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REVUE DE PHILOSOPHIE
I.A CllAlKl.l.l-MHMlll.KnX llKNK . — llll|l. i\0 \.-ll. .le M..nl lif;<oii.
REVUE
H E
PHILOSOPHIE
PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS
lIIHKCTKrH
E. PEILLAUBE
!»REMIÈRE ANNEE
décembre: 1900 a décembre -I 90-1
PARIS
C. NAUD, Éditeur
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Li' drsarnii tic riioilir iirHcnti' (Itins le domaiiir f/r.< it/rrs ririil,
en f/mndr partir, ilr la hkiiiH n- ilonl Ir^ srinirrs posi/n-fs \r
nont (lrrrl))/i/)rf's ri dr rutlUiidr idisrrrrr à Intr ri/iird pur hi
pltilosopliir.
D'anr pur/, /'••- srimcrs posl/irrs, ni. sr ronsdliKiiil . uni rinpup-
rrspr'il dans une rnir dr sprcinUsalion, iirc/'ssairr, mais ilanyr-
rrnsr. hoir dans anr rluilr parliiiili' rr, Ir saran/ a prrda dr rar
rmsriiddr dr l'Iidrizoïl srirnt'l jiijar . Sa prnsrr, disi i/dinrr à drs
formrs trrs sprciairs d'idisrrralion rt d'r.rprrirnrr . dr raisan-
nrinrnt et dr calcul, a cri^lallisr dans an si/s/înir d'idrrs, (pu
prul rirr pm/nnd, niais diail on fait cite Ir imir. Lrs ijrandr^
ahstrai lions lai sont drcmars sasprclrs, rt il n'a pas inrnai/r son
df'dain à la scimcr dr la plus liaatr ip'ncraHlr, à la pliilosopliir.
Tfaatrr part , lu philosopliir, au lira d'allrr crrs 1rs scirncrs
rt dr Irar drniandrr an point d'appui, s'est rrplirr sur rllr-
mcnir pour sr concrntrrr dans la rrfirxion prrsonnrllr rt joiirr
arrc 1rs idrrs.
Cr dicorcr ilrrait aboutir à la dissolution dr la raison rt à
l'cniirttrnirnt ilr la penser.
La Roviii' (lo piiilosopliic rstinir ipir 1rs scirncrs sprriairs
sont rrlirrs mtrr rllrs par dr^ caractrrrs communs ri ipw dr plus
rllrs sont ru i ontinuitr d'oùjrl arrc In mrtaplii/sii/ur.
Aussi liir/i, riiistuirr drmonirr ipir la prnsrr ne prorjrrssr iptr
par h' rapprochrnirnt drs dirrrs ijrouprs d'idrrs.
La i/rouirlrir anah/litiur rst ncr du mariagr dr rrtrndur arrc
Ir /londirr ; la plii/slipir modrmr, du coinnirrcr tir la inrsar.r
arrc Ir mourrnirni rt du nioltrrnirnt arrc la ipialltr. Unr ailler
science parlii idil rr , la psiicholoijir r.epécinirntair , rst sortie
prrsqiir tout rntiirr dr l'application drs inrtiiodrs olip-iticrs aii.r
faits dr conscience et de son recours aii.r procédés dr cjrossissr-
inrnl, d'anah/sr ri d'r.i pcrinirntation (pi'rllr a Iroarés dans 1rs
Icdioratoirrs ri dans 1rs liàp'itau.c. Lrs sciences spéciales sont donc
complrnirntairrs les unes des autres, et leur interpénétration a
toujours proiliiil la fécondité.
Pui' (lliuliniir, /lui/s (//'nuis liirii (iin/lirrr (1rs rd^iporls des
scii'iKi's arec la jihilosojiluc, des s((cii(cs sj)('( la/rs dcci la s( iciicc
(/('■/(/■fd/c.
D'adfaii/ /iliis (/lie iKjds u'dciiiis pas affaire nia im sinijilc ra/,-
jimchciiiciil , diais à une cunliiidilr. Augiislc Cfjiiitc, y/,/ (hhiiail
rcxislciuc dd.i ('l.rcs ni(''l(ipli!/siqu('s, aurait pu , arec inui iiio/iis
(le raisiiii, Id (/('■nier aui êtres (ji'-oni(''t.rKides. L'objet des si ie/ices
et l'iibjel de la dl(''ldplii/si(ide ne repr(''sniteiit pas des n''dlit(''s
s(''pan''es. Ce sihiI deil i dspe( Is, deu.i puliils de nie de Id hk'iiic
r('-alit('\
Aussi la Kc'VlH' (Je lilliliisopIliL' se prapuse-t-elle de /aire eiilrer
en (.(dlahuratwii saranfs el pitilos/jplies : aii.r premiers, elle
demande d'apporter des doniK'es positires ; dii.i seconds, de tenir
eonipte de ees dunni'es dans la spiu iiUdioii .
Cette ni(Hlii)(l(' «le Iravail nil-ne () un hiit : la s\ iillir^c nii l'uiii-
licalinii (lu savoir.
" Les direrses scieniys^dont le n(nnlrre ra ( roissanl, ne iiinit l'ri-
deinnienl (/ne les j ra/jnients de la science totale. Si tontes idaient
parfaites, si leurs rériti's ('■jiarses (''talent coordoiuK'es, elles f(rr-
nierdient une ( uni epl ion de l'iinirers, imn/iie roninie son objet,
el ijdi serait rraiinent la science. ■■
L'idéal di'crit par .M . F.iinte Chartes a Imijoiirs ('te le r(''re des
philosophes, depuis le f(niddteiir du Lipce Jiis(jii'('i Sjiencer.
Ihiand (ni cherche à se repri'senter ce >/n'ils mil fait et ce (jiii
reste (i faire po((r le ri'aliser. il S('n(bl(' (j((' .\ rislote ait circiniscrit
le ( hantier sur leitiiel doit s'i'lerer f(''difi( c de nos cininaissdnces,
l'I traie (l'une iiuiin ^lire les contours les plus (j(''n(''rad.r de ( et
édifice. Les différentes si/nlhi ses, dont l' histoire (le la philosopliie
ipirde le sourenir, ressemblent éi des conslriictions partielles ,
(jdi peiireni s' liarmoiiiser arec l'ensemble, si fini retoin lie cer-
taines pierres et si l'(ni jette un peu de ciment dans les interdit ices.
Les matéridd.f (uciimidés par le \7.\' si! de sont infiniment pins
nombreui et de ineilleure (luulité (jue (cii.r ijUi mit été réunis
dans le passé. On n d puiidis su tant de choses, ni si bien. —
Humbles ourriers, nous ceiions éi/uari'ir noire pierre cl faire
notre journée, \oiis appelons éi nous tous les I ntcdllleiirs. Ld
Hcviic (II' |)liil(is()plii(' les rappro( liera , cmiiine sur un (han-
tier, afin (HIC les uns soienl didés juir les autres, el ijii'ils
iJlÙssciil liiils SI- I (ilDcrlcr sur la lirrsiicrlirr f/riirr(tlc i-l Ir pldil
il'rti'-i'ilililr.
On (iiiinail /'reprit cl la forme île ht Hrvuc. Sa nialirn' cim)-
nrcnd (les ar/itlfs orit/inait.r sur la l'liiloso|)lii(' ///'o/;/v'///^'/// r///'',
/'Histoire de la |iililii>Mpllic ri les Scii'liccs, — ili'S (inalf/scs l'I
(1rs nniljilrs rr/idas //rs (iarr(i(/r< ri-( culs ri (1rs iiirillriirs jivrio-
(H(ji(rs, fraiii (US nu l'IraïK/rrs.
l'ii Huilctiu lie i'Eiisci^noiiu'iil iiiiiiosoiiliiquf, /aisanl saiir
à la Hcviic. lir/iilra 1rs pr(j/rssriirs au courant des prohh'nirs (jui
pri'onuprnl maîlrrs ri rirvrs dans 1rs L'nivrrsiU's. Il s'rff'onmt
de 1rs aidrr dans leur Idchr (jaolidie)uir et dr r(''pondrr à louirs
1rs (jurslio/is (ju'ils roudroni hiru lui adrrssrr.
La Hcvili' lie lilliiosopilic dr^irr rirr pour lous un >uslru//>r/tl
dr Irarail dans la rr(lirr( hr de ht 1 ('■rilr.
V
LE PROliLÈME PHILOSOPHIQUE
Lannt'c clix-iiouf-ccnt marquera iiiio étape dans la vie de
la iicnséo. coninic dans celle de l'industrie.
lîràco à l'Exposition iiniversidle, des (Congrès sans nombre,
et do valeur inégale, ont rapproché des hommes appartenant à
toutes les spécialités et à tous les pays. Sans sortir du palais
qui leur était réservé ou des murs de la Sorbonne, on a pu,
sur des milliers de questions, entendre des gens compétents
exposer et discuter les opinions en cours chez les différents
peuples. Ces voi.x de l'esprit, venues de tous les points de
l'horizon, oni fait de Paris, pendant plus de deux mois, un
des points privilégiés du glohe. un centre d'information incom-
paraldc.
l'arnii ces réunions savantes, la philosophie a eu sa part,
puisque les quatre (Congrès d'Eii^fig/ienn^ut ^ujir rieur, d'His-
toirc ik's Sciciices, de Paijcliologic et de Pliilosuphit' lui ont été
largement ouverts ou même exclusivement consacrés.
(Juelle heureuse fortune pour tout observateur attentif à la
marche des idées, et très particulièrement pour une Rn-uc qui
s'apprête à [tousser au large, île pouvoir écouter ces voix révé-
latrices dc:- pensées actuelles et des préoccupations vivantes,
assister à cette rencontre des âmes, à cette mêlée d'intelli-
gences harmonieuses ou discordantes ! Ne sont-elles pas. en
effet, ces intelligences et ces idées, la source jaillissante d'oîi
partiront les courants de pensées qui. demain peut-être, orien-
teront les esprits?
Or, de tous les problèmes agités dans ces assises internatio-
nales de la philosophie, il en est un qui, par sa généralité et
son importance, dépasse tous les autres; car, au fond, et d'une
C J. lîUI.LIOT
certaine manière, il les conlient Ions. Nous voulons parler de
la nolion spL-cifiqne et de l'orientation futnrc de la philosophie.
Dans un rapport préparatoire aux discussions de la section
philosophique du Congrès international de l'enseignement
supérieur, M. Boutroux, président de cette section ainsi que du
Congrès de philosophie, avait appelé d'avance sur ce point capi-
tal les réllexions de tous, et il l'avait t'ait en des termes qui
méritent encore de lixer notre attention.
(< Parmi les questions qui doivent être soumises au (Congrès,
écrivait-il, celle de renseignement de la philosophie présente
un intérêt particulier, i'ius qu'aucune autre science peut-être,
la philosophie est en ce moment dans une /irriodr de traiixr-
lioii, doiil Ir levian n'est pas rnrorf risiblc (I). La méla|)iiysique
classique est fortement biilliu' en hrèche et les sciences posi-
tives i'ont irruption dans son domaine. 11 semhie (pi'un jour
doive venir où les (juestions philosophiques se classeront en
deux catégories : celles qui sont soluhles par les sciences posi-
tives et celles (|ui sont absolument insolubles. Ce jour-là, la
philosophie aura vécu. Car lui attribuer, par exemple, la mis-
siou de coordonner les sciences ou d'imaginer des hypothèses
pour comiilrr |)rovisoiremçnl les vides de la connaissance scien-
tilique, ce n'est pas la maintenir comme Ibrme spéciale et ori-
ginale de l'activité humaine, c'est simplement distinguer entre
la science laite et la science à faire.
c. Mais cette conception de la philosophie aujourd'hui très
réi)andue ne satisfait pas en général les esprits (|ui, ayant fait
de la philosophie une étude spéciale, ont acquis en quelque-
sorte le sens philosophique proprement dit. Pour eux, la philo-
sophie a son objet propre, son originalité, son autonomie; et
nul progrès des sciences positives ne saurait aboutir à l'absorber
ou à la refouler. Voyez, par exemple, le professeur Falckcn-
berg, qui termine un discours sur l'état actuel de la philoso-
phie allemande ( KSIIO) par ces paroles : " Je n'hésite pas à me
« rangera l'opinion suivant laquelle philosophie veut dire idéa-
.. lisme, de telle sorte que la tâche du professeur de philoso-
« phic consiste, en même temps qu'il comniuni(|ue à ses audi-
(1) C'est nous qui soulignons.
/,/■; i'}i(iiiLi:\iE l'iiii.dSoi'iiKjn-. -
■ Iriirs li's iii^lrimiciil-- (|ir' l'iniriiil 1m scionrr, à ciillivcr en
" eux rrs|)ril iridr'.ilisiiii'. .1 h:iiis le mrinc sens, le [irurcssciir
(laiildiii |ir(''((iiiis(' iiiir |iliil(is(ipliio ijiii, en (N'Icrniiiiaiil clairc-
iiK'iit riHcadiic et li's liniilcs ili' lu science iialiirelle l'ondée sur
l'observation dos laits et des doctrines morales et rcligiensos,
fondées sur le senlinuMit eL sur les formes de l'idéal humain,
reconnaisse rind(''pendance réciproque de la science et di' l'idéa-
lisme moral el relii;ienx (hSiMii.
" Il semble donc, continue M. lidulniux, (|u'il \ ail lieu à un
r'clianiic d'idées s//f la .iifiKi/l(i/i de la pluldsopli'u- ris-n-ris dr!<
sc/riéirs /j/i>pr/'tiirii/ dilrs, et d'une maiiirrc (jrnvrale r/s-à-ris
drs aidri's fortnfs dr l'arliri/v bilcllcvl ncllr . La philosophie
a-t-elle sv.v caraclrrrs, su/i doniaiiif, sa drs/i/ia/i(in pro/)/'e? En
quoi consistent les rcc lie reliai proi)rf'mrnl iihilosophiqufs? Puis,
comme il est clair que la philosophie ne peut |)as plus se passer
des sciences que de matériaux venus ilu (hdiors, (|uels sont les
rap|)orts de la |)hilosoplii(^ el des sciences, quelles sont les
éludes qui établissent entre la philosophie et les sciences cette
communicalion sans laquelle elh^ ne |ieul \ivre? In institui
philoso|)liique devrait se composer d'abord d'un ensemble déter-
miné' de chaires proprenuMit philosophiques qui en formeraient
le centre, |niis d'un nombre indéterminé d'enseignements con-
nexes, gravitant vers c(> foyer ceulral. Ouids doivent être ces
divers enseignements? ..
(tn le voit, c'est bien le [iroblènie de la nature et di' l'exis-
lence même de la philosophie, cette discipline mèi'c el reine
de toutes les autres, — cette science vieille de tant de siècles
— ((ui de nouveau est posé et tlonné comme un des plus actuels
et des plus urgents à résoudre. De plus, on marque exactement
d'ofi dépend la solution à intervenir, à savoir des rapports de la
|)hilosophie avec les sciences positives et les autres formes de
la pensée, spécialement avec le sentiment moral et religieux.
La philosophie, menacée au dire de plusieurs par le dévelop-
|ienu'nt chaque jnui' grandissant des sciences positives, a-t-elle
encore et conservera-t-elle toujours, en tant que science auto-
nome et spéciale, un droit imprescrij)lible à l'existence?
(Ju(dles relations entretiendra-t-elle avec la science? — - Re-
nouera-t-elle une alluuice brisée? — Devra-t-elle, au contraire.
j. m Li.ioT
se replier devant cette puissance envahissante, se replier encore,
reporter ses frontières en arrière, ou même émigrer délinili-
venieiil et clierciier ailleurs sous le ciel vaporeux du senti-
ment, au pays lic lidéalisme moral, la seule terre de lilierté
qui lui reste '.' — En un mot, la pliilosophie de demain sera-
t-elle une iiliilnsuplùr scirnti/itji/r ou bien seulement un idra-
Hsnif momi, ■>i.m^\icn avec la science? Telle est, aujourd'hui,
la préoccupation ilominaiilc : c'csl plus ([u'un prohlème phi-
losophique, c'est l'orientation de la philosophie elle-même.
Cette question se rattache par un lien très étroit à une série
d'événements qui remontent jusqu'aux origines de la philoso-
phie moderne, jusqu'à la grande révolution intellectuelle, opérée
il v a trois siècles, l'ar la logi(|uc même de son évolution, la
philosophie européenne est arrivée à un de ces l(uirnanl> où
de nouvelles réilexions s'imposent, oii il i'aiil choi-^ir enire plu-
sieurs directions contraires. Il est donc intéressant de savoir
quelle a été, dans le passé, l'orientation de la philosophie ;
l)()un|uni cl comment elle a été remplacée par une orientation
contraire : (juel est, enlin. à l'heure actuelle, l'alxnitissanl né-
cessaire de ce changemenl. L'histoire du prohlème j)liilosophique
en éclaire l;i >nlulioii.
I
.Jusqu'à la lin du xvi' siècle. jus(iu'au temps de (ialilée et de
Descartes, la philosophie conserve intacts les trois caractères
qui sont demeurés sa marque distinctive, i)endanl toute la |)é-
riode ancienne. Elle est science ohjcctiriair, elle est en con-
finidlr iK'Cfssairr iircc les sririirrs i/i/rririirrs, elle est science
K/iiverseilfi.
Et d'abord, elle est science ohjectiviste, comme le sont néces-
sairement toutes les sciences qui empruntent de près ou de
loin leurs données à l'observation extérieure. Elle admet, par
conséquent, sans toutefois les distinguer aussi bien qu'on le
fera à partir de Descaries, et elle emploie tour à tour les deux
types d'évidence dont tout homme jiorle en lui la notion claire
et distincte : l'évidence des faits intérieurs perçus par la
;.;■: riinisu:Mi-: i>iiii.iiS(>I'HIQVE 9
cons^cionrc. l'i^vidonco dos faits cxtériours connus par los sens.
Confornu-mcnl au point de vue de Yubjrt, qui est le sien,
celte philosophie subordonne, dans sa classiiication des êtres
et des phénomènes, les classes les moins générales aux classes
les plus générales : elle subordonne la classe des êtres con-
naissants à la classe des êtres privés de connaissance, les
faits de conscience aux phénomènes extérieurs. La psychologie
est pour elle ime division de la pbysique. Les êtres connaissants
ne sont pas tous les êtres : ils ne représentent qu'une failde
partie de rUnivrrs. une espèce dans un genre. De plu-. \\\\
point de vue ontologique, la connaissance nest qu un acridciil
au regard des êtres quelle connaît, un miroir pour les choses
qu'elle reilète, une image qui subit i'ini[iression du moilèle.
La connaissance et l'esprit gravitent donc, en droit, vers les
choses extérieures, au double titre de partie et de miroir. 11 en
résulte que la philosopbie ainsi conçue n'a aucune peine à
s'harmoniser avec les autres sciences. Sciences et j)liilosoplne
peuvent alors se continuer et se compléter.
C'est le deuxième caractère de la philosophie ancienne.
Cette philosophie en elTet n'a pas un objet à part, absolument
distinct et séparé de celui de la physique, comme sérail une
chose séparée d'une antre chose. Les deux sciences ont le nirmc
objet matvricl. Seulement, cet objet unique, elles le considèrent
chacune à sa manière et à son point de vue : elles en forment
deux représentations et le dédoublent à leur prolit. Mais chose
importante à noter, ces deux points de vue empiètent l'un sur
l'autre et gardent un fond commun ; ils se compénètrent et se
distinguent à la fois : ils coïncident entièrement dans la réalité
et partiellement jusque dans l'esprit, qui les conçoit comme
deux visions d'un même objet.
Nous étudions en naturaliste un de ces inliniment petits
que la vie sème partout à foison.) Cherchons-nous à déterminer
un organe mal connu? Xous prenons un microscope, nous l'ar-
mons d'un objectif assez puissant pour nous permettre devoir
jusqu'au moindre détail: puis nous comparons cet objet à des
objets similaires, alin de généraliser nos conclusions. — Dési-
rons-nous, au contraire, avoir de notre microorganisme un coup
d'ieil synthétique, savoir en gros les relations qu'il entretient
10 1. RILI.IOT
avec <l'aiitrcs genres voisins' Aussilnl nous devons renoncer
anx menus détaiis, chantier l'objectif du microscope, modifier
nos termes de comparaison. Or, changer dobjectif et faire varier
l'angle de vision, ce n'est pas changer d'objet.
II en est de même du passage de la science à la philosophie,
du point de vue de la physique à celui do la métaphysique.
L'oiijectif à forte courlmre. c'est la science positive qui étudie
avant tout le détail des phénomènes et qui, pour arriver à le
mieux connaître, concentre sur lui l'attention et perd de vue
rensemi)Ie. L'objectif à moindre courbure, c'est la philosophie,
qui, dans le même objet, sacrifie l'analyse à la synthèse.
La hiérarchie des espèces, des genres, des ordres, des familles,
des classes, des embranchements, et la hiérarchie des caractères
qui leur servent de base sont de tout point assimilables à une
série de coupes plus ou moins arbitraires, à une série d'images
|diolograpliiques d'un même objet, obtenues à.l'aide d'objectifs
dilférents. Ces coupes ou ces images, variables à notre gré, en
compréhension comme en extension, portent le nom de concepts.
.\u sommet de la métapliysique se trouvent les <-oncepts les
plus élevés : les catégories de l'être ou les genres suprêmes. Ce
sont les schèmes les plus synthétiques et les plus compréhen-
sifs que nous puissions nous faire des choses qui nous entourent.
Les deux grandes catégories de la substance et de l'accident ren-
ferment, lune, tous les êtres subsistants, minéral, plante, ani-
mal, homme; l'aiitre, la quantité, les qualités, les figures, le-s
relations, les modes, etc..
La substance est un concept essentiellement métaphysique.
Existe-t-elle à part, on dehors de l'animal et de l'homme ? Nul-
lement. Par conséquent le minéral, l'animal et l'homme sont
des substances. Étudier ces êtres, c'est étudier une substance
et envisager la substance sous un certain rapport. Etudier le
mouvement, le jeu des affinités chimiques, le fonctionnement
vital, la sensation, la pensée, c'est étudier des accidents et
considérer l'accident sous une de ses modalités. Le métaphy-
sicien généralise et résume à son point de vue toutes ces études
fragmentaires. La différence des mots à l'usage de la physique
et de la métaphysique ne doit nous voiler ni l'identité de l'objet,
ni la continuité de la pensée. Entre ces sciences, il n'y a pas
;./•; l'ItnIil.EMI'. l'Illl.nsiil'lllulK 11
le l'ossi'' ])rnr(m(l (jii'diil im;ii;inr' (•«'rlaiiics philos()j)lii('s ; il
n'y a ail poiiil de (l(''|iail, ([iic des nuaiic(.'s, dos dislinclioiis
|()^i(|ucs, dos puiiits do viio divors, l'\iii plus onvcdoppô, Taiitro
plus oxplicilo. Et oos points de vue divors sont on oontinuilô
rigoureuse d'objet l'un avec l'autre ; ils se superposent au moins
[jartiellement l'un à l'autre.
La philosopliie ancienne est une science ol)jocti\isl(\ on ron-
linuitô parfaite avec les sciences positives. Elle est aussi, ol
c'est une simple conséquence do ce qui précode, une science
générale, embrassant au moins par un rnU'\ c'osl-à-diro d'une
manière implicilo, tout ce qui existe.
l'aile se superpose à toutes les sciences., alin d'on déga[:,or ol
d'en analyser plus profondément les notions universelles et
fondamentales. Car l'orientation vers l'universel et l'orionlatiou
vers la réalité foncière, sans coïncider absolument, comme lo
croyait Platon, ont cependant une mutuelle afiinité. Si nos
perceptions ne sont pas faites de différences, comme on lo sou-
tient parfois, les différences et les contrastes nous aident sin-
gulièromont à les parfaire. Aussi lo pliilosopli,' qui a poui-
habitude do comparer fiéquemment entre elles, dans tous les
ordres do choses et sur les sujets les plus divers, les modalités
variées de l'être, arrive-t-il très vite, par ces comparaisons inces-
santes, à percevoir nettement les oppositions de la substance
et de l'accident, de la quantité et de la qualité, etc., etc. Par là
il développe et il affine singulièrement on lui le sens métaphy-
sique; il devient lo clinicien do l'I'^tro, comme d'autres lo sonl
du pouls iiu do la respiration. 11 prend, — et c'est là son éternel
honneur, — plus que personne, plus que lo physicien et lo clii-
mislo, plus surtout que le géomètre, la conscience profonde,
quoique toujours inadéquate, do la Réalité. Enfin le raisonne-
ment, appuyé sur la causalité, vient féconder chez lui ces pre-
mières perceptions ontologiques, comme il féconde chez le
mathématicien les premières notions de la géométrie. En ce
sens, la métaphysique est aussi une géométrie de l'Etre. Un
conçoit dès lors l'importaïu'o sans égale, l'incontestable j>rimal
do la métaphysique, lo rôle prédominant qu'il lui appartient
de jouer parmi les sciences.
Science par excellence do l'Elro, c'est-à-dire d(^ la Réalité
12 J. KULLIÛT
même, (le ses nuances et de ses différences, Science de celles des
réalités qui représentent les assises les plus foncières du savoir
* humain, et en même temps science générale, la métaphysique
est, parmi les sciences spéciales, comme le sp/isori/ini nnii-
miinc du réel, elle est la conscience qui juge en dernier res-
sort des notions dont se forme l'ossature de tout savoir.
Science du général, en continuité d'ohjet avec chaque science
particulière, elle est seule à même de faire régner dans l'en-
semble de la vie sciontifique l'ordre et l'harmonie.
Science architectonique et maîtresse, il lui appartient de
diriger les efforts vers la construction du grand édifice dont
elle sera le couronnement, la clef de vnùte et l'àme toujours
vivante.
On conçoit, sans (ju'il soit besoin d'insister, quels rapports
multiples et variés d'haruionie féconde, d'informations et de
lumières réciproques, et surtout d'étroite et indissolulde union,
régnent nécessairement, entre la science et la philosophie, nées
toutes deux de l'étude d'un môme objet, créées par un même
esprit et destinées à s'enlraider et à se compléter.
Tel est l'idéal de la philosophie dans l'antiquité, durant tout
le moyen âge et même, jusqu'à un certain point, ciie/ Des-
cartes, idéal qui ne pouvait être réalisé à cette époque, (lar la
philosophie n'était pas encore la science nettement différenciée,
que nous désignons aujourd'hui par ce nom. C'était plulùl une
encyclopédie naissante, un faisceau de toutes les branches du
savoir, dont la plupart n'avaient pas dépassé les phases em-
hryonnaires, une sorte de plasma germinatif commun de la vie
<le la pensée.
Mais dans ce protoplasma, pauvre de déterminations actuelles
el riche de virtualités endormies, la métaphysique, parvenue
la première à un certain degré de développement, imposait
son nom à l'ensemble des sciences et l'informait de son esprit.
Les sciences de la nature, la physique, la chimie, la biologie se
développèrent moins vite et restèrent longtemps à l'état de
^germes, sans activité propre ni existence définie. Privées do
leurs méthodes spéciales, elles étaient impuissantes à créer,
dans la masse des esprits cultivés, ce type privilégié de certi-
tude, la certitude expérimentale, que l'on oppose aujourd'hui
/.;■; l'iiiiiii.KMh: l'iiiuiSdi'iiKjiE lî
si viiloiiliors ;ui\ driiKiiislralions dos |)liil(>so|ihos romnu' une
lin de non-roi'ovnir.
Dans sa condilidii première, la pliildsopliie ('lail seule maî-
tresse du lorrain, sans aucune science rivale avec qui elle dùl
compter. Elle jouissait pleinement de toutes les prérogatives
que le législateur de la pensée antique s'est plu à lui recon-
nailro. Elle exerçait, dans le domaine de l'activité scientifique,
une hégémonie incontestée. .V elle le sceptre et le diadème :
elle était vraiment reine au milieu des autres sciences, ses vas-
sales. Rien ne semblait, aux yeux des contemporains, devoir
jamais ébranlei' une autorité si fermement étaldie.
(lot état de cliosos n'est pas normal. L'équilibre nécessaire
outre la philosophie et les sciences, tel qu'il avait commencé
à se réaliser dans l'œuvre aristotélique, tel surtout qu'il lioit
-e produire, n'existe pas encore. 11 y a ici hypertrophie, là
arrêt do développement. On dirait un énorme cerveau sur un
s(iuelolto décharné. Les sciences déjà infiniment trop réduites
ne jouissent pas, comme méfhode, de la part de liberté qui
leur est due. Leur subordination à la métaphysique est trop
étroite. Tout cet organisme manque de souplesse aux join-
tures et de vie dans les membres. Une réforme devient néces-
saire : ce sera l'une des plus grandes révolutions intellectuelles
que l'histoire ait enregistrées.
La seconde moitié du xvi' siècle voit s'élever à l'horizon, pres-
que en même temps, deux novateurs de génie, deux esprits
puissants, dont la mission sera de briser les moules anciens et
de faire entrer la science et la philosophie dans des cadres nou-
veaux. L'un est Galilée, le vainqueur de la physique erronée de
l'École, le créateur do la dynamique et le père do la science
expérimentale; l'autre. Descartes, le mathématicien el le phi-
losophe, le fondateur de l'interprétation mécanique du monde,
le père de la philosophie moderne. Sous leur impulsion, deux
faits, do premier ordre et indépendants l'un do l'autre, se pro-
duisent presque à la même heure.
14 J. HL'l.LIOT
Los scit'iico [losilivcs, à conimcucer par la (lyiianiiijuc. la
plus simple de toutes et la plus féconde, se eonslitueul sur
leurs bases propres. A |)eine nées, comme des ressorts lonj^-
temps comprimés qui se débandent toul à coup el déploient
leur l'éserve d'énergie, (db's réalisent de merveilleux pr(jij,r('s,
(dh's échappent h la domination et au contrôle de la pbiloso-
pliie. lue foule de (|\u'stions, muins philosophiques que scien-
tlHciucs, cidles par exemple des lois du mouvement (lu de la
nature des astres, [)assent, ainsi ()U(' des transfuges ou plulùl
des captifs libérés, des cadres de la phihisophie à ceux des
sciences nouvellement créées; el, dans ce nouveau partage du
s(d, grâce à une émigration continue, grâce surtoul à la pnj-
lifération rapide des premières vérités scientiliques, chaque
jour voil s'élargir le dumainc de la science et se restreindre
(■(dui de la philosn|diie. l'eiidau! liviis siècles, la grarule armée
de la science, composée de géomètres, de phvsiciens, de chi-
misles el de biologistes, marche à la conquête du monde |ib>-
sique, avec une merveilleuse ai'deur. Instrunu'nl^ de calcul cl
instruments d'expérience, méthodes mathématiques el exjiéri-
mentales. hypothèses et Ihéories de pins en plus appr()chi''es.
on mène loul de fronl, on ne néglige aucun moyen de (dncjuèle.
< hi s'emploie à caplei' U's forces vives de rinlelligence iiumaiin'
el à les faire converger vers la créalion des sciences positives,
comnu' pendant trois siècles les philoso])hes scolasticjues avaient
<-a})té et fait converger les mêmes énergies vers leur grande o'uvre
philosophique et théologique. De pari el d'autre, ces grands ou-
vriers ont fail (cuvre de géants; ils onl (kqiensé leur génie à
élever des monuments inimor((ds, c[ui formenl le palrimoiiie
scientiliqiu' de l'hunuinité. el (|ui s'a}ipellenl les Iha/or/iifs de
(ialil(''e, la (iro/iir/rir dv l)escartes, les Priiiri/irs dr p/n/osophir
iia/iirr/lr de Newlon, le Calcul iii/initrsliiial de Leibnilz. YOp-
l'iijiir de Huyghens et de Fresnel, Y lîlfclni-(h/iiaiiii(/t(r d'Ani-
|)ère, la Thcriii(i(li/ii(iiiii(jiii' deCarnol el de Clausius, \a Chiinif
de Lavoisiei-, eidin, avant enx vi, h noire avis, au-dessus d'eux,
la Suiiiinc lh(''olor/i(/Uf cl pinluiiopiniiiir de saint Tlumnxs d'Aquin
qui fail de son auteur, s(don l'exiiression de ^1. Faguet, " un
(les plus grands hommes de pensée que le monde ait vus » (>t
<|ui lui mérite uiu' place dans le voisinage d'Arislote lui-nn'-me.
;./•; l'iKiisi.EMh: l'uii.iisoi'iiini k w;
La (T'-atioii de la scicnco dans son ciiscnililc, Ici ol le l'ail
dominant de l'rpoqnc niodoi'nc, l(dl(> est la i;i"indc cl dclinitivc
conquclc (|ui a oiivcri à rinimaiiiir' des liori/ons inconini^ cl
fail jaillir des soiirrcs ninivcllcs de vie cld'aclion.
l'arallclenicnt à la rcvolulion scicnlilicjuc, il se prnduil. snr
le toiTain |diiliisii|diii|uc, iiiii> aii(r(> révolnlion, leuvi'c celte l'ois
de deslrncliou aiilanl que de ercalion : la seolasliqiie cl, avec
<dic', tonte la |diiloso|iliie ancienne es! rcniplaccc par le carh''-
sianisnie, (|ni n'a rcss(' d'inspirer la philosophie moderne.
Il iinpoi'tc (h' savoir si la r(''V(dnlioii philosophi(|ac est liée par
(|ii(d(inc ni'cessilé lo!;icinc ;i la l'i'vidulion seienliliqne, si (dies ont
sni\i inscprici en l'ail cl en droil une dircclion iiiii(ine, et dans
({nid ordi'c (rid(''es. pai' coiiM''(|neiil. la philosophie actuelle doit
cliorclicr son orientation.
<!aliléc possède la vraie niclhodc seienlilique, perl'eclionne-
inenl cl non renversement de celle d'Aristote, car l'application
des mesures exactes an.v ohservaUuns physiques ne change poini
le caractère essentiel de ces dernières, et l'on sait de reste (|n(d
observateur j)rodi^ieuscnienl saj^acc et de lartce enver^nirc t'nl
le staji;irite. Galilée esl un !;énic créalcur en |)hysiqne, et c'csl
snrlonl dans la |)hysiqnc, non dans la tiéonn'trie, que la philo-
sophie a ses racines. Il est par conséquent le vrai représenlani
de la science expérimentale, en face de la métaphysique du passé.
.Nourri dès sa jeunesse de ['('lude d'Arislote, il a di''convcrl
de lionne heni'e plus d'une didaillance dans son o'uvi'e. i,a
chose, dailleui's, s'explique aiscnuTil. Arislotc a tiré de la
masse encore anior|)he 'tles phénoinèiu's un U(unlire considé-
rable de laits ; il le> a dislfftignés, classés, mis en lumière. Il
esl impossible (|u'il n'y ail point d'ivraie dans celle moisson,
(ju un l'cj^ard pé^nétranl examine anjoui'd'hui ces (diservations,
il y découvrira sûrement plus d'un oubli, plus d'une méprise.
• le n'est que ^ràce à une succession ininterrompue d'obsi-r-
valioiis de [)lus (>n plus ])récises, qui' nous voyons les sciences
naturelles jirogresser ( ha([ue jour. — ( )n doit seulement regreUer
<]ue les Docteurs du moyen à<;x'. lro|i absorbés |)ar des |)réoc(u-
palions d'ordre nuHaphysiquc, ([uid<[ue peu aveuglés aussi par
l'autorilé d'.Vrislole, n'aient pas cultivé davantage les sciences
e\p(''rinientales cl n'aieni pas accompli eux-mêmes ce pi'ogrès.
16 J. Bl'LLIOT
— Oiiiii qu'il en soit, Galil(''e, on joignant des mesures numé-
riques précises à l'observation des phénomènes, trouve, entre
autres découvertes, les lois de la chute des corps, l'isochronisme
(les oscillations du pendule, fonde la dynamique sur ses vrais
principes, perfectionne le télescope et découvre dans le ciel les
satellites de Jupiter, les phases de Vénus et de Mars, et sur-
tout les taches solaires et la rotation du soleil lui-même. 11
renversait ainsi plusieurs théories dAristote, notamment son
astronomie. Dune manière générale, il opposait à ce grand
nom l'autorité supérieure des faits, autorité que n'eût certes
point désavouée le génie essentiellement expérimental du
maître. — Ce n'était rien et c'était (nul. — En soi ce n'était
rien, sinon une (Uvouvertc, chose pour tout le monde inlini-
ment heureuse. Cette découverte venait contredire des théo-
ries : il n'y avait qu'à les abandonner et à les remplacer par
d'autres, d'autant plus <|u'elles ne tenaient à aucim principe
('ss(»n[iel du système.
Sans douti', la mise en honneur d'un conlrùlc général des
théories par l'observation directe des faits renfermait le germe
do tonte une révolution ; mais rien n'empêchait cette révo-
lution de se faire sous la forme d'une évolution sagement
|)rogressive, à l'aide d'une critique prudente qui se limite aux
corrections exigées et n'abandonne rien qu'elle ne soit en
mesure de remplacer. A cette condition, la philosophie d'alors
eût pu être sauvée ou tout au moins discutée et jugée équita-
blemenl, en connaissance de cause. Peut-être même fût-elle
sortie d(> l'épreuve, grandii' et rajeunie.
.Malheureusement, les péripatéticiens ne comprirent pas, et,
de fait, il leur était difficile de comprendre, la chance unique
de salut et de progrès que (îalilée leur apportait. Aristote était
pour tout le monde un personnage surhumain. Des milliers d'in-
lelligenccs fondaient une part de leurs certitudes intellectuelles
sur l'autorité de son nom. Sa science élait leur science, systé-
matique et grandiose : on risquait de l'ébranler sous prétexte
tle la réformer. On venait les troubler (Mix-mêmes dans la pos-
session (l'un bien, dont ils jouissaient depuis trois siècles, et
cela au nom d'un principe qui allait tout remettre en question.
Bref, ils ne voulurent pas entendre. Faute, sans doute, de véri-
;,;■; ruoiiLEMi: l'iiii.osupmnrE I7
lal)l(' rmiosilr sficiililHiiic cl il'cspril expériiiu'ulal, ils s'opix)-
îiL'ronl à mit' n'-torme qui' iiiillo puissance humaiuo ne pouvait
anvler. Ils vouluienl niainlruir à loul prix la théorie du bloc
Inilivisihie, île [oui Icuips chère aux esprits l'crmés ; et, comnu'
il était inévitable. I.iin de les sauver, celle llu''orie les perdit.
Ils at'iiruiaicnl liautemcnl l'indissoluble coliésinn de IduIcs les
parties. Volontiers on les crul sur parole, et, puisqu'il fallait
absolunu'ul (dioisir, plusieurs parties se trouvant convaincues
<l'évidenle Inusseté, on rejeta tout le bloc à la l'ois.
III
Avec un adversaire tel que (lalilée et di's délenscurs aussi
malavisés, c'en était l'ait de la scolastique. Sa eliute délinilivc
n'était plus<]u'nne question de temps.
Suivant louie vraisemblance, la i^loire de l'avoir vaincue
<levail leveuir à (ialilée; son nom méritait, semblait-il, de
ligurer au premier ran^- dans l'histoire de la philosophie,
comme dans celle de la physique. Il n'en lui rien, parce qu'eu
tonte science, en philnsoi)hie pai'iicuiièremenl, il ne sullit pas
de l'cnverser et de détruire pour cueillir des lauriers immorUds,
il faut snrttnit remplacer et reconstruire. Car jamais l'humanilé
ne consentira à se priver de vastes systèmes, vérités assuiées
ou hypothèses probables, qui, pour le moins, oITrent un abri
momentané à la pensée et lui laissent l'espoir de réaliser un
jour sa suprême ambitiim, c(dle de [losséder, dans ses grandes
lignes, une explication générale de l'univers. ]<]lle ne se con-
tentera janmis des horizons bornés de la science positive.
Or, Galilée, en qui s'incarnait le génie de la science expé-
rimentale, n'était point de la famille des nu'taphysiciens. il
n'apportait pas, avec sa physique, une métaphysique nou-
velle. Faute d'avoir pu opposer philosophie à philosophie, sys-
tème à système, ce n'est pas à lui. mais à Descartes, qu'est
<''chu l'honneur d'avoir jelé les bases de la philosophie nio-
ilerne.
Descartes est philosophe. Il l'est par la grandeur des hori-
zons, par l'iuiiversalilé el la nouveaulé de ses théories. 11 est
2
IK J. RlLI.KiT
• le ceux qui naissent pour chanj^er la face d'un monde 11 ne
se perd pas on critiques de détail, si fondées quelles soient ;
il ne s'attarde pas non plus à combattre des théories isolées. (Itv
n'est pas la guerre de partisans, mais la grande guerre qui lui
convient. ^lélhode et principes, il attaque tout, et, en peu do
Jours, fait sortir de terre un monument, qui étonne et entraîne
par sa puissance et ses proportions.
Ouand on essaye de définir les caractéristiques de sa philo-
sophie considérée en elle-même et dans ses rapports avec les
sciences de la nature, on en trouve deux principales : c'est
d'abord une invasion de la géométrie, méthode et principes,
dans le champ de la science et de la métaphysique ; c'est ensuite
l'avènement du subjectivisme en philosophie et son conilit im-
médiat avec les conceptions objectivistes.
Jusqu'à Descartes, en effet, l'édifice du savoir comprenait
deux étages, la physique et la métaphysique, celle-ci supposant
(cllc-là. Descaries conçoit autrement les rapports de la plii-
hisopiiic et des sciences. Il y a en lui deux esprits et deux
génies, souvent en désaccord, celui du métaphysicien et celui
du géomètre, ^lais ce dernier l'emporte. Géomètre avant tout et
géomètre puissamment déductif. Descartes est porté à ramener
à la géométrie, à sa méthode et à ses principes, loule mélhode
scientifique (>t toute théorie des êtres.
La perception du réel n'est pas chez lui au niveau du raison-
nement ; la déduction, développée à l'excès, atrophie ou égare
l'intuition et l'esprit expérimental.
Témoin la trop célèbre théorie des animaux-machines, le-
roman de leur physiologie et même de leur psychologie pure-
ment mécanistes ; témoin, ses lois des chocs souvent en contra-
diction manifeste avec l'expérience ; témoin le cachet si nette-
ment géométrique de sa philosojjhie entière.
Le métaphysicien lient, il est vrai, la première place dans le
problème de la certitude, dans tout cet enchaînement d'idées
ou de théorèmes par lesquels Descartes entreprend, d'abord do
réduire la certitude nu je pense donc je suis, et ensuite de remon-
ter aux réalités situées en dehors de la conscience. Néanmoins
le géomètre est loin d'y être étranger. N'est-ce pas lui qui exige
une certitude infaillilile, très résolu à ne se contenter que do
(•(
;./•: l'iiiiiiU'.ME l'iiiLiiSdi'iiKji'h: id
llo-là.quilli' il ii'('liv |»;is Irop difticilc, lr.rs(|u'il s'agira de [las-
r (lu coi/l/ii '■'■(/(! siiiii à ri'xislcnco de Dieu ri ilii monde oxlé-
ricur ;
11 a trouvé, dans 1rs déiiiunslralions dr la i;(''(iuu''lric, un l\ |r'
incomparaljle de certitude et de clarté" il a entrevu la possiln-
iité (le IVHcndre à la nn'canique. 11 ra|i|di(iiic aussit(Jt à la
science entiÎM'e de la nature.
En gt'onKHrie, la métiuxle est exclusivenn'iil (K'duclive : les
thé'orèmes viennent en Ionique lile et par ordre, à partir de d(''li-
nitions simples et évidentes. L'esprit yéomélri(|ue de Descartes,
son génie familier, qui, suivant la remarque de Cousin, l'ul son
mauvais génie en philosophie, lui fait couler dans ce moule
rigide et étroit le corps entier de la science.
11 ne reconnaît plus qu'une science, une sorte de géométrie
supérieure et universelle, qui aura pour ohjet de " chercher les
premières causes et les vrais principes doiil an ///{issr déduire les.
raisons de imit ee qu'on est capable de savoir (1 ) », et qui com-
prendra tout, physique et métaphysique. N'est-ce pas le mènu'
esprit qui dicte à Descartes la troisième règle de sa méthode :
" conduire par ordre ses pensées en comnien(;ant par les ohjels
les plus simples... el supposant même de l'ordre entre ceux qui
ne se précîdent point les uns les autres », an risque de suhstituer
un ordre lout artificiel au.\ relations réelles des choses et à la
marche naturelle de la pensée ?
Mais que dire surtout de cette théorie si étrangement géomé-
trique de la délinition : « 11 y a en chaque suhstance un allri-
hut qui c(institue son essence et de qui tous les autres dépen-
dent », de telle sorte que nous, hommes, nous les en puissions
déduire? " L'étendue en longueur, largeur et profondeur, con-
stitue la nature de la suhstance corporelle... Car tout ce qu(<,
d'ailleurs, on peut attrihuer au corps... n'est ([u'une dépen-
dance de ce qui est étendu i2). <>
Voilà bien le fond d'âme du géoni(''lre, hahitué à déduire d'un
premier théorème toutes les propriétés du triangle ou de la
sphère, et qui, fasciné par les avantages de ce procédé, unique
(!) Préface aux l'rincipcs de pliilosnphir.
(2) l'iuicipes. I" partie, ii" 5:j.
20 J. niLI.IOT
ilans la sfionco, no remarque pas qu'il lienl à la naliire spé-
ciale de Tètre géoméiriqiie, croil pouvoir rintrotluire parlout el
se met ingénument à traiter rétro réel, les choses île la nature,
comme il trailo les triangles et les cercles, simples ligures qui
naisscnl d'un Irail sur le taldeau ndir ol s'ollaceul d'un onup
d'épongo.
Le Doscarles des (rois di>rniers livres des Priiici/irs de pliilii-
so/i/il'\ du Tri/i/r (If riiiiinmc el de la Fonualioii dit /wlas csl
un géonièlro plus ([ii'un pliilosoplio. Il est la géométrie porsou-
nifiée, appliquée de l'orée à la totalité do l'univers. Il est la géo-
métrie Iransl'orniéi', érigée en philosophie, substituée ii la phi-
l(is(i|iiiie.
Dos osprils (listingu(''s voieiil là un trait de génie et l'un des
plus heaux titres do gliiiro du philosophe français. Nous y trou-
vons une id('i' 1res grande, une théorie, telle qu'un génie
comme Doseartos pouvait seul la taire momontanénn-nl pré-
valoir; mais nous la tenons, malgré sa fécondité, pour aussi
funeste à la philosophie que mal fondée on principe.
(iolte théorie a inspire'' à un cartosion do marque^ une juste
critique : •' On a voulu réduire au calcul jus(ju'à l'art do
guérir; et le corps luunain, celte machine si compliquée, a été
traitée par nos uK'dociiis algoiiristos comme le serait la machine
la plus simple ou la plus facile à décomposer, (l'est une idiose
singulière, continue l'autour ilu Traitr de di/namiijuc, de voir
ces auteurs résoudre d'un trait di' |)lnuio des problèmes d'hy-
draulique et de stali(|uo capal)les d'arrêter toute leur vie les
plus grands géomètres... (Contentons-nous d'envisager la plu-
pari do ces calculs ol de ces suppositions vagues comme des
jeux d'esprit auxquels la naluro n'est pas tenue de se soumettre
(M concluons que la seule vraie manière ih^ |)hilo-;opher en
physique consiste dans l'application de l'aïuilyse matlu''mati(|ue
aux expériences ou dans l'observation seule, éclairé'o jiar l'esprit
de méthode, aiih'o quelquefois par des conjectures, mais sévè-
rement dégagée do l(Uilo hypothèse arbitraire (1). »
On objectera ])oul-élro qu'il s'agit de la nature dos choses
physiques et (jue cotte question no touche ni n'engage la méta-
(1) D'Alembeut, l)hc/iiirs préliminaire de l'EiiCf/clupcdic. MéUttif/es, t. 1, p 40.
/./■; pimiiLEME l'uiuisiii'UinrE 21
|iliysi(HR', iiidill'ércntc par la nature même île snii ohiel aux
lliédries méeanisles (ui dynnmisti's ilii monde.
.Mais n'est-ce pas nn t'ait constant, dans la l'ormation ol
l'évolnliiin hisloriqne des systèmes, qnc les tliéories piiysiqnes
sont loin d'être indill'ércnles anx diverses mélaphvsiqnes ?
TanliM pour des raisons île néressiti'' loi;i(|iie. lanliil par suile
«l'atlinités psy( luiloiii(|iu^s également réelles, on voit toujours
on presque toujours ielli' physique appeler telle métaphysique
et repousser telle antre, certaines théories physiques former
avec certaines théories métaphysiques comme des couples, dont
les membres suivent une marche parallèle, vivent, proj;ressent
et meurent en même temps.
X'est-il pas évideni que si la iiéomélrie explitjue loul dans la
nature, si lonles les sciences du monde physi([ue se réduisent
à une seule, s'il n'y a plus entre les sciences diverses de géné-
ralités communes débordant chacune d'elles, la métaphysique
n'a [)lus de fonction à remplir? Organe sans fonction, roi fai-
néant de la science, que lui reste-t-il îi faire, sinon à dis-
j)arailre?
l'ne auli'c lliéorie étroitement connexe ;ivec tidle du méca-
nisme universel achève d'en préciser la portée philosophique.
(Tc^st celle des idées claires, si Lien accueillie d'abord, si pleine
de promesses et en vérité si comnioile.
De l'étendue et du mouvement, du temps et de l'espace, de
toutes ces choses obscures, qui ontfait à chaque époque le tour-
ment des âmes philosophiques, nous avons des idées tellement
(daires que l'on ne doil plus désormais formuler à leur sujet
aucune question, ni [loser aucun problème, ni pnr conséquent
inslitvKM" aucune théorie, que toute l'ancienne métaphysique,
sans en excepter les argumentations subtiles d'un l'arniénide
et d'un Zenon, la philosophie d'un Aristole r[ d'un IMalon,
les travaux d'un saint Thomas d'.Vquin et de toute une époque
de métaphysiciens, tout cela se trouve, a priori, sans autre
examen, frappé de déchéance, proclamé vain, illusoire et sans
objet. Les in-folio consacrés à ces éternels problèmes peuvent
ilormir en paix leur sommeil au fond des liildiolhèques : les
siècles s'écouleront, sans (ju une main amie vienne soulever
22 .1. [ni. MOT
leur linuciil do poussière et inviter ces uiurls à renlrer dans la
communion des vivants.
Tant que régnera cette philosophie des lumières et des clar-
tés, il n'y aura plus de métaphysique de la nature, ni de pro-
hlèmes mystérieux relatifs à l'être ; il n'y aura rien au-delà
des surfaces, ni sous la transparence des phénomènes.
Rien d'ailleurs ne peint sur le vif l'âme même du cartésia-
nisme, rien ne la livre dans sa réalité vivante et passionnée,
dans sa transcendante confiance en elle-même, comme la pré-
face au livre des Principes. Nous ne pouvons nous dispenser
d'en rappeler quelques traits.
11 y a eu de tout temps de grands hommes, des philosophes
(|iii uni là( li('' (le chcirhcr K^s premières causes et les vrais })rin-
eipes dont on puisse ensuite tout déduire. " Toutefois, poursuit
Descartes, je ne sache point qu'il y en ait eu jusqu'à présent
à qui ce dessein ait réussi. » Ni Platon, ni Aristote, ni aucun
de leurs disciples n'a pu parvenir à la connaissance des vrais
principes. I,a cause en est aussi simple qu'évidente : c'est
qu'ils ont tous supposé, pour principes, des choses qui n'étaient
point parfaite ment connues (1 isez parfaite m en l claires) telles que
la pesanteur que tous ont imaginée dans les corps terrestres,
telles que le vide ol h^s atomes, comme aussi le chaud, le froid,
le soufre, le sel, le mercure et toutes les autfes choses sem-
hlables dont ils ont fait leurs principes, sans en connaître la
nature intime, sans en avoir vu à découvert le principe effectif
ou formel. ■• Or, continue Descartes, toutes les conclusions
que l'on ]ieul déduire dnii ]nincipe qui n'est ]>oint évid<'nl
ne peuvent j)as être évidentes: d'où il suit (|ue tous les raison-
nements qu'ils ont appuyés sur de tels principes n'ont ))u leuj-
donner la connaissance certaine d'aucune chose, ni par consé-
quent les faire avancer d'un pas dans la recherche de la sagesse. »
Les vrais principes qui conduisent à ce plus haut degré de
sagesse, dans lequel consiste le souverain bien de la vie humaine,
se trouvent dans sdu livre. 11 en donne deux raisons suffisantes
<' dont la première est qu'ils sont très clairs ; cl la seconde, qu'on
en peut détiuirc toutes les autres choses. Il n'y a que ces deux
conditions qui soient requises en eux. ■• ...Or, ces principes
sont d'aliord que le monde physique a pour essence l'étendue et
;-/',' l'IKiISLEMK I'llll.(>Snl'lllnt:K 23:
l'nsiiiliMju'il l'a ut dôcduvrirtlans Ions lescHros l'allrilHil csscnlicl
jxiiir (Ml (Irdiiirc tous les aulros. Ces principos rlaljlis, Descarlcs
jiiMil sdiulcrci t'clainir les mystères. Il poiil, fii so j(Hianl, avec
<lo rôlciiiliio, lies lijJiiiTs et dos chocs, c csl-à-diro avec du
hasard, créer des mondes tels que les nôtres, déduire a /jriori
de leur essence tous les attributs des choses, toutes les classi-
iications des naturalistes, nul obstacle ne se rencontre sur sa
route capable de l'arrêter; la nature n'a plus de secrets. Cepen-
dant les destins sont lixés : deu.v disciples de Descartes, Ber-
keley et KanI, vengeront la philosophie des coups qu'il lui a
j)ortés.
Il est vrai (iii'une pensée puissante, qui se heurte comme un
torrent à l'obstacle qu'elle veut renverser, précipite ses Ilots et
fait jaillir au loin l'écume, sans toujours mesurer ses coups.
Les réactions passionnées sont coutumièros de l'exagération et
<le la violence. Mais n'oH'rait-elle pas ce caractère à un degré
peu commun et, pour mieux r(''ussir, ne risquait-elle pas
^'(''hranler la métaphysique jusque dans ses fondemenls, la
iloctrine qui méconnaissait à ce point non seulenuMit la philoso-
phie antique, mais jusqu'à la manière de penser la plus nalu-
relle à l'esprit humain et la plus féconde pour le développemeul
scientilique? N'élait-ce pas un arrêt de bannissement à [)erpé-
tuité contre toute métaphysique des choses, contre la phy-
sique et la plupart des sciences proprement expérimentales,
notamment contre la chimie h qui l'on refuse jusqu'à la nolidu
<rél(''nients spéciiiques, contre la biologie à qui l'on dénie
jusqu'au concejît de la vie? l'our (|uel motif? Sous le prétexie
que toutes ces notions de force, de pesanteur, de sel, de mer-
cure, de vie, ne sont pas assez claires pour que nous en puis-
sions déduire toutes choses.
Nous venons d'assister à un premier refoulement de la j)hilo-
sophie par la science, à la substitution de celle-ci à celle-là et,
pour tout dire, à la domination tyrannique des sciences infé-
rieures sur les sciences plus élevées.
Descartes pensa faire ceuvre créatrice et il rêva de gran(I(>s
et délinitives conquêtes. 11 parvint à semer autour de lui une
contagion de confiance et d'enthousiasme, et jamais peut-
être on ne vil dans toute l'Euro])!' ardeur |)lus grande à la
^4 .1. BILLIOT
recherche de la vérilé philosophique. En réalité, si la physique
a bénélicié de son action, la métaphysique est sortie de ses
mains considéraldeuKMit amoindrie.
Un simple regard jeté sur la carte de la pensée philo-
sophique et seienlilique au xix' siècle nous révèle l'énorme
déplacement de frontières qui s'est produit aux contins de la
science et de la philosophie, tout ce que la première a gagné et
tout ce que la seconde a perdu, en étendue et en certitude,
durant le cours de ces trois siècles.
Autrefois, ijuand la science était pnuvre, les cadres de la phi-
losophie étaient riches : ils comprenaient l'étude du mouve-
ment, les théories, scientifiquement très incomplètes, mais au
point de vue philosophique très ])rofondes, des éléments et des
mixtes, du mélange et de la combinaison, un certain nonihre
de Iraités sur chacune des fonctions de la vie organique, sur
la nulrilion, ré'vnlulion vilale de la naissance à la mort, sur
(•hacun des organes des sens. l)es analyses pénétrantes, malheu-
l'eusement négligées aujourd'hui, sur (diacune des notions fon-
damentales de la métaphysique, sur la substance, la quantité,
la ([ualité, la relation, la cause, l'inlini, l'espace et le temps,
remplissaient les livres d'enseignement et développaient chez
les esprits cultivés la faculté philosophi{|ue. 11 suflit de par-
courir les deux in-folio de la Mr/ap/if/siqHc de Saurez. — Qiu^ls
sont aujourd'iiui les cours de philosophie oii l'on s'occupe sérieu-
senu'iit de ces notions pourtant essentielles?... Pour<|uoi la
philosophie fail-elle profession d'ignorer les quelques notions
fondamentales et vraiment philosophiques de la mécanique,
de la physique, de la chimie et de la biologie qui combleraient
en grande partie les lacunes que nous signalons ici? Que faut-
il (lonc penser do cette métaphysique morne et vide, de ce
désert qui a |)ris la placé de'la forêt si toulfue, peut-être même
trop toulfue, d'autrefois? Quand on voit des contemporains
demander à l'idéalisme moral et à la religion du sentiment nu
dernier refuge pour ce qui nous reste de philosophie, ne dirait-on
j)as un grand empire qui tombe et qui assiste au démembre-
ment progressif de ses plus riches provinces?
Mais si la philosophie a été vaincue et dépossédée, c'est
(|u"e|le a mal combattu, ou même qu'elle n'a pas combattu du
/./•; l'HiiliLEME l'IllUiSdl'IlKjl E 2E>
Idiil : clic a, d'ellc-mçnie, à plusieurs rcprisos, ot sans conihat,
abaudonné ses positions, rcportL- ses lignes de tléfense eu
arrière, comme si elle n'en trouvait jamais d'assez fortes pour
livrer une bataille.
C'est surtont sur le terrain de la certitude que le cartésia-
nisme devait porter le coup le plus rude à l'ancienne liégé-
mtmie de la piiilosopiiic.
l/invasi<in de l'esprit géomélrique consiitnait ponr elle un
grave péril : mais il ne menaçait pas immédiatcuient son empire
et sa vie. 11 en est tout autrement du mal qui tut inoculé au
cœur même de la philosophie, et qui tarissait dans sa source
toute métaphysique réelle, en substituant le point de vue
exclusif du sujet au point de vue de l'objet.
La piiilos(qihie muderne procède dans son ensemble, sniloul
sous ce rapport, de laqualrième partie du Discoiirx sur laMi-lhodc.
I^e II Je pense, donc je sii/.s » peut être considéré, ajuste litre,
comme son acte de naissance. D'après Descartes, ainsi qu'il
nous le raconte lui-même à la fin de la seconde partie du Dis-
cours^ toutes les sciences doivent emprunter à la philosophie
les principes d'où tout doit se déduire, à la manière des théo-
rèmes de la géométrie ou de l'algèbre. Or après avoir rejeté la
valeui'de toutes nos facultés, parce qu'elles |ieuventdans certains
cas faillir, il fait a]qi(d à la donuée la plus immédiati' et la plus
-iiiipir de la conscience: et il s'arrête à cette idée (jui lui paraît
répondre iison but : " Je pense, donc je suis... "Oue celte idée s<iit
vraie ou fausse, qu'elle revête la forme du doute ou colle de la
certitude, jteu inqiorte : la conscience vivante se saisit elle-
même dans son acte, et cela est immédiat, partant incontes-
table. On se ligure aisément l'enthousiasme qui envahit alors
l'àme de l'heureux inventeur. 11 a donué à la certitude
sophique une Ijasc nouvelle, inconnue de ses prédécesseurs,
supérii'ure à toutes celles que l'on avail ti'ouvées avant lui. 11
rattaciiera à ce point d'appui d'une solidité éprouvée, la chaîne
entière des vérités anciennement connues, conservées ou renou-
velées par sa propre philosophie ol il réalisera enfin ce rêve
grandiose qui hante constamment sa pensée, d'une science
uni(|ue, compréliensive de toutes les sciences, aussi certaine
que la géométrie et comme idle entièrement (ii'durtive !
■20 J. l!l I.I.IOT
Comment la n'-alili'' ;i-l-elle n'iioiidii à col appi-l di' l'idéal ?
Dès cette heure, une jurande révidnlion était accomplie : Inni;-
lemps avant Kant, l'axe de la pensée philosophique était dé-
placé; le renversement anticopernicicn se trouvait, sinon achevé
dans ses conséquences, du moins accom|)li dans son principe.
Les conséquences allaient en sortir, chacune en son temps.
Le mécanisme universel, nous l'avons dit, avait enlevé le
monde extérienr à la philosophie pour le donner à la géo-
métrie ; il ne lui restait plus dès lors, si elle vonlail vivre, que
le monde inli'rieur, le moi pensant. (Tétait donc uniquement
vers le moi que la philosophie devait désormais tourner ses
rejj'ards et orienter ses efforts. Aussi hien, Descartes tirait immé-
fliatement du moi la connaissance de Dieu, à qui il rattachait,
comme à une condition originelle de la certilnde, la théorie dn
monde extérieur. Car si la géométrie suflisait à doniu'r l'expli-
calion de ses phénomènes, elle ne i'ournissait pas elle-même
la preuve de son existence. Du curiitu rrr/a suni, il aurait |)ii
onlin déduire une morale.
Le moi tout seul, avec, son cnnlenn el ses conséqiieuce-i
immédiates, fondait une science ou même \\\\ groupe de
sciences, entièrement séparé de la géométrie, indépendant et
autonome. Il constituait la base de toute certitude el son
étude demandait des aptitudes dilTércntes de celles du géo-
mètre. Il v avait là pour la ])hilnso|iliie dépossédée en l'ait du
monde extérieur, et pour les pliilosophes qui n'étaient pas géo-
mètres, une tentation, ù laquelle on ne devait pas résister. De
son propre mouvement, cette fois, la philosophie prit le parti
héroïque de renoncer à la science du monde extérieur et de se
replier entièrement sur elle-même. Elle s'étahlissait. pensait-
elle, sur une hase sans doute plus étroite, mais aussi plus solide;
elle serait chez elle tout à l'ait indépendante des autres sciences.
— Or, cela seul constituait une révolution d'une incalculable
portée en philosophie, une révolulinn iniiniment plus grave
que la simple substitution, si fréquente dans l'histoire, d'une
philosophie à une antre philosophie.
Cor, avi lieu d'une simple distinction de points de vue, la
révolution présente établissait une séparation d'objet matériel
entre la métaphysique el les sciences positives. A la place d'une
U; l'iioin.ijir. riin.iisiii'iiiniK 27
ilislinction l(ii;i(jiic compatible avec une unité vérilalile. elle
mettait une ilistinclion réelle. La philosophie sans doute sérail
indépendante tles sciences; mais les sciences aussi le seraient
de la philosophie. (;"élait donc la rupture totale et déiinitive
de l'ancienne unité, consentie celte fois et voulue, non plus par
la science, mais par la philosopliio. (l'était l'absorption de la
philosophie dans le moi; c'était, en bonne logique, Femmu-
rement, presque la mise au tombeau, (l'était la fin de la phi-
losophie, au grand sens du mot. Car Descaries n'étail qu'un
précurseur. Il appelait Berkeley et Kant qui achevèrent son
œuvre. O puissant génie, si grand déduclif qu'il fût, n'a pu
suivre jusqu'au bout la pente de l'inexorable logique qui entraî-
nait son système aux écueils.
Bien ne juge plus sûrement une doctrine que son évolution
même, surtout lorsque cette év<dution obéit à la logiiiue de sou
point de dépari, remplit une durée de trois siècles, et compte
des penseurs tels que Berkeley et Kant. Or, si difficile à bien
apprécier que soit le cartésianisme, à cause de sa complexité
ot de ses multiples tendances, il aura pour résultat final de
briser, en plusieurs tronçons, le faisceau, si fortement lié par
l'aristotélismc. de la pensée humaine. La science et la philo-
sophie qui, unies ensemble, devaient s'équilibrer et se com-
pléter, de manière à donner une a-uvre totale et harmonicjue,
se replieront désormais chacune sur elle-même, mues par une
sorte de contractilité interne ou même d'opposition instinctive.
<'t elles s'en iront chacune de son côté, suivant des voies diver-
gentes : la philosophie, vers le subjectivisme critique ; la science,
vers le particularisme et le phénoménisme scientifiques, en un
mot, vers l'éternel positivisme, cette grande tentation du savant
qui méconnaît les droits de la métaphysitjue.
^.l siiirrc.i
.1. lULLIOT.
THEORIE DES BEAUX- ARTS
Quelles cjualités ilnniKnit à une u'uvrc d'art sa valeur oslhé-
tiqiic l'ssf'iilirllc? Par quel mécanisme lu'uvre d'art, supposée
disiiie de ce iidiii, excite-t-elle en iiau^ le sentiment du beau?
Problème obscur dont la solution attend beaucoup encore dos
progrès de la psychologie.
D'aucuns rattachent à la métaphysique la recherche de cet
inconnu. Mais si » le beau », considéré dans sa plus grande
abstraction, olTre, ainsi que le vrai, un aspect absolu et onto-
logique, il ne semble pas qu'on ait grande chance de succès à
vouloir (lélermiuer a priori les conditions oiijectives qui donne-
ront prise sur notre sens estb(''[i<|ue aux productions concrètes
de la nature nu de l'art.
Joufl'roy, dans ses remarquables leçons sur cette matière (1),
concentre tous ses elTorts à reconnaître d'abord, au milieu de
tant d'autres, la véritable émotion artistique. (Juand il en a
expérimentalement discerné la nature et les éléments, il tâche
de saisir ce que peuvent bien avoir de caractéristique les objets
qui t'ont sur nous cette impression.
Si la ui(''thode est bonne, voire la seule bonne, est-ce à dire
que, marchant parce chemin, on ait atteint le terme, et qu'on
ne puisse désirer encore plus do lumière et de précision? Tout
ce qui touche au sentiment et aux émotions s'est dérobé, jus-
(lu'à ce jour, plus que les antres phénomènes de l'àme, à la
rigueur de l'analyse scientilique ; le champ à exploiter fournit
et l'ournira longtemps ample matière à l'elVort, soit i>n ce qui
(I) JoiFFROY, Cours d'esthétique.
Tiii.nHii: in:s iti:.\i w-mus 20
l'i'iiardc la M'air iialinc di' I l'IcMiicnl (■slInHiciuc. mjII en ce (iiii
liiiu-he à son iikkIc (l'aclinn sur nos facullrs.
1. NMiiu: oniKci'ixi: ni; i."ki.i-:mi;nt ksiiiéth.h i: hans i.'na viu: i)'\iii-
Un se donnerait une tàclie bien ingrate, si on voulait analyser
l'omme émotion estliéliquo tous les (Hats psychiques qui en
portent le nom. Encore, un si rude labeur n'abdutirait-i! qu'à
nous décevoir entièremenl, par le caractère contradictoire de
ses résultats. (Vest que, dès le jeune âge. on nous apprend
inconsidérément à dénommer <i />f//fis » mille choses diverses
dont l'action sur notre âme n"a guère de commun que de nous
agréer à un titre qi/flcoiif/w. Et n'est-ce pas là, pour une bonne
part au moins, la raison de la facilité avec laquelle on admet
ensuite que le beau n'a qu'une valeur toute changeante et su!»-
jective? Car on ne saurait contester qu'il eiilre luie large pari
de contingent et de sul)iectif dans le plaisir que nous cause la
A'ue des olijets. Il en irait peut-être tout aulreiuent. si un rédui-
sait le problème à de plus étroites limites, à savoir : si la vue
de tel objet est apte ou non à produire sur l'homme /r//r "spr)/'
//f joitissanrr très déterminée qu'on appelle l'émotion esthé-
tique.
Saint Thomas, à la vérité, dit en plusieurs endroits que " le
beau est ce dont la vue (ou la connaissance! nous agrée > .
— » Piilclira sini/ quie risa pUtccnl. » M ne s|iécilie pas une
jouissance, à l'exclusion des autres. Eu Iransposant cette
assertion, de l'ordre métaphysique dans l'ordre de la psycho-
logie, on obtiendrait celte déiinition générale : le sentiment du
beau est le plaisir que produit en nous la contemplation des
objets.
Mais il esta remarquer que tous ces passages tendent, d'après
leur contexte, non à donner de la beauté une déiinition adé-
<[uate et précise, mais seulement à montrer la distinction entre
les notions de beau et de bien. ^ llona sniit qiise phicml , dil-il,
pnhhra sunt qtiu' visa placcnl . ■> (le qui préoccupe le saint
Docteur, c'est d'affirmer que la jnuissance procurée par le
bien résulte de son usage et de sa possession, tandis que le
plaisir, quoi qu'il ^oil t/'aif/eurs, donné par le beau, provient de
30 Tu. Dl liOSO
sa contemplation. On reconnaît, dans celte courte Ibrnuile, Ja
belle doctrine du « p/atsir drsintéri'ssé » développée par nos
modernes. Mais de ce que, pour saint Thomas, le sentiment
esthétique procède de la vue de l'objet, on ne saurait conclure
qu'à son avis toute sorte de jouissance produite par la vue de
l'otijct soit précisément l'émotion esthétique.
Aussi bien, appeler beau tout ce dont la vue nous agrée, c'est
confondre évidemment les émotions les plus diverses. Autre est
le plaisir que procure à un enfant la vue d'un objet nouveau
qui intéresse sa curiosité et satisfait son besoin de connaître,
autre rémoiidu qui nous gagn(> dans la contemplation d'une
ii'uvrr d'art puissainmeul coueue et l)ien exécutée. L'un et
l'autre senlimeut est agréahh». L'un et l'autre aussi est désin-
téressé, c'est-à-dire qu'il résulte de la contemplation de l'objet,
iudépendamment de son usage. ^lais ces points communs ne
suppriment pas d'autres éléments, que la plus simple introspec-
tion nous fait saisir comme irréductibles.
Sailli Thnnuis a d'ailleurs donné de la beauté (dijective uue
déliuiliiiu plus couiiilète et très profonde, lorsqu'il a dit qn'cdie
était " l'éclal de la. forme resplendissant dans la matière ".
Hr^lilriKlcnlia fdintx super parles malerùe proporlionalas (1).
De cette formule transcendanlale, on lire sans peine la notion
psychologique du sentiment esthétique : il sera « l'émotion
jHirl'n^iHère que nous fait éprouver l'apparition éclatante d'une
forme, d'une essence, resplendissant dans la matière ».
H Hesph'iHlentid farituv! » Il n'est peut-être pas une conclu-
sion iiuporlaule des iccherches modernes sur l'esthétique qui
ne se trouve contenue en germ(> dans cette définition. Mais,
précisément à cause de sa riche compréhension, elle ne laisse
pas de paraître un peu vague, surtout à des esprits moins fami-
liarisés avec la valeur précise des abstractions métaphysiques,
et accoutumés à chercher la clarté des notions dans un perpé-
tuel retour aux faits susceptibles de vérilication expérimentale.
(' Resplenileiilia f(ir)ita:' ! » dette formule, de bons auteurs
l'ont tirée d'un injuste (Uibli, et le temps n'est plus où, dans
(1) Ojiiisc. de riilclu-i), édité par Uccelli.
ritixinu-: des ui:M.\-Mtrs :{t
riiislnirc lies (Jûfliinos osthétiquos, (in saulail d'iin ImuhI iIi-
saiiil Auiiustin h l.oiijiiilz ! 11. .Mais les cnniniciilairi's ([ii'im a
l'ails (le la dôtinition du .Maître laissent encore planer (jnehiue
nliseurilé sur la vraie portée des termes qui la composent.
.Vprès avoir écarté cette notion, trop générale pour être vraie,
(|ui confondait l'émotion esthétique avec un sentiment de plai-
sir iiiirUonqiip provenant de la connaissance dun olijet, il res-
terait à donner de la définition thomiste une explication satis-
i'ai'^anle. Qui réussirait à traduire cette formule en des termes
moins ol)scurs pour les esprits modernes, ferait sans doute con-
naître une des plus helles et des plus fécondes notions de la
lieauté objective et du sentiment artistique.
' Le sentiment du beau, dit saint Thomas, s'éveille en nous,.
■ quand la forme ou l'essence parait relatante aux regards de
i< l'âme. » Faut-il entendre par laque toute forme, toute essence
est, de sa nature, susceptible de nous émouvoir esthétiquement?
Faut-il admettre que toute forme, toute essence est, d'elle-
même, éclatante, et que si elle nous laisse insensibles, c'est
([ue cet éclat natif est accidentellement voilé ou subjectivement
mal connu?
Ou plutôt ne faut-il pas dire qu intrinsèquement plusieurs,
formes ou essences manquent de splendeur; que, seules, cer-
taines formes, choisies entre les autres, sont éclatantes, de leur
nature et seules capables, par conséquent, de projeter leur
clarté dans l'âme qui les contem[)le? Dans cette dernière hypo-
thèse, on admettrait que, jiour briller à nos regards, Fessence
(lu l'idéal doit non seulement réaliser toute la perfection rela-
lire de son concept (ce qui est le cas de toute essence ou
notion), mais qu'elle doit encore dépasser un certain minimum
(le perfection absolue. Il en serait alors de la splendeur de
l'idéal comme de l'éclat de la lumière : les ondulations de
léther ne deviennent principe de la lumière que pour autant
qu'elles atteignent un minimum de vitesse : au dessous, elles
sont mouvement, mais mouvement obscur, et sans action sur
nos organes.
(Hioisir entre ces deux interprétations constitue un premier
fil V. Dlclionnaii-e des Sciences philos'ijjliifjues (Ad. Kr.\.\ck). .\rt. Esl/iélique
de M. Cl]. Cé.n.ard.
a2 Th. DUBOSQ
probicmo donl la solution importe Ijoaucoiip à la limpidilr di' la
^lôfinition proposée par saint Thomas.
11 semble, à première vue, (jiie le Docteur angélique ait lui-
même tranché la question, et qu"il faille se dégager de <■ l'au-
torité du Maître » pour tenir que tonte forme, toute essenrc, tout
iilval n'est pas, de sa nntnre, estln'-tique . Dans son commentaire
sur le ilc Dirinis noinini/ins (ca|). iv, lect. "i, lin], saint Thomas
s'exprime ainsi : » NI/ii/ est rjnot/ non jjnrt'n ipet pnicliro et bono
« d'u'ino., cum iinnniqnodque sit pulchrtini cl honuni sectiniluni
« pi'opriam fonnam. » Plus loin il dit que la laideur provient
d'un défaut de forme et de proportion ; mais que ce défaut ne
saurait être absolu et total sans que l'être cosse d'exister. « Si
<' totaliter tolleretiir oninis fin-nia et oninis ordo, et per conse-
' (jnrns toliini ni (piod est m pulcliriludine, née ipsiim corpns
« renninere posset. » \llnd., cap. iv, lect. 21.)
Toutefois l'excès même de cette assertion nous avertit dCu
iHudicr et le contexte et l'esprit. Entendue à la rigueur, elle
irait à mettre de la beauté dans l'êlre le plus monstrueux et le
plus dilVorme. C'est que, dans luut ce chapitre, comme dans
les passages similaires, saint Thomas entend la beauté dans un
sens tout uu''ta|ih\ si(|ue el transcendantal, (|ui n'a rien à voir
avec resthéti(|ue des beaux-arts, non plus ([u'avec le concept
|)ratique de la beauté. Dans ce même paragraplu'. et dans le
môme sens, notre auteur enseigne (ju'il n'est point d'être si
])ervers qui ne contienne (|U(dque élémenl de bonté, par le
seul fait de son existence, trest vrai, métaphysiqnement par-
lant. Mais saint Thomas lui-même, quand il se placera au point
de vue moral et pratiiiue, ne fera nulle diflicnlté de classer un
tel monstre parmi les <■ méchants », les « réprouvés », et jamais
il ne le confondra avec les << bons » et les « justes ». Ainsi
raisonne-t-il touchant la beauté, el les textes allégués laissent
à ses plus lidèles disciples toute liberté de tenir qu'en matière
d'esthétique le premier idéal venu n'est pas de bon aloi.
Pour admettre que toute forme, substantielle ou accidentelle
est éclatante de sa nature, il faudrait supposer que l'absence
d'émotion esthétique concorde toujours avec une obscurité de
l'expression ; il ne parait pas qu'il en soit ainsi. Par exemple,
THÉORIE DES BEAV.\-.\RTS 33
certains contours, certaines configurations, certains profils, dans
l'art décoratif, nous agréent ou même nous émeuvent par leur
charme ou leur majesté; d'autres nous seniMent fades et de
nville valeur : est-ce donc qwo la forme du contour géométrique
serait nécessairement de plus diflicile lecture dans une mou-
lure insignifiante que dans un profil d'un grand efTet? Non, à
coup sûr. Si le manque de valeur esthétique provient parfois de
la confusion, il faut bien admettre qu'il y a des formes géomé-
triques incapables de nous émouvoir, pour clairement qu'on
les exprime.
De même, dans l'ordre des formes substantielles, nous ne
saurions croire que si l'essence fer, plomb, etc., ne nous émeul
pas esthétiquement, c'est qu'elle n'est qu'obscurément saisis-
sable dans la matière. Lors donc que saint Thomas parle de
rrsplrndentia formie, il faut entendre : l'éclat projeté sur la
matière par ces formes seules qui, à l'exclusion des autres,
possèdent de l'éclat.
Uefuser de reconnaître à toute forme une valeur esthétique,
c'est, du fait même de cette exclusion, créer la nécessité d'une
règle, d'un crithre, capable de nous faire discerner, entre les
autres, l'idéal utilisable en matière d'art : nouveau problème.
Ce signe distinctif est indiqué d'un mot dans la définition
de saint Thomas : tont idéal qui a de la ^plendcvr, et celui-là
seul, peut fournir à l'expression artistique la matière d'une
œuvre vraiment et strictement belle.
Fort bien; mais reste à savoir ce qu'il faut exactement en-
tendre par ime forme doiirr dp splondrur.
Il arrive rarement à saint Thomas de définir par des méta-
phores. S'il l'a fait dans ce cas, c'est à croire qu'il se pliait à
une nécessité : mais pour une fois qu'il se donne en passant
cette licence, il n'échappe pas, disons-le franchement, au danger
d'être moins précis qu'il ne l'est d'ordinaire. Oui, » forma splcn-
di'D-i i> — « claintas formx » — sont de belles expressions ;
mais ce ne sont pas des expressions d'un contour assez net.
Essayons pourtant d'en dégager le contenu.
La splendeur résulte d'une abondante lumière : quand il
s'agit d'essences ou de formes offertes à notre contemplation,
3
34 Th. DUBOSQ
leur lumière, c'est leur intelligibilité, ou mieux, c'est la somme
d'aliment qu'elles offrent à nos facultés. Une forme sera donc
resplendissante, quand elle oiïrira un riche aliment aux facultés
qui se l'assimilent par la contemplation.
Pour faire disparaître toute confusion, il reste à dire quelles
facultés prennent part à la contemplation esthétique : alors
seulement nous pourrons définir quels sont ces éléments assi-
milables dont l'abondance constitue la splendeur ou la richesse
de l'objet contemplé.
Saint Thomas parlant de la contemplation chrétienne se
demande si la « (Irlntution » y entre pour quelque chose, ou
si seulement elle comporte i appréhension de la vérité par
l'esprit, sans participation des facultés appétitives. Il répond
que la contemplation, encore que mettant seulement en exer-
cice l'intelligence à titre essentiel, ne saurait pourtant se passer
de la concomitance des affections : « Dicendum quod vita con-
« tem/ilatira, licet essrntialit/'r consistât in intellectu, priuci-
« pium /(U/U'ii habet iu affecta, in quantum videlicet ali</uis ex
« charitdte ad Uei contemplatiom'm incitalur. Et quia fuis res-
« ponde t principio, inde est quod etiam terminus et finis vit;e
« contemplativii; habet essr iu affecta... « (II" II'' q. IcSU. art. 7,
ad I™.) Ce que dit saint Thomas de la contemplation de Dieu
peut se dire de toute contemplation esthétique, d'autant qu'il
affirme lui-même que là conlemplation implique essentielle-
ment la beauté. Si donc l'invisible n'intéresse que l'intelli-
gence sans aucune répercussion possible sur les facultés émo-
tionnelles, il ne saurait être, dans toute la force du terme,
objet de contemplation : il peut être objet d'étude, d'analyse,
de déduction : mais tout cela n'est pas la contemplation, et
nous verrons tout à l'heure que cela seulement qui se fait
contempler est beau pour nous. C'est pourquoi l'expérience
interne montre que les pures abstractions, comme sont les
équations mathématiques, séparées de toute application, ne
nous font pas éprouver cette spéciale jouissance qui constitue
l'impression de la beauté.
Il en va de môme de toute notion, si noble qu'on la suppose :
notion de courage, de force, de majesté, de magnificence, etc.,
tant qu'on ne lui attribue pas, au moins par supposition ou
THÉORIE DES BEM'X-AHTS 35
imagination, une existenco concrète. C'est que la pure ahslrac-
tion, dit saint Thomas, suflit à constituer le vrai qui alimente
rintolligence ; mais le bien, objet des facultés affectives, ne
saurait être attribué qu'à un être concret ou au moins repré-
senté comme tel à l'esprit : » lioinim non conseqiii/ur ratioiit'm
<( speciei /lisi srcundum esse qiiod habet in re aligna ; ei ideo
« ratio boni non competil Unrœ vel numéro secunduin hoc qiiod
-.( cadunt in coiisidrrationr tnalhematica. » iVrriL, q. xxi, art. 2.,
ad 4°".) Et parce que, suivant saint Thomas, l'affection, qui a
pour objet le bien, est nécessaire à la contcmplalion, il suit
qu'il n'y a de vraie contemplation que ceUe des objets ou des
1. /ormes » qui ont à la fois » rationem vcri et boni d, qui olTrent
un aliment aux affections en même temps qu|au besoin de
connaître, autrement dit, les seules formes saisies comme con-
crètes et comme capables de perfectionner l'homme et d'être
ainsi un bien pour lui.
On objectera peut-être que, de l'avis de tous, le sentiment
du beau est désintéressé et que, partant, son objet ne doit pas
être appréhendé comme le bien du sujet. Mais il faut remar-
quer que le sujet peut trouver sa délectation à posséder l'objet
seulement dans la représentation que lui en offre l'esjjrit, à
l'exclusion d'un usage effectif et, pour ainsi dire, physique.
Or, cette manière de chercher son bien dans lacunlempdation,
qui est comme une possession mentale de l'objet, non seule-
ment ne détruit pas ce qu'on appelle l'amour désintéressé, mais,
à proprement parler, le constitue.
Concluons donc que cette splendeur intrinslijue drs formes
appartient à celles qui, entre les autres, offrent un plus riche ali-
ment à l'affection comme à l'esprit, nn plus haut degré de bonté
et de vérité. VA comme d'ailleurs cette bonté ne saurait exister
que dans un être saisi comme individuel, la forme objective
resplendissante, capable de nous émouvoir esthétiquement, se
réalisera par excellence dans l'être concret et parfait à la fois,
en Dieu, seul être qui unisse à la réalité d'une existence per-
sonnelle la plénitude absolue de l'amabilité.
Quant à l'être fini, il est, de ce chef, incapable de concré-
tiser toute l'ampleur d'une perfection simple, telle que l'esprit
la saisit dans son universalité. En dehors de Dieu, nul être
30 Th. DIBOSQ
individuel ne peut être conçu comme réalisant la force, la ma-
jesté, /'intelligence, /'indépendance. On peut néanmoins se
représenter un être limité qui renferme ces qualités r/an.s unr
richo proportion. Apparaissant par la contemplation à l'esprit et
au cœur de l'homme, cet objet les nourrira plus que ne le
peuvent faire des êtres relativement pauvres de ces perfections.
Ces formes ne seront pas la souveraine beauté : elles seront
belles pourtant et vraiment resplendissantes.
Mais si l'individu, l'être concret, est seul capable de nous
émouvoir esthétiquement, comment faut- il entendre cette
pensée de Ch. Blanc (1) et des meilleurs auteurs que la vraie
beauté est « impersonnelle », qu'un objet approche d'autant plus
de la beauté qu'il se dégage des limites de l'individu ? S'il était
question ici d'une impersonnalité absolue qui deviendrait une
pure abstraction, l'opposition de notre doctrine au sentiment de
ces écrivains serait llagrante. Mais ils ne veulent parler, à
notre avis, que d'une impersonnalité relative. Cette imperson-
nalité relative consiste précisément en ce que le type, conçu
par l'esprit comme réel, réunit pourtant en lui seul une somme
de bien et de vrai qui dépasse ce que les individus ordinaires,
trop caractérisés et trop circonscrits, nous en fournissent com-
munémenl. Il en est du type esthétique fini comme de l'image
composi'te de Galton (2i. Strictement parlant, ces images sont
concrètes ; on les appelle cependant c< génériques » parce
qvi'clles l'éunissent et accusent plus fortement, dans leur consti-
tution artificielle, les qualités, contrariées dans chaque individu
naturel par le mélange de traits antagonistes. Mises en compa-
raison avec la pauvreté des types strictement réalistes, ces con-
ceptions idéales, qui animent les œuvres d'art, participent bien
plus largement aux perfections de l'espèce abstraite, qui sont
indéfinies et sans limites précises. C'est ainsi qu'on a pu dire,
par exemple, que Michel-Ange a exprimé dans « Il Pensirroso »
de Florence, non la réllcxion d'un homme', mais la réilexion
luimaine. La formule est vraie, mais un peu hyperbolique. Elle
est vraie, parce que la statue du tombeau de Laurent de Médicis
^ fl) Grammciife des arts du dessin. Principes : IV, De l'unilation et du style.
(2) Sur les images composites ou géoériques, voir R. P. Peillaube : Théorie des
Concepts, 1 vol. iti-S°, Paris, s. d., pp. 57 et suiv.
TllEimiE DES BEAVX-AHTS 37
oxprimo une profondeur de réllexion qui dépasse noIaMonienL
ce qu'en manireslenl les individus réels ; elle esl hyperbolique,
car la totalité de la réllexion humaine ne saurait être autre
chose qu'une abstraction sans contours suflisamment délinis et
sans action sur nos facultés affectives. L'œuvre qui exprime un
idéal plus riche que ne le sont les individus ordinaires pos-
sède i/ii caractrre ; plus riche encore d'expression, elle a ////
s/////' ; au-delà d'une limite maximum, elle perd de sa valeur,
comme les courants électriques de Testa dont l'action sur l'or-
ganisme cesse avec la très haute fréquence ; elle tombe enfin
dans cet excès d'idéalisme qui produit les œuvres insaisissables
à l'àme.
En résumé, la condition première et essentielle, la condition
constitutive et fondamentale de la beauté, c'est un objet riche
de perfection et de vérité, capable d'alimenter puissamment
jusqu'aux plus hautes facultés de l'àme qui le contemple, invi-
sible par conséquent puisque son action se porte au-delà des
sens, concret aussi ou conçu comme tel, puisqu'il intéresse l'af-
fection autant que le pur intellect. Sans un tel idéal, pas de
réelle hcaiilr. Ce n'est pas que, à son défaut, l'artiste ne puisse
aucunement se mouvoir et que ses productions soient, par le
fait, destituées de toute valeur. Au-dessous des œuvres qui ont
(in sli/lr ou (lu cacdclîvr parce qu'elles donnent l'impression
d'un tel idéal, il y a place pour des œuvres curieuses, intih'fs-
sautcs, (jracicuscs, jolies, chaniumles. Seulement, le plaisir tout
sensible qu'elles nous causent est d'un autre ordre : digne
encore, il se peut, des efforts de l'artiste, il ne saurait ni
s'égaler aux jouissances strictement esthétiques, ni même être
considéré comme un degré inférieur d'une même catégorie
d'émotions.
Nécessaire à constituer la beauté, l'idéal décrit y suffirait à la
rigueur. Qu'un pur esprit, capable de le saisir dans son invisible
essence, s'arrête à le contempler, et rien ne lui manquera de ce
qui est requis pour nourrir et son intelligence et son amour.
Rassasié de cet aliment spirituel, il jouira : sa jouissance sera
le sentiment de la beauté.
Mais il se peut qu'un être moins bien doué, capable pour-
tant d'apprécier le beau, ne puisse s'élever si haut. 11 faudra
38 Tu. DUBOSQ
dès lors que l'Idéal s'incarne pour ainsi dire et s'abaisse
vers lui.
II. 5I0DE d'action DE l'idÉAE ESTIIÉTIOUE SLR NOS FACULTÉS HUMAINES
PAR LE MOYEN DES ŒUVRES d'aRT
On pourrait concevoir un homme si parfait qu'il puisse for-
mer sans grand effort, et maintenir aussi sans peine, sous le
regard de l'âme, un type élevé de beauté idéale. Supposons de
plus qu'en cet homme si admirablement constitué l'harmonie
et la correspondance des facultés soit telle que la présence,
dans la pensée, d'un objet riche de beauté, éveille aussitôt la
sympathie de toutes ses puissances. Cette âme vibrera, et dans
son intelligence, et dans ses affections, et môme dans son être
sensible, à la seule présence, dans l'intellect, d'un objet capable
de la nourrir et de la perfectionner. De cette actualisation puis-
sante et totale de ses énergies résultera pour elle un état d'extase
et do jouissance profonde, qui n'est autre, sans doute, que le sen-
timent de la beauté. Ne serait-ce pas là cet homme, comme le
concevaient Platon et Gratry, allant à la vérité avec toiUe son
âme? N'était-ce pas là, avant la déchéance, l'état magnifique-
ment riche et harmonieux de l'homme tel que Dieu l'avait fait?
Malheureusement, cet être si bien doué n'est aujourd'hui
qu'un rêve, et alors que l'idéal garde en lui-même toute sa
richesse et sa splendeur, trois obstacles, entre autres, empêchent
notre âme de se l'assimiler et d'en jouir.
En premier lieu, ce n'est pas sans peine que notre esprit se
forme l'idée d'un type de perfection, même concret et indivi-
duel, insaisissable aux sens.
Ensuite, il nous faut dépenser plus d'énergie encore, pour
vaincre les obstacles, qu'une fâcheuse mobilité apporte à la
contemplation un peu suivie d'un tel objet. Ces énergies, em-
ployées à vaincre des obstacles, sont ainsi distraites de l'acte
principal, c'est-à-dire de l'étreinte qui imit l'âme à son idéal.
De cette lutte résulte aussi une fatigue, qui occupe désagréa-
blement les facultés appétitives et les distrait de la part qui'elles
devraient prendre à l'appréhension de l'objet.
Enfin, il est un troisième obstacle, phis grave peut-être encore
THEOME DES BEAUX-ARTS 39
quo les doux autres, à ce total envahissement des facultés.
C'est qu'il s'est fait chez nous comme une rupture entre l'esprit
et les puissances affectives. Ce n'est que rarement, difficilement,
partiellement et pour un temps que l'esprit arrive à intéresser
les facultés appétitives, surtout de la partie sensible, aux objets
qui devraient le plus les émouvoir.
De l'énumération de nos impuissances, il résulte que, s'il
ne trouve à ces défectuosités quelques remèdes ou palliatifs,
l'homme éprouvera rarement, peut-être jamais, l'émotion totale
et puissante de la beauté. L'idéal invisible, dont l'àme se
nourrit dans l'état de perfection préternaturelle, n'est pas pour
l'homme ici-bas un aliment directement assimilable. Ce n'est
pas à dire que l'àme déchue ne doive, elle aussi, se nourrir de
l'idéale beauté ; mais il faut comme enrober cet aliment trop
subtil dans un véhicule capable d'en favoriser l'intégration.
Par bonheur, ces remèdes à nos impuissances ne nous font
pas totalement défaut. Les découvrir, les mettre en œuvre, c'est
l'admirable rôle des ISpdii.r-Arfs. Et comme, à la condition du
travail, l'homme déchu pouvait tirer de la terre de quoi pour-
voir aux besoins de son corps, ainsi peut-il encore, par le labeur
des beaux-arts, tirer de l'idéal une part notable des inlluences
qu'il contient, pour nourrir et perfectionner ce que l'homme a
reçu de meilleur.
Par quel mécanisme le véritable artiste nous rendra-t-il
accessible cette lumière dont la vision directe nous est devenue
si difficile?
D'une manière générale, on peut affirmer que s'il existe un
moyen de rendre l'invisible assimilable à l'àme humaine, ce
sera de l'incarner dans le matériel et le sensible. Saint Tho
mas l'a bien compris, lorsqu'il termine sa définition du beau
par un complément à l'usage de l'homme. Dans cet ordre, il
assigne pour éléments à la beauté, non seulement la splendeur
intime et objective de la forme ou de l'idéal, mais encore le
reflet, le rayonnement de cette clarté sur la matière qui l'enve-
loppe : (< Reaplendentla formœ super partes materia' proportio-
natas. » {/oc. cit.) A l'artiste il appartient de chercher, de dis-
cerner, de choisir, de corriger, de grouper les éléments matéricds
m Tu. DLBOSQ
propres à refléter l'idéal; à lui tloricnler habilement ces miroirs
de l'inaccessible beauté de façon qu'ils nous renvoient, sans
trop la déformer ni l'affaiblir, l'image du type que l'esprit ne
saisit qu'imparfaitement et à la dérobée.
Gomment un choix, une disposition habile d'éléments maté-
riels donne-t-clle l'impression de l'invisible idéal?... Dût cette
question demeurer sans réponse, le fait serait incontestable. Si
on ne parvient pas à s'expliquer par quelle mystérieuse inlhience
la contemplation silencieuse d'un paysage, l'audition d'une mé-
lodie appropriée, aboutit à la même extase que produirait sur
une àme mieux douée la conlcmplalion dune grande idée, tou-
jours est-il qu'il en est ainsi. L'expérience tient lieu de tous
les raisonnements.
De plus, à défaut d une analyse inlrins: (juc de ce mode
d'action, on peut en montrer les convenances psychologiques.
Admettons en effet que certains spectacles sensibles puissent
être, au point de vue de leur action sur l'àme, les succédanés
ou tout-au moins les auxiliaires des grandes idées, on conçoit
que disparaîtront ou s'atténueront aussitôt les trois obstacles à
la parfaite jouissance analysés ci-tlessus.
Puisque le sj)eclaclc sensible est présent devant nos yeux,
plus d'effort pour former en notre esprit l'idée, l'objet de
la contemplation. L'image s'imprime d'elle-même en nous
aussi souvent, aussi longtemps que bon nous semble. Une fois
pour toutes, l'artiste l'a fixée, et elle demeure à notre dis-
position.
Peu ou point d'énergie perdue, pour tenir notre attention
lixée sur un objet qui nous échappe. Xous n'avons qu'à jouir
passivement pour ainsi dire. Toute cette énergie libérée, toute
cette fatigue épargnée se reverse en puissance et dégagement
de l'àme désormais livrée, presque sans réserve, aux inlluences
de l'objet.
Enfin, les spectacles sensibles ont bien plus de prise sur nos
facultés émotionnelles que les concepts formés par notre esprit,
et, de ce chef encore, voilà que la splendeur, la richesse de
l'objet parvient, en s'incarnant dans la matière, à conquérir
nos puissances pour les faire participer à son éclat, à sa per-
fection.
TIIEiiRIE DES BEM'X-ARTS 41
Les convenances jtsycluilugiques s'unissent donc à l'observa-
tion des faits, pour nous rendre raison de l'eflicacité des heaux-
arts. On ne saurait pourtant méconnaître que, au point de vue
philosophique, c'est là une explication très incomplète. L'esprit
veut pénétrer le formel et l'intime des phénomènes qu'enre-
gistre l'expérience. Comment une statue, un tableau, un
paysage surtout et une série de sons peuvent-ils bien incarner
une idée? Dire que la matière rcfUtv l'idéal, que la beauté invi-
sible prend un corps dans les œuvres d'art, c'est dissimuler
notre ignorance sous des expressions métaphoriques. Ne peut-on
pénétrer aucunement ce mystère ? On l'a tenté. En parcourant
les solutions proposées, on trouvera peut-être que le défaut de
la plupart est de prétendre au monopole de la vérité. L'in-
fluence esthétique des divers moyens que les beaux-arts mettent
en œuvre est évidemment très multiple et très complexe. Use
pourrait donc que la meilleure exj)lication qu'on en puisse four-
nir soit précisément une synthèse largement éclectique de doc-
trines qui s'excluent moins dans la réalité que dans l'esprit de
leurs défenseurs.
JoutTroy [op. cit.) rattache la valeur expressive de l'œuvre
d'art au principe de causalilé. L'élément invisible de la beauté,
pour lui, c'est la force physique, intellectuelle ou morale,-
s'exerçant non pas faiblement ou difficilement, comme dans la
plupart des individus réels, mais grandement, librement, aisé-
ment, dans un degré plus élevé que ne l'exigent les besoins
égoïstes de l'être particulier. Ainsi conçue, la force est sympa-
thique à l'homme, parce qu'il y contemple une puissance
capable de réaliser des elTets grands et riches. Or, dit-il, les
phénomènes matériels, étant les elTets de la force invisible,
l'expriment nécessairement, puisque la cause se manifeste dans
ses résultats. L'artiste peut donc trouver de ci de là dans la
nature, réunir et composer par son imagination des tableaux
qui montrent des effets de la force puissante et libre : la con-
templation facile de ces œuvres sensibles remplacera pour nous
la contemplation malaisée de la force immatérielle qui, en les
produisant, y a laissé son empreinte.
A peu près semblable, mais cependant plus ample, est l'e.x-
42 Th. DUBOSQ
plication adoptée par M. Vallet (1). Cet auteur rattache la théo-
rie de l'œuvre d'art au système scolastique de Vorigine des
ich'es. Pour lui, les spectacles sensibles peuvent remplacer la
contemplation du pur et invisible idéal, parce que leur image
fournit à l'intolligence la matière d'oîi elle abstrait l'absolu et
l'universel, c'est-à-dire l'essence, la forme, l'idéal lui-même.
Si donc le type sensible offert par les sens à l'intellect est un
type choisi et parfait dans son genre, si, d'autre part, il reste
présent sous le regard du spectateur, il lui fournira les éléments
premiers d'une idée essentielle plus riche et plus facile à rete-
nir. Cette idée, l'esprit la forme en présence de l'objet sensible,
il la dégage, il la contemple, il s'y complaît.
Pour d'autres encore, la vue des œuvres d'art seconde la con-
templation de l'idéal invisible, en ce qu'elles sont composées
de fation à agir sur la mi'-moirr. Leur rôle direct est de faire
revivre, par d'habiles et multiples associations d'idées et
d'images, tout un riche ensemble de souvenirs, plus ou moins
oblitérés et inconscients. C'est cet ensemble de souvenirs qui
constitue l'idéal exprimé par l'œuvre d'art et c'est leur contem-
plation qui nous émeut esthétiquement.
Ces trois interprétations ont cela de commun qu'elles n'attri-
buent pas à l'œuvre d'art une iniluence iminvdiuli' sur les
facultés émotionnelles. L'œuvre d'art actionne d'abord ou
seconde les facultés cognoscitives. C'est là son rôle direct et
exclusif. Ensuite seulement l'idée, éveillée dans l'intelligence
ou la mémoire, réagit sur l'état alfeclif pour développer le sen-
timent complet de la beauté.
Il se peut, il est même probable que ce mode d'influence
existe, surtout dans la statuaire, la poésie classique, la peinture
d'histoire, de genre et de portrait. Mais il est douteux qu'alors
même il existe seul. De plus, il est d'autres procédés d'art,
spécialement la peinture de paysage et la musique, où son
action est des plus réduites, sinon tout à fait nulle.
Quant à attribuer à cette théorie une valeur exclusive et
universelle, deux considérations entre autres paraissent s'y
opposer.
(1) p. Yallet : Vidée du Beau, 1 vol. in-12, Paris, 1887.
TIlÈlilUE DES BEAUX-ARTS 43
Si, toujours, l'action de l'aHivrc d'art consistait essentielle-
ment h susciter, dans l'intellect ou la mémoire, imc idée plus
haute et plus facile; si l'émotion ne se produisait qu'ensuite,
par rinllucncc et dans la mesure de cette notion, l'impression
du beau se proportionnerait à la netteté et à la puissance de
l'idée. — D'autre part, l'impression reçue devrait toujours être
conforme à ce que l'objet représente.
Or, il semble, au contraire, surtout dans la musique et dans
la peinture de paysage, qu'une émotion très profonde envahisse
l'âme, alors qu'on serait bien empoché de dire quelle idée
nette, ou même quelle idée s'est formée dans l'intelligence par
la contemplation du paysage ou l'audition de la symphonie.
Pareillement, il n'arrive pas toujours que rimj)ression donnée
par l'œuvre d'art soit précisément conforme à ce que le tableau
représente. « La poésie d'un tableau, dit un critique d'art, ne
« se compose pas de ce qu'il représente, mais des sensa-
« tions qu'il éveille chez nous. » Il nous souvient d'une œuvre
puissante de l'aquafortiste A. de Bar, qui met bien en lumière
la vérité de cette remarque : c'est l'illustration du Lar de La-
martine, éditée parCurmer. Chaque fouille comporte, à gauche,
une strophe de cette ode, et, en face, un paysage dont la con-
templation donne, et d'une manière extrêmement profonde,
l'impression de l'idée, pourtant d'ordre psychologique, exprimée
dans la strophe. L'œuvre gravée reprrsentc des rochers, des
arbres, un torrent, etc., mais c'est autre chose qi\ elle expn)7ip.
Si nous nous livrons silencieusement ^ son intluence, par la
contemplation, nous sentirons bientôt notre âme se pénétrer
tout entière des émotions mômes décrites par le poète.
Ce qu'a fait le graveur, des musiciens l'ont fait aussi. Autres
moyens mis en œuvre, autres images présentées aux sens et à
l'esprit. Finalement pourtant, l'état émotionnel est le même,
plus ou moins puissant toutefois, selon la valeur de l'artiste et
la délicatesse de l'auditeur.
Si l'action des œuvres d'art sur l'âme humaine ne varie pas
toujours comme varient les objets représentés, n'en faut-il pas
tirer cette conclusion, que les théories jusque-là exposées sont
nu inexactes ou trop absolues? L'imagination, la mémoire,
44 Th. DUBOSQ
l'intelligence, les facultés représentatives proprement dites,
sont-elles bien l'intermédiaire indispensable et unique par
lequel les beaux-arts puissent atteindre notre ànie? Ils ont,
croyons-nous, une action plus directe sur nos états émotion-
nels, et c'est à rendre raison de cette autre forme d'iniluence
que paraissent tendre plusieurs théories esthétiques d'un réel
intérêt.
Variés dans le détail, tous ces nouveaux systèmes peuvent se
ramener pour le fond à deux principes essentiels.
Le premier, d'une très haute portée, pourrait s'inlituler :
'< P/inci/jr (if la rcccrsibiiitc di's rtdts rmotionnch. » La doctrine
qu'il résume n'est pas nouvelle, et saint Thomas l'a certaine-
ment connue et appliquée (1 ). Fondée sur l'observation et l'expé-
rience, elle affirme que l'enchaînement, ordinairement descen-
dant, des pliénomènes psychiques, en vertu duquel une ie/i'fi A
engendre une rmotion H, laquelle aboutit à une adtijiluliiin
organique C, peut aussi bien s'établir en sens inverse ou ascen-
dant. Par conséquent, si une cause extérieure met l'organisme
dans fr/at C, cette adaptation régénérera /'r/uo/in/i B, qui pourra,
à son tour, réveiller l'idée A. En d'autres termes, le même état
émotionnel B peut résulter ou de l'inllucnce d'une idée, ou de
l'action d'un agent extérieur sensible. On voit déjà toute la
fécondité de ce principe. Si, par suite de la déchéance ou pour
une autre cause, l'idre, chez nous, actionne difficilement les
facultés alfectives, on pourra seconder son action en appelant
à son secours l'inlluence « ascendante » d'un agent nia/ériel
capable de provoquer une émotion identique ou analogue.
L'autre principe, complément des théories qui nous occupent,
c'est que les objets matériels produisent cette adaptation orga-
nique régénérant l'émotion, non seulement par l'inlluence
(tout indirecte) des images qu'ils engendrent ou réveillent dans
les sens, mais surtout par la relation inconsciente d'Iiarniunie
oa de discordance entre leur constitution iihijsicjue intime et la
constitution de l'organisme.
Le fait que les combinaisons agréables des sons concordent
(l) Cf. Annules de Pliilosopliie cltrélienne, t. XXXIV. mai 1896. .\rticle sur les
Émotions, pp. IIS et suiv.
THEORIE DES BEAV.X-ARTS 45
avec lies rapports simples entre les nombres de vilirations qui
les conslituenl piiysi([ucnient, prête à cette doctrine une hase
expérimentale et scienliliqne. Des auteurs se sont appliqués à
préciser cette loi générale, dans le cas particulier des formes
du dessin et des couleurs de la peinture. Delbceuf rattache
l'action émotionnelle, agréable ou désagréable, des lignes et
des contours à Tharmonie des mouvements inconscients par
lesquels l'œil suit leur profil. 'SI. Charles Henry a tenté de
ramener à une même loi, dans une grande synthèse mathéma-
tique, les conditions d'inlluence agréable ou désagréable des
sons, des formes et des couleurs (1). On conçoit, en |)articulier,
qu'on puisse préciser des rapports harmonieux ou discordants
entre les nombres de vibrations qui constituent les gammes des
couleurs comme on l'a fait pour les accords musicaux. Les rap-
ports agréables correspondant à des angles définis sur le cercle
chromatique de Chevreul, ou sur un cercle chromatique ana-
logue, M. Ch. Henry a pu construire un rapporteur pour déter-
miner, par une manipulation très simple, la valeur esthétique
d'une comliinaison de tons et de nuances.
Parler de la valeur esthétique d'une simple combinaison de
couleurs, n'est-ce pas affirmer à nouveau que les œuvres d'art
n'agissent pas seulement par les images définies qu'elles repré-
sentent? Comment expliquer autrement l'impression si pro-
fonde que produisent, à certaines heures de la journée surtout,
les admirables verrières de Chartres, de Notre-Dame de Paris
et de tant d'autres cathédrales? Et pour en reconnaitrc l'action,
point n'est besoin d'en avoir compris le mécanisme. Elles nous
impressionnent, bien qu'elles ne représentent rien de précis,
sinon une pure mosaïque de couleurs empiriquement mais très
harmonieusement combinées ; voilà un fait indéniable et qui,
préalablement à toute explication mathématique satisfaisante,
suffit à affirmer le bien fondé des théories en question.
Certains spiritualistes sont, à la vérité, portés &. une grande
méfiance pour tout ce qui introduit, dans le domaine de la psy-
chologie, quelque élément physiquement mesurable. Action
(I) Charles IIexbv, Cercle chromaligue. avec une In/rodnc/ion sur la théorie
générale de la Dijnamogénie, 1 vol. in folio, Paris, 1889.
46 Th. DLDOSQ
mécanique est pour eux comme synonyme de négation de l'àme
et triomphe du matérialisme. Les disciples d'Aristote et de
saint Thomas n'ont pas à tel point ce scrupule. S'il est pour
eux inintelligihie de vouloir parler de conscience et d'émotions
sans mettre une àme dans la matière, ils entendent toutefois
l'unité substantielle de l'homme, de telle façon que rien ne les
étonne des iniluences de la matière sur l'esprit.
Y a-t-il d'ailleurs une si grande distance entre les doctrines
à'esth(Hiqiie pliijsique sagement interprétées, et la pensée de
saint Thomas lorsqu'il dit : " Sm^m dolrctantiir in jjiilchris
i/itia siiiU eis simik'!<, scUicet in pmportionc débita? » (I, q. v,
art. 4, ad 1".)
De plus, loin de détruire en ce qu'elle a d'exact la théorie
des iniluences représentatives, cette esthétique physique s'y
superpose et la complète. Il se peut que dans telle œuvre, un
tableau, une statue, l'inlluence de l'image soit dominante, elle
n'est pas pour cela combattue, mais secondée par l'action des
lignes et des couleurs savamment disposées. Telle autre œuvre
au contraire, une symphonie, un paysage, devra surtout sa
valeur d'impression à la mystérieuse relation qui rattache les
harmonies de notre organisme nerveux aux rapports des sons,
des couleurs, des lignes, des masses, des lumières et des ombres.
Noire état alTectif, dans ce cas, sera peut-être très profond,
mais aussi très vague. Ce sera la tristesse, l'exultation, le
silence de l'àme ; mais ni le paysage, ni surtout la musique ne
feront naître en nous une tristesse, une admiration, une joie
bien particulière et bien définie. La raison en est peut-être que
ces deux phénomènes de sensibilité émotionnelle, déterminés
selon la voie ascendante par une influence physique, n'ont pas
dans les facultés représentatives un objet nettement déterminé.
Que des paroles viennent interpréter la symphonie, qu'une
scène humaine anime et précise le paysage, et l'impression se
modihe : elle perdra peut-être en étendue, en profondeur aussi
quelquefois, mais elle se particularisera et deviendra pour ainsi
dire plus motivée et plus intelligible.
En résumé, si les théories de Viiifhinnce rpprrsenlative,
poussées à l'excès, tendent à porter les beaux-arts à un idéa-
THEORIE DES TIEMX-AIITS 47
lisme symlioliquc qui n'aurait plus ri(Mi dartisliquo, l'cxagc?-
ration de Yrstlirtifjur plii/siquc conduit à un impressionnisme
sans objet et sans idéal. D'une sage combinaison des systèmes
résulte cette œuvre complète et pondérée qui saisit l'âme par
tous les moyens à la fois. Ainsi compris, les beaux-arts action-
nent, dans le sens de l'Idéal, la partie affective de l'homme, uti-
lisant pour cela et l'inlluence descendante d'images choisies, et
l'inlluence ascendante des harmonies physiques.
Tii. DUBOSQ.
UN NOUVEAU FRAGMENT D'HERACLITE
La composilion connue sous le nom de Tlinologumena arilli-
meticœ renferme un certain nombre de passages nomrac^ment
altrihués à un Anatolius. L'illustre helléniste à qui nous de-
v(ms des éditions critiques des grands géomètres grecs, J.-L. Hei-
berg, a retrouvé (dans le Monac. gr. 384) une copie, faite au
xv" siècle, du texte grec d'où ces passages ont été extraits, texte
qui faisait probablement partie d'un ouvrage mathématique
beaucoup plus considérable, à savoir de ces hi/roditctions en
dix livres qu'Iuisèbc (Hi.st. eccirs., vu. 32) attriiu'e à l'Anato-
lius qui fut, au iiT siècle, évèque de Laodicée, et qui, aupara-
vant, quoique déjà chrétien, occupa à Alexandrie la chaire offi-
cielle de philosophie aristotélique (1). Heiberg a reconnu que
l'opuscule qui subsiste ainsi de cette œuvre avait été traduit en
latin par Georges Valla et inséré dans le livre III, ch. x à xx.
De e.rpetcndis et fuf/icn<lis re fins, sani^ indication de nom d'auteur
et avec diverses interpolations. Mallieureusement, le texte du
manuscrit de INIunich est passaldement mauvais, et, en parti-
culier, inférieur à celui des manuscrits des Thrologumrna; il sera
publié dans le Rfcneil des Mémoires corhmiiniqués au Congres
d'Histoire des Sciences de lilOO.
A part le fragment d'Heraclite dont nous allons parler, l'opus-
i-ule d'Ana/o/iiis sur les di.r premiers nombres n'offre guère rien
de réellement neuf, si on le compare soit aux Theologiimena,
soit à la partie relative au même sujet dans l'ouvrage de Théon
de Smyrne. ^lais il y a grand intérêt à le rapprocher de ces deux
(1) Sur les autres débris qui nous sont parvenus de cet ouvrage, voir mon
livre : Lu Géométrie r/rergjie (Paris, G.\UTHiEn-Vii.LAns, 1887), p. 42.
l'.Y Snl'VKAU FliACMEST DHEnACLITE 49
écrits, soit pour se rendre compte de la façon dont le premier
a été compilé, soit pour former quelques conjectures sur la
source commune à laquelle ont puisé Théon el Anatolius, source
(|ui est sans doute antérieure à l'ère chrétienne. En tout cas,
Analolius a exclu toutes les spéculations relatives aux rapports
enlre les nombres et les dieux hellènes, spéculations que >iico-
maque, par exemple, avait si minutieusement recueillies; celte
circonstance, qui n'apparaissait point clairement dans le texte
des Theologumena, confirme amplement l'attribution au chré-
tien qui fut évèque de Laodicée, et non pas à l'Anatolius païen
qui fut maître de Jamhlique et auquel on a quelquefois pensé.
Inutile cependant de faire remarquer que, dans l'opuscule s»/'
les (U.r prrjjtirr.'i iiombfp^, il n'y a pas à chercher une trace posi-
tive de christianisme; c'est un travail d'un caractère imper-
sonnel, ou, si l'on veut, une compilation faite pour un ensei-
gnement non confessionnel, et tirée elle-même d'un ancien
recueil qui pouvait être empreint d'hellénisme, mais sur le
caractère duquel il serait prématuré de se prononcer dès main-
tenant.
Le fragment d'Heraclite est le suivant : '\\'J:/j.v-o^-/.-j.-A-}.'j-;ry,r,\
;x//,aï,; -ï,;i=:(o. H se trouvc daus le chapitre consacré au septénaire,
et suit une phrase dont voici la traduction : « Il y a sept phases
de la lune, à savoir deux en croissant, deux en quartier, deux
en biconvexe (à;AO!V.jpTo;), et enfin la pleine lune. L'Ourse a sept
étoiles. » Evidemment, cette phrase est le commentaire du
passage d'Heraclite ; resterait à savoir si ce commentaire est
valable ; car, comme l'a fait remarquer 'SI. le baron Carra
de Vaux au Congrès d'Histoire des Sciences, on penserait plu-
tôt à retrouver le rapport indiqué par Heraclite dans la qua-
druple semaine qu'emploie la lune pour sa révolution sidérale.
<| Suivant la raison des temps, le septénaire se réimit en la
lune ; il se divise dans les Ourses, par un signe d'immortelle
mémoire. » Voilà la traduction littérale que je donnerais des
obscures paroles du ténébreux Ephésien ; mais je ne prétends
pas les éclairer davantage.
Leur intérêt est qu'elles attestent que les spéculations de ce
genre n'ont point été, au vi° et au v° siècles avant notre ère,
4
50 Paul TANNERY
l'apanage exclusif des Pythagoriciens ; on en avait déjà un remar-
quable indice, dans le fragment 27 de Solon (1), qui expose la
doctrine des dix septénaires de la vie humaine. Mais précisé-
ment la spécialité de cette doctrine, qui s'est perpétuée dans la
tradition hippocratique, la rendait beaucoup moins caractéris-
tique que n'est le nouveau fragment d'Heraclite.
Plus on étudie le pythagorisme, plus on arrive à soupçonner
que ce qu'on lui attribue est en majeure partie un mélange
incohérent de formules d'origines très diverses. La découverte
de Heiberg ne peut que confirmer ce soupçon.
Paul TANXERY.
(l'i Conservé par Pt)i'on, De opif. inundi, 104-5.
CRISTALLOGRAPHIE
La Renie de PhUuxophie a l)ion vdulu me demainlor un exposo
sommaire sur les contiibiitions que l'étude du monde minéral
fournil à la grave question de la constitution moléculaire de
la malière. Il est malheureusement nécessaire, pour la traiter,
de faire appel à des connaissances qui peuvent à bon droit
passer pour très arides, mais peut-être l'importance des résul-
tats suftira-l-elle à dédommager le lecteur de la fatigue qu'il
devra surmonter.
J'essayerai donc de dire ce (jne je crois avoir appris par la
fréquentation du monde minéral, monde essentiellement pai-
sible, au sein duquel j'ai déjà govité vingt-cinq années d'une
parfaite sérénité.
Le monde minéral se distingue essentiellement par l'absence
d'organisation.
Qu'est-ce que l'organisation ? (l'est une hiérarchie établie
entre les parties d'un tout, hiérarchie en vertu de laquelle les
diverses portions de ce tout, d'une part, ne sont pas identiques,
et, d'autre part, exercent des fonctions distinctes.
Dans tout être organisé, si simple qu'il soit, on est assuré de
rencontrer des parties qui diffèrent entre elles par leur nature,
leur forme et leur rôle. En outre, l'être est le siège d'une série
de mouvements qui engendrent une succession de destructions
et de renouvellements, dont l'ensemble constitue la vie.
Enfin dussiez-vous descendre jusqu'à la cellule, vous trouvez
toujours, dans le monde organique, un être au moins visible
au microscope, qui mérite le nom d'individu, et cet être est
organisé de telle façon qu'il puisse pourvoir, par un acte spé-
52 A. DE LAPPARENT
cial, à la continuation de son espèce, lorsque lui-même aura
disparu.
Dans le monde minéral, il n'y a rien d'analogue. Toutes les
parties d'un minéral homogène sont identiques entre elles, non
seulement au point de vue de la nature et de la forme, mais au
point de vue du rôle qu'elles jouent. Ce rôle d'ailleurs se borne
à carder, les imes vis-à-vis des autres, les relations de position
moyenne qui les caractérisent. Tandis que l'être organisé est sou-
mis à un perpétuel changement, l'être minéral reste le même,
identique avec lui-même aussi longtemps que les circonstances
extérieures ne changent pas.
Il y a donc à la fois identité de toutes les parties de l'édifice,
absence totale de hiérarchie, absence totale de fonctions ; en un
mot, identité et stabilité absolue de l'édifice dans un milieu
supposé invariai)le.
Telle est la définition du monde minéral. Maintenant, afin de
bien connaître ce monde, il faut étudier ses manifestations les
plus normales. Pour cela faisons appel à cette notion d'expé-
rience, que la matière peut se présenter à nous soùs deux états :
l'état amorphe ou chaotique et l'état cristallin.
L'étal amorphe ne se traduit au dedans par aucune forme
spéciale au corps considéré et ne se révèle au dehors par aucune
disposition particulière des propriétés physiques. 11 y a donc
absence totale d'ordonnance. Or cet état se produit toutes les
fois qu'un corps passe brusquement de l'état lluide à l'état
solide.
Au contraire, si le passage s'effectue très lentement, soit que
vous laissiez un liquide se refroidir progressivement, soit que
vous fassiez évaporer une dissolution dans une cave, le passage
à l'état solide entraîne la production d'une forme cristalline.
Alors on obtient de véritables solides géométriques, tout à
fait remarquables par la régularité de leur ligure, comportant
un assemblage de faces planes qui s'agencent ensemble de ma-
nière à donner ce qu'en géométrie on appelle un polyèdre,
solide dont toutes les arêtes sont des lignes droites. D'ailleurs,
sur toute son étendue, chacune des faces planes et des arêtes
demeure identique avec elle-même par l'ensemble de ses pro-
priétés visibles.
CIUSTMLOGHAl'Illi: 53
Pourquoi la maliore en voie de cristallisation s'est-elle ainsi
limitée au deiiors suivant ces plans? C'est évidemment parée
que, le lon^ de ces plans et sur toute leur étendue, la condition
d'existence du corps cristallin relativement au milieu amiiiant
était la même pour toutes les particules.
La i'ormation des cristaux prouve donc que dans la matière
minérale, lorsqu'elle peut se constituer à l'aliri de toutes les
inlluences perturbatrices, de façon qu'il n'y ait à compter
qu'avec les actions réciproques des particules, il y a une force
enjeu qui oblige ces particules à se grouper de préférence sui-
vant des plans, lesquels, tout naturollemont, se couperont sui-
vant des lignes droites.
Si nous regardons un groupe de ci-islaux de rocbe, dont cba-
cun a pour forme normale celle d'un prisme régulier à six pans,
deux à deux parallèles, nous constatons non seulement que les
faces parallèles jouissent des mêmes propriétés extérieures
(éclat, dureté, stries de la surface, etc.) ; mais que les trois
couples sont identiques entre eux à ce même point de vue.
Le cristal de rocbe accuse donc la tendance de sa substance à
grouper ses particules d'une façon identique, non pas suivant
une direction plane unique, mais suivant un assez grand nombre
de directions se croisant dans l'espace.
Cette constatation, qui peut se répéter à un degré variable
sur tous les cristaux, nous met à même de découvrir la loi de
la structure intime des corps cristallisés.
Cependant si nous n'avions à cet égard que les renseignements
fournis par la forme extérieure des cristaux, les conclusions
manqueraient de généralité, puisque le nombre des faces est
limité, et que leur production ne dépend pas de nous.
l'ourlant quand on considère une série de cristaux de la
même espèce, formant par leur groupement ce qu'on appelle
une géode, on voit que tous ces cristaux ont la même forme ;
non que, dans tous, la iigurc géométri([ue soit identiquement la
même ; mais parce que ces cristaux, grands ou petits, sont com-
posés du même nombre de faces; et cela de telle sorte que,
quel que soit le développement plus ou moins complet de telle
ou telle face, on peut, en détacbant ces cristaux de leur géode,
les orienter tous de façon à ce que toutes les faces homologues
54 A. DE LAPPARENT
soient rigoureusement parallèles, les divers cristaux ne ditlV-ranl
que par la place plus ou moins grande qu'occupe une face
donnée.
Par là on est conduit h se dire que les petits cristaux repré-
sentent l'état de la matière dans l'intérieur des plus gros, et
qu'ainsi on pourrait diviser chacun de ces derniers en autant
d'êtres qu'il y a de cristaux plus petits ; si bien que l'identité
de propriétés, constatée en ce qui concerne les faces naturelles
de chaque prisme, peut être logiquement étendue à toutes les
directions parallèles qu'on pourrait concevoir dans l'intérieur
du cristal.
(!e|)eu(iant, si justifiée ([u'elle paraisse, cette conclusion ne
deviendra définitive que s'il est possihh' de trt»uver lui pii(''no-
mène dépendant de la cristallisation, qui permette d'étendre,
il toutes les surfaces parallèles sans exception, le privilège
d'homogénéité. A cette exigence répond bien la propriété connue
sous le nom de clivage.
Voici du mica, substance qui se divise en minces lamelles
llexii)les, parallèles les unes aux autres, et susceptibles de se
produire eu nombre infini.
l'ourla direction de ces lamelles, j'ai le droit d'affirmer que
la propriété de constitution identique suivant les plans de cli-
vage s'étend à toutes les directions parallèles, quel qu'en soit
le nombre.
Mais le mica ne me permet de faire cette constatation que
pour une direction, tandis que le gypse ou pierre à plâtre en
cristaux permet de la faire pour trois. 11 en est de même do la
calcile ou chaux carbonatée ; et il (>st des substances comme la
blende, ou zinc sulfuré, qui ont six directions de clivage abso-
lument identiques entre elles.
Nous pouvons donc affirmer que la propriété d'identité de la
constitution, suivant des plans parallèles, s'étend à tous les
plans en nombre infini qu'il est permis de concevoir à travers
le cristal, à condition que la direction de ces plans soit celle des
clivages de l'espèce.
Le phénomène du clivage nous enseigne que, dans la matière
cristallisée, il existe des directions privilégiées, suivant les-
quelles la cohésion des particules est un maximum; ce qui fait
ClilSTALLnt.liAl'lUE :;:;
(jiie, quand on essaie de briser un cristal, c'est suivant ces
plans de plus grande cohésion que les particules tendent à
reste? groupées quand la séparation se produit. Or, cette iden-
tité de cohésion suppose une disposition réciproque identique-
des particules, et nous venons de voir que cette disposition
restait la même pour toutes les directions parallèles, quel qu'en
lût le nombre.
De là à conclure que la matière cristallisée offre une consti-
tution identique suivant des plans parallèles, même quand ce
ne sont pas des directions de clivage, il n'y a pas loin ; mais,
pour que la généralisation de cette loi ne reste pas une affaire
de sentiment, et qu'on puisse la dire fondée sur l'expérience,
nous alliMis faire appel à un ordre de propriétés physiques encore
plus iuLime que celui du clivage, c'est-à-dire qui puisse être
facilement étudié dans t(nites les directions. La conductiliilité
calorihque des cristaux est de ce nombre.
Supposons que je prenne un petit bloc de matière cristallisée
et que je le polisse à ma volonté, suivant une direction quel-
conque. Sur cette face polie, je puis étendre une couche très
légère de cire. Cela fait, j'approche, avec les précautions vou-
lues pour éviter le rayonnement, une pointe de platine, par
exemple, portée à la chaleur rouge. Immédiatement la cire se
met à fondre. La chaleur communiquée à ce point spécial du
cristal rayonne à droite et à gauche et fait avancer de plus en
plus la fusion de la cire. Si, à un moment donné, on arrête
l'expérience, on constate que la partie fondue de la cire est
séparée de la partie qui reste encore à fondre par une courbe
continue. Cette courbe réunit évidemment tous les points où
est parvenue, au même moment, la propagation du mouvement
calorilique.
Si les mouvements calorifiques se propageaient dans tous les
sens avec la même vitesse, la courbe obtenue devrait être un
cercle. L'expérience montre, en effet, que si l'on prend une
matière amorphe telle que le verre, dans quelque sens que la
plaque soit taillée, la courbe est toujours un cercle.
Au contraire, avec un corps cristallisé, on constate que, dans
la grande généralité des cas, la courbe est une ellipse, c'est-
à-dire que la vitesse de propagation varie avec les directions
SG A. DE [.APPARENT
suivies. En outre, la forme de l'ellipse, c'est-à-dire le rapport
du grand axe avec le petit axe, varie suivant la face considérée.
Mais toutes les faces parallèles ont la même ellipse.
Cette expérience est fondamentale, et voici les conséquences
que nous en pouvons tirer. D'abord, puisque la face peut être
arbitrairement taillée dans une direction quelconque, et que
toutes les directions parallèles donnent le même résultat, cela
veut dire que, dans la matière cristallisée, l'identité de consti-
tution existe suivant une infinité de directions planes.
Ensuite, puisque la propagation de la chaleur est une com-
munication de particule à particule, ce qui règle la rapidité plus
ou moins grande de propagation du mouvement calorifique ne
pciil être que la distance plus ou moins grande des particules.
Si elles sont très voisines dans ime direction, elles se commu-
niqueront beaucoup plus facilement l'échaulVement que si elles
sont éloignées.
Ici nous faisons une hypothèse : nous admettons que la ma-
tière n'est pas continue. Mais cela Aa de soi, car s'il y avait
continuité, les phénomènes de la dilatation et de la contraction
des corps seraient inexplicables.
Partant de là, le fait constaté nous autorise à dire (jue, dans
un corps cristallisé, la distribution des particules dépend des
directions suivies; qu'elle varie avec les directions; mais qu'elle
est la même pour toutes les directions parallèles, quel qu'en soit
le point de départ.
De là nous allons pouvoir déduire le mode spécial d'ordon-
nance qui prévaut dans la matière cristallisée.
Dans un corps amorphe, les particules ne sont pas ordonnées.
Le corps ressemble à ce qu'on obtiendrait si, j)renaut une poi-
gnée de grains de blé tous identiques, on les jetait violemment
dans un panier; ils tomberaient sans aucune ordonnance, allon-
gés les uns dans un sens, les autres dans un autre. En moyenne,
le désordre serait également grand dans toutes les directions.
Voilà pourquoi elles paraîtraient identiques.
Au contraire, dans les corps oîi les particules ont été laissées
libres de n'obéir qu'à leurs actions mutuelles, il s'est introduit
par là même une ordonnance des particules qui dépend des
directions suivies. Il y a différence de distributiori quand les
CniSTALLOGItM'IlIE L7
directions sont différentes, et identité alisoluc quand les direc-
tions sont parallèles.
Tel est le fait essentiel propre aux eorps cristallisés.
Comme l'expérience, du moins dans les liniilcs de <■*• (jui est
observable, peut être répétée quel que soit le point de départ
choisi et en donnant toujours le même résultat, il est permis
de formuler autrement la notion à laquelle nous venons d'ar-
river, en disant que ce qui caractérise essontiellemenl un corps
cristallisé, c'est l'existence d'une infinité de points possédant
la même distribution de la matière autour de chacun d'eux.
Si on appelle homologues les points pour lesquels la distri-
bution de la matière est la même, on pourra dire que la pro-
priété essentielle d'un corps cristallisé est l'existence d'une
infinité de points homologues.
Cela nous permet de concevoir un mode tout à fait simple et
tout à fait géométrique pour représenter la constitution intime
des milieux cristallins.
Soit un point quelconque, centre d'une particule matérielle,
autour duquel la matière est disposée d'une certaine faç(ui.
Nous savons qu'il existe une infinité d'autres centres, homo-
logues du point considéré. Parmi eux, j'en choisis un qui soit
plus près que tous les autres du point initial. 11 n'est pas
contigu au premier, puisque sans cela la matière serait conti-
nue, mais il en est séparé par un certain intervalle ou para-
mètre a.
Puisque la loi d'égale constitution de la matière prévaut
pour tous les points homologues, il en existe un, situé à droite
(In second, comme ce second est situé relativement au premier.
On en déduit aisément que, sur la ligne qui joint les deux pre-
miers homologues, il en doit exister une infinité d'autres, tous
équidistants de la môme quantité a. VA comme cette propriété
s'étend à tons les homologues, on voit que, dans les corps
crislallisés, il existe une infinité de directions sur lesquelles les
particules doivent être groupées en ligne droite, leur écarte-
nient, constant pour luie direction donnée, étant variable avec
la direction suivie ( l).
M) Voir le développement de ces notions, avec figures i ("appui, dan? le Cours
de Minéiuior/U de M. de Lm'pajiext.
b8 A. DE LAPPAREXT
Si, revciuuit à la première file d'homologues, nous choisis-
sons, en dehors d'elle, un nuire homologue du point de départ,
séparé de celui-ci par un intervalle /;, non seulement la nou-
YcUe ligne sera une file d'homologues, é([uidislanls de la mrme
quantité h; mais de chacun de ses poinls partira une lile paral-
lèle à la première ; et tous les points homologues de ces iiles
parallèles engendreront un rés(>au plan en quinconce, appuyé
sur les lignes a cl b.
Sur toute l'étendue de ce réseau plan, il y a identité dans
la répartition réciproque des parlicules. Et comme cette identité
se répéterait (mais dans une mesure différente de la première)
pour tout plan conclu dans le milieu crislallin, à condition qu'il
passe par trois poinls homologues quelconques, il est aisé de
comprendre pourquoi la matière cristallisée se limite toujours
par des plans. C'est que, au moment où le cristal s'individua-
lise, il n'y a que suivant des surfaces planes que l'identité de
répartition des particules puisse assurer une résistance uni-
forme vis-à-vis dé l'extérieur.
Eiilin il serait facile de voir que, d'un réseau plan au réseau
parallèle le plus voisin, les points homologues se groupent en
formant une série de petits solides pai'allélépipédiques, tous
égaux et régulièrement juxtaposés. Ainsi l'espace crislallin peut
se partager en une iniinilé do prismes identiques ; le cas le plus
simple étant celui d'une infinité de cubes accolés.
Jusqu'ici nous n'avons fait, sur la constitution de la matière,
aucune autre hypothèse que celle de sa discontinuité. Admet-
tons maintenant la réalité des molvculrs ou parlicules élémen-
taires, dont l'existence semble prouvée par la chimie. Ce que
nous venons de voir nous enseigne que, dans un corps qui cris-
tallise, le centre de gravité de chaque particule doit venir se
placer sur un sommet homologue. Donc les particules maté-
rielles sont assujetties à la loi du groupement parallélépipé-
ditiue.
Ce n'esL pas tout, et si nous admettons que l'identité des
poinls homologues s'étende aux intervalles intermoléculaires,
bien que ces derniers échappent acluellemenl, par leur peti-
tesse, à toute observation directe, on en déduira immédiatement
•lue toutes les molécules, formées chacune d'un ensemble de
rnisTALLnunM'inK m
somnu'ls ou atomes constituant un polyèdre gc^omélrique, doi-
venl, dans l'acte de In erislallisalion, s'orienter do la même
façon.
Ainsi un corps cristallisé s'oiïre maintenant ii nous comme
un (idilice dont tous les matériaux ou molécules sont non seu-
lement identiques entre eux, mais identiquement orientés et,
de plus, obéissant à la loi de la disposition en réseau, laquelle
comporte l'équidistance des molécules suivant des directions
rectilit;nes, et l'identité de leur arrangement réciproque suivant
des plans.
Remarquons d'ailleurs qu'un corps qui cristallise sans trouble
n'ayant à compter qu'avec les actions réciproques de ses pai-ti-
cules élémentaires, ce n'est que quand ces dernières sont toutes
orientées de la même façon qu'il peut y avoir équilibre parfait ;
sans (juoi les particules différemment orientées ne subiraient
pas, de la part de l'ensemble, les mêmes actions mécaniques.
On conçoit donc a priori que toutes les molécules doivent prendre
la même orientation, celle-ci devant d'ailleurs être déterminée
par les conditions propres à la structure de la molécule.
Enelfet, l'expérience nous enseigne qu'une substance donnée
affecte toujours, quand elle cristallise, sinon la même forme,
du moins le même degré de symétrie, toujours facile à rappor-
ter h\u\c forinr primitice constante, comme l'a depuis longtemps
démontré Hauij. D'autre part, cette forme primitive varie avec
les différents corps, étant invariablement liée à leur nature.
Or, si les molécules n'avaient pas de forme, on ne concevrait
pas qu'elles dussent obéir, lors de la cristallisation, à une autre
disposition que celle du plus simple des parallélépipèdes, c'est-
à-dire du cube. Tous les corps cristalliseraient donc dans le
système cubique, à la fois le plus simple et le plus riche en
symétrie de tous.
S'il n'cTi est pas ainsi, c'est que le système de cristallisation
est déterminé par la forme propre de la molécule. Cette forme
résulte de la façop dont se groupent, autour de leur centre de
gravité commun, les divers atomes dont la réunion engendre la
molécule. Celle-ci constitue donc, à vrai dire, Vindividu miné-
ral, celui au-dessous duquel on ne peut descendre, sans détruire,
sinon la matière, du moins la siif/staiicc concrète; et c'est la
60 A. DE L APPARENT
l'orme de cet individu, variable avec chaque corps, qui déter-
mine le choix du système crislallin.
Lorsqu'un corps cristallise à l'abri de toutes les causes exté-
rieures de trouble, le fait fondamental est l'obligation où se
trouvent les molécules d'abord de s'orienter de la même ma-
nière, ensuite de disposer leurs centres de gravité sur les som-
mets d'un assemblage de parallélépipèdes contigus.
Or, l'expérience et même aussi le raisonnement géométrique
a priori enseignent qu'il n'y a que sept manières de réaliser
l'arrangement parallélépipédique; depuis le cube, où toutes les
arêtes sont égales et perpendiculaires les unes aux autres, jus-
qu'à ce qu'on appelle le prisme doublement oblique, dont les
arôtes fondamentales, dill'érant les unes des autres par leurs
|)riipnrti()ns relatives, dillérenl aussi par leur inclinaison.
Un corps qui cristallise est donc dans une situation analogue
à celle d'un régiment de conscrits, à l'habillement duquel on
va procéder, mais à la condition de se contenter, pour le choix
de l'uniforme, de sept tai//rs distinctes. Naturellement on choi-
sira pour chaque homme la taille qui lui convient le mieux;
mais tandis que, pour les uns, cette convenance pourra être
|)arrail(', pour le plus grand nombre elle sera incomplèle.
De la même fagon, le c<jrps en voie de crislallisalion ne peut
choisir, pour aligner les centres de gravité de ses molécules, que
l'un des sept systèmes admissibles de parallélépipèdes. Vraisem-
blablement, il choisira celui des systèmes avec lequel sa symétrie
a le plus d'éléments communs. Mais la molécule est un polyèdre,
dont la symétrie propre, dépendant du nombre et de l'agence-
ment des atomes, n'obéit pas nécessairement aux lois qui
règlent la symétrie beaucoup plus étroitement spécifiée des
parallélépipèdes. Par conséquent, il se produira deux cas :
Dans l'un, le moins fréquent, il y aura identité entre les
deux symétries. Alors la cristallisation du corps mettra en
évidence toutes les propriétés qui pouvaient être géométrique-
ment déduites de la constitution de l'assemblage de parallélépi-
pèdes. Dans l'autre cas, il pourra arriver que la discordance des
deux symétries se traduise par un déficit dans la richesse de
certaines formes.
Ainsi s'explique une propriété qui avait frappé les premiers
riHSTM.KlCIiAPllIE 01
crislallo|^raplios, mais ddiit ils avaii'iit (•[(' impuissants :\ doimor
la jiistiiicatinn.
Un voyait dos corps tjui allVcIcnl la i'oiaïc d'un culte, où, par
conséquent, les huit angles diraient être parrailenieiil iden-
tiques, présenter des modilications ou troncatures, en i'orme de
triangle équilatéral, qui no se produisaient que sur quatre angles
aUcrnants. (]ette propriété, de réduire à moitié le nombre des
faces possibles, avait été qualifiée à'Iirmiiklrit', et il semblait
que ce fût une pure fantaisie de la nature ; même celte fantaisie
était poussée dans certains cristauxjusqu'à produire la réduction
de certaines formes au quart de leurs faces, sans parier d'autres
anomalies tout aussi singulières et en désaccord apparent avec
la symétrie réelle.
Or, les belles études de Bravais ont montré que ces déroga-
tions mettaient simplement en évidence le défaut de symétrie
de la molécule, relativement au système qu'elle avait dû choisir
faute de mieux ; et il a été facile de grouper tous les faits du
môme genre autour d'une théorie parfaitement simple, qui per-
met de prévoir d'avance tous les cas susceptibles de se réaliser,
suivant l'écart plus ou moins grand qui peut exister entre la
symétrie des molécules et l'assemblage que le corps est forcé
d'adopter.
Ainsi l'étude des cristaux apporte un argument de très grande
force en faveur de l'existence des molécules, qui sont le dernier
élément auquel un corps minéral puisse se réduire sans perdre
son individualité.
(^ette conclusion semble inlirmer le principe de la divisibilité
à l'infini de la matière. Mais il y a là une pure question de mots.
L'étendue est une conception de notre esprit. Elle peut se
subdiviser indéiiniment, puisqu'une division de celle étendue
étant donnée, nous pouvons toujours en supposer une plus
petite. Donc, il est évident qu'en tant que douée d'étendue,
la matière est divisible à l'infini. Mais s'il s'agit de matière con-
crète et spéciliée, il y a pour celle-ci un élément ultime.
(Test la molécule. A vouloir la diviser, on détruit le corps. Il
peut encore subsister des atomes après celte division ; mais ils
sont devenus impuissants à former le corps auquel on avait
affaire.
02 A. DE LAPPARENT
A cet égard, permettez-moi une comparaison.
A la guerre, un régiment subsiste aussi longtemps qu'il sur-
vit un soldat. Un bataillon, une compagnie, une escouade,
représentent encore le régiment. En cas de disparition de tous
les soldats moins un, celui-là est encore la représenlalion de
l'unité diminuée. Mais s'il vient à être coupé en deux par un
éclat d'obus, il est bien évident que le régiment n'existe plus.
11 en est de même de la matière concrète.
L'étude des cristaux nous révèle encore des particularités
extrêmement intéressantes et sur lesquelles je dois vous dire
mi mot.
Les lois exposées jusqu'ici ont cela de particulier que, pour
qu'elles s'appliquent rigoureusement, il fautciue la matière soit
parfaitement homogène. Cette homogénéité peut-elle se réa-
liser?
Cela n'est pas possible en pratique. En eflet, comment se
font les cristaux ?
Lorsqu'une dissolution est saturée et que l'on vient à dépas-
ser le point au-delà duquel elle ne peut rester tout entière à
l'état de liquide, un cristal se forme ; mais dès qu'il est formé,
à moins d'avoir un moyen de restituer immédiatement à la
liqueur le degré de saturation qu'elle vient de perdre, le milieu
n'est plus identiquement le même ; donc les conditions de la
cristallisation ont légèrement changé.
Par suite, nos l'ègles initiales doivent tbéoriquemcnt être
mises en échec, aussitôt qu'on dépasse l'inliniment petit, et il
n'est nullement sûr qu'un cristal de dimensions appréciables
ait partout identité d'orientation des molécules et identité de
posilion de ses paralléléjiipèdi's.
En fait, les cristaux qui se forment les uns à côté des autres
prennent des orientations diflérentes. Mais il y a des cas très
nombreux où la juxtaposition des cristaux obéit à des lois très
simples, qui engendrent ce qu'on appelle des mac/es.
L'étude de ces macles a montré que presque toujours les cris-
taux s'assemblent suivant une face qui leur est commune. En
outre, la plupart du temps, les macles obéissent à la loi sui-
vante : Si on suppose que les deux cristaux actuellement dis-
tincts aient été d'abord dans le prolongement exact l'un de
CliISTALL(i(iHAritli: G.'î
raiitre, les choses so passent comme si cet individu unique
avait été coupé suivant le plan de macle, et qu'ensuite mie des
moitiés ont tourné d'une demi-circonférence autour d'une ligne
à angle droit sur le même plan.
Or, d'une façon générale, ce mouvement a simplement pour
résultat de procurer au second cristal une position exactement
syméli'iijui' de r(dle du premier. Les d(>u\- individus n'ont pns
pu se mettre dans le prolongement l'un de l'autre ; ce qui eût
été l'idéal pour une matière Iiomogène et partout soumise aux
mêmes actions. Mais, comme dédommagement, ils ont été
conduits à se disposer symétriquement, de manière à se faire
équilibre l'un à l'autre, en vue. de la stabilité de l'ensemble.
Beaucoup d'autres conclusions curieuses découlent de l'étude
des cristaux maclés.
Voici, par exemple, une macle qu'on appelle la croisctlr df
Brf'tar/ne. Ce sont eux cristaux d'une sul)stance faite de silice
et d'alumine, qu'on nomme la staurotidc. Ces deux cristaux,
tous deux allongés dans le même sens, se mettent en croix
grecque, ce qui donne à leur ensemble une symétrie plus par-
faite que celle de chaque individu pris isolément.
Un exemple analogue nous est offert par la curieuse macle
de la croix ch' fer, fréquente dans la pyrite ou sulfure de fer.
Deux individus, chacun de symétrie incomplète à cause de ce
qui manque à bnir molécule, s'y croisent de telle sorte que la
partie commune aux deux cristaux accolés récupère la symétrie
totale qui manquait à chacun d'eux.
11 était question tout à l'heure de ces deux cristaux qui s'as-
semblent de manière à former une croix grecque.
11 y a des substances, douées du môme mode de symétrie, qui
superposent à la première macle une seconde dont l'axe est à
angle droit sur celle-ci, de manière à réaliser quelque chose
d'analogue à ces trois bâtons en double croix que les couvreurs
laissent pendre dans la rue pour avertir les passants. Or, cela
revient h dire qu'une substance, qui avait le droit de s'allonger
suivant une seule direction, a trouvé moyen, par des combinai-
sons d'individus, de réaliser cet allongement suivant trois direc-
tions, rectangulaires entre elles comme le sont les directions
fondamentales du système cubique.
04 A. DE I.APPAUENT
Ce n'est pas tout ; les trois cristaux ainsi accolés, et entre
lesquels il subsiste des angles rentrants, sont, par le fait de ces
angles, exposés aux attaques du dehors. Eh bien ! dans certaines
substances, on les voit se contracter, en quelque sorte, autour
du centre commun, jusqu'à ce que les angles rentrants soient
totalement supprimés ; auquel cas on n'aperçoit plus qn'im
solide à douze faces en losange, qui parait ideulitiue dans lotîtes
ses parties et réalise, pour un cristal, ce qu'il y a de plus voi-
sin d'une sphère, c'est-à-dire du solide le mieux fait pour se
défendre par l'amoindrissement de sa surface.
Ainsi, non seulement le cristal a trouvé moyen de présenter,
suivant les trois directions de l'espace, la même résistance;
mais encore sa contraction l'a placé, vis-à-vis du dehors, dans
le meilleur état de défense, comme si la loi de la moindre
action, identique avec le principe de conservation de Vénerrjie,
était au fond des groupements de cristaux.
Et ce n'est pas une simple vue de l'esprit. Ainsi on connaît
des cristaux de grenat qui se présentent sous la forme de douze
faces en losange. Mais chacune do ces faces, examinée par des
procédés optiques, se montre composée de quatre parties presque
identiquement situées dans le même plan. Or, un scalpel habi-
lemeut manié montre que le cristal est en réalité formé de
qnaranle-huil jti/raniides, toutes de symétrie très inférieure à
celle du système cubique. Mais l'angle au sommet de ces pyra-
mides est tel que, groupées autour du même point, elles rem-
plissent tout l'espace. Cela suffit pour que le groupement se
produise, et, de cette façon, le corps fait face à l'ennemi, c'est-
à-dire aux actions destructives, par la forme à la fois la plus
régulière et la plus ramassée, c'est-à-dire la plus résistante
qu'on puisse concevoir, même dans le système de symétrie le
plus riciiement pourvu.
En résumé, on peut dire que les lois assignées à la constitu-
tion du monde minéral ont pour effet de l'aider à conquérir, par
des arrangements appropriés, le plus de symétrie possible, et
cela en vue d'une meilleure résistance des édifices ainsi con-
struits.
Au même ordre d'idées se rattachent les enseignements
que nous fournit l'étude d'un phénomène appartenant à la
riiisTAi.i.iiiiitAi'ini: Dj
fois II la minéralogie et il la chimie, celui de l'isoinorphisnic.
On sait que la loi fomlamentale des comliinaisons chimiques
«st celle (les jjrojjurfions tlr/lnii's, d'après la((uelle deux corps
lionnes ne peuvent se comhiner que suivant certains rapports
de poids, qui représentent les poids respectifs des atomes con-
stituants.
Cependant il y a longtemps que les chimistes ont reconnu
l'existence d'une propriété qui senihle contradictoire avec celle
règle : c'est Visiiinur/i/iisnie, en vertu duquel on voit certains
corps s'unir suivant des proportions quelcon([ues en donnant
néanmoins des cristaux de forme bien définie.
Ainsi, prenez du sulfate de fer et tlu sulfate de magnésie,
faites-les dissoudre ensemble, puis cristalliser, vous aurez des
«ristaux qui pourront être composés des deux sulfates dans une
proportion absolument quelconque. Comment expliquer cette
apparente contradiction de la loi des proportions définies?
L'expérience démontre que l'isomorphisme n'a jamais lieu
qu'entre corps dont les formes cristallines sont presque iden-
tiques. C'est pour cela que, quand un sulfate de fer vient à
cristalliser, il est à peu près indiiïérent qu'un certain nombre
de SOS molécules soient remplacées par celles du sulfate de
magnésie, puisque, jouant le même rôle chimique, elles ont
sensiblement la même forme et le même volume que celles dont
t'Ues prennent la place.
Nous sommes en droit d'en conclure que la nature consent à
composer des édifices d'apparence homogène avec des maté-
i-iaux qui ne sont pas complètement identiques.
Je suppose que nous ayons commandé à un ouvrier des pierres
de taille qui doivent être rigoureusement cubiques, afin d'être
assemblées pour la construction d'un grand pilier de section
carrée.
L'essence du cube est d'avoir toutes ses arêtes égales entre
elles et tous ses angles parfaitement droits. L'ouvrier a fait de
son mieux; néanmoins, il nous apporte des cubes qui ne sont
pas rigoureusement exacts. Nous pourrions l'obliger à recom-
mencer, auquel cas il aura perdu son temps. Mais, si nous vou-
lons être tolérant, nous nous dirons qu'après tout il s'agit de
faibles différences, et qu'en variant avec adresse l'orientation
60 A. DE LAPPARENT
de CCS matériaux défectueux, nous arriverons à les juxtaposer
de telle sorte que l'édifice total ditTère à peine de ce qu'il devrait
être.
Le grand Arcliitecle de l'univers, pour parler comme les
anciens francs-maçons, use de procédés semblables. Il nous
donne l'exemple de la tolérance en permettant à des matériaux
(juelque peu hétérogènes de concourir à la construction d'un
même édifice, pourvu que la dllférence intrinsèque ne soit pas
trop grande.
Cette faculté s'étend beaucoup plus loin qu'on ne pensait à
l'origine. On est parvenu à rendre compte de cette extension eu
reconnaissant que, la plupart du temps, les différences cristal-
lographiques intrinsèques des espèces minérales ne sont pas
aussi grandes qu'elles paraissent au premier abord ; si bien
([u'une modiiicalion légère dans la façon de concevoir leurs
formes primitives les ramène sans peine à des types presque
iden(i([ues. Et alors, un faible elTorl d'arrangement entre ces
parties peu ililférentes suffit pour atténuer l'hétérogénéité de
leurs groupements.
Il reste à faire voir que cette faculté d'arrangement peut être
reiuhie tangible, de telle sorte qu'on assisterait en réalité, dans
certains cas du moins, à ces tentatives de groupement symé-
trique. C'est ce qu'il est aisé de vérifier sur plusieurs minéraux
cristallisés.
11 en est qui, étudiés en lames transparentes, sous le micro-
scope, présentent à la température ordinaire les propriétés carac-
téristiques d'une symétrie inférieure. Or si, continuant à
observer, on chauffe la j)laque du minéral, on constate qu'à
une certaine température le corps devient subitement cubique,
c'est-ti-dire acquiert le maximum de symétrie. Qu'est-ce à dire,
sinon que les circonstances de la cristallisation n'avaient pas
permis aux diverses parties du corps de prendre le meilleur
arrangement; mais que ce dernier devient possible lorsque, par
l'application de la chaleur, on a rendu à ces particules assez de
mobilité pour leur permettre d'obéir à la grande loi protectrice
qui les sollicite ?
De cet ordre de faits se rapproche intimement une expérience
qu'on peut appeler la plus curieuse et la plus suggestive de
CniSTAlLncnAI'IlIE «37
toute la minéralogie ; car, aucune autre n'est plus propre à
ut'lirmer la réalité do l'existence des molécules, ainsi que leur
aptitude à prendre l'orientation qui leur convient le mieux.
On prend un petit prisme de spath d'Islande, de quelques
millimètres d'épaisseur, et un peu plus louii que lari;e. On le
pose, par une de ses arêtes, sur un plan iiori/onlal, de manière
qu'une des diagonales de sa section en forme de losange soit
verticale. Ensuite, approchant de ce prisme la lame d'un canif,
on essaie d'enfoncer verticalement cette lame. Cela parait une
"ageure, car le spath est très résistant et ne se laisse pas enta-
mer dans cette direction. Cependant, il arrive un moment où
l'on sent que la lame pénètre dans le cristal comme dan? du
beurre.
Si alors on regardi^ ce (jui s'est produit, on constate que l'outil
a fait naître, non une fente mince, mais une ouverture en forme
d'auge à faces planes. De plus, d'un côté de cette auge, le cris-
tal n'a subi aucune modihcation, tandis que, de l'autre côté,
le losange, primitivement plan, qui terminait le spath, est
maintenant divisé en deux parties formant, autour d'une ligne
horizontale, un anf/lc rentrant, et cela sans aucune solution
de continuité. Autour de l'arête horizontale de cet angle, deux
triangles se font face, devenus exactement symétriques l'un de
l'autre.
11 est donc évident que, sous l'elfort exercé, toute une partie
a dû chercher un autre équilibre. Les molécules ont tourné,
prenant la position inverse, et ainsi le cristal, en apparence si
rigide, a obéi à la compression tout comme l'arrangement des
parties, dans l'expérience précédente, obéissait aux sollicita-
tions de la chaleur.
De tout ce qui vient d'être dit, nous pouvons c<inchire que,
dans la manière d'être de la matière cristallisée, il semble y
avoir, d'une part, afiirmation de l'existence des molécules (1),
envisagées comme des polyèdres, dont la forme détermine par
elle-même le mode de symétrie qui sera choisi pour la cristal-
lisation. D'autre part, on constal(^ que partout c'est le principe
(!) Ces molécules cristallines ne sont pas nécessairement simples, el peuvent
résulter du groupement régulier de plusieurs molécules chimiques.
(58 A. DE LAPl'AUEM
de la moindre action qui prévaut ; dans toutes les combinaisons
de formes que les corps minéraux peuvent afTocter, il y a mani-
festation constante de cette tendance à réaliser une symétrie
supérieure, par rint;i''nieuse disj)osition d'éléments doués d'une
symétrie moins élevée, et cela en vue d'ojjtenir des édilices
plus stables.
Ainsi le monde minéral nous donne de grands et salutaires
enseignements, en nous montrant partout h l'œuvre ce principe
essentiellement sage de la moindre action, ainsi que la recherche
obstinée de l'ordre et de la symétrie.
A. DE LAI'l'AliKNT.
LA NOTION DE MlXTl^
ESSAI lIISTi>RlQIE ET CIUTIQUK
PREMIERE l'ARTlE
Des origines à la révolution chimique.
I. LE MlXTi: SELON LES AT03I1STES ET SELON LES PÉRIPATÉTICIENS
Dans un verre d'eau, jetons un nioreeau de suere ; au IjguI
de quelque temps, le eorps solide, Idanr, erislallin, qui eonsti-
tuait le sucre a disparu ; le verre ne contient plus qu'un liquide"
homogène, transparent comme l'eau, mais ayant une autre
saveur. Qu'est-ce que ce liquide? C'est de l'eau sucrée, dit le
vulgaire. C'est une dissolution de sucre dans l'eau, dit le chi-
miste. Ces deux dénominations correspondent h deux opinions
essentiellement distinctes.
Ouhlions, pour un moment, toute théorie chimique et ana-
lysons c(>lte simple opération : la préparation d'un verre d'eau
sucrée.
Dans ce verre, y a-t-il encore du sucre et de l'eau? Non : le
sucre a été détruit, nous l'avons vu graduellemenl disparaître ;
le liquide que renferme le verre n'est plus de l'eau, c'est-à-diro
celte liqueur très mobile, presque insipide, que fournit la pluie,
qui alimente les sources, qui forme les rivières, mais une
liqueur nouvelle, plus ou moins sirupeuse, dont la saveur
douce rappelle celle du sucre qui a servi à la former. Le verre
ne renferme donc j)lus ni l'eau, ni le sucre que nous y avions
mis, mais un corps nouveau, un ini.rtr formé aux dépens de ces
deux r/i'mcnts.
70 P. DLHEM
Toutefois, si le corps mixte, si l'eau sucrée n'est plus ni eau,
ni sucre, il peut, en se détruisant, régénérer l'eau et le sucre
qui ont servi à la former. ChaufFons-le doucement ; il va s'éva-
porer et nous pourrons, s'il nous plaît, condenser la vapeur et
recueillir une eau semblable de tout point à celle que nous
avions versée dans notre verre ; pendant cette évaporation, l'eau
sucrée, en disparaissant, laisse déposer un solide blanc où nous
reconnaissons du sucre ; si l'eau sucrée ne renferme plus, actuel-
lement, l'eau et le sucre qui ont servi à la former, elle peut, en
cessant d'exister, reproduire cette eau et ce sucre ; elle les ren-
ferme en pxixxance .
Qu'est-ce donc, en général, qu'un mixte? Des corps, ditTé-
rents les uns des autres, ont été mis en contact; graduellement,
ils ont disparu, ils ont cessé d'exister, et, à leur place, s'est
formé im corps nou\eau, distinct par ses propriétés de chacun
des éléments qui l'ont produit par leur disparition ; en ce mixte,
les éléments n'ont plus aucune existence actuelle ; ils y exis-
tent seulement en puissance, car, en se détruisant, le mixte
peut les régénérer ; et ces caractères, qui délinissent le mixte,
appartiennent non seulement au corps tout entier, mais encore
à toute parcelle, si petite soit-elle, que l'on puisse découper
par la pensée en ce corps homogène ; on les retrouve d'ailleurs,
ces caractères, en tous les mixtes, aussi bien en ceux que nous
nommons aujourd'hui des mélanges qu'en ceux auxquels nous
réservons le nom de combinaisons chimiques.
Tel est, semble-t-il, l'enseignement clair, certain et obvie que
l'on peut tirer de l'expérience la plus commune.
Non point, s'écriera quelque chimiste qui, d'ailleurs, professe
bruyamment l'empirisme et prétend n'enseigner que des faits !
Une telle notion du mixte, bien loin d'offrir quelque certitude,
n'est qu'une illusion du vulgaire, qu'une grossière piperie de
nos sens obtus ; elle est indigne d'un esprit capable de quelque
réllexion et contraire aux principes de la saine pliysique.
Vos yeux débiles ne peuvent apercevoir un objet long d'un
vingtième de millimètre, et c'est au témoignage de ces yeux que
Aous vous liez pour afiirmer que l'eau est un tluide homogène
et continu ? Prenez un de ces microscopes que les physiciens
ont imaginés et perfectionnés ; déjà, en cette liqueur que vous
LÀ yitTKiS DE MIXTE 71
ponsioz parlout identique à elle-même, vous voyez nager une
foule d'objets insoupçonnés de vos yeux; et cependant le mi-
iToscope n'a fait que rendre votre vue mille fois ou deux mille
fuis plus puissante: iiue serait-ce donc s'il vous était donné,
comme au Lyncée de la fable, de ne point connaître de limite
à la pénétration de votre regard? Cette eau, qui vous semlib^
remplir d'une manière continue la capacité du verre qui la con-
tient, vous apparaîtrait comme un ensemble de petits corps
.solides, séparés les uns des autres, qui roulent les uns sur les
autres sans changer de grandeur ni de ligure lorsque l'eau se
déforme et s'écoule.
Chaque goutte d'eau se compose ainsi d'nne foule do niulé-
cii/es ; il en est de même de chaque petit cristal de sucre; lors-
qu'on met le sucre (>n présence de l'eau, les molécules du sucre
ne se détruisent ni ne s'altèrent : mais, comme des prisonniers
<]ui rompent leur commune chaîne, elles se dissolrrnt et, sans
iiriser ni modifier les molécules de l'eau, elles se glissent entre
elles. L'eau sucrée n'est donc point quelque chose d'homogène
dont la partie la plus petite otfre des propriétés identiques à
celles du tout ; cette homogénéité apparente n'est qu'une illu-
sion de nos sens, trop peu délicats pour apercevoir la structure
intime des corps : dans l'eau sucrée, l'eau et le sucre subsistent,
juxtaposés, mais non confondus ; l'eau sucrée peut être appelée
un mélange d'eau et de sucre au même titre que le contenu de
ce sac est dit un mélange de blé et de paille ; en la formant,
l'eau et le sucre n'ont pas plus cessé d'exister pour former un
corps nouveau que le grain et la paille n'ont cessé d'exister
lorsque le batteur les a jetés pêle-mêle dans le sac ; la distilla-
tion qui sépare l'eau fin sucre ne régénère pas plus les éléments
aux dépens du corps mixte que le van ne crée à nouveau le blé
et la paille ; elle trie simplement les molécules de natures dif-
férentes que la dissolution avait brouillées ensemble.
Ces deux manières de concevoir la relation d'un mélange avec
les corps mélangés sont bien anciennes. Les atomistes grecs
regardaient l'homogénéité des mi.xtes comme une simple appa-
rence ; la faiblesse de nos sens nous empêchait seule de recon-
naître la juxtaposition des éléments mélangés. Dans les vers
immortels par lesquels il nous a transmis la pensée de ces phi-
72 P. DUHEM
losophes, Lucrèce n'a garde d'omettre l'exposé de leur doctrine
touchant les mixtes (1); après avoir décrit les molécules ra-
meuses et enchevêtrées dont sont tissus les corps solides, les
petits globes lisses et libres de tout lien qui roulent les uns sur
les autres au sein des liquides, les particules aiguës qui consti-
tuent les gaz, il analyse la structure intime de l'eau de la
mer : parmi les corps lisses et ronds qui lui donnent la, lluidité
et qui, isolés, formeraient de l'eau douce, sont épars d'autres
corps, arrondis aussi, ce qui leur permet de suivre les mouve-
ments du liquide, mais rugueux et capables par leurs aspérités
de blesser la langue, en lui faisant éprouver une saveur amère ;
ces éléments rugueux adhèrent à la terre, tandis que les par-
ticules lisses (le l'eau en franchissent aisément les pores; aussi
l'eau de la mer se chanse-t-elle en eau douce en filtrant à tra-
vers le sol :
Sed quod amara vides eadem, qua; fluvida construit:
Sndor uti maris est; minime id mirabile liahendum.
Nam quod (luvidum est, e l.-pvibus atque rotundis
Est : at lœvibus atque rotundis mista doloris
Corpora ; nec tameu h;cc retineri haraata necesse'st :
Scilicet esse globosa, tamen cum squalida constant;
Provolvi simul ut possint et lindere sensus.
Et quo mista putes magis aspera brvibus esse
Principiis, unde'st Neptuni corpus acerbum ;
Est ratio secernundi, seorsumque videndi.
Ilumor dulcit, ubi per terras crebrius idem
Percoiatur, ut in foveam fluat, ac mansuescat.
Linquit enim supra tetri primordia viri
Aspera, quo magis in terris h;erescere possunt.
A cette doctrine, les péripatéticiens opposaient que le corps
mixte est réellement distinct des corps qui ont servi à le for-
mer; en engendrant le mixte, les éléments cessent d'exister;
le mixte ne les renferme plus qu'en puissance ; en se détrui-
sant, il peut les régénérer. L'exposé que nous venons de donner
des deux opinions contradictoires sur la nature du mixte n'est
guère qu'une paraphrase de ce qu'en a dit Aristote (2).
(l) LuCBÉCK, De rerum natura, liv. II. vers 390476.
(i) .\bistote, IIeo! ■,'=''='-w; za'. oOopi;, liv. 1, chap. x.
L.{ MiTlitS DE MIXTE TA
11. I.A NDllON IJE MIXTE AL XVll* SlÈCI.i:
A travers Ihistoirc d(' la cliimie, suivons la l'orliine de ces-
deux opinions.
Pendant tout le moyen âge, la doctrine péripatéticienne tou-
chant la génération et la corruption des corps mixtes est ensei-
gnée dans l'Ecole. Est-elle acceptée des alchimistes? Il serait
peut-être malaisé de découvrir, sous le grimoire qui la dissi-
mule, leur véritahle pensée; moins capables d'abstraction, plus.
Imaginatifs que les scolastiques, ils ont sans doute penché vers
Topinion dos Epicuriens. Sans approfondir cette question, con-
tentons-nous de prendre la chimie à l'époque de la renaissance-
des sciences.
A ce moment, nous voyons la faveur des philosophes de la
nature revenir, pour s'y attacher fidèlement pendant plusieurs
siècles, s l'idée épicurienne que les masses en apparence
continues sont des assemblages de petits corps diversement
figurés, que les agencements divers de ces petits corps doivent
expliquer les propriétés des divers mixtes qu'étudie le chi-
miste.
Cette idée , nous la trouvons nettement exprimée par
Bacon (1), qui marque en ces termes le but de la nouvelle phy-
sique :
« Il faut mettre en lumière la texture et la constitution
vraie des corps, d'où dépend dans les choses toute propriété et.
vertu occulte, et, comme on dit, spécifique et d'où l'on tire la
loi de toute altération et transformation puissante.
" Par exemple, il faut rechercher, dans toute espèce de corps,,
qucdle est la partie volatile et l'essence tangible; et si cette par-
tie volatile est considérable et gonllée, ou maigre et réduite... ;
et pareillement, étudier l'essence tangible, qui ne comporte
l)as moins de ditlerences que la partie volatile, ses poils et ses
libres et sa texture si variée ; et encore la disposition de la par-
tie volatile dans la masse du corps, les pores, conduits, veines
et cellules et les rudiments du corps organique. »
Ces idées prirent plus de forc(> par la tentative de Gassendi
(1) Bacon, Xoviu/i (irgaitum, pars ipdificans.
74 V- m IlEM
pour upposcr la physique alomislique à la physique scolasliquc;
elles triomphèrent avec Descartes.
Avec une admirable clarté, Descartes a d6tini les caractères
qu'il attribue à la matière, afin de rendre intelligibles tous les
phénomènes que l'expérience nous révèle. Citons, en particu-
lier, ce passage (1) :
« Puisque nous prenons la liberté de feindre cette matière
à notre fantaisie, attribuons-luy, s'il vous plait, une nature eu
laquelle il n'y ait rien du tout que chacun ne puisse connaître
aussi parfaitement qu'il est possible. Et pour cet elTet, su[)po-
,sons expressément qu'elle n'a point la forme de la Terre, ni du
Feu, ni de l'Air, ni aucune autre plus particulière comme du
bois, d'une pierre, ou d'un métal, non plus que les qualité/
d'être chaude ou froide, sèche ou humide, légère ou pesante, ou
d'avoir quekjue goût, ou odeur, ou son, ou couleur, ou lumière,
ou autre semblable; en la nature de laquelle on puisse dire qu'il
y ait quelque chose, qui ne soit pas évidemment connue de
tout le monde. Et ne pensons pas aussi d'autre côté qu'elle soit
«ctte matière première des Philosophes, qu'on a si bien dépouil-
lée de toutes ses formes et qualité/,, qu'il n'y est rien demeuré
•de reste qui puisse être clairement entendu : mais concevons-
la comme un vray corps parfaitement solide, qui remplit éga-
lement toutes les largeurs, longueurs et profondeurs de ce
grand espace, au milieu duquel nous avons arrêté notre pen-
sée; en sorte que ciiacune de ses parties occupe toujours une
partie de cet espace, tellement proportionnée à sa grandeur,
•qu'elle n'en saurait remplir une plus grande, ni se retirer à
une moindre, ni soutTrir que pendant quelle y demeure quel-
que autre y trouve place. Adjoùtons que cette matière peut
être divisée en toutes les parties, et selon toutes les figures que
nous pouvons imaginer, et que chacune de ces parties est
capable de recevoir en soy tous les mouvements que nous pou-
vons aussi imaginer. Supposons de plus que Dieu l'a divisée
véritablement en plusieurs telles parties, les unes plus grosses,
les autres plus petites : les unes d'une figure et les autres
d'une autre, telles qu'il nous plaira de les feindre. Non pas
{1) Descartes, Le Monde ou le Traité de la Lumière, chap. vi.
LA JMT/n.Y /)E .1//.\TE TS
qu'il les sépare pour cela, en sorte qu'elles ayent du vuide
entre deux; mais pensons que toute la distinction qu'il y met
consiste en la diversité des mouvements qu'il leur donne, fai-
sant que depuis le premier instant qu'elles sont créées, les unes
commencent à se mouvoir d'un côté, les autres d'un autre; les
unes plus vite, les autres plus lentement, ou si vous voulez,
point du tout, et qu'elles continuent après leur mouvement
suivant les lois de la Nature (I). »
Descartes dit encore, en un autre endroit : « Je ne reçois et
ne veux recevoir en Physique aucun principe qui ne soit reçu
également en Géométrie ou dans la Mathématique abstraite. Je
n"attril)ue aux choses corporelles aucune autre matière que cette
matière susceptible de tout genre de division, de ligure et de
mouvement que les géomètres nomment quantité et qu'ils
prennent pour objet de leur démonstration; en cette matière,
je ne considère absolument rien d'autre que ces divisions, ces
ligures et ces mouvements. »
Les figures que Descartes attribue aux petites parties des
corps diffèrent souvent bien peu de celles que leur attribuait
Epicure, au dire de Lucrèce. Dans un des écrits qu'il publia à
la suite du Dis((jurs dr la Mrthodr, à titre d'exemple de celte
méthode, il décrit ainsi ces figures (2) :
« Je suppose premièrement que l'eau, la terre, l'air et tous
les autres corps qui nous environnent, sont composés de plu-
sieurs petites parties de diverses figures et grosseurs, qui ne
sont jamais si bien arrangées, ni si justement jointes ensemble
qu'il ne reste plusieurs intervalles autour d'elles ; et que ces
intervalles ne sont pas vides, mais remplis de cette matière fort
subtile, par l'entremise de laquelle j'ai dit ci-dessus que se
communiquait l'action de la lumière. Puis, en particulier, je
suppose que les petites parties dont l'eau est composée sont
longues, unies et glissantes, comme de petites anguilles, qui,
quoiqu'elles se joignent et s'entrelacent, ne se nouent ni ne
s'accrochent jamais pour cela en telle façon qu'elles ne puissent
■aisément être séjiarées; et au contraire ipie jiresque tnutes
U) De5C.m:tes, l'rincipia l'hilosopliiss. pars secunda, .\rt. LXIW
(2) Ide.1i, Les Météores, Chap. i Ait. III.
70 P. DL'HEM
colles, tant de la terre que même de l'air, et de la plupart des.
autres corps, ont des figures fort irri^gulièrcs et inégales, en
sorte qu'elles ne peuvent être si peu entrelacées qu'elles n&
s'accrochent et se lient les unes aux autres, ainsi que font les
diverses branches des arbrisseaux qui croissent ensemble dans
une haie ; et lorsqu'elles se lient en cette sorte, elles composent
des corps durs comme de la terre, du bois ou autres sem-
blables, au lieu que si elles sont simplement posées l'une sur
l'aulre, sans être que fort peu ou point du tout entrelacées, et
qu'elles soient avec cela si petites qu'elles puissent être mues et
séparées par l'agitation de la matière subtile qui les environne,
elles doivent occuper beaucoup d'espace, et composer des
corps liquides fort rares et légers, comme des huiles ou de
l'air. )i
Ces hypothèses sont reprises au livre des Princijjas (1) et au
Traité df lu Lumière (2).
Les corps qu'obtient Desearles en brouillant i-nsemble les
trois éléments qu'il a imaginés ressemblent fort i)eu aux mixtes
que concevait Aristote ; le Stagyrite les eût comparés au mé-
lange de grain et de paille que l'on ramasse dans l'aire. Ues-
cartes pouvait-il, sans se contredire, imaginer le mélange de
deux éléments autrement qu'une juxtaposition des petites par-
tics figurées dont sont formés ces éléments? Pouvait-il concevoir
la |)énétration mutuelle de deux de ces particules qu'il regardait
comme identi(|U('s à l'étendue même qu'idles occupent? Déjà,
dans le Traitr dr lu Luriiih-r, il nous a avertis que <i chacune de
ces parties occupe toujours une partie de l'espace tellement pro-
portionnée à sa grandeur, qu'elle n'en saurait remplir une plus
grande, ni se retirer à une moindre, ni soutTrir que, pendant
qu'elle y demeure, quelque autre y tniuve place ». Dans une
lettre à Henri Morus (3), il affirme plus nettement encore l'im-
pénétrabilité de la matière comme conséquence nécessaire de
l'essence qu'il lui attribue : c< On ne peut comprendre qu'une
partie d'une chose étendue en pénètre une autre qui lui est
égale, à moins que l'on n'entende par là que la partie de son
(!) Descartes, Prmcipia Philosophia:, pars qinrta, passiiu.
(2) Idem, Le Monde ou Traité de la Lumière, chap. m et iv.
(i) Idem, Epislolse, rdition d'Amsterdam (tlU), pars prima, épis!. I.IX.
LA SOTlDS DE Ml.vn- 77
vIl'iuIiic qui lui est coinmuno avoc celte clorniôre est suppriiiK'e
mi anéantie ; mais être anéanti, ee n'est pas pénétrei' antre
fihose ; cela démontre, à mon avis, que l'impénétrabilité appar-
tient ;\ l'essence même de l'élendue, mais non à l'essonco
d'aucune autre chose. »
Une dissolution ne peut donc èlre, selon cette doctrine, autre
■chose qu'une interposition des parlirules du corps dissous aux
particules du dissolvant ; et c'est ce qu'admet Descartes (1 I lou-
chant les eaux de la mer ; parmi les particules allongées, lisses,
llexihles et glissantes comme de petites anguilles, qui consti-
tuent proprement l'eau douce, se trouvent des bâtonnets rigides
et aigus qui sont les parties constituantes du sel marin ; la
forme et la grosseur de ces deux éléments qui constituent l'eau
■de mer en expliquent à souhait toutes les propriétés ; Descartes
montre comment l'évaporation entraîne aisément l'eau douce
qui abandonne le sel marin; il montre également (2), suivant
l'exemple de Lucrèce, comment la liltration à travers le sol
retient les bâtonnets gros et raides auxquels la mer doit sa
salure, pour ne laisser passer que les particules ténues et fugaces
qui forment l'eau douce.
Cet exemple est bien propre à montrer à quel point Descartes
s'était inspiré de la physique des atomistes ; il se défend,
<;ependant, d'adopter leurs idées (3) ; non senlenuMit, pour lui,
les particules qui composent les corps ne soirt pas des atanics
insécables, mais encore hmia/lriT stihlilc nMuplil les intervalles
que ces ])articules laissent entre elles, en sorte qu'il n'y a pas
de vide dans la nature.
(Jette doctrine selon laquelle le vide est impossible dans la
nature reçut de Pascal de rudes assauts ; lluygens vint ensuite,
qui déclara le vide nécessaire pour le mouvement des petits
corpuscules ; bientôt, ce sentiment devint général chez les phy-
siciens, dont les principes s'accordèrent désormais avec ceux
qu'avaient enseignés Epicure et l^ucrèce; mais comme Descaries
(I) Descaktes, Les Météores, cliap. i, art. VIU, et chap. m. — l'rincipia l'hiloso-
phix, pars quart.î, art. XLVIII.
(21 IriEM, Les Météores, chap. m, art. VIII. — l'rincipia Pliilosopliise, pars (pi;irta,
art. LXVI. — Epistolx, pars secunda, epist. I et 11.
(3) Ii)E3i, Principia Philosophise, pars quarti, art CCII.
78 P. DUHEM
avait transporté de toutes pièces dans sa philosophie hi notion
de mixte qu'avaient conçue les atomistes grecs, cette notion ne
tut point modifiée par les échecs de la physique cartésienne.
Au temps de Descartes vivait au Bugue, en Périgord, un doc-
teur en médecine, Jean Rey, expert en philosophie naturelle.
Le sieur Brun, apothicaire à Bergerac, ayant constaté que le
plomh et l'étain, calcinés ii Fair, augmentaient de poids, fut
surpris de ce phénomène qu'il croyait inconnu ; il écrivit au
médecin du Bugue : « Je vous supplie de toute mon allection
vous employer à la recherche de la cause d'un si rare etïoct, et
me tant ohliger que par vostrc moyen ic sois esclaircy de cetto
merveille. » A quoi Jean Rey (1), après avoir établi cette vérité,
alors inconnue, que l'air est pesant, répondit en ces termes :
« A cette demande doncqiies, appuyé sur les fondemens ja po-
sez, je responds et soutiens glorieusement, que ce surcroit de
poids vi(>nt de l'air. (|ui dans le vase a esté espessi, appesanti,
et rendu aucunement adiiésif, par la véhémente et longuement
continuée chaleur du fourneau : lequel air se mesle avec la
chaux (à ce aydant l'agitation fréquente) et s'attache à ses plus
menues parties ; non autrement que l'eau appesantit le sable
que vous jettcz et agitez dans icelle, par l'amoitir et adhérer au
moindre de ses grains. »
11 est clair que Jean Rey imagine à la mode des atomistes le
mixte formé par l'air et la chaux d'étain.
Par la réponse qu'on vient de lire, Jean Rey est un précur-
seur de Lavoisier; la révolution antiphlogistique assura la gloire
de son nom ; mais l'amitié de Mersenne ne l'empêcha pas de
demeurer inconnu de ses contemporains ; ses Essai/s n'eurent
aucune inlluence sur le développement de la chimie.
Il n'en fut pas de même des écrits de Boyle et de Lémery.
Robert Boyle, discutant la théorie du mélange, n'hésite pas
à déclarer que l'opinion des anciens atomistes, adoptée de son
temps par les « chymistes », est sinon plus probable, du moins
plus intelligible que celle des péripatéticiens ; toutefois, à cette
opinion des chimistes, il apporte une correction ; mais cette
(1) Essuf/s (le Jean Rey, docteur en médecine, sur la recherche de la cause par
biquelle l'Estain et le l'tomb auf/menlent de poids quand on les calcine ; Bazas,
1C:JI) : Essav XVI.
I.A .Vono.V /)/•; .I//.V77.' TO'
corroflioii cllc-mr'nii' est (•dnciio dans ['(^spril de la (loclrinc
(''piciirionnc.
i< .le no vois pas c-Iaii'L'mcnt, ilit-il (I), que la notion génc'raK*
(le mélange comprenne eelte consé(|uence : que les misci/ii/ia
ou ingriHlients retiennent exactement, dans leurs petites parties,
leur nature primitive, et demeurent distincts dans le composé,
au point qu'il soit toujours possible de les régénérer par le
feu ; je ne nie pas ([ue dans quelques mélanges, formés par
certains corps permanents, cette régénération ne soit possible,,
mais je ne suis pas convaincu qu'il en soit ainsi dans tous les
cas, ni même dans la plupart; je ne suis pas convaincu que
cette conséquence se puisse déduire, ni des expériences cbi-
miques, ni de la vraie notion de mélange... Il peut se trouver
des corps, je ne le nie p{is, qui soient formés de groupes de par-
ticules très petites et très étroitement serrées ; si l'on mêle deux
corps, d'espèces différentes, constitués tous deux par de tels-
groupements durables, bien que le corps composé qu'ils forment
par leur imion puisse être très différent de chacun des deux
ingrédients, chacune des petites masses ou chacun des groupe-
ments qui entrent dans sa composition peut garder sa nature
propre, au point qu'il soit possible de séparer ces masses les
luies des autres et de les ramènera leur premier étal. Si, par
exemple, l'or et l'argent sont moles en proportion convenable,
l'eau-forte dissout l'argent sans attaquer l'or, et l'on peut ainsi
régénérer chacun des deux métaux à partir du métal mixte.
Mais il peut aussi exister d'autres sortes de groupements où
les particules ne sont pas si étroitement unies entre elles qu'elles
ne puissent se joindre à des corpuscules d'imo autre espèce et
contracter avec eux une union beaucoup plus étroite que celle
qu'elles avaient entre elles. Dans ce cas, chacun des deux cor-
puscules ainsi combinés perd la ligure, la grandeur, le mouve-
ment et tous les autres accidents grâce auxquels il était doué
do telle nature, de telle qualité ; chacun d'eux cesse, <à propre-
mont parler, d'être im corpuscule de l'espèce à laquelle il appar-
tenait auparavant ; de la coalition de ces deux espèces do par-
ticules naît un nouveau corps, dont l'individualité est aussi
(I) Robert liovi.i;, The sceptical Chi/mls/,itRtl 11.
«0 p. DUHEM
réelle que colle que possédaient les deux espèces de corpus-
cules avant d'être mêlés ou, si vous préférez, confondus;
<'ette concrétion est, en effet, réellement douée de qualilés
propres et distinctes ; ni le l'eu, ni aucun moyen connu d'ana-
lyse ne peut plus la diviser de manière à séparer les corpus-
■cules qui ont concouru à la former ; pas plus que ceux-ci ne
peuvent, par les- mêmes moyens, être subdivisés en autres par-
ticules. »
Pour la première fois, en cette dissertation dont nous avons
<'ité le passage essentiel, nous voyons distinguer deux sortes de
corps mixtes : ceux qui sont formés par une sim[)le juxiai)o-
sition des molécules de leurs ingrédients ; et ceux qui prennenl
naissance par dislocation des molécules réagissantes et forma-
lion d'un nouveau groupement ; on peut dire que Robert
Hoyle (1) a, le premier, proposé une ligne de démarcation entre
les deux ordres de phénomènes que l'on nommera, plus tard,
le mrlaiir/r ji/n/siqiip et la combinaison chimique.
Vax pul)liant la dernière édition du Cours de Chipnic (2) de
Lcmery, Baron écrivait : » De tous les ouvrages que M. i-émery
a pul)liés, il n'y en a point qui lui ait fait plus d'Jionneur et
contribué davantage à la grande réputation qu'il s'était acquise
que son Cours de Clii/)nie. La plupart des nations se sont accor-
dées à reconnaître l'utilité de cet ouvrage ; il a été traduit dans
presque toutes les langues de l'Europe. Lorsqu'il parut pour
la première fois, en 1675, il se vendit, suivant le témoignage
de M. de Fontcnelle, comme un ouvrage de galanterie ou de
satyre. Les éditions se suivaient les unes les autres pres(jue
tl'annéc en année. C'était, ajoute le célèbre historien de l'Aca-
démie, une science toute nouvelle qui paraissait au jour, et qui
lemuait la curiosité des esprits. »
(1) Il faut, d'ailleurs, se garder de croire que Robert Boyie ét:iblisse la moindre
distinction entre le sens du mot mélanf/e et le sens du mot coii>biiiaiso» : il donne
également le nom de mélange à la mixture d'eau et de vin et à la couiDinaison
de cendre et de sable qui forme le verre.
(2) Cours (le Clujnxie, contenant la manière de faire les opérations qui sont en
usage dans la médecine par une méthode facile. Avec des raisonnements sur
chaque opération, pour l'instruction de ceux qui veulent s'appliquer a cette
•science, par M. I.émehy, de l'.icadémie des Sciences, Docteur en médecine.
Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre de notes, par
M. Baron, Docteur en médecine, et de l'Académie royale des Sciences. — Paris, 1737.
;,.l NdTIdX UE MI.ME 81
Co livro, ilonl rinlluonco lui à la lois si étendue et si pro-
foiulo, se rallaciiail étroitemenl à la pliysique cartésienne ; de
cette physique, Lémery adoptait les principales hypothèses,
bien qu'il déclarât hautement : « Je ne me préoccupe d'aucune
opinion, qu'elle ne soit fondée sur l'expérience. »
Descartes regardait tout corps conuiie un réseau on lissu
dans les mailles duquel circulait la iiuitHrr snlttllf ; les parti-
cules tlexibles des liquides, les molécules rameuses des solides
et des gaz, enlin le truisuine vlnncnl, étaient les vrais principes
des choses matérielles, les ingrédients irréductibles qui compo-
saient les soi-disant principes des chimistes. Lémery n'hésile
pas à suivre, à cet endroit, le sentiment de Descartes :
« Le premier principe que l'on peut admettre pour la com-
position des mixtes, dit-il,- est un esprit universel qui, étant
répandu partout, produit diverses choses selon les diverses
matrices ou pores de la terre dans lesquels il se trouve embar-
rassé; mais comme ce principe est un peu métaphysique, et
qu'il ne tombe point sous les sens, il est bon d'en établir de
sensibles : je rapporterai ceux clont on se sert communément. »
« Comme les chymistes, en faisant l'analyse des divers
mixtes, ont trouvé cinq sortes de substances, ils ont conclu qu'il
V avait cinq principes des choses naturelles, l'eau (qu'on appelle
jihlcgmp], l'esprit (qu'on appelle iitnrure}, l'huile fqu'on appelle
soufre), le sel, et la terre (qu'on appelle Im-r ittitiic ou damnée). »
(( Le nom de Principe en Chymie ne doit pas èlre pris dans
une signilication tout à fait exacte ; car les substances à qui l'on
a donné ce nom ne sont principes qu'à notre égard et qu'en tant
que nous ne pouvons pas aller plus avant dans la division des
corps, mais on comprend bien que ces principes sont encore
divisibles en ime infinité de parties, qui pourraient à plus juste
titre être appelées principes. »
Ces principes des chimistes, corps composés, mais pratique-
ment indécomposables, peuvent d'ailleurs s'unir entre eux d'une
manière tellement intime que le mixte formé soit à son tour
indécomposable, selon ce que Boyle avait avancé le premier :
<< On trouve aisément les cinq principes dans les animaux et
dans les végétaux, mais on ne les rencontre pas avec la même
facilité dans les minéraux ; il y en a même quelques-uns,
6
82 r. DUIIEM
tDmiiK' l'or L't l'arycnl, drscjiiels on uf ]>fiil pas en lircr doux,
ni faire aucune séparation, quoique' imus disent ccuxqui recher-
chent avec tant de soins les sels, les soufres et les mercures de
ces métaux. Je veux croire que tous les principes entrent dans
la composition do ces mixtes, mais il n'y a pas de conséquence
que CCS principes soient demeurés en leur premier élal el qu'on
les en puisse retirer; car il peut se l'aire ([ue ces suhstances,
qu'on appelle /jri/ici/irs, se soieni hdlemont emliarrassées les
unes dans les autres (|M'on ne les puisse séparer qu'en lirisant
leurs ligures. Or, ce n'est qu'à raison de leurs lij;uros qu'elles
peuvent être dites se/s, suii/rct; et esprits. »
La ligure dos particules qui composent chacune des sub-
stances employées par le chimiste rendra inlelligiMes les
diverses |)roprié'tés de cette substance :
« Comme on ne peut pas mieux expli(|uer la nature tl'une
chose aussi cachée que l'est celle d'un sel, (|u'on attribuant aux
parties qui le composent des ligures qui correspondent à tous
les elTets qu'il produit, je dirai que l'acidité (1) d'une liqueur
consiste dans des i)arties de sel pointues, lesquelles sont en
agilalion ; el je ne crois jias que l'on me eonleste (|ue l'acide
n'ait des jioinles, |)uisque toutes les expériences le montrent ;
il no faut que le goûter pom- tomjjer dans ce sentiment : car il
fait des picottemens sur la langue semblables ou fort ajipro-
chans de ceux que l'on recevrait de quelque matière taillée on
pointes très lines ; mais une preuve démonstrative (>t convain-
cante que l'acide est composé de parties pointues, c'est que non
seulement tous les sels acides se crystallisent en pointes, mais
toutes les dissolutions de matières dill'i'renlos, faites par les
liqueurs acides, prennent celte ligure dans leur crystallisalion.
Ces crystaux sont composés de pointes différentes en longueur
et en grosseur les imes des autres, et il faut attribuer cette
diversité aux pointes plus ou moins aigui's dos dill'éronles sortes
d'acides. »
<( C'est aussi cette différence on subtilité de pointes qui fait
qu'un acide pénètre et dissout bien un mixte qu'un autre ne
(1) Jusqu'à Rouelle, les deux mots sel et acide pouvaient correspondre à une
iiiL'uie notion : on distinguait les sels acides et les sels alkalis.
/.A .Yn77n.V DE MIXTE 83
|)ciil rarélicr : ainsi lo vinaigre s'emi)roint dn plomb que les
eaux l'orles ne peuvent dissoudre; l'eau forte dissout le mer-
cure et le vinaigre ne le peut pénc'-trer; et ainsi du reste. »
« Pour ce (|ui est des alkalis, on l(>s reconnaît quand on verse
de l'acide dessus, car aussitôt, ou peu de tems après, il se fait
une effervescence violente, qui dure jusqu'à ce que l'acide ne
trouve plus de corps à rarélier. Cet effet peut faire raisonnable-
ment conjecturer que l'alkali est une matière composée de
parties raides et cassantes, dont les pores sont ligures de telle
façon que les pointes acides y étant entrées, elles brisent et
écartent tout ce qui s'oppose à leur mouvement... »
<( Il y a autant de diiîérens sels alkalis, comme il y a de ces
matières qui ont des pores dilférens, et c'est la raison pourquoi
un acide fera fermenter une matière, et n'en pourra pas faire
fermenter une autre; car il faut qu'il y ait de la proportion
entre les pointes acides et les j)ores de l'alkali. »
Ces quelques extraits suflisent à donner une idée des explica-
tions qui foisonnent au Cours dr Clu/mie de Lémery ; Descartes
eùL assurément reconnu comme lille légitime de sa philosophie
celte chimie où l'on n'attribuait à la matière ([ue des divisions,
des ligures el des mouvements ; mais à aussi juste titre,
Lucrèce en auiail pu reveii(li(|ucr bi palyrnilé pour son maître
. 1^1 i cure.
111. i.A MiTio.N m; MixTi:, ai xviii" sikci.k, .u soi'a r.A iiÉvoi.nio.N
cuLMioi i; : i.'iccoi.i: .m:\vto.m i:.\ ne
La physique, au xviii' siècle, subit une transformation pro-
fonde ; elle ne se contente plus de considérer, dans la matière,
des divisions, des figures et des mouvements ; entre les diverses
particules des corps, elle suppose des actions attractives ou
répulsives; elle était Cartésienne ou Epicurienne ; elle devi<'nt
Newtonienne.
La réviduliou accomplie par Newton dans le domaine de la
philosophie naturelle est l'une des plus profondes que con-
naisse l'histoire de l'esprit humain.
Newton avait réussi, dans son livre intitulé : l'hihisopliiœ
natiiralis principia mathematica, à déduire d'une même loi les
84 P. DUHEM
mouvements des corps pesants à la surface de la Terre ; les-
■déplacements relatifs de la Terre, de la Lune, du Soleil, des
planètes, des satellites çt des comètes ; enfin le llux et le reflux
de la mer. L'énoncé de cette loi de la r/rnvitdtiDi) iinirov^clle'
est dans toutes les mémoires.
Cette œuvre achevée. Newton s'était adonné à l'étude des
elTets de la lumière ; par des artifices qui seront toujours cités
comme des modèles de la méthode expérimentale, il avait
obtenu, touchant les couleurs du prisme ou des lames minces,
des résultats qui sont demeurés classiques. Dans son Optifiue,
il expose ces résultats et les procédés expérimentaux qui les-
ont fournis ; il évite d'y mêler aucune hypothèse touchant la
nature de la lumière, touchant les actions qu'elle suliit do la
part des corps qu'elle rencontre ou qu'elle traverse. Mais les
conjectures qu'il a suigneusement éliminées du corps même
de l'ouvrage se retrouvent dans les Questions qui le terminent.
Dans la XXIX" Question, Newton se demande " si les rayons
de lumière ne sont pas formés de corpuscules émis par les corps-
lumineux? En effet, de tels corpuscules se transmettront en
ligne droite, au Iriivers des milieux homogènes, sans s'iniléchir
dans l'oiulire, comme sont transmis les rayons de lumière. Ils
pourront avoir des propriétés dilférentes de l'uu à l'autre et
chacun d"eu\ pourra garder des propriétés invariables en passant
d'un milieu à un autre ; c'est là un caractère naturel aux rayons
lumineux. Les corps transparents agissent à une certaine dis-
tance sur les rayons naturels, action qui les réfracte, les réflé-
chit et les infléchit ; réciproquement les rayons lumineux
nu'llenl eu liranle, à une certaine distance, les particules de ces
corps, de manière à les échauifer. Cette action et cette réaction,
qui se produisent à une ci'rtaine distance, semblent avoir une
grande ressemblance avec la force par laquelle les corps s'at-
tirent. 11
Newtcm . poursuivant ces considérations, montre comment
les principaux phénomènes de l'optique se pourraient expliquer
par luie attraction mutuelle s'exerçant J'i des distances insen-
sibles, mais non nulles, entre les plus petites parties des corps-
f t les petits projectiles qui forment les rayons de lumière.
- Parvenu à ce point, le génie de Newton embrasse un plus
LA .YmT/O.Y de mixte 85
vaste champ: contemplant Tcnscmblc dos phonomènos qu'étu-
dient les physiciens et les chimistes, il se demande si tous ces
phénomènes ne se ramènent pas à des attractions ou à des
répulsions mutuelles; parmi ces actions, les unes seraient sen-
sihles à i;rande distance : telle l'attraction qui produit la gravi-
lalion universelle ; les autres seraient insensihles, à moins que
les corpuscules entre lesquels elles s'exercent ne soient extri'-
mement rapprochés : telles les actions des particules de ma-
lière sur les corpuscules lumineux. A l'exposé de cette vaste
hypothèse est consacrée la XXXI° et dernière question de l'Op-
tiqitf, plan d'une œuvre immense que les physiciens mettront
plus d'un siècle à réaliser.
«< Les petites particules des corps, dit Newton, ne possèdent-
•elles pas certaines vertus, ou puissances, ou forces, qui lenr
permettent d'at^ir à distance, non seulement sur les rayons de
lumière pour les rélléchir, les réfracter et les intléchir, mais
aussi d'agir mutuellement les unes sur les autres, en produisant
par là la plupart des phénomènes de la Nature? On sait, en
elTet, que les corps agissent les uns sur les autres par les
attractions de la gravité, du magnétisme et de l'électricité ; or,
ces exemples nous montrent. quel est l'ordre et la loi de la Na-
ture ; ils rendent très vraisemhlahle l'existence d'autres forces
attractives, car la Nature est toujours d'accord avec elle-même...
Les attractions de la gravité, du magnétisme et de l'électricité
s'étendent même à des intervalles assez considérahles ; aussi
tomhèrent-elles sous le sens et la connaissance de tous ; mais
il pourrait se faire qu'il existât quelques autres forces attrac-
tives et que leurs effets fussent limités à des intervalles si
étroits qu'elles eussent échappé jusqu'ici à toute observation. »
C'est à des attractions de ce genre qu'il faut attribuer la
«ohésion des solides, rascension des liquides dans les espaces
capillaires, la forme arrondie des gouttelettes de mercure ; des
forces répulsives analogues expliquent l'élasticité des gaz.
« Si toutes ces choses sont comme nous l'avons supposé, la
jMature nous apparaît comme très simple et toujours d'accord
avec elle-même ; elle produit tous les grands mouvements des
corps célestes par L'attraction de gravité que tous ces corps
exercent mutuellement les uns sur Jes autres ; tandis qu'elle
86 P. DIHEM
produit presque tous les petits mouvements de leurs particules
par la force attractive ou répulsive que ces particules exercent
mutuellement les unes sur les autres. »
(lette grandiose tliéorie physique n'eiit pas étî' complète si
elle eût négligé de traiter les phénomènes chimiques ; mais,
bien loin d'omettre ces effets, JVewton leur consacre la plus
grande partie de la XXXl' Question de son Opiiqup. Sohm les
hypothèses qu'il y développe, lorsque deux corps se combinent,
cette combinaison est l'effet d'attractions qui s'exercent à petite
distance entre les particules de ces deux corps : « Lorsque le
sel de tartre devient déliquescent, n'est-ce pas l'effet d'une cer-
taine attraction mutuelle entre les particules du sel de tartre
et les particules de l'eau qui voltigent auprès de lui sous forme
de vapeur? Et pourquoi le sel ordinaire, le nitre et le vitriol
ne sont-ils point déliquescents comme le sel de tartre, sinon
parce qu'ils n'exercent pas sur les particules d'eau une telle
attraction? »
Ce n'est point ici le lieu de suivre les développements im-
menses que prit, en physique, la doctrine de l'attraction molé-
culaire; en chimie même, cette notion ne nous intéresse qu'au-
tant qu'elle intéresse la notion ihi mixte.
Assurément, la doctrine de l'atlraclion moléculaire différait
essentiellement, dans son principe, des doctrines Epicuriennes
et Cartésiennes; au lieu d'expliquer tous les phénomènes de la
nature par la ligure et le mouvement, elle invoquait un troi-
sième élément irréductible, la force, et les Epicuriens comme
les Cartésiens repoussaient avec horreur l'intervention de cette
(/iia/itr occulte.
Toutefois, comme les Epicuriens et les Cartésiens, les Newto-
nicns supposaient les corps formés de particules distinctes les
unes des autres. A la vérité, les Newtoniens n'étaient pas obligés
de formuler des hypothèses précises et détaillées touchant la
ligure de ces particules, car ils pouvaient attribuer à des lois
différentes d'attraction ou de répulsion ce que leurs prédéces-
seurs expliquaient par la figure des particules; par là, ils évi-
taient le caractère naïf et presque enfantin des raisons invoquées
par Descartes, par Boyle ou par Lémery, et ils triomphaient
volontiers de cet avantage.
;.l MiTlnS liE ]ll Mi: 87
Pourqiiiii les diviTses parties dos curps soliilcs adlièrcnl-cllos
si Ibrtonicnt les unes aux autres? Les Kpicuriens oui invoqué,
pour expliquer la dureté de leurs corps solides, renchevètrc-
ment des crocliols et des ramilicalions que portent les atonies.
(< (l'est à coup sûr, observe Newton, donner comme réponse ce
qui est en question. » Les Cartésiens ont imaginé que les par-
ticules des corps sont collées les unes aux autres par le repos.
c Pour composer le corps le plus dur qui puisse être imaginé,
disait Descartes 'Ij, je pense (ju'il sul'lit si toutes ses parties se
touchent, sans qu'il reste d'espace entre deux, ni qu'aucune
d'elles soit en action pour se mouvoir. Car quelle colle ou quel
ciment y pourrait-on imaginer outre cela, pour les mieux faire
tenir l'une à l'autre? » Ce ciment fait de repos, réplique Newton,
est une qualité occulte, ou plutôt un pur néant. « Pour moi, je
préfère inférer de la cohésion des corps que leurs i)articules
s'attirent mutuellement avec une certaine force qui, lorsque
les particules sont en contact, devient extrêmement grande;...
et qui, au contraire, lorsque les particules sont assez éloignées
pour que leur distance devienne sensilile, cesse entièrement
d'agir. ■>
Descartes, nous l'avons vu, assimilait (2) les gaz à des fas-
cines de menues branches posées les unes sur les autres ; Boyle
avait insisté sur cette hypothèse : « Les particules de l'air,
disait-il (3), peuvent être regardées comme de petits ressorts
qui, gardant leur courbure, peuvent être transportés de place
en place sans que leur grandeur totale éprouve de changement ;
mais aussi comme de petits ressorts qui peuvent se déployer
d'eux-mêmes, dont les parties s'écartent, tandis que, considéré
dans son ensemble, chaque petit ressort change à peine de
place ; de même que les deux extrémités de l'arc, au moment
où le corps est tiré, s'écartent l'une de l'autre, pendant que le
milieu de l'arc demeure fixe dans la main de l'archer. » Newton
repousse la puérilité de ces iiypothèses : « On aura beau se
(!) Descarte?, te Monde ou le Traité de la Lttmière, chap. m.
(2) Idk.m, Les Météores, chap. i, art. III.
(3) R. liOYLE. \ew e.rperUnents pitt/sico-meclianical, toiichiiif/ the xpriii;/ of tlie
air: and ils effects, mode j'or llte mosl part in a new pneumatical enrjine. experi-
luent I.
88 P. DLHEM
représenter les molécules do l'air comme dos lames élastiques
et rameuses, comme des branches d'osier pliées sur elles-mêmes
•et enchevêtrées, on parviendra difticilement à expliquer l'expan-
sibilité de l'air; on ne le peut faire qu'en atlriiiuaul aux molé-
cules une force répulsive qui les (li)ligc à se fuir l'une l'autre. »
• De môme, au lieu d'expliquer, comme Lémory, la substitu-
tion d'un corps ti un autre dans ime réaction chimi(|ue par une
certaine proportion de pointes et de pores, Ne\vl(jn attribue ce
déplacement à la ijrandeur relative des atlrartions mises en
jeu : « Lorsqu'on verse du sel de larti'c di'diipu'sront dans une
solution d'un métal quelconque, le métal est chassé i\o la tlisso-
lution et se précipite au fond du vase sous forme d'un limon;
cette expérience ne montre-t-elle pas clairement que les parti-
cules acides de la liqueur sont attirées plus fortement par le
sel de tartre que par le métal, et, par cette attraction plus puis-
sante, sont transportées du nuMal au sid de larlre? »
L'étude de telles suiistilulious permet de rauiicr les métaux
selon l'ordre de grandeur de latlraclidn qu'ils exercent sur un
acide tel que l'eau-forte : « Une solution de fer dans l'eau-forte
dissout la cadmie qu'on y plonge et abandonne le fer; une
solution de cuivre dissout le fer et abandonne le cuivre ; une
solution d'argent dissont le cui\ re et abandonne l'argent ; si
l'on verse une solution de vif-argent ilans l'eau-forlr sur du fer,
du enivre, de l'étain ou du plomjj, ce métal est dissous et le
vif-argent se précijjile ; ces expériences ne montrent-elles pas
que les particules acides de l'eau-forte sont ))lus fortement atti-
rées par la cadmie que par le fer. plus fortement par le fer que
par le cuivre, par le cuivre que ])ar l'argent; qu'elles éprouvent
une plus forte attraction pour le fer, le cuivre, l'étain on le plomb
que pour le vif-argent? >:
Ce passage a inspiré tous les chimistes qui. (h' r>eoll'roy ;\
Bergmann, ont construit des tables d'afhniiés.
Newton repousse donc, presque toujours, les hypothèses aven-
tureuses sur la ligure des molécules auxquelles étaient condam-
nés les Epicuriens et les Cartésiens ; il ne les évite pas toujours.
Pour expliquer par les accrs de facile réflexion et de facile
transmission les couleurs des lames minces, il est contraint
d'attribuer une forme particulière aux projectiles lumineux. Un
L.\ yoTinx ni: mixte 8o
des iidniiralcurs de Xewloii, des plus l'erNcnls, sinon îles plus
compétents, Bullon (1), soutint contre Clairaut cette hypotlièse :
Toutes les lois jiarticulières d'attraction moléculaire ne sont que
<le simples modilications de la loi de l'atlraetion universelle,
en raison inverse du carré de la dislanee; elles n'en paraissaient
<liiréreutes (|ue parce <|n'à très petite distance, la ligure des
atomes qui s'attirent t'ait autant et pins que la masse pour
l'expression de cette loi. Cette opininn lui acceptée ou dévelop-
pée par Macquer (2), par (iuylon de Morvcau (3), par Monge (4),
par Bergmann (')).
Fondant en une vaste synthèse les ductrines de Xewlon et
celles de i.eilinil/, adversaire déclaré des Atomistes et des Car-
tésiens, le 1*. Boscovicii ((i) repousse les vues de Bniïon ; pour
lui, les particules élémentaires entre lesquelles s'exercent les
attractions ou les répulsions moléculaires sont sans étendue,
partant sans lignre. Mais sous l'inlkience des forces qui tendent
à les rapprocher ou à les écarter, ces points matériels peuvent
former des groupements, des sortes d'édilices. Newton admet-
tait déjà r<'\is(ence de ces sortes de groupements, lorsqu'il
écrivait dans son Oji/ii/iir : « Il [)eut se faire que les plus
petites particules de matière soient rcdiées entre elles par des
attractions extrèmenienL fortes et qu'elles constituent des par-
ticules plus grandes, exerçant les unes sur les autres des forces
attractives moindres ; puis qu'un grand nombre de ces particules
plus grandes, s'accolant de même les unes aux autres, consti-
tiuMit tl(>s particules enc(M-e plus graniles, douées d'une force
(1) UuFFON, Mémoires île l'Académie des Sciences pour l'iô (parus en 11491. —
Clairacï. ibid. — BcFFON, Histoire nalurelle, riénérale et particulière, servant de
suite à l'histoire de la Terre et d'inlroductinn à l'/iistoire des minéraux. Supplément,
t. 1, Paris, 1174.
(2) Macquer, Dictionnaire de c/iintie, deuxiriiie cdilion, Paris, MIS. art. Affinité.
(3) GuYTON i)F. MoRVEAU, Oigressions académiques. Dijon, 1772. — Enc'jclopédie nié-
tliodiqiie {Cliimie, l'Iiarmacie el .Mélallurr/ie), t. I, Paris, 17S6, art. Affinité: t. 11,
Paris, 1792, art. Attraction.
(4) Monge, Encyclopédie inél/iodir/ue. Dictionnaire de jiliysifjue. t. 1, Paris, t7'J3,
art. .Affinité et Attraction.
(5) Bergmann, Opuscula, dissertatio XXXllI, S I. — Traite des affinités électives,
Paris, 17S8, p. 2.
f(i) R. J. Boscovicii, De ler/e virinm in natura e.ristentium. Home, 175o. — Tlieo-
ria philosopltiiB naturaits redacla ad unicam legem virium in natura e.ristentium.
Vienne, i7jS.
90 P. DUHEM
attractive encore plus faible; et ainsi de suite, jusqu'à ce que
l'on arrive à ces particules, les plus grandes de toutes, dont
dépendent les opérations chimiques et les couleurs des corps
naturels; ces particules, par leur cohésion, constituent les
corps dont les dimensions tombent sous les sens. » Suivant
cette idée de Newton, Boscovich admet que les points maté-
riels, éléments de tous les corps, peuvent se grouper en édi-
hces moléculaires plus ou moins compliqués; que ces molé-
cules complexes ditTèrent les unes dos autres par leur ligure
extérieure, la distribution des points matériels en cette figure,
les actions qu'elles exercent les unes sur les autres. Les parti-
cularités de ces molécules expliquent les propriétés diverses
des solides, des liquides (-t des gaz, et ces explications oiïrent
(le grandes analogies avec celles qu'admettaient les Epicuriens
et les (.artésiens.
Les trois grandes Ecoles Atomistique, Cartésienne et Newto-
nienne se trouvent amenéi^s ainsi à coucev(jir du mixte la même
idée.
I\'. i.\ MiiiciN DK MixTi:, \i xviii' sn-;(:i.i;, .ilsoi'a i.a rlvoi.ition
cMiMii.ii i: : i.'kcoi.k i;mi>uuiji k
En i'ace do ces Ecoles se dresse, dès le xvir siècle, une qua-
trième Ecolo, l'Ecole empirique.
Fontenelle nous a laissé un tableau piquant des difTérends
(jui s'élevaient l'réqueniment entre les chimistes de l'Ecole em-
pirique et ceux que l'on nommait les chimistes-physiciens :
« M. du Clos, dit-il ( I), continua cotte année l'examen qu'il
avait commencé des Essais de chimie de Boyle... M. du Clos,
grand chimiste, aussi bien que M. Boyle, mais ayant peut-être
un tour d'esprit plus chimiste, no trouvait pas qu'il fût néces-
saire, ni mémo possible, de réduire cette science à des prin-
cipes aussi clairs que les ligures et les mouvements, et il
s'accordait sans peine une certaine obscurité spécieuse qui s'y
est assés établie. Par exemple, si du bois du Brésil bouilli dans
II) FiixTEXELi.E, Iliiloire de i Académie Boyale des Sciences, t. 1. Depuis son éta-
blisse ueat e.i l(iS6 jusqu'à iGS6. .\nnée 16IH. Physiiiue Cliimie. — Paris, n.33.
;..i .Yo77n.v /»;■; mixte 91
<]ui'l(iiios lessives de sels sulpluirés |)roiluit une liaule couleur
|)Ourprée, qui se perd et dégénère subitement en jaunâtre par le
mélange de l'eau forte, de l'esprit de salpêtre ou de quelque
autre liqueur minérale; M. du Clos attribuait ce beau rouge à
l'exaltation des sels sulphurés, et M. Boyle au nouveau tissu
des particules qui formaient la surface de la liqueur. La chimie,
par des opérations visibles, résout les corps en certains prin-
cipes grossiers et palpables, sels, soufres, etc.. .Mais la pby-
si([ue, par des spéculations délicates, agit sur les principes
comme la chimie a fait sur les corps; elle les résout eux-mêmes
en d'autres principes encore plus simples, en petits corps nuis
et ligures d'une inlinité de façons : voilà la principale différence
de la Physique et de la Chimie... L'esprit de la Chimie est plus
confus, plus enveloppé; il ressemble plus aux mixtes où les
])rincipes sont plus embarrassés les uns avec les autres : l'esprit
de la Physique est plus net, plus simple, plus dégagé, enlin il
remonte jusqu'aux premières origines; l'autre ne va pas jus-
qu'au bout. »
Le portrait du chimiste que nous trace Fontenelle eût assu-
rément convenu à Jean-Joachim Beccher, de Spire, (jue ne
trouve-t-on pas en s<m livre étrange sur la Phijsiquf soiitrr-
fdiiir (I)? Des raisonnements théologiques par lesqvuds il prouve
(|ue le diable, dans sa chute, s'est arrêté au centre de la terre ;
des témoignages d'une crédulité sans borne, telle l'anecdote
d'une servante qui avait avalé des œufs de grenouille et rendit
six grenouilles vivantes; des comparaisons sans raison qui lui
font regarder les métaux comme des minéraux mâles et les
pierres comme des minéraux femelles ; des observations chi-
miques importantes et, surtout, de violentes diatribes contre
ceux qui philosophent en chimie.
Toutefois, cédant soit à la vogue des idées courantes, soit à
l'inlluence de Boyle, dont il critiquait les petits ressorts (2),
(1) Juii. JoAniiMi Becchebi, Spirensis germani, Saor. Ca's. majest. consil. et med.
Elect. Bav., l'/n/sica suhleiranea prufandam subterranearum genesin ex princi-
piis hueusque ignotis ostendens. 1699. — 2« édition, 1738.
|2) « Hoberto lioyle pr;t omnibus nostro s.tcuIo paUuaui concedereni, si misso
suo elaleriu, cliyiiiica expérimenta ulterius continuasset ; et in exponendis istis
non tam materiam concludendi, quaiu in singulis dubitandi, tractaie sibi propo-
suisset. • (Beccmek, loc. i-i7., Sectionis quarta> caput primum.)
92 1». Dl IIKM
mais dont il était ladmiralour ri lami, IJeccher ménage les
Atomistes et les Cartésiens. Parfois mémo, il semble partager
l'opinion de ces derniers. Au commencement de son ouvrage (1),
commentant le texte : Dciis creavit cœ/inn et Ifrrani, il aflirme
que toute matière est composée de cifl oi de torrr, c'est le ciel,
et non l'air. (|ui est le principe de hi raréfaction et de la con-
densation; l'air ne possède point par lui-même la force élas-
tique qu'on lui attribuait, car l'air lui-même ne pourrait être
ni raréfié, ni condensé sans le ressort du ciel. Le ciel de Boccher
a évidemment d'étroites affinités avec la matière subtile de Ues-
carles; et de même qu'en 1669, le chimiste de Spire compose
toutes choses de ciel et de terre, en 167r), le cartésien Lémery
composera toutes choses de matiî re subtile el de terre.
Iiululgent pour les Atomistes et les (Cartésiens, Beccher
réserve toutes ses colères pour les l'éripatéticiens. Examinons,
dit-il (2), la doctrine des élèves d'Arist(it(> louehant la mixlion
des minéraux. Que nous enseigne-t-clle? Des choses que tout le
monde connaît. Que nous fournit-elle? Des noms et des enve-
loppes à niellre sur les réalités, après les avoir vidées. Elle
nous dit (|ue les minéraux soûl des nii.rtes, (|u'ils sont for-
més iïelruients, iju'ils oui des teni/zéraiiieiits et des qxalitcs ;
qui ne le sait? .Mais comuu>nt se font ces mixtions et comment
produisent-elles toutes les espèces de minéraux? Voilà la (|ues-
tion difficile, où acJioppent les etTorts de nos habiles gens. l*our-
(juoi l'étain peut-il former avec le plomb, et non avec l'argent,
un alliage non fragile? Ils vous en donneront aisément la rai-
son : ce sont des substances contraires et do tempéraments
dill'êrenls. Mais si vous leur demandez en quoi consistent les
tempéraments de ces substances ot en quoi ils dilfèrent, les
voilà muets. L'eau-forte dissout h^s métaux; c'est parce qu'elle
possède la qualité résolutire, vous diront ces philosophàtres ;
assurément, et aussi : quantum est quud aliquid quantum dici-
lur; autant de pétitions de principe. Mais pourquoi l'eau-forte
dissout-elle tous les métaux, l'or seul excepté? Voilà toute la
'U Bëccher, l'In/sicat suljterraneœ liber priuius. Sectio prima : de Creatione uni-
vers! Orbis. Ciput priuium : De Creatinne Cœli.
(il Hecciier, l'ItysicT siibtenanea- liber priaius. Sectionis quart.-e caput pri-
mum ; De nccessitate et obscuritate Physica' circa Mixtionem. -
LA .Ynf/o.v /»;; \iL\ri: os
j)hil(i<oj)hio on (k'-roiilc ! (ioniliicii plus iiol)le osl la Spagyri-
quc I Ijl Elle prend eonime thèses dos vérités établies pratique-
ment, des expériences ; des phénomènes de mixtion, des pro-
priétés des mixtes, elle donne les vraies causes et les raisons
solide? ; sans cesse, elle découvre des combinaisons nouvelles ;
et cependant de cette science très sagace, très subtile, très
curieuse, vous ne trouverez pas un mot dans les livres des philo-
sophes ; ceux-là se repaissent seulemeitt didées, dabstractions
et do chimères : ils ne s'attachent qu'aux noms ; heureux d'igno-
rer combien ils sont ignorants !
.Ailleurs, nous voyons Beccher lancer aux Péripatéticiens cette
boutade (2) : << Ils vous diront que les qualités ont changé, ce
que tout le monde sait ; mais pourquoi ont-elles changé, et
comment? Ici, silence profond; ils ne parviendraient pas à vous
l'expliquer, quand mémo ils sueraient pondant touti> l'éternité
avec leur Arislote. »
La principale gloire de Beccher est d'avoir eu pour disciple
le chimiste qui créa la théorie du Phlogistique, le médecin qui
imagina l'Animisme, l'illustre Georges-Ernest Stahl.
(Jomme son maître, Stahl (li) repousse la théorie péripatéti-
cienne des mixtes ; mais il est juste d'ajouter qu'à la difl'érence
do son maître, il la repousse par des raisons et non par des
jdaisanteries : elle lui paraît liée à l'opinion que la matière est
divisible à l'infini, opinion qu'il ne veut pas admettre (4).
A l'égard de la physique Cartésienne ou Atomiste, Stahl,
tout on proclamant l'excellence de la méthode expérimentale,
se montre respectueux : « Bien que la philosophie mécanique,
(I Ce nom fut longtemps en usage comme synonyme de Chimie.
(2) Becchkb, p/iys/cip snbtenaneœ liber jirimus. — Seclionis quartiP caput ter-
tium : Generalia qu;edam Axiouiata de Mixtione continet.
13) Geough F.RXE5T1 Stahlii. Consil. Aulici et Archiatri Regii, Fundamenta Cliy-
inix dogmatic.T et experimenlalis, et quidem tum communioris pliysica' mecha-
niric, pharmaceutic;e ac medica- tum sublimioris sic dicta' liermetica'atquealchy-
mic;b ; olim in privalos auditorum usus posita, jani vero induitu auctoris publicae
luci exposita. Norimbergœ, 1723.
(4) Stahl, Fitndameiita Clii/miœ. Pars III : « ...Intellexit quidem, quod ipsi con-
cedendum, quod si quantita> hujusce modi aggregati quovismodo imminuatur,
ut sensibilis tantum pars remaneat, ibi illa pars adhuc totasit mixta. et htec pars
per guttulas imo singula> guttula- in minores ulterius proportiones divisie, tanien
sint mixts, denn mag etwas zertheilen, so klein man will, so bleibt doch das
mixluni noch da ; intérim exempluiu ipsum explicandce mixtionis indoli nimis
04 P. DLHEM
dit-il (1 ), se fasse fort d'expliquer toutes choses, c'est à l'étude des
•questions physico-chimiques qu'elle s'est appliquée avec le plus
d'audace. Je ne fais pas 11 d'un usage modéré de cette méthode;
cependant, à moins d'être aveuglé d'opinions préconçues, force
est de reconnaître qu'elle n'a jeté aucun jour sur ces questions.
Il n'y a pas lieu de s'en étonner. La plu])art du temps, elle
s'attache à des assertions douteuses ; elle lèche la surface et
l'écorce des choses en laissant intact le noyau ; de la ligure et
du mouvement des particules elle se contente de tirer l'explica-
tion très générale et passahlement ahstraite des phénomènes ;
mais elle ne se soucie pas de savoir ce qu'est un mixte, un
composé, un aggrégat, quelle est la nature, quelles sont les
propriétés de ces sortes de corps, ni (>n quoi ils difFèrent les
uns des autres. »
Entait, Slalil avait assurément médité les théories physico-
mécaniques de Descartes, de Rohert Boyle et de Lémery, cl il
adhère aux principes essentiels de ces théories.
En commençant la seconde partie de son ouvrage (2), il divise
tous les corps en lluides et en solides ; à ces deux sortes de
corps il allriliue une constitution qu'il emprunte presque
textuell(Muent à l'alomisme de Lucrèce ; il corrige seulement
cette dorlrine par l'iiilniduction de la mat'u'i-p subtile carté-
sienne.
Les cor|)s lluides ne sont pas continus, mais contigus ; ils sont
formés de particules solides, actuellement séparées, capahles
de se mouvoir; ces particules sont de petits globes à surface
lisse ; elles sont loules douées d'une même force motrice iiar
orassum est atf|ue ineptuiii : l'nd ist dnher darauf gefallen, dass inan ein Ding
in inlinituiii secundum lineas nialhemalicas zertheilen konne. »
L'ne grande partie de l'ouvrage de Statil est écrite dans ce bizarre mélange
d'allemand et de latin barbare. On comprend que BuH'on (a) ait pu dire :
■I M. Macquer et M. de .Morveau sont les premiers de nos chimistes qui aient
commencé à parler français. Cette science va donc naître, puisqu'on commence
à la parler. •>
(1) Staiil, Funclamenta Cliymiœ, pars I. Préambule daté de 1720.
(2) luEM, Fitndamenla Clii/misp, pars II, tractatus 1, Proeiuium.
(a) BuFi'ox, Ilistoi/e naturelle, générale et parliculiére. ssrvant de suite à la
théorie de la Terre et d'introduction à l'histoire des minéraux. — Supplément;
tome I, Paris, mi.
;.A yiiTloS liV. MIXTE 95
laquelle l'Ili's lendcnt à doscendiT avoc un mônio poids si 1<>
lliiide osl lidiiiogèno ; c'est pourquoi la surl'aui' des liquides est
toujours parallèle à riiorizon.
Les corps iluides se condensent lorsque les pores qui sépa-
rent leurs particules deviennent plus étroits ; ils se dilatent
lorsque ces pores deviennent plus larges. Dans le premier
cas, une matière subtile qui remplissait ces pores se trouve
cliassée; dans le second cas, la matière subtile pénètre les pores
dilatés.
La dureté d'un corps solide n'est pas due à ce que les parti-
cules de ce corps sont ju.xlaposées et en repos ; les corps solides
sont formés de particules rameuses qui s'encbevètrent les unes
aux autres de telle façon qu'il soit très diflicile de les séparer;
lorsque l'une de ces particules est déplacée, elle entraîne toutes
les autres.
Le chimiste qui accejite ces principes ne i)eut manquer
d'admettre, touchant la constitution des mixtes, la théorie
qui est commune aux l']picuriens et aux Cartésiens ; ainsi l'ait
Stabl.
Il La dissolution, dil-il (I), n'est autre chose que la division
du corps en parties très ténues et très lisses, qui se glissent
dans les pores du menstrue, de manière à former un tluide
unique. ^lais cette division des parties qui constituent le tout
ne saurait s'efl'ectuer si la liqueur chargée de dissoudre ou de
diviser ne pénétrait les pores du corps à dissoudre. Il en résulte
évidemment que tout dissolvant doit être formé de parties qui,
|)ar leur ligure et leurs dimensions, conviennent aux pores du
corps à dissoudre ; une liqueur donnée ne pourra donc dissoudre
tous les corps, mais seulement certains corps. »
<' D'ailleurs, un corps quelconque est construit et tissu de
particules qui ne sont pas toutes semblables entre elles, mais
au contraire fort dissemblables ; ces particules ont des iigures
et des dimensions très dilférentes; les variations de la texture,
de la position et de la disposition de ces particules donnent à
un même corps des pores divers; on en conclut sans peine qu'il
(l) Staiil, l-'uiidaineii/a Clujinix, pars 11: sectio I; caput 11 : De solutione et
meastruis.
96 P. DUHEM
doit exister divers menstrues dont les plus petites parties puis-
sent pénétrer les porcs de ce corps. »
» Cela posé, il est aisé de comprendre pourquoi l'eau l'ortc
dissout les métaux, mais non point la cire ou le soufre... »
Ne semble-t-il pas que cette page soit détachée du Cours de
Chi/niie de Lémery?
(l'est encore à Lémery, et aussi à Boyle, que l'on songe
lorsqu'on lit la classification des combinaisons établie par
Stahl.
Les particules des divers principrx, en s'unissant entre elles
d'une manière très intime, forment une première classe de corps
à laquelle Stahl réserve proprement le nom de mixtes (1) ; ainsi
le fer est formé de sel, de soufre et de mercure, mais en cer-
taines proportions ; le sel acide du soufre est formé de sel et
d'eau. L'union des principes dans les mi.\tes est si intime et si
forte (2) qu'il est extrêmement difficile, sinon impossible de les
séparer; le mixte passe en totalité, sans se décomposer, d'un
composé chimique à l'autre. L'or, par exemple, se dissoudra
totalement à l'état de teinture, s'amalgamera en totalité au
mercure, passera en totalité à, l'état de composé salin, se vola-
tilisera en totalité. Le vit-argent, traité par d'autres matières
salines, passera « de tout son poids » sous forme de sel ; on
j)nurra le revivifier intégralement, et quels que soient les réac-
tifs par lesquels il aura été précipité, \\x(^, extrait, on pourra
très aisément, au moyen d'acides ou d'alcalis contraires, voire
même au moyen d'un feu assez intense, lui faire abandonner la
matière !\ laquelle il s'était uni, et le ramener à sa forme pre-
mière de vif-argent.
Lorsque les corpuscules de deux ou plusieurs mixtes s'unis-
sent entre eux, ils forment un corps LOiiiposé (3). Les corpus-
cules des mixtes qui forment un composé n'adhèrent pas les
uns aux autres aussi fortement que les molécules des éléments
(1) Staiil, Fundamenla Ch/mix. pars II. — Tractatus II : Ductrintp ohymicte,
pars I, sectio III : De objecto chyuiiiP. Membrum I : De corruptione chytuica.
(2) Idem, Fundamenla Chymia; pars II. — Tractatus I ; sectio III : De combina-
tione mixtorum.
(3) Idem, Fundamenla Chijmiœ, pars II. — Tractatus II : Doctrina> chymic»,
pars I, sectio lll : De objecto chymiœ. Menibrum I : De corruptione chymica.
LA yOTIlL\ DE MIXTE 97
au sein d'un mixte ; aussi les compos(5s peuvent-ils ("'trc séparés
en leurs éléments ou les échanger entre eux.
Enfin, en s'unissant les unes aux autres pour former un corps
d'étendue sensible, les molécules d'un même mixte ou d'un
même composé constituent vm agr/rrgat.
Avec Stahl, l'École Empirique allemande s'est ralliée nette-
ment, on le voit de reste, à la notion de mixte issue des doc-
trines Atomistes et Cartésiennes.
L'Ecole Empirique française s'autorisait volontiers des grands
noms de Beccher et de Stahl. Mais elle pouvait à bon droit
réclamer pour chef un chimiste qui ne le cédait point en origi-
nalité à ses émules allemands, celui qui, le premier, fixa avec
précision les notions de base, d'acide et de sel neutre, Guil-
laume-François Rouelle, démonstrateur au Jardin du Roi.
Rouelle n'a guère publié que de courtes notes ; mais les écrits
de ses élèves nous ont conservé sa pensée ; on en trouve, en
particulier, un fidèle reflet dans les articles écrits pour VEncij-
clopi'die de Diderot et d'Alembert, par un disciple et ami de
Rouelle, chimiste de talent lui-même, de Venel.
Dans ses cours oîi son talent de manipulateur, aussi bien que
ses excentricités et ses violences de langage, attiraient un nom-
breux auditoire, Rouelle proclamait les droits de l'empirisme
chimique et nKilmenait fort les théoriciens de la chimie. Les
explications quelque peu puériles de Lémery et de ses conti-
nuateurs avaient fini par s'écrouler sous ses sarcasmes. « On
n'a plus heureusement besoin, disait Venel (i), de combattre
les entrelacemens, les introsusceptions, les crochets, les spyres
et les autres chimères des chimistes du dernier siècle. » Mais
la nouvelle chimie Newtonienne n'échappait pas davantage à.
sa critique. On en peut juger par les attaques acharnées d'un
de ses élèves (2) contre « le système des affinités, belle chimère
plus propre à amuser nos chimistes scolastiques qu'a avancer
la science », attaques qui ne sont <i qu'une insipide copie (3)
(11 De Venel, article Mute et Mixtion de VEiu-i/clopédie de Diderot et d'Alem-
bert.
(2) Monnet, Traité de la Dissolution des Métaux. Amsterdam, Ula.
(3) Macocer, Dictionnaire de Chimie, seconde édition, Paris, ms. Article Affinité
(en note).
98 P. DOHEM
des expressions échappées à un homme célèbre, dans la cha-
leur du discouis, et par lesquelles il compromettait sa réputa-
tion, dans le temps même qu'il l'établissait par les services
réels qu'il rendait d'ailleurs à la chimie ».
Tout en proclamant l'excellence de la chimie purement em-
pirique, tout en affirmant que « la chymie n'est qu'une collec-
tion de faits (\), la plupart sans liaison entre eux ou indépen-
dants les uns des autres », les disciples de Rouelle n'ont pu
s'empêcher de concevoir d'une certaine manière l'acte de la
mixtion et la constitution du mixte; et l'idée qu'ils s'en forment,
ils l'empruntent à Stahl, c'est-à-dire, en dernière analyse, h
Lémery,"à Boyle et aux Épicuriens. N'est-ce pas évident à qui
lit les passages suivants (2)?
<. La mixtion ne se l'ail que par jiij/a/ji/si/ioii, ([ue par adlu'"-
sion superficiaire des principes, comme l'aggrégation se fait
par pure adhésion des parties intégrantes d'individus chimiques.
On n'a plus heureusement besoin de comballre les entrela-
cemens, les' introsusceptions, les crochets, les spyres et les
autics chimères des physiciens et des chimistes du dernier
siècle. »
(( La mixtion n'est exercée, ou n'a lieu, qu'entre les parties
solitaires, uniques, individuelles des principes, fit pi'i- n/ini-
iiia... »
« La cohésion mixtivc est très inlen>e ; le nœud qui relient
les principes des mixtes est très fort ; il résiste à toutes les puis-
sances méchaniques;... et même le plus universel des agents
chimiques, le fen, toute l'énergie connue de son action disso-
ciante, agit en vain sur la nû.ition la plus parfaite, sur un cer-
tain ordre de corps chimiques composés. »
Au moment où les découvertes de Lavoisier vont déterminer
la révolution antiphlogistique d'oîi sortira la chimie moderne,
deux Écoles sont aux prises, dont chacune prétend connaître
seule la vraie méthode ; l'une, séduite par l'exemple de la mé-
canique céleste, tente de ramener toutes les réactions à une mé-
canique chimique fondée sur l'hypothèse-de l'affinité ; l'autre,
il) MoNXBT, Traité de la Dissolution des Métaux, préface.
(2) De Venel, article Mixte et Mixtion dans {'Encyclopédie de Diderot et d'Alein-
bert.
LA yOTlnX DE MIXTE 90
se riant de cette hàle à vouloir réduire en système des faits
encore mal connus, proclame les droits exclusifs de rexpériencc
à l'étude des combinaisons et des décompositions; mais l'une el
l'autre s'accordent en un point; chimistes-physiciens et chi-
mistes-empiriques conçoivent de la même manière la constitu-
tion du mirte ; et la notion qu'ils admettent est, dans ses traits
essentiels, celle qu'avaient formée les atomistes de l'antique
Hellade, qu'ont transmise les philosophes Epicuriens ou Carié-
siens.
P. DUIIE.M.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
KANT, par Théodore Rlyssen, professeur au lycée Gay-Lussac (Limoges)
Paris. Félix Alcan, in-8°, 390 pages.
Lo Kanl de M. Riiyssen a suivi de bien près — si même il ne Tapas
accompagné — le Socrale de M. Pial; et ainsi la collection des grands
philosophes se trouve inaugurée parles deux initiateurs du spiritua-
lisme moral dans l'antiquité et dans l'âge moderne. Est-ce là TeHet
de l'égale diligence d'auteurs prêts, à la même heure, à publier leur
œuvre, ou celui d'un dessein i)rémédité? Nous ne saurions le décider:
en tout cas, ce que nous affirmerons sans hésiter, c'est qu'en M. Ruys-
sen, le distingué professeur de l'Institut catholique s'est acquis un
collaborateur précieux, et Kant a rencontré un consciencieux et
exact interprète. On nous annonçait des monographies écrites d'un
point de vue objectif. En ce qui le concerne, M. Ruyssen a parfaite-
ment réalisé ce programme.
Parce qu'il vise aux vérités suprêmes, le philosophe, plus encore
que tout autre penseur — et quels que soient les résultats de ses
recherches — est l'homme de l'éternité: mais les circonstances au
milieu desquelles ses idées éclosenl, se développent et .se fixent, font
de lui l'homme du temps, en le faisant, jusqu'à un certain point,
l'homme de son temps. D'ordinaire, il doit sa première formation
spéculative à l'un des maîtres en possession de la faveur publique;
puis, quand son csiirit devenu indépendant soumet les problèmes
essentiels à l'examen d'une réflexion sérieusement personnelle, il est
obligé de se jeter à travers la mêlée des systèmes, et, soit qu'il
repousse d'un égal dédain les enseignements des écoles rivales, ou
qu'il se rallie à l'une d'elles, son opposition comme son adhésion
l)rocure un stimulant et une aide à la spontanéité de son propre génie.
Pour être objective, l'exposition d'iui système philosopiiique rcjila-
K.IAT, PAR Théodore RUYSSEN 101
cera donc d'abord celui-ci dans le cadre historique où il esl apparu.
M. Ruyssen n'a eu j^arde de se soustraire à cette nécessité. Au début
de son ouvrage, il nous décrit l'état de la philosophie à l'époque do
Kant. L'an 1716 a vu mourir Leibuitz, le dernier des grands cartésiens.
Tandis qu'en Angleterre Berkeley continue seul la tradition mélaphy-
si([ue, la France, sous l'action de la Renaissance, de Descartes et de
Locke, a rompu avec toute Iradilioii historique, civile ou religieuse :
les idées n priari sont écartées; à côté de la raison place est faite à la
sensation et aux vérités de sens commun: si l'on agite les questions
d'origine et de lin, on y répond par des négations sommaires ou des
solutions superficielles. Quittant le cabinet des penseurs solitaires, la
philosophie se répand dans les salons, les Académies et les gazettes ;
elle se détourne des problèmes éternels et s'attache à ceux que vien-
nent de poser l'histoire, la sociologie, la politique, sciences neuves
ou renouvelées; elle se fait libre penseuse, mondaine et encyclopédi-
que. Bien différent est le spectacle que présente l'Allemagne à la
même date. Les ruines que deux siècles de guerres ont accumulées
en ce pays, la complication de son organisation féodale, l'incertitude
de sa destinée historique le garantissent contre l'invasion de la libre
pensée. Un restaurateur zélé du sentiment religieux, un adversaire
énergique du protestantisme orthodoxe, de ses discussions théologi-
ques et de ses pratiques extérieures, un implacable ennemi du ratio-
nalisme cartésien s'y dresse : c'est le piétisme. Olijet d'une dénoncia-
tion de la part du i)iétiste Magnus, WollV, le plus illustre disciple
de Leibnitz, est expidsé de l'^miversité de Halle. Mais avec le règne de
Frédéric II le rationalisme prend sa revanche, et s'ouvre h siècle des
liimières. W'ollf, disci|)le sans grande portée et vulgarisateur de Leib-
niz, s'arme des [)rincipes d'identité et de raison suffisante, invente et
propage dans ses cours et dans ses livres un système clair, compré-
hensif, qui prétend tout expliquer, absorbe en soi les mathématiques,
la physique, la i)sycliologie descriptive, unit ces disciplines récentes
aux sciences reconnues de la scolastique universitaire, instaure sur
les débris de l'aristotélisme une philosophie moderne réalisant l'ac-
cord — elle l'aflirme du moins — de la tradition biblique et de la rai-
son. Piétisme et rationalisme wolfien : ce seront là les deux princi-
paux agents de la formation intellectuelle et morale de Kant.
L'influence du iiremier le saisit d'abord au sein de la famille par les
soins de sa mère Anna Reuter, femme de grand sens, au cœur élevé,
à la piété réfléchie et sans mysticisme, qu'il perdit étant âgé de
13 ans, puis au collège Fridericianum, gymnase de KuMiigsberg. oii le
piétiste Scluilz, un ami des siens, expérimentait des méthodes nou-
102 Eugène BEURLIER
YL'lles. 11 trouva lo sncoiul à luniversité. Inscrit à la faculté de philo-
sophie, il suivit les leçons du wollien Martin Knut/.en, ([ui lui fit con-
naître la Phiisiquc de Newton (IT'iU-lTili). Au sortir de l'université,
Kant dut demander sa vie à l'enseignement privé et remplit les fonc-
tions de précepteur dans des familles nobles : de son passage en ce
milieu cultivé, il gardera le goùl des belles manières et de la conver-
sation enjouée. En l'année 1755, Kant conquiert ses grades : la promo-
tion (sorte de doctorat) avec une dissertation sur le feu: riiabilitation
(agrégation des facultés) avec une autre dissertation sur les |)rincipes
premiers de la connaissance mélapliysiiiiie; il ouvre uu cours fort
])risé, lit beaucoup et assiste au changement de direction qui se pro-
duit dans la jiensée allemande. Alors en effet, de nouveaux Aitf-
lilai-n-, Reimarus, Mendelssohn se proposent de donner plus de rigueur
au rationalisme de W'ollf. Ils renoncent pour cela à la conciliation de
la philosoi>hie et de la Bible et s'essaient à fonder une religion natu-
relle sur le modèle du déisme anglais. Mais voici que ce rationalisme
est en bulle aux couiis partis ;\ la fois du sceptici.sme railleur de Vol-
taire, qui demande à ro|)limisme de justifier le désastre de Lisbonne,
et de l'empirisme .subtil de Hume qui accuse la raison d'imi)uissnnco
en face de l'être, et,' la réduisant à la connaissance des phénomènes,
nie la légitimité de la métaiiliysique. En revanche, J.-J. Rousseau,
l'enfant de la nature, proclame les droits du cœur contre ceux de la
raison et prétend faire du seutimenl le principe de la morale. Wiuc-
kelmann affranchit l'estliéli(pie du ralionali.sme sec de (lottsched,
Klopstock lui rappelle les sujets nationaux, llalterle place en face des
rands spectacles de la nature; .lacobi, ilamann insinuent en philo-
sophie un mysticisme sentimental, et le panthéisme naturaliste des
Gœlhe, des llerder va lui apprendre à trouver partout le divin. Pen-
dant qu'en cette Slurm uinl Ih'diKipcriddr s'élabore la conscience de
l'Allemagne moderne, (vaut lil lluiiu', liulcheson, Shaflesbury, Rous-
seau surtout, emprunte au premier le germe de la pensée critique,
demande aux autres l'alVermissement de sa foi morale, puis, admis à
l'ordinariat et jiourvu de la chaire de logique et de métaphysique, il
poursuit le cours d'\iue carrière régulière, où les honneurs universi-
taires viennent chacun à son heure, rjue trouble à peine un léger dif-
férend avec le ministre ZôUner, qu'illustrent enfin la découverte du
crilicisme et des ouvrages en lesquels l'expose son génial auteur.
Lau 1804, Kant meurt chargé d'années et de travaux, et des funé-
railles publiques censacrent .sa gloire auprès de ses compatriotes en
attendant celle ipie lui réserve la (lostérité 1 Tout ce tableau de la pen-
.sée philosophique au siècle de Kant et de la vie du philo.sophe est
I
p
KAST, PAR TiiKODORE RCYSSEN 103
rclraec d'une plume concise el rapide : un des trails du talent de
M. lluyssen est Talerte sobriété.
Les relations d'un système aux circonstances qui en ont entouré
l'apparition constituent ce que nous appellerions volontiers le pre-
mier degré de son objectivité extérieure. Un deuxième degré de cette
même objectivité consiste dans les formes dont le philosophe a enve-
loppé ses doctrines. Il convient donc, selon nous, que le commenta-
teur les respecte en la mesure du possible. Certes, il ne s'agit pas pour
lui d'opéi'cr une simple abréviation et comme une sorte de contrac-
tion (les idées et des théories particulières : non seulement rien n'est
plus légitime, mais encore rien n'est plus nécessaire que de dégager
l'esprit de la lettre et, à celte fin, de traduire et de transposer au lieu
de se borner à résumer. Toutefois, il faut ap[>orter de la discrétion
dans ce travail de la transposition, sans quoi l'interprète risquerait
d'ùter quehpie chose à l'unité de l'œuvre qu'il se projiose de faire
valoir. Il y a en elfet une certaine harmonie entre le fond et la forme
d'un système; celle-ci a été choisie, élaborée en vue de ce fond; elle
exprime la nature d'esprit du philosophe non moins que ses concep-
tions. On imagine aisément le regret et le dépit de ce dernier, s'il lui
était possible d'assister au bouleversement de cet arrangement qu'il
avait concerté en de longues et peut-être pénibles méditations. Ces
remarques, croyons-nous, sont justes en général; elles s'imposent
j)lus que jamais à l'historien de la philosophie, lorsqu'il a affaire à un
système comme le système kantien avec son vocabulaire technique,
ses formules rigoureuses et rigides, ses divisions tranchées, ses clas-
sifications minutieuses, ses compartiments symétriques, ses corres-
pondances dans le plan de plusieurs ouvrages, appareil destiné à don-
ner satisfaction aux exigences d'un esprit ami de la précision, mais
appareil par où se trahissent aussi les habitudes méticuleuses d'un
vieux garçon qui poussa la régularité jusqu'à la manie. Sagement,
M. Ruyssen s'est abstenu de briser, pour le plaisir de la briser, cette
envelo[tpe parfois si hérissée du Kantisme: autant qu'il l'a pu, il en a
conservé les contours, se contentant de la débarrasser de ses compli-
cations inutiles et de ses aspérités nuisibles; il en a eu, non pas la
superstition, mais le respect. Et ainsi, après avoir repensé cette
matière de la philosophie kantienne, après l'avoir allégée de redites
fatigantes (par exemple il glisse sur la méthodologie de la Criliquc.
dp. lu raison pratique dont le contenu est développé tout au long dans
les écrits pédagogiques); après lui avoir communi(iué la netteté de
sa limpitle intelligence, il nous présente un Kant très reconnaissable
et cependant clair. La clarté, voilà un second élément du talent de
in4 Eugène BEURLIER
M. Ruysscn. On accordera que ce n'est pas un mince mérite que
d'en avoir fait preuve en exposant les doctrines du iiliilosophe de
Kœnigsberg.
Si des circonstances qui ont contribué à la formation d'un système
et des formes dont la revêtit son auteur nous passons au système lui-
même, nous reconnaîtrons l'objectivité de l'exposition d'abord à ce
fait que l'historien nous en retrace la vie. Or, pour la pensée d'un
pliiiosophe, la vie est ou bien une activité immanente qui déroule, à
mesure qu'elles lui apparaissent, les conséquences d'une idée maî-
tresse et centrale, ou bien la subsomption sous un principe nouveau
de théories établies sans son secours mais qui reçoivent de lui une
organisation définitive et leur couleur. Comme l'observe M. Boulroux,
ce dernier cas fut celui de Kant. L'invention de l'hypothèse critique
opéra une révolution dans ses idées. Génie essentiellement chissili-
cateur, il s'applique à réviser les résultats de ses travaux antérieurs
et les adapte, une fois modifiés, à la doctrine de la connais.sance qu'il
venait de découvrir. La vie intellectuelle de Kant se partage donc en
deux grandes |)ériodes : \u\k i)ériode antécritique et la période cri-
tique. Chacune est aussi dislincli' de l'autre que le criticisme l'est du
dogmatisme; mais en toutes les deux il y a un certain mouvement
et un certain progrès que M. Ruyssen nous invile à suivre.
