ne connaissons ce triste événement que par une
lettre que nous a adressée, le 15 mars 1855, un zélé propagateur du nouveau
système, M. Alauzet Fulcran, droguiste, à Saint-Affrique (Aveyron). M. Fuleran,
ami de M. Alexandre, a sauvé une foule de malades, dans la dernière invasion
du choléra.
CHAPITRE VIIL
TRADUCTIONS FAUTIVES DU MANUEL ANNUAIRE DE LA SANTÉ.
A la date du 26 mars dernier, M. L. Martin, capitaine au long cours, demeu-
rant à Marseille, rue des Cyprès, 7, nous écrivait que, dans une tournée qu'il
venait de faire sur les côtes des États autrichiens, il eut besoin à Trieste de con-
sulter notre Manuel, à l'aide duquel il soigne sa famille et son équipage. [Il avait
oublié d'apporter avec lui son exemplaire; il ne put se procurer dans la ville
que la traduction italienne imprimée à Milan et à Gênes par les soins d'un doc-
teur-médecin : mais il découvrit que les rapports des poids du pays avec eeux
de notre système décimal y étaient indiqués d'une manière très-fautive et dange-
reuse en certains endroits pour la santé des malades. Ainsi le traducteur a cru
rendre la valeur de notre gramme par celle de la drachme autrichienne, qui pèse
au contraire près de quatre de nos grammes. Nous prions les personnes qui voya-
gent en Italie de vouloir bien prévenir de cette sorte d'erreurs les Italiens entre
les mains desquels ils auraient l'occasion de rencontrer celte traduction.
A la date du 47 mai 1853, M. Aug. Schlumberger, manufacturier, nous écrit de
Wiesbaden, qu'il existe en Allemagne deux traductions du Manuel, l'une
exacte, littérale mais peu élégante; l'autre d’un style plus soigné, mais peu fidèle
et même fautive; car dans celle-ci le mot ammoniaque est traduit par celui de
Salmiak qui signifie sel ammoniac; elle porte le titre de D" Raspails Neues
Heilserfahren, dritte Auflage, nach der 251 Auflage des Originals überscht.
Leipzig, Verlag von Bruno Hiuze, 1854.
Dans les pays où la contrefaçon n'est plus tolérée, nulle traduction du Manuel
ne pourra avoir lieu désormais que sous nos yeux, ni paraitre que revêtue de
notre signature. Dans l’intérèt des malades, nous devons tenir plus que jamais
à ce privilége.
a
À Livraison. RENIE COMPLÉMENTAIRE {er Juillet 1855.
DES -
SCIENCES APPLIQUÉES
A LA
MÉDECINE ET PHARMACIE,
A L'AGRICULTURE, AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE.
CHAPITRE PREMIER. — MÉDECINE ET PHARMACIE.
DÉMOLITIONS CAUSES D’ÉPIDÉMIES; PRÉSERVATIF.
Li
Nous l’avons déjà fait observer, l’époque des démolitions d'édifices sur une
large échelle est féconde en maladies épidémiques, dans le rayon que la pous-
sière des décombres peut atteindre.
Comment en serait-il autrement ? La poussière que l’on respire alors aux alen-
tours est riche en poisons de toute espèce, que l’industrie, la médecine et la
décoration ont accumulés, souvent depuis des siècles, dans les palais et les ma-
sures. Les arts et métiers qui manient l’arsenic et le mercure, l'atelier du peintre
et du fabricant de couleurs minérales, le laboratoire du chimiste, du pharmacien
et du fabricant de produits chimiques, ont de longue date imprégné le sol et
les planchers de leurs débris vénéneux; l’ornementation a couvert les murs et les
lambris de céruse (carbonate de plomb), de couleur verte ou vert de Schéele
(acétite arsénieux de cuivre), de couleur bleue (oxyde de cuivre), de vermillon
(à base mercurieile), etc.
Lorsque le marteau du démolisseur réduit ces débris et ces plâtras en pous-
sière, et que les décombres, se broyant dans leur chute, répandent dans l’espace
la poudre que soulève le vent, on avale et l'on respire le poison à pleine bouche;
on s’empoisonne en quelque sorte par tous les pores. Cela est évident.
Or, dans ce cas, ce sont toujours les premières voies qui sont malades les
premières; car les bases vénéneuses sont toutes arrêtées au passage par les pre-
mières voies, et se combinent, pour les désorganiser, avec leurs muqueuses. Ce
quien rentre par le nez donne le coryza (*), en dénaturant la membrane olfac-
tive et la surface postérieure du voile du palais; ce qui en passera par la bouche,
s’attachant à l'arrière-gorge, à la luette, aux amygdales, occasionnera des angi-
nes d'autant plus graves que l'inspiration aura attiré sur ces surfaces une plus
forte dose de poison.
Vous voyez déjà comment, sous l'influence d'une même et unique cause, la
maladie va prendre des noms différents, selon que le hasard des circonstances de
(*) Voyez livr, d'avril, pag. 267, 4855.
LA
362 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
la respiration aura arrêté et fixé le poison sur telle plutôt que sur telle surface.
L'appareil salivaire en sera peu affecté, la salive ayant par devers elle assez
de substance albumineuse pour neutraliser le poison en se combinant avec lui,
et cette salive ainsi combinée étant sans cesse déblayée par le mécanisme de l'ex-
pecloration qui est spéciale aux glandes et aux canaux salivaires.
La langue sera tardivement envahie, ear elle expulse plutôt qu’elle n’aspire;
elle participe de F'appareil de la salivation. Mais les glandes amygdales,
l'isthme du gosier, ainsi que la luette, sont des organes d'absorption de premier
ordre, et seront les premiers envahis. De là, maux de gorge violents, difficulté
de la déglutition, renaclement, inflammation de toute l'arrière-gorge, ardeur
dans ces régions.
La poussière vénéneuse, pénétrant par le larynx, déterminera des affections
d'autant de noms qu’elle parviendra à des régions plus profondes dans les voies
respiratoires : de Ià angine, esquinancie, gros rhume, suffocation, catarrhe,
espèce de croup, bronchite, affection asthmatique, pneumonie, etc.
Si la déglutition entraîne la poussière par le pharynx dans les voies alimen-
taires, difficulté de la déglutition, inflammation de l’œsophage, inflammation de
l'estomac, digestions difheiles et pénibles, chlorose par la suppression ou le
trouble de la sécrétion de la bile; puis épreintes et dévoiement, ou même colique
des peintres, si la poussière de céruse est portée par le eours de la digestion
anormale jusque dans le gros intestin.
Pour que ces maladies prennent le caractère d’une épidémie, il suffira que les
démolitions se fassent sur une si grande échelle ou que l'agitation de l'air soit si
forte, que la poussière soulevée puisse être portée sur toute l'étendue de terrain
qu’occupera une assez grande agglomération d'hommes; et dès lors l'E
sera accompagnée d’une égale épizootie, et les animaux présenteront les mêmes
symptômes maladifs généraux que les hommes eux-mêmes.
Ceux qui désormais, et après la lecture de cet article, auront l'œil ouvert sur
ce qui se passe dans leurs quartiers respectifs, ne manqueront pas de reconnaitre
qu'autour d'une vieille maison en démolition, il règne le même genre de mala-
die, modifié selon les indications que nous venons de donner.
Est-ce à dire pour cela qu'il faille s'abstenir de démolir les vieilles masses
et de les remplacer par des bâtiments neufs? Dieu nous en garde. Comment
assainir nos vieilles cités sans démolition? Désormais toute cité doit ne faire
qu'un seul et même corps de bâtiment, une seule et grande maison bourgeoise,
un immense palais à mille pavillons et mille cours, où l'air arrive à chacun aussi
pur, la tumière aussi éclatante, la température aussi douce, les moyens de trans-
port aussi sûrs et aussi faciles, Fa nourriture aussi saine, le travail aussi hygié-
nique que si les milliers de travailleurs qui l'habitent étaient les enfants de la
même famille, concourant chacun au bonheur de tous, et tous au bonheur
de chacun. Maïs pour arriver à reconstituer ainsi, il faut bien se garder de faire [a
place nette; il ne faut démolir du passé qu’au fur et à mesure qu'on aura pourvu
à l'avenir.
Toute nécessité se rachète par des désavantages; la raison les subit, Ia
prudence s’en gare.
Or, voici par quels moyens on peut arriver à ce que la démolition soit moins
poudreuse et que l'aspiration en soit plus préservée.
Pass les temps pluvieux, les démolitions sont moins morbipares; donc, par les
temps secs, tout propriétaire, tout entrepreneur de démolitions devrait être tenu
PRÉSERVATIF CONTRE LES POUSSIÈRES VÉNÉNEUSES. 363
d'arruser abondamment les matériaux au fur et à mesure qu'on doit les abattre ;
les pompes à incendie pourraient être mises à la disposition de ce service. La boue
qui se formerait älurs est plus facile à être déblayée et transportée que les plâtres
et la fine poussière.
Chaque seau d’eau ainsi employé préserverait d'autant une poitrine d'ouvricr
ou de passant.
Mais quant à l'ouvrier et au passant, il est des précautions qui, suivies ponc-
tuellement, seraient dans le cas de les préserver de tous ces maléfices aériens.
Presque tous les poisons que la démolition éparpille dans les airs ne sont
funestes qu’en se combinant avee nos muqueuses et nos tissus, qu'ils désorga-
nisent et rendent ainsi impropres à leurs fonctions.
Îl est évident que, si l'on substituait à nos tissus des tissus étrangers capables
de suffire à la même combinaison organico-minérale, les poisons seraient neutra-
lisés dès leur introduction, et que dès lors leur action, devenue latente, serait
inoffensive pour les tissus doués de vitalité.
Or, le blanc d'œuf est un tissu de nature chimique analogue à tous les tissus
qui entrent dans la composition de nos organes.
Le sucre forme avec la plupart des bases vénéneuses, avec le plomb et le
mereure, des combinaisons insolubles, qui par conséquent en neutralisent les
effets toxiques.
Le sucre et l’albumine, associés ensemble, ne peuvent fermenter que d’une
manière alcoolique et partant inoffensive pour nos fonctions. Donc, en composant
une liqueur avec un mélange de sucre et de blanc d'œuf, aromatisée d’une
manière quelconque, on aura un préservatif contre l'aspiration des poussières
vénéneuses provenant des démolitions. Pour prévenir la fermentation alcoolique
de ce mélange, dans le cas où l'on voudrait en préparer d'avance et en conserver
pour les besoins futurs, on pourrait y introduire une certaine quantité d'alcool
camphré. Nous nommerions alors cette composition orgeat contre-poussière :
Prenez : Eau ordinaire + : : . 4 : . « . + < « + . + 200 grammes.
Pad a M Ste rer Late Maui ain 10 35 » {)
Se CRE EU OR PA LE CRE 8 AE AB Se ES ARR Le Le CR 1 »
RICOOL CARPE M en tn mime re it. 021 Te [Quelques gouttes:
Battez pendant quelques instants ; et passez à travers un linge ou même un
filtre en papier, si vous voulez avoir la liqueur plus limpide,
Ajoutez-y quelques gouttes d'une essence aromatique, soit de menthe, soit
de bergamote, soit de mélisse, soit d'essence de rose, etc.
Tenez le flacon bouché, et gärgarisez-vous souvent avec cette liqueur, en
temps de démolition, surtout quand vous passez vers la région des décombres.
Dans ce dernier cas, imbibez de cette liqueur des petits tampons de eoton que
vous pourrez introduire dans le tuyau de l’oreille et dans les narines, et que
vous rejelterez quand vous serez sortis du rayon où se soulève la poussière
morbipare, qu'elle provienne des démolitions ou de toute autre manipulation.
Mais, dans tous les cas où vous soupçonnerez une eause de ce genre à une épidé-
mie régnante, soignez les malades d'après ces errements, et eomme étant atteints
d'un empoisonnement miasmatique :
Limonade sulfurique (un gramme d'acide sulfurique dans un litre d'eau), ou
bien sulfate de soude (un gramme dans un verre d'eau), contre les eoliques
(*) C’est le poids moyen du blanc d'un œuf ordinaire.
564 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
saturnines. Lavements au blanc d'œuf avec une pincée de sel de cuisine. Purga-
tions fréquentes à l’aloès et à l'huile de ricin. De temps en temps un verre de
la liqueur ci-dessus. Gargarismes fréquents à la même liqueur et à l'eau salée.
Lotions à l’eau sédative sur la poitrine, la région du cœur et le ventre. Affusion
de la même eau sur le crâne. Cravate d'alcool camphré fréquemment autour du
cou. Se toucher le fond de la gorge avec le doigt trempé dans l'alcool camphré,
avant les gargarismes à l’eau zinguée salée. Plaques galvaniques, promenées
sur tout le corps, dans le bain comme hors du bain. Cigarette de camphre. Salse-
pareille avec camphre trois fois par jour.
ANKRYLOSE DU COUDE PAR SUITE D’UNE COMPRESSION CHIRUR-
GICALE PROLONGEE (*).
Je viens d’avoir sous les yeux un nouvel exemple des déplorables effets que
produit sur une articulation l'emploi prolongé des éclisses ; or en certains en-
droits la médecine rétrograde a trop souvent recours à ce moyen sans nécessité
aucune. Une jeune mariée se sent tout à coup le bras engourdi, l’enflure suit
l'engourdissement; ce mal aurait cédé assez promptement à l’action de l'eau sé-
dative; la malade a recours à un médecin qui lui applique immédiatement les
éclisses fortement serrées autour du coude, pensant sans doute avoir affaire à
un anévrisme et à un dépôt stagnant de sang artériel. Lorsqu'on enleva les éclis-
ses, il se trouva que le coude s'était ankylosé, ainsi que l'articulation scapulo-
humérale; car la malade éprouva autant de difliculté à mouvoir le bras que
l'avant-bras.
Or, ce résultat aura toujours lieu quand on empêchera, pendant un espace de
temps trop long, le jeu naturel d’une articulation quelconque.
En effet, le développement des os s’opère toujours par leurs extrémités; deux
têtes d'os contiguës, se développant à la fois, doivent tendre à se souder, à se
greffer par approche, toutes les fois qu’on supprime le mouvement articu-
läire, en vertu duquel leurs surfaces réciproques s’arrondissent par le frotte-
ment, maintiennent et la régularité de leur courbure par leurs mouvements de
rotation, et leur compacité cartilagineuse par la compression que le mouvement
articulaire exerce successivement sur toute l'étendue de leurs surfaces.
Dès que le mouvement leur est interdit, le développement continue son tra-
vail dans tous les sens où il n'existe pas d’obstacle ; et il en résulte bientôt que
les lacunes se comblent, que les courbes s'effacent, et que les cartilages se rap-
prochent progressivement, se soudent par leurs surfaces devenues planes, qui
dès lors rendent tout mouvement articulaire impossible.
Cet effet une fois produit, comment le combattre? Les médicaments ne refont
pas des organes, ils ne les façonnent pas. On ne remet pas les éléments de l’ossi-
fication en circulation, comme les éléments de toute autre accumulation coagu-
lée de liquides organisateurs.
Les applications réitérées de compresses d’eau sédative sont dans le cas de
ramollir les cartilages, à leur premier état de formation, ce qui peut donner du
jeu aux tentatives que l’on fait pour fléchir peu à peu le membre; et on ne doit
pas épargner ce moyen, dussent les surfaces se couvrir de rubéfactions.
Après chaque application d'eau sédative, on recouvre la surface rubéfiée avec
(*) Voy. livr. de décembre 1854, page 147.
ANKYLOSE PAR COMPRESSION. KYSTE. * 365
un linge enduit de cérat camphré, et l’on essaye de temps à autre de mettre en
jeu l'articulation par des efforts que l’on augmente ou l'on modère sur les signes
de douleur du malade.
Si les applications d'eau sédative ne parvenaient pas à ramener plus ou moins
complétement le mouvement articulaire, elles ne manqueraient pas de préserver
de la contagion de cette ossification progressive les muscles et tendons qui glis-
sent contre la surface des os ankylosés, ce qui conserverait leurs mouvements
propres aux articulations inférieures et supérieures.
Au bout d’un mois du traitement ci-dessus, nous avons revu la malade; elle
commence à éprouver que les deux articulations ankylosées jouent assez sensi-
blement.
