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Full text of "Revue d'Alsace"

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REVUE D'ALSACE 



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REVUE D'ALSACE 



TOME XV DE LA NOUVELLE SERIE 



ET 



TOME XXXVIl* DE LA COLLECTION 




COLMAB 

jusqu'en 1871 



BELFOBT 

1, Rue de l'Bglise, 1 
depuis l'annexion 



1886 



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t - <i - t.? 



COUP D'ŒIL 



SUR 



L'AGE DU BRONZE EN ALSACE 



lATtMlDXrOUItVmtTIJDErRtBISTOMOlJEDEL'ilSiCE 

PAB MM. LES DOCTEUBS FaUDBL ET BlEIOHBB^ 



On pourrait, à la rigueur, dire que le petit volume dont 
nous voulons entretenir un instant les lecteurs de la Revue 
cP Alsace, est la synthèse de nos connaissances sur l'âge du 
bronze en Alsace-Lorraine. C'est l'anneau de bronze de la 
chaîne des temps préhistoriques que MM. Faudel et Bleicher 
ont eu en vue de reconstituer. 

Il est bien regrettable que ce travail n'ait pas été commencé 
par nos savants compatriotes avant l'année 1870. Ils auraient 
trouvé à l'ancienne bibliothèque de Strasbourg la plus riche des 
collections d'objets de bronze, la collection Schœpflin, devenue 
lettre morte entre les mains du dernier bibliothécaire et 
malheureusement anéantie par les bombes allemandes, lors 
du dernier siège. Il nous en reste des traces dans le Mttseum 
Schœpflini, d'Oberlin ; mais ce n'est rien en comparaison des 
richesses que l'on a pu voir, à la veille du siège, entassées 
sans ordre dans les tiroirs du grand meuble vitré du maître. 
Cet inestimable trésor eut certainement été d'un grand secours 
pour dissiper les ténèbres dont l'histoire de l'âge du bronze en 
général et celle de l'Alsace en particulier tendent à se dégager. 

* 1 vol. in-S** de 186 pages et 37 planches. Colmar, imp. de Veuve 0. 
Decker, 1885. 



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HEVUE D ALSACE 



Les pierres taillées recueillies et les monuments mégaliti- 
ques reconnus en Alsace-Lorraine font l'objet de trois publi- 
cations antérieures à celle qui nous occupe. La méthode 
d'investigation est la même dans les quatre fascicules. Recen- 
ser les éléments, les reconnaître, les décrire, les caractériser 
après informations sur la provenance et les circonstances 
dans lesquelles ils ont été découverts, tel est le procédé 
logique des explorateurs. C'est la méthode scientifique. Elle 
devait souvent ramener les explorateurs du domaine de l'ar- 
chéologie sur Je terrain de la géologie, objet spécial de leurs 
études de prédilection. Dans leur course à travers l'âge du 
bronze, ils ont dû, en effet, revenir fréquemment à l'âge de 
la pierre oîi le bronze se trouve mêlé comme la pierre l'est 
naturellement aux formations des diverses couches terrestres. 
On conçoit dès lors que des points de repère placés à des 
distances si considérables les uns des autres aient encouragé 
nos laborieux compatriotes à englober dans leur horizon tous 
les jalons que l'archéologie et la science avaient signalés 
avant eux et dont la plupart sont demeurés jusqu'à présent 
ou indéterminés ou imparfaitement expliqués. Comment négli- 
ger le vestige anthropologique exhumé du dernier diluvium 
d'Eguisheim? Pour ce cas et pour bien d'autres, on aurait 
aimé que MM. Faudel et Bleicher nous eussent fait connaître 
ou laissé entrevoir leur sentiment sur la chronologie profane 
ou biblique à laquelle ce vestige humain et d'autres peuvent 
se rattacher. Ils nous répondront, sans doute, que la science 
constate et ne déduit pas, que c'est affaire au lecteur. 

Nous apprécions cette réserve. Mais nous demeurons friand 
des hypothèses ou des hardiesses que nous avons souvent 
rencontrées chez des écrivains moins autorisés, peut-être, 
que le sont nos géologues. Cela nous remet en mémoire des 
souvenirs qui se lient aux questions préhistoriques de l'Alsace 
et que l'on nous permettra de faire revivre. 

Lorsque, il y aura tantôt quarante ans, un timide et modeste 



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COUP d'oeil sur l'âge du bronze en ALSACE 7 

jeune homme, né et élevé à la campagne, fut arrivé à Tftge 
où la pensée réclame son droit, il se voua aussi à Texamen 
critique des choses et des faits du pays qui avaient laissé leur 
empreinte^ dans le cerveau de sa rustique enfance. Dans 
toutes les localités oîi il exerça plus tard des fonctions publi- 
ques, il se trouva en face de questions similaires, soit qu'il 
s'agisse de pierres taillées ou de bronze mis à découvert par 
la houe du laboureur, le pic du carrier ou les fouilles de 
l'archéologue. Aux objets de la pierre, les populations du 
Sundgau méridional avaient consacré une légende ; Stoffel la 
vulgarisa en même temps qu'il collectionnait pieusement ce 
que, dix ans après les indications de Boucher de Perthe, il 
qualifiait, très discrètement, d'outils des hommes du premier 
âge. Quant au bronze, il n'avait alors encore pas acquis la 
place spéciale qu'on lui attribue aujourd'hui; la domination 
romaine, qui appartient aux temps historiques, était réputée 
en être la source. 

A la même époque, la Suisse romande jetait dans le monde 
scientifique, par la plume autorisée de Desor, les révélations 
de ses lucides travaux géologiques et de ses découvertes de 
citées lacustres. C'est alors qu'apparut l'âge du bronze associé 
à l'âge de la pierre et lui succédant pour se relier ultérieure- 
ment à l'âge du fer dont les vestiges nombreux avaient déjà 
apparu dans les découvertes de nos anciens archéologues. De 
toute part surgirent alors des révélations plus neuves les unes 
que les autres et qui permirent à des esprits éminents de tous 
les pays d'Europe de consacrer la théorie des trois âges de la 
pierre, du bronze et du fer et d'établir des classifications plus 
ou moins discordantes, mais toutes applicables à des régions 
déterminées par les classificateurs. Tojis les musées rivali- 
sèrent dès lors à rassembler dans leurs vitrines les objets 
susceptibles d'être rangés comme appartenant à ces trois âges, 
et que la plupart des visiteurs sont censés admirer, sans bien 
se rendre compte de l'intérêt historique qui s'attache à ces 



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8 REVUE D ALSACE 

preuves palpables d'une civUisation dont on soupçonne à 
peine les grandeurs. En Alsace, quelques Mécènes ou ama- 
teurs de ces antiques nouveautés archéologiques consacrent 
une partie de leur superflu à se former des collections particu- 
lières, composées des objets les mieux conservés, les plus 
rares et des métaux les plus précieux. Une superbe collection 
de ce genre, ayant appartenu à M. le docteur Schnœringer 
de la Basse- Alsafce, est venue échouer heureusement au musée 
de Dornach, formé par M. Engel-DoUtus, qui, dans les derniers 
temps de sa vie, fut l'amateur le plus dévoué aux labeurs de 
nos archéologues. 

Mais trêve aux souvenirs, car il s'agit de la publication sur le 
même sujet que MM. Faudel et Bleicher offrent au monde 
scientifique. Voici quel est le plan de leur ouvrage. 

Les quatre premières pages sont consacrées à un rapide 
résumé des études contenues dans les trois fascicules précé- 
dents relatifs à l'âge de la pierre. Un excellent avant-propos, 
accompagné de la liste des meilleurs ouvrages consultés, 
introduit le lecteur à des considérations générales sur l'âge- 
du bronze, sur les divisions en périodes spéciales dont il est 
susceptible et particulièrement sur celles adoptées ou établies 
par MM. de Mortillet, Chantre, de Trôltsch et du D' Gros. Des 
sobres et précis rapprochements entre les objets découverts 
sur un grand nombre de stations disséminées en Europe, ce 
petit traité, de 30 pages, arrive à la conclusion générale que 
l'on peut ranger en trois groupes spéciaux les pays où l'usage 
du bronze nous a laissé des preuves de sa domination. 

« P Orotipe ouralien : Provinces russe, sibérienne et finlan- 
« daise. 

a 2^ Groupe danubien : Provinces hongroise, Scandinave et 
« britannique. 

« 3^ Groupe méditerranéen : Provinces franco -suisse et 
« italo-grecque. » 

Ces indications générales démontrent surabondamment que 



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COUP d'oeil sur l'âge du bronze en ALSACE 9 

Pusage du bronze succédant à la pierre en Alsace-Lorraine 
ne fut pas le résultat d'une industrie ayant son origine dans 
la région, mais que ce fut la conséquence d'une immigration 
par des peuplades d'une civilisation plus avancée que celle 
des peuplades chez qui la pierre était seule en usage. Constatons 
encore que cette topographie du bronze est assez concordante 
avec celle que l'on nous enseigne dans l'histoire des migrations 
de l'Inde, des chemins parcourus par ces migrations et sur le 
bord desquels ces peuples ont laissé les traces matérielles, 
que l'on exhume aujourd'hui pour éclairer notre histoire des 
temps les plus reculés. Gètes, Massagètes et autres auraient 
leur place dans l'âge du bronze européen et il ne sera pas 
sans intérêt de rappeler que M. G. Bergmann, ancien doyen 
de la Faculté des lettres de Strasbourg, leur a scientifique- 
ment attribué dans cette Revue une participation reconnais- 
sable dans la formation de notre langue nationale. Une 
question se pose ici d'elle-même au sujet des peuples ou 
peuplades qui ont importé en Europe l'usage du bronze dont 
les haches de toute forme portent le nom de Kelt. Kelt est le 
nom de Celte donné aux populations qui ont successivement 
inondé l'Occident, constitué une race proprement dite, 
absorbé les premiers occupants et destinées à se fondre à 
leur tour dans la race gauloise. Durant les longs siècles de 
leur établissement en Europe, les Celtes ont conservé et 
développé leur langue d'importation, la langue celtique dont, 
pour notre part, nous ne connaissons d'échantillons modernes 
plus caractéristiques que les suivants empruntés au Bas- 
Breton. Cela nous paraît évident et nous concluons que Vâge 
du bronze en Alsace-Lorraine — pour rester circonscrit à 
nos deux provinces — a commencé avec les premières migra- 
tions celtiques dans la vallée du Rhin. Voici l'échantillon 
linguistique auquel nous venons de faire allusion et qui cor- 
respondrait, archéologiquement parlant, BUxKelts placés dans 
les vitrines de nos musées. 



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10 REVUE D'ALSACB 

FaUa ibil a sœr vigour da guente, ■— Ne quant gant tàbcu- 
tinou e tistumergue zec lard. — Armean ruill ne zistam a 
guinvi. — Barnitar reell e vel mafell deoch besa harnet^ 

Confondus avec les Gaulois de la pierre polie, les Celtes de 
l'âge du bronze dont, selon M. d'Arbois de Jubainville, le 
domaine s'étendait jusqu'à l'Oder, auraient conservé dans la 
Basse-Bretagne, à l'île du Man et au pays de Gai, les rudi- 
ments de leur langue celtique, d'importation comme le bronze, 
et dont nous venons de donner un exemple dans lequel nous 
découvrons à peine deux ou trois indices de parenté avec nos 
idiomes ou patois de langue d'oiZ et d'oc. Il diffère autant de 
ceux-ci que les haches de bronze diffèrent de nos modernes 
outils en acier fondu. Si l'on devait suivre dans cette voie 
certains auteurs, on arriverait bien vite à des temps qui appar- 
tiennent à l'histoire, même avec l'usage du bronze. Mais c'est 
chose réservée à MM. Faudel et Bleicher qui, dans la matière 
dont il s'agit, se préoccupent surtout des points d'attache les 
plus reculés du bronze avec l'âge de la pierre. 

Spécialement consacré à l'Alsace, le chapitre II de leur 
ouvrage est consacré à nous faire connaître les objets en 
bronze découverts au pays, les localités et les circonstances 
dans lesquelles ils sont arrivés au jour. 48 kelts ou haches, 
55 armes, telles que épées, poignards, etc., 23 outils, couteaux, 
faucilles, etc., 46 bracelets de tout calibre, 9 anneaux de bras 
(brassards) et de jambe et d'autres plus simples, creux ou 
pleins, 10 torques, des épingles, des fibules, des vases ciné- 
raires et des objets divers. Puis ils indiquent, canton par 
canton, les objets et les conditions dans lesquelles ils ont été 
exhumés, de manière à arriver à une classification topogra- 
phique significative : Dans le Sundgau, au voisinage de la 

^ La plus mauvaise cheviUe de la charrette est celle qui fait le plus 
de bruit. — Ce n'est pas avec un tambour que Ton rappelle un cheval 
épouvanté. — Pierre qui roule n'amasse pas de mousse. — Jugez les 
autres comme vous voudriez que l'on vous juge&t. 



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COUP d'oeil sur l'âge du bronze en ALSACE 11 

Suisse, les outils en pierre sont abondants, les mégalites y 
font défaut, de même que le bronze. Sur les hautes montagnes 
du pays, on ne trouve que rarement des mégalites, point de 
pierres taillées ni de bronze. Sur les premiers contreforts des 
Vosges, la pierre et le bronze y sont rares, tandis que les 
mégalites sont très abondants. Sur les collines entre Sentheim 
et Niederbronn, la pierre et le bronze y sont disséminés, les 
mégalites absents ; sur les collines de la Basse- Alsace, la pierre 
abonde, le bronze y est disséminé et les mégalites nuls ; dans 
la plaine basse, la pierre y est rare, le bronze très abondant 
et les mégalites absents ; dans l'Alsace, enclave de la Lorraine, 
pierre, abondante, bronze rare, mégalites assez fréquents, et 
enfin dans l'Alsace septentrionale, pierre nulle, bronze rare, 
mégalites fréquents. 

De cette statistique envisagée à un autre point de vue, nous 
ne retiendrons que 22 bronzes trouvés dans les inhumations 
des cromlechs, 1050 tirés des tumulis, 6 associés au fer et 19 à 
l'or. Il y a dans ces données le germe de déductions que de 
nouvelles recherches permettront sans doute de préciser. Du 
reste, MM. Faudel et Bleicher laissent entrevoir dans les 
pages qui terminent leur intéressant travail, que leur prochain 
fascicule donnera satisfaction à la plus grande partie des 
desiderata qu'ils ont sans doute voulu laisser subsister. 

Une remarque, h peine indiquée par les auteurs, au sujet 
des anneaux de jambe et des bracelets à boutons, non fermés, 
nous fait partager leur sentiment sur la gêne que ces orne- 
ments devaient occasionner aux personnes qui en étaient 
revêtues. Nous appliquerons même cette remarque à tous les 
torques recueillis. Mais il nous paraît indubitable que les 
personnes n'étaient munies de cette orfèvrerie qu'après leur 
mort Elle faisait partie de la toilette funèbre au même titre 
que les armes, les épingles, les fibules, les coulants, les vases 
funéraires, etc., que l'on trouve régulièrement dans les 
tombeaux de cet âge. Une tradition, qui nous paraît aussi 



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12 REVUE D'ALSACE 

remonter à cette époque lointaine, dit que le travail du bronze 
était réputé un art sacré et le travail du fer un art maudit. 
De là la raison de l'abondance du bronze et de la rareté du 
fer dans les inhumations de la seconde période des trois âges. 
Pour jeter au moins une date au milieu du vague, dans lequel 
la science laisse flotter les esprits, nous dirons que, selon 
M. Alexandre Bertrand, du Musée de Sain1>-Germain, le privi- 
lège de travailler les métaux, demeuré longtemps lié à l'exis- 
tence de certaines tribus considérées comme des enchanteurs, 
des magiciens, ne prit fin que vers le septième siècle avant 
notre ère, époque où le fer commença sans doute à triompher 
de la malédiction dont il était frappé. 

Le résultat positif de cette longue et laborieuse exploration 
se trouve résumé pages 115 à 120 du volume. 1° L'homme 
existait en Alsace à la période paléolithique de la pierre 
taillée par éclats. Le crâne humain découvert dans le lehm 
d'Eguisheim, le squelette de BoUwiller, la pointe de flèche de 
Harthausen en sont des preuves. 

Nous joignons à ces preuves le buste ébauché découvert 
par M. Voulot, à 4 mètres de profondeur, dans le lehm intact 
de Bavilliers, et qui, à son arrivée à la lumière, portait les 
marques indiscutables du mouleur essayant de bâtir en argile 
la rustique figure de l'homme préhistorique. Ce curieux sujet 
se déforme chaque jour par l'eflet de l'air et delà lumière, 
dont il fut préservé dans le limon ou diluvium de Ravilliers. 

2® A l'époque néolithique^ la population était déjà plus dense, 
ainsi que l'attestent les nombreuses découvertes de pierres 
polies dans le haut Sundgau, sur les collines sous-vosgiennes 
de Masevaux à Niederbronn, etc., etc. 

3° « A Tâge de la pierre a succédé, en Alsace, un âge du 
bronze bien caractérisé. » Les auteurs appuient cette affir- 
mation sur les découvertes nombreuses qu'ils ont signalées et 
les objets dont ils reproduisent l'image. 

4« La fin de l'âge du bronze, caractérisée par la nécropole 



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COUP d'oeil sur l'âge du bronze en ALSACE 13 

de HaUstatt, est marquée en Alsace par les nombreux tumuli 
qui couvrent la vaste plaine de la rive gauche du Rhin et 
dont le mobilier funéraire a donné divers objets et quelques 
armes en fer. C'est donc à l'époque où l'inhumation se fit dans 
des tertres en relief que commencerait le premier âge du fer. 
Le nouveau fascicule que nous attendons avec impatience 
complétera les premières études de nos savants concitoyens. 

Déjà il apparaît clairement qu'au temps préhistorique, le 
versant oriental de la Vosge fut en quelque sorte la terre 
promise des premières migrations celtiques dont le domaine 
s'étendit jusqu'à l'Oder et même jusqu'à la Vistule selon 
quelques-uns. Elles ont laissé chez nous les preuves nom- 
breuses, non pas seulement de leur passage, mais de leurs 
établissements au milieu des populations, relativement déjà 
très denses, de la période néolithique ou de la pierre polie. 
Si ces preuves ne sont pas aussi massives que dans les pays 
Scandinaves, par exemple, elles ne témoignent pas moins d'une 
existence calme et prospère pendant de longs siècles, comme 
le disent MM. Faudel et Bleicher, sur la rive gauche du Rhin 
et les régions méridionales contiguës. Fondus, plus tard, avec 
les populations de l'occident chez lesquelles la connaissance 
des métaux était aussi arrivée, les Celtes constituèrent la 
nation gauloise dont le passé se reliera aux temps historiques 
bien avant la domination romaine. 

Il reste, sans aucun doute, bien des points obscurs à éclaircir 
dans ces lointaines évolutions de l'humanité, surtout quand 
on cherche à les mettre d'accord avec la science géologique. 
La période glaciaire entr'autres, qui, depuis quelques années 
a chez nous une littérature diluée à l'excès, peut causer des 
embarras assez inextricables, malgré les données du bos pri- 
migenius, de l'époque du Renne, des cavernes habitées, des 
abris sous roche et d'autres faits acquis dont plusieurs de- 
meurent encore inexpliqués. Mais toutes les branches des 
sciences naturelles et historiques sont à l'œuvre et l'on ne 



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14 REVUE D'ALSACE 

saurait douter des progrès qui permettront de rectifier les 
erreurs commises, de redresser les idées mal assises et de 
gagner du terrain dans les voies de la vérité historique. 

On ne remue pas les questions d'origine sans s'exposer à de 
périlleuses contradictions. Ce n'est pas de l'Orient que la 
lumière et la civilisation sont venues en Europe. C'est du 
moins l'opinion d'un membre énâinent du dernier congrès 
anthropologique de Carlsruhe. Lumière et civilisation procèdent 
de Theutobok et de ses descendants. Ceux-ci ne doivent rien 
à l'Orient. L'humanité entière leur est redevable de tous les 
bienfaits de l'ordre matériel et de l'ordre moral. Il est vrai 
que cette thèse ne serait pas confirmée, à certains égards, par 
un professeur français qui jouit de quelqu'autorité dans le 
monde des sciences exactes. 

Au point de vue grammatical, dit M. d' Arbois de Jubainville, 
professeur au collège de France, il y a un abîme entre les 
Celtes et les Germains. « Cependant leur vocabulaire offre, de 
part et d'autre, un certain nombre de mots identiques. La 
plupart concernent l'organisation sociale. Les termes qui 
signifient : roi, fonctionnaire, héritage, serment, ordre, otage, 
dette, esclave, médecin, sont les mêmes dans les deux langues 
et ne se trouvent pas dans d'autres idiomes indo-européens. — 
La même observation s'applique à des termes militaires 
signifiant : bataille, char de guerre, cheval de guerre, armes 
de jet, forteresse, etc. — Ces mots communs nous reportent 
à une époque où les Gaulois étendaient leur domination 
jusqu'au bassin de l'Oder et même de la Vistule, comme le 
prouvent les noms de villes conservés par Ptolémée. — Cette 
grande puissance de la race celtique remonte au quatrième ou 
au troisième siècle avant notre ère. » La place de Theuthobok 
paraîtra, pensons-nous, suffisamment établie. 

Frédéric Kurtz. 



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LE SIÈGE DE BELFORT EN 1814' 

du 24 décembre 1813 au 16 avril 1814 



Suite et fin * 



Le 20, à 3 heures du matin, deux coups de canon partis du 
fort nous arrachèrent à la quiétude dont nous jouissions 
depuis plusieurs jours ; nous crûmes que c'était le signal de 
nouvelles hostilités et que le bombardement recommençait, 
mais au silence qui suivit nous revînmes de notre erreur. Dès 
le matin une brume épaisse enveloppa les cantonnements 
ennemis et ne nous permit pas de distinguer ce qui s'y passait- 
Vers midi on aperçut du fort un convoi considérable, composé 
de voitures, fourgons, caissons et pièces de canon, qui se 
dirigeait de Danjoutin sur Bavilliers; en même temps un 
convoi presque aussi considérable rétrogradait de Bavilliers 
sur Danjoutin. Quelques habitants supposèrent mal à propos 
que les alliés se repliaient sur Bâle; d'autres pensèrent que 
le premier convoi portait des munitions et du renfort à l'en- 
nemi, et que le second, composé de caissons et de fourgons 
vides, gagnait les derrières de l'armée pour y renouveler ses 
provisions et ses munitions. 

Quoi qu'il en soit le canon du fort tira sur ces convois depuis 
midi jusqu'à 4 heures du soir. Des remparts de l'est, les 
assiégés inquiétaient aussi, par des décharges à mitraille et à 
boulets, une centaine de travailleurs qui coupaient la route 

. ^ Y<)ir la, Uvraiiso^n du, 4"»« trimestre 1885, 



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16 REVUE d'aLSACE 

de Pérouse en y creusant un fossé. Environ 140 coups de 
canon furent tirés du fort dans cet après-midi, par 22 artil- 
leurs, sans que Tennemi ripostât. Quoique le brouillard nuisit 
à la justesse du tir, Tennemi, que cette circonstance atmos- 
phérique protégeait dans sa marche et dans ses travaux, 
releva plus de 400 hommes morts ou blessés, et perdit plus de 
80 chevaux. 

Au moment où la canonnade commença, un parlementaire 
fut expédié à Vennemi ; il portait la réponse des assiégés à la 
lettre qu'ils avaient reçue la veille. A 3 heures, pendant que 
le canon du fort occupait les assiégeants, le capitaine Lalom- 
bardière, commandant du fort, en sortit par la porte de 
secours, à la tête de 10 chasseurs démontés; grossie par 
10 hommes qu'elle emprunta à l'avant-poste placé sur la route 
de Pérouse, cette petite troupe gravit hardiment les hauteurs 
de la Potence et attaqua le poste autrichien : 100 hommes 
environs prirent la fuite, abandonnant le chemin couvert. 
Nos vingt hommes pénétrèrent dans les retranchements; là 
une lutte, — lutte de vitesse — s'engagea entre eux et quelques 
soldats retardataires qui ne voulaient fuir qu'en sauvant leurs 
provisions. La soupe était servie, l'attaque était inopportune. 
Un caporal qui avait à peine eu le temps de quitter sa gamelle 
pour prendre son fusil porta un vigoureux coup de baïonnette 
au capitaine Lalombardière ; celui-ci esquiva l'attaque en 
parant avec son sabre qui fut brisé ; avant que le caporal ne 
redoublât, le capitaine avait saisi le canon du fusil et, ramas- 
sant un bâton, il en frappait le pauvre diable qui prit le parti 
de lâcher son arme pour fuir; mais le capitaine le poursuivit, 
frappant sans relâche, jusqu'à ce que le caporal tombât étourdi 
par la violence des coups. Ce bâton que l'officier français 
avait trouvé sous sa main était le schlagen des caporaux 
autrichiens, arme dont le caporal avait sans doute usé maintes 
fois pour le maintien de la discipline. 

Tandis que la fusillade s'engageait entre les fuyards abrités 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 17 

dans les brousailles et quelques-uns de nos soldats, leurs 
camarades mangeaient gaiement la soupe de l'ennemi et 
vidaient le contenu des gamelles. L'apparition de 200 Autri- 
chiens envoyés du cantonnement de Pérouse mit fin à ce 
plaisant festin : le petit détacheinent dut battre en retraite, 
ce qu'il fit en bon ordre, en emportant la marmite, le pain et 
les autres provisions du poste. Nos 20 hommes ne furent pas 
sérieusement inquiétés, ils rentrèrent dans la place sans avoir 
une égratignure à déplorer. 

A 7 heures du soir, des coups de canon furent tirés du fort, 
et le commandant essaya des grenades ; les habitants crurent 
que l'ennemi lançait des obus et que c'était le signal du 
bombardement : mais dès 9 heures le calme se rétablit et se 
prolongea jusqu'au lendemain ; d'ailleurs la neige qui tombait 
n'était pas propice aux feux de l'artillerie. 

Dans la matinée du 21, une escorte accompagna 200 hommes 
de corvée qui enlevèrent de la maison d'un anabaptiste, près 
de Notre-Dame-de-Lorette, environ 2C0 gerbes de blé : il n'y 
eut pas d'engagement. 
L'artillerie ennemie se tut le 21, le 22 et le 23. 
Le 23, dans la soirée, on entendit, ou l'on crut entendre^ 
des coups de canon dans le lointain. A la même heure un 
caporal et 10 soldats français, Piémontais d'origine, désertèrent 
du poste de l'Ouvrage à Corne et passèrent à l'ennemi. 

Le 24, dans la matinée, le canon du fort lança quelques 
boulets; l'artillerie ennemie ne riposta point. Dans l'après- 
midi, une canonnade prolongée se fit entendre sourdement, 
dit-on, dans la direction de Lure selon les uns, dans la direction 
de Besançon selon les autres, d'oU l'imagination des uns et des 
autres tira des conclusions fort hypothétiques. Après avoir 
battu les alliés, l'armée française s'avance sur Belfort, disaient 
les uns ; c'est une sortie de la garnison de Besançon, ou le 
bombardement de cette ville, disaient les autres. Le vent 
soufilait du nord, et les bruits sourds que l'on appelait une 

NoaToUo Série. •* IIT* aoDée. 2 



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18 REVUE D'ALSACE 

canonnade, arrivaient à nos oreilles par saccades, avec les 
raffales du vent : il était plus simple de conjecturer que canon 
grondait à Huningue ou à Brisach. Il ne serait pas moins 
rationel, peut-être, d'admettre que certaines oreilles tintèrent 
au souvenir du bomljardement- passé ou dans l'appréhension 
d'une recrudescence de canonnade, sous les voûtes sonores 
d'une cave ou d'une casemate. 

■ A 9 heures du soir, nouvelle alerte : le maréchal-des-logis 
de gendarmerie et un chasseur vinrent raconter au comman- 
dant de la place qu'une yiwefimUade ^ se faisait entendre au 
loin, dans la direction de Roppe. Etait-ce encore une conver- 
sation engagée par des alliés soit à Huningue, soit à Brisach. 
La distance contrariait la vraisemblance de cette conjecture. 

Le 25, le fort tira quelques coups de canon auxquels l'ennemi 
ne répondit pas. Vers 10 heures du matin la canonnade mys- 
térieuse, inexplicable, retentit encore dans le lointain, — 
dit-on. 

A part ces bruits lointains de fusillade apportés sur les 
ailes du vent, les jours et les nuits ont été fort calmes. Quel- 
ques coups de canon ont été tirés du fort sur un corps ennemi 
changeant de position. 200 voitures de blessés sont passées h 
Bavilliers le 26, et se sont dirigées vers le Kàin. 

Le lendemain, un petit détachement du 63® de ligne s'est 
engagé dans la ruelle de la synagogue; l'ennemi a aussitôt 
abandonné ses retranchements, et nos troupes sont rentrées 
après avoir capturé 3 vaches et 8 sacs de blé, mais sans avoir 
eu le temps de démolir les ouvrages de la batterie établie 
dans le champ de M. Dauphin. Les assiégeants se sont vengés 
de cette surprise en lançant dans la nuit quelques obus. 

Le 29, des précautions inusitées avaient été prises dans la 
place. Les communications avaient été interrompues entre la 
ville et les faubourgs. Dès le matin, 300 hommes d'infanterie, 

* Noire relation dit fusillade et non canonnade. 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 19 

50 cavaliers et 2 pièces de 4 sortirent des remparts, et se 
dirigèrent vers les postes ennemis, qui, cette fois encore, 
prirent la fuite à leur approche. Néanmoins nos chasseurs 
chargèrent les fuyards et parvinrent à en prendre une cin- 
quantaine ; mais comme les vainqueurs étaient moins nombreux 
que les prisonniers, une partie de ceux-ci parvint h s'échapper. 
Un officier ennemi, ayant refusé de se rendre, fut tué par 
Tadjutant-major Robert, du 14" chasseurs. La colonne dirigée 
sur Bavilliers avait poussé jusqu'à ce village, en tirant à 
mitraille sur les groupes qui se massaient sur son chemin. 
L'effet de cette vigoureuse sortie avait quelque peu démoralisé 
les soldats d'outre-Rhin ; leurs lignes se repliaient sur Argié- 
sans et leurs caissons et leurs bagages suivaient avec célérité. 
Tandis que les Français déblayaient ainsi le terrain occupé, 
des hommes de corvée enlevaient le bétail et les denrées ali- 
mentaires des maisons Klopfenstein,Keller, Thierry et autres; 
ils incendiaient les baraques de l'ennemi et démolissaient les 
habitations où il se réfugiait en temps plus calme. 

Pendant que cette action se passait à l'ouest, les troupes 
placées au nord, auxquelles s'étaient joints les détachements 
cantonnés à Offemont, avaient tenté un mouvement sur Cra- 
vanche. Un rideau de tirailleurs couvrait la prairie du Valdoie, 
flanqués et protégés par une bande de Cosaques. Mais nos 
troupes ayant rempli leur but se retiraient en tiraillant, et 
les chasseurs du 14® narguaient les Cosaques, qui répondaient 
à ces avances en faisant exécuter à leurs chevaux Aesfantaskts 
plus brillantes que dangereuses. 17 vaches, autant de cochons, 
plusieurs autres pièces de bétail et des voitures chargées de 
gerbes de blé ont été le résultat de cette journée ; le butin 
aurait été plus considérable si les hommes de corvée eussent 
été munis de sacs et de cordes. 

Vers Cravanche, nous avons fait onze prisonniers ; 9 morts 
et 40 blessés ont été les seules pertes que nous ayons éprou- 
vées dans cette sortie. Celles de l'ennemi ont dû être triples. 



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20 REVUE D'ALSACE 

Un calme de plusieurs jours a succédé à ce glorieux fait 
d'armes. Cependant, la semaine a été troublée par un incident 
inquiétant. Un factionnaire avait signalé un ct)mmencement 
d'incendie, qui s'était déclaré dans la salle de spectacle. On 
avait vu, dans la soirée, un homme, porteur d'une lanterne, 
sortir par la porte qui donne contre la maison de M. Haas. 
On a cru, un instant, que la malveillance s'était concertée 
avec l'ennemi. Nullement, c'était quelque maraudeur qui en 
voulait au tabac de la régie, déposé dans la salle du tribunal 
de commerce. Une fois le feu éteint, la tranquillité a reparu. 

De temps à autre, un officier ennemi se rendait à nos avant- 
postes pour remettre des paquets de lettres à l'adresse des 
habitants de la ville. Un bulletin en langue allemande, envoyé 
par le prince Schwartzemberg au commandant de la place, 
annonçait que leur armée avait obtenu quelques succès à 
Brienne. 

Jusqu'au 11 février il ne s'est passé aucun événement 
remarquable. Seulement, ce jour-là, plusieurs coups de canon 
ont été dirigés sur des travailleurs ennemis qui construisaient 
une masse couvrante sur la route de Pérouse, laquelle se 
prolongeait, à droite et à gauche, fort avant dans les terres. 
La batterie de la Glacière a lancé des boulets dont l'un est 
entré dans la mansarde de la maison Xavier Lapostolet. 
Chargée simplement de défendre les approches du glacis et 
des fossés, elle eût mieux fait de se taire que d'endommager, 
sans utilité, les maisons qu'elle pouvait protéger. 

Le même jour, une demande de 3000 francs fut faite aux 
habitants, par le commandant de place, pour subvenir aux 
besoins de la garnison. Le maire convoqua son conseil muni- 
cipal, qui délibéra et arrêta qu'une commission de trois mem- 
bres serait chargée de vérifier les caisses publiques. La 
pénurie du numéraire se faisait sentir aussi vivement que la 
disette des denrées ; toutefois on pouvait espérer que l'argent 
apitoyerait les détenteurs de grains; il fallait donc s'en pro- 



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SIÈGE DE BELPORT EN 1814 21 

curer, quitte à légaliser ensuite les formes que la nécessité 
forçait d'employer. La commission entra en pourparlers avec 
M. Haas, receveur particulier, qui déclara que sa caisse était 
vide. Il en résulta une scène assez vive, pendant laquelle les 
conseillers municipaux ne se comportèrent pas avec une 
rigoureuse convenance. 

Le 13 février, dès 6 heures du matin, le canon se ât entendre. 
Certain mouvement parmi les troupes annonçait qu'il se pré- 
parait une sortie. En effet, toute la troupe assemblée sur la 
place d'Armes, sortait de la ville à 7 heures. La première 
colonne se porta par le chemin de la Côte, sur Danjoutin, et 
les deux autres se dirigèrent par la porte du Secours sur le 
bois de la Perche et les environs de Pérouse. MM. Robert et 
Schnider, officiers de chasseurs, commandaient la cavalerie. 
Ils prirent le galop et firent mine de porter le cap sur le 
village. Lorsqu'ils eurent dépassé la ligne du poste ennemi, 
' ils firent un demi-tour h droite et lui coupèrent brusquement 
la retraite. Le poste pouvait facilement se défendre contre 
deux officiers ; il n'en fut pas ainsi : les 21 hommes qui le 
composaient mirentbas les armes sans brûler une amorce. Cette 
chevaleresque témérité avait encouragé nos troupes ; l'ennemi 
était refoulé sur Pérouse ; d'un autre côté on se fusillait d'une 
vive manière vers Danjoutin. Enfin la ligne ennemie se met 
en mouvement. Trois pièces de canon sont placées sur les 
hauteurs et essaient de repousser les nôtres. Il était trop tard ; 
ceux-ci avaient déjà chargé plusieurs voitures de grains et de 
farine; ils opéraient leur retraite en bon ordre. Un boulet 
ennemi avait malheureusement démonté une voiture et tué 
deux chevaux. Ces précieuses ressources d'approvisionnement 
durent être abandonnées. Toutes les troupes étaient rentrées 
à une heure de l'après-midi. Elles ramenaient de leur expédi- 
tion une paire de bœufs, 7 à 8 génisses. M. Housset, fils, a été 
blessé dans cette sortie, qui a coûté à l'ennemi 32 prisonniers. 
Le 16, on commence à manger du pain mélangé de farine 



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22 REVUE d'alsace 

et d'avoine. L'eau afflue dans le canal et permet au moulin de 
fonctionner, ce qui n'était arrivé depuis la gelée. On présume 
que quelques citoyens ont brisé la glace de l'étang de la Forge, 
afin de faciliter l'écoulement; quoiqu'il en soit, trois tournants 
sont affectés à la mouture des grains destinés à la subsistance 
de la garnison. Mais le lendemain, l'eau du canal dimiAue 
considérablement; il paraît que l'ennemi s'est aperçu du tra- 
vail qui s'est effectué à son insu; il travaille lui-même à 
arrêter le libre écoulement des eaux. Les particuliers paient 
jusqu'à 10 et 12 francs pour faire moudre un sac de blé. 

En présence du redoublement de privations, le maire con- 
voque les principaux habitants de la ville pour compléter la 
somme de 3000 francs demandée par le commandant de place. 
Le mode de recouvrement ayant été arrêté, on vérifia ce qui 
était dû sur les contributions et la commission chargée de ce 
travail le transmet au maire. — Le soir, on fait courir le bruit 
que le lendemain la ville sera bombardée sans ménagements. 
— Tout le monde court aux poternes. 

L'occupation de Troyes par les Bavarois, la reddition 
d'Avesnes et de Laon par les Russes, et peut-être les succès 
obtenus par nos fourrageurs dans les deux précédentes sorties, 
avaient simplement fait répandre le bruit d'un bombardement 
général pour le 21. Et bien que ce jour-là. Monsieur, comte 
d'Artois, entrât à Vesoul, les batteries ennemies ne tirèrent 
pas un seul coup de canon en réjouissance de cet heureux 
événement; elles demeurèrent muettes, et la panique occa- 
sionnée par la menace de la veille, s'en alla en fumée. Seule- 
ment, vers 4 heures de l'après-midi, un feu de mousqueterie 
s'engagea entre l'avant-poste du Moulin-Neuf et celui de la 
côte de Danjoutin. Cette escarmouche a duré une heure et 
demie. Pendant sa durée, un cavalier du 14® de chasseurs, en 
état d'ivresse, et qui tenait à montrer à ses camarades combien 
il était dédaignelïx des balles ennemies, s'avança, seul, et sans 
armes à demi-portée de fusil, en se moquant des vedettes, qui 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 23 

lui répondaient par des coups de feu : les balles pleuvaient 
autour de lui; eniin, comme cette ridicule bravade devait 
avoir un terme, il fut atteint et tomba. Le malheureux essaya 
de descendre la Côte; il se traînait péniblement sur les coudes 
et les genoux, sans y parvenir. Alors quatre chasseurs, animés 
d'un courage généreux, se portèrent à sa rencontre pour 
l'enlever; ils y seraient parvenus sans accident, si le canon 
du fort, éveillé par le bruit de la fusillade, n'était venu rap- 
peler à l'ennemi qu'il n'était pas là pour s'étonner bénévole- 
ment d'un trait de dévouement : une décharge eut lieu et 
celui qui avait mis le blessé sur ses épaules fut frappé mor- 
tellement. 

Le froid redoublait d'intensité, Teau, absorbée par la gelée, 
empêchait le moulin de fonctionner. Les vivres devenaient 
rares dans la place depuis que les alliés en avaient éloigné 
leurs lignes : aussi ne pouvait-on presque plus compter sur la 
ressource des sorties, lesquelles, comme on le sait, n'avaient 
d'autre but, quand elles étaient praticables, que de tenir au 
complet les magasins de la place, si pauvres au début du siège. 
Sentinelle avancée, le canon du fort pointait sur les convois 
qui transportaient les approvisionnements de l'ennemi d'un 
point à un autre ; mais la justesse de son tir ne changeait pas 
l'ordinaire de notre brave garnison, lequel était réduit à une 
chétive portion de cheval et à un morceau de pain d'avoine 
plus chétif encore. 

Malgré le froid excessif, des changements continuels s'opé- 
raient dans les cantonnements ; et chaque fois que, hommes 
ou voitures, passaient à portée du canon du fort, nos vigilants 
artilleurs ne manquaient point de leur envoyer une courtoise 
bordée. 

Le 25, des particuliers apportèrent la nouvelle que le blocus 
de Besançon était levé. Quoique cette nouvelle méritât confir- 
mation, elle fut accueillie avec une joie qui ne tarda pas à se 
tempérer, lorsque l'on apprit un peu plus tard que les colpor- 



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24 REVUE B'ALSàGE 

teurs partis pour aller chercher des vivres dans la campagne, 
n'étaient pas rentrés et que l'ennemi avait doublé ses postes. 
Le passage était rendu très difficile par cette dernière mesure ; 
de plus on entendait résonner le canon dans la direction 
d'Huningue. Il paraît que la surveillance exercée sur la place, 
était détournée par quelque préoccupation, car les colporteurs 
rentraient le lendemain, sans avoir été obligés à de longs 
détours. Us apportaient : la nouvelle que l'armée des Alliés 
était en pleine retraite, et des vivres à faire croire à l'abon- 
dance pendant deux ou trois jours au moins. 

Du reste, les derniers jours de mars furent marqués par le 
passage de nombreuses voitures, venant de l'intérieur ; cette 
circonstance donnait de la vraisemblance à l'assertion qui 
désignait Langres comme le dernier boulevard du quartier- 
général. La victoire de Montmirail, la défaite de Blucher, celle 
des Austro-Russes et du prince de Wurtemberg, fortifiaient 
cette opinion ; et tout ce passage de troupes, de chevaux de 
main, de bagages se retirant vers le Rhin, ne semblaient-ils 
pas aussi annoncer que la fortune souriait encore à nos armes. 

Puisque les colporteurs des vivres avaient si aisément tra- 
versé le réseau de troupes qui entourait les ouvrages de la 
place, on crut devt)ir profiter du moment pour ouvrir la glace, 
afin de se procurer de l'eau dont le besoin se faisait si vive- 
ment sentir. Des ouvriers furent conduits vers le batardeau de la 
blanchisserie; mais, à peine étaienWls à l'œuvre, qu'ils furent 
troublés par des éclaireurs. Les hommes de corvée quittèrent 
alors la pioche pour le fusil, et répondirent à cette attaque, 
qui leur parut d'autant plus intempestive, que la veille il 
avait été convenu qu'on ne tirerait plus sur les factionnaires 
ni sur les hommes isolés. Les représailles ne se firent point 
attendre. Le lendemain, un capitaine hongrois, tout luisant 
d'eau-de-vie, vint caracoler sous les canons du fort : on lui 
tira dessus, mais le bruit d'un boulet ayant efirayé son cheval, 
notre brave se laissa choir pour avoir l'occasion de courir 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 915 

après sa monture qui, pas plus que lui, n'était d'avis de con- 
tinuer la partie. 

Le jeudi 10, on apprit que la famine désolait le camp ennemi. 
Les vivres étaient aussi rares d'un côté que de l'autre ; dans 
la place une carte de pommes de terre se vendait 6 à 7 francs 
et les nécessiteux étaient heureux de pouvoir se nourrir de 
sales pelures qu'ils recueillaient et accommodaient comme ils 
pouvaient. Dans l'après-midi, un parlementaire vint demander 
la reddition de la place. Le conseil de défense répondit par 
l'organe, du commandant de la place, qu'elle pouvait encore 
tenir. Une nouvelle demande de fonds fut faite aux habitants; 
les notables étaient taxés h 600 fr. chacun. 

Du 12 au 16 mars, il y eut recrudescence d'hostilités contre 
les travailleurs, occupés à établir un barrage dans le lit de la 
Savoureuse, vis-à-vis du cimetière. Les troupes disponibles 
sont sorties de la place avec une pièce de 4 pour protéger les 
travailleurs. De son côté, l'ennemi s'est déployé dans la plaine 
de Cravanche; sa cavalerie se montrait par escadrons. A midi, 
l'engagement commence ; il est à peu près nul, car la pièce 
de 4 et les boulets du fort ont empêché la jonction des troupes 
à portée efficace de mousqueton. Dans la nuit et la journée 
du lendemain, les obus plurent sur la ville, ce qui n'empêcha 
pas la continuation des travaux du barrage, devenus plus 
urgents à mesure que se multipliaient les risques d'incendie. 
Le 18, l'eau entra en ville, mais en petite quantité. Le 19, le 
travail reprit sous le feu de l'ennemi, et cette fois il vint en 
assez grande quantité pour faire mouvoir deux tournants du 
moulin. Les travaux de réparation venaient d'être terminés 
quand on apprit que Reims avait été reprise par Napoléon. 
Cette nouvelle donna un sens au mouvement rétrograde 
qu'opérait l'armée ennemie. En eflfet, tous les jours on voyait 
défiler des fourgons, des détachements isolés et ces trains 
d'équipage que les guerriers de bon ton mènent à leur suite, 
comme marque de leur valeur. On remarquait des parcs con- 



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26 REVUE d'alsagb 

tenant jusqu'à 500 voitures, des canons, des caissons, infan- 
terie, cavalerie, enfin tout ce qui constitue la marche d'une 
armée battant en retraite, ou se disposant à la retraite, en 
faisant évacuer ce qui peut contrarier la rapidité de ses 
mouvements ou compromettre ses positions. 

Soit que les Russes cantonnés à Essert se crussent sûre- 
ment à la veille d'être expulsés du territoire français et 
qu'avant de partir ils aient voulu y laisser trace de vexation 
et de brutalité; soit qu'ils eussent déjà flairé la capitulation 
de Paris, ces farouches soldats du nord menaçaient de se 
porter à des excès contre les habitants qui refusaient des 
aliments à leurs grossiers appétits. Les troupes autrichiennes 
prirent les armes pour les contenir; grâce à leur attitude 
ferme et énergique, on n'eut à déplorer aucun abus de la force 
brutale. Ce jour là, on a encore remarqué plus de mille voi- 
tures se rapprochant de la frontière pour parer, par la fuite, 
aux éventualités d'un désastre que le passage de la Marne 
pouvait rendre plus irréparable que s'il eût eu lieu ailleurs 
qu'au cœur d'un pays ennemi. 

Le 31 encore, jour néfaste, qui marqua la première chute 
du colosse qui devait tomber, se relever pour retomber encore, 
on vit des files de voitures venir prendre la place de celles 
qui les avaient devancées, la veille, à l'étape. 

A 2 heures, un major autrichien fut introduit dans la place, 
en qualité de parlementaire : il demandait une suspension 
d'armes pour célébrer la victoire que les Alliés venaient de 
remporter sur les Français. Elle leur fut accordée. En un 
instant la ville fut inondée de bulletins, proclamations, jour- 
naux, etc. 

Le l®' avril, un temps magnifique faisait pressentir la fin 
d'un hiver rigoureux, qu'avait encore aggravé la privation 
des choses de première nécessité. Depuis la nouvelle du succès 
des armes des alliés, le nombre des voitures, se retirant vers 
le Rhin, avait remarquablement diminué; c'est à peine si l'on 



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SIÈGE DE 8BLF0RT EN 1814 27 

en vit passer une centaine dans la journée. Mais l'attention 
publique n'était déjà plus fixée sur ce point Les habitants 
garnissaient les remparts pour mieux assister à la fête annon- 
cée la veille. A 10 heures du matin les batteries ennemies 
avaient couronné les hauteurs de Bavilliers et, d'intervalle en 
intervalle, faisaient entendre des salves de. réjouissance. Les 
troupes des cantonnements voisins étaient sous les armes au 
nombre de 4000 hommes environ. Malgré la suspension d'armes 
consentie à l'occasion de cette fête, les postes du Moulin- 
Brûlé et de la Côte de Danjoutin échangèrent des coups de 
fusil : c'était comme une vieille querelle qui se vidait, même 
au mépris des traités. 

A l'expiration de la trêve, M. le commandant d'armes fit un 
appel aux gardes-nationaux de la cité, pour remplir les vides 
que la fusillade, la désertion et la mortalité causée par un 
régime insuffisant, avaient faits dans les rangs des défenseurs 
soldés de nos remparts. Il nous en coûte de le dire, les gardes- 
nationaux restèrent sourds à la voix de l'autorité militaire ; 
trois convocations successives eurent lieu sans le moindre 
succès : personne ne se présenta.* L'arrestation d'un récalci- 
trant, qui semblait encourf^er parmi eux l'esprit d'insubor- 
dination, fut ordonnée par M. Caille, colonel du 63® de ligne. 
— Un soleil printanier faisait fondre les neiges amoncelées ; 
ce dégel subit occasionna des inondations ; les fossés de la 
ville débordèrent et les caves furent rem])lies par l'eau. Pour 
surcroît de malheur, un clair de lune brillant empêchait les 
excursions des colporteurs de vivres. Trois ou quatre de nos 
factionnaires furent surpris et tués dans l'espace de deux jours. 

^ Ces gardes nationaux n'imitaient assorément pas l'exemple qui 
lenr était donné par les artilleurs bourgeois, au zèle et au déTouement 
desquels était confiée la défense du fort depuis le commencement du 
blocus. Autant les uns montraient d'indifférence, autant les autres 
apportaient de constance à leur tâche, en passant les jours et les nuits 
à leurs pièces. 



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28 RBVUE D' ALSACE 

Les balles ennemies arrivaient jusque sur la place d'Armes et 
la désertion des nôtres continuait à se faire sentir. 

Le 5, on a répandu le bruit que le conseil de défense avait 
sérieusement pensé à capituler. Cette détermination est attri- 
buée à la désertion qui est considérable et à la mort d'un 
grand nombre de soldats et de bourgeois, qui, aux prises avec 
la nécessité, et vaincus par elle, périssent dans une effrayante 
proportion. Ceux que la misère n'a pas encore décimés, pâles 
et décharnés, sont réduits à se sustenter avec 6 onces de 
pain d'avoine et 4 onces de viande de cheval par jour. Les 
pauvres se nourrissent d'immondices que rejetteraient les 
animaux en temps ordinaires. 

Dans la journée du 6, un détachement ennemi tenta de sur- 
prendre le poste de l'Hôpital; cette position leur semblait 
facile à enlever, vu l'état d'épuisement de ceux qui la défen- 
daient. En échouant dans leur entreprise, quoiqu'ils fussent 
près du double plus nombreux que ceux qu'ils attaquaient, ils 
purent se convaincre que, dans les occasions décisives, la 
force morale peut parfois suppléer la force physique. Us furent 
repoussés ; 4 morts et 5 blessés leur apprirent que le nombre 
ne fait pas la valeur. — Dans le milieu de la journée deux 
parlementaires furent introduits dans nos murs ; ils venaient 
confirmer les précédentes victoires des alliés et annoncer que 
leurs troupes étaient entrées à Paris le 31 mars. Us parlèrent 
en outre de l'établissement d'un gouvernement provisoire par 
acte du Sénat et la proclamation de Louis XVIII comme roi 
de France. Quelques mots relatifs à la capitulation des places 
fortes qui tenaient encore furent dits; puis les deux officiers 
se retirèrent après avoir obtenu une suspension d'armes pour 
le lendemain, afin de solenniser une victoire qui leur parais- 
sait inespérée, à eux, qui jugeaient des événements de l'inté- 
rieur, par la résistance énergique de la place de Belfort, 
résistance dont ils ne pouvaient triompher avec des forces si 
supérieures aux nôtres. 



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SIÈGE DE BBLFORT EN 1814 29 

Le temps ne s'est pas associé à cette nouvelle fête. La 
revue des troupes dlnvestissement a été marquée par une 
pluie battante. — Les salves d'artillerie résonnaient comme 
un glas funèbre aux oreilles des assiégés. — On a remarqué 
dans la journée un revirement dans la direction des voitures 
des corps ennemis; les équipages de la chancellerie autri- 
chienne retournaient à grand bruit vers la Champagne, si non 
pour assister à la curée, au moins pour aller montrer un front 
conquérant à ceux qui, quelques jours avant, les avaient vus 
fuir sous le poids de la terreur. Plusieurs boulets partis du 
fort les saluèrent à leur passage. 

Tandis que Tallégresse épanouissait le cœur des assiégeants, 
la misère et la tristesse affligeaient la garnison et les habi- 
tants. On en était depuis longtemps réduit à vivre selon de 
pauvres expédients et souvent ils demeuraient infructueux. 
Comme moyen extrême on retira de Tarsenal les objets pou- 
vant se vendre, sans nuire^ d'ailleurs, à la défense, tels que 
bois, ferrements, etc.; il fut même question de réduire une 
pièce de 24 en morceaux : on espérait en faire quelque argent 
afin de continuer à délivrer une maigre pitance aux soldats 
affamés: les acheteurs ne se présentèrent point Les souf- 
frances des nécessiteux n'étaient pas moins vives que celles 
de la garnison. Dans la nuit du 9, on a apposé des placards 
par lesquels on demandait la fin du blocus ou du pain ; des 
menaces de mort étaient adressées aux chefs militaires s'ils 
ne se rendaient pas à ce cri de désespoir. M. le colonel du 
63« de ligne se rendit au quartier-général. A son tour, il donna 
connaissance aux habitants du sénatus-consulte qui déclarait 
Napoléon déchu du trône ; le droit d'hérédité aboli dans sa 
famille; le peuple français et l'armée déliés envers lui du 
serment de fidélité, ainsi que de l'arrêté du gouvernement 
provisoire et de sa proclamation aux armées. Mais des vivres 
point A 11 heures du matin les soldats ennemis circulaient 
déjà en maraudeurs dans les environs des faubourgs. Us se 



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30 REVUE d'ACSACE 

présentèrent à 5 ou 6 dans le jardin du sieur Grille, situé sur 
la route de Danjoutin, et demandèrent arrogamment de Teau- 
de-vie. Sur la réponse qu'il n'y en avait pas au logis, ils se 
portèrent à des voies de fait. Le chef de la famille Grille reçut 
en cette circonstance force coups dé sabre et l'un de ces 
forcenés tira un coup de fusil sur son fils aîné et lui fracassa 
une épaule. 

Le désastre consommé aux portes de Paris n'était pas 
encore officiellement avoué ; néanmoins les journaux avaient 
devancés les ordres ; on prévoyait avec plaisir la cessation 
des hostilités dans un temps peu éloigné. L'armée française 
était en pleine déroute, il n'en fallait plus douter. L'heure de 
la délivrance allait entin sonner pour ces ventres afiamés; 
Toreille des indigents n'était pas trop désagréablement afiectée 
par cette nouvelle, impatiemment attendue par la plupart 
d'entre eux. Les citadins quittèrent leurs demeures et se 
répandirent dans la campagne dont l'aspect leur avait été si 
longtemps interdit. Quelques coups de canon, semblable au 
dernier soupir d'un agonisant, se sont encore fait entendre 
dans la journée du 11. Puis, après que M. Guersdorff, officier 
autrichien chargé de transmettre les propositions de ses chefs 
à l'autorité militaire de la place, eut parlementé une dernière 
fois, en s'appuyant sur cette raison déterminante et significa- 
tive de l'arrestation de l'Empereur par ses maréchaux, quand 
on ouvrait seulement des négociations relatives à son abdica- 
tion, le conseil de défense, à bout de moyens et d'espérances, 
envoya la capitulation de la place au camp ennemi, par le 
colonel du 63' de ligne et M. Ëmont, capitaine du génie. 

Cet acte a été fait au nom du lieutenant-général baron 
Drechsel, comçiandant les troupes du blocus de la place de 
Belfort, et M. Legrand, chef de bataillon commandant la gar- 
nison française; il a été arrêté et rédigé par deux commissaires 
nommés de part et d'autre. 

Les principales conditions de la capitulation stipulaient: 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 31 

Que la ville et les forts seraient rendus aux troupes autri- 
chiennes au nom et pour le gouvernement provisoire le 
16 avril 1814; 

Que la garnison sortirait avec armes et bagages, tambour 
battant, mèche allumée, précédée de deux canons et de deux 
caissons ; 

Que la garnison, après être arrivée sur la route de Paris, 
déposerait ses armes, ses canons, ses caissons; les chevaux 
d'artillerie et du train seront remis aux troupes autrichiennes, 
les officiers français conserveront seuls leurs armes et les 
effets qui leur appartiennent; 

Que la garnison ferait serment de ne pas prendre les armes 
contre les puissances alliées jusqu'à la conclusion de la paix 
ou à réchange des prisonniers. Les blessés seront conduits 
dans leurs foyers ou dirigés sur des dépôts de régiments ; 

Que la ville ne serait pas sujette au logement des troupes 
de passage, et qu'aucun citoyen ne serait inquiété pour ses 
opinions politiques; 

Que les troupes occupant la place ne seront ni logées, ni 
nourries aux frais des habitants ; 

Enfin, et pour disposition finale, la capitulation accordait 
aux militaires évacuant la place et se rendant à leur destina- 
tion, les vivres, le logement et les indemnités d'étapes accor- 
dées aux troupes en campagne. 

Dès que les termes de la capitulation furent arrêtés et 
ratifiés par les parties contractantes, la circulation devint 
libre en quelque sorte; les habitants de la ville et ceux des 
faubourgs purent communiquer ensemble sans s'astreindre 
aux mesures de précaution commandées pendant la durée des 
hostilités, lesquelles, du reste, avaient complètement cessé, 
aussitôt que les préliminaires de la reddition avaient été posés. 
Les officiers de l'armée autrichienne se promenaient en toute 
sécurité dans les zones de la défense, pour en examiner le 



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32 REVUE D'ALSACE 

système de fortification et juger des dégâts causés par leur 
artillerie. 

L'article premier de la capitulation contenait une disposi- 
tion transitoire, relative à l'occupation partielle des postes 
principaux par les troupes autrichiennes. En conséquence, le 
13 avril, à 6 heures du matin, un détachement de 50 hommes, 
commandé par un officier, vint prendre possession, conjointe- 
ment avec les troupes françaises, du poste de la porte de 
France; le Château et ses différentes issues furent aussi 
occupés sur le même pied, en attendant que la place fut défi- 
nitivement remise. De ce moment data une liberté complète 
pour les habitants, qui en profitèrent pour aller aux provisions: 
l'abondance ne tarda pas en ettet à y renaître. 

Le lendemain l'état-major autrichien s'aventura jusque dans 
nos murs. On vit aussi revenir les émigrés de la haute bour- 
geoisie : ceux-ci avaient fui à l'approche des armées ennemies, 
afin de s'épargner les dangers qu'offre aux gens paisibles le 
blocus d'une ville de guerre, où l'on peut être, dans le cas 
d'un assaut, exposé aux plus dures humiliations, comme con- 
tributions forcées, otages et autres droits de guerre, qui se 
couronnent quelquefois par le fil de l'épée. 

A cette époque, l'acte d'abdication de Napoléon était con- 
sommé, non-seulement pour lui, mais encore pour sa dynastie. 
La déchéance du roi de Rome avait été prononcée et la 
régence que M. de Talleyrand ambitionnait sous le nom de 
Marie-Louise, lui échappait malgré lui. Un conquérant barbare 
allait placer la couronne sur la tête du successeur de Louis XV, 
selon la volonté du peuple français, qui fut très étonné quand 
on lui apprit qu'il désirait ardemment le retour des Bourbons. 
Bien que les événements de cette sombre époque fussent 
encore inconnus de nos concitoyens, les alliés, qui n'ignoraient 
j)oint les conséquences du traité de Paris, rebroussaient 
chemin avec leurs équipages; pour eux la campagne était 
honorablement terminée. 



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SIÈGE DE BELFORT EN 1814 33 

On ne s'inquiétait pas autrement; les vivres abondaient; 
les fêtes et les galas succédaient à une abstinence forcée; la 
joie déridait les visages : voilà comment on se préparait aux 
funérailles de la France impériale. Pourtant, la garnison était 
toujours réduite à la portion congrue; les malades et les 
blessés se rétablissaient avec du bouillon de cheval et du 
pain d'avoine. Les chefs étaient moins malheureux, il faut en 
convenir, dans l'intérêt de la vérité. 

La veille de la remise de la ville et des forts, le général 
autrichien mit à la disposition de l'autorité municipale des 
voitures et des hommes de corvée destinés à nettoyer ïa ville, 
travail qui les a employés toute la journée. Les gens de la 
campagne apportèrent des vivres de choix à leurs connais- 
sances. Des personnes marquantes de l'a localité, le maire en 
tête,^ allèrent visiter le général ennemi, dont la résidence 
était fixée à Bavilliers, Par contre les étrangers affluèrent à 
Belfort, les Montbéliardais notamment; le désir de voir de 
près les dégradations des malsons, des fortifications, et la 
campagne bouleversée par l'établissement des batteries, le 
passage à travers champs des hommes et des chevaux, les 
amenaient dans une ville où l'image de la désolation était 
frappante. 

Enfin le jour fatal était arrivé, où les clauses de la capitu- 
lation devaient recevoir leur plein et entier effet. 

Le 17 avril, une partie des troupes ennemies cantonnées 
dans les environs de Belfort se sont mises en bataille dans les 
champs Dauphin, près le chemin d'Essert ; le reste formait la 
haie depuis ce point jusqu'aux portes dé la ville. A 7 heures 
et demie le rappel a été battu; la garnison assemblée sur la 
place d'Armes, s'est mise en marche dans l'ordre indiqué par 

^ L'antenr da journal qui nous sert de guide blâme Tertement la 

condnite du maire en cette circonstance ; an reste, toutes les fois qu'il 

a eu occasion de s'occuper des actes de ce fonctionnaire, il l'a fait 

avec un« amertume dont il nous est impossible d'apprécier le mérite. 

NooToUo Série. — I5"' année. 3 



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34 REVUE d'alsace 

la capitulation. Deux pièces de 4, accompagnées de deux cais- 
sons, étaient en tête de la colonne, les artilleurs à leurs pièces 
et mèche allumée. La garnison sortit des remparts morne et 
consternée, tambour battant et drapeaux déployés. Arrivée à 
l'endroit désigné elle déposa ses armes; les uns les brisaient, 
les autres les jetaient à terre en pleurant : les tambours cre- 
vaient leurs caisses et le deuil était répandu sur tous les 
visages. A 9 heures tout était fini, tout était tranquille. 

On a ensuite donné aux habitants connaissance de la consti- 
tution décrétée par le Sénat, docile instrument qui avait 
d'abord été maté par Napoléon et qui s'insurgeait contre lui 
quand des revers inouis lui permettaient de douter de sa 
fortune et du génie de la France. La cocarde et le pavillon 
blancs furent substitués au drapeau tricolore, symbole de 
l'incorporation du tiers-état à la noblesse et au clergé. L'em- 
pire faisait place à la royauté. Et le peuple accepta ce change- 
ment en faisant des vœux pour que 25 ans de guerre, de 
trouble, d'anarchie et de despotisme servissent de leçon au 
nouveau gouvernement. 

C'est ainsi qu'après cent treize jours de blocus, avec des 
approvisionnements nuls, Belfort a capitulé, — deux jours 
après la reddition d'Huningue et deux jours après que le 
gouvernement provisoire eût conféré au comte d'Artois le 
titre de lieutenant général du royaume. Place forte inexpu- 
gnable par une attaque brusquée, on pouvait dire, avant 
qu'elle ne fut réduite par la famine, que les femmes du pays, — 
s'il est permis de comparer les petites choses aux grandes, — 
n'avaient, comme les femmes de Sparte, jamais vu la fumée 
d'un camp ennemi. 

Le manque de vivres n'avait néanmoins pas abattu le cou- 
rage de ses défenseurs. On sait que l'ennemi s'était présenté 
à l'improviste devant ses portes. Dans cette situation le conseil 
de défense fit faire des visites chez les particuliers à l'eflet de 
leur enlever ce qui semblait superflu à leur existence de deux 



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SIÈGE DE BBLFORT EN 1814 35 

mois. Les grains et les farines, déposés à la halle aux blés, 
furent pris à main armée; Tautorité militaire s'empara de 
même des vins, huiles, chandelles, morues, riz, etc. qui se 
trouvaient chez les marchands. Au bout de deux mois ces 
provisions étaient épuisées, mais la bravoure de la garnison 
ne Tétait point. On frappa les habitants aisés d'une contribu- 
tion; l'arriéré des impôts de 1813 fut âprement réclamé, les 
tabacs du gouvernement vendus à vil prix, de même que les 
bois de construction destinés aux travaux de défense. Tous 
ces moyens ne produisirent qu'une somme de 2800 francs dont 
une partie fut employée à donner un léger à-compte au soldat 
et le reste à l'achat de grains, qui se vendaient à un prix exor- 
bitant. Mais il faut le dire, les mesures mises en usage pour 
se procurer ces faibles ressources ne furent pas toujours mar- 
quées au coin de la justice et de la modération ; l'arbitraire 
et la violence furent souvent employés pour enlever à de 
malheureuses familles les denrées nécessaires à leur existence. 
Ce mauvais vouloir s'expliquait bien de la part des citadins, 
auxquels la longueur indéfinie du blocus donnait des craintes 
sérieuses pour l'avenir. En eflet, la durée de l'état de siège 
avait été approximativement fixée à deux mois par le conseil 
de défense. Au bout de ce temps, la garnison, loin de se 
rendre, parlait de tenir tant que l'on pourrait lui procurer 
une demi ration de vivres. Le particulier, brutalement 
dépouillé, se trouvait en proie à un dénuement absolu ; et la 
faim est une mauvaise conseillère; c'est ce qui explique la 
satisfaction publique lors de l'annonce de la fin des hostilités. 

Certes, le soldat est précieux à l'État; mais le particulier 
doit lui être cher aussi, car c'est son industrie, son commerce, 
qui le met à même d'entretenir une armée et de solder les 
fonctionnaires nécessaires au roulement de ses rouages. 

Toutefois, il est consolant d'avouer que, lorsqu'il fut ques- 
tion de résister indéfiniment, des rations de vivres furent 
faites aux malheureux par des gens aisés ; des soupes écono- 



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36 REVUE D^ÂLSACfi 

miques forent distribuées aux pauvres par des personnes 
charitables, tandis que d'autres, à qui leurs moyens permet- 
taient largement l'exercice de la charité, s'en abstenaient 
dans un esprit d'égoïsme et de ladrerie. Dans ces temps 
calamiteux, le génie du mal trouvait souvent l'occasion de se 
révéler : les dénonciations calomnieuses menaçaient de renou- 
veler les atrocités révolutionnaires de 93. 

Si l'on posait cette question : — Belfort pouvait-il encore 
tenir lorsqu'il capitula ? Il faudra répondre négativement, car 
le 12 avril, déjà, les ressources étaient littéralement épuisées 
et la garnison diminuée de moitié ; ce qui en restait était 
exténué de fatigue et de misère. Il fallut négocier alors, et 
notre brave garnison fut obligée de déposer les armes dont 
elle s'était servie si glorieusement pendant la durée du siège. 
— Les cent jours nous valurent un second blocus, qui se 
termina lors<tue Louis XVIII eut ramassé sa couroûne dans 
les champs sanglants de Waterloo ! 



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MATÉRIAUX 

POUR SERVIR A 

L'HISTOIRE BE LA mm DE TRENTE ANS 

tirés des aroliives de Colixiar 



Négociations particulières au sujet d'un nouveau 
péage et d'une entreprise contre le prieuré de 
Sainl^Pierre; arrivée du duc de Longueville et 
du comte de Pénarranda à MUnster; questions 
d'étiquette ; maladie de Schneider ; situation 
militaire; délibérations des états sur des ques- 
tions de procédure. 

Les plénipotentiaires français témoignaient une telle bien- 
veillance à Colmar que la ville ne craignait pas de les impor- 
tuner de réclamations qui n'avaient aucun rapport avec leur 
mission proprement dite. 

Les chefs militaires qui commandaient en Alsace pour le 
roi de France, venaient d'établir de leur propre autorité de 
nouveaux péages. L'abandon où leur gouvernement les laissait 
trop souvent, justifiait peut-être cette mesure ; mais les popu- 
lations excédées de contributions, de levées extraordinaires, 
de dîmes militaires en nature, de logements de gens de guerre, 
n'en pouvaient plus. Colmar prit le parti de défendre leur 
cause et la sienne et de faire intervenir son député à Munster. 
Celui-ci rédigea lui-même un mémorial qu'il data du 20 mai 
et sceUa du sceau dont il était porteur. Le -^ juin, il en fit 



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38 REVUE D'ALSACE 

la remise aux deux ambassadeurs, comme si la pièce venait 
de lui parvenir. Ce fut la première fois qu'il employa ce moyen, 
qui lui devint habituel, en prenant toutefois la précaution de 
faire coïncider les prétendues lettres de ses commettants avec 
l'arrivée de sa correspondance ; car, les jours de courrier, il 
n'était pas rare de voir les secrétaires de l'ambassade fran- 
çaise se faire représenter à la poste le bordereau des dépêches, 
et s'il ne s'en était pas trouvé pour le député de Colmar, cela 
aurait pu donner des soupçons sur l'authenticité de ses com- 
munications. 

Le comte d' A vaux et Servien tenaient trop à ce que la 
France ne donnât pas à ce moment de sujet de mécontentement 
à ses alliés, pour ne pas prendre feu, quand Schneider leur 
vint faire ses doléances. Le premier demanda si Turenne ne 
pourrait pas remédier à ces abus ? Sur la réponse négative 
de l'envoyé, il s'engagea à écrire à la fois au cardinal Mazarin 
et au chancelier Le Tellier. Servien ne montra pas moins de 
bon vouloir. C'était lui qui avait négocié avec Mogg le second 
traité de protection, et il était engagé d'honneur à ce que l'on 
tînt ce qui avait été promis. Il recommanda tout particulière- 
ment h la ville de ne tolérer aucune entreprise de son com- 
mandant, et il chargea Schneider, qui l'avait salué de la part 
de Mogg, de lui faire ses compliments : « Escriues-luy, lui dit-il, 
que nous les mettrons en meilleur estât qu'ils n'ont été cy 
deuant. » 

Ce n'était pas le seul sujet de plainte qu'eût la ville. L'abbé 
d'Ebersmttnster qui, déjà en 1628, avait soulevé des prétentions 
sur le prieuré de Saint-Pierre, et qui depuis n'avait manqué 
aucune occasion de les faire valoir, venait de s'en faire délivrer 
les provisions par le prince de Conti, abbé de Cluny et supé- 
rieur général de l'ordre — on se souvient que le prieuré en 
avait dépendu jadis. — Pour donner plus de poids à ses 
démarches, le prince de Conti et son père, le prince de Condé, 
avaient écrit à la ville, le 5 février précédent, pour la mettre 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 39 

en demeure de restituer Saint-Pierre, comme bien d'église, à 
celui qu'il considérait comme légitime propriétaire. Le dernier 
poussa même les choses au point d'envoyer directement à 
M. de Clausier, le commandant de Colmar, l'ordre de procéder 
au besoin par voie d'exécution. 

Jusque-là, la ville n'avait pas pris au sérieux la réclamation 
de l'abbé d'EbersmUnster. Mais cette fois, l'intervention de 
deux princes du sang, père et frère du duc d'Enghien, des 
mérites duquel ils n'avaient pas manqué de se prévaloir, lui 
donna à réfléchir. Il y avait soixante-dix ans qu'elle avait 
acheté de bonne foi le prieuré de Saint-Pierre de la ville de 
Berne. Celle-ci en avait acquis la propriété du temps où elle 
s'assujettit et qu'elle sécularisa l'abbaye de Payerne, la maison- 
mère du prieuré. Le contrat avait été passé en bonne forme; 
il avait reçu l'agrément de l'évêque de Maurienne et du cha- 
pitre de la sainte-chapelle de Chambéry ; il avait été confirmé 
par le duc de Savoie et par l'empereur Maximilien IL Colmar 
pouvait invoquer en outre la convention de Passau, qui avait 
reconnu aux protestants la possession des biens d'église sécu- 
larisés, et le traité de protection avec la France, qui lui garan- 
tissait la libre disposition de son patrimoine. Comme on voit, 
la défense était facile, mais les parties étaient puissantes. 
Avant tout la ville s'adressa, le 27 juin, à son vendeur, qui 
était tenu de faire respecter le contrat. En même temps elle 
écrivit, le 20 juillet, à M. de Polhelm, pour le mettre au 
courant de la démarche indiscrète des Condé et à même de 
parer à leurs intrigues à la cour (Fret miss.). 

De son côté Mogg avait parlé de l'affaire dans sa corres- 
pondance avec Schneider, qui soupçonna immédiatement le 
prince de Conti d'avoir été mis en avant par les Jésuites « dont 
il était l'idole » (lettre du 10 juin). Dans sa réponse il ne cacha 
pas son regret, qu'on n'eût pas depuis longtemps afl[ecté l'an- 
tique église de Saint-Pierre au culte protestant, persuadé que, 



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40 REVUE D* ALSACE 

ei on ay^it pris cette résolution à temps, le prieuré jie serait 
pas dans ce moment l'objet de tant de convoitises. 

L'arrivée du duc de Longueville à Mtinster l'obligea de 
remettre l'entretien qu'il se proposait d'avoir là-dessus avec 
Servien. Parmi les ambassadeurs des différentes puissances, 
c'était à qui ferait son entrée avec le plus de pompe, et, déjà 
le 10 juin, d'Avaux et Servien étaient allés jusqu'à Wesel 
conférer de la cérémonie avec le chef que le gouvernement 
venait de leur donner. Servien avait reçu de France une nou- 
velle livrée d'une grande richesse et deux caresses dont la 
magnificence dépassait tout ce qu'on avait vu jusque-là. Pour 
laisser à ses chevaux le temps de se reposer, le duc de Longue- 
ville s'était arrêté quelques jours dans une villette du nom de 
Telligt (?), à une heure et demie de chemin de Mtinster (lettre 

du 14 juin). Il aurait dû arriver le -55- juin, mais le mauvais 

20 
temps retarda l'entrée jusqu'au lendemain -^ juin. Ce fut 

une marche quasi-triomphale, dont rien n'avait encore ap- 
proché. A l'appui du témoignage qu'il en rendit, Schneider 
envoya à ses commettants une description minutieuse du 
cortège. 

Peu de jours après, ce fut le tour de l'ambassadeur espagnol, 
comte de Penaranda, que l'on alla chercher avec dix caresses. 
11 avait une suite assez nombreuse ; ses gens étaient venus 
avec lui de Bruxelles, sur des chevaux de louage et même sur 
des ânes ; mais le cortège n'avait rien d'imposant et, comparé 
à celui du duc de Longueville, il fit peu d'honneur au nouveau 
représentant de l'orgueilleuse Espagne. Schneider assista à 
cette seconde entrée de sa fenêtre, en compagnie de l'envoyé 
hessois Vultejus, qui était venu lui rendre visite (lettre du 
27 juin). 

L'arrivée du duc de Longueville ne contribua pas d'abord 
à activer les négociations. En sa qualité de prince souverain 
de Neuchâtel, il prétendait le titre d'altesse, que les Impériaux 
lui contestaient, que même les médiateurs refusaient de lui 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 41 

reconnaître, et en attendant que cette question fut vidée, il 
ne reçut d'autre visite que celle des alliés de la France. 
Schneider fut reçu en audience publique, le 26 juin (v. st). Le 
duc qui se souvenait d'avoir passé à Colmar et d'y avoir trouvé 
bon accueil) se montra très affable et loua beaucoup les 
services que MM. de Colmar avaient rendus au roi et à lui- 
même. Il embrassa leur député à deux reprises et s'informa 
de l'état présent des affaires. Il demanda des nouvelles de 
plusieurs membres du magistrat qui lui étaient personnelle- 
ment connus, de Jean-Henri Mogg, de Jonas Walch, de Conrad 
Ortlieb. Ce dernier surtout avait fait de l'impression sur lui, 
à en juger par sa question. « Et le beau vieillard, est-il encore 
en vie ?» Mais de même que Walch, Ortlieb était mort depuis 
peu. Le duc de Longueville s'interrompit pour aller entendre 
la messe, et Schneider qui l'avait accompagné jusqu'à la porte 
de la chapelle, reprit l'entretien à la sortie. En le congédiant 
le duc lui donna encore l'assurance qu'il aurait l'intérêt de 
ses commettants en bonne recommandation. 

Dans cette première audience, coupée par la messe de 
M. l'ambassadeur, Schneider n'avait pas voulu l'entretenir de 
l'affaire de Saint-Pierre, d'autant plus que, comme gendre du 
prince de Condé, il ne savait pas encore dans quelle disposi- 
tion il le trouverait à cet égard. Il se réservait d'en parler 
d'abord à d'Avaux et à Servien, dont il était plus sûr. Le 
mardi 17 juillet, ce dernier lui avait envoyé son secrétaire 
avec une lettre pour ses commettants. Le commis était accom- 
pagné de deux autres officiers, et il était chargé de prier 
Schneider de recourir à son maître, pour tout ce qui concer- 
nait sa mission, avec la même liberté que si lui-même faisait 
partie de sa maison. Notre envoyé retint ses visiteurs pendant 
une heure et demie, et leur fit servir une collation arrosée de 
vin du Rhin. On porta différentes santés, et, rentrés chez eux, 
les gens de Servien ne tarirent pas en éloges sur le bon vin 
qu'ils avaient bu. Des gentilshommes de la maison du duc de 



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42 REVUE D'ALSACE 

Longueville, qui avaient naguère suivi leur maître à Colmar, 
crurent que c'était du vin d'Alsace, et ils rabattirent cet 
enthousiasme, en racontant qu'ils en avaient bu sur les lieux. 
Mais Schneider eut assez de loyauté pour ne pas laisser croire 
à l'identité de la provenance (lettre du ^ juillet). 

Enfin l'occasion se présenta pour mettre avec Servien 
l'affaire de Saint-Pierre sur le tapis. Le député de Colmar 
avait reçu de ses commettants un mémoire qu'il lui remit le 
23 juillet (v. st). Il l'appuya des meilleures raisons qu'il put 
trouver, et insista surtout sur le mauvais effet produit, dans 
les conjonctures présentes, par l'incroyable prétention des 
princes de Condé. 

Servien lui prêta beaucoup d'attention, mais dans sa 
réponse, il commença par poser en principe que les droits de 
l'Église devaient passer avant tout. Cependant, il ajouta que 
si les faits étaient conformes à l'exposé, on aviserait au moyen 
de sauver un état de choses oîi les intérêts de Colmar étaient 
si particulièrement engagés. Schneider prit occasion de là 
pour demander s'il ne ferait pas bien de parler de l'affaire au 
duc de Longueville, afin qu'il en écrivît à son beau-père? 
Servien le trouva bon, mais en offrant de s'adresser de son 
côté au gouvernement, pour l'empêcher d'agir inconsidéré- 
ment dans une matière si délicate. Il engagea Schneider à 
rassurer ses commettants, à qui, disait-il, il ne serait fait 
aucun tort, dut-on leur rembourser le prix d'achat, ce qui 
l'amena à demander ce que le domaine avait coûté ? 

Cette question embarrassa beaucoup Schneider : Hic atto- 
nitus stdbam, dit-il, lingua ferme Jaucïbus hœsit. Quoique les 
conditions de la vente lui fussent bien connues, il répondit 
Sans hésiter qu'il ne savait rien du prix ; mais qu'en tout état 
de cause, la ville avait les meilleures raisons pour ne pas 
consentir à l'annulation du contrat: d'abord parce qu'elle 
avait reçu les bâtiments à l'état de ruine, et qu'elle avait dû 
les reconstruire ; ensuite parce qu'elle avait appliqué les 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 43 

revenus à la chose publique ; puis parce que le moulin aux 
chevaux et une portion des fortifications étaient en partie 
construits sur le sol du prieuré; enfin parce qu'on y avait 
incorporé d'autres biens patrimoniaux de la ville. 

Servien répliqua: «Vous n'êtes que trop fondé», et il 
changea de conversation (lettre du ^^^J ^)' 

Schneider profita d'une autre occasion pour reprendre cet 
entretien avec le comte d'Avaux. Dans une audience qu'il en 
avait obtenue, le 28 juin, il le mit au courant de la question. 
D'Avaux la saisit du même point de vue que son collègue : 
« Transeat, dit-il, transeat prœtensio hœc, quœ per passauien- 
sem tramactionem jam diidum sopita ». Tout en faisant remar- 
quer qu'en toute chose l'Église devait être favorisée, il insista 
sur les raisons qu'il y avait de maintenir à Colmar la tran- 
quille possession de son bien, en mettant au premier rang les 
services que la ville n'avait cessé de rendre à la France. Il 
promît d'en parler au duc de Longueville, et conclut par ces 
mots : a Vos messieurs n'ont pas sujet de se mettre en peine 
de cela. » 

Schneider se félicita beaucoup de cet entretien. Jamais il 
n'avait trouvé le comte d'Avaux si bien disposé pour Colmar, 
et il l'attribua à un « discours » qu'il avait récemment tenu à 
son prédicateur. Pendant cette entrevue, d'Avaux se fit 
raconter comment la Réforme avait été introduite à Colmar, 
•et par quelle circonstance elle en avait été bannie. Il blâma 
hautement l'oppression des consciences, qu'il qualifia de 
tyrannique, et ajouta que la France n'avait rien gagné à la 
persécution, et que « la feste de Saint-Barthélémy » n'avait eu 
d'autre résultat que d'imprimer à la couronne une tache 
indélébile. Puis il demanda si Colmar n'avait pas eu d'autre 
traverse, et si, profitant de la proximité, l'Autriche n'y avait 
pas cherché son avantage? Schneider se garda bien de le 
nier, et sans entrer dans les détails, il en dit assez pour que 
Phabile diplomate pût se rendre compte de la nature des 



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i4 REVUE JO* ALSACE 

rapports de Golmar avec ses trop puissants voisms les 
archiducs (lettre du 29 juin). 

Malgré les facilités qu'il avait trouvées auprès du comte 
d'Avaux et de Servien, Schneider tenait à entretenir de 
l'aftaire le duc de Longueville en personne. Le ^ août, il en 
obtint une audience particulière qui fut concluante. Le duc 
donna son assentiment à toutes les raisons que la ville faisait 
valoir à l'appui de son droit, et exprima son déplaisir de 
l'indiscrète immixtion de l'abbé d'Ebersmûnster. En le con- 
gédiant, il dit à Schneider: « Mandez à vos messieurs, qui 
sont de mes amis, qu'ils se tiennent fermes dans leur résolu- 
tion. Toutefois ne dites pas que cela vienne de moy. Et je 
promets de les garantir en cas que M. mon beau-père ne soit 
pas satisfaict; mais S. A. verra la tromperie de cet abbé. . . 
Escrivez-leur qu'ils ne se mettent pas en peine pour si peu de 
chose ». Mais contrairement à sa recommandation de tenir 
ses assurances secrètes, notre envoyé se promit d'en faire 
part à M. de Polhelm, pour mieux le mettre à même de 
déjouer l'intrigue, si elle devait se poursuivre à la cour (lettre 
du jg août). 

Dès le début de cette double négociation touchant les 
exactions militaires et le prieuré de Saint-Pierre, Schneider 
avait payé son tribut au climat. Dans l'après-midi du ^ juin, 
il fut pris d'un frisson, qu'il pensa faire passer durch ein mo- 
tum, en prenant de l'exercice. Mais le soir à 10 heures, il eut 
un violent accès de fièvre qui dura jusqu'au matin. Ce fut en 
vain qu'il transpira : il ne put dormir, et, le dimanche, il se 
sentit si mal qu'il fit appeler le D'^ Billeau, médecin du comte 
d'Avaux. Le savant praticien reconnut que ce n'était pas une 
« décharge de la nature » ; néanmoins il se borna à prescrire 
un purgatif, mais en promettant de recourir à d'autres 
remèdes, si la fièvre ne devait pas cesser. 