Kant vient à peine de quitter les bancs de l'Université, et voici
qu'il fait un ouvrage sur les mouvements des cor|)S en général où,
du ton d'un maître qui proclame son indépendance à l'égard de l'au-
torité, il proteste de sou amour poui* la vérité, son unique but. Inter-
venant dans le conflit entre cartésiens et leibniziens touchant la
mesure de la force motrice, il adopte une position intermédiaire,
grâce à sa distinction de deux classes de mouvements : celle des
corps qui se meuvent librement et chez lesquels la conservation du
mouvement est indéfinie, et celle des corps faiblement poussés; de
cette façon il déi)artage les adversaires, car la formule de Leiluiiz
convient à la première espèce, et celle de Descartes à la seconde. Il
a soin de signaler l'erreur de Leibniz s'imaginant à tort avoir donné
de la loi du carré de la vitesse une démonstration [lurement mallié-
malique, alors que seules l'expérience ou la métaphysique pourraient
en fournir la preuve. La Dissertation de iijnr nous montre Kant en
guerre contre les Cartésiens qui invoquaient un mouvement ])articu-
lier ahn d'expliquer la chaleur et la lumière. Selon lui, il faut sup-
poser entre les corps une matière élastique qui sert de véhicule ou
de moyen à l'attraction. Avec la Monadologia plujsica Kant aborde
franchement la métaphysique : la géométrie et la philosophie trans-
K.xyT, TAR THÉonoHK RLYSSEN 105
cendantale sont les lumières de la ph ysi(iue ; elles ont résolu le
monde en monades simples : mais comment accorder la simplicité de
telles substances et rindéfinie divisibilité de l'espace? La difficulté
sera levée si la monade est définie une force qui, sans occuper elle-
même aucune position dans Tespace, y fait rayonner son influence.
Tandis que la force répulsive des Cartésiens expliquait seulement
l'impénétrabilité des corps, l'attraction rend compte de la cohésion et
la limite des corps se trouve au point d'égalité de ces deux forces. De
cette théorie sort une conception du mouvement et du repos dont
la conséquence est qu'entre deux corps mis en présence l'attraction
est réciproque et que repos et mouvement absolus sont également
chiméricjues. Le principe leibnizien de continuité, si embarrassant
quand il s'agit de passer du repos au mouvement, est aboli il758).
Ces travaux exécutés, Kant, plein de hardiesse, entreprend d'apporter
à la Physique de Newton le complément qui lui manque. Newton a
établi définitivement les principes du système planétaire: reste à
montrer l'origine de ce système, en prenant bien garde d'éviter la
faute de Descartes, selon lequel Dieu n'a mis aucune pesanteur en la
matière; ce qui rend nécessaire « la chiquenaude ». Kant résout le
problème en imaginant l'hypothèse de la nébuleuse par laquelle il
devance Laplace et écrit YHIstoire universelle de In yaliirc et théorie
du Ciel (17.33?). Les Remarques pour l'explication de la théorie des
vents ramènent ceux-ci à des courants atmosphériques, à des difi'é-
rences de température et par une idée neuve rattachent la direction
des moussons à la rotation de la terre. En 17.~>G, Kant commence
la série de ses écrits métaphysiques. C'est d'abord l'explication
nouvelle des premiers principes de la connaissance métaphysique
(Ho.")). Il n'y a guère moyen de grefl'er les lois de l'attraction et
de la répulsion sur l'Iiarmonie préétablie de Leibnitz et l'occasionna-
lisme de Malebranche, car elles impliquent communauté et récipro-
cité d'action entre les êtres. Kant après avoir maintenu le principe
d'identité comme règle du possible espère saisir le réel à l'aide du
principe de raison suffisante ou, comme il parle, de raison détermi-
nante. Il le dédouble en principe de raison antérieurement déter-
minante qui concerne l'existence, et en principe de raison posté-
rieurement déterminante qui concerne la connaissance. 11 découle
de cette distinction que de la seule idée d'un être on ne peut con-
clure son existence, et que l'argument ontologique est ruiné. Mais
Kant n'en continue pas moins à reconnaître la possibilité du dogma-
tisme scholastique et de la métaphysique, ainsi que le montre bien le
court et médiocre 0i)uscule intitulé : Quelques considrvdtious sur
406 Eugène BEURLIER
l'optimisme, écrit à propos de. la querelle suscitée par le tremble-
ment de terre de Lisbonne. Durant quatre années, Kant se recueille,
puis, coup sur coup, il publie : La fausse sublililé des qunlre figures
du si/llugisme dans lequel il prétend ramener à la première les autres
figures du syllogisme, dénonce en celui-ci le simple développement
d'un concept, et affirme Firréduclibilité de la faculté de juger à la
faculté de sentir; ['/nlnnlurlion des qunntilés 7ii^fjfi tires en philosophie
où il met en relief la différence extrême des principes d'identité et de
raison suffisante; le premier faisant du jugement logicpie une stérile
tautologie, le second unissant deux termes non seulement hétéro-
gènes mais même contradictoires, puisque lellet anéantit en tout ou
en partie la cause. Cette contradiction dans le réel est originale, car,
à l'inverse de la coutradiclion logi(jue ou négative, elle permet aux
contradictoires de coexister, comme en mathématiques coexistent les
quantités négatives à côté des positives dont elles ne sont pas sim-
plement la négation. Kant se croit en droit d'en déduire que à toute
grandeur positive correspond ime grandeur négative équivalente et
que le monde — un rien par lui-même — suppose en dehors de lui
une volonté dont il tient l'être. Le divorce entre les deux principes
rationnels est consommé, et Kant a rompu avec la méthode d'explica-
tion rationnelle.
A la date à laquelle nous sommes parvenus la pensée de Kant tra-
verse une crise décisive. Éveillé jiar Hume de sa quiétude dogma-
tique, il incline vers l'empirisme. Il se proposait de donner un com-
l)lément métaphysique à son Histoire universelle de la nature dans
Y Unique fondement d'une di'monstration possible de l'cxistrnre de Dieu.
et ce n'est pas sans un certain embarras qu'il y achève la critique de
la théologie rationnelle, commencée en 17.jo. SuiA-ant une marche
opposée à celle de l'argument ontologi(iue, il faut aller de l'existence
de Dieu à son concept. Comment? Les arguments traditionnels im-
pliquent la preuve ontologique, ils sont donc entraînés dans sa ruine ;
mais Kant estime en avoir découvert un nouveau : le possible est
donné en même temps que la pensée, or, ce possible implique, sup-
pose l'être, car si Dieu n'existait pas, rien n'existerait et par consé-
quent rien ne serait possible. De cette nécessité de l'être divin Kant
tire ses attributs ; unité, simplicité, immutabilité, éternité. Les Prin-
cipes de Ihéoliirjie naturelle et de j)!om/« achèvent la déroute de la mé-
thode a priori en matière de métaphysique. Cette méthode est valable
en mathématique, attendu que celle-ci construit ses définitions et les
lie arbitrairement à l'aide de la synthèse, mais elle est impuissante
en métaphysique où le donné est trop complexe pour que la décom-
KÀXT. PAR Théodobe ULYSSEN lO"!
]iosition (Ml |)iiissc' ùtre U'i-iiiini'i'. La mt'laphysiriue se servira donc de
rçxiH'i'iLMU'e sons la forme de la conscience immédiate el de son auxi-
liaire la déduction. Kant fait une application intéressante de celte mé-
I liode à la morale. Tandis que de la formule n tu dois » ou peut déiluire
l'dhligatiou, le sentiment intérieur révèle ce que. le devoir commande.
G est encore l'exiiérience qui fait les frais des Oh^cvralinns sur le sen-
liment du beau el du sublime où l'on relèvera la distinction, d'ailleurs
sui)erticielle, des deux grandes espèces dn beau, le caractéristique de
la vertu cherchée dans la jiénéralilé des principes inspirateurs de la
conduite, à savoir le sentiment de la beaiili'' et de la dignité de la
nature humaine, et des essais de psychologie individuelle, sociale,
des sexes, nationale, etc. Les rêves d'un visionnnire e-rfiliquès par
les rêves de la rnélaphysir/ue exiiliquent par dos hallucinations les
jirétendues facultés mystérieuses de l'illuminé Swedenborg (vision à
distance, commerce avec les morts, dédoublement de la personnalité),
el idenlilienl à ces hallucinations celles auxquelles sont sujets les
métaphysiciens, que leurs rêves individuels égarent en un pays de
cocagne. Certes, il y a une communication des esprits. Ils sont les
sujets d'une loi d'universelle dépentlance, el le sentiment moral n'est
pas autre chose que le sentiment de la subordination des volontés
particulières à une volonté universelle. Mais que la métaphysique ne
s'aventure pas dans la région de l'inconnaissable el qu'elle se con-
lenle d'être la science des limites de la raison humaine! .\vec cet
ouvrage finit la période antécrilique.
De son voyage à travers les doctrines de son temps, Kant a rap-
])orlé trois principales idées : la croyance à la certitude de la science
et de la morale, le double procédé analytique et synthétique de la
pensée humaine, l'indépendance et la primauté du sentiment moral.
Le [jroblème auquel il va s"alla(iuer est celui de la connaissance : il
veut fonder la théorie de la science. L'étude de ce sujet capital l'ab-
sorbe j)endaut dix ans (1770-1781). De ses laborieuses méditations
sort la Critique de lu /(ais(jii pure qui ouvre la série des œuvres cri-
tiques. Elle sera suivie des Prolé/jomènes, où l'hypothèse criticiste
est exposée à nouveau, mais cette fois d'une façon analytique ; de la
Critique de la Itaisan pratique, qui établit que la ruine de la métaphy-
sique dogmatique laisse intacte la morale; delà Critique du juge-
ment destinée à combler une lacune de la Ilaisuu jiure et à expliquer le
jugement rétléchissant en matière de beau et de finalité; enfin des
ouvrages dans lesquels Kant travaillera à édifier la seule méta[iliy-
sique rendue possible par la critique : celle de la nature phénomé-
nale à l'aide des lois suprêmes du mouvement (J'remiers jjriucipes
108 Eugène BEL'RLIER
mrlaphijxiqups dr la nature, h'cnns di' mrlapinjsirjiie) et celle de la
liberté (Fondements de la métaphysique des mœurs. Doctrine du
droit et de la vertu) et les écrits pédagogiques ainsi que le Projet de
paix perpétuelle.
A partir de la Crilifjne de la lia'isnn pure, le Kant définitif, le vrai
Kant, le Kant dont il s'agissait d'exposer objectivement le système
est à nous. C'est une tache toujours difficile et singulièrement délicate
que celle de dégager la véritable pensée d'un philosophe, pour jieu
qu'elle ait de profondeur. Quel danger l'interprète ne court-il pas de
substituer ses propres tonceptions aux conceptions del'auteur.d'allé-
rer celles-ci en les [)liaut <à ses habitudes personnelles d'esprit, et en
les ajustant au biais de ses préoccupations! Le philosophe a-t-il man-
ipié de clarté, ses théories sont-elles en partie énigmatiques? Avec
(lueiie facilité naîtra en lui la tendance à les convertir en simple
occasion de faire preuve d'ingéniosité et d'originalité! VA si, de plus,
les historiens de la philosophie comprennent l'œuvre différemment,
([uelle tentation d'ajouter une interprétation de plus aux interpréta-
lions anciennes! Kant, dont le texte est d'autant plus obscur qu'il
s'efforce davantage de l'éclaircir et dont les commentateurs ne s'en-
tendent pas, soumet ses interprètes à une épreuve particulièrement
rude. Louons donc M. Ruyssen d'avoir su éviter les écueils dont sa
route était semée. Uni(juement soucieux de bien entendre la i)hiloso-
phie, respectueux de la lettre et intelligent de l'esprit de ses écrits,
informé aussi des explications qui ont été proposées du système, il a
discrètement effacé sa personnalité devant celle de son héros, et au
lieu de chercher à briller par l'invention d'un Kantisme inédit, il s'est
contenté de mettre en lumière le Kantisme de Kant. On sent que son
dessein a été de donner an lecteur riini)ression qu'il a affaire à Knnt
lui-même : c'est ainsi (pu' nous expliipions l'absence de tout essai de
justification pour appuyer son intci-prétation et de toute discussion
relativement aux points généralement controversés : car nous ne con-
sidérerons pas connue telles les deux courtes notes placées en appen-
dice.
Quel est donc le Kant qui nous apparaît en cette remarquable
élude? On n'attend pas de nous, évidemment, que nous résumions le
copieux résumé de M. Ruyssen. Etcependant, puisqu'à notre tour nous
faisons un compte rendu objectif, notre devoir est de dire cori.ment
il a compris la doctrine dont il s'était constitué le vulgarisateur. Si
l'on néglige les nuances et les détails, il y a deux Kant selon les com-
mentateurs; celui de Kuno Fischer, de Beuno Erdmann et de Scho-
penhauer, qui recule de l'idéalisme jusqu'au réalisme par une rétrac-
KANT, PAR Théodore HUYSSEN 109
tiitiou à demi inconsciente oii hypocrite, et celui de M. Boulroux
pleinement conscient de la signilicalion profonde de sa doctrine, qu'il
maintient jusqu'au bout sans infidélité. C'est ce dernier qui s'est révélé
à M. Ruyssen. Convaincu de la certitude de la science expérimentale —
dont Newton a produit un exemplaire accompli dans sa Physique —
et de la certitude de la morale, Kant pari de leur existence comme de
choses données, comme de faits, que le philosophe a pour mission
non pas de révoquer en doute, mais de constater et d'expliquer. Il y
parviendra s'il est en mesure d'établir une théorie de la connaissance
qui les justifie également. Or, toutes deux sont compromises par le
rationalisme classique non moins que par l'empirisme de Hume. De
renseignement du philosopiie anglais un point cependant est à rete-
nir : la nature syntliéti(iue du principe de causalité. Est-il le seul à
posséder ce caractère? L'analyse des diverses espèces de la connais-
sance permet bientôt à Kant d'en démêler de pareils en tous les
modes de spéculation, en matliématique, en métapliysique, en morale
comme en physique. C'est seulement grâce à eux que nous sommes
capables de connaître le réel. Comment donc des principes synthéti-
ques qui lient des choses hétérogènes d'un lien de nécessité, sont-ils
possibles, c'est-ii-dire certains a priori? Voilà le problème que doit
résoudre la théorie de la connaissance. Les anciens et les modernes,
jusqu'à Kant, ignorants de l'existence en l'esprit de principes synthé-
tiques, ont admis que cet esprit, soit dans la représentation du relatif,
soit dans l'intuition de l'absolu, se réglait sur les choses. Copernic de
la philosophie, Kant va renverser ce point de vue et c'est d la nature
de l'esprit qu'il va rattacher les principes du connaître et du faire.
L'esprit peut connaître et opérer a priori des liaisons synthétiques
parce qu'en le faisant il ne fait qu'obéir à ses propres lois, à ses lois
et formes constitutives. Puisque ces lois et formes appartiennent au
sujet, il faut en prendre son parti, elles l'enferment en lui-même, lui
interdisent la connaissance des choses telles qu'elles sont en soi, des
noumènes, et ne lui fournissent que la représentation des phéno-
mènes : la véritable théorie de la connaissance est un idéalisme trans-
cendantal qui est aussi un réalisme empirique.
Cet idéalisme sauve la science et la métaphysique elle-même, mais
contre les métaphysiciens. Il sauve la science. Deux grands éléments
sont à distinguer dans la connaissance : la matière et la forme. La ma-
tière est constituée par le divers de la sensation qui revèl lui-même
les formes nécessaires et universelles d'Espace et de Temps, condi-
tions indispensables à la perception sensible, externe et interne, anté-
rieures par conséquent à elle, valables pour les phénomènes, attendu
1,0 Eugène BELRLIER
que, sans elles, nous n'en aurions pas l'inluition. La forme, c'est la
liaison intelligible du divers représenté dans l'intuition. Hlle est due
aux catégories c'est-ù-dire aux concepts qui expriment les lois de
l'entendement, faculté spontanée de liaison intelligible dont l'opéra-
tion originale est le jugement. Il est donc facile de tirer de la table
renfermant les espèces du jugement logique la liste des formes
correspondantes de l'entendement constitutif, de cet entendement
qui, appliquant ses catégories aux formes pures de la sensibililé,
à l'e.space et au temps, unit les phénomènes par des ra|iports, confor-
mément à des principes synthétiques qui sont a prinfi. cest-à-dire
nécessaires et universels. Mais l'application des catégories aux phé-
nomènes est-elle bien b'gitimc? Oui, car le sujet implique l'objet et il
n'y a pas d'objet sans la liaison nécessaire et universelle des phéno-
mènes réglée suivant les catégories de l'entendement. — Il sauve la
métaphysique, — non pas assurément celle de l'ancien dogmatisme,
puisque, en l'absence d'une iulnilion des choses en soi, nous sommes
iuq)uissants à savoir .si' et ronniu'iil. les catégories leur seraient appli-
cables, et qu'à vouloir faire (piand même une telle application, la rai-
son, au lieu de saisir l'absolu qu'elle poursuit, ne réussit qu'à tomber
dans les paralogisme's de la psychologie ralionnelle, à s'embarrasser
<lans les antinomies, à jin-udre ce que la pensée ne lui montre qu'à
titre d'idéal, pour un être dont la réalité serait démontrée, — mais la
métaphysique du phénomène ipii déduit des principes su])rèmesde la
ct)nnaissance les lois f(uidamentales du mouvement dans leurs rela-
tions aux catégories, el la métaphysique de la liberté.
De même, en efl'et, ([ue Kant estime avoir rendu compte de l'exis-
tence de la science el légitimé une certaine métaphysique, il croit
aussi ])lacer la morale hors de toute contestation. De l'observation de
la con.science il dégage la forme du devoir, la distingue en tant
<]u'impératif catégorique et universel, c'est-à-dire rationnel, de rim|)é-
ratif liyiiothétique, la rattache à la volonté définie i)ar la faculté
supérieure de désirer connue l'acte à la cause, oppose l'autonomie de
cette volonté à l'hétéronomie des désirs inférieurs en quête d'olijets,
donc d'une matière, trouve dans la loi morale la preuve de la liberté
dont la critique de la Raison pure admettait la po.ssibilité mais dont
elle renonçait à démontrer la réalité; el s'il se déclare impuissant
à expliquer connnent se i>eavenl concilier le déterminisme de nos
résolutions et la liberté de la volonté pure, du moins espère-t-il être
<'ii droit de les maintenir l'un el l'autre au moyen de la distinction
entre l'homme-phénomène et l'homme-noumène. Forme pour le
devoir, i-epousse tout objet, car un objet, comme tel, relève toujours
yv.l.VT, l'Ail TnKODOiiE «L'YSSEN Hi
lie r;iin(uir-]ii'(i|ii'<' ; cl cein'iulaiil ce devoir a une nialièrc : la lihrrh''
luèniecle la \()lnii:i'\ (|ui est la législatrice de la loi morale el ijiii l'ait
ilii sujel où elle réside une fin en soi, un être sacré. Voulu pour hii-
uiéuie, par respect, c'esl-à-dire par ce sentiment qui dénote notre
dépendance à l'égard du devoir même en laul (|u"individus, l'impératif
(■alégori(iue introduit en nous la moralité rpii consiste en la bonne
volonté el ([uil convient de ne pas confondre avec la légalité, ou cou-
l'ornuté simplement extérieure de la conduite aux préceptes de la loi
morale. La bonne volonté est le vrai bien, mais on n'en doit pas con-
clure qu'elle remplit le concept entier du bien. Le souverain bien
serait l'accord de la vertu et du bonheur. Dans notre monde on ne
doit |ias pratiquer le devoir en vue du bonheur, et la vertu, tant s'en
laul, n'obtient pas sa récompense : de quelle façon se résoudra l'auli-
nomie? Par la vie future dans b-upielle notre àme immortelle conti-
nuera de se perfectionner, par Dieu (jui dans cette existence nouvelle
réalisera le souverain liiiMi. J.,'iuHU(irtalité de l'àme, l'existence de
Dieu deviennent ainsi, grâce à la loi morale, non i>as des objets de
ctuinaissauee (puisque nous n'avons |>as d'intuition de l'àme ni de
Dieu, mais des objets de foi rationnelle, c'est-à-dire fondée, garantie :
la Crilvjui' di' la Itaismi pr/ilMjui' ne supprime pas les conclusions de
la Cril'Kjui' de lu liaison pure; mais elle affirme à son point de vue qui
est celui de l'action ce que celle-ci laissait indécis au sien qui esl relui
de la connaissance, de la science.
De ce système aux contours si arrêtés, M. Ruyssen nous convie à
admirer la richesse, la variété, l'unité — unité d'esprit : la raison
humaine n'y reconnaît d'autre juge que la raison humaine; elle se
prononce en faveur d'un rationalisme bien distinct de celui des méta-
idiysiciens dogmatisles, puisque tout en traçant à notre pensée d'in-
franchissables limites [iine celle-ci trace elle-même, il est vrai), il
l'empêche de s'abîmer dans le scepticisme et lui assure la certitude di'
la science et de la morale ; — unité de méthode, méthode qui va de
l'esprit aux choses, de la raison siiéculative aux phénomènes, de la
raison [iratique à l'action, ipii [lar une analyse transceudantale assigne
au double usage de la raison ses conditions, détermine a priori les
principes essentiels du savoir, la loi de la moralité, celle de la vertu,
de la société, de la paix perpétuelle; — unité de doctrine, en dépit de
certaines ap[iarences : les divergences des commentateurs s'expli-
(|ueul par les obscurités indéniables du texte ; quant à celles des doc-
trines issues du kantisme, elles sont les résultats de la diversité des
disciples. Jamais Kant n'a eu conscience d'une contradiction intime
entre les résultats de sa doctrine de la raison théorique et celle de la
112 Eugène BEURLIER
raison pratique. Toujours il a affirmé le dualisme de la nature et de la
liberté, et s'il a cru au nom du devoir, ce qui pour la science demeurait
problématique, il avait prévu que la foi rationnelle pourrait conduire
notre pensée au-delà des bornes de la science.
Que la richesse et la variété des idées soient au nombre des carac-
tères et des mérites du Kantisme, nous ne songeons nullement à le
contester ; pour ce qui est de l'unité, la question demande à être exa-
minée de près. Certes, nous accordons sans peine rpie le système de
Kant est un tout bien lié, un organisme dont les parties se répondent,
sauf à, faire toutes les réserves de droit sur la solidité de tel ou tel
organe particulier. Mais des réserves d'une autre nature ne s'imi>o-
sent-elles pas? Il nous paraît que dans le Kantisme, considéré comme
doctrine de la connaissance, se rencontre un élément qui n'aurait pas
du y trouver place. C'est ce qu'on remarque, lorsque l'on discute l'idéa-
lisme kantien et sa position par rajjport à la réalité des corps en
tant que choses en soi. A pro()Os de l'existence du monde des corps
comme noumènes, deux reproches principaux ont été adressés à Kant.
Benno Erdmann, Kuno Fischer, Schopenhauer ont soutenu, de façons
diverses, que Kant, a[irès avoir rejeté cette existence dans la première
édition de la Critique dr la llnisun purf, l'avait rétablie dans les Pro-
lêgoimnes et la deuxième édition de la Critique, afin tléviler l'identi-
fication de son idéalisme à l'idéalisme berkeleyen. Jacobi, de son
côté, l'accuse de n'avoir admis la réalité, objet du débat, que par un
abus de la catégorie do causalité, lar|uelle, étant déclarée valable
pour les seuls phénomènes, ne saurait être employée à la démonstra-
tion de l'absolu. Les interprètes qui admirent dans le Kantisme une
profonde et rigoureuse unité, sont tenus de justifier Kant de ces deux
griefs.
Touchant la première accusation, il nous semble qu'à la suite de
M. Boutroux, M. Ruyssen pense que Kant sort facilement vainqueur.
M. Ruyssen rappelle que le philosophe de Kœnigsberg a protesté avec
énergie de la perpétuité de sa croyance à la réalité du monde sensible
entendue comme existence indépendante de nos représentations des
corps, que, pour lui, les corps sont les principes inconnaissables en
eux-mêmes, mais certains quant à leur existence, de nos sensations,
et que, si le système ne démontre pas celte existence, du moins il la
postule. C'est ici qu'il s'agit de bien s'entendre. Nous sommes con-
vaincu que Kant n'a jamais professé cette espèce d'idéalisme qui nie
la réalité en soi des corps. Cette réalité, il l'admettait au moment où,
placé au point de vue du sens commun, il conçut son hy[)Othèse sub-
jectiviste; il continua de l'admettre, cette hypothèse une fois faite
Jv-l.Yr, PAR Théodore ULYSSEN H3
cl (It'-velnppce en tliéorie délinilive de la connaissance ; et c'est, selon
nous, justement en quoi il eut tort, parce cpi'alors il pécha contre la
logique. L'existence du noumène matériel est un postulat de Kant ;
ce n'est [)as un postulat de la théorie kantienne de la connaissance.
Expliquons-nous. Le mot postulat, chez Kant, reçoit deux grandes
acceptions. Un postulat, d'après le sens le plus original, est d'abord,
à ses yeux, l'objet d'une croyance rationnelle, c'est-à-dire fondée,
mais enlin, d'une croyance; en d'autres termes, c'est un objet dont
la réalité est garantie par la loi suprême de l'action, le devoir. Le
devoir requiert l'objet d'un postulat, non pas à titre de condition de
son existence, mais comme condition nécessaire à l'achèvement de
la pratique qu'il impose. Telle est l'àme immortelle; tel est Dieu. Du
noumène, objet d'un postulat, il n'y a pas de science : l'existence,
l'essence, le rapport aux phénomènes en échappent à la connaissance
théorique. 11 est clair que l'existence des corps délinis en tant (jue
choses en soi n'est pas l'objet d'un tel postulat, puisqu'elle sert de
principe à la doctrine de la science. Un deuxième sens du mot postu-
lat se relève dans la Critique de la Raison pure, et lui fait désigner
les principes qui régissent l'application de la catégorie de modalité
aux phénomènes et nous instruisent des conditions du possible, du
réel et du nécessaire phénoménal. Ce n'est pas non plus un postulat
de ce genre qu'on nous présente avec la réalité du monde sensible.
Le postulat dont il s'agit est un postulat au sens ordinaire du mot,
quelque chose qu'on ne démontre pas, mais dont on croit avoir besoin
pour rendre compte d'antre chose, — dans le cas qui nous occupe,
du divers de la sensation: — bref, c'est tout simplement une hypo-
thèse. Quel système n'a ses hypothèses? Encore est-il que ces hypo-
thèses doivent s'adapter respectivement aux systèmes qui les adopti'ut.
Il n'en va pas ainsi du postulat kantien concernant l'existence du
noumène corporel. Celui-ci réjjugne, au contraire, à la doctrine criti-
ciste de la connaissance. La raison spéculative peut recevoir, reçoit
en fait, deux grands usages, l'un immanent, l'autre transcendant. Le
premier consiste à appliquer la catégorie aux phénomènes, application
en vertu de laquelle le multiple et le divers de la sensation, revêtu
déjà des formes a priori de la sensibilité et devenu objet d'intuition,
est transformé en objet de pensée. Le réalisme qui en résulte n'est
qu'empirique, et l'idéalisme qui le rend possible n'est que transcen-
dantal. Par le second, l'esprit, soucieux de trouver la totalité des
conditions des phénomènes, conçoit l'absolu. L'usage immanent des
catégories de l'entendement est légitime, car ces catégories sont les
lois des intuitions ou des phénomènes, en même temps que les lois
dl4 Eugène BEURLIER
dr rcntcndeineiil lui-niènie; mais Tusage trnnsceiulanl esl ill('jj,itiine
parce que l'intuition de laljsolu nous faisant défaut, sous le nom
d'absolu c'est au néant ([ue nous avons affaire, sans nous en douter.
Il n'y a pas, il ne peut i)as y avoir de connnerce léf^ilinie enlre notre
raison théorique et l'absolu. Si cela esl exact, de quel droit donc
Kant postule-t-il l'existence des corjis comme choses eu soi, c'est-à-
dire comme absolu? Du droit, dira-t-on, de l'Iiypotlièse criticiste
elle-même qui, si on supprime la distinction du i)hénomène et du
noumène, n'a plus aucune signification. Cette réponse repose sur une
équivoque. Il esl vrai, nous l'avons vu, qu'à l'époque oii son hypo-
thèse lui vint à l'esprit, Kant devait, du point de vue du sens commun,
donner au principe de la théorie qu'il allait édifier, la forme d'une
opposition de la connaissan(;e du phénomène à celle du noumène ;
mais il est vrai aussi ({u'à dérouler les conséquences de l'hypothèse
el à exécuter le système, Kant eût dû s'apercevoir que cette opposition
ne pouvait être maintenue : le principe de la doctrine a]ipelait une
expression mieux en harmonie avec lui. Nous sommes, selon Kant,
enfermés en nous-mêmes; nous ne pouvons rien nous représenter
que par les formes de notre sensibilité et de notre entendement. Au
fait, y a-t-il donc autre chose que ces représentations? Voilà une
question à lacjuelle la théorie kantienne de la connaissance nous
interdit de formuler jamais une réponse. Il ne faut plus dire par con-
séquent que nous sommes dans l'inqiossijjililé de sortir de nous ]iour
saisir ce (jui n'est pas nous; il faut dire ([ue la constitution même du
sujet (jue nous sommes nous laisse ij^uorer s'il y a qui'lque chose (jui
ne soit pas nous. Cepeinlanl, dira-l-on, le divers de la sensation sub-
siste, et la sensibilité, qui esl réceptivité pure, implique quelque chose
qui la suscite en elle ; autrement, il resterait sans explication. Peut-
être, en elFet, rcstera-t-il inexpliqué ; ])eut-élre, d'un autre coté, pourra-
l-il devenir intellifçible si l'ini essaie, comme Ficlite l'a tenté, de l'aire
produire la matière de la connaissance i)ar le moi lui-même. El,
a|)rès tout, serait-il donc plus étrange d'admettre que le moi esl jusque
dans la perception sensible passif par rapi)ort à lui-même, que d'ad-
mettre la spontanéité absolue de notre inlelligence limitée I Quoiqu'il
on soit, un point est hors de débat : c'est que le Kantisme n'a pas le
droit de postuler, en tant que théorie de la connaissance, un principe
qui le contredise. Le monde extérieur, comme chose en soi, ne peut
être traité ni rangé par le Kantisme que parmi les réalités transcen-
dantes dont l'existence, n'étant pas et ne pouvant pas èti'e scientifi-
quement établie, n'a aucun titre à être affirmée.
Cette conclusion apparaît mieux l'ondée encore si l'on examine le
KAyr, PAR TiiKODORE RUYSSl'X 115
second rpiiroclio ailressé à Kaiit et la réponse que (|uelf|Mes-uns |)ré-
sentenl pour justifier le iJJiilosoplu'. Jaeobi estime que Kantaviolé sa
propre doctrine en faisant de la catégorie de la causalité une application
transcendante afin de remonter des ])liénomènes matériels aux. corps
qui les suscitent en notre sensibilité. MM. Boutrnux et Ruyssen, sans
prétendre écarter complètement le grief, croient l'atténuer en partie
en disant que Kant n'admet jias entre les corps, choses en soi, et les
phénomènes sensibles, une relation de causalité qui relèverait, en
effet, du seul usage immanent de la catégorie appliquée, mais une
relation indéfinissable et demeurée sans définition. En vérité, la réponse
est subtile, mais saus force. Kant, c'est bien notre avis, n'a pas fait
un usage exprès et explicite de la catégorie de causalité pour remonter
des phénomènes sensibles aux corps en tant que noumènes; ayant
admis dès le début ces noumènes, il n'avait plus à les chercher; mais
ce qu'il n'a pas fait, il eût dû le faire, et s'il avait essayé de le faire,
il aurait vu que la logique de son hypothèse le lui interdisait. Tout
implicite qu'il soit, son sophisme n'en est pas moins réel. Le Kantisme,
connue théorie de la connaissance, implique un raisonnement latent
qui est contraire à son principe. Aussi bien, qu'attend-ou de l'indé-
termination du lien affirmé entre les corps et les sensations qui nous
les représentent à travers les formes de notre sensiliilité? .Non moins
qu'une relation déterminée, cette relation indéterminée est une rela-
tion affirmée. Or, pour affirmer une relation, l'entendement est obligé
de se servir de l'une ou l'autre de ses catégories : et ces catégories
n'ont en l'absence d'une intuition de l'absolu qu'un usage légitime,
l'usage immanent. En résumé, l'unité du kantisme est compromise
par l'affirmation de la réalité des corps comme choses en soi. Le
monde extérieur n'est pas l'objet d'un postulat légitime ; c'est non
seulement une de ces hypothèses auxiliaires que la logique défend de
greffer sur ime hypothèse principale ; c'est, en outre, une hypothèse
incompatible avec celle ([u'on lui donne pour rôle d'étayer.
Après avoir mis en relief la variété, la richesse, l'unité du Kanti.sme,
M. Ruyssen estime sa tache terminée. Il abandonne au lecteur le soin
de se prononcer sur la vérité du système. S'il laisse entrevoir son
avis, il ne le formule pas expressément. C'est Kant et Kant seul qu'il
a voulu exposer. Nous imiterons sa discrétion, sur d'ailleurs d'avoir
plus d'une occasion de discuter les théories du philosophe de Kœnig-
sberg. Cependant, à défaut du Kantisme, il nous sera bien permis
d'apprécier l'œuvre de son plus récent interprèle, et ce sera pour
saluer en elle une œuvre des plus distinguées.
EiGii.NE BEURLIER.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
CLonius PiAT. — Sacrale, in-8°, Paris, Alcan.
Th. RuYSSEN. - - Kanl, in-8", Paris, Alcan.
Carra de Vaux. — Arnconw, in-S", Paris, Alcan.
.\lfred FotiLLÉE. — An France nu /mini de rue mornl, in-8", Paris,
Alcan.
Élie Blanc. — Mt^langes iilii/nsojilni/iu'.'i. in-8", Lyon, VriTE.
Charles Hurr. — L/i Philaxaphic ilc la nnlurr chez les anciens, Paris,
P'ONTEMOI.N'G.
D'' SuRBLEn. — La Me a/ferliee. \n-i-2, Lyon, VllTE.
A. BouYSSOiME. — Jm liaisan et les l'rinci/ics premiers, in-8°, Brivo,
chez l'Auteur.
R. P. H. Watrioam'. — Deu.r mélhodes de spirilualilé, in-8", Lille,
Desclée.
Lasi'Lasas. — ElohKjia 0 /ilusof^n de la Educacidn, in-12, San-Sal-
vador.
André GonAnn. — f.e l'asitirisme elirélien, in-8", Paris, Bloud et
Barhal.
La Revue se réserve de rendre compte des livres qui lui sont
envoyés en double exemplaire.
BULLETIN
DE
L'ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE
Tous 1rs hdtiunes d'étude sont d'accord pou r reconnaître Vuti-
lité de certains Bulletins connus sous le nom ^'Intermédiaire.
Notre Bulletin se propose d'être /'Intermédiaire des professeurs
de philosophie.
Nous avions eu d'abord la pensée de fournir à nos collègues
de l'enseignement secondaire des sujets, des plans et des élé-
ments de dissertation pour leurs élèves. Plusieurs d'entre eu.r
nous ont fait observer cju'il existe des livj-es spéciaux pour ceux
des professeurs qui désirent être aidés sous ce ?-apport.
On nous a plutôt demandé de traiter les questions du pro-
gramme du baccalauréat. Mais « faites autre chose, nous éci'it-on,
que le résumé ou la dissection sèche d'un chapitre de manuel.
Trop souvent ces sortes de travaux ne sont pas pensés et ils ne
font pas penser : ce sont des ouvrages de manœuvre. »
Nous nous confonuerons à la littéralitr du programme, mais
nous en étudierons les questions indépendamment de sou esprit.
D'autant plus que cet esprit a cessé d'inspirer l'enseignement
supérieur.
Tandis que les Manuels — dont nous ne voulons pas dire du
mcd, parce qu'il est plus facile d'en médire (pie de ne pas s'en
servir, — sont restés fidèles, dans leur monotone uniformité.,
aux vieilles conceptions de l'époque de Cousin, V enseignement
des Facultés s'est au contraire affranchi de ce dogmatisme clas-
118
si(/iie et représente aujourd'hui les doctrines philosophiques les
plus variées.
Si ce Bulletin contribue à donner plus d'originalité à l'ensei-
gneme7ït des lijcées, collèges et petits séminaires, il aura rendu
service.
Nous voudrions que tous les professeurs soient au courant des
questions qui préorcujjent maîtres et élèves dans l'enseignement
supérieur, en parliculier au Collège de France, à l'Ecole nor-
male, à la Sorhonne et à l'École des Carmes. Le Bulletin fera
connaître les sujets de cours, au commencement de l'année sco-
laire. Il pourra même, pendant l'année, indiquer et apprécier les
principales solutions qu'on y apporte.
On y trouvera tous les rense'ignements qui concernent les exa-
mens de licence, le concours d'agrégation , les soutenances de
thèses pour le doctorat, les mutations et les nominations des pro-
fesseurs de l'enseignement supérieur et secondaire.
Mais avant tout, le Bulletin ilésire entrer en contact avec les
professeurs et répondre au.r diverses questions qu'ils auraient
quelque utilité à lui tidresser. — // est un point sur lequel nous
attirons l'attention de nos collègues. Le travailleur solitaire,
isolé des grandes bibliothèques, qui veut se livrer à une élude
spéciale, est d'ord'inaire entharrassé par la bibliograpiiie du
sujet. Le Bulletin s'efforcera de la lui procurer. Il lui épar-
gnera ainsi une perte de temps considérable, et l'ennui d'être
arrêté par des difficultés qui (nit été résolues.
Ce Bulletin est un instrument de travail qui appartient ii
tous les professeurs de philosophie : éi eux de l'adapter à leurs
besoins, p)ar leurs conseils et leur collaboration.
OBJET DE LA PHILOSOPHIE
Critique de la conception classique. — D'après les Manuels à
lusage (les candidats au haccalauréat es lettres, la philosophie
comprend les sciences psychologiques et les sciences métaphy-
siques réunies : les premières se distrihuent en psychologie
expérimentale, logique et morale ; les secondes, en psychologie
rationnelle, cosmologie et théodicée.
(lomme métaphysique, la philosophie est une science géné-
rale, dont l'objet dépasse l'expérience; comme psychologie,
elle est constituée par trois sciences spéciales, dont l'objet
relève de la conscience et des autres formes de l'observation.
Une semblable conception présente de graves difficultés : l''Ces
deux ordres de sciences se confondent-ils en une seule et même
science qu'on a le droit d'appeler la philosophie? Ces deux genres
d'objets se réduisent-ils à un seul et même objet qui est l'objet
propre de la philosophie ? — On ne voit pas la possibilité d'iden-
tifier ces deux sciences, ni ces deux objets. Une étude d'observa-
tion et d'expérience est quelque chose de tout à fait dillérent
dune étude qui porte sur la plus haute généralité possible,
située par définition au-dessus de l'observation et de l'expé-
rience. La philosophie ainsi entendue manque de cohésion et
d'unité : c'est une « science générale soudée à des sciences
particulières », comme s'exprime M. Ribot, qui la compare, dans
son Introduction à la Psijchohigit' anglaise^ « à ces êtres qui se
reproduisent par division ou lissiparité et qui, à certains mo-
ments, présentent trois ou quatre individus encore soudés au
tronc commun ». — 2° Elle a aussi le tort de placer les pro-
blèmes moraux au rang des problèmes psychologiques. S'il est
trop évident qu'une grande partie de la Morale se rattache de
près à la psychologie, il n'est pas moins manifeste que sa
120 E. l'EILLAUBE
partie priicipale, celle qui lui serl de fondement, suppose la
théodicée. L'obligation implique la volonté libre de celui qui
acrit; mais elle puise toute sa force dans la volonté de celui qui
commande dans la volonté divine. Ranger la Morale parmi les
sciences psychologiques, c'est laisser dans l'ombre son élément
le plus essentiel et, d'une certaine façon, la compromettre.
Si l'on veut éviter ces difficultés, il faut admettre que la philo-
sophie est en possession d'un objet spécifique homogène et avoir
soin de relier organiquement chacune de ses différentes parties.
Objet propre des sciences et objet propre de la philosophie.
— L'oiijet propre de la philosophie se détermine par comparai-
son avec l'objet propre des sciences. Si nous prenons une clas-
sification des sciences comme sommaire de l'activité de l'esprit,
celle d'Auguste Comte, par exemple, nous voyons se détacher
avec précision, sur deux plans superposés d'un même tableau,
robjet des sciences et l'objet de la philosophie.
1° Les mathrmatiqiies étudient la quantité sous trois aspects :
nombre, étendue, mouvement.
a) Les sciences du nombre, arithmétique et algèbre, théorie
des fonctions et calcul des probabilités, tournent autour du
problème de l'unité. Elles additionnent les unités, elles les
soustraient, les multiplient, les divisent, les élèvent à la puis-
sance, en extraient les racines : opérations primitives qui sont
le point de départ fécond des plus hautes mathématiques. Mais
à aucun moment, les sciences du nombre ne nous disent ce
qu'est l'unité, ni s'il faut voir en elle un attribut des choses
ou une construction de l'esprit.
b) La géométrie, sous toutes ses formes et à tous ses degrés,
ne nous apprend rien sur l'étendue. Les théorèmes sur la ligne,
sur la surface et le volume des corps demeurent étrangers aux
questions de l'inlinité, de l'idéalité ou de la réalité de ces espaces
dont le silence éternel effrayait Pascal. On peut bien se deman-
der si le continu est une propriété de la matière ou s'il n'est
qu'une quantification de la qualité opérée par l'esprit; mais, à
ce moment, on cesse d'être géomètre : la réponse échappe aux
procédés de la géométrie.
c) Les sciences du mouvement, cinématique, statique, dyna-
(ilUET hi: l..\ IUlILnSiil'IlIE 121
inique, IraitiMil ilr l.i l'uvrc di's vilossos, du Iciiips cl dr Tcs-
pacc. loiil l'ii rolaiil muolLcs sur la nature de ces clioses. I.a
liirce n'y esl jamais (''tudiée en elle -nu"'me, mais seulemonl
dans s(Hi eU'ei cl, dans sa mesure, le mnuvcnuMit.
2" \^'(islr(iiiiiinic , (Mivisat;'(''e comuie nue mallu'nuilique des
corps célesles, uapporle pas de eonli'iliulion miuvidle à l'élude
de l'iniili', de l'espace cl du iunii\ ciucnl.
'■\" \a\ /j/n/si(/ii/' lU' prélcml |)as, aujourd'hui moins (iiic jamais,
pr'n(''li'ci' l'essence des pi'opri(''[(''s générales de lu malière. I^'in-
strumeiil mal liémali(] lie, duiil elle l'ait usa|;e, n'est qu'un schéma
plus ou moins approclu'' de la réalité. Adapl('' à la théorie
vihratoire de la lumière et des couleurs, il réussi! ; mais il
réussit encore — ci nu'mie mieux, d'aju'ès M. Dnhem, — lors-
(|u'on l'apiilitiiH' à la couccjiiioii de la lumir're-(|ualih''. Si donc
l'instrument mathi''matic(ue peut l'onctionner sur d(^s données
opposées, c'est qu'il n'alleinl pas le fond dos choses.
I.umiére, couleur, son, chaleur, électricité, posanieur sont
des phénonn''ncs donl la raison dernière échappe aux sciences
physiques. .V côté tics lois de la |)hysi(|U(^ t]u''orique, qui sont
plus ou moins artiiieielles, n'y a-t-il pas des lois natur(dles cl
de sens commun, (|ui sont, non des idoles, mais des réalités?
Ou(dle est la nature de ces lois? Sout-elli^s nécessaires ou con-
tingentes? (Jnellc est la valeur de l'induction, sur laquelle elles
reposent? Il apjiartient au philosophe pluti'il (|u'au savant de se
prononcer sui' ces graves problèmes.
'i" [.a (liliiiic sera luentôt, comme la ph)si([U(% luitièrement
schématisée par les mathémati(|ues. Mais l(>s schéunas des ato-
misli's sont aussi im[)uissan[s à prouver la réalilé' des alonu^s
que ceux de .M. Dnhem à élahlir l'existence de la Matière et de
la Forme. L'essence de lu matière n'est du domaine ni de la
chimie expérimentale, ni de la chimie théorique.
o" La bi(tlo(/ir iHudie la l'urme, les rapports et la constitution
des (U'ganes des êtres vivants, ainsi que les fonctions (h^ ces
orjianes. Grâce au microscope et à lu méthode des colorations,
elle p(''nèli'c |ns(|irà la slruclni'e intei'nc ci exteriu' d(>s tissus
et juscjn'ù l(Mir mode de foi'malioii. Llle xoudrail snr|U'endrc les
lois de roi'tianisaliou et de la \ ic.
(juani à la (|ueslion de sa\oir si la vie peu! s'e\p|iqiier uni-
122 K. PHILIAIHK
([iKMiK'iit |)iir les foires [iliysii-o-chimiqiics ou s'il l'aiil ri'fourir
à une activilé disliiiclc : s'il ost possiiiio de njurilicr le l'ail ilcs
innomliralilcs vios colliilairos avec rnnilé syiier^i(|m' do l'être
vivant, ou si l'individu est nn jiroupe d'êtres et non point un
être, la biologie refuse de se prononeer. La plante, l'animal et
surtout l'honinie donnent lien à des (juesiinns (|ne la science
positive est ineapalde el se di''i'<'nd de Iriiiielni'.
a) i^a psyeliido^ie, dans la pcnisée d'AngusIe (ioinle, n'est
{ju'une liranilie de la pliysioKi^ie nerveuse. Aujourd'hui, l'élude
expérinieniaie des sensations, des images, de la nuMUoire, de
l'intelligenee, des états alTeetifs el de la vidonli'", constilue
une science spéciale indépendante, (jui ne ressemble» pas plus
à la pbilosopliie que la pliysi(|ue, lacliiuiieel les autres sciences
|)arliculières. (juand on a lu les longs (diapilres d'Alexandre
Bain sur les sensations de la vue, de l'ouïe et ilu loucdier, sur
riinagiiialiiin el ses dillV'renies formes, la pbibisopliie de la
sensalion r[ de l'image est encore à l'aire. Les analyses parfois
si pénétrantes de M: Kibot sur les idées abstraites, la mémoire
et les sentinuMils, n'ont d'autre prétenli(m (jue de servir de point
ppui au pliilusupbe, malgré les l'di'Mnenls métaj)liysiques
|u'on a le i'egr(d d'y renconlrer el (|ui s'y soni mêlés à l'insu
peul-êtr(> du |isych(diigue.
(l'est qu'il n'esl pas facile de Iroiiver le |Hiiiil juM'cis où Huit
la science el où commence la j)liilosopliie. La i)sycb(dogie ex|)é-
rimenlale excite plutôt notre curiosité qu'elle ne la satisfait :
d'où la psychologie rationnell(>, qui est par rap|)orl à la [)sycho-
logie expérimentale ce (|ue la cosmologie rationnelle est par
rapport à la chimie, à la physique et aux matliématiques.
Nature intime ih^s faits de conscience', théorie des facultés,
union de l'ànie el du corps, spiritualité et immortalité; autant
de problèmes qui se dérobent aux prises de l'expérience et appar-
tiennent en [)ro[)re à la philosophie.
()) La Logique et la .Morale sont également considérées par le
Positivisme cminn' des sciences empiriques. Nous croyons à
la possibilité d'une Logique et d'une Morale entièremenl déga-
gées de toute métaphysique (1).
(1) C'était aussi lupiniun générale des iiieiiibres du Coiu/res de Philosophie,
qui s'est tenu à Paris du 1 " au 5 août lilOO.
a
I
nlUET m: L\ flltlJi>nl'lllE lî:i
l.ii Iiiiii([iii' l'ormcllc ri'pri'sonlc iino ôludo moitié t;r;ininiali-
caic cl niiiilii'' |)sv('liiiiiii;i([ii('. On piMil (''liiilicr le niôcanismc du
jugomi'iil L'I (lu raisoiuii'inrnl, ilr riiKliiclinn cl ilc la (l('(liic-
[iuii, sans rct'inirir à des jir(ii'(''di''> dillcrcnls di' ccnx (|ui siinl
iisitcs (iiius les sciences posilivcs. La l()i;i(|uc applicjuée, lors-
qu'elle se borne à la reeluM'clic des conditions intellectuelles
et niorali'-- dans lcs(|U(dles il cunxii'ul di' se |diicci' pour con-
naître le vrai, d(''pcnd surtout de la psy( liolo^ie. — Mais il y a
des questions (juc la loui(|uc, li'aiti''e au mode |)osilil', soulève
à chaque instant et (|u'(dle ni' prul i('>oudr('. Il n'est j:,iu".'re
possible de dénuuiter les rcssoi'ls du mécanisme de l'esprit,
sans s'intcrroj^er sur la valeur do ce mécanisme, sur la portée
dos méthodes propres auTC tiitl'éronlos scioncos otsur le problème
fondamental de la certitude. Mais on s'('dève alors à un ilej;ré
de ii,énéralil('' (\\\\ d(''passc le point de vue de la logique positive.
La Morale, réduite à la description des faits et des lois do la
conscience, peut être consitl(''ri''e comnu' nue science psycholo-
gique, nous l'avons \ii. Mais de jouli's l(>s sciences particu-
lières, elle est celle qui [inMiicupe le jdus l'esprit du philo-
sophe et même i'espiil de tout liomnie, (ju'(dle transforme,
en métaphvsicien. Si Kaut si' demande : i (jui suis-je? <Jue
dois-je faire? One puis-je espérer? " le pâtre de Joutî'i'oy de-
mande au (h'éalenr pour(juoi il l'a l'ail et ce que signilie le rôle
iju il joue ici-l)as.
La nature de ces questions que la morale positive, pour être
lidèle à sa méthode, renvoie à la morale rationnelle, fait voir
jusqu'à quel point cette dernière est liée à la psychologie méta-
physique et à la thi'odicée. Ell(> est éminemment philosophique.
i'}" L'd sijciologir i'^t la dernière des six sciences fondamentales
d'Auguste (lomte. L'auteur de la P/u/siijiir socia/r se plaint que
l'étude de la société et les théories qu'elle a suggérées ne soient
pas encore sorties, même chez les meilleurs esprits, de « l'état
théologico-métaphysique ». 11 devra donc entreprendre de créer
un ordre tout entier de conceptions scientiliqucs. Depuis Au-
guste Comte, la sociologie n'a cessé d'être cultivée à la manière
des sciences positives. Elle comprend de nos jours tout un
ensemble de recherches qui se déclarent indépendantes de la
philosophie.
124 r:. PEii.L.URr:
Il y a un livs vif inténH ù conniulro et à classer les pliéno-
mèncs sociaux, qui sont les plus compliqués et los plus obscurs
ilo tous, et à consulter l'expérience qui s'en dégage, pour orga-
niser la société. Mais on pense involontairement à des pro-
liièmes que les phénomènes sociaux nous sviggèrent cl qu'ils
ne r(''Solvent pas. .\-t-on !(> dmit d'('riger en loi un fait social?
A la jjase de loule l(''gisliili(in positive, i'aut-il reconnaîtn^ l'exis-
tence et l'inviolabilité du Droit naturel? Par ce côté le plus inté-
ressant et le plus grave, la sociologie relève de la morale ration-
nelle.
Caractère de la division des sciences et de la philosophie :
division d'après les attributs et non d'après les êtres. — (Test
donc im fait ([u<' chaque science laisse de côté, par méthode et
de parti pris, un certain nombre de questions qui se posent à
son sujet. Elle n'épuise jamais la totalité de son objet : elle se
borne à un aspect, qui est son objet funnel : l'autre aspect
appartient eu propre à la philosophie.
(-ette division des sciences et de la pliilnsDpbie, (|ui esl
imposée <à l'espiil Iminain |tar la richesse même des (Mres.
n'a rien d'analogue à celle (|iu^ l'ait le berger,' lors<|ue pour
connailre le troupeau il range ses moubins à droite, et à
gauche. Elle ressemble plutôt à C(dle de l'anatoniiste qui
éiiorse les moutons et met de côté leurs dillérentes parties :
les cerveaux avec les cerveaux, les cd'ur-: avec les ccrurs. La
division du travail intellectuel se lail d'après les attributs et
mm point d'aiirès les êtres, (l'est ainsi (|u une même chose peut
cumuler |)lusieurs sciences et plusieurs objets scienliliques. La
sphère de carbone, par exemple, est à la fois l'objet de la
géométrie, de la physique, de la chimie cl de la bi(dogie, selon
qu'elle est considérée comme ligure, mouvement, masse, pesan-
teur, mixte ou élément de nutrition. Or, nous avons remarqué
que les sciences n'embrassent pas tous les attributs de l'être.
Après que chacune a pris sa pari, il reste encore la |iarl de la
philosophie.
L'erreur d'.Vuguste (lomle, en rt'l'usanl à la j)liilosopliie [oui
olijel d'étude particulier, a été d'exiger pour elle ce qu'il n'avait
exigé pour aucune science sp(''ciale : un être ilistinct, au lieu
(ilUET DE LA VHIWSÙI'HIE 125
d"iin attribut. Il est évident qu'il n'y a nulle part dans la nature
des êtres métaphysiques. ^lais où sont les êtres géométriques?
Les objets des sciences et l'objet de la philosophie ne sont
que des aspects que l'on découpe dans la perception, pour l'ana-
lyser et la mieux connaître.
Identité de la philosopliie et de la métaphysique. — A l'ori-
gine, l'aspect scientifique et l'aspect philosophique étaient con-
fondus. La distinction s'est opérée peu à peu. Les mathéma-
tiques avec Euclide, la physique avec Galilée, la chimie avec
Lavoisier, la physiologie et la psychologie avec le perfection-
nement des méthodes expérimentales, se sont déclarées indé-
pendantes de la philosophie. — La logique et la morale récla-
ment leur autonomie. Autrefois on rangeait dans la philosophie
rationnclli' la logique, la rhétorique, la po(''tique et la gram-
maire. La logique est la seule qui ne se soit pas encore émanci-
pée, mais elle accuse tous les jours des tendances de plus en
plus schismatiques. — Les anciens comprenaient dans la mo-
rale les sciences politiques, économiques et sociales : la scission
est aujourd'hui à peu près achevée. La morale elle-même tend
à se constituer en science positive et l'on entrevoit le jour où le
caractère scientifique de la morale sera entièrement distinct de
son caractère philosophique.
Cette vue historique sur la distinction progressive des sciences
et de la philosophie met en relief l'identité de la pliilosophie
et de la métaphysique.
Nous ne prenons pas le mot de métaphysique dans le sens
que lui attribuaient le péripatétisme ancien et la scolastique.
La métaphysique avait pour oijjet les êtres qui ne sont pas sou-
mis au mouvement : Dieu, les esprits séparés, l'être en géné-
ral. Elle venait après la physique, qjt:,-, ou philosophie natu-
relle, qui s'occupait des êtres soumis au mouvement : ens
mobile. Nous identilious philosophie naturelle et métaphy-
sique.
Dès qu'un objet se présente sous un aspect insaisissable
d'après les procédés des sciences spéciales, observation, expé-
rience, mesure et calcul, il constitue, sous ce rapport, l'objet
de la philosophie qui devient la science du transcendant, de
126 E. PEILLACBE
la plus haute généralilé possible, des premières causes et des
premiers principes.
Tant qu'il n'y a que des phénomènes à ohserver, des lois ou
causes procliaines à déterminer, qu'il s'agisse du fait de con-
science ou du fait cosmique, c'est affaire de science positive.
Que s'il y a des choses, non actuellement soumises à l'expéri-
mentation, mais qui peuvent lui être soumises, elles ne sont
pas, en droit, du domaine de la philosophie.
Faut-il en conclure, avec Jouffroy (1) et Claude Bernard (2),
que la philosophie est la « science de ce qui n'a pas encore pu
devenir l'objet d'une science », qu'elle est <i la science de toutes
ces choses que l'intelligence n'a pas encore pu découvrir les
moyens de connaître entièrement ;>, qu'elle est, en d'autres
termes, « la science de l'obscur, de l'indéterminé de l'in-
connu )) ?
Le fait historique de la scission (k's sciences prouve que leur
objet n'était pas à l'origine bien défini et qu'il a mis du temps
à se préciser : la distinction a été utile à la philosophie comme
aux sciences. Son ni)jet propre s'est trouvé dégagé, elle s'est
moins livrée aux recherches spéciales et, de ce clief, elle s'est
délivrée plutôt qu'appauvrie (3). Car elle n'en a pas moins con-
servé son caractère primitif, qui est l'universalité. La philoso-
piiie d'Herbert Spencer est aussi compréhensive que celle
d'Aristote : elle contient une cosmologie, une biologie, une
psychologie, une sociologie. Les sciences particulières, en se
détachant, <i s'opposèrent à la science totale, mais non pas
comme le clair s'oppose à l'obscur, le déterminé à l'indéterminé,
mais comme le spécial s'oppose à l'universel ».
La philosophie est bien, en un certain sens, la « science de
l'indéterminé ». Tout ce qui est déterminé au regard des sciences
spéciales et par les méthodes qui leur sont propres, n'est pas
philosophique. Est essentiellement [)hilosophique, au contraire,
tout ce qui est indéterminé à leur regard et par leurs méthodes,
(U Introduction à la Médecine expérimentale, p. 3S7.
(2) Nouveaux Mélanges pliilosop/iiques, p. 105. — Jouffroy s'est réfuté lui-même
plus tard.
(:i) Voir des articles remarquables de Paul J\NEr : Revue pliilosoptiique : 1S88,
1, 3^7; II, 513 ; ISSa, I, l ; 11, 337; U'J3, 1, 113.
OlUET DE LA l'IlILoSDl'IlIE 127
mais peut être déterminé par les procédés rationnels d'analysé
et de synthèse, d'induction et de déduction.
Les plus grands philosophes ont toujours identifié l'objet de
la philosopiiie et l'objet de la métaphysique. l'hiLun et Aristote,
saint Augustin cl saint Thomas d'Aquin, Descartes et Spinoza
soutlenuent que la philosopiiie est la « science des premières
causes et des premiers principes, des réalités intelligibles que
la raison seule peut atteindre et (jui ne tombent pas sous les
sens ».
Division de la philosophie; sa continuité avec les sciences.
— L'objet de la j)hilosophie se peut diviser d'après les trois
catégories de l'être : cire logique, ètrr rrrl, être moral. L'es-
sence de l'être logique consiste dans l'ordre, suivant lequel nous
disposons nos concepts, nos jugements, nos raisonnements.
Prédicat et sujet, majeure et mineure, prémisses et conclusion
représentent des procédés de l'esprit et n'existent que dans
l'esprit.
L'être réel comprend tout ce qui ne reçoit pas de nous l'exis-
tence : matière, àme. Dieu. Ici nous contemplDUs l'ordre, nous
n'en sommes pas les auteurs. — L'êlre moral organise nos
actes lii)res, à l'intérieur de la volonté, d'une manière conl'orme
à la volonté de Dieu.
La philosophie ou métaphysique a donc pour objet les premiers
principes de l'être logique, de l'être réel et de l'être moral. Elle se
divise en logique rationnelle, cosmologie rationnelle , p<<jjchologie
rationnelle, ihéodicée, morale rationnelle. Dans cliacune de ces
parties, elle se superpose à une ou plusieurs sciences : en logique
rationnelle, à la loginue e.iprrimentale ; en cosmologie ration-
nelle, aux mathémuli<jues, à X'a. phijùque, à la chimie, à la bio-
logie; en psychologie rationnelle, à \d. p^ijelwlogie e.rpérimen-
lale ; en théodicée, à toutes les sciences réunies ; en nnirale, à
la théodicée et à la psychologie.
Enlin, si l'on envisage l'être réel en lui-même, indépendam-
ment de ses déterminations spéciales, dans sa plus grande
universalité, nous avons, par opposition à la métaphysique
spéciale, la métaphysique générale ou philosophie première.
Conclusion. — M. Rabier estime que l'objet de la philosopiiie
428 E. PEILLAUBE
consiste dans « l'union nécessaire de la psychologie et de la
métaphysique ». Il est plus exact de dire que la philosophie
est essentiellement la métaphysique et qu'elle suppose l'union
nécessaire, non seulement de la psychologie expérimentale,
mais encore de toutes les sciences spéciales. S'il n'est pas per-
mis de disserter sur les premiers principes des faits de con-
science, sans connaître ces faits et leurs lois ; il n'est pas loi-
sible de philosopher sur l'essence de la matière, sans être en
possession des sciences qui s'y rapportent. La distinction des
sciences et de la philosophie ne doit pas nous faire oublier la
continuité de l'objet qu'elles étudient et par conséquent leur
propre continuité.
E. PEILLAUBE.
NOMINATIONS ET MUTATIONS
DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
I. — ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Inspection générale de l'Instruction publique. — M. .1. La-
chelier, inspecleiir géuéral, est iioniaié inspecteur général honoraire.
Travaux: Du Fondumcnl de Vlnduclion, Psychologie et Mètaphijxifjne.
— M. Darlu, maître de conférences aux Écoles de Sèvres et de Fon-
tenay, remplace M. Laclielier.
Collège de France. — M. H. Rergson, maître de conférences à
l'École normale supérieure, est nommé professeur de l'Itilosopliie
ancienne. Travaux : Données immédiates de la ronsrienee. Malh're et
Mémoire, le Rire.
École normale supérieure. — M. Rauh. iimfesseur de idiilo-
sopliie à la Facullé des lettres de l'Université de Toulouse, est nommé
maître de conférences, en remplacement de M. Bergson. Travaux :
De lu Méthode dons la jim/rholoijie des senlimenls. .
Institut catholique de Paris. — Le R. P. Sertillanges est nommé
professeur de jj/n'/o«r(^j/i(e morale à la Facullé de philosophie. Tra-
vaux : .Jésus. l'Art et la Morale.
Institut catholique de LiUe. — M. Âmédée de Margerie. pro-
fesseur de philosophie et doyen de la Faculté des lettres, est rem-
placé, comme professeur, par M. Dehove. Travaux : Théodicée, Phi-
losophie contemporaine, le Comte J. de Maislre, H. Taine, Dante
(traduction et notes), etc.
Université de Paris. — M. Lévy-Bruhl est chargé de la direc-
tion des études pour la philosophie, cà la Faculté des lettres. —
M. J. Réville est nommé maître de conférences pour l'histoire de la
philosophie, à la Facullé de théologie protestante.
Alger. — M. Gauthier est chargé d'un cours de philosophie à
l'École des lettres.
LiUe. — M. Lefèvre est chargé d'un cours complémentaire de
philosophie.
Montpellier. — M. Delacroix, i)rofesseur de iihilosophie au Lycée
de Pau, est nommé maître de conférences de i>hilosopliie à la Facullé
des lettres.
130
Toulouse. — M. Bouj^li'-. maître de conférences de philosophie à
hi I-'acuUé des letlres de Montpellier, est charjjfé d'un cours de philo-
soj)hie à la Faculté des lettres.
II. — ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
Collège Stanislas. — M. Lécharny, a^réj^é de philosophie, est
noiumé, à titre iirovisoire, professeur de philosophie.
Lycée Condorcet. — M. Bazaillas, professeur au Collège Stanis-
las, ]>asse à Condorcet. — M. Brunschwicp;, professeur au Lycée de
Ilouen, passe à Condorcet. Tkavaix : Sjjinazn. In MndaUlr du jurjr-
rnriil, édition de Pascal, Inlroductiim ii In rie dr yrspril.
Lycée de Belfort. — M. Bloch, i)rofesseur au Lycée du Puy, est
nouiuié su]ipléant du professeur de philosophie.
Lycée de Bordeaux. — M. Ruyssen, professeur au Lycée de
Limoges, i>asse à colui de Bordeaux. Tr.wavx : Kaut.
Lycée de Bourges. — M. Beurlier, jjrofesseur au Lycée de Clu r-
liourg, est nommé à celui de Bourges.
Lycée de Rennes. — M. Dugas, professeur au Lycée de Caen,
passe à celui de lleunes.
Lycée de Rouen. — M. Chartier, iirofesseur au Lycée de Lorient,
passe à celui de lloiuîu.
PROGRAMME DES COURS DE PHILOSOPHIE
Annce 1900-1901
Collège de France. — P. Jamît : Sommeil et étals In/pttaidi's. —
Beugsux : /(/(■(' di; en use et explication du t.îoI e'.^^p'^i'ir^; d'Ale.intidie
d'Aphrodisias. — Tarde : Psi/chologie économique.
Sorbonne. — Boiïrovx : La Morale de Kaul. — Bhoi;iiahd : La
Mnrnlc des philnsnphes grecs. — BuiSSO.N .■ L'L'ducnliifii iiiornh' depui.'<
le rlirislinnisrne. — Esi'iNAS : Théories sociales de 1^4 fi. Principaux
problèmes psiicho-socioloiiiqucs. — SÉAtLLES : L'Ltrenlion morale. —
Y. Ec.GER : Cours de Murnle et L'hilosophie dorpnniique. — Pierre Janet :
Le Rêve cl les étals d'nulornnlisme mental. — Lévy-Bmi iiL : Histoire de
In philosophie moderne. — Henry Michel : Crise de l'idée démocratique
en Lrancc, IS.jO-lHoi. — Picavet : l'° De fato de Cicéron. Doctrines
stoïciennes, épicuriennes, péripatéticiennes, platoniciennes .*;ur la liberté
et le destin. Transformation dans la morale chrétienne nu temps de
131
>'. Aiiijusiiii, J. Seul h'ri<ji''ii(', S. 7'liiimris; "-l" /lililitxjriijtliii' tjc lu sn -
Irixiiijiif. S. J'Iiiim/is Ihi'olofjir)!. phihu^nplw cl )i)ijsliiiuc.
École des Carmes. — École supérieure des lettres. Piaï : 1" 7'.s//-
chtiliiijie de la sn)s(ilii>i), dr la roloiilé ; 2° L'Eire et la Xalure d'aprrx
Aristole. — Faculté de pliilosoi)liie. Bl"lliot : 1° Cours île Ijiijiqur,
Examen de la critique de la raison pure ; '±" Explication d'Ârislote :
'AvaÀ'jT'.xi jTTspot, B et -à M£-:à Ta cpoaijcz, H; 3° CourS de Casinalofjie, Ma-
tière et Forme. — Picillalbe : 1° Cours de Psijchuloijie ; 2° Explication
du T^iol ^■jy.7,i, IS ; ,'i" l'si/chdliiçjie des Sensatint)s, des Images el de la Mé-
viiiirc. Théorie de la l'erccjjtioa. — Sektillanges : 1° Explication de
la Siniime, !■' , 11-'^; :2° Cours de jihilosophie morale. — Cours su[)plé-
uienlaire |iour les jeunes tilles. Henri Joly : De la sensihilité. du
jilaisir. de la douleur, de la nature des (hnotions et de leur rôle dans la
cil' morale.
Institut catholique de Lille. — Ciiou.et : 1° Introduction géné-
rale à 1(1 pliilosoi)liir ; ~-2" L'être, le rrni, le bien, le beau; 3" Le monde,
les di/fi'rents prol/Icmes sur les oriijincs. — Cllol l.ZA : l'riiieipes du
Droit naturel. — DhuiiVi; : Oiicstions choisies de philosiiphic générale.
Institut catholique de Lyon. — Élie Bi.am; ; 1° Cours de Logi-
que; 2° Classification des connaissances humaines.
Institut catholique de Toulouse. — MoNTAr.NE : l" Du prohième
de la certitude; 2" Le Sncialisme ; ,"{" l'sgchologie appliquée à l'édiica-
lion. — Baylac : Elude critique des Méditations de Descartes. — Mai-
SOXXEi'VE : Histoire de la philosophie de la religion : Conceptions pessi-
mistes el crolutionnisles de l'unioers.
Université de Fribourg. — Mansek : 1" Cours de Logique et
d'ontologie; 2" Histoire de la philosophie du moyen âge. — Mu:iiel :
1" Cours de Morale el de Droit naturel; 2" Histoire de la philosophie
moderne jusiju'à Kant. — Hahxick : l'sgihologie.
Université de Louvain : Institut philosophique. — MEHi:ii:ii :
Cours de Logique el de Théodicée. — De Wilf : Histoire de la philo-
soj)hie du moijeti àiie. — TiuÉKV : l'sqchologie, l'sijchojjhgsiologie cl
Laboratoire de l'sqchophqsiidoqie. — Nys : Cours de Cosmologie et
Laboratoire de Chimie. — DeI'I.OICE : L'Economie sociale. Histoire des
doctrines économiques el politiques, le Droit naturel et le Droit social.
— FoHCET : Cours de Morale. — Becueiî : Théodicée. — De Lants-
lUîERE : l'hilosophie modeoie, l'hilosiiphie de l'histoire. — Van OvEH-
lUCltcil : Le Socialisme contemporain.
132
AGRÉGATION DE PHILOSOPHIE
I. — Concours de 1900
1° Rapports et difTérences entre sentir, percevoir et connaître.
2" Quel rôle l'idée de beauté peut-elle jouer on morale ?
.'}° La puissance et l'acte dans Arislote.
Sont nommés agrégés de lycées :
1. MM. Rivaud (Georges-Emmanuel-.Mhert j, né le l'i mai 1870, étu-
diant libre à Paris.
-1. Enjalran (Louis-Abel-Juslin), né le '■> janvier 187(1, élève de
l'École normale supérieure.
S MM. Léon (.\braham-Albert), né le 1" mai 1871), étudiant
libre à Bordeaux.
Brehier (Émile-François-Désiré), né le 1-2 avril 187(1,
boursier d'agrégation à Paris.
:;. MM. Micault ((iabriel-llenri^, né le ±2 décembre 1872, boursier
d'agrégation à Paris.
('). Blondel (Charles-Aimé-Alfred), né le Kt octobre I87C., élève
de l'École normale supérieure.
7. Millot (Louis-Josepli-Albeil). né le (\ février 187('), boursier
d'agrégation à Paris.
8. Daganet (Pierre-Albert), né le (i juillet 187 'i, Ijoursier d'agre-
tçation à Paris.
LICENCE EN PHILOSOPHIE
Sujets donnés à la Sorbonne en novembre 1900 :
Pliilosophie dogmatique : 1° Théorie logique de l'induction : 2° La
notion de iinalité : '.V' L'idée de responsabilité.
Histoire de la philosophie : 1° Le syllogisme aristotélicien, sa
nature et sa valeur ; 2° La nécessité spinoziste et le déterminisme
leibnizien ; 3° Le rapport de la science et de la morale dans Leibniz et
Kant.
Le Gérant : L. (JARNIER.
La Ctiapelle-Montligeon. — liiip. de N.-D. de Montligeon.
ERRATUM
Revue de Pliilosopliic, l'/rrrio)' 1901, article f/*^ M. Ciiollkt
sur la Psychologie et le Surnaturel. — Une regrettable inter-
version dans les alinéas enlève le sen.t des premières pages. Les
deux alinéas <• Et les dons du Saint-Espi'it » et « Le témoi-
gnage de rÉglise » des pages 137 et 138 doivent être mis,
page 135, à la suite de l'alinéa : « Nous avons parlé » et avant
LA PSYCHOLOGIE ET LE SlTiNATlIiEL
Los liens les plus élroils iinisspiit le surnaliirel h la psvciio-
Jogic. Le surnaturel, en otTet, appaiiienl toul entier à rame; il
ost sa sanctilicalion ; il est un don accordé à ses facultés imma-
tériel les pour grandir leur puissance et transformer leurs actes.
Le surnaturel, nous dirons plus loin pourquoi, a pour sphère
propre la portion intellectuelle de l'àme. Dès lors, on comprend
<iue la science du surnaturel se rattache d'une {'m\»i\ intime,
essentielle, à la science psychologique.
La psychologie éclaire, autant que l'un peut éclairer un
mystère, les secrets de la grâce. Il y a une proportion néces-
saire, constante, entre le mécanisme des facultés et celui de
la grâce; celui-ci se superpose sur celui-là, s'adapte à lui,
le complète, en suil les diverses vicissitudes. De même que la
feuille d'or s'applique au métal, en prend les dimensions, en
ri!couvrc toute la surface, se plie à ses ondulations, monte sur
.ses reliefs, descend au hmd de ses creu.v, suit toutes ses
sinuosités, ainsi l'èlre surnaturel s'attache aux facultés sj)iri-
luolles comme à un métal vivant, s'accommode à leur vie, en
jx'-nètre tous les instants, en sanctilie tous les détails, ennohlit
tous leurs éléments et tous leurs actes. Aucun événement ne
se passe à la surface de l'esprit, où la grâce réside, qu'elle ne
puisse l'atteindre; aucune émotion ne soulève le cœur, qui ne
puisse être surnaturalisée par elle.
On saisira mieux cette adaptation de l'aclivilé psychologique
8
i:it
J.-A. CHOLLET
cl (le I aclivilé surnaliuM^lle, si Idii l'oniiiniiic de ([ik'Is ('Iriiicnls
se compose notre vie iiUellecliiclle cl morale. A la base se
trouve la siilistanee de Imiiic. aiilislraliini au<|ucl adlicient les pro-
priétés et les t'aeultcs de l'honinie, source d'oiijaiUisseut les éner-
ities vitales, centre où viennent retentir les chocs de l'extérieur.
A cette ànie appartiennent les denx facultés d'intelligence et
de volonté, puissances nées de la féc(nidité nu''me de l'âme,
uiais i-é(dlcment distinctes d'elle (1), aptitudes permanrnl(^s,
inertes d ahord, agissantes cusuile, mais indissohihleuicul liées
à l'âme, naissant avi^c clic, immorlidles cumme elle, jiersis-
lantes sous la uujljilité continuelle de leurs opérations.
Ouand une de ces facultés s'occupe à plusieurs reprises d'un
(tiiji't l'i n'pctc les mêmes act(>s sur un même sujel, ih' la ré|)é-
litiou de ces .irlcs naît l'haliitude. Qu'uiU' inlelligcnce, par
exemple, s'allachc à r('(ii(lc de l'astronomie, (jn'(dle eu accepte
les pi'iuci|ic>. (|ii'idli' en disculc les c\pi''ricuccs cl oi)scrvalious,
(|u'cllc eu lasse les calculs, ([u'(dle eu scrule tous les |)ro-
Mcmcs. I)ieiitôl il se l'ait dans c(4le intelligence iun> pente vers
les uiédilatious a>tronoiui((ues : (dic eu aimera les vastes aper-
çus, elle eu parcourra rapidement les immenses horizons, l'osez
à raslrouome une question d'astronomie, aussitôt, avec faci-
lité', pi'omplitude, agréuieut et certitude, il vous douucra la
solution d(''sir('e.
l'acililé. pei'l'ection et agi'ément dans l'opéraliou. hdlcs soûl
les heureuses conséquences de l'iiahitudc. Grâce à C(dle-ci, la
l'aculli' saisit plus vile cl mieux son ohjet. Daus une nuMue
[uiissance, il peut \ avoir plusieurs hahiludes, suivant les
objets auxquels idles s'adressent; c'est ainsi qu'une même
intelligence possédera plusieurs sciences, c'est-à-dire plusieurs
aptitudes s|)éciales correspondant à de unilli])les (dijcls parti-
culiers.
I']nlin, les facultés et les habitudes sont ordonnées cssentiel-
hunent «à l'action. Celle-ci est la raison d'être de c(dles-là. l^a
faculté est donnée pour agii'; l'habitude aci|uise 2) naît de la
(1) Cr. Saint Thomas, Sonmie lliéolo;/iijue, I p., q. 11, a. 1, 5 cl U.
i2' .le dis " iKibitude acquise ", parce que l'ordre surnaturel connaît des habi-
tudes infuses dont les résultats sont couipiiraldes à ceux des habitudes acquises,
mais dont 1 origine n'est pas dans la répétition des actes.
i.\ l'SYiiKiUK.n: i.T LE .s(7,'\.r;r;;;;;, i:!;;
ivpiHiliiiM lies actes ol nif-iic à les priiilnii'c plus IV('m[ii('iiIs
cl plus parfaits. L'action apparaît momciilanéiiicnt dans la
t'acultc: c'est une application transitoire de l'cneriiie déposée
dans la puissance, et celle-ci est une source permanente ddii
jaillissent successivement une multitude d'opiM-alion^, ou un
taldeau immohile (u'i >'inscrivenl les uns apiès les aulic-- les
])hénomènes de connaissance ou de volonl(''.
Tels sont Ii>s l'h'ments de la vie des t'acultés : suhstance (l(^
l'àmc, i'acullés, liai)iludes, opérations, il y a quatre éléments
correspondants du rnlr siunaliirel.
A la sulislance de l'âme est accordée la i;ràce sanctitianl(
^^■
élrc surnaturel accidentel qui vient se surajouter à l'âme de
pai- la i^i'iiiTosili' divine. (|ui la li-an>roiMue cl. d'une àme
purement humaine, en fait une âme (dii-idienne. (!el appoini
de la jiràcc sancliiiante rend l'âme surinilni-(dle el lui permet
d'être le sii/isfru/iiui de la charité et des autres vertus, comme
la ^ul)-lanee de l'âme est le siibsl ml uni des facultés. I,es vertus
reposent sur la iiràce sanclilianle à la façon don! les puissanci's
reposent sur l'âme I .
Nous avons parh'" de vertus : elles sont, en elTel, les puis-
sances de l'ordre surnaturel, i-llles sont données aux facultés
nat>n"elles pour leur rendre possibles les opérations de la \ ie
chrétienne. Les vertus sanctilient les facultés comme la grâce
sanctiliante christianise l'âme. Sans elles, la facull('' ne saurait,
produire ni un acte de foi, ni un élan de charité, ni un désir
d'espérance. Elles nous donnent donc la possiliilité de poser
certains actes comme, par exemple, l'intelligence donne la
possiliilité de connaître, de juger et de rais(inner. l'^lli's son!
réellement les puissances surnatiu'elles \'1\.
(I) Le parallélisme ne doit cependant pas rtre pmissé trop loin : car la foi
in'oi-nie peut exister sans la fir.àce sanctiliante, tandis que l'intelligence ne sau-
rait rtre en dehors de l'âme et avant elle.
1 .. Ilomini justo, vitam scilicet vivenli divinip gratiiE et per i-nnrji-uas virinlea
tdurfiiiim jjei- fiiciillales df/enli npus pline est septenis illis quii' proprie dicuntnr
Spiritus Sancti donis. ■> Encyclif|ue Uiviniiin illud ininius, 't mai 18117
130 J -A. ClIOLLET
S'il on est ainsi, ol s"il osl vrai que U's drnx niccanisnios,
celui de la nature et celui de la grâce, se côtoient sans cesse,
il est évident que la science psychologique est la base de la
science du surnaturel. Olui-ci ne pourra s'expliquer, — je ne
(lirai pas complètement, car le surnaturel est mystérieux par
essence — mais convenablement, que par les données de la
psvcbologie sur l'âme, ses l'atullés, ses habitudes et ses actes.
111
l'élargissons riiorizon, et nous verrons croître d'autant l'o])-
porlunité des études psychologiques pour celui qui veut se
rendre compte de la vie nouvelle donnée à l'àme par la grâce,
l'ar la sanclilication. l'àme vil de la vie chrétienne. La grâce
est le principe de cette vie, elle n'en est pas le Inut. La vie
chrétienne se manifeste par des mouvements, par des opéra-
tions spirituelles, par des connaissances, des actes de l'oi. di-s
aspirations, des tendances. Il y a là fout un ensemble d'éner-
tfies déployées dans l'âme et dont le résultat est de la perfec-
tionner, de la grandir et de la mènera la consommation finale :
comme toute vie a pour l'onction d'organiser el de (lévcln|i[ici-
lin germe initial, ainsi la vie chrétienne est l'évolulinn de la
grâce vers la gloire.
Or, ici encore, qui doue nous éclairera sur la vie surnatu-
relle sinon celui qui possède la science de la vie naturelle tb'
lame, le psychologue ? 11 est nécessaire d'avoir recours à lui
pour apprendre la nature de la connaissance, le mystère de
l'union qui s'opère au sein de la faculté entre l'objet et le sujet,
les formes de la connaissan^-e, la science et la croyance, ses
étapes dans la conquête du vrai. C'est encore le psychnloguequi
dira ce qu'est la volonté, comment elle tend au bien et s'unit à
lui, par quels moyens on l'excite et l'ébranlé, par (jucdles voies
elle marche vers la lin de la vie chrétienne. Nous le verrons
plus loin, le foyer de cette vie chrétienne est dans la partie
supérieure de l'àme, dans l'intelligence et dans la volonté; de
là elle rayonne, s'épanouit dans les facultés inférieures, se tra-
duit par les mouvements et démarches des relations sociales.
i.A i'SYcii(ii.()i;ii-. ET LE ,s/7i.v.\ 7/ ;;;•:;. 137
La science de l'espi-il el de la voloiilé csl tluiic la première, lu.
|ii'iiici|)ale source de rensoignonicnts sur la vio surnaturelle.
(Tesl la même science qui donne la di'iinilion de la vie,
di'-monlre la nécessité et la nature de son princii»', la lonclion
motrice de c(^lui-ci, le prorrssus évolulil' dont il est la source
cl l'ancnl. l']n un mol, |ioiii- liien connaiire la vie cln'(''lienne, il
faut savoir ce (|ue c'est (|ue la vie en général, et ce (jue c'est (|ue
la vie (le l'esprit en particulier, et cela c'est l;i psychologie qui
l'enseigne.
I^t les dons du Sainl-I'^sprit jouent le n'de d'hahiliules, non
pas a<'quises, mais infuses, déposées de ])ar la lionté toute
graluite d(^ Dieu, dans nos vérins. De même (|iu', grâce à ses
liahiludes, la faenhi'' nahirelle aileinl avec Facilité el |irompli-
tude son olijet, ainsi (( par ces dons, l'esiiril s(^ foi'lilie et devient
apte à ol)éir |)lns facilement et plus ])romplemeul aux paroles
et aux impulsions du Sainl-I'lspri' '■: de m(''nie ipu' les lialii-
tudes donnent à la faculté le pouvoii' de produire des actes plus
parlaits et plus c(miplets, et ([u'clles persistent avec elle et
devieniUMit une siM'onde nature, ainsi « ces dons sont d'une telle
efiic.icih' qu'ils conduiseiil riiommc au plus liaul (legr('' de la
sainteté, ils sont si excellents qu'ils demeureront les mêmes
dans le royaume des cieux quoique dans \in degré j)lus |iar-
fait » : de même (jue l'Iiaiiililde rend les acies j)lus agréaiiles,
ainsi les donsdn Saiut-l<]sprit remjilissent de charme l'accomplis-
s(Mnent des actions de la vie surnatur(dle. h (iràceàeu.x, l'âme
est amenée et excitée à acqué'i'ir les Ijéalitudes évangéliques,
ces lleurs que le printemps voit éclore, signes précurseurs de
la béatitude éternelle. Enlin, quelle suavité dans ces fruits
énumérés par l'.Xpôlre (1), apportés par l'Esprit-Saint aux âmes
just(^s même en cette vie périssalde. pleins de (huRMUir et d'al-
légresse, t(ds qu'il convient à l'I^sjjrit de les produire, lui {2)
' qui est dans la Trinité, la suavité du l'ère et du Fils, et qui
«' répand sur loiiles les créatures ses généreuses et fécondes
■< largesses ['^). '•
1 Gai., V, 22.
2: S. Ait.., de Triitil., 1. VI, c. ix.
:j' " Ilorum cnim S. Spiritus idonoruiii benelicio iiisiruitiir aniiims et iiiuni-
tiir ut ejus vocibus atque iinpulsioni facilius pniiiipliiis'/iie obscquatui' : h;rc
Ijis J.-A. CHfiLLKT
Le Irmoigiiajio ilo l'Eglise iiniis allii-nic dniic le imiMllrlismc
ciiliv ràiiio. ses rncultôs et li's liahiliidcs de ecllcs-ii dimr
jiail el. d'aulrc |iarl. la gràee saiieliliante, les Y(>rlus, les dons
(lu Saint-Espril. I.c iiarallélisme sera eomplid (piaiid nous
aurons ajoulé qu'un (|uatriènie iMémenl surnalurel. la grâce
acUielle, nous est donné pour saneliiier nos opérations. I^es
grâces actuelles, que l'on app(dait autrefois les (tu.riHa, prévien-
nent, acconipagneut. complètent les actions de nos ta( iiilé~.
Ce sont des grâces du moment, transitoires comme les aclc-
qnVlles doivent saneliiier cl disparaissant avec eux.
IV
l,a psvcindogie occupe d'ail!cur> nue place immense, essen-
tielle dans la théologie. Suppi-imez-la, el la théologie verra
toniher les meilleures et les jdus eonsidérahles portions de
son édilice. Ouels sont, en elVet. les objets dont s'occupe la
science sacrée? Dieu, les anges, le (IhrisI, riiommc <lr. <h' ces
divers êtres idie raconte surtout la vie, (die dév(doppe la psy-
(dmlogie.
lnlerroge/-la sur Hien. Aprè> avoii' lislingué, dans l'Inlini.
i'iiiilé de nature el la Ti-inité de personnes, elle vous airètera
d'ahiu'd à la considération de la vie divine, elle vous montrera
(lue là réside vraiment et proprenu'iit l'essence de itioi. car en
iJieii l'essence consiste à être; or, pour la théologie el la |)liilo-
sopliie traditionnelles, rircri- rimi/i/nis /-s/ rssi-, cho/. les vivants,
vivre, c'est l'être. Puis de longues dissertations vous montre-
lonl l'exercice de la vie en Dieu par les deux grands actes de
la eonuaissance et de l'amour. Connaissance que Dieu a de lui-
pruptL^rea îlona taiita' siint efficacilalii \it cum ad lastigium sancliinonia' aidu-
cant, tanta-riue excellenti:p ut in cœlesti regno eadem, f|uanquaiii perfectius, per-
seveieiil. Ipsorunique ope cliarisinatum pruvocalur anitiius et l'IVertiir ad appe-
tendas adipiscendasqu- beatitudines evan'^elicis qu.r. perinde ai- llores verni,
tenipore eruuipentes, indices ac nunlia' sont b.-atitatis perpetim mansiira'. Feiicex
denirpie simt l'ructiis ii ab .\postolo enunierati quos hoiiiinibus justis in hac etiani
cadui-a vita Spiritus parit et exhibet, oiuni relertos diilceJine et gaudio: cujiis-
niodi esse debent a Spiritu <■ qui est in Trinitale (ienitoris Cenitique suavitas
.. infienti largitate atque ubertate perfundens uuincs creaturas. » — F.ncyclique
Hiiiniiiii illud muniis. Il mai 1897.
se
L.i fsyriiituii;ii: et u: srisyAii iiei. i;w
mémo, idôos qu'il jinsM'iIf di-s possibles el cxcniplarisnip ôli-r-
iH'l. f()niuu>saiic(' (|iiil a du niondo. science moyenne, prédes-
liiialidn. ymnur de sa nalui'c el des chitses créées, liberté
inlinie : Inus ces pr(d)lèmes smil au preuiier rantidans l'iMiidc
de Dieu el lous ces problèmes sont psyclioloiiiqiies.
j'sychologiques aussi, les problèmes de la Trinité. Sain! '["Iio-
nias, dont les questions relatives aux trois personnes divin<'s
sont encore aujnurd'luii le meilleur traité théoloi;iqne sur la
matière, déclare ([ue ])onr bien saisir, autant que l'esiirit Inimain
en est capable, le caractère des jirocessions en Dieu, il i'aut
recourir aiivactiims imnianenles spirituelles, en d'autres termes
à l'intelligence el au voulnir. (l'esl rintelleclion, c'est l'amour
<liii diinnent la clid' de la purlion accessible du mystère. Li-
verbe intellectuel éclaire un peu le Verbe divin, l'amour expliqui-
l'Esprit-Saint. Et c'est i)arce qu'il a analysé mieux que tnut
autre les élémenls de la connaissance et de la volonté que lan-
i;élique Docteur a pénétré plus loin dans rex|)loration des secrets
■(''t(M'nels de la izénératinn du l'ils. de In jirocession de l'Espi'il-
Saint • I .
La psycbidoi;ie. qui lire de ses connaissances les lumières (|ue"-
ncius possédons sur les relations des trois personnes entre elles,
nous sert encore quand il tant délinir le degré de science dont
r*sprit bumain est capable en face de ce redoutable mystère.
Elle démontre qu'il est indémontrable, elle donne la valeur ili-
■analogies qui sont notre seule ressource en ces questions.
Après Dieu, la lliéologie considère les anges, natures spi-
rituelles qui écbappent à notre investigation scientifique et
connues par le seul canal de la révélation. Mais leur existence
une fois révélée, il est nécessaire d'établir la nature de ces
substances, leurs activités, leurs rappnrls muluels. leur |iui>-
1 fi l'roi'essiunes in ilivinis accipi non possunt pisi secundmu actiones i|ii;i- in
agente luanent. liujusinodi autem actiones in natura intellectuali et diviua nnn
siintnisi du:p ; scilicet intelligere et velle... Relinquilur igitiir qucid nulla alia pru-
■cessio possit esse in Deo nisi verbi et amorls. » i^unnita thcd., I p., q. 2", a. .1.
140 J.-A. CHOLLET
sanco, le genre de leur intervention auprès de nous ou dans le^
monde des enrps. Et quelle science donc viendra au service de
la théologie pour la guider au milieu de toutes ces refherches?
La psychologie toujours. Les anges sont doués de vie immaté-
rielle et elle est la science de cette vie. Les anges n'ont <iue
deux genres d'opérations : l'intelligence et le vouloir, et elle
est la science de l'esprit et de la volonté. Les anges ont entre
eux des rapports de langage intellectuel et d'illumination ; et
elle est la science du verbe mental et de la lumière intcUec-
liu'lle. Les anges agissent sur nous par des motions exercées
sur nos facultés sensibles internes ou externes ; et elle est la
science qui li'aile de ces facultés. Les anges enlin agissent siir
les corps cul nitliuii, et peuvent par leur iniluence être simul-
tanément dans une foule d'endroits, et elle est la seule science
qui puisse prouver que ce pouvoir appartient aux natures angé-
liques parce qu'elles sont des esprits. Les données théologiques
sur les anges relèvent donc avant tout de la psychologie.
Descendant du ciel sur terre, la théologie y riMicontre le
Christ et l'homme racheté. Au sujet du (Christ, il lui faut dé-
crire sa vie interne, la vie de son intelligence et de sa volonté,
analyser les actes de cette vie, y montrer au sommet la vision
héatitique dont l'exercice n'a [>as cessé un instant ])our le Sau-
veur à partir de l'instant de sa conception: à cette vue intuitive
de Dieu se joignait la cunnaissaïu-e pro[)hétique, lumière mira-
culeuse qui permettait à Xolre-Seigneur de s'élever au-dessus
des temps et des lieux, de pénétrer dans le secret des consciences.
Grâce à elle, il pouvait prévoir l'avenir et prédire la ruine de
.lérusalem ou la lin des temps; grâce à elle encore, il annonçait
à ses disciples la mort de Lazare arrivée loin de lui, ou repro-
chait aux hommes leurs pensées présentes les plus cachées.
Lnlin il possédait la connaissance expérimentale et abstraite
qui s'acquiert au contact quotidien avec les personnes et les
choses et qui est le lot de tous les hommes. Or, de tels pro-
blèmes dont la solution jette une si vive clarté sur l'intérieur
/..( l'SYciiiiUK.ii: ET u: sniSATi in.L tu
(le .l(''siis cl sur :^('s adi's i-xtéricvirr;, ccsl la ]is\cliiiloi;ie soulr
([iii piMit les aborder et les résoudre il .
Vil
Knlin la théologie s'occupe de l'homme rachet(''. La foi
lui ai'lirme sur le composé humaiu et sur l'union de l'ànie
cl iju lorps des dogmes qu'elle doit étudier et développer, cl
iiu'rlli' ne saurait comprendre et mettre en œuvre sans le secours
de la psychologie, (l'est encore la science psychologique qui
vient en aide au moraliste théologien pour di'dinir les vertus^
chrétiennes, théologales ou cardinales. N'est-il pas nécessaire,
en eiïet, de faire la psychologie de l'acte de foi, de l'acte d'espé-
rance et do l'acte de charité? Les vertus de prudence, de jus-
tice, de force, de tempérance ne sont pas autre chose que le
juste milieu trouvé et réalisé dans le fonctionnement des facul-
tés intellectuelles ou organiques de rhomine. c'est-à-dire tou-
jours sur le terrain psychologique. Soit qu'en dogme il appro-
fondisse la nature de l'Iiomme et de sa vie, soit qu'en morale
il étudie les vertus luiumines, leur caractère ou leur ])rnlique,
le théologien est nécessairement et avant tout un psychologue.
Il l'est encore quand, suivant l'évolution de la vie chrétienne
et les progrès de la vertu, il décrit les ascensions de l'àme dans
l'oraison, la contemplation et les étals mystiques. N'est-il pas
obligé alors de constater la répétition chez le saint des étals de
conscience déjà découverts dans l'àme du Christ? I>es phéno-
mènes de connaissance naturelle, île crovance surnaturcdlc
1 n Le Christ, .-i cause de l'union, en sa personne, de la nature divine et de la
nature humaine la plus parfaite, possède, outre la connaissance propre à la divi-
nité, toutes les connaissances qui peuvent élever Ihouiine à Dieu. U a, du Créa-
teur, la connaissance analo^'ique et aha/raile que donne la vue de l'univers ou
la foi et il pousse cette connaiss.-nce acquise jusqu'aux liuiites des forces de I in-
tellect agent : il a de Dieu la connaissance j/niphéliqtœ. suprême degré de la con -
naissance abstraite que donne la révélation mystique, et cette science infuse n'a
pas en lui d'autres bornes que celles de la capacité de son intellect possible ; enfin,
il a de l'essence divine hi viaion intiiilivc propre au.x àuies gloriliées. et cette
vision, bien quelle ne soit pas couipréhensive, est cependant supérieure à lu
vision dont jouissent les bienheureux. Cf. S. Tiicmas, Suimna llienl.. 111 p., q 9-li-
A. Ciioi.i.iiT, T/ieiilii</ica lucrs Ihemia, n. 139 et sulv. » V.\cant, Dictionnaire de-
Thêiiliif/ie ciil/iulir/up, art. abstrriile (cnnnaissance), inluilive. cuniprêhensive.
U-> .l.-A. CHOLl.ET
ou (K- visii)!! |(rii|)li(''liqiu', les l'nils do iicrccplinn aljslrailc ou
(l'idi'rs inliiscs (lôjà m'tus par le Sauveur sonl rououvclés par
los saiuts vl la psycl)oloj{ic du (llirisl devicul la psycdioloiiii'
<li's saints.
Plus haul encore I Au ciel, la grâce se transforme en une
lumière de gloire, {..a foi et l'espérance disparaissent poiu- lais-
ser place à un acte unique inliniment lumineux et héatilianl
de vision inluilive cl de possession divine. I^'esprit humain mis
en face d(> Dieu, élevé par le dmi divin de la lumière de gloire,
\i)'\[ le Seigncnir face à face connue il s(> voit lui-nuMue ci
^'unit à lui dans le m\stère d'vine intuition indélinissalile. i,a
plume se refuse à di''crire un acte (|ue res|)rit n'arrive ni à sai-
sir, ni à analyser: l'homuie, en ce monde, est impuissant à dire
le sort qui l'attend en l'autre vie et l'état île conscience où le
placera la vue de Dieu : mais si quelque rayon de lumière peut
être jeté sur ce lionlieui- infini, >ui" l'opération éternelle de notre
inlidligence et de notre vidonté unies ;i Dieu, c'est encore la
psvcliologie seule (|ui peut en être la dis|iensatrice. 11 suflira de
lire dans la Sniimir llii-dliK/Kiin- \\< la iniiguilii|ue page consa-
crée au mode de la \ ision li(''alilii|iic poui' s'en con\aim-re.
YIII
(les (|uel([ues pages sulliseiit à di'moulrer la place imjtor-
lante occupée par la psyi liologie dans la science du surna-
turel, dans la notion di' la vie chétienne, dans toute la lln-o-
logie.
La place ociiipiM' par le surnatund dans la |>sychologie n'est
guère moins importante. Aussi doit-on reprocher, comme une
défaillance et comme une erreur historique, à la science con-
temporaine de l'àme, son naturalisme exagéré.
Certes la psychologie doit être inspirée surtout par les don-
nées de la raison et l'expérience naturelle. Hn philosophie pur<'
(die doit mémo |)uiser exclusivement à ces sources. Alors c'est
l'homme (jn'il s'agit d'étudier, son àme qu'on scrute dans les
ili Siipplemc/il.. q. 'M, a. i.
i..\ l'SYciKiuKiiK i:r i.K sni.sAn itEi. ui!
^liirôrcnU's pièces (|iic sii iiiihiri' comiMU'Ic. (huis les (li\rrsos
l'iiriiies (le son activité nati\t'.
Mais cet Imnirnc. ciicurr t'aiit-ii l'cxiilorrr tel i|u il ot. ( M-,
l'ii l'ail, chez les nations qni |)c'ns('nt et qni « psycliolo^iscnt •>,
riionimc est communément constitue parquelqnc élémçMit sur-
naturel, pnisquil est chrétien, et cliez tons les peuples, il est
a|)pelé à vivre surnaturellement. A la psychologie nalurelli
<iui ilé( rit la faculté de l'âme, il y a donc lieu d"en ajouter une
autre qui soit le complément de la première, qui analyse les
résultats psychiques de la présence du surnaturel dans l'àme.
On s'est appliqué, avec des elTorts louahles, à sonder minn-
tieusementtoutes les maladies de l'intelligence ou de la vo-
lonté, on en a énuméré toutes les formes, on a parcouru loules
les étapes de la déchéance intellectuelle et morale pour en
noter les défaillances et les anomalies. Pourquoi à côté de cette
étude n'en ferait-on |)as une autre sur le fonctionnement nou-
veau de l'esprit et de la lilierlé, quand nui' l'ois la force sui'ua-
tnrelle de la grâce a envahi l'âme ?
La grâce est un don essentiellement immatériel et qui appar-
tient à l'ordre de l'être intellectuel. Les vertus sont des forces
ajoutées à l'intelligence et à la volonté. Les grâces actuelles sont
<les secours accordés aux connaissances de l'âme ou aux déci-
sions du libre arbitre. Le surnaturel est donc un élément psy-
chique, (l'est un (''lémenl nouveau apporté à la vie inlellec-
(n(dlc.
tjuaiul une fois il est eiili'é dans l'àme, il se mêle à la vie,
pénètre ses facultés, anime ses actes, et il devient impossible de
faire la psychologie de l'àme chrétienne sans y mêler la con-
naissance du surnaturel comme il est indispensable d'éclairer
h' surnaturel à la lumière des notions psychologiques.
Le surnaturel fait comprendre la psychologie du chrétien,
la psychologie aide à définir le surnaturel. (>es deux chose-^
ileviennent intimement unies et la science de leur union est
la jisi/c/io/iirjif sin-niil iircllf .
L'homnu^ n'est |iliis abandonné à lui-même. Dieu l'a destiné
à la vie clirétii'nne, il y entre dès son ba|)tême. Sous l'onde
régénératrice, la foi et les autres vertus chrétiennes viennent
iiabiler l'àme, ennoblir l'intelligence, le cu'ur et la volonté.
144 J.-A. CIIOI.I.KT
Tant qu'elle no se sera pas souillée par le péché, l'ànic est sous
l'inlluence des vertus : quand elle les aura p(>rdnes par nn acie
de prévarication, les grâces actu(dles ne disparaîtront pas, elles
seront toujours là, assaillant la volonté pécheresse, la sollici-
tant, l'attirant, la poussant, l'envahissant de leur présence,
l'inondant d'un Ilot pressant et sauveur.
11 n'y a pas d'.'iomme au monde qui ne soil appelé à la \ii'
surnaturelle: il n'y en a probaldement pas un seul dont la
psychologie ne renferme en l'ail quelque élément surnaturel.
Il faut donc une psychologie surnaturelle.
Nous serions injustes si nous ne reconnaissions ([u/elle existe
depuis longtemps dans la théologie catholi(]ue. Des saints
comme saint Thomas, saint Jean de la (h-oix, sainte Thérèse,
saint Fran(:ois de Sales ; des écrivains comme Godine/, Lopez,
Wallgornera n'ont |)arlé avec tant d'autorité du suruatur(d, de
la vie de la grâce, des vertus chrétiennes, des moyens de déve-
lopper cette vie et ces vertus en nous, que parce qu'ils élai(Mil
des |isychologuos athcvés. A chaque pas on rencontre dans leur:-
(l'iivres des analyses très sagaces et très Unes des opérations de
la conscience psychologique.
Hien des livres de piété écrits et plus ou moins goûtés de nos
jours, sont médiocres surtout par défaut de cette saine et solide
psychologie (jui fait la valeur des ouvrages ascétiques d'autan.
.\ la direction des âmes il faut de la psychologie, comme à
l'étude de la psyclioiogie il faut la connaissance du surnaturel.
J.-A. CIIOLLKT.
LA MORALE DE MALEBRANCHE
I. — " Il n'y a [loinl tic scieiK-c qui ail lanl tlo rappoiis à
niiiis que la Morale ; c'est elle qui nous apprend tous nos
•devoirs à l'égard de Dieu, de notre prince, de nos parents, et
généralen\ent de tout ce qui nous environne. Elle nous enseigne
même le cliemin (juil faut suivre pour devenir élernellemenl
heureux, cl tous les hommes sont dans une ohligalion essen-
tielle, ou |ilnl('>t dans une nécessité indispensahle de s'y appli-
quer uniquement. Cependant, il y a six mille ans qu'il y a des
hommes, et cette science est encore fort imparfaite (I). »
La déclaration qu'on vient de lire est très loin d'être isolée
<]ans les ouvrages de Malehranche : on l'y rencontre à chaque
pas. Or, ceux auxquels il s'en -prend de cette imperfecliou
ijuil regrelle ne sont pas seulement les philosophes ou de
l'anliquilé ou des temps modernes; ce sont les tliéologiens,
<•!■ sont les ecclésiastiques, ou réguliers ou séculiers, ce sont
les directeurs, ce sont les casuistcs. il n'épargne à ce sujet ni
les uns ni les autres. Donc, si l'on cherche comment et par qui,
dans les temps modernes, la Morale s'est constiluée-à l'état de
science et comme paj'tie intégrante de la philosophie ration-
nelle, .Malebranche est certainement, de tous les grands pen-
seurs du xvii' siècle, celui auquel il est le plus juste de faire
honneur de ce progrès. Descartes a eu des vues de génie sur
l'application des règles de la méthode générale à la conduite
de la vi<>. i'ascal a, comme on aime à le répéter, sécularisé la
Morale en faisant prendre en dérision ou en dégoût — jusqu'à
l'excès — les petites considérations particulières relatives aux
fl) lierl,.. IV, II, 3.
iU) Henri JOI.Y
l'xcepliuiis cl nux cas iiuliviiliicls. Malclu-aiichc, lui, a (Hc ici
plus méthodique oL plus cumplct que Dcsctirtcs, |)lus juste que
Pascal ; et il n'a pas craint de payer, pour ainsi dire, de sa per-
sonne, en prenant la responsabilité d'un exposé doj^matique
iTe la Murale tluMiriciiic et pratique.
Tout d'ahitrd il a vu le proi)lème de si haut que certaines
(juestions. destinées à n'être j)osées explicitement qiu' heaucoup
plus lai-d, l'uni (''\ idcnnncnl pr(''nccupé.
La .Mi>rale dépend-elle de la mélaphysi(juc ? ou la mélaphy-
si(iue doit-elle être subordonrUM' à la Morale ? Il semble que
ses écrits fournissent des IcxLes à invoquer jkmh' chacune des
deux li\ piilhèscs.
Il peut arriver (|ue dans d(^s quesiidiis encore nbscures on
aboulissc, |»ar un raisouncnu'ul |)lausil)!c. à des conséquences
iriiublaiiles |tiiui' les hununes de bunne V(diinlé. Alors, on dnil
sarrètei'. Ainsi l'ait l'aulcnir du Tniilr ilf la iKtiiirc cl de la (jràic
(juand il nous dil ' I i : " .l'avoue ([uc je ne sais cimunent Hieu
peu! d('ciiu\ rii' b's siiiles des aciinns (|iii ne [ireni jias leur
iiil'ailliliilili' de ses décrets absolus, mais je ne puis me résoudre
à pousseï" la métaphysique aux dépens de la Morale, à assurei-
i-omme des vérités incunlcsialdes des opinions contraires au
^cnlimeiii in lé'rieur (|ue j'ai de nioi-nièiiu'. ou enjin à parler aux
oreilles un certain laiiiiajie ipii. ^-i' nie semble, ne dil l'ien de
clair il l'esjjrii. >i Aussi plus d'une l'ois dans st's p(démi(|ues
est-il tenté — avec mesure et discrétion toutefois — de réfuter
les doctrines (>n en montrant les conséquences. » Je puis, ajou-
tait-il, des |)rincipes oppi>sés aux miens tirer des conséquences
iiien ]ilus fâcheuses que celles qu'on prétend suivre de la liberté
l(dle (jue je la suppose en nous. »
D'autre pari, les textes q\ii élablissenl que la métaphy'si(|ue
est le fondement de tout, y ((unpi'is la religion et la Morale.
s<(nt nombreux, et voici l'un des plus décisifs : » On veut, écrit
Malcbranche à l'un de ses amis (2), que je fasse une métaphy-
sique. Je crois en efl'et que cola est fort nécessaire, (l'est la
bonne métaphysique qui doit tout régler, et je tâcherai d'en
(1) Troisièiite Diii., U' paitio, xxxviii.
(21 Le 26 décembre ICSC.
/. l \l<'llM.i: hl: MM.EItHWIIIi: 147
iiii'ii «''talilir les principales vi'-rili's ([ni Minl lo I'hikIimiichI iIc la
rclisiioii ri (le la Morale. "
La ciineilialiiin e>l ici de lur^iiie nainre (|ue relie ([ui In il cdu-
(•(inliM- entre elles les pensées dn |)liil(is(iphe sni" les divers slades
de rapidoi^étique elircMienne. il y a intérèl majeur à ce (pie la
Miiiale soit respectée comme à ci' (jne la religion soil ôln'ie —
même par ceux qui ne peuvent remlre logiqiu-menl (roniple ni
de leur oiiéissance, ni de leur respect. — Il y a-donc, répondra-
l-iin. niir Murale et une religion indépendantes de la reclienlir
et de la di''ni(iiis(raliiin scienlitiqiir^ ilr la vi''rit('' ? — ( )ui, en un
sens; car il iaul hien (jue h^s sciences, même les plus élevées,
reposent sur des données simples, accessiides à tons. La néces-
-iti' de la _Miiral<' esl une do ces données, cunime la nécessité'
de la religion en est une autre. Il y a, grâce à Dieu, des gens
qui le sentent, même quand ils ne sont pas éclairés, et c'est là
pour nous une donnée précieuse. Réduite à ce qu'elle a d'es-
sentiid, celte nécessité se présente en ellel à l'esprit avec une
i-lart(' qui suffit ù nous ouvrir la voie, si toutefois nous avons
les dispositions nécessaires: car ■• ce n'est pas la raison de
l'iiomnie i|ui le si'diiil. c'est son conir i 1 . ■■. C(dui qui est dans
« une disposition respectueuse » à l'égard de la divinité a déjà
l'essentiel de la religion; celui qui veut agir selon la raison
et selon elle seule a déjà la bonne foi ou la bonne volonté —
par conséquent la moralité. Mais comme il reste toujours à
«•onstruire une science de la religion par des démonstrations
coordonnées, il reste aussi, pour l'honneur de l'esprit humain
et pour le bien de l'hunumité, à constituer unv science de la
.Morale. Ce n'est pas elle (jui créera cette nioralile fondamentale,
à la portée des plus simples ; elle la trouvera préexistante, elh^
la respectera, elle s'en servira, comme la géométrie se sert de la
ligne droite et de la distinction du tout et de ses parties ; mais,
comme la géométrie elle-même, encore ime fois, elle voudra faire
>ortir de ces premières notions une science tout entière : et là
elli- ne pourra réussir (|u'en s'appuyant sur la nKHaphysiqne 2 .
il) Treizième Êcluircissenienl sur la Rcrii.
(2i Certains philosophes (en (ies thrses de doctorat, nutauiment) ont rru trouver
le kantisme dans les idées morales de Desrartes. U n'était donc pas inutile de
jirévenir pareille illusion pour ce i|ui concerne Malebranche.
148 Hemii JOLY
11. — D'aljord, il i'aiil que la Morale snil une. 11 pcul jiaraili-e
étrange que Malehranche ait cru devoir tant insister sur une
vérité si évidente, et plus étrange eneore que, parmi les ennemis
et les amis trop peu conséquents de cette unité, il ait rangé
<?.xpressémenl la plupart des ordres religieux de son tem|)s.
Déjà, au point de vue proprement philosophique, il leur en
voulait fort de ne pas se rallier ass-ez vite à la belle simplicité
du cartésianisme et de s'obstiner dans ce que la selinlasti(iue
avait, à ses yeux, (l'in((di(''renl. Ils s'y obstinaient, pourquoi?
Par amour-propre, ou, ce qui revient au même, |)ar esprit de
forps. « (>e qui est vrai à Paris, dit-il inuiicjuemenl, est taux à
Rome : ce qui est certain chez les Jacobins est faux chez les Cor-
<Ieliers ; ce qui est indubitable chez les Gordeliers semble être
une erreur chez les Jacobins. Les Jacobins se croient obligés de
suivre saint Thomas, l'ourquoi? (^est souvent parce que ce saint
dnrieur (Mail de leur ordre. Les doribdiers, au contraire, em-
brassent les scnlimcnls de Scol, |)arce (jui- Scot était Corde-
lier (1 ). » De même il sul'lit, à l'eu croire, de « quelques évèques »
excommuniant comme biM-élicpirs des piiilosophes qui pensent
autrement qu'eux, pour créer des factions qu'éehaull'e un zèle
indiscret et << un sentiment confus » de piété mal comprise. Or,
ce n'est pas seulement dans la science pure que de telles diver-
sités provoquent les regrets et presque l'indignation de notre
philosophe; c'est bel et bien dans la .Morale. Il s'en explique
très nettement dans ime page admirable et qui me parait à
<iter ici tout entière.
" Certainement, la Raison universelle est toujours la même :
l'Ordre est immuable ; et cependant la Morale change selon les
pays et selon les temps. C'est vertu chez les Allemands de
savoir boire : on ne peut avoir de commerce avec eilx si l'on ne
s'enivre. Ce n est point la Raison, c'est le vin qui lie les sociétés,
<jui termine les accommodements, (jui fail les contrats. (J'est gé-
nérosité parmi la noblesse que de répandre le sang de celui qui
lui a fait quelque injure. Le duel a été longtemps une action
permise; et comme si la Raison n'était pas digne de régler nos
différends, on les terminait par la force : on préférait à la loi
(1) Recli.. V, VI.
(If l)ii'ii niriiir la lui des liiiilr>. un le scirl. l'Il il ne l'aiil |ias
N'iniai;iiici' ([iic celle (•(luliiiiie ne lui en u-^auc ([ne [larnii les
j;oris (le siuerre. elle elail |iresqiK> générale ; el >i les ecclésias-
tiqni>s ne se liallaioni pas. par rospcc' pour knir eaiaelère. ils
avaient di' bravos clianipions ([ni les rcprésenlai<'nl. el ({iii
soiilenaieiil lenr linn (li'iiil en versant le san;^ de- pailie-, ll>
s'iniaginaieni même (|n(> Dieu appriuivail leur eunduile ; id
soit ([u lin terminal les dilVéri'nd> par le dnel, on j)ar sort,
ils ne dunlaienl pninl (jne llien ne pri'sidàt au jniicmenl et
(|n"il ne donnât gain de cause ù celui qui avait raison, (lar.
supposé que Dieu agisse par des voldulés particulières, ce ([ue
croit le monde, ipndle impiidi' (|ue île craindre nu qu'il l'avo-
i'i--e rinju-lice. iiu que >a providence ne s'étende pas à toutes
choses:
(< Mais sans aller eiiendiei' de- coulnme- damnaldes ilaiis les
siècles passés, que chacun juge à la Inmièi'e de la liaisun des
coutumes qui s'observent maintenant parmi nous, cm [iluliM
qu'on fasse seulement attention à la conduite de cen\ mènu's
(jui sont établis pour coiuluii'e les auti'es. Sans <loule on liou-
vera souvent que chacun a sa Morale pai'licnlir'ie, sa dévolion
propre, sa vertu favorite : que tel ne parle que de pénitence el
de morlilication : lel n'estime que les devoirs de (duirilé : tel
auti'e enlin (|in' l'éduile el la [irière. Mais d'ofi |ieul venir celle
diversité si la Haison de l'homme esl toujours la nn"'me .' (l'est
sans doute i[u'on cesse de la consulter, c'est qu'on se laisse
conduire à l'imagination son ennemie, (l'est qu'au lien de
regarder i'tJrdre immuable comme sa loi in\ iidable et naturelle,
on se forme des idées de vertu conformes du jnoins en quelque
chose à ses inclinations, ('ar il y a îles \ertus, ou plntôl des
devoirs qui ont rapport à nos hunuMirs : des vei-lus l'clalanles
propres aux âmes Hères et hautaines: des vertus basses et humi-
liantes, propres à des esprits timides et craintifs; des viM'tus
molles, pour ainsi dire, el ijui s'accommodent jiien avec la
[laresse et l'inaction i I 1. »
Si l'on s'étonnait trop de cette sortie éloquente et s|)irituelle,
nous n'aurions qu'à rappeler comment la Morale était alors
(1) Tr. de Morale, 1" partie, c. ii, pp. 7, S.
10
ir,o iiENfii JOLV
systéniatiqucmcnl scimh'c m deux parlics, i-cndiics prc^cji:!'
étrangiTcs liiiir à l'antre, l'iino rogarilant la \\c ôlcrnoUt", et
l'aiilrc la vie Icnipuielh'. I']lait-cp une des eonséqiionees loin-
laines des divisions mal apaisées du Sacerdoce et de riùnpire?
En tout cas, il t'st certain que le pouvoir du Prince, surtout en
s'étendaiil. coninie il le taisait, d'un bout à l'autre de la splicrc
du droit proprement dit, créait coninu^ une région moi-ale entiè-
remeut disliiicte de la précédente, l.eilmiz, lui aussi, rencon-
trera devant lui ce préjugé et mettra, comme on sait, tous ses
soins h le conilialtre : mais .Malehranche lavait devancé. 11 avait
parfaitement vu qu'à ce manque d'unité s'yjoulaiL comme une
consé(|uence logi(|ue, mais désaslrense, un appel divergent à
(len\ autorité's tinalement insul'tisantes, celle des supérieurs
ecclé>iasti(|ues d'un côlé, eelle des sn|)érienrs Lemponds de
r,iiilre : ni les [iremiers ni le> seconds ne s(nigeai(Mit. en ell'el.
comnu' ils l'auraient dû, à l'autorité par excellence qui, seule,
aurait pu les forcera se uuHlre d'accord. \e soul-ce point là ces
deux iiuissances dont Descaries se délie, (inaïul il se défend de
vouloir, en trailanl " des UKi'urs », empiéter sur les droits ou
de ■• ceux (|ue jtieu a (Halilis pour son\ crains sui' ses peuples »,
on di' " ceux au\(|nels il a donné assez de grâce nu de zèle pour
éli-e pi-ophètes '.. Un monn'ul ou l'on se mellail ainsi hors
d'état de discuter les principes communs des deux morales,
on eu acceptait séparément les |)rescriptions comme autant de
maximes indémonlrahles. réclamant une (diéissance aveugle et
passive. <>r, inu' telle oliéissance n'a aucune valeur, elle ne sert
<|u'à llatter tout à la fois et la " paresse des inférieurs " et
.< l'orgueil " de ceux qui commandent.
L'inconvénient, sans doute. Mal<'i)ranclie ur pon\ai( pas le
méconnaître, était plus grand dans l'ordre lempond. (jui. di's
deux aspects de la nature divine — puissance et raison — repré-
sentait trop exclusivement le premiei'. .Mais eniin, l'ordre spiri-
tuel non pins n'en est e.xcmpt ni dans son gouvernement, ni
dans les décisions de ses tribunaux, ni dans l'esprit qu'il l(dèri>
— souvent parce qu'il l'ignore — chez bon nombre de ses pré-
tendus ser\ ileurs. ni par consé(|uenl dans les maximes qu il
laisse propager len delim-s. bien entendu, de c(dles qui sont
seules assurées de rinfaillibilité doctrinale). Voilà ce que Maie-
LA MdiiMK /</■; MM.Eitu.wrin: v:a
îiram-lic pense et ce qu'il dit avee un mélange si original de
i^-andeur et de vivacité.
Ainsi chassé de lexanicn des principes dans les deux parties,
mutilées Tune et l'autre, de la Morale, l'esprit de discussion et
lie raisonnement se réfugiait dans l'examen des applications;
<H la conscience l'y suivait, en grand danger d'être faussée. Ile
là le développement considéralile, de là les succès, mais aussi
les raflinenienls et les excès dangereux, tant de la direction de
<:onscience ijue de la casuistique.
111. — Maleliranche n'est tendre ni pour l'une ni pour l'auire.
I.à, d'ailleurs, il se trouve en honorable compagnie : car il |)arli'
comme Bossuet et comme La Bruyère. Il est un peu moins >ati-
rique que La Bruyère; mais ce n'est pas au hasard que je dis
simplement : un peu; car il est loin d'être sans malice dans le
rapprorhenient qu'il poursuit entre les directeurs et les méde-
cins, i> les premiers donnant ([uelquefois la mort à l'àme comme
les seconds. (|uand ils sont peu experts, la donnent quelque-
fois au corps 1 1 ». Force est bien, il l'avoue, d'avoir recours aux
uns et aux autres, et il ajoute avei- un iindange de l>oniiomic
humble et d'ironie, mais où l'ironie parait teri'iiilement domi-
ner : « Je sais qu'il y a une bénédiction particulière de sou-
nuHtre ses sentiments à des personnes sages et éclairées, et ji-
veux même croire que cette règle générale qu'il faut mourii-
dans les formes est plus sure pour le commun des hommes qui>
<-elles que je pourrais étalilir pour la conservation de la vie. ■>
Pour la conservation de la vie morale eependanl, le pliilo-
soplic se résigne moins; car il admet plus volontiers encore
l'appel au médecin que le recours trop fréquent à un directeur
quelconque (2). U a pour cela deux raisons. D'abord nous dissi-
(1) Treizième Éclaircissciiieiil.
ri) Voici le conseil qu'il donne à ce sujcl : il n'est i)as s:m> jeter un singulier
j.jur sur l'insuriisauce des directeurs qu'on s'attrilniait dans un certain monde :
" Lorsqu'il est à propos de consulter un directeur, il /im/ en choisir un qui sarlie
lu relii/ioii. qui respecte l'Écwif/ile, qui connaisse l'hoiimie : il faut prendre garde
<iue l'air du monde ne l'ait point corrompu, que r.iuiilié ne l'oit point rendu mou
ni complaisant et qu'il ne craigne et nespùre rien de nous. » (Treizième Èrluir-
<.-i.sseiuenl.) Il va sans dire ipic ces franches attaques contre la manie des direc-
teurs ne louclie en rien au sacrement de pénitence: car Malebranche, dans son
Truite de Murale, en fait ressortir, au contraire, l'iuiportance, avej sa pensée
15-2 Henri JOI.Y
muions ou déguisons pins de dioscs au diroitcur (|u'au méde-
cin ; puis, en général, uiins pouvims pins l'acilenieul nous éclai-
rer nous-mêmes sur le nuil de Fàme sans le secours du preuiier
<jue sur le mal du corps sans le secours du second. Les abus
de la direction et de la casuistique, en effet, ne sont pas seule-
ment impulahles. tant s'en faut, aux directeurs et aux casxiisles.
Xiuis qui li's consultons, qiu' faisons-nous? <• Nous mêlions
insonsibleuienl la main >ur noire jdaie quand rllr nous l'ail
honte: nous [rompons souvenl ceux (|ui nous dirigent, aliu de
nous tromper nous-mêmes; car nous prélendons èlre en sûreté
lorsque nous les suivons. Ils nous conduiseni là on nous avons
<lessein d'aller, et nous lâchons de nous persuader, malgré la
lumière et les i-eproches secrets de notre raison, ([ue c esl
j'oiiéissance (|ni nous détermine... ■> Nous cherchons des direc-
li'iu'- (jui nous (■ons<denl de-^ l'epi'oches de .lésns-Chrisl. n ijui
nous as>urenl conlrc ses nu'iuu'es el (jui coumcuI de nuages
agnsildes celle luniièri' ([ui nous blesse el (|ni nous pénèlre ».
I.c mal signalé là dcvail rire grave d r('piindn. car c'esl bim
là ce que dira Hourdaloue el, plus fortement encore, Hossuel i I i,
mais les deux grands maîtres de la chaire oui surloul en vue
les prescriplions impératives de l'Kvangile el la nécessili' de
ne pas en Icniir iii1ilici(dli'nii'nl la pure lumière. Ce (jue Male-
branciu' ajoute, c'est la dénKinsIralion philosophique (|u'il faut
chercher une mm-ale uiu', é(dairaiil alisoinmeni lout ce qui nous
intéresse de la lumière de la raison: c'esl (•n>nile l'idi'e que
celle l'echerche.esl possible, (jnelle doil al lira l'iA ideilcc el
iDiistiMte Je iiii'Icr la pliilosoptiie à b théologie. Il expliiiue longuement roiii-
iiiciit l'absolution du prrire n'a pas seulement pour vertu de remettre les péchés,
mais change la résolution actuelle en disposition habituelle, le prêtre étant ctabli
comme aiuse occasionnelle de la grâce nui doit donner la charité justifiante.
I\] Par exemple, dans son sermon Shc la haine des hommes contre la vérilé.
I. Et en ellet, chiéliens, lorsque nous formons tant de doutes et tant d'incidents,
(lue nous réduisons l'Évangile et la doctrine des mœurs a tant de questinns arti-
ficieuses, que faisons-nous autre chose, sinon de cliercher des iléguisements ?
Et aue servent tant de questions, sinon a faire perdre, parmi des détours infinis,
la trace toute droite de la vérité'? Ne faisons ici la guerre à personne, sinon à
nous-mêmes et à nos vices :■ mais disons hautement d.ms cette chaire (pie ces
pécheurs subtils et ingénieux qui tournent l'Évangile de tant de cijtés, qui trou-
vent des raisons de d.niter de l'exactitude de tous les préceptes, qui fatiguent les
casuistes par leurs consultations infinies, ne travaillent ordinairement qu'à nous
envelopper la règle des mœurs... Le n'est pas ainsi, chrétiens, que doivent être
les enfants de Dieu. »
LA \inn.\i.i: /</■; i/.i/,;;;;;;.i.vr;(K is:t
quViiliii l'i'lnilc (Ir lii iialiii'i' de riiuiiiinr nniis rrvrlc iinii iMi)in-.
cliiirriiicnl les niii\i'iis de [ira(i(|iii'r nui' Irllc iiioraK' avec snrcir'
cl a\ iM- rccl i lihlc.
IV. — l.a |iirii'(' (le Imirlir ilc la V(''l'il(''. (•'es! ruiiih'', c'csl aussi
— (•(- (jiii y liciil (le prrs — l'miiM'rsalih'. I.iirs(|iriiii homme, dil
.Malcliraiiclic, préfère la vie de son cheval à eelle de son eoilier,
il a ses raisons, car on ne f'ail l'icn sans iiintil', mais ce soul (!e>
l'aisons particulicj'es donl Imil liimimc raisoiiiiahie a liori'eiir.
« (]e soni des raisons qui, dans le Fond, ne sont pas raison-
nables, parce qu'elles ne sonl pas conformes à la souveraine
raison ou à la raison universelle que tous les hommes consul-
Icnl >\ '. ..
Mais l'universalilé, la trouverait-on dans des règles e[ des
prcscripliiins arl)ilraires ? i.a lln^oloiiie mèm(> du Trai/r ilc li\
jiii/iirf ri lie la i/rdcc, ses pivifondes disliiiclious cnlri' les |()i>
<H les décrets nous défendent de cette illusion. Xous le savons;
aucun sophisme ne nous a été donné comme plus dangereux
pour le sens commun comme pour toute espèce de certitude,
que celui qui veut que tout (h'rivc de la volonté pure et simple
<l(' Dieu... (sous-entendons, à nen pas douter, a fortiori, ài^ la
volonli' d'un homuK^ (pud qu'il soitl. A ce com|)te, on ne pour-
rait nuMiie [)lus priHendre (|ue Néron ait eu tori de Iner sa nu're ;
<'ai' il est clair qu'un Uomain ignorait le Décalotiue donné aux
.luii's. Ainsi on ne pinirra trouver rien à redire aux actes les
plus infâmes et les pins injustes des païens auxquels Dieu
n'avait point donné de préceptes formels, ['our revêtir un
;ispect philosiq)iii(|U(' et s'abriter, ainsi parée, sous l'autorité
même de DescarLes, l'erreur n'en est pas moins désastreuse.
<'-ar alors » lout est renversé ; il n'y a plus de science, plus de
UKjrale, plus de |)reuves incontestables de la religion (2) » ; et
avec celle-ci nous perdons même l'espoir déjà si téméraire de
demander incessamment à Dieu de nous dicter notre conduite.
Le premier venu pourra donc soutenir à nouveau tous les
scandales que Montaigne rappelle et qu'il excuse comnu' aulanl
(1) Treizième Erlairi-issemciil.
(i lluHieme Écliiircissement. CI' le dijième et le /rci^ièiiie.
)!i4 Henri .IOI.Y
(le prouves dos incorlitudos do la ^loralo hiimaiiio chez les
nations. Pourquoi, s'écrie ^laloljranolio, condamiiora-t-on ces
sontimonts, s'il n'y a un ordre, une règle, une raison universelle
<•( nécessaire qui se présente toujours à ceux qui peuvent ren-
trer en eux-mêmes ? Nous ne craignons pas de juger les autres
l't do nous juger ndus-mèmes on bien dos rencontres. Mais sur
(|Uolle autorité lo faisons-nous si la liaison qui juge en nous,
lorsqu'il sembii^ (juo muis ])ri>noncic>ns dos jugements contre
nous et contre les autres, n'est notre souvoraino et celle do tous
les hommes ? »
(lotie théorie lui louait fort au co'iir. bien qu rlio li' mit dans
la nécessité de se séparer do son maître. Mais il y attachait tant
diiuportanci' qu'il y revenait sans cesse : jusque dans son der-
nier traité, lir/lr. rions sur la Prémulion jilii/sifjiie (ii.il retrouve
pour la soutenir l'ardeur de ses jeunes années. Si. dil-il. Dieu
n'était que tout-puissant et semblable aux Princes qui se glori-
liont plus de leur puissance que de leur raison, " llobbos, Locke
cl (|uelques autres auraient découvert le vrai fondement do la
.Morale, cl l'anturilé kU' la puissance donnant sans raison droit à
faire tout ce (]iron veut quand un n'en a rien à craindre >..
Mais maintenant. (|u'est-co que c(>tte liaison universelle el
s((uveraino que Kiou niènn^ consulte on lui et applique hors do
lui .' V.\\ liion ! c'est l'Ordre immiuible et nécessaire, évident d<>
lui-même et subsistant par lui-mênu'. L'obéissance à cet ordre,
vnilà le premier ])rincipe objectif de la Morale. .Malebr.anche
scuitient ffu'il ne s'impose pas moins à la Raison que les prin-
cipes de la géométrie (2).
(lar, enlin, y a-t-il quelqu'un qui doute qui! faille préférer
sfin ami à son (diien ou, comme nous lo disions Imil ."i l'heure
(l'auteur semble se plaire à cette comparaison i, la vie de son
cocher à celle de son cheval i^i? Peut-on douter de même que
l'esprit vaille mieux que la matière qui ne pense pas? « La
(1) V. pp. ISO, 187.
C2) C'est ce que dira Leibniz : « La justice suit certaines règles d'égalité el de
proporlions qui ne sont pas moins fondées dans la nature immuable des choses
et dans les idées de l'entendement divin que les principes de raiitlimétique et de
l:i i-'Oométrie. "
.;<) Malebrancbe ajouterait sans doute aujourd'hui: *a famille à son hélail, ses.
ouvriers à son usine, etc..
/- 1 UdiiAi.E ni-: \iMJ:iiii.[.\(iii: i;;:;
(lisliiu'liuii (le CCS dcuv parties de nous-iiiriiK^s, pi'nuvcc par des
idées claires, est de (diiIcs 1(^s vérilés la plus i'cconde cl la plus
in''<'cssaii'e piiur la pliil(is(i|)liie <'l pciil-èlre même |i(iiir la lliéo-
Idjlie cl piuir la nuiralc clirciieiinc ! I i. ■ l'ciil-oii dniilcr(|tic
la vie cici-iicile \aille mieux que la vie Icuipondle ? ( Ir la liste
do CCS propositions peut s'allonger. <• Il iaul aimer ie hien et
fuir le mal : il tant aimer la justice plus (|ue les l'iciu'sscs, il
vaul mieu.v ohéii' à Dieu qu'aux liomiues ■, et nue iulinilc de
• ' lois naturelles '>. est-il ajuntc... " Il y a encore plusieurs
autres piincipes de morale, comme ceux-ci : (|u Un ne pcul
coûter de jdaisir vi<dent sans en devenir i'cscdave, (|n il ne
faut rien eulieprendre par passion. <|u'il ni' l'an! |)oiid (dn-rcher
d'établissenienl en cette vie... Si l'on un-dite sur ces principes
avec ordre et avec autant de soin et d'application que la gran-
deur du sujet le mérite et si on ne reçoit pour vrai que les
<-oncIusioHS tirées conséquemnient de ces principes, ou aura uiu"
morale cerlaine (2i... n
dette (cuvre si im|iortanle, .Malel)rancln> mms l'a-t-il donnée?
il dit dans ce mènu' passage : « J'ai là(dié de déun)nlrer par
oi'dre les t'ondcnuMils de la Morale dans nu lrail('' particulier;
mais je souhaite pour nuii c(unm(> pour lesaulics qu'on donne
un ouvrage plus (wact et plus achevé. »
V. — (le Trailr <lc Morale qu'il juge ainsi avec un)deslic rap-
jMdle, en eU'et, assez hrièvenn-nt ces principes de son auteur :
<|ue l'ordre immnahle ne consiste que dans les rappoi'ts de pcr-
t'i'ction (|ui siint entre les idées inloUigildes. . . cl ([ue, par con-
sé([uenl, il doit y avoir nu'-nie rapport entre deux amours
qu'entre la pei'fçclion ou la réalité des (d)jets (jui les excitent.
11 y est t'ait aussi des allusions fréquentes à ce que les principes
mé"taphysi(jin's de la Vision en Dieu et des causes occasionnollos
lui |)araissent entraîner de conséquences pratiques : car à la
jir(''l'(''rence exigée rationnelIeuKMit par ce i|ui renferme une |)lus
gramle qnanlil(' d'essence ou de jierf'ection s'ajoutent l'amour et
II' ri'specl dus à l)ieu, suhslanci' de let Onlre, aulcur uni(|ue
iM ])êj'eiisi' lie lu lU'ili. de lu V. coiilie.V. île ta Ville.
i2i liei II . lie lu V., I. \l. Il p.irtie, c vi.
l'jO Henri JOI.Y
(II" raclioii criiciicc (|ui le rriiliM' iliiiis rinivcrs avec hi lil>iT
ciioiu'-ralion de imlrc volonlé, doux lion de la sociélé luimaiiH',
soûl digne (Fi'ii rire la lin iiiiisqn^i! en est le prineipe. Aiilrc-
nienl dil. |iniii' reprendre le langage de saint Augustin, c'est
piM'cisi'nienl parce (|uc Dieu esl la causa sii/isi.sU'tidi et la /afio
/ii/r//it/rtii/i (|u'il esl aussi Yunln rirmili. Vdilii surtout les vérités
<jiu' Maleliranche retient pour conslruire sa nuirale ; il est eon-
vaincu que, maigri' l'inlinili' des lois naturelles, les règles
<Mpilales de l'Ordre et les ra|)p(U-ls essentiels qui en dépendenl
sont, après loui, l'ii petil nmnlire, coninie tous les principes
rondamenlaux en (|ueli|ue science que ce soit. Trois lois du
niiiuveniciil sul'liseni aux Cartésiens pour expli(|ner l'univers
eniier. avec hiules les ciimliinaisons de la mécanique, de la pli\-
sicjuc cl de la ( liimie : !'e~(|uisse que nous avons tous présente
à l'espi'il de la Ilir'rai'cllic ui-doniu'-e des exislences. le ciir'ps,
res|iril, la raiMin. la vie totale, la vie l'Ienielle. Itien eiilin,
poiu'rail liien Mii'lire à nmis donner l'ensemlile complet îles
règles de nos mleur■^ 1 .
Aiilre cliDM', sans duute, est le principe ulijeclij' de la Morale,
autre clinse la moralité de l'agent ou la vérin. Les deux se
tiennent, mais ils sont disliiu-ls : le principal olijel de la pre-
mière parlic du T/'ii/r //'■ Murale vA pi-i'cisi'mcnl d'insister sur
a nature et les cimililinns de la \ ei'tu.
" La vi'i'tn, \' lisiins-nous, c'est l'anioui- liabituel d dnminanl
<le l'Ordre immualile. » V n tel amour, ainsi caractérisé, impliiiue
ci la l'iirce el la lilierlé de la vidimlé, victorieuse des passions
désordonnées. Or. le mélapli ysicien longtemps si suspect de
sacrilier le lihre arhilre >attache à le consolider et à lui réser-
ver loiitr la grandeur lie son n'de : il s'y est attaclié en méla-
phvsiqm'. il s'y esl attaché en théologie, il s'y est attaciu'- en
|)sychologie, el il s'y est attaché encore en .Morale, \a-t-il
jus(|n'à tout ranu'ner au seul res|iecl de noire liherlé, à ni>tre
(1) .. 11 faut quo je dise en passant que des personnes de pii'té lelombent son-
vent ilaus les mrmes fautes parce qu'elles remplissent leur esprit d'un grand
nombre de vériti's ipii ont plus d'éclat que de force et qui sont plus propres a
<lissiper et à partager l'espiit qu'à le fortilier .-ontre les tentations : au lieu que
<les personnes ijrossu'Tes et peu éclairées sont lidéles à leur devoir parce qu'elles
.se sont rendu l'aniilière quelque grande et solide vérité qui les fortifie et qui les
soutient en toute rencontre. •• [Recli. dr lu V., I. V.)
I.A MiilSM.E hl-: MM.I:l!l!.\\riir. IViT
niiloiiiiniii' ? (!('ii\ (|iii se sdiil coiilciilrs de si peu pour Iroiivci-
<'ii llcsciirles 1111 prrciirsLMir de la Mnral<' UaiiliiMiiic si roiit pciil-
rlrc (ciili's (l'inlrrpn'>liT ilaiis le illrilK' sens ce Icxli' de la
lirclimlir ii. •! : " L iisa^c ((lie nous devons faire dr ludrc
lilierlé, eesl de nous en servir le plus (|ue nous pouvons ». —
mais il l'aul considérer les par(dr> (jui suiveiii : " ...eesl-à-dire
<le ne consentir à quoi (|ue ce snil jusqu'à ce que nous soyons
coiuinc forcés par les reproches de noire raison... "
f^l. eu eiVet, une Morale fiuidée sur, la niélapliysique (]ue iioii>
<-oiiiiaissoiis pi'ul-rlli' exclure de la vertu la eoniiaissanci- du
bien réel? Si .Malehranclu' n'esl pas inltdleclualisle dans sa
théorie des passions, oii il fail une si «jrande pari au mécanisme,
il lest ahsoimneiil dans sa llu'orie de la \crlu. « On ne doit
jamais, soutient-il, aimer un hien si l'on peut sans remords ne
|)ns l'aimer. » (l'est l'équivalent de la règle qu'on ne doit rien
afiirmer (jui ne soii lidlement évident qu'on n'ait aucune occa-
.siou de le mettre eu doule. Le l'eniords, en ell'et, (ju'esl-ce doue
qui le proviuiue, sinon la vue claire d'une vérité méconnue el
outragée? Maleliranche s'appropiàe hien volontiers ces proposi-
tions de Descartes (1 1, que les âmes fortes sont celles qui font
l'omballre leur volonté avec ses propres armes, c'ost-à-dire des
jugements fermes et déterminés touchant la connaissance du
hien el du mal. La vraie justice, aux yeux du disciple, » c'est
une justice de lumière (jui voit ce (|ue l'Ordre e.vige et qui le
veut jiarce (ju Clle le voit. C'est pourquoi nous ne serons par-
laitement justes que quand nous verrons sans ohscniilé la loi
<-leniidle, sur laquelle nous réglerons exactemeul tous nos juge-
ments et tous les mijuvements de notre cu'ur. Sans doute, ceux
<iui ont la charité sont justes véi'itahlemenl, même s'ils forment
accidentellement el malgré eux des jugements injustes : ils sont
justes dans la disposition de leur co-ur et dans leur volonté'.
.Mais ils ne sont pasjustes en toute rigueur parce qu'ils ne con-
naissent p;is exactement tous les ]'a|qiorts de perfection (jui
■diiivenl i'i''gler leur eslime el leur auioiir i 2). »
\ 1. — (iliercher la connaissance de ces raj)porls, c'est liMilir
^l) Trfi'ih- des ji{issions. 1, 48.
(2; Knir. nll-l.. VllI, 1-4.
):;8 Henri .IÛLY
(le la nature, do la divisidij et de la distinclion de iKis devoirs :
tel est l'objet de la deuxième pai'tie du Traiti' de Morale.
Si nous avons des devoirs envers des êtres autres que nous,
c'est qu'ils ne nous sont pas indilTêrents. eest que notre aetion
doit être concertée avec la leur el qu'il le faul néccssairemont :
c'est, en un mol. qu'il y a entre eux et mms idir socirlê. Celle
idée « sociale >> jnue dans le système tout entier un l'ùle consi-
(ii'ralilc. (loninicul appr(''cier, en ellct. les rapjiiirts qui doi\ent
assurer l'ordre d'un ensemble si on ne connaît pas d'abord, el
si ensuite on ne respecte pas le lien idéal qui doit réaliser du
mieux possible l'entente de ces élémienls el la juste subordina-
tion des uns aux .nilres? Lu psycbolojïie de nos sentiments nous
l'a ajqiris : livrée à elle-même, la sensibilité de l'àme bumaine
est uaUirellemenl inclin('i^ à aimer un être en propoitiim de la-
parl plus iiu moins j::rau(lr (|u'il a dans le ton! ijuc nous com-
posons avec lui. Mallieureusemrul , la déclH''ance que uou>
subissons exalte notre amour-propre, mal éclaire'- sur les viaie>
conditions de notre relèvement : nous jugeons et nous aimons
b's (dusses par le rapport qu'elles ont avec noire liicu particu-
lici' du moment. 11 est indispensable de redresser celte dévia-
tion, de sassuiMT dune cxatli' appréciation des rapports à l'éla-
Idir dans uu monde oii loiil serait l'cmis à sa vraie place. Dr.
quel est l'être (jui l'orme la part la ])lus ((Uisidérable du lout oii
nous entrons? Evidenmient, c'est Dieu, puisque rien n'exish^
que par lui et comme participation limitée à son inlinie bonté.
Voilà pourquoi nos premiers devoirs sont envers Dieu, et voilà
pourquoi il est contraire à la Raison d'aimer ce qui est impar-
tait, si on ne l'aime comme exprimant ce qui est j)lns partait,
comme nous ollVanl des movens de le n'-aliser dans la mesure
de nos forces ; car le comnnM'ce du monde ne doit tendre qu à
élaldir en .lésus-Cbrist une société pari'aile el éternelle ( I i.
("e commerce du monde pourtant demande à être réglé. Or.
le monde (en prenant ce mol dans le sens le plus large) com-
[irend deux sociétés : la société céleste (|ui commence sur la
lerr(\ mais<|ui ne finira jamais, (^t, en altendanl, la société civile
proprement dite, (li' (|ui est dû à la première est surtout inli'-
(li Tr. lie Momie, 11' pai'lir, xrn, (i.
I.{ W(/;;.i;./-. DE MMJ:ill!.\.\<IIF. IlifV
liciir (^1 s|iii'ilii('l : (-('(lui est dû à la seconde esl <• |ii'es((iie eii-
lièi'eiiieiil exiérieiir li ". (le " presque >i esl une préeaulidii :
(111 esl ilK^'llie liMllc' (le dire t|iie e'esl une CDiieessidii au |>iviui:('.
mais un(> eoneessidii ((ui ne porte i;U("'re. lei en ell'el le lorl ou.
si l'on veut, le caraelil're de la Murale de .Mahdirauelie. (duiiiie
de lieaueoup do doctrines pnjfesséos sous l'aiicien réi^ime, est
la S(;pamtion dos deux doniainos ol raliandoii <> presque entier »
(lu premier à la force irrationiudNv l.e l)oau programme lrac(''-
lout à riioure de rnniliçalion de la Morale (^st-il donc sacrili(''?
On a cortainement le di'oil de poser la (|neslion, on a le droit de-
s'(''lonnor de celte contradiction douloureuse che/ un si iKdde
penseur (jui n'avait voulu ni tle la s(''paration de la raison el de
la loi, ni de la séparation de la philosophie et de la tlu''olo_i;i(v
ni la diialil('' de la Morale et du droit, et qui consid("'ro que le
premier do tous les devoirs est do porter en toute occasion le-
jugement suivant : « Il n'y a point plusieurs sagesses, il n'y a
point plusieurs raisons », ot cet autre, non moins souvent rop(''l('' :
" Nous n'avons qu'un maître. » Mais autant ce penseur est
r(''Solu à ne faire aucune concession ol à xouloir la V(''rit('' toiil
enti("Me dans l'ordre sp('culatir. antaiil, dans j'ordi'e |)rali([ue. il
est résigne' d'avance — par force, voilà son excuse — à se con-
tenter de ce qu'on lui donne, (liiose au premier ahord hieu
étrange, mais qui éclaire d'un jour singnlic'remont attrayant le
caractère encore plus que la doctrine do .Malehranclie, autani il
est prêt à exiger du pouvoir spirituel qu'il ait raison dans les
jdiis petites choses ol à discuter en conséquence avec lui, autant
il est pour le silence envers le pouvoir tempoi'(d. < In ne sauiail
(1 ailleurs s'y lrom|ier : c'est là, dans sa jtonsée, une marque de^
respect envers le premier, et de dédain aussi peu déguisé que
possible envers le second. (]elui-là représente Dieu comme rai-
son et sagesse, raison et sagesse qui se justifient, car dans la
iiihle. Dieu mémo — c'est un exemple rappelé bien des l'ois, —
n'a pas craint do |U'endre des hommes sages comme juges enlre^
lui et son peuple ingrat: c(dui-ci ne le repri'sente que coniuK^
|iuissanc(>, ot comme puissance cliarg(''o d'assurer la paix dans
1 hum;iiiit('' déchue. La loi humaine n'est pas plus la loi véri-
Hj Tr. lie Moyi(U\ II' prirtip, in, 10.
IGO IlENHl JOI.V
tu I lie. la loi lie la raisiin. (juc no l'i-sl le rr^lcmciild'iin lia s; ne I i.
« La force ou la loi des brutes, celle qui a délV-ré an Vmn leni-
pire des animaux, est devenue la maîtresse parmi les hommes. »
Toutes les fois que notre moraliste est sur cette pente, il va
loin; et certainement quand il apprécie cette portion de la vie
humaine sôparée de la vraie source de la justice, il parle comme
le pins Mimhre des pessimistes. Il s'exprime comme l'a fait
Hobhes, et comme le fera Schopenhaner. Xun, à ses yeux, la
vie humaine ainsi comprise ne vaut pas la peine d'être vécue :
ceux qui mettent des enfants au monde sans avoir en vue l'éter-
nité sont des criminels qui communiquent à la femme une
« misérable féconditi'' », car il- n'cnj^cndrenl (|ui' pour la dou-
leiii' l't poiu' le mal.
Mais enlin. i'aul-il ai-rcplcr en fait ccl élal de choses. aj)ri''.>
l'avoir tant lli'tri en dmit .' Là i-sl la (|uestinn. Il est clair qui'
Malidiranche ne pouvait la résoudre de son lemiis. Il incline
donc, comme i5ossuet, à considérer que les inégalités et les
injustices sociales sont des suites du péché, qu'il faut les subir
comme telles et y confornu'r ^a conduite extérieure : on ne peut
faire autrement, donc il ne faut [las même essayer de redresser
ces injustice- aulrenuMit que par la charité, car on troublerait
la |iaix cerlainemenl le pire des maux est hs i:uerre civile.
dit Pascal . el «m n'olilieudrait probablenu-nt aucun résultat.
^^eulemenl, au tnnd de son àme, on ne doit attacher à ces cir-
constances et ediulitions aucune espèce d'importance : car la
véritable vie n'est pas là.
.\ coup sûr, il est permis de i-ejiretter une pareille déclaration
d'impuissance et une pareille ilocilité 2 : elles ne |)ouvaienl
<jue pi'oloniier bien ties abu- et provoquer à la bin!j.ue une
n'Yolution destinée à eu supprimer uii j:rand mmilire, nuiis à en
.susciter aussi de nouveaux. Ceci dit cependant, il faut admirer
réloquence avec laquelle le spéculatif proclame que, si Dieu
lui-même, le Hoi des rois, n'est pas une puissance arbitraire,
il est im])ossible qu'un roi de la terre ait le droit de faire
justement tout ce qu'il veut. Il doit se regarder comme simple
(', ) ■/'/•. de Moui'e, \\' parlie, xi, 4.
(il Vûir notre livre ; Le Socialisme chi-élien, IUc.iiettf. in-12, c. m.
/. t i/M/; i;.;-: /);■; UM.l-lti; wciir. HK
" vicaire " lie la liaison, loi ]irinnli\c l'I iiiipérali vt' |MUir
(nus ' I 1. (Juaiiil iiiiiis iisciiis : (111 lui lidil riili(''issanco on loulcs
i-lidst's. H |i(iiirvii (|u il nV'riiic rien (in'i'ii (•(iiis('i|iii'iici' drs druils
iKitnrfls rj,: (|U(' lui ddiiiic la (•(iniuiissiini (|u il a Ar la pari ilc
Dieu " — la phrase ]ioiil iinus |)arailre olisriire ; l'iiiipi-écisidu
est peiil-èire \(i|(iiilaire. (•(ininie dans la suivanli' : ■• Ils les
[iriiieesi duiveiil i-diisiiller h^s luis t'nndaiiieulales de ri'llal. .>
.Mais un Fi'aiii;ais du siècle cic Louis .\l\' ni> poiivail j^iieie aller
plus 11 lin. Il avait du innins posé des |H'iiicipes dnnl la en use i en ci'
puldiiiue devail lirei' pi'ii à |ien ii's couséquenees : il n'v a
«inuiie niiiiale, el celle uun'ale dnil T'ire cunstituée seieiilili(|ue-
iiieiil ; il y a des droits nalurels. el ceux (jiii exercent le pouvoir
<inl couiniission ou mandai de les faire i-(>s|H'cter. Hestail. il esl
vrai, le proldèuie des i;araiilies prati(jiies destinées à olilenir
ce respect ; c"(''tait là une question de politi(|ue encore plus (|ue
de morale luoprement dite, l'^ucore une fois, pour la traiter
utilement, les temps n'(''laienl jias mûrs.
\ II. — Va\ revanche, les temps (■laienl encore hieu l'avorahl-es
à runion IV'coiide de la morale el de la l'idiiiion, de la proliili'
el de la piété, de la justice l't du mysticisme hiea com|iris.
n'ahord, quand il s'adresse aux particuliers jiour leur tracer
[ihiiosophiquemeut les règles de leur vie intérieure, l'auteur du
Trnili- <lr Manilc r(>|irend vile toute sa décision. Il n'y a point
de distinction qui tienne: la Morale puisée à la source de la
raison su|iérieure ne connaît point de partage. » In chrétien,
un |uèlre. un gentilhomme, un ami ne sont |)as (jualre per-
sonnes dillérentes. Lorsiiuc /<■• (jeiildliommc spra en rn/fr, où sera
le jirrlrr et l'ami? Ces (jualités étant inséparahles dans nue
même personne, si le prêtre croit avoir le droit de faire le gen-
tilhomme, il est évident qu'il se trompe; el si je le conseille
dilVéremment selon ses diverses qualités, cerlainemenljeraliuse.
(Juand des qualités sont inséparahles, c'est la plus excellente
(|iii doil tout r(''gler, et quoi(iiroii puissi' faire îles ahstraclions-
1 1) Pour ce qui [irécède et ce qui suit, voir le c. i.x de la \\ partie du Trailé de
Murale,
lij Le mot est souligné dans le texte.
102 H EN 111 .lÛLV
liirsqii'il m'csI (|ucsliim (|iii' de i-aisonnor imi l'air, il laul tout
Joiiulro ensemble quand on doil agir (1 ). »
Or, quelle est en nous la qualité la plus exeellenle, si ce n'est
1-elle d'enlanls de Dieu, appcli's à jiiuir éternellement de son
liéritaj^e ? Si c'csl là ce (|iii dnii tdiit régler, il faut dire qu'au
sommet de la Morale est l'ainoui'... I.ei|nel? .Mais l'amour de cr
<|ui mérite h' plus d'être aimé, l'aninur de la perrection, donc
tinalement l'aniniir de Dicul
L'étude dr la théologie de Malebi'anche nous l'a appris, cet
amour n'osl eu aucune façon l'oubli de nous-mêmes : car e'e-t
un aiiKiiii' d'iiuiiiii. cl l'union avec le souverain Idcu ne pcul
•'•Irc (lu'uu liicu. cl la pussessidu d'un liien ne [icul iHre (|u un
plaisir : ee plaisir n'est pas seulenu'nl légitime, il est en qucl(|iic
sorte nécessaire. Ainsi, malgré toute sa sévérité eonti'c l'aninur-
piiiprc, malgré son enthousiasme pour la pensée pure, malgré'
sou ilésintéressement t(uichaiil au mépris à l'endroit des hieus
extérieurs, .Malehranehe n'esl à aucun égard stoïcien, l'eul-ètre
sent-il qu'il l'eût été — eomnn' il eût été pessimiste — si Dieu
lie lui a\ail l'ail la gi'àcc d'cii'c chr(''ticn", car il donne quidquc
pari le stoïcisme comme la plus n(d)le philosophie tie i'anli-
<|uilé païenne: mais il lui reproche, on le sail, ileux erreurs :
une cri'eiir di' l'ail, à ^a\oir ri(i(''c (jiic nous puissions in(''priscr
également le jilaisir cl la douleur l'I nous considérer jamai>
■comnl(^ alîranchis de taiil de liens (|ui nous unissent par la sen-
sibilité à tant d'élres: et une cireur, |ioiir ainsi dire, de droit,
•;i sa\(iir (|ue la juslici' puisse soullrir (jue nous ne soyons pa>
récom|)ensés de nos elVorts |)ai' le bonheur. Donc, ni k un point
de vue ni à un autre. n(uis ne pouvons ni ne devons n(nis ih'siii-
-lércsser du soin de devenir heureux, (l'est ce {|ue nn'coiinai>-
sent égabuneul le stoïcisme et le jansénisme : ce rapjirochemenl
•inévitable des deux doctrines n'était pour atténuer ni envers
l'une ni envers l'autre la répulsion qu'elles ins|)iiaient toutes
^leux à Malehranehe.
l'iuir lui, sans doute, la vie présente est une vie de sacrilice.
Si un c(U'|)s nous a été ajouté — sans qiu" la chose fût en soi
jiécessaire, — " c'est apparenimonl (|ue Dieu a voulu nous
(1) Tr. iIp Miiale. W pnrlic. v.ii, W.
;.,i MiiiiM.i: m: mm.f.hha.miie io;(
tloiiner, comme à son Fils, vino victime ([iie mins |)iiission> lui
vill'rir I ! I ». Mais le srtci'iiice n'esl point intal cl il n'est jioiiil
(lélinitir, puiscjne l»ien a vnnlii " mms laire mériter par niii-
fspèce de sacrifice et d'anéantisscmenl de iKins-nièmes la pus-
session des biens éternels ".
irest ici snrtont que la Murale de ,Malci)ranclie dépasse la
murale de Descai'tes. Le maître et le disciple sont d"accord sur
les principes snivants : I" la Linine volonté consiste à employer
tontes les forces de son esprit à connaître ce qui est le nodlleni-
et à suspendre son consentement jnscju'à ce ([u'on l'ait trouM-
clairement et distinctement 2); 2" le meillenr est ce qui déve-
loppe le mieux les perfections, chez nous el chez c<'ux qui for-
ment le tout dont nous sommes nous-mêmes une partie. Quand
Descaries, toutefois, formule celte dernière maxime, il a hien
soin de dire : les perfections... ^ tant du corps que de l'esprit » :
vl c'est là une addition à laquelle il tient certainement |)lus
<}ue son disciple. Sans doule, il ne_nie point, il proclame niénic
la supériorité de la j<iie pnrenu'nl iniellecincdic. et il a de
helles pages snr la nécessité hienfaisanle de l'amour de Dieu
mis au-dessus de tous les autres amours. Mais enlin sa pensée
se porte avec hien de la complaisance snr l'amélioration h
apporter au sort de l'homme terrestre par le hon emploi ilu
mécanisme nniversel. L'iHude de hi physique et la connaissanre
des |)ropri('l(''s des corp- a pour lui deux avantages que la Morale
même nous fait une loi de reciiercher : elle étendra à l'inlini le
pouvoir de l'homme snr la uatnre en en meltanl les forces à son
service; puis elle accroîtra le pouvoir de la médeciiu' qui, en
modiliant les conditions physiologiques di> nos passions, peut
nous rendre, dans notre vie intérieure, à la fois meilleurs et plu^
heureux. Ainsi, après avoir rappelé à la princesse Elisabeth
<[ue la joie \aul mieux (|ue la li'islesse, qu'elle n'est pas seule-
ment un fruit des autres biens, mais un moyen de les acquérir,
il ne dédaigne pas du tout de lui conseiller, par exemple, les
<'aux de S|)a comme ayant la vertu moralisante de faire
(1) Enir. iitét . c. iv. p. 1:;
{21 Peut-êlre ici Malebranche flcv mrcrait il Kant en ajoutint : fl?ns une in.-iNinie
d"une portôe iiniversp'lo. Cii- [leur lui l'universel, seul, csl clair, distinct et expli-
cablp.
104 IIf.Mii .liiLV
{■'Viiciirr la iiirlaiicùlic cil oinpôchaiiL la l'alc ilc s' " u[iilci- ».
Nous avons vu ce (luc Malcliranclio ponsait de I;i nirdcciiK' el
(les niédecins : il los lolèrc, il les siiliil, mais il osl l)ien éloigné
d'en f'aiii' à co point les agonis dn {x'iTectioiinement de notre^
nature. (Jn'il-- ne nous l'assenl poinl de mai. nous dil-il, c'esl
déjà beaueoup ! .\e comple-t-il j)as. du moins, (jue dans l'ave-
nir les progrès de la sei(Mn'e élendront ce pouvoii' (Micore si
restreint? .Vssnrémenl. il a du le |U'('suiner : mais il ne paraît
pas s'en soucier heancmip : car s'il ne veut jias de la tristesse,
il ne tient' |)as davantage à l'amour du plaisir corporel; il hiF
•-cmlde (|ne la connaissance de soi. la modération et même une
certaine austérité vaudront l(jnjonrs mieux (|ue la médecine,
attendu (in'(dles pouiront la rendi'c inutile. I.a science n'(Mi
gardei'a pas moins sa graiuleui- : mais c'est pour la spéculation,
c'esl |iour la \ie coulemplalive (|u'ii en ri'>er\e les liienl'aits.
" Il ne tant même jtas être gc'omèlre pour se lemjdii'la tète dt's
|)r()pi'iélés des lignes mais poui' donner à son espi'it la force,
l'étendue, la perfection dont il est capahlc (1). », L'amélioration
du Nort de riiumaiiit('', en nous et chez les autri's, est un devoii'.
oui, à n'en pas douter. .Mais celte amélioration, ce n'est |)as
dan> la mise on action et ilans la direction dn mécanisme qu'il
tau! la (dieridier, c'est dans une union plus intime de l'àiru'
avec hieu. La m(''decine par e.xcollonce, c'est la mi-decine de In
grâce, et les remèdes sont les sacrements, île même que la
vraie cité en \ui' de la(|uid!e nous avons à li'availler, c'est la
(a[i'- de Dieu.
« Soit donc (|u'ou fasse l'aumône aux pauvi'es, soit qu'on
visite les malades el les prisonniers, soit (ju'on instruise les
ignorants, ou (|u on assiste ses amis do ses conseils, soit (jn'on
fasse toute aulre action de charité et de devoir, il faut tout rap-
porter au salut du prochain el penser sans cesse (|u'on vit avec
des chrétiens, et qu'ainsi on doit faire los actions qu'exige do^
nous la société éterntdle (|ue nous avons tons en .lésus-
Christ (2). »
Do co qu'il porte ainsi plus loin encore que Descartes l'amiiur
(1) Ti: de Morale, 1.' partie, x. 14.
\'2) IbiiL, 11' partie, VIII, 15.
(le
ne
i.\ MdiiM.E iih: M.\Li:iii;AyriiE l'V.;
île la MK-dilalinii dos V('Til(''s nécessaires, s'ensuil-il ([lie M:i\"-
liram-lie leiule à l'élalilissemenl, en chaenn de mms, d"nn éi;
passif, réi;i par le « snppurlc el alistiens-li)i " ? Il s'en l'aul
beaucoup. Alm-s même cjui' noire l'ùle ne consislerait qn h
point délourner ni faire dévier en nous l'action divine quant!
-elle nous toueiie et nous émeut, nous n'en aurions pas ni()in>
de tarauds elTorls fi accomplir. Mais nous avons plus à taire
oncorc pnis(|n('. nous l'avons vu. la liberté, loin d'être im
indivisiiile. cnuime le prélendail Itescartes, est inégale d'un
iuMiime à l'anlre et chez le même homme, d'un instant à l'autre,
d('q)ruilanle. au pninl nii elle l'esl, d'unt^ inlinili' de cmiditinn^.
Aussi nus vérins diminueui-eiles si nous ne les augmentims
pas continuellement. 11 y a toujours lutte, avec d'innonihrahh's
péripéties, entre l'attrait supérieur de la grâce et les douceurs
(jui nous séduisent dans les multiples apparences. Cédons-nous ;
notre propre faiblesse augmente l'intensité du danger dont nous
sommes à cluuiue instant circonvenus. Le repos de l'âme ne
saurail (bmc êlre dans rimmidulilé; et — maxime athiiirable
— c il n'y a pas de plus grand travail que de denn'urer ferme
<lans les courants ; dès qu'iui cesse d'agir on e>t emporté 1 1 i ».
(".e n'est pas seulement |ioiu' nous qu'il l'aul luujoiu's faire
cil'ort et toujours agir : c'est aussi pour les autres et plus parti-
<-ulièrement pour ceux dont le sort nous est confié. « L'homme
veut invariablement être heureux. ■ 11 n'y a de vraie société
entre nous el les autres liommes (pi'à la ciuidition que ceux-ci
aient res[)éranci> fmidée d'êti-e cunlents avec nous, (^ette espé-
rance, nous devons diinc la leui' donner, même par nos manières.
C'est là un pi)inl antpu^l le philosophe de la si}ciété polie du
XVII" siècle attache une grande importance. Aussi a-t-il soin
<ranalvser avec une extrême hnesse les quatre espèces d'airs
«m de manières qui règlent le ton de la sociélé : l'air modeste
H respectueux — qui doit se proportionner à la qualité des per-
sonnes ; l'air simple et négligé — qui n'est de mise qu'entn^
égaux: l'air urave — qui rend aisi'unenl ridicule et même mé-
prisable, quand nu le prend mal à propos (on sait que le pédan-
tisme est presque un pi'ciii'' [xuir l'ennemi de Montaigne et
(1) 7'/-. lie Morale, ]" partie, vi, 6.
Il
IGO Ilr.NRi JOLY
1 VitlviM'sairc irAi'iiiuilt : ciiliii l'air iirr cl hrulal qui nn'rilc " li^
(liTiiiiT mrjiris et iiiic liaiiic iri'çconcilialili' ».
Ail' lii'ulal. (•ùniniandi'iiicnl hiiilal. plaisir Ijriilal, action Iirii-
lalc, \(iilà dos inols que Malcliranchc ne |ioiil l'-criio sans cnlrci-
dans nn rlal d'indii;naliiin id de sainlc ciili'ro. C.rsl (|nc la
lirulalité osl oxactcniont le cuntrain' de la raison qui, elle, doil
r('i;ni'i' sur los esprits par la lumiiMc, cl sur l'ànii' tout cntirrc
|)ar la persuasion. Si. par mallnnii'. nous ne pouvons Taire pré-
dominer la raison eoninie il le faudrait, dans la soeiélè civile et
piditi(ine où nous sommes contraints (r(diéir. nous devons tt)us
la taire écouler, aimer, respecter là où nous sommes maitres
dy réussii', c"esl-à-dii'c dans notre lamilh'i'l ilans l'éducation de
nos entants. (!c u rsl ni jiar la complaisance, ni par l'or^ni'iL
ni par la mauiérr i\o les traiter avec l'Uipire cl de les oulrai;er
sans sujel. c'est pai- la raison (|u il l'aul les conduire. 11 i'aut les
accoutunu'r à la suivi-r aussi bien (|u à la consulter. Leurs
actions sei'aieul-ellcs, en consécjueuce de leur candeur naïve
et de leur t'aildesse.peu conl'ornu's à la raison tcdle (|u'un homnn-
la l'ail \iiir et !'a|)pli(|ue. |ieu im|iorle (li! " Il ne l'aul piis les
< liicaner, de peur de les nd)uter. • Du monnuit où ils rendent
(|uidi|ue raison de leurs désii's. a\cc sinci'rité'. on peut y cmules-
cendre pour leur mieux donner le uoùt el l'Iialiilude de vou-
loir et de chercher la raison 2 .
l'A. en ell'ct, c'est là le derniei' C(unnu' le piemiei' mol de la
doctrine, ce (|ui nous c(Huluit à la Raison, c'est la Haison (dle-
un"'nu'. la liaison (|ui nous a t'ails el ijui ucuis a l'ails pour (die.
(l'est elle (|ui nous a formés dans la suhslance éternelle du
l'ère; c'est elle aussi qui, incarné(> (d humiliée, jyroporlionnée
à nos faiblesses, est venue avec le Fils pour nous réformer,
(l'est elle (lui se donne à nous peu à peu en proportion de nos
elloits pour la recevoir et la faire réi^ner sur tout ce qui dépend
d<- nous, en nous et hors de nous, (rest elle eniin qui suflira
dans r(''leruil('' à n<ms assurer, par noli-e unii>u parfaite avec
«die, la pli'uitude île la f(dieil(''.
lIcMu .lOLY.
1 ïr. lie Mrirale. H' parlic, x, 9.
rl\ (In rei-onnait ici riioinuie qui aimait s'amuser avec les enl'.Lnts, el qr.i y
trouvait l'une de ses plus agréabli-s ilistractions.
LA NOTION DE MIXTE
i S?.\l III^Tdlilnl K Kl' C.IUTKJI I-.
Si'Cd.Mll-: l'AliTll-:
De la révolution chimique jusqu'à uos jours.
i.i: cdiii's siMi'i.ic
l.ii !•('' volulidii ;iiili|il|liii;isli([iic ;ic(<iiii|>li(' piii' l.ii sdisicr esl
11' |iiiiiil lie (li''iKirl (les (Irciiiivcrlcs (pii mil iniisliliK' l:i cliimic
iiKideriic. (les dr'CdiiVLM les sciiibli'iiL iiVdir en |himi" principal
l'Il'cl cl. selon licatu'diip ilc cliiiiiisics, iidiir \ i''imI;iIi1(^ olijçl, de
faire ti'idinpliei-. en la cuinpIiHanl cl la pri''eisan[. la nolinn alu-
iiiisti{[ne dn niixle.
I.a.lui de \\\ coii^crra/Kiii <!<■ I<i uiassr dans les cdnibinaisons
cliiniiqiics, si elle l'unlrilnia indiroctemcnl à celle (ciivrc on ren-
dani p(is>iMes lonles les recherches nll(''i'ienres, n'enl pas d'in-
llnence direcle snr \a nolion de niixle. Il n Cn lïil pas de niènn'
de la Ihéorie de hi Cdinhnstion el de la créalinn d une ndnv(dle
niinieiiclaUire cliiiniiine. inlinienienl liée ;'i celle llM''di'ie. c;ir
j'iles iixi^'rcnt la nidion dn cu/'jjs r/iimiijiir/iirn/ siinjj/r.
l-es anciens alchimistes supposaient t<uis les corps lornn's
des mêmes éiémonts, pou nombreux, mais diversement coni-
liinés; ce point de dépari admis, la transmutation des corps
<livers (|ue nous oITre la nature ap|)araissail comme possible ;
jiour beaucmip de corps, cette transmulaiion s'accdinplissail
aisiMuent: il n'idail niiUenu'nt insensé d'en pdiirsnivre pour
tous ra(dH"'vement.
ms I'. L)LHi:.M
La renaissance seienlili(|ue se ^arda liien. Unii il aliunl. .île
condanincr ces li'iilalivo : lîacun i I i assignait comme ohjel h
la plivsique nonv(>ile : " «it- (ioinier à l'argent la conliMir de l'or
on nn puids pins ronsidérai)lo «m la Iransparenee à (jnel()ne
pierre non diapiiane. on la ténaeilé an verre ».
Ce])endant les échecs contiiuis el relentissanls des aleiii-
niistes, acluirnf^s à la transmntalion des mélanx. Unirent par
d(''siiler les yenx di^s ]>liysiciens : sans nier qne tons les corps
lussent composés des inènn's éléinenls jieu iKimIu'enx. I!(i\ le '2
osa le |)reinier proidamer qne. dans certains cas. les corpus-
cules élémentaires ponvaieni s'nnir d'nne manière |)articnliè-
remeiil intime, " l'oriner iiii nmiNeaii corps doué d'uii(> indivi-
dualité aussi réelle que celle des coi'|uiscules élémentaires
avant leur union : ni le l'eu, ni aucun moyen connu d'analyse,
lU' peu! plus diviser ce cor|i-, de manière ii séparer les corpus-
cnle> (|ui ont concouru à le loruier; |ia- plus <[ue ceux-ci lU'
|ieu\('nl, par les mémo moxcus, èlre sulidivisés en d aulie^
particules ".
Xiuis avons vu l.i^inei'v. pui> Shilil, |iui> île \euid. adojder
l'idée lie TJoyIe cl rappli(|uer aux mélanx qui. à lra\('r> le-
l'overs les |)lus chauds et les transformations chimiques le>
pins com|>li(|in''es, gardent leur individualité, ("/est de cette idée
(|ue l'Lcide de l.avoisier s'est inspirée pnui' délinir le coi-ps
chimiijnenn'ul simple.
(tu ne recherclieiM |ilus >i la UKilièi-e esl ri'ilucl ildi'. pour le
[ihilosophe. à nu seul priucipe ou à un pelil uouilire de prin-
cipes, i)résents dans tous les corps. Tontes les fois qu'un corp>
aura résisté à tous les moyens connus d'analyse, on ledéidai-er.i
carps simjjlf, el le chimiste se déclarera satisfait lorsqu'il aura
séparé une suhsiance en un cerlain nouihre de lels corp>
simples.
l 11 lid corps n'est jamais que jiriirisoirriiu'iil simple; indé-
composé jii--(|u à ce .|our. il |ieul d'iler demain à un noiivi^iu
moyen d'analyse: la potasse et la sonde étaient des coip-
siniples jusqu'au jiuir oii la pile volta'ique permit à llnmphry
(1) I5\coN, Novum Orrtuniim. pnrs irdiric.'ins.
(2) UovLE, The scepticul Clif/iiiis/. l'art. 11.
/..\ .\iiri(i\ /)/■; Mi.vn: ico
havy lie i'i'',ilisi'r les |in''visirins dr L,i\ disin- l'I d'i^cilcr h^ pulas-
simii l'I le suiliiim.
" Xdus serions on conli'ailii-linri :i\cc Imil vi' i|ii(' nmis Nciiniis
(1 Cxposcr, <lil l.avuisiiT I , si nnus miiis li\ri(iiis à de iirandcs
discnssions sur les |)riMfi|)e's consliliianls des coriis cL >nr leurs
nii)lrculos éliMiiculain^s. Xous ikuis odutcuilcrons de rouardcr
ici comme simples loutes les suli^laiices (|ue miiis ue pouvon-^
pas décomposer, (oui ce que nous ol)lonons on dernier ri-snllal
par l'analyse cliimique. Sans douLo vm jour ces sulislances. (|ui
sdul simples pour nous, seront décomposées h leur Imir, el nous
louclions probaldement à celte époque jinur la lerri' siliceuse
et pour les alkalis lixes ; mais notre imai^lualimi n'a pas dû
devancer les l'ails, et nous n'avons pas dû en ilire plus (jue la
ualui'e ne Udus eu a|iprelld. »
Le carartèri' enijiirique et provisoire de la déliniiion du corps
simple laisse le champ liliro au philosophe doni les liy|)othès(^s,
plus jiuissanles que les pi'océdés de lanalvse cliimique, veulent
décomposer les corps qui ont l'ésisté à huis les réacUfs. (ier-
laines de ces hypoliu'^ses sur l'unilé de la malièr(> on! jn
d'une longue faveur; telle la théorie de l'rnu>l, qui \nulail (|i
tous les corps fussent formés d'Iiydi-ogène condensé el (|ui ra\ il
Tadliésion de l'illustre ,I.-R. Dumas. D'ailleurs, l'intérêt qu'oui
excité, dans ces dernières années, les recher(di(>s relatives à
Vaiu/i'Hldiirciii iniiulreiit que Ijien des chimistes nul consiM'vé,
i-(imme Haenn, l'espoir « de diinner à l'ariiciil la couli'ur de l'or
ou uu poids |iliis considérahle ». A coup sûr, l'iih'e (|ue ces
(diimisles se l'onl du corps simple ne dillÏTc guère de la iiolion
de mixte diflicilement décomposable, di'linie jiar iioyle, par
l.(Mnery el par Slahl.
il. LA LOI |]|;s IMlOPOltlIONS DLFLMICS "
(À'ux qui <uit lu les auteurs du xvii' siècle, et surtout du
xviii' siècle, s'étonneraient volontiers (jne l'on atlrilme à Didust
(t) LvvoisiKH. Mémoire sur la nccessHé de réformer el de perfectionner la noiiten-
rldltire lie lu Cliiiitie. lu à l'Assemblée publique de l'Acaiiémle royale des Sciences
le tS avril nSl. — In : MélUnde de nomenclalure chimir/iie. {tropoi^i-e par .MM. iie
.MouvKM-, I.AvoisiEB, Bertiioli.et et DF KuiHCROV, Paris, 1787.
Ul
iiue
170 I'. DllIEM
lV'l.ilp|i>si'nii'nl lie la lui drs |iro(Hirliiiiis drliiiirs : ro ailleurs,
en cllcl. si'inlili'iil Ions ailnicllrc. cl |il(isii'iirs ('■noiucnl Inrnirl-
lonicnl cetlo vérilr : li)rs(|ii(' iK-iix corps se romliincnl eiiln
eux. la masse de l'iiii esl dans un rapporl lixe avec la masse
de I aiilre.
lli'ifi. .leaii I!ev se demande il" poui'qnny la ( liau\ d'eslain
n aiiL;nienl<' eu pidds à linlini. le len ponvanl eslre inlininu-nt
ciinlinné. qni fournira lnujonrs de cet air espe/ el pesanl
pour laceroistre .• ? I']l il id'iii'uie (|ue •< la .Naiiire jiar sou
insci-ulalde sajjesso, s'est mise ici des.liarres qu'elle ne rraueiul
jamais... Rlle est i-eli;iieuse de s'arrêter aux limites (|n'(dle se
prescript nue lois. .Nostre (diaux esl de cette condition : l.'air'
espe/. s'altai 1h' à (die el va adhérant peu à peu jiisqn'aux plus
minces de ses parties : ainsi son poids anj^niente du comnnnu-e-
UH'ul jusques à la lin : mais (|uaud tout en esl all'uhh''. elle n'en
si-aui'oit pr<'udre d'avanlaue. Xe cnulinue/, plus voli'e calcinalion
sonl)s cet espoir: vous perdriez \ostre peine. •
Newton 2 sail ((u'il t'aul unequanlité déterminée d Cau-torti'
pour (lissondic nue (|uanlih> délermi7n''e d un imHal donu(''. de
ter par exemple : (ju'il tant une plus grande (|uantilé d'eau-l'orte
pour dissoudi'e une cei'laine masse de l'er (|u une mènn' nni>se
de cuivre : nue plus i^i'amle pour dissoudre une certaine unisse
de cuivre (|u'iine nnune masse d'arjicnl.
Stalil M nomme /;o/^/.v naliirrl, /tfi/Kliis- n(ilin;i', la proportii>n
qui doit exister entre li's masses des ingrédients que l'on lait
réaair |)our olitenir un comjiosé déterminé : n l/esprit de nitri'
ne s'empare de l'espril-de-vin qu'autant que la masse du secomi
est dans un rapport donné avec la masse ilu premier : el il
semide liien i\\\v ce soit là le poids naturel : car si vous ajonle/
une plu- grandi' qiianlili' d'esprit-de-vin. il ne se produira [dus
aucune comliinaison s|)ontanée ni aucun éciiauffiMiienl. "
Mais l'idi'c indi(|ui''e par Jean Key. par Xewlon. p;ii' Stalil,
prend nue singulière l'orce à la suite des reclierclies de Moiiellc
n 1 .lean Uey, Kssii'is sur la reiherchi- de la cause /lor laquelle rptlahi pi le plomb
(lugmriilrnt de poids i/iiaiid ou les calcine. F.ssay X.Wl.
(2) Nf.wtiiX, Opiiijue. (Juestinn XXXl.
(3) St.mii., h'iindaiiienla ('lii/>iii:e. pars 11. — Traclatiis M : Koclrin^r diviiiica',
pars 1. sectio 11 : De compositionihiis. — Arliciilus 1. Volatilimu.
I.A M>TI(K\ DE \U\Ti: 171
:siir lu l'iMniiilimi ili's sels nciilrrs : ,-i uni" masso cl(''l('rniiiu''(>
lie liMsc il laiil, piiiir Idriiici' un sel lu'iilrc, imir iiiic masse
-<raci(l(' (|iii csl à la prciiiirrc (iaiis un raji|inr[ lixc ; si l'on ajoule
un excès daciile, il se nuMera, il s" <■ a;j;grégera >> an sel l'ormé ;
H n'enlrera pas dans la eonslilulion do ce sol. T>i' ces principes,
})out-on iniai;iner ('"noneé plus clair quo colni-ri. (jni est -lu à
•ilo Vonol I 1 ?
■' l n caraclère (^ssonliol do la miilldii, caractère Iieauconp
■])lns i;-én(''ral, pnisqn'il est sans exceptidu, c"est qiu' les prin-
ripc^s qui cunciiiireiil à la l'nriualinn d'un iiii.rlr, \ concourent
■tians nue certaine proporiion lixe, niu' certaine (|uantilé nnnu''-
Ti([uo do parties déterminées, qui constitu(> dans les mixtes
«irtiliciols ce que les chimistos appellent //r;//*/ t/p satiiralion...
l/ol)sorvalion i;(''n(''rale sur la proporiion des int^rédions de la
mixtion est un domino d'éternelle vérité, do vérité absolue,
nominale. Xous n'appelons iiil.iifs on substances non siiu/i/rs.
\raiiin'jit (diimicjm's, que celles (jui sont si ossontiollemeni, >i
Tn'-cossairomont composées, selon une proportion déterminée di'
])rincipos, que non soulonuMit la souslraclion ou la siiradiUdoii
d'une certaine quantité de Ici <in loi principe chant;orai!
l'osscnco do celte snlislanco; nniis mémo quo roxcès d'un prin-
cipe quelconque est de l'ait iiuulmissiljle dans les niixles, lanl
naturels qn'artiliciels, el (|ue la sonsli'aclion d'une jioi'lion
d'un certain principe (>sl, par les délinilions ci-dessus exposées,
la di'composition mémo, la destruction chimi(juo d'une portion
•«lu mixle: en sorte quo si d'une ([uantité ilonnéo do nitro, on
sépare une certaine quantité d'acide nilreux, il no reste pas un
nitro moins chargé d'acido, mais un nn'dang(^ de nilre parfait
«comme auparavant, et d'alkali lixe, qui esl l'autre ])rincipe du
nitro, absohunent nud, à qui l'acide an(|uel il était joint a rU-
•ontièrenu'iil enlevé. »
(les lii;nes étaient écrites en I7(i."'). Oui les a lues no s'élonne
plus d'ontendro Lavoisier at'lirmor que l'o.xydation d'un métal
iléterminé exige une niasse d'oxygène qui est dans un rapport
'<lonn('' avec la masse du métal; do voii- Rergmann se livrer à
<los analyses nomlireusos et soigni'es (|ui supposent uiu' crovance
■I) De Vesei., .\rt. Mirti- ri nilrlioii de [Encijclopédie de DiJerut et dWlembert.
172 !'■ III IIKM
implicite à in ii\it('' di' i-iiiii|H)silion tles siibslaïK-es analysées.
Itcvons-nous ilunc admctlrc (|Uo la loi des iiroportions iléli-
iiies ait été pleinement connue et admise dés le temps di^
MoucUe? (Jne Berllndlet, en la contestant, ail Icnli' un inex|)li-
(■able retour en arriére? Que Proust ait eu pnur seul mérite d(^
démontrer à nouveau ce que \\m savait avant lui? Nous nous
laisserions piper par les a|)parences; nous laisserions passer,
incomprise, Tune des transformations les plus profondes qu'ait
suides la notion de mixte, celle (|ui a conduit les cliimistc- à
disting;ucr le mélanj^e physique et la coml/inaison chimique.
Revenons aux Kssai/s de Jean Hey et à la réponse (1) que le
médecin périiiounlin fait à cette (|uestion : Po/trf/iK/t/ lu c/iaii.i
ii'diK/inritlf cil /iiiiil< Il l'infini ? « ('ar p(iur(|U(>y dira-t-on^
n'accroislra inlininient la (diaux. le feu [)ouvant estre iulini-
mcnl continué, (|ui rdurnira tdusjours cet aii- espe/ et |iesant
pour l'accroistre? Je me développe de ccdte diriicullé. qui pour-
rait enlacer quelqu'un des moins subtils : en remarquant (|ue
toute matière qui s'accroisl par addition d'une autre, est ou
solide, (.u liquide; et ([ue le meslange se fait entre (dies de trois
l'acnns. (lar nu la matière solide se mesle avecques la solide,
ou la liquide avecciues la liquide, ou celle-ci avecques l'autre.
Le meslanue el accroissement i|iii >e fait é> deux pi'emières
laçons ne reçoit point de homes. .Meslez avec ce sahie, el > ,p'i-
i:nez lousjours d'autre sable, vous Tirez sans lin au!inuMitant.
Meslez avec ce vin, et y versez tousjours d'autre vin. vous n au-
rezjamais achevé. Un'eslpasde même delà tierce façon, quaml
on adjonste et mesle une matière liquide avec une st)lide : telle
addition nieslani;ée ne croistra pas tousjours, n'ira point à I in-
tini. La nature [)ar son inscrutalile sagesse, s'est ici mise de>
l)arres qu'elle ne franchit jamais. Meslez de l'eau avec le sable
ou la farine, ils s'en couvriront totalement jus(|n'à la moindre
de leurs parcelles : versez en d'avantage, ils n'en prendront plus:
el les retirant de l'eau, ils n'en porteront que ce qui leur adhère
et qui suftit à les enceindre justement. Replongez les cent et
cent fois, ils n'en sortiront pas mieux chargez : et les laissez
(1) Jean Rey, E.isnys sur la rerlteiclte de ki cause par hiquelle Crs'iihi el le-
jiUimli aurjmenlent de poids quand on lex adcine. Essay XX\'l.
i.A MiTKix /*/•; i/;.\v7'; m
dedans à i'e|ii>>. il-; (|uillci'(>iil le siipci'llu cl irmil à londs par
ciix-mrsmcs ; lanl la iialiii'i' (>st ridii^ii'iisi' de s'arièlcr aiiv
liniilcs (lu'cdlc se |iii'v(ii|il uni' l'ois. Nostro chaux csl do celle
condilion... »
l/idée qii'cxjiianie, sdiis nue l'urine qnelque |ien naïve, cette
page de Jean l!e\ , ne la relronvons-nons ]ias. précisée par l'iiy-
pollièse de l'alli'ai-liiui innli'cn laire. dans VO/i/ii/iif de Xewion?
S(diin .New luii • 1 :, iursqn'nne parliciile dnn corps qui exei'ce
une allraclion sur les parlicnles d'un antre corps, s'est enlourr'e
d'un cei-laiii nuiulire de ces parlicnles, son action cesse d(^ se
taire sentir snr les antres parlicnles de même espèce, dont elle
esl désiirmais trop distante; elle osl alors safi/rrr v[ la comlii-
naisdU |ii'end lin. « i'onrtinoi le sel de larlre. aprè> i|u"il a
exirail de l'air une cerlaiue (|iiaiilil('' de va|MM:r d Caii. prcipnr-
lionnelle à sa niasse, cesse-t-il de s'imljiher, sinon |)ai-ce ({ne.
sahiré d'ean, il n'exerce plus d'attraclion snr les parlicnles de
la vapeur d'eau?... .N'est-ce pas à une force alli'acti\(' de ce
t;cnre, nuiluelle entre les particules de l'iinile de vilrinl et les
l)articulcs de l'eau, qu'il faut attribuer ce l'ait que l'Iiuilo de
vitriol enlève à l'air une assez grande quantité d'eau, tandis.
<|u"nne fois saturée, elle cesse d'en absorber davantage? »
l.e nombre dos particules du second corps que retient une
[larlicule du premier ciu'ps est d'autant plus t^rand qiu^ l'allrac-
tion exercée par le {)remier corps snr le second esl plus inlense ;
nous pouvons donc juger de la force d'attraction d'un |)romier
corps sur un second par la masse de ce second corps qu'il faul
employer pour saturer le premier. Nous avons vu ([ue les par-
licnles de l'eau-forte étaient plus énergiquement attirées ])ar
le fer que par le cuivre, par le cuivre que par l'argent on le vif-
argenl. » N'est-ce pas à cette cause ([uo nous dc^vons allribner
ce fail qu'il faul une |dus grande ([uanlili' d'eau-fcu'le pour dis-
soudre et saturer le fei" que le cuivre, el (|u il en taul une |)lus
grande quantité pour saturer le cuivre (jne p(uir saturer les
autres métaux? »
Newton compare donc la liinilalion que l'on observe dans
les ri'actions chimiques à la salni'alion ((ni se manifeste dans
(1) New TUN, Opliiiiie. (JucsUon \\\l.
174 P. 1)1 IIEM
lo |ili(''nnm(''iics <li' ilissdliiliiiii lo plus ciiniiniiiis. |);ir cxcmiilc
lorsqu'on (lissiuil le sel niai'iii dans l'ciui.
D'une niaiiirrc |ilus iiclli' ciuorc, les cliimislcs de I'IÙdIi
enipiriquo marqurnl ce rapprochriiienl.
'< Enlro le dissolvaiil cl le corps à dissoudre, dit Stalil il),
une proporlion fixe esl loujours requise: ainsi, par exemple,
une livre de camphre exige tiuijours au moins deux livres de
mensirue: de même, une qnanlil(^ déterminée d'ean-forle dis-
sout seulcmcul une (|uauliir' diMermiiiée d'argent; une {|uanlité
délerminée d'eau dissout seulenu'nl une qnantili' di'lermim'e
de s.d. ..
l'it de VeiU'i ' 2 , intei'pi'ète des idées de Houidie, ('cril, il la
suite du [)assage rapjioi'té plus haut : « Tous les menstrues
enti-ent en mixtion réelle avec les corps qu'ils dissolvenl. mais
l'énergie de tous les nu'ustrues est bornée à la dissolution d'une
quaulil('' d(''leiuiinr'e dn corps à dissoudre: l'eau, une l'ois sy////-
/■rr di' sucre, ne dissout poini du nouveau sucre: du sucre, jeti'
dans une (lissoluli(Ui parlailement saturée de sucre, y reste
constaniiiienl, sou> le même degri' de chaleiii'. dans son ('lat de
<'orps conci'el. dette dei'uière circonstance rend le dognu- (jui>
nous proposons 1res manifeste; mais (dli' ne pi'iit s'(djserver que
lorsqu'on l'prouve l'énergie des divers menstrues sur les corps
concrets ou coiisislans: car. lors(|n'<in l'essaye sur tles liquides,
ce n'est pas la nu"'me cliose. cl (|nid(|ues excès (\'all,(tH rr^niil
<lu'on verse dans de l'esprit de vinaigre. |iar exemple, il ne
paraît pas sensiliKunent (|u'une |iiirlie de la li(jueur soit rejeti''e
lie la mixtion, l'aile l'est pourtant, en ellet. et la cliimii' a des
nioxcns simples pour démontrer, dans les cas pareils, la moindre
portion excédante ou su|ierllue de l'un des principes; et celle
portion excédante n'en est pas plus unie avec le mixte pour
nager dans la même liqueur que lui. Car deux liqueurs ca[)al)les
(le se mêler parfailemenl. et (|ui sont actiu^llement mêlées très
parfaitement, ne sont pas poui' <-ida en mixtion ensemhle... »
«' Il (>st évident (iiie toutes ces unions de li(|uides aqueux sont
<le vraies, de pures aggrégations. Une certaine quantité' d'eau
(1) SïAui., l''uniliimenhi l'Iii/inia;, Pars II. — Tractatus 1. — Sect. I, cap. I : De
naliira tluidi el siplidi.
(il De Venei., arl. Mille el inirlion de \'En'-i/clojiét/ie de Diderot et d'.VIeiiibort.
;.,i ,vmv/m,v /)/; ,i;/.\;7': 175
s'unit par k- lieu (l'uiic vraie iiiixlion à iiuc (|iiaiilil('' (liHcrmim'i
«II' sol, cl (-(msliluc un liquide a(|ni'U\ (|ui esl nn vrai nii\li .
<]ela esl [iriin\{''. enii'anires cliiises, en ce (jui' dès (jndii sous-
Irail une [)i)rli()n de celle eau, une (xulinn du niixlc péril: on
a, au lien du m/i/r fif/iieo-sa/iii. appelé //'ssirp, l/.ririiiiii, un
e(ir|)s eiinerel, un eryslal de s(d. Mais hiule l'eau qu'un peul
surajouter à celte lessive priq>renn'nl dilc ne contracte avec elle
qin' ru^jiréL;alion ; c'est de l'eau (|ui s'unil à de l'ean ; et voilà
jMiur(|niii ce ini'Iange n'a point de termes, |)oinl de proportion. «
(•r, la (|uanlili' de sucre (juc peul dissoudre uni' <|uanlilé
donnée d eau est lixe dans des conditions <lonni''es; mais elli'
elianj;-e lorsque ces conditions changent et ilépend. en réalité',
d une l'oule de circonstances: elle augmente lorsque la lempé-
ralure s'élève (et de Venel le sait, car il a soin de pri''ciser q\i(^
la (lisstdntion dont il parle est laissée sons te mniif dcf/rr <ir
chnlvur]; elle varie si l'on mêle à l'eau quelque corps étranger,
de l'espril-de-x in par exemple.
(le soni là des laits ([ne l'oliservalion la plus vulgaire enseigin-
aux einpiricjues. ils s'accordent d'ailleurs le plus aisément du
monde avec les diverses théories chimiques qui onl coni's an
wiii" sièch'.
Stahl, (|ui s'en lienl aux idées de Lémery, })ense qu'une suh-
stance solide se dissout dans un menslrue quand les pores du
nuMislrne oui une l'orme cl uiu' grandeui' (|ui convieniu-nl aux
molécules de la sulistance (à dissoudre (h. (^elle-ci cesse donc
<|e se dissoudre lors(|ue les pores du menslrue, encomhrés de
.si's moh'cules, n'en peuvent plus recevoir (h' iumv(dles.
Mais i:i chaleur élargit les pores des divers corps, tandis que
le i'roid les resserre (2), et cela, par suite des mouvements dif-
férents des molécules d'éther, mouvements ((ui sont l'essence
<lu chaud et du froid. Il esl donc clair (|ue, dans nn menslrue
<lonné, un sidide donné deviendra [)lus solulde lorsque le degr(''
de chaleur s'élèvera et nmins soluhle lorsque le degré de cha-
leur -^'ahaissera.
Il esl clair aussi (|ue si l'on nn'de au dissolvant une suh-
^ 1 1 Stmil, l'iiiiilameiila l'Iii/miir. l'ars II, — Seet. I, Cap. ix ; De pr:i-cipitalinnc.
— Tractatus I, Sect. I, Cap. ii. De sdlutione et uienslniis,
i2) Stahl, l'iiiidainenla Cln/m'ur. Pars II. l'roi'iiiiuui.
170 P. milRM
tuiico étrangère, oa nlilicndjNi un nonvcau li(|iii(l(', dnnl I
porcs ne seront pins disposés de la mémo nianièi'e qne dans le
premier liqnide ; un solide donné n'aura pas, dans le nouveau
menstrue, le même degré de solubilité c[ue dans le menstrne
priiuilif.
I,es théories newlnniennes ciiiidnisiMil à des eonelusinns seni-
hlahles.
i.e nunihre des molécules de sucre (|u inic ni(di''ciile d'eau
|M'ul retenir dans son voisinage ne ili''|)eiid pas seulement de
l'attractinn i|ue la molécule d'eau exerce sur les niidéeules de
sucre groupées aulour d'(>lles ; il dépend aussi des attractions
par lesqu(dles les aiilics innh'cnles du dissidvanl s(dlicilent
ces molécules de sucre, parlant de la nature des molécules du
dissolvaiil ; en mélangeant à l'eau un corps étranger, on l'era
varier la s(duliilil('' de sucre dans cette eau.
Le iiomhre de UHjlécules de suer.- (|ui s'amasseront autour
d'une indli'cule il'eau sons l'action combinée de [ouïes les
l'orces qui les sollicitent n(> sera pas le même selon (|ue ces
uiol(M'ules seront en repos ou aniiiu'es d'un inouM'Uienl rapide ;
oi- c'est à nu mouvenu^nl rapide des dernières particules des
corps que Xewion, comuH' hescarles, allriline la chaleur: la
■-(duliilili' du >ucre dans l'eau variera doue axcc la leiu]irTalure.
liegarder le uiouvemenl i'a])ide des particules connue consli-
luant l'essence île la chaleur, c'était, dans la |)liilosophie de
Xewton, une trace de la i)hysique cartésienne : à la suite des
Iravaux de Hlack el di' Crawford, cette li'ace s'(Mla<:a>; on regarda
la chaleur comme l'ellet d'un lluide inipomlérahle, piéseni dans
Ions les coi-ps, auquel la n(nivelle munencdalTii-e (diimi(|ue
ijoniia le nom de rr/A//vy//r ; les nioié(ule> du calori(| ne tiUM'ul,
comme les nn»lécules des autres cor|)s, doiu''es d actions aili'ac-
lives on r(''pulsives, sensi!)li<s senlenieni à très petite dislance.
I.a (hMerininalion de la qiianlilé de sucre (|ue peiil leiiif en
susjieus une i|uanlité di''lerniin:''e d'eau luiie à une quantité
détei'minée de calorique ne l'ut plus (|u'nn prohli'nn' de sta-
tique ; il n'était pas i)esoin de |)ousser hien loin la solution de
ce problème pour pic'voir i\uo la ([uanlil('' de sucre capable de
SI' dissoudre dans cette quantit('' d'eau di''pendail de la (piaiilib'
de c;iIorique qui s'y trouvait contenue.
/. 1 MiTinx /)/■: i;;.\ •;■/•: 17?
|-]ii I7.S!Î. dans loiir inimuricl Mr/iinirr .■^nf la chaleur, Lavoi-
sii'i' cl Lii|)laf(' il ) avaicnl l'Iiauclu'- la snliilioii de lois pr'oldi'iiios
cl ils avaicnl aiii-^i idilcmi di's lui-. iiii|iiirlanlcs lniiolianl la
dissululiiiii des sels nu la l'nrmal imi (k' la glace au sein de l'eau
aciiluicc.
Or Slalil ra|i|uiicliail la saliiralinu de l'eau |iai' le sid ou par
le sucre de la saturai iou di' reau-t'iU'Ie par le l'cr du |iar le
cuivre: si. pour salui'cr une (|uanlilé (h'dcrmince d'eau, il laul
V uièjcr une ([uautilé de sucre (]ui dépend de la tempéralurc,
<]ui di'peud des corps (''(l'anuci-- surajoutés à la dissolution,
pour(juoi la masse de cuivre (jue dissont une niasse donné(>
il'eau-l'orlc ni" d(''pendrait-elle pas de la lemp(''ratnre, de la dilu-
tion de reau-t'orle, de toutes les circonstances de la réaction?
Pour tonner un composé saliirr, les éléments se combinent
<lans une pi'oportion. (|ni est lixe lorsque les conditions tians
lesquelles la combinaison s'accomplit sont égalem(>nt lixes ;
nniis si ces conditions varient, la constitution du conijiosi''
saturé peut varier et doit en t;énéral varier. Il se peut que. dan-
<-iMiains cas. une combinaison ait une coni|)osition détinie.
indépendiiule des circonstances dans jesipudles cette combi-
naison s'est formée : mais ces cas sont assurément exception-
nels, l-'ixer les caractères particuliers auxquels on peut recon-
naître qu(> l'on se trouve dans un lid cas; déconvi'ir. Iior-- de
ces cas exceptiounids, l'inlluence (|ue clnicune des conditions
de la réaction exerce sur la coni|>osili()n du produit obtenu,
tel est le but de la SZ/ifir/iif' chimique dont Lavoisier el Laplace
ont e>(|uiss(' Li nuMlioile.
Telle est la tloctrine qiu' Herlbollet exposa, en 1790, à l'Ins-
titut d'Egypte i2i, qu'il soutint pendant plusieurs années ('^^ avec
autant de sagacité dans ses déductions théoriques que d'babileli'
dans ses déterminations expérimentales, qu'il développa avec
une admirabb^ clarté dans son l-Jss{ii r/c S/n/ic/ne chimi'/ne - 'i ,.
( 1 i Lxvois:bh et I) ■ Lapi.ai-.k, Mémoire sur lu chaleur, lu à rAcadémie Jes Sciciices
le IS juin 1183. [Méiiwires de l'Académie des Sciencei fiaur l'RIl ; Paris, nsi.i
(2) Behtiioi.i.kt, lieckerc/ies sur les lois de l'affinile. iMcmoires de iliislitui pour
1799. pp 1, 2U7 et 22!l.(
(3) U:;uTiioi.i.ET. Observalions rela/ive^ à différents mémoires de Prousl. iJoiirnal
<Je Physique, f LIX, pp. .'i4". "l'il: IS'i.i
i4) Br.iiTM i.i.ET, Esiiii de S!a'i-/ue (■'iinii(jue. \ ' [inrlie, [) lil : Paris, ISJJ.
178 1'. III iii:m
• Nous (Icviiiis. (lil IJcrliinlIol on tel (Hivnii;!', ri'lruuvcr dans
la i'iiniliinais<pn les Idis (juc nous avons olisorvéos dans lactiou
<-liiniiqnc qni prodnil la diss(dulinn... Los oliiniislos, iVappôs do
(;e qu'ils tronvaionl dos prnpurlinns dc'lorniinocs dans plnsionrs
«•(imidnaisons, ont souvent ro^ardô onninio uno jimiiriolô gônô-
ralo dos oomhinaisons do se consliUicr dans dos proportions
constantos ; do sorlo quo. selon eux, lorsqu'un seul neutre
roooii un oxoos d'aoido nu d alcali, la snlislancc honiouèno qui
ou résulte est uno dissolulinn du s(d iioulre dans uno portion
lilire d'acide ou d'alcali. -
" (Test uno livpo||ic-o (|ui na pour rnndcincnl (|u uno dis-
tinction entre la conihinaisoii cl la dissolulion, et dans laqu(dlc
lui confond les pnipriélcs (|ui causonl uno séparation avec
rallinili' qui prudiiil la conihinaisou : mais il faudra recon-
nailro los circouslaiiccs (|ui pcnvcnl d(''lorminer les séparations
des couilunaisons dans un certain iMat, et qui limilont la lot
liénérale do l'aflinité. ■>
La lln'oric de lîerlllollel l'dait le cni'(dlaire ualund de tout ce
(|u'avaiont onsoiiiué los cliiniistos du wni' sic'ido, aussi liion
les disciples de New [on quo los adoptes de l'I-'oole empirique.
liHiehanl la saluralion chimique. Xier cette lln'orio, soutenir
(|ue ( liaque combinaison (diiniiquo a uno composition lixe, spé-
eilii|uo, rigotu"eus(>menl indépendante îles conditions dans les-
(|indlos cotte c(Muliinaison a pris naissance, c'eût édé jiroduire
uiu' ré\olution jirol'oiide dans la motion de mixte.
Cette ivv(dntion. S.-L, l'idust fut assez audacieux pour la
tenter et assez houieux pour la réussir.
l-]n I71I9, l'roust i I i reniar(|ua (|ue si l'on dissolvait dans un
acide le carbonat(> de cuivre naturel pour le précipiter ensuite
par un carbonate alcalin, <ui obtenait une quantité de carbonate
de cuivre exactement égale i\ la quantité de carbonate naturel
<juo l'on a employée ; cette tiansformation n'a donc fait ni
ij;aiiuer, ni perdre trace d'acide carb(Uiique ou d'oxyde do enivre
au sel mis en expérience ; le carbonate de cuivre ju-éparé dans
le laboratidro a donc mémo composition i|uo le cai'bonato di^
cuivre foruu' dans les entrailb^s de la tori-o, par des procédés
(1) Pbocst, Hec/ierclies sur le Cuivre. {Annales de Chimie, t. XXXll, p. 26; i'W.}
/. i vov/n.v ;//•: i;;.\77-; i7.t
(•('rlaiin'iiiriil tri"'s ilillTTriils ilc ceux (|irciii|ilipi(' le <liiiiii>lc.
rK''M(''ralisiiiil cclli' (Ii'tiiiin rrlc. l'i'nii^l n'In'sili' pas à aflirniiT
(juc toulc coinliinaisdii cliiiiiiijMc csl (■aractc'risi''(' par une coni-
pusilion al)S()liiiiii'iil lixc, spéi'ilii[iic. iiKii'pcMidaiilc des coiidi-
lious dans losqiicllos la coniliiiiaison sCsl roriiir'c. lOiilcs les
t'ois (ju(> lOn a cni ri'iicniilirr drs ((imliiiiaisons à coniposiLion
variahlc. on a en alVairr. en r('alilé, à îles cuiiiliinaisons impures
auxqu(^lles s'ajontail un exeès de 1 un de< idniposants, du
liien à un nn''lani;e de deux rdinliinai-du- distiurle- des inèmos-
(•lénienl-.
■< (les |(riipoiiioas Lonjuurs in\arialili's. dil l'i^jasl 1 . ces
allrilmls constans qui earactériseul les vi-ais e(im|)osés de l'aii,
(111 ceux di' !a nature, en un niril ee jKuiihi^ naliira' si Men vu
jiar Slalil : tiuil eela. dis-je, n'est ])as jilus an pouvoir da tlii-
miste que la loi d'élection qiii iiréside à tout(>s les l'oniliiuai-
-llUS. n
Entre l'rousl et l^erllmllel. niu' discussion s'c-li'va. ■ Celle
discussion i2i, une des |ilns mémorables dont la science ail
tçardé- le souvenir, se pnduntiea de IT'.I!! à ISOtJ, et fut soutenue
de part et d'autre avec une pnissance de raisonnement, un senti-
ment de respect pour la vérité et pour les cimvenances qni n'ont
jamais été surpassés. » lille se termina par la victoire des idées
de l'runsl.
Hmd lionleveisenu'ut dans les princiiies admis jusque-là [lar
tous les idiimistes I i.a satnration d'une comliinaison cliinii(jne
n'a pins ancnin' analogie avec la saturation d'une dissolulion ;
la concentration d'une dissolution saturée dépend de la ti'Uipé-
rature, des corps étrangers, de toutes les circonstances dans
lesquelles s'accomplit l'acte de la dissolution ; au contraire,,
rélévation ou rabaissement de la température, la présence ou
l'absence de corps étrangers peuvent favoriser ou gêner la pro-
duction dniH' comliinaisiin cbimique ; elles ne peuvent rii'u sur
la composition de cette i-onibinaison. Selon les conditions dans
lesquelles on expérimente, il peut se produire de l'eau on ne
s'en pas l'ormer; mais tont(^s les t'ois (jn'il se forme île l'ean^
(1) PitOLST. l'.ecberckes mr le Cuivre. (Anniden de Cliimie. t XXXll, p 30: n99.>
(2 Ad. WiRTz, L(t TIté'irie iilomirine, p. "<.
INO I'. DL'IIF.M
relie eau pmvieiil d'iiiie cerlaine masse (l"li\ druiirin' el d mn'
masse d'oxygène liiiil fois plus grande.
Désormais, on dislingiiera deu.K catégoiies di- mixles, irré-
diielihles l'une à Tiuilre ; la mmbinaison ( liiiniqur ^A le nirlainfi'
jilii/siiiiir : la lui des |irn[i(irtioiis didinies, inap|)lieal)le iei tan-
di,s (|iie là elle s'appli([uc ligruireiisemenl. sera le eriléiiuin (|ui
permellra de les disrerner.
III. LA l'diiMi i.i: (iiiMini i: nul l'K i:r i.i:s m \ssks loi.u ivai.i:mi:s
.Niin si'iilcmi'iil ciiaciiii' cdinhinaison (diimi(|iii' a une e(imi)o-
siliiiii |)aiiailrini'nt ch'terminée, mais enenrc les compositions
4les diverses eonihinair^ons ehinnqnes ne sonl pas entièremenl
indépendanles les unes d(>s autres ; tel est le résultat des tra-
vaux entrepris |)ar lîiciilcr à la iindu siècle dernier i 1 1.
.\ unr dissnliiiiiiii nruii-r de uilialc dr harvte, mêlons une
dissolution également neuire de sulfate île potasse : il se préci-
pite du sulfate neuire de liaryle et la dissolution reste, elle
;uissi. parfaiIrnuMil uculrr; idlccoulienl du suifalr de potasse,
sans aucun excès ilacide ni d'alcali ; ce fait, ou plulôl relie loi
<le la permanence de laneutralilé dans les doubles décomposi-
tions salines, doiil on ponrrail lili'r hcaiicoup d'exemples, ana-
logues an précédent, était encore, en 1777, inconnu de \\ en/.( I :
il est le fondem(>nt des recherches de Richter.
.\ualvsons l'oiiservatifui (juc nous venons de rapporter.
Il s'est décomposé assez de nitrate de haiyte poui' i|ue la
iiarvli' oi)lenue neutralise exactemeul l'acide sulfuri(iue du sul-
fate de potasse: en mèuu' temps, l'ucide nilri(|ue provenant île
<;ettc décomposition neutralise exactcmeni la potasse du sulfa-te
de potasse. Si doiu- nous prenons les masses d'acide sulfuritjue
et d'acide nitrique qui neutralisent une même niasse de iiaryte,
ces masses d'acide sulfuriciue et d'acide nitrique nentralisenml
aussi une nn'Mue masse de potasse.
Plus généralement, consiih'rons une série d'acides A,, .\.. A;.. ...
et une série de hases H,, H,, R;... l"n sel neutre, formé par
(U RiciiTEB, An/'aiti/Sf/iîinile iJev S/nc/i>jomrli-ie oder Mess/;ii)isl clieniisrher lUc-
iiteiile. n!12-n93. — Miltheiliinr/eii iiber die iieueren (ier/ensLiiHlcn der i'heinie,
i' fîisc. naj.
;,.l SdTIn.S DE MLVn-: IlSt
l'aride A, cl la liax' H,, rrnrcrnii' iiiu' massr ;//, d'acide et uni'
masse //, de hase. Sn[)posons que, [xiiir neuiraliser la niasse tti,
de l'acide A,, il t'aille respectivement des masses//,, //, di'>
l)ases \i.. B;;... : (|iie. d'aulii' |iail. pour iieiilraliseï- la masse //.
■de la liase li,. il l'aille respeelivement des masses ?;/,, m,s
des acides- A,, A... : si l'on l'orme un sel neulre an moyen de
l'acide A|,, cl de la liase 15, ^ , on pcnl èlre cei'lain (|iic la masse de
l'acide et la masse de la liase y seront dans le rapport de ///|, à //,,.
Ainsi, parmi les nombrenx sids ([ue l'on jient former en com-
Idiiant chacun des acides A,, A., \. — avec (diacune des bases
H|, IL, B;..., il sullit d'analyser tons ceux (|ne l'on |)eutforniei'
•i_'n comliinanl le seul acide A, tivec cliacnne des hases B, , IL,
]]. et aussi tous ceux que l'on peut former en comhinanl la
seule hase B, avec (diacun des acides A,, A,, A,... pour (|iic la
compi>sition de Ions les autres soit connue d'avance.
BerthoUel, (jui, par Fischer, a connu la découverte de lîichlei-
■ot qui, avec (iuyton de Morveau, a été des premiers à en saisir
la portée, l'ajiprécie en ces termes (1) : « Les observations pré-
cédentes me paraissent conduire nécessairement à cette consé-
<|uence que je n'ait fait qu"indi(|uer dans mes recherches sur les
|(ds de l'aflinité, mais ((iie Bicdiler a Tdaldie posilivcnient. savoir
<[ue les dill'érenls acides suivent des proportions correspondanles
avei; les dill'érentes bases alcalines pour parvenir à un état
neuli'e de C(nnbinaison : cette coHclusion peut être d'une grande
utilité pour vérilier les expériences qui sont faites sur les pro-
portions des éléments des sels et même pour déterminer celles
sui' lesquelles l'expérience n'a pas encore prononcé et pour éta-
blir la mélliode la plus sûre et la plus facile |iour remj)lir cet
objet si important pour la chimie. ■>
Il est clair que la loi découverte par liichler pourrait encore
s'(''noncei' ainsi :
Considérons nue série d'acides cl de hases
A,, A,, A,..., B,. IL, IL...
.\ chacun de ces corps nous pouvons faire correspondre un
<les noriihres de la sé'i'ie
///, . /Il .. m,; //, , Il ., )) ; ..
;l) liEiiTiioi.i.' T. Essni lie Slnlique cliimique. t. I', p. 1j4: 18011.
12
I)S2 1'. Dl lli-M
Tciuti's les lui-- (|iii' l'im de rcs acides — soil. A,, — si' ciiiiilii-
iicra iivoc uik^ de ces hnsçs — suit i!,, — la masse de l'acide
eiilraiii en coniliiiiaisnii sera à la masse de la hase coiniiie ///,,
<'st à 1),^.
Mise Sdus celle l'iii'me, celle loi siij;iièl'e illimédiateiiii'ill l'idr-e
d'une loi analoj^iie, a|)|)lical)le non pins anx sels nenlres for-
m(''s par rnnion des acides et des bases, mais à ((uiles les coni-
iiinaisons des corps sim|)les entre eux; cette loi. (|iie Iticlilei'
appli(|nail di''jà aux comhinaisons de i'ow^ène avec les m(''lan\,
peut s'('nonce)' ainsi :
Smt'iit (",,. {".j, C, , ...1rs ilirrrs nifjis \i//i/j/rs ilc In ( liniiic: à
(hucini (If cfs rorjjs, nmis ))iiiiriiiis lairr ((irri'siiniiilrr un ninnlirc
innivoiint', de liidiir rc à iihlfuir la siiilr de lumilircs p, , p,. p
N/ /i".s- ilrii.r carps (',,„, ( ]„ , /■iiln-iil eu tiiiiiliiiKUsiiil . sd'iI seuls, suit
(iri'c iiii nu pi ilsinirs tiiil rcs cnrps, h's iiidssrs de ces drii.i' ( (jrps
ijHI se cdiidiiuriil siiiil mire rllrs dans h- iik'iik' rtippni'l ijiic les
nniiilircs p,„ , p„ .
(Jnel(|ne |)récieiise ipie soi! celle loi. il esl liieil clair (|U elle
n'est point coniplèli' e| (jnelle appelle iiih' niodillcalion,
l^ors<|ue les deux corps (],„ , (]„ se coinliinenl, les masses de ces
deux corps <pii enireni en eoinliinaison soûl, d'après la loi pi'é-
i-édenle. dans un rapport didermim''. uni([ne, le rapport des
deux noniiires p„, , p„.
( tr, les deux cor|)s (!,„, (!„ peu\enl lornier plusieurs conilii-
naisons dislincles; en cliacuni' d (dies. la composition est par-
lailenicnl di''termin(''e, mais celle com|io>ilion \arie de l'une à
laiili'e; Lavoisier I avait oliservi' pour les composés oxytiénés du
Soufre et de lazole, lîi( liter |)our les oxydes du fer et du mer-
cure, et, dans sa liitle <-onlre lîerlliidlet, Proust l'avait (h'moniré
j)oni' divers corps, (les faits sont inconcilialiles avec la loi de
|{iciiler,<à moins (jiu^ l'on n"apport(^ i!i celle-ci une juste correction.
(>ette correction, connue s(Uis le nom de loi drs pniporlioiis
iiudl'iplfs, est l'u'uvre d(^ .John Oalton.
Nous ne détaillerons pas ici l'histoire, assez, incertaine, de la
d('C(Hiverle de Dalton il i; nous a\ndns, du resle. à reve'nirsur
1) lin trouvera i-clte liisluire dans ■ .\J. W'u'.r/, \.a Théom' nloianjue : ce livre
et la préface que V\'iirt/. a mise en tête du liirlioiiiiaire de Chimie doivent l'Ire
lus par tous ceux qu'intéreesc l'iiistoire des doctrines ctiiini(iucs.
;.,i .vor/M.v ///•. \ii.\ri-: is;i
les i lires qui rmil siltijAi'l'rc. l'IuniKMins de siiilc crllc ilr'cdus cric
sons I;i l'orme que lui nul ddiiuée les pr<ii;rés de la cliiinie.
Siiiriil (1| , •.., <';. ...Ii's (/i/f/'s ( (irjis snii/)li'^ : à ( luuiiii de <rx
(iirjjs^ nous /jf/iiroits f(/irr <(jrrcsji<iii(lrr un niiiiilirr iijijivofinr , dil
NoMiUtl-: l'iini'niiriiiNM:!,. ili' iiKiiiirrr ù (ilili'in r le Idlilrdii tli- ikiviIjits
jinijiorriiimtrh : [i,, |i., |);... >'/ /''> ror/y.v (l,, ('.,„, <!, l'iilrrnl ru
(■<)tii/)i/i(lis(Ul rii>iri)ilth\ /!■■< ///^rvsvv )/r rr.< i n/yis ijUi sr ( diiiIiiiii'iiI
■iijll/ riilrf rllc-i ( (iintnr '/. ji,, u [),„, / |>d,-.. "a, y,. /.... ridiil (1rs Mnililics
K.NTIKIIS.
l'arc\cin|ilc, à l'IiNdru^èue, à l'(i\yi;ciic. l\ l'ii/nlc. an clilnrc —
un jieuL i'aii'e enrrc^poudre les nombres pioporUonnels I; l(i:
iV: :{•'). .'). Lors(jue l'a/ide se comlune ù rowiiène pour i'ornier
les dJM'i's (ixvdes d'azolc i|ue la cliimic a d(''ci)uvei-ls. les masses
(l";iZole cl (l'oxygène (|ni s'unissent si;nL entre elles euiumc
'/, X I 'i et ;j. X l'i. / élanlégal à I ou à 2 el ;/ à l'un di's nomhres
1, 2, M, ï. "i, 7. Lorsque lazole se comliine à lliydidiiène, les
nuisses de ces deux eor[)s qui s'unissent pnur l'ormei' de l'ani-
numiaque sont enlre elles ciuiime 14 et :{ X I • Lors(|ue l'oxy-
gène seO(mil)ine à l'hydrugène pour t'ornuT de l'eau, les niasses
(les deux ga/ réagissants sonl enlic idies connue i(i et 2 X I.
Dans l'acide elilorliydricuu". les masses d'Iiydrogène et de ciilorc
sont entre elles çoninn- I el X').\\. Dans les eomijinaisons oxygé-
nées du chlore, les masses de chlore et d'oxygène sont entre
elles comme À X 'i-'), •"• cl v. X !•', / ('lant égal à, 1 on à 2 el
;ji à l'un des nomln'cs I, 2, '■\, 'i, "i, T.
Dalton el s(>s contemporains ne se l'iissenl |ias coulcntés
d'iulmduire dans l'énoncé de la loi pr(''cédeuli' les mois luiiiibrrs
cntiris ; ils eussenl dit luiiiihrrs rntirrs sij)t///rs ; nmis celle
ri'striction, exacte au début de la chimie, l'esl devenue di-
niiiin> en moins au l'ur el à mesure que la chimie a élendu
ses recherches ; en particulier, les progrès de la chimie orga-
nique ont conduit, dans bien des cas, à attribuer aux nombres
entiers"/, y. /.... de grandes valeurs; le caractère de simplicité
<|ni leur avait loul d'abord édé' allribui'' a dispaïu.
La loi (jue nous avons énoncée est le Inudcinenl sur lc(|U(>l
nqiiise l'emphii de \;\ /(ifitiii/r r/iitinijlir.
Au lieu d'i''crire conslamnu'ut le nombre pmporliounel de
cha([ue ciu'ps sim[ile, on le représente par une lellre ou un
1X4 P. DUIIKM
sviiilioir. Ainsi lu IcUrr II iciirésL-iitc le miiiilirc |ir()|)(>i'liiiiin('l
I (le l"h\ ilrnii("'ii(', la li'Itrc (t le iinmluT |)rii|>()r[i(iniu'l 10 «le
riixviiriic, le symholc t'A le ii()nil)i'e |irii|)(irli()iincl X)J> du
rlildi-c. Un laiil(';in. placô an diMinl dos Irailrs de cliiniie, l'ail
ciinnailrc le imiuhrc (|iii' i'c|iri''S('nlr cliacun de ces symliolcsct
le çdrps simpli' an(|ii('l il se ra|ni(irlr ; nii iil, par rxcniplo,
dans Cl' laidcan :
llydiDjicnc Il = 1,
Oxy-cnc ()=!(;,
Sonliv . S = .\-2,
A/ul,. Az= 14,
chiuiv Cl = .Ti.:;.
(le lai)li'an ciin^l ilin''. >ii|i|ios(ins i|ni' mms xcmliims r('|>rr-
sciilcr la ciiin|Misil iun d'un ci)r|)s quolcciiu|iic, par exemple d un
corps l'ornii'' d'a/nle, d iixvuèiU' el d'li\ (lr(i;^èiu'. Les niasses
d'a/cde. d'(ix\i;ène. d'livdroji;ène (|ue conlieni ce corps seronl
enire (dies coinnu' ï X l 'i . '.'■ X l<>. ' X '. 'J- '/y •' étant Iroi-
iKMiilires entiers. Aliirs. uuus allràliuercms à ce c(ir|is le syni-
liide \/.' i}'.' Il'- (|ui sera sa l'uiinule cliinii(|ue. Ainsi l'acide
nili'i(|uc s'idilieni en c(iniliinant l'azote, l'oxyjiène, riiydr(it;ènc
dans !(' rapport des iiouilires I 4 , kS ^ ;{ X 1<» et 1 ; dès lors,
I acide nitri(|ue aura pour l'orninle (diinii(|ue A/(„)'H.
l.a t'iiiaiinle d'un coinposi' esl-idlc déterminée absolniuenl el
sans anciuu' é(|uivo(pn' lorsipTon connaît, d'iuie part, la coni-
positiou de ce corps el. d'autre pai't. les nomlires pi'n|iortinn-
mds des élé-menls (pi il renternu'? Assuri'ment non.
i'ar exemple, au lieu de dire (|ue les massifs d'azole, fl'oxy-
lièiu'. d'Iiydroj^ène (|m' rcnl'ei'inc l'at-idc iiilri(|iu' sont entre
elles comme l'i,'{ X l'i et I, nous pouvons dire qu'elles sont
enli'c elles comme 2 X 1 'i> '> X H> et 2x1, cas auquel la for-
nuile de l'acide nitrique sera Az-Oil-; nous |ionvons encore
dii-e (|u'(dles sont entre (dIes comme :i X I 'i , '•• X K' ''t ."{ X 1 ,
cas auquel la formule de l'acide niii'icine sera Az'()''ll'.
Ainsi, sdji.t (■/iaii'/''f Irs miDibrcs pntpoi'IvDtiich (jui corri'spim-
ili'iil ans diri'rs lorps si))iph'>i, un pciil fairr ciirrrspdiii/rr à »ui
itii'inc composi' jj/i/sif'iirs /ort/in/rs f/i//'rrri>/fs ; r/iact/iir de ers
jOi-mulrs s/> lire de la plus simple d'eiilre elles en midtiplianl
i..\ .\i)ri(i.\ HE \ii.\ri-: iS5
/i/ir un iiirinc naiiilirr le c/ii/l /■/■■^ iini lli/iirrnl m f.rjiii^iinl^ i/iiiis
rcllr-ci.
M.ii-- il y a |ilii>. I.r inmilii'c |)r(i|ii)il iiniiii'l il un i or|i> >iiii|il('
ii'csl |i(iinl (hncrmiin'' ii lisoliniicnl ol. sans i''qiiiviK[iie. Au lini de
Ippriidrc pcMir iioinlirc ]ii-o|iiirli(Hin('l (lo r()xy£:(''ni' le nomiiic Ki,
iiiiiis |Miii\iins aiioptiT le iidiniii'c S. .Nous |ii)iiri(iiis. axi'c ce
iiiiini'aii niiniliic, aussi iiii'ii (|u'avccU' pri'Uiici'. ('■criri' les l'or-
tuulcs cliiuiiiiiH's (les ('(irp-; (|iii rciirci'iiu'iil (le lOxyjii'ue : si'u-
Icinonl CCS luriiiuli's ne siMdiil plus les mruics. Les masses
ilaziile, d'iiNy^Viie. d'Iiyd n )L;i''ne (|uc reiileriue lacide iiilri(|iie
sonl eulre elles comme 14, (iXS cl I : la Inruiule iniiivelle de
l'acide nitrique sera alors A/,( )'■)]. .NHus [)ouvoiis éj;a.lemcnl
prendre le nomlire '^2 poui- immlire jimporlionnel de roxygèiie;
les masses d'azote, d'oxy^^ène et d'IiydrogèiH:" contenues dans
l'acide nitrique étant entre <dles comme IX I 'i , •^X'?^ et 'Ix I,
niiii< devrons donner à l'acide nitrique la formule A-O'H-.
Ainsi un jiciil rfiiijildCri- Ir nuinlin' jinijiurl khuk'I dr i liniiiir
i:iii'ps sini/j/r /la/' un uni ic nmiibrc, ubtrnu rn niiil/ijil ninl un en
(liviMinl le jimnirr jxir un iiunthrc rnlwr.
Les pi'incipes (jue nous avons l'appcdi's ne penveiil donc sul'-
lire à crr^er une notation chimique exemple de courdsion. (>n\
(|ni. donnant à l'Iiydro^ène le nomlire pi'o|iortiounel I. accep-
tent II' nondire l(i pour iiipnilire |iro|)orlioun(d de l'owLierH'.
Vont alti'iliner à l'eau la l'oi-mule ll'(). hindis i|ue ceux (jui
adiiplenl II' nomlii-e S pour nomlire pi'oporlionnel de l'oxy^i'iie
«''crii'onl la t'ormnle de l'eau ll() on ll'(l": l'I celle dernièi'e
t'ormnle leprr'senlei'a. jioni' les premie]'- cliiuiisles, l'eau oxv -
-éni'e.
Pour évite]' cette conl'nsiou, il est néce>saii'e d'inlrodnii'i' dans
la notation chimique une nouvelle convention, (lelle con\ eu-
lion. Ions les cliiuiisles l'ont implicitemenl admise el usil(''e ;
nu^is Laurent semlde T'Ire le premier qui l'ail explicitement
formulée ' I .
\ oici celle con\enlion : (in i Innsirn les n(jnihri's nnijimi mnnfls
lies ilircrs ciirji^ si/ii///f< i/r niiuiir/r i/nf //'\ ((}))ip()!irs i huniiinrs
w \i.oi;i i:s •ioniil rrjn'i'sriili's pur ilrs jurninlo^ unnloijW'^.
^I) Lai RENT, Mclliode île Chimie pp. :j, 10, 16; P.iris, l>i.j4.
isii 1'. i>riii:M
l'ii cxcmiilc va nous moniror immédiatemenl comment cotlf
nmveiUinii pcinirl ilc rcstroimlrr rindétorminalion de I,i nola-
lion cliiniiqur.
Le noml)rc pro|iorlionncl ilc l'iiydroi^rnc rlaiil supposé égal
;\ I, (jiiel nomliiv proporlioiimd prcndroiis-iKuis pour lo soufre?
Le soiilVo admet pour miral)re proporlioiinel l'un quelcoiuiue
des nombres 8, l(), :{2, 48, (ii... A chacun de ces nombres cor-
rc-pond. pour l'acide suU'bydrique, une formule différente : IIS-,
IIS. II'S. ii'S, II'S... Si n()U> n'invoquons pas la convenliou
précédenle, notre choix demeure libre entre cesdilTérenles for-
iiMilcs : mais si nous acreplon- la convrnlion priTiNlcnlr. une
rèi^ie lui est au-^sibM impoM'c : L'acide sulfliy(lri(|ne est ana-
lo"'ue à l'eau: nous di'\ons lui domuT une formule sembla Idi-
à celle de l'eau.
Si nous avons adopté ]»uur l'o.vygène le nombre pnqjorlionne!
S, nous avons donné à l'eau la formule IlO : il nous faut alors
donner à l'acide suifbydri(|ne la l'orninle HS cl allriliuer au
siinlVc le noiubi'c proporl ionind II». Si nous avons adopté pour
ro\vuèn(^ le nom lue pi'oporlionn(d Ki. nous avons tlonné à I eau
la fol-mule l|-<t; il nous faut alors donner à l'acide snlfliy-
drique la formuir 1I"S cl alhabuer a\i soufre le noniiirc pro-
porl iouu(d 'A'I.
.\insi. de ce l'ail (|ue roxy^i'ue cl le soufre, en s'uuissant à
l'bv(lroi:rn". donneni naissaïu'c à des composés analogues, il
résullr <|uc les noudni"- |Mo|iorlionur!> Ac ci's deux c(U'ps ne
pcuveul être choisis arbilrairement ; lorsqu'on a choisi le nom-
bre (iroportionuel Ai' l'un, on a. par cida même, fixé le nombre
pi'oportionn(d de l'aulrr. C.'csl uiu' conclusion qnr non- pou-
vons généralisi-r en disani :
Larsfjiif drii.i rufps ^inijile^ in-amil , en s'/iiiissa»/ n un inrino
/roisi'iiir CDi-ps, (liiiiiicr nnisntincr à (h'iti cntn./iiis-rs a/in/of/ifs
l'Ii/l'f ril.i , xi l' iiii II II I r Ir noiiibrc propurl luiiiii'l ilf I un ili' ' '■•■
titriis xinin/rs, le ninnhri- iirupiirliiinii"! ih' l'diilrr se Irmirr. iim-
là nii'tni\ fin'' snn-i nin/)i//ii'i/r.
(^es deux noniln'es proporliounids. ainsi lii''> I un à lauli'c
sont dits ikjnirn/rn/^ entre l'ux : ain-i le nomiire S pour I oxy-
iièue et le nombre Hi pour le souiVe sont di-s nombres propor-
tionnels équivalents pour l'oxygèni- cl pour le soufre : il en est
i.\ .\(rnii\ ht-: mixte is7
ili' iiiriiu' ihi iiniuliri' ICi |ii)m l'iiw urne l'I du nDiiilirc '42 jiuiir
II- soufre.
!,a cDiivciitinii qui' nous avons rorniuléc va-l-t'lli' nous per-
Mii'tlrc de bannir loule anihiuuïti'" do la nolalion eliinii(|U(' ? Va-
l-(dli' nous ronduire i\ ailoplcr un système uuii|ui' de nnnil)re>
proportionnels. Ions êf/uiro/rnfs eulie eux? Va-l-elie assure]-
la coneordance des symboles empiuyés par les divers eliimisles'.'
(".et aeeord se lu'urte à une preuiière diriieullc'. Pour (|u il
puisse rr'>ul(er(lr la eoUM'ulinii préeédeule, il laul d aliord (]U('
ions les eliimisles s'enlendeul [lour regarder comme analoLiues
entre eux les mêmes eomposi''s ( liinii(|ues. Or. ci'lle enlenle il a
rien de ni''eessairr.
Tons les géomètres sont daecord ])Our regarder tous les angles
droits comme égaux entre eux, ou pour déclarer que d'un point
])ris hors diine droite on ne peut abaisser qu'une pcrprudicu-
laire sur eclli' druile : el cet accord est nécessaire ; en ellel. on
a d(''lini sans ambiguïir' cr (jue c'était qu'un angle droit, ci; que
refait qu'une p('r|ie]idirulaire ; de ces délinitions il résulte, [lar
une iléduclinn logi([ue. ([ue tnus les angles droits sont égaux,
<jue d'un jidiiit on ne peut aliaisser qu'une perpendiculaire sur
une droite : en sorte que si quelqu'un s'avisait de nier l'une ou
l'autre île ces propositions, on pourrait, pur une suite de
syllogismes en. bon ni' d duc fniine, l'acculer à une contra-
diction.
Au contraire, mis en [)résence de deux i bimistes donl. l'uii
at'lirme l'analogie de deux corps el dont l'autre la nie, je n'ai
pas le droit de dire l'I l'un : ce que vous dites est certain, el à
l'aulre : ce que vous soutenez est absurde. Mon jugement sur le
dilïérend (pii le- partage ne peut pas être raisonnablement
formulé en termes aussi rigoureux. .I<' puis seulement dire à
l'un : j'ap]irouvc vnlrc npinion : à l'autre : ji' ne suis |ias de
votre seulimenl.
En etfel, les composés qu'il s'agit (11' coinpai'er ne siiiil point,
t:omme les ligures donl traite la géométrie, des êtres de raisnn,
lies abstractions que notre esprit comliine au moyen d'autres
nbstractions et (|u'il peut détinir d'une manière adéquate on
tlisant de quelle manière il les a composées. (!e sonl des
.îibstraclions, il est vrai ; car loisiprun chimiste parle de l'eau
1 ne
)SS P. ULIIKM
(iii de l'acido snirhydrique, il n'en tond parliT d'aui'iinc masse
d'eau particulière, d'aucune masse d"acide suli'hydri(|ue parli-
culière. Mais, tirées de l'observation des corps concrets et par-
ticuliers par une généralisatiim intuitive, ces alislractions ne
i)i'uvent être d(Miui(^s. On ne peut pas plus délinir uiorc (ji'tnnr-
lri((i ce qu'on entend par eau ou acide sulfliydritine que ce
(|u Un entend pai' ilii'\al nu par urcnnuille. <',es notinns sont
susceptildes de dcscriiitidii, mais non de (Ir/niilion.
De même, la notion d'analogie découle d'une intuition inana-
lysable ; c'est une de res noliuns indélinissahles que l^ascal
aurait rattaclu'cs à Irspiit de linc-se cl non à l'esprit tïéomé-
lri(nie: auxquelles, ce|iendant, il tant liien accorder une valeur
scientilique sous peine de reluser le nom de science à des
('•Indes t(dles que laMaliMuie cumpan'-e. 11 est iinpossilde de
niar(|uer avec une précision tpii exclut toute amliitiuilé I
caractères auxqucl> "u reconnaît que deux corps sont ou
sont pas analogues. En l'alisonce de toute définition, je man(|
de liase pour construire un raisonnement propre à convaincre
c(dni qui nie une analogie (pu' j'admets ou qui admet une ana-
louii' (|ue je nie: eu l'absence di' loule délinilion, l'appréciation
de l'aiialogic cliinii(|Ui' diuneure rciali\i'. perstanudlc, \arialde
d'un cbiniisie à l'autre, d'une lù-ole à laulre.
Assurément, il est des analogies si frappant(;s i|u'au(Uii clii-
miste sensé ne saurait les méconnaître ; il est des c(ir[i!- qui
préx'ulenl de telles sinnlitudes que |)ersonne n'hésitera à les
ra|qu'o( lier. Oui donc, par exemple, aurait l'idée de sé]iarer les
nus des autres les acides snlfliydrique, sélénbydricjuc cl l(d-
lurhydrique ? on bien encore les acides chlorbydriiiiie, bnunliy-
drique et iodhydri(|ue ?
.Mais il n'en est i)as touJonr^ ainsi, lu cliiniiste pourra, avec
Dumas, trouver une certaine analogie entre l'acide snlfliydrique
et l'acide cblorbydrique : s'il a donné à l'acide cbloriiydriqiu'^
la formule llCl. il devra donner à l'acide sulfbydri(|ue la for-
mule US. l'n autre pourra nier l'analogie de ces deux acides
et. tout en c(uiservanl pour l'acide cblorbydricpu' la b)rniule
IICl, attribuer à laciib^ sulfliydriciue une antre bu-mule, IPS
par exemple. Encore une bds, la logi(iuc ne nous donnei'a aucun
moyen de couper court à leur ([uendle.
i.\ \(iTi(i\ m: 1//.V7/; i8o
TtHiti'lVii;;. si hi |(ii;i(|ui' l'-l iiii|mi--.iiilr à idiilraimlri' (Jimiv
cliimislcs (le se inclhc ir:u-ciinl sur les cararti'rrs ilc Iniialogio
cliiniifuic. l'ilr Dliliiic au UKiins un cliiniislc à rire d'arcdril a\i'i-
liii-nirnic au siijcl de ers caraclrrcs.
Supposons, par ("M'iuplc. ([u'uu cliiniisli' ail ('■uunci'', au ilrluil
(I un Iraili'. la n'^lc suivaiilc : Xuus n'i;ar(loriius toninu' aiia-
Idgucs (les i'(im|)(isi''s (]ui l'iirnuM'Diit îles cristaux isnniûrplu's.
I>i' Voilà oliliui' lie roiranlcr (•(luiiiic analoiiucs les iiiTinanua-
uatcs l'I les pcirhloratos, qui soiil isomorpln's : ilc dnnnor la
même IVirmule h laeide perclilorique et à ! aride permaiij;a-
iiitjui'. (Jue si. après cola, au ciuirs d(> sim Irailé, nous le voxoiis
donner à laeide pei-maupinique la iMiinule .AhrO" et à laeide
|)orchlorique la l'nrmule (.!(>", nnu'- sommes en drciil de l\ii
(lire : V(uis pêche/ contre la loiîi(|ue; cess(>/ de r(^i;ardei' l'iso-
niorphisHK^ comme une mar(|ne certaine de l'analouie ciiimique^
ou liien donne/ la miMiie formule à l'aeidi' perinani:ani(|uc et
à 1 acid(^ perchlorique ; entre ces deux [larlis. mjus èti^s lilire de
choisir, mais muis (Mes tenu de faire choix.
Tel est le seul moyen do conviction dont nous disposions jiour
trancher les discussions que soulève la lixalion des fomiulos
chiniit]ues : ce moven semlde hiiMi limité; sa puissance est. en
r.'alité, hieu plus irrande ([U il ni' parait, tant il est rare ((u'un
auti'ur soit pleinenuMit consi''quent avec lui-mènu'!
Sujiposons que, placés en présence de deux composés, tous
les cliimisles soient d'accord pour décider (|nc ces doux compo-
sés sont analogues ou pour déclarer qu'ils no le sont pas. En
résulte-t-il (|ue les nonihres proportioun(ds de tous les corps
simples, (|ue les formules chimiques de tous les corps comjio-
sés soient lixés sans laisser place ?i une nouvelle divoruence?
Pas nécessairenicnl. cl ici une iion\(dli' ilifliciilli'' ^i' priV-enle.
([uil nous faut examiner.
\ oici mi certain nomhre de ror|is simjdes qui lournisseni des
composés dont l'analosie est induldlahle. .\vec J.-B. Knmas,
nous les classons l'un auprès- di' l'antre dans une mémo famille
nalnridlo : ce sont, i)ar exi'mple, le lluor, li' i lilore, le hi'ome
et liode. Ka condition que nous nous sommes iinposc'e. di\
r(>présenter les composés analogues |tardes formules analogues.
nous fixera les ucunhres propoitioinnds du llnor. du hrome et
191) P. DLHKM
(le l'iode si nous muis (lonnims le iiomlirc |ir(i|)nrliiiiiiirl ilii
chlore; si, par exemple, nous avons pris '\T).') pour iiomlire
proportionnel du elilure, les nombres proportionnels dn llnor,
du brome et de rindc. r//ii/va/f'n/s h XK't de chlore, seront !!>,
80 et 127.
Voici niaiiileuant wnr autre famille de corps simples qui dmi-
nent naissance à des com|)osés ayant entr(> eux d'éli'oites ana-
logies : ce soiil. par rxi'mpic. l'oxyiii'iir, le sdulVc, le s(''léiiiuin,
le tellure. Ici encore, si nous avons adopti'' pour l'oxygène un
cei'tain nombre proporliounel. nous serons obligés d'attribuer
au soufre, au s('déniuni. au Icllurr dés nombres proportionnels
bii'U di''li'rmini''s. rifiiiro/rn/s u celui (|ui a i''l(' pris |i(iui' l'oxv-
^ène.
Mais h' (•liiii\.(lc ce iiunibri' iimpurlinuiii'l dr l'owgène esl,
Jus(|u ici. ariiilraiiT. .le puis piriidrc pnur l'owgéue le nombre
pr'oportionu(d S, alors le soulre, le séléuiuin. le lidiure aui'ont
respectivement, jiour nombre propurlioiuud (■//nirn/fii/ à c(dni-là,
les nombres l(>. 'ii!, (i'i ; la foiiniilc de l'eau sera IM); les acides
sulfbydriijue. séléuliydrique , l(dlurbydri(iue s'écriront IIS,
llSe, HTe. Je puis, au coutraii'c, prendre pfuir l'oxvgène le
nombre proportionuid l<i; les ri/iiiralfii/^ i-especlifs du soufi-e,
du -eli'iiiuMi. du tellure -eroul abu's '\2. S(l, I2S: la formule de
l'eau sera il"!*; les acides sulfiiydri(|ue. si'd(''ub\(lri(|ue, lellur-
bydrique s'écriront II-S. ||-Se. Il fe.
Voilà une iiuléterminalion. l'eul-nii l,i faire disparaître ? j,a
convention in\(>quée jus(|u'ici y est impuissante >il n'existe
•aucun lien enlie la famille du (dilore et la famille de l'oxygène ;
si l'on ne peu! Inmvei- deux composés reconnus comme analo-
i;ne-- par Ions les cliinii-tes. ibnil l'un eniilienili-ail dn llnor <ni
<lu chlore, tandis ([ue l'autre co)i(ieiidrail. de la même manière,
«le l'oxygène ou du s(nifre.
l/>i'sque la convenliiin diml nmi^ avnn> fait n>age jns(|u'ici
devient illusoire, parce que les deux corps simples dont on veut
comparer les nombres |)roporliounels ne se rencontrent jamais
eu deux composés analogues, bon noml)re de ehimistes font
ap|)el à une autre cmix l'utidu. à la liri//r '/'.\r(ji//ii/rti ri il'Aiii-
jrrr.
Nous auron> [dus loin à examiner les iib'cs qui ont conduit
i.\ MiTiii.s />;■: i;/.v/-;-. im
Avoiiinlrn l'I AiHjn'iT :'i |ii)S('rri'Llo ivi^lc : pour le mniiiriii, iimis
i'licirlipr(in> m la |ii'(''sciilrr sous une l'orme qui soil indépen-
<liiule lie Iniil syslènU' sur la ualui'e de la eoinliiliaison tlii-
niique ". el e es[ à ([iini nous par\ ieinlrnns, crovons-nons, en la
|)résenlanl sous la l'nrnie sui\aule :
Siippusdiis ([iii' l'on ait pri- punr nninlires prupui-lidunels de
riiydro_i;ène. de l'azciie, de roxyjiène, les nonilires 1, li el l() ;
la l'ornuile de l'aride nilriqne est ahus A/d IL (lelle fm-muie
|)eul, si l'on veul. s'inlerpréier <lr la nianir're suivante : lui
<-onil)iiianl 11 i;rannne> d'azute, .'i X l'> = 'iS jirauuues d'oxv-
j;("'ne el I i;ramme d'Iiydrniiène, ou oMieul I i + 'i-8 + 1 = (i:! ^r.
d'acide nitrique: mi dit alors que (i-'i iiramnu's csl la Diassc nm-
/('■iiilairc de l'acide nilrii|iie, It'une nianièi-e p(''ii('ralr. -i l'on
remplace le nombre pnqdirtionuel de cluicun des éléuu'iits d'un
eor|)s composé par un nombre égal de grammes: si l'on nuil-
liplio ce nombre de grammes par l'entier qui, dans la i'orninle
tlu c(miposé, sert d'iwposant au symbole du même élément: >i
<'nfin on ajoute ensemble tous les produits ainsi oblenus, on
obliejil nu nombre de grammes qui est la niasse moléculaire du
composé cnnsidéré. Sans nmis attarder anx; idi''e> qni ont enn
duit à clioisii' ce terme, idées qiu' nous rolronverons plus loin,
nous le ()rendrons en ce moment ciuiime une simple notation.
Considérons divers composés que les chimistes s'accordent .à
regarder comme analogues entre eux, par exemple l'acide cliln-
rliydrique, l'acide brombydrique. l'acide iodhydrique; prennn>,
de (dnicun d'eux, une masse égale ii sa masse undéenlaii'e :
■!(>.') grammes d'acide (libirliydrique . SI gramnu's d'acide
broiuliydrique, I2S grammes d'acide iodliydriqiie : supposons
enlin — ce qui a lien pour les coi'ps que nous venons de citer
— que ces composés puissent, sans se résoudre en leurs élé-
ments, être volatilisés et amenés au voisinag'e de cet état que
les physici(>ns nomment Yrtnl f/dzm.r parfait: ninis constate-
rons qu'à nue même température el sous nue même pression
<.-es diverses masses gazeuses occiipi'nl le mènu' vulunu'. Vax
sorte qu'an lieu de se servir de l'analogie eliimique pnur éta-
blir une dépendance entre les formules de l'acide (diiorlivdri-
<]ue, de l'acide brombydi-iqui' el de l'acide ioillndrique , on
aui-ait pu leur donner des l'ornniles t(dles que les masses nn)b'-
192 ]'. DLHEM
culairc's de cos ilivors ^a/. dcciipcnt le nirmc vitlimiu dans les
mêmes conditions de tempéraliiie id de pression.
Mais ce cril(''riuiii oITre l'avanla^c de pouvoir encore s'appli-
(jiier à des composés qui ndnl entre eux aucune analo!;ie clii-
mi(|ue. L'eau (d I aride (iilorli\ ilii(|ue, par exemple, ne sont
pas d(^s composés analoji'ues ; mais on peiil leui' alliilaier des
formules telles qu'à l'état gazeux parlait, la masse niolc'cuiaii-e
de l'eau et la masse midéculaire de l'aeide clilorliydrique occu-
pent le même vcdiime, loi's(|u'ou les porte à la miMne lenipéra-
Inre et qu'on les s(uimet à la même pression : dès lors, si l'on a
attrilim'' au (lilore le nomlnc |iro|)orlionnel 'V.].'.] et. jiarlant, à
l'aeide eli lorli\ dri(|ue la rormule ll(d, l'eau de\ l'a être repré-
sentée |)ar le symlndi' ll'<) id Idxy^ène aura l'orciuneiil Kipour
nombre proportion md.