Quant aux moyens de compression, on doit les interdire rigoureusement,
toutes les fois qu'il ne s’agit ni d’une fracture d'os, ni de la formation d’une poche
anévrismale par la rupture d'une artère et par l'extravasation du sang. Dans
toute autre circonstance, l’action de l’eau sédative suffit pour dissiper les désor-
dres de la tuméfaction et ramener le membre à son état normal. S'il s’agit d’une
fracture d'os, on place les éclisses ou les bandes plâtrées de manière à ne main-
tenir l’immobilité que sur la solution de continuité de l'os et à laisser leur libre
jeu aux articulations supérieures et inférieures.
De même, s’il s’agit de réduire une poche anévrismale; mais, dans ce dernier
cas, on devrait préalablement essayer l'application constante de l'alcool camphré
sur la région de la poche anévrismale. Car l'alcool, en coagulant l’albumine du
sang extravasé, formerait ainsi un obstacle permanent à une extravasation ulté-
rieure, et son action antiputride permettrait à cette coagulation de séjourner
%lans les chairs, jusqu'à oblitération complète de Ja fissure de l'artère, sans
qu'on eût à craindre la moindre décomposition du dépôt sanguin et la moindre
infection veineuse.
Que si l'eau sédative ne parvenait pas à dessouder l'articulation de manière à
ramener complétement le mouvement normal, on aurait recours alors à l’action
progressive d'un appareil articulaire capable d'opérer des mouvements alterna-
tifs d'extension et de flexion, que le malade renouvellerait d'heure en heure.
KRYSTE ARTICULAIRE.
(Voy. livr. de nov. 1854, pag. 105)
Nous avons fait observer, dans l’article sur le kyste, inséré dans la livraison de
novembre dernier, que le kyste était une poche presque biloculaire, parasite des
ligaments articulaires. C’est un développement anormal, incommode et gênant, mais
nullement douloureux. Il s’en forme quelquefois des grappes qui se tiennent et
se développent à la fois. Dans d’autres cas, après la destruction d'un kyste, on
en voit se reformer un nouveau à la suite et un peu plus loin que le prémier.
Nous avons dit que le traitement le plus simple consistait à perforer la paroi
du kyste au moyen d’une certaine quantité de bon caustique, moitié chaux et
moitié potasse; le kyste est perforé, quand on en voit sortir une petite rivière
limpide charriant des corps reproducteurs plus ou moins blanes ou jaunâtres,
selon que le liquide se mêle plus ou moins au sang du tissu cellulaire, L'ouver-
ture reste alors béante jusqu’à ce que les parois du Kyste frappées de mort par
l’action désorganisatrice du caustique, aient achevé de se décomposer par déliques-
566 ‘REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
cence, et que le tissu cellulaire n'ait plus aucun tissu en voie de décomposition
entre sa paroi interne et les chairs sous-cutanées. Le pansement par la pommade
camphrée, empêchant la décomposition des chairs mises à nu, favorise la cicatri-
sation, qui se fait sans pus et sans retard. Mais il arrive des cas où le kyste, quoi-
que implanté par son pédieule sur un ligament ou un tendon, glisse, en se déve-
loppant, entre le tissu cellulaire et les muscles, dédouble ainsi ces régions, tout en
contractant par sa surface externe des adhérences vasculaires avee les tissus qu'il
rencontre.
Dans ce cas, recouvert, comme il l’est, par une couche épaisse de tissu cellu-
laire adipeux, l'action du caustique devrait dévorer une trop grande épaisseur de
tissus sains et sur une trop grande étendue, avant de pouvoir atteindre l'enveloppe
cartilagineuse du tissu parasite qu'il s’agit de dénaturer. Le bistouri doit done
alors remplacer le caustique.
A cet effet, on pratique une ineision eruciforme qui comprenne toute l'étendue
du kyste, dont il est facile de sonder les contours par la simple pression du
doigt.
On dédouble les quatre lambeaux, ce qui n’exige souvent que l’action de Ja
spatule ou du bout de manche du bistouri, l'adhérence ne consistant souvent
qu’en des brides vasculaires. On rabat les quatre lambeaux, et si le kyste n’ad-
hère à aucun tissu charnu d’une autre manière, on tâche de l'enlever, tout d'une
pièce, en coupant son pédicule à l’aide des ciseaux courbes et mousses, que l’on
porte aussi près que l’on peut du point d'insertion du kyste. |
Que si le kyste adhérait aux surfaces externes de quelque musele ou de quel-
que os (aponévrose ou périoste), on serait forcé alors de fendre le kyste, de le faire
dégorger de tout le liquide qu'il renferme, liquide neutre et inoffensif pour les
chairs béantes; on lave à grande eau de goudron tiède ou fraiche; ensuite on
enlève avec les ciseaux mousses, droits ou courbes, toute la portion de l'enveloppe
cartilagineuse du kyste, qui n'offre aucune adhérence avec les tissus normaux
environnants. On ramène alors les quatre lambeaux pour refermer la plaie; on
les maintient en place avec deux lanières agglutinatives ,sà angle droit ou paral-
lèles, qui s'appliquent sur les régions non entamées, en ayant soin de laisser
libre une portion de fente béante dans la partie déclive de la plaie. On panse
ensuite à la charpie enduite de pommade camphrée, maintenue par des bandes
qu’on a soin d'imbiber d'alcool camphré en dessus et en dessous de la plaie.
Dès le lendemain les chairs sont reprises, si ce n’est à l'endroit par où se
fraye un passage le liquide provenant de la décomposition par déliquescence
du peu de tissu cartilagineux du kyste qu'on n'aura pu enlever à cause de ses
adhérences intimes.
Il arrive, par suite de la puissance plastique de notre mode de pansement, que
les lèvres de la plaie se rejoignent avec une puissance d'attraction, telle que la
petite ouverture qui doit donner issue à l'écoulement se referme presque en
même Lemps que l’autre; dès ce moment, il se forme une poche de liquide qui
pourrait se changer en pus par sa stagnation et donner au malade tous les tour-
ments fébriles d'un abcès, 11 faut se hâter de rouvrir l'issue avec le bistouri et
de la tenir béante, au moyen d'un petit séton enduit de pommade camphrée; et
même celte dernière précaution doit être prise dès le début du pansement. De
celte façon, la décomposition du débris d'enveloppe que le bistouri n'aura pu
enlever se fera sans encombre, sans purulence, d’une manière presque inaper-
que; et, les chairs se recollant à mesure de proche en proche, le séton sera
INSECTES RENDUS PAR LES URINES. 367
repoussé au dehors par la cicatrisation intime qui gagne chaque jour du terrain.
Cette opération ainsi pratiquée, et le pansement ci-dessus renouvelé soir et
matin, l'opéré ne semble pas plus s'apercevoir de la plaie qu'il porte que d’une
simple piqûre; il mange et dort comme à l'ordinaire, sans souffrance et sans
fièvre, tout étonné d'exécuter tous les mouvements ordinaires du membre sur
lequel s’est faite l'opération; souvent la cicatrisation est complète au bout du
troisième jour, le retard ne provenant que des résidus du kyste interposés entre
les chairs et le tissu adipeux ou le derme. La cicatrisation est si prompte que, la
première fois qu'ils en sont témoins, les chirurgiens de l’ancienne école en sont
comme effrayés, tant ils en sont ébaubis.
CHAPITRE IL,
ENTOMOGÉNOSES ANIMALES.
INSECTES RENDUS FAR LES URINES, — RECTIFICATION D'UNE ERREUR QUI £'ÊST
GLISSÉE DANS L’AISTOIRE NATURELLE DE LA SANTÉ ET DE LA MALADIE, — ANAÎYSE
DU LIVRE DE TULPIUS, MÉDECIN ET BGURGMESTRE D'AMSTERDAM. — APERÇU
. SUR LE LIVRE D’'ANDRY INTITULÉ : DE LA GÉNÉRATION DES VERS DANS LE CORPS DE
L'HOMME.
À la page 3555 du tome [** de la 2° édition en trois volumes de notre grand
ouvrage, on lit: « Tulpius cite le cas d'unnédecin d'Amsterdam qui, dans l’es-
pace de huit jours, en rendit (des cloportes) en urinant jusqu'à dix-neuf, et cela
après avoir été guéri d'une fièvre tierce ; il les rendit, au reste, sans douleur, La
figure ci-jointe qu'il en donne semble pourtant plutôt se rapporter à une saute-
relle. »
La figure que donne notre ouvrage ci-dessus cité, nous l'avons reproduitæici,
fig. 5, Or, ce n’est pas là la figure que Tulpius a fait graver dans son texte.
L'erreur est provenue de l'oubli d'une citation, ou plutôt de la confusion de
deux citations qui se
suivent immédiatement
dans le texte auquel 4 3
nous les avions emprun-
tées, c’est-à-dire au li- ÿ
vre de Nicolas Andryin- £
titulé: De la génération
des vers dans le corps de
l'homme.
Nous allons rétablir
les citations, en ayant
sous les yeux et le livre
d'Andry et celui de Tul-
pius.
« Il y a d’autres vers
dit Andry (édit. de 1714, pag. 57), qu'on prendrait pour des sauterelles. Le
comte Charles de Mansfel, malade d'une fièvre continue à l'hôtel de Guise, en
jeta une de cette sorte par les urines; on en trouve la figure dans Ambroise Paré.
Voyez-la, dit Andry, ici (c’est-à-dire sur la pl. 1"° de son atlas) fig. 3, »
Cette figure, nous la reproduisons également ici sous le chiffre 5. Mais la
568. REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
figure gravée par Andry n’est rien moins que celle gravée par Ambroise Paré,
ainsi que nous l'avons fait observer pag. 262 du 2° volume de l’Aistoire natu-
relle de la Santé, 2° édition. Andry a habillé l’insecte figuré par Ambroise Paré
de manière à lui rendre un peu plus approchant les traits d’une sauterelle.
A la même page 57 de son traité De la génération des vers, Andry cite deux
observations de vers rendus par les urines, observations empruntées au livre de
Tulpius. Il copie les figures de la première observation et non celles de la se-
conde, ce qui nous avait porté à attribuer à la seconde de Tulpius la figure em-
pruntée par Andry à Ambroise Paré.
Pour plus grande clarté, et laissant là le livre d’Andry, nous donnerons les
deux observations de Tulpius avec les figures respectives, qui les accompagnent.
ANALYSE DU LIVRE DE TULPIUS.
Nous possédons deux éditions de l'ouvrage de Tulpius, également sorties des
presses des Elzevirs. La 4"° édition, imprimée par Louis Elzevir, in-12 de 279 pa-
ges, 1641, ne renferme que trois livres d'observations médicäles; notre exem-
plaire (reliure parchemin de la première époque elzevirienne) est sur beau papier
blanc sans aucune tache. La 2° édition, même format, imprimée par Daniel Elzevir,
en 1672, in-12 de 392 pages, renferme quatre livres d'observations, plus 74 aphoris-
mes sous le titre de Monita medica; elle est ornée d'un joli frontispice composé
en partie de quatre des nombreuses figures intercalées dans le texte, et, à la
suite de la dédicace, d'un beau portrait de Tulpius devenu alors bourgmestre
d'Amsterdam (*); c'était un beau vieillard de 72 ans. Cette seconde édition est im-
primée avec les mêmes caractères et les mêmes figures gravées, quant aux trois
premiers livres, que la précédente, mais malheureusement sur un papier moins
fort et qui s’est maculé; la reliure en veau est celle de l'époque postérieure des
Elsevirs ou Elzevirs.
Ces notions bibliographiques ne sont pas étrangères à notre sujet. Les plan-
ches des deux éditions étant les mêmes et de même numérotation, la pagination
seule étant différente, nous emploierons la citation par livre et chapitre.
Le titre de l’ouvrage est aussi simple et modeste que la rédaction en est con-
cise, riche de faits et sobre de ces discussions nébuleuses où nos médecins fran-
çais noyaient facondement la disette de leurs cas observés.
Nicolai Tulpii Amstelredamensis observationum medicarum libri tres cum
œneis figuris. Amstelredami, apud Ludovicum Elzevirium ciocxui ;
Titre de la 4"° édition.
Nicolai Tulpii Amstelredamensis observationes medicæ. Editio nova, libro
quarlo auctior, et sparsim multis in locis emendatior. Amstelredami, apud
Danielem Elzevirium. A° clolocexxnr:
Titre de la 2° édition,
Cette dernière édition renferme, en quatre livres, 227 chapitres contenus en
382 pages; c'est, en moyenne, un peu plus d’une page et demie par chapitre; et
chaque chapitre renferme un fait observé et rédigé avec une égale foi; ce fait
est pris en général dans le ressort de la médecine, mais quelquefois aussi dans
celui des autres branches de l’histoire naturelle; par exemple, c’est à Tulpius
(") Doctor Tulpius signifie en flamand ou hollandais, docteur la Tulipe. Si jamais vous rencontrez
un beau portrait de docteur hollandais, tenant à la main une tulipe, vous courez chance d'avoir le
portrait de notre Tulpius ou de son fils. Cependant, avant de le prendre pour tel, confrontez-le avec
le portrait gravé en tête de la 2° édition de ses œuvres.
ANALYSE DU LIVRE DE TULPIUS. 369
que nous sommes redevables de la première description, accompagnée d'une ex-
cellente figure, de l'orang-outan où homme des bois (lib. IF, cap. 56).
A la même époque, nos auteurs français de médecine publiaient de gros volu-
mes sur le froid, le chaud, le sec et l'humide, les humeurs peccantes et autres
billevesées, en vertu desquelles leur fille élait muette.
Les auteurs allemands et hollandais, au contraire, observaient, décrivaient et
consignaient, dans des recueils spéciaux ou périodiques, le fait et la figure : ma-
tériaux épars destinés à l'édifice de la science future.
Notre médecine dogmatisait, tandis que la médecine d'au delà du Rhin obser-
vait.
Chez nous l'esprit de corps toujours orthodoxe, dût-il en être stationnaire ;
Chez eux l'unité du but avec l'indépendance entière du libre penseur ;
Chez nous l'autorité qui ordonne de croire;
Chez eux le contrôle de tous, égal creuset des opinions de chacun.
Aussi, lorsque j'ai voulu recueillir dans les livres les idées venant à l'appui du
système développé dans l'Histoire naturelle de la santé et de la maladie, j'en ai
trouvé quelques-unes échappées à la censure dans nos recueils de médecine de
cette époque ; j'en ai rencontré, dans les recueils d'au delà du Rhin, une moisson
que je me suis vu forcé d’égrener pour la faire entrer en partie dans le cadre de
mon ouvrage, et j'en ai passé encore des meilleures très-souvent. Dans ce dernier
cas sont celles de notre Tulpius. Alors pour moi les livres étaient plus rares que
les faits observés; aujourd'hui j'ai chaque jour à ma disposition autant de faits
mais beaucoup plus de livres, et surtout beaucoup plus de temps pour les lire.
Bénis soient pour moi la prison, l'exil et tout ce qui tourmente les autres hommes !
Dans ce tourbillon, mes études nagent comme dans leur élément naturel; c’est
là ma solitude ; solitude telle que Mabillon et Ducange l’eussent enviée.
OBSERVATIONS DE TULPIUS SUR DES INSECTES RENDUS PAR LES URINES.
PREMIÈRE OBSERVATION (*).—Un des premiers médecins de notre république, dé-
barrassé d’une fièvre tierce, rendit en huit jours par les urines jusqu'à 19 petits
vers, et cela sans douleur ou aucune difficulté d’uriner; seulement les urines
étaient teintées de bile ou pituite sédimenteuse qui couvrait le fond du vase. Ces
petits vers avaient une forme intermédiaire entre ceux qui grouillent dans les
fromages gâtés'et les ascarides vermiculaires. Le corps, à partir de la tête large
et obtuse munie de deux petites cornes, s’amincissait jusqu'à la queue qui deve-
nait effilée, et dont l'extrémité portait un point noirqu'on distinguait très-bien sur
le vivant. Mais la partie convexe ou dorsale était arrondie et glabre. Le ventre
était aplati, plissé, et bordé de pieds sans nombre à l'instar des millepattes ; con-
formes enfin en tout à la petite figure. Mais, crainte que, par la petitesse de la fi-
gure, les caractères et l'analogie de ces insectes n'échappent à nos lecteurs, nous
avons eu soin de la représenter grossie à la loupe. »
Les deux figures publiées par Tulpius sont reproduites fig. 4 et fig. 2 de la
page 367 ci-dessus ; et il a eu raison d'éclairer ainsi son texte de figures; car sans
ce secours je doute qu'aucun naturaliste eût pu déterminer le genre de ces in-
sectes d’après la description.