Le même jour, vers 3 heures, nouvel accès non moins 
violent. Le lendemain, Schneider fut largement saigné. Le 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 45 

mardi 10 juin, il put écrire à son beau-frère Mogg ; mais à 
peine sa lettre expédiée, il dut se remettre au lit. Le mer- 
credi, nouvelle saignée, non moins copieuse que la première, 
ce qui n'empêcha pas l'accès de revenir le jeudi, en avance 
d'une heure et demie. Le lendemain , le médecin fit prendre à 
Schneider un lavement et, pendant plusieurs jours, il le soumit 
à d'autres remèdes, sur la nature desquels la correspondance 
n'entre dans aucun détail. 

Schneider n'attribuait sa maladie qu'au boire, au manger, 
à l'air de Westphalie. Ce qui le confirmait dans cette suppo- 
sition, c'est que son valet fut également atteint; mais une 
seule saignée vint à bout de l'accès. Pour le maître, grâce à 
la thérapeutique du D' Billeau, il iinit par aller mieux. Cepen- 
dant Servien qui passait un jour en voiture devant son 
logement, au moment où Schneider reconduisait jusqu'à la 
porte le secrétaire hessois Zobel, lui exprima son regret de 
lui voir le teint si changé. Cela ne l'empêcha pas de le faire 
appeler, le jeudi 29 juin, pour s'informer des nouvelles qu'il 
avait reçues d'Alsace. Son premier mot fut : « Eh bien ! que 
faict la fièbre ?» A quoi Schneider, qui venait d'apprendre la 
capitulation d'une place importante de la Catalogne, qui 
s'était rendue aux Français, répondit avec beaucoup d'à-pro- 
pos : <K Monseigneur, M. Billeau et moi nous l'avons tant 
tourmentée, qu'elle m'a quitté comme les Espagnols Roses. » 

La question du titre à donner au duc de Longueville n'était 
pas encore résolue. Cependant il n'en fit pas moins sa visite 

o 

aux médiateurs, le ^juillet. Il y déploya la même pompe que 
lors de son entrée à Munster. Le comte d'Avaux et Servien 
étaient avec lui dans son carrosse, et les gentilshommes de 
leurs maisons respectives suivaient dans sept autres voitures, 
tandis que les pages et les gardes marchaient à pied, à la tête 
ou à la queue du cortège. Les médiateurs n'interprétèrent 
cette démarche que comme a une visite d'affaire » et traitèrent 
le nouvel ambassadeur simplement en duc, alors que les 



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46 REVUE D'ALSACE 

électeurs et l'évêque d'Osnabruck, à leur exemple, lui don- 
naient déjà de l'altesse, ce qui fit dire à Schneider : Soli hodie 
Itali sa^pere videntur inter Europœos (lettre du jr juillet). A 
leur tour, les dii minores imitaient dans leurs prétentions 
leurs chefs d'emploi. Ainsi à leur arrivée à Osnabrùçk, les 
envoyés de Lttbeck et de Hambourg qui auraient dû prendre 
part à une délibération des députés des villes, et qui préten- 
daient le pas sur eux, leur avaient mandé leur venue et avaient 
attendu leur visite. Schneider ne cacha pas sa mauvaise 
humeur de ces exigences, et cite un propos qui avait cours : 
« Des Kaysers indementz, der Churfiirsten eminentz, der 
FUrsten Frœcedentz, des Krieges Insolentz ist der Stàttpesti- 
îentz » (lettre du 1" août). Les lenteurs qui en résultaient 
venaient en aide à certains calculs, et elles donnaient raison 
à notre envoyé qui, dès le jj juillet avait annoncé que l'été se 
passerait ainsi h attendre le résultat de la campagne, dubii 
Martis eventus. 

En effet, le congrès délibérait pendant que les belligérants 
étaient encore en armes, et même que de nouveaux champions 
étaient descendus dans l'arène. La correspondance de Schnei- 
der montre à chaque instant l'intérêt passionné avec lequel 
on attendait l'issue des nouvelles opérations militaires. Le 
rg juin, il fait part à son beau-frère du succès remporté par le 
général suédois Torstenson, déjà vainqueur à Jancowitz, 
lequel, en Bohême, avait défait quinze régiments impériaux. 
Le 21, il lui mande que les Français sont devant Dunkerque 
par terre, et les Hollandais, avec l'amiral Tromp sur mer. Le 
27, il lui annonce qu'on considère le fort de Mardyck comme 
perdu ; il tomba en eff'et entre les mains du duc d'Orléans, le 

''"^" (lettre du tx juillet). On n'avait pas de nouvelles de ce 



10 juillet^ ^ "*** 18 

qui se passait sur le Danube, où le duc d'Enghien allait réparer 
l'échec de Marienthal, et Schneider concluait du silence des 
Impériaux, que la fortune à leur égard ne tenait pas ce qu'elle 
leur avait promis d'abord (lettre du jj juillet). Par contre, le 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 47 

mauvais temps empêchait les Hollandais d'agir sur terre. Ils 
avaient devant eux d'une part Piccolomini, de l'autre le 
général Beck, et l'on supposait que leur objectif principal 

Q 

serait Bruges (lettre du jg juillet). Dans une situation pareille, 
les conjectures vont leur train, non moins que les fausses 
nouvelles. Fin juillet ou commencement d'août, selon que l'on 
se sert de l'ancien ou du nouveau style, le bruit se répandit 
que l'armée française avait été battue en Allemagne, et plu- 
sieurs s'en applaudissaient déjà, quand on appris qu'il n'en 
était rien (lettre du rj août). Cependant les partisans des 
Impériaux étaient restés sous l'impression que la veine allait 
changer, quand la nouvelle de la victoire remportée par le 
duc d'Enghien sur les Bavarois à Nordlingen vint dissiper 
leurs illusions (lettre du j^ août). 

Il paraissait monstrueux à l'honnête Schneider que, tout 
en traitant de la paix, les puissances continuassent la guerre. 
Déjà le 14 juin, il avait parlé d'une démarche des envoyés 
hessois auprès du nonce apostolique, pour se plaindre d'un 
mouvement de l'armée bavaroise, qui avait envahi leur pays. 
A quoi le médiateur s'était borné à répondre que cela s'était 
fait « par raison de guerre ». Les diplomates français n'étaient 
pas dans le même sentiment, et, dans sa lettre du t^ août, 
Schneider rapporte que le comte d'Avaux s'était rendu à 
Osnabrûck, pour y proposer une trêve de dix ans aux ambas- 
sadeurs suédois ; mais ceux-ci n'avaient pas voulu en entendre 
parler, et l'avaient pris de si haut, que le plénipotentiaire 
français leur déclara qu'il allait en référer à son gouvernement. 

Si les diplomates passaient leur temps à s'observer et à 
attendre les événements, les députés du moins ne chômaient 
pas. Depuis qu'ils avaient été saisis des propositions des deux 
couronnes, il devenait de plus en plus urgent de régler entre 
eux les questions de procédure. C'est à Osnabrûck plutôt qu'à 
Munster qu'elles se traitaient; mais l'accord ne se faisait pas. 
L'ambassadeur impérial Yolmar s'était déjà transporté dans 



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48 REVUE D'ALSACE 

la première de ces villes, pour trouver un moyen terme 
acceptable (lettre du 14 juin). Quoique retenu dans la seconde 
par ses relations avec les plénipotentiaires français, Schneider 
sentait néanmoins que les intérêts qui lui étaient confiés, 
auraient fréquemment exigé sa présence h Osnabrûck, et, 
pour la facilité du voyage, il songeait même à faire l'acquisi- 
tion de quelques chevaux (lettre du 21 juin). Tout autre 
moyen de locomotion manquait : on ne trouvait ni montures, 
ni carrosses à louer, encore moins de chevaux de poste, et les 
petites gens du congrès avaient déjà pris le parti de voyager 
dans les rustiques carrioles du pays (1«^ août). 

Avant toute délibération, les députés des états de l'Empire 
avaient à s'entendre sur la manière dont ils se constitueraient. 
Les représentants *des électeurs s'étaient rencontrés, le di- 
manche g .^"^°^ à Lengerich, à moitié chemin entre Munster 
et Osnabrûck, où ils ne trouvèrent pour se réunir qu'une 
misérable grange décorée de verdure pour la circonstance, 
mais qui laissait passer la pluie. Dans sa lettre du |t juillet, 
Schneider parle de cette assemblée, et résume les résolutions 
qui y avaient été prises, aussi bien que ses informations le 
lui permettaient. Il y revient le ^ juillet, et voici en somme 
ce qu'il nous apprend à ce sujet. * 

Les envoyés de Mayence, en qualité de directoire du collège, 
avaient bien proposé de maintenir le droit de vote aux députés 
de. la diète de Francfort qui s'étaient déjà transportés en 
Westphalie. Mais les représentants de Brandebourg s'étaient 
fortement élevés contre cette motion, et il fut convenu qu'on 
présenterait un mémoire à l'empereur, pour le solliciter de 
laisser les divers états, constitués comme ils Tétaient en trois 
collèges, reprendre chacun leurs droits de séance comme aux 
diètes ordinaires de l'Empire. Mais comme nombre d'états 
n'avaient pas encore envoyé leurs députés, on supplierait Sa 
Majesté d'adresser tout d'abord un nouvel appel à tous les 
retardataires. En attendant leur arrivée, les députés de Franc- 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 49 

fort, dont les pouvoirs étaient déjà valables aux yeux de 
l'empereur et qui devaient être renforcés de deux envoyés 
pris parmi chacun des ordres des princes et des villes, repré- 
senteraient provisoirement à Munster les états de l'Empire. 

Dès qu'elles furent connues, on discuta vivement ces réso- 
lutions. Deux points surtout frappèrent les esprits. D'une part 
on ne voyait pas sans défiance les députés de la diète de 
Francfort mêlés aux négociations, ne fût-ce que par intérim, 
à moins que la durée de leur mandat ne fut limitée. D'un 
autre côté, le décret des électeurs tendait à réunir à Mttnster, 
à l'exclusion d'Osnabrûck, les députés encore absents, et les 
états protestants voyaient là une manœuvre pour les séparer 
de la Suède sur les questions religieuses. Leurs intérêts les 
portaient à se partager entre les deux villes, afin de ne rester 
étrangers à aucune des questions engagées. Seulement comme 
à Osnabrûck, il n'y avait pas de médiateur auprès des pléni- 
potentiaires suédois, il était nécessaire de constituer des 
intermédiaires, et on désignait pour cet office les électeurs de 
Mayence et de Brandebourg. 

Telles étaient les idées qui s'échangeaient entre les repré- 
sentants des princes et des villes, sans qu'il y eut encore de 
délibération proprement dite. Elles permettaient d'espérer 
une prompte entente, surtout si les états en retard se déci- 
daient enfin à envoyer leurs députés, et, à ce propos, Schneider 
appela l'attention de son beau-frères Mogg sur la convenance 
de prévenir les autres villes de la Décapole : le moment sem- 
blait venu où l'intérêt commun aurait exigée qu'elles fussent 
toutes représentées, et, si l'usage n'admettait pas que chacune 
eût son député particulier, elles pouvaient du moins charger 
de leurs pouvoirs celui de Colmar. 

Une question qui dominait toutes les autres, c'était celle de 

l'admission des états aux délibérations : elle était subordonnée 

à leur convocation par l'empereur. Schneider en parle déjà 

dans sa lettre du ^ juillet: il avait appris que Strasbourg, qui 

Noayelic Séile. — 15*" année. 4 



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50 REVUE d'ALSACë 

ne pouvait pas se réclamer, comme Colmar, de son alliance 
avec la France et avec la Suède, rencontrait les mêmes diffi- 
cultés qu'en 1640, lors de la réunion de la diète de Ratisbonne. 
Malgré Taflectation que Strasbourg mettait à se séparer de 
Colmar, sa situation au congrès n'était donc pas meilleure 
que la nôtre. Il avait pour député le D'' Marc Otto, dont les 
rapports avec Schneider se ressentaient de la tension qui 
existait entre les deux villes. Otto s'était établi à Osnabrûck, 
et, dans ses discours, il ne gardait pas toujours les ménage- 
ments qu'on doit à des voisins. Il en était revenu quelque 
chose à Schneider, et il s'en exprime non sans dépit, dans sa 
lettre du 14 juin. A son tour « il chanta ses louanges selon ses 
mérites » auprès de Servien, le tout pour conclure que Colmar 
était un état d'Empire à l'égal de Strasbourg et que magis et 
minus non variant speciem. 

Le mardi 25 juillet, Schneider se rendit de nouveau h 
Osnabrûck, où il arriva le lendemain. Il trouva le premier 
plénipotentiaire suédois, Jean Ochsenstirn, absent et, pour ne 
pas manquer à l'étiquette, au lieu de demander une audience 
à Salvius, il se contenta de rendre visite au secrétaire Keller. 
Il alla également voir le docteur Otto qui, contre son attente, 
lui fit cette fois bon accueil. Schneider lui trouva l'air plus 
ouvert et plus franc. Cela tenait sans doute aux nouvelles 
appréhensions de Strasbourg sur son admissibilité au congrès : 
Otto pouvait avoir besoin des plénipotentiaires français et il 
n'ignorait pas que le député de Colmar était fort en crédit 
auprès d'eux. Il poussa la politesse jusqu'à inviter Schneider 
à sa table et, comme on faisait chez lui assez bonne chère, 
celui-ci s'empressa d'accepter. 

Le préavis des électeurs avait été communiqué officiellement 
le -r^ juillet, au collège des princes, qui en avait délibéré le 

18 

-r^ au matin et qui îe transmit, le jour même, au collège des 
villes. Le même soir, les députés de Nuremberg, d'Ulm et de 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 51 

Colmar se réunirent chez celui de Strasbourg pour examiner 
à leur tour les propositions des électeurs. 

Ce qui choqua tout d'abord les quatre députés, c'est que, 
par la démarche qu'ils voulaient faire auprès de l'empereur, 
les électeurs semblaient faire dépendre de son bon plaisir le 
droit de suffrage des princes et des villes. Il ne leur parut pas 
régulier qu'on soumît à l'agrément de sa majesté l'exercice 
d'un droit qui ne pouvait être contesté. Par contre ils se 
trouvèrent d'accord avec les électeurs sur l'admission géné- 
rale des états h la diète; mais ils refusèrent absolument de 
laisser les députés de Francfort se substituer par intérim aux 
représentants spéciaux encore absents. 

Comme Schneider l'avait prévu, l'idée de réunir les députés 
de l'Empire exclusivement à Mttnster parut suspecte à tout 
le monde, et l'on y vit comme une intention de les isoler de la 
Suède et de lui donner de la jalousie de la France. Pour 
remédier à l'inconvénient de traiter séparément avec les deux 
couronnes, on estima que mieux aurait valu s'établir dans 
une ville comme Cologne, où leurs plénipotentiaires auraient 
pu se rencontrer sans se gêner mutuellement, mais c'eût été 
contrevenir aux préliminaires de la paix, qui avaient formelle- 
ment désigné Munster et Osnabrûck comme siège des négo- 
ciations. La nécessité de se conformer à cette condition 
suggéra d'abord la pensée d'envoyer simultanément des 
députés à Munster et à Osnabrûck; mais on recula devant les 
sacrifices que cette double représentation aurait exigés. 
Ensuite on ouvrit l'avis qu'il fallait faire un départ entre les 
membres de chaque collège, dont les uns auraient siégé à 
Munster, les autres à Osnabrûck ; mais c'eût été une source 
d'embarras chaque fois qu'un collège aurait eu à s'entendre 
et à se concerter sur des points particuliers. Enfin on s'arrêta 
à l'idée de réunir le collège des villes à celui des électeurs, 
comme les moins nombreux, et de les faire alterner avec celui 
des princes entre les deux sièges des négociations. 



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52 REVUE D^ALSACE 

Une fois d'accord on ne voulut cependant pas de suite 
coucher la résolution par écrit : comme il fallait la commu- 
niquer au collège des princes, on préféra s'aboucher avec lui 
et la lui faire agréer de vive voix, afin d'arriver à n'avoir 
entre les villes et les princes qu'une rédaction commune. 

Schneider remarque que les députés des villes hanséatiques 
qui étaient revenus la veille à OsnabrUck, auraient dû prendre 
part à la délibération, mais que, n'ayant pas encore fait leurs 
visites, ils s'étaient fait excuser. 

Schneider ne prolongea pas cette fois son séjour à Osna- 
brUck au-delà de ces conférences. Il revint à Munster, où il 
reçut bientôt du docteur Otto la nouvelle que, comme convenu, 
les députés des villes s'étaient rencontrés avec ceux des 
princes et qu'on était tombé d'accord qu'il fallait absolument 
maintenir le vote par collège, mais qu'on s'était prononcé 
négativement sur la participation même intérimaire des 
envoyés de la diète de Francfort et qu'on avait repoussé toute 
idée de transférer ailleurs le siège des négociations. Il n'y 
avait de divergence que sur le mode de partage des états de 
l'Empire entre Mtinster et OsnabrUck. Les uns inclinaient à 
couper les collèges en deux, tandis que les autres voulaient 
établir les deux collèges les plus faibles dans un endroit, le 
plus fort dans l'autre, en faisant décider lesquels par la voie 
du sort ou par l'alternative (lettre du 1^ août, n. st). Il est 
vrai que, pendant que les députés agitaient cette question, 
on formait ailleurs d'autres projets. Servien s'en ouvrit à 
Schneider dans un de ses entretiens : pour les soustraire à 
l'influence des deux couronnes, il s'agissait de transférer les 
états à Warendorf, petite ville située à un mille et demi de 
Munster, où, selon l'expression de Schneider, les députés 
auraient pu, tout à leur aise, faire pénitence de leurs péchés. 
Ce n'était du reste qu'un nouveau moyen dilatoire inventé par 
les ennemis de la paix et notre envoyé exprime avec force 
rindignation qu'il ressentait de leurs manœuvres. Il leur 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 5B 

applique le mot de saint Bernard : Pacem contemnentes et 
glariam quœrentes, pacem perdunt et gloriam (lettre du VtT^* 
C'étaient les Impériaux et les Espagnols qu'il entendait par \k 
et, dans une lettre du — août, il n'est pas loin de coûfondre 
dans la même réprobation le collège des électeurs qui ne s^ 
ralliait pas à l'avis des deux autres ordres sur le mode de 
négocier, et qui s'occupait même à le réfuter. 

 quelque» jours de là, il reçut du docteur Otto une seconde 
lettre qui le pressait de revenir à Osnabrtick. Ces voyages et 
surtout ces séjours à Osnabrûck déplaisaient extrêmement à 
Schneider : a Pour icy, encores qu'on soit assés mal, écrivait-il 
de Munster à son beau-frère Mogg, on est dans une ville, mais 
là dans une vilainie. » 

La victoire des Français à Nordlingen ramena les esprits 
les plus échauffés aux idées pacifiques. Venise, en guerre avec 
les Turcs, poussait de toutes ses forces à une trêve générale, 
pendant que la France entrait scrëtement en négociation avec 
l'électeur de Bavière, l'allié le plus résolu de l'Autriche. Il en 
avait déjà transpiré quelque chose avant la dernière défaite; 
dans sa lettre du 29 juillet, Schneider en parle comme de 
menées dirigées contre la Suède et par suite contre le parti 
protestant. Il y revient le -^^ août; l'affaire avait pris alors un 
aspect différent; il ne s'agissait plus que de la neutralité delà 
Bavière, ce qui aurait beaucoup affaibli la situation militaire 
de Tempereur. Mais cela ne suf&t pas pour faire taire les 
défiances et les alarmes. 

Parmi les personnages attachés aux plénipotentiaires 
français se trouvait le jurisconsulte Théodore Godefroy. Il 
semble avoir été connu de Schneider, et son nom figure 
quelquefois dans sa correspondance, notamment dans une 
lettre du jg août, où il rend compte d'une conversation qu'il 
venait d'avoir avec lui. Godefroy lui avait parlé d'un écrit 
attribué à un M. Febure qui, il y avait une dizaine d'années, 
avait rempli les fonctions d'intendant en Lorraine. L'auteur 



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54 KEVUB D'ALSACE 

exposait entre autres les raisons qui interdisaient à la France 
de renoncer à l'Alsace qu'elle avait conquise, et notamment 
de se dessaisir des deux places fortes : Colmar et Sélestadt. 
Schneider s'échauffa là-dessus. Il traita l'auteur de ce factum 
d'ignorant, qui ne savait rien des afiaires publiques : il lui 
rappelait certain Espagnol qui avait trahi naguère les visées 
de son gouvernement sur la France et sur l'Angleterre, et qui 
n'avait réussi qu'à soulever des haines irréconciables, ou le 
fameux Chassanus, qui avait révélé les desseins de la France 
contre l'Empire, sans récolter autre chose que des injures et du 
mépris. Il dit encore à son interlocuteur que l'auteur n'avait 
sans doute jamais oui parler des traités particuliers que la 
France avait conclus, autrement il se serait bien gardé de 
laisser supposer que la parole donnée, la signature et le sceau 
du roi et les plus solennelles protestations ne devaient servir 
qu'à faire éclater au grand jour la plus insigne perfidie. 

Une autre connaissance que Schneider retrouva à Mttnster, 
c'était l'ancien bourgmestre Goll, de Schlestadt. Après avoir 
figuré quelque temps comme commissaire à Brisach, il était 
venu en Westphalie pour le compte de l'archiduchesse 
Claudie d'Autriche. Il semblait appelé à jouer un certain rôle; 
du moins prit-il son logement dans le voisinage du D'^ Volmar, 
chez qui il avait même toujours le couvert mis. Quoiqu'il eût 
une assez pauvre opinion de Thomme, Schneider, qui était à 
l'aflfût de toutes les occasions, se promit de se servir du 
ministère de Goll pour certaines communications qu'il pour- 
rait avoir à faire au plénipotentiaire impérial. 

Sur ces entrefaites il reçut, le lundi j= août, une seconde 
lettre de Colmar, du 30 juillet. Ses commettants lui expri- 
maient toute leur satisfaction de la manière dont il rem- 
plissait sa mission. Ils apprenaient tout ce qui s'était traité 
entre les députés. Cependant ils voyaient avec regret qu'il fût 
question de ne laisser à Osnabrûck que le collège des princes. 
Il était à craindre que, dans ce milieu nécessairement 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 55 

exclusif, les plénipotentiaires suédois négligeassent les inté- 
rêts des villes. Aussi Colmar aurait-il préféré un départ des 
trois ordres entre Munster et Osnabrûck, de façon que 
chaque collège et chaque ordre y fussent également repré- 
sentés. En même temps la ville informait son mandataire 
que, sur l'avis qu'il lui en avait donné, elle avait mis les 
autres membres de la Décapole en demeure de se faire égale» 
ment représenter au congrès. Mais ce n'était plus une nou- 
velle pour Schneider, qui avait déjà appris que Haguenau, 
Landau et Wissembourg avaient envoyé leurs pouvoirs au 
D' Marc Otto. 

Sensible au témoignage qu'on rendait de ses services, 
Schneider voulut profiter des bonnes dispositions de ses 
commettants. Il venait d'obtenir du duc de Longueville des 
passeports pour le député d'Ulm. Cela l'avait mis en goût de 
voyage, et il demanda la permission de quitter lui aussi son 
poste, et de venir passer une quinzaine dans sa famille. 

X. MOSSMANN. 



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LES PjtOTESTANTS DD DUCHt DE LORRUNE 

80ÏÏ8 LE BÈQtNE DU 

Roi STANISLAS, le PhilosopbQ bienfaisant 

(1737-1766) 



Suite et fm^ 



XVI 

Règlement pour les églises du culte réformé du comté de 
Saarwerden * 

27 octobre 1707 

L Ceux des réformés qui veulent entrer dans notre Religion 
évangélique et Confession d'Âugsbourg ne seront pas inquiétés, 
les pasteurs calvinistes ne le leur défendront pas, et encore 
moins ne devront-ils pas les excommunier, ni les damner. 

IL Les réformés et les pasteurs ne diront pas du mal des 
doctrines et des cérémonies des églises de la Confession 
d'Augsbourg, ils n'en témoigneront aucun mépris dans leurs 
sermons ou de toute autre manière. 

IIL Ils observeront, de même que les chrétiens de la Con- 
fession d'Augsbourg, les dimanches et fêtes qui suivent : 

P la Naissance du Christ avec les jours suivants ; 

2® le nouvel an; 

3<> l'Epiphanie du Seigneur; 

4^ le jour de Pâques avec les jours suivants ; 

' Voir les livraisons des 1**, 2*, 3* et 4* trimestres 1885. 
* Archives de Saar-Union. Original en allemand. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 57 

5<> P Ascension du Christ; 

6° la Pentecôte avec les jours suivants; 

70 la fête de la très sainte Trinité. 

IV. Ils observeront solennellement les jours qui suivent, 
avec sermon, et après qu'il sera terminé, il sera permis à 
chacun de travailler dans les champs et aux travaux manuels, 
selon son état : 

P le jour des Apôtres du Seigneur; 

2° le lendemain et le troisième jour après la naissance du 

Christ; 
3*> le lendemain et le troisième jour après Pâques et la 

Pentecôte; 
4^ le jour de la Visitation de Marie; 
Ô"" le jour de (saint) Jean-Baptiste; 
6*> le jour de (saint) Michel; 
70 le jeudi et vendredi avant Pâques, alors que Ton explique 

la Passion du Christ. 

V. Chaque semaine, ils observeront deux ou trois jours de 
prières à certains jours. 

VI. Les dimanches et fêtes, on expliquera et traitera Phis- 
toire évangélique. 

VII. Tous les vendredis où arrivera la lumière nouvelle 
(la nouvelle lune), il y aura prières. Ce jour sera annoncé le 
dimanche précédent à la communauté. Il sera sanctifié par 
des prédications et des prières et tout travail sera défendu. 

VIII. On doit baptiser les enfants dans l'assemblée publique. 
Les pasteurs réformés pourront défendre aux parents de 

faire baptiser leurs enfants par un ministre luthérien. 

IX. Au baptême de chaque enfant on n'admettra ni plus, 
ni moins de trois parrains. 

X. On tiendra un registre pour l'inscription des enfants 
baptisés, avec les noms des parrains et marraines admis et 
aussi pour les nouveaux mariés et les décédés. 

XL Tous les nouveaux époux de la religion réformée qui se 



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58 REVUE D'ALSACE 

présenteront pour la bénédiction nuptiale devront être pro- 
clamés trois dimanches consécutifs et être recommandés aux 
prières de l'Eglise, ils devront aussi être examinés sur leur 
christianisme, s'ils comprennent et en savent les dogmes ; si 
un des mariés est étranger, il devra a in testimonium » justifier 
qu'il a été proclamé dans sa paroisse et qu'il n'y a aucun 
empêchement à la célébration du mariage. Ces prescriptions 
sont établies pour les églises où il y a l'exercice du culte 
réformé. Mais on n'empêchera pas en aucune manière ceux 
qui voudront faire célébrer leur union par un pasteur évangé- 
lique luthérien, et si les . mariés sont d'un culte différent, 
réformé ou luthérien ; le mariage sera fait par le pasteur de 
la religion que professe le marié. 

XII. Ceux qui ont été condamnés à une peine ecclésiastique 
publique par le Consistoire ne devront pas être admis à la 
Sainte-Cène avant d'avoir achevé ladite pénitence ecclésias- 
tique. 

XIIL Les pasteurs réformés ne pourront pas tenir aucun 
synode étranger, en dehors du territoire nassauvien, et même 
dans ce pays, ils ne pourront tenir aucun synode. 

XIV. Dans les mariages mixtes, c'est-à-dire entre luthériens 
et réformés, les fils suivront la religion du père et les filles 
celle de la mère, à moins qu'avant la célébration du mariage, 
le contraire ait été stipulé, et dans ce cas, il faudrait que 
cette stipulation ait été déclarée au Consistoire. 

XV. Et dans ce cas, quant aux enfants nés dans la religion 
évangélique luthérienne, s'il n'y a pas dans la localité de 
maîtres d'école de la religion évangélique luthérienne, le 
maître d'école de la religion réformée dudit lieu devra les 
instruire selon le catéchisme de Luther et il en sera de même 
pratiqué, dans le cas contraire, pour les enfants du culte 
reformé. 

XVI. Pour l'argent quêté dans les églises, ceux qui en auront 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 59 

charge devront en tenir une note exacte et tous les ans ils 
auront à en rendre compte devant les délégués des seigneurs. 

Un chacun devra vivre d'après ces prescriptions s'il ne veut 
encourir une punition exemplaire, et Nous nous réservons 
selon que Nous le trouyerons bon, d'ajouter plus tard et 
d'émettre des prescriptions nouvelles à cette ordonnance 
provisoire. 

Fait à Ottwiller, près de Saarbruck, le 27 octobre 1707. 

Frédéric-Louis, prince de Nassau, 
Louis, comte de Nassau. 



XVII 

Abjuration du baron de Luder ^ 

L'an 1751, le 31 août, Nous, Jean-Baptiste Turbert, supé- 
rieur de la maison de Bouquenom de la Société de Jésus, par 
permission du Révérendissime évêque de Metz, avons donné 
l'absolution de l'hérésie luthérienne au très noble Charles- 
Auguste, libre baron de Luder, âgé d'environ vingt-neuf ans, 
fils légitime de défunt très noble Auguste- Wilhelm de Luder * 
ot de Catherine-Henriette de Bade, de la paroisse de Wolfs- 
kirchen, demeurant à Diedendorf, pays de Nassau, de laquelle 
hérésie et de toutes autres contraires à la religion catholique, 
apostolique et romaine, il a fait abjuration entre nos mains 
(après qu'il eut été instruit sur sa demande expresse pendant 
quelques années tant par instructions verbales que par lettres 
par le B.^ curé de Niederstinzel), de laquelle religion catho- 
lique, apostolique et romaine, il a déclaré publiquement 

* Archives de Niederstinzel. Or. en latin. 

* I] était grand-bailli du comté de Saarwerden et propriétaire du 
château de Diedendorf par un acte de vente de l'an 1730. Il mourut 
Tannée suivante (D. Fisohbb), laissant quatre fils. Le château de 
Diedendorf retourna plus tard au prince de Nassau. 



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60 REVUE D'ALSACE 

vouloir faire profession et a juré de l'observer sur les saints 
Evangiles dans Téglise paroissiale de Niederstinzel en présence 
de Nous et de plusieurs nobles personnes, témoins soussignés. 

Et ledit seigneur abjurant a ajouté devant Dieu, vouloir 
vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et 
romaine, se soumettre à tous les dogmes qu'elle enseigne, 
l'avoir embrassée de bonne foi et sans aucune pression et 
consentir à être déshonoré devant Dieu et devant les hommes 
si plus tard, pour des raisons humaines, sa conversion n'était 
pas sincère. Fait à Niederstinzel, les jour et an avant dits, et 
ont signé : ^ 

a Cari August von Luder. T. B. Turbert, de la Société de 
Jésus, supérieur de la maison de Bouquenom, Fr« François 
Morlot, chanoine prémontré, prieur de « Catrarciae », Guire, 
doyen de l'église collégiale de Fénétrange, J.-E. Lapierre, 
curé de Baerendorf, J.-B. d'Hame, bailli du bailliage pour la 
part de Fénétrange du Sérénissime prince de Salm, témoin ; 
Nicolas-Henri Palleot de Videlange, témoin ; René Palléot de 
Videlange, avocat à la cour souveraine de Lorraine, J. J. d'Hame; 
Palleot de Videlange, capitaine au régiment de Hanau; 
L. E. Lasortelle, officier au service du Roi. J. M. C. de Sain- 
tignon de Nitting; Ign. Laurent, chanoine de l'église collégiale 
de Saint-Pierre de Fénétrange, témoin; Hans Peter Bally, 
maire, témoin » ; marque d'une croix d'un autre témoin. Ces 
deux derniers appelés par « A. Picard, curé de Niederstinzel », 
qui signe le dernier. 

' En 1752, le berger de Sarraltroff(baiUiage de Lixheim) était lathé- 
rien; deux ans auparavant, sa fille avait abjuré entre les mains du 
vicaire. — Le 7 août 1749, une calviniste se fait catholique à Nitting. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 61 

XVIII 

Qriefii de l'Ancien de Llxheim contre le pasteur de 
RanwiUer ^ 

Mémoire établi pour Jérémie Gangloff, bourgeois de la ville 
de Lixheim, en qualité d'ancien de père en lils, reçu et élu 
pour le soutien du bon ordre pour ce qui concerne le service 
divin dans la paroisse de Rauwiller, disant qu'en l'année 1719, 
les bourgeois réformés de la ville de Lixheim, conjointement 
avec les habitants de Rauwiller, Kirrberg et Gœrling ont obtenu 
la grâce de feu les seigneurs de Nassau-Saarbruck, d'heureuse 
mémoire de rétablir l'église de Rauwiller, ■ ce qui fut exécuté 
Tannée suivante sur les arrangemens faits entre lesdites 
communautés pour le rétablissement de cet édifice, auquel ils 
ont tous contribué chacun à leur égard sur les conditions 
suivantes, savoir : 

La ville de Lixheim conjointement avec les sujets de Nassau 
seraient uns et communs paroissiens dans lad. église, sans 
aucune distinction, ni privilège et en conséquence de cet 
arrangement, fut assemblé le Consistoire le 18" juillet 1723, 
où ils rédigèrent un acte authentique qui reconnaît et confirme 
les arrangemens pris ci-devant et où il est dit expressément 

^ Archives de l'église réformée de Lixheim, copie. 

Ce factum a dû être adressé au prince Louis de Nassaa-SaarbrQck» 
qui succéda en 1768 à son père Guillanme-Henri, qui avait commencé 
à régner en 1718, sous la tutelle de sa mère Charlotte- Amélie de Nassau- 
Dillembourg. Le prince Louis eut également pour tutrice sa mère, 
Sophie, comtesse d'Erbach. 

Rauwiller était de la portion de Saarbrûck. 

* Le temple de Rauwiller est rectangulaire, sur la porte de la tour à 
trois étages qui sert de porche, on lit : 1733, M. Schœll, avocat à 
Saverne, en a donné la vue dans ses intéressantes notes sur cette ville 
et son arrondissement. On trouve aussi dans son recueil actuellement 
à la bibliothèque de la ville de Strasbourg des vues de Tancien temple 
de Pistorf et de l'hôtei-de-ville de Saar- Union. 



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62 REVUE D'ALSACE 

que les sujets de la ville de Lixheim seront regardés en toute 
chose, comme ceux de Nassau pour ce qui concerne le service 
divin dans lad. église sans que il soit permis dès à présent à 
jamais tant pour eux que pour leur postérité, il ne puisse être 
nuire en façon quelconque, pour raison de ce, proférèrent 
même qu'ils ont autant de droits que ceux de Nassau, ce qui 
fut ponctuellement exact, jusqu'au décès du précédent pasteur. 

L'ancien de la ville de Lixheim assistait à l'assemblée du 
Consistoire, non comme étranger, mais comme membre élu 
dans l'administration et délibération des affaires de lad. église. 
Il était même ordonné que rien ne serait délibéré, sans sa 
participation pour quelque cause que ce soit, sans que préa- 
lablement il n'eut donné sa voix ; il en était de même des 
deniers qui se prélèvent tant pour les marques que pour les 
pauvres. 

Depuis le règne du pasteur actuel, les choses ont changé de 
son contrevenant totalement aux anciens usages et règlement 
prescrit. 

Il s'attribue l'autorité seul, se disant indépendant contraire 
à la religion et au bon ordre. 

Malgré toute remontrance faite à ce sujet, il persiste, de 
sorte que son obstination a obligé le remontrant de lui réitérer 
les règles prescrites, arrangemens et usages observés et suivis 
par ses prédécesseurs; il ne laisse pas de continuer, disant 
qu'il n'a aucune remontrance de personne, étant comme 
absolu, nous traitant d'étrangers ; tout contraire aux inten- 
tions de Son Altesse Monseigneur le Prince de Nassau d'heu- 
reuse mémoire, qui par une lettre écrite et signée de sa 
propre main en date du 15 novembre 1764, où il traite les 
bourgeois réformés de la ville de Lixheim de « ses voisins », 
en ajoutant qu'il lui sera toujours très agréable de pouvoir 
les obliger, selon leur désir, il n'entendait donc pas que nous 
soyons traités ni regardés comme étrangers pour ce qui 
concerne le service divin dans l'étendue de sou autorité et 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 63 

notamment dans la paroisse de Rauwiller, où il nous y reçoit 
morts ou vivants. Ce qui prouve bien que Ton nous traite mal 
à propos en voulant nous traiter comme étrangers, même 
jusqu'à défendre l'église et de participation au Sacrement du 
Seigneur. En sorte que le remontrant est excommunié tant 
de l'église que du Sacrement du Seigneur. Il prouve bien qu'il 
est absolu et indépendant, puisqu'il en agit de la sorte, sans 
que le remontrant eut jamais donné occasion pour être traité 
de la sorte. J'en prends même toute l'église à témoin. Ce 
pasteur ne pourra disconvenir qu'il a donné lieu à un scandale 
irréparable voyant que le remontrant est innocent dans ces 
faits et que ce pasteur a agi que capricieusement 

Le remontrant avouera que dans ces remontrances il a 
voulu lui faire observer qu'il était obligé de prêcher tous les 
quinze jours en français, suivi d'un examen pour l'instruction 
de la jeunesse, ce qui se pratiquait d'ancienneté et pour raison 
de quoi ils tirent tous les quartiers dix florins. Il continue k 
les recevoir, mais point de service, ni d'examen en français,* 
à peine quatre prédications par année. 

La langue française étant la mère langue en la ville de 
Lixheim où les enfants y sont élevés, se voyant tout à coup 
privés de l'exercice divin, est d'autant plus sensible aux pères 
et mères de famille, étant parvenus au remontrant, il ne put 
s'empêcher d'en faire sa représentation au pasteur, ayant été 
si mal reçu qu'il conjecture de là être parvenu à sa disgrâce. 
Quel remords de conscience pour un pasteur qui excommunie 
un de ses premiers membres de son église sans y avoir donné 
accusation; mais seulement sur de simples représentations 
dont le remontrant ne pourra s'en dispenser, y étant engagé 
par serment. Et encore plus sensible à un honnête homme qui 
fait son devoir, être réprimandé, jusqu'à se voir traiter de 
turbateur etprévicaréteur fsicj en déclarant ouvertement que 
dorénavant il ne serait plus regardé comme membre de 
Téglise et que s'il y paraissait davantage, il serait conduit 



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64 REVUE D'ALSACE 

•dehors de ladite église, en y ajoutant quantité d'autres insultes 
qui blessent l'honneur et la réputation du remontrant. 

Il est donc faux de voir que de pareils faits soient repréhen- 
sibles puis qu'ils sont portés au-delà de leurs bornes, et que 
ce n'est que par pures récriminations. Combien tout ce 
traitement ne devient pas touchant à un honnête homme qui 
a toujours imité les traces de ses ancêtres, qui se sont 
dépouillés pour parvenir au relèvement de la religion et 
notamment à la réédification de l'église de Rauwiller. Se voir 
exclure par un ministre étranger de l'Assemblée dans ladite 
église qui sans le travail des anciens du remontrant, il n'y 
aurait peut-être point d'église à Rauv^iller, et par conséquent, 
point de pasteur. Sans doute que l'on ne s'attendait pas à être 
traités de la façon que l'on nous traite aujourd'hui. 

Quoi qu'il en soit, le tout a été fait et dirigé que pour ras- 
sembler un pauvre troupeau "égaré à quoi ils sont parvenus 
par Tcissistance du Seigneur. Aujourd'hui l'on cherche à les 
désunir en les privant de la pâture de vie. 

Le remontrant supplie tous ceux qui sont à supplier et qui 
ont autorité sur le pasteur indépendant soi-disant, après avoir 
vu et examiné les faits exposés au contenu du présent mémoire , 
y statuer et ordonner ce qu'il appartiendra et sera justice. 

XIX 

La langue fï'ançaise à Lixheim * 

(Extrait d'un placet au prince de Nassau-Saarbruck) 

Il est toujours pernicieux et pour la Religion et pour l'Etat, 
lorsque le culte divin ne se fait pas en ordre, que l'instruction 
des enfans est négligée et que l'ecclésiastique ne se propose 
pour ainsi dire que de semer les querelles et les dissensions 
dans le troupeau. Voilà, Mgr., ce qui arrive dans la paroisse 

' Archives de PEglise réformée de Lixheim CBrouiUoii). 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DB LORRAINE 65 

de Rauwiller. Elle fut toute établie foncièrement par nos 
ancêtres les Réfugiés de France, ' aussi appelle-t-on encore 
cette partie du comté les villages français. Avant la Révocation 
de TEdit de Nantes, on ne prêchait pas français dans ces trois 
églises de Rauwiller, Kerprick et Gœrling, et après le traité 
de Ryswick on a toujours regardé cette même langue comme 
essentielle, dans l'exercice du service divin. On nous envoyait 
de toutes parts des pensionnaires pour apprendre le français, 
et c'était le moyen le plus propre d'augmenter le nombre des 
sujets de V. A. S. dans ces quartiers là. Bientôt il faudra que 
nous envoyons nous-même nos enfans en France, si nous 
voulons qu'ils parlent une langue qui est si utile dans nos 
environs. Depuis plusieurs années on ne la met plus en usage 
dans le Service divin qu'avec une rareté et une indifférence 
révoltante. Le vicaire d'aujourd'hui ne sait pas le français et 
ainsi il n'en est plus question dans le culte divin. Ce vicaire 
ne connaissant rien moins que les règles d'une prudence 
ecclésiastique et relative à la correction des mœurs, enfreint 
à chaque instant et sans discernement les devoirs d'un fiscal 
avec ceux qui ne conviennent.qu'à un pasteur de l'Evangile. 
Source intarisable de confusions et d'animosités. «Après le sort 
malheureux qu'éprouva l'église réformée de Lixheim en 1685, * 

^ Ce fat d'antant plus méritoire, qu'ils n'étaient pas riches, d'après 
un rapport fait en 1760 par le subdélégué ; 

« Les bourgeois vivent d'une grande économie; ils ne connaissent 
pas les aisances de la vie ; le débit modique des boucheries l'indique ; 
les artisans ne trouvent pas d'ouvrage dans la ville, qui ne fait pas ' 
même vivre ses manœuvres qui vont travailler dans le voisinage; il n'y 
a point de manufactures ; les marchés sont dans les villes voisines. De 
là son état de langueur » (H. Lepàgb, Commîmes], 

* Un registre du temple de Lixheim de 1678 à 1685 se trouve aux 
archives de la ville de Metz. Le dernier pasteur, M. Rocard, fut nommé 
le 22 mai 1678, après un examen sur la théologie ; un de ses fils naquit 
en 1682, etc., il y a aussi les comptes de l'église, des testaments, etc. 
(Liasse 1121). — Les réformés messins contribuèrent à la construction 
fiouvelle Série. — i5** année. 5 



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66 REvaB d'alsage 

les habitants protestants de cette ville et des environs furent 
toujours regardés en fait de Religion comme des sujets de 
V. Â. S. C'est un avantage dont ils jouissent paisiblement 
depuis le rétablissement de Téglise de Bauwiller et qui est 
même fondé sur un acte authentique fondé pour cet effet. 
Aussi ne se sont-ils jamais refusés aux contributions que Ton 
a fait pour le bien public de l'Eglise. Malgré tout ceci, le 
même vicaire déclare ouvertement ne dépendre que de lui, les 
exclure de l'église de Rauwiller, s'ils ne veulent pas se sou- 
mettre aveuglement à tout ce qu'il prétend faire de son chef. 
Nous passons sur d'autres articles pour ne pas abuser des 
bontés de S. A. S. C'est avec la soumission la plus respectueuse 
et avec un empressement proportionné au sujet qui nous mène 
ici que nous supplions Votre A. S. de vouloir bien donner des 
ordres positifs pour que la langue française soit remise en 
usage dans l'égUse de Rauwiller comme elle y était du temps 
passé et conformément à la constitution primitive, qu'il plaise 
outre cela à V. A. S. de continuer aux habitans réformés de 
Lixheim et des environs la gracieuse protection dont elle a 
daigné les favoriser jusqu'à présent et de les mettre à l'abri 
des menacer indiscrètes d'un jeune vicaire qui ne connaît pas 
assez sans doute l'importance de l'exercice public de Notre 
sainte Religion. Nous supposerions à V. A. S. moins de lu- 
mières, moins de générosité, moins de bonté et moins de zèle 
pour la religion protestante pour douter un moment qu'elle 
ne veuille nous accorder gracieusement la demande que nous 
prenons la liberté de lui faire. 

C'est avec les sentiments de respect les plus soumis et 
de la plus vive reconnaissance que nous avons l'honneur 
d'être, etc., etc. — Signé : Jéeémie Gangloff, ancien et député 
de Lixheim. 

du temple, dont les frais de démolition âgorent dans les comptes de 
Lixheim pour 1685. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 67 

Nous nous conformons au contenu de tout ce qui est dit 
dans le placet ci-dessus et nous attestons et plaignons en 
même temps ce qui est rapporté au sujet de Lixheim. — N. N. 

Nous ne serons jamais tranquilles pendant que nous serons 
avec le même yicaire. — Paul Girardin. 



XX 

Requête au Bol par les protestants de Fénétrange ^ 

Au Boi. 
Sire, 

Supplient très humblement les Bourgeois et habitans de la 
Ville et Baronnie de Fénétrange, en Lorraine, faisant pro- 
fession de la religion protestante de la Confession d'Augsbourg, 
exposant très respectueusement. 

Que la Baronnie de Fénétrange appartenait autrefois aux 
Rhingraves de la Branche de Kyrbourg et de Salm qui la 
possédaient par indivis avec les Ducs de Croy comme Sei- 
gneurie libre, allodiale et immédiate de l'Empire. 

Depuis le grand changement de religion arrivé en Alle- 
magne et notamment depuis 15t)5 les habitans de cette Baronnie 
s'attachèrent presqu'en totalité à la Confession d'Augsbourg, 
ils jouirent sans interruption et notamment en l'année décré- 
toire 1624 du libre exercice de la Religion, ayant leurs Eglises, 
des Ministres pour la desserte de leur Culte et actes religieux 
et comme bourgeois et citoyens ils étaient admis dans les 
Emplois et Charges municipales comme tous les autres habitans. 

^ Original, papier. Au verso : « Requête au Bot. » Cette pétition, 
écrite peu de temps après Tédit de 1787, résume jusqu'à un certain 
point la situation des familles protestantes de Fénétrange dans le cours 
du xvni* siècle. 

M. le pasteur J. Winter, de Fénétrange, va publier une Histoire de 
la Communauté de cette ville, depuis Pintroduction de la Réforme 
jusqu'à nos jours. 



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68 REVUE d' ALSACE 

En 1664, Monsieur le duc de Croy et en 1665, le 11 aoust, 
Jean X, dernier Rhingrave de la branche de Kirbourg cédèrent 
chacun la part et portion qu'ils avaient dans cette Baronnie 
au prince Henri de Vautlémont. Les princes de Salm gardèrent 
pour lors leurs parts pour les céder dans la suite du temps k 
Sa Majesté à titre d'échange. 

Par le traité du 11 août 1665, il fut expressément pourvu 
au maintien et à la conservation de la Religion protestante de 
la Confession d'Augsbourg établie en ladite Baronnie, ainsi 
que portent les termes du Traité. 

« Et seront les Officiers et sujets de ladite Baronnie, terre 
et seigneurie faisant profession de la Religion luthérienne 
suivant la Confession d'Augsbourg, maintenus en la Liberté 
de Conscience et ne seront ni pourront être violentés, ni forcés 
dans leur Religion dont l'exercice leur sera permis et soufiert 
aux droits et ainsi que de passé, suivant l'usage de l'Empire, 
conformément au dernier Traité de Westphalie du 24 octobre 
1648.» 

Depuis 1668, les habitans de ladite Religion ont joui paisi- 
blement de leurs droits et privilèges jusqu'en 1680, Epoque 
à laquelle une partie de cette Baronnie, à la suite des opéra- 
tions de la Chambre de Réunion, fut cédée à la France; le 
prince de Vaudémont jouissait néanmoins de la partie qu'il 
tenoit des Rhingraves. Ce fut alors que le Doyen rural de Vie, 
à la tête du Clergé catholique, s'empara par voye de fait du 
chœur de la principale Eglise de Fénétrange, laissant toutefois 
aux habitans la nef de ladite église pour y faire l'Exercice de 
leur Religion. 

L'Edit de 1685 portant Révocation de celui de Nantes, ayant 
interdit l'exercice de la Religion prétendue Réformée en 
France; le Clergé catholique profita de cette occasion et 
dépouilla les habitans de la Confession d'Augsbourg par voye 
de fait et sans aucun ordre du seul Temple qu'ils avaient 
dans la ville de Fénétrange, ils en firent leur Collégiale et 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 69 

interdirent aux habitons de la Confession d'Âugsbourg l'entrée 
de cette Église, dans laquelle, ils faisaient l'exercice de leur 
Religion depuis un tems immémorial. Les Temples et les 
Écoles dans le reste de la Baronnie subirent le même sort qui 
devoit d'autant moins les frapper qu'ils ne professaient pas 
la Religion prétendue Réformée qui fut prohibée par le susdit 
Édit, que d'ailleurs l'exercice de leur Religion était fondé sur 
les Lois publiques de l'Empire, le Traité de Westphalie et 
d'autres Traités subséquens faits par des princes de l'Empire 
qui étaient encore co seigneurs en partie de la Baronnie à 
cette époque, jouissant de la supériorité territoriale. 

Les habitans de la Baronnie de Fénestrange avaient espéré 
de se voir réintégrés dans leurs droits et privilèges à la suite 
du Traité de Ryswick, on 1697, et ils s'en étaient flattés 
d'autant plus que dans le paragraphe Trois du même Traité, 
il est dit expressément que la paix de Westphalie et celle de 
Nimègue doivent être la base dudit Traité de Ryswick, ainsi 
que des restitutions politiques et ecclésiastiques y stipulées, 
mais leurs espérances ainsi que les sollicitations qu'ils firent 
en conséquence furent vaines et infructueuses. 

Lesdits habitans ayant passé depuis successivement dans 
la Domination des Ducs de Lorraine et enfin sous celle de Sa 
Majesté, ont fait à diflférentes reprises, de respectueuses 
représentations pour le rétablissement de l'exercice public de 
leur religion et pour la restitution de leurs biens ecclésias- 
tiques ; mais ils n'ont jamais eu le bonheur d'être exaucés et 
dans cette triste situation, ils se sont vus obligés d'aller 
jusqu'à ce jour sur le territoire du prince de Nassau qui en 
est voisin pour y vaguer à leurs exercices religieux. 

C'est avec peine que les Supplians se voient forcés d'ajouter 
à ces calamités que les sujets étrangers qui se sont mariés 
avec leurs filles, ont été obligés, faute de pouvoir exercer 
librement leur Religion, de s'établir sur des territoires étran- 
gers et d'y transférer leurs dots, ce qui fait en même temps 



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70 REVUE D'àI^ACE 

une diminution de population, d'industrie et de richesses pour 
le Royaume et une augmentation en faveur des Princes 
étrangers, chose diamétralement opposée aux intérêts de 
Votre Majesté et du Royaume. 

Les Supplians sont encore au nombre de douze à quinze 
cents dans la Ville et Baronnie de Fénétrange et ils osent 
assurer avec confiance que c'est par eux que s'exercent 
l'agriculture, l'industrie et le commerce par préférence à 
leurs concitoyens catholiques, mais lès entraves qu'ils essuient 
dans leurs existences civile et religieuse, diminuent leur 
nombre et leurs facultés de jour en jour, et il est prouvé que 
soixante familles ou bourgeois demeurant dans la ville de 
Fénétrange, paient autant et même davantage que deux cents 
familles catholiques qui demeurent dans la même ville. ^ , 

Ces embarras multipliés mettraient enfin les supplians dans 
la triste nécessité d'abandonner leur patrie, pour suivre leurs 

* En 1779, Fénétrange avec son faubourg comptait 190 maisons et 
250 feux, Lixheim n'avait que 130 maisons et 150 feux. Le passage des 
sels de Dieuze pour la Suisse procurait un grand bénéfice aux habi- 
tants. La suppression des bailliages de ces deux localités à la Réyolution 
commença leur ruine. * 

Si Ton juge de la fortune particulière des personnes par le cens 
électoral supprimé en 1848, on peut donner les renseignements suivants : 
Il y avait cette année, 33 électeurs dans les localités de l'ancien bail- 
liage de Fénétrange, dont 11 protestants (7 à Fénétrange, 2 à Metting, 
1 à Niederstinzel et 1 à Postroff) dont les contributions montaient de 
203 à 300 francs et 20 électeurs dans l'ancien baiUiage de Lixheim, 
dont 3 protestants (2 dans cette ville et 1 à Hellering) payant de 230 
à 338 francs de contributions. Il y avait donc dans ces deux anciennes 
juridictions 14 électeurs protestants sur 53 inscrits. 

Leurs professions se subdivisaient ainsi : 4 aubergistes, 1 aubergiste 
et tanneur, 1 brasseur, 3 cultivateurs, 1 huilier, 2 négociants et 2 pro- 
priétaire^. 

A Fénétrange il n'y avait, en 1848, que ô électeurs catholiques et à 
Lixheim 2. Dans les autres villages cités, il n'y avait pas d'autres élec- 
teurs que ceux indiqués ci-dessus. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 71 

biens et leurs enfans en des pays étrangers ; s'ils n'osaient 
espérer des soulagemens de la Bienfaisance d'un Roi magna- 
nime et juste; en effet les intentions bienfaisantes de Votre 
Majesté et les dispositions de tolérance annoncées déjà par 
l'Édit du mois de novembre dernier, ne peuvent qu'encourager 
les Supplians à porter au pied du Trône l'exposition des peines 
qui pressent leurs cœurs et à supplier très humblement Votre 
Majesté de vouloir bien daigner les remettre en possiession 
des droits, privilèges et biens ecclésiastiques dont ils ont été 
dépouillés abusivement en conséquence d'un Édit qui ne les 
regardait pas et contre l'intention du feu roi Louis XIV 
annoncée dans l'Édit de 1685, relatif au service divin ainsi 
qu'à l'entretien de leurs ministres et maîtres d'école qu'ils 
choisiront parmi les habitants de la Baronnie ' de leur Religion 
et faute de sujets, ils se soumettent sous le bon plaisir de 
Votre Majesté, à en demander au Consistoire de la Confession 
d'Augsbourg de la ville de Strasbourg. 

Supplians très humblement Votre Majesté de vouloir bien 
ordonner qu'en tout temps, lesd. ministres et maîtres d'école 
seront et demeureront subordonnés et incorporés audit Con- 
sistoire de la ville ^de Strasbourg pour ce qui regarde l'inspec- 
tion, l'ordre, le devoir et la discipline ecclésiastique. 

Les supplians observeront au reste avec la dernière exac- 
titude les Ordonnances et les Règlements généraux concernant 
les baptêmes, les mariages et les sépultures. La grâce que les 
supplians espèrent obtenir des bontés paternelles de Votre 
Majesté ne tend qu'à être réintégrés autant qu'il se peut, 
dans la possession civile et religieuse assurée à leurs ancêtres 
par des Traités publics et par la paix de Westphalie à 

' Un enfant de Fénéirange, Jean- Adam Messerer, fut sous-directenr 
et yicaire en 1793 à Péglise luthérienne de Saarbrûck; en 1797, il 
devint deuxième pasteur à Saint-Jean, Saarbrttck ; il mourut vers 
1830. 



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72 REVUE D'ALSACE 

Pexemple des Alsaciens, leurs voisins, qui suivent la Confession 
d'Augsbourg.* 

Si Votre Majesté daignait honorer les suppliajfis de Sa 
puissMte protection en permettant l'exercice libre de leur 
Religion, leur nombre augmenterait, ils ramèneraient des 
pays étrangers les parents et d'autres avec leurs biens et leur 
industrie, et Tinfluence de cette augmentation sur la fortune 
municipale et le bien général de TÉtat ne pourra demeurer 
indifférent. 

La tranquillité des supplians, le bien de l'État, sa population, 
sa richesse, concourants à favoriser la demande des supplians, 
combien en doivent-ils espérer le plus heureux succès sous le 
règne d'un Roi bienfaisant et protecteur de l'humanité? 

Ce considéré. Sire, les supplians espèrent qu'ayant égard à 
leurs représentations très respectueuses. Votre Majesté 
daignera accorder aux supplians l'exercice libre et public de 
leur Religion, ainsi que les autres demandes exposées ci-dessus, 
avec le droit à leurs filles de résider dans la Ville et Baronnie 
de Fénétrange; sous la domination de Votre Majesté, avec les 
époux qu'elles se choisiront, quoiqu'ils soient d'une domination 

^ Au mois d'octobre 1791, le pasteur George-Louis Haath, étudiant 
de l'UnÎTersité de Strasbourg, ordonné à Saarbrûck, dans le comté de 
Nassau, fut installé à Fénétrange par son confrère Lindemeyer, 
d'Hirschland. Le bourgeois Jean-Adam Bricka, dit le yieux, était 
Kirchenvorstéher (l'orateur de la communauté (t. p. 22). 

L'église luthérienne bâtie au faubourg, sur l'emplacement des halles, 
ne fut achevée qu'en 1806, l'inauguration eut lieu le 13 octobre de 
cette année. Les réformés n'y sont pas admis. M. le pasteur Winter a 
orné, il y a deux ans, son temple de deux vitraux (les quatre évangé- 
listes), œuyre d'un artiste de Berlin. 

Quant à l'ancien cimetière protestant, objet du procès de 1766, et 
qui fut, en 1788, revendiqué en vain par les catholiques, car le parle- 
ment de Nancy, devenu plus traitable, le déclara la propriété de la 
communauté, il a été transféré, il y a quelques années, avec celui des 
catholiques, dans un vaste emplacement acheté par la ville. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 73 

étrangère; accorder pareillement à iceux les droits de Bour- 
geoisie et à tous les Bourgeois et habitans faisant profession 
de la Confession d'Augsbourg, celui de participer, comme du 
passé aux émolumens, charges et privilèges municipaux avec 
les autres citoyens et ils ne cesseront de faire des vœux au 
Seigneur pour la conservation des jours précieux de Votre 
Majesté. 

Jean- Adam Brigka, Marchand Tanneur; J.-J. Bricka, négo- 
ciant, au nom des Bourgeois et Habitans de la Ville et Baronnie 
de Fénétrange de la Confession d'Augsbourg. 

XXI 

Première affaire du Bégiment Boyal- Allemand 

I 
Extrait des Registres au BaiUiage de Fénétrange.^ 

A Monsieur le Grand bailli et Messieurs tenant le bailliage 
de Fénétrange 

Vous remontre le soussigné, procureur du roi et co-souve- 
rain dudit siège, disant qu'il a été informé que le ministre 
luthérien du régiment Royal-Allemand est venu aujourd'hui 
dans cette ville et y a assemblé tous les cavaliers luthériens 
des quatre compagnies de ce régiment en quartier d'hiver ici 
dans une chambre chez Jérémie Bricka et Hostein au faubourg 
et a fait des prêches et autres actes de la religion luthérienne 
et comme le remontrant a appris en même temps qu'une 
grande partie des bourgeois luthériens de cette ville avec leurs 
femmes et familles a eu la hardiesse et l'audace d'y aller. et 
assister publiquement et faire conjointement avec les cavaliers 
dud. régiment l'exercice public de leur religion au grand 
scandale de tout le public et comme les habitans luthériens 

^ XXI, XXIV, archives départementales, Nancy, G. 969, or. papier. 



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74 REVUE D'ALSACE 

de cette ville et de tout le siège n'ont pas l'exercice public de 
religion, le fait doit être regardé comme un attentat formel 
aux droits et autorité du souverain. A ces causes, le susdit 
requiert qu'il vous plaise, Messieurs, faire très expresse 
défense et inhibition à tous les bourgeois luthériens tant de 
la ville que du dehors de se trouver et aller aux assemblées 
dud. ministre, qu'il ne peut faire qu'aux cavaliers seulement, 
ne souffrir que les femmes et domestiques s'y trouvent, à peine 
de punition exemplaire, et que lad. ordonnance qui inter- 
viendra soit lue et publiée, sans préjudice de l'information 
que le préopinant prétend faire. — D'Hame. 

Suit l'ordonnance conforme, dont un double fut déposé au 
greffe de l'hôtel de ville. Fait en la chambre du conseil, à 
Fénétrange, le U avril 1743. — Saintignon, grand bailli; 
d'Hame; C.-J. Klein. 



II 



Lunéville, le 22 avril 1743. 



J'ai reçu, Monsieur, votre lettre et celle de M. d'Hame, au 
sujet de Texercice public qu'ont fait et donné lieu les sujets 
luthériens de leur religion, et ces habitans ont d'autant plus 
tort que cet exercice est contraire à Tusage et aux traités, 
ainsi les défenses qui leur ont été faites par les officiers du 
bailliage sont très juridiques, et s'ils continuent, il faudra 
sans hésiter les poursuivre selon toute la rigueur des Ordon- 
nances, et je vous prie d'en avertir M. d'Hame. Je suis très 
aise du rétablissement de votre santé et je vous prie d'être 
persuadé de la sincérité des sentiments avec lesquels je suis. 
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. — 
De la Galaizière. 

Monsieur le comte de Saintignon, grand haillif. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 75 

XXII 

Le Chancelier et les Réformés de Fénétrange 

Lanéville, le 25 mai 1743. 

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 19 de ce mois sur le 
placet des nommés Hauer et Martzloff,* de la religion préten- 
due réformée par lequel ils demandent d'être reçus bourgeois 
de Fénétrange. Ce n'est pas sans raison que les officiers du 
bailliage y ont fait difficulté par le danger qu'il y aurait trois 
religions différentes dans la même ville, la catholique qui est 
naturelle, la luthérienne tolérée suivant la Confession d'Augs- 
bourg et la calviniste que l'on y introduirait; ainsi il ne faut 
pas donner de lettre de bourgeoisie à ces deux particuliers ; 
tout ce qu'on peut faire puisqu'ils sont nés à Fénétrange de 
père et mère qui ont été (quoique mal à propos) reçus bour- 
geois dans le temps des guerres et qu'ils s'y sont mariés dans 
la bonne foi, de tolérer qu'ils y continuent leur résidence, sans 
exercice de leur religion ; mais il faudra bien se donner de 
garde do ne plus admettre, ni de recevoir des étrangers de la 
même secte qui viendraient à épouser des lilles de ces calvi- 
nistes à qui l'on fait assez de grâce en ne les obligeant pas de 
sortir des États. Je suis, très certainement, Monsieur, votre 
très humble et très obéissant serviteur. — De la Galaizière. 

A M. le comte de Saintignon. 

XXIII 

Scandale pendant la Fête-Dieu à Postroff 

Vu par nous, Jean-Guillaume d'Hame, lieutenant général 
au bailliage royal de Fénétrange, le procès-verbal dressé le 
20 juin dernier par M. Steiner, prêtre, curé de Postroff, contre 

^ Et non Hayelat, p. 23. 



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76 REVUE d'àlsage 

Christine Stroh, femme de Daniel Metzger, luthérien de 
Postroff, par lequel il constate que le 17 dudit mois ladite 
Stroh se trouvant devant le reposoir de la croix au haut du 
village a tenu des discours tendant au mépris de la religion 
catholique, la soumission faite par lad. femme devant le curé 
dudit lieu, le soir même... Vu les conclusions de l'avocat 
procureur du roi. Nous avons condamné lad. Christine Stroh 
à tenir prison pendant quatre jours et à soixante-trois livres 
barrois d'amende à employer à la décoration de Téglise de 
Postroff; payables solidairement par elle et par son mari; 
avec défense à elle ou à tout autre de récidiver à peine de 
punition exemplaire et aux dépens. Ordonnons que ledit juge- 
ment sera lu et publié en la forme accoutumée et aflftché dans 
le village de Postroff.^ 

Fait et jugé dans la Chambre du Conseil à Fénétrange, le 
12 août 1759. — d'Hàmb. 

XXIV 

Certificat du curé de Lonéville 

Je soussigné, prêtre, chanoine régulier, curé de Lunéville, 
certitie que lorsqu'il se trouve des protestans habitués dans 
les fermes de Mondon, ils apportent et présentent au baptême 
les enfants qui naissent.' A Lunéville, le 12 may 1762. — 
J.- J. Le Roy, ch. rég., curé de Lunéville. 

* Un brouillon déchiré, non daté, parle d'une autre affaire des pro- 
testants de Postroff; ils avaient été condamnés à cent francs d'amende, 
dont moitié pour l'église et l'autre moitié pour l'auditoire. Des frais de 
nourriture pour un ministre luthérien sont réclamés par des bourgeois. (?) 

' Le doyen de la collégiale de Fénétrange, Guire, écrivait à un 
avocat de Mancy : Je vous envoie une copie collationnée par P. 
Schillinger, notaire apostolique des noms et surnoms de tous les luthé- 
riens qui ont abjuré leur hérésie en 1690, par laquelle vous verrez 
qu'ils étaient les pères et mères de nos luthériens modernes qui sont 
relaps. Cette pièce devait-elle servir pour le procès du 6 mai 1770? 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 77 

XXV 
Organisation du culte dans le département de la Meurthe 

Enregistré n- S55 CONSEIL (Tête de U République casqaée) D'ÉTAT 

DIVISION « . , ^„ . , ^„^ , «, ,,. 

te Pans, le 17 germinal, an Xn de la République. 

CUITES PROTESTAIS 

- Le Conseiller d'État chargé de toutes les affaires 

(DTRAIT) 

concernant les Cultes. 

Au Préfet de la Meurthe. 

« Le Premier Consul, Citoyen Préfet, a approuvé le 12 du 
courant, l'établissement de quatre Oratoires Luthériens dans 
votre Département, dont l'un à WiberSwiller, l'autre à Win- 
tersbucher (sic), le troisième à Hangwiller et le quatrième à 
Fénétrange. 

« J'ai l'honneur de vous prévenir que ces sortes d'établisse- 
ments ne peuvent gêner en rien l'exercice des cérémonies 
extérieures du culte catholique. 

a J'ai l'honneur de vous observer encore que ces oratoires 
sont unis spirituellement au Consistoire général du Haut- et 
Bas-Bhin. 

a J'ai l'honneur de vous saluer. Signé : Pobtalis. » 

Au verso : a Zilling. Oberstinzel. Nancy. » 

Le curé demandait alors que les protestants fassent obligés de < faire 
registrer leurs baptêmes, décès et mariages. » 

Dans la liste des conyertis de 1690, on voit qu'il y en a six à Ber- 
thelming, le maire Claude, ses deux filles et son frère, M. IVretzger et 
Elisabeth Munier; à Bettborn 9, les Ditsch, Ehrard, Littner, Schneider, 
Glande, etc.; à PostrofF U; à Niederstinzel ô, les Klein, etc.; à Wie- 
berswiller 4; à Mittersheim H\ à Langatte 5; à Metting 6, etc. Le P. 
Pierre Robinet S. J. figure parmi les témoins (30 mai 1686). 



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78 REVUE D* ALSACE 

Le législateur ne créa point d'autres oratoires dans l'ancien 
duché de Lorraine, seul but de mon travail. La loi du 16 ger- 
minal, an X, était exécutée, l'égalité entre tous les cultes 
proclamée par le premier consul. 

Un dernier mot sur les oratoires mentionnés dans la lettre 
de Portalis : 

Une récente brochure de M. le pasteur K. Horning, de Wie- 
berswiller,^ fournit quelques renseignements sur la com- 
munauté de ce village dont le ban est limitrophe du comté de 
Saarwerden. Après la paix de Ryswick, les habitans allèrent 
au prêche à Kekastel (pasteur Joh. Adam Pfânder); puis 
lorsqu'on 1724, il eut été construit une église luthérienne à 
Altwiller et qu'un ministre y fut installé deux ans après, on 
lui fit desservir Wieberswiller avec Mittersheim. Dans cette 
dernière localité, les non-catholiques, comme dans tous les 
villages mixtes du pays de Fénétrange, devaient subvenir à 
toutes les charges communales, sans aucune réciprocité, car 
ils n'avaient aucun édifice religieux. 

On leur disputait même leurs cimetières. C'était comme on 
a pu le voir un de leurs grands griefs. Ils en possédaient un 
à Mittersheim et aux enterrements le Zïrc/iewcen^or faisait les 
fonctions de ministre. 

En 1767, les cavaliers de la maréchaussée prirent au chef 
de la communauté, J.-N. Heilmann, la Bible dont il se servait 
pour lire un psaume au cimetière et il lui fut fait défense 
expresse de présider à l'avenir aucune cérémonie religieuse. 
Tout le crime d'Heilmann avait été de prévenir son chef 
spirituel, le pasteur Fischer d' Altwiller, de ne pas venir faire 
une communion à Mittersheim, comme il se le proposait, la 
maréchaussée étant dans le village pour l'arrêter ; elle avait 
été avertie, dit-on, par le curé. Le pasteur rebroussa prudem- 

^ Schicksàle der luth, Gemeinde Wiebersweiler, Strassb., 1885, in-8®, 
21p. 



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LES PROTESTANTS DU DUCHÉ DE LORRAINE 79 

ment chemin et la Bible du Kirchencensor fut le seul trophée 
de la journée. 

Non loin de Wieberswiller, on voit le village d'Inswiller, 
ancienne dépendance de Lhor, où se trouvait un pasteur dans 
le cours du dix-septième siècle. Les quatre familles luthé- 
riennes d'Inswiller avaient le droit d'entrer à l'église catholique 
et toutes les quatre semaines, le pasteur d'Altwiller y venait 
faire le prêche. Mais après la cession en 1766 par le prince 
de Saarbruck, les bourgeois luthériens, malgré que leur 
liberté de conscience ait été formellement stipulée, quittèrent 
peu à peu le village et se retirèrent dans le comté de Saar- 
werden, leur ancienne patrie. 

Wintersburg et Hangwiller dépendaient avant 1789 de la 
province d'Alsace, comté de la Petite-Pierre, dont était 
seigneur le duc de Deux-Ponts. Wintersburg possédait un 
ministre dès l'introduction de la Réforme dans le comté. 
M. Jean-Henri Glaser de Neu-Saarwerden y était depuis 1780. 

Hangwiller fut une nouvelle paroisse. Ces deux églises 
jouissent encore des libertés accordées par la loi du 10 dé- 
cembre 1790 aux églises de la Confession d'Augsbourg en 
Alsace. Elles continuent toujours à participer aux revenus 
de la recette générale des biens de la fabrique de la Petite- 
Pierre. Quoique comprises avant 1871, dans le département 
de la Meurthe, leur histoire ne peut entrer dans mon petit 
travail purement lorrain. 

Les protestants de notre contrée ne profitèrent en rien des 
bienfaits de la loi précitée. Ils ne possédaient aucun bien 
ecclésiastique. Le parlement de Nancy en 1788 avait, il est 
vrai, à la suite d'un long procès, maintenu la communauté 
de Fénétrange, dans la possession de son cimetière, que lui 
contestaient encore une fois les catholiques; mais aucune loi 
n'avait homologué l'arrêt de la cour et cette minime propriété, 
objet de tant de procédures irritantes, se trouvait légalement 
sur le même pied que les biens cathoUques non vendus. 



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80 REVUE D AliSACB 

Les oratoires réformés étaient aussi des créations nouvelles. 
Même en Alsace, avant la Révolution, les calvinistes ne 
jouissaient pas dans certains endroits des mêmes privilèges 
que leurs frères de la Confession d'Augsbourg. L'établissement 
d'oratoires à Zillingen (ancien comté de la Petite-Pierre, 
Alsace), à Oberstinzel et à Nancy souleva d'amères récrimi- 
nations des deux côtés. 

La communauté de Lixheim, toujours sur la brèche depuis 
un siècle, ne se borna pas à d'inutiles prières ; elle agit. Le 
couvent des Tiercelins fut acheté, et servit pour le culte et 
l'école. Il n'y eut pas grande difficulté pour y transférer 
l'oratoire de Zillingen, minuscule édifice qui vient d'être 
rebâti. 

Le changement de l'oratoire établi à Oberstinzel présenta 
bien d'autres difficultés. La récente construction d'une église 
catholique à Hellering et la cession de l'ancienne ravivèrent 
les vieux récits, le vénérable Bulletin des Lois, cette arche 
sainte, est lui-même mis en suspicion.... Des scènes regrettables 
se produisirent et le mécontentement basé sur des croyances 
généreuses n'est pas encore complètement éteint 

A Nancy, la présence d'un bataillon suisse de la Confession 
helvétique fut pour beaucoup dans le déclassement de l'église 
des prémontrés. Il y eut aussi des protestations. Le temps a 
donné raison à la lettre de Portails ; qui s'en serait douté ? 

Mais je n'ai entrepris que l'histoire des protestants lorrains 
sous le règne de Stanislas, L'année 1 766 est ma limite. L'histoire 
religieuse offre toujours de nombreux écueils ; j'ai cherché à 
les éviter en me prescrivant la plus complète impartialité et 
en puisant aux renseignements les plus sûrs. L'histoire con- 
temporaine pourrait m'entraîner trop loin. Il est temps de 

m'arrêter.... 

Arthur Benoit. 



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HISTOIRE DES FORÊTS DE L'ALSACE 



NOTICE SUR L'ASPRUCH' 



Partage de TAspruch 1820-1821 

Un premier projet de partage de la forêt l'Aspruch entre 
les quatre communes co-propriétaires de l'année 1809 n'a pas 
abouti à ce que nous apprend une lettre du sous-préfet de 
Wissembourg, M. Lehn, en date du 19 juin 1817, adressée au 
maire de Hatten : « Les communes de Rittershoffen et Nieder- 
betschdorf, M. le maire, ont réclamé contre le projet de partage 
de la forêt d' Aspruch dressé le 7 août 1809 ; elles se prétendent 
lésées, etc. » 

Une ordoùnance royale datée du 23 mai 1820 prescrivit et 
une commission nommée par arrêté de M. le sous-préfet de 
Wissembourg du 7 septembre de la même année constate le 
partage par procès-verbal et plan; le plan de M. Holstein, 
arpenteur-forestier, à l'échelle de 5000, porte la date du 
9 février 1820. 

On avait pris pour base le nombre de feux des villages et 
l'état momentané de la forêt compensant, à ce qu'il semble, 
une plus-value en bois par du terrain. Les frais du partage, 
suivant les deux notes datées du 18 septembre 1820 et du 
27 octobre 1821, se sont élevés à fr. 17,621.75, si toutefois je 

• Forêt ayant appartenu par indivis aux communes de : Hatten, 
Rittershoffen, Obei> et Niederbetschdorf. 

NouYclie Série. — 18** année. 6 



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82 REVUE D'ALSACE 

suis complètement renseigné. Ils ont été répartis entre les 
quatre villages, suivant leur nombre de feux. Hatten, comptant 
alors 373 feux, a dû payer sur cette somme fr. 6,501.40; 
Rittershoffen avec 232 feux, fr. 4,043.76; Oberbetschdorf avec 
195 feux, fr. 3,398.85 etNiederbetschdorf, 211 feux, fr. 3,677.74. 

Hatten eut la partie orientale de l'Aspruch, sur laSeltz; 
cette portion s'étend en éventail sur l'est de la banlieue de 
Hatten, sur une profondeur moyenne de 3 kilm.; tandis que 
près des champs à l'ouest elle ne mesure que 2 kilm. du nord 
au sud elle arrive sur la limite extérieure à kilm. 4,7, de la 
Seltz (Niederrôdern) au point de rencontre des banlieues de 
Forstfeld, Leutenheim, Rittershoffen et Hatten. Elle comprend 
la partie occidentale de l'île défrichée de la Seltz avec le châ- 
teau de Fleckenstein. 

Rittershoffen eut la tranche attenante au sud de la portion 
précédente; large de plus d'un kilm., elle s'étend sur une 
longueur de kilm. 5,2 jusque près de Kônigsbrttck et au 
« Rômerstrâssel » du nord-ouest au sud-est. 

Niederbetschdorf eut la tranche comprise entre la précé- 
dente et la portion d'Oberbetschdorf. Large de kilm. 1,3 elle 
s'étend du nord-ouest au sud-est : sur kilm. 5,2 limite de Ritters- 
hoffen; kilm. 5,7 d'avec Oberbetschdorff; de plus kilm. 2,2 sur 
la Sure où elle comprend la pointe occidentale da la petite île 
près Kônigsbrttck. 

Oberbetschdorf reçut en partage la partie occidentale 
de l'Aspruch, baignée sur plus de 5 kilm. par la Sure et 
située au sud-ouest de la portion de Niederbetschdorf dont 
elle est séparée par l'ancien chemin appelé Strâssel(Rômer-V); 
sa largeur varie avec le lit du courant de la Sure de 
kilm. 1 à 1,5. Tandis que les parts des trois autres villages 
ont pu être ajoutées à leurs banlieues respectives, la part 
d'Oberbetschdorf a été incorporée dans la banlieue de Nieder- 
betschdorf, limite extrême de l'Aspruch. 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 83 

Superficie 

La plus grande dimension de TAspruch de l'ouest à Test 
équivaut au double de sa plus grande largeur du nord au sud. 
De la Sandmûhle, extrémité ouest de TAspruch, à son point 
d'intersection avec les forêts de Forstfeld et de Kesseldorf, il 
y a kilm. 9,1. — Du même moulin à l'extrémité nord-est de 
l'Aspruch il y a kilm. 9,4, mais cette ligne ne suit pas rigou- 
reusement le parallèle et rencontre, sur l'Eschengraben 
(Ostemdorf) et dans la banlieue de Hatten, deux solutions de 
continuité de forêts. 

Sa plus grande dimension du nord au sud, méridien de 
l'Althof, est de kilm. 4,7 ; sa plus petite, à la Sandmtthle, est 
de 1 kilm. Le long de la route de Hatten-Seltz, elle n'a plus 
qu'entre 2 et 3 kilm., sa plus petite dimension de l'ouest à l'est. 

Lors de son partage en 1820, l'Aspruch avait encore une 
contenance de plus de 2800 hectares comme le prouvent les 
chifEres du cadastre. En efiet, la banlieue de Hatten contient 
en forêts 1,162 hectares 90 ares, plus exactement 1,167 hectares 
14 ares, ^ suivant un arpentage de 1867 ; celle de Rittershoffen 
538 hectares 84 ares, ' celle de Niederbetschdorf 1,204 hectares 
40 ares, auxquels il convient d'ajouter 57 hectares 87 ares de 
bruyères, soit 1,262 hectares 27 ares; les trois banlieues con- 
tiennent donc ensemble 2,968 hectares 25 ares de forêts. Or, 
toutes ces forêts, sauf 124 hectares 12 ares contenance de 
l'Essenbusch, proviennent de l'Aspruch ; la contenance était 
donc de 2,968 hectares 25 ares — 124 hectares 12 ares = 
2,844 hectares 13 ares lors du partage, sans compter les che- 
mins publics • qui ne dépendent pas du sol forestier. 

^ SaToir : 65 hectares 57 ares Essenbusch de Rittershoffen; 58 hectares 
55 ares Essenbusch de Hatten ; 137 hectares 02 ares défrichements de 
1873 à 1875; 906 hectares forêts de TAsprach. 

'Le cadastre dit : 526 hectares 26 ares. 

' Dans la seule forêt de Hatten il y a 13 hectares 20 ares de chemins 
pnblicB (5 hectares 74 ares -{- 7 hectares 46 ares). 



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84 , KEVUE D'ALSACE 

FORÊTS ATTENANTES 

Les forêts limitrophes de TAspruch sont, à l'est, la forêt 
communale de Niederrôdern de 32 hectares 52 ares et la forêt 
de Kesseldorf qui, autrefois à la ville et à l'abbaye de Seltz, 
sous le nom de Walholz, Altherrnwald et Niklausgeren, appar- 
tient depuis la Révolution à l'hospice de Strasbourg, d'une 
contenance de 431 hectares 2 ares ; la forêt communale de 
Forstfeld, autrefois indivise entre Forstfeld et Kônigsbrtick, 
de 80 hectares 9 ares, et une petite tranche de forêt de quel- 
ques hectares dans la banlieue de Leutenheim, autrefois au 
couvent de Kônigsbrtick; les deux premières sont situées dans 
le canton de Seltz, les deux autres dans le canton de Bisch- 
willer; l'Aspruch se trouve dans le canton de Soultz-s.-F. 

Au Sud, il y a la grande forêt, dite Closterwald, du couvent 
de Kônigsbrtick, qui depuis la Révolution appartient à l'Etat, 
d'une superficie de 5076 hectares, et la forêt de Haguenau, de 
14,765 hectares, indivise entre l'Etat et la ville de Haguenau. 

Au nord, la forêt d'Essenbusch, de 124 hectares 12 ares, 
partagée depuis 1820 entre les deux communes co-proprié- 
taires de Hatten et Rittershoffen, dans la banlieue de Hatten. 

LIMITES 

Au Sud, la limite de l'Aspruch est formée par le milieu du 
courant de la Sure; elle compte 7500 mètres; au nord, 
l'Aspruch est baignée sur une distance de 1100 mètres par la 
Seltz, dont le milieu du courant forme la limite. La limite 
nord-ouest, de Niederbetschdorf sur la Sure, à Niederrôdern 
sur la Seltz, forme une ligne, telle que les défrichements 
successifs l'ont formée, brisée plus de trente fois, dont le 
développement n'est pas moindre de 13 kilomètres. Cette 
limite entre l'Aspruch et les banlieues des villages de Hatten, 
Rittershoflen et Niederbetschdorf est assurée par des pierres- 
bornes et des fossés, comme l'est aussi la limite est 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 85 

BÉTIBION DE LA FRONTIÈRE EST EN 1736 

Le 18 et le 19 avril 1736, il y eut une révision des bornes de 
la limite est de TAspruch, qui formait en même temps la fron- 
tière du bailliage hanau-lichtenbergeois de Hatten. 

Le procès-verbal sur le « bornage de la forêt communale 
des quatre communes du bailliage de Hatten, appelée 
TAspruch », comme dit le titre, motive ainsi cette visite : 

« L'abornement de ladite forêt n'ayant pas été visité depuis 
de longues années ^ et diverses pierres-bornes (Lohen) étant 
renversées ou perdues, on a, de peur que la limite ne se 
perde tout à fait ou en partie, commencé cejourd'hui 18 avril 
1736 par visiter et renouveler les bornes en présence des 
communes voisines, en se servant pour le mesurage des 
distances du pied de France. »* 

Ont assisté à cetfe visite et signé la minute : 

De Hatten : le bailli (Geiger) ; le receveur-payeur et le maire 
du bailliage (Wôrisshoflfer et Kurtz) ; deux juges du tribunal 
forestier (Waldgerichter : Schuster et Geyer) ; le waldmestre 
(Bastien); deux éehevins (Roos etDrion); un juré (Humbert) 
et un bourgeois (Bisch) : de ces quatre derniers Drion seul a 
signé. 

De Niederbetschdorf : deux éehevins (Heinemann et Lux); 
le waldmestre Dangler dont la signature est remplacée par 
celle de Wolff; 

D'Oberbetschdorf : un échevin (Hummel) et le waldmestre 
Hieronymus dont la signature manque; 

De RittershofiFen : deux éehevins (Wagner et Gôtzmann) et 
le waldmestre (Fischer) ; 

Pour Niederrôdern : le maire (Hégé), le bourgmestre 
(KacheloflFen) et deux bourgeois (Koblentzer et Fleick). Deux 

^ Probablement depuis 1619 : aucune pierre-borne ne porte du moins 
de date intermédiaire de 1619 à 1736. 
* Le pied de Paris = 0",324839, en nombre rond 0°»,325. 