Nous venons, dans un eas parlieiilier. d appli(|uer la l'èiile
d'AvogaiIro cl d Ampèic (|ui s'i'Uiuicera, en i;éiu''i'al, de la ma-
nière suivante :
O/i /i.r/'ri/ lu /(irunilr ( liniiDiin- îles ilirrr^ cmps ranijiosrs ne
Irl/r jdidli (jilc h's iiti/ssfs iiiiilrciihlirfs dr <r>: rô/yyv, d/nritt'fs à
l'vlal fjazi'il.r jiai/ail, dcciijii'IiI huiles Ir liirilic rnininc ilillis Ifs
iik'iucs coiuliliiiUs <!<• Ii-iiijti'riilurc cl île pri'sshjii .
(li'lle règle, il est \rai, ne s'appliqm' pas iï tous les com-
posés, nuus seulement aux composés gazeux et encoie, parmi
ceux-ci, il ('eux qui [leuvenl être amenés sans décomposition au
voisinage de l'état |)art'ail; malgré cette restri(dion, les compo-
sés auxqucds (die s'appii(|ue sont assez nondjicnx pour (|ih' 1 on
puisse (dai)iir des sortes de ponts entre les diverses t'amilles de
corps simples (H Iranelier la plupart des cas litigieux (jue [iré-
sentc la lixation des iKunhres [u'oportionnids é'(|nivalents.
(le résultat, toutefois, ne peut être obtenu (|ue si tous les
chimistes reconnaissent la règle d'Avogadro et d'Ampère; or
cette règle a le cara(dère d'une simple convention; sans pécher
contre la logiqiu', on peut l'aceepter ou la rejtdi'r.
i>es l*]coles chimi(jues, les unes prirent le |)remiei' parti, les
autres le second; la règle d'Avogadro et d'Ampèi-e, au lieu de
rétahlir l'acciu'd enlie les div'erscs notations chimiques, devint
l'olijcd de controverses ardentes, à peine éteintes aujourd'hui.
Il semlile, des lors, indiqué de i-evenir i'i la seule convention
;. i \nriii.\ itK Miyri: i :;
-adiiiisf par Inus lc> ihiiui-^irs. à celle i|iie Laurent a t'ui-niellc-
iiieiil (''iiniKiM'. cl (le reelieiviier si celte rèiile ne suflirait pas à
lixer les nniiilires proportionnels, l'anni les corps simples, on
peut, coninie Uiinias la montré le [ireinier, tornier des iiron|)e-
nu'nls naturels, îles l'amilles; les corps qui composent un même
^^roupemenl (Iniuienl naissaru;-e à île nonilireu-e> ciiiiiliinai>on-^
qui présentent entre elles d étroites analoi;ies, en sorte qn au
sein dune même t'amille, la conventiou de Laurent s'applique
sans ])eine. Mais, entre corps simple- appartenant à deux
J'aniilles dillérentes n"existerait-il pas des liens d'analogie, à
la vérité moins nombreux et plus déliés, reconnus cependant
par tous les chimistes et permettant d'étaMir une éqni\alence
<'nlre les nombres proportionnels des corp> de la |)remière
famille et ie> nombres ])ropi)rlionnels des cor[)s de la seconde
lamille ? Il sutiii'ail, à la rii;ueur, (|ue l'on pût trouver deux
composés analogues ilonl lun reni'i rmerail un corjis de la pre-
mière famille, remplacé, dans l'autre, par un corps de la seconde
famille.
Dans la riH-lierche de ces analogies, capables de reliei' eiilie
tuix les corps de deux familles dillérentes, le chimiste est sin-
gulièrement aidé' par une loi di'-couverle en ISlit |iar ^lilsclier-
lieli. la loi de Y hoiiior/ihisuir.
Le phosphate et l'arséniate d'une même base pré-^enleut entre
eux, la plupart du temps, les analogies chimiques les ])lus nettes,
les moins contestables. (Ir. ces deux sels cristallisent exacte-
ment sons la même forme. Non seulement une dissolution de
phosphate et une dissolution d'arséniate laissent déposeï' des
cristaux de même fornn', mais encore si l'on mélange les deux
dissolutions, on olitiendra des cristaux oii l'arsiMiiate et le phos-
phate sont intimement mêlés, sans aucune propoiiion délinie,
et ces cristaux mixtes auront même forme qui' les cristaux purs
d'arséniate ou de phosphate. Ce sont ces propriétés remarquables
que l'on entend énoncer en disant que l'arséniate et le phos-
phate d'une même base sont isomorphes.
L'isomorphisme n'est pas particulier aux arséniates et aux
phos|)hates : Mitscherlich l'a reti'ouvé dans divers groupes b)r-
més par des combinaisons qui présentent entre elles d'étroites
analogies. Ain-i le- siilfates de la série niauni''sienne , en
194 l". iiniKM
s'iiyth'alanl irimc maiiirn- analdiiiic, l'oiiniisscnl di's crisUuix
isomorphos.
(les obsci'validiis (■(uiduisairiil à T'iidiu-cr la ri't;lc siiivaiilr :
Tii/t/''s A'.s- /f//,'.' (/iir (/l's coiii/ji/iriisitiis /oiniilsscii/ i/rs rris//iii.i
isni/iiir/i/t/'s, r//rs ^<iitl cliUKKiiifiiK'iil analuijuca, cl , juirlanl , ilai-
l'cnt l'Ire ri-jirr^eiilrc^ iiiir lit innnr fiininih' .
Les ti'avaux de Milscliorlicli et de ses successeurs iiOnl cessé
(l"ii[>[inrlei' à celle lui (réclulaules c(inlirmaliiius ; tnules les fois
«[u'eutre deux comhinaisons ou vnil a]i|>araili'e le caraclère
<le iisophdi'misme, on recouuail ipie ces deux coniliiuaisdus
[irésentcnl. au point de vue cliiini(pie, la plus uraude ressein-
hlancc. Aussi risoniorphisnu' esl-il regardé par lous les clii-
luislcs comme une dos marques les plus sûres aux(|U(dles ou
jiuisso se lier pour reconnailn» Tanaloiiie chinii(|ue.
Dès 1821», lier/elius eu l'ail Nsat;c pour réviser' ci uiodilier Ir
syslème de nombres proporliouuels (pi'il avait proposé eu 1812.
I']ri I8i:!. il donuait à l'aulisdride >uiruri(jue la roi-nmle S()'
el à l'auluilride A\' (dii'oinii|ue la roruiuie ('.]•( I" : uuiis les clll'i)-
niiilos sont is(jmorplies des sulfates correspondaiils el oITreut
avec eux d"élroiles aualoiiies ; i'auliydride chromi(|ue doit doue
prendre une foi'mulc semlilalde à cidie île l'acide snlt'urique et
s'écrire ('.r(t'. Dès lors, I'oxmIc de clii-ouic doit s'é'crire (Ir-O'
el. en raison de l'isomorpiiisnu' \\v l'alun de clirouu' avec raliui
ordinaire el lalnn de ler, l'aluniinc et peroxyde de l'er doivent
s'écrire APO', Fo-0''. C'est ainsi que les xrst/niu.ri/i/rs conqiiireiil
droit de cité en chimie.
l'ius tard, Uetiiiaull ( 1 ) montrait coninu'ul l'isomorpiiisnie de
certains com]iosés p(>rmettail de résoudre certains cas litigieux
que pri''sente la d(''lei'niiual ion des nonilires propoi-iionuels.
Tous les'cliiniistes s'accordaient à donner au sons-<ixyde de
enivre la i'oi'mule Vav() et au siiliun^ correspondant la formule
Cu-S. Mais les nus écrivaient les formules AgO, AgS poni-
l'oxyde el le sulfure d'argent, tandis (|uc les autres leur altri-
huaient les formules Ag-0, Ag-S. « Le sulfure d'argent nalund,
dit Hognault, est isomorphe avec le sous-sulfure de cuivre na-
lnr<'l Cu-S ; ces cleux sulfures |)araissent pouvoir se remplacer
(1) HFr.\--MiT. Cr'H/v rltmeii Idiii' de CJiiinii'. i éiliticri, t. II. p. .'îld.
I..\ .vnv'/nv /)/■; 1//A77-; l'.i:;
l't! Idiilc |ii'(i|Mii'li(in, pai' r\('iu|ili' diiiis Ir l'iihloi'z. .Niiu> avons
ilit ([Ile ccl i>iiiMiir|iliisni(' n'oxislail i|u Vulii' ilos corps prôseii-
laiil les nii'iiios l'ornuilcs (liiiiiiiiiirs. ri ikhis nous soniiiics Iré-
(|ii('mmenl appuyés sur celle loi pour clalilir les éqnivaleiUs
(les corps siniples. Mais le suH'ure (l'ari^enl préseiilerail une
exceplion si nous ('crivious sa Iui'iihiI(> AgS. (lelle eonsidi'Talinn
a <l(''terminé |(iu>ieurs chiniislcs ù ilonner an sulfure (i'ariicul
la formule At^'S. celle Ag-O à noire proloxvtle dai^LiCnl. (ietle
manière de voir est conlirmce [lar plusieurs aulres circon-
stances... Mais si Ton écrit la forninle du sulfure d'argent Ag-S
e(, par c(niséi|neut, celle de notre proloxydc d'argent Ag-0, il
tant ccriro la formule de la sonde Xa-(> et non pas XaO, car
nous avons \n que le sulfate d'argent l'dait isomorphe avec le
sull'ate de sonde-anhytire. Les sels de potasse et de litliim- élanl
i-omoi-jdies avec les sels corresjiondantsde soude, lorsqu'ils l'en-
fei-menl les mêmes qaanlil('s d'eau de ei'islallisalion, il faudra
foimnler la potasse K-O et la litliine I.i-(t. elc. ■>
Mes considi'rations de ce genre pernn'ttent île relier entre eux
par des relations d'équivalence les nomlircs proportionnels de
la plupart des corps simples.
Tons les chimistes s'accordent à attrihiu-r à l'acide (dilorhy-
drique la formule HCl : le nombre propoi-tionnel de l'hvdro-
gène ayant éli' pris arhitrairement égal à l'unité, le nomhre
proportionnel du chlore se trouve lixé, et égal à 3."),o ; par là
nu''nie se trouvent iix(''s les nombres proportionni'ls des corps,
(le la famille i]\\ cliloïc : lluor, brome, iode.
Depuis longtemps, des chimistes avaient signalé l'analogie
(jui existe entre les composés oxygénés du clibu'e et les com-
posés oxygénés de l'azote, particulièrement eniie les chlorates
et les nitrates ; en démontrant que ces sels sont isomorphes.
Mallard a mis cette analogie h(irs de cont(^station; or cette ana-
logie lixe le noml)j'e proportionnel de l'azote, qui devient égal
à i i-, et, par cet intermédiaire, les nombres proportionnels des
(•or|)s de la famille de l'azod^ : pliosplmre, arsenic, antimoine,
bismuth.
[■Intre chacnn(^ des deux familles pri''ci'dentes de corps simples
et l<^s corps de la famille de l'oxygène, on jieul Irouvt'i' des
analoiiies.
l'.ia p. DU m: M
Les lliiii.w imii^slalcs, les llii(ixyiiiiil)ali's ollrciil drlroilcs
niudogios avec les Ihiolungstales el les lluoiiidliales : Marignnc
a |ii'(iiivé que tcuis ces sels sont isomnrplies enlre eux. Par là,
une relalion (!"('■([ ni valence est étalilie entre le nomlM'e j)ro|)i)r-
ti(nuiel ilii lliiur el le nonilire |)r(i|)ortiunnel de ^oxvg^ne ; ce
<!ernior prend t'urcément la vali'ur l(i. ce qui donne aux nonihres
équivalents du soufre, du s(Méniuni, du tellure les valeurs '.)'2,
SO, 12.S.
Haulre |)arl. le sulfoarséniure de coliall (-(dialtine i. le suHo-
arséaiure de nick(d ^ gersdnril'ile i. le sull'o-autiinoniure de nickel
lulinannitei resseuildent à s'y inépreudre au sullure de fer
( pyrite I el au sulfure de nuinganèsc ihaiierite). Do nombreux
plir-uoiiKMies iri>omnrpliisnK'. oltj(4s des études de Hetgcrs, se
niauifcslent eu cette série de composés. Do là une iHiuiva-
lence entre les nombres proportionnels de rarseiii( el de 1 an-
tinioine. d'une part, et le nombre propnrli(nin(d du soulVc,
d'autre pari ; à ce dernier cmn ieni la valeur '.\2. cli''jà troiixé'e
par une antre voie.
(le ue >onl pas senlemeni le- diverses familles de mi'-lal-
ioïdes (jue l'on peut ainsi reliei' les nne> aux autres: on peut
également passer des métalloïdes aux unUaux.
l/aTialogie, accompagnée disomorpbisme, des perclilorates
ot des permanganates, iixe l'équivalent du manganèse: lana-
logie, accompagnée d'isomorpbisme, des sulfates el (b^s idiro-
niales, fixe l"(''quivalent du (duonn'.
Ihi inangaïu'se. du ( biome. on peut, siii\anl la \iiie déjà tracée
par iJer/elius. passer au fer: le fer se relie au ui( kel, au cobalt,
au magnésium, au calcium : du calcium, par l'intermédiaire
ilu liaryum. on passe au plomii. lùilre le sulfate de fer et les
sulfates de cuivre se produisent des faits d'isomorpbisme ;
dailleuis, nous avons vu avec Regnault comment on ponvait
passer du cuivre fi l'argent et de l'argent aux métaux alcalins.
•Une foule d't''(|uivalents se trouvent ainsi tirés d'une manière
•rationnelle des deux nombres proporlionn(ds de l'bydrogène et
du cblore.
Kst-ce à diie que tous ces corps se trouveront saisis dans ce
réseau d'analogies, tissu par risomorpliisme, dont nous venons
de décrire qnel(]nes mailles? Les faits chimiques connus jus-
LA .MiTKi.S /)/■; 1//.\T/-: 197
{|u ici ne pci'iiii'lli'iil poiiil de le serrer li'llciiicnt ([ii'il ne lais~r
i''cliii|i|MM' (|iirl(|ii('s j;r(iii|ti's (le (-(irps. i'uiir l'ciicr I;i rninillc du
ciirliniic aux aiilri'- l.iriiillrs di' nir-lalluKlcs. imiis Irniivniis r-cii-
Icniciil ic (|iiasi-is(iiu(>ri>liisiii(' ilii nilrair Ar sinliinii cl ilii cai--
hunalc (le calcium, indice, cnlrc ces curps, dune aualiii;ie
presijue el!'ac(''e ; li' mei'cure. diiul les sols ne snul i-^nniorphes
avec aucun aul ri' ciiin|i(is(''. demeure isoli'- |ianiii le< uudaux.
Mais la l'èiile d'Avni;adrn el d'Ampère, si vivenu'ul ciiul<'slée,
prend, par celle anahse minnlieuse d'analoLiie^ ciiimitpu^s.
une vin^uliére aillurili'' : (nus le- liii^e-. eu ellel. ipii nul ('II'
Iranciiés par la loi de l'isiimorphisme, IHnl él('' dans le même
sens que si l'on cùl a|)pliqué celte l'è^lo ; conlirmée maintenant
par lin nonilu'e immense d'exemples, elle s'impose à huis les
chimistes sensés; il sérail piuTil de n'en pas faire nsagc pour
rés(Uidi'e les quelques cas duuleux que peut eiicm-e idTrir la
iliHerminal inu des iKuiilirfs propartinniirh rijiiirnh'iilx l'iilrr ni i .
Le laldeaii de ci's iiouilires se liviuve ainsi di'diuili veinent arrcMi'' :
sous le nom de taldeau des pouU aluiiiiijiii'a des élémenl>. il
es! in-crit aninurd'hui en lèle de tous les lrail(''s de (diimie.
(.1 suir/f. I
I'. DlIlilM.
i:i
LE NEURONE
ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE NORMALES
Los a((|uisiliiiiis r(''(('Ml('> ilr I i'iiil)i'\ nloiiic. luiiilo :iii.\ pcr-
li'clionnemcnts apporlés à la Iccliniqiic liisl()loiii(|uc. uni pri)-
londrnicnl moililiô li-s conccptioiis aiwicnncs sur la siriiclurc!
iiiliiiir du lissii ucrvcux, l'oritiinc. la iialmc cl les i-onui'xiniis
(le SOS formos anatonii((uos.
Ino ronclnsion inipoiianlo, ra|pi(louiciil vuluarisôo ol dovoiiuo
( lassi(iuo. se dôiiaiic d(^ cos rooliorohos : ("osl (|uo lo tissu nor-
\(Mi\ se cDinjuisc l'sx'iilii'l li'ini'ul. mm |ia> de drux ('d(''inouts
analc>uii(|iios. la (l'Ilulc iioivcusc cl la lilirc iicrvi'usc. mais Iticn
d'un sriil clcmcnl, cellulaire de |)ar sou iirij;iue el sa eoiistitu-
liou iuliuu'. élcuKMil ji(^n(^ratour d'expansions Hhrillairos do
nombre el do lon};ueur variables, se lerminanl toujours jjar des
exlrémilés libres, el qui consliluenl la partie essentielle des
nerfs. Waldeyer a doniu'- le nom de ncin-unc à celle unité ana-
lomi(|ue (|ui com|)rend à la l'ois le corps de la cellule cl la tola-
lilé do ses pr(doU!;enienls. Nous oxposor(Uis succiiiclcmcnl lc>
faits sur lesquels repose celle lliéorie.
Les roc.horches embryologiques de ilis nuus ap|irciiucnl que.
chez les vertébrés, la promièro ébauche du système nerveux
central el périj)hérique est formée par un épaississement longi-
tudinal de rectoderme, la plaque médullaire. Celle plaque si'
transforme successivement d'abord en gouttière, puis en canal,
par dépression, puis rapprocdiomont el linabMnenl souduie de
SCS bords. Ce canal médullaire [irimitif subit ullérieuremenl de
prol'Diulcs iiiiKlilicaliiiiis (|iii ilimnciil iiiiissiuici' aux (Ijnci'm's.
paiiics (le I a\r (•('■r(''l)r(i-s|)iiia I . Li's parois do la tioiiUièrc sont
l'onsliliuM's loiil d'aliord pai' un plan iini(iU(' dr cidlnlcs rjjillH''-
lialcs ; mais, onlre les parties les plus iiileriies de ces (adlules,
se Iroiiveiil de 1res lionne heure des (adhiles plus |)eliles (|ue
llis a (|ualiliées(le i/r'nt///iii/irrs parce (ju'idies se inulliplienl
1res acliveinenl par (îaryocinèsc. t)e ces deux es|)èees de cel-
Inles, les unes conslilneronl les élénienls île soiilien dn
tissu nerveux ik'N r^J;li^', ('(dlules épendymaires) ; les antres
l'onrnissenl par leni's divisions les ridlnles nerveuses eni-
hryiiiinaires on /iri/ro/)/(islrs. (^es dernières s allonj;enl, devien-
nent jiyriliirines, et leni- partie et'lih'e, dilec(Mie de croissance,
devient par élirernent [irogressif le prolongement cylindraxil
ou de heiters que liin voit jien à peu devenir lihre ner-
vt'use péripliéri<[ne ou centi'ale. (àdle li'insformation sac-
com[)agne d'une dill'érenciation du protoplasma qui prend n?ie
structure librillaire particulièrement nette an niveau du cr.iie
d'insertion du prolongenuMil cylindraxil ( i j. Il résulte de cette
donnée que la filtre nerveuse ne peut pins être considérée, ainsi
«(u'ou l'a cru |iendaiit longtemps, cou)nie le i'i''suitat de la tusion
ou de l;i li'anstormation d'une chaîne C(dlnlaire ; celle l'orme
anatomiqm^ re|)résenle, au moins dans sa partie essentielle, la
partie fihrillaire, le prolongement d'une cellule nerveuse : la
cellule iH'rveuse est le miii-f (/rn(''li<itic du neurone (2).
(le n'est pas tout. Les cellules nerveuses c()ntiennent un
noyau. ( >r les expériences dites de mérolomie, applicpiées aux
amihes ou an\ infusoires, nous apprennent (|ue lors(|u"on coupe
une cellule de telle sorte que l'un des segments renlerme le
noyau, tandis que l'autre en est dépourvu, le premier fragment
continue seul à vivre et répare ses perles, tandis que l'autre
est fatalement voué à la mort, <\ la dégénérescence (3). Pareille-
ment, les expériences de Waller ont montré qu'après la section
d'un nerf dans sa continuité, le boni péri[di(''ri(ine, séparé du
(l) Prenant, Eh'ineiil i il'eiiihri/oloi/ie de r/ioi/iine el îles v/'r/rlirés. Paris, Sm-Niiiai.,
1SU6, p. aUO et passiiii,
,2) Van Geiii r.iiTHN, Anuloinie ihi s'/steiiie nerveux de rhoinine. I.cmvaiii, 1S91,
p. 2311,
(3) Verworn, Atlf/emeine P/n/siolor/ie. K-n,!, ISU", [i. SU.
■211(1 !■:. lîAI.TLS
somment ccUulain' (|iii seul cnnlionl le iinyaii, ({(''liônèrc dans
l(ni((" son ôtendiio. Mais ili'S les promiors jours qui suivenl la
scclion, le l)out cculral, continu avec le corps (■(dlulairo, se
gdnilc, s'Iiyperlrophic cl fournil un cùno d'accroisscmcnl som-
hlalile à celui (jiii j)rcsi(lc à l'extension vers la périphérie du
cvlindraxe clic/ l'cmlirvon. De ces faits découle celle deuxième
coiiilnsidu ; la cellule nerveuse est 1(> icntrr Iraiihiiiiif i\{' tous
les pr(dniii;cuieuls qui eu ih'peudenl . le cculi'c liopliique du
neui'oue.
Si nous ajoutons uiaintcnanl celte notion élémi'nlaire que la
cellule nerveuse est le lieu de réciqilion des ini|U'essions venues
du dehors, cuunue aussi l'appareil li-ausfi>rinaleiii' de ces impres-
sions en incitations uiolrices ; iju (die peu! inèuie cri'er vérita-
hh'UU'ul ces iucilalious. nous aurons li''i;ilinu' ccdte troisième
conclusion : l.i (-(dlule ucrxcuse est le centre d'action, le rciifrc
fiiiiilioiuifl de l'élémenl nerveux.
•Juidle (>sl doue la nuu'phoiogie de celte c(dlHle, ou piiiliM de
■ e neuri>ne, sa structure intime, ses connexions?
l'our rc'qioudre à ce-> questions il'uue manière sali>laisanle. il
tant emplover successi\ement diverses nudliodes décoloration
avant (dnu'une leurs indications s|iéeiales. S'at^it-il de déter-
miner les con|our> exti'rieurs. la silhouelle de ['('lé'nn'ul c(dlu-
laire et de ses [irolontiements , on emploie la nu-lhode de
(ioliii ( liS7l{-ISS") 1. qui consiste à traiter successive me ut des mor-
ceaux de tissu nerveux central |>ar du liiidiromale de potasse ou
du suldimi'' corro>if el une sojiilion de nitrate d'uri:cnl. Le
idiromale d'ariicnl on le cliloiau'e d ar;<ent se précipite et les
édémeuts constitutifs du neuione a]q)araissenf cid(U'és en noir
avec uni' netteli' ((ui rapp(dle un dessin fait à l'eiici'e de (ihine.
l'ai" contre, il est impossilde d'apercevoir aucun détail de slriu'-
turi'. l'ar suite de conditions encore inconnues, la coloration ne
pmte (|ue siu- un |)elil uonihre des cellules de la préparation,
l'ne coupe épaisse pei'meltra donc de les suivre dans tous leurs
prolouiiements el jusqu'aux ramifications les jilus ultimes, alors
mènu' (|ue ces ramiiications sciaient dans des phins dillértmls,
puisque la t'oupe, par le fait tie son épaisseur, compriMul plu-
sieurs plans. Va\ multipliant ces coupes, on arrive à compléter
les détails de l'une par ciMix de l'aulre, c'est-à-dire à trouver sur
/./■; .\i:ni(i\'K . :
uiU' tiiii|ir li'Ilc ospôco dv ii'lliilc (jiii n (''liiil |i:is visihlc siii'
rniilrc 1 . Après l'trc demourée daiis l'oubli pciuliinl iiii(> qniii-
zaiai' (l'iiniK'CS. la miMliiMli' de (iiili;i a v[r rcniisi' en i'avtnir par
lianidii y (lajal (|in lui ddil ses r(Muai(|uahli's dr'cnuvi'i'lcs sur
les dispiisiljiius ncrvcusos Ici'miualo.
\.i' nirrui' iiiiii'clir. surinul pnur les ilispusilious pi'Ti|)lic'-
i'i(|ucs dos élrnii'nls nerveux, csl r(MU|di par la niélhodc d'I-^lir-
licli i|{SS(i;, permcttaul, à l'aide d'iujcclions sous-eulanées de
l)Ieu de méthylène, de colorer la sulistancc nerveuse chez l'aui-
nial vivaul. I>cs préparati(Uis ainsi obtenues peuvent èlre i-eu-
dues permanentes par l'action lixalrice du molybdale ou du
picrate d'ammonia([ue iHelhe .
Si l'on se |U'o[)ose d'('lu(li('r la slruiturr intime de la cellule
nerveuse, on peut avoir recours au carmin ou à l'Iiématoxvline.
mais le ]dus souvent on emploie les méthodes de Aissl ou dr
Held qui donnent des détails d'une grande (inesse. Dans cidlr
<le Nissl. les pièces durcies dans l'alcool sont colorées à chaud
par le bleu de méthylène, puis dill'érenciées dans de l'alcool à
l'huile d'aniline. Held emploie une double coloration à l'érythro-
sine cl au Ideu de méthylène. D'autres prél'èrenl la Ihionine, Ir
blende loluidine, (?lc. La plupart des proci''d(''s de idloi'alion ont
«'■lé découverts empiriquement <'2i.
Déjà, surdos préparations obtenues par simj)le dissorialiou,
on jieul reconnaître la coniigurati<ni i;énérale du neurone. .Sa
l'orme est très variable : pyramidale, pyrit'orme, sphéroïdale,
étoiléo, fnsiforme. Le corps cellulaire est nu, muni d'un noyau
et il'un nucléole, et présente des prolongements plus ou mniii>
nombreux, d'oii la division des cellules nerveuses en l>ij)o-
laires (^t multipolaires. Il n'existe pas de cellules apolaires,
ni ménir. an inoiiis riiez les mammifères, ilc (•ellule> uni-
polaires.
Le corps cellulaire, traité ()ar la méthode de Aissl, se montre
généralement composé de trois cléments distincts : a un élé-
nuMit chromatique, Hxant le bleu de méthylène, // un élément
a(diromatique ligure. ' un élément achronialiqui' amorphe.
(1) .Matliias l)i\.\\., Précis (l'/iislolni/ie. .M\S50X, I90O. p. S:ifl.
(2) Pi-éparulion el colorulion du si/s/éme nerveux, par Bernard Poli.ak. Trad.
-N'ioor. Miu. l'aris. t9U0, (jeoriies C\]iia: et Nm:i;.
■Mi ]•:. HALTUS
l^"('l(''nicnt achromatique liguri' atlVclo la disposition li un réseau
ou d'une épontre enfermant dans ses mailles l'élément eiini-
matique. Ce dernier est constitué par des granulations agglu-
tinées par une substance fondamentale réfractaire au Ijleu de
méthylène (1). On admet généralement que la substance acliro-
maiique est la portion conductrice du neurone, tandis que la
( liiomaliqiu^ en serait la réserve nutritive. Sur ce dernier point
Maiinesco fait observer que la destinée alimentaire des élénienls
I liniriio|diiles s'acconb^ mal avec leur variabilité el leur nuin(|ue
al)solu dans toute une classe de cellules nerveuses, l'our lui, li's
gros éléments clndinophiles représentent un ri'servoir d'énergie,
une sul)stance régénératrice des forces de tension nerveuse, un
/,iiir/n/i/as)»n. Nous avouons, pour notre part, ne voir aiu-une
dillV'rence entre ces ileux in[erpr(''lations , attendu que, \tnv
déliniliou menu-, l'aliment est un r(''servnir de (cnsions cbi-
ini(|ues a[)[es à se li'aiisl'oriiier en nu mode (|iirlcon(|ue de forces
vives.
(",(>tle (|ue>liou esl i'dncid(M'. du resle, par l'expiTinienlalion.
attendu qiu', <bius les divers lroulil(>s nutritifs susceptibles
d'alieindre la ((dlule nerveuse, du fait de la fatigue, tlu Irauma-
lisnie, de Im tenip(''rature, ou de diverses intoxications, o"ii
(di-^erve toujours de la r///7;///^//(////.sc, c'est-à-dire la niodilieatiou,
la dégénérescence el la disparition plus ou moins <-omplète <le
la substance ebromatique. Mous avons vu précédemment que
la seclion du prolongement nerveux amenait la dégénérescence
lolale de son bout p(''riphéri(|ue. Dr. quelques jours après cette
section, et alors (|ue la substance achnuriatique n'est nullenu'nt
modiliée, on voil les grumeaux chromopbiles se fragnu'uler
dans la partie de la cellule correspondant au point d'implanta-
lion du pndongement ; cette altéralion s'étendant peu à peu sur
le reste des grains les r(''duit en fine poussière, el le noyau
émigré à la périphérie de la cellule. Mais lorsque la cellule est
en (Hat de subvenir aux frais de l'égénération de son membre
amiuité, elle s'hypertrophie au point de dépasser par son volume
les dimensions normales et se rem])lit de nouveau de grumeaux
(1) .Mari.ne.sco, Souvelles rec/ien-lies sur lu slriicliue fine de larellute nerveuse,
l'iesxe médicale. 1S97. p. 2".'i.
/./•; M-AHoM-: 20:)
(•Iiri)mii|iliili'> \ nliiiiiiiiciiN I . |);iulii' |iarl, rL'xaairu îles aiii-
iiiaux siiiimis à un liavail miisiiilair<' du au passage du coiu'aiiL
(''l('clri([U(' lUiMilri' (|ui' la /a/if/i/f i\f la rrllulr luM'vcuso se tra-
duit ])ar la diuiiiiuliiiu du corps (■(diulaiir, la diminnlioii el la
dispai'ilinii des (Mirpuscuh^s {dironiuphilc--. Ces eni'|niscules sdnl
égaleinrid alh'n''-. dans UDUilire dinrcilinus cl d iiilnxicaliniis
c\p(''i'iniciilalcs, el les alléralinns pcrsislenl plus luuglenips (juc
les h'iiuldcs luolcurs nu seusilil's déterMiiii(''s par liiui'iil iiiicil'.
Il C-.I donc prnhalili' (|uc la Iragmcntatinii cl la disparilicui Ar
la siiltslaiiee ehr()Ui(i|)liile ne sont que lexpression d'une alli'-
ralion nulritJNc: (|uc ces corpuscules consliiucnl une seule de
i'(''sei'vc ([uc la cellule nerveuse accumule au --ladc de repos el.
(|u"idle di''passe ulir'ricurerneni 2 . "
l.es prolungcnu'nls cellulaii'es se di\ iscnl en deux calégories :
ti I les prolongements dils ]iroloplasmi(|ues on dendrilo : /> I le
pr<dongenn'nl de r)(Mlcrs ou e\ liinlre-axe nu axone.
Les prolongements protoplasmiques de H ;i 2(t par (d('meul)
all'ectent la forme de tractns épais, à conlours irréguliers. Leur
longiu'ur est variable. Ils diminuent rapiilenumt de volume en
émettant un grand nomlire de branches collatérales qui se divi-
s(>nt et se sulidivisent à leur tour. Les branches maîtresses pré-
sentent la même sti'ucture (jue le corps cellulaire ; elles sojit
donc formées à la lois di' substance chromatiiiue l'I de sub-
stance achromali(|ue. Les brancdies grêles qui naissent direc-
tement de la «•(dlule ou proviennent de la subdivision des
gros troncs sont tormé'es exidusiveiuenl di' substance achro-
matique.
Le pi-olongenient de Di'iters, génc-ralemenl uni(jue poiu'
chaque cellule, a des caractères tout particuliers. Il nail, soil
directemenl ilu coi-ps c(dlulaire. -oi( de la base d un des deu-
drites au moyen d'un petit ci'me triangulaire : ses contours
sont nets, réguliers, comme taillés à remporte-|)i("ce. Après
avoir longtemps considéré ce prolongemeni ciunuie iudivis,
on adniel aujourd'hui (|u'il l'iuu'nit. au contraire, constam-
li .MvKiXESCu, l'alh'donie i/éiiéraii' de la rellnle nerveuse. Presse médiciile. 1S97,
1 iiov., |). 41.
[■2) Rettf.rer, Arliele 4-liroiiinlùli/.se du Uicl. de l'/ii/sioljf/ir de Ch. Rii-.iiF.r,
ISÎIS.
204 E. li.VI.TlS
mcMit im ccrlaiii nnnilirc de raninsculcs latéraux. 11 est iormô
cxcliisivcmi'ul. ilaii> luulc sa lniiiiiicur. do siilislancc achro-
niali(|U('.
(4>s |iarlic\ilai'ilr> innr|iliii|n;.4iqu(_'s dos dinidrilos ot dos axones
sont trop oxtôrioures ot pas assozcimstanlos pour avoir la valeur
do oaractères dilTérouliels. Aussi V. Gohucliten no leur aooorde-
l-il qu'une minime imporlance. Le même auteur fait remarquer
(|iic la dillÏTonco |)liy>iid(ij;ique semble nulle puisque Inus lo-
proldUiicmonls jouissoiil du pouvoir oondueleur. I.a -oulo ol
vraie dilléreuco osl dans le <''tis de la o<induetinn. •> l)an> les
[ircddiiiicmouls prnl(i|dii~iiii(|iies. réhranlrmont uervouN so Iraus-
mol Iduiiuir- do> ramiiioatious terminales Vers la cellule dOri-
"ino laiidi- uuo. dans lo iinduniiomenl ovlindraxil. la transmis-
sidii se l'ail do la ci'llulo nerveuse vers les ramilicalinii>
Icliuiliaii's. I.os jii'nldUii'omriil- pi'iiloplasiniqiios pussèdoill donc
la oiiuduelion ir//ii///j'(/r : ils rocuoillont auLoui' d'eux los
éliranlomenls venus des oli^moiil- viii>iii- ri les transundlonl à
la oollule diiiil il- drqioudonl. I.r |iio|(iiiuenirnl < yliiulraxil inuil
de la ((ludiiolion (y///i/i/in/i- : il rofidl robranlemonl nerveux
do sa i(dlulo d'oriuino et doit la Iransundlro aux ôléun-nls avoo
li'--qiuds il ar)-i\i' m ocuilaol ' I .
(lollo livpnlhèM'. l'Hii-c puni' la jiroinioro rui- par le proles-
seur do Llinvain. a élé doronduo oj;aleiiienl par (lajal sous le
uiim do Ihéorio do la polarisalion dynami(|ue des élouienls ner-
veux. |t'a|irès celle llii'orie. les prolonjiemonls |iiiil(i|ila>miques
seraient do> appareil- do poi'ce|)lion, tandis que los pndou-
ucnuMits ovlindraxil- odustiluoraioid dos appareils d'applica-
lidii : ehaqu(^ unih' nerveuse i-oprésonlerail un polil appareil
{■('•llexe.
Ces faits entraînent, ci>mmi> cunséquonce importante, la reoon-
naissanee de l'unité du type ni(irpli(doj;ique et fonctionnel île
l'élénu'iil nerveux, l'inlre (liacnn de ces éléments, isolément
considér('s, il n'oxisio. sdu- aucun l'apporl, aucune diiréronco
esseulioUe. La elassilicalidu acluidlo dos neurones vu neurones
<ilifs, neurones inolnirs et neurones d'assoc/a/inii a pour base
srtisi
raliouuello les dilVéreucos oxistanl dans les ()r;ianes eorrespon-
(H V. GEia-ciiTEX. ojK cit.. [>. l'.Hi.
u: Mil i!(i.\i: iO'.;
<l;inl :i liMirs dciiv |iùli- ri les dillrrciiccs (roriciilalion de ces
[u)\v>. Lv iR'iininc -cra dit iiiiiU'ur, loi'sciiii- par sa rdiiduclion
cvliiidraxilc, cellulii'vigc, il so trouvera on rapport a ver un organe
de travail i libre niusciilair(>. cidliile paiidiilaire . Il sera sensi-
lif, lorsque par rorienlatinii île ses prolongements protoplasnii-
(jues il sera en rapjxirl eidlulipède avec une surface inipres-
sionnalde. Il -eia d'association jcuxiiie ses |)rulongements
cellulipèdcs et cidlnlifuge auront la valenr de commissures
jeti'es entre neurones de un~Mne espèce ou (r(>s|)èci" diilerente.
Son n'de dall^ la ci niduclinu générale cenlripèile nu centrituge,
c'est-à-dire dans les phénomènes de sensildlilé ou de motricité,
sera révélé, non par les détails de sa structure, mais [)ar \('
sens de la dégénératiun de si>s iiiires à la suite de lésions cxpé-
riuii'utale^ cni pal In iliii;i(|ue-..
(les notions générales étant admises, il nous reste à les com-
pléter par lexanu'u des ciinuexions aiial()ini([ue-- pn'sidant à la
propagation de ri'diranlemi'iil nerveux dan- la cliaiiie des neu-
i-ones superposée.
Pendant longtemps et sou- l'inllui'uee tir- ha vaux de (1er-
laeli ISTI I. on admit que renchevètrement tihrillaire, en appa-
rence inextricalile, créé dans la siibstance grise par les innom-
hraliles prolongements cellulaires, représentait un système
anaslomoli(|ue i--u des prolongement- protoplasmiques et don-
nant à son tour naissance à des libres myéliniqm^s de signili-
cation sensitive. Mais (iolgi. par sa méthode d'imprégnation,
démontra que les dendriles se terminent toujours par des extré-
mités libres. Il prétendit, eu revanche, que les ramilications
secondaires, les collatérale> des axones contractaient entre elles
les anastomoses déniées aux dendriles et formaient ainsi le
réseau dilTus de la suljstance grise. Un des graïul- nn^riles de
Kannin y tiajal fut précisénuMit de démontrer que celte nouvidle
conception était aussi erronée (jue l'ancienne : les axones et
leurs collatérales se liM'iuini'ul toujouis. eux aussi, librenu'ui.
Depuis cette éjicKjMe. on adnu't trè- généralenuMit rindé|)en-
danci- anatomique du neurone: les ramilications terminales de
ses divers prolongements arrivent bien au voisiiuige des rami-
licalion- d'antres neurones, mai- ne se eontiuuent ])as. ne
20Ci
E. i-.Ai.irs
s'anastomosent pas avec elles, (iunnne le liil .M. Iliival : « l.e
prétendu réseau de Gcrlach est une sorte de l'oivl vierge dont
les fourrés, en ap[)arenee inipénélraldes, sont formés de bran-
ches et de rameaux (|ui, pour être étroitement entrelacés, n'en
-ont pas moins distincts, et rattachés eliacun uniqncmeni à nu
corps cellulaire indépendont, comme l'est le tronc de ciin(ine
arhre ou de ehaque arhuste dn fourré. Si, dans l'excitation, l'acte
de conduction passe d'un neurone à un autre, ce n'est pas, pour
ainsi dire, à plein canal, mais |iar iiillueiire à dislance, à très
cuurte distance il est vrai, du cliev(du des ramilicalions de l'un
snr le chevelu de l'antre. On exprime ces ra|)]>iu-ts en disant qu(>
les neurones s'arliciilent culn' cii\ I . »
Le moment est venu d'exposer les théories émises ultérieu-
rement sur ces conditions de contact ou d'arlicnlation. Toutes
ont une base commune : l'amiThoïsme du iieurnne. aulrenienl
dit la proprii'li'' que posséderaient, snil la lolnlité, soit cerlainc-
pai'lie^ du neurnne. de se comporter sons rinllu(>nie des e\cil;i-
tioiis à la fai-on des amibes dont la masse pr(diq)la>miqiie émel
alors des prolongements ou pseiuiopodr-. lescpnds, dans la |ihasi'
de r(>|)os, rentrent dans le corps de l'élément. Ces mouvements
ainilioïdes se retrouvent, avec un caractère plus ou moins accen-
lui-, ( hez les leucocytes de- diverses espèces animales et sont
considérés comme une de> projiriétés élémentaires du proto-
plasme non différencié. Dans l'application de ces données aux
élénn-nts n(>rv<'u\, les hypothèses c/ priori mit précédé les
recherches de ialioialoire.
Ksquissées par Uald-Iîuckliard ISilIti et Tanzi i ISiC}), elles
sont nettement formulées par .Mathias Duvnl 2i. D'après cel
autetir, les axones s(mt dotés de mouvements amihoïdcs qui leur
periucltraient hnilôt de se rétracter et par suite de suspendre
toute activité nerveuse, tantôt de s'allonger, de rendre les con-
tacts plus intimes et de favoriser celte même activité. Il cherche
à baser sur ces données une théorie du sommeil : <- Chez l'homme
qui dort, les ramilicalions cérébrales du neurone sensitif cen-
tral sont rétractées, comme le sont les ])seudopodes d'un leu-
(li .Mathias Dlv.\l, Op. cit.. p. 83S.
(2. Modelé lie biolof/ie. 2 février iSftj.
;./■; M'IIhim: 2117
(•(icvtc aiicsllirsiô sous le mici-dscope par raliscncr il'owjAi'iic ol
l"o\c('s (l'acide carlKiiiiciui'. l,('s cxcilaliuns l'aililcs |»(irl:i''cs sur
les iiciTs scMsihlcs |ii'ii\(i(|U('ul , cluv, l'Iniiniuc l'iiilnniii , des réac-
liiiii- ivlli'xcs, mais ne passciil pas dans les i(dliilcs de l'écorcc
(•('■ivliraic ; dos oxcilations plus fortes amèucul l'allontiomi'iil
dos ramilioalions côn'djralos du uourono sonsilif, par siiili' lo
passade iii>(|iir dans les coUulos de récurée el pac suile le riAcil
diiiil les |)liasos suocossivcs li'adiiisoul Ideu ces rélahlisseiuouLs
d'une série do passasios précédeuinionl interrompus |)ar rélrac-
li<Mi el éloignemenl des rainilicaiious |iseiHlop(idi(|uos.
Lépino rovoudique la priorili' de celle liiéorie (|ui lui aurait
permis d'oxpli(|Uor les aneslhésios sensiiriollos el sousilives
ainsi ipie les paralysies mulrices choz les liystéri([uos; il siip-
pdso (|ue le reirail des expansions du neurone esl di'i à des nio-
dilicaliDiis ( liiniiques du prolopiasma (-(dhilaire.
.Noms laisserons de côlé l(^s diverses olijections Inrnmléos par
i.eniiiissek, Kolliker, (lajnl, pour passer anx lails expoj'imen-
(anx, généralomenl t'avorablos à ces idées nouvelles. Les expé-
riences de l'eriiens, l'ailes sur des yeux de poissons, donl les
uns avaient élé mainleiin> à la lumière el les autres plongés
dans l'oliseurité la plus complète, ont montré c|ue, clu'/ les
premiers, les cùnes et les liàtonnols étaient rétractés el que les
piviliingements protoplasmiques des cellules ganglionnaires do
la nHine étaient devenus plus courts el |)lus rares; il couclul
donc (|uo le l'onetionnement des cellules s'accompagne de leur
rétraction ' I 1. Honioor essaie do sulistitner la notion de plasli-
cilé à cidlo de l'amœboïsme; il considère les c(dlnles el leurs
pndongemonts comme formés d'une matière plastique leur jjor-
uu'ttant facilement de changer de forme et île volume, (lajal
avait romarqné dans l'écorce cérébrale, préparée par la méthode
de (iolgi, et autoMj- dos dondrites, une inlinité' de pidils appen-
dices ou épines qui donnent au lilamonl l'aspect d'une échelle
suédoise. Col aspect se modilie, d'après Domoor. chez les ani-
nianx soumis à l'action de la mmpliine, du ( hlural <iu du
(diloroforme. Los expansions deviennent alors nettement et très
régulièremenl moniliformos, mais la disposition normale réaji-
(I) l'EIK^KXs, lliill. Aiiul. ni;/, do iiiril . de lle/f/iijiie. ISlIi;. T. X.
-20.S E. HALTlS
liiinut avec la t-L'ssalion d'action des aiionts ancslliésiqucs i 1 ).
Los recherches de iNI"' Stéfanowska, faites comme les préci'-
denles à rinsliliit Solvay. ont éi!:aiempnt porté snr les épines
(les dcndrites qu'elle appelle appendices pyrit'ormes en raison
de leur forme earactéristique. Après avoir eonsiati' ipie ee>
-appendices man(|uenl constamment sur le corps de la cellule
<'l sur son axone, elle déclare qu'ils sont susceptihles de varier
dans leur nombre et dans leur lontiueur sur un même neurone.
lui effet, sous i'inlluence des excitants lélectrisation; et des
anesthésiants i éliiérisalioni, les ajipendiees pyriformes dimi-
nuent ou même disparaissent (•oui|)li''lemenl sur un ct'rtain
iiomhre d<"s dendriles. Kn même temps, ces prolonui'ments se
(■ouvrent de nomiireuses varicosilés. t^'cst par l'intermédiaire
des appendices |)yril'ormes des dendrites que s'effectueraient
les contacts entre ni'uronos(2L
Manouélian >r plaie dans des comlilions plus pliysioloi;iques;
il amène le sommeil par la fati^iiiu' et constate la disparition
des épines des dendriles, l'aspect moniliformo de ces derniers,
la défiirmalion <ln e(ir|is eclliilaire (3). Quei'fon, étudiant le
-ommrij iiilirmai de la marmotte 'n: Odier comparant la moelle
d'animaux chloroformisés avec la moelle d'animaux soumis pen-
danf i(U(d(iues minutes à des décharges d'induelion •"• : llavcl
dans ses reclierclies sur les invertébrés (ti), aboutissent aux
mêmes conclusions fondamentales, et les notes discordantes
Lui^aro. Soukhanofi sont ndativement rares. Il est certain qu'un
eouranl lavoralde -e pi-ouonrc ilc plus en plus en faveur dr
l'amceboïsme.
Mais l'amudjoïsme nerveux repose sur la notion de l'indépen-
<lance du neurone, el cette in<lépendance est en ce momenl l'oli-
jel de nombreuses attaques qui ne tendent à rien moins qu'à
renverser toutes les idées courantes, non seulement sur les rela-
tions des neurones, mais encore sur leur orii;ine et sur le rôle
(!', l)E)iooii, Arch. de hh,k,fiii>. T. XIV. ISilf.. — liiillclin de In Sor. d'Anthioj'. de
Uruxetles. 1896.
{i) C. II. (le lai>oc. de biolof/ie. 1891, p. '.HiD.
(3) Cité par M. Uuvai., o/j. cil., p. S8'i.
i4) Travau.x du labor. de l'Institut Solvay, IS'JS.
(5) Ilevue méd. de la Suisse romande. 1S9S.
(fil fji relliilc. 18W, T. XVI.
;./•; MJiidM-: 2(1.»
ronctioniicl univiTsclIciiicnl reconnu h la ci'Iliili' norvciisc
(TliL-orios d'Aiialliy, «le llclil, de Bl'IIic I . Exposer i-es Ihéories
naissantes et tlépoiirvues île lonl contrôle serait sortir du plan
restreint (jne nous nous sommes tracé ; nons nous contenlerons
(le faire observer qu'elles ont subi de la pari d'un maître en ce-
matières. Van Cicdiuchten, un examen cri(i(|ui' ijui lui fait main-
tenir. jn-(|n','i plus ample iiilnniic'. la reelilnde de la Ihr'in'ie ilii
neunuii' ■* .
K. liALTrs.
(li Ces théories sont exposées dans I'uenant, Lea Théoiies du v'/v^ nerveux.
Heoue (/énéntle </ex sciences, i900, n"' l et i
,31 jn; ././<■ \V/(.v. /,;.,„>. !S'i!i. n' 20. p. :îSt-:!Oti.
LA PIlILOSOPinE
V CONGRÈS INTERNATIONAL DES CATHOLIQUES
i.i' ('iiinirrs iiih'fitiil l'iniil (A'.v x/iriiiils intlinUtjtirs. Iniiih' il \ n i|Miii/i'
.iiis |i,ir 11' {liMiKiiiir hiiillii' ilr S.iiiit - l'riijrl cl |);ii- M-' d llulsl, ;i
Iniii SCS {■iiii|iiiciiii's Jissisi's, (lu i'i ;ni i!S si'|>h'mhrf lîtOI). ;i Aliiiiii-li.
L;i section |)liili)S(i|iliM|ii(' y ;i l'ail lioiiiii' li^iii-c. I,rs|)a^rs (|iii siiivciil
csquisseroiil . .'iiix IitIciii-s de la " licxiic ■■. un lalilcaii d'iMisciiihlr
«le SCS scaiiccs. eu iiidtc|naiil à f;raiids Irails les i|iii's| imis siudevees
dans les aiincales i-i'iiiiioiis du ■• Kaiiuhaus ■'.
1,1' (!nnL;i'e> ^'lnl^l■(' sur îles |iariiles de |iliiliiMi|dni'. Sun pi'i'sideiil ,
iM. de La|ipai'CMl . dans une |iaL;e Inuiinense du di'^eoui'S |ii'i'liMnua ire.
chldic l'oricnlal iiiu de la M'ieiire eiuileiuiinraine. il nnuilie enuiuieiil
la |ilivsi(|ui'. la eliiiiiie. I a^d'iuiouiie. les mal lu'nial ii|iies elles-uienics
se |)('uèl reid de leudauces unuvelles. I.e lueeauisuie. i\\\\ seiuhlail
|)i'iuiiel I i-e I e\|iliealiiui iinixerselle des eliuse-.. a|i|iai-ail de |dus l'U
plus aux eliei-eheill'S rinuni;' iusid'Iisan 1 . 1, iili'e de l'iiiee |-eul l'e ila us
la seienee. A i|ni naceeple pas un d\uauii>ue' lalenl. elle iléelai'e
iusiduldes les r'uii;Mn'S du uiiuide — \ eonipris le pnddèuH' des li'oi>
corps. Puis, (le ses prof;i'('s se (l(''^aj;c el sariii-uie le cai'acli're pi-ovi-
soire (les roi'iiiulcs par lcs(pi(dlcs elle lente d'cxpliijiu'r les lois de
I univers. Nés dernières i;çui'ralisal ions de nus savaids snnl la lua-
li(''rc (piClahorcrii la science île I avenir. Kllc ('larf^ira leurs conccp-
lions; sans ci'ssc clic les rcclilicra. enlraini'c par cel id('al. loii.j(uirs
alliraiil cl liiiijiiurs iusaisissalde. de la lui siipri'iiie cl de la uulaliun
|iarl'aile du i'(''el. Tel est 1 anj;lc suns Icipud ncnis \u\iuis anjunid liui
la sciiMicc d'Iiic]'. et pr('Voyons celle de demain.
.\prcs ces vues si claires de l^'uiincul t;r'ulu;;ni'. .M. ^^'ilhnann
1 1 M. de llei-llini; Miulurenl marquer ddn Irait les relaliiiiis de
iM'incipe ou de lail i|ui nnisseul la pliiloso|(lii(' à la rclif;ion. Le dis-
/..\ l'iiii.nsiii'iiii: i:r /.;•: f(K\r,iii:s hk mi wicii
Ml
liiiLjiK' |iriircssciii- ili/ I'i-;iï;uc (■liuliii ■■ cciiiiiiii'iil l;i \(''i-il('' callinliiiiK'
,.sl l.'i ciel' lie riiisloirc de la |)lnl(isii|iliii' ■■. l'ai-lcuit un il y a imi
,|U('l(|iii' -raiHli' rviihiliuii de la pi^iisi'c i-rllrcliic. il s rsl (Mahii aussi
(I l'Irolls i-a|i|Hiils l'iitrr srs i-i'snllals cl Irs (Iiiiiihm'>~ de la roiisciiMicc
religieuse. l'iMii' riiide. il esl iiii|Hissilile (le S('|iai'ei' l'iMuile île ses
reli:4iiinN «le riiisltiii'e ili' ses s\ siéines. Ceux-ci scnil sorlis de celles-là.
I),. même, la |iliiliisii|)liie occidi'ulale. di'|iuis li's |in'mièi'es spccula-
li(Mi^ di''- l'i'|-es |usi|u'auiiiui-dliui. resle i uc(ini|u'i''lii'usilde si I (Ui l'ail
ah^li-acliiMi de la niasse iMuii' irid('i-> i|iie lin a Idiirnics la loi
(•alliiilii|iie. Cesl ce i[ui c.nidamiie Iduic ciiiice|il iini ral iiiualisle, ou
iiidi\ idualisle. nu relalixisie de lliisliiire des idT'i'S. Ceux i|ui viiieni
,Mi elle un siuiple dcvelii|)|ieuienl de la raisiui. cl rieu autre chose,
on rdMiM'c individuelle de i|ueli|iii's liiimnies de ^l'iiii-. sans atlaclie
aucune a\cc les aulres dnmaini's de la vie iiilellecl iielle. la mulilenl
dmilileiuenl. Car la [leiisée calli(dii|ue a ins|uri'. en iniuiie li'uips
(|u'nue \asli' svullièse |dulosii|diii|Uc . une llii'iilrii;ie alisiil eid
neuve, un aii (irii;inal. cl hml un drnil. l-^llc a créé ainsi un eiiseinldc,
lin (nul donl les parlies scclairenl réci|>rii(|uemeiil el se rendiud
inlellii;il)lcs li'S lllios les aulres. .\iissi csl-elli' de Mi|ireiiie inipor-
laiice dans \[\ jjrrrnuh /ilnlnsniiliiii. l-llle s\ Iriiinc au preuiici- plan,
cnveloiipaiil Ions les aulres cniiranls de la pensi'c linmaine.
Kn passant. M. Willuianii avail pai-le de la ciuil iiinih' réelle ijui
existe entre la pliilosiipliie aiicieniie el la |diiliisiipliie iiicidcrnc, i;racc
à la peiiM'c clii'i'lienne. Cr lliémc lui re|iris par M. de jlcrllint;- i Mli-
nieli dans une ctiidV'ri'iii'c sur ■• le clirisl iaii isnie et la pliildsnpliic
i;reci|iic ... (Jiiels suiit les vrais rapporls des diicirines clirétieiincs
avi'c les eiiseii;nciuenls de celle pliiliisophic ? Il esl laidle de retrou-
ver li iilliieuci. di.s sysléuii'S aniicpies dans les écrits des Péi-es. I,c
Stoïcisme, le ri.ilouisuie. le Néo-l'\ I liai;()risiue. IWrislolélisine eiilln
seiulilciil diiminer relalinral ioii de la doch'ine de ri-;i;lise. J.a dialec-
tique -recipie il une |iarl. de lanlre les tendances uiysliipies des
Orphiques, des .Ni^o- Platoiuciens el de tontes les associations reli-
i;ieusi's de la Créci' [lai-aisseni séire ri'unies ou fondues dans les l'or-
midcs de la loi cal lioliijU(.. Celle-ci ne si'i-ail donc, en ses ensei^nc-
iiienls doj;uiatii|iies, ipiiin vaste sy ncrél isiiie. on régnerait 1 imilé
pureuienl superlicielle de Ions les syiu'rét isuies. Mais niu' lelle con-
ce[ilioii esl laussci^a tonne de la doclrine. r\\i'/. les Docteurs, peut,
être toute i;rec(pie : ce lut |n-écisémenl h' UM'cilcde la philoso|)liie
aniiipie di' cn'cr ce cadre parlait, ou le chrisi ia iiisuie allait faire
enlrcj-iiii nonxeau m le de pensées : d'i'lalioi.i'r aussi cette termi-
iiidoi;ic si priM-ise (.| si pidlonde. ipii. devait iililiser la l'oi. Mais, si
A. 111 MBKIil"
i:i IViriii" l'sl !j;ri'ri|iii'. le l'iuids iricl(''i's csl ,-ilisnlniiii'iil iiinivi'iiii l'I
(•iiiui)li''l('in('nl oi'ifiiiial. Ilicii ir;iii;il<)f;iii' i-lic/. les laailrcs de hi |k'iis('i'
hi'lh'iir. l'ciidaiil ili's sir^clcs se |ii)iii'Siiit li' Ira va il (rimiiiii de la le in ne
j(liil(isii[)liii|iii' dr l'a ni ii|iiil('' aux idi'i's du ( !li|-i>l iaii is il xii'hl
adiiuralilriiKMil sr Irri il hier dans rd'iivri' de Tlidiiias d Ailinn. Ai'isldlr
lui rininiil le cadi'i". Sainl Tlininas y xci'si'. dans Uiidi' Sdii am|d('ni-,
la IV'i'diidi' ddcli'iiii' ipii rriidiiN (dail le iiidiiilc i ni cllccl iiid. l'I ddinniil
aii\ M'i'ili'S ral idiini'lh'S di'.ja dccdiivcrlcs ]iar les |iliildsi)|ili('s ^ri'cs
'diilc ji'iii- riarir cl Idiilc leur |idi-léi'. Kl. l'on ne ])imiI i|ii'adinir('i- l'ai'l
i\rc liM|iicl M' m crllc a|i|iarialidn. (lai- Ir daiii^.'r (''lail L;i-and. d'uni-
dissiilnl iiiii lin d imi' d(''sa;;i'i''i;al iiiii di'S l'iisi-i^iiriiiriils n'M'dT'S au
• ■iinlarl dr rrllr siililili' dialrcl ii|iii'. l'iir si'iili' caiisi- |inl crarlrr rr
daiii;rr : l'c l'iil I arlinn i-iuislaiili' dr ri^t;lisi' |idiir la i-diisrrval imi dr
rniiili'' di' |iriisi''i' ri dr I iiiiili'' dr ildrlriiii'.
Ndii-i niiii^ Sdiuiiirs arri'li'' |iliis liinf;ui'iuriil sur Irs llis^dlll■^ drs
si''iinci's i;vn(''rales. Ils cxin-inirnl |iai-railrnirnl li's Iriidaiii-rs l'I 1rs
di [•relions du (.;oiij;i-rs. Lrs I ravaiix plus s|ir'eiaii\ drs sr'aiiers dr sre-
lidii i-r'\é|rnl alisiiliiinrid Ir iiii'in;' rs|ii-il. Ils l'iirrid ndmlii-eii\ ri
varii'S. Nallirellriiirnl . 1rs ('■lildrs liisliil'ii|lirs sr |ii'i'seiilr|-riil rn ina-
Jdi-ili''. I.r \)' |-"iseliei- Wrir/lidin-L; i dr'|ildra ee l'ail, el fri;|-rlla i|n'il \
n'il aii|diii-d'liiii " liraiiedii|i lrn|i d'iiisl urieiis dr la |i|ii ldsii|iliir ri
li'iip |irii dr \i-ais |diili>siiplirs •'. N'esl-ee |ia> là. er|)rndaid. une
iiiai'i|iir li-rs nrllr du respeel piiiir la Iradilinn. ipii i-esie an l'iiiid des
:'mies rdnlriii|iiirainrs ? C.f n rsl |ias nu sini|ilr sii;iir d iiii|iuissanee
inirlirel nrllr. M(''ii n pliildSdidiie. rdi-it;inaiil('' ne eonsisl.e pas à
iitiidi-ei- ce ipi'iinl dil 1rs mail res. el la peiisi''!' l'élléeliie pi'dlilepar-
l'iiis liraneiinp à I l'Ineidal inn d un l'ail riinreriianl siin liisliiirr. Tri
l'iil liirn l'axis dr la |.;ranilr inajui-ili' drs eciMi;ressislrs.
Ils en t'nrenl i-i''e(iiiipensr's par un viTilalile voyaj;'e iraj;i-i'iiieid à
travers II m le l'Iii'-liiirr dr la pliilosupliir. .Mais pi-Di-T'ilinis par nnliv.
M. K. Hardy \\'iir/.iit)iir,n! les eondnisil d'almnl ni pays exiiliipir.
L'Inde aneienne n'esl jias nn leri'ain 1res l'aniiliei' aux pliilnsiiplies.
I>r iiiaili-e. à ipii ^rs Ijislnirrs du lira liinanisnir ri du liiMiddhisiiir
uni aeipiis une si li'j;iliiiir reniiiiiiiiée. leur lil diielenienl les liiiiiiu'iirs
(le la " Psyeliolii^ie hnnddliiipie ■■. Depuis ipirlqnes aiin(''es on a
[Hililii'' de niniilirrnx lixirs sr rappiirlaiil aux diiclrinrs drs disriplrs
de Çakya. I,a Pali-Trxl Si.irirly. snns la dirrrl inn dr .\1. I!h\s Mavids
el, tlo M. II. ( lldenlirri.;, a rendu arerssilile aux rlirrrlirnrs liiulr iinr
(•(illerliiin d iinvraf;es où se i-eli-onvenl 1rs spi'rnlal ions drs " Scolas-
liques " siiifi;lialais. Ces l'-erils rriiinnlrnl jUMpian prrniier sièele
availl notre ère. Or. fr ipii sr dr'i;a,i4r Imil d'alinrd (\c ri''lndr dr ers
LA fiiii.nsiii'iiiE i:r I.I-: cn.sciti-.s m: \u \iiu -21;!
(Iiiciimcnls, (• l'sl cclli' iili'r ipn' li' Hondilliisiiir ,i |iiirli' ^c-, i-itIhm-cIics
surloul (lu fi'ili' <li' l;i |is\ cliiiloi^ic. I.i' iirciiiirr en dalc, il ,i chi'i'clir'
dans les il(iiHi(''i's ilu sens intime nn Innilcincnl à la luornlr. Cci-i
>'i'\|)li(|n('. Il s'i'sl (>|i|iiis('' di'S l'alKHMl aux anciinincs r(dii;'iiHis nalnra-
lislcs. Aussi rrjclh'-l-il d'nnr l'aidn alisolnc I animisnii' cl l(inl \-i' i{iii
s'en rappni(dn'. Il ranièin' lonic rxisIcinT à des l'dals de riMisricni'c
ipàli hliiiinina ^ sauricril /Ihiiriiin . Il cunsli-nil ainsi un s\slrnir
(■iiia[il('l lie phéiioménisuit'. Les hluniniuix cxisli-id pai' (Mix-incnu-s.
(lliacpii' l'Ial di' i-onsclencc a son individnalid' priipcr. cl 1 iih'c i\f pcr-
siiniM' i-csic l'Iraiif^'crc à la |ii'nsi''c lionddliiipic. I, Inde anciiMinc. pas
plnsipu' la (irccc. dn l'csic. n'a di' nml puni- doii^ncf le sens inlinic.
le lien inlenn' des étals d'àine. liien pins. <'elle id(''e esl eoinhallnc.
reponssée ciininie inniile el sans valenr. Le nnunle exlérieuf, Ini anssi.
ne se ednipiise (pn' de hlxiiiiiiKis . \\\ re'Sle. ei' inmidc \\ a d iinpiirlance
ipn' dans la niesnre lu'i il inllne snr le Bien el le .Mal moral de l'honnue.
l'ne lelle emn-eplion enli'aine naliii'ellenienl le ]iessiinisrne. (lepen-
danl le Hiinddliis n'alidnlil pas a nne dciclrine (piiidisle. T(Ud en
(•(insitléranl le mimde id la vii- eiMnme manvais, parci' ipi'ils smil sun-
mis à la loi " des l'i-iiiis de l'ieiixi'i' ■. parce ipi'ils ('(ml ])ai-lic dn
eei'ele n(''ecssaire et rij;,Olll'en\ des eanses el des ell'els ( .SVnMxr'/'rti. le
honddhisle ei-oil à la toi-cc de la \(d(ud(''. |-'.lle penl s'(''ehapper des
liens de la eansalili'' phémimi'nale. aia-ivci- par la c(uiecnli-al imi de ses
puissances à snriir dn Siniisàrn el allcindre iMiliii le Imnlienr a('/.-
flinir. (Tes! dcnic en nn sens liiid asciiiipic (pie les dnclenrs liniid-
dliisles declareiil la \ ic manxaisc. Ils \-eiileiil alleiiidrc iiih' vie
siiperienrc. idi''.ile. Iiciireiisc. (In pinirrail cmiiparcr leur dnelrine a
riii'diini^mc anliipic. Le siil.hiiiii cs| en cjl'el Ire^ miimii de I i-i'lii-/
i''picnriciine. Il -e ri 'a lise ciimplelciiicnl dans I alisiiln. lor-^ipic I homme
s'esl délivi-i' de la loi des causes el ile> elleU. en i\\\ mol. dans le _\ii-
riiiiiiiii. Leini-ci esl dmic. ])onr emplover une e\prcs>ioii de Niel/selie,
nn " Au-delà (\i\ liien el du .Mal ■. Ici ccpemiani ipi il esl proposé à
riiomme coimiic le suprénu' lioulieur. — .Mais avec le .MriyiiKiiii (Ui
enl]-e dans un ordre d'idi'cs ni(''lapiiysiipie. M. Ilermaiin S(dudl le lit
rcmanpier. cl M. Ilard\ en conxiiil \ oloiil icr--. Il ii en l'csIc pa> moins
vi'ai i)iu' la viM-ilaiilc lemlaiice du lioinldliiMiic en philosophie esl a
la l'ois psvidn)loj;iipie el morale. (!i'>l une idiose ipi il ne l'anl pas
perdre de vne si I fin veiil lui rendre ju'^liee. c esl-à-dire le com-
prendi'c en --on ori^inaiili'' proronde.
.Mais rc\eiiou> .'i des modo ih' pciiMT ipii sciiililcul plu> xiiisins
des ni'ili-cs. I.'lh-ienl j;ai-ile loiijours pour lions un ccriaiu aspeci de
mssièreci d l'I ran^cl i''. La (irccc. au coulr;iire, esl noire iiière spiri-
214 A. HUMBEIIT
. Illi'lli'. Sm pliiliis(i|iliic cnI la ina^iiili(Hic l'closioii <li' la |hmis(''i' ni-ri-
«leiilalc. .Nous en vivons; du i-ostc, cCsl un sujel iui'|uiisal)lr. Oiu- dr
|ii'(il)l('iii('s à l'ésoudi-c dans l'Iiisloirc de la pliilusopliit' |ilalciniriciiiir
(111 arisliiii'lii-irnrii' ! Coiriliicu de ([ucslious à rciKiuvolci-! Lune di'S
|)liis alii-ayauics |iiiui- les ('lUKlils c-(uileui|)()raius csl cerlaiiicHU'iit la
rhrouido.nir des dialonucs de l'Ialun. Depuis un siècle nu Iravaille à
la i-('s(iiidiT. (lu V emploie les uu'lhodes les plus di\erses. I''.l le pro-
blème senilile iM'sisler. A lel poini (|iie Ion eu fevieid aux solulions
d un Hrncker ou d un Tenueuiaun. ('. es! ee (|ne nioulre la <'ontV'renee
du D' l'awlieki (!raeovie sur la ■■ C.oujposilion du l'hèili-e •. Teuin'-
manu y voulail \(iir la preuiièi-i' o>n\i-i' plii|{)soplii(|ue de l'Iahni,
e:iriii-e loide seinlila lile |iour I ('■lan. la l'raicln'ui'. la poi''sie, à ces
dil li_\rand)es in'i sV'Iail exei'cT'i' >a Jeune imaginai imi. La pinpai'l des
criliipu's ci'pendaid placi'iil le i. j'hèdre " à nui' l'poipu' lieaucoup
plus lardivi'. M. Pavviii'ki exposa hudes leurs reelierclies. analysa
loiiles leurs mi'lliodo. Il sarri'la lon};nemi'ul sur la •• slyhnui'lrie "
de jjiloslaw ski. el sur les ap|dicalions (|n en (Mil laites au " Phèdl'e ..
l'aul Nalorp el Von Aruim. l'uis, il conclu! — que Tenueinann aval!
raison. Il faul le dire : lesar^aimeids du conl'érencier ne pni-eid idiran-
lei- la tidrdili' de M. de- lierlliuganx vues de K. F. Ilermann. Il ili'i lara
leuii- {'luTu-e el huijiuirs au principe du i;rand pliilnloj^ue : les dia-
logues de la ji'uin'sse de l'Iaton soûl ceux im IVni ne Irimve eiu'ore
aucune Irace de la Tln'cu'ie des Idi'cs. el ceux-là seuls. '{"(Mis les aulres
soni poslérieurs.
Ajirès le maili-e. le disciple. M. Kanfuiann Lucernci. larislolélisaid
liien connu, lui un lonj; Iravail iidilulé : /, A'cc// n'cfiiniiriil i/i'anin-rl
(lAiixIiilr sur lu Ciinslilii/iiiii il'AlhrDi's, iliiiis si's rfi/ipaiix rirrc sfi
l'oliliiiiir. Dés la ]i\d)licaliiMi de cet (uivraf^c, la iiiajorih' des criliipu'S
y a recminu la main du Shif^irile. Qiu'lques-nns cependani l'oid i-évo-
(pu'c en iliuile (ui nu'me Irauidiemenl niée, .\insi M. I''riedricli (^aner
a essavé tienielire on coniradiclion la ('inixliliilion d'Allirn/'s v\ la
]'<ilili(jiic. M. Kanfuiann sesl inscrit en faux coidre ces |)rétendues
c<ndradiclious de rA')r,vx:'(.)v -'i'i.\-i':-j. el de la l'alilii/ue. lîvitleinillenl la
mi'lliode d'exposilion dillére dans 1 un el dans l'autre éci'il. Mais de
niunlireux ra])pro(dienienls de textes ]>rouvent ([ue les tendances jioli-
li(pies de la Constitution se retrouvent dans la l'oliliqur. C'est, là
c(unme ici, une même prédilectiiui pour le gouvernement mixte, cjui
fondra l'aristocratie et la démocratie en un régime idéal, en une con-
stitution sans défaut, assurant d'une façon absolue » la vie heureuse »
aux citoyens. M. Kaufmann lit sa démonstration avec une abondance
l'rudite qui ne laissait guère place à la contradiction. 11 finit par des
;, i riiii.nstifiiiE ;>;v ;./•: ci)m;hi(s de Mvsini 21&
M'iuarqucs l'orl inhTcssaiilo mu- l.'i l'.irdii diiiil sniiil Tlimnas av;ii(,
repris k's |Friiiri|ics poliliqucs il .\ri>liih'.
Le D' Hacli. /Icrhir Miuinijini^ ili' n'iiixcrsilt' de Munieli, imus parla
encore el l)eaiiniii|) d Aristole. Ce lui en un de ces essais (u'i se com-
]iiail aiiJDurd'Inii la science allemande, ([iii relrai'eiil l'Iiisloire d'une
idée et son i''V(ilnliiui dans la |iliil(iso[)liie. Avec un à-propos délical,
lorateiir avail choisi .. l'idée de Çathuliqur dans la [iliilosopiiie
grecqne •■. Ce coneepl el son expression (-0 zaOoÀoj se Ironvenl déjà,
mais nne l'ois senlenienl, chez Platon Mcnoii. 77 A . C'est Aristole
snrlout qui en a d(''veloppé le sens et allirnié la porlee. Pour lui. celle
expression indiipie non seulement la généralili'' el 1 universalilé, mais
en même lem|is l'nnilé de l'ich'c. (iràce à la dill'nsion de la doclrinc^
arislotélii'ienne. ce lerme leclmique ]>assa dans la langue courante,
cl nous li'(Uivons I adjeclil' /.-/.'lo/.'zor enqilovi'' à 1 i'>poque iiellc'Miisliifue
|)ar un hislorien comme Polyhe. Les ajxilo^istes le prenneni là pour
di''sif;ner les Icndaïu'cs univiM'salistes île l'Église naissante. — Tout
cela lui di'veloppi'' avec lieancou[i de linesse et une perfection litlé-
raire sensijjle méune à un étranger. M. W'illmann lit remarquer une
apparenle singularité de cette terminologie d'.Vristote. Le philosophe
oppo.se sans cesse to /.aft'oÀoj à -ô /.aO' ïy.-xt-'j'i . Pourijnoi donc, après la
même préposition, dans un l'as le génitit, dans l'autre 1 accusatil'?
Celle difTerence marque une uiianee des idées elles-mêmes. Dans le
premier cas. za-i signilie " sous » ; dans le second, " le long de ". au
sens distrihulit. T'j /.ï'i" oÀoj, c'est donc « ce qui est compris .sous le
général ■■ el unilii'' |iar lui ; to zaft's/.aaTov, « ce qui se trouve en chaque
l'hose prise à pari " loi'S(|u'iui en ]iarcoui-l plusieurs l'une a[)rès
l'autre. Sui' le l'onil même de la (|uesli(ui. .M. .\. DyrcdV ajouta que la
<loctrine du ■ calholique ■ avait joué un grand rôle dans l'histoire de
la Ihr'orie de la connaissaïu'e en (irêce. Les Stoïciens sindiiirenl sur
ce [loint nne longue polémique contre l'Aristoh'lisme. Dans le cala-
logue de,s o'uvres de Chrvsippe. on Irouve un Iraili'' inlitulé KïOo/.i/.i.
Il ycombatlail prohalilemenl la doclrine du -/.aOo/.oj chez ,\risl oie. Par
toutes ces luîtes s'exjilique la l'orlnue du mot el de l'idée.
.le signale seulement la saxanle (''lude du D' Weniigk : " Coup d'o'il
sur la valeur philosophique el Ihéologique d'di-igine ■■ el le travail de
-M. le conile Domel de Vorges: " l/Argnmeiil de saint .\nselme. ■■ Ms^l'ê-
çheuard. recteur de l'instilul calholique de Paris, en lut un résumé,
que les auditeurs IronvèrenI certainement trop succinct ili. Au tho-
misme lui-même, mais à un point de vue plutôt dogmatique, se rnl-
i 1 ) I>a Revue de Philosophie publiera ce reniai'f|U.ible tr.ivail dans le numéro d'avril.
21(i A. HLMBEHT
l;ii'li('iil ili'ux iiulrcs coiirrrcnccs, runc du I»' .MaiisljMcli .Mimslrr mii-
'■ 1 Idée de la peine d après la })liil(isophie (■lirétieinie ". et I aulre. du
D' Mierl I Wiiiv.bourgi sur ■■ ri"ni(é esseiilielle du erii-ps el de làrne
dans riionnne d'après la ddctrine llioiniste. el sa porli'e en Ihr'didjiie
el en plidosopliie ■>. M. Maushaeli eoiultaltit les diielriues |)enales des
Jni-isles et îles philosophes modernes, en jiarliculier <Ie jle^ei, l'I sou-
linl ehaleureusemenl (pi'avec saint Thomas il lallail Miir dans la
peine •• le rétalilissenienl de l'éiHMlibre moral rompu pai- la lan'e ».
l'oni- M. Aliert. I union de l'âme el du corps, telle (|ne l't'xpliijue saint
'l'honias. |)eut servira ri''S(Midrr de li'è> im|iorlanls el Ires nomlireux
|u-oldèmes théoloiii(pn's et ]iliiloso])hi(pies. (Aimnu'id. en elle t. se taire
une idée de la transmission de la faute orit;inelle, du sens du domine
de la n''surrecl i(ui. de la iialiu'e um'Uii' îles s;irremeuls el de leui'S
ell'ets, si Ion nCxpliipH' pas ce mvslere. oii la dualité presque ('(udiM-
(licloire de l'àine el du eorps s'oppose à l'unité de la personne? I^a
tlii''olo};ie ascétiipie elii'-uii'^me es! intéressée à ee pi-(dilémi'. I,a iloe-
Irine thomiste, eu l'aisant de I ;inu' \;\ forma corjinrh. indicpie la vraie
valem- et la uolilesse du corps. L'ascèse est jusiiliée. mais dans les
limiles du Mpns siinn ni nirpun' soiin. Non nmins i-iche de iMuisé-
ipuMices sur le terrain |diilosophi(pre se di''cèle cel le doctrine, h'.lle est
à éi;ale dislance du mat(''rialisme el il un spiritualisme l'troil el
aveufi;le. i'ille peul rendre comple de la nature ri de la ti,eni'se des
phi''UOmènes ipi l'I uilieiil la ps\ cho-|ih \ >iiilof;"ieel la ps\clio-pat lioloi;ie.
I.e raiilurhis viiiiilis. ipn lie la substance iidellecl uelle à la snli-.lauce
cor|iorelle. peul scrvii- à di''lermiuei- les lapports du momie interne
el du monde exIeriH'. Il en est. Aw moins, la condition rondameulale.
Saint riiomas s est un)ntri'' là comme parloni le,t;i'and concil iateur de
doctriiu'S. Kl c'est aujourd'liui encore l'ieuvre de la philoMipliie chré-
tienne d'ouvrir celte riu iiicilin oii les oppositions dnclriuales dispa-
raissent et on les apparentes contradictions de la réalité el de la
pensée se résolvenl. M.kanrmann l'ail i-emanpu'r que les phénomi'iu's
de sni;i;esliou a|i|)uieut la vérité' de la doclriiu' thomiste, qui i-ej;arile
l'j'nue coumu' le princqie plasi iipie iln corps. J.e I)' SicUenlier.ner Pas-
sa u i indiipn' liuqioi-lance de celte solution au point de \ue est hé'tiqne.
L'idée, dans I omivi-c d'art, devient là encore fiiniia rorpiii-is. Tons ces
avanlaiii's. cepeinlaid. ne con\ ainqueiil pas le l>' Haum^arluer l''rei-
linrg-i-B. :. L iih''c el le rôle de la ui'i/i'iia priiiiii clie/. saint Thomas
lui sendilenl singulières, et la cinuparaison de l'union de la l'ornif el
de la maliéi-e, par exeuqde dans iiiu' colimin' sculpti'e. que M. .Vherl
a emplo\i''e. ne lui l'claircit pas ce ]ioinl de la docli-ine. I te un' me pour
l'action de I :ime sur le corps.
i.A i'iiii.ii>nriiiE i:r u: ruMnii-s /»;•; Mtsicii n'
M. H;unnf;ai-liH'i- stMiiil du n'slc rései-M- de revenir sur cette ([ucs-
lidu. Tout eu se déreiulant dapporter des conelusioiis positives, il
inoiilni nettemeni (pu- la doctrine si bien exposée par M. Aberl ne le
salisl'aisail jkis cmiiplclemenl. A la théorie de raotioii réciproque dr
l'àiiie sur le ciuiis el du ciu-ps sur ITuiie. il opposa la doctrine luu-
<li'i- lu parallélisuie. A ])arlir du xvir' siècle, il semble que la philo-
so|diie iireiuie de plus en plus conscience de l'impossibilité de conce-
voir une action du matériel sur le spirituel, et, aussi bien de celui-ci
sur celui-là. Comment ex])liquer par une poussée d'éléments maté-
riels les états de l'àme? El quel moyen de surprendre la causalité des
pensées et des images sur l'organisme corporel"? De là cette tendance
<loclrinale de plus en plus marquée chez les modernes : les états de
r.nucel ceux du corps sont [laralléles. se développent sur deux ligues
dilViTi'utes. mais coordonnées de telle laciui i(u'à cliai|ue point déter-
miné (le l'une C(U'responde un point d(''terminé de l'autre. ,\u tond,
les partisans du parallélisme, qu'ils le vi'uilleul mi non, s'iuspireiil
de l'explication niécanisie de l'univers. La nature est un toul fermé,
el son explication scientilique re|)Ousse tout principe de contingence.
Si l'on suppose qu'il y a des élals de la matière qui sont les elVels
(l'une cause extramatérielle, on rend la science impossible. De plus,
la loi de la conservation de l'énergie, qui n'admet que les strictes
éipiivalences. serait violée |iar ces intrusions de la causalité psychique
dans la série des phénomènes matériels. De là cette afiirmation de la
véritable •< incommunicabilité •> des deux ordres de faits. M. Baum-
garlner n'admet pas cette application absolue de lois purement phy-
si(|ues au domaine psychique. Les théories jusqu'ici proposées lui
paraissent bien insuffisantes et de nouvelles recherches à ce sujel
fort nécessaires. Le D"^ Koch (Augsbourgl fait remarquer que la
science moderne tend de plus en plus à résoudre les corps malériel>
en forces. Cette idée une fois acceptée, il ne semble pas impossible
d admettre l'action réciproque, la combinaison, la réaction des forces
]iliysi(pies et des forces psychiipies. C'est sans doute une transfor-
mai inn assez lointaine de la doctrine substantialiste de saint Thomas:
mais, ajoute M. Koch. ■■ l'étude nécessaire de la philosophie de saint
Thomas ne peut rem[ilacer l'étude de la philosophie moderne, ipi'il
laut tout aussi u(''cessairement connaître ■>.
Inir l'étude du passé à celle du présent, telle avait été précisément
la lin (|ue s'était jiroposée le D"^ Von Schiniden exposant " la doctrine
de Schelling sur la siuirce des vérités éternelles ", et en la comparant
.lux idées de saint Thomas sur le même sujel. Pour l'auteur du Sys-
ti'mi' de philoso/iliir Iriitismndiinlalc el du Hrinio. ou le J'nnripp fliria
218 A. HIMRERT
el iialuri'l di's rhoses. Dieu est l'absolu, (•'osl-à-din' ImIisoIui' ideulilr
(le l'dljjpclil' et «lu subjectif. Mais, étant l'absolu, il est l'absolue eon-
iiaissance. Quelle qu'elle soit, eelle-ei suppose un objet et un sujet :
l'absolu i|ui se ronnail se pose donc iuliniiuent comme sujet el
coumie objet. De là une dilTérenciation qui i-ésidte de l'essence mèuu-
de l'absolu. Ce (pii est ainsi coiu'u comme une différence cpundita-
live, n'élaul plus l'identité absolue du sujet et de l'objel, n'a pas. à
proprement parler, dexi.stence en soi. Mais il existe relativement à
l'absolu et à Dieu. Les êtres linis, les choses .sont donc, mais dans
J'.\bsolu. dans les blées, dans leurs raisons inliuies. résumées elles-
mêmes el identi«|ues les unes aux autres dans rid(''c des Idt'es. eu
Dieu. Ces idées sont les vérités éternelles. (')n voit les rapports r^lioils
que l'on peut établir entre cette doctrine l'ondamenlale de Scliellini;-
cl la théorie des <' e.vemplaires éternels des choses >•, telle que saint
Thomas l'expose. Pour l'auteur de la Somme, l'essence divine, elle
aussi, renferme en soi les nolnlilalfs omnium l'iiliiim. Les êtres réels
sont les " imilalions " de ces archély|)es, de ces idées divines. Ils
siuil iuqiarlails en eu\-uu''mes. c'esl-à-dirr imii-èlres relatifs, connue
eut dit Schellin;;. .Mais ils sont en Dieu, par linlcrmédiaire des iilées,
prr miiilnm jir/fi-cliiinis. V.n ce sens. Dieu renfei-mc Ion! l'être de Irms
les êlres; il es! le seul êlre vr^rilable. Les êtres liais ne se dêlermi-
neul el ne se délinissenl ((ue par des né}j;ali(uis et des limilalions.
M. Willmann admit ces analoi^ies. 11 appuya cependant sur ce point
ipu' elle/. Schelliufi- l'expressiiui au moins es! paul lii''i-liipu' cl. par
conséipienl, que sa docll-iiie dillêre essentielle ni de la peu-^i'c llio-
UMStl'.
C'est précisémeni dans li' l'anlhêisme cpie le I)'' Scherer (Wiirz-
bourj^i voit le j;raiid péril de la pliilosoi)hie c(Mitemporaine. Aussi
.. la critique sIricUMuenI scienlilii[ue du Paulhéisme est-elle, pour
lui. l'un des principaux devoirs tie notre leuqts ». Les cercles lelln's
el sérieux ne se laissent pas prendre aux j^iossiers paralogismes de
syslêuu-s matérialistes, (jui, par hypothèse, se nient et se détruisent
eux-mêmes. Mais ils son! [dus accessibles aux siibliles explications
des doctrines panlliéistii|ues de ILnivers. Ces! ci' que prouve le
succès de ces doctrines iiarmi les lillérateurs du siêcli^. Depuis Spi-
noza, le fondateur du Panthéisme uu)derue. se dessineni de plus en
plus nellement dans la philosophie ces deux counuds op|)Osés «lidées,
<liuil l'un admet l'identité radicale des êtres avec l'Être, el laulre au
contraire affirme une ditTérence de nature entre le divin el l'humain.
M. Scherer caractérisa la position de Leibnilz. de Kant, de Hegel, de
Schopeidiauer et de Schelling vis-à-vis du Panlliéisme. Puis, il s'al-
/. l l'Illl.nSiil'tlIh: ET LE ((iMil!ES DE MISIIil -il'.l
l;inla >iii- la r.icun diuil .1.-11. l-'irlilc. le lils du rcIcInT |i|-iir('ssi'li|- de
liiM-liii. avail l|-ail('' ri'llc dciclriiii' dans le livi'c ijn'il a ciMisaciV' à la
iiiiMiKiii'c |>alcriit'llc. \\\ l'aiiIlKSsiiic, llcnnaini j-'ich le (iiipiisr, i-uiiiiiii'
II' seul s\ sien le lii,L;ii|in' cl |ii-al icpir, le " I hcisnii' nuirai ". Le I)' SInl/.lc
( W'iriv.lKMiri;' I (h'rlara i|nc le in'cil achirl l'Iail pinh'il dn laili' du inali''-
i-ialisnic. (|iii allirc les saxiuils |iMr ses a|i|ian'nc'('s de i-ii;ncni'.
.M. Slol/.lc plaidail jiro ddiim. O ipii scinlilc rin(|nicli'r, ce son! les
prdgrrs de la ddrlrinr l'YnIulidiinisli'. Il ('\|Misa. avec une s\in|>alliic
iiiari|U(''(' |iiiiii' le ^rand aiialdinislc alli'iiiaad. " la [xisilidii de K<dlll\i'i'
m laci' du hai-\\ iiiisini' ". Ivillikrr csl un uiailrr de la /.ddldi^ic cl de
raiialdinii' cdiniiaiM'c. ( )i- il allii'nir I ini|iuissanc(' de la S('di'clidM nalu-
i'(dli' à iTudi'c NiTiMlilaircs les cviraclrri's les plus insij^iiillauls. Il a
rdiuhalhi sui-lind la cidclin' loi liidfivnétiqni" ili> lla'rki'l. .\ hicn i-i)\\-
^iiliTcr les Idrincs anahuiiiipics ri leurs cni'hainiMnrnls. il csl inipdS-
sililc de lacllrc sur le nubile pied le déxadoppenicnl di' i'iinlividu cl
i-elui de Tospèce. I.a pliilo;j;('ni(i n'est pas parallèle à Iduld^iMue. Kol-
likcr adnii'l. il l'sl vrai, uni' i''Vdluli(Ui des èlres el désespères. .Mais
de celle l'Vdlnlidn les causes soûl tout internes el puinl nii'eaniipies.
Les èlres se Iraiisl'iirnient sous l'aetioii comliiiu''c de leurs lendanccs
el de leurs pouvoirs. I'',l ces Iransforinal ions pcuxeni l'I l'c alisolnnienl
lirusipies. Le D' .Ma\ Kllliii^or Miiuichi demanda à M. Stol/.le de pri'-
cisci' un peu, el, surtout, de distinguer nelleineiit, dans le Iransl'or-
uusnie. la lin'' iric de la sideiiiou nainrelle el celle de la descendance.
I>a première csl niorlc scicnl iliquemcnl , mais l'aidi'c csl admise de
presque tous les nal ni-alislcs. Kullikcr Ini-mi'uic l'a didcndiie.
C'est, encore au vif des ipieslions (•ont<'nipoi-aines ipu' si'l.iil placé
le !)'■ A. Dvroir ' Miinicli , dans sa conférence ■. sur la nolion des dis-
positions ]isycliiqucs che/. W'ilhel m W'n mil ". .\ quelle lliiMiiac de I ;'ime
l'élude expérimentale des faits a-l-idie conduit le i!,'ran<l psycliolonue
de Leip/.ijj,? Si, au lien d'opérer sni- les alisli'actions ordinaires ilii lan-
f;,-ii;e psyclioloj^iipu' ; sruliiiiriils. (Ii'.iii:s, ro/iliims. doni l;i scène inlerne
est cette auti-e al)straclion, la coiisciinirc, si nous laissons s'évanouii-
tontes ces ticti(nis, nous n'avons plus en l'àme qu'un " devenir inlerne
incessant •>, où l'on lU' peid tracer que d'arliilraii-cs di'limilal ions.
Sont seuls réids les états particujiei-s de notre expérience interne.
Mais alors, comment conqi rendre lesell'els d'Irospeclifs d'un T'ial passé
sur un l'Ial ;icl ucl? (lommenl sont possibles ces i''clios de la vieanlé-
r'ienri> dans la vie présente'.' C est ce à qn<u' W'nndI a essayé de
ré'pondre par sa Ihéiirie des dis])ositions psychi([ncs. Mais ces dispo-
sitions |)sycliiqups iiei'sistenl-ellcs à ri''lal inconscient '.* Si elles restcnl
finremenl iisycliiqnes, il Icni' l'aul nu sujet d iulir^rcncc Si elles ne
■l-2i) A. IIUMIîEKT
Sdiil i|iir lies li'iiihiiicrs |)li \ si(iliiiiii|in's ('iiiiiiaiiMs'mi'M's il;iii> l'orf^n-
liisiiic, c'csl riiiciiiii|U'i''lu'nsilil(' |)assaf;c îles Irinlanccs pliysii)l(igi(|U(^s
à dos étals ps.volii(|iirs (■ai"icl(''i'ist''s. Rn sdinmc, (■(iiiimc le ilil M. l)y-
l'oir, les disposilidiis psycliiipics ri'siciit des " liinniiiviili i\\\\ ne sont
ni rli.iir ni jidisson ■', un concept l>àt<ird ijui llollc cnli-e Ir conscient
el l'inconscient. A celle line étude critique, pénétrante et décisive, se
souda UNI' discussion sur rinciuiscient, enti-e le D' iMidler i Munich i el
le D' IMeiHei' i Dillini^cn i. Chacun, du i-esle. coucha sur ses positions.
M. IMViUér esl très ])arlisan de rim'onsciiMit, Il sallacha à nous en
d(Mn(inli-er j'exislence d'une façon pour ainsi dire cxpériiuenlale. Ce
l'ul en une ci ui l'érence. J allais ilire nue nia.nipulal ion. sur " l'acte psy-
cholo};i(pu' de la pi-ojcclion apiiiiipn'' a la iiii'usuraliiui des oniles
linnineusos ■■. L aclc de la \isiiin e-^t lii'' à un acte ili' projection
psvcludojiique. dont iiiiiis naxdiis pas conscience. Celle projccliiui
]i>\iho-|ili\ siipic inconsi-ienle est en tout seud>lal)le à C(dle ipii se
pi'oduil dans les expériences. Iiien connues des ph \ sicieiis, sur la
lunnére polarisi'c. M. ITeiU'er a\ail appoi'li' un jielil appareil de son
iuM'ulicHi, (|ui lui sert à mesurer les (unies lunnnenses, et reuii sen-
sililes les uioiinli-es varia lions iln spectre sur un ('■cran noir. Il assimila
à ce phénomène cidni ipii se pi'oduit piuu' l'arc-en-ciel. \\\\ réalité,
rarc-en-ciel n'existe pas dans les i;(Uitles d'eau (pii Innl suiiir à la
lumière s(daire la i'i''t'racti(ui étudiée L;éoniétri(pu'uienl par les [diysi-
cieiis. C'est une projection inconsci<'nle (pii s'opère |ihysiol<ii;iipu'-
menl dans l'or.nanc visuel. Nous rinler|U'i'l(Uis psyidiido^icpiement
]iar la localisation, dans l'espace, de l'arc-en-ciel. Les ,i;oultes d'ean ne
S(ud pas color(''es : c'est nous (pii projetons le specirc visuel el lui
altrihnons une olijeclivih'' cpi'il ne peut avoii' à aucun litre.
Sans lransiti(Ui — conmie an Conjurés lui-uiéuu' — passons aux pins
hau-les (piestions de la morale et de la mélaphysicpu'. W'- i'rior i)0sa
le li'rave ]>rol)lèuie du caractère de la >• pressiiui de la loi morale sur la
vohudi'' de l'Iuuume i. Le |t' l-'ischer Wlir/.lioui-^ piipia dès l'ahonl
la ciiriositi'' par le titri' de sa ((uiré^rence : ■■ Le princi|ie de ndativiti'
c(Homi' clelpoui- la solution des j;ranils prolilèmes philoso[ilii(|iu'S. ■•
Ln réponse à l(Uiles les questions tinales (pu' se pose la pensée, ou
Inuivi' dans l'histoire de la philosophie, pcuu' chacune d'(dles, deux
solutions extrêmes. Devant ces at'lirmatifins contradictoires, ipie l'aire?
Uesler, nous conseilla M. Kischer. dans un juste milieu. Là est la
vérité, car toute al'lirmation alisolue dans le (huuaine du Uni est huisse
radicalement. — Ce lut, je dois le dire, un désappoinieuu'nt j^énéral.
M. Hauni};artiu'r ilemanda à riionorahlc prtdat ipndle position inter-
médiaire était i>ossil)le. dans le ])roldemi' de la connaissance, entre le
LA l'iiii.iiSdi'iiii: i:r ;./■: myciiKs m: mimcii h;
ri'aiismi' et l'idi'jilisinc. l'ii aiilri' i'i'ilii|iie lit ri'iiiar((iii'i- ([ui> ce juslr
luilifu n'Ialil' posUilé |>.u' M. Kisclicr riail liii-inr'iiic un alii^olu. l/nra-
Iriir tint J)iin cependant : pcut-i'lre Uciil-il lnui ciiruri'.
Di- tdiil aulrc |>oi-lée fut la conférence ilans la(|ii('lli' le ])MI. Scln'll
Wui-/.liiMii'i;' ctiulia « le problème de la coniiaissanec ■■. De loiil
lcin|is, r'a i'[r \f souci (li's |ili ilosn|i|ii's de Irouvcr le mystérieux
poini dallache où l'idée et la chose prcuiicnl contact, s'unissent
lune à lauli-e sans se confondi-e et gardeut chacune Icui- caractère.
en a|i|>areiii'e contradictoire, lune de sujet. l'aMlre dolijel. A i|nel
sii^iie la pensée affirme-t-elle la réaliti' de x h.iel '.' Il n'y en ,i
<|u'un : ce sif;ne. c'est la causalité. Ton! ce (|iii. par rappoi'l ,i nous,
est dt''sii;iii'' eoniuie cause, nous l'aftii-nicuis iinnir'dialenii'nl connue
rt'cl. .\ussi le monde des objets se ri'sont-il pour nous eu une inlinilT'
de choses, c'est-à-dire, le nom 1 indi(pie. de causes. Mais alors, si
être, c'est ai^ir. l'intellii^ence elle aussi est es.sentiellement active.
Toute ac(piisitiou réelle de l'esprit est le résultat d'un déploiement
de celte activité iuterne. Et la représentation, elle encore, qui semble
être cependant la |ini'i' imaj^i- réfléchie du monde dans l'esprit, n'a
pour rions de valeur, c'est-à-dire de réalité, ipu' |>aree ipu- .sou cou-
tciin nous impose des devoirs, nous oblige à rendre de pins en iilns
l'esprit maitre des choses représentées, à tendre sans cesse et indé-
liuiment vers la souveraineté absolue de la pensée. Le réel entre
.•linsi en c(Uitact avec ce qu'il y a de pins intime l'ii inuis. avec notri'
cire moral, ipii l'entraîne ave<- lui dans une ineessaide ascension
vers le bien.
I,a couféi-eiH'e enl gi'and succès. Ce])endaiil. (-(unnie il est naturel.
•~n luirent des objections. La principale fut celle qu'exprima le
If Kinlres Regensburg . M. Schell s'était placé à un point de vm-
liieu jibis iuiiologi(pie que noi''ti(ine. Il n'avait pas expliqué comment
la causalité est jiour nous le seul critérium de la réalité. Il s'était con-
tenté de l'aftirnu^r. Ce n'était pas le •• problème de la connaissance ■>
<pril nous avail cxpo.sé, c'était le - problème de la réalité ».
La secli(ni de |>hilosophie termina ses séances, comme il convenait,
sur des jiaroles amicales et des au-revoir de sympathie. Elle avail
rempli son programme avec sérieux, parfois n(ui sans éclat. Aussi
ses joutes intellectuelles laisseront-elles, à tous ceux qui s'en don-
nèrent le siieclacle, un sonviMiirà la fois agréable et suggestif.
.\. IIIMBLUT.
LE
IV^ CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE
Li' IV'' Conf;ri''S iiili'i'iiiiliiin.il de |isyclM)ln};ic s Csl Iciui ;"i l*;iris ;m
piihiis (les Ciiii^rôs. i la lis l'eiici'iiili' di' 1 Kx|iosilii)n. du -H^ an -2'> août
l'.HIII. siMis la |iri'sicli'iicr ilr M. liiliiil. iiiriiilin' ilc lliisliliil. iii-iilc—
sctir au Collc^i' de Kraiici\ l't dii-cctciir de la llmic iiliiliisnjiliiijin-. l'I
la vic('-])résid('iic(' di' M. l{l(lifl. iirufcsseiii' à la Kacidli' de iiu'dcfiiic
de l'ai-is cl dii-ccli'iir de la /trrar scicili/iiiiic 1 . \):\t\> sa |ii-ii|iaf;aiid<'
|i(iiii' n'iiii'illii' des adhésions. Ii' Çiiiiiilt' or^aiiisali'iii- sV'Iail iiis|)ii-r'
iliiii lihi'i-alisiiic ilnid il faiil lui savoir ^rç. Le (',oiij;fr's lui lai'ntMucul
uiixcri à tiiulcs 1rs idi'cs l'I à IduIcs les Ikiiiiics volcnili'S. Hiiil(ij;isl('S.
aullil-(i|iiil(>i(islrs. nn'drciiis s v soiil dimni' i-ciidr/.-\(Mi> avec- les |is_v-
(■|}c)liii;ui's. saus aucun parli |ii-is de syslrnir, {Kinr a|i|iiiilcr Iciu's
(■uni l'iluil iiins à la si'icuci' de I àini'. I,i' uinubrc drs adhci'i'nls s csl
l'IcM' à îT(). |iaruii lcsc|ncls nue (|niir/.aiinMrcc<'lr'siasl ii)ucs(|ui avaient
!■[[ à cdMir de i-e|ioiidi'e à l'apiiid si IVaiuMuMlieiil liival de M. le I)' Pierre
.lanel. secrétaire i;('ni''ral du Conjurés.
Dans le discdui's d'cMivert ni'e. M. Uilmt a résuiué. avec la clarti'
([U cui lui ciHinail. l'euseinlile des travaux |is\ cholof^iiiues [inldie^
depuis le Congrès de Muuicli. siguali' les (|iu^slions qui paraissent
avoii- lixé les pr'él'erences des psvchologues C(udeuiiiorains et eelle>
(|ni oui l'ir le plus ni'j;lii;ées. nionlr(' ce qui reste à faire poiu' met I re
eu valeur les résultats acMjuis, et li.iter le |)roj;rès des scieui-es psy-
<dn)loj;i(pn^s :ii. A la nn"'nie séaiu-e, nous avons entendu M. h;i)liin-
gliaus. |U'ofesseur à rrniversit(' ili' Hn-slan, qui a tracé le parallèle
de la psychologie du couiuieucejin'ut du siècle el de la psychologie
aciuelle, insistant surtout sur les lacniu's de la priMiiière el les mé-
thodes nouvelles de la seconde. Ces diMix discom-s se comph'taienl
(Il Le i" Congrès internatiiinal de psychologie E"était tenu à Paris pendant
l'Exposition de 1889, le 11' i Londres, le 111' à Munich.
(2) Ce discours a été publié dans la Hevue srieiitiliijue. 22 septembre rjO:i.
;./•: IV' rn.\7,;i/:s /.vviîH.v.vv/o.V-u. /*/•: i'syciiokk.ie as.i
l'un riiiilrc. et cdiisl il iKiiciil p;il' Icili' i'('Miiiiiin iiiic siirlc ilc mise :iii
(Kiiiil lie \'c\:\\ lies clinlcs iisy('liiili)i;i(|ii('S à l.'i lin ilr ci' sircir.
l.i'S Irav.inx dn (l(Mi^'n''s. Iccliircs cl discnssidns des MiciiKun's,
Mviiicnl ('le disli-iliui'S en sc|il secl iiins M\ n id cdiaciine son présideni
cl siui linrean. I,;i l"'de\,iil s'iiccn|ier de l.i l'siiiltiilogie dans si'.i riiji-
•jHirts iirci- l'inuihiiiiii' <■/ lu iilKj.sio/fKjic, la i'' de la Psyriiol.oi/it; in/rn-
xpcclivr ddiis SCS rii/jjiuiis avec la philosophie, la ;{'' de Psijcholo'iif
i>.vp('-rimenla/e el di' Psiirhu-phiisiipic. la V de l'si/cho.logii' ptithologiqin'
ri dp. Psijchinlrii', la .'l'' de la Psi/cholugic de rhijpnolisiw, di' In siig-
(jcslion l'.l des questions ronne.vi's, la (V de Psiji-holnijie soiùnle ri dr
psijcholoipe criminelle, la "'' de l'sijrhnliiijir nnninilr et romjinrrr.
d'nnlhriijudoiiie ri d'rlhnolfMjie. Les rt)iriiiHMiieali(iMS d'un inl('i'("'l pins
(■■lendn devaieni se l'aire dans des séances ^c'Miéralcs.
Ne n{nid)re des Iraxanx présenlés a dT'passe l.'iO. Nous n avons pas
à en l'aii-e ici l'analyse (11. Ponr |i(n'leL' un ini^cnienl bien nuilivé sili-
ces travaux, il l'anl allendre le coiiiple rendu ipii en sera publié. Noiis
nous tiiirnerinis à indiipicr soiiiinaii'ciMcnl la pliysininniiie f^énérale
dn Contrés, la nature des coiiiiiinnicatidns laites, les lendancos (|iii
s'y S(nd nianir('s((''es, el les conclusions, plus ou moins provisoires,
ipr(Ui eu peut t irer.
M. liiliot a t'ail reinanpier. dans son discours d'ouverture, (]ue la
plupart des travaux psychidoi;i(pics publiés depuis h' Ombres de
Muni(di porlent sur ili's ipiesl iinis sp(''ciales. C'est aussi le caractère
(lu plus t;rand nombre de ceux ipii ont ('dé présenl(''S an Coiiji,r(''S de
Paris. On a aliiu'di'' peu de ipiesliiuis d'une pindée j;énéral(.'. Ce n est
|ias I ritiiine ((ue nous entendons l'aire. Mans tout(! science expé-
rimentale, il faut aller du détail à l'ensemble, des faits aux lois, des
observai i(nis et des ex]iériences parlicnlii''res aux lli('Mn-ies ijiii les
e\pli(pient. l'Iiis en psyclndoj^ie on aura donné de soin à ces mono-
j^rapliies, à ces études dont robjel esl i-estreint el bien ib'limité. jdiis
les c(ni(diisions {générales (pi (Hi eu tirera aiironl de \ali'iir. Il n eu
esl pas moins vrai ipie des syiitliéses parliidles in^ pinirraieni, ipi'i''! re
utiles. aux éludes psy(di(do^ii|ues ; (dles feraient i''(piilibre à la disper-
sion des analyses.
Parmi les tendances ijui se s(Uit manifesiées au C(Mi}i;rès, il faut
d'abord indi(iner la lendance iiiat(''i'ialiste. Les laboratoires de psyclio-
lo.ijie sont devenus des auxiliaires précieux dans les ('ludes de psy-
(dio-pliysioloi;ie : (Ml leur doit plusieurs d(''C(Miverles inléressanles, et
11) l'our plus de détails nous renvoyons i l'article de .\1. M.\rili.I!-;r dans la
Hevue philosophique du 1" novembre, et à un article de VEnsei;/nemenl chrelieii
du 1" janvier.
224 Eii.. nruAM)
les rdiiiiiiiulicaliiiiis l'.iilcs ;'i ilillV'i'cnIrs sciiidiis du Coiif^i'ès siitlirMicnt,
;Vle [irou vor. La [tsycliologii' clinifjiic cl tliiTapeuliquc [x'iil-i'lli', aussi,
apporlor sa c(iiiti'il)uti()n à la si-iciu'c de l'àiiii'. Mais Irniçil |i<hii- cous
f[iii se livrent à ce geni-e de li'avaux. e'est l'ideiililicaliim des iiliéiio-
iiiènes jisveliolngiijues el ties pliéiioinciies jiliysinldj^iqiies i|iii eu sfuil
les eondilions ou les efl'els. i[ui les précècli'nl. les aeciiiii|iaf;ueul ou
les suiveut. Celle uoir lualéi-ialisli'. (]ueli|iies cou^i-essisles l'cuil l'ail
enleadre ouverleiui'id (ui à inots voilés. .\(uis ci'oyons pourlaul (|ue,
|ioui' avoir été ré[)élées plusieurs l'ois, sans beaiu'oup de proteslaliou,
vn section pai'tieulière, les l'orniules si eliéres à de trop uails nu'de-
cins : que la pensée est une fonelion du eerveau. que l;i [isveliolofi'ie
]iosilive esl la seienee des fonelious dé Técoree cérébrale, auraieul
Irouvi' pi'u d imIio dans une assemlilée f^énéralc du Cim^rés.
l'iHii- liieu marquer la physionomie du Congrès, il nous parail plus
iuipni'laul di' >i_i;ualer la présence de ceux qu'(ui esl e(Miveuu d'ap-
jicler les spiriles. Ou veniiil de l'iuider ;'i l'aris un Inslilnl iisijrliiiiiii'
iiilrriialioiial. donl le pronrauiule douuail uue lari^e [ilace aux él udes
.sur les pliénoMièues de dédoul)lenienl de conscience, de sugf;eslion
nu'ulale. de Iransinissioii de pensée, de lélépalliie, de lélékiiu-sie el
de uii'diuniuih'. Toui' à lour M.M. Itiljol. Ocliorowic/. de Leinherj;,
Myers île l.oudres. l"liuiruoy de (ieuève ariiruièreul au Congrès la
nécessité de mener à liieii 1 (cuvre entriquise |)ar les l'oudateurs du
nouvel Inslilul. Dans ces c(uiditi(uis. il élail diflicile de ne pas Caire
hou accueil aux spiriles. Ils soûl venus i'[\ gi'aud uondii'c el ils oui
|)laidé leui' cause a\('c ardeur. Ils ue [)ouvaient espéi-er prodinre la
conviclion che/. tous, el leurs ilémousiralions oui laissé heaucou]) de
di'liaucc dans Tespril d un grand uoudirc de congressisles. Us oui
apporté des lails. il i-eslc à les iulerpréler. après eu avoir iusiilué une
crilicpie vrainu'ul scicnlilique. M. l'Iournoy a bien précisé (|nelle devait
cire l'alliliule des psycliologues eu lace du spiritisme. C'est pour eux
à l'heure aciuelle uue nécessiléde s'occuper des phénomènes occultes
el suprauoriuaux . jusipiici Irop négligés. Ils doivent le faire sans
jiarli |iris, mais avec mie extrême rigueur dans la méthode. " ^lieu.x
\aul, ilil-il, dans I iulérél bien compris et pour lavancemeut même
<le la science, en un domaine où la supersiition est loujours prèle à
se dounei' carrière, mieux vaut pécher par excès de |(rudencc el de
ligueui-. an risque de se Irompei' ix'ut-étre parfois, el de laisser mo-
menlauémcnl l'chapper ([uehpu' l'ail intéressant, (jue de se relâcher
dans les surveillances nécessaires, el d'ouvrir la jxu-te anx folles ima-
ginalious. <■ Il insiste sur la tendance des processus subcon.scienis
■de mémoire cl d iuiaginalion à simuler des communications suprti-
;.;■; /\'' cii\(,iii:s /.V7';;;;.v.ir;n.\.w. ///: l'svciKii.dt.ii-: 225
iiiii'iii;ilc<. ri hi diriiciilli'' il ,issi};ii('i' des liinilo ,'( ci'S priiccssiis. i )ii in"
|iimv.-iil i|U(' SMiisri-in' ,'i ili"^ dlisi'i'V ;il iiiiis sj jmliciiMist'S. Lrs vriiis
(isyi'li<il(iii;u('s ju' sci-diil [las liosliles à ctnix des spii'ilcs (jui se f"-;!!-!!!'!!!
(le siihsiil iii'i- le s|iin'lismc au s|iiritiiaiisiii('. l/('lii(l(> des pli(''iioiin''iii's
iwculli'S |n'iil servir le s|iii-iliialisiiie . mais il .1 cl il aiiia t(iiijiiiii-s
d'autres ri'ssiuirees. el il eiuisei've ses aucieuues pdsilioiis.
Los lualérialisles el les s|iiriles n'(''laieul pas loiis les e()up,ressisles.
Ils u'eu l'oruiaieut i|ue le pelil iiundu-e. La .fraude luajiirili' l'Iaieiil, de
l'ail, siunu lie prolessiiui. des ps\eliiiliijj,ues. el des ps\ rlinliin'ues sans
i''pillièle. (In a l'ail an (loui^j-és de liiuine psyehnlo.nie. el lieancDup des
niéuinires pri''-.enli'S I ne -.ernni pas sans nlililT' pnnr la seienee de
lame. De \>\u> en pins la p>\ eliiili)j.;'ie ahaiulmine la voie où l'aNaieiil
ent;ai;i''e [l'i-ule eai'li''sieuiu' el l'école écossaise, 1, iul rospeclion resie
sans doulç à la hase de la psycliuloiiie. el il l'anl ly mainlenir. mais
sou iusul'lisauce dr'vieut de jour eu Jinii- pins manil'i'^le. hin l-'ranre
comme ailleurs, le enuiMUt de la ps\ eho-pli \sioloL;ie sarrenine. el il
est (li''soi'uiais impossilile. le l\ '' (:i:)uj;rès iulernalimial de psycholoj^ie
l'a uns nue l'ois de plus eu lumière, de l'aire de la p'^x elmloinie seieu-
liliijue sans liiiiliii;ie. Il ne uiiu> ili''plail pas de le ron-.! ;i lei- : relie nni-
crpliini ilr la psyrliolii,i;ir rs! riiurormr à re>prii de la ps\ rlioloi;ie
pr'ripalélirirunr. (le u esl pas le lien d'in^i-lrr --iir relie niuroi-iiul i'' ;
daulrrs mieux ipialili(''S ipje niiu< piiui-roni le laiie dan-^ relie revue.
Cindeidons-uiins de dii'e que nous approuMins lianlenuMil lidée d nu
Coiiiirès de psyclioloi;ie \r\ que l'ont compris les iirj;aiiisalem-s de relui
de l^aris. el. s il plail à Dieu, nous -ennis pln-~ nomlirenx an prorliaiu
(loniirès ps\ rliidn,i;iipie iul eriia I ii ma 1 qui ^r lieiiilra a linme en l'.IDl.
Kli.. hlllAM).
1 Neiis mms rcriuns un l'cproclie de ne pas menlionner p.inni les méiiiores^
présentés : De lu flassi/iralioii des ruractères cl de la /ilii/sio/oi/ie IniDuniie. du
I'. Un. MOT; Le Peiip'ilélisiiie el la jiS'/r/wloifie e.rperimenhile. du t'. I'En.i..\i iiE : I.1
l's;/<hol(j;/ie des mijslifjnes. du P. P.vr.iiEC ; la ('rni/tmce, de .\1. laldié De.nis ; le
'l'unat lie In parole, de .\!. l'.abhé Tiukuy.
SIGER DE BRABANT
i;t
L'AVERROISME LATIN AU MOYEN AGE
KUide ciitiqiiL' ot documents inédits, .pur V. Manoo.nnet, 0. \>.
in-l", Fribùuri,' (Suisso . IH'.t'.t, liliraiiii- de ri'niversité, cc(:xviii-l28 pages.
!.(' ni)inl)i-(' l'sl rcliilivciiu'iit ^rand dos revues françaises, pour ne
rien dire de ((dles de. lélraniier. i|Mi se sont (iceiipéps de cet ouvraj^e
(Ml en (Mil diiiiiii' le e(]iii|i|e l'eiidil. di'|iiiis la /tmii' lliinilish' j[\si\\\'i\ la
/trriir (le J'iiris en passant par la Itniiin iiki . |)'einlil(''e. niuis nous asso-
cions à tons les éloi^es dont il a (''té Idhjet.
hisons liinl (le suite ponr(]uoi laul de pi'riodi(pies savauls ont
sifi'nali' à leurs leclenrs l'apparilion de ce lixre : ('lanl une con-
Irihnlion à l'élnde de l'averroïsme. au \iir si(''cle, clie/. les Latins,
dans rUnivcrsilé in(''ine de i*aris. et, de plus, la n'sui-rection on la
reconstitution d'une lii;ui-e à peu ]U'('s efTacéc (pioi(|iH' (■('■N'dire en son
temps, le livre du I*. Maudonnet intéresse Ions ceux (pii s'occupent
d'histoire f<énéi'ale on ecclésiasti(iue, de piiilosopliiç o\\ de tli(''ol(i,i;ie,
(piicou([ue étudie l'évolution des idées et spécialement de la pensét^
el (le lintlnence d'Aristote à travers les âges; même le (lanlo|)liile,
le romaniste, et le ci-ili(|ne tlliisloire, et enfin le curieux d'aveidnri^s,
car elles sont singulières celles de Sigerde Hraliant, (uil \tu fair'c leur
prolit de cette lecture ou sim|>lemeut s'y plaire.
L'ouvrage du H. P. Maiulonnet a |iaru parmi les r'<//('(/«(i(Y/ ot'Iieiels
(le la jeune Université de L'rihourg, tn'i l'auteur est titulaire de la
chaire d'Histoire ecclésiastique. Douze chapitres constituent la prin-
cipale ])artie du livre : ensuite, viennent t'u appendices diflëreuts Irai-
tés ]diilosophi(]ues inédits, el ([ni, an bon sens du mot. et malgré les
apparences, peuvent hien éti-e considérés comme le [)rétexte à I élude
SIliKI! liK /Ui.WJJ.W. l'AR P. MANDONNET, 0. P. 227
(li'S ilnrlriiirs (le Sii;<'r ilc Bl'ah.inl. Voiii 1rs lili-cs j;i''ii(''r;iii\ ilrs rlia-
|iilr'('S : 1. |)i' I aciidii il Arisliilc sur le iiiinivi'iiiriil iiili'llcchirl iin'ilii'--
val. — II. De ructidii (l'Arisloli' sur la l'ui'inalioii des courants dnc-
Irinaux du \iW siècle. — 111. Le Pseudo-Siger de Mraiiant. — IV. Sigcr
<!(' Brahaiit cl Tlnuiias dWquiii à ITuivcrsitc ilc Paris, !:>()( i-l:2()!l. —
V. .\f;ilation doclriualc cl coudauinal iini de l'avcrroïsmc, 1270. —
VI. Activilc liltérairo de Siger de Hralianl. — VU. Siger de BrabanI
averroiste. — VIII. Siger de Braliaiil cl les Iniulilcs universitaires,
lil l-[-lH\. — IX. Condamnât il Ml i]u iH'riiialétisnie, 1:^77. — \. Citai ion
de Siger de Bi-al«inl |iai' riui|iiisitcur de France. — XI. Dernières
années de Siger de Brahaut. — XII. Siger de Brahant, Tlionias d'.Xquin
<'l Dante. Quant aux ujiuscuk's |iliilosoi)lii(jnes, c'est d'abord un extrait
dn traité de ilillcs de liiuac sur les erreurs des pliilosophes, puis.
<r.\lhert le (iranil. un recueil de quinze prol)lèmes, enfin des questions
générales de logique, une question s[iéciale sur cet énoncé' : ffaiim rsl
iiiiiiiiiil. iiiilhi liiniinir r.iisli'iilc. des qucstiiuis iiahiri'l/rs i\u de pli\-
siijne, et nu Irailé sur I éterniti'" du monde, qui ont [xuiraideur Siger
de Brahant lui-même : le P. Maudiuinel a en la bonne fortune de
rcii-iiuvcr les uiamisci'ils. l'I couservi' le mi'rile de les avoir très soi-
gneusement pul)liés, comme celui de lo,s avoir commeidés en philo-
sophe bien inl'ormé. Les |nirs lettrés n y Ironveront pas leur com|ile ;
il sullil. pi'usons-niuis. que les pliiloso|iheselspécialemenl les adeptes
de la scolastique v i-encontrent un texte sûr l't nu commenlain-
débrouillé pour ciudn'iler les tliè.ses historiques qu a voulu édilier
l'autem'. TanI d erreurs s'étaient glissées dans 1 ex|)osilion ou 1 inler-
prétation des liocli'iues de Siger de Brabant, qu'il i'aul savoir gré au
P. Mandoniu't de les avoir remises en leur vi'ai joui- : et l'on peul
Ironver un bon sens aux paroles de M. Langlois qui. dans \a Iti'nn' ilr
J'iiris. relève au ]iassif des critiques ■• ces erri'ui-s si singulières et de
ualurr à inspirera qui ne se pique [loiid d'avoir jiénéiré dans les
arcanes de la jiliilosojihie scolastique une sabdaire méliance à l'en-
droit des personnes, trop nombr-enses, qui en raisonnent >'.
Nous pensons donner de la salisl'acliou à nos lecteurs en reprodiii-
sanl ici presipu' intégralemeiU rAvant-|)ropos de l'auteur : cette nié-
lliiule d'analyse nous met à l'abri, eux avec nous, de tovde espèce
d'iuvolontairi' trahison. « I/liistoire de la [ihilosophie médiévale a été
un champ longtemps inex|doré. De nomljreux et importants travaux,
au cours de ce siècle el surtout en ces derniers temps, y (uU projeté',
il est vrai, une lumière nouvelle : néanmoins, ce qui reste encore à
taire dépasse de beaucinq) ce qui a élé l'ii,it. Les principales directions
iulellectnelles, plus niuubreuses et |)lus diverses à cette époque ipion
0-2K
Fb. h. SGIILINCKKU
lie l'imagine d'ordiiiainN siiiit cihmjit mal dt'tinies, et dos personiia-
lilt'S iiiarquanles deiueiirciit ])i'ii connues, non spulcmcnt dans les
l'véni'ments extériiMirs ilr leur vie, mais encore dans la iialiire cl le
développemenl de leur [lensée.
Celle conslalalion ne se vérilie |ieul-elre nulle |i,n-l axcc plus di-
i-i,i;ueni-i|u'à réfçard de ce mouveniiMil d'idées (|ui a |iorli'clie/ li's l,aliii>
du Mil'' siècle le nom d'averroïsnu'. Ce c(uii'anl pliilosoplii(|ue, doni on
a d('Jà constaté l'existence par la i-énclion (pi'il avail produite (die/,
plusieurs penseurs cliré liens (■(uileniporai us. u a pas encore i''té étudié
ilireclemeni dans les uu>numents littéraires (|u'il a produits; et la
principale personnalili' ipii le l'cprésenle. Sit;er di' Hraliant, a l'Ii''
idle-uiiMiie pi-expie i^nori'e dans sa vit", cl plus encore dans ses doc-
Iriiu's.
C'est l'avei'roïsiue laliu. à ses di''liuls, ci siui plus ci'leln-e représen-
hiiil ipu' ci'lle (•Inde cherche à faire nueux connaîlri'.
Les lieux premières sections (|ni l'ormeiit comme une iulroduclion
a ce travail (uil pour liul de préparer l'inlellifience. soit di' la positimi
prise par Sii;er de HralianI dans le diiuialne iulellcclui'l . Miil des évé-
nenieuls de sa vie lonrmenl('e ipii (inl l'It' la ciuisi'i|uiuice de ses ^\ol■-
li-ines. Nous avons. dans ce doNcin. sonnnairemeul csipiissé h' n'dc
d'Arislote dans la l'oruiali(Ui de la \ii' iulellecluclle du luiiyen àj^'C ainsi
ipu' les C(Uiséipn'iu-cs dues spécialemcnl à I inl roduci icui de ses grands
trailés scientilii[nes aux |U'emièi'es aniu'cs i\u \in' siècle, tels I liesi-
lalion de l'autorité ec(désiasti(pw en pri'seuci' de ce Iri'sor iultdleclnel
.1 la l'ois liienlaisanl cl danj^ercns. Ie> cIlurK îles ^grands penseurs
cliréliens pour en lirer protil sans coiiiprouiel Ire la loi. cidiu la l'or-
matioii d'iiu pelil groupe de philosophes i|iii. Iiien ipie gens d Eglise,
fascini's par les Ihéoriesdu Slagirile. les accepleid dans loule leur
Icneui-, à la lacou cl à la suite d'Averroès : ce son! ipiehpics madré-
es aris de I Tuiversili- de l'ai'i>. donl Sigci- de Hi'.ilianl esl linspiraleui-
et le ch(d'.
Au coui'S de ces iliuiui''es gi'nr'rale>. nous axons rcclilii'' diverso
erreurs, pri'cisi' ou élucidé des i|in'sl ions demeurées ohsciu'es, s|>écia-
lemenl celle de la claie d'apparition du mouvenu'iil averroïste ipu'
luius estimons néll'c pas aulérieur an milieu du MlC siècle.
I,a part principale de imirc li-avail esl ciuisacri'C cl à I élude des
i''Vi''nemenls ipii conslitneni la philosophie de Siger de HrahanI et à
I examen de ses doctrines.
I.es donni'i's hislori(|nes relalive< aux lails cl gestes de Sigci- soni
rares el peu cohéi'enles. Nous a\oiis pu cependant les acci'oilre. Nous
inuis sommes aussi elVorcé' de les conrdouiicr. de l'acon à i-endre aussi
sii;i:ii HE i;i;M!A.\r. i-Mi i». mandmnnkt, û. p. 22'.i
(•viili'iilc i|iu' |)o>-~iMi' la li-aiiir i;rMiiT.ilc de sh vio. .Nous avinis dû.
poiii- olilciiir Cl- rcsullat. lions livnT à des discussions de détail i|nc
nos lertenrs voiidronl bien ni> pas Inuivcr li-o|) fastidieuses, |inis-
(lu'eiic'S riaiciil 1(> seul liioycii daimulil- à des concliisiiuis ]in'cises cl
à [leu près (li'linilivi'S.
Sous le lili-r di' ]'x(>ii<lo-Siiici\ nciiis aviias exposé, dans une étude
pi-<'aial)le, les erreurs rjui avaieiil si Icmjutemiis jeté le ilésarroi dans
la l)iof;rapliie de Sii^er de Brahaiil. ri mis à Jour les deux sources liis-
toriqiies d'où procédaient de uoniîirenses eiuiriisions.
Sin'er d(> Brahaut coiniuence à nous élreeouuu par les Ironhles uni-
versitaires de |-i()(>. Li's aniuM's suivantes prr'sciiteiit une i;raudc
lacune. Nous l'avons eoiuhlée par les renseifçueuienls ipie nous l'our-
nissait la période' eorrcspinulante de la vie de Tlioiiias d'Aqnin, et
c'est ainsi (pic ranni'^c i-i7(l. cpii paraissait une d<'s jdiis vides ilaiis
riiistoire de Sifivr. s'est trouvée remplie par d'importants événeiiieiits.
spécialement par la polémi(pie i|ui éclata alors entre lui et saint Tho-
mas, et la condamnation du 11» (l(''eciulirc (pii l'ul la conséquence de
l'agitation averroiste. Nous av(uis versé aux débats de 1^70 un docu-
ment imiiortanl et considéré jusqu'ici comme perdu, nous voulmis
dire le jugement motivé d'.MbcrI le (Iraud sur les i[uiiize questions
discutées alors parmi les maitres. et dont les treize premières furent
condamnées.
C'est à la suite des événements de 1:170 que nous avons cru devoir
placer l'élude de l'activité littéraire de Siger et de ses doctrines. Ou
ne peut diniler. en elfel. que ce soit reuseigiiemeiit oral et les écrits
de Siger qui ont amené en grande |iarlie la première condamnation
de raverroïsme. La polémique jiersouuelle de Tlioinas d .\quin et de
Siger vers ce temps en est la diMuonstratiou. li'autre part, la connais-
sance des théories averroTstes de Siger jette un jour nouveau sur les
événements universitaires des années suivantes et nous fait com-
prendre la condamnation de 1-J77.
L'exiiosilion des doctrines de Siger de Brabanl a été faite d'après
ses propres écrits. (Jn n'avait (>ncore aucune connaissance directe
notable de l'avi-n-oïsme du (•(■lèbre maître |tarisieii. La publication
récente de celui de ses écrits qui porte le titre (V/iiiixisnihiliii n'a pas
donné de lumière sur cette iiuestiou, parce que cette conqiositioii
contient inoins que d'autres des thèses averroïstes, et surtout parce
(pi'elle a été considérée par son éditeur, non comme une production
(le Siger. mais comme une réfulalion de ses doctrines. .Nous avons
cherché à étendre autant qu'il nous a T-té possible les moyens d'inves-
tigation destinés à faire connaître les idées du protagoniste de laver-
iM l'H. 15. SCIILINCKER
roïsiiii'. I.a |piil)lic;iliiiii do (■crils ilc Sii;i'r (liiil li' |>(iiiil ilc ili'']);u'i
iH'ci'ssaifc à lonlp iiiVL'stii;Mli(iii iillrricure sui- ce iH'i'siuina,:,^!'... Ccr-
ti'aiU's on iiiirslioiis. di'liMuliic cl triiiii>ni'laiii'c inci^alcs, ne laissent
snlisisler ancmi iliuilc snr l'avcrnusnic ilc leur auteur et sur la nature
lies |)rinci|iales liiiMii-ics dont il était I adeide et le propaiçaleiir. Cesl
la nature de rensei.i;nenient de Sii<er (|ni a conniiandc Ions les évé-
nenieuls iniportants de sa cari-ièi'c. el c est ce c|ui aide plus ipi autre
<'liose à l'intcllii;-ence de son liisloire.
.Ncuis av(uis montré <|ue les tronhies (|ui a.u'itcnl la '"acuité des arts
de ITuiversité de Pai'is avant la eondaninatioii de l"!'' sont liés à
i enseifiuenient averroïste el à l'action de Siger de Brabant. Quaiil
a la condanniation elle-niénie. i|ni l'oi-nie lé nonid des évéïienienls de
ia vi(> de Si^ei'. il a élé déiiuniti-i- .|u'eile a eUeeliveiuenl visé les doc-
li'ines enseif;nées par Situer el les aidi-es avcrroïsles. Nous avoi'.s établi
aussi cinnnient les |>i'OHioleuis de la condamnation de 1:^77 cherché-
reiil à alleinilre le péripalélisme de Tlmmas d Aipiin el à I iii^loher
dans la réprobation eoinnuine de la pliilosi^ii)lii(> d'Arislote.
I.a |>iiui-suite exercée contre Sif^er comme suspect (riiérésie, à raison
de la ciiiidamuation portée par lévéïpie de Paris, nous est mieux
connue, maintenant ipu' nous avons retrouvé l'acte même de citation
dirigé contre Siger de BrabanI pai' 1 impiisiteur de France.
Tu texte non eiu'ore utilisé pour notre sujet nous a rendu de pré-
cieux services |i(Hir résondi'c plusieurs problèmes relatifs aux der-
nières années de Siger de lîra.banl. Ce xuit ipiehpies mots tirés
d'une lettre de Jean Peckliam. arclievecpu' de Canlorbéry. Si le ren-
seignement est brel'. les conclusi(Uis qui en découlent si)nt mul-
liple> et imporl:inles. car CCS trois ligues sont un véritable texte
clef.
Il nous a appris d'abord cpu' Bnèce de Dacie. alleiid avecSiger par
la condainualiiui de l'évèiiue de Paris, a (''li' sou compaguiui d'iiifor-
iuue el a subi la même <leslinée (|iu' lui. (!e Jour tout nouveau jeté
sur la personnalité obscure de Hoèce iiou^ a eouduil a tracer une
csipiisse biographiipu' lu'i luius avons disc(dé un pi'oblème d liir-loire
lill(''raire iléjà soulev('' sur son nom.
I.a même source nous a permis 1 iilenl ilii-.d ion sure du Sii/liicii de
la />i'-iiir Citinrdic avec le Miislid SKjliicr ilu poème // J'ioir. idcutili-
catiou sur Kepielle planaient encore des doutes. Les renseigiaunenls
désormais coiucrgents des deux sources |>roJellerit une meilleure
Innn'ère sur la fin du malheureux maître |iarisien.
Les paroles de Peckhani n(uis ont aussi aidé à ré.soudre aM'c sécn-
ril('' le |ii-olilèmi' fiuidameutal l'clalif an genre do mort de Siger.
SIl.Kll l)K /WKUM.Vr. l'AU P. MAMM>NM';r, 0. p.
231
Ci'iui-ri ol siin (.•iuii|ia,nrinii Biirrc ilc i);irir mil Uni leurs jniirs en |>ri-
soii, à la siiile d'iiii jirocès l'ii mur de lininc, jirnv(i(|ui' pai- la rim-
ilaiinialion de Paris eu l-l'l.
Hnliii, le roiisoif^'lieineid dr l'i'rkliaiii, lire d'mic ii-llrr du 10 nu-
vi'iulirc 128'<('l d(''sii;'naid 1rs dcn\ niaiircs ((ininir ayant Uni Irni's
i(un-s, ilindnnc in)laliliMiu'id l'inccrlil ndc de la dalr de la nnirl de
Si,i;cr.
(ilMrr diinr à la l'iumaissani'i' des l'rrils dn |di ilnsii|dn' avcrroislc cl
de i|nidi|in'S dnnni'rs ncui vi'llcs, t;r.-n'i> anssi a I ciiipruiiL d un faraud
iidinlirc ilr i'i'nsi'ii;ni'nicnls lii-(''s de IV'Ial dn nnlicn liistori([n(' (lans
lr(|nrl s l'sl di'\ i'ln|i|M' li' sn ji'l de la |ii-(''SPnli' id uilc, les r('ns(.'iîi;ncniiMds
s|iiii'adi(|ni's déjà exislaids (inl pris une snTlisanlc (•(ilu''siiin, el onl liiu
par l'iiiMncr nnc hiof^-raphii' de Sii^cr de Bi'aliaLd, nidlc l'I, IVrnu' dans
SCS i;rand('s lignes. De son c(ili''. la |i(isiliiin t\i' Sij;'cr ccmunc penseur
dans le déveln|ipeHienl inlellecinci du Mil" siècle ne laisse subsister
aucune incertitude, el ci' dernier point était, en somme, le plus im-
porlanl.
Depius ipii' le livi'c du P. Mandiuincl a paru, nous ne sachons [loinl.
cpu' son éi'uditiini el sa l'i'il iipie .lieid ('li' prises en dcd'ani sur un autre
point ipu' son inlerpridaliiui de la lellre de l'eckliain, des l'anieiix
le\les de |)anle el de jjnranle. ridai ivenieiil au ijfnrf de inoi'l par
lei|uel Sip;er a Uni ses jours : le champ idail ou\ei-l ,'i toutes sorle->
d h vpollieses el. ,'l imjins ipi'iin docuinenl ne la \ inl saper par la hase
1)11 la inoditiei-. celle quaN.iil proposée le i'. Mandonnel, en lenani
ciiinple de reinprisonneuienl . seinhlail la plus raisonnahie, la plus
conroriiie aux ilonni'es exlriusèipies du inilien li isloriipie. Il s est ren-
conlri' ipi un criliipie an^'hiis ;i\ail mis la iiiaiii sur un document doni
onl prolili' depui> M. iiaeiniiker, el M. (i. Paris. Voir la l'iniiu niii .
\\\\. P.)OI). !'n continuateur hrahancon de la ('lni>iiiijiif de Martin
de Ti-oppan ipii. mieux ipie Peidiham el le poète, axait enlendu [larler
de la niori de Sii;er, noie hrie\ciiienl les erreurs du m.iili'eès arts, sa
tuile de l'aris, son aecusalion en cour dv liome : l,'i, peu de lemps
api'ès son arrivée, il l'ut [)ercé; /«'/■/'o.s'.w/s- ' pai' son clerc ipij était comme
l'on ((jinisi iIi'iUchx). Telle l'ut la lin de Situer de rirahiint, el par le l'ail
même, f;r;\ce au document, telle est la ruine de presque routes les
conjectures et hypothèses de la criliipie. même savante et perspicace,
sur cette mort ;iiissi accidentelle ipie lrau,iipie : l'explical ion roiirnie
par le I'. .Mandonnel s est troii\r>e cimipli'irM' cl pri'cisi'e. Un saura
di''soriiiais ce qu'il l'ani pensci' du lercel de Dante sur Si}^er de
DrahanI, el comment interprider /'(( tihinihi de Dnranle moins mal
i iilormi''.
232
Fr. U. SCHLINCKEU
Malf;rr celle iiii|irrrerti(ui. il n'en reste (las moins vrai i|ue l'espoii-
(lu P. Mandonnel sesl véritié. " d'avoir aliouli à des résultais assez,
étendus (>t assez [irécis pour ([ue la vie et l'ieuvre de Siiijer de firaliant
puissent prendre, avec sécurité, la place cpii leur revient dans lliis-
loire de la [diilosophie du moyen âge ■>. Son livre est intéressant, non
seulement |)ar ce (pi'il contient de restauration historique de person-
iiaf^es (pii ])assent et meui'enl. on de dncirines eri'onées i[ui s'olistine-
ront à i-enaitre sous des lormides rajeunies, il l'est encore à titre
<i'e\em|de et de modèle de la puissance et dr l'enicacité de la cri-
tique, entre des mains liai li les, point vélilleiiM'-..
l'H. li. SCllI.lNC.KKl*.
MELAAGES PIIILOSOIMIIQUES
(1897-1900)
Par M. IiiIiIh' V.Wr Iîlanc, pioIVssL'ur do pliiloMiiiliiL' aux Kai-ulli-s callu)-
li(iucs lie Lyon. I vol. iii-S", '.rxi paiii's. - l.yoïi, K. Viïte ; Paris,
Ch. Amai.
C^' soiil liicn ilrs iiirliniijc^i (|iic M. \'\\\i\)(' Blanc oflVe au |uil)lic dans
Cl' voImiih' : car l'csl la rci'dilidii d'aidiidcs |udjlics, an Jour le juni-,
(le 1S!)7 à l'.IOI). dans la i-.'vni- /.'/ iiircrsilf nillmlii/iir. pdnr analyser
et crili(|nei' divers (invra,t;es d'anleurs dillV'renls, li-ailant des sujels
tlivei-s.
NéanuKiins, il se Irunve i|ne. chi^niin laisanl . ^\. Elle Wauc a aliin-di-
la plupart, des problèmes les i)lus l'ondauienlanx de la pliilosopliie el
en a proposé des solutions tonjoui'S dignes d'aHeiilioii. Toutes ces
éludes S(ud aninu'cs d'un amour lidèle et ciunaincu pour " la pliilo-
sopliie clirétienne et scolastiipie •• et d'un /éle ardent (lonr " la dé-
l'eiise de la vérité pliilosopliiipie el religieuse ».
Comment poiirrail -on ne |ias l'ciiierciei' M. lalilié' lilanc d'avoir
voiiiu, [lar celle publication, » reniire ipielipic service à ceux (]ui
.s'inli'ressent réellement à ces luttes siipi'M-ieiii-es île la pensée »?
(.'.omme il le dit si bien. » elles ne sinil pas moins passionnantes ni
moins dramatiques peut-être ijue les luttes politiques, qui, d ailleurs,
comptent des vicissitudes semblables et n'auront ]ias d'antre dénone-
iiienl ".
Les ouvrages diml il rend comiite dans ce volume ont donné à
M. l'abbé Blanc l'occasion d'exposer, au moins sommairement, mais
avec netteté, ses vues sur la nature de la pliilosoidiie, sur la |ilace
qu'elle doit occuper dans l'enseignenienl conlemporain, sur la méla-
pliysiqne et la Ihéolog-ie naturelle, sur la psychologie et les bases de
la logique, sur la morale, la sociologie et l'économie politique.
En ilisciilanl les opinions de M. Paul Janet (p. 18:')), il établit que
±.n
.1. l.ARDAIR
l;i i)liiliisii|iliii_' l'st une vrrilalilc sciciu-e. i|ni. ](irsiiiii_'llc s',i|iiilii|Uc'
aux ubji'ls dos aiilrrs sciencfs liiiiiiaiiu's, les consitièro. non pas,
i-oniiiio CL'lles-ci, dans leurs causos jifocliaines et leurs lois particu-
lières, mais dans leurs principes les plus élevés ou leurs causes der-
nières, et se réserve en outre cei'tains objets pour les étiulier par les
uiovens dont elle dis|)0se : ainsi l'ànie et Dieu. 11 détermine les rap-
poi'ts de la pliiloS(jpliii' l'I de la llii'oloLi;ie, demandant entre l'Iles une
iiai-inouie, non si'ulement iirijiilirr. i|ni les préserve (le contlils el de
.(uu-lnsions conlradicloii'es. mais niénu:' pasilirr. chacune étant ap-
pelée à dé'moulriT. à sa iiiMiiiri-c. heaucoup de vérités de l'ordre naln-
rel. « Sans donle. dil-il. un grand nombre de ces vérités échapperaieid
à la |)liiiosopliie ipii ne serait pas chrétienne : niais hi philosophie
n'en i^ai-de pas moins ses droits sin- toutes les parties de son vaste
dcunaiiu', bien (|ue la théologie ail du souvent les cidliver avant elle.
.\vaid accepté d'abord au iu)in de la l'oi beaucoup de vérités, ipii sont
plulosophi(|ues île leur nature, iupus arrivons eusuile à nou> les di'-
monlri'r scienliliipu'Hient : el ainsi notre science s'agrandit sans ipu-
la loi V perde, la loi en est même singnlièriMiienl comprimée. »
Sur les rapporis de la science el de la croyance, M. l'abbé Hlanc
apprécie avec s\ nipallrie, bien cpiaver indépendance, les conclusiiuis
du I*. Schwabu, dans la lirnir llnmiisli' novembre I897i,et, eu noie,
ne craint pas dappider ■• décisive •■ la i-élutation laite par ce l'ère
Dominicain, dans la même revue uoviMubre IH!)(i , de la thèse de
.M. Bkuidel SKI- 1rs fxif/inicrx ri(li(iiiiicllr>s lie la pi'iis(''rroiil''tiij)(irmni;rn
malien: d'npdlniirrn/w. pidili('e ilans les Ainiiilcs ih; pliihisiiiilnc rlirr-
i'iciniP (janvier-juillet l!S!t(i .
l.a pliihis(iplNi\ eu hai-uionie avec la théologie, el néanmoins libre
dans ses méthodes et ses progrès, M. Hlaiu'. à rencontre du pro-
granuue (jroposé par y[. Alexis Merirand pmn- V [•Jiuchjninnciil iiiti'-
lirai ip, 329i, V(Uidrait la mainlmii-, implieilemeul an dc'diid. puis
explicitement, dans la suite de l'enseignement el de 1 éducalimi. Il est
d'accord avec M. Hertrand pour réclamer l'intégralité de l'enseigne-
ment, mais il l'eidend dans un sens |ilus large el ])lus élevi'. Il vent
ipi'on instruise el (pi'on élèvi'. non senliunenl liuil le peu|ile, mais
tout l'hounne, el principalemeid ilans l'homme ses facultés sn|)é-
rieures, moi-ales el religieuses. •. De là, dit-il excellenunent, cette
nécessité d'enseigner une nnirale, une religion, et disons même une
philosophie, [iroportionnées à la capacité du sujet el k ses autres con-
naissances acquises. En clunpu' es|irit (pii s'instruit el s'élève, la rai-
son doit hénélieier de tous h's progrès dans les sciences : el Ir. foi doit
bénélicier de linis les progrès de la raison,.. Loin de romjire avec les-
MELA.MiF.S l'IllI.n^iii'iiiijlF.S. p \n M. l'uii;i-: Ij.ik IU.AM". iVo
arl> iii<-<Miii(|iirs i.-! Ii-s [irolcs^iuiis i-oiiiiiiiiiii'S. rciisrij^iiciiiciil iuli''j^|-al
iluiil iioiiri |i;irli)ns les inTreclioniici'ail vu se lorliliaiil à leur cniilact.
Mais on verrail disiiaraîli'c on si' li-aiisriiniirr les iirograiiniics cl les
systèmes mal coiicns i|iii smil la iihiic t\f ri'nsiM.niifrnciil mmlrnu'.
(;Sùivi"e de si)éçialislc's nu nu'nif dr scdaii-cs. ils iidiil irciicvclojx''-
(liijiie (|iio rappari'iR'O l'I roiii'Diiiln-cnicnl . ( hi ii'\ vnil imiiil I Hrdcc el
la liiérarchié (le tniilcs les (■(niiiaissaiH'cs ; il y iiiaiii|iiL' une lumipi'c
sii|it'"ri(^inv. ii'iP 'lircctidii cl un Iml. Ccscoiulil inns prcmiMi-ps cl iiidis-
jK'iisalilcs à la prospcrili'' de I ciisi'ij^iiciiicnl ualimial ne scnnil dini-
ni-c; ipi<^ |iar la foi ehrélicnne cl la vi'i'ilalile pliilosopliic. •■
M. lilanc liMce les grandes liiiiics de cette piiilosopliie fondée sur
la raison, mais aniii' loyale de la i'(dif<ion clii-r-liennc, eu rop|)Os;uil à
plusieui'S aulres pliilosopliics ado|)lécs par des nulcui's coidcnipo-
i'aius, à celle de M. Duraud de (li'os \i. .'il . à la |iliil(isophic criliiiuc
(le Sjiir p. .">'.• , aux li-ois dialecliipics de M.ilonnI p. TTl.an m'o-eri-
iirisme de .M. Peiijon p. !-2!):.
Ku face (lu système de M. Itni-aud de (iros. où se Irouvi'ul l'Iran-
i^cmeiii associes des " éléinenls fli'Jà anciens el parfois peu com]ia-
lililes entre cu\. le monadisnic. I idi'alisnic. I ('volulionnisnic, le mo-
nisme, le panlin'isnii' psycliisle ou pinlol i alhcisine psvidiisle, le
fouriérisnu' •. M. l'aliln' Blanc revcndi(jne nolainnienl ■ I évidence
(le In ni lé nalni'clli' el sulislaulicdle du com|ios('' humain. (Jihiiipu' nous
n'ayons conscicuice di' in)ns-n]i''nies. dil-il. ^pie par li s plus liaules
facultés. et (|ue l)icn des choses ipii nous mmiI le plu-, in I iines i'i-|i;ippenl
ù notre regard dans noire àuie. de méiue ipn' diiiis noti'c corps, i-ien
ce|iendant n'y csl i''lrauj;('r à noire personne. CeUe-ci pcul elre diini-
' nnée. disons mi''m<' di''truilc pai- la uku-I : niais nous ne p(uivous
devenir un anli'c : res|u'il (pii csl en nous ne pcul se dissiuidr.' Lii
former d'au 1res coi'jis p(uir composer d'autres individualités. ■• Il ne
craiid pas d afiirmcr ipu', nialgn'' les erreurs innonilirahles (|uc les
liounncs oui conçues sni' la l)i\ iniU''. « il y a un même couccpl i;i''néi'al
de Dieu (pii n''p(uid à toutes ii's religions : celles-ci. en effet, si elles
méritent ci' nojn. s'accordent à reconnaître (|nc l'homme est suhor-
donui'' à un être supi''i'ieur el inlidligent . :\ qui soni dus des h on nuages
et des [iriéres ■. lintiu, au lien d une moi-alc ayant pour principe 1
salisfai'tiiui el l'iMpiililire de toutes les passions également satisfaites,
il veut mainteinr l'aucienue mornic du dr^xonemiuil et du clcvoir, en
lui conservani pour liase l'exislence de Dieu, lin dernière cl suprême
législateni'.
Tout en approuvant, dans une certaine mesure, certaines idc'cs
émises par S|iir. M. Blain- les reclilie henreusemeni et pose énergi-
230
J. f;ARD.V115
qiiciiiciil ciiiilrc la j)liiliisii]iliii' li-nji ci-iliiiiir l'I li-i)j> iilt-iilisle de ce ]iiu-
loso|ilii' 1rs vrais loiulcrnoiils de la runnaissancc ainsi i|iic de la
iiKirali' cl dr la religion. Il (''claii'cil la vraii' iiolioii du priiicipi' d ideii-
tili'', (|ui csl une lui l(i,nii|ui'. ri iiini [las 1 ariii-iiiatiiui i\f liiiçulili' de
suhslaiici' oniru tous k-s éti'osou l artii'iiialidii de rcxisk'iici' (l'un seul
(■'Irr niii-nial : sur ce principn cl siii celui de coiilradiclion. ([ni ne l'ail
(|n un a\ ce I ni, il (''lai il il la disi incli(ni i-i''(dle de Itien cl de la eréalure,
de l'esiuil el du nuiiide pli_vsi(|nc, de l'àinc cl du fi)ri)s. I/aiisnrdi(é
(|ii'il y aurail à enmixisci' les coriis avec des pcus(''es on des ('■K'iuciils
simples lui pai-ail (l(''in( mirer la r(''alile du iiuinde sensilile : il l'ail app(d
à la conscicuee el au i-ais(nineineiU pour pr(Miver noire iiersiuuialih'',
noire sidislaulialilt''. la pcruLaiiencc de noire moi el sa eausalih''.
I''.nlin il inoiilre le (■aracl(''re alisoln de la loi iialnrelle iinprinn''e dans
les conscicuces par Dieu el e\ij;i''e a la lois par la nalnre di\ ine el par
la nalurc linniaiue : il i'ec(uinail ainsi une mcn-alc nalni-elle, (pu' la
i'(''V(!'lal i(Mi (•lir.''liennc esl venin' pei-l'eclionner. niai> n(ui pas abolir
" l^a nnii'ale. dil-il. esl donc alisuluc. i.a loi nalni'cllc n ('>l donc |)iis
r(''V(:''l(''e d'ahord e\l(''ri('urein('nl . Iiieu i\[\r la r.'V(''lalion la eonlirnie :
le l)(''eal(ij;iie esl pr(unnlj;ue orifi'inelhMuenl dans la conscience. » Si
inip(''|-al i ve (pi Clic soil. celli' loi morale laisse I lioninie libre de l'aire
le bien ou le mal : la foi nieiiie en la r(''V(''lal ion esl un acie de vobuili''
libre, el le ci(i\anl conserve sa lilcrli' d Obéir ou de désobéir à sa
(■oiiscieiice. lue coni|iaraisiui d épi a (•.'•(' l'aile par Spir culi-e le Clirislia-
nisnie el le lionddliisme aiiK'ne .M. Blanc à venijer la baille inlbielice
de la iiKU'ale cliri'l ieiiiie sur la ci vilisaliiui moderne. <• Kl ici. ajoule-
l-il avec nue \i\aci!é l(''j;iliiiie, je n'exceple rien : sciences, arts,
indusirie, coimiierce ; l'Éf^lise cl les moines eu parlienlier ont con--
li-ibné sin^uliéremcul an progrés des peuples cliréliens au\ moments
les ]ilus (b'cisil's de l'iiistoire : et c'est être bien aveuiiie el bien iiii;ral
ipie de nier ces vériti'S lii^loriipies proclaiiK'es |iai- nn i;raii(l niunbrc
de nos adversaires eux-mêmes, des posil ivistes ccumue Taine el Comte,
par exemple, pins justes ici et pins prés de ikuis (|ue nos modernes
idéalistes. "
Les trois (lialecti(pies de M. ('((uird. dialecliipie tli(''ori((ne, dialoc-
ti([ue pratiipie. dialecli(pie j'elij;ieiise . paraissent avec raison à
M. Blanc ne ('(uidiiire ipi'à une sorte de sceplicisme mal (l(''f;-||isé sons
une a|)pareiie(' de (lo};inalisnu' moderi'. Nou> avoii> plaisir à citer,
huit d'abord. >a belle déreuse de rabslr.icliiui el de la mélapliysiijue :
" Sans doille. ('cril-il en r(''p(uise au nominalisme de M. (lourd, à
mesure (pie nos absiraclions s'i'levenl . nous nous éloignons en
ijuebjne façon de la réalité sensil)le el concr('te : mais, en déliuilive,
MELA.\i:i:s l'IlIljiSiirilKjl i:s. par m. l'ahuk Elik m. ANC 237
(•'est l'ahslraclidii sciik' (|ui ihuis |n'niiol di' saisii- le Idinl rcel cl pcr-
iiiani'iil (les flioscs ; et. plus iinti-i' alistraclioii csl liaiilc. |)liis aussi
iMilrc MIC csl |ir'iii'lraiili' cl |ii'iiriiii(lc. Nuire nii'lajiiiysique est doue
oitjeelive el ecriaiiie, a einnlilidii tiiulcldis i|iie nus aiislraetious el nos
raisoiiiu'ineiits suieiil li''j;iliuies. luf,'i(|ues el ap|uiycs siu' ces réalités
preiiuèi-i's, mais su|iei'licielles à licaucuiip d ci;ards, ipic les sens, la
(•(iMscience el la raisun saisisscnl imi nuns el anluni- de ikuis. On peni
ilonc dire ijue la nié'lapliysi([ne est la pln^ r.'clli' des sciences ; car ses
|)rucé(li''s sont rij^ourenx el elle prend pour uUjel les réalités les pins
l'oinlanicnlalcs. Sans dinili'. smi ulijc! es! ardn el pi'i'le à nnlle erreurs :
mais il n'es! poiul diniiniK' un ih'lrnil par la dillicnlir' de I allcindi'c.
I.a plus snperliciellc des cun naissances, an euniraii-e. i>sl en di'linilive
la cininaissance pnrcmcnl expérimenlale : c csl (die (pu n allcinl
Jamais /( riiiliiiic des (duises : c'est (die (pn esl dh^i'iniiti'c sur /ex (ilrii-
liiiii-:: : (die esl alisurlicc |iar la considération du j;r(nipe, de la série,
de la C(dle(iiun. cl n(''i;iii;(' lunimirs rcsseucc, soil iudividindle. soil
sp(''cili(pn'. '• Au puini de \ue de 1 action pralii|(n', M. I>lanc sunli(Mil
JnslemenI (pu' " la nmrale du liunheur, saficmcnl entendue, se concilie
]iarl'aileuicul axcc la uniralc du bien (ui de la pert'eclion et avec la
moi'ale de rolilii;aliun. Celle (l(MUonslralion, laile depuis lonf;-tcmps,
dil-il, est reprise tous les Jours par nos i)liilosoplies s('olasli(|ues. Ce
(pii est faux dans la morale du honheni', comme aussi dans la morale
du hien el dans c(dle de l'olilii^alion, c'esl le caraclere égoïste (pi y
aj(nilenl plusieurs pliilosoplu's. i' iMiliu, à pr(i|i(is de la dialceli(|in'
l'idi^'ieuse. il r(''clami' ([u il soil " eidcndu (pie le Clirisl ianisine, sans
se confondre a\ec la murale el l,i pliil((supliie ualiiridlcs, les imi)li((nc
cepcndani, cl (pi apr(''s les .avulr san\(''es, elle en esl défendue à son
loni'. Qnaiil à les diviser radicalemeul, c(niiiiie le l'ail M. (iourd, c esl
les (|(''lriiirc. ■< Tandis ipic le prulestantisiue ■■ en arrixc à prononcer (pic
la foi ne peut être ntimiiinri' ». le catholicisme enseigne (|ne la croyance
aux dogmes révélé.sitrolite de la démonstrali(ni i-alionindle des v(''ril(''s
purement [iliilos(ijdM(pies.
M. Blanc rciKuividlc cuiilre le iiéo-crilicisuie de .M. l'eiijun les r('d'ii-
tations et les aftii-mati(uis Jnsliliées par les(pi(dlcs il a re|)(uissé la
ptiilosopliie de Spir.
Tout en reiidaiil justice ,i ['(dforl t;(''U(''reii\ vers la V(''rilé iuli''i;i'alc
ilmil l(''muif;iieiil Ij-s /ti'niirrrs /ilri's (le l',-iiil .lancl , il re(lrcsse (pi(d(pies
iiH^xaeli Indes de ce rci;relli'' pliilosuplie sur les rapports de Dieu el du
monde.
Dans deux (■liidcs séparées (pp. 93, ."J'iHi, il combat les hypothèses
cxaji;(''rées du Iraiisl'urmisiiie (d reprudiiil avec ordre, force (d cl;irté
.1. GAriDAIli
1rs ;irj;iiMieiils scii'iililit|iii's iihHliI ('.-lil valiiii- Idiirà lniii-duvicr, A.nas-
siz, (le On.ili'i'fages. Hliiiiclianl . Virchovv. |i(uii- iliMinuiIrri- (|iii' la
|in''UMulii(' Ifansfornintiiiii des csiutcs n'a |>as de Idnili'inciil siillisaiil
dans les f'ails bien cxaniini's cl lii(Mi inli'i'|)i'i''t(-'S.
M. HIaiR' iioiisdoiiiic ciiiiin' des coiuptcs l'ciidiis et des controverses
l'di-t iiilércssanles sur des |iriilili''nies spc'cianx de |)syeholoi::ie, de nio-
rali' el de sociologie.
11 criliiiiie la Tliéoi-ie de I Vrrenr ilc ,M. Hrocliard (p. KiT. el iiicl en
reliel' ee i)oinl iniporlanl ' <■ i/eri'eiir ii'csl pas l'onnellenieu! dans la
xdlonli'', mais dans Tespril en laiil ipi il raisonne mal. en soi'lc (pic
celui ipii se li'ompi' ne comprend pas ce en (pioi il se Iroinpi', L'inlel-
ligence. (mi lanl (pie dislincle île la raison, e'esl-à-ilire rn laid ipiCile
s"a]ipliipie aux priiieipi's ('vidciils par eux-mêmes, esl !oiijoiii-s in'ces-
saire et vraie : elle n'est ui lihre, ni l'ausse. »
Il ciMiihat lienrensemenl le sonsnalisine de M. Tli. liiliol an siijel de
\ I:' rnhil nul îles idées fjrnrriilos !p. "iiM \ el de la l'sijilnilniiir îles sciili-
iiiciils ip. i.")l i. Il fail voir riusullisance des cxplicalioiis ipie pri''sente
sur l'orijfine des idr^es universelles le savani prid'esseiir du (^illège de
l'rance. Il reciuiiiail ce (pi'il v a d'exael cl d'ingénieux dans cerlaiiies
aiiaivses de passions et de senlimenls l'ailes par cel aiilenr ; mais il
d(''gai;e mieux ipie lui la supr'riorih'' de l'iKumiie sur l'animal, lant an
poiul de vue all'eclir ipie sous le rapport de la eoniiaissaiice.
" l/organisme e( les raciillés seiisililes, cmidul-il l'ermemi'iil . çiui-
dilioniienl l'exercice des facultés supérieures, mais ne le mesiireul pas
ui lie l'expllipieiil . il l'sl vrai ipie loiites nos connaissances nous vieii-
iienl de ipic|i|iie manière par les sens; mais loill lie n''sidi' pas dans
li'S sens. Idées iiilelleel iielles. seul iiiieiits sujir'rienrs. Iiahidides mo-
rales, caraclères, xcrius surloiil, sidisisleni malgré reirondremeiil de
l'Iioimlie sensilile el s'yllirmenl sonveni jnsfpi'an dernier soupir. I.a
dispropm-lion el même le désaccord ipii exisleiil ainsi eiilre l'Iiommi'
plivsicpie el lliomme moral voiil s accroissani lieaiicoup avec I âge el
devraieni ]iersiiader aux psyclio-pli ysiologisles ipi'il v a ici une pi'o-
(■(Uide dislinelioii. .lamais ils ne coaiiailronl sc'rieusemeiil lliomme
même, en (''ludianl l'homme sensible exclusivemeiit. •■
Fiie série de coiiréreiices pédagogiipies l'ailes par M, Hoiilroux ;i
l'Ecole normale siipi'rieiire des iiisl il iilrii'cs di' l''onleiiay-aux-l{oses
ip. 'i7) l'ournil à M. HIanc une nouvelle occasion de poser des prin-
cipes de moi'ale el (rédncalion conformes à la fois à nue saine pliilo
sopliieel à renseigiiemeiit de l'I^glise callioli(pie. Il a soin de rappeler
<pie, si Luther a l'muh'' la sanctilication sur la foi indi''pendaiimieul
des (cnvres, " l'Église, an contraire, n'a cess,' d enseigner ipie la l'oi
.i/y-:;,.i.v;;;s l'iin.nstiriiinn.s. iwr m. lmih!' Kue I'.lanc -sm
sans les (j'iivrcs est une lui luorti.', c]ii(' Imit esl vain dans l'urdre mo-
ral sans iiiu' chariU'' vraie cl par (•(inscqucnt aj^issanlc : loujours clic
a ra|i|i(Uir ainsi à la iici-t'cclidn iiiiiralc riii-lliiuli)\ii' (lii^iiiatii|in' ». Il
accorilc (|ni' <■ ciTtainos aiisli'i-ili's de (iiu'l(|U('s-nns de nos saints ne
l'ont iioinl partie essenliollc de la morale elirélienne •■. Mais il pro-
clame liautemcnt ((lie " l'esiiril d'ascétisme est essentiel au Christia-
nisme, (pii prêchera toujours la mortilication des sens el la domina-
tion de l'esprit sur la chair ». Kl il donne ce bon conseil aux éducateurs
de la jeunesse : .< Phiti'il cpje de dénigrer l'ascétisme, les maîtres de
la moral(> leronl mieux de le jnslilier. Il est le fondement des plus
hautes verlu-i : il assaisonne jusipiau plaisir lui-même, dont il est
moins la pi-ivalion ipie la jouissaiiee indépendanle el la saije me-
sure. ••
C esl (irincjpali'Hienl au pniiil de vue moral (pie M. Hlaiie étudie
l'hypnotisme el la siigi^eslimi hypnotiipie, dans une courérence l'aile
par lui le l 'j janvier IH'.I.S aux Facultés calholifpjes de Ly(ui p. l.'{!) et
dans un article critiq^iie sur i|uel(jues opinions récentes touchant
riiypnolisme '[). -l'Xi). Il résume lui-même sa propre opinimi en ces
ternies : <> Tous les phénomr^nes vraimeiil liypnoli(pies rnrment nu
même ensemlile ihuil on ne peut hieii jun'eraucune pai-lie sé|iaréiiieiil.
Les ph(''nom('ues hypnoti(pu's les pins exiraordinaires sont ceriaine-
menl diaholifpies : Ions les autres sont plus ou moins suspects sehui
leiii- proxiinili' avec les premiers, lui ce ijui concerne pari iculi(''remenl
la sui;\Lcesli()n liy[inoti(pie invincihle, celle (|ui livre alisolumeni les
lacullés du siijel à l'opérateur, elle est inti-insè(]nemeiil immorale el,
il y a loiil lieu (le la regarder comme diaboliipie. Il nous j)araîl même
«pie toute prali(pie de l'hypnolisme propremeiil dil esl interdite par
les principes de la morale chrétienne. Mais il va sans dire que nous
n'avons pas la prétention de ((indamner pers(uine. ••
Sur la sociologie, signalons l'article [lar le([uel déluile ce volume
de Mi'liiiiiirs pliiliisiijiluijiicx et (jui traite pari iculièreinent de l'origine
du pouvoir : .M. Blanc y essaie de concilier l'opinion du P. de Pascal
cl c(dle du P. Manmus <■ dans une docirine supérieure, à la fois [dus
large et plus pr(''cise », qui poiip'ail se condenser en cette formule
(pii est de lui : " l)ieu lire le [louvoir du jienple en se servant de ses
énergies, et en particulier de son c(uisenlemenl lihre. (pii est la |dus
haute de ses énergies morales. Dieu seul esl la cause principale, sul-
lisante el adé(juale t\\] p(uivoir : mais le peujile en esl le sujet iiiqiar-
fait. une cause immédiate et suhonlonnée. »
Kn (|uel((nes pages vig(uireuses sur V/Smiminir ilr l'i-ffini. [)ar
M. Yves Ciuyol [i. 10.") . il met à nu le vice radical d'une l'CdiKunie
•240
.1. GAliDAllî
|)(ililii|iic s;iiis iiii)r;ilr l'I sans i-cli,uiiiii : ■■ KHe esl. dil-il. sans |ii-i'iiuer
j)riiici|u' cl sans ik'rnirrc lin. pai' roiisi-cinciil sans idéal. ■■
Kniin, il s'assoric an hrau Iravail jinhlir par M. (ii'iii-i;us (ioyaii
sous ce tilre : Aiilinif ilit oillidlirisnir sncin!. en appri'cianl hii-méiiu'
lo moiiVLMuenl i-atholiijuc s(i<ial ilc iiolrt- l('ui|)san nom de la ])liilnso-
phic clircMieiinc. Pour olorç ce coinplo rendn. on nnns avons tàclir
de l'aii-e connaili-e M. ralilié Blanc Ici ipiil s'csl (li'voilc Ini-uicnie au
cours de ces uiélauf^es, nous soiiunes heureux ili' ciler sa déclaraliou
sur l'alliance delaclionàla science lhéorii[nc : " Toute cwnuaissanci"
ImniaiiH'. |i(inr cire coiupléle cl IV'conde. doil lendrc à la [)rali(iue.
Issue t\f ruliservation atlenlivc et de lexiiéi-ience [)roloui;ée des
lails, aussi liien (pie des priin-ip("s absolus, la science ndourne vers
les l'ails oi'i elle a Iriuixé siui lierccau, non plus piuir s'v sonniettre
.sans réclauialion, mais pour les moditier si c est possil)le, les rél'or-
iner s'il est nécessaire, el les conrormer ainsi à l'ordre supérieur et
iiKH-al (jni s'est révélé à elle d.ins les hauteurs sereini's de la spécu-
lation. La philosophie, moins i\\\r toul" antre coiuiaissauce. uian-
ijuera ;'i ce tievoir. ■■
!:.\l!l)Alli.
Iji Ucvih' il'' l'liiliiMi|iliii' /('•/// à iinjduisrr il'iiiir iiiiiiliirr misii
r.riirli' el iliis.si roui/ilrli' 'il"' jiiissll/li' Ir srrrirr iriiipiriiitiliiiil. Cftlr
orijamsaliiiti c.ri<ie du temps ; mais flic est eu Itonnc voir. L'iiiiah/se
(les périddiques d'iai poi/s sera prérédi'e d'une élude d'eusemhle sur
l'étal de la philnsiiphie dinis ce paijs. Xnas rninim'urous par I _\iiié-
riqne, unas niutiuueraus par l'.\ uijleleri'e. l'A /h-iiiaipir, l'A al riche.
les pai/s slaves, l' Italie el rh'spaipir.
\.\ |)llti;r.Tl(>\.
PÉRIODIQUES AMÉRICAINS
Âvaiil (le |ir(''S(Mil('i' les |ii'iiici]i;iii\ |H''i-iiHlii|ni'S qui srrvciil d'ni--
gancs il la pi'iisi'c |iliil(isoiilii(|ii(' <laiis ce pays, on se proposi' d in-
diquer à ^TMiids Irails la posilioii adiii'llc de la pliilosopliic aii\
Étals-riiis. L'Kiinipc a smi passi' cl. par suilc, si's Iradil ions pliilosd-
plliqut'S. Ce pass(', ces li-adilimis, le Inii'iir les cimiiail : ri cpiaiid nu
iiouveati pi'i'i(idi((ui' s'aniKinrc — l'ùl-cc iiièini' an dchnl dn \x'' siécli"
— c'est ])iMii' Ini une lâche relaliveinent facile tl'eii relroiivei' la pai-enlé
et retracei- la j;cnéal(ip;ie. Il n'en va pas de même en Ami'i-i(pii'. Nous
sommes jeunes, même et sni'lnnl m pliildsopliie, Niih-i' pMSS('' date
il'liiei' el nos I fadilions en sdiil l'iicoi-e à se formel'. Ceux (jni eutri^-
|ii-enuenl di' Icnii' à Jour la sim'I iiui ■• PéT-iodiipu's .\méi-ieains » seident
vaf;uemeid qu'il li-iu- faul loul d'alinrd nicudrei- le liieu foiuli'' d un
pareil lilic.
Y a-l-il une pliilnso[diie ami'viraine ? Cell(' ()uesli(Ui a reçu les
ré|)onses les plus contradictoires.
De Toci|iu'ville le disait sans détour ; « Je crois (pi'il n'y a pas de
pays dans le monde civilisé où l'on donne si |ieu d'atlention à la
|)liiloso|dii(' quaux £tats-l'nis. Les ,\méricains u'oni pas d'école
pliilosoidiirpie à eux, et ils s'occupent fort peu de celles ([ui divisent
l'Kurope. C'est à peine s'ils en savent les noms. » Les rêves iiliijoso-
phiques di' certains .\niéricains d'aujourd'hui ne l'essernbleut pas
plus au vei-dici sévère du puhlii'isle français ipu' noli-e belle capi-
■2ii D' SOI.I.lKli
|;il(' lie ri'ssi'iiihli' ;t l,'i lui'i'l iiii'iille, clinisii'. il \ a iiii sirclc, jiai'
î'ii'orgo WasliMii;l(.ui pour (h'Vi'uir le CiMilre lit! uoti'c vie iiiitioiiali'.
Dans Mil arlicli' ln-iiyaiil, piiiiliù, il y a ijuchiuos aiinôcs, dans la
/!ililiii!li('rii Sarrii \ ïl A . sons ce litre : «Avenir tle. la pliilosopliii'
.•nncricainc "..M.Wood iKnis propln-tisc r[n"('n |ihilnso|)liii' — i'oimimc
ilMillours, en IlmiI le reste — l'avenir nons a|)|iai-lieMl. Sons sa pliune.
nol-j'e. ahsenco de traditions devient nn (Méinenl de l'orce. (''(^s! l'indi'-
pendance de la pensée: nos emprunts laits un peu |iai'lonl uKudi'eid
ipie iiDus ne nous siinuues inleodés à personne : mis snerés dans la vii'
p: ai iipie serveiil dannonci'à d's sucrés nou moins ii;rands dans la
\ ie de spéculai ion philosopliiipu'. i''orl de ci's données, M. Wood
cnnnail d'(M-es cl déjà la UK'lhod!' qui va Uinis livrer riii''i;('mon:e du
monde pldlosopirnpe' el entrevoit les j^rands résidtals auxipnds une
j)areille undliode lu' sam'ail man(|uer de nous conduire.
Disons loul de snili' ipu' ce cr: de triomphe ne trouve pas d'écho
anpi'és des p<'nseurs sol)res el Judicieux de ce pays. Si Toccpu'ville
— ils s'accordent à le diri' — s'i'lail contenté de sii;nalei- la péuurir
philosophiipie lie sini lemji>. il nous eiil .laissé' niu' pai;'e d histoire
uKilheurensemenl li'op vt'ridiipu' et à hnpudie il ani-ail pu donner
pour epiiiraphe le dicton popnlaii'e : Les philosophes son! aussi rari'S
eu .\meriipic i|iie h'^ ^ri-peuls en Noi-\véiie. Il alla plus loin el crnl
aperci'voir dans nos conditions sociales ipielipie chose ipii doil uous
délourner l'alalenuMil des études spéculatives. Dans un ra|)por! sur
les ('Indes secmida ires aux l'^lals-l nis. l'ail à Idccasion de l'I^x position
de. Cliica,no. .M. C(nnpavi'('' n'es! pas loin de sonscrii'i' à c<' vei-dicl.
.\'esl-ci' pas sCxposer à preiuli'c p(Hir di' linaplilude ce qui
n'est peid-eiri' que l'ell'el de ccuidilions lransiloii-es el pureuieid
ailvenlic.es? Les hautes spéculai iims pliilosopliiipu'S demandi'ul nu
l'Ial de civilisalion maléi'ielle déjà avancé. Nos pères n uni pas
erliappi' à ci'Ite loi. Il esl loul ualm'cl (pi'(ui soil alh' au plus pi'essc'.
cl le plus press('. c'('lail île se rendre maiire d'une nainre daulaid
plus relielle ipi'ellr l'Iail plus plani ureiise. .\ ce.; pionniers hardis
qui seuroiiccul dans h'S liin-ls vierges o\\ h'S p]-airies sans lin. la
pliilnsiiphie qui s'idVre loul d'aliord, c'est celle d u cliarliiMiniei' ! Kt
pourlani, ils iiavaieni pas dit adieu aux choses de l'esprit, ces
hommes MMii's aux labeurs de la teri'c. .\vec la lani^ne el la reliii'ion
de lem- pa\s d'orif^ine, ils apportaient aussi les l'ci-ils de leurs
i^rands philoso|dies. Cela nous explique l;i laveur qu olil iiirenl en
Amérique les i-epri''senlaids de la philosophie régnante de I .\n^le-
lei're et de r.MIcma^ne. l.'inqioi'lal ion allemande a l'té considéralile.
Il n'y a pas loni;lemps. un slalislicien conslalail que noire dépense
ri:i;i(>i)i<j! i:s .\.i/;:;;;r wvs 2;;)
(le liitmilnrc alli.'uuiiulc dcpnssv |ii'('si|in' ci'llc dr I AHi-uiai^ni' fllf-
mciiii'. Ce moiiveinenl d"iin|uii-tiiti(>ii (liauiicn' diirr encore, mais
avec celle diUV-reiice (luanjoni-dliui ncnis eiiipnnddiis à rélraiiiier,
iiuiiiis |iar disette iiiie i>ar cet esprit de c(isiii()|iolitisine i)i"di(|iir,
<]iii iKuis |nii-te à prendre ncilre l)ii'ii paiionl m'i iiuus le li-nuv(H!s.
(;'('sl le comiiiencenienl de. la pliilosophie.
Slaidey Hall a dit le mol de la siliiaiioii : • (jniiiiu' iialidii. imi!-
sdiiiiiies Inip ji'iiiies pour avoir une philosophie à mnis. Mais ismi^
siimiiies trop envieux, trop réceptifs pour ne pas. nn Jour, en av(>;i-
nne. ■• Oejonra décidément commencé. Le hilan di- iidhe avnii- pl;;-
l(isopli!ipie n'a rien qne de loi-l enc(iui-ai;i'anl .
Pour élaldir ce hilan. il landrail pai-courir uns n(iMd)reuses l ui-
versilés et voir la place de plus en pins i;i-aude (pie l'on y lait aux
études pliilosophi(pH'S. Les |i(''i-iodiipies liuil de temps en temps cette
revue (CIV. ICdurational lierii'ir, \, l et \m. 10. — Mmiisl. i. 1 W e!
!.-;(;. — Miiiit. iv. 8!l. etc. . Dans ses rai)|>orls aniunds. le ^ Bureau
de l'éducation ■■ ne man(|ue pas de u<nis avertir th's [ii-oi;rès l'ails
.'I lies résultats ohteuus. Le Lecteur IVançais piuM ciuisuller. outre
le rappcirl de M. Compayrc déjà cité. le Iravail >i couiplel Aw
\y E.-H. Delahai'i-e. directeur du lal)oraloire à ITniversilé de Bro«,ii.
travail ipia pnhlii' en 1S"J."1 ['Aniirr psiirlKilniiif/iif.
De ces stalistiipu's. il l'essort avant tiuil ipie la ]i>\eliol(i^ie l'orme
la presipu' totalité de notre enseii^nenu'id philoso|)hi(|ue. VA |)ar i)sy-
choloi;ii'. il l'aui ])ien entendre la |)syciioloii,ie iu)uvelle. Quel sens
pi-écis s'atlaehe à ce vocahle. il serait assez dil'ficile de le dire.
.. Clia(pn> année, dit Mi'insterherj; d'Harvard, voit naître des amélio-
rali(Mis dans la nu'tliode d'ohservat ion. i.a psycholoj;ie il il y a nu
au est auci(Uine eu eniuparaison di- celle d'anioui-d'liui ; ei celle
d'anjourd'lm; sera peul-éti-e aucieniu' demain... Les hautes siiecula-
tions de l'esprit n'ont rien jiei-dn de leur importance. Seulement,
nous leur d(Uin(Ui> le imm de philosnpliie, i-i'Si'i-vanl celui di' psycho-
li(s;ie \ut\w les pndiléiiH'S ipii s'occupent de l'.iiis enipiriipii'S. " D a|)i'és
notre li'riniu(iliij;ie uiode!-ne. la psyeholoi;ie nnuM'lli' u l'st autre cpu'
l'ancii'uin'. sans, el li'op souvent. Indas I la philosophie. .Non moins
Tranche 1-.I la déliniliou donnée par M. llarris. idief du hureau
d'éducation : - Le lerme psifclioloyic iKnirr/lf renier deux classes
de rechendn-s. la |)sycholoiçie physiolojiic]ue datant des déconvei-tes
de Broca. eu ISdl. et l'élmle de l'enl'aut. •■ child study ■>. eudji-assaut
les iniuvailles de Preyer. de S. Hall, de leurs collali(ira!eui-s el de
leurs dise iph's. Toutes les auti'cs spéculations de l'esprit. i]u elles sui-
vent la un''! hnde d'induction ou celle de déduction, (in'elles procèdeid
244 D"^ SOLLIEU
à pridri. coiiliiK.' I;i ])syrliiiloi;ir rai ii)iiii<'lli'. on à jioslcriori. (■iiuiiiii' la
psyi'lii>lof;ii' exporiiiieiilalo, devraient s'aiipclcr l'ancicMiiu' psyclidlo-
gje. ■> M. ILarris. lui aussi, altesli- fiu'il no niéconnaîl pas raiicieiine
psvflii)li)i;i(' (pii a ajj,ili' les grands iiroMèiiii'S de la iiriis('i' liiiinaiiic.
Mais il vcul [dus. Il vcnl ipie, poui' i-éaj^ii- sur la naliire cl s'élever
sans cesse, riioninie eoiinaisse son corps, rinlliu'ni'e îles uulieux sur
son oi'ganisnie, les tendances de Tàge, du sexe... etc. On ne Iraliil
pas nueux l'esjtrit foncièrement p\'ati([ne (pii |ii'éside aux développe-
ments (le notre philosophie. C'est bien cet espril ipii poussa, de ti'ès
bonne heure, à la i'oudatiiwi de nos laineux lalioratoires de psyclio-
physiolotjie, celui de S. Hall à llo|d<ins, celui de Cattell à Columliia,
celui de Miinslerherj; à Harvard, relui de Baldwin à Princeton, etc.. elc.
C f'st encore cet esprit <|iii valut à la section de ]isycholop;ie de l'Kx-
position de Chicago d'attirer plus de iriorule ipi'aucune autre section,
l-'aut-il ajoutei- ipie c'est ce même espi-it ijui |)r(''sida à la l'iuidaliou
et préside encoi'e à la rédaction de nos [dus impoi-tants périodi(pies :
V AmrririDi Jviirnnl of Psijrhtilinjii. et la Psi/clKitaf/ii-al /li-riric?
Le ./uiirniil est nu pi'riodicpie I i-imesti-iel. |-'onde eu IHKS, par
S. Hall, président di' Clarke. il est resté sous la dii'ection à |)eu prés
exclusive de son l'ondateni' ius(pren ISltri. oi'i Stanford, de Clarlsi',
TitchniM-. de Coi-iiidl. el d autres sa\anls lui p|-elérenl leur coiu'oiu-s.
L' projiranune ipi il suit a ("lé nettement trace en 1S9."). Il s Occupe
des résidtats fournis pai' le lalioratoire de |)sy(dio-|)hysioloi.;ie. tout
en (''vilanl de mettre les faits an si'rvice ih' n'importe ipn'lle Ihi'orie;
des faits psycliicpu'S auoi-maux, (|u il (''Indii' sans i-ecourir à des hvpo-
thèses uitn scientitiipu's, telles r|ne lliiide maj;rn'li([ue, télépathie,
spiritisme, etc.; daidhropolof^ie, surtout au point de vue du senti-
ment relij;ieiix l'I îles phTMiomènes vai'iés ipii lui servent de syndioles;
de psyilioloi;ie animale. ne\roloi;ie, child-stuily : en général, lie Jisy-
chologie, d esthéti(jue, dai'l. de théologie, elc.
La l'siirliiiloijirnl lii'ricic est un |ieriodii|ue lii-mensuel l'ontlé en
ISOi (lar Cattell, de Clarke. et Haldwiu.di' l'rinceton. Elle se présente
sans programme: mais, im parcourant ses principaux articles, ou
s'aperçoit vite qu Un îles traits distinctil's de sa physiimomie est
l'étude des faits all'ectifs el énnitionuels de notre activité nu'nlale.
Sans être lorgane attitré de \ Ami'iicmi Psiirliiiloijii-ii/ Assorialioiif
idie entretient ce|>endant avec cjlle-ci d'étroites relations, .\nssi, le
discours (|iie (i.-T. Ladd <le Vali' [U-onmica à la ri'uniini annuelle de
IS9.'!. et ipi'elle inséi'C en tète de son jiremiei' numéro, pourrait-il,
faute de mieux, servir de programme : " On a si''])aré, dit M. Ladd,
la mélaphysii|ue de la psychologie, parce que le uK'-lange des deux
i'i:i',i(iiii(in:s \ \u:iiicm.\s
sr.
l.'S i;;ilc loiilrs li's ilcu\. Mais il csl hicii clillicilr, eu pral ii|nc, de h^s
sr'iiarcr (■(iiii|)l('triiiciil cl i\i' ne |ias l'airr ^ciilii- i|ii on c-,! iiKiuisIc nu
diialish', lualiTialisIc (Ui spiril iiali-lc. l'alalislc imi pai'lisaii de la
lilicrli'. La ilisriissidii si'i-iciisc ilc n'iiniKirli' ipicl iircililcinc de |is_\-
(■Iii)|iii;i(' aliiiiil il l(i|-r('iii(Mil a iincanln' disciissidii dans le ddinainc
df la idulosopllic |Miri'. (Ml lirci- la lii;lic'.' - San- ii(\i;lii;c|- le la'ilc
[HM'eilirid |dliliisii|ihii|iic d;'S (|iicsl iniis. la /'s7'7/o/r.r//ra/ /ti'cirir. rllc
aussi, S(ircii|ic siiiiiiiil de- lads cl de li'ur |ini-!('i' |>ral ii|ii(' sur I (''dii-
calicui.di' iiK'deriiie et |)riiici|iali'iiHMd de ni'\ i-(d(i.uic.
■Pdiil cil |-ccoiiiiaissaid ([n'eu Aiiu'rii|uc la |ii-ciiiici-c placi' a|i|iar-
liciil a la l's\idiidii,Li,ic i'\|pci-iinciilalc. ciii aiirail Inrl d'en iiilcrci- ipic
la pliiliisii|diic proprciiiciil dilc ii y csl pas en Imii iiciii-,
Ciiiiiparaiil les di'iix psylidlnnics . raiiciiM I la ii(iuv(dlc .
M. Ilarris. di'jà rili\ i-cciiiniait à la pn'inicn' le iiicrilc d a\(iii- sou-
levé cl |-es(dii les i;i-aruls prolilëuies ipii aj;ileiil la pensée liuiiiaiiie.
cxisleiiee cl dcj^rés di'S àuies. liai lire îles raeiilli'S. Iii)erté, iiiiiiuuia-
lili'., cle. : H Ce soiil là, dil-il. l'Ic-. apporls (indu ne saui-ail Inip
iip|)i-écie:-. " Miinslei-jieri;, à smi Imir. dcidai-c le-, liaules spéeula-
liiins pliilosiipliiipies aussi in'ecssaii-cs aujiMinl Imi (praulrefois, cl
ee n'csl pas sans re^rel i|ui! se ri'si;;iie à iiiuis livrer la fornuile île
Udli'e psy(diiil(ij;ie luuderue, de la psyeluiln.nic iiiuiiis la pliilosopliie !
A e(')lé des lievues psyeliiilo^icpies luuis axini- <l(iiie des Revues
pliiliisdpliiipies.
La plus iuiporlaiile csl Ja /'Ininsniihir,// llcriiir. IS'.ti, n-eucil lii-
luciisiiid dirij;c par ,l.-(i. Schuriiian cl .!.-!■;. Cridinliliiu île Ciirncll.
M LAuu'riipie, 'v esi-il dil en pi-rd'aec. esl une Icrre de promesses
iiiiiir la pliilosiipliie. C.'esl à organiser, ri'pandrc, accroître noire
sa\oil- philosopliiipie ipic leud eeltc l{c\ ne. |-;llc sr propose, dans des
sounuaires soigueuseiiicul n'di:,;!'-. de rciiieillir les rayons épars
dans les périodiipies du uiiuidc : elle mmiI pri'seiiler des notes erili-
([ues eoui|déleS, prépai-i'r un eliaiiip pour la lilirc iliseiissiou des |)rii-
Idèiiics philosophiques, oil'rir aii\ eherelieiirs un inslruiueut |)our
l'aire eoiniailre les résultais de leurs reidierrlies. Son eliauip est celui
uieiiie de la l'Ii i loso[diie dans sou aeeeplion la plus larji;e : Psyeho-
loj;ie. Lo|j,iipie, Élhiipie, Kslhéliipie. Kdiiealion. lieli^ion, Méljydiy-
siipie, Philosophi(> cosniiipie, Kpisléiuoliit;ie. ele. Ou reconuait la
ui'eosili' de la spéeialisaliou... Mais luéiue si chaipie hranclie avait
sou iiiurual, encore l'audrail-il i\\\r lievne coiuinune ayant pour mis-
sion de l'aire converi^i'r sur un iiieme point les rayons émanant de
ilitl'éi'i'lits eenires. ■>
Une aiilre revue philosophiipie esl le Mmlisl. l'ccueil Irimestriel
IG
■2\G
])' SOI.l.IElt
|);u';iiss;nil à (;iiiiMi;ii ilf|iiiis IS'.MI. I.c M'nul. ilc l.iiinlio. r.-iMiiiiiK' ■
jiiiisi ; Le Mmiisl s'omiiiiT.i >[:■ l*liili>so|iliic. |{clii;ii)ii. Sfit'iicc, Sn-
ridlduic. Li' 11(1111 i|n il sr (liiiiiir vicill s;ilis iliiulc (le cr i|lli' 1rs é(l;-
li'iirs ri'ij,;ii'ili'iil 1rs li-:iv;iii\ in-l ncls ilc hi |iliiliis(i|i|i ir ciMiiiiic ;ml,'i ni
ir.-i|i|)()rts à l;i ciuirci)! ion iiiiiliiin' ilii niiiiidc. Aussi li'S (•(iluiiiii'S dr
relie revue siiiil-elles iinvi'i-les .1 Iniil ('ci-i v;ii 11 vrjiiiiieiil cnniiir'leiil
iini Miiiilra l'aire nuuiaili-e les rcsiillals île ses reelieiehes.
I.e> leeleur> île la /!r-iir ilr l'Iuidsiiiililr se|-iiiil leiiii> an ri h ira ni il 11
liiuiivemeiil lie la (len-^i'e jili ilii-.ii|p|iii|ile en .\liii'rii|ne. iniMixenienl
i|iii ne liiani|iie |ia> de rel "iil ir dans le- l'i^riml lipies ipii' nmis vriinns
de |iri''Seil(el'.
IV SOI.I.IKI!.
JJVRES DÉPOSÉS AU BUREAl' \)K LA REVIE
l'.illl .Iwi.l. - (tlùiVi-fS jihil'isiiiilii(jih's ilr l.riliiiiz., -> \{iliiili:'S ill-X",
■ilil.. lie 1,1 Hililiiillièqiu; di' l'hildsiijjliir ritnlriiijiiirti'iiii'. i'ai-is. Aij:a\.
li, r. liiii III.. >. .1. — Diirh'nu's cl l'nilili'iucs, iii-S". Pai'is. I!i:t.\i \.
(iriii-i;r |-'(i\si;i;iii\ i:. — Lu Cri-ic siicinlt\ \\\-\-l. l'aris. Viclnr l.i:-
(Uiri-HK.
1". \ai . — l.r IJri-c (1rs l.uis drs l'iiijx. ilc Hil l'ilrsii ne l'iisl rii/dijKC .
Ii'adiii-I iiiii IVancaisr avec I ni nidiii-l idii cl ihiIc>. hroi'hiiri' iii-S", l'aris,
l'j-iU'Sl l,i;niil \.
Cliarii's lli ri'. — /," l'Iiilnsiijiliif ilr In _\iiliirr rhi'z Irs A iiiii'iis, l'ai'is,
I-'mnti;.miii.m;.
.Xlldn'' ( idiiAllli. — f.c /'nv/V/vN)»'' rlii-i'lirii. ill-S", l'aiâs. Rl.dl II cl
llMlHAI..
IjiMsIaiil llM.i:si:i. — Cins ilr Mnru'n si ilisrijilniii inihlnrn . iii-H".
'i'i|p<ip;r.a|)liia ■■ .\iiriii-a ", Coiislaiila.
Marc (liiAMi:. — Le l'rohli'iiw du iihrc arl/i/rr. 1. Spalalii. Dalnialii'.
'.a Revue se |-(''sci-\c ilc i-i'IhIi-c C(iiii|ilr (les li\i-c> ([iii lui siuil
cjiviivi''S cil (iniiiiic c\i'iii|ilai|-c.
BULLETIN
L'ENSEIGNEMEXT PIllLOSOPlIIQliE
MÉTHODE lŒ LA PHILOSOPHIE
Le Positivisme : illusion des problèmes philosophiques. —
La iiliilii>ii|iliic' il |iiMii- (iliji't r,-is|M'i-| lr,-iiisciMnl,-iiil ri iiii'!:i|iliysi(|ii'
(les t'iri's. aspccl siliii'. par son df^vO daljslractiuii el d'uiiivcrsa-
lilé. an-(li'ssMS tlii cliamip de visidii de la sfienci' ('\|irriinentali'.
Alix ycii\ (rAii^iisli- Cdinti'. ccl objcl est in'anl. La iui'la|)liysii|iir.
smis ce rapiiiu-l. csl assiinilabh' à VAstmlnij'u' judiriaire. dont 1 olii;'l. a
savoir rinlliiiMR'i' des plaïu'ti's sur la dcsliiii'c des lioiiniies. n'a ancuui'
réalilr. SoMinisc à li^NdluI iiui . 1 liuniaiiiU' s csl délonruéi> de c;'!--
tains |u-ohlèuiPS. an snji'l dL'S(|ucls l'Ilc s'était ahusi-e. Au lu-i'inicr
ài;;'. cncoi-i' cnfanl. elle cxiiliquail les ]di(''noint"'ni's |>ar l'inlervcnl ;nii
des (lii'ux on des rausi's I hpoliit;ii(ni'S : le liiunçiTc l'Iail |iro<ln;l par
V.i'j- on .luiiilcr. An dcuxiènu' ;'if;-i'. çpdiinc dv jcuiirs^r cl d iuiai^àna-
lion, clic cul recours aux snl)stanccs cl aux ranscs nclapliysiiiucs.
siiric (le pctilcs pci-sonucs cacliccs à l'intcricur des l'ircs. opi'raid
avec des mains invisibles : l'cleetricité ctail cause du lonneirc. An
troisième âge. ilé|)(Uiillr'c de ses ill usions, positive cl raisunualile.
clli' rcii'lle lc> causes cl i'X])liipie le ])liénom('n(> par le plicuoinènc.
K'aprcs M. I>iei-|-e Lallillc. ancien dirccteni- du Positivisme l'ii |-'raucc.
celle (■■po(|uc de raixni a c(uinnence vi'rs LS.'iO. aviH' Aui;uslc ('.(unlc.
qui Icrmiiu' l'evcduticui de l'cspril humain I . — Chaipu' hiunnu'.
considr'i-anl sa pi-iipri' liisinire. -c >(iuvicul . dit Aui;iisle ('.mule.
" i|n'il a l'U'' successi\ iMuenl . ipiani a si'S nolimis le-- plu- impo:-
(11 Coin:-.- lie l'Iiilusopliii' i remière. préf;ice, xiv.
•2U() E. i'i:i!,i..vrBi-:
lanlcs. llnMildnii'ii il.iMS Sun iMiraiicc. iiiiMa|ili\ sii'irii dans sa J'ii-
iiesse el pliysicicn dans sa vii-ililc I • .
I,rs iiiiMaiihysicicns a|)|iai'li"nncid dune an di'nxirnic iii;i' dr I liu-
niriMili'. ri les pi-iihlrni 'S diinl ils s'(iccn|MMd n cxislcnl pas. Le nilc
de la |iliili)sii|)lii(' SI.' I)(i:-n'.', anjiiin-il'liui. à sysli'nial iscr les ri'sidlals
si-iiMdili(|ni's iililcnns, à cooi-donni':' les luis ri. aniani (|n(' |his-
>ildc. à diMn-niiniT le l'ail j;('n('Tal d(inl li's divers |dii'ininic'iii'S ni'
rc|>i-i''scnli'nl ipii' les ras pari icnlicrs. à rnrniulcr 1 axiunic (|ni.
srlon Taini'. si' |ironnnc(' an soninii'l des clinscs ri duil r('ni|ilac,'r
DilMI.
Critique : réalité des problèmes philosophiques, I. hisldirc
a il('iniinlri' l'iin'Naclil iidi' di' la loi cics Iriiis ('lais -2. La raison
|i;-ini\r anssi. avec ex idcnuc. i\nc Irs pridiU'ini'S |iliili)S(i|)hiipK'S smil
des prdlih'ini'S rrcls. .Aussi, iminhrr df pnsitivisirs cl. à di' crrlaiin'S
hcnri'S. Viif^nsli' (lundi' I ni-nirnii'. on! nmins nie la n'alili' ipir I ac-
ii'-~siliilili' dr la ini'Iapli \ snpii'.
(lu priil IniiiM'r Irllr un Irllr suinliun rliinicriipir ; mais un m'
p 'Ml pas iliiT iph' Irs ipirsiiuns suirni rhiniériipii'S. Ci' n l'sl pas
.. une ipirstiun rliinii'i-iii r. dil I rrs liirn l'an! .lanrl. i\r sr driiianilrr
si Ir niundr a runinirni'i' un n a pas runnni'iiri' : rar il l'aiil liirn ipir
rc suil I lin un liMilrr, l'riil -l'Irr r>l-rr uni' ipirsliuii insuliilile; mais
insulnlilr un nun. r'rsl niir ipirsliuii. Il laid un ipii' li' miiiidi' ail
runimrni'r'. un ipi il n ail pas ruimni'nri'. ipir I liunimi' suil lilirr un
ipi il nr II' suil pas. ipir Innivci-s suil rii'iivrr d nnr i-ansi' iiilrllij,'i'nlr
un qu'il snlisisir par liii-iiirmi'. Kl lurs mrinr ipir ruii i-ri.iirail pun-
Miir l'rliappcr à ci's aulinumirs par la suinliun i-riliijiii' dr Kaul.
l'ucuri' laul-il ipic ces ipn'sliuus suirut posci'S pour rcndro possihii'
l'i'lli' suinliun. \'.i\ un mul. il y a là di's qni'slions rL-i-Ilcs, t'I, laiii
ipi il s aura \\i\r raisun linmaini'. rr^^ ipirsiiuns sri-uiil pusrcs : l't n
\ aura uiu' scirncc ipii 1rs pusrra ri ipii. avrr plus un niuius di' snr-
crs, l'ssaycra de les i-rsunilrr .'{ . >
La pliilusupliir a nu ulijrl. rrl ulijrl rsl ri'i'l. l'ar ipirllr mrlliudr
priil-uii Ir riiiina il rr ?
(Il Cours (le l'Iiilitsophie positive, l'" leron.
(2) Le Positivisme a vécu. Son pontife — car le Posilivisiii'î est tout ensemble
une science et une religion — et son dernier représentant en France, M. Pierre
i-atlitle, ,1 fait son cours en 1900 devant deux ou trois auditeui-s, curieux d'assister
à l'effondrement d'un système. Sei idées ne sont plus discutées dans les revues.
Ni élèves, ni lecteurs, ni contradicteurs. Peut-être l'humanité en est-elle à une
période de régression. Le troisième âge n'a pas duré longtemps.
(3j Revue philosapliique, 1S8S, 1, p. 331.1.
MiriKiiii- /;;•; ;,A fiiii.iisni'iin: o-ji
Nature de la méthode ontologique. — Oii.iiiis |iiiil.Kij|,|i(.-;
uni eu le ilcssrin ilr IViiri' ciniii-idiT lUrdiT liii;ii|iii' .imm- Idi-di-c
niil()l(ii;ii[iii'. (■ c'sl-.i-iliii'. (le " n'pi-odiiirc |i;ii- l;i |ii'iiscc la j^i'iU'Si-
iiiriiii' (In nidiiili' ■• en id ndi.iiil 1rs rlidsrs dan> Irnr ni'diTdc crc'a-
liiHi lin d l'Vidnl ion, ('.(innni' la ran>i' l'I le |ii'inci|M' r\i>lcnl anli'-
riinn-rnirnl à I cllrl cl a la cdiisr-iininirc. il> si' siinl |iiii'li''S d riii-
lili'i' .HIN |iiriiilr|-r> rallsi's l'I ail\ prri il irrs |n-inri|irs. iiii, |dniiil.
à la priMiiin-r caiisr ri an |nTniir|- |ii'inri|ir. iirii;ini' sii|ii-iMiir dr
I l'IiT. Ils mil cnsnili' rssaM' d en liirr, |iai- <lc<hirliiiii , Ions los
|ilii'iiiinii'ni's de riniivi'l's. O prorcdi' |ii'iil ^aiiiirli'i- ini'lhddc on-
loliK/iqur. iitfllinilr a /iriiii'i. uuHlinili- ili'(_liichci\ l'i-rnoiis i|ilrli|iii's
('\('in|)lis.
l'inliii w >iis|iriidii i l'V iiliil ion lin iiioiidc au |iianri|ii' dr Iniiilt', à
17 /(. -.'j l.v. 1.7 /( ni'sl ni rinlrlli.nciiri'. ni ii;ii-c : il c-,! a nli'i-irin- à
I Inlrlli^inirr ri à 1 VAvv. Il n rsl ni iionir', ni Lilirrli'. ni |-'onnr, ni
l^ssrnrr : il rsl sil|irririi|- a rrs (diosrs I , — i.a di'dnrlioii ronilnil
l'iolin dr lin a I liil('llii;'riicr, Noo;. (iinnnir Ir ra \ on rmaar in'crs-
■-airrnirnl du soiril, Ir No-j^ éllianr iln -}, \':,. Lin ri rinlrllif;-ritrr
roiisl il iiriil la /tijinli' /ii-iiiiilive. — Pal' iiiir iioiivrllr di'diiii ion, il lirr
dn S'/jz Ir A'>"j;. la prasrr dr l'ililrlli^riirr on I ;'iinr niiivrrr,rllr, j.r
-.'I E;. Ir Noj,- ri Ir .\'>;o;; rr|il-('srnlrnl la Ifimlr. — I. ainr II lli\ rrsrl Ir
|i|-odiiil 1rs liiiti's iiiiliridiielli's.
//l'i/c'l plarr son poiiil ilr (Irpai-I dans Vlilrr ir/:'lrr n/isalinuru/
iiidiii'nniiK'e. (iràcr ;'i Irvotiition. 1 idi'r sr dr'\rlo|i|ir ru |ii'iiiri|ir>
alislrails. roiuiiir IV'Irr, rrssencr, la no lion. |Muir ronsl il iirr la loi;ii|nr:
ri m drlri-uiinalions inrcaiiiqnrs, jdiysiijnrs, ori^aniqurs. d'où rrsuilr
le niondr. Kniin, les dri'nirrrs rvolnlions dr lidrr (Vrlre se passml.
ilans rrs|ii-il. Nous avons ainsi Irois soiirs dr di'Iri-iilinalions dr
l'idée : Lof;ii|ur. Nalni-e. Kspril -1 .
Firlili' Irnnve dans le moi le |u-inri|ir </ y/z/oc/ rlalisoln : londiMiirnl
ilr loii> 1rs l'ails dr riuisrirnrr, Ir moi i''\olnr m non-nioi. L'olijrl rsl
iinr drlrrniinalion du siijrl .'! ,
Srliel/iiif/ alll-ilnir la |ii-iorili'' à lidiji'l, ■ l'rrndrr l'olijrrlir |ioiir
|M-inri|ir ri rn di''dili|-r Ir sulijrilil, lr| r-,1 Ir pi'ohlrmr loiMlanirnlal
dr la |iliiloso|diir dr la uaLnrr 'i . •• La di'diirl imi srra IrniiiiH'r
lorsi|ue '■ ce i|ni l'sl |iosé pcuii' lions roiinnr olijrl dans Ir moi, \ sri-a
(1, Vr Knii.. liv. I.\, p, 7CÛ, ligne 1M9.
(2) l'kilosiqjliie lie VEspril, introd., ch, v. p. T,)-ul; trad. Véh.v, lSii7.
|3) Pi-incijjaiix fontlemenls de lu Srieiice et de lu l'onnaissnnci'. t. I, prciiiiOre
partie, s 2, 3: et deuxième partie, passim.
(4) Système de l'iiléctlisme Iranscendatilnl, introd.
■2:;2 K. PEILF.ALnE
)iiisé niissi |i<iiir non-; i-diniuc sujcl 1 ". J.i' /irm-rssiis if ('■Vdlnliiui
rsl le niiJmi' i|iic ii'liii lie l-'ii'litc.
Spinoza [t;\v\ di- l.-i Siilistance, ilmil il diMliiil Dieu cl r.'uiir; ilr r.iini'
il lii'r ['(''Icnduc cl lii pensée: ilc l'clciiduc, Inus les iihcnoincncs coi'-
|uirols: ç[ de la |)cnscc. tons les fails de l'iiHU'. Il |)rocc'de |)ai' axiomes,
proposilions, di'iHoii^li-alions, coi-ollnlres i .
Les ])liiloso|ilies de celle école |>eiivenl dill'érer snr le choix du |ii'e-
niier prineiiio el sur la détermination ties anneaux qui constilueid la
chaîne de la déducliou. Mais ils siuit d'acccwd sni- le lond de la \\]r-
Ihode, qui consiste à poser dahord le principe l'I à tirer ensnile lnulcs
le-. conséi|Menccs (pi il riMd'erme.
Vice essentiel de cette méthode : identification de l'ordre
ontologique avec l'ordre de la connaissance. — Celle mcihodc
repose sur [Wi taux postulai : ridciilitical iou de I ordre ontolo-
gique avec l'ordre de la coniiaissaiice. Kn soi. au point de vue
niélaph\si(pie. la cau-c préexiste à rellel et le |>i-incipe à la consé-
queni-e : I l'H'cl repri'--cule une iliuiinulion cl une cliulc dclre; la
consé<iucnce. uiu' extension du principe. Mais p(uii- nous, au poini
de vue de noire lo,i;ii|ue liuniaiiu'. la seule qui nous soit possihie. la
connaissance de rcll'cl cl de la cons(''((nence est anii'rieure à celle de
la canse el ilu priucipi'. La sensation, «pii est à l'origine de notre
science, n'a i-appori qu'au phcnoiin''ne. Sans douli'. le phénonu'Mie
pos>cdc umins diulellii;il>ilili' qiu' l'élrc. el son explicali(Ui com-
plète suppose un rclliui- de la cause sur l'ellel. Mai-; piii-iiuc la ciui-
naissance d('l>ule pai- les sens, lorcc nous est de c(uiuncncer par
l'inférieur cl rinipai'lail cl de nous idcvcr. par de^ri''. an sup(''rieur et
an parl'ait.
De plus, plai-ci- la d(''duclion au prcnucr miuucul i\r la recherche
scienliliqne. — cummc l'exific la méthode onloloiilipu' , — c esl
dal>ord se niellre dans la nécessité' de pr Ire une hypothèse poui'
point de départ, el une h\])Ollièse ipii. fùl-clle vraie, est nulle scieu-
tili(|uemenl. ("esl ensuite se renh'iMuer dans uiu' lo,i;iqne stérile ou
se coiidaniuer an paniheisnu'. SupjKisons que ILli'c alisolu soil le
principe de lindcs choses. Il esl iiiqiossililc d eu lirei' pai- d(''ducl ion
l'existence îles êtres de la nature: c'est tout au plus si 1 ou [)enl con-
clure à leur possihilili' : la déduction analyse senlemeut le contenu
d'uiU' idée. I-'.I >i l'on veut di''duirc leur exislcucc. on n'échappe pas
(1) Loc. cil., troisiùinc partie, i. p. 6:i.
(i) Voir ['Élliiqtœ.
METitiiiiE m: /. 1 l'iiii.iiSiii'tni: 253
au iiaiillii''isin(' : (■(iniiiiriil 1rs lirri' d\i (•(iiici'|il de Difii. par aual\si'
iiii'la|ili\sii|iu'. sans li»s idnil ilicr avec IKIi-c divin '.'
Les résultats de la méthode ontologique ne lui sont pas
attribuables. — .Mali;iM' scni \iiT radical, colle midlitide a on des
résultais. Plusieurs des f^i'aiules coiislruclions qui lui doivent le jour
saccoi-denl assez bien avec rohservation. Mais cet accord ne saurait
lui l'Ire aliriliui'. Si la di'ducliiui rejoint l'expérience, c'est qu'elle
en est parlie. I, énoncé des prohlémes uest [las à priori : poiu- cher-
cher connuent on peu! déduire d'un principe donni- l'intellif^ence el
l'étendue, il faut avoii- appris di- l'observalion ijue l'intellif^'ence et
l'étendne sont des attrihuls de la réalité. Le principe lui-même n'est
ordinaii'emenl cpiune ol)servation condensée, sciiéraalisée. La dé'duc-
li(Ui di'veliippc ce que l'inductiiui a enveloppi' : l'uiu' dc'riinle ce ipu'
l'autre a enruuh'.
Nécessité de la méthode expérimentale ou inductive. — Si
la méthode oidiiloj;iquc n'est l'écuude (jue par ses enqirunls à 1 expé-
rience et à l'inducticui, la méthode expérimentale ou inductive est
une méthode nécessaire.
Celte méthode revél des foruies assez diU'érentes, suivant (]n'elle
s'appliipie à des phénomènes physiques, chimiques. l)ioloi;i<pu's.
psvchohitïiquestui sociaux. L'observation, l'exiiérimentalion, la tléter-
mination de l'hvpothése et la V('ri(ication des consé(]nences ne' sont
pas des opérations absolument ideutiipies dans le monde delanaturi'
et dans celui de la conscience. Mais, au fond, la métinjde est la même
partout : des faits on s'élève aux lois et des lois moins générales
au\ luis plus jiénérales.-
Impossibilité d'identifier la méthode expérimentale et la
méthode psychologique : erreur de Cousin. — La mi'thiMle
ex|>érimentale. (pii représente le [loint de départ nécessaire île toute
recherche scientiiique, sera donc à la base de la philosophie de la
matière et di' celle de l'àme. La physi(iue, la chimie el la l)ioloi;ie
précéderoid la cosinoloj;ie rationnelle: la psychologie expérimentale
.servira d'introduction à la psychologie métapliysi([ne.
Cousin, vn organisant l'élude de la ])syi-hologie classique, a l'ait
de la conscience nne sorte de préambule à la philosophie en général.
I.'intri)spee!iiui. ([ui n'est qu'une des formes de la méthode expéri-
mentale, s'est trouvée idenliliée avec cette méthode elle-même.
La psychologie doit-elle précéder toutes les parties delamétaphy-
au E. PEII.LAUBIO
sii|iie ? — M. U;il)i(M', dans ses Li'inns dr l'aijrhotaiiif. l'ail valoir deux
raisons en faveur de rafliruiative.
a) i< Dans lout iirohlèiue |diil(is()|ilii(|ue sur la nalurr iiièiiie des
choses, on trouve impliqué un problème de psycholof^ie : et eelui-ei
(loi! être résolu loul d'abord,- car il donne la plu|iarl du temps la
solution de celui-là. ■> Kn ellel. avant déludier les ciioses m elles-
nu'nii'.s, il est nécessaire de les considérer dans les elfclx ((u'elles ]iro-
duiseut ini naiix : ces effets sont nu di's reprr'sentalions ou des sen-
liuienls.
Cet arf^unicnl pi'ouve trop. S'il a\ail une valeur, la [isycliolo^ie
devrait |u-écéder non seulenienl la niélapliysi([ue. mais encore tonte
science, la f^éoinétrie, la physicpu'. la chimie et la biolojj;ie. t)r,
il n'en est rien. Sans doute, nous ne soi-lons pas de nous-mêmes
pour connaître les objets extérieurs. Nous n'avons prise sur eux
que par nos représentations. .Mais ces l'cprésenlations ont toujours
deux faces : une face siibjerlirr el niu' l'ace iilijcrlirr. Pai' un colé,
elles soni des nu)des de la conscience: el. par un aulre, elles sont des
objets, ([ui [leuvent n'avoir aucune réalile ixli'rieure à nous, mais qui
nous sont dot}nrit comme objets de connaissance. La Psychologie étu-
die la face subjective des représentations, elle se demande en outi'c
si (piehjue chose correspond en delun-s ili' nous à la face objective;
mais ses recherches ne portent pas sur Vulijçl donnr hn-méme, (|ui
constitue le domaine des autres sciences el des autres parties de la
philosophie. Sans la conscience, le physicien el le pliiloso|>lie ne con-
uaitraierd pas la lumière; mais l'élude des lois et de la nature de la
conscience ne leur appi'end rien sur les lois, ni sur la nature de la
lumière. C'est la sensation qui i-c\clc ;i riiisloloj;isle la siruclure des
éléments analonii(pies ; mais ce nesl pas la théorie de la sensation
qui l'ail proj;i-esser la science microscopicpie des tissus. La Psycludoj^ie
ne saurait (humer les solulioiis di's prnblènies scienlili([ues ou méta-
physiques (pii [lorlent sur Wilijrt donnr dans nos r(q)résentations.
Quant aux <-hoses (pii |U(>duisenl en nous des sentinu'uts, senli-
menls du beau el du bien, nous les connaissons de t\^^u\ fa(^(Uls :
d'abord par la nature des représentalions ijui causent les S(Mitimeids ;
et ensuite jiar ces sentiments eux-mêmes. La première connaissance
est olijcrlii-r ; la seconde est subjective. La Psychologie subjective
joue, en etl'et, un grand rôle en esthétique et en morale et même dans
la science générale de l'être. Mais il ne convient pas de l'ériger en
méthode universelle et de la substituer à la mélhode expérimentale.
bj D'après M. Rabier, la Psychologie doit encore précéder la méta-
physique, parce i|ue notre conception métaphysique des choses est
MKTHDDi: hi: /. 1 rim.dsiiriiii: 25:-;
iiéCL'Ssairi'iuL'iil iisycholuKiLiiH'. Ci' r;iisonneniL'iil sui)|)OSt' que Volijrl
cniiiiu dans nos représentations nest autre que nons-niènies et que
noire percei)tion n"esl qu'un j^rnupe de sensations j)rojelé('s et alié-
nées. M. Bergson a très lieureusenieut l'éi'uté celle projection de sen-
sations. Kn tiuil cas, la science et la métapliysi((ue de tout ce qui n'est
pas l'âme porlenl sur un objel donm'-. Cet ohjel donné n"esl-il fpi'une
.sensation aliénée? La ré[)0nse à ce grave proMéuie de psychologie
est inca|ial)le, quelle qu'elle soit, de nous donner les solutions des
problèmes métapliysi(pies touchant la x\;\\x\Te obji'ctive de la matière:
elle ne saurait, i)ar conséquent, régler l'ordre à suivre dans l'étude
des dillérentes parties de la pliilosoi)hie. Cet ordre dépend de la u.iluic
des rapports que les problèmes .soutiennent entre eux : il a poui- Imt
de projeter sur le problème qui suit les clartés de la solution du pro-
blème (|ui précède.
Rapport étroit de dépendance entre l'ordre logique des
parties de la philosophie et celui des différentes sciences. —
La philos(i[ihie, nous 1 avons ilenionlré, est en continuité avec les
sciences : dans chacune de ses parties, elle se superpose à une ou
plusieurs d entre elles.
Il en résulte que l'ordre A suivre dans l'élude des dinV'i-cnles parties
de l.'i i)liilosophie est corrélalil' à celui (]ui régil les sciences et
explique leur développemenl. Su[q)osoiis que A et B soient les fon-
dements de C et de I). Si l'éliule de .\ est nécessaire à celle de B. il
l'aul que I élude de C soil nécessaire à celle de 1) et (pi elle la pri'-
cède. Quel est donc l'ordre logiipie des sciences?
Ordre logique des sciences : Principes d'Auguste Comte.
— La classilicalioii des sciences, au point de vue ipii nous occiqie.
repose sur ces deux principes d'.\ugusle Comie : (i\ Dans la natui-e,
les faits les plus simples soni les jilus généraux : la simplicilé esl
en raison directe de la généralité. C'est ainsi (pu' les phénomènes
physiques sont plus sinqiles el ])Ims généraux (jue les phénomènes
lii(dogi(pies. /) , Les faits sont si bien soudés les uns aux autres (pie
les plus complexes et les moins généraux supposent, comme condi-
tion de possibilité et d'existence, les moins complexes et les ]ilus
généraux. Les (jualilés physiques el chimi(pies s'appuieni sui- la
quantité et servent de base aux |)ropriétés vitales.
Il suit de ces deux ]>rincipes : a) que les faits les ])lus généraux
sont aussi les |ilus faciles, la difficulli' croît avec la conqilexité
doni chaqin- nouveau degré rei)résenle un nouveau mystère: h\ ([ue
2S6 E. PEILLAUBE
l'iMiulc (lu I ri II s i;éiu''ral ou du plus l'iu'ilc iluil iirc'cr'der ccllr du i nui as
};éiu'r;d cl du uioius fiicilc : le jilus connu serl à édairei' le moins
connu. I) où la (dassilicalion d'Au^ush' Comte : an ^M-emicr ran^, les
iiiii/lii'iiiiiliquex, et, à leur suite, Vnslrouomic.'lA jilnjsiijiie. la rhiiiiii'.
la hioliiijie et la snrioloijii;. Nous ilirions aujourd liui : iiiiillnhiinli-
ipii'x, jiliysiqiip. rliimir, biologie, psiirluilorjie ('.rpi'Timriitnlr. surioloijir.
De t'a il , les progrès de la physii|ue dalenl du Jour lui les mal lic'uia-
li(pu's lui fui-ent appiiipiées. La cliimie doit nue grande partie de
son di''velo])pemenl aux malliémali(|ues el à la ]ihysi(pie. La liiolof^ie
a souvent besoin de la |diysique, de la cliinni' et même des mallié-
mati(|nes. Qui sonj;t'i-ail à nier la coutrihntion d(>s sciences Itiolo-
i;i(pu'S à la |)sycholof-ie et de la i>syclu)loj;ie à la sociologie?
Ordre logique des parties de la philosophie. — L'ordre à
suivre dans l'i'dude des ditl'iTiMiles parties de la philosopilie est donc
loul iuilicpu'.
Au premier rang, il convient de placer ceu\ des pi'ohlèmes mé-
taphysiques (pn se superposent aux MallH'niatiijues. à la Physique,
à la Chimie el à la Biologie : prohièmes (pi'on peut réunir sons I ap-
pellalion commune île Coxinoloriic rnlitinm'llr ou philosophii' (le lu ina-
lière. N'ii'id cusuile la l'sip-holuijie riiliiniiielli' {\\\ philosophie fie ri'nin' .
(pii i-epose siu' un ensemhle de sciences d'ohservaliini ou d'expéri-
menlalion diles |)sycliologi(|ues. Clomme il est im]iossil)le de s'iider-
roger sur la ualni'e de la maliéi-e el de l'àme, sans se poser la
(pieslion d'origine, la Théodieéc trouverai! sa place après la Cosmo-
logie el la Psychologie. La Momie, ipii suppose l'àme et Dieu, el
ipii ri'pri''senle un grou|ii' de pli(''iiomcues très ctuiiplexes, poui'rail
( loi'e avec la so<iologie enc(U'e plus l'omplexe les l'Iudes |)hiloso-
phiques.
Celle (dassilicalion a le iiK'rilc ddrihumer les dill'éreules parties de
la pliilos(qihie d'après une mélhode rigoureuse el (dijeclive. ijni,
ajirès avoir été la source du |irogrès des sciences modernes, devrait
eli-e un des principes les plus l'ecoiids du d(''V(doppemeid de la [dli-
losophie s(:ien(ili(|ue. La Psychologie m(''laph\sic|ue, par exenq)le, a
besoin d'être éclairée parla biologie métapliysi(ine, sons peine d'être
inintelligible. .Vu lieu dech'bnler, comme on le l'ail d'ordinaire, |iar
la conscience, pour (h'clarer, les uns, qu'elle esl un épi])liéiio-
mène et (jue les cimililions physiologi(|nes sont l'essentiel; les
autres, (jue cidies-ci sont accessoires et qnc la conscience est tunt,
il serait pliLS scientifique de creuser sons la conscience et mêim;
sous la sensation, pour se demander ce qu'est la vie. Un arriverait
uETiinhi; m-: la vtuuisni'wii: 237
ainsi .'i uni' science de r^iiiii' |iliis hirL;e, plus iiiMiloude el -iirldiil
plus |)(isil i\('.
I^a phiei' ili' la A(/iy((/»c esl une i|ui'sti()n de UKjiiuIre iin|>iiiMancc.
Siii-le de pr(ipedeulii|iu' universelle, (die vient en lèle des sciences el
aucune d'idles ne se peul sdiislraire à ses lois. Nous la iui'tli-i(ins
volonlit'i-s au premier ranj^', en la c<iinplélanl jiar corlaiiu's données
j(sycludoi;i(|nes destinées à écdairer li' niécanisnie de 1 ('S|)i'it.
Méthode philosophique : induction et déduction. — Na lui'-
tliiidi' i;i'nerale de la philosopliii' CdUipi-iMid deux luonnuds essiuiliels :
\' iiiili(iiiiiii i'i la ili'ditcltiiii . Il l'aul d aliord pi'oceiler par iuduçlion.
Nous l'avons ('lahli en critii|uant la niéthotle ontolo^irjue : les lois
iloivent être d(''i;af;ées de lOliservation. sons t'oi'iue d livpotlièse à
vc'rilier. La déduction siulroduil ensuite pcuir ili'duire les consé-
([uenres de la loi et les contrôler avec l(>s laits. .\près être inont('
(les efl'ets à la cause et de la consé(|uence au principe, on descend
de la cause aux ell'ets el du priiu'ipeà la cons('ipu'in'i'. Si linlV'i-ienr.
au j)reniier nioinenl, sert à e\]diipier le supi'rienr. c'est le supéi-ieni-
qni, an second nionient, e\pli(|ue l'inférieur. La c(innaissance coiu-
pléle est une c(UÈUaissaiH'e par la cause : cere sciiv per causas scirc.
E. PL IL LA LDI-:.
HiHLioiiu Aniii:
LE SOUVENIR
Li> liullrlin dr l' l-^nsriçiiieinrnl /iltitusopliiijiie nous a demaiidi' la
lislr (It's ]iriiu-i|iaii\ i)n\i-ai;rs qur nous avons consultés iioiir notre
llii'sc tli' tldctoral sur la .\ntui-c du Srmvpiiir. et linilicatioM des
i-t'siiltals aii\(|ii(ils nous croyons ctrc ai-rivé.
Les livres (|iii Irailcnl ilii S(iii\iMiii- peuvent être groupés iraprès
les tliéoiies ipi'on en a dininées et i|ne nous ap|)elons, pour des l'ai-
sons didacti(|ues, ihroiii's iihysiolouir/ues , llirarics intn'Uionnhtcs,
ihriirii'S l'.rjiUrnlivfx.
I. ini;oRii:s l'uvsnii.oi'.njrKs
Descartes. — Trailr dr l'hommr. t. IV, |i. iOO, éilition Cousin.
Malebrancbe. — ^ Ih-rhcnhc rfc la Vn-'tlr. I. H, cli. v, w" :\. p. IS-i.
l'dili.iu .1. Simon.
l'on.' Desciirles et pour Malebraiiclie, la uiénioire est une hnlii-
liiilr. Descartes compare les espr'ils animaux à de petits poini;i)ns
c|ui forment d'imperce])til)les trous à travers la toile du cerveau.
.\ mesure que les impressions se réju-tent, les trous s'aj^randissenl el
les esprits repassent plus aisément. " C'est en -jnoi c(uisiste la nu'
moire. •• — Descartes a cependani l'ail des i-estridions à sa lliéoi-ie
mécaniste, dans une Lellrr à Arnaud, où il exif;e, pour (jn il y ait
proprement souvenir, une Conn'ptton pure. I.rltrrs de Desraries
publiées par Ci.khski.ikh. t. II. I. vi : I. \. p. l.")7-l:).S, édition Cousin.
— Malebranclie voit dans la mémoire (|uelque chose d'analogue à la
lli'xibililé d'une branche d'arbre qui, une fois ployée, conserve plus
<le facilité à (''Ire ployée di' nouveau.
/,;•; snr\/;.v/;( 2o0
Spencer. — /'/■n)'(/(.'.v ilr l'uijclinhiiiir. I. I. \\- \\\w\\r. ^^ijiUhrse Sjir-
rliilr. eh. \. lie V J iisliiirl : rli. M. (le 1.1 Mniinlrr, Icad. liilint l'I Ks|)i-
nas. Alcali, IH7.").
Le iii('la|iliysicii'ii ilc l'c'cnlr anglaise Iciiiivc dans Ir Siuivciiii- mu'
(les |iliasi'S (le li'V iiliil imi |is\ ili ii|iii'. Les iMals ili' ciuiscinici' h'iuli'ul
à iiiir iiiir'jj,i-alii)ii (II' |tliis en plus |iai-rail('. Lr siiiiM'iiir a|i|iai-ail,
lciisi|iii' leur liaison n'est pas alisuliiiiicnl aiiloiiialiipii'.
Ribot. — Maladies (Ir lu innimirr, Trcizièiiii' l'ililiiiii, Alcaii, l'.KIH.
La iiiéiaoii'c se ciiiiipiisr ilc Irois cIi'iikmiIs : la (•(inscrvaliiHi, la
l'i'lii-odiiclidii, la liicalisaliiiii dans le passé. Les dcii\ prt'mici's soiil
nécessaires. Le li-(iisièiiie esl un apporl de la ciuiscieiice, el par con-
séijueiil ipadipie chose d'inslalde el de surajouh'. M. I{il)ol nie la
l'iMMinnaissaiice ou le rejet d'une iiiia^e dans U' passt', en laiil (|ue
celle opei-al ion pi-i'céde la localisai ion ,
Celte Ihéorie suppose que la conscience est un épiplir'noinèiie, nu
accessoire de l'aclivité nerveuse. I>a doctrine de la conscience epi-
plK'iioiiièiie esl longuement exposée dans MAinsi.i;^. l'hysioloijw dr
rrsjiril. Irad. Ilerzen, Reinwald, ISTU.
Sollier. — /.e Prohlrmc <lr lu inrinoirc. Paris. Alcaii, l'.HKl.
l/aiileur (■liidie li'S lli('iiries de la iii(''iiioire, ses diU'érentes étapes
de lixaliiui, de latence, dévocalkui, tie l'eprodncl ion, de reconnais-
sance et de localisation, son siège et son inécanlsiiie. Ce livre esl une
in(eri)rétalioii loiile |)liyslolo}^i<|iie des lails de la nii'inoire. " l.e
proldènie de ITniie n'est prohahleineiil au tiuid i|u un prohiènie de
(iliysique el de mécanique. <> (P. ^18.1 — P(Mir couiprenilre la niili(Hi
(jue se font de la mémoire cei'taiiis |ili ysioloj^lstes, consulter aussi
UlcilKï, La, MriiKiirr i''li''i)ii'iil<iin\ /Iitiic philos.. XI, p..")'l().
11. THÉORIES IMl rno.NMSTICS
Reid. — Fss'ii sur les furul/rs ilc l'csiiril liiiiiuiia. r.-icultés iiili'l-
leclindles, Kssai III, p. ;■>'(, Irad. .Iiiiillriiy. I. I\. l'aris, Saulelel.
I.S-2S.
Le passé esl rolijel d'une iiil iiil iiiu iiiuuediale. Le souvenir s accom-
pat;ne : I" île la croyance à l'existence passi'c de la chose rapiieli'i' ;
-J" de la conception el de la persuasion d'une diiri'e passi'e; .'}" de la
|persiiasion de l'identité porsonrielle. Reid se disi inique pai- l'usage à
peu prés exclusir de l'aualvse descripi ive.
Cardaillac. — /:Jli(ili:si''lriiiciilaircsi_lf//liiloso/)liic, Paris. Didol. IS.'Sd.
■260 (Ubriel voisine
l'I (Iaiimich. — TriiUr ih's Famllrs de r<hni\ Paris. Ilaclii'tic. ISTi. Se
rallarlii'iil à la lai'iiif ('•(•(ilc.
Hamilton. — Frtiiiiiienls di- iiliilosophif. Uciil ri Hrdwii, \>. T.'i,
Irad. Peisse, Paris. IH'd). Ui'riilc riiiluiliiniiiisini' île Rrid. 11 n'y a ilc
coiinaissann' ipir iln |ii'(''sriil. |iai'Ci' (piil h y a de roniiaissaiicc i|U('
(k' l'arliK'l.
Locke. — L'ssiii sur l'eiile>idi')ne»l lunnuin. 1. 11. r. x. p. Kl.'t, Irad.
(Insle. (Juati'irnii' l'ilil i<iii, .Viiish'i'dain, ITW. S(dnliiiii Irrs su|i(M'ti-
i-iidlc.
James Mill l'siirholiKjii- ainihiise de Himir. p. (ill, hiiisiciiie éd.,
liS'.Mi c'sl un des premiers qid aieiil eu reeniirs à l'assoeiatioii des
idées. Le iiiiii ipii se souvient évO(iue le iiini (|ui a peiTii ou eoiii-ii,
^r,ire aii\ l'Ials tle conscience intermédiaires.
Ravaisson. — /tnpporl sur la J'Iiilnsiipliie frinxnisc un X/X" sirrle,
p. I7(i. deuxième ('diliiui, I88."i. Le soiix enir eonsl il ne le |ii-ivilèj;e de
l'espi-il. r.iimme l'esprit est intemporel, il lient sons son ri'gard les
divers moments île la durée. Se rappeler n Csl antre chose (|ne voir
les êtres xuli specie n'Iernilnlis.
in. TIllillIUKS KXIM.ICATIVES
Aristote, — llv'. .My^ji/,,-. Merlin. Ih;!I. 'l'i!!'- i:;;!''. Il existe nne
édition spi''ciale des Ojiiisriilfs, au niindire ilesipiels se trouve le Ttspl
;j.-//,;j.ï,4. (.'.ousnltei- la version lai ine ipii l'st i-eproduile en lete des Com-
nii'iilfiiri's di' saint Thomas, et surtout les Cnmmenlairrs. Voir aussi,
— mais axci' prudence, — BAKïilKl.K.MV-S.MM-Iln.AiHi:, /\\i/rli(do<jin
d'ArixInle. ()pu>cule>. Préface et Iraiinction.
Le r.ipl ;jLv/,;jiT|? est un texte classi(|in' et l'oiulamental ipion ne sau-
rai! trop mc'diter. P(un' le Sta^irile, la mémoire est une l'acidlé d'ordre
sensilile. commune à l'Iionuue et à lanimal. Llle est caraclé'risé'e
par la notion de |{'mps. H i'z iJ.-ii,'xr, -.vj ■;i'i'i\j.hio-j . Limage qui sert de
nnUière au souvenir représente un i'V(''nement |>assé, et c Cst ce (pii
constitue esseutiellemenl la uu'moire.
Au moyen ;ifçe, on précise la distinction des deux nu'moires, sen-
silile et inti'llcctuelle.
Saint Thomas. — (''nuiiirul. de Miumnii. lili. nnicns. — .S'. ï'/ii'idiiij..
I' P.. q. i.WMii, arl. 'i (d Comiiiful . l'u/clinii, > P.. i[. Lxxix. art. (i,
art. 7, et (_umincut. Cajcliini.
Les contemporniiis ont re})ris et complété l'explication [n'ripatéti-
eienne.
;./•: sut V i:\ii; ici
Delbœuf- — i-i' Sdiiuin'il ri Aw /vvv.v. |i|i. :.'().'! l'I -II.. .\lr,iii. liSS'i.
Guyau. — tîi/nrsc dr l'idrf dr li'ni/is, |i|i. ."l'.l ri ,>i| ., .\ |r,i II . IS'.M).
(ilivaii n'Siiiiir ri critiiiui' l'ii|iiiiiim de DellMiMil'. I-Accllriil r iiii,il\s:'
siii' los i';i|i|ii>rls ilii li'iiips cl de rcspari'. [.a iKilimi de l('in|is s .•ici|iiic'ii
;iii iiloM'ii (les ciiiiil idiis lie jiiiiis>aiM'c. ilr ili'sir cl de n'^i'cl. ( lii |ii'ul
rauu'iii'i" à li'dis |iriii(i|ialrs li'S cuTidil ions de l;i iiiciiinii-c : I \aiii'lc
(les imajîi's : •!" assucialiiui di' cliacniii' d elles à im lini plus du iiiiihi'^
dcliiii ; i!" assiirialiiiii ;'i i|iieli|iii' iiil l'iil imi (HI ai'lidii.à i|iieli|iie lail
iiili'i'ii'iii' |iliis iiii iiioiiis l'iiKilif f\ d iiiii' liniithlr a.^risilile iiu |iénilili'.
iiiimiie iliseiil les .Vlleiiiands |i. 'û . — - Se soiivenii-. e'esl retnuiver
dans l'alla- le l'eiidlel el reiidniil exact- nii l'iniai;-!' csl f;-|"ivée. Cel
allas du temps, scliiii nous, a pour l'euillets des espaces ip. G3i. "
Hoffding. — L'xsiil il'uin' psi/rlin/ni/ip fondrn xiir l'/wp/'i-ience. Psy-
elinlogie de la cuii naissance. V. I!. I. — trail. I'<iite\in. .\lcan. l'.MIIl.
l/aïUcui- distini;iie la iin'niMiii'c iinpliipiec de la iiii'iiniirc liln-c. Il \
a i-ecunnais-aiii-i' l'I iiieiiioii-c inipliipii'c. Im-scpic la i-i'pri'>sciilat imi
actuelle s ai;n''^c un ceiiaiii nondire d'iaia^'cs. pinir Inniicr avec ces
images un seul Iniil. Il \ a sinivenii' ef iiieminre lilire. Icn-sqne les
images passives n'entreiil pas dans la pci-cepliiHi presenle. HôlVdini;
ne dit pas (-(niimenl (Ui i-ccminail.
Bourdon. — /{/'m,- jiliiliisiijihii/nc. IS'.I.'!. II. p. Cr^'.K l'ai- une -l'i-ie
ircX|)él-ieiices. M. I! 'diMi >ell(i|-ce de munlrei- ipie la l-ecminai--
saiiee est nn senlimeiil d'ui-drc iiitelleci iiel. sans iin'canisiiie d as-
siicialiiui.
Fouillée. — /'.vi/r/io/ixy/ç fli'\ idt'i's-fiirci's. .M. [•'(iiiillee reprend les
idi'es de (liixaii sur la ,i;-enèse de l'idée de temps. La meunure est lor-
lement soudi'c à l'Iialiilude. m lîec(Uinaitrc, c'esl. avant font, avilir
(•(inscience d agir a\ec mie mnindre r(''sislance.
Bergson. — h^ssni sur 1rs ihiiinrps immrdiiilrs dr lu rmisririirr .
Ch. l)e la imdtiplicilc des idats de conscience. — Malirrr ri nirtiioirr.
passiiu.
I)eu\ Inniies de la iiii'mi.iire : I" la reciinnais-ai ii le scTitimeiil
de ranlomatisme unileiir; -2" le sniivenii- pur mi riiiliiitiiin Iraiisceii-
daiite du pui- espril. Ces deux mr'iiinires se prnlnngeii I I une 1 autre
et se compeiiètl'ent . I,e> cent res cerelira II \ de pniiectiiiii ne siilil ipie
des rentres de percepliim \irluelle iulliieiiei's par l'intcnt ii m du
siuiveiiir.
Chartier. — llrrur ,/c nirldjiliiisiiiiK- ri dr ///(i/Y//r\ Janvier, mai. se| -
temlire 1S!I",I.
C'est un disciple de .\1. Hei-gsiiii. Il l'Iiidie successivemeni la couse. -
vatiun des souvenirs, leur éviicatiiiii. le temps, le moi. (.>n ne.se son-
202 (iAURiEi. VOISINE
viciil (|U(.' lies iiliH's. <.)r, riiléc (■liiiil rlcnicllc, il n'x ,i |iiiiii- cili' ni
roiisrrvalioii, ni destniclinn. I^llocsl. Jlais elle se ilissimiilc <l;nis iiiic
idi'i' |ilns ciiinpk'xe cl n'i\|i|iariiil à la conscience i|ue siius l'eU'orl de
laiiaixse. l/anaivse s'(i|(ère snixanlles cali''^i)ries kanlieimes de (piaii-
lilé, de qiialilé. de c(dali(iii. tie nindalité. I.e lenips n'sulle d'une con-
slruclion lali-mnelle. C'est rordre in-éversilile des idées, s'enidiainanl
sinvaul une deiliM'Iinn liii;ii|ue (mi arliil raire. hansiT dcrniec cas. la
Mildidi'' cri''e le leiiips.
Fauth. fh's nrdiirliliiiss. (iiilersluli. ISIS.S.
\'(iici la division de I onvra^'e :
Li V. I' ' : \ lie II isliiricii-crilii|ne sni' le son veiiij- inciHiscienl : .li'ssen,
|)iapei-. Ilerin^. liilinl . I.nl/.e.
|,iv. Il : \ lie lii--l uiicii-ciil i(|iie sur le snuvenii- conscient un |>^\-
cliiiliii;ii|iie : Ijiirwic/.. W'iindl, j-'iHiilh'e. Drii-pl'eld. SIeinI liai.
Li\ . III : Le siiiu ciiil' iiiciinscienl ;la \ ie incmiscieii le de I orj;a-
nisuie lininaiii. le Miii\-enii- des nei-ls seiisililsel des nerls iiiolenrs.
I.iv. I\ : La ccjiiscience el ses conditions.
Li\ . \ : Les l'on lies de la conscience : se usai ion. |iensi''e. seul inieiil ,
\iuiloii'. alleiilioii acte volinilaire .
Li\ . \ I : Le siniveniF <!e la \ie conscienle. (^onsei-N al uni. ce|irodiic-
linii. recininaissance.
I.iv. \ll : Maladies de la conscience el du --oin l'iiir.
Li\. \ III : Le lant;a,ne el le souvenir.
I,i\ . I\ : \aleiii' du son\ cuir dans i r'dncal iiHi.
(.loiinailir. c'est localiser l'objet dans nn loul. on sons un tilre
i;i''néral. in[ dans une séiae d'inlensilés varia]ile>. mi dan-- une cliaiiie
d'acliiHis oi-donnr'cs a nue lin. liei-onnail ce. i' esl n''|ii''li'r celle locali-
salioii l'I reiiian|iiei- lidenlili'' des di'ii\ acies.
La reconnaissance i-e|iose sur un acie de ciniiparai>oii et de .jni;e-
iiieiil. l-die e\ij;-e à la l'ois l'idenlili'- i\r<. olijels el leiic dill^'i-ence. an
iiioiiis leiiipiu'elle.
Pierre Janet. — Cours inrdil I !^I)S- I S!)!l. lianicne la reconnais-
sance a l'aiiliMiialis les iiiia;;c'>. el non. coinnie .M. lierij,son. an
seul aiihuiial isine iiiolenr.
Taine. — /'c l'/iilr/lificiirc. l. II.
Le siMiveiiir e>l nn i''lal l'ailile. enra\ i'' dans scui di''\ eloppeilieiit ri
localisi'' à Taille d'un [irocédé ingénieux.
Gratacap. — Auahi.se des fful.i di' mniuiirc. ItapporI lu a r.\cadéinie
des scii'iices inoi-ales el poliliipies. l'aris. IHIi". — 7'liriirie dr lu iiir-
mairr. .MonI pellier. IHCid.
Le souvenir ri'sidle d'un diudile ciuih-aste : à cause de sa lixile, de
-i;i S|i(Mil;iii('ili''. iMiu^ I i'\rliiiiiis ilii raiij; des siiiiplcs (•(iiicc|il jiiii>, r|
iiiiii> ilisliiij;iiiiiis la riiiii-i'|ili(iii i\r \;\ |ici-i'('|il ii iii à s(i:i iiiaiii|iii' ilr
<'llllsisl,'IÈll'l' l'I lll' IM'I tl'Ic.
Aidrrs iiiirrdiics i(i/i^ii//rs, si- rapiioi'hiiil mollis (liici:t('iiicnl
(lll siiiivrnir.
Dugas lirriK' iiliil.. iS'.ll. I : ri I.AI.WIii; /!rr. pliil.. l,S'.i:i. Il . siii-
li's iiai-ainiii'--ii's.
Bernard. — L'Aphasie.
Delbœuf. — Im Mihlioirr chez les hiJinKili^rs /!,■!•. /ihi/.. \\l.
I.. l'il .
V. Egger. — Im l'amie hilérienre, Pai-is. lîSSI.
P. Janet. — /.'A iil<iiii(ilixiJie psiieholniiiijne. All'ail, ISS'.I.
Kant. — f^rillipii' lie lll llnisiiit pure, \"' parlir. Il'' si'cl i(Ui, |; 'i. Ii-ad.
Haiiii.
Korsakoff. — h'/mle nii'illrii-ji.''i/rhiilnijlipir sur une fnriiie des inii-
liidies de In iiiéiiinire /ter. pliil., 18<Si), Il .
D. Nys. — Lu Ai'iiliiiii de leiiips. Lunvaiii. IS'.IS.
Platon. — l'hèdre. Théétèle.
J. Sully. — llliisiiiiis des sens el de l'esjiri/, driixiriiic l'ilil.. l'aris,
ISS'.I.
Van Biervliet. — />'■ In Mémoire.
Le, Problème de la méiiuiire en psiichnloijie e.rjirrimerilnle. /leviie des
ipieslinns srieiilif'.. (Ichilirc |!H)I).
I\ . C.D.NCl.l SK.I.NS
Aucune (le ces llii'(iiii'> ne nmis fait enlrer dans la naliii-e inlinic ilir
.«luvenir. .Nnu.s av(iii> rssa\c. lion de les reiiiplaeer, mais de les cimij-
plélcr.
Il iiii]i(ii-le d'alHinl de dislinj;iiei' deux lenues. i|ue l'iiii (■(iiduiiil
Ircip siiiiNeid sous le nom de mi'moii'e : la |-eeouiiaissaiiee el le soii-
xciiir.
Ueeiiiiiiailre nu olijet. e'esl savoii- s'en servir. Ueeonnaiire nue per-
siume. lin paysai;-e. nue pa|j,'e de lisre. e'esl en avoir la percepliiiu
aisée, pi-oinpie, l'aiiiiliere. La reroiinaissanee se ramène à uiianlo-
lualisme cl images, à nue hahiludi'.
Le souvenir surajoute la noie iln temps passi'' e eonsliliie la
l.\iiniEL VOISI.NK
III '1111 lire. Sr >nn\ l'iiii'. ^'l■^l r.i 1 1| inrl ri'. i;|-;ici' il IMI sij;iM'. Illir s\ tilli(''S('
<riinafies à Ici (UMiiiir ilii |i,issc. (lu |iimiI roriinilci- Iniis luis:
I. Tous mis ('ImIs ilr i-iiMsrii'iMT. i|irils nous sciiililciil riilurs on
|i;!SS('S. ;i|i|iai-ticMiiiiMil :iii |(i-(''sriil.
[1. LiMir iiuipliliiili' à ciicxislrr f\-rf l.i siiçccssinii ri \r Iriiilis
|i-ycliiilii^i(|iif.
111. Ci'rlaias se cnliirriil il iiiir i|n:ili(i'' |i:ii-l ii'iilirrc ri [laraissciil
sii:'j;ir du |)ass('.
Tout le |>i'olilrini' du soii\ ciiii- ronsisli' à ili'liTinhii'r la iialiiiT ilr
r;'l|(' i|iialiir' |iai-| iriilicrr. I.r soiivcnii- csl iiiii' |>itit|iI ion dans Ir
Iriups. Coimiiu'mI s opiTc II- passa^i' du prcsml au passi'? An nioxi'u
il:' i|ui'l sij;u('?
I^r sijjiii' du |iass('' sr ri-i-onnail : 1" à Irtrixlr itillirri'iirr d un r(V'-
iii'inr)il au nioi-snji'l : -2" à la nun-arltirililr de rit écrnernoul . Le soii-
vfiiir est uuc iuia^i' coinplcM" où li' uioi s est incorpoi'c' d nui' nia-
iiii'ri' iiidissolulilc. à tid poini ipi il dl'^il'nl iuipossihli' de riniiprc
ci'ltr iiaisiui iiéccssairi'. sans alléri'i- la pci-soiiui' ps_v('liol(if;ii|U('
l'Ili'-MU'inr. haiis une iniaj^c de ])r(''vision, 1 uni(ui l'ulrc le moi cl
l'cvcii/niciil l'i'sli' i-iMil injicnlc. (tu en prni l'aire alisl racl iou. sans
nioililicr la |ici-s(uiiic.
l,a pcrccplion iln pri'Si'ul inipliipic. à peu prés eoiinne la percep-
lioudu passé, l'i'lroilc adlu'i-i'nee de l'ex l'-uenienl au juoi-sujcl. l-llle
s • dislini;iie du souvenir |iar nu aiilre earaelere. Tandis i\\\r l'aeluel
oiVri' une pri-^e. un puinl d appui à I ael i\ ih', le passi' apparail connue
I incousislaiiie nicnie. (".'es! le noii-aclucl. le non-a^i. Ce dci-uiei'
Irait achève la plivsioiioniie de l'ima^'c-siniv eiiir. I) un ci'ili', cl parce
ipiCllc concourt à lissi'r la Iraniedu iniii.ellc nous inh'ressi' prol'ou-
déiuenl ; d uu antre ccMé. cl parce ipi'clle nous éloif;ne A» l'éel pour
iiiMls replier sur uons-uièuu's. elle le céile eu intéi'él à racli(ni pri'-
>enli'.
Ac sdiireiiir ii'rsl diDic jiits uiir luiliilndc, il se snperpiisr à l'Iidlii-
iiidf. Celle-ci le consolide et le rorlilie. l'Ius nu se sou\ieul et mieux
on se soiivieiil. La iiieinoire esl entin une l'aculle spi''ciale. landis
i|ue riialiilude n Csl ipi nu mode de l'aclixili' psycholo:;iipn' en
j;énéral.
Comme le souvenir se termine i'---eul ielliMiieul a une ilnri'C parli-
culièrc et ciudiuf^cMile. il s'exerce avaul tout sur des ima^;es. Les
idées et les opéi'alious s|)iriluelles ,ne devieuuent objet de méiuoirc
cpie par leur lace siilijei't i\ e qui esl part icnlièi'C. Mii\aiil le niol de
saint Tliiunas : ijikiiIiIhiii jhuI ini/ari'. S. '/'In'al.. ]■' 1'.. i|. I,\\l\. a. (i.
ad i""'.
/./■; Snl VK.SIH ,' .;,
l.rSilriiN nM'iiiiiii-o, iiii'iiuiiri' scii^ilili' l'I iiii'iiiiiin' iiil l'ilccl iiclii'.
III' SI' si'ii.irriil |i,is ilii rcsli'. .-iii nidiiis d.iiis riKiiiiiiic. l-^llcs I iriiin'iil
I mil' à i .•iiilrr. à r;iis(iii ilr l;i s\ iii'i'i;ii' (■(iiisl.-iiilc ilr I iin.'iniii.'il iiiir ri
(le l.'i |H'iis(''i'.