Du reste, il a soin de faire observer que ces insectes se rapportaient exacte-
ment, par leur forme, à celui que rendit également par les urines le docteur Louis
(*) Tuzrius, Obs. medicæ, lib, II, cap. 50.
570 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Duret, l'habile commentateur d'Hippocrate, dans sa convalescence, à la suite d’une
longue maladie. Ambroise Paré en à donné la figure (liv. 49, chap. 5}, et cette
figure est si conforme à celle de Tulpius, que l'on prendrait celle-ei pour le sim-
ple décalque de l’autre. 7
Évidemment ces insectes n'étaient autres que des cloportes, porcelets ou pores de
Saïint-Antoine(oniscus en grecet latin); la maladie des deux docteurs, l’un français
et l’autre hollandais, était une oniscogénose urinale. La convalescence arriva
quand les deux docteurs les eurent tous rendus.
DEUXIÈME OBSERVATION DE VERS RENDUS PAR LES URINES (*). — « Une femme de
50 ans, sujette à de violentes attaques de coryza et à des douleurs de reins qui
ne Jui laissaient aucun repos, rendit chaque jour par les urines, vers la fin de la
maladie, cinq à six petits vers presque blancs et qui par leur forme et leur colora-
tion différaient peu de ceux qu’on trouve dans le fromage gâté. » (La fig. 5 de la
pag. 567 ci-dessus reproduit celle qu'indique Tulpius). « Cependant, ajoute-t-il, au
nombre de ces vers il s’en trouva deux si énormes, qu'ils égalaient en Jongueur
une articulation du doigt, ainsi que les représente la figure 3 élégamment gravée
de la planche 7°.» (La figure 4 de la page 367 ci-dessus reproduit la figure 3 de
Tulpius.)
Ces petits vers nous ont tout l’air de n'être que les larves de la mouche qui vit
dans le fromage etla crème gâtée, dont la figure 4 ci-dessus ne serait que le
grossissement dessiné à la loupe avec quelques détails surajoutés par le dessina-
teur. Tulpius, enrédigeant son texte sur les figuresde son dessinateur, aura perdu
de vue cette circonstance.
TROISIÈME OBSERVATION (**). — Tulpius rapporte ailleurs que la servante d’un
chirurgien, en proie à d’atroces douleurs de tête dont aucun remède ne pouvait
la soulager, s’en trouva subitement débarrassée en rendant par le nez un vers
de la longueur de la moitié du doigt, et qui ressemblait assez, d'après lui, à celui
qu'il à fait graver et que représente la figure 4 de la page 567 ci-dessus. Il est
fâcheux qu'il n’en ait pas publié Ja figure spéciale; ear il est très-probable que
cette fois ce ver était différent des petits vers de Ja figure 3 ci-dessus. En effet,
cette observation est rapportée dans le 4° livre qui ne parut que 30 ans après
les trois autres; la détermination de l'espèce de l’insecte n’a pu être influencée
alors par l'oubli des renseignements du dessinateur.
APERÇU SUR LE LIVRE DE NICOLAS ANDRY-
Nicolas Andry, docteur régent de la Faculté de Paris, professeur des écoles
de Ja même Faculté et conseiller lecteur du roi, publia, en 1699, son ouvrage
De la génération des vers dans le corps de l'homme; ce livre eut un succès de
vogue et de critique qui, jusqu’à la mort de l’auteur (1742), en multiplia les
éditions, les unes en un volume, les autres en deux, les unes renfermant les plan-
ches ployées dans Je texte, les autres composées du texte in-12 et d'un atlas in-4°
de 19 pl. avec explication des figures.
Ouvrage de compilation plutôt que de découvertes personnelles, ce livre fit
presque révolution en France (***), où le dogmatisme de la Faculté, tout bouffi
d'entités et de causes occultes, arrêtait si peu ses regards sur la vermination,
(*) Tozpius, lib. II, cap. 51.
{**) {dem., Obs., lib. IV, cap. 12.
(+) C'est souvent toute une révélation, que le simple groupement de faits qui, isolés les uns àes
autres, n'avaient eu jusque-là aucune bien sailiante signification,
NOTE SUR LE LIVRE D’ANDRY. 371
qu'on eût dit que ce fût une question antédiluvienne. On attaqua en France le
livre et l’auteur, comme si la question des vers n'avait été autre qu'une grosse
hérésie venue du pays allemand. Car alors l'Allemagne médicale observait, et la
France médicale, qui faisait fi dela France chirurgicaie dévolue aux vils barbiers
barbants, la France médicale dissertait et prononçait, du haut du fauteuil doc-
toral, des arrêts dent le texte faisait article de foi, qu'il fallait croire et non
diseuter. Les mots du jargon médical étaient signes d'idées mais non de faits
observés ; avec un peu d’audace, Sganarelle parlait aussi bien que le plus savant.
Le livre d'Andry ne se distingue ni par la nouveauté des faits ou l'importance
des découvertes, ni par le style, ni par la classification, et encore moins par les
notions d'histoire naturelle. C’est un recueil de faits empruntés aux divers au-
teurs, et de figures, souvent informes, qu'il ne prend pas la peine de déterminer.
Ce qui lui appartient en propre, c’est a partie qui traite du fænia, à qui il donna
le nom de ver solitaire, mot qui est resté malgré la fausseté de l'hypothèse (").
Les faits relatifs au {ænia lui sont pérsonnels : mais ils n’ont rien de plus re-
marquable que tous les faits analogues publiés avant lui par une foule d'au-
teurs. Il était si pauvre de son propre fonds, qu'il s'est amusé à faire graver tous
les individus de cette espèce qu'il a pu recueillir dans sa clientèle, quoique ces
individus appartiennent tous à la même espèce, et ne diffèrent sur ses planches
que par la manière dont il les représente dévidés autour des branches d'arbres ;
idée qu’il aura pu emprunter à la grossière plaisanterie qu'en font les paysans,
lorsqu'ils en rendent d’entiers: ils en mesurent la longueur en les dévidant d'un
arbre à un autre, comme des aunes de rubans,
CHAPITRE IT, — COURS DE MÉTÉOROLOGIE
APPLIQUÉE À L'AGRICULTURE (surre).
(Voy. pag. 342, livr. de juin 1855.)
6 20. — THÉORIE ET FORMATION DE L’ARC-EN-CIEL (**).
143. Je ne viens pas répéter ce que tout le monde sait et ce que tout le monde
répète sur la cause physique des couleurs de l'arc-en-ciel. Le prisme nous re-
produit cette décomposition lumineuse, par suite des lois de Ja réfraction, Nous
voyons les couleurs chatoyantes de l'arc-en-ciel dans les gouttelettes de rosée,
dans les gerbes des cascades d’eau, qu'éclaire un rayon de soleil, etc.
La lumière, en traversant une substance transparente, taillée à facettes ou ar-
rondie, réfracte la lumière blanche, la décompose en lumière diversement colorée,
et la réfléchit ensuite ainsi décomposée, en sorte que le spectre solaire est tout
aussi visible derrière que devant l'objet réfracteur,
144. Mais ce qui reste inexpliqué, c’est de savoir pourquoi, dans le phéno-
(*) Voy. livr. de déc. 1854, pag. 142.
(**) A la fin du dernier article de météorologie j'avais promis d'aborder dans cette livraison les bases
d'une démonstration dont l'application nous fournira tôt ou tard le moyen de predire les retours ces
pluies et du beau temps, avec la même probabilité que nous pouvons prédire le retour d'une comète,
J'ai dû renvoyer cette démonstration au volume suivant de la Revue, c'est-à-dire à la livraison d'août:
1° parce que le sujet est distinct de celui qui nous a occupés dans tout le cours de ce premier volume;
2 parce que la théorie de l'arc-en-ciel, des couronnes et halos, est le complément final de cette pre-
mière partie du cours,
572 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
mène de l'arc-en-ciel, le spectre solaire affecte si régulièrement la forme d’un are
de cercle, pourquoi l’arc-en-ciel ne forme jamais un cercle complet, et enfin
pourquoi il n'apparaît qu'à la suite d’une éclaircie. Ce sont ces trois points de
vue que nous allons élucider dans ce paragraphe.
145. L’arc-en-ciel n’est tel que par sa forme et la circonstance de son appari-
tion; car les couleurs que l’on compte dans son ruban se reproduisent très-sou-
vent sur les nuâges, aussi nombreuses, aussi fondues entre elles et quelquefois
bien plus distinctes les unes des autres que dans l’arc-en-ciel.
Nous avons fréquemment ici, dans les Flandres, des soirées où le couchant
s'embrase de telle sorte que, si l’on ne s’orientait pas, on prendrait ce phénomène
pour une aurore boréale. Souvent toute la moitié du ciel parait en feu et l’autre
moitié teintée d'une dégradation indéfinie de pourpre. Des rayons plus ou moins
colorés s’échappent en divergeant autour d’un nuage, et forment, de la manière
la plus grandiose, une de ces gloires que les sculpteurs catholiques se plaisent à
représenter autour de Ja grande rosace du fond du chœur, qui DATE au centre le
Saint-Esprit.
Tous les objets terrestres se revêtent d’une teinte de flamme; les arbres s’en
illuminent, leur feuillage scintille de reflets dorés ; le tronc des peupliers parait
en feu, et les maisons ont un reflet métallique.
Ce pourpre du couchant se nuance de teintes violacées, jaune d’or, orange; et
tout ce qui n'est pas ainsi enflammé parait bleu intense, un peu vert sur les
bords. Mon journal ne laisse jamais passer sans les noter ces effets grandioses et
éblouissants d’une belle soirée flamande, et qu’on révoquerait en doute, si on
la voyait reproduite par le plus habile peintre sur un paysage. Je ne sache pas
un tableau flamand, si riche de lumière qu'il soit, qui ait jamais reproduit rien de
semblable. Sur quoi s’arrêteraient les yeux, si Le ciel d’un tableau flamboyait de
la sorte et ruisselait ainsi de lumières colorées, de gerbes de toute espèce de
feux? À un tel spectacle on ne saurait plus voir les objets terrestres qu’à vol
d'oiseau.
146. D’autres fois, au lever ou au coucher du soleil, l'horizon est orné d’une
écharpe tricolore ou bicolore et non interrompue, le bleu formant la bande
inférieure qui touche la terre, et le rose formant la bande supérieure qui se
dégrade et se perd peu à peu dans le ciel. La largeur de cette écharpe est
quelquefois de dix degrés; c’est un vrai arc-en-ciel horizontal.
147. Ces couleurs se reproduisent le matin et le soir dans les temps de neige;
et l'on remarque alors que tout ce que les rayons du soleil levant ou couchant
éclairent est teinté de rose, et que toutes les autres surfaces qui restent dans
l'ombre ont une teinte bleue très-prononcée.
148. Le même phénomène, quej'appellerais volontiers de coloration consécutive,
se reproduit également sur les nuages de neige (72). Toutes les fois qu'un
nuage frappé des rayons du soleil se teintera de rose, il est sûr que la portion
du nuage qui est dans l'ombre vous paraitra d’un magnifique bleu; l'ombre du
rose, c’est le bleu.
149. Enfin, ces sortes d’iris désordonnés flamboient, scintillent, permutent,
déplacent, nuancent leurs couleurs de seconde en seconde, d’une manière si
rapide et si fugitive, que le pinceau et la plume ne sauraient les suivre, et que
la mémoire la plus tenace ne pourrait en conserver la disposition et encore
moins les évolutions.
Les couleurs de l'iris ne sont done pas l'apanage exclusif de ce phénomèan :
NOUVELLE THÉORIE DE L'ARC-EN-CIEL. 375
météorologique. Mais ce qui appartient exclusivement à ce phénomène, c’est la
forme en are de cercle et l'apparition de ce phénomène uniquement par les
temps pluvieux. Occupons-nous donc de la cause qui en détermine la forme et
l'apparition.
159. 4° ForME DE L'iRIS OU ARC-EN-CIEL. Jamais l’arc-en-ciel ne se montre,
lorsque le soleil frappe en plein le nuage, et que son disque n’est caché à nos
yeux par aucun nuage. Les rayons lumineux, qui arrivent à l’arc-en-ciel et en
déterminent les réfractions, y sont toujours réfléchis par le bord d'un nuage de
neige interposé. La coloration de l'arc-en-ciel vient donc de la réfraction de la
portion de l'atmosphère sur laquelle les rayons lumineux arrivent; et sa forme
demi-cireulaire vient des bords du nuage qui réfléchissent les rayons lumi-
neux.
151. Or, pour que les rayons réfléchis aillent se peindre en arc régulier de
cercle, il faut de toute nécessité qu’ils soient réfléchis par une surface courbe et
cylindrique ; ce que l’on pourra reproduire en faisant tomber sous un certain
angle les rayons Ilümineux sur un cylindre de verre, un vase verni de forme
cylindrique, de manière que les rayons réfléchis aillent retomber à leur tour sur
un plan opposé diamétralement au foyer des rayons lumineux.
Il se formera alors sur ce plan un arc lumineux blanc, d’une régularité d'au-
tant plus parfaite, que la surface cylindrique réfléchissante sera plus régulière.
152. Si ce plan est une nappe d’eau qui tombe en pluie, vous aurez alors un
arc-en-ciel artificiel en tout conforme à l'arc-en-ciel météorologique.
153. Le phénomène d'un arc blanc se représente ici chaque jour à mes yeux,
à peu près vers le coup de dix à onze heures, par un ciel serein. La rampe de
mon escalier est en bois verni et le bord en est moulé sur un cylindre; sa direction
allant d'est à ouest, la fenêtre du palier qui est au sud permet au soleil, vers
dix à onze heures, de frapper ce bord semi-cylindrique de ses rayons, qui vont
se réfléchir sur le mur opposé de la rampe, en arcs blancs concentriques entre
eux, et formant exactement le demi-cercle. Si le mur était imprégné de goutte-
lettes d’eau, ces ares blanes deviendraient multicolores et reproduiraient le phé-
nomène des arcs-en-ciel météorologiques, le bord de la rampe réfléchissant sur
le mur et la rosée du mur réfractant les rayons du soleil réfléchis par la rampe.
Nous aurions alors la reproduction réalisée sur une petite échelle de la théorie
de l’arc-en-ciel, que nous allons démontrer d’une autre façon.
454. 2° ArpariTion. L'arc-en-ciel n'apparaît jamais que par une éclaircie, qui
permet aux rayons du soleil de frapper la partie opposée d’un ciel sombre.
455. L’arc-en-ciel est toujours le demi-cercle de la base d'un cône dont le
soleil tient le sommet.
156. Le plan sur lequel se projette l’arc-en-ciel est toujours vertical.
157. Ce plan n'est jamais accidenté, mais parfaitement uni. Dès qu'un nuage
s'y promène et s'y dessine, l’are-en-ciel disparait en cet endroit, et l’on n’en voit
que la branche qui se peint sur la portion de plan non accidentée.
158. L’arc-en-ciel ne parait jamais pendant qu'il pleut là où on l’observe; il
ne se montre qu'à l'approche ou après le passage du nuage pluvieux.
159. Pour celui qui désormais observera sous l'influence de ces données, il
restera démontré que l’arc-en-ciel ne se dessine que sur un rideau de pluie qui
tombe par calme et perpendiculairement sur la terre, à une certaine distance du
lieu de l'observation. La distance où se peint l’arc-en-ciel sur ee rideau de pluie
n'est souvent qu'à une centaine de pas de l'observateur, ainsi qu'on s'en assure
574 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
au moyen des points de repaire voisins, arbres et maisons, qu'on aperçoit par
transparence, derrière les deux bases de l'arc.
160. Évidemment ce sont les gouttes de pluie, petites verroteries à mille
facettes, qui décomposent les rayons réfléchis circulairement du soleil sur ce ri-
deau de pluie. Ne nous occupons pas encore de l'ordre des couleurs.
161. Quant à la forme semi-circulaire de l’are-en-ciel, nous en avons suf:
fisamment fait pressentir la cause. Les bords du nuage de neige qui cache à nos
yeux le disque du soleil, s’arrondissent, en fondant, en une surface cylindrique;
c'est ce qui arrive à tout bloc de neige ou de glace qui fond. Les rayons du soleil,
tombant obliquement sur une telle surface cylindrique, vont se réfléchir en moi-
tié d’are de cerele sur le rideau de pluie dont les goutteleites réfractent ces
rayons, en les réfléchissant de nouveau vers nos yeux.