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86 REVUE d' ALSACE 

échevins (George et Clauss), cités comme présents à l'entrée, 
n'ont pas apposé leurs signatures. 

Pour Seltz : le bailli (von der Mast), conseiller de l'Electeur 
palatin, au nom de la ville; le receveur et le maire du chapitre 
(Weizmann et Annion, Stiftsschaflfner et Stiftsschultheiss) ; le 
greffier (Joseph Fleury, Stadtschreiber) ; le bourgmestre 
(Tischelzweig); deux échevins (Meyer et Sauer); un conseiller 
municipal (Wolflf) ; le chasseur et le garde-forestier du chapitre 
(Walter et Burger) ; 

Pour Forstfeld (et Kônigsbrûck, forêt indivise) : un échevin 
et un bourgeois de Forstfeld (Postetter et Rinkel) ; les signa- 
tures du bourgmestre (Vix) et de trois bourgeois (Wolflf, Gress, 
Millier) manquent au procès-verbal. — Kônigsbrûck n'était 
pas représenté. 

Le 19 avril, la commission de révisio^ de Hatten, ayant 
opéré jusqu'ici en pleine harmonie avec toutes les com- 
munes limitrophes, arriva à la limite du ban de Kônigsbrtlck. 
Les neuf premières bornes, placées entre forêts, sont trou- 
vées en bon état; les bornes n®" 10 à 13, entre l'Aspruch 
et les champs du couvent, étaient à renouveler ainsi que le 
n^ 14, près du pont de l'Altbach, qui avait disparu ; restait la 
dernière borne, n** 15, placée dans l'île sur le bord de la Sure; 
mais quand, pour la visiter, on voulut entrer dans l'île, la 
vénérable abbesse Richarde, assistée de son confesseur 
(Sfechtheichtiger), le R. P. Nivard, s'y opposa, sous prétexte 
que la limite s'arrêtait à l'Altbach, que du reste, cette partie 
(occidentale) de l'île devant appartenir à l'Aspruch et au 
Hattgau, n'était avec ses prés et terrains, qu'une compensa- 
tion pour le couvent, des quatre quarts (d'arpents) de prés * 

^ Le couvent de Kônigsbrûck possédait alors dans le ban de Hatten, 
selon l'ancien terrier, foL 851, 860 et 871 : 

10 3 hectares de prés sur la Seltz, canton de Brûhl, n^ 432 ou 
« 6 Mannsmatten » formant un seul tout; 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 87 

que celui-ci possédait dans le ban de Hatten et dont jouis- 
saient les quatre villages. La commission, remettant Taffaire 
à un examen ultérieur, se retira. 

LA LIMITE OEIENTALB DE L'ABPEUCH 

Au sud la limite de rAspruch était formée et assurée par le 
milieu du courant de la Sure qui le séparait de la forêt de 
Haguenau et de celle de l'abbaye de Kônigsbrûck dite Kloster- 
wald. 

A Touest et au nord la limite était formée et assurée par 
des pierres-bornes ou des fossés et la Seltz qui le séparaient 
des propriétés particulières des villageois, du bois particulier 
de Hatten, PEssenbusch et du ban de Niederrôdern. 

A Test la limite, assurée primitivement par des arbres- 
bornes, et depuis la fin du x® siècle, sinon plus tôt, par des 
pierres-bornes, passe d'un bout à l'autre entre forêts, sépa- 
rant l'Aspruch des forêts de Niederrôdern, Kesseldorf, Forst- 
feld, Kônigsbrûck-Leutenheim sur une distance de 6 kilm. 

De toutes les limites de l'Aspruch, la limite est exigeait de 
tout temps le plus d'attention et la plus grande vigilance, 
étant au milieu de forêts et la plus éloignée des villages. Limite 
de l'Aspruch, elle était en même temps celle de la province, 
séparant depuis la fin du x« siècle le territoire de Sainte- 
Adélaïde de la province du Hattgau. C'est le long de cette 

2^ Une parcelle de 9 ares 90 centiares (1 Yiertzel) située au Gathri- 
nenwinkel, canton de Lochmatt, n» 481 ; 

3® Une parcelle de 40 ares 60 centiares (3 Viertzel) des « Nonnen- 
matten » du même canton^ n^ 534. 

C'est de ces deux dernières parcelles, d'ensemble 50 ares 50 centiares 
qu'il s'agit. Elles payaient annuellement à l'abbaye de Seltz, sous le 
nom de « Bodenzins », la première 3 schillings 9 deniers, et la deuxième 
1 florin 1 schilling 3 deniers (1 fl. = 10 schillings, 1 schil. := 12 den., 
1 fl. = 42 à 43 sous). 

Le couvent de Kônigsbrûck touchait à son tour des prés n"^ 289, 290 
et 291 (fol. 824) chaque année 2 livres d'huile. 



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88 REVUE D'ALSACE 

limite, dans les forêts de l'abbaye de Seltz, aujourd'hui à 
l'hospice de Strasbourg, sous le nom de forêt de Kesseldorf, 
qu'il y a eu le plus souvent des changements de propriétaires. 
Les margraves de Baden, avoués de l'abbaye dès le xii® siècle, 
auxquels la ville de Seltz elle-même fut engagée en 1274,Yont 
non-seulement causé la destruction de l'abbaye en 1258 et 
juste cent ans plus tard celle de la ville elle-même, mais ont 
été les premiers à tirer profit de cet affaiblissement. Le Ried 
inférieur, formé alors par Beinheim et les villages badois 
Wintersdorf, Ottersdorf, Plittersdorf * et les deux villages 
disparus Mufenheim et Dunsenhausen, a été détaché du terri- 
toire de Sainte-Adélaïde au xii« ou xm® siècle. Et c'est sans 
doute à la même époque que les armes badoises ont été gravées 
sur des bornes qui séparaient l'Altherrnwald, forêt de l'abbaye, 
de l'ancien Aspruch ou du territoire de Hatten. Forstfeld qui, 
au VIII® siècle, était un petit endroit « hceUus » situé dans la 
marche de Frankenheim ou Franchenheim, dont les 12 maisons 
de Neubeinheim sont les derniers représentants, doit avoir été 
réuni avec ce village à Seltz ; Seltz envoyait faire paître ses 
troupeaux jusque dans la forêt de Haguenau,* en passant je 
suppose par la forêt devenue plus tard forêt de Forstfeld. Forst- 
feld a dû être séparé de Seltz au commencement du xw siècle, 
lors de la fondation du couvent de Kônigsbrilck par Frédéric, 
duc de Souabe et d'Alsace (1090-1147), fondateur de Haguenau. 
Seltz a dû contribuer à cette fondation en cédant de son 
territoire sur la rive gauche de la Sure;' c'est alors, sans 
doute, que la forêt actuelle de Forstfeld devint forêt indivise 

^ Les Tradit. Wzbg., vin* siècle, désignent Wintersdorf et Plilters- 
dorf comme des villages alsaciens, preuve qne le Ried badois faisait 
partie de l'Alsace. 

• Voir la bulle du pape Honorius II du 11 juillet 1125 dans Gran- 
DiDiBB, Hist d'Alsace, H, tit. 602, p. 256 ; ou Wurdtwbin, nov, mbs. 
dipl, t. 6, N^ 117, p. 275 et 276. 

* Les papiers et règlements du couvent se conservaient à Seltz. 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 89 

de Forstfeld et Kônigsbrûck, ce qu'elle est restée jusqu'à la 
Révolution. Kônigsbrûck a été substitué à Seltz dans ses 
droits sur le territoire de Forstfeld; il avait aussi un «pre- 
dium » sur la Eesselbach, ancien emplacement de Kesseldorf, 
sur la lisière de la forêt de Hatten. 

L'abbaye de Seltz cependant s'était réservé le « Fisch- 
wasser », ou eau poissonneuse, appelée la' mer, située entre 
Forstfeld et Kesseldorf, de môme que sur le territoire de Bein- 
heim elle s'était réservé le « Fischwasser » appelé le Giessen, 
situé à l'extrémité méridionale de la banlieue de Beinheim, 
non loin d'une borne séparant les banlieues de Roppenheim, 
NeuhsBusel et Beinheim, près du Rhin et portant la date de 
1098 et d'un côté les lettres N. R, de l'autre K. M. (= Neu- 
haeusel, Roppenheim et Kloster-Markung), 

OBSERVATIONS SUR LA LIMITE ORIENTALE DE L'ASPRUCH 

La limite orientale de l'Aspruch suit la direction de la route 
de Niederrôdern à Kônigsbrûck. Cette route a une longueur 
de 6,6 kilm. dont les 4,2 premiers kilm. appartiennent aujour- 
d'hui à la nouvelle grande route de Wissembourg à Fort-Louis 
qui suit ici la direction du nord au sud et les 2,4 kilm. restants, 
à l'ancienne route de Seltz à Fort-Louis qui passait par 
Kônigsbrûck, mais qui aujourd'hui n'est plus qu'un simple 
chemin décrivant une double courbe dans sa direction du 
nord-est vers le sud-ouest. 

Cette route, qui longe la limite en question, traverse succes- 
sivement environ 0,8 kilm. du territoire de Niederrôdern; 
0,4 kilm. de l'ancien territoire de Seltz, aujourd'hui de Kessel- 
dorf; 2,2 kilm. de l'Aspruch; 1,9 kilm. de Forstfeld; 1,3 kilm. 
du territoire de Kônigsbrûck -Leutenheim. 

A 0,8 kilm. au sud de Niederrôdern (sur le territoire de 
Seltz), cette grande route coupe la route de Hatten à Seltz et 
3 kilm. plus loin, sur le territoire de Forstfeld, elle fait sa 



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90 HEVUE D'ALSACE 

jonction avec la route de Hatten-Forstfeld, à 0,6 kilm. au sud 
du ravin du Kesselbach qu'elle traverse sur le territoire de 
Hatten. 

Sauf pendant le premier quart-d'heure à partir de la.Seltz, 
la limite ne s'écarte guère de la route, qu'elle soit extérieure 
ou qu'elle soit intérieure à celle-ci. Mais aux territoires de 
Niederrôdern et de l'ancien Wahlholz surtout la ligne de 
démarcation d'avec l'Aspruch forme un angle rentrant dans 
ce dernier, dont le sommet, sur la route de Seltz à Hatten, se 
trouve à 0,5 kilm. à l'ouest de la route de Fort-Louis. Aussi 
le périmètre mesure-t-il 0,9 kilm. de plus que n'aurait mesuré 
le prolongement direct et normal de la ligne de démarcation 
entre les deux mêmes points : 1,918 kilm. et 1 kilm. C'est cette 
pointe que fait la forêt de Seltz (aujourd'hui à l'hospice de 
Strasbourg) dans l'Aspruch qu'on appelle le Seltzer Spiss ou 
Spitzen. 

On est frappé au premier abord de la coïncidence de la 
limite qui traverse l'île avec la direction que suit la ligne de 
démarcation en général jusqu'au Seltzer Spiss ; car l'une ne 
paraît être que le prolongement naturel et normal de l'autre 
violemment interrompu, et on est porté à penser qu'il y a eu 
là un changement de limite amené par quelque événement 
dont la connaissance nous échappe. 

Un fait à noter c'est que dans l'angle que forme le Wahlholz 
avec l'Aspruch et la forêt de Rôdern, il y a encore aujourd'hui 
un pré rectangulaire oblong de plusieurs hectares entouré de 
fossés à rebords et de forêts de toutes parts. Parfaitement 
aplani et sans aucune inégalité, ce pré présente l'aspect d'un 
ancien petit camp; il est à dix minutes du château des 
Fleckenstein et à une petite lieue de Seltz. On ne lui connaît 
pas d'autre nom que la « Kaiserwies ». Serait-ce « pré de 
l'empereur » que voudrait dire cette dénomination ? Mai^ alors 
d'oil lui vient ce nom ? Je n'ai pas de réponse à cette question. 

Il y a de plus à noter le nom que portait autrefois le bois 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 91 

OÙ ce pré se trouve: Wahlholz? que veut dire ici WalV La 
Walstatt est le champ de bataille ou un terrain, peut-être, 
d'exercices militaires; ou Wahl = élection? ou welsch = ro- 
manus ? ou pour Wald, taillis. 

Au moyen âge les empereurs allemands voyageaient la plu- 
part du temps avec leur cour d'une ville à une autre, d'une 
villa royale à une autre. Haguenau a été fondé par Frédéric- 
Je-Borgne, duc de Souabe et d'Alsace, le fondateur du couvent 
de Kônigsbrûck, dans la première moitié du xiV siècle. 
Son fils, l'empereur Frédéric I«', Barberousse, nous le dit en 
confirmant et enrichissant ces fondations. De Frédéric I«^ 
Barberousse, lui-même il y a un diplôme de l'année 1189,' 
XFI calendas Majij daté de apud Sélsam et parmi les témoins 
se trouvent Gottfried et Conrad de Fleckenstein ; apiid, dans 
les environs; ni prope, ni ante, auprès, devant. 

Par ce diplôme Frédéric I®' fonda les hospices de Haguenau 
et leur donna deux arpents de terre à Lutichswiler, que 
Schœpflin prend pour Lutweiler ; Lûterswiller serait plus près. 

PÉRIMÈTRE 

Le périmètre de cette limite est de 6,950 kilm. à peu près, 
dont 0,630 pour la limite d'avec Nièderrôdern ; 3,150 kilom.' 
pour la forêt de Kesseldorf ; 2 kilm.^ pour celle de Forstfeld et 
1,170 kilm.* pour la banlieue de Leutenheim (Kônigsbrûck). 

Comparé à la longueur de la route, il y a une diflférence de 
0,350 kilm. en plus pour le périmètre; il y a cependant à 
remarquer que le périmètre n'est plus long que la route que 
sur les premiers 1,2 kilm. de celle-ci du côté de Nièderrôdern, 
sur lesquels le périmètre compte 1,988 kilm. ou 2 kilm. 

* Shospflin, dipl. n® 344. 

* 9511' + une moyenne pour le n® 28/29. 
» 6146'. 

* 3349'-}- la largeur de rile. 



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92 aBvuE d'alsâcb 

POINTS DE LIMITB ET PIEERBS-BORNES 

Il y a 112 points de limite de Niederrôdern à Kônigsbrûck, 
assurés par 116 pierres-bornes : dont 10 pour Niederrôdern; 
55 et 4 doubles pour la forêt de Seltz (Kesseldorf) ; 35 pour 
Forstfeld et 15 pour Kônigsbrûck. 

Les pierres-bornes n*»* 18, 19, 20 et 23 de la forêt de Seltz 
ont à 20, 27, 18 et 22 pieds d'écartement des vis-à-vis et la 
limite passait, selon le procès-verbal de 1736, à égale distance 
de ces deux rangées de bornes : Wo zween Stein nehen etnander- 
stehn géht der Scheid mitten durch. 

Non loin de là, sur la limite commune à Seltz et Nieder- 
rôdern, il y avait, à ce qu'il paraît, la même disposition de 
bornes : on a fini par adopter dans les deux cas les bornes 
extérieures comme indiquant la vraie limite, et cela au détri- 
ment de la forêt de Seltz. Provenaient-elles d'une ancienne 
route? 

Toute autre était la position des 24 doubles pierres-bornes 
dans la forêt de Forstfeld et des 4 de la forêt de Kônigsbriick 
que signale le même procès- verbal,^ car celles-ci n'exerçaient 
nulle influence sur la limite de l'Aspruch en 1736. Placées de 
front avec les bornes de l'Aspruch, elles se trouvaient de 
12 à 33 pieds d'écartement de celles-ci, tandis que l'écartement 
oblique était de 42' à 97'. Ces bornes paraissent, en partie du 
moins, témoigner d'une ancienne limite abandonnée. 

En 1852 les villages limitrophes, se partagèrent tout le ter- 
rain situé entre ces deux rangées de bornes. 

SIGNES PAETICULIEES DES BORNES 

A la suite de la visite des 18 et 19 avril 1736 on a dû 
renouveler sur cette limite est de l'Aspruch 17 pierres-bornes, 

^ Ces 28 pierres accompagnaient Pabornement pendant 2,4 kilm. 
à une distance moyenne de 8 mètres environ; eUes disparaissaient avec 
la forêt aux terres cultivés de Kônigsbriick. 



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NOTICE Sim L*ASPRUCH 93 

savoir : 1 sur la limite d'avec Nîederrôdern, 7 sur celle de 
Seltz, 5 sur celle de Forstfeld et 4 sur celle de Kônigsbrûck. 
Le 28 août 1749 on a dû encore remplacer dans la forêt de 
Seltz 4 bornes qui avaient été brisées. Ces bornes nouvelle- 
ment posées n'avaient d'autre signe que la date de leur pose ; 
sur quelques-unes du moins on avait gravé l'année 1736 ou 
1749. En les posant on les accompagnait de six morceaux de 
tuile, mis dans le trou sous la pierre, comme pièce de convic- 
tion : Qesetzt und mit 6 Zeugen von ZiegeUtiXcken helegt. Selon 
un ancien usage généralement admis. 

Les anciennes bornes, de formes et de dimensions très 
variées, étaient, comme les nouvelles, en grès vosgien blanc 
ou rouge; une seule était de roche. 

Sur les anciennes bornes on n'a trouvé que 4 marquées de 
la date de leur pose dans les années de 1568, 1593, 1594 et 
1619; c'étaient les n°' 1, 37, 54 et 15 de la forôt de Seltz. — 

Sur 100 anciennes bornes 64 étaient marquées d^une croix 
et quelques-unes même de plusieurs croix, tant sur le sommet 
que sur les côtés, surtout sur les côtés qui étaient tournés 
vers Seltz. De ces 64 bornes marquées d'une croix, 10 appar- 
tenaient à Niederrôdem, 84 à Seltz, 17 à Forstfeld et 3 à 
Eônigsbrûck. 

BORNES AVEC LES ABHES BADOISES 

Les n"*" 29 et 30 des bornes de laforêt de Seltz, — c'étaient 
la 3' et la 4« pierres du Altherrnwald ' — sont ainsi décrits : 
N*» 29, ein hoher weisser Sandr und Bannstein, so ohen oval 
und mit einem Oreutz bezeichnet und auf Seltzer S&ite dos 
badische Wappen hat; die SeUzer àber ivider solches Wappen 
protestiren, n** 30, 180 Fuss, under ein solcher Stein. C'est-à- 

^ Il y a en cet endroit dans l'Altherrnwald an défrichement d'une 
yingtaine d'hectares appelé l'Altherrenfeld, qae cultivent les paysans 
de Niederrôdem et dont je ne sais à quelle époque il remonte. 



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94 REVUE D*ALSACE 

dire : au sommet oval et marqué d'une croix, et sur la face 
tournée du côté de Seltz, les armes des margraves de Baden. 

La surprise fut grande chez les diflFérents membres de la 
commission et a gagné, paraît-il, jusqu'au greffier, car, et 
c'est la seule fois, il oublie d'indiquer la distance d'une borne 
à l'autre (n® 28 à 29). Il y avait en eflFet plus de trois siècles 
que Seltz avait été engagé à l'électeur palatin (1409) ! quand 
plus de 50 ans auparavant elle avait été déclarée ville impé- 
riale d'Alsace (1358). Depuis 1358 les margraves n'avaient 
plus de pouvoir à Seltz. Ces pierres-bornes avec les armes 
badoises devaient donc remonter pour le moins à la première 
moitié du xiv siècle, sinon au xm« siècle, à l'époque où la 
ville fut engagée aux margraves, c'est-à-dire à 1274. Nous 
trouvons d'ailleurs que les margraves étaient les avoués de 
l'abbaye de Seltz déjà au commencement du xn« siècle. 

Le Hermanmis advocatus yusdem hci de la charte, n" 267 
de l'Als. dipl. de l'année 1139, n'est autre que le Hermanmis 
marchio de Batha qui a signé le même jour et avec les mêmes 
témoins une autre charte. 

En 1143 il signe une charte, Als. dipl. n<> 272, Hermanno 
marchio; ibidem n® 284, on trouve p. 235: Advocato ecclesie 
nostrœ hermanno, anno 1151. Je ne sais si son père Hermann, 
margrave, mort en 1130. avait déjà été l'avoué de l'abbaye de 
Seltz, mais comme l'Uflfgau ou Osgau,* hodie marchia Badensis 
dictaj touchait à la partie transrhénane du Froprium St- 
Adelhaidiff les rapports ont dû s'établir de bonne heure. En 
1197, le 12 avril, l'abbé de Seltz, Helmwic, prête 200 Mark 
arg. au margrave de Bade, Hermann V et à son frère Frédéric 
qui lui promettent à cette occasion que s'ils venaient à 
engager ou à vendre leur advocatie de l'abbaye, ils lui don- 
neraient la préférence sur tout autre acheteur.^ 

' Yoy. EsBMBB, Bheinisch. Francien, p. 81, les limites de l'Uffgau. 
' Aetum p. aptid Odeche (lUingen ou Elchingen, sur le Rhin en face 



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NOTICE SUR L'aSPRUCH 95 

LA PIERRE DE SAINTE-ADÉLAÏDE 

B. Hertzog, à la fin du xvi® siècle, et Mérian, dans la seconde 
moitié du xyii^ siècle, mentionnent la pierre de Sainte-Adé- 
laïde, tandis que la révision de la limite orientale de l'Aspruch 
en 1736 n'en a plus connaissance. 

Voici comment s'exprime Mérian : So ist atich hanauisch 
dos heitgau, ein besonder Landschafft, in der Revier, umb Seltz 
und Seltzerwald, da S, Adelheids^ Kaysers Ottonis L Qemahlin, 
Stein stehet, und Hatten ligV 

Et B. Hertzog, dans sa description de la limite du bailliage 
de Hatten (le Hettgaw),* dit que cette limite commence 
sous le pont de Leutersweiler, au milieu de la Seltz, suit la 
Seltz (ouest-est) jusqu'au-dessous du château (Burg), près de 
RÔdern; quitte la rivière à l'arbre-borne (LochbaumJ, suit 
les bornes (LochenJ du nord au sud entre l'Aspruch, le ban 
de Rôdern et la forêt de Seltz, en se dirigeant sur la pierre de 
Sainte-Adélaïde (auf S. Adelheiten Stein) ; puis, suivant les 
bornes de l'Aspruch et de la forêt de Seltz et l'Altherrnwald, 
se dirige (Mn auf S. Adelheiten Stein der da stehet in der 
Landstrasse [die] von Seltz hergehet) sur la pierre de Sainte- 
Adélaïde qui se trouve dans la grande route venant de Seltz. 

La délimitation du Proprium de Sainte-Adélaïde de 1310 
prend son point de départ au hattmere Stein, près de la Seltz- 
bach, et finit au hattmer Stein, près de la forêt de Forstfeld ; 
de sorte que les pierres, dites hattmer Stein à Seltz, paraissent 
se confondre avec les pierres dites par d'autres 8. Adelheiten 
Stein, ou avoir désigné la même limite, le même abornement 
datant de l'année 987. 

de Lauterbourg). Au nombre des témoins de Pabbé : Hue, maire de 
Seltz; Meingot, de Scheibenhart; Graft, de Slegelthal; Rudegerus, de 
Rôdern ; Heinricus, de Hatten. Voy. Zeitschrift, VI, p. 423. 

* Topographia aUatiœ compléta, von Mathm Menant Seeî, Erhen. 
Franckfurth a/M., 1663 (Nachdruck), p. 9. Voy. ibid., Hatten, p. 25. 

' Hertzog B., 1592. Chraniœn àls., UI, p. 62, Hettgaw, 



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96 REVUE D'ALSACE 

Sur les 144 bornes décrites dans le procès-verbal de la 
visite de 1736, il y a bien une difiérence entre les pierres- 
bornes angulaires et les bornes ordinaires ; mais il n'y a rien 
qui trahisse une pierre posée du temps de sainte Adélaïde. 

Une seule est de roche : elle se trouvait au point de ren- 
contre des forêts de Kônigsbrûck, de Forstfeld et de l'Aspruch, 
à l'endroit où aujourd'hui les banlieues de Hatten, Ritters- 
hoflfen, Leutenheim et Forstfeld se touchent. Comme toutes 
les autres bornes sont en grès vosgien, celle-ci mérite bien 
quelque attention ; si elle avait été la pierre de sainte Adélaïde, 
ce qu'il est impossible de prouver, il serait démontré que la 
forêt de Forstfeld indivise avec Kônigsbrûck, faisait partie, 
avant la fondation de ce couvent, du territoire de Seltz, ce 
que d'autres raisons permettent d'admettre. 

Voici du reste la description des cinq pierres-bornes angu- 
laires : 

P La borne séparant l'Aspruch, Rodern et Seltz (Walholz), 
placée au-dessous de la « Kaiserwies » et près du petit ruisseau 
(Krummb&chel) à environ 500 mètres au sud de la Seltz, est 
dite pierre-borne triangulaire marquée de croix sur les trois 
faces et de l'année 1568. 

2» La borne qui sépare l'Aspruch, le Walholtz etl'Altherrn- 
wald placée à 90 mètres à l'est de la grande route et à 
1,200 mètres au sud de la Seltz, est dite être une veille pierre- 
borne en grès vosgien rouge, grande et quadrangulaire sans 
signe particulier. 

3« Entre l'Aspruch, l'Altherrnwald et le Niclausgehret il y 
avait une vieille pierre-borne en grès vosgien rouge, marquée 
d'une croix sur les trois côtés (donc triangulaire), comme le 1«. 

4® Entre l'Aspruch, la forêt de Seltz et la forêt indivise de 
Forstfeld-Kônigsbrtick, dans le chemin creux, non loin de la 
Kesselbach, sur l'ouest de la route : « une vielle pierre ayant 
deux trous sur la face qui regarde la route. » 

5*> Entre l'Aspruch, la forêt indivise Forstfeld-Kônigsbrûck 



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NOTICE SUR l'ASPRUCH 97 

et la forêt de Kônigsbrûck : une grande, vieille, large pierre- 
borne, marquée d'une croix sur le sommet, et qui est de roche, 
« und Felsenstein ist. » A Test de la route, à 42 ' et un peu 
plus au sud que celle-là il y avait une haute et nouvelle pierre- 
borne, qui sépare Forstfeld et Kônigsbrûck. 

EMPLACEMENT DE L'ANCIENNE ÉGLISE DE NIEDEBBÔDERN 

L'ancienne église de Niederrôdern était placée au sud et en 
dehors de l'enceinte du village actuel, dans la même petite 
île formée par la Seltz, dans laquelle se trouve encore au- 
jourd'hui l'ancien château de Fleckenstein , à l'extrémité 
nord-est de l'Aspruch et du Hattgau. 

De cette île longue de 750 mètres, d'une largeur moyenne 
de 125 mètres, les 2/3, la partie occidentale avec le dit château, 
appartiennent au territoire de Hatten et 1/3, la pointe orien- 
tale, à Niederrôdern. 

Au nord de la forêt de Hatten, la limite commune d'avec 
Niederrôdern, formée par la Seltz, a une longueur de 
1,500 mètres, du Warschbach à 300 mètres au-dessous du 
château; à l'est elle n'est que de 630 mètres. 

Ces deux limites se rencontrent au milieu de la Seltz, à 
angle droit. La limite est traverse l'île du nord au sud, sur 
une largeur de 120 mètres, puis l'Altbach ou ancienne Seltz, 
pour entrer sur l'autre rive dans le lit du petit ruisseau de 
Hatten, le Erummbâchel, qu'elle remonte pendant 5 h 
600 mètres, où elle rencontre au-dessous de la « Kaiserwies » 
le Walholz ou forêt de Seltz. 

Cette limite traversait dans l'île la « Kirchwies » ou pré de 
l'église et une borne se trouvait placée près de cette dernière 
suivant le procès-verbal de 1736, à 80 mètres * au sud du bord 
de la Seltz, c'est-à-dire à environ 40 mètres * au nord de l'Alt- 
bach, en face de l'embouchure de Krummbàchel. 

1 Exactement : 242 ' = 78™,60. 
M20' = 38"',98. 

NoQYeUe Série. — 15-* année. 7 



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98 REVUE D'ALSACE 

La description du territoire de Sainte-Adélaïde de 1310 dit 
au no 9 : La limite de cette propriété commence à la pierre de 
Hatten et, passant derrière Téglise à Rttdern, s'étend jusqu'au 
milieu de la Selse, qu'elle remonte jusqu'au Warschbach.... 

Daz seilbe eigen gat an, an demme Mattmere Stein un gat 
hinder der Kirchen hin zu Buderen mitten in die Seke, unt 
die Selse mitten zu berge unz in die Warresbach.... 

L'église se trouvait sur l'Altbach, tandis que le château 
était à environ 310 ou 318 mètres plus à l'ouest sur la Seltz- 
bach même, communiquant par un pont avec son ancien 
moulin et le village de Rôdern. L'ancien cimetière de Nieder- 
rôdern et du château devait se trouver à l'alentour de l'église 
dans l'île même. 



En 1851 M. Zaepfel, conservateur des forêts à Colmar, a 
ouvert un de ces nombreux tumuli du canton de Bilch, forêt 
de Hatten, et M. de Ring a donné la description des objets 
trouvés, dans le Bulletin de la Société des mon. hist. d'Alsace, 
vol. 3, M., p. 219 à 225 avec dessins. 

Parmi les trouvailles on remarque surtout : 

1° Des débris de chars : les cercles en fer de deux paires de 
roues dont deux plus grandes que les deux autres ; 

2« Une bassine de bronze de 0=^,25 de haut et 0^,55 sur 
0»",40 de diamètre, remplie de cendres, avec deux aiguières ; 

3° Un cercle d'or fin enroulé, de 328^,5, de 0"^,72 de circon- 
férence, large de 0,°O16 et épais de 0°*,0003 : c'était un ban- 
deau uni et sans ornement placé près d'un fer de lance très 
oxydé et d'une défense de sanglier; 

4<> Plus bas, près du foyer composé de tuiles plates à rebords, 
de 0%60 de long sur 0°»,30 de large, des colliers, virioles, 
fibules et un anneau en bronze contenant, symétriquement 
posées à l'intérieur, tout autour de son cercle, quinze dents 
humaines. 



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NOTICE SUR L'ASPRUCH 99 

Depuis tous les tumuli de la forêt de Hatten ont été ouverts 
par une tranchée par des forestiers plus avides d'or que de 
science, je ne sais avec quels résultats. 

C'est au sud du prolongement de la Grossgasse, au canton 
Bûch, qu'on a trouvé quatre autels romains avec les inscrip- 
tions suivantes : ^ 

DE O MER Beo Mercurio 
CIVILIS avilis 
V S L M votum solvit lubens merito. 

MER Mercurio 

MOD ) 

ERAT i^^^^^«*^ 
VS votum solvit. 

D M LV Dec Mercurio 

CIVS Lucius 

A T I C I (aflranchi d') AUicus. 
E. X (Ex vota). 

I O M Jovi Optimo Maodmo (l'aflranchi ou le fils de) 
ER NI Emus (Mœrnusf) 

E. E. (ex voto) 

L'inscription trouvée, 1822, à Niederbetschdorf, sur la voie 
romaine de Seltz à Wœrth, sur un autel dédié à Pluton par 
un Gaulois nommé Vassorix, est bien connue : ^ 

DITI PA JDiti Patri 

TRI VA Tassorix 

SSO Mar...filiu8 

RIX ou fauWl lire: MARTI? 
MAR FI 

* Voy. Ravbkbz, El, 694 et 695, on Bbambaoh, p. 338, n« 1879 à 1882. 

* Pluton était regardé par les Ganlois comme le père de lenr race, 
ce qui vent bien dire qu'ils se regardaient comme autochtones. 

Yassorix lui donne le ncîm que lui donnaient les Romains ; Pluton 



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100 REVUE D'ALSAGE 

CANTONS DE L'ASPRUCH 

L'Aspruch comprend dans la forêt de Hatten les cantons 
suivants : 

Touchant à Test à la grande route Niederrôdern-Forstfeld 
les quatre cantons appelés Bilchj Niederhard, Kesselbach, 
Kônigsbrikk, séparés par les routes et chemins de Hatten à 
Seltz, à Beinheim, à Forstfeld. A l'ouest: Rothsmatt, Esch, 
Lichthirsch, séparés par les routes de Hatten à Seltz et à 
Forstfeld; le canton dit Orasweg, à l'ouest du dernier canton 
et du chemin de Hatten à Kônigsbrûck, est entièrement 
défriché. 

Le canton i'EssenbKsch, au nord-ouest du Bûch, ne faisait 
pas partie de l'Aspruch. 

Parmi les anciens noms de cantons il faut citer le Sonnen- 
bûhl qui aujourd'hui fait partie de la Niederhard, et les Erz- 
lôcher dans le canton de la Kônigsbrûck. L'Althôôel entre le 
Bûch et l'Essenbusch; la Ziegelmatt au sud-ouest de l'Essen- 
busch. 

La Rotsmatt ou Nieder-AUmend, ancien défrichement, a 
été reboisée en 1753, pour être défrichée de nouveau en partie 
en 1873. 

Le Niederfeld et le Ptingstwinkel * et le Bûschel sur l'ouest 

figure du reste rarement sur les monuments sous le nom de Dis Paier. 

Yoy. cette inscription : Bulletin des Mon , etc., t. IV, p. 96, M. 
Mémoires manuscrits de Schweighœuser : Rav., II, 578. — Stkobbl, 
in Kruse Alt, III, p. 23, a. — Or, 4967. — • Stbinbr : 840. — Brambach, 
no 1858, p. 336. — Db Morlet, I, i, 96, 36. 

Voy. sur d'autres inscriptions et antiquités romaines découvertes en 
1862 dans les forêts des deux Betschdorf, Bulletin des Mon. hist., U^ 
série, vol. 2, p. 127 à 129. Procès-verbaux. 

Entre autres une inscription sur une dalle avec les images de Mars 
et Pallas : rapportée aussi par Brambach, p. 336, n^ 1859. Toutes les 
lettres n'ont pas pu être déchiffrées. 

^ Pâturage du printemps. 



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NOTICE SUK L'ASPRUGH 101 

du canton précédent sont aujourd'hui entièrement défrichés. 
Le Bûschel ombrageait l'ancienne grande route * de la forêt 
jusqu'à l'entrée du village par des chênes séculaires abattus 
lors de la construction de la nouvelle grande route dans le 
dernier quart du XTm* siècle.* 

D'autres noms d'anciens cantons : les Sandlôcher ou car- 
rières de sable rouge et blanc ; les Steinlôcher ou carrières de 
pierres.* Le Pfaflenhttbele paraît avoir désigné le tombeau de 
quelque homme de l'Église, mort ou tué sur le chemin de 
Hatten à Kônigsbrttck. Carlsee; Hftmelsee. 

Le canton du Bûch et une partie de l'Ëssenbusch sont cou- 
vOTts de tumuli et traversés par l'ancienne Grossgasse de 
Hatten à Rôderif. 

Triage de Rittershoflen, cantons de l'Oberwald : Qrasweg; 
Lehmbuch (Neugraben); Birckenhubel ; Langspeckhubel, com- 
prenant le Michelsee, Michelseegraben, Krumvirtelgraben et 
Schultzelâgersee. 

Cantons du Niederwald: Edmerstrass; Klosterhard (près 
Kônigsbriick) ; Armhrustmdttelsee avec les Mûhlhubelgraben 
et -See ; Làegthirsch (voy. Hatten Lichthirsch) ; Fotaschsee ou 
Dorneschersee avec le Schulzelâgerseegraben ; Steingruben. 

Triage deNiederbetschdorf: Gîaw^ima^^ (maison forestière) ; 
O-rossenhiibel (tumuli) ; * Eschengrdben ; Langmattgrahen ; 
Mullergraben ; Wasserfallgraben (Fuchszipfel, tumuli); Sim- 
ser; Birckenhubel (voy. Rittershoffen, tumuli) avec le Wur- 
zelsee, Glockenhubel et fossé du même nom, appelé autrefois 
1753, n® 10 : Zillicheich et Zihleichmatt, chêne de rendez-vous, 
de rassemblement; c'est là que se trouvait en 1753 le parc 
aux cochons des quatre communes. Le Niederwald avec le 
Grosssee, le Grossengraben et le Krummviertelgraben. 

^ Appelée Hirlebachstrass. 

" Elle existait déjà en 1787. 

■ Il n'y a pas trace de carrières : peut-être anciennes constructions ? 

* Voy. Bulletin II, S., t. 2, 1«, p. 129. 



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102 KEVDE D'ALSACE 

Triage d'Oberbetschdorf : Sandweg; Speckbruch; Spechtsee 
ou Spechtensee (tumuli, Bulletin II« S., t. 2, I^, p. 127 et 129, 
antiquités romaines) ; Ziegélviertel, le plan de 1753 contient 
en ce canton un petit ruisseau qu'il appelle « ruisseau dit 
Sigelviertel » unissant l'Eschgraben (Eschengraben) à la Sure; 
Eschetigraben, le ruisseau dit Eschengraben dans la Schôn- 
trânk se confond avec le Hochgraben sur ledit Plan ; Nieder- 
wàld; Vorlenhuhel ou Furlenhuhel {tumnli ibid.); Schontrànk, 
en face, un peu au-dessous de Tembouchure de la Biberbach ou 
Halmûhlbach ; Schontrdnkersee, le plan dit Schôntrink et le 
règlement de 1752 dit Schônenstruck; HinterfUssel; Ober- 
fatdgràben; Hochgraben, entre Schôntrânk n<> 18 et le Hoch- 
graben n? 20, le règlement de 1752 nomml n<> 19 l'Eichel- 
garten, sur la Sure, ayant en face le parc aux cochons du 
couvent de Kônigsbrûck sur la rive opposée; Sauerwinkel, 
sur la Sure. 

D' HttCKEL. 



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PROFILS ET SILHOUETTES 



UNE 

SÉANCE DU CONSISTOIRE D'HÉRICOURT 



Les événements dont on va lire le récit se passaient en 1823. 

A cette époque les consistoires protestants étaient encore 
arnoiés. A vrai dire, ils ne disposaient plus de pouvoirs aussi 
étendus que ceux que leur avait jadis octroyés la fameuse 
Ordonnance ecclésiastique' de 1560 : la Révolution avait 
passé par là, et la loi de Germinal, an X, qui les avait réor- 
ganisés, après la tourmente de 1789, ne leur avait pas rendu 
la puissance d'autrefois. Toutefois avec une législation et une 
discipline que le décret de 1852 " et la loi de 1879 ' ont peu 
modifiées, ils continuaient à jouir d'une autorité réelle et 
relativement bien supérieure à celle qu'ils ont de nos jours ; 
ils vivaient un peu sur leur réputation, conservant leur crédit, 
leur influence; mais ce mélange de respect et de crainte qui 
les entourait encore, cette autorité plus morale que légale et 

^ Cette Ordonnance fut publiée par les princes-souverains de Mont- 
béliard, quelques années après qu'ils^ eurent introduit la Réforme dans 
leurs états. Ce fat la constitution des églises luthériennes, le bréviaire 
des pasteurs. Elle contenait aussi le programme complet de l'enseigne- 
ment primaire et secondaire. Organisation, méthode, procédés, disci- 
pline, tout y est exposé au long. Cette Ordonnance fut le point de 
départ du développement intellectuel parmi les populations protestantes 
de l'est de la France. 

' Décret du 26 mars 1852. 

» Loi du 1" août 1879. 



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104 REVUE D'ALSACE 

concordataire allait s'émietter d'année en année et dispamître 
insensiblement. 

Maître de l'école qu'il dominait, le consistoire pouvait bien 
encore faire trembler le régent qu'il nommait ou révoquait 
selon le caprice de ses membres ; mais la grande majorité des 
paroissiens allait commencer à s'affranchir de la domination 
du presbytère. Le souffle de liberté qui a fait de la Révolution 
l'ère de l'afirancbissement dans tous les domaines, n'avait 
pas disparu complètement, malgré les efforts des puissants du 
jour que l'on avait vus se succéder au pouvoir depuis cette 
date mémorable'; il s'était au contraire propagé, il s'était 
infiltré jusque dans les bourgades perdues au fond des pro- 
vinces, et déjà les paysans, troupeau docile, tant qu'on a su le 
maintenir dans une sage et prudente ignorance, commençaient 
à faire sonner, à la barbe de l'Église, les couplets d'indépen- 
dance et de tolérance du chansonnier populaire : 

Qne chacnn à son gré professe 

Le culte de sa déîté ; 
Qu'on puisse aUer même à la messe, 

Ainsi le veut la liberté. 

Si l'on avait la liberté d'aller à la messe, par la plus élémen- 
taire réciprocité, on avait aussi la liberté de ne point y aller, 
et tout en était dit. Le paroissien qui prenait la clef des 
champs, à l'heure du service divin ne courait aucun risque, 
ici-bas du moins. Ce n'était plus comme dans le bon vieux 
temps, où, à Héricourt, le lévite dénonçait à la justice « celui 
qui pour son Dieu montrait un oubli funeste ». Et la justice, 
de tout temps, peu accommodante, frappait le coupable.* 

^ Art. 6. « Et ne laisseront les dits pourthiers auprès d'eulx aulcungs 
« des bourgeois et habitans pendant et durant que Ton fera les presches 
«c les dimanches et aultres jours pour ce ordonné sans les admonester 
« d'aUer aux sermons; et en cas qu'ils ne obéyroient ad ce, en adver- 
« tirent lesd. ministres et anciens pour les en poursuivre par justice. t> 
Extrait du Mèglement des Pourthiers de la ville d' Héricourt en 1573. 
(Archives d'Héricourt, AA2.) 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE D'HÉRICOURT 105 

Que de pasteurs ont gémi depuis sur rabandôn de cette 
mesure qui entassait des flots d'auditeurs au pied de la chaire ! 

* 
* * 

 Tépoque qui nous occupe, le clergé ne disposait plus du 
bras séculier; mais, voulant maintenir la masse des fidèles 
dans le respect des choses saintes, et les ramener humble- 
ment tous les dimanches au pied des autels, il les menaçait de 
la colère divine, de la damnation éternelle : il agitait, en un 
mot, les chaînes de l'enfer, 

Et ce moyen réussissait encore au sein des populations 
huguenotes, à la foi vive et profondé, que n'avait point encore 
effleurées le moindre souffle de doute et de scepticisme. Le 
pasteur était encore l'oracle que l'on ne discutait point. On 
aurait cru commettre un sacrilège en mettant en doute son 
opinion, même dans les questions en dehors de son ministère. 
Aussi parlait-il avec autorité, avec les expressions fortes et 
énergiques des anciens prophètes. Si une infraction aux 
mœurs ou à la religion venait à être commise, le pasteur en 
informait « le consistoire qui ordonnait d'appliquer sous le 
« nom de Calange, ce droit légal avant la Révolution — l'était- 
« il encore en 1823? — une remontrance publique, pendant le 
« service divin, aux coupables qui, à cet eflet, étaient placés 
« en évidence dans le chœur de l'église et qui étaient ensuite 
« exclus de la Communion pendant un temps plus ou moins 
a long. * » 

Et si ceux-ci étaient des jeunes gens qui s'étaient un peu 
hâtés, qui avaient mangé leur blé en herbe, oh, alors ! grande 
était la colère du pasteur. Il fallait entendre de quel ton cour- 
roucé il les anathématisait par ces paroles foudroyantes : 
« Voici le paillard ! Voilà la paillarde ! » 

Et ce langage ne doit point étonner. C'était celui de la 

^ TuBVFBBD, Histoire des comtes souverains de Monib&iard. 



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106 REVUE D'ALSACE 

chaire, et des livres saints : Voyez les catéchismes de l'époque ; 
le sixième commandement est dans ce style-là : 
« Tn ne paillarderas point. » 

Les nôtres sont devenus pudibonds ! 

Dans ces circonstances, je doute fort que les coupables que 
l'on mettait en interdit eussent répété le mot charmant de 
Xavier de Maistre, définissant le pasteur « un homme vêtu de 
« noir qui dit des choses aimables. » 



* 
* * 



Tels étaient l'esprit et la physionomie des consistoires 
luthériens au commencement de ce siècle. Et c'est devant ce 
corps ecclésiastique, dont il dépend, que le pasteur d'Etobon 
va paraître pour répondre de ses actes. 

Mais avant d'entrer dans le détail de sa vie, laissez-moi 
vous esquisser rapidement cette physionomie singulièrement 
originale. 

Et tout d'abord, je tiens à prévenir le lecteur que Lamber- 
cier n'a rien du pasteur que nous connaissons. Il n'en a ni la 
tenue irréprochable, ni la rectitude parfaite de conduite, ni 
l'exquise urbanité de cet homme aimable qui vous salue avec 
la même onction que s'il bénissait. 

Simple pasteur de village, perdu au milieu des bois, privé 
de tout commerce et de toutes ressources intellectuelles, 
Lambercier a vite pris les habitudes, les usages, les manières, 
les qualités, mais aussi les défauts du milieu où s'écoule son 
existence, qui ne paraît pas avoir été des plus heureuses. Il 
en a le costume solide autant que rustique. Eien, dans la vie 
ordinaire, ne décèle le pasteur, si ce n'est l'énorme chapeau, 
antique et majestueux, véritable monument veuf de sa soie 
que les ans ont déformé, qu'il arbore aux jours de foire, de 
consistoire, ou de réunions théologales chez ses collègues. 
C'est en vain que vous chercheriez dans sa toilette l'immaculée 
cravate blanche, ce cachet authentique du pasteur; vous ne 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE D'HÉRICOURT 107 

l'y trouveriez point; mais il emprisonne son vaste col de che- 
mise de bonne toile blanche dans une honnête serge noire 
qu'il ne porte qu'aux bons jours seulement. Extérieurement, 
c'était, on le voit, une façon de « paysan du Danube » à qui 
ne manquaient non plus ni la finesse, ni l'habileté : il allait 
d'ailleurs le prouver. 

Quant à ses mœurs, on verra que ses collègues ne les esti- 
maient point irréprochables. 

Mais le voici précisément au moment où ils le somment à 
comparaître à la barre du consistoire. 

* 
* * 

De quoi s'est-il rendu coupable? Quel est donc son crime? 

Un crime dont beaucoup d'honnêtes gens ne rougiraient 
pas, un crime qui ne conduirait pas même en simple police. 
Il est à la fois gaulois et bourguignon; il aime le bon vin et 
les joyeux propos. 

Mais ce qui chez un simple paroissien n'eût paru qu'un 
acte à peine répréhensible d'un blâme amical, surtout à une 
époque où la tempérance, même dans le corps ecclésiastique, 
n'était point une vertu cardinale, prend tout de suite des pro- 
portions graves et scandaleuses, si ce défaut se produit en 
plein air, si un lévite rentre dans sa paroisse chantant et 
titubant comme les célèbres curés rabelaisiens de Courbet au 
Retour de la Conférence. 

Et il arrivait parfois de ces accidents au pauvre Lambercier ! 
C'était généralement aux jours de consistoire ou de foire 
d'Héricourt ! alors il y avait festin, le dîner était plus recher- 
ché, plus abondamment arrosé qu'au presbytère, surtout si 
l'on acceptait une invitation chez le notaire Robert, où, sans 
y prendre peine, on se piquait le nez fort canoniquement. 

Et le malin tabellion de rire! Qu'ils sont bien tous les 
mêmes ! 

Mais à ces défauts — les défauts ne vont jamais seuls, ils 



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106 REVUE D'ALSÀCE 

vont comme les alexandrins et les bœufs — s'en ajoutait un 
autre non moins grave aux yeux de l'Eglise. Le pasteur 
d'Etobon aimait le jeu! Encore s'il eût aimé à jouer en sainte 
et pieuse compagnie, à faire avec ses collègues un innocent 
bézigue ou un modeste ranis, comme d'autres taillent de nos 
jours une excitante bête ombrée ou un vaste tarot! Mais non; 
ce n'étaient point là ses jeux et sa société habituelle; c'était 
à l'auberge, dans sa paroisse, avec de simples et vulgaires 
philistins, non pas des plus honorables, qu'il s'attablait le 
plus souvent, qu'il aimait à passer, volontiers, des journées, 
des soirées entières à jouer la bourre, la vulgaire bourre à 
trois cartes, un petit jeu, pas innocent celui-là, au moyen 
duquel les habiles avaient lestement fait de vous vider le 
gousset. 

Tels étaient ses familiers qui traitaient Lambercier comme 
un des leurs, sans respect pour sa situation, qui le tournaient 
en ridicule et auxquels il rendait dent pour dent, dans un 
langage imagé et avec des expressions pittoresques, éner- 
giques. 

On comprend aisément qu'une telle conduite, qui contras- 
tait si étrangement avec le caractère et les fonctions du 
pasteur, devait nécessairement éveiller l'attention du consis- 
toire et provoquer, de sa part, des explications et des obser- 
vations. 

C'est en effet ce qui arriva. Mais il ne paraît pas que le 

principal intéressé à calmer l'émotion du corps ecclésiastique 

dont il relevait, y fit grande attention; ce que voyant, le 

consistoire d'Héricourt, résolu à maintenir d'une main ferme 

la discipline parmi ses membres, et surtout à ne pas laisser 

entamer la bonne réputation du corps tout entier, en vint 

aux déterminations graves dont les suites pouvaient être des 

plus fâcheuses pour le pasteur vraiment par trop libéral. 

Voici la lettre qu'il lui écrivit à la date du 27 novembre 1822. 

* 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE d'HÉRICOURT 109 

Héricourt, le 27 novembre 1822. 

Les plaintes gpraYes qui viennent encore d'être faites an consistoire 
relativement à votre conduite ne lui permettent plus de croire que 
vous puissiez continuer plus longtemps les fonctions de pasteur évan- 
gélique dans votre paroisse. Ces plaintes, qu'il ne reconnaît que trop 
fondées, lui ont paru de nature à provoquer votre destitution auprès 
de l'autorité ecclésiastique supérieure, puisque tous les ménagements 
dont on a usé jusqu'ici à votre égard ont été sans effet. Cependant pour 
donner encore une preuve de sa modération et pour vous épargner à 
vous-même le désagrément et la honte d'une destitution bien méritée, 
le consistoire vous propose de donner votre démission et vous invite à 
la lui transmettre par écrit pendant le courant de la quinzaine. Yoilà 
tout ce qui lui est possible de faire encore pour vous ; et votre refus 
d'accéder à cette dernière proposition le contraindra à diriger contre 
vous une dénonciation dont l'issue ne saurait être douteuse. 

Cette lettre est fort digne; et, dans sa dure sévérité, elle 
peint à merveille une des faces du caractère de ce corps 
d'ecclésiastiques luthériens. Si elle ne pèche pas par excès de 
tendresse, elle a du moins, le mérite de la franchise. Avec ces 
gens-là, on sait toujours à quoi s'en tenir. Cette lettre est 
une mise en demeure non équivoque ; c'est net et carré : la 
démission ou la destitution. L'alternative est accablante. 

C'est le faineux dilemme que l'on sait : « Se soumettre ou 
se démettre. » 

Pauvre Lambercier ! ils sont impitoyables vos collègues. 

Mais pourquoi, diantre, vous êtes-vous fourré dans cette 

galère ? 

♦ 

Comment le pasteur Lambercier va-t-il se tirer d'affaire? 
Comment parera-t-il le coup droit qui lui est porté? Essaiera- 
t-il de se justifier, de réduire à néant les chefs d'accusation 
qui pèsent sur lui? Ou bien, pour gagner du temps qui calme 
les plus violents ressentiments, fera-t-il la sourde oreille, et, 
rentrant dans la voie correcte, attendra-t-il le départ de la 
dernière neige qui ramène les jours de soleil du printemps ? 



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110 REVUE D'ALSACE 

Non; il n'emploie ni l'un ni l'autre de ces moyens; il a 
conscience du danger qui le menace. Il répond ; il écrit au 
consistoire. Oh! il ne cherche pas longtemps à se disculper ; 
il sait fort bien que son cas n'est pas de ceux qui se justifient. 
Lambercier est un malin compère. Il se propose un but moins 
vulgaire : il veut attendrir ses juges, tout au moins, les inté- 
resser à son sort; il les prend par les sentiments. Lisez sa 
lettre ; elle en vaut la peine. Ah ! l'habile homme que ce pas- 
teur Lambercier! Sa lettre est un véritable chef-d'œuvre 
d'émotion contenue. 

Etobon, le 18 décembre 1822. 
Monsieur, 

J'ai rhonneur de répondre à votre lettre en date du 15 courant.^ 
J'ose protester devant Dieu n'avoir eu aucune connaissance de celle 
qui m'était adressée le 27 du mois dernier. Je gémis des horreurs 
débitées sur mon compte, surtout de ma conduite envers ma fille aînée, 
porteuse de la présente; car si la chose était véritable, je serais un 
monstre indigne de vivre. 

Ma paroisse ne veut pas que je donne ma démission dont les suites 
seraient déplorables pour moi, qui, sans fortune et attaqué d'un rhu- 
matisme, avec une femme en démence et en enfance, me verrais en 
proie à la plus affreuse misère, au désespoir. 

Je me joins de cœur et d'affection au vœu de ma paroisse. Le temps 
est passé: je parle le langage de la vérité; c'est le seul qui me convienne 
dans ce moment dont le sort vous intéresse. 

Oui, Monsieur, n'hésitez pas de croire à ma prompte et entière con- 
version, les larmes aux yeux. 

tPai dû perdre de votre estime et de votre considération par mes mal- 
heuretuc excès; mais que ce ne soit pas une raison pour qu'aujourd'hui 
vous refusiez de croire à mes regrets^ à mon repentir, à la franchise avec 
laquelle je confesse et reconnais mes torts, ces torts funestes qui m'avaient 
aliéné l'esprit. Puisse mon exemple désilUr les yeux de tous ceux quun 
penchant inconsidéré porterait au^x trop dangereuses passions qui m'ont 
perdu! 

Je me sens une existence nouvelle; je retrouve la raison que je reconnais 

^ La lettre du consistoire, du 27 novembre, était restée sans réponse ; 
elle lui fut adressée une seconde fois sous la date du 15 décembre. 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE D^HÉRIGOURT 111 

que j'avais perdtie pour tme cotipàble passion, tPaurai le temps, aidant 
Dieu, d'expier mes fautes par une m^Ueure vie, en l'employant à les 
détester et à m'en repentir. J'en gémis, et grâce à la miséricorde de Dieu 
qui vient de me rendre la raison, je me repens sincèrement de mes excès, 
et j'en déteste la cause. 

En faisant amende honorable devant mon Eglise, je l'édifierai désor- 
mais à proportion des jours que je l'ai scandalisée. 

Dieu tout-puissant! de queH bienfait tu viens de me combler ; ta misé- 
ricorde est infinie; mes péchés ne la lasseront donc jamais. Je la bénis, 
parce qu'en ce moment mhne, malgré mes pécMs, j'en reçois le plus signalé 
des bienfaits. Elle ne m'aura pas encore abandonné; elle veut me sauver 
du naufrage affreux qui me menace. 

Dieu ! sur quel endroit tombera ton tonnerre qui ne soit tout couvert 
du sang de Jésus-Christ ! 

Grâce ! grâce I grâce ! 

Yoilà le cri de mon cœur angoissé, de ma pauvre famille en pleurs 
et de ma paroisse. 

Tous êtes compatissant, Monsieur, vous serez sensible à la voix de 
mon gémissement, vous tendrez une main secourable à un malheureux 
et infortuné père de famille en pleurs, qui ose encore demander avec 
larmes votre protection. 

Recevez-moi en grâce, je vous en conjure. Monsieur, et comptez sur 

mes vœux continuels poiir votre parfait bonheur. 

Agréez mes respects. 

Lambbboieb. 

* * 

Elle est bien curieuse et bien jolie, cette lettre; que dis-je? 
elle est touchante et émouvante ; quel charme d'expressions 
dans ce repentir, quelle vérité dans ces larmes, quel accent 
de sincérité dans cette magnifique invocation qui couronne sa 
confession ! 

Décidément il est bien éloquent ce pécheur que la grâce a 
touché ! Et comme il sait circonvenir ses juges, les toucher, 
les empoigner ! « Vous êtes compatissant, Monsieur ! » 

Comment résister à une flatterie à la fois si délicate et si 

troublante ! 

* 

* * 



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112 REVUE D'ALSACE 

Le consistoire n'y résista point. Il fut ému de ce cri de 
grâce d'un cœur angoissé et repentant. 

Des larmes coulèrent. Vous voyez la scène. Un lecteur 
habile, un collègue qui conserve encore, malgré tout, une 
secrète sympathie pour le coupable, lit avec âme l'acte de 
contrition de son frère en J.-C. ; au moment pathétique psy- 
chologique, sa voix trahit un léger trouble, sa narine s'humecte, 
un imperceptible reniflement mouillé se produit, et voilà les 
pleurs qui s'échappent en dépit des vénérables qui se raidissent, 
qui essuient furtivement une larme indiscrète. 

La séance se termina sous le coup de cette émotion. Et les 
honorables membres se disaient entr'eux, en en sortant : « Ce 
diable de Lambercier a bien du talent ! » 

* 
* * 

Le pasteur Lambercier n'est pas loin de gagner son procès. 
Cependant le consistoire doit prendre une détermination. 
Abandonner la poursuite, il ne peut le faire, pas plus que de 
frapper avec sévérité. Mais il est évident qu'il a été touché 
par ces accents de repentir ; il n'a plus la raideur ecclésias- 
tique du premier mouvement; il devient coulant. Ce n'est 
plus la démission ou la destitution. Mais il ne démord pas de 
son idée, de voir et d'interroger le pénitent; il veut l'entendre 
« en ses promesses d'amendement ». 

Il le somme de nouveau à comparaître. 

Lambercier flaire-t-il un piège ? Craint-il quelque imprévu 
fâcheux? Toujours est-il que l'idée de comparaître à la barre 
du consistoire, ne lui va pas du tout. Il redoute, les questions 
épineuses et les réponses pénibles à y faire. Il ne se présen- 
tera point ; il fera défaut. Il trouvera un prétexte « insuffisant », 
dit le consistoire pour justifier son attitude. Il doit « bénir un 
mariage qui ne peut être renvoyé », dit-il. Ah ! l'heureux 
mariage, et comme il arrive à point ! 

Voici sa réponse; elle est topique. 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE d'hÉRICOURT 113 

Etobon, le 8 janvier 1823. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous dire que je ne puis paraître demain au con- 
sistoire d'Héricourt à cause d'un mariage que je dois bénir à Etobon 
et qui ne peut être renvoyé. D'ailleurs, la saison contribue beaucoup à 
mon rhumatisme. 

Si j'ai eu des torts, je suis cependant innocent des chefs d'accusation 
qui sont irouvés si graves contre moi, dont mes paroissiens reconnais- 
sent si fortement l'innocence, par leur dévouement pour moi, que ce 
ne serait qu'avec la douleur la plus poignante qu'ils verraient sévir 
contre moi d'une manière rigoureuse. 

Je prie donc ces Messieurs de me traiter comme le figuier dont le 
maître a bien ordonné Vàbatty, mais qui subsiste néanmoins sur l'in- 
tercession et les promesses de la culture du jardinier. 

Agréez mes respects, 

Lambbboibb. 

Le but de Lambercier se devine. Il veut gagner du temps et 
éviter, s'il se peut, cette redoutable et humiliante échéance 
oîi il devra paraître devant ses égaux pour y être admonesté 
comme un vulgaire paroissien. Mais il y perdra son temps ; 
le consistoire est tenace ; il lui adresse de nouveau la lettre 
suivante. 

Héricourt, le 9 janvier 1823. 
Monsieur, 

Le consistoire est justement surpris que dans la position où vous 
vous trouvez, vous ayez profité d'un prétexte insuffisant d'un mariage 
à bénir pour vous dispenser de paraître à sa séance de ce jour, quoi- 
qu'il eût été de votre plus grand intérêt de vous justifier à ses yeux, 
autant que possible des désordres que l'on vous impute. 

Malgré le désir qu'il a de vous épargner, autant qu'il est compatible 
avec son devoir, il ne peut vous promettre rien de positif en ce moment, 
et il exige de votre part que vous comparaissiez en personne à sa pre- 
mière séance qu'il fixe au quatrième mercredi de ce mois. Il entendra 
vos défenses et vos promesses d'amendement, et il prendra alors une 
détermination conforme aux sentiments de justice et de charité qui 
l'animent. 

Recevez, etc. 

Nouvelle Série. — 15** année. 8 



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114 REVUE D'ALSACE 

Quelle diôérence avec la première lettre? le ton est rassu- 
rant; il est à la clémence. Lambercier ne s'y trompe point; il 
se décide à vider la coupe ; d'ailleurs il comprend qu'il est 
prudent de ne point lasser la patience de ses juges. Il se 
présentera « en personne » au consistoire. 

La séance eut lieu le 29 janvier 1823. Au début, lecture fut 
faite d'une lettre de l'inspecteur ecclésiastique, dans laquelle 
il exprimait le vœu que le sieur Lambercier fasse amende 
honorable, « en pleine église, et en présence d'une députation 
« du consistoire d'Héricourt, des maires et surveillans d'église 
« de la paroisse d'Etobon. » 

Cette mesure ayant paru trop rigoureuse, trop dégradante, 
le consistoire se contenta de la déclaration suivante : 

« Le soussigné, pasteur de la paroisse d'Etobon, promet par 
« les présentes et librement au vénérable consistoire d'Héri- 
ff court, de s'appliquer désormais à une conduite aussi édi- 
« liante que l'était peu celle qu'il a tenu jusqu'à présent; et 
« s'il arrivait qu'il donnât encore un scandale quelconque, il 
« consent à ce que le dit consistoire provoque sa destitution 
« auprès des autorités compétentes. 

« Fait au consistoire à Héricourt, le 29 janvier 1823, 

« Lambercier. » 

* 
* * 

Ainsi finit la comédie. 

Comédie? — eh bien! oui comédie puisque le mot est 
lâché; car toute cette affaire n'est qu'une comédie habile, 
spirituelle. 

Et le comédien, c'est Lambercier. 

Quoi! dira-t-on? ce repentir, ces larmes, ce cri du cœur 
angoissé n'étaient pas sincères? 

Comédie que tout çà! mise en scène d'un rusé compère, 
qui, jouant avec les sentiments les plus intimes, les plus 
nobles, trompait avec impudence les vénérables du consis- 
toire qui étaient de bonne foi. 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE D'HÉRICOURT 115 

Oui la lettre de Lambercier qu'on vient de lire n'est pas le 
moins du monde le cri d'un cœur repentant ! La repentance 
n'est que sur les lèvres ; car cet acte de contrition est l'œuvre 
d'un avocat habile plaidant a pro domo sua » ; c'est un auda- 
cieux plagiat d'où le cœur n'avait rien à voir. 

Et devinez d'où sort cette page éloquente V . . . 

Je vous le donne en dix je vous le donne en mille? . . . 

Y êtes-vous ? . . . 

Je ne vais pas renouveler la scène de papotage gracieux de 

l'inimitable marquise, que vous savez ; elle sort de gare 

vous allez recevoir un coup ! elle sort de Bon QuidioUe! oui 
de Don Quichotte que vous avez tous lu, qui vous a tant amusés 
dans votre jeune âge. Lisez le chapitre : « Maladie, testament 
et mort de Don Quichotte, » vous l'y trouverez tout au long.^ 

Qui donc se serait avisé d'aller chercher la lettre de Lam- 
bercier au consistoire dans le récit des aventures de l'illustre 
ami de Sancho-Pança? N'est-ce pas à confondre? Et pourtant 
le fait est là, patent, indéniable. 

Et voyez l'analogie des situations et l'inconséquen ce humaine. 

Tous deux, le chevalier errant et le pasteur, se trouvent 
dans des situations extrêmes, tous deux sont acculés. Eh 
bien ! ce n'est que lorsqu'il a été mis un terme aux extrava- 
gances de l'hidalgo et aux désordres du pasteur en rupture de 
sainteté, que tous deux sont sur le bord du fossé, qu'ils 
songent à s'amender. 

Ainsi va le monde. 

Le diable, dit-on, était bien vieux quand il se fit ermite. 

* 

Dans ce travail d'adaptation auquel s'est livré le pasteur 
Lambercier, il y a un côté matériel intéressant à observer. 

^ Nons avons indiqné par des caractères italiques la partie de la 
lettre de Lambercier emprantée au Don Quichotte. Prendre une édition 
complète. 



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116 REVUE D'ALSACE 

Vous VOUS imaginez bien que cette page charmante qui 
s'applique si bien à sa situation, il ne l'a pas trouvée toute 
préparée, tout d'une venue. Non; les éléments en étaient 
épars, ici, là; il a fallu les rassembler, les coordonner, rap- 
procher une phrase d'une autre plus loin, les sertir entre elles 
pour arriver à former le tout que vous connaissez. 

Ce procédé ingénieux de composer un discours, qui demande 
plus d'habileté que d'imagination, procédé que Lambercier 
n'a pas inventé et dont beaucoup d'autres après lui se sont 
servi et se serviront, est particulièrement curieux à étudier 
dans cette question. Remarquez surtout l'usage que l'on peut 
faire de la même phrase qui peut servir à exprimer, avec les 
mêmes termes, des idées toutes différentes, fort éloignées et 
sans aucun rapport entre elles. Affaire de circonstances, de 
situations, de milieu. Exemple : 

Lorsque Don Quichotte, à son réveil d'un sommeil répara- 
teur après lequel il soupirait depuis six longs jours de lièvre, 
s'écrie : « Dieu tout-puissant! de quel bienfait tu viens de me 
« combler; » il exprime par un sentiment naturel et bien 
humain sa satisfaction pour une volupté chère autant que 
rare chez un malade ; Lambercier s'empare de cette exclama- 
tion, et chez lui, elle sert à traduire un sentiment de fausse 
reconnaissance pour un acte de repentance hypocrite. 

Singulière destinée d'un livre où, comme dans la Bible, on 
cherche ce que l'on désire « et où on trouve ce que l'on 

cherche. » 

* 
* * 

Mais ce n'est pas tout. Lambercier nous réserve de nou- 
velles surprises. 

Après avoir mis à contribution le chef-d'œuvre de Cervantes, 
voici maintenant qu'il s'adresse aux écrivains français. Notre 
pasteur connaît ses auteurs et il fait preuve tout à la fois de 
connaissances littéraires et d'homme de goût. 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE D'HÉRICOURT 117 

Le lecteur se rappelle le fameux sonnet du xvii® siècle qui 
commence par ces mots : 

Grand Dieu ! tes jugements sont remplis d'équité. 

Eh bien ! c'est à ce petit chef-d'œuvre qu'il emprunte les 
deux derniers vers du dernier tercet qu'il écrit, le scélérat, 
comme de la vulgaire prose. Les voici : 

i)ieu f sur quel endroit tombera ton tonnerre 
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ/ 

Comment dira-t-on : « du Desbarreaux? » Parfaitement, du 
Desbarreaux l'athée, du Desbarreaux à l'omelette au lard, 
vous savez cette légendaire omelette qu'il se disposait à 
manger en joyeuse compagnie, un jour de vendredi saint, et 
qu'il fit si gaillardement sauter par la fenêtre, au milieu des 
grondements du tonnerre, en s'écriant : « Voilà bien du bruit 
pour une omelette au lard! » C'est précisément à ce par- 
paillot qu'il va demander le bouquet, le couronnement de son 
acte de contrition. 

Et pourquoi pas ? 

Dam! ce pasteur prend son bien partout où il le trouve. 

* 
* * 

Que pensez-vous de ce rusé compère qui agit envers ses 
juges avec une telle désinvolture, en leur servant, à titre de 
justification ou plutôt d'humiliation, un morceau de littérature 
habilement découpé dans les productions de l'esprit humain 
les plus en vogue ? 

De deux choses, l'une : ou sa petite supercherie, qui firise 

^ Le texte exact porte : 

Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre 



Voltaire prétend que le sonnet d'est pas de Desbarreaux, mais 
plutôt d'un certain abbé du nom de Lavau (Labousse, Grand Dict. du 
XIX* siècle). 



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118 REVUE D'ALSACE 

reflEronterie, sera découverte, et dans ce cas, ses juges le 
traiteront comme un drôle qui veut les tromper, qui n'a droit 
à aucune compassion ; ou elle ne le sera pas — et il est évi- 
dent que c'est sous le bénéfice de cette hypothèse qu'il s'est 
placé — ; mais alors il leur adresse la plus sanglante injure 
en les prenant pour des Béotiens, dépourvus de toute culture 
littéraire. 

L'événement justifia les prévisions du pasteur. Lambercier 
ne s'était pas trompé. Ah ! il les connaissait bien, ses collègues ! 
Pas un des vénérables ne soupçonna, n'éventa le piège. Le 
consistoire pleura ; le consistoire pardonna. 

Grâce à son habileté, Lambercier se tira de ce pas difficile, 
sinon blanc comme neige, du moins avec un succès . . . d'estime 
« pour son beau talent. » 

Quel bon gros rire malin dut épanouir sa face fleurie et 
rasée de frais, lorsqu'il fut rentré dans son presbytère ? 

Jura-t-il, toutefois, qu'on ne l'y prendrait plus? 

C'est assez probable. 

Plusieurs années après cette aventure, nous le trouvons 
encore dans sa même paroisse, prêchant les saines doctrines 
et exhortant ses paroissiens à la tempérance. 

A quelque temps de là, un des collègues de Lambercier 
feuilletait négligemment un volume de Don Quichotte que le 
hasard avait placé sous sa main. Tout à coup ses yeux parurent 
se fixer ; la main resta immobile et le lecteur absorbé dévora 
silencieusement plusieurs pages avec un intérêt non équi- 
voque. Puis interrompant sa lecture et se frottant les mains 
avec la satisfaction d'un Archimède qui se heurte à une 
solution. 
« Tiens, tiens ! diWl, je m'en étais toujours un peu douté ! » 
Il venait de lire les pages où le malin pasteur, qui avait si 



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UNE SÉANCE DU CONSISTOIRE d'HÉRICOURT 119 

spirituellement mystifié le consistoire, avait puisé son inspi- 
ration. 

Dans nos campagnes, les nouvelles vont vite. Celle-ci, qui 
ne manquait ni d'originalité, ni de saveur, s'ébruita rapide- 
ment. On en rit de bon cœur, sans méchanceté, jusque dans 
la paroisse de Lambercier, au pays des bois. 

Qu'avait-on de mieux à faire? 

Ch. Canbl. 



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DOCUMENTS INEDITS 

TROUVÉS DANS LA TOUR DE L'ÉGLISE DE SOULTZ 



En 1611, pour le jeudi 31 mars, jour de la Fête-Dieu, a été 
terminé la construction de la tour, rehaussée à partir de la 
fenêtre inférieure, ainsi que celle de la coupole sur laquelle 
a été planté la tige de fer portant une étoile et la lune. 

Nous avions alors comme évêque régnant à Strasbourg, son 
Altesse sérénissime et très-noble prince et seigneur Léopold 
archiduc d'Autriche; comme bailli, le jeune gentilhomme 
Willem -Pierre de Lansberg; comme Schultheis, Théobald 
Wendt; comme grejfier, Pierre Schlitzweck, et comme con- 
seiller Florian Riedin, tous les quatres architectes de la 
construction. 

Le sac de blé valait alors six livres, le foudre de vin trente 
livres. 

Il y avait eu aussi en 1610, en Alsace, une grande agitation 
causée par le margrave et comte palatin. Il est également 
mort passablement de monde de la peste. 

Certifions les détails ci-dessus en signant de notre propre 
main. 

Théobald Wendt alors Schultheis à Sultz. 

II 

Une tige scellée, toute en fer de la grosseur du bras, ainsi 
que l'étoile et la lune, ont été, en l'année 1628 k la suite d'un 
orage violent accompagné de tempête, arrachées et projetées 



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DOCUMENTS INÉDITS 121 

dans la cour du presbytère. Cet accident fut pour la ville une 
cause de grandes dépenses. On a dû renouveler la boule 
complètement dorée, remplacer la croix de fer totalement 
brisée, et en redorer l'étoile et la lune. Dans la boule a été 
introduite une petite croix de pierre avec quelques reliques et 
le tout a été remis en place comme par le passé, le 27 octobre 
1639. 

LuDwiG SCHUTZWECK alors Burgemeister. 

III 

En l'année mil sept cent trente-huit, lors de la réparation 
du toit de Téglise et de la tour, la croix, la tige de la coupole 
qui se trouvait inclinée et branlante, ainsi que la boule, 
l'étoile et la lune ont été descendues. La boule, l'étoile et la 
lune ont été refaites à neuf en cuivre et doré au feu. La 
tige a été redi'essée et peinte en blanc. Aujourd'hui le tout y 
compris la petite croix de pierre et les reliques placées dans 
la boule, l'étoile et la lune, a été remis en place, la boule 
ayant été préalablement bénie par le très honorable recteur 
Christophe Riedin, curé de la paroisse. 

Pour couvrir les frais de dorure de la boule, de l'étoile et 
de la lune susdites, il a été fait auprès des bourgeois une 
quête par le très-vénérable M. Riedin, plus haut nommé, et 
son chapelain Bernhart Schmitt. La dorure a coûté quatre 
cents livres tournois et le produit de la quête s'est élevé à la 
moitié de cette somme. A cette époque, son Éminence 
granducale Monseigneur le Cardinal de Rohan, était notre 
très-gracieux Seigneur et Evêque régnant à Strasbourg. 
M. Christophe- André Messel magistrat de la ville et du bailliage 
de Sultz, M. Johann-Thomas Jœger avocat près le conseil 
supérieur royal à Colmar, M. Wendt Schultheis, M. Philippe 
Remy, notaire et greffier de la ville et du bailliage de Sultz, 
M. Borrat procureur fiscal et Joseph Larger Bourgmestre. 



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122 REVUE D'ALSACE 

Le foudre de vin vieux valait 240 livres tournois ou 12 livres 
la mesure, le vin nouveau seulement 8 livres, mais la récolte 
avait été peu abondante à cause du ver. Le sac de blé valait 
12 livres, le seigle 9 livres, l'orge 6 livres tournois. 

J'ajouterai comme renseignement pour la postérité, que 
quelques années auparavant une grande guerre avait éclaté 
entre sa Majesté notre très gracieux souverain Louis XV de 
nom et l'Empereur, de sorte que nous nous trouvions en grand 
danger à cause de l'armée impériale qui s'était massée sur 
les bords du Rhin. Or, par la non moins rigoureuse résistance 
de notre gracieux roi, non seulement l'ennemi a été repoussé, 
mais grâce à sa vaillance et à son héroïsme, il a encore été 
fait en Italie des conquêtes importantes. Le sultan turc, notre 
ennemi juré, donnait alors de grands embarras à l'empereur. 
Bien qu'à cette époque les impôts fussent assez élevés à cause 
des troupes qui stationnaient dans le pays, il se trouvait 
néanmoins passablement d'argent parmi le commun du peuple; 
cela fit que notre ville ne fut pas contrainte, comme pendant 
les guerres précédentes, de faire des dettes, mais parvint au 
contraire à s'acquitter de toutes ses dettes anciennes. 

A cette époque il régnait aussi. Dieu merci, un air salutaire 
parmi les hommes, mais l'année précédente une forte conta- 
gion avait sévi sur les bêtes à cornes, et à cette occasion 
notre ville avait été fortement éprouvée. On a constaté égale- 
ment dans le cour d'un procès, qu'un siècle auparavant, une 
peste pernicieuse avait régné parmi les hommes, principale- 
ment dans notre ville, ce qui avait engagé les habitants de 
recourir à l'intercession de l'archimartyr St-Sébastien, de se 
réunir en congrégation, de protéger ce saint à l'aide d'argent 
et de biens, de l'honorer par la construction d'une chapelle 
encore existante près de l'hôpital et enfin de lui consacrer 
toutes les semaines une messe dans cette chapelle. C'est ainsi 
que la susdite congrégation, depuis 1565 et maintenant encore 
possède un chapelain créé et installé par elle. Le chapelain 



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DOCUMENTS INÉDITS 123 

actuel est le très honorable Bernhard Schmitt, dont en ce 
moment les prérogatives sont contestées par la ville qui à cet 
effet a introduit une instance encore pendante près le conseil 
royal de Colmar. La congrégation a bon espoir de gagner sa 
cause; que Dieu veuille lui accorder sa bénédiction alin que 
cette chapelle soit toujours maintenue dans un bon état d'en- 
tretien, que nos descendants puissent y puiser le même zèle 
que nos ancêtres, et qu'ainsi la ville soit préservée miséricor- 
dieusement de la pernicieuse contagion qu'on appelle la peste. 

Jaeger, président 
Remy, notaire et greffier. 



IV 

Loué soit Jésus-Christ dans toute éternité ! Ainsi soit-il ! 
Le 20 octobre 1738, j'ai, moi, Tobias Betz, ouvert la boule ainsi 
que l'étoile et la lune, le cuivre en pèse 50 livres, je l'ai pris 
en compte à raison de trente-six sous la livre, soit en total 
90 livres. 

La boule a été dorée au feu par le sieur Klein de Neuf- 
Brisach et cette dorure a coûté 400 livres. 

A cette époque le marguillier s'appelait Jean Gôrg (Georges). 
Nous avions pour souverain Louis XV, roi de France, qui 
était un roi très gracieux, très pieux et très pacifique. 

La vigne a donnée en cette année peu de vin, et la mesure 
de vin prise au pressoir coûtait 8 livres, le vin vieux valait 
12 livres, le sac de mouture 8 livres. La vie était alors facile 
pour l'homme du peuple ; dans notre commune par exception 
tout était sens dessus-dessous ; les bourgeois étaient contre 
les autorités et les autorités contre les bourgeois. Je n'ai 
rien d'autre à ajouter si ce n'est que celui qui trouvera ces 
lignes veuille bien me comprendre dans ses prières, 

Tobias Betz, chaudronnier à Sultz, et mon épouse Cathe- 



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124 REVUE d'ALS4CB 

rine Dierin, et Jean-Georges Dierin, mon beau-frère. Mon 
frère Frantz Beltz m'a aidé à faire cette boule. 

En cette année les Turcs ont assiégé Belgrade et les chré- 
tiens ont eu beaucoup à soufirir de la part des musulmans. 

Je soussigné Ignace Aulen, tonnelier et bourgeois de Soultz, 
ai aidé à faire la carcasse de la boule. 

laNATius Aulen. 
Louis Boesch. 

(Traduit d'après le texte original.) 



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COPIE D IN MtMOlRE CONCERNANT BOUROGNE 

de 1500 à 1786 



1786 



Observation sur l'état où était anciennement le village de 
Bourogne et de celuy où il se trouve en l'année mil sept 
cent quatre vingt-six. 

La Seigiïeubie. — Il y avait anciennement sept sortes de 
Seigneuries à Bourogne, et les sujets des Seigneurs étaient 
soumis à différentes prestations. 

La première Seigneurie était appelée celle de Dette, elle 
provenoit de la maison d'Autriche, il était attribuée à cette 
seigneurie le titre de hauteur pour annoncer qu'elle avait une 
prééminence et supériorité sur les autres, et qu'elle faisait 
exercer sur elles la haute justice. 

La seconde étoit celle de Neufchâtel; 

La troisième celle de Beinach ou autrement de Landenberg; 

La quatrième celle de Messieurs de Quermont; 

La cinquième celle de Spepach; 

La sixième celle de Morimont; 

Et la septième celle du chapitre de Montbèliard. 

La Seigneurie de Dette appartenoit à la maison d'Autriche, 
la France, l'ayant réunie à son domaine, en fit don au cardinal 
de Mazarin par lettres du mois de décembre 1659. Celle de 
Morimont qui relevait aussi de la même maison y a été aussi 
annexée. 

La Seigneurie de Neujchâtel appartenoit anciennement à 
Ouillaume de Filrstemberg qui l'a donnée à Hemmann de 
Breunikoffen le jeune pour récompense de dix-sept années de 
services. La donnation, sous la date du 18 novembre 1522, 
porte en outre don des Seigneuries de Breugnard et Trètudan, 



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126 REVUE d'alsace 

il parroit qu'elle n'a eu d'exécution que pour le lieu de Bou- 
rogne, d'autant plus que le 26 may 1524, Hemmann de Breu- 
nikoflen ayant requis Adrian de Saborin, bailly de Neufchatel, 
de le mettre en possession, il le fit, et dans l'acte qui en fut 
dressé, il n'a point été fait mention Bruignard ny Trétudànt, 
mais au contraire de Charmois et Froidefontaine dont il n'étoit 
point parlé en la lettre de don et qu'en outre, par un traité 
passé à Augsbourg, le P^ août 1525, entre l'empereur Ferdi- 
nand et le comte Gabriel d'Ortembourg, ' ce prince a cédé ses 
droits à ce dernier sur Héricourtj Chatelot, Lisle, il a été en 
cet acte formellement réservé les droits de Hemmann de 
Breunikoffen sur la Seigneurie de Bourogne sans en réserver 
sur aucune autre seigneurie. 

La Justice. — La justice de Bourogne étoit alors exercée 
par neuf juges, à la tête desquels étoit un granârmaire, choisi 
par la seigneurie de Délie, le grand-maire était muni du 
sceptre ou bâton de justice et pour composer sa Justice, il 
nommoit 5 sujets de la Seigneurie de Délie ; 2 anciens sujets 
de Neufchatel étoient nommés par le maire de cette seigneurie, 
et quand aux 2 autres juges, le grand-maire avoit droit de les 
tirer des sujets des autres Seigneuries, auxquels derniers il 
faisoit pretter serment comme à ceux de Délie. 

Cette justice a subsistée longtemps après la prise de pos- 
session d'Hemmann de Breunikoflen, le grand-maire aux 
audiences qui étoient par luy indiquées, tenoit le sceptre 
lorsqu'il s'y agissoit de cause d'entre sujets dudit Bourogne et 
Étrangers, à l'exception néantmoins que si deux anciens &ujets 
provenant de Neuchâtel avoient cause ensemble; alors le 
sceptre étoit remis au maire de la partie Neufchatel et les 
amendes qui étoient édictées en ce dernier cas appartenoient 
au possesseur dudit fief. Les appels soutenus de ces juges 

* Gabriel de Salamanque, comte d'Ortembourg, trésorier de l'archiduc, 
auquel ce dernier vendit les seigneuries acquises de Guillaume de 
Furstemberg. 



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œPIE d'un mémoire œNCERNANT BOUROGNE 127 

ressortissaient en deuxième degré de juridiction en la justice 
de Délie, si ce n'est pas dans le cas où les deux plaideurs 
dépendoient tous deux de Breunikoffen, alors c'étoit à ce 
dernier à en connoître. 