.Niill> |Hinviiiis ili'liiiii' II' siiinriiir : un nrlr dr la rie s/'iixil/lf ijiii
jti-iijfllf mi iji-dii/ir (l'iiiinijcs sur Ir jilun ilii jidxsr. /.'iijjliliiili' di:\ i>i)fi'i''s
II siiliir CI' rrnil iijjpiiii'iil rs/ rrriniiiiir à un ilnulilf shpif : nu xoiliiili'ii/
ilr lu liuixun iudissnlulj/i' i/ui iiuil I l'cmmu'ul nu uini-su ji'l . ri n /'nu-
pri'xxiiiu d' inrniisislinirr ri dr mm -nrl uni ilr iiriuluilr pur rrl rrr-
nruiru! .
CiAlllllLI, XdISINK.
CHROMOIE
UNIVERSITE DE PARIS
Sujets de leçons donnés par M. Boiitroux pour la préparation
à l'agrégation de philosophie.
1. [.'unité dt; la sciencp, selon llescartcs et Auguste Comte.
2. De la nécessité d"une méthode, selon Descattes. Descartes et Uacon.
:!. Le jugement de Descartes sur la dialectique. Exposition et examen.
I. I, intuition, la déduction et l'éuumération, selon Descaries.
;;. I.a mémoire, selon Descaries. Son rôle dans la connaissance.
II. I.es natures simples, selon Descaries.
'. Nature el bornes de la connaissance, selon Descaries. Descartes et
K.inl.
.s. Uappoil- de rentcnd>'ment et de riinairination dans la scienre, selon
Descaries.
'.I. De l'analyse et de la synthèse dans Descartes.
10. Les Re'jnhr et les ouvrages postt'rieurs de Descartes.
! I. liappoils de la logique et de la métaphysique dans la philosophie de
l.e.hniz.
12. Leibniz et Spinoza.
i:î. Volonlé el intelligence (Sujet dogmatique).
1 1. Happoris de la science et de la métaphysique dans la philosophie de
Deseartes.
lo. La méthode en mathématiques et en philosophie (Sujet dogmatique).
Il esl facile de reconnaître, au simple énoncé de ces questions, l'esprit
pénétrant et prorondément analyste du professeur d'Histoire de la Philo-
sophie moderne à la Sorboune. Celui qui, par une étude personnelle, rem-
|ilirait ce proL'ramme, irait très avant dans la Théorie de la Science du
grMid philosophe français. M. Routroux a tracé un cadre excellent de
recherches et de réllexiuiis.
'2t.-
Soutenance de thèse pour le Doctorat en philosophie.
I.e JeuJi -il» drceiiilirc, à i heures et demie, devant la Fueultr lilire do
Philosophie de l'Institut calholique de Paiis, M. (iabriel Voisine a soutenu
une thèse sur hi yalure du Souvenir, el a été proclamé docteur avec les
éloçes de la Faculté.
Inspection de l'instruction publique.
M. Evellin, inspecteur de l'Acadéniie de Paris, vient d'^Ure nommé inspec-
teur honoraire.
M. Fvelliii est l'auteur d'un beau travail inlilulé : Iii/ini et (Jiiaiilitc. Il a
écrit, dans la lievue philosophique, des articles remaïquables, parmi lesquels
il faut signaler : la Pensre et le rcel, iSS'.l : bc la possibilité d'une méthode
daits te pivlilcme du rcel.
Prix Monthyon et Saintour à M. Jules Soury.
L'Académie des Sciences, dans la séance du 17 décembre dernier, a décerné
un prix Monthyon (médecine et chirurgie) de 2,b00 francs, à M.Jules Sounj,
auleur da Système nerveux central, in-S" Jésus de 1880 pages.
l.'.i.cadémie de médecine, dans la séance du 18 décembre, a décerne- un
prix Saintour, de 2,ilOO fiancs, au même auteur.
/,-' Gérant : L. GARNlKli.
La ChapcUe-Montligeon. — Imp. de N.-D. de Montligeon.
LA .VERITE
SA DÉFINITION KT SES ESPÈCES
I
La vrrilr est justement comptée parmi les notions fondamen-
tales. Avec l'être, l'imité, la distinction et l'identité, le bien,
et quelques autres qui les suivent de près, elle éclaire de bonne
heure l'esprit humain. On peut dire que toute la vie intellec-
tuelle consiste à développer ces notions primitives, à les éclair-
cir progressivement et à les appliquer avec exactitude aux objets
en nombre indéhni qui tombent sous notre expérience sensible
ou sous les prises de notre raison. Il arrive ainsi que les pro-
blèmes philosophiques les plus graves portent précisément sur
ces idées et sur ces réalités premières, que personne n'ignore
et que personne non plus ne saurait épuiser.
Sans rouvrir des discussions encore récentes (1), l'auteur de
ces quelques pages voudrait dire à son tour et aussi clairement
que possible ce qui répond dans notre esprit et dans les clioses
à' ce nom de vérité. Son but n'est point de réfuter telles ou
telles opinions, ni même de les critiquer en les discutant, mais
seulement d'exposer ce que tout homme réfléchi croit com-
prendre, aussi bien que les philosophes de profession, sous ce
nom si familier de vérité, et d'expliquer ainsi à chacun sa pro-
pre pensée. Et peut-être pourra-t-il, de cette manière, donner
;i ; .V. M" Mekcier, Critériologle ;/énéj-ale : \{. P. Folghera : Jugement et Vérité,
dans la RerHe lliomisle (1899, sept.; : réponse de M"" Meucier dans la Rerue néo-
i-col. il899, nov.)- — Cf. saint Thomas, 1% q. 16 et De Veritale.
17
270 Elie blanc
à certaines formules leur sens vi-ai et contrilnu^r à rnpproclier
des opinions qui de [irime-abord pouvaient paraître inconci-
liables.
La Yc^rité, avec le vrai, ne s'étend pas moins que l'être lui-
même : on en traite en logique, en nijêtaphysique cl en morale.
11 peut même sembler que la vérité tléborde l'être ; car elle peut
prendre pour objet de simples possibles et jusqu'au néant
absolu lui-même. En sortant de l'être et en aflirmant, par exem-
ple, que le néant n'est pas, nous restons dans la vérité. Toute-
fois, il est clair que l'être idéal détinit nécessairement toute
vérité et que l'être réel la soutient comme son fondement.
C'est ce (jue l'un exprime en disant que le vrai c'est l'être en
tant qu'intelligible ou connaissable. De là celte di'finiliou géné-
rale de la vérité : " La vérité est l'équation île l'intelligence et
de la cbose : Veritas est a/Ln/iialio intrllectus et rei. » Mais il
faut entendre ici, par le mot r(iii(ttion, non pas une égalité abso-
lue, mais une simple conformité. S'il s'agit, en efl'ct, de la
vérité humaine, il est clair qu'elle ne peut être une égalité
absiiliic euli'e l'iulclligeuce el la ciiose, l'iiomme ne sacbant le
tout de rien. Nous demandons aussi, pour que la délinilion
garde toute l'ampleur désirable, qu'on entende ici par la rliosc
l'objet en général, (lar, si l'on désigne seulement les réalités
sous le nom de choses, la détinition ne peut plus s'appli(|vu'r
aux vérités qui ont pour objet les idées et les possibles. Déli-
nissons donc la vérité en général, afin de prévenir toute mésin-
telligence : L(l < onforrnilr de l'itileirKjeui e el de la cliase du de
l'objet.
Remarquons maintenant lapidement, avec toute l'Kcole, que
la forme de la vérité est dans l'intelligence et non pas dans les
choses. C'est-à-dire que si la chose ou l'objet n'était rapporté à
quelque intelligence, il n'y aurait pas de vérité. Supposons, par
impossible, un monde sans intelligence, la vérité en serait
absente. Mais il est clair, d'autre part, qu'un tel monde répu-
gne. Car un monde sans cause efficiente est impossible ; et, ])ar
ailleurs, une cause efficiente sans cause finale qui l'oriente et
la mesure répugne également.
Par sa forme, qui est nécessairement intellectuelle, le -vrai
dilTère donc du bien, qui a sa forme dans la chose ou l'objet, au
LA VKHITÊ -rA
lioii de l'avoir dans rinloUiji-onco. Lo bien, on oll'ot, ot lu-ccs-
sairoment une lin, ilallirc : il est donc réol de (|iKdque manière;
c'est l'être en tant que désirable. Le vrai, au contraire, est
d'abord idéal : c'est l'être en tant qu'inteilijiible on connais-
sable. Ce qui ne veut point dire que le vrai et la vérité ne sont
que dans l'esprit ; mais ils ne sont dans les choses que secon-
dairement et par rapport à l'intelligence. Ce contraste, particu-
lièrement instructif, du vrai et du bien répond à celui de
rintelligeuce et de la volonté, comme aussi à celui de la
science et de la vertu. 11 les explique et, avec eux, iiieu des
quesliiins délicates de psychologie et de morale.
II
Sans nous arrêter davantage sur cette notion générale de la
vérité, niius devons examiner maintenant si elle s'applique à
toutes les espèces de vérités et de quelle manière. En d'autres
termes, il nous faut passer de l'idée claire du vrai et de la
vérité à l'idée distincte et même complète, s'il est possible.
Peut-être faudra-t-il pour cela entrer dans un assez grand nom-
bre de distinctions. Mais le sujet mérite cette analyse; et l'on
ne saurait s'en plaindre, s'il nous est donné de rester juste et
clair jusqu'à la tin.
En suivant l'ordre absolu et non point l'ordre chronologique
ou celui du développement de la connaissance humaine, il y a
d'abord la Vrrilr dirint'.
Cette vérité, que considère la théodicée, consiste première-
ment en ce que l'intelligence et l'essence divines sont parfaite-
ment conformes l'une à l'autre, adéquates l'une à l'autre. Elle
consiste ensuite et par là même en ce que l'intelligence divine,
<[ui ne dilïère pas réellement de l'essence divine, connaît toutes
les possibilités et toutes les existences, tout ce qu! a été, tout
«e qui est et tout ce qui sera, tout ce qui aurait été et tout ce
qui serait, dans quelque condition donnée que ce soit. Dieu est
omniscient et il est la Vérité même, la Vérité subsistante. Il
voit tout par son essence et par un seul et même acte de con-
naissance. Et si l'on entend par Vidrr le principe de la connais-
■rr2 Eue BLANC
stmco, un iloit dire que [)icii connaîl tout par une seule idée.
(Jn ne peut parler des idées diviii/'s qu'autant qu'il s'agit des
exemplaires des choses, qui toutes imitent, et chacune à sa ma-
nière, la perfection divine. Et quoique les choses soient créées,
muables, linies, etc., la science divine elle-même ne l'est pas :
elle est infinie, tout en acte et parfaitement une. Elle existait
avant que le monde fût et n'a point ciiangé, ne s'est point
accrue par la création des choses, ni par leur développement ;
car, avec la volonté divine, elle est la cause première et uni-
verselle des choses : rien n'existe ou n(> peut exister qu'elle ne
mesure.
La vérité humaine, au contraire, n'a point de telles perfec-
tions : elle se multiplie avec les intelligences qui la reçoivent,
avec les ohjels ([u'elle embrasse, avec les actes distincts qui la
donnent, c'esl-à-diic avec les jugements (|ue forme l'esprit et
qui peuvent être exprimés par autant de propositions, dont cha-
cune a sa vérité particulière. Cependant, la vérité humaine n'est
pas muable en elle-même, mais en tant que l'esprit humain
peut lui manqiu'r, la perdre après l'avoir possédée efmème la
trahir. I-llle peut aussi revendiquer une certaine unité : elle est
une dans le concept générai (|ue nous en avons, et c'est ainsi
(|ue nous avons pu la déiinir : elle esl une encore en tan! que
toutes les vérités sont liées entre elles et formi'ut une science
universelle. Mais la complexité et la ])erfeclibililé de cette
science humaine universelle sont indéiinies. On le voit aussi-
lùl, el on le verra mieux encore par la suite.
III
.\près la Vérité divine, nous distinguons la vrritr des choses.
(".elle vérité est multiple, comme les choses elles-mêmes ; car
chacune a sa vérité, c'est-à-dire qu'elle est connaissable et qu'en
réalité elle est connue de Dieu d'une manière adéquate. Donc,
en tant qvie les choses sont conformes à l'intelligence divine,
qui est leur cause et leur mesure, elles sont toutes vraies. C'est
ce qu'on appelle souvent la rrrilé inriaplii/siqiic ou <iiil<dij{ji(jiif'.
.Mais nous nous réservons de donner à cette expression un sens
I.A VKHITl- 273
plus rosti'i'iiil, (|ui csl, SL'iuMc-l-il, sou sens pi-cipiT. Ino vérité
mc'taphysi(HKMin milologique, on cll'cl, osl une vi'ril('' ([ui appar-
lionl à la science métapliysiqiie ou i\ l'ontologie. Nous préfé-
rons Jonc désigner ici cette conformité des choses avec une
intelligence, en particulier avec l'intelligence divine, sous le
nom (le rrri/r t//'s chuscs.
i'ar rapport à Uieu, les choses ne |)envent être que vraies, d
elles sont telles du moment qu'elles sont ce qu'elles sont. Tou-
tefois, il ne faut pas dire que les choses sont vraies parce
qu'elles sont ce qu'elles sont : ce serait confondre la notion de
vériti- avec celle d'identité. De même ce serait confondre la
notion de vérité avec celle d'r7/v> qiu' de dire simplement : le
vrai est ce qui est. Sans doute, le vi'ai est ce qui est, et toute
chose qui est ce qu'elle est est vraie : mais le vrai n'est foruKd-
lemenl tel, avons-nous dit, que par son rapport avec l'iiileili-
gence. Tout vrai est être et identique à lui-même ; mais la
notion de vérité ne se confond point pour cela avec la notion
d'être ni avec celle d'identité, autres notions transcendantes,
c'est-îi-dirc qui ne s'enferment dans aucun genre.
La vérité est donc dans les choses jiar ra|)port à qu(dque
intelligence, et tout d'aliord et essentiellement p;u" rapport à
l'intelligence divine, dont elles dépendent al)Solument. Mais ne
pouvons-nous connaitn^ la vérité des choses que |)ar leui- con-
formité avec l'intelligence divine ? Ce fut la prétention et l'erreur
des ontologistcs. Sans doute la Vérité divine est la première
absolument ; mais ce n'est point par la Vérité divine que nous
connaissons la vérité des choses, bien que la Vérité divine une
fois connue nous explique souverainement toutes les autres.
C'est plut<'it la vérité des choses qui nous fait découvrir la Vé-
rité' divine, coninu^ l'eilel nous manifeste la cause. Nous con-
naissons donc la vérité des choses par une autre voie. La voici :
L'être des choses, cl non jjds leur vrrilr 1 1 ), agit sur noire
esprit, par l'intermédiaire des sens, le frappe pour ainsi dire
de son empreinte et lui donne sa mesure. Nous arrivons ainsi
bicntê>t à connaître noniI)r(' de vériti's. (l'e-l-à-dire que l'esprit
Il Cf. saini Thomas, I", q. 10, a. 1, ad '.i : Esscrei, non rerilas ejiis, causai rcn-
talem inlellcctus.
274 ÉLiE BLANC
humain se conformo aux choses par des klôos directes et con-
naît cette conformité par des jugements évidents, comme nous
l'expliquerons tout h l'heure, ("est là l'origine de cette foule de
vérités, les unes expérimentales' et les autres scienliliques, ou
(lu moins générales, qui sont à la portée de tous et que les
entants eux-mêmes ne tardent pas à saisir. Car on nous accor-
dera hien, par exemple, qu'ils entendent plus ou moins les
leçons qu'ils reçoivent, le langage dont ils se servent eux-mêmes
de si bonne heure : ils discernent, à n'en pas douter, les pre-
mières prescriptions de la morale et de la religion. Or, ces pre-
miers éléments de la vie iuleilectuclle et morale supposent
déjà lui nombre incalculable de vérités, obtenues souvent sans
réllexion, mais auxquelles s'a]i]di{[ue toujours cette délinilion
générale : La vérité esl la coul'oimilé de l'intelligence et de la
chose ou de l'objet. Mais ici, ce n'est point comme tout à l'heure
pour Dieu, la chose qui est conforme à l'inlcdligonce, mais
l'inlelligence qui est conforme à la chose.
Toutefois, par le fait même que l'intelligence humaine est
conforme à la ciiose, la chose lui est conforme, en vertu d'une
réciprocité nécessaire. Or, si la j)reniière conformité peut être
appelée une vérité bumaine, la seconde peut être appelée une
vérité de la chose, on, si l'on préfère, une vérité onto/of/itjtw.
Auoni danger, aucune difliculté de rapporter ainsi les choses à
l'intelligence humaine, après avoir rapporté d'abord ce!!(^-ci aux
choses comme à sa mesure.
On peut donc dire que la vérité est dans les choses, soit d'abord
par rapport à l'intelligence divine, soit ensuite par rapport à
l'inlelligence humaine. Or, c'est cette seconde vérité, avec la
véi'ilé humaine dont elle naît, qui nous fait connaître |)iir la
voie la plus directe la Vérité divine. Car ces vérités, que nous
saisissons en comparant notre pensée aux choses ou les clioses
à notre pensée, supposent comme leur premier principe une
V'érité absolue, incréée. La moindre vérité peut ainsi démontrer
la Vérité divine, de même que l'être réel le plus infime démontre
l'existence de l'Htre suprême. Car cette vérité que découvre
notre esprit ne dépend pas absolument de notre esprit; mais
nous voyons très bien que l'être serait connaissable et vrai sous
ce rapport alors même que nous ne serions pas. Même s'il
LA VKIllTE 27;1
s'atiil (run simple fait continj;ont, il sera ét(>rnclleinonl vrai
quO ce fait s'est produit. A plus forte raison sentons-nous que
les vérités métaphysiques, mathématiques et morales ont un
caractère absolu. « Rien de plus éternel, dit saint Augustin,
que la définition du cercle et que deux et trois font cinq. » Et
saint Thomas, qui cite ces paroles comme une objection, se
iioriic à répondre que la délinilion du cercle et deux et trois
foui cinq sont éternels dans rintelligence divine il i. Comment,
en ell'et, expliquer ce caractère nécessaire de toute vérité, disons
mémo de toute idée, s'il n'y a pas une Intelligence infinie, hors
de laquelle il ne saurait y avoir aucune vérité éternelle et
nécessaire? Si saint Thomas ne propose pas ainsi cet argument,
on peut dire qu'il l'autorise dans l'article où il détaille les
preuves de l'existence de Dieu (2). L'onlidogisme ne doit pas
s'en prévaloir; car l'argument ainsi compris repose encore sur
un fait et sur le principe de causalité.
IV
En nous expliquant sur la Vérité divine et sur la vérité des
choses, nous avons déjà dû mettre en cause la vérité humaine,
par laquelle nous connaissons les deux autres. Tournons main-
tenant toute notre attention vers celle-ci.
Les vérités humaines sont de plusieurs ordres, qu'il faut
bien distinguer. Les premières sont celles qui ont été signalées
déjà et qui consistent dans la conformité de l'esprit humain
avec les choses ou les réalités qui sont sa mesure. Naturelle-
ment elles se distinguent et s'ordonnent entre elles comme les
counaissances humaines qui ont pour (jbjet les choses elles-
nii-mes, intelligibles ou sensibles. De là d'abord des vérités
s -ientifiques de divers ordres : théologique, métaphysique, psy-
chologique, mathématique, etc. On remarquera que la vérité
métaphysique ou ontologique ne désigne ici que la vérité propre
à la science métaphysique. De là aussi des vérités de fait,
(1) 1-, q. 16, a. I.
(2; 1-, q. 2, a. .3 : " Quarta via..
270 Él:e blanc
comme noire propre existence et les informations que nous
donnent les sens. Ajoutons nKMiie toutes les vérités historiques
particulières, celles qui ])ortent directement sur les faits on le
corps même de lliistoire.
Poussons maintenant plus avant. Après les vérités générales
ou expérimentales qui consistent toutes dans la conformité de
rinlelli^ence humaine avec les choses, il faut distinguer les
vérités humaines qui consistent dans la conformité des choses
artilicielles (œuvres de l'art du de l'industrie) avec l'intellect
pratique qui est leur exemplaire et parlant leur cause et leur
mesure. Assurément une oMivre d'art qui n'est pas réussie
manque d'une vérité si/i gmcri^. (|u'il est impossihle de con-
fondre avec les précédentes.
On pourrait distinguer les vérités de ce genre selon les arts
(poésie, éloquence, musique, architecture, peinture, etc.), dont
elles procèdent. Mais il n'est pas utile ici d'entrer dans les
détails.
itemaicjuous cependant (juc les <cuvres d'aii peuvent être en
défaut el maii(|uer de vérité pour deux causes bien différentes :
ou hien parce que l'artiste n'a pas su concevoir le véritable
idéal; ou bien parce qu'il n'a pas su le réaliser. Or c'est la
seconde cause qui doit ici nous intéresser. Car, si l'artiste n'a
pas su concevoir le véritable idéal, c'est (ju'il s'est trompé sur
d'autres vérités, supérieures à l'ai't hii-mème : vérités bjgiqucs,
morales, philosophiques, ndigieuses, etc. L'art, (m effet, est
t'triiilement ridié aux plus hautes cnnnaissances, dont il lii'C ses
règles souveraines.
Observons aussi que la vérité tout à fait |»roi>re à l'art res-
semble beaucoup à la N'érité divine. L'homme, en eifet, est
l'auteur de ses œuvres à la manière dont Dieu est le créateur
de tout ce qui existe. Les œuvres humaines surviennent aux
o'uvrcs de la nature, qui, par rapport à Dieu, est conmic une
(iMivic d'arl. L'artiste et l'ouvrier sont les coopérateurs de Dieu,
auteur suprême : ils travaillent et créent, pour ainsi dire, à son
image, sans pouvoir jamais s'affranchir de cette dépendance qui
les honore. L'art, en effet, ne peut en somme qu'imiter la
jiature, alors même qu'il s'efforce de la dépasser et qu'il y réus-
sit, à certains égards. Mais, malgré nos efforts, nous ne don-
L.[ VEHITE
lions aux clioses qu'une réalili' et une existence accifleiilelles.
un ordre, un arrans^eiiient conçu par notre esprit, une expres-
sion nouvelle qui répoiul à notre verbe intérieur : le fond même
des choses nous échappe, et toute transformation substantielle
l'ésiste à nos prises directes. A plus forte raison toute vie, toute
fécondité vient de la nature et par conséquent de Dieu. (lom-
meut donc quelques philosophes onl-ils pu s'inia;^iner que
l'esprit humain pouvait se coiisliluer lui-même, (m s'aflirmaiit.
alors qu'il ne peut former le moindre germe ni créer un seul
grain de sable.!
\'
Au point 011 nous sommes, il peut sembler que nous avons
parcouru les principaux ordres de vérités. Mais il en reste encore
de très importants. Nous voulons parler des vérités logiques, au
sens plus ou moins strict, et de la vérité morale qui est une
vertu. Et d'abord les vérités logiques.
On pourrait entendre par vérités logiques les vérités scienti-
tiques qui se ra])portent aux choses et dont nous avons déjh
parlé. Les sciences, en effet, sont faites de raisonnements autant
et jilus, bien souvent, que d'expériences, (chacune a sa logique;
et l'on peut dire, à cet égard, (jue toutes les conchisions légili-
mes et savantes sont des vérités logiques. Mais nous entendons
ici par vrritrs loc/iques celles qui sont proprement l'objet de la
logique, considérée dans toute son extension. Elle comprend
ainsi la logique formelle ou dialectique et la critique ou crité-
riologie. Or chacune d'elles corresponti à un ordre de vérités qui
lui est propre.
La vérité de la logique formelle consiste dans l'accord de la
pensée avec elle-même. N'associer dans son esprit que des idées
(jui s'accordent, des jugements qui s'enchaînent ou du moins
qui ne sont pas contradictoires, tirer de principes donnés les
conclusions légitimes, appliquer en un mot toutes les lois du
raisonnement : c'est être et se mouvoir dans la vérité de la
logique formelle. ¥a\ partant d'un principe faux pour en tirer
logiquement des conclusions fausses en elles-mêmes, on se met
278 Elie blanc
et on se meut liors de la vériti.' réelle (métaphysique, psycho-
logique ou autre) ; mais on reste dans la vérité de la logique
formelle. A cette vérité convient parfaitement la définition géné-
rale (jui a été donnée en commençant : la vérité est la confor-
mité de 1 intelligence et de l'objet. Ici, en elTet, en logique pure,
rintolligence prend pour ohjet ses propres idées, avec les juge-
ments et les raisonnements qui en résultent, et elle se borne
à les ordonner.
Mais, outre la logique formelle ou dialectique, il y a, disions-
nous, la critique ou critériologie, qui s'occupe des critères de
la vérité, des premiers [)rincipes et des sciences en général, des
niiHhndcs à suivre piiur les acquérir, etc. Or, à cette logique
parliculière, appelée encore plus ou moins iieureusemenl logi-
que matérielle ou réelle, doit correspondre un ordre de vérités
distinct. C'est ici que se rencontre, à proprement parler, /a
scieiicfi de la science ou épistémologie. Connaître que l'on sait,
c'est bien souvent pure affaire de conscience et de réilexion.
.Mais savoir scientiliquement que l'on sait, savoir comment on
aap|)ris et comment on doit apprendre, savoir défendre la légi-
timilé de ses connaissances réelles, distinguer entre les mé-
thodes et s'en servir avec discernement selon les objets à étu-
dier : c'est là certes une science distincte, qui n'est plus la
logique pure et qui n'est pas encore une science réelle comme
la psychologie ou la philosophie de la nature. A cette science
correspond donc ime vérité distincte, qui louche de près à toutes
les vérités réelles, qu'elle doit préparer ou confirmer, sans se
confondre pourtant avec elles. A cette vérité s'applique très
bien encore la délinition générale : la vérité est la conformité
de l'intelligence et de l'objet. L'objet ici ce n'est plus seuleiiu'nt
l'idée, le jugement et le raisonnement; mais c'est la science
elle-même, avec les critères de la vérité et les méthodes, ce
sont les nniversaux non plus seulement en tant qu'idées ou
formes de l'esprit, mais en tant qu'ils expriment des réalités
et sont les moyens de toute connaissance.
Un mot suflit maintenant sur la vérité morale. Elle est une
vertu et consiste dans la droiture de l'intention, dans la sin-
ci^rité de la conscience ou bonne foi, dans l'accord de l'intel-
ligence pratique qui gouverne la conduite avec les actes exté-
LA VElilTÉ 279
rieurs et la parole (1). A cette vérité est opposé le mensonge :
aux autres sont opposées l'ignorance et l'erreur, qui dilVérenl
l'une et l'autre radicalement du mensonge, plus encore qu'elles
ne dilTèrent enlic elles.
VI
11 peut sembler que nous arrivons ainsi au terme de notre
tâche. Mais c'est ici qu'elle devient le plus ardue. Car il s'agit
de délinir, en ce qui concerne la vérité humaine, comment elle
résulte de la conformité de rintelligence et de l'objet. La vérité
nous est-elle donnée par une simple idée, en sorte qu'il sufiise
d'une simple appréhcn-ion de l'objet en vertu de cette idée"?
Ou bien faul-il. en onire. un jugement ? Que dis-je"? faudrait-il
non seulement le rapport d'un prédicat à un sujet, mais encore
'le rapport d'un jugement avec un autre jugement, etc. '?
Essavons donc de nous expliquer.
Reconnaissons d'abord que la vérité ne nous est pas donnée
par \me simple appréhension, en vertu d'une simple idée, mais
liien par un jugement. C'est ce que les scolastiques enseignent
communément en disant que la vérité n'est pas dans l'intelli-
gence humaine en tant que celle-ci conçoit l'essence ou une
définition (çuo(/ i/uid l'sl), mais en tant qu'elle compose ou
divise, c'est-à-dire en tant qu'elle affirme ou nie. Cela nous
est indiqué par les expressions mêmes de nos idées et de nos
jugements, c'est-<Vdire les fermes et les propositions. La vérité
ou l'erreur n'est pas dans les termes séparés ni même dans
les définitions en tant que simples notions ou concepts, mais
bien dans les affirmalidus ou négations, dans les définitions
considérées comme thèses ou conclusions. A ce point de vue,
le Dictionnaire tout entier, avec ses mots et ses définitions,
dont le nombre s'accmil tous les jours, ne contient aucune doc-
^trine : par exemple, le dictionnaire grec et le dictionnaire latin
ne sont point païens, bien que le lotin et le grec se soieni for-
ili Saint Thomas la signale en ces termes : « Virtus quse dicitur verilas non
est Veritas communis, sed iiun-dam veritas secundum quam homo in dictis et
faet s ostendit se ut est. » (1 ' , q. 16, a. 4, ad. 3.)
■280 ÉLiE BLANC
mes SOUS le paganisme et n'aient été parlés d'abord (jue pur
des païens. Cependant il est faeile de voir que le Dictionnaire,
avec la langue, témoigne clairement de l'étal d'un peuple et de
ses croyances, des vérités dont il a vécu et des erreurs qu'il y a
mêlées. On voit aussi qiu' l'idée par elle-même n'est point
fausse : elle est plutôt vraie, étant le germe de tonte vérité.
Elle est plutôt vraie, disons-nous. Et de fait elle est vraie
comme toute cliose vraie. C'est-à-dire qu'étant essentiellement
une similitude, une expression, elle exprime nécessairement ce
qu'(dle exprime. C'est inconteslaMe surtout en ce qui concerne
rid('c directe, celle qui naît spontanément dans res|)rit sous
l'action des objets extérieurs et dont l'objectivité peut êlie par-
iaitenumt établie et expliquée en crilériologie et on psycliolo-
gie. Certainement \nir cette idée l'intelligence est marquée de
l'empreinte de la chose, pour ainsi dire ; elle lui est conforme.
Mais il faut reconnaître que par cette simple idée rintelligence
no saisit point cette conformité, ni par conséquent la vérité,
(jui esl esseiiliellemont une conformité, l'ar l'idée directe, i'in-
l(dligence uo saisit (|uo l'objet exprimé par l'idé-e, non l'idée
(die-même, ni encore moins la conformité de l'idée avec l'objet.
Il en va tout autrement dès que l'inlidligence forme nu
jugement. Tout jugement est nécessaircuKMit un pas fait dans
la vérité ou dans l'erreur. Coal par des jugements vrais que
la connaissance se développe, que les conclusions se tirent et
(|uo les sciences se constituent. Les premières vérités que saisit
l'ospril sont dos vérités '.lirectos : vérités de faits ou d'expé-
rience et vérités très générales ou ])remiers j)i-iiicipes, (jui, avec
les faits, sont le fondement do toutes les sciences. La réllexinn
édilio celles-ci, et son dernier fruit est dans les vérités projjre-
menl logiques ou critériologiquos.
Mais il est incontestable qu'une vérité est perçue dès le ju'e-
mier jugement évident, avant toute analyse savante et même
avant tonte réU'exion. Soit ce pieinier jugement d'expérience :
Le solril existe. Le sons obvie et le jdus simple do ce jugement,
croyons-nous, est celui-ci : Le soleil a l'existence que je conçois.
Ce jugomont résulte immédiatement do l'aiialysi^ de l'idée expé-
rimentale du soleil, en vertu de laquelle le soleil est perçu.
Le coiicopt do soleil, exprimé par le sujet de la proposition.
LA VKlilTÉ 2S1
est un concept olijoctit', c'esl-à-ilire i[iie ce concept livre h l'in-
tellij;enco ce qu'il exprime plutôt qu'il ne se livre Ini-mème,
il l'ait counailrc le sulcil jilulôl (jue l'idée même du soleil. Au
contraire, le concept d'existence exprimé par l'attribut de la
proposition est nn concept abstrait, subjectif. En sorte qn'en
disant : « Le soleil existe », j'affirme que le soleil (objet,
ciiose pensée) a l'existence que je conçois. J'affirme ainsi, en
même temps que je la saisis, une conformité entre ma pensée
et la cbose. J'altriitue à cette chose l'existence que j'en avais
abstraite par une opération de l'esprit, et, par cette attribution
ou aflirmation, je ne fais que constater intellectuellement le
fait sensible que je viens de percevoir. D'ailleurs on pourra
peiil-èlre expliquer la vérité de ce jugement de plusieurs autres
numières ; mais celle-ci nous parait la plus simple, et, s'il en
est ainsi, elle doit être impliquée dans toutes les autres. Quoi
qu'il en soit, il n'y a pas de vérité sans cet accord de la pensée
et de l'objet.
Ensuite il va sans dire que cette vérité, d'abord si simple,
directe et expérimentale, donne facilement naissance à des
vérités rélléchies, scientifiques ou même purement logiques,
qui peuvent être justifiées par toutes les ressources de la science
et de la pbilosophie. 11 en est de même des vérités générales et
premières : principe de contradiction, principe de causalité, etc.
i/enfant les saisit dès le début de sa vie intellectuelle; il ne
saurait commencer par douter de leur valeur objective ; leur
évidence est immédiate et son esprit se conforme ainsi d'abord
et spontanément à la réalité des choses. 11 perçoit donc déjà
certaines vérités; mais c'est sans y rétléchir, sans les expliquer,
peut-être même sans en avoir conscience. Plus tard seulement
il pourra les posséder de toutes les manières possibles. Alors il
se rendra compte de la manière dont ses jugements répondent
à la réalité, et de l'accord qui existe entre l'esprit et la nature,
il saura montrer la légitimité de ses connaissances, expliquer
leurs origines et leur développement, marquer les conditions
de la certitude scientifique. Tout cela représente les progrès de
la vérité dans l'esprit, mais ne définit pas la vérité elle-même.
Elle existe dès le premier jugement évident, parce que ce
jugement emporte la perception d'un rapport de l'intelligence
282 Elie KLANC
avec son objet. Cet objet est «l'abord la cliose existante ; car
les jugements directs, portés sous le coup de rexpérience et
en vertu de la spoutanéilé de l'esprit, précèdent les jugements
réiléchis.
On ne saurait distinguer avec trop de suin ces vérités objec-
tives et réelles, qui bien souvent sont toutes spontanées, d'avec
les vérités purement logiques et suiijeclives. A'ous qualiiious
celles-ci de subjectives, parce que riulelligence |)rend alors
pour objet ses propres idées ou ses propres jugements. U
importe d'autant mieux de ne pas confondre ces deux ordres
de vérités qu'elles peuvent être signifu^'s par les mêmes for-
mules. Si je dis, par exemple, que « l'immuable est étei'uel »,
je peux signifier sim|)lemenl (jue l'idée d'éternité est impli-
quée dans l'idée d'imuuilabililé, ou que l'Etre immuable,
reconnu déjà comme réel, a l'éternité que je conçois et qui est
impliquée dans l'immutabilité. Dans le premier cas, j'exprime
une vérité logique ; dans le second, une vérité réelle.
(Ir la vérité objective et réelle est absolument la première ii
naître, et c'est d'elle ensuite que se forme la vérité purement
logique. Il le faut bien; car l'idée directe est avant l'idée réllé-
cbie, dont elle devient l'objet : on ne pense |)as sa propre
pensée sans avoii' d'abord |)ensé queb[ue cliose. L'intelligence
«loue se conforme d'abord aux clioses ; puis elle prend con-
science de ses ressources et s'accorde avec elle-même afin de
mieux s'accorder avec les choses. Les vérités purement logi-
ques nous aident alors à mieux entrer dans la véiité objective
et réelle ; et il arrive ainsi que nombre de vérités (djjectives et
réidles particulières n'apparaissent qu'à la suite de vérités pure-
ment logiques. Mais absolument la vérité objective et réelle
précède l'autre. Impossible donc de la tirer [)urement et sim-
plement de celle-ci. H est vrai seulement que la première tient
de la seconde son explication et son développement. La vérité
est semée en nous du dehors, bien qu'elle ne se forme et ne se
développe qu'au dedans. L'être idéal procède ainsi de l'être réel
et en tire toute sa valeur : mesuré par lui, il le mesure à son
tour.
C'est pour cela que, dans l'Kcole, la vérité a toujours été
■définie : » la conformité de l'intelligence et de la chose », et
LA VElilTE 283
non |iniiil : « la conrurmitc do la juMisrc avec cllo-mèmo, ■■
comme iiii le fait si souvent anjonnl'liiii. Los scolasli(|nes
n'ignoraient pas, certes, que la vériié [)iirement loj;ique nail
ensuite de l'antre et la sert merveilleusement; ils n'ignoraient
pas que l'intelligence, après avoir connu les faits et les prin-
cipes les pins évidents, revient sur elle-même, analyse toutes
ses ressources et, grâce h une higiqne puissante, comme le
serait un levier sans lin auquel ne manquerait jamais le point
d'appui, soulève et soutient toute la masse des connaissances
humaines.
On est donc d'accord avec eux en disant ([ue toutes les con-
clusions scientifiques résultent de beaucoup de vérités pure-
ment logiques unies à un certain nomlire de faits et de vérités
objectives et réelles. Il suffit que les principes soient réels pour
que la science tout entière soit marquée du même caractère
d'objectivité et de réalité. Par exemple, étant donné ce principe
réel : // // a laïc raiisr /jr/'inlire (principe qui, d'ailleurs, est
une conclusidu par rapport à des principes réels antérieurs), si
on le féconde par des vérités telles que celles-ci : si une pre-
mière cause existe, elle existe par elle-même; ce qui existe par
soi-même est infini, immuable, éternel, etc., on conclut très
légitimement que la cause i)remière est infinie, immuable,
éternelle, etc. Il en irait tout autrement si tous les principes ne
supposaient formellement rien tie réel, comme il arrive pdur
l'argument ontologi(iue employé par saint Anselme et l)es-
cnrtes. De ce que le concept d"é[i-e parfait contient la note d'exis-
tence, on ne peut conclure que l'être parfait existe. Le faible
de cet argument montre bien qu'on ne peut passer de ronlic
purement idéal à l'ordre réel, de vérités purement logiques, on
du moins qui ne supposent rien de réel, h des vérités objectives
et réelles.
C'est par cette remai'que que nous terminons cette étude, qui
avait surtout pour but de restituer la première place à la vérité
(ilijcclive et réelle, celle (jui consiste dans la confoi"mil('' di^
l'inUdligence avec la chose, (l'est d'elle que naissent ou par
elle que nous sont manifestées toutes les autres vérités. Ces
vérités sont, du côté de l'objet : la vérité des choses ou leur
conformité avec notre intelligence et, à plus forte raison, avec
2IS4 Klie blanc
l'intelligence divine: la Vérité divine elle-même, qui est la
source absolue de toute vérité et qui consiste principalement
dans la conformité île rintelligence et de l'essence divines, de
l'idéal et de la Réalité absolus. Du cùté du sujet, vérités réllé-
cbies et logiques de divers degrés, armes puissantes qui nous
servent à conquérir et à éprouver toutes les sciences. Olles-ci
sont donc des ceuvres de logique assurément; mais elles nous
nianitestent plus ou moins, selon leur perfection et leur degré'
(le pénétration, les qualités et les essences mêmes des clios(>s.
Éi.u; BLANC.
L'ARGL'MENT DE SAINT ANSELME
Le nom tU' ^;iint Ansolmc est bien coniui ; ses oiivraiics cl
sa doctrine le sont [leii. l'niir le t;ran(l inililii-, une xmiIc do
opinions du saint docteur est restée attaeliée à son nom : c'est
précisément la plus discutée et la plus discutable ; les contra-
dictions dont elle a été l'objet ont retenu l'attention sur elle.
Nous voulons parler de ce fameux argument. du Proslogiiuii
destiné à prouver l'existence de Dieu. Cet argument a obtenu
des adhésions ardentes ; il a suscité également dès le début des
oppositions très nettes. On a écrit des volumes pour et conlri'.
Nous voudrions préciser ici la valeur réelle de cet argument.
Nous l'exposerons impartialement ; nous dirons les objections
de ceux qui le repoussent et les motifs de ceux qui l'admettent;
nous indiquerons enfin le jugement qui semble devoir élri'
porté sur cette controverse.
I
Les iiishiriens racontent (|ue saint Anselme était tourmenté
du ilésii' de trouver un argument très bref et cependant décisif
contre les atliées. On lit quelque part dans l'Ecriture (1) : « L'in-
sensé a dit dans sou conir : il n'y a pas de Dieu. » Cette pensée
troublait notre saint. Comment cet être suprême, l'être des
êtres, qui est tout ce qu'il est par lui-même, fondement et lin
de toutes choses, notre bonheur et notre espérance, comnnmt
■'1 Ps. XIII. V. 1.
285 DOMET DE VORGES
pcut-il ('■tro ainsi méconnu? Qui peut être assez insensé ])r)ur
penser qu'il n'existe pas? Saint Anselme voulait éclairer cet
insensé, le confondre, lui faire toucher du doigt son alisurdit('>
fondamentale. De là le nom d'insensé qu'il donne à l'atiiée
dans son opuscule et qui a joué un si grand rùle dans la con-
troverse qui a suivi.
In jour, saint Anselme se sentit fra|qjé comme d'un trait de
lumière. Il tenait son argument. Il le rédigea séance tenante et
remit l'écrit à un de ses moines. Voyez le malheur! quelques
jours plus tard, il réclame au moine son manuscrit. Impossible
de le retrouver.
Saint Anselme se riMuil à l'ouvrage. Il conlia cette seconde
ri''daction à un autre moine. Trois jours après, on la retrouva
déchirée en menus fragments absolument illisibles.
Pour le coup, on n'en douta plus parmi les moines : le diable
s'acharnait à détruire le terril)le argument.
Saint Anselme lit une troisième rédaction sur laquelle il
traça ces mots : In /lomi/ir llomiiti. C'est celle que nous possé-
dons. Il lui lionna Ir nom d' .\//oi/iiiii/ii, discours adressé à Dieu.
Il aimait à imprimer à ses expositions une tournure oratoire.
Plus lard, il remplaiia ce titre par celui d(> P/ns/of/iii/i), tiré du
grec, qui a le même sens. Il donnait ainsi à son second ouvrage
de théologie naturelle un intitulé analogue à l'intitulé de la
première étude, le Moiio/or/iimi.
En quoi consiste l'argumenl du l'/'os/iit/iiiiii ? Pour n'èlre
point accusé de l'altérer, nous présenterons d'abord au lecteur
la Iraduclion littiM'ale du second chapitre, qui en contient pour
ainsi dire la moelle.
Après avoir prié Dieu, dans le premier chapitre, de lui com-
muniquer ses lumières, le prieur du Bec continue ainsi :
" Nous croyons. Seigneur, que vous êtes un être tel qu'on
ne peut s'en représenter un plus grand. Est-ce donc qu'une
telle nature n'existera pas, parce que l'insensé a dit dans son
cœur : il n'y a pas de Dieu ? mais cet insensé, quand il entend
parler d'un être tel qu"(in ne peut s'en représenter un plus
grand, comprend ce qu'on lui dit et ce qu'il comprend est dans
son intelligence, alors même qu'il ne comprend pas que cela
existe. Autre chose est d'avoir l'idée d'un objet, autre chose de
LAItlH Mi:.\T DE SMST ASSELME 287
fdmpromire (jue cet objet existe. Quand un peintre prémédite
le tableau (|u'il va faire, il a ce tableau dans son intelligence,
mais il com|ireii(l qu'il n'existe pas, puisqu'il ne l'a pas encore
réalisé. Quand il l'a pciiil, il l'a dans son inlelligence et com-
prend qu'il existe ; il l'a l'ait. Qn peut donc convaincre l'insensé
lui-même qu'il existe, au moins dans son int(dligcnce, un èlre
tel qu'on ne peut s'en icprésenter un plus grand. En effet, ce
qu'on lui dit, il le comprend, et ce que l'on comprend est dans
l'intelligence. Or, ce qui est si grand qu'on ne peut rien se
représenter de plus grand ne peut exister seulement dans l'inlel-
ligence. Car s'il existe seulement dans l'intelligence, on peut
se représenter quelque chose qui existerait dans l'intelligence
et dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel
qu'on ne peut rien se représenter de plus grand existe dans
l'inlelligence seule, ce qui est tel qu'on ne peut rien se repré-
senter de plus grand est tel qu'on peut se représenter quelque
chose de plus grand. Mais certainement cela ne peut pas être.
11 existe donc, sans aucun doute, quelque chose tel qu'on ne
peut rien se représenter de plus grand, et ce quelque chose
existe dans l'intelligence et dans la réalité i I ). •■
On voil clairement riulenlinn du saint docteur. Tous ont
dans l'esprit l'idée d'iuie chose telle qu'on n'en peut penser
une plus grande. L'insensé lui-même a cette idée, car, lorsque
je l'énonce, il sait très bien ce que je veux dire. Une telle chose
ne peut cependant exister dans l'esprit seul. Si elle était dans
l'esprit seul, on pourrait penser qu'elle est aussi en réalité. Or,
ce qui est dans la réalité est plus grand que ce qui est dans
l'esprit seul. Si donc elle n'était pas dans la réalité, on aurait
l'idée d'une chose qui serait ce qu'on peut penser de plus grand
et qui ne serait pas ce qu'on peut penser de plus grand. Fla-
grante contradiction !
Ti'l est l'argument de saint Anselme dans ce qu'il a d'essen-
tiel ; nous l'apprécierons plus tard, nous nous bornons ici à
l'exposer.
Le chapitre 111 du Pros/of/iin» est consacré à montrer que
( 1) Pour assurer notre impartialité complète, nous avons emprunté cette tra-
duction au R. P. Itagey, qui est un défenseur de l'argument.
288 DOMET DE VORGES
IT'tre tel qu'un n'en peut penser un plus grand, non seulement
existe en réalité, mais encore qu'on no jjeut penser qu'il
n'existe pas. Autrement, il est nécessairement et par essence.
Le IV" chapitre explique en quel sens l'insensé peut dire que
Dieu n'est pas. Il le dit parce qu'il ne comprend pas suffisam-
ment ce que le mot Dieu signifie.
Le reste de l'opuscule est consacré à déduire les perfections
divines de cette première idée d'un être nécessaire existant par
lui-même. C'est la reproduction abrégée des spéculalions du
Mn/iii/of/liDii ; non une reproduction sèciic et froide, mais une
reproduction éloquente, animée par ces pensées pieuses et ten-
dres, par ces élans d'espérance amoureuse qui donnent tant de
charme aux écrits du saint docteur.
Ces derniers chapitres ne touchent en rien l'argument prou-
vant l'existence de Dieu. Ils développent la notion du souverain
Hrc comme on le fait d'ordinaire, après avoir constate sa réa-
lité par tout autre argument.
Relevons toutefois une assertion sur laquelle nous aurons
occasion de revenir. Non seulement, d'après saint Anselme,
Dieu est l'être le plus grand que l'on puisse concevoir, mais il
est plus grand encore que nous ne pouvons le concevoir (1).
Remarque al)solument juste ; mais alors cet être n'est pas dans
rintelligence qui ne ncul le Cducevulr. Où est la preuve de sa
L'argument de saint Anselme est bien à lui. On ne le trouve
dans aucun des Pères qui ont précédé.
On peut lire, il est vrai, dans saint Augustin, que ceux-là
même qui adorent d'autres dieux ont la pensée que Dieu est
l'être le meilleur et le plus sublime (2). L'évèque d'Hippone
remarque également que la perfection entraine l'être et que
Dieu (>st la souveraine perfection i'i). Ces indications de saint
Augustin ont pu suggérer à sainl .Vnselme l'idée de son argu-
ment ; mais elles ne représentent point une preuve formelle-
ment déduite comme celle du P/'os/or/iinii.
Cette preuve est donc une création du génie de saint Anselme,
{{} Pi^nslof)., XV.
(2) De Doclr. christ., vu.
(3} De vera relig., xviii.
LAHGLMli.Vr DE ^.W.V7' A.^SELMt: 289
à moins (iiiello m- soil une ni(''i)riso. C'est ce (iiio nous allons
(>xaniiner.
H
L'opposilion au Priis/ii//lin)i ne [arda pas à se manifester.
Presqiu' aussitôt après ra|iparilion de cet opuscule, un reli-
i,Meux, nommé Ciaunilon, en puliiiait une critique. 11 l'inlilnla :
hr/rnsf ilr riii-icii^r. Non assurément qu'il voulût prendre parti
pour rinsensé en tant que celui-ci refuse de croire en Dieu. Il
entendait seulement montrer que l'insensé, dans son incrédu-
lité, ne commet pas la contradiction implicite dont l'accuse le
prieur du Bec.
Par conséquent, la preuve fondée sur une telle contradiction
n'est point val'alile.
Gaunilon n'est point un ennemi. !i ne ménage pas les témoi-
gnages d'admiration à saint Anscdme. 11 reconnaît très volon-
tiers la haute valeur des spéculations contenues dans le Proslo-
c/ium. !Mais c'est avant tout une tète carrée;''un esprit net et
logiqne. Les grands sentiments ne l'éblouissent pas et il n'admet
que ce qui lui paraît clair, ^i^'^*'^"'/''*-'*"^ t"'** "^-^ut.
Les objections du moine de Marmou tiers peuvent se résumer
comme il suit :
De ce qu'on a une chose dans l'esprit, il n'en résulte nulle-
ment que la chose existe en réalité. Que de choses on peut
avoir dans l'esprit qui sont fausses et chimériques ! J'imagine
une île dans l'océan, la plus lielle de toutes ; s'ensuit-il que
cette île existe? Il faut donc une raison^ particulière montrant
qne je n'ai pas cette chose dans l'esprit comme toute pensée
quelconque. 11 faut que je la comprenne clairement et qu'en la
comprenant je voie qu'elle existe en effet. Si je ne la comprends
pas ainsi, ajoute Gaunilon, tonte cette discussion est inutile et
ne mené a rien ( 1 ) . ,^ ^,ji^^ i.^ ^ ^J^^ J,>aWâ> ' '
Or, je ne vois pas, dit notre critique, en quoi consiste cette
idée d'nn être tel qu'on n'en puisse concevoir un plus grand.
M) Pfo inaipienie, ii.
290 DOMET DE VORGES
J'entends bien une suite de mots, mais je ne puis déterminer
la chose qu'ils désignent. C'est un objet complètement inconnu
que je m'efforce de me représenter d'après le nom que j'entends
lui donner. Je n'en ai aucune idée ni spécifique, ni générique,
pas plus que je ne comprends la nature divine elle-même. C'est
précisément pour cela que je puis penser de la nature divine
qu'elle n'existe pas (1).
Si vous appelez être dans l'intellect ce qu'on ne peut connaî-
lie dans la vérité de sa nature, alors, oui, j'ai une telle idée ;
mais il n'en résulte pas qu'elle soit aussi dans les choses jus-
<ju'à ce qu'on en ait donné une preuve incontestable (2).
Le bon moine linil |iar un trait qui ressemlile à une malice:
Je sais, dit-il, que j'existe, puis-je penser i|iii' je n'existe pas?
Si vous dites que je le puis, j'en puis dire autant de n'importe
<|iiiii ; si vous dites que je ne le puis pas, il n'y a donc pas que
Dieu dont on puisse penser qu'il n'existe pas {'i).-J1^2i cS^S^'m^^
En elTet, l'expression de saint Anselme n'était pas tout à faiT '
exacte. Le propre de Dieu n'est pas qu'on ne puisse penser
(|u'il n'existe pas, mais qu'on doive penser, si on comprend
bien sa natui-e. qu'il ne peut pas ne pas être, cor/i/ari non pusse
non f'ssr.
En résumé, l'objection i'ondamentale de Gaunilonest celle-ci :
l'idée de l'être tel qu'on n'en peut concevoir un plus grand
n'exprime pas directement la nature d'un être quelconque. On
n'en peut donc tirer une preuve que cet être existe en réalité !
La réplique de saint .Anselme est très belle au point de vue
oratoire. Elle est même un peu hautaine. Si saint que l'on soit,
quand on rencontre de toutes parts des témoignages d'admira-
tion, il est pénible d'entendre une voix discordante. La peine
est plus sensible encore quand celte voix vient on ne sait d'où,
sans aucune marque qui assure son autorité. Gaunilon n'était
pas le premier moine venu ; il avait été un personnage dans le
siècle. Mais il n'avait pas signé sa critique ; on n'a su son nom
que plus tard.
Au point de vue philosophique, saint Anselme ne parait pas
(1) Pro insipienle, iv.
(2) IbiU.. V.
(3) Ibid , VII.
LAiii.t Mi:.\r iiE SAi.\r .\ysKL\iE 201
avoir Irî's bien compris les critiques de son adversaire. 11
reprend les mêmes raisonnemenU proposés dans le Pruslugiutn
en leur dniinaiil \\n aiilrc leur. 11 enicnd hien, comme le moine
de Marmouliers, qii"il faut une preuve ; mais il persiste à la
chercher dans Tidée d'un (Mre tel qu'on n'en peut concevoir un
plus grand.
Cette fois il remarque que cet être ne peut être conçu que
sans commencement. Pourquoi cela? parce que nous avons l'idée
d'un être sans commencement et qu'un t(d être est évidemment
plus grand que celui (|ui a un Cduimencement et une fin (1).
Mais d'où vient l'idée d'un être sans commencement? Saint An-
selme nous renvoie à 1 hghse catholique i^ !•'<-«- ^a«^>^^<:.;?^'f^,_/,ji^
Pour saint Anselme, en efl'et, l'être tel quoii n en peut con^"""*^
cevoir de plus grand est le Dieu des chrétiens, et Dieu est cet
être même. 11 passe sans cesse de l'un à l'autre, sans remarquer
que l'insensé auquel il s'adresse n'est pas obligé de le suivre,
puisque, par hypothèse, il ne croit pas à l'Eglise catholique.
Ouoi qu'il en soit, une fois admis que l'être tel qu'on n'en
peut concevoir de plus grand est éternel, il est assurément
facile d'en tirer son existence nécessaire. Celui qui avancerait
qu'un tel être peut ne pas exister contredirait son éternité (3).
De même il est en tout et partout (4) ; il est immuable (o), et
saint Anselme rentre ici dans le grand chemin de la démon-
stration catholique, qui de l'idée de l'être nécessaire, une fois
acciuise, en déduit toutes les perfections divines. Fallait-il donc,
pour y arriver, s'engager dans un cliemin si escarpé!
Saint Anselme avait bien senti qu'il ne pouvait partir de
l'idée de l'être nécessaire qui n'est pas immédiatement évi-
dente. D'un autre côté, il trouvait la preuve cosmoloffique trop
longue. Il avait donc tenté un chemin de traversé: H avait éru
trouver un point de départ dans l'idée de l'être tel qu'on n'en
peut concevoir de plus grand ; mais il mettait sous cette idée
bien des choses que l'athée refuserait d'y mettre sans preuve.
'D 1.ih. apolor/., IV.
(2) Ihiil.. II.
(3) Ibict., III.
(4) Ibid., 1.
(5) IbicL, VIII.
2!)2 DOMET DE VORGES
L'athée est-il au moins ojjligé do metlre sous celte idée
l'existence? Saint Anselme s'en croit assuré. II avoue bien que
de l'idée d'une chose on ne peut conclure son existence : mais
il fait une exception pour la souveraine nature (1). 11 revient
sur lidér qu'être dans la réalité est plus grand qu'être seule-
ment dons l'inlelligiMice (2>. Il lui paniil incroyahle (jue qui-
conque comprend quelque peu sa l'ormule n'en saisisse pas une
conséquence si rigoureuse (3). Aussi se plaint-il vivement que
(iaunilon a travesti son argument.
Pauvre Gaunilon ! Il l'avait cependant exposé d'aliord très
correclement. Mais h la fin du paragraphe l'attention lui avait
manqui' et il avait écrit : l'être le plus grand de tous, ukijks
oiiiiil/iii^. au lieu de l'être tel qu'on n'en |)eut concevoir un plus
grand, qiiu nid.jiis ciiçjitari ivquit. Saint Anselme triompiie de
celle distraction. Ce n'est plus son argument qu'on a réfuté. Il
montre compendieusement que les deux formules n'ont aucvme
analogii' (4). Il avait raison en un sens. Tout le nerf de sa dé-
monstration était pour lui dans l'impossibilité de concevoir le
plus grand sans le concevoir existant. Mais celle impossibilité
e\isle-l-elle? Gaunilon la contestait. Saint Anselme n'en donne
daulre preuve que ses affirmations ''"^\ C.''Sî^u'^^''^^i^^^
La réplique de saint Anselme est reSïéil'^sans'repon^e'n'i'j'ui-/^
nilon s'est tu. Etait-il embarrassé? ou a-t-il jugé à propos de
ne jias insister vis-à-vis d'un homme hautement considéré dans
l(^ monde catholique pour son caractère et ses talents? Nous
adopterions volontiers cette seconde hypothèse. Quoi qu'il en
soil. la controverse fut abandonnée pour le moment. Il paraît
même que plusieurs docteurs des premiers temps de la scolas-
lique ^e montrèrent favorables aux idées de notre saint. Tels
(îuillaume de Conches qui comjirend la preuve de saint An-
selme parmi les onze preuves qu'il cite de l'existence de Dieu,
ou Hugues de Saint-Victor, chef de l'école mystique de la cé-
lèbre abbaye. Il n'y a pas à s'en étonner. Ces docteurs incli-
(1) Lih. iipiihi'i., IV.
(2) llini.. II.
(3) Ibid., II.
(4) Ibid., V.
(:i) Ibid , V.
LAiti.iMKyr /»/■; .s.u.vr asselme -20:)
naiont vers \a philosophie phitonifioniu' , coUo dont sT-liiil
ins|)iir \e docteur du I5cc.
Mais tout changea quand, avec l'inlroduction du péripalc-
tismc, une méthode plus rigoureuse prévalut dans l'école.
Depuis l(U-s, la preuve de l'existence de Dieu imaginée par saint
Anselme rencontra des coninulicteurs nomitreux et résolus. A
leur tète nous trouvons saiiil Tliomas d'Aquin.
III
Les partisans de saint Anselme se prévalent volontiers de ce
que le Prince de l'école n'a pas critiqué directement la preuve
de l'existence de Dieu proposée dans le Pros/ogiinn. A quel
propos l'aurail-il attaquée? Pourquoi se serait-il mis eu lutte
avec un des docteurs les plus vénérahles de Tl-lglise catholique?
Saint Thomas n'avait point le caractère agressif. Il ne conii)nl-
tait point les personnes, mais les erreurs. La preuve de sainl
Anselme ne tendait point à étahlir une erreur. La trouvail-il peu
valahle ? il lui suffisait de ne pas s'en servir. C'est ce qu'il a fait.
Mais la preuve de saint Anselme impliquait une conséquence
fausse. Ces! cette conséquence que le Docteur angélique a voulu
écarter, tantôt rejetant les raisonnements de saint Anselme
sans le noninu'r, tantôt le nommant pour lirer sa manière de
voir à un sens plus acceptahle.
Il conciliait ainsi la vérité avec la charité et avec le respect
dû à la sainteté.
Cette conséquence fausse, Gaunilon l'avait déjà insinuée. Pour
tirer d'une idée quelconque l'existence de la chose conçue, il
faut que l'existence soit comprise dans l'idée que j'en ai ; il faut
que je comprenne la chose comme existante. Mais alors l'exis-
tence de cette chose est directement connue. Toute preuve est
inutile. Si donc dans une délinition quelconque de l'être divin,
telle que nous pouvons la former a priori, l'existence est com-
prise, l'existence de Dieu est immédiatement connue : c'est ce
i\\w samt Ihomas n admettait pas. ^J^^^^^^ç^i^ ^-^^ ^y.i^
Que saint Anselme n'ait pus dit ou n'ait pas voulu dire (|ue
l'existence de Dieu nous est immédiatement connue, nous n'en
294 DOMET DE VOUliES
faisons aucun Joule : mais sa manière de raisonner entraînait
cetle conclusion. Du moment qu'il prétendait établir l'exis-
tence de Dieu pur l'analyse de l'idée que nous nous formons du
souverain èti'e. il impliquait que cette existence fût comprise
dans l'idée.
En fait, il ne s'agissait point de preuve proprement dite,
mais seulement d'explication.
Saint Thomas a vu celte conclusion et il la comliatliu'.
Le 1{. P. Adlocli J! remarqué que saint TlKimas avait un
autre ])ut que saint Anselme ' 1). C'est parfaik'menl exact. Mais
le I)ut de saint Thomas était exclusif du i)ut que se proposait
saint Anselme.
Le Docteur angélique a formulé son opinion dans quatre de
ses ouvi'ages : le ComnwnlahT sur /''•< scnli-nccs, VEsnai « île
mente >>, la Somme contre les Gentils et la Soinuir ihéidof/ii/iie.
(Jiumd il lit son Commentaire sur les sentences, il (''lait au
dél)ut de son enseignement. Il n'avait pas encore montré tout
son génie, ni conquis l'autorité qu'il oiiliut par la suite. Il pro-
cède donc avec modestie. 11 clierclie moins à contredire saint
Anselme qu'à trouver un sens acceptable à ses afiirmalions.
11 se fait cette objection : « (le qu'on ne peut se représenter
comme n'existant pas est immédiatement connu. Or Dieu ne
peut être pensé comme n'existant pas. Donc l'existence de Dieu
<'st immédiatement connue. » El il ajoute : c La ]>reuve de la
mineure est donnée par saint Anselme dans le Proslof/iii/n, ainsi
(lu'il suit : Dieu est l'être tel qu'on n'en peut penser un plus
grand. Mais ce qui ne peut être pensé ne pas être est plus grand
que ce qui peut être pensé ne pas être. Donc Dieu ne peut être
pensé ne pas être étant l'être tel qu'on n'en peut penser un plus
grand (2). » On remarquera que ce raisonnement tiré du cha-
pitre iH du Proslof/iiim est beaucoup moins contestable que la
preuve présentée dans le chapitre second.
(Jue répond saint Thomas à cette objection? Il répond en
inlerprétant la pensée de saint Anselme : " Ouand on a bien
compris ce qu'est Dieu, on ne peut comprendre qu(! Dieu soit
il 1 l'hiljsophisches Jahrhucli, iO, 3, pp. 261 et suiv.
(i) L. I, dist. 3, q. 1, art. 2.
VMi(,iME.\T DE SMM A.\SI:L.\IE 2îi5
el qu'il puisso être pensé ne pas èlre (1). » Remarquez eelle
réserve : si Dieu existe il ne peut être pensé ne j)as èlre. Sainl
Thomas n'admet donc i)as la preuve du Proslorjinm quant à
l'existence de Dieu, mais seulement (juant à la nécessité intrin-
sèque (le cette existence.
Ce qui suit est encore plus net et renverse absolument l'ar-
gument (le saint Anselme : <■ Tciutelois il ne s'ensuit pas que
quehiu'un ne puisse nier Dieu ou penser qu'il n'existe pas, car
il i)eut penser qu'il n'existe aucun être tel ([u'on n'en puisse
penser un plus grand. L'assertion de saint Anselme repose donc
sur la su])posilion qu'il y a un tel être (2). » La contradiction
pour èlre indirecte n'en est pas moins formelle. Saint Anselme
nous dit que l'idée d'un être tel qu'on n'en peut penser un plus
giand implique son existence, si on ne veut tomber dans une
contradiction. Saint Thomas répond carrément qu'on peut bien
penser ([u'il n'y a aucun être l(d.
Après ce trait, il faut èlre bien prévenu pour parler, comme
le R. 1'. Ragey, de l'accord essentiel de saiiU Thomas et de saint
Anselme (3).-^^^ ;^^.,^^ y ,^^^-.
Dans le De mente, saint Thomas nomme encore saint An-
selme. Il pose trois opinions sur la manière dont Dieu nous
est connu. D'après Moïse Maimonides, Dieu serait connu par un
acte de foi. D'après saint Anselme, l'existence de Dieu serait
connue par (dle-mème, parce que personne ne peut penser dans
son for intérieur que Dieu n'est pas, bien (ju'on puisse ext(''-
rieurement l'aflirmer et même penser intérieurement les paroles
que l'on prononce (4). D'après Avicenne au contraire, l'existence
de Dieu ne serait connue que par démonstration. Saint Thomas
rejette la première opinion, mais il accorde quelque vérité aux
deux autres. 11 est vrai que l'existence de Dieu est connue par
elle-même, si on le considère dans sa propre nature. A ce point
de vue, c'est une même question de savoir s'il est et ce qu'il
est (o). Mais comme cette nature ne noiis est pas connue ici-bas,
(i; L. I, dist. 3, q. 1, art. 2.
(2) Ihii.
(3) L'argument de saint Anselme, eh. xv et suivants.
(4) q. 10, art. 12.
(5) Ibiil.
290 DOMET DE VORGES
iKiiis avons besoin de nous démonlrer l'existence de Dieu.
Ici, n'en déplaise au P. Ragey, saint Anselme est expressé-
ment cité comme partisan de l'opinion que l'existence de Dieu
est immédiatement connue. Sans doute, comme le fait observer
le savant Mariste, saint Anselme n'a dit cel;i nulle part. Mais
saint Thomas faisait moins attention aux paroles ([u'à la véri-
table portée des idées. Si saint Anselme n'a jamais dit qu'il est
inutile de démontrer l'existence de Dieu, il a employé des rai-
sons impliquant qu'elle n'a pas besoin d'être démontrée. -^««/«So
Dans la Somme coii/rr Ifs (îrn/ils, saint Anselme n'est pas
iu)mmé, aussi son opinion est-elle purement et simplement
repousséc-
" Il est des gens, dit le Prince de l'Iicole, qui assurent que
l'exislence de Dieu est directement connue et qu'on ne peut
penser le contraire. Voici leurs raisons. Sont connues directe-
ment les choses qui sont connues dès que l'on connaît distinc-
tement les termes qui les désignent. Ainsi en connaissant le
tout et en connaissant la partie, on connaît aussitôt que le tout
est plus grand que la partie. 11 en est de même de l'affirmation
que Dieu existe. Par le nom de Dieu, nous entendons une chose
telle que l'on ne peut rien penser de plus grand, (k'ite notion
0 / ,>^jfec_Jorme dans la pensée de celui qui entend et comprend le
uil<->»i<iiom de Dieu. Dieu existe donc au moins dans la pensée. Mais
'j^lx^e-"'- il ne peut exister seulement dans la pensée, car ce qui existe
dans la pensée et dans la réalité est plus grand que ce qui
existe seulement dans la pensée. Mais rien n'est plus grand que
Dieu, comme l'indique la définition même de son nom. 11 suit
que l'existence de Dieu est connue par elle-même résultant de
la délinition même de son nom 1 1 1. ->
\ou, saiut Anselme n'est pas nommé; mais il est manifeste
que l'cdjjection renferme un résumé fort exact dus raisons pro-
posées dans le Proslor/iiim.
Voici maintenant la réponse du Docteur angélique :
Tout d'abord il faut remarquer que tous ne donnent pas le
nom de Dieu à l'être tel qu'on n'en peut penser un plus grand.
Les anciens ont souvent donné le nom de Dieu au monde.
(1) C. s- 1, 10.
LAIUilMEST DE SAIST AXSELME 297
Mottiins copemiant que le mot Dieu si<i,nific nécessairemeul,
Tèlre lel quHu u'eu puisse ooucevoir un plus grand, il n'en
résultera pas que quelque chose de tel existe dans la nature :
« ce qu'on dit de la chose doit être pris au même puint de vue
que la délinition du nom ». De ce que Ton conçoit en pensée
le sens du mot Dieu, il résulte seulement que Dieu existe dans
la pensée. On ne peut donc conclure que l'être lel qu'on n'en
peut penser un plus grand existe autrement que dans la pensée,
et il ne s'ensuit nullement qu'un tel être soit dans la nature
des choses. Ceux qui pensent que Dieu n'est pas peuvent donc
le faire sans alisurdilé I :.
Il nous semble ditliciie de faire une erilique plus nette des
vues émises par saint Anselme, de saisir plus iinement le e(Mé
faible de son argumentation. Le vice principal de sa preuve y
est relevé avec ijeaucoup de précision : Eodem modo nrccsse e</
jjoni rem et nomiiiis mlio/iem, il faut prendre au même point
de vue la chose et la délinition de la chose. En termes plus
modernes, il ne faut point conclure de l'ordre idéal à l'ordre
réel.'ft.y.jlt 9< .^^V^irré'^A^'^x/'^ s'tJr.^t^^^'^a/^.x: é--ui-i„„M.L,.ilf^'*^h^t^ ^
Dans la Somme Ùirologiqtie, l'Ange de l'Ecole est encore plus'X'w 3c'*'
net s'il est possible. Après avoir reproduit l'objection que l'exis-'^ °"^
tence de Dieu est connue par son idée, en des termes équiva-
lents à ceux que nous avons cités tout à l'heure, il répond :
» Étant donné que chacun comprenne la signification de ce mot
Dieu, à savoir qu'il est l'être tel qu'on n'en peut concevoir un
plus grand, il ne s'ensuit pas que l'on puisse comprendre que
la chose signiliée par ce nom existe en réalité, à moins qu'il
ne soit présupposé qu'il y a dans la réalité un être tel qu'on
n'en peut concevoir un plus grand (2). »
Nous voulons bien accorder que saint Thomas n'a pas réfuté
directement et expressément l'argument par lequel saint An-
selme s'est proposé de prouver l'existence de Dieu ; mais il est
diflicile de contester qu'il a démoli l'une après l'autre toutes les
assertions dont saint Anselme avait composé sa démonstrati^rjn.^-^'^
La critique de saint Thomas a porté coup. La plupart (les'""'"^ '
(I) C. g. 1, 11.
(2, r, 2, 1.
298 DOMET DE VOHGES
scolasliqiies ont renoncé à se servir de rargunient de saint
Anselme. J'en trouve une preuve ijien remarquable dans un
ouvrage réimprimé récemment par les RR. PF'. Chartreux de
Montreuil, la Summa fulri de Denys le Chartreux. Le docteur
extatique, comme l'indique son surnom, était assez porté au
mysticisme. Aussi appréciait-il beaucoup les ouvrages de saint
Anselme. Il les cite souvent, notamment le P/os/ogiiini, dans
des termes qui témoignent d'une préférence marquée (1 i pour le
saint docteur du Bec. Cependant il laisse de côté le célèbre argu-
ment et n'hésite pas h reproduire la critique de saint Thomas (2).
Nous trouvons même des docteurs qui s'expriment d'une
façon vraiment trop dure pour saint Anselme. Est-elle conve-
nnl)le vis-à-vis d'un grand saint et d'un docteur éminent cette
déclaration attribuée à Gerson, le célèbre chancelier i\o l'I ni-
versilé de Paris : « Je ne sais qui est le plus insensé, celui
qui admet cette conclusion, ou celui qui dit dans son cœur : il
n'y a point de Dieu ('.h. » Le cardinal P. d'Ailly traite égale-
ment l'argument du Proslogiitm de sophistique (4j.
Au xvi' siècle, lors de la première résurrection du thomisme,
avec Cajetan, Soto, etc.. l'opinion opposée à l'argument de saint
Anselme est devenue générale dans l'école.
Ndiis ne lui connaissons de défenseur à cette époque que le
cardinal Agnirre. L'éminenlissime commentateur accuse la len-
teur d'esprit de ceux qui n'ont pas saisi la portée de l'argu-
ment (y). Compliment qui nous touche peu étant donné que
nous le recevons en compagnie de saint Thomas. Aguirre pré-
tend au reste, comme l'a fait depuis le R. P. Ragey, que le
Pros/offi}nn n'est qu'un résumé du Monolofjium et le suppose.
Il n'y aurait de démonsli-ation a priori que des perfections
divines (6) et l'argument n'impliquerait pas que l'existence de
Dieu fût connue immédiatement de tous, mais seulement des
(1) Meus deuoUsii/niis doi^tùr.
(2) L. I, a. 3, § I.
(3) Cite par AciiRRE et par Van WEnoiNGEN.
(4) Sent., l q. 3 litt. z.
(5) Comment, sur la tlténl. de saint Anselme, vol I, p. 148.
(li) Iti'ul., proslogium.
' (1) Ibid.. vol. I, p. 143.
L-Alir,IMK.\r DE SM\r AXSEIJIE 2J9
Nous ne crovons pas que siiiiit Thomas ont admis la connais-
sanci' immédialc di' ItiiMi, mrmi' avec coUo réserve. A ses yeux,
l'impossihilili' (!<■ la (•(innaissaiice iniuirdiale de l'existence de
Die\i lient à une cause générale : rim|)ossil>ililé pour tout esj>rU .^ ^^^^ ^,
... ,. .^- 1 _ ___, - r ,.,i:.,n., Qt'''^":"' ,.,k-f
créé de connaître Dieu dans sa nature propi'c et ^'^^'^'^^^'^^^^'-'^■^h/^^'^'^^Ji^,,^
On remarquera que le cardinal Aguirre défend l'argument fle"(I^'l^ .r,^^
sainl Ans(dme en le modifiant, c'est-à-dire en lui adjoignainV"''^*':^ "
beaucoup d'autres considérations. (Jue les as>ertions émises pa i%v>,;i J_ ««Xv.<
saint .\nseline puissent avoir une certaine valeur appuyées "i'^^**^*"^"
prérédées de beaucoup d'aulres, personne ne l'a jamais con- ^t^-Ji. i^i^^
testé. Mais alors ce n'est plus l'argument simple et suflisant ^2^^;;;[^
par lui-même que le saint docteur croyait avoir découvert ( 1 ).«*««/- ^«"*=^
(]c procédé de défense a été fort employé depuis.
IV
Quels furent donc à répo(|ue de la grande scolastique les
partisans de l'argument de saint Anselme?
On a trouvé un moyen ingénieux de les multiplier : c'était
de mettre à ses cotés tous les docteurs qui enseignent que Dieu
ne peut être conçu ne pas exister.
Ainsi, on lit dans Albert le Grand que c'est le propre de
Dieu seul de ne pouvoir ne pas être et de ne pouvoir être conçu
ne pas être : sali Deu jvopnuni psf essp cl naît jtossc non ps:ii> cl
non pos^c co(jilan non esse (2). Que cette formule lui ait été
inspirée par le Proslor/imn, c'est bien possible. Mais en faut-il
conclure, avec le cai'dinal (ionsalez (.'il, qu'il inclinait en faveur
de la ])reuve de saint Anselme? Ceci nous parait exagéré. L'af-
lirmatioii (|ue nous venons de rappeler lui est commune avec
tous les docteurs et saint Thomas lui-même. Rien n'indique
qu'il y ait vu une preuve de l'existence de Dieu., 7^^ e/iyJt.'
Nous en dirons autant du fondateur de l'école fAmciscaine
Alexandre de Haies. U déclare avec saint Jean Damascène que
(1) l'rnslof/iuin Proseiniuin.
121 Somme Ikéid.. l" pars, q. l'J, m. 4.
(3) llisl. de la pliil . t. 11, p. 216.
:!00 DOMET DE VORGES
la connaissance de Dieu est naturellement imprimée en tous il).
Personne ne conteste que tous les hommes aient une tendance
naturelle à admettre l'existence de Dieu. Est-ce en vertu dune
intuition primitive ou d'un raisonnement, et de quel raisonne-
ment? Il faudrait le dire pour avoir le droit d'identilier cet en-
seiiinemcnt avec celui de saint Anselme. Le même Alexandre
de lliilès insiste particulièreuient sur l'idée que si l'on com-
prend bien ce qu'est Dieu, on reconnaît (lu'il ne peut être pensé
ne pas être, car il est l'être tel qu'on n'en saurait concevoir un
plus grand (2). Réminiscence évidente du Pros/ogiuin. Mais le
docteur irréfragable avait démontré préalablement l'existence
de Dieu comme auteur du monde (3); c'était au fond la même
réserve que posait saint Thomas.
L'al)bé liertin cite Henri de (iaud comme partisan de l'argu-
ment de saint Anselme. Le docteur solennel assure, en efl'et.
« ((u'on ne peut penser à Dieu sans j)enser qu'il est, la naliire
de la chose impliquant une telle pensée (ii ». liemarque juste
en elle-même; mais il l'aul connaître cette nature. Comment
arrive-t-on à la connailiv? Voilà le point ([u'il importe de pn'--
ciser.
Saint Bonaventure nous paraît, de tnus les docteiu's de ce
temps, celui ([uc l'un peu! çumpler le plus justement parmi
les partisans de saint Anselme. Non seulement il semble ap-
prouver dans quelques passages l'argument du docteur du Bec,
mais lui-même en i)roduit un assez analogue dans ces magni-
liques spéculations admirées depuis six siècles et qui ont pour
lilre : Itiiicrariiwi mfiitis ad liciim. S'inspirant de ces paroles
dictées par Dieu lui-même à .Moïse : je suis celui qui est, viji)
siiDi i//ii .</n/i, il cherche à se rendre compte des perfections
di\ ines en partant de l'idée même d'être : « que le penseur aj)-
pliquc d'aliord son regard à l'être lui-même, qu'il voie que
l'être même est en soi tellement certain qu'on ne peut penser
qu'il ne soit pas. Il est, en elTet, l'être très pur qui ne peut être
conçu qu'à l'extrême opposé du non-être, de même que le néant
(1) De fille nrlhod. in prinr.
(2) f'iimine, l" pars, q. 3, meiub. 2.
(3) lliiiL, m. 1.
(4; IhicL. 2" p., art. 22, q. 3.
j:Ai!i,r.\ii:.\r m: sAivr AysKuiE soi
no peut (Hre conriiquà IV'xlrômc opposé de l'ôLre. Comnio donc
le néant n"a rion do l'ètro ni de sos conditions, au contraire,
VC'lri' inrinc n'a rion du iioii-rlrc, ni en acte, ni en puissance,
ni dans la V(''ril(' de la chose, ni dans naître appréciation fl). <>
Assurément, voilà des pensées qui se ra[)proclient des inspi-
l'ations do saint Anselme. Nous l'erons toutefois deux niiser-
vations. La première est que Tidée d'être pur est inlininu>nt
mieux choisie comme point de tlépart qiio l'idée de l'être tel
(ju'on n'en peut concevoir un pins i;Tand. l'-llo exprime lieau-
conp mieux la nature de l'être inlini. La seconde est que
saint Honavoulure ne prétend point ici prouver roxistenco de
Dieu, mais expliquer sa nature, il le dit lui-même au dél)nt du
Lu elïet le raisonnement ne saint Bonavonture (>st irrépro-
chahle s'il s'agit d'élahlir la nature de l'être divin, son existence
présupposée. Est-il aussi valable pour démontrer roxistenco
actuelle? on pourrait le contester, car on pourrait soupçonner
nu passage non justifié de l'être d'essence à l'être d'existence
(|ui, dans notre manière de concevoir, otl'rent deux concepts
distincts. ( tr, nous no pouvnns raisonner que d'après nritre modo
de conception. Saint Bonavonture parait lui-même le recon-
naître. Voici, en elTet, sa conclusion : « Si Dieu désigne l'êtro
premier, éternel, très simple, très actuel, très parfait, il est im-
possible de penser qu'il ne soit pas (2). » Il faudrait donc accor-
der d'abord tfu'il y a un tel être. N'est-ce pas sous une autre
forme la même réserve qu'a exprimée saint Thomas d'Aquin?
Nous triiuvons donc bien dans les docteurs du grand siècle
de la scolastiquo des enseignements approcliant plus ou moins
de la manière de voir do saint Anselme. .Mais tous ajoutent à
ces enseignements des réserves qui en atténuent les principaux
défauts.
11 est d'ailleurs à remarquer (juo tous ceux que nous venons
do citer sont antérieuVs à saint Th(mias ou tout au plus ses con-
temporains.
Lorsque Duns Scot commença h enseigner dans l'écolo, il se
(I) Somme, ch. v.
(2j Ibkl.
302 DOMET UE VORf.ES
Iroiiva fort embarrassé. II n'osait pas, suivant la s|iiiiliicllc
remarque du R. P. Rag^y, soutenir l'argument que la erilique
lie saint Thomas avait dépopularisé (1). D'un autre eoté, il ne
lui convenait pas de marclier purement et simplement à la suite
du Docteur angélique. il prit un moyen terme, celui de Cf/Ay/yv
l'argument, c'est-à-dire de lui donner une forme plus présen-
table. Quoi qu'en dise le R. P. Adloch (2), colorer n'est point
approuver, c'est, au contraire, avouer qu'il manque quelque
chose à l'argumentation et chercher le moyen d'y remédier; c'est
l'admettre à correction. Le R. P. Ilontheim, dans sa Thi^odicrf,
((■moigne comprendre comme nous rintenlion de Duns Scot lîi).
\j' mnyeu proposé par Duns Scot est, comme on pouvait s'y
attendre, assez subtil. Duns Scot admet la nécessité d'un intel-
ligible suprême, dans lequel l'intellect puisse se reposer. r(<t
intelligible comprend la notion du premier objcl de l'iiilellecl.
e'est-à-dirc i\c l'être, et il est au sommet de l'être d'essence.
Mais a-t-il l'être d'existence? « Cet intelligible suprême ne jieut
être seulement dans l'esprit, parce qu'alors il serait possiide
l'iaiil pi'usalde, et ne sérail pas possîljle ne pouvant èlre par
un autre (ij. » Sous celle logi(|ue contournée qui reconnaiti'ait
l'argument simple et suflisant pour réduire l'athée au silence?
Mais l'argumeiît ainsi modifié est-il plus valable? La contra-
diction dont arguait le doclcMu- du Rec povu" confondre celui qui
nie l'existence de Dieu, au lieu d'être dans la pensée du néga-
teur, se trouve reportée dans l'objet même de l'intellect. Ainsi
déplacée est-elle plus réelle? (let objet sérail possible et à la
fois ne serait pas possible ! au premier abord ces deux affir-
mations s'opposent, mais il faut remarquer que Scot met ici
en présence deux possibilités d'ordres dilférents, une possibilité
intrinsèque et une possibilité extrinsèque. Est-il immédiate-
ment évident que la première entraine nécessairement la
seconde {V)]l
Terminons en disant quelques mots d'Occam, le célèbre nomi-
l'U L'Arfiument de sniiil Ansel'"\ p. 140.
(i) I^kil. Jarhbuch, 8, 3, p. 53.
(3) Ibid., p. 5ô.
(4) De primo prinripio, c iv, n" 24.
(5) Ibid.
rua
/.'.i;i'-r.u;:.v7' /»/•; s.w.vc .t.v.s;:/.i//'; 3o:t
nalislp. Le H. 1*. Adloclijui;o qii'Occam a :i|)|)r(iiiv('' rariiimu'iil
lie saint Ansolmc (1). C-oUc appnihalion parail liicn (loulcusi'.
si le liariii (li)ctoiir a clil (|ui' rcxisloiicc do Diru comme (Mic
supérieur el parlait peut être démonirée, mais qu'il est impos-
sible de la démontrer avec évidence si l'on entend par Dieu un
être plus nolilc et plus parlait que to)it antre être distinct de
lui i2i. La première assertion s'applique-t-idlc mieux à l'argu-
meul de saini Anselme que la seconde ?
Occam disait encore qu'on ne peut prouver par la rai>on nahi-
i-(dle i|ue Itieu soit cause de quelque ell'et.
Après tout, ce précurseur de Kant ne croyait guère à la rai-
son, (pnu'qu'il en abusât. Toute preuve devait lui paraître de
peu (le valeur. Il est bien possible qu'il ait pensé de l'argument
(le saint Anselme : autant celui-là qu'un autre.
Plus lard, au xv" siècl(?, Raymond de Scbonde employa la
preuve ontologique. Au xvi" siècle, le jésuite Vasquez accor
une place à l'argumenl de saint .\ns(dme bien que loule
grande scoboliqne de s(Mi leni|)s lui resUU opposite.
// fiét^ d^nM/tlMA fa a *yU^i~^ tn/^ a^^ if*,lflti 9tuA eiX^ A<»^^ie*</^ oic^l^^ Z'^^"'
^Lr'j,\-iu\t\ mouvement de reiuiissance scolaslii|ue du xvi" siècle
s'était manifesté surloni en llalie et en Espagne. Au siècle sui-
vant, la France vit naître une pbilosophie toute nouvelle, le
spiritualisme cartésien. Avec l'inlluence de Descartes un mou-
vement de retour se produisit en fav4:'ur de la preuve de l'exis-
lence de Dieu par son idée.
Descartes, qui prétendait n'avoir rien lu, avait lu certaine-
ment le Prdslor/ltfm. La preuve en a été faite par Haureau (3).
Il se garda toutefois de citer son auteur et proposa, comme
de lui-même, deux preuves de l'existence de Dieu qui lui
avaient été certainement suggérées par l'argument de saint An-
selme.
La première de ces preuves est toutefois ass(V différente du
(Il /'A/7. Jarhbnch, !l, :j, p. S8.
\i] GoNZAr.KZ, llisl. lie la p/i., t. Il, p. Tii.
(:i) Itial. un. du Maine, vol. I, p. :);ij.
:i04 DOMET DE VdllGES
célèbre argument. Elle lait intervenir le principe île causalité,
tandis que le docteur du Bec n'avait eu recours qu"au princiiie
de contradiction, i'artant du fait que nous avons dans l'esprit
l'idée de riniini,el que cette idée représente un ètiv au-dessus
de tous, dont aucun autre ne pourrait donner l'idée, Descartes
crut que cette idée ne peut avoir qu'une cause, l'être même
qu'elle représente. 1.,'idée de Tinlini prouverait l'existence de
Dieu, comme sa cause nécessaire (Ii.
dette preuve pourrait être bonne si nous avions de Itieu une
idée directe et adéquate. Mallieureusement, il s'en faut de beau-
coup. Nous nous représentons I)ieu comme nous pouvons, en
combinant tant bien (pie mal des noiions puisées ailleurs, dont
nous élaguons par la pensée toute imperfection. Notre idée de
Dieu est surtout négative et analogique, l ne telle idée n'a pas
besoin d'une cause directe. ^^^^*^. 7_,^'^'^:^///^^'''^"-
La seconde preuve se rapproche d^nintage d/ l'argument de
saint Anselme. Elle est pi'oposée dans la cinquième méditation
et aussi dans les l'fiiir/prs r/e p/ii/oso/i/iir 1" part., n" \'n.
i< L'âme, (lit Ir |diil()Mi|ili(' de la 1 lave dans ce dernier ouvrage,
l'âme a en elle-même l'idée d'un être tout connaissant, tout-
puissant et e.vti'èmement parfait. l*ln le considérant, elle voit
que l'idée de cet ôlrc ini[)lique non seulement son existence
possible, comme les autres idées, mais encore son existence
nécessaire et éternelle, (lomme de ce qu'elle voit qu'il est
nécessairement compris dans l'idée qu'elle a du triangle que
ses angles sont égaux à deux droits, elle se persuade absolu-
ment que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits ;
de même de cela seul qu'elle apcri;oil que l'existence nécessaire
et éternelle est comprise dans l'idée d'un être tout parfait, elle
doit conclure que cet être tout parfait est ou existe.
Dans sa réponse aux premières olijections. Descaries a lui-
même réduit son argument en syllogisme :
« Ce que nous concevons clairement et distinctement appar-
tenir à la nature d'une chose, cela peut être dit et afiirmé de
cette chose.
« Après avoir soigneusement recherché ce qu'est Dieu, nous
(1) Truiiième incdil. et l'rincipes tiepliil., 1" partie, n' 18.
LAliC.l MK.\r /)/■: S.4/.V7- AXSEI.ME IJOli
ronccnons clairement et disLincl('ni(Mil{|ii'il appartient à sa vraie
l't ininiuaiile nature qu'il existe.
<c Donc nous pouvons afliriniM- avec vérité qu'il existe. »
Celte preuve de Descartes a été acceptée par Féiu'lon et déve-
loppée par lui avec toute la magie de son style admirable (I).
Mais ni les formules géométriques de Descartes, ni les beau-
tés de l'exposition de l'archevêque de Cambrai ne doivent nous
faire illusion sur le paralogisme contenu dans ce raisonnement.
C'est le cas de répéter ici avec saint Thomas : coilem morhi
necf'ssf e<t potii rcni ri jtoiiii/ii^ rdlioncin, il faut prendre la
chose au nièuie point de vu(» ([ue sa délinition. Si vous n'avez
défini qu'une idée, la chose délinie et les propriétés qu'on lui
allribiie ne peuvent exister qu'en idée. Si vous avez trouvé dans
l'i(l('e de l'être parfait l'idée de l'existence nécessaire et éter-
nelle, vous n'en pouvez conclure qu'une chose, c'est qu'un tel
être, s'il existe, a l'existence nécessaire et éternelle. Pour sortir
de là. il faut prendre son point d'appui, non plus dans une
idée, mais dans une réalité oltjective.
C'est l'objection que lit Cratiu-us à Descartes (2), et c'est sans
doute pour avoir l'air d y r('pondre que celui-ci introduisit dans
son syllogisme la réserve que nous avons rapportée : » Après
avoir soigneusement recherché ce qu'est Dieu. » Comment,
recherché? Il ne s'agit plus de l'idée de Dieu ; il s'agit de Dieu
lui-même. On présuppose donc qu'il existe.
Ce qui cachait probablement à Descartes et à Fénelon cette
erreur de méthode, c'est la tendance commune à leur époque à
considérer l'idée de l'inlini comme une idée positive, comme
une sorte d'intuition spéciale. Fénelon l'avouait ingénument('V).
Leibniz partageait cette tendance (4). Aussi n'est-ce pas sur l'ob-
jection indiquée par nous qu'il appuie.
Homme d'une immense lecture, Leibniz avait bien reconnu
la source oii Descartes avait puisé (•)]. Il avait admis tout d'abord
son argument. Puis il eut des scrupules. II proposa une correc-
(\) De l'exis/. de Dieu, M" p., n" 36.
i2) 1"' obj. n" 3.
(3) Exixt. de ilieii. Il" p., n' 29.
(4) Nouveaux Essais, 2-17.
(u) lOid., 4-tO.
30G DOMET DE VORGES
tion moyennant laquelle il jugeait cet argument d'une rii^ueur
géométrique (1 ).
Cette correction consisterait à ]>rouver d'abord que Dieu est
possible. '< Supposé, dit-il, que Dieu est possible, il existe, ce
qui est le privilège de la seule divinité. On a droit de préju-
ger la possibilité de tout être et surtout celle de Dieu jusqu'à
ce qu'on prouve le contraire. »
Cellt' preuve négative est peut-être un peu faible ; aussi, dans
sa lettre sur l'ouvrage du P. Laniy, il modifie sa démonstra-
tion : <■ On pourrait, dit-il, former une démonstration plus
sim|ile en ne parlant point des perfections, pour n'être point
arrêté par ceu.x qui s'aviseraient de nier q^ue toutes les perfec-
tions soient compatibles et, par conséquent, que l'idée en ques-
tion soit possible, car, en disant scuicmcnl (|ue Dieu est un être
primitif ou d(^ soi, c'est-à-dire qu'il existe par son essence, il
est aisé de conclure qu'un tel être, s'il est possible, existe i'2]. »
El un peu plus loin, il ajoute : » Si l'être de soi est impos-
sible, tous les autres le sont aussi. » — « Il semble, remar-
que-t-il avec un certain orgueil, que cette démonstration n'avait
pas encore été poussée aussi loin (3i. >• En effet, l'argument
ainsi c(miplété peut donner jusqu'à l'existence actuelle. Mais
ce ciimplément n'est-il pas un l'eluui' à la preuve cosmologique?
Avec Kaut reviennent les objections. Kant est, croyuns-nous,
le seul, parmi les coryphées de la philosophie moderne, qui ait
combattu l'argument de saint Anselme. Il y était naturellement
conduit par sa tendance à dénier la valeur objective des idées
nécessaires et des jugements de la raison pure.
Ce n'est pas que Kant fasse grand cas de In |)reuve cosmolo-
gique. Au contraire, à son point de vue, la jireuve cosmologique
sup[)ose la preuve ontologique : « Je ne puis jamais, dit-il, ache-
ver la régression de l'existence sans admettre un être néces-
saire. C'est précisément cet être que suppose la preuve ontolo-
gique (4). » La preuve ontologique serait-elle donc la première
et la meilleure? Assurément. Mais par elle-même elle n'est pas
(1) Noiiveau.r Essais.
(2) De la ilémonsh-. cariés, de l'e.rislence de iJieu. par le P. Lamy.
a) Ibid.
(4) Criliq. de la raison pure. t. 11, chapitre m, .sec. ~i.
L'AROl MEM' DE SM.ST A.XSELME :)07
valiiltlc : " On ne |iciil cninnicncrr |i,ir l'rlrc nrcossairf (li...
l'niir li's olijcls (Ir la [ii'iiM'r |uiri', il n'y a aucun iiKiycn de
l'Oionnaitiç Iciii' cxisk'uce, puisqu'il- t'audrail la rcconnailrc
loul à (att a jjriu/i. Notre coiiscienco de toute existence appar-
(icnl entièrement à l'unitc^ de l'expérience, et si une existence
iiors de ce champ ne doit pas être tenue pour absolument impcis-
>il>le, elle n'en est pas moins une supposition que rien ne peut
justifier r2)... .1
\ iiiià (|ui est clair. La preuve cosmologique ne vaul que pai-
la |)reuve imtolngique qu'elle suppose. Mais celle-ci ne vaut
rien, il n'y a pas de preuve rationnelle de l'exislence de Dieu.
Sainl Anselme eût été sans doute peu inquiet d'une sem-
lilable attaque. Le père du criticisme qui a appris aux généra-
tions contemporaines que rintelligence ne contient que des
formes d priori sans rai)pnrt nécessaire avec la réalité, était,
aux antipodes des vues de noire saint docteur.
L'iniluence de Kant a été et devait être grande à raison de
son génie. Mais il a été trompé par une analyse incomplète. 11
s'est imaginé que dans l'expérience on ne peut trouver aucune
hase à la nécessité. En conséquence, il a divisé la pensée hu-
maine en deux parties sans lien entre elles : la pensée pure
ayant pour objet le nécessaire et l'expérience ayant pour objet
le r('el. Dans la vérité, au coutiaire. la pensée pure est abstraite
de l'expérience et lui donne sa fécondité, et l'exiiérience donne
à la pensée pure toute sa solidité.
Mégel, venu après Kant, nous fait entendre une tout autre
note. Sa philosophie est issue, il est vrai, du mouvement pro-
voqué par Kant; mais, tandis que celui-ci avait séparé la raison
pure de l'expérience, Hegel chercha à rétablir l'unité. La raison
jjure ne peut démontrer le réel 1 Soit. Elle fait mieux, elle le
])riHluit. Le réel, c'est la pensée pure s'objectivant elle-même;
le mouvement dialectique qui est la vie divine est identique ii
la vie des choses, l'idée est identique à la réalité.
FMacé à ce point de vue, Hégf! ne pouvait repousser la preuve
du Pros/or/iio/i. Au contraire, il la considère comme exprimant
(1) Critiq. de la raison pure, t. 11, chapitre m, sec. 4.
(2) Ihiil., sec. 7.
:!08 DOMET DE VORGES
le mouvement naturel de l'esprit passant imméilialemeiil du
lirii à rinlhii où le fini a sa raison d'être dans l'idée divine uni-
verselle 1 1. Hegel ne reprriche qii'une chose à saint Anselme,
(le maintenir en face de linlini la représentation de l'exisleuce
du lini 2 . 11 aurait dû montrer que le lini n'est pas le vrai et
(jue ses déterminations prises séparément sont incompatiideset
n'ont pas de réalité.
Saint Anselme ne se serait sans dnuti' pas jdus ému des
louanges et des conseils de Hegel que des objections de Kant.
Son esprit était trop solidement imbu de la doctrine des Pères
de ri^glise, pour faire cas d'appréciatioiis fondées sur des prin-
cipes si éloignés de la saim^ philosopliie traditionnelle.
VI
Dansées derniers temps, la discussion sur l'argument de saint
Anselme a repris avec une nouvelle vivacité, (le renouveau a eu
deux causes : les études bistoriqnes provoquées en France par
(lousin, puis la résurrection de la phibisophie thomiste ([ui a
ramené du nu''mecoup l'attention sur toutes les écoles du moyen
Les philwsophes rattachés au spiritualisme de Cousin sont, en
général, favorables à la preuve du Prox/oyiiiiii.
bouchitté approuve le docteur du Bec. Il prétend que les
grands scolastiqnes n'ont pas compris la valeur de son argu-
ment. Cet argument repose, d'après Bonchitté, sur une bas(^
psychologique. Saint Anselme constate que les hommes ont
l'idée d'un être supérieur à tous et il an;dyse très bien cette
idée. Elle nous est fournie par « l'induction ([ui part de l'être
lini et relatif que la conscience nous donne à tout moment pour
atteindre jusqu'à l'être inconditionnel, inlini et absolu (3) ».
N'y a-t-il pas dans cette remarque comme un ressouvenir de
Hegel ?
Bouchittt' regrette seulenienl que le docteur ilu iioc ail donné
(1) L'If)., trad. de Vera, p. 304.
(2) Ihid.. § 193.
(3) Le Ra/ionalisme chrélien au II sieile, Paris, I8i2.
i:Aiu:rMi:.\r de saist .\.y.s/;/..i/ê ano
à >on ;ii;;iim('iil uiu' l'oniie logiqiio. Cctlo tnrmo le i;àtc, dil-il.
Ifautivs (liraii'iil sans tloiitc qu'elle en lait mieux ressortir le
défaut.
Rémnsat entre assez dans les vues de Bouchilté. 11 déclare
l'argument mauvais comme syllogisme, mais bon comme ten-
danee; L'idée conçue nécessairement témoigne de la réalité de
son objet. Rémusat reconnaît toutefois que l'argument n'est
pas démonstratif sans le recours au Monologiitm (1 1.
Saisset, dans sa tbèse latine f2), se plaint également qiu'
saint Thomas n'a pas compris la portée de l'argument de saint
Anselme. 11 trouve la preuve cosmologique insuffisante, parce
que, d'après lui. elle prouve l'èlre nécessaire, mais non l'être
parfait et iniini. C'est une idée em|uunlée de Kant. Saisset n'a
pas compris que la preuve cosmologiqiie donne l'existence d'une
première cause qui n'est pas causée, qui, par conséquent, est
par soi, r)is a se. De cette notion ainsi acquise de l'être par soi
réellement existant, se déduisent facilement toutes les perfec-
tions divines.
M. l'abbé Bertin apj)ai1ient plutôt à l'école de Malebrancbe
qu'à celle de Cousin. 11 a défendu énergiqTiemenl, au troisième
congrès international des catholiques à Bruxelles, l'argument
de saint Anselme. Il constate dans son mémoire que l'idée de
perfection absolue n'implique aucune contradiction ; elle est
donc possible. Or, « nous devons affirmer de l'être premier
toutes les perfections, car il les contient toutes éminemment
dans sa parfaite unité. L'existence étant une perfection, nous
ne pouvons séparer l'idée d'existence de l'idée d'être {)arfail
que par une pure abstraction..., plus un être s'élève en per-
fection, plus sa l'aison d'exister devient forte; elle croit dans
Ib même rapport que sa perfection (3). » Ces vues sont belles
sans doute, nous les avons déjà rencontrées chez saint Augus-
tin. Toutefois elles nous semblent mieux s'appliquer à la dia-
lectique de saint Bonaventure qu'à celle de saint Anselme.
Celui-ci ne partait pas précisément de l'idée du parfait, mais
de l'idée d'un être tel qu'on n'en peut concevoir un plus grand.
(1) Sa'tiil Anselme de Cantorljér;/. Paris, 2853, U' p., ch. m.
|2j De varia S. Aiiselmi in l'roaloi/iu (irr/umenli fnrluna. Païis, 1840.
(3) Annales de /jhil. chrél., mai 1S9j, p. 162-163.
:tlO DOMET DE VORGES
Il louait lieaiu'Oiip à celle formule : il est bon de lu lui laisser.
M. l'alibé Berlin a été fort attaqué dans la discussion qui a
suivi sa communication. On lui a objecté que d'une conceplinn
purement sul)jective on ne peut conclure à l'existence d un être
réel. Il a répondu (|ue l'idée de l'rlre premier n'est pas pure-
ment subjective. .Mais si l'idée de cet être est objective, son
existence est constatée ; il n'y a plus besoin de la prouver. C'est
ce qu'avait entrevu le génie pénétrant de saint Tliomas.
Quelques années auparavant, le R. P. Uagey, mariste. qui
avait fait une étude particulière de la vie et des œuvres du saint
arcbevèque de Cant(uliéry, publiait un volume consacré s|)écia-
lement à l'argumeul du Proalogium (1). L'auteur ne préleml
pas défendre directement l'argument, mais on voit bien ([u'il
le tient pour valable. 11 soutient qu- ceux qui ont critiqué l'ai-
gument n'en ont pas saisi le point essentiel. Quel est ce puint
essentiel? On a peine à le démêler dans les considérations
fuyantes développées par l'auteur et qui paraissent parfois op-
posées l'une à l'autre. Il nous suflit de remarquer avec lui que
« le malheur de cet argument, c'est que, même en le supposant
concluant, il y a beaucoup de choses qui servent à sa démons-
tration et que, pour le comprendre, il faut les connaître et les
comprendre toutes et les avoir tontes présentes à l'esprit en
même temps. Os choses ne sont toutes indiquées ni dans le
Prosloi/iii»), ni dans la réponse de saint Anselme ;\ Gaunilon.
Il s'en faut même de Ijeaucoup (2). ■> On ne saurait avouer plus
ingénument que saint Anselme a manqué son but de présenter
un argument très simple et saisissable à première vue. Qni a
donc jamais prétendu que les raisons proposées par le saint
docteur ne puissent être utilisées, si elles étaient précédées,
soutenues et complétées par beaucoup d'autres raisons? ^Lf^«,*3f^
La défense la plus complète et la pTiis prof o il lïe ment étiicTiee'
du célèbre argument nous parait celle qui a été publiée en
Allemagne par le R. P. Adloch. Le savant bénédictin, pro-
Irssear au collège de Saint-Anselme à Rome, a cru devoir à son
(Irtire et à l'institution où il enseignait de soutenir les vues du
: 1 1 L'Arij. de saint Anselme. Paris, Delhommk et Briolet, 1893.
(Jj Ibitl.. p. 90.
LAlii.r.UEST DE .S.l/.VT .l.VS/,'/. 1/K :tH
sailli cl émincnl dofteur. 11 s'est livré ù un examen niinnlieux
lie tonte la polémiqne antérienre, et nous avons ]ilus d'nne fois
utilisé les renscignemenis iju'il fournit ( I i.
Le principal souci du li. I'. Adloch est d'éloignrT de saint
Anselme le reproche d'ontologisme. Cette préoccupation s'ex|)li-
que très bien par la situation de l'auteur à Rome. L'onlolo-
gismc est une des dernières erreurs philosophiques condamnées
par le Saint-Siège. Il est l'objet d'une surveillance méticuleuse
de la pari des théologiens italiens. Toute doctrine soupçonnée
à (orl ou à raison d'ontologisme est d'abord décriée.
A parler de sang-froid, saint Anselme avait certainement
quelques-unes des tendances qui font l'onlologiste. Il sérail
facile de relever dans ses écrits plusieurs expressions pouvant
prêtera la critique. Néanmoins nous croyons injuste d'accuser
un homme éminent d'une erreur inconnue de son temps, pour
quelques assertions dont la portée dernière n'était pas encore
entrevue.
L'argument de saint Anselme est-il ontologiste? Nous croyons
bien que le saiul docteur lui eût prêté moins d'importance,
sans la teinte ontologiste qu'avait sa pensée de derrière la tète.
Nous accordons toutefois volontiers au R. P. Adloch que, dans
sa forme explicite et sa signilication directe, il n'est pas onto-
logiste.
L'habile bénédictin veut que l'argument soit à la fois psycho-
logique et historique. Saint Anselme aurait constaté son idée,
purement subjective, à ce premier moment d'un être tel qu'on
n'en peut concevoir un |)Ius grand, l'uis il aurait reconnu que
cette idée est le patrimoine commun de tous les hommes. De
là sa valeur objective et la nécessité de l'existence de son objet.
L'argument se rapprocherait ainsi soit de la première preuve
de Descartes, soit de la preuve par le consentement universel.
En serait-il plus valable? La même objection se représente
toujours. Nous n'avons pas de Dieu une idéejljrcctej^Unimé- ^^t,^^,^
dkte exprimant sa propre nature. Nous n'avons qu'une idée for- eJ^^i^jt/i^
mée par analogie, qui n'a, par conséquent, prise seule, ^^ '^l'^rf *Z j,^?^/^
valeur que celle d'un concept de seconde main, ^<y^- ^ /rtei/it' 3 i**"^
AlAM^^JtMvi^ QiJL H(Ht4 li' ûju/fi^U jtOÂ uA^/~ t/K]U
(I rh'd. Jalu'buih, 8'. 9' et 15' Bani>. iuM-^i/tutÂ^, iA/ic/Vw- : t/Z>4*f-«^»^9<>M«'<-
312 DOMET DE VORGES
[►"ailleurs l'inlerprétation du H. 1'. Atllocli nous parail indi-
quer des vues que saint Anselme n'indique nulle part. Son
argument, ne l'oublions pas, repose sur le principe de contra-
diclion , il ne repose ni direclement, iii indirectement sur le
principe de causalité ou sur la tradition.
Terminons cette revue historique en iiidi([nanl l'allilude des
néo-scolastiques dans la question qui nous occupe.
Cette attitude est généralement hostile à l'argument du
Proslogiiim.
Voici la déclaration de San Severino, le premier aulcur de
la rénovation du thomisme au xix' siècle :
<< De ce que nuus concevons lui être possible, s(juveraiiicnii'nt
parfait, à l'essence ducjucl ajiparlient l'existence, il résulte (|ue
cet être ne peut être conçu c(jmme possible sans être conçu
comme existant ; mais il n'est pas permis de conclure (|u'il en
est de même dans la réalité (1). »
Liberatore s'exprime dans le même sens {'2).
Stôckl, le grand historien allemand de la philosophie du
moyen âge, avait d'abord admis l'argument, comme argument
onlologi(|ue counuuiant par surabondance les aulres preuves (H \.
Mais il modilia son upinidu dans sou histdire de la philosophie
médiévale (4), et se rapprocha de l'avis des principaux scolas-
tiques : « A ces preuves, dit-il (les preuves cosmologiquesi, on
peut joindre l'argument (Uitologique comme preuve surabon-
dante. Toutefois cet argument ne prouve pas proprement l'exis-
lencc de Dieu, mais bien plutôt la nécessité de cette existence.
Il ne peut et ne doit pas exclure les autres preuves de l'exis-
tence de Dieu, s'il ne veul perdre lui-mènu' toute force démon-
strative. )i
Le H. I'. Schitlini formule une opposition atténuée. 11 déclare
l'argument illégitime en soi. " C'est tout autre cliose, fait-il
remarquer, de signilier l'existence par un nom quelconque, ou
de la poser réellement dans la nature des choses (o). » (>epen-
(1) Éléments de p/iil.. tr.iduits par X. ('.., t. UI. Théol. tuil., 1-2.
(2J Pliist. pliit., t. 111, ]>. 2G3.
(3) V. (ter kalolil;. 186U.
(4) Munich, 1864, v. 1, 164-16.J.
(5) Théol. Mit., p. Vi.
i.MK.t Mi:.\r hi-: saist .wselme 313
(Janl il ailmcl que largiinu-iil aurait une valeur pour ceux qui
ne verraiont autiiiic cuntradiclion dans la notion quVxprime le
nom de Dieu.
Par contre, Topposition du 1{. P. Hontlieim est absolue. L'ar-
^^unient à son avis no prouve qu'une chose, « c'est que nous
ne pouvons concevoir l'être suprême sans concevoir l'existence
comme une conditioR constitutive de son essence. Il n'en
résulte pas nécessairement que cet être existe en fait (1). » Le
savant Jésuite repousse d'ailleurs d'une manière formelle tout
argument a priori ou ontologique. Nous ne concevons Dieu,
remarque-l-il, qu'eu vertu de certaines analogies avec les choses
créées et contingentes: notre concept n'atteint pas suflisamment
la nature de l'être divin, pour que nous puissions en conclure
nécessairement son existence (2).
Le docteur Gutberlet reproche à l'argument un passage illé-
gitime de l'existence pensée à l'existence réelle. Dans l'ordre
de l'existence réelle, ajoute-l-il, la moindre chose qui existe est
certainement supérieure à la plus grande perfection qui n'existe
pas. Mais dans l'ordre de la pensée, il est faux que l'être qui
existe en réalité ait une perfection plus achevée que le même
être qui est simplement conçu (3i.
Van Weddingen est flottant. 11 admet la critique de saint
Thomas. 11 entrevoit néanmoins dans l'argument de saint An-
selme l'expression de cet instinct supérieur de l'homme dont le
terme est l'absolu. L'homme, en présence des êtres changeants
et imparfaits, se démontre avec, une irrésistible évidence un
principe transcendant et personnel de tous les êtres : « C'est le
commun argument de toutes les écoles. A cette déduction basée
sur le monde extérieur, correspond un phénomène psycholo-
gique, le plus grand, sans contredit, du monde interne... je
veux dire le mouvement naturel de notre âme vers le Dieu
infini. » Et après avoir rappelé et confondu les enseignements
de saint Thomas, de Platon, de Bossuet, de Fénelon, sur la
tendance native de la raison vers l'infini, il conclut ainsi :
« Cette démonstration de l'infinité du premier être n'est pas
(1 Insl. Iheol. nat., p. 59.
(2) Ibid., p. 59.
(3) Tkeod.. Munster, (SIS. p 48.
314 DO.MEÏ DE V0I5GES
certes tirée de sa notion, de son idée. Elle est d(''duile de la
manière toute spéciale dont l'absolu se pose devant nos facilités,
notre conscience et tout notre être. En ce sens, elle présente
avec l'argument du Prosloge une parenté réelle ( j ). »
Beaucoup plus net, beaucoup plus sévère aussi est h'
K. P. I-'usier, de la (Congrégation du Saint-Esprit, dans le mé-
moire qu'il a opposé, devant le quatrième congrès interna-
tional (li's catholiques à Fribourg, au mémoire cité plus haul
de .M. labbé Rertin. Après une discussion rigoureuse des asser-
lii>ns de son adversaire, il montre que l'idée qui est le point
(b' départ de l'argument de saint Anselme est, de son aveu
nièuu>, subjective : (|ue le principe même d'identité » exige qui'
les attributs soient de même nature que le sujet, réels si le sujet
est réel, conçus si le sujet est simplement conçu ". Il ajoute (|ue
l'exisleni-e n'est pas une |)i'rtectioii, niéiui' l'existence néces-
saii-e. " L'existence nécessaire n'est pas jilus une perfection
que l'existence contingente. Elle est uniquement la réalisation
des perfections nécessaires, comme l'existence contingente est
la position des êtres contingents. » Enlin il montre, comme
nous l'avons déjà insinué, que tous les défenseurs de la preuve
de saint .Vuseluie. à commencer par saint Anselme lui-même,
oui été obligés de modilier l'argument pour en rétablir la
valeur ['1\.
Nous terminerons ici l'exposé de la controverse à laquelle le
Vri>^Ui(j'iiim a donné lieu. Nous pourrions la ])rolonger, pour
ainsi dire, iudéliniment. Nous pourrions citer encore Gassendi,
Benedictis, Strenstrup, lleinricb, Mendelsohn, le R. P. Lé-
[»idi, .M.M. Boirac, Uabier, l'arges, Vallel, etc. La lubliogra-
pliie de l'arjiunn'ut de saint Anselme est fort considérable.
.Mais nous craignons d'avoir déjà fatigué le lecleui-. Ce (|ue
nous avons dit suflil amplement pour qu'il puisse apprécier
les divers points de vue où se placent les approbateurs et les
(■i'ili(|ues.
(1) Essai critique sin' lapilli dp xainl Anselme, pp. 320 et suivantes.
(2) La Preuve onlolo<tique de l'e.risl. de Dieu, par saini .li.seliiie. loiiiptes rendus
du congrès de Fribourg.
I.MiCl'MEM' /»/•: SM.\r A s si: LUE 3i:
vil
Ouon nous; permcltc scult'iiicnl de irsumer en quelques
mois ce (lél)al séeillaire, l't de meUre on relief les principales
conclusions qui pamissenl s'en (li''i;agei".
Nous pensons que rart;umeni, tel (|ue l'a proposi' loul
(l'abord saiul Anselme, c'esl-à-dire comme un arguun'ut simple
et suflisaut ])Our convainire un aiJK'e. u'esl point efficace.
Nous le pensons narce que chacune des trois propositions qui
constituent l'argument nous |)arail entachée d'un vice sérieux.
Nous avons l'idée d'un être tel ([u'on n'en peut concevoir un
plus grand. Première proposition.
Cotte proposition énonce un fait insuffisamment défini. L'idc'e
d'un èlre tel qu'on n'en peut concevoir de plus grainl ne cai-ac-
térise suffisamment aucun èd'e. l'Hie n'indicjue la nature pr('-
cise d'avu-un. 11 est donc impossible d'apprécier sainement si
un èlre ainsi caractéris('' a droit ou non à l'existence.
Comme Ta très bien remar(|ué Gaunilon, on peut avoir l'idi-e
d'une chose de plusieurs manières. On |ieut se représenter sa
nalure ; on peut aussi s'en forger une notion [)lus on moins arli-
iirielle. S'il s'agit de la nature la jttus grande que nous puis-
sions nous représenter dans son caractère propre, cela ne nous
mènera pas bien loin. L'homme est manif(>slemenl cette nature;
nous n'avons la connaissance d'aucun être supérieui-à l'homnn'
que par des analogies. On voit immédiat(>menl (|u'en ce (|ui
conci'rne l'homme l'argument n'a aucune portée.
S'il s'agit de l'idée que nous nous formons qu'il y a des êtres
supérieurs à l'homme et l'un d'eux supérieur à tous les autres,
il s'agit d'une idée que nous avons tirée du spectacle des êtres
et de leur hiérarchie et que nous nous sommes formée par le
travail de notre intelligence. Alors cette idée vaut ce que valent
les considérations qui ont comluil à lu former. Ce smil ces con-
sidérations (ju'il famlrait examiner pour apprécier si une lelle
idée a une application dans la réalité.
D'ailleurs, comme nous l'avons remarqué, saint Anselnu'
déclaïc que Dieu est plus grand que nous ne pouvons le con-
ceMiir. Il ne serait donc pas l'èlre tel qu'on n'en peut concevoir
:UG I)f)MET DE VORGES
un plus ^raïul, mais il scrail au-dossus do cet èlre par sa gran-
deur inconcevable. Dès lors comment s'applique l'argument?
Si on veut l'appliquer à l'être le plus grand qu'on puisse conce-
voir, il peut èli'C répondu justement i|ue cet être n'est pas le
plus grand en réalité, ce qui énerve rargiiment. L'argunu'nl
est, en ellel, fondé sur la contradiction de coni-evoir cmiime le
plus grand des êtres un être tel qu'on pourrait en concevoir un
plus grand. Si vous voulez l'appliquer au Dieu inconcevalile,
on répondra non moins justement que ce Dieu n'est pas dans
l'intelligence, puisqu'on ne le conçoit pas. Ainsi disparait la
raison qui [tortail à conclure qu'il est aussi en réalité.
La seconde |iroposition de l'argument est équivoque. Ct: qui
est en réalité est plus qiu' ce (|ui n'est ([u'en pensée, dit saint
Ansehue. Ceci peut s'entendre de deux manières.
Au point de \ue de la réalité, ce (|ui n'est qu'en pensée n'est
rien, c'est un pur néant. En ce sens on peut très bien dire que
ce (jui est en réalité est plus que ce qui n'est qu'en pensée. Le
moindre petit passereau qui existe est plus qu'une perfection
inlinie (|ui n'existerait i)as.
Mais s'il s'agit, comme dans le cas présent, de prendre un
être en i)arliculier au point de vue de sa nature, de sa perfec-
tion, de sa place dans la hiérarchie des êtres, alors il n'est |)lus
vrai de dire que l'être qui existe est plus que l'être qui n'est
que pensé. C'est le même être, la même nature qui est envi-
sagée dans deux cas différents, comme réalisé ou comme sim-
plcmeul conçu. Il n'y a j)as lieu de mellre l'un au-dessus de
l'autre ; il y a, en ce qui concerne le degré d'élévation, parfaite
identité.
L'existence, selon la remarque du professeur fîulberlet, n'est
point une perfection à proprement parler, c'est l'état des per-
fections réalisées.
Cependant, nous admettrions, malgré le H. I*. Fuzier, que
l'existence nécessaire est une i)erfection, mais en ce sens seu-
lement que c'est une perfection d'avoir une nature telle qu'elle
soit inséparable de l'existence. Ce n'est pas cette nécessité qui
est en question dans l'argument, c'est le fait de l'existence
actuelle.
Enfin, quoi que l'on puisse penser des observations qui pré-
LMu.iMEM- ;)/•; s.i/.vr i.\s;:;.i/;; :jr
codent, la coiicliisida est ilU'-i;iliiiu-. Elle snullrc du sopliisnie
appclr ilans rôirilc : ]i;\ssai;(' dr ri> (|ui l'sl, dit rolalivcmrnt à
ce (jui csl d'il >iiiipliMii('nl, //■ri/isi/iis a t/ic/n sccniKlinii ijukI ad
(Hcldiii >iiiiiiiHtilfr. De vi' (pii' l'cMrr Irl (iii'dii ii'i'ii prui cuncc-
voir un Jilus t;rand doil (Hrc coiicii cvisliuil, nu cniiclul à 1 cxis-
Iciu-c acliudhv On passe do ri^xistonco ndalivc de l'idijcl pciisi'
à rc\isl('iirc pure (d simiilr de l'cdijcl ivid. S;iiiil '!'liiiiiiiis a
liicn ndové ce défaiil qui vioic proriiudémcnl raii^umcnl. Ou
uc pcul passor di> l'nrdrc idéal à l'ordre réid sans s'appuyer sur
lin l'ail \-vr\. I.'ar-unii'ul de sainl Ansidiue. Ud (|u'ii s(^ |n-é-
seule, pnmvei'ail Innl an |>lns que l'tMre le! cjn'on n'eu peiil
edueevnir nu pins i;ran<l doit (Mre conçu, s'il exisie, comme
exislaul |iar nainre, nniis il ne pnuive nnlleuu'nl ([u'un lel èlre
exisie en l'ail.
Voilà p(inr (|U(dles raisons nous croyons devoir refuser noire
adliésidu à l'ariiiimeut de saiul Anselme et le considérer comme
uiu^ méiirise de ce lieau j^i'iiie. Le l'iiislixjiiiiii ne peu! èlre con-
sidéré que cdinme un résumé ^\\\ MiiiKinii/iiini, à l'usage de
ceux qui en ont compris les enseignemenls. Mais il n'est pas
une démonslration pour celui qui n'admet pas la philosopliie
chrétienne. Is(dé, il est impuissant. Uni au Monoliif/ium, il n'y
ajoute (|ue de très li(dles élévations vers Dieu. Le Moiin/nr/nn:,
sufiit à la gloire du saint docleu.r.
C" DOMET DE VORGES.
■20
LA JELAESSE DE SPINOZA
I. I.\ SVNMicMili;
Les iircniicrs ('(rils (|ui' iiuiis ayons do S|)iii(>/a smil 1rs deux
lnvfs (lialoiiui's iiisrivs dans le Cdiirl Traili- [2). Ils somlilrnl
anlérii'iirs à >,i rii|iliii'c avec la Syna^oj^uo. Ce sanl doux cxor-
cicc's d'ccoiiiT, iiicdiiiplcls cl assez obscurs, mais doux cliauclics
précieuses, venant tluu idiilosoplic (|iii a peu li\ré sa l'ai-ou de
composer et de penser. — Ôuelle avait éti' jusqu'alors s;i 1"<ir-
nialiiiu inlelleclu(^lle '-^ ?
C'est dans le quartier juif d'Amsierdaui, à l'ombre de la
vieille svnaun.i^ue portugaise 'i . cpTil faut nous représenter
(1) Extrait de liKxoir he Spixu/a i;|ui paraîtra iirochainemcnt dans la onllection
des Grands l'hilosophes (Alcax).
(i Partie 1, c. ii.
(3) Les sources prinii pales pour la vie de Spinoza sont :
t" Les Lettres de l^jiinoza, l6f)l-ltoC;
i- La l'réfiicc de ses œuvres posthumes, attribuée soit à Sciili.leu, soit à Mi.veii
et Jarigli .Ieli.es. Amst. IfiTl;
:3" l'.Avr.E : Dictiiinn. ai't. ^piiinzu. Kotterd. 1G9" ;
4" La Préface de la deuxième é'iition de Clir. Kortiiolt, Oe trilius iinpostorilnis
>nai/)iis. Ilambourf,', 1"0U. Cette préface est du fils de l'auteur, Seb. Kohthoi.t, qui
vint recueillir en Hollande des traditions orales;
o" La Vie de Spinozii, par Jean Colekls. Anist. 170o. Colerus a utilisé les Lettres.
la Préface de 1(177, et Bayle :
6" La Vie de Spinozajiar un de ses disciples (Lixas — ou Lolckers, — ou de
.Saint-Gi.aix.). Amst. 1719.
Les autres textes sont réunis dans le livre de M. Kreidexteial : Die Lebensfje-
scliiclite Spinosa's. Leips. 1899.
(4) Celle qu'on voit maintenant a été bâtie en 1670.
L.\ .lElSKSSE DK S/'/.Vm/.I :{|!)
î>a sérit-uso jounossc. Nous av()ii> la vision di^ ce monde icrmé
cl étrango par Homlirandl, (jui le lianlail vci's rcltc époque. On
imaaçine les salles hasses et |)rot'undes, les éclairages i'anlasli-
(jiies, les lii/.arres défroiiues, les alliliides liil)li([iies des vieil-
lards. L'église d'Amsterdam, l'nrmée surtout de lidèles et de
juarraïu-s, (duissés d'Kspagiie eu l'ortugnl, et de Portugal en
Hollande, élail très prospère. (Ju l'appelait " la Nouvelle ,lérn-
salem ■>. Elle était moins savante que celles de l'ologne et de
Bohème, mais elle était célèbre pour son orthodoxie jalouse.
Les excommunications y ('laient fréquentes. Spinoza put con-
naître \'v\A (la ( J)sta qui fut « extirpé » de l'I'^glise comme épi-
curien, en Ki'ilt, e( qui se tua. — Une sorte de Concordat, conclu
avec le magistrat, renu'ttait toute autorité aux mains de syndics
Israélites, les " IMiarnassim ». deux -ci ('laient soucieux des
mœurs des fidèles autant que de leur foi, et une grande ferveur
régnait ilans la communauté. I''lle avait à sa tète le vieil Isaac
Ahoah, patriarche vénéré et redouté, Orohio de Castro, chargé
de l'apologétique contre les chrétiens, Manassé-hen-Israël, pré-
dicateur éloquent, un peu illuminé, un peu suspect de préférer
la Kahliale à la Hilile et au Talmud, mais grand ca^ur et âme
pieuse, el l'iiliu Hahlii Saul Moiieira. ([iii lui le niailre de Spi-
n(5za. C'e>l lui qui avait distingué, dans une famille de mar-
chands, cel enfant méditatif et studieux. Il en lit, après Mos(''
Zacout, son (dève [)référé, et l'éleva pour le temple.
Morteira, VcMiitien d'origine, tempérament hautain et domi-
nateur, se dislinsiuait des autres ralihins. En face de l'école
traditionnelle et mystique, il existait une école d'exégèse plus
hardie, qui inlerprétait la Bilde par la raison (H tendait à en
<'xclure le surnalurel. C'est à cdle (ju'il se rattachait. Cette école
l'emontait au (iiiitlr des liulrris de Maïmonide, ouvrage fameux,
resté suspect aux juifs orliiodoxes, dénoncé souvent et mis
plusieurs fois à lindex, conservé néanmoins par des raljhins
philosophes qui, avec le même esprit rationaliste, l'avaient
interprété à son tour. La méthode ordinaire des philosophes
juifs dans la reclierciie de la vérité n'est pas la méditation per-
sonnelle, solitaire. Ils prennent un texte pour point de départ
et ils en font un commentaire de plus en plus approfondi. Mais
le commenlaire ne reste pas sulxjrdonné au texte : il le dépasse
320 Pall-Loiis atlCHÛlI)
cl cl('vieiit toxlo h son tour. C'esl ainsi tino procédera Spinoza.
Il pt'nL'lrera la Bible d'aiiortl, et, plus lard, eo seront ses pro-
pres ouvrages qu'il réduira aux proportions essentielles et qii il
approfondira sans cesse.
Sous l'intluence de Mortcira, il prit en dégoût les rêveries
des Katihalistes, << ces sottises de charlatans », comme il les
appellera dans la suite (I). Il s'émancipa rapidement de l'auto-
rité des rabidns : il vit leur ignorance et résolu! de ne consulter
que lui-même sur les diflicultés de l'Iù-ritui'e. 11 mettait en
U(de tout ce (|ui l'embarrassait et comptait sur ses réilexions
pour en tirer la liiuiière. Il ndul de ■celle lacon et nii'dila le
Vieux Testament. Il s"eil'or(;a de le léduire à (juelquo idées
délinies et d'en tirer surtout une conception de Dieu et de l'àme.
Ou(d lui le résultat de ses réilexions? Nous en savons quelque
(diose |)ar une conversatinn (lu'il eut un Jour avec deux de ses
amis t2j.
Il vil d'abiird ni ppo>ili(in entre l'Iv-rihirc l'I le système
de la l\abi)ale. (|ui explique toutes choses par l'iulervention
d'esprits ou de démons. I.a Hible ne juslilie pas un tel système :
les anges dont il est questinn sont des visions de rêve, des
l'antômes, tels que ceux (]ue .lacidi vil. en songe, monter et
descendre l'échi'llc du ciel. Us n'ont aucune substance, el les
Sadducéeus ont pu nier leur existence sans être exclus de
ri^glist). Entre riidnime et Dieu, il n'y a pas d'esprits intermé-
diaires.
Ou'est-ce que l'homme lui-même' Oue doit-on entendre par
l'àme? Nulle part nous ne voyons dans la Bilde que l'àme soit
immortelle, mais partout, an contraire, ce mol est pris pour
synonyme de vie. L'ànu' p('Til avec le corps, la même lin attend
l'homme et les bêles. Il n'y a point de vie future à attendre;
il faut organiser la vie d'ici-ljas pour elle-même, car elle n'a
pas sa lin en delioi's d tdie.
Qu'est-ce quo Dieu enfin? L'I'Ariture l'appelle grand et iulini,
el, pour n'être pas des métaphores, ces m(ds supposent l'éten-
due. L'étendue, à son tour, ne se comprend que pour les corps.
(1) Tr. Ih. piiL, c. IX.
(2) Vie de Sjiinoza par un Je ses disciples.
LA .//,( .v;;ss;-' /)/•; s/'/.vo/.i 3ei
Dieu est (Iciiic un T'irc curiinrcl : il sr ((inruml avec rimmoiisili>
il II moiuk'.
L'n savant rabbin a pensé cnrurc dr nu- jinir> ([lU' ers idéos
se (i(''i;a«;f'nt de rAiicini Tcslamonl 1 . l'.llcs ilovinrenl pour
Spinoza «' dc's principes à l'aide desqmds il se lit jour à travers
tons les nuages », des sortes de dosjmes qn'il compléta et appro-
fondi! plus lard, mais (|u"il ne renia pas.
Après la liilde, il lui le Talmnd, dont léludi' semble avoir
été néf;lit;ée à .\mslerdam. 11 passait pour un livre diflicile et
prolViud. Spiuo/a b^ trouva clairet insifj.niliaul. Il ne s'y arrêta
i;uère, réservant toulet'ois d'en porter un jui;emenl délinitif.
11 étudia aussi les u-nvres des philosophes juifs. Deux sur-
tout semiileul avoir aiii sur sa pensée, Mosé Maïniouide et l.é'ou
Hébreu.
De .Maïmonide deu\ ouvrages étaient célèbres. I.'nn est un
traité de philosophie et de théologie, le Gidde di-s Indécis;
l'autre, une sorte de traité de morale, divisé eu huit chapitres,
et qui sert de [U'éface à son ConniifiitdiiT de la Misiia. Spinoza
connut certainement le Giiidf di's Indrcis (2l, mais ce ne fut
guère que pour le réfuter. Il en rejettera presque tout, la
théorie de la |)rophétie et celle du miracle, celle de la Création
et celle de la Providence, l'aftirmation de la liberté humaine
et l'idée cssenlieHe qu'on ne peut donner à Dieu aucun attribut.
11 fut probableiueul plus frappé par un adversaire de .Maïmo-
nide, et nn"'me d'Aristote, llasdaï-ben-Creskas f.'ls dont il parait
bien avoir connu le curieux détei-minisme. Ha revanche, il
semble avoir pris toute la morale de Mai numide, morale ori-
ginale qui donne pour lin suprême à la vie la perfection de
l'intelligence, l'our atteindre cette tin, il ne faut pas renoncer
aux plaisirs, c'est-à-dire à la satisfaction des désirs et des pas-
sions. Il suftit de les ordonner par l'hygièni' du corps et le bon
gouvernement de la vie, de façon à rendre possible la liberté
<\c l'esprit, nécessaire pour arriver à la connaissance de Dieu,
l.a vie contemplative, sans ascétisme, tel est l'idéal de Spinoza.
Les Dinldi/iirs d' 111110)1 r i\o .Iiula Abravanel ou Léon Hébreu,
(H .\l. Weill : Moise et le Tulmud. Paris, 1864.
,2 U l'avait dans sa Bibliotlièque. Iiiveilaire, éd. v.\N Uoijijen I8;i9), p. Vil.
(i) 11 le cite, l.etlre 2!l.
PAUL-LOL■I^ COICIIOL'I)
Dlalii-
piibliés en l.").'i."), avaient révrlé aux Jiiiis la iihildsopliie |
nicicnne. Spinoza en possédait une Irailuelion espat^nole (11.
(l'est d'euxque viendra rimportanee qu'il donnera toujours à
l'amour. C'est là qu'il prendra la lliéorie de l'amour de Dieu
pour lui-même, de Dieu pour les hommes cl de l'homme pour
Dieu, l'étude minutieuse des causes de lamotir, la distinction
de l'amour et du désir, et celle de deux amoijrs, l'un, sensuel
(|ui liait du di'-sir, i'autri', intelleclurl (|ui, au contraire, enten-
dre le désir. 11 n'eu tirera pas seulement cette psycholoi;ie suh-
lilc, mais aussi la conviclion que la lin de l'homme est tout
autant la iiertectiou de l'amour (pu' la ])ci-i'ecLion de l'iiiielli-
ticnce.
La connaissance ([iie Morteira lui avait donnée de l'italien lui
ouvrit aussi les univres des philosophes de la lieuaissance, ces
systèmes liardis et poétiques qui sont comme l'ivresse "de la
|)ensée spéculative. Il lut vraisemhlahlement le dialogue de
(iiordano IJruno, l>r la Causa, P/-lii( ijiio r l'/m, puldié eu l.'iS'i.
Ses deux essais de jeunesse en sont tout pi'uéii-i's. 11 y Irouva
la distinction du » principi> « interne des choses, et de leur
M cause » extérieure, c'csl-à-dire de leur essence intell igihie et
de leurexistence particulière, de ce qui déliniluu homme en soi,
et de ce qui l'ail ([ue lel homme <'xisle à tel moment. Il s'inspi-
rera de la théorie inu;énieuse par laquelle Bruno explique pour-
(|uoi " tout homme est dans cha((ue moment tout ce qu'il peut
èire dans ce inonieul |irécis, mais n'est pas lout ce ipi'il peut
être en soi et selon sa substance \2)», ce (pii est le prohlème des
existences particulières. Ce sont les dii'licuUés du système. Spi-
noza en retiendra l'idée originale que lout est pénétré d'inlcd-
ligence, et que c'est l'intelligibilité d'une chose qui en est la
véritable cause, la cause <■ intérieure » où se confondent cause
et'licienle et caus(> linale. Il lui gardera surtout le postulat der-
niei' (|ue .' le liul uiènie de la |)hilosophie est la connaissance
de l'unilé des choses C-h ». La substance du monde est unique,
éternelle, immuable ; en elle se eonrondeut l'ordre des essences
4
(1) liH-eiilaire de sa Hibliotli'eque,\). Ij2. — U a pu cnnnailre aussi le platonisiiKv
par saint Auirustin 'Invent., p. L'ili.
(!) Dp laCaiisii, c. m, pe Laoafihe, p. iM).
(;j) IbUL, c. IV.
;. i .ii:rM:ssE ni-: .s/'/.vo/.i 323
cl rnrdiT dos ('xislciRo, li'> piiiicipcs oL les causes ; clic enve-
loppe loules les formes possibles comme le germe conlienl la
plante. • Lorsque les mcnilires se dessinent et se constituent,
il ne nail pas une sul)staiice iiunveH'e, il se consomme un cvé-
nemenl déjà acci)ni|di I . I!ieu n'existe qu"en elle. " Onaiid
un rci^arde un liiiinine individuel, un ii'apei'euil pas une >iili-
stance parliculièrc, on en\isai;c la substance sniisdes traits par-
ticuliers :2:. » Les impressions qui nous viennent des choses
sont comme des sons musicaux disséminés: il laul les nnilli-
plier et li's fondre atin d'entendre riuirmonie qu'ils composent.
l)ans un autre dialoiiue de Bruno, publié la même année |3),
S|)inoza i)ut ;.;onter le sentiment lyrique, nouveau encore pour
l'e-pril Imniain. de la profondeur inlinii' du monde, ce senli-
ment qui encliantail cl elVrayail Pascal, cl il put connaître la
joie et presque le délire qu'il donne à l'âme qui en est pleine. Ces
lectures italiennes furent sans doute la poésie de sa vie cléricale.
C'est l'impression de ces études de jeunesse qu'on retrouve
dans les deux essais dialogues, écrits pndjablement vers cette
époque, el insérés plus tard, sans grand à pr<q)Os, dans le
Cmir/ Triii/r. Ils ilevaicnl faire partie d'une u-uvre plus
ét<'iidue : on y trouve des renvois à des développemenis qui
manquent.
Le premier est, dans la forme, une imitation de Léon llél)reu.
Dans les Dialoyiirs (Vnmour, l'amour est père du désir, iils de
la raison et de la connaissance. Pour mettre en lumière ces
rapport-, Spinoza fail de l'Amour, du Désir, de la Raison et de
la Connaissance, quaire personnages par lesqucds il remplace
les deux amants ré(ds, Pliilon et Sophie. Le sujet est la dispute
de l'Amour entre le Désir el la Raison. Le Désir olfre à l'Amour
des objets uiulliples, la Raison un unique objet. Le débat est
de savoir si la réalité est multiple lUi une, si la Nature est
composée de plusieurs substances, ou si elle est une Substance
uui(iue. Il est tranché à la façon île Ciordano Bruno. Ce (|ni
(Mupèche de voir l'unilé de la Nature, c'est une fausse idi'c ih^
( 1 ) De ia Causa, c. v.
(2) Ibid.
{'M De l'hifiniln, Inivefso <• Moitcli.
:j2i Paul-I.olh COUCHULI)
lii ciuisc. Le Désir rinia^iiic « transitive ». 11 s'arrête h la dis-
liiiilidii de rinlellecluel el du corporel, parce qu'il ne [)eut pas
leur vuir une e;iHse transitive commune. La Raison, an con-
trnii'c. les rapporte coninu' ntlriliuts à une suiislanei' unique
pane (|u"elle coni;oil la cause comme .. immanente » à ses
ell'ets. Dans ce petit écrit se marque déjà le caractère propre do
la pensée de Spinoza, son extrême condensation. Déjà s'y trouve
posée la (|ueslion d'où sortirai >a |)liiliis(i|)liie morale : iù\ doit
aller notre nmour.' Dans le sens du désir, nu dans cidui de la
raison? Lt l'un pressent l;i réponse». Le d(''sir doit être repoussé,
parce qu'il mène à une fouisse conce[ilinii des ciioses. à une
])liilosiq)liie ireireiii-. La |diil()S(q)liie vraie, IVuulemeut du Imn-
lieur, c'est tout le spinn/isme. (à' court DiiiIo>;ue en esl cnuime
une annonce obscure ou un premier oracle.
Le second Dialogue est plus explicite et plus important. On
\ trouve déjà formée une des idées maîtresses de Spino/a. qui
i-eslera à la itase de sou ('dilice int(d!(M'[uel. VA si l'un doit se
-crvii'. |iiiui' lu ciimpri'uiire , i|e> diA tdnppenu'ul- quelle eut
dans la suile. c(da [)rovicnt de la concision liu texte, mais Spi-
no/.!i l'avait dès cette époqiu' roriemeiil cnucue.
La l'iuine de cet écrit esl empruut(''e à (iinrdann lirunn. Tliéo-
pliile. qui d(''sit;nait le piiilosnplie lui-uK'ine, s'y retrouve et a
pour iiilerldcuieur lù'asnu' ([ui lient le n'dedu Désir (1). Le sujet
est de préciser l;i n(dion d<> ■■ cause immanente ». Cotte m)lion
lui irrhiincnienl cnirevue par iSruun. lUiii- Spiiin/:i l'éedaircit
et se la rend |uopre. fi'esl uni' expressiiui de théidogiens. qui
désiiiiu- la l'ai-on dnnt Dieu est cause de soi ; elle s'i>j)|)nise à la
'!r
façon .< transitive » dnni il est cause do ses croatiwes. Théo-
l)liile s<iutient (jiu- cette (q)piisilion n'est pas fondée, el (lue
Dieu est cause du uuïude de lii même ïanm que de luiMuême,
(jn'il en est <( cause imuunieuir •'. Dieu est intérieur au monde.
l'eul-(Ui dire. a\ec l-^j-asme. que le mnnde s'iijoule à lui el aui;-
menle smi essence? Xon, le i-apport des choses à Dieu doit
êlre <'onçu de la même manière que le rapport des idées à l'es-
pril. L(>s idées ne s'ajoutent pas à l'espril. elle;, le constiluent.
On peut diiT. indilleremmenl. (|iu' l'opril les forme ou (|u'il
(1) '\ip-j.TJ.rj;. Desideriiis.
L.\ .IhJWKSSE /)/•: SI')\(>/.\ M'\
•
est inrnu'" par elles, car il ne s'ai;il pas (i'im rappurl île cause
à ellVt, mais il'iin rapport (rinliéivnce oii d'iiilérinrilé. Los idées
b'oiil rexiérieiir, l'esprit esl le Inrid. l>e nièiiie. Dieu esl l'iii-
Ume de l'univers. Les choses ne peuvent pas aceniîlre son
essence, car elles ne lui sont pas étrangères. Il siil'lil de les
pénétrer puni' s'approciier de lui.
Théophile marque l'importance morale de celte doctrine.
Dieu, n'étant plus transc(Mulant, n'e^t plus inaccessihie. (^omnie
il est éternel, tout ce qui (hqiend de lui immédiatement parti-
cipe de son l'iernité. Si je veux moi-niiMne rendre étern(d mou
<:s[iril. il s'agit de le l'aire dé|iendre élerncdlement de Dieu.
Tontes les idées, sans doute, (|ui composent mon esprit dépen-
<lent ininUMliatement de Dieu pour leur << essence », c'est-à-dire
pour leur possihilité, mais leur ■< existence ■< actuelle dépend
de modilications particulières, l'éducation que je reçois, les
i-onversations auxquelles j'assiste, les voyajies que je fais.
Une seule est privilét;i(''e, l'idi'e même de Dieu. Elle se produit
sans intermédiaire. ■ Dieu est coniui par lui-même. .. L'idée
<le Dieu dépend immédiatement de Dieu, (l'est à elle qu'il tant
me rattacher ; travailler à me rendre éternel, c'est tiavailler à
acquérir une idée claire de Dieu. .Mais à ((uoi reconnaîtrai-je
que j'y suis arrivé? A ce qiu^ nnm amour cessera de se disj)erser
et que je me sentirai uni à Dieu de manière (juil me soit im-
possihle de rien aimer (jne lui. Ce sont les progrès de l'amour
(|ui révèlent les progrès de l'intelligence.
Tels sont les témoignages qui n(Uis restent des nuMlitalions de
jeunesse i\o S[)inoza. 11 faut y voir le premiei- je! d'une pensée
déjà personnelle. Plus tard, dans le Cmi/'/ Trai/r, elle s'enri-
chira de connaissances nouvelles ; puis, dans VElhi/juc, elle sera
<lév(doppi''e minulieusement, le détail sera éclairci et le progrès
\\\\ <liscour> mis en saillie, mais l'àme est là. — Faut-il })arler
de mvsticisme .' Oui, si ce mot s'applique à une communica-
timi directe, à une union intime avec Diim. Non, s'il implique,
i-nmme il est certain, un Dieu persiunud, sensihle au co'ur,
|)ar-delà l'intelligence. Ici l'homme s'unit à Dieu, mais ce n'est
pas par un état de grâce, c'est par une idée pure. Et l'amour
ne dépasse pas la connaissance, il en est l'autre face. C'est, si
l'on vent, le mvsticisme de l'enteiulement.
32li PuL-LoLis COUCHOL'D
A viiii;i ou vini;l-(l(Mi\ ans, Bariich de Espimiza (I) était on-
coro vin Irvito, nourri Jans la Synagogue et pour elle. H lisait
l't méditait jjeaucoup, mais il (''vitait de converser. Ses mœurs
étaient irréprochables. Cdiiinie il se livrait peu, une sorlo de
res|)ect l'entourait. Il passait pour avoir une grande science do
la Bilile et quelques connaissances élraugères. I.es éludes théo-
logiques avaient été la base de sa formatiiui intellecluelle. (".oni-
menler librenienl la IJilile, èli'e un l'aidiin ('•ilair('', de la famille
de MaïUKinide et de Uasdaï-lieu-lh'eskas, plus profond qu'eux,
peut-élre ai'issi plus allaclié aux questions de morale, seniblail
devoir être sa deslini'-e. La philosophie italienne lui avait ou-
\rrt l'esprit aux joies de la pensée spéculative, mais il lui man-
(|uait la couiiaissance du latin pour entrer dans le courant des
idi'es conlemporaines. Ap[)rendre le laliu élail s(in jjIus grand
di'sir. Mais auciiu des rabiiiu^ ne pouvait le lui enseigner.
Manassé-beu-lsrael, le seul d'eutre eux, seuil)le-t-il, (|ui l'ail su,
élail ahirs en mission auprès de (Ironiwell. Si l'iîlglise d'Amster-
dam eût ('II' plus savante cl moins intolérante. i)eut-ètre Spinoza
eût pu ne pas se séparer d'elle. On peut dire qu'il ne s'en sé-
para jamais d'cspril. Après son excommunication, il continua.
nous dit son biographe, ri respecter les règles de la loi sur le
lrav;iii niaiiuel. Sou Trai/r r/r Tliriihiii'tr cl (Ir Pdlll niiir tut
une protestation conti'e son expulsion de l'Iiglise. Il y délinit
son idéal de rabbin philosophe et umutre que « la liberté de
|diiiosopher n'est pas incompatibl(> avec la piété ». Il ne délaissa
januiis le rabbinage et, jusqu'à la lin, il s'occupa d'une u'uvr<'
rabbiui(|ue, celle du « largoum », la traduction d(^s Livres Saints
eu langue vulgaire (2).
<:oNvi:i!Si()N
Dans les jn-emiors traites de Spinoza, les Cor/ilald iwluphii-
s'ivd, le CuKii Traitr, le De Inlcllrclus Eincmldlidiir, se mar-
(1) ISciiPi/ ictus lie Spinoza est la transcription l.itine. Espinosa est, comme on
sait, le nom de plusieur.s peintres espagnols. Kspinoza est la forme portugaise.
(2) Coi.EBf?, Snissel. p. 38.
I..\ .IIJSKSSr. DE Sl'IMi/.A m
(|ii('rii mil! (loiil)l(' iulliiciici', rclli' (les (li('(i|iij;i(Mis (•lirélicus (1)
cl l'cllo de Descartes, (l'csl le Iniul de pcnsiT des Uia/ogiics,
('diirt;i par des Icchircs hiliiics. forlilii- ^m'Ioiil |i:ir imo protniidc
crise morale.
i'niii' apprcndic le laliii, Spiiiu/a a\ail (■■l(' (ddi^i'' de (|Millei-
le (jnarlier juif, lu (•('■lèhre Mii'deciii, iM'niis vaii deii l'jide, I eii-
seiyiiail alors aux lils des riches ixiiirj^cois. Il (Hail ca[liidi(|ue
(II' nom, au l'oiid liiire |ieiiseiir cl mcl('' à la poliliqiic la plus
avaucé(>. Sa r(''piMilriçc élail sa lille, Claire-Marie, exccilenic
liilinisle, point lorL helle, paraît-il, mais pleine d'esprit et d'en-
joùmi'iil; elle enseignait aussi la miisicjuc de < liamlire, dont le
goùl commençait à se répandre. La maison de \an den lùule
l'Iail l'orl eu voi;ne cl le docicur (''(ail ai-i-aldi' de Iravail. Spinoza
sepi'éscnla chez lui, et oldint d'y être l'ccii « au pair >■, connue
second répélilenr. Il passa ainsi deux ou Irois ans, moitié a ppre-
nanl le latin el nioiiii' l'enseignant.
C'est la période nnuidaine de sa vie. Il prit contact aM'c la
société hollandaise, avec ces gens discrets et lins, qui ne nu'I-
lent rien en facad(> mais sont épris de luxe intime. I.a vie élail
alors tout emliauuiée d'ari. l-'rans liais, toujours (hdioul, iiem-
lirandl, Terliurg. Cuy|), Oslade, van der Ilelsl, étaient dans leur
vigueur. Paul l'olier M'iiail de mourir, l'^t d'autres, ru's dans lit
même génération que Spinoza, commençaient avec lui leur
gloire, Ruysdaél, Jean Sleen, van de V(dde, el les deux jumeaux,
Jean ver Meer, Pierre de Hooch. Il y cul là vingt années nni-
(|ues. Spinoza ne resta pas étranger j'i celle révélation de beauté.
Il dessinait, et Colerus rapporte (|u'il l'aisail de torl helles
es(|uisses à la plume, rcdiaussées de fusain, ou [dus prolialde-
nu-nt de sépia. Plus lard, à Voorhnrg et à La Haye, il prendra
pension chez des peintres (2), el, à sa mort, ou Iroiivei'a dans sa
(diamlire aulanl d'eslamiies que de livres.
(Il Cin reoonnait surtout l'iullucnce des jeunes scolasli(.|ues, en grande vof;ue
alors au.\ Pays-iias, Suarez, Marlini, J.-C. Scaliger, Toletus, Pereira, Eustachius
et les Coïmbrois. L»s professeurs pruteslanis liurgersdijok, llccrebcport, s'en inspi-
raient beaucoup. Les Co;/Ualii metapliysiia sont, en partie, dirigés contre eux.
iVuy. 1''rel'DENTiiai., Sjy. uiut die Scholaslil;. dans les Ph. Aufsiilzc du Jubilé de
ZcuW, ISSI.)
ri) Daniel Tydcman el Henri van der SpijcU !Vax Vi.oten, .!</ .'^/j. op. xu/ipkm.,
p. :'.'JS, — et Bavi.e, an. S]j'ui(i:ii<.
32H l'AUL-LoL-i^ COL'CHOrD
11 ne se (lésiiitércssii pns, nun plus, ilo hilles polili(|ues. 1-e
coup (rKlnt (in prinii' (r(lnuit;i' venait d'échoner tievani l'In''-
ruïqne résislaiice des.l)oni:;eois d'Amsierdam (KiriO). Plus lard,
<juand ^randii-a le ni(iu\ cnient de réaetion mililaire, Spinoza
restera " nu Imui répuidii-aiu ». Il sera l'ami du (ii'and l'ension-
naire. Le jour de son assassinat, (Ui le verra eoninu' all'olé,
pleurant et voulant aller llétrir la populaee (Ii. — Mais à la
laide de van dcn l'onde, il dut avoir les oreilles pleines des-
projets de e<'l aventurier (|ui devait linir sa vie eu France
ilaus une téiu'lireuse eonspiraiiou. lùit-il, lui-même, de folles
auihitious? Il se dessiuail. nous dit-on. sons les traits de
Mcisani(dlii. dont l^drani^e destinée venait d'i'Uicrvcilli'i- l'I'ji-
l'ope.
Il ntuis l'ail ruli'udre eu Imil fa<. dans le l>f Kinciidiiliuhr,
le plu-i personnel de >(•> (iu\i'a;,;es. ([n'i! l'nl si''duil |iai' la vie
inondainc. pai' nue \ic i'n[oui-(''c de luxe délicat, d'un peu de
_<;loire el de vidu|)lés lincs. Il avait lionne f;ràee, rien d'un
pédani, tout d'un honnête liouime. Son poi'Irail \'1\ le nniuti'e
avec le visage d uiir linesse rare, le teint mal. une ednjoni lion
s|)iritu(dle des yeux cl de la liouidu^, un air d'aisaiiee aristocra-
ii(iue. Il demanda la main de la iille de son maître. — Il l'ut
r<'p(Uiss('. — Il du! seiilir doulonreu-iMueul l'is(dcm('ul i|ui lui
venait de son orii;iu('.
lui mènn^ lemps, il lui tmiclié des première^ lirùlures d'une
])litisie liéi-édilaire ';!i. (l'élail sa vie l)ornée et le premier con-
tact dr la morl jirdrliainc. Ses n''llexions, comuu' (-(dlcs de l'as-
cal, eu lurenl cerlainenu'ut hâtées. Il s'agissait d'atteindre sans
retard ri''lei'ni(i''. l''l (|uaud mènu' il ne serait pas sûr (|ue la vie
éternelle l'ùl possilde, il lallail la chercher encore. " l'n malade,
attaqué d'une maladie mortelle, rassemhle toutes ses forces
p(mr chercher un remède sauveur, quoiqn'incerlain s'il paf-
viendra à 1(> découvrir ('i i. » La mort est certaine, et le seul
es|)oir d'un hieu peut-être élerucd doit l'cmiiorler sur la ré'a-
(1) .Noie inédite de Leibnilz a la Bihiiolli. de Hanovre, ritce par I-".tciieii us;
Caheii.. (l\ê-l'. de Sp., pur Leibii.. p. i.xiv.)-
(2) En frontispice du tome 11 de l'édil. in-8", Vanu Vi.otex et L\Nn.
i3, Deuxième lettre de ScluiUer, dans Stei.N' : L'ibnilz ii. Spinoza, p. 2'<''>.
(l) De Eiitenil., Vers le début.
l.\..IFÂ:XESSE DE SI'l\(i/.\ :i2ï>
Mil'- (le biLMis (•crlMiiicmi'iil iiérissaMcs. ('. csl le |Kiri dr l'as-
cal Iransporlc'' du bien de laulrc vif à çrliii de la vie j)n''-
Sl'lllc.
I,a s\ naiidtiuc ciiliii tiniiidait coiilrc lui. Il avail rompu iiii"
pri'iiiirri' fdis avi'c l'Ilo, sur uul" réponse ca\*aliL'iv l'ailo à ^Inr-
(rira. (|ui Ir imnaiail d'excommunication (1 1. L'animosilé avait
uiaiidi paruii 1rs lidMcs. l-'lle alla niômc jusqu'à un attentat
sur >a pi-rsounc, uni' iiuil, au sortii' du Ihéàtre. On lui en vou-
lail de vivre hors de la nimmunauli'' l'I île ne pas tenir d'elle
SCS l'essources. (lu lui nllVil une pcii^inn 1res élevée. 11 refusa.
Aloi-s Isaac Almali fnluiina cnnlre lui la iiraude exconimuuica-
tiou '■ Scliamnialiia ". celle (|ue prononce toute réirlise asseui-
Idée cl qui prive à jamais du secuui-s des liouimes cl de la
miséricorde de Dieu. Puis, pour le rejeter de la ville mèuu'
d'.vmsterdam, les « Pharnassim » implorèrent l'ajjpui des mi-
uislres lutiiériens et dérobèrent enlin aux niai;istrats une sen-
Icnce d'exil de i|uelques mois (Kl.'ili).
(^etle tempête arracha diMinitivement Spinoza à ses espi'-
i-auces mondaines. Forcé île renoncci' aux vidu|ilés. à la répu-
laliou, aux richesses, il lit réilexiou (|ue ce sont là des hieus
l'quivoques . moins encore la volupli' qui es| une oscilla-
tion tie jouissance et de regret, que le désir de gloire et de
riciu.'sses qui n'admet pas de relâche et assoilTe l'ànie indé-
liuiment. H se mit en qiuHe d'un bien » qui puisse emplir
seul l'âme tout entière et qui lui donne le suprême et éternel
lioniu'ur \'2) ». Il dirigea sa vie, nous dit-il, ■■ suivant une
nouvelle règle ■ et recnnnut que ce n'i'tait |)ossilile qu'à con-
dition de rompre avec les hahitudes communes des hommes.
La vie singulière à huiuelle il était conli'aint devenait la
condition de sa liherté d'esprit. L'enclialnemenl fatal des évé-
lUMnents s'était trouvé d'accord avec l'ordre légitime de ses
pensées.
Il n'atteignit pas d'un simiI i-oup le Imnlieur espi''i-t''. Il n eut
d'aliord (jue des nmmeuts de consolation .. rares et de courte
A) « Pour me reconnaiire de vos bontés, voulez-vous que je vous apprenne le
rituel dexcoiuuiunication ? <> { Vie de Spinoza fjar un de ses disciples.)
(2) De Emend.
SM Paul-Louis COICIIOL'D
(liirûe '> ; mais jirii à pou ils devinrciit <> plus lon^s et plus tVi'--
(lut'iits » jusqu'à ce (juc sa nalure se IVil Inul cnliôre transfor-
mée en une « nature supérieure ». Il revint alors aux spéeula-
tinns philosophiques de sa jeunesse, mais le ton était autre, (le
n'était plus l'écho de Ahiïmonide et de liruno, c'était l'accenl per-
sonnel d'une âme réii;éiiérée par sa propre jiensée.
IVvn.-l.ons COUCllOli».
l'iiiir orienter le lecteur et lui permet Ire île suirrc plus iiiaément les idées
dévelo/ipHes diiiis lei articles de M. IJuliem^ nous croyons tieroir iniiiquer dés
tnaiiileniiiit les princiiuiles conclusions de l'auteur.
La niilion île com/jose chimique s'est d'ahord et lûiii/leuips déreli'ppe'e dans un
sens presque e.rcliisire>i)ent atomisle.
Aujot^rit'/iui, elle a évolué. Sous une f'urnic plus préc'ise et plus tiélaillée. mais
non essentiellement (H/jérenle. elle présente tous tes caractères que les péripritéli-
ciens attribuaieni à la notion de mi. rie.
Seulement, l'anat'/setloqique de la notion île mi.rte élitit. pour Aristole. le fon-
dement d'une ilortrine métapinjsique ; pou) la ctiimie moderne, elle est le jininl
<le iléjiart d'une théorie mathrniatiquc.
\,\ DllIECTINN.
LA NOTION DE MIXTE
LSSAi nisTuiunii': KJ ciiiriuri':
SECONDE l'AUTIE
De la révolution chimique jusqu'à nos jours Suite .
IV. i.A SI i;siiiiTi()N liiiiMiun:.
Nous vciiDiis (Ir voir |)iir (|lic11i' suilr (riili''cs. ;"i une nolioii
conriiS(> et iiKléliiussalilr, la iiolion iVtiiia/n'/ir i/ii/iiiijnr, les
cliimisles aviiiciil l'ait corresiioiidri' une roprcsenlation d'iiiio
iicllclô mallirnialique, la funiinlr rli'nn'iqiir on, pour parli^r
(rune niaiiii-'ro plus précise, la fotimtlr iliimiijiic lu-itlf.
Nous allons maintonanl assister au ilévclopponienl d'unes
notion nouvelle, celle de siib^lihitiDii ih'ttii'tiiuc ; liée d'aliord à
la notion d'analoi;ie cliimiqiu' au point de se fondre en celle-ei,
elle s'en est graihu^llciuenl sé|)arée jusqu'à eu devenir ahsolu-
nu'ut indépendante : comme ranalo:;ie chimique, elle est une
tie ces n(jtions eonl'uses, indélinissaldes, qui s'apen.'oivent, mais
ne se démontrent ])as ; comme l'analogie chimique, elle sera
représentéi' |)ar un syniholi' d'une netteté malhématique, par
:;:i2 P. DLllKM
lin ctM'l;iin airangt'niciil de sigiu's tjui cdiisliluora la fonniilc
vhiiniinic drrcliippvi' ou formule ilf imisl'il uluni .
Lorsque, dans une dissolution de sult'ale de cuivre, on plonge-
une lame de zinc, 1<^ cuivre est précipité et le sulfate de cuivre
que renfermait la diss(dution est reniplaci' par du sulfate de
zinc, (lette suhslilulion d'un nu'lal à un aulre dans une disso-
lution saline est le plus anciennement connif des phénonu'nes
de sul)slilulion. Pendant lonj;lemps, ces plK'rKimèm's de siibsti-
(ulion lurent regardés comnn' des marques de l'analogie chi-
mi([ue. I>e zinc était un corps analogue au cuivre ; il se sulisti-
tuail à celui-ci dans le sulfale de cuivre pour donuer nu corps
ainilogue à ce deiiiii'i' sel.
i.a sultsliinliou d un cor|)s à uti iuitre dans un compos('' ciii-
mi(jue élail donc reganh'e comnn' une man|ue d'analogie chi-
mique, tant enii'c les corps qui se sulisliluenl l'un à l'auli'i-
([u'eutre les composés (|ui déiiveni luii de l'aulre par celle
sulislilution : les unisses de deux corps siisceplil)les de se siili-
stiluer l'une à l'aulre devaient, dès lors, être piu[)(iilioiinelles
aux équivalents de ces deux corps ; deux composés dérivanl
I un de l'aulre par sulislilulion devaieni élre l'epri'-senlés |)ar
des foi'mules s(Mniilaliles.
Ainsi, dans rexeiuple que nous venons de cilei'. .'(2"', "Kl de
zinc n'iuplacenl :fl"', T.'i de cuivre ; les nomlires équivalents du
zinc cl ilu ciiisre doivent ilonc èlre entre eux comme Ii2,.")ll et
•■||,7"i; le sulfate de cuivre et le sulfate de zinc (loi veut ètri^
représentés par des formules analogues.
Les progrès de la chimie ont modilié celle manière de voir:
le fait (|ne deux composés dérivent l'un de l'autre par suhstilu-
tion n'est plus regardé comme nue niar(|iie d'analogie cliimi(|ue
entre ces c<Mnposés ; les niasses de deux eoips (|ui se sulisli-
tnent l'une à l'autre ne sont pas loujours proportionnelles aux
n<mihres équivalents de ces deux corps, tels qu'on les reçoit
communémenl aujourd'hui sous le nom de panh (i/oiiiirjiies.
Ainsi une lame de cuivre, plongée dans une solution de
nitrate d'argent, précipite l'argent et donne du nitrate de cui-
vre : :{1'''',7.') de cuivre se suhslilueiiL à lOS grammes d'argent.
Dalton, Wollasl(ui, (îay-Lussac, (inielin, Dumas admettaient
<|iie les équivalents du cuivre et de l'argent étaient dans le
/. i .vi/v/o.v ;)/■; w;.v'/;-; :«3
iiu"'ni(' rapport qui' les nombres iil.T") ri HIS ; ils rruiiidaicnt le
nitrate d'argent eomme analogue au nilrali' di' niivi-r ; ils don-
naient à ces deux eorps des Inrinules hniles semblables :
AgAzO", CuAzO".
Aiijonrd'bni, <in m- reganb' plus \r iiilrale d"ari;ent comme
analogue au iiitralr t iiir/'it/i/r : pour de> raisons (jui ont (-[r
indiquées plus haut, les sels d'argent sdul regardés comme
analogues aux sels niirrritr, dont chacun renferme, pour une
même dose d'acide, deux fuis plus de cuivre que le sel cui\ ricpie
correspondant; le nitrate d'argent et le nitrate cuivrique ne
sont plus représentés par des formules semblables ; on donne
à l'un la formuli- AgAzU', à l'autre la formule CuAz*0''. Les
nombres équivalents i poids atomiques), aujourd'hui adoptés
pour le cuivre et l'argent, sont proportionnels mm [las aux
nonibres:{l .!"> et lt)S, mais aux niunbres :îl ,7.")X^^Î>-f."'>(l et lOS.
<]cltc séparation entre la notion de substilulion et la notion
d'analogie chimique s'est effectuée par de lents progrès ; esquis-
sons irièvemcnt l'histoire de ces progrès.
Le premier effort pour séparer l'idée de la subslilulion chi-
mique et l'idée de l'analogie chimique a consisté à prouver que
deux éléments auxquels les chimistes attribuaient un rôle
abs(dnmeut dillV'renl, qu'ils plaçaient, pour ainsi dire, aux deux
antiiiodes de la classificaliou chiuiique, savoir le chlore et
l'hvdrogène, étaient susceptibles de se substituer l'un à l'autre,
dette découverte, une des plus étonnantes et des plus fécondes
([ui aient été faites en chimie, x?st due à J.-B. Dumas.
Ku faisant passer un courant de chlore dans l'alcool, Liebig
avait obtenu un liquide auquel il avait donné le nom de c/ilo-
ral, nom qui, sans rien j)réjuger de la constitution de ce com-
posé, rappelait les circonstances de sa formation. En 18.'{i, Du-
mas reprit l'étude de cette réaction : il détiMinina exaclement
la composition du chloral, et le résultat de cette détermination
fut le suivant : le chloral diffère de l'alcool par cinq é(juiva-
lents (1) d'hydrogène en moins et par trois équivalents de
chlore en plus.
(i| Nous continuons ù employer le mot équivalent dans le sens où l'on dit
aujourd'hui poi(/s atumique oa atome. On verra bientôt l'avantage de celte sulisli-
tulion.
•21
:;3i 1'. lU IIE.M
11 fallait lo [ii'nûv de humas pour saisir dans ci" seul r(''sullal
la lracc(lu iilnhiomi-nc de siilisliliilii)n, alor^ (jir' rr |dirn(iniriii"
V est masqué, dissimulé jtar uu iiiiéiiumènc acfossoire. \)n l'ait
quil avait éludii', |iar une indudinn hardie, Dumas tira la loi
suivante :
(Juaiul un corps peut être regardé comme un hydrate, — el
c'est justement le cas de l'alcool, — le chlore commence par lui
enlever l'hydrogène provenant de l'eau iju'il contient sans si'
comi)iner au composé qui résulte de cette n'^aidion : si l'on lon-
tinue à taire agir le chlore sur le coi-jis partiidlemenl déshydro-
géné qui est iiiiisi oi)leiiu, le chlore dé'place l'hydrogène res-
tant, mais f/i s/- sii/)s/i//ni/il à lu] i''(|uivalenl par (''(|uivalen(. Si
au lieu de prendi'e un corj)s hydraté, on avait l'ait agir le chlore
sui' un corps anhvdre contenant di' l'hydrogène, le phi'-uomène
de snlislilution se sérail produit tout d'ahord.
Il nous est (lil'ticile aiiionrd'iiui de coneeNoir exaclemenl
l'audace qu'il fallait à Ihimas pour lancer une |)areille al'liiana-
tion. A ce niomenl, la lhi''orie électidciiimic|ue de lii'r/i'diu>
régnait sans conteste. S(don ei'lle llir^H'ie, ht comhinaison (dii-
mique est une manireslaliou de l'allraclion (|ue l'élecli'icité
positi\(' <'\erce sur l'électricité négative, l'armi les corps sim-
ples, les uns sont électrisés positivement : ce sont l'hydrogène
et les in('laii\ : ie> antres son! ('decli"is(''s négali\('nienl : ce >ont
les nnHalloïdes. Dans une ci>nihinaison, la charge ])osilive d'un
niélal es! attirée |)ar une l'orce (|ui mainlient ce médal au sein
de la comhinaison : un autre miUal plus l'orlenienl diargr' d'élec-
Iricité positive (|ue le premier, partant, attiré plus énergique-
ment ([ue le premier, pourra le dé|)lacer el se suhsiilner ,-i lui.
Mais là où l'hydrogène élei'tropositil' est maintenu par une
atliacliou, le chlore l'iectronégalil' ne peut (Mi'e (|ue rejjonssé :
il est donc impossihie (|ue le chlore vienne, dans nin: comhi-
naison, occuper la place de l'hydrogène: la suhsiilnlion de ces
deu.\ éd(''menls l'un à l'aulre est une ahsurdité.
A la suite de Dumas, dans la lutte contre la théorie l'égnanle,
s'était engagé un chimiste prompt à mener jusqu'au hout les
conséquences logiques d'une idée : c'était l^aurenl. Poussant
plus loin encore (|ne Dumas la négation des idées éleclrochi-
mi(iues, il al'lirmail (|ue non seulement le chlore peut se suhsli-
LA .Y0770.V /)/■; .1//.V77-; :i:i:>
Uior l'-quivalont |)ar équivulciil ri riiytlruiii'iic, mais que, de ])lii-.
les composés qui se Iransi'ormonl l'un en l'autre par une sem-
blalile suhstilution sont analogues entre eux. il fondait cette
;iriiiin;ilinii sur la comparaison des dérivés chlorés de la naphta-
line avec le carhiire d'hydrogène (|ui leur a donné naissance.
A l'appui (le l'idée de Laurenl, Dumas apporta, en liS:5'.l. un
argument sans réplique : la ih''ciuiverle Ai' l'acide trichloraci'-
tiqiic.
|)an> un llacnii rempli de chlore ^ec, iulruduison> une petite
quantité d'acide acétique cristallisahle et exposons le tout à la
lumière solaire. Au hout d'un certain temps, les parois du
llacon sont recouvertes de cristaux, (les cristaux, analysés, ont
une composition qui <liiïère de celle di^ l'acide acétique par
trois (''quivalenls d'Iiydrogène eu moins et trois équivalents
de chlore en plus, Comnu' l'acide acétique, le corps qui fornu'
ces cristaux est un acide monohasique. 11 lu'ulralise les hases
en formant des sels dont la constitution et les propriétés sont
entièrement semhlahles à la constitution et aux propriétés des
acétates coi'respondants. En résumé, malgré la dillerence radi-
cale des éléments qui se son! suhstitués l'un à l'autre, il est
impii--^ilili' di' tniuvi')' di'ux corp-- plu- scmlilahles que 1 acide
ac(Hique et lacidi' trichloracéticjne.
lui liS'i-'i. Melsens donna sou achèvemcnl à la lielli' d(''coii-
vérte dr lliiina-: di' niiMUi' (|iie Ir i-iiluri' pi'ul ^e sul)stituer à
rhvdrogènr ilr l'acide acétique pour former l'acide trichloracé-
tique. de nn'Uii' l'hydrugène dégagé au contact de l'amalgame
de sodium prut. par une suhstilution invi'rse. transformer
l'acide Iricliloracétique en acide acétique.
Il était donc prouvé ;ivec la dernière évichmce que deux élé-
ments extrêmement dillV'renls par l'ensenihle de lenrs proprié-
tés chimiques peuvenl >r suh-liluer l'un à l'autre dans une
comhinaison sans changer notaidement les propriétés de cette
comhinaison, de même que deux méîau.x peuvent se suhstituer
l'un à l'autre sans changer profondément les propriétés du sel
au sein ihu|uel s'efTectuc celte substitution.
L'idée de suhslilulion. d'ahord intimement liée à l'idée qu'il
existe nne analogie chimique, d'une pari, entre les corps sim-
ples (jui se substituent l'ini à l'autre et, d'autre part, entre les
330 P, DUHEM
corps composL's qui dérivi-nl l'iiii de laiilro par cotlo ^uljslitu-
tion, avait fait un premier progrès; l'analogie des corps sim-
ples qui se remplacent n'était plus exigée par les chimistes
pour qu'ils consentissent à regarder ce remplacement comme
une substitution. Il restait à faire im nouveau progrès, à rendre
l'idée de substitution indépendante de toute analogie entre les
deux composés qui dérivent l'un de l'autre par la réaction chi-
mique considérée. (>e progrès est dû à RegnauU. l'ar ses études
sur les dérivés ciilorés de l'étlier chlorhydri(jue el de la li([ueur
des Hollandais, il étendit la notion de subslitulion au point de
regarder comme dérivant l'un de l'autre |)ar substitution des
corps dont les propriétés chimiques étaient profondément dilfé-
rentes.
La notion de snb'<liluliou ih'nn'uiur élait aiii-i constituée
comme une notion nouvelle, ind('pen<laute de la notion àdna-
lof/lf cIlilllHlIir .
(les deux notions sont distinctes, mais elles onl un caraclère
commun; on ne peut |)as plus délinii' la substitution chimique
(|n'on ne peut délinir l'analogie chimique. Aussi, lorsque deux
chimistes sont en litige au sujet d'une même réaction que l'un
regarde comme une substitution tandis que l'autre refuse de
la reconnaître comme telle, il n'est pas possible, par une suite
de syllogismes, d'aii-uler l'un ou l'aulre à une absurdité.
Lorscjue, par exemple, Dumas présente l'acide Iriehloraeé-
lique comme dérivant de l'acide at('lique par sulisiilulion du
chlore à l'hydrogène, Berzélius refuse d'aduietlre cette idée;
il regarde l'acide Iriehioracétique comme un composé d'une
tout autre nature tjue l'acide acétique. Assurément, on peut
trouver sa résistance peu sage; on peut objecter au chimiste
suédois l'étrangeté et la stérilité de sa tliéoiie, h' caractère
naturel et la fécondité des vues de Dumas. Mais peut-on le
d('clarer absurde, comme on déclare absurde un géomètre qui
professe un théorème faux? Non ; ce serait outrepasser les droits
de la logique; son obstination peut être puérile, déraisonnable;
elle n'est pas contradictoire.
Nous avons vu que la première action du thiore sur l'alcool
consiste, d'après Dumas, à lui enlever deux équivalents d'hy-
drogène. Il se forme alors un composé, découvert par Liebig.
LA yiiTKiy: ni', mixte :t:iT
<|i!i l'a nonuiié a/cuul ilcslii/druyciuitiiiii uu. par abrévialimi,
al(l('-lti/ili\ Xi Liebig, ni Dumas ne considéraient assurémenl
l'aldéhytle eommc dérivant par snbstitution de l'alcool ; quel
corps, (Ml elïel, se serait substilué à l'hydrogène enlevé? Or,
anjounriiui . les chimistes regardent l'aldéhyde comme déri-
vant de raicddl par snbstitution d'un équivalent d'oxygène aux
deux corps H et UH. A l'appui de cette upinion, ils t'ont valoir
d'excellentes raisons, et l'on ne serait pas sensé de lui préférer
l'ancienne manière de voir de l.iebig et de Dumas; celle-c;
cependant ne s;uirait être taxée d'aôsu/y/i/r.
\ . i.i; rM'K ciiiMinri:.
Deux cnmpiisés dérivant l'un de l'autre par une suljstitutiiui
cliimique ne sont pas forcément analogues: ils ne sont pas
forcément doués de la mémo fiuicdoii c/iiiniij/i'' ; le chlorure de
|)olassium, qui est un sel neutre, dérive de l'acide chlorliy-
drique par substitution du potassium à l'hydrogène; le chlo-
rure d'azote, qui n'est nullement basique, dérive do l'ammo-
niaque par sulistitution du ciilore à l'hydrogène. Pour désigner
le caractère, distinct de l'analogie et de la fonction ciiimi(|ue,
qui rapproche deux C(u-ps dérivés l'un de l'autre par >uiisti-
lulion, Dumas proposa l'expression ////-*■' (Iiinii'/in' ; tous les
composés qui dérivent les uns des autres, immédiatement ou
médiatement, par voie de substitution d'un élément à un autre,
appartiennent au même type chimique.
Mais devait-on borner la n(dion de type aux composés (|ui
dérivent les uns des autres par la substitution d'un corps simple
à un autre corps simple, par exemple, par la substitution du
<;lilore à l'hydrogène? Evidemment non; des faits chimiques,
déjà classiques à l'époque où Dumas créait la notion de type
(diimique, montraient que cette notion ne pouvait être res-
treinte à ce point.
Gay-Lussac avait étudié les combinaisons du cyanogène, (le
gaz composé, formé de carbone et d'azote unis en proportions
(■([uivalentes, agit dans une f(uile de circonstances comme un
^xirps sim|ile, le clilure ; il fournit avec les métaux des combi-
:«8 1'. uriiEM
naisons qui ont soiivont avoc les chlorures d'étroites analogies;
les formules do ces corps deviennent semblables si l'on y repré-
sente par un symbole unique, (ly, l'ensemble CAz qui constitue
le cyanogène. Par exemple, le chlorure de potassiimi est repré-
senté par la forniMlc KHI. le cyanure de potassium par la i'or-
mule K<;y.
Les sels ammoniacaux sont tout à l'ail analogues, pai- leurs
(iropriétés chimiques, aux sels formés par le potassium ou le
sodium; ils en sont souvent isiunorphes; leurs formules devien-
nent semblables si l'on y remplace par un seul symbole, Am, le
groupe ou radical AzH*, sur lequel Ampère a attiré l'attention
des chimistes et que Berzélius a nommé l'ammonium. On peut
dire que ce groupement composé fonctionne absolument comnn^
un corps simple, comme un mêlai alcalin.
Ke remplacement du cbb.re par le cyanogène, le remplace-
ment du potassium ou du sodium par l'ammonium, conservent,
entre les composés que ce remplacement transforme l'un en
l'autre, l'analogie chimique et la fonction chimique ; n'est-il
pas naturel d'admettre qu'un pareil remplacement conserve
également le type chimique, qu'il constitue une substitution,
mais une substitution d'un groupement composé h. un corps
simple, du groupement CAz à l'élément (d, du gmupement AzH'
a l'élément K nu à l'élément .\a ":
Dumas élargit donc la notion de type ciiimi(|ue eu admel-
hiul que le type se conserve non seulement par la substitution
d'un élément à un autre élément, mais encore par la substilu-
lion d'un groupe d'éléments à un élément ou de deux groupes
d'éléments l'un à l'autre. Cette extension, Dumas en prouve la
légitimité en faisant voir que, par l'action de l'acide nitrique
sur un grand nombre de substances organiques, le groupe com-
posé AzO" se sulistitue à l'hydrogène exactement comme le
fera il le chlore.
Otte généralisation de la notion de type devait bientôt rece-
voir une conlirmation éclatante par la découverte des ammo-
niaques composées; cette découverte fut faite en I8i!l par
Ad. Wiirlz.
Kn traitant l'acide cyanique par la potasse, on obtient de
rammonia((ue ; en traitant de même l'éther cyanique par la
polassi', \\ iïrlz (jbliiil un li(|iiiili' volatil, (luiu- d'uiR' ixlcur
[•iquanto analogue à celle de I amniuniaque, lileuissant la lein-
tiire (le Idurnesol, se comltinanl directonient aux hytlracides
[xiiir idinier des sels très seiiii)lables aux sels ammoniacaux, se;
iiiinhiuant aux oxacides avec élimination d'eau pour former en-
core d(>s cdniliiiiiiisiins 1res analogues aux sels amniouiacaux
(•iirres|iondauh. \\ iirlz regarda cetle hase comme de l'aniUKi-
niaque AzIP dans la<juelle un (''quivalent d'Iiytlrogène a ilisparu
|i(iur l'aire place à un groupi'meul complexe, l'oriiK' d'hydrogène
cl de carjjone, le groupement ("1!', aiHjn(d Ic-^ chimistes ont
doniu'' le nom dr/h///'' ; il nomma cette base VrlIii/hDiiiiic.
Le gi-Diipe étiiyle n est pas le seul groupe t'ormé de carbone
e( d'IiN (Irogèiie (jui puisse, dans rammonia([ue , se subsli-
luer à un équivalent d'hydrogène ; par un proct''dé analogue
à c(dui ([ui lui avait servi à préparer l'éthylamine. Wihiz a
obtenu une l'onlc (l'autres iiases analogues : la iiirllii/ldiiiini',
(jui est de l'ammoniacjue oit le groupementlUl', que l'on nomme
!ii(''thi/li\ a riMnj)lacé un équivalent d'iiydrogènt^ ; la pfopijla-
iiihic. où le groupement yj/'6iy/y/c' C'IF s'est substitué à un équi-
valent d'hydrogène de l'ammoniaque... 'l'outes ces bases appar-
tenaient au même type, le ////>r amnioniaiiiic, dont l'importance
était ainsi mise en évidence. l)u premier coup, W iirtz donna à
ce type une grande extension en l'attachant au groupe des am-
moniaques sulislitu(''es la plupart des alcaloïdes volatils que
fournit la chimie organicjue.
Les travaux de llofmann , succédant de près à ceux de
\Viirtz, contrijjuèrent puissamment à préciser la notion du lyjie
ammoniaque et à corroborer la théorie des types.
Si sur l'amnioniatjue AzH' nous faisons agir l'acide iodb\-
dri(|uc. n<uis obtenons une combinaison qui est l'iodure d'am-
monium .\.zlli. L'action d'une base sur ce corps redonne lam-
monia([ue.
Si, au contraire, comme llofmann le lit en IS.')0, nous trai-
tons rammonia([uc par l'éthcr iodhydi'ique, (jui a pour formule
r/ll'l, nous obtenons un sel qui est à l'éthylamine de Wiirtz
ce (|ue l'iodure d'ammonium est à l'ammoniaque ; c'est de l'io-
dure dammoniuin ofi le groupement l'thylc C'H^ s'est substitué
à l'hyilrogène : ce corps a donc pour formule .Vz(C-H')H'l ; c'est
;i40 1'. ULllEM
Viodid-t' il'rthijlmmnoniinn. En traitant co corps par une base,
on obtient rélliylamine de Wiirlz.
Mais, dans l'action de l'éther iodiiydri([iu' sur l'ammoniaciue,
nous n'oJjtenons pas seulement l'iodurc irétiivlanimonium ;
nous obtenons aussi un sel <|ui dciive de l'iodure d'ammonium
par sui)slitution cb' dru.r ^roupes C-H' à dt-nr équivalents d'hy-
drogène : c'est l'iodure de dirthijlaiitmoii'niDi, qui a pour for-
mule Az (C'H')'H-l ; traité par une base, cet iodure dtmne nn
corps analogue à l'élhylamine, mais (|ui dérive de l'ammoniaque
par substitution de dcii.r groupes (vil' à drux équivalents d'hy-
drogène ; celle diétbyhimino a pour formule Azi(]-H")-H.
Les mêmes réactions donnent encore un iodure de tr'ii'thijlam-
.moniitm, AziCH-j'IIl, et une Irirllu/laminr, Az CH')', qui dé-
rivent respectivement de l'iodurc d'ammonium et de l'ammo-
niaque par substitution de tn)h groupes C-H° i^ imis é([uivali'nl>
d'iiydrogènc.
Non sculi'UUMil ces recherches cnrichi^seut h- type ammo-
niaiiue par la découverte des aminés deux fois et trois fois sub-
stituées, mais encore elles niellent en évidence toute une série
de coml)inaisons a|)parlenanl à un aulre type : le type iudlii/-
dralr d'ammuii'uiqiif on iodure d'iimmniilinii. Azll'l. Nous avons
vu connuenl l'aciion de iV'Iber jodliyiiriiiMe sur ramnionia(|ue
fournissait des corps qui dérivent de celui-h'i par substilulion (h'
nn, deux ou trois groupes élhyh's à un, (b-ux ou trois é([uiva-
lents d'ammoniaque. Mais il y a plus ; celle même action nous
lournil un corps dans le(|iiel les i/iiatrp équivalents d'hydrogène
de l'iodure d'ammonium ont été remplacés \)nr (jiiatrr groupes
éthvles : c'est l'iodure de /r//r//i///(inwio>iiia//, AzC-H'id.
Gcrbardl devait donner nue nouvelle extension an type am-
moniaque en V rallaciianl les corps qui forment la classe des
(unides. Les amides avaient été étudiées par Dumas qui les
avail envisagées comme des sels ammoniacaux déshydratés. Si,
par exemple, à l'acétate d'ammoniaque vous enlevez les élé-
ments de l'eau, Il-O, vous obtenez l'acétamide. Voiri comment
( ierhardt rapprocha ces corps des aminés découvertes par Wdrtz :
On'est-ce (jne le groupe élhyle, V.'W. (|ue nous avons vu se
snbsliluer à un é(|nivalent d'hydrogène dans ranimonia(iue pour
former l'éllivlamine? (Tesl ce qui reste lorsqu'on enlève à l'ai-
<)
l..\ .V')77(i.V /)/. ML\n: 34t
<'ool un ô(jiiivalent iroxygèno cl un équivalcnl tl'liytlroiïi'nf'. car
l'alcool a pour formule (;-H''() ; ralcooi est donc de l'élhyle
<?H^ plus de ïiixhi/drf/lc OH. Prenons de même Tacide acé-
tique, qui a pour formule (l'H'O-, et enlevons-lui le groupe
xliydryle flll ; il reste un radical qui a pour formule (^-Hl),
radical que Gerhardt nomme Yacrti/lc. Or, pour Gerhardt, Tacé-
lamide, c'est le corps Az C-H^OH- qui dérive de ramuT^miaque
par substitution du groupe acétyle à un équivalent d'hydrogène.
Plus généralement, si à un équivalent d'hydrogène de l'am-
moniaque nous substituons un groupement qui, uni à OH,
forme un alcool, nous avons une aminé; si, au contraire, nous
substituons un groupement qui, uni à OH, forme un acide, nous
avons une amide.
dette idée de (ierhardi trouva plus tard une puissante con-
lirmation dans la découverte des ali aUuuidi's. (Jue, dans l'am-
moniaque, (m remplace un équivalent d'hydrogène par un reste
d'alcool, par e.vcmple par le groupe éthyle, et un autre équi-
valent d'hydrogène par im reste d'acide, par e.vemplc par le
groupe acétyle. et l'on obtiendra im corps dont les propriétés
seront intermédiaires entre celles de l'éthylamine el celles de
l'acétamide (m. j)lulùl, participeront des unes et des autres, (le
corps sera une alcalamide.
En rattaciiant les amides au type ammoniaque, Gerliardl met-
tait bien en lumière ce principe fondamental sur lequel nous
avons insisté : que divers composés, pour appartenir au même
type, n'ont pas besoin d'être analogues entre eux ni de remplir
les mêmes fonctions; en effet, tandis que les aminés sont des
bases offrant avec l'ammoniaque d'étroites analogies, les
amides, au contraire, ne partagent nullement les propriétés
alcalines de l'ammoniaque.
Au moment où les ti'avaux de Wiirtz el de Hofmann créaient
une foule de composés dont les uns appartenaient au type am-
moniaque, les autres au type iodure d'ammonium, les recher-
ches de Williamson touchant la formation de léther par laclion
de l'acide sulfurique sur l'alcool venaient marquer l'importance
d'un autre type, le typr rau.
M. Williamson montra en ISÎil que les propriétés de l'alcool
et de l'éther s'interpréiriient très aisément en regardant l'alcool
p. 1)1 HKM
comme (le l'eau li-O dans laquelle un éqnivalent d'hydrogène
il été remplacé par le groupe élliyle, l'étlier comme de l'oaii
dans laquelle les denx équivalents d'hydrogène sont remj)hicés
par deux groupes éthyles ; en sorte que l'alcool peut être
représenté par la l'i>rmule (C'ir'ilK) el l'élher par la lormule
A l'appui de celte manière de vnir. nu {)eut apporter di' nom-
lireuses preuves. On ne pourrait, ce me scmhie, en citer de plu-
t'rappante que celle qui consiste à traiter l'alcool sodé par I iodure
d'un ratlical alcoolique, par exemple \)i\v l'iodure de métiiyle ;
on olitieut ainsi un corps, analogue à 1 éther. (jue Inn nomme
un (■■liu>r mixte; c'est de l'eau dans laquelle un équivalent d'hy-
drogèue a été remplacé par le groupe éthyle C'H', tandis que
l'autre équivalent d'hydrogène a été remplacé par le grou[)e
mélhyle Cil'. La Inrmule de ce corps est donc (C-H'*)(CH-')0.
Williamson ne se contenta pas de créer le type eau en y rat-
tacliaut l'alcool, l'étlier, les éthers mixtes: il y lit rentrer une
grande partie des acides, des hases, des sels de la ciiimie miné-
rale. 1/acide nitri(|ue, fAzO-|HO, est de l'eau où un équivalent
d'hydrogène a été remplacé par le groupe iniri/lf AzO-; la
p(dasse, KllO, <'sl de l'eau où un équivalent d'hydrogène a été
remplacé par un i'([uivalenl de potassium ; l'oxyde d'argent,
A^-O, est de Teau oii deux é(]uivalents d'hydrogène ont été
remplacés |)ar deux équivalents d'argent: le nitrate d'argent,
^AzO-).\gO, est de l'eau où un équivalent d'hydrogène a été
remplacé par le groupe nitryle, tandis que l'autre équivalent
d'hydrogène a été remplacé par un équivalent d'argent. Un reve-
nait ainsi aux idées 'que Davy et Dulong avaient émises sur la
constitution des sels, idées que IJehig et Wôhler avaient net-
tement énoncées (>n élutliant les conihinaisons de l'acide ben-
zoïque.
Le type eau devait liienlùt être enrichi par (ierhardl d'une
nouvelle catégorie de corps dont Williamson avait conçu la
possibilité. Ou'esl-ce que l'alcool, pour Williamson? De l'eau
on un équivalent d'hydrogène a été remplacé par le groupe
éthyle. Ou'cst-ce que l'éther? De l'eau- où deux équivalents
d'hydrogène ont été remplacés par deux groupes étliyles. Ou'est-
ce que l'acide acéli(jue? De l'eau où un équivalent d'hydrogène
;..t .VMïvn.v /;;•: }n.\n: :m:«
il i'W- r('ni|tlacé par un i^roiipc acôtylo (l-ll'O. Dès Idi's, ne pciil-
(in foncovnir un corps (jiii si-rait h l'acide acélique ce que rélluT
esl à raleiml, un corps (|iii serait de l'eau où les dnir équiva-
lents d'hydrogène auraient l'ail place à //rii.i- groupes acélyles,
([ui aurait doue pour t'ornuile i (rll'Ol-O? La réalisalii^n de ce
cor|)s allait être prnvoquéi^ par une déc(inv(>rte imprévue.
lui IS.'iO, tous les chimistes croyaient, avec Gcrhardt, que les
acides nnmohasiques ne pouvaient exister à l'état anhydre;
(cius les anhvdrides connus se rattachaient à des acides polylia-
si(iues. ()i-, en faisant agir le chlore sec sur le nitrate d'argent
>ci-, un chimiste |)ri>duisit l'acide azotique anhydre; ce ciii-
iniste. dont les (léc(Uivertes semblent avoir eu pour mission (h">
loujours heurter et renverser les idées re(:ues, était Henri Sainle-
C.laire DeviUe.
Kn présence de ce l'ait, (lerliardt n'hésite pas à abandonner
ses anciennes idées; il cherche à interpréter la découverte de
Sainte-Claire Deville; pour lui, l'anhydride azotique est à l'acide
azotique ce que l'élher esl à l'alcool; c'est de l'eau dont les (/fii.r
équivalents d'hydrogène ont été remplacés par drir/ groupes
nilryles AzO'; sa formule est (AzO;)'0. Sur celle interpréta-
tion, (jerhardt fonde, en tSMl, une méthode générale propre à
fournir les anhydrides des acides nionobasîques. Veul-on. p.ii-
exemi)le, obtenir l'acide acétique anhydre? Sur le chhuurc
d'acétyle (C-H'OjCl, on fera agir l'acétate d'argent (C-U'OiAgO ;
ou aura ainsi le corps dont l'existence avait été prévue par
M. Williamson. Au moyen de cette méthode de Gcrhardl,
MM. (Idel et Vignon devaienl, plus tard, reproduire l'anhydride
azoti(|ue (1(> Sainte-Claire l)evill(\
(ieriiardt ne s'est pas contenté d'avoir élargi le ty[)e eau eu
y faisant rentrer la classe des anhydrides des acides monobii-
siques; il a délini de nouveaux types, tel le ///pc aride clihirlu/-
(Iriqtic.
L'eau renferme deux équivalents d'hydrogène, il peut arriver
(|u'uu seul de ces équivalents soit remplacé par un équivalent
d'un corps simple, comme dans la potasse, ou par un groupe
d'éléniiMils, comme dans l'alcool, l'acide nitrique, l'acide acéli-
(|ue. Il pi'ul arriver aussi que ces deux équivalents d'hydrogène
soient sinuilianément remplacés, et cela de diverses fa(:ons;
^44 P. DlHEM
ces deux (''quivalcnls d'iivilrutièni' junivcnl être remplacés par
deux équivalents d'un élément, comme dans l'oxyde d'argent;
ils peuvent être remplacés l'un par un corps simple et l'autre
par un groupe d'éléments, comme dans le nitrate d'argent,
racélali^ de [lotassium, l'alcool sodé; ils peuvent être l'emphiçés
par deux grou[)es d'éléments, identi(jues entre eux, comme
dans l'étlier, ranhydri(|ue azidiqui', l'anhydride acétique; ils
peuvent enlin èlre i-emplacés par deux groupes d'él(>nu'nt>;
dillérenls, comme dans les étliers mixtes, i'élher acéliipp',
l'élher nitrique.
11 en est tout autrement pour l'acide cliiorlivdii(|ue. Il ren-
lerme un seul ('■(|uivalenl d'hydrogène (|ui, dans les plu'-iio-
mènes tie sulislitutinii, est toujours remplacé en une seule lois
par un équivalent d'un corps simple ou par un groupe d'élé-
ments, (let équivalent d hydrogène est-il remplacé par un ('(lui-
valent de sodium, nous avons le chlorure de sodium; paf le
grou|)e Azll', nous avons le chlorure d'ammonium: |)ar le
group(> d'il', nous avons le chlorui'e d'éthyle ; pai' le groupe
<]-ir'(). nous avdus le chlorure d'acé-tyle.
L'acidt' clilorlii/drniiic, l'rdtt, runinionidiiiir, l'ioiliirr d'aiiiii.o-
iiiinii, tels sont, d'après (ierhardt. les principaux types sous
le>()ue!s \ienneni se rangei' joules les combinaisons chi-
miques. La nonuMiclature est cependant loin d'être complète.
Il est, en particulier, un type (|ue (ierhardt ne mentionne [las et
(|ui a pris une importance capitale depuis (jue M. Kékulé mui-
a appris ïi considérer la plupart des combinaisons organiques
fomme dérivant de ce type ; c'est le li/pc nirlltaiir, représenté
par l'hvdi'ogène protocarhoné VAV.
La chimie minérale nous t'oui'nirait t'ucore d'auti'es types ;
nous les laisserons de côté, pensant que ce qui [)récède suflil
à donner une concej)tion nette de ce que les chimistes du milieu
du XIX" Siècle entendaient par type chimique et de la manière
dont cette notion s'est développée. Nous avons hâte d'arriver à
ime notion nouvelle et riche en conséquences, la notion du
Jj/pp coiu/p/isr.
LA Mniit.s /*/■: t/;.\/7-; xvi
VI. i.i:s ivpKs ciiMjK.Nsiis, 1 A VAi.i:.\c.r: i:i' i.v roRMii-i-:
ui-:vi:i.()i'i'i;i;.
Les acides nionuliasiques avaieiil é(é par \\ illianisoii rappor-
tés au type fan ; ils représentaient de l'eau dans laquelle un
équivalent d'hydrojrène avait été remplacé par un certain groupe
d"(''lémonts, par un radical acide : ainsi l'acide nitrique était de
l'eau ofi un é(|uivaloiil d'Iiydrogène avait ('[(' remplacé p;u' le
groupe nitryle, Az( )■ : lacidc acétique l'daitde l'eau où un ('qui-
valent d'hydrogène avait été remplacé par le groupe acétyle
(^-ITO. Des deux équivalents d'hydrogène que renfermait l'eau,
une semblahle substitution en laisse subsister un. Ce dernier
jteut, à son tour, être remplacé par un équivalent d'un métal
tel que le potassium, le sodium, l'argent ; ainsi se forment les
sels.
S'il en esl ;iinsi, lui acide ne renferme qu'un seul é(juivalenl
d'hydrogène auquel un métal puisse se subslituer pinir former
un sel ; en sorte qu'un acide dinuK' el un niiHal donné ne peu-
vent former qu'un seul sel. Or, il n'en est pas toujours ainsi ;
prenons l'acide sulfurique et faisons-le agir sur la potasse ;
M'idii les circonstances, il fournit deux sels différents; l'un
de ces sels renferme un équivalent d'hydrogène et un équiva-
lent de potassium; l'autre renfernu^ deux équivalents de potas-
sium et ne renferme jias d'hydrogène. C'est ce qui fait dii'e que
l'acide sulfuri([ue est un acide bilia^ujin'.
l)e même, avec la potasse, l'acide pliosph(U'ique ordinaire
peut donner trois sels différents ; le premier de ces sels ren-
ferme un équivalent de potassium et deux équivalents d'hydro-
gène; le second, deux équivalents de potassium et un équiva-
lent d'hydrogène ; le troisième, (rois équivalents de potassium et
point d'hydrogène ; l'acide phosphorique ordinaire est tr'i-
linsitjiie.
Mais comment rattacher au type eau des acides tels que
1 acide sulfurique et l'acide phosphorique? Comment concevoir
qu'après une substitution qui a enlevé à l'eau un équivalent
d'hydrogène, il reste encore dans le composé deux, trois équi-
:itli 1>. DlHEM
vaii'iils (riiyilroiièno rcmplarablcs par im métal ? An premier
al)ord, laclidSé seml>lo diflicilo, siiinii impossililo. \Villiamsoii a
résolu la (litliciilté.
Comment avons-nous imaginé la tnrmalion d un aciilt' mo-
noliasifino, île l'acido azotique par exemple?. Nous avons supposé
que l'eau H-() perdait un équivalent d'hydrogène et que eet
équivalent d'hydrogène était remplacé par le groupe A/(>-. Pre-
nons maintenant non plus une l'ois, mais deux lois la IVirmule
de l'eau H'O; à ehaenne de ces deux formules, enlevons un
équivalent d'hydrogène, ci» qui nous laissera deux grou[ies
oxhydryles 011 : aux <lrui équivalents d'Iiydnigène enlev(''s,
sul)stiluons iiHc scuir fois le groupe SU*; nous aurons une for-
mule (SO-i'OHr (|ui représentera la composition de l'acide sul-
furicjue ; dans celte formule, restent deux équivalents d'li\(lr(i-
gène provenant de l'eiiii ihnit nou^ l'avons l'ail dériver, deux
(Hpiivahmls d'hxdrogène lnul à fait semhlables à r(''quivalent
unique qui' l'enferme l'acide nili'i(|ne : selon (|ue l'on rempla-
cera ces di'iix r'(|nivalenls (in seulement l'un d'enlre eux par
un nnune noinhre d"é(|uivalenls de potassium, on nhliendra le
sulfate neutre i S( t- ' OK - (Ui le sulfate acide i SO-u()K lOil i lie
ce nicHal : la dunlde ha>icil!'' de l'acide sulfurique est doin- en
(■'vidence dans relie Imuinle.
L)e même, lacide |iliiisp||(iri(|ue ■^dliliendia eu prenant trois
l'ois la formule di' l'eau l|-n, en eulevaiil à chacun de ces
groupes H"() nu l'ijuivalenl d'hvdro^ène el en >nli>tiluanl à ces
lnil>; (''(|ui valeuts d'hvdi'ogène un snil groupe IM» ; l.'i furinule
( i'OjiUH )' du cnmpos('' ainsi (dileuu me! en (H idence la triple
hasicité di' I acide phospluirique.
\oilà dune les acide> pi dylia'^iiines rattachés au type eau,
mais an lype eau jdusieurs fois condensé, grâce à l'interven-
tion d'un j;rnnpe d'éii'-ments susceplil)le de se substituer seul
à plusieurs ('([uivalenls d'hydrogène, enlev(''s à plusieurs
groupes IJ-fl dillérents. Les acides bibasiques sont ainsi rame-
nés au type eau deux fois condensé ; deux groupes oxhydryles
OU sont rivés ensemble par un groupe unique. Les acides tri-
basiques sont ramenés an type eau trois fois condensé ; trois
groupes oxhydryles OH sont rivés ensemble par un groupe
unique.
L.\ Voï/n.V m: MIXTK :iV7
« .M. \\ illiiiinsDii a (''ciil ('('l;! en deux lii;ni'S il-; mais coin-
liiru i-i'lli' idri' si siiii|)l('nii'iit (■')uincc''i> a été fécoiulc en (l(''\ ('lii|i-
ponicnls ! i L'iilrc de \\ illianison, issuo ollo-mônio de la iiolion
<!(' Iiasicité, ailail hicnU'il conduire à runc des jilns m'amles
découvertes ([iii aient él('' faile^ en i liimie. la ih'couverto du
glyeol.
En IS.'i'i, M. Herllieliil cmuduait un ini|)(irlant travail sur les
l'dhors do la i;lycéi-iiie par les paroles suivantes : >< (les faits
nous munirent ((ue la ulx e{''riiie pi'i'senle, vis-à-vis i\f l'alenol,
préeis(''menl la même ndalion (|ue l'aeide pliospliori((ue vis-à-
vis de Tacide azotique. \in elVet, tandis que l'acide azoticjue ne
|iriidnil qu'une série de sels, l'acide phosphorique en produit
trois : les phosphates ordinaires, les pynqihosphates. h^s un'da-
phosphales... De même, tandis (jiie l'alcool ne produit qu'une
seule s(Tie d'('lliei-> lU'utros, la f^'lycériue donne naissance à
(rois sé'ries distinctes de comhinaisons nenti'es. >■
Ja's laits olpserv('s par M. Bertlndot étaient exacts ; l'interpré-
tation qu'il en |U'oposail (Hait erronée : les trois séries d'(Hhers
de la i;lyc(''rini' ih'Tivenl d'une seule e[ luiMue f^lycérine et non
de trois j;'lycérinos dilTérentes comparables aux acides ortlio-
phosphorique, pyrophosphoriquo et métaphosphori(|ue : ces
trois séries d'éther sont com|iaral)les non pas aux ortliophos-
|)hates, pyro|)hospliates el inidapleisphales. mais aux trois
séries de sols (jiu'. ])ar sa triple basicité, fournit l'acide pjios-
phoriciuo ordinaii'e. i/acide (u-tliopiiosphori(|ue, nous l'avons vu,
est l'ormi' de trois !4i'ou]ies oxliydr\les ((II unis enseniide |)ar le
groupe !'((. Si, dans un des groupes OU, on rem[ilace un équi-
valent d'hydrogène par un équivalent de ]iotassium, on a l'or-
thophosphate acide do [)otassium ; dans d(Hix do ces groupes,
on a l'oi-lliophosphate neutre de potassium : dans trois île ces
grou|ies,(iu a rorlhopliosphato hasiqiu' de putassium. De même,
la glyc(''rine appartient au type eau trois l'ois condensé; elle est
formée de trois oxliydryle-, ((11, rivés ensemlile par le grou]>e
('.'II': dans chacun de ces oxliydryles, l'hydrogène peut être
remplacé par un groupement acide, par exemple par un acé-
tyle : sfduii (iii'une semhlahle substitution sera olTectuée dan>
(1) Ad. WiiiTz, Ui Tlirorie /i/omir/ue. p. 14.'j.
3V8 P. DLllKM
un, deux ou trois do ces grouiies, nous iinrons trois étiiers acé-
tiques dillérents de la glycérine.
Tidle est l'interprétation qu'on ISo'j, Ad. Wiirlz proposa des
faits (djservés par .M. Berthelol.
l/alcool et la glycéi'ine sont comparahles ii l'acide nitrique et
à l'acide phospliorique ; l'alcool est une seule l'ois alcool comme
l'acide nitrique est une seule fois acide ; la glycérine est trois
fois alcool comme l'acide phospliorique est trois fois acide. Pour
confirmer cette manière do voir, il convenait de former un
corps (|ui fût à l'alcool ce que l'acide sulfuri([ue est à l'acide
azotique ; qui lui deux fois alcool comme l'acide sulfurique est
deux fois acide, (le corps, intermédiaire entre l'alcool et la gly-
cérine, Wiirtz chondia à li> Hirmer et y |)arvint; c'est le glycol,
découvert en IS-'Jfi.
D'après les idées de Williamson sur la constitution des aci-
des polybasiques, de Wiirtz sur la constitution de la glycérine,
de quelle manièT'c doit-on jyrocéder pour (d)tenir un corps qui
soit deux fois alcool .' On doit cliercher un groupe, composé de
carlione ci d'hydrogène, capahle de se sulisliiuer à doux équi-
valents d'hydrogène et, |)ar là, do river onscmldc doux groupes
oxhydrylcs. Oi', il existe un corps, foi'mé do carliono et d'hydro-
gène, ijui soinld<' présenter les caractères requis ; ce corps,
c'est le gaz éthylène, dont la composition est représentée par
la formule C-H". Ce corps se combine avec deux équivalents do
chlore pour lormi'i' un li(|uidi' huileux hicn connu sous le nom
de liqurur dr^ HnUaiiihii^. (Jn pont rogardci' la liqueur dos
liollandais C-ll'Cl-comnu' do l'acide chlorhydriquc doux foiscon-
densé par substitution de Téthylène à deux équivalents d'hydro-
gène ; le groupe éthylène a|iparaît donc comme un de ces
groupes, analogues au groupe S()-, qui peuvent se substituer
;\ deux équivalents d'hydrogène.
Prenons donc l'éthylène pour ])oint de dé-parl ; combinons-le
avec le lironn^ ou l'iode poiu" (d)tenir la li(|nour d(^s Hollandais
bromi'o ou iodée, sa{)oniiions celle-ci par l'oxyde d'argent et
nous obtenons le composé CTI'(OH)-; c'est le corps doux fois
alcool, l'intermédiaire entre l'alcool et la glycérine cherché par
AViirtz ; c'est le glycol.
La découverte d'un corps nouveau peut avoir, dans le do-
L.l .\nno.V DE MI.XTE ;!V'»
maine pratique, des conséquences graves ; mais, au poinl de
vue de la science chimique, cette découverte n'a aucun intérêt
si elle n'est l'occasion de ruiner une théorie fausse, de confirmer
une théorie juste ou de suggérer une théorie nouvelle. L'im-
porla)ici> d'un fait nouveau se mesure à l'évolution que ce fail
imprime aux idées. D'après celle règle, il est, en chimie, pou
de corps dont la découverte ait été aussi importante que celle
du glvcol ; de là est issue la notation chimique moderne: par
<luello élahoration, c'est ce que nous allons examiner.
La découverte du glycol a Fait éclater aux yeux de tous le
caractère que possèdent certains groupes, comme l'éthylène, de
se sid)stilu('r à deux équivalents d'hydrogène empruntés à deux
HCl dilfi'renls lui à deux Il-(t dill'érents, et de river ensi'mhle
les deux équivalents de chlore restants ou les deux groupes OH
restants. Ce caractère avait été déjà signalé par Willi;im<oii
comme appartenant au groupe SO- et comme expliquant la dou-
ble basicité de l'acide sulfurique ; il distingue profondément les
groupes que nous venons de citer des groupes tels que le nitryle
AzO-, l'éthyle C-H", l'.acétyle C-H '0 ; ceux-ci ne peuvent se substi-
tuer qu'à un équivalent d'hydrogène pris soit à l'acide chlorhy-
drique, soit à l'eau. Ces dernières substitutions engendrent des
produits qui apparliennent au type même dont ils sont issus,
au type acide clilnrhydrique ou au type eau. Au contraire, les
premières sul)>lilutions engendrent des produits qui appartien-
nent non pas au type même dont ils sont issus, mais à ce type
deux fois condensé, au type acide chlorhydrique deux fois con-
densé, au type eau deux fois condensé. Reprenant, sous une
fiirmr plus précise, une expression déjà employée par Milon et
par.Malagufi. Wiirtz nomme les premiers groupements des grou-
pements luonnalumiqufs, les seconds des groupements diatomi-
ijiir-.; plu- lard, il a proposé de remplacer ces dénominations
par celles de (jroiipemen/s iinica/citls, giuKpf'iurttfs bivalents ; ce
sont ces dernières expressions que nous adopterons ; nous dirons
donc que AzO', C-H% C-FPO sont des groupements univalents;
(jue SO-, C-H' sont des groupements bivalents.
Le groupement PO que nous avons rencontré en étudiant
l'acide phospliorique, le groupement C'H' que nous avons cité
à l'occasion de la glycérine, possèdent la |)riqii-iété de pouvoii-
■59
:i:iO p. DUHKM
se subsliUier à Irois ('"ijiiivalents tl'liydroi;onc dillYTonls, pris
dans trois HCl différents ou dans trois H-0 différents ; de don-
ner ainsi des combinaisons qui appartiennent non pas au type
acide elilorhydrique, au type eau, mais au type acide chlorhy-
drique trois fois conilensé. au type eau trois fois condensé, l.e
i!;roupeiiient l'O, le groupement C'II' sont donc, dans l'acide
pliosjdi(iri(|ue ou dans la glycéi'ine, des (/rniijicmciits /rirn/c/i/s.
Poursuivons les conséquences de ces idées.
Gonimont Williamson est-il arrivé à opposer au ly|ic eau le
type eau deux fois condensé? 11 a vu l'acide azotique qui ren-
ferme un seul équivalent d'hydrogène remplaçalile par un mé-
tal alcalin, et qui, avec un tel métal, fournit une seule série de
sels; il a \u. d autre part, l'acide sulfuri(|M(' (|iii rcnlcrnie d(Mix
i'(|ui vali'uls d'hydrogène dont chacun peut être remplacé par
un métal alcalin, de manière à fournir, avec un pareil métal,
deux séries de sels, selon (jne le uK'lal remplace un nu deux
équivalents d'hydrogène ; de cette (qipositiou est née l'idée (|ue,
si l'acide nitrique dérive de H-0 par substitution, l'acide sulfu-
rique doit dériver par substitution de deux fois H-0 et appar-
lienl au tvpe eau deux fuis condensé.
< Ir. comparons l'action de l'eau sui' les nK'daux avec l'action
de l'atide chlorhydriquc. L'aci<le elilorhydrique renferme un
seul é([uivalenl d'hydrogène auciuel <e |iuis-;(> subslitnei' un
équivalent d'un métal tel que le potassium ou le sodium ; en
agissant sur chacun de ces mcHaux, il formera un seul sel, le
chlorure de potassium, le chlorure de sodium. I/eau, au con-
traire, renferme deux équivalents d'hydrogène dont ciiacun jx'ut
èlre rem|)lacé pai' im métal tel que le potassiun ou h' sodium ;
si un seul ('"quivalenl d'hydrogène est remplacé par le métal,
iu>us obtenons une première série de composés, les oxydes
hydratés tels que la potasse KOll ou la soude N'a(_)H ; si les deux
équivalents d'hydrogène sont remplacés par le métal, nous ob-
tenons ime seconde série de composés, les oxydes anhydres K-O,
Na-0, analogues h, l'oxyde d'argent Ag^O.
Cette opposition entre l'acide chlorhydriquc et l'eau n'est-
elle pas tout à fait analogue à celle qui existe entre un acide
monobasique et un acide bibasique ? Ne sommes-nous pas
amenés à regarder l'eau comme appartenant au type acide
i.A yariiiy de wwrv. 3oi
chlorhydriqno deux fois cuiulonsé, commo (Irrivant de deux
groupes IICI par suhstiUiUon d'un seul équiviilent d'oxygène
Il deux équivalents de chlore? Dès lors, avec Odling, et ensuite
avec Wiirl/, ne répéterons-nous pas au sujet du chlore ce que
nous avons dit des groupements composés AzO', G-H\ L'Il'O,
au sujet de l'oxygène ce que nous av<ms dit des groupements
composés SO', C'ir? Ne dirons-nous pas que, dans l'acide chlo-
rhvdrique, le ciilore est un vlhucnl iniirnlrn/ : que, dans l'eau,
l'oxygène est \\\\ élihiu'iil l)ival''iil?
De même, l'ammoniaque peut être regardée comme appar-
liMianl ail Ivpe aciilo chlorhydrique trois fois condensé; elle
diM-ive de Irois groupes IlCl par substitution d'un équivalent
d'azntc à trois équivalents de chlore ; dans l'ammoniaque, l'azote
est un l'ii'iiii'iil Iriralcnf.
Le méthane peut être regardé comme appartenant au type
acide chlorhydrique quatre fois condensé; un équivalent de
carbone s'est substitué à quatre équivalents de ciilore, emprun-
tés à quatre IICI différents; dans le méthane, le carbone est
un l'IrmPtU qtKidriralcnl.
L'iodure (l'ammonium peut être regardé comme dérivant, par
substitution d'un é(iuivalent d'iode à un éipiivalent d'hydro-
•jène, du corps iilral Azil', qui serait l'hydrure d'ammonium:
celui-ci peut être rattaché au type acide chlorhydrique cinti
fois condensé; il en dériverait par la substitution d'un seul équi-
valent d'azote à cinq équivalents de chlore pris dans cinq iiCl
dill'érents; dans ce corps, l'azote est un élément qmnlivulcnt.
Tous les types dont nous avons parlé se trouvent ainsi rame-
nés soil an type acide chlorhydrique, soit au type acide chlo-
rhydriciue condensé deux, trois, (juatre, cinq fois. D'antres types
existent encore, qui tous peuvent se ranu-ner au type acide
ciilorhydrique condensé un certain noml)re de fois.
Cela posé, considérons un type chimique quelconque formé
par l'union de deux éléments on de deux groupes d'éléments
a et b ; si ce type est le type acide chlorhydrique, a sera Cl et
// sera II; si ce type est le type eau, a sera 0 et // sera II';
el ainsi de suite. Ce type correspond au type acide chlorhy-
drique condensé // fois; on dit alors que chacun des deux
groupes a et A est, dans ce cmuposé a b, n-ralnif ; on dit éga-
352 P. DUHEM
lement qu'on s'vinissant pour former le compost' a li, /es ilcu.r
groupes a et b rchangenl n valences ; et Ton écrit la f'ormul(> tic
ce composé en traçant/; traits entre les deux symjjoles a cl b.
Ainsi, dans l'acide clilorhydrique, un équivalent d'iiydn^gène
échange, avec un équivalent de ciilore, une valence ; la for-
mule de l'acide clilorhydrique s'écrit ll-(;i. Dans l'eau, un équi-
valent d'oxygène échange, avec deux équivalents d'hydrogène,
deux valences; la formule de l'eau est H-=^0. Dans l'ammo-
niaque, un équivalent d'azote échange, avec trois équivalents
d'hydrogène, trois valences; la formule de l'ammoniaque est
Az =11'. Dans le métiiane, un équivalent de carltone éciiange,
avec quatre équivalents d'iiydrogèno, quatre valences; la for-
mule du méliiane est (1 H'. Dans l'iodure d'ammonium, un
équivalent d'azote éciiange, avec le groupe lii, cinq valences;
la formule de l'iodure d'ammonium est Az5|H*l.
On représente encore d'une manière plus explicite que l'oxy-
gène, l'azote, le carbone, et encore l'azote ont remplacé le
chlore de deux, trois,. quatre, ciiuj groupes 11(11, en écrivant :
II
Il 11
/li
1
\ /
1— <)— 11,
.\z II,
\ll
11-
-C— II.
1
li
Az— 1.
/ \
H H
Chacun îles iruits martjui' aiM>i la place de l'un des é([uiva-
lenls de chlore remplacés par siilistilution et signale l'éijuiva-
leiit d'hydrogène qui lui était uni.
(>onsidérons niainleuanl une ciinilmuiison appaileuîint au
type a A; elle est l'ormée p;u' la suhslitulion d'un ('ir'Uienl ou
d'un groupe d'éléments A au gi'oupe a, d'un ('dénienl on d'un
groupe d'éléments B au groupe b. On dira encore (|ue, dans le
composé AB, les doux groupes A et B échangent n valences,
et l'on écrira la formule du composé en plaçant ;/ traits entre
les symL(des .V et B.
Prenons, par exemple, la trirlln/liilKisjiliinc ; c'est un corps
qui dérive de l'ammoniaque par sulislitution d'un équivalent
de phdspliiue à un équivalent d'azote et de trois groupes étiiyies
C-ll' à trois équivalents d'hydrogène. On dira donc que, dans
corps, un équivalent de phosphore échange trois valences
C(
LA .\(iri(l.\ IIE MI.\TE 333
avec le groupe iC'H'i' et on écrira la formule de ce compose''
P=(C-H'')'; ou, mieux, on dira que l'équivalent de phosphore
échange une valence avec chacun des trois groupes C'W et on
donnera à la triéthylphosphine la formule
On voit que le type auquel appartient une combinaison est
maintenant représenté par le immbre de valences ({n'échangent
entre elles les deux parties dont l'union est censée engendrer
cette combinaison.
Ce mode de représentation présente un premier avantage qui
s'apergoit immédiatement.
Considéruns le type ammoniaque; nous rangeons dans ce
tvpe un certain nombre de combinaisiins, par exemple le pro-
tochlorure de phosphore ITJ', que nous faisons dériver de
l'ammoniaque par substitution d'un équivalent de phosphore
à un équivalent d'azote et de trois équivalents de chlore à trois
équivalents d'hydrogène. .Mais il est évident que nous pour-
rions tout aussi bien regarder l'ammoniaque comme dérivant,
par une substitution inverse, du protochlorure de phosphore.
D'une manière générale, chacune des combinaisons que nous
avons rang(''es dans le type ammoniacjue pourrait être choisie
pour combinaison typique dont toutes les autres dériveraient
par substitution. Il y a donc (juel(|ue chose de très arbitraire à
choisir, parmi toutes les combinaisons appartenant à un même
type, celle qui donnera son nom au type.
Cette importance arbitrairement donnée à une combinaison,
parmi toutes celles qui appartiennent h un même type, est
évitée par la notation des valences. Toutes les combinaisons
(|ui apj)arliennent à un même type sont alors marquées par un
même caractère, sans qu'on ait à faire jouer ^ aucune d'elles
un rùle particulier; et ce caractère commun mis en évidence,
c'est précisément ce que le type considéré a d'essentiel, savoir :
la condensation qu'il faut, pour obtenir ce type, faire subir an
type acide chlorhydrique.
Mais l'introduction de la notion de valence offre d'autres
avantages, bien plus considérables.
3b4 P. DUHEM
Il V a, dans Topéralion par laquelle on rapporte une ecmilii-
naison à un type donné, quelque chose d'arbitraire et d'indé-
terminé ; c'est la manière dont on la scinde en deux parties.
Aussi peut-on, en général, rapporter une même comhinaison à
plusieurs types différents ou bien encore la rapportera un même
type de plusieurs manières différentes.
Prenons, par exemple, la métbylamine. Nous pouvons la
re2;arder comme de l'ammoniaque dans laquelle un équivalent
d'hvdrogène a été remplacé par un groupe méthyle CH' ; nous
la rangeons alors dans le type ammoniaque. Nous pouvons éga-
lement la regarder comme du métbane dans lequel un équiva-
lent d'hydrogène a été remplacé par le groupe Azii- ; nous la
rattachons alors au type méthane.
Prenons un exemple un peu [)lus compliqué, l'iodure de mé-
thylammonium. Nous pouvons le regarder comme de l'iodure
d'ammonium dans lequel un équivalent d'hydrogène est rem-
placé par le groupe (Ml' ; nous le rattachons alors au type iodure
d'ammonium. Nous pouvons y voir du méthane où un équiva
h'iil d'hydrogène a cédé sa place au groupement Azll'i : il
dépend alors du type méthane. Nous pouvons enfin le eimsi-
dérer comme de l'acide iodhydrique dont l'équivalent d'hydro-
gène a été remplacé par le méthylarnuKuiinm A/IP(Cir'); dans
ce cas nous le faisons dériver du ty[)e acide chlurhydriciiu-.
Prenons encore cet exemple, l'azotate de potassium. Ce corps
est, si l'on veut, de l'eau où un équivalent d'hydrogène a été
remplacé par le groupe AzO*. et l'autre par un équivalent de
potassium, en sorte qu'il dérive du type eau. Il est aussi, si
l'on préfère, du chlorure de potassium dont le chlore a été rem-
placé par le groupe AzO', et il dérive ainsi du lype acide ciilo-
rhvdrique. Nous pouvons enlin le regarder comme de l'iodure
d'ammonium où les quatre équivalents d'hydrogène ont été
remplacés par deux équivalents d'oxygène hivalmt et où l'équi-
valent d'iode a été remplacé par le groupe OK ; nous le rappor-
tons alors au type iodure d'ammonium.'
l'entre ces diverses manières d'envisager un mi'-me composé,
on devra en choisir une, qui fixera le type auquel il sera rap-
porté. Mais cette obligation de faire un ciioix n'a pas que des
conséquences heureuses. En effet, chacun des types dillérents
;, i .Vm/'/o.v ;);•: iy;.\'/7-; 3;ij
auxquels lui jiciil rallai-licr un l'oniposô a ravanlatie ilc an'llrc
en liuiiirre les rolations que ce coniposi' présente avec eeilains
corps, mais l'inconvénient de laisser dans l'onilire les relations
qu'il présente avec d'autres corps.
Prenons, par exemple, lioduie tie méliiylammonium ; en le
rapportant au type iodure d'ammonium, nous mettons bien en
i''\ ideuce ses relations avec les composés de l'ammonifique, mais
nous dissiuiulons ses rapports avec l'alcool métiiyliqvu^ et les
étluM's qui en dérivent; en le rapportant au type métlian(>, nous
é'clairons ces dernières relations, mais en obscurcissant les ana-
logies du composé considéré avec les sels ammoniacaux.
C'est ii-i ([u'inlervient avec avanlat;e la Uiilalion n(Uivelle
fondée sur la notion de l'échange des valences. Ce choix arbi-
ti'aire et défectueux entre les divers types auxquels un mènn^
com|)osé peut être rapporté, elle nous donne le moyen de ne
pas le faire.
(Ju'est-ce, en effet, que faii-e rentrer un composé dans un type
déterminé? C'est prendre, en [)articulier, un élément ou un
groupe d'i'léments apparteiurnt à ce composé, énoncer combien
cet élément ou ce groupe d'éléments écliange de valences avec
le reste du composé (c'est-à-dire quel est le degré de condensa-
tion subi par le type acide chlorhydrique) et comment s'effec-
tuent ces échanges (c'est-à-dire de quelle manière le type acide
chlorhydrique a été amené à ce degré de condensation), far
exemple, lorsque je dis que l'azotate de potassium ap|)artient
au type cait i c'est-à-dire au type acidt' cldiirhiidrhiiic condensé
dcu.i- foisi, où nu équivalent d'Iiydrogène a été remplacé par
le groupe Az(J- et un ;lutre par un équivalent de potassium, je
dis que l'a/.otate de potassium renferme un équivalent d'oxy-
gène bivalent qui échange une valence avec le groupe AzO- et
une autre valence avec le potassium. Lorsque je regarde ce
même corps comme dérivant de Viodurr iCammoniiim (ou, ce
qui revient au même, de Ydc/df c/dor/i//driijiif' condensé ciiK/
foisi par suiistitution du groupe (_)K à r(''quival('nt d'iode et de
deux équivalents d'oxygène à quatj'c équivalents d'hydrogène,
je dis que, dans l'azotate de potassium, l'azote est un élément
qiiiativalent qui échange une valence avec le groupe OK et les
quatre autres avec deux équivalents d'oxygène. Lorsque je rap-
:îS6 V- DIHEM
porto l'azotate de potassium au type acide c/ihr/ii///rir/iie, j'en-
tends exprimer que ce sel renferme un équivalent de potas-
sium univalent ([ui échange sa valence unique avec le groupe
AzO'.
Mais ce que nous venons de dire ne suggère-t-il pas immédia-
tement l'idée de mcllrr en éviflrnrr le tiomhre fies vdlnues de
r/iaciin des éléments (jui lirjinenl dans le composé et la nianil re
diial I es valences s'éehanrjent deax à deui?
Ainsi, pour l'azotate de potassium, nous marquerons que
l'azole est qninlivalent dans ce composé, que le potassium y
est univalent, qiu^ chacun des étiuivalents d'oxygène y est biva-
lent; que deux des équivalents d'oxygène échangent chacun
deux valences contre deux valences de l'azote ; que le troisième
équivalent d'oxygène échange une valence contre la cinquième
valence de l'azote et l'autre valence contre la valence unique
du potassium. Nous représenterons donc l'azotate de potassium
par le symbole suivant :
0
Az— (t— K.
0
Ce svmbole ne rapporte plus l'azotate de potassium à aucun
tvpe en particulier; mais il met en évidence tous les types
aux(|uels ce sel peut être rapporté: en etTet, les diverses ma-
uièro d'envisager l'azolatt" de potassium conduinml à écrire
ce sel
K_( )— AzO-,
si <iu le rapporte au type caii : à l'écrire
0-^Az— (>K,
si on le rapporte au type iodure d'ammonium ; à l'écrire
K— AzO',
si on le rapporte au type acide chlorhydrique : et l'on voit sans
peine que tout ce qu'exprime chacune de ces formules est com-
plètement exprimé par le symbole que nous avons écrit en
liicniier lieu ; ce symbole est la formule dévelopjiée o\\ formule
de ciiastiUitinn de l'azotate de potassium.
La formule dérelopitée d'an corps composé a donc iiour objet
de mettre en éridence tous les li/pes auxquels ce composé pjeat
/■Ire rapporté et toutes les sulistilalions par lesquelles il peut
LA SdTlny /)/■: MI.WE 3o7
t/rrirrr ///' c/incini <lc ers /f/jif's, scuis (hiinirr lu iircfôretirr à
aucun d'cit.r.
(tu aperroit do suite la tocontliU' d'uno semblahlo notation.
Lorsqu'on connaît la fornuilc développ(''L' d'nn compos(S on
voit ininu'dialt'ment quels sont les corps divers auxquels il
pourra donner naissance par voie de substitution; en sorte
que l'on peut classer, el souveni prévoir, les réactions auxquelles
ce corps donnera lieu.
11 y a plus. Cette formule développée, comparée aux formules
développées d'autres corps, fait voir par quelles substitutions
il est possible de passer de ceux-ci à celui-là. Or, dans un grand
nomiire de cas, le cliiniiste possède des méthodes générales
qui permettent d'elfectuer presque à coup sûr une substitution
(lonnée : lors donc qu'il connaîtra la formule de constitution
d'un corps, il sera bien souvent en état de reproduire ce corps
au moyen d'autres corps qu'il possède déjà, : en un mot, d'ellec-
tuer une si/nthhc.
Cette aptitude de la formule développée à indiquer la voie
par laquelle se peut faire la synthèse systématique d'un corps
donné, est l'un des grands titres à notre admiration que possède
la notation chimique actuelle. C'est par là qu'elle a provoqué
d'innombrables découvertes et qu'elle enrichit chaque jour l'in-
dustrie de nouveaux produits. Donner des exemples de ces
synthèses, ce serait entrer dans une étude de chimie pure qui
ne serait point à sa place ici ; citons seulement deux des plus
remarquées, en leur temps, de ces synthèses prévues et voulues,
aujourd'lnii devenues si communes : la synthèse de l'acide
citrique par MM. Grimaux et Adam, et la synthèse de l'indigo-
tine par M. Bayer.
(.1 siiivir.)
P. DUIIEM.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
LA FRANCE AU POINT DE VUE MORAL, par Alfred Fouillke,
1 vol. in-S", vi-410 pnges. — Paris, Alcan, 1900.
M. Alfred l-'(Kiill(H' vient (récriri' un livi-i' ciMii-ai^eux, plein île faits
et ilidées. inspiré par Tannuir du l)ien uKiral et de la pliilosophie, oii
Hdiis ne voyons }<uèri' néressité de faire di- j;raves réserves que sur
une tendance à considérer lé ehi'isliaiiisine, el [lartieulièrement la
doctrine catlioliipie, comme ayaid fait leur temps et destinés h périr,
par iiicouipaliliililé avec Tespril - laïipie el lilii'i'ai >■ ipii enli-ainela
civilisation moderne en dehors du sni-nalui-el : et aussi sur les con-
clusi(uis encore trop vagues de la pliilosopliii' de l'auteur, malgré son
inItMiliou évidente de dégagei- des certitudes universelles, au poiiilde
vue |>ureineul idiilosopliiipu', pour les diuiiu'r comme hases à I édu-
cation (|ui. sel(ui lui, peut et doit sauver la h'rance dans la crise mo-
rale et sociale qn elle li'averse.
Siqiprime/. de ce livi'c une certaine prévention c(nilri' rr que
M. l'"<niiUée ap|ielle le f romauisme ■■ et ■• l'esprit jésnitiipie • : com-
plète/, ïidéalisini' |)r(q>osé comme miuinmm de doctrine laïipu' |)ar un
sjiirihiiilismc plus ferme, plus jtrécis et plus allirmatif : et vous poind-
re/, tiausfoiiner les conseils de l'auteur en une solnliou, à notre avis.
\\<v\ aeeeplahle des ilillicultés (pie présente la désorganisai ion acl uelle
de notre pays.
Il serait trop ciMimunle de pouvoir e\|iliquei' entièremenl I état mo-
ral d'une nation |iar son caraclére natif et le t'oiisidérer connue une
résultanle nécessaire, inélnctal)le. de son évolution liistm-ique. Une
telle explication, malgré son apparence scienlitique, serait décevaiile.
Kn dépit de leur corruption actuelle, les nations sont essentiellement
guérissaliles, parce que l'homme est esseiitiellenient libre: et, d'ail-
leurs, le caractère d'un peuple est fort com])lexe et envelnppe g(''ui''-
LA iHAMt: M i'iii\r ni-: vn: moual. par Ai.irem i-oini.i.EE :is<)
ralciiiriil do i-i'ssiiiircrs piM'ciruscs il lu'i |m'uI jaillir le i-clrxciiii'n!
uatiiiiial. an iiiilii'ii des diTailiMiccs i|U(' les drlaiils cl 1rs vici'S oui
engciulrrcs.
M. Foilillt';' lie ri'oil f;-|i(''n' au liluT arlulrr : mais il a je cullc dos
idi'cs-fiirri's, t'I il esl coinainrii (pic l'idi'i' dn salul pcnl luiiis sauver.
coiiiiiie ridée de la ^hiire iMilaiile les héros. Il .s'altaehe tlone iidhie-
incnt à niellre à déeouverl les richesses latentes du cai'aclère Iran-
Cilis : il iKiiis ciiediirane |iai' le relief (|U il ddiine à nus qualih'S de
raee. par oii imiis piiiivons nous reprendre el nous réioruier, et il
nous enseii;iie niemi' les uinyens pi-aliipics île nous rendre iiirillriii'>
et plus heureux, eu si};nalaul les causes de l'ail ipii ont produit nos
misères morales cl r'eonomiijues, causes eonlinf^entes contre les-
quelles nous piuivons réagir el (|ue nous [louvons éliminei' et rempla-
cer pai- une orf^anisalion plus saine des forces sociales.
" Tiiulc |isycliologie sociolofjiipiCi dit-il (p. 4), doit mettre en évi-
deiu'e le cot(' relalif el moliile, pai- conséquent perfectible, des carac-
tères nationaux, au lieu de leur inq)oser l'étiquette fixe des choses
mortes. Ou [ucud linp souvent poiii- le cai-actère inimuahle d'un peu-
ple ce ipii lies! ijiu' moMirs ciumnunes. Iraditions, maximes ]dus mi
moins durables de la conduite collective. Il faut donc se défendre
contre ceux ijui allribuenl à une sorte de fatalité des races, sui'toid
des races prr'Iciidues Inliiics. l'ellet ciuilin^ent de causes [)arlicu-
11 ères, n
Rappelant sini nuvrai;c sui' la J'sijrholiKjii' ilii. peuple français.
il. fouilli'c monlrc à la fuis les tiangei's el les avantages de notre
tenq)érament moral où se rencontrent ip. Cn " inlelligence vive el
lucide, éprise surtout du rationnel, habile au raisonnenuMit cl au
jugement : sensiliililé expansive et .sympathique : volonté impulsive,
capable île giands eflorts, uiais n'ayant pas loujoni's la maîtrise de
soi, ni un pouvoir d'ari'ét sullisant ". En nous comparant aux autres
peuples, il l'ail voir ciuidiien la l'i'ancc es| aple ]iai- nature à pi-omou-
voir le véritable jn^ogrès de riiumanilé. ■ Dii se Iriiuve donc, s écrie-
t-il fièrement ip. l.">i, le |>i'uplc. en détiuilivc, le plus dégagé di
' nhu
360 J- r.ARDAIR
logip la iilus pnifoiKh' a deiniis Idii^lciiips reconnu au cœur le plus
inlinie de l'àme luiiiiaine. En ce sens, les Français, (|uels que soient
eurs écarts de parole, de pluine ou de conduite, en dehors des en-
seignements de la religion callioliriue ou de toute religion chrétienne,
ou même de toute religion quelconque, demeurent en (pielque ma-
nière religieux, [jarce que leurs aspirations idéalistes les relient,
même inconsciemment, au Principe suprême de tout idéal, à la Per-
Icction iiremière que " tous appellent Dieu », comme disait saint
Thomas. El, à cet égard, nous dirions volontiers avec M. Fouillée
ip. Wi : " Est-on bien sur que la l'aim et la soif de lajustice ne soient
l)as toujours, sous des formes nouvelles, aussi vivantes que jamais
dans la meilleure partie de la nation française? » Néanmoins, nous
(levons (lire aussi (pie Fauteur fait trop bon marché des dogmes pré-
cis, et nous ne pouvons approuver ni sa traduction de certain passage
de saint Paul sur la foi (p. Vh. ni son interprélati(ui de certaine
parole de Pascal sm- la charité (p. 'mi, ni, enfin, sa conclusion ainsi
formulée : <■ Si Dieu est esprit, s'il veut être adoré en esprit et en
vérité, on ne saurait juger les nations sur les d(ign\es, encore moins
sur les rites et pratiques extérieures, mais bien sur la nature et l'objet
de leur amour. » Tout au contraire, c'est précisément parce que Dieu
veut être adoré en esprit et en vérité (piil demande notre adhésion
aux vérités qu'il nous a révélées, et ([u'il veut (pie les rites et les pra-
li(pies de notre culte soient l'expression de croyances exactement
conhiiiues à ces vérités. Et c'est parce (jne ces vérités supérieures et
maîtresses sont diminuées dans l'esprit des Français qu'ils sont si
faibles pour résister, en toute matière, aux entraînements de l'erreur
et du vice, tils de l'erreur.
Aussi, les calholi(]ues les plus éminenls, et M. Fouillée en cite plu-
sierrs avec une loyauté à laquelle nous nous plaisons à rendre hom-
mag ', ont-ils maintes fois dé]iloré la substitution de prati(pies sim-
plement niatêrielles à la foi consciencieuse pour les dogmes dont les
anciens chrétiens nourrissaient leur âme comme de vérités substan-
tielles et dont la lumière viviliante pénétrait toute leur conduite.
A ce propos, M. Fouillée ne pouvait se dispenser de mentionner
l'elViirl t'ait par l'Église catholi(|ue pour renouveler la foi chrétienne
en reconstituant l'alliance entre la philosophie et la théologie. >■ Le
mouvement tlumiisleapu offrir, dit-il, quehiue intérêt (p. (i.")i, comme
(Ml eùl otleri un mouvement scotiste, si on avait choisi Scot pour le
proposer à l'étude des croyants. Mais comment se persuader (pi'on
allait découvrir la philosophie éternelle dans un système sage pour
l'époque, sans originalité propre, où Aristote et Platon se mêlent au
LA l-lt.\SCE AI l'dl.M l)K VIK MilHAL. \:\n Ali-be» FOUH.LKE .tiil
rlirislianisnu', r\ qui a rli'' ili'piiis liingli'iii|)S ili''i)assé par les l>i's-
carli's, les Li'ihiii/.. Ii-s Kanl ? Un ne saui'ail complcr sur la pliilusd-
pliic ili' sailli TliDinas, ni sur a\icuni' anlro de (•(immandc, pour jj,alva-
nisri' la pliil()si>[ilii(' (■aliinliipic, i' Kssaviuis tle ilissi|)i'r iri un
inaliMilcnilu : la pliilosupliir ilc saini Tlnimas (|in' li'S dcrnii'i'S l'apcs
(le Ce siècle ont u ]irijpos('e à l'élude des <'riiyauls ■>, couiiiie le dil si
bien M. l'ouillée, recdimaît, il le sail eoiunie nous, la valeur pro|)i-e el
la foi'Ci' de la i-ais(ui iialni'elle. dans le domaine ijui lui apparlieril, el.
si elle s'esl atlacliée à conserver ce (jui lui a pai-u déliiiilil' dans les
solutions ilonnées par Arislote et IMatt)n aux prohlèmes que se pose
liudr pliilci-iipliie, ce n'est pas pai- serviliti''. par cn^-ouenLenl (Ui pai'
le simple désir délayer les dogmes chrétiens avec les pensées les
plus analofiues do la philosophie antique : c'est l'amour de la vérité,
dans l'ordre |)hilosopliique, aussi bien que dans l'm'dre de la Ihéolof^ie.
«pii inspirait el guidait saint Thomas, et le système iju'il a construit
porte la nuir([ue de sa personnalilé et de son j:çénie en Inén^e temps
(pie l'cnqu'cinte des doclrim-s plalonieieiines et péripatéticiennes. Si
ce svslrmc a été dépassé paj- les philosophes modernes, on pourrait
monli-rr (|ue ceux-ci souvent ont l'ait fausse roule parce qu'ils igno-
raienl mi perdaient de vue ou dédaifijnaient les chemins ouverts [lai-
sailli Thomas. La i< philoso[)liie élernelle ■> nest pas immobile : ellr
marclir. elle progresse, comme toute science liumaiui'; mais, pour
avancer sùremeni, elle doit melire à profil les travaux successifs des
esprits sincères qui l'aiment el i{ui, de siècle en siècle, renrichissent
de leurs découverles, sans lu'étendi-e recommencer toujours à nou-
veau une (euvre qui demande la collaboration de tous les temps.
Mais il faut serrer encore de plus près les idées de M. l''ouilli'i' sui-
tes rapport> de la raison el de la loi. Il |)ense l'p. (JOl qu" « une grande
conlradiclion interne travaille les défenseurs du catliidicisme. Sehui
eux, dil-il, c'est à l'Église inl'aillibh^ de limiter la raison humaine, de
lui mar(piiT la bcuaie de ses (Iroils pro]U'es. (Ii'.de deux ehoses lune.
Ou c'est par siuqile sentiment et tradition que l'on admet celte infail-
libilité de l'Eglise, l'initiative de la raisiui humaine; ilans ce cas, on
revient à la foi aveugle, qui n'esl (ju'une foi'me du //(/('ù»ie condamné
par l'Église même. Ou c'esl au nom de la raison que l'on admet un
pouvoir limitant la raison, tles dogmes et des préciqites qui semblent
en opposition avec la raison mènu' ; c'esl chuic la i-aismi ipii (ioil
juger eu dernier ressort. Il y a là uni' diflicullé qu'iui n'a jiimais pu
lever : l'ulisriiniiun ne (leiil elle ei ir m lion aie. sans i''lre aveugle l'I
incerlain. ni riitinniilf sans èlre sujet à contestalion el encore plus
ini'erlaiii. ■■ .Mais p(nir(|uoi, répondrons-nous, ne serail-il pas raison-
362 J. GARDAIU
iialilc ili' n'roiiiiMÎlri', ^ipr^s exaiucii. l'aiildrih' cci-taino iluiie Église
(•liarjj;éi' i)ar Dieu inèriie ilr lixerce ([u'il faut croiie (i'a|ii-i's une révé-
ialion expriuiée dans les Écritures et ilaus une tradition ([uelle nous
invitt' à éludier et où sont contenus les litres authentiques de son
autorité ? L'Église se dit infaillible ])aree (|ue c'est à elle, en la per-
sonne des Apôtres, ses |)reniiers repn'senlants. i|ne Jésus-Clirist a
adressé ce corainandeuient et celle prdini'SM' : ■■ Alli'z. i/nseignez
toutes les nations : je suis avec vous jusipi à la consonnualion des
siècles. " Kt Celui qui a dcinné cet ordi'e et ]ii'0inis ce secours avait
lui-Hii'uic |iri)clanu'' sa propre mission divine en termes solennels :
" Cduinie mon Père ma envoyé, je vous envoie. " Kt il avait l'ail a]ipel
au jugenieiil. à la raison des hommes, |)6ur juslilier celle ilélégalion
reçue par lui clu Père parfait et éternel, et prouvée par ses miracles
joints à s<ui al'lirmalion de sa filiation divine, de son unil(' éterin^lle
avec le Père, et à son enseignement de dogmes évidenuiiiMit au-des-
sus de la raison liumainc. mais non pas cependaMl conlradicloires
avec les alliruialicuis naturelles île celle l'aison, |)uis(pie les plus
grands génies y ont vu le prolongement et comme le couronnement
dans l'intini des véi-ités que noti'e iidelligence |>eut saisir par ses
propres moyens. Sans doute, la foi vil en uiéuie temps de lumière el
d'oliscurité :_« elle ne croirait pas, si elle ne voyait pas (pi il faut
croire «; mais ce i|u"elle croit dépasse la raison: et voilà pounpioi
une grâce, ({ui n'est jamais refusée à la lionne vohmlé. est nécessaires
pourcroire. La raison fait tout ce (|u't'lle peu! pour sr démontrer
ipie les dogmes pro|)Osés à la foi oui été révélés par Dieu el, par
conséquent, ([u'il faut y adhérer: et à riiouune raisonnable cjui « fait
loyalement ce qu'il peut. Dieu ne refuse pas la grâce ». Après tout,
lumière et obscurité, n'esi-ce pas le caractère de tous les olijets anx-
(|uels s'ap|)lique l'intelligence liumaiiie? .N'y a-t-il [las. en tout ce
cpii' nous pouvons penseï'. à la fois du connaissable cl de 1 incom-
préhensible".'
M. |-'ouillée a beaucoup de /.èle pour ramener le christianisme à ses
antiipu's [irofonileurs. Il se fait l'apôtre d'une rénovation religieuse du
cathalicisnu'. Écotilez !p. (17) : " Catholicisme de sentimeid, catholi-
cisme de mode, catholicisme d'intérêt politicpie, toid cela n'est pas le
vrai el grand catholicisme des Pères de l'Église. — C'est vers ce
christianisme primitif que le catholicisme français, comme le catho-
licisiiHi' améi'icain, devrait s'orienter pour reconquérir des chances
d'action sur les âmes. » .\ merveille I On croirait entendre la voix
d'un évèijue exhortant les lidèles à revenir à l'adcn-ation intime du
Père célests en esprit et en vérité, à alimenter, foi-lilier. élever leurs
LA FltA.M i: AI l'dlM HV. VI V. MnliAI.. pau Alfred FOUILLEE :!l>3
j'unes en se piMii'liMiil de lii luoi'llc de l'Evaii^ilc. Lr iiiMllieur. c'i^st
i)U(' .^L F<iiiilli''{' n'a i-icii d'ecclésiastique; c'est im apùlrc luii-ciiu'iil
laiijiic (jiii veut laïciser iiili-i^i-alenieiit le cliristiaiiisnie, conuiie si le
(llirisl. sou auteur. uVtail t]u'uu pliilusopiie. eL uou pas le Fils d ■
Dieu (Ml personne, londaleui- de la religion (]ui enseigne les mystères
lie la Trinité, de rincai-uation et de la Hédeuiplion, et qui ordonne à
ses lidèles de se servir des sacrements, c'est-à-dire de signes à la
l'ois sensibles et sanctilianls, pour avoir la vie en eux et l'avoir de
plus en plus abondante et féconde. <• On a eu raison de dire, conti-
nue en ellel notre réloi-mateur, qu'après avoir la'i'cisé tant de choses,
il faudrait la'iciser la religion même. De fait, si le dernier siècle a
sécularisé la morale, le notre a. selon une expression de M. Darlu,
sécularisé les idées religieuses en leur donnaiil une foruie piiiloso-
pliiipie. nioiaie et sociale, en dégageant les vérités rationnelles ou
expéiiiiii'iitales qu'enveloppent les syudjoles. La'iciser la religion, ce
serait l'intérioriser, ce serait la ramener du dehors au dedans en lui
donnant sa signitication la plus intime : ah a.iii'riuiihus ad inleriora.