162, Voilà tout le phénomène météorologique expliqué et rendu palpable. La
poésie, qui de tout temps s’est plu à personnifier les météores, avait traduit
tous ces faits en figures. L’are-en-ciel c'était Iris aux mille couleurs, à écharpe
multicolore, messagère de paix, qui venait dissiper l'orage et ramener le calme
dans les cieux. Mais la bonne Iris a, dans ses poétiques habitudes, des absences
d'esprit dont on ne lui tient pas compte. Le calme qui la révèle n’est pas tou-
jours d'assez longue durée pour tenir lieu d’un bienfait; et il arrive parfois qu’au
lieu d'arriver sur le dos de l'orage qui fuit, elle en forme l'avant-garde, et pré-
cède de quelques instants l’arrivée du nuage qui décharge sa pluie en avançant.
463. La disposition des couleurs de larc-en-eiel est un phénomène inhérent
au mécanisme de la vision, plutôt qu’à la nature physique du phénomène lui-
même. Les images colorées qui se forment en cercles concentriques dans notre
œil ont toujours la zone rouge en dehors et la zone bleue en dedans. Regardez
d'un œil fatigué un point lumineux qui brille dans l'ombre ou qui perce une
fente du foyer, celle d'une lumière qui scintille comme une étoile dans le loin-
tain, et vous verrez se former, autour de ce point éblouissant, une auréole, ur
cercle de couleurs concentriques disposées exactement eomme dans l'arc-en-ciel.
Nous avons expliqué le fait dans le nouveau Système de chimie organique et
dansla Revue élémentaire de médecine et de pharmacie.
464. On observe souvent plusieurs ares-en-ciel à la fois, tous concentriques,
contigus ou distants entre eux de plusieurs degrés. C'est qu'alors les rayons du
soleil sont réfléchis, sur le rideau de pluie, par des surfaces cylindriques de
même axe et de divers rayons, ou par des surfaces légèrement eoniques.
Vous reproduirez sur le mur ces emboitements d’ares, en y faisant miroiïter les
rayons du soleil, au moyen d'un goulot de bouteille.
165. Lorsque, par certains hasards de conformation de la surface réfléchis-
sante, l’une des sept prétendues couleurs manque à des ares-en-eiel eoncentriques,
on croirait les couleurs interverties, le blea en dehors et le rouge en dedans;
avec un peu d’attentton, on s'assure qu'il existe là une lacune et que cet are
anormal n'est qu’un assemblage d’ares incomplets.
166. Enfin il arrive, quoique très-rarement, qu'au lieu d’sres concentriques
il se forme des ares imverses et osculateurs; les branches de l’un s'élèvent vers
le ciel, pendant que les branches de l'autre s'appuient sur la terre. El faut pour
cela que la lumière du soleil s'échappe par une trouée et soit réfléchie par deux
surfaces eylindriques superposées et non concentriques; mais ce cas est infini-
ment rare.
167. On nous demandera pourquoi l'are-en-ciel n'est jamais qu'une moitié ou
NOUVELLE THÉORIE DES HALOS. 379
un moindre are de cercle? Cela vient de ce que l’arc-en-ciel ne pouvant se
peindre que sur un rideau sombre, et alors que le disque du soleil est caché
par le nuage, le nuage intercepte le restant du cercle dont une portion est réflé-
chie par l’un de ses bords. Les rayons du soleil ne peuvent tomber obliquement
que sur une fraction d'un cylindre; si le cylindre laissait passer tout le cercle,
les rayons du soleil n’en seraient pas réfléchis, puisqu'ils lui seraient en quelque
sorte parallèles ; ils éclaireraient tout le rideau de leur lumière blanche, dans la-
quelle se noie et disparait toute espèce de réfraction.
Cependant il arrive assez souvent que l'interposition de quelques corps célestes
ou météorologiques entre le soleil et nous soit dans le cas de former, sur Les nua-
ges sous-jacents, quelque chose d'analogue à un arc-en-ciel circulaire complet ;
ce phénomène non expliqué est connu en météorologie sous le nom de Aalos ou
couronne (*).
$ 21. THÉORIE DES HALOS OU COURONNES.
168. Les halos ou couronnes sont des cercles qui se dessinent autour du so-
leil et de la lune, très-rarement autour des planètes les plus apparentes.
Ce phénomène suppose l’interposition d’un nuage qui forme alors un éeran
transparent sur lequel se projette l'image. Mais il faut bien admettre aussi
l'hypothèse que ce phénomène est produit par l'interposition d’un corps céleste
ou météorologique circulaire, dont les bords réfléchissent ainsi les rayons lumi-
neux et les font diverger en un eône dont la base se dessine sur l'écran transpa-
rent. Voici deux faits remarquables qui militent en faveur de celte hypothèse.
169. Le98 juillet 4851, à Doullens, je pus observer l'éclipse desoleil, en notant
toutes les époques minute par minute, et même en observant à la fois le thermo-
mètre, le baromètre et la girouette. L'éclipse commença vers2 h.20 m.; vers 3h.
25 m. elle était à son maximun, le soleil ne débordant la lune que d’un minee crois-
sant. À ce moment il se forma une belle couronne de près 30° de diamètre, sur
ua écran de nuages vaporeux interposé ; et les bords de Ja couronne étaient assez
visiblement irisés. Le cercle était tronqué au sud-est par où le bord du soleil
était libre, et disparut quand le nuage eut passé. Évidemment ce halo provenait
de l'interposition de la lune, dont les bords déviaient les rayons du soleil, en les
projetant sur le nuage qui passait.
470. Vers le milieu d'avril 1852, nous avons pu observer, de la citadelle de
Doullens, un phénomène entrêmement curieux qui, pendant quatre à cinq jours
au moins, précédait chaque fois l'apparition du soleil au-dessus de notre horizon ("*).
Vers les 5 heures du matin, on voyait émerger, au-dessus de l'horizon, juste au
point où allait se lever le soleil, une colonne rougeâtre perpendiculaire à la ligne
de l'horizon et d'une longueur environ de 15°; à part sa coloration rouge, elle
était assez semblable à une queue de comète. Ce rayonnement s’effaçait à mesuré
que le soleil se montrait au-dessus de l'horizon ; mais on pouvait même alors se le
rendre sensible, en interposant un corps opaque entre Je soleil et les yeux, ou en se
baissant un peu derrière lemur de ronde. Ce fut le 14 avril à 5 h. 45 m. que j'étu-
(*) Halo, en grec hâlos, vient du grec halo, aire circulaire où l'on battait le blé sous le pied des
chevaux, qui décrivent un cercle dont l'homme qui les tient par la corde occupe le centre en pivotant
sur ses pieds. Où confond le halo où couronne avec l'auréole jaunâtre à travers laquelle on distingue
50.4 1e disque du soie ou ue la lune, par un temps de brume ou de brouillard, soit uno lumière à
fiavers la buée ou la fumée.
(#1 Voy, Estafelie, 48 avril 4852,
576 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
diai le mieux le phénomène, par un magnifique ciel, par une température
de + 5°, et une hauteur barométrique de 760"" (réduite à zéro). Le 17 avril le
phénomène ne se reproduisit plus ; mais à 1 h. après midi une belle couronne so-
laire ou halo d'un diamètre de 50° se forma sur un large rideau de nuages
vaporeux, et dura complète jusqu’à 4 h. 1/4. La couronne était alors échancrée
grandement, il n’en restait plus qu'un arc de 90° au nord-est et un autre de 30°
au sud; l'intérieur de l'arc était d’une belle couleur orangée. A 1 h. 50 m. tout
avait disparu, en même temps que le nuage; le ciel était déblayé.
Ces deux ordres de phénomènes émanaient évidemment de l'interposition d’un
corps astronomique, d’une comète sans doute entre le disque du soleil; dans le
premier cas et par suite d’une certaine position, on voyait la queue ou le
rayonnement de la comète, et dans le second l'irisation des rayons du soleil pro-
jetée sur le nuage par les bords du corps interposé.
171. Maintenant, que des corps, soit météorologiques, soit célestes, viennent
accidentellement s’interposer entre nos yeux et nos grands luminaires, sans pou-
voir être distingués par nous, c’est ce qu'on ne saurait refuser d'admettre,
aujourd'hui que nous n’avons plus, pour brider l'élan des études scientifiques,
ces vieilles chevilles du progrès, dont la lourde autorité quasi-ofhcielle a rendu
le progrès si lent et ses efforts si pénibles pendant nos derniers quarante ans.
Les plus volumineux de ces corps sont dans le <as de passer invisibles à nos
yeux, quand leur image va se noyer dans les flots de lumière du soleil : témoin
notre satellite, que nous ne distinguons nullement dans sa conjonction, et dont la
présence ne nous est signalée en temps d'éclipse que par la portion du disque
solaire dont il intercepte la vue et qu'il écorne de noir; tout le reste de son
disque, qui reste en dehors de celui du soleil, se confond avec l'atmosphère, et
ne se dessine à nos yeux pas même par ses contours.
Qu’y a-t-il done d'étonnant qu’une comète passe inapercevable sous le disque
du soleil, ou bien qu'un immense nuage de glace dévie sans être vu les rayons
lumineux du soleil et de la lune (*)?
RÉSUMÉ DE CES DEUX DERNIERS PARAGRAPHES.
472. 4° L’arc-en-ciel ne se forme jamais que dans un moment calme, et quand
la pluie, tombant perpendiculairement à une courte distance du spectateur, forme
un rideau opposé au soleil.
29 L’arc-en-ciel ne peut se former ainsi qu’à l’est, à l’ouest ou au nord.
3° Pour qu'il se forme sur ce rideau de pluie, il faut que la lumière du soleil
y soit réfléchie par les bords du nuage de neige qui eache cet astre.
4° Il faut de plus que la surface réfléchissante ait été usée par la fusion de ma-
nière à prendre une courbure cylindrique.
5° L'arc-en-ciel arrive donc quelquefois avant la pluie, mais le plus souvent
après l’averse. 11 n’annonce pas la fin de l'orage, mais il le suit et quelquefois le
précède.
6° L’arc-en-ciel ne peut jamais former un cercle complet, à cause qu’un seul
bord de nuage réfléchissant concourt à sa formatton.
() Le 27 septembre 1849, vers les 4 heures du soir, on aperçut à Castéra-Verduzan (Gers), un
arc-en-ciel renversé, c’est-à-dire les branches en haut, au couchant même. C'était évidemment un
halo incomplet, plus irisé que les autres. Les rayons du soleil, réfléchis d'abord par le dessous d'une
sphère de glace, se réfractaient en passant à travers un nuage de glace interposé.
DRAIN, DRAINAGE, ÉGOUT, ÉGOUTTOIR. 01
7° Quand la surface réfléchissante est accidentée et non lisse et cylindrique, les
couleurs de arc-en-ciel s'éparpillent sous le ciel nuageux, dans le plus complet
désordre, mais avec des teintes plus tranchées.
8° Un corps sphérique, qui s'interpose entre l'un ou l'autre des deux grands
luininaires et les nuages transparents, nous donne, par la réflexion de ses bords,
un arc-en-ciel par transparence qui prend le nom de halo ou couronne.
(La suite au prochain numéro.)
CHAPITRE IV, — AGRICULTURE.
DRAIN, DRAINER, DRAINAGE ; ANGLOMANIE, SOTTE MANIE.
_ Le 10 mars dernier, nous recevions de Dijon une lettre intéressante de l’un de
nos abonnés les plus instruits, M. A. Bouhin (‘), contrôleur de travaux de che-
mins de fer ; entre autres réflexions, M, Bouhin nous disait :
« J'entends dire tous les jours que le drainage est l’une des plus belles inven-
Lions de notre siècle; ne pourriez-vous pas réduire à leur valeur ces assertions
au moins exagérées ?»
La réponse à cette question, l'abondance des matériaux nous a empêché de la
donner plus tôt. La voici :
ÉTYMOLOGIE.
Drain est un mot anglais qui signifie une tranchée, un luyau pour égoutter les
eaux, un égout. Pourquoi prenons-nous ce mot, puisque notre langue en possède
qui signifient la même chose ? Pourquoi ne dirions-nous pas {uyau d'égouttage, ou
simplement égout ou plutôt égoultoir, qui signifie tuyau pour égoutter, et que les
* Latins désignaient sous le nom de stillicidium, c'est-à-dire tuyau ou tranchée
disposée de manière à soutirer, goutte à goutte, l’eau qui nuit à un terrain ?
Tranchée, séchoir, tuyau, égout, égouttoir, etc., vous le voyez, nous ne man-
quions pas de termes pour désigner Ja même chose ; pourquoi a-t-on eu recours
à l'anglais pour lui mendier un nom ?
(*) Parmi les bonnes observations que nous a fait parvenir M. A. Bouhin, nous avons remarqué :
1° la description et le dessin au crayon d'un développement anormal de la patte d’une perdrix mâle
qui se couvrit de nodosités cornées aux doigts et aux ongles. Cette perdrix avait été capturée par le
chien dans les champs ; ce fut dans l'état de domesticité que ce mal la prit. Cette déformation a pu
être causée, soit par le parasitisme des acares, soit par l’absorption de quelques sels mercuriels
communiqués au sol avec les déblais des ordures.
2 L'observation d'une liguloyénose (maladie causée par la ligule) qui a envahi pendant l'été de
1854 les poissons blancs du canal de Bourgogne. On rencontrait moins de ces poissons malades dans
le port où l'on goudronne les bateaux, le goudron étant un éminent vermifuge; on n’en trouvait
point de malades dans la rivière d'Ourche.
3° Le phénomène d'optique suivant : creusez un tuyau conique à travers l'axe d'un bouchon, plan-
tez une épingle dans la grande ouverture, perpendiculairement à l'axe, appliquez votre œil contre
celte grande ouverture, vous verrez l’épingle se dessiner reuversée dans l'espace par la petite ouver-
ture. Ce phénomène ne nous paraît réalisable que pour des yeux myopes ; nous avons vainement
essayé de le reproduire avec nos yeux presbytes, et avec des yeux plus jeunes que les nôtres ; c'est
un renversement d'images par suite du court foyer des premières chambres de l'œil, ce qui fait que
le point voyant, n'étant pas à leur foyer, reçoit l'image renversée de l'épingle placée trop près de la
cornée transparente trop bombée, Le tuyau n'intervient là que pour intercepter la trop grande lumière
qui rendrait la vision du phénomène moins distincte.
378 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Je l'ai dit bien souvent, la science de l’agriculture réside en grande partie
dans les mots, dans ce qu’on appelle la théorie. Le paysan sait faire pousser les
plantes, l’agronome veut savoir en parler à sa manière; car dans son langage le
paysan en parlé tout aussi bien et même mieux que l’agronome. Mais l'agro-
nome, en employant des termes inconnus au paysan, a l'air de mieux entendre la
culture que celui qui cultive, et d'avoir le droit de lui donner des leçons d'auto-
rité. Un mot anglais (anciennement c'était le grec ou le latin), un mot anglais,
exprimé dans le speech (cela signifie discours, allocution) que le président d'un
comice agricole prononce au début de la séance, donne à celui-ci une autorité
doctorale devant laquelle la plus vieille pratique doit baisser pavillon.
Un président qui traite la question du drainage ne vous parait-il pas plus so-
lennel et d’un caractère plus grave, d’une condition mieux élevée, que celui qui
vous dira, dans lë Jangage de vos pères, qu’il va vous parler de la question de
l'égouttage? Avec ce mot seul de drainäge cet homme est dans le cas de passer
pour parler admirablement l'anglais, et c’est un grand mérite.
La langue anglaise, qui nous a emprunté la moitié de ses mots, depuis la con-
quête de nos Normands, semble vouloir reprendre sa revanche, en nous déco-
chant de temps à autre quelques-uns de ses mots empruntés à ses premiers con-
quérants, les Saxons et les Danois; et elle doit rire souvent dans sa triple barbe,
en nous les entendant estropier de la manière la plus grave du monde.
Nous avons un Jockcey’s club; ce qui signifie un club de petits domestiques,
d’après l'anglais, quoique ce club (société) ne soit composé que de brillants ca--
valiers: ces cavaliers, pour paraitre savoir l'anglais, s’intitulent domestiques :
égalité devant le langage anglais.
Savez-vous ce que signifie le turf ? Il signifie pelouse. Ignorant, vous courez
sur la pelouse; l'homme de bon ton ne peut et ne doit courir que sur le twrf.
Voyez se lever à table ce grave monsieur, vieux client de Broussais, condamné
à l'eau claire; il tient pourtant à la main un rouge bord qu'il ne saura pas boire,
et il promène majéstueusementses regards sur tous les convives qui boivent mieux
que lui; silence ! chut!.….