Ce même grand-maire avoit droit de faire éborner, de main- 
tenir la police sur tous et un chacun des sujets de Bourogne, 
comme aussi les prééminences aux assemblées qu'il commandoit, 
les vins et autres danrées de première nécessité, de permettre 
les jeux et danses publics, et enfin de percevoir le droit de 
vente sur les marchands qui déployaient les jours de dédicace. 
Hemmann de Breunikoflen a bien cherché à porter atteinte 
à l'administration de cette justice, mais ses efforts ont été 
pendant quelque tems inutiles, il appert seulement qu'il insti- 
guoit son maire à contrarier cette administration, que le 
grand-maire, sur avis qu'il donnoit aux officiers de Délie faisoit 
réprimer les entreprises ; il parroit inutile d'en rapporter des 
traits puisque le justice a été exercée sur le pied qu'il est dit 
jusqu'en 1664, tems suivant qu'il en conste par une lettre du 
grand-maire nommé Jean Monnier dont le contenu est relaté 
en un mémoire d'observations ; il est annoncé au tabellion de 
Belfort que, contre les droits, le S' de Breunikoflen a composé 
une justice, laquelle a été tenue par ses sujets le 22 septembre 
de la même année, en laquelle décision est intervenue qu'une 
borne que les officiers de la Seigneurie de Délie avoit fait 
planter dans le finage dudit Bourogne serait arrachée, ce qui 
a été exécutée, on ne voit point qu'il y ait eu aucune démarche 
pour faire réprimer cette action, mais seulement qu'en 1671 
le grand-maire ayant donné avis que la Justice composée des 
sujets de Breunikoffen avoient fait planter une borne, les 
officiers de Délie, loin de s'opposer à cette entreprise, usèrent 
de force, en envoyant le greffier et gros voyble pour faire 
arracher cette borne laquelle fut jettée à la rivière. Il est à 
présumer qu'en ces tems on préféroit d'user de représailles 
plutôt que de se faire régler. 



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128 REVUE D'ALSACE 

Jean-Oeorges de Breunikoffen qui a succédé à Hemmann au 
fief de Neufchâtel à Bourogne a parru plus entreprenant que 
son prédécesseur, toujours persévérant dans le droit de la 
haute justice, en 1583 il refusa d'envoyer un nombre de ses 
sujets passer sous le drapeau à Belfort, en conséquence des 
ordres d'un conseiller de guerre; ce n'a été qu'en suite d'or- 
dres précis de la Régence autrichienne en date du 9 juin de 
ladite année portant que cela n'attouchait en rien aux droits 
de Jurisdiction qu'il s'est exécuté, il faut donc croire qu'à 
cette époque rien n'était décidé, et qu'au contraire les sieurs 
de Breunikoffen se sont fortifiSés dans leurs prétentions. 

En 1585, le S' de Stadion, grand-bailli à Belfort, informe 
que le sieur de Breunikoffen vouloit s'arroger la haute Justice 
en faisant emprisonner une femme d'un ancien sujet de 
Spebach, luy manda que n'ayant aucune haute Jurisdiction 
sur cette femme, il devoit la mettre en liberté ; cette lettre 
engagea ledit S' de Breunikoffen à se transporter à Belfort 
où il déclara qu'il protestoit contre l'ordre qu'il avoit reçu et 
qu'il ne relâcheroit la prisonnière que lorsqu'il y auroit grands 
frais. Cela est ainsi annoncé par la lettre écrite par le S' de 
Stadion à Louis Lourdel, bailli de Délie, les plaintes en con- 
séquence de ce refus portées à la Régence, il intervint un 
résout le 16 may par lequel il fut ordonné au S' de Breuni- 
koffen de remettre cette femme qu'on nommoit Pajotée en 
mains de la justice de Délie, qu'il n'appartenoit pas audit 
Breunikoffen de connoître tel cas, mais à la justice de Délie 
qui en étoit en possession. 

Nonobstant plusieurs décisions de cette espèce, les conflits 
de Jurisdiction se sont accrus, nottament par faits de Fré- 
derick'Jean de Breunikoffen, petit-fils d'Hennemann. Celuy-ci 
devenu possesseur du fief que tenoit, auquel fief étoient jointe 
les Seigneuries de Roppe, de Specpach, de Cuermont et du cha- 
pitre de Montbeillard ne cessoit de contrevenir aux droits dé 
la haute Justice de Délie, les of&ciers de justice dudit lieu 



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COPIE d'un Mémoire concernant bourogne 129 

voulant toujours maintenir les droits de la Seigneurie ont 
porté maintes plaintes contre les attentats qui se commettoient. 
La Régence en de certains tems les ont écoutés favorablement 
puisqu'en 1611 le maire du sieur de Breunikofien a voit fait 
emprisonner un nommé Monnier, sujet provenant du chapitre 
de Monbéliard, semeur néantmoins par luy acquise, ce que 
la Régence a confirmé par une décision formelle du 5 novembre 
même année et ledit Monnier qui avoit été détenu à Bourogne 
et s'être arrangé avec ledit de Breunikofien pour sortir de 
prison a été condamné à Tamende au profit de la Seigneurie 
de Délie, laquelle se trouva portée en recette dans le compte 
du Receveur de l'année suivante 1612. Cette décision et une 
infinité d'autres de cette espèce intervenues jusqu'en 1623, 
sufisent pour établir le droit de haute justice qu'avoit la 
Seigneurie de Délie à Bourogne à l'exclusion de tous autres 
Seigneurs et qu'il était fondé en titres et possession, elles 
étoient bien faites pour ralentir l'ardeur de Frédéric-Jean de 
Breunikofien et luy persuader que s'il pouvoit en avoir un, 
que ce ne pouvoit être que sur ses anciens sujets conformé- 
ment de l'ordonnance de l'Empereur Audolph de l'année 1592. 
Cependant, en la même année 1623, Frédéric-Jean de 
Breunikofien fit arrêter le nommé Perrin Bonvalot, son sujet 
qui s'était rendu coupable de crime et soû procès devoit luy 
être fait à Bourogne; les officiers d% Délie en étant instruit, 
se sont pourvus à la Régence du pays contre cette entreprise, 
le droit de la Seigneurie de Délie y a été conservé implicite- 
ment, n'ayant été décidé en faveur du S' de Breunikofien y 
ayant eu arrêt le 9 novembre même année par lequel la 
Régence, sans préjudices aux droits de Jurisdiction des parties 
a ordonné que ledit Bonvalot prisonnier seroit conduit devant 
une justice criminelle neutre, selon les ordonnances impériales, 
h Montreux où le bâton de justice sera remis à quelqu'un 
d'office, le prisonnier y mené en sûreté, la sentence prononcée 
ensemble exécutée par un bourreau neutre, et cela aux frais 

NouvoUe Série. — 15- année. 9 



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130 REVUE D'ALSACE 

des deux parties, lesquels néantmoins seront repris sur l'hoirie 
dudit Bon valot tant qu'elle se pourra étendre, mais concernant 
la cause principale, l'une et l'autre des parties obligées de 
produire dans le terme de trois mois à dater de ladite décision 
une déduction fondamentale pour ensuite être fait droit 

Les ofl&ciers de Délie ne dévoient point négliger les intérêts 
de la Seigneurie au point que sur cette invitation ou, pour 
mieux, ce commencement de procès de n'avoir rien fait ce qui 
a été cause que les petites guerres entre les Seigneurs de 
Délie et Jean Frédéric de Breunikofifen ont toujours subsistée. 

Les troubles aportées en Alsace par les Suédois en années 
1632 et suivantes ont permis au possesseur du fief de Neuf- 
châtel des tentations pour usurper le droit de haute justice 
qu'il désiroit tant avoir sur les sujets des basses Seigneuries 
acquises, si elles sont parvenues à la connaissance des oflSciers 
de Délie, il y a apparence qu'en ces temps de calamité, ils 
n'ont voulu réclamer l'authorité de la Maison d'Autriche qui 
était trop occupée à ce défendre contre les vexations que les 
Suédois exerçoient, on voit que ce Breunikofifen a poussé ses 
vues plus loin que sur la haute justice de Bourogne et qu'il a 
cherché au détriment de ses voisins à se faire un arrondisse- 
ment. La religion lutérienne qu'il professait luy a donné accès 
en 1634 près du général reingrau de Salm lequel sur le faux 
exposé retenu sur la supplique dudit Breunikofiten du 12 mars 
l'a reintégré non seulement dans l'ancienne possession qu'il 
disoit avoir eu des villages de Charmois et de Froidefontaine, 
mais encore luy a accordé par indemnité de ce qu'il prétendoit 
avoir soufifert par le fait des Autrichiens, les Seigneuries de 
Ober- et Nider-Spepach, Breunïkoffen où il n'avait que sa 
maison et Effcinguein avec le petit hameau de Vourvenans 
comme aussi tous les droits sur les Seigneuries, sauf la confir- 
mation de la cour de Suède laquelle il a sollicitée et obtenue 
le 20 juin de la même année, dans laquelle néantmoins il n'a 
été fait mention de Vourvenans. Il parroit que peu après, la 



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œPIB d'un mémoire œNCERNANT BOUROGNE 131 

paix ayant rétabli les droits des vrays propriétaires desdites 
Seigneuries ainsi accordées, le S' Frédéric-Jean de Breuni- 
koftén n'a pu jouir du fruit de sa surprise. 

Les débats qu'il a toujours eu à raison de la haute justice 
au village de Bourogne ne procédoient qu'en ce que par les 
lettres de don de 1522, Guillaume de Furstemberg a cédé la 
haute justice et que par la transaction du 20 février 1533 ^ 
entre M. de Morimont, possesseur par gagière de Belfort et 
Délie, et ledit Hemmann de Breunikoflfen, l'exercice de la 
haute justice sur ses sujets luy a été accordé, qu'elle compétoit 
également au chapitre de Montbeillard suivant leur acquisi- 
tion de Budolph de Boppe, du 25 may 1500, lesquels droits il 
a eu soin de faire relater avec d'autres en son renouvellement 
du 28 may même année 1533 ce qui a été plus amplement 
annoncé par le jugement rendu par ce même Seigneur par 
commission de la Régence le 8 août 1558, dans lequel il 
qualifie ledit S' de Breunikofifen de haut justicier et comme 
tel doit être avec luy S' de Morimont, propriétaire des forrets 
de Bourogne, attribuant en outre le droit (de) pêche audit 
Breunikofien en fixant celuy des sujets de Bourogne. 

Il est vray que les oflSciers de Délie ont par la suite pro- 
tester contre ces derniers actes ; ils ont soutenu avec raison 
qu'un possesseur par gagière ne pouvoit compromettre les 
droits de Seigneur direct ; que sa transaction n'a été précédé 
d'aucun pouvoir; mais ce n'étoit point assez que d'élever la 
voye pour faire anéantir ces actes ; il falloit dès la reprise du 
fief se pourvoir. A coup sûr la nullité en auroit été prononcée; 
néantmoins il parroit que lors des contestations portées en la 
Régence, ces actes n'y ont pas été absolument pris en consi- 
dération, et que les choses y ont souvent de fois restées 
indécises, s'ils avaient eu notoriété, ils étoient bien faits pour 
attribuer à l'appuy des lettres de don une haute justice 
incontestable. Il sera facile de se persuader que depuis 1634 



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132 REVUE d'alsàce 

les conflits de Jurisdiction ont eu lieu, il est inoui que les 
décisions intervenues contre le S' de Breunikofifen n'ait pas 
été soutenues de la part des ofKciers de Délie puisque toujours 
elles ont été enfreintes par ce co-seigneur en se permettant 
de nouvelles entreprises et des coups d'authorité qui auroient 
pu être réprimés si on eut trop aimé user de représailles. 

Le 7 janvier 1671, le S" Louis-Frédérich de Breumkofen, 
fils de Frédéric-Jean, voulant s'attribuer la jurisdiction sur 
Jean-François Monnier, grand-maire établi par la Seigneurie 
de Délie, le fit arrêter chez luy par ses gens où il fut lié et 
conduit es prison du Château de Bourogne; les ofliciers de 
Délie en ayant avis délibérèrent qu'il falloit user de représailles. 
Des personnes attachées à la Seigneurie armèrent 20 paysans 
qui bloquèrent le château, proposèrent l'escalade, si on ne 
rendoit le grand-maire et sur le refus il enfoncèrent les portes 
du château, celles des prisons et ramenèrent le grand-maire 
qui avait été détenu deux jours. Deux années après, en consé- 
quence d'un décret de permis d'informer mis au bas d'une 
requête présentée par Mgr, le Duc de Mazarin il y eu infor- 
mation, laquelle n'a rien produit. 

En l'année 1673, le calme devoit revenir, suivant qu'il appert 
par un compromis passé le 24 juin entre le S' Morel, agent de 
M. le Duc de Mazarin, comme chargé de pouvoir spécial dudit 
Seigneur et Louis-Frédéric de Breunikofifen, lequel se trouve 
en bonne forme reçu d'Adam Cuenin, tabeillon à Belfort. Par 
ce compromis, les parties ont nommées pour arbitres arbitra- 
teurs et amiables compositeurs les personnes de M. le baron 
de Beinach et M. Jolis,h2Àl\i de Remiremont, auxquels elles ont 
données pouvoir de décider de la haute Justice, dixmes 
novales, amandes, chasse, etc., au village et finage de Bou- 
rogne, il faut que cet acte ait resté sans exécution puisque le 
2 may 1676, M. Armand-Charles Duc de Mazarin a prit com- 
mission contre le S' de Breunikofifen en ce qu'il entreprenoit 
sur la haute jurisdiction, ses conclusions tendoient à être 



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cx)PiE d'un Mémoire concernant bourogne 133 

gardé et maintenu dans l'exercice de la haute justice, et la 
propriété de Bois, du droit de chasse, amandes et dixmes 
novales. En vertu de cette commission, il y a eu assignation 
donné au S' de Breunikoften le 12 du dit mois ; il ne parroit 
pas que cette aifaire ait été poursuivie vigoureusement, puis- 
que le S' Chérer chargé d'affaires de la Seigneurie mande par 
une lettre du 30 avril 1680 qu'il falloit fournir en cette affaire 
des titres et instructions; à cette fin il envoya le dosier qui 
depuis a été recouvré à Délie, ainsi qu'il en conste par une 
lettre au dos ; ce qui fait présumer que cette afiaire n'a pas eu 
de suitte c'est qu'en 1793 ' M. le Duc de Mazarin ayant donné 
une requête en tierce opposition dans une contestation qu'ont 
eu en ce temps les nommés Monnier réclamant ces derniers 
pour ses sujets contre la prétention du S*^ de Breunikoffen a 
en outre conclut à être gardé et maintenu en la possession de 
droits seigneuriaux à Bourogne. 

De toutes ces demandes, ils n'existent pas une seule déci- 
sion, il y a cependant un inventaire de production servant 
d'écritures il est vray non signifié, lequel se trouve joint à un 
extrait de l'Urbaire de 1566 qui rappelle tous les droits 
seigneuriaux à Bourogne dus à l'archiduc d'Autriche n'accor- 
dant que la justice à M. de Breunikoffen sur ses anciens sujets 
et en outre aussi joint un placet translaté et signé par un 
secrétaire interprête de Brisach le 10 septembre 1670 * pré- 
senté à l'archiduc par lequel M. de Breunikoffen faisait des 
offres et soumissions, demandant Bourogne en fief à la réserve 
de la haute Jurisdiction et de la chasse. Le lecteur des lettres 
des agents de M. le Duc de Mazarin de 1692-93-94 fait présu- 
mer que le tout a été évoqué au Conseil d'Etat en vertu de 
son droit de committimus, comme duc et pair de France ; un 
état des titres concernant Bourogne intitulé : pièces envoyées 
à M. Roget fortifie dans cette croyance. Il n'est pas étonnant 
que le S' de Breunikoffen se soit perpétué dans ses usurpa- 

^ Ce doit être 1693. — * Ce doit être 1570. 



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134 REVUE D'ALSACE 

tiens, puisqu'il voyoit que les poursuites commencées n'étoient 
point assez soignées pour culbuter ses projets. 

L'édit de 1686 a voulu que tous Seigneurs ayant droit de 
justice aient à nommer des juges gradués, ayant eu son exé- 
cution a mit fin aux grands débats ; la justice exercée par le 
grand-maire et ses prudes n'a plus eu lieu, celle nouvelle 
établie par M. de Breunikoffen ayant subi le même sort n'a 
plus donné lieu à des réclamations près les officiers de Délie. 

M. Simon, advocat a été le premier baiily de M. de Breuni- 
koflen, sa réception au Conseil n'a pas été contrariée par 
opposition, or il faut croire qu'il a été estimé que M, de 
Breunikofien avoit droit de faire exercer la justice sur tous 
ses sujets. En 1692 M. Othon-Louis de Breunikofien vou- 
lant profitter des dispositions d'un nouveau baiily a obtenu 
des lettres à terrier, elles ont eu leur exécution, il est vray 
qu'il y a eu des oppositions à la clôture d'iceluy en 1699 et 
M. Simon ne voulant prendre sur luy de maintenir le S»" de 
Breunikoffen es droits contestés a par son procès-verbal du 
12 juin même année, renvoyé les parties à se pourvoir au 
Conseil souverain d'Alsace. Il n'y a aucune pièce qui justifBient 
qu'il ait été fait des démarches pour enrayer les droits pré- 
tendus au territoire dudit S' de Breunikofien. 

Or, il faut croire que la justice haute, moyenne et basse 
depuis l'époque du terrier a été administrée au nom de M. de 
Breunikoffen, sans réclamations, tant sur ses anciens sujets 
que sur ceux acquis par ses prédécesseurs, qu'il a transmit 
ses droits en 1736 à un enfant de Madame de Lafage, née de 
Baril avec substitution à cette dernière, que celle-cy les a cédé 
à feu M. de ^-Didier vivant commandant à Haguenau et que 
les héritiers de ce dernier co-seigneur à Bourogne jouissent 
du droit de haute justice. 

(Gommnniqné par M. Anatolb Lablotibb.) 
(A suivre,) 



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POÉSIES ALSACIENNES D'AUGUSTE STŒBER 



PLAINTES D'UN PAUVRE DIABLE 

AYBC ACCOMPAGITBMBNT 

DES CRIEURS DE RUE DE MULHOUSE 



Que j'avais joyeuse mine 
Jadis ! J'étais bien loti ! 
Mon bonheur tombe en ruine : 
Sur quoi l'avais-je bâti? 

Da sable 1 Du sable jaune! Achetez du sable jaune! Du sable du Rhin ! 

Dans les meilleures familles 
J'allais, paré richement ! 
Coudes au vent, en guenilles 
On peut me voir maintenant 

Ayez-Yous des drilles ? De vieilles guenilles ? Pas de commerce à faire? 

Auprès de ma cheminée 
Je fumais, sans peur du froid. 
Hélas ! Maintenant l'onglée 
Me fait souffler sur mes doigts. 

Du bois 1 Des fagots ! Des fagots ! Des fagots pour allumer le feu ! 

De primeurs, de friandises 
Je me régalais jadis ! 



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136 REVUE D'ALSACE 

Maintenant mes gourmandises 
Sont des morceaux de pain bis. 

Achetez des œnfs et du beurre ! 

Que j'ai vidé de bouteilles, 
Brisé maint noble cachet ! 
Hélas ! Qui du jus des treilles 
Remplira mon gobelet? 

Ean de la Doller 1 Achetez de l'eau de la DoUer ! 

Il faut m'abreuver d'eau claire, 
C'est mon unique boisson ! 
Ça ferait bien mon affaire, 
Si je devenais poisson ! 
De la morû-eû 1 De la morue ! Du poisson 1 Du poisson ! 

L'eau claire, hélas, en breuvage ! 
En douche, hélas! encore l'eau! 
Point de vin ! Et quel orage ! 
Mon habit colle à ma peau ! 

Parapluie ! Parapluie à acheter 1 

Au beau quartier de la ville, 
Devant la Grande Maison, * 
Maint collègue attend que file 
Lentement chaque saison ! 

Almanachs ! Almanachs nouveaux 1 

Si j'avais dans ma jeunesse 
Appris quelque bon métier ! 
Qui voudrait, en ma vieillesse. 
Maintenant m'initier ? 

Ciseaux à aiguiser ! Casseroles à rétamer ! 
Souricières pour souris et rats ! 

^ La « grande maison » : euphémisme populaire pour (( l'hôpital ». 



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PLAINTES d'un PAUVRE DIABLE 137 

Jadis j'aimais une blonde, 
Et j'espérais doux retour. 
Perfide, hélas ! comme l'onde 
Que me donna-trelle un jour ? 

Avez-ToiiB des paniers à raccommoder ? Des corbeilles on des paniers ? 

Du Mai de mon existence 
J'aime me ressouvenir, 
Ce beau mois où l'espérance 
Dans mon cœur venait fleurir 

Fleurettes de Mai 1 Achetez ces beanx mngnets ! 

Il a passé, mon beau songe ! 
Je ne sais plus que gémir. 
J'ai froid ! Le chagrin me ronge ! 
Ciel ! que vais-je devenir ? 

Des cendres ! Des cendres ! 



Traduit à Bescmçon-Chaprais, le 16 Décembre 1888, 

Ch. Bebdellé. 



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LES ARBRES 



DU 



GRAND JARDIN DE MONTBÉLIARD' 



Elégie en manière cC oraison funèbre sur la mort non prématurée 
de très hautes, très illustres et très décrépites seigneuries. 



A la fin les voilà par terre ! . . . 
Ils ne l'ont, certes, pas volé. 
C'est mon avis : dois-je le taire ? 
En feindre d'être désolé? 
Non ; dût-on m'appeler profane, 
Dût-on, à propos de mes vers, 
iParler du coup de pied de l'âne, 
Ou me traiter de monomane. 
De cœur dur, de tête à l'envers. 
Il faut que, longtemps contenue. 
Ma colère éclate soudain 
Contre la défunte avenue 
Qu'on appellait le Grand Jardin. 

— « Mais d'où vient cette colère? » 
Demande un lecteur débonnaire. 
De mon début«scandalisé ; 
« Quelles raisons inexplicables 
« Contre ces arbres vénérables 
« Vou^ont si fort indisposé ? » 

' lÏB farent abattus pour l'établissement de la gare du chemin de fer. 



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LES ARBRES DU GRAND JARDIN DE MONTBÉLURD 139 

— Vénérables ! • . . vous voulez dire 
Vieux, et je n'y contredis pas: 
De leur crime c'est le pire; 
Seul il suffit pour les proscrire 
Et leur mériter le trépas. 

Dans les temps passés un grand âge 
Pouvait être un titre d'honneur ; 
Mais nous n'avons pas le bonheur 
De vivre en un siècle plus sage, 
Pour lequel ce gothique usage 
N'est qu'un obscur préjugé 
Qu'on a justement abrogé. 
Oh! qu'il sied mal aux tètes grises 
De prétendre à notre respect! 
Dès qu'on est vieux on est suspect 
De ne dire que des sottises. 

Ainsi, vos arbres, chers lecteurs, 
Méritaient bien leur sort funeste ; 
Car c'étaient de vieux radoteurs : 
Hélas ! ils l'ont prouvé de reste. 
Voyez, à leurs inspirateurs 
Quels vers inspira leur ombrage, 
Puis osez dire que j'ai tort 
De les taxer de radotage ! 
Non, le terme n'est pas trop fort . • . 
Mais n'éveillons pas chat qui dort. 
C'est une prudente maxime ; 
En effet, certain anonyme 
(C'était le troisième, je crois) 
Pourrait me donner sur les doigts. 
Comme il l'a fait dans sa colère 
A certain censeur trop sévère 
Qui, dans trois strophes, avait cru 
Draper le poète du crû. 



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140 REVUE D'ALSiCE 

Il est temps, oh! vieilles souches, 
Que votre mort fermât les bouches 
Dont vos amis usaient si mal, 
Et que leurs lugubres hommages 
Cessent d'attrister les pages 
De notre intéressant journal. 

Que de doléances niaises. 
De sentimentales fadaises 
Allaient t'envahir, pauvre Doubs ! 
Si, moins prompte à remplir sa tâche, 
L'inflexible mais juste hache 
Eut encore retardé ses coups ! 

— « Mais doit-on voir, demandez-vous, 
« Dans ces vers au ton funéraire, 

« A l'allure du corbillard, 

« Un peu plus ou moins littéraire, 

« Ou bien l'expression sincère 

(( Des sentiments de Montbéliard ? » 

— Si quelque âme tendre regrette 
Les ombrages du Grand Jardin, 
Sa tendresse était bien discrète. 
Et ressemblait fort au dédain. 
Oui, le dédain, quoiqu'on en dise. 
Voilà, depuis plus de trente ans. 
Ce qu'éprouvaient nos habitants 
Pour ces arbres qu'on préconise. 
Furent-ils dans leurs jeunes temps, 
L'objet d'un sentiment plus tendre ? 
C'est possible; mais de nos jours 
Personne n'oserait prétendre 
Qu'ils attiraient un grand concours. 

Une autorité qu'on révère, 
La mode, à nos dames si chère, 
Les avait frappés d'interdit; 



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LES ARBRES DU GRAND JARDIN DE MONTRELIARD 141 

Dès le jour de cette sentence, 
Nulle intrigue, nulle puissance 
Ne put les remettre en crédit. 

Oh! vous, détracteurs de la Mode, 
Qui, contre son sublime code, 
Clabaudez en toute saison. 
Comprenez, et devenez sages ; 
Car, en dépit de vos outrages, 
La Mode aura toujours raison. 
Le Grand Jardin qu'on délaisse, 
Traîne sa morose vieillesse 
Dans l'abandon et le mépris ; 
La tristesse, la solitude 
Avancent sa décrépitude, 
Et bientôt il tombe en débris ! 
Si, doué de goûts moins champêtres 
Au lieu de deux rangs d'arbres verts 
Il eût eu deux rangs de fenêtres 
Et d'yeux regardant au travers, 
Oh! jamais la Mode équitable 
N'eût permis sa fin lamentable : 
On eût vu chaque muscadin, 
Chaque élégante en crinoline. 
Faire admirer leur bonne mine 
Aux habitants du Grand Jardin. 
Chacun sait que la promenade 
N'est qu'un exercice maussade 
Lorsqu'on n'a point de spectateurs. 
Que sert la plus belle toilette, 
S'il faut que, portée en cachette. 
Elle manque d'admirateurs ? 
Pauvre Grand Jardin ! ton ombrage. 
Par nos dames du haut parage. 
Ne pouvait être fréquenté. 



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142 REVUE D'ALSACE 

Pour une beauté sous les armes 
Le Faubourg a bien plus de charmes 
Et le Faubourg t'a supplanté. 
On y rencontre mainte ornière, 
Peu d'ombre, des flots de poussière 
Souvent en tourbillons chassés ; 
Mais aux zélateurs de la Mode 
Qu'importe un chemin peu commode ? 
Ils sont vus ; pour eux c'est assez. 
Dans ce lieu quand Iris chemine, 
Plus d'un œil jaloux l'examine ; 
Aussi marche-t-elle à pas lents, 
Voulant qu'à loisir on admire 
La splendeur de son cachemire 
Et le bon goût de ses volants. 
Dans le Grand Jardin, au contraire, 
Rien qui pût charmer le regard, 
Lorsque, dans ce lieu solitaire, 
Nos pas s'égaraient par hasard. 
C'était sous le triste feuillage 
De ces arbres minés par Tâge, 
Un, quelquefois deux bourgeois 
(J'en ai même vu jusqu'à trois) 
Qui, l'air ennuyé, morne et sombre. 
Baillaient en chœur, assis à l'ombre. 
Tantôt c'était quelque passant 
Qui s'éloignait d'un pas rapide. 
Pour fuir l'influence perfide 
De cet ombrage assoupissant. 
Et tantôt un adolescent, 
A quinze ans fumeur par principe, 
Qui, jaloux de nouveaux progrès 
Dans l'art de culotter la pipe, 
Narguait sous ces arbres discrets, 
Et les pensums et les arrêts. 



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LES ARBRES DU GRAND JARDIN DE MONTBÉLIARD 143 

Un de nos poètes répète. 
En vers qu'il veut rendre touchants, 
Que le rossignol, la fauvette 
Y faisaient entendre leurs chants : 
Pure licence poétique, 
Ou plutôt adroite tactique 
Pour orner sa narration ; 
Car jamais leurs voix sans pareilles 
N'y vinrent charmer les oreilles 
De notre génération. 
Les seuls oiseaux qui, d'aventure 
Fréquentaient cette allée obscure. 
C'étaient (pardon du calembour) 
Les canards des clairons novices. 
S'y livrant à leurs exercices 
Au bruit discordant du tambour. 
Non, la hache ne fut que juste 
Envers ces arbres trop vantés. 
Sous leur apparence robuste 
Us recelaient ... des cœurs gâtés ! 
Ainsi, bassement hypocrites, 
Ils ont démenti les mérites 
Dont les douaient certains rhéteurs ; 
Et leur dernier cri d'agonie 
Fut une suprême ironie 
Adressée à leurs acheteurs. 

Us tombent! . . . Voyez la tristesse 
Se peindre dans tous les regards ! 
Mais non : c'est un cri d'allégresse 
Qui retentit de toutes parts. 
On vient, on accourt, on s'empresse 
Autour de leurs tronçons épars. 
Au sourd fracas de leur ruine 
Répond un grand bruit de pétards, 



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144 REVUE D^ALSÀCE 

Ce sont les éclats de la mine 
Qui pulvérise nos remparts. 
Jamais dans sa longue carrière 
Le Grand Jardin ne fut fêté 
Par la vive et franche gaîté 
Qui marqua son heure dernière, 
Mais enfin il est trépassé! 
Ses fautes, qu'on les lui pardonne ! 
Et qu'avec moi chacun entonne 
Un JRequiescat in pace ! 

Mars 1857. 



MULHOUSE, IMPBTMWBTB VBUVB BADBB ET C**' 



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GLOSSOGBAPHIË DES PATOIS DE L'ALSACE 



DEUXIÈME PARTIE 



Après avoir emprunté à l'idiome tudesque de l'Alsace * une 
certaine quantité de mots paraissant ne dériver ni du latin^ 
ni de l'allemand et qui, selon Schœpflin, seraient des vestiges 
de la langue celtique parlée sur la rive gauche du Rhin avant 
la domination romaine, les Folkloristes offrent aux lecteurs 
de la Bévue d/ Alsace la glossographie d'un certain nombre de 
mots du patois de Vagney (Vosges) paraissant également ne 
dériver ni du latin ni de l'allemand. 

Ce patois diffère de celui qui est parlé au territoire de 
Belfort, notamment dans les cantons de Délie et de fontaine. 
Moins exposé que les populations de la « trouée de Belfort » 
au contact incessant des hordes envahissantes, le clan vosgien 
a paru au Folk-Lore avoir conservé plus spécialement que le 
clan jurassique des vestiges caractéristiques du dialecte des 
anciens temps. De la phonétique seule de ces patois nous avons 
conclu que le sentiment ethnogénique s'y est conservé plus 
vivace que chez les populations postées sur les grands chemins 
des invasions. C'est pourquoi nous avons assigné le deuxième 
rang à la glose qui va suivre. 

Mais le Folk-Lore alsacien ne doit pas se dispenser de pré- 
senter une objection qui pourrait modifier sensiblement la 
proposition de Schœpflin : Les vestiges dont il s'agit sont-ils 
d'origine celtique ? C'est ce qu'il aurait fallu d'abord établir. 

Or, un linguiste aquitain, Nicolas Béronie qui, au siècle 

' Yolnme de 1885, pages : 5 à 23, 168 à 185, 366 à 379 et 556 à 570. 
MoureUe Série. — 15-* année. 10 



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146 kEvim D^ÀLSÀce 

dernier et au commencement de ce siècle, s'est beaucoup 
occupé du patois de son pays, ne le pense pas. Il a été amené 
à en douter par la comparaison qu'il a faite du patois du 
Languedoc avec le dialecte bas-breton, réputé être la langue 
celtique. De la comparaison à laquelle il s'est livré, il conclut 
qu'entre son patois et le bas-breton il n'y a aucune vraisem- 
blance étymologique. En cela, il se rapproche de la proposition 
hardie de E. Fallot, de Montbéliard, qui, en 1828, n'hésita pas 
à soutenir que la langue des Gaulois est la mère des langues 
romanes, du français, de l'italien et de l'espagnol. 

Sans se prononcer sur des propositions aussi radicales, le 
Folk-Lore croit néanmoins devoir mettre sous les yeux du 
lecteur le texte des proverbes qui ont fourni au linguiste 
langdocien les éléments de comparaison sur lesquels est basé 
le sentiment qu'il exprime. 

TEXTE BAS-BRETOK 

Falla Uni a soer har vigour da guente. La plus mauvaise 
cheville de la charrette est celle qui fait le plus de bruit 

Ne quant gant taboutinou e tistumergue zec lard. Ce n'est 
pas avec un tambour qu'on rappelle uft cheval échappé. 

Arniean a ruïll ne zistam a gtiinvi. Pierre qui roule n'amasse 
pas de mousse. 

• Barnitar reell e vel mafell deoch besa barnet. Jugez les 
autres comme vous voudriez que l'on vous jugeât 

PATOIS AQUITAIflQUE 

Lo pu moouvaso tsovillo de lo tsoreto es oquelo qice jai lou 
mai de brut. 
Oco n'es pas onVun tombour que Van ropello un tsoval estsopa. 
Lo peiro que rolh, n'^omasso pas de mousso. 
Dzudsas lous aoutres, como voudrias que Van vous dzudzesso. 

« On voit par cet exemple, ajoute le professeur de Tulle, 
combien il y a de conformité entre le patois aquitanique et le 



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GLOSSOGKÀt^fitË DES PkTOtS DE L^LSACË 14? 

français, tandis qu'il n'y en a aucune entre le patois aquita- 
nique et le bas-breton qu'on appelle celtique. » 

Si cette remarque est juste, elle s'applique, à plus forte 
raison, aux patois vosgien et belfortain. On va en juger par 
les deux exemples suivants : 

PATOIS DE VAGNEY 

Lèpus mekhant cheivéye d'în cha a celle que fat lé pus de brut 
Ce n'a mi aivo m tamboar qvHo reppelle în chevau ehhappa. 
Pierre que roule n'aimasse pouo de masse. 
Ju^ las autes comme vos vourin qu'o vos jugésse. 

PATOIS DE DELLE 

Lai pu malriere tcheveiUe de lai tchèrate a cHé qu' Jai le pu 
de bru. 

C^n'ap'aivo in tambour qu'an raipeule in tchva évadenai. 

Fiere que rôle n'aicatepe de mousse. 

Djudjie les âtres c'ment vô voirins qu'an vô djudjeuche. 

La conséquence de ce système conduirait à attribuer à 
l'ancienne langue des populations gauloises une vertu ethno- 
logique dont n'aurai»t pu avoir entièrement raison la con- 
quête romaine et l'invasion franque. L'élément celte se serait 
alors condensé dans la Basse-Bretagne où l'on retrouve sa 
langue, tandis que l'élément romain et l'élément frank, avec 
l'ethnique gaulois, auraient donné naissance aux dialectes 
classés en langue d'oïl et en langue d'oc. 

Du contact journalier de ces éléments seraient donc issus 
nos divers patois provençal, langdocien, bourguignon, picard, 
normand et belge, nuancés à l'infini selon des influences col- 
lectives et particulières, telles que : les dominations seigneu- 
riales, l'éloignement ou la proximité des principaux centres, 
l'absence ou l'existence de voies de communication, l'atonie 
ou le développement des relations commerciales, les produc- 
tions du sol, le climat et tant d'autres causes abstraites ou 



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148 RËVirn D'ALSACE 

concrètes auxquelles nous ne pouvons ici nous arrêter. Nos 
patois se ressemblent tous, ils ont la même origine, sans en 
excepter celui de la Provence, où l'estampille latine est plus 
accentuée que dans les autres provinces pour des causes 
historiques que tout le monde connaît Ainsi s'explique la 
présence dans nos idiomes populaires de mots très nombreux 
dérivant visiblement du latin et beaucoup moins nombreux 
dérivant de Viàiome francique, francdeutsch ou théotiste. 

Le Folk-Lore ne méconnaît pas que, si Ton s'arrête à cette 
proposition, le dialecte gaulois ne trouve qu'une place dou- 
teuse ou d'induction dans le classement des langues indo- 
européennes fait par Max MuUer; il doit en outre faire 
remarquer que, par choc en retour, une foule de mots français 
admis par les linguistes, M. Cocheris entr'autres, comme pro- 
venant du dialecte celtique, auraient au contraire leur 
origine dans le dialecte gaulois dont le vieux-français, mélangé 
de latin et de francique, ne serait que la dernière étape vers 
le perfectionnement du français de nos jours, devenu la 
branche principale des langues dites romanes, par des assi- 
milations si nombreuses que cela ne contredit en rien ce 
qu'enseigne Littré sur la formation à% nos langues populaires 
et l'influence de la langue latine dans les Gaules. La question 
ethnographique seule demeure en cause. 

Sous le bénéfice de ces observations, nos essais folklorktes 
n'abordent le terrain des sciences que sous l'antique manteau 
de l'archéologie des langues populaires, espérant que l'on 
parviendra, peutrétre, à découvrir dans les matériaux produits 
quelques bribes susceptibles de s'adapter aux côtés préhisto- 
riques de nos origines. 

Si, dans les recherches dont il s'occupe, notre Folk-Lore a 
cru devoir donner le second rang à un patois vosgien, cela 
n'exclut pas la continuation du travail qui s'opère pour le 
patois de la a trouée de Belfort ». Il importe au contraire de 
le continuer, de le poursuivre sur toute la lisière où l'idiome 



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GLOSSOGRAPHIB DES PATOIS DS L'ALSACE 149; 

ihéotiste est juxta-posé à Tidiome FomaB. De Croix à Bouge- 
monWe-Château, points extrêmes de cette lisière, le parler 
populaire est, à très peu près, le même quant à la forme et 
quant aux nuances. En ce qui concerne les questions gram- 
maticales, le Folk-Lore dira son sentiment en tête des deux 
dernières parties de ses explorations. 

En attendant il laisse la parole à celui de ses membres, 
M. Camille Toussaint, qui a bien voulu fournir la glose suivante 

Le patois n'ayant pas d'orthographe précise, je me conforme, 
autant que possible, à celle du français, tout en m'eflorçant 
d'écrire le patois comme on le prononce. 

Presque toujours les voyelles a et o sont longues, Ve muet 
passe inaperçu, mais Vè ouvert est bien accentué ; à la fin des 
mots, les syllabes aj/e, éye^ èye se prononcent d'une façon 
analogue à celle du mot ail, mais en appuyant un peu. 

Au sujet des consonnes, je ferai observer que Vh est presque 
toujours aspirée et très rude; de plus que le français, le 
patois des montagnes vosgiennes emploie fréquemment le ch 
guttural aphone; je le traduis par Vhh double. La syllabe în a 
aussi, dans presque tous les cas, une prononciation nasale, 
comme dans le mot t;inaigre. 



Ahha. — Hier soir. I vore n'aUa te vouerre aihha, mas i ne trôné 
patêohhaiime ; je vonlas aller te voir hier soir, mais je ne trouvai personne. 

Acié. — Agacé. tPa meingé enne pemme que né tèye mi meure, fon a 
hu dants cusiéyes; j'ai mangé une pomme yerte, j'en ai les dents agacées. 

Agiôle. — Simagrées. Qu^o-ce gué tes aineu pou fâre dos evettes 
agioles ? qn'as-tn anjourd'hui pour faire de pareilles simagrées ? 

Aibehhe. — Chose, ustensile. Voilà enne aibehhe qu'i necuénno mi; 
Yoilà un ustensile que je ne connais pas. 

Aibeurrè. — Accoté. Ei ne ieut mi s'on aMa, eî a aibem'rè; il ne 
veut pas partir, il est accoté. 



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150 REVUE D'AI^ÀCE 

Aicainnei. — Lancer violemment. SéjeVeUrappe, iieuVyaicainnei 
în hauo cop; si je l'attrape je venx lui décocher une bonne taloche. 

Aiblan. — Qui plaît par sa gentillesse. VoUe effant a bien aiblan; 
votre enfant est bien charmant. 

Aicoualé. — Accroupi. Bevouète do m po las dcmx là que sot 
aicouaïés conte lé hâye; regarde donc un peu ces deux là qui sont 
accroupis contre la haie. 

Aicrahhant. — Pénible. Ca bien aiccraMiant de hiàde s^n* argent 
dmsi que coula; c'est bien pénible de perdre ainsi son argent 

Aicueunni. — Encrassé. Notte bièye n'émitu houonne, noschemihes 
sot ca aicueunnies; notre lessive n'a pas été bonne, nos chemises sont 
encore encrassées. 

Aicueuyé. — Donner de l'élan. Ne Vatcueuye mi trop fouau, ei 
vireu trop Ion; ne lui donne pas trop d'élan, il irait trop loin. 

Aida, aidé. — Alors, et puis. Aida coula, ei repetté ca pus vite; 
après cela, il repartit encore plus vite. 

Aidaudna. — Endolori, abasourdi. Notte bouobe vièt de cherre di 
guérné, el a tôt aidaudna; notre garçon vient de tomber du grenier, il 
est tout abasourdi. 

Aidioteni. — Afiriander. Ei ne faut mi aidioteni las effants, ça ne 
vaut ro; il ne faut pas affriander les enfants, ça ne vaut rien. 

Aiffoua. — Allumer. Le feu a-t-é aiffoua? le feu est-il allumé? 

Aiffrâla. — Écraser. Enne bieuche Vy é passa hhou II jambe et Vy é 
tôt aiffrâla; une bûche lui a passé sur la jambe et l'a tout écrasée. 

Aiguéfl. — Engourdi. I seus tôt aiguéfi U main ci; je suis tout 
engourdi ce matin. 

Alhlie. — Boutade. I n*aimne mi d'été aivo lé, ei ne trèvouaiUe qui 
poua aihhes; je n'aime pas d'être avec lui, il ne travaille que par 
boutades. 

Aihhièye. — Remise, abri. El aihonche dé pieurre, faut nos motte 
daus Vaihhièye; il commence à pleuvoir, il faut nous mettre dans la 
remise. 

Aihhmoudi. — Excité. Qu'o-ce qu'é notte Braïelle, elle a bien 
aihhmouddie? qu'a notre Braïelle (nom de vache), elle est bien excitée? 

Aihonche, aihonche. — Commencement, commencer. Ei s'ré 
cowrant temps d'aihonché, il sera bientôt temps de commencer. 

Aineulle. — Nuage orageux. Ei feré di tiennerre lé sa ci, las 
aineulles se font nerres\ il fera du tonnerre ce soir, les nuages devien- 
nent noirs. 



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GLOSSOGRAPHIE D£S PATOIS DE L'ALSACB 151 

Ai main. — A l'aise. I ne seus mi ai main di cota ci; je ne suis pas 
à l'aise de ce côté. 

Aimaudda. — Croître en grosseur. Venna vauerre natte pouMU, 
comme eî éja aimaudda; viens voir notre cochon, comme il a déjà grossi. 

Aimaunir. — Exciter au mal, à la vengeance. Ne vé mî aivo U geo 
la, elle ne set ro fâre gué de vos aimaunir Vvne conte Vaute; ne vas pas 
avec cette personne^ elle ne sait faire que vous exciter l'un contre 
l'autre. 

Aixnilie* — Mèche de fouet. IPy é pus d'aimihe aipré mè chessewre; 
il n'y a plus de mèche à mon fouet. 

Aixnimei, — Couper au collet les feuilles de certains légumes. 
Aipré seupei, nos virons aimimei das carattes i hattou; après souper, 
nous irons à la grange pour couper des feuilles de carottes. 

Aineu. — Aujourd'hui. Ça tè fête aineu, té ne pouayes ro ? C'est ta 
fête aujourd'hui, tu ne payes rien ? 

Aipouosse. — Instant. Ei teizor ca tolà, n'y é qu'enne aipouosse; il 
était encore là, il n'y a qu'un instant. 

Aipsié. — Atteindre. Séjemasje pieux Vaipsié, d erré é fore è mi; 
si jamais je peux l'attraper, il aura à faire à moi. 

Airoffe. — Étoupe de lin. Aivo nos airoffes, nos ferons fore de U 
tèîe de îincieux; avec nos étoupes de lin nous ferons faire de la toile 
pour des draps de foin. 

Aisseutti. — Taquiner. Notte Colas a diale pou fare aisseuti las 
boyesses; notre Nicolas est endiablé pour faire enrager les filles. 

Aitnire» — Procurer. Fauré nos aitrure enne basse; il faudra nous 
procurer une bêche. 

Aiyosié. — Dire vous. Quand o s^ainme hié, o ne ^aivosie pus; quand 
on s'aime bien, on ne se dit plus vous. 

Aiyoteile. — Toile d'araignée. Cohhe te n'y é das aivoteiles haut là; 
tais-toi, il y a des araignées là-haut (c'est-à-dire des indiscrets). 

Alou. — Échafaud. Votte àlou n'é mi l'are biè fouau; votre échafaud 
ne parait pas solide. 

Aque. — Quelque chose. Es-te âque de bouo è nos beilïé? as-tu 
quelque chose de bon à nous donner ? 

AulhoxL. — Lierre terrestre. L'aulhon a bouo pou lérhime; le lierre 
terrestre est bon pour le rhume. 

Aume. — Confiance. N'y é pouot d'aume é çu qu'ei dit; on ne peut 
se fier à ce qu'il dit. 

AuYOua. — Arroser. Nos pras ont beso d'été auvoua; nos prés ont 
besoin d'être arrosés. 



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152 REVUE d\LS4CB 

AuYOuàye. — Boisson du bétail. Qwmd o beille ewne houonne 
auvouaye as véches, o-z-on pus de lacé; quand on donne anx yaches une 
bonne boisson, on en obtient plus de lait. 

Aiyau. — Indécis. I seus bien aiyau pou m' on àHa; je suis bien 
indécis pour partir. 

Azé. — Rucher. Ne vé mi conte Vazé, las mouhhattes sot mahes; ne 
va pas contre le rucher, les abeilles sont méchantes. 



Bacelatte. — Petite fille. Vos bacelattes sot hiè galantes; vos petites 
filles sont bien gentilles. 

Baçota. — Bricoler. Té ne fer es jemas ro de hotw, fas tocoué è haçota; 
tu ne feras jamais rien de bon, tu t'occupes toujours de niaiseries. 

Balatte. — Tartine. Ça enne houonne haiatte que nos effants ainmot 
le meu pou lo mouaraudde; c'est une bonne tartine que nos enfants pré- 
fèrent pour leur goûter. 

Balé. — Étendre, tartiner. Ei n'é ro fat de bé, él é seulmot în po 
haïe las muhhes; il n'a rien fait de beau, il a seulement un peu tartiné 
les murs. 

Bairrainche. — Passerelle. Perni vouaude dé cherre o passant hhou 
le bairrainche; prenez garde de tomber en traversant la passerelle. 

Baitteuse. — Lait battu. Pou lé mouaraudde, faimei-o biè enne 
kessatte dé baitteuse; pour mon goûter, j'aimerais d'avoir une écuelle 
de lait battu. 

Baracan. — Sorte d'étoffe grossière. Beppoutti nos de lé fouérre enne 
pèce dé baracan pou fâre das cottes; rapportez-nous de la foire une pièce 
de grosse étoffe pour faire des jupons. 

Battou. — Aire. Ve-t-o deicombra le battou, las moua>chéres vont vent; 
va débarrasser l'aire, les batteurs en grange vont venir. 

Baubie? — J'en doute (interjection). Baubie se varront; viendront- 
ils, je ne sais. 

Bénèye. — Instant. VU vos ca m'aittaudde enne petite bénèye? voulez- 
vous m'attendre encore un instant? 

Berguennei. -— Tisonner. Ei s'aimuie è berguennei daus le feu; il 
s'amuse à tisonner le feu. 

Berhie. — Sentier dans la neige. Ei fat meichant marché le main 
d, lé berhie n'a mi fâte ; il fait mauvais marcher ce matin, le sentier 
n'est pas fait dans la neige. 



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GLOSSOGRAPHIE DES PATOIS DE l'àLSACE 1^ 

Berré. — Clôture de palissade. Le berré n'a mi Uos, las geïines vont 
outra dans le moua; la porte de la palissade n'est pas clçse, les ponles 
vont entrer dans le jardin. 

Bérzi. — Viande passée sur la braise. Fomme, fas nos în berH pou 
Je deijûn; femme, prépare-nons pour déjeuner de la viande passée à la 
braise. 

Beudatte. — Ventre. El aihonche de rèmassa de Uheudatte; il com- 
mence à prendre du ventre. 

Beunaut. — Sorte de récipient emmanché. Pourrîn vos me pratta 
votte beunaut? pourriez-vous me prêter l'outil qui sert à jeter la lessive 
sur le cuveau? 

Beulou. — Louche. Ce n'a mi hè d'été heuHou; ce n'est pas beau de 
loucher. 

Beule. — Bosse, enflure. Et s^é fat enne grosse beuîe o eheyant; il 
s'est fait une grosse bosse en tombant. 

Beurheu. — Essart, petit champ sur le flanc des collines. Las 
toupis venot balles et bouonnes daus nos beurheux; les pommes de terre 
deviennent belles et bonnes dans nos essarts. 

Beurre. — Perche d'appui. «Ta reuyè de motte le beurre deyé Veuhhe 
d% cherru; j'ai oublié de mettre la perche derrière la porte de la remise 
des chariots. 

Beusse. — Baratte. Venna hargotta U beusse, peu mottra se fas bien 
amoureux; viens secouer la baratte pour montrer si tu es bien amou- 
reux (car on dît que les amoureux font monter le beurre de suite). 

Bièye. — Lessive. Nos ferons le bihye demain; nous ferons la lessive 
demain. 

Bia. ~ Récipient pour pierre à aiguiser les faulx. In seyérre né douye 
mi petti saus se bia; un faucheur ne doit pas aller au pré sans avoir 
un vase où mettre sa pierre à aiguiser. 

Blé. — Canal d'irrigation. I m' on ove daus le bié dé d'sourpanre das 
rainnes; je vais prendre des grenouilles dans le canal qui passe au- 
. dessus de la maison. 

Bliotte. — Prunelle. pieut fâre de le bouonne pique aivo das 
Vhottes; on peut faire de bonne piquette avec des prunelles. 

Bicré. — Petit cruchon, burette. Frauds le bicré pou n'aUa è Vheile; 
prends la burette pour aller à l'huile. 

Bisquei. — Être vexé. Ei faut le fare în po bisquei; il faut le vexer 
un peu« 

Blaude. — Blouse. Beilk me mè balle blaude, je vé vœrre las boyesses; 
donne-moi ma belle blouse, je vais voir les flUes. 



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154 REVUE D'ALSACE 

Blauhhe, blohhé. — Petite prune ronde, arbre qui la produit. Vos 
hîauhhes sont-elles aussi houonnes que halles ? vos petites prunes sont- 
elles aussi bonnes que belles ? 

Blue. — Myrtille^ brimbelle. Le pus grand piaihi pou nos effants, 
ç^a de n'alla as blues; le plus grand plaisir pour nos enfants, c'est 
d'aller cueillir des brimbelles. 

Bo. — Crapaud. J seus tausa comme în ho qu'é tu as fraises; je suis 
gonflé comme un crapaud qui a été aux fraises. 

Bodére, bodériou. — Boue, boueux. Las cheimis sot pieins de 
hodére; les chemins sont pleins de boue. 

Bouauchéye. — Ouverture de grenier. Je n'a mi songé de tiore le 
houauchfye; je n'ai pas pensé de fermer la porte du grenier. 

Bombade. — Sorte de grosse fève. Enne soppe dé homhades n'a mi 
trop heyante; une soupe de grosses fèves n'est pas trop mauvaise. 

Bôra. — Bouder. Mè fomme mé hôre dépeus heutjos; ma femme me 
boude depuis huit jours. 

Bouacré. — Lait d'une vache qui vient de faire veau. Las heugniats 
he houacfré sot hiè houos; les beignets de lait nouveau sont bien bons. 

Bouadela. — Bavarder, jacasser. Nos couserasses sot hiè è train de 
houadela; nos couturières sont bien en train de bavarder. 

Bouadelé. — Jaseur. 

Bouadellelie, -— Bavardage. 

Bouta. — Piqué des vers. Le hos houta ne vaut pus ro pou fâre das 
meubles; le bois piqué des vers ne vaut plus rien pour des meubles. 

Bouaha. — Rester bouche bée. Ne demoure do mi è bouaha dA,nsi 
dœns las geos; ne reste donc pas ainsi à bailler devant le monde. 

Bouatte. — Cousin. Las houattes sot hiè mahes lé sa ci; les cousins 
sont bien méchants ce soir. 

Boublé. — Papillon de nuit. Ehhâye d'ettrappa le hé bouhU que 
voici; essaye d'attraper ce beau papillon de nuit. 

Boudou. — Menteur. CoKhe te, te n'as qu'm houdùu; tais-toi, tu n'es 
qu'un menteur. 

Bouodde. — Mensonge. Enne houodde hiè sottenie vaut mieux qu'enne 
véritei mau deifaudue; un mensonge bien soutenu vaut mieux qu'une 
vérité mal défendue. 

Bouraçon. — Poteau d'écurie auquel on attache les bétes à cornes. 

Bràcié. — Faire virer. Brâdi m pos votte cha, o ne serreu passa; 
écartez un peu votre voiture, on ne saurait passer. 

Bracot. — Trique. Aivo me bracot, i ne vos dotte mi; avec ma trique 
je ne vous crains pas. 



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GLOSSOGRAPHDS DES PATOIS DE L'aLSACB 155 

Bralé. — Bigarré. Noite vé abéet braU; notre veau est gentiment 
bigarré. 

Brahhte. — Boue de neige. 

Brâla. — Serrer une charge de voiture par le milieu. Pou avoué au 
hant d*euhhi di bo8, ei te faut biè brâîa tè voiture; pour sortir aisément 
du boiS; il faut bien serrer la charge de ta voiture. 

Braleu. — Ce qui sert à fixer une charge sur une voiture. 

Bran. — Intervalle. Ei ne vé pus que poua brcms; il ne va plus que 
par intervalles. 

Bratte. — Ciboule. Lé soppe é mio gôt quand o-z-y botte dos brattes; 
la soupe a meilleur goût quand on y met des ciboules. 

Braumot. — Beaucoup. Je vo« reppoutte votte hèche i vos remercie 
braumot; je vous rapporte votre hache et vous remercie beaucoup. 

Brenne. — Fragile, cassant. Le bos de cérhé a biê brenne; le bois de 
cerisier est bien cassant. 

Brétié. — Tâtonner. Notte vaula douye été în po sô, ei brétie trop 
aipré Veuhhe pou le dreuvi; notre valet doit être un peu parti pour la 
gloire, il tâtonne trop pour ouvrir la porte. 

BreuchoxL. — Pot de grès. J'a în gros breuchon de bwre fondue pou 
le couaromme; j'ai un gros pot de beurre fondu pour le carême. 

Bro. — Voiture à fumier. pieut cheigé das gros bros pou n'alla as 
Mosséres; on peut charger de grosses voitures de fumier pour aller 
aux Moussières. 

Brohhou. — Grognon. Le mate d'eicôle a brohhou aineu, demouro 
tranquilles-, le maître d'école est grognon aujourd'hui, restons tranquilles. 

Bronché. — Tremper dans. Bronche le în po dans Vau/ve pou lé 
réhhorra; trempe-le un peu dans l'eau pour le rafraîchir. 

Brossié. — Fumer les terres. Pou avoué di fouo dans notte pra ei 
faut biè le brossié-, pour récolter du foin dans notre pré il faut bien le 
fumer. 

Brossioure. — Planche de voiture à fumier. 

Besére. — Lieu où l'on a planté des pois. tPons enne bdUe besére 
Vonnaye ci; nous avons un beau carreau de pois cette année. 



Cabossé. — Petit tas de foin. Le veyé sache biè meux quand el é tu 
mas è cabossés; le regain se sèche bien mieux quand il a été mis en 
petits tas. 



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15G REVUB D^'AiSiCfi 

Cahdle. — Citrouille. Las cahoîes ainmai éPHe aipré f» muMm; les 
citrouilles se plaisent le long d'un mnr. 

Cauquelatte. — Petite casserole à pieds. Ei seré eowrant taups de 
motte las Umpis è U eauqudatte; il sera bientôt temps de mettre les 
pommes de terre à la casserole. 

Caraco. — Camisole. Es-U vu le hé caraco que JutHneà'é fat? as-tu 
TU la belle camisole que Justine s'est faite ? 

Carlin. — Soupière. Nos n'os pus de carlîn; nous n'avons plus de 
soupière. 

Casa. — Déchirer. Se pantaion a tôt casa; son pantalon est tout 
déchiré. 

Caaeaae. — Déchirure. 

Caupouyatte. — Nuque. Eli eu in fameux eô hhau le caupoui^atte; 
il a eu un fameux coup sur la nuque. 

Cauque. — Poche. Tâche d'avoué de Vargent è U cauque, quand 
fouyerés chanta le coucou; tâche d'avoir de l'argent à la poche quand 
tu entendras chanter le coucou. 

Châbeusse. — Fâre chabeusse; rester court. 

Cauyé. — ■ Aller et venir, marcher. Nannon se fat véye, die né sereu 
pus cauyé; Marianne se fait vieille, elle ne peut plus marcher. 

Ceinnatte. — Panier oblong en paille tressée. I vouro hiè enne 
ceinnattepou matte das fouèves; je voudrais un panier pour 'mettre des 
fèves. 

Cemeu. — Lisière de drap. I seua è train de fâre das chaussons de 
cemeus; je suis occupé à faire des chaussons de lisière. 

Chageaille. — Criard susceptible. Oh mas, fas hiè chageaiUe aineu; 
ah mais, tu es bien criard aujourd'hui. 

Chahhena. — Maquigner. Ei n*e ro foi que de chahhena dârè haut 
lé mouauhon; il n'a fait que maquigner à travers la maison. 

Chahhené. — Maquignon. 

Chaicu. — Cambouis. Te voilà hé, fés di chaicu piein las haibits; te 
voilà beau, tu as du cambouis plein les habits. 

Chairpaingne.* — Grand panier d'osier. Praiids enne chairpaingne 
et vé't'O reimassa U hièye; prends un panier et va ramasser la lessive.. 

Chaseau. — Emplacement d'une maison. El é aihheta trop cher U 
chaseau de se mouauhon; il a acheté trop cher le sol de sa maison. 

Chauché. — Presser sur quelque chose. Chauche mpo hhou le mouau 
de veyè, pou le fâre tenni dans h lindeu; presse un peu sur le tas de 
regain, pour le faire tenir dans le linceul. 



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ÔLÔSSOGRÀPHIË Md PktM DE t'ALâACfi l67 

Choc! ^ Inteijection. Choc! qu^ei fat chaud; mon Dieu qnUl fait 
chaud! 

Ché. — Cône de sapin, de pin. Las chés de pinesses font di botM feu; 
les cônes d'épicéas donnent un bon feu. 

Chenoïe. — Collier de vache. Je vés quouèri di hos pou fâre dos 
ehenoïes; je vais chercher du bois ponr faire des colliers à nos vaches. 

Chomxiioua. — Sentir, flairer. Ça ehomme houo, pouahhi; ça sent 
bon, par ici. 

Chosa. — Gronder. Né le chose mi trop, ei ne ieutpus reihonehé; ne 
le gronde pas trop, il ne veut pins recommencer. 

Chou! hhou! — Inteijection. Chou! que Vauve a freide; ohl qne 
Peau est froide. 

Cohi (Be). — Se taire. Cofi^tè, véye adbaihhe! tais*toi, vieil em- 
plâtre. 

Coissou. — Outil pour briser le lin et le chanvre en seconde main. 
Coissou saint Michel; surnom d'une personne très boiteuse des deux 
jambes. 

Conche. — Auge de cochon. Nattie U eonche di pouhhé dan» qui de 
U heiïlé è meingé; nettoie l'auge du cochon avant de lui donner à manger. 

Condolla. — Faire gonfler les douves d'un cuveau en les plongeant 
daDs l'eau. Notte hu a hàllié, botte le eondoUa; notre cuveau à lessive a 
les douves disjointes, mets-le tremper dans l'eau. 

CosBon. — Coquetier. Lé mété de eosson Wa mi dos pus meichants; 
le métier de coquetier n'est pas des plus mauvais. 

Govalié. — Vessie de veau desséchée. n'allant aJiu le boêtcher, 
prauds quique couahis pou fâre de Upérncmt; en allant chez le boucher, 
prends quelques vessies de veau pour faire de la présure. 

Couaqua. — Criailler comme le corbeau. Nos effants ont tu heyants 
aineu, ei n'ont ro fat que de couaqua; nos enfants ont été ennuyeux 
aujourd'hui, ils n^ont fait que crier. 

Couau. ^ Tuyau de fontaine. N'y é que Berné pou biê foura las 
couaux; il n'y a que Berné pour bien forer les tuyaux de fontaine. 

Couaureige. — Visite. Véni do è couaureige chi nos quand vos airèz 
ewne lénèye; venez donc nous voir quand vous aurez un moment de libre. 

Couaurgé. — Aller en visite. 

Conétié. — Presser. Fougue tant nos couéiié? pourquoi tant nous 
presser? 

Couétou. — Pressé. Tiès, voici Marie eouétouse; tiens, voici Marie ^ 
la pressée. 

Couhhâye. — Fille à marier et recherchée. 



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158 ttfituE d'alsàCb 

Conliliiére. — Vache tonjours en chaleur et que le tanrdân ne 
féconde pas. 

Courbaille, courbion. — Panier. Praudstncaurhionpaureppauta 
de lé fèrine et peus erme caurbaiUe pou de U braise; prends un petit 
panier pour rapporter de la farine et un plus grand pour de la hraise. 

Crache. — Sorte de haute hotte. QiMnd o-z-on pouUa U crache In 
po de taupe, o piewt si reposa; quand on a porté la grande hotte un peu 
longtemps on peut se reposer. 

Grauche. — Salamandre, triton. Las crauches font în grand ramège 
U sa ci; les tritons font un concert étourdissant ce soir. 

Creuquant. — Crochet de sagard. Vé-t-o è le sc^e demanda încreu- 
qucmt; va à la scierie demander un crochet pour pousser les hilles. 

Cuérbaussié. — Passer par-dessus. Lé hàUe effare gué de cuérbaussié 
îe muhhe là! la belle affaire que de franchir ce mur! 

CuérchaXe. — Chair qui se forme dans les plaies. Se jambe n'a mi 
halle é vouerre, le euerchaïe axhonche de se fare daus U piâye; sa jambe 
n'est pas belle à voir, il commence à se former de la chair dans la plaie. 

Cuérchéye. — Ration de fourrage. BeiUe enne cuérchéye de veyè as 
geneusses; donne une ration de regain aux génisses. 

Cueufépe. — Couvercle. Las cueufépes de nos pots sot voittes; les 
couvercles de nos pots sont sales. 

Colas. — Feu follet, lutin, génie malfaisant. Marie ne ieut mi euhhi 
de neut, eUe dote culas; Marie ne veut pas sortir de nuit, elle craint le 
lutin des feux follets. 

Cupné. — Culbute. Ei ^aimuse è fore lé cupnê; il s'amuse à faire 
la culbute. 



Dabo. — Souffre-douleur. Ce n'a vouau aiblan d^éte lé daJbo de tôt le 
monde; ce n'est guère amusant d'être le souffre-douleur de tout le monde. 

Dagé. — Tarder. Fapa dagé biè derautra; papa tarde bien de rentrer. 

Dangua. — Tinter. dangue Vangonie de U véye Merguitte; on tinte 
pour l'agonie de la vieille Marguerite. 

Darou. — Béte imaginaire que l'on fait chasser aux naïfs dans les 
ravins, précipices. Nos o mouna Colas as daroux, él y é demoura jusqu'à 
troh houres di mettm; nous avons conduit Nicolas à la chasse aux 
daroux, il y est resté jusqu'à trois heures du matin. 

Dehbcafflé. — Écosser. Je m'aimuse è dehhcaffié das fouéves; je 
m'amuse à écosser des fèves. 



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CLOâSOGRÀt»HIfi DÈS t>ÀtOfô DE L^LSACË 159 

Deicourre (se). — Faire tomber une faute, une charge sur un autre. 
Laihhe le tôt pè U, et serré biè se deictnmre hhou în aute; laisse-le faire 
seul, il saura bien rejeter la faute sur un autre. 

Deisaumoua. — Désorienter. Bepeus qu^él a fieu él a tôt deisau- 
moua; depuis qu'il est dehors, il est tout désorienté. 

Deisauyeu. — Déversoir. Las deisauveux de notte pra ont beso d*éte 
reoeudiés; les déversoirs de notre pré ont besoin d'éfre curés. 

Dée z-a l'emme dé lé. — Que Dieu ait son âme ! Locution fré- 
quemment employée quand on parle d'un mort. 

Deitouyé. — Démêler. Té deitouyerés las mouyennes ptm dos se- 
mauces; tu démêleras les moyennes pour des semences. 

Deivetté. — Tablier. BeiTle me do în deivetté; donne-moi donc un 
tablier. 

Deivouaula. — Démancher une faulz. I ne sero n'aller sceyé mè 
faulx a deivouaulaye; je ne puis aller faucher, ma faulx est démanchée. 

Desi. — Fausset, petite cheville. Le voitwrier que nos é aimownna le 
«m o-n é hhayé^ d é mas în desi y tonné; le voiturier qui nous a amené 
le vin en a goûté, il a mis un fausset au tonneau. 

Deute. — Galerie de taupe. Ei feré meichant sceyé toci, lé pra apiein 
de deutes; il fera mauvais faucher ici, le pré est plein de galeries de 
taupes. 

Diot. — Friand. Auss* biè fas trop diot, o ne seit que te beillé; tu es 
tout de même trop friand, on ne sait quoi te donner. 

Dondèye. — Boiyour. Dondèye^ Bèdè! bonjour, Joseph 1 

Dotile. — Craintif. Voilà %n hé chevau, mas él é Vare trop dotHe; voilà 
un beau cheval, mais il parait trop craintif. 

Druasse. — Éléments fertilisants. Las champs dos Mossères n'ont 
pouoidedruasse; les champs des Moussières sont maigres et peu fertiles. 

E 

EfEr&la (s*). — S'affaisser, s'écrouler. Prauds vouaude, lé muhhe vé 
^effrcâa; prends garde, le mur va s'écrouler. 

Ehbéhi. — Prendre la mouche. Vos erres di mau de le fâre ébMhi; 
vous aure^ du mal de lui faire prendre la mouche. 

Eibouhhi. — Emmêlé. Men eicheveau a trop etbouhhij heuche papa 
pou m'aidié; mon écheveau est trop emmêlé, dis à papa de venir m'aider. 

Eicouheiia. — Envenimé. Se daitye a eicouhena, él erré di mau dé 
se mouauyé; la plaie de son doigt est envenimée, il aura du mal de se 
guérir. 



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160 tlEVim D'ALSACE 

Eii&eurtè. -— Taché comme par des fleurs. IPy é eu aque dans la8 
ceaitdes dé noUe bièye, U Ivnge a guaust tortot eiffieurtè; il y a eu quelque 
chose dans les cendres de notre lessive, le linge est presque tout taché. 

Eitrure. — Se procurer. Ei me faut eitrwre enne lowmne fatdx pou 
1<M f<yuo8 ; il faut me procurer une bonne faulx pour les foins. 

Eiviahhi. — Mettre à Penvers. Né reuye mi d'eiviahhi las chausses 
dam que de laus motte sache; n'oublie pas de mettre les bas à l'envers 
avant de les mettre sécher. 

Eiguéâ. — Engourdi. 1 deuhhei de le masse, % seus tôt eiguéfi; je 
sors de la messe, je suis tout engourdi. 

Eihh'cueuché. — Donner un fort élan. Qimnd el a eihh^cueucM o ne 
sereu pus Verrêtei; quand une fois il est bien lancé on ne peut plus 
l'arrêter. 

Erhi. — Donner au bétail les soins quotidiens. Ei seré courant taups 
de n'aMa erhi; il sera bientôt temps d'aller soigner les bêtes. 

Eulihaige. — Sortie, passage. cTa montapouaVeuhhaige; y &i monté 
par la sortie du pré. 

Euhhe. — Porte. El a dans Veuhhe^ aivo las boyesses ; il est devant 
la porte avec les filles. 

Euhhi. — Sortir. Jeute hiè euhhi, crapaud; veux-tu bien sortir, 
crapaud. 

Eulihiâeu. — Printemps. L'euhhifieu n'a mi Ion, fa ouU cha/nta las 
alouattes; le printemps n'est pas loin, j'ai entendu chanter les alouettes. 



Facenouz. — Faiseur de manières. Ei m*aineuye, el a trop facenoux; 
il m'ennuie, il est trop faiseur de manières. 

Faihhatte. — Maillot. Matte în effant é le faihhatte; mettre un 
enfant au maillot. 

Falle. — Piège, lacet. tPa tauddu dos fàUes pou panre das grives; 
j'ai tendu des pièges pour prendre des grives. 

Fattié. — Mouillé et sali. Ei sot revénis di hos tôt fattiés; ils sont 
revenus du bois tout mouillés et tout crottés. 

Felére. — Araignée. Notte guérné a piein de feléres; notre grenier 
est plein d'araignées. 

Feusé. — Panier à fuseaux. Te seros hié galant de m'aippouUa me 
feusé; tu serais bien gentil de m'apporter mon panier à fuseaux. 

Fian. — Taupe. Es vos mau as dauts, perrU vn fian tôt vivant daus 
U mam, quand ei seré moiM, vos serés mouauyé; avez-vous mal aux 



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GLOSSOGRÂPHIE DES PATOIS DE L'àLSÂCE 161 

dents, prenez nne tanpe vivante dans la main, quand elle sera morte 
vous serez guérie. 

Fiatte. — Confiance en quelqu'un. N'y é potMt de flatte è lé; on ne 
peut se fier à lui. 

Fiauve. — Faible, fable. M vé cherre fleuve; il va tomber faible. 
QtU fiauve que te nos contes tolà; quelle fable nous contes-tu là. 

Fichaise. — Bagatelle. Ce n'a qu'enne fi^chaise; ce n'est qu'une ba- 
gatelle. 

Fiéye* — Jeune épicéa. Vos troverès dos haUes pouéches da/ns las 
fiéyes di Mette; vous trouverez de belles perches dans les jeunes épicéas 
du Mette. 

Fieirant, âeirié. — Puant, puer. Ça fi^eire diàlemot tœi; ça pue 
diantrement ici. 

Fièvé. — Fléau. Me fièvé a bien auhant pou mouaché; mon fléau est 
facile pour battre à la grange. 

Fieu. — Dehors. Sauta fieu; sauter dehors, sortir. 

Fieuraye. — Fleur de foin. Te reppoutterétt le fi uraye aivo las fleu- 
res; tu rapporteras la fleur de foin avec les draps. 

Fieuta, âeutei. — Sifflet, siffler. Le peuté a le dos le pus auhant 
pou fâre das fleutas; le putier est le bois le plus commode pour faire 
des sifflets. 

Figatte. — Baguette longue et mince, à laquelle on adapte un cro- 
chet; elle sert surtout pour la pèche aux grenouilles. 

Fion. — Ouï-dire. Je n'a owyé das fions; j'en ai entendu dire quelque 
chose. 

Fionqué, chiclé. — Trochet. Le hé fionqué de neuhattes, heille me 
le; le beau trochet de noisettes, donne-le moi. 

Foingé. — Foingesse. Se dit du feu quand le vent chasse la flamme 
hors du foyer. 

Foleingneatron. — Fouille-merde. 

Folgnié. — Fouiller comme le cochon. Ei ne minge mi, et foleingne 
daus se guéU; il ne mange pas, il fouille dans son écuelle comme un 
cochon. 

Folgnion. — Groin. 

Fouahhe (d'ai)« — A foison. !^o trove d'aifouahhe; on en trouve 
à foison, 

Fouafélaye. — Courtillière. Las fourfélayes ont mingé las raidnes 
dé notte salade; les courtillières ont dévoré les racines de notre salade. 

Fourére. — Bordure des essarts. Nos os eu déhe lincieux de fouo 
Nouvelle Série. — 15"* année. 11 



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162 REVUE D*ÀLSÂCE 

dans nos fourères; nous avons récolté dix draps de foin dans les bor- 
dures de nos essarts. 

Frallâ. — Attrapeur. Te n'as qu'm fraXlâ; tu n'es qu'un attrapeur. 

Frauqua. — Froisser. Mè cournatte a fraitquaye; ma cornette est 
froissée. 

Froppe, — Frette, virole. Fauré matte das froppes è nos hon/yes; il 
faudra mettre des frettes à nos houes. 

Freubli. — Faire subir aux légumes une légère cuisson. Las nèvés 
pou le deijûn ontja tu freublis; les navets pour le dîner ont déjà subi 
une première cuisson. 

Frou. Sciure. Aivo enne houonne caisse dé frou O'Z-on di feu di grand 
d*%n sa; avec une bonne caisse de sciure on a du feu toute une soirée. 

F'tâ. — Petit anneau de métal qu'on met au bas des fuseaux. Saus 
mé fia y je n'a mi auhant de felei; sans mon petit anneau, il ne m'est pas 
aisé de filer. 



G 

Gadaille. — Grumeau. Le cole que te m'es fat n'a mi bouonne, elle a 
piainne dé godailles; la colle que tu m'as faite n'est pas bonne, elle est 
pleine de grumeaux. 

Galé. — Bûche de bois à mettre au feu. pieut fâre das hés gaïés 
aivo le bos là; on peut faire de belles bûches avec ce bois. 

Garnie. — Truie. Notte ganne é fat das petits gouris; notre truie a 
mis bas de petits cochons. 

Gailletré. — Étui à aiguilles. Pratte me enne aiveuille, fa b'du me 
gaiUetré; prête-moi une aiguille, j'ai perdu mon étui. 

Guarguélére. — Œsophage. Je vCa ro que de le guarguélêre daus 
m'n'aissiétte; je n'ai que des morceaux d'œsophage dans mon assiette. 

Gatiouz. — Chatouilleux. Qui qu'a gatioux a jaloux; celui qui est 
chatouilleux est jaloux (proverbe). 

Gauya-moudà. — Qui mord quand on le caresse. Ne vé mé aivo U, 
c'a tfi gauyo'moudâ; ne va pas avec lui, c'est un traître. 

Gauyé. — Caresser. Gauye le in po, ei fainmeré courant; caresse-le 
un peu, il t'aimera bientôt. 

Gihhe. — Maladie de la peau. Notte derré effant é le gihhe; notre 
dernier enfant a le feu au visage. 

Glitte. — Trio. Voilà enne baUe glitte, ma foué; voilà un beau trio, 
ma foi. Ce terme s'emploie surtout quand on joue aux cartes. 



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GLOSSOGRAPHIE DES PATOIS DE L* ALSACE 163 

Onia-gnia. — Lambin. Vé-t-o vê, gnia-gnta, tè me fas mau; va-t-en, 
lambÎD, tu me fais mal. 

Gouaille, gouailloux. — Goguenarder, goguenard. Né le creyi wt, 
c'a în goumUoux; ne le croyez pas, c'est un goguenard. 

Godancié. — Leurrer. Ei promet bié de pouayé, mas et ne fat que 
de nos godancié; il promet bien de nous payer, mais il ne fait que nous 
leurrer. 

Golaye. — Bouchée. Lé halle tâte, nos o ferons das bouonnes golayes; 
la belle tarte, nous en ferons de bonnes bouchées. 

Gomé. — Voir le mot bénau qui a la même signification. 

Gouine. — Femme légère. Lé fomme Diauda n'a qu'ennegouine; la 
femme de Claude n'est qu'une gueuse. 

Gouya. — Flaque d'eau. El é chu daus în gouya; il est tombé dans 
une flaque d'eau. 

Grabon. — Résidu du saindoux. Faut vouada das grevons pou le 
beudîn; il faut conserver des résidus de saindoux pour le boudin. 

Grahela. — Caqueter. A os gelines gràhelot, elles vourîn euihhi; nos 
poules caquettent, elles voudraient sortir. 

Greile. — Col de chemise. Lé greile dé m:^ chemihe n'a mi raidde 
cMsa; le col de ma chemise n'est pas assez roide. 

Gritasse. — Nostalgie. Lé gritasse fat das foulés meurt; la nostalgie 
fait quelquefois mourir. 

Gritoux. — Qui a la nostalgie. I seus &tV gritoux de mé fomme; je 
suis bien peiné de la perte de pa femme. 

Grouyé. — Grelotter. Bâtisse é las fiéves, ei gronye di grand de U 
jonnaye; Baptiste a la fièvre, il grelotte toute la journée. 

Grûnei. — Se dit du bétail quand il fait entendre un faible gro- 
gnement. Notte MaeéUe n'a mi contente, eUegrâm.' notre Mazelle (vache) 
n'est pas contente, elle grogne. 

Guéné. — Noyau. Quand o minge das ceréhes, et ne faut mi aivàla 
las guénés; quand on mange des cerises il ne faut pas avaler les noyaux. 

Guériatte. — Foie, poumon. Eeppoutte nos enne guéreatte pou le 
seupei; rapporte-nous un foie pour le souper. 

Gusei. — Hésiter. Ça hiè lé pouonne dé tant gusei; c'est bien la 
peine de tant hésiter. 

H 

Halbrand. — Étourdi, hâbleur. C'a în grand haXbrand, o ne pieut 
compta Khau lé; c'est un grand hâbleur, on ne peut compter sur lui. 



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164 REVUE D'ALSACE 

Haye. — Aller en avant. I ne seros pus hayé, i seus trop lassa; je 
ne saurais aller pins loin, je suis trop las. 

Haye! — Interjection. Hne! 

Halié. — Disjoint par la chalear. Dehhauds îebut êlè cave qu'ei ne 
haliésife mi; descends le cuveau à lessive à la cave pour qne le soleil 
ne dessèche pas les douves. 

Halveiche. — Pomme sauvage. Nos pourrons fâre de îè pique, nos 
ons to plein de halveiches; nous pourrons faire la piquette, nous avons 
beaucoup de pommes sauvages. 

Hana, hané. — Chose, machin. Que hana gué te nos dis ? que nous 
dis-tu là? 

Hamouaye, — Brouet pour le bétail. Le hamouaye a-t-éUe cueute? 
le brouet du bétail est-il cuit? 

Hanhhiatte. — Lampe mobile sur un pivot. Prauds lé hanhiatte 
pou revoëtié desos le tawye; prends la lampe mobile pour regarder sous 
la table. 

Haquiè. — Bégayer. Ça fat mau de Vouyé^ ei haquie trop; ça fait 
mal de l'entendre, il bégaie trop. 

Harganda. — Faire du bruit à la porte de quelqu'un. Qui a-ce gué 
viet harganda è notte euhhe as houreS'Ci ? qui donc vient faire du bruit 
à notre porte à cette heure ? 

Hargotta. — Secouer. Venna toci te hargotterés lé beusse; viens ici, 
tu agiteras la baratte. 

Hasse. — Peine. Té né n'es mi pou U hasse; tu n'en a pas pour la 
peine. 

Hasses. — Boutades. A n'o fat gué poua hasses; il ne travaille que 
par boutades. 

Hassioux. — Qui agit par boutades. 

Heuché. — Appeler quelqu'un. Pou gué fâre lé heuché? à quoi bon 
l'appeler. 

Hatta. — Secouer le chanvre à l'intérieur d'un tonneau. Notte mâle 
a bouo è hatta; notre chanvre est bien pour qu'on prenne la graine. 

Heboua. — Goulu. El a héboua comme enne béte; il est goulu comme 
une béte. 

Hela. — Écosser. Je m'aimuse ei héla das fouèves; je m'amuse à 
écosser des fèves. 

Helaida. — Éclair. Ei fat das gros helaidas; il fait de gros éclairs. 

HelJi. — Montant d'échelle. trove dans lé Rèzelle das balles pinesses 
pou das hellis; on trouve dans la Hèzelle (forêt) de beaux épicéas 
propres à faire des montants d'échelle. 



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GLOSSOGRAPHIE DES PATOIS DE l'ALSACE 165 

Helole. — Traîneau. 

Helolé. — Glisser snr la glace. Je té deffattds de n'alla heîoïé hhou 
lé révère; je te défends d'aller glisser sur la rivière. 

Helongnié. — Élaguer. Las àbefi de notte pra ont bso d'été helon' 
gniés; les arbres de notre pré ont besoin d'être élagués. 

Heulei. — Avaler goulûment. El é heulei %n ieu comme enne geîtne 
în enveu; il a avalé un œuf comme une poule avale un orvet. 

Heutei. — Donner des couds de corne. Te virés attx champs, mas ne 
let/e mi las vèches se heutei; tu iras garder les vaches, mais ne les laisse 
pas se donner des coups de corne. 

Herpeuyé. — Travailler vite et grossièrement. Beibert a bouo pou 
herpeuyé, mas ei ne fat ro de bé; Lambert est bon pour bâcler une 
besogne à la hâte, mais il ne fait rien de bien. 

Hemeu. — Être prêt. Tiès te hemeu pou heut houres; tiens-toi prêt 
pour huit heures. 

Hott ! — (Interjection) à droite ! 

Hota. — Cesser. Mas hoti doty vos me feyi mau; mais finissez donc, 
vous me faites mal. 

Houa. — Crier. Howye ca în po pus duhhe, o ne fouye mi; crie 
un peu plus fort, on ne t'entend pas. 

Houyerand. — Criard. 

Hovard. — Fouillis, amas de choses disparates et encombrantes. 
Se mamnège n'a qu'în gros hovard; son ménage n'est qu'un vrai fouillis. 

Hénln. Couteau qui sert à achever les dents de râteau. 

Houé. ~ Herminette. 

Hovenié. — Se remuer et bouleverser. Et fat méchant gère aivo lé, 
ei hoveigne totte îè neut; il fait mauvais coucher avec lui, il s'agite et 
défait le lit toute la nuit. 

Hoveniège. — Travail mal fait, en jardinage: labour fait comme 
par des sangliers. Las pouhMs ont fat în bé hoveniège dans notte moua; 
les cochons ont joliment bouleversé notre jardin. 

HH 

Hhà, hhahhe. — Sec aride. Ça z-a biè hhâ neumi dot 9 le temps est 
bien sec n'est-ce pas ? 

Hha. — Petite écluse de bois. Papa a petti i pra pou lova Icts hhas; 
papa est parti au pré pour lever les petites écluses. 

Hhada. — Édenté. Ça le deipouarre tôt piein d'été hhada; ça le 
dépare beaucoup d'être édenté. 



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166 REVUE D*ALSÀCE 

Hhammoua. — Chasser en agitant un objet. Vé-t-o-z-o hhammoiia 
las gélines de notte moua; va- t'en chasser les ponles de notre jardin. 

Hhattela. — Gratter la terre, se dit des ponles. Noite grosse cove- 
rasse a diale pou hhattela; notre grosse convense est enragée pour 
gratter la terre. 

Hhaudde. — Bardean. Le vot nos é aurnmownna dos hauddes; le 
vent nous a enlevé des bardeaux. 

Hhauyé. — Glisser. ne serreu chemnei le min d, ei fat trop 
hhawyan'; on ne peut marcher ce matin, il fait trop glissant. 

Hhaye. — Fourrage que le bétail met de côté quand il ne veut pas 
le manger. Nos vekhes n^aimnot vottau le vie fouo, elles o font das hhayes; 
nos vaches n'aiment guère le vieux foin, elles le jettent de côté. 

Hh'câfe. — Cosse de pois, de fèves. Las hh'câfes de bsés, quand 
elles sot saches, sot houonnes pou beiïlé de le couleur y pot-au-feu; les 
cosses de pois séchées sont bonnes pour donner de la couleur au pot- 
au-feu. 

Hh'couaufe. — Écorce. Vos es in hé mouau dé hh'couaufes; vous 
avez un beau tas d'écorces. 

Hh'caloffe. — Pelure. Ei ne faut mi hiâde vos hh'caloffes dé toupis; 
il ne faut pas perdre vos pelures de pommes de terre. 

Hh'conçant, hh'concié. — Couchant, se coucher, en parlant des 
astres. I sélo hWconçant; au soleil couchant. 