Ce progrès en intériorité est facile pour le protestantisme, qui est
(lexible et ouvert aux intei-prétations philosophiques ; mais est-il
<l!)nc absolument impossible au catholicisme? Les Pères de l'Église
g;ecque et ceux de l'Église latine ne savaient-ils pas tirer le sens
uioral des symboles religieux et le rationnel du mystique même? —
C'est ce que négligent trop les catlioliipies de notre époque. » Nous
r^juiercions bien volontiei-s M. Fouillée de cet appela la religion inté-
rieure; mais notre bonne volonté ne peut aller iusipi'à le remercier
d'engager les catholiqiu's à imiter la tlexibilité du protestantisme et
•son ouverture aux intei-prétations pliiloso[)lii(pi;'s. Par là, le protes-
lanlisirfe tend à devenir de moins en moins une religion révélée, et
de plus en plus une pure philosophie. A Dieu ne plaise que le calho-
iirisme s'exténue ainsi et perde sa sève surnaturelle I
Ou voit siu' ipu'l point |)rincipalement nous nous ^^éparons de
.\I. Fouillée. Il parait approuver ce qu'il a[)pelle ■< l'esprit du siècle »,
qu'il décrit ainsi (p. Td : « Si la caractéristique du xviii'^ .siècle avait
été l'ellort pour chercher ce qu'il y a d'humain et de social dans les
iondernents de la morale, de la religion et de réconomique : la carac-
téristique du XIX'' siècle fut leHort, plus ou moins heureux, pour
séculariser la l'eligion même en transposant les idées religieuses
dans la [ihilosophic et dans la science. » Selon lui, « la sécularisation
de la morale et de la religion et leur rétablissement sur des bases
sociologiques demeure la mission propre et la tache de la France...
La France, en dépit de ses détracteurs et de ses envieux, représente
3G4 i. GAHDAm
les grands principes de la riévolulion, r csl-à-dii-e I iilée des dinits
égaux pour tous les hommes en tant «juliommes, et Tidée de la soli-
darité humaine. C'est sur ces principes que vit la France; là est sa
Ibrce, là est sa grandeur... Ces idées directrices de la France sont
les conditions d'existence de la patrie française, et il se trouve que
ces idées sont en même temps les conceptions essentielles d'une reli-
gion morale et sociale, par cela même dune religion universelle. ■>
.Nous pensons qu'il existe, en ell'et. une religion natiu-elle et univer-
selle, et nous la concevons même plus haute, plus étendue. |ilus reli-
gieuse, en un mol, parce (jue cette religion, fondée sur la raison
même, c'esl-à-dire sur ce qu'il y a de plus universel dans la nature
créée, nous a|)parnit comme aftirmative de l'existence d'un Dieu Inut
l'spril, sniislanci' de la vi'rité éternelle, de lélernelle perfection et de
l'élernelle justice, ])rinci[ie et source de tout ce qu'il y a de vrai, tie
Ijon, de juste eu toutes choses : si ce Dieu était reconnu |iar toute
raison liiiuiaiue. si IduI Imnime l'hiiuorail et l'inviiquait enoune le
Père de tout ce qui est et parlicuiièremenl ciuanie le Pi'redi' I huma-
nité, par là même serai! assuré le lien le [dus fort entre tous les
hommes: i)ar là serait resserrée et consolidée l'union morale et
sociale entre les lils d'une même patrie, désormais adorateurs éclai-
rés et conscients d'un un''un' Créateur, (pii a fait les i)alries, comme
il a fait les systèmes particuliers des astres dans le grand système
de l'harmonie universelle des mondes. Mais, au-dessus de celle reli-
gion iiaturelle, nous croyons qu'il est une religion révélée par le
l-'ils éternel de Dieu, égal au Père éternel et Dieu comme lui, ipii
s'est incarné dans in)tre natni'e et s'est fait homme, pour faire de
Ions les hommes, non plus seulement par natuic, mais par une ('■h'-
vation surnaturelle, des lils île Dieu. Celle religion, aniniucée et |U'o-
mulguée par le Christ dans l'Évangile, consacre tous les principes de
la religion naturelle, en renouvelle tous les préceptes, mais y ajdute
des diigmes, des conuuantlemenis, des conseils, destinés à ouvrir en
faveui' de l'humanité la voie vers un plus suhlime idéal. .Nous ne
voulons 1 imposer à ])ersonne: mais, comme nous croyons ferme-
ment qu'elle existe, nous ne pouvons pas admettre qu'on invile notre
pays à l'éliuiiuer de plus en plus du jjrogrès vers la civilisation défi-
nitive. Nous estimons que la I-'rauce est appeh'e. au contraire, à la
conserver dans ses croyances ei dans ses m<eui's, à la maintenir au
sommet de ses aspii-ations, tout en afl'ermissanl à la base la convic-
tion des principes rationnels de la religion naturelle.
Après avoir nettement indiqué cette divergence fondamentale, nous
sommes plus à l'aise pour louer la justesse de la jilupart des vues
LA FliAXCE M' /'m/V7' IiE \'I K MallM.. i'ah Alfred KOl'II.I.EE :!0;;
(le M. iMUiillcc sur kl i-i'^|Mius.il)ilili' ilo la |irrssc dans la criso moralr
i|iir iimis traversons, siu' les causas sucialcs cl [mlil lipics de 1 iiniiKi-
ralito ci'oissanti' et uolaiiiiin'iil de la criiuiiialilé jiivéaili', sur la
iii'Cfssité d'un l'd'orl ooiuiumm des pouvoirs pulilics cl de tous les
|-'rancais |Miiir ri'UHndcr li' eonraul i|iii nous cul raini'rail à la d(''ea-
dcHcc, si une résistance (■clairée au mal ne si' [irodnisail pas. Nous
sonunes avec l'auteur ipiand il sii;nale connue sonrci' i\i' la diMuora-
lisalicni aciiicllc ip. M''>\ " la perturbation des ciniditicnis sociales et
(■'conoMii<|ues, rinsuriisauce de l'i^diicalion dans la faniilli- cl dans
l'école, surtout la croissante pi'r\ cisité d'une presse ipii poni'rait si'
délinir : la sufjçgestion du vice cl du crime organisée sur une vaslc
l'cliellc. munie de ]n-iviléfj,-es el assurée de l'iniiiiniilé •>. Comme lui
nous pensons (pi'à - nos pouvoirs pulilics il appartient de tendre les
ressorts au lieu di' l'avoi-iscr le rehicliemcnl iini\crsel. Se liera la
lionin' nature, dit-il cxcellemiueul, c'est ouMier que le propi'c des
socii'tt's humaines est de se dirij^er par di's règles qui ne sont plus
simplemcul des lois de la nalure, mais bien des lois de la moralilé.
De mi''mc. se fier au jeu spontaiu' des liliertés. an laisser-faire. c'est
nnlilicrque lajusiice ne s'établit pas toute seule parnn les hommes
et ne ré;;ue lias sur eux par sa seule autorité. La loi, loin d'éti'c une
atleinle à la liberté, esl la garanlie de la liberté même. Au contraire.
la liceiHje sous toutes ses formes, — que ce soit celle des rues ou
celle di's publicarnuis immorilles, dilVaiuatoircs, antisociales, — est
une corrn|itioii organisée el, imposée, une violence déguiséi>, à
laipielle jeunes ^-ens et honnues laits n'ont plus même la facnlié' di'
se soustraire... One l'éilucalion du peuple Iraiiçais, par l'école d'abord
et surtout par la |)resse, devienne meilleure, et le niveau général se
rehaussera,- les variations tantôt heureuses, tantôt malheureuses,
dues aux mouvements en Ions sens de notre civilisation croissante,
se rcstreindi-ont à des écarts dans des sphères plus élevées, tandis
ipi'ellcs s'étendiMil anjom-dhni jusqu'aux bas-fouds de la conscience
nationale et finit remonter la fange à la siu'face sons foiane de vi<-e
el (h> crime. "
(Juelles que soient ses [iréventions contre la valeur doctrinale du
christianisme, M. Fouillée n'en blâme pas moins la lutte organisée
dans les écoles publiques contre l'intluence de la religion catholiqni'.
Nousaxiuis tro|) marqué notre revendicatiiui des véi'ités chrétiennes,
pmir ne pas être heureux de citer des déclarations comme celles-ci
p. I(i3! : « Si l'enfant déjà mal disposé par l'hérédité ou pai- le
milieu familial découvre uni' sorte d'hostilité entre le représentant
de la morale laiVine et celui de la morale religieuse, il pourra con-
23
366 1. GAUDAIU
<'lure ;i riiiccrtiliidr île loiite morale, iiiissi bien laïi|iie (|ue reli-
içieuse, et ce n'est alors ni la grammaire et rortiiojirai>he, ni l'arilh-
métique et le calcul, ni l'histoire, ni la fameuse géogi-;(i)liie, ijni
pourront rempèclier de mal faire... De quoi se composait et se com-
pose encore aujomd'hui, en France, le parti qui s'intitule propi-ement
anticlérical? Un philosophe non sus])ect lui-même île cléricalisme,
M. Renouvier, répond |>. I(i(i : ■■ D'csprils élroils et bornés, chez
<i qui la libre pensée n'est faite que de lu'gation. " Kt ce n'est pas avec
des négations (pie l'on moralise un peuple. — (juelqne opinion que
l'iMi ait sur la valeur objective des dogmes religieux, encore n"eùt-il
pas fallu méc(mnaître cette vérité élémentaire de sociologie que les
religions sont un frein moral de premier' ordre, et, plus encore, un
ressort moral. Le cliristiani.sme, notamment, a été défini par Balzac :
un système conqilel de ré])ression pour toutes les tendaïu'es mau-
vaises. Il a ce particulier mérite, par où il s'oppose aux religions
antiques, de prévenii- la mauvai.se déterminal inu de la xoloiité eu la
combattant dans .son premier germe, le désir et ineine l'idée; d'oii
l'expression : péchei- enjiensée, expression i) ni. dit M. (iarofalo, ne
peut faire souiire ipiuue psychologie suiierlicielle. ■•
M. l*"ouilli''e veut dune la tolérance à l'égard de la religion chiv'-
lieuue : mais, en somme, in' nous h' dissimuliins pas, le cal liol ici sine
et même le protestaiilisiiie n'ont, à ses yeux, (piiin rôle temporaire
à jonei- dans l'éducation nationale : il faut les conserver iiKuiienla-
in'iiienl comme freins moraux, comme directions symboliipies vers
l'idéal, de même que p. MIS " Descartes, voulant douter de tout et
reconstruire l'édilice entier de la science iipielle nto[)ie 11, avait eu
soin de se faire d'abord une morale de provision, (pi'il com|iarail à
un abri jirovisoire ».
Quel es! donc, en résumé, le plan de eondnili' (]ne prO]iose
M. l''ouillee pour ri''gi'nérer la l''ranre par ri'dncalioii '.' AvanI loni, il
proclame hautement p. Kiîlj que <• ces dans la lainille (|iie la pre-
mière et la plus essentielle éducation doit être ilonnée » : el Ion!
Iiomme de bon sens sera de son avis. Puis, Imil en riTlamanl comme
nécessaire, an milieu de la division des |iartis les ]iliis contraires ipii
troublent notre pays, (|ue l'État offre à tous une éducation esseutiel-
leinenl lanpie, il demande cpii' l'on cherche la conciliation des idées,
et non la lutte et l'antagonisme. • Philosophie et religion, dit-il avec
justesse, ont un terrain commun, dont font partie les vérités essen-
tielles de toute morale. » C'est sur ce terrain (pi'il conseille de se
rencontrer et de s'entendre pour donner à la jeunesse française un
minimum de pensées semblables, une certaine unité d"asI)i^alions,
;. i rn.[.\(E m raisr /*;■; vik mdhm. par au-rko F<ini.ij:K :îc7
d'MlVi'ctidiis cl (11' vuloiilrs. A rcl (■ganl, nous so ii's .ivcc lui <|iiaii(l
il Hiil a|i|ii'hiu\ dogmes clii-r'liciisip.^.'JOi ■• |iimii- moiili-ci- c|iril cxislc
uni' Mioi-alr \i-ainii'iil laii|ni'. |)ro|ii'i' à rt'concilii'i- Ions les t'spi'ils.
Calholiiincou pi'oh'slanl.s l'ri-ii'-l-il avec ini|iai-l ialilr. Ii' l'Iirisliaiiisiuf
n'ailiiii'l-il pas. innnin' le Jniiaïsiiir, une IniniiTc iialui-i'llc i|ui ('■l'Iain'
ioul lioninir vi'nanl l'ii rc nioudt' .' Ni- ri-i'onuail-d pas une disliiiclion
(In jnslc et de I injuste ron(i('i' sur la raison, i idée du devoir cl de
la loi iunnaui'ule à lonle conscienci'. Ii'r iih'iilii, liase de la loi civile
cl poliliipie ? Ne reconnail-il pas aussi i|ne la liherlé est londee siu'
la raison ni(''ine : 7'oliiis lilinlalh mili.r rsl ni rnliniii' rnnxliliila '.' Si la
llicoloji-ie coiisidc're la morale nalurcllc cl rationnelle coninie pi\ili-
(pieinenl insullisanle sans un seemn-s supérieur et divin, elle la
(h'clare cependant ni'cessaire et fondaïuentale : c'est sur la raison et
la conscience (jn'elle édilie la foi; c'est an i'(''^n(' de la nature (piclle
ajoute, avec saint Thomas et Bossin't conune avec Leilmitz. le rèj^ne
<li' la î;ràce. Dès lors, en dehors de toute confession reliîjçieuse et de
l'aven in(''nie des aut(natés religieuses, un ensei};nement moi'al et
|)hilosophi(pM' est possible, (pd oliliendra l'assentiment de tous. »
Voilà (pii esl hien peiisi' el liien dit. Une l'on enseij^iie dans les
écoles ollicielles une morale natm'elle. fon(l(!'e sur la raison : nous
acceptons de i;ian(l c.cur celte solution d'un conllil regret tahle,
|H,urvu (pu' Ion ail >oin (recarter de cet euseignemenl tonte opposi-
tion llai;i-anle a la morale chrél ienne. tout dédain même de celle
morale et des (loi;iiies sni- lesi]nels elle s'appuie, toute insinuation
de la |ir('teii(liie inutiliti' dune }^ràce. surnat ui-i'lle pmn- mener I homme
à sa lin dernièi-e. Pour assurer- celte im|iarlialité, cette réserve, celle
l)ien\eillante neutralité, nous ne voyons qu'un moyen pratifine, c'est
de cousidéi-er loyalement l'Éf^lise cal hoii(|U('. el plus i;-énéral('iiH'nl
les K.n'lises chrétiennes, conmn' des alliées émineunnent utiles |iour
la grande leuvre de réducali(Mi nalimiale, et de nnircher d'accord
avec elles dans la formalion de l'imie frain-aise. Malheureusement,
mi n'est pas hien prépare à celte entente cordiale, (juaud on est per-
suadé rpie le chi-istianisme est appelé à dis|)araitre elà céder hi place
à la pure philosophie. M. Fouillée pense i p. 'MIDique ■• c'est mi inli'i-el
\ilal |iour le xx- siècle (pn- de ilonnei- une ànu' philosophiipie à
I eiiseii'-nement, puisqu'il perd de plu> en plus son àme relif;ieuse.
I)i''i-lirish/iiiiscr, dil-il, sans lui uni iiisi'r ni iiiniiili^rr. ce serait se pi'e-
pai'i'i- à toutes les cniivulsious sociales el poliliipies. Soyinis c(insé-
(pienls : là m'i le prêtre n a plus son ancienne aulorih'. la philosophie
morale et sociale peut se\de exercer une iniluence cai>alde de renu'--
(Uer à l'anarchie où les purs liltéralenrs el les pui'S savants laisse-
"08 J. GARDAIR
l'ait'iit 1 espi'il juiljlic. l'uisqiii' nous avons dcvanci' les autres p mi|i1( s
dans \c travail de dissolution, au moins l'ant-il les devaiicci- aussi
dans l'ieuvrc plus posilivc di' rénovation. ■> Coniph'lnns ri'^ i^xlioi'la-
tions on demandant ipu' l'on renonce di'liuilix riucul à l'inlrulion
volontaire île drchrisllnnisfr la France, que Ton acci'|)le en loule
fraucliise la coexistence, au moins parallèle et sans lioslililé réiipru-
(pie. d'un enseignement ecclésiastique de la ndij^ion révélée el d lui •
enseignement laï(ine de la morale naturelle, en coiiqn'enant dans
(•elle morale la religion naturelle elle-même, conséquenc'e <le l'exis-
lence de Dieu di'uioulrée on au moins postulée par la raison. Distin-
guons les vérités d'ordre dill'érent: séiiarons-en même l'enseignement,
si des iu''cessités de l'ait l'exigent : mais ne d(''cliirons pas l'unité l'on-
damenlale de la vérili'' inl(''grale. Kn roi-mulaul une iuvilalion dia-
lenreus;' à la conciliation des doclriiu's, ne laissons pas enlrevoii'
une conviction secrète (|ue les dogmes surnaturels sont sur un iri'i'-
médialde déclin, el que la pur.' uatuie loi ou lard i-i''gu('ra seulr sur
rhunianil('.
Certes, la philosophie qui' M. |-'ouill(''c viuiilrail que l'on enseignai
dans les lycées di^ l''rance et (huil il demande que \ on donne quel-
ques notions même dans les (''coh-s primaires, est nnf docti-iiu' éle-
vée, idéaliste, d'une haute insjiiralion morale; mais elle nous par.ail
encori' ll'op peu précise, Iriqi pru explicile sur des véril(''s cloi'i tontes
choses dépendent, nolaunucnl sur I exislence d'un l'rincipe parfait
et personnel, crealeur. moteur el lin dernière de tout ci' ipii n'esl
pas lui-même. Que 1 on en juge par ces aperçus signilicalit's : " Nous
concevmis tous, dit I auleur ' p. :i'i"> , un idê'al de la raison, (pie Platon
appelait le sujM'éme inlelligihh' l'I le supri'uic di'siralih' ; nous nous
imposons Ions le devoir de conti'iliuei- à sa réalisalimi ; [)ar cela
même, nous agissons comme s'il élail possible et, en consé(]nence,
d(''jà l'cuidé dans la rêalilé, Coimuenr.' Nous l'ignorons; mais ce prin-
ci])!', commun à tons riMix cpii admettent une morale, peut éti'e
présenli' à l'enfant sous les formes les pins accessibles: ICssenliel,
c'est cpu' l'enfant considère l'idéal du bien inui c(uiuni' une chimèi-e.
mais comme 1(> ressort suprême tie la réalité universelle, el non pas
seulenu.'nt de nos âmes.,. La plHloso|diie doit taii-e C(unprendre à la
jeunesse (p, 379) qur. loin d'ê'lre en conlradicl ion avec la n'^alité.
l'idéal est la rêalilé même interpréti'e dans son mouvement et dans
son as|)iration, l,a réalité change et se meut : donc, elle n'est jjas
loul ce (pielle [)eul êlri' l'I n'a pas tout ce qu'elle désire ou coru-oit ;
à (pu>i bon changer, si on est bien connue cm est? Voilà le l'ait riirl
d'oi'i paît l'idéalisme. En vertu de ce principe, il est légitime et même
i.\ /•■/,■. i.vr/: .\/" /'i//.\r /'/•: vn: moii.xl. tar aurep kouii.lke 30'j
iri'cc'ssîuic (Ir ili'Irriuini'C vers (|uci!i' lia iilrali' si' tliri^i' le cliaiii!;!'-
nu'iit. shi-IduI cIhv, les êtres ilmiés ilc voldiiti' et de conscience, cliez
I lidiniiieel les sociétés luiniuiues. Mnis cette délerinination de l'idéal
.-upiiose elle-ménie la connaissance tin réel, de ses tendances et de
ses i)ulssai»ces : il n'y a donc, en délinilive. aiicnne oppositimi enlce
le vrai réalisme el le vrai idéalisme,.. L'idéalisim' sontient qn'il y a
dans la réalité même, et surtont dans l'immanité, un ressort moral,
<jue les forces en tension et en li-avaij dans le monde aboutissent,
chez les êtres pensants, à des idées, et (jue ces idées, à lenr tour,
<leviennent des forces (•ai)al)les de réagir sur ce qui est. en vue de ce
i|ni sei-a. ••
Condjien serait plus fécond cet enseignement moral, s'il ne i-rai-'
gnait pas d • reconnaître l'existence d'un Dieu en qui l'idéal inliiii est
intinimeni réel 1 M. Fouillée veut bien que l'on enseigne ce (lue signifie
le noni de Dieu ])Our ceux qui croient (jue Dieu existe. " Ceux même,
écrit-il ip. -lAH',. qui ne croient pas à l'objectivité de l'idée de Dien
question que, connue philosophes, nous réservons entièrement,
puis([ne nous nous occupons ici de pédagogie i, ceux-là n'en doivenl-
|ias niiiins vouloir i[n'elle soit exactement définie en tant (ju'idée, et
Idée directrice, de la plus notable partie de l'humanité. L'atlii'isme
lui-même doit savoir ce qn'il nie, comme le déisme ce ([u'il atlirme,
el les deux doivenl nier, ariirn}er un douter pour des raisons jiure-
ment rationnelles. » Fort bien : mais comment M. F'ouillée ne voit-il
lias qu'en pédagogie une telle réserve sur la réalité de Dieu même
est de nature à énerver l'éducation intellectuelle et unirale que l'on
conseille de nourrir d'idéalisme? Soyons plus hai-dis ei plus termes.
.Vu lond, le iirincipal problême (jn'agite l'esprit de cette lin de siècle,
r^t qui continuera sans doute de. préoccuper le siècle suivant, est
•elui-ci : les choses réelles évoluent-elles d'un point dedéporl extrê-
mement imiiarfait vers un terme de perfection que l'idée se re|ut'-
sente, mais qui n'existe pas encore, de telle sorte que du imiins
émane peu à peu le plus, jiar une foi'ce d'accroissement que l'im-
parfait tient de .sa nature même'.' ou bien la Perfection est-elle la
première r.éalité, d'oi'i dérive toute réalité imparfaite, si ))ien que
I inqiarfait, en se perfectionnant, tende à remonter vers sa source
même et à s'agrandir à limage du Parfait qui lui a donné l'être ?
One le maître prenne clairement parti pour cette dernière solution
du ])roblèui.'. et il pénétrera son enseignement d'une force incom-
pai-able. par la conviction qu'il ins]iirei-a à l'élève, que le devoir de
devenir meilleur est l'obligation même de développer sa natui-e en
conformité avec la l'erfecliiui d'où elle est issue. Une jihilosophie
e
370 B.
ariiiiuiitivf lie Dieu sci-i liicn aulreiiU'iil cfficucf, poiii- 1 (■ilucitidu
des intellif^f nces et des caractères, en France surtout où l'on aime
les ])rinci|ies nets et la logique complète, (ju'un idéalisme restant
indécis sur la réalité supi-ènie d"un premier Être ])arfait.
J. CAUDAIR.
ŒUVRES PHILOSOPHIQUES DE LEIBNITZ, pur Pnul Jamt,
Deuxième édition revue et augmentée, 2 in-S", 20 francs. — Félix Alcan,
Paris.
Celle publication se ilivise en deux volumes d<uit le premier com-
prend les.V'/)((VY;«j/;'A-.va/.ss«;' rrnicitdinneni huviniii, la CorrespoudaDce
avec Ariinntl, \u\ certain uomltre de petits travaux et d'écrits de cir-
constance: le second se compose îles /issriix di- llirndirre. el delà
partie ]diilosoplii(|nc de la (^iirrrsji<iiidniii-i' arrr Ip P. Des /insses, em-
priiuli'e à lédiliou (ierliardl. Celle correspotiilaiice ne se trouvail pas
dans la première édil ion. non |iiusipi'uMe bililionrapliie leii)nilzienne.
un peu somjnaire. dressi'c par M. Hoiiac. el les /{l'flc.iiiuis aiir rk'ssni
sur I ciilciidi'iiienl liiniiiini de M. l^ockc, i|ui soiil en lèlr du preniiei'
volume. On peid rej;rellei' «pie les édileurs n v aii'ut pas ajonlé le
/Hscoiirx de iiirliijilnislijui'. (pi un Leihnilzien récent i-ej;ardail connue
la clef de la pliilosopliic de Leihnil/.. l'orci'inenl encore les non veaux
lextes que M. C(nitnral esl allé déconvi'ir aux ai-cliives de llainivr<'el
va inqirinu'r incessa mmeni, leronl vieillir vile l'édilion de M. P. .Ian<'l.
Telle (pi'elle esl. el provisoireuieni , <'lle peut rendre des services aux
mallresel aux élndiauls, parles lexles qu'elle puhlie, non certes [lar
son appareil critique qui esl un peu rutliuieidaire. Les notes sont
plutéit iuidl'ensives : ■• .\risliili'. ilisciple de Plahui. l'uudalenr de
i'Kcole ])éripalélicienue, ou du l.yii'e. ni' à Sta};\re eu .'ÎKi, moit à
ClÉalcis dans l'Kuliée. en '.iii. Il lui le preci pleur d'Alexandre. C'est
le plus illuslre eucvi'lopi'disti' de l'anliipiilé... Plalon, philosophe
illustre de lanlicpiilé... " i p. H.i ■• Pylliaiiore, célèliic philosophe
f^rec, ilnul la vie m- nous esl c(uinur (pii> par des récils plus ou moins
léf;endaires... " I p. S. i Les autres noies soid à l'avenaid. D'autre
part, il fanl sipialer l'aliseiu'e tluiu' (alile de concorilance, si néces-
saire i»our l'élude de Leihnil/.. cpii dispersa ses idées el ses théories
dans des ouvrai;es iroccasi(Hi, ofi sans cesse il se l'éfère à ce qu il a
(lil ailleurs.
B.
;M/i/);:s.\.\7'; lasthiujuh r.. i-ak i-". nal: 37f
BARDESANE L'ASTROLOGUE. Le Livre des lois des pays, texle
syriaque et traduction française, avec une introduction et de nombreuses
notes par V. N\u, grand in-S" de 30 et 62 pages. — Paris, Leroux, 1890.
— I.a traductiuu se vend à part.
Le Livvi' di's lois di'spni/s, cité loiif;iioiiient par Eusèbe \Prrp. pvanij .,
VI. !t-l(li et utilisé |)ar raiiteiir des Jirrurjiiiiions et par Cœsarius
iftiol,. II'. M étf' iiui)lii' |iour la ]irerni("'r(' fciis [)ar Ciireton {Spicil. Syr.
LoikIii's. 18.").") . Cette édition étant éimisée, M. Naii a réédité celeTncien
(lialiifiiie. rédifçé au coinniencement du m'' siècle par un disciiile de
Harilesane. comme Platon rédif^eait les Dialogues de Socrate.
Un interlocuteur .\vidai interroge Bardesane sur la cause ilu mal.
Celte ciiuse nest-elle pas Dieu lui-même qui aurait dii créer l'homme
(le manière à ce ({u'il ne puisse pécher? D'ailleurs Dieu a-l-il donné
à l'homme une liherlé suffisante \K>m- qu'il puisse acconqjlir ses com-
mandements et faire le bien? — Le mal ne vient-il pas encore de
iioti-c nature ou bien du destin, c'est-à-dire des planètes qui intlueu-
c 'lit notre volonté. Dans cette dernière partie, de beaucoup la plus
longue, Bardesane, après une réponse directe, montre que les hommes
nés dans les mêmes conditions sous le même horoscope) agissent
cejiendant de manière toute diiïërente suivant les pays où ils sont
nés et les lois auxquelles ils sont soumis. Cette partie a donné le nom
à tout l'ouvrage.
E. A.
PÉRIODIQUES FRANÇAIS
Notre Dii-ecleur a bien voulu nmis deinaiuler de rendre compte des
revues françaises de philosophie. La tâche est fort intéressante, mais
non sans difliciiltés. Il n'est jias toujours facile de saisir la portée
exacte des spéculations contemporaines.
.ladis. au milieu des divergences d'opinions, les philosophes
avaient un langage et une méthode à peu près semblables. Qui avait
compris Platon et .\ristole se reconnaissait facilement parmi les phi-
losophes de l'antiquité. Pour la scolastique du moyen âge, il suffi-
sait de bien connaître quelques docteurs éminents, tels que saint
:i72 DOMET IiE VOUGES
Thomas, saint Hdiiavi'iilure et Diins SfuI : on rclrouvail fiiez Ions les
anli-cs lin laènie langage, une manière analogue di- raisonner, d'in-
duir,' ou d'analyser. 11 en est de même pour les philosophes du
xvn" siècle. .\ujoui-d'hni c'e.st loiil autre eliose. Cluuine auteur a sa
manière de poser les problèmes et tl'analy.ser les faits. Chacun adoi>le
un point de départ qui lui est propre. Chacun se crée un langage à
lui et ce langage n"est pas toujours facile. Oii trouver une commune
mesure pour apprécier des travaux si dissemblables. Vous vous don-
nez bien du mal pour saisir la pensée intime d'un auteur; avec l'au-
teur voisin, c'est à recommencer. Nous avons vu des examinateui's,
et di's i>lus érninents, parfois très embai'rassés. et avouer franche-
ment n'avoir pas com[)ris entièrement leiravail admis par eux aux
honneurs du doctorat.
L'obscurité serail-rlle donc un signe di' force, couniii' nous l'avons
entendu dire ipi('li|uefois? Au xvil'i siècle, on en jugeait aulremenl.
l.,es écrivains mettaient leur supi'iiorilé à être facilement compris
de tous.
Si donc il nous arri\ c i[ui'hpn'fois Ai' nous uii'prcndrr sni' la |]ensee
d(! ijnebpie auteur, nous lui en deniaudons liien pardon ainsi (ju an
lecteur. Nous ferons notre possible |)our éviter cet inconvénient,
mais nous ne |iouvons ri''pondre de toujours y échapper.
Cel.i dit, nous croyons inutile de présenter un aperçu généi'al de
l'étal di' la philosophie en France. .Nos lecteurs la connaissent aussi
bien ipie nous. Nous passons dmie iiiiiiK'diatemeiil à 1 examen des
revues du commencement di- eetle ; ee. (pii est aussi le commen-
cement d'un siècle.
Nous rencontrons d'abord la Revue philosophique Février IDOI)
toujours dirigée ])ar l'infatigable travailleur cpi'cst M. liibol. Nous >
relevons deux li-avaii\ très intéressants sur la nM'umire allVclivc ou
mémoire des émotions.
Le premier article est de iM. l'illon. Ce n'est pas à ce |ienseur (pie
nous faisions allusion tout à l'Iieure en |iarlant d'obscurité. Le lan-
gage de M. Pillon est clair, net, élégant, et tout à fait français. L";hi-
leiir commence par exposer les opinions précédemment émises. Her-
bert Spencer et .\lexandre Bain enseignent Ions deux, fjuoiqn'avec
des niumces, la reviviscence des émotions. William .lames, an con-
traire, nie la mémoire afTective : il considère les émotions réveillées
comme des événements nouveaux et non comme des faits de mémoire.
M. Kibof défend la mémoire des émotions. Toutefois i! dislingne deux
sortes de mémoire all'ective : la mémoire fausse on l'émolion est
l'f.HliiiiiijiES Fluyr.MS 37:t
siinpliMiUMit rciiiiiiiiu' : la iiii'innirc vraie m'i ri'UKiliiiii l'Sl i-csseiitii-
(le nouveau.
M. Pilldii ne reLOiiiiail entre la vraie el la fausse ménidire ijue des
ilillerenees de degrés, il pense ([ue la ]ilupart des psycliolcigues ont
iiiéi-Dniui la mémoire ad'eetive parce (|uClle ne va jamais sans un
ciinedHiilaut intellectuel nécessaire ptiiir rpu' l'émotion soit ra|iportée
à un temps. Il termine en indiijuant un certain nombre de laits ps\-
cliologiiiues ipii ne sexpliqnciit. d'après lui. (jin- par l'existence
d'une mémoire all'ective distincte.
Dans le second article, qui est de M. Manxicni. l'auteur distini;ue
deux sortes de reviviscences des émotions.
L'émotion renaît souvent par le ressouvenir des sensations on des
sentiments autrefois éprouvés. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de parler
d'une mémoire des émotions. L'émotion revenue est la suite natu-
relle du rapport entre les représentations rappelées.
Mais l'auteur cite quelques exemples où il croit que l'émotion est
revenue en dehors de toute représentation. C'est là ce que 1 on peut
appeler avec M. Ril)ol la mémoire affective vraie. 11 pense que cette
mémoire all'ective vraie n'est pas sans influer parfois sur la fausse.
On ne l'a méconnue que parce que les émotions reproduites y affec-
tent le caractère de phénomènes actuels.
C'est liien là en efl'et la difficulté. Qui dit mémoire ne dit pas sim-
plement le retour d'un fait déjà éprouvé. 11 faut que le l'ait rappelé
soit envisagé comme passé. Il doit être à la fois reconnu comme
nôtre puis(iue nous l'avons éprouvé et connue n'étant plus nôtre au
miiment présent. Ce n'est pas le cas d'une émotion ressentie actuel-
lement. Nous pouvons nous rappeler une émotion autrefois subie
comme tout autre fait : mais si nous la ressentons de nouveau, c'est
un phénonu'-ne nouveau. Il ne nous parait donc pas qu'il y ait lieu
de parler de mémoire affective au sens des écrivains de la revue phi-
losophique.
La notion de l'individu est au contraire indiscutable. Mais la méta-
physique seule peut expli(iuer 1 unité intime et active qui caracté-
rise l'individu vivant. Cependant M. Le Dantec prétend l'expliquer
par la simple considération des faits biologiques. 11 expose la for-
mation des colonies animales par la multiplication de descendants
ipii restent attachés au parent. 11 arrive souvent que ces descendants
ne sont point .semblables à l'animal souche, mais sont modihés de
(liver>es manières et exercent différentes fonctions dont piolile tunle
la ciilonie. 11 se produit ainsi un équilibre déterminé entre tout; s
li's ])arlies qui assurent la vie de l'enseudile. Quand cet éijuilibre
374 DOMET DE VORGES
lirni'lic jusqu'aux dernières cellules nous avons lindivithi. Cest ainsi
i|U(' par voie d'évolution se seraient formés les animaux à orf^anes
multiples. L'individualilé réalisée permet alors rac(iuisition de nou-
veaux caractères spécifiques. A son plus haut degré elle devieut la
personnalité psychique qui dépend des rapports étahlis entre les
divers éléments de l'organisme.
M. Le Dantec connaît admirablement l'histoire naturelle et la i)h.v-
siologie ; mais il nous permettra de penser (jue l'individualité est
autre chose qu'un équililjre des organes on même des cellules.
La Revue de Métaphysique et de Morale lévrier litUl i nous
oH're ton! d'abord une étude d'un caractère très élevé : le testament
philosophique de M. Itavaisson. L'illustre académicien avait (irépan'"
ce travail avant sa mort : il n"a pas en h' tenqis d'y mettre la dernière
main. Ou a trouvé éparses les notes qu'il avait jetées sur le pa[»ier et
(pi'il devait fondre dans une rédaction détiMitive. M. Xavier Léon a
mis ces notes en ordre de manière à en faire nu tout suivi. Ce soid
elles qui constituent l'article public dans la i-evue.
M. Havaisson distingue deux sortes de caractères : les espi'its vid-
gaires ([ui ne vivent cpie pour eux; les héi'os qui ont la passiou de
se dévouer. .\ ces deux siu'tes de caractères correspondeul deux phi-
l(»sopliies : l;i philosophie petite et vulgaire, celle des écoles maté-
rialistes, el la gran<le pli i losop li ie spiri tua liste. Pour les nobles esprits
tout est plein d Vîmes: la nature est couime nu éililice de pensées que
soutient et domine la [lensée de la pensée. La nalni'e, eu ell'et, pro-
cède |)ar ondulation. Sa multiplicité pail de l'unité ])remière et a pour
terme I nuiti'' tinale. Tout remonte à Dieu parce ipie tout vient de
Dieu.
M. Uavaissiui. qui s est beaucoup occupé dart, nous fait remar-
quer que l'art imite la nature, et (pi'il l'imite en la rendant plus
belle. C'est qu'avant tout il doit imiter l'àme plutôt que ses manifes-
tations extérieures. Pour les anciens, la vie du sage était aussi un
art : elle tendait à imiter les Dieux. Or les Dieux, comme les héros,
sont avant tout bienfaisants. La religion chrétienne a conservé ce
caractère divin de bonté. C'est sinloul la liouli' et l'amour (pie le
Sauveur a jjrèché aux hommes. L'amour est en ell'et la règle suiiréme
de la vie. Aimez et faites ce que vous voudrez, disait saint .\ugnstin ;
mais celui qui aime vraiment ne peut tendre qu'à la vertu. L'amour
est celte eau vive dont parlait Notre-Seignenr, dont' celui (pii boit
n'aura jamais ])lus soif. LVmie (|ui aime sent (pi'elle n'est [las née
|>our périr, mais pour retourner à Dieu et s'unir à lui dans l'amour.
l'r.r.ldlilnl'ES Fll.{.\(MS 375
'roules les ;iiii('s (liiixi'iil arriver un j<iMr à I iiiiloii avec Dieu. M. Ra-
vaissoii admet seulement que Jes àines imparlailes aiiroul à siiiiir des
puritications pins ou moins lonj^ues.
Nous avons essayé île résumer eu rjuelijues lignes ces lielles j»ages
si uoliles et si élevées. t)n y reconnaît bien l'auteur du ra])])ort sur la
|iliil(iso|iiiie en France et sa métai)liysi(|ue très s|iirilualisle, mais
partiiis nii peu mystique ou même nuageuse.
.\vec M. liouasse, nous entendons une autre note. M. Bonasse a
lieaucou]) d'esprit. Il raille agréablement l(>s |)liilosophes qui ignorent
les sciences mais se cruieul obligés d'eu |)arler en réi)élant des for-
mules dont le sens le(u- échappe. Il viuidrait que les [diilosoplies
reçussent uni* (''ducal ii)u scientiliqui'. el il eu trace le ](rogramme. On
devrait pi'iucipaleuieul leur euseiguer les iuallH''nialiipies jusqu'aux
('■lémeiits du calcul iuiégral. Les mathémali([ues sont, en ell'et, la
langue des sciences, et l'on ne peut rien conq)rendre aux théories
pliysi([ues si (ui ne ses! [las l'auiiliarisé avec elles.
M. Houasse V(tudi-ail toutefois une chaire de malhématiipujs adaptée
à 1 usage spécial des philosophes, qui n'ont pas besoin d'une foule de
détails, mais ([ui doivent creuser plus parliculiéremeul cerlaiues
théories.
Nous appi-iiuvnns absnluiuenl la pensée de M. Bonasse. Il y a long-
lemps ipie nous avons senti nous-mêmes ce besoin d'être au com-aid
lie la haute science, et nous avons l'ait c^ que nous avons pu |)Our
supphMM- aux lacunes de noire éducation à cet égard. Xous remar-
(pieidus seulement que l'idée de M. Bonasse est déjà appli(|uée. L'In-
stitut |>liilosopliique fondé à Louvain ])ar le i^qie Léon XIII a des
cours scientificpies spéciaux pour les philosophes. M. Bonasse ne
nous en voudra pas d'indiquer (jn'il n"a pas la primeur de son idée,
mais <|u'il a été devanci' par un grand Pape.
M. Bruunschvicg nous eiilretienl de la mélhode de l'idi'alisme cri-
tique. Le philosophe criticiste part, comnu' Descartes, du je pense,
roijilo. mais il ne l'enlend plus comme le philosophe de La Haye.
Celui-ci cousi(l(''rail le l'ail de conscience comme tout autre fait de
percepti(ui ([ni donne un i^bjet distinct de la jiensée même. Le criti-
ciste ne cherche pas dans ce jugement /e y^c/rvc l'aftirmation d'uin-
substance ou d une àme: il n'y voit (pK> la forme du jugement , autre-
uieul l'activité de res[U'it. lùivisager I être comme sujet, c'est en faire
([uehpie (diose d'inerle: l'envisager comme objet, c est le faire étendu.
Le seul eli-e que u(His puissions reconnaître, c'est la pensée dans sa
s|)Onlanéit('' radicale el sa faculle iudéliiiie d unification, (tu n Cu fait
pas la science par une synthèse deductive, ce ipii la i-édnirait à un
370 DOMET DE VOUCES
iiiécanisine. mais par 1 analyse directi.^ ([ni dégage le cai-actèrt' iJi-nprc
de l'activité de l'esprit on, plutôt, s'idenlilie avec cette activité inéinc.
La philoscipliif liuit entière est nue méliiode d'identiticatidn spiri-
tuelle.
Et voici les conséi[ueiiCi's : la méthode critique défend, suivant
raute\ir, de substMutialiser la pensée inlinie dans un être en (|ui l'on
ne saurait conmienl concilier linlinilé avec liiulividnalilé rt dont on
ne pourrait assigner les rapports avec la pensée linmaiue. De même,
pour la l'iensée humaine, il n'y a point à voir un au-ili'là. Toute la
destinée de l'homme est dans l'oMivre <|u'il accomplit. (Juant à l'uni-
vers physique, séparé de l'esprit, il n'est cpr'une ahstracliou provisoire.
Chercher ce (|uil est cl d'où il vient n'est qu'un Jeu de si>écidation.
Si donc nous avons bien compris, il n'y a rien, aux yeux du iihilo-
sophe criliciste, qu une pensée (pii ne pense rien, une activité .sans
principe et sans terme, un mouvement qui fuit dans le vide.
M. Cliartier subtilise beaucoup moins. Il se place sur un terrain
très pratique et très actuel. Il entend montrer ((ue le cullr de la rai-
son est le fondement de la république.
N'allez i)as lui imputer ce culte ridicule de IT'.t.'Jipii mellail la raison
sur les autels sous la forme dune jolie actrice. .Non. M. Charlier est
séi-ieux : pai- le culte de la raison, il entend le souci de se conduire
en tout par la raison.
II établit deux classes |iai-nii les honmies : li's esprits lilires qui
veideul tout juger i>ar eux-mêmes, les espi-its miiutous ipii ne savent
que penser d'après autrui. I^es es])rils libres seuls sont dignes de la
ré))ubli([ue. Les autres, par leur inférioiilé même, sont condamnés à
dépendre d'une monarciiie et tl'uue religion.
Voilà la plus graiule partie de l'Kui-iipe. (|ui est mour.nhique. dans
nue position assez humiliante.
Quant à la religion, M. Cliartier a prolialilemeut le catholicisme en
vue. .\-t-il vécu beaucoup parmi h-s callioli(jues ? .Nous nous permet-
tons d'en douter. Nous qui connaissons beaucoup de catholi(jues.
«jni avons assisté à plusieurs congrès de savants catholiques, nous
pouvons lui déclarer que nous y avons trouvé des esprits fort libres,
discutant les problèmes les plus délicats avec une indépendance et
une hardiesse (|ue n'ont pas toujours les libres i>enseurs vis-à-vis
d'un Kant ou d un Herbert Spencer.
Ces hommes-là ont bien le culte de la i-aisou; ils le poussent jus-
qu'à croire quand la raison leur dit (|u'il faut croire.
Puis([ue nous pai-lons des forun-s de gouvernement. voy(uis ce
qu'en pensait un de nos grands docti'urs callidliques.
l'EiiiiihJijrEs iHASCMs :.::
Li- li. l'. Mi)nti*iigiu'eN|Hisc d.iiis l,i Revue thomiste l'cviicr l'.llll
l'o|iiiii(iii lie saint Tlioiiias (l'A(|iiiM. \j- DmliMn- aiii;vlii[iK' pose en
liriiiri|ii' i|iic' la iiirilli'un' Inniu' di> fiouvenuniienl serait la iiuiiiar-
rhic |inro, pai'iT iiu'rllc assiirt' coiiiplètt'iiH'iil l'unité de direction
clans la scieiiMi'. Mais il y ni"! mw condition fort ini|iorlanle : c'est
i|ne le souverain ait nne vertu iiarl'aite. En dehors de celte çondilii>n
(jui ne se rencontre ijne bien rarement, si elli; se rencontre. 1 oligar-
chie (Ui nii'Hie la déinoci'atie sont prél'éraliles pari'e ipu' les alius >
sont moins criants et qu'il est plus facile d'y remédier. La nionarchii'
dégénérée est la pire des tyrannies.
- Si saint Thomas eût \('cu ius(|u'en 1901, il eut pu xnir d(>s démo-
craties di'iiassant en di'S|iotisme les monarchies les [)lus aijsolues.
Dans la même revue, le U. P. dardeil étudie les sens internes. Il
en dislin.nue i]uatre. suivant le nondu-e de fonctions néces.saires pour
rendre les données sensihles pleinement utilisables. Le sens commun
centralise les données: l'imagination les conserve ; l'instinct en saisit
l'utilité; la mémoire enrey;istre les appréciations instinctives. L'au-
teur examine ensuite la valem- des informations de chaque sens
interne et montre qu'elles ont une portée réellement objective.
j>e R. P. l-'ol^diera résume l'important débat enf;af;é entre .M^'' Mi'r-
cier. directeur de l'Institut philosoplii(jue de Louvnin. el M. P)ersani.
rétlacteurau /Jiciis Thomas, au sujet de l'induction.
.M. Bersani reprochait à .M?'' Mercier de confondre le s\lloi;isine el
linduclion el de n'accorder de valeur scientilique (pi'à l'induclion
iiiconii)léte fondée sur l'observation et l'expérimental ion. 11 soute-
nait qni' l'induction comi)lète. celle qui a pour point de départ l'énu-
méralion de Ions les cas, est seule vraiment scientilique et que l'in-
ilucli(Mi inc(uiqilète ne \aut ipi'aulant ijuc l'on peut la ramènera la
première par-voie d'analof^ie.
M'"' Mercier a répondu (pie rimluclion peu! très bien employei' le
s\ Ilotisme, que l'induction complète ne peut servir dans les sci(Mices
parci' (ju'elh' est irréalisable, quentin elle ne donne qu'un tout col-
lectif, qui n'a point la même i>ortée scientifique iju'un tout uni-
versel.
.\près avoir exposé les raisons des deux comliattants, le R. P. Fol-
i;lu-ra conclid que le syllogisme, étant la démarche naturelle de la
raison lui quête de la vérité, peut très bien servira formuler loule
nature de raisonnement. Le point essentiel de l'induction est de sai-
sir dans les objets des propriétés liées entre elles par une cruiveiiani'e
nécessaire. (In conclut facilement que tout être ayant la proprié'h'' A
a aussi la proi)riêl('' H.
378 UOMET DE VORGES
Cette sdlutidii. i[iii iIdiuic raisnn à M^-'' .Mercier, nous paniil ji;ii-f;iile-
ment jusiiliée.
Avant lie ijiiittei' la Hern,; tliomulc. nous devons lui ailiesser tous
nos reniei'cieaients pour lacciieil sym|iatliii|ne iinclie a l'ail à la Ite-
l'iif (le pliildsopliic. Nuire luit est, en eti'el, le même (jiie celui de la
revne sieur : défendre et vulf^ariser la pliildsopliie Iraditionnelle, v
joindre tcuil ce ijue peuvent ollVii- d iilile les h-avaux récents et réla-
hlii- liinion intime entre la [diilosopliie et les sciences. Qui atteindra
le mieux cette tin commune? Ce sera la seule rivalité ([ui existera
entre nous et nos vaillants coulVèi'es.
I^a Revue néoscolastique di' Liiuvain nous IimkI aussi niir main
amie i|Mi' nous serrons liien voldulirrs. l'ille reproduit nue parlii' du
]iroi4:ramme inséré dans notre premier luunéro et constate ipie ce pro-
_u,ranune est le même ipii a inspiré' la IVuulaliou de la Kervr nrnsioltis-
tique.
Celte revue est helf^e. mais de laiif^ue française, nous croyons doi^c
pouvoir- la comprendre dans notre compte l'cndn, d'autant (|iie nous
l)ourrons sij^naler au lecteur |)liisieurs arlicles intéressants.
.Viiisi la notion de masse si familière dans l;i science est, an l'dud,
pleine d'obscurités. M. .\'ys, ijui est à la fois un savant et mi pliiln-
soi>lic, essaie de la délinir. Les délinitions forinulées par les savants
soid assurément foi-t utiles en jdiysirpie cl en mécanique, sciences
•jui ont, avant loul. pour liul la mesure des facteurs enjeu; mais
elles ne l'iuil [loint connaître la iialirn' propre de celle ri''alil('' (pi'oii
appelk' la masse corporelle.
M. Nys croit mieux réussir en faisant appel à la iiolion <le ipiaiililé,
entendne an sens du moyen ;if;e, cesl-à-dire à cette propriélé qui
rend les corps divisildes en ])arlies inléf;rantes. 11 remarque que la
«[iiuntilé a toutes les propriétés de la niasse ; elle est mesurable, cdle
appartient exclusivemenl au.x corps, enfin, elle e\pli([iie très bien
celle résistance passive des corps à tout mouvement comiiiunic|ué
([ne 1 (ui appelle I iiieiiie. Il siiltil de reiiiaripier que toute i>ro[)riété
re.-ue dans un corps s'aU'aililil en raison même di' la iniilliliide des
jiarlies ilans lesquelles (die doil se dilliiser.
1/observation est in,L;é'iiieiise, mais elle s'appli((iierait aussi bien à
la tlélinition de la masse par les atomes, déliiiition que M. Nys a
re|)Oussée. Puis, qu'est-ce que la quantité dans son fond'.' en avons-
nous une notion plus nette ijne celle de masse'?
M. llalleux fait la critique de la morale évolntionniste de Herbert
Spencer. Pour la fonder, le philosophe anglais est contraint datiri-
l'EHIiililijt FS FH-WCàIS 379
liucr ;ui\ juiiiiiiHix iiiir iiMir.ik' roiiiiileiici'i'. M. llallciix ciiiLibat ct-tli'
c'ournsiiiii ; il iiionln' ■|ii'il n'y a de morale 4111111 il y a IIIiim-U'' et res-
Ijonsaliililé. L'évohition iloiil imrlc Spencer eonsisterait en ce que
plnsun animal est élevé, pinssa conduile sérail de nature à Iniassurer
ainsi qu'à son espèce nue existence loiii;ue et lieureuse. M. llalleux
prouve qu'il n'en est rien. La j^éologie nous nuintre (|ne les espèces
supérieures sont précisément celles qui onl eu le mnins de durée.
D'ailleurs, la théorie évolutionniste ahoulil à dminer pour biil à la
vie la recherche de la jouissance. Or, il y a mille modes de jouis-
sance ; ce caractère ne ]ieut suUire à indiipier le but final 011 nous
devons tendre. Le eliiisi ianisnie n'exclu! pas la jouissance de la fin
de riiouuue, mais il eu lait un caractère subordonné. La première
rèj;le de conduite est de clierclier la perfection de notre nature, selon
l'ordre de l»ieii. Le lionlieiir vient de lui-même après.
Cilmis encore un avis de Mf TÉvéque de Bruf^es. relevé par M. De-
[iloi^e, au sujet du juste salaire.
M*-'^ Vall'elaert déclare que le juste salaire doit être égal à la valeur
du travail fourni, c'est-à-dire à lavantage qu'en a relire le patron.
Le salaire pour le même ouvrage doit être le même pour tous les
ouvriers, mariés on non ; en ce sens il n'y a point à jiarler de s;ilaire
familial.
.Mais, dans nu élat noriiial, le salaire doit sullire aux besoins rai-
sonnables de l'ouvrier et même lui assurer la jiossibililé d'entretenir
une famille en tenant compte du gain (jue la femme peut apporter de
son coté.
Ces sages observations calmeront-elles l'ardeur de certains catho-
liques toujours prêts à j)orter toutes les idées à l'extrême'?
Revue scientifique S déc. 1900 . Belalions entre hi phtjsiiiuf
l'.ipri iiwntiilc ri In iiln/sit/ue mathf'mnliqtie. ]iar M. 11. Poincarré.
Cet article est fort iutéressani tant à cause de la haute réputation
de l'auteur que des vues 1res originales ([u'il développe sur la pliilo-
sopliie (les sciences.
M. Poincarré déclare loiil dalinid ipie rexpêrieiice est la source
iiniipie de la vérité. Elle seule peut donner la certitude. Mais nous
ne pouvons pas nous contenter de l'expérience nue. Il faut ordonner
et prévoir. On y arrive par la généralisation et l'expérimentation. Le
n'ile de la physique mathématique est d'aider et de guider les géné-
ralisations.
.\iix yeux de M. Poincarré, toute généralisation est une hypothèse.
Klle su|ipoi-e que la nature est simple. Or, cette simplicité peut n'être
.iSO DOMET DE VORGES
qu'une appari'iici'. Il csl priilialilc que si nous [Kiiivinns creuser
davantage nous trouverions la complexité, puis encore la sini|)licité
et ainsi de suite. Toutefois, cette sim|)licité uu''me apparente a une
cause ; elle ne ])e\d être l'elTel du hasard. On est donc t'oudi'. ipiand
une loi simple a été oliservée dans plusieui-scasparliculieis. à la sup-
]ioser en<-ore vraie dans les cas nnalogiu's.
Toute liypolhèse doit être vérifiée le ])lus l('il possible par re\])iM-i-
mentatiiui. Si elle ne résiste pas à celte épreuve, on doit l'ahandon-
ner. Si elle résiste, elle nest pas encore prouvée, suivant M. Poin-
i-arré, car il tient ipi'il n'v a que le l'ait même expérinuMili' qui soil
alisolumeiit certain, l'ne hypollièse même renversée t'st 1res utile.
lîUe a été l'occasion d une expéi-ience décisive. Si elle aétél)icn l'aile,
c'est-à-dire en leuanl compte de toutes les lois connues, elle révèle
par sou insuccès mémo queirjue chose d'inatlendu et devient l'occa-
sion de nouvelles découverles.
PfHU'quoi les mathéuiali(jues sonl-elles appelées à jouer un ri'ile si
iiiqiorlaul dans le travail de géni'ralisation et de dévelop|)enu'ut de
nos connaissances physiques? Lauleureu voit la raison dans celte
eircousiance que le i)hénomène observable est dû à la super|)osili(ui
d'un grand nombre de pliénomèues élémentaires tous semblables
ejitre eux, c'est ce caractère pi'ofu-e aux phénomènes physiques qui
permet l'a p| il i cation des é([uati(Hisdiirérentielles. I.,es mathématiques
C)nt, en ellel. pour rôle spécial de combiner par le calcul le semblable
avec le siMid)lable. ivlles perinellenl de deviner le résultat conci-el de
la combinaison sans avoir à rell'ectuer en réalité.
M. l^oiucai'ré termine par (jnebiues considérations générales sur h'S
théories ph\siqiU'S. Mlles irenseigruuil rien. d'a[U'ès lui, sur la nature
des choses observées, mais idles mettent en lumière des rapports
vrais. .\ ce point de vue, toutes les grandes théories sont dm-ables :
er(|ui change, c'est le costume dont ikuis habilhuisla réalité. On piuil
d(uic dire eu un certain sens que plusieurs théories, uiéuie contra-
dicloires. sont vraies à la fois, si, au fond, elles expriuu'nt les mêmes
ra|)ports vrais, et ne ditVèrenl (pie par les images dont mi les a enve-
lop[)ées.
La ditlicullé dans la science est qiu' la matière est exiri'iiieuieiil
complexe. Il faut à chaque instant ajouter de nouveaux leiiues aux
formules p(uir serrer de près la réalité. Néanmoins, les cadres ne
soûl pas roiiqjus, les principaux rapports reconims i)ar nos prédéces-
seurs subsistenl. Kn même temps, beaucoup di' terrain a été gagné
<'t la science a fait un grand pas vei-s l'unité.
Cet article, comuu' on peu! eu juger par ce ciuu-l ri''suinc'', présente
l'ÈiiHiiiiijrES i-7i.i,vr.i/> li-ii
(li's vnos neuves et pailViis iiroroïKics. Toiilelois. nous n'élonneroiis
|iei-soiine en disiuit (jii un iiliil<is()]ili(' ne saiii-ail en acceiilei- sans
résfi've Iniil le ciinliMiu.
Ainsi, nous n'admetli-ions pas la eonl'nsion (|iie l'ail rauteui- rnlic
la ^ént-ralisaiion el riiy]ii)llièse. La f^énéralisal ion consiste soiilcincnl
à a|iiilii|iiii- iT i[nciii a eonslati'' iNiiis une naluiT à Ions les indiviilus.
réels on possiMes. de nièine nalui-e. Il n'y a là anenne supi)osilion ;
e'esl nn |n-olon}<enient de rex])éi-ieace. L'Iiypollièse, au conli-aii-e.
support' nne expliealion dis phénomènes observés. Klle naeipiiert
di' c-ci-liUide i|n'à la snile dr noiidn-euses vérilications.
M. Poinearré nous parail Inip n'clnire la vali'iir de rii\p(i|lii''--c.
Ouellr ne i s fasse i)as eonnaîlre la nature intime des corps, soit :
im:u> ihi ne peut Ini refuser de donner ([n(d(jiu's Inniières sur la nature
des ]dii''iMinii'Mn'S i''ludiés. M. l'iiini-ari-e niMisiiarail raisininer conuui'
si lonl,^ la valeur de riiyiiotlièsc dépendait des formules, et connue
S! elle était iudiirérente toutes les fois qu'on ])ent arriver au même
résultat par des formules diverses. Il sait bien cepeuilaut i]ne les
t;i-aiules liy|)otlièses physiques (uit été imaf>;inées par d'autres consi-
dérations, par le besoin de concilier el d'expliipu-r certains faits. Ce
ne siMit pas les formules (|ni les oïd provoqui'-es. ce sont elles au
contraire qui ont donné la ))ossihilité dappliqiN'r les formules.
T(nitefois. .M. Poinearré nous parail moins douleur qu'il ue sélait
montré dans de précédents ouvraj^es. Il accorde uiu' certaine valeur
;in\ vérilications expérimentales : il admet que les bonnes hypothèses
repi-ésenti'ul des ra[)ports vrais. C'est déjà qucdqne chose. .Nul doute
d'ailliMii-s i\<\r les hypothèses physiipies nollreiil point une valeu'-
apodiclique ipu ne saurait si' rencontrer en malirrr continfieule.
Mais il ne faut pas exayi''ri'r mm plus leur iinrrlilndr. ( lu a beaucoiq)
pai-lc dans ces derniers temps de la fragilité des hypothèses. En fait,
le^ nouvelles hypothèses ne diffèrent guère des anciennes que par
de- di'Iails. Les cadres ne sont pas rompus, comme le jreconnail
.M. Poinearré.
Science catholique .Inillrl l'.iDl).. /.<■ Siixirim' (P l'iolihnrf ri lu
Irdiliiclii»! lien .sninix Pires.
Cet arli(de n'est point signé. L'auteur a-l-il craint d'idre tro| hardi'.'
Son t'tnde nous parait cependant intéressante et très propre à défen-
drr riîglisi'de cei-laines accusations de variabilité dans ses doctrines.
L'anleur entreprend de monli-er que le système de Ptolémée n'a
iamai> \m llgnrer au noiid)re des vé'rités de foi pro|iosées par l'unani-
mili' morali' cle la traditimi. Parcourant successivement les ciuvrages
382 DOMEÏ DK VORGES
(les |ii-iiiri|);Mix Pères et ddctcurs, il iikiiiIit i|ii(' |iliisii'iirs (iiil adriplé
un système Hslronoiiii(jiR' ditlèreiil de celui de Ploh'inée, (|iie d'iiiitres,
en professanl ce système, indiquent très |)Ositiveiiient (|u'il ne le con-
sidèrent que comme une vérité scienli(i(|ni'.
Saint Jean Damascène par-le de ceux i/ui discul i|iii' Ir r'iv] cntoui'c
la terre comme une sjjlière et que le ciel es! animé d nu mouvement
circulaire. Quant à lui. il attribue au ciel la l'orme d uim' (l('mi-S|duM'e
»'t prétend apjiuyer cette assertion sur l'Écrilnre.
Saint Amhroise parlanl des systèmes asti'oiuimi(|nes dil i\\\o. les
saints n'ont jias à sCn soucier, que ce siml des (|U('sli(ius dr pliilo-
sopliie naturidle.
Saint .\uf;nstin. loul en i|ualilianl d'erreurs li'S sysièmes o|)|)os(''S à
celui de l't<ilemi''e, dil (|u'il imporle peu au eliri''lieu de couiiailre les
mouviuaents des asires, ipu- ce ne siud q lis eiui jeel ui'es de la
science humaine.
Albert le (Irand. eu pai-laul de la i-a|iidili'' du mouvenu'ul <lu ciel,
uiet celle o|)inion au coaqile des \}\]'i\()si^[t\\i'i^: xlciit diruiil iiliilusdjjlil.
SainI Thomas constate ([ue le système de Plolémée ])ourrail bien
ne pas élre le seul expliipiani les mouvements appai-enis des plauèles.
11 menlioniu' ro|)inion c|ui attribue }f mouvemeul à la lei're. Il la
combat avec Arislole. mais il ne s'appuie ipu' sui' <les raisons scien-
tiliqnes. Dans la censure d uni' si'M'ie d'arlicles siumiis à son approba-
tion par Jeau de Verceil, il di'clare ipi'il n'\ a aiu-nu péril poni- la l'oi
à ]ieriser (ju'iin ange poui-i'ail uu'l I re eu mouxcmeul le ni obe terres I re.
Il ajoute seulemeul c|u'il semble plus ualm-el de croire la li'rre iiumo-
liile, conformément à 1 Opinion du philosophe : Vidi-liir iiiiml iiafii-
/■iililer Icvrn i/uiesnil, iil mil iiliilusnjilnis. lù'il-il pai'le ainsi, conelul
l'auleur, s'il eùl ('ti'' (pu'sliiui d un doiçme de foi ?
(Ju'on uiuis pi'rni l'Ile, eu lermiiianl, un un il sur le Divus Thomas,
r.'vue impriuu''e à Plaisance en langue latine. Le lalin u'esl pas une
langue étrangère ])our un Français el un cal ludique.
Précisément imus avons à signaler, dans sou deruiei' uum:'M-o d ■
l'année dernière, deux li'avaux dus à des l'iaueais.
r.e premier est de M. le D' Surbletl ipii eombal l'ancienne llu'orie
faisani du eieur l'organe des passions. 11 pense (fue cet organe ihiil
être cherché dans le cervelet. Le cieur u'esl l'braidi' ipie par eniilre-
coup.
L'aulre arliide est une lellre du l{. P. |-'u/.ier, de la Congri''gali(Ui
du Saint-Hs|)ril, an Direcleur de la revue. Le H. P. Ku/.ier lient à
élalilir que dans l'étuile tpi'il a présentée au congrès de savants
l'i'Jtiiii'iiji i:s FiiAsrMs nsit
calliiiliijui's à Bruxt'lli's. sur li' |>i-iiiiM|ii' (k- cjiiisalih'. il se s('|i:ii-Mil
iii'lIciiKMil (le M. (Il' Miii-^ci'io. Ci'liii-ci vcrrail diins l'iili'i' ili' cause
uni' i(l(''i' iiiiii''(' l't ilaiis le jui;i'iiii'iil de caiisalili'' un iiii;i'iiii'iil s\ii-
lli('li(|ii(' fi Ijriiiri : le |{. I'. |-"n/.ici- rsl iiiic au (•oiih'airi' i|n(' I i(l('i' de
caiiM' rsl ahstrailt' i\v l'c'\|irTi('iicc. siirluut de rcxix'riciicc iiiln-in'.
cl ([lie II' jlifi;einenl de caiisaliir' csl nu jiiLji'nii'nl analytique, londé
siu- l'analyse du phénouièin' elle!.
Le li. 1*. Fuzier rein;u'i|ne (|ni'. dans les (•(Ui^rès de savants catliii-
li(|ues, les iu'OSColnslii|UL's se sont horiiés à ludulrer (|ue le jugeniout
de causalilé est aualylii|ue, soi! parce qu'il i-e|i(ise sur le ])riucipe
<ridenlil(', Sdil parce ()ue la ni\i;al iini du prr'dical einpiirl(> la néf^alicui
du ^njel. Sans doute, il n'a pas nssislé au iiremier c(in^rès tenu à
l'aris. Il V aurait eideiidu la lecture d'un ménioii-e consacré pres(pie
cntièreinenl à |)rouver ipie lexpi-riiMu-e interne fduiiiil un l\pec(ini-
pli't de la causalité.
Le Diciis yiioiiuis a bien vmdu dans ci' même n\imi''ro donni'r une
analyse très étendue des travaux pnliliés pai' la liortir île plnhisniiliic
■du mois de novembre. .Xous l'en l'emercions bien cordialeniMil et
poui' les auteurs el pour la revue elle-même.
C" DOMET DK VORGfvS.
BULLETIN
DE
L'EN'SEIGNEMEM IMIILOSOPIIIOUE
l>(S hji-i'rs ri drs cnllri/i's lilii-cx. il nmis rsl piirromi ilc innulinnisrs
Icllri's sur l'iiiifulalion (ji'nrralr ilr la pliilasaiiltic cl lex sujrAx qu'on
(Irsirrrnil niir Irnili'r dans ro IJnlIclin. J'hislciirs proffissi'urs nmix mil
ilt'iiiaadr île faire apprl a nos ((dlri/urs di' l'enseignement sernndairr.
Sous aillions à rrpé/er que re liiillelin leur apparlienl el qu'il esl des-
tiné à les metlre en rapport les uns nrer les aiilres. — Aujourd'hui,
nous leiKins nuire proniesse de les renseiqner sur eerlains i-ours de I en-
seiipieiiieiil siijiérieur.
COLLÈGE DE FRANCE
œiKS DE M. BERGSON SUR LIDÉE DE CAISE
l-ji iihiii-ilaiil ri'Itc ('■IikIi' de l'iilcc ilo caiisi'. M. H('ri;siiii ne s esl |i:is
|ini|)(is('' (II' iKiiis (Idiiucr lie l.i l'chiliiui caii^.ili' iiiir analyse lo}i;i(|ui' :
il SI' place A un point de vue iJsycliologique : ces! ■■ rorif^'ine psyclin-
liij;i(|ue lie noli-e eroyanee à la loi de eansalilé ". — suivanl le lili'e
luènie de snu rappnrl an Congrès de ])liiliisii|iliii', — i|ii il veut ili'tri--
nuner.
I.a uiiMapliysique. e'i'sl-à-dire la sricnce ipii ehei'ehe à réialilii' la
l'oid iunili' eidi'e les donur'i'S des sens ri 1rs données du sens eoui
ninn. a s\iivi, dans son évolulion, les llnetnalions de la seienec : gi'O-
ini'll-ii' elle/, les (Irecs, science de la nu'sui'e avi'ç les Carlésiens, elle
li'iid de nus jours à se rapproeln'i- de la |jiidiii;ii'. Ces! dans erlte
dii-eeliiui, par conséqiu'ul, qu'il ronvieid dv s'orienter pour élndiri'
l'idi'i' ih' cause.
386 J. C.
Ci'tle idée nous a|i|iar;iil rniniiic iiiliaii'ini'ul li(M' ;'i I iilt'-c ilc l'.-iil .
Miiis, fju est-ce (|ii(^ le l'ail ? La matière, ti'lle (|ii elle iimis esl ildiinée
oriji;inelleuienl, est constituée par une mulliliide île lei-uies i|iii em-
piètent les uns sur les i.ulres ; cest esseiitiellemenl une caiilimiilr.
E\, sur celte coiiliiiuité. se Irduveiit lirac|ui''s. cuuniie aulaiil île l'ais-
ceaux lumineux, nosliesoins (lu nos tendances, ([ui y découiieiil îles
fails distincts. — Cest ainsi iju on doit i'Niilii|ner la [XM-cepliiui
visuelle : il esl inutile, jxinr en rendre com|ile. ilavoir recours,
connue l>olze. à des mécanismes subtils : il snllil de s'en tenir aux
données de la conscience inmiédiale. ipii JMi;i' (|ue nous allons du
lout aux ])arties. el (|ue nous |U'océdiMis jion |iar syiillièse. mais [lar
dissociation.
Maintenant. C(uanieiil se l'ail ce Iravail de dissociation? Il esl i-ela-
tif à nos lendances, à noire structure, aux nécessités de la vie et de
Vrirliuii. Or. |ionr nue l'action soit possilile, il faut que l'être vivani
coidracle en un uunimuni de duréi' les ébranlements extérieius ; il
le l'ail firàce à l'organe sensoriel: la ]ierce[ilion condense les vibra-
lions iuidti|des, accentue ainsi les dill'i'rences et subslitueà la conli-
niiilé orii^iindle une disconlinuih' île (|ualili's qui se succèdent dans
le lemps et se juxtaposent dans l'espace.
(d'i nous arrélons-nons dans ce sectiounenu'ut de la malièi-e'.'
Cest ie mon\emenl ipii ncuis donne la clef du pi-oblènie. In cor|is
disliucl esl nu corps (|ui |ieul se mouvoirindépendamnu'ut des auli-es
dans l'i'space. Puis ces images visuelles. — rêves sans solidité, —
ipie smil les coi'ps, s l'iolleiil peu ,i peu : noire corps, cpie nous dis-
tinguons lout ilabord, commence par '• se l'arcii- " de sensations tac-
tiles, ([ui buil de lui une réalité subslanliidle ; bienti'it nous assiiiu-
loMS à noire corps li'S aidres cor|is, el nous ne p(ni\iuis percevoir ces
iuuiges visiH'lles sans y lire des perceptions tactiles di''terminées. Il
s'établit ainsi. — nous le voyons par l'élude des maladies mentales
(cécité psycliiiiue'. — ime relatiou étroite entre la perception visiudle
el la perception tactile : à toute image tactile corres|iond, préi)aré
par lies mécanismes appro])riés. un système de nnuivemenls nais-
sants. La perceptimi leud el abiudit à 1 action.
Cest dans celte liaison de la perce|)tion visuelle et de la perception
tactile que M. Bergson trouve la première image el le noyau mèuu"
d,' la causalité. Le principe de Ciuisalité reviendrait donc à ceci : la
mise en ra|)|)Orl d'une image visiudle avec les mécanismes uioteurs
correspondants: et, en présence d'une image visuelle, latlenle dune
l)erceplion tactile déterminée. — Mais cette l'orme a besoin et de
s'épaissir, el de se subtiliser. La relation sensori-motrice se prolonge
C0(7f.S l)K M. ItHIU.SDS Sili LIDKE DK CAVSF, 387
en deux sons iliflV'ri'iils : «Unis l'cspiK'e, où elli' se tradiiil [lar la coin-
iiiimicalioii <lii iniiiivcinciit ; en nous, où elle s'incarne dans la repi'é-
senlalion d'ell'oi-l. liclalinn de l'iiuai;-!' visuidie cl de l'inlay' tactile,
sentiment il'etrorl, couinnuiicalion du nionveineiil , telles sont les
trois formes ijni se complètent poni- nous donner la eunceptinn de la
cause: si nous dé}^ageons ce ipi'elles ont de coinmnn, imiis voyons
i(u elles impliquent nfi <'i'iiaiu |)rogft'S vers la réalisation, vers la ma-
térialité. Ce iM'inripe nous (ii'rmet de déterminer les " liarm()ni([ues
su[)érieures ■> de celle note fondanuMitale : linalilé, causalité ln^iipie,
causalité métaphysique (lu possibilité enf^cndrant la réalité .
Toujours et S0U3 toutes ces formes^ la causalité consiste dans un
[•appcii'l entre den\ termes semblaljles, dont le premier est plus
ahsii-ail, le second plus près de la matérialiti', le passage de l'un à
l'autre se l'aisant, d'ailleurs, insensiblement, grâce à toute une gauuue
de nuances iiderméiliaires. Cette théoi'ie difi'ère profoudénieul de la
conce[ition coui'ante (|ui procède de Hume. Ce ([ue n'a pas vu Hume,
c'est i[u'il convient de si' piacei- à l'aube di' notre expérii'iice. au
|)oint oii le sujet et l'objet sont en contact direid : et là, nous consta-
tons ([ue le l'apport causal n'est pas une relation synthétifjue, établit'
du deliiu's entre deux termes hi'térogènes, n(.ui plus ipi'iint^ relation
analyti(|ue. L'etl'el n'est ni identique à la cause, ni absolument dis-
tinct d'elle; il lui resscndile connue le |)lus matérialisé ressemble au
moins matérialisé, et entre les deux nous ccuu'evons toute une série
d'intermédiaires.
Il est aisé de voir, même d'après celte brève analyse, que l'on
retrouve dans le cours de M. Bergson sur l'idée de cause, les tendances
fondamentales de sa philoso))liie, et (juelques-unes des idées essen-
tielles de Mntwre et Mémnirr : le retour au sens commun et aux don-
n('es <le la conscience imnu'diate (li; l'orientation lie la conscience,
et en particulier de la perception, vers l'action ri) ; la nécessité pom-
l'être vivant de conti-acter et de condenser en un minimum île durée
une nndtiplicité iiuh'linie d'ébranlements (.'}) ; la conception du fait
connue une adaptation, aux intérêts de la pratique, du réel, qui est
essentiellement et en son fond nue cantinuitr. Celte conception de la
matière, d'une continuité indivisée (jui serait rouqiue par la discon-
timnté de nos besf)ins i ii, [laraîl être un des points essentiels de la
(1) Malien' et Mé/ivire. avant-propos, p. m ; cf. Discours du Concours général,
(2) lltid., cil. I, p. 198.
(.■)) Ibid., p. 228 sf|.
(4i Ibid., pp. :i9, 40,224, 259.
388
J. C.
philosopliie de M. Borf;son, et il est curieux de voir oonimeul sa
théorie de la cause s'y rattache. La couscieuct' met dans la inalirre
coulinue nue discontinuité : lèlre raisonnaliie chei'chera à n'Ialiiir
hi continuil(', en verlu ilu sentiment profond ipi'ij a de la couliuuih'
orif^inidle. (/■ hesniu de réiablii- le lil rompu de rcxpéi'iencc, c esl
dans l'idée de rapport cfuisal i[u'il se manifeste tout d'abord. Kt la
])remière image de la can.salité, nous l'avons dès l'aurore de la vie
çonscieule, parce ([ue nous sonunes appehV à cooi'ilimner la |)ercep-
lion visuelle à la. perception laclile. Tel !■>! le lieu i|ui rallache cclli'
Ihéorie très neuve de la causalité' à la coucepliuu i\r la maliére. telle
i|n"elle est e\pos(''e dans Miilirrf ri MriiKurc.
J. C.
L'Enseigiieineiit (h la Morale à la Soi'hoiiiiP.
Par iiiR' i'i>ïiiciii('iiri' reiiiaiMiuahli' et |i('iil-('ti'i;' vouhn', Ions les
ciiiirs |iiil)lics ]ii'()1'l'.ss(''s à la Sorhonnc jiendanl 1 année scnlairi" lilOO-
IUDI soiil consacrés à l'enseignement île la Morale. M. Brocliard ctii-
ilie la Morali' di's philosophes grecs les mardis à ;{ Iiimiics. et M. Bou-
liiinx la Miirntc. de Kaiil les mercredis à l Ikmii'cs trois ([iiarls ;
M. Séailles traite de Vlnvrntion mornlr les samedis à ^ heures et
demie, et M. Egger (ait nn ro»/-.v di' iiuirajr les mercredis à .'{ heures
un ipiarl. Visildemenl, les (|uesli(ii)s morales |préoccii[ient davantage
nos contem|Hirains que les pi-oblèmes métaphssiqiu's. ne|iuis(|ue les
savants (uit l'xprimi' lenr |iri'leution à être les directeurs de conscience
de l hmnanilé, il seud)le que 1 iqiinion se soit émue et ail voulu révi-
ser les titres de son héritage moral. Parmi les lenlalives (]\ii surgis-
sent un |ien de tous côlés, les plus vivantes, à coup sur. sont celles
(|ni n'ont pas un luit exclusivement s|)éculatif'. celles qui tendent
luiverlement à la prati(pie de la vie et à la réforme de l'éducation.
Or. l'en.seigaement supérieur distribué' à la Sorhonne est destiné à
agir sur l'enseignement secontlaire jiar l'intermédiaire des agrégés ou
des licenciés qu'elle foruie. Il a d'abord sa répercnssion immédiate
snr les desseins du ministère et les enquêtes du parlement ; et tôt on
tard, par une sorte de jeu de cascades, il exerce son influence, directe
on indirecte, sur l'élite de la jeunesse française. Il y a donc intérêt à
s'enquérir de ce qu'on pense actuellement sur la Morale à la Sor-
bonne.
Cela même est plus dillicile à délinii' (ju'on ne se l'imagine : car les
vnes émises par les diftérents professeurs sont loin de co'incider. Tous
seraient d'accord, je crois, pour reconnaître la faiblesse et l'insufii-
.sance de l'enseignement moi-al actuel, par suite la nécessité de le
rr'fi)rmer. Mais le reuiède qu'ils |n-ojiiisent n'est pas uniforme et sim-
ple. A vrai dire, ils n'ont i)as de système, mais seulement des préfé-
rences : et chacun d'eux expose librement ce ipii lui payait le pins
390 LESSEICM-MEM' DF. LA MOHALE A LA SolilidXXE
Ynusenil)l;il)le', espéniiit (jue la vérité finira par se dépigor sponlané-
mt'iit (lu CDiitlil dos opinions individuelles. Dans ces noies rapides,
nous \oudrions moins dégager les résullals de cet enseigneinenl
(puisqu'ils divergent (prindi(iuer les méthodes et l'esprit dont il
s'inspire, et es(|uisser plutôt des pliysioniniiies ipu- des plans d'd iidc
et des programmes de leçons.
Le premier cai'actère (|ni IVappe dans cet enseignement, c'est ([u'il
est heauconp plus historique que dngmaticpie. Et le l'ait se reproduit
dans les autres domaines philosophiques : l'histoire de la philosophie
envahit tout en Sorhonne, jusqu'à la chaii'e ol'ticiellement réservée à
la dogmaticpu'. On n'enseigne j)lus r.r cfilhi'dra ses propres idées ou
son .systèmi' : on eNpose avec soin les idées des grands |ienseurs, en
risquant de temps en teuqis ipichpu' remarcpu' ou (pu'hpu' crificpu'.
.Ne nous y trompons pas d'ailleurs : l'histoire est un excellent |)i'o-
cédé |iiMir insinuer des c<nivielioiis personnelles, sans crainte de
scandaliser ou d Cllaroucher ses auditeurs. Kn France, on a toujours
aimé à introduire ses idées sous le couverl'de noms illustres et d'au-
torités étrangères.
Un second caractère que [irésente cet enseignement moral est
res])èce de dilenmie (|u il pose entre deux formes de la morale siqi-
posées couti'adicloires. Le jxistulat admis par tous, consciemment nu
non, est (pi'il y a incouqiatiliiliU' ahsulue entre la morale anlicpie et
aristotélicienne el la morale moderne représenléi» par Kaiil. On ne
veut plus à aucun |U'ix <l un cnnqu'ouus équiv(i(|ui' mire \ /■^'lliiijiii' l'i
.\ii-i>niiit/)ir el la Criliijiir ilr la niismi priilii/iif. Il faut ih''cidément
opter pour l'uni' lui l'antre thèse. L'éclectisme (|ui règne clans l'ensei-
gnenu'ut st'conilaire, et s'est jadis traduit par le livre classique de
Paul Janet sur l/i Murale, paraît maintenant une faute et une inco-
hérence. Bien plus, on s'accorde en général à rejeter le Kantisme
moi'al, naguère iiictndesté. (jui. a|)rès avoir été l'envahisseur, se tient
à j)i-ésent siu' la défensive, et lecide à jnesure «pie s'alfirme la cmi-
ceplion anliijue. H est curieux aussi dé constater ce changement de
f l'o n t .
Mais passons successivement en revue les chefs de tile.
M. Brochard, professeur d'histoire de la )>liilosophie ancienne,
examine les s\ sli'uu'S (les nmralistes grecs, nu ])lul(.')t décrit les éta|)es
|iarciiurues par le système .de la mni-ale grecque, depuis I ébauche
socrati([ue juscpi'à son complet achèvement. Car il admet (pTil n'y a
ipi'nne morale greciiue, en ce sens ([lU" les philos(q)lies de la (irèce,
à I instar d artistes, l'oulinuent l'ieuvre de leiU's devanciei'S en la
i:iL\siH(;.\i:.\ii.sT \)i: i..\ moh.m.k a i.\ so/i/to.v.v/!; :!9i
i'c|ii'i'n.uil ,111 |iiiiiil (ii'i ils Idiil laissri'. cl en la i'(iii(liiisanl , de |ifr-
tVctiiiiiiicnii'rils en iiitIVcI ii)ii iiciuciils. iiisi|ii à Sdii Icruii' iiliNil. drlli'
(■(in! iiiiiili' ilr li'aililidii. si bien mise l'ii liiMiiiTi' jiar M. Bruciiai'il,
c'sl vr'^ii' pai- (les |)riiici|)i'S {^(Miéraux i|iii se l'eti'iiiivi'iit, au fond de
Idules les (Idcl l'iiii's. l'I i|iii disi iiifj;iient profoiidéineut la morale j^rec-
(|iie lie la morale iiKHh'rne, même dans leurs théories les plus voi-
sines en apparence, l'ar exemple le système d'É|)icure et eelui de
Benlliam smil aux aulipodes l'un de l'autre. i M. Broehard a jugé
ui'cessairi' de eonsaerer deux leçiuis à la comparaison antithétique
de ces cleiix morales, et il a consigné les résultats de son enquête
dans un vigoureux article de la Iti'vue plùliisophiqur i janvier 1901).
Seliui lui. la conception gi-eci|ne et la conception moderiu' en morale
dillï'i'ent litlii rirht, pai'ce (jue les ancii?ns n'iiut jamais fait appel aux
idi'es de dexiiir, d'iildigalion, de responsal)ilit('' el de sanclidn. ipii
sont les pix'dts mêmes de rélhi(pie Icantieniu'. La morale aiillipu'
n est iinlli'meiit la sciiMU'e du di'Voii-: elli' est une pragmali((ne de la
vie heureuse: or le hcuduMir ne s'impose pas à l'hoiunu', et ne
demande aucun com|)lément . Sa recherche n'a pas besoin d'être
drdonni'e ]iar une loi. ni à plus forte raison sanctionnée par uni'
ri'Cdiupense autre (|ue lui-même. Tandis (jue Kant subordonne fran-
chement l'idée de bien à l'idée de devoir tombée d'en haut, et fait
rejioser en derniêi-e analsse la moralité siw une Cdnsigne arbitraii-e,
Aristot(> part du désir d'êlre heni-eux connue dune donnée univer-
selle, et nous convie, pai- l'attrait de la raison, à monter graduelle-
uieiil jnsipi'an sdiivei-ain bien. ()n pinuM'ait diri' (|ue Kant sélance
d'un bdiid au sonunel de l'i'Hlilice, sans prendn- l'escalier qui y uu'mk!
plus snreiuenl. M. Brocliard ajoute, sur la fui de Scliiipi'uhauer l'I de
Spiiid/.a. (pie l'idée du devoir, c'est-;'i-dii-e d'un iuqi('u'alif catégori(iue,
d'un commandenu-nl absolu el injustilié. esl d'origine juive et a sa
source dans le Décalogue. Elle est donc à retrancher d'une moi'ale
|)urenient humaine et la'iiiue. VA, en tin de comi)te, puisque la posi-
tion de Kant est intenable, il ne reste qu'à revenir au point de vue
antique et naturaliste.
— L'article de M. Brochard a provoipu' de vives discussions, et
notamment une répon.se du R. P. Sertillanges dans le dernier numéro
de \d Ikvue philosophique. Le professeur de l'Inslilnt catholique est
d'accord avec celui de la Sorbonne pour reconiuiitre, il'unc iiart,
l'incdiupatibilité l'adicale de la morale antique et de la moi-ale mo-
derne, et, d'a\dre |iart. l'i^chec de Kant dans sa tentative de l'under
lidêe de devoir en philos(qihie pure. Ce[»endant, sur le preuuer
point, il dillêre d'avis quant aux causes de la divergence, et, sur
392 LENSEIGNEMEXT DE LA MoHALE A LA SdlIlUt.WE
h' second poini, il ccuilrsli" que 1 idée de devoir soil une iilée reli-
gieuse. En eirel," la |ihi|iai'l des lliéolof^icns (el à leur lète s:iinl Tlio-
nias), (|u'on ne saiiiMil aeciiscr de nM''ei Mina lire l'idée dv devoir, ont
donni' néanmoins de la lui nnu'ah' une analyse [H'csqne enlièrenieid.
eonlorinc à l'idée grecque .. I,e i>. Sei-lillanges ne redoute pas la
laicisalion <le la intu-ale, car la conrusicui du poinI de vue religieux
avec le poinI di' vui' raliiniuel ne peiil qn l'iigeiulrer de regretlahles
malentendus; mais il réclame à bon droit c(Mdre rostracisnu' de
M. Rrocliard, el veut ipi lUi laissi' en morale une piii-|i' iiuveiie à
l'absolu di\iu.
— Outre cette alliliide gi'Mi(''rale de dogmali(pie <l(''giiisé. M. l?ro-
cliai-d a ses opinions dans son domaine i)r(ipre d'Iiisturien. el ces
o[iinions sont loujoiii'S iuli''ressantes. Sur mainte llu^nrie, il se si'qiare
d'Ed. Zellei-. comme on sait : Je n'iiisiste pas sur ces d(''lails liieii
connus des spécialistes. Je relèverai senlemeul sou aperçu de la
nnirale de Socrate : il étalilil un saisissant ciuitraste cuire la per-
sinmaliti' singulière du philosophe alll(''uieii el la pauvreté des
résullals auMpuds alionlil sa ]'élle\i(ni. Le luit de la science ipie
poursuivait Socralp était la délinitiou des idi''es uuirales : or le plus
souveul il se liorne à critique!' les délinilions usuelles, et, (piand
il SI' hasarde à douner la sienne, ce ipii ii arrive que rarement, il
n ahoutil (pi'à rejoiruire le siMis commun el a conseiller ce ipii est
légal. Sa nior.ile définitive n'es! ])as plus avauci'c que la morale ]U'o-
visoire île Descartes. (Jtudle est la scnirce de cette anomalie'.' Sehui
M. Hrochard, la morale a besoin, pour se conslituer, d'une mélaphy-
siijiie : elle devait diuu' attendre la venue de l'Iatoii et d .\rislote.
Mais alors, c(unmeut concilier cette opinion avec cette autre du
savant )U'ofesseur (pie la nmrale de Plaliui est indépendante de sa
meta pli \ siqiic. el (pi'mi peut I exposer sans l'aire iuler\ eiiir une seule
l'ois la théorie des Idées'.' Il me semble ipu' M. Ijrochaj'd a trop
ilé[)récié la science de Socrale, en si' liant surtout au ténmignage de
Xénophou. lin tout cas, même conteslables, ses assertions scud tou-
jours ingé'iiieuses el fécondes.
Le cours de M. Boutroux, professeur d'histoire île la philosophie
moderne, fait pendant à celui de M.Brochard. M. Boutroux étudie la
morale de KanI avec le dessein avoué de la présenter sons son vrai
Jour et de la di''t'endre ccuitre les objections coiiraiiti's (pion lui
adresse. Il ne se contente pas eu ell'et de |)résenter scmindeusenu'rd,
axcc le souci historique et la |iénétration (jui sont ses (jualités habi-
tiii'lles, l'analvse (-le la méthode kaidieniie. Il s'ell'orce de dépasser
i:e.ssi:i(,.\i:me.\t ni: l{ mhhm-i: a i.\ stinr.nSM: .w.)
Kaiil, (le la iiu'iiU' l'ai'Oii ijnc dans son cxposi'' de la criliiiiu' de la rai-
son inii-i" <\o 1897. Après avoir tirt' de la liiof;raidii(' id du caracli'rr
dr Kant les ('k'iiii'nls ([ui l'rlairi'nt son u'iivrc iiioralc, après avoir
souligné sou éducation iiiètislc .et sou amour tics règles qu'il simpo-
sail à lui-iiicmc, ajii'ès avoir cnsuilc examine brièvcincnl la période
antécrili(iue l'I nionlié ipTon \ découvre les germes de toutes les
idiM'S ulli'rienres de Kanl.il alioide l'analyse de ro'uvrc moralo aclie-
viM'. à 1 aide di' V /{hililis.iriiirn/ ilc lu i/u'liiplnixir/ui' dcx mœurs (ITS'ij,
de la l'riliijiii' di' lu ral.snii iiratii/iic 1788), l'I de la Mi'laphijsiriw
lira inirtirs 1707'. Kt c'est une viaie joie inlcllecluelle dCnlendi'c
cidle pai'ide d'inu' élégante sohriili' ijui commente avec une rhalem-
coinnuinicative les pages sn|ierlies de Kant sur le respect on sur
la lionne vohuilé. Un tel interprète convient admirahlemenl à
l'austèi'e doclrine de Kant ; son enseignenienl eiupniiile à >a \ie
même je ne sais ((uel rayonnemeid. je ne sais quel accent de sin-
cérit('' (|ui incliui' l'Ame à l'amour des choses morales. Certes, il
l'aul loul cet all]-ail e\l(M-ii'iii- pour l'aire accepter les dr'ducticuis de
Kanl.
Kant part de l'existence de la morale comme tl'uue donnée qu'il s'agil
d'expliquer : il recueille les notions moi-ales courantes el en recherche
les contlilions el les nerfs secrets : il dégage analytiquement les élé-
ments [irimortiiaux im[iliquésdans les jugements moraux des hommes.
M. Boulroux a tracé avec beaucoup de lermeté les grandes lignes de
cette détiuction qui va de la bonne volonté à la volonté bonne; mais
il n'a pu nous convaincre que tous les termes de cette déduction
étaient ciuiectement inférés. Sans doute, on peut encore poser le
])i-oblème moral de la même façon que Kanl : mais alors son entpiéle
préliminaire esl insuffisante : il n'est pas assez informé de l'histoire
et de la géogra|ihie de la morale. En le lisant, on a l'ai'rière-pensée
que ce ne sont pas les laits impartialement observés (jui commandent
ses rai.sonuemenls, mais les iilées qui déterminent le choix des faits.
Kanl tourne dans un cercle, et sa bonne volonté remplacée finalement
par la volonté bonne a bien l'air d'une tautologie. L(U'S(|ue M. Bou-
lroux, après avoir fait l'expo.sé analyliciue de la morale de Kant. ntuis
présente ses observations sur la valeur même de celle analyse, on
sentait c(unbieu il était endjarrassé pour justifier les ]irocédés de son
auteui-; à clia([ue instant il siu-tail de Kanl pliili'il ipi'il ne le pndou-
geait. Mais attentions la fin du cours pour le juger dans le détail, car
il le mérite à Ions égards. La seule conclusion que nous voulions
tirer ici, c'i'sl i]ne la morale de Kanl a perdu son caractère de dogme
irdangible. el c|u'elle a besoin maiuleiiant d'être di'fendiie.
a94 LENSElGXEMEyr DE LA MOIiALE A LA SnHIiny.SE
Il est à pn'suniei' qiiH M. Séailles liii-inènic n'acn-ptcrait plus sans
rcslrictiim les thèsi's iillraUaiitii'iiiies soutenues dans " les affinnîi-
lions de la (•(luscieiice moderne ". On ne peut nier que Kant soiL un
inventeur eu morale: mais peut-on dire sérieusement (juil soil un
inventeur au même titre que Soerate. et surtout ([ue Jésus-Chrisl?
Il est \enii après eux el a pu profiler de leurs idées; mais a-t-il ap-
port t' au monde une idée vraiment neuve et de nature à clian{i;er les
rapports des hommes entre eu\? La réforme de Kant consiste plutôt
dans une nouvelle façon d'envisaj^er le problème que dans une acqui-
sition susce[)lible de passer immédiatement dans la pratique; or en
morale ce dernier i-rilériiim ne doit jamais être perdu de vue. Ceci
nest peut-être pas la pensée de M. Séailles, mais nous est suggéré
[)ar son titre ; Dr l'Invention mornli'. Comme M. Kibot, M. Séailles
admet (|u"il y a di>s inventeurs en morale aussi bien ([lu' dans la
science, dans lart el dans le domaine économique». C"esl là un aperçu
fort ingénieux; ce nest qu'un aperçu. Ce titre, qui à lui seul est une
li'ouvaille, com|)orte en efl'el plus d'un développement; on peut s'at-
tacher à l'histoire des découvertes uu)rales. ou bien décrii'e les con-
ditions de ces découvertes, et les lois de leur apparition, tâches éga-
leuient délicates. M. Séailles ne |iaraît [las avoii- pris un parti. Il
passi' en revue les principaux systèmes de morale modernes ou cou-
lenqMiiains, et il saisit cette occasion pour taire une incursion dans
leur pliilosopliie théorique, .\insi il expose et ci'iti([ue la morale de
(iuyau. celles de lienouvier, de Wundt, de llôtl'iling, etc. On souhai-
terait parfois ciinnaitre un pi'u les idées di' derrièi'e la tète d un pro-
fesseur si diligeuuneut iutoruie. L'esprit de M. Séailles j)araîl trop
«•oiu|U'éliensil' pour qu il s'arrête délinitivemenl à un système. Les
(h'Iaiits lui sautent Iropaux yeux. Mais a-l-il (Md)li(' sa condamnation
du dilettantisme d'un Renan? A tout pi-endre, il manifeste une intel-
ligence 1res éveillée, une àme d'intuitif qui jette ])ar instants des
êclail'cies sur les questions morales.
Par ccuilre. .M. Egger apparaît iustiuctiveuieut dogiuatii|ue. Il lait
un <i Cours de morale » ; et c'est une originalité tians ce milieu el
une audace, à notre époque, de dédaigner l'analyse des solutions his-
toriques pour reprendre à son compte les ]>rol>lèines posés par nos
devanciers. Kt puis, M. Egger est avant tout nu logicien (pii délinit
ses termes et procède méthodiquenu'nt dans ses démonstrations.
Quoi d'étonnant s'il transporte en morale ses préoccupations domi-
nantes, el jusqu'à son amour du paradoxe qui naît fréquemment
d'antithèses logiques? Il commence [lar fixer en extension et en com-
LKXSEir.MlMF.Sr liK /.A MiiHAlE A l.\ SuHUnXyE 305
|U-(''li 'iisiiiii les |)]-irn-i|>;iii\ cnnccpls moraux ; liicii. dniil, ilcvoii-,
uii'i-iti'. saiii'liou. rli-.. Cl' (|ni l'aniiMie à l'xaiuiiii'r Icui-s i-a|i|)(>rls
iniiliu'ls l't il k's siilisiiiuor les uns aux auti-('s. Il a luèinc l'ccours aux
ii'i-L'K'S fOiici'nlri([iii's il Kuh'i' pour symljoliscr rcs ra]>p()rls, tout
comme s'il saj^issail île syllofi^i.siue. Sa manière ln(;iipie il euvisaj^er
les questions morales le eondiiit parfois à de eui-ieux résultats, l'ai-
e\eni|)le, selon lui, les deux formes ordinaires de l'impéralif eatéi^o-
riipu' u'i'puisent pas toute la loi morale; en réalilc''. il y a qualre
l'oi-mi's di' l'inipéralif. commandi'es par la svméli-ie.
Ai;i> pour 11' bien = j-'ais le liieii . / Fcu'UU.'S
.\j;is poui' le iion-uud = Emj)érlie le ulal . * positives.
.N'aj^is pas [nuir le mal i^ .Ne fais pas le mal . ) Formes
.N'agis pas pour le non-bien i= .N'empêche ])as le \Hr\i . * né,tcatives.
Kt res distinctions formelles trouvent leur applii^dion dans la pra
liyne. — De même, il oppose à la sanction l'antisanction, ou sanc-
tion à rehonrs, (jui comprend à son tour l'antirécompense et l'anti-
punition. c'est-à-dire la punition pcnir avoir liien a^i et la récom|)ense
piMu- avoir mal atji. (tn obtient ainsi un rigiuirenx parallélisme de
tous les concepts moraux. Cluniue genre renferme deux contraires
(pii ont chacun deux espèces. 11 est difficile de dégager les idées
directrices de cette morale, imjirégnée à la l'ois ih' Kantisme et de
Naturalisme. En tout cas, le cadre en est des plus sédui.san-ts. appli-
cable à n'importe ipudle forme de la morale.
Voilà, en gros, le bilan de l'enseignement inoral actuel à la Sor-
b(uine. Peut-être contient-il dans sa riche variété les éléments d'une
i'onstrucli<in morale homogène et pro|)re à rallier h's esi)rits. Mais
ipii se chargera de cette tâche dont la nécessité s'impose de plus en
plus-?
SOlTKWNr.K DR TIII-SKS POl R LR DOCniUAT VS LKTTKKS
Le H janvier 1901, M. Albert Leclère, ancien élève de la Kacullt' des
lettres, professeur de philosophie au collège de lilois, a soutenu, devant la
Faculté des lettres de l'Université de Paris, ses deux thèses de doctorat <ur
les sujets suivants^
pRE.MiÈRK THÈSE. — De Facultatc icrum as^eqiiendi secundwn Balmesium.
Seconde thèse. — Essai ciiti(jiie sur le droit d'affirmer.
M. Leclère a été déclaré digne du grade de docteur es lettres.
La thèse laline et la thèse française procèdent de la même idée : il doit y
avoir une métaphysique normale à l'esprit humain comme il y a une ma-
thématique et une physique normales à l'esprit humain. Dans la thèse fran-
çaise, l'auteur a essayé de dégager la théorie du connaître et de l'être qui
doit éclore spontanément dans un esprit vraiment critique et sans préjugés:
dans la latine, il a étudié, à propos de Balmès, la théorie qui doit (-clore,
sur ces deux points, dans l'esprit d'un penseur qui veut rester fidèle au
sens commun, qui formule, en définitive, la philosophie naturelle /i ceux
qui ne sont point philosophes.
Trois directions philosophiques sont possibles ; la première consiste à
expliquer par l'action de l'objet ce qui se passe dans le sujet en envisa-
geant celui-ci comme un objet parmi d'autres objets : ainsi firent les sco-
lastiques ; la troisième consiste à partir du sujet ou tout au moins de
quelque chose de subjectif : ainsi font les modernes ; la seconde consiste
à fiiire une part à l'objet dès le début : ainsi fit, entre autres, Balmès,
spécialement intéressant à étudier pour avoir voulu être à la fois scola-
stique et moderne, sans réussir d'ailleurs à autre chose qu'à l'-tre le père,
souvent renié par ses fils, des néo-scolastiques. Ce qu'il faut avant tout
louer chez lui, c'est d'avoir vu, dans la question de l'existence ou de la
certitude, le problème fondamental de la philosophie, d'avoir tenté de
réduire la question du droit du dogmatisme à une question psychologique,
à l'étude du fait du dogmatisme ; c'est encore d'avoir essayé, après avoir
non pas démontré, ce qu'on ne peut sans paralogisme, mais montré
à l'homme qu'il est invinciblement dogmatique, c'est d'avoir essayé,
dis-je, de nombreuses confirmations rationnelles du dogmatisme. Sans
doute, il il tort de vouloir proprement des critères, mais les trois qu'il
SnVTEXA.WE ni- THESES 307
invoque, à savoir la conscience, l'évidence et l'instinct intellectuel, il les
réduit au fond à n'être que des formes d'un instinct dogmatiqu'î essentiel
il la raison. Pourtant, an rebours des scolastiques, il est explicitement un
instinctiviste et implicitement un ralionaliste. C'est dans le sujet qu'il
cherche, hien moderne en ceci, de quoi montrer qu'il y a, agissant sur le
sujet, le sollicitant à penser, quelque chose d'extérieur à lui : c'est dans ce
sens qu'il Iraite des facultés. Innéiste malgré lui, il reconnaît deux éléments
primordiaux dans la connaissance, l'idée de l'être et l'intuition de l'étendue ;
avec les scolastiques, méconnaissant en ceci l'activité propre de l'esprit
qui disparaît dans la mesure où on la déclare inutile dans le jugement, il
nie tous les jugements synthétiques a priori; il oublie de considérer nos
idées en tant (jue constructions psychologiques pour les considérer en
elles-mêmes, ou en Dieu, on, lui semble-t-il, toutes doivent être contenues
dans une seule idée analyliquement. Voulant que notre raison soit une
réalité, il en démontre l'unité; voulant qu'elle soit apte à atteindre l'être,
il montre que toutes nos idées sont dérivées de l'idée de l'être, mais de
cette idée il sépare celle de l'existence (qu'il en rapproche quelquefois
cependant), affaiblissant ainsi et dénaturant la raison au profit de vagues
instincts d'aflirmation qu'il exalte et sur la foi desquels il accorde à toute
science et à la métaphysique une égale portée. Il se plaît à nous faire voir
la continuité de la science et de la métaphysique, les idées de phénomène
et d'être impliquées l'une dans l'autre, comme d'ailleurs tous les principes
les uns dans les autres. Enfin il nous montre, dans la n science transcendan-
tale >' qui nous conduirait infailliblement, nous autres hommes, au pan-
Ihéisine, à l'idéalisme absolu et au scepticisme, la science impossible pour
nous, possible seulement jioui' Dieu, et nous indique, symétriquement,
dans ce qu'il appelle la « connaissance par idéalité » (la seule humaine-
ment possible, suivant lui), la science vraiment féconde et certaine. Inter-
médiaire entre l'objectivisme à outrance des scolastiques et le subjectivisme
ardu des modernes, la philosophie de Balmès, sage, conservatrice, subtile
parfois, mais oMrant à l'esprit un point de vue très commode, convient
éminemment au sens commun, dont elle exprime, en quelque sorte, assez,
bien la philosophie. La question est de savoir si la logique n'est pas, par-
fois, plus hostild au sens commun qu'il ne le pense.
La conscience empirique ou pensée concrète est le point de départ de
fait de toute philosophie : devant cette conscience, l'être, c'est le vrai, et le
vrai c'est l'affirmé ; en chacune de nos affirmations vraiment nécessaires,
invincibles, normales, il y a une affirmation du droit d'affirmer : la légiti-
mité du dogmalisme est en fait posée spontanément par l'esprit. Mais ce
qu'on affirme invinciblement, c'est ce qui semble s'affirmer en nous indé-
pendamment de nous, s'aflirmer en soi ; la conscience empirique ne peut
pas ne pas se reconnaître justiciable d'une pensée en soi, norme souveraine
de la vérité. Quand on est remonté jusqu'cà ce principe de toute affirmation
légitime, on a trouvé le point de départ dialectique de la véritable philoso-
:i98 SOUTEyASCE DE DIESES
phie ; il s'agit dès lors de trouver ce qui absolument s'affirme, et tout
d'abord de chercher ce qui se nie. Mais par là même qu'on s'est franche-
ment placé en dehors et au-dessus de la pensée concrète, ainsi que celle-ci
elle-niiMue l'exige, on est, en fait et en droit, au-dessus de toute objeclion
que pourraient faire au dogmatisme la psychologie et la psycho-physioloeie.
Ce qui se nie, ou se nie en s'aflirraant, ce qui revient au même, Parmé-
nide la dit, c'est le phénomène, et jusqu'au phénomène de penser ce qui
est ou n'est pas. D'ailleurs, que l'on étudie le phénomène dans la conscience
ou par le rapport à la réalité, qu'on l'étudié dans ses rapports avec l'espace,
le temps et le nombre, ou dans l'activité scientifique qui cherche à en
établir la théorie, on trouve toujours qu'il est sa propre négation. Sans lin,
la forme du phénomène conscient s'évanoui.t en une insaisissable matière
à qui veut en fi.\er l'idée, et la matière de ce phénomène se transforme de
même en une forme aussi évanouissante ; l'idée d'idée est, elle-même,
l'idée d'un objet et d'un sujet qui ne s'unissent que pour se confondre dans
une vaine apparence ou pour donner naissance à un phénomène aussi réel
qu'eux, mais qui les rend l'un à l'autre impénétrables. Au fond, la réalité
attribuée au phénomène par Berkeley, liant et Mill est inintelligible et
contradictoire, comme celle qui lui est attribuée par le sens commun et le
substantialisme vulgaire.
D'autre part, la science du phénomi'ue, prise en elle-même, témoigne de
la vanité de son objet, car le phénomène, le temps, l'espace et le nombre
s'appellent et se repoussent à la fois ; ce qui rend possible la science la
rend aussi impossible, et ces quatre notions sont contradictoires en elles-
mêmes comme elles le sont entre elles, bien que l'entendement, habile à
oublier les contradictions essentielles aux notions dont il part, arrive à
mettre, dans les résultats où il aboutil, une grande cohérence : le caractère
arbitraire de l'harmonie relative qu'il introduit dans ses théories est d'ail-
leurs facile à reconnaître et souvent reconnu de nos jours.
Celte vérité apparaît sous une forme tout aussi saisissante si l'on consi-
dère l'activité de l'esprit : sous toute intuition, empirique on a priori, il va
une induction comme d'ailleurs sous toute déduction ; partout se retrouve,
explicite ou implicite, le " Principe des genres » qui n'est pas un principe
de la raison, mais un simple vœu de l'entendement; et si l'on étudie' en
eux-mêmes les principes et les intuitions sensibles, partout on découvre
une hétérogénéité foncière dans les éléments de la connaissance, hétéro-
généité qui rend chimérique l'unité poursuivie par la science, dont la fonc-
tion est pourtant de poursuivre cette unité.
Enfin la science tout entière n'est qu'un système de substitutions, elle
est tout entière synthétique, bien que son idéal soit d'être tout entière
analytique; chacune des sciences et même des métaphysiques existantes
est légitime en son principe, mais il y a hostilité entre la science en géné-
ral et la métaphysique, comme entre les diverses métaphysiques : bien
plus, chacune des sciences aspire à la fois à substituer à son objet propre
l'objet de quelque autre science et à se substituer à toutes les autres
Sol'TENAME DE THESES :t'J9
sciences, elle veut le développement indépendant des autres, mais pour les
dévorer ou pour se perdre linaiement en elles.
Cependant toute science et toute métaphysique devient parfaitement
légitime si l'on en nie l'objectivité, si l'on délînit, en conformité avec l'es-
prit moderne, la vérité par l'accord entre les idées. Cette dernière condi-
tion n'est parfaitement remplie que si, en face d'une métaphysique décidée
à iijnorer la science, on construit la science en oubliant cette métaphysique,
e.'i oubliant surtout le préjugé, métaphysique au fond, de la réalité du
phénomène (de l'être qui n'est pas). Dès lors, autant d'univers, s'il est per-
mis encore de s'exprimer ainsi, que de points de vue sur le soi-disant uni-
vers unique : l'irréalité du monde phénoménal sauve et seule peut sauver
la science.
Si maintenant oa demande à la pensés en soi ce qu'elle affirme, on
trouve, identiquement, qu'elle affirme la réalité, l'identité de l'être; puis,
que l'être est pensée, qu'il est cause, liberté, amour, personnalité, que
Dieu e.viste et que tout le reste, s'il y a quelque chose de réel en dehors
de lui, est en Dieu en tant que se posant, en soi-même en tant que posé.
On découvre aussi que l'action directe est possible entre Dieu et le reste,
mais que l'action ne peut être qu'indirecte entre les êtres non divins. La
réalité d'un univers et du moi ne s'établissant qu'en faisant appel à l'idée
du Devoir; il y a un devoir être du perfectible, c'est-à-dire de l'imparfait,
du non-divin. Et sur celte base, il est même possible de construire une
morale, dont l'idée doit être eflicace sur les consciences empiriques dans
l'univers apparent dont nous sommes partis. — En somme, partis de la con-
science empirique, nous avons abouti d'abord à la pensée en soi, d'où nous
avons tiré une critique du non-être, une critique puis une justiCcation d(^
la science du non-être, enfin une métaphysique courte mais rigoureuse-
ment logique : nous avons rétabli l'être, défini l'être par la pensée, mais
une pensée cette fois réelle et vivante. Nous avons décrit ce qui est norma-
lement engendré par la pensée quand elle se laisse expliciter les virtuali-
tés qu'elle porte en elle, quand elle veut être identiquement, mais claire-
ment et distinctement, ce qu'elle est essentiellement mais d'une manière
implicite.
A. L.
/," Grraiil : L. (iAUMKR.
Li Chaiielle-Montligeon. — luip. de N.-IJ. de Montligeon.
LES CATÉGORIKS D'ARISiOTE
Il >'a^il iri'ludiiT lc> (l(Hi'riiiiii;ilious ilc l'rlrc. considéré
(•(piiinu' li'l . l'cuir jésiimlii' relie (|uesliiin, Arisloto établit
(riilionl jiie l'èlre a ili's iiiodalilés el que ees modalités ne vont
|ias à l'inlini: pui-, il essaie d'en lixer le nombre et la nature.
I
(In ne peiil >e rallarlier à la llii''orie de Falisoliie iinit('' di'
i"(Mre. Si cette théorie a fait des partisans, c'est |)arce que l'on
n'a |ias sn lover les équivoques qu'elli^ renferme.
(jue veul-oii dire, en elïet, lorsqu'on aflirnn' (|ue l'être est
alis(dumenl nu? Veul-on signiiier que, par-delà les formes de
lètiv et l'èlre lui-même, il y a l'I'n et que cela seul est. .Mais
s'e\|n'imer de la sorte, c'est lonihei' dans une conlradiction. Si
l'un u'enfi'nue plus l'èli-e, s'il e>l autre (|ne l'èlre. il uesl pas:
el rien n'est i 1 i.
\'eut-on (lire seuleuu'ul, avec l'arnuMiide et .Mélissus. (|ue la
miilliplicilé des choses est une vaine apparence, et (|u'au l'iunl
il n'y a qu'un seul être, partout hcnnogène. éternellement iden-
liijue à lui-même '2i? On se trouve alors en face d'un monisme
plu- profiiud. mais ([ui n'en est pas moins insoutenable dans
-a uiilde inllexiliilité. Si tout est rigoureusement un, il n'y a
|diis de rudUN enieni d'ancnne soj-le 8 ; or une telle coiisiMiuence
1) .\iasT., l'Utis.. \, ;i, iS.ir, 31 et sciq.. éd. de Uei-lin, ISiil.
■1: II.., .We/., .\, 3, 084', 2'J et sq.). : iS. 1, 1001% :n et sqf|.
:i, I .., /'/«vv.. A,.!. ISG'. lU-lG.
U)i. Ci.onii- PIAT
sul'lil i"i (l(''iii'intiTr (|iir II' s\ sirmc dunl clic il(''ri\ r dcnu'iin' lol;;-
Iciiiciil (''lr;iiij;rr à i;i iivililc <I('S choses (1). Si loiil csl l'ii^du-
l'cuscmciil un, il iniidra diro qiio riinmnie cl \v cIicvmI sdiiI
mic seule cl nicuio rlmsc. tjuc le liien cl le ni.il sont idenliques,
(|iic le Idiini- cl II' Unir se (•iiiilnudeiil : il l'iiiulr;i nier vn Mm-
loules les dilir'ieiiccs. toutes les o|)|ii)sitii)us. toutes les conli'ii-
l'ir'li's diiiil In luiture uotis nll're le |)erp(''tuel spectacle i2<. VA
quel ilinycu d'aduu'lli'c une dnclrinc ijui \a ius(|u'à de li'llcs
cNlM'Uiitr's .' |)c plus, qu'est-ce que l'cli-c ilnui parleul les
llli'alcs ? l'uisqu il csl un, il faut ijuil suit nu siniplcnu'ul enii-
linii iiii ali>nluuicul iudivisililc. S'il est cnutiiiu. il est mulliple
par là uir'iuc; car le |ii'npn' du cmiliuii est de se di\isci' à l'in-
liiii. S'il e>l alisnlunicut iiiili\ isilde, il n'a pas de i;randeui' : il
u'esl pa-; inliui. connue le veut Mclissus. ni mènu^ lini, comme
le ilil l'aniir'uide ; i ar Iniilc t:randeur est, ciiuinic telle, siisce|)-
lildc de dixisiiin. I)ans l'un ci l'aulre cas, c'csl eiu-ni'c à la cnn-
tradiclinu que l'nn se ImuNc acruli'' ' ^t .
i'>ssaie-t-()n de se pi'imnncer pniii' nue ii'nisicnu' l'niauc de la
nii''Mn' Ihr'iiiic : alliiauc-l-nu. à I cxeniple d'Aul isl licnc i , que.
si tnut n Cst pas nu. du nmins i liaque être csl nu. et au point
de n'cuvelnppei- aucun l'iiuncnt de distinctinu. par là niènu- de
di''lil!ilinii. (lu diminue alni'-. les diniculir's ; mai- on est Iniii de
les >iqqu'imci' loules. (lliaipie iMi-c c--l mulliple. connue l'uni-
vers ilnul il lail parlic. Iiieii qu'à un moindre tlc^ré. Iiupossililc
de rr'duirc la qualili' à la quanlili': inqiossilde aussi de conce-
Miii' la qnalili' il la ipianlili' sans le- rapporter à un li-nisicnic
Icruu' (|ui les i^rnujjc et les suppoi'le i.'i,. Tout individu est au
moins' une Irinili', Celle IrinilT' elle-nièuu' se fractionne en éli''-
nu'iils seeoudaii'e- : il \ a dans iduupir lioiunu' une couleur l'I
nue laille délinies, un animal, un liipède. une |iensée qui se
dr-plnie eu se ramassant sur elle-uu''nn' ; el cliacuue de ces choses
devieul mulli|)le à snii lour sous le rciiai'd de l'analyse (6).
(1) .\iii-T.. riii/s.. A, -2. ISV et S(|f|. ; H, 3, 5i;i'. 4-li.
i!) lu., Ihid . \. 2. 18V, l'.l-23; A, :i. tSb . 2-2:1.
i;ii li>., l-li>/s., A, 2, ISj'. "i-lS.
1 lu., Met.. Il, 3, 10^;)', :;.1-2S
-:. II... rif/s., A, 2, is:i'. 2'i et sc|i|.
(C. Ii>., Ihiil.. A. :i. ISl.', \i et sqq.
;.;•:>■ r.\ri:i,(inii:> HMnsidii-: lo:?
I.'iMir ii'i'-l (ia> aliMilmiiriil un : mais il i\'r>[ |ia> umi |>lu>
iiuilli|ili'à l'iiiliiii. ciimmc l'onl iiciisi- l.ciicipiic cl Di'-miK rilc 1 i :
raloiiiisiiu- aussi passo à ciMi' di' la vT'i-ili'.
Oïl ariii'inc (|n"il cxislc un iKimlirc inliiii de principi'r- : •■!
rmi u'iiliMTVc |ia> iiu'uiir li'llc cniircptiiin est la n(''t;aliun de lii
-.(•ii'iicc. Sa\oir, c'est t'X|ili(|M(M- : c'csl cuniiailn' quelles sont
les causes des phénomènes donnés cl (jucl en esl le nnnilu-i'
ïv. -v-wv y.%. TT'i-t.iv . Or, si la série des élémenls ({ni eonsLiluenl la
nalure n"a pas de terme, eetl(> condition essentielle de la science
n'est jamais ruuriiic : nn ne Innivc niilli' pari une dernicrr^ cause :
cl l'univei's demeure pour lnnjdur-- iniulclli^ildc 2 . De [)lus,
une telle conception enveloppe une aulinomie ipTil est assez
facili' Ar mettre en lumicre. Si le lnliil des principes csl inlini.
il faut que chacune des portions (jue l'on y peut cuncevoir le
soit aussi: car, supposé que l'une d'entre elles ne le soit pas,
on n'aurait plus en l'ajoutanl à Iniil le reste qu'un nombre lini :
ce qui est contraire à l'hypothèse en question. D'autre part, si
ioutes les portions de la somme infinie des principes sont elles-
mêmes inlinies, on a dans l'iulini donné un iiomhre inlini d'in-
linis: et c'est une contrat! ici i ou (|uancnn ell'ort ne peut lever (^J'.
On ajoute que ces principes dont le nonihre n'a pas de limite
sont également éternels, (l'est donc qu'ils sont autant de causes
premicro. Mais, s'ils sont des causes premières, ils sont par là
même alis(dunieiil semhlaldes : ils ne comportent aucune dillé-
rence de ((ualilé, de quantilé'. de lii^ure. de site, de pesanteur ou
(le mouvement: car ils ont loii^ el toujours la même raison
d'être 1 . iiien jdus, il faut (ju'ils soient totalement identiques,
qu'ils se confondent en une seule réalité o : et l'on se trouve
ilerechefen l'ace de l'arménidc qu'il s'asissait cependant d'éviter,
(hi veut aussi que ces princi])es inliuis en nombre cl élernei-
Client (le la grandeur. Et il le faut bien: car autrement les cor|)s
ju" se\pli(|ueraient point: de jdus. il n'y aurait entre les éb'--
l; Ani-r., Me/.. A, 4,9S;r, i-22: Dr ijeii. ol rornip.. A, 2, 31G". !0 et sqq ; l'/iys.,
A. 2. 184% 2U-22.
2j Ih., P/if/s., A. 4, IS"!'. 7-13: A, 6, isy, 12-20.
(3) II)., Ph;,s., A, 4, 188", 2-5: r. 5, 204 '. 20-26.
4) II)., Ile ni'/ , X. 1, 2';5\ 29 et sqq.
.y, In.. Di' ;en. el cornip.. A, S. 326', 29-34.
-'lOl- Clodiu- pi AT
nicnts iuifiin cùiitacl possil)le: j)ar là iiirmo am-iiiic rcntniilrc.
itiiciinc conihinnison : cl le monde ne se sprail jamais IdiiiK'' 1 .
(h\ si les ôlénionls ont do la graiidiMii'. ils ne sonl pins insi'-
cablcs, comme l'exiiio la Ihéorie : ei pai- là même ils de\ ieniu'iil
divisibles. (lai\ si pelile que soil une pai'lie (jnelciiii(|iie de
I l'Icndue, (Mie se divise encoi'ê. dn moni(>nl (|u"elle esl ('■leiidnr.
Les alomisles se metteni en conlradirlion avec les malliciiia-
li(|ues ci I.
l'ai ouirc. leur doclianc. Iiicn (|irin^|>iivc par le lic^oiii d'ex-
pliquer le mouvemenl, ne rend c(>in|)le poniianl ni des jniaiics
(jn'il revêi. ni de ses condiliniis. ni de son exislence (dlc-nicme.
H n'v a, d'après cii\. (jiic des ai;régalii)ns cl des séparalions :
loiil (diangemenl. si pi-olond <■! si dnraldc (|n"oii le suppose.
e>[ pnrcmenl quanlilalii. < h'. ICxpc'Tii'nec lu- s aciouuuodc pas
d'une seiuldaldc iiilerpri-laiion. Lu corps qui passe du noii- au
lilanc. lUl du sec à I liuuiidi'. aeqiuerl une qualiii' nouV(dlc: il
en est de même du Idoc de marjirc ([ui devieni uiu' sialue. Au.
moins faul-il convenir que l'ànn' esl ([iielque (diose de plus
qu'un agglomérai d'aliuues : la mr'umire. la science el le vou-
loir sont des modes indivisibles el demandent par là même nu
sujet qui le soit égal(Mnenl 'M. De |)lus, les atomistes ne di'-
monireul (piCn appai'cuce la possibilih- du mouvemenl. .\ <rili-
du plein, ils iull'iiduiseiil le \ide. (pi'iis a|ipcileul le uou-èlre.
.Mais ou bien ce vide nCsl absiduiuenl rien : id alors il ne peul
servir de milieu au mouvemenl; ou bien il esl (|ueli|ue chose-
el alors on passe de la lb(''orie du vide pai'liid à c(dle du <'i)n-
linu ^ij.Oii peut même dire qtu' les Abdérites suppriment loule
possibilité de mouvement. Tout miuivemenl. <'ii ell'el. sup|»ose
un lieu naturel vers lequel il leinl. ( Ir. imaginez (|ue le nuuub^
soit inlini. il ne ri'ureiane plus l'icn de Ici : il n'a plus ui cenire
ni eii'conlV'i-encc. ni liant ni bas, ni avant ui anière. ni droite ni
gauebe. Imjmssibli' d'y ilélerniiuer une /oue quelconque oi'i les
,1) Ahi.st., Ihicl.. A, S, 32o', :ii et sqq.
(il In., De rœi, V, i, 303% 20-23; De gen. el con-ii/j.. A. S. :i;:(;-. 2i 29.
(3i Ii>., De f;en. el corriip., A. 2, MT, 1"-?" ; B. 6. 334', 9-14 : i'-ro-ov o:
■/.ïl V. T| J/'jyT| iy. ttov rr:o:y=.Uir> ï, ïv T! ïJtwv. Ce dernier texte est dirigé cnnlie
F.iiipédncle ;' mais In pensée qu'il contient ne fait i|ue onmiiienlor le premier. (|ui
perle directement cont e Dcmoeiite.
(1 l:i., De geii. el romip., A, 8, ?2U% 10-24.
ij:s fAri:i,ni!ii:s d \i;isrnri: .io:;
r(ir|>s SI' rciiilciil (ri'ii\-iii(Mii('s |ilii|('il (|ii':iil leur- 1 . I )';iillrurs.
V'iiiiiuriil iiilcrpri'liT, il';i|irr-. rnlumi-iiic. rii|i)iiii-il idii niôiiir du
iiiiiUM'inriil .' hiiM-l-oii (|iii' les ;il(iiiii'> m' iiiciivciiI Irs iiii> Ir-.
^iiiln's .' Miiis alors. iiKilcins cl iiKiliilcs, ils pàlissi'ul luiis du
mruir cdui), '■( siiliissoni \\;iy \',> iu("'nii' d(>s iiiodilicalioiis |)i'r|)i''-
lui'lli's : ils ui' snul |ilus iiUMMialilr-- eu i'un-iikmucs. comme le
\ (Mil la I lu'ni'ic. |-;i, >i l'ou a vaiiL-i' (luc cliai-un di's alomos se m oui
di' soi. (Ml u'aui-a l'ail i|uc rci'uii'r la (|iu'sli(iii. U'ahurd, dans ce
■cas, ils i]r luiaucrdul jaiiiai> aucune cduiliiuaisnu : il u'eii sor-
lii'a jamais un univi'i'^ : iU rcslci-iml clcnicllcmcul isolés,
<nmmc di'-. nidiiadcs. \)f [du~. (|U(d uioyi'U de compreiHlre ce
uiiiuveuii'iil ddiil le |iiiuei|ie e-l Imil i nlérieur ? Si l(is alomcs
->diil ahsoliimeul simples, ils sonl au uième miuiieui et sous le
iiKuiic rapport eu puissance, et eu acte ; ce ([ui ne se eoncoil
pas. S ils sdul composés, au contraire, il tout qu'ils coulieu-
ucul une |iarlie ijui -e uu'ul cl une anii'c (|ui es! mue: el la
partie qui menl. se meul par là même. l)(jii lui vient donc ce
mouvement, pnis(|u"il ne procède pas du dehors ? Comment
])asse-t-(dle perpétu(dlenu'nl de la |)uissance à Factc, vu que,
d'après riiyp(dhèse où nous l'aisiumons. il u'v a |ias de cause
j'\l('>rieui'e (lui l'actionne 2 ?
f>a [diilosopliie de l'èlrc est donc man(|uée : et la cause prin-
cipale de cet échec, c'est sans doute que l'on a mal posé le pro-
Idènu' très complexe dont elle doit fournir la solution. Les uns
se sonl enfermés dans leur laison, el sont arrivés à des conclu-
sions ([ui ne tieniu'nl aucun coni|)le des données de l'expé-
rience : le-, autres, au cdiilraii'c. oui l'ail <le l'i'xpérience nu
usaiic trop exclusif el se sdiil hdi'iu's à des lln'ories (|ui ne
lieuueiit aucim compte des piinci|ies foiulamenlaux d(< la rai-
-du : dr. la nature du sujet demande une méthode })lus coni-
jii'éhensive : il faut, poui- la traiter avec succès, commencer
par l'idiserv al idii di' la n''alilc> cdiicrèle elle-même el en l'aire
ill AmsT., Uecœl.,\, T, ilb', 0-12.
\i] In., De ç/e». el coriup.. A. 8, 32lj' . l-G.
4(i() Clodu* IMAT
cMsiiik' iiiir aiiaix se raliniiiii'llc plus pri'C-iso cl plti> iirnlimilc I .
(continuer \o proféili'" des ioniens par celui des l'-léales : vnilà |e-
moycn d'alioiitir.
Si l'on se plai'O à ce jniint de vue, on l'eniarciue (jn'il \ a.
dans loiil individu, un siijel doul cm .il'lii'nie t(uis ses di-rivés el
(|ui ne s'allirnie lui-niènu' d'aucune aulre clio:^e. ( >n dit de So-
ci'ale, par exemple, qu il est musicien, (|u'il se |udnièue on fju'il
esl assis ; mais Socrale, cnvisaii;é comnu' ('laul lid homme, ru-
peul nullemenl servir de ppr-dical. |)e là niu' première caléuo-
l'ie de l'èlre, c(dle d oi'i dé|)endenl (ouïes l(>s aulres, el qu'on-
appelle ilu nom de sulislance o:,-:^ 2 . De plus, il y a dan.s loule
sul>stanct' de la (|Ualil(' -vA-r^; e| de la (|Uauliir' -.',-',-r,: :{.
(l'esl la premièi'e de ce^ di'-lemi inaiion-- doul ou al'lirme l'exis-
tence, lors(|u'on dil d nu corps (|u il esl blanc ou noii', ot
d'un homme (piil esl savant ou \eilueii\ : la secomlo n'est aii-
U'C chose (|ue le uomhre, l'iMendue on rinlensité. l'^l l'on a de-
cette sorte deux autres cat(''f;ories i|ui ih'rivenl immédiatenn-nl
de la première. La qualiti' et la (|nantil('' elles-mêmes donnent
lieu à tout un en>emlde de rapports 'pi, tel-- ipie la resseni-
hlance, la coutiuuïté, l'é^alili' et 1 in('i:ali(é. le plus ou le nmius,
la cnnsalion, U'ofi une (|iMilrième cat(''gorie cjui s'appidie l;^
relation iizpôsst). l'^i outre, on |)eiil. à propos de loiil être donné',
se denian<lei' à quelle |)ortion du temps el de l'espace il se rat-
tache ; on peut chercher ('•i;aienn'nt s'il chanj;e ou non. (>r, à
ces i|ueslions corres|)ond une aulre lile de six catégoi'ies : oi'i
\r.'rj . (|uand -',Ti . !<■ l'epos -/.î-j'ia- , la possession (jin' donne on
enlève le changement ïyt-, . l'action et la passion (|u'il sup|>ose
iT.'j:t\-/ -/.x': —izyt'.-t { .'i ,.
1) ,\n;sT., l'Iii/s.. A, 1, IS4*. iO-i'-i : Ïtz: v'f,;jL'.-/ --m-vi o?,/.a v.-x. îïo-?j -'% t-jv-
v.lrj'J.vi% ;jii).Ào-/ • "jT-.iyj-i '/ iv. -ro JTW/ •friz-'x: •■'imç.'.ij.'x -.k i-.v.jt:-). /.x! i^/x"
O'.a'.po-JT'. -■J.'j-.'J..
(2) In., Uet.. Z, i. 10iS\ S-ll : \'j/.i\ ',' i, 'Aiii 'j-.iy/ivi -ja-zipc'^Ta-ra -xv/
to'î îioUïT'.-/ ', Z, 1. 1028% :i.j-;j6 : à-zi-'Z-f, i-/ -.<]i ly.iTZ'ij Àô-'iu -i-; -r^^ o-j7;x? iv-j-
-A'j/i'M. Cette évidence est si grande f|iraiK-un dps anciens philosophes ne la
jain.iis niée : ils ont discuté sur la nature <•{ la pluralité de la substance : ils n'eu
ont jamais mis l'existence en doute {Mel . Z, I, I028\ 2-11'.
i3) lu., Ibid., /., I, lOlifl", 21-21 : --m-vi '(, o-j^ia, t-!-a to —'y.vt, E toc -.'j -invi.
|4) \\-,.,lbid., N, 1. 1088", 17-29.
lo; Que les catégories désignées par les termes v.i:-jf\x:. z/f.i. -'j:i\-i /.x- -i--
yz:-/, se rapporlont au devenir, c'est une interprétation i|ui est assez bien fondéi-
LES rATi:i;iiiiii:s h' Miisniii-: wi
Lcs cal(''i;'ui'ii's ^nnl ddiic an mmiliri' ilc ili\ ; cl ccllr si iiiiiic
ncsl pus lixcc an liasaid. clli' ri'siilli' d une ili'iliiclinn syslriiia-
li(|ii(' (le la ri'alili' ((iiicrMc. iJ'ailhnirs, si I Un a\(iil (|U('li|iic
iloulc siii' iT |Hiiiil. il serait l'acilo d'en sorlii' à laide di's pa-
roles mêmes d Aiisldie. .Non sinilemenl il allirine ascc pei'sis-
laiiee (|ii'il y a un nombre di'dorminé do calégorios (1); mais
enciire, dans deux endidils nii il s'agit d'en dresser nii eala-
Injine rigoureux, il en énnmère dix : je veux parler du ( luipi-
Ire i\ des (\i/ri/oni's '.2i et du pri'uiier livre des To/ii/ji/r^ 'A .
lîien plus, dans eo dernier passage, il donne lornudlenuMit le
eliill'ri' en (piestion oi/.ï lii. Mais. clHise assez eurieuse. eetle
jirr'eisiiin ne se mainlieni pas parluul. ftn lrnu\i' il'aulres lexles
où Aristnte se propose également di' dnnner une liste enni-
plète dos catégories, et qui en contieniu'iit un nnmiu-e moindre.
An chapitre xxii" des ScchihIps (in<ili/ll<iiirs. on ne rencontre
pins li^s termes xE'T'Ja' et ï/i:-i '•"> : il en est de même au elui-
pitre VI' du livre a de la miHaphysi(juc (ti), ainsi qu'au cha-
pitre XM' du livre k du mcnn' ouvrage (7l. El le chapitre ii
du livre N de ce traité ne donne plus que trois catégories c
la substance, le nidde. et la relation (81. Or, il est dil'licile \\i'
sur le texte suivant de la iuét:iphysique : im: •■i'j -.: j-o/.î'aîvov 'î/.ixrtu, oiov
-î'i —O'.'li yjx: TÔJ — 0T(y /.a". Tio —'j-zi /.■x: Tio T.'yj Y.nx -rj /.'.vTiîî'. ; ici le mot /.iv/tz".
est à peu prrs sùreuient une réductinn à l'unité des i|uatre dernières caté-
gories.
( 1) Arist., Anal, pust , A, 22, 'Ai", 13-16 : v.'A -h, '^vii^ twv ■/.■x-r,-'o:,:ô>i rôTtésavTX'. ;
Psi/cli., A. 1, 402". i'i-i'j : Às-'io o'e — Ôteoov tooï ■:■. 7.x; oJaix t^ — otôv ?, Tsn'ri -'i^
•/.■m: -::, oîù.f^ -.iyi o '.a!3 ifl î'.Ttuv xaTT, y^j 0 !(«■/ '. Met , V, 2, iOli:}', .'> li.
|2) 1'', 2'>-27 : Twv -/.oL-ci u.r^i-'j.'.-x-t rj;j.— /,o"/.t,v Xi-'OuÉvcov r/.ajTOv ■}-.'!'. oJT'Otv
'7r,-X'x:-ii'. Y, T'jnh'i t, 7zo'}yi y, "pô; i: y, ttoO y, r:o''i /, "/.ilTOa'. y^ lyirf Yj tto'.e^v y,
—i7yi:i.
(3) 9. 103*', 21-23 : Ïtz: i't -xjtï -.vj -xyAl'X'j-i ',=/.%: et vient ensuite la mrnie
liste que plus haut : ■:• It::, .toiov. etc.
i4) .\doi.f., TreiHleleiiburr/, dans son llisloire i/es i-aléi/tirii's (2. 21-2-i, Belge,
Berlin, 1846) pense que la déduction des catégories est d'ordre (/ramma/icnl. La
substance représenterait le sujet de la proposition, le -o:vi et le 7:0707 l'adjec-
tif, Ttoj et -'i-zï les adverbes de lieu et de temps, etc.. .M lis on ne voit nulle part
qu'.Xristote ait suivi un tel procédé.
(3, 83', 13-1';.
(tii ion", 22-î';.
(1) 1068", 8-10 : -o-i manque également ici ; mais il est probable iiui- cette
absence n'est due qu'à une itiexartitude du te.\te.
(S, 1089% 23-21 ': ti ■û; yi; 'yj-ix:, ti 0': -iUr,. -.7. Z'i -Z'j; -.:.
408 CLOt)iL-s PIAT
nier quo ces (lillV'roiils passages visciil à rinl<'i;ralilé ili.
(lunimenl résoiulrc l'aiitinoniio qui ivsiilli' de cos textes?
Dexippiis parle de Iraltrs liijijvm)iriiuiti<iites, oh Arislote se
serait exprimé d'une manière plus nette sur les catégories Cl).
Diogène de l^ai-ree l'ait aussi mention d'ouvrages du même genre
et relatifs à la même question (31. Et Aristote, dans son traité
de la Mrmoirr, renvoie à des exercices logiques où reparaissait
lieul-élri' l'analyse de l'être 'i . Mais ces dissertations sont |ier-
dues: !■( la (|uestiou demeure en susi)ens. Toutefois, il se pi'é-
sente à l'espiil une conjecture assez naturelle. I,e laldeau des
catégories ai'isloh'diciennes est loin d'être à l'aliri de toute cri-
tiiiue. Au-rlessus de la qualit(' l'I tie la quantité, il y a le mode
lui-même -k -Hir, ï, hj-iy/',r.-x doul elles sont deux espèces. l>e
plus, la qualité ne se cantonne pas dans la zone des dérivés de
1.1 sulistancc ; clic fail partie de la sulislance (dlc-mê-nic : idh^ en
est un (''lémenl essentiel, ccdui qu'on appelle la tornu'. Ou peut
ajouter que le repos et la possession m- sont aussi que des modes
entendus au sens large d'après le(|iirl ils signilieni toute déter-
mination inliérenle à la substance. Enlin, l'action et la j)assion
ont l)ien l'air de se rattacher aux relations elles-mêmes. .N'est-ce
pas le senlinu'ut de ces impi'rfections (|ui expliquerait les va-
riantes de la pensi'e d'.V rislote? N aurail-il pas lail un ellorl per-
pétuel pour alionlir à une classilicatioii de plus en plus logique
et ])ar là même de plus en plus simple? VA la trinilé |iar laqnidle
il semlile conchire ne marquerait-elle pas le jioinl de maturité
de ses réilexions?
(Juoi qu'il en -oil. on voit très liien, du point de vue aufiind
s'est mis Aristote. la sigiiiliealion de ses catégories : elles ne
(I ) On ne peut se fonder ici sur les autres endroils uii Arislote ne songe évidem-
ment pas à une énuniération parfaite. V. par ex. : l'li>/s.. A, 7, l'JU'. 34 et S(|(|. ;
Mel., E, 2, lOili' 3.J et sqi|. ; lbi>l.. E, i, lOiT. 31-:î3: Ibùl . Z. 1, KiS". 11-13; Ihid..
Z. .i, 11I3U'. 18-20 : Ibid., Z, 1. 1032% 15 ; Ibiil.. H. I, lOij , .30-31 : Ibid.. K^ 3,
lOGl', o-lU ; Ibid.. N. 2, tOSr, 7-9.
:2) Scli., 48', 4fi et sqq : -ïo: oï, -ojtw/ Si/.-'.ov ajTo; 6 Wsirro-i/.ï,; vi -'r.;
'JTT'jjJivriijias'.v àvio;05c;i ■ T.yJlûi yis "zà- za-:r,-'o;!xî s'jv txïî Tr:(ÙT£T'.'/ ajTtuv y.y).
-.%\:; àizooi^ZT. za". Ta;; t:î;/|5î3'. /.a! ~'j\^ i'i'Jrzv.i O'jioj -j-j'À-Tivi ïjtwv -.i-i
o;oa3/.a).;av, TrrdW;;; ts; i-v.Àiïîi.: ôvo;ji«'(ov.
(3) 23.
(1) 2. 451', l''-20 : .. iv ~'>':i i-:/i:yr'X%-.r/.'j'::, '/.'j'-'j:;. . .
LES r i7/:r,(/;i;/;s DMiisniri-:
41)9
r{'|iri'M'iil('ii( |i(iinl les l'di'mo de la |)ciis(''(', conirnc colles de
KanI; clir^ cxpriiiii'iil lo Idiiiics uéiirralos (le la réalilr con-
irèlc (I ). Va (lès lors un coniprcnd |)()iii'(|ii()i il n'y csl pas ques-
tion (roxistenci', de possIMIilc', dr coiilini^em'o, de nôccssilô.
< les ( lioscs ne son! pojiil des il(''i'i\ es dr la siilishuii'c, lolle qu'elle
nous es! doiini'c dans l^disiTN alion . ( )n s'explique aussi, du
nn''uu> |)oinl de vue, coninu'ut la uiélapliysique es! une scienri'
(uii(|ne, el non un at;;t;loni(''ial de sciences disparates. Elle n'a
qu'un olijel, (|ui est la sidislance; car c'est dans cl par la suh-
stance (|u existent les autres catégories : (dles n'ont de n'alili'
qu'autant (|u'on les lui i'ap|)oi'te {2>.
Ci.onus PIAT.
I 1) ",'£«,, 7/ r['X-x-.y:.
r2 AiusT., Me/.. ['. lOO.'i'. 21-2:! : ît-'.v ;-'.7Tr^;iï, t;,- r, >\iMZi\ -.'<, ov v.-j.': -.y.
-.','j-M i-i'y/'i'i-.-j. ■/.■j.^r i-j-.', : 2. lODIj-, :!3-:i4: lOlK)', .".-l';: /, I, '102S', 2:.-;)ll : K. i,
I0(;i", 28 et sqq; 106L\ 1 i;.
NATURALISME ET PAxNTHEISME
IDeiras l'Iteilie du. ^?CV^I'" siècle.
l/lii-ldirr ilr la pliilusupliio ilaliciiiK» an Icmps ilo la IJonais-
sanci' pivsciilc un cas l)i('ii ('m'ioiix de ce {|M"nii app(>llorait
voloiiUors ■■ alavisiiie régional ". l'cndanl. i-n cllcl, que ceux
(les hnnianislcs. Iloronlins ou Sénilious, (|U(' naljsoi-ljail pas
loiil riilicis le siuui (lu licau laiigago et des phrases harmo-
nieuses, l'aisaieul de IMalon leur oracle el relisaieul avec enchan-
leuu'ul les louchauls dév(doppeineuls du /'//rV/o// ou lesell'usious
pres(|ue lUVsUijlU'S du Hii/n/iir/ , daus le sud de l'Ilalie si' IViisail
joui' un courant d'idéi^s liieu dill'c'reul. Ici la OKu'ale et lestlié-
lique, sans èlre leriues sysl(''niali(|uenu'nl à l'écart, cessent- du
moins d'occuper le picniier |)lan où tdies sont l'emplacécs |)ar
de graves el dilliciles ju'oiilèmes de nu''laph\si(|ue et de cosmo-
logie. Si l'iui continue de se inotire à r(''Cvde de ranti(|uité
retrouvée. 1)11 ri'Uionte au-d(dà de l'Ialon jusqu'aux plus
anciennes !i\ polhèses eilfant(''es par la pens(''e hidh'uique :
l'étude pliilosoplii(|ue de la nature redevient le mot d'oi'dre de
toute nue si'-rie de |H'nseurs, on écrit comme alors Wiy ■^J7it.,;.
Itien mieux, on lenouvelle, en les ajustant tant hieu {|m' mal
aux |ii-emiéres révélations de la science nKidiiiie. ii's théories
hardies enseignées autrefois sur ce même sid de la (irande-
(irèce par les l^ythagore et les IMiilidaiis, les Xénophane et les
l'arménid(\ Le panthéisnu' éléati(|ue qui. malgré un réel l'-cial.
n'avait réussi à s'acclimater sur aucun autre |ioint du monde
iielléniqvic (I i, retrouve toutàc(Uip à deux mille ans de distance,
(1) En ciret nul liislorien de la philosophie na méronnu les dilîérences pro-
fVindes iiui siparenl ce [lantlirisnie du panthéisme stoïcien dune part, du pan-
théisme alexandrin de l'autre.
\ \ii itM.isul-: ET i'\\riii:is\ii-: iii
siii- la li'iic ({iii I':i\;mI \ il iiiiitrc. des ailluTCiils .aussi lidclcs
(Hi'inalliMiiIns. Le [ilii^ m vue de ci's d'iiiéraircs novatours,
liniiio, ((iiuiaissail-il l'aiiiu-iiidr aiilrrincnl (|uc parce (juc les
dialogues de IMaUiii iiciiis cil ap|uviiiiciil ( I | ? (l'csl |)eu vi'ai-
sciiildalilc : cl cc|iciidaiU, il n'y a pas à s'y niéproiidro, c'est iiieii
l'cspi-il cl('ali(|iic (pii, associe à des cléments cerlainciiical liclé-
i(ii;ciics, revit dans ses audacieuses spéculations.
A vrai dire, ce retour à la nature dont nous venons de i)arier
n'a lien (|ui surprenne au sein des générations contemporaines-
de laiil d'i-loMiiaiiles invenlioiis, la poudre à canon, la bous-
scde, rimiirimeric. lui plein moyen âge déjà, lîogcr lîacon
>"é|ail imposé la lâche de pénétrer dans les secrets de la nature :
||. premier, non cintlenl de donner l'exemple de semblaldes
reclierclies, il en a pressenti la véritable voie Ci). Au xiv" et
au xv siècles, l'adoue avail été le quartier général d'une écok>'
dissidente, adversaire du cliristianisme, soit qu'elle arborât le
drapeau du panllK'isiue. soit qu'elle parût incliner vers un ma-
térialisme à peine déguisé : école qui, dans l'étude de la logique
elle-même, si nous en croyons M. Mabillcau, n'avait jamais vu
(|u'uiie (u-éparalioii à l'élude de la nature, et pour ((ui la philo-
sophie tout court, celle qui n'ap|)clle ui délinilioii ni épilhèle
explicative, c'est toujours la philosophie nalundle. Si l'on se^
souvient en oulre ((n'en l.'ioO Copernic a parlé, Léonard de
Vinci (:{) répandu ses théories, et que (ialilée va naître. —
(ialilée de qui est cette phrase célèbre : " Le vrai livre de la
philosophie esl le livre de la nature toujours ouvert sous nos
yeux ... — l'apparilioii tie ce (|u'on iKunme le " naturalisme .^
dans rilalie du xvi' siècle est aisément compréhensible.
(1; Le ii.im et le rôle des pliilosoplies d'Élée rtaient .-epeudînit. c.iinus au mc.yeit
âge. tciiioin ces vers de OaïUe à propos des redoulahles érueils aii.\|iiels se heur-
tent des penseurs Irop prouipts .'i alliriiier :
K cii ciô sono al iiunulo apertc prove
l'.TiiiKjnide. Mclisso. Brisso, c molli
l.i iiuali ;iiiila\uun, e ii.Mi saix-Mii dovc.
{P,i,;iftis. xni, li..)
(21 Les auteurs de Vllis/oire liltéraire île lit Fniiice disent .i propos d'un écrit
pulilir vers KlOO : « A cette époque la science du réel a pris le dessus. La curio-
sité des penseurs s'exerce à peu prés dans le même champ que la nôtre. •>
Cil C'est ce <;énie universel qui a dit : « L'expérience esl la seule interprète-
.■i,.liirisée de la nature. »
'il 2 c. miï
Ainsi ces mrnirs scieacf'> |)li\ >i(|uc>. doiil I alli'iilinii ^('lu'-
mlo s'était si longtemps détournéo, tjiu' des os|iril-- [névoniis
roléguaicnt liois do la sphère de la cerlilnde, et (iuiil la vraie
méthode restait à découvrir, sont hien près mainlenanl d'être
proclamées seules exactes, seules piisilivi'>. smles IV'condes.
(Juand on jetle les yeux sur Innivcr-. on rêve d'une connais-
sance plus concrète, plus vivante, moins purement inteliec-
luelle, en contact plus étroit avec les réalités qu'elle a la mis-
sion et l'amltilion d'expliquer. Sans doute ces « naturistes (1) «
•([ni attendent de la nature mieux connue à la t'ois les secrets de
la. science et les rendes de la vii^ n'ont encore (|u'une conception
assez vague du Init à iillcindn' et surlonl dr l,i i-outc à suivre :
et au doulde point de vue de la richesse des idées et de la soli-
dité des doctrines ils i-eslcnl hien au-ilessous des grandes
iigures de l'anticjuité comme des céièlu-es scolasli(|nes du
xiii"' siècle : de j)lns, tandis que les uns aspirent à demeurer en
parfait accord avec l'enseignement chrétien, les autres se mettent
en révolte ouverte contre ce même enseignement. I.'adiniralicui
<les mei\('il!r> dr la nature, l'optimisme esthétique sous lequel
on envisage les grandes lois de l'univers, trouvent dans le pan-
théisme, sinon leur ahoutissemeni logique, du moins leur
ox|)i'essi(Mi la plus séductrice.
(les écarts de pensée, pour être regiettaldes, étonnent moins
un xvi" siècle, ■• ce printemps de la nenaissance, oi'i la sève di'
ht nature, longtemps comprimée, monte et hout ajirès le long
hiver du moyen âge », comme s'exprinu' un critique conlem-
|iiM-ain 2 . l ne curiosité infinies et sans frein, voilà ce qui
<lomine chez des esprits ardents que le mystère attire et que
séduit le merv<'illeux : tonrmenti's du désir de posséder la vérité
et de la posséder tout entière, ils s'élancent dans toutes les
ilireetions sans respecter aucune barrière. I*]n politique comme
on physique, en morale comme en cosmologie, on sahandonne
aux c<Micepti<ins les plus hizarres, parfois les plus illogiques :
I Ou un liie p.irdcinne il'user aprùs d'autres de ce néologisme, indispeDsahle poiir
«lésigner, sans recourir ;iu mot Tniliirdlisle, ceux que les (irecs nouunalent O'
2) Les écrits de Itah.lais nous donnent une idée assez juste de cette leruient*-
tion intellectuelle, tumultueuse, où liouillonnent euseuilile dans un uiéuie creu-
-set le grotesi|ue et le sérieux, la vérité et la ficti m.
yAi't II \i.isMi: i:r /ma//;;-, /su/-: ii:?-.
('■|iiH|iii' .1 lin --iiiiilc iinr iniai;in;il idii j)iii>saMlr, mai> ('llri''ii(''('.
iiiipal ii'iilc lin [n'i'-^riil, rn nAnllr ninli'r Ir passi'', cl sV'i;ai-anl à
la |iiiiirsiiili' il lin avi'iiir iiicnniiii 1). " ( (ii n''\ c d'iiiU' l'ôroniU'
radicale, saii-- i|n un riMioissc à en |in'cisei' liibicl. moins encore
à en iuriiiiiler le |H'ni;ranime : un ili''\olo|)pc an liasanl île--
syslènics (|ii'iiii ne ses! pas iIoiiih' la |ieine de ilr^linii' ci d Tda-
lun'er.
lie (|ne dcvieni an inilicii de celle anilaliiui nn peu di''siir-
dniiin'e l'appid an priiu-jpe d'anlorili''. (diacim le de\ine sans
ellorl. i.icn peu conlinncnl à s'incliner devant le prestige sécn-
laiie d Arisjule : mais l'iatoii, I idole élevi''(^ d'hier, n'est pas
IrailT' a\ec lieanciinp |dns de. respect : on laisse à l'iciii el à ses
amis leiiis ililli\ lainhes entlnnisiastes (2). In r-rmlii allemand.
M. \nn SIein. ainjntd nons sommes redovaldes de conirilm-
liuns >i imporlantes à riiisloiro du plalonisme. l'clève sans
diiiile ciimme aniani de Irails plalonicii^ns chez les iinlividiia-
lilés les pins saillantes de cetti' |n''rioile nne pliilosuphic lnnle
pén(''(rr'e de poésie, nn idi'-alisme résolu que rien n'arrête, la suil'
de l'idernel. et ccpendani la conscience d'une étroite et impor-
Inne dépendance à l'égard du niundc des sens. I']l dans cctle
llièse il y a certainement antie cliosc (|n'nn spirituel paradoxe
d'avocat. Mais, à tout prendi'e. I(^s survivances de raristot('disme
ne sniil p;is ninins IVappanies. |iisi|iie che/ ceux-Là même (|ni
l'niil sonner le jiliis liant leur atlVancliisseniiMit ])rélcndii : les
paiics (|ui suixciil en t'Diirnironl la preuve l'-'n.
iH V CusTN. — ^ " i:'c>!t vers le (ioiiin de l.i sCH'.i?lii|ne que les si-ieni'Os cxpé-
riiiientiles ont pris leur gran>l essor et ont commencé cette mirche vers le pro-
t;rr3 à pas j;|n;intesr|;ies. cette sorte de connaiss;ince dél lillée de l'univers, course
si riipide r|u'aucurie pliilosophie n'aur.iit peut-rtre jm la suivre sans être elle-
même éblouie el connue bouleversée. » iVl)bé de UroomeK
(2) La même altitude indifférente ou indépendante .comme on voudra, se retrouve
chez l'auteur de ÏAiitiharhanis philo.iop/iiciis. l'humaniste Nizzoli (14!)8 156G).
(^il Qu'on me permette de transcrire ici une page d'E. .Saisset d.ins la lleriic dex
Di'u.i-Mondi's: malgré les réserves qu'elle exige, elle me parait utile à être prise
en considi'ration : » Quiconque dépouillera les conceplions de ces ardents gi'nies
(/c.s l'hilosoplips itiilipiix lia XVI' si'ecli') de certaines formes bizarres qui leur pré-
lent une appfirente originalité, s'assurera qu'il n'en est pas un seul qui n'ait s:i
source prochaine ou éloignée dans les deux gramles écoles de la (irècc. celle d'Aris-
tote et celle de Platon. Un a beau s'exalter à l^'lorence et à Itome : on a beau
rafliner à liologne et à Padoue : on a beau courir le monde et les universités,
faire retentir llenéve, Paris. Oxford. Wilteinherg de ses protestations contre la
routine et ranliquité : l'ette antiquité sainte dont on dissipe le prestige, c'est par
une autre antiquité qu'un la veut remplacer. I.e [)lntonisme et r.ir:stotélisnie, telles
uv c. m iT
INirnii lc> iiliilosoiiho ]iliis "u iiinins cnnini- i|ui >c r.illailii'n!
au mouvement diiU'-os que udus avons à examiner, quatre nouis
nous ont paru parliculièremenl fliiïnes de relenir ralleiition :
Télésio, Hrunu. (lampauella el \anini.
TKI.KSKt
Né à Cosi'ii/a eu l'iOS, rinnl en l.'iSS, Télésin. cunipaiv à
<cii\ (le ses eonleniporaiiis cl cniupali'ioles donl iiinis parlL-i'ons
plus loin, mérile (iiinii lui applicfùe le mol d"Arislote sur
Auaxag;ore rapprorlii' do philosophes ioniens ses devaneirr^ :
snliriiis inlfr i-hrins. A la modôraliou de sa pensée répondil le
eahne de sa vie. Suivanl rexem|)le donné pai' lanl (i'aulre>
Italiens célèl)res de la Heiiaissaiice. non couIimiI de se consacrer
Ini-nn'Mue hml eiilier à ré'inde de la naliire. il < ré'a à Xa|des,
îi rimilalioii de IWcadémie |)lalonicienne. une Anulfiii'ui Tclr-
siana \w\\r encouraj;er et per|)élner ce genre de recherches, i|iii
avait à ses veux un tout antre iiitc'rèt que la théodicée on la
psvchologie. Il sv sentait d'autant plus attiré que sur ce t(>rrain
tout lui >enildait encon' à l'aire : ius(ine-là en cil'et le raison-
ueniciit el la dé'ilncliou av;iieul en h'ur trop lar;;e pari dans la
construction cl rc\|dicalion dn nmudc. cl le lilii' même de
son leuvre ca|)ilalc I nous inouire (|U il s était l'cndn compte
de Terreur |)i'oron(le oi'i é'taicnl lonihés pres(|ue sans exception
les savaul- du moyen âge. Alai- (|ui le> a\ail engagés dans
cette méthode li'ompense ? Les ;inciens é\idenun(Mil en prét'c'--
ranl deviner |)ar voie d'imagination et de conjecture ce (|ue seule
sont les (len\ seules macliines de ■.Micric dont on se serve pour niincr cl .ili.itlie
1,1 scolastique. » VA si vous ileinanJez une explication, voici ce qu'on vous répond ;
<■ N'est-ce point chose lorl surprenante de voir le platonisme créer nu xvr siècle
un loyer actif d'oppositi(ui contre cette religion chrétienne d(jnt il protégea le
berceau?... Il suflirait de dire en deux mois ipie IWristote spirilualiste et (■rtlio-
doxe de la scolastique était un faux Arislote, auquel la lîenaissance vint substi-
tuer r.Vrislote véritable, et que le Platon de Marsile l'icin était aussi un Platon
corrompu : le Platon d'.Mexandrie, et non li' vrai, le divin Platon. « X vrai dire,
chez les philosophes dont nous allons nous occuper on ne découvre que de loin
on loin des emprunts directs faits aux doctrines ou aux écrits des Plotin. des
Porphyre et des Proclus. Mais le Platon authentique, il faut le reconnaître, ne leur
est guère plus l'amilier.
(Ij Ile iiiihii'a refini) jii.rln pr'ijiriti /fihiripia. Uiuuf lji'>3, el Naj'l'^s I-'iM>,
\ i ;/ ;; i/.;si;;-: irr I'Wtiii.ismi: 4)s
iiiii' (ili^cTN :iliiui |i;i|ii'iilr l'hiil rapalilc de inAi-Iit I . \nilà ce
■(|iii' Trlôsiii r(''|iiMiiv(' sans iiuMUiiiCiiicnl ['2i. cl Ir laniciix lixlô-
iiiorphismc |)(''ri|iali''lici(Mi a l'i'ncniiliM' [icti d adsrrsain's |>lii--
résoliis. ,M . lie \\iill' (H) lunis |)i'('si'nl(' le Iraih' i\r ['('Irsiii,
i'xcnipl des cliiinri'i'-' (|iii lianlcnl lc> lra\an\ de ses cuiilcniiH)-
l'aiiis. l'oiiiiiii' I ii'ini'c d'un plivsicicii l(it;i(|iii'. clicri-liaiil à
•ox|)li<|iu'r I luiivcis par le jru d Un imniliri' ir-.|ii'inl de l'orces
nalur-olli's. Mais la sdlutinii à lacincllc il s'ancMi' in' va pas sans
<|n(d(iii(' nai\('l('', (^l sa dDcli'iiic riisnii)lii^i(|ni' csl m pins ini-
parl'ailc (Minirc (pic relie dArislole, sans (Mi'e plus indépen-
danle ( i) •■, [)iiis(nie reeulanl jusqu'aux invenlions i;rossiéres de
J'arménilde (.'i) .. el appuyée sui- des supposilions loules ura-
tuiles » (dir allriliui' |(nis les phiMUiniriies de la créalinn à la
lutl<' de lieux lU'iueipes opposés, le idiaud ei le froid, causes,
le premier du n'.oincnieiil et le second du i'C|)os. Sans enirer
ici dans des délails ps\ (d:<doj;i(pn's (pii ne sci'aienl pas à leur
place, il sul'iira de ra[)])eler que la sensalion eslérigéi^ j)ar'rélésio
<'n loi cosmique universelle, d'ofi résulle nolammenl en ce
<|ui concerne l'honHue nn cmpirisnn' pi'csqiu' alisolu, corrit^'é à
la l'a(;on de ce que nous Usons dans le Tniilr de l'ànic, jiar
l'adjonction à nos t'acullés empiriques d'une /o/v^^rt siiiiri-ndi/i/d ,
soui'ceen nous de l'aiMM-ceplion de l'in visilde et de rimnia[(''ri(d,
de l'alirail du surnalurcd cl de rinlelli;;cnce des choses divines.
.Néanumins c'csl à la nalni'e. non à r(''dn(;alion on fi l'inslruc-
fl) " Ul [)r(i[)tcrca cvenisse iis PNisliiiiarc liri't, i|iii>d iiimis lorle sibi j[)si3 cun-
lisi, neqiiiiqiiam ii|uoil o|i(irtebal) res ipsas eariuiii|ue vires intiiili, eaiii rébus
iiiagiiitiidineiii, iiigeniunuiue et lacultates (|uibus douai» videntor indidere ac
V, l .11 Sun arbitratu inunduui el'fin.xere ■■. (Telesio). liacun, ;\m iiualifie notie phi-
losophe de II iiiiriiriitii hiiininiim priiiiiix » dit qu'il a tourné les aruies des l'éri-
paliHiciens contre eux-iui'uncs.
'2) .\u5si est-il appelé parfois n rrgiirL,'eur de la pliilosopbie pcripatélicienne •>.
Mais il y a là une exaiiéralion uiauifeste. car en plus d"uu passaiie il iirotesle lui-
iMi'mc de son respect et de sa vénération pour .\rislule, à lel point ipi'un de ses
Jiistoriens a pu dire de lui: n Propius ad Aristoteleui accedit quaiu putat ip-^e et
verbis uiagis rpiani re alipie indag:andi ratiune euui iuipugnat . »
(:i) Ilixioire lie tu pliitnsufilne mciliérule. p. ill.
'f a. Fbaxi-.k.
'.'ijOn lit dans le uiémoirc de liarloluiess De fieniarilinn Telesio (p. \i' : >■ P.ir-
luenidis seutenlias aliipuit quuni reruui natura' et iis quip conleuiplando inve-
iierat ipse congruere crederet, his lanquaui tundauiento uno omnium stabilissiina
<loclrinam suam de physica iu.inlHicare decrevil. » Kncore le vrai Parménide. celui
de lîruno. est-il manifeslcuieiit ailleurs.
ilC C. III IT
licm ([iir TiMi-sid. liilcli' à son princiiir tniHljiriicnl.il, Inil itiihiii-
l(^r (comme (l'aillciirs plus dim ancien l'I iliin moderne - la [irn-
londeiir du génie, la noljjesse el la suldimid' de l'espi'il.
Se demande-l-on mainlenani eimmienl le pliilosoplK» ilalien a
élé conduit ;"i SOS conchisions, on esl lenh' de répéler à la suiie
d"un crili(|ne conlem|)oiain que parli. |i(inr aiiiveià j'arnuMiide.
d'un point do vue 1(Mi[ \(iisin de c(diii di' l'inlai-([ue, Tcdésio a
dû nécessairemenl renconirer l'Ialon >ur >a iunle. Mais ou il
no l'a connu (|ue lié- iiii()aiTaileineiil. on dans le cas contraire
il s'est al)slonu iivec soin de le prendre pour ora(de . Ilans
l'uniquo passage où il fasse allusion à la IJKMnie des idées, il
en parle coiuuii' d une rrv n-i l'itl i-^^nmi nli^i iinssuiiiuint' ^ à
laquelle il ne loindn' (|iie (rnii air disirail. comme fi unedocirine
qui à ses yeux n avait éd' ressusciti'c un inslanl i|ue pour iclom-
Ijor pres(|in' aussiiiM dans l'ouldi.
lUil.NO I.
I^a vie agitée el la lin malheureuse de (iiordano liruno (ITiitS-
KiOO) sont Irop connues pour qu'il soil nécessaire de les racon-
ter en di'Iail. lîeligieiix eu n''vidle coiilre ses supi'J'ienrs. idli'é'-
lien inlidèle à sa toi. il a |iro\iHjU('' les rigueurs doiil il l'iil la
viclime : au surplus nous n a\oiis ici ni à ciiarger sa mé-
moire ni à l'aire le procès d(> -!•> adversaire- el de ses juges :
seules sa rormalioii cl se- o|Hnioii- |diilo-o|iliii|nes son! eu
cause.
I.a lecliire de- l'crils de Tidi'-io d'uni' pari, l'I de l'aiilre la
grandeur de l'immorlidle d(''cou\erle de liopcriiic l'avaieiil rem-
idi d'un vérilalile eulliousiasme |)(mr le -peclacle des lieaulés
de la lei're el du ciid : il s'exallail à la ])(ii-i''e des mille liarmo-
fli Inc OnciiiuT.ilion moins inconipU'.le devrait f.iire une place ici .ivant lîrnnc
à Cariliin lolll-l'j'iili p( à Patrizzi i lô2'J-l597i. Le premier, averroïsie inconscient,
.Trfiniie la fusion en chacun lie nous iki Uni et de l'inlini \esl aliquiil in luihis
jiripler mis), et profondémcnl pénétre de la sympatliie des choses, com-oil la nature
coiiime un organisme co:;mii|ue doué d'unité. Tout selon lui vit d'une vie unir|ue
à des degrés divers d'intensité. Ouant à l'alri/zi, dont je me suis occupé autre-
fois dans les An7iahs de p/iilosopliie clirr/ieiiiie Septembre IS'.KÎ , ses théories ont
lie nombreux points de contact avec celles de liruno. sauf iiue Patrizzi se montre
aussi respectueux du dogme chié'icn que Bruno l'csl peu.
S.\TiHMIS]li: ET l'ASrilEISME VIT
nies vi>ibli> (Hi caclires < I (iiic iTiilcrmc le vaste t'nseml)l(' de
l'univcM's.
La matière originelle, d'oi'i sont sortis également les esprits
et les corps, est uniqne : il fant la concevoir comme une force
féconde, toujours en acte. La création est ainsi dotée d'une âme {2}
qui vivilic Iniil el (|ui est à la fois cause formelle, efficiente et
linale de tout ce (jui existe. l»e son sein, comme d'une source
jamais tarie, jaillit l'innomliraide multitude des choses. Notons
à ce propos que partout, dans le nouiiire des êtres, dans
l'étendue el la durée du monde, Bruno déco\ivre et retrouve l'in-
iini dont le sentiment le pénètre jusqu'à l'enivrer. Avec quelle
séduction il célèbre ces myriades d'astres, comme il s'exprime,
ces conciles ({'('loiles, ces conclaves de soleils dont la pensée
transporte son imagination 1 L'univers est une univre d'art où
tout a été disposé et ordoniii' avec une souveraine intelligence,
et si l'on objecte au philosopbi' (jne la nature est incapable de
délibérer et de vouloir, il répond triomphalement en invoquant
d'une façon inattendue une loi psychologique d'ailleurs indis-
cutable. Chacun de nous n'est tout à fait sûr de soi en agissant
que lorsque rhai)itude a rendu la rétlexion à peu près inutile :
le musicien en pleine possession de son art n'cst-il pas d'au-
tant moins exposé à se tnunper qu'il est moins préoccupé de
son jeu .'
Ainsi aux yeux de Bruno toutes les forces qui ï^'agitent dans
le monde sont les manifestations diverses d'une même vie uni-
verselle partout présente, partout agissante, et selon ses pro-
pres paroles, o/^ni casa ha. la dicinità in se. De là, pour qui
sait la comprendre, la beauté incomparable de la nature, dont
les splendeurs racontent dans un langage magniiique la perfec-
tion de leur auteur. Pour célébrer la divinité, il est d'autant
plus légitime de faire appel à ces impressions grandioses que
'1) De ces dernières surtout, que la raison est la seule à concevoir. 'Ao;j:c>-
v:a àoavf,; oavssf,; y.sî'"iov, avait dit déjà l'obscur mais profond Heraclite,
qui. de moiiie que Bruno, se plaisait à assimiler la vie des corps à celle des
esprits.
|2) Tous les critiques insistent sur le rôle démesuré que joue dans le sj-stéme
de Bruno cette àme du monde « dont le moindre inconvénient consiste à former
une expression équivoque et une comparaison inexacte ■•. BARriioniEss, Bruno,
11. p. 391).
26
418 c. m IT
los images ot les métinilinies rmjiriinlres à la (•ivaliDU si>iU
autant de copies des vérités éternelles (1 1.
Pareillement l'àme et le corps de riiomme sont « des eflluves-
divins, fulguration éphémère de la substance cosmique ». Dès
lors où chercher Dieu, sinon précisément dans ce qui est doné
(le tous les attributs divins, dans cet être qui est à la fois, selon
la vieille formule stoïcienne, la substance et l'activité de l'uni-
vers, essence inépuisaldc de tout ce que la création c(intient et
enfante dans l'intei-minable succession des âges ? Sous les Ilots,
disons mieux, dans les tlots perpétuellement changeants et
mobiles des phénomènes, subsiste un être unique, intini, éter-
nel, immuable, toujours identique à lui-même, et ce langage,
pour être en apparence celui de Platon, n'en diffère pas moins
profondément i'2'>. Le princijie suprême dont tkuis venons de
[>arler doit donc concilier en lui-même tous les contraires {'.]) :
un seul pas, et un jias facili' à franchir, s(''parr Ihuno do Spinoza,
de Hegel et de Sciielling. .Mais le panthéisme béant dans lequel
il va se })récipitcr tète baissée l'épouvante : tournez la page oii
le monde nous est présenté comme l'un des attributs de la
divinité, une de ses manifestations essentielles, et vous verrez
reparaître subrepticement le dogme chrétien de la création. En
tout cas le |)auth(''isme au(|U(d notre philosophe |)arait se rat-
tacher est un panlhi'isme d ininuuience ( i ), si ! Un peut s'ex-
[U'imcr aiii^i. |du|(M que d'iMuanation il\ . On disait (|u à ses yeux
il) liappclons brirveiiienl à ce propos i-ominent lirunn se représenle les degrés
successifs de la connaiss.ince. Les sens, cuinparables à l'œil du prisonnier qui
n'aperioit qu'à travers une fenlc étroite les ubjels extérieurs, voient les choses
exjilicdlim : la raison couiplicalim. tel le regard à qui la lune renvoie par une-
nuit sereine l'éclat du soleil ; enfin une faculté supérieure, l'intellect, siimmatim,
c'est la vue du soleil dans sa pleine et coni|)U;te lumière. Ne retrouve-t-on pas lu
comme un éclio, conscient ou fortuit, des hautes pensées que l'iaton développe à
la fin du VI" livre de la liépnbligue?
(2) Ce n'est pas ici le lieu d'étudier ce que Bruno nomme le niiiiiminii et le
iiKi.iirnuin de l'être, ni les degrés multiples c|ui servent de transilion entre ces
deux états extrêmes.
(;i) Aussi est-il di''fmi complicalio oinnium ou coiniidentia opposi/uriim.
(4) Uieu pour Bruno est en effet nmnibus pra'senlissiinus.Ue toutes les variétés
du panthéisme c'est la plus périlleuse.
(.")) Le mot emunalio se lit dans saint Thomas, et maintes fois on a voulu en
abuser, oubliant que les expressions, efforts toujours imparfaits du langage
humain, surtout quand il s'agit des choses divines, doivent sexpli(|uer par la.
pensée et l'esprit des écrivains qui les emploient.
.v.17t/,m;.;>i;;-; ;./■ /m.\7;//:/si/;-: 41'.i
Difu sans le iiiundc nost (|irimi' alislniclimi vainc, nn (Mic
inconnaissalilc. ilf li'llc sorte (pi'il n^osc ni le srpanM- tonl à lail
(11' la nature, ni renfernirr en elli' : iniiliie au suriiliis île lui
demander une doctrine lixe : dans ses livres, selon le mot de
Saisset, il n'v a à reeneillir (|iie il(>s siuivenirs et des pressen-
ti ments.
Maintenant ces théories de liinno. iiuel(|ne jujiement d"ail-
leurs qu'il faille en porter, d'où \ iennent-elles ? Ont-elles des
antécédents dans la pliilosnpiiie antique ? (fui sans donle. el
d'incontestables. Leur auteur es| nu iionnne d'une érudiliou
immense et qui à l'iuiilatiou de la plupart des savants de sou
époque puise à pleines mains dans la religion et la mytlio-
losic, aussi bien que dans l'histoire et la science, avec la ferme
eonscienie de ictte vérité que Pascal commentera avec son élo-
quence coutumière, à savoir que le genre humain, plus âgé
qu'an temps de Socrate et de Périclès, devait être par là même
et plus rieiie et plus éelain''. Ailuiiriili'ur d'Ilerinès Trismégiste,
initié aux enseignements d'Averroès, très en honneur à Padoue,
d'Âvicéhron el de Maimouide. élèvi» et continuateur du cardinal
de Gusa en qui il salue " un pliihisophe divin il) », son esprit
mobile et rebelle à tout entrahiement méthodi(iue a traversé
successivement tous les systèmes (2'i. Il se proclame bien haut
disciple de Pvlhagore, à l'imitation duquel ildéliuitle priuiipe
j)remier des eiioses .< une monade qui engendre toute mulli-
plicité sans perdre son unité ■•. Bien ([u'il ne panloune pas à
IMaton d'avoir abandonné le point de vue il la méthode de
Pythagore, on n'a pas lieu d'èlre surpris de son attachement
au fondateur de l'Académie qu'il suit piesque constamment el
n'abandonne jamais qu'à regret. Ses procédés de comparaison
et d'abstraction {'■]) ne diffèrent pas au fond de la dialeiliciui'
platonicienne... .\ son exemple, il se place tout d'abord dans
il: Consulter le méinoire de Cleinens ; liion/iino Bruim intil S'icolas vmi Ciisa,
(Bona, [Si'ii.
■2) On distingue sans peine au moins trois phases dilTérentes dans la carrière
philosopliique de Bruno : il est d'aliord platonicien, puis panttiéiste tantôt à la
laçon de Parménide, tantôt a celle d'Heraclite, et enlin atoiuiste.
(3) " L'abstraction que Bruno recommande et pratique n'est pas l'abstraction
logique propre à la pensée discursive, tuais une sorte d'intuition idéale, comme
celle de Platon. » .P.Jaxet. /
iiO C. HUIT
le ihdikIp invisililc cl cummc dans le sein de lu divinité. Pour
lui également le soleil est l'image vivante de Dieu, et l'uni-
vers un rellel du monde suprême, du monde des idées... Dans
les deux systèmes la raison devance, domine ot règle l'expé-
rience (1 ) )'. Les principes fondamentaux de la doctrine de Bruno,
écrit à son tour E. Saisset (2), sont visibleme^nt empruntés au
|)latiinisme. en entendant par là le mysticisme confus et déréglé
des Alexandrins, et voilà l'étrange conce|)tion. qu'il veut, comme
Pléllion un siècle auparavant, substituer audacieusement à la
méla|)iiysique de l'Eglise et à l'ensemlde du dotime chrétien.
i< Lorsqu'on lit Bruno avec quelque attention, on s'aperijoit bien
vite qu'il s'était nourri et pénétre des EnnMdps autant et plus
que de certains dialogues platoniciens. A l'entendre, Plolin est
le princedu platonisme, il pr'nHipc ['-S). •< S'il blâme avec Télésio
la physique péripatéticienne, son plus grand grief contre Aris-
tote métaphysicien, c'est le mépris que fait ce dernier des idées
de Platon et des nombres de Pylhagore sans nietlre rien de
sérieux à la place ; et, chose curieuse, on même temps il prend
la défense du Stagirite contre ceux « qui s'intitulent aristoté-
liciens et ne savent pas voir ce que le ])i''ri|)atétisme a de pro-
fond et de solide '.
CAMPANELLA
Né en l'KiS en Calabre, Campanella s'enrôla dès sa jiremière
jeunesse parmi les adhérents les plus chaleureux de Télésio,
qui l'avait séduit par son esprit d'indépendance bien plus que
par la profondeur de ses doctrines (4). Lui-même, faisant allu-
sion à son nom, voulut être <• la cloche (|ui annonce une aurore
nouvelle ». Selon une tradition longtemps accréditée, mais sans
(1) B.\RTHoi.jiEss, 1. C, pp. 313 et suiv. — Quant à la question de savoir si Platon
avait été véritablement panthéiste, comme le veulent certains critiques allemands,
elle a trop d'importance pour être tranchée ici au pied levé.
f2) Rei'ue drs Deux-Mondes. 15 juin 1841.
(31 Bartholmkss. 1. c, p. 320.
(4) Une page brillante de Cousin dans luRevne des Dpw.r-.1/o/irfes(l"décembre 1S43)
nous montre Campanella resté seul dans l'église après les obsèques de son maître,
!■ baisant furtivement ce front glacé, foyer éteini, siège vide de la pensée ».
\.\Tn;M.IS\IE ET l'AMllÉISME 421
fondcmont sôi'iciix, il ;iiir:iil IniiiK'' une cuiiiiiralinii jimir la (l(''li-
viaiico (II' sa [lalric alms aux mains de l'Iilspagnc. C^o qui osl
moins ronli'slahic. rCsl (|ur i'in(|nisiliiin li' coinlamna ; mais
sa (•a|)livit(', fdmmi' relie de ( ialili'e d'ailleurs, n'cul rien do i)ien
rij;'(uireux. Eu soninu' ce lui, ainsi (|ue le (jualiiie M. T'icavet,
un des esprits les ])lns remai'qiialdes de celle époque de transi-
tion où l'on comliat les théories du moyen âge sans apercevoir
encore claii'ement ce que seront la société et la pensée modernes.
(liiez lui di' même i|ue (die/ Télésio, le ( liaud e[ le froid. él('-
menls cousiitulils, celui-là du ciel et celui-ci de la terre, jouent
un rôle prc'pondr'rant dans la conslilulion des êtres ; mais au
premier plan a]qiarail ici une •• ànu^ du numde, grande pour-
voyeuse commise par Dieu à Tordre du Cosmos (!) »; les lois
de l'astrologie nous attestent son existence, les formules de la
magie nous révèlent son pouvoir. Jaloux de comblci' l'abîme
creusé par l'opinion commune entre la matière et l'esprit (2).
Campanella nous représente tous les êtres comme doués de senti-
ment et d'amour, et il com|)are les rayons que les astres s'en-
voient nuiluelleiuenl à un langage sublime dans lequ(d ils
échangent leurs [lensées. L'analogie avec les conceptions de
Bruno est ici évidente, et ce qui achève le parallèle, c'est que
chez l'un et l'autre à ce « panpsychisme cosmique » s'associe ou
se juxtapose un atomisnu^ excluant loule sul)>lance spirilu(dle
et toute finalité.
Trois forces primitives, la puissance, la sagesse et l'amour,
deviennent sous les noms de iirrrssi/r, prorideticp, iKiriiiiiiiic,
les lois suprêmes de Friuivers. Dieu, que dans ce système on
a peine à distinguer de la nature, est à la fois l'espace infini
et les êtres qui l'occupent : les méthodes d'autorité ou de déduc-
tion sont incapables de nous le faire comprendre : il ne peut
être saisi que par intuition, à la suite d'une sorte de contact
intérieur. A la place du dogme de l'immortalité, Campa-
nella essaie de nous offrir une renaissance cosmogonique, et
on a eu raison d'écrire que l'ensemble, d'ailleurs très con-
fus, de son système présente une vaste construction panthéiste
1 1 ) iCxpressions de M. de Wllf dans son Ulsluii-f déjà citée.
(2) Ce fut déjà le rêve et l'ambition de Paracelse 1493-1^41) d'embrasser dans
une iiniifue et vaste harnionie le ciel et la terre, l'esprit et la matirre.
422 c. m rr
«iii le do^mc (•lin''lien se déhat [n'^nililcmeiiî à la surface (t).
On altribue à Canipanella un ou\ rage sous ce titre : Ih- jthi-
lusoplùd iii/lli(ig<irirn lihri Irfs : mais quel intervalle entre le
pythagorisme tel (|u'il est compris à la Renaissance, et rensei-
gnement aiitlieiitiqui' ilu sage de Samos ? Aussi favorable à
l'ialon qu'opposé à Arislote i2i, iiii/i-</iio PhitunKii, comme il
aimait à se qualiticr iui-nii'me, il n'a cependant que très médio-
crement approfondi le |ilatonisme (3), dont il n'a certainement
pas emprunté les meilleurs côtés, ainsi qu'en témoignent ses
utopies sociales qu'il nous reste à apprécier.
(Jue penser en effet de cette Cilr du soh-il li', état idéal où la
liiierté de chacun est confisqué'e pdur le ])!us i:raiid profit de
tons, ré|iuMi(jue tiH''oeraiique oii le Soleil persunuilie la
science universelle el le pnuviiir absolu? [)ans une llis/nir/- dis
docliiiirs ('•iditiiniupirs, W. Ksi)inas na pas de peine à établir
que (lampaneila reproduit en les aggravant encore les concep-
tions les plus bizarres de la l{i'-jiid)liiim- (oj tout en reconnaissant
qu'en dehors du christianisme il serait téméraire de chercher
des sociétés parfaites. La |)roprii''lé. >inou la famille (6), y est
n)Uesearles, Icml ni>v,iteur f|u"il suil lui-im-uie, juge avec sévérité l'œuvre de
Campanclla.
(2) Uont il rouibat li's doilrines dans sa l'/iiloxopliia seiisihiis ileinonslialn. —
- Canipanella traite de rauturitc d'.Vristotc dans le.s premiers cliapities de s;i
l'/iiloso/jliia realis et conclut que sur certains points il est nécessaire pour le
salut et la foi de rompre avec le philosophe grec, nue sur d'autres il e?t louable,
et sur un grand noinlire avantageux de se mettre en coniradiction avec lui. •>
(F. Boin.UEK : i>i<l. des Sciences philos'i/jliifj lies.
\3) N'y aurait-il rien à reprendre, par exemple, dans le.-s lignes qui suivent,
tirées du mémoire d'ailleurs curieux pour l'époque, De recta rnlione sludenili :
« 11 sapienle Platone si uiostra convinto rhc non vi hi certa scienza dell' arte. ma
piultosto un' opinione parziale. Scrisse in dialoghi, a fin che da noi si venisse ad
apprendere quel che s'enuncia dall' un lato e d'ail' altro, m^n che si giunga vera-
mente a sapere conie le cose sono in se. » — Lorsque Canjpanella écrit : " L uni-
vers est un animal grand et parfait ». ou à propos des êtres sensibles : « Com-
positio entis et non entis facit terlium quid, quod non est ens puruni, nec non
ens ", Comment ne pas penser immédiatement aux textes presque identiques du
Tiinée et de la Hépiiblique'.'
(4) Ltrecht, 1(143.
(5) En 1352 avait paru à Venise une l'aiapfuasis .irenois in lilnos l'Ialonis île
nepublica, iarobo Mantino niedico hehr^eo interprète. — Je note ici qu'au livre 1 de
sa République 137'ii, Jean liodin avait su garder à l'égard de Platon une plus
honorable indépendance.
(6i Campanella rejette la communauté des femmes : mais il confère à l'État le
droit d'intervenir dans la préparation et la ratification des mariages. Autre théo-
rie chère à Platon, comme on le sait.
.Y.t77 ;;.\/./si//,- /■;/• /m \ /•;;/•;;> i;;,' .12;)
riLCoiirciiscnicnl id'Dsrrilc. I'(''niilil(' iiiii\ crsclli' rritiôc en priii-
cipc. le li'iiMiil iiU|His('' iiiilislincicmcnl à Idiis les ciluvcii^.
lo< actes (jimlitlicns do lu vie Sdiuiiis ù uni' r(''j;l('m('nlalion
niimiliciisc I 1 i (jiii' (Imiiii'iit copier les Saiut-Simonieiis an
xix' siècle. Comme IMaloii, comme les stoïciens, Campanella
(Milond organiser la société sur le modèle de i'iiiii\ers ; dans les
trois ministres (jui servent d'assistants au chef suprême, je
retrouve les trois forces (jiii président à la conservation et au
(lé\ eloppeiuent du monde. \A de inèuie(|Ue l'auteur de la lirij/t-
/i/ii/itr s'est corrigé dans les Loi\\ de même le philosophe ita-
lien l'ait un |)as ilécisif en arrière dans son livre intitulé La
M(iii((i( liif ('••iKKjiiuIr, 011, sans plus songer à ses revendications
patrioli(|ues, il rêve pour Philippe II, dans l'intérêt su]iérienr de
la chri'tienlé, une V(''ritalde domination universelle.
VANIXI
l'épicurien ell'ronté en morale, adversaire ri'>olu de l'immoi'-
lalité de l'âme, mettant au compte de l'imposture toute insti-
iution religieuse, bien plus, al'lirmant sans hésitation l'éternité
du monde, et réduisant Dieu, qu'il dépouille de toute liberté,
à n'être que la sul)slance universelle de tout ce (|ue renl'ermi'
l'univers '2i, Vanini, dont il nous reste à |)arler,('.\pia à
'.V-\ ans, en 1 (> I i), par une condamnation capitale le scandale public
de tant d'erreurs {'■{■<. Dans un premier livre, VAmphithi'alruin
.v/rni,!' Provideiiliie (Kilo), donnant le change sur ses vérita-
bles convictions, il avait paru se poser en défenseur du dogme
spiritualiste et chrétien; plus tard, imprudence ou audace, il
(l> Ainsi 1,1 forme des vr-teiiienls est invariable, mais ils sont d'un tissu plus ou
moins précieux ou d'une couleur plus ou moins éclatante, selon la condition et
les services de celui qui les porte. Qui ne songe ici à la fameuse république de
Salente ?
(2) Dieu, écrit Vanini, n'est pas l'ctre : il n'est ni bon, ni sage, ni tout-puis-
sant : il est l'essence, la bonté, la safïesse, la toute-puissance. C'est donc un pur
concept sans .personnalité.
(3) « Les grands désordres font les grands sceptiques «, dit M. Rousselnt, le
traducteur de Vanini : or, quelle époque plus troublée, quelle société plus cor-
rompue que celle où la destinée le lit naitre!
42i C. HUIT
se dévoila tout ciilier Juns un scL'ond (nivragc (I i, arrachanl à
Cousin lui-nirnic celte sentence : " Avec la même sincérité que
nous avons aljsons le précédent écrit, nous déclarons celui-ci
coupable : coupable envers le cliristianisme, envers Dieu,
envers la morale... Les deux ouvrages sont évidemment du
même autexu-, qui tantôt a mis un masque et tantôt paraît îï
visage découvert (2). »
A Jie considérer que les sources où il a puisé sa pbibisophic
Vanini dilTère étrangement de ses devanciers, ('/est un antipla-
tonicien déclaré, disciple ardent d'Ai-istote, interpiéli'' à la façon
(lAverroès et de l'omponace, ce qui contrilnia par la suite à le
taire passer pour un athée ou un panthéiste. 11 n'est pas d'éloge
qu'il ne décerne à son philosophe de prédilection, par lui qua-
liiié de >< grand pontife de la sagesse, dictateur suprême de la
science, oracle vénérable de la nature (3) ». Pour éclaircir les
mystères des rapports entre Dieu et le monde, il écarte aussi
résolument " les rêveries plalonicienncs (aiii/ia /ri-f ///a/oiiira
(le/iria cl iiisnmniai que les impertinences des scolastiques ».
De tous les philosophes anciens et modernes, Platon est peul-
ètre celui dont le nom revient le plus rarement dans ses Dialu-
guçs : encore est-ce le plus souvent pour être taxé d'inconsé-
quence. « .le m'étonne, écrit-il, que Platon ait dit que Dieu
avait [iroduil le monde : car loul cr (|ui est engendré est de la
même es|)èce ou de la même essence ijue l'être d'oii il pro-
vient. » Même, si nous en croyons Vanini, Platon n'aurait pas
craint d'enseigner que le monde est Dieu : confusion inévitable,
ajoute-t-il, puisque le monde est considéré par lui comme entiè-
rement parfait, et que l'entière perfection n'appartient qu'à
l'être divin. Inutile de faire remarquer grâce à quelle légèreté
et à quelles équivoques il arrive à mettre ainsi sous le patro-
nage de IMaton les plus regrettables afiirmations.
En résumé, l'école que nous venons d'examiner ne nous oll're
que des vues confuses ou erronées, aucun système arrêté,
(1) Dont le titre à lui seul : De adinivaiidis nnliirsp, reginse deœr/iie murluliiiin
arcajiis (1616), équivalait à une formelle profession d'impiété.
(2) Revue des Deux-Monde", 1" décembre 18 43, pp. (i'.lU et *09.
(3) Exercice XXX.
\ArntMisMi: et pa.stheismi: 125
aiuiuc u'iivii- ilcslinéo ù durer. Ces adversaires de la scolas-
tiqiie devaient être el furent en elTet impuissants contre elle.
Cousin, dont l'<i|jiiii(in ici ne saurail rire suspecte, dit (ju'il ne
fait aucun cas des travaux piiil<)S(i[)liiques de cette période.
Notons toutet'ois que l'alliance était renouée entre la philoso-
phie et la science et (jue la réforme, de caractère d'ailleurs plu-
tôt logique que métaphysique, dont on s'accorde à. faire hon-
neur à Bacon était commenc'e longtemps avant lui.
C. lUlT.
NOTES SUR ARISTOTE
Dans 1rs Tiijiiijiif^, VI. 2 léd. Diuot, p. 2:j(i, :j;i-3o:. Arislulc,
ôniinicraut les cas iroliscurité dans les délinilions. dit : k Ou
« hiiMi si l'on cmijlnic des niijls qui no sont pas roçiis ; commo
" liii>(|U(' l'inlnu ajipidli' l'u'il f>j.vjo7/.;o;. raraijj;ni'e T-r.i'oa/.i.;,
"■ la nioello oiTsoyr/i; ; car Imil ce ijni n'est |ias usité est
< obscur. '1
l'ourquoi ce passage n'a-t-il |ias été recueilli, sous la ruliri-
qui' PIfili) cnuiints, par les |)alienls collecteurs des l'ragmenls
de poésie jj;recqiu' ? poui'quni. au contraire, l'index de Honitz
renvoie-t-il au philosophe Platon? Je l'ignore; le contexte de
tout le (•iiapilr(> numtre hien. en tous cas. qu'Arislote ne se
hornepasà prendre comme exemples des dé-linilions proprement
dites, et l'énoncé seul des mots qu'il cite suflil à prouver qu'ils
n'appartiennent pas au lexique platonicien, mais qu'ils ont été
ou liien inventés par qu(dque poète ampoulé, ou bien dits
par quelque comique, |)récisi'nient pour niiller cette façon de
parler.
I, inadvertance de lionilz peut loutetois ju-oveuii' de celle cir-
fonstauce que, précisément au chapiti'c suivant et de plus dans
deux autres passages des Tujjiijiirs, le nom de IMaton ligure
encore à propos de définitions, tandis qu'aucun nom dilTérenl
n'y est cité (sauf une fois Heraclite, VllI, ï. p. 2()S. \2, Didoti.
Mais, par là même, cette circonstance, tout à l'ait contraire
aux habitudes d'Aristote, doit rendre suspects ces trois passages.
Dans le reste di' ÏOri/aïuun, il y a trois citations d'ouvrages
de Platon : o h -(^ Miw,: '/A-fo; [Anal, prior., Il, 23, 67, a. 21) ;■
TÔ iv -rio Mivov! i.r.ù'j-t^'x'X {AlXll . pusl., 1, 1 , 71, a. 29 i ; K V.%ù.:/J:t^; h t(u
lov,-:? i.v^/yA. hlti-iiih., \'l. ITij; mais le nom Je l'aiilcur iffs!
pas prononcé, (lommciil. dans un ouvraj''o composé pendant la
mèini- période ci traitanl de la même matière, Aristote se
serait-il di'paili di'ccl l'irenienl .' Examinons la question de plu>
pré-. :
1" 'l'ititiijiii's, IV. l. 2l)!>, li. L)n>oT. — Aristoto erilique les
délinitions dont l'étendue est plus large que celle du délini.
Entre plusieurs exemples, il cite : >( ou liien ainsi (jue le délinit
Platon iw; iD.iTwv ôpî^ETïO, la oopi comme la mutation suivant le
lieu. » D'après lui, il y a des changements de lien, comme la
marclie ''A?.:-::, . qui ne sont pas des transferls oosi .
La mention i\r l'iaton, ipii vise un passag(> de Thi-i'-t!ti'
(ISI d), peut être supprimée sans nuire au contexte; ce peut
donc être une interpolation, provenant dune note inscrite en
marge par quelque disciple sur les manuscrits nuMnes d'Aris-
tote, plus ou moins longtemps après sa mort. 11 y a une raison
de penser que la mention n"est pas d'Aristote lui-même ; c'est
qu'en fait il adopte iPhi/s., V, :i2() Ai précisément la nomen-
claturi' de IMalon, sauf à remarquer que la désignation de -^'rA
pour la mutation de lieu en général est une convention nou-
v(dle vM.i'-JiM . et (ju'elle n'est pas alisolunn-nt d'accord avec les
lialntndes du langage. Mais l'iaton n'avait également posé le
terme de o'j-A que conventionnellemenl : !<■ passage des Tiijii-
i/nes ne peut donc, en tout cas, être regardé eonune une critique
réelleun-nt adressée au Maître
■2" Tt)/j/(/ii/-s, VI, :t, 2:^1. -2'-\, UmOT. — ■ l'.n général, est sui)er-
.. Ihi dans nue délinition ce (jui peut être supjirimé, sans que
" 1(^ délini cesse d'èln' elaiienuMit désigné. Telle est la délini-
« tion de l'àme : un nombn^ qui se mue (I) lui-même car ce
" qui se mue soi-même, est l'àme, ainsi que Platon l'a défini,
<■ y.'xOi-zr. uH-m-, ï^y.i-.-i: . Ou l)ien ce qui reste dit est bien propre
(1) ne ini-uie c|ue plus haut jai ti-aduil y.'vr.T'.; par imil/i/ion. je me permets de
rajeunir un vieux mot de la morne racine nnoritalio] pour traduire /.■mi'.-i. Dire
moiiremenl. mouvoir, c'est trop restreindre et dénaturer le sens des ternies
j;recs. Quant aux expressions c/inur/emenl. c/iaiii/er. leur signification primitive
implique une substitution : je les juge donc moins fidiMes que celles que .l'ai
adoptées.
428 I'all TANM: KY
« au drfini, mais non spécilic pas l essence, comme ici si Ion
" supprime ///; iimulirr. >>
I^cs crochets indiquent la plirasc qui serait à supprini(>r tcnit
entière, si la suspiciiju qu'excite la mentiim de l'Ialon [l'Ii'dre,
711 C) est légitime ; en ell'el cette délinilicm |)lalonicieiine est
trop (Ml désaccord avec les doctrines d'Aristote pour qu'on doive
adnn^tlre qu'il l'ait posée, même incidemment, en termes qui
auraient pu supposer qu'il l'acceptait. Il est clair qu'il n'avait
iiesoin de rien dire de plus, après avoir cité la définition com-
plète. .Mais ici la corruption semble plus pr(d'onde et l'inter-
polation est peut-être plus grave ; car dans tnut cet eiulroit
du (iuipitre, la suite des idées n'est pas claire et paraît
même quelcpie jumi (-(intradictoii'e. Tnutet'ois, je ci'ois inutile
d'insister.
M" Topitjiifs, VI, 1(1, 2i!l, 12, Diuor. — « Il y a à examiner si
<< la définition convient îi l'idée du déliui. Parfois cela n'arrive
'< pas, comme quand l'Iaton définit en introduisant le mot
■■ inurlrl dans les définitions des êtres vivants (oîov oi; MXi-c.jv
" h'J^^t'.'j.: ~.'i 'ivT.Tov t.z,'it1~-.m'j èv -o'iî -ôjv Ujwi 'Js'.ïuo^^i. (jar I ulee n est
" pas mortelle, par exemple V/iomnir r/i soi : si bien que la
i< définition ne s'applique |)as à l'idée. En général, si l'on intro-
'« duit dans la définition l'indication d'une action (7:o!t,-::/.ov) ciu
.' d'une passion, il y aura nécessairement discordance avec
1' l'idée ; car les idées paraissent impassibles et immuables à
■ ceux (|ui disent (juil y a des idées. On peut donc se servir
" <'ontre eux de misonnements de ce genre. »
Ici nous tombons en pleine sopliisti(|ue d'école. La mention
de Platon vise certainement un texte écrit iipiCtzoi' : . Mais on peut
bé'siter entre le Soji/iis/f, 246 e ,'/.f;vr.iiyi ?•;, iivr-Ji-i ^(ùov z'.' o'j.t.'i d-i%:
-:, et le Tiiiire, 77-78, où Platon, après avoir en général défini
le Imvi comme ce qui participe de la vie, et après avoir parlé de
l'origine des dieux immortels, leur fait former les êtres vivants
et mortels. J'ai bien peine à croire qu'.\ristole ait directement
pris à pai'tie Platon pour de tels passages de ses écrits; car il
s'occupe évidemineut, dans ses Tojiuiitrs, de fournir des armes
|ioiu" des disputes verbales, non pas de constituer une méthode
critique applicable à la lecture des auteurs. Son te.xte actuel a
ynlKS sir, MllSToTE iiO
d'ailleurs une lniirmire siiii:,ulii'iL' ; il [)t)uvuil |iiiinilivciiii'nt
En iM'sunié, les Irdis ciliilinus (k" l'ialon dans les Toj)ii/iirs
domt'in'cnt suspcclt's. Oiioiijuc les motifs do suspicion ne
soient certainement pas absolument décisifs, ils sont assez forts
pour que l'on ne puisse faire élat de ces citations, par exem-
ple pour y relever des attaques ap|)arentes. et tout à fa il
injustiliées, contre Platon.
Mais bien d'autres exemples pouiraicnt être choisis pour
montrer combien le texte traditionnel d'Aristote est peu sûr
quand on veut en tirer des déductions précises et rigoureuses.
Bien entendu ce texte n'est pas à changer; mais la critique
purenuMil pliijnlogique, qui ne peut y apporter désormais que
de minimes corrections, est hors d'état de faire remonter la tradi-
tion au-delà d'Andronicus, et dès lors le texte avait certainement
subi, avec de nombreux remaniements dus à l'auteur lui-même,
des interpolations non moins fréquentes, remontant presque
jusqu'à lui, et qu'on distingue liieu diflicilement de ces rema-
niements. 11 faudrait donc, p(iiii' la ((inimodité de l'iUade
d'Aristote, une édition indiquant, pai- des dispositions typogra-
phiques, les passages suspects à divers titres. Cette tâche ne
tentera-t-elle pas bienlùt quelque travailleur, alors que l'utilité
en est reconnue par quiconque a droit de se prononcer à ce
sujet?
Quelque temps après la découverte de IWOï.votnov -'v/-::^, j'eus
l'occasion, alors que je ne l'avais pas encore lue, de demander
à l'illustre Hermann Diels ce qu'il pensait de son authenticité,
déjà attaquée : " C'est-à-dire ■•, me répondit-il, « que c'est le
<< seul ouvrage authentique d'Aristote que nous possédions «.
Pail TANNERY.
LA NOTION DE MIXTE
rssAi HisToiiinn-: et ciutiqh-:
SKCO.MU-: l'AliTIl-:
De la révolution chimique jusqu'à nos jours Snile .
VII. i,i:s isiiMi;iiii',s 1,1 i.\ SI i:Ki:(ii;iii\n!:.
Laissons de cnir iclli' jinrli'c praliqnc de la f'nrimile di-vo-
loppr-c ; aussi liion, sa IV-cinidiU'- se manifeslo avoc un si vif
(H-lal ([u'il serait piiôril de s'atlardfr à la prouver. 11 est une
autre conséciuenro, théorique relle-ei.à la(|iielle eondiiit la nou-
velle uolaliou, et e'est sur celle eons(''«|m'iiei" ([ui' nous voiuirions
nuiinlenaul insister.
l)eux nii-ps jieiivenl avoir la nièiue lornnile i)rnle rt des l'or-
niulcs dr'\ciopp(''('s dillei'eiites. (le seront alors deux corps dis-
liiicls. Iiien que de même conipositioii : pour li's idjlenir, il
faudra ell'ectuer des réactions diltercnte.-, produire des suhsti-
tulious dillérentes ; de tels corps sont isoinirrs l'un de
l'autre.
L'isoiuéi-ie entre deux corps peut, dle-nicnie, être de deux
espèces dillérentes.
Prenons les deux corps dont les fornuiles développées sont :
Il I! H H
Il II
11— c— c— 1:=;» , i;— •;—(;— c— H.
III ' li I
Il 11 H 1! U H
l.i- priMiii<'r r>( (le \ iih/ihi/ilf jtiojininiijiif , le -ri'uiiil i'-.l
y acctonf .
Soumettiiiis \c premier à \\w action nxytlante ; l'iiydroiiènc
relié à Téquivalent de carlujiie ([ni [Hnle iléjà nn ('(|nivalent
(roxygène va (Mre remplacé par le i;ninpe (tll : nons (ililicndrons
nu corps ayant [ninr Ini^ninie dé\ i'l(i|i|i('i'
il II
i I
II— (:—(:—(:=( I :
I ! !
II 11 ()— Il
ce corps renferme le groupe OCnlJ ijni caractérise les acides
organiques ; c'est un aciile. Ynclih- iiniji'Kiii'Kjw.
Sounieltiins de même lacétone à une action oxydante ; rien
de scmidal)le ne pourra se produire, car l'équivalent de car-
lione qui ('■change deux valences avec loxygène n'est directe-
ment uni à aucun équivalent d'hydrogène ; racét(3ne, soumise à
une action oxydante, se dédouide en acide acétique et acid(^
fbrmique.
Voilà une première l'orme d'isomérie ; entre les deux iso-
mères, il y a (liffrrciuc de fniulion (hin.iipic ; placés dans des
circonstances analogues, ils donnent lieu à des réactions ditle-
rentes, éprouvent des substitutiims dillérentes.
Il est un cas d'isomérie tout difl'érent : c'est celui où les deux
composés, formés des mêmes éléments, mais rangés d'une
manière différente, peuvent toujours subir des substitutions
semblables ; de telle sorte que, dans des conditions chimiques
analogues, ces deux composés donneront lieu à des réactions
analogues ; mais ces réactions analogues ne fourniront pas
des produits identiques; elles produiront des corps qui dif-
féreront par l'ensemble de leurs propriétés physiques, qui
seront derechef Isoinîrc^ comme les corps qui ont sei'vi fi les
former.
[te cette isomérie île posilion, les dérivés de la benzine four-
nissent, comme l'a montré .M. Kékul(\ des exemples saisis-
sants.
l^a benzine, dont la formule brute est d'il', est formée de six
équivalents de carbone qiiadrivalenl unis à six équivalents
i32
P. DLHEM
(l'Iiydrogène monovalent: on lui (Jonne pour l'ormulo déve-
loppée :
H
r
•\
C.
ff
H
A deux équivalenls d'iiydroiiène substituons, par exemple,
tleux équivaloTils de ehlore. Selon la manière iloul la suhsti-
lution s'est efl'eetuée, nous pouvons être eondiiits à altril)uer
au produit ulileiui l'une ou l'autre des trois i'nrniules :
Ces trois formules représentent trois (I'k lilufiilirnzini's dill'é-
rentes, que les chimistes distinguent par les prélixes ortlio,para
et mrta ; ces trois dichlorobenzines dilTèrent entre elles par leurs
diverses propriétés physiques : densités, points de fusion, point
d'ébuUition, etc. ; mais leurs propriétés chimiques sont sem-
blables ; placées dans des. conditions analogues, elles subissent
des réactions analogues ; par exemple, on peut, en chacune
d'elles, substituer aux deux équivalents de chlore deux groupes
OH et obtenir trois dip/irno/s isomères entre eux ; on peut
substituer aux deux équivalenls de chlore deux groupes AzO-
ei obtenir trois dinilrufip/izinrs isomères entre elles. Toutes les
fois qu'à deux équivalents d'hydrogène de la benzine on sub-
slihic (l(Mi\ l'IiMiicnls nii (Iciix i;i'(Hip('s (rrlc'iiKMils idoiiliqurs
ciilri' ('M\. \r |irii(luil (le «cHc siilislilulii)n ddiililo so présonle
sdiis lr(ii> Inniics isoni(M"i(|iics, Ir- rnrnics milm, jiara cl iiirla,
olVnmt ainsi un dos rx('ni|)li's les plus saisissanls cl les mieux
('■ludiés di' l'isoniérie de |)osi(i(in.
D'après les principes que nous venons d(> poser, énnnu'rer
tous les isomères possibles d'un corps dont la t'orniule brûle est
donnée, c'est énumcrer et présenter toutes les ii^urations dis-
lincles (]ne l'iui peut former avec un nombi'c déterminé d'équi-
valciils (le divers cor[is simples, cliaçiiu de ces corps ayant une
valence connue. Celle (|iieslioii est alors un simple problème
de mathémaliqiies el, proprenu^nt, de cette partie des matli(''-
inaliques (|(ic Leibniz a uomnK'c ii/ia/f/><is si/i'is. Les succès d(>
cette métbode sont un des plus grands lriomi)bes de la nota-
tion chimique l'ondée sur la notion de valence ; par-dessus tout,
ils ont conlriiiué à renverser les préventions auxquelles cette
notation s'était loni^temps heurtée.
Malgré sa t'écondité, chaque jour plus étonnanle, la nota-
lion des valences rencontrait une catégorie spéciale d'isoméries
(|u'elle d(Mneurait impuissanle à figurer.
Prenons un lartrate, le tartrate de sodium |)ar exemple ; ce
corps présente deux variétés ; identiques en la plupart de leurs
propriétés physiques et chimiques, ces deux variétés s'opposent
netlemeiil l'une à l'antre par im certain caractère optique : si
l'un place sur le trajet d'un rayon de lumière polarisée une
cuve conlenanl une diss(dulion <le la première vai-iété, le plan
de pdlarisalidH du ravon loiu'ue, autour de ce i-ayon, et df
ijaiii hr à ilrnïlc, d'un certain angle ; si l'on inlerc(qile le même
rayoTi par la même cuve, contenant une solution égalcnu'iil
(•(mcenln'e de la seconde variété, le plan de |)oiarisation tourne
encore aubuir du rayon, du même angle, mais dr droite <)
(lUitclir ; les dissolutions des deux variétés de larlrale de sodium
(mt des pouvoirs rotatoires égaux, mais de sens conli'aire :
la pi'cmière variété est le larlrah' dr.ii rot/ ///■/■ nu larlrale
dnii/ ; la secomb' varic'b'- esl le larlrale /irroz/i/re on lai'lrale
</,iiir/ii\
. Le larti'ale d(^ sodium droil el le tartrah' de sodimn gauche
pcuvenl Inns deux èlre obtenus sous forme crislaliiiH' pai' éva-
••)7
4:i4 1>. DIIIKM
porationdc leurs (lissnlulinns r('s|)eclivcs ; les crislaux ilos deux
variélôs olVront, au pi-cuiicr almrd, la plus i^iraudo ressem-
blance ; si eependanl. comme Ta fait Pasteur, on les examine
avec soin, on ne tarde pas à reconnaître qu'un cristal de lar-
trate droit n'allecte jamais la forme d'un solide superposable à
un cristal de tartrate gauche : les facettes ijui limileni les cris-
taux de ces deux variétés sont tellement agencées, (|u'il exisli'
entre les deux sortes de ci'istanx exactenuMit les mêmes rap-
ports ([u'entre la main (Imile ri la main gauclii' : un ciislal de
tartrate gauche est ideiili(|ue à l'image d'un cristal de tarlrale
droit vu dans un miroir.
|)c ce genre d'isomiTie (|ue nons pri'x'nlc le lai'Irate de
sodium, on rencdulie. eu eliimie organi([U('. de nomhreux
exemples.
Or la seule nnlidu de \alence est impuissante à re])résenter
ce genre d'isumi ries ; ilu lailrale de sodium, |)ar exemple, tdle
ne peu! l'ciurnir deux foi-mules développées ditl'érenles ; par
quelque suhslitution (|ue l'on parvienne à ce corps, les équi-
valents de carhone, d'oxygène, d'hydrogène et de sodium se
Innixent toujours en même nomliie el iclii's entre eux de la
nu'un' manière.
.N<' pourrai(-oii suii>liluer à la nn|;ili(in riind(''e sui' la seule
iiiilinn de v,ileni-e nue niilalioii |dn- pai-faile. plu- |i('n(''li-ante,
qui, sans rien perdre des avantages de l'ancienne notation ferait
correspondre des s(di(''mas dilVéreuts à deux isomères doués de
pou\(iirs riilaliiires inverses, à ce ([ue l'on nomme frécjnemnienl
deux nitltimilc^ iijtlhjiif^ ? (l'est le proldènie qu'ahordèrent
simultanément, il y a vingt-cinq ans, .M. I.e \\v\ à Paris el
M. .1. il. Vaut lloli à \mslerdam.
Visildemenl guidi's par' les tra\aux ciislallographiques de
i'asleui-, ils ciier(dièrent à construire pour idiacun des deux
antipodes optiques des syml)oles de constitution tels que le
svmliole de l'nu lui le rellet dans un miroir du symijole de
l'autre. Pour v parvenir, ils ne devaient pins se contenter des
notions employées jusque-là dans l'établissement des formules
de constitution, oi'i la nature des divers éléments et les valences
(|n'ils échangrul entre eux étaient seules jirises en considéra-
linn : laites, en l'Il'el. rélli'ciiir dans un niii'oir une des anciennes
I
l..\ .MiJInS m: \ll.\ïl. iV,
furmiilcs (le ((institntiun : l'imaiic cl rolijcl pivscnloronl Ir-
mrmcs ('li'-nn'nls. ('clianiiciuit entre eux les inènie> liaisons : .in
pdinl lie vue (le Vana/i/sis si/iis, la lorniule ilunnée el la lni-
nuilc rélléchie seront identiques. M. .Le Bel el M. Van't lloll
(levaient donc, de toute ntVessit(''. aux i4('Miienls de repn'senta-
tion empl<iV(''s jiisiiue-là el eni|)i'unl(''s à ïa/ia/f/sis si/ih,
adjoindre un (diMnent nouveau enipniuli'' à la gc'ométrie ; c'est
ce qu'ils lirenl.
Au lieu de repirsenter les (|ualre valences doiil un (■(juivalent
(le carbone est doué, dans la plupart de> cnniliinaisons ori;a-
niques. [)ar quatre traits issus d'un point, ils convinrent de les
repri^senter par quatre traits respectivement issus des (lualrc
sommets d'un trtraidfc.
Dès. lors, on voit sans peine que tout corps où deux au moins
des valences du carbone t(''tra('(lri(iue seront saturiH^s par des
(:'léments identiques ou des groupes d't'd(''nients identiques, sera
représenté par un schéma exactement superposable à son
image dans vin miroir : mais il n'en sera plus de m("'me si les
quatre valences du carbone télraédrique'sont saturées par quatre
éléments ou groupes d'éléments ditVérents ; dans ce cas, en dis-
posant convenablement les ligures de ces quatre éléments ou
groupes d'éléments aux quatre sommets du tétra/'dre. on obtien-
<lra deux liguics symétriques l'une de l'autre, mais non su|ier--
posables.
Supposons, par exemple, que les quatre valences d'un (''qui-
valent de carboné soient respectivement saturées par un équi-
valent de chacun de ces quatre corps monovalents : hydrogène,
lluor. chlore, brome : nous avons affaire au lluo-cbloro-bromo-
métiume ; à ce composé, l'aiicienne notation attribuait la ior-
mule développée
11
1
Fl_(:_(:i
(jui ne comporte pas d'isomère : la notation sli-n'-tK lùmiqv, au
contraire, peut représenter également ce composé par deux for-
433
i>. ijrHi-:M
mules s\ ni(''liii[ucs, mais ikui supcrinKalilcs, i\n\ soiil les sui-
VJinles :
H H
.Cl Cl
-\-Fl
(los deux rdi'miilcs siml siiscciilililcs de ropiM'sonlcr ilciix aiili-
jKiili's n|ili(iii('s ; cl, eu ellel, il existe deux lluo-ehldro-ljnimo-
iiK'l lianes, doués de ])iPUVoirs rolaloires inverses.
l/(!m])loi d'un synilude lrlra(''dii([iie |>(iur icpiM'senter le ear-
lionc (|uadrivalenl pernu'l doTie, dans eeiiains eas, de conslruii'e
pour deux corps de même composition, de même eonstilulion
i:himi(]ne, deux symboles symétri(|ues l'un de l'autre, mais non
superposaldes. Ce jirocédé l'uurnii-il nue représentation satis-
l'aisanle do ci>s pluMionicucs disonu-rie où les deux isomères,
part'ailenient senildaldes d'ailleurs, ont des pouvoirs rotaloii'es
i''t;aux, mais inverses? Hépondic al'lirmativemenl à celte f(ues-
li<iu, c'est, précisément, étaMii' les deux lois suivantes :
I" Toutes les l'ois qu'un composé cliiiHicjuc peut se pr'ésenter
sous deux foi'mes, antipodes optiques l'iuic de l'autre, la sté-
réocliimie peut lii^urer la constitution de n- coi'ps par deux
schémas symétriques, mais non su|)ei'|>osaldes ;
2" Toutes les fois que la stéréocliimie i-eprésente la consli-
liilioii d'un iiir|is par' deux schémas symétriques, mais non
supcrposables, ce corps s(> jtrésente sous deux lornies isomé-
riques, antipodes opti(|ues l'une de l'autre.
La vériticalion de la iiremièir loi ne ju'ésente ^iière de dit'ii-
cultés; on j)eut dire que celle vérilication est conleniporaine
des déluits de la stéréochimie ou, |)lus exactenuMit, ([u'cdle lui
a donné naissance. C'est pai'ce que l'iui peut faire coiTcspondre
deux schémas symétriques non supei'posahles à chacun des
couples d'antipodes optiques découverts par la chimie, que
;. 1 Vn/7nV DK MIME 4S7
M. Le licl l'I M. \aii'l llnlV (iiil |ni>i' la ^irTi'ixliiiiiic comme
llK'oric générale.
l'Iiis (liflicilc, mais aussi plus prohante pour la Ihéorio, est
la vérilicalion de la socomlc loi; el octtc vériticaliou ellc-mèmo
comprend deux parties.
En premier lieu, tout corps doué de^)ouvoir rotatoire et, par
conséquont, représenté pai- un symbole stéréochimique non
superposable à son syméli'ique, suppose Texistence d'un second
corps ayant précisément pour syniiiole ce symétrique et. |)ar
conséquent, antipode optique du premiei-. Si donc la ciiimie
nous Cournil un corps doué de pouvoir rotatoire et iaisanl
tourner le plan de polarisation de gauche à droite, comme le
(/litcosv, (|u'on nomme aussi dr.rirosf, elle doit nous fournir
l'ji'alement un corps, isomère du précédent et faisant tourner le
plan de polarisation de droite à gauclie; tout <A'./7yv>.*;^ suppose
un lii'iiiloyic ; la recherclie de Tantipode optique de toute sub-
stance douée de pouvoir lotaloire doit, tôt ou tard, alioutir :
semblable recherche avait déjà été entreprise avec succès par
Pasteur; depuis les travaux de ce grand cristallographe, elle
est parvenue à com|)léter un grand nomiire de couples d'anti-
podes optiques.
En secoml lieu, tout corps don! la formule de constitution
peut prendre, en stéréochimie, deux dispositions symétriques
et Jion superposahles, doit être doué de pouvoir rotatoire et
présenter deux isonnu-es, l'un dextrogyre et l'autre lo-vogvre.
(tr, il arrive fort souvent i|ue la réaction où naît un semblable
loi-ps ne donne nullement une substance douée; de pouvoir
rotatoire, mais une substance dénuée de ce pouvoir ou, comme
l'on dit volontiers, une substance inaclive. De semblables faits
sont, pour la théorie stéréochimique, de graves olyections qu'il
lui faut résoudre; elle y parvient avec Ijonbeur, en s'aidant
d'idées créées par Pasteur.
Il peut arriver que la substance inactive en apparence soit,
en ri'alité, un nn'dange en proportions égales des dc>u\ anti|)0(le-.
oj)tiques: en éva]iorant une solution d'une semblaltle substance,
on obtiendra souvent non pas une seule espèce de cristaux,
mais des poids égaux île deux espèces de cristaux, les cristaux
(l'une espèce é'tant symétriques des cristaux de l'autre espèce,
4:)N P. Dllll-M
mais no leur (Hanl juis superposables ; il sultira ilo trier ces
i-ristaux de manière à sépar(M- l'une de l'aulre li's deux espèces
et de les redissoudre isolément pour oblenir deux dissolutions
douées de pouvoir rotatoire et optiquement inverses l'une de-
l'aulre.
II peni airiver aussi que la sulislance inaclive idjlenue soit
une cninliinaison cliimi(jut> (|ue les deux antipodes -optiques
clierchés t'orment par leur union en (juantités égales; dans ce
cas, la solution, évaporée, ne donne |)lus deux espèces de cris-
taux ; les cristaux obtenus ont tous la nu'uie forme, et cette
l'orme est identique à son image dan-s un miroir. Pasteur avait
déj.à montré que les substances inaclives connues sous le nom
de mcfhniilt's résultaient de la combinaison d'un tartrate droit
av(>c une ('gale quantité d'un tartrate gauche: de là le nom de
ciniihindisDii nicriiiniiir donné au corp-^ in.iclil' qu'engendrent
deux anti|)odes opticpu^s en se c(unbiuant à masses égales. Dé-
doubler en leurs deux com])osants optiquement inverses les
substances inactives que la stéréochimie conduit à regarder
comme des combinaisons racémiques, tel est le but poursuivi
pai- les tenants de la nouvelle doctrine: leurs elForts vers ce
but ont été |tersévérants et conduits par des rniHliodes extrô-
nieuienl iug(''nieuses ; très souvent, le succès a couronné ces
ellorls. Par ces succi's, Ja notation slér(''ocliimi(iue a cou(|uis
le caractère de fécondité qui, seul, justifie pleinement l'emploi
d'un symbolisme scientili(|ue : non seulement elle a servi <i
i-lasser méthodiquement les vérités déjà connues, mais encore
elle a été insti'uuKMit de d(''Convertes.
\lll. i.\ iMi:niiii: MdMiijii;. — ciiriinii; m-: cirni-: i iikoiuk.
Nous venons d'exposer les piincipes fondamentaux de la
(Chimie moderne, et rien, dans cet exposé, n'a fait intervenir les
doctrines des atomistes, soit pour les conlirmer, soit pour les
(•(unbattre. Des lois d'origine expérimentale, la loi de la con-
servation de la masse, la loi. des proportions définies, la loi
des priqjortions équivalentes et des proportions multiples, ont
été mises à la base de cette science; à ces lois, se sont jointes
;,.i MtridS /»/•; \ii.\rE i3'.>
«•crliiinos nuliniis s('nilil;ililr> à celles (jiic I on Iroiivc (l,ui> les
scioncos naturelles, la noliun Aanalof/ic chlinicun-, la iioliuii de
sHbslitulion chimi(/ur: des symboles, numériques ou géomé-
tri(|ues, oui permis de traduire ees notions sous une forme
saisissabh" à limaginalion, jelanl par là sur la elassilieation
cliiuiique une admiralde elarlé ; mais rien ne nous a eonlraini
(le nous prononcer sur la nature du mixt(>, de elioisir entre les
disciple> (l"l']pieure cl les partisans d'Arislote.
Il n'en faudrait pas conelurc (|ue ceux dont les découvertes
ont créé et dévelo|)p('' la (Ihimie moderne aient été exempts de
tout souci touchant les doctrines atomistiques.
Sans doute, un certain nombre de chimistes, et non des moin-
dres, se sont prndemuH'ut tenus à l'écart de ces doctriiu's ;
Jîicliter ne leur a fait aucun em|)runt, et c'est plutôt aux ten-
dances pytliagoriciennes ([u'il l'aiulrail rapporter ses remarques
sur les valeurs numéricpies des masses équivalentes, remarques
dont l'esprit se retrouve dans certains écrits de Dumas et sur-
tout dans les travaux de Mendeleef. D'autres, parmi les créa-
teurs de la science chimique, semident éviter avec un soin
jaloux toute hypothèse sur la nature des mixtes et ne veulent
rien adnndtre qui ne soit exactement tiré de l'expérience, ^lais
beaucoup demandent aux iiypothèses épicuriennes d'interpréter
les lois déjà connues ou de conduire à la découverte de pi'in-
cipes nouveaux.
Déjà, en 17110, Higgins admettait (jue les atomes des élé-
ments qui entrent en combinaison ont des masses lixes et se
groupent en nombre déterminé pour former une molécule du
composé : à cette conception fondamentale, il mêlait, il est vrai,
plusieurs hypothèses inadmissibles, laissant ainsi à John Dalton
l'honneur de créer la théorie atomique moderne.
La théoi'ie atomi(|ue a-t-(dle servi de guide à Dalton et
l'a-t-elle conduit à la découverte de la loi des proportions mul-
tiples? Les résultats de l'expérience ont-ils, au contraire, pré-
cédé, dans l'ordre de ses recherches, l'interprétation hypothé-
tique fournie par les doctrines épicuriennes? Il est malaisé de
trancher ce dilemme (1 l. Ou'il soit d'ailleurs résolu dans un
(I) Sur l'histoire des travaux de Daltun, vciir .\d. Wrnrz, la Tliôurie iilo-
iiiique. pp. Il et siiiv.
440 V. Dr HEM
sons ou dans raulro, la pcnsrc de Dalton n'en dcniourc pas
moins parfailonicnl claire.
Los corps simples sont formés d' (liantes. Les alonics d'un
même corps simple sont tous égaux entre eux; ils ont tons
même masse. Les atomes de deux corps simples différcnls ont
des masses dinerentes, et ces masses sont entre elles comme
les équivalents de ces corps simples; ainsi, pour les divers
corps simples, les équivalents mesurent les mn^srs (tlnmtfjiifs
i-X l'on peut leur attrilnier cette dénomination.
Tout corps composé' est réductiMe en niuIrcKlm. Les molé-
cules d'un même composé sont toutes identiques entre elles ;
chacune d'elles est formée d'un <'ertain nomhre, nécessaire-
ment entier, d'atomes de chacun des corps simples qui concou-
rent à la formation du comjtosé. La formule chinii({ne d'une
comhinaison exprime simplement (]uels atomes et en ([uel
noinhre sont unis en une nndécule de la comhinaison. Ainsi,
dii-e que la formule de l'acide chlorhydrique est IICI, c'est dire
que la molécule d'acide chlorhydrique contient un atome d'hy-
<lrogène et un atome de chlore: dire que la formule de l'eau
est IL(), c'est dire que la molécule d'eau renferme deux atomes
d'hydrogène et un atome d'oxygène. La similitude de deux for-
mules nv i-eprésente |)as seulement l'analogie toute subjective
de deux composés cliimiques ; elle dénote la structure sem-
blahle de leui's molécules, source objective de l'analogie chi-
mique.
Telles sont les idées que Dalton émet et développe de 1iS(K$
à 1808, que Thomson et Wollaston font pénétrer dans le do-
maine puldic. Hieniôt, on les retrouve dans une foule d'écrits
touchant la chimie. Amedeo Avogadro en ISIIÎ. Ampère en
181 i les adoptent; aux édilices, caractéristiques de chaque
composé, que forment les atomes élémentaires de ce composé,
ils donnent le nom de molrcuirs inlrf/rdxlrs, déjà em|)loyé par
llaiiy pour désigner les solides dont le groupement constitue
un cristal ; et ils enseignent qu'à la même température et sous
la même pression, l'unité de volume de tous les gaz renferme
te même nombre de molécules intégrantes; telle est la forme
sous laquelle se trouve d'abord énoncée la loi qui joue un si
grand rôle dans la lixalion des formules chimiques.
;..! vot/my /);•; mime 'H
L\''(lilici' ([uo fornu'ul lf> aloiUL's «le divers (■or|)> ^iiii|ilr-
lorsqu'on s'unissant ils cngemlrent une niDléculi' il'un corps
composé est identique à la molécule intégrante dont la répé-
tition produit un cristal: dès lors, des édilices semblables, qui
caractérisent des composés analogues, doivent former des cris-
taux semblables. .Vinsi. aux bypothèses précédentes se relie
très naturellement la loi de l'isomorpliisme ; el c'est bien de
la sorte que Mitscberlicb comprend le grand princii)e dont il
enrichit la science chimique, témoin l'énoncé qu'il en donne :
« Le même nombre d'atomes, combinés de la même manière,
produisent la même forme cristalline ; et celte même forme
cristalline est indépendante de la nature chimique des atomes
et n'est déterminée (|iie [lar le nouilu-e el la ji(i>ilioii ndative
des atomes. "
Toutes les notions, tous les principes qui contribuent à lixer
la fonttiiU' hrutf d'un composé chimique trouvent leur inter-
prétation en la théorie atomique ; il en est de même de la
notion de valence, fondement de \a formule ilérelopp('e.
Chaque atome possède une ou plusieurs rt/o/»/f/Mv; l'atomi-
vité. c'est ce par quoi un atome peut s'attacher à un autre
atome; ou, plutôt, pour que deux atmiies s'unissent, il faut
■qu'un certain nombre d'atomicités du premier et un nombre
égal d'atomicités du second se joignent chacune à chacune.
11 est des atomes qui ne possèdent qu'une atomicité : ce sont
les atomes du chlore, du brome, de l'iode, de l'hydrogène, du
potassium, etc. ; chacun de ces atomes ne peut évidemment
s'unir qu'avec un seul atome de la même classe ; lorsqu'une
pareille union s'est effectuée par la soudure de l'atomicité
unique de l'un de ces atomes à l'atomicité unique de l'autre,
«es deux atomes ne présentent plus aucune atomicité libre :
ils sont satiirrs.
11 est des atomes qui possèdent deux atomicités : l'oxygène,
le calcium sont dans ce cas; l'atome d'oxygène pourra s'unir à
deux atomes d'hydrogène, dont chacun, par son atomicité
unique, viendra saturer une des atomicités de l'atome d'o.\y-
gène; l'atome de calcium pourra se combiner avec deux atomes
de chlore: ainsi se formeront l'eau. \r elilorure de calcium. Mais
un atimie d'oxygène se combinera avec un seul atome de cal-
442 P. DLHEM
(inni, car clmmin il'ovix, ayant deux alomicilrs à saliircr, aura
besoin |i<>iir Ini seul des deux atomicités de l'autre.
Lorsqu'un atome d'hydrogène se trouve dans un corps com-
posé, son atomicité unique sature une des atomicités du reste
du composé; le chlore qui, lui aussi, présente une seule atomi-
cité, sera également apte à saturer cette atomicité unique en
se saturant lui-même; un atome de chlore et un atonie d'hydro-
gène pourront donc, dans un même édilice nndéculaire, se
substituer l'un à l'autre.
Au contraire, pour (ju'un atome d'oxygène, qui possède deux
atomit'ités à saturer, puisse se placer dans un éditice molécu-
laire, il faudra que la partie de l'édiiice qui disparaît pour lui
faire place laisse libres deux atomicités; pour que cette intro-
duction d'un atome d'oxygène devienne possible, il ne suffirait
pas d'enlever à l'édiiice moléculaire un seul atome d'hydro-
gène ou un seul alome de ciilore; cette opération ne dégagerait
qu'une seule atomicité; il faudra enlever deux atomes d'hydro-
gène ou deux atomes de chlore; l'oxygène possède donc cette
propriété qu'un seul de ses atomes se substitue ît deux atomes
d'hydrogène ou à deux atomes de chlore.
Ces exemples suffisent à montrer comment, dans la théorie de
la constitution alnniique de la matière, on rend compte des
|>hénoinènes de sulistitulioii. Ce t\Ui' iums avons appelé imm/irr
(If rdlfiitrs d'un ('dc'Uient, c'est le nuiiibrr (l'dtoiiùiilrs que pos-
sède l'atome do ce corps élémentaire; les traits qui, dans nos
formules développées, représentaient les valences échangées,
représentent en réalité comment se saturent deux à deux les
atomicités des divers atomes groupés dans la molécule.
Tout ce que nous venons de dire est très général ; nous avons
parlé des atomicités que possède un atome sans préciser la
nature inlimi' de ces atomicités; il est, en elfet, plus aisé de
décrire comment l'I^colc atomislique fait intervenir l'atomicité
dans les phénomènes de substitution que de marquer comment
elle explique cette propriété singulière de l'atome; la plupart
des chimistes de cette Ecole évitent de se prononcer sur la
nature de ce je ne sais quoi qui soude deux atomes l'un à
l'autre et qui a peut-être le défaut de trop ressembler aux clas-
siques crochets dont Lucrèce arme ses corpuscules.
M MiTItiy ni: MIXTE ii-j
Oiiflqucs |iliysi(irii>. ic|)ciidaiil, n'oiil |)uiiil iinitr celle. |irii-
denlo réserve ,el on! leiile de dire en quoi consistait ratomicilé.
I>e P. A. Leray rej^arde les atomes comme des polyèdi-es et rato-
micilé qu'ils [)ossèdent est en relation avec les facettes qui les
terminent. Dévidupiianl les idées de lord Kelvin, .M. .I.-.I. Tliom-
son admel (jue ie^ atnmes sont des <iiuii-iii(.i-l(ji(rhill(nis, nés
au sein d'un lluide piiil'ail. Vi'lhrr ;\c^ nceuds j)ar lesquels ces
anneaux peuveul s'enlacer les uns aux autres dill'èrent selon la
lijiure, simple ou cnmpliquce,de ces anneaux ; de là les diverses
atcimicités que peuvent présenter les atomes des éléments
chimiques. Toutes ces hypothèses uni un caractère commun
et, semhle-t-il, inévitable; c'est à la forme de l'atonie qu'(dles
attribuent l'atoniiiili'.
d'est encore à la l'i)rme de l'atome que l'on allriiniera le pou-
voir rolatoire si l'on veut interpréter la stéréociiimie selon les
doctrines atomiques: on regardera l'atome de carbone comme
ayant la forme téli'a('dri(jue ou, tout au moins, comme ju'i'sen-
tant les mêmes éléments de symétrie qu'un tétraèdre.
11 semble donc que la chimie moderne possède des méthodes
sûres et fécondes qui lui permettent d'analyser la structure des
molécules chimiques, l'agencement des atomes an sein de ces
molécules et la ligure même de ces atomes, n (Test la voie
dans laquelle la (Ihimie est entrée récemment 1 1 j, et combien
ont été rapides les ])rogi-ès accomplis dans cette direction dejuiis
une vingtaine d'années! que d'obscurités dissipées dans ce pro-
blème ardu de la structure intime des molécules chimiques,
problème que (ierhardl avait déclaré inabordable I »
Triomphe prématuré I Les symboles qu'emploie la Chimie
modern(\ formule lu'ute. formule développée, formule stéréo-
chimique, sont des instruments précieux de classiiication et de
découverte tant qu'on les regarde siMilement C(mime les élé-
ments d'un langage, d'une notation, propre à traduire aux
yeux, sous une forme particulièrement saisissante et précise,
les notions de composés analogues, de corps dérivés les uns
des autres, d'antipodes optiques. Lorsqu'on veut, an contraire,
les regarder comme un reflet, comme une esquisse de la struc-
(1; Ad. WriiT/. Lu Théorie utninique. p. I8!(.
!14 P. DIHEM
turc (lo la molécule, de l'agencemenl des atomes entre eux, de
la ligure de chacun d'eux, on se iieurte liienlùt à d insoluides
contradictions.
Examinons, par exemple, les diflicultés auxquelles on se
heurte lorsqu'on cherche à substituer à la notion de valence la
notion d'atomicité envisagée comme une propriéti' intrinsèque
de l'atome, comme une conséquence de sa ligure.
Le nombre de valences que possède un élément donné dans
une combinaison donnée est im nombre bien délini : ainsi le
clilore, le brome et l'iode sont tmivalents dans les acides chloi-
bydriqiu'. bromiiydrique. iodhydriqiii' ; l'oxygène est bivalent
dans l'eau; l'azote est Irivalmt dans l'ammoniaque: le carbone
est quadrivalent dans le uitHliane. Mais il n'en faut pas con-
clure que le nombre des valences d'un élément soit un nombre
entièrement (létermin(', d'une manière absidue, abstraction
laite de la combinaison dans laquelle cet élément est engagé
el de la manière dont il s'y trouve engagé. Le nombre des
valences d'un élément peut varier selon que cet élément fait
partie d une combinaison ou d'une autre; le carbone, quadri-
valent dans le nnUliane ou le gaz carbonique, est bivalent dans
l'oxyde de carbone; l'azote, trivaleut dans lainmoniaque, est
quintivalent dans l'iodure d'ammonium. Il \ a plus; lorsque
deux é(|uivalents d'un même élément ligurent dans uni» même
i'ombinaison., ils v peuvent figurer avt>c un nombre de valences
ilillérent; dans l'azotite d'ammonium, l'équivalent d'azote qui
provient de l'ammonium est quintivalent et celui qui provient
de l'acide nitreux est trivaleut; l'éthylcarbylamine renferme
deux é(|uivaients de (-arbone quadrivalents et uti équi\alenl de
carbone qui présente seulement deux valences.
Cette variation du nombre des valences d'un élénn-nt avec la
comliinaison dans laquelle il se trouve engagé est donc un fait
indéniable. Elle n'est pas sans embarrasser quelque peu le>
chimistes qui veulent envisager la valence ou l'atomicili'
comme une propriété éléuKMitaire de l'atome.
Prenons, par exemple, l'atome d'azote; il iloil. selon les cir-
<'onstances, se montrer trivaleut ou quintivalent. Huelie que
soit donc l'interprétation que l'on voudra donner de la valence
ou atomicit('', on devi-a en tous cas adinettn' que l'azote pré-
;. 1 .V'/v;n,v /)/•: u/.vre /.w
seule Imil il'ahiirtl licis aluiiiicilés , que lions iKimniei'diis ^//o-
)iii('i/i'-s ilr iirriiiirr iirdrf, (>l qui Sont colles oi'i vieiHieiil se lixor
les trois aliimes (l'Iiyilrojiène de l'animonifique ; puis. (|u'il pré-
stMile deux aulres aliiiuiciti's, t|ue nous nomniei'dus (iluniii iliis
(II- sf'cont/ itri/rr, el (|ui soni celles où vieuiieiil se lixcr les élé-
ments de l'acide iodiiydi'i(|ue dans la CofUialiou de l'iodiiii'
d'ammonium.
I ne aloniicil('' du S(N'ond ordre de lalome d a/ole ne |)ourra
jias être due à la inèine cause, a!;;issaiil de la uiènuî manière
l't dans les mêmes |ii'o|iorlions, qu'une aloniicilé du premier
ordre. I'>ii ell'el. s'il eu (Hait ainsi, si les cinq alomicités élaienl
absolnmeiil ideiilitjucs entre elles, les raisons de symétrie ren-
draient alisurde l'existence de composés, tels que l'ammonia-
que, où trois de ces atomicités seraient satisfaites tandis (|ue
les deux autr(!s seraient lilires. Nous devons donc admet li-e
(|u'entre une atomicité de premier ordre de l'atome d'a/ole e|
une atomicité de second ordre du même atome, il (^xiste une
dilVérence esseutielh', quelles ([lu' soient d'ailleurs l'oritiine el
la nature de celte ditVérence.
(Jr, cette distinction essentielle <[U(> nous somnn^s obligés
d'établir enli'c les atomicités du premier ordre et les atomicités
<lu second ordre, dès là que nous viuilons regarder ces ato-
micités comme des pio|iri(''tés intrinsèques de l'atiune d'a/ote,
i-ette distinction est-elle admissible?
i'renons de ['('tbylamiiu' ; dans cecorps, le gimipe é'tlnle
Ç-fP est lixé h une at(unicité de premier ordr(^ de l'atome
d'azote; combinons celte suijstance avec de l'acide iodliydri(|ue,
dont les éléments iront se tixer aux atomicités de second ordre:
nous obtiendrons l'iodure d'élhylammonium.
Prenons maintenant di' rammoniatiue, dans laquelle les
trois atomicités du premier ordre de l'azote sont saturées jtar
trois atonu's d'hyilrogène ; combinons-la avec l'iodure d'élbyb^ ;
l'iode va salurer une des almnicilés de second ordi'e et l'cdliyte
se tixera à l'autre ; nous obtiiMnIi-ons ainsi un cor[>s dont la
i-omposition sera la même que celle du précédcnl.
(-es deux corps, de même composition, sont formés d'une
manière dill'érente; dans l'un, le groupe étiiyle est lixé à une
atomiciti' de premier ordre; dans l'aulre, il est lix('' à une alo-
4i<i P. 1JLHE.M
niicilé (11' seciiiid (inlre: puis tlonc que ces doux at<.miiiiU''s
d'ordre dilTérent ne peuvent être identiques, les deux composés
ne peuvent, non plus, être identiques; les deux réactions que
nous avons décrites doivent donner deux iodures d'étin laninio-
nium isomères l'un de l'aulre.
( tr, l'expérience montre (jue les produits de ces réactions
sont non pas deux isomères dilTérenls, mais un seul et même
corps.
(,es laits de ce jjenre — cl ils sont nombreux — sont diflici-
lenient ex|)licables si l'on veut jcgarder les atomes isolés
comme possédant vm nomiii'e déterminé d'atomicités, (juellc
(|ue soit d'ailleurs la propriété de ces atnmes |)ar la(|uclle on
cherche à ex|ili(|uci- 1 es alumicilé-s.
A ces ohjcclioiis. il est vrai, uiu^ réponse a l'ii' laite qu'il
iinu> l'aul dixiilcr: elle consiste à nier (|ue le nomlire des
valences d'un élément puisse varier selon le comjtosé où cet élé-
ment se trouve eiif^agé : et voici comment plusieurs chimistes
rormulenl cette négation :
l.e iiomlirc des valences d'un élément donné est rigoureuse-
ment in\arialile: l'atome d'azote, par exem|)le. possède tou-
jours ciii(| aloniicités éqiiivaleutes entre elles; l'atome de carr
Itonc en |iossède toujours (|iialn'.
Chacune de ces atomicités peut être saturée par une atomi-
cité empruntée à un autre atome; ainsi, dans l'iodure d'ammo-
nium, les cinq atomicités de l'atome d'a/ole sont saturées par
(•in(| atomicités empruntées à (|iuvtre aloriies d'hydrogène et à
un atonie d'iode; dans le gaz carhonique, les quatre atomicités
<\u carhone sont saturées par leur union avec deux alonu-s
diatoniiques dow^èue ; dans ces conditions, l'azote nous appa-
raît penlalomi(iue, le carhoiie tétraloiniqu(\
^lais une atomicité, appartenant à un atome donné, peut éga-
lement être saturée par une autre atomicité appartenant au
même atome; ces deux atomicités, se saturant l'une l'autre,
deviennent inactives dans les diverses réactions auxcjuelles
l'atome prend part, et celui-ci semble oHrir deux atomicités de
moins qu'il n'en possède en rénlit''. Ainsi, dans l'ammoniaque,
deux atomicités de l'atome d'azote se saturent l'une l'autre et
latome ne dispdse plus (|ue de trois atomicités auxquelles se
LA .\nriiiy DE \ii.\ri-: 1.47
lixciil Irnis iiloiucs d'iiv ilnior.nc : ou sorlo que, daiis rammo-
iiia(]iu'. l'aznlt' jHindl IrialiMiiiiiiic |)aii^ l'oxyilo de carboiu",
deux atoniieilés de l'aloine île carliinie s'iinisseiil l'une à l'autre,
ol l'oxyiiène ne [leul plus salurer (|iie deux alouiicilés de l'alome
de earixnie. (|ui srmlilr dialniui([ui'.
Ainsi le luifuljre de valeuces d'un élémeul, lixe eu réalité,
osl variaMe eu apparence: mais dans ses variations aj>pareules,
il augmente ou diminue toujours de deux ou d'un mulli|)le de
deux, en sorte qu'un élément donné |irésiMite nu nombre appa-
rent de valenees qui est variaijle selon le eom|iosé où cet élé-
ment se trouve euiiagé, mais qui est soit toujours pair, soit
toujours imjiair. l.'azot(^ doit, stdon ci' s\stènn', ollVir toujours
un nombre impair de valenct's : le nnnibn^ apparent de \alenees
<hi carbone doit être toujours paii'.
Après un examen superticiel du <lomaine chimique, cette
règle semble conlirmée par les faits : <i Pour les éléments, dit
Wiirtz (I), les changements dans la capacité de saturati(ui,
«'est-iVdire la progression de l'atomicité, (^t lieu le plus souvent
<rapi'ès deux modes dilVi'renls . lautril suivant la série des
nombres pairs, tantôt suivant la série des nombres impairs
Cette distinctiiHi entre les élénu'nts d'atomicité paire et les
éléments d'atomicité impairi> n'est pas sans im|)orlance, au
moins pour quelques-uns... Mais il l'aut ajouter t|ue cette r'ègle
soufTre des excei)tions. >■
nm^lques-unes de ces exceptions sont des mieux caracté-
risées.
Les travaux de Marignac ont mis en évidence risonn)rphismo
des tluoxytungslates avec les tluotungstales : or, les premiers
composés dérivent des seconds par substitution duu seul équi-
valent d'oxygène à un seul équivalent de tluor : les valences
que saturait cet équivalent île lluor avant la substitution,
doivent être saturées, après la sui^stitutimi, [lar l'équivalent
<roxygène : ((uuiuent conrilicr cette proposition incontestable
avec l'iiypotitèse pn'cédeute (|ui attribue au lluor un nomiire de
valences toujours impair et à l'oxygène un nomlu'c de valences
toujours pair?
Il .Ail. \Vi u rz. Lu Tliéorif iiioihiijiii', p. I.So.
448 l>- ItlHEM
D"accoril avoc toutes les analogiescliiiniqiios, la loi dAvojiadro
et d'Ampère exige que l'on attribue à l'oxyde azotique la formule
AzO ; un seul équivalent d'azote y est uni à un seul équivalent
d'oxygène; forcément, dans ce composé, le nomlire apparent de
valences est le même pour l'azote et l'oxygène ; or l'hypothèse
précédente exigerait que l'azote ait un nombre impair et l'oxy-
gène im nomiu'e pair de valences.
( In pourrait multiplier les exemples de composés qui écluippent
à la règle en discussion : » Le chlore (I), quadrivalent dans le
perovxde CM)-, est ([uintivalent dans l'acide chlorique Cl()-((tH).
Le manganèse, iiivab^ni dans Mnlll" et dans MnO, sexvalent
dans le manganate de potassium MnO-(OK)-, est septivalentdans
le permanganate .Mn()'(OKi. Le tungstène, quintivalent dans le
penlachlorure \V(^1', est sexvalent dans Ihexachlorure WCd".
L'uranium, iiivalent dans le bichlorure UCP. est trivalent dans
le chlorure d'uranyle lOCl, quintivalent dans le pentachlorure
ICI'. Le vanadium, trivalent dans le trichlorure Va(U', est
qiUHJi'ivalenl dans le bichlorure de vanadyle VaOCd- et quinti-
valent dans le Iriclilorure de vanadyle VaOCl'. »
La théorie selon la(|uelle ( lia(|ue atome jiossède des atomicités
en nt)mbi"e invariable, mais capables de se saturer eulrc (dli's,
est donc en désaccord flagrant avec les faits.
Ainsi, la notation <liimique moderne, fondée sur la notion de
valence, et si im|)ropi'ement nommée iiDlalion (iIdiiikhh', se
montre admiriibb' in^liaiment de classilicalion et de décimvertes
(aul (|u lin \ cherche seiileninil une rc|)r(''sen(alion liguri''<', un
^ilit'ma des idées iliverses qui ont trait à la subslilulion chi-
mique; mais lorsqu'on y cherche une image de ragencement
des atomes et de la structure (l(>s molécules, on ne rencontre
plus de toutes paiis qu'obscurité, incohérence et contradiction.