Vous croyez qu'il va vous porter une santé? Fi! que c'est bourgeois! ou vous
porter une brinde? Fi donc! que c’est vieux et bourguignon!
Il vous porte un toast, et encore, malheur à lui s’il ne prononce pas tost!
Voilà du moins qui est du beau langage!
Or, savez-vous ce que signifie un toast (prononcez tost)? cela ne signifie ni plus
ni moins qu’une rôtie, Ce monsieur vous porte une rôtie, en vous présentant ce
verre de vin qu'il va faire semblant de boire, lorsqu'il n'aura plus à parler; ce
vin français est une rôtie anglaise ; buvez la vôtre en mémoire de lui ou de la
sienne. Et voilà la fureur des rôties (toasts) qui prend toute la table, et l'on se
porte toast sur toast, le bras tendu, la tête haute, mais sans gesticuler, crainte de
verser sur la table une goutte de larôtie, ce qui serait un mauvais présage pour
le succès du speaker, j'allais dire de l’orateur.
Tenez, grands phraseurs de drainage, vous n'êtes que des anglomanes, rien de
plus, rien de moins, tout autant que les Jockey's clubistes, les porteurs de toasts ou
de rôlies, les coureurs sur le turf, ete. Verba et voces, prætereaque nihil: Nous
ne savez que deux mots (l’un écrit et l’autre prononcé) de plus que les autres, et
rien autre de plus qu'eux.
Paysans, vrais savants en agriculture, vous pouvez donc dire aux grands par-
leurs sur l'agriculture: « Votre praix n'est qu’un égouttoir; quand vous drainez
LE DRAINAGE OU ÉGOUTTAGE EST-IL UNE INNOVATION? 379
vous égoultez; votre art du drainage n'est que la plus simple opération de l’é-
gouttage. Tenez, en un mot, illustres drainewrs, mettez la main à la pioche et
vous ne serez, comme nous, que de modestes égoutteurs, »
Voilà pour le mot, venons-en à l'idée.
LE DRAINAGE OU ÉGOUTTAGE EST-IL UNE INNOVATION ?
Pratiquer des saignées dans une terre humide pour la débarrasser du trop-
plein de l’eau qui est son sang, c'est une idée contemporaine de celle qui décou-
vrit que certaines plantes cultivées ne viennent pas dans l’eau.
De temps immémorial, en certains pays, pour rendre propres à la eulture du
foin, des légumes et même des céréales, certains terrains bas et sujets à être inon-
dés, on y creuse des fossés de deux à trois pieds qui se croisent en losanges, ce
qui facilite l'écoulement des eaux mieux que ne ferait un réseau par carrés. Sur
l'aire de chaque maille de ce réseau le foin devient magnifique, l’eau n’arri-
| vant qu'aux dernières ramifications des racines des plantes, et ne montant plus
haut que par la puissance de la capillarité qui n'apporte aux racines supérieures,
atome par atome, que la quantité de séve terrestre que la séve végétale peut ab-
sorber et élaborer. Dans des lieux ainsi disposés, les céréales n’auraient pas à re-
douter la sécheresse, et, quant aux cultures légumières, on y est dispensé de les
arroser.
J'irai plus loin et je soutiendrai même que dans toute espèce de terrain, füt-il
très-sec, un pareil réseau de fossés de deux à trois pieds de profondeur, servirait
à quadrupler le produit de la récolte du blé ou autres céréales, 4° parce que l'eau
de pluie, séjournant plus longtemps dans le fond des fossés, entretiendrait plus
longtemps l'humidité de la terre de chaque carré; 2° parce que l'humidité de la
" rosée des nuits que recueillerait le fond des fossés s’évaporerait moins vite;
5° parce que ces fossés, servant d’égout au trop-plein du fumage des carrés, four-
niräient chaque année par le eurage un nouveau fumage à chaque carré même ;
4° parce que les plantes fourragères, amies de l'humidité, croissant d' elles-mé-
mes au fond de ces fossés entretenus humides par leur profondeur même, utili-
seraient de la sorte ces espaces creux, autrement improductifs.
Quant au rendement de chaque carré cultivé, de chacune de ces mailles sail-
lantes de ce vaste réseau, il serait, je le répète, quadruplé par l'effet de cette
disposition alternative de creux et de reliefs.
Il y a près de 25 ans que, nous occupant de cette question d'égouttage dans
'Agronome, unique journal d'agriculture à cette époque, nous conseillions aux
propriétaires de terrains glaiseux et dévorés de prèles (equi setum), de tussilage
ou pas-d'âne (tussilago) et autres parasites de terrains humides, nous conseil-
lions, dis-je, de pratiquer des conduits souterrains de la manière la plus écono-
mique, en même temps que la plus profitable et la plus durable.
En effet, à mesure que l'on creuse une rigole dans la direction de la déclivité
du terrain, on bâtit au fond un conduit à elaire- -voie, au moyen de deux rangées
de pierres quelconques ou plâtras posés de champ, et d'une rangée de pierres
posées de travers et en plancher, Un pareil conduit eriblé ainsi d'interstices per-
méables à l’eau, égouttera la terre superposée, et conduira vers les bas-fonds
l'eau provenant de cet égouttage et que le fond du conduit n’absorberait pas.
Le conduit une fois ainsi construit en pierres sèches, on comble le fossé, et ce
travail accessoire de terrassement et de remblais est de plus un admirable
labourage.
380 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Quelques propriétaires, à la lecture de cet article, se mirent à l'œuvre , et
cette idée exprimée en termes français ne porta aucun nom scientifique.
Le drain n'est qu'un tuyau organisé sur ce modèle, et qui coûte beaucoup
plus cher, sans en avoir les mêmes avantages; car les trous s’en obstruent plus
facilement que les interstices des pierres; et bientôt les drains ne tiennent plus
lieu que de tuyaux de conduite, ce ne sont plus des tuyaux d'égouttage; ce sont
des conduits de source et non des égouttoirs; utiles à leurs deux extrémités et
inutiles sur leur passage. -
Puissance d’un mot dont la pédanterie qui écrit puisse se servir pour jeter de la
poudre aux yeux du bon sens qui laboure! Le drainage (ce simple tuyautage) est
devenu un engouement tel, que chaque propriétaire, envieux de dire quelques
mots, parmi la foule de mots qui se disent aux comices agricoles, se met à
drainer son champ, afin de pouvoir en drainer son langage. On drainerait, je
crois, les landes sablonneuses et les terrains brülés des hauteurs de Mont-
Rouge, afin d'avoir deux mots à en dire dans les réunions où l’agron ome dis-
serte et où le paysan écoute.
C'est une drainomanie à ruiner un Crésus, et dont aucun agriculteur n’est
dupe. |
A l’agriculteur je me contenterai de dire : Etudiez votre champ, avant de rien
catreprendre, dans son sol et son sous-sol. Si le sous-sol en est argileux et forme
une couche peu épaisse, perforez-la de distance en distance au moyen d'une
vrille gigantesque destinée à forer les puits artésiens; ces quelques coups de
vrille vous vaudront le plus compliqué des tuyautages; chaque trou deviendra
ainsi une espèce de puisard. Cette idée accessoire, que nous publiâmes en même
temps que la première, se trouve avoir été mise en pratique en Hollande, et y
est préférée à celle du tuyautage.
Si ce parti ne vous est pas possible ou vous parait trop dispendieux, saignez
votre terre, comme nous vous l'avons dit plus haut, ou pratiquez-y un tuyautage
souterrain en simples pierres sèches ramassées dans les déblais, les décombres,
sur les chemins ou dans les carrières du voisinage; votre œuvre, simple comme
son mot, vous sera plus facile, moins coûteuse et plus féconde que les opérations
à grands mots qui remplissent la bouche et vident la bourse.
a
CHAPITRE V. — GALERIE MÉDICALE.
(Voy. livr. de mars 1855, pag. 262.) :
JEAN-JACQUES ROUSSEAU MALADE.
J.-J. Rousseau était sexagénaire lorsqu'il conçut l’idée, pour mieux réfuter au
tribunal de la postérité la calomnie qui s'acharnait après son nom, de faire l'aveu
de ses erreurs de jeunesse, dans le livre de ses Confessions, ce modèle immortel
de loyauté et de style. Il écrivit ce livre dans les intermittences d’une affection
: qui l’a suivi jusqu’au tombeau.
Je me propose de rechercher dans cet artiele : 4° la nature et la première
date de ce mal; 2° quelle en a été la cause 5° ainsi que l'influence.
JEAN-JACQUES ROUSSEAU MALADE. 381
$ 4. CARACTÈRES DE LA MALADIE DE JEAN-JACQUES, ET DATE DE SES PRE-
MIÈRES ATTEINTES.
De retour de Venise, J.-J. Rousseau se lia avec les Encyclopédistes et plus
particulièrement avec Diderot. Nous sommes en 1749, et Rousseau est âgé de
57 ans: c'est une année mémorable et, pour ainsi dire, fatale de sa vie; car c’est
celle où il concourut pour le prix que venait de proposer l'académie de Dijon,
sur la question de savoir : Si le progrès des sciences et des arts a contribué à
corrompre ou à épurer les mœurs, et où son intime ami, son ami de cœur et
d'opinion, Diderot, fut incarcéré à Vincennes, pour s'être permis, dans sa -Lettre
sur les aveugles, quelques traits personnels, dont Réaumur et sa maitresse,
Me du Pré Saint-Maur, avaient été choqués ; de tout temps les académiciens ont
été une race irritable et qui ne recule pas devant les lettres de cachet.
Cet emprisonnement frappa au cœur tout autant Jean-Jacques que Diderot
lui-même. On eût dit que notre philosophe aurait voulu partager le sort de son
ami prisonnier, tant il se montra assidu dans ses visites; son amitié pour Dide-
rot prenait le caractère d'un eulte. Dans le courant de mon inearcération au
Donjon, j'ai retrouvé au-dessus de la porte du eachot qu'avait occupé Diderot,
et sous le badigeonnage par lequel la geôle avait tenté de l’effacer, cette inserip-
tion latine en lettres lapidaires : Carcer Socratis templum honoris (la prison de
Socrate est le temple de l'honneur). Cette inscription est de Jean-Jacques ; elle
est en lettres majuscules fort régulières ; eùt-elle été obtenue avec des lettres à
jour, elle aurait demandé un temps et une patience qui démontreraient que Jean-
Jacques dans ses visites n'était pas avare de son temps. A cette époque, les ge-
liers enfermaient les visiteurs avec les prisonniers, et les laissaient converser sans
surveillance, et même se promener librement dans la grande salle.
Les chaleurs de cette époque de l'année étaient terribles ; Vincennes était à trois
lieues de la rue Plâtrière qu'habitait Rousseau, et ses moyens ne lui permettaient
pas de prendre un fiacre. Sonsang bouillonpait déjà assez et d'indignation à la vue
de la prison de son ami, et de l'inspiration sous l'influence de laquelle il travail-
lait à la solution de la question philosophique proposée par l'académie de Dijon
(l'Académie française n'en était encore alors à tirer ses sujets de prix que de
quelque verset des Écritures). Un jour, en arrivant à Vincennes, Jean-Jacques
se trouva dans une agitation qui tenait du délire; Diderot s'en aperçut; pour
lui en expliquer la cause, Jean-Jacques lui donna lecture de la prosopopée de
Fabricius, qu'il venait d'écrire au crayon sous un chêne. Diderot, vivement im-
pressionné par cet échantillon, l'exhorta à donner de l'essor à ses idées et à con-
courir au prix. Rousseau suivit ce conseil, et son discours, couronné l'année sui-
vante, eut un tel succès à l'impression, que Diderot, qui s'était chargé de le
publier, lui écrivit ce billet : /l prend tout par-dessus les murs; il n'y a pas
d'exemple d'un succès pareil. Mais Jean-Jacques paya doublement cher ce beau
triomphe : Les fatigues du voyage déterminèrent chez lui, une « NÉPHRÉTIQUE
VIOLENTE depuis laquelle, dit-il, je n'ai jamais recouvré ma santé; » et ailleurs il
ajoute cette réflexion émanée d’un désillusionnement qu'il ne faut pas prendre
sur parole: « Tout le reste de ma vie et de mes malheurs fut l'effet inévitable de cet
instant d'égarement (*).» Un écrivain qui, à son premier début, se révèle avec une
telle trempe de style et un tel ordre d'idées, ne pouvait manquer de soulever
(*) Confessions, livre VII.
382 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
contre luietla jalousie des écrivains en titre et le fanatisme des dévots organisés ;
d'un autre côté, un tel discours était évidemment le germe de tout un système
d'appréciation de la société contemporaine. C'était le début d'une mission révolu-
tionnaire, et d’un combat à outrance d’un contre mille : grande lutte quivbrise
jusqu’au vainqueur.
Or l'écrivain, qui venait d'acquérir d'un seul coup le titre de premier prosateur
de l'époque, n’avait pour vivre qu'une place de caissier dans les bureaux du re-
ceveur des finances Francæil, beau-fils de M®° Dupin, l’aïeule de Me Dudevant
(George Sand). La fatigue de ce travail aride et fastidieux se joignant aux deux
autres espèces de causes d’irritation nerveuse, Rousseau tomba dans un accès de
néphrétique plus violent que le premier. Morand, malgré sa dextérité, lui fit en-
durer des souffrances incroyables sans venir à bout de le sonder, et déclara à
Me Dupin que dans six mois le malade ne serait plus en vie. Ces paroles, qui re-
vinrent à Jean-Jacques, décidèrent de ses habitudes ultérieures, en le faisant ré-
fléchir sur la bêtise, dit-il, de sacrifier le repos et l'agrément du peu de jours qui
lui restaient à vivre à l’assujettissement d’un emploi pour lequel il ne se sentait
que du dégoùt. Dès ce moment il dit adieu au monde, rompt en visière avec ses
us et ses pompes, se fait copiste de musique pour suflire à ses besoins journa-
liers; qu'avait désormais à faire dans le monde un malade condamné par les
sommités de la Faculté, et peut-être aussi encore plus maltraité par la Faculté
que par la maladie, comme il Le déclare lui-même ? « Je vis successivement, dit-il,
Morand, Daran, Helvétius, Malouin, Thierry qui, tous très-savants, tous mes
amis, me traitèrent chacun à sa mode, ne me soulagèrent point et m'affaiblirent
considérablement. Plus je m’asservissais à leur direction, plus je devenais jaune,
maigre, faible. Mon imagination qu'ils effarouchaient, mesurant mon état sur
l'effet de leurs drogues, ne me montrait, avant la mort, qu'une suite de souf-
frances, les rétentions, la gravelle, la pierre. Tout ce qui soulage les autres, les
tisanes, les bains, lasaignée, empirait mes maux. M'étant aperçu que les sondes
de Daran, qui seules me faisaient quelque effet, et sans lesquelles je ne croyais
plus pouvoir vivre, ne me donnaient cependant qu’un soulagement momentané,
je me mis à faire, à grands frais, d'immenses provisions de sondes, pour pouvoir
en porter toute ma vie, même au cas que Daran vint à manquer. Pendant huit ou
dix ans que je m'en suis servi si souvent, il faut, avec ce qui m'en reste, que j'en
aie acheté pour cinquante louis (1,200 fr.). »
Au retour d’un voyage à Saint-Germain (1753), s'étant senti plus dispos qu'à
l'ordinaire, à la suite des distractions et du mouvement de la promenade, il
pesa cette indication, et résolut de guérir ou de mourir sans médecins et sans
remèdes, vivant au jour la journée, restant eoi quand il ne pouvait plus aller, et
marchant sitôt qu'il en avait la force (‘).
Cette infirmité lui imposant des fréquents besoins de sortir, fut la prin-
cpale cause qui le tint écarté des cercles et l'empêcha d'aller se renfermer dans
la société des dames; l’idée seule de l’état où ce besoin pouvait le mettre était
capable de le lui donner, au point de se trouver mal; et rien n’était capable de
l'en distraire, pas même le succès de la représentation de son Devin du village, où
il occupait une loge en face de celle où se trouvait le roi; alors que son œuvre,
qui fit révolution en musique, souleva dès la première scène un murmure de sur-
prise et d'applaudissement jusqu'alors inouï dans ce genre de pièces; alors qu'il
{*} Confessions, livre VIN.