Hh'couhhaut. — Planches prises sur le tour des bûches. Doux 
traus hh'couHhauts me varîn bien è teille; deux ou trois planches gros- 
sières me seraient bien utiles. 

Hh'coutrou. — Ébauchoir. 

Hh'cueupatte. — Salive. 

Hh'cueupei. — Cracher. Lé voitte^ ei hh'cueupe daus se soppe; le 
sale, il crache dans sa soupe. 

Hhéyé. — Gaspiller. ne douyefmas ro hhéyé; on ne doit jamais 
rien gaspiller. 

Hheullei. — Manquer un but. Te Vés hheuUei, tant pés pou ti; tu 
l'as manqué, tant pis pour toi. 

Hhennei. — Battre, rosser. El a è train de hhennei se fomme; il est 
en train de battre sa femme. 

BUiindié. — Sanglier. Las hhindiés ont reivouauché notte nieu leu 
de toupis; les sangliers ont ravagé notre nouveau champ de pommes 
de terre. 

Hhivei. — Se dit de la neige quand elle tombe chassée par le vent. 



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GLOSSOGRAPHIE DES PATOIS DE l'ALSÀCE 167 

Mas voyi dot comme ça hhtve: regardez donc comme le vent chasse la 
neige et Tentasse. 

Hhivèye. — Banc de neige entassée par le vent. 

Hh'natte. — Menu morceau. ne pieut cherpettei saus fâre das 
hh'nattes; on ne peut charpenter sans faire des débris. 

Hh'pavrou. — Qui s'épouvante d'un rien. Votte chévau a trop 
hh'pavrou; votre cheval s'épouvante trop facilement. 

Hh'penpi. — Sevrer. Nos os în bé petit vé, /a bien envie de lé 
Kh'penni; nous avons un beau petit veau, j'ai bien envie de le sevrer. 

Hh'peurri. — Perdre son poil. Quand las bétes hh'peurrot, elles né 
sot mi battes; quand le bétail perd son poil, il n'est pas beau. 

Hh'pieulle. — Outil de fileur, de tisserand, qui sert à monter les 
bobines. 

Hh'ponce. — Ruelle du lit. Ei me boûce tocoué dans lei hh'ponce; 
il me pousse toujours dans la ruelle du lit. 

Hh'pougéye. — Fruits tombés de l'arbre avant leur maturité. Le 
vot nos é fat enne balle hh'pougéye lé neut ci ; le vent nous a abattu 
beaucoup de fruits cette nuit. 

Hhervieulle. — Ravine creusée par une avalanche. N'y è eu iraus 
mouauhons b'dttes daus lé hhervieulle; il y a eu trois maisons enfouies 
par l'avalanche dans un ravin. 

Hh'tàle. — Écurie . Es-te naUié lé hh'tâle ? as-tu nettoyé l'écurie ? 

Hhion. — Partie longitudinale d'un champ. Nos os fat în bouo 
hhion le main ci; nous avons fait un bon coin du champ ce matin. 

Hh'pouérié. — Nettoyer un pré. Nottepra é bié b'so d'été hh'pouérié; 
notre pré a bien besoin d'être nettoyé. 

HhHaussin. — Gouttière d'un toit. Ne démoure mi d^sos lé hh'taus- 
sin\ ne reste pas sous la gouttière. 

Hh'tausse (è le). — A l'envi. Eicourot è U hh'tausseVine déVaute; 
ils courent à l'envi l'un de l'autre. 

Hho. — Giron. Venna daus me hho ; viens dans mon giron. 

Hhobe. -— Creux, fôlé. Me sola de bos sienne U hhobe; mon sabot 
résonne comme s'il était fendu. 

Hhtio, stio. — Nœud. Fa în hhtio è te moucheuille dé pouche; fais 
un nœud à ton mouchoir de poche. 

Hhtérnl. — Mettre de la paille sous le bétail. Es-te ja hhtérni le 
sa ci? as-tu déjà mis de la paille sous les bêtes, ce soir? 

Hhtérvoua. — Enlever le fumier de dessous les bêtes. Ei faut ca 
hhtérvoua dans seupei ; il faut encore ôter avant souper le fumier qui 
est sous le bétail. 



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168 REVUE D*ALSÀCE 

Hhtronfa. — Vanter. Te n'es mi hso de tant té hhtronfa; tu n'as pas 
besoin de tant te vanter. 

Hhovaye. — Plein le giron. Jfa reppoutta enne hhovaye dé liarhe ; 
j'ai rapporté une brassée d'berbe. Ce terme équivaut à peu près au mot 
brassée, mais signifie plutôt la charge qu'une femme peut apporter 
dans ses jupes. 



Ive. — Pis de vache. VoUà enne vèche qu'é în hé ive; cette vache a 
un beau pis. 



Jaguenié. — Déchiqueter, mordiller. Votte (M éjaguenié me chèpé; 
votre chien a déchiqueté mon chapeau. 

Jalaude. — Outil de fileur, qui sert à faire les écheveaux. 

Jambotta. — Piétiner. Notte charmomte a pratte è fâre vé, elle 
aihanche dé jambotta; notre charmante va faire veau, elle commence à 
piétiner. 

Jauhhena. — Germer. Nos toupis ontjajauhhena; nos pommes de 
terre ont déjà germé. 

Jauhhon. — Germe, rejet. JEi famé n'alla caupa las jauhhons de 
nas couachés; il faudra aller couper les rejets de nos pruniers. 

Jotte. — Chou, Je vés fâre de îèjotte pou le deijûn; je vais faire des 
choux pour le dîner. 

Jouvaye. — Pièce de bois où sont fichés les piquets auxquels sont 
attachés les bestiaux à l'écurie. 

K 

Kessate. — Écuelle de moyenne grandeur. Je ne ieu qu'enne Kes- 
sotte de lacé pou me seupei; je ne veux qu'une écuelle de lait pour mon 
souper. 

(A suivre.) 



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UN PHYSIOCRATE TOURANGEAU 

EN ALSACE ET DANS LE MARGRAVIAT DE BADE 



CHARLES DE BUTRE 



1724r-1805 



Suite^ 



M. de Butré ne séjourna pas longtemps à Carlsruhe, après 
y être revenu en automne 1784. Dès le 8 novembre nous le 
voyons reprendre le chemin de Strasbourg," et s'y installer 
pour quelques semaines. Il s'y occupe principalement des 
préparatifs du grand voyage qu'il médite de faire à la capitale 
et à ses propriétés de Toiiraine, après avoir demeuré près de 
sept ans à l'étranger. Enfin tout est prêt, sa malle achetée et 
remplie de beaux habits neufs,' son cabriolet réparé, son 
domestique arrivé, et le 30 décembre il quitte l'Alsace pour 

^ Voir les livraisons des 3® et 4® trimestres 1885. 

' Narrant la biographie d'un économiste, nous ne craindrons pas de 
joindre çà et là en note certains chiffres, tirés des comptes de Bntré, 
qni peuvent renseigner sur la vie matérielle d'alors. Le voyage de 
Carlsrahe à Strasbourg lui coûtait d'ordinaire 27 à 30 livres, et se 
faisait en deux jours. 

' Sa malle coûtait 50 livres ; sa garde-robe comptait entre autres, un 
habit de castorine (84 1.), un habit bleu uni (76 1. 10 sols), un habit 
bleu brodé (97 1. 4 s.), une veste-culotte de drap bourbon (57 1. 18 s.)^ 
une veste de coton bleu et or (39 1. 8 s.) et une culotte de satin noir 
(36 1.) 



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170 REVUE D'ALSACE 

arriver à Paris le 4 janvier 1785. Nous ne sommes que fort 
imparfaitement renseigné sur le séjour qu'il lit, soit à Paris 
même, soit dans ses environs immédiats, soit encore dans ses 
propriétés riveraines de la Loire, et qui, dans son ensemble, 
dura près de six mois. Nous voyons, par quelques feuillets 
des comptes de cette époque, venus jusqu'à nous, que Butré 
vivait fort simplement et passait une bonne partie de son 
temps en visites à Montreuil, sans doute pour s'y perfectionner 
en arboriculture. Il partit pour Tours en mars, afin de vérifier 
en personne l'état de ses domaines.* A son retour il demeura 
chez le marquis de Nesle, près du Pont-Royal, et en mai nous 
le voyons séjourner six semaines à Marly-le-Roi, « dans la 
maison de Madame »,* sans que nous puissions dire à quel 
titre il jouissait de cette faveur. Il restait cependant en cor- 
respondance avec ses amis de Carlsruhe, comme le prouve la 
lettre si amicale que lui adressait à la date du 15 mars 1785, 
le baron d'Edelsheim, premier ministre et favori du margrave : 

« Vous savez peut-être, mon chérissime, que notre petit 
prince, cet enfant chéri et désiré, qui nous avait tous exaltés 
d'une joie et d'un bien-être remarquable, est mort.^ Je n'ai pas 
eu la force de vous annoncer cette triste nouvelle et nos dou- 
leurs. Vous savez d'ailleurs que dans ces mouvements extra- 
ordinaires je suis si étrangement obsédé que les forces 
d'Hercule ne suffiraient pas pour vaquer à mes plus chers 

^ Etat de mes menbles et effets dans ma maison de La Grotte, mars 
1785. 

' Alors Lonise de Savoie, femme du comte de Provence, plus tard 
Louis XVIII. 

' Il s'agit ici d'un petit-fils du margrave, du prince Charles-Frédéric, 
fils du prince héréditaire et d'Amélie-Frédérique de Hesse, mort peu 
de mois après sa naissance ; c'était l'héritier longtemps attendu, car ses 
parents n'avaient eu jusqu'ici que cinq filles. En 1786 il leur vint un 
second fils, le futur grand-duc Charles-Louis-Frédéric de Bade (1811- 
1818). 



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CHARLES DE BCTRÉ 171 

intérêts. Je puis bien dire que cette perte affligeante et les 
suites qu'elle a entraînées, m'ont percé le cœur. J'ai désiré 
en vain de me jeter entre vos bras. Il m'aurait été bien doux 
d'y trouver la consolation et le repos que j'y ai su prendre 
tant de fois. Les seules personnes véritablement touchées 
sont le margrave et le pays. Les autres se consolent, chacun à 
sa manière. . . » Passant, sans transition aucune, à des sujets 
d'un intérêt plus pratique, le premier ministre prie son cor- 
respondant de lui « expédier bien vite une douzaine de sujets 
d'abricot-pêche et autant de pieds de prunes de Tours. La 
différence dans l'emballage et le transport de cette espèce de 
marchandise est si peu de choses, entre six et vingt-quatre 
pieds, qu'il vaut mieux s'assurer de la propagation par la 
quantité. Nous diviserions alors la colonie entre Carlsruhe, 
Ettlingen et Rastatt. . . » La lettre se termine par un jugement 
assez sévère sur le grand ouvrage de Necker, sur les finances, 
qui venait de paraître.* « J'ai enfin lu très en entier et non 
sans peine, les trois tomes de messire Neiiker et je n'ai appris 
que très-peu de choses. Le livre en renferme beaucoup que 
je ne comprends point, mais ce sera excellent pour être 
discuté dans une de nos heureuses campagnes. Je vais m'en- 
dormir présentement avec le Cultivateur américain* Toute 
ma maison vous salue et vous attend les bras ouverts. . . » 

^ De V administration des finances, par M. Necker, sans nom de lien, 
1784, 3 vol. 8**. Défendn en France, le livre n'y fut pas moins vendu, 
dit-on, à 80,000 exemplaires. La raison pour laquelle Edelsheim et 
Butré parlent avec tant de dédain de ce grand travail de Pancien 
ministre, c'est que Necker y combattait avec de bons arguments Fimpôt 
unique sur le sol que réclamaient les physiocrates. 

• Les Lettres d'un cvltivaiewr américain, écrites à A. W. S,, écuyer, 
depuis 1770 jusqu'en 1781, venaient de paraître à Paris, chez Cuchet, en 
1784, en 2 vol. 8°. C'est un recueil de renseignements géographiques, 
économiques, politiques, sous forme épistolaire, entremêlés de récits 
et d'anecdotes sentimentales, dans le goût du jour. Il est dédié au 
marquis de Lafayette. Ce même ouvrage qui faisait bailler M. d'Edels- 



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17â REVUE D'ALSACE 

Butré avait sans doute aussi visité plus d'une fois son ami, 
le marquis de Mirabeau, qui passait l'hiver à Paris. Nous 
n'avons retrouvé dans ses papiers qu'un court billet de VAmi 
des hommes, se rapportant à cette époque : 

« De Paris, le 26 mai 1785. 

« J'ai dans son temps reçu, mon cher monsieur, votre lettre 
datée de Marly, et j'ai été fort aise de vous savoir échappé h 
l'air poudreux et bronzé de la capitale. Dans ce temps-là, 
j'étais occupé et absorbé de la maladie extrême et du traite- 
ment impitoyable d'une vénérable dame qui m'honorait d'une 
amitié plus que maternelle et que je respectais comme une 
seconde mère.^ En ce moment les cloches de Saint-Sulpice 
qui sonnent pour elle, me crèvent le cœur et m'obligent de 
vous quitter. Je n'ai trouvé que ce matin, en ce moment, dans 
mon cabinet, l'indication de son convoi, et ne suis pas en état 
de lui rendre ce dernier devoir. Pardon de vous entretenir de 
la sorte, j'avais été absorbé. J'ai retrouvé votre lettre et je 
vais envoyer celle-ci. Vous êtes heureux de voir la campagne 
d'assez loin pour qu'elle ne vous ait pas séché l'âme et d'être 
en un lieu où l'arrosoir supplée au ciel irrité. Venez nous 

heim, inspirait par contre une admiration tout à fait exubérante à 
Butré. Après l'avoir lu, il éprouva le besoin d'en exprimer ses senti- 
ments au représentant de la république nouvelle, à Paris. C'était alors 
Thomas Jefferson, le futur président des £tats-Unis. Ce dernier dut 
sourire, je pense, en lisant dans la lettre du baron que ses compatriotes 
étaient « un grand peuple qui a pris ses lois naturelles dans le sillon 
de ses charrues, comme Tao Chum et Yu les y avaient prises à la 
Chine, il y a plus de quarante siècles, où elles subsistent encore et 
durent autant que les siècles. » Dans cette lettre il se caractérisait lui- 
même comme <sc un chevalier français qui a consacré sa vie à défendre 
les droits des peuples envahis par tous les gouvernements. » 

* Nous n'avons pu trouver, malgré de nombreuses recherches, le 
nom de la dame dont le marquis parle avec une émotion si visible 
dans ce billet. 



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CHARLES DE BUTRÊ 173 

embrasser avant de partir pour l'Allemagne et croyez que je 
vous serai toujours tel que je fus 

a MlEABEAU. » 

Le 27 juin 1785 Butré revenait à Strasbourg et le 4 juillet 
suivant on le voyait reparaître à Carlsruhe. Tout le reste de 
Tété 1785 il fait la navette entre ces deux villes, et nous ne 
nous tromperons guère en admettant que ce qui ramenait si 
fréquemment en Alsace en ce moment, c'étaient les expériences 
magnétiques qui faisaient alors de Strasbourg une des villes 
les plus réputées dans le monde des médecins, des adeptes et 
des charlatans. 

Il s'y était formé une association nombreuse dont les mem- 
bres, présidés par le comte de Ltitzelbourg, cultivaient le 
magnétisme, mis à la mode par Mesmer, avec une véritable 
passion. Elle s'appelait la Société harmonique des Amis réunis 
de Strasbourg, et plusieurs publications du temps rendent 
compte des travaux et des théories, plus ou moins bizarres, 
de ses membres.' Une partie des archives de la société sont 
même parvenues jusqu'à nous, et ces pièces curieuses inédites 

^ Caullet de Ybaumobel, Léhrsàtze des Mesmer, Strassburg, 1785, 
8*>. — Ulbich, Zwei Briefe uber den Magnetismus, Strassb., 1786. — 
Extrait des journaux d'un magnétiseur attaché à la Société des Amis 
réunis, etc., Strasb., 1786, 8°. — Neue Beitràge zur praktischen Anweu' 
dung des thierischen Magnetismus, ete,, Strassb., 1786, 12^. — Journal 
du traitement magnétique de la demoiselle N., par M. T. D. M. 
(M. Tardy de Montravel), Londres (Strasbourg), 1786, 8^ — Suite 
du traitement magnétique de la demoiselle N., par M. T. D. M., Londres 
(Strasbourg), 1786, 8**. — Exposé de différentes cures opérées depuis le 
25 août 1785, par des membres de la Société harmonique des Amisréimis, 
Strasbourg, 1786, 8''. — Journal du traitement magnétique de Madame 
B (raun), par M. T. D. M , Strasbourg, 1787, 8^ — La plupart de ces 
volumes, provenant de la bibliothèque de Butré, se trouvent actuelle- 
ment avec ses papiers à la Bibliothèque municipale de Strasbourg, où 
nous nous sommes imposé la tâche, nullement récréative, de les par- 
courir. 



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174 REVUE d'àlsàcb 

nous permettent de nous faire une idée de l'engouement 
ridicule qui avait saisi, vers la fin de 1785, tout le beau monde 
de Strasbourg et le passionnait pour les passes magnétiques, 
le baquet mesmérien. les crises nerveuses, etc.' Il serait 
amusant d'exhiber du dossier de la Bibliothèque de l'Univer- 
sité, les lettres suppliantes de certaines grandes dames alsa- 
ciennes, demandant en grâce à être reçues dans le sanctuaire 
du nouvel Esculape. On verrait M°*" de Bœck'iin, née de 
Rœder; M"* de Reich, née de Bœcklin; M"** la baronne 
Charlotte de Bœcklin, de Rust ; M"* de Sœttern, née de Dttrck- 
heim ; M™' de Gérard, pétitionner, l'une après l'autre, pour 
obtenir leur admission, en s'engageant « sur leur parole 
d'honneur, à la discrétion la plus absolue ». Les officiers en 
garnison à Strasbourg, surtout les plus jeunes, se font égale- 
ment inscrire en masse ou réclament au moins leur admission, 
pris d'un beau zèle pour « l'humanité souffrante ».' En réalité, 
sans doute, ils tenaient avant tout à entrer en rapports plus 
intimes avec cette partie de la population féminine de la cité, 
qui demandait le soulagement de ses maux, réels ou imagi- 
naires, à des crises fréquentes, et que les adeptes les plus 
riches en fluide magnétique étaient désignés pour traiter, soit 
en séance publique, soit dans des séances particulières.* On 

^ Nous avions autrefois entrevu ces pièces en faisant l'inventaire de 
la collection Heitz, aujourd'hui réunie à la bibliothèque de l'Univer- 
sité de Strasbourg. Espérant y trouver quelque chose sur Butré, nous 
les avons parcourues en détail et nous tenons à remercier ici M. le 
professeur Barack, le savant directeur des collections universitaires, 
de la parfaite obligeance avec laquelle il a mis ce curieux dossier à 
notre disposition. Si la personnalité même de Butré ne s'est enrichie 
d'aucun détail nouveau par la lecture des papiers de la Société des 
Amis réunis, nous leur devrons au moins une idée beaucoup plus nette 
de cet état de curiosité inquiète et de surexcitation nerveuse dans 
laquelle vivait la société d'alors à la veille de la Révolution. 

* Ils appartenaient surtout aux régiments de Perche et de Berry. 

' Le3 demandes d'admission de tous ces officiers sont généralement 



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CHARLES DE BUTRÉ 175 

ne peut s'empêcher de sourire (tant la nature humaine est 
encline à croire au mal) en voyant, par exemple, M. le notaire- 
juré Mayer solliciter sa réception, a par rapport à sa femme », 
et annoncer bientôt après que M. le chevalier de Mareuilly a 
bien voulu se charger du traitement de son épouse. Non- 
seulement tous ces dignes gentilshommes alsaciens, M. de 
Lûtzelbourg, M. de Berstett, M. de Berckheim, de Schoppen- 
wihr, magnétisent à outrance leurs familles, leurs serviteurs 
et leurs paysans, mais ils dressent encore leurs valets à ce 
fatigant labeur. Il existe encore, dans le dossier que nous signa- 
lions tout à l'heure, une série de certificats, contresignés du 
secrétaire de la société, de M. Schwendt, syndic de la noblesse, 
et futur député de la ville à la Constituante. On y confère à 
différents sujets de cette catégorie, reconnus aptes, à la suite 
d'un examen, à travailler à la difiusion des lumières magné- 
tiques, l'autorisation d'opérer pour leur propre compte. Ils 
allaient porter sans doute leur savoir, fraîchement acquis, 
aux petits bourgeois de Strasbourg et au menu fretin des deux 
sexes. Des médecins en assez grand nombre, le docteur Lauth, 
le docteur Willemet, le chirurgien Ziegenhagen, se rencontrent 
sur les listes des néophytes avec des ecclésiastiques des deux 
cultes, l'abbé Diesberger et l'abbé Tellier, d'Oberbergheim; 
le curé Dupont, de Bennwihr ; le pasteur Schrumpf, d'Asswiller. 
La société entretenait des rapports avec les chefs du « mou- 
vement magnétique » à Paris, surtout avec le marquis de 
Puységur, et avec de nombreux- étrangers, principalement à 
Stuttgart^ et à Carlsruhe. Nous n'avons point, il est vrai, 

rédigées d'après un même formulaire ; l'idée « de venir en aide à l'hu- 
manité souffrante » s'y répète de la façon la plus monotone. On peut 
se faire une idée de leur activité en lisant le volume : Extraits des 
journaux d'un magnétiseur, cité tout à l'heure. Quelques-uns des noms 
les plus connus de la noblesse française se rencontrent au bas de ces 
pétitions, mêlés à une foule dé noms obscurs. 
^ C'était un M. de DUrckheim qui fabriquait à Stuttgart des adeptes 



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176 REVUE D'ALSACE 

trouvé le nom de Butré dans les pièces en question, mais il 
nous semble infiniment probable, si nous en jugeons par sa 
correspondance postérieure, qu'il servit d'intermédiaire à 
l'association strasbourgeoise, pour la faire connaître à la cour 
de Bade et dans le margraviat, oti les doctrines magnétiques 
recrutèrent d'assez nombreux adhérents, comme nous le 
verrons tantôt. 

Mais en même temps qu'il s'occupait de magnétisme, Butré 
n'avait pas abandonné ses anciennes études sur l'art hermé- 
tique et s'efforçait même de lui gagner des protecteurs for- 
tunés et haut-placés, soit pour travailler lui-même plus 
facilement à la réalisation du Grand-Œuvre, soit pour se 
procurer une influence plus considérable dans certains milieux 
aristocratiques. Car nous ne pensons pas qu'on puisse accuser 
Butré d'avoir jamais poursuivi, dans ces recherches fantasques, 
un but directement intéressé, ou d'avoir songé surtout à 
escroquer de l'argent à quelque prince ou grand seigneur 
trop crédule, en lui débitant des balivernes auxquelles il 
n'aurait pas cru lui-même. Il nous reste une pièce curieuse, 
datant de cette époque, et qui le montre, méditant quelque 
opération d'alchimie nouvelle, qui nécessitait sans doute une 
mise de fonds considérable. Nous devons supposer qu'il avait 
connu, soit à Carlsruhe, soit ailleurs, le prince de Fûrstenberg 
dont l'épître suivante répond évidemment à un appel de fonds 
préalable. La prudence un peu craintive et le bon sens de son 
correspondant princier ne durent pas être du goût du pauvre 
baron. 

« Monsieur, je vous réitère bien cordialement les remer- 

nombreax et délivrait des certificats, qui se distingaaient des brevets 
analogues, signés par les chefs de l'association, en ce qu'ils accen- 
tuaient fortement le côté religieux de ces opérations magnétiques; on 
voulait évidemment rassurer le piétisme wurtembergeois contre les 
embûches latentes du démon. Il existe une série de ces pièces au 
dossier mentionné plus haut. 



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CHAULES DE BUTRÉ 177 

cîments que je vous ay fais fajre, il y a quelque temps, par 
M. de Longschamp. Plus je pense à la proposition que vous 
avés eu la bonté de me faire et moins je me vois en état de 
seconder vos vues, car il n'y a peut-être pas de pays dans 
l'Europe, où il est moins possible qu'icy de ne pas inspirer de 
la défiance dans tout ce qui a l'air d'un mystère et je 
ne voudrais pas, pour tout au monde, être mêlé dans une 
pareille affaire, telle innocente qu'elle pourroit être, d'autant 
plus qu'il y a des gens en place qui seroit charmés de pouvoir 
trouver quelque motif pour me faire de la peine ... Au reste 
je suis tellement persuadé que toutes ces sciences occultes ne 
mènent à rien que je ne voudrais jamais m'exposer à me 
donner par là du ridicule. Il y a à Vienne un prince de 
Dietrichstein, chevalier de la Toison d'Or, et Grand Ecuyer 
de S. M. l'Empereur, qui donne dans ces études, ainsi que 
madame son épouse. Il pourroit se faire qu'il accepte avec 
plaisir les ouvertures que vous pouriés lui faire au sujet de 
Yos travaux. Il se trouve actuellement à la campagne, avec 
sa femme, sans vouloir recevoir qui que ce soit, pour s'adonner 
entièrement à l'alchimie. Je vous prie de me croire, avec les 
sentiments de considération la plus parfaite, monsieur, votre 
très-humble et très-obéissant serviteur. 

a C. E. DE FÛBSTENBEBG. 

a Dobrowitz, ce 13 septembre 1785. » 

On sait que le goût des voyages lointains, une fois contracté, 
ne se perd plus aisément et que les souffrances même de la 
vieillesse peuvent l'exciter encore, en faisant espérer quelque 
soulagement d'un changement de résidence. Butré en devait 
faire, lui aussi, l'expérience. Bien qu'il ne fût plus jeune à ce 
moment (il avait dépassé la soixantaine), il est pris d'un 
besoin de locomotion, de changement perpétuel, qu'accélèrent 
encore certaines douleurs de poitrine, dont il nous parlera 
souvent dans la suite, et qu'il doit probablement au rude et 

NouToUo Série. — 15** année. 12 



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178 REVDE D'ALS4CE 

changeant climat de la plaine rhénane, alternativement 
balayée par les vents du nord et ceux du midi. Peut-être 
aussi la société dans laquelle il se mouvait à Carlsruhe ne 
présentait-elle plus à ses yeux le même intérêt qu'autrefois. 
Un grand changement s'était fait à la cour; sa protectrice, 
la margravine Caroline-Louise était morte en 1783, et Charles- 
Frédéric vécut dès lors dans une retraite relative jusqu'au 
moment où il se décida à contracter une nouvelle union mor- 
ganatique; la résidence princière devait donc être encore 
plus maussade que d'ordinaire. 

Quoi qu'il en soit des motifs de son départ, nous voyons 
Butré se mettre en route pour Strasbourg, puis de là pour 
Lyon, dans les derniers mois de 1785, sans avoir grandement 
travaillé cette année à ses plantations ou à ses tableaux 
économiques. Il semble avoir assez rapidement gagné le midi, 
et s'être installé, pour le fort de l'hiver, à la station climaté- 
rique des îles d'Hyères, alors déjà recherchées par les malades 
venus du nord de l'Europe. Il y passa quelques semaines fort 
agréablement à l'hôtel Saint-Pierre, bien accueilli dans un 
cénacle de messieurs, assez dociles à ses leçons d'économie 
rurale, et de belles dames, enthousiastes de son enseignement 
magnétique. Beau parleur en société, bien qu'on ait de la peine 
à le croire en lisant ses lettres et ses écrits, il ravit surtout 
d'aise le cœur impressionnable d'une comtesse du Languedoc, 
M"*' de Beauregard. Dans leurs promenades solitaires sur les 
bords de la mer, il l'endoctrina si bien, lui fit de si belles 
théories sur l'âme de l'univers, le bonheur suprême et autres 
thèmes à lyrisme exubérant, qu'elle lui voua une admiration 
profonde dont les aimables témoignages se retrouvent dans 
notre correspondance. On jugera de la ferveur de l'intéres- 
sante néophyte par ces extraits d'une lettre, adressée à Butré, 
pendant qu'ils séjournaient encore tous deux à l'île d'Hyères : 

« Le 24 (janvier 1786). 

« • . . • Soyez mon guide, je vous en supplie, monsieur, j'ai le 



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CHARLES DE BUTRÉ 179 

désir le plus ardent d'être éclairée. Tracez- moi la véritable 
route de la paix et des connaissances utiles. Je veux composer 
ma bibliothèque d'après vos conseils. Je voudrais bien con- 
naître « cette culture par excellence que devait opérer 
Saturne, cette terre et ce ciel qu'il faut marier ensemble et 
dont la terre et le ciel que nous voyons ne sont que le divin 
emblème, cette lance de fer qui doit ouvrir la terre vierge des 
philosophes pour en tirer le fruit de vie. » Faut-il entendre à 
la lettre le texte du verset 54 du sixième chapitre de l'Evan- 
gile selon Saint-Jean, de la version de Saci V Alors, un catho- 
lique surtout, entendrait bientôt ce que c'est le fruit de vie, 
mais si tout est allégorique, comment entendre cela? . . . Que 
je voudrais connaître la grande opération de la puriiication 
de la nature, mais comment m'en flatter jamais puisque cette 
faveur n'est et n'était accordée qu'à un très-petit nombre de 
sages, savants, initiés ! . . . Je suis toujours prête à recueillir 
les miettes qui tombent de la table du riche. Je pense à la 
parole des ouvriers de l'Evangile, qui arrivèrent tous à des 
heures différentes, et auxquels le maître donna le même 
salaire, même à ceux de la dernière heure. Cette idée ranime 
mes espérances ; je me flatte d'être encore au milieu du jour 
et d'être assez libre jusqu'à la nuit pour réparer l'inaction de 
la matinée. . . . Peut-être aurez-vous à vous féliciter un jour 
d'avoir rendu à une nouvelle vie quelqu'un qui a des droits à 
votre estime. La mienne vous est acquise à jamais et votre 
connaissance fera une époque précieuse dans mon existence. . . 

a F.-S. — Cette lettre n'est qu'entre vous et moi. Je vous 
prie de vous rappeler de la glande de ma femme de chambre 
et de mon mal aux dents. » 

La chute du post-scriptum est un peu prosaïque et nous 
ramène sur terre, mais le reste de la lettre, dont le ton est 
sincère, donne une haute idée de la façon dont M. de Butré 
s'acquittait de ses devoirs de mystagogue et d'interprète du 
grand Hermès. 



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180 REVUE D'ALSACE 

Butré avait également profité de la proximité de Toulon 
pour entrer en rapports avec Tabbé Raynal, si célèbre alors, 
et qui résidait dans cette ville. Nous avons encore la lettre 
par laquelle l'auteur de VHistoire philosophique et politique 
des Européens dam les deux Indes le remercie de l'envoi de 
son dernier opuscule : 

« J'ay reçu, monsieur, les Lois naturelles de Vagriculture et 
de Vordre social. C'est une production qui donne à son auteur 
de grands droits à la reconnaissance publique. Vous n'enve- 
loppez pas votre doctrine de raisonnements abstraits et 
métaphysiques. Le lecteur est toujours conduit de calcul en 
calcul jusqu'à l'évidence. Un pareil ouvrage a dû produire un 
bien sensible et ce bien sera durable. 

Je ne doute pas que Monsieur le baron de Hardenberg 
n'ait recherché votre société. C'est un homme très-estimable, 
qui occupe une place distinguée dans une cour polie, instruite 
et vertueuse.' 

J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur, votre très- 
humble et très-obéissant serviteur. 

« Raynal. 

« Toulon, 12 janvier 1786. » 

Nous savons exactement le jour et l'heure à laquelle notre 
touriste quitta les îlots pittoresques où il avait coulé de si 
doux moments. C'est M°' de Beauregard qui nous l'apprend 
dans une lettre du samedi 4 février, qu'elle lui envoie poste 
restante à Lunel, et qui débute par une description de leur 
dernière entrevue. Se promenant sur la plage, elle voit le 

^ Il est bien difficile de fixer, d'après une indication si vague, la 
personnalité du baron de Hardenberg que Raynal cite ici. Il se pourrait 
qu'il fût question du futur chancelier prussien, qui avait alors 35 ans 
et se trouvait au service du duc de Brunswick. Mais rien ne nous per- 
met de l'affirmer, d'autant que la « cour vertueuse » ne nous pousserait 
pas de ce côté. 



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CHARLES DE BUTRÉ 181 

baron passer en voiture et l'arrête pour lui demander quand 
il part. Butré n'aimait pas, à ce qu'il paraît, les scènes d'adieux. 
Il se contente de lui répondre qu'on lui remettrait tajitôt une 
lettre, et s'incline, sans avouer que cette entrevue serait la 
dernière. Mais sa perspicace correspondante n'en a pas moins 
deviné la fuite, elle en a été peinée et cela lui « a donné des 
distractions à la messe. » Après ce début, légèrement boudeur, 
la reconnaissance l'emporte dans l'âme de cette Ariane ver- 
tueuse si brusquement délaissée par notre philosophe. Qu'on 
l'écoute plutôt : 

a ...Nous voudrions tous mériter vos remercîments ; il ne 
nous reste que le regret de n'avoir pas pu vous prouver les 
sentiments de considération et d'attachement que vous nous 
avez inspirés : voilà nos sentiments en corps, et en mon parti- 
culier, c'est de la vénération, c'est la confiance la plus vraie 
en vos conseils, en vos lumières, c'est le désir d'en recueillir 
quelques étincelles, c'est celui que vous veuilliez bien en 
laisser arriver quelquefois jusqu'à moi, soit par vos lettres, 
soit par vos ouvrages. . . Croyez, monsieur, que je désire bien 
vivement vous y revoir (à Hyères) et répéter avec vous des 
promenades agréables, où votre esprit fécond et lumineux 
savait présenter à mon intelligence les tableaux les plus 
sublimes, et où votre belle âme animait et élevait la mienne 
jusqu'à son créateur, sans crainte et sans entraves . . . Que 
l'univers est agrandi à mes yeux! Quel nouvel ordre vous 
m'avez fait entrevoir! Mais j'avais bien besoin de vous encore, 
vous m'avez échappé trop tôt et ma seule consolation est que 
vous reviendrez . . . 

a Avez- vous été content du traitement à Toulon?* Y fait-on 
des somnambules V Alors j'irai sûrement les voir. Plût à Dieu 

* Nous sayons par les papiers de la Société des Amis réunis qu'il y 
ayait dans cette ville un groupe d'adeptes de MM. Bergasse, de Puy- 
ségur, etc., qui opéraient des cures magnétiques, sous la direction d'un 
M. de Materai (?). — Lettre du 20 mars 1787. 



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182 REVUE D'ALSACE 

que pendant votre séjour à Hyères on en eût eu quelqu'une. 
Alors vous auriez travaillé à ma santé en connaissance de 
cause. . . * 

a . . . N'oubliez pas que vous m'avez promis de me donner de 
votre élixir pour les dents ; je voudrais bien avoir de celui 
qui est bon pour l'estomac; faites-moi part de tous les trésors 
que vous pouvez me communiquer. Je les recevrai avec une 
extrême reconnaissance. 

«... Que ne me demandiez-vous des oranges pour votre 
route ?» 

Butré ne s'était pas arrêté longtemps à Toulon, où il avait 
trouvé « l'instruction magnétique bien faible » ; après avoir 
rendu visite à Malouet, alors intendant du port, et depuis l'un 
des plus éloquents défenseurs de la royauté constitutionnelle 
à l'Assemblée nationale, il s'était dirigé sur Montpellier. En 
route il recevait encore une lettre de M""' de Beauregard, qui 
lui donnait des nouvelles de la société d'Hyères • et l'engageait 
vivement à se réclamer d'elle et de son mari, auprès de 
M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc et du commandant 
militaire de la province, le vicomte de Cambis. Mais Butré 
n'était pas à toute heure un être sociable et il ne paraît guère, 
à en juger par les fragments de ses comptes de voyage, qu'il 
se soit longuement arrêté dans ce séjour hospitalier. Il pré- 
féra étudier les vignobles du Bas-Languedoc, puis remonter 

' On avait besoin du concours des somnambules pour s'éclairer sur 
l'état intérieur des sujets mis en crise magnétique; elles décrivaient 
l'état pathologique des différents organes et guidaient ainsi les appli- 
cations du fluide magnétique. On en trouvera de curieux exemples dans 
le Journal d^un magnétiseur strashourgeois, déjà cité. 

* « Rien de neuf à Hyères. M. de Manneville est encore bien enfoncé 
dans l'ordre secondaire. L'écuyer de Saxe-Gotha et son ami se sont 
embarqués pour Nice. Les autres étrangers sont toujours malades et 
hypocondres ; ils sont vraiment plaisants avec leurs maux et leurs 
remèdes de chevaux. » 



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CHARLES DE BUTRÉ 183 

vers Nîmes, d'où il gagne Avignon, et se dirige vers Lyon, 
qu'il avait traversé déjà, au début de son voyage. L'aimable 
comtesse qui tenait à procurer partout un bon accueil à son 
vénéré maître, l'avait vivement pressé de visiter en chemin 
des parents à elle (un frère sans doute ainsi qu'une belle- 
sœur), qui demeuraient au château de Vallières, sur la paroisse 
de Saint-Georges, à une lieue de Villefranche-en-Beaujolais. 
Butré obtempéra à ses sollicitations réitérées, mais il ren- 
contra là-bas un milieu réfractaire à ses enseignements my thico- 
mystiques. Il y a dans sa correspondance une lettre d'une 
comtesse de Vallières, datée de ce château, le 2 avril 1786, et 
répondant à une communication du baron, peut-être à l'envoi 
de son Objet de la mythologie, qui est écrite sur un ton bien 
diflérent de celui des épîtres de M"" de Beauregard. Elle lui 
déclare que ses instructions et ses écrits sont trop savants 
pour ses connaissances bornées et que « le Grand-Œuvre, 
c'est pour elle la connaissance de Jésus-Christ, puisée dans 
une traduction de la Bible, qui règle ses études depuis son 
enfance. Une intention pure, en lisant ce dépôt des premières 
connaissances, y découvre une vraie mine d'or. » Il faut 
ajouter que cette dame, si peu accueillante, était une dame 
chanoinesse de Remiremont, ce qui nous explique son zèle 
religieux, si rare à cette époque, même dans le monde des 
chanoinesses et des religieuses. 

Après avoir encore visité Besançon, notre voyageur rentrait 
enfin à Strasbourg, le 3 avril 1786, et passait ses premiers 
jours de repos à y communiquer à ses amis ses impressions 
sur les cures magnétiques qu'il avait étudiées dans son voyage. 
Nous voyons combien ces questions l'intéressaient alors par 
une lettre qu'il écrit, presque au débotté, à l'avocat Bergasse, 
un des principaux champions des doctrines du magnétisme 
animal, avant de jouer un certain rôle à l'Assemblée consti- 
tuante, en 1789. Elle est datée du 10 avril, et renferme 
quelques, traits autobiographiques intéressants. 



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184 REVUE D'ALSACE 

« Occupé toute ma vie des différentes connaissances que 
l'homme pouvait acquérir, l'art de la santé n'a pas été l'un 
de mes moindres travaux. La médecine vulgaire ne m'a pré- 
senté que de vagues et incertaines conjectures. Le régime a 
toujours été ma sauvegarde, à l'aide de quoi la nature a 
toujours triomphé aisément de quelques dérangemens qui me 
sont survenus dans le cours de soixante années. Je vis en 
1777 M. Mesmer, à la cour de Bade, lorsqu'il y passa pour se 
rendre à Paris. Il me donna ses 27 propositions sur le magné- 
tisme animal, sur lesquelles je fis alors quelques observations 
pour en prouver la futilité. Ensuite le magnétisme animal 
commençant à faire quelque bruit, et étant venu à Paris en 
janvier 1784,* je fus voir M. Gébelin,' mon ami, qui me donna 
sa belle lettre ' et me raconta sa guérison. De là je fus chez 
M. Mesmer, à qui je rappelai notre entrevue en Allemagne. 
Il me donna quelques ouvrages sur sa doctrine et je le vis 
plusieurs fois pendant les deux mois que je restais à Paris. 
Etant allé en Touraine, j'en revins à la fin d'avril et trouvai 
alors tout Paris se jetant chez M. Mesmer et notre pauvre 
ami Gébelin, qui y était mourant et à qui je crus bien faire 
mes derniers adieux, ce qui arriva quelques jours après mon 
départ. 

« Revenu à Paris, en janvier 1785, j'appris les belles cures 
de Buzancy, la découverte du somnambulisme; on me donna 
le livre du marquis de Puységur et ce fut alors pour la pce- 

* Nous n'avons point parlé de ce voyage de Butré à Paris, n'en ayant 
point trouvé d'autre trace dans ses papiers, en dehors de cette phrase 
unique. Il fut en tout cas de courte durée. 

* Il s'agit de Court de Gébelin, fils du célèbre ministre protestant du 
Désert, Antoine Court, et connu lui-même par son volumineux ouvrage 
sur le Monde primitif. Court de Gébelin mourut en effet à Paris, le 
10 mai 1784. 

* Il avait composé un écrit sur le magnétisme qui fit beaucoup de 
bruit. 



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CHARLES DE BUTKÉ 186 

mière fois que je pris un vif intérêt au magnétisme, dont 
l'abus qu'on en avait fait, m'avait fort éloigné. Je fus voir 
Mesmer qui me fit voir une somnambule, et je fus introduit 
aux traitements qui se faisaient chez lui. Surtout je fis 
connaissance avec M. le comte Maxime de Puységur, qui me 
permit de suivre le traitement qu'il avait chez Mesmer. Je 
lus toutes les brochures agréables et intéressantes qui cou- 
raient alors sur le magnétisme, mais je ne trouvai nulle part 
une théorie satisfaisante. Surtout dans les cahiers de Mesmer 
qu'on me communiqua, je mis des notes qui prouvaient une 
contradiction manifeste avec les principes les plus clairs de 
la physique et de la chimie. Je trouvai votre théorie mieux 
liée et plus étendue, mais il y avait deux assertions fonda- 
tnentales qui n'étant pas justes, j'y fis des notes et des 
remarques, me proposant d'en conférer avec vous. Mais ayant 
pris un rhume sur le pavé de Paris, et fatigué de ce chaos, je 
fus à Marly, me reposer dans une superbe maison de Madame 
et, oh me trouvant si agréablement, j'y restai six semaines. 

« Ce fut là d'oti j'écrivis à M. Mesmer et d'où je lui fis 
passer une lettre que j'avais écrite sur les observations que 
j'avais faites à votre théorie, en le priant de vous la faire 
passer. Je reviens à Paris et cours pour vous voir; on me dit 
que vous étiez à la campagne et je fus obligé de repartir pour 
l'Allemagne. Je vis le marquis de Puységur en passant à 
Strasbourg et j'y revins passer le mois d'août voir le traite- 
ment qu'il y avait établi et les belles cures qu'il y faisait. 

« En novembre dernier je suis allé passer l'hiver à Hyères, 
en Provence, oîi j'appris le traitement et l'instruction établie 
à Marseille par M. votre frère.* Je voulais y venir pour le 
voir, mais pressé pour me rendre dans le Bas-Languedoc, je 

* Cette société de MarseiUe, dirigée par Bergasse jeune et Martin, 
était également en correspondance avec les Amis rmnis de Strasbourg. 
(Dossier de la Bibliothèque de l'Université.) 



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186 REVUE d'àlsace 

ne l'ai pu, et en passant par Aix on m'en a fait beaucoup de 
détails ...» 

Butré termine sa lettre en racontant à Bergasse, qu'en 
arrivant à Strasbourg, il y a trouvé son ouvrage sur ou plutôt 
contre Mesmer, qui séparait alors les adeptes du magnétisme 
animal en deux camps rivaux. Il félicite l'auteur de son 
travail, mais lui conseille de cesser ces luttes qui agitent et 
empoisonnent l'existence et « de mettre du calme et de la 
sérénité dans votre âme; ensuite la vie de la nature perfec- 
tionnera certainement le reste, parce qu'il n'est pas en elle 
d'être malade. » 



VI 

Quelques jours plus tard, le 19 avril 1786, Butré arrivait 
enfin à Carlsruhe, et reprenait pour quelques mois le collier 
de courtisan et sa tâche d'inspecteur-général des parcs et 
vergers princiers. Ses obligations oiBBicielles le firent circuler 
tout l'été entre Ettlingen* et la résidence du margrave; il 
entreprit même des excursions plus longues, qui le condui- 
sirent jusqu'à Francfort et Mayence. Mais il revenait entre 
temps à Strasbourg, où les expériences magnétiques faisaient 
plus que jamais fureur. Elles l'arrachaient fréquemment à 
ses plantations de pêchers -nains et de poiriers, qu'il faisait 
venir en masse des environs de Paris, pour en orner les 
domaines du margraviat.* Il ne faut pas croire pourtant qu'il 

* Ettlingen, dont le nom va revenir fréquemment sous notre plume, 
est une petite ville de 4 à 5000 âmes, située à l'entrée de la pittoresque 
vallée de l'Âlb, à deux lieues environ au sud de Carlsruhe. Elle possé- 
dait une résidence margraviale, vaste quadrilatère, orné d'une tour, 
construit par la margravine Françoise-Sybille- Auguste, au xvii" siècle, 
entouré d'un parc splendide; en 1805 on en fit un hôpital militaire. 

■ On pourrait s'étonner de ces fugues répétées, mais Butré ne tou- 
chait pour ses travaux, très assidus, pendant certains mois de l'année, 



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CHARLES DE BUTRÉ 187 

négligeât tout-à-fait son grand travail d'un cadastre écono- 
mique ; il avait rédigé et fait traduire en allemand une espèce 
d'instruction sur la manière d'opérer ses calculs préliminaires 
à la réforme de l'impôt, et la distribuait aux fonctionnaires 
de Charles-Frédéric' Tous ne lui répondaient pas sans doute 
d'une manière aussi démonstrative à son envoi que M. de 
Landsee, le grand-bailli du bailliage de Mablberg, dont nous 
avons retrouvé la lettre : 

« Mahlberg, le 3 jain 1786. 

« J'ai eu l'honneur de trouver la chère vôtre du 29 du mois 
passé, avec les cinquante exemplaires de votre Instruction 
imprimée, dont j'ai envoyé hier deux exemplaires à chaque 
village de mon grand-bailliage avec l'ordre que les préposés 
s'en instruisent bien et qu'ils en donnent une juste idée à 
leurs gens, pour les mettre en état qu'ils puissent répondre 
avec connaissance de ce qu'il y a question dans les conférences 
que vous allez avoir avec eux. J'ai donné de ces exemplaires 
à toutes les autres oflSciants ici, aussi ecclésiastiques. J'attends 
avec impatience le moment de vous embrasser ici, ma femme 
de même, qu'elle vous joigne bien ses compliments. » 

Nous voyons les traces de cet antagonisme latent, fort 
naturel d'ailleurs, et justifié plus tard par les progrès de la 
saine économie politique, qui rendait les fonctionnaires du 
margrave plus ou moins hostiles au physiocrate français, dans 

que d'assez minces honoraires et on le laissait dépenser son propre 
argent à Ettlingen, sans grand scrupule, au profit du souverain. C'est 
ainsi qu'il achète de ses deniers, en août, quinze cents clous pour 
espaliers, et en novembre soixante pêchers -nains. Il pouvait donc se 
croire le droit d'opérer un peu en amateur et de s'absenter à sa guise. 
' Parmi le monceau de papiers accumulé dans le grenier du vieux 
Fritz, se trouvait bon nombre d'exemplaires de cette Instnœtion alle- 
mande, mais dans un état tel qu'il ne semblait pas possible de les 
conserver. J'ignorais d'ailleurs à ce moment la signification de cette 
liasse de paperasses à moitié pourries et je n'ai pu en retrouver depuis 
un exemplaire. Etiam periere ruinœ. 



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188 RETUE D'aLSACE 

une lettre que lui écrivait peu après le grand-bailli d'Emmen- 
dingen, Schlosser, le beau-frère de Gœthe, dont il avait épousé 
la sœur Cornélio. En voici quelques passages : 

« Monsieur, 

« Je passe pour un antagoniste obstiné du système physio- 
cratique ; je suis pourtant bien loin de l'être. Je n'ai jusqu'ici 
questionné * que la possibilité de l'application des principes 
de ce système et depuis longtemps j'étais curieux de voir une 
de vos levées de culture. Vous venez d'en publier une, qui, à 
ce que vous dites, doit servir de modèle et de fondement pour 
instruire les sujets. Je l'ai mûrement pesé et quoiqu'il m'en 
reste encore bien des doutes à résoudre, néanmoins j'ai pris 
la résolution de faire une levée pareille sur les bases les plus 
importantes de mon grand-bailliage. Pour cet effet je vous 
demande encore quelques petits éclaircissements que l'impor- 
tance de l'objet me semble rendre nécessaires. » 

Après avoir formulé quelques questions très nettes et 
précises, relatives à la manière dont Butré avait obtenu les 
chiffres de sa statistique (nombre des arpents d'un village, 
total des charrues, chiffre moyen des familles, etc.), Schlosser 
termine sa lettre par ces mots : « Peut-être qu'après avoir 
bien saisi vos idées, je serai à portée de faciliter votre travail 
et de prépaper vos opérations, dont le résultat me sera bien 
respectable, s'il peut contribuer au maintien de la justice, 
du bon ordre, et du bien-être des sujets de mon maître. J'ai 
l'honneur d'être très-parfaitement, monsieur, votre très- 
humble et très-obéissant serviteur 

« Schlosser. 

« Emmendingen, le 30 d'Août 1786. » 

Le voyage de Butré sur les bords du Main avait eu égale- 
ment pour but de se rendre compte de l'état de l'agriculture 
dans l'Allemagne centrale; on voit qu'il ne chômait pas trop 

^ SchIo9ser veut dire : mis en doute. 



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CHARLES DE BUTHÉ • 189 

en définitive. Il envoya sans doute à Mirabeau la description 
de cette course d'exploration, car le vieux marquis lui répon- 
dait à la date du 16 octobre 1786, par une page fort intéres- 
sante de ses propres souvenirs, relativement aux contrées 
parcourues. 

a J'ay reçu, mon cher monsieur, votre lettre écrite à votre 
retour de la tournée en Vétéravie. Notre ancien préjugé ne 
nous donnait pas ces cantons comme les plus plantureux de 
l'Allemagne. Ils nous furent fort familiers lors de nos guerres 
sous Louis XIV, depuis les Suédois, et l'opinion militaire était 
qu'il fallait passer la montagne pour trouver les pays gras et 
que le Virtemberg était le meilleur de tous. Quand ensuite 
j'ai été en Bohême, je ne me vante pas d'avoir eu les yeux 
vraiment ouverts. Nous avions traversé toute la Souabe et 
ces beaux cantons de Dilinguen ' et d'Ochstett*, etc., et quoi- 
qu'à la tin d'avril il soit encore de bonne heure pour ce pays-là, 
je ne vis vraiment rien de plus beau que ces champs du 
Virtemberg et je les comparerais aux admirables bords de la 
Garonne. Ce fut vers l'automne que nous pénétrâmes en 
Bohême, et non pas par le beau côté, venant par la Franconie, 
mais les admirables prairies que j'apercevais des hauteurs et la 
quantité de bestiaux cachés dans les bois, que nous rencon- 
trions, l'abondance dans les granges... me donnèrent une forte 
idée de l'abondance de ces riches contrées. Hélas, mon cher 
monsieur, ce fut une des choses qui m'aida le plus à rompre 
l'habitude qu'on m'avait faite depuis l'âge de trois ans de ne 
rêver, de ne voir, de ne désirer que militaire. J'avais fait la 
guerre de 1733, au milieu d'une armée de 100,000 hommes. 
On est là comme dans une ville où la grêle n'offense que les 
vitres. Mais à la suivante les armées bien moins nombreuses, 
mon âge, mon acquit accru avec le temps, me permirent de 

^ Dillingen. 
' Hochstsedt. 



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190 REVUE D'ALSACE 

voir les pleurs et les cris et les dommages. Mon pauvre cœur 
n'était pas fait pour soutenir de tels objets, ni mon âme assez 
forte pour qu'ils fussent devant moi compensés par l'idée 
qu'on se dévoue au serrement de cœur et aux travaux per- 
sonnels pour servir un jour d'efficace et puissante barrière 
à de plus grands maux. Et je me suis quelquefois caché pour 
pleurer (jugez quelle attitude à l'armée!) après m'être détourné 
et arraché à la vue de femmes hurlantes et gémissantes qui 
embrassaient les jarrets de nos chevaux. Je me rappelle qu'un 
matin nous n'avions campé qu'une seule nuit près de hameaux 
où l'on avait trouvé beaucoup de paille. Les soldats en avaient 
dans leurs tentes jusqu'au col. On dut se mettre en marche 
de bonne heure et on avait battu la générale de grand matin. 
A la pointe du jour tout était détendu; on fut longtemps dans 
l'attente, le froid piquait. Quelque soldat s'avisa de mettre le 
feu à la paille et ce ne fut que le pétillement excessif du grain 
qui nous fit appréhender que toute la ligne à la fois brûlait 
une récolte. L'indignation et la douleur saisit les officiers, on 
criait, on tâchait d'arrêter vainement. Oh, le vilain métier 
dans les détails et que ce serait un doux château en Espagne 
de pouvoir se persuader que l'univers instruit, un jour, n'au- 
rait plus besoin de braves gens enrégimentés que pour 
(prêter) main-forte à la justice ! » 

Cette lettre était adressée à M. de Butré, à VOurs noir, à 
Strasbourg; il y était de nouveau depuis la fin de septembre 
et s'y installait d'une façon plus définitive, si possible, en 
achetant un lit et une foule d'articles de mobilier ainsi qu'il 
appert de ses comptes de ménage. Il demeurait alors déjà rue 
des Bestiaux, chez le maître charpentier Daniel Fritz, sous le 
toit duquel il devait plus tard fermer les yeux. 

Les séances magnétiques des Amis réunis obtenaient à 
Strasbourg un succès toujours croissant et une demoiselle 
Vœglin y figurait comme somnambule d'une clairvoyance 
extraordinaire. Les adeptes badois se trouvaient en grand 



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CHARLES DE fiUTRÉ 191 

nombre parmi les étrangers, accourus pour être témoins de 
ces cures merveilleuses. Nous rencontrons parmi eux un 
chambellan et Oberforstmeister du margrave, M. de Kalten- 
born (?), un docteur Mahler, de Carlsruhe, un capitaine de 
Rosenfeld, etc. Mais le plus enthousiaste de ces visiteurs était 
le baron de Knebel, qui écrivait à M. de Berstett, en promet- 
tant de retourner bientôt : 

« Je ne suis pas encore revenu des merveilles que vous 
m'avez fait voir et entendre, monsieur. La découverte est trop 
intéressante pour toute l'humanité souffrante pour qu'on ne 
doive pas admirer et combler de louanges la sagesse, les 
lumières et surtout les sentiments de bienfaisance qui dirigent 
les respectables membres de la Société philharmonique. Si 
les circonstances le permettent, je compte de revenir encore 
une fois à Strasbourg et de me procurer une jouissance 
sublime au-delà de mon expression. » 

Un libraire de Carlsruhe, nommé Bœckmann, commençait 
à la même date la publication d'Archives magnétiques, dont 
les premiers numéros furent envoyés au président de la 
société de Strasbourg. Le capitaine de Rosenfeld recrutait à 
Carlsruhe même de nombreux adhérents dont il envoyait la 
liste et sur laquelle ligure, parmi de nombreux pasteurs, le 
prédicateur de la cour lui-même, M. Waltz. Un peu plus tard, 
le margrave en personne se laissait entraîner à honorer 
oflâciellement l'association des magnétiseurs alsaciens et adres- 
sait à son président la lettre suivante : 

« Carlsruhe, ce 28 juillet 1787. 
« Monsieur, 

« Je vous suis très-obligé, monsieur, ainsi qu'à tout ce qui 

compose la Société harmonique de Strasbourg, de l'attention 

que vous avez bien voulu me marquer en m'envoyant le 

second volume de vos Traitements magnétiques.^ La pujreté 

^ C'était sans doute l'une des publications énumérées plus haut, 
à la page 173, note 1. 



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192 REVUE d'alsace 

de vos vues mérite certainement des succès et vous pouvez 
être persuadé que par les sentiments que je vous porte, mon- 
sieur, et pour le bien de l'humanité, je vous souhaite les plus 
complets et les plus soutenus. Je suis, monsieur, avec une 
parfaite considération, monsieur, votre très-affectionné 

« Chables-Frédéric, margrave de Baden. » 

Ajoutons tout de suite, pour n'avoir pas à y revenir, quelques 
indications sur les derniers moments de cette société, si 
florissante pendant plusieurs années. La vogue continue 
encore pendant toute l'année 1788; parmi les initiés d'alors 
nous relevons le nom du comte de Parr, chambellan de l'Em- 
pereur, celui du comte de Brûhl, de Dresde, celui de la duchesse 
de Wurtemberg, de la douairière de Flachslanden, etc. Mais 
déjà des symptômes fâcheux montrent la crédulité publique 
en baisse. Le conseiller aulique Bœckmann écrit de Carlsruhe 
pour signaler avec indignation un entrefilet des Staatsanzeigen 
du professeur Schlœzer, de Gœttingue, qui raconte qu'un des 
médiums les plus accrédités de Strasbourg, M"® Stamm, vient 
d'accoucher de deux gros garçons; un autre correspondant 
de journal a parlé « des scènes indécentes qui se passent au 
salon magnétique ». Ne faudrait-il pas réfuter de pareilles 
accusations ? Un peu plus tard le comte de Liitzelbourg écrit : 
« Cet imbécile d'Oberkirch a forcé sa femme à faire rayer son 
nom du tableau. » D'ailleurs le charme de la nouveauté est 
passé, les Etats-Généraux vont se réunir; d'autres préoccu- 
pations assiégeront désormais les esprits de cette noblesse 
désœuvrée, humanitaire et généreuse parfois, mais toujours 
avide d'émotions nouvelles ; la Révolution va leur en fournir 
de si violentes que la Société des Amis réunis pourra sombrer 
sans qu'on songe seulement à en signaler la lin.^ 

' Nous n'avons pas besoin de répéter ici que tous ces détails sont 
empruntés au volumineux dossier de la Bibliothèque de l'Université. 
Avant de quitter ce sujet, nous copierons encore, comme spécimen de 



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CHARLES DE BUTRÉ 193 

Entraîné par le sujet, nous avons légèrement enfreint 
Tordre chronologique de notre récit; il nous faut revenir en 
I arrière, jusqu'aux derniers jours de 1786, pour retracer le 

j tableau de l'activité de Butré. A cette date nous le voyons 

reprendre le chemin du midi, tant pour soigner une santé qui 
devient capricieuse, que pour continuer dans ces parages des 
études économiques, commencées l'année précédente. Nous 
le suivrons rapidement de Strasbourg à Lyon, à Arles, à 
Béziers. En mars 1787 nous le trouvons à Perpignan, qu'il 
quitte pour Barcelone. Il séjourne pendant deux mois dans la 
capitale de la Catalogne, sans que nous puissions dire au juste 
ce qu'il allait y faire; car si nous avons retrouvé dans ses 
papiers ses factures d'auberge en catalan et le petit vocabu- 
laire français-espagnol dressé par le voyageur pour son usage 
quotidien, aucune lettre de cette époque n'a survécu. Nous 
savons seulement, grâce à sa comptabilité méticuleusement 
I tenue à jour,* qu'il revint par Toulouse et Bordeaux, s'arrêta 

quelques jours à Tours et ne fit que passer à Paris. Le 13 mai, 

la prose de ces disciples de Mesmer, un fragment de la lettre d'un 
inconnu, adressée au comte de Lûtzelbourg, datée de Paris, 15 avril 
1787 : « Ceux dont Pimagination lourde pèse en relation de leurs sens 
indolents, ceux-là ne jouissent pas ; ils approchent trop de la matière, 
ils y tiennent par tous les côtés. S'ils sont moins malheureux, quelque- 
fois, souvent, très-souvent, ils n'ont pas nos voluptueuses et saintes 
jouissances. Le bonheur dont ils sont susceptibles de jouir — quel 
triste bonheur! — ne vaut pas les larmes que nous versons sur nos 
pauvres malades, et ces larmes précieuses que fait couler la reconnais- 
sance et que nous recueillons dans notre sein . . . mon âme semble 
s'ouvrir, mais s'ouvrir pour absorber tout le bonheur dont cette idée 
trace le délicieux tableau . . . Laissez-moi jouir . . . bonsoir ... je 
jouis . . . )> Tout, jusqu'au nombre des points suspensifs, est un fac- 
similé fidèle de cette effusion bizarre. 

' Il voyageait d'une façon bien économique puisque la somme totale 
de ses dépenses pendant ce long voyage ne dépassa pas 822 livres, 
9 sols. 

Nouvelle Série. — 18"* année. 13 



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194 REVUE D'ALSACE 

il rentrait à Strasbourg, et le 12 juin suivant réintégrait son 
domicile à Carlsruhe.* L'été se passait en courses alternatives 
à Ettlingen et à la capitale alsacienne, à s'occuper de ses 
plantations et de son relevé des terres badoises, qui avançait 
avec une lenteur désespérante. Son fidèle correspondant, le 
marquis de Mirabeau lui faisait entendre à ce sujet de pres- 
santes et indiscutables vérités. Sans doute Butré se les disait 
à lui-même, mais il n'était pas le maître, semble-t-il, de faire 
avancer des travaux fastidieux, qui n'intéressaient au fond 
que peu d'esprits dans son entourage et dont lui-même com- 
mençait à se lasser. Voici ce que lui écrivait VAmi des 
hommes : 

« De Paris, le 9 aoust 1787. 
« J'aurais, en effet, été en peine de vous, mon cher monsieur, 
si je n'avais su par l'abbé Bandeau qu'il avait eu plusieurs 
fois de vos nouvelles. Non que je ne sois accoutumé à vous 
attendre et à ne pas vous suivre dans les divers déplacements 
qu'exigent vos devoirs ou que demandent vos délassements, 
mais comme je vous avais confié des choses qui m'étaient 
précieuses, je pouvais avoir quelque impatience. Je me doutais 
néanmoins de ce qui était, sachant que vous séjourniez à 
Strasbourg dans la saison propice pour votre travail précieux. 
Rien ne l'est au fond que le temps et quiconque a le talent de 
l'employer utilement en doit perdre le moins possible. Per- 
sonne n'en peut faire un usage plus favorable par la multitude 
de rapports qu'il embrasse, et la rectitude des connaissances 
qui en doivent être finalement le fruit, que vous, monsieur, 
et c'est là le véritable emploi de la vie. Nous autres mouches 
du coche nous ne pouvons que bourdonner et avertir et 

' Une des premières dépenses qu'il fit en revenant à Garlsruhe, fut 
de rembourser à M. d'Edelsheim la somme de 66 livres, avancée par 
le ministre pour les gages du valet, laissé à son domicile. L'empresse- 
ment à s'acquitter d'une dette aussi minime montre bien, ce me semble, 
que Butré n'était pas un ptqiM- assiette à la cour de Bade, 



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CHARLES DE BUTRÉ 195 

encore se trouvera-t-ii à la fin que quelques-uns auront fait 
plus d'effet qu'on ne pense. Mais vous, vous avez un terrain 
et des propriétaires de bonne volonté qui ne demandent que 
la lumière. Il ne faut ni se rebuter des longueurs et des détails 
que nous voyons que la nature même emploie à la marche 
de ses œuvres et à la distribuion de ses dons, ni rebuter ceux 
qui nous écoutent, par notre impatience sur leur lenteur à 
digérer et même quelquefois sur la mauvaise foi de leur résis- 
tance. Il faut, dit-on, frapper de la parole les Bas-Bretons, je 
le veux croire, car ils ont la tête dure volontairement, mais 
les Allemands sont si bonnes gens, je vous les recommande. 

« Je suis fort aise que le digne baron soit en état de par- 
tager vos courses pénibles en cette saison. Un compagnon 
qui a l'habitude de la langue et la confiance du pays, ne peut 
que vous être fort utile, indépendamment de l'agrément des 
soirées et du concours; mais souvenez-vous, monsieur, que 
voilà onze ans de travail dont la providence vous tiendra 
compte s'il aboutit et qui ne seront au contraire que l'acquêt 
de vos émoluments, tant que les résultats lumineux demeure- 
ront ensevelis dans leurs cahiers. Je ne suis pas au premier 
sentiment d'inquiétude en voyant que vous n'êtes encore que 
vous deux, dont l'un se détruit, l'autre se lasse, sans que j'en- 
tende parler d'aucun élève qui vous seconde. Vous pouvez 
vous rappeler que, dès les premiers temps, je vous demandais 
les besognes faites ; vous m'envoyâtes même le recensement 
de quelques villages, et je vis bientôt que cela ne pouvait se 
suivre de loin. Mais quant au précis, du moins, je n'ay plus 
rien vu ni reçu depuis et cependant depuis onze ans l'homme 
le plus capable de l'Europe travaille. Qu'y-a-t-il donc à 
attendre de nos assemblées provinciales, toutes composées 
d'aveugles, si c'est là l'ouvrage de Pénélope, le travail sans fin? 

« Je suis bien sensible aux promesses et aux soins que vous 
m'exprimez relativement à la Direction civile d'un prince.^ Je 

^ Il sera encore plus d'une fois question de ce manuscrit du marquis 



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196 REVUE D'ALSACE 

ne suis pas surpris que le griffonnage du manuscrit vous ait 
empêché de le lire pendant votre séjour à Strasbourg... 
Croyez, mon cher monsieur, que personne ne s'intéresse plus 
que moi à vos succès et à votre gloire. 

« Mirabeau. » 

Ce n'était pas, d'ailleurs, l'économie politique seule qui 
lassait à ce moment Butré, fatigué qu'il était, souffrant et 
morose. Nous retrouvons la trace d'une disposition misan- 
thropique plus générale dans quelques autres lettres écrites 
dans le cours de l'été 1787, et se rapportant à la franc-maçon- 
nerie. Il paraîtrait que dans Tun de ses récents séjours à Paris, 
notre physiocrate avait revu son ancien collaborateur en 
science hermétique Clavier-Duplessis * et repris avec lui une 
correspondance, en vue d'amener une fusion de certaines loges 
de France etd' Allemagne. Il s'était même fait affilier à celle des 
Amis réunis de Paris, mais il reconnut bientôt tout le vide 
des mystères maçonniques ; on le voit par une lettre adressée 
à M. Savalette de Lange, et traitant de questions maçonniques 
diverses. Après lui avoir exposé sa manière de voir, il ajoute : 
« Je désire fort qu'elle (ma lettre) ne soit pas communiquée 
au Couvent, ne voulant avoir de relation qu'avec vous sur cet 
objet important, la vraie lumière ne pouvant jamais se trouver 
et n'étant sûrement pas dans une société quelconque, et se 
trouvant aujourd'hui possédée par un très-petit nombre de 
particuliers isolés, qui ne viendront pas la manifester à aucune 
assemblée, bien certains de n'en recueillir aucun fruit et que 
ce serait en pure perte. Ils ne peuvent se manifester qu^à de 

qu'U avait confié à Butré pour le faire imprimer en Allemagne, aia 
d'échapper à la censure. 

^ Clavier était alors liquidateur des pensions au Trésor royal, rue 
Saînt-Honoré; la correspondance n'a d'ailleurs rien de bien cordial et 
conserve un ton froid et officiel. Il n'en subsiste que peu de lettres, 
dont il est parfois difficile de deviner le sens. J'ai cru comprendre 
qu'il s'agissait de ce que j'ai indiqué dans mon récit. 



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CHARLES DE BUTRÉ 197 

vrais clairvoyants, qui, comme eux, se sont bien pénétrés de 
la haute importance des grands mystères de la vraie science. » 
Et il terminait par cette parole mélancolique : « Parcourant 
sans cesse l'Europe, et y scrutant partout les cœurs, je vois 
avec peine combien peu l'on doit compter sur les hommes. »* 
L'hiver de 1787 à 1788 vit Butré tantôt à Strasbourg, tantôt 
à Carlsruhe, usant des deux logements qu'il y conservait en 
dehors de son appartement d'Ettlingen, s'occupant d'achats 
de plants nouveaux, soit en Alsace, soit à Paris, reprenant en 
février et en mars ses courses d'exploration du côté de Franc- 
fort, poussant jusqu'à Coblence et Weilbourg, puis revenant 
à Carlsruhe, où un changement des plus considérables venait 
de s'opérer à la cour. La lettre du marquis de Mirabeau qui 
suit, nous le fera connaître, en même temps qu'elle permet de 
jeter un coup d'oeil sur l'activité de Butré. 

« De Paris, 25 janvier 1788. 

« Votre lettre du 15 janvier, mon cher monsieur, m'a fait 
grand plaisir. Elle m'est arrivée dans le temps d'une maladie 
qui m'a tenu depuis le 18 décembre et dont la convalescence 
m'oblige encore à vous écrire de la main d'autrui. Mais comme 
j'étais en peine de vous et du pays que vous habitez, votre 
écriture ne m'en a pas moins paru favorable. 

« En eftet j'entendais parler que le margrave avait fait un 
voyage en Suisse, ensuite qu'il s'était marié, puis que le baron 
s'était retiré, chose qui me surprenait et fâchait beaucoup, et 
mille nouvelles, et de lui, à qui j'avais écrit, et de vous, qui 
me deviez une réponse. Je questionnai Dupont qui ne savait 
rien autre ; enfin, j'étais en peine sur un canton très-précieux 
à mon cœur et à mon âme, et votre lettre m'en a tiré. 

« Je suis fort aise : P de savoir la continuation de vos travaux. 
2<> de savoir que vous avez travaillé deux mois de suite dans 
un château, quoique vous ne me disiez pas à quelle besogne. 

* Lettre du 9 mai 1787. 



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198 REVUE d'alsaœ 

3*> que le margrave se soit choisi une comps^ne sur la discré- 
tion de laquelle il est sans doute assuré, car avec son âge et 
avec la sagesse de tempérament et de caractère qu'il a toujours 
eu, on ne se fait point illusion sur les qualités d'une femme.* 

« Mais surtout ce qui m'a fait le plus grand plaisir, c'est 
d'avoir tiré au clair la sage part qu'a pris le digne baron.' U 
y a longtemps que je lui aurais dit que les affaires et l'assi- 
duité de la cour tueraient un homme de bronze. « Vrai Dieu, 
disait Sully, le Roi veut donc me tuer, » quand son maître 
l'envoyait chercher trop souvent et cet homme robuste et sans 
exemple pour la force n'était mandé que pour le^ plus impor- 
tantes occasions d'un règne et d'une cour où résidaient toutes 
les affaires fermentant en Europe, toutes les passions compri- 
mées, toutes les irritations sans cesse renaissantes, les 
conjurations pleuvant de tous côtés . . . 

« Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de 
mon pauvre manuscrit. Je suis très sensible à la bonté de 
notre cher baron . . . ' Je suis fort aise que vous passiez l'hiver 
en Allemagne; jusqu'à présent il est plus doux que ne l'avait 

^ Le margrave Charles-Frédéric, touchant à la soixantaine et père 
de trois fils dont l'aîné avait déjà 32 ans et était père lui-même de 
plusieurs enfants, se remaria néanmoins en 1787. Son choix tomba, ou 
bien on le fit tomber, sur une jeune fille de 19 ans, Louise Geyer de 
Geyersberg, créée comtesse de Hochberg bientôt après cette union 
morganatique. On sait que, grâce à une série d'événements inattendus 
et restés en partie mystérieux, grâce au décès successif de tous les 
descendants mâles du vieux margrave, issus du premier lit, ce fut l'aîné 
des fils, issus de ce second mariage, qui finit par monter sur le trône 
grand-ducal de Bade, en 1830. 

* n s'agissait sans doute d'une velléité passagère de démission chez 
Edelsheim, mais qui n'eut pas de suite, peut-être par suite de l'acci- 
dent mentionné dans la lettre suivante. 

* Il s'agit sans doute de l'autorisation donnée par M. d'Edelsheim 
pour l'impression du manuscrit de Mirabeau dans une des imprimeries 
du margraviat. 



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CHARLES DE BUTRÉ 199 

été l'automne; pourvu que nous ne le payions pas après par 
Ja perte de la belle saison. Recevez tous mes souhaits de 
bonne année, santé, travail et satisfaction; c'est ce que je 
vous souhaite et bien de tout mon cœur. 

« Mirabeau. » 

Quelques mois plus tard le marquis lui écrivait une seconde 
fois, pour s'enquérir du sort de son précieux manuscrit, dont 
personne ne lui donnait des nouvelles. Cette lettre est curieuse 
surtout par l'énergie de caractère qu'elle montre chez le 
hautain vieillard, luttant contre la maladie, comme aussi par 
l'appréciation rageuse qu'il y fait des procédés littéraires et 
autres de son fils aîné à son égard. On ne se douterait pas 
en l'entendant parler avec ce mépris d'un « certain homme, 
sorti de ses reins », qu'il s'agit du grand orateur dont l'Europe 
entière allait admirer l'éloquence. 

« D'Argenteuil, le 19 mai 1788. 

« Je réponds d'autant plus promptement, mon cher mon- 
sieur, à votre lettre du 10 du courant que je ne laissais pas 
d'être en peine de n'avoir nouvelle aucune, ni de vous, ni du 
baron auquel je suis fort attaché, malgré des distractions, 
additions et soustractions et d'un pays et d'une cour, et d'un 
travail auquel je prends le plus constant intérêt. 

« Vous voulez d'abord des nouvelles de ma santé ; je me 
suis retiré à la campagne, auprès de Paris, ne pouvant m'éloi- 
gner de mes affaires ; le bon air, la paix et le régime m'y ont 
entièrement rétabli des suites de langueur de ma maladie, 
mais il m'est resté une incommodité que j'avais précédemment 
et qui s'est tournée en ardeurs d'urine fort incommodes, et qui 
me prohibent la voiture et même la promenade, si ce n'est 
dans un jardin. Le postea lahor et dolor est la légitime de ceux 
qui excèdent la septuagénaire. C'est mon cas à moi, il faut se 
résigner, mais je ne renonce pas à mes occupations et au 



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200 REVUE D'ALSACE 

travail qu'autant que j'y suis forcé, car je pense qu'obéir est 
un devoir, mais que abdiquer est autre chose. 

« L'hiver passé qui a été rare et presque unique pour la 
•douceur vous a facilité un voyage instructif plus qu'agréable; 
vous avez trouvé sous vos pas toutes les barrières qui ont 
succédé aux déserts factices dont les anciennes nations ger- 
maniques faisaient leurs frontières. Tout cela refondra avec 
le temps sous le poids des notions évaporées de l'économie 
politique qu'aujourd'hui l'on méconnaît et repousse, tout en 
invoquant l'humanité et la civilisation, qui ne sauraient avoir 
d'autre base solide. Reprehendit qui intelligitj ingratus quia 
intelleocit dit saint Augustin. 

« J'en prédis, on pense, autant de ce qui se fait ici, quoi- 
qu'on croie n'y tendre guères ; quand on est au fond du cul- 
de-sac, il faut bien revenir sur ses pas et c'est dans un autre 
rêve (?) le cas du retour de tout le reste de l'Europe civilisée 
par l'usage et l'abus des fonds publics, vers les lois de l'ordre 
ou de l'approidmation d'icelles. 

« Je suis bien fâché de l'embarras où s'est tout à coup trouvé 
le margrave et par contre-coup notre cher baron, parla chute 
d'un septuagénaire;^ c'est là l'inconvénient des hommes 
laborieux et pleins de volonté et de talent, de ne pas se former 
des successeurs, car notre plus commune et tenace, et peut- 
être nécessaire illusion, quoique chaque jour démentie, est la 
persuasion pratique de toujours être. Mais un sage gouverne- 
ment devrait prévoir ces sortes de lacunes, et en préparer le 
remplacement en silence. Quoiqu'il en soit, voilà notre pauvre 
baron remis sous le harnais. Que deviendra votre travail 
pendant cette présidence ? 

« Je me félicite de sa santé comme de celle d'un bon et digne 

* Il s'agit évidemment d'un accident arrivé à quelque haut fonction- 
naire badois, et qui arrêtait l'un des rouages de l'administration cen- 
trale; mais nous n'avons pu trouvera quel événement spécial Mirabeau 
fait allusion. 



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CHJkRLES 1»E BUTRÉ 301 

ami et vous prie de le lui dire, comme aussi de le remercier 
pour son soin pour mon édition et de la lui recommander, 
comme aussi je la vous recommande, mon cher monsieur, et 
je vais vous en dire une raison assez particulière, qui rend 
cet article plus intéressant pour moi. Un certain homme, sorti 
de mes reins pour me déchirer dans tous les sens et pendant 
tout son cours, le cœur et les entrailles, s'étant procuré une 
copie de mes brouillons dans le temps, en a fait à sa guise un 
larcin, comme il a fait de touts autres ouvrages, pris de droite 
et de gauche, et sans déguiser et changer en rien tout ce qu'il 
en a pris, il l'a collé, sous le titre i^Avis à un prince qui veut 
refaire son éducation/ à une seconde édition de certaine lettre 
du roi de Prusse.' Cette circonstance, comme vous le pensez 
bien, m'intéresse à ce que l'ouvrage paraisse en son entier, 
et je vous le recommande, mon cher monsieur, au nom de 
l'amitié que j'ai toujours tâché de vous témoigner, et par vous, 
à mes semblables. Je vous en conjure, ne négligez pas ce point. 
« L'abbé ' vous a adressé ses premiers cahiers d'Éphémé- 
rides et s'il a cessé, c'est sans doute qu'il n'a reçu ni réponse, 
ni remerciement de vous ni de personne. Il me semble que 
je l'ai ouï s'en plaindre. On est un peu trop dans votre cour 
comme le rat dans le fromage de Hollande. Il est bon et sage 
de faire le vieux rat, et quelque déguisement que prenne le 
démon de la tracasserie politique, de se tenir de fait à l'écart, 
mais îl ne faut pas fermer et portes et fenêtres et se renfermer 
dans son ressort particulier. Un homme de poids, homme 
privé, et qui finit sagement par la retraite, consei've néanmoins 
ses correspondances. Mais un prince éclairé, une cour 

' Le vrai titre de la brochure du comte de Mirabeau était : Conseils 
à tmjeime prince qui veut refaire son éducation, 1788, S^. 

' Il 8*agit d'une lettre qui fit alors beaucoup de bruit et que l'auteur 
de la Monarchie prusienne avait adressée au roi Frédéric-Guillaume II 
au moment de son avènement. 

' n s'agir de l'abbé Baudeau, l'infatigable champion de la physiocratie. 



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203 REVUE b'alsacb 

édifiante ont à cet égard un devoir bien plus positif. Je laisse 
ce chapitre et omets de dire ce que j'ai pensé à cet égard il y 
a longtemps. Mais quant aux Éphémérides, au moins faudrait-il 
un souvenir et quelque souscription du pays de Bade ; ce n'est 
pas trop exiger. 

« Adieu, mon cher monsieur, je vous recommande mon 
édition, et vous chéris et honore bien sincèrement. 

« Mirabeau. » 

VII 

Butré cependant n'avait pas retrouvé dans ses plantations 
d'Ettlingen le calme et la santé dont il avait espéré y jouir. 
Soit que la solitude dans laquelle il vivait lui pesât, soit qu'un 
hiver, passé au pied de la Forêt-Noire au lieu de l'être sur les 
bords de la Méditerrannée, eût réellement détraqué ses nerfs 
et assombri son humeur, il quitta vers la fin de l'automne 1788 
le pays de Bade, avec l'intention secrète de n'y pas rentrer 
de si tôt, comme nous le verrons tout à l'heure. Depuis le 
mois de novembre il se tenait enfermé, souffreteux et morose, 
dans son appartement de la rue des Bestiaux, à Strasbourg, 
quand le marquis lui adressa la lettre suivante : ^ 

« De Paris, le 4"" décembre 1788. 
« J'étais véritablement en peine de vous, mon cher mon- 
sieur, et de n'avoir aucune nouvelle, de vous d'abord et 
ensuite du pays que vous habitez, auquel je dois un intérêt 
particulier qui ne sort pas de ma mémoire ... Je vois que 
votre cher baron ressemble au paysan d'Horace qui attend 
au bord de la rivière que l'eau ait coulé. Au bout du compte, 
quelque ait été le métier qu'on a fait toute sa vie, il serait 
peut-être dangereux de le quitter à plat quand on y a vieilli. 

^ La correspondance de Butré ne lui était point adressée à son 
domicile chez Fritz, mais chez M. Hammerer, négociant, dans la rue 
Dauphine. C'était probablement le banquier du baron. 



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CHARLES DE BUTRÉ 203 

Sully disait que si un homme était accoutumé à recevoir 
cent coups tous les matins, ils lui manqueraient fort au jour 
ot cesserait la pénitence. Les distractions forcées loin de 
nuire à la santé, font diversion à son déchet Quant à ce qui 
est des minuties, il n'est point de ligne de démarcation entre 
elles et l'essentiel. En bien étudiant les Économies royales, 
comme je l'ai fait, on est sans cesse étonné de tous les tracas 
misérables dont un héros, supérieur à tout, entretient le 
premier des ministres, toujours le forçant à s'en mêler, 
toujours à travers des femmes, des espions et des valets . . . 

« Quand on ne peut pas planter des hommes, il faut planter 
des arbres, selon Brama et moi. Un pays déboisé est bientôt 
aride. Je suis donc fort aise que vous ayiez ainsi mis à 
profit votre convalescence. En 1734 les sottes lignes d'Ett- 
lingen me firent mourir de faim trois jours, parce que 
nous les tournâmes à pied par la montagne.^ En 1742 je vis le 
château d'Ettlingen qui me parut fort beau ...» 

Le vieux marquis parle ensuite à son correspondant des 
Etats-Généraux qui se préparent. On remarquera le ton peu 
enthousiaste du physiocrate, au milieu de l'agitation univer- 
selle d'alors. « Le temps seul, comme je le disais, il y a vingt 
ans, à notre école, amènera le redressement que nous désirons. 
Aujourd'hui ce sont les coliques qui précèdent, et de longtemps 
encore, l'accouchement. Ce serait celui de la montagne, et 
plus ridicule encore, si, dès les premières tranchées, on regar- 
dait et cherchait ce qui en est provenu. C'est ce que nos 
dissertateurs, nos philosophes et tous les fols exaltés par 
l'invitation à devenir des hommes d'état, naissant tout armés, 
comme Minerve, attendent de la première assemblée indiquée 

* Il s'agit de la dernière campagne du duc de Berwick, qui préala- 
blement au siège de Fhilipsbonrg, où il devait périr, décapité par un 
boulet de canon, essaya de tourner l'armée du prince Eugène, qui 
l'attendait derrière les lignes d'Ettlingen, en avril 1734. Eagène se 
retira sur Heilbronn pour n'être pas enveloppé par les Français. 