En cet immens(* édifice, qui est la (Ihimie moderne, et à la
construction duquel les hypothèses épicuriennes ont pris une
si grande i)art, ne reste-l-ii doiu- rien (|ui puisse servii' à étayer
c<'S hypothèses .' Aux doctrines afomistiques, il reste un fonde-
ment dont il ne faut ni nu'counailre l'existence, ni exagérer la
solidité, et ce fondement, c'est la loi des proportions multiples.
(1/ .\d. VVuBï/, Lu i'Iii'Oiie '_t>"nii'/i(e, p. ISS.
;, l \(n'li)\ liK MIXTE 44!»
Dans l'actHylèno, I grammo d'hydrogèno est combiné avec
12 j;ramni('s de <-arl)(>ne ; toutes les t'ois qu'un composé renfer-
mera de riiydrogène et du carI)one, les masses de ces deux
corps-qui y entreront -aeron't entre elles comme ii et m X 1^.
»i et /; étant deux nombres entiers; ou bien encore, dans tout
composé chimique qui renferme du carbone et de l'hydrogène,
la masse du premier corps est ù la masse dn second dans un
rapport qui peut s'écrÏTe 12 X "\ , ",', t'tîint un nombre commni-
siirahl.r. Tel es! l'onseignemenl de la loi des jiroportions mul-
tiples.
Au lem|)s de Dolton, on aurait, à l'énonci' préciMliMil, joinl la
condition que les deux iinmbres entiers m cl ii soient d(Hix
nombres simples; cette restriction ne serait plus de mise aujour-
d'hui OH, dans un corps tel que l'hydrure de cétyle, les chi-
mistes adribuent aux nombres m et // les valeurs ;»=!(>,
n=34.
(Juel est donc le seais exact de la vérité (|ue nous venons
d'énoncer? Est-ce une vérité qui, par induction, se tire des faits
d'expérience? 11 est aisé de démontrer qu'une telle loi n'est pas
et ne peut pas être vérihée par l'expérience ; qu'il est et qu'il
sera toujours absurde d'en demander la vérification à la mé-
thode expéri men taie .
Le propre de la méthode expérimentale, c'est d'avoir une sen-
sibilité de jour en jour plus aiguisée, mais toujours limitée ; de
fournir des renseignements alïectés d'une erreur qui va dimi-
nuanl sans cesse, mais qui n'est jamais nulle, .\ucune méthode
de mesure ne donne l'exacte valeur de la gi'andeurà mesurer,
mais seuleineni deux limites entre lesquelles cette valeur est
certainement (^om[)rise. Aucun procédé d'analyse chimique, si
subtil qu'on le suppose, ne nous peut donner l'exact rapport
entre la masse du carbone et la masse de l'hydrogène dans un
composé chimique; il nous fera seulement connaître deux
nombres A et B entre lesquels ce rapport est compris.
Or, entre deux nombres donnés A et B, si proches soient-ils,
on peut insérer une inlinité de nombres tels ([ue 12 X "' , où '_"
est un nombre coninumsunible ; on peut également insérei'
une inlinité de nombres tels que 12 X '', on ' est un nombre
incommensurable. Dans le composé considéré, le rapport de la
28
430 P. DUHEM
masse du carbone à la masse de l'hydrogène est-il de la pre-
mière forme ou de la seconde ? L'expérience ne peut trancher
le litige. La loi des proportions multiples ne \)en[ èlre ni véri-
fiée, ni contredite par la méthode expérimentale : elle échappe
aux prises de cette méthode.
Ainsi donc, que nous admettions ou que nous rejetions la loi
des proportions multiples, nous sommes également certains que
les faits ne nous prendront point en défaut. N'est-ce pas dire
que nous sommes également et entièrement libres d'affirmer
ou de nier celte loi ? Qu'il nous est. loisible, si nous y trouvons
quelque avantage au point de vue des notations cliimiques, de
la poser à litre de couvenlion arbitraire ? l'iusieui-s auteurs ne
lui attribuent pas aujourd'hui d'autre valeur.
Si la loi des proportions multiples est une convention pure-
ment arbitraire, un simple décret de notre bon plaisir, il en est
de même de toute proposition qui a en elle son foiulemenl
nécessaire, de toute notion qui n'a de sens que par elle. Or, la
rotion de type condensé, la notion île valence, parlant, l'emploi
des formules cliimiques développées, perdent toute signilication
si l'on supprime la loi des proportions multiples. Qui donc,
cependant, oserait, sain d'esprit, afiirmer que cette notation si
féconde, mère de découvertes qui ont transformé la science et
bouleversé l'industrie, n'est qu'un pur jeu d'esprit? Que nous
sommes également libres de concevoir ou de ne pas concevoir
les idées qu'elle met en (cuvre ? Que les propositions sur les-
quelles elle repose ne sont ni vraies, ni fausses, mais ai)solu-
ment conventionnelles et arbitraires ?
« La nature soutient la raison impuissante et l'empcche
d'extravaguer jusqu'à ce point. » Force nous est de reconnaître
qu'en énonçant la loi des proportions multiples, qui est, par
nature, transcendante à l'expérience, le chimiste entend énon-
cer une proposition ayant ((uelquc fondement dans la réalité ;
que la puissance et la fécondité du système chimique dont la
loi des proportions multiples est la base justifient a posferiori
ce postulat.
Peut-on pousser plus loin ? Peut-on préciser le fondement
réel, objectif, de la loi des proportions multiples ? C'est à cette
question que la théorie atomique donne une réponse saisissante
L.\ .\(iTlii.\ m: \IL\TE llil
par sa siniplicilô. Si, dans Ions les composés cliimiques (jui
riMi ferment tlii carbone et de l'Iiydrogènc, les masses de car-
bone et d'hydrogène sont entre elles comme «i X '^ ("t " (,"' '^^
Il étant den\ nombres entiers), c'est que les niasses des atomes
de carbone et d'hydrogène sont entre elles comme 12 et 1, et
que toute molécnle contenant du carbone et de l'hydrogène con-
tient forcément un nombre iMilier d'atomes de ciuicun de ces
deux corps.
Visiblement, la réponse est satisfaisante et peut passer pour
une victoire de la théorie atomique, victoire d'autant plus mar-
quée que cette interprétation de la loi des proportions multi-
ples n'a pas été imaginée après coup, qu'elle a, au contraire,
précédé la loi et présidé à sa découverte. Cette victoire est-elle
décisive? l'ourqu'il on fût ainsi, il faudrait que l'interprétation de
la loi des proportions multiples, fournie parla théorie atomique,
fût non pas seulement une interprétation plausible, séduisante,
mais encore la seule interprétation possible. Or, qui oserait se
porter à ce point garant de cette interprétation et affirmer qu'au-
cune autre explication ne saïu'ait jamais être fournie ? Il y a
plus : lorsqu'on constate avec quelle aisance, avec quelle clarté,
tous les principes de la chimie moderne viennent se ranger en un
exposé d'où le nom et l'idée d'atome sont également bannis,
quelles diflicultés, quelles contradictions surgissent aussitôt
que l'on vent interpréter ces principes selon les doctrines des
atomistes, on ne saurait se défendre de penser que l'unique
succès de la théorie atomique est une victoire apparente et sans
lendemain: que cette théorie ne nous fait point connaître le
vrai fondenu'nt objectif de la loi tb^s |iroportions multiples;
que ce fondement est encore à découvrir : enlin. iju'à tout
prendre et peser exactement, la chimie moderne ne plaide point
en faveur des doctrines épicuriennes (1).
(I, Le lecteur au courant des lois cristallograplui|ues verra sans peine que tout
ce qui est dit ici de la loi des proportions multiples et de son interprétation par
les hypothèses atomiques peut se répéter textuellement de la loi des indices
rationnels et de son interprétation soit par les molécules intégrantes d'Haûy, soit
par les réseaux de Bravais.
p. DCHEM
IX. i.A MùcAMi.ii i; iiiiMinii:: i'Ri:Mii;iu:s ti:>i ai i\ i:s.
De la (lliiiiiic iH-liicllenous n'avons encore tracé qii'iiii laMcan
incomplet, il y a quelque trente ans, une brandie nnuvelie a
surgn ; pour croître, elle a dû fain> éclater les vieux moules où.
depuis trois siècles, s'étaient coulées les doctrines chimiques,
crever l'écorce é;paisse des hypothèses atomistiques, carté-
siennes et uewtoniennes : aujourd'hui, parvenue à son cnlier
dévelop]ienien(, elle nous apparaît comme un >ui'i;eon issu de la
vieille siiuche péripatéticienne, rajeunie el vivilié-e par une sève
nouvelle : cclti' hranclic vigoureuse et toudue. c'est la Mécani-
que chimique.
L'eau est un corps dv compositit)u enlièremeut délinie : la
masse d'oxygène qu'elle contient est huit fois plus grande que
la masse d'hydrogène qu'elle renferme ; selom *a formule lirule,
•dcTix équivalents' d'hydrogène y sont unis à un équivalent
d'oxygène : selon sa l'orniule dévelnppée. chacune des deux
Aalences de l'oxygèTie bivalent y est saturée par une valence
de l'bvdrogène nnivalenl : par ces renseigneinenl>. nous voyons
nettement les substitutions qui relient l'eau aux acides, aux
hases, aux alcools ; la place de l'eau dans la ciassih(!alion chi-
mique est marquée avec une parfaite clarté ; et cependant
savons-nous, au sujet de ce cor])s, tout ci' que nous ]iouvons
légiliniement désirer de connaître ?
Dans des conditions données île lempéraluie. de pression,
nous mélangeons de l'oxygène el de l'Iiydrogène. Ces deux
corps vont-ils se combiner pour former de l'eau? S'ils se com-
binent, la combinaison sera-t-elle totale ou partielle? Si elle
n'est que partielle, quelle règle en fixera la limite? De l'eau
est placée en des circonstances déterminées. Demeurera-t-elle
inaltérée? Se résoudra-t-elle entièrement en ses éléments?
Xe subira-l-elle qu'une décomposition partielle et. dans ce cas,
jusqu'à quel point sera-t-elle dissociée? (les questions s'offrent,
inévitables et pressantes, aux méditations du chimiste; car
enfin quelle science incomplète serait la sienne si, après avoir
exactement classé les composés chimique- selon leurs analo-
;, i .\(/ï;n.v /)/: mixte 4:i:i
i;;ies, exactomoiiL mai-tjiK' les sulisliliilidiis par lesquelles ces
corps peuvent ilériver les uns des autres, il ne savait prévoir
dans quelles eireonstances une réaction déterminée se pro-
duira, dans (juelles ecuidilions un corps déterminé naîtra on se
détruira?
Or, ;\ liuitos ces ijucstions^ les doctrines chimiques que nous
avons exposées jusqu'ici ne trouvent pas un mot à répondre.
Pourquoi ce silence ? D'où vient Timpuissance que ce mu-
tisme fait éclater?
Au moment même que les hypothèses des atomistos, long-
temps dédaignées des chimistes, reprenaient faveur, s'empa-
raient des découvertes issues de la notion de substilntion chi-
mique el semhlaienl y trouver des confirmations chaque jour
plus noml)reus(^s et plus éclatantes, un homme osa signaler ces
hypothèses comme une cause de stérilité ; il osa aftirmer que
Ton ne découvrirait pas les lois qui président aux combinai-
sons et aux décompositions tant qu'on chercherait sons les
réactions chimiques des unions et des séparations d'atomes; il
osa déclarer que, pour constituer la Mécanique cliimique. il
fallait considérer la mixtion au point de vue simple, obvie,
qu'avait indiqué Aristide : on devait, disait-il. étudier les chan-
gements physiques mesurables qui accompagnent l'acte de la
mixtion: et alors, à l'aide de la thermodynamique, on parvien-
drait à lixer les conditions qui assurent la formation ou la des-
truction des diverses combinaisons.
Cet homme, dont les vues parurent singulièrement routi-
nières et rétrogrades à ceux qu'enthousiasmaient alors les doc-
trines atomistiques, mais dont il nous faut, aujourd'hui, admi-
rer et célébrer kx clairvoyance scientitique et philosiqihique, se
nommait Henri Sainte-Claire Deville.
« Toutes les fois, disait Sainte-Claire Deville i I , que l'on a
voulu imaginer, dessiner des atonies, des groupements de mo-
lécules, je ne sache pas qu'on ait réussi à faire autre chose que
la reproduction grossière d'une idée préconçue, d'une hypothèse
sfratuile. enlin de conjectures stériles. Ces représentations n'ont
(1) H. Sai.nte-Clube Deville, Lerons sur rAf/iiiilé. professées devant la Société
cliimique le 2H fi-vrier et le 6 mars 1S6". Leron.s de la Socié/é ckimique, année
1866-1867, p. :.-2.)
4j4 p. DUHEM
jamais inspiré uno expérience sérieuse ; elles sont toujours
venues non pour prouver, mais pour s(''(luire: et ces illustra-
tions qui sont aujourd'inii si fort en vogue sont, pour la jeu-
nesse de nos écoles, un danger plus sérieux qu'on ne pense.
Elles frappent les yeux et satisfont l'esprit d'une manière trom-
peuse; elles font croire à une interprétation réelle des faits et
oublier notre ignorance. Car savoir qu'on ignore est nécessaire
pour vouloir apprendre, n
nn'est-ce donc qu'expriment les foi'mules cliimiques .' Le
gTou|)ement des atomes simples, indestructiliies au sein de la
molécule du corps composé? Non point : les corps qui entrent
en combinaison cessent d'exister au sein de la combinaison ;
K on ne peut admettre 1 1 ) dans le sulfate de potasse la présence
simultanée de l'acide sulfnrique et de la potasse tels que nous
les connaissons à l'état de liberté ». La formule chimique
exprime non point ce (jui subsiste rérllenient (M actuellement
dans le composé, mais ce qui s'y trouve eu puissance, ce qu'on
en peut tirer par des réactions appropriées : <( (Juand on satui-e
uuc dissolution d'acide sulfuriquc par une dissolution de
j)otasse, en les mélangeant en proportions convenables, on se
deman(b^ ce que sont devenus les éléments après la combinaison.
Une première hypothèse, la plus ancienne, nous fait admettre
(|ue iiiciilr l'I la base subsistent dans le sel, ce (|u'expriuie la
formule ralinmielle SO'.KO du sulfate de potasse, l ne autre
hvpothèse nous ferait ci'oire que les éléments se seraient grou-
](és de manière à représenter un système SO' absolument
inconnu qui s'unirait au potassium. Aucune de ces hypothèses
n'est nécessaire... Au fond, les formules ratiounelles n'expli-
quent rien. Elles indiquent simplement la possibilité d'extraire
d'un système chimique complexe des éléments moins complexes
eux-mêmes au moyen de certains procédés indiqués par l'expé-
rience. Ainsi, en décomposant les sulfates par la chaleur, on
les sépare en acide sulfnrique et en base. En décomposant ces
mêmes sulfates par la pile, on les tratisfornie en métal qui se
reiul au pùle négatif, en acide sulfuriquc et oxygène (SO") qui se
rendent au pùle positif. »
(1) II. S.mnte-Claifie Deville, lue. cit., p. 22.
;,.i .MtTins /)/•; mixte 4:15
Mt-lons (le l'hydrogène cl du chlore: à in lumière dilTuse. le
mélange se transforme lentement en acide ciilorhydriiiue. Les
chimistes ont tenté de se représenter celle transformation par
des jeux d'atomes; pour les uns, Tatome il et l'atome Cl, lihres
tous deux, s'unissent pour former les molécules HCl ; pour
d'autres, leurs successeurs, entre les deux molécules H-H et
Cl-C.l s'opère une double substitution qui donne deux molé-
cules H-Cl. Mais pour l'observateur prudent qui repousse les
cliimères des atomistes, il y a simplement cliangenn'nl d'un
ciirps en un autre corps doué de propriétés ditl'ércntes ; et ce
changement est accompagné de certains elîels mesuraliles, par
exemple du dégagement d'une certaine quantité dé chaleur.
Disparition d'un corps ou d'un ensemble de corps et appari-
tion d'un autre corps doué de propriétés difîérentes ; conser-
vation de la masse du système pendant cette transformation ;
changement, jiar contraction ou par dilatation, du volume qu'il
occupe : dégagement ou absorption d'une certaine quantité di'
chaleur : voilà, en délinitive, tout ce que l'observation attentive
nous révèle dans une réaction chimique, tout ce que nous pou-
vons et devons analyser et mesurer.
Mais tous ces caractères ne se retrouvent-ils pas dans une
foule de transformations dont l'étude, délaissée du chimiste, est
abandonnée au physicien, dans la dissolution d'un sel dans
l'eau, dans le changement du phosphore blanc en phosphore
rouge, dans la fusion de la glace, dans la vaporisation de l'eau?
I' 11 y aura donc là un simple phénomène de changement
d'état I 1 1... En effet, la combinaison et la dissolution ne peuvent
être caractérisées que par un changement d'état. Ce changement
d'état lui-même est caractérisé parla production d'une propriété
physique quelconque existant dans le composé, et qu'on ne
retruuve pas au même degré dans le mélange d'oii la combi-
naison provient. Aussi toutes ou presque toutes les circon-
stances physiques qui accompagnent les changements d'états
relatifs à la cohésion se retrouvent-elles lorsqu'on étudie les
changements d'état relatifs à l'affinité. Le caractère général est
la perte ou le gain de chaleur latente. »
1 II. S.mxte-Claire Deville, loc. cil., p. "i.
436 P. DUHEM
Les règles q;ui décideront si une l'éactioii eliimique détermi-
née se produii'a ou ne se pioiluira pas s'énon<'eront en des for-
mules où ligui'eront seuls les élémenls mesurables de cette
réaction :. la pression sous laquelle elle se produit,, la tempéra-
ture à laq;nelle elle a lieu, le changement de volume quelle
délei-naine, la quantité de chaleur qu'elle dégage ou qu'elle
absorbe. Mais ces éléments sont aussi cemx que l'expérimenta-
teur étuidiie et mesure au cours d:'uii changement d'état phy-
sique quelconque. Dès lors^ n'es t-il pas ;» prévoir que des l'ègles
de même forme marqueront la nécessité ou l'impossibilité d'une
léaction ciiimiqne, lia nécessité ou l'impossibilité d'uae- fusion,
d]une vaporisation, d'une modiiication allotropique, d'une dis-
solution ? N'est-il pas h prévoir que la Mécanique physique et
la Mécanique chimique ne formeront pas deux sciences séparées,
|)rocédant par des méthodes différentes h partir de principes
distincts, mais une science unique, la Mécanique des change-
ments d'cMal? " Si la combinaison (1) ailTecte surtout ce que
nous appelons les propriétés Ghimiques des corps, si la disso-
lution n'en altère sensiblement que les propi'iétés physiques,
enlin si la combinaison et la dissolution se confondent en un'
seul et même phénomène dont elles repcésentent les effets
extrêmes, ii est clair que tout(^ dilférence cesse d'exister entre
les pi'opriétés physi<|ues et le> propriétés chimiques de la ma-
tièri!. Les uns et les autres Sdut sous la doniinalion al)solue de
la cluîleua- et, par elle, des agents mécaniques. Les expériences
modernes tendent à donner de plus en plus à ceux-ci une
inlluence prépondérante sua- les résultats obtenus en Physique
et ea Chimie, deux sciences qiiii tendent de plus en plus à. se
confondre eatre elles- et avec la ^léeanique. »
En annonçant la naissance d'une doctrine qui, i.ssue de la
tiiermodynamique, embrasserait à hi fois les lois du mou^
vement local, et celles (jui régissent les divers phiénomènes
physiques, et celles qui président aux réactions chimiques,,
M. Sainte-Claire Deville était prophète ; il entrevoyait d'avaace
l'uHiivre qiui devait être le couronnement seientifique dui
xix' siècle.
(l) 11. S.\lXTE-Cl..\IRE llEVILr.E, loc. fil, p. (ife
L.\ .vor/M.Y /■)/•: ,»;.vv7'; 4:;:
Mais il ne sul'lisait pas d'annoncer qu'une science aussi ^i'mk'-
i-ale étail possible, qu'elle était sur le point de se faire ; pi>iir
prouver cette possiliilité, pour taire cruire à cet événement pro-
chain, il fallait ébaucher quelque chapitre de la nouvelle disci-
pline, il fallait faire éclater à tous les esprits l'étroite analogie
qui existe entre la .Mécanique chimique et la Mécanique phy-
sique, ïl. Sainte-Claire Deville y parvint en analysant les équi-
libres cliimiques ([ui se produisent au cours des déccmipositions
partielles ou (/issuria/ions.
Le carbonate de chaux dont on élève la température se dé-
com|)Ose et laisse échapper le gaz carbonique ; l'eau liquide,
l'arsenic solide que l'on cliaufTe, se transforment en vapeurs ;
entre ces deux phénomènes, H. Sainte-Claire Deville aperçoit
d'étroites analogies (1); le point de 'décomposition du carbo-
nate de chaux est analogue au point d'ébullition de l'eau et de
Farsenic : ni l'un ni l'autre de ces points n'est invariable ; de
même que le point d'éluillilion d'un corps solide ou licjuide
dépend de la pression de la vapeur qui surmonte ce corps, de
même le point de décomposition du carbonate de chaux dépend
de la pression d;i gaz carbonique dans l'enceinte oii se fait la
réaction. Soirs la pression atmosphéiique, on ne peut fondre
l'arsenic : le point de fusion de ce corps est plus élevé que son
point d'ébullilion ; lorsqu'on l'échauffé, il passe en entier à
l'étal de vapeur avant de se liquéfier; mais si l'on augmente la
pression de la vapeur d'arsenic, le point de fusion demeure à
peu près invariable, tandis que le point d'ébullilion s'élève et
finit par surpasser le premier ; aussi peut-on, en vase clos,
fondre l'arsenic. Il en est de même du carbonate de chaux ; on
ne peut le fondre à l'air libre, car sous la pression atmosphé-
rique le point de fusion est plus élevé que le point de décompo-
sition : mais si l'on augmente la pression du gaz carbonique, le
point de décomposition s'élève et finit par surpasser le point
de fusion ; ainsi s'explique la célèbre expérience où James Hall
est parvenu à fondre du carbonate de chaux en le portant au
rouge dans un récipient résistant et hermétiquement clos.
(1) H. SAL-STE-CLAinE liEviLLK, Leçous sur la Dissociulion jirofessées devant la
Société chiaiique le 18 mars et le 1' avril 1864.
4:38 p. DUHEM
Des expériences précises, dues à H. Debray, vinrent bientôt
conlirmer ces vues de IF. Sainte-Claire Deville. A une tempé-
rature donnée, la vaporisation d'un corps solide ou liquide
s'arrête lorsque la vapeur produite a acquis une certaine ten-
sion ; cette tension de vapeitr saturée ne dépend absolument
que de la température et croît avec elle. De même, à une tem-
pérature donnée, la décomposition du carbonate de calcium
s'arrête lorsque le gaz carbonique émis a atteint uiu' certaine
tension ; cette tensiim de dissociation est absolument lixe à une
température doiini'c; elle vai'ie avec la température et s'élève
avec elle ( 1 .
Avec II. Debray, les disciples de Sainte-Claire Deville s'al-
lachèrent à l'étude des équilibres chimiques, et bientôt, grâce
aux découvertes des Troost, des llautcfeuille, des Isanibert, des
(ieiiie/, des Dillr. il lut avvré que les réactions cliimiqu(>s les
mieux caractérisées, aussi bi(ui ((ue les modilications allotro-
piques et polymériques, donnent lieu à des phénomènes d'équi-
libre dont les lois sont identiques aux lois des changements
d'état physique, aux lois de la fusion, de la vaporisation.
Mais c'était là seulement un corollaire des idées de Sainte-
Claire Deville; ces idées, dans leur plénitude scientilique et
philosophique, demeurèrent longtemps incomprises: énoncées
souvent sous une forme (|uid(|iie peu obscure, souillées parfois
par quelque alliage avec les (qnuions qu'elles prétendaient sup-
planter, elles ne furent point toujours entièrement acceptées
des disciples mêmes du maître: d'ailleurs, elles ne purent se
dévidopper librement qu'en renversant deux autres Mécaniques
chimiques. L'une de ces Mécaniques, la théorie du Irarail
nia.rinnini , était née avant les recherches de Sainte-Claire
(1) L'interprétation de l'expérience de James Hall et la notion de tension de
dissociation qui s'en déduit avalent été données de la manière la plus claire par
Georges Aimé, dans une thèse soutenue en 1834. L'écrit de (ieorges .\ime, de-
meuré inconnu, fut sans intluenc' sur les travaux de Sainte-Claire Deville et de
ses disciples. (Georges .-Ximk, De l'influence fie la pression sur les actions chimi-
ques, thèse de Paris, 1834. Réimprimé dans {es Mémoires delà Société de^s Sciences
p/ti/siqiies et natucPtles de Bordiau.r. cinquième série, t V, 1899. — P. Dimiem,
Un jiiiinl d'histoire des sciences : la tension de dissociation avant H. Sainte-Claire
Deville, Mémoires de la Société des Sciences plii/siques et naturelles de Bordeaux,
cinquième série, t. V, 1899; et Journal o/ Plii/sical Chemistry, vol. III, p. 364,
1899 )
i.\ .\(iri(i\ /);•: \ii\rE fôa
|)("vill(' sur lu (lissi)ci;i(ion : raulrc, la lliroric di' Vrt/in/i/irr
i)i(jIiIIi\ osI contcmpi irai lie ilc ces recherches.
La tliéorie du Iravail maximum résullail de l'iiiiinii des (hn-
Iriiies introduites eu IMiysiqiu' par Newtuu avec la loi, étal)iie
au milieu du xix' siècle, de l'équivalence entre la chaleur cl le
travail.
Selon Newton, les atomes qui sont les éléments ultimes de
la matière s'attirent ou se repoussent par des forces scnsihles
seulenieat à pelile dislance; en outre, ces atomes sont agités
de mouvements de très petite amplitude, mais de 1res gi'ande
vitesse, et ce sont ces mouvements intestins qui produisent en
nous la sensation de chaleur; hirsqu'nn système, loul en se
transformant, t;aide une température invariable, la force vive
de ces mouvements demeure constante ; elle augmente ou
diminue lorsque la température s'élève ou s'ahaisse. Dès !7«S(),
Lavoisier et Laplace, dans leur impérissahle Mi-moi/r si/r la
Chalrur, faisaient remarquer que cette force vive joue, selon la
théorie mécanique de la chaliuir, le rôle départi au caloviijuc
libre dans la théorie (|ni regarde la chaleur comme un lluide;
quant au calorique latent perdu par un système au cours d'une
modilication, la théorie mécanique en retrouve l'équivalent
dans le travail que les forces diverses appliquées aux atonies
eUectuent pendant cette modification ; en sorte que lorsqu'une
modification a lieu sans changement de température, partant
sans viuiation de chaleur sensible, la quantité de clialeur dé-
gagée pai' celle modilication mesure le Iravail accompli par le-
fiM'ces tant inlérieures qu exIiM'ieures (jui ont déterminé cette
modification.
Lorsqu'au milieu du \ix' siècle les divinations de Uoberl
Mayer, les recherches expérimentales de James Prescott .huile,
en précisant la définition et en faisant connaître la valeur de
l'équivalent mécanique de la chaleur, eurent ruiné l'hypothèse
du calorique cl r(MiHs en faveni- la théorie mécanique de la
chaleur, les idées formulées par Lavoisi(M" et Laplace furent
reprises, en particulier par (llausius; elles inspirèrent l'écrit
célèbre (I) que ce grand physicien publia en KS.'K».
(I) R. Clacsus, Voijiienihifll's Annnhn. t. LXXIX, 1850. — Tliéoi'ie mécanique
df la C/ialeiir, pri'iuiére édilion, t. I, inéinoire I.
4H0 P. DIHEM
Ces idées ti'ouveraient, en la Mécanique chimique, une appli-
cation immédiate.
Les forces moléculaires cuncourent avec les forces extérieures
pour grouper les atomes au sein des corps; ces diverses forces
entrent en jeu, selon les lois de la Mécanique, pour produire
les changenienls d'état physique aussi l)ien que les réactions
chimiques ; Newton avait déjà énoncé ce principe, Lavoisier et
Laplace l'avaient d'éveloppé, et Berthollet avait tenté d'en
déduire une Statique chimique.
Or, un théorème connu de Mécanique enseigne qu'aucun
ensemble de corps, pris au repos, nepeut se mettre en mouve-
ment sous l'action de certaines forces, à moins que ces forces
n'effectuenl tout d'abord un travail positif. Un ensemble de
corps, d'al)ord en repos dans un certain (Hat, ne pourra donc
éprouver un changement d'état, que ce changement n'entraîne
un travail positif des forces extérieures et des forces molécu-
laires. Mais selon les idées de Lavoisier et de Laplace, reprises
par Clausius, si le changement d'état est accompli à tempéra-
ture constante, ce travail est mesuré par la quantité de cha-
leur que dégage l'ensemble de corps. Nous sommes amenés,
ainsi à énoncer le principe suivant : Tnut i huDf/rmPnt d'Hat
iihijsiijnr (lU rhmâqup qui cuminmce ilf lin-mi'-inr dans un
(■iisrinhlc de rorps mniiili'iiii à tmipénittin- constante est accor.c-
/lagné d'un (lé(j(iiicntfni de chaleur.
Ce principe, qui a été, longtemps après sa découverte,
nommé Principe du travail ma.rimum, fut énoncé en l^'V.] par
le ciiimiste danois .iulius Thomsen (1), qui y avait été conduit,
à partir des idées de Clausius, par une voie semblable à celte
que nous venons de tracer.
Nous nous trompons; ce principe est celui auquel M. Thom-
sen était logiquement conduit par les considérations qu'il a
développées; ce n'est pas celui qu'il a énoncé; là oii nous
avons écrit ces mots : (ouf c/ianç/ement d'état p/ii/sique ou chi-
mique, M. Thomsen a écrit ceux-ci : tt/iite réaction puremeiit
chiniiiiui' .
La correction est capitale ; elle était forcée : il n'est que trop
(1) .1. Teiomsbn. Die (irundzilge eiues llievmo-chemisrhen Si/stems (Pogyendor//' x
.lniia!>;,. t. LXXXVIU. 183:!: — t. XCIl. 1854).
/. i Minus /»;■; mimi: mi
cliiir, l'ii cH'cl, qiK' k' principe du travail niaximiiiu no saiirail
s'appliquer aux ciianij.'cments d'i^-tat !pihysit|ue ; cliaque jdur,
BOMS voyons, à mir li'iup(Taliin' invarialile, la glace fondre,
Ceaii se vaporiser, el, ceix'iulanl, ces modifications S|)(intanées
absoilient de la elialeur; sons peine d'être de prinie-altord en
conlr.iiiicl inii i-oiil iiniclli' el Idrineile avec l'espérieflaiCe, la loi
du travail inaxinnini devait restreindre son eni|)ire à la M(''ca-
niqiie pnrenu'nl chimique.
Mais cotte j'oslriclion, indispeusalde pour (■■\iler les dénKMilis
des laits, était illoiiiqno: les li\p(dèèso.s donit la loi du travail
maximum était issue i-éclamaient pour cotte loi une portée sans
limite ol ne toléraienl point (|u'une séparation l'ùt étalilie entre
la M('(ani(|iie pliysi(|iie el la Mécanique chimique; Borthollcl.
ra\ait |)ro(damé, et il était impossihlo de le niéconnaiti'e. I.a
lliénrie des (dianLcemenls d'étal fondée sur l'hypothèse de
l'attraclion moii'cnhi ii'i' (''prouvait donc un nouvel iéchoc ; déjà,
(die avait été coutrodile, par la (diimie, loi'squ'avec Berlhollol
(die avait nié la loi di^s proportions di'dinies ; rononvolée p;ir
son union a\et- la lln'oi-ie ini'(Mui(|iie de l;i chaleur, idle (''lail
maintenanl conlreilile pai' la IMiysi(| ne.
Incoiicilialde avec des liypolhèses (|ui ont conduil à la foi-
luuler, mais qu'il est loisible, après tout, d'ahandonuer comme
un ('■cliafaudago désormais iuLiliie. la loi énoncée par M. .Iulius
Tho;nison pouri'ail être d'accord avec les fails. el il convienl
d'examiiu'i- si c(d accoi'd est ou non étnhli.
Or, une r;rave dilticulté arrête tout d'ahord col exanu'n el
parait liieu le devoir rendre illusoire ; la loi du travail maxi-
mum suppose ([ue l'on sache distiuji'uei' un |)li(''nonu''ne phy-
sique d'un phénomène chimique; elle ne pn''t(nul s'a[qdiquer
(ju'aux l'éaclions purement cliimiques ; avanl donc qu'on la
déclare conlii'm(''e ou contredite par un changement d'état, il
faudra décider que ce changement d'état est chimique el non
physique. Or, où trouver le caractère qui permettra de prendre
nue senildaltle décision? iBerthollet avait .déijà iLnsisté sur
l'absence d'un soniblalile caractère, el la loi du travail maxi-
mum était encore bien jeune dans la science que les travaux
de Saiiite-dloire Ueville et de son Ecole faisaient éclater à tous
les yeux la justesse de l'idée de Hei-lludlet. Va\ l'alisonce de
462 P. DLHEM
loiile ligne de démarcaliim entre les moditicatiuns physiques
et les modifications chimiques, la (rili(|ui' expérimentale de la
loi du travail maximum devient vaine et inefficace ; ime foule
de réactions condamnent cette loi sans appel pour qui les veut
prendre comme purement chimiques et sont impuissantes fi son
endroit pour qui prétend y trouver ([uelque part de transfor-
mation physique.
Cet ('lat de confusion, insuppoitahie aux es|)rits vraiment
scientillques, est très favoralile au contraire à ceux qui ciier-
chent des faux-fuyants pour échapper aux déini'utis des faits ;
il ne suffit point, cependant, à sauver la loi du travail maximum.
Un mélange doxygènc et d'hydrogène peut se transformer
en vapeur d'eau ; la vapeur d'eau peut se dissocier en oxygène
et hydrogène : est-il réaction plus nettement chimique, plus pure
de tout alliage avec toute modilicatiun physi(|vic ? A une tempé-
rature donnée et suffisamment élevée, un état d'équilihre chi-
mique est établi au sein d'un mélange d'oxygène, d'hydrogène
et de vapeur d'eau ; sans changer la température, élevons
quelque peu la pression ; une certaine quantité d'oxygène et
d'hydrogène se combinent, et cette combinaison dégage de la
clialeur, conformément au principe du travail maximum ; si,
sans changer la tempéraiure. nous avions quelque peu abaissé
la pression, une certaine (|iiaiiliti' de vapeur d'eau se serait
décomposée, et cette déconi|)i)sition eût abs(jrlié de la chaleur,
contrairement au principe du travail maximum. Si les parti-
sans du principe du travail maximum acceptent le témoignage
favorable de sa première expérience, sur quoi se fonderaient-
ils pour récuser le démenti que leur iniligc la seconde?
Ainsi les découvertes de Sainte-(;iaire Deville et de ses disci-
ples ruinent la Statique chimique qu'avait pmduile l'union
de la théorie mécanique de la chaleur avec les hypothèses new-
toniennes (Ij.
Au xvui" siècle, tandis que les hypothèses newtoniennes de
l'attraction astronomique et de l'attraction moléculaire s'empa-
(1) Le lecteur désireux de discuter plus en détail la lai du travail maximum
pourra se reporter aux écrit? suivants : P. Dlhem, Inlroduclion à la Méianique
<:lnm/(jue, Gand, 1893. — Thermochimie, à propos il'iin livre récent de M. Marce-
lin Berihelot (Revue des questions scientifiques, 2= série, t. VI, 1897 et Paris, 1897).
/,.! MiTloy /<;•; mime 463
iMicnl «le la IMivsiqiic loul cntiiTO, une petite Ecole do savants
.li'uieurail liilMe niix iloctrines cartésiennes et atomistiques et
ne viuilait ririi mettre en ces théories qui ne lYil réductible à la
iigure et an mouvement: cette Ecole se groupait en Suisse
autour de l'illustre famille des Bernoulli.
A cette Ecole appartenait Lesage , qui tenta (i'e\]iliquer
l'attraction universelle par le choc des particules éthérées sur
les molécules matérielles, et Pierre Prévost, l'ami et l'exécuteur
testamentaire de Lesage.
Pierre Prévost s'occupa particulièrement de la théorie de la
chaleur; à l'imitation de ce que Newton avait imaginé pour la
lumière, Prévost regardait (1, la chaleur comme composée de
petits projectiles que les corps lancent dans l'espace d'autant
plus vivement qu'ils sont plus chauds; ces projectiles échauf-
fent les corps au sein desquels ils pénètrent. Lorsque deux
corps sont en présence l'un de l'autre, ils parviennent, au
l)out d'un certain temps, à un certain état d'équilibre où
chacun d'eux ne s'échautfe ni ne se refroidit ; ce n'est pas
que chacun de ces corps ne continue ;\ lancer vers l'antre
des projectiles caloriliques et à en recevoir de lui ; mais lui
régime tel s'est établi que chacun des deux corps reçoit, dans
un temps donné, autant de corpuscules de chaleur qu'il en émet;
telle est l'hypothèse de Yrr/iii/ifire mobile, qui allait rencontrer,
en Statique chimique, une singulière fortune.
Au premier rang des doctrines qui assurent la célébrité de
l'École atomistique suisse, il convient déplacer l'explication des
propriétés des gaz proposée, en 1726, par Jean 1' Bernoulli et
développée, en 1738, par son iils Daniel Bernoulli, dans la
X'" section de son Hijdrddijnaimque. Selon les Bernoulli, la
force expansive des gaz n'est due ni aux particules rameuses
de Descartes, ni aux petits ressorts de Boyle, ni aux répulsions
moléculaires de Newton ; les atomes gazeux, agités de mouve-
ments continuels et rapides, frappent à coups redoublés les
parois du vase où le lluide aériforme est renfermé ; et ce bom-
bardement moléculaire produit une pression douée de toutes
les propriétés que les expérimentateurs ont reconnues.
1) Pierre Pbêvost, Retiienhes phyxlco-mécaniques sur lu cli/ileiir. Genève, 1782.
464 P. riLHEM
Lorsqu'au milieu du xix' siècle les progrès de la Uiém-ie mé-
canique de la chaleur ramenèrent la faveur des physiciens vers
les hypothèses des atomisles, l'explication des propriétés des
gaz imaginée par les BrrnouUi fut reprise et développée par
divers physiciens, notamment par Kra>n.ig et par Clausius, et
plus lard par Maxwell, par Bnltzmann, par O.-E. ]Meyer; sous
le nom de lltéoric (inrlhiiK- drs gaz, elle devint une doctrine
importante et passa quelque temps pour le type idéal de la tiiéo-
rie physique.
A la théorie cinétique des gaz il était uatuivl de rattaciier la
théorie de la formation des vapeurs,' et (>lausiu-* s'y etlorça (1).
Lorsqu'un ii(|uide est surmonté de sa vapeur, un échange con-
tinuel de molécules se [u-oduil au travers de la surface de con-
tact ; au houl d'un certain temps, ou parvient à un état d'équi-
lihre mol)il(' : aulaul le liquide laisse échapper d'atomes qui
l)ém"'treut au sein de la vapeur, autant il en reprend à cette
vapeur: la vapeur est alors saturée.
La notion d'équilihre mohile, introduite par Clausius daas
l'élude des changements d'tHat physique, ne devait pas tarder à
pénétrer en .Mécanique chimicjue.
Un mélange d'oxygèiu', d'hydrogène et de vapeur d'eau,
soumis à luie pression donnée, est porté à une température
li.ve et d'ailleurs très élevée; au bout d'un certain temps, l'équi-
libre chimi(iue s'établit, on n'observe plus ni augmentation,
ni diminution dans la teneur en vapeur d'eau du mélange
gazeux: ce n"r>l p;is que l'oxygène et l'hydrogène aient cessé
de se combiner, que la vapeur d'eau ait cessé de se décomposer;
mais le nombre de molécules de vapeur d'eau qui se forment
en un tem,ps donné lest exactement égal au nombre de molé-
cules de ce même corps qui se brisent tlans le même tem.p«.
Tout équilibre chimique est un équilibre mobile, un état de
régime permanent où deux réactions, inverses l'une de l'autre,
se compensent exactement.
L'idée avait été émise en passant par Malaguti '2i: William-
son l'avait ajtpliquée aux phénomènes d'élhérilicalion, Clau-
I !) R. Claisus, Poi/i/enilur/l's Anniileti, t. C. p. Xt'.i. ISj'i. — T/icurie i/iécnnigue
tir la chaleur, l" édition, t. U. uiêuloire XIV.
[i Mai.aol'Ti, Annules de Chimie el de l'hysique. 3' série, t. Ll, p. 328, 1857.
LA SdTKis /*;; .i//.\/7': .lo:;
sius à l'éloclrolyse ; dans le temps que Sainle-lllaire Deville
donnait ses leeons >?//• /a Dissociation et su/- l'Af/ini/r, deux pro-
fcssenrs (l(> Clirisliania, MM. (hildherg et Waage {i ), prenaient
<'elle liy|i<illirse. inspirée [)iir les (ravanx de i'ierre l'i^hosi, pdiii'
l'ondenienl d'une Statique eliiniiqne.
A la niènn' époque, en Allemagne, les hypothèses de ('lausins
lonciiant la vaporisation inspiraient à M. l'i'aiindler uiu' théorie
de la dissociation. « J'arrive maintenant, écrivait M. Pfaiin-
dler (2), à l'explication de la dissoriation dos vapeum et, dans
oe but, je ferai l'iiypothèse suivante : au sein de la vapeur d'une
eomtiinais(ui pailiellement di'eoniposée, tant que la tempéra-
Inri" d(^nieure iiivariaiile, Ir iiatiilirr dr iiiidrridrs i^/ii sr /irisnt/
rsl r.nii/rirH'iil l'ijid dii iKDidirr dr iiiolri /df< iiiii se tttnui'nl par
raiiitriiihciiii'iii de Iriirs atomes. Cette explication suppose néces-
sairement quV} un instant donné, les nioUiales ne sont pas
toutes animées du nnhne moai^ement; de même l'explication de
la vaporisation donnée par Glausins suppose que les molécuh's
situées à la surface du liquide ne se mmivent pas toutes de la
même manière. Mais, selon la llu'orie mécanique de la chaleur,
cette irrégularité dans la distrihution des mouvements est
extrêmement vraisemijlahle... l'ar suite, si la température
garde constamment une valeur donnée, le nomhre des parti-
cules mises en liberté ira en croissant, jusqu'au moment où le
nomlire des molécules qui se reforment dans un état donné sera
<levenu égal au nombre des molécules qui se brisent dans h^
même temps. .V ])arlir de ce moment, ïéijuiUhre entre la décom-
position et la combinaison règne aussi longtemps (|ue la tempé-
rature demeure invariable. ■
M. Pfaimdler lut bientôt suivi, en Allemagne, par M. Horst-
mann; en France, par M. G. Lemoine et par M. Joulin.
Comment cette Statique chimique se jteut constituer, il (>st
aisé de l'imaginer; on construit des formules qui représentent
la vitesse de chacune des deux réactions inverses dont le système
est censé le siège; en égalant entre elles ces deux vitesses, on
obtient l'équatiou dont dépend l'équilibre du système.
(1) GuLDBERo et Waage, te.v Mondes, t. V, p. 105 e( p. ii2", 1864. — Études ««/• les
iiffinilës cliimiqiies, Cliristianja, ISill.
^ \ï\ Pfaundler, Uoijiiendorff's Aiuialeit, t CXXXI, p. j.';. 1861.
29
460 P. nUHEM
En réalili'', rapplicalion de celte méthode soutFro un très
haut degré d'arbitraire. L'expérience ne peut nous faire con-
naître les lois qui régissent la vitesse de chacune des deux réac-
tions inverses: seul, l'excès de l'une des deux vitesses sur
l'autre, c'est-à-dire la vitesse de la réaction résultante, est
accessible à l'observati.in ; pour connaître l'expression des deux ■
vitesses qui nous importent, i'orce sera d'avoir recoiu's à des
hypothèses: bien souvent, la forme de ces hypothèses sera
largement variable au gré du physicien: la théorie y perdra en
sécurité et en valeur logique plus encore quelle n'y gagnera
de souplesse pour s'adapter aux faits.
Si grande, d'ailleurs, que soit celte souplesse, elle ne parvient
pas à sauver la théorie de r(''(|ui]ibre moiiile des contradictions
de l'expérienie.
Reprenons l'analyse il'uiir r('acli(iu qui a jiuié un grand rôle
dans le (h'veloppement de ht Mé(ani(iu(' ciiimique, de celle
même que M. l'faimdler a choisie comme exemple, la décom-
position du carbonate de cliaux en chaux et gaz carbonique.
Deux réactions se produisent simultanément : la décompo-
>i(ii>n ilu ciirbunaie de ciiaux, la combinaison du gaz carbonique
avec hi chaux, l-a vitesse (h' la première réaction dépend de la
température à hiquelle le carbonate de cliaux est porté : mais,
visiblemeni, l'Ile (Ii'|m'iiiI imi outre de l'aire dr la sui'face libre
des morceaux de carbonate de chaux et elle est proportionnelle
à cette aire, car l'émission de gaz carbonique se fait exclusive-
ment par cette surface. La vitesse de la seconde réaction
dépend de la température, de la pression du gaz carbonique:
mais, en outre, elle est proporiionnelle à l'aire de la surface par
laquelle la chaux conhiie au gaz carbonique: c'est, en elfel, le
bmg de cette surface qin^ la chaux absoibe le gaz carlxuiique.
Si nous égalons entre elles les expressions des deux vitesses,
l'équation obtenue, qui est l'équation d'équilibre du système,
contient le rap|)ort entre la surface des fragments de carbonate
de chaux et la surface de la chaux vive: l'état d'équilibre qui
s'établit dans le système dépend de la valeur de ce rapport. On
dr'monire sans peine que la tension de dissociation du carbonate
de calcium à une température donnée varie dans le même sens
(|ue ce rapport: elle augmente si l'on accniil la surface libre du
L.\ Y' /■;■;* i.v /);•; mi.\ti: 4G7
carbonate de chaux: elle <liiiniiiic si lOii aiii:mon(f' la surface
lihro «le la chaux.
11 est aisé lie soumettre ce^ prévisions ;ni contrôle des \\ù[>:
lexpériencc à faire est très sim|)le; elle a été réalisée par
Delirav , et le résultat très net qu'elle a donné contredit formel-
lement les propositions que nous venons dénoncer: à une tem-
pérature donnée, la tension de dissociation du Carhonate de
chaux est alisolument déterminée : elle ne dépend aucunement
de l'élendui' respective de- sinTarc< de 1m cIkiuv el du cariimate
de cliaux.
La théiu'ie de Féquilthre chimique rnuliilc est donc démentie
par les faits, comme l'a reconnu, dès IM7;<, .M. liorstmann, qui
en avait été, tout d'ahoi'il, un chaud partisan. <■ On parvient,
écrivait-il à cette époque il 1, à des contradictions avec l'expé-
rience, car <»n ne peut explicjuer d'une manière satisfaisante ce
fait maintes fois vérifié, que la masse de-^ corps solides n'a pas
(i'iniluence sur le degré de dissociation.
La théorie des atomistes, qui ne met en la matière que ligure
et mouvement, comme la théorie newtonienne, qui doue les
atomes de forces attractives ou répulsive>. sont demeurées
incapables de s'accorder avec les phénomènes de dissociation :
les deux doctrines entre lesquelles s'étaient partagés les physi-
ciens du xvm'' siècle, et qui avaient porté, dans la première
moitié (lu xix° siècle, une si abondante moisson ont, l'une
et l'aulre. vainement tenté de constituer une Mécanique chi-
nii(]ue.
P. DU HEM;
.1 sllirif.
(1) rioasTMANX, Liehitf's Annaleii der Cheiiiie iiiid l'hai'iitacie. t. CLXX, p. 20?, 1873.
LES CENTRES DE PROJECTION
ET
LES CENTRES D ASSOCIATION
DU CERVEAU DE L HOWIVIE
D'après les travaux de P. FLECHSIG.
KT.VT Dr. LA UlESTION AVAM I.KS TUAVAl X l>i: ll.KCIISIC.
Dans lin discours prononce'- on ISiMl, à roiiverliirc du Congrès
de niédccinc de Nancy, le professeur l'tlres, u|)rès avoir exposé
révolution de la doctrine si souvent remaniée des localisations
cérébrales, formulait à son tour une hypotiièse itasée sur la dif-
férenciation fouctionnellc des éléments constitutifs de l'écorce,
telle qu'elle résulte d'une analyse rigoureuse de leurs réactions
physiologiques et pathologiques. « Il existe, disait-il. dans la
substance a:rise des circonvolutions, des cellules de formes très
variées. Mais, quelle que soit la variabilité de leurs apjiareuce^
extérieures, on peut les diviser en deux groupes. Les unes ont
de longs prolongements cylindraxiles, se rendant, on passant h
travers la capsule interne, dans les centres bulbo-méduUaires
sous-jacents : ce sont les cellules pyramidales. Les autres sont
de simples éléments d'associations qui se rendent d'un point à
l'autre de l'écorce. L'anatomie histologique, qui nous fournil
des détails très jirécis sur la morphologie de ces éléments, est
CEMliKS /)/■: l'll(i.lKCTIn.\ ET l'ESTIiES li.\SSnCI.\TI(i\ I6!i
altsolumcnl incapable de nous riMiseitiiier snr Irnrs tunctinns.
I.a physiologie expérimentale et surtout l'observation anatomo-
clinique peuvent, au contraire, nous permettre de nous rendre
compte de leurs attributs fonctionnels, grâce à la disposition
qui réunit, au niveau de la capsule, tiHis tes prolongements des
neurones à projection. U est clarr, en efTet, étant données ces
dispositions, qu'une lésion destructive de la région rapsiilaire
supprimera les manifestatious fonctionnelles dérivant des cel-
lules pyramidales, sans altérer directement celles des cellules
d'association. Or, les lésions de la région capsulaire ne sont pas
rares. Ludwig. TiiR'k et Charcot en ont fort bien étudi('' Tes edet^^.
Il rési>lte de leui-s recherches que les lésions destructives limi-
tées à la partie postérieure de la capsule interne, e'est-à-dire à
la partie dans laquelle se trouvent réunis les cylindres des cel-
lules pvramiilales de« circonvolutions sphéno-occipitales. don--
uent lieu à l'Iiémianestbésie sensitivo-sensorielle. Celles qui
siègent plus en avant, sur les faisceaux de cylindraxes pro-
venant des cellules pyramidales des lobes fronto-pariétaux.
déterminent l'hémiplégie motrice vulgaire : eniin, celles qui
sectionnent la totalité des faisceaux capsulaires provoquent
l'hémiplégie associée à l'hémianesthésie. Mais, même dans ces
derniers cas. elles ne retentissent pas gravement sur les fonc-
tions psychiques supérieures. La pensée, l'intelligence, l'asso-
ciation des idées, la reviviscence et la recollection des images, le
jugement, la volonté, ne sont pas atteints d'une façon évidente.
La cécité verbale, la surdité verbale, l'aphémie. ne résultent
jamais des altérations destructives des faisceaux capsulaires.
«Nous en concluons que les cellules pyramidales de l'écorce.
celles qui donnent naissance aux prolongements cylindraxiles
dont le gr(jupemeut forme la capsule interne, ne servent qu'à
deux des grandes fonctions cérébrales : la motricité et la sensibi-
lité. Elles sont indépendantes des facultés psychiques supé-
rieures... Celles-ci siègent dans les innombrables neurones
d'association, de foroïe et de volume très variés, dont les arbo-
risations terminales siUonnent en tous les sens la substance
grise des circonvolutions. Ces neurones n'ayant pas de projec-
tion capsulaire, n'étant nullement groupés en ilôts anatomique-
ment séparés, ne sont pas accessibles à nos moyens d'expéri-
470 D'- i:. HAI.TUS
montation. Ils {''clinppcnt nn-me à la méthode anatoTiio-cUni(iuo,
à cause dos retontissements lointains ot à extension indétermi-
nable des lésions, même les pins limitées, du cortex (i). «
(>omnie on le verra dans l'exposé que nous nous proposons de
l'aire de la théorie de Flechsig, les vues systématiques de
i'ilres présentent avec celles de ce savant de profondes aflinités;
elles en dilTèrent cependant sur un point essentiel : la réparti-
lion des neurones de projection et d'association. Alors que
l'itres et tous les auteurs sans exceplidu prnclanuiient la dissé-
mination de ces lieux catégories de neurones sur loule l'éten-
due des hémisphères, Flechsig, en se basant sur une méthode
spéciale, la méthode myélogénétique, affirma il leiii- groupement
en îlots anatoniiquement séparés et dès lors accessibles, sinon
h l'expérimentation, attendu qu'ils n'existent avec leur plein
développement que dans le cerveau de l'homme, du moins au
contrôle anatomo-cl inique.
Il
l'IUMIIIM-: liK l.\ MIMMnIii; DR FI.RCIISK;
Pour comprendre le principe de la méthode mvidogénétique,
il faut se rappeler tout d'abord que, dans son iHat embryonnaire
le plus primitif, le prolongement cylindraxile de la cellule ner-
veuse est unic|ueinent formé par la juxtaposition île fibrilles
faisant suite à son réticulum a( hromalique. Le cylindre-axe
ainsi constitué peut rester nu, et il en est ainsi à l'origine
comme à la terminaison de tous les nerfs; mais il peut aussi
se compliquer par la juxtaposition d'éléments mésenchymateux
ama'boïdes (les cellules de Vignal) qui, par leur accolement
lui fournissent une gaine pourvue ou non d'un étui de myéline.
On peut donc diviser les libres nerveuses en iilires amyéliniques
et en fibres myéliniques. Les premièrt's, dites encore fibres
grises ou fi lires de Remak, caractérisent le système du grand
sympathique; les secondes, ou fibres blanches, sont propres au
système cérébro-spinal.
(Il Presse médicale, 1896, n, 65, p. 317.
cEMitEs m-: viiiUKCTiits et cF.srnr.s DAssiiciMiny 171
Or, Flechsig ;i dOiiioulré d('|uus luiiglL'ni)is ([uc ruppuriliuii iK'
la myéline se fait à des moments très dillerents de la vie em-
iiryonnaire ou même post-embryonnaire pour les divers fais-
ceaux ou cordons dont se compose le système condueleur des
centres nerveux. On trouvera donc, à une certaine é|ii,([ue. tel
faisceau myélinisé alors que (cl .lutre est encore anivi'linique,
ce qui permettra de les dislinj^uer aiscmeni. De plus, si l'on
admet avec l'leclisi|; que la myéline n'apparaît qu'avec la mise
en activité de l'élément nerveux, qu'elle se forme, non pas
quand les connexions anatomiques se trouvent établies, mais
bien quand les neurones commencent à fonctionner, on recon-
naîtra que la recherche de la myélinisation est en état de per-
mettre, non seulement la distribution anatomique des dilférents
faisceaiix uerveux, mais encore la date de leur entrée en fonc-
tion.
()n houvc ainsi ([ue la myélinisation déliuli' par la nuKdle
pour s'étendre ensuite successivement aux parties supérieures
de Taxe cérél)ro-spinal. Elle envahit d'abord les nerfs périphéri-
ques médullaires, c'est-à-dire les constituants des réilexes les
plus simples, puis les fibres commissurales qui associent le
fonctionnement des dilTérents étages de la moelle, et, successi-
vement, les voies conductrices des excitations au bulbe, au cer-
velet, enfin aux couches optiques et à l'écorce des hémisphères
cérébraux. Ce dernier travail s'efTectue dans les deux derniers
mois de la vie intra-utérine et procède par étapes permettant la
différenciation de groupes de faisceaux en rapport avec les
récepteurs périphériques de la sensibilité générale ou spéciale.
L'ordre de succession met en tète, et à peu près sur la même
ligne, les libres de la sensibilité tactile et olfactive; vienncnl
ensuite, à grand intervalle, les fibres (i|)li([ues, en dernier lieu
les auditives, du moins dans leur portion correspondante au
limaçon, les libres cochléennes. — A cette époque, les voies
motrices issues des circonvolutions centrales, les faisceaux
pyramidaux sont encore dépourvus de moelle, et les mouve-
ments réilexes ne peuvent s'elTectuer que par l'intermédiaire
des ganglions infra-corticaux. Ce n'est qu'au moment de la
naissance, et même quelque peu après celle-ci, que la myéline
s'empare de ces libres; à la lin du premier mois de la vie extra-
472 D' K. BALTl S
ntérino, leur gaine est complète et lare céréltral réllexe entiè-
rement constitué.
DIVISION Di; r. i;c(inr.r: ckricurm.i: i;> (;i:.\ lhi:s di; l'isn.iKcrroN
ET CI^.NTnES DASSOIIATION
•1. — Cinilrcs (II- priiji'diiDi .
Flechsig a[)pelle Cfiitrcs de projecliun ou Sp/i'rrs si-nsorielles
tous les champs corticaux pourvus d'une connHiin- rai/onnantc
et se trouvant en relation, par ce moyen, avec les masses
grises inférieures du névraxe (1). Chacun de ces centres, à létat
de développement complet, est relié par un iloiiltlc faisceau de
libres ascendantes el descendantes ou libres de prdjeclion à
l'organe périphérique des sens correspondants, il n'existe donc
pas de zone sensorielle pure ni de zone moti'ice j)ure. Les cen-
tres de projection sont des centres mixtes, sensori-moteurs,
préposés aux réllexes d'origine corticale.
Chez l'homme, leurs territoires ne sont pas confondus, mais
disposés sous forme dilots séparés par de vastes surfaces cor-
ticales encore amyéliniques au premier mois de la vie extra-
utérine et biirs d'élat de fonctionner.
Les sphères sensorielles sont au nombn» de quatre : la tac-
tile,, l'olfactive, la visuelle et l'auditive. La s[)hère di' la gusta-
tion n'a pas encore été isolée.
1. La sphtre tactile, de beaucoup la plus étendue, comprend
les circonvolutions centrales (frontale el pariétale nscendantes),
(1) On donne le nom de couronne rayonnante à ["ensemble des fibres qui unis-
sent l'écorce cérébrale aux masses grises sous-jacentes : noyaux opto-striés,
isthme de l'encéphale, cervelet, bulbe et moelle épinière. Oe sont les fibres de
projectiiin du premier ordre de Meynert. Elles forment la majeure partie de la
substance blanche, dans la<|uelle on reconnaît en outre, mais en proportion beau-
coup plus faible, des fibres commissurales et des fibres d'association. Les fibres
cuininissiirates relient l'un à l'autre des points identiques des deux hémisphères.
Les fibres d'association, de longueur variée, relient l'un à l'autre deux points dif-
férents d'un même hémisphère. Considérées de bas en haut, les fibres de projec-
tion se déploient en un éventail dont les ru;/ons ou faisceaux marchent vers
récorce, d'où le nom de coumnne rayonnante donnée à leur groupement.
i'ESTHi:s /»/•: fitii.iECTiiiy et (EyruEs irAssiicurins ■,;:!
le loliiile paraconiral, la partie voisine de la eirconvoliiiidu du
eorps callevix el la partie postérieure dos trois circonvolutions
frontales. Cette aire est Taboutissant de toutes les tijjres de la
voie sensitive centrale, amenant au sensorium les inipiv^ssions
de la sensibilité £;énéralc. Elle reçoit encore, très probable-
ment, les fibres de la sensibilité gustative. En connexion avec
ces libres ascendantes, sensitives, se trouvent dans le même
centre les noyaux d"orig;ine de fibres descendantes, motrices,
dont rensemble constitue le faisceau pyramidal y compris le
faisceau géniculé) ou voie motrice principale, comme aussi des
libres corticu-protubérantielles antérieures qui se rendent aux
noyaux du pont.
2. La .yj/t<rf' olfactive comprend le trigone olfactif et la partie
voisine de la circonvolution du corps calleux, la substance per-
forée antérieure, le repli unciforme et la partie voisine de la
circonvolution de riiip|)ocampe. Les libres centrifuges sont
encore mal déterminées, (hi sait cependant i|iir le centre olfac-
tif est relié par des libres de projection au noyau lenlicnlaii-e.
à la concile optique et à la corne d'Ainnion.
:{. La sjilu'rr rlsKcllr comprend la l'ace inlerne de cbaciue
liémisplière cérébral entourant la scissure calcarine. De là par-
tiraient des libres centrifuges qui s'arboriseraient dans la coiicbe
optique correspondante et se relieraient par son intermédiaire
soit aux noyaux moteurs destinés aux muscles des globes ocu-
laires et de la tète, soit à d'autres masses grises inférieures,
soit à la spbcre tactile. Ainsi s'expliquerait l'inlhience de la
vision sur certains nioiiviMiienls périphériques.
4. La sphi-rp amlitivi' comprend la partie postérieure de la
première temporale et la partie correspondante de cette circon-
volution qui concourt à former l'opercule inférieur de la scis-
sure de Sylvius. Des fibres centrifuges la relieraient aux noyaux
du pont et, par leur intermédiaire, aux différents muscles de
lappare.il auditif.
On voit qu'il existe entre les différentes sphères sensorielles
une notable disproportion d'étendue; en particulier, la sphère
tactile occupe à elle seule un territoire plus grand que la
somme des autres territoires sensoriels, fait caractéristique du
cerveau humain. L'exniicatinn de ces différences est contenue
h i
LES SPHÈRES SENSORIELLES 01' CENTRES IlE PROJECTION KT LES CENTRES D ASSOCIATION
(d'après Flechsig).
LES SPHÈRES SENSORIELLES OU CENTRES DE PROJECTION ET LES CENTRES D ASSOCIATION
d'après Flechsioi.
I. Sphère tactile. IV. Sphère olfactive.
II. Sphère visuelle. 1. Centre d'association antérieur.
III. Sphère auditive. 2. Grand centre d'association postérieur.
CESriiKS DE l'HiUKCrinS ET CEMItE^ liWSSiiClATIoy ^Vo
dans une lui qu'il est possible de formuler ainsi : <' L'étendue
en surface de ehaque spiu/re sensible varie proportionnelle-
ment h la surface de section des nerfs p(''ri|)iiériques correspon-
dants. " Ainsi les nerfs tactiles, les nerfs des tendons, etc.,
présentent une surface de section bien plus considérable que
celle des nerfs optiques, et celle des nerfs optiques dépasse
celle des acoustiques, i^es aires corticales ne sont que les ter-
ritoires de projection sur l'écorce des surfaces sensibles. Dans
chacune d'elles, les libres de projection sont inégalement répar-
ties. Nombreuses dans la partie centrale, partie principale qui
reçoit les autorisations terminales des libres sensorielles; plus
clairsemées dans la partie périphérique, accessoire, qui reçoit
non plus les fibres sensorielles elles-mêmes, mais les collaté-
rales de ces libres. Leur caractère propre est d'être groupées
autour des scissures principales : la sphère visuelle, autour do
la scissure calcarine ; la sphère tactile autour de la scissure de
Rolando ; la sphère auditive et la sphère olfactive dans les
parois de la scissure de Sylvius. Le rôle des scissures est sans
doute d'étendre ces territoires et d'assurer à chaque faisceau
sensitif le cliamp continu nécessaire à son expansion.
C'est dans les centres sensoriels de l'écorce que les diverses
' impressions venues des organes des sens par une série de neu-
rones superp(jsés se transforment en sensations perçues et
associées à des images ; c'est de là que partent vers la péri-
phérie, par une série d'autres neurones descendants, les inci-
tations motrices correspondantes. On s'explique ainsi l'hémi-
anesthésie complète qui suit l'interruption de la couronne
rayonnante de la sphère tactile (hémianesthésie de ïiirck), la
perte du sens tactile, du sens thermique de la peau, des organes
sexuels, des muqueuses oculaire, buccale, nasale et auditive,
de la sensibilité à la douleur de toutes les régions, de la sensi-
bilité musculaire, tendineuse, articulaire, électro-cutanée et
électro-musculaire. Les malades de cette catégorie, dans les cas
les plus graves, sont incapables de distinguer les poids, d'in-
diquer la position de leurs membres sans le secours des yeux.
La lésion est-elle bilatérale, ou les deux sphères hors de fonc-
tion, l'individu perd la conscience directe de son propre corps;
il peut bien la ressaisir par le secours des yeux ou des oreilles,
47(; D*- E. BALTbS
mais si on lui ferme les yeux ou les oreilles, sa conscience
s'évanouit. C'est de cette même région que partent les réllexes
psychiques volontaires de la mastication, de la déglutition, de
la respiration, de la locomotion, de l'articulation verbale. « Les
besoins, les instincts, les tendances vagues et obscures de l'or-
gcanisme, toutes ces inclinations naturelles n'acqnièient, selon
Flechsig, un caractère psychique qu'en s'élevant dans la sphère
sensitivo du corps où il> sont perçus comme sentiments con-
scients de la faim, de la soif. etc. » (Soiry.)
Des considérations du même ordre s'applicpient aux autres
sphèi-es sensorielles, comme le démontrent, dans l'ordre patho-
logique, l'hémianopsie qui suit la destruction d'une sphère
visuelle, la diminution de l'ouïe qu'entraîne du côté opposé la
destruction d'une sphère auditive, altération qu'on remarque
à peine parce que chaque oreille est en rapport avec les deux
sphères. La cécité complète ou la surdité complète sont la con-
séquence des destructions bilatérales.
Aussi longtemps que ces sphères restent à l'état d'îlots sépa-
rés, il ne saurait être question de fusion entiT les divers états
de conscience créés par les excitations qui leur parviennent.
Assurément cet isolement n'est pas absolu; mais le nombre des
libres nerveuses qui relient directement entre elles les sphères
sensitives est extrêmement restreint, hors de proportion avec
l'étendue de ces centres, à une seule exception près relative
aux traclus jetés entre les sphères tactile et olfactive. (Ihacune
des sphères sensorielles fonctionne donc pour son propre
compte, d'une rftanière autonome, en éveillant de la sorte autant
de perceptions séparées, de consciences élémentaires, et tel est
l'état du nouveau-né.
2. — Ci'iilri's il'iis<.ii<:ialio}> .
Mais au deuxième mois de la vie extra-utérine, des fibres
myélinisées sorties des sphères sensorielles pénètrent de tous
eûtes dans ces espaces. Avec les progrès de la croissance, ce
sont, dit Flechsig, des millions et des millions de libres d'asso-
ciation de ce genre qui se jettent, comme des afiluents, dans ces
mers étendues entre les continents sensoriels où se trouvent les
ri:yriiKs ue l'iKUEiriny i.i i-kmiu.s d Assm i mius it:
tcllules tl'orii;inc de ces libres ci'iilrifièili's. Plus lard, sortenl à
lour tour de ■ces mors d'iiuiomliraLles lilires provenant de leurs
cellules propres et qui vont s'arboriser dans les zones senso-
rielles. Ainsi se tronvent l'ormés des Ci'/t/ifs d'axsi)ii((tif}ii , mu-
nis de libres centripèdes qui leur apportent les ébranlements
des divers modes de sensibilile, cl de libres centrifuges qui leur
pernietlenl de répondre à ces provocations par une action inci-
lalricc ou inbibitrice de mouvement. Ces centres sont nu nombre
de trois :
1. Le <irattil if'iiirc </'fis>iari<iiifiii pimli-rii-iiv, comprenanl le
précoin, toutes les cireonvolutinns |)ariélales, une partie du
(/i/nis/ijif/val, la circonvolution l'usil'orme, les deuxième et troi-
sième temporales, y compris le pôle temporal ; et, sur la partie
externe du cerveau, la partie extérieure des trois circonvolu-
tions occipitales.
2. Lr vfiitre d'association inut/eii, correspondant à l'insula de
Ueil.
3. Le irntri' d'association antérifur, constihié par la moitié
antérieure de la prenrière frontale et la majeur»» partie de la
seconde; il faut y joindre la base du lobe frontal, particulière-
ment le gijius reclus.
Si tous ces centres ont pour caractère dèlre formés de libres
d'association, tous se distinguent, en outre, sinon par l'absence
absolue, tin moins par l'exlrcme paiivrcti'- de leurs fibres de
|>roiection. Impuissants à rien recevoir directement du mili(>u
interne et externe, ils sont également sans action directe sur
les organes péripliériques.
.Vussi leur rôle est-il bien distinct de celui des centres de
projection: il est d'une nature plus haute. Les centres d'asso-
ciation sont les foyers où, de la conihience et de la fusion des
impressions sensorielles les plus diverses, naissent ce que les
Latins appelaient « cogitations », ce que nous appelons aujour-
d liui la pensée, mot qui comprend tnules les fonctions suj)!'-
licnres de l'entendement liumain. Là sont iixées dune manièri'
durable les images mnémoniques; c'est là également que se
l'ait la com[taraison de ces images. Le savoir, la connaissance,
les sentiments esthétiques résultent de leur activité. Et ce n'est
point là une pure hypothèse, mais la conséquence de l'analyse
478 D^ E. BALTIS
(les troubles psychique? liés à l'altération de ces centres, alté-
rations que le microscope permet de suivre dans les détails les
plus minutieux 1 1 ,.
A côté des attriliutions générales, communes, il y a lieu de
reconnaître, dans chacun des centres d'association, dos fonctions
particulières en rapport avec la spécialité des connexions anato-
miques.
Ainsi le grand centre (\'a>iso( Hilinn pos/rrii nr, intercalé entre
les sphères visuelle, auditive el tactile, le [ilus important con-
sé(|uemmenl par ses relations de même que par son étendue,
semble être le substratum principal des images des choses exté-
rieures et des signes ou s\mbi>les du langage. Là se trouvent
les foyers dont la lésion (à gauche chez les droitiers) se mani-
feste par ces formes de cécité ou de surdité psychiques, dites
(< aperceplives », où les malades peuvent bien conserver la per-
ceplinn des mois ou des signes graphiques, mais se trouvent
incapables d'associer ces perceptions ave« les imagos repré-
senlatives qui permettent seules d'en comprendre la signitica-
tiou. ■
Le centre d'association moi/ni, placé entre les sphères audi-
tive, olfactive et tactile, a sans doute pour mission d'associer les
im|)ressions auditives avec les organes moteurs du langage.
Le cenUc d'association anti-rieur, interposé entre les sphères
lad i le et (il l'active, a dos fonctions moins nettement déterminées,
jolies doiv(>ul être considérables, sans aucun doulo, car le sys-
lèmc de proiecliiin ne prend (|u'umç faible part à la coustilulidn
de lu substance blanche du lobe frontal. De longues libres d'as-
sociation relient principalement les sphères tactile et olfactive
avec le pôle du cerveau frontal : mais Flechsig n'a pu déterminer
avec certitude si les sphères auditive et visuelle étaient on con-
i\\ (>. 1 ingage, un peu imprécis, signifie que l.i vie intellectuelle dépend, d'une
iiiuniiie génc raie, de certaines parties de l'écorce cérébrale. Le savant constate
icUe dépendance. Il appartient au pliilosophe d'en préciser la nature. Pour un
matérialiste, l'eidrce du cerveau est Ja condition intérieure et exclusive de la
pensée. Pour un spiritualiste outré de l'école de Descartes, elle n'est qu'une
condition tout à fait extérieure. Les spiritualistes péripatéticiens estiment f|ue
les lornies inférieures de la pensée, sensation, imagination, mémoire, perception,
dépendent directement des centres de Klechsig; tandis que ses formes supérieures.
al)i'.r..ction intellectuelle, jugement, raisonnement, science, n'en dépendent qu'in-
directement, en tant qu'elles ont besoin des formes inférieures.
CEsriiKs i)K l'inuEcrKiy kt cestiif.s /i.ussnc/ ir/o.v iv.i
nexion dircctp avec lui. On poul émellro riiypntlièse quo ce
centre localise particulièrement les images mnémoniques (mi
rapport avec les divers penchants ou ri''pnlsions, les sentiments
instinclit's, les mouvements ou séries de mouvements, les
actions, cest-à-dire les composants fondamentaux de la Person-
nalité consciente et les ré>;ulaleurs essentiels de nos actes. A la
suite de ses lésions, il semhle (|(ie le dioI. la faculté d'abstrac-
lion. la volonté, sont particulièrement atteints.
Il est à remarquer que les centres insulaires sont relativement
pauvres en lilires calleuses, alors que ces dernières relient abon-
damment, d'un hémisphère à l'autre, les centres antérieur et
j)Oslérieur. Ciuican des centres insulaires est en connexion prin-
cipale avec les champs corticaux du côté correspondant: il est
[)erniis d'en conclure qui^ leurs fonctions sont plutôt locales.
(iràce aux connexions réalisées par les libres calleuses, la
division du cerveau en deux parties n'est qu'apparente et pnre-
ment extérieure; les systèmes d'association du corps calleux
réalisent mieux l'unité du cerveau que ne le ferait la confusion
des hémisphères sur la ligne médiane. Les deux hémisphères
ne constituent pas deux organes, mais un organe double.
Le nombre des libres d'association (jui relient directement le
centre antérieur et le grand centre postérieur est relativement
faible; aussi faut-il admettre entre ces deux centres des con-
nexions d'une autre espèce; oh ne peut les trouver que dans la
sphère tactile interposée entre ces deux centres, de même que
la sphère auditive s'intercale entre le grand centre postérieur et
le centre insulaire. La sphère tactile, d'où nail la conscience
(lu corps, est donc d'une importance toute spéciale dans l'unili'^
de la vie [)sychologique.
Les sillons qui appartiennent aux centres d'association appa-
raissent beaucoup plus tard que ceux des centres sensoriels
phylogénétiquemenl beaucoup plus âgés. Leurs divisions secon-
daires agrandissent dans les-deux cas l'étendue des centres cor-
respondants; observation très importante pour les études com-
parées qui se proposent de mettre en parallèle les qualités
ps\ chiques d'un cerveau avec la richesse de ses circonvolulion>.
1! faut, avant tout, déterminer le siège de cette richesse relative.
On constate de très grandes dilTérenccs sous ce rapport. .\in>i.
480 D' K. B.VI.TIJS
le grand centre postérieur peut être très iléveluppé comparative-
ment au centre antérieur et réciproquement. Dans los cerveaux
d'idiots on trouve parfois tel ou tel centre d'association bien
développé, alors que tel autre est presqu'entièi'ement atrophié,
et il en est de même des centres sensoriels. De là des diMicits
partiels dans les facultés de connaissance comme aussi des
talents spéciau.K. Il y a là un cliamp d'expldilation très riche
pour de nouvelles études phrén(jlo^i(jues; chaque cerveau a sa
physionomie propre à la condition, hien entendu, de tenir
compte dans une juste mesure des .délecluosités acquises par
suite d'anomalies de nutrition, etc.
L'analiimie comparée ne jtossède l'iicurc (juiiu petit uomhre
i\o di)ciinienls bien établis sur rexisleucc des centres d'asso-
ciation dans la série animale. Chez les ronp;('urs (souris, hams-
tersi, ces centres font entièrement défaut, les sphères senso-
i-ielles se touchent, de sorte que l'écorce tout entière , à
rexceplion de quelqui's bandes étroites, lU' laisse reconnaître
que des libres de projection (ciiif/tihiiu, (itni'i.i hiiigiis, /racùis
dr Laiicisi]. Chez les carnassiers, les centres d'associatiim sont
encore petits, cl Idu n(> |)eut comiiarer avec celui de l'iKininu'
le cenlri' l'roulal ind(''iimi((> du chien et des siiiiics inférieurs
que par le secours des ex(ilati(ms corticales. Il laul arriver aux
singes supérieurs (catarhiniens) pour trouver un développe-
ment égal des centres de projection et d'association. Chez
l'homme, ces derniers prédominent à un tel point qu'ils occu-
pent les ilf'u.r tii'rs de la siu'face totale des hémisphères. Ou
sérail donc dans une erreur complète en Miulant appliquer à
rhoinme, dans l'étude forulamentale de snu système d'associa-
tion, les données empruntées au cerveau de la sduris, par
exempli' ; il l'aui. pour cela, s'adresser à riionimc lui-même,
ou bien, à la rigueur, au cerveau des singes catarhiniens. Une
autre grossière erreur consisterait à transférer au cerveau
humain certaines expériences physiologiques ])ratiquées chez
les animaux, et t(d u été, par exemple, le cas de Munck lors-
qu'il a prétendu que les centres sensoriels iHaient disséminés
sur toute la surface céréjjrale. A supposer nn'une que cette
affirmation soit exacte pour quelques animaux, elle ne le serait
pas pour l'homme, (jui se particularise à cet ('gard.
I i:.\ri!i> m-: i'i;ii.iEcriii.\ i:r cf.stiii-.s hWssnriMins isi
IV
(Jl'.ir.CI IONS KI.KVKKS CONTIii: l.\ Ipik : riil NK l)K KI.KC.IISIC..
i.:;s i)i-,BMi;i:s i!i;m \.mi;.mk.nis
L:l ilnclrinr de l'iccll^ii: i|llr Unils VCIKIIIS (r(>\|l(>S('r llailS SCS
i;r.inil('^ lignes ;i élc iliversi'inent ïu-c-ui'illic Alors ([uç Van
(ii'liiK-lilcn radoptait avi/c eiilliousiasmc, nniiiin' jetant une
vive luniirrc sur la valeur l'elative que nous (levons attiilmer
aux ilillerenlos parties constitutives de nos iiéniisphères céré-
braux, et comme s'harmonisant avec un grand nombre de faits
cliniques h, Itéjerine la considérait comme en contradiction
absolue avec tout ce que nous enseigne l'anatomie normale et
l'étude des dégénérescences secondaires. '< (ju'une gi'ande |)arti(*
du cerveau, dit cet auteur, soil dépourvue de libres de projec-
tion chez rent'ant en bas Age. — e[ le cerveau de l'entanl b^ |dus
âgé étudié par Flechsig était celui d'un enfant de cinq mois, — ■
la chose est certaine. Il n'y a rien d'étonnant cà ce que les cen-
tres sensoriels et senti vo-motenrs se développent plus vite que
d'autres régions de l'écorce, piii-(ju'ils sont d'ordie phylogéné-
lique plus ancien. Mais se baser sur ce fait (|ue certaines libres
ne sont pas encor(^ (lévelop|>ées à une certaine période de la
vie poui' ilire (|u elle-- n'exislent pas plus lard, c'est là une
proposition inadmissible.
•I Vouloir ('tablii-. en elle!, la texture du cerveau de l'adulte
en se basant sur l'étude du cerveau d'un enfant de cinq mois,
c'est-à-dire sur TiHude du cerveau en voie de développement,
cela reviendrait à dire que la moelle épinière du nouveau-né
est aussi dévcdoppée tju'une moelle d'adulle. Nous savons le
contraire, et nous savons aussi (jue le cerveau de l'enfanl
et de l'adolescent continue à se dévebqq)er lorsque b> déve-
loppement de la moelle épinière est parachevé' de|iuis long-
temps (2). "
f) Vax liEiiL'CHTKN : Anafomie 'lu si/slOfue ni'rroiir ili' l'Inutniie. (leuxiùiiiL- cri.,
1897, p. 692.
{'2) D.-:4EKiNK : Sur les fibres fie projection et il'ifssociation ries liéinixplierci ccre-
bniiir. C. R. Soc. de Liol., 1897, p. US.
i82 1)' E. BAI.TIS
Iti's ariiriiialions aussi cniitradictoiros ajipclaienl des rct-licr-
clies do conlrrde ilont on prnl dire (luCUcs nul cinilii'inr le t'ai!,
glanerai de la myélinisafion successive des dillei-eules parties
du cerveau, (oui en laissant pressentir que les lois de ce phé-
niiniène sont lieaucoup plus complexes ([ue ne le pensait
l'iechsig. D'autre part, ces recherches diflèrent sur les conclu-
sinus à df'duire de cette constatation. 0. Otto (de lierlin) nous
pai'ail avoir tVirnuilé rohjection la plus iniporlante, eu aifir-
niant (|iie. .. clie/ riioninie coninie chez les animaux, il va des
remuions non myélinisées dans les tihres de projection aussi
longtemps qn'il y a des régions non myélinisées dans lécorce ;
et les régions non myélinisées des tihres de projection sont
justement celles (jui cuntiennont, d'après les résultats de la
dég(''nérescence secondaire, les lihres des centres non ent-ore
ui\ ('dinisées ( I ).
Il i'aul recnniuiitre, du reste, tjue la tluvirie piimitix'e de
l'Ieclisig a sulii depuis lors, et de la part uuMue de sou auteur,
d'imp(U'tanles nuj.diiications ([ui laissent prévoir qu'elle n'est
pas arrivée à sa formule détinilive. Vax 18!J8, à la suite de nou-
velles recherches emhryologiques, l'iechsig partage l'écorce
céréhraie eu quiiiante territoires correspondants à autant de
sla(li>s de diA (doppemeiil . et qui |)euvent être répartis en trois
^noipes : 1" les lerritnires à dé\ eloppement précoce ou lerri-
Iciires priuKirdiaux ; 2" les territoires à di'V(doppemeut |)lus
tardildu territoires terminaux : ."i" les teri'itoiivs intermédiaires
(|ui. au pniul de vue du di''\ cioppeiuent. se placent entre l(>s
deux t'atégories précédentes. — Les primordiatix, au nonilire
de huit, exist(Uit chez le f(etus avant la naissance ; les internjé-
tliaires, au immlire de x ingt-quatre, se forment dans le ju'eniier
mois de la vie extra uti'riue ; les huit terminaux, ajirès le pre-
mier mois {2\.
Plus récemnu'nt encore '■'> . l'Ieclisiu i'e\ient sur celte ilivi-
1 Vor.r : liluilf sur la m;/éUiii.\alioti des liéinisjilit'res réréhraux. Thèse de
Paris, 19oa.
|2 Xeiirologische l'enlniUiInlt, ISDS, n" i\. Analysé dans Jiihresherirlit île Vii-
c/tou: 189!). p. 29.
13) XIII' Conc;ri''S internatiimal de médecine de Paris, 19110. liapport de P. Klecli-
?ig sur les « CcnU'es'de [irojeclion et d'association ifu cerveau liuniain ». Rapports
de llitziy et de Monalinw sur le nicme sujet. — /« Hroue SeiiruL. 190», n' 14. p. (iSi.
cESTisi.s m: i'n(i.ii:rriii\ i:r r/;.Y77i/:s ;)'.\s.s(/';_\7/m.\ in:!
sion et ilrcliir.' ■ (|u"il y a tlf ilix-liuil à \iii^l iliiimps myélogé-
mHiqiifs clioz qui uiir roiiroiiin' niymniiinli' liicii ilrvclcipiiéo osl
facile il mettre en évidence, il r-l (i'auli-r- i-liiMn|i- ni\ lu \>vr-
sence d'une couronne rayonnante ne peut èlre dtMUonlrée ni
chez l'eiilant. ni cliez l'adulte. Celle-ci ne s'y forme donc |)a>
plus tard : die ne s'y développe jamais. " La division fonda-
menlali' ihi cerveau en centres de projection et centres d'asso-
ciation suiisiste donc, mais corrig:ée par la découverte de nou-
vidles liiiro de |)rojection qui amoindrissent l'étendue de ces
derniers au prolil des centres sensoriels. La splière tactile gagne
«luelqucs centimètres au niveau de la première frontale ; il
faut lui annexer le segment le plus antérieui- du gyrus supra-
marginalis. Le gyrus subaugularis est également détaché du
urand centre d'association postérieur. Les zones mixtes ou péri-
phériques rongent encore ces territoires déjà amoindris ; elles
louchent les centres sensoriels et leur sont unies par de nom-
breuses libres arquées : « Peut-être constituent-elles des forma-
tions de transition entre les territoires riches en couronne
rayonnante et ceux qui en sont dépourvus. ,. j^'insula et le
procuneus ne semblent consister qu'en zones iiéiiplu'riques.
La caractéristique du cerveau humain est reportée dans les
territoires centraux des centres d'association : » (À^ sont, selon
toute apj)arence. les points nodaux de systèmes longs d'asso-
ciation. taiuli> i|ni' les zone> pi riphériques ne présentent que
faiblemi'ul ces caractère-^. > Fle(disig leur rapporte les fonctions
anlérieuremeut attribuées aux zones d'association.
Esl-il besoin de faire remarquer rinipnilauce de ces rema-
niements? Et n'est-on pas tenté de suivre .Monakow, lorsqu'il
dit à ce sujet : « Les signes anatomiqucs dilférenliels fonda-
mentaux, qui distinguent les centres de projeiti(m des centres
d'association, apparaissent ici un i)eu elTacés... et la question
analomique se pose désormais en ces termes : les libres de pro-
jection sont-elles réellement moins nombreuses dans les centres
d'association que dans les centres sensoriels? Hitzig trouve
également que les assertions anatomiques de Flechsig ne sont
plus souteuiddes dans toute leur étendue. Tous deux ailmettent
le bien fondé, au moins dans ses grands traits, de la loi d'évo-
lution ([ui veut ([ue le ib'veloppemcnt des centres sensoriels
tSV II' K. lîALTlS
[ir(''C('ilr icliii (les i)arlios curticalcs qui sorvirail tlo liaso à
l'iiilclligonce, mais considèrent eommo purement liypotln'licjue
pour l(> moment (Hilziii ou même insoulenaiile Monaknw i la
doctrine qui place les fonctions supérieures de reulendement
dans des foyers corticaux spécialement délimités.
• .Mnlscré ces réserves, dit llilzi<i, l'u-uvre de !'. Flechsig et
ses principales idées fondamentales doivent sans doute être
appréciées comme un véi'itable progrès pour arriver à recon-
naître la structuic et les fonctions de l'organe de la pensée. 11
le serait au plus liant degi'é encore s'il s'était prononcé avec
plus de réserve et d'une manière moins alisoliu'. » Le lecteur
souscrira sans ddulc à ce jugemcnl impartial.
ir i:. liALirs.
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chien, trav. de l'Institut Solvay, llruxelles, 1898.
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journal of mental science, Janvier 1898.
D' K. lî.VI.TI S.
INSTITUT PSYCHOLOGIQUE INTERNATIONAL
il^:ez fije:-s^:ei
L liisliliil iiilrrii.'iliiui.'il |is\('li(iloL;ii{ii(' .iriirnu' >lr |iliis l'ii plus sa
vil.ilih' : le -H'i uiiifs dciiiici-. plus de liiiii l'ciils personnes se pi-es-
s.iienl dans le iji-aud aniidiillii'iili-e de riliilel des Sociétés savaides.
pour euleiulre une i-iiNJerenie de M. II. Bergson, sur le Hève.
M. Her^sini |iose le prohlènu' sans préambule : ■' Voie! un ri"'\c :
j'apereois des objets, il n'y a rien: Je vois des jiersonnes. je leur
parle. elle> uh' iM'pondenl ri il n \ a pei'.--onni'. Toul se passe couinie
s'il y avait des [lerscuines el des choses i-eelles. A (pioi cela lienl-il-?
Kt (raborii. y a-l-il rien ? •
1" 1,1' Itéve a une )/i«//''vc C(uislitnr'e par les sensation'^ sulijeclivc^S ;
nous lailbuis nos i-éves dans I étoile fournie d'abord par les |dios-
phènes. comme le prouveni les observations simultanées d .\. Maury
(•t du mai'ijuis d liervi' de Saiiil-Denis sur le passage d(^ l'état de
\'eille à l'i'lal <li' souimeil. et les i'\pi''riences récentes de M. l.,add sm-
le ])rolonj;'emenl ilii ic\c au ri^veil. Outre cette pou.ssière visuelle
interne, il laul tenir compte <les e\cilali(ujs extérieures, de lumières
idijectives (pii joueiil un i-éile considérable dans nos révi's r(''Ve de
1 iiM'cudie causi'' jjar une lumière \i\('el brusipu' — rêve de la liaiicr'c
causé' |iar rapparili(Ui des rayons de la lune : CI', le .Wijllie d'Hiidij-
iitiiiii . Les seusatiiuis de la vue jimicuI le n'de principal dans nos
rêves, et niuis avons une li'uilancç à visualiser les autres sensations:
mais celles-ci interviennent aussi. Tels les b(uii-d(uinements l'I tinle-
uuMits d'oreille. an\i|uels il tant joindre les bruits extérieurs; telles
les perceptions tactiles (sensation de volei- dans l'aii-) et les sensations
or,nani([ues viscérales ina|)ercues pendant la veille, très nettes et quel-
ipiel'ois très intenses jiendant le sonmieil i maladies proplu'tisé'es .
;./•; H EVE 4S7
lircf. nos seiisalidiis l'ii nHi' Sdul Irrs iKuiilirciiscs. i|uiiii|iif vaincs
l't (•iiiifiis<'s. mais leur cliaiiiii rsl |ii'ul-i''ln' plus ('Iciulu i|ui' piMiilaiit
la v.'ilic.
i" Nos rt'Vi's soiil l'a lu-iijin's avec i-cltc nialirrr inili'lciaiiiiii'i'. i[i(l(''-
l'isr, susccpl ililr (ICiilri'i- dans mille cdiisl niclioiis. Mais clli' rsl
intoi-mi't' |iai' nos souvenirs, car on ne |ieii( dire (pie le rêve pfid'omi
snit ei-éaleiw. Pendant la veille, i\r<. sonvenirs soiil éveilli''s par la
silnalion acinelle qu'ils en<'adreiit. le liesoin ila^i]- i'(''prime Ions les
autres (lui sont, inutiles. Le sommeil, cet ahainlon momentan(''e de la
lutte, l('^ve la trappe de 1 inconscienl . et les souvenirs se lèvent en
l'oide. prt'cis mais irri'ids, pour venir s'insérer dans cette |)Oussière
de sensations vaf;nes mais rt'(.'lli's. Le ri''ve est an point de jonction
du S(UiV(Miir et de la sensation. La si'Ieclion des soux'enirs s dpere
(relle-m(''me par une soHe d'appel COm|)arahle à la cinde des âmes
dans les corps si piiéti([uement décrite |iar l'iolin. Ln s(nume. le
iiii'-riiiiisiiif du ri''ve n'est pas 1res dillérent du processus de la pei-cep-
lion des ohjets où le souvenir entre pour une si f;ran(le pari, ain-.i
(pi'en témoiiAuent les ('xpéi'iences ingénieuses de (lokischeider cl
Miillei'. I dans une li.nne imi)rimée. nous ne listms (|ue ([uelques .jam-
liaf;es caractéi'isti(|ues) et celles de iMiinslerherg 'ainalf;aine du uml
lu nvi'c le mol s(MdDéi. Mais alors, coimaenl le rêve se distinj;iH'-l-il
de la veille? Il faut se garder des théories : il n'est pas vrai ijue les
sens soient fermi''s ou (pie nos facultés su|iérieures soient [laralysées.
Tàclnuis plul(')t de nous interroger nous-méme et d entrer en conlacl
inlimeavec les l'aits ! M. |-îeri;son cile un exemple pers(uin(d : wm-
as.seiiiblée délibérante — le rêveur prmionce un discours sans élo-
quence — de la salle monte une rumeur va^iiu' (jiii va s'accentuani
— t;rondement. puis hm-lemeiit. puis rxllime vigoureux (pii scande :
■ A la porte 1 à la porte I à la porte! ■• .Vu réveil, M. B(M;;son constate
<pie chacune de ces exclamations coïncide avec les aboiements d'un
(diieii, et, retournant lirus(piemenl son moi éveillé contre le moi (jiii
rêve encore, il enf;a}<e avec lui un dialogue fort curieux. Le moi (jui
n've lui expli(pie (ju'il se désintéresse de tout, qu'il se laisse aller,
«pie tout lui est indill'érent. On dort dans la mesiu'c oii l'on se désin-
l(''res.se la mère qui n'entend pas uncoLi|>ile lonnerre et (|ui sent son
enfant s'agiter). Le l'éve n'a pas besoin d'être expli(iué : ce (pie le
|isycliologue doit expli(iuer, c'est la veille.
.'i" Reste à analyser les principaux cnfarlrrrs du rêve : s(ui incolu'-
reiice (Souvenirs nombreux pour la même sensation ; riiil(dli-
gence qui veut expliquer aggrave l'incohérence) — la perte du sens
de la durée vie ext('rieure grande régulatrice du temps. — défilé
488 /./■; ;i/';i'/';
riipiilc (riiniii^rs ;i peine esiiuissées — l'orilre dans lei|iii'l se ,nriiii|>eiil
les souvenus iiioii [las les événements qni nons ont préoccupé pen-
dant la joui-née. mais ceux ipii ont efdeni-é la cnnscience, qvii ont
traversé, semlilaldes à des ('elaiis, I esprit distrait . Dans le sommi'il
proi'on<i. le rêve semble moins ineoliérent el retrace des S(;t'nes loin-
taines de notre liistoire (expériences inédiles de M. Vascliidei. Mais
il est dil'lici le cle piMii'In'i- dans ce domaine mysti'rienx de I inconscient
ipi enveloppe l'ouMi. liomaint- dont la connaissance éclairei'ait cepen-
dant des pln'nomènes sinj;nliei's i télépathie , et dont l'exploration
promet aux psycliiil(ii;ues de l'avenir des di'coii vei'tes im|iorlanles.
Cl' sec résumé ne peut doniuM' qu'un pâle aperçu di' la linesse
d'analyse, de lai't délicat, de la péniMralion aij;uë du conférencier.
M. Bergson excelle commi- l'imminent ps velu il oi;ue améi'icain W.. lames,
avec (]ui il oH're tant de points de ressemiilance. à eiicadi-er les don-
m''es l'écentos de la psychologie ex|)(''rinn'nlale el les exemples les
plus saisissants dans la tranu' snlil ile dune analyse pcrsniinelle. Il
est liMijiuirs inti'ressanl à entendre, cniiime un lialiilc metleur en
(l'UM'e. comme un romancier très iiiipiisileiir, ciiiimie nu solipsisle
délicieux ; mais s il sait commenter lieureusemeiit sou livre de Mn-
lirrf l'I .\fi'»i<iiri\ peut-i'Ire l'ail-il mnius piuir la ps\cliiilogie scien-
litique. Le .progrés vient ici des cliercheui's de laliiiratoire et des
Imnuues de clinique plus patients que virtuoses. Les donné'cs
t'iuMuies par .\1. V. .lanel dans une longiu' série de leçons sur le som-
meil et les l'Iats analogues, professées cette anni'c ménle à la St)r-
lionne et au Collège de l'rauce. CDnigei'aient sui' plus d'un point
l'excinise confr-i'ence de lauteiir du /tii-r.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
AVICENNE, par le Baron Cabha de Vaux.— RMix Aloax, éditeur, Paris,
l'.iiio, iii-lS" de Mi-il02 pages, avec une carte.
l,a pliil(i>(i|iliii' ,ii-;ilii', (|iii a imi siiuvcnl |iiiiir IjiiI ira|iplii|iii'i- les
<l(innt''('s ai-isliili'liriiMiiii'S a l'Islain ri (pic iiiiu> a|i|)i'lli;'rioiis vcilciii! icrs
/(/ srohisliifiir (irant la sraliisiuiiii' l'sl r-i.'lativt'nn'iit pou coninii'. car la
jiliiparl (le ses pi'ddiK'lions sdiit in('ilitcs et ou a peu l'ail pour v\il,na-
i-iscr les iiartics di'jà i''dil(''es.
.M. le i)ariiii Cai-ra de Vaux, adonné depuis lon^leuips à l^'lnde de
la lillérature arabe et ([\ii a déjà publié de luuubreux h'axaux |)liilo-
S(.>pliiipies et pliilolof;ii[ues. (Mail loid (l(''sij;ri(> poiu' nous initier à la
oonuaissance de eelte philosophie. Il a choisi Ariri'iiiie couiuie [trc-
inier [xiinl culminant el nous va conduils pas à pas depuis le comnien-
cenicnl (In mal létisme à Iravei-s la lhéoloi;ic el la philosophie. Il
n'a pas pr('leii(lu être complet : il n'a pris, des travaux el des sys-
lèuu's anléi'ieiirs, que les notions el les résultais ([ui devaient servii-
;i laiic mieux couiprendre Avicenne, nous pourrions dir'c à lui ser-
vir de cadre : •■ (^c voinnu' n'est pas consacré au seul système d'Avi-
cenne, mais à la descri|ili(iu de l(ude une [i.artic du nuiuveinenl ]dii-
losophii[ue (pii s'est produit en Orient enire rh(''f;ii-e et la moi'l
d'Avicenne, mouvement oii le systèn^e de ce philosophe appar.ail
comme un point ciilmiii.iul . A cijlé des sectes et des écoles dont il
est (piestion dans ce livre, s'en trouvent d'anires ([ni en sont restée:.
ex(d\ies: les écoles tliéolof;ii[ues. les sectes ]>oliti([ues et mysti(|nes.
l.a lh(''(iloj;ie ne s v présente (|U au deliid comuie point de d(''parl, el,
ilaiis le courant de rexposili(ui. S(uis l'orme de uiélaphysi(|ue. De la
p(ilili(|ue. il est tr'aité soumiairenu'ul dans les j)ass;ij;es oii est dessin»''
le cadi-e liisl(U'i(pu' dans h'(pud se sont ums mis héros... (Juaut à l;i
mvsli(pie. souvent iio> auteurs nous (•(in(.luir(uil jus(pi'à sou seuil;
490 1'. NAC
mais iiiius rcriisci'diis de nous y (.■ii};aj;L'r, cl (|iuii()ii(' Idi-i-i's d en dire
<jii('l(Hies mois pour achever la luétapliysiqiie, noiis iir liHudiprons
pas coimiii' svsl('']iii' iiidi'iiriid.-Mil . " .\ vu ii/-jii-(ijios. p. \-\i.
I. — (jiAi'iTHH V'. /.Il '/'hrailicrr du Coran p. l-loi. — " Le pro
l)l(Miie le plus j^énéi'al de la phiiosoiiliie aralie n'a ]ias élé de l'echer-
clu'c la véi'ilé, puisque celle-ci (Mail domii'e en ])lnsieiH'S de ses
[loints esseuliels idans le Ou'au : mais di- soutcnii' cette vi'rilé
iiilnilivement posée par une construction analyti([ue et raliitnnelle,
cl de suhstiincr à son expression lyiicpje nne expression conforme
aux modes de la |)hiloso|diii' anticpn'. C est ce (|u on peut appeler
le probli'ine scolasliqne. ■ Le Coran met en évidence lunili', la
puissance, l'élernili'. l'immutabilité diviiu' ; il insiste un peu trO|)
sur la |)i'(''destinalion sans aller cependant jusi|u'à un iiiiductalile
l'atalisine: "Si Ton pai'cmirt d un esprit calme et non pri'venu les
passaf^es du Coran relatifs à la |)rédestination. on \oit cpj'ils ne sont
pas aussi nettement fatalistes (jue beaucoup l'ont cru. il que tout en
l'Iaul efl'r-ayanls. ils ne sont nidlemenl o|)posés à toute justice. ■• La
i-('\ l'Iatidii est [U] inessap;e de Dieu. Les animes sont créés, et aussi
distincts de Dieu ([lie le sont les hommes. Mahomet " cri'a nuelln'-o-
(licée n(d)le et ferme, imitée de la tliéodicée biblique ".
(JiAriïni; IL Lrs Mulnz^lilcs [[>. L"')-.'{7). Ces docteurs incarneul les
spécnlaliiuis (pii pri'cédèrenl l'introilucliou (ui du moins la pleine
connaissaïue de la philosophie ^l'ecque. Ils tieuueul pour le lilii'c
arbitre et la néjj;ation des attributs de Dieu au n(uu<les(Mi uuili'. On
leui' prête aussi cai' liMirs ouvrajj,es sont perilusi divei'ses théories
sui' le mouM'Uienl et la ci-i'atimi, la justice de Dieu, la nalm'e de
Ijîme. le déterminisme, le paril lii'isme. la ui(''teuq)S\cose.
CuAiTllil-: IM. Ac.v Triiilurirurs i [). ;i7-7!tl. " Le nuiuvenu^it de Iradnc-
lion en arabe counnema sous le rejoue d El-Mausoiu' "."i.'t-TT'i et fut
encyclopiMli({ue. (In traduisit des ouvra};es scieiililiijues, litté'raires,
philosophi([ues et religieux appartcLiant à cinq litl(''ratures : les litté-
ratures i;i'ecqiH', lu'bi'aïqiu'. syrienne, persane et indienne. ■) Il ne
laid pas <'roii'e cependant ipi il v axait eu i''cli[>se complète jiis(|u au
vm'' siècle. Il y avait toujours eu des écoles brillantes à .Mexan-
drie, à Beyrouth, à Édesse, à Nisibe et dags divers eonveuLs ; des
écrivains île race syrienne avaient traduit ou coumienh' bien des
oiivraf>es p;rei;s et le inouvemeiil arabe l'ut pliit('it un l'paiKHiissement
(pinn réveil.
D'ailleurs, même aux l)elles l'^poques de la littérature arabe, la
plupart des traducteurs i''taient des clir(''tieus. Les ]pai'eiis de llai'i'an
.\VICI:.\M:. par le baron C.VUliA DE VAUX 491
l'iHiniii'ciil aii-^--i i|iii'l(|iii's Ii'miIiicIimii's. t'w |iarl ii'ulii']' : Tàliil . lils
(le Korrali. l'I MnliMiiinii'il. liU di' l)J;'il)ii'-i'l-Hiill;'ini I .
(jlAriTKi: IV. /-<■< l'Iiiliixiiplics ri 1rs Hnnirhi/irdislrs p. 7'.)-li7;. —
c( Li» iiiim (le |>liiliisii|ilu> n'a jias dans la IilU'i-atiii-t> aralie le sens
f^i'uiTal cl vajiiii' i|ii il a (lan-- nnli-i' laiii;ni' Li'S |iliil(iS()|ilies pro-
|)ri'Uiciit dits l'Iaii'ul s|i('iMti(jiieiii('id les (•((iitiiuiateiirs de la li"idilion
|diiii)Si)|iliii|iii' ,tjrcci|iii' considérée cdiiimc nnc. Pour eux la philnsn-
[iliic ,mcc(|iic ilail \iai" au même def^n' que la révélation; il cxis-
lait II jiii(ii-i iiti acciii-(| l'nirc la ]iliiloso|diie cl le dogme, à peu |)rès
comme aux \cu\ i\r> cioxaids i|c nos jours il existe un accord entre
la science et la foi. Mais en réalilc la philosopliie L!;rec(|ue conicnail
une masse d'idées passahiciiieni comjdexes et divei-p^nles et il n est
pas toujours aise di' voir du prender coup commeid ces théories
pouvaient s'adaptera la I liiMiliii;ir de l'Islam Chalirastani donne
tine liste d uiH' vini;taine de pçi-sonnaf;es ijui ont mérité, dans la lit-
•«'■ralnre ai'ahe. le titre de jdiilosoplie, antérieurement à Avicenue. " —
Viennent alors des notices liiof;raphi(|ues et aualyti(pies sur ces plii-
josoplii's : Kl-Kindi l't ses disciples : Anied, lils tlEI-Tavib Serakhsi.
el Al -Zeïd. lils de Salil-el-Balkhi. ])nis el-l'i'iiNdn cl les encijclopi'-
ilixlr.i. Parce dernier ncun ■• nous avons |dns |iartienliérement en vni'
une société de jiliilosoplies vnlj;arisateurs et propagandistes qui
s'est dcumi' d'une façon pins expresse la tâche de constituer, à l'u.sage
du pnlilic. rencyclop(''die des sciences : nous voulons ]iarlei' des frères
lie la pui-eli' Ils pensèrent que la loi religieuse n était pas pai'faite.
>|u idle contenait des erreurs dont elle avait besoin d'être |)ui'itiée et
(pi'elle m- pouvait l'élre (|ue par la |)hilosopliie. ■•
ClIAI-rrHE V. Aricfinnr. Su rir el su hifilioiirci/ilnr p. Ii>7-l.j7 . — (le
grand philoscjplie eut l'Iii'urense id(''e de ri''diger une anlidiiographie.
i-ecueillie el aciievee ]iar S(Hi disciple el-l)jon/,djàni. Il uacpnt eu !l8.j^
apprit le calcid indien, la jurisprudence, la coutrovei'se. la philosophie.
la géonu'drie. I almagesie, •■ qu'il nous dit avoir compris iivrr une
faiililr iiiervrUleusi: », les aphorismes des ]dnlosophes, la physique
et la théologie ,. et. .selon son expression, les i)oi-tes de la science lui
lurent ouvertes ». 11 <lésira alors apprendre la médecine, et comme relie
xrie>ir,\ al'lirme-t-il. n'esl jtus difficile, il y lii de très rapides progrès
Après s'y être initié dans les livres, il se mit à visiter les malades, et
il acipiil des traitements empiriques pins d'expérience (jn'on ne san-
••ail dire. Les nuhlecins commencèrent à vi^nir ('tudier sons sa dii-ec-
I h M C. A. Nallino publie aotuellenipnt Vopus uslroiiuniicum d'AI liattani. La
treisi.-ine partie cooiprenant le texte arabe a paru à .Milan en 1S99. La traduetiua
est siiMs presse.
492 F. NAi;
liiill. // n'arriil Cil cr li-liipx- li'i (jiir srizc iiih\. l';il-\ l'iiii à ce |iiii-iil. il
consiicra un an iM di'iui à la lecture; il ue lit plus, duraiil ic lenips,
aulr'e chose que de lice et île relire les livres de l()j;ii|ue et de pliilo-
siipliie... '< Jje jeuue pliilosciplip appi-utiunlil aussi la série des sciences
iolîiques. ])hysif]ues et uuitliéuiati(|ues ^»x</»'«(/ /jo/»/ où riunnme peut
nlli'hldri' pI il ti'ij fit plus, dil-il. (h' pf/np-rx (It'piiix liirx. Fuis il se
tiiiiriia vers la ni('tapli\sii|ue. Arireiliir ii'nriill pins l'iii'iii'r liix-lniil nus
ipi'il (irait iirlievr di' pairiiurir le rijclr di'x .sririires •■ Il entra dans la
vie pi)litique. fui médecin successivement île l'éiuircle llamadan.puis
de liMuir (ris])alian: iiiljn unnirut à Ihniiadan en id.'SI). à làge de
.")S ans. " La cause de sa lunrl fut une culiqne ipii lui arriva, il désirait
lanl eu f^uérir i[u'il prit huit lavements en un jmir. l lie partie de
^;es intestins lui ulci'n>c cl uni' dysenterie se déclara... Quidiprun lit
sur lui ces mots: le Cheikh i-r-Uais na tiré' auenne utilité de s;i
science de la médecine ni de sa science di's asiies. l.e l'hifii ne la
]ias guéri di' la douleur de la nnirt : \i' .\iiilpil l ne la pas sauvé "...
M. Carra de VauN cite ensuite quarante-ipiatre traiti'S. lui o|iuscules.
fui poèmes, ou lelh'es dWvicenne. el ajoute : " Kli l'ace d'une leuvre
aussi immense, dmit nous ni' piuivons praliijueiiient connaiire ipi Uni'
faillie partie, au moment oii nous entreprenons d'en parler avec
di'Iail niius nous sentirimis envahis de vertij^e et dellroi. si nous ne
savions que les fi;raiids esprits du moyen àj^e el de l'anllipiité élaienl
souvent moins pré'occupés dinvenler que de recueillir et i[u'ils iMaieiit
jiliis sincéreiMcnl l'pris de science que d (iiij;iiialile. ■
Ch.M'IIIU-; VI. La /.oipipn' d'Aricoinv p. I.")7-[SI . — Dans un petit
traite de la classilication des sciences allrihiié à .\ vice une. la lot; ii pie.
classée à pari îles autres sciences, " csl divisée en neuf parties cor-
respondant à huit livres dWristote précèdes de \'Jsiiipiip' de Porphyre.
L ohjet de ces neuf pai-ties et les livres auxquels elles se l'appniieiil
sont i''nonci'S de la l'aciin siiivaiilc ; > l.a première a pour ulijel les
termes et les éléments abstraits, il en est parlé dans l'/.sv/i/ix/c ,- l,i
seconde, rénumération des éléments ahstrails simples, essentiels.
a]iplicaliles à liius les êtres, dont il est parlé au livre des l'iitripirirs :
la tioisième. la com|iosition des abstraits sinqdes pour en foriner
une proposition, il en est traité dans les Urniiriiria ; la quatrième, la
coinposilion des propositions pour en former une démonslralion qui
donne la connaissance d'un inconnu sir . c'est l'idijet des pjri'inirrs
Aiiiiliiliiiiii's : la cinquième, les conditions que duivcut remplir les
(KLe Chifâ. c'est-à-dire Iti i/nérim/i. est un traité de pliilosnpliie , tOf^i'iiie,
iiiathématifiue. pliysique et inétapliysique). le \iiiljcil. r'est-à-dire /c «'//»/. est un
résuiui; du traité précédent.
AVKEXSi:, i-Ai! LE LiAKO.N CAUI'.A DE VAIX
4';i:t
|iréiiiissi's (li'S rjiisiiiiiii'iiii'iiN. r c^l riiliji'l ilrs srimn/s \ nnhil Kjiirs :
\,\ sixii'iiii'. les raisiiiiiii'iiH'iil-- |ii-iil>,ililrs. iiliirs i|ii,'niil l,'i |iii'uvi'
ri>iii|)l(''li' r.-iil (Icr.'llll. crsl ce ihiiil li-,'lilr le lixi'C des 7'(ijiii/i)f.\ on
(Ir l;i /Jiiilri-hijiir : la sr|il iriiii\ Irs cr-n'iirs. i-'csl la nialirrc dr la
Sophisliiiiif : \;i liiiil iciiic, |{'S (lisroiirs piTsiiasirs adi-cssi's à la rmilr,
cl {■ l'sl I iilijrl iji' la llhrl'iiKiiir : la iicinirriir, Irs ilixaiiirs vcisi lii'>.
l'I c'i'sl ri'hii (le la l'm-l iijiic . ..
(lllAliTHI. \ll. /.'/ J'Iii/sii/iif i/'Ari,riiiir |i. I.SI--2()7:. — AnIcciimi'
(lislin^iic la jualièri-' t'I la lnriiii', les (|iialil(''s |iri'niirri's l'I si'cniidi's
des ciiriis, I rois espèci'S dr riiiTcs. Il |i|-ori's>c c|ui' la iinliiiii di' lciii|is
l'sl dé|ii'lldaid(' de celle de iimui Vi'iiiciil ; (|iii' le lien ol la liiiiile du
cduli'liaill i|in 1(111 elle la liiiul e ilii ci m le il il : i{iie le \ jile ni' jieiil e\i>l er
pas plus ipi iiii inliiii aiiiiel; ipie les corps cl le iniiiueineiil soiil
<livisiiili's à l'iiiliiii.
C.IIAIMTUI'. VIII. /," /'xi/rlin/oiiir li .\ riir ,1 iir p. "JOT --J.'Î'.T . — " i.a
psycliolii^ie conipi-end clic/, .\\iceiiiie l'idlide de l'diiio cl celle de
I iiili'l/i(/ciicr .>, deux éléineiils ipii présenlaienl alors ■• une dili'érence
Irès claire de j^cnre à es]H'ce LVmie esl un ^cure ijui comprend
Irois es|)éces ; 1 ;iiiie \ l'^idale, 1 , 'in le aiiiniale cl IViiiie raiMMinalde on
inltdlifience I.'i'niw fi't/rliili' a trois l'acnlli's : les l'aculles île ^éiié-
ralioii, d accroisscuieiil el de luilriliini \n lias de l'àmi- iniitniilr
soni les raciilli''S eli'mentaires des sens, an-dessns de celles-ci, soûl
des l'aculh's ijni relieuneul. f^rinipciil et inlerprcleii! d'une manière
immédiate les diuiin'es sensihles. " II y a ciiii| sens, on liiill eu divi-
saiil en ipialrc le sens du lonelier. les l'ornies des idijcls perçus \ ien-
iienl an sens i-oiinniiii " e-,peee de linreaii ceniral on passeiil le>
perccplioii> Neiiiii'S du dehors avaiil d V'Ire idaliorec'., pai' les raciilli'>
du dedans >. Le lalileaii ile> l'aciilli'^ de 1 Yiiiie aiiiiiiale, ipii ai;i»enl
an dedans sur les ilonners des sens, n esl p.is alisoiiinienl li\e elle/,
les pliilosoplies aralie-, ni dans les oMixrcs d Wvicenne en parlicidier.
Ou peut <listiiif;iicr ee|iendaiil : ■ La l'or i lia I ivc, la coi;ilal i\ e. Lopin ion
et la iiu'moirc >> \. iiili'lli</riiir on ànie raisoniialile se divise en
iulellij;eiii-e pratique el l'ii inlelligence .spéculai i\e. },' ifilrl/iiiriicr jua-
tii/iif esl la l'acullé moirice ijiii préside à l'acliou. elle esl en relalioii
avec ce ipii 'est au-dessous il'clle. LinlcIlKiciirr sjii'riilnlirc a loni
d aliord Irois elals : |" Lintellii^i'iicc iiinlrricllr ipii ii'csl ipi'niie possi-
liilili'' alisolne de coiiiiaitre; '1" Liiilellij;ence jins.tifjlc on •■ de posses-
sion '■ qui esl di'Jà eu acte par rappori à la pn'cédeiile, car elle a
.icqnis qncLpic chose : les x'criir's premières el iii''cessaires : .'!" 1 iiilel-
liiicnce qui esl dans nu l'Ial de |ir(''paralion parl'aile el en hnpielle
|ieuvcul à Ion! momciil se produire les r(.irmes des inlellij^ililes
-S-»4 F. NAU
iiCMjiiisrs ;i[ii-i''.s les vrrili's iin'inii'i-i's. ■• On i.pjn'llr ce (le!i;i'é iiili-lli-
f^ence eu adi'. Iiii'ii ciuil ne siiil imi rralilt' ipif It- pins liant cIciçim' lii'
rintt'lli^encé vu pnissainT. Alors. rinlcUi^cncf ('lant ainsi ]ii-i''ti'. la
(•Knipiv'ln'nsiiiii «les l'ornies s'y i-ralisi' cl i-i-llc inlclligcnci' di-vienl
ce ipic l'iiii (Icvr.iil proprement nmnnier riiilelliu;enc(' en acli". niais
ce que celle lerniinologié nn |)eu ili^'ectiiense noninu' Vinli'l/itinii;-
iiriiiiisc. An-dessus île ce ilegri' ilinlelligence. Avicenne place un cin-
<piiènie étal, connimn senlenienl à ipu'lipies honniles : c'est celui ijne
r<ni appelle l'rspril stiiri!. Celle sorti' (linlellii^einc' connail immédiate-
ment les clioses et avec elle on enire dau> le in\sliipn' sich-- (' L in-
lelliLji'nce en puissance ne sort en acte cpi'à cause d une intellii-ciice
iDnJiuirs en acte l'intellect aj^ent ). i,a lonctiini propre de l'intelligence,
dans la llie(U-ie d Avicenne. c'est de saisii' les nnixcisaux : celle des
sens était de saisir le pai'ticnlier. ■■
" I.a iireuve de la spii'itnalité de l'ànie rai^onn;dili> axant poui-
corrdiaire celle de son innuorlalili'' es! fiinrnie pai' Avicenne avec
aliondance... Dans le système d Avicenne. ciiaipu' ;ime est créée an
inonii'ut de la ^l'nération du corps, et elle reioil. l'clativement à lui,
une ada|ilatinn spéciale. •
CUAl'ITlil. 1\. /.Il Ml'lllljln/silillr l/'Arii-cinii' p. -I'.i'.>-'1~ it . — " L;i,
mi'tapliysiipu' est la s<ience du monde, des élres snpraterrestres
et de Dieu, j^lli' l'oi-mi' dans le système d'Aviceiiue nn noble tableau
dont les lignes niaitresses rayonnent autour de deux ijrandes doc-
trines: celle de la pi-ocession des élres et celle de la causalité
lue autre thé(M'ie. ramiliée sur celle des causes, est celle des univer-
saiix L abstrait, cousid(''ri'' iscil(''uienl. est nue cliosi': ciuisidéi-é
comme général ou p.irliculier. un ou multi|ile. en puissauci' on en
acte, il est uiu' aulie chose Kn somme, deux espèces d'exlsleiice :
l'existence dans l'espril. l'existence dans la réalité extei-ne. ■■ Vient
enlin un exposé, il après Aviceuue. de l,i llii''orie de la cause pi'eniière
e! i|uelipu's considérations içénérales p. i'-l-'l'l ■.
(lllAPlTHK X. /.Il Mijxliiiiii' irAi-ireniii- •[>. r^TT-iîHt . — (^e chapitre
est destiné à servir de coniplemenl à la nii'laph vsiipie. La Provi-
dence est reuvelop]ieiuenl du tout par la science d' I i-tie pi-euiier...
11 y a trois espèces de mal : le défaut ou manque, la sonll'rance e| le
pr'cln''. Le mal pai- essence est le mal pardi'raul; par conséquent il esl
néjj,atir Toute la cause du mal se trouve reulei-inée dans ce ipii
esl sous la sphère de hi lniu> La snpériorili- du bien sur le mal
dans le miuiili' ii est pas seulement une siipi'i-ioriti'' mélaplivsii(ne,
c'est aussi une supériorité numérique et quantitative Le bien et
le mal se prolontcent après la unu-t pour les puissances immortelîes.
AVICK.SM:. 1'\u i.e iniuiN CAKKA l)l': VAI\ V'.)!;
i'liai|iir r.'ii'iilli' hiiin.'iiiir i\ ilii |il.'Msir ri un hirii (|iii lui sniil |ii'ii|ii'r>.
une son lira liée cl un mal (|ni Ini soni |ii'(i|n-cs l/ini |ii'nl ailnirlli-c
(|ni' l'àiiu' S('|iar('(' du l'orps aj^il sur 1rs njal iri'cs ci'lcsli's cl rmiliniic
il iniai;in('r ilcs l'iuaurs axcc ces nialii'i-i's ciminir (linnK'CS. l-cs àliics
hoiUK'S iniai^iucnl li'-- l'Ials ju'nrcnx an\i|in'ls elles luil aspiré ilnranl
la vie: les nianvaiscs iiiiaf^inciil les cluiliincnls cl les soullVanccs.
I.a lin lin xolninc [i. 2'.>(t-:ill8 csl ciinsaciM^c à l'cxpiisil inn cl à
l'appliralidn du ni\llic i\r Sahiniàn cl d'Ahs;'!! (pii ne scinblc pas
(r(M'ij;irn' aralic niai^ csl cili' pa r \\ iccn ne. l'n pilissani riii, llciMnàinis,
lils illlcirnlc. n'a pas d l'nl'aMl : pai' l'npcral iciii d'nn sorcier, il idil icnl
nn lils d une mandragore, il appelli' ce lils Sahiniiin. l'I Ini ilonne
une belle nom-riee innmncM' Alisi'd. Sal;'nn:'m. dcvi'nn ^^rand. aimi' sa
niMirrici' d amoin' cl scnlnil axi'c elle, lorsipie le pci'i' Jalonv scnl
les si'pai'cr. Ilcrm^inos. avec le secnnrs du prr'ei'dcnl sorcier, l'ail
nxjnrir Alis.'d cl rallai'hc à la \ic SaL'nuàii ipii xindail mourir anssi,
en Ini l'aisaid apparaître l'imai^i' de Venns. liien plus licllc ipi'Ahsàl.
Vi'nns lui apparid ainsi iiis(jn à ci' ipic son ciiMir se lassii! de celle
iniai^c miuiie cl n ci'il pins en \ ne ipie la sagesse. Nous ne savons
pas au jnslc ce i)u',\\ iccniu' pensai! de ce inyllic, mais, pmir .Nasir-
cil-l)in cl Tonsi. le roi llermànos esl riniclleci a^oid : Sahiniàn lii^urc
I àliH' raisonnable issue de riniclleci ai;cut sans dr'pendance îles
clioscs coi-porclles. .Misi'd est l'ciist'mble des racnlli''s animales, elc.
Kniin p. :i(IS-.'!UI)! M. C^arra de Vaux rend nu vibraul lioiimiai;c
aux pliilosoplies arabes ■ ipii oui eu loi en la i-aison... i|ui oui cru
la vérilé iiniverselle... ipiiiuil enseigné (|ne la polilii[nc csl nncparlic
de la science... iKUnmes. an l'csle, d'espril si vaste ipié l'édenilue et
la \arii''ir' de leurs \ nés mi''ritcraii'id d'cxcilci' l'cuxic des dilettantes
de noti-c ;\u;i' . |iuisipn' déjà dans le leur ils se sont cll'orci''s de
compreiulre tous les s\stémes, tpi ils oui tcuti' de les syniliéliseï'
tous •'
Le livi-c de .M. (iarra de N'aiix pri''sciitc la scolasl iipu'. non comme
l'apanai;'!' dune im-oIc. ni mi'uu' d'une religion, mais coimiic l'adapla-
tiiui de la pliilosopli ie arislotédiciciiuc au ilo;;iiie. A ce point de vue,
elle l'Iail const il ni''e de toutes pièces, axant le \' siècle, cbe/
les .Mahomi''tans il:. Il resterait a montrer I intliieucc de celle scolas-
1; A niiler le mode ilétudier dWvii-enne ip. 1.'i3-!34)-et le rapprocher des iiié-
tliodes iiivilogues prèlées à certiins docteurs : <• Toutes les fois que j'étais;
embarrassé dans une question, raconte Avicenne, et que je ne trouvais pas le
ternie moyen d'un syltojijsme, je m'en allais à la mosquée, et je priais et sup-
pliais l'auteur de toutes clioses de m'en découvrir le sens diflicile et fermé. La
nuit, je revenais à ma maison : j'allumais le tlambeau devant moi, et je me niet-
tai.s à lire et à écrire. »
■.'.u. F. NAf
lii|iii' oi-iciilair ^ur l<'S ciccidrrilaiix cl il iiiiiis l'air'e voii' ciniiiiii'iil le
tlaiiihcaii ilr la |iliiliis(i|ihic lui Iraiisinis à I ( tci-idciil cl (lispaïail di',
Idriciil.
II. — Nous leriiiiiii'i'oiis ciMlc ('liKlf par i|iii'l(nii's iiionuos l'ri-
liqiics. M. Can-a do \'aii\ ne pi'id nous (>n savoir mauvais i;n', car il
sail li-(i|> lilcii ([uCu iiialiri-i' i)liiliisii|dn([ui' 1rs <liscussi<ii\s sont de
i-cj;lc cl uallcrciil en rien les i)mis ra|iiioi-ts, ioi-s([u ou se l)nriie,
cnniiiie nous allons le l'aire, à d('Vclop|ier (jneliiues idées person-
nelles, sans \ouloir les dunuiT roninie ohjrclirrtiiriil pn'lëi'ahles aux
idr-es d'auli-ui.
I" .M. Carra de Vaux (''ci-il p. lii) : " Il n iinpoi-h' pas ipie nous
lrausei-ivi(Uis les lilres des ouvra^i's nieidiouués par DJciu/.diàui. ni
(pu' in)us dl'essions la lisle <le reu\ i|ui se li'ouveid dans les hililiii-
Ihèipu'S de IKurope. ■• Nous ei'ii\ mis au riuilraire ipi avant de lon-
->aerer un V(duiiie de ;i(HI pa}<es à un auleur, ou iloil l'aire un relevi''
exact de ses lein res, des leiivres conservées, perdues, éditées, et uièiile
des travaux un |ieu considéraides ipii leur ont déjà été consacrés.
M. Cai-rade Vaux acerlaineiiieiil lail ee Iravail. Il aurait du eu faire pro-
liler ses lecteurs à Faille dune noie ou d un r lia pi Ire addiliouuel. In
onvraj^esans l)ihliojj;ra|diie soij;nr'e esl, à noire avis, iiuduiplel, car il
olilii^i' loill leeleiir rilii mil I ni rii illiT à I iirciisiiiii ilr rrl iiiirrdijf à
l'aire liii-inènie Imiles les recherches hihlioifrapliiipies dont on I a
rnisln'-. Avicenne esl iin-ouiplèteinenl eiuinn el l'dndié, les jeunes
arahisauls aiiiieraienl .savoir exaelcuienl ce ipii esl l'ail el ce ipii esl
il l'aire ou il refaire.
"i" Diins le lueiiie ordr.e d id(''e-.. coiiiiiii' I iiiiloliiii;;r,ipliii' d Avicenne
esl évideiunieul nu docuuieiil eiijjiliil dans un livre sur .\vicenne,
nous iiin-ions aiiin'' li'oiiver un peu plus de hihliof^raphie. M. Ciirra de
Vaux reinoie i'i lduvriij;e : /.«'.v Clussrs ilr iiifi/i'ciiis. vi\. Millier. :2'' piii'-
lie. p. 'i--J(l. Il l'iillail nous di|-e ((ue cette iinlohioi^rapliie il été repro-
duite pi ir Hiir lle.liriieiis.dans sou Hixluihi Ihiniisliiiiinu édilée en ariihe
et ti-iidnile en liiliii piir l'ocockeel ré(''dilée piir Siilhiini : Cf. pp. i-H)-±'Xi
Al' la triidiictiini liiliiie , et résuuu'>e par le lui'iue Hiir llidn-iieiis dans
son (liniiiiriiiii Siirinrinn i|i l'dilé et Iriidiiit eu liilin |iiir Bruns et
Kii-M-li p. L>;{|-:?:i;!du texte . ri"'i'.dili'>piir le U. P. liedji'in Cf. p. -Jl()--J:2l .
M Bar llebraeus nmis apprend en cet endroit qu'il a trailuit de l'arabe en sy-
riaque le Licre lies si;/nex el ties arerlissemenis d'.Vvicenne. C:et nuvrage existe i'i
l'aris : l'oliiuls Si/i-inr/ue n- 24'J. C'est un résumé de lofjique, et nous aurions aimé
iju'iiii otirraf/e de liais cenln pat/es ciinsnrré à .-ivicenne nous apprit si c'est li'i tout
ou partie de Vhiuhdl yiiore des lltéoi'eines el des ai-erlisseiuenls] cité si souvent
AVICENXE. FAR LE liABON GARUA DE VAUX Wi
Lr Icxk' syriaque (k' bar llciiraiMis rclal il' à Aviri'iiiu' a i''l(' iMlili' aussi
par Bernslein [Chrestoiinilhid Si/riucd. p. ;i"2-;{()i.
Ct'S ili'lails sont importaiils, car il n'est pas (l'orieiilalisle ipii u'ail
l'ini au moins île ces oiivraf^'CS de Bar llehraeus tlans sa iiil)li(itliè(pie ;
(in lui rend done ainsi le service de lui apprendre ipie piuir lire l'aido-
iiiof;-raplii(^ d Avieenne il n"est, |)as nécessaire (pi il s iu([uii'te, où el
(]uaiul a paru l'ouvrag'e de Millier, il lui sullil de prendre, dans sa
liililiollii''ipie. I iiiivraf;e de Bar IleliL'aeiis (pii la conlieul. Nous ne
ferons pas d'autre reinarf|iie relative à la hililioi^rapliie.
3° A certains endroits nous S(uiliaiterions iiii peu plus de precisi(Mi.
Nous trouviins jiar exemple des ineiilions de gnosticisinr ou d'in-
/hiriiccs ijiiiisliijiii's (pp. 7, 'lO, etc.), mais nous avons cherclié vaine-
ment ce i|ne M. Caira de Vaux entend [lar le mot fjnosticisme. Pour
certains auteurs, c'est Fadajjtation fail(> au cliristianisnn^ durant les
])remiers si(^'cles des idées i)liilosophi(pies et théolop,iques l'un ou
l'antre on les deux choses à la fois) étrangères. D'après cette délini-
tion, les scolastiijues qui a[ipli(|uèrenl au christianisme la philoso-
phie grecque pa'ienue furent des gnostiijnes ilii xi''-xiv'' siècle. Pour
•d'autres (et nous en sommes), ce mot a surtout un sens théoIogi(|iie.
Nous appelons guostique un auteur qui introduit des êtres supérieurs
(l'Oiisj ]m\i\;\\i'-v'n-\s produils pfii' ihnatHil'ioii d(> l'être suprême et (pii
croient avoir liesoiii d'un ilihiiiiiiu/f pour expliquer l;i créatiiui du
miuide. — Si .M. Carra de Vaux veut prouver que Bai'desaiie "sl.
guostique dans ce sens-là, la marche à suivre est bien sim[)le, il doit
lire ce ([iii nous en reste, tout ce qui nous en reste, et y rechercher
les erreurs précédentes, il doit ensuite lire C(^ que les anciens auteurs
nous ap[ireunent de Bardesaiie, classer ces auteurs par époque et
]iar degré de crédibilité, puis essayer de dégager, d'après les plus
anciens et les meilleiii's i\o ces auteurs, la note caractéristique de ce,
grand homme.
.Nous aviuis fait ce travail, et n'aviuis pas troiivi'' trace de gnosli-
cisme an sens susdit dans ce (jui nous reste de Bardesane, nous
avons constaté de plus (ju'Eusèlje l'appelle é([uivalemment le prince
des a.slni/iii/aes et (|ue saint Éiihrem d.yis les passages les plus clairs
et les plus nombreux de ceux qu'il consaci'e à son rival lui reproche,
uuiipiement de s'occuper des .lir/iies du zodiaque, des moueements dcx
par M. Carra de Vau.x. — D'après Bar Ileliraeus, c'est un chrétien qui enseigna
la nié(iecine à Avieenne. Là, coiume bien sous'ent ailleurs, les Arabes se mirent
à l'(icole des clu^'llens, et nous no savons pas s'ils surpassÎTenl leurs maîtres.
Nous savons seulement que leurs œuvres (itaient plus en faveur chez leurs core-
ligionnaires et nous ont 616 conservées.
31
4'.t8 F. NAU
riirj)S crii'xtes. (1rs linruscopes ail lien de lire les |iiO[iliètes. sniii-ii- di-
vérité, et les dru.r ï'rslami'uts. Nous avons iiiontiT jiar iiiieli|iies eila-
(ions que l'astiolo^ic était une liêrésie dans l'Éj^lise d'Orient au
temps de saini !']|ilir(Mn. Nous aAons donc pu eu conclure rigoureuse-
ment que là était la cause du mauvais renoiu (|ue saint Éplii'em le
premier un siècle après la mort de Bardesaue; avait jeté sur sa mé-
moire. Nous ne l'aviuis jauiais pris pour un riilgnirp «v/zo/o^ucpuisipic
udus avons l'cril dans l'article du Journal Axia/ùjtu' ({ue M. Carra de
Vaux veut bien citer : " Ajoutons, |)Oui' terminer, que l'épifliète d'rix-
IrolugitP ipie nous donnons à Bardesane n'est pas pour nous liiiiila-
tivc, comme s'il n'avait jaiuais fait anire chose, nuiis xpi'cifiaidce,
comuie nous donnant son caraclèic pi-opre. — L'astrologie embras-
sait toute une philosophie naturelle il i (]ue fiardesane dut a|i|irendre
cl enseigner avant d'être ciu-i'-tien. comme il send)le nous le dire lui-
uiéme ::2j : il devait alors taire dépendre des i)lanètes le monde entier,
sa création, sa consiM'vation el la lil)ert('' di' l'homme. Devenu chré-
tien, il restreignit leur intluiuice au corps ■■ ./(iiirnn/ Asifilii/iii'.
Juillel-aoùl IS'.I'.I, p. IS.
|{a|tpel<uis (|ue M. Cari-a de Vaux, a|)rès avoir cité le litre de la noie
ilont nous ventuis de donner un extrait, écrit pour nous rél'uler
(p. '((), note.'{i: >i II est à miter (pie la science des Chaldéens dans
la(|uelle on rap|)orle qui> Bardesane excellait, ne devait pas élre sim-
plemenl l'astrologie, mais devait coiuprendre une partie piiiloso-
piiiijue Cr. BiiAMir: /lif Maixlnischc Iti'Hijinit. \t. IS2 . Km oiilre. il est
invraiseud)lal)le ipi'on ait [lu confondi'e un grand philoso|ilie. chef
d'une impoi'tanle école, avec un vulgaire astrologue. •'
Le i-approrhenieni de ces deu\ cilaliims sul'lit, croyoïis-nous, |iour
montrer ijiie nous aviuis répondu par avaiu-e à M. (larra de Vaux.
't" .Nous ne pouvons trop pr('>uer le recours aux sources, .\insi
dans les deux citai ions ci-dessus qui expriment au fond la même
idé(>, n(uis avons renvoyé à un astrokigue, à l'ouvrage de Firmicus
Maternus (.'{i (jne nous avions jiris la [)eine de lire el d'amu)ter.
M. Carra de Vaux renvoie à un ouvrage de Brandi sur la religion
mandéenne, il renvoie donc à un otivrage de seconde main et. ([ui
(1) Lire, par exemple, le premier livre de Finiiicus Maternus. Bardesane, élevé
avec le roi .\bgar, dut aussi connaître la pliilosopliie grecque. Il semble |)lutùt
suivre Platon qa'.\ristote. Cette note, ainsi que la suivante, ligure dans le Joiir-
nal Asiatique.
i2) Cf. Le Lirre lies lois des Vays (Paris, Leroux. ISltyi, p. SI, dernière ligne de
la traduction.
(3) Julii Firniici Malerni .Matheseos lihri Mil, chez Tklbneu, Leipzitr, 1894.
AVICE^SE, PAR LK BARON CAHHA 1)1-; VAl'X 499
liliis es(, à un (uivrage consacre' à une qnostitui 1res obscure. Car
nous avons parcouru quelques ouvrages mandéens et les avons Irou-
véstellenUMil incoliéivnls (|iii' 1 on peut en extraire en liien el en mal.
à notre avis, tout ce que Ion voudra y chercher. Il faut donc lire
M. Brandi si Vmi veut couuaili-e les idées de cet auteur sur la religion
inaudéeuue en général et ha philosophie chaldéennc en particulier,
mais il faut lire en plus les écrits mandéens el astrologiques si l'on
veut énu'lli-e une idée personnelle sur ces sujets. Car nous avons
tous vu certain Journal satiriiiue donner en première page une phcv
lographie et la cariciture de celte photographie. L'une vient de
l'autre, l'uni' reLui l'autre Jusi|u':'i un certain point . Mais que penser
de l'honnne qui pour donner une idée du physicpu' de i|uel(iue célé-
brité renverra à la caricature? C'est ce que foui cependant tr(q) sou-
vent les auteurs ipii renvoient uniquement aux onvi'ages de seconde
main.
Que ne devrions-nous jias dire encore des renvois aux ouvrages de
seconde main dus à des auteurs orientaux (1)? Tout le chapitre con-
sacré aux Mozatélites est basé sur une compilation de ChahraslMiii
(.VII'' siècle;. C'est insuffisant. Ce sujet ne devait, à noti'c avis, éli-e
traité qu'en note, comme chose insuffisamment connue. De ce que
Chahrastani a consacré une bonne notice à Avicenne, il ne s'ensuit
pas qu'il ail pu faire de bonnes notices sur des auteurs antérieurs à
Avicenne de trois à ([uatre siècles; nous ne savons même pas si leurs
ouvrages, pei-dus aujourd'hui, subsistaient encore à cette époque.
."■)" On a dû remarquer sans doute ([u'Avicenne, à 18 ans. (irait par-
roiini. dil-il, /<■ cycle des sciences. C'était un heureux temps. Nos
élèves en arrivent, à cet âge, à posséder ([uel(|ues notions sur toutes
les sciences et même à avoir deux b.-iccalauri'als, s'ils sont bien
doués. Ils ne peuvent faire plus. .Nous croyons donc que si Avicenne
nviiil jxur.ouni le djcle des scioices, cela tient à ce (pie ce cycle ne
renfermait presipie (las de science. l'oui-le parcoui-ir, il suflisait donc
de grande facilité de parole et d'une certaine mémoire capable d'em-
magasiner un bon nombre de mots techniques. A seize ans, Avicenne
donnait des h'rons de médecine, nous imagincuis voliuitiers (pi'elles
(1) Dans l'inlro ludion à sa traduction de i'Abrér/é îles MerreiUes, Paris, 1S9S,
M. Cirra de Vaux écrit: « Il y a, cliez les Musulmans, un l'otliloriste dans chaque
théologien, dans cluuiue géograptie et dans cluique hishirien i> On ne peut trop
méditer cette plirase à laquelle nous souscrivons pleineuient. Les liist riens
orientaux eux-nicmes, faute d'études préalables et de milieu scientifique, ont sou-
vent Il tournure d'esprit des matelots qui racontent leurs aventures suc le t;;iil-
lard d'arrière, ou des graiid'mères qui rocontent dans leur village ce que leur
propre grand'niére a vu et entendu.
SOO F. NAU
<levai(3iil iMi'i' di' la l'orcf de celles que recevait le malade iiria^iii,iirc.
Quauil <iii iKius dit que ees [diilosophes faisaient des observai ious
et tenaieiil compte de re\|)éi-ieHce. demandons des exemples et nous
apprendrons qu'ils avaient i'ernar(]ué qu'une pierre jetée en l'air
retombe vers la terre, ou bien qu'un corps plus lourd tonilie plus
vite, etc. En un mot, leurs observations étaient de celles cpii ne de-
mandent ni peine ni dérangement et que les enfants chez nous font
tous les jours.
t)° Après avoir analysé la biographie dAvicenne qui possédait toutes
les sciences à 18 ans : géométrie, calcul, logi([ue, almageste, pliysi([ue,
théologie, médecine, philosophie, M. Carra de Vaux ajoute (p. 15(5) :
" Nos temps ne présentent plus de ligures com|)arables ; nous nous
])laisons à croire qu'il n'en peut plus exister, parce que la science,
aujourd'hui tiop développée, ne sei'ait plus capable de tenii' dans le
cei'\eau d'un seul homme. Cela peut être, mais aussi il serait juste
davinii'i- que la science a moins d unité et d liaimcuiie anjoiinriiui.
ipi autrefois et (|u'elle est moins simple qu'elle ne le fut sous la grande
discipline péri|)atélicienne. En outre, notre attitude vis-à-vis d'elle est
moins humble et moins sincère. .Nous avons |)lus de souci de faire
briller notre nom que de réfléchir une grande étendue de science;
nous avons plus de zèle pour les carrières ([ue d(^ passion pour
l'élude. .Nous recherchons plus les litr(>s ([ue les connaissances ; et
pour être des spécialistes plus parfaits i|ue nos ancêtres, nous con-
sentons à être aussi des espritsmoins vastes, des natures moins fortes
et des ûmes moins libi-es. ■■
Ce passage nous semble trop pessimiste. Nos temps présentent une
liléiade déjeunes gens comparables aux Avicenne. Ce sont nos bache-
liers. Ces jeunes gens ont lu et appris un peu de tout (hors la méde-
cinequi ne ligure pas encore explicitement dans les programmes). Ils
écrivent des dissertations sur tous lessujets,: histoire, littérature, |)hy-
si(pie, beaux-arts, algèbre. Ils savent même, avec l'aide de bons
dictionnaires, plusieurs langues mortes ou vivantes. Prenez donc un
brillant bachelier de seize ans, faites-lui faire deux ans de scolaslii[ue
dans un grand séminaire, et vous obtiendrez un sujet bien supérieur
à Avicenne, car il saura plus de philoso|ihie, plus d'histoire, plus de
physique, plus de calcul (pu- ce grand philosophe et, qui plus est, il
écrira beaucoup mieux, évitera les inutilités et ne confondra pas
les méthodes. S'il tombe dans des logomachies, ses maîtres l'auront
mis à même de s'en rendre compte et il aura le mérite d'avouer que
s'il ne lait pas mieux, c'est qu'en réalité il ne sait rien, bien (|u'il en
sache beaucoup plus qu'Avicennc ne pouvait en savoir à son âge.
AVICEyyE, PAR LE BARON CARIiA DE VAUX SOI
Ce jcinic liiiimiii' si' choisir;! alors un siijcl propoi-tionné à ses
forces cl l'cliHlii'ra. ihhi pour écrire des mois cl ilcs phrases à son
occasion, niais pour arriver à le posséder aussi adéijuatenient que
j)ossil)le. 11 se fera spécialiste, ce qui est lidéal, loin dètre un dé-
faut. D'ailleurs M. de Vaux se défendra à coup sûr d'avoir pensé mal
des s|)écialistes, puisque, à en jui^er par ses renvois, son ouvrage est
basé siu'sespro|)res travaux tout spéciaux traduction de Mai'oudi,etc.)
et sui- des li-avan\ de siiécialistes belges, allemands et quelquefois
anglais : .Inynlioll, Schul/.c. lIolTiiiaiiii, Mlincr. Wenricii , Ciire-
ton, elc, elc.
Il est à désirer que uuiis ayons en France de nombreux spécialistes,
mais l'état d'es|)rit des lecteurs s'y oppose un peu. Trop souvent les
bacheliers dont nous parlions ci-dessus ne se spécialisent pas et ne
lisent que les livres d'accord avec leurs études antérieures, c'est-à-
dire superficiels et de lecture agréable. C'est donc le genre roman
qui a seul vogue chez nous, le genre science n'y est représenté que
dans les i>ublications faites, aux frais du gouvernement , car ces
publications de science, de recherche personnelle, longue, laborieuse
et féconde sur un petit point du ihiiuaine scientifique, ne trouvent
pas de lecteurs et par suite pas d'éditeurs. — C'est pourquoi tout
Français qui veut réunir quelques matériaux ou quelques monogra-
phies pour composer un ouvrage de littérature scientifique, doit
recourir aux spécialistes belges, allemaiids, anglais. Ce genre n'est
pas encore acclimaté chez nous.
7" Kniin nous ne goùlnns jias beaucoup la préseiiçe. dans un ou-
vrage sérieux, d'un mythe de neuf pages qui ne lest ])as, suiiout
lorsque h' mythe n'est pas d'.\vicenne. .Nous ne voyons pas bien le
ra[iport qui existe entre le roi llermànos et l'iulellect agent. Cette
logomachie a causé trop de tort à la philosophie et aux sciences pour
s'y adonner dans un ouvrage sérieux.
Même dans un article bibliographique, nous n'osons pas développer
le mythe de la Belle au Bois Dormant ([ni attendait f[u'un prince Char-
mant vint la réveiller, et nous n'osons |ias ajouter que la Belle au Bois
Dormant est la philosophie arabe endormie, sinon ensevelie de[Kiis
de longs siècles, et que le livre de M. le baron Carra de Vaux est le
prince qui va l'éveiller pour nous la présenter au xx" siècle dans
tout l'éclat de sa beauté passée.
F. NAU.
502 C. DE KIRWAN
LE POSITIVISME CHRÉTIEN Deuxième édition)
par André Godard, 1 vol. in-8" de :J74 pages. 1900. — Paris, Bluud et K.^bral.
I. — Si les plus excellentes intentions, une érudition appi-ofouclie
et une vaste lecture suffisaient pour écrire un ouvrage irréprocliahle,
ce livre serait parfait.
Mais si ces qualités sont des éléments précieux dans la composition
d'un ouvrage, il faut, pour y atteindre la perfection, quelque chose
de plus : il faut, d'abord, l'unité du plan: il faut ensuite que ce plan
soit disposé de telle sorte que les questions qu'il comporte puissent
recevoir des développements sulfisanls sans être par trop étendus. 11
importe enfin d'apporter dans les jugements une modération et une
im|)artialilé dont le défaut peut nuire aux meilleures causes.
Ce sont ces conditions d'unité, de dévek)ppements proporlicuinés
à l'importance relative des questions et enfin de modération dans les
jugements, qui nous ont paru n'être pas toujciurs sullisanuiient
remplies par le savant auteur d'un livre recommandahle d'ailleurs
par les nombreuses idées qui y sont remuées, les faits de toute nature
qui y sont exposés et la parfaite sinci'rité qu'il ri'spirc d'un bout à
l'autre.
A vrai dire, c'est moins un livre, ;iu sens to'liniipn' du uml, iju'un
prograaune détaillé pour une vérilaljle séi'ie. On s'en i-endra compte
par l'énoncé des litiges des six ou sept divisions de l'ouvrage.
C'est d'abord Les 'J'Iu'ories iiri/atives, ramenées au " préjugé philo-
logique '>, au naturalisme et au dilettantisme, contre lesquelles se
dirige l'elVort de l'auteur, s'adressani non pas aux croyants, mais à
ceux (|iii, <le bonne foi, doutent (ui ne ci-oieiit point et qui ont cepen-
dant le désir d'arriver à la vérité.
De là l'écrivain passe au Sj)irilun/i.tmfi raliunnel. Ici nous avons
une sorte de traité de métaphysique etde psychologie teinté d'un peu
de cosmologie et de morale. On y parle de l'indépeudance de la |)en-
sée, des >< sommeils de l'âme », du vide cosmique iintial, des causes
finales, de la Providence, de la liberté et del'eirort, de riumiortalilé et
de 1 iulini.
En traitant Ihi Spirihialixiiir scii'iilifiqitc, on loue, du chancelier
Bacon, sa méthode iuductive, et on lui reproche avec raison, à lui et
aux écoles qui l'ont suivi . de ne lavoir appliquée qu'en partie,
s'étant borné à l'observation des faits matériels, et ayant volontaire-
ment ignoré ou même nié t(mt un ordre de faits éminemment con-
slatables qnoi(iu'élrangers au domaine des sens. Suit une chargea
(•
e
;./•; l'nsiriVISME riinÉTIEX, par Andrk (iODARl) :;o:?
tond, sons r.i]i|irll;il ion pai-liclleiuciil inc\;icli' il'" liypollirsc dar-
winiiMuic i', i-oiilrc lonli' tliéoi'ic l'voliil ninnislr, anssi l)U'n cplliis
(Iiradinetlcnl les spirilMalisles i|ni' d'Iles de |)ais\ in dernière nianiéro,
ou d"ll;ecl<el.
Après le " Spii-itualisme Scienlilii|ui' -. il s'aj^it ffe iiurlijiirs pliéno-
)iiriii;ii snnwnnaii.r. Par là l'anlenr enlend eetle série de faits drunent
onstal('s, dont les uns, l)i('n ((u'extraordiiiaires, peuvent s'explique!-
|)ar le jeu île lois de la nainre mal l'inditées encore et [len connui'-.
et dont les autres reijuéreraienl une intervention supérieure aux
forces naturelles. Telles, entre autres, la télépathie, la transmission
directe de la pensée, la prémonition, la sugf^estion liypnotique, à
l'élude des(|uelles M. André (iodar<l applique la di'nominatinn de
« Psychologie transcendantale ■>.
Et ceci nous amène à l'élude philoso|)lii(|ue Un Miracle, laquelle
commence par un excellent ])aragraphe sur laci'rlilude morale du
miracle prouve' [lar les faits. |iar les li'uioiniiages. par Ions les élé-
ments qui conduisent l'alionneliemenl à la ccrtitiide. Puis l'auteur
établit une sorte de classement des miracles, distingmint du miracle
physique ou ]u-oj)rement dit manifesté par un [ihénomène matériel,
ce qu'il appelle le .. miracle psycholonique " laulrement dit le
miracle de la gràcei, et la prophétie antique, autre foi'me de l'in-
lervi'ntion divine lui ilehors de la naturi'.
La théorie /A'.v /{r/lijioii!< montre par des considérations d ordre
métapliysique et historique que toutes les religions dérivent d'une
vérité fondamentale qu'elles re|)résentent inégaleinenl. Kn fait, il n'y
a qu'une seule religion qui s'est api)elée, suivant les lenqis. Judaïsme,
puis Christianisme ou Catholicisme, et dont toutes les antres sont des
atténuations ou des corruptions, depuis le polythéisme antii|ue
ju.squ"à cette sorle de fi'lirhisme qu'observent les ath(''es de nos
jours.
Tout cela n'occupe pas beaucoup ])lus de la moitié' du volume,
i06 pages sur -il i. Le surplus, sons cette rubri((ue générale : De la
rrvélriliijii niosaif/iie, constitue toute une exégèse du Pentateuque.
Autheuliciti'. veracil(' des textes, psychologie sociale du peuple
hébreu, sa mission [u-ovidentielle, les sciences naturelles en face de
la Genèse, législation de Mo'ise, le miracle etles prophéties en Israël,
vue comijai-i'e des textes bibliifues et de Fantiquili' classique : tels
sont les princi|)aux sujets abordés dans cette ilernièi'e division de
I ouvrage. Klle se termine par un imiioi'lant jiaragraphe ou chapitre''
qui. sous le titre île Ccriiliifics ricquises. est comme la concliisiiui de
l'enseiidde du vohnue.
soi C. DE KIRWAN'
II. — Telles sont, indiquées àgrands traits, les lif^iies i^iMiérales du
Positirisme chrélirn. et cet aperçu sommaire justifiera sans doute,
aux yeux du lecteur, riin|)utation de manque d'unité foimulée au
di'iiiil de ces pages. C'est [dutiU un plan dressé en vue dune petite
encyclopédie apologétique ([ui comprendrait plusieurs ouvrages
distincts, qu'un traité spécial et autonome. Aussi l'abondance même
des questions abordées est-elle un obstacle à ce qu'elles soient trai-
tées toujours avec les dévelo|)pements ([u'elles comporteraient.
D'autre part, l'ardeur de néophyte de l'auteur — car il nous ap|)rend
qu il est arrivé à la foi des plus lointaines régions de la prétendue
liltre pensée, par le fait même des rétlexions et des observations dont
il a composé son volume — cette ardeur lui fait ass(>7. souvent man-
quer 11' but en le dé[>assaiit. Il n'est pas toujiMn-s juste pdur les tiiéo-
ries ou les adversaires qu il combat ; et que](pu's-unes de ses bou-
tades tiennent plus du persitlage et du pamidilet ijuc d'uiu^ critique
grave et forte.
De ces ditl'éri'utes défectuosités, nous citerons quelques exemples.
En montrant la gradation des êtres, du Zoopliyle au Chien, du
Chien à ! Ilonuue et île I ibuiiiiie à Dieu, laiileur ne commet-il p;is
une erreur métaphysique ihins sa rubi'i(|ue de .■ catégories iiilpltec-
lucllcit » appli(|uée collectivement à l'animalité et cà l'homme? La
catégorie ipii comprend le règne animal, du plus intime protozoaire
au plus parfait des mammifères, l'Homme excepté, n'est pas intellec-
tuelle : elle n'est que sfiixilivr, suivant une graduation quantitative
dan^ les développements de la sensibilité générale et de la connais- .
sauce. |)ar les seuls sens, du particuliei' et du concret.
Dr l'animal à l'homme la graduation est qualitative : ce n'est plus
l'instinct, ce ne sont ])lus seulement les sens et les a])pétits qui gui-
dent l'homme, mais bien l'intelligence, la raison, la volonté libre.
L'homme se range avec les esi)rits purs dans la catégorie intellec-
tuelle, hujuelle est quantitative.
Lu fait, la pensée exprimée par M. .\ndré Godard est juste ; c'est sa
terminologie seule qui laisserait à désirer. Il a usé du langage cou-
rant qui applique volontiers le terme d'intelligence à tnnle connais-
sance même pui'ement sensible. Mais la langue philosophique est
plus exigeante.
N'est-ce point ailleurs une généralisation abusive, impliquant
erreiu- par conséquent, que d'émettre des propositions telles que
celli>s-ci : ■■ Dans la relation entre Dieu et l'iiomme, les religions
reconnaissent à Dieu le rôle supérieur; les systèmes philosophi-
<pu's le prêtent à l'homme « ; ou encore : « Le llova qui implore
/.;■; l'dSiriVISUi: CIIHETIF.JS. par André GODARD !;os
SCS IV'liclu's usi plus pi-dchc du divin ipic Dcscarlcs. « (P. 170.)
Qutii ! des philosophes eoiiiine Soeride. l'ialou, Ai'istotc!, saiul Au-
gustin, saint Thomas d'Aqniii, Hossuet, Leihuitz et Deseai'tes lui-
nièuie ani'aieiil mis 1 homme au-dessus de Dieu 1 VA Deseartes doid
on peut (liseutei-, comhattre menu' la diieli-iiie. mais ((ui l'ut toujours
religieux et croyant, Descartes serait |ilus <doii;ui' di' Dieu (|ue le
sauvage pi-ostorni'' devant sa grotesque idole I
Que sif^iiilie cette plainte au sujet de Caro cuusidéré comme un
<■ mai'lyr des carabins athées et du vaudevilliste Pailleron » {sic) ?
De telles exagérations sont regrettables et vont àTencontre du but
excellent que s'est proposé rauteni-. |{lles ne sont malheureusement
point rares dans son ouvrage d'ailleurs si toulln el si substantiel.
.N en est-ce pas une également, ou tout au moins n'est-ce pas une
généralisation excessive, de faire, sans distinction aucune, le procès
du principe même de la vulgarisation des sciences? n Sens religieux,
délicatesse, éducation vraie, dit notre auteur, cette criminelle vulga-
risation a tout flétri. » Il existe tout un groupe de savants croyants
qui écrivent des ouvrages de vulgai'isalion dans un esprit essentiel-
lemen' théiste et chrétien ; je ne les aurais pas ci-u si « criminels » !
Autant pouvons-nous en dire des théoi-ies transformistes. Que
M. André tjodard leur soit contraire, c'est son droit, et il se trouve
là d'ailleurs en lionne compagnie. Mais il parait dépasser les limites
jieruiises en ne faisant aucune distinction eidre le Darwinisme pro-
pi-emeut dit et le priiu'i]>e même de l'évolution entendu au sens spi-
rilualiste. Ce n'est ]ias ilisculer sérieusement que de s'exjii-imei' en
ces termes :
(' S'il manquait une dernière |ii'llelée de i-idicule sur le cadavre du
transformisme, ou pourrai! demander pcuirquoi /oi/.v les minéraux ne
sont pas devenus poissons; tous les poisscuis, quadrupèdes; [lour-
qvioi enfin il nous est refusé de voir un champignon commencer à
courir, ou une grenouille essayer ses ailes. » (P. 80.)
Il est souverainement injuste et non moins inconvenant de déco-
cher à une école de naturalistes spiritnalistes qui compte dans ses
rangs des hommes comme les Richard Wallace, les Saint-George-
Mivant, les Albert (iaudry. les HR. PP. Zahm et Leroy, des sarcasmes
de ce genre :
I' La rage d'avoir une guenon pour grand'mèrea gagné jusqu'à des
siiiritualistes, inventeurs du Transformisme mitigé. »
Si toute théorie transformiste reste jusqu'ici en dehors d(»s faits
indiscutés et scient iliquement établis, le princij)e n'en reste ])as
moins, en tant que mode adopt('' par Dieu pour son œuvre créatrice.
506 C. DE KIRWAN
une possibilité vraiseinbl.iblc vi phmsiljlf . Elle parait laèine. à pre-
mier aperfii, plus conforme à la saji;esse divine que la théorie d'un
créationnisme impliquant une intervention directe et spéciale du Créa-
teur pour chacune des innombrables espèces animales et végétales
qui ont paru successivement sur le globe. Une vue diflërente peut
sans doute se discuter, mais autrement qu'en la travestissant dans
quelque boutade dédaigneusement sarcastique.
Celte manie de persitlage se rencontre souvent, et à propos de
toutes les questions. En parlant de ce qu'il appelle les sommeils de
l'àine, troj) négligée à son gré, l'auteur reproche à tous les traités de
philosophie d'être « Iro]) occupés à dépecer l'âme (>n une douzaine
de facultés, à collectionner les impénétrables attributs de Dieu ou à
remonter les vieux rouages du syllogisme ». (P. ^5.)
.Villeurs, se ]daignant avec raison (pie l'on soit moins préoccupé,
dans les villes, de l'assainissement moral que de l'assaiiiissemenl
phvsioiiigi(piç. esl-il auldrisé ]iiHir autant à condamiu'r ce qu'il
appelle •• les lâches |)aradoxes «le l'hygiène i< ? (P. l'.IO.) Il parle aussi
quehjue part de ■< la honteuse iianiijue des microbes », faisant allu-
sion sans doute aux sages précautions prises aujourd'hui |)ar la mé-
decine et la chirurgie contre les micro-organisnu's. qu'il traite d'exa-
gérations superstitieuses ip. lOii.
III. — .Notre auteur enfin n'est pas toujours très clair ni toujours
au courant des derniers résultats de la science. En étudiant la Psy-
chologie dans la Hible, il nous dit que la mission du |ieuple juif étant
terminée cl le paganisme impossible, Israël s'est fait le meilleur
condncteui' «lu /luide paitlhéiste (p. "IX)). Qu'est-ce que le fluide pan-
théiste? Et |)Our<|uoi " notre respect collectif de la vie » esl-il peut-
être un << préjugé naturaliste » ip. i'M\)'! Tout cela est peu clair.
La théorie des jours-itériodes dans Y Hexaméron , sur laquelle
s'étend M. (iodard (jip. 'i'tW, i.'iâ), est ili' i)lus «ui plus abanihui-
née ;iujourd'luii par les exégètes et les hébraisants : ils considèrent
les " jours » du iiremier chapitre de la Genèse non comme indicatifs
«le durées réelles, mais comme expressions symboliijues el d'un
caractère liturgique. C'est donc bien à de véritables jouis, au sens
(U'opre et ordinaire du mot, ijue l'ail allusitm Moïse, mais sans «pi'il y
ait rien à en induire sur la iliiréi' réelle «les «eiivres ci-éatrices «diTes-
pondantes.
En traitant du déluge, notre auteur parait ne pas être entièrement
renseigné sur l'élat actuel des connaissances relativement à cette
«piestion. Aucun géologue n'admet plus aujourd'hui qiu', malgré
/,K l'oSiriVISME CIIHETIES. pah André (JÛDAKD ;;o7
li'iir 11(1111, les IVirmaLioiis du diliiriiitn soiciU ('\|ilii;;ibli'S ji;ir le di''lii};i'
lit' Noo, moins encore que ce céli'lno cal.iclysinf puisse se confondfe
avec «le pliénoiiièiu' glaciaire » ; et ce ne sont |)as les f;lai;oiis clifir-
ri('s par les kkjucs qui ont transporté les blocs et débris erratiques
au-delà de siniiiuets élevés. Pareillement la présence de palmiers fos-
siles au voisinaf;e du piMe n'est iiiillciui'iil ■. altrihiiahlç au ib'duiic
quaternaire ». (Cf. (i. i!oo.)
L'auteur n'est guère plus iieureiix dans les e\|dicali(uis qu'il
donne, [lage .'50.">. relativement à l'ai'rèt du Soleil et de la Lune par
.losiié. « L'arrêt du mouvement diurne de la terre, (''cril-il. ne elian-
gerail rien à l'ordre du inonde ; et ce n'rsl pus ini plus ijriiiul miracle
de roir cesser la rohilinn du Globe que de In voir c.niiliiiiii'r. » Cette der-
nière assertion, que nous soulignons à dessein, n'est rien moins
«[u'une énormité. L'auteur n'a pas pris garde à réchappemeul vio-
lent par la tangente de tous les corps non adhérents à la surface, les
eaux comprises, par le seul fait d'un arrêt brusque du mouvement
de rotation diurne I II n'a pas prévu davantage l'énorme dégagement
de chaleur qui résulterait de la prodigieuse quantité d'énergie ainsi
subitement transformée. Sans doute, rien n'est impossible à la toute-
puissance divine : mais la supposition d un arrêt instantané du mou-
vement de rotation delà terre n'en implique pas moins trois miracles
des plus extraordinaires, et il est de règle en herméneutique que
Dieu, ([iiaud il agit miraculeusement, |)roportionne les moyens an
résultat à réaliser. L'arrêt apiiarent du Soleil |iar un phénomène de
réfraction, explication que M, Godard réprouve, paraît donc incom-
parablement [tins vraisendilable que celle d'un arrêt inslaulanê du
miMivement du (ilohe terrestre.
Nous arrêterons là ces exemples. Nous avons tenu à les signaler
parce qu'ils fcuit partie d'un ensemble qui déiiai'e un ouvrage très
bon sous d'autres ra|q)orls. Un grand nombre de constatations et
d'aidiorismes, en soi profondément vrais, risquent d'être all'aiblis
par les exagéi'ations, parfois les invectives, ou même les erreurs
scientili([iK'S ou d'api>réciation qui les accompagnent.
Au fond, Le PusilivisTne chrétien^ malgré la part importante de phi-
losophie qu'il contient, est, dans son ensemble, moins un ouvrage
philosophi(iue pro|iremenl dit qu'une apologie du christianisme.
C'est ainsi, du reste, que le comprend l'auteur: « L'.Vpologétique,
écrit-il à sa première page, répondra moins [aux objections de l'in-
crédulitéj par la raison, discréditée à force de tout prouvei-, que par
les faits ; positivisme qui d'ailleurs concorde avec l'économie du
Clirislianisme, lequel n'a pas pour devise: Raisonne, mais : .^gis. »
B08 A. CHAROUSSET
Ce ijni lie vpiil pas dire assurément que la raison el le raisonnement,
raiioriiHitiii, <luivent être mis de côté, mais qu'ils doiveni s'aiipuyer
avant tout sur les faits.
Et c'est en effet sur des (ails, sur une extrême vai-iélé de faits,
mais des faits de toute nature : physiques, intellectuels, moraux, so-
ciaux, aurnormaux, historiques, scripluraires, quesappuie notre écri-
vain. Nous croyons savoir que, tel quil est, son livre a déjà fait du
bien el coiilrihué à éclairer plusieurs esprits de bonne foi. Sa seconde
édition, (pii a suivi presque .sans délai la ]iremiére. prouve qu'il est
apprécié.
Par de judicieuses et intelligentes retouches l'auteur peut arriver
à rendre, dans une troisièmi' édilion. son travail irréprochable.
C. ru; KIUWAN.
LA PSYCHOLOGIE DES ÉLUS, par l'abbé Chollet,
iii-1'2, xx-lGU payes. — Lethielleux, Paris.
I. — Quel est l'i'lnl de rànv. hiimriinf el que fait-elle, lorsque, sé-
parée du corps et privée de ses facultés ortja niques, ellr est arrieée au
terme de sn destinée surualurrlle. tel esl le siijel ipie l'auleur se pro-
[lose de li'ailer (Xiv-xv!.
l'n jiareil sujet n'est-il pas lirn-s de uoire porlée (xv;? Pas absolu-
ment, f^i'àce à la psyclioloi;ii' n.il iirelle. à la philosophie, à la Révé-
lalicui et à la thc'Mil(ii;ie catholique, j^ràce spécialemeni , parmi les
lliéiilo,y'iens. à l'.Xnge de l'École, saint Thomas ixvi-xvii).
(liiArn'HK 1''. — Dépouillée de s(ui (-(U'ps, l'àme humaine conserve
son être snbslanliel et ses facultés spirituelles, rintellij.çence et la
volonté. Quoique d'une nature inféiienre. elle est appelée à la même
destinée surnaturelle que les Anges: elle entre en société avec eux ;
comme eux, elle est en quelque sorte divinisét\ rendue capable de
participer à la Vie même de Dieu ip. 3-l()).
Cii.\prrni-; 11. — Avec la mort, périssent tous nos sens externes et
internes; s'éteint toute notre vie sensible. Or, l'expérience nous
montre une solidarité étroite entre noire vie intellectuelle e! notre
vie sensible : pas de sensation, pas de pensée. Si donc « la mort sup-
])rime tous les sens, ne supprime-t-elle pas la vie de l'esprit >> ? —
Non, parce que « les sens (p. 28i ne sont nécessaires à l'esprit que
parce que le corps, qui les lui l'oiunil, a commencé par l'empri-
sonner » (p. 19-.'i3i.
LA PSYCHOLOGIE DES ÉLIS, par LAiiiiÉ CHOLLET 509
Chapitre III. — Séparée du corps, imlrL' àaïf vil sans le corps. Les
sources où s'alimente cette vie spirituelle se trouvent dans i'àme ou
au deliors ; dans l'iuno, ce sont les coinifiisxnnrrs et les affcrlioms
dont l'enipreinle demeure dans linlelligence et la volonté ip: .'J3-'>7 '.
CiiAPiTHE IV. — Eu deliors de Tàme, ces sources soûl Dieu el les
Anpes. Dieu d'al)ord : de ce soleil iinnialériel, éternel, part une irra-
diation qui enveloppe et pénètre toutes les substances angéliques et
humaines. Ainsi illuminées, ces inlelligences voient, à des degrés
divers, Dieu, elles-mêmes, el riiarniouieux ensemble de toule la
créai ion (p. iT-tw'.
CiiAi'iTKi: V. — Ensuite les Anges. Merveilleuse est leur .science;
ils se [larlent et se révèlent mutuellement; les plus parfaits illu-
minent et instruisent les moins parfaits. C'est « une cascade de
lumière, une hiérarchie d'enseignement >> ip. (i.")-8.") .
Chapitre \'I. — De la vision intuitive : sa transcendance surna-
turelle, en quoi elle consiste, quel est son objet? Son objet, c'est Dieu
vu dans son essence, dans ses atlrilnits, dans ses conseils, dans le
déroulement de sa Providence ; ce sont au.ssi les trois divines Per-
sonnes contemplées face à face. Bonheur de celte intuition (p. 8."5-iOo).
Chapitre VII. — L'amour chez les élus. — La connaissance esl
source de l'amour. Les élus aiment Dieu, ils aiment les .\nges, ils nous
aiment nous-mêmes; pureté et intensité de cet amour (p. 10.^-1:23).
Chapitre VIII. — Les élus, comme les .\nges et les saints cano-
nisés, sont doués d'une cei-laine puissance en notre faveur. — iJitli-
culté : si les élus nous connaissent, s'ils nous aiment, et s'ils pi'uri'nl
nous faire du bien, d'oii vient qu'en fait ils ne nous délivrent pas de,
nos souffrances? Comment celle vue ne trouble-t-elle pas leur
boiilieiu-? Belle et [irolonde réponse (p. 1:23-135).
Chapitre IX. — Actiou des élus sur nous et pcuir nous : " Leur puis-
sance : 1° de contagion : -i' de suggestion ; 3° d'intercession ; i" leur
piouvoir matériel " p. L'i.'i-I.'il .
IL — Par ce simple résumé, il est facile de voir que la " Psycho-
logie des Élus » touche à des questions du plus haut intérêt; il s'agit
là, en efl'el, de notre destinée suprême, de l'Idéal-réel auquel notre
vie morale doit être suspendue et qui seul peut en faire l'unité et le
mérite, la vraie noblesse et la vraie consolation.
Pour traiter ces matières si élevées, l'auteur avait besoin et a fait
preuve d'une grande compétence. Probablement un lecteur attentif,
et peut-être un peu méticuleux, remarquera certaines inqjerfections
dans l'œuvre de M. Chollet ; par exemple, (jnelques inutilités, quelques
510 A. CHAROUSSET
(■\|ii'('ssi(iiis iiiij)n)|)rcs nii UR'liiplKH'i'S Iriip Idrcfcs, ijiu'li|ues phrases
1111 peu ol)scures ou mauqufuit de reliel': uinis il sera heureux de
rccoiuiaitre, nous en sommes sûr, la yah'ui' inconleslable de len-
semlile, soit |)Our la forme, soil pour le foud. Ainsi les cristaux, ([uand
fui les regai'de an inicrost'ope. nous apparaissent rarement (ont à
l'ail |iurs. et eonliennent plus ou moins de matières élraut^ères ; ce
(|ni, d'ailleiws, ne nuit |)Ms à la merveilleuse régularité de leur ordon-
nance.
Comuu' la mélhode de I auteur consiste à la fois à exposer et à
discuter, et (jue la description n'occupe pas moins de i)lace que
la di'moiistration, ou lira avi>c plaisir «^t ])rofit les nomhi-euses pages
oii la lieaulé de la IVii'me ne le cède en rien à celle de la doctrine,
{•'aul-il donner des echantillmis '.' Eu voii i deux, au hasard. J,e
pi-einiei- p. il . coucernani l'adage si connu : Aniiciliri porrx im^oiil
oui fitr'il , nous numlre comment nous cicons dans nos amis qui
son! ,111 ciel. - Ils sont devenus... (sur terrC'. dans la mesure même
de leni- aU'eclion. pareils à nous. Us ont pris nos manières de voir,
de vouloir, de sentir, iiuehpu'l'ois jnsipi'à nolri> démarche et nos
inllexions de voix. Kn nu'me temps, mms-mr'nii's nous communiions
à leurs [lensées. à leiu's aspirations:... nous devenions eux pendant
qu'ils devenaieni nous... Us ont laissé U'iw pruiiri'iiilr sur notre (niii\
mais nous avons laissi'' /n nuire en eux. Ils sont partis, euqiortani
ainsi nm- inirliim de nous, /:11e vil en eu.c. ils lu reronnaissenl. ils
l'ainicnl, comme nous aimons à relronvei- dans notre es])rit des idées
qu'ils y ont semées, comme nous conservons avec piété dans iioli-e
cuMir les adectious (juils y ont créées, aimaul ce (pi'ils aimaii'iil,
estimaul ce qu'ils estimaient... Ils nous conliniH'ul donc de même
en eux, ijonlanl ari'r hnnlii-iir relie iniiiiie de nous (ji/'ils se soiil
faile. "
Le second p. \i'.\ est la i'i''ponse à celle uravt' iilijccliou : si un
sninl, nu ricl. rnil nos son//'r(inres. roitunenl relie rue ne tnnihlr-
l-elle pas son honheur'.' <■ Dieu, dit très bien l'anteur, |ienl laisser cet
élu assister aux luîtes, aux ti-ilmlalions des siens, parce i[ne. plus haut,
dinis l'horizon de la dirine J'roridence, npporail en même temps la su-
prême ulilité de la douleur. L'élu voit avec ravissement <(ue ces
é])reuves n'auront qu'un tenqis et sont le germe d'une )uoisson infinie
d'honneur el de joie. Ainsi le laboureur se réjouit de voii- la semence
(ju'il a confiée à la terre, altacjuée par l'eau, dc'composée par la cha-
leur, enlacée el comme broyée sous l'étreinle des éléments, parce
(|ue de cette corruption naîtra une riche jonchée d'épis. Les élus
voieni plus hfivl el plus loin, et ces points de vue supérieurs ieur foni
;..\ \/;'; affective, pau le D'- surbled ï.n
/ijj/iirclcr rniiiiiic un b'ii'ii rr ijiii. à iiiilrc riir Ixiriire. semble rire un
ilrsdslrr. ■<
AxMiil (le liiiir. (lisons iiui' iiimis aurions voiilu vciii- uccusur plus
ncticiiiciil la pari ilii naliircl cl cclli' du sui'iiat urci dans les dons que
Dieu [)ri)diL;u(' au\ an^es ol aux saints. Notons t''^al('nii'nt que, lors-
qu'on dil qur \r l'oi-ps esl « uii cachol «. « une canf^ue », « des
entraves pnui' notre esprit », cela esl vrai du corps tel qu'il est actuel-
lenient, passihie et mortel, mais non du corps tel que la nature de
noire ■■'nue le rc'claine. ni du cor|is tel (pi'il sera après la résurrection ;
car, dan- Toi-drc naturel, le e(u-ps l'aisanl parlic cssi'uliclle de riioilime
conlére à l'àiiie une certaine perfection: et, dans l'ordre surnaturel,
le corps glorifié, spiritualisé, conroi-mé à celui du Christ, n'apportera,
d'après la I ln''olof;ie, aucune entrave à noti-e espril. Tel est. sur ces
Ueux points, le sentiment de saint Tlnniias (rA(|uin (I ()., q. 89, a. 1-2:
— I-II. q. î.. a. ;;. Cl. C'est aussi, au Tond p. l-i-l.'ti, le sentiment de
l'anti-nr .'i (pji n(nis devons ■■ la l's\cln)loj;ie des KIns ...
A. CIIAROUSSET.
LA "VIE AFFECTI"VE, par le D'' SeRBLF.n, petit in-S" de 220 pages. —
Lyon, ViTTE, 1900.
Dans cet ouvrage, M. le 1)'" Surhied ne dissimule pas son intention
de criticinei' liai'diment telle ou telle opinion (pii se réclame de l'an-
cieniH' scolasliipu'. Professant pour celle-ci une ailmiraticni sincèi'e,
il revendicpu' avec raison la plus parfaite intli'pendance.
La psycliolof'ie de M. le D' Surbled est liien, en priuci|)e, celle de
l'École.
On sait ipie. d'api'ès celle-ci, deux facultés maîtresses se partai;-ent
la vie liumaine : l'intellif^ence et la volonté. La première réclame
constainnieni leconcrnirs de la connaissance Sensible : la seconde ne
])eut s'exercer sans l'appétit inférieur ou passionnel (pp. i.'iri, 1(50, IGli.
De même ([u'on ne |)ense pas sans image ou (juel([ue autre forme
sensible fournie |)ar l'imagination, de même aussi on ne veut pas sans
l'aide de l'appétit sensible et organique : celui-ci est à la volonté ce
((ue l'imagination esl à l'intelligence. Telles sont les deux vies de
l'homme, sensible et raisonnable, étroitement associées, quoique
parfaitement distinctes: associées, puisque la vie supérieure ne peut
s'exercer sans s'appuyer constamment sur l'antre ; ilistiuctes, puis-
ol-2 E. A.
que les fiicullés raisonnables, à la dillërence des faeullés sensibles,
sont immatérielles comme leur objet propre.
On voit déjà rjue la vie afTeclive, si on veut donner à eelle expres-
sion toute retendue qu'elle couiporte. ne com|)rc'n(l pas seulement la
vie purement passionnelle, mais encore la vie supérieure de la vo-
lonté. Celle-ci a sa manière pro[)re d'aimer, de liau'. de craindre,'
d'espérer, de jouir, de souH'rir, de sirriter, etc. De même que la con-
naissance sensible ne peut absorbi'r la connai.ssance intellectuelle,
bien qu'elle l'accompagne nécessairement, de même la vie passion-
nelle ne peut absorber la vie all'ective supérieure et propre à la
volonté.
(Test pourtant ce ([ue 1 auleur seud)lerail ci-nire.si lun iuler|)rélait
rigoureusement telle ou telle expressi(m ; <■ La si'nsihUilr, dit-il,...
embrasse les facultés de l'imagination et de la uu'moire et s'élève à
la hauteur de l'intellect, allant du plaisir sensuel qui résulte de la
satisfaction de la faim au plaisir idéal né delà vue d'une œuvre d'art,
de, la peine que cause la douleur physique à la i)i'ini' du remords,
châtiment moral des mauvaises actions. » (P. ^2G.i
Évidemment le remords n'est que dans la conscience morale, où il
nait, bien (ju'il soit nécessaiuement accompagné de quelque état de
soullrance dans l'ajjpétit sensible et qu'il (luisse même troubler pro-
foinlément et torturer la sensibilité. C'est de la même manière qu'il
faut interpréter ce que l'auteur dit de Vavarici', des suucis. de la yoïc
et de mille autres sentiments [U'opres à l'homme : ils sont qualiliés
de passions, non pas qu'ils aient leur origine et leur siège principal
dans la sensibilité, mais parce (pie l'aiipétil sensible est associé au
mouvement de 1 ap|)élit raisounable ipii est leur sujet propre.
Nous croyons dune, avec saint Tlinmas, cité et critiqué bien à tort
(p. ti't'i, que l'on ne peut attribuer la joie à l'animal que d'une ma-
nière impropre, par analogie; en réalité, l'animal n'épi-ouve qu'un
plaisir sensible, sa joie est toute organique. Mais la vraie joie, celle
dont la plénitude fait le bonheur, est essentiellement spirituelle : elle
est dans la volonté, qui possède entin l'objet de sou amour. C'est
qu'il y a deux manières d'aimer, comme il y a deux manières de con-
naître, essentiellement différentes: l'une sensible, l'autre spirituelle.
Or, jamais ces deux amours ne pourront se confondre en un seul et
même acte, bien qu'ils soient associés constamment et dans des con-
ditions infiniment variables. De là l'extrême complexité des senti-
ments humains ; de là aussi, tour à tour, leur caractère de grandeur
et leur bassesse.
La thèse principale de l'ouvrage est celle où l'auteur soutient que
LA VIE AFFECTIVE. i>\ii le D' SriU5[.En ;H3
U' sièf^c (les plissions est mtn |i;is (l.uis li' ciMir. mais daitt; r('iici''[>liali'
el spécialcinrnt dans le cervelet.
Le cervi'lcl est un organe; t'enlral iuliineiiicnl relié au cerveau,
quoique parl'aileuient distinci ; son volume n'est guère qu'un
dixième de celui du cerveau, mais il est presque aussi développé en
surface et aussi l'iciu^ en sulistance grise. Puisque; le cerveau est
reconnu aniouiMlInii |iiuu- l'organe des sens internes, pourquoi le C(;r-
veau iH' serait-il pas l'organe des appétits? Convient-il de ne lui
attribuer aucun rôle importaid et bien déterminé, pour tout ramener
;ui cerveau ? l'iusienrs faits semblent indiquer le cervelet comme le
siège des passions: il serait plus dévebqipé chez la femme dont la
vie alfective est plus intense généralement que celle de l'homme ; il
])arait se dévelop[)er pro})oi'lionnellement aux émotiou.s et aux in-
stincts, etc. Déjà (ialien le regardait comme le siège de l'amour
Il 18-1 '20;.
Ces raisons ne semblent pas de nature à ébranler la thèse classique
qui regarde le cervelet, simple département de la moelle, comme un
organe de mouvement, et réserve à l'écorce du cerveau les diflféren-
les fonctions de la conscience sensible. Les neurologistes ne sont pas
d'accord sur le siège des fonctions sensibles de la vie afi'ective. Les
ims en placent le siège principal dans le cerveau el le siège secon-
daire dans les vaso-moteurs ; les autres, au contraire, voient le siège
jirincipal dans ces derniers et le siège secondaire dans le premier.
Mais tinis siuit unanimes à renuiuailre (pie la région corticale du cer-
veau et les vaso-moleurs sont intéressés à nos app(''lits et émotions
sensibles, et en conditionnent l'exercice.
Bien d'autres points de la vif a/fn-llre mérilei-aieul d'être éludiésà
la suite de l'auteur, qui rappelle souvent d'excellents principes el
suggère les plus utiles rétlexi(uis. On soidiaiterait que la ]iartie psy-
chologique fût mieux fouillée el la parlii' pliysiologi(pie plus solide-
men' établie.
E. A.
32
BULLETIN
DE
L'ENSEIGNEMENT PHILOSOIMIIOUE
L'ABSTRACTION
Lies AltSTKAC.TKINS I NKKRIEl RES
Tciiili- ciiiuinissaiire est une iil)slr;iel iun, si 1 du prend ct\ mot eu
sdu sens matériel. Dans le donné glolial, eiiacuue de nos i'aenlli's
ii|ière une sélerliim. elmisit iustinclivement ce (|ui lui revient. !ùi
l'ace d'un arlire, Id'il alislrait des couleurs vertes et sombres et des
formes en r(']iosou en mouvement ; Icireille n])strail un bruissement :
{"odorat ahsirail des odeurs; le tact abstrait des résistances, des
rugosités, des veloutés, des tem|)ératures. I^a, perception n'est que
la synthèse do ces analyses successives, la concrétion de ces abstrac-
tions, l'unité rélal)lie dans cette multiplicité artilicielle.
Aljstraclion, d'autre part, emporte le sens plus i-esli'eint, et plus
actir. d'élimination, et implicpu' un proci'Ml('> de l'esprit (jiii tend vers
le généi-al, élague, émonde progressivemeul <le jem-s |)articnlarités
les données bi'utes de la sensation, pourarrixei- peu à peu à l'uni-
versel, à l'ahslrail |ii'o|)rement ilil. à I idée. C est ce procédé original
<le l'intelligence (jue nous voulons aiialyser ici en le prenant à son
point de di'']iart, et en notant ses développements successifs.
Pour bien eomprenilre Fabstracticui ainsi entendue, il se faui préa-
lablement pénétrer de la loi fondamentale de )iotre esprit, (pii t'st
une loi de liiialité et de finalité active. Un a parlé d'abstraction pas-
;;ir, E. CHARLES
sive. Nos expériences se j^i-ouperaienl elles-mêmes de la meilleure
façon possible : les ressemblances se réuniraient et les différences se
distiuKiieraient d'elles-mêmes; selon des procédés |)lus ou moins
mécaniques d'association et de dissociation, du chaos des |)remières
représentations émergerail liirnti'il un cosmos de rcpi-ésentalions
classées selon leurs ressemblances ])ar fleures et espèces, pfiur s'uni-
lier cnlin en leur phis grande ressemblance, celle de l'être. On recon-
iiall la psychologie simpliste de l'associationnisme brut. Klle mé-
connaît un fait de quelque infporlance ici. c'est qu'il n'y a pas
d'absti-action passive. .\u ])oint de dépari comme au [loinl d'airivée
(Ir nos connaissances appaiail une activité tinalisatricc i|ui discri-
mine, associe et organise ses conquêtes selon des lois précises, les
lois de Fesprit.
(tr le premier besoin de l'esprit est de posséder ses connaissances,
et. pour les posséder, de se les fixer, de se les systématiser. L'expé-
rience bi-ule est mobile et chaotique. Qu'est-ce. par exemple, que
sa noui'rice pour le nouveau-né? A peine un agglomérat d'images
visuelles, siHiores, tactiles, gustatives et oli'actives, bien peu difl'é-
rencié des autres sensations, l'ne première systématisation consiste
à Faire de cal agglomérai une unité organisée. I, 'enfant distingue
sa nourrice des autres objets d'abord, des antres personnes ensuite :
et voilà déjà des ahslraclions obtenues par des éliminations faites en
fonction de sa tiualité |>remière. La nourrice est ce qui donne du
lait, celle qui donne du lait, l'uis il lixe ce système en le simpli-
lianl, en vient à le reconnailre sous des habits différents dans des
attitudes diverses, à des heures variées : ainsi élimine-t-il certaines
conditions de lieux et de temps et de circonstances, et ^ fait-il une
sorte de schème obslrail d'une image sinrjuliére. — Nous-mêmes,
n'avons-imus ])as de ceux ipie nous connaissons un schème abstrait,
dont nous usons chaque fois que nous pensons à eux en leur absence,
une sorte de représentation lixée et inmiobile où toutes nos repré-
sentations antécédentes apportent ce (ju'elles ont de commun ou de
plus fréquentj v. g. les traits du visage, tel air de bonté ou de force,
ti'Ue attitude, tel geste, etc."? Ce .sont là des abstractions, bien rudi-
menlaires sans doute, mais où apparaissent déjà les lois de l'abstrac-
tion la plus li,aute, une analyse suivie d'une synthèse faites toutes
deux sous l'empire d'une même finalité pratique.
Continuons l'histoire psychologique de l'enfant. Son expérience
journalière le met en rapport non seulement avec sa nourrice, mais
avec sa mère, son père : bref avec des formes humaines qui ont tête,
bras et jambes, tête surtout, une télé où il y a des yeux «jui brillent
cl rciuiii'iil. uni' limK'lir i|ni l'ail du lu'uil cl (|iil l'iiilii'assc. Son atliMi-
tion rculorct' tes trails coiiiniuns cl l)i('iit<'il sans doute il se fail en
lui une iminjc iji''ni''i'ii/iii' de 1 honinu' nlilenue par une fusion simul-
tanée (reli'iiieuls similaires et ini|i(U'laiits. acc(Mn|iaf^uée d'évanouis-
seinenl des élénuuds variables (|ui intéresseiil moins. Un a comparé
felte image j^éuériiiue aux j)orlrails eomposiles de (iaUnn, et celte
COinparais(Ui peut élre utile, |iiiur\u ipii' l'on n(> confonde pas des
procédés mécani([ues de su[ierposilion avec les procédés de syn-
thèse vivante (jui sont ceux de res])rit. — Nous nscuis tons à chaijue
instant de ces iinaj^es composiles : el, à vrai dire, c'est par de telles
images simplilii''es ipn' nous nous représeiiUnis ces objets- d'expc''-
rience coomniui' (|ui' siuil piuii' iiiuis uii cheval, un mouton, nue
maison, une ville, etc. Kt ici. par une réilexiou personnelle, udus
pouvons niTMai^ saisir sur le vit la formation spontanée de celte
image, et y constater la tendance de l'esprit à aller d'emblée aux
ressemlilauci's en négligeant les dill'érences. Qu'est-ce, par exemple,
à première vue, [lour un profane, qu'un troupeau de moutons, sinon
la répétition indéfinie d'un même type, préalablement connu? Seul
le berger dilTérencie ses moutons et ne se conleule pas d'une con-
nais.sance abstraite el primitive.
Un progrès ultérieur consiste à ajouter à l'image, singulière ou
géni'ricpie, une autre image qui en devient le signi^ Pour l'enfanl,
siui père n esl (pi'uu système de repri'Sentalions, surloul visuelles,
iudépeiulantes de lui, juscpi'au joui- (lii I nu aura sutlisamment asso-
cié devant lui ce système du sou : papa, pour ipi'en le voyant il dise
lui-même : ))a|)a. Dès lors son père est ])Our lui une image \ isuelle indr-
pendaiilr de lui, ]ilus uiu' image sonore qui rsl à sn disj)iisili<i)>. L image
sonore preiul prali(|uement le pas sur I image visuelle, (pii tend à
passer à l'élal virliiel, à être i-epréscnh-e, tandis qiu' h> mot passe à
l'état vif comme représentatif el mfiniahle. i-^l d'ernlih''e l'iuiage géné-
rique béuélicie des avantages de l'image singulière; ainsi « les en-
fants ap|)ellent d'abord tons les hommes papa », comme l'avait déjà
remarqué Arislole. Si l'eufaul n'est pas aidi' par ri''ducaliou, il se
formera lui-même son signe vocal, sa langue personnelle, (pie con-
naissent lontes les mères. S'il est né sourd-muet, il usera d'un autre
signe, comiui' eu témoigne la psychologie des soui'ds-muets. Mais il
est clair que l'éducation aide prodigieusement à celle conquête du
signe, à celle nouvelle iilislnirlion jinr siihslihiliiiii d'une repi'éseu-
tation maniable aux repri'senlalions non maniables, d'un leriiii' ri'la-
tivement inunidiile à des éléments mobiles, terme ipii esl ni' " |]our
le général ", el <|ui va singulièremenl facililer l'abslracl ion propre-
518 E. CHARLES
nient iliti,', celle à ijni nous (levnns nos iilées, nos nnixersels. nos
iilislraits (jrnérdiir.
Avant de passer à celte forme supérieure et de quitter les l'ornies
inférieures de rnhstractiou, arrêtons-nous un instant |)Our en [iré-
ciser le fonctionnement et eu fixer les lois, telles (lu'elles se dégagent
des analyses précédentes.
II
FONCTIONNEMF.NT PHIMniK LiK I. AlîSÏKACTION
Une question pri\in(iicii'lli' serait celle cle savoir si lahslraclion
est le procédé ])riniilil' de l'espril, si nous didnildus |iai' des notions
gi'nérales ou par <les notions pai'ticniiéres, si nous pci'Ccvons des
rcssendjlances avant de jicrcevoir des dillérences. si la synthèse pré-
cède l'analyse : c|uestion longneniciil (lisciil(''c cm ces deux derniers
siècles, et i\h\ a divisé les i)sycliologiies en deux cam])s, recrutés
indin'crennnent daijs toutes les écoles pliilosopliii|iies. Sans entrer
dans ces déltats. on se [x'ut demander si la ((uesliini. piisée ainsi en
ces ternU'S logiipu'S, n'était pas mal posée, et si so!i seul sens accei)-
tahle ne serait pas celui-ci : l'esprit à son réveil ne dél>uti'-t-il pas
par riridi''termini''. et son proci'dé ne consisle-t-il pas à aller du vague
au piécis. de l'indélini au délini'.' Vax ce sens, nue seule réponse
luius ]iaraît possible : nos premières idées, particulières ou générales,
sont des systématisations, e'esl-à-dire des abstractions, au sens très
concret où no\is avons entendu ce mot, et comportent à la fois des
analyses et des syullièses contemporaines et complémentaires les
unes des autres, organisant des intuitions simidianées de ressem-
blances et de dillérences : ressendilances et diir(''rences au reste
fonctions les unes des autres et s"im|diquanl iniitiii>llcnieul. ciuume
un i)eu de rétlexion suffit à le faire découvrii'.
L'abstraction parait doue avoir une double loi foiRlameiitale de
dissociation et d'association. Elle exige d'abord une dissocùilion des
éléments im|)nrlanls et des éléments non importants, c'est-à-dire des
éléments cdustauls et des élénu'uts varial)lcs des expériences données,
ceux-ci tend.iut à s'évanouir, à tond)er en sonuncil, ceux-là passant
au conti'aire à l'état vif. de |)ar leur fréquence, de par surtout lat-
Irntion spontanée et volontaire qu'ils provocjueut, obtenant ce qu'on
a. justement appeli'' un rcnforreiwnl j}si/rlii(/iii\ Ainsi la luélliode
logique de cette dissociation semble être sui-l<iul la méthode de concor-
V ABSTRACTION 51'.».
dancc, la plus siiniilc de celles c|u'utilise [iiiiiiielion savante. S(:li(''iiia-
lii|iieineiit , ('laiil ilinmés trois groupes,
A X B C g
A B m 11 C
A B C 0 p,
X, g, in.n, o, p. sont sponlauémeut, discriminés, et de chaque groupe
il n'est relenii i|iie A B C. Unifier ces éléments en un système com-
pact, l'I autant ([ue possible invariable, est 1 o'uvre de la synthèse,
de l'axsiiriation, mais d'une association originale, qui consiste dans
une agglutination ou mieux dans une fusion des termes communs des
trois expériences successives , alors que l'association classique
n'établit entre eux (jaune liaison respectant leur indépendance. Et
cette opération nouvelle apparaît à vrai dire plus intellectuelle que
l'autre, impliquant le sens de l'identique, de l'homogène, essentiel à
l'esprit à qui rex|)érience n'ofl're que du divers, de l'hétérogène, im-
pliquant même une sorte dejugement concret, — mais jusqu'ici con-
cret seulement, — d'identité, et des aftirmations actives de simila-
rités qui autoi'isent la synthèse vitale. Ceci est vrai déjàde la synthèse
des qualités d'un même objet plusieurs fois i)erçu, dans une repré-
sentation particulière. C'est plus vrai encore de la synthèse de qua-
lités d'objets différents tiaus une image générique ; à plus forle
raison de la synthèse moins naturelle d'un signe et d'une représtMi-
tation signilii'e.
Ces affirmations concrètes d'identité sont le fond même des aclivi-
ti's infi'i-ieures, et par elles labstraetion apparaît comme le préambvde
indispensable des premières inféi'ences pratiques. L'image singulière
abstraite donne lieu à des inférences du |)arliculier au particulier :
la nourrice a donné du lait, donc elle donnera du lait. 1/image gé-
nériiiue abstraite permet déjà ce (pu^ l'on a appelé des inférences par
analogie, des sorites concrets, qui expliquent les actions et les
inventions des animaux supérieurs : le renard de Montaigne a des
représentations généralisées de tern^ et d'eau, de solide et de liquide,
selon li'S(pii'lles il modifie sa marche. L'abstraction dernière, par
subslilution de signe à chose signifiée, n'autorise que ce qu'autorisent
les reiu'ésentalions qu'elle symbolise. Elle ne mènera plus loin que le'
jour oi'i elle impliquera une conscience abstraite de rapports, ci' ipii
n'est i>as encore, et nous trouvera en possession de concepts, de
jugements et de raisonnements. Alors nous passerons de la logique
des images à la logique des idées, parce qiu' nous aurons passé des
formes inférieures à la foi'me sup.''rienre il ■ rabslracli<ui.
Mais co'jHm'ut noter ce passag'? " Imi quoi dislinguer les |ire-
a20 E. CHAULES
miôres id('es îles iiaaj;es? ■■ se (k'uiaiiilail déjà Aristole. Par crainte
de le faire « primi. l'epiviions réliide [)Ositive de notre développe-
ment intellectuel.
III
KVOLCTin.N DE l'abstraction
Jusqu'ici nous n'avons j^uère eu devant nous (|ue des inductions
obtenues par méthode de concordance, où domine la synthèse des
ressemblances, où les différences s'éliminent pour avoir passé ina-
perçues. Mais peu à peu, à mesure fjue l'esprit abstrait plus active-
ment, entrent en jeu les méthodes plus compliquées et plus délicates
dites en logique des différences, des variations concomitantes et
des résidus. Les différences peuvent être données comme éléments
prépondérants dans la conscience, et l'effort d'analyse n'en devra
être que plus intense pour distinguer, renforcer et abstraire la res-
semblance inévidente il un œil paresseux ou distrait. Schématique-
menl I (in aura alors ;'i lieu près
a 1, k j r
c <l a m n
\ g 1 p a.
C'est ce petit a qu il faut transformer en grand .\ et faire sortir de
ses groupes naturels. Proprement on a une invention, une découverte,
qu'elle soit d'ailleurs vraie ou fausse, que ce soit un enfant qui la
fasse poui' lui-même, que ce soit un i)liilosophe ou un savant qui
la fasse poui' l'Iiumanité.
C'est ainsi, par exemple, que l'enfant invente ses concepts quali-
tatifs et quantitatifs. La représentation blanche doit ètie il'abord
pour lui l'image du lait ; puis il découvre la neige blanche, le mur
blanc, etc. Mais le lait est liquide et se boit ; le mur ne se boit pas, on
s'y fait des bosses et il se dresse étendu ; la neige est fi-oide et friable,
bref, les différences s'accumulent et se confondent. Il faut alors
qu'intervienne une dissociation active de la représentation constante
de blanc, et une élimination active des représentations variables,
de fluidité, de saveur, de froidure : la donnée concrète tend à deve-
nir un adjectif concret, puis un adjectif abstrait; les objets blancs
élaborés engendrent l'idée de blancheur. Des abstractions ultérieures,
par analyses de plus en jikis aiguës, donneront les abstraits couleur,
qualité, etc., jusqu'aux derniers abstraits métapliysi(iues. — L'abs-
LABSTRACTION 'ô%{
traftioii (|iiautLl.ilivi' »uil un |ir<)ccssiis semijl.ilili', |ilus Iful et plus
pénible apiiaremment, le iioiiihre étant une abstraction moins évi-
(ieminent utile à l'enfant. Q'"' ileflorts nécessaires pour arriver aux
concepts vagues d'unité et ilr multiplicité, puis aux concepts plus
précis d'unité et de dualité, puis aux nombres un et deux, puis enliu
à la série des chilTres! L'analyse (pii dissocie tel objet de tels autres,
ca de ça, puis ça et ça du reste, la synthèse, très postérieure sans
doute, i|ui associe ça et ça, la formation de sij^nes désignant ça,
puis ça et ça, tels sont en gros les stades initiaux de l'invention
de la numération : combien lentement parcourus ! L'éducation et
l'enseignement des chiffres l'abrègent aujourd'hui. Mais longtemps
compter vocalement est pour l'enfant faire œuvre de perroquet. Il
le fait depuis des années, que pour s'en croire, il veut dans l'appli-
cation vérifier jiar une vision concrète ; le petit berger se fie plus à
ses yeux qu'à ses chiffres; de même bien des gens du peuple n(^
croient à une addition que réalisée sur les doigts; combien enfin
pour qui la table de Pythagore est l'objet d'un acte de foi, jamais
comprise bien que sue par cœur! — Ces considérations sur l'abstrac-
tion quantitative des nombres s'appliquent a fortiori à l'abstraction
quantitative des formes géométriques, plus pénibles encore, moins
utiles, et partant postérieures. — Klles s'appliqueront mieux encore
à la genèse des difficiles concepts de rapports, d'un usage de plus
*en plus indispensable à la pensée mathématique et à la pensée sim-
plement humaine. Aussi la catégorie de relation est-elle de toutes
celle où s'exerce le plus notre ahslractivité, où nos progrès intellec-
tuels se marquent de plus définitives conquêtes, sans lesciuelles nous
ne saurions organiser notre monde de qualités et de quantités. Du
premier rapport consciemment abstrait d'identité à tous les rapports
ultérieurs, spéculatifs ou praticpies, de ressemblance, de différence,
d'utilité, de causalité, de liaison, etc., il y a tout le développement
de l'esprit humain allant des premières données fragmentaires, inor-
données et concrètes, aux sciences les plus abstraites, les plus orga-
niques et U's plus universelles.
IV
LES LANGUES, l'ÉCHITIME, LES SCIENCES
Cette étude, forcément ra|)idi' et artificielle, de l'évolution de l'abs-
traction chez l'homme, — il nous est si difficile de nous ressouvenir
522 E. CHARLES
k' clit'uiin paiToiiiii dans notre enl'ance I — est lioureusemenl coii-
tirmée.pai' l"lustoii-c, de riiiimanité dont chaque progrès nouveau,
chaque abstraction nouvelle, a laissé des ti-aces dans l'histoire <ie
ses langues et de ses sciences.
La classification généralement atlniise des langue^;, qui n'est dans
rensenii)le que la notation de leurs développements successifs, met.
en lias de l'éciielle les langues moiiosi/llnhiijui's, où tout l'ellort est
d'accoler à un dhjel un signe vocal, (jue la richesse des impressioixs
à exprimer, et la pauvreté du vocal)nlaire expressif, font vite étendre,
selon les lois rudimentaires de l'analogie, à des objets, puis à des
actions plus ou moins similaires. Viennent ensuite les langues «^^/u-
tiniiiilfis, où se fait la distinction des fonctions qu'expriment des
préfixes et des suflixes. Puis les langues flexion iielli's. (|ui attestent
lin énorme progrès d'analyse. Une conscience de plus en plus nette
des rapports y exige des formes et une syntaxe de plus en plus com-
pliquées : dans les langues dites .«i//i//(''/!iy((es. ces rapi)ortss"expi-iment
à l'état concret par des modifications des mots, les cas des ilédinai-
sons, les voix et les formes des conjugaisons: les langues analyli<|ues
précisent encore ces l'ajqiorts, et sui)stituent aux cas l'enqjloi des
pré[iositions, aux l'oi'uies et aux voix l'emploi des pronoms cl des
verbes auxiliaires.
Fj'iiistoire de notre écriture moderne est une application des mêmes
méthodes d'abstractions progressives. 1/hiéroglypiic égyptien est
d'abord idroyfapliif/ite { i< : il ilessine la représentation, v. g. le por-
trait d'un lion signifie un lion : puis un .iipnhnlismr. on l'on prend sur
le fait le procédé d'analogie, incarne dans celle reprt''senlation une
idée abstraite, v. g. un lion représente le courage. L'hiéroglyphe tend
ensuite à traduire le langage parlé ; il se fait phonétique : v. g. le
dis([ue du soleil, lii'i. ne l'cprésenle ])lus ipie le son rà ; c est la péi'iode
des n'hii.i. Vient le slade stjllahiijne, oi'i l'hiéi'oglyphe n'exprime plus
qu'un son ; et enfin le stade alphabétique, où les Phéniciens ne lui
lireiil plus signifier que les éléments séparés des sons, consonnes et
voyelles. Une trentaine d'hiéi-oglyphes ainsi fixés de foi-mes et de
sens ont donné ]i,n- leurs transt'oi-mations diverses les écritures eiu'o-
|iéennes.
Pareilli'nieiil toute science va de rinduclion à la déduction, des
(1) On sait également que les rhllTres romains ne sont que le dessein des doigts
de la main, le signe 1 représentant un doigt, le signe V une main ouverte. D'autre
part le système décimal, qui n'est pas le seul possible, a été simultanément
inventé par des peuples étrangers les uns aux autres, qui ont naturellement
limité le nombre des ciiilTres au nombre des doigts des deux mains.
LMtSTliACTliiy 523
f.iils iiiix lois. (1rs Idis iiarliciilièn's :\u\ lois générales, systématisi-
d'ahoni des rclatimis concréles. puis des relations abstraites, des
relations de plus en plus abstraites, et tend ainsi par des schéma-
tismes progressifs au symbolisme pur. L'histoire des sciences matlié-
rnati(pies, les plus parfaites de nos sciences, accuse assez cette orien-
tal ion de resi>rit liumain ])our qu'il soit inutile d'insister ici et
d'acciiiiniler di's dénionstralions de détail.
L I n K E
lirosses des inventions et des abstractions de Imis ceux (pii iiou^
(iiit précédés, les langues modernes, telles que nous les apprenons
dés le berceau, sont des instruments iiu^rveilleuseuienl compliqués :
si cliaeun de leurs termes fut représentatif pour celui qui l'inventa,
la questi(ui se ])(isi' pour nous de savoir ce que nous logeons de
noti-e expérience intellectuelle dans ces cadres abstraits, et si exac-
tement nous V logeons qiielipn» chose, si nous ne sommes pas con-
(laiiin(''s par nos riclu'sses mêmes au nominalismc pur. sinon an psil-
lacisme.
De par l'abstraction en cllel le mot. le signe s'est progressivement
évidé de l'cprésentalions concrètes. Si l'enfant qui pleure et dit :
.. Pierre est méchant », met ([uelqu'un dans Pierre, et des coups dan>
méchant, il nous faut bien avouer ((ne quand nous di.sons k l'hounne
est méchant ■> — et la langue la plus concrète est remplie de semblables
abstractions, — nous n'avons la plupart du temi)S aucune représen-
tation devant les yeux, pas même l'image généri(pie d'homme : tout an
plus des images sonores, on typographi([ues, [xinr justilier l'adage
ojli-o-.t •l'jiX à'v-j ç.avTiTuaTo:; y, 'Vj/t,. Cette observation aïo'a toute son
importance pour les grands manieurs d'abstractions, métaphysiciens
(Ui autres, ([ui [ieuvent parler des lieures ou écrire des pages, sans
avoir conscience d'images (pielconques. Prenons l'exemple typi(pn>
du mathématicien : dans ses calculs il jongle perpétuellement avec
de purs signes, ou plut(jt des signes de signes. Ne fait-il que jongler ?
11 s'en défendi'a et dira qu'à son ])oint de départ, ses signes signi-
liaient (piehjue chose, qu'à son point d'ai'iivée ilssignitieront encore,
(piil les n'filisûrri. Durant le cours de l'opération il a totalement né-
gligé les ol)jets concrets de son étude, avec l'arriére conseienci'
cependant (pi'à cliai|in' instant il p(uivait se reporter à eux. Il en est
524 E. CHARLES
de l'abslruit qiialilalii' couiuii' de labslraiL quaolitalif, avci- cepen-
dant un moindre symboli.'iine. L'algèbre métapliysitine a une même
origine et peut avoir la même valeur que l'autre. La loi (juc nous
avons constatée de l'évanouissement des représentations généralisées
tombées en sommeil, et de lasnrvivance de la représentation générale
simple a ici toute sa portée. LemoL est comme le papier monnaie de
la pensée : il peruu't d'opérer sans argent, vite et bien : mais, sauf
pour le jierroquet, il est un papier monnaie qui a de la valeur. Poiu'
quelques-uns il ne sera ((u'un assignat : il est un vrai billet de
banque authentique ponr le vi-ai penseiu-, (|ui a conscience de l'avoir
acquis contre espèces, et de pnuvnir. quand besoin sera, l'échanger
contre espèces. Le mot a un contenu virtuel: il est riche de l'idée.
(Jn'est-ce donc au juste que l'idée? (jràce aux précédentes analyses,
nous pouviuis maintenant essayer de déterminer sa nature, et de lui
fixer sa place entre l'image et le mot. Au bas de l'échelle l'idée sera
presque l'iu'iage généri(pu\ mais avec cette dirt'érence ca|>itale qu'au
lieu d'avoir poia- coel'ficienl un nombre (pielidiique , le nombre
même des expériences dont elle a été abstraite, (pielipie élevé d'ail-
leurs que puisse être ce nombre, l'idée a pour coeflicienl le signe de
l'infini -x. , de par l'intelligence univer.sali.sante (jui la fixant, l'étend
à toutes les expériences similaires possibles, dans la série donnée, de
par l'intelligence intelligente qui l'ayant affirmée d'un objet par son
premier jugement d'identité, par exemple quand elle a dit : ceci est
blanc, la lient en réserve pour l'affirmer par de nouveaux jugeuanits
d'identité, chaque fois que de nouvelles analogies données lui per-
mettront de faire ainsi passer des ressemblances sensibles à létat
de ressemblances intelligibles. Ainsi l'idée de blanc est-elle plus et
aulre chose que l'image généri(|ue de blanc. ([lU' le mol blanc. Klle
api)arait au terme de l'élabora lion sensible des l'acullês de jiercep-
tion et d'association, en continuité avec elle, mais la dépassant par
ce IhuuI dans l'iiilini (pii est (irécisémeiil celui que fait l'espril dans
l'induction savante, quauil de quelques cas observés, toi'cément peu
noadireux eu égard à la série infinie dont ils lont partie, il passe à
une conclusion universelle. L'induction savante ne fait que répéter
le procédé de l'induction primitive : ici et là le signe x est la griffe
même de l'intelligence, la marque de fabrique de l'intelligibleauthen-
li(pie.
Cette analyse d'une idée de ipialilé sinqde, si voisine encore des
données des sens et si facile à confondre avec eux, s'appliquera
a fnrtioriaux idées qualitatives complexes, comme l'idée d'une espèce
animale, v. g. de l'houmie, dont la définition est déjà moins exposée
L'.UiST/f.W 770.V 52;;
à être confonduL- avfC son image î>;éinM-iiiiic. Elle aiii-.i Imite sa valeiii-
enfin pour les idées dérivées, les idées quantitatives, les, idées de
rapports, et en général pour les ahsiractions dahstractions, dont le
contenu apparaît |>lusévideinineul étranger aux représentations sen-
sibles. A i|uelle image ramener les (•oiu:ei>ts de (|ualilé, de nombre,
d'action et de passion, de cause et dellet. de loi. de mouvement, d'in-
telligence, et surtout didée d'être? Ici nous avons pour garant delà
nature originale de l'idée, non plus seulement son l'.rtension, sans
cesse croissante et enveloppant chaque fois de nouvelles séries, mais
sa cdmpri'hriisiiiii même, de plus en plus évidemment inétendue et
intemporelle, bref irreprésentable, au sens matériel du mot. C'est
même la loi de l'univer.sel. que sa compréhension est en raison
inverse de son extension. Par suite des analyses successives qui
prennent pour ojjjet à simplilier et à abstraire, le produit de l'abs-
traction précédente, plus l'idée s'éiend et s'univer.salise, plus elle se
vide de son contenu : il y a plus dans l'idée de blanc que dans l'idée
de couleur, dans l'idéede couleur plus que dansl'idée de qualité, etc.,
et dans toutu idée que dans l'idée d'être. L'idée semble tendre à l'in-
fini, au zéro de compréhension; et ceci paraîtrait assez juste si l'on
jugeait avec des catégories sensibles. Mais ce zéro de représentation
est précisément l'unité intelligible, celle qui joue dans toutes nos
constructions intellectuelles le rôle de l'unité numérique dans les con-
structions mathématiques. Aussi d'anciens psychologues ont-ils pu
croire quelle était la première acquisition de l'esprit, qui y arri-
vait spontanément et sans intermédiaire, parle sinq>ie et premier jeu
de son activité mise en présence d'un objet quelconque. Sans aller
jus<]ue-là nous pouvons dire au moins ceci : dès qu'un animal en est
venu à penser je ne dis pas à dire, il n'est pas nécessaire) quelque
chose d'analogue à : ceci esl bon, c'est-à-dire en est venu à faire un
jugement spéculatif quelconque (je ne dis pas un jugement d'action,
comme manger (juelque chose de bon ; établir un rapport n'est ])as
l'exprimer), en esl venu à faire un jugement spéculatif, où il y aura
au moins implicitement une allirmation d'être, cet animai a francbi
le Rubicon, il a passé du p;iys de l'image au pays de l'idée : il est
devenu un animal raisonnable.
L'idée, telle que nous l'avons précisée, esl au fond de toutes nos
opérations vraiment intellectuelles : perceptions, jugements, raison-
nements, délinitions, classilicalions, etc. C'est elle qui les vivifie et
qui garantit leur valeur, alors même qu'elle s'efliice, et se dissimule
derrière le mot. Et il faut bien qu'elle s'eiïace et se dissimule : elle
est en effet en soi l'incommunicable propriété de l'esprit qui la con-
526 E. CHARLES
mie: le signe seul esl comiininic;il)le, mais il est vide, il son jxiinL
(l;> départ comme à son point d'arrivée. CVsl nn vêtement, plus ou
moins fait sur mesure, dont nous avons iiahilir' notre pensée, dont
nous vouions ipie notre auditeur on notre lecteur lialiille une sem-
hlable pensée, mais ce nesl (ju'nn vêtement. L lud)itu(le sociale de
parler aux autres sa pensée ayant amené celle de se la parler à
soi-même, et de ne plus pensersans le secours de la parole extérieure
(ui intérieure, il s'ensuit natureilemen! ipie c'est la paroli' (|ui acca-
pare le premier plan de la conscience, même dans la méditation la
plus silencieuse. Mais elle ne fait rien : ell^ siL^iiilie. Toute la vie intel-
lectuelle est en dessous d'elle.
VI
c.om;i;i'TI .vi.is.mi: i:t si'imii .M.is.Mii
Poni' lu- ]ias prendre f^ai'de à ce travail latent, ou |)eul être amené
à le ni<'r, à reilnire la vie intellectnelle à nue manipulation de repré-
sentations conci-èlcs ou (II' psiltacisme;- ali>lrMits. On en est l'acile-
menl tenté ipiand on se trouve en lu-ésence de prcd'essiiuinels infé-
rieius des idées générales et des mots sonores. l.,"al)ns t'ait tort ici à
l'usage et laisse croire (ju'à tout prendre
Les mots ressemblent aux vases :
Les plus beaux sont les moins remplis.
Une euipiêle diligente ne piMiuel pas di' le ci-oire longtemps. Non
point un sn|>erliciel examen de ciuiscienie. Hmployer cette mé-
thode connue la lait récemment .M. liibot. interroger diflérentes
])ersouues pour qu'elles vous disent au |)ie(l levé ce (pi'ellcs ont dans
l'esprit ipiand elles entendeul on lisent dos mots généraux comme
bonté, loi, etc., expose, comme il arrive en eUel, à ne recevoir que
des i-éponses concrètes on nulles, parce ipi (Ui lu' s'est adressé qu'à
l'imagination ; ou au moins elle seule a pris le temps de répondre :
elle le fait en indiquant les schémes. très variables selon les individus,
qui accompagnent les idées. M. Itibot en convient lui-même en se
donnant nn inconscient mental, intermédiaire entre l'image elle mot,
intermédiaire que ne lui a pas donné' siui enipu''te. Or c'est ])récisé-
meiil cet inconscient ([u'il tant éxciller. l'I taire monter des profon-
deurs de la conscience à sa surface. Ou jiourra le faire jiar un examen
LAIiSril.UTIiiS îi-iT
(•l-ili(|iu' : ([iirsl-cr (11111111' loi? ([il rsl-ci' i|iic' la lioiilr ? Bon 'f^rv. mal
gré, des délinitions vieiidroiil i)rcs(iiii' toujcuiis. des i-c|ioiis(>s plus (iii
moins solides (iiii seront comme des piises de iinsscssion à nouveau
de l'idée par l'esprit , des retours sur les abslraclioiis anlérieures ipii
loiil |u-oduite. Tout enseignement est une expérience de ce ^enre ;
il a précisément pour lin de l'orcer l'élève à découvrir et au besoin à.
inventer par une enquête personnelle le sens des formules tontes
faites. On l'invite à réaliser en espèces sonnailles les liasses de billets
(ju'il a reçues de sa famille, la grandi' famille des penseurs et des sa-
vants : il doil véritier ses comples. De temps à aulre loiil penseur
doit faire de même pour les billets ((uil a acquis par lui-même, el la
réllexion critique est une vérilicaliou de ce ^cnre. Dans un cas comme
dans laiilre on passe du mol à l'idi'M', de l'idée à la généralisation, el
de la ^'énéralisalion à l'indiiclion (pii l'a préparée. Kl |>our peu ipie
l'on ait sérieusement fait cet examen de conscience profonde, et ac-
quis le sens de l'intelligible, on a une conviction lumineuse de l'inef-
licacité foncière des mots, en dépil de leur utilité ; on sent que par-
dessous leur encliaînement artiliciel il y a la finalité de la liaison
logique des idées, finalité telle qu'en dépit desmultii)lessignilications
de ses signes, la pensée va toujours droit son chemin, ne réalisant
jamais de to\is les sens possibles que le sens juste. A cette orien-
tation déterminée, l'indétermination et le polysémantisme des mois,
s'ils avaient ici une action eflicace et indépendante, substilueraienl
incessamment des courses folles, comme on le voit dans les cas de
désagrêgalion mentale oii disparaît la linalilé de l'idée. On arriverait
vite aux phrases de grimoire, à l'illogique abs(du, car à propre-
ment parler il n'y a pas de logiipie des mots.
Si donc il est l'associé de l'idée, et s'il en peut paraître par là le
.substitut et le représentant, le mot n'en est jamais au fond que
l'homme de paille, incapable de dire autre chose (]ue ce qu'elle lui
fait dire ; il lui laisse tout faire, l^artant, si le noininalisme a pu
passer pour la formule exacte de quel([ues penseurs, et même de
plus iiomlireiises pensées, il ne saiirail l'être ni de tons les penseurs,
ni même chez un penseur quelcomiue de toutes les pensées. Le psil-
tacisme est une exce|)tion, une maladie, dans l'espèce et dans l'indi-
vidu: el, avant d'être une llié(U-ie métaphysique, le conceptualisme
est un fait psychologique, le fait psychologique normal.
D'autre part, si nos analyses soûl justes, el si le conceptualisme
est vrai, l'idée, distincte de l'image el distincte du mot, apiiarait elle-
même comme un fait psychologique, (d un fait nouveau, de nature
originale, inétendue en sa compréhension, infinie en son extension,
82X E. CHARLES
elle est irréductibU' aux représentations sensibles ou dérivées, pro-
duits de perceptions, dassocialions ou d'abstractions concrètes,
représentations toutes soumises aux lois et aux catégories de Fespace
et du temps. Dès lors, une métaphysique qui pose les questions de
principes a le droit, et le devoir, de chercher une cause nouvelle à ce
fait nouveau, une cause connalurelle à sa nature originale, en dehors
comme celle-ci des catégories sensii)les. L'inli'lligible postule une in-
telligence : universel et inétendu, il la postule intemporelle et imma-
térielle, telle que le spiritualisme la lui offre.
C'est ainsi que toute psychologie un ])eu approfondie mène au seuil
de la métaphysique, et nous pourrions maintenant pénétrer dans ce
nouveau domaine. Qu'il suffise ici d'en avoir ouvert les portes.
E. CHARLES.
ROGBAIVIME
Nous avons à cœur de remercier tous ceux de nos collègues qui nous
ont donné une marque d'intérêt, en nous faisant connaître ce qu'ils
attendent de ce Bulletin.
Plusieurs nous demandent d'ouvrir une discussion sur la manière d'en-
seigner la philosophie. En général, les professeurs des lycées font leur cours;
ceux des collèges libres et des grands séminaires expliquent un manuel.
Quelle est la meilleure de ces deux méthodes pour la formation de l'esprit?
Cette question sera discutée.
Quelques-uns désirent savoir quel est l'ordre qu'on pourrait adopter dans
l'étude de la psychologie, pour se coufnrmer à la méthode de la philoso-
phie présentée par le bulletin.
D'autres nous signalent les questions qui les préoccupent le plus dans
l'enseignement.
« N'e pourriez-vous pas, nous écrit-on du Nord, publier une étude sur
la nature de l'intelligence et de l'idée "? Beaucoup de professeurs enseignent
que la premièie opération de l'intelligence est le jugement et que l'idée
est un résultat éloigné de l'activité intellectuelle. C'est un problème capital
dans l'enseignement secondaire. » — In autre ne voit pas le moyen de
distinguer l'idée de l'image, l'abstraction intellectuelle de l'abstraction
des sens. Il fait remarquer que de la solution de cette difficulté dépendent
les problèmes de la spiritualité, de la liberté et de l'immortaliti'.
Des nombreuses lettres que nous avons reçues, nous avons dégagé un
programme provisoire, toujours ouvert à des questions nouvelles. Nous le
proposons à nos collègues, en les invitant d'abord à le critiquer et à le com-
pléter, ensuite à traiter un des sujets qui leur oITrent le plus, d'intérêt.
Nous aurons ainsi des études fouillées et suggestives.
1 . Définition de la logique.
2. Historique du problème de la connaissance.
;i. Nature de l'erreur.
4. Le syllogisme.
!>. L'induction.
6. Mécanisme et dynamisme dans le mundr de la malière et de la vie.
7. Nature de la vie psychologique.
5. Ordre à suivre dans l'étude des dillérentes parties de la psychologie.
',1. Vanité de la classification ordinaire des facultés.
10. La conscience et la personnalité.
230 E. PEII.LAUBE
il. Le paradoxe de la conscience, d'après Kant.
12. L'inconscient, sa valeur et sa portée en pyscliologie.
13. Principales synthèses psychologiques.
14. Genèse de la notion d'espace,
llj. Genèse de la notion de temps.
10. Genèse de l'idée de cause.
17. Genèse de l'idée de substance.
18. Perception du monde extérieur.
19. Le rêve et l'hallucination.
20. Revue générale des derniers travaux sur l'imagination etla méraoiie.
21. L'attention : sa nature, son rôle en psychologie.
22. L'association des idées : la ressemblance et la contiguïté sont-elles
deux formes irréductibles de l'association ?
23. L'abstraction des sens et l'abstraction de l'inlelligence.
24. De la première opération intellectuelle et du fond de l'enlendemenl.
2d. De la croyance.
2G. Valeur de la raison.
27. Les formes supérieures du sentiment sont-elles irréduclibles aux
formes inférieures .'
28. Les sentiments religieux. — L'extase.
2'.l. Démonstration de l'existence de Dieu.
30. !ic concept de moralité.
31. But de la vie et éducation de la volonté.
É. PElI.LAIIiE.
Soutenance de thèses pour le doctorat es lettres.
Le l" mars 1901, M. Halévy (Elle), ancien élève de l'Ecole normale supé-
rieure, agrégé de philosophie, professeur à l'I'xole libre des sciences poli-
tiques, a soutenu, devant la Faculté des letires de fUniversité de Paris,
ses thèses pour le doctorat sur les sujets suivants :
PnF.MiîîRE TiiKsK. — De concatenakone quœ intcr a/l'ci-tionef mentis proptcr
simililudinem fieri dicititr.
Del'xikme thèse. — La formation du radicalisme philosophique. La hcvotii-
tinn et la doctrine de l'utilité (17S9-hS4i)).
M. Il.ilévy (Elle) a été déclaré digne du giadn de docteur es lettres, avec
la menlion très honorable.
h; Grr/nit : ].. (i.MiMI'lR.
Ln Cl;a[}clie-.\lontligeûn, — Iinp. île N.-l). de Montlif;ei>n.
LE IMJOBLÈUE PIlILOSOniIOUE
DE DESCARTKS A KANT
Doscarlcs, ikhis le i-ap[jL'lions aux ilt'riiii'i'cs lignes dune pir-
d'ilente élude, cul une ambition iiiimeiiise de clarté et de cei'-
titude (1 ). II les voulait irrésistibles, victorieuses des plus scepti-
ques, égales au moins à celles des maihémaliques. Possédé de
cet idéal, il sacrifia tout à sa poursuite.
l'ar maliieur, la uoJde passion el la vigueur du raisonne-
menl ne sul'lisenl pas à cette (euvre. S'ils tout les génies dé-
duclil's, les bigiciens puissants, les géomèlres tels que les en-
tendail Pascal, ils suppb'eiit mal le lad (i('Iieal, le sens al'liné
du n'-el, la pénétration du regard, cjui caractérisent les grands
inluitils, el pour la meilleure pari de leur génie, les vrais
philosophes, interprètes el divinateurs de la nature. Isolé de
rinluilion, le génie déductif esl l'alalenienl sysléuialique. Il
aveugle autant qu'il éclaire, et cache autant de véi'ités (ju'il en
l'ait découvrii'. Il conduit aux [laradoxes de> [nurbilbins et des
animaux-machines, plus sdunciiI <|u'à l'invenlinn de l'algèbre
ou de la géométrie analytique. Iloi's des matbémali(iues pures,
il est un éciieil presque autant qu'une puissance : il n'est
jias d'erreur (|n'il n'enfante. Tout le monde sait qu'avec un syllo-
gisme et un opril systématique tout se prouve el buit se nie.
Quoi qu'il en soil, le philosophe français vil, bien (|u'à une
telle entreprise il fallait une ba^e nouvelle, un point d'appui
(1; Voir flefiie ilp l'Iiitosopliie. \' i\(:':i:n\\)ve 1900.
3.3
\y.vz .1. lilLMdï
lixL' cl iiniiinl)ili'. tel (|uc. dans iiii aiilrc ni-ilrc (riilt''r>. Arcliinirilc
lo (Icmaiulail pimr soulever la terre. — Il pensa l'avoir Iroiné
dans le Cik/'iIo l'rr/o si/m : ol. snr cel unique axiome, rùninie sur
un l'oe inéhraulalde. il enlre|)ril de eon-^lruirt^ la |iliilosopliie
nouvidle (ju'tin monde fatigin' dun arisloUdisnie amoindri
iippidaiL de Ions ses vœux.
De l;"i date révolution de la pliili)>opliie moderne el spT'eia-
lenienl dr -a maîtresse pièce, la tln'orie cl la criliiiui' de la
connaissance. Le Caf/i/o riujit ^iim en est vraimenl le |)rincipe
géncraleur el comme la cellule initiale. Il contient en ^criue l(^
premier et le dei-nici- mol du sulijeclivisnu' : il a pour corollaire
naturel la linvirie di's idées innées et celle des principes a
Itriitri de la peiis('e. l'ar là il éliranle lot;i(|uemenl la valeur de
l'expérionce et de la science.
Nous vondi'ions cs{|nisser hricvement les traits i;én(''raux de
colle grande évolution de pensée. Itds qu'ils nous a|i|>araisseiil
dans leiii' cadre liislorique.
(le (|iii disliimiu' la nii'lliodc de Descarlos de tonte autre
méllnxie, ce (|ui lui ini|irime son cachet et sa marque, c'est,
avant tout, cette ciili(jue outrancière qui, dans l'espoii'de trou-
\i'r nu sol |ouiour> plus l'erme. ne s'aïréte jamais dans sa
reclienlie, el. alin de mieux vaincre, abandonne dès l'alnird
ail sce[)ticisme tout ce que le scepticisme réclame, lui sacrilie
l'une après l'aulre chacune de nos facultés et chacune de leurs
t'onctions normales, pour ne s'arrêter eniin qu'à la limite
extrême du doute possihie, devant le « je pense, donc je suis ».
Or cet axiome n'expiinn' l'ien de plus que le fait imméiliat
ot subjectif de conscienc(>. 11 afiirme le rapport du |)liénomène
intérieur au sujet (|ni le perçoit et qui, en le percevant, prend,
en une certaine façon, (Conscience do sa propre existence ; mais
il fait abstraction du rapport de la pensée au.\ choses, et même
du rapport de la pensée à elle-même, c'est-à-dire, en délinitive,
do la vérité logique aussi bien que de la vérité ontologique.
Il est une idenlilé primitive et privilégiée, si évidente qu'elle
/.;■; l'iioin. i:\ii: l'iiii.nsni'iiinrr, wx^
s impose (II' tiirci' fi l;i coiisi/ii-iR-t' : /jr/isrr, ail sens le plus hir^c
ilii mot, cCsI-i'i-diic. commo lo dii DcsciirU's lui-mènii', rloiiU'r,
rêver, (h'Iiri'r même, e'esl eiici)i-e èire : c'est se sentir exisler ( I ).
Là i;ise]il à hi loi> la eertilnile propre, vraiment exception-
nelle (le cette intuition, et anssi sa siérilité é!j;ale à sa cerlitude,
son impuissance à si-rvir de liasi' à un système, de |Miiiil d'ap-
pui à une philosophie.
En rejetant toni ce (|ui n'a pas ce caractère d'évidence eoii-
traignante et, à vrai dire, unique; on ahandonnaiil. de son plein
gré, toutes ces autres évidences, de ([iialité inrérieure, mai-
cependaiil siiriisanto, sans lesquelles il nous est impossiide de
vivre un seul jour. Descaries sesl enfermé dans un cercle de ter.
Il a signé de sa ]U'opre main l'ahandon de ses meilleuros res-
sources, celles de ses facultés: il s'est dépouillé lui-môme du
•droit primordial d'en user et d'en vivre, à moins de réaliser
-ces deux conditionspérilleusos à l'excès, de iléduire, par un tour
de force de logique, toutes ses autres connaissances de l'axionn-
privilégié, et de faire cette déduction avec ce degré d'incom-
paralde l'videnco qui appariienl à cet axiome.
Or, très nuinifestemeni ni l'une ni l'aulre de ces condilioiis
n'est réalisahle.
La première ne l'est pas : car avec le doute universid, on a
donné, sous la forme d'un génie trompeur, les divagations de
la folie pour assesseurs possibles au ('(x/iii, fri/o siiin : on a
rejeté comme impuissantes toutes nos facultés. Crunment, avec
de telles prémisses, espérer que l'on puisse légitimement dé-
duire, d'un axiome, cette grande ciiaiue de v(
grauue cuaiue ue veriles qu
esl le
savoir 11 iimttin'.'
La seconde conditimi lU' l'est pas davantage. Ou sait au prix
de quels efforts de dialectique, par quelle série de marches et
de contremarches, par quel escalier tortueux ou pluliM par quel
labyrinthe, Descartes s'évertue à remonter du piiils profond el
obscur, où il est volontairement descendu, jusqu'à la lumière
du jour. Parmi toutes ses idées, il en remanjue une, l'idée de
Dieu. ]']lle a, seule entre toutes les autres, le privilège de prou-
ver l'existence de son objet. Si donc l'argument a priori est
(1 MéiH/alion secumle. n 3. éJ. GARNiEit.t. 1, p. 110.
ly/t .1. BII.LIOT
idcincmcnl riuoiii'ciix (ce >~\u(' lEcole n"a jamais admis), nous-
aurons une ilinixii'mc dDiiiiL-e, un nouveau jtoinl dappni dans
Foxisloncf do Dieu. On en déduira immédiatement celte troi-
sième vérité, q(ii cependant demanderait bien d'être prouvée :
("est fticn !'ui est mon (Créateur.
inlini en perl'ection, le (Iréateur ne peut m'avoir donné des.
taiiiUés trompeuses, « maîtresses d'erreur », comme disait Pas-
I, il. telles maflirment qu'il y a en d(diors dcnini des corps, d oi'i
ini' viennent les idi-es (jne j'en ai. l)onc ces corjis exisleul eu
r(''alit(''.
.\insi il a l'allu nons l'dever 1res liaul, Jiis(|ii'm Uieu, |)ar nu
chemin (|uc la majorili- des philosophes juge impraticable,
cnsnile, par un raccourci glissant, celui de la créalion, il a
fallu redescendre <le ce sommet sur la terre, pour avoir sim[)le-
nu'ul le dniil de dire : " Je voi>, |(' louche, je sr'i^ (jif/'/ifi//- ihitsr ... »
toules [)rop(isition-; dont on se doulail bien un peu auparavant,
et sans (ju il lut besoin de l'aire celle périlleuse exclusion.
Mais du moins, el c'i'sl là l'ini'vitable question, avons-nous
de chacune de ces (h'-dnelions el de leur long enchaînement,
non senlement une vraie certitude, mais celle pleine et sou-
veraine évidence donlon nous a si bien montré le caractère irré-
sislible: avons-nous la certitude du CiKjilt) crr/o siini?
l)e la réponse que fera le >cepliiineàcelte<|uestion riMlo niable,
di'pend en bonne logiqu(^ le sort de la pliiloso|)hie cai'lésienne
et, en un sens, de presque toute la |diilosoplue moderne.
Sans doute. Descaries a cru pouvoir doubler ce cap. Sans
doute, il s'est cru le droit de passer du Cof/ita à tout un cor|)s.
de philosophie dogmatique; et c'est lui qui a écrit sans sourcil-
ler ces lignes équivalentes à un suicide, |)uis(|u'(dles (>lVacent
lonl ce qu il a allirmi'- précédemnuMit : " Ai/aiil roniiiuiiir
(jtl'il 111/ (I rien (lu Inill rit ccii : jr p/'/i'ir, iliiiic je stlis, ijiii iii'ds-
siirf (iiir je ili^ lu rriilr, siiKin ijuc jc rais iluin'iitciil tjitc juxir
iifiiscr II fil (Il rlrr, je jiK/cai ijHi' je jtoiirais pirndri' jujur rî-glr
i/riirralf ijiic 1rs r/io^rs ijiir niins concrrons fijrl rlairrmrnl sunl
iDiiirs rriiirs. « Ainsi subitement el sans autre raison, le je prn^r^
<luii(: jr suis passait de la dignité de |Hiint d'appui iix(>, privilégié
el uni(|ue, au rang de règle générale, de type commun de certi-
tude : el parlant il leulrail dans le rang et se coul'ondail avec
/./•■ i'is(ii;i.i:Mr. riiiijo'ii'iiHjrK :>r>
1rs iiiilri's ciTliliKlcs. — l'iMiiiiiini ildiic alnr- m lairc Imil ;i
l'Iii'iMc un >i ui-iiiiil l'Iiil .' A|ii-r> r.ivoir taiil cNalIr. |i()urijnoi i.
laincni'i- iiiaiiilciuinl à la cimimuiic mesure?
Mais e'esl ici qu'au nom île la l(ii;i(|ne iiuus ilevous arrèler
l'auletir de la MiHhode et lui il.'leuilre île passeï- nuire, i te deux
eiiosos l'uuê, lui répond le seeplique : ou Ijieu. Inul à 1 lieure
quand vous nous avez ahandonné ceci. |)uis cela, puis encore
cela, viHis n'avez rien aliandonné du loul. el vos concession-
n'ctaieni qu'un leurre: mu Inen. ce qne vous avez vraimonl et
sérieusiuneiit abaudiuini' . vous avez perdu le droil de le
i-eprendre. Si pour donler de votre enlendemeul. el i)lus encore
de vos sens, vous aviez de -iraves et déci-^ives raisons, elles suh-
ftistent encore, el appareninn'ul elles snhsislenuil loujonrs. Si
tout à riieure vons étiez incapalde de distini;uer le sommeil de
la veille, le rêve de la réalite, la folie de la raison, vous n'en
■êtes pas plus capable maintenant. Ni le Cot/i/o f'r//n snin, ni la
■Aéracité du Créateur n'y peuvent rien changer.
Ne nous v trompons pas. Il ne dépend de personne de chan-
ger de tond en cnmhle nos certitudes initiales, el de leur don-
ner, grâce à la logique, des fondements entièrement nouveaux,
une valeur qu'elles ne posséderaient pas déjà par elles-mème-.
■La base première de nos certitudes, ce sont nos facultés mènn'-.
nos facultés seules : non pas telles que nous les voudrions,
mais telles que nous les avons en fait, inégales entre elles et
cependant solidaires, confirmées par l'usage constant, par les
longs services quelles n'mit cessé de nous reudri' depuis notre
naissance, (^c sont elles qui coiulilionnenl la logi(|ue. Or, à leur
égard, la méthode cartésienne a atlecté de preiulre deux atti-
:tudGS successives, l'une pour critiquer, l'antre pour restaurer
;leur valeur, attitudes que l'on ne saurait concilier l 1 1.
Cette méthode se fonde, d'abord, dans un premier moment,
sur la distinction et sur l'inégalité des évidences et des certi-
1 >I. iMinsegrive ;i pris sur ce point l.i défense de U seules, dans de!i\
(iilicles importants de la Renie philosophique, t. .W voir surtout pp. 361 et suiv.
— je ne saurais ici me séparer de Hume cpil a bien m irqué le vice i-adical du doute
et de lauiétliode de Descartes : « S'il y .i un principe conv.iincant pnr lui-mnme
" et évident de sa propre évidence,... nous ne pouvons faii-c un pas au delà.
.. si ce n'est par l'usage de ces ni^'^mes facultés dont on présuppose que nous
■■ nous délions. Ainsi le dout? cirtésien, ijuand il serait possible d'y parvenir....
r;3G .1. lîl LI.IOT
liuli's. sur i'ini'iliicliliililt'' d<' I uspOi'c inlLTioiiro à respèci-
sup('Tioiir(\ (lo IV'\ idenco dos sens à colle do rentcndenient, et
surtout sur rirréduclilùlité de ces deux certitudes réunies îi la
certitude subjective de la conscience, (l'est pourquoi elle re-
jette les premières et conserve la dernière. Puis, après avoir si
iiicn uianiui' la distinction des espèces d'évidence, elle l'oublie
tîiat à ((inp, elle l'ellaci', et, à son deuxième moment, elle sou-
tii'nt que les deux premières évideuces se ri'duisenl à la troi-
sièuie, et les trois ensemhh» à lun' seule.
■ .II' p<-i)s", ildiic je SUIS », cet axiouie demeure sans doute
a»-d( ssns de toutes les critiques : mais pmirquoi ? — Pi'écisé-
merit parce (|ii'il n'est i|ne hi simple aperceptiou il'un même
fait de lonsiienee expi'imé sous deux mots dilTérents. C'est
une ai'liruiation, une coiislalalion indéniables, mais sans pro-
jirès possible vers aucune autre vi'Tit('. Le sceptique n'a jamais
d<mt(''. ni de sim dnule. ni de --iin aeli\ilé mentale, ni de son
l'xisteiice de '-eeidique. Il conteste seulement ([ue sa pensée
[(uisse rien nlleiiidie de certain en d(diors d'elle-mèuK'. Ce n'est
pas en lui accordant ses pr(''misses qu'un pourra le con-
ir.iindre d'accorder ce qu'il l'ofuse. Descartes en a jugé autre-
ment, et il a cru, de l'abîme de la conscience pure, pouvoir
remonliM' à la surface du -ol. De Descartes et du sceptique, ce
n'est pas le |uemier ([ui e>l le plus avis('', ni le plus logi-
que : ol Idii ne voit pa^ en fait que depuis Descaries le subjecli-
visme ait perdu du I(M lain. ni qui> le iioml)r(> des sce|)liques ail le
uioius du monde diminui'. Tout au contraire.
.\près ([ue le doute m(''llioi!i(|ue a n^jeté toute autre certitude,
le cartésien logique et cons<'{{iient avec ses principes n'a plus
(ju un droit au monde, celui de i-esier absorlM'. >idi[aire. dans la
contemplation de son moi, li' seul hori/on qui ne lui soit pas
fermé. Clnniue fois qu'il en soi1, — et il ne peut s'empècber d'en
sortir, car il f;uil \ ivre. — il jirèle le llauc à l'enni'nii, et se met
en conli'adiction avec lui-même. Ile là vient, sans dontO; cette
" ser.iit un mal tout .'i fait incurable, et il n'y aurait point de raisonnement
" capaLile de nous iMOiener à un état d'assurance et de conviction sur qi;elque sujet
■• c|ue ce fut '> ilIcME. \i' essai. Desc;irtes, ne l'ouldions pas, est allé dans son
diHite liVperb<dif|uo jusqu'à l'Iiypothcse du îïénie trompeur, c'est-à-dire de lu folie-
|Missilile. — Voir aussi les (|uatricmçs objections du P. "nurdin .rnsquellcs (iar-
n;or rend pleinement justice.
;,/■; l'imiii.EMh: l'iin.dSdi'iiinii- '0:17
liaiilisc (II' siilijt'clivisiiic ou de (l('mi-siilij('i-(i\ i>iiii' dnal sduM'n'
aiijounlliiii ririitnenso majorité dos pliilosuplios, ol (jiii impos(>
à ciMix-Ift mr-mos qui lui rofiisonL Unir aillirsion coiiiplôLc,
(•(iinnic un jnii'; iiilolrralilo, 1111 laiii;'ago équivdciui', uni' allitiiclc
limidi', cnnli'r ualuic. l'uliu ili's lliôorios pliilosopliiiiucs inli-
niuionl rliiiL;u(''('s des ditmircs di' l'cxjir'riiMicc : aulaiil d'onlravos
([ui rcLieiuK'ul lélau, paralysent rosj)rit et enipèelient son essor.
Le moi et les choses extérieures en réalité forment deux
mondes, une ile et un cnnlineul, qur si'pare un large bras de
mer. Entre ees devix terres, la nature avait jeli' un pont sur
l'aMme ; el, grâce à ce jioiil, l'esprit passail lilirenienl de l'île
rei'nn''e du uini. de l'aride Cm/ //a r/y/i) su m, au runl iueul de l'èli-e.
Il en revenait ensuite, rielie de ses dépouilles. (!i' pont uui(jue
et sans doute néeessaire, c'était, avant tout, l'Iiuuildi' pereep-
liou des sens. I ne l'ois ce puni cnupé', comment m^ resterions-
nous pas prisonniers dans notre Ile, ju-ivi's de (ouïe conimu-
nic'ation av(>c le dehors?
il
I)escarli's, d'ailleur>, s'en luellra nu)ins en peini' que tout
autre. .Moins qu'il |iersonne il lui eu coi'itera de sacrilier, sinon
en entier, du moins aux trois quarts, les données des sens,
beaucoup trop éloignées à son gré, et troj> dillérenles, des idées
claires et distinctes, avec lesquelles il entend reconstruire la
science. Le géomètre sur ce point renl'orce singulièrement le
critique. La sensation, en ell'et, menu» la plus objeclive et la
|)lus nette, garde Imijours en son fond quel(|ue chose d'ohscuret
d'impéiuHralile à l'esprit. Son àiue de mathématicien s'(m irrit<'.
En conséquence, il fait déchoir les sens de la haute dignité
tic facultés connaissantes, on pourrait presque dire scientifi-
(['ues, à laquelle .Vristote les avait élevés, en en faisant, grâce
à notre faculté d'abstraire, les pourvoyeurs de l'esprit, et
la source éloignée, mais réelle, de nos idées. Il h's n'duil
presque au rang lieaucoup plu-^ liunible i\f racullé's alfeclives,
([u'elli's oui gardé depuis, boniu's surtout à nous aider [lar leurs
iinpi'cssions de peine ou de plaisir à ])ourvoii' aux né-ci^ssités
ÎJ31S .1. lULI.IOT
do notre corps. Sa division trop absolue des êtres, en étendue
])iire et en pensée pure, l'oblige à supprimer au moins tbéori-
(juement tous les degrés intermédiaires, ceux d'entre nos
actes qui, suivant l'Iilcoio, ne relèvent ni du corps seul, ni de
l'àmi^ seule, mais bien du composé, .\ussi, pour le géoniètre-
pbilosoplie qu'est Descartes, n'y a-t-il plus de place en psycho-
logie pour la sensation. Elle s'appellera désormais idre, et sera
l'acte de l'ànie seul<\ La sensation alTcctive clle-mèm(\ •■ le
«•halouillement, » sera, pni" un heureux eujdKMiii'ime. <. uni-
|)ensée obscure ».
il faudi'.i reciiiiiiailre, il est vrai, qui' tiiules les pensées ne
sont pas des pensées au même litre, ni an même dejjré'. A
l'ancienne division de nus actes de connaissance en sensations
<•! pensées, il faudra l'aii-e succéder la division on « idées innées ><
et H idées adventices <> : et celles-ci resteront très voisines des
sensatiojis de la scolasticiue. .\ussi jusque sous le nom " d'idées
adventices >>. Descartes poursiiivra-l-il sa guerre contre les don-
nées des sens. .Malgré leur nnuveau litre, il conlinuera à les
ri'garder comme de simples images sensibles, el. à i'enconire
de riù'ole. il les tiendra piuir incapables de huunii-, même de
loin, auv vraies idé-es leur cunlenu, el pour radicalement im-
propres à la science. Dès hirs. à la théorie classique des idées
absiraites d(^ la sensation el linges de l'expérience, Descartes
<levra sulislihier la dangereuse hypothèse des idées innées,
jaillies, on ne sait cummeiil. des proloTideur^ de noire âme,
ou, comme il s'exprime parfois, k nées avec (die >i.