PET
J.-J. ROUSSEAU A ÉPINAY ET MONTMORENCY. 583
entendait autour de lui des femmes, qui lui semblaient belles comme des anges,
s’entre-dire à demi-voix : « Cela est charmant, cela est ravissant : il n'y a pas un
son là qui ne parle au cœur. »
Pendant les deux ans qu'il habita l'ermitage de M"° d'Épinay, de 1754
à 1756, et les six ans qu'il passa, de 1756 à 1762, soit dans la maisonnette que
M. Mathas, procureur fiscal du prince de Condé, lui avait louée au fond de son
jardin de Saint-Louis, à Montmorency, soit dans le petit château du pare de Mont-
morency, dont le maréchal de Luxembourg lui donna la clef jusqu'à ce que la
muisonnette de Mont-Louis eüt été réparée, Jean-Jacques n'eut pas un seul jour
de bonne santé; l'air est pur, mais par contre les eaux sont très-mauvaises à
Montmorency (‘), et il a raison de croire que cette circonstance ne fut pas étran-
gère à la recrudescence et à la complication de ses maux. Dès l'automne de 1758,
il tomba dans des souffrances sans relâche; et il passa toute l'année dans un état
de langueur qui lui fit croire qu'il touchait à sa fin ; le médecin Thierry, son ami,
qui vint le voir, ne le dissuada de rien moins que de cette idée. Les attaques
fréquentes de ses rétentions d'urine s'étaient compliquées d’une descente qu'il
gagna, un jour, en courant au rendez-vous de la femme qui lui inspira le plus
violent amour qu'il ait ressenti dans le cours de sa longue carrière, amour dont
la violence venait se briser, chaque fois, dans les plus ardents tête-à-lête, contre
le souvenir d’un ami absent et chéri des deux amants. L'image de Saint-Lambert
préservait Rousseau et sa Julie (M®° d'Houdetot) d'un oubli qu'ils auraient dé-
ploré tous les deux, comme un acte de félonie, Mais de ces sortes de luttes on
sort brisé et anéanti; le feu de l'amour dévore, quand il est sans issue. Il négli-
gea longtemps, faute de s’en douter, la nature de cette infirmité nouvelle; ce
fut Thierry qui l’éclaira sur son état, sans pouvoir le ramener pourtant de l’an-
tipathie qu'il avait conçue contre les ressources de la médecine.
Nous le trouvons, en 4761, dans un état si triste qu’il n’a plus la force de ren-
dre ses visites habituelles à son protecteur, à son ami, le maréchal de Luxem-
bourg. Ce seigneur, qui le visitait très-souvent et le voyait souffrir sans
relâche, vient enfin à bout de triompher de ses répugnances à l'endroit de la
médecine, et le décide à recevoir la visite du frère Côme, le plus habile sondeur
el lithotomiste du temps (**), que le maréchal amena avec lui, voulant assister
lui-même à l'opération du sondage. Rousseau n'avait jamais pu être sondé,
même par Morand; le frère Côme réussit à introduire une très-petite algalie
(sonde d'argent), après deux heures de tentatives douloureuses. Au premier
examen, le frère Côme croit sentir une pierre; à un second, il ne sent plus rien; à
ün troisième, il déclare positivement que la vessie ne renferme point de pierre,
mais que la prostate eët squirreuse et d’une grosseur surnaturelle; il trouve la
vessie grande et en bon état, et en résumé il déclare que son malade souffrirait
beaucoup, mais qu'il vivrait longtemps.
Si la seconde prédiction n'a pas eu son entier accomplissement, c'est par suite
d'une force majeure. Rousseau vécut encore seize ans; et sa mort a été enve-
loppée de tant de mystères, qu'elle n’a pas dù être naturelle; s'il n'est pas mort
comme Paul Louis Courier, il s'est vu en mourant dans les mêmes peines de
cœur; il n'a pas voulu survivre à l'estime que lui avait jusque-là inspirée Thérèse,
(*) Par les raisons que nous avons développées au sujet des eaux des Flandres, les sources de Mont-
morency ue doivent point donner une eau pureet saine. Car Montmorency est perché sur une colline
sablonneuse et gypseuse à une grande profondeur; tout passe avec l'eau à travers un pareil filtre.
(*) Voy. Revue complémentaire, livr, de mai 1855, pag. 326.
38% EVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
et voir trainer sur la litière le beau nom qu'il lui avait donné. Pour quitter
Mre de Warens qui se dégradait, il n'avait qu'à prendre la fuite; pour quitter
Thérèse, plus coupable encore, il n’avait qu'un moyen, c'était de quitter la vie;
or, Rousseau fut en toute occasion un homme de résolution et d'énergie; cet
homme, si sensible aux traits de ses persécuteurs et à l'abandon de ses amis, ne
sut jamais transiger avec la honte : Rousseau se suicida. L'épouse de J.-J. Rous-
seau put ainsi déroger à sa dignité, sans que la honte en rejaillit sur le beau nom
dont elle avait été décorée.
De 1749 à 1778, époque de sa mort qui eut lieu à Ermenonville au château
de M. de Girardin, c’est-à-dire depuis l’âge de 37 ans jusqu'à l’âge de 66 ans,
Jean-Jacques fut en proie à une difficulté atroce d’uriner (dysurie) (*) provenant
d’un engorgement de la prostate. Cette maladie eut ses époques d'intermittence,
de soulagement et de recrudescence. En Suisse, et dans ses autres pérégrinations,
le mal lui laisse de longs relâches, dont il profite pour se livrer, en toute liberté
d'esprit, à ses travaux, à ses inspirations et au sentiment de bonheur et d’extase
qu’inspirent les beaux sites de la Suisse, cette patrie marâtre qu'il ne cessa
jamais d'aimer. La prostate n'était donc pas squirrheuse, mais affectée d’une
tendance à s'engorger en certaines circonstances et sous l'influence de toutes les
causes qui jettent le trouble dans les fonctions de l'appareil urinaire. C'était
moins une maladie qu’une infirmité intermittente; car jamais Jean-Jacques
n'éprouva le moindre dérangement dans les autres fonctions de l’économie ; il faut
qu'il ait eu une tête et une constitution de fer, pour avoir enduré aussi impuné-
ment la persécution implacable, qui, pendant l’espace de vingt ans, ne lui laissa
ni trêve ni merei, ni même une pierre pour y reposer sa tête. Voilà sa maladie;
cherchons à en déterminer l'origine et la première cause,
\ 2. ORIGINE ET CAUSE DE LEA MALADIE DE J.-J. ROUSSEAU.
I n’est pas un malade qui ne cherche à remonter à l'origine ou à la cause de
ses souffrances; et cette étude sur soi-même est le premier auxiliaire du prati-
cien qui lui porte secours. Jean-Jacques crut trouver l'explication des tortures
qui, dès l’âge de 37 ans, le poursuivirent jusqu’à son extrême vieillesse, dans un
vice de conformation qu'il aurait apporté en naissant. « J'ai dit, écrit-il, dans
ma première partie, que j'étais né mourant. Un vice de conformation dans la
vessie me fit éprouver, durant mes premières années, une rétention d'urine
presque continuelle; et ma tante Suzon, qui prit soin de moi, eut des peines
incroyables à me conserver.Elle en vint à bout cependant; ma robuste constitution
prit enfin le dessus, et ma santé s’affermit tellement durant ma jeunesse,
qu'excepté la maladie de langueur dont j'ai raconté l'histoire, et de fréquents
besoins d’uriner que le moindre échauffement me rendit toujours incommode, je
parvins jusqu'à l'âge de trente ans sans presque me sentir de ma première
infirmité. Le premier ressentiment que j'en eus fut à mon arrivée à Venise
(1742); et la fatigue de mon voyage et les terribles chaleurs que j'avais souffertes
me donnèrent une ardeur d'urine et des maux de reins que je gardai jusqu'à
l'entrée de l'hiver... Après avoir vu la Padoana, je me crus mort et n'eus pas
la moindre incommodité, je me portai mieux que jamais. Ce ne fut qu'après
la détention de Diderot, que l’échauffement dans mes courses de Vincennes,
(*} Du grec dus, avec peine; oureo, j urine.
ORIGINE ET CAUSE DE LA MALADIE DE J.-J. ROUSSEAU. 583
durant les terribles chaleur$ qu'il faisait alors, me donna une violente néphré-
tique, depuis laquelle je n'ai plus recouvré ma santé (Confessions, liv. VI). »
Voilà l'explication de la cause de sa maladie, telle qu'il la concevait en recueil-
lant ses souvenirs, et qu’il exprime dans une formule de langage que n'aurait
pas renié le médecin le plus lettré de son temps.
Rousseau, pendant la maladie de langueur qu'il eut chez M°®° de Warens,
avait voulu mettre le nez dans les livres de médecine, et il lui arriva ce qui
arrive à tous les malades qui commencent à vouloir déchiffrer l'inintelligible
fatras du système nosographique basé sur Hippocrate et Galien; le malade
croit bientôt être atteint de chaque maladie dont il lit les symptômes. A Mont-
pellier il suivit pendant un mois un cours d'anatomie, qui ne fit qu'ajouter à ses
appréhensions, en l'initiant dans la connaissance des frèles organes qui entretien-
nent la vie du corps humain.
Dès qu'il fut pris de la violente rétention d'urine dont nous avons parlé, ces
connaissances médicales et anatomiques durent mettre en jeu les souvenirs des
jours dont il ne pouvait connaitre l’histoire que par le rapport de ses parents,
souvenirs très-confus, comme tous ceux de l'enfance. Observez en outre que,
lorsque Rousseau entreprit la rédaction de ses Confessions, il éerivait de mémoire,
n'ayant jamais pris note des événements de sa vie; et, en maint endroit de ces
mémoires, il se plaint de la confusion que le temps a jetée dans ses souvenirs, ce
qui l'expose quelquefois à antidater ou à mal interpréter les événements.
Or, évidemment, ses souvenirs l'ont trahi dans l'explication qu'il donne de
l'origine de sa maladie. Rousseau était né fortement constitué. Sa naissance
ayant. coûté la vie à sa mère, il dut être exposé à toutes les difficultés d'un
sevrage si précoce, el auxquelles échappent si peu d'enfants. Mais nulle part, dans
sa première parlie, il ne mentionne la plus légère circonstance qui porte à croire
qu'il fût né avec un vice de conformation de la prostate et une tendance congé-
niale à la dysurie. Nous le voyons grandir et se livrer à la lecture avec une ardeur
telle qu’à l'âge de sept ans, ayant épuisé, pour distraire la douleur de son père,
toute la collection des romans qu'avait laissés sa mère, il se livre, si jeune encore,
à des études fortes et suivies et qu'aucun accès maladif ne vient interrompre.
« J'étais né presque mourant, dit-il à la vérité dans le commencement du
livre [°"; on espérait peu de me conserver. » On conçoit que l'enfant, dont la nais-
sance cause la mort à sa mère, n'arrive pas au monde dans des conditions de vi-
talité bien assurées. Il ajoute: « J'apportai le germe d'une incommodité que les
ans ont renforcée: une sœur de mon père, fille aimable et sage, prit si grand
soin de moi qu’elle me sauva »; mais encore ici cette hypothèse de l'origine de
son incommodité ne repose que sur la théorie qu'il s'en fit à la première atteinte
qu'il en éprouva à l’âge de 37 ans. Car jamais il n'éprouva rien de tel, ni dans
sa première enfance qu'il passa sous les yeux de son père et de sa tante, ni chez
son instituteur Lambercier, où M'e Lambercier en lui donnant si souvent le fouet
n'aurait pas manqué de provoquer le retour d’un accès de cette affection des voies
urinaires ; ilsupporte, avecunerésignation quiaurait broyé une constitution moias
forte que la sienne, la torture atroce que son oncle lui inflige pendant plusieurs
jours pour lui faire avouer une faute qu'il n'avait pas commise : on l'accusait
d’avoir brisé un peigne et on le fouettait jusqu'à mettre sa chair en lambeaux.
Les mauvais traitements qu’il endure pendant son apprentissage chez ce rustre
et violent Ducommun, changent son caractère, dénaturent les nobles instincts
Gae lui avait conservés l'éducation paternelle, sans déterminer le moindre déran-
386 REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
gement dans sa santé. [1 supporte les coups, la terreur, la faim, sans en éprouver
le moindre malaise; il erre dans les champs, après sa fuite, sans ressentir la
moindre incommodité; il arrive fort et robuste chez Mme de Warens; pendant
tout le temps qu'il passe à Turin, soit dans l'état de solliciteur, soit dans celui
d’une quasi-domesticité, il n’éprouve pas la moindre maladie qui le force à inter-
rompre un instant son service; la misère le trouve aussi robuste que l’aisance;
maitre ambulant de musique, interprète d’un archimandrite, diplomate en espé-
rance à Suleure chez M. de Bonac et à Paris, instituteur chez M. de Mably,
secrétaire d’'ambassade à Venise, partout il suffit à ses fonctions sans que sa
santé réclame une interruption pour cause de maladie. Un homme né, avec un
vice de conformation congéniale, n’en est pas quitte ainsi pendant les Éd
trente ans de sa vie.
Il est possible que les ardeurs d’uriner qu'il ressentit à son arrivée à Venise,
en 4749, à l’âge de 50 ans, fussent un avant-coureur de l’infirmité qui se déclara
d'une manière plus violente et plus durable en 1749, à l'âge de 57 ans; mais il
est tout aussi probable que cette affection passagère n'était qu'un échauffe- .
ment provenant des fatigues du voyage. Admettons cependant la première hypo-
Uhèse ; il n’en sera pas moins vrai que, jusqu’à cet âge, rien de tel ne s'était
manifesté par des signes extérieurs, et qu'ainsi l'incommodité de la dernière
moitié de sa vie n’était pas une conséquence d'un vice congénial de conformation.
Cependant la prostate, pas plus que tout autre organe, ne tombe malade et
ne se transforme, par un effet de sa propre élaboration; elle ne cesse ou ne
reprend pas ses fonctions par suite d'une espèce de caprice. Nous l'avons souvent
dit, et c’est le principe fondamental de notre nouveau système, la cause de
nos maladies vient toujours du dehors et est étrangère à la nature intime de
f'organe malade; car c’est un trouble résultant d’un obstacle.
Quelle est donc l’origine de cette grande perturbation survenue chez J.-J. Rous-
seau dans l'organe essentiel au passage des urines? Les principes sur lesquels
repose la théorie de notre médication, et qui deviennent de moins en moins con-
testés, vont nous permettre de démêler celte cause et cette origine dans une des
maladies de Jean-Jacques dont, à cette époque, la médecine ne pouvait pas en-
core entrevoir l'influence.
Le germe de l'affection qui le prit en 1749, à l’âge de 37 ans, il le portait à la
vérité dans son organisation, depuis un assez grand nombre d'années, mais non
depuis sa naissance. Ce germe, sommeillantainsi pendant silongtemps, aurait pu
se fixer ailleurs que dans la prostate; et alors ses souffrances auraient changé de
nom et d'influence.
Sa maladie ne provenait point d'un vice congénial de conformation, mais sim-
plement d’un acte de témérité dans ses premières tentalives de chimie expéri-
mentale; je vais expliquer le fait.
Nous sommes à peu près vers 1735, époque la plus heureuse et la plus calme
de sa vie, où, jeune, fort de constitution et parvenu à l’âge de 22 ans sans avoir
jamais eu de rapport avec les femmes, il devint tout à coup l’amant heureux de
la personne qui l'avait tiré de la misère, qui l'avait accueilli comme le fils de ses
plus touchantes affections, et qui, peur me servir des expressions de Jean-Jac-
ques lui-même, « était pour lui plus qu’une sœur, plus qu’une mère, plus qu'une
amie, plus même qu'une maîtresse » ; car il la respectait, en pleurant, comme une
mère, jusque dans les plus tendres épanchements de l'amour. Il avait acquis
ainsi une amie chérie dans une mère adoptive; mais alors même il ambitionnaié
NÉCROLOGIE; ALEXANDRE FROUZÉ. 587
une amante. Brülant d'un amour sans objet, et c’est peut-être ainsi, dit-il, qu'il
épuise le plus, devenu inquiet et tourmenté à la vue du mauvais état des affaires
de sa seconde mère et de sa première amie, épuisé sans être satisfait, se sentant
pris non d'ennui, mais de mélancolie, les vapeurs de l'épuisement succédèrent
chez lui au feu dévorant des passions; la langueur devint tristesse; il pleurait à
propos de rien.