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204 REVUE D'ALSACE 

et qui, peut-être, au bout n'aura pas lieu. En attendant ils se 
chamaillent sur le plus ou moins de députés et autres détails 
et personne ne songe au fonds, k distinguer le maître d'avec 
le serviteur, le régnicole d'avec Vkàbitant^ etc. A leur commo- 
dité! Â tout âge je me promis de n'être jamais acteur dans la 
chose publique; le mien aujourd'hui me dispense de prendre 
part à ces choses. Quiconque, disais-je alors, voudra seule- 
ment le bien des hommes, est sûr de me trouver; tout autre 
n'a rien à en attendre. En temps de partialités, c'est se vouer 
à la solitude et quiconque vient m'y troubler, ne trouve chez 
moi que des vers sibyllins : Vous vous flattez, leur dis-je, de 
voir naître une constitution et des citoyens, parce que vous 
avez appris par bribes de belles choses, dont le résultat est 
de vous appeler le siècle éclairé, à aussi bon droit qu'un 
briquet s'intitulerait le père de la lumière, et moi je vous dis 
que vous ne savez pas un mot de ce qu'il faut pour poser des 
bases... Toute constitution, tout ordre a pour précurseur 
indispensable la révolution et l'excès du désordre. Vous y 
allez, mais vous n'y êtes pas. Il faut que le malheur précède 
la docilité et l'amène. Les ruines et le sang précéderont de 
nécessité un nouvel ordre de choses et les gouvernements 
deviendront économistes, mais pas plus tôt. Jeunesse, quand 
vous aurez mon âge, vous verrez cela. En attendant faites de 
votre mieux en votre passage et ne vous fâchez pas contre la 
déraison, car elle est œcuménique et universelle pour du temps 
encore, je vous en assure ...» 

N'est-ce pas là une prophétie bien curieuse, faite au début 
même du grand bouleversement révolutionnaire, prophétie, 
dont la « jeunesse » à laquelle parlait le vieux gentilhomme, a 
pu vérifier encore l'exactitude. Sans doute l'économie poli- 
tique que prônait VAmi des hommes n'était pas celle qui 
devait triompher en fin de compte; mais on ne saurait lui 
refuser un coup d'œil perçant dans l'avenir, puisqu'il a su 
comprendre qu'après l'ère des cataclysmes politiques s'ouvri- 



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CHARLES DE BUTRÉ 205 

rait celle des révolutions économiques et sociales que nous 
traversons aujourd'hui. 

Quatre semaines plus tard, nouvelle lettre du marquis, plus 
pessimiste encore que la précédente. 

. « De Paris, 9 janyier 1789. 
«... Attentif comme vous l'êtes à la marche de l'anarchie, 
et au désenchantement des héros du prologue d'Amadis des 
Gaules, vous devez être un peu étonné de la rapidité de nos 
progrès vers la dispersion des langues et ce qui s'en suit. Je 
suis souvent tout étonné de ce qui bruit à mes oreilles. Tout 
le monde, ou à peu près, est devenu fol et l'on croirait être 
au jour des carnavales. Quant à moi, quand ils m'ennuient 
trop je leur dis ce que je pense : P que vous n'aurez point 
les Etats-Généraux. 2° que si vous les avez, ils se sépareront 
comme viennent de faire ceux de la Bretagne, c'est-à-dire sans 
rien faire, rompant tout pour aller se chamailler en détail. 
3° qu'en supposant que, comme par miracle, il fussent d'accord 
finalement et fassent quelque chose, ce sera de la bouillie 
pour les chats, un beau rêve, sans exécution, et personne ne 
les croira ... Il me paraît clair que l'enchanteur Podagrambo 
(Necker) ou le grand prêtre Chechian,* toujours occupé de sa 
gloire, étonné de voir en rentrant à l'atelier les choses si 
différentes de ce qu'elles étaient au temps où il l'a quitté, 
trouvant la scissure un peu grande pour pouvoir être désor- 
mais ressarcie avec son baume de crédit^ a songé à se faire 
un lit de gloire, en cas de chute, et à tomber comme protec- 
teur de la bazoche française. Il est clair que c'est d'ici, et du 
gouvernement même, que sont parties toutes ces motions qui 
ont soulevé les provinces. Il est clair que la question si indif- 
férente de un ou de deux n'a été mise en avant que pour 

^ Ce sont éyidemment des allusions à un roman philosophique de 
Wieland, Der goldene Spiegel oder die Kônige von Scheschicm (1772), 
dont une traduction française avait paru quelque temps auparavant 



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206 REVUE d'alsàce 

servir de pomme de discorde.* Il est clair qu'un gouvernement 
qui, semblable à Ponce-Pilate, se lave les mains devant le 
peuple et le charge de décider, prononce la promotion de 
Barrabas et l'abrogation future de toute justice. Toutes ces 
inductions sont dans l'ordre des choses. Or un grand état, où, 
dès longtemps discutée, dédaignée et scandalisée, l'opinion ne 
tient plus à rien, et chez lequel on change et pervertit tout 
ce qui est habitude, oîi va-t-il ? Je vous le demande et vous 
me répondrez aisément. 

« Quant à l'ordre véritable des choses, que nous avons 
annoncé d'avance, et auquel finalement il faudra bien qu'on 
revienne pour sortir du pot-au-noir, le temps n'est pas venu 
encore et l'instruction n'est pas du tout à son point. Je l'ai 
dit, si la Providence eut voulu que nous fissions opposition 
et avancement, elle aurait fait arriver ces circonstances il y 
a 40 ans ; mon école était alors en force, le docteur vivant et 
nul ne nous pouvait résister. Mais le grain a été semé en son 
temps, et ce qu'il reste de semeurs ne sont plus que des inva- 
lides, ou des têtes gauchies par une suite de pactes avec 
l'impiété . . . Mais, je le répète, le grain est semé, il germera 
en son temps, et quand ceux du présent auront mon âge actuel, 
ils verront revenir aux principes économiques et peut-être les 
verront-ils triompher entièrement . . . J'achève ceci avec peine 
et vous souhaite de bon cœur la nouvelle année. Le ciel paraît 
en colère autant que les hommes en délire, mais il n'est nul 
mal qui n'ait son bien à côté. Je vous honore et embrasse bien 
sincèrement. 

(( Mirabeau. » 



* Mirabeau veut parler ici de la question, si chaudement débattue 
alors, du doublement du tiers, qui en effet n'avait aucune importance 
du moment qu'on devait continuer à voter par ordres et non par tête, 
innovation que Necker se refusait à introduire, et qui allait lui être 
arrachée. 



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CHARLES DE BUTRÉ 207 

A force d'entendre parler du grand mouvement qui se pré- 
parait dans la capitale, Butré ne tint plus à Strasbourg. 
Malgré Pétat précaire de sa santé, nous le voyons partir à la 
lin de février 1789 pour Paris. On ne saurait dire avec certi- 
tude quels étaient ses projets. Voulait-il porter des conseils 
aux puissants du jour, prêcher son évangile économique, 
essayer peut-être d'attirer sur lui l'attention du public, pour 
être mis en état d'appliquer, lui aussi, ses plans de réforme? 
On ne se trompera guère en supposant que ces idées le han- 
taient aussi bien que le soin de ses intérêts de propriétaire, 
qu'il devait alléguer plus tard. En tout cas ce n'était pas le 
repos qu'il pouvait espérer trouver en allant se jeter dans la 
fournaise oii l'on essayait de refondre alors la vieille monarchie 
française. Parti soufirant, il arriva malade et fut alité quelque 
temps. Il n'avait pas encore trouvé le temps de donner avis 
de sa présence à son fidèle correspondant, quand celui-ci, le 
croyant toujours à Strasbourg, lui écrivait à la date du 6 mars: 

«... Ce temps a été pour moi celui des atteintes les plus 
poignantes et capitales; barré sur l'exercice, traînant des 
incommodités et sans cesse billets sur billets pour le moindre 
rendez-vous (dès que) j'ai aifaire dans cette immense ville, qui 
semble livrée au déménagement sans fin, comme le flot de la 
rivière : tout cela fait couler ou rouler le temps, bien dur à 
passer pour un homme qui aime l'ordre et qui, dans une si 
longue suite d'années, n'a pas eu encore le moyen de débar- 
quer. » Il lui déclare ensuite, assez mélancoliquement, qu'il 
renonce à attirer l'attention sur son écrit, dont il a enfin reçu 
trois exemplaires, sans lettre d'avis d'aucune espèce.* a II 
pleutdes pamphlets et autres libretti, comme feuilles d'automne, 

^ Mirabeau, tout en le priant de remercier le baron, se plaignait à 
Butré du nombre de fautes d'impression dont fourmillait le texte. Il 
ne comprenait pas non plus pourquoi l'imprimeur de Durlach ayait mis 
sur le titre : « Se trouve chez le sieur Belin^ rue Saint- Jacques, Paris», 
alors que ce libraire ignorait jusqu'à l'existence de son ouvrage. 



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206 REVUE D'àLSAGE 

et ce n'est pas dans une telle saison que raison, s'il y en a, 
pourrait être entendue... Vous êtes justement étonné, et 
sans doute vous l'aurez été bien plus encore depuis, du produit 
rapide de l'effervescence publique, de la bagaude prévue et 
annoncée.^ Vous le serez bien davantage au futur, si vous ne 
vous rappelez que rien n'est si rapide qu'un feu de paille. » 
Et il termine son épître par ces conseils philosophiques: 
a II faut vivre, bien vivre, ne pas prendre les vessies pour des 
lanternes et les fusées pour des comètes, et tout espérer, de 
Dieu surtout, de la nature, son domaine, de l'ordre naturel et 
de l'aptitude naturelle de l'homme à revenir à la raison des 
choses, quand le drame des délices aura sa hn. » Il ne se 
doutait pas, assurément, combien ce drame serait long et 
combien certains actes en seraient terribles. Il ne devait en 
voir, d'ailleurs que le prologue; les lignes que nous venons de 
citer sont les dernières que nous avons trouvées dans les 
papiers de Butré, sans doute aussi les dernières qu'il lui ait 
écrites." 

Pendant que notre économiste, plus ou moins remis de ses 
souffrances, s'apprêtait à parcourir Paris, ses amis de Carls- 
ruhe n'avaient pas été peu étonnés d'apprendre, d'abord sa 
brusque retraite à Strasbourg, puis son départ pour la capitale. 
Nous trouvons un écho, très adouci sans doute, de tout ce qui 
fut dit et pensé alors à la cour du margrave, dans la lettre du 
baron d'Edelsheim, qui finit par rejoindre Butré à son domi- 
cile parisien : 

« A Garlsronhe, ce 4 mars 1789. 

« Vous m'avez causé un bien grand chagrin, mon cher 
Butré, par l'annonce de votre départ de Strasbourg. Il y a une 
contrariété très étrange dans notre destinée. Lorsque je cours 

* Bagaude, ici dans le sens général àHnsurrection, 

* Victor de Riquetti, marquis de Mirabeau, mourut à Argenteuil, le 
13 juillet 1789. Il était né le & octobre 1715 et avait par conséquent 
73 ans. 



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CHARLES DE BUTRÉ 209 

k Ettlingue, je n'y vous trouve plus. Lorsqu'après le départ 
du prince Louis, je volais dans vos bras à Strasbourg, il m'ar- 
rive la veille la nouvelle que vous en êtes parti. J'aurais cuvé 
mon chagrin entre les murs épais de notre château solitaire, 
si les neiges et les friraats ne m'avaient retenu ici. J'avais 
déjà fait chauffer trois jours vos chambres à Ettlingue ; mais 
dès que la lune change de face, et que les neiges se fondent, 
je m'établis à Ettlingue où j'en ai en attendant donné l'ordre 
qu'on couvre les murs de paillassons. J'irais alors faire fumer 
et bêcher les planches que vous m'avez indiquées pour les 
semer en petits poids (sic). Mais n'oubliez pas de nous 
envoyer ou d'apporter de la nouvelle semence, tant comme 
une bonne provision d'arbres nains ou poiriers, pommiers, 
pruniers, abricotiers et cerisiers, surtout de Montmorency, 
car vous savez que de ceux que vous avez fourni à Scheiben- 
hand,^ il ne reste que deux arbres, qui sont dérobés à jamais 
à notre participation. N'oubliez surtout point de prendre des 
notices sur un maître jardinier, car je ne perdrai certainement 
point de vue de faire changer de place à celui d'Ettlingue, dès 
que cela pourra se faire. 

« Tous ces objets, fort intéressants en eux-mêmes, ne sont 
cependant que la bouillie au chat vis-à-vis de notre grande 
opération et vous savez, mon cher ami, combien le cœur me 
saigne depuis quelques années, en considérant la froideur 
avec laquelle vous vous prêtez à la terminer. Elle m'est en 
vérité inconcevable. Connaissant à fond l'étendue de vos 
grands talents, de vos vues pour le bien, de votre dévouement 
pour l'ordre et son établissement dans un des états de l'Europe, 
j'ose le dire, de votre amitié personnelle pour moi et de votre 
envie de rendre utile mon ministère et de concourir de toutes 
vos forces pour me mettre à même d'eflectuer un projet qui, 

^ Sans doute le jardinier princier à Ettlingen, dont Butré ayait tant 
à sre plaindre, comme on yerra par sa réponse an ministre. 

NcaveUe Série. — 15-* année. U 



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210 REVUE D*ALSACB 

sans nous, restera toujours un problème. Etant certain de la 
douce consolation, de Thonneur et de la reconnaissance qui 
vous en reviendrait, comme le lot immanquable et juste de 
vos peines, je ne saurais absolument comprendre pourquoi 
vous arrêtez vous-même votre travail et rendez à jamais 
infructueux les peines que vous vous êtes donné plusieurs 
années. Vous savez bien que je ne saurais vous parler que du 
fond de mon cœur, dans lequel est ancré Tamitié la plus loyale 
que je vous ai voué à jamais. Vous y êtes trop sensible pour 
me voir désespéré sans me vouloir consoler. Vous avez fait 
les calculs de 58 villages; nous n'en sommes donc qu'à la 
grande huitième de notre travail, qui est de nature à ne pas 
pouvoir être fait, qu'en temps que nous pourrons refondre la 
totalité du margraviat. Et encore ces 58 villages sont calculés 
sans que je puisse jamais parvenir à savoir comment. L'hiver 
ou la saison dans laquelle nous nous trouvons aurait été le 
véritable temps, fait par la nature, pour la révision de 
pareilles opérations. Vous vous souviendrez que je vous ai 
demandé tout Pété passé, et cela deux heures par jour, pour 
m'instruire à fond de ce que vous aviez fait. Vous êtes per- 
suadé, et de reste, que sans cette marche préliminaire, nous 
n'arriverons jamais au but, ne fut-ce que pour me mettre à 
même de répondre à toutes les objections ...» 

Dans la suite de cette épître, toute amicale, on le voit, 
M. d^Edelsheim donne encore à Butré quelques détails sur les 
nouvelles ordonnances publiées à Vienne par Joseph II, rela- 
tivement à la mutation de plusieurs impôts en un seul impôt 
unique, et critique vivement ces mesures bien mal calculées, 
à son avis, pour relever la situation des finances impériales. 
« Il faut s'attendre à voir bientôt toute l'Autriche à l'hôpital » 
conclut le baron, en ajoutant : « Mille compliments de mes 
femme, frère,* nièces et neveu. — Edelsheim. » 

^ Le baron Guillaume d'Ëdelsheim, le confident et le principal con* 



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CHARLES DE BUTRÉ 211 

En lisant ces pages, qui ne sentent nullement Tarrogance 
ministérielle et où les reproches même, si reproches il y a, 
sont enveloppés suffisamment de professions d'estime et 
d'amitié, pour ne pas devoir blesser bien profondément des 
susceptibilités légitimes, Butré entra cependant dans un accès 
de colère difficile à dépeindre. Sa poitrine n'était peut-être pas 
sérieusement compromise, mais, à coup sûr, ses nerfs étaient 
fort malades le jour où il répondit à M. d'Edelsheim par le 
plus violent des réquisitoires qu'il soit possible d'imaginer 
dans leur situation réciproque. On voit, en relisant cette étrange 
épître, quels froissements intimes avaient dû s'accumuler dans 
l'âme du gentilhomme tourangeau, combien son amour-propre 
avait dû souôrir des manquements des inférieurs ou des 
sarcasmes des supérieurs et des égaux. Â coup sûr, il ne 
pouvait croire, après avoir expédié cette lettre, que le baron 
ferait jamais a chauffer son appartement » au château 
d'Ettlingen, et c'était bien une rupture officielle qu'il consa- 
crait ainsi. En le voyant revenir au bercail, quatre mois à 
peine plus tard, on se prend involontairement à se demander 
si la lettre, une fois écrite, et dont nous ne connaissons que la 
minute, fut réellement envoyée à son adresse. Si M. d'Edels- 
heim ne s'en offusqua pas, après l'avoir parcourue, la sérénité 
de son caractère et l'aménité de ses façons, si vantées par les 
contemporains, mérite en vérité tous nos éloges. Qu'on en juge 
plutôt! 

Paris, 16 mars 1789. 

« Il y a à présent onze mois que je suis dans les souffirances, 
et cependant je n'ai quitté Ettlingen que lorsque j'étais tota- 

seiller da margraye Frédéric-Charles, ayait un frère, le baron George- 
Loais d'Edelsheim, qui ayait passé du seryice de Prusse à celui de 
Bade en 1784, et figura comme représentant de son nouyeau souyerain 
au Congrès de Rastatt, en 1795. £n 1807 il deyint ministre des affaires 
étrangères du grand-duché et mourut en décembre 1814, suryiyant ainsi 
plus de vingt ans à son frère aîné, le correspondalht de Butré. 



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212 REVUE d'âLSÂCE 

lemeiït épuisé. Plus de sommeil', p\m de forces, absolument 
contraint d'aller chercher un lien de repos ou de périr là, 
bien mal à mon aise. J'eus beaucoup de peine à gagner Stras- 
bourg en deux jours, et j'y arrive fort à propos, le froM deve- 
nant aussitôt fort rigoureux, et c'était le seul lieu où je 
pouvais espérer de reprendre quelque vie, dans l'état d'épui- 
sement absolu où je me trouvais, y pouvait jouir de toute la 
tranquillité que mon état demandait e* sur* de n'y voir que les 
personnes occupées à me servir. J'y re&tai trois semaines, fort 
indécis si je pourrais me ranimer ou succomber, après quoi JB 
commençai à éprouver quelque mieux et à force de soins et de 
ménagements, je suis venu à bout de passer ce cruef hiver, 
mais sans jamais cesser de souffrir le mal de poitrine qui me 
tenait depuis le commencement de mai, et la dJébilité de ta 
suite des trop violents travaux que j'avais fait, état qaer votrs 
ne pouvea ignorer, car je n'ai cessé dans toutes meg lettres de 
vous les marquer. 

« Et c'est par reconnaissance pour de pareils effbrts 
qu'après un mois et demi de silence^ vous m'écrivites cette 
lettre outrageante qui fut un coup si etweV et, pendant 
plusieurs jours, m'agita si douloureusement. Je parvins ï me 
calmer un peu, à n'en rien dire, et à passer l'éponge strr Va, 
plaie profonde faite à mon âme. Enfin l'hiver s'est passié; j*«ci 
vu que les beaux jours allaient revenir et jt me suî» mis en 
route pour venir voir quel parti je devais prendre pour sauveï 
le peu qui me reste, de la révolution si fort à craindre. * 

a Le temps devient aA-eux, je me ren<fe ici avec peine, et au 
bout de quatre jour^s que j'y suis, un rhume* affreux me 
surprend. Dans Tétat de souffrance où j'étais déjà, le peu de 
forces qui me restait disparaît aussitôt et je me suis trouvé 

^ On ne voit pas cependant que Butré, pendant son séjoar en France, 
ait poussé jusqu'en Touraine, pour veiller à ses revenus sd^euriaux et 
autres. 



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CHAALES {»B BUTAÉ SIS 

depuis ce temps dans un épuisement absolu, à peine pouvant 
faire usage de mes membres. C'est dans ces moments où luttant 
entre la vie et la mort, sans pouvoir dire qui l'emportera, que 
je reçois le second acte de ce que vous m'aviez dit cet hiver, 
dont il y avait déjà mille fois trop. Qu'on juge d'un pareil 
commentaire j Le moindre soupçon sur mes intentions et ma 
conduite serait de votre part une injustice odieuse et pour 
moi l'injure la plus outrageante. Quelle qualification donc 
donner à tous les reproches dont vous m'accablez et c'est dans 
le moment où sur le bord de la tombe on me porte ce coup de 
poignard, et au seul ami que vous ayiez à Carlsrouhe ! J'en ai 
eu toute la nuit l'agitation la plus violente, attendant à chaque 
instant le moment de ma dissolution, et je serais bienheureux 
que cela fut fini. Deux jours ont succédé à cette crise funeste 
et enfin je réunis mes derniers efforts pour tracer ces dernières 
lignes : 

« Je ne puis concevoir comment on peut se permettre 
d'outrager de cette force-là quelqu'un qui, depuis douze ans, 
s'épuise à ce point, et cela pour deux cents louis qu'on me 
donne depuis quelques années. Hé bieo, qu'on les garde ! Je 
ne veux rien, je n'ai jamais espéré aucun secours dans ma 
vieillesse, ni même les dédommagements qu'on me devait pour 
les pertes occasionnées par l'éloignement de mes fonds. Ce 
qu'on me donne aujourd'hui, n'est pas seulement pour payer 
les si pénibles travaux que j'ai fait à Ettlingen. Je ne voudrais 
pas, pour trente mille florins, y recommencer ceux que j'y ai 
fait depuis deux ans, où il m'a fallu y travailler comme le 
dernier manœuvre, et y éprouver encore les risées et les 
propos d'un manant de jardinier et de toute la séquelle de 
ses créatures, qui étaient tout le jour à m'inspecter. 

a Mon âge, mes lumières, mes grands travaux auraient dû 
m'attirer chez vous les considérations, les égards et les distinc- 
tions que je mérite plus que personne, et loin de recevoir ce 
tribut légitime, on m'y traite comme un goujat ou le dernier 



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214 REVUE D'ALSACE 

scribe, et cela avec ce ton mielleux, si déplacé dans une 
pareille incartade. Mais laissons toutes ces vaines émotions 
d'un si juste ressentiment et venons au fait. Les travaux 
violents que j'ai fait dans les deux dernières années m'ont 
tellement épuisé et à peine laissé un filet de vie. Je vais tenir 
une lettre prête qui vous sera envoyée aussitôt, si je n'en 
reviens pas, et vous avertira que je ne suis plus. Vous trou- 
verez tous vos papiers à Carlsrouhe et à Ettlingue, oîi il y a 
au moins soixante feuilles que j'y ai rédigé l'automne passé, 
sur les bailliages de Carlsrouhe, après l'entretien que nous 
eûmes un jour, malgré le peu de temps et de forces qui me 
restaient (mais je n'ai fait que me livrer aux distractions et 
aux plaisirs). Je n'ai pas un chifion ailleurs ; on vendra tous 
les effets que j'ai à Carlsrouhe et àEttlingen, et comme je n'ai 
personne dans le monde, comme j'y suis bien seul, on le 
donnera aux pauvres, non à un hôpital, parce que dans mon 
gouvernement il n'y en a point \ je n'en ai pas besoin, mais à 
des pères de famille indigents. Je n'ai plus pour perspective 
que le séjour éternel. J'y entrerai sans aucuns regrets et fort 
tranquillement. Songez que peut-être vous ne serez pas long 
à m'y suivre. Adieu. Je vous prie, mes faibles et derniers 
soupirs à Mgr le margrave. 
« Paris, ce 16 mars 1789. » 

Nous n'avons pas la réponse que M. d'Edelsheim dut envoyer 
sans doute à son irascible collaborateur et ami, mais évidem- 
ment ils durent s'expliquer encore. Nous ne savons pas davan- 
tage à quoi Butré employa les semaines suivantes de son séjour 
à Paris. Mais vers la mi-juin, il quittait la capitale, restait une 
quinzaine à Strasbourg et réintégrait son domicile badois au 

' Butré veat éyiâeminent parler d'un état de choses conforme à ses 
plans de société idéale. Il n'admet pas qu'il y ait des hôpitaux (c'est-à- 
dire des hospices) dans le pays constitué selon la saine théorie écono- 
mique. 



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CHARLES DE BUTRÉ 315 

commencement de juillet ; car la quittance de son loyer chez 
]a veuve Salomoa Model à Carlsruhe est écrite et signée de sa 
main à la date du 6 juillet 1789. Les mois d'août, septembre et 
octobre furent ensuite passés au château d'Ettlingen ; mais il 
avait beau faire, au milieu de ses occupations paisibles, désor- 
mais reléguées au second plan, le spectacle des événements 
qui se déroulaient avec une rapidité vertigineuse dans sa 
patrie, ne cessait de le hanter. Comment se serait-il soustrait 
d'ailleurs à Tagitation universelle, qui travaillait alors les 
esprits? Ne nous étonnons donc pas si Butré, lui aussi, 
négligea pour un temps d'aligner ses arbres et de greffer ses 
sauvageons, pour améliorer les hommes et extirper les abus. 

RoD. Reuss. 
(A suivre,) 



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MATÉRIAUX 



POUR SERVIR À 



L'HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 

tirés des aroliives de Colmar. 



Bruits relatifs à rabandon par la France de ses 
places fortes en Alsace ; alarmes des villes impé- 
riales, qui réunissent secrètement leurs députés 
à Strasbourg; suite des délibérations sur la 
constitution de la diète et sa participation aux 
négociations; audience de Schneider chez les 
plénipotentiaires impériaux et chez l'ambassa- 
deur de Suède à Osnabrtick; il est admis à la 
première séance des états et siège à son rang. 

Sur ces entrefaites, Colmar reçut avis du maître de poste 
de Strasbourg, B. Kraus (lettre de J.-B. Schneider, du 25 août) 
que, pour diminuer ses dépenses de guerre, la France allait 
retirer les garnisons qu'elle entretenait en Alsace, et déman- 
teler les places fortes qu'elles occupaient, nommément Saverne, 
Haguenau et Sélestadt. Une mesure de ce genre ne pouvait 
pas ne pas alarmer Colmar. Sans doute les opérations mili- 
taires avaient été reportées loin de l'Alsace ; mais la guerre 
avait eu déjà plusieurs fois des retours de fortune, et notre ville 
pouvait se demander ce qu'elle deviendrait si l'ennemi, repre- 
nant l'oflensive, repassait le Rhin et ne trouvait plus sur la 



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HISTOIÎIB DE LA GUERRE DE TRENTE ANS ?17 

rive gauche que des places ouvertes. Elle écrivait précisé- 
ment à M. de Polhelm au sujet du prieuré de Saint-Pierre 
(lettre du 11 août); avant de la fermer, elle ajouta un posfc- 
scriptum pour le prier de s'assurer du plus ou moins de 
fondement de la nouvelle. 

De son côté, Schneider avait eu vent, de la môme source, 
des desseins qu'on prêtait à la France. Il avait admis sans 
hésiter que la retraite des garnisons entraînerait forcémep-t 
le démantèlement des places fortes, sans en excepter les villes 
impériales, et il ne fut pas embarassé pour trouver des 
exemples de mesures pareilles prises pendant la guerre dans 
la Valteline, sur le Rhin et sur l'Elbe, et tout récemment 
encore en Lorraine. Il se demandait si Colmar n'était pas 
menacé du même sort: cependant il se rassurait en rappelant 
que la ville n'était pas tombée entre les maips des Suédois, 
puis des Français, par les lois de la guerre, mais par l'effet 
d'un traité librement consenti (lettre du 25 août). 

L'éventualité dont on était menacé, si lointaine qu'elle 
parût, précipita des résolutions quj, à aucun point de vue, 
n'auraient plus pu se remettre. Depuis longteipps la Décapole 
ne donnait plus signe de vie. Les événements avaient brisé 
ce lien, auquel Colmar semblait naguère tenir si peu. Mais 
dans les circonstances présentes, alors que l'empereur venait 
de se résigner à appeler les états de l'Ejnpire à se réunir en 
diète et à prejidre part aux négociations de la paix, indépen- 
damment de la question du démantèlement, )e moment étoit 
venu de resserrer le faisceau. Colmar écrivit, le 23 août (prot, 
miss.) à Haguenau, en lui faisant savoir que, pour défendre 
^ tant les intérêts généraux des Dix villes, que les siens propres, 
il avait pris le parti de se faire représenter en Westphalie 
par un agent à lui, et qu'au vu des décisions déj^ prises 
concernant l'Alsace, il lui paraissait utile de réunir secrète- 
^\ ment à Strasbourg les députés des principaux membres de la 

Décapole. 



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218 EEVUB l^ÀLSACE 

Haguenau sentit comme Colmar la nécessité d'un rappro- 
chement et d'une entente, et l'on convint de se réunir, le 
dimanche 14 septembre, à l'hôtellerie du Cheval noir, à Stras- 
bourg. Colmar prévint ses voisins de Sélestadt que son 
député passerait chez eux, le samedi, et qu'ils pourraient lui 
adjoindre quelqu'un des leurs, tout en leur donnant à 
entendre que, pour ne pas donner l'éveil, il vaudrait peut- 
être mieux s'en abstenir. {Frot. miss., 11 septembre.) 

Sélestadt comprit et laissa Colmar poursuivre seul cette 
négociation. Les autres villes se montrèrent également dis- 
crètes, et il ne se trouva au. rendez-vous que le stettmestre 
Carius, avec le syndic de Haguenau, et le syndic de Wissem- 
bourg, qui représentait en même temps Landau. 

La nouvelle de la retraite des garnisons françaises avait 
également couru chez les villes inférieures. Leurs envoyés 
remercièrent vivement Colmar de l'initiative qu'il avait pris, 
et on se promit de part et d'autre de faire de son mieux pour 
détourner le coup dont on était menacé. Cependant il ne 
parut pas que le danger fut aussi imminent qu'on avait craint 
d'abord : l'alerte pouvait bien n'avoir d'autre fondement que 
les propos de quelques officiers, qui en somme n'auraient 
exprimé que leur opinion personnelle. Néanmoins on tomba 
d'accord de se recommander au collège des villes siégeant 
près le congrès de Westphalie, afin de n'être pas pris au 
dépourvu dans les débats qui allaient s'engager, et pour 
pouvoir parer au besoin au démantèlement des places fortes. 

De retour à Munster depuis quelques jours à peine, 

12 

Schneider était reparti dès le ^ août pour Osnabrûck. Marc 
Otto, qui lui témoignait à ce moment autant de bon vouloir 
que précédemment de froideur, le mit au courant de ce qui 
s'était passé en son absence. Schneider reçut aussi des infor- 
mations de l'envoyé d'Ulm, et c'est ainsi qu'il apprit les 
a intrigues » auxquelles notamment le D"^ Œhlhaffen, député 
de Nuremberg, s'était livré au sein du collège des villes. Sans 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 219 

s'expliquer sur ces manœuvres, Schneider transmit à ses 
commettants, dès son arrivée (lettre du ^ août), tous les 
documents propres à les éclairer sur la situation. 

Les députés réunis à Osnabrûck avaient été frappés de 
l'inconvénient qui résultait de la disjonction des états, quand 
il s'agissait de résolutions communes à prendre. Il leur avait 
paru qu'avant tout il fallait s'entendre sur le moyen le plus 
rapide de se consulter, et ils avaient envoyé à Munster le 
représentant de Brandebourg-Culmbach, Jean MùUer, afin 
d'examiner la question avec leurs collègues, préalablement à 
la réponse que les électeurs attendaient Le collège des 
princes et des villes avait pour directoire à Munster les 
représentants de la maison d'Autriche: à l'arrivée de MttUer, 
le 27 juillet, le premier des deux, le comte de Wolkenstéin, 
était occupé à déménager, et il pria l'envoyé d'Osnabrtick de 
retarder sa visite de deux jours. Mais sur une observation du 
plénipotentiaire Isaac Volmar, il se ravisa et donna audience 
à Mûller, le 28 juillet, à neuf heures du matin. Il se borna 
pour le moment à recevoir ses ouvertures, et, le lendemain 
seulement, la question fut traitée dans une conférence à 
laquelle tous les envoyés du collège des princes prirent part. 
On reconnut que, dans l'intérêt des négociations, il fallait 
établir un concert entre Munster et Osnabrûck, chaque fois 
que l'avis des états de l'Empire serait nécessaire et, au cas 
particulier, on proposa aux députés d'Osnabrûck de venir se 
joindre à leurs collègues à Munster. Mûller se défendit d'abord 
d'accepter; puis il finit par se rendre aux instances dont il 
était l'objet. Un dîner ofiBciel chez le comte de Nassau, l'un 
des plénipotentiaires impériaux, auquel il avait été invité, 
acheva de le convaincre. 

Mais la proposition fut mal accueillie par les députés 
d'Osnabrûck. Ils se défiaient d'une démarche qui, à leurs 
yeux, pouvait avoir pour conséquence de les fixer à Munster 
pour toute la suite des négociations; ils alléguaient que, 



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230 RBVUS h'kh&ACK 

sans la participation de Tune et de l'autre couronne, il ne 
serait pas possible de rétablir la paix dans l'Empire, et que 
leur éloignei»ent^ même temporaire, pourrait ofienser les 
ambaftsadeurs suédois. Pour toutes ees r^isons^ ite deman- 
dèrent que, pour cette fois, on leur envoyât de Munster des 
résolutions sur lesquelles ite pussent délibérer. 

Voilà oh Ton en était, et si désolantes que lui parussent 
ces lenteurs, Scbndder les prenait en patience. Il sentait 
que, pour pouvoir en venir au fait, il fallait résoudre préala- 
blement ces questions de procédure. Il était moins calme, 
quand il s'agissait de ces questions d'étiquette et de préséance, 
qui paralysaient si souvent les diètes en Allemsgae. Les envoyés 
de Hambourg prétendaient siéger au-dessus d'UIm, quand ils 
auraient dû ne prendre rang qu'après Colmar. D'un autre 
côté, les députés de l'ordre équestre soulevaient de nouveau 
leurs anciennes prétentions, et réclamaient le pas au détri* 
ment des villes. Le moment semblait mal venu à Schneider 
de produire ces mesquines visées personnelles, quand le salut 
commun de la patrie et la nécessité des décisions promptes 
auraient exigé l'abnégation de tous. 

A plusieurs reprises Schneider revient sur le dessein de 
réunir tous les députés à Munster. Dans une lettre du ^ août 
à son beau*-frère, il prétend que si les Impériaux les avaient 
ainsi eu sous la main, ils en auraient profité pour faire 
trancher la question religieuse sans la participation de la 
Suéde, et, dans une autre du 25 août, au syndic Salzmann, il 
ajoute que, par un mandement édicté en vertu de la plénitude 
de sa puissance, et qui devait être notifié aux députés à leur 
arrivée à Munster, l'empereur leur prescrivait de n'en plus 
désemparer. C'était en partie pour déjouer cette manœuvre, 
que plusieurs envoyés des princes avaient fait le voyage de 
Munster, sous apparence de complimenter le duc de Longue* 
ville, mais en réalité pour le maintenir dans les disposition» 
oti il Be trouvait à l'égard de la Suède et des états protestant». 



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HISTOIRE DE LA GOSRllB BB TRENTE ANS 221 

Ife asfvaieDt profité de la même occasion pour conférer avec 
leurs collègues de Munster, et ils étaient parvenus à dissiper 
leur répugnance à disloquer les collèges et à les partager entre 
les deux sièges des négociations. Dans cette combinaison, les 
députés catholiques de Cologne, d'Âix-la-Chapelle et d'Augs- 
bourg, qui à la vérité n'étaient pas encore présents, auraient 
siégé à Munster avec les envoyés de Nuremberg et de Colmar, 
de telle sorte que Cologne aurait eu le directoire à Munster, 
et Strasbourg à Osnabrûck, sauf dans le cas où il y aurait eu 
lieu d'émettre un vote en commun et de tenir une assemblée 
plénière dans un tiers lieu. Dans sa lettre du 28 août au syndic, 
Schneider put confirmer la nouvelle de Tacceptation à Munster 
des propositions faites par Osnabrûck au sujet des rapports 
des deux fractions des collèges et annoncer même que le 
plénipotentiaire Volmar devait au premier jour produire 
la réplique des Impériaux sur les propositions des deux 
couronnes. Schneider entre même à ce sujet dans des 
détails qui montrent que le contenu de cette pièce avait déjà 
transpiré. 

Les pourparlers entre les états de PEmpire venaient en 
efiet d'aboutir. En réponse aux communications qui lui étaient 
venues d'Osnabrûck, le collège des princes à Munster avait 
pris, le z — T u i u» conclusum conforme au sentiment 

*^ 4 septemDre 

exprimé par les villes sur le décret des électeurs. Il avait voté 
pour l'admission de tous les états de l'Empire qui avaient le 
droit de session, et pour le même mode de délibérer qu'aux 
diètes ordinaires. Une fois ce principe posé, il n'avait pas fait 
difficulté de s'en remettre à l'empereur du soin de convoquer 
les états ; seulement, sans attendre leur arrivée, les députés 
présents devaient avoir qualité pour prendre part aux négo- 
ciations et, sauf la ratification impériale, leurs décisions 
devaient être valables. Enfin, tout en déclarant qu'ils auraient 
préféré une réunion générale dans un endroit distinct, ils 
s'étcéent rangés à l'avis des députés d'Osnabrûck, et avaient 



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222 RKVUB D'ALSACE 

accepté le partage des trois collèges entre les deux villes 
désignées par les préliminaires pour les négociations. 

Ce condusum avait été immédiatement communiqué aux 
députés des électeurs et des villes, qui le transmirent à leur 
tour aux plénipotentiaires impériaux. Ceux-ci l'accompagnèrent 
de leurs observations et le retournèrent au collège des princes, 
qui en délibérèrent une seconde fois. Les plénipotentiaires 
avaient admis en principe toutes les propositions, et s'étaient 
bornés à demander qu'elles fussent plus explicites. Les députés 
s'empressèrent de tenir compte de ces observations; mais en 
même temps ils ajoutèrent une dernière stipulation aux 
articles déjà convenus : avant toute ratification impériale, les 
plénipotentiaires devaient soumettre aux délibérations de la 
diète les propositions des deux couronnes pour le rétablisse- 
ment de la paix. Le collège des électeurs avait repris également 
en sous-œuvre les délibérations antérieures. 

Dès que l'on se fut mis d'accord à Munster, on envoya les 
actes à Osnabrttck. La députation des princes les examina à 
son tour (-^ septembre). Elle insista encore pour que tous les 
états appelés par les deux puissances alliées à prendre part 
aux négociations, y fussent admis avec le droit de sui&age qui 
leur compétait, y compris même ceux qui n'avaient point 
participé à la dernière diète de Batisbonne : Hesse-Cassel, 
Bade-Durlach, Strasbourg en étaient, et ils étaient nommément 
désignés pour exercer sans réserve leur droit de session et 
de vote. 

Le lendemain ^ septembre, les députés des villes furent 
saisis à leur tour. Ils donnèrent leur adhésion à tout ce qui 
s'était fait, tant à Munster qu'à Osnabrttck. En même temps 
on posa la question de savoir quels envoyés on adjoindrait à 
celui de Nuremberg pour représenter les villes à Munster, en 
attendant l'arrivée d'autres députés, et l'on désigna Colmar 
et Brème. Schneider, qui était présent, et qui savait du reste 



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HISTOIRE DE LÀ GUERRE DE TRENTE ANS 223 

les projets qu'on avait sur lui, saisit Toccasion : il lit remarquer 
qu'il aurait peut-être mieux valu faire choix d'une personne 
mieux qualifiée, d'autant plus que, de même que Hesse-Cassel, 
Durlach et autres, il n'était pas certain que les Impériaux 
reconnussent à Colmar le droit de siéger : dans ce cas il 
demanda à ses collègues de s'interposer en faveur de ses 
commettants, afin qu'il ne fdt pas dans le cas de prendre son 
recours auprès des deux couronnes, qui du reste lui avaient 

Q 

déjà promis leur assistance (lettre du jg septembre). 

Pendant que ces longs pourparlers étaient engagés, Schneider 
reçût de ses commettants, sous la date du 26 août^pro^. miss.), 
une lettre relative à la préséance que réclamait Hambourg. 
Sans méconnaître l'importance supérieure de cette république, 
Colmar rappelait que, comme ville, son immédiateté n'avait 
été reconnue que depuis un petit nombre d'années, et que par 
conséquent il ne lui appartenait pas de prendre rang avant 
les cités dont le droit était antérieur. Cependant si, par amour 
pour la paix, celles qui passaient avant Colmar, se résignaient 
à faire des concessions à Hambourg, Schneider ne devait pas 
se refuser à un accommodement. Et de même pour l'ordre 
équestre, l'avis de Colmar n'était pas que les villes s'achar- 
nassent à maintenir leur droit de préséance; tout au contraire, 
si pour donner satisfaction aux susceptibilités de la chevalerie, 
il suffisait de lui accorder l'alternative, comme cela s'était 
déjà pratiqué à Francfort, Colmar se résignait également à 
ce sacrifice. C'était mettre son député à l'aise. Mais du moins 
à l'égard de Hambourg, il espérait n'avoir pas à profiter de la 
latitude que ses Qonmiettants lui offraient. Il s'était souvenu 
que Hambourg, et même Brème, qui précédait les villes han- 
séatiques dans les diètes de l'Empire, et qui, dans le cas 
présent, s'était prononcé pour elles, avaient constamment 
siégé, en dernier lieu, après Besançon et même après Dort- 
mund, que Colmar précédait tous deux, et par application de 
la règle : Si vinco vincentem, vinco et te, il concluait que ses 



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224 EBYOE d'alsags 

commettants n'avaient rien à craindre des entreprises de ces 
tard-venus (lettre du 25 août). 

Toutes les difficultés s'aplanissaient donc à la fois, et il ne 
restait plus à Schneider qu'à tenter une suprême démarche 
auprès des plénipotentiaires impériaux. Il n'avait pas attendu, 
pour la faire, que l'accord se fût établi entre les états de 
TEmpire. Après avoir eu l'idée de recourir à l'ancien bourg- 
mestre GroU, il y vit plus tard plus d'inconvénients que d'avan- 
tages (lettre du -^ août), et il se décida à s'adresser directe- 
ment au comte de Lamberch et à Jean Cran, qui représen- 
taient l'Empire à Osnabrûck. Il se hâta de fabriquer une 
dépêche qui l'accréditait auprès d'eux, et la joignit à une 
lettre du 28 août, par laquelle il sollicitait une audience. 

Le même jour, il fut avisé qu'il serait reçu le lendemain, 
entre 2 et 3 heures de relevée, chez le comte de Lamberch. 

Schneider trouva l'Excellence dans son appartement, et il 
allait l'aborder avec le cérémoniel en usage (curialia), quand 
Lamberch l'interrompit en le priant d'attendre l'arrivée de son 
collègue. Entre temps, la conversation s'engagea sur le climat 
de la Westphalie, sur l'incommodité des lieux, sur les motifs 
qui avaient décidé les deux couronnes à faire choix de Munster 
et d'Osnabrtick pour les négociations. 

L'arrivée de Cran interrompit ces menus propos, et l'audience 
commença. Schneider donna lecture d'une note, qualifiée de 
propositions, que les plénipotentiaires écoutèrent avec beau- 
coup d'attention. Il y exposait que, depuis plusieurs années, 
ses commettants, le maître et le conseil de la ville impériale 
de Colmar, étaient en butte à des imputations diffamatoires et à 
des délations sans fondement, tant auprès de l'empereur 
qu'auprès des états de 1* Empire, qu'il en est résulté qu'à 
diverses reprises la ville avait été traitée en ennemie par les 
troupes impériales ; mais que, forts de leur innocence, ses 
commettants n'avaient pas cessé d'espérer qu'un jour vien- 
drait où ils pourraient répondre à leurs accusateurs et se 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 225 

justifier sur tous les points. Cette occasion s'était déjà pré- 
sentée en 1641, lors de la diète de Ratisbonne, à laquelle ils 
avaient été convoqués, sans toutefois pouvoir s'y rendre, 
mais dont ils avaient profité, tant pour expliquer leur absten- 
tion que pour présenter leur défense à Sa Majesté, aux élec- 
teurs, aux princes et aux autres états de TEmpire : alors 
déjà les ministres avaient dû avouer, sur l'exposé des faits, 
qu'on avait fait tort à Colmar. 

Cependant comme il est à craindre que plusieurs tiennent 
encore la ville pour suspecte, le maître et le conseil ont décidé 
l'envoi d'un délégué en Westphalie, pour prendre part aux 
négociations de la paix et pour sauvegarder leur immédiateté, 
et, à cet effet, ils l'ont accrédité principalement auprès des 
plénipotentiaires impériaux. Comme dans ces temps malheu- 
reux, ils n'ont eu souci que du salut de la cité, à l'exemple de 
leurs prédécesseurs, qui s'étaient mis sous la protection de la 
Suède, eux à leur tour, sur le conseil de cette puissance, 
avaient accepté la protection de la France, mais en réservant 
formellement les droits de l'Empire, comiùe aussi leur immé- 
diateté, leurs franchises, privilèges et immunités, ainsi que le 
constate le texte des traités et la formule du serment prêté 
annuellement par les bourgeois. En cela on a obéi à une 
nécessité impérieuse, puisque toutes les places fortes étaient 
entre les mains de l'ennemi, et qu'il n'y avait nulle apparence 
qu'on pût lui résister. 

Pour conclure, Schneider demandait aux plénipotentiaires 
d'avoir ses commettants en bonne recommandation, et de 
l'aider à les faire absoudre de leur connivence avec la Suède 
et la France, en protestant qu'en dépit de la malveillance avec 
laquelle on a interprété leur conduite, leurs intentions et 
leurs agissements ont toujours tendu à rester unis au Saint- 
Empire, et à conserver intacte l'obéissance qu'en sa qualité 
de ville impériale, Colmar doit à Sa Majesté. 

Le comte de Lamberch et Cran avaient écouté cette 
NouveUe Série. « 15~ année. 15 



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226 REVUE D'ALSACE 

harangue sans Tinterrompre. Quand Schneider eut terminé, 
ils se retirèrent un instant pour se consulter. Â leur rentrée, 
Cran prit la parole. Il remercia Schneider de sa courtoisie, et 
lui dit que son collègue et lui prenaient bonne note de la 
manière dont il venait, au nom de ses commettants, relever 
les accusations dont ils étaient Pobjet ; que Sa Majesté Impé- 
riale n'ignorait pas que, comme tant d'autres états de TËmpire, 
Colmar n'avait plié que sous la loi du plus fort ; qu'il s'agit 
aujourd'hui de rattacher à l'Empire les membres que la Suède 
ou la France lui avaient enlevés, et qu'ils voudraient bien 
retenir. Cependant il lit observer à Schneider qu'il s'en était 
tenu à des généralités ; mais s'il voulait entrer dans plus de 
développements, soit sur l'heure, soit plus tard, son collègue 
et lui étaient prêts à l'entendre. 

Schneider ne se le fit pas répéter deux fois. Il raconta tout 
au long ce qui s'était passé à Colmar, en 1632 et en 1634. Dès 
le début, les plénipotentiaires l'avaient fait asseoir, et quand 
il eut fini, la conversation s'engagea sur nouveaux frais. On se 
demanda comment l'Alsace avait pu tomber si vite entre les 
mains de l'ennemi, et Schneider répondit que la rapidité de la 
conquête s'expliquait tout naturellement par l'absence du 
grand bailli et de son lieutenant, par le rappel des généraux, 
par l'épuisement des magasins et par la terreur que l'ennemi 
avait su inspirer aux populations. 

Puis on parla de l'extrémité où l'Allemagne était réduite, et 
du besoin qu'elle avait de la paix. Ce n'est que quand on la 
lui aura rendue, disait-on, qu'on comprendra la folie qu'on a 
faite en continuant si longtemps la guerre. Mais on fit en 
même temps la remarque que la postérité n'auriait pas sujet 
de s'en féliciter, attendu que l'héritage qu'elle recevra sera 
bien amoindri, tant les deux couronnes poussaient à l'excès le 
droit de la guerre. La Suède ne se contente pas de toutes les 
places sur la mer Baltique : elle revendique en outre la Pomé- 
ranie et la ville d'Erfurt. La France de son côté n'y met pas 



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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 227 

plus de discrétion, et il faudra bien veiller, pour que, dans la 
suite, elle ne trouve pas moyen d'étendre davantage encore ce 
qu'on sera contraint de lui céder. 

Les plénipotentiaires demandèrent à Schneider si le magis- 
trat et le conseil étaient catholiques. Il répondit qu'ils étaient 
de Tun et de l'autre culte et que, conformément à l'ancien 
usage, les autorités émanaient du libre suffrage des corps de 
métiers. Ils le questionnèrent encore sur le nombre des 
églises qui appartenaient aux catholiques. S'ils avaient une 
collégiale ? Combien les protestants possédaient d'églises ? Si 
les hdèles des deux cultes vivaient en bonne intelligence 
entre eux ? 

En racontant la capitulation de 1632, Schneider avait insisté 
sur les incidents qui l'avaient précédée et dont il attribuait la 
cause tant à l'imprévoyance du magistrat d'alors, qu'à la 
fougue intempestive du commandant. On l'interrompit pour 
demander le nom de cet officier. Quand il eut dit que c'était 
Vernier à la tête de nouvelles levées, Cran se rappela l'avoir 
connu à Tubingue ; il était étranger et lorrain et ne visait 
qu'à s'enrichir en Allemagne : à part cela, sa carrière n'avait 
rien eu de glorieux. 

Le comte de Lamberch revint sur l'élection libre des corps 
de métiers, qu'il loua fort ; mais ni lui ni Cran ne dirent rien 
de l'introduction de la Réforme, et Schneider en conclut qu'ils 
se réservaient d'en parler, quand il en viendrait à exposer ses 
griefs. La conversation l'amena à parler encore de la facilité 
avec laquelle l'ennemi s'était emparé de l'Alsace, et il fit 
remarquer que, quoique Colmar fût en quelque sorte le boule- 
vard des pays antérieurs de l'Autriche, il ne lui aurait pas été 
possible d'arrêter la cavalerie du rhingrave, qui inondait 
l'Alsace. Par suite de l'interdiction du culte protestant, en 
1627, et de l'exil des principaux bourgeois, les ressources 
n'étaient plus les mêmes qu'autrefois : de là l'épuisement des 
réserves, qui paralysait la défense et qui ne permettait pas 



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228 REVUB D'ALSACE 

d'attendre du secours du dehors. Très certainement, ajouta-t- 
il, la situation aurait été meilleure, si la population était 
restée au complet : il aurait été possible alors de résister à 
l'ennemi, et de couvrir la haute Alsace. Cette observation, à 
laquelle Schneider aurait pu donner plus de force en alléguant 
le bel exemple donné alors par Benfeld et Sélestadt, fut suivi 
d'un silence significatif, et quand l'entretien recommença, les 
plénipotentiaires exprimèrent de nouveau les inquiétudes que 
les prétentions des uns et des autres leur inspiraient touchant 
l'avenir de l'Alsace. Schneider répliqua, qu'en ce qui concer- 
nait Golmar du moins, ces inquiétudes n'avaient aucune 
raison d'être, garanti, comme il l'était, par des promesses 
solennelles et des traités en bonne forme. Mais Cran répondit 
que les conventions entre particuliers ou même entre des états 
souverains, n'avaient pas la même valeur que les traités géné- 
raux conclus pour rendre la paix à de grands empires, parce 
que, pour arriver à ce résultat, on passe outre à tous les contrats 
antérieurs. Frappé de cette réflexion, Schneider ne put s'empê- 
cher de dire qu'à ce compte, le Saint-Empire pourrait être singu- 
lièrement entamé et fournir à l'ennemi l'occasion de s'y 
étendre de plus en plus. Cran répondit que, dans tous les cas, 
on fera tous les efforts pour éviter pareille extrémité» 

L'entretien n'alla pas plus loin, et quand Schneider prit 
congé des plénipotentiaires, ils le chargèrent de saluer ses 
commettants de leur part. 

Quitte de ce côté, Schneider, se sentant en veine, voulut le 
jour même rendre visite au plénipotentiaire suédois, Jean 
Oxenstiern ; mais il ne fut reçu que le lendemain, 30 août. Il 
avait à l'entretenir de différentes affaires plus ou moins 
importantes, avant tout du projet qu'on prêtait à la Franco 
de retirer ses garnisons de l'Alsace et de démanteler les 
places fortes. Oxenstiern n'en avait pas encore entendu 
parler; mais quoique, selon son jugement, Colmar, qui avait 
quelques troupes à sa solde, n'eût rien à craindre de ce côté. 



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HISTOIRE DE LÀ GUERRE DE TRENTE ANS 229 

il estima néanmoins qu'il fallait rester sur ses gardes. Il se 
confirma dans ce sentiment, quand Schneider lui eut fait 
remarquer que Tabandon de Saverne et de Haguenau au 
nord, celui de Sélestadt au sud découvrirait complètement 
Benfeld, la place d'armes de la Suède en Alsace. Oxenstîern 
partit de là pour parler des derniers agissements des Fran- 
çais. Tout récemment ils lui avaient proposé de conclure avec 
la Bavière un traité de neutralité, dans la persuasion que si 
la Suède parvenait à détacher la Saxe de l'alliance autri- 
chienne, en même temps que la France traiterait avec la 
Bavière, qe serait un grand avantage pour la cause commune. 
Mais à son point de vue, les négociations avec la Bavière 
n'étaient pas sérieuses ; c'était une manœuvre de l'électeur, 
pour pouvoir conserver ses places fortes, en même temps qu'il 
enverrait ses troupes à l'empereur. Tout cela, croyait-il, se 
rattachait à un complot des papistes, dont il avait compris 
toute la perfidie, le jour où le comte d'Avaux lui avait déclaré 
qu'il fallait faire des électeurs autant de petits rois, de manière 
à les rendre les égaux de l'empereur et de la maison d'Autriche. 
La réalisation de ce dessein aurait pour effet certain l'oppres- 
sion des états protestants et autres et, par suite, la confusion 
de la France. Tout ce que les deux couronnes ont à faire, c'est 
de sauvegarder l'égalité respective des deux cultes et de main- 
tenir la coopération des états de l'Empire aux négociations. 
La France a accordé aux électeurs le cérémonial qu'ils recher- 
chaient, et la Suède n'a pu faire autrement que de suivre cet 
exemple ; mais elle n'a pas fait acception de personne, et n'a 
cédé que par considération pour tout le collège : autrement 
du moment que les représentants de certains électeurs obte- 
naient le titre qui les mettait de pair avec ceux des rois, ils 
devraient aussi jouir des autres privilèges reconnus aux 
envoyés royaux, ce qui n'aurait pu se faire sans préjudice 
pour les autres princes de l'Empire. 
Oxenstiern parla encore de l'attitude du délégué du collège 



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230 REVUE d'àlsace 

électoral, Tévêque d'Osnabrûck, qu'on trouvait trop favorable 
aux Français. Pour le cas où il serait obligé de se démettre, 
l'électeur de Cologne serait invité à pourvoir à son rempla- 
cement. 

Il est incontestable que cette double audience avait beau- 
coup avancé la situation de Schneider dans les négociations, 
et il n'allait pas tarder à en avoir la preuve. En attendant, il 
en rendit compte à son beau-frère Mogg, par une lettre du 
jl septembre. 

Il ne s'agissait plus que de donner leur consécration pra- 
tique aux diverses résolutions que les états de l'Empire 
venaient de prendre. On avait parlé de les réunir le 

Q 

jg septembre, pour leur soumettre tout d'abord la réponse des 
Impériaux aux propositions des deux couronnes (lettre de cette 
date) ; mais pour un motif inconnu, la diète ne s'assembla que 
le ^ de ce mois, simultanément à Munster et à Osnabrûck. 

La veille, tous les états présents à Osnabrûck avaient été 
prévenus par le secrétaire des députés de Mayence de se 
trouver, le lendemain matin, à huit heures, à l'hôtel-de-ville. 
L'avis ne parvint à Schneider que fort tard, entre sept et 
huit heures du soir, et déjà il se comptait parmi les exclus. 
Son admission devait le réjouir d'autant plus, que ni Magde- 
bourg, ni Hesse-Cassel, ni Bade-Durlach, ni Nassau-Saarbruck 
n'avaient été convoqués. 

Cette prétention fit le plus mauvais effet. L'intention était 
si formelle, que les plénipotentiaires impériaux avaient menacé 
de renvoyer la séance à un autre jour, si les députés des états 
exclus tentaient d'y venir siéger. De son côté, Oxenstiern 
parlait de faire un éclat, et l'on eut toutes les peines du monde 
à le persuader de ne rien faire qui pût occasionner un ajour- 
nement, et de se contenter de réserver le droit des absents. 
Tout cela prit beaucoup de temps, et ce ne fut qu'au bout de 
cinq heures qu'on put introduire les plénipotentiaires. Pour 
cette fois, ils se contentèrent de présenter les pouvoirs qui 



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HISTOIRE DE LÀ GUERftE DE TRENTE ANS 281 

les accréditaient comme commissaires auprès de la diète et 
qui furent admis ad recoffnoscendum, et de lui communiquer le 
texte de la réponse aux deux couronnes. L'assemblée se sépara 
à deux heures. 

Schneider y avait tenu le rang que l'usage assurait à Colmar. 
Le député de Brème n'y avait pas fait d'opposition, mais en 
réservant pour la suite le principe de l'alternative. Cepen- 
dant, malgré la latitude que ses commettants lui avaient 
laissée, Schneider refusa de se prêter à ce compromis. 
Quant à Hambourg, plutôt que de siéger au bas bout, son 
envoyé avait préféré s'abstenir ce jour-là. Les représen- 
tants des villes qui assistèrent à cette première séance 
des états, avaient pris rang dans l'ordre suivant : Stras- 
bourg, Nuremberg, Lubeck, Colmar et Brome. 

X. MOSSMÀIÏK. 



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STATUTS DES MARCHANDS 



DE LA 



VILLE DE BELFORT 



C'est en dépouillant les cartons qui renferment les règles 
des corporations de métiers de Montbéliard et qui appar- 
tiennent aux archives de cette ville, que nous avons découvert 
parmi elles les Statuts des marchands de Belfort Comment 
cette pièce curieuse s'est-elle égarée à Montbéliard? C'est ce 
que nous ignorons. Mais ces deux villes étant fort rapprochées 
l'une de l'autre et leurs négociants devant journellement se 
rendre aux foires et marchés de chacune d'elles, il n'y a rien 
d'étonnant que ces statuts aient été apportés et laissés à 
Montbéliard par un marchand forain. Quoi qu'il en soit, ils sont 
une simple copie sur papier in-folio, d'une écriture du 
XVIII" siècle, reproduisant un arrêt du Conseil souverain 
d'Alsace, en date du 26 mai 1698. Quant à l'original de ces 
statuts, nous ignorons s'il existe encore et a été jamais publié. 

Il résulte de cette pièce, que la corporation des marchands 
de Belfort n'a été constituée, comme la plupart des corps de 
métiers de Montbéliard, que dans la seconde moitié du 
XV® siècle, c'est-à-dire en Tan 1462, époque où l'empereur 
Albert d'Autriche lui concéda des privilèges que ses succes- 
seurs, propriétaires de la Haute-Alsace, confirmèrent en 1492, 
1515, 1567 et 1592. Louis XIV, devenu maître de l'Alsace en 
vertu des traités de Westphalie (1648), respecta ces privilèges 
qui restèrent en vigueur jusqu'à la Révolution française. 

D'après les statuts délivrés à Belfort en 1472 par l'archiduc 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 238 

Sigismond, il y avait dans cette ville une halls aux marchan- 
dises, car le droit qui y était perçu appartenait au seigneur 
(art. 9). 

L'art. 19 stipulait : « Le marché de Belfort est franc à partir 
du mercredi jusqu'au vendredi à midi. On ne peut opérer de 
saisie sur les marchandises ou produits d'un étranger, ni 
arrêter sa personne, à moins qu'il ne s'agisse des deniers du 
seigneur; mais on peut barrer celles ou ceux qu'il achète. » 

Enfin l'article 48 disait : « Quand un commerçant ne peut 
être payé de ce qui lui est dû par un autre commerçant, le 
créancier peut faire interdire à son débiteur de vendre pen- 
dant trois marchés consécutifs. Si, après ces trois marchés, le 
créancier n'est pas payé, il peut, s'il trouve de quoi, prendre 
gage sur le débiteur. » 

Les règles édictées, tant par les privilèges octroyés par les 
archiducs d'Autriche aux marchands de Belfort, que par les 
articles susdits des statuts de 1472, formaient l'ensemble de 
la législation réglementant le négoce dans cette ville et les 
contestations qui pouvaient s'élever entre les parties inté- 
ressées. 

P.-E. TUEFFERD. 



Arrêt du Conseil souverain d'Alsace relatif aux 
statuts des marchands de la ville de Belfort et 
reproduisant ces statuts. 

26 mai 1698 

Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navare, 
au premier nottre huissier ou sergent sur ce requis, scavoir 
faisons que comme cejourd'huy veu par nostre Conseil Sou- 
verain d'Alsace la requeste à luy présentée par les marchands 
de la ville de Belfort, expositive que les Empereurs et archi- 



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234 KBYUE d'alsace 

ducs d'Autriche Maximilian, Ferdinand et Albrecht, leur 
auroient accordés et confirmé plusieurs privilèges suivant 
qu'il est justiflSé par lettres patentes qu'ils en ont obtenus et 
arrests contradictoirement rendus en leur faveur des années 
mil quatre cents soixante deux, mil quatre cens quatre vingt 
douze, mil cinq cens quinze, mil cinq cens soixante sept et 
mil cinq cens quatre vingt douze, desquels ils auroient jouis 
de temps immémorial; lesquels néantmoins n'ont pas pu 
encore avoir leurs effets depuis les guerres qui ont quasi 
toujours continué dans ceste province depuis la guerre de 
Suède jusques à présent, ce qui a obligé lesdits suppliants de 
se pourvoir par devant les Magistrats de Belfort pour en 
obtenir la continuation des coustumes si louables et si utiles 
au publicq, approuvées et confirmées par les Empereurs, 
Archiducs, et depuis confirmées par nous depuis que ladite 
ville de Belfort a eu le bonheur d'estre sous nostre domination 
par la capitulation ; lesquels magistrats en ont donné l'exécu- 
tion à charge par lesdits de les faire homologuer audit Conseil. 

S'ensuit la teneur desdits statuts: 

Nous, les Prévosts, maistres bourgeois, conseillers et justi- 
ciers de la ville de Belfort, faisons scavoir à tous présents et 
à venir, qu'à l'humble prière et requête à nous présentée par 
l'honorable corps des marchands de cette ville tendante à ce 
qu'il nous plust leur vouloir octroyer acte de leurs statuts et 
privilèges, les remettre en possession d'iceux et les en faire 
jouyr comme ils estoient supposés jouir et jouissoient d'iceux 
avant la malheureuse guerre de Suède en ce païs ; veu par 
nous ladite requeste, nostre décret au bas du dix neufvième 
septembre mil six cent quatre vingt dix sept, portant qu'elle 
seroit communiquée au sieur procureur fiscal avec lesdits 
statuts et privilèges, pour y donner ses conclusions, lesquelles 
conclusions du vingt cinquième dudit mois portant qu'il adhère 
qu'acte soit donné aux sieurs marchands de leurs statuts ôt 
privilèges, comme ils estoient avant les anciennes guerres, et 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 235 

qu'il consent qu'ils soient restablis et revenir dans la posses- 
sion de leurs droits, ayant de plus lesdits marchands fait 
conster (constater) de leurs susdits droits et privilèges par 
acte authentique qu'ils avoient cy devant obtenus des anciens 
seigneurs souverains, comme quoy ils en auroient jouy de tout 
temps immémorial, mesme depuis la fondation de ceste ville 
de Belfort. Nous, ayant reconnu les fins tant de ladite requeste 
que desdits statuts estre bien fondés, raisonnables et équi- 
tables, voulant de nostre part contribuer à ce qu'une bonne 
police soit entretenue entre les dits marchands, tant pour le 
bien et utilité dudit corps que de celuy des particuliers, leur 
avons octroyé et octroyons par les présents acte de renou- 
vellement de leurs statuts et privilèges, comme il s'ensuit : 

Premièrement. Lesdits marchands auront pour patronne 
et protectrice la bienheureuse S*« Barbe, auquel jour le corps 
des marchands fera célébrer la sainte messe solennellement, 
diacre et soudiâcre, à laquelle assisteront tous les marchands, 
marchandes, garçons et apprentie, à peine contre les défail- 
lants à j'esgard des maistres de vingt sols, moitié au proffit de 
la maitrise et l'autre moitié à l'hospital S*« Barbe, et les 
maistres garçons de dix sols au profit de leur boëte commune, 
à moins d'excuse légitime; 

SECoi!a)EMENT. Quc lesdits marchands pourront, tous les 
ans, ou de deux en trois ans si bon leur semble, choisir à la 
pluralité des voix un d'entre eux pour estre le chef du corps, 
auquel il sera par mesmes voix donné deux adjoints pour luy 
servir de conseillers, qui ensemble auront soin d'exécuter les 
résolutions qui seront prises dans les assemblées dudit corps, 
et même de veiller au bien d'icelluy; lesquels, après leur 
élection, seront conduits par ceux qui seront sorty hors des 
charges, pour pardevant nous prester le serment de bien et 
fidellement faire le devoir de leurs charges ; 

Troisièmement. Que le plus jeune ou le dernier qui aura 



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236 REVUE D'ALSACE 

esté recea dans le corps desdits marchands, servira pendant 
un an sans salaire pour advertir lesdits, soit pour les corevoyer 
des morts et autres choses qui luy pourront estre commandées 
par ledit chef des marchands; et, si en cas au bout de Tannée 
il n'y en avoit point entré dans ledit corps, il en sera nommé 
un à la pluralité des voix pour faire ladite fonction, aussy 
sans salaire, lequel sera nommé le clerc des marchands ; 

QiJÀTBiÈHEME]BfT. Le marchand du lieu qui sera mandé aux 
assemblées ou autrement à comparoitre par devant le chef de 
la maitrise, qui se rendra désobéissant et qui ne voudra par 
mépris comparaistre, sera amendable de trois livres au profit 
du corps des marchands, pour lesquelles assemblées sera 
loisible audit corps de faire bastir une maison pour la maitrise, 
et en attendant les feront à la maison de ville; 

Cinquièmement. Que celuy dans les assemblées ne parlera 
avec respect et modestie, qui sera assez imprudent et témé- 
raire de taxer quelqu'autre d'injures ou raillerie ou de 
démenty, sera à l'amende de trois livres ; et même celuy qui 
de quelques querelles ne se voudra réconcilier avec son adver- 
saire, au dire des maistres du corps sera à l'amende de dix 
livres, moitié au profit de l'hospital Sainte Barbe et l'autre 
moitié à la maitrise. Et les garçons et apprentifs marchands 
qui oflfenceront dans des pareilles occasions, seront amen- 
dables de dix sols, qui auront une boette commune où lesdites 
amendes seront mises pour estre aydéz en cas de besoin, 
maladie et nécessités ; et les maistres pauvres en nécessité, 
tombants malades, seront soulagés des revenus dudit hospital 
St« Barbe; 

Sixièmement. Que ledit corps aura son registre pour y 
rédiger par escrit tous les actes et résolutions qui seront 
prises et conclues pour le bien de leur négoce; et aura pareil- 
lement son sceau pour sceller les actes qu'il donnera, comme 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 237 

lestres d'apprentissage et autres des certificats de ceste 
nature; et pour les escrire ils en nommeront un d'entre eux; 

Septièmement. Qu'un marchand ne pourra tenir deux 
apprentifs à la fois et en même temps, hormis que ce ne soit 
à un mois ou six semaines près de la fin du terme du premier; 

Huitièmement. Que les apprentifs marchands seront tenus 
de demeurer deux années consécutives chez un maistre en 
apprentissage; néantmoins les enfants de ces marchands 
seront réputés avoir fait leur apprentissage, lesquels auront 
demeuré actuellement dans la maison de leur père ou de leur 
mère, faisant profession de la mesme marchandise jusqu'à 
l'âge de dix sept ans accomplis ; 

Neufvièmement. Celuy qui aura fait son apprentissage, sera 
tenu de demeurer encore autant de temps chez son maistre 
ou chez un marchand de pareille profession ; ce qui aura lieu 
à l'esgard des fils de maistres ; 

Dixièmement. Les apprentifs paieront trois livres à la 
maîtrise pour son droit d'assembler pour luy donner l'expé- 
dition de son brevet d'apprentissage, sans y comprendre le 
droit du scel et celuy du secrétaire pour l'expédition dudit 
brevet, qui sera rétribué par ledit aprentif, en papier vingt 
sols et en parchemin quarante sols, et pour le scel dix sols; 

Unzièmememt. Qu'il ne sera receu ny admis dans ledit corps 
des marchands aucune personne qui soit suspecte d'aucun 
acte d'hérésie. 

Douzièmement. Qu'aucun ne sera receu marchand qu'il 
n'ayt vingt ans accomplis et qu'il ne rapporte le brevet et les 
certificats d'apprentissage et du service fait du depuis ; et en 
cas que le contenu aux certificats ne fut véritable, l'aspirant 
sera descheu de la maîtrise; le maitre d'apprentissage qui 
aura donné son certificat condamné à cent livres d'amende, 
et les autres certifficateurs chacun cinquante livres, moitié au 



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238 RJBTOE d'alsacb 

proffit dudit hospital S*« Barbe et Tautre moitié au profit du 
corps des marchands; 

Treizièmement. Que Taspirant à la maîtrise des marchands 
sera Interrogé sur les livres à partie double et à partie simple, 
sur les lettres et billets de change, sur les règles d'arithmé- 
tique, sur la partie de l'aune, sur les livres; répondra de 
mesme sur les mesures et les qualités de la marchandise 
autant qu'il conviendra pour le commerce dont il entend se 
mesler ; 

Quatorzièmement. Que l'aspirant qui sera fils de bourgeois 
natif du lieu ne payera à la maistrise ou corps des marchands, 
pour son entrée et réception, que dix livres, et l'aspirant 
nouveau qui s'establira dans ce lieu et qui sera receu bour- 
geois payera 20 livres, avec deux livres au greffier pour l'un 
et pour l'autre; et celuy qui espousera tille de bourgeois ne 
payera qu'autant que le tils d'un bourgeois. 

Quinzièmement. Que tous les bourgeois qui dans le temps 
présent gaignent leurs vies par le moyen du négoce, seront 
inscrits dans le livre de la maistrise des marchands qui tous 
prêteront serment de bien et fidellement garder les présents 
statuts, moyennant quoy seront tenus et réputés pour maistres, 
à l'exception des habitans qui n'y pourront estre admis mais 
payeront par an à ladite maistrise cinq livres pour reconnois- 
sance de la liberté à eux olferte par icelle. 

Seizièmement. Qu'il ne sera permis à aucun marchand 
d'ouvrir entièrement ou à moitié sa boutique pour vendre sa 
marchandise les jours de festes et dimanches, à peine d'un 
escu d'amende, la moitié au proffit dudit hospital Sainte Barbe 
et l'autre moitié au proffit du corps des marchands, à l'excep- 
tion du temps du passage des troupes qu'il sera permis après 
les offices d'ouvrir par moitié. 

Dixseptièmement. Que les maistres jurés ont et auront 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VUXE DE BELFORT 239 

droit d'inspection, sans préjudice de celluy de messieurs les 
Magistrats, sur tous marchands, tant sur ceux qui seront 
trouvés vendre avec des poids légers qu'avec des aunes et 
mesures qui seront courtes, comme aussy sur ceux qu'ils 
trouveront vendre ou avoir vendu des marchandises de mau- 
vaise condition, qualité ou infecte, et sur iceux lever amende 
au profl&t dudit corps par moitié avec ledit hospital S'« Barbe 
suivant l'exigence du cas, laissant et reservant néansmoins 
aux parties, en cas d'opposition, leur recours par devant 
messieurs du Magistrat ou à la justice ordinaire, si mieux 
n'aiment lesdites parties s'en rapporter à la décision du corps 
desdits marchands qui se rendra par eux sans frais. 

DixHUiTiÈMEHENT. Qu'il ne sera de même pas permis à 
aucun marchand étranger portant balle, ny d'autre quelle 
sorte et qualité de marchandise, qu'il puisse vendre soit en 
gros et en destail conformément à une sentence donnée à 
Inspruck le vingt huitième avril mil cinq cent quinze, qui 
confirme les anciens privilèges desdits marchands, ny mesme 
tenir magasin si ce n'est par permission ? à aucun des mar- 
chands du lieu de venir tenir et vendre dans la ville et banlieue 
d'icelle, ny porter vendre dans les maisons, à peine de confis- 
cation de leurs marchandises, à l'exception des jours de foires 
qui sont libres pour tout le monde, à moins qu'ils ne se fassent 
recevoir dans la maîtrise et qu'ils ne soient compris dans 
toutes charges de cette ville en argent et logement des gens 
de guerre tant ordinaires qu'extraordinaires; lesquels estran- 
gers seront observez à la dilligence des commis de ladite 
maîtrise des marchands pour en estre empêchez et en avertir 
messieurs du Magistrat pour les cottizer suivant leur portée, 
faculté et moyens, en cas qu'ils soient reçeus pour bourgeois 
ou habitans. 

DixiTBUFTiÊMBMBNT. Que si la ville fait à l'avenir une Kauff- 
hatis, les marchands du lieu ne seront obligez d'y faire 



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240 REVUE D'ALSACE 

descharger les marchandises qui leur arriveront jiour leur 
propre, non plus que d'y faire passer celles de leur propre 
qu'ils feront conduire hors de la ville. 

Vingtièmement. — Que lorsque ladite Kaufihaus sera 
édifiée, les marchands estrangers ne pourront descharger en 
aucun autre lieu que ce soit leurs marchandises que dans icelle, 
à peine de cinq livres d'amende, moitié au profit de la mais- 
trise et l'autre moitié audit hospital Sainte Barbe ; et laquelle 
marchandise il ne pourra vendre qu'en gros dans ladite Kauff- 
haus; et si dans ladite Kaufihaus ou dans un autre lieu de la 
ville ou banlieue il s'y rencontre un marchand de la ville qui 
entre en marché traittant avec ledit marchand estranger, et 
il y en survient un autre ou deux ou plus qui désirent avoir 
part audit achapt, ledit premier marchand traittant sera 
obligé donner part aux autres de son marché qu'il pourroit 
avoir fait, et non autrement; 

ViNGTUNiÈMEMENT. Que quaud il y aura quelqu'un du corps 
des marchands ou maîtrise de décédé, les autres estant advertis 
par le clerc de la maîtrise seront obligez d'assister au convoy 
funèbre, le cierge à la main, pour conduire le mort en terre, 
et les garçons d'y assister pour les garçons, à peine aux 
maistres de dix sols d'amende au profit de la maîtrise, et les 
garçons de cinq sols au profit de leur boette commune. 

ViNGTDEUXiÈMEMENT. Que tous uégocians et marchands, 
tant en gros qu'en destail, auront un livre contenant leur 
négoce, leurs lettres de change, leurs dettes actives et passives 
et les deniers employez à la despence de leur maison ; 

ViNGTROisiÈMEMENT. Que leurs livres journaux seront 
escrits d'une même suitte par ordre de datte, sans aucun 
blanc, arresté en chaque chapitre et à la fin, et ne sera rien 
escrit en marge; lesquels livres, tant journaux que grands 
livres desdits marchands, seront parafiez etcottez par premier 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 241 

et dernier feuillets, signez par le maistre dudit corps avec les 
deux adjoints conseillers, et les premiers et derniers feuillets 
feront mention de la quantité des feuillets que contiendront 
lesdits livres, afin que foy y soit adjoutée en justice; ce qui ce 
fera le tout sans frais ; 

ViNGTQUÀTRiÊMEMENT. Quo lesdits jiégocians et marchands, 
tant en gros qu'en déstail, mettront en liasse solide les lettres 
missives qu'ils recevront, et enregistreront la copie de celles 
qu'ils écriront ; 

ViKaTCiNQuiÈMEMENT. Quo comme de coustume et de tout 
temps immémorial, mesme depuis la fondation de cette ville 
de Belfort, ainsy qu'il paroist par lettres de confirmation des 
seigneurs souverains des années mil quatre cent soixante 
deux et mil quatre cent quatre vingt douze, et autres plusieurs 
postérieures confirmations, que lesdits marchands avoient, 
ont et auront à l'avenir connoissance ? de tous les sermons de 
tous marchands fréquentans les foires, aussy bien que ceux 
qui se feront passer maistres, de se comporter fidellement 
dans leur négoce et les recevoir dans leur assemblée, depuis 
la rivière de Luze en Bourgogne jusqu'à la rivière de la 
Largue située dans le Sontgau, et depuis la ville de Colmar 
tirant à Sainct Hypolite jusqu'à Pontarlié aussy en Bourgogne ; 
et pour le droit d'enregistrement une fois pour tout dans 
ladite maistrise chascun desdits marchands payera suivant 
son négoce, sceavoir de trois livres jusqu'à cinq livres par 
chaque enregistrement, qui seront distribuées audit hospital 
S*® Barbe et employez aux pauvres honteux, comme de toute 
ancienneté. 

Tous lesquels statuts et privilèges nous lesdits prévost, 
maistre-bourgeois, conseillers, juges et justiciers de la ville de 
Belfort avons reconnus estre équitables, véritables et justes, 
tendans à ce que bonne police soit entretenue tant dans le 
négoce qu'entre lesdits marchands ; partout nous consentons 

NooyeU« Série. — 45-* année. 16 



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242 REVUE d'alsâce 

qu'ils en jouyssent comme il paroit qu'ils ont fait de toute 
ancienneté; leur enjoignant de les faire homologuer au 
Conseil Souverain d'Alsace. Fait en justice à la maison de 
ville de Belfort le troisième octobre mil six cent quatre vingt 
dix sept ; Signé Noblat, Henry Vernie, David Giboilet, Jean 
Pierre Chardouillet, Thomas Delaporte, Jean Claude Bellot, 
David Pierront, Claude François Monnier, François Thomas 
Dufaure. A ces causes requerroient qu'il plust à nostre dit 
Conseil, veu les pièces mentionnées en ladite requeste, ordon- 
ner que lesdits statuts y joints seront homologuez pour jouir 
par les suppliants du bénéfice et contenu en iceux. Ladite 
requeste signée Ronjon. 

Conclusions de nostre procureur général; ouy rapport de 
M® François Favier, veu et considéré nostre dit Conseil faisant 
droit sur la requeste, ordonne que lesdits statuts concernant 
lesdits marchands de la ville de Belfort seront enregistrés es 
registres d'iceluy pour estre iceux (par provision) exécutez 
selon leur forme et teneur; sera néantmoins ajouté aux 
articles d'iceux que dans les assemblées desdits marchands il 
ne sera traitté autres choses que celles concernantes la manu- 
tention de leur négoce. Donné en nostre Conseil Souverain 
d'Alsace à Colmar le 26* du mois de may, l'an de grâce mil 
six cent quatre vingt dix huit, et de nostre règne le 55«. Sy te 
mandons de faire pour l'exécution du présent arrest tous 
exploits et autres, etc. 

CoUationné: Jà.oquenet. 



Extraict des registres de la Justice de Belfort, 
du 10 Juillet 1698 

Le sieur Delaporte, au nom de la confrairie des marchands 
de cette ville, s'est présenté requérant qu'il pleust à messieurs 
de la Justice luy octroyer acte de la présentation qu'il a faitte 



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STATUTS DES HÂRGBANDS DE LA VILLE DE BELFORT 243 

des Statuts qu'il nous pleut octroyer auxdits marchands en 
conformité de ce qu'ils en avoient jouy d'ancienneté, et en 
conséquence ordonner que lesdits statuts seront enregistrés 
en registres pour par la suitte y estre maintenus et en jouir 
comme de coutume ancienne, et suivant l'homologation qu'ils 
en ont obtenue de nos seigneurs du Conseil souverain d'Alsace. 
Ouy ledit requérant au nom qu'il agit, et l'arrest de nos dits 
suigneurs du Conseil portant l'homologation et qui ordonne 
que lesdits marchands jouiront par provision desdits statuts, 
nous leur avons octroyé acte de sa réquisition, et en consé- 
quence avons ordonné que lesdits statuts et ledit arrest seront 
enregistrez es registres de cette ville pour en jouir par lesdits 
marchands conformément à leur coutume. 

Collationnéf Noblat. 



12 septembre 1726 

Arrêt du Conseil souverain d'Alsace au sujet de 
rapplication de Tarticle 18 des statuts de 1698 

Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, 
au premier nostre huissier ou sergent sur ce requis, sçavoir 
faisons que comme ce jourd'huy veu par nostre Conseil souve- 
rain d'Alsace la requeste présentée en iceluy par le nommé 
Bletry l'ainé et consors composant le corps des marchands de 
la ville de Belfort, expositive qu'en vertu de différentes lettres 
patentes accordées par les archiducs et leurs prédécesseurs, 
et arrests rendus en leur faveur, ils ont joui de plusieurs 
droits et ce d'un temps immémorial ; les anciennes guerres et 
surtout celle des Suédois ayant apporté la désolation dans 
toutte la province, les privilléges des autheurs des supplians 
ont resté sans efiet ; mais heureusement la province estant 



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344 EEVCE O^ALSACB 

tombée sous la domination de nostre très cher et très 
honoré bisayeul Louis quatorze de glorieuse mémoire, alors 
tous les sujets soumis à son authorité songèrent à profiter de 
la douceur de son règne, en sorte que les suppliants, comme 
tous les autres corps de la province, pour entretenir la police 
et le bon ordre dans leur corps firent renaistre leurs anciens 
privilèges, et pour leur donner toute la force dont ils avoient 
besoin se pourveurent en nostre dit Conseil souverain d'Alsace, 
od ayant exposé leurs titres et privilèges, ils demandèrent 
acte du renouvellement de leurs statuts et privilèges, et par 
arrest du vingt sixième mars mil six cent quatre vingt dix huit 
nostre dit Conseil faisant droit sur la requeste, ordonna que 
lesdits statuts concernant les suppliants seroient enregistrés 
ès-régistres dlceluy pour estre iceux par provision exécutés 
selon leur forme et teneur; entre autres articles desdits 
statuts il est porté par le dixhuitième article qu'il ne sera pas 
permis à aucun marchand étranger portant balle ny d'autres 
de quelle sorte et qualité de marchandises, qu'ils puissent 
vendre soit en gros ou en détail, de pouvoir vendre dans la 
ville et banlieue d'icelle, ny porter vendre dans les maisons à 
peine de confiscation de leurs marchandises, à Texception des 
jours de foires ; Tout le contenu desdits statuts a eu lieu et a 
este exécuté jusqu'à présent, à la réserve de l'article Dix huit 
énoncé cy dessus; différents petits merciers des environs se 
sont fait une habitude de se rendre à Belfort touttes les 
semaines les jours de marché, et exposent leurs marchandises 
en vente ; d'autres étrangers, comme de Mulhausen, venant à 
Belfort vont de maison en maison distribuer les marchandises 
dont ils font commerce ; il arrive qu'aux jours ordinaires des 
foires, les marchands forains tiennent boutique ouverte encore 
le lendemain et surlendemain ; enfin, la licence à Belfort 
est si grande, que les bourgeois artisans exposent publique- 
ment des marchandises en vente. Les suppliants qui sont 
fondés en arrest contû*matif de leurs statuts par lesquels il 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 245 

est defiendu aux étrangers de vendre dans les maisons ny 
autrement, hors les jours des foires, et pour empescher le 
tort et le dommage qu'ils ressentent de la liberté que se 
donnent les étrangers d'exposer leurs marchandises hors les 
jours de foires, ont porté leurs plaintes aux Magistrats de 
ladite ville qui n'y ont ou aucun égard ; ils ont mesme eu le 
désagrément de voir authoriser les étrangers par les prin- 
cipaux de ce lieu. Un dérangement si préjudiciable à leur 
commerce leur a fait former la résolution de se pourveoir en 
nostre dit conseil, duquel ils implorent l'authorité pour arrester 
une fois les entreprises des étrangers et des bourgeois sur 
leurs droits et privilèges; Les suppliants ont tout lieu 
d'espérer qu'ils seront écoutés favorablement, surtout si 
nostre dit Conseil a la bonté de faire attention qu'estant 
chargés des impositions royales et autres, il y a de la justice 
que s'il y a quelque profit à faire dans le commerce, il tourne 
plus tôt à leur avantage qu'à celuy des étrangers qui ne sont 
tenus à rien qu'à certains droits d'entrée. A ces causes 
requéroient qu'il plaise à nostre dit Conseil, veu l'arrest 
d'homologation du vingt sixième may mil six cent quatre 
vingt dix huit, ordonner que l'article dixhuitième d'iceluy 
sera exécuté suivant sa forme et teneur; ce faisant faire 
deffense à tout marchand forain de vendre et débiter dans la 
ville et banlieue de Belfort aucunes marchandises hors les 
jours de foires seulement, et aux bourgeois artisans de ladite 
ville d'exposer en vente aucunes marchandises qui ne seront 
point de leurs ouvrages, à moins qu'ils ne soient receus à la 
maîtrise; permettre aux suppliants, en cas de contravention, 
de faire saisir les dites marchandises, pour la confiscation 
dlcelles en estre ordonné par nostre dit Conseil conformément 
audit article dixhuitième et pour que personne n'en prétende 
cause d'ignorance de l'arrest qui interviendra, ordonner qu'il 
sera leu et affiché partout où besoin sera ; La dite requeste 
signée Callot, procureur des suppliants. Conclusions de nostre 



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246 REYUR d'alsacb 

procureur général, ouy le rapport de nostre amé et féal 
M' Michel d'Elvert, conseiller, tout considéré : 

Nostre dit Conseil ayant aucunement égard à la requeste, 
a ordonné et ordonne que l'article dix huit des statuts sera 
exécuté selon la forme et teneur ; ce faisant, a fait et fait 
deflFense aux marchands forains de vendre ny débiter leurs 
marchandises dans la ville deBelfort et banlieue d'icelle, hors 
les jours de foires. Si te mandons de faire pour l'exécution 
du présent arrest tous exploits et autres actes de justice requis, 
et nécessaires de ce faire te donnons pouvoir. Donné à Colmar 
en la première chambre de nostre Conseil souverain d'Alsace 
le douzième jour du mois de septembre l'an de grâce mil sept 
cent vingt six, et de nostre règne le douzième. 