Ouieon(|ue, dit-il, a bien compris le peu que les sens ajiporlent
à l'entendement. « doit avouer (lu'oiinni/'s i(/r/'s di-s iliosrs ne
■ nous sont représentées par eux telles que nous les formons
<■ pa'- la pensée, en sorte qu'il n'y a rien dans nos idées qui ne
<> soit naturel à l'esprit; si seulement on excepte certaines cir-
<' constances qui n'a p|Kutiennenl qu'à l'expi^rience. Par exemple,
<i c'est la seule expérience qui fait que nous jugeons que lidles
« ou telles idées se rapportent à qindques choses qui sont iiors
" de nous: non pas à la vérité ([ue ces choses les aient lran>-
»' mises on notre esprit par les organes des sons toiles (|ue nous
<■ les sentons, mais à cause qu'elles ont transmis quelque chose
<' qui a donné occasion à notre esprit, parla faculté naturelle
/.;•; l'imiîi.iMi-: l'iiii.csni'nini i-: •■,;<(>-
■:• (|u"il en il. (le les Ini'uiri- en ce l('ni|is-l:"i |)lul(')l qu'on llll iUllrc.
" ...HiiMi lie [iciil Nciiir jiis(|ii à iidItc àiiii', |ii>r l'iMitromisc des
V sons, (|iic (|ii('l(|iu's niitnvcincnls corporels: mais ni cos nion-
" venir ni-- iiii~'iiies. ne son I |iniii| coniHis par mins lels (|u ils sont
<' dans les organes des sens... ; d'oi'i il suil (|ue même les idées
<■ des lignros et du niouvomenl sonl naturellement en nons M i. •>
]']nlro l'idée on l'iniatre du sidoil directement perçue par la \ ne,
et l'idée du scdeil « |)lusieiirs l'ois plus grand (jiic loiile la lerre »,
« déduite des raisons de l'astronomie «, il ii y a plus jiour
lui aucun lien généli(|ue i:2i. L'une ne procède pas de l'autre.
L'idée même de liMeudue. lelle (jue la seusalion nous la lour-
nit, n'a rien à voir avec c(dle qu (Hudie le géomètre. ]H la dua-
lité même et la disparité des deux idées lui sert d'argument
contre leur objectivité. Quand le philosoplie spécule sur l'es-
pace et sur le UKuido, ce. n'est pas une réalité, c'est une idée
•tie l'esprit qu'il analyse et dissèqin-. Celle lhi''ni'ie de sépara-
tion, ce tatal divorce de l'idée scienlilique et de la donné-e
-<>xpérimentale, devient le second di's |)oin(s essenli(ds de sa
-vloctrine, une deuxième caractt''risti(|ue de ses vrais disciples.
11 la défend jnsquau lioul, dans ses réponses aux objections
de llobbes, dans ses remai'ques sur le placard de Uegius, si
bien qu'à la tin, grâce à son iniluence, ce paradoxe étrange
passe en axiome : et Bossiu-l lui-même enseigne au Dauphin
'(jne l'acle [iropre de l'entendement est non pas d'abstraire
(il n'e 1 est jias ((uesliou dans la nouvidlc pliilosopliie i. mais
<lo juger, et (|u'entre le l'eu senti par le loucber et l'idée du l'eu
con(;in' par l'esprit, il n'y a presque OTicun rapjiori i-T.
Ici encore, à cet éloignement profond el comme instinctif
1 Olùirn's. t. X, p. Uii. lieiiiarques sur le placard de Uegius. — Toutofuis
M. Liaid se méprend, croyons-nous, en attribuant à IJescarles la théoiie de la
vision en Dieu de Malcbranctie. Le passage invonué par le savant écrivain à la
page 28G de sa belle étude sur Uescartes. a trait à la vie future, à la vision bi-ati-
lique, lelle que la théologie catliolique la conçuil, et non à la vie présente. Des-
<'aites y met une opposition coiupléte entre cette " illustration de l'espril ■■. par
jaquelle il verra un jour ■■ en la lumière de Dieu ■> et les connaissance^ que nous
pouvons avoir de Dieu en cette vie, toutes tirées de la foi ou <• des idées et des
notions naturelles •• qui sont en nous.
,2) Mi'tlitalioii troisième, éd. Gaiixu:ii, t. I, p. ILS. — \'oir h réponse pleine de
liauteur ;i l'objection de llobbes, t. 11, p. 'M.
(:i) lîossiKr, Coniiais-bancc île Oieii, c. i, vu.
!;4(i -1. lUI.LIdl
pour les données dos sons. lru[i iirossières l'L trop imparfaites à
son j;ré, comment no pas reconnaître l'esprit tiéométriqne,
le i;énie propre de ces y,rands s])éculatifs dn nombre, de la ligne
et dn compas, si jalousement avides de la rit;ueiir des sciences
exactes, e!, pour la mieux sauvegarder, si facilement enclins
à la conception idéaliste de la scieirce?
I.eur vie se |)asse dans le monde de Falistraction, à manier des
symboles. noml)res, lignes, ou formules. Il ne se peut que Icni-
rspril u'en reçoive aucune empreinte. A la longue, l'idée pure,
l'explication abstraite, l'euiporte pour eux d'étrange faiion sur le
fait positif, complexe, parliellcmi'nt réfractaire h l'analyse.
L'idée accapare leur atlouliou, jusqu'à pai-aiire exi--lrr seule.
Le monde leur semble se confondre parfois avec je ne sais qind
cncliainemcntde tbéorèmes, qui s'engendrent les uns les autres
et se déroulent à l'inliui. De ce point de vue, suivant le mot
écliap|ié à l'un d'eux, la n'alité concrète n'oll'ri' plus à leurs
yeux ([u'un intérêt tout à fait secondaire.
(Juoi ([u'il en soit, c'est ici l'abandou total cl i-omplel de
la sensation, dans la connaissance des essences sinon dans celle
des existences ; c'est la royauté îles idées pures ou îles idées
vaines, jadis inaugurée pai- le divin Platon, puis renversée par
Aristote, (jui recommence avec Descartos. C'en est presque
fait de la notion de rc.xpérience dans la science.
(Test une date dans rbistt)ire de la pensée philos<iplii(jne. le
commencenu'nt d'une ère de trois siècles au moins.
III
îne première fois donc, en se réfugiant avec le Cof/ifi) cnju
sm/i dans la conscience subjective, et en sacriliant imprudem-
ment nos autres facultés, Itescartes a compromis au moins vir-
luellenu'iil toutes les données des sens, et pour toujours infirmé
la valeur de l'expérience. Il s'est mis, si nous avons réussi à
uuinlrer la poriée de sa niélliode, dans l'impossibilité logique
de rien connailre du doliors, de prononcer aucun jugement
d'existence. 11 a rompu une arche du pont et coupé une première
fois ses communications avec les choses. Toutefois, si juste
;,;•: ;'/;m/;;./.u;-; l'im.nsiii'inun-: a4i
<[\\c sôil ci'llc ciiiiL-liisioii l't si iiiipr'rii'usi'ini'ii! ([u'clle s'im-
jiipsc. il lie lii ni liréc, ni vciuluc.
Mais niic siH-ondo l'ois, livs c.xjilicileniiMil cl 1res déliiw-
rômonl, il .1 rcnoiivolr sa l'anlo, en admottanl drs idées innées,
étrangères à l'expérioiu-e. el en le> dcmnanl |Hiur fondement
à la science. Très volonlairenienl. il a atUuiné snr un second
point la théorie de rexpéiience : il a rompu une deuxième
arche du \>n\[[ mystérieux qui va pnurnou- du nimide à l'esprit,
il- l'nlijci à la science, ébranlement implicilc de notre connais-
sance di's existences contingentes par le suhjectivisme du ('u(/i/o
ri-ijt, smil : aliandon formel de notre connaissance expérimen-
tale des essences par l'admissiiui presque exclusive des idées
innées dans la science, telles sont les deux plaies profondes
que la théorie cartésienne de la connaissance a faites à la ](hi-
losophie moderne. Le temps et les ell'orts même tentés pour les
guérir ne feront que les élargir.
Pour dissimnler ces lacunes, [xuir combiei' en partie ces vides
liéants, il faudra chercher partout, en dehors des données natu-
rrlies. de niiuveaux moyens de connaître. L'artiliiiel et l'anor-
mal deviendront désormais la règle et la nécessité : et déjà
l'on voit se dessiner dans la grande ombre du Corjitn cnjo siim
les formes encore indécises et fantastiques de la vision en Hieii
de .Malehranche. de l'occasionnalisme de Berkeley, de l'harmo-
nie préétablie de Leibniz, eniin des formes/^ jiri'iri de Kaut et
de ses disciples.
Chacune de ces livjiidhè~e> a\ entureuses,sans nul fondement
dans rexpérieui-e, rencontre des défenseurs éloquents. Avec
eux. le cartésianisuie continue d'évoluer: il développe ses vir-
tualités secrètes, l'our le coiupn'inh'e, l'apprécier et le voir
mettre à nu sa véritable essence, en vérité, il siiflil île suivre et
d'écouter ses principaux adeptes.
il en sort comme deux larges courants, longtemps parallèles,
de suhjectivisme : subjectivisnie de la sensation avec Berkeley;
>uhjeclivisnie de l'idée, implicite et virtuel avec Bossuet, Male-
hranche et Leibniz, explicite et critique avec llnnic. Os deux
i-ourantsse rejoignent et iiiii>si'iil par mêler pins ou moins leurs
i-anx, pour nous donner, aviM" Kaut, l'idéalisme IranscrndautaK
cucnre senii-ohjectiviste, et, ;ivec un certain nombre de philo-
n'ii .(. mLi.inr
sophos contemporains, l'idéalisme IVinu-, entièromonl snlijcrli-
visk' chez (|iielqiies-nns, métapli) siqne et panthéiste chez
i'ichte, Scliolling- et leurs imitateurs.
(l'est partout la même iilée-mère, que nous ne pouvons em-
prunter au monde extérieur toute notre connaissance (>t moins
<'nci)re nos certitudes.
I*>n vérité, disent les disciples de la première heure, (M1
vérité ce vieux monde des (dioses extérieures que vous ave/
laissé là-has deirière le rideau hrumeux de l'horizon, ce monde
des corps, dit Berkeley; ce monde des corps et des es|irits.
insisti' Malehranclie; ce monde des activités transientes. ajoute
l.,cii)niz; ce monde des suhstanccs et des causes, reprend Hume :
•ce monde ou ces mondes'ne verront jamais briller ii leur zénitii
le radieux s(deil des idées claires. Ils ne valent pas le souci que
l'on s'en l'ail. Ne trouvons-nous |)as en nous-mêmes, en même
teni|)s qu'un riche domaine trop hingtemps en friche, une place
de srirel('' inci>mparable ? I'i)ur(iu(ii n'y lixerions-iious pas notri'
tente ? — Maître, vous n(jus l'avez montré et nous en sommes,
comme vous, pleinenuMit convaincus : en dehors du moi cl
(le ce qui se déduit du incii, il n'y a plus de terre terme : rien
que du sahle miiuxanl: joui est incertain. — dette provinci'
n'est-elle pas assez l'erlile, une l'ois mise en valeur, pour
former un empire, le plus heau <■! le plus solide de tous les
t'mj)ir<^s?
!-]t si, avec l'étude du moi intime, on nous réclame encore une
métaphysique, des preuves de rexislence di' l)ien et de la
destinée immortelle de l'Ame, n'avons-nous [las là tout ce qu'il
faut pour créer une métaphysique nouvelle?
Et ce fut merveille de voir avec quelle ardeur et (juels succès
la vaillante armée des explorateurs du moi se mit à cxjdoiter la
conscience et ses innomhraldes i'i( liesses. Nul ne se doutait
avant eux qu'il y eût tant de faits à recueillir, tant d'observa-
tions H enregistrer, et, avec ces faits cl ces observations, tant
d'ingénieuses théories à construire. Oue de pépites d'or et de
perles lincs roule le lleuve de notre vie quotidienne I Et quels
beaux travaux sont sortis de l'école de Descartes, grâce à ce
■culte prédominant du moi et de la psychologie subjective 1
l'ar là sans doute, aulanl que p.ir smi idéal fécond, bien
/./•; flKilil.l.Mi: l'illl.iisiii'iiinVE ;;;:{
(ju ('iiiiiii'. (Ir nirciinisnic cl de LLi'diiK'Iric iiiiivrr^cl, le cartr-
sianismi' avait sa placi' marquée dans IV'Vdliilinn pnigrcssive
ilr la pliilosophic. I^arlà, il dovail l'crirc sa pajio iinmorlidlc
au livre d'or de la science.
IV
Mais, déjà, dans le c IniMir des disci|il('s, Fiiccord allait s'al-
faildissanl et des notes discordantes en tpjuldaieiil riiarnionie :
chacun apercevait dans la doctrine du niaitre uni' [larlie l'ailde
([uil fallait remplacer.
Vous avez rompu, disait Berkeley, le pont imai^inaire des
sens matériels, ce pont au moyen diujuel on croyait autrelois
ctimmimiquer avec le continent, pur fantrnne, du monde de la
raatic're. C'est là votre gloire, et je suis éternellement vôtre.
Cependant, raisonnons un peu.
J'atteins ma p/nsée et l'ien que ma pensée, disiez-vous
il'abord, et excidlemment. Pourquoi donc avez-vous ensuite
ndevé de la main gauche ce que vous veniez de renverser si
Justement de la main droite? Puisque je n'atteins avec cer-
titude que ma pensée, ])onrquoi admettrais-je autre chosc-
([u'elie? Je ne saurais sortir de moi. Oui donc a jamais pu
sortir de soi et se dépasser lui-même, autrement ((u'en rêve?
Sans doute, vous apportez qiudcjues l'aisons plausihles : mais
outre qu'elles nv nu- convainquent jias, et ne me donnent pas
c-ette invincible certitude dont vous avez fourni le type achevé'
dans le Co//i/<j crf/o sinn, je vois, moi, avec une certitude
démonstrative, c'est-à-dire très clairement et très distinctement,
que je n'ai et ne puis jamais avoir en moi (|ue //fs pensées,
i/ies sensations, c'est-à-dire des alfectiiuis du moi, des phéno-
mènes entièrement subjectifs et individuels.
O que j'appelb', pour me conformer à l'usage, des i/iotr\ (et
je ne parle ici (ju(^ de choses connues i, ce sont /,.''s if/r/s, nw~,
actes, li's conceptions de mon esprit, et rien de plus.
lin didiors de mou être pi-opre, il n'y a de donné ciue mes
perceijtions, dont tout l'êti'e est d'être ma perception et dont
il est vrai de dire : ■ '■^■^r es/ j rnipi nu/ pcrripi'rc >.
:i4i .1. l!l l.l.ldT
Berkelcv aurait dû ixynilcr /iiriim . cl tlirc : 'jnif/r/iii// fsl, est.
jjrnijti iH'-iini (iKl iifrcipi-rr mfinn ; ri iiiliil /■■il iiisi (jinirl o i»"
i:ot///(i/ii/' rcl adilalititil i(r. »
S'il son (Hait tenu à ses deux premiers dialogui's contre
Hylas, le défenseur malheureux de la matière ainsi que de
la réalité olijcclive, il aurait d'un seul coup poussé le carté-
sianisme à son ternie, et conduit à son apogée la critique di-
la connaissance issue du Cniji/o l'njn simt. Le premier d'entre
les disciples du maître, en se mnnlranl jusqu'au bout lidèlc à
la logique de la théorie, il aurai! achevé son (euvre: il aurait
mis une l'ois pour toutes en pleine lumière la lin de non-
recevoir générale et décisive ([ue, dans ce système, on doit
opposer l'ermement à toute théoi-ie ohjectiviste de la connais-
sance. 11 serait le seul cimimenlateur auliiris('', le seul vrai
ciintinuateur de Descartes: et notre idéalisme actuel, l'idéa-
lisme tranc, cnmjUerait sans doute un siècle de plus d'exis-
tence.
Oa sait, j'allais dire mallnnireusement, quel est le sens du
troisième dialogue. Un sait comment Philonoiis et Hylas y
changent de rôle sans changer de nom, ni de fortune; coni-
nienl |iar cnnséquent luus les argumiMils (jui lU' valaient rien
dans la hoiiche du pauvre Hylas. ijuand il s'agi^sait de défendre
la n'-alité des (dmses cxtéM-ieures contre le suhjectivisnu' pur, se
IronvenI lont à cnup èlre devenus exccilenis. dans la houclic
de l'hilouoiis, contre ce même sulijecliv i-nic et jindianls en
faveur de l'occasionnalisme divin.
H est fort diflicile de ne pas \nir. dan> ci' dialogue, un des
jiIli-^ l)eau\ l'xeniples de palimidie (|ue nous ollVe l'histoire plii-
Insopliique. Il ne se peut que le cic'dil de lirrkeley n'en reçoive
quel(|ue atteinte.
D'ailleurs, à côté de celte critique générale de la réalité des
existences, et parallèlement à celle-là, il n^stait une autre cri-
tique à réaliser, la critique spéciale des essences, c'est-à-dire,
pour les disciples de Descartes, la critique de nos idées ou de
nos concepts.
C'est à Hume, presque contemporain de Berkeley, qu'échut
l'honneur de l'inaugurer ou pluti')t de la renouveler, vingt
siècles après les Grecs.
U-: pncHUJn: l'iiii.nsni'iiini i:
l,e xvir siècle, dans la personm^ ilc ses jilus liaul- rcpiv-
siMilanls. avait accueilli la lliéurie des idées innées avec une
laveur et une conliance qui ont lieu de nous surprendre aujoui-
d'Iuii. Hossuet et Leibniz, comme plus lanl Victor Cousin,
s'enivraient à songer qu'ils conlemplaienl dircclfment les idées
et li's rèiiles éternelles de vérité. " quoique dune manière
■• incomprélicnsilili'. en llieii nièmc nù elles sont i''lernid-
« lenienl sui)sislantes. et d'nii la vérité dérive dans tout ce qui
X est et entend hors de lui ". (lioss., C'j)iii. <li- ]hru, c. iv. ^ .">.)
L'idée du cercle, et il en faut dire autant des idées de toutes
les choses, y gagnait d'atteindre cette perfection absolue qui
ne se rencontre guère dans ce monde, contingent et toujours
imparfait de la matière. La science, découlée des idées pures,
ne pouvail que gagner avec ell(>s en rigueur et en dignité. Avec
les idées, elle s'élevait, elle se divinisait presque. Qui i)ou-
vait songer à se faire une arme contre elle de cette origine
surhumaine et en quelque sorte divine?
(lependanl révolution naturelle de la liiédrie n'allait pas
tarder de le n-véler. Il y avait pour la pensée danger réel et
péril de nnirl à prendre si haut son vol. et à perdre ainsi con-
tact avec la terre ferme.
La sensation chez De>cartes servait encore de cloche d'appel
à l'idée: et par là un dernier lien, bien que fragile, subsi^lail,
entre l'idée et l'objet, (le lieu si ténu. Leilmi/. ruinant un pas
de plus, achève de le rompre. L'auteur de la monadologie,
quel que soit ailleurs son éclectisme, ùte à nos sens toute rai-
son d'être : il les confond nécessairement, logiquement, quoi
(ju'il en veuille, avec l'esprit: et du même coup il enlève à
notre connaissance, je ne dis ])as tout caractère avoué, niai^
toute racine vraie, toute raison causale d'objectivité. 11 cuupe
la corile d'appel de la sensation, et désormais la cloche des
idées ne réponil à aucune invitation du delmrs. Elle ne sfinne
([n'en vertu de sa spontanéité |)r(ipre : et les notes qu'elle fait
entendre ne traduisent que ses vibrations intérieures. La mo-
nade pensante, qui. avec Descartes déjà, ne recevait du dehors
\M J. Hl LLKIT
qu'un jour si 'jiur(inioniinis( mcnl nicsun'', n'a ])Iu8 iivoc Loibniz^^
aucune fenêtre sur l'extérieur, nulle porte d'entrée ni de sortie.
Toutes ses actions, aussi bien, que les obstacles qu'elle ren-
euntre. viennent du dedans et plus exactement d'elle-même :
ji<)Hiiisi iiiitts II si'ipsa (1). Que l'on cesse donc de parler des
sens, de l'expérience, de l'action exercée au debors. Aucun de
i-c'> niiils n'a ijardi' un sens, dette fois, c'est la prison cellulaire,,
sans restriction ni adoucissement, lu ((/ircrr f/iiro.
Sans doute l.eiliui/, non plus que Uossuet et pas plus que
Ilescartes, n'élève jamais le moindreduute sur la valeur de ses
idées innées. (Juoique entièrement détacbées de l'expérience^
elles continuent pour lui, sans qu'il y trouve à redire, à servir
de base valable aux démonstrations scientiliques de tout genre,
aux discours sui' l;i in(''canique comme aux j)reu\('s tb^ l'exis-
tence de Dieu, l'endant ti.ut le xvii° siècle, les tètes les mieu.x
faites dorment sur cet oreillei' aussi solidimient qu'un Aristote
ou un sailli Thdiiias sui' leurs udiions d'origine expérimentale.
Ils ont trop (le sauté et de lobustesse intcdlectuelle, ils sont
encore trop imprégnés de ce dogmatisme traditionnel, si naturel
à rbomme, dans lequel ils ont été nourris ; ils sont trop con-
fiants ilans la ^ulidili' d'une science qu'ils ont vue se for-
mer sous leurs veux, souvent même par leurs mains. Pour
tout dir(\ ils tienueul de li'op près à la science positive et trou-
vent dans la ddginalitjiie chrr'liciine uiie cinilirnialion Irnp
concordante de leiii's certitudes |)liilosopbi(jU(>s, pour ressentir,
comme nos CDUlemporains, les in(iuié[udes et les tourments du
■doute. Ils font donc le plus volontieis du monde crédit à leurs
facultés natives, et sans même remarquer combien leur cri-
tique les a amoindries et mutilées, ils s'en rapportent pleine-
ment à elles pour atteindre le vrai. Mais viennent après eux
des esprits moins lucides et moins fermes, plus accessibles au
trouble de l'esprit, aux hésitations et aux doutes, et l'on verra
se développer chez eux les derniers effets du mal sceptique.
Depuis cent ans passés (2), le levain est tombé dans la pâte ;
pendant cent ans il 1 a travaillée sans cesser : (pie pouvait faire
\ \ ) Hpisl. XXX ait des liasses.
(il Le [lisfiitf.i .«!(/• la mélhoile e?t 'le IC:i7; le Ti-ailc île la nature hiniiuine-
parut en liaS.
;.;•: i'ikihi.i.mi-: i'iiiuisoi'iikjie 5i7
la pàto sons l'action du fcrmciU , siinm de Iriau'iiler cl de
li'vor? Elle a levé eu cllV-t ; cl à la savoiir ami'rc du produit,
à sa cuisanlc hrùlure, et à ses ellVls destniclcurs, on pourra
constater la vei-lu du iicrme : on mesurera le danu,('r des liypo-
Ihèsos cartésienne-.
VF
Hume et Kaut, c(,'s deux lioninies si dill'érenls par certains
traits de leur (^sprit, si semhlaldes par d'autres, si voisins aux
points de di'parl de liMirs dcielriiies, se chargèrent de décliainer
lorane. Ihune r(déve. après Locke et Berk(dey, le drapeau de
l'empirisme et du suhjeetivisnie contre le doL;matisnn' désem-
paré des idées innées.
Comme Berkeley, il parait grand partisan des sens, réduit
tout à leurs données immédiates, et invoque à chaque instant
rex|)érience. 11 est sensationiste et empiriste, autant que per-
sonne, mais s(Misalioniste et empiriste à la manière cartésienne,
c'est-à-dire de façon sulijectiviste et sceptique.
i.'id(''e d existence se confond pour lui avec celle d'essence, si
hien (]u'enlre l'être simplement pensé et l'être r(''ali>é il ne
re-te aucune distinction. L'idée d'existence, dit-il, ■■ /orstji/'rlif
csi jitiiilr à ridrr d'un objet, II' ij ajuitli' ririi... Toute idée qu'il
nous plaît de former est l'idée d'un être, et rid('e d'un être est
toute idi'e (|u'il nous plait de foi'nicr. " — < <Jue noire imagi-
nation s'élance vers les cieux ou vers les extrêmes de l'univers :
nous ne ferons jamais un pas au-delà de niuis-mênu^s, et nous
ne pouvons concevoir aucun autre genre d'existence que ces
perceptions qui ont apparu dans cette étroite enceinte (1). ■>
(l'est donc toujours l'es.se l'st iincipi de Berkeley. Mais voici la
conséquence. Que la sensation, ainsi isolée de l'idée, ne suf-
lise pas à la science, Hume en est ;i lui seul la démonstration
\ivante. Sa critique des matliénKiti([ues, sa négation des inli-
niment petits des géomèti-es, ([ui se permettent de diviser le
minimum de grandeur pei'ceptildi' à l'odl, et de partager l'atome
1 Tiailêàf lit niiluie huinatif. Ir.vl. llt.N'jLMP.R et Pillon, \^. 'M-'.)i, Cf. p. IU>.
34
:/iN ,1. hlllioï
visiii'l, ost vraimcnl ly|ii(}iii' cl n'-vélatrico de co i|iu' ICmpi-
risnif peut fournir à la scitMico i 1 .
Aussi iiv a-l-il pas à s'ctonncr après ci'la. si aucun ilcs ciui-
copts mclapliysiques. ot entre tous les antres ceux de cause,
fie snl)stancc, d'espace et d(^ lenips, ne trouve ijràce devant
lui.
Hume les sup|)rinu' pour celle raison qu'il ne sail pas voir
ionimenl nous poni-rions alleindre les réalilés niyslérieuses qui
leur corresponilenl. (les quatre conee|)ls. quatre pierres angu-
laires de la pens(^'e humaine, sont poui- lui (pialre illusions de
l'esprit, destinées seulement à remplir les interstices de nos
sensations. Il n'y a donc pas à les prendre au sérieux. Mais là
<'omme toujours il est plus facile de supprimer (|ue de reni-
placir. — Hume a-t-il r(''[léclii à la place que tiennenl ci^s quatre
concepl-i. pour ne parler que de ceux-là. et aux villes que leur
disparition va forcément laisser après elle? La snlistance et la
cause, mais c'est, à prendre les choses en gri>s. l'èti-e ])res(jue
tout entier.
L'être slal)le . relativement permanent, slaticjue. centre
d'attraction des accidents passagers qui vont de snlistances en
substances, et (|ui jamais ne subsistent sans elles ; — puis l'èlre
inohile. Huent, actif: ne sont-ce pas là les deux gran.iies divi-
siuns, |ire>i|ue complémenlaires, de la réalité? L'espace et le
tem|)s eux-mêmes n'en sont cjne i\r^ (liq)endances.
Ouand donc on a supprimé la substance, les causes, l'espace
elle temps i rien ([iie cela!), que reste-t-il? Le compte, hélas!
en est bienlùt fait, et le total en est mince.
(Jue reste-t-il de cet univers? De ces sciences que nous
élvulions et que nous voulons enseigner à d'autres? Qvu' reste-
t-il (le n(nis-mêmes, pauvres atomes, imperceptibles fragments,
perdus, noyés dans ce monde évanescent? Dans cette ruine,
dans cette V(datilisation des choses, avons-nous une chance
d'échapper au commun désastre, s'il n'y a de vérité et tl'ètre
que la sensation fugitive?
Il n'y a plus après Hume, pour qui lui demeure lidèle, ni
physique, ni chimie, ni biologie possibles, puisqu'il n'y a plus
(1 lU'MF. ;/;/■(/.. p. ïiG'i.
/,/•; rnmii.KMK l'iiii.nsdi'iiiiji'E '■ '■>
(l'("iK-liaîiu'iiiiM\l (•;iii>iil, ni niriiic à \r.\\ ilirc de caiiM^s l•éoll('^,
ni d'olTcls ivi'ls.
Cumniciit, après cola, d'habilos mais Irop i7\diilg(Mils crili-
((nos vitMiiicnl-ils le délonilri' d'avoir renversé la science par
sa l)ase, el reprennent-ils durement ceux (lui, à l'exemple de
lîeid, l'accusent de ce mél'ail tmp r^ol? — (Test de ses prin-
cipes et de leurs conséquences, non d(> ses intentions et de ses
artirmations (ju'il s'agit, ou liien la philosophie n'est plus une
science.
A force de respirer cet air vicié, chargé de principes nii>r-
hides, la philosophie contemporaine n'a pas eniièrement con-
science de son état : elle ne sent pas le mal dont elle meurt.
Hume rejette d(mc la sui)slanci' et la cause, parce qu'il n'en
tiécouvre pas l'origine, et cela se i-omioit dans la philosopliie
de la sensation pure.
D'où vient en ell'et chacune de ces idées? De quelles don-
nées de conscience ou d'expérience sont-elles formées? Huels
sont, en face des exigences de la critique, leurs titres à l'exis-
tence? xVucun de leurs défenseurs n'était préparé à l'étahlir.
Tout entiers à leur lutte contre le cartésianisme, les scolas-
liques en découvraient sans peine les lacunes et les points
faildes. Us ne voyaient aussi bien ni les causes de leur pmprr
faildesse, ni ce qu'il y avait de fécondité cl de vie dans la phi-
losophie nouvelle. Aussi ne changeaient-ils rien à leur ancienne
tactique, ni à leurs vieux arguments, llahitués qu'ils étaient
au grand jour el aux reliefs éclatants du monde extérieur, qu'ils
étudiaient presque seul, leur vue était mal adaptée à la lumière
amoindrie et aux lueurs dilfuses du monde intérieur. Ils restaient
étrangers à la line psychologie, faile d'observations délicates,
aussi bien ([u'à la critique qui se di'veloppaient autour d'eux.
Ils ne soupi.-oiuiaient pas l'apporl considérable ou même néces-
saire des données de conscience dans la formation des concepts
métaphysi(|ues. (Juelle ([ue fût la force intrinsèque de cer-
taines de leurs positions, ce n'était pas avec leur armement
d'un autre âge qu'ils pouvaient vaincre.
Moins encore pouvait-on, pour sauver la métaphysique me-
nacée, compter sur les ium'i-tes. .laloux de la noblesse et de
;,;;ii .1. liiLI.luT
la pureté sans tache de ritlée,"ils avaient oublié riiiiniilité
toute plébéienne de ses origines, et méconnu les liens de filia-
tion qui la rattachent à l'image, Timage à la sensation, eniin
la sensation à l'objet. Tous leurs etTorts n'avaient liMidii qu'à
rompre, en son indispensable continuité, la trame de la con-
iiîiissauce. Maintenant que, grâce à eux, l'idée n(> tenait plus h
rien. Hume avait iieau jeu dans su lutt(^ contre ce dogmatisme
sans base, et. suivant le mot (h' (iarniei-, (tontre cet « arbre
sans racines ».
Toutefois sa ciitiqui' ('tail dans sa l'nruie trop e\< lusi\cnieut
négative: db^ manquait de généraiib' cl (b' caractère systéma-
tique; elle ne remj)la(;ait rien do '.■•• qu'elle venait détruire.
Conduire à sa bu, sans brusque secousse, l'o-uvre de Des-
caries ; adoucir dans la forme, mais surtout achever et généra-
liser celle de Hume; créer, u(hi pas la criliqui'. mais une philo-
sophie critique, c'est-à-dire un corps de doctrine, tbrcément.
négatif en sou riniii, puisqu'il l'sl fait de ui'galinns, mais posi-
lif. au moins en apparence, et puissamment systématisé; élever
un nouvel édilice et l'égaler eu grandeur, sinon en solidité, à
l'ancien : telle fut la tâche ardue que Kant ne craignit pas
d'assumer sur ses ndiusles é|)aules. ()lùivre cidossale. il en
comprit nellenieul ritupor[anc(> et les conditions de réalisation:
il la conçut i'orteuu'ul, giaudement, et puis il se V(Mia, avec
joui son génie de puissant constructeur, à sa réalisalion.
Il faut le leconnaitre, étant admises les conditions du pro-
Idème. admise l'hypothèse qu'il ne fallait pas seulement nier
et ilélruire, mais tout en restant lidèle à la ci-itique négative,
afiirmer et construire, Kant s'est ac(|uill(' supéi-ieurenieiil de
cette tâche diflicile. Il n'est (jue juste de lui iiMidre cet hom-
mage, il s'est montré l'un des plus grands bâtisseurs ou faiseur.-
de plans (|ne la métaphysi(iMe ait vus. ICaulaul plus grand, en
un sens, qu'il devait reconstruire au rebours di' la réalité, sans
jamais l'écouter, sans jamais ci'der aux enchantemenis d(> la.
souveraine magicienne.
Kant n'a donc rien exagéré en se compai'anl au fondalciii'
de l'astronomie, en se donnant lui-même poiu- le (lopeiiiic de
la pliilos(q)iiie. Car si l'on tient son point de vue pour véiitable
e' pour définitif, il dépasse de toute la tèt' le Coperaic de
/,;•: l'imiii. i:\ii: rmi.nsDfiiinrE :\:a
i'aslruiiiiniic. Il siiilisaii à crliii-ii de >all'raiirliir do apiKUX'iicc-
si'nsiblcs pdiir se Iruuvcr en ihtsciut de diMi\ ii\ pothèses pres-
que do mèiue (ii'<lre, en présence de (len\ eomliinaisons possibles
(le niouvenienls relatifs ét;alenn'nl plaasii)les. De là à conelnre
(jue l'une des deux li\ pnllu'ses élail inlininienl plus simple et
plus nalnndle en valeur absolue, il n'y avait qu'un pas. (loper-
nic le Iraucdiil el marelia au réid. l'our Haut la dillieulté Tdait
tout autre. La solution critiiine du pndilènu' pliilosoplii(iue
<\\igeait un renversement autrement eoniplid, le renversement
non seulenu'ut des apparences sensibles, mais de toutes les
données d'observation et de raison, jusqu'aux plus essentielles,
dans la IJK'orie de la connaissanre iiumaine. (Tétait un rema-
niement absolu de la pensée et de la science, une construction
immense à bàlir sur le vide, au-dessus d'un altîme, avec
quelques rares données, tirées du moi, pour points d'appui ; bn^f,
lin tour de force inoitï de logique pure et de génie constructeur,
pour suppléera la réalité absente, par des écbafandages de
concepts.
Le principe initial de la crili(|ne était donni- d'avance : c'était
toujoui's la diflicullé exirènie d'atteindre le dehors, l'im-
possibilité de pénétrer, en sou noyau profond, la substance
foncière, et de saisir la cbaiue inlinie des causes.
Kant vil ce qu'un tel principe entraînait après lui, et com-
ment de l'ancien édilice il devait refondre chacun des éléments
alin de lui imjjoser une forme nouvelle. Du passé, il garderait
li> plan, la cbaipente essenlieljc, avec sa belle ordonnance, les
divisions classi([ues des problèmes, en logique, en psychologie,
en métapliysi(jue : mais il ferait graviter le système enlij'r
autour du moi comme autour de son ccntr(^ d'attraction.
On a appelé Kant, non sans quelque raison, le dernier des
scolastiques, et, en ctîet, son cadre philosophi(|ue est, beaucoup
plus qu'on ne le croit, aristotéli(|ue, si bien qu'à un point de
vue, il dessine comme un retour en arrière, un essai encore
hésitant, un commencement de restauration partielle. Kant, en
écrivant sa criticjue, a les yeux fixés sur Aristote : il lui tend la
main par-dessus les siècles, el lui emprunte sans rougir son
architecture de grand style. Mais, s'il lui prend le corps on le
s([uelette de scui système, il demande à Desrarles, à lierkeley,
IWVl .1. HriJ.IdT
A fliimc, ràmc ([iii doit lintormor ilôsurmais. i'our ailaplor \\m
à l'aiilrc celte ànie et ce* corps si peu faits l'un pour l'autre,
il ajoute à l'ànie sultjectiviste de sa tlu'-orie un léger grain de
réalisme ; quant au corps, il le désarticule et le reci>nstruit
pour ainsi dire entièrement. S'il reprend à son compte les
pièces princi|)ales du mécanisme de la connaissance, saci'ifié par
île-cartes, sensation, imagination et pensée, il renverse l'ordre
suivant lequel elles s'actionnent. Par là, son aristotélisme, très
ri'id sf)us le rapport de la matière, n'en subit pas moins, sous
|.' rap|Hirl di' la luriue, une profonde ri radicale métanior|diose.
Ue l'i'alisle (|u'ii était, il devient suhjecliviste. VA par là aussi,
cet aristotélisme, ainsi refondu, n'est plus qu'un aristotélisme
renversé, un aristotélisme à i-ebours, déformé et mal cohérent.
C'est, entre ces deux pliilosophies, à la lni> si semblables et
si dill'érentes, entre c(dle du Stagirile el ccdle de Kant, entre
l'arislotc'lisme l'i'viliste el rai'ist<it('lismc subjeclivisle, cumnu,'
cuire d('U\ foruu's l'ivab's d'une iiiènic malière, qui: se livreront
fataleuu'ut les i;rande^ iialailles de l'avenir.
.1. liri.i.ldT.
I La smlf jiriiihaiiii'iiiriii . /
LES PRINCIPES
f.a sciiMici' iinidcnii' srlail cniislruil iiii iiuhkIi' liicii raliuii-
ncl, liii'u lii' ilaiis loulcs ses parties : salistailc de sa créalion,
elle la coiilcm|)lait avec une indulgente eoni|ilaisanee et la pro-
posait à l'admiration de la philosophie, devenue sa suivante :
.( Pliilo^oijhia aiicilld sririi/i,i'. » C'était le monde de la t'oi-mu!c
unique et do l'axiome immuahle, le monde de Spinoza et de
Hegel, perfectionnés par Tnine. C'étail la vision du monisme,
désormais nette et précise, triomphante à la dernière page des
Philusoplics j riniitdfi.
l'ourlant il ne fallait [)as ouldier la comparaison de Voltaire :
systèmes ne sont que huiles de savon. Suive/.-les dans leurs
évolntions aériennes; c'est un plaisir de diiidlantc Mais
systèmes et iiulles crèviMil iiifaillihlement, dès qu'ils sont
enllés outre mesure.
I.a formule moniste avait la prétenlicui de riq)résenter adé-
quatement le Cosmos, d'(>n ivsumer tinit(> l'iiisloire et d'en cn-
|)rimer toute la vie. Admiralthunent lié dans son intelligihililé,
le réseau total des formules sei(Mitiliques semhlait s'appuyer
sur lin très, petit nombre di' primipes ou points de départ yy/w-
//'/:v, c'est-à-dire concrets, c.i-fjccwicnlanx. La réaction est venue
contester les points de départ aussi bien que les liaisons —
tantôt s'(>n prendre à la liction des pruicipc^, tantôt ii l'idole
des /((/\ (le la nature.
A l'heure présente, les principes deviennent objet do croyance
— ils apiiaraHsent comme des morcellements de la réalité
— obscurs, liviiolliétiques, mal ilélinis dans leur oi'igine et
dans leurs notes essentielles. D'autre part, les con/icriuns
/ot/iiptps sont présentées non plus comme nécessairement
;j5i A. nE LA P.AUIŒ
inlelligiljlt's, mais comme des créations do raclivilé |)on>anli',
comme des ponts hardinn^nt jetés par une science industriensc,
pratique encore phis (jne spéculative.
CiCtte réaction peni avoir ses avantaiies comme (die a ses dan-
gers. En pareille matière, le discernement importe. Tantùl il
sera loisible d'exprimer de jnstes déliances — tantùl il vaudra
niieuxutiliser le courant, s'orienter dans ses directions les moins
<M)ni]n-omelfanles, les moins attentatoires aux ilmils dp la rai-
son.
Va\ tout cas, ne pas trop s'alarmer de sa vitesse et de son im-
])révu. — Les cyclones ont des liords (huif/i-rrii.i : ils ont aussi
lies Ixirds iitaiiiahlfs.
l'dur le mciiiuMit. il nous semble opportun d'(''ludier la théorie
des priiK ipc-i : tidle ([u'elle parait se dégager de récents Ira-
vau.x, elle n'est jias seulement très suggestive d'idées nouvelles,
mais évocatrice d'itlées anciennes, qui sommeillaient en atten-
dant un l'egain de jeunesse.
l'our la plujiart des modernes, /a coiumismiicf du s/nf/ii/ii-r
rst Ir ftitiiil d<- drjKiit dr loiil )iolrt' savoir 11 : les premiers
principes sont des jugements particuliers: ve n'est qu'après
nne longue et pénible généralisalidu ([ue nous alli'ignuns les
idées les plus universelles.
Les anciens professaient des vues opposées : dans la pensi-e
des philosophes grecs, les [iriiicipes (àî/a!) sont h' plus souvent
des causes générales — logiijues aussi bien quOntologiques
— des cduceplinns suprêmes — (jnelquc chose comme Va.riomt'
rtr//ip/ de Taine : dans l'écide péTipati^licD-lbomisti'. on pensait
«|ue notre connaissance atteint d'emblée les concepts les plus
universels. Los preinirrs principes (premières iio/ions et Jarp--
jiiriils relatifs à ces notions) sont fournis d'emblée par la con-
naissance directe.
Le conilit de ces doctrines o[»posées ressort île toute l'histoii'e
des systèmes philosophiques, l'as de meilleur sj)écimon que les
incertitudes et les variations des doctrines écossaises etanglaise^
<lurant deux siècles : tâtonnements qui nous serviront à rap-
(I Voir sur ce point les très pénétrantes réflexions de M. le Comte de Vobges,
«lans la l'erceplion el In Psi/rliolo;/ie Ihomisle, pp. 22 et suiv. Nous aurons occa-
sion d'y revenir.
I.KS l'UlMll'KS iiSS
ix'lrr la (liriiiiild', à la l'aire sciiiir pliilôi ([uà la résoiiilrc
Nous croyons quo la science acliicllc par sa conception des
///■/iiri/trs, s'éloijine de l'riti/iiristnr el Iciid vers un ralioiia-
/ist/ir sai;('nii'nl /'/npiri(/iii\ Tunl ce quil y a d'iiisuflisant et d(^
d(''l'e(liirii\. dans celle dernière apiiellalioii, niMis le sentons
Jiien. <ju (in Ncnille du moins sCn conlenier nrovisuirenii'iil.
1
( h"i sont le> inlnili(in> .' <lii sonl les principes inHni''dials ? —
Durant deux siècles, ci> lu! la mii/ii i/ii.rs/in de la philosophie
écossaise et anglaise. On se déliail grandement des écarts de
l'idéalisme, on rétnlait l'innéisme cartésien. Mais, en revanche,
sous l'empire des préjugés empiristes, on s'ohstinait à marquer
dans la connaissance du singulier le point de départ nécessaire de
l'activité raisonnaiite. La connaissance immédiate de l'universel
semhlait un paradoxe idéaliste. Et pourtant, au sein de cette
même école, nous pouvons distinguer un courant contraire au
■courant sensua liste, témoignant en faveur de l'activité pro-
prement spirilu(dle. ()n y aihnet qu'entre les idées certaines
liaisons sonl conslatées, reconnues évidentes, et qu'elles don-
nent ïicii il (U's prcniif^rs priiicijx's. Delà, ces contradictions Iré-
-(luentes, ces antinomies hien souvent signalées cluv des écri-
vains tels que Locke, les Ecossais et surtout Hamilton.
D'un côté, Locke nous aflirme que l'esprit commence toujours
par le particulier (1); d'autre part, pourtant, il professe une
hiluilion ilrs principes, ohtenue par comparaison d'idées abs-
-trailes et générales, l'ar suite, la pensée de Locke nous otTre
nue doulde direction, et le spiritualisme [)ourrait aussi hien se
réclamer de telle partie de ses o-uvres, pleine de dissonances
<avec le chapitre premier de YEiilriKlonciil ///unain {2). Trop
sensé jioiir aller jusqu'aux dernières consé(|iiences de son
1 (.The iilens tlrst in the uiiml, 'tis évident, are those of particular things,
froni whicli Ijy sl,.\v degrees tlie imiierstanding pruceeds to some few gênerai
ones. » (lîdid» IV. eh. vu, s. '.).)
2 D'api'i^s le baron de IIeutlixii {Jolin Lncl.c uml dieSchiilc mu Ciimbridi/e, 1892),
Locke anrail subi rintUienre de l'école platonicienne et rationaliste de Cam-
bridge.
B;30 A. DE LA HAlillE
ompirismc, il avait accepté la cortitiule comme un t'ait, et il en
avait reconnu 1 oriiiine dans la connaissance intiiilive qui com-
pare (les notions. Si l'on aduple uue distinction chère aux
Anitlais, cette certitude puisée dans la comparaison des idées
est iinlioiincllc plutôt (|u<' rridlc
(Ictto inconséquence de Locke, cette dualité de doctrines lui
est vivement reprochée par Reid. (>elui-ci semble voir dans la
comparaison des notions ou d'idées abstraites une scission entre
la ifiiihidi' rrcllr et la (l'iiiliiile nuiinDiirUr, et par suite une
large porte ouverte an scepticisme contemporain ( j ).
Et pourtant Ueid, aussi bien que Locke, a pensé que di^s prin-
cipi's généraux, fruit spontané de notre constitution mentale,
peuvent apparaître avant toute intervention du discours.
(]es priinijies généraux, spontanés, sont précisément ceux
du sens commun, il tant savoir entendre ce que Heid dési-
gnait par ce terme souvent mal déiini et sujet à des équi-
voques.
Il y aie sens comiunn — iMitendu i)bj(M-livenii'nt, à la manière
d'Aristole — pour désigner la ccdiectiou des idées générales (2).
Il y a, d autre part, le srns iiinitnioi, pris dans son acception
subjective! et psyciiologiciue, sorte de conslitiilioii ou de faculté
commune à toutes les bonnes natures.
Jîeid avait foi't à fairi' pour lutter coulii' le prestige» ib'
Hume. V \\ I rlliijiii' paraît louj(uirs d'une espèce supérieuic ;iu
vulgaire. Les plus conservateurs ne penv(Mit s'eni|)ècher d ad-
mirer la belle assurance, l'audace de ce jeune, (jui fustige les
vieilles idoles, l'ne des ])réoccupations de Reid était donc le
plaidover en faveur des Ikuuics natures, bien saines et l)ien
équilibrées, d'ailleurs iubaliiluées aux robustes audaces de la
critique. De là, cdiez nuire apologiste, un fréquent usage du
sens comniini dans son acception siilijeclirr.
La trailition aristoUMirieune lui t''[ail-(dle i''i;alement fami-
(1) " One iif llie main pillars ni' niodern si-epticism... I s.iy a sensalion exists,
■,u\A I think 1 undiTstand clearly what 1 mean. But you want tu make the Ihing
tlearor. and for tliat end, tell nie tliat thcre is an agreenient between the idea of
that sensation and the idea uf existence. To speak freely this ciinvcys lo inc no
liglit, but darkness. » Collactei/ Wrilini/s, V. 1, p. 107.)
(2) Viiir Th. de IIkonon, Mt'lujjlii/.ii/iue Ides causes, liv. 1, eh. v, Du sens com-
iHiin.
/j;s l'iiixrii'Es \y.\~
Uinv il)? Tniiioiirs csl-il (Jlic Ir sens ii/)/rr/i/ S(^ l-ciicciillrc Cgillo-
nu'iil chez lui. I.e sens commun, dans celte acceplion antique,
c'est rensemijle des propositions qui concernent Fèlre : r/is
inninii/nf — ensemble îles propositions les plus générales, les
plus iu(i('penJanles de ton! syslème, de toute catégorie scien-
tili(|ue ou lugique. Et l'on voit ici que Reid, lo'ùjours préoccupé
du sens commun, est toujours pai' là même imitu de celle
doctrine ancienne : que, du premier coup, par un mouvement
direct, notre esprit se porte vers l'être, l'atteint dans ses modi-
licalions, dans ses passions, comme disait l'Ecole ; que les
jugemenls premiers sont donc les pins généraux, concernant
l'être : circa '•//■^ '■/ i-n ijnn' sniil ''iilis.
S'il est un penseur chez lequel on doit peu s'étonner de
rencontrer îles conllils de doctrines mal assorties — des liloi's
svstémalitiue> iinpiniaitement soudés, ou engagés dans un em-
pâtement factice — c'est bien chez llamilton. Chez lui se cou-
doient, dans des heurts perpétuels, l'idolâtrie du singulier,
cout'ormément à la tradition écossaise, et l'intuition aristoté-
lique des idées générales, (lu ne remarque pas assez commu-
nément ce enté de la philo.^ophie d'IIamillon. (le n'est d'ailleurs
pas le seul point. 11 y a chez lui mainte considération qu'il faut
expliquer par sa IVéqueulalion du Slagirite. — Ea théorie de
l'incondilionné, avec ses corollaires; la théorie des principes
et de l'inconnaissable — lout cela n'est-ce pas \\n retour à la
notion des principes a jniori, tels que le concevaient les
Grecs (2| ?
Donc, en dépit île ses tendances sensualisles qui semblaieul
devoir le conliner dans la connaissance du singulier — on du
1; C)n sait combien cci-tains Écossais en avaient subi l'inlluenee — tout ce
(ju'il y a- d"aristotêlisme, notamment dans llamilton. Vnir les Sotes de lieid's
ÇiAlecteil Wrilin'js —et spécialement la Sole A, où il explique et défend le sens
commun.
2l « Lorsi|a'en IS.^fi. la chaire de logique el de mélaphj-sique devint vacante,
il se présenta à l'élection avec des témoignages imposants. Cousin déclarait que
personne en Europe ne connaissait aussi bien .Vristote: et Brandis, que la philo-
sophie européenne élait intéressée à sa nomination... llamilton, en effet, a eu la
passion de la logique en un temps où elle n'était pas en faveur ; il l'a étudiée
non seulement d.ins les ouvrages d'Aristole, mais encore chez les plus obscurs
écrivains du moyen âge dont les noms, oubliés depuis des siècles, reparaissent a
chaque page de ses livres." (E. Ciiahi.es, art. Hamillon. dans le Dlctionmiii-e des
si'ierxrei pliilosnithiques de I■■R.^^■CK.,
;ib8 A. iiE LA HAKIŒ
moins le condamner ;i une Iheorio de la généralisation lente-
ment acquise — llamilton a revendiqué les droits de l'intui-
tion des idées générales (1). 11 ne met pas un aijîme entre le
réel et le rationnel, entre la connaissance spontanée et la con-
naissance généralisée. 11 insiste sur l'identité fie ces notions tan-
tôt atteintes d'emi)lée dans l'expérience primitive, an déliul du
<liscours — tantôt oljjet de généralisation tinale : " Les connais-
sances primitives semljlent jaillir du sein de la raison, comme
l'allas du cervean de .lupiler. Tantôt l'esprit les place au déliut
de ses opérations, comme une indispensable base d'opéi'ations;
tantôt elles réapparaissent comme conclnsion et couronnement
de tout le discours intellectuel. » iMffn/)/ii/sicsj lect. ."{S. i
Kn somme, chez les iù'ossais, nous assistons à l'incessant
conllil du /■(■/■/ et de la iidliaii . On ils soient envisagés
comme îles jugements, ou comme des conceptions fondamen-
tales, les princi|>es deiueurent le plus souvent indiH'is entre le
singulier et l'absliail. Sont-ils faits concrets? sont-ils abstiac-
tion — idée platonicienne? On se le demande à ciiaque ins-
tant. De Locke à Reid, d'ilamillon à Sp(>iu'er, le labyrinthe
demeure toujours aussi enchevêtré. I>evan( ces invraisembla-
bles aiguillages du platonisme el du sensnalisnu'. on cherche
>'n vain de-^ jioteaux indicateurs. •
il
Ces points de rej)ère, la science peut-elle nous le? l'ovwnir?
L)e])uis vingt-cinq ans, il se fait de grands efforts pour con-
stituer une logique des sciences. An cours du siècle, des savants
: I) C'est bien ainsi qn'on Ta compris en lÀ-osse, où on lui reproche de n'avoir pas
\'U la nécessité de l'induction pour atteindre les vérités générales — de supposer
celles-ci immédiatement données dans la conscience. Voici comment ce point de
vue est résumé par Mac-Cosh (Firsl ami fundatnenlal Iriillis. 18S9I : « He does
not properly appieciatc the circumstance tliat intuitive convictions ail look to
singulars, and tliat Uieie is need of induction to reacti the gênerai truths. Ile sup-
poses that the général truth is revealed at once to consciousness. <i Philosopliy
<■ is thedevelopment and application of the constitutive and normal truths, which
<i consciousness iuwnediately reveals... Philosophy is thus wholly dépendent (jp
« consciousness. " ^Rei'rf's Cidlecled \\'iili>if/s, p. ■i4Gl... He calls ultiuiate, primary,
and univecsal principles facts ol' consciousness.» \Mekijjhijsics. lect. l-'i ;
LES l'Itl.SCIfES •■,:■,<)
illustres ont tômoigiiL' iniuiilr v('ll('it('' |iliiliis(i|)lii([ii(\ Mais iiicii
jii'ii iKiiis (iiit laissé autre cliose (|ui' di- vagues et poétiques
aper(;us. (leux-là ont lait o'uvre iluralile qui ont entrevu la
question des j/rinri/irs et qui ont elierelié à préciser les pro-
l)l('nies (le l'iniluclidii d ilr la (li'iluclidu.
(Juand on parle de philosophie seienlin((ue, U7i Anglais
instruit songe à Sj)eneer, un l''raneais pent lui opposer ininié-
diatement les noms de riaudc Bernard ou de Taine. Trois logi-
ciens — trois synthétiques — mais combien divers piir leurs
tendances et leurs vues dominatrices!
On sait ce que sont les pritici/irs s^jr/icdriens. Ils se |>i'ésen-
leul comme {\v<, (/riirraUsdlKuis </rniif'rcs, auxquelles doil aliou-
tir toute tentative de systémalisiilinn si-ienliii(|ui'. (le sont des
priiici/ws au sens platonicien.
l^t |iourtaut, examinant di' [U'ès //■ juiik ipi' c/r.s immlpcs, l'Iu-
C'iiuiainsdblr c/c'v iiiio/iiKiissd/i/rs — • \i\ force — on est amené à
se demaiuler si l'origine de cette conception est vraiment scien-
tilique. On sapen'oit qu'il faut distingue!' deux points de vue
confondus par Spencer : la force transcendante, commune à
toutes les catégories de laits scientiliques — celle qui échappe
aux méthodes particuliéi-es de chaque science — et, d'autre
jiart, les forces physiques spéciales, étudiées cliacune suivant
les lois de son activité, suivant les méthodes spéciales qui en
permettent l'expérimentation, suivant un ohjrt faniirl, comme
disai(Mit les vieux scolastiques.
S'il existe une forer unique, transci'udante, ce n'est pas elle
(jui se révèle à nous dans l'expérimentation ; ses diverses
manifestations, n'ayant pas de commune mesure, d'étalon
uni(|ue et constïuit (1) — ne pi'uvenl constituer une science
unique. — Les sciences étudient non des forces inin'dfjurx, mai&
ilo^ iorce^ (iiialor/ifr's. (Juhlier cela, c'est illusion de moniste.
Ht pourtant Spencer avait prétendu nous faire atteindre la
force dans l'expérience immédiate (2).
(Il Voir l'article de M. J. Wii.iiois, l'Iispril posili/ i Renie ilc iiiéli/jj/ii/xiqi'e el de
murale, mai, pp. Kîj et suiv :, — travail pénétrant et suggestif.
[i'' C'est encore là une préoccupation familicre ;i l'esprit anglais. Locke avait
ijcrit que linipcnétral-iilitc solidi/;/) parait l'-tre « l'idc-e la plus intirneiuent et la.
pli!-; '■ssentiellenient associée .i celle de corps, de sorte quelle ue peut être ren-
:;60 A. DE LA I!A1!UE
Il ne se lrom|iait pas alisoluniont. Hans loiilos nos oxpi'rii'in-i's,
la notion do i'orci' apiiaraîl irombléo : nons l'obtenons sininlta-
nénienl clans le champ de la conseience sensible cl dans b'
champ de l'abstraction intellectnelle. Il n'en reste pas moins
vrai que cette notion confuse, indistincte, ne peut se préciser
uulrement cju'cn sacrifiant immédiatement son unité I son
inrirociir). Pour être scientiliquement connaissable. elle doil
tomber dans des catégories : elle doit se distribiuT dans des
i;enres : saisie en des faits essenli(dlement divers, elle doit se
morceler en des pruin jn's sciciili/iiiiir.s.
Spencer aurait avantaiieusement pu s'inspirer de sun cumpa-
Iriolc, le logicien anglais Whewidl. (lelui-ci a bien fait voir
comment les sciences indnctives reposent sur des /tri?irijirs
/jmnirrs, tels que ceux (|ui concernent l'espace, le temps, le
nombre, la matière, etc.. .Mais il les distingue soigneusement
on prinri/ies /)-(tiisrfiif/anfs ('[ jjri/iri/jr.'< scicn/i/if/iirs |U'oprt'menl
tlits. Il ap|U'lle les premiers ■. /i/iif/d/ncji/o/ iih-a^ ,.. les autres
des « cinK f/i/lit/is )'. Les ronci'plinits sont les if/ées fimihuiifn-
Inlcs elles-mêmes, atteintes ()ar les expériences déterminées
de telle ou telle méthode scienlilique : c'est ainsi que l'idée
fondamentale de cause devient en mécanique rid(''e spéciale
de fit ni' 1 I I.
(.liez Taine comme ciu'/ Spencer, la conceplimi du fu-'im ipi'
est absoliinicnl plalouicieiine (2i. l*]bloui pai' la puissance di'
géïK'ralisaliou scienlilique, par celle pbilosopliie du monisme,
qui baltail son plein à l'heure oii lui-même conslruisait sa phi-
losophie. — 'l'aiiH', ciunme Spent-er, est allé se perdre dans les
régiiins anl(''rieures et supi'rieui'es à l'expérinienlation métbo-
i-oiitrée on iniaïinéc ailleurs i|i;e dans la iiialitre ». Eisitij. II. iv. 1.) Ihuiillon avait
dit que ■■ rriendue nous est donnée dans l'appréliension de celle réciproi(ue exté-
riorité de toutes les sensations ». \An extension h appi'ekended in llie upprelten-
sion of Ihe vcriprocal e.rlernaUl'i nf ail sensiili'ins : Appeildix to Reiii, p. 883.) —
Le professeur .Mac-Cosh, aprcs avoir cité ces témoignages, et d'autres aussi
intéressants — en fait convei'ger tout l'esprit et toute la tendance vers la doctrine
d'Herbert Spencer grandement loué pour avoir montré (|iie ■■ la connaissance de
la force est implii|uée dans toute connaissance sensible ■■. tFIrsl atid funiliimen-
lul Irulhs, p. 74.
'D llislorii of indurtiee science.w 11 faut seulement reprocher à Whewell un
certain nombre d'applications fausses. Il est trop enclin à regarder tel ou tel
principe tranceitdenlul comme absolument indépendant de l'expérience.
,2) Voir FIav.mpso.x. La l'/iilosopliie en Friince.
LES Plil.SlIl'ES 501
(liiiuc. Où S|(riiccr nii'lhul la lurci'. il a mis Varinnie rli-nir'.
Plus que Sponccr il >i>-it atlVani-lii dr roxpérioncc. Si. la /«/Y'-
sj)cnirn<-nnr ost supiTicuiv à rcxpôrinicnlation, oUo est néan-
moins accessible à l'cxpérioncc psychnlogiquo, ollc no c-onsti-
hic pas unr urnéralisalinn alisoliimcnl -raliiilr cl préjugôe.
J'Ule pcul (Mit al)slraitc de l'cxpcricncc an nicmc lilrc que l'èlre
et les autres Irauseendanhnix. \\\\ est-il de mèun' de cet être do.
raison, celte se' oz/^/r mlfiiliDii, 1 aximne île iaiue?
A ces deux noms j'ai aj(nité — et j'oppose maintenant — ce-
lui (le Claude Bernard. C'est encore un platonicien qui a vu les
liniirljic^ — en ce sens qu'il a bien saisi le proC(''d(^' de l'esprit
'inluil'ij : proc(''il(' atlei-nanl d'emblée une Id'i, une cause, une
lu/polliisr — en Ions cas, lui principe, et descendant du prin-
cipe vers ses conséquences parliculi('res. concièles, susceptibles
de vérilicalion expérimentale. — El en même temps, il est
vraiment un pbysicien, un expérimentateur qui n'abandonne
pas le réel. Loin de sa pensée les chimériques généralisations,
les pyramides métaphysiques à la fac/on de Spin(jza. Les prin-
cipes sont pour lui des idées générales, des intuitions, des
faits fondamenlaux: mais il ne sacrilie pas le réel à l'abstrac-
ti(jn. C'est lonjours \a inrtlunlc qui le guide dans l'idenlilication
on dans l'iqipo-ilion de ses catégories. Aussi, cc|s catégoi'ies
demeurent scientiiiques — elles ne se conlondent pas, malgré
les séductions du monisme auxquelles, à certains nionn'nt-^. il
semblerait que le grand physiologiste va céder.
A Claude Hernard. nous pourrions rattacher toute cette li-
gnée de savants et de logiciens qui, depuis un quart de siècle,
ont t'ait avanc(>r la question des principes.
}>\. Stallo tut. il y a quelque vingt ans, un de:- plus vi-
goureux initiateiu's de la logique des sciences. S'il n'a p;is
abordé directement la question des principes, il a, du moins,
apporté de précieuses contributions à la question des hypo-
thèses si intimement connexe avec la précédente (11.
M. Naville a écrit deux ouvrages précieux : La Lofjiiiuf de
riii/pollil-sr, et la Phi/siiiiir moilmtr. Dans le premier de ces ou-
vrages, il a montré ce ([n'est induire : nbsrrrrr, supposer, cesl-
1, La Matifie el la l'Io/sigiie ino(/enie. chez Alcax.
'■Mi A. DE LA HAItUE
à-diro rcnioiilcr au /irim /j/r, rr/'i/irr, cosl-à-diri* redescendre'
du priiieipe aux conséquences. D'ailleurs, en étudiant la psycho-
logie des fondateurs de la physique modern(\ il a conirilmé à
faire comprendre ce qu'est un priiiripf ilircclciir, antérieur et
supérieur aux principes de physique proprement dits, impli-
«•itenieiit admis dans Inute recherche, tantôt t^uidant, |)ar une
inilueuce positive, l'espi'it du travailleur, et le poussant dans
la voie des seules reclici'ches vraiment f(''Condes — tantôt s'op-
posant à Imil faux [las, le jamenaut sui' le droit chemin, en
vertu do je ne sais quelle mystérieuse inhiiiition.
^1. Fonsegrive (Il nous ramène aussi à la véritahle intel-
jii^ence de l'induction et des principes. Dans des pages très
claires et très inslruilives, il a iiien mis en regard la pensée uio-
derue et la pensée aucieiuu'. I)e celle-ci, il a fait ressortir les,
élé'menls i^ssentiids, il a dégagé nettement ces idées fondamen-
tales : (|ue l'alislraction constitutive du concept est antérieure
à la réilexiou; — que, pour cette abstraction, ni la c<Miiparaison,
ni le raisonnement ne sont nécessaires ; — que « le discerne-
ment lies caractères les plus importants parmi les caractères
abstraits... nous vient de l'expérionce immédiate; la coupiire
se fait d'elle-même et sans discours » ; — qu'il n'y a nullement
là « le passage du parliculiei- au général, du moins au plus, ([ui
a l'ail le scandale cl le di'scsiioir des logiciens modernes depuis,
liacon (2) ».
(jOS écrivains divers nous ont arrachés à ! éti'oit horizon de
liacon et dos positivistes, à la mesquine conception des Ecossais :
le fait concret, confondu avec le fait scientili(|ue. ou fait fonda-
mental — le sinr/iiHcr érigé à la hauteur iVun ji/inc i/jr. Ils ont
ainsi mis en relief l'élément essentiel du principe : l'idée gé-
nérale.
Mais «et élément essentiel, cet ékMnenl supérieur, n'est pas
le seul. Nous y trouvons une /lo/in/é //v'.v db^lraite — élvmcnt
«■ssenlH'l — par où le principe est un(^ formule maniable, soui)le,
par conséquent active et féconde — vraimeiil raisun sriiiiimlr,
suivant la Im'IIi' métaphore augustinienne et tliomisle. .Mais
1) (•l'-nèraiisnlion et Induction — danslaRe('«e ^jliilosojiltique. t. XLII, iip.:i53, -jM.
,2) Lu:. Ci/., pp. '.'j'i, 373,
;.;■:>• i'iumu'ES ar.3
le principe. l;i i(ii<oii srininair, qui, dans los sciences phy-
siques el naLureilos spécialement, constitue l'intuition abs-
tractive. n"est pas une idée distincte et précise, l'idée claire au
sens cartésien — ou du moins il s'y mêle un élément secon-
daire. A côté de la lumière, la pénombre.
11 y a lon!j:temps que la vieille sagesse péripatélico-tluMuislc
a fait cette importante remarqu(> : à côté ib> runiv('r>ol exprimé
dans une abstraction distincte, il laut n'ioiuiailre iiu aiili-(> cl
non moins essentiel élément du piimipi- : celui qui représente
les ( onililioiiA muins (jénth-cili's, plus voisines du concret et du
singulier 11. De ces deux éléments résulte le clair-obscur,
caractéristique de l'intuition abstractive. Il faut donner raison à
Claude Hernard et à tous les iiituitionuislcs de son écide : le
principe contient une iJrr ciuifusc.
D'ailleurs, c'est un (/enup. Comme, en (oui gcrnu'. il laul
l'actif et le passif, le déterminant et le déterminé — ainsi dans
ce germe logique, à l'idée claire, à la notion distincte, parlai-
tement abstraite et générale — en un mot à l'élément essentiel
— s'ajoutent des nulhtiis i/'onln- iii/rrinir : celles-ci expriment
des qualités sensibles, des caractères superliciels — plus aptes
à traduire le réel, dans ses déterminations ullimes, dans sa
constitution plus spécialisée et plus concrète.
Le premier élément représentait l'essence dans ses notes les
plus génériques ; le second est comme un sr/wmc de qualités
accidentelles, qu'il faut ajouter pour avoir l'intégrité d'une con-
naissance complète — pour serrer de plus près la réalité. C'est
ainsi, comme l'a dit quelque part M. l'ouilléi'. que l'nn pourra
I llans siin opus.ule LXUI, in lihiinn Boelii de Triniliile. saint Thomas a
neUeiuent ex|irinK- celte théorie de la connuissu/ice eon/use : toute connaissanre
de chose existante suppose au niininuun la connaissance confuse, le pressenli-
ment de la définition distincte — c'est-à-dire : 1- la connaissance générique:
2' la connaissance de quelques accidents superficiels, facilement saisissables :
De nuUa re potest sciri an est, nisi quoquo modo di' ea sciatur quld es/, vei
i-iignitione perfecta, vel cognitione confusa. l'nde dicit Philosophus (I Pliysir quod
definita sunt pra'cognita partibus definitionis. (Iporlet enim scientem hoinineui
e^^se et qua-renteui rjuiti est liomo. per delinitionem, scire quid hoc nomen lionm
signilicet. Nec hoc esset aliquo modo nisi aliquam rem conciperel qu:im scit
esse, quamvis nesciat ejus definilioneiii. Comipit enhtt honiincru secunduni
cognitioneui alicujus generis proxinii vel renioti, et aliquorum accidenlium qua-
extra apparent de ipso. Oportet enim delinitionum cognitionein, sicut et demon-
strationuiii, ex alicpia pra'existenti cognitione initiuni sumcre. »
3:1
B6i A. DE LA BARHE
« se rapprocher tlo plus en plus du corurcl en l'enserrant dans
lin réseau rrabstractions ».
Le principe est ainsi le point de départ de Tespril, marciianl
<rapproxiniali<<ns en aj)proximati()ns à la conquête de l'objet.
Et cela se fait dans ce clair-obscur de l'inluilion, qui esl vrai-
ment une aurore — où commence d'apparaître la mystérieuse
ligui'c du (;()sniii>.
A. Di: i.v B.XlUiE.
(.4 xtiir >■('.)
IMMATERIALITE ET MATERIALITE
DE L'AME HUMAINE
Lo romploMis intégral (|ii(' ihiu> soniincs enveloppe un élé-
nienl somatique, qui rend eoniplo de nos événements matériels ;
une source de vie et de sensibilité ; un principe do pensée.
Nous supposons ici (l) que ce dernier principe est d'ordre
spirituel et substantiel.
Nous nous proposons d'examiner quels rapporis il soutieni
avec nos énergies matérielles.
1)1 vi.isMi; i'i;iui'ati:i'ic:m;n i-:i' momsmi: un: vustr
S'il esl vrai que le moins ne [leut engendrer le plus, il est
manifeste que la matière ne saurait à elle seule rendre raison
<lc l'action, l'action de la vie, la vie de la sensation, la sensation
de la pensée; mais la réciproque est loin d'être vraie au même
litre et dans le nn''mc sens. Le mouvement n'expli(jue pas la
vie; mais la vie explique et implique le lUdiivenuMil. L'action,
la vie, la sensation, sont impuissantes à rendre compte de la pen-
sée, mais rien n'empêche que la pensée rende compte de l'action,
de la vie, de la sensation. Une virtualité supérieure et surémi-
Ti Cet article est extrait d'un livre, sur le point de paraître, intitulé : Spirilaa-
lité el Iininor/dlilé. La spirilualité et la substantialité de l'ùme font l'objet de cha-
pitres précédents.
i;6t; Victor BI:RMES
nonto, coniiiu' la pcnsoc. doit, |)ar un a furlitiri, èii'c ù môme-
do remplir Jes fondions inférieures, - — mouvement, vie et sen-
sation, — si toutefois elle dispose des moyens appropriés et
indispensables. L'esprit est éminemment actif et vivant ; pour.-
([uoi U(^ pouri'ail-il pas sentir, vivre el agir ortianiqnenient, s'il
a un <ii'ganisme à sa diserélion?
()ki\ain, cité |)ai' .Newton, recommande de ne i)as mulli|)lier
les êtres sans nécessité. Partant, puisque le |)rincipe qui pense
eu nous est capable, par lui-même et par sa collaboration avec
le C(ir|)s, (h- rendre (>ompte de toute la vie inférieure et supé-
rieure, inutile de maintenir la mnlti|)licité des princijjes.
Nous croyons donc (|u'il v a lieu d'ideutilier dans la même
activité radicale tontes les énergies que la déduction et l'ana-
l\ se mellenl à découvert dans b^ nnii intégral, (^.etle manière de
voir a déjà poui' elle qu'elle est une siniplilication.
Est-ce tout? Kt la conscience csl-elle muette sur une question
de cette importance? Mlle n'a pas de réponse directe. Toutefois,
il est un l'ait bien siguilicalif : elle attribue au même moi réel'
et causal toutes les (>p(''ralinns, tous les événennnits qui relèvent
de sdu cdutiùie el do siiu l'xpéi-inn'i) tatiou . Ka conscience est
la vue du dedans, du sini|)le. du psycdiique. l'ar suite, dès lors
cju'elle i-aj)porle à la nuMUe réalité active tous nos étals internes,
c'est que vraiment cette réalité est imc.
-Mais, objectera-t-on, le sens intime rapporte indistinctement
au moi psychisme et soniatisme. A ce coni|de, il faudrait iden-
lilier le coi'ps et l'âme.
La conscience ne l'.iil d(''ri\cr du moi psychique, le seul (|ni
ressortisse à son domaine, (jne les événements psychiques purs
et les événements psycho-physiques en tant que psychiques (Ui.
simples. — Les états somatiquos ne sont attribués par la con^
science au moi qu'en tant que la sensation les a trnnsformés en
éléments psychiques. En sorte que, comme tels, les faits soma-
tiques ne relèvent pas de l'introspection; elle ne saurait donc-
les référer au nmi psychique.
Avec .M. (irassel on pourrait dire encore que l'àme n'exerce
pas son intelligence dans ses opérations psycho-physiologiques.
Or, l'àme ne peut pas cesser d'être elle-même. Par conséquent
ce ne serait pas l'àme intelligente qui opérerait ;, d'oii néces--
iMMAïKiiiMAii: i.r MMiiiiM.rn: m: i:\\ii< m \imm: ii.i:
silr (le ii.m-liirc il i.i imilli|)lic-ilé (les principos psychiqti('>.
Cellr" diriiciiltr est plus >prcicuso que solide. Pour s'en iléliiii-
rasscr il sul'lil de sr ra|)p(d(T (jue lexereiee normal de la penst-c
rc(|iiirrl ccrlaiiio eondiliinis |ili\ >io|()i;ii|H('s et eéréhrales, (|iii
ne se Irunvent évidenum-nl jias réalisres dans tmiles nos ioiic-
tions organiques. Voilà pourquoi noire virlualilé psychiqur.
bien que transcendante, sera sans déployer, en toute occurreiici'.
toutes ses énergies. Elle agira automatiquement, organique-
ment en des viscères, en des muscles organiques, automatiques.
Kllc exercera son activité inférieure sans préjudice de son acti-
vité siipiTiruif, (ir cette réserve d'énergie surémiuente qui se
développera eu concepts des que seront réalisées certaine- con-
ditions cérébrales.
Et pourtant, ré|»ii(iueiM-t-oii. il >emlde que le principe vital
doit être composé : il est divisible... A preuve que « chez les
animaux où la centralisation du système nerveux est très impar-
faite, un individu coupé en tronçons se trouve multiplié ". On
en conclut que ■< l'àme du suji't se partage en même temps que
son corps •>. M. Hourdeau voit dans ce fait une preuve directe de
la divi^^iliilité de lame, (".'est trop se bâter.
On peut supposer avec autant de vraisemblance qu'il y a ici
plusieurs animaux soudés ensemble. On peut même expliquei-
le fait par la simplicité de l'âme. C'est, croyons-nous, parce que
l'àme est simple, parce qu'elle est tout entière dans le tout et
dans chaque partie de l'organisme, qu'elle est à même de -r
scinder, en (|uelque sorte, par fissiparité ou sexiparité, el d ani-
mer un nouvid organisme. Ou'on veuille bien le remarque!
cependant : il n'y a pas ici division directe ou proprement dite.
C'est une division accidentelle: le principe vital n'est pas
divisible en lui-même, il n'est divisible, comme dit l'Ecole,
que ratiuiir inaleriee tiii loii/inK/i////-. I.e phénomène est assez
facile à comprendre. Il ne se produit d'ailleurs que chez les ani-
maux imparfaits à organisme rudimentaire. A raison même de
son imperb'cliun, une nouvelle ébauche d'organisme peut faci-
lement se former en relation vitale avec l'organisme sou( lie.
La même vie s'étendra de l'un à l'autre, l-a scission s'opère :
chacun conservera sa vie multipliée at'cidenteilement. /(inoiir
malfriœ. (Juoi de surprenant? Il est divers modes de génération.
:w.H Victor BERNIIOS
La génération anormale ou violente n'est ni plus ni aiitrcnienl
mystérieuse que la génération sexipare.
l'our plus (le délails on peut consulter louvrage du I{. P. (".o-
conuier L'Aiiir htniKÙnr. Ava\\. \\). Dès maintenaul. iliacuu
peut voir que la <■ preuve direete » de M. Bourdeau est loin
d'être décisive. A vrai dire, les faits allégués peuvent et doivent
être considéi'és comme non-avenus. Ils n'ont aucune |)ortée
piiur ou contre la simplicité, l'unitr' du priuci|ie ])svcliique.
.Nous savons qu'il y a miiltiplicalidu de vivants : (die peut se
judduire par division, ou seulenu-ul pai' extension el généra-
lion.
I']sl-il l)on de revenir sur riivpolhésc. qui coïKM'derait une
|ielile àme à (liaque cidlulr nrrvcusc. ou qui livposlasierail
(■li,i(|ue phi'uonirne ? .\in~-i <|ur l'oljsiu've cxcidlemment un plii-
losoplie d <Milre-l!liin, ■ > il n y ;iMiil en n(Mis, comme le vent
la psyiliologie sans .sui(d. ((ne le siui|)le l'ait de la succession,
sans que rien vienne relier les étals successifs, l'àme perpétuel-
lement confomlue avec chacun de ses états, incapable de s'en
dislinguer. vivrait éternellement ilans le |)résent, el e(da sans
mènu' s'en l'cndri' coniple. car le présent ne peut être conçu f[ue
par o|q)osilion an pas-(' ou à l'iurnir. l'our qui ne connaît ni
l'aNani. ni l'après, il n'y a nu''me pas de présent. La conscience
du temps n'est donc possible que pour un sujet concret, qui
s'oppose à ses déterminations alisiraites, en les ramenant !i
son unité. " {Psi/rliolof/ir (/riirrtili\ de Ki'iimki;, Ucriic jtli'ihis.,
IV Année. H' vol., p. iSd.
Aussi Inen là n'est |)as précisément la (|ueslion. Il s'agit de
runitc ou (il' lu mulli|)lici((' du -njrl jisychique, admis en prin-
cipe. -Nous avons vu qui' rien lu' s'oppose il l'unité des énergies
psychiques. Nulle incom[)aliljililé entre leurs caractères essen-
li(ds. Active, simple, vivante, mdre virtualité mentale peut
cumuler des n'iles divers. Lomme principe transcendant et spi-
lilin^l, (die s(Ma capable de pensée. Ln union avec le corps, elle
agira, vivra physiidogiquemenl, et sentira, l'ounjuoi n'accom-
plirait-elle pas ces (litl'érentes fonctions? Elle possède émi-
nemment tontes les qualités requises d'activité, de vitalité, de
simplicité. Les règles d'une sage inférence nous amènent à
n'assigner qu'un principe aux phénomènes psychiques purs et
niMMi.iiiM.iTE i:r mateiiimatk de lame ;// u.ua;; :.g'j
à la |iar( de psychisme onglobôp dans les phénomènes mixtes
(»ii psyciio-ur-iiniques. Simple en fait et mnltiple virtuelle-
ment, ce principe psyeliiiini' nniqne opri'iTM mentalement ou
organiquement selon les hesnins du l\pe individuel conçu el
léalisé auquel il apparlieni.
Mais ne pouiTail-on-pas procéder à des simplilitalions nou-
velles? En maint passage nous avons parlé de deux classes de
phénomènes à ce point irréductibles qu'on ne pouvait les rame-
ner les uns aux autres. Ne pourrait-on pas h^s ramener au même
principe ? Non. parce que leurs caractères ne sont pas seulement
divers, ils sont opposés, ,et, d'après les lois de la causalili'.
rop[)osition se poursuit jusque dans la cause. 11 s agit, on le
devine, des événements spirituels et des événements somati-
ques. Irréductibles, inconciliables en eux-mêmes, ils le sont
également dans leur cause; et c'est justement parce que, à
doses diverses, phénomènes psychiques et somatiques se com-
binent pour constituer des faits psycho-physiques, que ceux-ci
ne sauraient èlre idi'iiiiliés avec les |duMiomènes psychiques
pui's. l'sycliisme el somatisme |u-('sentenl des propriétés contra-
dictoires. l>e là nécessité d'admettre le dualisme Iraditioumd :
matière, esprit. La dualité forcée du |diénomène exige impé-
rieusement la dualité du noumène. dette nécessité est-elle à ce
point inéluctable? Le monisme idéaliste le conteste.
Nous avons vu plus haut que le corps, l'organisme. i'>l im-
puissant à l'endre C(impte des événements |)sychologiques. Avec
le corps c(Mume pivid. le monisme occupe donc une position
abs(dument intenable. Le dualisme s'impose.
Si l'on déplai'ait l'axe du monisme; si l'on faisait tout gravi-
ter autour de l'esprit? Peut-être l'esprit serait-il plus ïi même
de consommer en lui la grande synthèse. La vie n'expliquait pas
la pensée, et néanmoins la pensée explique la vie. De même
le corps n'est pas capable de produire la pensée ; mais peut-être
i>ourrons-Ti.ius faire dériver le corps de la pensée. C'est ce que
les idéalistes ont tenté.
<;ar ils ne veulent pas d'un i)issubstantialisme quelconque,
ni même d'un dualisme mitigé tel que le nôtre. Des deux iJiMes
(ip|iosés de la pensée contemporaine, matérialisme et idéalisme
dirigent sur les dualistes un vrai feu croisé. La i)liilosnjdiie
b70 Victor BERMES
actiu'llo el la science cllc-nièiiie tondonl au monisme. La pensée
moderne se travaille, s'épuise en efforts pour taire dans la réa-
lité l'unité absolue et suiislnntieile qu'elle poursuit dans ses
spéculations; elle veut établir la synthèse de la réalité, conimc
la svnthèsc de l'idée. Nous verrons dans quelle mesure ces ten-
dances sont légitimes.
Toujours est-il qu'en fait, avec Spiuo/.a, mais dans un autre
sens, l'Idéalisme idierclie le nu'ud qui ferait l'unité dans la sub-
stance unixcrseili'. Nous avons classé parmi b's monisles de
l'inconnaissahle certains penseurs, (|ui en réalité sont idc'alistes.
Le système de Berkeley, le Moi év(dutif de Ficlile, l'Absolu indé-
terminé de SchelliuLi, b' Devenir dialectique et immanent de
Hegelj le Volontisme aveugle <le Scliopen liauer, ou le V(donta-
risme idéal de Harlmaim et de leurs discijdes, autant de formes
données à l'Idr'alisme monistique. Tous ces théoriciens sont
d'accord |iiiur Inul r\|iliqiicr pai' ridi''c ou pai' une force men-
tale qiudi;on(|ue : l'idi-i' csl an fond lif bmle l'é'alité; elle est
nn'-nu' toute réalili'.
Lu hrance. le uioui^uic i(l('ali>le a rcnconln'' des adeptes
fervi'nts parmi les néo-spirilualisles. .Maine de Biran tient que
l'unité psycho-physique de la substance n'est pas vui simple
postulat de la raison, mais un fait, et de tous les faits le plus
accessible à l'expérience, l'ciil-èlrc s'ai;it-il simplement de
l'union substaniielle de l'âme cl du corps.
.Vprès ce vigouicux penseur, MM. l'élix Ravaisson, .1. Lache-
lier, 1']. Houtroux, SecnHan, donneul à leur lonr des gages à
l'idéalisme. Ils se disent spiritualistes ; en réalité, ce sont idéa-
listes bien authentiques. Ils opposent « au demi-spiritualisme
de l'école éclectique le spiritualisme véritable (?), celui qui
retrouve jusque dans la matière l'immatériel, et qui explique
la nature même par res|)ril. ■> 'Mappoii ilc M. H<ir(if<siiii sur
1(1 Vh'ilostijili'ic j raiiruisr, p. 14-2.1
l'armi les idéalistes, on peut encore ranger M. l'V)uillée, qui
oppose aux erreurs et aussi aux vérités qu'il combat « une sorte
de monisme psychique à base de volonté ; et cette puissance
aveugle, en se réfléchissant sur elle-même, en concentrant et
en augmentant son intensité, devient pensée et sentiment ».
Des divergences assez profondes semlilent néanmoins scinder
iMMATiiiiM.nÉ i:r mati-.ium.ite i>f. lame III MM\i: ;,7i
les idc'-alisU's en deux cainiis. Miiinc de |}iran,sSi lanl est (uTil
siiil idôalislo, M. Uavaisson, M. l'"oiulliH> lui-mèmo. admetlciil
<liu' rrlônionl psyflii(|iic. idrc (Hi voloiili'-, osl iiiu' t'orcr, une
réalité aclivc, rvoliilivo. An cdiitraire, on lidclos disciples dr
Kant ou pliilùl do M. Ivonoiivior, nos jeunes idéalistes suhjec-
livistes ne mettent que leur idée personnelle, la forme aprio-
;rique de leur pensée, à la place de la substance. La substance
n'est plus une force, c'est une pure idéalité, à no consulter
que la raison spéculative.
Uans son ouvrage, E^sal sur l' huiiinrliililr nu poDit '//• >\ir
■ilii iKiliiralisini' rrolulhiuiiislc, M. Sal)alier a fait profession do
monisme. |1 a donné \\\\ nom n(niveau à la sulislance unique,
c'est l'esprit. 11 s'étudie à nous la faire connaître. <■ Vie et
esprit, nous dit-il, ont fait partie de l'univers dès les temps les
plus reculés. Us étaient répandus et diffusés dans le germe
•cosmique primitif. Vie et esprit sont des conditions mêmes de
ce que nous appelons matière ; elles en sont des parties inté-
grantes et inséparables. Qui tlil maliôro dit étendue, qui dil
matière dit esprit et vie (p. 71 t... ■■
Alors voilà : à l'origine, rien que do l'esprit: c'osl la nébu-
leuse idéaliste. Puis apparaît la matière. <■ qui est la forme
jrevctue par l'esprit on vue de réaliser une lin ".
Ainsi créé, le cerveau est un accumulateur, un organisateur
•du psycbique dans le but de fonder « ce faisceau bien lié, qui
devient sensibilité, pensée et volonté; d'organiser, d'accroître
la conscience et de consliluei' enfin, peu à peu, l'individnalité
psycbique et la personnalité, qui en est la plus baule expres-
sion (p. (io) ».
Il serait superllu do mettre en lumière tous les points faibles de
cette tbéorie, toute faite de rêve et d'ingénieu.v aperçus. L'exis-
tence originaire d'un psycbique latent, diffus dans un germe
•cosmique primitif, — que faut-il voir dans ce germe? — l'orga-
nisation <oiidensalrice de cet élément par un agent matériel, (|ui
est lui-même esprit et vie, et au terme do cette accumulation la
conscience et la personnalité comme résultats, tout cela ne nous
paraît pas très solidement conçu et encliainé. Avec M. F. Pillon,
nous craignons fort que l'autour n'ait pas soumis ces quelque^
idées, fondamentales pourtant, à l'épreuve de la critique.
!;72 Victor liEliMKS
Idéalisme réaliste, qui dans l'idée voit une force, ou idéa-
lisme pur, qui ne voit partout ([u'idéalité ou formes diverses
de la pensée, double manifestation de cette tendance au mo-
nisme qui s'accuse dans la philosophie contemporaine. Et h
certains égards cette tendance est légitime. L'homme éprouve
rimpéiieu.v hesoin de faire l'unité dans sa pensée ; ce besoin
doit l'amener à rechercher celle unité en dehors de lui. Dans
(luelle mesure peut-on espé'rer le succès en semblable entre-
prise ?
Ouel est le dernier fond de l'être matériid .' Est-ce l'alome
(lu la- monade, le corps ou l'esprit? Huestion troublante, en
\('iit(''. Aristole r('|)ond : les deux. Soit; mais les deux co-prin-
(ipes ré(ds et dislincls. nous ne songeons pas à le nier, sont-ils
également primitifs, appnrlent-ils la uu'^me part de coopération
dans la constitution des corps.' Le Stagirite n'élude ]ias la
iliflicullé. On connaît sa réponse.
La forme ou l'idée, siSo;, en opposition avec la matière, j/,r,,
est simultanément principe actif, qui actualise, énergie primor-
diale e( réalisatrice, exemplaire et linalité immanente ou enté-
léchie de son évolulion organisatrice. <;'est une idée-force s'ac-
lualisant, se dévehippant et s'organisant sous la quantité et
l'élemlue. Elle esl par conséquent la raison vraie, la force
intime et évolutive de la matière : la matière, sim[)le passivité,
n'existe, ne se détermine, n'opère que par elle. De ce chel,
puisque toute actualité de la matière lui vient de la forme,
ii'esl-il pas viai de dire que la forme jouit d'une certaine pri-
mauli-, qu'elle joue un rùle privilégié, qu'elle est le dernier
fond de l'èlre matériel? .Vu surplus, dans la théorie d'Arislote,
la nialière (dle-mème ne se confond nullemenl avec l'étendue
et la quantité, (le sont là modes immédiats et primitifs, ce
n'est pas le dernier substratum des corps. Dans son fond, la
matière apparaît plutôt comme une passivité simple, purement
exigitive de la quantité. De tout côté, dans le système péripaté-
licien, nous aboutissons donc à la simplicité de' la substance
matérielle. I>a nialière quantitative ne vient au secours de la
forme que pour la soutenir, la compléter, la délimiter et lui
fournir un champ d'opération. Mais la ([uantité n'est pas le
fond esseuti(d de la matière ; elle en est la première modalité
iMM.\ri:itiAi.iri: et iMrf./i/.u.///.' /»/■: l.wie ;;n/ u.v/-; -Mi
ici'llc, 11(111 l'ossonce. Fond csscnlicl d modaliU'' réelle qiuuili-
liilivc consliluont le co-prineipe, dit matériel, qui est l'étai de
la forme, (lar la forme, monade commemiante cl embryon-
naire, est de soi trop imparfaite pour subsister isolément; elle
ne surgit. eHe ne parait au jniir (|ue sous un revêtement de
matière. La cnniplexiti- matiTielir appuie l'imperfection de sa
simplicité et lui permet de se dévelnpp(M' et (l'agir'.
I<]n résunu', pour Aristote, le fond substantiel de l'être maté-
ri(d n'est pas la quantité, mais la force simple ; l'activité imma-
nente est la raison et le principe primogéniquc du eomplexns
matériel: sdii (lé[)lacemenl est le facteur de toute génération,
de tdllte plddllctidU n(iUV(dle.
Serait-ce dès lors une grave erreur, ne serait-ce pas plut(~it
une iiécessil(' logique de soutenir qu'en dernière analyse l'être
iiiat('ri(d s'e\prK|iie par l'èti'e simple, pai' un iilsii>: intime, un
clfort organisateur, postulant un élément |)assif, (]ui lui four-
nira l'étoile dont il se revêtira, les formes quantitatives sous
lesquelles il s'épanouira, bref, qui l'aidera à constituer l'atome"?
Nous sent(jns bien que ces termes sont trop achevés et disent
trop pour exprimer cl d(''nommer ces éléments primitifs, à peine
(■bauchés, des cboses matéri(dles. Il faut ([ii'un ell'ort de pensée
saisisse les nuances et supplée à l'indigence du langage. En
toute question de genèse, la difticnlté est d'ailleurs la même.
Les mots ont un sens trop précis pour rendre rimpi-(''cision des
rudiments.
Cela bien compris, on poni'rait peut-être essayer d'un rap-
prochement avec le monisme i(l('aliste réaliste de Biran, Ha-
vaisson, etc., selon nous, le |iliis près de la vérité. Le monisme
(•(incordiste de Henan, Spencer, Fechner, oll're le grave incon-
vénient de supposer arbitraii'cment une substance antinomique,
inconnaissable, ni matière, ni esprit, que rien ne justilie. De
fait, l'être simple on l'idée initiale des sjiiriiiialistes rend sufii-
samment conijite de tous les |)b(''nomènes... à deux conditions
toutefois. D'abdi'd, il ne faudrait pas contester la réalité du
mode passif (m'est la quantité, et son irréductibilité à l'élément
simple. Cela ne peut faire l'objet d'un sérieu.v désaccord : il
est manifeste qmî les propriétés de la quantité sont antithé-
tiques au.x ([ualités de l'énergie simple. Et puis l'irréductibilitc''-
i;zi Victor REUMK?
lie la ([iiaiitili'. siin|ile nioilalité n'-eilo, ne conii)riiiii(>l i>a>
l'unité monistiqno. altomhi que la quantité n'est pas une suli-
slance. Plus de bissuljstantialisme...
Kn outre, et c'est la seconde condition d'un rapproeliement,
l'identité de substance no peut être que générique, non spéei-
lique. 11 n'existera que des substances simples: mais il faut
que des substances soient s|)éciiiquement distinctes. 11 serait
évidemment peu philosopbique de ranger sous la même espèci-,
par exemple le moi humain et une force pli\ sicjuc ou ciiimiqui',
«'leclrique (ni lliermodynamique ; il serait peu i)liilosophique
de prêter intelligence et volonté à des êtres inorganiques dont
l'agir ne révèle rien de pareil. Il faudrait maintenir la diversité
spécitique dans l'identité générique.
Celle double réserve faite, il ne nous parait pas que 1 idéa-
lisme léalisle se dislingue beaucoup du monisme péripaléticien,
que nous avons eX|)osé. Ce monisme mitigé semlde offrir de
sérieuses garanties de vérité.
■ 1 ('après les expériences de iKdbear, dit .M. Sabatier \ii/i.
■cit.), on peut considérer comme très probable que les propriétés
,j)liysiques de la matière dépendent absolument de la tempéra-
ture, et que, a>i zéro absolu a-'est-à-dire lii('ori(]uement à:27(l"i,
il n'y a |dus ni liquide, ni solide, ni ga/, et ([ue les pro-
priétés magnétiques et électriques alteignenl leur niaxinium :
■en tl'autres mots, que ce que nous ap|)elons vulgairement ma-
tière est ranuMU' îi un groupement de tensions dynamiques
•considérables. » [Ht'viiP j)/iilos., XLII. — Esstii sur l'Iiniinirlu-
f'ilr, d'après M. Vv. I'ili.on.)
L'importance de ces expériences n'échappera à pers(^inne. Le
-caractère phénoménal de la quantité s'en dégage nettement.
Une fois de ])lus, Aristote a raison. De |)ar ailleurs il est établi
-que le bissubstantialisme cartésien est antiscieutilique. On ne
peut désormais s'y arrêter davantage. Or. toutes les objections
-que l'on élève contre nous se fondent sur ce que nous croirions
à l'union de deux substances complètes accolées ensemble.
•Comme on vient de s'en assurer, ces reproches ne nous attei-
gnent pas. Noire monisme mitigé, ou dualisme partiel, est
hors de cause. A l'instar de M. llavaisson. (juoique dans un
sens un peu dilférent, nous trouvons l'immatériel jusque dans
iM.M.vn.iiiM.ni: i.r m.\tei{i.\liti: m: lame m u.\l\i: oT*
]o niali-ricl. (]'o>t ù cause de leur impertection que les forces.
immatérielles élémenlaires ont besoin d'un support, et qu'elles
revêtent une forme matérielle proportionnée à leur imperfec-
tion. .Mais à mesure qu'elle apparaît plus haut dans la hiérar—
cilié des êtres, la force, la forme simple, à peine ébauchée dans
le corps, va se développant, s'alTermissant. devenant |dus
intensive, et se simpliliant en quelque sorte. L'union avec la
matière est d(> plus en plus surérogatoire: l'être simple devient
de plus en plus autonome, jusqu'à ce qu'il s'épanouisse dans
la pleine immatérialité des substances spirituelles.
Avec du calme, de la réflexion, et des concessions peu im-
liiirlanles. il est parfois possible de s'entendre entre adversaires
di'clarés.
Mais quelque accommodant que l'on se montre, on ne saurait
se passer d'un Ihinlisme relatif et partiel. 11 est absolunnMil im-
possible de ramener le (|uanlitalif au psychique. Entre les deux
l'hiatus est infranchissable et si profond !
Force est au philosophe de revenir au Dualisme. .^1. Hain se
prononce catégoriquement : " Il reste à considérer quelle est
ICxpression qui convient le mieux à cette union des deux na-
tures distinctes et qui ne peuvent se ramener l'une à l'autre. »
L'Espiil cl If Corjis, p. ]:j.j.) 11 s'agit de l'Esprit et du Corps.
Plus liant il avait déjà dit: <■ t>s deux substances ont très peu
de qualités communes. » (P. 127.1 <• Malgré leur opposilion
e^scnlii'llp ces deux ordres de facultés se trouvent inséparable-
ment unis dans le même être. »> (P. i;i2.)
Hier encore, dans son Essai i/'iiiir jiliihisojthir niinn-llr >-)iij-
t/i-rri' iiitr 1(1 Siii-iice (.\lca.\. 1898 i,. M. Eéonce Ribert proposait
une théorie, qui à cet l'^gard ne dilïère pas sensiblement de la
théorie péripatéticienne. Les principes des êtres ne sont pas
des êtres projjrrmenl dits, c'est-à-dire des réalités achevées et
<i''par;ibles : ils consistent en deux éléments distincts, mais
l'troitcment unis, nécessaires l'un à l'autre, impuissants l'un
sans l'autre; en deux natures simplement potentielles, que
([lie leur action réciproque est seule capable de manifester par
la production même de ce qu'on appelle véritablement des êtres.
Tous les êtres doivi'iit leur (^xisl'^nce an concours de ces deux
principes ; il-^ tienni'iil de l'un l'iinTlii'. la quanlili' cl tiuil ce
570 Victor BKI'.MF.S
qui les dilTéroncio ; ils puisent dans lautre l'activilc'. la qualité,
et toul ce qui les unit.
Ily aurait lieu sans aucun doute de eriliquer eelle lonception
des deux êtres potenliels, que lauteur dit rlre^ jtar soi. Pour le
moment, bornons-nous à constater un Inuable etTorl jtour i-eslau-
rer le dualisme traditionnel.
11 le faut bien. La modalité quantitative est une modalité
réelle, qui par ses caractères concrets d'empirisme, de particu-
larité et de contingence se refuse absolument à une identitica-
tion quelconijue avec le psycliismr ininialériel. aiistrait. ^éné-
l'al, nécessaire, spirituel. (]e serait I identilication des contraires.
Il
RAi'i'oisis i:Miii. 1. \i;ii\iri; siMiim i:i.i.i: i:i i, \iii\ni: matkiui:i.i,i-:
m; MOI
Après siinpliticalion des virtualités psychiques du moi. voir:
donc ce que nous donne l'analyse des éléments irréductible>
englobés en chacun de nous :
a) D'abord un élément psychique. Kst-ce une substance? Si,
cimime le psychisme animal, le psychisme humain n'avait (jue
des opérations communes avec le co-principe organique, nous
devrions conclure que l'élément psychique est bien co-principe
substantiel, pas substance, ])uisque absence complète d'actes
propres. Les opérations résulteraient seulement du composé,
non de tel composant particulier. Le composé seul serait sub-
stance.
Dans l'espèce nous devons tirer d'autro conclusions. Toul le
démontre, le psychisme humain, outre des opérations com-
munes, a des opérations propres, dans lesquelles l'organi>mi-
n'inl(M-vient qu'à titre d'objet, de condition antécédente, conco-
mitante ou conséquente ; de ce chef, notre psychisme supérieur
est donc principe particulier, indépendant et permanent d'opé-
rations propres : c'est une substance.
Notre conscience psychologique ou réflexe peut nous fournir
iMMxn^iiiMiri: v.T M.vïi.uwuTi: he i:.\mi: m mm^f. ■;-.-
im nouvel ari;umcnl ù l'iippui di- cotte tlièso. < »n n"a pas ou-
lilié que n()lre conscience mentale est cette faculté que possède
notre raison de se rétlécliir sur ello-mcme pour se contempler,
s'étudier ilans ses opérations et ses divers états. Or, la con-
science dite physiologique n'est pas susceptible de réllexion.
au sens propre du mot. Elle perçoit bien de fa(:on en quelqui>
sorte directe actions et passions, plaisirs et douleurs ; elle ne
se dédouble pas, ne se rélléchit pas sur elle-même, ne s'analyse
pas. La matière entre dans son intime constitution, et la ma-
tière est impuissante à se dédoubler, à se rétlécbir intégrale-
ment sur elle-même, à s'objectiver pour se percevoir. Notre
conscience supérieure, notre nu^ntalité est capable de réllexion;
donc elle émane d'un principe immatériel et spiritmd qui agit
indépendamment de tout composé, qui s'a|ipartient, qui est
substance.
b) L'analyse du moi nous donne encore un élément somati(|ue.
principe quantitatif, passif, étendu, qui, nous venons de le
voir, s'olTrc comme une réalité modale et substantielle, conna-
turelle à des énergies simples trop rudimentaires, trop impar-
faites pour subsister isolément. Comme le dit M. Riberl. ce
n'est pas un être, c'est une éltauche, un commencement d'être:
ce n'est pas une substance, c'est un co-principe substantiel. Il
n'a que les actes du composé, car il est dépourvu de toute acti-
vité propre. Il n'est donc pas principe perniiment et indépen-
dant d'opérations : il n'est pas substance.
( i Kntin notre inventaire du moi nous met en présence d'un
complexus intégral, qui constitue l'individu humain et qui est
le moi total, suprême synthèse du psychisme et du soma-
tismc.
Nous savons que nous sommes composés, et nous nous sen-
tons des unités. L'unité du moi intégral est un sentiment pri-
mitif. Nul. s'il n'est malade, ne prit jamais le change. !>a
subordination de nos pouvoirs intérieurs à notre liberté, de
l'organisme à la raison suffirait à montrer l'unité réelle d'orga-
nisation et de coordination entre les éléments divers, qui consti-
tuent le moi. Nous avons conscience de notre unité comme île
notre activité et de notre libei'té. l'^tudions le moi psychique
■dans ses relations avec le moi matériel.
;;-;8 Victor BERMES
A démonter pièce à pièce lèlrç humain pour sci'iiter soit
intime composition, nous avons ([('•couvert et mis à part (Jeux
constitutifs essentiels et irréiluctililes : minimum de principes
absolument indispensable à l'explication de nos pouvoirs et de
nos (^tats. Notre psychisme rend compte de nos (?tats de con-
science; le soniatisme rend compte des événements matériels,
l'sychisme et somatisme s'unissent dans un même moi. pour
constituer un nK'-me agent et coopérer aux nu^-nies lonctions-
psycho-organi(jues. Ils turnicnt ainsi un même moi que nous
avons appelé le moi intégral et qui embrasse tous nos élé-
ments constitutifs. Xous avons la perception très nette que par
leur union ces éléments divers concourent à ce résultat.
De cette union nous avons également la perception très
nette, en tant que fait. Nous sommes en peine dès (|u"il s'agit
de i'('xpli(|ner. Une! est \o lien qui rattache l'un à l'autre
l'espiit et le corps? (irande question et pleine de li'nèbres.
A-t-on ass;v. cherché, assez jiroposé de solutions! le mystère ne-
cesse pas d'étendre son ombre sur le facteur de cette unité.
L'union est certaine; cela suflit. Les plus avisés en prennent
leur parti.
On présumera néanmoins que nous inclimms vers l'explica-
tion péripal(''ticienn(> par l'union substantielle. .Nous avons,
conscience que \o moi implique unilé (h' centre d'allrilxitinn,
(b)nc unilé (h' suiistance (■omj)b"'le : d'ofi nécessité de conclure
à l'union de tous nos éléments dans une même substance. En
d'autres mots, nos constitutifs essentiels se compléteront pour
constituer une substanlialité unique. Ils se compénètrent et se
fusionnent de nmnière à ne former (|u'un seul tout analogue à
celui que forment les deux co-jirincipes, matériel et formel,
tlans la Ihéoiie d'.Vristote sur la composition des corps. Telle
la ciiopéraliou des deux éléments, psychique et somatique,.
dans la substantialisation physique du moi intégral.
Kt les faits sont favorables à cette interprétation, d'après-
laquelle le psychique est la forme du corps. Xous parlons des
faits psycho-organiques ou des opérations mixtes, qui présen-
tent le double caractère de la matérialité et du psychisme. Dou-
ble caractère, et pourtant opération unique! D(> même, double
principe substantiel pour rendre raison de ce doulde caractère,.
niMATr.lilALITK ET MMiniM.ITi: DK L.l l/K l\\ MMSF. li.O
■ol }iiiurtaiil siilislaiicc iiiiii|iir. (Jimi de plus li>gi([iii' et de plus
ralionnol? l/uii dos principi's confère à l'acte la simplicité, la
vitalité, la sensiliilité ; l'autre lui eonfère la quantité, l'étendue,
la matérialité. iMicore une lni>, (lUdi de plus concordant avec
les faits? .Mais la mulliplicilé ^U' principes ne purle pas atteinte
à l'unité de sulistance, pas |)lus iju'à l'unité «l'opération.
S'il n'v avait dans l'iiomme ([ue vitalité, aciivilé psyclio-piiy-
siologique et sensation, l'icn (|uo des opératiims mixtes: si les
virtualités du composé épuisaient son fonds d'énergie substan-
tielle: si les deu.v éléments, tels que nous venons de les
décrire, constituaient les limites de l'être humain; si, en un
mot, ces deuv éléments ainsi proportionnés et rivés l'un à
l'autre, épuisés l'un par l'autre, si ces deux éléments expli-
quaient le moi intégral el tmis ses pliénomrmes, il n'y aurait
pas lieu de cdiercher davantage. Ils apporteraient un égal
■concours à la substantialisalion du moi. .Nous aurions un
agrégat substantiel dont l'unité s'imposerait, alors même que
nous n'aurions pas la pleine lumière sur le lien, sur le facteur
de cette unité. Substance ni l'un ni rautrt\ puisque ni l'un ni.
rautr(^ ne constituent isob'nient un principe complet d'opéra-
tions, puis([u'ils sont, d ailir'urs. iniiérenls l'un à l'autre,
ipsychisme et somatisme devraient ccpcndaiil être considérés
comme des éléments, ou plus précisément dos co-principes
substantiels. C'est en toute raison que l'Ecole les a appelés
des substances incomplètes, rationt' siibatanlinlilath.
Les choses ne se passent pas ainsi dans l'homme. Tandis
que le jirincipe psychique envahit l'organisme piuirlui infuser
['('•norgio, la vii-, la sonsiljilih', il e.verce en des régions supr.i-
-cnsililrs (il-, opérations dans lesquelles la matière n'a pas de
|iarl directe: elle no s'y rattache tout au plus qu'à titre Je
condition objective ou concomilanli'. (!e sont les opi'ralions
mentales.
En conséquence, s'il est vrai de dire que dans notre activité
psycho-physique, dans la vie et dans la sensation, ainsi que
•dans le composé- lui-même, le piàncipo somatique concourt à
l'opération el à la substantialisalion du moi dans la mesure,
sinon au même titre que le principe psychique et simple, il est
-aussi exact d'ajouter que, dans l'exercice de la pensée et de la
3(i
;.8" ■ Victor RKUMKS
liliorté. lo |)syc■lu^m(■ trahit ilos riiorgios, qui (uitropassenl ht
matière et ôtondenl la subslaTilialit('' du moi hit'u au-delà do
l'organisme et du monde physirpie. .Notre nientaliti' conl'ère au
moi une sulislaulialili- plus large (jiu- la suhstanlialilé mixte
de l'organisme, uni' -ulisLautialilé qui va se déployant dans le
monde des esprits.
Kt c'est pourquoi noire p>y(lii>mc n'est pas, comme notre
soniatisme, une substance incomplète, intinnc siih^lriulid/ilatis.
11 est plus et mieux. Il constitue, par ce Init (|u'il i's( priuii|)e
■^uftisant. intrinsèquement ind(''peudanl d'opi^ralions jiropres,
rr (|ue l'on a dénouMUi'' une siilistauce incnniplètc, riiliinw
.^pciiri. Ue soi elle <'sl complète : elle n'est incomplète que par
rapjiort à un liut (''tran^cr à son être absolu, qu'en vue de réa-
liser telle lin autre que son i-xislence. Nous nous expliquons.
Les matériaux d'un édifice sont en eux-mènics des substances
complètes; ils ne sont incomplets que par rapport à l'édilice en
projet. De même notre psychisme est en lui-même, l'activité
mentale ru lait foi, une substance complèti'. Il a tout ce qui
i-onstitne la suljslatitialité : actes |H-o|in's, uniir- cl [lermancnce,.
iion-iuliérence en tant (|ni' menlalité et liberté. Avec son fonds
<le réalité transcendant(% notre psychisme a donc tout ce qu'il
lui faut pour fonder une substantialité autonome, suréminente
et siii (/t'iicris, capable de se suffire; une substantialité jouis-
simt d'une vie à elle propre, bien qu'en incessantes commu-
nic-ations avec la \ ic mixlr du composé. Comme être i-éel. comme
<'!ipril, comme substan<'e individuelle, le moi mental se suffirait
donc, il tiendrait debout sans a]qiui nounn'-nal.
jMais pour la beauté de l'ensemble et pour lelier les deux
m(indes de la matière et de la pensée, il doit exister im être
inti'rmédiaire, qui soit à la fois esprit et corps. C'est, l'homme.
A (Constituer cet être d'espèce particulière, à foi'mer rh(imme il
est'jciair que l'esprit ne suffit pas; la matière doit intervenir.
De hoi l'esprit serait substance complète ; il ne sera incomplet
qu'iui vue de constituer cet être de nature si spéciale, l'homme.
Substance incomplète ratione ajti'cici.
\À moi intégral enferme donc deux vies, ([ui se développent
parallèlement : la vie psychique pure et la vie mixte du com-
jios!-; [('après cela, il doit semIdiM' qu(^ le moi total implif|uera
/.w.w.i ■/■;■:/; /-u./ri-: i:r \i \ri:i;iM.iTi: /»/■: lmi//-: m \im\e ".si
<ltHix d'iilivs (rMlIriliuliiui, (It'iix sulistanlialilc's, iUmix moi : le
moi mixli' iln coniposé psycho-organiqiio cl lo moi transcen-
dant do l'esprit. l{cconnaissons tout do suiie i|uo la chose ne
serait pas impossible. .Nous ne voyons pas d'impossibilité à oc
qu'un esprit soit emprisonné dans un organisme vivant.
Toutefois, nous avons dit pour quels motifs nous no pouvions
accepter colle hypothèse, qui fui, on le s;iil, inio idée ciière à
i'hilnii cl à Descartes. Nous naduieltuns (in'iiii seul principe
psvchiquo, et c'est ainsi qu'il nous est i'acile de lourner, disons
mi(Mi\, de supprimer la diflicuUé d'une double substanlialilé,
d'un double moi complot, el, partant, d'une unité furluile ol
accidentelle entre les éléments de la personnalité. Essentielle-
ment et subslantiellemcni, c'est lo môme principe qui, en
vertu do ses multiples virtualités, joue à la fois lo rôle de co-
principe psychique dans lo composé, et lo ride di^ principe
autonome dans les opérations iuloll(>cluelles.
Cotte unité du principe psychique explique ou mémo temps
et l'unité substantielle du moi intégral et les mutuelles rela-
ti(ms du uiui psychique pin- el du composé psycho-piiysio-
logique.
Nous accoi'dorons encore, si l'on veut, (jn'il y a virUndlo-
unMit deux suiislantialités dans le moi on ce sens que esprit et
composé mixte pcnirraiont à la rigueur subsister séparénieiil,
nous venons de l'indiquer. En fail, il n'y a ([u'uuo seule sub-
stantialité, parce qu'il n'y a qu'un seul principe psychique, à
la fois esprit et co-principe simple dans lo psycho-somatisnie.
Au total et après simplilication, nous avons donc lo co-priu-
cipe somallqiu', substance incomplète rfi/iiiiif siibs/aii/iali/a/is ;
et le psvchismo, tout ensemble co-principe psychique de l'nr-
ganisnu\ (''gaiement incinuplol ralioiir siihsictiilialilatis, ot jirin-
cipe absidu indépendant d'inlolloctualilé ot do volonté, incnm-
plot seulement l'ationr s.pc(ii'i.
(les deux éléments s'agglutinent, se compénèlront, s'unilicul
de manière à ne consliluor plus qu'uni- subslantialilé rr'clle,
acluidlemenl unique, iiieu (|ue virluollement double, loi b-
végétal ou l'animal en composition avec l'élémonl iuorgaiii(|ue.
Dans la vi(> ou dans la sensation, l'analyse peut distinguer
doux un [ilusiours séries do phénomènes avec, chacune, un
58-J
V.cTOii BElîMES
contre parliculior (rallrilmliniis d iroiiéralion;- : coi'ji^. ((.■iitrc
(les pliénomc-nos quiinlitatils : jirincipo vilal. ct'iitir des phé-
nomènes Ijiologicjues. etc. En réalih''. nue senle suhslanee.
A signaler ponrlanl une (jifl'érence essentielle : les centres,
flont il vient d'être parlé, sont rivés à la matière et sont inca-
pables de vivre indépendants, (l'est le contraire pour le j)sy-
chisme pnr et autonome ; et néanmoins l'unité substantielle
est la même, parce que le même principe. (|ui à certains égards
vit indépendant de la matière, remplit à d'autres égards le
j'ùle de cip-principe organique.
Voici donc à peu près le s(lièmi\ qui nons montrerait ce
double aspect du princi|)e psychique et qui exprimerait symbo-
liquement ses relations avec le cor()s :
1" <i a' Psychisme indépendant et transcendant, auto-
nome et spirituel ': intelligence et volonté, substance
complète en soi et se suffisant: incomplète» seulement
rdlioiif sprcifi, en tant qu'elle doit eiiiitrii)Mi'r à iormcr
rimmine. Opérations (^ssenliellenicnl indépendantes de
l'oiganisme, bien qu'objeeliM'ment elles puissent en
relever, dans ce sens (|iie la coopération organicjm'
peut èlre [lour (dles une condition, un nceompaguenKMit nt''ces-
saire.
l'" ti' d" Snbslantiaiité iiitiMieure et mixte, imi)liquanl. eonimc
d( iible CCI-principe. lOrganisme et le psycliisnn' iniV'rienr.
lieux él('nu'iil> <]ui se complèt(Mit ralionc siihsliinliahlalis.
Im[)uissants à subsister l'un sans l'antre, ce ne sont pas sub-
stances distinctes, ce sont co-priiieipr- subslaiitiids. ou. si l'on
préfère, substances incomplètes rallouf ■'n/is/nn/id/i/afis.
(lonime tels ils forment un seul tout, un seul principe complet
d'action, de vie, de sensation.
3' a a a" Une seule et même réalité psychique, ilonl l'unili'
explique l'unité du moi humain. Inité substantielle. Inen (]ue
le psychisme soit à la fois substance de soi complète comme
élément spiiituel. et substance incomplète dans le composé.
Encoi'e un coup, la substance psychique, actuellement et réel-
lement une, joue le rôle d'une substance virtuellement double,
l'ar sa double fonction et sou identité, le psychisme est le lien
qui fonde l'unité substantielle dans l'homme.
ju.i/r/7: KM ;./•;■/■: i:t mmeiiimate he lame m maim: 00:1
(lo sérail peut-èlro le eus ilo rochorcher dans quelle mcsiii'c
l'élémcnl psychique conlV-re Taelivité à l'organisme. Doil-il èlre
considéré comme l'arlisan, comme l'arcliilecte de noire sonia-
tisme? KsI-il forme de corporéité? Nous le pensons conlre Scol.
i!empla<'e-l- il par ses énergies propres les l'orces |)l)ysico-clii-
miques iuliérenles à chaque alome? Queslion loule nouvelle,
qui n'a pa-^ dû préoccuper nos ancèlres ! Oueslion d'ailleurs dil-
iicilc et forl complexe, que injus laissons à de plus haijiles le
soin de résoudre, si lonlefois on peul sorlir ici du domaine des
suppositions.
Pour le moment, nous devons retenir que le moi inlégn+l se
i-unlond avec ses conslilulils. Il n'est qu'une intégration suli-
stantielle (le ses éléuKMits esseutiels. l'ai' le fait de leur grou-
pement, de leur fusion, de leur consolitiation , ces éléuKMits
forment une synthèse indépendante et suhslantielle ; comme
tels, ils deviennent centre d'attrihution, d'action et de passion.
Voilà précisément ce qu'il advient du groupemcnl en un seul
moi du psychisme et ilu somalisme. Us forment un tout siiii-
stanliel <'l glohal dont la ivalité n'est pas autre que la réalité
<les composants.
Tel est le centre général d'attrihution, le moi total, qui en-
globe et syulhétise tous nos événements et toutes nos énergies
dans sa vivante suhstantialilé, auquel tout se réfère et qui im-
pose à noire èlre toul entier son infrangible unité. l'our(|u'ils
cessent d'être uuiliés eu lui, il faudra que tels ou tels de nos
évé'nemenls ou tle nos éléments nous soient arrachés violem-
meiu.
Si nous arrêtions là nos iuvesligations, nous aurions oblenu
un moi qui ne se distinguerait pas seiisiblemeuL des substances
complètes, organiques on non, dont nous sommes envirouu(''s.
l'ius complexe, plus étendu, si l'on veut, mais en dernier res-
sort constitué par une même substantialité, comprenant psy-
chisme et somalisnu', âme et corps, dans sa féconde unité.
(Centre général datlribnliou avec deux séries parallèles de piu'-
nomènes ayant leurs centres particuliers dans le moi psychique
supérieur et dans le composé psycho-organique. Ces deux
centres particuliers sont évidemment subordonnés, cdinnir
ysi Victor IiKl!Mi;s
suhslam-t's inconiplMcs. ;'i la syulhi'si' iiil(''i;ralc du iiioi lolal.
rs'oiis avons dil commcul.
]\lais voici (|iu' dans le complcxus luimain va se l'aire joni- un
pliénonnuie sans précédent et sans équivalent au sein du monde
ompirique. Dans ce quil est jierniis (Tappeler le prolongement
spiriiuid ci Iranseendant de son être organique, le moi con-
seienl \a exei'cei' son activité supérieure, inlelleclualilé et
liherlé.
A ce jet de luuii'-re, il va sembler que tout es! changé, que
le moi va se ci'éer un ;ixe nouveau, se polariser en quelqin-
sorte dans notre mentalité. Dés que la raison et la lilierlé lonl
irnfjilion en nous, l'une pour éclairer, laulre pour diriger l't
mou\oir\ loules deux jiour régner, pmii" porter une même cou-
lunne et un même sceplre. le moi |)sycliique acquiei'l, de par
sa transcendance et les service qu'il peut rendre, nue prépon-
dérance incontestalde. sinon incontestée. Les inclinations psy-
<dio-organi(|ues |)ourronl se mutiner, ronger le fi-ein. Finale-
nu'ni, elles devront plier ci l'econnaitre raulorilé supérieure de
plus loi! (ju'elles. Notre meulalilc' deviiml pr(''doiiiinanle : elle
s'attriliue le gouAcrnenu'nl du moi in!('gral ; (die l'onde ainsi
notre personnalité. .his(|u"à préseul, nous nous iHions trouvés
on face, d'une substance: désormais, c'est la, |)ersonnalilé qui
apparaît.
De fait, la pers(miu> morale et conscienle, t(dle (|ue nous l'en-
ItMidons, n'est et ne saui'iiit être (|u'nne substance, en tant que
raisoniiabli' cl I ibi'e.
VA c'est précis('ment la |)ersouualité qui dépossède la sub-
stantialité psyciio-pliysiologique de la propriété de ses l'onc-
lions libres pour s'en investir, ou. plulôl, pour en investir le
moi global qui embrasse le composé organique el ce moi
psycliiqiu' supérieur dont en réalité il ne se distingiu' pas.
En ell'el, nous l'avons déjà dit, à toul prendre, le moi intégral
n'est que la synthèse vivante et substantielle de ses éléments
essentiels. Le moi n'a de réalité que la réalité de ses constitu-
tils, et chacun des constitutifs se comporte vis-fi-vis de lui
<-ommc la partie vis-à-vis du loul.
Le moi total englobe donc l'élément psychique et se con-
fond avec lui. C'est \r,\r le psychisme supérieur, par la menta-
i\i\i.\ri:i:j MATE i:r m \ri:ni mate de lame ni \im\e :-.s'i
lité. qu'il csl porsoniic niorak' flconscioiilo. Oiioi do siir|)roii;inL
à ce quil i-ipporlc loul ù hii-niômo sous cotto formalité de moi
psyflii(|uc. d'Aiiii'. de pi'rsoiiuf inlolliiicnlc cl lihro'.' Les éli'-
mciits pli\ >iqiit's, réels, soiil cniiime l;i maliérc du mui syiilli '-
liqiie, lit menl.ililé en csl comme la fornu' : clic canielérix' h
moi ; elle en fait une personne. iMicorc nn coup, rien d'éton-
nant <à ce que dès lors tout le nnn se concentre en quelque sorte
dans notre mentalité, que tout se suhordonnc et se réfère à idlc,
qu'elle soit l'aboutissant et le nu)teur suprême de l'agrégat que
nous sommes, ('/est dans le moi psychique, dans la raison cl l:i
lilierlé, (|ue le nmi pi'eiid conscieiirc de lui-m(~'mc. de ses druils,
de sa pri''(''miiicnce : c'est gi'àce à lui (|u'il n'gii et domine le
composé tout entier, qu'il devient pei'soiiuc morale et sounie!
tout noli'e être à un ordre doinK'.
Nous insistons pour liicn (Haldir les relations du moi intégral
et du moi psychique, du loul et de la partie. (Jomme le tout
ne se distingne |)as de ses parties, ainsi le moi intégral du moi
psychique on de l'àme. Sim|demcnl. le |ircniiercsl phi> hu-i ,
il envelo]q)e tout l'agrégal.
L'àme s'identilic donc iivee le moi tohil. coninie la partie
s'idenlilie avec le loul. Mais le moi psyeliiijue csl un fragment
privilégié : c'est en lui et par lui que le moi est personne liijre
et raisonnable ; aussi est-ce en lui cl par lui que le moi ghdial
exerce ses droits, qu'il s(^ subordonne loul. se lapporte loul et
régit en maître le composé hunuiin.
Kn fait, c'est un seul cl m("'nn' moi. une -eiile cl même
réalité.
De nos jours, la chose ne va pas sans discussion. |)an> une
lettre ouverte à H. .\venarius ( PhlIdsDpliisrhr MoïKilshrflc. I.S'.tH],
W . Schuppc s'élève contre les contradictions cl impossibilités
du « réalisme naïf ». D'après lui, ces c.vtravagances onl ci'
grande partie leur origine dans la suli^litulion de l'àme au moi,
qui, seul, est donné jiar la conscience.
II. \\ illy lui répond bientôt après (|ue. |iour lui. ce (|ue Ion
appelle moi, le moi scientili(|ue en (luehjne >orle. n'es! pa> auhe
chose que l'individu humain lui-nuMin-, à coudiliori que l'un
lienne compte des relations >[ir'eiales avci- les autres hommes.
Avi'c quelques l'éscrve^. nous pensons conunc H. W illy.
;;8C Victor HERMES
[1 latil idciililiiM- l'ànic vl le moi gluhal ; mais il ne iloil pas-
("•tre question iluno idenlilication absolue ; ce serait nier le corps
et sombrer dallr^ Ikléalisme. Dans l'Ecole on n"a peut-être pas.
parlé assez clairement de la distinction miln^ lame et le moi.
(hi ne la ponilani jias an'^connue. lanl sCn i'anl. An tond, le
moi total n'est jtour nous que ce que la sulislance on la per-
sonne conslitnc'C par l'iuiion substantielle et la subsistance est
[)our les scolasliques. L'ànie est l'élément transcendant et ré^u-
lateui', la /irrso/ind/isa/iun, si l'on peut ainsi s'exprimer, du
composé sidistantiel, à la formation duquel elle contribue poni'
sa très j;rande |)arl. (^onsliliiiit el ré^nlaleur, le moi psychique
devieni en (|iiel(|ne ^crle par la raison cl la iilierli' le pivot
central du moi s\ nlliéli(|iie : le composé psyclio-oit;aniqui', en
vcrin de Innioii subslanfielle, n'est pins qn'uiu' dépcnilance,
nue apparleiuince, ù laquelle le moi psychique est préposé et
(|n'il exploite à sa conviMumce. Bref, le moi psychique, sub-
stance incom|)lèle /-(ifloiir sprciri, mais complète nitiniii- snô-
slaiilialitdtis, s'idenlilie avec le moi intégral comme la partie
avec le tout : mais élénu'nl privilégii''. Iranscendanl. l'alionmd.
il ])olarise l'agrégat hnmain et tons ses événements qu'en vertu
du lien substantiel il s'altiibuf^ en dernier ressort, (l'est ainsi
<(u'il s'identilie avec II- moi synthétique, qu'il s'en dillérencie,
et (|u"il constitue avec lui une seule personne morale.
Est-il besoin de reparler du moi psychologique que les pln''-
noniénistes de toute nuance s'ell'orcent de confondre avec le
moi ontologique ?
.\ les entendre, nous n'anrions conscience qne du moi psy-
chologique : or, c'est là une création d(Miotre raison, une iiTéa^^
lilé' pai- ccHisi'qnenl.
Mais, après tout ce que nous venons de dire, il est évident,
croyons-nous, que le moi psychologique n'est et ne peut ètr.e
qu'iui épiphénomène, inie traduction, une copie de nos réalités
psychiques, et qu'il les suppose iiK'duclablcmeiil.
X(Uis conv(Mions sans ])ein(Mju'il y a bien ici uni' création ra-
tionnelle, mais en sens invei'se de ce que prétendent les asso-
ciationnistes. (le n'est pas le moi psychologique ((ni fonde le
moi ontidogique on réid ; le moi psycliologi(|ue émfirg:c du moi.
ré(d et le présn|ipo-;e.
i}i.\t.\ri:iii.\LirE i-:r mmeium.ite /»/•; l.wie m \imm-: :,nr
Nos contradicteurs |nriiiii^iil (■vidcmnii'iil le cliaiigo. Koiir
iiir|)ris(' l'ail de la coiiiiaissancc l(it;i(jiic imc r('alit('' iiiilologiquc
se siit'lisaul et s'oxplifui.nil par cllc-nir'mc. .Nous avons vu que
ccld' |iosili(Mi n'est pas Icnalilr ; (juc le moi psychologique ou
[thénoménal de la conscience scuis-entend invincildement le
moi réel et substantiel, comme l'elVel sa cause, le phénomène
sa substance; (|u"en t'ait nous avons conscience de notre moi
psyclii(|ue cnunne i'i''alil('' vivaiile et agissanic, principe vivant
i>t agissant de ses o|i(Tiil ions. Le psychologisnie n'est olnc peut
être que le dédonhleineni introspectif des réalités |>sychiques,
t(dles ([ii'riirs ihmis apparaissent.
l'ar l'association on ex|)lique ires bien le développement pro-
gressif du moi psychologique. Comme tel, le moi logique, n'é-
taiil (junne photographie mentale de notre psychisme, on com-
prend à merveille (|Me l'accuniubi lion des pb(''nomènes do
connaissance l'élende et le dévelop[)e.
L'associntion explique même c"rtaine extension, certain per-
feeliomiemenl des puuxoii's raeulhilil's. Nul ne l'ignore, la ré-
pélilion des actes, consolidés en liaiiiludes, conilense l'énergie
et d(''V(do})pe la puissance. A ce douide point de vue, l'asso-
'•iiitionnisme rend parfaitement compte de l'évolution du moi.
T(d!e n'est pas la question. Il s'agit de préciser : oui ou non,
les plK'nomènes de connaissance, l'apparition origin(^lle du moi
ps\( liologi(|ue, |)euvent-ils s'expli(|U(>r indé|)endiimm(Mil ilumoi
iiiiluldgique? i.a qnc^sliou ainsi posée, il ne nous semble |)as
que la réponse puisse être douteuse. On aura beau faire toutes
les suppositions ; imaginer des créations incessantes de phé-
nomènes sans cause ; faire appel à notre ignorance et à l'incon-
scienl, linalement et îi jamais toutes les dénégations et tous les
ell'orls du phénoménisme viendront se briser contre le sens
comiunn, (|ui ne peut pas vouloii' de phénomènes réels << sus-
pendus entre eiid et terre i.. Li' principe de causalité et de
subslanlialilé esl trop eni-acin('' dans les prol'ondeui's de la pen-
S('e huuniine poiu' (|ue les arguties d'une critique, aussi auda-
cieuse (jn<' siiblile, jiuisse jamais le inetti'e racines au vent.
(Judi (jh'dii ilise cl quoi qu'on fasse, le phénomène impli-
([uei-a toujours la subslance, l'elVet la cause, le moi psycholo-
gique le moi réel, substantiel et [jersonnel, qui se manifeste
58S Victor lîEIl.MKS
-dans son tictivilô. (lohi csl |iliis l'orl (juc tniil, et l'cxplicalion
du -.'} fii-ri iniliiil du niui lugiquo sans la vivante réalité tlii
moi ont(d(igiqno sera toujonrs la piciTo d'arlioiipcmcut de las-
sociationnisnu' pliénoniéiiislc.
l'ji lin de compte, nous trouvons donc à l'analyso :
rti In moi psychologi(|n(', snbslitui cl représentant du moi
psychique réel, l'empreinte île sa substance, son imat;e de lu-
mière, son aller ('(jn introspeclil".
b) Un moi intégral, qui synthétise dans son unité suhstan-
ticlle tous nos constilutifs et qui eont'cre tons ses tlniils au moi
psychique daus leqiud il se personniJic.
c] In nuii psychique. (|ui pcrsoniiilic le moi tulal. devient
son ayant cause, en raismi de sa transcendance et son identili-
cation avec lui. Le moi lihre et rationnel crée la pei'sonnalilé
morale, c'est-à-dire la pri-e de possession île tout notre être, la
mainmise du moi psychi(|ue suj)érieiir sur huis les éléments
qui nous constituent : telle est la genèse de la personnaliti''
morale. (|ui réside U\\\\ entière en ce (|ue par la raison le moi
psyclii(|ue percdil, et parla lilierli'il exer'cece droil de propi'ii'dé,
cet empire, celle juridiclinn (|ne le moi intégral a sur lui-même.
.\olre moi meulal poinia di'sormais à s;i guise régir, modi-
lier, mouvoir. acIiNcr. ri'primer : hurmis certains besoins phy-
siologiques, sur lesquids d'ailleurs il ne sera pas son iniluence,
tout en nous devra s"iu(diner dmanl sim aidorité souveraine.
Vmiur HKMMH.s.
LES VALEURS MORALES
D'APRES NIETZSCHE
Ce n'est point une révélation lie Nietzsche que nous appor-
tons ; c'est simplement un aperçu sur un point spécial de sa
(ioclrine. Son leuvre est encore inconnue en France; et, mal^tré
l'étude très sérieuse de M. Lichtenbcrger (1) et l'article très
-curieux de M. Fouillée [2), l'auteur du Zaraf/im/s/ra et l'inven-
teur du Stirliomiiii- est encore, et restera lnniitem|)s, un étranger
pour nous. Est-ce paresse d'espril de noire pari? ou plutôt
n'est-ce point à cause d'une secrète prévention, d'un préjui^é
de déliance ou d'admiration — comme vous voudrez — ; ou
encore parce qu'il y a entre le génie allemand et le génie fran-
çais, sinon une antinomie irréductilde, au moins une impossi-
bilité d'adaptation dont on ne semide pas assez s'apercevoir?
Je l'ignnre. Ouel est le cerveau, né t'ran(;ais, capable de donner
asile à Inule la poésie il'un (loethe, à Y h'.'<ihrli<jiic d'un liégel,
à la rêverie profonde et sibvllique d'un S( Impenbauer ou d'un
Nietzscbe ?
Aussi nour- voudrions simplemenl jimidre, dans l'univre de
Nietzsche, la partie la plus universelle, la plus humaine de sa
philosophie, la partie morale, c'est-à-dire ce qu'on pourrait
appeler son Élhi(iiic ; et encore ne voudrions-nous en donner
que les lois fondamentales, les principes sur lesquels doivent
reposer désormais la nioralilé nouvidle. Nietzsche, d ailleurs,
I i;r. LiciiTrxoKiKîi.ii. Ajiliorismes cl Fraf/ineitls rifiisix i/r Sielzsrlie. Paris,
Ai-CAX, 18»9. — La P/iilosupliie de Sielzscke. ihid.
,2i Voir lieime (les Deiix-Momlen. l" février laOl, la lielif/wn de Slelzsc/ie.
r;9o alkert lakontaim-:
a un moL heureux |iour désif^ncr précisément le problème (jui
nous occupe, c'est-à-dire la critic|U(> des jugements moraux sur
lesquels repose la conduite des hommes ; c'est ce qu'il appelle
\'A/jjiiTci(i/lon dt's ralfiirs iiinmlrs..
Hue vaut la ntoniHlr répancluc painii h' niDiide ? <jue vaut
cette consécration de la bonli- que les religions et les morales,
(jue l'opinion courante et les dogmes sacrés s'accordent à donner
à certaines actions des hommes? Et si, dans cette esti nuit ion solen-
nelle de nous-mêmes, l'iKunnu' a t'ait de lnul lemps, et fait sans
cesse, un pei-pétnel contre sens, qu(d!e doctrine nouvelle di>n-
ner à notre ignorance ymur nous assurer, dans l'avenir, une
garantie de progrès sans reculs, d'éh'vation réelle et cunlinue
vers les sommets ofi tend noire destinée?
1
Nielzschi^ ne se dissimule pas (|ue la critique de la moralité
soit un(> leuvre d'entreprise audacieuse, téméraire; bien plus,
il [lense (|ii'('lli' doit èlre une ii'uvre paradoxale, car il pose en
|)rincip(> (|ue tous les jugements qui touchent à notre vie pra-
tique m:' sauraient avoir la sérénité hmiineuse des vérités désin-
téressées : « l.es fausses valeurs et les paroles illusoires : voilà
pour les mortels, les monstres les plus dangerenx et les plus
subtils (h », s'écrie Zarathoustra; il faut donc que celui qui
résolument s'est chargé de dénoncer le faux-mcmnayage île la
moralité s'arme d'un courage supérieur à loule l'picuve, supé-
rieur mèuR^ à tout mépris. Il faut [lour cette luile contre
l'humanité paresseuse, et par là même souverainement ii'rita-
ble, des créatures vaillantes, généreuses et fières, sachant
tenir (>n bride leur cunw, comme leur ranco'ur, et ayant appris
à sacrifier Ichu's désirs à la vérité, à toiilr vérité, même à la
vérité simple, alfreuse et laide, répugnante, antichrétienne et
immorale, <i car, ajoute Niel/srhe, de telles vérités existent (2) ')„.
Si l'iKuiime n'a |)as di'couvert ces véi-ités, c'est (|u'il ne les a
I : Ainsi parlnll Ziiftilhouslra. (). Ii(i.
'2i La (iéiiculoi/ie de la Morale, \^. 2!i.
I.ES VM.KlliS \lnl!.\Li:s liOl
jamais rhm hrr^, (|u il Irs ,1 hiiliii|||-s murs cl (|iril ii Imijours
lirôiV'n'' les recevoir que de s'en oii(jii(''rir : Nous ne nous con-
naissons pas, nons qni cliorciions la connaissance; qni s'occnpc
<li' la vie. qui s'nrcnpc de sa destinée? Oiix qui disent méditer
leurs lins se trompent eux-mêmes ou se laissent tromper. Xotre
salutn'est pointnotre alTaire; nous n'vavons point nutrceo'ur,...
ni même notre oreille! << Mais plulùl, de menu' (ju'iiii liumnir
rliviiii'mi'ul disirait, ahsorlté en lui-même, aux oreilles lir qui
riiorldjic vient de sonner, avec rajic, ses dou/.e coups de midi,
s'i'veille en sursaut et s'écrie : " Ouelle heure vient-il donc de
« sonner? » — de même, nons aussi, nons nous IVottons parfois
ies oreilles apri-x coiii) et nous nous demandons tont étonnés cl
tout confus : « Que nous est-il donc arrivé? )i Mieux encore :
« Qui donc sommes-nous en dernière analyse? » Et nous les
recomptons ensuite, les douze coups de lliorloge encore
frémissants de notre passé, de notre vie, de notre rire — hélas !
■et nous nous trompuns dans notre compte... (Test que fata-
lement nous demeurons étrangers à nous-mêmes : nous ne
nous comprenons pas, il faut (|ue iKnis nous confondions avec
d'autres ' I i. »
Ce travail cyclupéen (|ni consiste à soulever et à secouer, d \iii
geste magnilique, toutes, les alluvions de la croyance ou dr
l'hahitude, sous li'S(|uels meurt la llamme humaine, >iiel/.>che
le tentera et le conduira à sa lin : il sera le nouvel Hercule, |)!us
fort et plus lenilde (jue i'iiiili(|iie ; il \\\' se contentera |)lu> de
porter le niondi' sur ses ê|)aules : il fera éclater l'univers.
Comme son aïeul Xietzschy, le nohle l'olonais. avait le [xmvoir,
par son rria, d'annuler les délibérations d'une assemhlée tout
entière, lui aussi, Nietzsche, formulera désormais son relu ;iux
décisions passées ou futures de l'humanité; il le croil du
moins : << l^es milliers de siècles .à venir, dit-il. ne juieront
que d'ajirès moi. ., Il sera l'Autechrisl. espérance et ellroi de
l'univers, celui (jui mettra " aux fers les valeurs fausses et les
paroles illusoires ». .Vssurénn'ut, comme aucun des sauveurs,
il ne sera com|)ris : nniis qu'impoi'tc? « .\près-demain seul
m'appartiendra, (Jiu:'lques-nns naissi'ul posthumes, .le connais
'1 Généuloriif île la Moriile. Inlroiliiction.
!;02 AtrERT [.AKONTAIM-:
trop Ilicii les condilions (|ii il laiil i'i'';ilis<M' pour nie cniupii'iulro :
le courage ilu IVuit déteiulii. I:i |iré(lestination ilii l:ili\ rinthc.
une expérience de se|il ~nliludes, des oreilles nonvidles
pour une musique nouvelle..., une eonscienee nouvelle pour
des vérités restées muettes jusqu'iei... ('.eu.\-là seuls sont mes
lecteurs, mes véritables lecteurs, mes lecteurs prédestinés :
quimporte le i-este? le reste nest que riiumanité. Il faut être
supérieur à riiumanid' en turce, On hauteur dànn', eu mé-
pris. "
Nietzsche, dans une jxiésie toute uonvelle, joyeuse et amère
(oui à la l'ois. i;randiose et liui'les(|ue. nous n dépeint ce pas-
sage futur de lui-nn"'ine à liii\crs Ihunianité surprise : c'est lui
le Zarathoustra mélancoli(|ue et superlie, bouffon de génie, Sau-
veur méprisé, conspué- de la future humanité, qui, à trente ans,
([uide sa |>atrie el le lac de sa patrie, ])onr s'en aller, dans sa
monlagne. jouir de son e>prit el de sa solitude, loin des hommes,
ii'ayant pour réconfort que la pâle lumière du soleil, passant
en sil(>nce sur le seuil de sa caverne: pour consolation, que /i/i,
son «////'■ el ^(111 s/-r/irii/, c'esi-à-dirc sa pensée, son mépris et
sa [lerspicacité. l'ui-; nu joui-, dégoûté de cette sagesse égoïste
et solitaire, comme rabeille (|ui a amassé trop de miel, il sent
le besoin de donner et de distribuer, le besoin de serrer des
m:iius qui se ti'UiIenl cl de prêcher sa docli'inc.
Il
Ni«4/sche, comuu^ Scinqtenhauer, comme tous les révolu-
tionnaires de la pensée, a comuKMicé par vivre son œuvre avant
de ['(''crire. Tous ces conlcmpteui's ont él('', sinon cosmopolites,
au moins tourmenli-s mi vagabonds, coiinMirs de monde, de
livres et de civilisations. Nielzsche, originaire de Hôcken. passe
sdu enfance à Naumburg, l'Iiidic à Sehulpforta, dans l'atmo-
sphère des souvenirs laissés ])ar Klopslock. l'icble, Schlegel et
Hanke : il se livre aux études de la musi(juc. de la littérature.
se fixe pour quelque temps dans la philologie. Il passe de
Sehulpforta à l'L'nivcrsité de Bone. puis à Leipzig. Pendant
dix ans. il |irofesse <à Râle tout à la fois la philologie et un
Li:s VALEtliS M(in.{LE.^ 5'.I3
cours supi'Tioiir do la laiii;iu' !;n<cqiio, ne quittai) I sa rliaiic (|iii'
pour sVn alloj' à la solitude do TriJjselieu, ]irès l^ueeiiie, joiiii-
(le la eonipai;nie el des enlreliens de Kicliài-d Wagner, dou(
alors il csl l'adiniraleur i'( l'anii.
Toulelois, si, pendant cette période, (■"est-i'i-dire de ISlill à
. ISTil, la vie de Niet/.sclie (^st en appareni;e moins agitée, sa pen-
sée au contraire est ilc plus (>n plus tourmenti'e (^t inquiète.
Niet/sclie al)ordt> et soulève tous les problèmes. 11 se passionne-
simultanénn-nt de philosophie, d'esthétique musicale, <lo phi-
hdogie, de critiqiu' liltéraire, de polémiques eontempoi-aines et
de propagande wagnérionne (1).
D'ailleurs, dès IS7(i, Nietzsche est atteint d'inn^ mal.ulie pro-
fonde qui le laiine peu à peu, avec laqnidle il Intte sinon avec
l'àpreli' du découragement, au moins avec la crainte liévreuse
de la (h'taile. (^omme Pascal^ avec qui il a plus d'un Irait de
ressemblance, Nietzsche redoute de mourir avant d'avoir nche-
v<'' sonoMivre, et, comme il appartientàces esprits qui ne peuvent
se hàtei', car se hâter ce n'est point avancer, il donne ;'i son
travail une intensité d'ell'orls (|ui se (raduit |)ar une ju-ofoinlenr
ou tout au moins \in impi'évu de pensées (|iii déconcerie. En
sorte que la soull'rance a él('' pour .Nietzsche, ainsi cjue pour l'as-
cal, l'heureuse introilnclrice de la vraie sagesse, decidh^ que l'on
acquiert, non en ouvrant les yeux sur le monde, mais de celle
qui sort du fond de l'èlre, l'amené par la douleur à son propre
foyer. Ne dédaignons pas la philosophie des malades : » Il n'y
a pas de santé en soi », disait Nielzsciu', et s'il est des cas mor-
iiides où l'esprit s'alfaisse par suile de la déchéance du corps, il
est aussi des maladies (jiii dédivicnt qu(dquetois du corps lui-
même et pre--(|iie toujours des divertissenu'nls joni'ualiers où
somhre le génie.
Non seulemeni .Nietzsche, — (jUdi (ju'dii en ail dil. — n'a rien
perdu, pendant qu'il soull'rail, de sa lucidité inlellectuelle ;
mais bien plus, sa maladie. — il l'avruie lui-même, — a (Hé
1 Viiii'i 1rs lili'es des principaux ouvrages cci'iU à coUe Opnipie : La Xais-
•w/Hcc (le la Ti(ir/ëilie. 1872 ; les l'onsidéiulions iiiai-tiieiles-. 1873-1877, dont les deux
principales Daiid Sli'iiiiss el Scluipenhatie/' éduculeiir eiTent un très grand l'elen-
lisscinent. llmnaiii, trop li '.^■■Mut, I87S ; ^entencci et o/jutions ouiiees, tS7'.i. et enfin
Le Voyaf/eur \el .^on ombiw
yii4 AuïERT I.AFH.NTAINK
jiour lui une sniirco féconde df repos et de jouissances morales :
-« Jamais, dit-il. je ne nie suis donné à moi-nn''me autant do
bonheur que pendant mes années de maladie les plus doulou-
reuses, (le retour à tiidi-mriric fut pour moi une sorte de gué-
rison supérieure 1 la i;uérison pliy>i(|iie ne fut (|uiim' con-
séquonce do colles-là. ■>
En tout cas, c'est pondant quil soullrail que .\ietzsclie >'est
couvaincu, à tort ou à raison, de cette pensée qui devait donner
à sa criti(|ue ICssor d une si t;rande lilierti', à savoir, tjuil ne
faut jamais CDUsidéi'or une philosupliie comnu'.nn ensemide <le
vérités alistrailes, do r'aisonnenienis im|iersnnmds, mais liien
plutôt comme l'o.vprossion variable d'un tempérament. (Tune
complexion particulière.
Aussi, donner <"i une d(jctrine (pudle qu'elle soit une valeur
absolue, c'est, d'après Niot/sche, peser avec une fausse balance,
foule opininii. tout syslème, Inule croyance. qu"(dle soit parti-
culière, ou celle d'une i;éni'>i',ilil(''. est une résultante, qu'où no
peut CdUTiaitre i|ue par l'analyse. <[ui tloit être interpivlée non
ralioiuirllriiiriil , mais lif<li)riiiiiriiiriil . Jusque-là on a été trop
convaincu que la vérité n'était (pu' le produit do rintollij;enco,
il faut saviiii- (|u"elle est la traduciiou de notre éiro tout entier,
(lie vériti'. dite universidle. n'est doue, on (b'-linilive. aulro
chose (|ue l'harmonie d ensi'iuliii' d une <ivili-alinn donnée,
harmonie composi-e de uiiilliples accords, mais dont la tonalité
ni la loi ne sont immuables.
(]'ost donc iiien à turl. pense .\iel/>clii'. (|ue les liommo m
mesurent à certaines râleurs niiirulrs qu ils jugent absolues;
c'est bien plutôt ces valeurs qu'ils devraient mesurer à eu.x-
mèmes. 11 n'y a point do valeurs absolues, pas plus dans l'ordre
de la véri[('' ijui' dans l'ordre do la bonté, ou, s'il y en a une,
c'est en soi, ot non dans le jujj;ement de ses semblables, que
l'homme doit la chercher. La vraie valeur do riiommo, colle âi
laquelle il dciii se nu'suror et mesiucr toutes chosos. ne saurait
être une de ces valeurs lictives, impersonnelles, mortes ; il
faut qu'elle se révèle à chaque instant de la vie, qu'elle soit
l'àmc de la \ ie elle-même, le cri de l'être qui s'aflirme dans
retTacemcnt quotidien des illusions, l'ancre d'arrêt, dans l'écou-
lement jierpéluel de nous-mêmes.
LES \.\LEI i;> MDlt.MES '.i'.<-i
Dr. il V a une cliosc qui lu' iiii'urt jamais on nous, qui ne
;ni('url qu'avet- nous, c'est la rnltmlr de v'n-rr, ce sont nos désirs,
nos passions, eu un mol, nolic l'oivr, nolt-r jmissnnrr. La vo/nn/r
de piiis^imur. telle est, en ilélinitive, la seule valeur à laquelle
'l'être, quel qu'il soit, jiiiissf donner confiance, puisqu'elle est
la seule dont il ait réellement l'expérience : elle est aussi
■d'ailleurs la seule à laquidle l'être i/oirr donner conliance, car
le pessimisme, (|ui nie limli' valeur, est impossilde pratique-
aiient et ne saurait être losiique : " Le non-être ne peut pas
être le lui t. ■>
Cette théorie, qui sert de fondement mêmr à la morale de
Nietzsche, apparaît déjà comme à létal d'embryon, dans le
grand ouvraj;e intitulé Ln Xaissancf dr la Traf/rdi<\ où il exalte
ce qu'il appelle l'esprit Z>;(j////.s/''//, c'est-à-dire l'esprit de force qui
s'oppose, chez les Grecs, à l'esprit de cullure raftinée, à l'esprit
Apol/inieii.
On pourrait même dire que l'idée générale, dont tout le
.système nietzschéen est l'expression, s'aflirmait déjà dans cet
etfort continu et minutieux d'énergie volontaire mis quoti-
diennement au service des lahorieuses éludes philologiques
auxquelles se livrait le jeune professeur de l'I niversité de
Bâle : » La philologie, déclarait Nietzsche, en prenant posses-
sion de sa chaire, n'est ni une Muse ni une (iràce, mais elle est
une messagère de la Divinité » : en tout cas, elle fut pour lui
une messagère de la philosophie et surtout de sa philosophie.
'C'est qu'en ellet la philolophie est une ouvrière de réilexion,
une iille du travail patient, acharné, soutenu: celui qui s'y
livre proclame plus haut que le littérateur, .. (iui n'est rien,
mais qui représente tout .>, la loi de puissance, la volonté
.inflexible de l'être : " La philologie, dit Nietzsche, impose à ses
fidèles de s'isoler, de devenir silencieux, de devenir /f/its.
•C'est un art d'orfèvre, où tous les travaux sont délicats et mi-
-nutieux, où l'on n'arrive à rien, si ce n'est progressivement,
./puto. » Aussi Nietzsche pense-t-il que l'étude de la philolo-
gie serait un excellent moyen d'éducation pour les générations
actuelles, once temps de travail, de précipitation indécente cl
suante qui a hâte d'en finir : » La philologie, elle, ne sait
jamais en finir: elle apprend à bien lire, c'est-à-dire à lire posé-
37
!;yr, Aluert lafontaim-:
mciil, profondômi'iit. avec dôlianci' el jin-cadlioii... à lired'uno
main délicate et d'un œil expert. •'
Néanmoins, sans la maladie dont il eut à soutlVir, jamais
pcul-élre Nietzsche n'eût appoiié dans ses idées toute la clarté,
toute riii[eusit(', tiiule l'exagération même qui tout de son
système un drame, une crise aiiiuë.
Nietzsche, en ellet, n"a pas seulement vécu sa doctrine, il l'a
soull'erte ; c'est sa passion ; parfois sa plume est teinte de sang,
et c'est de son sang. Si Nietzsche n'eût pas soull'ert, peut-cire
ne s(>rail-il restf'- (|n'un disciple curieux et brillant de Scho-
jx'uhaui'i', un pessimiste joyeux qui se console de la perversité
(h' la vie individuelle, dans la perspective souriante et l'espé-
rance lies destinéi's futures de l'espèce. Rien jdns, jiar un retour
inattendu et comme un nouveau mystique, Nietzsche a trouvé,
dans la soutl'rance, la révélation du bonheur, la valeur ré(dle
el le sens de la vie, la raison d'aimer el d'être optimiste : <■ Dans
ma douleur, je découvris à nouveau la vie ; je me retrouvai moi-
même, j'appris à goûter toutes choses, comme d'autres pour-
raient difiicilemenl les savourer : je sus faire de ma raloiilr
de guérir, de vivre, toute ma piiilosophie ; les années où ma
vitalité desc(Midit fi sou minimum furent celles où je cessai
d'être pessimiste: l'inslincl de conscM'vation m'interdit une jihi-
losophie de découragement. >>
Assurément plus tard cette coniiance aux aspirations vitales
de la nature se Iransforniera sous le choc du temps et des évé-
nements ; mais ce qui est indiscutable, c'est que Nietzsche a
trouvé, dans ce rniiloir-rirrr indestructible qui commande en-
core en nous, alors que tout déchoit, lléciiit, se ilérobe, le seul
point d'appui sur lequel puisse se reposer notre croyance à la
vie. La puissance de vouloir vivre, le " sens de la terre i>, voilà
la seule valeur réelle à laquelle nous devons mesurer tout le
reste, et devant laquelle aussi, il faut bien l'avouer, s'anni-
hilent et s'ed'acent toutes les autres estimations de la moralité.
Le système de Nietzsche n'est donc point l'univre d'un désé-
quilibré, comme ont pris un sot plaisir à l'aflirmer ceux qui.
étrangers à tonte originalité, ont escompté la fidie tardive du
malheureux philosophe, pour venger leur incapacité à com-
priMidre une idée hardie enveloppée d'une poésie dont ils n'ont
LES VMELliS MiiHAUlS oO?
H'IIC
iiii saisir le sens. An t-milrairc, s'il est nui' (nivrc iiilcllcrliiril
dont rôvoluliiiii sr (N'ycliipix' avec n'-^ulariU- et an lianuoiiii'
parfaite avec les circoiislaiices et les événements, c'est bien, dans
ses grandes lignes, l'dHivre de Nietzsche. C'est, d'ailleurs, un mé-
rite qui n'a point échappé à son propre auteur, et Nietzsche, au
délnit de son ouvrage sur la (inira/ot/lr <!<• la Morale, a soin
d'en réclamer toute la louange : " Mes idées sur Varif/irif de nos
préjugés moraux ont d'aljon! Imuvé leur |iieniière expression
laconique et provisoire, dans ce recueil d'aphorismes qui porte
le litre : llaniai/t, /nip lunnaiii. .l'ai commencé à l'écrire à Sor-
rente au cours d'un hiver, nù il me fut donné de m'arrêter,
comme s'arrèle le voyageur, pour embrasser d'un coup d'oui
tout ce pays, vaste et dangereux, parc(Uiru par mon esprit. Cela
se passait pendant l'hiver de hSTIi à I.S77 ; les idées elles-
mêmes sont de date plus ancienne. C'étaient déjà, dans leurs
grandes lignes, les mêmes idées que je reprends dans les pré-
sents traités... Le fait que je m'en tiens encore à elles, que, de-
puis lors, elles se sont resserrées toujours davantage, jusqu'à
se fondre et à s'enchevêtrer, ce fait fortifie en moi la joyeuse
assurance qu'elles n'ont pas pris naissance d'une façon isolée^
au gré du hasard, sporadiquement, mais qu'elles ont poussé
d'une souche commune, dune rnhutlr fondamentale de la con-
naissance, qui commande aux forces les plus intimes, parle
un langage toujours plus net, exige des concepts toujours plus
précis. Car c'est là la seule façon de penser digne d'un philo-
sophe. Nous n'avons pas le droit de rester isolés en quoi que ce
soit : il ne nous est pas plus permis de nous tromper que de
rencontrer la vérité d'une façon fortuite. One dis-je ? De même
qu'il est de toute nécessité qu'un arbre porte ses fruits, nos idées
sortent de nous-mêmes, nos évaluations, nos mii, nos non, nos
raisons et nos causes se développent — tous parents et en
relation les uns avec les autres, comme autant de témoignages
iVaiir volonté, à'iin état de santé, (\'un terroir, d'///( soleil. —
Seront-ils à votre gont, ces fruits de notre jardin? — Mais
(juiniporle cela aux arbres? (Jne nous importe, à nous autre
philosophes i I ) ?... >>
(\) La Géuètdo'jie de ta Morale, 13.
S
598 Aliieut LAPONTAINP.
III
Si rinstini'l iiulivitliicl, lii volonlr de puissance qui est on
nous esl le rri/rriinn unique des évaluations morales, il est
bien éviflentque tontes les entités métaphysiques nu religieuses
que l'homme a supposées en dehors de lui et sur lesquelles il
a fondé tout Tordre de la moralité, n'ont aucun droit absolu à
notre respect. Les jugements moraux ne sont point ces lois su-
prêmes que l'on dit invaria!)les et sacrées, qui s'imposent à
tout notre être et devant lesquels on sincline sans niurm\ire :
la conscience morale est un problème psychologique et histo-
rique comme tout le reste, qu'il suflit d"(\\pliquer. et non luie
<livinité chimérique que l'on adore sans la connaître.
Toute la question morale consiste donc dans le problème de
Voriffiiie du bien et du mal ; problème en apparence très simple,
mais pourtant que l'on n'ose se poser ou bien encore que l'on
l'raint de résoudre. Nietzsche avoue que, dès l'âge de treize ans,
ù cette épocjue de la vie .. ofi Dii'u et les jeu\ de l'enfance se
partagent le ccriir . il était comme hanté par ce ])rohlème de
l'oi'iiiine du mal. Il Ir ri'solut, comme Imit le monde, théologi-
(juement, c'est-à-dire qu'il posa Dieu au fond de son ignorance
et en lit le père des valeurs et de la moralité. Bientôt, éveillé de
redogmatisme contiant par son éducation philologique et histo-
rique, il donna à la (|uestion morale sa véritable formule :
Jhnis i/iiefles COluHtianx rhuiniiir ^'rst-il nn-rnlr à ■<iiii iisfu/r tes
dcu.r rvaluallnns : Ir l/im ri Ir mal . d ijurllr riilriir otil-clirs jHir
/'llcs-mrmcs ?
I>a ré|)onse n'est pas très facile assurément, car le problème
lui-même est très complexe; Nietzsche nous avoue qu'il de-
meura longtemps perplexe, passant d'une hypothèse à l'autre,
sans jamais trouver de solution complètement satisfaisante. Il
fut, cette fois encore, comme la plupart du temps d'ailleurs,
délivré de son doute et mis sur la voie de son système par la
lecture d'un ouvrage dont l'intransigeance dogmatique et l'im-
pertinente vulgarité donnèrent l'élan à sa pensée et comme
la mise en mouvement à ses théories.
Ce livre était celui du D' Paul Rée sur ÏOrir/inr des srit-
LES VALEVIiS l/o/.'.ltES -iOg
/iiii''ii/s iiior(tii.r I : l't'iil-("'ln' n"ai-je jamais rion hi, l'-criL
Nietzsclic. tini ôvoillàt en moi la contradiction avec autant cl'é-
niM'gie. phrase par phrase, de conclusion en conclusion, n
l.e D' lîi'e. eiinime tous les iiX'néalogistes anglais de la
murale, V(i\ait. dans réviiliiatnni ailruiste, révaluation de la
morale en soi. Toul comme Schopenhauer lui-même, le mora-
liste anglais avait divinisé el " clevé aux régions de lau-delà
la valeur du non-égoïsme, des instincts de pilié, de renonce-
ment, d'abnégation ». Or c'était précisément contre ces instincts
que Nietzsche sentait sélever en lui-même une déliance sans
cesse grandissante, un scepticisme déplus en plus profond : ■• En
eu.x, dit-il. je vovais le grand écueil dr riiuuiauité. la lenlaiion
et la réduction suprême qui la conduirai!. .. ou donc .' au néant?
Je voyais là le commencement de la lin, l'arrêt dans la niareiu\
la lassitude qui regarde en arrière, la ruhDiir qiii se retourne
cuntif la rif 2!. ••
Sans doute le D'' Rée avait reconnu lui-même que la
seule métliodc rationnelle de la morale est la méthode histo-
ritiue. mais au lieu de |)arlir des faits eux-mêmes, il était,
comme tous les autres, parti d'une hypothèse, c'est-à-dire d'un
préjugé: avec une méthode historique il avait gardé l'esprit
dogmatique, c'est-à-dire une façon de penser essentiellement
uii/i/tis/orif/Hf.
Aussi la niaiserie de ces prétendus généalogistes apparait-
elle, dès le premier pas, c'est-à-dire dès qu'il s'agit de préciser
l'origine de la notion el du jugeniciil /"ui. l'uiir la plupart des
moralistes anglais, tout d'abord les actions non-égoïstes ont
«■■t('' louées el répiitées bonne-' par ceux à qui (dles étaient idilfs;
pour \iel/>elie, au contraire, le jugement limi n'i'maue nullo
ment de ceux à qui l'on a prodigué la bonté, mais bien plulôl
de ceux-là mêmes qui étaieut Imn^, c'est-à-dire des hommes
j)uissants, des aristocrates tle l'inlelligence, de Tinlluence, ou
de la volonté. Ce sont eux qui se sont considérés comme les
(1) Nou? ne niuns pas Pinlluence que. d'apri'S M. P'oiiillée, les théories de
(iiiyau ont pu avoir sur Nietzsche: ce qu'il y a de rertain toutefois, c'est que
.Nietzsche était en possession de ses principales idées avant 188."i, date de l'appa-
rition de Y Esquisse d'une morale sans oblii/alion ni sanction.
(2; Génénlonie de la Morale, Introd., p. Ifi: — Humain, trop humain, aphorisme.
43, 13r>, etc. ; — Le Voi/ageui- el son ombre, aph., iC : — Aurore, aph., I \1. etc.
000 ALi.EiiT LAFONTALXE
bons, eux qui (uil qiialiliû leurs iu-liuns de Imnnrs, ('"osl-à-dire
supérieures, " élablissant eette taxalion par opitosiliou à tout
ce qui était bas. mesquin, vulgaire et populacier ...
Nietzsche s'attaciie à prouver sa thèse, c'est-à-dire celle aflir-
nialion (rune synonymie originelle entre la iinlioii dr furci^
<le jiiiissancr et la notion de baiilr, et il le l'ail avec un luxe
d argumenls el une richesse de dénionsti'alions telles que l'es-
prit se sent enlrain(''. sinon coiivaiiu'u.
Après avoir montré que l'évaluatiini anglaise repos(> sur un
contre-sens psychologique formel, il retdierche, dans l'origine
iles langues et des sociétés, les traces des premiers jugements
nioraiiN de riiuiiianiii'. ri [linliiiil il i inil (h'Cduvrir que l'idri'
tir distiiiil itiit, ilr iinlilrssr, dii sriis ilil rang snridl , rsl I' i<l('f-iiirri'
^rm'i iKUl cl se (IrrfliijiiH' tirri'ssmrriiifnl l'idcc tir bon. Idiiilis
Jiiir /'-s iidhiiiis ilr ml i/ill rr . Ii/is, plrlirir/i , siiiil si/iidlil/llirs de mau-
vais. (l(ini|)arez, dit Nieizsche, le mot allemand sciticcitl (mau-
vais) et sihUrJu (simplei. le mot iiH'iÀ; (>niployé pour désigner
la noblesse d'àme, chiv le (irec, a d'abord signilii' ((dui qui rsl
(£3-;l. celui (|in il di' iii i'('alil('. ci'liii (|ui ^"ai'liriiie ; tandis q\ie
y.x/.o;. o£!).ô,-, (|Mi di'signeni le pl('b('icu par opposition à, l'àY^Oo::,
soulignent la làchi'li'-. Le lalin /ik/Ihs, h ect l'gard, est des plus
suggestifs; il faul le lappruciiiT du grec ;jii>,a; (noir), (|ui a dû.
à l'origine, désigner l'iKunnu^ du ciunmun, l'autochtone pré-
aryen du sol itali(iue qui se distinguait, par la couleur sombre
de ses cheveux, de la race des conqiuh'ants aryens aux cheveux
bbiinis.
."si donc il est |)rouvi''. (|u'à l'origiue, toute valeur se mesurait
;i la piiissdtirp, comment celte e^lituation primitive du hmi el
<lu iiiiiiirdis s'est-elle faussiM^ peu à peu, au cmirs des temps,
jus(|u à seml)ler aujoui'd'hui en contradiction avec elle-même?
.\ielzsclie croit toujours pouvoir l'expliquer par cette grande
loi qui préside à la marche des idées dans une société, à savoir
que loiil (ii/icrji/ /joli/ igiir scAransformo eu un ( o/icr/)/ psf/dia-
lot/ii/df. (l'est (ju'en effet, tant qu'a duré, dans une société
donnée, la préihuninance guerrière, le concept l>o/i a été syno-
nyme de /irrr/iiiiiriit r ; mais, quand l'ère des conquêtes a été
achevée, le guerrier, devenant inutile, a cédé le rang à une
nouvelle aristocratie, à Vaiis/(jc/(i/i'' sdm'fln/nlr.
LES VMF.inS Mnr.MES fiOl
[,(■ prèlrc. voilà, d'apn-^ Niclzsclic. le r;uix-iiii>iin;ivoiir ilr I,-
moralili'. l-a caste sacci'dnlali' siilistiluc d'aliurd aux tormcs dr
noble et de vvilgaire les ternies de /mr et A'nii/iiir, qui expri-
ment mieux les raisons prétendues de sa domination sociale,
et c'est avec cette simple transmutation des valeurs primitives
qne les contrastes d l'-valuntion ont pu se spiritualiser et s'accen-
luer très \ ite. c'est idlr (|ui ii liui par creuser entre les homme>
" des ahinies que même un Ailiille de pensi'-e liNre ne saurait
franchir sans frissonner ".
Or, remarque Xietzsclie. il y a Inujnurs et dés li' principe,
quelque chose de morbhir dans ces aristocraties sacerdotales,
et dans leurs habitudes dominantes, hostiles à l'action, voulant
que l'homme tantôt couve ses songes, tantôt soit boulever^é
par des explosions de sentiments: il'ailli'ur- les remèdes pré-
conisés par le prêtre ])our se débarrasser de cet état morbide
sont cent fois plus dangereux que la maladie (dle-méme. Si
bien qu'aujunniliui l'humanité soutTrc et peut-être se meurt ^Xv
ce traitement naïf, de ce régime di(''li''li((ue iniagin('' pai- li'>
prêtres.
Ainsi, bienti'if. de I dppcoition sociale du pi'êlrc et du n(dilc,
surgira une antinomie entre ce double couianl des é'valuation>
morales. Or. le prêtre, toujours suivant .Nietzsche, triompher.'
dans cette lutte de la prédominance des idées, l'ourquoi .' l'arn-
que le prêtre est le plu> incapable, et (jui' i'ini|iuissance fait
croître en lui i' luie haine monstrueuse, sinistre, inlrllectuellr
et venimeuse » qui fait toute sa puissance.
Est-ce que l'histoire de l'humanité tout enlicro n'est pas un
tableau uniforme de la lutte des castes sacerdotales contre le>
iiuhlcs, \i'< pnis^a/)/^, les /iiai/tvs, \o pt/irroir '.' Ouesl-ce dc,inc
que l'histoire du peuple juif, sinon le renversement de l'aris-
tocratique étiuation des valeurs par un peuple de luêlrc- .'
N'est-ce pas le .liiif qui a osé aflirmer que <( les misérables
seuls sont les bons, que les pauvres, les impuissants, les petite
seuls sont les bons, les seuls pieux, les seuls bénis de Dieu >- .'
Le Juif a poussé sa ruse '• jusqu'à l'occulte nuigie noire d'une
politique vraiment grandiose ". lorsque, pour enfoncer dans les
niasses sa juiissance de séduction, il a inventé » cet étourdis-
sant symbole de la Sainte (Iroix. cet horrible paradoxe d'un
t.02 Albert LAFONTAIM-:
I)i('u mis en croix ., (■■ost-à-diir ilii tort jtar oxccllenec capi-
tulanl (lovanl le i'aildc .>t se sacriliant à lui.
Dans riiisloiiv d<' l'iiumanité, c'est donc le peuide, le vul-
t^airc, qui l'a emporté; ce sont ses appréciations qui ont prc^^valu,
la morale des rschircs a vaincu la morale du inailrr ; l'Iiuma-
îiité a fait un Dieu de sa faiblesse, de sa déchéance ; et les
jugements moraux sont désormais si bien assis sur cette bas-
sesse, sui- icttc maladie, (jur rii<)nime moderne inspire le
dégoût à l'homme, que to)it se « judaïse ou se christianise,,
ou se vovoucralise à vue d'u'il •>.
IV
lui ellVl. (|iii pourra (•omj)arer si-iieusemcnl la morale primi-
tive de la |iuissaii(e à cette morale abâtardie de la faiblesse,,
sans recouuailrc que l'homme a t'ai! fausse roule, qu'il est vic-
time d'une xcngeauce implacable cl obscure qui poursuit avec-
acharnement sa perte? I,'observatiiMi impartiale des faits, une
consultation socioIogi(|ue rigoureuse conlirmera avec éclat les
thèses historiques ainsi (|ue les informations psychologiques
les plus sincères.
D'abord, ce qui caracteiise la morale des esclaves, c'est (ju'idle
est une morale du rcssriif'niinit ; elle ne naît point de l'action!
spontanée, iiiiluiclle ri jibii' di' riiomme, mais au contraire
d'une réaction vengeresse contre tout ce ([ui est dilférent d'elle ;
elle commence par nier riiomme qui s'aflirme, elle est une
conspiration contre riiumanilc'. Taudis que la morale aristo-
cratique naît d'une triomphale aflirmation de rètre, la morale
des esclaves repose sur une négation du moi, c'est-à-dire de
ce qu'il y a de positif en nous. .\ielzs( he insiste beaucoup sur
cette constatation si intéressante ]iour son système, et c'est
avec un dédain superbe et un pi(''liiiemenl féroce que lui, l'aris-
tocrate convaincu, écrase rellV'miu('' rancunier de la moralité
victorieuse. Tandis que le no/i/r primitif se proclamait sponta—
nénumt le ù(jii, le /irati, V/inirrK.r, les impuissants, les oppri-
més construisent artiliciellement leur supériorité, c'est-à-dire
qu'ils n'affirment leur bonheur qu'en se comparant à leurs
LES VALEIliS MiiliALKS 603
ennemis, en ■•'r/i hnijnsanl à eux-mêmes. Le noble antique
l'Uiit frane, loyal, généreux sans efïoii, car loules ces qualités
sont inhérentes i\ Taction déliordante ifune nature trop riche
qui se répand : rimnime du ressentiment «■ n'est ni franc, ni
naïf, ni hiyal envers lui-même. Son Ànu' lumlic, son esprit
aime les recoins, les faux-fuyants et les portes dérobées...
c'est là qu'il retrouve soi} monde, .sa sécurité, son délassement. »
L'antinomie foncière qui sépare l'aristocrate vigoureux du
pâle déprimé de la civilisation moderne est si profonde, que
toute cette cultui-e morale, malgré des siècles d'expérience, n'a
pu ciuure d('voyer complètement le sens de l'humanité. La.
voix du fauve crie et rugit parfois encore, au fond de toutes les
consciences domestiquées, mais non asservies : ces féodaux
modernes travestis en esclaves ont des retours féroces à leur
brutalité originelle. Sortez-les de leurs salons, de leurs cercles :
ils retournent à la simplicité du fauve, ils redeviennent des
monstres triomphants, " la superbe brute blonde >« rôdant en
quête de proie et de carnage, et cherchant dans la férocité un
exntoire à sa surabondance de vie. Ils ont, un instant et
inc<insciemment. honte dr leur déchéance, c'est-à-dire de
l'homme mesquin et débib' qui tend à se substituer à eux :
" (Ju'est-ce qui me sulVo(|ue, qu'est-ce qui m'abat, semblent-ils
dire, air vicié, air vicié 1 quelque chose de mal venu s'empare
de moi ; faut-il que je respire les entrailles d'une àme man-
quée?... Divinités protectrices, si vous existez par-delà le Bien
et le Mal, accordez-moi un regard que je puisse jeter sur un
être complet,... un regard sur un homme qui justifie l'homme,
sur un coup dr bonheur qui apporte à l'homme son complé-
ment et son salut, grâce auquel on |pourrait garder sa foi en_
nouinif
11 ■>
Ain-i les diMix valeur> fondamentales de la morale l/mi et
iiiiuirais, hirit et iiml, sont en liilte perpétuelle, et le hoit qui, à
l'origine, avait les faveurs de l'humanité et de la conscience in-
dividuelle, a du céder le pas au iiKuiniis qui a coiiqni<. grâce
Mi Alhert I,M-iiMA1.NK
au ivssoiilinu'iil tic lu l'uiljk'^sc, i'oslinic, au moins arliiifioUc,
do l'opinion universelle, si bien que Ihonime moderne est le
fruit bâtard et vil de ce parasite inlirmc, éclos sur la tisio fé-
conde de la primitive humanité. 11 y a donr eu dans lliuma-
nité, et cela ilepuis des siècles, un renversemenl du coup dd-il
appréciateur de la moralité. Tontes les valeurs sonnent faux dé-
sormais, et les oreilles, hélas ! se bercent de ce lameidable
concert. I.,e ùoii, cest toujours Vaiitri' et jamais soi, c'est IKtat,
c'est Dieu, c'est l'Opinion, c'est la Vertu, et l'un ne s'aperçoit
pas que le tn dnis est l'ennemi, tandis que le />■ mi.r est le
seul ami ; que Dieu est mort, que hii'ii rsl Inr : que l'Ktal c'est
le " plus froid de tous les maîtres froids ■.. le réceptacle des dé-
<,'hets et (les superiluités r (|ue la vertu, que le sacriiice. que la
pilié ne sont ([ue pauvreté, ordure, misérahli^ contentement de
sa propre bassesse.
Une seule chose vaut : le Dmi. l'exaltation du nmi, la soif de
l'être, le sens de la terre, la volonté puissante ; c'est là que dort,
comme dans un jierme fécond, la destinée grandiose de l'hu-
manité, l'embryon du SiirlinnDiir, dont la brute primitive était
une ébauche superbe et une ('"clatante promesse.
Si de toute cette théorie, puissante, — on ne peut le nier,
— on enlève le mythe, le paradoxe, l'imprévu, le fantastique,
restera-t-il au fond de ce système une idée originale, \\n aperçu
vraiment nouveau, quelque chose d'incontestablement person-
nel? Nous ne le croyons pas.
Nietzsche est un vaste lleuve. ce n'est pas une source: il a
concentré, imilié, dans sa vaste imagination, des courants très
divers et parfois opposés; il y a, dans son système, des rémi-
niscences de Spinoza, le pessimisme grand-seigueui' d'un l.aro-
chefoucaultl : l'optimisme béat d'un Darwin, et, au fond de
tout cela, une contradiction flagrante, un mélange monstrueux
de di/iia»iis/tir outré et de fiiuili'otif inconscient. Je me souviens
qu'un jour, où j'exposais, à grands traits, dans une séance de
la Smii-li' Sdiiil-Thiimas d'Ar/iiiii le système nietzschéen, un
des assistants se récria : " Mais c'est du (iiirgias tout pur' ! •■
et. en ell'et. nous sommes convaincu qu il ne snuniil y a^■oir
en |dtiloso|)hie, et priiu-ipalennMit en morale. (|ue deux sys-
LI-S A'.lLEf/.'S Mnl'.ALKS iiOr>
Ic-mcs (•oncfvalpli'> l'I iliann'liMlciiicul (iji|)()>(''> : le système de lu
/i/in/io' cl le système de l:i ijiKinli'r, et ((iie le second ne peut
se soiileiiir qu'en eniprunliuit, à la dérol)ée. un fondement et un
ai»piii au premier. LorMiiu' Deseartes déclarait (jue notre des-
tinée, (jue ncitre liunheur consiste dans le sentiment d"une ^ct-
iocixon sfiistis nlKiiiu^i pf'1'fcitiiiiii.s:, il espérait Lien, lui aussi,
fonder une philosopiiie de la quantité pure, sinon de linten-
silé el réduire l'activité, qui fait le fond de tout èlre. au simple
sentiment d'une force qui se développe, sans direction aucune.
Mais comme, d'après son système général. Dieu, en créant la
matière, a introduit dans le monde une idée, une géométrie,
Descartes |)enit. sans se contredire, entendre par iicrfi-i thtn de
l'être un rappnx liement de cet être vers un idéal, vers une iiu.
Tout au contraire, le Stirhaintiic de Nietzsche ne sera qu'une
force, qu'une puissance s'exaltant sans cesse, qu'une intensité
sans cesse grandissante ; car au fond Nietzsche croit èlre un
mécaniste pur, et en réalité il l'est. Si l'on dépouille sa pensée
des voiles brillants qui l'enveloppent, il reste ceci que la force
nue, brutale, est la seule chose bonne, la seule chose qui ~i
justiiie, attendu que l'être n'est qu'activité.
Mais prenons-y garde : est-il permis, est-il légitime d'iden-
tilier l'activité cl l'intensité.' et .Nietzsche, en substituant la
puissance de l'être à la quanlilé iiiditlérente. indéterminée, n'a-
l-il point, tout comme Descartes, réintroduit dans son système
im élément qu'il voulait en bannir, la qualité, l'idée, la lin,
en un mot la raison.'
Nietzsch(^ semble s'être très bien rendu compte lui-même du
côté vulnérable de sa doctrine et il a voulu y porter remède.
Pour lui, l'exaltation de la force, l'abaissement de l'impuis-
sance étaient autant de thèmes heureux à des variations bril-
lantes, mais l'àme entière de son système, il le savait, résidait
dans sa théorie de la puissance, de la vnluiilr ilr /missanci'.
Par un adroit escamotage, que rend plus facile le vertige des
fausses lumières du style et l'étofTe protectrice des mouvantes
pensées, il substitue les uns aux autres les termes de forcf et
de ro/o/i/r, de /missancr et d'ar/i'i/r. sans se rendre compte,
ou du moins sans paraître se rendre compte, qu'entre ces con-
cepts il y a un abîme infranchissable.
(i06 Albert I.AFONTAINE
<< Exisor de la forco, éoril-il, qu'oUe ne se manifeste pas
comme telle, qu'elle ne soit pas une volonté de terrasser et
d'assuiettir, une soif d'ennemis, de résistance et de triomphes,
c'est tout iuissi insensé (|ue d'exiger de la faiiilesse qu'elle ma-
nifeste de la force, l ne quantité de force détcnuinée répond
exactement à la même quantité d'instinct, de volonté, d'action ;
— bien plus, la résultante n'est pas autre chose que cet in-
stinct, cette volonté, cette action même, et il ne peut en pa-
raître autrement que grâce aux séductions du langage (et des
erreurs fondnuieutales de la raison qui s'y sont figées) qui
tiennent tout elVd pour conditionné par une cause efticiente,
|)ar un « sujet ■■, et se méprisent en cela. De même, en elfet, que
le |)euple sépare la foudre de sou éclal pour considérer l'éclair
comme une action particulière, manifestation d'un sujet qui
s'appelle la fondre, de même la morale populaire sépare aussi'
la force des dlels de la force, comme si derrière l'homme fort il
y avait un Mihsinilum neutre qui sfrait iihrc de manifester la
force ou non. .Mais il n'y a point de sui)stratum de ce genre, il
n'v a point d" n cire i> derrière l'acte, {'('Ifcl cl le devenir; !■ l'ac-
teur " n'a été ([u'ajouté à l'acte — l'acle est tout ( I i. "
Fort bien, nous admettons que \iulr soii tout, mais Varie
n'est pas simplement la force brutale et aveugle : l'acte est une-
énergie qui se développe suivant une tin, ou tout au moins
vers une intensité plus grande; c'est une puissance qui devient'
autre, (|ui se divcrsilie. (|ui change du pis au mieux ou du moins
au plus, (h-, la (|uanlili' pun' est immuable, coniuie je raéca->
nisnie pur ; supposer un développeuKMit dans la quantité, c'est
y introduire la qualité. C'est qu'en elfet, le mouvement,
catégorie générale de tnul changement, ne peut pas plus se
concevoir sous la raison unique de l'unité, de l'identité, suivant
la thèse de Parménide. que comme un écoulement continu,
ainsi que le voulait Heraclite ; le mouvement, c'est-à-dire toute-
activité en état de développement, est une synthèse de la qualité
et de la quantité, de l'écoulement et du permanent, du inrtiir et
de Vautre, comme disaient les Anciens.
Nietzsche, tout simplement, a manqué d'analyse et traité-
1 Li Géitédlorjie de lu Murale, p. C4-65.
LE.S VMEriiS UiiHMES 007
l'activité conimi' une >im|il(' (|ii;intilt'. Ij' Siirhomtiic, c'est-à-dire
riiomme itcrriTtiunné ile l'avenir, ne sera tloiu- pointée j)roduit
formidable d'une prétendue force aveu^^le, qui serait au fond de
l'humanité, inconsciente de sa lin, privée même de linalité : ce
sera au contraire le fruit de l'activité coordonnée, de l'activité se
développant dans le sens de sa (in. dans le sens de sa qualité,
c'est-à-dire dans le sens de la raison. Peut-être alors le prêtre,
ce factein- de la qualité, aura-t-il un n'ile prépondérant sur celui
du guerrier, de la brute aristocratique, dans la fabrication de
l'idéal auquel tend l'humanité future.
Ai.MrRT L.VFONTAINE.
IV^ CON&RÉS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE
PÉRIPATÉTISME ET PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE,
par 11. i'ElLLALlSE 1 .
La syiiipiilliii' ilrs |i('ri|ial(''t ii'iciis |i(Hir la |is\ i-|inliij;ic ('\|i('Tiiiirii-
lalo et des partisans df la iisyclinlojiic i'\|iiriiiii'iilalr ]iiini- le |ii'ii|ia-
létisme est iiii t'ail.
Les [H'cniiefs. an lirii de m' dciiiaiidri'. axcc mauvaise Imiiiciii',
comme dr l'Miains |diilos()|>lies. «juidle peut l)ieii èlre l'iilililé de la
[isyeli(i|i!i\sii|iii' il lie la iisycliiinn-trie. de la |)sycliologii' ]diysiiil<)^i-
(]ue el de la |is\iliiilii^ie niùrliidc. an lien dr s'iiidif^ner an ninn si-nl
de psyeholojiie des laboratoires et des lii'ipitaiix. iionrrissenl, au eon-
'raire. |)inii' ees sitrIi'S di- reelierehes. des si'utinients de.tn's vive
1) Extrait ilu Coiiuile rendu des swiicps public aver le texte des mémoires par
le D' Pierre Janel. secrétaire général du Congrès. 1 fort vol. in-8", 20 francs,
(Paris. Kcli\ Aixan, élileur).
I.e compte rendu des séances et le texte des niémK.ies du IV' cotif/rès inlenia-
lional de psyrliolof/ie. tenu à Paris du 20 au 2(1 août 1900, sous la présidence de
M. Th. Kibot, de i'Inslilut, viennent de paraître chez léditeuv Félix Alcan. lis
forment un iuiportant volume de 800 pages contenant plus rie i'M conmiunica-
lions publiées in extenso ou résumées, iiinsi que les discussions auxiiuelles elles
ont donné lieu. Cette publication, faite par les soins de .M. le D' Pierre Janet, se-
crétaire général du congrès, prouve la vil.\lité do cette science, et les miins des
savants fiançais et étrangers ipii v ont apporté leur concours témoigneni de l'inté-
rêt quelle présente. La dassitication des sections adoplée dans le congrès a été
conservée dans le volume et sous les titres de : l's;/c/iolo(jie tliins ses lappnrls
avec Vaiiiitoiitie el la piti/siolofiie : — Psi/chologie iiiliospeclire dans ses rapports
(icpi- /" pliilosopliie : — l's;/cliologie e.rpêrinienlale et psijcho-physique : — Psyc.liolo-
i/ie pal/iolor/ique el pstjcltiatrle . — l'sycliolor/ie de l'Iiypnotisine. de la suggestion el
ciiieslions connexes : — Psychologie sociale et crintiiielle : — Psychologie animale
comparée, anthro/joloriie. ethnologie, se trouve rcpi-oduile l;i physionomie des in-
téressantes séances présidées successivemsnt par .MM. .\Ialhias Duval, X. liinet,
Magnan, Bernheim. Tarde. Yves Uel.ige. ou p.ir leurs collègues étrangers.
l'lusieui-5 tables très précises teruiinent ce volume : elles en faciliteront la lec-
ture et permettront aux liavailleurs de retrouver les éludes qu'ils veulent suivre
au milieu de tant de travaux divers.
i'i:itii'Ari:Tis\ii: et i^syrimuitUE E.xi'EiiiMi.yr.iLi-: cm
curiosilt' scii'iilitii|iii'. A \ Jnslilul pliiliixiijjltUjiii' de l,cniv;iiii. ils nul
<réi'' un laboraloirc de j)sy('li()U)gie pliysiologiqin^ cl ornanisi' clcs
«■ours de sciences à côté des cours de pliilosopliie.
I.cs seconds, reconnaissaiil la ni'cessité d une synthèse, au uiilieir
des documents IVat;iMi'utair('s cl t'pars. avec lesquels ils vivent danV;
un intime el liientaisaiil ciuitacl. smil unanimes à déclarer que la
synilièse uatucelli', où les trouvailles scientifiques viennent s'oi'dou-
ner d ellcs-iiiciucs. chacune à son rani;. ne se trouve que dans la lui'la-
ji|i\sii[nc ai'ishili'liciciiiic. Il suflit de i-M|i|iclcr les nniiis de' \\ iiiidt et.
d'.Mcxaudrc Bain. Ce <tcrnier. dans son livre llfs sciix ri de l'iiilrlli-
tjenci'.n publié, en a|)pendice, un résumé de la psycholof^ie du Staj;ii-ile.
Celle sympathie intellecluelle s'e\pli(|ui' pai- une ciiniiiiiiiie pi-i'di-
lecliou |ionr les méthodes objectives. De part el d autre, quand on
veut tirer de la masse, (diqueler el classer nn pliéntunène ipiel -on-
que de la vie intérieure el subjective, on se préoccupe de lui assigner
des maripies extiM'ienres et une notation objective. Sans dédaigiu'r
les HM'Iliodes subjectives nu I inti'ospection — f[ue rien ne saurail
i-euqdacer — nn cdiisidère couune |dus si'ieiililii|ue uni' l'hidc |>lus
impersonnelle.
Prenons des i'\i'[ii|ilcs. Pour étudier les si-nsatioiis, les images, les
souvenirs et les sentiments, l'idéal de la psychologie expérimentale
consiste à rattacher ces étals psychologi(iues à des ciuulitiiMis anato-
mi([ues et physiologiques, et, en particulier, an mcuivemcnl. Elle
.'sfime, en outre, ipie ces conditions ne sont pas extérieures à la
conscience sensible, ni accessoires et secondaires, mais au contraii-e
intérieures el essentielles. C'est ainsi que M. Ribot, dans sa /'■<'/-
iltiitiiijii' (les sriiliini'iilx, voulant préciseï' le rapport des conditions
organiques el des ciuulitions psyclujlogiques d un même ]ibén(uiiène
alVeclif. se rallie à la formule ["'ripatéticienne de la matière et cle la
l'orme : ou ne peut exprimer, avec pins d(> netteté et de force, le
r-aractère iinlliilrr de lorganisuu' et di' la conscience dans certaines
uiauifeslalioiis de noli-e vie psychologiipii'.
( ir. n'est-ce pas là du |iur |)éri|)atétisme ? .\rist<ite procède d'nin'
manière (dijective dans l'étude des sens, de la ménn>ire, de l'imagi-
nation l'I de l'appétit .sensilif. Le -îsl ■W/r,: et les opuscules connus
sons le nom de l'tirca niilurnlia sonl des traiti'-stle psychologie expi'-
rimentale. autant ipie des traités de métaphysique.
Leur auteur s'\ emploie à localiser les dill'érentes parties de l'àme
et à déterminer la part du corps dans les faits de la vie sensitive. Les
conditions corporelles \\v siuit pas extéi-ieures à la ccuiscience. mais
iuli''rieures. Les ■• [lassions ■•. pai- e\eiii]ili'. ~iiiii .ippi'h'M's des u misons
610 K. PEILLAUBE
niali'rii'Ut'S ", Ào-'o'. kvj'/.o: : et le liai nralish'. à ijui il a|i|iarliciil de Ifs
ilt'liiiii-. iliiil faire fiiti-i'i- dans sa déliriition les éléiiienls iiuilériels.
juissi liieii i|iii' les élémcnls formels. I^a eolèi-e nest pas seulemeiil
le désir de la venj^cance, elle est aussi un certain boiiiJIonneinenI du
.-sang aiiloiir du i-ieiii-. D'ailleius. ]M)iir Aristole, lorgane et la fonction
ne soiil pas extérieurs I un à l'aiilre, (|uand il sagit de la vie végéla-
live el de la vie sensitive : ce ne sont pas deux entités séparées,
l'omine le pensail Descaries ipii a ci-eiisi' un aliiiiie entre le corps
el I .•'une; l'or^iane el la l'oiielion ne consl il lient ((il une seule réalité à
di'iix l'ai;es distinctes. C'est le iiiiMii--iiie aristotélicien.
i^e ])éi'ipalélisnnJ .ipiritiiiilislr. ipii est le mitre, devient dualiste à
partir du voO;. Tout en admettant le pai-allélisnie de rima,ii;ination l'I
du ciuicepl. il exilnl de la déllnilioii de ce dei-nier les eiuidilions
;uiatnmii|ues et pliysiologiiiues. ipii i-eslent extérieures el ne ser-
vent ipie de soutien. Il ne pri'teiid pas qu un li(uiiine di'ci'ré'In-é pmir-
!'ait uormalemeiil exercer les tond iiMis de la vie iiilelle<'t iielle, — cai',
d'a|)rès lui, le conce|il est alistrait île rimaj;e. — mais il estime (|ue
le -l'j'j; est itUi-hisrijuinin'iil iiidi'penilanl des conditions corporelles.
Hii ri''suiiir', le |i(''ripatctisme et l,i psychologie expérimentale ont
une preféi'i'iice mari|iiee poiii' les méthodes objectives : ils tout une
très large place aux condiliiuis anatomicpies et physiologiques, qu'ils
regardent eomiiie aussi essentielles (|ne les ciuiditions psxcliologi-
(|nes el siilijei-| i\ es.
Il e>t nu point sur leipiel Aristole s'esl inoulii' plnslidèle à la mé-
llioile objeelive (pie la plupart des parlisans de la |)sychologie expé-
rinu'ntalê : ceux-ci suivent trop souvent les eri-emenis de raucienne
)is\cliologie.
1) Ordinaire, le premier chapitre de la psychologie est consacré à
la conscience et aux sensations, (lu y décrète « yj/'f'»/';. les uns. qin-
la conscience est un é|iiiihéuomène; les autres, qu'elle constitue toute
la vie psyciiologique ; les premiers, (pie les conditions corporelles
soûl le principal : les seconds, qu'elles sont l'accessoire.
Il est plus scienti(l(jue de creuser sous la con.science et même sous
la sensation, jus(|u';'i la racine même de la vie.
Kn suivani celle méthode, on voit se dégager d'aliord les uoli(uis
d'organe el de fiMiction, ])uis la conscience ipii sert de caractéris-
tique à certaines fonctions. La nutrition apparaît comme la base
physique de la sensation et de la conscience. Les manifestations
su|)érieures de la vie humaine sont éclairées par les manifestations
inférieures. Le plus simple projette sa lumière sur le moins simple.
rÉIlllWTÈTlSME ET l'SVCIKiUil.lE ICM'ElilUE.STAI.I-: (111
Cesl l;i iiu'lliodc (lijieclivc [lar cxcclleiirc. Aii^iislc Conilc ;i classe
h^ii sciences tl après les deg'rés de généralité déci'oissaiili' el de cnin-
|d('\ilé' criiissaidc, les plus f;é'iu'' raies i.'l )iar coiisi'm|ui'iiI 1rs plus
siin])l('s (li'xanl servir à éliklier les moins j;éiii''i'ali's el les moins
sim|des. I.a Hialhémalifjiie éclaire la pli\si(|ne; la |diysi([ne, la
cliiniie: la eliimie. la hiolo^^ie ; el la liiol<iL;ie, la s<ici(do!;ie.
Le -£-/: ■\'J'/',^ esl lin Iraili' de la vie. Arislole xciil (|ne la science
de la iialni'e eclaii'e la science di' l'àine : el, dans la science de IVinie,
([lie l'étude de la vie organi(|ue projette ses clarli's sur la vie seiisi-
live, et léluile de la vie sensitive sur la vie iulellective. Kn d'autres
termes, il ( xpli([ne, eu uu certain sens, le snp{'rieur par l'inférieur,
le moins général par le plus f;én(''ral, le nniins simple par le plus
simple : u'esl-ce pas le procédi'" l'ssentiel de tonte higiipu' de passer
du pins connu an moins connu ?
Il serait, (loue à désirer ()ue le premier idiapilre de la psyclndoj^ii'
l'i'd consacré à l'étiule delà vie.
Sans jeter le discri'dil sin' Temploi des im'd liodcs'' snliji'c! i\'es ipii
soûl indispensahles, nous souliailous de voir se développer l'usage
des méthodes olijectives, el se resserrer de |)lus en plus l'étroite
alliani'e(le l,'( pli ilosopliie et des sciences.
DiscrssiON
M. Séailles iF^aris) fait observer ()ue l'accoi-d i\f^ scolasti<iues
avec la psychologie .scientificjue est pins appareil! (pie rcM'I.
Pour le psychophysicien, la raison <lii coinpleve est ilaiis les
éléments, le snpi''rieur s'expliipie par rintV'rienr.
.\u contraire, le P. Peillanlie recoimaîl une vie propremeiil spiri-
tuelle qui <li's lors n'est pins i''clair(''e par la psycliopliysiipie el ipii
est la vraie \ie de res[irit.
Kn second lieu, par cela même qu'il y a \i[n_' vie spiritindle (pii est la
lin de la vie sensible, dont celle-ci l'ouruil les éléments et (pie celle-là
doiniue el organise, il doit y avoir nue aciion de la vie supérieure
sur la \ie inri'n'ienre qui est moyen el iiiali(''re par rappori à elle. Ih's
lors, dans ICxplicalion même de l'inférieur, lidee du siipi'rieiir doil
intervenir. La vie sensible elle-même ne doil pas(''lre ideiili(pie (die/
l'Inuimie et che/. l'animal, par cela même que chez l'homme il y a une
vie siqiérieui'e, une vie spirituelle, ([ni se sert des éléments de la vie
infériem'c. Le supi''rieiir doil n'agir sur riuf(''rieiir, la lin sur les
moyens, la forme sur la iiia!i(''re, i
:w
CI2 i:. PKlI.l.MBE
M. Peillaube i Paiis . — NOIi-e lionoralik' [irésidciil. .M. Stsiilles.
\(nit bien iiniis objeclcr i|ii(' l'accorcl est pui-cinent laclicc entre la
psycholof^ie cxpcTÏmenUili' ri le péripatêtisine spii-iiiialisle : si le voj^
est irrédiictihle aux sens, le supérieur ne peut être l'elaiii' par lin-
IV-rieur. e est au eonlraire I infi-rieui- qui est T'ejaii'i'' ])ar le supi'M'ieur.
ItKI'l (.NSl'i. — 1" La preiuièi'e (ihiection esl tirée de la uatuie même
lie la UK'lluiile positive el île la psyclKifo^ie expérimentale, ijui eon-
,-islenl à iilrntitiei- le supi'rieur et rint'érii'ur. nu. du ninius. à ne voir
riitre l'un et l'autre qu'une dill'i'rence île de^ré de eomplexili' : con-
ii'pliôn ini(U4eilialile avee le péripatélisuie. ipii sriulieul qiu- le
supérieur ne sr peu! i-aiiieuer à I inlérieui'. qii il \ a entre eux uni'
ditl'érenee de nature.
Si (pu'lques posil ivisic- nul eu la [iri'li'uiiuii dr ri'duirr liuil à
I unili''. la iiii'l hnde pi i>ili\ !■ ur iliiil pas en être ri'spiin^alile : elle a srn-
lemeut pour l'ssenee d allei- du plus eminu au moins eonnii. du |)lus
^éiu'-ral au moins };énéral ; ])ar exenqdi'. des mallu'maliques à la
pliNsique el à la chimie, ili' la pliy.sique et de la iliimie à la liioloi;'ie.
de eolle-ei à la psycholnj^ii' el de cette dernière à la sociolo;;ie. l'oui'
Justilier ce pi'Océilé, elle peut invo<pier tieux unjlil's. don! cluicun vaut
séparémi'ul : ou le supérieur esl ri''ductil)le à rinl'i'rieur. ou il su|)|>ose
l'I contieiil riuli''rieuravec un éli'menl luiuveau m plus ; ilan> les deux
cas. la mi'lhoile esl ii'i;ilime. Klle u'exif^e nulkMuent l'iilenlilicatioH
du su|)érieur el de l'iulériiiir. de la sociologie et des uiallii''iuatiqiu's.
De même la |isvclioloj;ie, traitée au mode posilil', ne suppose en i-ien
I identilicat ion de la vie organique, de la vie sensihlc cl de la vie in-
tellectuelle. Klle ((crmel de disliu^uei- li'ois fleures de vies, absolu-
ment irri'duclihles, |iouvaiil être vécues chacune par il es individus dif-
l'érents ou toutes les Inn- pai- le méuu' individu : il lui sullil que la vie
>npériem-e se l'onde sur la \ ie int'i'i-ieui'e. riulrlli^-eucr sur la seusa-
lion et celle-ci sur la nuli-itioii.
.\ussi bien, certains partisans de la psycliolngie expi''i'inientale, qui
.•.uiviri'ut .'i une iqioqui' les errements métaphysiques d'.\uj;iiste
Comte, acciiseid aujoui-d'hui des tendances moins simplisli's : l'inni-
j;inatiiui. mieux étnilii''e. leur apparaît de plus eu plus irréductible aux
.sens; la \ ir aU'ectivc. aulret'ois si peu connue, n Cst plus i-egardee
comme un ■^uccédanl' de la connaissance; la vie du voj; se distingue
avec plus lie précision de la vie des sens.
Il est donc loisible d'admettre des catégories d'êtres irréiluctibles,
notamment trois genres de vies, el de niuirrir eu même lemj)s des
>\ iupatliie~ pour la nii'l II ode positive et la psychologie ex pi 'ri me nia le.
l'IillinATÉTISMIi ET l'SYCIInUn.IE i:.\l'i:iil\li:.\T.\LE (il3
(il- soiil d'ailleurs des syiii[iatliies île métaphysiciens : après avnir
clierehé, de coiicerl avec les psychologues positifs, un (en-ain solide
ni'i l'on puisse iiietlie le pied, nous nous élevons, avec eux ou sans
eux. dans une i-egion moins matérielle où l'on trouve des esprits
ailés, de puissante envericure. dont, hélas ! la craiide du verti.ue
empêche (pielipud'ois de suivre le vol.
•2" Na seccmde t)l)jectioa ne saurait nous atteindre. .Nous reconnais-
sons avec M. Séailles que le supérieur réagit sur l'inférieur et que la
vie sensiliie n'est |)as absolument identiiiue chez l'homme et clie/.
l'animai. L'imagination, la mémoire et la vie afl'ective sensible de
l'homme se distinguiMit ]iai' un degri' d'activité, de perfection et de
délicatesse (pii tialiissent le voisinage d'une vie spirituelle, dont il
faut tenir couq)te p(uir étudier ces facidlés.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
DISCl SSTON A PROPOS D' a AVICENNE »
Lfllif <li' M. Il' llririiti Citrrd ilc VdK.i .
Monsieur le Dirccli'iir.
Vous lui' [ICI iiu'lln'/ ilr [■(■■|iiuiilrr ijurliiucs uiiils ;ui\ c-i'il ii|ui'S <|u';i
adresséi's M. N;ni. ilaiis \v niuui'io de juin di' miIi'c revue, à mou
(iuvi'af;(> sur Avicenne.
Il ne ii.irait pas en f^éiiéra! i|ue M, Nau se suil icudu loiil à lait
côuiiile (li'S ('(unlil ious (le uliui sujet. Il piMiiu'. pari'\eni|ile, le i-euvoi
aux sources ; c est exceilcul (juaiid les sources existent ; uiais ipiand
les ouvrages de iirernière niaiu sont |ierdus, comme dans la i|iieslioii
des Molazolites, force est de s'en leuii' à ceux de seconde m.iiu.
Vouloir (|ue l'iui ne parle pas ou (|u\>u ne parle ipi'en noie des sujets
(jui ne sont connus que de seconde main est une prétention exa-
gérée ; et je croi.s avoir pron\é |)ar le l'ait, en traitant des Motazélites
d'après Chalirastani et el-Idji, <|ue l'on pouvait encore, avec des
sources secondaires, écrire des chapitres inléressants et de fjuel(]ue
solidité.
L'auteui- du compte rendu trouve ma liililiograpliie d'Avicenne
insuftisanli'. .le ue saurais partager cet avis. M. Nau sait-il hien.ee
«jue c'est i|ue de faire la bibliographie d'un grand auteur nuisnimau ?
C'est un travail excessivement difticile, pourleipu^l il n'existe aucune
méthode sûre et (jui i)eiit prendre ])lnsieurs années, ])arce que les
titres donnés |)ar les bibliographes arabes ne sont ])as toujours iilen-
mSCVSSUiS A l'nnl'ns I) AVl(i:\SE ■■ 015
thjiio pour le inéine oiivragf. ijii'iiiic f;i;iiiili' i|ii;iiitilf di- ces
ouvrafîés sont perdus, (|ue d'autres sont apocryphes. (|ue quehpies-
uns existent dans des l)il)liotlièques orientales à peu près inaccessibles,
que plusieurs sont calalofçués sous d' faux titres, et qu'un certain
noint)re sont inqtrimés dans des imjjrimeries orientales dont nous
n'avons |)as les inventaires, et dont les produits ne peuvent nous
èlre coiimis ((ue par hasard. L'autre joui-, étnni à Constanlinople. j'y
triiiixai une impre.ssion persane de la hiknvi aldi d'Aviceiine : je
n'avais a /jriuri aucnn moyen certain de connaître à Paris l'existence
de cette édition, .l'ai dit dans mon livre que la bibliotiiéque de
Sainte-Sophie, dans la même ville, possédai! un manuscrit catalogué
comme étant la pliilosuphie illumhtalivi' d'.\vicenne. J'ai pu voir ce
mauiiscril : le litre en était faux. Et îles ei'reursd" ce genre ne sruit
|ienl-étre pas localisées dans le seul (d-ieul.
Les indications ({ue j'ai données sur les ouvrages d'.Vvicenue sont
suriisanles pour que l'on [)uisse se former une idée de l'ceuvre de ce
|ihilosoplie. Si des orientalistes veulent travailler ulli'rieureinenl sur
des portions de celte œuvre, ils savent fort bien ([u'ils auront tout
d'abord a rechei'cher les manuscrits et à en vérifier l'aulheuticité.
C'est leur affaire et non la mienne. Historien des idées générales,
c'est assez que j'aille étudier ces idées dans les ouvrages capitaux
présentement accessibles. — Quant aux non-orientalistes, je leur
conseille vivement, jusqu'à ncjuvel ordre, de ne pas Iravailler Mir
.\vicenne.
M. .Nau. i[ui me reproche de m,iu(pier en c|ui'lijiii > eu{lroils de
" précision ", ose dire qu'à l'époque d'Avicenne « le cycle des
sciences •• " ne renfermait presque pas de science ■•. Vi>ici ce qu'il
renfermait : Dans les sciences mathématiques existaient : les œuvres
d'.Xrcliimède, d'.\pi>llonius, d'Kuclide, de Tliéodose, de Ménélas. de
Floléniée, de Héron d'Alexandrie, de Pliilon de Byzance, de Dio-
phante. etc. : dans les sciences philosophiques, celles de Platon,
d'.\rislole. de Plotin. de Porphyre, des commentateurs, plus la mul-
titude des écrits de l'époijue. Km linguistique, l'on i)Ouvait apprendre
l'arabe, le |)ersan. le lui-c. le pehivi. lesan.scrit. riiindoslani. le grec,
l'hélireu. le syriaque, l'éthiopien, sans parler de tous les dialectes de
ces ditl'érentes langues tlont la connaissance devait être quelquefois
utile à des hommes qui, comme .\vicenne, voyageaient beaucoup.
Dans les arts, on avait la poésie avec ses multi[)les rythmes, la mu-
sique avec sa vingtaine de modes, l'architecture alors brillante en
Perse, la sculpture, la céramique, l'art des horloges, des orgues, les
arts hydrauliques et une foule d'autres arts accessoire-^. lùi religion.
Ci6 Baron Carra de VAUX
(111 récitait par cœur le Coran, dcjà tlaiH[iié d'énormes cniriiaçiilairt's ;
on étudiait la jurisprudence, scindée entre une demi-douzaine dr
grandes écoles : on apprenait les traditions, au nombre de plusieur>
dizaines de mille avec leur orij^ine et leur classement critique ; el
Jallais omettre la mysti((ue cpii constituait à elii' seule toid un art et
toute une science; on joignait rncore à cela un peu d'apiiloi^i-liiiur
('(uilre les Cliréliens, les Parsis et les.luifs. En histoire naturelle, on
avait la l)otani(|ue, la pharmacopée el la mi'deciiie. dont .M. Nau, san;-
cii avilir l'ail re\p('rience sans dnule. Jugi' i|ii elles cipiiN alaicnl à
celles du malade imaginaire, mais i|ui n en l'ormaienl pas moins un
volumineux répertoire très capalile de charger l'esiirit : on devail en
oiilre posséder sur les mœui's <les liéles les nnlioiis iiidispeu>alili'^
pour la vie domesli(iue. pour les Irauspoi-ls el pour la vi'iicrie. Si'>
sciences hisl(U'iipies comprenaient : riiislnirr des ipialii' |ii-rmiers
siècles de rislam. ciumne aliirs celle de Louis \l\ anjouiMlliui, plus
quelrjue chose (l(>s histoii'es étrangères : la connaissairce de I étal po-
liliipie et administratif de l'Orient avec ses rac(!S diverses, avec ses
pritici|)autés, ses villes, ses dynasties locales, forma ni iiii Uuil plu^
com|)lexe <|ue la fédération achndie des Klals germauii|ues. I.a géo-
graphie c(Hisistait dans la descri])ti"n du \asle monde musulman,
acccompagnée de notions sur- les autres conln'es. dans la cmiiiai'--
sance des récils et di-s éci-ils des voyageurs, el . -^i j use le dire.
dans un |ieu de l'olklure. lùiliu, ce pouvait être un devoir di' s initier
à l'art du gouvernement el au nu'Iierdes armes. — Maintenant « pre-
nez un hacheliei- de seize ans ■> si'Ion la recelti' de M. .\an. el consta-
le/. ijue II' cycle de .sa science est plus large que celui-là ! V.n vériti'.je
suis bien pei'suadé que si Avicemu' a prélenilu avoii', à dix-huit ans,
connu la sonnne des sciences, ce n'esl par jiarce (|ue celle somme ne
renfermait '< pas de science », mais pai-ce que uoire héros était un
peu vantai'd.
D'ailleurs, la science eùl-elle clé alors beaucoup moins l'ieuilue ipie
je ne viens de dire, il est encore bien clair que. lor.sque nous admi-
rons les graiuls savants du pa.ssé, ce n'est pas sur leur science niéme
que se porte surtout notre admirai ion, c'est sur leur puissance intel-
lectuelle. Nous les jugeons dans leur ndiieu el dans leur temps, et
nous louons non pas tant le site même où ils se sont trouvés phu-és
que les mouvements qu'ils ont accomplisà partir de ce sile.
L'auteur de la critique a cru devoir défendre contre moi les spé-
cialistes modernes. Je ne les ai point attaqués. J'ai exprimé beau-
coup de sympathie pour les experts qui sont encyclopédiques ou
qui cherchent à l'être: mais je n'ai nié ni l'utilité ni le mérite de la
LES DILEMMES DE LA ME rAI'llYSlQVE l'IliE 017
S|i('ci;ili-.il iiiii. ce (jiii ci'il v\i- uni' iil Iriiih' a mes |irii|in'-- hM\.iii\.
l'jiliii. M . N.iii a ilc'cliiri' i|ii'il li-iiii\:iil peu si'riiMix le ni\ I lie de Salii-
iiKiii l'I il AliMil par lri|iirl j al Irniiini' I imi\ raj^r. O iiivllic rsl. pinir-
taiil, Miiis riiiilr>lr, liirl juli. l'I il lll.'l ail ImiiiI iIii iixrr iliir iiiili' trr-.
i-arai'li'risliipir, Irès vivi' t'I 1res siigf;-('sli\ r.
.Il' ne iiii' (li'li'iMlrai pins ipi'à dciiii sur un ri'pi'orlir ipii lu'csL eu-
cure l'ait liiiirliaiil la l'arou iloulj'ai eiii|ilii\é le luid (//(().s7/r/;(e. .le sais
([ue eel riiiplni priil u'i'li-e pas loiil à lait h'^iliiiie. Di'j.i. ilans lumi
ouvraj^e Mir /<■ iii'iliiiiiirlisiUK, je iiu^ suis sei'vi du uiol de la illèuie
l'aeiMi. el j'ai i'\pliipu' eu ret endroit ipie J'avais besoin d'un ternie
pour designer l'iisenilile tous les systèmes dans lesipiels la Ihi'iuae
des êtres inlerniédiaires entre Dieu el riiouuue l'Iait ti-ès (Jéveloppi'e.
.l'ai (dniisi le tei'ine iinus/iijiir. en atlendanl cpie I un nreii pi-oiiose. un
aiilre, el l'aille d'en trouver un nieilleiir.
Il reste t\ni\c ipie. sur les Sept eritiipie^ de M. Naii, il v êii a au
moins six el demie d iimliles...
Quant au eiini|ite rendu hi i-mi'ine. il ne met en reliel' ni l,i Uoii-
veanti' jj,r'ni''r;de de I ouvrai;i', ni son plan, ni ses I lièses iirii;in;des.
ni ses idi'es essent i elles. ( tn p.arail le donner eoiiime ineomplel , alors
ipi il eiinlieiil tout ee ipi'il devait régulièrement contenir selon sou
l'dendue et son cadre, a\ec liuites les n'IVrences nécessaires pmir
permettre l'accès à de plus grands di'lails. — Jihst r.'iclion t'.-iife, je
r.iviuie, de ces légères oiuissions uu\i|uelles tout auteui- est ex|)Osé
d.ins 1,1 première édition d une œuvre diriicile. M. Nau tend à u v
voir ipiuii (invi-age de vulgarisation, alors ipie toutes les eoneept ions
en ont l'té tra\aillées à m'iit, et qu'il repose en inajeui'e |ia,rtie sur
des textes arabes doni les nus, comme les h'jiîircs sur la sa(/essr,
édjti's eu (Irienl, .ixaient a peine l'Ii'' lii> en Occident, el dont tel
.■inti'e. eiimiii.' le \niljiil. l'dite anciennemenl en (Iccident au temps
où la Sciil.isl iipie yt'tail encore régnante, ii'a\ait peut-élre pas élé'
relu depuis deux cents ans.
LES DILEMMES DE LA MÉTAPHYSIQUE PURE, pu Charles
liE.NOUviER, 1 vet. iu-S", liNil pugcs. Paris, Alc\x, rjnl.
Il e.-t ju~le de signaler en ,M . Cliarles lieiiouvier une connaissance
l'Ieiidne des svstèiues pliilosopliiipies anciens et modernes, un esprit
pi''ni''tr,anl, nue criti(jue th'liée, et le di'>ir d'arriver à une solnliiin
délinitive des prohiènies de ini'lapliysique ipie la r.iison liiiinaine se
pose depuis ipie riiomnie ré'lir'chil sur ce qu'il est , dOii il vient, et on
618 J. GARDAIR
il va. L'aiiteiir l'ait preuve aiis^i d'une vérilahle indéiieiulanco à
l'éf^ard des tliéories les i)lus eu vogue, par exemple vis-à-vis du kaii-
lisme, qu"il ne craint pas de critiquer assez vivement, el du positi-
visme matérialiste, dont il met à nu linsullisance.
Kn face des thèses de la théologie chrétienne, l'attitude de M. Uc-
nouvier est très originale : il accorde à ce qu'il apjielle <■ la philoso-
phie joannique et son interprétation nicéenne ", c'est-à-dire à la théo-
logie de saint Jean et du Concile de Nicée sur " le Logos » ou Verhe
divin, le •■' droit à une place entre les doi-ti-ines (jui ont proposé des
solutions du [U'olilèiue du passage de 1 Incoud il ion né au (".oiidit ion né » :
et il ajouli' spirilui'lleiiH'iit (pie, si elles n y ont pas droit. <• ce n est
certainenii'ut point i\uv toutes les doctrines ([u"on regarde comme
strictement philoso|ilii(pies soient ](ourcela ]>lus l'ationnelles ( p. .'{;{' ».
Mais il écarte ce ipiil nommi' ■• la luytiiidogie de l'incarnation ", et
il prétend que •■ renseignement sidire de .Jésus, ses paraboles, qu on
avait recueillies, et les légendes de sa vie ne fournissaient |)as léqni-
valeid d'une philosophie ••, et «(ue niénu' ■■ la philosophie de .s;iint
Paul, encore toute messianiipie et consacrée aux iiiiestions morales
du ])éché. de la rédeinplion. de la grâce, et de la résurrection du
Christ, élail humaine cl prali(HH' au plus haut degré, hostile au gims-
licisme ■>. Pour lui l'antenr de VEpîtii' aux Hébreux est inconnu, et
tout ce que l'on peut dire, c'est ((u'il était contenq)orain de l'apùtre
saint Paul. Ces incin-sicuis dans le domaine de Texégèse, en un livre
de |)hik»;opliie, nous paraisseid regreltahles. et ce jugement som-
maire et sans iléliat qui traite l'iucarnalion de mythologie est inad-
missible.
D'ailleui's, M. l{euou\ier montre une grande justesse de coupdo'il
dans l'appréciation du désarroi où sépuise noire époque, par le
défaut de direction acceptée en pliilosoi)hie. ■■ i/exactitude et la pré-
cision font défaut dans l'enseignement des pi-incipes. dit-il, et on ne
sait pins bien ce qu'il faut ci-oire et ce qu'il faut ré|>udier des grands
^vstèmesdu passé. In positivisme qui s'est beaucou|) ré|iandu. sans se
donner ce imm. fait abandonner les hautes questions pour des
recherches de petite portée. Ceux des philosophes (pii conservent des
convictions sur les pointsessentiels des anciennes controverses n ont
entre eux aucun lien logi(pie ou dogmati((uc et ne reconnaissent
d'aulorih'' nulle part... .Vu milieu de la dispersion des idées, on m*
voit ni couunent il serait possible, à moins de jjarvenir à quelque
nouvelle institution d'autorité intellectuelle et morale, de faire
accepter aii\ esprits une méthode coniLunne. et de les unir dans les
méiaes croyances générales, ni d'où pourrait naître cette aulo;-il;''
/./•;.s lui.KMMi.s iih: LA MiyrM'iiYsiovK /•(•;!/•; 6io
fondée sur In l'aisoii i|iii m l'Ii' li- rêve du soeialisine |)i'iuliiiil la pi-e-
inière inoilié du \i\' siècle, el qu'on a heaucoup perdue de vue dans
la seconde, pour ne eousulti'i'. d'un ii'ili', ipie les intérêts, et, de
l'îliitre, ne eoinplei' que sur- la violence p(Mir la réforme de I ordre
social (p. 2(il . ■• Nous avons suppiMUU' de cette l>af<e remarquable
une phrase qui nous parait exagérée el ipu' voici : ■ l.'anloi'ilé de
l'Église, pour les personnes (pii s'y rallaclienl , en dehors d'un clergé
sans espr-il el sans inilialive. esl loule de senliuienl xa.^ue ou d'intén''!
polili(|ue. " Malgré' loul , il \ a encori' îles ealholi(|ues (|ui ont'une
véritable foi en l'Église, qui adhèrent en conscience à ses décisions
dogmatiques el voieni dans ses Conseils mêmes nue haute sagesse,
une précieuse orienlali(ni, (ont en gai-dant une jusie liherlc' d'espril
dans les (lueslious on elle n'a rien décidé. Quant au clergé calhn-
lique, nos lecteurs savent conihien de nos piêlrt's ne niau(pient ni
d'iuilialive, ni d'intelligence.
Pour aider ses contemporains à pri'iidre paiti eulre les divei'ses
réj^uises faites, ilans la snile des tcnqis, aux (pu'Nlions fundauien-
tales de la nudapliysique. M. Ilenouvier dresse, sous le nom d ■
" dilemmes ••. une tlouhie liste de solnli(ins opposées, contradic-
toires, enire lesifuelles, pense-l-il, un philosophe rétléchi doit choisir.
Cha(]ue dileunue comprend une thèse et une antithèse. Dans le pre-
mier, ïinrdiiililiiiiDir s'oppose comme antithèse au cmidi/iiiniir : dan--
le second, la .subslanci' ii la simple loi ou foiiclimi (/es phihtomi'in's :
dans le troisième, ïitifini au fini ; dans le quatrième, le ilrleniiiiiisMr
à la lihcilr : dans le cin(|uième, la chose h la personne.
Mais l'aulenr avoue lui-même que la série des thèses n'est pas telle-
ment liée en logicjue rigom-euse que celui qui admet une des thèses soi!
contraint d'accepter Imites les auli'es: el, de même, celui qui adople
une des aniilhèses n'est pas forcé d'adhérer à toutes les antithèses.
Il n'esl point absurde de croire, ]iar exemple, à la siihsirnire el à la
liherlr. .\n surplus, hirs même qu'une thèse ou une anlilhèse sendile
conduire logi(puMueiil à lelle autre thèse ou à telle autre antithèse,
ce n'est pas à dii-e que tiuit pliiloso|)he atlmettra celte consécjuence :
on peut supposer qu'uiu' raison cachée autorise à nier cette consé-
quence et à |>osei- une conclusion en apparence contradictoire.
Néanmoins. M. Henouvier estime (pie les thèses des cinq dilemmes,
le ciiiiflilidiiiir, la /(//, II' liiii. la lil/cr/é, la personne, sont encliainées
entre elles par le /jrinripe d'' relalicilé, ipi'elles afiirmeni et (pi'elles
appliquent aux notions f(uidameutales de la mi'lapliysiqiie : et, i|ue
d'autre part, le^ aniilhèses sont unies entre elles par leur oiqtosition
commune à la reldlivilé. [irincipe des thèses. QiianI ,i lui. il ■^:' décide
(•i2.> J. CAHDAIH
iietleiiient pour l;i relativité et pour le groupe des ciiii] thèses : en
d'autres termes, selon son senliuient. tout est relatif, et pai- là cou-
eevable pour notre espi-il. didinissaiile pai- di's relaliims ipii sont îles
l'oruies o\i des lois de notre connaissance: rien ne peut être dit absolu
en soi, sans i-elation interne, sans relati(ui exteriu', parce que l'absolu
i^st inconcevable pour nous. L'être premier est relatif à ce monde
phénoménal : il est conditionné en lui-même et a rapport avec Timi-
vers. La substance n'est iju'uu sujet loiiii|iie de rpialilés et de rela-
tions, soit essentielles pour la concepticui de ce sujet, soil [louvanl
s y rapporter dans l'ordre de la peiisi'e un dans ceini de rex|)érience;
elle n est pas un être en soi. (jue ninis lu' pouvims ni connaître, ni
déiinir en lui-même. Le moude des phénomènes est nu loul Uni.
limite, ayant en un cominencemeut. occu|)ant une étendue bornée,
composéde parlieseii uoudirefini. Certains phénomènes sont exempts
d'une détermination inlé}j,rale et rigoiu-euse par leui-s antécédents el
leurs circonstances : il existe des actes libres el il |>eut y avoir des
variations accidentelles, spontanées, non nécessaires, dans les faits
naturels, oi-j!,aui<pu's' ou iuorj^anicpu's. Kniin, la conscience esl inin
seidement le priin-ipe de la conuaissanci'. mais eiu'ore le |)riinipe de
l'être en lanl que connaissable aussi bien ipie ciimnie luuuaissanl :
Inul <•(■ ipii existe esl conscience à (juehpn' ilej;ré ; la ])ersoune esl
une cunscieuce d'un deuré supérieur, capable de prendre |iour objets
elle-nu'Hie el ses l'Ials lui ses aeles, el paj- l;i d elre par! ii'llemeni la
cause de ses idées ou de leurs ruodilicali(uis. " La cause du moude.
c'est-à-dire de l'ensemble fli>s cmiseiences el des idées objectives el
subj(>clives en leur |irincipe. esl l»ien l'ei-soune parfaite, Iutelli,u;ence
universelle el scuiveraine, Volonh' adéipuile à l'inlelligeuce p. i'ii,. »
Celle métaphysiipie, à hupudle aboutit la criliipn' faite par M. Re-
ninivier de liudes les pliilosophies de lanliipiile et des temps mil-
lièmes, nous paraît li'iip saci-ilier l'absolu an relalifet ini'ciinnaitre la
leudauce invincible el raisonnable de l'espril liiiniain a chei-idu'r au
fond de tous les ))hénomènes un sujet l'éel, l'I non pas seideuieul
lofi;i(jue, (]ui les {)0rte et les soutienne, à reuumler an-di'là de Ions les
lem]>s ipii se .succèdent et de tous les mobiles ipii i''\iilneiil. jnsqn à
nu Ltre intemporel, innnobile. éternel, bien que Innl actif, et à ne se
reposer qu'en afiinnaul, au-dessus de toutes les existences par-
ticulières, coul ingénies, nue Kxistence indépendante de toute autre.
radiealemeut et iuléf;ralement première, idenliipu- à l'Lssence de
son sujet, principe qui crée el conditionne tout ce qui n est pas lui,
sans élre vraiment conditionné jiarrieu de ce qu'il |)n>dnil.
Nous pensons que les " dilemmes ■> posés |iar lanleur ni' doiveuL
LES DII.I-JlMi.S m-: I.A METArilYSIUl !■: l'I'IlF.
li-21
pas se i'i''Siiiiilr(' |iai- II' clioiN cNcliisir dr la llièsi' (ni de l'aiilil lirsr
([ii'ils ciiiiipri'iiiiciil . mais |iliil('il par une syntlu'si' plus priifoiuic.
pc^H'Iranl Jnsipia l'iiuih' l'diiclaini'iilali' ipii s'i'païKMii! . à la sui'facc,
ru divci-sili', iMi i-(iiili-adicli(Ui appai-ciilc, cl saisissaid, an risi[iii' de
lie pouviiir l'cxidiipu'r iprimparrailcmciil, la (■(iiiipli'xilc ipd iiail de
l'iinih'. la iniillipliciU'' (pii se l'onde sui' la siinplicih' de liiul prin-
(•il)e c'onslil ulir dCxistcncf.
KssayDUS de dunncr un apcr-cn un peu plus ddailli' dr la iinda-
pliysi(pn^ pins riche el pins C(iinpi-i'hensi\ e par laipielle ikuis voudrions
reuii)lacer celle de M. Renonvier.
Connue I auteur, umis |iai'veu(nis à la uolimide la cause supriMiU'
(In monde en at'lirniant la nécessilé raliouuelle de s'arrèlei' à inie
cause première non causée, i|naud ou rechci'clie, eu remonlaul de
cause eu cause, de conilitiou en condition, rori^ine des choses.
(Tes! là, sans d(nde. l'applicaliini d'une loi iulellecliH'Ile qui force
iMiIre espi'il ;i ieruiinei- la cliaiiu' des ivdalions causales par un
aniu'an ipu' rien ne pi-écèdc : mais, si cetli' loi C(ndr;iiul à poser (pie
Ions les chaînons suivants oïd besoin des chaînons pi'i''C(''dpnls pour
exister, elle ne soumet pas le jiremiei' anneau à nue iK'cessiti'' de
r(dal iou avec ceux ([ui le snixciil : loiit au coni raire, la ca use premii'' rc.
(■'tant u(''cessaii'ement con(;ne comme existant sans cause, l'est par là
nu'me conmie ayant dans son essence propre la raison de son
existeiu'c, c'est-à-dire ciniuue r(Un'i(''rem(Md in(](''pen(laul e de loiil ;iul |-e
('■Ire. Si nous ne p(MiV(nis la (l(i''nioutrer ([u Cn partant des aidres ri'-a-
liti''s et au moyen du principe de r(dativil('' ((ui nous oblige à. les lier
à niu' realili'' piaïuilive de laipielle elles d(''rivenl, si ni(''nu' U(nis ne
pouvons ciMicevoir cel le r(''alile prenui''i'e (jue par ,'iiialcii,;ie a\i'c les
sujets <pn lieuuenl d idics ce ipi ils scuit, néanmoins nous concevons
clairemenl (piidle existe parce <\\\v sa nature mèiin' esl d Cxisler
sans cansi' el . p;ir cousé(pn'nl, sans aidre raison d V'Ii-e (pu.' celle
u\énH' nature : si aucune l'elation de soumission à la causalité ne
lui est nécessaire p(nir être, nous voyons, à n'eu pas douler, ipie la
relati(ui ipii l'ait (h'pendre d'elle les èti'es (pi'idle cause, ne saurait
la rendre (h'pendanle de ceux-ci; ils ne peuveul se passer délie.
mais elle n'a pas besoin d'eux.
.\iusi, nous dirions ass?/. V(doidiers avec M. lienoinier : - On
admet une cause au momie, par hnpielle son uuilé et s:'s lois soiil
exlérieui'cuu'ut constituées. Lors(|n(' ensuite ou se pose la i|in'sl imi de
l'application de la cat(''f;orie de causalité à la cause premii're elle-
même, connue réclamaut nue (n-i};ine et niu' cause, on se couror'me
au principe de relalixili' eu ciuotalaid la ni'cessili' loL^iipu' de mettre
022 J. (;audaiiî
un Icriiic à la [■(■•lnij;i-aiIalioii tlii coiulitioniifint'iil. La recliiTclie, sans
cela, irécliappe |)as seiileineiit à \i\rpi'u-iencc possible, coimiie Icsjiliis
(•oniiniines questions de la métaptivsicjiie : elle sort des limites de
y itilrlligfitice possible (p. 53). » Nous accordons même que, dans notre
coiice|>ti(ui de la Cause première, ikuis ne pouvons l'aire entrer (jue
des éléments empruntés aux réalités secondes, et ([lu^, par conséquent ,
nous iu:> saurions nous représenter l'auteur du monde par un c<uicept
ahsdlument étranger à la forme de nos autres idées. Mais, en coni-
[iiisaut ainsi l'idée qm* nous nous fai.sons de l'Être j)reinier, nous
savons cl uiius aflirmons que son essence est absolument transcen-
dante en conqiai-aisou des autres natures, (pi'elle n'est point du
mémegenre. et ipie. précisément à cause de cette ti-anscendauce etde
cette hétérogénéité, nous ne pouvons pas la connaître telle qu'elle
est en soi. Kn somme, nous prétendons démontrer l'existence du
Principe premier que tous appellent Dieu : nous le concevons comme
Être absolu, su|)érieur à tout, indépendant de tout, et cause de tout :
néanmoins nous n'avons point l'outrecuidance ou la na'i'veté de croire
que nous muis représentons Dieu tel qu'il est. C'est assez de ne pou-
voir nier (piil existe: ce serait même le rabaisser inlinimeut que de
le supposer représentable j)ar notre esprit borné.
.\ussi reprochons-nous à M. Renouvier de nous oITrir un Dieu tro|)
l'ait à l'image de nous-mêmes : cet anthropomorphisuie ne nous con-
tente point. .N(uis reconnaissons, néanmoins, que le théisme de
M. Renouvier est celui d'un esprit élevé (pii clierclie à t(.)ut com-
prendre. C'est, certes, di'jà (|uelque chose ({ue de dire comme lui :
<■ La condition tles conditions est la Conscience considérée dans son
expression suprême, c'est-à-dire dans la jilus parfaite léalité conce-
vable de la ]>ersonnalité. de ses attributs et de ses fonctions. Lu elle
seulement, dans l'idée (jue nous en atteignonsen sublimisant nos
|)uissances propres, nous (•om])renons ce ((ue l'éti'e et l'origine ont
de conqu-elieusible : Dieu [lar le monde et le monde par Dieu, l'intel-
ligence par l'intelligence et la volonté par la volonté, puisque ce sont
des faits de conscience irri'diHMibles. L'idée de la création est abor-
dable pai- celle de la liberté. ]>riucipe de commencement, et par le
sentiment de la vie, par l'amour, principe des tins. Ce sont les formes
inlelligililrs di' la Relation première (p. -l'G). » Mais il faut ajouter
que cette relation du monde à Dieu n'impli(pie en Dieu aucune
nécessité de créer l'univeis. et (pie, comme c'est tout à fait librement
que Dieu crée, il demeure dans une indépendance radicale à l'égard
de I univers et reste absolu en soi tout en créant un monde qui lui
est relatif : la création, en etlel, ne pose rien diuis le Créateur et ne
LFS DILEMMES liE LA METM'IirsKjli: l'IltE (V23
II' inciililic iiiilli'iiit'iil : il en ]-r>siilli' sciilcini'ul ilaiis les créaliires
i|uelqiie ('xislciici' (U'iiendaiilc du Cri'alciii-. ri (iirclles tieiiiuMit coii-
stamnient de lui. sans i|iip lui suit lié à idlcs.
Dans sa llit^oric uriïativi' ilc tnuli' sul)staiici' et alliiiualiv»' srulr-
ment de lois assmihlaut des ])lii'ii<)iiièiies et liaiil des iiualités à ces
assenililages. M. Uenouvier nous pai-ait avoir, coinine dans sa théorie
de rineondilionné, diuiiiiué la viM-ilé et inéennuu la portée di' l'iiilel-
ligence humaine. C est avec wwi' évidence natui-(dle ({ue nous coiici'-
vons un être comme sujet réel, réellement existant eu soi. portant en
soi les propriétés qui h' caractérisent et acquérant ou perdant les
qualités qui le modifient : et c'est un tel sujet positil' et concret ([ue
nous appelons une sulislance. Ce serait confondre l'abstraction avec
la réalité, la logi([ue avec la métaphysi(|up. ipie di^ dire avec M. Ue-
nouvier : " Il n'existe pas de sujet en soi, indélinis.sable en soi
l'omme objet de connaissance: mais tout être réel doit se définir
comme une fonction de phénomènes assemblés sons certaines lois, et
comme le sujet logique de toutes les relations qu'il soutieut et de
toutes les qualités qui lui appartiennent (p. 98). » Une fonction est
un rapport et non pas un être, un sujet logique est une forme de
pensée et non pas une individualité existante, et ce n'est pas cela que
nous concevons quand nous avons l'idée d'un être réel. S'il n'y a que
des phénomènes et des rapports de phénomènes, il faut que certains
phéiuimènes soient des sujets réels, des êtres subsistants, ayant des
rapports eiili'e eux : ce sont ces |)!iénoaièui'S qui seront des sul)-
stances. Mais construire l'univers avec des phénomènes non substan-
tiels ou avec de purs événements, comme disait llipiiolyle Taiue.
c'est imaginrr uu monde sans consistance, sans réalité, c'est rêver
ou diva,icuer, ce n'est pas penser sainement et sérieusement. Supposer,
par exemple, une conscience sans sujet réel doué de cette conscience,
c'est substituer l.i lonnc au Ruid. vider la natui-e et remplacerla
réalité pleine par uiu' apparcMice creuse : ce n'était pas la peine de
re|u-ocher an moyen âge l'habitude exagérée de réaliser des absti-ac-
tions, pour aboutir, au xx'- siècle, à uu tel abus de logique. Sans
doute, nous ue connaissons les substances que par leurs pi'oprii'tés,
lein's qualités, les phénomènes qu'elles nous présentent, et. par ((ui-
sé(juent, c'est au moyen de ces formes d'être que nous définissons,
comme nous pouvons, le fond des êtres : mais ce serait umliler la
raison humaine qin;^ de lui dénier le droit d'affirmer ([tw la surface
des choses envelo|ipe un noyau substantiel. Disons seulement que
ce noyau est en relation naturelle avec son enveloppe et que les
deux composent la réalité complexe du sujet.
024 J. fiARDAIR
L;i sdliiliiiii (|iii' (liiiine M. KcnouvuM' du (lili'iiime sur le Uni (>l l'iu-
liiii esl plus admissible, si toutefois on limite le pi-oblèuie aux èli-es
créés : là ou peut accorder que, daus l'espace actuellement el dans
le temps passé, toute midtilude donnée de phénomènes donnés el
distincts pniuve un tout qui est un nombre déterminé, el que la séj-ie
des événements écoulés est- tinie comme est Unie aussi la quantité
des éléments réels el distincts qui composent le monde présent. Tou-
lel'ois, je me permettrai de faire observer (pie la série du lem|is futur
se prolouf^era indéliniment. si l'on admet que l'univei's ne sera pas
ilétruit. ce (|ui esl {généralement admis; il y aura donc, dans celte
liypoliièse. une extension en (pielque sorte inlinie dans l'avenir el
nue suite non lerminée de phénomènes d<inl la (|uanlili'> ne peul pas
élre iiu'suriT par un numi)re. l'oiu-quoi dduc n'y aurail-il pas de
même unt^ succession indélinie dans le Icuqis passé el une mullilude
réellemenl iinininlfiahlr i\i> i';i\[s ari'ivi''s? (!ertes. ilepuis un momenl
i|uelci>nipie île liiut ce passé jusqn à I iusl.iul pi-(''seiil. la suilc des
(■'vénemenis esl Unie el leur sonmic esl un nondiri' ilélerminé : mais
ni' peul-on pas reculer iiulélinimeid le jxiiiil d'oii l'on commence à
cdHipler ii's plieuduiènes passés jus([u'à ce jour? Cel inlini de lenips.
en arrière, me parait aussi possiJ)le que l'inlini île leuips. en avaul,
daiis l'avenir. Il ne faut point confondre ce [iroblème avec celui de
lacréalicMi : un ukuhIc indéliniment successif, qui n'aurail ]>as com-
mencé dans le lenq)s el qui ne linirail pas dans le lem|)S. pmirrail
néanmoins avoir été cr.^é par un Dieu éternel. Lindélini dans la
durée successive ne rendrait pas nécessaire un tel univers; il reste-
rai! contiiifient. insuffisant à s'expliquer- lui-méiiu\ à posséder en
soi sa raison d'être, el, par consé<[nent. aurait besoin d'un créateur
doni il resterai! !(i\ijours di''pen(laiil. .Mais, dans le Créateur même.
I inlini a un autre sens: il s exprime par la foi'uiide de Boèce que
cile .M. Henouvier p. Kili'i : InicrminaliUis rihr hila siniiil ri perfrctn
j)(isitt>ssiii. possession loul entière à la luis e! parl'aile (rime xie sans
limite. M. Kenimvier a raison de penser (jiie. si I on enlend le mol
iiilcrminiiliilix comme " l'attribut d'une vie (jui s'écoule ". la formule
" est un assemblage de deux idées contradictoires ■■. puis(pu> loin
shinil l'sl la négation de cet écoulement ■>. Mais pour Boëce.
comme pour Ions ceux qui ont adojilé .sa délinition de l'éternité,
iiilrnnliiiiliilix signifie seulement la négation de toute limite, de
loid conuHencement comme de loiite tin. de même (jne lohi siimtl
\('ul (lire négatiiin de toute successidii. (»r. il ny a aucune coii-
Iradiclitm enli-e ces deux négations: au couli'aii'e , elles se com-
plèleiil muluellement el ensemble donnent l'idée nette de l'éter-
LES DILEMMES HE L.l METAI-Urstul E ITItE G23
iiiti'. a(iii;ilili' iniiiL.iiiciilc d'uiir \ ic |i;i|-raili' rn >iii ri i iilrjii|H)ri'lli'.
An siijcl (In iliirnniii' ruli-i' le (ioterininisnn' cl la liln-i-li', inins iions
nicllriiiiis |ii'Ml-i-lii'irai-(iii-<l awc M. Ren<nnii'r >ni- li' |)ai'l i à pn'iidre,
cil rrinniv l'Iaiil l(inlcrni> nos réserves snr la |)iissiliilit(''. an moins
liy[>ollu'ti(|ni'. il iMi Icmps iiidéliiii. Nous iulmettoiis coninii' lui ipic
■• la cansr |iri'iini'ri' îles iilirnoinèiii's est niu' causi' (jni na |ias l'Ir
rdl'.'l il uni' 1111 |)lii>ii'ni-s l'ansrs (|ni l'aiciil |iiv(;imIim' dans I drdi-i' du
li'iui>s. et des |)lii'iiciiii(''iies sont possibles dont la eanse sidlisaiile ne
sdil |ias diinni'i' en des |)liéiioiiiènes aiiléiaenrs ,|j. 18:i ■>. Nous von-
l(iLi> liirn croiic aii>si (|iii' " la si'rie des ))hénouiènes a commencé ■•
il (in'i'n l'ail le U'in|is a en an eomiuencement. Itien (|ne nous ne peii-
>iciii> |ias pcinvoii- en <lcniner niui preuve pliilosci]dii([iie ahsolnini'iil
l'ertainr. Mai^ ihmi^ ilniiandiuis i|ni- l'on élalilissc la liherU'' par
ipielipie arj;iiini'iil pins direel ipir le raisnanemcnt de.). Leijuier snr
li's a\antaj;es lnfiiipii's di' l'upiiiion i|iii aduple la llièse de la liberlé^
ni loiiipai-aisini des ili'savanlaiçps de ropinion (pii se déclare pour le
déterminisme nni\iM-sel. (jmmie le i-eeoiiiiait iranelieinent M. i{enon-
vier. •• pour le pliilusoplie ipii sr place an point de vue di^ Leipiier.
i-'esl nii seepMcisnii' iiii''lli(idiipii' ipii r-l li' poinl dr dcparl : il n'ad-
met de démonslraliuii ni piuir la lihi'rli'' ni pour la ii(''ei'ssité , el
c'est en rnisoniianl d ajn-és erlli' imcrtilnde de lliéorie qn il clicrclu'
à ai'i'élcr Sun sciiliiiirnl de raison [iratique snr la ipirslicni p. ITli.
note ". Nous sniiiiiir> moins sceplitpies, même par simple procédé
<le mélhode, el il iiun-- semlije ijne la conscience el la raison monlrenl
avecévidence Ir lilirr arliilrrdc loiilr Milmili'' vraiment intellectuelle,
à ré!;-ard de toiil liirii ipii ne ri'aliM' ipi iiiiparfaileinenl la notion
alisnlnr du liirn. Viiilà. srliui iiimi^. la \]'aii' racinr dr la liherlc, cl
celle racine esl métapliysii[ne. Dieu, le ijien alisolu par essence, s aime
iiécessairemcnl cl inllnimcnt : mais, coimnc il ne peut pi'oduire <[ul'
des iiuilaliiuis imparlailcs i\i' Ini-iiiciuc. il n'csl nécessité à créer
aucune de ces imilalioiis relatives de ce (ju il esl, el demeure enlié-
rcuu'iil lilire de cri''er celles ((u'il venl ou de n'en créer aucune. C Csl
ainsi ipic liHil i-r ipii n'est pas Dieu est contini;rnl cl n a sa raison
d exister (jue dans une délerminalioii libre de la volonté divine,
lonti' volouli' raisonnable a nue liberlc analof^nc : une telle volonté
n'est rigoureusciuciil déterminée ipie dans sa tendance iialive vers
nue perfection idi'ale. c esl-à-dire an l'ond dans son inclinatiiin pri-
mitive el naturelle vers le bien absolu: à l'égard des biens relalils.