Cet état d'affaissement général de la machine est, pour ainsi dire, une pré-
disposition à l'invasion de tous les maux. Dans un corps semblable, la cause
d'une maladie peut entrer par tous les pores; et, à la suite de l'accident qui va
suivre, celte cause de trouble et de désorganisation s’introduisit dans toute son
économie par de plus larges issues.
Ayant fait la connaissance, à Chambéry, d’un jacobin professeur de physi-
que, bon homme de moine qui opérait souvent de petites expériences qui amu-
saient extrêmement, il voulut, à l'exemple de ce maitre, faire lui aussi de l’encre
de sympathie. « Pour cet effet, dit-il (‘), après avoir rempli une bouteille plus
qu’à demi de chaux vive, d'orpiment et d’eau, je la bouchai bien. L'efférvescence
commença presque à l'instant très-violemment. Je courus à la bouteille pour la
déboucher, mais je n’y fus pas à temps : elle me sauta au visage comme une
bombe, j'avalai de l'orpiment, de la chaux. J'en faillis mourir. Je restai aveugle
plus de six semaines, et j'appris ainsi à ne plus me mêler avec la physique expé-
rimentale sans en savoir les éléments. »
Rousseau venait de s’empoisonner à l’intérieur et à l'extérieur par l'arsenic.
(La suite au prochain numéro.)
RECTIFICATION NÉCROLOGIQUE.
C'est à tort que, page 360, nous avons annoncé la mort de M. le docteur Alexandre,
de Mont-de-Marsan (Landes). Ils’agissait, dans la lettre de M. Alauzet, de la mort
du brave Alexandre Frouzé, un des plus généreux hospitaliers ou infirmiers de
la nouvelle méthode. La lettre ne nous l'avait désigné que par son prénom.
Alexandre Frouzé, natif de Montauban, avait fait ses études à Paris, dans la
maison des Orphelins protestants, et il avait appris ensuite l’état de menuisier
ébéniste. Après avoir longtemps voyagé, ilse fixa à Saint-Affrique (Aveyron) et se
mit à y pratiquer gratuitement la médication nouvelle, à laquelle il s'était formé
en assistant à nos consultations; on ne la connaissait pas encore alors dans cette
localité. Il composait lui-même les médicaments avec la plus serupuleuse préei-
sion et les administrait avec un zèle et un désintéressement qui lui ont mérité la
reconnaissance même des ennemis de ses opinions religieuses. Les nombreuses
cures qu'il opérait, dans les cas désespérés aux yeux de la médecine scolastique,
attiraient de toutes parts les malades auprès de lui.
Ces belles âmes succombent vite à la peine ou à une occulte fatalité.
Alexandre Frouzé a emporté dans sa tombe les regrets de tous ses concitoyens
qu'il appelait ses frères ; le cortége qui l’a suivi jusques à sa dernière et modeste
demeure attestait assez, par le nombre et la physionomie des assistants, que l'on
rendait les derniers devoirs aux restes d'un grand citoyen.
{*) Confessions, liv. V.
FIN DU PREMIER VOLUME.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
TS
Pages Pages
A Arc-en-ciel 15.) 700,202 NC ORNE
Ardents (mal des) . s'TS
Acares . . . . . . . . . . » . . 338 | Arsenic (chaulage à l’). 206 — des papiers
Acaärigénoses. . RENE fe tons peints. 4k — (empoisonnement suspecté
Accusation (conseils à l). : : 21% mais non coupable par l’)}. . ,. . . . 9209
Acides (empoisonnement par la respiration Art culinaire chez les Romains . ,. . . ,. 4122
des) , . 296.1 Asparagine +. TE NE NT RENE
Acide nitrique (rôle de l') dans la composi- Asphyxie foudroyante. "Vert
tion des eaux . . 2 + 287 | Athermogénose digitale . . . . . . : 333
Acidité ou alcalinité de la fumée 291 || Aventure (mal d'}1. 0 NES k
Acidogénose pulmonaire . , . . 296 | Avertissement"? ©. }. MAPS ER
ADANSON sur l'orthographe . 98 | Avis aux abonnés 20070 0 CORTE
Æcidie des feuilles, œuvre de larves. 308
Æthusa cynapium . . . . . . 296 2
Agate du Brabant . . CHR ES EE)
Agriculture ethorticulture . 197, 286 165, 377 Bains de sang. 265 — de sanghumain . . 267
Al contre le vers solitaire. 15 — et épices Balance (hygromètre par Ja). 2.2 O0
interdits à Marseille pendant le choléra. Barbe (hygiène de la) . . . 751
80 — peu goûté des beaux de l'ancienne Barbiers (guerre entre les) et les médecins. 327
Rome. . . CN usa 2e 125 | Baromètre-Fortin modifié. , : ss AU
Aoli des Marseillais … se + + + + 121] Bâtons de défense dans les Flandres. FOOT
Air (humidité de l'). 88 — dissous par l'eau BEAUFORT (duc de). . . ere T0
et par la glace. 183 — dépositaire de tout | Bostjaux (condiment pour les) . ù . 450
ce qui se dégage … . + + + + 157 | Betteraves (asparagine des) . : : : . . 953
Alcalinité ou acidité de la famée : 257 | Bière nutritive . 1721 000 REED Ie
A" EXANDRE (mort du doct.). 360; démentie. 287 | Biscuits mercuriels d'Olivier. . - rm
A-EXANDRE FROUZÉ (mort d). + 387 | Blanc et rouge (leur influence sur la vision). 88
£limentaires (falsification des substances) . 262-| Blatta'orientalise £ LENS S TN
Alimentation liquide. 72 — vermifuge . . 14 | Rjattes . . . Lee * . 338
Allumettes chimiques (fabrication des), cau- Boitsfort (configurations rs colline de). 328
se de carcinomes. #5 — (empoisonnement — (observations HyAc ae faites
DATADUS TE, 0 - Denise Merlcate Vies cUEG à) . 217006
Aloës (chaulage à 1). . . + + 207 | Rouchers (profession by giénique des. = 120D
Aloës pour médicamenter les végétaux hdi pouces d'oreilles . à CE ACTES
Alucite du poireau . . . . . . . . . 187 | Bouffées du vent. . Le SERRE
Amulettes. . . ; + 52 | BOUKIN (A.) (observations de M). * 00000807
ANDRY (Nicozas), sur les vers . + 69 | Bracelets ; , . . LUN 0 CORP OR REREES
Anémomètres. . . = + 347 | Brinde et toast . . . 378
Angélique sauvage et ciguë aquatique + 227 | Brouillard (formation du). 15 — (ascension
Anglais (alimentation des). 72 — (épices et indéfinie du) . . 440 CONS ONNRE
condiments chez les) . . - + 120 | BROUSSAIS (système de) . . . . . + . 4119
Angleterre, presqu'île du bassin français + 311 | krôûlures . > rs PONT
Ankylose fausse. 138 — du PéIenEl 139 — 7 VELO SE
du coude . . IE IFR NI GE ©
Arneaux galvaniques . NN 52
/ntimoine. .", 322 | Cacographie française M. EN NENEENn
Aphis lanigera (ses ‘effets “morbipares) + . 306 | Cacophraste RENAUDOT . . . Me >
APICIUS (Co£zins), sur l’art culinaire des Ro- Cailloux roulants ou roulés du Brabant . . 4149
mains 123 | Calomélas par doses fractionnées ou entié-
Apoplexie (attaques d'). 478, 233, 306 — res + 4 Rs D:
épidémiques 4.250, . 301 | Calottes d’ argent, d° or, ‘eto 100 due TOR
ApP areils galvaniques. . 49 | Calorique (atmosphère’ de) "She OR RS
Ai thicaires (guerre entre les) et Ja Faculté, 327 Camphre (imposture sur le). 15% — cam-
.y0thicaire charitable. . , . 309 pbrier dans le vieux langage. 4118 — nou-
Appareil qui permet la marche après un velle et pieuse mystification de la presse
usage des béquilles pendant 40 ans. 107 politique sur le camphre ,. . . . . . 82
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
Camphrophobie . . ‘
Cancer (curabilité possible au). 238 — ‘ (loca-
lisation du). 236 — Lin de médication
contre le) É
CATON l’ancien (ex- -voto vétérinaires de).
259 — sur la médecine. ;
Caustique de Vienne . . .
Cautérisations . . ts
Cerfeuil et petite ciguë. CP hs
Cerveau (rhume du) .
Cestos et Cestros « . . . . È
PRIE 5 ce CN TA.
Ghaires auconcours. . . .. + . . : .
Chaleur animale. .
Chapellerie (insalubrité de a). 158 — _ mer-
curielle . . . = map
CHAPTAL, sur l'orthographe : TROT EME À
Chaud et froid at: :
Chaulage (antiquité du). 208 — des semences
et des racines.
Chaux et potasse (caustique de Vienne) :
Cheminées hygiéniques . . . .
Chêne (tumeur aphigène d’un) . .
Chèvre se nourrissant de plantes vénéneu-
BASSE CRETE
Chiens enragés (armes contre les). ARE
Chimie géologique. 287 — organique. . .
Chirurgiens et médecins . . . . . .
Chloroformisation . . .
Choléra, 54, 73 — (topographie et médica-
tion du). 39 — (succès de la médication
contre le). 152 — guéri miraculeusement.
10% — de 1849 (zèle et succès du docteur
DE LAMONTAGNE pendant le). 358 — fatal
à Marseille. .
choisie épidémique de Bruxelles, en août
HR ne ie .
Choux {dégénérescence et ‘transformation
des). 223 — cabus rouge. 223 — de Bruxel-
les. 223 — milans dorés. 223 — multi-
ONU CESSER COTE Or
Chutes violentes. . . . . . . .
Cicula virosa . De Les
Cicutaire (rapports de Ja). PRE MC:
Cigarettes de camphre, leur vogue. . .
Ciguë (graines de) dans une plaie de la
jambe. 203 — (rapports de la grande et
> ri petite). 226 — SAN (FADRorE
e la ù NE
Cimetières (réforme des) ; Mr DEMETR TE
Cloportes rendus par les urines. . . .
MHEMONIO EN er + ai pe! e de
LEE LPO ER "EE
Combustions . , . Tes
Comète vue par sa queue. : ARE T 1
Complémentaire (explication du MOI) eue
Pages
52
2#1
119
10
471
226
267
441
142
2
427
Compression chirurgic., cause d' DEN 137, wi
CONDÉ et TURENNE. . tre
Condiments, leur antiquité. 419 — voL-
TAIRE sur les). 120 — pour les bestiaux. 150
Conducteurs (corps) et FHRpRrE A na Ce AUS
Coccogénose , , . . one rte 205
Contum maeulaltims "5 a res se. 227
Conopigénose. . . PRES CET, NS 1
Conspiration du Silence ESS OPEN 3
Contusions violentes . « . . . . . 410
Convulsions . . . IPC RCE an
Corne brûlée (odeur de) LL . 255
CORNÉLIS (Sainr) pour les bêtes à cornes 260
Coryza (théorie, causes, effets et médication
du) DEA à 267
Coucher flamboyant du soleil ANS 372
Courants et contre-Courants. . ,. . 044
Couronnes lunaires et solaires . tre 1010
Cousins, auteurs du cholera. . . . . 73, 7+
Cri-cri . . . . . . . n . . . . 338
389
Pages
Cuisine auxiliaire de la médecine. 118
Culeæ pipiens, L. . PAR EE nt 278
Culexæ pulicaris et reptans, L . Leurs rava-
ges . de. "16
Cultures (etrets ‘de l'hiver sur ‘les). 286 —
(nomenclature des). 166 — dans le voisi-
nage de certaines fabriques. LD Fe
Gysticerques, jeunesse du tænia . . . . 143
D
Dabhlias (effets de la gelée sur en à La 102
Décanat éligible. . 324
DE LAMONTAGNE (éloge funèbre ‘de M.
docteur). . . . 1e 357
Décorticage du blé. PR de AE LOT OR CR ARR ET:
Demoiselles ou gerbes. . . EL at é,t.-435
Démolitions, causes d’ épidémies seat di 30!
Dents (maux de) mercuriels. 175
Diamants en médicaments 307
Doigts (anatomie et physiologie des) L x É 8
Dorure au trempé . sta 43
Doullens (observations “‘hydométriques faites
à). s 25, 30
Dragonneau (action désarticulatrice sul 332
Drain, drainage. . . . .°. 71
Droit féodal atroce. . . . . 257
E
Eaux des polders.72,232—de Montmorency. 383
Echauboulures® ...... .1n.." 471
Echauffeture . : 37
HGRAITSS SRE LU 248
Ecole flamande . . . “ 97
Eczema par les graines de ciguë : 204
Egouttage et drainage. . a ete 5 377
Empailleur (art funeste de l) PLANS
Empoisonnements domestiques et indus-
triels. #1 — par le phosphore et par les
allumettes chimiques . . . . . : . 47
Enfant (l') et la vache à soigner. . ,. . . ‘260
Enfants trouvés dans les Flandres. . . . 331
Entomogénoses animales et végét. 186, 306, 336
Epidémies causées par les démolitions. . 361
Eponge (hygromètre par l). . EC DRE
Erreurs populaires et propos vulgaires de
JOUBERTA(LAUR) SR MOTS EN 297
Ethérisation . . . D'or let eu SJ
Exfoliations normales et anormales des sur-
faces... .. 9 di Us 268
Ex-voto vétérinaires PARENT ie ME: 258
F
Fabriques nuisibles aux cultures . . . . 157
Facéties médicales des journaux +. 199
Falaises (chute annuelle des) . . . 311
Fer (minerai de) de formation moderne. . 287
Fermier-vétérinaire . . 71
Feuilles mortes persistant en hiver sur les
arbres . . ARR RES
FIESCHI (affaire) ‘et la mouture , : 3#1
Flamandes et Italiennes . . 3460100
Flandres (constitution lymphatique des). 331
Folie piedagnel et folie pieux-mensonge. 155
Fondeurs . . L'ÉETRE RE
FORTIN, son baromètre modifié, FLE 90
Fosses d'aisance, . 297
Foudre. 248 — (effets et théorie de la) 262
FOUQUET . . s +0 958
Frise (coiffure métallique des femmes dela). 53
Froid rigoureux (action Gésorpet ea tee du).
FROUZÉ (ALEXANDRE) . he
Fruits transformés par la ‘famuré PCs
Fumée (étude de la). 156 — Peisaiqie et
conservatrice des bâtiments . . . .
390
Pages
&
Gale (acarés de la).
MP ble. seul: 999
Galerie médicale . 262, 292, 320, 352, 380
Galvaniques (appareils et plaques). 404)
A à Boitsfort. 163, 197
Gaz noyau des vapeurs . . . . . . . 115
Gazette de France . . . . M 322
Gelée blanche . . 118
Gelée (action de la) sur les dablias. 102
Gerbage en Flandre et dans le nord de Ja
Franco NT 135
Glace (châteaux, canons de). 339 | — ‘(chute
de blocs de). 221 — (remparts de). 349 —
(température de la). 349 — (tube thermo-
métrique A6) Reis ei ee. ele 1880
Glaciers atmosphériques . . . . . . . 182
Glandes nectarifères . . er ati ti 4108
Girouettes (discordance des). . 316, 319, 342
Givre (formation du). 158 — atmosphérique. 159
Gordius (action désarticulatrice du) . . . 332
Graines de ciguëé introduites dans une plaie. 203
Grafondure . , Re Le ral er TUED
GRATAROLUS et LAVATER ss .. 94
Grêle (formation de la). 245 — et grélons . 219
Grélons (poudingue de) . . st idat 221
Grésil et grésiilons (formation des) 242
Grenatise (vin) . 419
Grive (chant noté de Ja). 196 : — rossignol
des écossais . . AUS Prat lle + 117493
GUENAUD et son chev al : 296
GUYBERT, auteur du Médecin charitable "327, Bh}s)
GUY-PATIN (étude sur). . . 262, 292, 320, 352
H
Halos Pense LRU SON Te An al EN DRE
HELMONT (Van) : 4 302
Herbes parasites dans les champs de pom-
mes de terre. 166 — devenant HEnEnse 134
Hibiscus syriacus . 13z
Hiver de 1854-1855; ses effets ‘sur les cul=
tures. . PRES GREC
Hollandais (alimentation des) É 72
Horticulture légumière. 223 — singularités .
d'
).