CoUationné par le Conseil, Mehelet. 



Publication du précédent arrêt par ministère 
d'huissier 

23 septembre 1726 

L'an mil sept cent vingt-six, le vingt troisième jour du mois 
de septembre, environ les huit heures du matin, en vertu de 
l'arrest rendu par nos seigneurs du Conseil souverain d'Alsace 
en datte du douzième du courant, signé et scellé en bonne et 
dheu forme, confirmatif d'un autre arrest rendu audit Conseil 
le vingt sixième may mil six cent quatre vingt dix huit, estant 
aussy en bonne et dheu forme, signé et scellé, et par permis- 
sion de monsieur de l'Artique, chevallier de l'ordre millitaire 
Saint Louis, commandant des ville et chasteau de Belfort, 
comme aussy de celle de monsieur Noblat, prévost et grand 
bailly de ladite ville et département, subdélégué en Haute 
Alsace, à la requeste du sieur Bletry l'aisné, prévost des 
marchands, et consorts composants le corps des marchands 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 247 

dudit Belfort qui font élection de domicile en la maison où je 
réside, je Joseph Lemoine, huissier, sergent royal audit Conseil, 
demeurant audit lieu de Belfort, soubsigné, certifie avoir leu 
et publié au son du tambour sur les places et carrefours 
dudit Belfort lesdits arrests, etnotamment l'article dixhuitième 
de celuy dudit jour 1698, avec deffense à tous marchands estran- 
gers, de quelque sortes et manières que ce soit, de venir vendre 
aucunes marchandises à l'advenir à commencer du présent 
jourd'huy aux marchés et jours ordinaires dans ladite ville de 
Belfort, hors les jours de foires réservés par lesdits arrests 
homologuez audit Conseil, à peine contre les contrevenants de 
confiscation de leurs marchandises et de tous despens et 
dommages et intérests ; à ce que nul de tous lesdits marchands 
n'en puissent ignorer, j'ay afl&ché copie d'iceux à la porte de 
l'hôtel de ville, au quai de la place de la grande fontaine et à 
la porte de l'église paroissiale dudit Belfort, en présence 
d'Antoine Louty, praticien en ladite ville, et de Nicolas Roppe, 
bourgeois, demeurant audit lieu, témoins requis qui ont signé 
avec moy sur le présent original et les coppies. 

Antoine Louty. 

Lemoine. 



20 septembre 1731 

Arrêt du Conseil souverain d'Alsace contre un 
appel formé par deux marchands ambulants 
des environs de Belfort contre deux décisions 
rendues par le S'^ Noblat, subdélégué de l'In- 
tendant de la province. 

« Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, 
au premier notre huissier ou sergent sur ce requis, sçavoir 
faisons que comme ce jourd'huy veu par nôtre Conseil souve- 



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248 REVUE d' ALSACE 

rain d'Alsace Tinstance d'entre les bourgeois composons le 
corps des marchands de la ville de Belfort appelons tout 
comme de juges incompétents qu'autrement deuement de deux 
décrets rendus par M' Noblat, en qualité de subdélégué du 
sieur intendant de la province d'Alsace, les huitième et onzième 
octobre mil sept cent vingt huit, suivant leurs actes des neuiième 
et quatorzième du même mois, relief d'appel par eux obtenu 
en chancellerie le vingtième novembre de ladite année et 
exploits d'assignation donnés en conséquence le vingt qua- 
trième dudit mois, et encore demandeurs en requeste pré- 
sentée en nôtre dit Conseil le vingt neufvième mars mil sept 
cent vingt neuf, d'une part, et Joseph Monin, marchand ambu- 
lant demeurant à Vézelois, et Mathieu Dumont aussy marchand 
ambulant demeurant à Anjoutin, intimés et defiendeurs en 
requeste et demandeurs en requeste d'opposition du vingt 
huitième may mil sept cent vingt neuf, ladite instance ayant été 
reprise par les veuve et héritiers de feu Joseph Monin décédé 
pendant la litispendance suivant la céduUe des présentations 
par eux levée le vingt huitième aoust mil sept cent trente, 
d'autre part ; les dits deux décrets par le premier desquels il 
a esté ordonné que la requeste des intimés seroit commu- 
niquée aux appellants, et par le second il a esté donné main- 
levée provisionnelle aux intimés de la saisie de leurs balles, 
ordonné que le gardien les leur remettroit, à quoy seroit 
contraint même par corps, ce faisant, deschargé signification 
faite dudit décret le onzième octobre mil sept cent vingt huit, 
les actes d'appel du neufvième et quatorzième dudit mois, 
ensemble le relief d'appel obtenu le vingtième novembre 
suivant, les cédulles des présentations levées par les parties 
les vingt deux décembre mil sept cent vingt huit et premier 
septembre mil sept cent vingt neuf, les conclusions des appe- 
lans tendantes à ce qu'il plaise à notre dit Conseil, sans 
s'arrester à la requeste des intimés afin d'opposition aux fins 
de laquelle ils seront déclarés sans qualité ou en leur cas mal 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 249 

fondés; faisant droit sur l'appel, ensemble sur la requeste du 
vingt neufvième mars mil sept cent vingt neuf et acte d'amplia- 
tion de conclusions du quatorze juin suivant, dire qu'il a esté 
mal, nullement et incompétemment jugé, décrété et ordonné, 
casser et annuler le tout; si non, et au cas qu'il ne plairoit à 
nostre dit Conseil prononcer de la sorte, mettre l'appellation 
et ce dont est appel au néant; émandant» ordonner que les 
arrests des années mil six cent nouante huit et mil sept cent 
vingt six soient exécutés selon leurs formes et teneur, et pour 
y estre entrevenu, condamner les intimés en trois cent livres 
de dommages et intérests et en tous les dépens; les conclusions 
des intimés tendantes à ce qu'il plaise à notre dit Conseil, 
sans s'arrester ou à la requeste des appelans, les renvoyer en 
tant que besoin seroit opposants à l'exécution de l'arrest 
d'homologation de mil six cent quatre vingt dix huit et à celuy 
de mil sept cent vingt six qui ordonne l'exécution de l'article 
dix huit de leurs statuts ; ayant égard à leur opposition et y 
faisant droit, ordonner que les décrets des trentième octobre 
mil six cent nouante huit et vingt deuxième may mil sept cent 
vingt seront exécutés selon leur forme et teneur ; ce faisant, 
les maintenir et garder en la possession où ils sont conformé- 
ment à iceux d'étaler, vendre et débiter leurs marchandises 
les jours de foires et de marchés dans la ville de Belfort; en 
conséquence, prononçant sur l'appel, mettre l'appellation au 
néant, avec amende et dépens, sauf aux appellants à pour- 
suivre l'opposition qu'ils ont formée par devant le sieur inten- 
dant; arrest du quinzième juin mil sept cent vingt neuf, par 
lequel notre dit Conseil, pour faire droit sur l'appel, a approuvé 
les parties en iceluy à donner causes et moyens d'appel, 
réponses et à écrire, produire, bailler contredits et salvations 
dans le temps de l'ordonnance ; et sur les requestes en droit 
et joints causes et moyens d'appel de la part desdits bourgeois 
composans le corps des marchands de la ville de Belfort, 
réponses à iceux de la part desdits marchands ambulans 



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250 REVUE D'ALSACE 

intimés, escritures en production respective des parties suivant 
et au contenu de leurs inventaires de production des trente 
unième aoust mil sept cent vingt neuf et huitième mars mil 
sept cent trente, requeste des appellants employée pour 
réponses et contredits, décrétée et signifiée au procureur des 
intimés le vingt quatrième may mil sept cent trente, produc- 
tion nouvelle des intimés, ensemble leur requeste employée 
pour réponses es interdits, et à ce qu'il leur soit donné acte 
de ce qu'ils n'insistent plus aux fins de leur requeste du vingt 
troisième may mil sept cent vingt neuf en ce qu'ils ont 
demandé qu'il soit ordonné que les décrets des trentième 
octobre mil six cent nouante huit et vingt deuxième may mil 
sept cent vingt sept en conséquence d'estre maintenus et 
gardés, sauf à eux à conclure ainsy où et au cas qu'il appar- 
tiendra; l'acte mis au bas de ladite requeste, ensemble la 
signification faite du tout à Collas, procureur des appellans, 
employée pour réponse décrétée et signifiée à Papigny, procu- 
reur des intimés le septième juillet suivant, et tout ce qui a 
esté écrit et produit en ladite instance, conclusions de notre 
procureur général auquel le tout a esté communiqué ; 

Ouy le rapport de nostre amé et féal M' François Joseph 
Ignace Mtinck, conseiller, tout considéré et examiné, nostre 
dit Conseil faisant droit et sur l'instance, sans s'arrester aux 
requestes respectives des parties, non plus qu'à leurs actes 
d'ampliation de conclusions, des quels a esté mal, nullement 
et incompétemment jugé, décrété et ordonné ; en conséquence 
a cassé le tout et a condamné les intimés aux dépens de 
l'insistance; et faisant droit sur les réquisitions de notre 
procureur général, a ordonné et ordonne que les appellans 
seront tenus de se retirer par devers nous dans le délais de six 
mois pour obtenir lettres de confirmation de leurs statuts. Si 
te mandons de faire pour l'exécution du présent arrest tous 
exploits et autres actes de justice requis et nécessaires de ce 



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STATUTS DES MARCHANDS DE LA VILLE DE BELFORT 251 

faire, te donnant pouvoir. Donné à Colmar, en notre dit 
Conseil souverain d'Alsace, ce vingtième septembre l'an de 
grâce mil sept cent trente un et de notre règne le dix septième. 

CoUationné^ Legain. 
Par le Conseil. 



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A PROPOS D'UNE 

PÉTITION DES PtCHEURS DE STRASBOIRG 

AU MINISTRE DE VILLÉLE 



Août 1822 



La corporation des maîtres pêcheurs de Strasbourg est bien 
souvent citée dans le charmant volume de Charles Gérard, 
Vandenne Alsace à table dont la Revue d'Alsace a eu la pri- 
meur* (années 1853-1862). Après avoir montré les statuts de 
la société, l'humoristique écrivain indique les principaux 
poissons du Rhin et de TIU et termine par ses incomparables 
études qui font de son livre un sujet de lecture dont on ne 
peut se lasser. 

En publiant la pétition que les pêcheurs strasbourgeois 
adressèrent en 1822 à M. de Villèle, alors ministre des finances, 
j'ose espérer de fournir un document intéressant à l'attrayant 
volume de notre très regretté compatriote, qui l'aurait lu, je 
pense, avec plaisir. Avec quelle honnêteté, quel bons sens, les 
demandeurs jugent l'ordonnance royale de 1669. L'administra- 
tion, il est vrai, et cela fait son éloge, n'y tenait pas trop la 

* Il y a eu en 1862 un tirage à part très restreint. La maison Berger- 
Levrault, de Nancy, en a fait une nouvelle édition en 1877, grand in-8®, 
VI, 362 pages. — Dans le catalogue Victor Luzarche, de Tours, Paris, 
Glaudin, 1868, n^ 1714, Vcmcienne Alsace à table est ainsi annotée : 
« Livre farci de détails et de curiosités culinaires. » Puis viennent 
douze lignes de citations des principaux chapitres. 



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PÉTITION DES PÊCHEURS DE STKASBOURG 253 

main, mais on ne pouvait se fier à une tolérance qui cesserait 
d'un jour à l'autre, selon le caprice du dépositaire local de 
l'autorité. Libres sur le Rhin, grâce à une première pétition ; 
les demandeurs dans leur seconde demande, désirent la même 
faveur sur l'Ill, affluent qui, à partir du hameau de Erapft, 
près Erstein, peut être considéré comme un bras du fleuve. 

Four obtenir un droit contraire à une ordonnance surannée, 
ils déclarent hautement qu'ils exercent leur profession de père 
en fils a ce qui doit les porter à user avec discrétion des 
autorisations qu'ils réclament et à ménager la population des 
rivières. » 

Leur industrie était connue de toute l'Europe: qui n'a pas 
entendu parler des célèbres carpes du Rhin ? « Elles arrivent 
en grande pompe à Paris, écrivait, en 1804, Grimod de la 
Reynière.^ Nous devons cependant avertir, pour l'amour de la 
vérité, que ces prétendues carpes n'ont jamais vu le fleuve 
de plus près que d'un quart de lieue. Ce sont des carpes 
pêchées dans les étangs de Lindre, de Gondrexange et autres, 
situés dans la Lorraine alleiuande, qu'on amène encore jeunes 
à Strasbourg, où l'on achève leur éducation en les engraissant 
dans la rivière d'Ill, enfermées dans de vastes boutiques.' Telle 
de ces carpes vaut jusqu'à trente louis. Nous y en vîmes une, 
en 1786, qui avait fait deux fois dans sa vie le voyage de Paris. 
Elle avait fait cette route dans la malle du courrier et sans 
autre nourriture que du pain trempé dans du vin. Elle existe 
I>eut-être encore. » 

' Alnumach des Gourmands, Paris, p. 86. Outre ses carpes et ses 
pâtés, Strasbourg était encore renommé à Paris par sa choncronte, dont 
le principal dépôt était rue Maubnée, chez Jacob Lécher qui, avant la 
Révolution, en alimentait toute la cour. 

* En 1789, les pêcheurs demandaient dans leurs cahiers de doléances 
que le Magistrat proscrivit en Alsace l'introduction du poisson de la 
Lorraine. Leur demande fut rejetée par le motif que la facilité de 
l'alimentation serait diminuée. (Ch. Gébard.) 



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254 REVUE d'alsace 

Serait-ce celle qui figura aux fêtes données le 23 mai 1810 
à Marie-Louise, lors de son passage à Strasbourg? Les corps 
des métiers défilèrent devant elle au château. 

La corporation des pêcheurs était représentée par douze 
jeunes gens de quinze à vingt ans en vestes et culottes de 
basin blanc et écharpes de taflfetas vert, portant une nacelle 
peinte en vert aux armes de France et d'Autriche, décorée de 
fleurs et de guirlandes, surmontée d'une aigle dorée. Après 
eux venaient vingt-quatre jeunes filles uniformément habillées 
en blanc avec des corsets de taflfetas vert. 

Dans la nacelle nageaient une grosse carpe du Rhin du 
poids de quatorze kilogrammes, longue de plus de neuf déci- 
mètres et âgée de plus de cent vingt ans * et un silure (lotte 
de Hongrie) d'une grosseur extraordinaire et long de seize 
décimètres. 

Ces deux poissons furent envoyés à Paris au prince de 
Neufchatel, qui daigna répondre « qu'ils avaient été remis 
a à la bouche de l'empereur et qu'il en avait prévenu S. E. le 
(( duc de Frioul, grand maréchal du palais. » * 

En 1569, on captura un jeune silure long d'un pied, dans 
l'IU, près d'Hessenheim. Un temps orageux le fit périr, en 
1620, à Strasbourg. Pendant ces cinquante-et-un ans de capti- 
vité, il avait acquis une taille de cinq pieds.* 

^ Ces énormes poissons se transmettaient de père et en fils. M. Ro- 
dolphe Renss, dans son intéressante étude sur la justice criminelle 
à Strasbourg, cite l'expulsion, en 1567, hors du territoire de Péyé- 
ché, d'un voleur qui avait pris une carpe ayant au moins cinquante 
ans de réservoir. Le propriétaire, fils du premier père nourricier, 
acquit la preuve que le pauvre poisson qu'il considérait comme étant 
« de la famille » avait eu l'honneur d'être offert en hommage au Magis- 
trat par le bribeur qui ne fut pas trop puni. (1885, 122.) 

* Annulaire du Bas-Bhin, 1811, 156. 

' Le baron de Dietrich, avant 1789, avait fait venir des silures du 



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PÉTITION DES PÊCHEURS DE STRASBOURG 255 

Les lottes du Rhin étaient aussi renommées. La marquise 
de Pompadour écrivait le 6 mai 1759 à la comtesse de Lûtzel- 
bourg,' sa chargée d'affaires dans la capitale de l'Alsace :• 
« Vos lottes avaient la meilleure mine du monde, je n'en ai 
pas mangé parce que je fais gras à cause du lait d'ânesse que 
je prends dequis quatre mois. » La favorite, en refusant les 
lottes de sa « grand'femme » faisait peu de cas du proverbe : 

Pour une lotte, 
Une femme vendrait sa cotte. 

La Révolution avait été fatale à la corporation des pêcheurs; 
elle comprenait alors 96 membres sans compter les veuves et 
les compagnons. Par suite de circonstances faciles à com- 
prendre, leur commerce avait subi une énorme dépréciation, 
et leur fortune privée avait été fortement atteinte par près 
d'un quart de siècle de guerres incessantes. Ce furent eux qui 
transportèrent toujours, avec leurs barques, les troupes sur 
l'autre rive du Rhin. Plusieurs tombèrent glorieusement sous 
le feu de l'ennemi; d'autres furent ruinés par l'incendie ou la 
destruction de leurs pontons. Les bateliers et les pêcheurs 
fournirent, dès 1793, h chaque réquisition ce qu'ils avaient. 
On cherchait les bateaux jusqu'à Golmar. Aux passages du 
23 juin 1796 et du 20 avril 1797, près de Kehl, il y avait 
159 embarcations tirées de l'IU et du Rhin et conduites par 
418 hommes. Le général Dedon cite, comme s'étant distingués 
aux deux actions, Thiébault Helck, vieillard septuagénaire 
qui ayant déjà deux de ses tils sur les pontons y conduisit son 

Fœdersee pour ses étangs, près de Niederbronn; les inondations et les 
gelées les firent périr {Mag<mn pittoresque, 1853, 288). 

^ Marie-Ursule de Klinglin, la sœur dévouée du vieux préteur, 
habitait Ttle Jard. Sa correspondance avec Voltaire a été imprimée en 
1812. Elle était yeuve de Walther, comte de Lûtzelbonrg, mestre de 
camp du régiment Royal-Allemand, seigneur de Saar-Altrof^ Bieber- 
kirch et Hartzwiller. 

' Correspondance publiée par A.-P. Malassis. Paris, 1878, 116. 



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256 REVUE d'ài^ace 

troisième enfant, Daniel et Jacques Rockenbach, Georges 
Eckert père et fils, Vetter et Ulrich, Henri Zabern, capitaine, 
et Braun, ofl&cier de pontonniers, André Zabern père et plu- 
sieurs autres.^ Le dessinateur strasbourgeois. Benjamin Zix, 
a reproduit par la gravure ces deux épisodes militaires qui 
font tant d'honneur au général Moreau. Le corps des ponton- 
niers fut recruté à Strasbourg, parmi les compagnons bateliers 
et pêcheurs. Ceux-ci montrèrent dans les grandes guerres de 
Tempire la même ardeur qu'ils avaient eue pour défendre leur 
ville natale. 

Ce sont ces vétérans des premières guerres de la République 
qui réclament, en 1822, près du ministre des finances un 
changement dans la pêche de TIll. Leur demande est l'expres- 
sion d'honnêtes sentiments. Élevés dans un rude métier, ils ne 
veulent pas en imposer à l'État, mais ils n'entendent pas en 
être la dupe. La lecture de leur pétition est la meilleure 
critique des règlements sur la pêche et de la centralisation 
administrative. 

A. Bknoit. 



A Son Excellence Monseigneur le Secrétaire d'Etat^ 
Ministre des Finances. 

MONSEIGNEUB, 

Les pêcheurs de Strasbourg en recevant la Communication 
de la décision de Votre Excellence en date du 26 Juillet 1822, 
ont été remplis d'une joie vive ; ils y ont vu une preuve 
nouvelle de la sollicitude avec laquelle V. E. veut bien 
examiner leurs plaintes et de l'empressement avec lequel elle 
en lève les causes lorsqu'elle les trouve vraies. Mais, V. E. leur 

^ Dboon, Mémairts militaires f^ur Kehl, Strasbourg, 1797. 



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PÉTITION DES PÊCHEURS DE STRASBOURG 257 

permettra de le dire, le bienfait de cette décision est imparfait 
et ne remplit pas les vues qui Pont dictée. V. E. s'était laissée 
toucher par l'état désespéré des exposans menacés d'une 
ruine totale et prochaine, et, dans la persuasion que la 
concession de la libre pêche du Rhin leur oflFrirait à tous une 
ressource suffisante, elle a bien voulu la leur faire. Cepen- 
dant cette concession n'est véritablement profitable qu'à cinq 
ou six d'entr'eux qui, ayant hérité l'occupation de la pêche 
du Rhin de leurs pères, peuvent s'y livrer avec firuit à raison 
de la situation de leurs demeures, par leurs habitudes et la 
nature de leur attirail et de leurs ustensiles. Tous les autres, 
presqu'exclusivement circonscrits par les limites du canton- 
nement de l'IU, demeureroient frappés d'un arrêt de mort, 
s'ils n'obtenaient pas de la justice et de l'humanité de V. E. 
que la pêche puisse s'y continuer selon l'ancienne police. 
Permettez, Monseigneur, qu'ils entrent à ce sujet dans quel- 
ques détails conformes à la vérité. 

La pêche du Rhin s'étendait autrefois pour les pêcheurs de 
Strasbourg et en vertu des conventions faites par l'ancien 
Magistrat depuis Bâle jusqu'à Bonn. Dans cette latitude, 
l'industrie des pêcheurs qui s'adonnaient à la pêche du Rhin, 
put s'exercer avec un tel fruit qu'un grand nombre de familles 
s'en nourrirent aisément. La Révolution ayant détruit cette 
faculté, elle ne fut que momentanément et imparfaitement 
remplie par Tintroduction de la liberté absolue et générale de 
pêche que vint bientôt abolir la loi de Floréal an X. Dès lors, 
les pêcheurs du Rhin, bornés à un étroit cantonnement, se 
réduisirent de plus en plus ; la pauvreté a été le sort de beau- 
coup d'entre eux ; l'indigence en a lentement tué d'autres ; la 
plupart ont quitté leur profession non sans dommage, on ose 
le dire, pour la chose publique, puisque cette classe d'hommeà 
avait constamment rendu des services signalés lors des inon- 
dations et des marches militaires. La pêche de l'IU est devenue 
l'occupation principale des pêcheurs de Strasbourg ; elle aurait 
NouYoUe Série. — 45"* année. 17 



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âÔ8 REVUE D'aLSâCE 

été cependant impossible, si elle avait été de fait soumise à 
l'Ordonnance de 1669, surtout en ce qui concerne la pêche de 
nuit et l'usage des filets à petites mailles. Les particularités 
que présente l'Ill quant à la pêche, le font voir d'une manière 
palpable. 

En eflet, cette rivière par des circonstances frappantes, 
participe dans sa traversée par la banlieue de Strasbourg et 
déjà à une distance considérable au-dessus, de la nature du 
Rhin. Ces circonstances sont que dès les environs d'Erstein, 
i] existe (à Grafft' ) un bras de communication entre l'Ill et le 
Rhin qui, selon l'élévation respective des deux rivières, 
déverse tantôt dans l'un, tantôt dans l'autre. 

Dans la banlieue de Strasbourg, même à quelques mètres 
de la ville, l'Ill reçoit un bras très profond et très abondant 
du Rhin, dit le Bhin torta'^ ; dans l'intérieur de la ville, elle 
reçoit le canal de navigation du Rhin dit de Saint Jean^ et à 
une lieue au-dessous de la ville, toujours dans sa banlieue ; 
elle communique encore avec le Rhin par un vieux bras dit 
AUwasser, qui, comme le bras de Grafft, déverse tantôt dans 
l'Ill, tantôt dans le Rhin, selon l'élévation accidentelle de 
l'une ou l'autre rivière. 

De là, il résulte que les eaux de l'Ill contractent une 
fraîcheur plus vive que celle qui leur serait naturelle, et que 
comme dans le Rhin, à l'approche de l'hiver, où cette fraîcheur 
devient plus sensible à la surface, les poissons se retirent 
dans la plus grande profondeur et les réduits les plus inacces- 
sibles de la rivière, d'où ils ne sortent que pendant des nuits 
calmes et sombres pour chercher leur nourriture. C'est donc 
alors le seul moment où la pêche devient possible et assez 
productive pour donner aux pêcheurs un bénéfice suffisant 

^ Kraft, hameau, ban d'Erstein. 
^ Eminme Rhein. 
^ Johannes Giessen. 



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PÉTITION DES PÊCHEURS DE STRASROURG 259 

pour entretenir leurs familles et payer leurs licences et 
autres impositions. 

Ces mêmes communications avec le Rhin, entretiennent la 
recrue en poissons de l'IU qui y reflue vers le printemps et 
en outre à toutes les époques où le Rhin est plus élevé que 
riU et y déverse. Ainsi, lors même que la pêche de l'IU dans 
ces parages est exploitée avec plus de liberté, elle n'est point 
exposée aux détriments qui pourraient résulter d'une pareille 
faculté dans des rivières éloignées de fleuves majeurs et 
réduites à leurs propres ressources, comme cela pourrait être 
le cas pour l'IU même dans les points où la communication 
indiquée n'existe point ou ne peut encore être sensible. 

Beaucoup de ces poissons retourneraient même au Rhin, 
sans utilité pour personne si la restriction prononcée pour 
l'IU devait subsister et empêcher de profiter des avantages 
fondés par la nature des localités. 

Toutefois, en été, la pêche de jour sur l'IU est encore 
possible, avec quelques succès, tant que les diflér entes 
espèces d'herbes aquatiques, telles que l'Epi d'eau ou le 
Potamot y flottent sur l'eau et ofirent un abri et de l'ombre 
aux poissons et les engagent ainsi à ne pas trop s'éloigner de 
la surface et des lieux accessibles aux filets. Mais à l'approche 
de l'hiver et déjà lorsque ces herbes se flétrissent et vont à 
fond, la pêche de jour devient nuUe. 

Il est si vrai, que la pêche, lorsqu'U fait clair est impossible 
ou nulle dans ses produits, que même les nuits de clair de 
lune ne peuvent être utiUsées par les pêcheurs et que ce n'est 
que par les nuits sombres qu'ils peuvent travaUler. 

Ces raisons qui font implorer aux exposants l'autorisation de 
pêcher de nuit en toute saison et sans laquelle l'exploitation 
de la pêche devient nuUe, existent pour toutes les espèces de 
poissons qui peuplent l'IU et qui sont parmi les grandes 
espèces, la carpe, le brochet, la lotte, l'anguUle, la perche, la 
tanche, le barbeau, la brème, la lamproie de rivière, le 



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260 REWK D'ALSACE 

meunier, le nase. Mais elle serait tout à fait impossible pour 
la lotte, l'anguille, la perche et le barbeau, espèces de pois- 
sons qui, de l'aveu de toutes les personnes qui connaissent 
l'art de la pêche, ne peuvent absolument être pris que de nuit. 

Enfin, à toutes les considérations développées pour faire 
étendre pour l'IU, l'autorisation de la pêche de nuit, se joint 
celle que cette rivière étant continuellement tourmentée le 
jour par la navigation et dans l'étendue de son embouchure 
avec le Rhin jusqu'à la ville par le flottage des bois de 
construction venant d'outre Rhin, la pêche de jour est inces- 
samment troublée et véritablement annulée. 

Tels sont les motifs qui fondent la réclamation des pétition- 
naires quant à la pêche de nuit. 

En ce qui concerne l'emploi indispensable d^s filets à 
mailles plus étroites que celles admises par l'ordonnance 
de 1699 et le cahier des charges, il est certain que sans cette 
faculté, ils ne peuvent prendre aucune des diiïérentes espèces 
de poissons qui n'ont naturellement qu'une très petite dimen- 
sion, telles que sont l'ablette, le goujon, la vaudaise, le véron, 
la sarve, l'orfe, la rosse, le corassin, le lamprillon, la loche 
franche, la loche d'étang, la perche goujonnière, le chabot, 
l'csperling.^ Plusieurs de ces espèces de poissons ne dépassent 
jamais 2 à 3 pouces dans toute leur croissance. Quelques-uns 
atteignent tout au plus 5 à 6 pouces et ces poissons entrent 
en consommation comme friture ou sont surtout indispen- 
sables aux marchands poissonniers pour la nourriture des 
gros poissons qu'ils entretiennent dans leurs réservoirs et 
dont le commerce fort animé surtout avec Paris tomberait en 
ruine qu'ils seraient privés de cette ressource ou ne l'obtien- 
draient que dans une quantité insuffisante. Ces poissons se 
trouvent dans l'Ill en abondance et tout ce produit serait 
perdu pour tous ceux des pétitionnaires qui ne fréquentent 

* L'Aphye, der Spierling, 



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PÉTITION DES PÊCHIPURS DE STRASBOURG 2^J 

pas le Rhin. Au surplus, lorsque ces mêmes espèces ne sont 
pas prises avant d'être arrivées à un certain âge, elles dépé- 
rissent et meurent sans utilité. Tout inconvénient de l'emploi 
de ces filets à moindr(»s mailles telles qu'il les faut pour ce 
genre de pêcher, est évité par l'obligation de rejeter à l'eau 
tous les jeunes poissons d'espèces qui grandissent et par la 
défense d'en vendre au marché tant qu'ik n'ont point atteint 
le minimum delà taille prescrite à cet égard par le règlement. 

Quant à l'ablette dant l'écaillé sert à la fabrication de 
fausses perles, la manière de pêcher est telle que toute 
l'étendue du Rhin, appartenant au Cantonnement de Stras- 
bourg, ne peut dans tous les cas, être occupée à cette fin par 
plus de six pêcheurs et leurs confrères seront absolument 
privés du produit de cette pêche, s'ils ne peuvent se le 
procurer en péchant dans l'IUlavec les filets à mailles étroites. 

Tels sont les caractères particuliers de la pêche de rill qui 
portèrent l'ancien Magistrat à faire de l'avis des pêcheurs les 
plus expérimentés et des savants de la ville, ces règlements 
par lesquels cette pêche a fleuri constamment et qui furent 
de nouveau formellement promulgués par cet arrêté du 
Préfet du Bas-Rhin du 12 germinal an IX dont V. E. a 
ordonné la nouvelle publication. Aussi la Direction des 
Domaines à Strasbourg fut-elle toujours si bien convaincue 
de la nécessité de les maintenir que malgré que les différents 
cahiers des charges rédigés d'année en année à Paris pour 
la concession annuelle de licences, continssent par exemple, 
la défense de pêcher la nuit dans l'Ul ; jamais on n'a tenu la 
main à l'exécution de cette disposition ; toujours les pêcheurs 
ont eu la certitude qu'ils pourraient pêcher comme ancien- 
nement; jamais aucun rapport relatif à une semblable défeB,se 
a été dressé, à l'égard d'aucun d'entre eux, tout comme ils 
ont toujours librement joui de la faculté d'employer leurs 
filets à mailles étroites. 

La considération la plus plausible vient aussi à l'appui de 



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262 REVUE d'alsack 

cette partie de la réclamation des pêcheurs de Strasbourg et 
prouve que l'emploi des filets à mailles plus étroites est aussi 
indispensable dans l'IU que pour le Rhin et n'oflFre pas plus 
d'inconvénients. Sans les facilités réclamées par les pétition- 
naires, ils ne peuvent, on le répète, faire utilement l'exploi- 
tation de leur profession qui déjà par plusieurs autres circon- 
stances se trouve réduite de beaucoup comme entre autres 
pour l'établissement de plusieurs barrages dans quelques 
bras de l'Ill établis pour former des attérissements qui profi- 
tent à l'agriculture, mais ont enlevé de plusieurs parties de la 
rivière, des points très favorables à la pêche. Quelques-uns 
des barrages dans le Rhin, travaux d'utilité générale, portent 
préjudice à la pêche, de même d'autres circonstances concou- 
rent à la diminution des avantages de cette profession. 

Les pétitionnaires exercent au surplus leur profession de 
père en fils ; tout doit les porter eux-mêmes à user avec discré- 
tion des autorisations qu'ils réclament et certes ils ont plus 
de motife à ménager la population de la rivière que des ama- 
teurs qui prendraient l'exploitation pour une durée tempo- 
raire, sans faire profession de cette sorte d'industrie et qui 
seront toujours très indifférens pour l'état où ils laisseraient 
les eaux qu'ils tiennent momentanément à bail. 

Pourvu que les modifications indiquées soient accueillies, 
les pêcheurs s'empresseront de se soumettre au plombage de 
leurs filets à l'exception de celui qu'on veut mettre sur les 
dideaux, guideaux ou bires de fil et dont chaque pêcheur 
emploie quelquefois 100 à 200, de manière que le plombage 
qui coûte 50 centimes par pièce, deviendrait une dépense 
exhorbitante et hors de proportion avec leurs facultés à moins 
qu'on ne voulut l'accorder gratis ou à un prix modéré calculé 
sur le contour. 

Les communications de l'Ill avec le Rhin désignées plus 
haut sont aussi cause que sous le rapport du temps du frai, 
indépendamment des différences naturelles que présente l'IU 



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PETITION DES PÊCHEURS DE STRASBOURG 263 

lorsqu'on la compare aux rivières de l'intérieur ; elle parti- 
cipe encore avec celles qui caractérisent le Rhin, de manière 
que les articles 5 et 6 du titre XXXI sur la fixation du temps 
de frai sont de même inapplicables à la pêche de l'IU à Stras- 
bourg. Le frai a lieu dans cette rivière pour les divers pois- 
sons aux époques indiquées en marge qui sont celles désignées 
par les anciens règlemens, auxquels le rapport de l'arrêté du 
préfet du 12 germinal an IX renvoie. 

Ils osent donc aussi réclamer en s'appuyant en général des 
mêmes considérations contre la défense absolue de pêcher en 
temps de frai depuis le 1^^ avril jusqu'à la tin de juin. Les 
restrictions portées par les anciens statuts locaux suffisaient 
sans contredit pour ménager la reproduction du poisson. Ces 
restrictions consistaient à ne point pêcher en temps de frai 
avec les grands filets garnis de pierres, servant surtout à la 
pêche des jeunes brochets et de ne point intercepter toute la 
largeur des bras de rivières par les dideaux et les bires 
d'osier, mais de laisser toujours un passage suffisant et au 
moins de la largeur proportionnée à la traversée d'un bateau 
et de n'en mettre dans aucun cas dans la voie de navigation. 
C'est à ces dispositions que les pétitionnaires supplient de 
borner de rechef les restrictions à porter. 

Les exposants osent du reste invoquer encore une fois les 
moyens qu'ils ont développés dans leur précédante pétition, 
pour prouver que l'esprit de l'ordonnance de 1669 n'est nulle- 
ment exclusif de modifications nécessitées par les localités, 
ainsi qu'on le voit par l'arrêt du Conseil du 21 mars 1676 sur 
la pêche de nuit de la Loire et la déclaration du 24 août 1773, 
concernant la fixation du temps de frai pour les rivières qui 
se rendent dans la Manche. Ils ajoutent que pour d'autres 
rivières de l'intérieur, l'ordonnance était adoucie par l'usage. 
C'est ainsi que Monsieur Piquet, Grand maître des Eaux et 
Forêts de France, atteste p. 118, Tome II de ses Lois fores- 
tières que l'Ordonnance ne s'observait pas à la rigueur pour 



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264 ERVUE d'àlsacb 

la pêche de nuit dans la Seine à cause de Féperlan, qu'on ne 
peut, dit-il, attaquer utilement que la nuit, et il exprime le 
vœu qu'il soit remédié aux inconvénients d'une interdiction 
qui, étant générale, peut porter à faux sur quelque point 

Pleins de confiance dans la justice de leurs réclamations et 
dans l'équité de Votre Excellence, les exposants attendent une 
nouvelle décision, ils se permettent de La prier de recevoir 
l'hommage de leur reconnaissance et de leur profond respect 

Strasbourg, le — Août 1822. 

{BrouiUon.) 



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COPIE D'UN HtMOlRË C0NGERN41?iT BOUROGNE 

de 1500 à 1786 



Suite et fm^ 



Comptes de la communauté. — Les comptes de commu- 
nauté s'âudiencoient anciennement chez le grand-maire, ce 
n'est qu'en 1691 que le S' de Breunikoflfen a prétendu qu'ils 
dévoient être audiences alternativement chez son maire, ce 
qu'il a annoncé le dixième may même année par une somma- 
tion; il y a eu acte de protestation contre cette prétention le 
14 janvier 1692; ces débats n'ont rien produit puisque depuis 
cette époque ils ont ainsi été audiences par les 2 juges autant 
que l'on peut le voir par différents Mémoires. 

Droits de prééminence des maires. — Anciennement le 
Maire de la Seigneurie de Délie avoit tous droits de préémi- 
nence comme il a été ci-devant dit, maintenait la police, taxait 
les vins, permettoit les jeux publics, occupoit la première 
place à l'Eglise, dans le banc des Seigneurs et il n'a rien 
souflfert dans ses droits, sinon que l'abolition des justices ne 
luy a plus permis d'en tenir. 

Droit de débiter du sel. — Antérieurement à 1685 le 
débit du sel à Bourogne compétoit à la ville et Seigneurie de 
Délie, il y avoit au dit Bourogne Jean-François Monnier, 
grand-^naire, qui le débitoit; il parroit par un petit mémoire 
joint h un petit dossier dont les pièces étoient éparses que le 

' Yoir la livraisoii an 1«' tvim«stre 1886. 



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266 REVUE d'alsace 

S' de Breunikoffen a présenté en cette même année uns 
Requête au Conseil pour être authorisé à établir un débitant, 
et qu'il y a été authorisé. La qualité de Seigneur qu'i' a prise, 
les titres qu'il a pu avoir pour en faire fournir à ses sujets 
peuvent avoir de mérite, mais cela ne devoit jamais influer 
sur les autres sujets non anciennement de Neufchatel. 

Le S' le Bau, en 1686, receveur des domaines, ayant le 
magasin à sel à Belfort, n'a plus voulu fournir de sel au 
grand-maire ; il a préféré d'en fournir à François Tourtelier, 
sujet du S' de Breunikoflen. Ce changement a donné lieu à la 
réclamation des ofiSciers de Délie qui ont présenté requête à 
M. de La Grange, intendant d'Alsace, aux tins que le dit Bau 
soit condamné de livrer en payant du sel à Jean Monnier, 
grand-maire. Cette requête a été répondue d'un décret de 
soit communiquée avec copie des titres au S' le Bau pour y 
répondre par écrit dans la quinzaine de ce décret préparatoire 
ait été poursuivi; il est en original sans signifiScation. 

Droit de chasse. — Ce droit anciennement appartenoit à 
la Seigneurie de Délie, il n'a pas même parru contesté en 
1612, puisque par une lettre du 20 du mois d'aoust écrite par 
Frédéric-Jean de Breunikoflen, le plus entreprenant sur les 
droits de la haute justice, addressée à MM. le gouverneur de 
Belfort et ofiScier de Délie, il s'est excusé de ce que son 
chasseur avoit tiré un sanglier pendant son absence, assurant 
qu'il n'entendoit avoir droit sur les terres d'Autriche, qu'il 
avoit toujours deffendu à son chasseur d'y tirer, qu'ayant fait 
venir ce chasseur, il l'a assuré avoir blessé ce sanglier dans 
le bois de Dambenois ayant obtenu du prince de Wurtemberg 
le droit d'y chasser, que pour satisfaction il avoit renvoyé son 
chasseur pour qu'on ait plus de pareilles plaintes et entretenir 
de bon voisinage. En 1622 le S' de Breunikoffen a envoyé une 
personne pour prendre des pigeons sauvages, ses filets ont 
été pris et elle a été conduite à Belfort parce qu'alors ce droit 



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COPIE d'un Mémoire concernant bourogne 267 

compétoit à la Seigneurie de Délie de la hauteur, qui ne 
raccordait que moyennant la livraison de 12 pigeons et tous 
oiseaux de proye pris par la personne à laquelle on le concé- 
doit. Cela est annoncé par un ancien mémoire duquel le 
rédacteur assure que cette personne ainsy envoyée par M. de 
Breunikoflen n'a été relaxée que sur la prière de ce dernier, 
contenue en sa lettre du 20 août ditte année 1622, adressée 
à Messieurs les ofi&ciers de Belfort. 

Bois communaux. — Les bois communaux étaient ci-devant 
prétendus par la communauté de Bourogne, suivant eux les 
seigneurs n'y avaient aucun droit de propriété ; il n'y a que 
la transaction de 1593 qui en adjuge la propriété aux Sei- 
gneurs, sauf un usage à la communauté. En 1516,' M. le baron 
de Telsperg, gouverneur de Belfort, mande au Sieur de Breu- 
nikofifen qu'il ne devoit point s'immiscer à couper des bois 
dans les forêts de Bourogne, que s'il prétendoit y avoir droit, 
il devoit se faire régler. 

On remarque par différents vieux mémoires sans datte, 
qu'anciennement lorsque le S' de Breunikoflfen vouloit des 
bois, il les faisoit demander à la communauté, qu'une fois 
s'étant ingéré d'en faire couper de son authorité privé, des 
Bourgeois de Bourogne prirent les haches aux charpentiers. 
On remarque encore que la veuve du S' de Breunikofifen ayant 
fait mettre des porcs à la glandée, au delà du nombre qu'on 
luy avait permis, le surplus fut pris et vendu à Montbeillard * 
par des députés de Bourogne et que sur une nouvelle entre- 
prise sur les forrets, la Seigneurie de Délie s'en plaignit à 
M. de Baussand, alors intendant, qui ordonna que les bois 
coupés par les ordres de M. de Breunikoflfen seroient employés 
à la construction des haies du fourneau de Châtenois. 

* Ce doit être 1616. 

• 1607. Voir le compte de cette année. 



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968 REVUE d'alsacb 

Épates, ambndes. — Anciennement elles appartenoient à 
la Seigneurie de Délie, comme le haut justicier, le S' Frédérik- 
Jean de Breunikofien en contestoit la remise à cette Sei- 
gneurie, beaucoup de sentences qui ont eu leur exécution 
suffisent pour établir que la Seigneurie de Délie les percevoit 
en matière civile dans toutes les affaires qui intéressoient 
tant ses justiciables, ceux des basses Seigneuries qu'Etrangers 
et même ceux de Neufchâtel lorsque le quasi délit étoit 
commis sur un communal. L'enquête faite du consentement 
des Seigneurs en 1525' justiffie amplement de cette vérité 
constante. Les épaves et droit de bâtardise competoit parreU- 
lement à la Seigneurie de Délie; et Tannée 1614 le nommé 
nommé Petermann, fils naturel du curé de Montbouton, étant 
décédé à Bourogne, la Seigneurie de Délie confisque sa suc- 
cession, ce qui fut annoncé à la Régence par le bailli de Délie. 
La régence, par ordonnance du 19 décembre même année, 
enjoigni de faire estimer tous les biens confisqués compris 
en l'inventaire de cette succession pour ensuite en rendre un 
fidel compte à l'Empereur Maximilien, le tout sans avoir égard 
à la prétendue légitimation impériale ou palatine obtenue à 
l'inssu et au préjudice du Seigneur. Cependant Richard 
Petermann, après des sollicitations et remontrances, obtint 
la succession de son fils moyennant 70 livres baloises, ce qui 
fut rattifié par la Régence le 11 juillet 1618, avçc injonction 
de porter la somme en recette et de continuer à confisquer 
de pareilles successions; ce droit ne parroissoit pas alors 
contesté. 

DixMEs. — Il est annoncé par difiérentes pièces relatives 
aux dixmes que la Seigneurie de Délie n'a jamais perçu la 
grosse dixme à Bourogne, ce qui parroit vray et qu'il ne luy 
competoit que les novaux. Pour en justifier, il est cité une 

^ Ce doit être 1625. 



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COPIE d'un mkmoire concernant bourogne 269 

ordonnance de la Régence du 10 décembre 1599 addressée 
au bailly de Délie, portant qu'il serait procédé avec la Régence 
de Montbeillard à cause de l'intérêt qu'avait le chapitre à un 
renouvellement des terres novales à Bourogne, qu'il ait à y 
travailler incessamment. Les gros décimateurs étaient alors le 
S' de Breunikoffen, le Chapitre de Montbeillard, celuy de 
Besançon, le S' de Roppe et le curé du dit Bouroffne. 

Le renouvellement ordonné devoit porter diminution aux 
gros décimateurs qui avoient trompé la Seigneurie de Délie 
sur ces perceptions, de manière qu'en 1660 il fut transigé sur 
la perception des no vaux, cette transaction doit être à Besançon. 
Suivant toutes indices il y est dit qu'il sera livré à la Sei- 
gneurie de Délie 4 bichots et 6 boisseaux avoine et épautre 
livrable : Par le chapitre de Montbeillard 22 quartes — par 
celui de Besançon 17 % quartes — par le S' de Roppe 
11 quartes — par le S"" de Breunikoffen 34 quartes — par le 
curé de Bourogne 17 quartes moitié épeautre et moitié avoine 
(ensemble) 101 î^ quartes. L'acte qui assure à la Seigneurie 
de Délie cette perception a eu son exécution de la part des 
décimateurs, si ce n'est de la portion de Breunikoffen lequel 
en 1695 a refusé sa portion, ce qui a mis dans le cas le 
S' Taiclet, fermier des droits et revenus de la Seigneurie de 
Délie, à en faire diminution suivant qu'il en conste par son 
écrit du 1«' mars même année. L'accord de 1660 réservoit à 
la Seigneurie de Délie des morceaux de friches qui de cette 
date devaient passer pour novaux, mais le S^ Oirol, curé du 
lieu, profi&tant de la déclaration du Roy du 7 janvier 1686 les 
a prétendu suivant qu'il en conste par un acte du 13 juillet 
1687, sa prétention juste n'a pas été contrariée, ayant opeté 
en 1686, étant auparavant à portion congrue. Il parroit que 
dès cet acte la Seigneurie de Délie n'a plus eu de prétention 
et qu'elle est demeurée tranquille. 

Droit de pêche, — Le droit de pêche est un de ceux mis 



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270 Rfif 0B d'alsacb 

au nombre des droits honorifiques, suivant les auiheurs qui 
ont traité de la haute justice et annoncent que quiconque a 
droit de le faire exercer doit jouir de tous droits honorifiques. 
Il est inconcevable que jamais la maison d'Autriche n'ait 
réclamé ce droit sur tout le finage de Bourogne. Pendant 
2 siècles on a crié contre les attentats de Breunikoffen et 
jamais il n'a été fait mention de celuy commis à raison de la 
pêche, MM. les Ducs de Mazarin ont formé difiérentes 
demandes au Conseil à raison de leurs droits à Bourogne et 
dans aucune il n'a été fait mention de la pêche. Plusieurs 
mémoires non signés et sans datte où tous les droits seigneu- 
riaux prétendus par la Seigneurie de Dalle à Bourogne ne 
font pas mention du droit de pêche si ce n'est en la riinère de 
Champey sur laquelle la dite Seigneurie a droit de faire battir 
moulin. Un entre autres rédacteur de Mémoire s'étend beau- 
coup sur ce que le S' de Breunikoffen s'est approprié les 
mèches des anciens lits de rivière, soutenant que c'est une 
anticipation puisque cy-devant la communauté donnoit ces 
mèches en acyudication au proffit de la fabrique et que Jean- 
Frédérich de Breunikoffen y a plusieurs fois l'échute. Il est 
encore rapporté qu'anciennement le meunier du S' de Breu- 
nikoffen ayant été surpris à tirer une carpe près du Moulin 
a été conduit en prison à Belfort et ensuite condamné à 
l'amande envers la Seigneurie de Dalle. Il est reconnu et 
notoire que lorsqu'il y a eu des levées de cadavres en la 
rivière, la Seigneurie dç Délie y a procédé et que par une 
suite de sa haute justice, elle devoit prétendre k pêche de 
laquelle les sujets de Bourogne jouissent de la manière 
exprimée en la transaction de 1533 cy devant rapportée. 

Tabeillonnaqe. ~ La droit de Tabaillonnage a été contesté 
à M. Frédéric-Jean de Breunikoffen, le Seigneur de Délie 
s'est plaint. La Régence, en 1613, a écrit à M. de Breunikoffen, 
lequel a répondu qu'il ne l'exerçoit que pour la reconnais- 



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œpiE d'un mémoire concernant bourogne 271 

sance de ses terres qui étoient envers lui sujettes à des 
prestations ; on ne voit plus rien qui y soit relatif. 

RÉCEPTION A LA BOURGEOISIE. — Anciennement la Sei- 
gneurie de Délie prétendoit être en droit d'accorder seule 
celuy de résider à Bourogne, soutenant que M. de Breunighoflfen 
ne pouvoit la permettre qu'à ses anciens sujet de Neufchâtel, 
pourvu toutefois qu'ils bâtissent sur des terres dépendant de 
ce tief, sans qu'aucun desdits sujets puissent bâtir sur des 
communaux sans devenir sujets de Délie. Cette prétention 
parroit, par des anciens écrits sans datte ny signatures, avoir 
été contrariée de façon qu'on ne peut en rien induire de 
positif. Il peut passer pour certain que toutes les pièces 
authentiques concernant la Seigneurie de Bourogne ont été 
envoyées à Paris pour consulter ce qu'ensuite et que M. de 
Breunikofien ont été assignés au grand Conseil et que les 
actions y ont restées indécises. 



Etat où se trouve en 1786 le village de Bourogne reprenant 
les articles de sa situation ancienne. 

La Justice. — Actuellement la justice s'exerce à Bourogne 
par les ofi&ciers de Délie sur ceux qui dépendent de cette 
Seigneurie et qui étoient cy devant dépendants de la Maison 
d'Autriche. Leurs habitations les font distinguer et en toutes 
actions personnelles ils sont attirés à la justice de Délie. Les 
ofi&ciers de la Seigneurie de Délie exercent sur eux toute 
justice, haute, moyenne et basse à l'exclusion des juges de 
MM. les héritiers de S^Didîer, actuellement co-seigneurs, 
pourvu toutes fois que les délits soient commis en habitations 
desdits sujets de Délie ou terreins en dépendant, mais s'il 
arrive qu'un délit soit commis sur le communal par un sujet 



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272 REVUE D'ALSACE 

r 
de Délie, il y a prévention et la connaissance en appartient 

au premier juge qui saisit et instruit; il en est usé de même 
à l'égard des sujets de S*-Didier, et lorsqu'il échet de juger le 
procès, le bailly qui n'a point prévenu y est appelé. 

Il y a encore à Bourogne une justice commune tenue par 
des officiers des deux Seigneuries à raison, tant des quasi 
délits qui se commettent sur les communaux par les justicia- 
bles indistinctement, même les étrangers que pour tout ce qui 
a trait aux affaires de la communauté. Les officiers de justice 
à raison de cette administration parraissent être d'accord 
puisqu'ils prennent jour pour la teneur de cette justice. 
Toutes les requêtes présentées en affaires communes par 
leur nature sont addressées aux deux juges qui, conjointement 
décrottent même lorsqu'il est question d'ébornage, encore 
que les héritages seroient reconnus être dépendants de la 
Seigneurie de M. de S'-Didier et, envers elle, chargés de rentes. 

Comptes de la communauté. — Les comptes de commu- 
nauté et ceux de fabrique sont audiences par les 2 juges et 
autres officier» des 2 Seigneurs, c'est au château des héritiers 
de feu M. de S*-Didier que se fait cette besogne et oîi se tient 
l'audience commune, il devroit y avoir à cet égard protesta- 
tions que c'est sans tirer à conséquence, parce qu'on pourait 
en inférer que c'est au juge des héritiers de feu M. de S*-Didier 
à fixer et à avoir la prééminence qui parroit due à un juge 
dans son auditoire. 

Les comptes de communauté sont présentés alternativement 
par un juré de la Seigneurie de Délie et l'année ensuite par 
un juré sujet des héritiers de feu M. de S^-Didier. Lorsque le 
juré est de Délie les honnoraires de justice pour l'audition du 
compte appartiennent à leurs officiers de Délie et lorsque le 
juré est des sujets des héritiers de S^-Didier les honoraires 
appartiennent à leurs officiers. Les deux baillys, ce jour de 
justice commune affirment les bangards et éborn^urs, quant 



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COPIE D*UN MÉMOIRE œNGERNÂNT BOUROGNE 273 

au juré il se fait assermenter par le juge du Seigneur dont il 
est sujet. 

Droit de prééminence des maires. — Le maire de la Sei- 
gneurie de Délie à Bourogne, commande toutes assemblées 
lesquelles se tiennent chez lui, il maintient la police, fait com- 
mander la garde et les corvées, occupe la première place dans 
le banc des Seigneurs à l'Eglise; après luy est le tabeillon de 
M. de S*-Didier et ensuite leur Maire. Le Maire de la Sei- 
gneurie de Délie convoque celuy de S*-Didier et le juré en 
exercice pour étaloner et fixer le prix des vins chez les 
cabaretiers. 

Droit de débiter du sel. — Ce droit est compris dans le 
bail du fermier de M. de S*-Didier qui le sous-admodie ; c'est 
Georges Dunand, sergent et sujet de M. de S*-Didier qui le 
distribue indistinctement à tous sujets de Bourogne ; il paie à 
raison de ce débit 28 livres au fermier. 

Droit de chasse. — Ce droit est commun ; il est exercé à 
la volonté des 2 Seigneurs; une partie du ban de Bourogne 
est réservé au gouverneur de Belfort; les délits qui se commet- 
tent sont poursuivis à l'audiance commune des deux juges ; il 
s'y commet depuis quelques années un abus qui tend à la 
destruction du petit canton qui reste aux Seigneurs, et ce, 
par le fait des héritiers de M. de S^-Didier. L'un jouit de sa 
portion de Seigneurie et fait chasser; l'autre admodie ses 
droits à un fermier qui fait chasser et en outre concède le 
droit à quiconque veut; de manière que le droit de chasse se 
trouve quelquefois exercé par dix personnes. 

Bois communaux. — Les bois communaux sont partagés 
entre les Seigneurs ; quant à la part qu'ils y ont eu ensemble 
lors du cantonnement avec la Communauté, de façon que les 
délits commis et ceux advenus à la Seigneurie de Délie doivent 
être poursuivis par devant le bailly de ce lieu. Une épave 
NouTelle Série. — 15"» année. 18 



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274 REVUE d'âlsace 

trouvée es lieux communs et non distings d'une Seigneurie à 
une autre e;st partagée. Dans le cas où elle seroit trouvée en 
un lieu disting, elle appartient au Seigneur duquel il dépend. 
Les amandes prononcées particulièrement et en chaque 
justice appartient au Seigneur qui l'a fait exercer. Si des 
causes sont portées à l'audience commune, alors elles se par- 
tagent entre les deux Seigneurs. 

DiXME. — La dixme est lixée aux gros décimateurs qui 
contribuent à en faire la quantité promise en 166 J ; il n'y a 
que les héritiers de feu M. de S*-Didier qui ne livrent pas leur 
portion Ce droit est constitué par titre. Ce n'est qu'en 1695 
que le S»^ de Breunikoffen s'est refusé à remplir ses engage- 
ments ; il est encore tenu de se pourvoir, à cet effet il faut 
recourer l'accord de 1660. Il doit être à Besançon, Héricourt 
ou Montbeillard. 

Les décimateurs actuels sont : Messieurs du Chapitre de 
Montbeillard, la Régence,^ celuy de Besançon, la veuve et 
héritiers de feu M. de Staal, M. de Klinglin, co-seigneur de 
Roppe et le S*^ curé de Bourogne. 

Droit de pêche. — Ce droit n'est pas contesté à la Sei- 
gneurie de Délie en la rivière ditte Champey jusqu'à la grande 
borne sous la côte d'allenjoye, il est admodié par la Seigneurie 
de Délie. En toutes autres parties de la Rivière de Bourogne 
l'exercice du droit en a été tellement négligé qu'il estait nulle 
part reconnu appartenir à la Seigneurie de Délie, il est donc 
dangereux que le Seigneur ne succombe au procès qui luy a 
a été intenté pour avoir fait pêcher en années précédentes. 

Droit de Tabeillonnage. — Est exercé par les officiers 
des deux Seigneuries. Il s'y commet un préjudice notable à la 
Seigneurie de Délie, le Tabeillon de Bourogne n'apprend pas 

' Les héritiers de M. de S*-Didier: De Barth, son gendre et de 
Louvat et son fils sont omis. 



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COPIE d'un MÉM0IR£ CONCERNANT BOUROGNE 275 

sitôt une vente d'héritages qu'il persuade que lesdits héritages 
sont chargés de rentes foncières, qu'ainsi ils sont soumis au 
tabeillonnage des héritiers de feu M. de S*-Didier, lorsque les 
parties contractantes veulent s'enquérir de la vérité, le fermier 
détenteur du livre contenant les meix d'un chacun se refuse 
à le montrer. Cependant, il seroit de l'intérêt des acquéreurs 
d'adopter le tabeillonnage de Délie pour éviter qu'on ne les 
chargea de rentes foncières et pour ne payer à cette Sei- 
gneurie, les lods n'étant que de 4 deniers par livre, tandis que 
le tabeillon des héritiers de feu M. de S*-Didier est fondé en 
titre et possession pour percevoir 6 deniers par livre, ce qu'il 
fait. Pour pouvoir remédier à cet inconvénient et à beaucoup 
d'autres qui naissent de l'ignorance des faits, il conviendrait 
de faire instaler un commis-greffier substitut tabeillon à 
Bourogne et en même temps sergent qui aurait ordre exj)rès 
d'avertir lorsqu'il seroit empiété sur les droits de la Seigneurie 
de Délie. Sa commission pourroit s'étendre sur Isiparroisse de 
Qrosne qui est délabrée par les entreprises des Seigneurs 
voisins. 

RÉCEPTION A LA BOURGEOISIE. — Uu étranger qui se pré- 
sente à Bourogne, se fixe un domicile ; alors il s'adresse au 
Seigneur duquel ce domicile dépend pour obtenir le droit de 
résidence et se soumet aux prestations. Lors d'une réception 
de bourgeois étant étranger, il est payé un droit au Seigneur 
duquel il dépend. Les héritiers de M. de S*-Didier prennent 
ordinairement 3 Louis d'or et plus suivant l'aisance qu'on 
aperçoit au nouveau bourgeois. 

La population augmente tous les jours, et tous les chézeaux 
étant occupés ceux qui veulent construire des habitations 
sont forcés de le faire sur les fonds communaux, alors iis 
optent dans l'année. S'ils se rendent sujets de Délie ils se 
soumettent aux prestations ordinaires qui sont de livrer une 
poule à la S* Martin et de payer onze sols et des deniers par 
quartiers pour les corvées. 



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276 REVUE D'ALSACE 

Les sujets des héritiers S^Didier sont sujets à 3 jours de 
corvée par année. Les dites corvées sont exijïjées réellement, 
chaque jour il fourni un quartier de pain, et les sujets des 
quartiers de Reinach et Cuerinont livrent 3 poules indépen- 
damment des corvées et tous autres n'en livrent qu'une, le 
tout à S* Martin. 

(Communiqué par M. Anatole Lablotibs.) 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 



I 

Les Khénanes, poésies alsaciennes, par Gustave Fortin. — Impri- 
merie de Berger-Levrault, Paris, 1886. — Petit S^ de 114 pages. 
Prix, 3 francs. 

Notre temps est à la prose, nullement à la poésie. Et pour- 
tant nous voyons apparaître assez fréquemment des essais 
poétiques dans lesquels, avec un peu de calme et de bonne 
volonté, le citoyen agité du jour retrouverait quelques-unes 
des saines émotions dont il a goûtées sur les bancs de l'école et 
dans quelque lecture de ses jeunes ans. Nos Rhénanes sont- 
elles à classer au nombre de celles qui seront comprises et 
goûtées par le lecteur de hasard, dut-il n'être pas du nombre 
de ceux qui professent une grande indiflérencQ pour le langage 
des dieux ? je n'oserais l'affirmer, car, pour en saisir l'essence 
poétique, il faut avoir vécu et souffert dans les circonstances 
et le milieu qui les ont inspirées. « La nostalgie de l'Alsace — 
dit notre poète, dans sa courte préface — m'est facilement 
venue du cœur aux lèvres dans le triste concert des illusions 
perdues. » 

Les Rhénanes ! Ce titre est charmant et donne bien l'impres- 
sion de ce qu'il doit renfermer. Il me souvient d'avoir été 
empoigné par une étiquette toute aussi séduisante choisie, 
pour une de ses premières productions, par un écrivain dont 
le nom, tout au moins, ne doit pas être totalement eflacé dans 
la mémoire des membres de nos sociétés savantes. 

Mes Colmariennes, avait écrit Jules Thurmann en tête d'un 
roman dans lequel il exerçait sa plume et donnait carrière à 



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278 REVUE d'alsace 

sa jeune imagination. Ce titre me fit rechercher avec âpreté 
le livre dans les débris d'un ancien cabinet de lecture en 
décomposition. Le titre m'avait alléché, le roman ne put 
m'émouvoir; Thurmann n'était pas à la famille des roman- 
tiques, il appartenait à celle des naturalistes, non des natura- 
listes de la prétendue école de Zola, mais de l'école des 
sciences naturelles. Ses essais sur les soulèvements jurassiques, 
ses afiSnités avec les Stockmar, les Quiquerez et les X. Kohler, 
donnèrent naissance à la Société jurassienne d'émulatiotu 
Mes Colmariennes laissaient déjà prévoir que du romantisme 
Thurmann passerait aux études sérieuses et c'est ainsi que le 
titre de ses premières armes littéraires a donné plus qu'il ne 
promettait. 

En sera-t-il de même pour nos Bhénanes? Je n'oserais 
l'affirmer. Tout ce que je puis dire, c'est que celles-ci, à 
l'inverse de mes Colmariennes, ne sont pas filles de l'amour 
mondain, mais d'un amour divin pour le pays natal et pour la 
patrie de l'exil. Ce sont nos filles de la légende, nos tilles de 
la poétique populaire qui ont inspiré notre compatriote alsa- 
cien. Ses chants poursuivent, dans la tristesse, une consolation 
que sa muse ne saurait trouver que dans la foi de l'avenir. 
Nos ondines sont demeurées au pays et la sirène qu'il évoque 
apparaît un moment pour le consoler et le raflermir dans ses 
espérances. S'il m'était permis de dire mes impressions à la 
lecture, j'avouerais que je n'ai pas échappé à de vives émo- 
tions, mais je m'empresserais d'ajouter que les gémissements 
semés dans tous les chants de ce petit poème m'ont causé 
une douleur trop monotone et qui, pour être aussi prolongée, 
aurait besoin de se retremper, çà et là, aux sources de la 
virilité humaine, aux sources de la virilité historique. Vous 
souftrez, ô poète, et vous avez de bonnes raisons pour cela. 
Nous partageons vos souffrances, mais nous nous souvenons 
que, nous aussi, nous avons fait souffrir nos maîtres d'aujour- 
d'hui et que la roue de la fortune ne cessera pas de tourner 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 279 

parce que nous sommes les vaincus. C'est à cette source pro- 
videntielle que nous puisons les espérances que vous exprimez 
si tendrement. Nous vous remercions de nous avoir fourni 
l'occasion d'en parler. Je voudrais vous dire que votre livre 
est en bonne place, si je ne craignais de verser dans les bana- 
lités patriotiques. Je préfère terminer, non par le premier 
couplet de votre chant du salut, qui est peut-être un peu trop 
cosmopolite, mais par le dernier refrain aux défenseurs de la 
liberté. 

Salai donc, France, ô ma patrie ! 

Pays du souvenir ! 

Et salut, liberté chérie, 

Doux espoir d'un noble ayenir. 



II 

L'église française de Strasbourg au XV!*" siècle, d'après des 
documents inédits, par Alfred Erichson, directeur dn collège 
Saint-Guillaume à Strasbourg. — Strasbourg, librairie C.-F. Schmidt, 
1886. — 8° de 74 pages. 

L'église française de Strasbourg a enduré des épreuves et 
des souffrances que des hommes de cœur, nos contemporains, 
ont comprises et partagées. L'un d'eux, M. Ch. Schmidt, nous 
a fait connaître cette église et l'a toujours défendue contre 
ses frères ennemis. M. Rodolphe Reuss, après lui, a exposé 
plus spécialement les misères de son origine et M. Erichson 
écrit, dans la notice que nous signalons, « qu'il était réservé 
« à une génération postérieure, devenue le champion d'un 
« luthéranisme étroit à Strasbourg, d'inaugurer une ère 
« d'intolérance et même de persécution contre les réformés, 
« désignés sous le nom de Velches. » 

Or, ce sont six brouillons de lettres, écrites à ses parents 
par un de ces Velches, que M. Erichson encadre dans l'opus- 
cule placé sous nos yeux. Ce n'est pas un Velche du Midi, 



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280 REVUE d'alsàce 

c'est un Vehhe du Nord qui nous a légué le texte intéressant 
du patois ou, si mieux Ton aime, du vieux français d'Anvers, 
sa ville natale. Venu à Strasbourg, en 1545, pour échapper 
aux bûchers que Charles-Quint faisait allumer dans le but de 
conserver à l'Empire l'unité religieuse ~ thèse historique 
bizarre sinon odieuse, — ce fils de la vieille gaule-belgique nous 
laisse entrevoir, dans ses lettres, non seulement les conditions 
morales dans lesquelles il se trouvait au sein de la République 
strasbourgeoise, mais encore un aperçu caractéristique de 
l'état des esprits en Alsace à cette époque de lutte et de 
transformation. Les lettres du jeune Anversois et les annota- 
tions dont elles sont l'objet de la part de M. Erichson, révèlent 
des particularités inconnues aux écrivains qui se sont 
spécialement occupé de l'histoire de la Réforme à Strasbourg ; 
elles fournissent d'ailleurs à M. Erichson matière à des 
appréciations et à des recherches complémentaires qui font 
de son travail une intéressante monographie de l'église 
française à « Âf-gentine qui se nomme en langue germanique 
« Strashourch. » 



III 

Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar, 
24«, 25* et 26* années — 1883 à 1885. — Colmar, imprimerie de 
Veuve Camille Decker, 1886. — 1 yolame in-8° de 584 pages, avec 
20 planches et 1 plan. 

Pour n'avoir publié qu'un volume en trois années, ce 
volume n'en est que plus solidement et plus savamment 
rempli. Outre les matériaux pour une étude préhistorique de 
l'Alsace et dont il a déjà été parlé dans cette Revue, le 
Bulletin renferme : P Des recherches sur le terrain tertiaire 
d'Alsace et du territoire de Belfort, avec deux planches, par 
M. Bleicher; 2« Les plantes indigènes de l'Alsace, propres à 
l'ornementation des parcs et jardins, par Ch. Kœnig et 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 281 

G. Burckel ; 3° Une notice sur les rougeurs crépusculaires 
observées à la fin de 1883, par G.-A. Hirn, président de la 
Société ; 4*» Des études de voyages concernant le cap Nord et 
le Gulfstream, par Ch. Grad, plus une notice avec planches 
sur la découverte d'une marmite glaciaire dans la vallée de 
la Doller; 5° Une notice sur les gisements de pétrole de 
Pechelbronn, par J.-A. Le Bel ; Q"" Un aperçu du progrès de 
l'entomologie en Alsace, suivi d'une notice sur le phyloxera, 
par M. Ferdinand Reiber; 7<> Dos miscellanées d'histoire 
naturelle alsatique, par D' Bleicher, Géorgino et Burckel; 
8° Un supplément au catalogue des lépidoptères d'Alsace, par 
D'^ Macker et l'abbé Fettig ; et enfin 9*> Une notice sur les 
observations météorologiques faites en 1882, 1883 et 1884 à 
l'Usine à gaz de Colmar, par Ch. Umber. 

Cette énumération sufiit pour justifier l'intervalle qui 
existe entre la publication des deux derniers Bulletins. On 
n'a pas perdu son temps; on continue à travailler au sein de 
cette Société. 



IV 

Bulletin de la Société belfortaine d'émulation, N° 7. — 1884- 
1885. — Belfort, imprimerie de J. SpitzmnUer, 1886. — 1 volume 
in-8o de 211 pages. 

Le précédent Bulletin de la Société belfortaine d'émulation 
renferme le commencement des Etudes topographiques et 
militaires de M. Poly concernant la campagne de Jules-César 
dans les Gaules. Le Bulletin que nous signalons aujourd'hui 
contient la suite et la fin de ces études. On sait que l'objectif 
de l'écrivain consiste à préciser, autant que faire se peut, les 
lieux oîi le général romain et le roi des Alémans se livrèrent, 
58 ans avant notre ère, la célèbre bataille qui eut pour 
résultat de placer sous la domination romaine la Gaule séqua- 



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382 REVUE D'ALSACE 

naise et la Gaule belgique. (Test un sujet qui a été traité 
plusieurs fois déjà, mais jamais, que nous sachions, d'une 
façon aussi minutieuse, aussi corapendieuse que M. Poly 
vient de le faire. 

Reprenant les choses de loin, le texte des Commentaires et 
autres, M. Poly suit pas à pas les Romains, interprète les 
textes, justifie ses interprétations par des considérations 
topographiques, élimine, chemin faisant, les opinions de ses 
devanciers en désaccord avec la sienne, et aboutit finalement 
à placer le champ de bataille dans la plaine entre Ronchamp 
et Champagney, réservant à Arioviste, comme moyens de 
retraite, outre les forêts et les sentiers perdus, le chemin 
vers Belfort, de Champagney à Frahier, où un nouveau combat 
nous est révélé, combat dans lequel Tarmée d' Arioviste est 
cruellement décimée et dont les débris, avec leur chef, fuient 
vers le Rhin jusqu'à Kembs et ses environs. La dernière 
partie de ces études est d'une lecture fort intéressante, surtout 
par le soin que l'auteur apporte à nous permettre d'assister, 
en quelque sorte, à la bataille entre Ronchamp et Cham- 
pagney, d'en goûter les émotions par le menu de la rencontre 
et de ses diverses péripéties. 



Annales de la Société d'émulation du département des 
Vosges, 1885. — Epinal, imp. de M -V. Collot, 1885. — 1 vol. 8° 
de 521 pages. — Paris, chez M. Aug. Goin, lib., rae des Ecoles, 82. 

Outre les extraits des procès-verbaux des séances de la 
Société pendant Tannée 1885, l'indication des ouvrages donnés 
à la bibliothèque par les divers ministères, les périodiques 
offerts à la Société, la désignation des livres dont on lui a fait 
hommage pendant l'année, les manuscrits qui lui sont par- 
venus, la liste des sociétés savantes dont les publications 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 283 

annuelles sont échangées avec les annales, le discours du 
président à la séance publique annuelle, le rapport de la 
commission d'agriculture sur les récompenses décernées en 
1884, le rapport des commissions artistique, historique et 
littéraire sur les œuvres présentées au concours en 1884, le 
rapport dé la commission scientifique et industrielle, la liste 
des lauréats dans les diverses branches d'études qui font 
partie du programme de V Emulation spmalienne, le programme 
du congrès des sociétés savantes à la Sorbonne en 1885, outre 
toutes ces matières, disons-nous, on rencontre dans le volume 
une note de M. Arth. Benoit sur les bibliothèques religieuses 
de Remiremont en 1790, une seconde note du même auteur 
sur les seigneurs de Bains-en-Vosges à propos d'une inscrip- 
tion retrouvée en 1832, puis une notice de M. P. de Boureulle 
sur la maison d'Anjou-Lorraine et son héritage à Naples. 
C'est une page édifiante de l'histoire du xv siècle, de l'état 
social au moyen âge, de la bonne foi politique entre maisons 
souveraines et la papauté. Treize pages sont ensuite consacrées 
à des états comparatifs des résultats obtenus, en 1884, sur 
les champs d'expériences créés dans les Vosges pour la 
culture scientifique du blé, de l'avoine, des pommes de terre, 
de l'orge et du seigle au moyen des engrais chimiques et des 
engrais naturels. De toutes ces comparaisons, il ne résulte 
pas encore bien clairement que les méthodes nouvelles soient 
préférables à l'ancienne, bien que, dans beaucoup do. cas, les 
données scientifiques et rationnelles peuvent incontestable- 
ment être d'une application avantageuse. Un tableau final 
démontrerait que l'entretien d'une vache, d'une valeur de 
300 fr., constamment nourrie à l'étable et donnant par jour 
une moyenne de 8 litres de lait pendant 9 mois, vendu au prix 
de 15 centimes le litre, est l'occasion d'une perte de 40 fr. par 
an, veau et fumier portés en compte pour une valeur de 126 fr. 
et dépréciation annuelle de la vache non comprise. Quand la 
statistique et la comptabilité commerciale se mettent de la 



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284 REVUE d\lsace 

partie, la situation du paysan se présente à nos yeux sous des 
aspects bien sombres, bien affligeants. Cela pourrait faire 
regretter la civilisation antique, si l'on devait prendre trop 
au sérieux des appréciations de ce genre. Un peu plus de 
poésie dans le tableau champêtre du pays vosgien ne serait 
pas à dédaigner, car il est douteux qu'une recrudescence de 
fiscalité douanière puisse avoir une influence sensible pour le 
bien-être des populations rurales. 

Un patoisant hessan, qui veut garder l'anonyme, mais que 
nous soupçonnons être le même folkloriste qui a déjà gratifié 
le bulletin de la Société philomatique de Saint-Dié d'une char- 
mante poésie patoise, en livre deux autres aux annales de la 
Société spinalienne : Un No'élet les Souvenir d'un jeune garçon 
sur la mort de son Jrère. Le point de vue auquel se place 
l'éditeur est tout à fait étranger aux recherches étymologiques. 
Il a pour objectif la fixation d'une orthographe propre au 
parler du village de La Bresse qui paraît être la localité par 
excellence où la langue populaire s'est le mieux conservée 
tout en se perfectionnant phonétiquement. Dans la bouche 
compétente et exercée d'un indigène, homme de goût, cet 
idiome doit avoir des charmes que ne saurait goûter un 
étranger. Au point de vue littéraire, il a des qualités et des 
ressources que M. X. fait brillamment valoir dans sa lettre à 
M. Baillant, secrétaire perpétuel de la Société. Ainsi exposé 
et apprécié par M. X., le patois bressau a son autonomie 
lotharingienne et nous aimons à la reconnaître dans un centre 
de 4000 Bressans a où l'on ne rencontrerait peut-être pas un 
seul illettré. » Nous ne serions pas éloigné de croire que si, 
au X® siècle, l'élément populaire avait fourni à ses trouba- 
dours, à ses trouvères d'intrépides défenseurs, la langue 
française se serait enrichie des trésors que la plupart de nos 
philologues découvrent dans nos idiomes rustiques et qui font 
défaut à l'Académie. Un mouvement louable semble se dessiner 
énergiquement dans ce genre de recherches ou d'études et il 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 285 

nous est plus sympathique que la plaisanterie ou divagation 
volapuMenne, dont S. de Maistre disait, il y a longtemps, 
« qu'il faut être possédé de quatre ou cinq diables pour croire 
« à l'invention des langues. » M. X. n'y croit pas non plus et c'est 
pourquoi il apporte son contingent épuré au mouvement 
auquel nous faisons allusion. 

De son côté, M. Baillant, secrétaire de la Société^ ne veut 
également pas être en retard dans le mouvement dont il s'agit. 
C'est lui qui termine, par un travail de longue haleine, les 
Annales de la Société. Son Dictionnaire phonétique et étymo- 
logique, d'un patois vosgien (Uriménil, près Epinal), occupe 
les 277 dernières pages du volume. II s'arrête à la lettre F 
comprise et sera terminé l'an prochain. Sa manière d'écrire 
le patois d'Uriménil est moins archaïque et plus conforme 
aux règles françaises que celle de M. X. pour le patois de La 
Bresse. L'une et l'autre manière sont acceptables, selon le 
point de vue où l'on se place pour étudier un sujet beaucoup 
trop dédaigné jusqu'à présent par le grand public lettré. 
Nous ne pouvons que féliciter nos voisins des excellents 
travaux qu'ils ont livrés et livreront désormais à la Société 
d'émulation des Vosges. 



VI 

Actes de la Société jarassienne d'émulation, 35® session. — 
Porrentruy, imprimerie de V. Michel, 1885. — 8° de 179 pages. 

Discours d'ouverture à l'assemblée générale, Rapport sur 
les travaux de l'année, Procès-verbal de la réunion consti- 
tuent, comme de règle, les premiers éléments du bulletin. 
Parmi les Mémoires qui suivent, on constate qu'une part 
convenable est faite aux diverses branches du mouvement 
intellectuel, un peu ralenti, ce nous semble, au sein de la 
Société. Disons néanmoins que ce n'est ni la variété, ni le 



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286 REVOE DÀLS\CE 

savoir qui font défaut dans ce bulletin. Les sciences naturelles 
y sont bien représentées, notamment l'hydrogaphie souter- 
raine; l'histoire y occupe toujours une bonne place, tenue 
cette année par une intéressante notice sur le château de 
Saint-Ursanne et par le journal de Guillaume Triponé relatif à 
la présence des Suédois dans l'évêché de Bâle, journal fourni 
et annoté par M. X. Kohler. Notons toutefois, en passant, que 
ce n'est pas chez M. le curé Chèvre, auteur de la notice sur 
la vieille forteresse de Saint-Ursanne, que l'on doit chercher le 
culte des souvenirs et des sympathies réciproques professé 
dans les deux pays de même origine et qui naguère encore 
appartenaient à la même famille politique. On lira avec 
plaisir dans le même bulletin les notes de voyage que notre 
voisin de Montbéliard, M. le professeur Contejean, lui a 
livrées sur son excursion à Ischia. LAme des Paysans, par 
M. Virgile Rossel, est une peinture bien douce, bien forti- 
fiante, de la vie du campagnard honnête et laborieux. Ce 
quatrain en donnera une idée au lecteur : 

La fatigue a brisé son corps toute l'année : 
Quand elle a yu la vigne et la moisson jaunir 
Et qu'elle a recueilli le prix de sa journée, 
L'âme des paysans ne sait plus que bénir. 



Mentionnons, pour terminer ce Bulletin, deux charmantes 
plaquettes tout à fait dignes des tirages à part dont elles ont 
été l'objet. 

La Pomme de Pin, — M. Charles Mehl a consigné, en quinze 
pages, dans la Revue alsacienne, les souvenirs d'une jeunesse 
brillante qui s'était constituée en société close et qui se réunis- 
sait dans l'une des salles du vieux Strasbourg ayant pour 
enseigne : La Pomme de Pin. Les membres de cette Société, 
envoyés à Strasbourg par leurs familles, pour suivre les cours 



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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 287 

de l'ancienne Université, avaient donc formé une petite 
académie, dans laquelle ils préludaient à leur prochain 
début dans la vie publique. Ils s'étaient donné un bureau, 
composé de sept membres, chargé de présider et de diriger 
les séances quotidiennes de l'assemblée, composée de quarante 
et un fauteuils, un de plus qu'à l'Institut. Ces fauteuils étaient 
naturellement occupés avec le brio et la pétulance de l'âge où 
l'homme manifeste son impatience de franchir la barrière de 
l'arène nationale. La Révolution de 1848 éclate, les idées du 
moment se répandent, la basoche en est atteinte, bientôt les 
divergences se manifestent, mais sans engendrer les divisions 
qui se produisirent à la même époque dans des réunions 
moins policées que celle de la Pomme de Pin. Nos jeunes 
académiciens se donnèrent un journal qui eut huit numéros 
autographiés et dont le dernier contient de spirituels adieux à 
son public. M. Mehl, qui a le culte des choses de l'Alsace, en 
a conservé la collection, avec un délicieux dessin à la plume, 
représentant les membres du bureau, et c'est au moyen de 
ces documents et de ses souvenirs personnels qu'il a écrit le 
petit joyau alsatique dont nous venons de donner une idée au 
lecteur. La mort, hélas ! a fait bien des vides dans le rang 
des quarante et un. 



* 



La Société philomatique vosgienne au point de vue de la 
conservatiœi des documents historiques. — M. Henri Bardy, 
président de cette Société, a choisi ce texte, pour son discours 
d'ouverture de l'assemblée générale. Au pays de Saint-Dié, 
comme ailleurs, le commencement de ce siècle a été fort 
indiflérent, pour ne pas dire antipathique, à la conservation 
des documents écrits. Le commerce des denrées coloniales 
en a fait, durant l'Empire, la Restauration et la Monarchie de 
Juillet, une consommation eflrayante et c'est à peine si, çà et 
là, quelques hommes éclairés sont parvenus à faire admettre 



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288 REVUE d'alsace 

qu'il y a intérêt à ne pas vouer systématiquement le passé à 
l'oubli des générations présentes. De l'enquête à laquelle 
M. Bardy s'est livré, pour Saint-Dié et les environs, il a tiré 
le sujet de son discours d'ouverture stimulant le zèle des 
sociétaires pour la conservation des pièces qui ont échappé à 
la destruction. Notice de vingt pages, bien pensée, bien dite 
et d'une lecture intéressante. 

Frédéric Kurtz. 



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LES VILLES DE LA GAULE 

RASÉES PAR M. J.-A. DULAURE 

BT 

KEBATIES PAR P.-A. DE GOLBÉRY 

Conseiller à la Cour royale de Colmar , Membre de la Société des sciences 
et arts de Strasbourg 

oa 

Réfutation d'une Dissertation insérée dans les Mémoires de la 
Société royale des Antiquaires de France, sur les lieux 
cohabitation, dtés et forteresses des Gaulois. 