Huguenots frappés «’ incapacité à la faculté
da médesine Mir D ie lle tys Le e UD
Humiditédellaine: ;50:1/002 1. 0e Mans
Hydarthrose de #1 ans. . . . . . . . 107
Hydatides jeunesse du tænia . . . . . 143
Hydomètre . . .: 418, 20
Hydométrie comparée. 18 — appliquée à
Tagriculture , . . GX TA NROG
Hydrogène véhicule des poisons ia 303
Hyétomèêtre -; "2: Ve MMM EU REA
Hygrométrie, . . #1] 67
Hygromètres divers comparés entre eux. 4h59
Illusions optiques . .
MALO MENTAL , «0 à à Jon) eu 377
Imperatoria sylvestris. . . . + 220
Imposture sur le camphre . . 154
Indiens ou Gascons guérisseurs du choléra, 404
Induration à la suite d'une cautérisation FX
la potasse seule , . 108
Insectes de la plique et de la Leigne. 339 —
rendus par les urines . 369
Institut de France couronnant nos théories
sur le tænia à , 143
Instruments à cordes ; moyen d'en augmen-
ter la sonorité. . . Stage LOU
Italiennes (femmes) et flamandes : : : : 96
REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Pages
J
Jambe comprimée par un poids de 150 kil.
Jazerant, jazeron .
JOUBERT (Laur.), médecin de Montpellier.
35, 53; — ses écrits et son orthographe. 97
Journaux (chorus des) sur le camphre . ,. 82
JOUY (pe) sur l'orthographe . . . « . . 99
410
3
E&
Kétria 5110 03-080 CON SMENENENNRRRRREE
Kinnim 2 + e at- © 57e YONNE 75
Kysto à a 57 27 ETC CRUE
L
Laponie et ses cousins. . «+ ., "75
Larfondement: "7. 22e
Larves toxicophages ! #...1.1 MONO
Larves rendues par les urines . . . . * 369
LAUBARDEMONT (le fils de) . . . . . . 295
LAVATER et GRATAROLUS . . +: + "9%
Lavement essayé au sérail . . 42
LECZINSKA (Marie), son empoisoanement.
Ligules des poissons , . AE
Lombards (droguistes de la rue ‘des) 2 LEA
Lombrics. 119 — compliquant le choléra . 74
Mächoire tombant fragment par fragment
et régénérée . . . -
Madones appendues aux troncs d'arbres.
Main (physionomie de la), . ... . .
Main italienne et flamande . . . . .
Mal d'aventure. # — des ardents . . . . 73
Maladie noire. , . 73
Maladies (théorie des paysans sur la cause
de leurs). 37 — des végétaux. . 40,186, 306
Malais (épices chez les) , . < ei TA
MALEBRANCHE sur les illusions d'optique,
deénaturé par les auteurs de traités. , : 84
Malva crispa devenant HE EME
Manche (canal dela) . .
Manuel annuaire de la santé “(traductions
fautives du) . 360
MARIE STUART chantant ‘comme une grive. 193
Marseille (ail et épices interdits par les mé-
decins de) pendant le cholera. . « PRUEOU
Médecin charitable (livre le). . + |
Médecin de soi-même . . . DÉRRAN br 2
Médecine et chirurgie des pauvres. .
Médecine moderne sur les vers, 143
Médicaments (prix anciens et modernes des). 356
Mercure (deuto-chlorure); ses er ef-
frayants, ses signes . . 43
Mercuriels (empoisonnements). Ét 2 (re-
mèdes); effrayants résultats . . . 14
Messe médicale ». "SONO EEE
Météores . 283
Météorologie (cours de) appliquée à j'a
culture. 47, 57, 112, 155, 181, 214,2
Malle) de 280, 310, si, chi
Miasmes pütrides CPS SAS
Minerai de fer de formation moderne. are 287
Miracle médical . . 104
Montagnes (influence des Chaines de) ‘sur la :
direction du vent. «.. "Reel
Monts-de-piété "NS
Morfondure 2e." ."",1 0 SE
Moussons . . UE Se a LIRE
Moustiques causes du Choléra + : + « , 74
Mouture simplifiée . . . . . !. 339
Moyettes ou gerbés. . , . . . 135
Musique instrumentale . . . . . . . 160
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
Pages
N
Nécrologie. . 957
Ncige (formation de Ja). 185, ‘tk — (formes
cristallines de la). 280 — (instrument pour
mesurer la), Don iparaistance de ia: 133 —
(température de la) . . . RC:
Nerfs (extrémités papillaires des) : : à 4
Nivométre ou niphomètre, , . , 21
Nomenclature des cultures . . 166
Noyé (enfant), ressuscité par l’eau ‘sédative. 169
Nuages, de glace. 181 — de neige artificiels.
484 — (formation des). 155 — en dessous
et en dessus. 344 — neigeux. ,. . , . 482
NOR AAA 170007 ie: voa. + jee 00
œ
Observations hydométriques, . . . . . 30
Olla podrida des Espagnols . . 12]
OLIVIER (le docteur) victime de ses biscuits. 41
Ombellifères vénéneuses (Hp sur les). « 225
Ombromètre . . , UT ele enr 2Ù
Optique (phénomène d' ee “ho RLE
Orages. 251 — causes de certaines "mala dies
de végétaux , . AL os
Orchis divaricata, Rich., retrouvé ; BTP SA
Ornithologie musicale. . . Re ne LE
Orthographe française à reformer . 4 ; 1-9
Oscillations barométriques (prédiction des). 348
DDR RE n'en pha ysce Cote 213
Ostéalgie fungique. . . de en TU AU
Ovules pris pour des glandes nie 199
Oxalate d'ammoniaque et phosphate do
soude. L'IPe LN) ae dei ns dis -257
LS
Panaricium . +. SRE sure VUE
Panaris. 4, 179 — de pire l'espèce : dus Neue: 18
Paragrèles. : SAR AE Ce ane
Patte déformée de perdrix SEA : MOT
let HCFR PRET RTE RIRE Ê 4
Pâtée (bains de). . + +1 200
Pauvres (médecine et chirurgie des) - :..927
Pêchers malades. #0 — rajeunis par l'aloës. 71
Peintures flamandes reconnaissables aux
ee Ra Lot M ee de JA
Pelousdétturf. . . . :; . ha . 9378
Pendants d'oreilles , . . N'a Ro et as O2
PEPIN sors etla mouture. . . 9h
Panoo du ble Un. . |. - + 339
Persil et an CHEN ares ea
Perspective ordinaire et aérienne. sa te 00
Peste : PA PNY
Phalanges (chute des) du petit doigt : sis or OU
Pharmacopée. +. 242
Phosphate de soude et ‘oxalate d'ammo-
niaque, , . 257
Phosphore (action ‘carcinomateuse du) : . 45
Physiognomie, oh physiogno-
monie , , 93
x ot animale, 126 — végétale. 132,
Ste s Jar. tels 168, 198
Pituite D Are le nl sitie. e0 vlan ste + 208
Plägiatfs sat MEME 3
Plaie par solution de continuité. 201
Piantes (personnel des) Hits des sola-
nières
Plaques galvaniques. 49 — ‘réinventées et
reçues à l'Institut, » 275
Pluie (mesure des gouttes ‘de). a18 — ‘(théo-”
rie de la). 216 — variable selon les acci-
Hents duterrain.. SUN OP RE » 22
Plique (insectes de Fe Vs A Ne ER SSI TO
Flonb (fondeurs de) es een + 1 08
391
Pages
PORMIAMOITOR SD « UNE des ni ei 20
Poireaux (alucite des). 186 — (insectes ron-
HONTE BE! 2. M "Se llau st 1997
Poisons comestibles . . . , « 491
Poissons malades 571
Poivre au pcids de l'or. . er EM LL
Pommes de terre (maladies des). :0 — Leur
plantation dans les Flandres. . 102
Pommier (tumeurs ligneuses et aphigènes
du) .. Fa de CP 306
Porricides (insectes) 397
Portraits apocryphes de l'académi e de mé-
decine . . De Pa ee 294
Poussière arsenicale 4 se Lu
Poudingues de formation moderne. : : 291
Poudrette (fabrication funeste de), . 299
Prasocourides (insectes) . . . . 037
Préservatif contre les poussières vénéneuses. 363
Puceron lanigère ou cotonneux; ses ans
DIOLDIUOH Me PE UPS Ne ape 306
@
Quinine (sulfate de), ses abus . . . . , 55
ORNE SAMI ST UT Lidl ut aie
in
Raisin (antique manière de conserver le) 125
Rasoirs (moyen de repasser les). . , 209
Rats (mort aux). . AR 7
RASPAIL (BENJAMIN), dessins de ce ‘volume « 140
RASPAIL (CauiLce), sur une plaiecompliquée. 202
Réformes pharmaceutiques et médicales, . 328
Réfracteurs (corps) et conducteurs. . , 252
Refroidissement de l'atmosphère . . . . 158
Réinventions. . . . . . 242, 275, 339
Remous de nuages . . 4 a OR NE TES
RENAUDOT (TuÉopaRAsTE) ès ae 92
Retards dans la distribution de ‘la Revue,
. - 105,437, 265
Revue élémentaire de médecine et es phar-
MTACI OS RUES nee L'édie Le re
Rhume. . . SARRNRÈETE
Roguons de silex . DDR TER à
Romains Gus épicée des) MAN TS
Rosée . , . MCE
Rossignol, inconau en ‘Angleterre . .
Rouge et blanc (leur JA TueCe) sur les yeux.
ROUSSEAU (J.-J.) malade. . SE US
Ruppia par les graines de ciguë ‘
Sable (agrégat de grains de). .
SARA VET MINE rte semer Mare é
Sang (bains de) MS brel
SAUSSURE sur l' hygrométrie. FA -
Sarclage, ses avantages el ses inconvén ents.
Seletsucre . . be fe tn
Sens (nomenclature des) . ART :
Séve (médicatioff par le véhicule de la) : u
Sicyolithes ou vers cucurbitains fossiles.
Sinistre du 18 octobre 1853 à Poitiers . .
Soleil et lune, pourquoi paraissent-ils plus
grands à l'horizon qu’au zénith . . . .
Soleil (éclipse de) . . « . mL
Sonorité des instruments à corde s.
Sources (formation des) dans les terrains
sablonneux, . . CE
SOUPERBIELLE lithotomiste .
Soudure organique. . . .
Spartogénose. : . . . .
Spongomètre. ,. . . .
Stagomètre . .
Stipa pennala (hygromètre construit av ec le).
Sublimé corrosif (ses effets effrayants). 42
— ses effets sur les dents. . . . . .
7 up ©
l
268
291
122
117
196
85
380
204
291
392
Pages
Substances alimentaires (falsification des). 262
Sucre'etsel2 2 20e LEE LL" 2 (STAR
Sucre puant + + + + … « 262
Suette . TUE 73
Sulfate de quinine (abus du). RARE Let
Symphyse. … . + . 138
Syrphus (larve de) artisan d'un ‘æcidio : 309
T
Tableaux de l’école flamande (signe distinctif
ABS) D Eee Lan ee Eee À
Tableaux hydométriques RM a UE Tao 5 30
Tænia. 15 — (nos idées sur le) couronnées à
linstitut sous le couvert d’un autre nom.
143 — (œufs de) se développant dans les
intestins. 145 — Gone à l'histoire
du) . - À Pape À he 140
Tauroboles et bains de sang. « 4 267
Teigne (insectes de la). =. . . . :. , 339
Teinturerie « ., kk
Télegraphe électrique funeste à la ‘santé: .+ 236
Température variable. . . 217
THÉOPHRASTE et CACOPHRASTE RENAUDOT. 321
. Thryps physapus carnivores. . . 396
Timbres-postes onguent pour la brûlure. 199
Tirant en corde du violon. . . , + . 162
Toastetibninde 22e peu). 1318
Tombeaux (émanation des) . . . . 300, 302
Tonnerre Ares A EST ARE 248
Tourniole, tourniote DORE D RS EUR k
Toxicologie 35e s 209
Traductions fautives du Manuel annuaire de
la santé. *. + €#2800
Transformation des fruits par la fumure. 167
ESMUS MA ENT TIR MN SP Ur ne ee ni
Trousse-calanté tt 218 0e en SET
Pruttes(rtsottide) AMEN EL AA UMIDE
TULPIUS et son livre 4e . 968
Tumeur blanche compliquée d’un kyste. . 106
REVUE COMPLÉMENTAIRE DES SCIENCES APPLIQUÉES.
Page:
Turf et pelouse . . . 376
Tussilage (æcidie du) œuvre ‘d'une larve. 305
U
Udomètre. . . sers 18, 20
Urines (insectes rendus par les) RETHEREMS0)
Utérus (maladie mercurielle del’). . . . 153
L'
Vaison (succès de la médicatiou antichole-
rique'à). ANTON SU RENNES 153
VAN HELMONT … 352
Vapeurs d'eau (ascension indéfinie des). 118
— formation des. . . a At
Variation des caractères des ‘plantes ose 1608
Végétaux (maladie des). #0 — (médication
des) HER 71
Vent, par compression. 313 315, pardilatation
319, par soustraction. 313 — (direction du)
déviée par les montagnes. 346 — (forceet
vitesse du). 347 — (formation du) . 310, 343
Vents alizés. 312 — étesiens. . . . . . 313
Ver plat. 142 — solitaire. 119 — (alimenta-
tion contre le). 45 — (histoire du) +. 140,142
Vermes cucurbilini . . OL à
Vers cucurbitains. 141 — “fossiles. PODAE ART
VÉSALE (portrait de) 2 . 294
Vésicules du brouillard et des vapeurs. 418, 116
Vétérinaires (ex-voto) . *. . ,. . .:. . 258
Vieillottes ou gerbes . . . dis der 1935
Violon ; moyen d’en augmenter la ‘sonorité. 160
Vision (théorie nouvelle de la) . . « + . 84
VOLTAIRE sur l'orthographe. 99traducteur
et commentateur de Newton. . . .
Y
WOUWERMANS (PIERRE), paysage fantastique. 259
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
"A
Cuicux. — Impr, de Mourice Loicxon et (ie rue du Bac-d'Asnières, 42.
| EN VENTE CHEZ LE MÈME ÉDITEUR.
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ent chaque jour M. Raspail dans sa pratique et dâns ses recherches. On doit se méfier
s imitations du titre et des vieilles -contrefaçons, ou plutôt falsifications, qui ont cessé
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et est revêtu de sa signature. :
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server et de guérir les animaux domestiques, et même les végétaux cultivés, du plus grand
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poste : 4 fr. 50 c. — Cet ouvrage est revêtu de la signature de l’auteur.—2e édition.
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plémentaire a paru par livraisons mensuelles depuis août 4854 jusqu'en août 4860. Elle
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ù sur les méthodes d'observation qui ont été développées dans le Nouveau système de
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: LUNETTE DE DOULLENS. Almanach démocratique et pro-
gvessif de lami du peuple pour 4850, par F.-V. Raspaiz. In-16 de 444 p.
. Mavec portrait. Prix : 50 c., et par la poste : 65 c. 6
, dE: Quoique par sa date et son calendrier, ce petit livre soit vieux de 12 ans, il est encore tout
=
ualité par les nombreux principes de statistique, d'économie sociale, d'agriculture, de législa-
LA qu'il renferme et qui sont comme tout autant d'initiations aux grandes questions qui se
débattent en ce siècle.
s or cut de LA LUNETTE DE VINCENNES qui avait précédé celle de Doullens est complétement
pu .
HISTOIRE NATURELLE DES AMMONITES ET DES TÉRÉBRATULES
des Basses-Alpes, de Vaucluse et des Cevennes, par F.-V. Raspail. Nouvelle
édition (1865) entièrement refondue et enrichie de LL planches lithographiées par son fils
Bens, Raspalz. 1 vol. gr. in-4° oblong, format d'album. — Prix : 12 fr,
LES. BÉLEMNITES..FOSSILES RETROUVÉES A L'ÉTAT VIVANT ; par
eV. Raspail, in-8° de vi-k4 pages, papier vélin, avec une planche coloriée, dessinée et
vée sur acier par son fils Bens. Raspaiz, 4864, — Prix : 4 fr,
LAN: BU n'a été tiré que 200 exemplaires de cet ouvrage où se trouve définitivement résolu un pro-
blème de paléontographie, qui a si vivement préoccupé les géologues do tous temps. Ce travail fait
u en confirmant toutes les prévisions, à celui que M. Raspail a publié sur les Bélemnites,,
/ n 1 dans les Annales des sciences d'observation, et qui a été tiré à part à un petit nombre d'exem-
‘A. B. Ces ouvrages ne sont expédiés que sur mandat ou contre rembour-
sement. —.Affrauchir.
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