Un savant vient d'emboucher la trompette de Josué d'une 
manière plus terrible encore. Le général israélite a fait tomber 
les murs d'une ville: M. Dulaure a bien d'autres poumons; 
il souffle, et tout s'écroule dans la Gaule : ses antiques mu- 
railles ne renfermeront plus d'habitations ni de citoyens ; ses 
oppida, ses forteresses, ne seront plus que des lieux de refuge, 
et nos ancêtres désormais iront occuper des demeures éparses 
dans les forêts. Tel est l'arrêt que M. Dulaure a prononcé. 
Non content de l'avoir fait connaître aux antiquaires,* il a 
voulu lui donner toute la publicité possible, et l'a consigné 
dans son Histoire de Faris\ « Lutèce ou Lucotèce, dit-il, 
« n'était point une ville; les Gaulois, à cette époque, n'en 
(( avaient point : ils habitaient des chaumières éparses dans 
« les campagnes; et lorsqu'ils craignaient une attaque, ils se 
(( retiraient avec leurs denrées, leurs ménages et leurs bes- 

* Voyez le T. II de la Société royale des antiquaires de France, p. 82. 

* T. I, p. 37. 

NouTelle Série. — 15» anne«* 19 

\ 

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290 REVUE d'alsage 

« tiaux, dans leurs forteresses, et y construisaient à la hâte 
« des cabanes où ils abritaient leurs familles et leurs provi- 
c sions. B 

Tant que M. Dulaure ne s'est adressé qu'aux antiquaires, 
nous n'avons pas jugé à propos de combattre son opinion : 
quelque habile, en effet, que soit la dissertation dans laquelle 
il cherche à la faire admettre, elle ne sera lue que des savans. 
Mais, aujourd'hui qu'il persiste à déloger nos ancêtres, aujour- 
d'hui qu'à la face de la France il leur signifie un congé, voyons 
s'il n'y a pas moyen de les empêcher de coucher sur la dure, 
et de les maintenir dans leurs vieilles demeures. L'Histoire de 
Paris est un de ces ouvrages faits pour attirer les regards de 
la postérité; toutes les assertions qu'elle contient, acquièrent 
une autorité d'autant plus grande que leur auteur a pris place 
parmi nos plus savans antiquaires. Il importe donc beaucoup 
de réfuter des erreurs qui se présentent d'une manière aussi 
redoutable; et comme je ne descends point dans l'arène avec 
les titres littéraires dont mon adversaire est paré, il est juste 
que je n'y entre pas seul, et que j'appelle à mon secours ce 
même César auquel M. Dulaure ne fait prendre, au lieu des 
huit cents villes que lui accorde Plutarque, que des enceintes 
de murailles d'environ sept pieds de haut : c'est au général 
romain à défendre sa gloire. 

Pour parvenir à l'établissement de son système, M. Dulaure, 
dans un premier paragraphe, détermine, à sa manière, la si- 
gnification des mots latins, civitas, urbs, oppidum, vicus, œddfi- 
cmm; et ici, parmi beaucoup de remarques de grand sens, se 
trouvent des erreurs qu'on ne peut passer sous silence. 

D'abord il fait du mot civitas une expression qui prwd 
divers degrés de signification, à volonté, et selon les pays pour 
lesquels elle est employée. 

Ainsi (dit-il) civitas avait, suivant les lieux, une acception 
différente. Ce mot signifiait une nation chez les Gaulois indépen- 
dans, et une ville capitale chez les Gaulois soumis aux Romains. 



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LES VILLES DE LA GiULE 291 

OU M. Dulaure prend-il cela? Deux remarques, l'une de 
Hotmann, l'autre de d'An ville, servent à établir que civitas 
désigne le territoire entier d'un peuple. M. Dulaure y en 
ajoute une troisième, également concluante : César, disant qu'il 
a envoyé des députés dans toutes les parties du pays des JEdui, 
s'exprime ainsi : Nuntios tota duitate ^duorum dimittit. Et 
Tacite, que M* Dulaure ne cite pas, a dit : Fatescit in dvitates 
Oermania. 

Nous admettons avec M. Dulaure que dvitas signifie une 
réunion de citoyens en corps politique, ou bien le droit de 
faire partie de ce corps politique, ou bien encore l'étendue de 
pays soumise à l'action de ce corps politique. Mais, ce que 
nous admettons avec lui pour la Gaule non soumise, nous 
retendons non-seulement à la Province, mais au reste du 
monde. L'exemple dont il s'appuie pour prouver que, dans 
la Province, dvitas signifiait non pas ce corps politique, 
non pas cette étendue de territoire, mais une ville, n'est pas 
heureusement choisi. Lorsque César, dit-il, parle des lieux 
d^haUtation situés dans la partie méridionale de Ut Qaule depuis 
long-temps subjuguée, et qu^on nommait alors Province ro- 
maine et ensuite Oaule narbonnaise, où se trouvaient des villes, 
colonies, des villes constituées comme celles de V Italie, des villes 
chefs-lieux de territoire ; alors il les qualjfie de civitates, dtés: 
Toulouse, Cœrcassonne et Narbmine, dit-il, qui sont les dtés de la 
Qauh, province romaine; lolosa, Carcassonne et Narbonne, 
qvLBd sunt civitates Galliae provincisB. Si les places de la Oaule 
insoumise eussent été des villes ou des chefs-lieuo) de nation, de 
dté, comme Vêtaient celles de la Oaule romaine. César les eut 
qualifiées de même, il aurait dit : civitas Bibracta, civitas Ge- 
nabum, civitas Gergovia; or il n'a jamais qiialifié ces places 
de civitas. 

M. Dulaure se met ici en contradiction directe avec Hot- 
mann, dont tout à l'heure il invoquait le témoignage. Hotmann 
afitane que, dans tout l'ouvrage de César, civitas ne désigne 



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292 uns D*ALSA£B 

pas une fois ce que nos appelons ville. Hotmann a raison, et 
M. Dulaure nous semble n'avoir pas réfléchi que Toulouse, 
Carcassonne et Narbonne figurent ici comme des réunions de 
citoyens. Peu importe qu'elles aient fait partie de la Province. 
Ne sait-on pas que les colonies faisaient corps de cité, quoi- 
qu'elle n'eussent qu'une seule ville, et le territoire distribué 
aux colons ? Ne sait-on pas que les colonies étaient de quatre 
espèces, selon qu'elles étaient régies jure Quiritium, Latii, 
Italiœ aut pravincialif C'est à cette constitution politique 
qu'il faut rapporter le passage de César: MuUisprœtereaviris 
fortïbus Tolosa, Carcassone et Narbone, quœ sunt civitates Gai- 
liœ provinciœ finitimœ, his regwnibus nominatim evocatis. Ce 
sont des hommes qui lui fournissent les corps politiques de 
ces cités, de ces colonies. Ma remarque se confirme par un 
autre passage de César ^ Il apprend que les Helvétiens se 
dirigent vers le pays des Santones, qui non longe a Tolosatium 
finïbus absunt, quœ civitas est in provincia. Voila bien certai- 
nement dvitas employé pour la même cité, et se rapportant 
non à la ville, mais au territoire, au corps de la colonie. 

Après cela que penser de cette assertion? Il (César) aurait 
dit : civitas BibractUy dvitas Oergovia, dvitas Genabum^ si ces 
places eussent été des villes ou des chefs-lieux de nations. Elle 
tombe d'elle-même, puisque dvitas est la réunion de tous les 
citoyens, la généralité de leur territoire. César ne devait pas, 
lors même qu'il s'agissait d'une capitale, lui attribuer ce qui 
était à toute la contrée. Il n'a jamais dit dvitas Gergovia, mais 
il a dit souvent dvitasAvernorum. Nous ne lisons point dans 
ses commentaires dvitas Bïbracta; mais nous y trouvons à 
chaque pas dvitas JSduorum. S'il a dit dvitas Tolosatium, c'est, 
je le répète, parce que le corps moral, l'Etat, le jus Quiritium, 
Latii, Italiœ, ou le^w^ provindale, était concentré dans la ville 
bâtie par des colons, et que chez eux, seulement chez eux, 

> L. 1, c. 10 



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LES VILLES DE LA GAULE 293 

urbs pouvait, jusqu'à un certain point, devenir synonyme de 
dvitas: or ce nom à'urbs. César l'a donné à Gergovia et à 
d'autres villes, qu'il n'aurait point qualifiées de civitates^ 
parce qu'une capitale n'est point le pays entier. En veut-on 
une preuve irréfragable? Voici ce que dit Cicéron, qui savait 
autant le latin que nous; Il parle du passage de l'état primitif 
du genre humain à l'état de civilisation : Tum conventicula 
hommum, quœ postea civitates nominatœ sunt ; tiinc domicilia 
conjuncta, quas urbes dicimus, inventa et divino ethumanojure, 
mœnibm sepserunt. Dans le Songe de Scipion on lit : Nihil est 
enim illi principi Deo, qui omnen hune mundum régit, quod 
quidem in terris fiât, acceptius, quant concilia cœtusqiœ homi- 
num jure sociati, quœ civitates appellantur. Jamais, et j'en porte 
le défi à M. Dulaure, il ne me montrera un seul passage 
où Cicéron ait pris civUas dans un autre sens. Je sais que 
quelques auteurs (entre autres Aulu-Gelle, qui cite Verrius 
Flaccus) ont beaucoup étendu le sens de ce mot; mais ce n'est 
que par un abus de sa véritable signification. Voici le passage 
d' Aulu-Gelle ou plutôt de Verrius Flaccus (liv. 18, ch. 15) : 
Senatum dici et pro loco et pro hominibus ; civitatem et pro 
loco et pro oppido, et pro jure quoque omnium et pro hominum 
multUudine. Ici encore il est évident que le pro oppido ne peut 
se rapporter qu'au cas où une ville jouit seule d'un droit par- 
ticulier; alors le droit peut nommer le lieu, comme l'assemblée 
du sénat communique sa dénomination au bâtiment qui le 
contient. 

Il paraît néanmoins que Favorinus ne se contenta pas de 
Tautorité de Domitius, et qu'il voulut des exemples de ces 
diverses acceptions. Aulu-Gelle en cita, dit-il, et les prit chez 
les meilleurs écrivains. Malheureusement il ne les a point 
transcrits dans ses Nuits attiques, ou plutôt il n'en a rapporté 
dans cet ouvrage qu'un seul, qui est relatif au mot concio, qui 
avait été mis en discussion en même temps. Je ne doute pas 
que, si nous avions également sous les yeux les exemples dont 



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294 RBYUE D^ALSACB 

il s'est appuyé pour le mot dvitas, nous n*y eussions découvert 
la preuve complète que toutes les fois que les auteurs s'en 
sont servis pour désigner une seule ville, cette ville était à 
elle seule l'Etat. C'est ainsi que nous lisons dans Vitruve * : 
2jama est civitas Afrorum, ctyus mœnia rex Juha duplici mnro 
sepdit, etc. ; passage qui semble tout-à-fait contraire à notre 
manière d'entendre le mot civitas. Mais tout aussitôt Pline 
nous empêche de tomber dans l'erreur sur cette qualification 
de civitas^ accordée à Zama, en nous apprenant * que l'Afrique 
compte trente villes libres, parmi lesquelles 11 nomme Zama; 
ajoutant que, quant aux autres oppida, il en est qui méritent 
non-seulement le nom de cité, mais même celui de nation. Ex 
reliquo numéro non civitates tantum, sed plerœque etiam na- 
tionesjure dicipossunt II y avait donc une différence entre le 
simple oppidum et la cité, civitas, et cette dernière dénomina- 
tion tenait sans doute le milieu entre une ville et une nation. 
Mais revenons à Âulù-Gelle et à ses interlocuteurs : la dis- 
cussion qui s'était élevée entre eux, prouve que dès-lors le 
sens de civitas était contesté, et que sa signification primitive 
avait varié. On sait que sous les empereurs Fusage s'établit 
peu à peu d'appeler de ce nom la capitale de chaque nation. 
Par là on désignait surtout qu'elle était le siège du pouvoir 
politique. Mais l'abus se mit promptement à côté de l'usage. 
Peut-être aussi les Romains éprouvaient-ils à prononcer les 
mots gaulois la même difficulté qui nous embarrasse nous- 
même dans les noms étrangers ; peut-être préféraient-ils 
désigner une ville par le nom du peuple dont elle était la 
capitale. Quoi qu'il en soit, cet usage prévalut chez eux, et 
s'étendit en fort peu de temps à des villes de moindre impor- 
tance *, d'où il arriva que peu à peu la signification du mot 

' Liy. Vm, chap. 4. 

» Liv. V, § 5. 

* Depuis que cette dissertation est achevée, j'ai retrouré mon opinion 



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LES VILLES DE LA GAULE 295 

civitas devint douteuse, môme pour les grammairiens qui la 
discutaient. Les peuples conquis, au contraire, continuèrent 
fortrlong-temps à désigner leurs villes par les anciens noms, 
et sous Julien les Gaulois appelaient encore Paris Leucetia 
{Xsoxériav ôvopaC^ootrù 5ù xeÀroe)^ tandis que depuis fort long- 
temps elle était pour les Romains civitas Farisiorum. 

N'en fût-il pas ainsi, le mot civitas eûMl encore cinquante 
autre acceptions, il les recevi'ait pour un pays comme pour un 
autre; car les mots ne suivent point l'exemple du thermo- 
mètre, qui varie selon les degrés de latitude sous lesquels on 
en fait usage. 

Le mot urbs est bien autrement arrangé encore. 

M. Dulaure remarque que César ne l'a employé que quatre 
fois : d'abord, lorsqu'il dit, uno die amplius viginti urbes Bitti- 
riffum incenduntur\ M. Dulaure ne veut pas qu'il y ait eu 
plus de vingt villes dans le Berri à une époque de barbarie * 
oà le sol était presque entièrement couvert de forêts. Il prétend 
d'ailleurs que, s'il s'agissait ici de villes, les Bituriges n'au- 
raient pas regardé cela comme une perte de peu d'importance, 
en sorte qu'on eût pu dire: celeriter amissa recuperaturos 
confidebant. Enfin, de ce que Vercingétorix dit plus bas, oppida 
incendi opportere, il conclut, toujours par suite de son erreur 

émise déjà par le savant abbé Belley (Mém. de PAcad., vol. XXXII, 
pag. 22, 24, 40, 43, 344). 

» Liv. VIT, ch. 15. 

^ Je ne sais pourquoi des écrivains, d'ailleurs très-recommandables, 
s'attachent aujourd'hui à nous représenter les Gaulois comme plongés 
dans la barbarie à l'époque où César vint conquérir leur patrie. Il résulte, 
au contraire, du témoignage de tous les auteurs, et notamment de Pline, 
que les arts utiles avaient chez eux fait des progrès tels qu'en plusieurs 
points ils servaient de modèles aux autres peuples. Cette vérité est fort 
bien établie dans quelques-uns des Mémoires de l'Académie des ins- 
criptions; et personne, jusqu'à ce jour, n'avait songé à la contester. 
Est-il donc besoin, pour vanter le temps présent, de déshériter les 
Français de la gloire de leurs ancêtres? 



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296 REVUE D'/OiSAGE 

sur oppida, que urbs, dans César, ne signifie point ville. D'ail- 
leurs, comme Vercingétorix a dit plus haut : vkos atque œdificia 
incendi opportere, M. Dulaure peuse que le nombre vingt, 
appliqué à urbes, comprend ici des maisons isolées. Singulière 
conséquence! Vercingétorix propose à sa nation un parti 
héroïque, et il entre dans le détail de ce qu'il faut brûler: cela 
devait être, Mais, dans le paragraphe suivant. César parle de 
l'événement arrivé, et rapporte seulement ce qu'il y a de plus 
remarquable : savoir l'incendie de vingt villes (car cet évéhe- 
ment mettait le lecteur à même de juger par lui-même combien 
de villages et de maisons isolées avaient eu le même sort). 
Mais il n'a jamais existé un si grand nombre de villes dans le 
Berri? M. Dulaure a-t-il bien fait attention h l'ancien état de 
la Gaule quand il a dit cela? Elle était alors aussi fertile et 
aussi peuplée qu'à aucune autre époque. On sait quelles 
migrations de peuples en sont sorties. Strabon, livre IV, dit 
en parlant du pays situé au nord des Cévennes, par consé- 
quent de toute la Gaule : ij d' àUrj itàaa, alzov (pépu ttoàùv, xai 
xéyxpov xal ^àXavov^ xai ^oa-jc^fiara navrota ' àpyov S" adr^ç 
oôdèvj TzX-qv ecTzc shffù xexàXoraù xai âpofuocç ' xai toù xai rooro 
aovovxÛTU noXoavOpwTtiq. fiàÀXov, -q èiztfiehiqL ' xai yàp roxddeç ai 
yovdcxeç, xai rpéipuv àyadai La Gaule n'était donc pas un 
désert; elle était fertile et peuplée jusque dans ses forêts; et 
ses forêts n'avaient pas une grande étendue, ainsi que cela 
résulte du passage ci-dessus. Plutarque fait prendre huit cents 
villes et plus à César : Evq yàp oùde âéxa izoXejuajiraç nepi 
raXauav mhùç jutev ônep ôxraxomaç xarà xpavoç echv^ iOvf], 5' 
éxecpcDaaro rpiaxoata ' fiupiaai de Ttapaza^afxevoç xara p.spoç rpca- 
xofficuç hcarôv fiev èv^^pav ûUipOeipev àXXaç de Toaauvaç e^éxpr^- 
aev. Pline va plus loin encore ; il dit : Nam prœter civiles vidorias 
undedes centena et XCII M. hominum occisa prœliis ab eo; et 
il ajoute sagement : non equidem in gloria posuerim tantam^ 
etiam coactam, humani generis injuriam (lib. Yll, c. 35). S'il 
y avait huit cents villes dans la Gaule, il pouvait bien y en 



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LES VILLES DE LA GAULE 297 

avoir vingt dane le Berri. Cela est d'autant moins surprenant 
que Pline, dans sa description de la Province, après avoir 
déjà nommé un grand nombre de villes situées in medUerraneo 
coloniœ, ajoute, oppida vero ignobilîa XIX sicut XXIVNemaur 
siensibus attributa: or, si l'on trouve, qu'outre les colonies 
latines et les villes primitives dignes de remarque, il y avait 
XIX oppida dans un petit coin de la Province, pourquoi le 
Berri n'en aurait-il pas eu vingt? Je sais que M. Dulaure ne 
veut pas qu'un oppidum soit une ville; mais nous y viendrons 
avec détail. En attendant, qu'il nous suflSse de lui dire que 
Dion,^ parlant du même événement, appelle noÀùç ce que César 
appela urbs : va ré Tcépc^ navra oox ôttcoç àj-pooç tj xcifxaç àXXà 
xac TToÀeiç à(p^ &v œipsMav zcvà iaeadav acpiav npoaeàoxtov xazé- 
(pXe^av. Je ne répondrai pas à. l'argument qui est fondé sur ce 
que les Bituriges ne pouvaient réparer promptement leurs 
pertes : celeriter amissa recuperaturos confidebant. Qu'est-ce 
que la conservation de quelques maisons, de quelques villes 
même, auprès de la perte de la liberté et de l'indépendance 
d'une nation? Le vainqueur coûte toujours plus au vaincu que 
le rétablissement de toutes ses villes. 

Nulle part César ne donne le titre à'urbs à des vici^ à des 
œdificia, comme le prétend faussement M. Dulaure, et ce qu'il 
avance sur le chapitre 17 du VII® livre n'a pas le plus léger 
fondement. De ce que les soldats manquaient de vivres à 
cause de la pauvreté des Boïens, de l'inactivité des Eduens, 
enfin de l'incendie des maisons (incendiis œdificioriim), cela 
veut-il dire que les maisons isolées, les vici, soient compris 
dans les vingt villes incendiées? Il y a ici la même gradation 
que dans Dion : on avait brûlé xdfiaç xal rcàhiÇy urbes, vicos, 
œdjfida. César énumère les urbes au paragraphe XV; il 
nomme les œdificia au paragraphe XVII. Le sens l'indique 
d'ailleurs assez; car c'est surtout à. la campagne que se trouve 
la plus grande quantité de blé. 

^ Livre XL, chap. 34. 



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2d8 BCTUE D^ALSACB 

La seconde fois que César emploie le mot urb8, c'est encore 
dans ce même chapitre XV, et c'est aossi d*Avaricum qu'il 
s'agit Les Bituriges supplient Vercingétorix de l'excepter de 
rincendie général : c Ne puUherrimam prope totius OàOiœ 
« urbem, quœ et prœsidio et omamento sit dvUati, guis manïbus 
« mccendere cogerentur ». Remarquons en passant que Tinter- 
prëte grec a rendu dans ce passage, successivement, les trois 
mots contestés par M. Dulaure par le même mot grec Ttâiiç. 
'EdéovTO^ fjoj TTJv xaiÀiar^v axedov r^ç rctianaç ao/mà^n^ 
nôkv (urbem) (poka/j^v re xae xoafiov n^ aipîrapq. TuoÀei (civita- 
tis) ooaav . doToxei'Psç xadv avccfxaadriaovirco. Et plus bas, 
lorsque Vercingétorix se rend à leur prière, defensares oppido 
idonei deliguntu/r : ixavouç Tr]ç koàscoç ànofidxofjç éçéc^v. Voilà 
donc que la même place reçoit du même auteur, dans le même 
paragraphe, le titre d'oppidum et celui d'urbsj et que les auteurs 
grecs rendent l'un comme l'autre par tzôàiç. Ce n'est pas tout: 
en l'appelle pulcherrimam^ épithète qui ne conviendrait pas à 
une enceinte vide. Cette coïncidence du mot urbs avec celui 
à^oppidum est fréquente. Tite-Live parle d'Illiberis, ville alors 
opulente : c'est là qu'Annîbal s'arrête pour traiter de son 
passage par la Gaule, et Tite-Live l'appelle oppidum; ce qui 
n'empêche pas que Pline, en rappelant le même temps, ne 
dise, Illiberis magnœ quondam urbis tenue vestigium, et que 
Pomponius Mêla ne s'exprime en ces termes : vicus Elliberri 
magnœ quondam urbis et magnorum opum tenue vestigium. Le 
quondam de Pomponius Mêla atteignait certainement l'époque 
dont parle Tite-Live. Or si Voppidum de celui-ci peut être 
Vurbs de ceux-là ; si Avaricum, dans le même temps, peut être 
appelé de Tune et de l'autre façon, ne serons-nous pas forcés 
de reconnaître que M. Dulaure a tort de gronder César, pour 
ne l'avoir pas toujours appelé un oppidum f et que M. Dulaure 
a tort encore quand il veut créer une distinction d'habitation 
entre ces deux choses? 

Mais ce n'est pas assez; César se permet de dire, à l'occa- 



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LES VILLES DE LA GAULE 299 

sion de Gergovia et d'Alesîa, Frospecto urbis situ : et pour le 
coup M. Dulaure déclare que c^est une manière de parler 
familière à V auteur, et quHl n'en faut tirer aucune conséquence 
sur Vétat de ces places; qu'au contraire, il faut prendre le mot 
urbs dans le sens d'orbis, qui se traduit par arrondissement, 
pays, région, et duquel, comme le dit Varron, le mot urbs est* 
dérivé. En sorte que voilà véritablement César qui ne sait ce 
qu'il dit, qui parle un langage à lui tout seul, selon quelque 
mauvaise habitude, contractée sans doute en province, oppi- 
dano quodam et incondito génère dicendi. C'est une expression 
de Cicéron, qui prouve, en passant, que les oppida étaient 
habités, puisqu'on y contractait de mauvaises locutions ; et il 
faut bien que cela soit, puisque Lucain a dit : referta hœni- 
num oppida K De plus, M. Dulaure n'a pas fait attention que 
le passage de César, entendu comme il le propose, est tout-à- 
fait vide de sens ; que l'on ne brûle pas un pays, une région ; 
que, dans le second passage cité par lui, il faudrait traduire 
que les Bituriges suppliaient Vercingétorix de ne pas brûler 
up pays, l'ornement du pays. Je suis fâché d'être obligé de 
contester à M. Dulaure jusqu'à son interprétation de Varron. 
Voici le texte de cet auteur : Quare oppida, quœ priu^ erant 
drcumducta aratro, ab orbe et urbo urbes \... Orbis est ici le 
cercle que l'on avait coutume de tracer pour déterminer l'en- 
ceinte d'une ville ; urbum est la pièce de la charrue à l'aide 

^ Gomme nons sommes arrivés à contester à M. Dulaure ses oppida 
vides de citoyens, nous dirons en passant que si les oppida de l'Italie 
étaient habités, il demeure certain que chaque fois que les auteurs 
disent oppidum, ils désignent par là ce que dans leur pays on appelle 
ainsi ; car, lorsqu'il y a une différence locale dans les objets auxquels 
s'appliquent les mots, ils ne manquent pas de l'indiquer, afin de ne pas 
donner lieu à un mésentendu : c'est ce qu'a fait César pour les oppida 
des Bretons^ c'est ce qu'il n'a pas fait pour ceux de la Gaule; ces 
oppida étaient donc pareils à ceux du reste de la terre. Nous le prou- 
verons encore bien mieux dans la suite. 

' De L. i., lih, 1. 



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900 ILETDE D*ALSACB 

de laquelle on traçait cette courbe: il n'y a là, comme on 
voit, ni pays, ni région. On trouve des traces de cet usage 
non-seulement dans Yarron, mais dans un grand nombre d'au- 
teurs anciens. Ovide a dit : 

Inde premens stivam désignât wuema gideo ; 
AJba jugum niwo cum hove vaeca tuUt. 

Il est inutile d'accumuler les citations pour établir une 
chose reconnue. 

M. Dulaure nous paraît cependant avoir fixé très judicieuse- 
ment la valeur du mot oppidum, lorsque, d'après Varron, il 
déclare que ce mot désigne toujours une place forte, entourée 
de murailles. Nous lui concédons même que celles de ces 
enceintes qui ne renfermaient pas d'habitations étaient aussi 
appelées oppida; ^ mais sans conséquence de ce qu'il prétend 
rendre ce mot en grec par (ppoopiou. Cela peut être vrai pour 
certains cas, mais en général on l'a rendu par tto^, et nous 
voyons aussi toutes les villes de la Grèce être nommées par 
les Romains oppidum. J'en vais donner une preuve aussi 
antique que possible : je la prends dans Ennius ; il qualifie 
Athènes elle-même d'oppidum : * 

Athenas antiqimm optdentum oppidum. 

Nous admettrons donc (ppoopuyv comme traduction S^oppi- 
dum chaque fois que l'auteur grec qui s'en sert a voulu 
désigner que la ville est fortifiée. Cela posé, l'exemple cité par 
M. Dulaure ne prouve rien pour lui ; le voici : Strabon, par- 
lant des Éduens, dit: Td zœv Edooœv i&voç Tzohv ixov xa^oXh- 
vov ènl rœ Apapt ' xal (ppoopiov Bv^paxra, Cette qualification 
de (ppoopiov n'empêche pas que César ne dise de Bibracte : 

' La concession est généreuse, car Varron nous dispenserait de la 
faire ; voici son texte : Est oppidum ab ope dictum, quod munitur opis 
causa, ubi sint, et quod opus est ad vitam gerendam, ubi haJbitent tuto. 

* Dans les comédies que Térence a imitées du grec, Athènes est 
toujours désignée par le mot oppidum. 



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LES VILLES DE LA GAULE 301 

Oppido JEchwrum longe maximo ac copiosissimo. Dion emploie 
le même mot (ppoopuyv pour Oergovia ; César, cependant, l'a 
qualifiée d'wr6« ; Prospedo urbis situ. Et remarquons ici que 
M. Dulaure a fort mal compté, lorsqu'il a prétendu que le mot 
iM^is ne se trouvait que quatre fois dans César ; nous allons 
le lui montrer une cinquième, et pour cette fois s'il est de 
bon accord, il nous dispensera de le lui montrer encore, car 
cette cinquième désignation est foudroyante : lïtm vero, ex 
omnibtis urbis partibu^ orto clamore, qui longius obérant, 
repentino tumuUu perterriti, sese ex oppido ejecerunt.^ Voilà 
la même ville appelée par César urbs et oppidum, et par Dion 
(pp6opu)v. Il ne faut donc pas s'arrêter à la qualification de 
<pp6opu)v, donnée à Bibracte par Strabon. Comment se fait-il 
d'ailleurs que M. Dulaure ne nous ait pas cité le passage 
entier? Serait-ce parce qu'il aurait été obligé de convenir 
qu'on y trouve ttôàiv xa^oUcvov? 

Je m'expliquerai maintenant sur la difficulté que M. Du- 
laure veut faire naître d'une prétendue opposition entre César 
et Tacite. Le premier dit ' que les Suèves ont envoyé par 
tout le pays annoncer son approche, avec ordre de quitter 
les oppida : Uti de oppidis demigrarent^ liber os, uxores suaque 
omnia in sylvas deponerent, atque omnes qui arma ferre possent 
in unum locum convenirent Tacite, au contraire, li'exprime 
ainsi : NuUas GermanorumpopuUs urbes haUtari satis constat, 
ne pati qtiidem inter se juncta^ sedes. Voilà M. Dulaure en- 
chanté. Les Germains qui n'avaient point de villes avaient des 
oppida, s'écrie-t-il ; ces oppida n'étaient drnic que des forte- 
resses. Et il ne réfléchit pas que César parle de femmes et 
d'enfants qu'on en fait sortir, c'est-à-dire auxquels on fait 
quitter leurs demeures ordinaires qui sont, ici du moins, ces 
oppida; tandis que M. Dulaure prétend que dans la Gaule on 

* Liv. m, chap. 47. 

* Liv. IV, chap. 19. 



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303 REVUE D'iUACE 

les y fait rentrer à l'approche du danger; en sorte qu'il fau- 
drait, selon lui, que les Gauloises se sauvassent dans les forts 
en temps de guerre et que les Germaines en sortissent : sin- 
gulière antinomie qu'il établit chez deux peuples voisins! 
Mais c'est précisément parce que ces peuples avaient plu- 
sieurs traits de ressemblance, comme il arrive toujours sur 
les frontières, que Ton voit chez les Suèves quelques-uns de 
ces oppida. Les Germains, peu éloignés du Rhin, tenaient des 
mœurs de leurs voisins, et les Gaulois, de l'autre rive, tenaient 
de celles des Germains. Tacite a parlé en général et pour 
toute la Germanie; ce n'était pas la peine d'établir une 
exception pour quelques places frontières/ 

Vicus. Nous serons, pour cette fois, d'accord avec M. Du- 
laure : vkm signiûe quartier dans une ville, et village hors 
des villes. César, après avoir vaincu les Helvetii, leur ordonne 
de rétablir leurs oppida et leurs via;* il fait incendier' les 
vici et les œdificia des Menapii, et tous les vici et les œdificia 
des Sicambres ; * il fait dire à Vercingétorix qu'il faut brûler 
tous les vici et les œdjfida du Berri\ M. Dulaure aurait bien 
dû remarquer que vicus, qui, de son aveu, est un lieu d'habi- 
tation, est dans le premier de ces passages opposé à oppidum^ 
et que, dans le quatrième, le mot oppida se trouve aussi placé 
après les vici et les œdificia, comme étant un terme de cette 
même progression. En sorte que, lorsque César dit qu'il faut 
brûler les vici et les œdificia, les Grecs rendent ces mots par 
xûî//as xac xdÀufiag, ou mieux encore par xci/mç xac olxodofja]' 
fiara. Et, lorsqu'il s'agit à'oppida et de vid, ils traduisent 

^ Mannert, célèbre géographe allemand, établit dans sa Germanûi, 
pages 40 et suivantes, que César et Strabon, se sont trompés sur les 
Suèves, et qu'ils ont pris pour tels des peuples des bords du Bhin. 

• Liv. I, chap. 28. 

» Liv. m, chap. 29. 

* Liv. IV, chap. 19. 

' Liv. VII, chap. 15. 



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LES VILLES DE LA GAULE 30B 

noÀsiç xai xoi^aç èvenpT^ûsv. Ainsi voilà bien trois degrés d'ha- 
bitation, comme chez nous : villes, villages et maisons ; cela 
ne peut être révoqué en doute. 

Faut-il, après cela, s'arrêter à la signification plus ou moins 
étendue d'œdifida ? Varron dit : Mdjficia nominata a parte, 
ut muUa. Il y a donc dans ce mot une partie simple. Or, c'est 
ceide^^ ainsi que le ditPompeiusFestus. Si œdjfida est composé 
de plusieurs œdes, il pourrait tout au moins signifier une 
réunion de maisons, car Varron le dérive ah œdihus etfaciendo; 
et ce qui démontre encore mieux cette vérité, qui au premier 
abord peut paraître singulière, c'est la phrase suivante: 
Maodmum œdjfidum est oppidum, ab ope dictiim. Voilà œdifi- 
cium au singulier pour toute une ville ; ôtez Vab ope, ce sera 
la même étendue de bâtimens, la fortification exceptée. 

Ainsi, nous avons vu : 

lo Que civitas désigne plus souvent une division politique 
qu'une ville, et que ce dernier sens n'a pu se former que par 
extension de la signification primitive ; 

2° Que le mot iirhs est vraiment le nôXcç des Grecs, et s'ap- 
plique le plus souvent h une ville de quelque importance; 

S^" Que le mot oppidum est ordinairement aussi le noXtç des 
Grecs, mais qu'alors il y a fortification. Notre motforteresse 
le rend très bien, soit que Yoppidum renferme une grande 
population comïne Strasbourg, soit que, semblable au fort 
Mortier, il ne contienne que des bâtiments militaires ; 

4? Que vicus est un lieu d'habitation non fermé de murs, ou 
bien un quartier dans une ville ; 

L"" Enfin, qn'œdes ou œdjfidum signifie la demeure d'une 
famille. 

IL 

Cela posé, passons à la seconde partie de l'ouvrage de 
M. Dulaure, à celle oti il rase définitivement toutes les maisons 
des oppida et en chasse les habitans : nouvel ange Michel à 



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904 RETOE D'ALSACE 

Fépée flamboyante, qui traite nos pères comme son prédéces- 
seur avait traité Adam et Eve, et les met sans pitié à la porte 
de leurs antiques demeures. Mais, puisqu'il ravage ainsi notre 
patrie, et que d'ailleurs nous ne sommes pas de force à lui 
livrer une bataille rangée, nous allons le suivre comme ces 
infatigables guérillas, et dès que nous apercevrons un côté 
fiiible, nous donnerons sans pitié; nous descendrons du haut 
de nos montagnes, nous le harcellerons à chaque pas. 

« Chez les Gaulois, dit M. Dulaure, les institutions qui ca- 
« ractérisent nos villes n'étaient pas contenues dans des 
« édifices, ni réunies dans des lieux habités. C'était sur les 
« frontières des nations que se rendaient les marchands, que 
« se faisaient les échanges, que se tenaient les foires et les 
« marchés ; et cet usage, en plusieurs parties de la France, 
a subsiste encore. Les affaires politiques, judiciaires et admi- 
a nistratives, se traitaient en plein air, sur des frontières et 
B dans des lieux sacrés. César nous apprend que les assemblées 
a de la Gaule se tenaient non dans une ville, mais sur les fron- 
« tières des Carnutes. » 

D'abord, avec la permission de M. Dulaure, in finïbus ne 
signifie pas toujours sur les frontières; mais peu importe : je 
ne conteste point que rassemblée générale se tint en plein air ; 
je ne vois pas même comment on aurait pu faire autrement, 
ni quelle ville aurait ofiert une assez belle place pour cela. A 
Rome les comices se tenaient au champ de Mars ; à Paris, nos 
fédérations, nos députations d'armées se réunissaient dans un 
lieu qui porte le même nom. Cela prouve-t-il que Rome et 
Paris n'existent pas? Les foires et même les fêtes publiques 
se célèbrent encore aujourd'hui hors des villes. En faut-il con- 
clure que nous nous trompons quand nous croyons habiter 
des villes ? 

Mais, dit M. Dulaure, les druides rendaient la justice, ils dé- 
cidaient de toutes les affaires : or les druides étaient dans les 
forêts : donc il n'y avait point de centre $ affaires^ de chef -lieu. 



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LES VILLES DE LA GAULE 305 

Je ne sais pourquoi M. Dulaure ne reconnaît de magistrats 
que les druides, tandis qu'il est évident qu'il y en avait encore 
beaucoup d'autres. Je ne dirai rien de la puissance des cheva- 
liers qu'entouraient un grand nombre d'ambadi; je ne me 
servirai pas même du passage suivant : Inderdum régna a po- 
tentioribus iisurpabantur. Je ferai seulement remarquer que 
César n'attribue pas aux Druides la connaissance de toutes 
les affaires; il dit: Druides f ère de omnibus controversiis cons- 
tituunt. Il y avait donc d'autres magistrats chargés de décider 
celles que les druides ne décidaient pas. Mais il y a plus ; chaque 
cité avait un sénat. Au livre II, chap. 5, César parle de celui 
des Rémois, Senatum omnen ad se convenir ejussit En plusieurs 
endroits il nomme le sénat des Venètes, celui des Nervîens, 
etc. Il y en avait un Agendicum ; il y en avait un à Lisieux, etc. 
Plusieurs des sénats gaulois ont traversé ainsi toute la domi- 
nation romaine, et ils duraient encore sous la première race 
de nos rois. Il n'est donc pas exact de dire que pour les Gau- 
lois il n'y avait aucune institution politique, aucun centre 
commun, qui pût les réunir dans les villes ; et, puisque l'on 
nous pousse à bout sur ce point, je soutiens qu'ils ont eu 
jusqu'à des employés des droits réunis ; car Strabok dit, en 
parlant de la haine qui divisait les Séquaniens et les Ëduens : 
àÀk' éTtérecve tiQv l^fff/oay, i^ zoo Tzorafjoi) epLç^ tou dutipxovzoi 
doTooç ixdrepoi) idvouç tàtov à^touvroç ehac zov Apapa xac éaurgj 
TZpoarjxBLV zà àuvfœxua zéXr}. Nuvi d' àno zocç Pwpaioùç &7zavz' 
éazL. L'octroi de navigation perçu au profit de la nation, même 
avant l'arrivée ^es Romains, suppose une régie dans les formes 
connues de tout temps. On voit que les Gaulois avaient non- 
seulement des magistrats, mais encore des administrations 
particulières à chaque cité, et un commerce que ne compor- 
terait pas l'état de barbarie dans lequel M. Dulaure veut les 
plonger. 

Mais, dit-il encore, les cérémonies du cuUe se célébraient sur 
les hautes montagnes, et Von en voit encore les monuments. 

Nouvelle Séiie. — I5™« année. 20 



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806 REVUE D'ALSACE 

Belle raison ! ainsi les ruines des couvents renversés par la 
révolution prouveront à nos descendants que nous n'avions 
pas d'autres demeures que les forêts. Enfin, poursuit M. Du- 
laure, enfin César n'a jamais donné le nom de civitates ni de 
munidpia aux oppida. La raison en est toute simple : je me 
suis déjà expliqué sur la qualification de civitates, quand j'ai 
fixé le sens de ce mot ; et quant aux munidpia, ce n'est sans 
doute pas sérieusement que M. Dulaure réclame pour les 
Gaulois, sous peine de ne pas croire à leurs villes, une institu- 
tion toute romaine : c'est à peu près comme si nous voulions 
un maire à Belgrade et un adjoint à Constantinople. 

Mais tout cela ne fait rien sur l'esprit de M. Dulaure. Il va 
parcourir les oppida à la suite de César, et il va nous montrer 
qu'ils étaient tous vides; que jamais, en temps de paix, ils 
n'étaient habités. 

Première halte : « César * entre dans le Soissonnais. On lui 
a avait appris que Voppidum de ce pays, appelé Noviodunum, 
« était vide et ne contenait personne pour le défendre, ainsi 
« qu'il pouvait s'en emparer sans la moindre résistance; mais 
« il remit cette expédition au lendemain. Cependant les babi- 
a tans du Soissonnais, avertis du projet de César, vinrent 
« pendant la nuit occuper cet oppidum, et la multitude s'y 
« réfugia. » 

Remarquez d'abord que M. Dulaure ne dit pas pourquoi 
César diffère jusqu'au lendemain de prendre Noyon. Il en fait 
absolument un capricieux. César n'avait pas ouï dire que No- 
viodunum fût vide dans le sens absolu, mais qu'il étsit vacuum 
ab defensoribus. C'est dans le même sens que Mithridate dit à 
ses fils, en parlant de Rome : 

Que dis-je ? en quel état croyez-vous la surprendre ? 
Vide de légions qui la puissent défendre ? 

César tente donc la prise de la place; mais, propter latitur 
^Livll, ckap. l'A. 



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LES VILLES DE LA GAULE 307 

dinem fossœ murigtie aliitudinem, pauds defendentïbus, expt4r 
gnare nonpotuit. La garnison, toute faible qu'elle était, j)awcw 
defendentibm, suffisait, vu la largeur des fossés et la hauteur 
des murs. César eut donc besoin d'attendre au lendemain 
pour faire venir ses machines de guerre : vineas agere, qiiœque 
ad oppugnandum vsui erant comparare ccepit. Mais qu'ar- 
riva-t-il pendant la nuit ? Intérim omnis ex fuga Suessionum 
multitudo in oppidum proocima nocte convenit. Selon M. Du- 
laure, ce sont les habitans du pays qui s'y réfugient. Voilà un 
ex fuga bien traduit! L'interprète grec a dit: nàv zô zwv 
Hooeaaiovcov TthjOoç èx rijç (pti^y^ç vfj hcLoôai} voxzi ek zàimrjv 
zi^v nohv àv€Xoip7](TaVj et le bons sens le dit aussi. Les Sues- 
siones faisaient partie de l'armée que César venait de mettre 
en fuite, comme cela résulte du chapitre IV du même livre. 
Ils avaient affaibli leurs garnisons pour opposer plus de 
troupes à César. Ces troupes, maintenant en fuite, se retirent, 
se réunissent dans les oppida^ et en particulier dans Novio- 
dunuuL 

Maintenant que nous avons sauvé Noyon de la fureur démo- 
lissante de M. Dulaure, il court niveler Vannes. Que font les 
Venètes à l'approche de César ? Oppida muniunt (ce qui ré- 
pond à notre expression, armer les places fortesjjfrumenta ex 
agris in, oppida comportant (ce qui répond à cette autre ex- 
pression, apprivisionner les places fortes) : donc il n'y avait 
rien avant dans les oppida ! D'après cette conclusion, si l'on 
retrouve jamais les comptes d'approvisionnement de nos 
intendants militaires, on dira que Mayence et. Strasbourg 
n'avaient ni pain ni habitans, puisqu'on y a fait entrer des 
soldats et des vivres à l'approche de l'ennemi. Il y a plus; 
M. Dulaure aurait pu lire quatre lignes plus haut: neque nostros 
exercitvspr opter frumenti inopiam diutius apud se morariposse 
cor^idebant Les Venètes agissaient donc tout autant dans la 
vue d'ôter les vivres aux Romais que pour s'approvisionner 
eux-même. Il aurait pu lire aussi Dion, qui, au même endroit, 



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dOb REVUE D'ALSACE 

appelle TzéÀeùç ht épofivœv x<opl(ov IdpDfjivai, les oppida des 
Venètes. 

Maintenant il est question des Senones^ lAccojubetin oppida 
multitudinem convenire. Mais les Senones n'ont pas le temps 
d'obéir, et, parce qu'ils n'ont pu entrer dans leurs oppida, ils 
se soumettent et livrent des otages au général romain. 

Même événement chez les Biturgies*: Acddit ut sine 
timoré ullo rura colentes prius ab equitatu opprimerentur 
qmm confugere in oppida possent. 

Ces forteresses étaient donc vides d'habitans et de défenseurs 
avant V arrivée de V ennemi, etc. Oui, sans doute, elles étaient 
vides de défenseurs ; car on croyait César bien loin : on ne 
l'entendait pas, et il était venu magnis itinerïbus ; etiam illud 
vidgare incursionis signiim hostium, quod incendiis œdificiorum 
intelligi consuevit, Cœsaris id erat interdicto sublatum. Et quant 
aux habitans des campagnes qui se sauvaient dans les oppida, 
cela prouve-t-il qu'il n'y en eut point d'autres pour les y re- 
cevoir V Avons-nous cessé d'être dans Paris, lorqu'à l'approche 
des Cosaques les habitans de Pantin et de Gonesse se sont 
réfugiés sur les boulevards ? 

Les Attuatici vont aux secours des Nerviens; mais ils 
apprennent leur défaite. Dès-lors ils ne pensent plus qu'à leur 
propre salut : oppida castellaque deserunt, suaque omnia in 
unum oppidum egregie naturamunitum conferunt Voilà, s'écrie 
M. Dulaure, les oppida déserts. Avec sa permission, je préfère 
l'interprète grec, TtoXetç dnoXinovzeç\ c'est comme si l'on disait 
retirer la garnison. Le mot désertis ne doit donc pas être pris 
dans un sens absolu ; car il ne s'agit ici que de l'armée des 
Attuatici, de cette même armée qui marchait au secours des 
Nerviens, et qui maintenant, pour plus de sûreté et pour ne 
pas disséminer ses forces dans des places éloignées les unes 
des autres, les réunit toutes dans un seul oppidum. Peu im- 

' Liv. VI, chap. 4. 
^Liv. Vm,chap. 3. 



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LES VILLES DE LA GAUI.E 309 

porte cette circonstance que les habitans du pays portent dans 
cet oppidum leurs eflets les plus précieux : c'est toujours ainsi 
que Ton a coutume de soustraire au pillage ce que l'on veut 
conserver. 

De chez les Attuatici M. Dulaure fait une seconde excursion 
contre les Venètes : « César, dit-il, faisant la guerre aux Ve- 
« nètes, s'empara de plusieurs oppida, et déclara qu'il n'en 
« retirait aucun avantage, /rMsfra tardim, laborem sumi, parce 
« que les Venètes abandonnaient les forteresses et prenaient 
« la fuite, et qu'en s'en emparant il ne parvenait ni à les 
« arrêter, ni même à leur nuire. » Comment, s'écrie M. Du- 
laure, la prise des oppida ne serait-elle point une perte pour 
l'ennemi, s'ils étaient des villes ? Comment les Venètes ne se 
donnent-ils même pas la peine de les défendre? Je répondrai 
d'abord que César se sert de l'expression oppidis captis, ce 
qui indique communément une résistance. En second lieu, il 
siiffit d'un peu de réflexion pour expliquer le passage de 
César dans un tout autre sens. Les principales forces des 
Venètes étaient dans leur flotte ; c'était donc avec des forces 
navales qu'il convenait de les attaquer. Aussi César dit-il, un 
instant après, en parlant de lui-même, statuit exspectandam 
classem. Et, n'en fûtril pas ainsi, il faudrait encore se rappeler 
que César écrit en général romain, et que, par conséquent, il 
ne range parmi ses avantages que les événements qui dimi- 
nuent les forces de l'ennemi. Combien de villes ont été aban- 
données en Espagne à l'approche des Français ? Ceux-ci en 
retiraient-ils un avantage? Au contraire, les forces de l'ennemi 
s'accroissaient de leurs citoyens, tandis que leur occupation 
n'était d'aucun secours pour le vainqueur. 

M. Dulaure ne tient pas compte à César de ses quartiers 
d'hiver qu'il passait dans Bibracte et Genabum ; selon lui, 
rien n'empêchait les Romains de s'y promener en long et en 
large, car il n'y avait point de maisons. Dans ce cas, on se 
demande pour qui les marchands romains allaient faire le 



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310 REVUS D'âLSÀCB 

commerce à Gabillonum et à Genabum. M. Dulaure suppose- 
t-il que les Romains y soient venus pour le faire entre eux ? 
Enfin, lorsque les habitans du pays entrèrent dans cet oppi- 
dum pour le surprendre, et y vinrent d'après un signal 
convenu, datosiffno, aTud zoù (jofxeifievoo^ qui le donna? n'y 
avait-il au dedans que des Romains? Tout au contraire 
annonce que, parmi beaucoup d'habitans, il y avait peu de 
citoyens romains : civesque Bomanos, qui negotiandi causa ïbi 
comtUerant intefficiuntj bonaque eorum diripiunt 

L'exemple tiré de la surprise du Noviodunum des Éduens 
par Eperedorix et Viridomarus n'est pas plus heureux.* 

Nous avons suivi M. Dulaure dans toutes ses courses; il 
faut maintenant le réfuter sur d'autres genres de preuves, et 
rétablir le sens de quelques passages de César auxquels il 
donne la torture. 

Et d'abord celui-ci : * 

Jn Oallia non solum in omnibus dvitatïbus aiquepagis par- 
tïbusque, sedpene etiam in singulis domibus factiones sunt. 

Voyons le parti qu'il en tire : 

(( Par le territoire de chaque nation de la Gaule, dvitas ; 
« par les divers cantons dont chaque territoire était composé, 
« pagi; par les parties de chacun de ces cantons, |)ar^es ; par 
« les maisons qui se trouvaient dans chaque partie de canton, 
(( dofnus, César a voulu désigner l'universalité de la popula- 
« tion, la totalité et les parties subdivisées de tous les lieux 
« habités chez les Gaulois. Dans cette énumération, les oppida 
« ne sont point compris ; on ne trouve aucune expression qui 
« signifie une ville : il n'en existait donc pas chez ces peuples, 
« et les oppida n'étaient pas des lieux ordinaires d'habitation. 
« Quoique négative, cette preuve est très forte. » 

Il y a en effet quelque chose de fort là dedans ; mais ce 
n'est pas la preuve. M. Dulaure ne se serait-il pas abusé sur 

' Liv. Vn, 55. 
• Liv. VI, 11, 



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LES VILLES DE LA GAULE 311 

le sens que reçoit dans cette phrase le mot domm ? Ce mot 
ne seraitril pas, pour cette fois du moins, synonyme defamïlia 
plutôt que d'œdifidum? Enfin, n'est-ce pas à peu près dans 
ce sens que nous disons la maison d'Autriche ou celle de 
Lorraine, sans que jamais il nous vienne à l'idée de sous- 
entendre par là la chambre et les appaftemens de Sa Majesté 
l'empereur d'Allemagne ? Suivons la pensée de César. Il s'oc- 
s'occupe de tous les degrés de puissance politique. Nous 
avons vu ce que c'était que dvUas ; pagm est un canton : 
cela est si vrai que de pagw nous avons fait pays, et M. Du- 
laure le reconnaît. Il saute donc sans raison d'une série de 
dénominations politiques à une chose qui y est toute étran- 
gère. Je le répète, il n'y a pas dans tout cet endroit de César 
une seule désignation d'habitation. Si l'auteur des Commen- 
taires s'est servi de l'expression domus, c'est pour nous 
apprendre que les opinions politiques divisaient chez les 
Gaulois non-seulement les cités, les cantons et leurs subdivi- 
sions, mais encore les familles mêmes. ' 

Il avoue cependant que des hommes difficiles pourraient ne 
pas se rendre à cela ; il convient qu'on pourrait croire que les 
habitants des campagnes cherchaient un asyle dans ces forte- 
resses au milieu de leurs concitoyens qui les habitaient II va 
nous guérir de cette erreur. D'abord il prend le discours de 
Critognat qui, dans Alésia, propose aux Gaulois de faire ce 
qu'ont fait leurs ancêtres : qui, simili inopia subacti, eorum 
corporïbus, qui œtate inutiles ad hélium videbantur, vitam tole- 
raverunt. M. Dulaure en conclut que toute la nation était 
dans Alésia ; mais il n'y avait dans Alésia que quatre-vingt 
mille hommes. D'ailleurs est-il besoin de la présence de toute 
la nation pour manger quelques vieillards de la ville même V 

César *, en rappelant aux Éduens ce qu'ils lui doivent de 
reconnaissance, leur dit qu'il les a trouvés compulsos in 

^ Liv. Vil, chap. 77. 
« Liv. VÏI, 54, 



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812 mETUE D*1LS1CE 

appida, muUatùs açris, omnibus ereptis copiis, etc^ et qail les 
a remis in prigtinum gtatum. M. Dalaure en conclut que la 
nation entière était dans les oppida. Or, dit*il, si les oppida 
eussent été des demeures. César aurait-il mis au rang des caJor 
mités publiques le besoin de les habiter f César se serait-il fait 
un mérite auprès des Bdui de Vavoirjait cesser f Ne serait-il 
pas ridicule à un écrivain qui, s'adressant à une nation de 
V Europe moderne, lui dirait : Vous avez été réduite au malheur 
de vous retirer dans vos villes, et de les habiter? J^esphre pour 
M. Dulaure qu^il a une maison de campagne ; je doute qu^il y 
reste à rapproche d^un vainqueur irrité. A Dieu ne plaise 
qu'il se voie jamais in oppidum compulsus; autrement, quelque 
agréable que puisse être une yiUe, fût-ce même la cité des 
Parisii (auxquels, sans égard pour lui, Strabon accorde v^aov 
év Ti^j norafup xac Tzohv] ; autrement, dis-je, je crois qu'il saura 
grand gré à celui qui le remettra in pristinum statum. 

Mais en voilà bien d'une autre : Dans les dialectes de l'an- 
cienne langue celtique on ne trouve aucun mot qui signifie une 
vïUe. Eh bien ce mot existait cependant ; c'est mag, qui, placé 
à la lin du nom, faisait chez les Celtes le même effet qu'en 
France viUe, en Allemagne heim. Charleville, Mannheim, sont 
comme chez les anciens Yiromagus, Juliomagus, Augustoma- 
gus, CaBsaromagus, Tornomagus, Montalomagus, Mosomagus, 
Rotomagus, Argantomagus, Brocomagus, Borbetomagus, etc. 
On en retrouve aussi des vestiges à la tête des noms, comme, 
par exemple, dans Maguelonne et Maguntia. J'admettrai, si 
l'on veut, que wo^ ne signifie qu'habitation, et non pas ville ; 
mais, comme il se rencontrait souvent avec la qualification 
romaine d'oppidtfm, j'aurai encore suffisamment prouvé \ 

^ Mais il est reconnu par les savantes recherches de Lancelot et de 
Schœpflîn, qne mag signifie une habitation nombreuse, et que la petite 
population est déterminée en langue celtique par la syllabe giL En 
général, toutes les terminaisons celtiques sont significatives. Nous cite- 
rons encore dunumf tertre, hauteur, qui a conservé chez nous et dans 



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LES VILLES DE LÀ GAULE 313 

Qu'importe après cela que Vienne chez les AUobroges, et 
Mediolanum chez les Insubri, aient été, peu de temps avant 
Strabon» des bourgades sans importance, et qu'on en ait fait 
des villes? Cela prouve-t-il qu'il n'y en avait pas d'autres 
avant celles-là ? Enfin, l'exemple pris dans Dion Cassius sur 
les Morini est on ne peut pas plus mal choisi. Cet auteur dit 
que César marcha ensuite (c'est-à-dire après l'expédition des 
Venètes) contre les Morini et les Menapii, et qu'il les soumit 
d'autant plus aisément qu'ils n'ont point de villes, mais qu'ils 
demeurent dans des chaumières éparses. L'exception confirme 
la règle : Dion venait de parler des Venètes, qui avaient des 
villes. D'ailleurs, on voit par un passage de Dion que ces peu- 
ples étaient fort semblables aux Bretons, et les Bretons, comme 
le dit César, n'avaient point d'oppida, dans le sens absolu de 
noÀiç. 

Ici M. Dulaure s'arrête et met fin à ses nombreuses expédi- 
tions. Pour nous, qui ne nous sommes appliqués jusqu'ici qu'à 
le réfuter, établissons à notre tour et par des témoignages 
irrécusables que les oppida, étaient habités. 

Au siège d'Avaricum il survient une pluie violente, àsvoç 
Àd^poç; cela fait rentrer les Romains sous leurs tentes, èç ràç 
tTX7]vàç. Mais, les Gaulois, où vont-ils ? La pluie était si forte 
que, malgré l'intérêt qu'ils ont à se défendre, ils entrent dans 
leurs maisons, eiç ràg oixlaç; ce sont les propres termes de 
Dion. 

Au même siège d'Avaricum il y avait des femmes dans la 
ville ; il y en avait dans Bratuspantium, et il y en avait à 
Gergovia ; car César dit ^ : Maires familiœ de muro vestem 
argentumquejactabant, etpedoris fine prominentes passis ma- 
nibus obtestebantur Eomanos, ut sibi parcerent, neu, sicut 

la plupart des langues son acception primitive, puisque nous appelons 
dunes les hauteurs qui bordent la mer. Plusieurs villes rappellent cette 
même signification, Dun, Chateaudun, Verdun, etc. 
^ Liv. VIT, chap. 47. 



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311 R£VO£ O'ALSACE 

Avarici fecissent, ne muUerïbiis qtiidem atque ir^fantibm absti- 
mrent. NonmMœ de maris per manus demissœ, sese militibtis 
tradebant II y en avait aussi dans Âl^sia, et ici M. Dulaure 
sera convaincu ; car après que Critognat a proposé qu'on se 
mangeât les uns les autres, on décide qu'on fera sortir les 
bouches inutiles, et que Ton tentera tout avant que d'en venir 
à une si horrible extrémité. Mandubii, qui eos oppido receper 
rant, cum liberis atque uxoribus eodre coguntur. Voilà donc 
des habitans qui ont reçu l'armée dans leurs murs. Dion rap- 
porte le même fait ; il dit qu'on a fait sortir voùç dxpeioTdTouç^ 
Toùç TB ndldaç xal ràç jtfvcuxaç. Les inutiles, en conciliant ces 
deux passages, étaient donc tous d'Alésia: on n'y était donc 
pas entré, %avdrjuuj et il n'y avait d'étrangers que les guer- 
riers. 

Les Gaulois ont eu des villes dans les temps les plus reculés. 
Strabon parle du trésor de Delphes, que Caepion trouva à Tou- 
louse, où on le gardait depuis l'expédition de Brennus. Tite- 
Live et Justin contribuent aussi à éclaircir la question. Le 
premier parle, au livre V, chap. 34, de Bellovèse, qui, du temps 
de Tarquin l'ancien, leva une grande quantité d'hommes pris 
parmi les Bituriges, les Arverni, les Senones, les iEqui, les 
Ambarri, les Carnut^, les Aulerci, etc. ; et, ayant ainsi ras- 
semblé une armée nombreuse en infanterie et en cavalerie, se 
dirigea vers les Alpes, les franchit, et fonda de suite une ville 
sous le nom de Mediolanum. Les Gaulois savaient donc dès- 
lors ce que c'était qu'une ville. Ils ne l'apprirent pas plus des 
Marseillais ; car, lors du passage de Bellovèse et pendant qu'il 
était sur les terres des Tricastini, on lui dit que ces étran- 
gers, qui cherchaient à s'établir, étaient alors assiégés par les 
Salyens. Bellovèse n'en continua pas moins sa route jusque 
chez les Insubriens, dont le nom rappelait celui d'un pagus 
des Éduens, ce qui fit qu'il jugea à propos de s'y établir et d'y 
fonder sa ville. On ne supposera pas, sans doute, qu'en pas- 
sant dans le voisinage de ces Phocéens, qui se battaient encore 



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LES YILLES DE LA GAULE 315 

pour prendre terre, Bellovèse ait appris d'eux à construire des 
villes : il faut plus de temps que cela pour introduire de si 
grands changemens dans les mœurs d'une nation. 

Arrivons à Justin, assez mauvais abréviateur de Trogue- 
Pompée. Si nous Ten croyons, nos pères devraient à ces Pho- 
céens Part de ceindre leurs villes de murailles : Ab his igitur 
OcUli et vsum vitœ cidtioris^ deposita et mansuefada barharia, 
et agrorum cultus et urhes mœnibm cinqere didicerimt; tune et 
legïbus, non armis vivere, tune et vitem pviare, tune olivam 
serere consneverunt : adeogue magnum et hominifms et rébus 
impasitus est nitor, ut non Qrœeia in OalUam emigrasse, âed 
Oallia in Grœdam translata videretur \ Si l'assertion de Jus- 
tin est exacte, il faut l'entendre en ce sens que les Gaulois 
ont appris des Marseillais à perfectionner leurs arts et leur 
agriculture^ mais que long-temps avant ils les pratiquaient 
avec un grand succès. Quoi qu'il en soit, il paraît qu'en très- 
peu de temps le commerce fit chez eux des progrès bien rapi- 
des. Annibal, lors de son expédition, trouva dans le Rhône un 
grand nombre de navires, dtà ro rcuç èx nys MÀaTzr}ç èjuaco- 
pelatç woÀÀoiçxp^(y0€u zàfv TvapoixsvrcDv rov Poddvou *. Je n'exa- 
minerai point ici si les lettres grecques sont venues aux Gau- 
lois par les Marseillais, ni comment il convient d'expliquer les 
passages de César où il en est parlé. Bevenons à M. Dulaure 
et 9,\jx oppida. 

m 

Dans un troisième paragraphe il traite de la construction 
des murailles des oppida: là il dit des choses fort justes. Mais 
de ce que Fabius grimpe sur une muraille de Gergovia avec 
le secours de trois soldats ; de ce que les femmes effrayées 
franchissent cette même muraille, il ne faut pas conclure 

* Liv. XLm, chap. 4. 
' Polyb , liv. III, chap. 42. 



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316 REVUE d'àlsace 

qu'en général les murailles des oppida n'avaient que sept pieds ; 
l'endroit dont il s'agit est escarpé, a7toxp7]fivoç. M. Dulaure 
aurait dû se souvenir du passage qu'il a cité lui-même au sujet 
de Noviodunum, que César ne put prendre, propter IMitudi- 
nem fossœ murigtie altitudinem. 

De ce que Possidonius, cité par Strabon, a vu des têtes 
d'ennemis vaincus clouées, ev tocç KponuXatoig, il n'en faut pas 
conclure qu'il s'agit ici des portes des oppida: chacun gardait 
pour soi ses trophées. 

Mais, quand M. Dulaure vient à décrire l'intérieur des 
oppida j il fait de nouveaux efforts pour les déblayer \ Ainsi, 
«dit-il, quand César quitte ses quartiers d'hiver, pour mar- 
a cher contre les Carnutes, ceux-ci laissent leurs oppida et 
« leurs vid déserts^ desertis vids oppidisque. César arrive ; il 
« pose son camp précisément dans Voppidum appelé Oenabuni. 
« On ne campe point dans une ville remplie de bâtiments. » 
On serait tenté de croire que M. Dulaure n'a pas lu le passage 
entier. César ajoute : atque in tecta partim Gallorum, partim 
quœ, conjedis celeriter stramentis tentoriorum integendorum 
gratia, erant inœdificata, milites contegit. Et pourquoi n'y 
avait-il pas assez de tecta QaUorum? parce que Oenabum 
avait été récemment incendié. C'est ce que raconte César 
avec le plus grand détail, au livre VU, chap. 11. Ce passage 
prouve donc contre l'opinion de M. Dulaure, qui, du reste, 
veut voir ici dans tentorionim la qualification de tecta. Il veut 
que tecta inœdificata signifie des constructions non encore 
achevées ; sens qui ne répugne pas au latin, mais à la saine 
intelligence de cet endroit, qui exige que ces mots soient ren- 
dus tout différemment, et que l'on interprète ainsi: César s'é- 
tablit dans Voppidum des Carnutes appelé Oenabum, et y mit 
ses soldats à couvert, tant dans les maisons des Gaulois, que 
dans celles qui avaient été construites avec le chaume ras- 
semblé à la hâte dans la vue de couvrir les tentes. Telle est 

* Livre VIII, ch. 5. 




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LES VILLES DE LA GAULE 317 

aussi rinterprétation suivie dans l'édition de M. Leraaire. 
Cela est tout naturel. Le soldat romain, au moment de con- 
struire des cabanes pour y passer les quartiers d'hiver, re- 
trouve les maisons des Gaulois. Ces maisons, à cause de l'in- 
cendie, ne sont plus en assez grand nombre. Dès lors il en 
recouvre quelques-unes, et en reconstruit d'autres ; ou bien, 
il établit à la hâte les cabanes qu'il était accoutumé à élever 
en pareille circonstance, et pour lesquelles on avait rassemblé 
déjà des matériaux : conjectis celeriter strammtis tentoriomm 
integendorum gratia. 

Rien n'égale la manière^dont M. Dulaure tourmente le cha- 
pitre 28 du livre VII de César. Il s'agit A'Avarimm. Les assié- 
gés, voyant que déjà les Romains escaladent les murailles, 
vont se ranger in joro ac locis patentioribus cuneatim. Or, 
M. Dulaure, qui veut à toute force que les oppida soient vides, 
dit que, si quarante mille hommes pouvaient se ranger en 
bataille, il n'y avait plus de place pour les maisons et pour les 
rues. Je crois qu'il y a encore plus de creux que de vide dans 
son objection. Le texte prouve clairement que les troupes se 
rangèrent dans plusieurs endroits, in locis patentioribus : les 
quarante mille hommes ne forment donc pas un seul cunetcs, 
un seul coin. Autant vaudrait dire aujourd'hui qu'une armée 
se forme en un seul bataillon carré. L'interprète grec a dit : 
iv Te TTJ àyopç. xai Iv tocç àUoiç r^ç koàswç eôpordroùç tottoùç» 
S'il n'y avait pas eu de maisons, il n'y aurait eu qu'une seule 
place, qu'un seul totcoç, et non pas plusieurs loca patentiora. 

Fatigués de tant de courses, nous allions enfin nous reposer; 
mais M. Dulaure nous entraîne de nouveau à la suite de 
César contre Arioviste. Celui-ci s'était emparé de Voppidum 
appelé Vesontio ; or, en parlant du désespoir des Romains qui 
craignaient les Germains, il dit : abditi in tabernacidis ; donc, 
dit M. Dulaure, il n'y avait dans Voppidum que des tentes. 
Lisons les paragraphes 38 et 39 du premier livre de César et 
nous aurons réfuté M. Dulaure. Il est faux que l'armée fût 



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318 REVUE D'ALSACE 

dans Voppidiim ; elle était campée. Diim patœos dies ad Ve- 
sontionem moratur, dit l'auteur en parlant de lui-même; et 
plus loin : Vulgo totis castris testamenta obsignabantur. 11 n'y 
avait dans Vesontio qu'une garnison, occupatoque oppido ibi 
prœsidium coïlocat U serait assez singulier de dire qu'il n'y 
avait point de maisons dans la ville, parce qu'il y avait des 
tentes dans le camp. 

Lorsque M. Dulaure étend à tous les Bretons la ressem- 
blance que César remarque entre ceux du littoral et les Gau- 
lois, ne cède-t-il pas un peu au désir de faire triompher son 
opinion en dépit de son auteur ? Ces habitans du littoral ne 
sont cependant point des Bretons. Belges d'origine, ils sont 
venus beïli inferendi causa ; presque tous ont retenu les mœurs 
et même le nom de la cité gauloise dont ils sont originaires ; 
aussi, à la dilférence des indigènes, de ceux de l'intérieur, 
dont il est question au paragraphe 21,* les habitans du litto- 
ral ont-ils un grand nombre de maisons, différentes des cabanes 
du reste de la Bretagne ; sans quoi César n'aurait pas dit : 
Greberrimaque œdjficia, Gaïlids fere consimilia. Mais lorsque 
le général romain vient à décrire l'intérieur de l'île, ce ne 
sont plus ces Bretons civilisés dont il vient de vanter les 
avantages ; ce sont presque des barbares : Oppidum autem 
Britanni vocant, quum silvas impeditas vaUo atgue fossa mur 
nierunt, quo incursioim hosfium vitandœ causa convenire con- 
suerunt Cela est conforme à ce que dît Strabon: II6hi/5 S' 
auTwv ehtv ol dpufioc Ttépicppà^avreç yap devdpeai, xava^el^ij^ 
fiévoùç eôpoxcop'^ xDxXoVj xac aôroc îvrauOa xaÀoZoTZOcouvrfu, xal 
rà fioaxTJfjLara xaTatmOtJuhooatv oô npoç noXdv ^[pévou. Et re- 
marquez que même dans ces oppida bretons il y a une imita- 
tion de ceux des autres pays ; on y construit des cabanes, 
xaXo^onoLHvrai ; mais, mais comme on changeait de place, 
c'était où Trpoç noXùv xpàtfov. Il en était autrement des oppida 

^ Liv. V. 



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LES VILLES DE LA GAULE 319 

de la Gaule qui ne changeaient pas de place. Genabum a tour 
jours été chez les Carnutes; Bibracte n'a point quitté les 
Éduens, et jamais les Arvernes n'ont emporté Gergovia. L'ha- 
bitation se retrouve partout ; seulement elle est mobile chez 
les Bretons et fixe chez les Gaulois, et c'est pour cela qu'ils 
ont des maisons et des villes dans la véritable acception de 
ces mots. 

Voilà donc que César et Strabon donnent à leurs lecteurs 
pour la Bretagne un avertissement que ni l'un ni Tautre n'a 
donné pour la Gaule. C'est tout simple, la Gaule était comme 
le reste du monde. 

IV 
Opinion des modernes 

Cette opinion des modernes est que les oppida étaient des 
villes. Les historiens de nois provinces ont cru cela, et, comme 
ils n'ont point été contredits, leur opinion a prévalu. Adrien 
de Valois, qui a établi cette opinion, ne l'a appuyée que de 
preuves prises chez les auteurs du bas empire ou du moyen 
âge ; M. de Valois ne peut donc faire autorité. 

J'espère que M. Dulaure ne trouvera pas à me faire le même 
reproche. Je ne l'ai occupé que de Polybe, de César, de Tite- 
Live, de Pline, de Tacite, de Strabon, etc. Ces autorités 
valent bien celle du capucin dont M. Dulaure vante la sagacité 
sur la foi de l'abbé Grandidier. Celui-ci, dans son Histoire 
d^ Alsace, parle d'un père Dunand, membre de l'Académie de 
Besançon, qui, comme M. Dulaure, ne voulait dans les oppida 
aucune demeure iixe. 

On pense bien que lorsque M. Dulaure vient à lixer les de- 
meures des Gaulois, il ne leur accorde que des maisons isolées 
et éparses dans les bois. Il se prévaut d'un passage où il s'agit 
de l'évasion d'Ambiorix, queBasilus vint surprendre, mais que 
la proximité des bois sauva. Ambiorix était alors en fuite, il se 



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320 REVUE D'ALSACE 

cachait; il devait éviter les villes. C'est donc des maisons de 
compagne que César dit : ^ Ut suntfere domicilia Odllorum, qui 
vitandi œstus causa plerumque silvarum acfluminum petunt 
propinqiiitates. César trouverait encore de nos jours beaucoup 
de maisons ainsi situées. Gela veut-il dire que les chefs gau- 
lois n'habitaient point les oppida ? 

M. Dulaure traduit le paragraphe de Tacite, où il est ques- 
tion des demeures germaines, et prétend le rendre applicable 
aux maisons de nos pères. Mais César va lui répondre ; car, 
après avoir décrit les mœurs des Gaulois, il dit: Oermani 
multum db hoc consuetudine differunty et plus loin : In annos 
migulos gentïbus cogiiationibusque hominum qui una coierunt, 
quantum et quo loco visum est agris attribunt, atque anno post 
alio transire cognunt \ Voilà donc un peuple tout-à-fait no- 
made. César dit de plus pourquoi ils font cela, et entre autres 
raison, ne accuratius adfrigora atque odstus vitandos œdjficent. 
Ils ne bâtissaient donc pas comme les Gaulois, dont la de- 
meure était fixe. 

Eniin Viturve (chap. 2, liv. 1) dit, après avoir parlé de la 
simplicité primitive de Tarchitecture : Acec autem ex iis, quœ 
supra scriptœ sunt, originihus instituta possiimus sic animad- 
vertere, quod ad hune dieni nationibus exteris ex his rébus cedi- 
ficia constituuntur, ut in Oallia, Hispania, Lusitania, Aqui- 
tania, scandulis robusteis aut stramentis. Strabon: Toùg âe 
(Sùxouç ix aavidœv xac yé^^oiv ixooaù fiej'àÀoi/ç, âoÀoécdeiç opoipov 
TtoÀùv énd^aVjovreç, 

On pourrait lire dans plus d'un voyageur une semblable 
description des maisons de la Champagne. S'ensuit-il qu'il n'y 
a pas d'hôtel de la préfecture à Châlons ? Cependant il faut 
avouer que l'architecture gauloise devait être à peu près ce que 
nous la voyons encore dans plusieurs grandes villes, où les 



' Liv. VI, 22. 

* Liv. VI, chap. 30. 



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LES VILLES DE LA GAULE 321 

maisons pour la plupart sont construites en ételles et en tor- 
chis. Si les Gaulois eussent élevé des temples, des palais, des 
cirques, des théâtres, etc., nous en conserverions quelques restes. 
Cette phrase est à M. Dulaure, et pour cette fois il pourrait 
bien avoir raison. Je pense avec lui et avec Peloutier qu'on 
se trompe en attribuant aux Gaulois quelques vieux édifices 
que l'on voit dans les Gaules ^ M. Dulaure a très bien fait de 
qualifier ces restes de celto-romains, et d'y reoonnaître le tâ- 
tonnement et l'inhabileté qui cherche à imiter de beaux 
modèles. Il a très-bien fait aussi de les attribuer au premier 
ou au second siècle. Il procède avec beaucoup de sagacité à 
l'énumération des monumens purement celtiques, et ce n'est 
pas là notre objet. C'est avec peine que je me vois obligé de 
quitter M. Dulaure au moment où je n'ai plus à le réfuter; il 
me pardonnera sans doute, si la plaisanterie s'est quelquefois 
mêlée à mes raisonnements ; car jamais elle n'a été despec- 
tueuse. Je proclame hautement mon estime pour la profonde 
érudition du savant auteur de l'Histoire de Paris..., et quoi- 
que j'ai peu de titres à son indulgence, je ne crains point de la 
solliciter, parce qu'elle est toujours compagne du mérite. 



^ Par exemple, la Porta nigra de Trêves. 



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ÉPILOGUE DE LA SÉRIE DE 1872 A 1886 



Lorsque, en 1872, nous avons consenti à faire revivre la 
Revue d'Alsace, nous avons crû ne pouvoir mieux commencer 
la nouvelle série qu'en l'ouvrant par une reproduction qui 
évoquait le souvenir de l'un de nos meilleurs historiens, et 
renouait le présent au passé de notre vie littéraire, essentiel- 
lement alsacienne. Formant une famille particulièrement 
caractérisée par la force des choses humaines, nous pensions 
alors, comme nous le pensons encore aujourd'hui, que le culte 
des traditions avait des droits au respect et au dévouement 
de tous. La situation était pénible, mais, grâce aux sentiments 
de ceux qui savent et qui se souviennent, la Remie a fourni 
quinze nouvelles années de services ininterrompus et six mois 
de la seizième année, lorsque des exigences de toute espèce 
forcèrent son Directeur à prendre six mois de repos et à 
attendre avec confiance des temps meilleurs. 

Des mains de son fondateur, la Eevue vient de passer dans 
celles de notre compatriote strasbourgeois, M. G. Fischbacher, 
libraire-éditeur, 33, rue de Seine, à Paris. Il exige, avec 
raison, que nous lui procurions une fin à l'année 1886, ina- 
chevée. Nous pensons ne pouvoir mieux faire que de clore la 
série de 1872 à 1886 comme nous l'avons commencée, c'est-à- 
dire en rattachant les séries passées à la série nouvelle par 
un anneau respectueux des bonnes traditions historiques de 
l'Alsace. Cet anneau, rare et pour ainsi dire inconnu du public 
alsacien, est l'œuvre d'un maitre, Philippe de Golbéry. 

a Sur la question des anciennes cités de la Gaule, M. de 
Golbéry — dit son biographe — publia un de ses écrits les 

plus remarquables On sait que M. Dulaure, dans son 

Histoire de Paris, si souvent dénuée de critique et de gravité. 



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ÉPILOGUE â23 

affirmait non seulement qu'à l'arrivée des Romains Paris 
n'était pas une ville, mais encore qu'à cette époque les Gau- 
lois n'avaient point de villes. C'est ce paradoxe, présenté 
avec la prétention d'une découverte historique, que M. de 
Golbéry réfute par les textes de Polybe, de Strabon, de Tite- 
Live, de Pline, de Cicéron, mais surtout de César. Il y ajoute 
quelques-unes de ces plaisanteries assez vives, mais de bon 
aloi, qu'à cet âge l'auteur ne s'interdisait pas, et qui ôtèrent 
si peu à la solidité de l'argumentation, que Lemaire mit cette 
brochure, traduite en latin par l'auteur lui-même, dans la 
collection des classiques sous le titre, plein d'une con- 
fiante provocation et d'un désir légitime d'émouvoir le monde 
savant : Les villes de la Oaule rasées par M. A, Dulaure et 
rebâties par F. A. de Ooïbéry, Paris 1821. » 

C'est par cela que nous clôturons l'année 1886. 

Nos lecteurs alsaciens et autres approuveront, pensons- 
nous, le sentiment qui nous anime et se tiendront pour satis- 
faits des engagements qui nous lient, et auxquels nous don- 
nons une solution correspondant aux possibilités que les 
événements et leurs conséquences ont rendues inéluctables. 
Prouver cela par des chiffres, qui ne laisseraient point que 
d'être di^egracieux et déplacés dans une explication publique, 
ce serait vouloir prouver que les sacrifices faits par la Revtie 
sont de beaucoup supérieurs à celui qu'elle attend en toute 
confiance, pour ne pas dire qu'elle impose à ses anciens amis 
et à ses anciens lecteurs. 

La Revue d'Alsace n'abdique point: elle continue à sub- 
sister sous la responsabilité de son nouveau gérant, M. G. 
FiscHBACHBR, et de son ancien directeur, M. J. Liblin, qui 
s'unissent pour la recommander aux sympathies libérales et 
patriotiques de tous. 

Neuilly-Paris, le 1«' juin 1887. 

J. LIBLIN. G. FISCHBACHER. 



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TABLE DES MATIÈRES 

CONTBIOTES DANS LE TOME XV DE LA NOUVELLE SÉRIE — 1886 



Pages 
Fbéd. Kubtz. — Coup d'oeil sur l'âge du bronze en Alsace — 

Faudel et Bleicher — Matériaux pour une étude préhisto- 
rique — Souvenirs — Résumé des matériaux — Coup d'œil 
— Remarques 5-14 

N — Siège de Belfort en 1814 (Smte et fin) — A quelques 

jours de quiétude succèdent le danger et les angoisses de la 
population — Les opérations des assiégeants et la défense 
se développent — Abdication de l'Empereur — Capitulation 
deux jours après l'investiture du comte d'Artois comme lieu- 
tenant général du royaume 15-36 

X. MosBMANN. — Matériaux pour servir à l'histoire de la 
guerre de trente ans — Archives de Colmar — Négociations 
concernant un nouveau péage — Entreprise contre le prieuré 
de Saint-Pierre — Le duc de Longueville et le comte de 
Penarranda à Munster — Question d'étiquette — Maladie de 
Schneider — Situation militaire — Question de procédure. 37-55 

Abth. Bbkoit. — Les protestants du duché de Lorraine sous 
le règne du roi Stanislas (Suite et fin) — Règlement du culte 
réformé dans le comté de Saarwerden — Abjuration du baron 
de Luder — Griefs de Lixheim — * Langue française à Lix- 
heim — Protestants de Fénétrange — Régiment Royal- 
Allemand — Scandale à la Fête-Dieu 56-80 

HûcEBL. — Histoire des forôts de l'Alsace — Notice sur 
l'Asprach — Partage — Eglise de Niederr6dem — Monu- 
ments romains — Epigraphie 81*102 

Ch. Canbl. — Profils et silhouettes — Lambercîer — Consis- 
toire d'Héricourt — Discipline — Lambercîer en mauvais 
cas — Il en sort victorieux * 103-119 



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326 REVUE D'ALSACE 

Pages 
Louis Roesch. — Documents inédits trouvés dans la tour de 

l'église de Soultz (Haut-Rhin) 120-124 

Anatole Lablotier. — Mémoire concernant Bourogne, de 
1500 à 1786 125-134 

Ch. Bbrdellé. — Plaintes d'un pauvre diable avec accompa- 
gnement de cris de rue à Mulhouse — Sables du Rhin — 
Vieilles guenilles — Fagots, etc 135-137 

J.... — Elégie en manière d'oraison funèbre des arbres du 
grand jardin de Montbéliard 138-144 

FoLK-LoRE ET C. TOUSSAINT. — Glossographie des patois de 
l'Alsace — Deuxième partie — Idiome roman — Les dia- 
lectes romans seraient d'origine gauloise et distincts du 
dialecte bas-breton, réputé celtique — Patois de Vagney, 
considéré comme plus rapproché de ses origines que le pa- 
tois belfortain — Lettres A, B, C, D, E, F, G, H, HH. I, 
J, K 145-168 

Rodolphe Reuss. — Un physiocrate tourangeau en Alsace et 
dans le margraviat de Bade : Charles de Butré -> 1724-1805 
(Suite) — Retour de Butré à Carlsruhe en 1784 — Son sé- 
jour à Strasbourg, ses préparatifs de voyage en Touraine — 
Son arrivée à Paris en 1785 et à Tours — Le favori du 
margrave le prie de revenir à Carlsruhe — Les visites de 
Butré avec son ami le marquis de Mirabeau — En mai 
1785, Butré est de retour— Lettres de Mirabeau, de Furstem- 
berg, de Raynal, de Schlosser, du margrave, etc., etc 169-215 

X. MossicANN. — Matériaux pour servir à l'histoire de la 
guerre de trente ans — Bruits relatifs à l'abandon par la 
France de ses places fortes en Alsace — Réunion secrète 
des députés des villes impériales à Strasbourg — Délibéra- 
tions sur la constitution de la diète — Audience de Schneider 
chez les plénipotentiaires impériaux et l'ambassadeur de 
Suède à Osnabrûck 216-231 

P.-Ed. Tubffert. — Statuts des marchands de la ville de 
Belfort — Statuts de 1472, confirmés et augmentés par le 
Conseil souverain d'Alsace, le 26 mai 1698 232-251 

Arth. Benoit. — A propos d'une pétition des pêcheurs de 
Strasbourg au ministre de Villèle — Notice sur la pêche et 
les poissons de l'IU et du Rhin — Pétition 252-264 



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TABLE DES MATIÈRES 327 

Pages 
Anatole Lablotibr. — Mémoire concernant Bonrogne, de 

1500 à 1786 (Suite et fin) 265-276 

Frédéric Kurtz. — I. Les Rhénanes, par Gnstave Fortin — 
IL L'église française de Strasbourg an xyi*" siècle, par 
Alfred Ericlison — IIL Bulletin de la Société d'histoire 
naturelle de Colmar, 1883 à 1885 — IV. Bulletin de la So- 
ciété belfortaine d'émulation, 1884 à 1885 — V. Annales de 
la Société d'émulation des Vosges, 1885 — VL Actes de la 
Société jurassienne d'émulation, 1885 — VII. La pomme de 
pin à Strasbourg, par Charles Mehl — VIII. La conservation 
des documents historiques, par Henri Bardy 265-288 

P.- A. DE GoLBÉRT. — Los viUcs de la Gaule rasées par M. 
J.-A. Dulaure et rebâties par P.- A. de Golbéry 289-321 

G. FiscHBACHBR ET J. LiBLiN. — Epilogue de la série de 
1872 à 1886 322-323 

Table des matières 325-327 



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