Ions imparl'niLs. elle se délerinine elle-même el lixe librement son
choix. V a-l-il. eu didiors des voloulés intellij;enles. tles actions non'
déterminées par leiii> autécédenis on leur milieu'.' M. Heuoiniei- le
020 J (iAUDAlll
(•mit: nous ne voyons |);is tlf raison snl'lisanlo ponr I "ailiiicllre. Les
variations acciili-ntcllcs ot sans nécessité apparenle dans leconrs des
événeiili'nls de l'urdre |diysi(|ne, |iliysi(iloi;ii|iii' on niéiiie sensible,
peuvent èli-e la consénueuce tnrcée de laits (]ui les |ii'i'eédenl ou les
aceonipa^nenl. sans (jue la liaison ijui amène ee résultat soit connue
Si M. Renouvier préfère réserver la jKissibilité de l'iiuléleruiinr' dans
tous les genres de phénomènes, il n'Iiesile pas à allirmer (pie ■< la
lihei'lé (le la personne est, en son exercice, tel (pfil es! i-e|irésenlé
dans la conscience, le mode capital de rimh'IerMiinisme, en sa syn-
thèse avec les motifs de délerounali I (wi^ine intellectuelle ■>. Kl il
ajoute celte ex|)licatiou ([ui merile d'être citée : « Les phénomènes
(|tii sonl des ell'els de celte liberté .sont i'e])résentés. a\anl l'acle, en
des relations ambiguës, el la conscience du libre arbitre est précisé-
luenl la conscience des possibles, nés de celle and)i'i;Mïté, el consi-
dérés comme réels; réels, non pas en leur simple représentation
donné(>, mais in reruin niilurn. éj^alement n'ii/ixiililcs par l'exclusion
les uns des autres. Il laul supposeï- uni' Iclle iri.sh'ncf di's posxil/les
p:iin- ipie l(Uis les plK'uomènes entrant dans la représentai ion d'une
|iers(uine donn(''e. internes ou exteriu'S (piils soient, ne l'orniriil pas
une simple suite d'anneaux iniaj;inairenieiil delacli(''S de la (haine
univei'Selle où ils oui ('lé de Imil temps ]in'(li''leniiiii(''s à apparailre
pp. -JC.S. -H\\)-. "
l.;i personnalili''. douée de conscience et de liberle. Iid esl bii'U le
plus haut caractère de l'élre : nous attribuons seidemenl à la |ier-
sonne une substantialité rpu' M. Menouvier a trop de peine à recon-
nailre. Il esl. ilii moins. (■•iieri;i(pn'Hient oppos('' à loiile philosophie
(pii |iose la rlinxr. c'est-à-dire l'élre sans conscience, l'être matériel el
non connaissant, coninu' j)rincipe de l'univers el des consciences
uu''me. .\vec lui nous repoussons tout système (piî s'approprie cette
aulilhèse absurde : " La conscience et les personnes sonl des produits
du monde, non le monde Tn-uvre de la personne. Le monde esl la
Chose en soi. l'I'llre universel, ÎNalure nécessaire, ou Substance, em-
lii'assant toutes les relations, sans conscience et sans volonté en tant
ipu' l(ud. mais engendrant les objets et leurs représentations vu des
individus transitoires, ou par une conséquence de ses propriétés, ou
comme les produits de son évolution i p. 'TM. » Non. il n'est pas pos-
sible ([ue l'inconscient soit le principe de tout ce ((ni existe, puis(pi'il
existe de la conscience dans l'univers. Toule uK^'Iaphysique sérieus(^
doit reposer sur l'axiome de raison sutlisaide. (|ui exige une propor-
tion entre la cause et l'ellel. Il est donc impossible de faire produire
la conscience, l'intelligence el la vohuib'' p;ir une cause première (|ui
LES DUAMMES DU /. l MÉT.M'iWSluni l'I IIK 621
ne contifiiilrait [las eu soi éiMiiicuiiiiciil riiilrlligenee el la volonté
conscientes, et la rbuse-principe. ijik' Vinipcrxdinialisnic donne ])oiir
cause à tons les èlres, est exclusive de toute connaissance, à rorii^ini'.
et, partant, de toute conscience. Ce que M. Renouviei- désigne par le
terme très général d'impei-xonn^lisiiii- n'est donc, à vrai dire. <|ue
Vnllii'isme. et c'est ainsi qu'il le jnj;e comni" nous : • Cette vue de
rniiivcrs. dil-il. est appelée par le> uns Valli'-ixiiif. \y,\y les autres le
jjiinlhrismr. et on ne saurait nier ipie les premiers up tassent l'emploi
des mots le plus coiu'ordant avec l'idée counniMic de Dieu en tout
temps (p. ^33|. •< Mais nous ne voyous pas nécessili' d'atlriliuer un
degré f[uelcoiu]ue de conscience à tous les êtres : il peut exister des
choses inciuiscieutes dans le monde. l)ien que la cause du monde
doive être un sujet conscient, poui- ipu- la conscience de cei-tains
êtres s expli(]ue. Si le moins ne peut produire le |>lns. le plus peut
créer le moins. D'autre part, il nous parait exagéré de penser que la
conscience ne |ii'iit connaître que ce qui est conscient : sans doute,
l'inconscient ne peut être rei)résenté dans un sujet connaissant que
sous une forme qui suppose ou ap]ielle la cmiscience dans ce i:on-
nnissant ; mais le connu n'a pas besoin d'être conscient lui-même
pour être connu, car ce n'est pas sons son mode qu'il est connu,
mais sous le mode de ce qui le connaît. On voit qui' nous ne saurions
approuver sans réserve celte déclaration de M. Renouvier : « La
conscience, quand on n'en place pas les premiers éléments dans
l'essence des êtres perçus de ce monde, les laisse inintelligibles, tout
ce qu'ils ont de percevable se trovivant aloi's trans|iin-té à l'être qui
perçoit. Il a fallu les longs et difficiles travaux des penseurs dans la
direction idéaliste, et le progrès lent de la critique du savoir, dans
la mêlée des doctrines, pour (jue des pliiloso[)hes compi-issent que
l'objet n'est jamais donné (pie dans son itlée. ni l'idée l.ors d'une
conscience, sujet réel, à moins que l'objet ne soit lui-même nue
autre conscience pp. IS't. !!)(). .. Cet idéalisme outré dépasse le
but : il sutlil de revendiquer la conscience dans l'Ktre pi-emier. créa-
leui- du monde d'après l'idée re|)rêsentée en lui de tous les êtres
possibles, et la conscience dans certains êtres créés, sujets connais-
sants à des degrés divers, sans qu'il soit nécessaire de ne concevoir
eiimme possibles que des êtres conscients. Pour affirmer la personni'.
ne nions pas la chose : la personnalité peut existei', sans que tout
suit personnel : et si, pour avoir <juelque degré d'être, il faut à quelque
degré être représentable, un sujet peut être représeidable sans avoir
en lui-même le pouvoir de se représenter l'être et de prendre con-
science d'une représentation. Il y a donc trop d'exclusivisme dans
39
C28 J. (lARDAIU
la formule |)ai- I.Kjiu-lle M. Ri'iimivicr exprime son cinquième el der-
nier dilemme : •> Ou Dieu, ou la Chose sans ]1ieu ; ou l'Homme, ou
des èLres tous caducs, dont nul n atleinl l'idée totale el accomplie
de rilomme : Deux civt non Deux, Hoinn nul nmi Homo i|). :2'i(ii. "
Nous i-ésolvons le problème en ces lermi's ; <• Dieu personnel et créa-
liMir, riliimme personnel el créé, el la (liiiisi' créée sans pei-sunnalili'
ni cmiscience. »
.Nous ne suivrons jias M. UcMiiiivicr dans sa iril ii|iii' de l.i llii'iild-
gie chrétienne qu'il uu'l constammeul en scène, concurremmenl a\rc
les systèmes de philosophie ancifus el modernes. Il l'audi-ail, pour
n'I'uler ses appréciations défavoralilcs cl (pichpirluis ii-iespeclueuses,
l'aire un cours complel de Ihéologii-, cl il ddil nous èlre peniiis de
iu)us demandiT si l'auleui- a l'ail les éludes nécessaires pour saisir
cdinmi' il ciuiviciil les diiniK'M's de la «hicirini' réxélée el ce (]u il
appelle lui-uuMiie " la Ihéolof^ie niélapli\si(pu' <le l'Ej^lise |). :2(i.')') ».
.Nous admirons, loin de la lihinuM', l'enlreprisr des I liédlo^iens tra-
vaillant à ■• assendiler en un m(''iiie conccpl d iiiiili' sulistaiiliclle les
grands allrihuls alisirails île l'elre uiélaphysique jjremier, cliei-ché
parles pliiloso|)hes au-dessus ou en dehors des dieux-personnes des
i-eligi<nis, el la personne suprême du Créateur ip. iCi.'ii ■>. L'acconl de
l'inlini el de l'absolu avec la iiersounalilé, dans le Piàncipe premiei-
de liinl elre. est imposé à 1 esi)ril humain par les nollons fondamen-
tales de la raison, el la faiblesse radicale de la philosophie de M. He-
nouvier (^st de ne jias voir la nécessili' de conserver, eu mélaphy-
siipu'. l'absolu, l'incondilionné, l'inlini. hml en conslalani dan.s le
inonde le relatif, le cinulilituiin'', le lini. Mais mms rejetons avec lui
les systèmes (pii. |)iinr ex])liqiu'r l'univers, u sont revenus au jeu des
hyposlases sans pei'siuinalilc ": el nmis nous [liaisons à rcpniihiirc.
en linissaul. ce résumé, qu'il trace, des mélaphysii|ues élab(U-ées pai-
■' les phil(isp[)lies émancipés ■> (lt>s inlliicnci's IJM'oloniipn^s. •■ L'Iiu'iin-
ditionnc a repris sa place à la léle du nnuide dans la nielapli\sii|ne
kantienne, et rincounaissable. autre nom de cet ab.soln, au fonde-
menl du réalisme de II. Spencer. La Sidistance. sous divers imms de
ce qui n'est ((ue It nixcrscl alisirail, ipi'on a sid)slilné à la cducep-
tion concrète, plus pi-ofoiidc et plus rij^oureusement délinie de Spi-
noza, est venue se placer sous l'Inconditionné kantien, pour lui four-
nil' des liypostases développables el ouvrir des sources d'émanation
d'espèce nouvelle : évolulion du Moi sujet pur, évolution de l'Iden-
tique, de l'Idée, de 1 Inconscient, de la Force, etc. La [lersonne est
regardée comme le produit, par voie d'évolntion. île l'un de ces uni-
versaux ([ni ari-ive. eu se pensant cdnmie [tersonne. à penser cet
MMEItltAWIIE. l'AR Henri .HH.V 020
iiKlcIrnniiic (hml l'Ilf (li'siciiil, cl (|iii iiClail rien a\aiil il'rl re |)ensi'.
Cri iih'.ilisnii' l'calislr srrail Ir iTrcIr \ icii'iix iiiranii', si ce ii'i'Iail i|ur
lli'gcl est liii'ii le [lère do \'/:'/rf ihi iimi-rlrr. mais i Ii' drsciMi-
ilaiil pi). ~2Wk 'Hu ! »
.1. (.AliMAIIi.
MALEBRANCHE, par Henri .Ioly, 1 vol. ui-fS" de la collection lU--^
(.rauds Philosophes, xii-296 pages, .\i.cun, l'.tiil.
M. .I(d y a v\ iidii- consrieni'itMisciiU'nt son sujrl. Il a pris soin do lire
•nii de i-.dii-c loutcs les œuvres du ^rand Oraluricn. uièuie celles qui
ne liguienl pas dans les éditions classiques. Il a ap])ris ainsi à con-
naître des (eiivres telles que les /ù-lnirri.isctiirnls à la /trrlierrlw de lu
\'i'rilr. doni l'absence se fait si vivement rci;rcllcr dans rédilion
diunu'e Jadis par .Iules Simon (11.
A celli' sincère (d directe étude, M. .Ioly a du de Miii- -c dissiprr
Ineu des préjuf^és (radilionnels. id il est arrivi' ainsi a taire une
anaKse l-emarqualilrnu'ill lidélc d'une dorh-iiie si soiivi'lil mal COLU-
prise.
Api-ès un chapitre consacré à riioiiune el s ilieu. il l'djidie suc-
cessivemeul le iiii'>lapliysicien. le llii''olni;ieu idiilusoplu'. le psycho-
logue id le m(U-alisle.
Connue liien lUi pense, le plus huii; ehapiire esl consacre au inéla-
plivsicieu; mais il ne semble pas que M. .Iidy ail le goût dé la
mélaplivsicpii'. car son anaivse. renianpiablemeul consciencieuse,
esl aussi remarquablemeiil froide : (Ui n'y seul bcHnllonuer ni l'en-
Ihousiasme pmu' une (cuvre qir(Ui repense à mih lour. ni la i-ésis-
laiice ])assioniu'e à une dociriiii' (pi on m' peiil adopler. M en n'-sulle
que nous ciuisidérons la leclui-e di> ci' eha|uli'i' comme dangereuse
pour c(dui (pii n'a pas jiris conlacl direid a\c<' Maiidiranelie; elle ne
peut que li^ délourner, en lail, de la pensée d'alHuder r(''l ude direcle
du grand méditatif. .Viissi ne sauriiui^-muis hop engager à n ■ lire
Fcenvre de M. Joly qu'après s'élre fannliari-r' an moins ave.- h^s
h'ii/rriin's sur lu MéUiphijsi(iuc
(In seul au contraire (pie la lhi''(_)logie el la morale passi(_mneul
M. .Ioly el (pie cid inti''rél (pi'idh's lui ius|iireiil s'élend à ce (jui, dans
la mélaph\ si(pie. conliue à ces (dijeK de siui amour. I lu eoneevra
(1) A l'origine, la Rec/ieiche 'le lu \érilé y formait un gros volume, et cela
pouvait e.xcuser labsence des t.clainisspinenls: mais depuis un a prjcéd'- i un
dédoublement sans compléter l'édition.
CaO (i. LKCHAI.AS
sans pt'iiii- (|U(' inuis laissions de (•(U(', dans son (fnvrc. ce qui est de
iiu'laphysiijne ]uii-c. Le |)antliéisme et le libre arbitre, avec les qnes-
lions connexes de la f;ràce, de la prédestination, du Jansi iiisiiie el ilii
(jiiiétisine, fixeront particulièrement notre attention.
Sur la question du panthéisme, M. Joly a bien vu, i Dulrairenienl
à raflirnialion tant de l'ois reproduite de Victor Cousin, (jue les ar^u-
Mients de Dorions tle Mairan ne portent ])as contre Malebranclie,
dont la doctrine n'aboutit point logiquement au spinozisme ; mais
pent-ètre no fait-il pas ressoi'tir cette thèse si juste avec autant di'
l'iirce (jue l'a l'ait M. l'illon dans sa cin([uième Auiirc philnsojiliiifur.
Spino/.a et Malebranclie sont deux disciples de Descartes qui. pour
rendre sa pensée plus loj;ique, l'oid amendée tous deux, mais en .sen.s
contraires : Descartes avait al'tirmi' la ciintiiif^ence et l'infinité de la
substance ('tendue. Spinoza sacrifia la conlinf^ence et MalebraiHlie
l'inliniti'.
Eu ce (pii ciuiceine la libeiic. M. .I(il\ veii^c aussi nuire philosophe
(l'accusai ions p(M'fées par ili"- ci-iiiipies superficiels, et il ri'suan' fort
bien sa tli(''(irie nii''tapli\si(pii' de la libeiii' dans les trois |U'oposil ions
.suivantes :
1" Si c'est Dieu (pii l'ail eu nous loid ce (pii est aiiion naturelle cl
(Tordre physi(pie eu prenant ce mot dans le sens le plus ('•lendu . il
ne l'ail pas nofi'e c(uisenlemenl (pii reste libre.
;2" Ce consenlenuMit (loun{'' ou refusé se Iradnil dans des d(''sirs, des
volontés (jue Dieu s Csl oblij^é lui-mi'me. une fois pour toutes, à i-éa-
li.serpar les lois qu'il a ('tablies. Dtuu.si c'est Dieu ((ni exécute ainsi
les actes (pu' nous sembbuis accom[>lii'. il ne les exécute que parce
(]ue nous les vmdous, disons même |)arce ipie nous les conmiandons.
.'î" Par ce ct)mmandenienl id)ei, l'aclion de notre volonté, (|uoi(pu'
immaiicnle. n'en est pas moins une puissance (pii l'este en notre
■main et doul nous j^ardons toute la i-espousabilité.
(inesl heureux de voir M. .lol\ i-ompre ainsi axce nui' Iradilion
(pii va de Cousin à M. Fonsegrive, en passant par (llle-La])riine. Là
encore M. Pillon avait rendu éclatanle Justice à Malebranche i 1 .
On sait ((ue le 7'rnilr de lu \alurr l't île tu Gnire fut mis à l'index :
.M. ,ioly dit à ce sujet : ■■ Etail-ce à l'inslij^atiou el sur les intrij;ues
d'Arnauld'.' Fut-ce simplement sfurla plainte de ces [x'rsonnages se-
condaires, comme on eu rencontre encore ijuehpiefois, et (pii r(''us-
sissent à l'aire tii'er arf^urnenl contre un livrt' du trouble même qn ils
all'ecteut, aloi's (pie la cause en est nntinsdans le livre que dans leur
(I> Cinrjitii'me Année jihilosophique. pp. 170 et sv.
MMEHn.WCIIE. iMR Henri JOI.Y 031
fanon étniitr de le coinin-iMidre et de l'interiiréter? Quoi (|n il en soil,
le 7'rnilr il'' lu \nlxrp pI de la Griirc t\i-\)h\\ l'oiM ;'i ce iiu'oii |)imiI appe-
iiT — sans iuaiii|iiri- di' respect, à i-ii'ii ni ;i |iiTS(inne — la liiireaucra-
lie tlit'oiofcii|iic' lie la (Imii- di' lidiiie. ■•
M. Jojy iiidi(|ni' i|iii' le i*. Aiidi'i' a relnuive le i-,i|i]iiirl du ciiiisulluui-
sur li'i|iirl lui |ii'(iiiiiiicée la coiidainiiMl iciii , dncimieiit assez long
<•! eeiil dans un laliii ])ai-lail. Kn l'ail. André dit. dans .sa Vie dv
It. /'. Mnlctirtiiirlie . i|ue •■ c'est à lillustie M. Pigliini que nous
siiniaios redi'vahles de i-clli' iiiècc cui'ieus;' 1 »: nous ne savons où
elle a été puhlii'e. .Vndcé n'en donnant rju'nn résumé. Après avoir
signah' des criti(|nes du consultenr qui paraissrni an moins hizai'res.
M. .lol\ conlinue : " Viennent ensuite, il laul raxniici-, des repro-
<.-lies lieancouji plus sérieux et (]u'on a parlaitement le tiroit de
trouver mérités, mais ipii ressemident s(uivent à ces objections
<]u on ])eut toujours l'aire dans u\u^ controverse, car il est toujours
possiljle d'estimer dangereuse la tendance que parait révéler telle ou
telle formule : il ne s'ensuit pas nécessairement, tant s'en faut, que
,eelui i|ui l'a écrite aille jusqu'au Ijout de cette pensée qu'on lui im-
pute et tiuiihe |iersonnellemenl dans l'Iiérésie. Remarquons-le. d'ail-
leurs : le rapport du consulteur n'accuse nullement Maleljranche de
jansénisme, comme le siq)pose l'ahlié Blanqiigmni ; il le blâme
d'avoir témérairement voidn résomlre des questions que les Pères
déclaraient insolubles: il le censure pour avoir entrepris d'éclaircir
les mystères par les lumières de la raison, pour avoir avancé des
opinions pernicieuses sur la distinction en Dieu des volontés géné-
rales el des volontés particulières, sur le mode de distribution de la
grâce du Sauvem'. toutes opinions dont il |)eut être tiré des consé-
(juences contraires à l'enseignement de l'Église. •
M. .liil\ t'ai! bien ressortir l'application à la grâce île la liiéorie des
volontés g(''néiales et des volontés jiarticulières. 11 reproduit d'abord
ces paroles de Malebranclie : •• La loi générale, l'oi'dre de la grâce,
c'est que Dieu veut sauver tous les liommes en son l-'ils et par son
Fils, vérité que saint Paul répète à tout moment comau' le fonde-
ment de la religion que nous professons ri). ■> Puis il continue :
<i Par cela même qu'il veut, d'une volonté sincère, sauver tous les
hommes, il doit faire que la grâce se répande partout. Il ne s'en va
pas regarder à tel ou tel et ])rendre en sa faveur ou contre lui des
dispositions particidières. Comme dans l'ordre de la nature il verse,
1) Page 191 de l'édition donnée par le It. P. tngold.
(i) Traité de Morale. 1" partie, vin, 4.
G32 Ci. LECHALAS
{•Il vfiiii (!(■ lois j;i'iit'|-ali'S. niir |iliiii' (|ni limilic aussi liiiMi sur Ir-^
rijciiers. les sables et la iiu'i- (|iu' sur les terres lalxiurées, de niciue
il met saf^ràceà la disposition de tous, de ceux ([ui doivent y résistei-
coimne de reu\ (|ni doiveul \ cooiiérer.
«Mais celle idnipaiaisiui tant de fois réj)étée ne l'ail qn'expriniei-
le l'Ole de Dieu \u <ians l'unité des personnes divines ; car lui seul
dfinne vr^iilahlenieul la grâce, de nièiiie (jue lui seul est cause el'li-
cace de loiil ce (|ui se l'ait dans ITuivei's. I.a seconde pei-sonne. celle
du Fils, qui s'esl incarnée, ne joue plus, en lanl ipi'liouiu\e-l)ieu, ipie
le n'ile de mi'dialeui- mi. jioiir parler le iangaiie haliiluel ilu pliilosn-
plie. ipie le r("de de cause occasionnelle. A Inniiui de I àiui' cl ilw
corps correspond exactement I union de Jésns-Chrisl el di' son Ef;lise.
(.(■Ile uiiiiiii est ;'i propreiuenl parler la vi" spirituelle : el les UKunc-
lueuls pal- les(piids celle vie s l'iilrelienl ou se d(''veliippe ne sont au-
tres ipie les inonveiiienls mêmes ilc la (iràce. ■• |)ien le |''ils njovite la
pitié à la puissance : il pense à Ici d entre nous, et sa };ràce va là où
est allée .sa pen.sée : mais, dans cette concession faite aux voies par-
ticulières de la grâce. Malcbranche fait des re.strictions. voulaul ipie
pr(,"si|ne toujours .lésus-ClirisI envisage en général ceipie demandenl
les liesoins de l'Kglise. Kn dévelo|i|)anl trop le syslèiue des voloules
parliculières. ou ferail Dieu Iropduriui IHu siippiimi'rail la liluMte
de riiomiae.
Delà grâce ou passe ual iirelleiueiil à la pri'di'sliual iou. puis(pie.
seliui sailli Aiignslin. la pri'desl iiialiiui esl la prescience tli' la pri''pa-
ralion dn don de la grâce. Celle-ci d ailleurs étant gratuite, la [iré-
destinati(Ui doit I être aussi : mais cette gratuité suppose-t-elle un
choix ,'irliili-aire el sou acli(Ui e>l-elle i uviucilili- ?
D al)(U'il la prédestination, .selon saini .\iignsliu. esl la pj'édestiua-
lion, non an saliil, mais à la gràci». et les eU'els de la grâce une fois
olileuui' <li'pendeul île noire lilierU' : les pi'édestinés au salul siuil
ceux en qui Dieu pi-évoil qui- la grâce produira (les eU'ets uu'riloires.
C esl la ilocti'ine ronijnihte, parfaitement oi'tliodoxe, liien que ikui
consacrée à l'exclusion do toute autre.
Maleliranche maintienl énergiijuemeiil (pie, pcmr (jiie la lilierté des
àines .soit une réalilé. il faut ipie ni leur obéissance ni leur désobéis-
sance à la loi ne soil ini'vilalile ; (lour lui, Dieu veut sincèremeni
sauver tous les liouuiies. mais il veut inspirer un amour de choix,
un amour éclairé, luui 1' ■ amour aveugle ([u'iiispire liiislincl ■.
Ou voit comliieii celle doctrine s'écarte du jansénisme donl
l'abbé Rlaiiqiigiion a injustemeni accusé Malebranche d'avoir élé un
sectateur, el c Cst à bon droit (pie celui-ci se llallait ipie son Triiilr
;./■; ri:iiE (;/;.\r;M. tau le Caudinal I'ehuai it fi:i:t
(/(■ /(( Saillir ri de lii Gràcr rcrnil iM'vcnii' des j^'ciis aviiiil iliiiiné dans
1rs (i|iiiii(iiis di' .laiiséniiis. Bien loin d'en èlrc scclalciir. il n'étaiL
iiUMiic pas I liiiiniNlc.
Nous M insislrniiis |)as sur sa liillr coiilrc le (|iiiélisiru' el sur sou
adiuii-ahli' |i('lil T rai lé il r l'aiiiaiir ilr /lira (|iii devait le réfonciliei'
avec Hossiiel.
M. .loly se deiiiaiide i|iiellc a l'Ii' riiilliieiici' de la lliiMilogie sur la
pliilosopliie de iMalelii'aiiclie, et il la li'iiiive des plus heureuses. Sur
les li-dis pciiiils iiii il es! eu dissidence précise a\ec Descartes (lois
éternelles ne di'peudaid pas d'un (li''cret de, la voliuile divine, admis-
sion (l(îs causes liuales el iui'jialiir' de la liberté sui\aul les hommes
et les leiupS), sur ces lr(_iis [loiuls, disons-nous, la I h('Mili)f;'ie a i''lé
son inspiral rice.
Il \ aurail encore à reeui'illir de pi-('>cieuses indicalions, parlicu-
lièrenient en ce rjui concerne la morale, mais ce ([ui précède suflil
à montrer, niuis l'espérons, rpu' l'oeuvre de M. Joly contient des
parties pi-ésenlani un haut inl('rét. Qu'il nous ]iei-mette de lui
di'mander, pour sa prochaine édition, une corri;ction plus soignéi' el
une révision de la table des matières qui contient (juidiines erreurs.
G. LECHALAS.
LE PÈRE GRATRY. Sa vie et ses œuvres, par le Cardinal Perkalu,
1 vol. iu-t-i, Paris, Douniol.
Ce livre n'est pas uiu' biographie au sens classique du mot. C'est
une belle œuvi'<' d'ail exécutée en quelques coups île pinceau qui
agrandi-s.sent la vue de l'esprit et l'écondenl la pensée. Le cardinal
Perraud ■' v a mis liuile s(ui âme ... Sous une l'orme toute philoso-
])lii(|ue. doni le P. (d-ali-y a lui-même donné l'exemple dans la vie de
l'abbé Peri'cyve. il i-eirace la physionomie intellectuelle et morale de
son cher et illustre uiailic b'Ilomme et le Prêtre. — Le Philosophe.
— Le Poléndsle. — 1, Apologiste et rAp(Jlre. — Le Précurseur. —
L'Kcrivain, — voilà le jdan de l'ouivre. Ces tableaux méritent d'être
élvuliés dans leur ensi.mble el chacun à part: mais il en est deux (\\n
nous inléresseni plus pari iciilièicuient dans cette l{e\ue : le Philo-
sophe el le Pri'.curseui'.
L — Comme pliilosophe, le P. (Iralry occupe une des premières
places dans le mouvemeni iiilelh'i'l uel du M\'' siècle. Nini qu il ait
034 M"' UASTIER
iiiveiili' (le loutes jiii'i'ps une pliildsopliio. Son œiivi'c nCsl iidinl la
])yraiiiiili' du dési'i'l qui (Mnnnç par ses |)ri)])oclioiis colossales. C'est
la source limpide qui descend des sommets et va porLer la contribu-
tion de ses eaux à «m large fleuve, dont le cours a produit, de temps
immémorial, la richesse du pays.
Toute la ])hilosopliie du P. (Iratry repose sur Dieu cl l'idéal moral.
C'est d'abord par le premier élan de la raison spontanée, procédé le
])lus naturel, \e plusà li pnrire de Ions, (ju'il propose d'alteintlre ces
hauteurs: il eu i-edescend ensuite métliodi(|uemenl, |)Our v remonter
et eu l'airi' le lieu de son ri'pos. Dans IKxposiliou pri'liminaii'e du
'/'riiili- de In ('itnnni.ssdiire de lliea et tout le traité lui-même, il l'ail
uiH' très large pari à l'induction, qui est, jiour lui, le sens de l'iulini
lui t\\\ divin el (huil il Miil une appliralliin scieni ili(|Ui' dans le calcul
intinilesimal.
Ctqjendanl le 1'. (irali'V n'a pas néglige'' de ddiiner à la nu'thode
syllogistiqne la |ilace qu'elle mérite. Cent quarante pages de smi pre-
mier volume de la Loijiipic sont consacrées a I étude du syllogisme
el de ses lois. De plus, il déplore ainèremeul l'ignorance j)ralique
générale de toute forme syllogislique... Celte ignorance est, pour lui,
11 la source d'abus et d'inconvénients innombrables dans la vie publi-
que el privée, dans l'enseignement, dans l'étude solitaire, dans la
littérature, à la tribune et dans la presse,.. » La raison est en péril!
Vigie attentive, il multiplie les signaux pour conjurer le danger. Il
répète cette jiarole de Fénelon : u >'ous manquons encore plus sur la
lerre de raison que de religion. " Dans son Iniroduclion de la Con-
naissance de Dieu, le P. Gratry nous dépeint la rai.son n victime de
l'anarchie des mots, des argumentations et des images, des illusions
el des mensonges, des em[)ortenu'uts, des passions, des <'rimes de la
pensée, succombant sous le llol lurbulent el sous l'eirm-l des invi-
sibles multitudes qui lutlenl dans chaque es|iril ".
11 Si l'on veut sauver la religion, dit-il, la société-, la civilisation,
Vœiivrr première à entreprendre, c'est le rélablissemenl de la raison
publiipie. "
Par quel moyen?
i. En ramenant les esprits à la connaissance et au i-espect de la rai-
son et de ses lois. »
1. Qu'on sache, car on l'oublie, qu'il y a dans le monde erreur el
vérité, el que l'on peut distinguer l'une de l'autre; qu'il y a pour la
liensée humaine une méthode vraie, c'est-à-dire des principes cer-
tains et des procédés légitimes; que ces principes, ces procédés ont
été pratiqués de tout temps, instinctivement par beaucoup d'hommes,
U-: PERE CHATHY. v.\r le Cardinal l'KURAl I) r.3:i
,.| uni |iu li'liT, (l;iiis un riTl.iiii ■^ciis. |iar Ions 1rs li<iiiiiiirs... ; qur la
vi-ai(? imHliodf |iliiloso|)lii(juc, sans iHre eiu-ore bien coiuplélenicnl
dùcrile, s'«st pouiMant. dans la suite des siècles, iirécisée et dévelo[(-
pée par le Ijonlieiirde ses a]i|iliialiiins et la conscience toujours plus
claire des j;rands esprits i|ui la mettaient en lenvre; mais qu"il existe
aussi une l'ausse miMliode. nu proi-édé sophistique ipii un jamais
cessé denti-avi'i- la niai-che de la pliiloso|iliie par sou a^ilatirui [ler-
lurbatrice. ■■
Ceci fait : " l)istinL;iie/. sçieiililii|iicnicul la sopliisliipie de la philo-
sophie... il l'aul savoii- que le pi'occdi' sopliisti(|nc n'est cpie la mé-
lliode ]i]iilosopliii|ne n'IniinK'r.
Que faut-il ensuite?
" Rélaiilir. parmi nous, la légitime autorité de la |)liiloso|diie et de
la raison par la connaissance el la ])ratique de la méthode des philo-
sophes proprement dits et pai' l'étude des sophistes, considérée
<'omme contre-épreuve et démonstration. »
11 faut encore : « que la pliiloso|ihie, sriencn ijrmlralc. soi-te de son
isolement et qu'elle regarde en fan- les sciences spéciales qui la ni<--
pi-isi'iil... que les sciences diverses, (/ii'elle a c/v'cc.v, reprennent leurs
naturels rapports dans Vuiiili' di- ta pliilosophie. ..
Ce n"est pas tout : il faut •■ que le développement solide et sain de
la pensée procède du développement de l'âme totale etde la volonté...
pas de progrès de la raison, sans un progi-ès correspondant de force
moi-ale et de liberté... »
Kntln. il faut que ■■ la raison, qui est une force, cheiche son prin-
cipe et sa lin •>. Or, ■• le principe premier et la fin dernière de la
raison, c'est Dieu ■).
Ce programme fut celui de sa vie, et tous ses ellorts tendirent à le
réaliser en lui et dans les autres. Ses Si)urces sont une suite de con-
seils les pins Judicieux et les plus pratiques, destinés à former les
Jeunes esprits d'élite qui ont la nolile ambition de ne chercher que
la justice et la vérité : excitation à l'élude des sciences comparées...
temps de la commencer, moyens pour l'entreprendre et la continuer...
données précieuses sur chacune des sciences jjrincipales qu'il est à
l)ropos d'étudier de concert... sorte de large règlement, non seule-
ment pour l'intelligence, mais pour le corps lui-même, <■ afin qu'il
soit entraîné et entre dans la voie de l'esprit et de l'àme... " .\illeurs.
c'est la mise en garde contre l'isolement dans les recherches philo-
sophiques... plus loin, l'exposé des conditions morales essentielles
pour rendre fructueuse l'étude de cette pliilosoi)hie qui doit faire
l'unité dans les sciences...
ii3C. M'i" RASTIER
l,n llu'orir rcl.il i\ (■ .m ■ iiivslirisinp vrai ri iiccessaire, sans le(|iiel
la |iliiliiso|ihic ne pcul èlre aciiovée, li"aiisf<iriii('c , orf^Miiiséc »,
cll'rait'i-a iiciil-cli-c. Le V. (jratry s'en psI i'\|ilii|ii(' lui-iuiMiié. Cp
mysticisme l'ail |iai-tii' de rc (lu'Arislnlc uninniail . sans le cnniiin'iKli-r
cnlièri'inenl. l'allcail du (iésii'alili' l't de riLilcUifi'iljle. C'est le sens
(lu divin, le conlail de ilien, an(|nel riiiinmie, dit adinii'ableinent
l'ialiin. est suspendu (•(iniine paria l'acine.
Si l'on lient ;i earaelériser d'un nuit le pliili>soplie, il faut dire (jne
le P. (irati'V est avant lout une ùaie plalonieienne. Mais, par son
anioui- de la siienee eoiuparée, par les tendances encyclo[)édi<{ues
de son espril. il u'esl pas sans affinité avec Arislote. Il a donné du
Sla^irite cette appréciation (pie les disciples de ce dernier ne récu-
seront pas : « Si les éludes se-relèvent jiarnii nous, Aristole veprciidni
xii place. Ce vif^ouronx génie peut encore nous aider à sortir de nos
molles habitudes de |)ensée où notre esprit s'énerve, ;'i revenir aux
l'ortes certitudes " — el surtout, ajouterions-nous ; au contact per-
pétuel et vivifiant avec li's icalilcs scientili(pies, ;'i la iiuse en (euvre
de ces ricliPSS(^s sans uoirdu-c cpic la pliil()S()])liie luiMicrne n a Jamais
C(iuipli''li'mi'ul exploitées. ..
II. — .M. Vitel I cl .M-' Siliour -2 ont riiii cl l'autre cpialitié le
I'. (irati'N (le restaurateur de la pliilosoi)liie traditionnelle, ,1c crois
(|ue I liistoii'c (li''ccrncra ci' titre à Léon \I1I. Le cardinal Perraud a
Inuixi'' le mol Justi' poui- caractériser ici le ri'ile de S(Mi maître : " ]j'
I*. (iratry est un Précurseur. ■•
On a \u ]iar loni ce (pu précède (pie c'est bien a la |iliilosopliie
tradilionuelli' ipi'il apportait, à une heure anticipée, le contingent
(le son grand latent. De plus, par ses appréciations, il la désignée
aux générations tutures comme la philoso|diie ([ii'elles devroni
explorer el à la(pielle il leur sera loisible d'aioiitcr de nouvelles cou-
ceplions. M(mlraut les deux étals de la science |ihiloso|)hi<pie, avant
et apr(''s .lésus-C.hi-isI . personnifiés, au point de vue du mouvemenl
initial, dans Plalou el saint .\iigusliii : " Le l'ait l'iMnIauieiilal de l'es-
prit humain est accompli, écrit-il ; il ne reste |)lus (]u'à en développer
tontes les consé(Hi(nices... Cela s'est l'ait en maj(^ure partie au moyen
âge, ]>ar la Pliihisoiihii' sfn/iisliiji/c. cet admirable conipoS('' de luiiii(''re
divine el humaine... •
El ailleurs ; " Le grand mouvement scolasti((ue (>sl de l(Uis les
1 Discour.s de réception à l'Acadéuiie l'rani;aise.
2 Lettre du !."> noveml)re 18j5.
l'SYClInl.iiClE HE i:i\\i:srin\. l'ui K. l'M'LIIVX IIHT
liliuivciiiriil s llislll|•i(|Ul'^ irlin ijiii ii Ir jiliis ili'i-olupiii' lu ruismi lui-
iimilir...
" Sailli Tli(iiiia>. dil-il ciirui-c. rciiIVrnii' la Niilislaiirc ili' saiiil Aii-
fiuslin, d'Ai-ishilc cl ilc l'Iahin ; mais son esprit est crhii d'Aristote...
(lu reste, il II a |)as laiil les idi'cs iiiriiies (|ili' les forces de ce.s génies...
Ce fjili lui iiiaiii|iH'. c'csl d l'Ire ciiiiipris ! Il \ a l'ii lui des hauteurs,
des profondeurs, des pi l'cisiiuis que I iutellif^eiice ciuileiiiporaine esl
loin de pouvoir siuipromici-. el i(iie l'iui rouipreiulra |ieul-ètre, dans
(|nel([nes gTiu'raliiuis. si In jikilnsniihir se i-rlrri\ si lu sar/L'ssi' rcpcirail
parmi tunis... ■•
Cest eueore le 1'. (iralry ijiii a |iniuiincr' ces étomianles jiaroles :
" I.e temps esl venu mi les eliréliens vont se metli'e au travail pour
Iraduii'e eu laiif;age eoulemporain la grande |iliiliisii|diie Iradiliiui-
uelle, pour l'étendre au liesoin des peu|des ".
(les prévisions de génie et rappréeial ion des deu\ Smiimes du
Hoclenr angi'liipie, rapproeliées de la proiiiiilgaliou de l'eneyelifiue
.h'Irrni l'ntris. oui l'ail T'crire à M»'' l'erraud : " Ne seml)le-t-il ])as.
en vérité, ((lie le 1'. to-ali-\ ail deviné, presseiili. j'allais preMpie dil'C
prophétisé l'ieiivre de relevciiieiil pliil(isiiplii(|iii' accniiiplii' smi'^ nos
yeux de|iuis vingt ans ? "
Hélas! cell ii\rc ii'i'sl pas aceomplie, mais elle esl iiiaiigiin''c.
On y travailli' siirloiil en l-'rauee, en H(dgique et eu .MIeiiiagne. l^i
l)liiloso[diie Iradiliounelle est de plus en ])lns étudiée. Klle n'est pas
encore suflisanuneiil niiiiiue dans ses vraies sources: elle ne s'esl
pas encore dégagée de huile caducité, el il lui reste à s'assimiler des
parties vivantes de la pensée contemporaine.
.M"' liASTIldt.
PSYCHOLOGIE DE L'IN'VENTION, par I". P\uliia>, i HibliotlK-que
de plulosiipljie ouleiniioraiiii'). 1 vul. in-12 de t8b pages. 1001: Paris,
Alc.^.n.
Qnest-ce cpic I iii\ cul iiiii ? La ipicsliiui sciuhle banale: et puiirlanl
combien, dans le grand public. d'es|U'ils même cultivés, ipii éprou-
veraient (piehpi'embarras à donner de ce terme une di''liuition uelte
et adé{[uate à son objet? Kii réalite, l'imcntion proC('de de riiiiagina-
lion, non pas qu'elle soiL créée par elle, mais parce ([iie celle-ci est
la coiidilioii nécessaire de celle-là. VA le plus souvent (piand. à pro-
pos des ])ers(Uines. on |iarle de leur imagination, c esl leur iiiviMilion
qu'il faiidrail dire, (lai- un liiiiiimi', si mal parlagi'' inlidlrcl iicllcuiriil
638 C. DE KIlîWAN
ilii'on le suppose, no voit jamais se former des images ilaiis son eer-
veaii sans leur associer des idées, lesquelles provoiiueul daulres
imaj;es s'assooianl à de nouvelles idées. Kt lorstjne la vohuité éclai-
rée pai- la raison n'intervient pas pour dirif;er ces associ;ilions d'inta-
f?e,s et d'idées snivani un sens déterminé, ou dit lamiliéremenl que
r " imagination " devient la folle du lo<jis. Celle l'oUe du logis pro-
vient en réalité' d une suite d'inventions élémentaires plus ou moins
désordonnées el fantasques.
Celte confusion entre l'imaginalion el l'invenlion se Iraduit dans
le langage courant lorsq\i on dit, par exemple, d'un géomètre qu'il a
inmginr \u\ nouveau mode de démonstrati(ui. d'un physicien qu'il a
imnijini- un dispositif ou un mécanisme, d'un lionnue de guerre qu'il
a iniaijinr une combinaison sli'ali\gi(pii' ou une arme nouvelle, etc.
Le terme tout à fait exact sci-aji. iii, inri'iilé; mais ils s'em|)loient ai-
sément l'un i)our l'autre, ce (|ui |ii'(mve la synonymie qu'ils ont pra-
tiquement dans la ])ensée de chacun. Iniaghicr est, dans celte accep-
tion, le j)ropre de l'homme seid ; car, seul, il invente. H!l pourtant
l'imagination est commune à l'homme et à l'animal; l'animal, lui
aussi, forme et associe des images, mais il n'imagine ])as <lans le
.sens d'invenleri. parce ipie clie/, lui l'image n'est pas viviliée et géné-
ralisée par l'idée.
l/inlervenlion de l'idée, de la jiensée, dans la IViiiualion et le dé-
vi'l(i|ipemenl des images, voilà le poini de départ de l'invention.
hirii que l'auleur de l'xijrhtiliKiif ilr l'iurfiilidii n'ait pas indi(pié
explicileuienl ce poinI île vue. iPscmblerail ui''aiimoins ressni-lii' de
1 ensemble de son livre 1" qui a pour sujet : A" (rralinii utlrllfc-
twllc. Ce livre I'' est pr(''cédé lui-ménu' d'une iidrodnction de trois
ou (|ualri' pages oii laulcur lrac<' à grands li-ails les caractères
principaux de l'invenlion avec la pari trinstincl, diuiilalion, et il'in-
novalion qu'il y juge contenue, ainsi ((ue le^ circonslances lanl inté-
rieures (pi'exlerieures i|ui inllucnl >in' elle.
CommenI ]>rennenl naissance, se corsent el se com|)1èlenl les
ciéations inlellecluelles. qu'il s'agisse d'onivres littéraires, de sys-
tèmes philosopliiques, d'hypothèses scienliliques ou de constructions
mécaniques, c'est ce i[ue M. Paulhan ex|>ose dans son livre I'',
et cet ex|)osé, a|)puyé d'e\em|>les |)ris dans riiisloric|ue de la gesta-
tion d'œuvres connues, i)arsemé d'anecdotes, ne se lit pas sans un
certain charme.
Le livre II est le plus imporlaul des trois doni se compose le vo-
lume. L'auleur y montre comment, suivant lui. un [H'emier élément
■d'invention ayant pris naissance.se dévelopjie en se répétant lui-
ESSAI rnlTKjl'E sut LE IHII1IT DAFFIUMEI! 63'>
I ri ri lie |i,-ir uni' >iiilc iriinciil iiiiis siiri-cssivcs ;i\,'iiil d n illi'iirs clLiriiiir
Miii caracIciM' |)i-i)|in' cl se sysiciiiatisjiiil eiili-r cllrs. Il iiiiiiitri', axer
i'\(Mii|)l('s à l'appui, les divers iiiixlos de ce dr^vidiippciiii'iil soil |iar
('■xoliitiiiii. sciil par Iraiisriiniialinii (iii par ili'vial imi. cl iiisisic sur le
nilc qii y rciiiplisseiil cl riiiiilaliiiii (pi"acconi|iaj;Mc liinjinirs nue pari
d'ori^iiialilc. cl la rdiiliiie cllc-iiii'iiie <pii n'esl d'ailleurs (piiiiic iiiii-
lalicili iliciiiiscieiilc cl en (jihdipic si>rle aiildina I ii{ iii'.
haiis le li\rc m, pal' Icipii'l se Icniiiiie l'ouvi-aj;!', M. l'aiilliaii cla-
lilil en i|iiclipies pai;es une emiiparaisiiii cuire l'inviMil imi l'I la \ic
lanl iiidividiii'llc ipie sucialc. Il iiisislc sur l'r cpic la preiniere a d'ir-
réf^-ulicr par rappnrl à la sceiiiide. cl se si'pare ii'i de .MM. S(''ailles.
(îuyaii cl {{iliiil. ipiiiiiil heaiieiiiip eiunpari'' I arl i-l la vie. Ce ii'csl pas
ipiil répudie eiiliéreineat leurs vues: mais il jiif;e les rap|)()rls de
l'invenlioa avec la vie plus coiniïliqiics cl plus (■leiidiis ipie ne l'esli-
nient ces fjliili)so[)lies.
M. l'aiilhaii esl bieu eomiii dans la lill(''ral iirc pliilosii[iliiiiiie. On a
de lui diiri''rciils (''crils d'iuipiirlance inégale : L'Artirilr tiiciildic fl liw
rli'niciils de l'cspril ; Les '/'ij/n's iillcllectuels : esprits loi/iqitrs ri csj/ril.y
faux ; Les l'hémnnèiirs njferAifs el les lois de leur uppurilinu ; Jusepli
de Mnisire el sa pliilnsapliie ; el onlin un opuscule, pclil iii-18 parve-
iii) a.sse'/. pniiiipleiiicnl à sa .')'' (''dilion, sur /." /'hi/siiilm/ii' ilr l'rsjiril .
On voit par là ipr(ui a all'aire. en .VI. Paiilhan. à un espril labiiricux
et il un penseur.
C. D1-; KIRW.V.N.
ESSAI CRITIQUE SUR LE DROIT D'AFFIRMER, par Allieit
LKCLi-;nK, docleur es lettres, prorcsseur de pliilosoiihie au collège de Bloi*
(liibliothcque de philosopliie contemporaine). 1 vol. in-H» de ^(ii pages,
1901, Paris, Alcan.
Ou se rappelle ce n'siiiiii'' des diiclrincs nili il isl i'-. cKprinn' par un
projel de di'crel de l'inaiic liiiiinirisl ii| iii' :
!■ Aiirir.Li-; eiu:.Mii;u : Il n'y a plus rien.
« Akt. '1 : l'crscinnc n es! idiai'i;i'' de I'i^M'ciiI ion du pri''MMil di''crel. •>
Dans le cliaiiip de hi spi''culal liiu pliiliis(i|diiqiie. nu pourra il . api-r'S
la lecture des quatre premiers cinquièmes île ronvraf^c de M. Lcidère,
faire a|q)licalion de celle houladc. lîieii, d'après lui. n'existe i-i'cl-
li'lili'lil de vr (|iii frappe nos sens, ni iiir'iiie des plii''uoillèiies di' la
CiO
C. DE KIllWA.N
<'iirisi-i(^iii;r révi'lfs par l'iiilrospfclidii. Hii d'aiih-r-. Icriiir>. \r inumli'
l'xli'riciii' ii'i'st (jii'iinc iipiKiffilice. mais n'csislr pas; la coiisiiriicc.
Iflli' ilu Hiiiiiis ipi un la comiireiid }j;i'iu''rali'iii('nl . ii rsl ipiiiur rnl-
leclidii ili' \ lies ('inpii'i((iies (loiil on ppiil alls^i liicn alTn-iii '|- la uoii-
cxisIciiiT i|iii' rcNJ^Iciirc, (liMic l'Ile na pas d.' r.'alili'. rdiil (■■■ (pii
lii-(i\nqiie IiMikIi' l'I I itbscrvatiipu. scienc^'S cosiimld^iipirs a\aiil ji'
iiiiiiiili' ('\l'''i-i(Mir pour (ihji'l. sciences n(ioJ<ij;i(|n('s ciinceriiaiil ICspril
l'I les clidses (II' lesprit : loiil cela n'es!, ipi appai'eiice el i-eiil|-e dans
le diiiuaine de 1' •■ in'éel ... C'est I irri''alili'' de la ciMiscieiiee ipii
eidraine I iiTi'alili' du iiiiiiiiie exli'.rieni'. lequel n esl que pliéMnnièiies.
un plnliil .ippareni'e de plK'niuuêrn'S. I".l puniquiii la ciiiisciencc, an
moins la conscience " enipiriipie .. cest-à-dii'e. sans donle, rmidi'e
sur le V-tôi'i: 7i-/j-:ov . csl-elle irréelle? C est ipu" lo^iipn'ntenl la con-
science se nie en seposanlél se pose on seniani ; el ipie. alors même
ipie. dn poini de vne pi'oi)renu'nl psyclioloi^iipn' ipii n'est pas le
point lie vne l'ondameiilal, on pourrait se demainler si peut-être l'on
ne SL'rail pas dans le vrai en nr\nlij;'eanl ce niemlire de pro|iosili(in. à
savoir ijn en se posant la conscience se nie, pour ne considérer (|ne
l'ariirniation. — <• du ]ioinl de vne loi,'i(pu^ ijni e>l le point de vni'
t'ondameiital . on s'apei-coil ipi il tant nier cette conscience ipii se nie
en se juisaid et ipi il i'ani n(''j;ii};er ipi'elle se pose en se niaid : car
le principe de coidi'adiclion interdit détenir pour i-i'cl ce ipii se po^e
et se nie à la l'ois p. .")7 .. D'ailleurs, le savoir noolo^ii|iie on
science (le lespi'it si'talilil paj- voie d intuition, d où ilrvoidenl la
(k''ilnciion el 1 induction, el suppo>e l:i noiion de i;enre, laipiclle est
injnslilialile.
QnanI an\ laits cosiiiolof^iipn's, ils s olisei-vent dans I es|>ace et
dans le tein|i-^ et se nu'snreni par le nomlire. ( Ir, le temps el l'es|)aee
sont choses suliject iv.'S, cri''ations de noire esprit, el il n existe pas
de nombre en dehors île I nnile.
A\ iiMis-niii|.~ lort de rappidei-, en cnmmeiica ni . \r projet de dr'crel
hnmorislii|ue ; ■ Il n > a plus rien ■■ ".'
One l'esli'-t-il, en etl'el, si le monde e\lei-ieur tout entier, si la con-
science humaine elle-ui;'me son! choses " irri''elles ■■ ',' Sans doute,
il ne reste rien.
Si, il reste (|.ni'h|ue l'hose. Il reste la pensi-'c i'h soi : il reste l'ariir-
mation de l'i.lre. lequel existe r(''ellemeiit, quelle que soit la nianièi'c
dont il existe : •. .le l'ariirnie ui'cessairernenl comme indi'pendant du
t'ait (pi'ilest at'lii-nu' par n^oi : cai-, psyc]uilogiipi(>menl. aflirniei-, c'est
al'lirnu'r de la surle .p. :2l:2i. « VA sur ce l'iunlemenl de la pense''!' en
soi, de l'exislence Ar l'èti'e en soi, et par le ciuiconrs du pi-incipe
ESSAI llilTlniE sril LE liimlT h \lllli.\IEIt 1.41
<ri(li'iilili''. rMulciir i-cc(iiisli-Nil |i('ii ,'i |ii'ii tdiii rc ipiihi iciivorsé coiniiii'
.'■laul ii-n''»'l ri piisc les bases d iiicl,i|ili\sii|iic s|iii-iliialiste t-oin-
l>lèteiiii'iit (lisliiictc delà scieiirc Lcli-ei'ii soi l'sl [larlail. élei'iiel. iii-
liiii. l'sseiiliclli'iiiont un: aii-di'ssoiis <!:■ lui. il |ii'iil y avoir pliiralilé
dt'Ircs iiupai'l'ails piuivaiil ai;ir i-iMiprdqui'iiiriil. |)i' là, ressorl Uiu'
niorali' cpii piTim-l di* coiiciliei- <'iisi'iid)l(' pliilusupliie, science et re-
ligion. La inéla|diysi([ue et par suite la religion élanl sé|iai-ées de la
science pai- iiiir eluisou absoliunenl clanclir. il ol i-lai;- ipi aiiciiii
cdnilit n'es! plus piissil)le enlre (dies.
Cet Essai es! une leiitative île ri'-.lain-al uni. dans im sens d'ailli'nrs
clirélien, delà vieille pliilosopliii' i\r ll^eole d'KIée. l'ondée par Xéno-
phaiie, mais dont le représenlaiil le pins niaripianl lut sou disci]ile
Parniénide iV siècle av. .\.-Ç.. . ipii niait liaidinicnl l'exisleuce du
monde el de tonte réalité, sanl celle de I unili' .ili-~iilnc.
(In ne sanrait contester l'orif^inalité et la puissanci' diinention
doni l'ait prenve l'anleiw de cet Essai ((ni n l'-l cerles i)as un espril
ordinaire. .Mais ipielijn irré|)roclial)le i|ue soiL sa concinsion linale.
sa niTMluide ne nous en [laraîl ])as moins jdeine de danj^ers. One
n'a-l-on pas dil. durant ce derniri- ipiarl de >ii''cle. ciuili-e la uii''tliodi'
cartésienne'.' .\ a-l-on pas anathénialisé. comnn- un principe inéluc-
lalili' de scepticisme, le i'anienx doute mélliodiipie, no reuiaripianl
penl-élrr pas >nriisanirnenl i|ne. iin''cisémeiil parce (pi'il (■lail int'Hlio--
ilique. le doute de Uescartes était essentiellement liypothétifjne et
provisoire? Kn taisant monientanémenl talije rase île tontes connais
sances. le pliilnsnplie toiiraniçean ne niait ni li' nnuide extérieur, ni
moins encore la conscience, jinisipu', an conliaiie , il descendait
dans celle-ci pour en constater le phénomène principal : <■ Je pense,
donc je suis; (.'otfilo, ergo xidii. ■■ l'!t siii' ei'lle lia>e inattaipiahle. il
reconsiruisail tonte la science d(^ l'étie.
Li\s négations de M. Lefebvre sont, elle> aii>>i. pnivisoires : mais
ce sont des négations, et combien ne sont-elles pas plus j^énérales el
ne porlenl-elles pas pbi.s loin ipiiin doute simple ipii ne dni'c cpie
ipielipies instants! N'est-il pas à craindre ijue les esprits enclins an
si-e|)licisme. comme il n'y en a qvie tro[i, s'en tiennent aux ipialre pre-
miers chapitres du livre, tout de néj;alion, et laissent de ci'ilé le cin-
ipiiènie el dernier ipii rééditie ce ijue les préei''(lents axaient dr'imili '.'
i:. HK KiiiWAN.
642 J. Bir.LET
DOCTRINES ET PROBLÈMES, par le H. P. Lucien Rolbe, s. j.
1 vol. iii-S", b2ij pages, Uetaux, Paris.
(le volimio. ildiil r;i|i|i;ii-ili(iii ilale (i('ià ilc |)i'ès d ime jinnée. est
foi-rné tl'une série d arlicles (|iii oui été publiés par le R. P. limnK
dans les h'Iuddx. 1! se divise en trois parties : Dorlriiirs, Prnh/rmcx
iiKirnii.r. l'rohlriiirs ji.siiiliiiloijiijlies.
Les doi'lrines étudiées sont celles île iJescarles, d'Autiste Coiiile,
dllerliiM-l Spencer, de M. Uenouvier. de M. Fouillée et de L('on (lllé-
Lapruiii',
Le 1!. 1*. l!(uiri> iiiouli-e à (pM)i se ramène rinlliieiice de hesi-arles
sur la pensée ((inlenipni-aine. Son spirilualisini' iillia la iiniduile à
liilrii/ixiiir dune pari, au mrcdxisme universel, d'autre part, c'est-à-
dire à la pi'élenliou d expliquer ce monde pai- les seules coudjinai-
soNs du mouvcmenl. A Descnries aussi penxeni se i-apporlei- les idées
louiez uiodei'in's de la hiule-puissance de la science, de l'alisorptinn
de la morale par le ruile de la raison, de la lil(ert('' de l'espril el de
rindéi)endance de la l'aison.
].,e nom d Au}<usle (lomle amène Ihisloire d("s cou(pu''les du posili-
visme au coui-s ilu xi.V siècle. La [lositioii négative prise par le sys-
tème en face de la recherche des causes, sa pri'ti'iilinn dapplicpier à
Ions les ordres de recherche la méthode malliémalique, l'ont lait^lis-
ser fatalement dans le scepticisme à l'éf^ard de l'absolu et dans le ma-
l(''rialisme.
Herbert Spencer attire rallenli<ui par ses essais pour ('lablii' un
svstème complel de philosophie scientili((ne, en appli(]uanl lidi'e
d'iAiiInlion aux pliénomèiu's <lii luiuide inoi-^auiipu' et organique.
aux laits d'ordi'e mental et social el à la moi-ale elle-même. Ce (|ui
l'ail limporlance de son œuvre, c'est (pu' seul il a donné un exposé
complet et méthodique île l'évolnlion. Onelle est donc la valeur, la
s(didité des bases de l'évolutionnisme de Spencer? se demande le
P. Uoure, Son examen porte successivemeid sur révolntioninsme
mécaniste, sur l'évolution mentale et révolnlion sociale, sur l'idée
religieuse et l'Inconnaissable. Il conclut avec M. Lévy-Brnhl : •■ l'ne
telle doctrine en dit tro|) ou trop peu. Trop, si elle doit se fomler sur
la science, car elli' lail nue part démesurée à l'hypothèse. Trop|)en,
si elle doit tenii' la ])lace des anciennes méta[)liysiques; car M. Spen-
cer passe sous silence ou résout par prétérition des problèmes tels
que ceux de l'apparition de la vie el de la pensée dans l'univers;
bien mieux celui de l'orif^ine de la matière même... " Kn somme ce
liiiiriiiyES ET l'IUHiLEMES, par le R. P. Lulien ROUllE 6«
t> nest pas l'iii'on' l;i |iliilr)sn|)liir toiKlér siii' r('\|i(''riciiic i|Mt' iiotro
sit'cle ri'cliiiur ■'.
M. HciKiuvicr csl II' piTi' ilii ci-Llicisiiii'. c'i'sl-.'i-diri' de i-i'llr pliild-
sophie qui pri'U'iid mi'ltri- un leriiu' i\ raiiai-rliic de la pciisoe philo-
sophique. Iiésilaut culri' h' posilivisnic et le luysticisiiu'. Mais dans
son iMisiMnlilf II' l'i'iticisiui' l'ouruil des ariiies au pusitivisme et an
nivstieisiiii' riudre li'si|iii'l.-- Il veiil ri',i,t;li'. ri dans sa |>ai'lie i)rii;iiialr
il apparail si iusul'lisant qu'il rejelli' plnlnl les i'Spril> xei-s les exlré-
mili'S diinl il préleud les sauver.
M. l-"iMiilir'i' a Minlu. .ipri's taul d ;iuli'i'>. essayer d'i'laldir une syn-
thèse du savoir. Il ci-oil la donnei- dans le système des idi'Cs forrc.i.
<pii l'ail sortir tons les êtres les nus des autres par révolution d'une
lorce unique, d nue loree nienlale. d une iili'e qui ^e dévelop|)e en
vertu d'un .ippélit propre. Il ne l'ait que sulistiluer la l'antaisie à la
science el à la pliilosophir.
Léon Ollé-I^apriiui' nous i'>l préseulé par le U. P. Uonre eoinnie un
penseur elii'élieu ehe/. qui la hauteur de l'esprit et la linq)idité de
l'inlellii^enie l'^alaieul la parfaite di'oiture de la vokuilé et Tintlexible
dignité du caraetère. Le pjrantl iiriiu'i[)e qui domine tonte son lenvre
philosophique, e'esl la loi de continuité ou de relation dans l'éclielle
des êtres et ilans les divers aspecis de l'être.
De sa pliilosoi»liie il t'ait une " chose morale ", une " j'dl'aire d'ànie ".
11 redit avee Plaliui : « C'est avec l'àme entièrt' qu'il faut aller à la
vérité. >• l>i' eelle conception, il tire sa doctrine de la ceililnde mo-
rale. De là aussi chez lui l'iiuion de la pliilosiqdiie pralique à la plii-
losopliie spéculative.
Les l'ralilriiir.t iixirim.v siuit pi'ésentés siMis les litres suivants :
Vertu kantienne el vertu clirélieune ; .\scétisuu' et Philosophie : le
prohlènie de la j-'oi chez M. Paul .lauel: le chi-islianisme de Maine de
Hiran; la queslioii du suicide.
Voici euliu les P m II Irrites psi/i-linloii'iijiii-x : le dévelo|)pement de la
sponlani'ili' iliez I enfant: l'aveugle dans la lutte poui' la vie: les alté-
rations de la personnalité; races et personnalités, etc.
Toutes ces éludes écrites d'une langue facile en nu style sobre et
clair, avec une érudition sûre d'elle-même, montrent dans leur auteur
nu lioniiue qui so tient au courant des plus intéressantes manifesta-
tions de 1 aclivitt' philosophique de nos jours et qui sait, en connais-
sance de cause, porter sur chacnni' tl'elles, sans exagération ni fai-
l)lesse. (k'S JugeuK'uts frappés au coin de la jilns saine l'aison.
J. BRU'LT.
40
BULLETIN
UK
LE\SEIG.\EME.\Ï PHILOSOt'HIOllE
INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
FVCLLTÉ \)E l'HILOSOPHII-:
DOCTORAT D'AGREGATION
Tllisr ilr ,1/. Ilrilllfs.
Leri l!S et l'.i juii), M. Victor lîoniies, donleur en philosopliie, soutonait
ses thèses de doctorat d"n,siv£:atioii.
Il y a quelques années, intervinrent de profondes inodilkations touchant
les grades supérieurs conférés dans les facultés libres, (in voului rendre
plus accessible l'épreuve du doctorat, difficile au point qu'on n'avait guère
que des licenciés.
Aussi imagina-t-nn de créer deux examens de doctoral. L'un, destiné ;i
couronner les éludes universitaires classiques, exigea deux compositions
écrites suivies j.l'un oral sur les matières de l'année, et, en outre, une
thèse de quelque étendue, imprimée ou non, soutenue en séance publique.
Les conditions de l'autre furent ainsi arrêtées : " Les épreuves spéciales
du doctorat d'agrégation se composent de deux soutenances publiques,
première a pour objet l'ensemble de la jihiiosopliie. Pour cette premier
épreuve, les candidats dresseni eux-mêmes et font approuver par les pro-
fesseurs compétents une série de quarante propositions, choisies dans
l'ensemble des matières. La seconde épreuve est la soutenance d'une
(hèse imprimée, sur un sujet choisi par le candidat et approuvé par le
conseil. Cette thèse doit être assez considérable et consliluer un travail
important et personnel.
ti40 E. A.
(I Pour le choix et la présentalion de celle thèse, on suit les mêmes
règles que pour les thèses de doctorat ordinaire; mais, de plus, les thèses
doivent porter le visa du Hecteur. 11 est donné plus de solennité aux deux
soutenances, dont la durée demeure fixée à trois heures environ pour
chacune. »
On le voit, pour ce dernier examen, les difficultés du doctorat primitif
étaient maintenues avec aggravation. Depuis l'inauguration de ce nouvel
ordre de choses, environ cinq ans, M. Hernies était le premier qui affron-
tait les épreuves du doctorat dagrégation. ■
THESES ORALES
En vue de la première soutenance, il avait fail choix de quarante Ihèses
ou positions, assez compréhensives pour englober toule la philojopliie.
Dans ce programme imprimé, on voyait figurer les définitions si complexes
de la philosophie, du temps, de l'espace, etc.; les problèmes si anius de la
substance, des universaux, de la certitude, de l'abstraction, de la liberté,
de la composition des corps; les questions si fondamentales de l'àine, de
Dieu, de la conscience, du devoir individuel et social.
Le R. P. Bulliot ouvre la discussion. 11 félicite d'abord le candidat. Il
le Iciue d'avoir mené à bonne fin une œuvre aussi importante que la pré-
paration du Doctorat d'Agrégation, et le livre Spiriiwilitc et IminorI alité. —
Il doit également, dit-il, des remerciements à l'iniversilé catholique de
Toulouse, qui, après avoir envoyé à Paris le P. Peillaube comme professeur,
envoie encore M. Bernies comme candidat au Doclorat d'Agrégation. Il
demande ensuite au candidat d'exposer la notion de liberté.
M. Bernies donne un aperçu de la théorie classique. Sans attendre tous
les développements, le Révérend Père déclare ne pas concevoir que la
liberté suit possible. Voluntas •ierjidtiir intcllcctum. tir, l'intelligence ne peut
s'empocher de souscriie au vrai. Donc, la volonté ne peut s'empêcher de
poursuivre le bien.
— Sans doute, repart le candidat ; aussi, la volonlé est-elle déterminée
à se mouvoir dans le sens du bien : elle va nécessairement à la raison de
bien, à l'absolu. La volonté demeure libre dans la poursuite des biens par-
ticuliers, parce que, selon la profonde remarque de saint Thomas : bonum
■partiiulare non est bonum sub omni respeclu. Et, partant, liberté de choix.
Le R. P. Bulliot insiste. Le bien partiel doit s'imposer à la volonté
cjmmo le vrai partiel à l'intelligence.
M. Bernies. — Il ne serait pas exact de pousser à ses extrêmes limites
le parallélisme de l'intelligence et de la volonté. Le vrai partiel est vrai
tout entier ; le bien partiel n'est pas bien tout entier. — Au surplus, l'in-
telligence peut s'assimiler toute vérité ; la volonté ne saurait atteindre tout
bien. Elle doit choisir. — Enfin, en un sens, on peut dire que le dernier
T>nCTnlt.\T ItM.HEGATHiS r>47
jugement pratique dicte ses ordres ;i la liberté. L'iioriime n'eu reste pas
moins libre dans son jugement électif.
Le R. P. Peillaube prend alors la parole et demande au candidat de
bjon établir la thèse de la substance.
M. Bernies. — 11 est des êtres, um dans le multiple, non pas seulement
au point de vue numérique, mais au point de vue ontologique : permanents
dans la mobilité de leurs phénomènes ; non-hihcient:< ou essentiellement
indépendants de la matière. Tel le moi humain. Or, imité, permanence,
non-inhérence, constituent précisément la nntion de substance. 11 existe
donc des substances.
Les qualités énumérées constituent les caractéristiques de l'être sub-
stantiel, auxquelles il ne faut rien ajouter, si Ton veut éviter le pan-
théisme: auxquelles il ne faut rien enlever, sous peine de tomber dans le
phénoménisme.
LeR. P. Peillaube reprend : Ce concept de substance est antinomique. Il
implique l'un dans le multiple. Or, l'un et le multiple s'excluent, et l'on ne
voit pas comment l'un pourrait sortir du multiple. Pour en sortir, il devrait
y être renfermé, et l'un ne serait plus un.
M. Bernies. — Autre chose est l'unité réelle et l'unité logique. Rien
n'erapéche que l'unité réelle soit virtuellement multiple. Le réel peut être
composé sans cesser d'être un.
Le R. P. Peillaube. — La substance ii'en est pas moins inadmissible.
L'é'tre substantiel permanent serait cause. Ktre cause, c'est agir. Agir, c'est
changer. D'où exclusion de la permanence et contradiction.
M. Bernies répund que l'agir est une modification de surface et non de
fond. Sous l'action, la substance est immuable.
— Mais alors, de votre propre aveu, réplique le P. Peillaube, la sub-
stance n'est pas cause.
M. Bernies. — La substance est cause radicale, non immédiate. Elle
agit par l'entremise de ses facultés.
Le R. P. Peillaube. — Vous déplacez la difficulté. Llle reste entière à
propos des facultés. Elles aussi sont des essences, et donc immuables. Elles
ne sauraient açir.
M. Bernies. — ElTectivement les facultés ne sont pas, comme telles, sus-
ceptibles de plus ou de moins : elles demeurent identiques à elles-mêmes.
Elles admettent pourtant des différences de développement par l'habitude,
organisation d'actes multiples dans une direction donnée. C'est par l'habi-
tude naturelle ou acquise qu'opère un pouvoir quelconque : et c'est d'elle
que découlent les changements de la faculté.
Le R. P. de la Barre interroge à son tour et veut savoir s'il est vrai,
comme 1 allirme le programme élaboré par le candidat, que Dieu est le
fondement essentiel de toute morale possible.
M. Bernies. — Théoriquement, et c'est théoriquement que la thèse est
formulée, la chose n'est pas douteuse. On ne peut édifier un système de
048 E. A.
morale rationnelle et nbligaloire qu'en le basani sur la manifestation d'une
volonté supérieure.
Pratiquement, il est très vrai que souvent on peut faire le bien sans avoir
[irésenle à l'esprit la pensée de Dieu, sans même le connaître ou sans vou-
loir le reconnaître. Par atavisme, par entraînement de nature, par senti-
ment, on peut être amené là faire le bien.
Le R. P. de la Barre. — .Mais alors il est une morale pratique dont la
conscience devient le fondement. Et, par suite, on peut accepter la positivité
d'une morale indépendante.
M. Bernies. — Du point de vue psychologiqui', historique et expérimen-
tal on peut en elïet, semble-t-il, tentei' de constituer une morale positive,
indépendante de la métaphysique. Mais pour lui donner la base solide, la
valeur absolue et indiscutée qu'elle réclame, on est forcé de faire a|)pel à
un maître su|irême, qui crée et impose l'obligalion morale. La conscience
n'est dèb lors que le porte-paiole de la Divinité.
Le R. P. de la Barre. \oudrii'7.-vous nous dire dans quel sens et par
quil moyen'.'
M. Bernies. — Par l'habitude des premiers principes de moralité ou par
la syndéièse.
Le R. P. de la Barre. - Par la syndérèse entende/,-vou> une habitude
innée '.'
M. Bernies. J'entends l'innéisme non de principes tout faits, mais de
certaines préformations de ces principes, l'innéisme de certaine tendance,
qui rend plus facile l'acquisition des notions morales les plus indispen-
sables.
Le R. P. Sertillauges inteivient alors et l'ail la remarque que exami-
nateur et candidat, sacrifient beaucoup à l'innéisme. Un souverain législa-
teur et la conscience pour promulguer ses ordres, — pas n'est besoin d'autre
élément pour constituer la loi morale.
M. Bernies estime qu'en outre de cette faculté nue de connaître le bien
moral, il faut admettre en nous je ne sais quelle inclination innée, je ne
sais quel dynamisme tendanciel, qui nous amène plue rapidement et plus
aisément à la connaissance des premiers principes de la loi morale. En
maini endroit, saint Thomas fait mention de cet élément embryonnaire de
déterminatiiiii.
Le Révérend Père porte alors la discussion sur le problème si obscur
du concours divin. Comment concilier l'action divine et la liberté "î
M. Bernies incline vers la solution thomiste, et se réfugie pour résoudre
les dilïérentes difficultés dans la transcendance de la cause première.
L'argumentation met bienlôt aux prises deux champion> du thomisme
et du molini-me, le K. P. Sertillauges et le R. P. .\uriault.
nOCTOliAT ItMiliEGATIOX i>W
THKSE IMPRIMEE
M. Bernie> résume son livre.
L'ouvrage a pour titre : Spidlualité et Immortalité. C'est qu'en elTet on
-s'est uttaclté :i faire de l'immortalité une conséquence de la spiritualité.
Sujet très actuel, attendu que les matérialistes nient, que les kantisles
doutent, que certains catholiques sont ébranlés.
Est-il bien vrai pourtant que la preuve de l'immortalité par la spiritua-
lité est désormais vieillie? Nous ne le croyons pas, et le jirésent travail a
pour but de démontrer que l'argumentation traditionnelle n'a rien perdu
de son nerf et de sa vigueur.
Le livre est construit sur trois plans superposés.
1° Dans les trois premiers chapitres sont analysés, étudiés les phéno-
mènes intellectuels et volontaires, .\bstraits, universels, nécessaires, ils sont
forcément immatériels, puisque tout être de matière est de soi concret, par-
ticulier, contingent. Kssentiellement indépendants de la matière, les phé-
nomènes de notre psychisme supérieur sunt spirituels.
2» Les cinq chapitres qui suivent ne sont en somme qu'une a|iplication,
une mise en œuvre du principe de causalité.
Partant de cet axiome inébranlable que tout elfel sup|)Ose une cause, et
une cause proportionnée, des actes ou des effets réels qu'on vient d'ap-
prendre à connaître on passe à une cause réelle ;
Des elTets spirituels on passe à un principe spirituel;
Du phénomène on passe à la substance, et on conclut : L'àme intelli-
gente est principe réel, spirituel, substantiel de vie et de pensée. C'est un
esprit, c'est une substance indépendante de la matière.
3° Les chapitres ix et x ont pour but de montier que l'immortalité dé-
coule de la spiritualité.
L'àme a des conditions de vie étrangères au corps. Doue on peut déjà
conclure que la ruine du corps n'entraîne pas la mort de l'àme.
Effectivement, si nous la considérons :
a) En etle-mcme : point de dissolution ou de désagrégement jiossible. Klle
est simple et spirituelle.
6) Par rapport au monde extérieur. Les agents du dehors sont ou ma-
lériels, et la matière n'a pas prise directe sur l'esprit : ou spirituels, et le
spirituel ne fait pas obstacle au spirituel, à moins qu'on ne parle de la
Toute-Puissance.
(■} Par rapport à Dieu, il ne saurait intervenir jiour détruire, il n'annihile
pas. L'àme mérite mieux, alors surtout qu'elle est à l'apugée de la beauté
morale.
Au surplus, pour nous rassurercompb' tementcontre cette éventualité d'un
Dieu annihilateur nous avons la finalité ou la téléologie, basée sur la spi-
ritualité. L'objet qui fut assigné originairement et connaturellement à notre
pensée et à noire cœur postule l'inlîni de l'immortalité. Dieu ne saurait se
WO K. A.
déjuger et nous tromper. Il a écrit des promesses d'imniortulilé dans les-
profondeurs de notre psychisme. Les promesses seront remplies.
Le R. P. Peillaube a lu la thèse en manuscrit. 11 félicite l'auteur de
l'exemple qu'il donne aux jeunes prêtres sortis des Instituts catholiques et
occupés dans le ministère des paroisses ou dans l'enseignement des col-
lèges et séminaires. Curé dans la montagne, isolé par conséquent des
villes et des bibliothèques, .M. Bernies a trouvé du temps et des livres pour
l'aire un travail solide et bien documenté. ■
Il est ;'i regretter seulement, en ce qui concerne le fond, que le chapitre
des actes volontaiies ne soit pas aussi fouillé que celui des actes intellec-
tuels. Le P. Peillaube est d'accord avec le candidat sur rargumeulation
générale. Il lui reproche quelques répétitions qui en effacent un peu le re-
lief, à certains endroits. La manière de M. Bernies dans la discussion des
théories qui ne sont pas les siennes est un peu vive. Il prend son adver-
saire, il le place devant lui et quelquefois même s'adresse directement à
lui. Le livre est écrit avec chaleur, de la première page à la dernière. Le
1'. Peillaube loue le candidat pour la facilité, le coloris et la poésie du
style, tout en regrettant certaines descriptions de sources et de paysages de
montagne — d'ailleurs rliarmautes de fraîcheur et de naturel — qui bri-
sent quelquefois le lit du raisonnement.
En terminant, il demande quelques explications sur le caractère et le rôle
de la preuve téléologique, dont l'auteur fait un complément de la preuve
métaphysique, semblant indiquer par là que la preuve métaphysique est
insuflisaiile eu elle-même.
M. Bernies. — C'est la preuve téléologique qui me paraît insuffisante
en elle-même, lîaser en elVet une conclusion nécessaire sur un fait contin-
gent constitue uu paralogisme. ()r, l'insuffisance des joies delà vie présente
pour combler nos aspirations est un fait contingent si l'on se contente de
II' constater sans en connaître les raisons substantielles
Le R. P. Peillaube. — Et l'induciion ?
M. Bernies. — Sans doute, le processus inductif semble pouvoir nous
introduiie dans l'ordre des essences et légitimer des conclusions nécessaires.
Mais, d'une part, ils sont si nombreux ceux qui s'accommoderaient des bon-
heurs terrestres, et, d'autre part, la finalité a tant de déchet dans la nature,
.sans compter qu'il reste toujours à se demander si ces sortes d'aspirations
ne sont pas le fait de certain raffinement l'actice, non naturel, qu'il devient
difficile de donner à cette preuve toute la rigueur dé^monstrative. On aura
une croyance, on cessera d'avoir une certitude.
Si, au contraire, on base la finalité sur la nature spirituelle de l'àme, il
devient possible de démontrer que nos aspirations vers l'au-delà ne sont
pas adventices, mai? primitives et innées. L'analyse métaphysique montre
qu'elles s'expliquent par l'objpt universel de notre faculté de penser et
d'aimer.
En outre, si l'on n'établit au préalable la preuve métapliysique de la
DOCTOliAT h.UilllCHATiOS 651
substantialilé, support nécessaire de la personne morale, on ne voit guère
la possibilité de conclure à limmorlalité individuelle.
Le R. P. Sertillanges demande à M. Bernies comment, du fait qu'il n'y
a point de priuciiie interne de corruption dans l'âme, il peut déduire le
fait d'une immortalité positive. L'àine ne pourrait-elle pas cesser d'être au-
trement que par une modilication interne? La substance matérielle est in-
connaissable, qu'il s'agisse de l'àme ou de Dieu. Immatériel signifie sim-
plement non-matériel. S'il est possible de démontrer qu'une pjareille
essence ne peut périr à la façon de l'élément matériel, rien ne prouve
qu'absolument parlant elle ne puisse périr.
M. Bernies. - 11 faut distinguer entre l'immatérialité, idée toute néga-
tive, et la spiritualité, idée positive, que nous obtenons sans doute par un
processus négatif d'abstraction et d'élimination, mais qui représente fina-
lement une réalité positive. 11 faut une cause réelle à des etl'ets réels
comme nos phénomènes psychologiques.
Cette réalité, nous ne la connaissons pas, je le veu.x bien, d'une manière
adéquate. Mais l'analyse métaphysique de son universalité nous la mani-
feste assez, pour qu'il nous soit loisible de conclure qu'elle implique l'im-
mortalité, comme condition nécessaire de son activité et de son plein déve-
loppement.
Quant aux dilTérpnte^ suppositions (|ue l'on pourrait faire touchant la
mort de l'àme --oit par corruption et désagrégement à la façon des corps, soit
par une moditicition quelconque amenant l'extinction, soit par l'inter-
vention d'un agent étranger, ces dilTérentes hypothèses ont été une à une
examinées dans mon livre. Il serait trop long d'y revenir.
R. P. Sertillanges. — En dehors des raisons que vous avez énumérées,
il en esl une c|ui pourrait légitimer la soustraction du concours divin, et
par suite l'annihilation. Par la mort le composé humain est brisé. Que sert-
il de conserver un débris ? Feriez-vous de la résurrection des corps une
nécessité philosophique ?
M. Bernies. — Non assurément. C'est là un dogme théologique. Philo-
so|iliiquêmenl il nous est suggéré, non imposé.
R. P. Sertillanges. — Comment dès lors résoudre l'objection soulevée?
M. Bernies. — Sans trop de difficulté. En un sens l'homme a péri, et
l'àme est une épave. Mais c'est une épave qui est susceptible d'une vie
autonome. — C'est, du reste, la partie la plus noble de l'être humain : rien
d'étonnant à ce qu'elle appelle une existence supérieure, indépendante.
Elle a connu et poursuivi le bien, elle a souffert, elle a mérité ; tout mérite
est un fruit de son activité radicale et s'explique par elle. Il est donc luste,
et absolument cela suffit, que l'homme se survive dans son àme. Rien de
plus harmonique et de plus philosophique.
R. P. Sertillanges. — L'homme ne doit pas agir en vue de fins égoïstes.
Et s'il agit pour l'espèce, rien ne réclame son immortalité. Il doit travail-
ler au bien commun, faire son métier d'homme et disparaître, puisque
6b 2 1" A.
telle est sa destinée. D'autres lui succéderont, el l'espèce se survivra dans
ses descendants pour fournir la somme de bien que s'est proposée la na-
ture créatrice. Les énergies immatérielles ont été départies à l'humanité
afin qu'elle pût s'employer plus efficacement à ce bien de l'espèce.
M. Bernies. — En travaillant à son immortalité de bonheur, l'homme
n'agit pas uniquement, ou même principalement en vue de fins égoïstes.
11 se dépense pour le bien absolu, et c'est dans la mesure de son désinté-
ressement qu'il est digne de louange et de récompense.
Quant à ce qui est de son avenir, corps e-t âme, l'homme a une double
destinée. Corps, être temporel, il doit s'employer au bien de l'espèce, au
perfectionnement de la vie présente, et cela par tous ses moyens. Esprit,
("•tre immortel, rien n'empêche qu'il ne soit simultanément appelé à des
destinées supraterrestres. Les deux destinées se superposent et se confon-
dent dans une admirable unité. L'une ne nuit pas à l'autre. Nous avons de
bonnes raisons de croire à l'avenir de l'espèce ; nous en avons d'excellentes
(le croire à l'immortalité de l'âme.
Le R. P. Auriault s'adressant au candidat : Vous avez donné, dit-il,
un grand exemple, qui, je l'espère, sera fécond. Vous n'avez pas voulu
faire de la philosophie en dilettante, en virtuose ; vous avez fait de la phi-
losophie en philosophe. Et, faisant de la philosophie en philosophe, vous
êtes arrivé à lui faire remplir sa plus haute fonction, qui est d'aider la
théologie. C'est ce dont je suis heureux de vous féliciter comme professeur
de dogme.
Prenant une thèse difficile, mais sîirement démontrable, vous l'avez
prouvée par des raisons traditionnelles que vous ave/, faites vôtres. Au lieu
de vous laisser aller au plaisir, — si tant est qu'il puisse y avoir plaisir à
ce travail, — au plaisir trop facile de critiquer, d'énerver des arguments qui
ont paru démonstratifs aux plus grands génies chrétiens, vous les avez re-
pris pour votre compte et vous les avez faits vôtres. Je le répète, vous
avez donné un bel exemple et donné raison à ce vieil axiome : Philosophia
est ancHla theologisc. Je ne prendrai même pas à mon compte les critiques
qu'on vous a adressées tout à l'heure, (^ar si pour nous, gens d'abstraction,
les pages d'imagination paraissent trop nombreuses, il n'en est pas de
même pour les profanes, qui aimeront à se reposer près des sources où
vous les conduisez.
Je vous attaquerai plutôt sur la soi-disant indépendance substantielle
(|ue vous prêtez à l'âme humaine.
Nous sommes débordés par nos appétits, nos pensées : nous ne sommes
pas les maîtres de notre activité ; nous ne nous appartenons pas. C'est
donc que nous ne sommes pas une substance, un moi fermé, mais bien que
nous sommes inhérents à un autre dont nous ne sommes que l'instrument
ou mieux la faculté, une faculté subordonnée. Et ceci apparaît clairement
soit au point de vue de l'efficience, soit au point de vue de la finalité.
M. Bernies. — Il y a le domaine de la liberté, et dans ce domaine
DoCTiiUM li.VillÊCATIiiS <>S3
nous finissons par être les maîtres de toutes les tendances qui se heurtent
eu nous, si toutefois nous n'abusons pas de notre pouvoir de nous régir
et de nous créer des nécessités factices. — Il y a aussi le domaine de la dé-
termination physiologique ou même psychologique. Mais ces détermina-
tions internes et la dépendance e.vtrinsèque par rapport à l'auteur de ces
déterminations n'excluent pas la substanlialité. Seule la dépendance intrin-
sèque la supprime. La substance est une force qui tient eu dépôt la faculté,
libre ou non, de se mouvoir et d'agir sous la motion actuelle de la cause
principale. Nous avons en réserve le pouvoir d'agir. — (Juant à nos facul-
tés, nous nous rendons compte qu'elles sont essentiellement dépendantes
du dernier fond substantiel dont nous avons le sentiment. Au contraire, ce
fond nous apparaît comme non-inhérent.
Le R. P. Auriault. — Passe dans l'ordre de l'efficience. .Mais, nu point
de vue de la finalité, est-il contestable que l'individu ne soit subordonné
au tout •? Nous pensons, nous aimons, nous agissons en vue du bien collec-
tif. N'est-ce pas dans ce sens que l'imagination et nos autres facultés phy-
siologiques s'ébranlent, se travaillent et nous inclinent?
M. Bernies. — Oui, évidemment. Cela ne saurait empêcher que l'indi-
vidu n'ait une lin particulière, un but individuel, qui se suffit à lui-même,
bien qu'il puisse être dans la suite détourné en faveur de l'espèce. C'est
toujours la question de la dépendance extrinsèque : on peut être sub-
stance et dépendre extrinsèquement soit dans l'ordre de l'efficience, soit
dans l'ordre de la finalité.
Le R. P. Auriault. — Ku tous cas, ces choses sont obscures, donc pas
démontrées.
M. Bernies. — iibscures, j'en conviens. Indémontrables, non certes, au
moins quant au fait. Ignoratio modi non tollit certitudinem facti.
Le R. P. Bulliot demande à l'auteur de Spiriluatitc et Iinmorhdité uu
supplément d explication sur uu cas spécial d idée abstraite. — Il y a
un cas, en effet, où elle coïncide, au moins dans la réalité, avec l'image indi-
viduelle. Soit en effet un article manufacturé, une statue : il y a des milliers
d'échantillons semblables. En quoi feia-t-on consister dans ce cas particu-
lier la dill'érence de l'idée abstraite et de l'image visuelle'? Et si elles peu-
vent coïncider au moins dans un cas, cela ne suffit-il pas pour efl'acer toute
différence d'essence ?
M. Bernies observe d'abord que les statues ne seront qu'imparfaite-
ment semblables. Il y aura des différences dans le temps, dans le détail.
L'universel conceptuel est au coiilraire parfaitement identique à lui-même
da.is tous les cas. Il fait abstraction de toutes les contingences variables.
De plus, aurait-on la certitude que tous les échantillons sont semblables,
on aurait une représentation collective, nullement universelle. La repré-
sentation s'étendrait à tous les cas existants, nullement à tous les cas
possibles.
Pour englober, non seulement le réel, mais le possible, il faut toucher à
6a+ E. A.
l'essence des choses, il faut se mouvoir dans l'absolu. Nous sommes ici
dans le contingent, il n'est pas essentiel que toutes les statues possibles
soient semblables, que le moule ne s'use pas ou ne se brise pas. D'un cas
nous ne pourrons donc jamais conclure avec certitude à un autre cas, au
moins pour l'avenir. Nous ne tenons pas sous la main le véritable universel.
Enfin, unaersatiser, c'est se prononcer sur la ressemblance ou l'identité,
c'est faire appel aux principes premiers, par là mOme, c'est idéaliser. Ce
que vous appelez image est déjà idée.
Le R. P. Bulliot. — Dans un autre ordre d'idées, il ne semble pas que
vous ayez, abordé avec une décision suffisante le probli'>ine de la liberté et
de la conservation de l'énergie.
L'acte libre dirige nos mouvements et les décisions de l'appétit sensitif ;
or, vous ne lui attribuez pas sans hésitation le pouvoir d'introduire une
nouvelle quantité d'énergie, si minime soit-elle, dans l'équation mécanique
des forces. Cette position est-elle facilement défendable et ne vaut-il pas
mieux revendiquer hautement pciur l'acte libre le pouvoir d'intervenir
efficacement pour sa part dans le problème dynamique ?
M. Bernies. — J'ai en effet évité de me prononcer dans une question si
débattue, .le suis loin de croire à l'iutangibilité absolue du principe physi-
que de la conservation des forces.
D'autre part, je crois que, même en acceptant ce principe, on peut
répondre de manière à peu près satisfaisante aux princi|)ales objections.
Le R. P. Bulliot. — l.a physiologie est absolument incapable de
mesurer et de constater expérimentalement une quantité d'énergie que
l'on peut toujours supposer plus petite que toute quantité donnée.
M. Bernies. — le le crois avec vous. — On peut avoir d'autres raisons,
tel l'ordre universel, d'accepter le principe.
Le R. P. Bulliot. — On ne saurait pourtant i-oncevoir sans une très
grande difficulté un pouvoir etîeclif de direction sans nulle dépense
d'énergie. Diriger, c'est agir, c'est donc forcément dépenser de l'énergie.
M. Bernies. — De l'énergie spirituelle, non de l'énergie organique.
Le R. P. Bulliot. — La distinction est inadmissible. Il s'agit ici de
psychologie sensible et non intellectuelle. (Ir, tout acte psychologique sen-
sible est en même temps physiologique et comme tel il entraîne une
variation de potentiel. La cause libre, qui a actionné le mouvement
cérébral, n'a pu le faire sans lui communiquer une fraction d'énergie.
M. Bernies. — C'est la queslion des rapports du moral et du physique.
Il n'est pas démontré qu'une cause spirituelle ne puisse mettre en mou-
vement, déclencher, ou de potentielle rendre cinétique une force physio-
logique quelconque sans devenir elle-même matérielle. Il semble qu'elle
puisse diriger sans se matérialiser, grâce à la radication de nos divers
pouvoirs dans la même âme.
Le R. P. de la Barre a demandé à M. Bernies d'expliquer et de com-
pléter sa pensée relativement à certains laits, qui tendent singulièrement
DOCTOKAT liMiREGATlOS «"ja
à dimiuui'i la distance entre rintelligenee humaine et la connaissance
animale. l»"une part, on trouve chez, l'animal des apparenres de raison-
nement ordonnées à une fin, — semblant même indiquer un raisonnement
expérimental : c'est ce que montre bien le proverbe : chat échaudé craint
l'eau froide.
D'autre part, chez l'homme, ce qui parait un raisonnement n'yst le plus
souvent qu'une opération instinctive de l'esprit associant certaines repré-
sentations, matérielles, Imaginatives. Les scolastiques avaient bien con-
science de celte analogie, lorsqu'ils insistaient sur la lis collativa ou vis
cogitativa. lorsqu'ils rappelaient à ce propos uçe sentence chère à l'auteur
des Livres Arêopagitiquefi : yatwa divina conjungit fi'^es superiorum et
inferioruiii .
M. Bernies commençait à répondre en insistant sur les caractères
essentiels de l'intelligence humaine, lorsque la séance fut levée.
M. Beraies a été proclamé docteur-agrégé à l'unanimité des membres du
jury. Le Recteur lui u déclaré que, dans ses grandes lignes, la doctrine
qu'il soutient est absolument conforme à celle des professeurs de la
Faculté de Pliilo~upliie.
K. A.
Soutenance de thèses pour le doctorat en pliilosojihie
I.e M mai l'JOI, M. Adolphe Landry, ancien élève de l'École normale
supérieure, agrégé de philosophie, professeur au collège Chaptal,a soutenu,
devant la Faculté des lettres de l'IJniversilé de Paris, ses thèses pour le
doctorat sur lés sujets suivants :
Première thèse. — Deresponsabilitute sentium.
Deuxième thèse. — L'utilité sociale et ta propriété indiiidnelle.
.M. Landry a été déclaré digne du grade de docteur es lettres avec la
mention très honorable.
Le 23 Juin lOOl, le 15. P. t'.h.iries Etérovic, franriscaiu, a soutenu, devant
la l'acuité de philosophie de l'Institut catholique de Paris, sa thèse sur le
sujet suivant :
Du rôle de la volonté dana la philosophie ic DunttScot.
Le H. P. Charles Etérovic a été déclan'' digne du grade de docteur.
Le 27 juin l'.iOI, M. l'abbé Dessoulavy, prolesseur de philosophie au
grand séminaire de SouthwarU Angleterre), a soutenu, devant la Eacullé
de philosophie de Tlnstitul catholique de Paiis, sa thèse sur le sujet
suivant :
Saint Anselme et non action sur la philosophie du utni/en nf/e.
.\L Dessoulavy a été déclaré digne du grade de docteur.
I.e mercredi !(• juillet, M. Louis Delaporte, licencié es sciences mathé-
matiques en Sorbonne, a subi les épreuves du doctorat devant la Faculté
des lettres de l'Iniversité de Fribourg (Suisse).
Sa thèse intitulée : Essai philosophique sur les ijcomctries non-eurlidiennes,
a obtenu la note " magna cum laude ».
CONCOURS GÉ.NÉHAI. I>ES LYCÉES HE PARIS
CLASSE DE PHILO~0PHIK
DISSERTATION FRANÇAISE
l'rir d'honneur : M. David, du Lycée Henri IV'.
Premier Prix : M. Cans, du Lycée Condorcet.
Le Gémnl : L. (ÎAR.MKH.
La Chapelle-Montligeon. — Inip. île N.-l). île Montligeon.
LA FORMATION DE LA VOLONTÉ
I
Il ne s'agit pdint ici (i"un(' question métaphysique. Oue lu
volonté soit une vraie « faculté », ou qu'elle soit seulement
une forme d'activité de l'ànie humaine, elle demeure, au point
de vue moral, le pouvoir qu'a l'àme de se déterminer, avec
conscience et rcllexion, à une action de son choix. Développer
ce pouvoir de commander les actions, restreindre le champ de
rimpulsion machinale et le règne du caprice, pour étendre la
maîtrise de l'àme sur toutes les énergies dont elle est la source,
c'est tout l'art de former la volonté. L'homme a de la volonté
dans la mesure où il échappe à la domination des forces du
dehors et où il gouverne les poussées de vie qui surgissent au
dedans.
Ainsi comprises, les volontés sont rares; et donc la question
morale que nous ahordons n'est pas oiseuse, fresque tous les
hommes, en effet, se rangent en deux catégories : les apathiques
et les excessifs. Chez les apathiques, l'impulsion fait défaut, les
ressources vitales restent ensevelies dans l'inaction, l'activité
ne monte pas à la hauteur du devoir : cette « langueur d'âme ■>
ou ahoiilif, cette horreur de l'effort est, au dire de M. Payot (1),
la maladie de la volonté la plus universelle et la plus dange-
reuse. Chez les excessifs, — et nous sommes tous excessifs à cer-
taines heures sous le coup de la passion, — l'impulsion est au
contraire violente, désordonnée, comme la fougue indomptée
de ces attelages que le mors ne gouverne pas. Ni les ims ni les
(i; L'Iitliii-ation de la volonté, p. l (sixiriiie édition).
41
«58 .1. (iLlHlillT
autres n'ont Je volonto. (lolui-là aura de la volonté qui, dans
les heures d'apatliie, saura éveiller ses énergies assoupies, en
utilisant le peu de force dont il dispose pour aller au-devant de
l'impulsion salutaire, et qui, dans les heures d'excitations désor-
données, apaisera ou bridera ses passions, en canalisant dans
la ligne du devoir les activités fécondes dont son ànie déborde.
Avoir de la volonté, c'est donc régler la production et la
dépense de l'activité, ranimer la vie quand elle s'éteint et en
modérer la llanime quand elle s'avive.
Le premier résultat d'une telle maîtrise sera le développe-
ment de la personnalité. Si on a pu dire, avec trop de vérité,
qa' « il n'y a pas un homme sur mille qui soit une per-
sonne (1) '■. c'est qu'en effet la plupart des hommes, au lieu
d" «1 avilir leur âme dans leurs mains (2) •>, sont mus par les
iniluenci's extérieures ou par les exigences aveugles de leur
sensibilité. " La vraie dignité d'un homme, a-t-nn dit, est dans
ce qu'il l'si , cl non dans ce qn il a (3). » Or les liommes sans
volonté ne saiil i)as , puisqu'ils ne s'a|)p;irtiennent pas,
puisqu'ils ne produisent pas, puisqu'ils n'acquièrent pas. Par
la volonté, ils s'arracheraient à leurs tyrans, ils se rendraient
à eux-mêmes en recouvrant la liberté, et dès lors ils devien-
draient personnes morales. Ce serait la grandeur à la place de
la dégradation, l-lt comment le (ibrist fut-il, même pour la vie
présente, le Sauveur de l'immanité, sinon j)arce qu'il apjiritaux
hommes l'art de s'atfranciiir et de se posséder : In iialifiilia
rr.s/ra posnideùi/is animas ipslras (4)?
Et comme la conquête de soi exige un plus grand effort que
la conquête des autres, — ce que démontre avec évidence l'his-
toire de presque tous b's grands hommes, — le développement
de la personnalité entraîne la puissance d'action et rem|)ire de
l'inlluence sur les autres hommes. (]eux-là donc gouverneront
le monde et « posséder()nt la terre -'ii, » qui auront d'abord pris
possession d'cux-mênu's.
(1; Cité dans Blissos, Éduca/ion de la volonté, p. 36.
(2; Psaume cxviir. vers. 109.
(31 Blackie, L'Éducation de soi-même, p. 83.
(4) Luc, XXI, ch. vers. 19.
(Sj Beal: miles qiioniam tpsi poss'ilebunl lerram (Mattii., c. \,.
LA l-nliMATloy DE LA YiiLnMK r,'.;^'
Tout plie ilevanl les l'oiies volontés, jusqu'aux éléments sans
vie et aux forces brutales. Grâce à la persévérance dans le tra-
vail et à la ténacité dans les projets, la nature livre à la volonté
humaine ses secrets et ses ressources : c'est pourquoi on a pu
dire que le ji'énie est une lonj^ue patience, et il est certain que la
volonté n'a pas moins de part ([ue l'esprit dans les plus belles
découvertes et les entreprises les plus hardies.
Car la valeur intellectuelle est aussi, pour une grande part,
le i'ruit de la volonté. Deux esprits d'égale portée aboutiront à
des résultats très ditt'érents, suivant la volonté qui les met en
ceuvre : le talent, quel qu'il soit, ne rapporte que par son pla-
cement. Or, la fécondité de l'esprit, chacun le sait, dépend de
la puissance de l'attention. Dispersé et divisé, il ne produit rien.
Fixé par l'atlention, il pénètre, il creuse, il s'enrichit. Mais
l'attention (^st tlouloureuse ; elle ne se maintient que par la con-
tinuité de l'elVort et de la lutte ; elle est le plus avantageux
résidtat et peut-être la plus exacte mesure de la volonté.
Oue le talent soit redevable à la volonté, personne ne
l'ignore; mais sait-on aussi bien que l'organisme lui-même est,
dans une large mesure, sous sa dé|)endance ? Sans doute la
volonté est tributaire de la santé; et nous dirons plus loin
qu'une sage hygiène importe au développement de la volonté.
Mais la volonté à son tour inilue sur la santé ; elle règle l'orga-
nisme ; elle é([uililire l'apport cl la dépense; elle tempère les
excitations dont la violence serait pernicieuse; elle va plus loin,
car sa fermeté communique aux organes une sorte de tonicité,
et ce n'est pas en vain que récemment on a mis en relief le
rôle thérapeutique de la volonté (1).
II
L'homme ipii dans sa volonté porte tant de riches promesses,
se reconnaît à (rois signes : il a de la décision, il exécute ce qu'il
a résolu, il persévère dans ses idées et dans ses entreprises. Chez
lui, point d'irrésolution, point de lâcheté, |ii)int d'inconstance.
(1) Lévv, L'Education rationnelle de la colonie; son emploi lliérapeulique
in-8', 1S'J8.
(■,€0' J. GUIBEIIT
La décision, bien qu'elle se prenne dans le sanctuaire profond
de l'âme et qu'en apparence elle n'ait aucune barrière à ren-
verser, n'est point sans mérite, parce qu'elle ne va point sans
elTort. Elle est le premier pas de la volonté, pour certaines
âmes difficile à franchir. Car il y a des âmes hésitantes, Ilot-
tantes, naturellement inaptes à prendre un parti. Si elles res-
tent en suspens, ce n'est point que la lumière leur manque
pour décider, ce n'est point que les partis contraires se dispu-
tent leur adhésion par des motifs d'égale valeur, c'est unique-
ment parce qu'elles répugnent à cette démarche purement
intérieure qui constitue le choix. Viendra pourtant l'heure de
l'action, et par conséquent de la décision : mais la décision,
imposée par la nécessité, sera venue du dehors et n'aura point
jailli du dedans, ("omme les écoliers paresseux, lorsqu'ils ont
attendu la dernière heure pour se mettre au travail, s'y appli-
quent à la fin sans joie et sans prolit; de même les volontés
hésitantes, après avoir langui dans l'indétermination, ne béné-
ficient point de l'action à laquelle les réduit la pure nécessité.
L'homme de volonté ne connaît point ces atermoiements : il
pn'voit, il étudie, il attend |)arfois; s'il hésite, il consulte, et,
lorsqu'il est informé, il choisit. Sa décision lui pnilile. jiarce
qu'elle vient de lui; sûr de sa voie, il n'est victime d'aucune
surprise.
Toutefois, dans l'a^uvre de la volonté, la décision intérieure
n'est qu'un début. Ce n'est qu'un germe avorté, si elle n'abou-
tit à l'exécution. (_)r, il y a loin de la résolutiim prise dans le secret
d'une àme humaine à l'action qui s'afticiie au dehors par le
mouvement. Sans parler .des obstacles que le monde élève
contre le déploiement de notre activité personnelle, cette acti-
vité même a tant de ressorts à mouvoir pour aller de la déci-
sion à l'action, que souvent ses énergies se perdent en route et
n'atteignent point leur terme. Nous aurons précisément à étudier
plus loin comment la volonté doit s'y prendre pour que ses
décisions ne s'éteignent pas au dedans, pour que ses ordres
soient intégralement transmis jusqu'aux puissances motrices
etlidèlcmenl exécutés. Lâches et impuissantes sont les volontés
dont les commandements expirent avant d'arriver iï leur tin :
elles lléchissent et succombent sous le poids de désirs aussi
LA ]•'(»/! U.l 77' i.Y /»E 7-A ViiUiM'E CM
vains que imiUipliôs, drsidi-rid occidinit piijviiin (1). Car s'il y n
(les natures iieureusement douées pour lesquelles connaître le
ilevoir soil plus malaisé qiu^ de l'exécuter, il y en a d'autres,
et ce sont les plus nombreuses, qui gémissent d'autant plu>
d'être trahies par la faiblesse de leur volonté qu'elles ont de
plus vives clartés dans l'esprit. C'est à ces dernières que nou^
essaierons de frayer le chemin.
Certaines volontés se mettent en route et commencent géné-
reusement l'exécution de leurs desseins; mais bientôt elles
s'arrêtent ou changent de voie. L'inconstance leur fait perdre
le fruit d'un premier effort. Les unes, pauvres d'énergie, sem-
blables à ces machines auxquelles l'eau et le charbon manquent
au milieu de leur Cdurse, succombent li la faiblesse : ou bien
la continuité de l'etfort les lasse, ou bien l'obstacle à franchir
les effraie ; tantôt l'ennui de la monotonie les gagne, tantôt
l'abandon ou la trahison des hommes les abat : âmes anémiées
•qui ne peuvent fournir ime longue carrière, elles ont devant
Dieu le mérite de la résolution prise et du travail commencé,
mais elles n'exercent pas sur le monde cotte puissante action
sociale qui n'appartient qu'aux o'uvres achevées. L'art de finir
est le signe le plus indiscutable de la force et le plus puissant
agent d'iniluencc sur les hommes. Parmi les volontés qui ne
savent point linir, il y a des âmes mobiles, changeantes, aux-
quelles les ressources ne font point défaut, mais auxquelles
manque la fixité dans les desseins. Soit mobilité maladive,
soit désir illusoire d'une plus grande perfection, semblables à
des girouettes qui tournent au moindre mouvement d'air, elles
perdent leur temps et consument leurs forces en tâtonnements
inutiles, en essais infructueux. Au lieu de creuser paisiblement
leur sillon, elles courent à travers champs, touchant à tout,
brouillant tout, ne laissant de leur passage aucune trace dura-
ble. Elles ravagent bien plus qu'elles ne sèment et ne mois-
sonnent.
Que ce soit par épuisement d'énergie, ou que ce soit par
<;hangement de direction, dès lorsque la persévérance manque,
la volonté n'est pas pleinement constituée. La décision suppose
(I) Prov . ch. \xi, vers. 2j.
0C2 i. (iUlBEKT
un ell'ort, mais im otTort intérieur et passager; aussi est-elle à
la portée du grand nombre. L'exécution est plus complexe,
elle appelle l'ànie au dehors pour ébranler tous les ressorts
d'oîi sortira l'action; elle impose donc un effort plus prolongé
et plus coûteux, ce qui la rend plus difiicile et moins commune
que la résolution. La persévérance comporte la durée dans la
décision et dans l'efTort ; elle est le couronnement de la volonté.
A quelque degré que ce soit, la condition du succès est dans
l'effort. Une simple décision ne se prend pas sans effort ; à
plus forte raison faudra-t-il de l'effort pour exécuter et pour
persévérer. L'effort est donc la loi fondamentale de la vie mo-
rale, et \V. .lames avait bien raison de dire : '• 11 y a bien des
mesures pour mesurer la volonté humaine. La plus exacte et
la plus sûre est celle qui s'exprime par cette question : De quel
effort ètes-vous capalde? » (l'est pourquoi le Christ a fait du
royaume des cieux le prix de l'effort; seuls, « les violents l'em-
portent de force (1) ». VA s"il est vrai que « le royaume de
Dieu est au-dedans de nous (2) », l'énergie que nous déploie-
rons à nous conquérir nous-mêmes aura j)our récompense
dernière la conquête du ciel. Ainsi se tiennent la morale et
ILvangile, nous donnant à l'envi la leçon suprême de l'effort.
Mais l'ellort est douloureux. Cette angoisse de l'effort durera-
t-elle aussi longtemps que la vie? Oui et non. Nous ne serons
jamais dispensés de l'ellort parce que nous n'aurons jamais
achevé la (■onquêt(> de nous-mêmes, et l'effort est, de sa nature,
pénilde, puisqu'il est une réaction intérieure. Mais, à mesure
que nous étendons nos conquêtes, le champ de l'effort diminue,
si bien qu'on a pu dire, avec une pointe d'exagération, que,
(c grâce à l'effort, l'effort n'a plus lieu d'être (3) ». Par l'effort,
ime couche de tendances acquises se substitue aux tendances
reçues par hérédité. Ces tendances héréditaires, nées du fond de
la sensibilité organique, ou créées par les habitudes des géné-
rations passées, forment la poussée des inclinations natu-
relles, souvent opposées au devoir, à l'encontre desquelles
(1) Matth., eh. \i, vers. 12.
(2) Lie, ch. XVII, vers. 21.
(3) Buisson, Éducnlion de la volonté, ji* 31.
L.t FdHMATKiS HE L.\ VaLONTÉ 063
lii volonli'' doit (Hablir sa domination. Quand olh^s onL ôU% non
pas ani-anties, mais domptées par l'effort, ({u'clles ont été assou-
plies et asservies à la vertu, ou bien qu'au-dessus d'elles ont été
produites des habitudes morales, la lutte est devenue moins
âpre, la volonté est secourue dans chaque effort par tous les
efforts antécédents. 11 y a donc lieu de prendre courage,
puisque nous sommes assurés qu'à chaque victoire nous dimi-
nuons l'effort du lendemain. Sans doute, nous n'arriverons
jamais à la limite, ofi la peine serait nulle, mais nous en appro-
cherons toujours.
III
La loi de l'elTort n'est d'ailleurs point arbitraire; elle est gra-
vée dans les entrailles mêmes de notre nature ; elle résulte de
notre constitution organique. En étudiant la longue chaîne de
ressorts que notre volonté doit mettre en jeu pour amener l'idée
et le désir de la vertu à une réalité vivante, nous ne nous con-
vaincrons pas seulement des difficultés que doit vaincre l'effort,
mais nous serons instruits des moyens que doit prendre la
volonté pour exprimer avec constance au dehors ce qu'elle a
résolu avec générosité au dedans.
(Combien nous sommes esclaves de l'organisme, môme pour
viuiloir, à plus forte raison pour exécuter nos desseins, c'est ce
([ue l'observation révèle à quiconque se regarde et s'étudie. Hui
ne sait que les élans de notre volonté varient suivant nos dis-
positions physiques? Qui n'a remarqué que des aspirations
également nobles de notre coeur sont très inégalement servies
par les sources organiques de notre activité? Vous êtes ttoris-
sant de santé, vous sentez la joie de vivre, le cœur est dilaté,
le sang coule riche et pur à travers les organes, la tète est libre
et les nerfs reposés, vous êtes « en train » ; alors tout « va » au
moral comme au physique, vos aspirations sont grandes, vos
résolutions promptes et sans calcul mesquin, vous allez joyeux
à l'effort, le devoir semble ne pas vous coûter. Au contraire,
êtes-vous triste, le cœur serré par le chagrin ou par l'envie, le
sang empoisonné par la mélancolie, les nerfs épuisés par le tra
vail ou intoxiqués par une mauvaise circulation... : alors rien
664 J. GLIBERT
ne i< va », le travail vous répugne, l'eflort vous fait peur, vous
restez inactif en face du devoir, et vous gémissez que l'être
moral qui commande au dedans ne trouve plus de serviteurs
lidèlcs pour se faire obéir. Parfois même il y a révolte, et vous
sentez deux hommes en vous : le mal se fait que vous ne vou-
liez pas, et le bien que vous vouliez ne se fait pas (1) ; ou bien
vous dites avec Horace : Virlrn moliora prohuqiir, {Icti-nurn ^r-
quitr.
Cette étrange et douloureuse dualité dun èlre qui n'est point
maître absolu chez lui s'explique par les rapports de mutuelle
dépendance di' làmc et du corps. Pour en pénétrer le secret, le
psychologue fait appel à la science du physiologiste, et comme
le système nerveux, organe délicat où se reflètent toutes les
lluctuatiohs de la santé physique, est l'intrument de nos voli-
tions, nous avons ciiance de trouver, dans les connaissances
acquises sur sa structure et son fonctionnement, des renseigne-
ments propres à éclaircir la psychologie et à faciliter in forma-
lion de la volonté.
D'après les plus récentes découvertes (2), dues aux travaux
de Waldeyer, Gehucten, Golgi, Hamon y (Jajal..., la masse ner-
veuse, au lieu d'être formée d'éléments analomiques dilTérents,
cellules et libres, est constituée par imw// genre dé lémenls qu'on
appelle iiPiirones. !.e neurone est une cellule dOii partent des
expansions filirillaires, variables en n(5mbre et en longueur, ter-
minées par des extrémités toujours libres. Les cellules ou
noyaux des neurones forment ce qu'on appelait autrefois la
substance grise, et les expansions librillaires, cheminant c»')te à
cote, forment les nerfs ou substance blanche.
Du centre cellulaire dépendent la nutrition et le fonctionne-
ment de tout le neurone : tout nerf séparé de la cellule dégé-
nère promptement ; la cellule reçoit les impressions, les trans-
forme en impulsions motrices, peut même créer des incitations.
La fatigue, résultat du travail nerveux, se traduit par une
iliminution du corps cellulaire et nuit proportionnellement à
son fonctionnement.
(I) Cf. saint Pai:i. dans VËpiIre au.r Romains, cli. vu, vers. 19 et 23.
[i] et. Balti's, dans la hevuede l'Iiilosophie. N' i.
LA FnliMATlÛS l>F. L.l VuLOyTE (iOîi
Les expansions iibrillaires sont de deux sortes. Les unes, à
contours irréjiuliers, en forme de dendrites, subdivisées en
brandies collatérales, se nomment prolongements protoplas-
miques. Les autres, à contour net et régulier, donnant naissance
ù d'innombrables ramuscules, sont les libres de Deiters, appe-
lées aussi prolongements cylindraxiles ou axones. Les dendrites
et les axones jouissent du même pouvoir conducteur; le sens
seul ditTère. Tandis que. dans les dendrites, le courant nerveux
va toujours vers la cellule, il est toujours centrifuge dan-; les
axones.
Si nous concevons un être tellement simple que son système
nerveux soit réduit à un neurone unique, ses mouvements se-
ront faciles à analyser. Les extrémités protoplasmiques recueil-
lent, à la surface du corps, les impressions sensibles et les
transmettent à la cellule : la cellule ébranlée par le courant
transforme les impressions en impulsions motrices, qui cbe-
minent alors par les libres de Deiters; les extrémités cylin-
draxiles, engagées dans les muscles, en produisent la
contraction, et cette contraction même constitue le mouve-
ment. Tel est le processus de l'acte réflexe élémentaire. L'in-
tégrité du neurone et la richesse des éléments constitutifs de
la cellule sont les deux conditions do la mise en jeu de son
activité.
Dans un être aussi complexe qu'est l'Iiomme, on pourrait
représenter, par une abstraction de l'esprit, tout le système ner-
veux comme un immense neurone formé des trois éléments essen-
tiels : les dendrites recueillant à la surface les impressions sen-
sibles; les centres nerveux transformateurs ; les prolongements
cylindraxiles transmettant à tous lis muscles les impulsions mo-
trices. Mais une telle simplification ne résoudrait aucun des
problèmes psychologiques et moraux qui résultent de l'union
de l'âme et du corps : car ces problèmes naissent de la com-
plexité môme des éléments qui composent l'organisme, et le
système nerveux en particulier.
Ce n'est donc pas un neurone unique, mais des millions si-
non des milliards de neurones qui forment la masse nerveuse
chez l'homme. Les cellules sont dispersées par paquets dans les
ganglions, la moelle épinière, et surtout l'encéphale ; leurs pro-
G66 .1. (iLlBERT
longemcnts, dendrites et axones, s'enchevêtrent tomme dans
un inipénétralde fourré de forêt vierge. II y a de l'ordre pour-
tant, puisque chaque neurone garde son individualité, puisque
chaque région nerveuse, ainsi que le prouvent les localisations
cérébrales, a son rùle déterminé. A prendre en gros la somme
des neurones, on les classera en neurones sensitifs, en neurones
d'association, en neurones moteurs. ( lette division servira |)rinci-
palement à distinguer les divers quartiers de l'encéphale. Lesneu-
nmes sensitifs, formant les centres sensibles, seront ceux où les
impressions reçues au dehors simt recueillies dans le cerveau.
Lesneuroni's moteurs, formant les centres moteurs, seront ceux
d'où partent les impulsions motrices qui se rendent aux
organes de travail, muscles ou glandes. Les neurones d'associa-
tion, ou commissures, seront les centres intermédiaires des sur-
faces sensibles aux surfaces motrices. .Mais il faut bien noter
quiî, pour un acte déterminé, si, du premier neurone sensible
au dernier neurone moteur, cent neurones entrent en activité,
chacun d'eux opère comme un neurone isolé, c'est-à-dire que
le courant nerveux [lénèlre toujours par lesdendrites et s'écoule
toujours par les axones, et qu'il subit toujours dans chaque cel-
lule une transformation en imj)ulsion motrice.
La communication des neurones complique singulièrement
les transmissions. Longtemps on a cru que les innombrables
ramuscules nerveux s'anastomosaient et que le courant passait à
plein canal d'un élément à un autre. II n'en est rien. Golgi a
démontré que les dendrites se terminent en extrémités libres ;
Ramon y Gajal a prouvé qu'il en est de même pour les axones.
Les neurones sont donc des unités isolées. Leurs unités libril-
laires peuvent se rapprocher autant qu'on voudra, venir même
en contact ; mais elles ne sont pas en continuité. C'est donc
par influence que les neurones agissent les uns sur les autres,
et cette inlluence est facilitée par Varlictilatiou de leurs fibril-
les libres.
Ici le problème de l'inlluence se complique encore, car l'ar-
ticulation des bouts hbrillaires est fort instable. D'après les
hypothèses tenues aujourd'hui pour les plus probables, les
axones seraient doués de propriétés amiboïdes. De même que
les amibes, protozoaires inférieurs, émettent, au temps de
LA Fd/.M/.ATln.V IlE LA VoLOSTE 007
leur activili', dos pseudopodes (jiii se rétractent et rentrent dans
la masse au moment du repos, ainsi les extrémités des axones
émettraient et retireraient des prolongements suivant les
circonstances : par ces sortes de pseudopodes, les axones entre-
raient en relation avec les dendrites, et, lorsque les pseudo-
podes sont rétractés, les communications seraient coupées. Une
telle hypothèse est très grosse de conséquences au point de vue
psychologique, puisque les mouvements amilioïdes seraient
une condition essentielle de Tactivité fonctionnelle du système
nerveux. Tout neurone, dont les extrémités n'émettraient pas
de pseudopodes, serait inactit et comme dans un état de som-
meil. Le sommeil ne serait-il point le résultat d'une suspension
de cette forme d'activité? C'est précisément la pensée de Mat-
thias Du val.
(]es connaissances anatomiques nous permettront de jeter
([uelque jour sur le mécanisme des diflérenls actes qui éma-
nent de nous.
IV
Nous distinguons trois sortes d'actes : les actes réilexes in-
conscients, les actes réilexes conscients, les actes volontaires,
qui sont toujours conscients.
L'acte réilexe est une pure réaction organique après une
impression sensible : conscient parfois, il est le plus souvent in-
conscient. Le clignement des yeux à une vive lumière, les bat-
tements du cœur, les mouvements respiratoires, les mouve-
ments de défense durant le sommeil, etc., sont autant d'actes
réilexes où la volonté n'a point de part. Jusqu'au développe-
ment de la conscience chez l'enfant, les actes produits sont
purement réilexes ; les cris, les pleurs, les agitations de
membres se ramènent à de simples réactions organiques. Une
fois la conscience éveillée, le domaine des réilexes reste im-
mense ; jusque chez les hommes les plus attentifs à surveiller
leurs mouvements, le nombre des réilexes même inconscients
<'st incalculable. Le champ où évolue la liberté se trouve par
le fait très restreint, si restreint dans certains individus, que
les psvcholosrues n'ont nas toujours réussi à le découvrir.
«IW 3. GCIBERT
Or, dans l'acte réllexo, le système nerveux mis en jeu se com-
porte comme s'il était réduit à un simple neurone. Le courant
nerveux passe, en se transformant, à travers les voies de com-
munication naturellement établies. Souvent il chemine par des
chemins très courts : dans les mouvements rétlexes des mem-
bres, il ne va qu'à la moelle épinière ; dans les mouvements
des organes intérieurs, comme l'estomac et les intestins, il ne
se rend qu'au gangli(m sympathique le plus voisin. Mais sup-
j)Osons le cas le plus complexe, celui où l'acte réflexe se produit
par le passage du courant nerveux jusque dans l'encéphale.
Tout d'un coup, dans un centre sensible du cerveau, une
impression jaillit comme une étincelle. La cellule qui en est
le théâtre la reçue par ses prolongements en dendrites. D'où
vient-elle? Ou bien elle a été recueillie à la périphr>rie parles
oxtrémités nerveuses, sous forme de lumière ou de son, par
<>xemple; ou bien elle a été suscitée dans les filaments qui
plongent comme des racines chevelues dans les organes ; ou
bien elle a pris naissance dans quelque centre nerveux voisin.
D'où qu'elle vienne, elle tend à s'échapper par les prolonge-
ments cylindraxiles. Si l'un de ces prolongements allait s'épa-
iiciuir dans un muscle, l'impulsion partie de la cellule serait
.immédiatement motrice. .Mais, par iiypothèse, le centre moteur
est loin du centre sensible. Alors le courant parti de la pre-
mière cellule va se transmettre à travers des neurones d'asso-
ciation. .Mais il ne choisit point sa voie : <i>ia data porta raiiut .
Là où il y a des articulations établies entre axones et dendrites, il
passe aisément. Ces articulations peuvent ètrecongénitales, fruit
«l'une organisation primitive ou d'habitudes ancestrales ; elles
peuvent être aussi, chez l'adulte, le résultat d'actes répétés ou
<rhabitudes acquises. Ainsi, de proche en proche, comme un
voyageur qui cherche à sortir du fourré inextricable d'une
forêt, le courant arrivée une cellule motrice, qui tient ce carac-
tère de ce que ses axones aboutissent à des muscles ou organes
<le mouvement. La décharge nerveuse, après mille circuits,
se transforme donc tinalement en action musculaire.
L'action réflexe, résultat fmal de rimpr(>ssion nerveuse, dé-
pend principalement de deux facteurs : de l'intensité de l'im-
pression, et de la valeur fonctionnelle des neurones.
/,.l FOUMMId.S HE LA VuLoyiE 66»
Plus l'iniprcssion est vivo, plus elle se dilViise : une impres-
sion intense pnuluit un ivilexe très étendu. \\u sens invei-se,
l'action réilexe se limite à mesure que l'impressiim diminue, sî
bien qu'elle peut être insensible ou nulle quand l'impression
approche de zéro. C'est qu'il faut à une cellule nerveuse un
ébranlement assez fort pour que la décharge se propage au loin
et au large. Faute d'intensité, l'impulsion motrice qui suit
toute impression peut avorter, ['lus loin, nous puiserons dans
cette observation le secret de faire aboutir à l'action nos plus
intimes désirs : nous dirons qu'il faut les concevoir avec une-
grande, intensité.
La valeur fonctionnelle des neurones est dans leur intégrité
assurément, mais aussi dans la richesse de leurs éléments
constitutifs et dans la souplesse des productions amiboïdes. Une
nutrition pauvre ou un surmenage continu sont pour les noyau.v
nerveux des causes de dépérissement: l'anémie profonde qui en
résulte nuit évidemment à l'excitabilité et à la puissance de
décharge. Huant aux productions amiboïdes, ce facteur si im-
portant des articulations, elles supposent une souplesse et une
activité de la masse protoplasmique qu'il serait désastreux d'af-
faiblir : à ce point de vue, l'hygiène joue un rôle capital, ne
fût-ce qu'en écartant de l'alimentation les alcools, dont l'etTet
sur le protoplasme est si contraire à la souplesse qu'il doit
garder.
L'acte réilexe, caractérisé par le passage entièrement spon-
tané du courant nerveux depuis la cellule sensible jusqu'à la
cellule motrice, n'est pas toujours inconscient. Tandis (jue le
courant passe et que l'acte se fait, la conscience peut être éveil-
lée et percevoir les événements dont l'être est le théâtre
vivant. Voir ce qui se passe, ce n'est pas le produire, de sorte
qu'il peut y avoir, — et il y a en réalité, — des actes conscients-
qui n'aient rien de volontaire, qui soient purement réllexes.
Nous percevons nos mouvementh respiratoires, sans les comman-
der. Tandis (jue nous marclnins, les mouvements coordonnés
de la marche s'appellent les uns les autres et se produisent,
sans que notre volonté intervienne autrement que pour décider
le premier pas. En face d'un spectacle attendrissant, nous
avons le cœur touché, les larmes perlent aux yeux : noui>
rjlO J. (;i IliEUT
bomoics alors les témoins ol non les auteurs de ce qui se produit
«n nous. 11 en est de même de ces violents accès où la colère
éclate brusquement et s'exprime, malgré nous parfois, en pa-
roles vives et blessantes ou en actes que notre conscience mo-
rale réprouve. C'est le cas de toutes les fortes impressions que
nous ne maîtrisons pas ; nous les voyons monter en nous, sous
nos regards elles gagnent tout l'organisme, elles enllamment
,s\irtout l'imagination et mettent en mouvement tous les muscles
d'expression extérieure. Chez les enfants et les vieillards, qui
ne savent pas encore ou qui ne peuvent plus se dominer, ces
onvaliissements conscients de tout l'être par l'impression sont
particulièrement remarquables. Pour involontaires qu'ils parais-
sent, ils n'échappent pas toujours i\ la responsal)ilité; car, par-
fois, si la volonté fût intervenue, le courant nerveux (>ùt pris
une autre direction par l'action d'un courant de sens contraire.
A ces actes réflexes conscients, nous appliquerons volontiers
le mot de M. Hibot, que la conscience « constate une situation,
mais ne la constitue pas (1) •>. 11 n'en va pas ainsi des actes
volontaires, oii, pensons-nous, le <• je veux ^i constitue réelle-
inent la situation dont l'âme prend conscience.
<Juel(|ue obscurité (|u'il puisse y a\i)ir du c(Mé |)Iiysi(]ue, s'il
est une notion claire (jue nous percevons dans notre conscience,
c'est bien la maîtrise que nous exerçons sur certains de nos
actes. Rien ne nous apparaît avec plus d'évidence que le pou-
voir d'agir ou do ne pas agir, de changer nos résolutions ou
de les laisser suivre leur cours ; en secouant notre tor|)eur, nous
avons senti que l'elfort nous lirait de l'inaction ; tandis que
nous étions emj)()rlés par la colère, nous avons brusquement
dominé notre émotion, et nous avons employé à l'accomplisse-
ment d'un acte vertueux l'énergie vitale qui allait se dépenser
en acte peut-être criminel. Tantôt nous produisons, tantôt nous
suspendons, tantôt nous faisons dévier du mouvement : les
liypotbèses physiologiques peuvent tenter d'explicjuer cette
maîtrise, elles ne peuvent la faire révoquer en doute. Le nom-
lire de ces actes volontaires et libres est peut-être fort restreint,
mais l'obsi'rvation interne ne nouspermetpas de la réduire à zéro.
(1 lîiEOT, Les tlahi'lies de la eoloiilc, p. 1"9.
/,.A FOllMATIoy DE LA Ydl.oSTE 071
L'uclc voloulaire débLile duiis un centre sensible du eerve.ui
par une impression. C'est une image de l'actiou extérieure h
produire, évoquée par une exhortation venue du dehors ou par
une méditation personnelle mi par le concours de mille cir-
constances échappant à l'analyse. Cette image, comme tout
ébranlement nerveux qui s'écuule par les axones, est déjà un
rudiment d'action ; mais qu'elle e.st loin ib' s'exprimer en une
action réelle 1 Si elle est faible, l'impression s'éteindra à la
porte des neurones d'association, et l'acte avortera : la première
intervention de la volonté consistera donc à renforcer l'impres-
sion initiale par l'évocation d'images plus vives, atin qu'au lieu
de rester dans le sanctuaire (b^ l'àme à l'état d'idée ou de désir
stérile, la résolution devienne féconde par son intensité même.
Si l'impression est vive, le désir violent, la résolution forte,
le courant nerveux se diffuse intense à travers les neurones
■d'association et arrive aux neurones moteurs. Mais, quand il
s'agit d'une action nouvelle, qui n'est pas le fruit d'une habi-
tude, les neurones moteurs qui reçoivent et extériorisent l'im-
pulsion ne sont pas coordonnés. Pour éviter toute méprise et
accomplir l'acte prévu, la volonté intervient à un double titre :
comme pouvoir d'inhibition, elle provoque des impulsions qui
neutralisent ou inhibent les impulsions motrices nuisibles au
dessein formé; comme pouvoii' d'excitation, elle provoque des
impulsions moii-ices dans les centres qui n'en avaient pas reçu
et qui cependant doivent être mis en jeu.
Le pouvoir d'inhibition ou d'arrêt par évociilion d'impulsions
contraires joue un rôle capital dans la lutte contre les passions.
Dans les passions, une impression violente née dans un centre
sensible se propage avec rapidité jusqu'aux centres producteurs
d'action par les neurones coordnimés et liés pur la nature même
ou par l'habitude : s'il y a tendance vers une bonne action,
l'acte se produit alors avec une grande farilili' ; mais s'il y a
tendance vers une action mauvaise, il importe i|u'uni' impres-
sion opposée, de même intensiti'. vienne sus|)i'n(lri' ou inhiber
la première.
En exerçant ce pouvoir d'excitation ou d'inhibition, la v<dimté
ne crée pas assurément d'énergie physique ; mais elle lui imprime
une direetion. Le noyau de cliaqui- neurone est comme un accu-
672 J. GLIBERT
nuilatcur électrique : la volonté ne peut pasd'eniMée la charger
(le iluide ; la ciiarge se fait par la nutrition ; mais, semblable à
lélectricien, elle peut diriger la dépense du potentiel emmaga-
siné. Si nous imaginions l'àme aussi étrangère à lorganisme
que l'électricien lest à son accumulateur, nous aurions à dire
par quelle énergie physique elle met en branle ses provisions
de force ; mais, dès lors que nous concevons Tàme humaine
comme faisant avec l'organe un tout vivant, nous sommes dis-
pensés lie rechercher im intermédiaire entre elle et ses
réserves.
Dès lors, notre science n'est pas en désaccord avec notre con-
science. Nous ne dirons pas avec M. Ribotque la volition if n'est
la cause de rien (1) ». Elle est vraiment la cause de nos actes
dits volontaires. Nous ne nierons pas que les actes et les mou-
vements qui suivent la volition résultent « des tendances,
sentiments, images et idées qui ont abouti à se coordonner » ;
mais nous dirons que la coordination physique s'est faite sous
l'action de la volition. La volition et les actes ne sont pas deux
etl'ets parallèles, l'un dans la connaissance, l'autre dans l'orga-
nisme, d'une coordination automatique : mais la volition a
|)roduit la coordination, et par la coordination les actes e.xté-'
rieurs.
Au reste, par une heureuse inconséquence, les moralistes
(jui traitent de la formation de la volonté, lors même qu'ils
ont été déterministes en métaphysique, cessent de l'être en
psychologie pratique. Car, pour eux comme pour nous, le pro-
blème de l'éducation morale se ramène à cette question : Par
quels exercices l'àme doit-elle passer pour que la volonté pos-
sède la maîtrise sur toutes les puissances ou énergies vitales
dont son être est la source .*
L'étude qui précède n'est pnint indifférente à la solution de
cette question ; nous croyons même qu'elle en donne la clef.
(1 RiROT, op. cit.. p. 17y. . ■
LA FdlOIATIOS llF. LA VoLOyTE 673
I*!a oiTol, la l'oncepUuii du hiou moral, avec le désir profond
de l'accomplir, n'est étrangère à personne; mais de l'aspira-
tion intérieure à la réalisation par les actes la distance est si
grande, et tant de ressorts doivent être mis en jeu !
Le passage à l'action ou l'aboutissement d'une résolution
suppose trois conditions psycho-physiques : la vitalité fonction-
nelle du système nerveux, les voies de transmission ouvertes
par l'habitude, l'intensité de l'impression initiale ou la vigueur
de la première impulsion. La vitalité fonctionnelle sera le fruit
d'une sage hygiène: l'habitude se formera par la continuité de
l'elTort; la vivacité de la première impulsion dépendra de la
chaleur du sentiment provoqué dans l'âme. Tel est le pro-
gramme qui s'impose à quicon([ue est soucieux de se former
une volonté.
La nécessité morale de l'hygiène corporelle n'a pas échappé
à la sagesse antique : aussi nous a-t-elle légué sa pensée dans
cet adage connu : mens satia in corpoi-e sano. M. Payot, dans
son livre de V Education de la rolonté, n'a point fait un hors-
d'œuvre en développant ce côté de la question (t). Puisqu'il
doit y avoir transmission de l'impression initiale à travers le
réseau compliqué du système nerveux, il im[)orte que cet
organe soit un conducteur lidèle : l'impression initiale dépend
même de la valeur des éléments où elle prend naissance. C'est
du servage, dira-t-on; sans doute, mais qui peut songer à
l'éviter? Or, l'organisme sera d'autant plus complaisant qu'il
sera plus sagement traité. La façon dont il se nourrit est capi-
tale. Est-il privé d'alimentation? 11 s'anémie et devient revèche
au commandement. Est-il traité sans règle? Il devient lui-
même fantascjue et désordonné. Une digestion mal faite, une
respiration contenue ou insuffisante, l'absence d'exercices cor-
porels, tout cela altère la composition et la circulation du sang,
et linalement retentit sur le plus délicat des organes, le sys-
tème nerveux. Que si, par une nourriture surabondante ou dés
exercices athlétiques, on tombe dans l'e.xcès opposé, l'orga-
nisme devient insoumis, les appétits sensuels prennent le des-
sus, et le pouvoir d'inhibition, qui est le pouvoir régulateur
(1 Payot, c. iv.
42
074 J. (jUIBEHT
des impulsions, se trouve impuissant en face d'excitations
indomptables.
C'est le rôle de l'hygiène de choisir et de modérer la nour-
riture, d'<5carter du régime les éléments nuisibles à la souplesse
du protoplasme, de veiller sur la digestion, d'assurer l'aération
et la circulation du sang, d'assouplir les muscles par l'exercice
physique. En équilibrant l'organisme, elle en fait un serviteur
docile au lieu d'un tyran impérieux.
Mais l'hygiène est-elle permise aux sages et aux chrétiens ?
La sagesse antique n'avait-elle pas adopté, comme une maxime
fondamentale, l'austérité de vie, abstinr et sustinp? L'Évangile
ne nous prèche-t-il pas la mortification des sens et le mépris
du corps.' Et l'hygiène, au contraire, n'est-elle pas le code des
soins dont il faut entourer l'organisnK»? Qu'on se rassure : loin
de se contredire, l'hygiène et la mortilication se donnent la main;
elles concourent au même but, le développement de la vie par
la maîtrise de l'esprit sur la chair : si spiritu fada carnis mnr-
ti/icavcr/tis, rirctis (1). La vie organique trouve son compte,
aussi bien que la vie de l'àme, à l'empire que la mortification
donne à l'esprit sur la chair.
D'un côté, l'hygiène est une forme de mortification : car elle
ne consiste point à llatler le cor|)s, mais à le régler. Elle
impose de constantes privations ; elle enlève à la nourriture,
à la boisson, au sommeil, à la volupté, une part que d'aveu-
gles appétits recherchent avidement ; elle nous crie sans cesse :
Abstiens-toi. Quant aux exercices et aux soins qu'elle impose,
ils sont moins une satisfaction qu'une corvée parfois doulou-
reuse à l'organisme. De sa nature, l'hygiène commande donc
l'austérité de vie ; c'est par là qu'elle prend les vrais intérêts
de l'être humain.
11 en résulte que la mortification chrétienne est, de son côté,
une excellente forme d'hygiène, de sorte que, même pour la
vie présente, on constate l'application de cette parole du Christ :
« Celui qui aime sa vie, la pcrdi'a ; celui qui hait sa vie, c'est-
à-dire qui mortifie sa chair, la lecouvrera (2). » Depuis dix-
(1) Éptlie aux Romains, ch. viii, vers. 'il.
(2) JoAN., ch. XII, vers. 25.
LA FORMATIOy HE LA VOLOATii 67b
lUMit' siècles que la raortilication chrétienne est en honneur,
elle n"a point ruiné l'organisme de ceux qui l'ont pratiquée,
elle a trempé leur volonté de ces énergies puissantes qui réa-
lisent les grandes entreprises morales et sociales. Les grands
pénitents furent toujours de fortes volontés. Kt cela se conçoit,
puisque la mortification est la substitution de l'acte volontaire
à l'acte spontané, l'empire exercé par le pouvoir d'inhibition
sur l'impulsion naturelle, l'asservissement de l'organisme à
l'ànn^ spirituelle.
Tandis que l'hygiène vise avant tout la conservation de l'être
physique, la mortification recherche premièrement la supré-
matie de l'être moral. Là, leur opposition est apparente. Mais
elles s'harmonisent au fond, car toutes les deux atteignent leur
but en gouvernant sévèrement le corps et en conseillant les
mêmes pratiques.
Si l'hygiène est, pour toutes les natures, un facteur important
dans la formation de la volonté, elle devient un facteur essen-
tiel pour les tempéraments extrêmes. Les tempéraments à réac
tion prompte, sanguins ou colériques, voient l'impulsion pas-
ser si rapidement du centre sensible au centre moteur, qu'ils
n'ont pas le temps d'éveiller le pouvoir d'inhibition pour sus-
pendre ou orienter le courant nerveux : ils <' s'échappent .1 à
eux-mêmes. 11 est évident que leur puissance morale trouvera
grand prolit aux soins hygiéniques qui modéreront le cours du
sang et diminueront l'excitabilité nerveuse. Les tempéraments
à réaction lente ou flegmatiques n'ont que des impressions fai-
bles aux centres sensibles ; les résolutions énergiques leur sont
inconnues: s'ils ne manquent pas tout à fait de décision, ils
aboutissent rarement à l'exécution. Eux aussi, ils développe-
ront leur puissance morale en soumettant leur organisme à
des exercices hygiéniques qui en augmenteront les pouvoirs de
réaction.
Ces transformations de tempéraments ne se font point sans
eflort, et l'effort suppose déjà de la volonté. Mais la volonté
ne descend jamais à zéro; elle existe chez tous les hommes à
un certain degré ; le peu que nous en avons doit être mis en
œuvre pour en acquérir davantage. Ce sera donc, pour la
volonté initiale, un premier exercice que de se soumettre
C-;6 J. GUIBEUT
aux soins hyj^iôniqucs qui lui prc-paroront un meilleur instru-
ment do progrès.
VI
Tandis que l'hygiène assure au système nerveux l'aclivité
fonctionnelle, Thabitude ouvre aux courants des voies de trans-
mission. La facilité ou la difliculté d'un acte dépend des che-
mins à parcourir entre le centre sensible ébranlé par la réso-
lution et le centre moteur d'oii procède l'exécution. Ou bien des
relations directes sont établies entre les deux centres, et alors
l'acte correspondant à l'impression s'accom])lit aisément. Ou
bien les deux centres manquent de relations ('lablies; alors
s'impose un travail compliqué : faire effort pour (jue des com-
munications s'établissent entre des neurones jusque-là isolés,
et fermer, par des actes d'inliil)ition , toute voie par laquelle
tendrait à s'échapper indûment l'impulsion née de la décision.
Ortaines articulations nerveuses, soit natives, soit contractées
par des actes antérieurs, doivent être anéanties ou neutralisées
par des impulsions contradictoires; de nouvelles jonctions doi-
vent être opérées par des impulsions persévérantes qui, à force
de làlonnemenls à travers le fourré nerveux, trouvent à la lin
la voie désirée. La suppression d'anciennes articulations ner-
veuses amène la disparition de tendances innées ou d'habitudes
acquises ; la production d'articulations nouvelles constitue la
création d'habitutles nouvelles.
Longue et laborieuse est cette u'uvre d'éducation morale et
psychophysique tout ensemble. ^I. Buisson, profitant des tra-
vaux du D' F. Lagrange sur la physiologie de l'exercice, en a
décrit les phases avec une rare clarté (1). Sous quelque forme
que se déploie notre activité, qu'il s'agisse de notre activité
musculaire ou de notre activité morale, il y a lieu de distin-
guer trois périodes : la période de ilispcrsion, où la dépense
des énergies se fait sans ordre, sans suite et sans mesure; la
période A'efforl, où les mouvements se coordonnent par une
sorte de violence prolongée et soutenue; la jiériode de l'habi-
1) Educalion de la volonté.
7.1 FOHMAriiiS liE LA VOLOSTÉ 077
/iii/r, on les niiiuvomcnLs sonl dovonus <■ rapiili-s jus(|u'à \"\\)>-
lanlaïu'ilr. faciles jusqu'à la presque inconscience (1) )-.
Considérez l'enfant dans le premier exercice de ses forces
physiques : les membres s'agilent, les re|iards courent de ci cl
de là, des cris se font (mlendre; tout se pniduil sans ordre, en
tout sens; voilà des forces diapei'srps. .Mais vient l'heure de la
formation : on lui apprend à se faire violence pour se tenir
dehoul. pour nuircher seul; on l'exerce à émettre des sons
articulés el à prononcer des mots; on iixe son regard sur un
objet, ou l'attache au jouet qui l'amuse : déjà ses énergies se
canalisi'ul. el comme celle période de prise de possession sur
hu-nièiue lui coûte, c'est le li'Uips de Yrf/ort. La répétition des
actes engendre la facilité : l'enfant marche avec fermeté, court
avec légèreté, exprime sans peine par le langage ses premiè-
res impressions,- s'intéresse à un récit et se plaît aux histoires :
la conquête est faite, et dans cette phase de Y habitude, les actes
se succèdent avec autant de rapidité que de facilité.
Que s'est-il passé? Au début, la moindre impression faite aux
centres sensibles se dispersait vers tous les horizons et ne
produisait que des mouxenuMils désordoimés. Sous l'aclioii
continue de l'effort, les impulsions se sont ramassées et coor-
données; elles ont été retirées des voies où elles s'écoulaient
en pure perte, et lancées dans des voies où elles devaient abou-
tir au résultat désiré. Ainsi se sont coupées des communica-
tions nuisibles, tandis que se sont ouvertes ou élargies les
communicalions utiles. Puis la facilité a été' b' fruit de ce
labeur prolongé.
Tel est aussi le processus du travail moral. Dans la phase de
dispersion, il n'y a pas de volonté : les désirs se succèdent nom-
breux et variés, tantôt bons, tantôt mauvais, mais sans consis-
tance et sans direction ; parfois violents et capables de produire
de vives impulsions, d'autres fois languissants et sans force pour
l'exécution ; en tout cas, sans liaison avec un acte déterminé,
de sorte qu'on ne sait jamais quels seront les effets d'une
impression. Les hommes qui ne sortent point de cette phase
sont faibles, mobiles, fantasques : faibles parce qu'ils sont gou-
(1 Blissox, /*(■(/., p. 13.
n-8 J. (lUlBERÏ
veriK^'s par les circonstances, et non par eux-nu-nies ; mobiles,
parce qu'ils subissent toutes les variations des inlluences du
dehors ou des impressions du dedans; fantasques, parce qu'ils
sont sujets aux impulsions et aux actions les plus contradic-
toires.
C'est dans la phase de l'effort que se forge la volonté. L'àme,
alors, prend en main les rênes de son empire. Il lui en coûte
de dompter une à une les puissances de son être : de fixer l'at-
tention, d'arrêter les impulsions mauvaises par des impulsions
opposées, de renforcer consciemment les excitations utiles. A
cette œuvre morale correspond une transformation physique
que nous avons déjà plusieurs fois décrite : n'étaient ces difli-
cultés organiques à vaincre et ces voies de communication à
établir, le désir du bien exigerait-il tant d'effort?
Mais s il en coûte ilc creuser dans l'organisme le sillon du bien,
une fois creusé, le sillon reste; la route une fois déblayée, la
volonté y conduit aisément les énergies qu'elle met en branl(>.
La bonne habitude esl (hjiic une juste récompense : h» joie
d'agir devient le |)rix de l'effort. Inversement, la mauvaise habi-
tude est le châtiment de la mauvaise action : comme le boulet
au pied du forçat, elle retarde la volonté en la rendant captive.
Qui facit pcccatiiin, servus est jieccati (1).
Ainsi comprise, la formation de la volonté est une lutte
contre la dispersion des énergies de l'àme, une prise de pos-
session de l'homme par lui-même, en un mot, un effort. Et cet
effort doit être continu: il iloit durer aussi longtemps que la
vie. << Le progrès n'est pas v\n mouvement allant jusqu'à un cer-
tain terme; le progrès, c'est le mouvement même; le jour où le
mouvement cesserait, cesserait le progrès (2). » Quand on rame
contre un courant, il faut ramer toujours, sous peine d'être
entraîné par les eaux. Or, dans la lutte pour le bien moral,
nous ramons contre le courant des passions, de la sensibilité,
de l'intérêt, etc.; pour peu que nos bras vinssent à cesser
d'agir, nous perdrions vite la maîtrise sur nos puissances sou-
mises, et non anéanties.
(Il JoAN., ch. \xi, vei's. 34.
(2) Buisson, Ibhl., p. 3t.
L.{ FO/fU.lTin.V OE LA VOLONTE 679
Au reste, les positions acquises fussent-elles stables, il ne fau-
drait pas s'y reposer. La conquête de nous-mêmes n'est jamais
que partielle. Vous êtes capable d'héroïsme, et peut-être ne
savez-vous pas vaincre un mouvement d'humeur. Tel a pu, à
force de travail, devenir un mathématicien de génie, qui est
resté très enfant par le caractère. Le moi est un vaste empire :
à qui règue sur une portion de lui-même, il reste encore d'insi-
gnes victoires à remporter.
L'habitude acquise n'est donc pas un droit au repos et à
l'oisiveté. 11 en est de l'habitude comme d'un capital : c'est du
travail accumulé, et c'est par là même le moyen de produire un
nouveau travail. Le capital n'est pas fait seulement pour une
jouissance oisive ; le capital devient outil et à son tour il tra-
vaille (1). (Jue l'habitude soit donc pour nous non pas un luxe,
une parure, mais un moyen d'action. En transformant en ter-
rain solide ce qui n'était d'abord que sable mouvant, elle nous
a donné un point d'appui pour nous élever plus haut.
Vil
Mais comment produire l'effort? Comment rendre l'impul-
sion initiale de chaque action si puissante qu'elle soit victo-
rieuse ? Car l'effort n'est efficace, il n'ouvre des voies de
communication, il ne crée l'habitude, que si l'impression sen-
sible qui accompagne l'idée ou le désir est assez forte pour
atteindre et mettre en branle le centre moteur.
Cette remarque d'ordre physiologique éclaire bien la distinc-
tion qu'établissent les psychologues, au point de vue de la
volonté, entre les états intellectuels et les états affectifs, entre
les idées et les sentiments. Les idées, disent-ils, sont impuis-
santes dans la mêlée des penchants ; les sentiments, au con-
traire, ont un pouvoir souverain sur la volonté. La claire vision
du devoir prolite peu à la vertu; seule, l'émotion favorable au
bien entraine son accomplissement.
Qui n'a pas éprouvé pratiquement la faiblesse de l'idée pure?
(1) Buisson, Ibid., p. 33.
080 J. GIIRERT
Qui n'a senti la désillusion cruelle de la vie réelle en regard
de la vie théorique entrevue dans des rêves généreux? 0" il V
a loin do nos règlements intimes, vrais plans de perfection
morale, au tableau incohérent l'ait de nos actions de tous les
jours! Tantôt, c'est une force d'inertie qui nous arrête; tanlnt.
ce sont des appétits désordonnés qui nous entraînent. D'où que
viennent nos défaites, nous apprenons à nos dépens combien
est grande la distance à franchir de .l'image à la réalité. Voici
un alcoolique qui, loin de la tentation, pleure ses fautes, en
regrette amèrement les conséqiu'nces, et se llatte de ne plus
goûtera riiomicide liqueur; il se croit sûr de lui, il escompte
déjà les profits économiques de sa résolution, et, s'il prend le
plrdgp, c'est moins pour emprisonner sa volonté que pour
l'affirmer solennellement; et pourtant, sitôt qu'une goutte
d'alcool vient humecter ses lèvres, de violents appétits se
réveillent, une irrésistible poussée l'emporte, et, honteux de
lui-même, il foule aux pieds tous ses projets de renouvelle-
ment. Considérez un lionime ordinairement victime du resjjoct
humain; rentré chez lui, il rougit de sa faiblesse, il se propose
d'être désormais plus indépendant, et il se voit déjà marchant
le front haut à travers les risées et les dédains de gens que
d'ailleurs il n'estime pas; dès le- lendemain, remis dans le
milieu qui fait omiirage à sa vertu, il joue poin- faire plaisir,
il s'abandonne aux lil)erlés de langage pour faire comme les
autres, il professe de bouche des opinions (lu'il anathémalise
dans son cœur. Ce jeune étudiant, dont la paresse dévore les
heures, veut enfin se mettre au travail ; il se lèvera de bonne
heure, il ne sortira qu'après une longue étude, il reviendra tôt
à ses livres, et l'image d'une vie laborieuse et des succès att'^n-
dus réjouit déjà son âme ; mais, le matin venu, il reste cloué
au lit et fait la triste expérience de la fail)losse d'un beau plan
de vie pour secouer un apathique, puis il llàue loin des livres,
et s'il les approche enfin, c'est avec dégoût.
Pour bien agir, il ne suffit donc pas de bien penser; il faut
être ébranlé et entraîné par un grand amour. C'est ce que
saint Augustin a vivement exprimé par ces paroles célèbres :
Amor meii^, pondus meum ; quorumqve ffvor, amorr feror.
H. Spencer exprime la même idé(\ lorsqu'il dit : « L'enthou-
LA FO/i.U.lT/O.Y DE LA VOLOyTE 681
siasme... osl un Ijou molriir; |icul-ètre mômo un iiitilnir indis-
pensable : I). " On a dit que les hommes « se prennent par le
cœur » plulùl que par l'esprit: non pas quand il s'agit de les
eonvaincre, mais quand il s'agit de les déterminer à l'action.
Seul, le sentiment, (jni t'Iiranle le cœur, donne ces impulsions
qui triomphent de lapalhie, ou éveille ces « émotions favo-
rables » qui contrebalancent et remplacent les « émotions
hostiles (2) ». Que de mauvaises actions arrête la crainte 1 Oue
de nobles entreprises l'amour t'ait mener à bien 1 La crainte
du gendarme retient le malfaiteur, la crainte des peines éter-
nelles empèciie le chrétien de pécher jusque dans l'ombre de
son cœur, la crainte des jugements humains impose l'honnêteté
à des hommes que la seule conscience ne dirigerait pas, la
crainte de blesser le regard de Dieu ou d'altérer la pureté de
la conscience tient les âmes délicates dans l'accomplissement
des conseils même de perfection. Quant à l'amour, il brave
tout, jusqu'à la mort, pour la cause au service de laquelle il
s'est mis. L'amour de soi inspire l'instinct de la conservation,
le désir «hi progrès, le courage de se vaincre par l'effort et le
travail ; qui ne sait quelle force communiqm^ l'ambition ?
L'amour des hommes, quand il a saisi un cœur, conduit au
désintéressement et à l'immolation de soi : sacrifices de temps,
d'argent, de passions, de vie même, rien ne semble coûter pour
ceux qu'on aime. De tous les amours, le plus puissant, celui
qui a fait le plus de héros et de martyrs, c'est l'amour de Dieu :
l'histoire de l'humanité nous apprend, en effet, que le senti-
ment religieu.v est le plus profond, le plus indéracinable, celui
qui rapproche ou divise le plus les hommes, celui qui ébranle
le plus énergiquement les volontés pour l'accomplissement du
devoir révélé par la conscience.
Si l'idée est si faible et le senlimenl >i puissant, ce n'est
pourtant pas qu'il y ait loin de l'un à l'autre. Car l'idée ne va
point sans une certaine inclination, sans un certain « commen-
cement d'acte », sans une ébauche de sentiment; et, de même,
le sentiment ne nait point dans l'àme sans y allumer des clar-
l'I; Spenxer, Éducation morale, p. 112.
i Payot, Éducation de la volonté, 1. II, c. m.
082 J. r.UIBERT
tés. Mais nous disons que nous avons senlcment l'idée du
devoir, lorsque sa représentation est si faible qu'elle n'ébranle
que faiblement les centres sensibles, et que l'impulsion manque
d'énergie pour aller remuer les centres moteurs. Nous disons,
au contraire, que le sentiment nous échauffe, lorsque les centres
affectifs sont émus, lorsque les centres moteurs sont mis en
branle, lorsque les courants sont assez puissants j)0ur mettre
enjeu tous les ressorts nerveux qui servent la volonté.
A ce point s'opère la jonction de la psychologie et de la
physiologie. La tactique reconnue eflicace par le psychologue
pour éveiller le sentiment, le physiologiste l'adopte pour exci-
ter les centres moteurs. Or, celte tactique, dans laquelle réside
l'art de posséder sa vttlonté, se ramène à trois moyens princi-
paux : la vie iiitérieuri', les inlluences du dehors, l'action.
VIII
S'il y a une vérité psychologique bien mise en relief par
l'expérience, c'est la puissance morale de la vie intérieure. Les
silencieux, — non pas ceux qui se taisent parce qu'ils sont
nuls, mais ceux qui parlent peu parce qu'ils habitent au-dedans
d'eux-mêmes, — les silencieux, dis-je, sont les forts. Parmi
eux se recrutent les hommes de génie et les saints, les hommes
qui conçoivent et exécutent les vastes projets dans l'ordre de
la pensée ou dans l'ordre des arts, les hommes qui accomplis-
sent les immolations héroïques dans les cloîtres ou sur les
théâtres de la charité. Lorsque nous nous dissipons par la
parole, par la curiosité, par la multiplicité des aflaires, nos
forces se dispersent, et nous nous sentons inhabiles à l'effort;
mais, sitôt que nous rentrons en nous-mêmes, que nous fai-
sons taire hors de nous les hommes et les choses, nous ressai-
sissons comme en un faisceau toutes nos. puissances, et, maîtres
de nous, nous devenons maîtres de nos actions. On demandait
un jour à saint Ignace s'il se résignerait jamais à un sacrifice
aussi héroïque que celui de consentir à la suppression de sa
Compagnie ; il répondit : « J'aurais besoin d'un bon quart
d'heure de recueillement pour m'y préparer. »
LA t-()liM.vni).\ llK LA VOLOSTK 08:t
Ce n'est |)(iiiil pDur se coiili'm|ili'r, pour jouir en l'jice d'clle-
mènie iruiie vaine complaisance, que rame liiiinaine doit se
recueillir, mais pour se posséder, pour s'éclaii'cr, pour s'exciter,
et ajoutons pour trouver Dieu et subir son impulsion bienfai-
sante.
Quand un iiomme s'est retrouvé par le recueillement, il
dispose de son attention et il l'applique alors à la considéra-
tion des molil's capables de l'émoTivoir. Il se remet en face des
grandes pensées que lui suggère sa raison ou sa (bi religieuse.
La vie lui apparaît alors, non point " comme un tbéàtre de
gaudrioles d, mais comme i< un chantier où tous travaillent,
et où le désœuvrement ne peut que mener à la ruine (1) ». Il
voit que ce serait insensé de » vivre au hasard », de ne pas
exploiter et mettre en valeur le riche capital que sont les
forces humaines. Car il y a nécessité de rapporter à Dieu le
fruit du talent qu'il nous a confié. A la lumière de l'Evangile,
dans les formules sacrées où le Christ les a exprimées, ces
vérités revêtent un éclat qui illumine l'àme et déjà meut la
volonté. Car, ainsi que le remarque Descartes, c de toute
grande clarté dans l'entendement suit une grande inclination
dans la volonté ». C'est ce qui faisait dire au Prophète : In
méditai io/if mca exardescet ir/nis (2). La vision prolongée d'une
grande vérité morale excite l'àme, la pousse à mouvoir tous
ses ressorts intérieurs; et sous l'action de ces efforts intimes
se prépare l'accomplissement de l'ed'ort extérieur. Ainsi, d'un
petit foyer allumé par une étincelle suit un grand incendie qui
embrase l'àme entière. Pour chacun de nous, cette étincelle
initiale est une pensée chère, qui, sous une forme énergique
et vivante, exprime un haut idéal de vie; c'est grâce à notre
maxime favorite, à l'idée qui nous obsède, que prend en nous
la llamme du sentiment et que se met en branle notre acti-
vité.
Leur foi donne aux chrétiens une ressource dune inépui-
sable fécondité. Car ils savent par elle que, rentrant au-dedans
d'eux-mêmes, ils y rencontrent Dieu. Cette vérité, que saint
I Blackie, Éducation de soi-même, p. "6.
'i) Psaume xxwiic, vers. 4.
684 J. GUIBEIÎT
Paul ik'couvrit si éloqiicmmorit devant l'Aréopage (1), est fa-
milirre à tous les chréliens. Leur âme est un sanctuaire inté-
rieur, 011 Dieu réside et rend des oracles ; lorsqu'il parle dans
la conscience, sa voix n'est point méconnaissable ; lorsqu'on le
prie dans le secret de ce tabernacle, il voit, il entend, il exauce;
il permet à l'àme ([ui le prie une intimité, une union, disons
plutôt une fusion, qui lie en un même faisceau les énergies di-
vines et les énergies humaines, si bien que le chrétien a le
(Iroil (le dire comme saint Paul : Oiniiiti jiossinn in ca (/ni me
cou flirtai (2i. Kt comme pour rendre cette présence de Dieu
plus sensible, ce n'est pas un Dieu abstrait, mais nn Dieu
incarné en Jésus-Christ, qui, d'une façon mystique, vit dans
l'àme, léclaire et l'échautTe. (Jui ne voit quelle ardeur de sen-
timent produit un tel commerce avec le divin? N'y a-t-il pas
là de quoi remuer les natures les plus apathiques, ou de quoi
apaiser et dompter lésâmes les plus exubérantes? Une telle foi,
fût-elle sans fondement dans la n'-alité, aurait « la force de
transporter les montagnes >■. Si elle repose, comme nous le
croyons, sur le ferme ap|)ui d'imliscutables réalités, la force
même de Dieu vient centupler l'action déjà si puissante de la
suggestion intérieure.
On conçoit, dès lors, que l'Eglise catholique attache tant
d'importance au dévebippenn'ul de la vie intérieure, et c'est ici
précisément que la vie rcdigieuse se soude à la vie psycholo-
gique. Pourquoi ces heures de récolb'ction, méditations, lec-
tures, examens, sinon pour obliger l'âme à fermer ses portes sur
le monde, sinon pour la faire vivre au-dedans d'elle-même,
avec de nobles pensées, dans la communion immédiate à
Dieu présent en elle ? Pourquoi, dans ces moments de re-
traile journalière, s'exciter à prier, se résoudre à vouloir, si-
non pour allumer dans le co'ur le sentiment et pour que sa
llamme salutaire échaull'e les puissances actives? Pourquoi, à
certaines époques, des récollections prolongées, où les ad'aires
chôment pendant huitjours, sinon pour que la volonté se refasse
dans l'exercice, pour que les rouages de l'activité renouvellent
(1; Act., XVII.
(2i Ëpiire aii.r l'Iiilippiens, ch. iv, vers. 13.
LA FOIIM \Tlii.\ IlE L\ ViiLOME 08S
leur |)uissaiu'i' dans la niiiiuliciiso révision qu'ils siibissonl ?
IVmrqiioi, enfin, cette participation fréquente aux sacrements
(le TK^liso, principalement à riuicliarislie, sinon parce qu'ils
allument dans l'àme des foyers de vie, et que chaque hostie
apporte un nouveau charhon ardent au feu qui déjà embrase le
cœur? Taine n'avait-il pas, en philosophe pénétrant, observé
que l'Eucharistie est le foyer où s'entretient la vie de l'Eglise,
que les vierges y puisent leur pureté et leur dévouement, que
les missionnaires y alimentent leur courage, que les pénitents
v trouvent l'énergie qui les rend nuiitres de leurs sens, que les
chrétiens du monde en tirent leur patience et leur iidélité...? VA
si ces mystiques réservoirs de vie soutiennent tant de cœurs et
aguerrissent tant de volontés, n'est-il pas juste de reconnaître
lu place qu'ils occupent dans la psychologie des chrétiens?
Toutefois, cette vie intérieure n'est point à la portée de toutes
les âmes ; car, pour se replier au-dedans de soi, il faut une
souplesse qui n'est point commune, et pour iixer l'attention sur
un objet tout spirituel et intérieur, il faut une vigueur de re-
gard qui dépasse la portée ordinaire. Même pour les âmes d'élite
qui s'y adonnent, la vie intérieure devient lassante à mesure
(|u'ellc se prolonge ; elle veut être intermittente, et elle a besoin
de se féconder par quelque sage commerce avec le dehors. C'est
pourquoi les âmes gagnent à renouveler, sous les iniluences
des milieux, la vivacité de leurs sentiments.
IX
Ce n'est pas un art banal que de choisir ou de composer son
milieu. Notre milieu exerce sur nos idées et sur nos tendances
un empire si souverain, que se former un milieu c'est se for-
mer une âme, et donc une volonté. En agissant sur notre mi-
lieu, nous agirons donc sur notre volonté. Or, il dépend de nous,
dans une large mesure, de faire notre milieu, c'est-à-dire de
composer ce mélange de clioses et d'hommes qui ont sur nous
de l'intluence. Car notre milieu, ce n'est pas tout ce qui nous
entoure, c'est seulement ce dont nous subissons l'action. Dès
que l'expérience nousa permis de discerner dans les objetsceux
680 J. GLUnERT
qui provoquent des émotions nuisibles et ceux qui excitent
des sentiments favorables au bien, nous sommes responsables
des inllucnces qui s'exercent sur nous.
Nous connaissons, par exemple, la puissance des arts, des
spectacles cl de la musique, pour remuer nos sens et mettre
en branle notre activité. Il se peut que, sous le coup de Témo-
tion et dans la clialeur de l'enthousiasme, nos actions s'accom-
plissent avec une telle rapidité qu'elles échappent à notre
maîtrise. Mais il nous appartenait de nous soumettre ou de nous
soustraire aux inllucnces provocatrices.
Une même personne j)assera par les états les plus contraires
suivant la nature des émotions que le milieu laii nailre en
elle. Quelle assiste à des représentations immorales ou seu-
lement légères, qu'elle entende une musique lascive, aussitôt
les appétits sensuels s'éveillent, les impulsions basses enva-
hissent tout l'être, et l'àme assiste, consciente, à des entraîne-
ments dont elle rougit sans pouvoir alors les arrêter. Mais qu'un
autre jour, à riieure où le calme de l'àme permet un choix, elle
se rende dans une église, qu'elle y soit témoin d'un spectacle
l'cligieux, qu'elle y soit enveloppée du sentiment du divin que
fait naître la musique recueillie ou la parole chaude d'un oialeur
plein de Dieu, — aussitôt l'émotion gagne les sens, mais les
impulsions qu'elle excite portent vers ce qui est noble, pur et
généreux ; si d'irrésistibles entraînements se produisent alors,
l'àme assiste, consciente et sans remords, à des actions qui
l'honorent.
C'est travaillera la bonne éducation des enfants et des peu-
ples que de leur procurer, dans les arts, des émotions saines, et
de les soustraire, aussi souvent que possible, à la bassesse ou à
l'insignifiance de leurs impressions ordinaires. Chacun de nous
doit pourvoir, dans le même sens, aux besoins de son àme.
Lorsque notre propre cœur ne nous suffit plus pour exciter nos
sentiments, nous faisons sagement de recourir aux influences
du dehors : regarder de belles estampes, écouter de la bonne
musique, assister à quelque spectacle réconfortant, etc., etc.,
c'est donner à l'àme l'aliment sain dont elle a faim.
Dans les heures où l'àme affaissée cherche à ranimer sa vie,
le commerce des hommes sera sa meilleure ressource. Une àme
LA iriliMATKiS DE LÀ VdLOSTE 687
(Hcintc se rallume comme un llambeau au contact de l'àme (jui
vit. Et il ne i'aut pas trop prendre au pied de la lettre ce mot
de VhnitatiDU écrit dans un instant de pessimisme : Quotirs
in/er hominrs fui minur luniin rcdii. Car s'il y a des hommes
près desquels on se rapetisse, il y en a d'autres près desquels
on j^randil, on s'entlamme, on s'ébranle pour le bien.
11 faut eu elTet distinguer trois sortes d'hommes : les mau-
vais, les banals, les valeurs.
Les mauvais sont les corrompus, près desquels on se souille,
et les découragés, dont la parole brise tous les ressorts de l'àme :
rien ne compense la dégradation morale que subit notre nature
au contact des uns et des autres. Évidemment, il faut les fuir,
quasi a facir coliibri.
I^es insigniliauls et les banals, qui sont le grand nombre
dans l'humanité, manquent d'idée et de volonté. Us ne sont
pas méchants, ni dangereu.x ; mais ils ne sont pas utiles. Sans
rélle.xion et sans profondeur, ils vivent à Heur de terre et leur
conversation ne s'alimente que des riens et des « potins » qui
remplissent les existences vulgaires. On ne peut les éviter,
puisqu'ils sont partout ; mais on ne doit pas s'en content(M',
si l'on veut une vie pleine.
Près (les valeurs, au contraire, il y a toujours profit. Car,
suivant la juste remarqiH- d'un pliilosophe écossais : « Les
meilleurs livres ne sont qu'un mécanisme savant propre à
remuer le meilleur de nous-mème : leur action est indirecte et
faible. IMais le grand homme, quand il traverse votre sentier,
porte en lui une inilucnce magnétique à laquelle vous n'échap-
perez pas, du moins si vous êtes accessible aux sentiments
nobles (1). » Aussi le même auteur ajoute-t-il qu' « il n'y a
pas de plus sûre méthode, pour devenir grand, que de fré-
quenter des hommes grands et i)ons >i.
Ils agissent d'abord par leurs exemples. Combien de grandes
âmes n'ont point d'autre élocjuence que celle de leurs vertus !
Mais c'est aussi la pluseflicacc. Les paroles d'Ambroise avaient
intéressé Augustin, mais ne l'avaient pas entraîné ; pour
ébranler cette grande ànie, il fallut les exemples des saints :
,1 Bl.vgki, Édih'aLion de soi-même, p. 95.
688 J. GLIBERT
(jiiutl isti et Is/cB, disait-il, ti/r iiuii ego ? — Ils agissent par
leur talent oratoire. Quand une àme, tonte haletante d'émotion,
vous arrive dans une parole vive, brûlante, vous i''tes touché,
ébranlé, entraîné. Un orateur prend possession des volontés
comme un hypnotiseur : il les manie à son gré, il les lance
actives et fortes à l'assaut des plus redoutables citadelles. Qu'il
se nomme Mirabeau, Napoléon, Lacordair'e, O'Connell, ou tout
autre, il est maître souverain fies Ames qui l'entendent. Heu-
reuses les âmes qui, sur leui' cheniin, trouvent des hommes
capables de les remuer parla parole et de faire vibrer des libres
qui souvent, chez nous, s'engourdissent dans l'inaction 1 — ■
Ils agissent cnhn par leur conversation, vraie communion
d'âmes, où le riche verse des trésors dans le sein du pauvre.
Dans ces relations intimes, il y a d'abord une sorte d'action de
présence, comme si, avant toute parole, une vertu secrète
s'échappait de toute grande àme. Puis il y a ce Ihit de lumière
' et de vie qui passe dans la parole. Les disciples d'Emiiiaiis
l'avaient bien senti : Noruir cor ii(>:ttritm ardens crat in nobis,
diim loijiirrcliir iiùhiscmii in ria? {\\. Ces communications, ces
tète-à-tète avec l'homme qui vaut, ferment tant de plaies,
calment tant de souffrances, éveillent de si nobles idées,,
allument de si généreux désirs, impriment des élans si puis-
sants !
Ciierchez cet liomme et qu'il soit votre ami : par lui vos insi-
gniliances se dissiperont, par lui vos ressources de vie devien-
dront actives et porteront du fruit. Mais cherchez-le entre
mille, dit l'Ecriture, entre di.\ mille, dit saint François de
Sales. Cherchez-le, car il ne se produit pas sur les places
publiques. Ou bien c'est un penseur : réiléchi et profond, il
ressemble à ces sources qui sont d'autant plus riches qu'elles
se cachent plus avant dans le sol. Ou bien c'est un actif: àme
chaude, Ihimme ardente, il est plus facile à rencontrer et d'ini
commerce plus engageant. Si la Providence vous l'a donné,
abordez-le sans crainte, ouvrez-vous à lui avec confiance, mani-
festez-lui vos besoins d'àme. Mais surtout demeurez-lui fidèle ;
ne reculez pas devant l'effort de vie intérieure nécessaire pour
(1) Luc, eh. XXIV, vers. "32.
/. l F<iIt.\tAri()S IiK I.A VOUiSTK 689
mainlriiii- riiurninnii" cnlro \o[ro àiiu' cl la siciiiu'. Scra-l-il
votn^ ami, vûlrc niailro, vuli'c (lircelciir ? Il dnit rli'O touL cela
l'iiscniiiit'.
<Ju(' préteml-oii, dans coLIl' direction spiriLucIlc si lidclcmcnl
pratiquée dans les séminaires et dans les communautés reli-
gieuses ? On veut produire cette communion d'àme à àme, cet
enrichissement de Tàme qui naît à la vie par l'âme qui déjà
s'est remplie de Dieu. L'àmc jeune se découvre non pour se
faire jiijicr mais pour se taire uuérir. Elle a moins à donner
qu'à recevoir ; elle a plus à entendre <ju'à parler. Elle vient
recevoir ces impulsions généreuses qui l;i tireront de l'apathie,
ou (jui. dans les heures de trouble, inhii)eri:)nt les impulsions
nuisibles.
La direction est la force cachée des communautés religieuses.
l'ar elle, les passions se domptent, les volontés s'assouplissent,
les cœurs s'enllamment, les âmes se moulent sur un même
idéal. Sans elle, les énergies indi\iduelles resteraient désordon-
nées, l'harmonie de l'ensemhh^ serait irréalisable. Qu'elle soit
aimée et intensivement pratiquée dans un noviciat, et du novi-
ciat sortiront des recrues à volonté droite et ferme. Qu'elle se
continue à travers la vie religieuse, et la ferveur ne baissera
pas. Si l'œuvre des séminaires est, pour le clergé séculier,
d'une importance si capitale, c'est parce que la direction spiri-
tuelle, tidèlement adoptée, permet (b^ foi-mer des volontés,
c'est-à-dire met l'eifort en honneur et, par l'elfort, arraclic les
mauvaises tendances, élablil les saintes habiludes, remplit
l'àme de ces i)rovisions d'énergie qui doivent alimenter la vie
entière. Mais, puisque la direction est, avons-nous dit, une
communion d'àmes, elle ne portera de fruit qu'à la condition
de mettre des âmes avides au contact d'àmes riches de vie. De
là, pour ceux à qui incombe le devoir de diriger, la nécessité
d'accroître leur puissance vitale par le recueillement et le com-
merce de Dieu.
Mais il se peut qu'on ne puisse aborder un homme ; reste
alors la ressource de subir l'inlUiencc de. ses écrits. A certains
égards, le livre ne vaut pas la parole animée ; carie livre n'a
pas cette chaleur communicative que les inlle.xions de la voix,
le geste et le regard impriment à la parole. Le livre est une
43
690 .1. GUIBERT
lave éloinlo : ainsi parlent tous ceux qui ont lu les conférences
de Lacordaire après avoir entendu l'orateur à Notre-Dame. Que
le livre est précieux pourtant ! Il nous conserve dans ses pages
des restes d'âme de tous les temps et de tous les peuples ; il
nous met à l'école de tous les grands hommes, des profonds
penseurs et des héros delà sainteté. Par le livre, nous choisis-
sons notre maître, et il ne tient qu'à nous de nous mettre sous
la conduite du plus habile. Le livre est complaisant, j)rèt à
toutes les heures, condescendant à tous nos caprices, gardant
en réserve le trait de lumière ou le rayon de chaleur pour les
circonstances opportunes. D'ailleurs, le livre a, d'une certaine
l'açon, plus d'âme encore que la parole ; car nous achevons
plus nos pensées pour les écrire que pour les dire, et le maître
qui compose se met plus sous le pressoir que C(>lui qui parle.
Aimons donc les livres, du moins les livres où palpitent encore
des âmes ; ayons-en un petit nombre qui nous soient chers,
mais pris parmi les excellents. Aux heures noires, allons-y
chercher la lumière et lajoie ; dans l'insignifiance et l'abatte-
ment, ils nous réveilleront comme la goutte de liqueur qui
ranime un travailleur épuisé ; dans les entraînements de la
passion, ils feront jaillir en nos âmes de ces sentiments ou
émotions favorables qui apaiseront les autres et nous rendront
la maîtrise de nous-môme. Qui aime les bons livres vit toujours
dans un milieu d'âmes nobles et d'iniluences fortifiantes.
X
Signalons cnlin un dernier moyen de nous déterminer à
l'action et d'exciter en nous le sentiment : c'est d'agir. Saint
François de Sales disait : « Je ne connais point d'autre secret
pour aimer que d'aimer. » Nous dirons de même : c'est peut-
être le plus grand secret pour agir que d'agir. Et qu'on ne
craigne pas de trouver là une contradiction dans les termes ;
car, si apathiques que nous soyons, notre puissance d'action
ne descend pourtant pas à zéro ; si emportés que nous soyons
par la passion du moment, notre pouvoir d'inhibition n'est
pourtant pas entièrement annihilé. C'est ce reste de pouvoir.
LA l'iillMATKiy DE L\ VaUiME 691
si pelil (■( si impalpable qu'il soit, (ju'il laiit iiiclln' en (jL'Uvro
pour relever notre puissance d'action. En usant ilu peu que
nous avons, nous recouvrerons le pouvoir intense dont nous
avons besoin.
Si vous manquez de souflle et de muscles pour monter une
pente raide, prenez une voie plus douce en traçant par vos pas,
sur la montagne, des sentiers en zigzags: le chemin sera plus
long, mais vous arriverez plus sûrement et avec moins de
fatigue. Il en est de même dans les ascensions morales : chaque
fois qu'une pente est trop raide, tournez-la.
Vous ne pouvez faire des prévenances à cette personne qui
vous a blessé : du moins ne l'insultez pas; si vous n'avez pas la
force d'aimer, vous avez du moins celle de ne pas haïr. Cette
injure vous parait trop humiliante pour que vous ne la vengiez
pas : attendez jusqu'à demain, et demain vous attendrez un
pour encore; car vous pouvez différer ce que vous n'avez pas le
courage de supprimer; la rancune ainsi s'atténuera, puis tom-
bera. Est-ce une tentation de volupté qui vous agite? Commen-
cez par vous retenir aujourd'hui et suspendez un jour, puis un
autre jour, la satisfaction des bas instincts. Un étudiant que
hantait le désir du théâtre se délivra par ces atermoiements.
Eprouvez-vous de la difficulté pour la composition littéraire ?
Ecrivez quand même, écrivez des choses banales; faites votre
correspondance, et l'action commencée fera le rappel de vos éner-
gies et vous rendra capable de l'elTort qui d'abord vous rebutait.
Cette inlluence de l'action a été récemment mise en lumière
par le principe de la réversibilité. La-loi physique de la réver-
sibilité est ijien connue : dans une mèuie machine électrique
le mouvement mécanique produit l'électricité, et l'électricité à
son tour produit le mouvement; la chaleur agissant sur une
nappe d'eau, se dépense en formant des vapeurs, et récipro-
quement les vapeurs, en se condensant, restituent de la chaleur.
11 en est de même dans le monde moral : toute idée, comme
l'a magistralement démontré Spencer, est un acte à l'état nais-
sant et, si l'idée est assez puissante pour ébranler les centres
affectifs et moteurs, l'acte s'achève et s'exprime au dehors;
inversement, l'acte commencé ravive l'idée et lui communique
plus de force. Jusqu'ici nous avions dit : pour agir plus sûre-
692 J. GUIBERT
ment, renforcez lidée et le sentimenl par les suggestions inté-
rieures et par les suggestions du milieu. Et nous disons main-
tenant : pour agir fortement, commencez par agir faiblement,
afin que l'action ranime l'idée et le sentiment, et que parla la
prééminence appartienne aux idées dont vous souhaitez l'abou-
tissement.
Nos observations de tous les jours ne peuvent que nous
encourager dans cette voie. D'où vient que l'action commen-
cée avec dégoût se poursuit avec entrain, sinon de ce que le
sentiment qui nous pousse s'est avivé sous le souflle de l'action?
Si la prière nous coûte, mettons-nous dans l'attitude de la prière,
ot bientôt la prière nous sera facile ; et si l'oraison intérieure
nous rebute, récitons d'abord des formules, et notre attention,
soutenue par les formules, finira par se fixer sur l'idée. Les expé-
riences hypnotiques sont à ce sujet fort suggestives; car la
personne endormie exécute toujours les actes dont on lui donne
l'attitude et le geste : à genoux et les mains jointes, elle prie;
les poings fermés, elle devient colère et menaçante. En vertu
des liaisons nerveuses établies dans l'organisme, les impulsions
remontent vers les centres sensitifs pour y provoquer de plus
vives émotions, et ces émotions sont toujours en harmonie avec
les actes dont on a posé le signe.
De ces observations découle la grande loi morale qu'il faut
nous comporter comme si nous étions tels que nous souhaitons
d'être. En nous exerçant timidement à des vertus que nous
n'avons pas, nous les acquérons. 11 n'y a donc pas de plus sûr
moyen pour agir que d'agir, et les anciens ont eu raison de dire
que c'est avoir fait la moitié du chemin que de s'être mis en
route.
La doctrine exposée jusqu'ici, si complexe qu'elle paraisse, se
ramène à un petit nombre de propositions fort simples.
Une volonté est formée lorsque, semblable au mécanicien
qui par la manette gouverne les forces aveugles de sa locomo-
tive, elle s'est rendue maîtresse absolue de ses énergies vitales.
Cette maîtrise se reconnaît à trois signes ; de la netteté dans la
décision, de la fermeté dans l'exécution, de la constance persé-
vérante dans les entreprises.
LA FORMATIOy UE LA VOUiSTÉ 093
PrisonniOre tle rorganisnie quelle finit mouvdir et auquel
elle emprunte ses ressources pour l'acliou, la volonté doit
assurer son activité fonctionnelle, établir des voies de facile
communication, donner aux impulsions initiales assez de
vigueur pour qu'elles élu'anlent tous les ressorts organiques
et parviennent jusqu'aux organes moteurs. Elle atteint ce triple
but par une sage iiygiène. par la création des habitudes, par
l'excitation îles émotions favorahles.
L'art de provoquer des sentiments énergiques ou de vives
impulsiiins initiales est capital dans la formation de la volonté ;
les sentiments naissent ou bien de lauto-suggestion par la vie
intérieure, ou bien de l'hétéro-suggestion par l'inthience des
milieux, ou bien de l'action même, dont le premier effet est
de renforcer l'idée et le sentiment.
On trouvera peut-être que nous avons fait une bien large
part à la physiologie dans ce sujet qui paraît tout moral. Mais
nous n'avons point cru qu'il fût supertlu d'étudier les ressorts
animés que la volonté doit mettre en jeu pour accomplir ses
desseins. Puisqu'elle est assujettie à dépendre d'un organisme,
puisqu'elle est impuissante à atteindre le bien moral sans se
servir d'organes physiques, n'était-il pas juste de baser sur
l'étude scientitique de ce mécanisme les règles pratiques qui
doivent diriger l'effort de la volonté? A cette recherche ration-
nelle, la morale n'a rien perdu de sa iiauteur. En suivant les
préceptes dictés par cette psycho-physique, l'àme se dégagera
de ses passions basses, sortira de ses apathies et de ses insi-
gnifiances, et s'établira dans la paix intérieure que procure le
devoir accompli. Pour être plus savantes, les âmes n'en seront
pas moins belles. Exercées à cette stratégie dont nous avons
cherché les raisons et décrit les évolutions, elles se reposeront,
victorieuses, dans ce calme sublime qui faisait dire à M"" Swef-
chine : n Ne demandez à Dieu pour moi ni un jour de plus ni
une souffrance de moins ».
J. GUIBERT
LES PRINCIPES
COMMKNT IN PRINCIPE SE DIVERSIFIE DANS LE CONCRET
III
Rojotor tout |)ri''jugé d'école et se placer francliemcnt en pré-
sence de la vérité scientifique ; — se donner le spectacle du dé-
veloppement des principes, saisir leur obscure apparition, leur
genèse à partir de la première heure où l'observation concrète
nous les fournit; — enfin, parvenir à les départager m notions
distinctes et notions confuses (1), combien le souhaitent ; mais
combien y parviennent?
11 est si difficile an philosophe de (h'pouiller son tempéra-
ment intellectualiste ou positiviste ! Tantôt il se complaira dans
l'examen purement dialectique et formel de la vérité /«t/e par la
science ; il regardera le terme sans se douter du chemin par-
couru : dans cette contemplation des formules toutes faites, il
ne verra que de l'immobile. Tantôt, il vivra la vie des inven-
teurs et des expérimentateurs, et tout absorbé dans la con-
science de cette psychologie, dans le sentiment de cette création
et de ce contact direct avec le réel et le concret, — en un mot,
uniquement préoccupé de cette science vécue, il risquera d'ou-
(1) Dims un précédent travail numéro du 1" Aoi'itl.j'ai indiqué l'intén't de ce
départ à faire entre le distinct et le confus — entre l'abstrait et le concret. Ce qu'il
nous faut comprendre maintenant, c'est l'inériUibleparf du concret dans laconnais-
sance scientifique proprement dite comme dans toute autre connaissance.
LES l'IUNCIPES G9r>
blicr les immuables condilions par lesquelles la marche de
l'esprit est elle-même réglée. Il craindra de l'asservir en y re-
connaissant des lois.
Et pourtant, elle s'impose, la question si nettement for-
mulée : " La connaissance scientifique étant donnée à la
réflexion du philosophe, quelle conception de la vérité lui
permet- elle de se faire (1)? » Question malaisée — inévi-
table d'ailleurs, si l'on veut comprendre, à la lumière des
polémiques récentes (2), l'importante contribution apportée
par la science contemporaine au problème de la connais-
sance primitive. Peut-être y pourra-t-on porter quelque
lumière, si l'on part du résultat intelligible, une fois donné,
en V cherchant la trace de l'activité pensante : c'est faire la
part belle à l'intellectualisme radical; c'est aussi, pensons-
nous, le plus sûr moyen d'éviter telle équivoque, sur laquelle
il pourrait fonder ses réclamations. Dans ce but, nous envi-
sageons de préférence les résultats de la physique-mathéma-
tique : ils ont donné lieu à la discussion ; ils en ont dégagé les
principaux développements; ils en ont guidé les orientations
les plus nettes (3).
Examinons donc, dans leur contexture dialectique, les lois et
les formules; tâchons d'y surprendre quelques indices de l'ef-
fort qui les a construites.
Quelque part que nous portions nos regards, nous trouvons
associés Vabstrait et le cuncrc'., l'intelligible et le donné, la
(1) BRUxsiiwicii, lievue de Métaphysique, juillet I9i)l,p. i40.
(2) Voir tout particulièrement : Edouard Le Roy : Science et Philosophie ; in
puxilivisiDe nouveau : Quelques otjjeclions adressées à la nouvelle philosophie [lievue
de Métaphysique et de Morale, juillet, septembre, novembre 1899, janvier 1900
mars, mai et juillet 1901,. — J. Wii.nois: /a iVe7/(0(/e des sciences physiques Ibid.,
septembre 1899 et mai 1900); et L'Esprit positif ilbid., mars 1901;. — Edouard
Le lioY : La Science pusitice et les philosophiez de /a /(éec(e' | Rapport présenté au
congrès international de philosophie, 1900 1.
3) Je ne crois pas nécessaire de résumer la polémitiuc en question, et je ris-
querais d'égarer mes lecteurs, ne voulant pas compliquer l'examen des divers
problèmes qu'elle soulève. Ils sont multiples ; Quelle est dans la science la part
irréductible du concret, nécessairement soustraite à l'analyse distincte '? — Y a-
t-il continuité i}es résultats intelligibles '.' — Et, si cette continuilé fait défaut, dans
quelle mesure l'action doit-elle interrenir? — La solution de cette dernière ques-
tion, si intéressante pourtant, n'est que partiellement et incidenmient touchée
dans le présent article. Je ne parlerai guère que de l'action pratique, peu ou
point de l'action discursive et de l'action profonde si du moins j'ai bien compris
la terminologie adoptée dans la nouvelle écolei.
tl'J6 A. iiF. Lx BAURE
notion et le fait ' 1 . Il ost passé le temps on les sciences phy-
sico-mathématiqnes ont pu faire illusion, apparaissant avec les
caractères de l'intelligible pur. dégagé de tout élément concret.
C'était le règne des lois immuables (2) et des formules intan-
gibles, brillante chimère du xviii" siècle, déjà décadente à la fin
du XIX". La critique la plus récente montre bien que les for-
mules de ce genre enveloppent nécessairement un élrmciU coii-
crrl, dont elles dépendent, sans lequel toute science serait im-
possible. De là à faire voir que cet élément concret nécessite
des catégories, des groupes spécifiques (3), il n'y a qu'un pas.
Nous tâcherons de le faire par l'examen de la formule même.
Peut-être, ce point de vue, t[ui du reste n'a point la prétention
d'être une absolue nouveauté, coïncidera-t-il partiellement avec
les ingénieuses analyses de la « Philosophie nouvelle ». Et s'il
n'v a pas, en fait, coïncidence, peut-être du moins y trouve-
ra-t-on cet avantage que certaines nuances d'expression per-
mettront de reconnaître les divergences, de préciser les points
encore indéterminés, de prévenir (jnelques malentendus possi-
bles. ()w de fois ces malentendus proviennent de l'ignorance
des notions les plus élémentaires !
Les deux premières parties de cet article nous feront com-
prendre l'activité de l'esprit dans l'établissement des premières
formules, relatives aux lois secondaires, généralement empiri-
ijiii's. Ces formules s'établissent dans des cas très simples, où
un petit nombre d'éléments est considéré comme variable. —
La troisième partie nous montrera comment de ces lois secon-
daires on remonte aux lois générales qui traduisent les faits
les plus complexes, dans toute l'extension de leurs phéno-
1 Tout le momie sait qu'il en est ainsi : au premier abord, cette affir-
mation pourrait paraitre enfoncer une porte ouverte, et les considérations
qui l'appuient seraient d'enfantines amplifications. Pourtant, sans nous borner
â constater qu'il en esl ainsi — nous voudrions faire voir comment ii en est
ainsi.
{2) Le R. P. OK BoxxiOT a fort bien montré (Le Mirncle et ses contrefaçons.
i\ I! quelles méprises ce point de vue avait pu causer dans les questions pbiloso-
pliico-théolo<;iques les plus graves. J'ai taché de vulgariser les mêmes idées
dans mon opuscule : Faits surnaturels et forces naturelles, troisième édition,
Bi.oru, 1900, surtout pp. 43 et suiv.
(3) A des scolastiques, je dirais : « Nos sciences sont analogues, et non univo-
(jues. » Voir mon mémoire présenté au Congres scientifitjue internathmal de Fri-
Itourg, t89' : l'oints de départs scienti/ir/ues et cnuiie.rions logiques.
I.KS l'IilXClPES 6'J7
mènes indiviiliicis cl dans toute la conipii'lu'usiun de leurs
éléments varialiies.
Soit une formule exprimant une loi. i,e dialeetieion veut re-
venir sur ses pas. Il cherche à pénétrer le sens du travail men-
tal qui l'a fournie. La formule offre deux aspects indissocia-
bles, hicTi que l'analyse arrive à les démêler dans leur unité.
Cette loi exprime indivisihlemenl : le variahle, le concret, îe sin-
gulier— le constant, l'alistrait, l'universel. Ri c'est ce que verra
toutde suite l'algébriste familier avec la signllication des termes.
Voici d'abord /es variables solidaires ( ou variables drpen-
danles] dont la souple élasticité traduit parfaitement toutes les
successions du phénomène. Elles expriment tout à la fois le
concret et l'abstrait : le concret, parce que, dans leurs variations,
elles sont assujetties à traduire les variations du phénomène;
— l'abstrait, parce qu'étant solidaires, elles expriment la con-
stance, l'universalité de la loi dans ces mêmes variations (1^.
Le dialecticien, surtout s'il est familier dûs vieilles traditions,
reconnaîtra sans peine dans la composition de la formule ma-
thématique l'équivalent delà composition logique : la compéné-
tration de l'espèce abstraite et de ses notes individuantes.
Parmi les ditTérents symboles constitutifs de la formule, il
faut s'attacher surtout à considérer les constaiifes ou colloralions.
Je reliens à dessein cet ancien terme usité parSluarl Mill. Celui-
ci avait bien remarqué que dans l'énoncé d'une loi doivent en-
trer nécessairement certains éléments iixes, déterminés parles-
conditions concrètes du phénomène — conditions invariables
parce qu'elles constituent le niilieu inerte, le milieu qui contient
h' phénrjmhir lui imprimant une dii'ection, b' niodiliant, saits
tuatrfois prendrr fiart à la rariatioti des rlétnrn/s essentiels (2).
1) Je passe rapidement : voir l'opuscule : Faits surnalureis et forces naturel-
les, c. IV : Les Forces physiques et l'iuiiiiutabilité des lois.
2) Voici cniiuiient s'exprime Mill : « Les lois decausntion complexes se résol-
vent en deux espèces d'éléments 'lislincts, à savoir : les lois de causation plus
simples et les colloralions ; par quoi il fiut entendre l'existence de certains agents
ou forces, en certaine quantité, dans des circonstances définies de lieu et de
temps. «(Loflirjiie. t. 1, p. 522.) >LIiabier. auquel nous empruntons cette traduc-
tion légèrement retouchée, ajoute de son clief l'exemple suivant : ■■ Pour déduire
l'ascension des hallons, le poids exact et l'élaslicité de l'almosphère comme aussi
la pesanteur spécifique de la masse du ballon sont des données indispensables. »
(Habiek, Loi/iqiie, deuxième édition, p. IIU).
698 A. DE LA lîARRE
Ces collocations expriment, en somme, ce qui dans le pliéno-
mène étudié doit être considéré comme un élément immobile,
comme une condition du milini — mais, entendons-le l)ien,
d'un milieu déterminé et déterminant le phénomène.
Aussi, dans la formule qui exprime la loi du mouvement en
chute lilire:
e= ; gt'-
g représente l'accélération en un point déterminé, accéléra-
tion considérée comme roiislanlf pimr une sérif (/'r.rijr'ripnces
i/is/i/iuk's en un inrnie Uni.
Ainsi, dans des expériences de réfraction ou de réilexion —
un coefficient invariable représente l'indice pour une série
d'expériences effectuées avec des radiations lumineuses spé-
ciales, ('■titdiées constamment dans les mêmes milieux de projia-
galion qu'elles traversent successivement dans le même ordre.
Ainsi, les collucalions traduisent rimmidiilitr (réelle ou con-
ventionnelle, absolue ou provisoire) des ronditions <i'e.rifitencfi,
au sein desquelles nous étudions un l'ail. Elles définissent un
groupe d'expériences, (^e sont, il est vrai, des conditions extrin-
sèques. Par opposition aux éléments intrinsèques du phénomène,
qui en intègrent la portion variable — elles constituent au con-
traire la portion invariable pour une série d'opérations. Cette
série est cmirenlionnellr (]uant à son élément concret : chute
des corps étudiée en un lieu conventionnel — dilatation d'un
■gaz ou d'un liquide dans une enveloppe arbitraire — phéno-
mènes lumineux dans un prisme de forme et de nature déter-
minées par le clioix de l'opérateur.
A ce point de vue élargi, /'instrument et le milieu coïncident ;
et cette coïncidence précisément consiste en ce qu'ils sont con-
ventionnels, décrétés par l'expérimentateur. Au point de vue
présent, définis par des collocations, qui constituent la formule,
l'instrument et le milieu sont e.i.térieurs au phénomène — bien
que tous deux soient essentiellement requis pour sa définition.
Tous deux dépendent de l'activité libre de l'expérimentateur,
choisissant un instrument ou un milieu — choisissant souvent
un instrument qu'il considérera comme un milieu approprié —
souvent un nrilim qui produira le pliénomène et lui servira
LES PRisciPES em
d'instrumont. L'un et l'aulre dépendent du njuloir lihrr dr
l'esprit, immobilisant dans le jeu naturel des forces — immo-
bilisant tout au moins dans sa pensée — tel élément, et mobi-
lisant tel autre, mettant ici le statique, ici le dynamique.
L'expérimentateur peut fixer les conditions d'une série d'expé-
riences : par exemple, mesures de la pesanteur à Paris ; il peut
aussi bien les faire varier, eu les fixant pour une nouvelle
série, par exemple à Moscou. Les coUocations, l'instrument, le
milieu, sont ainsi choses conventionnelles, en tant que con-
crètes et singulières.
Ouelle est l'inlluence de cette convcntinn sur le résultat?
La formule, dans laquelle entre ainsi le convenu, deviendra-
telle par là même conventionnelle? Là pourrait se trouver la
pierre d'achop|)ement, l'occasion de graves malentendus.
Rappelons-nous une question et une solution parallèles. J'ai
montré ailleurs ce que la com-nition (je veux dire l'introduc-
tion d'une activité libre) a de conciliable avec riminiilabiHtr de
la loi géni-ralc, relative au groupement primitif et moins com-
plexe (1). Il est également possible de voir maintenant ce que
la com'pnlinn, l'introduction d'un élément arbitraire dans un
groupement de symiioles logiques, a de conciliable avec l'im-
mutabilité de la formule générale.
Quand une Ulirrtt' quelconque intervient pour organiser ou
pour modifier des ordres naturels spéciaux, elle respecte néan-
moins les lois abstraites de l'intelligibilité essentielle : la muta-
bilité de l'ordre naturel, contingent, organisé en vue d'une fin,
se concilie avec l'immutabilité de l'essence pure. Or, l'activité
de l'esprit, pour organiser logiquement, est obligée de se subor-
donner à certains concrets, à certains étalons primitifs : c'est
le choix de ces grandeurs qui introduit encore ici la liberté,
qui rend les résultats comparafjles, qui, de part et d'autre, nous
montre la possibilité de divers ordres naturels, subordonnés à
I Voir Faits surnaturels, c. iv. Au fond, c'est là une question de logique
abstraite, très simple et très claire pour des professionnels : en di'pit des di/l'é-
rences, si arbitraires et si conventionnelles qu'elles soient, le l;/jie générique sub-
siste identique à lui-même dans les concrctes diversités de l'espèce. C'est ainsi
que la loi générale de compréhension trcs simple subsiste dans la complexité de
la loi dérivée ; par exemple, la loi pliysico-cliimique dans la loi organique de l'être
vivant.
700 A. iiE LA BAURE
l'unilé d'un ordre intelligible. F^ur préciser davantage, si vous
êtes théologien scolastique, je vous monlrerai l'activité de
l'esprit créateur et conservateur — choisissant et conservant
librement un ordre entre les divers ordres abstraits qu'il
pouvait réaliser, qu'il pouvait modiiier en y introduisant tel
élément nouveau. — Et si vous êtes simplement un logicien
classilii'ateur, je vous mnntrerai l'activité de l'esprit humain
clioisissant certains élémenls concrets, pour leur suliordonner
tnuie la construction de ses catégories, tout l'agencement de ses
genres et de ses dill'érences ' 1 ).
Ainsi l'introditclion de ces rlànenls coDvcnlioiuwls, par oii
s'établit la formule des lois secondaires et dérivées, n'est pas
un démenti à l'intelligibilité et îi la constance dé la loi primi lire
et supérieure. La loi (jéurrale r. r/. attraction unirerselle se
spécifie dans des formes secondaires : mais elle les contient
virtuellement. Le genre est en quelque sorte une éminence
loijiijue par rapport aux espèces multiples. 11 y a continuité
intelligible dans cette dérivation, continuité intelligible entre
les espèces dérivées. Et même, au cas où nousne connaîtrions
pas l'espèce supérieure, il nous est encore possible de soup-
çonner une continuité intelligible, en dépit du caractère con-
ventionnel des groupements opérés : seulement, dans ce dernier
cas, l'intelligibilité demeurera transcendante ti notre logique
humaine, inattingible ft l'immanence de l'esprit.
IV
Nous avons dit que les cotlocations (constantes spéciliques,
paramètres, coefficients...) représentent les conditions concrètes
de Y instrument et du ntHieu ; que, par conséquent, l'instrument
et le milieu coïncident en tant qu'ils cori'espondent à ces col-
locations et sont exprimés par elles. Celles-ci fixent, par con-
vention et provisoirement, les immobiles conditions d'existence.
I) Nous ne nions pas que certaines catégories soient naturelles, d'autres artifi-
cielles,— mais, mèilie dans le cas d'une dillcrence artificielle choisie librement, dans
le cas d'un caractère secondaire clioisi comme s'il elail domitmleur, — il est encore
vrai que l'introduction de cet élément respecte l'abstraite intelligibilité du groupe.
LES l'IilMll'ES 701
(l'csl une i-onvontion qui a siniiilcmcul iiniir Iml de restreindre
la généralité du cas étudié, d.' lédiiire en conséquence le nom-
i)re des variaiilcs. Mais c"est une convention provisoire. La
science veut des formules générales, valables pour tous les
cas possibles, pour des variations affectant même les élé-
ments concrets que nous avions regardés comme invariables.
Cette invariabilité n'était qu'une convention provisoire. C'est
en supprimant cette convcnlion que nous parvenons aux
formules absoluuienl générales : nmis le verrons tout à
riieure.
Mais, auparavant, disons rapidement comment d'autres
sciences nous amènent à des considérations analogues. 11 y a
toujours dans les résultais de la science expérimentale un
double élément, départagé par l'activité de l'esprit : d'une part,
élément variable ou phénomène circonscrit au minimum de
variabilité; d'autre part, l'élément concret, ou du moins inva-
riable par convention, celui qui délinit les ciDiditin/i'^ d'exis-
tfnc, /'i/is/riuiif-nt, Ip nidtcii.
Jusqu'ici nous sommes restés sur le terrain des sciences phy-
siques et physico-mathématiques. Partant du point d-e vue dialec-
tique, de la formule abstraite elle-même, nous avons vu com-
ment elle comporte toujours une restriction imposée à l'indéli-
nie variabilité du phénomène, un rAo/j" parmi les états naturels
possibles, un murcfllouent de la nature. Parfois, cette sépara-
tion entre le phénomène et ses conditions d'existence, ce inilieu
conventionnel est créé par un instrument concret; le milieu
se confond avec l'instrument lui-même. Parfois, la nature est
tout ensemble instrument et milieu, ou plutôt soun le regard
(le /'esprit elle se morcelle, elle se dédouble en phénomène
variable, en milifu concret. Tout à l'heure l'esprit créait l'in-
strument pour provoquer le phénomène : c'était l'expérimen-
tation proprement dite. Dans le second cas, l'esprit lui-
même est instrument actif, puisque c'est lui qui morcelle la
nature.
In cou[i d'u'il sur les scirnces naturelles — spéciale-
ment sur la physiologie — conlirmera ce que nous venons de
dire.
Dans ces pages mémorables, où Claude Bernard s'appliquait à
702 A. DE LA BAKRK
discprnoiMrunc pari rcxpi-ricnce et /'o/isenrition (1) — l'élôment
identique, le facteur commun de l'expérience et l'observation,
c'était l'activier ilc l'esprit isolant le phénomène et son milieu,
le variable et le constant. L'élément caractéristique de lexpé-
rience était l'activitr de l"nistrin)tcnt matrricl : au fond, c'est
l'activité de l'esprit qui le met en jeu pour provoquer la varia-
tion.— D'ailleurs, l'élément caractéristique de l'observation est
i'acliritr de /'esprit regardant la nature et agissant sur elle,
l'analysant, lu dissociant satis iitstriiment aussi bien qu'avec un
instrument (2).
Aussi, après avoir montré comment, d'après certains physio-
logistes, « l'expérience implique l'idée d'une variatio», d'un
trouble iti/en/ionnf'ileinent apportés par l'investigateur dans les
conditions des phénomènes naturels » — définition qui répond
« à un groupe nombreux d'expériences que l'on pratique en
physiologie et qui pourraient s'appeler rj/jéric/icrspar destruc-
tion » — il montre ce que suppose essentiellement cette ma-
nière de voir : la pnssi/iilifr d'agir sur la nature pour la modifier
ou la détruire, en quoi consistent les sciences expérimentales
proprement dites.
^lais le même etfet peut être produit sans un instrument,
sans l'intervention elfective de l'expérimentateur. Ce phéno-
mène expérimental, ce trouble, ce morcellement, seront alors
produits par la luiture , instituant elle-même l' expérience.
L'e.rpcrimentaleur devient obserrateiir ; il regarde la nature qui
expérimente |)Our lui. En ce cas, // faut et il suffit que son
esprit soit actif comme la nature, actif de la même façon
qu'elle; ([ue l'Esprit morcelle ce que la Nature laisse entrevoir
morcelé, analyse ce qu'elle analyse, saisisse dans ses condi-
tions nouvelles — en apparence anormales — le phénomène
modifié ou troublé par la toute-puissante institutrice d'expé-
riences.
Ainsi, au regard de l'Esprit, sous son activité qui est un véri-
(I) Iniroiliiclion à la médecine e.rpériinenlale, ]'° partie, c. i : De l'observation et
de l'expérience. On pourra consulter les notes critiques du R. P. Seiitili..\nc.es, Do-
minicain.
(21 Point de vue bien e.xprimé par cette parole de Bacon : Facienda est imluris
solulio el separatio, non per ignem certe sed per mentem, tanquam ignem divinum .
ES rntMII'ES 703
UiLlo instrument ( 1 j, qui suiiplrc l'inslriiment quand il ne le
met pas en jeu — au regard de l'esprit, expérimentation et
observation sont tout im : isolant, morcelant, analysant la
nature pour y surprendre le mobile, le variaiile, l'anor-
mal.
Et, en réalité, c'est le variable qui est régulier — c'est l'anor-
mal qui devient loi, au lieu d'en être une déroj;ation. L'essen-
tiel n'est pas qu'il y ait pcrliirlialion proprement dite ; au fond,
il n'y en a jamais; il y a seulement une modification de la
natiin-, activement isolée, activement choisie par l'esprit : « Que
la perturbation soit produite par accident ou autrement, l'esprit
de l'expérimentateur n'en compare pas moins i)ien. 11 n'est
donc pas nécessaire que l'un des faits à comparer soit considéré
comme un trouble : d'autant plus qu'il n'y a dans la nature rien
de troublé ni d'anormal ; tout se passe suivant des lois qui sont
absolues, c'est-à-dire toujours normales et déterminées. Les
elTets varient en raison des conditions qui les manifestent, mais
les lois ne varient pas. L'état physiologique et l'étalpathologique
sont régis par les mêmes forces, et ils ne diffèrent que par les
conditions particulières dans lesquelles la loi vitale se mani-
feste (2). "
Revenons maintenant aux sciences de l'inorganique.
Il serait encore plus facile d'appliquer aux méthodes du chi-
miste et du physicien ces profondes méditations de Cl. Bernard
— surtout celles qui concernent l'identité, sous l'actif regard
de l'esprit, de l'observation et de l'expérimentation, du normal
et de l'anormal — et, par suite, la part de convention et de li-
berté dans l'établissement des catégories scientiiiques. Dans le
monde inorganique, où estla distinction du normal et de l'anor-
mal ? Le point de fusion d'un corps, par exemple du phosphore,
à ii% sous la pression 760, est-il normal, àl'exclusion du point
de fusion provoquée dans d'autres conditions, très éloignées
de celles que réalise le cours actuel de la nature'? Non, il n'y
(1) C'est parce que l'aclu-i'é de V Esprit équivaut à iaclivilé d'un inalrument que
nous croyons pouvoir dire avec M. Le Hoy, et du moins nous l'espérons dans le
même sens que lui, « qu'une donnée brute ne devient fait scientifique qu'en se rat-
tachante un manuel opératoire •>. Revue de Métaphysique, vaaxs l'JOO, p. \i'i. Lire
le passage qui précède.)
(2 Introduction à l'étude de la inédrcine expérimentale, p. 19.
■;04 A. DE LA BAltRK
a pas un milieu normal, un autro anormal. Seulement il y
a une diversité Je milieux, et, relativement à cette diversité,
un choix commandé par les exigences d'une délinilion. En
même temps qu'il implique « l'action », ce choix nous met en
présence d'un état concret, choisi comme base d'opérations,
ensemble de collocations ou conditions d'existence.
Aussi, sur le terrain des diverses sciences — qu'elles impli-
quent ou non l'emploi d'une formule mathématique — le pro-
cédé scientilique comporte essentiellement une dissociation et
un morcellement, nous met en présence de conditions d'existence
librement définies — et tout cela est le t'ait d'une raison pra-
tique s'orientant vers telle méthode opéi-atoire, choisissant tel
état de nature, en vue de recherches plus faciles, de systèmes
plus harmonieux et de définitions plus simples.
-Xous sommes loin d'avoir lout dit sur celle question. 11 est
un instrument de dissociation l't d'analyse dont nous n'avons
pnini parlé, pourtant le premier instrument de la raison pra-
tiijne, le j)remier milieu matériel ti la faveur duquel s'opèrent
les morcellements. Ce milieu est Vhmu/ination. Comme ces ap-
pareils enregistreurs, qui reçoivent l'empreinte des moindres
pulsations de la vie et nous en conservent fidèlement les varia-
tions, l'imagination se j)rète à traduire et à conserver tous
les gestes de la science vécue. Tous ces cITorts, toutes ces ten-
dances, toutes ces déniarciies de la raison pratique se reHètent
en des schhncs, décalque tout à la fois delà pensée et de l'action,
matérielle empreinte où se grav^ent, dans leur mobile continui-
té, tous les efforts de l'art, toutes les industries de l'investiga-
tion, tous les artifices utiles à la conquête de la vérité, en un
mot, tous les drames de << la vie intérieure ».
Ace pointde vue, l'imagination est un»////r//et nniiislnmn'nl :
en elle s'opère tout d'abord le morcellement; en elle il subsiste
pour subvenir aux recherches ultérieures, pour assurer la con-
tinuité de la vie et de l'action. Mais j'éviterai de surcharger le
présent article et n'insisterai pas sur cet ordre d'idées : nous
le retrouverons plus tard.
LES PIUXCIPES TOS
La scionco s'oriente vers runilé des formes intelligibles, vers
la solidarité de toutes les explleations abstraites. Elle travaille
donc à éliminer ionles les mesures concrètes et conventionnelles.
Le concret ne sera pas supprimé ; du moins, sa part sera
rciluite. Pas un de nos lecteurs auquel nous ne puissions
donner quelque idée de ce résultat par l'exemple enfantin du
système métrique : la multiplicité des étalons concrets (are,
stère, litre, etc.; est ramenée à l'unifiante synthèse qui, au
moyen de relations abstraites, suspend à une seule mesure con-
crète, à un seul étalon — le mètre — l'ensemble de ces mesures
conventionnelles. Mais le concret subsiste. La science ne sau-
rait s'en défaire, quels que soient ses progrès dans cette voie
d'abstraction et de systématisation.
Ces remarques vont nous servir à compléter ce qu'il y avait
d'approximatif, à corriger ce qu'il y avait de provisoire dans les
considérations précédentes relatives aux coHocatio/is, aux mi-
/iru.r^ aux i/i/fcrfiices.
Tous ces éléments concrets, foutes ces conditions d'existence,
nous les avons d'abord considérées comme immobiles, ou du
moins immobilisées par l'esprit. Nous avons pris l'ébullition
du phosphore à ii" et nous avons décrété immobile la pression
du milieu ambiant. C'est dans un lieu invariable ([wq nous avons
fait varier les expériences relatives à la chute des corps.
Mais il faut éliminer tout ce concret, mettre toute la nature
en mouvement, construire une formule où les milieux eux-
mêmes, accélération, pression, etc., primitivement déterminés
deviennent variables. Et pour obtenir une plus grande généra-
lité, ime plus parfaite réduction du concret, il faut que ces qua-
lités relatives soient déhnies par relation à un étalon aussi
universel que possible. Et les étalons eux-mêmes, seront com-
parés entre eux, définis les uns par rapport aux autres. Tout ce
travail de réduction à l'unité ne va-t-il pas enfin bannir le con-
cret et les conditions fixes d'existence, pour y substituer l'uni-
versel relatif, exprimé dans quelques formules"? N'arriverons-
nous pas au pur intelligible, à l'intelligible homogène, excluant
706 A. I.E LA BAUnE
la diversité et riiétérogénéitc du concret — à /'taiirixjiir il), où
s'éranoiiissent tous Irs grnres ? Cet état parfait de la science, c'est
/(' (ontiiut intelligible, que réclame M. Brunsliwicg, et que re-
pousse M. Le Roy.
Si ce vieu de la science était atteint, il est vrai que le monde
serait parfaitement intcllijj;ible. Plus de discontinuité dans nos
système» ; plus de multiplicité dans les mesures concrètes, plus
d'hétérogénéité dans les grandeurs mesurées, toutes réduites à
la quantité spatiale. Partout l'homogène dans la matière, comme
l'homogène dans la formule.
^lais la vérité scientilique, telle qu'elle nous est donnée, est
rebelle à la réalisation de ces rêves ambitieux. Par nKmients, il
est vrai, à certaines heures oîi l'identilication universelle se fait
plus fiévreuse et plus liàlive, il semble que nous touchions au
(erme. Il semble que nous arrivions à quelques formules, à
(juelques étalnns de moins en moins nombreux : c'est l'Océan
de l'abstrait qui monte, enserre un archipel de plus en plus
réduit. Mais, en revanche, ce qui reste de grandeurs concrètes
apparaît de plus en plus irréductible, de plus en plus indispen-
sable comme le nécessaire, comme la seule adéquate e.rpre^sion
du vrai. C'est le corps, sans lequel l'abstrait ne saurait subsis-
ter. C'est l'anneau immobile où est suspendue la chaîne dia-
lectique ; où le relatif doit venir trouver un point d'appui, in-
dispensable à son intelligibilité aussi bien qu'à sa réalité.
Il en serait ainsi, même dans le cas de rintelligii)ilité la
plus complète et la plus envahissante — même abu-s que
tout le concret serait homogène à trois mesures : à l'étendue,
à la masse, au temps — susceptible par conséquent d'être
immédiatement comparé au mètre, au gramme, à la seconde
— adéquatement mesuré par eux. Même alors, le triple con-
cret formerait l'indestructible terre ferme que ne saurait
entamer l'Océan de l'intelligible — l'indispensable matière,
dans laquelle l'esprit abstrait ses relations, au moyen de
1 1) Je me sers à dessein de ce mot, héritage bai baie ie la scolastique. Et ceux
<|ui en ont pinétré le sens comprendront combien au point de vue de la philosophie
liadilionnelle, je veux dire .lU point de vue de Tanalogie et des catégories, qui
exclut l'univocilé de l'être — combien, à ce point de vue particulier, mais im-
portant — il importe de donner raison à la Ihéorie de la discontinuUé.
LES l'IilSCIPES 707
laquelle il en mesure les variahles et pliénoniénales données
Mais nous n'en sommes même pas là. Après les identilica-
tions précipitées, viennent les régressions vers la connaissance
plus vraie. Après les formules qui identifient les agents incon-
nus, après l'abus d'insuffisantes analogies, vient l'heure de
résipiscence. On considère plus respectueusement, avec une
plus liumble réserve, ces forces, ces fluides, ces agents mysté-
rieux. 11 peut bien y avoir équivalence des formules, corres-
pondance et proportionnabilité des étalons. Rien n'autorise à
s'avancer plus loin. Si les formules semblent se confondre, si
les océans d'intelligibilité semblent se rejoindre, dans le con-
cret subsiste un fondement nécessaire à la discontinuité.
Et alors la nécessité de choisir les étalons primitifs : mètre,
gramme, seconde, nous ramène à la considération du milieu, à
la nécessité des r/a/s de nature cnni-cn/ioiinels. Os grandeurs
concrètes ne seront définies mesures valahlcs, rialons adéquats,
que dans telles circonstances ambiantes. Le mètre ne sera
vraiment décrété étalon, grandeur-type, que dans certaines con-
ditions de température. Celle-ci sera elle-même définie par
d'autres circonstances. Le gramme réclame tout un ensemble
conventionnel. On peut dire que chacun de nos étalons est
défini par un rlal de nahirr arbitrairement choisi.
Mais alors le concret, le point de départ est arbitraire. S'il en
est ainsi, ne va-l-il pas communiquer à la science tout entière
son caractère conventionnel?
Et voilà précisément le problème précédemment posé pour les
lois empiriques les plus éloignées de la réduction. Nous le
retrouvons, il est même plus pressant, en présence de l'ensemble
scientifique. Seulement, à mesure que les perspectives s'élar-
gissent, à mesure que diminue la part de convention, la ques-
tion s'éclaircit et se précise.
Parce que le choix de certaines bases entraîne dans toutTédi-
licc une diversité de style et de structure, en viendrons-nous à
dire que tout l'édifice est conventionnel?
11 semble que ce soit la pensée des principaux partisans do
la (' philosophie nouvelle ». Non seulement ils affirment l'abso-
lue discontinuité du concret — mais sur des îlots sans cesse
déplacés par les décrets du physicien, sur le sable toujours
708 A. DE LA BARRE
mouvant, on ne saurait construire que des édifices provisoires.
La relation inlclligible se déplace sans cesse avec le point de
repère auquel elle est ajustée.
Donc, l'intelligible n'a point de fondement dans les choses ! Et
là-dessus grand émoi, grand scandale au pays des intellectua-
listes.
Ceux-ci réagissent, et combien vivement! en faveur de Yintel-
ligililc. L'intelligible doit tout envahir et le concret doit s'y
abîmer tout entier, i'ius de discontinu, plus d hétérogène dans
l'être comme dans la pensée. Tout se tient dans rimmancnli'
continuité de l'esprit ! 1 i.
Nous ne pensons devoir incliner ni d'un côté, ni de l'autre.
Sans doute, tout se tient dans une transcrndante intplligibililt':
DKtis l'Ile rs/ iimcilifdtle arec la dhcuntinnité drs imtnaïK'ntps
caléf/orii-s de l'esprit humain. Nos concepts sont pris dans le
réel, et comme tels soumis à des cati'gories : la science ne nous
autnrise pas à les confondre. Elle ne peut supprimer la diver-
gente multiplicité du donné : elle nous invite plutôt à accen-
tuer ses dill'érences et ses oppositions.
Alors, la diversité du concret, par suite, la diversité des for-
mules issues de points de repère et d'étalons conventionnels,
devient conciliable avec la transcendante unité de l'intelligible,
unité visible seulement pour l'Esprit (|ui peut s'afl'ranchir des
servitudes du coTicret, des catégories tiii Uni. Dès lors, la diversité
des systèmes cunventionnels, — plus exactement : systèmes
issus de faits librement adoptés, — cette diversité estconciliable
avec la souveraine harmonie, où tous les possibles s'accordent, où
toutes les antinomies disparaissent. Pour regarder la nature,
nous avons adopté des points de vue divergents qui nous ont
donné divers groupements d'abstraits et de concrets : voilà la
liberté, le choix des systèmes.
N'y a-t-il pas en Dieu même liberté de grouper les êtres sui-
vant des ordres divers? — autour d'éléments auxquels il fait
librement jouer un rùle dominateur, autour d'hypothèses com-
mandant la diversité des exécutions providentielles? in s/atu
ndtiira' //iiive. In sta/t/ natiirie intrgriV, rcl lapsie. N'y a-t-il pas
(1) Voir le récent article de M. Brinshnmcc; : Rente de ilélaplnjsique et de
Morale, juillet 1001.
LKS PlilSCIPES 709
pour DiL'ii niriiii' liliertr cl mullipliciU' ilos plans mUurols,
superposés ù i'ininiuahlç nr-cessitfi des relations essentielles,
(les arclii'-types contenus dans l'éminenco do son Ktre? 0 ulli-
tiiili) dirilianim sapientue ft scicnt'ui' /)'•! .' El si le Créateur est
lil)ro dans le mode comme dans le l'ail de la création et du gou-
vernement, si sa Providence peut prendre des atli/iides diverses
pour construire le mon<le, organiser son évolution, si ces a/li-
litdes peuvent déterminer divers groupes naturels, pourquoi
létre raisonnable ne prendrait-il pas également diverses atti-
tudes pour répartirdans des perspectives variées les groupements
naturels? Ainsi aucun scandale à craindre de la part de liijerlé que
trouverai l une raison pratique dans le groupement logique des
natures, dans l'établissement des lois dérivées. En cela, rien de
contradictoire à l'intelligibilité transcendanlale. Il peut y avoir
cohérence des espèces avec le genre, à plus forte raison cohé-
rence des genres avec le supra-logique; et cette cohérence se
concilie avec la discontinuité, avec l'incohérence qui sépare
entre elles les catégories.
En d'autres termes : si la miturr rs/ imr, il ne srn^iiit jias
i/ii'à nuire reprit i-IIp iloirc apparaître telle ; il ne s'ensuit pas
que toutes ses manifestations, toutes ses données concrètes et
abstraites doivent nous apparaître dans l'homogénéilé d'un
unique réseau de formules. Au contraire, du moment que nous
la saisissons dans des morcellements pratiques, dans d"s expé-
riences concrètes où elle se fraclionne nécessairement, il faut
que le donné soit discontinu, en un sens incohérent, puisqu'il
faut que les (jenres soient multiples et irrédiirtibles.
11 n'en suit pas que la science soit arbitraire et convention-
nelle là moins d'équivoquer sur les mois). 11 suil seulement
que nous sommes impuissants à obtenir l'intelligible absolu,
transcendant à tout groupement délini, à toute réalisation con-
crète. Il suit seulement (et ce n'est pas une conclusion nou-
velle : la Indique des sciences ne peut que la rajeunir et la
dégager du psltlacisme qui l'obscurcissait), il suit que nous
atteignons l'abstrait dans le concret ■ 1} et que forcément, sou-
fn Telle est au fond la raison derniore pi>iir l.iquelle, empruntés au.x choses
finies, nos concepts sont atvdogues. Llieu seul est .iMranchi de celte imperfection
logique, voyant les créatures dans ses idées ou plulùt dans son Idée unique,
Iranscendanle aux catégories liumaines.
710 A. DE LA BARIiK
mise aux conditions du L-oncrct, notre science dépend d'un fait
initial, d'une mesure — que ce fait, cette mesure, nous sont
imposés par l'ordre sprcial dans lequel nous sommes pratique-
ment engagés pour atteindre Tordre universel (Il — enlin, pour
parler le langage de l'école, il suit que ir/ ardre courre/, dans
lequel nous saisissons l'absolu des lois, n'est pourtant pas
l'ordre transcendant, mais un ordre partiel et dérivé — qu'il
n'est pas l'ordre es.sen/ie/, mais seulement un ordre naturel,
c'est-à-dire un ordre dans lequel sont engagées certaines
natiirex, c'est-à-dir« certaines tendances et certaines finalités.
Et ainsi, partis d'un certain positivisme scienlilique, jaloux
des faits et respectueux des contingences, nous rejoignons une
conception familièn^ aux théologiens — un point de vue dialec-
tique usuel et classique — une distinction autant qu'une com-
pénétration — de l'abstrait intelligible et du concret naturel
{natiira : lendentia in ftneni et prinripinm uperationum) —
vérités capitales, foncières chez Augustin et Thomas d'Aquin,
aussi bien que chez Auguste Comte et chez d'autres logiciens
modernes. Seulement, pour les premiers, l'abstrait et le concret,
l'ordre essentiel et les ordres naturels se dilTérencient et se
synthétisent sous le regard de Dieu, sous le libre choix de son
Fiat créateur et de son décret providentiel, conséquemment sous
le regard de l'intelligence humaine, libre elle-même dans la con-
templation des ordres naturels fragmentaires. Tandis que, pour
les autres, la multiplicité des ordres naturels (où s'enveloppent
l'abstrait et le concret, la loi et les phénomènes, le même et le
multiple) — se dissocie et se synthétise tour à tour sous le
regard de la science, invitant l'expérimentateur à choisir, en
même temps que, s'imposant au spéculatif constructeur de for-
mule, ils commandent soumission à l'ordre intelligible.
On peut se placer tour à tour au point de vue théologique,
au point de vue de la dialectique positive. An point de vue thco-
loçjiijue : E)ieu a voulu liistoricjiiemetit, successivement, des
ordres multipliés, qu'un i-egard superliciel peut trouver diver-
gents et contradictoires (on sait quelles apparentes antinomies
(I) En d'autres termes : l'ordre spécial, qui est i/y/iHe, est un i/ioycn pour atteindre
1 ordre universel.
LES l'niNCIPES 7H
dans les (Irrivaliniis jiriinaircs et secondairos du dniii naturol :
los exemples alionilriit) — mais qui se concilient pourtant rf«/(\
la traif<rfii(/aiirr île l'iiitcHii/ihlc. La même contradiction des
mêmes antinomies ne doit-(dle pas se retrouver ailleurs — tou-
jours possible, cliaciue foi-^ (|u'une iiitidligence et un vouloir
personnels r(>ia;ar(leiit la nature, et la rej^ardant sous un jour
limité, choisissent une des attitudes possibles? Ainsi me plaçant
^nr II' Icrra'in (!<■ la science /jositir/% je m'identifie à l'observa-
teur qui cherche un ordre, parce qu'il hii faut une 7iiesiire, un
étalon, un point d'appui dans le concret. La diversité des ordres
liistor'ujaes se réalise dans la succession des temps : et c'est un
spectacle digne de la Science do voir les lois diverses, issues de
l'éternelle loi, présider à la sénilité du nuuide qu'elles vont
dissoudre aussi bien qu'à la première organisiition de sa période
embryonnaire. Et cette diversité évolutive qui alfecte la suc-
cession des temps alTecte aussi bien la multiplicité des mondes
dans l'espace : l'ordre naturel n'est-il pas là-bas — au-delà de
Sirius — tel ou tel ordre que le savant aurait pu librement
choisir et donner comme base, par exemple, à son système chi-
mique : celui où serait complètement bouleversé l'état naturel
de nos corps actuels, complètement intervertis leurs rapports
énergétiques, leurs allinités chimiques, dissociées leurs combi-
naisons?
Ainsi, diversité des ordres historiques — pourtant réalisation
d'un ordre unique dans la dispersion de l'espace aussi bien que
dans la succession des temps : voilà l'objet d'un choii libre
pour l'expérimentateur qui prend un point d'appui dans telles
réalités concrètes, dans un ordre présent ou lointain, actuel ou
possible — aussi bien que pour le grand Artiste qui décrite cette
multiplicité chronologique et spatiale.
A. DE LA BARRE.
(^4 suivre.]
KANT ET kUNO FISCHER
Les secours ne maïKiiienl plus en France à qui vent appro-
fondir la philosophie de Kant. Des inlerprèles, à la luis péné-
tiMnls el érndits. onl mis à la port(''e de chacun, avec les fruits
dune méditation personnelle des écrits du <;rand penseur, les
éclaircissemenls puisés chez ses commentateurs autorisés à
l'étranger. Ces derniers, comme il est naturel, se rencontrent
principalement en Allemagne.
i'armi eux, l'un des plus considérahles est sans contredit
l'illustre professeur de Heidelberg : Knno Fischer. Volontiers
on nous cite son sentiment, V(dontiers on s'en inspire. Celui-
là ferait mieux encore, qui traduirait en noire langue, nous
n'osons dire Yhisloirf de la jjliilosojilni- modcnir en son entier,
du moins la partie relative an fomlatenr ilu criticisme. Exécu-
tée à souhait, la traduction désirée olfrirail au lecteur français
les deux choses qu'il aime à trouver réunies, et qu'il regrette
de voir trop souvent séparées dans les ouvrages allemands : la
valeur du fond et le charme de la forme. Une exposition très
large et cependant très précise, qui, j)laçant le système de
Kant dans son cadre historique et logique, montre admirable-
ment la nature et l'originalité des doctrines qui le composent,
un style apte à tout rendre, pour lequel il n'y a pas de théo-
ries obscures, et qui dissiperait les brouillards de l'idéalisme
transcendantal, si ces brouillards pouvaient être dissipés,
n'est-ce pas là de quoi assurer le succès de l'entreprise? Sans
doute, l'art même que déploie Kuno Fischer, lorsqu'il repro-
duit, après les avoir repensées et élucidées, les idées des phi-
losophes dont il s'est constitué l'historien, a attiré le soupçon
Jv' l.YT ET lifSn FISCUEli 713
sur l'oxacliluili' iIc ses cxpusiliniis. Tromk'h'iihurg |1) voiidrail
bien nous persuader qu'en [)arliculier, colle qui a Kant pour
objcl est H ranger au rang des belles iniidèles. La crilique
de Trendelenburg professe un scrupuleux respect à TendroiL de
l'esprit et de la lettre des systèmes. Il lui arrive parfois d'étoulTer
sous la lettre l'esprit. En dépit de ses attaques, le Kant de Kuno
iMscher est et reste le Yérital)le Kant. Et voilà pourquoi nous
siiubailnns fort qu'une bonne traduction française permette
enlin il'en prendre connaissance aux amis de la philosophie
(jui ignorent la langue de l'auteur.
En attendant une aide aussi précieuse, et à son défaut, la
{{/^■ciic </r p/iilosujjhie a pensé qu'une sorte de résumé synthé-
tique de l'interprétation donnée par Kuno Fischer des théories
kantiennes qui nous intéressent davantage, à savoir des
théories auxcjuelles le philosophe de Kumigsberg s'est arrêté
touchant la connaissance, serait capable de reiuIre quelque ser-
vice. Le but des pages que nous publions aujourd'hui et de
celles qui suivront, est de répondre à cette pensée et de satis-
faire ce désir. Nous entendons remplir l'oflice de rapporteur.
Toutefois, nous ne nous interdisons nullement, ii l'occasion,
d'intervenir dans la discussion, et, puisque en déhnitive,
[histoire de la philosophie n'a sa pleine signilication que
si on la cultive pour la philosophie même, — d'émettre notre
npiniiin sur les théories exposées.
A la Iiase de la doctrine de la connaissance telle que Kant
l'a élaborée, est la théorie de l'espace et du temps. C'est elle qui
nous occupera la première. .Mais, avant de demander à notre
guide de nmis y introduire, recueillons de sa bon che des ins-
tructions générales qui, en nous initiant au kantisme, facilile-
ront pour nous l'intelligence de son fondement. N'oici d'abord
des considérations que l'on peut qualilier de considérations de
(1) L:i polriiiique des deux adversaires est résumée dans les deux brochures
intitulées : Kiom Fischer laul sein Kanl. et A?itili-eiidelenLu)'g. Nous nous en
occuperons ii la lin de ce travail.
TU Eugène BEURLIEK
simple Ijon sens. — Selmi un mot de l'aulsen, que ciLe Kuno
Fischer, la philosophie de Kant est un rationalisme renouvelé.
Entre ce nouveau rationalisme et l'ancien l'opposition est celle
du criticisme au dogmatisme métaphysique. L'opposition dont
il s'agit ici n'est que le résultat de l'application aux questions
particulières de la philosophie de deux manières de penser
susceptililes d'être étendues à toute espèce de sujets : la i)ensée
dogmatique cl la pensée critique. On pense en dogmatique
lorsque, acceptant les objets comme donnés, on se contente d'en
déterminer les caractères. On pense en critique lorsque l'on
cherche d'où viennent et ces objets et ces caractères, lorsqu'on
étudie la formation des uns et des autres. HxpiiqucM' la produc-
tion et l'évolution des choses, retracer la marche historique de
leur (h'veloppement, là est le problème, la tâche, le fruit de la
critique. L'univers, la terre, la vie sur la terre dans la variété
des formes et des espèces, l'humanité et ses races, les peuples
et leur histoire, la religion et les témoignages qui s'y rappor-
tent, la pensée, l'art, l'ensemble de la civilisation, rien n'est
hors de son domaine. Pour l'établir ne sufht-il pas de rappeler
les ncmis des Kant et des Laplace, des Laniarck, des Darwin,
des Wolf, des Nieburhr, des Strauss, des Baur, et d'embras-
ser du regard tout le xix' siècle. Kant a soumis à la critique la
connaissance elle-même. Par là, il a mérité d'être salué comme
étant, si l'on en juge d'après la hiérarchie ou la généralité des
problèmes, c'est-à-dire en philosophe, le fondateur d'une
époque qui a rec^'u à bon droit le nom d'âge de la critique.
Que cet honneur ait été décerné à Kant en toute justice, on
n'en doute point dès que l'on comprend (|uele jour où le philo-
sophe transporta le problème de la connaissance sur le terrain
de la critique, il absorba pour ainsi dire en lui les autres pro-
blèmes relatifs au monde sensible. Prenons-y garde en effet :
les conditions qui précèdent n'importe quelle expérience, qui
en sont les facteurs, ne peuvent pas être des connaissances ; ce
sont des facultés, ce sont ces puissances que Kant englobe dans
la désignation collective de raison pure. Puisqu'elles rendent
possible l'expérience, c'est qu'elles en rendent possibles lesobjets
qui n'existeraient pas sans elles. Or, les objets d'expérience
sont cet ensemble de choses que nous désignons par l'expression
A.\.vr r.r Kiwn iiscHEit '\y,
(11' muiuit' M'iifeiljlc. Regardé du eu biais, le prublèine de la pos-
sibilité (le l'oxpérience s'identifie donc au problème de la pro-
duction du monde sensible. La manière dont Kantlc pose devait
ramener à découvrir et à adopter un point de vue, duquel ce
monde ne nous apparaît plus comme une réalité qui nous est
donnée, mais comme le produit de la raison elle-même, ou. si
l'on aime mieux, des conditions qui règlent son activité.
11 n'est pas facile de se placer à ce point de vue ; mais qui-
conque parvient à saisir la difficulté à laquelle se beurte l'esprit
quand il essaie de le faire, est à même de mesurer la distance
qui sépare la pensée critique de la pensée dogmatique. Une
comparaison, dont Ivant est lui-même l'auteur, peut servir
d'auxiliaire. I\aul, on le sait, aimait à assimiler le cbangement
radical que son système allait elTectuer en pbilosopbie à celui
que le système de Kopernic avait opéré en astronomie. Il y a
ici plus qu'une simple comparaison. La ditTérence des astrono-
mies de Ptolémée et de Kopernic est le parfait symbole de
l'opposition qui existe entre la pensée critique et la pensée dog-
matique. Du point de vue où la nature nous a placés, le monde
sensible se présente à nous comme un objet qui nous est offert,
donné : c'est une spbère : la terre est au milieu ; autour de la
terre, le ciel, le soleil, la lune, les planètes décrivent leurs
révolutions en des espaces de temps inégaux. Cette représentation
du monde sensible était celle de l'ancienne astronomie. Pour
expliquer les phénomènes que nous observons dans le monde,
la marche générale ou particulière des corps célestes, celle-ci
imaginait la machinerie des sphères, et lorsqu'il fallait rendre
compte des irrégularités apparentes dans les mouvements des
planètes, elle recourait à l'Iiypothèsc des épicycles, qui, en
fin de compte, ne suffisaient pas à remplir leur destination. Ko-
pernic vient, il s'aperçoit que l'astronomie occupe une posi-
tion intenable ; il découvre la racine de ses erreurs : c'est la
conception géocentrique. A cette conception il substitue la con-
ception héliocentrique qui, plaçant la terre à l'horizon du
spectateur, la lui montre parmi les planètes, et, du même coup,
lui révèle et la cause et la fatalité de l'illusion dont il était
dupe tant qu'il ignorait la rotation du globe (|u'il habite, au-
tour de son axe et autour de l'axe du monde. Le rapport des
-;iO Eugène BEURLIER
deux points de vue géocentrique et héliocentrique csl exacte-
menl celui de la pensée dogmatique el de la pensée critique,
quand cette dernière pose le proLIème de la connaissance du
monde sensible. L'ignoi-ance de son mouvement propre porte
l'habitant de la terre à croire que les corps célestes tournent
autour de lui. (Test parce qu'il ignore l'activité dépensée par
son esprit dans la production du monde sensible, que l'homme
prend ce monde pour un oitjet (jui lui esl donné ctpoui'qualités
des choses le résultat de son travail. C'est par conséquent aussi
la découverte de cette activité qui mettra un terme à son illu-
sion, ^lais combien plus profondément cachée est ici la source
de l'erreur! L'erreur géocentrique tient au lieu oîi séjourne notre
corps, l'erreur dogmatique tient à la constitution même de notre
raison. L'ignorance (ou l'oubli) de l'activité que nous déployons
en tirant de nous-mêmes la l'eprésentatiou des corps est la
cause qui l'engendre. Le dogmatisme (>st donc pour nous la
manière de penser la plus naturelle. Seule, la démonstration du
rôle que nous jouons dans l'apparition des chos(!s matérielles
peut le réfuter et lui ôter la valeur que nous lui accordons.
De l'opposition qui existe entre la pensée dogmatique et la
pensée critique, en général, ressort la nécessité qui lie l'une h
l'aulre. el cette nécessité se trouve la même entre la philosopliie
dogmatique et la philosophie critique. La pensée dogmatique
est d'abord l'antécédent qui devait forcément précéder la pen-
sée critique. OEuvre de facultés inconscientes, la représentation
sensible est dogmatique de naissance. Dogmatiques par consé-
quent sont aussi notre conscience naturelle et notre première
manière de penser, qui reposent sur elle. Mais c'est sur elle
aussi que s'appuie la philosophie dogmatique. Dès lors, il est
clair que la philosophie dogmatique devait précéder la philoso-
phie critique comme l'astronomie de Ploléméc celle de Koper-
nic. A'ayons donc pas la naïveté de nous étonner de ce que la
philosophie critique ait fait si tard son entrée sur la scène où
évoluent les systèmes. La marche de la haute spéculation est
semblable à celle de la pensée en tout homme. 11 faut avoir
acquis la connaissance d'un grand nombre de choses pour être
en état de s'intéresseï à leur production et de poser cette ques-
tion : Gomment ces choses on,t-elles été formées ? (lontez une
K.l.AT F.T KVSO FISCHER 'i'
histoire à un enfant. Tandis qne la curiosité tend son esprit
avide de représentations et d'images, il ne songe guère à s'in-
former de l'origine du récit qu'il écoute et à demander quel en
est le garant. S'il s'inquiète de la vérité, ce n'est pas dans
l'intérêt de la connaissance, mais parce qu'il sait que les faits
réels frappent plus fortement son imagination. On le satisfait
en lui certifiant l'authenticité de l'aventure. En face du monde
sensiiile. l'homme est naturellement comme un enfant, et il serait
absurbe et ridicule qu'il fût critique avant d'être dogmatique. —
La pensée dogmatique est ensuite l'objet de la pensée critique.
A quoi donc celle-ci pourrait-elle s'appliquer sinon à celle-là?
Ue même, la philosophie critique a pour objet la pensée dogma-
tique en bloc et, par. suite, la philosophie dogmatique qu'elle
enveloppe. En elfet, son objet est la connaissance considérée à
titre défait. La philosophie dogmatique est à la critique ce que
la vie est à la physiologie, la vision à l'optique, l'audition à
l'acoustique, le langage à la grammaire. Prétend-on supprimer
cette relation nécessaire, et veut-on que l'esprit soit critique
dès qu'il cnmmence à s'exercer, on lui impose d'attendre, pour
se lancer dans le torrent des choses et penser, qu'il connaisse
les conditions pures de la pensée et les principes qui la fon-
dent !
Quelques-uns objectent que l'entreprise de la philosophie
critique est radicalement impossible, attendu qu'elle implique
l'usage des facultés mêmes qu'il s'agirait d'étudier et que cet
usage est et ne peut être que dogmatique. Kuno Fischer estime
avoir le droit d'écarter l'objection en invoquant la distinction
essentielle de la raison criti<[uée (dans le langage kantien :
formes de la sensibilité et catégories de l'entendement consti-
tutif) et de la raison critiquante (entendement logique). Nous
sommes de ceux qui tiennent l'objection pour valable. Nous
crovons qu'en ce qui concerne l'entendement logique et les ca-
tégories, la distinction est fausse. A nos yeux, une analyse
rigoureuse et complète de l'intelligence met à nu l'identité
foncière des deux entendements que l'on voudrait séparer. La
forme primordiale de la pensée est l'idée d'être, idée objective,
nécessaire et universelle; l'espritprend possession de cette idée,
lorsqu'il en déduit leprineipe didentité. En scrutant les choses
718 EuGKNE BEURLIER
(]tie lui montre rexpérioncc à la lumière de Tèlre iJétil cl de
l'axiome d'identité, notre intelligence découvre les lois absolues
du réel qu'expriment lespremiers principes et dont l'objectivité et
la nécessité lui sont t^aranties par l'objectivité et la nécessité de
l'idée et de l'axiome d'où elle les a tirées. Mais, sans anticiper
sur une discussion qui viendra à son heure, nous pouvons con-
stater, qu'en fait, la critique kantienne emploie dans la position
et détermination des formes pures, au moins l'une de ces caté-
gories qui en font partie et que l'entendement logique devrait
être seul à critiquer. L'espace et le temps sont des formes pures
que la critique |)0stule ;» titre de conditions nécessaires de notre
représculalinn des ciioses sensibles ; en eux-mêmes, ce sont les
lois nécessaires de l'activité que déploie chez nous la sensibi-
lité. Mais qu'est-ce qu'une loi sinon un rapport, et que fait
l'activité si elle n'établit pas un rapport entre ce qui produit et
ce qui est produit. Or, ce qui produit est cause et ce qui est
produit est un effet. Voilà donc l'espace et le temps définis à
l'aide d'une de ces catégories qui pouvaient bien être l'objet de
la critique, mais ne devaient |)as lui servir d'instrument. Et si
la causalité intervient dans la délinitiim des formes pures de
l'espace et du temps (non moins que dans celles des autres
formesd'ailleurs, elle intervientde mèmepourlesposer. Or, ilfaut
une raison de le faire, et quelle pourrait être cette raison sinon
le besoin d'une cause de nos représentations ? Aussi bien, il n'eri
pourrait aller autrement. Réduit à son unique loi, l'entendement
n'aurait qu'un rùle à remplir : poser les représentations comme
faits, les analyser, affirmer leurs différences ou leur identité.
Heslreignons par conséquent, si nous voulons en garder le bé-
nélice et éviter que le bon sens ne cède la place à la contradic-
tion, les premières instructions que nous avons iemandées à
Kuno Fischer. Oui, lorsqu'il s'agit de connaissances détermi-
nées, la pensée dogmatique doit précéder la critique et peut
devenir pour elle un objet d'étude. Encore est-il que la raison
ne j)()urra jamais se critiquer elle-même, au sens kantien de
l'opération, tant que critiquer ce sera penser.
KAST ET KiyO FIUCHER 719
Si, selon la logiqno alisirnitt' cl l'histoiio. sclnii Tordre des
idées et des faits, la pliilusoiiliic critique ne peut que suivre
la philosophie dogmatique, il dut y avoir — le génie de son
inventeur étant laissé de côté — des raisons qui provoquèrent
l'apparition du criticisme au moment précis où il vint prendre
rang au nombre des systèmes. Lorsque Kant lit sa grande
découverte, la philosophie était arrivée, en vertu d'un dévelop-
pement régulier, presqu'an seuil même de la critique. Depuis
le xviT siècle, la raisiin aspirait à une connaissance des choses
exempte de préjugés et libre de toute tradition. KUc la cherchait
aux deux points de vue et dans les deux directions opposées de
l'empirisme et du rationalisme. Kuno Fischer nous retrace de
main de maître le tableau de ces efforts de la philosophie et
des conditions historiques i|ui pri''parèrent l'éclosion du kau-
tisme.
La connaissance vraie, disait l'empirisme, est celle qui
résulte de perceptions exactes et des conséquences qui s'en
tirent légitimement. Non, répli(juail le rationalisme, car si
cela était, la connaissance serait relative à nos perceptions et
les choses en Soi lui échapperaient. La connaissance claire et
distincte, obtenue à l'aide de l'axiome du principe et de la con-
séquence, voilà la vraie connaissance. Rationalisme et empi-
risme admettent en commun que les choses données sont con-
naissables pour l'esprit, et que la connaissance que nous en
avons est une suite de leur nature ; l'opposition des deux doc-
trines est celle de la métaphysique et de l'expérience. F'uis-
qu'elles sont l'une et l'autre dogmatiques, le débat qui les
divise ne saurait être tranché que par un juge qui s'élève au-
dessus des deux partis. Il viendra en son temps, mais alors
seulement que les adversaires auront essayé de tenir les
diverses positions qu'il leur est possible d'occuper. La série en
est assez vite épuisée.
Bacon indique à la science sa voie et réduit la connaissance
à notre expérience des choses naturelles, expérience dont les
niovens sont l'observation et des recherches bien conduites. Le
720 EuuoF, BEURLIEU
siiprasensiblo, losprit humain cnnimo le ilivin sont oxclus de la
science parce qu'ils sont iiors des prises de l'expérience. ]\Iais,
qu'est-ce que l'expérience ? Quels en sont les éléments? Com-
ment sont-ils possibles ? Bacon a néjj^ligé ces probliimes. Locke
essaie de les résoudre : les données de l'expérience, ce sont nos
impressions ou idées, ces représentations simples que nous ne
faisons pas, mais que nous recevons toutes faites et que nous
procurent les sens ou la réflexion. Cette thèse fonde le sensvia-
lisnie, car cela seul est objet de connaissance qui est objet de
perception sensible. Nous percevons les phénomènes et leurs
caractères, les expressions par lesquelles se manifestent les
choses ; nous n'atteignons ni l'essence ni la substance de ces
choses, et nous sommes aussi peu informés de ce qu'est la
matière que de ce qu'est l'âme ou Dieu.
Nous sommes donc placés en face de nos impressions. Que
sont-elles ? Sont-elles de nature corporelle, purs mouvements
que les corps étrangers excitent dans ifn organe central, nu de
nature spirituelle, c'est-à-dire telles qu'aucune réalité maté-
rielle ne soit capable de les produire el de les iiiipriuKM- en noire
esprit ?
Ilobbes opte pour la première hypothèse et professe le maté-
rialisme. Berkeley préfère la deuxième et invente cet idéalisme
qui nie l'existence de corps indépendants de la perception sen-
sible, et, ne tnuivant que Dieu comme cause possible de nos
impressions, demeure fidèle au dogmatisme. Ces deux doc-
trines nées d'un même principe, celui du sensualisme, s'enten-
dent pour repousser les choses en soi et vont aboutir au scep-
ticisme de Hume. Les choses en soi une fois supprimées, la
théorie de la connaissance n'a plus qu'à expliquer la liaison
des idées et des images. Y a-t-il entre les idées une liaison
évidente et nécessaire ? Dans certains cas, la relation qui unit
des idées ressort d'une simple comparaison et d'une analyse :
le jugement qui l'exprime est le jugement de raison dont la
nécessité est incontestable et requiert uniquement l'entende-
ment qui rapproche et décompose ; la mathématique nous en
offre le type achevé avec ses connaissances d'une évidence et
d'une certitude démonstrative. Mais nous avons affaire aussi,
dans d'autres cas, à des impressions diverses, à des faits, à ces
K.l.M' ET Kl'M) llSCHEll
données do roxpériL'ncc dont Ii'londnc est l'élendue même de
la peroeplion. Xoiis les lions par une synthèse dont voici le
schéma : A est B. S'il y a nn jugement dexpériencc qui ait une
viilcui' scienlilique, ce sera une syntht>se nécessaire. Ce juge-
ment d'expérience existe-t-il ? La liaison des impressions ne
nous étant pas fournie avec les faits, nous ne pouvons l'en
extraire par voie de simple analyse. Si elle existe, c'est donc
qu'elle résulte des lois de notre nature psycliique, lesquelles
sont dilTérenles des lois de l'entendement logique, qui n'est
qu'une fouetiou de comparaison et d'analyse, (les luis, il faul les
chercher dans la manière dont nous associons involontairement
les images de nos impressions ; et le prohlème de la connais-
sance devient le prohlème de la loi de l'association des idées
ou des opérations de l'imagination.
Nos idées s'associent selon la ressemhlance, la contiguïté
(temporelle ou spatiale) et la causalité. En tant que règles de
l'imaginaliiin liumaine, ces rapporis n'ont qu'une signification
psychique et particulière. L'une d'elles cependant prétend à
une valeur ahsolument nécessaire et universelle, iadépendante
des circonstances accidentelles au milieu desquelles agit l'ima-
gination de l'individu.
Cette prétention est-elle justifiée ?
Puisque toute l'eprésenlalion esl ou une impression ou la
suile d'une impressinn. la causalité esl une impression ou une
idée que l'esprit en a lir''>e analytiquement. ^lais, en réalité, elle
n'est ni l'une ni l'autre. Elle n'est pas une impression, car les
impressions sont isolées, jamais leur liaison ne nous est donnée.
Nous voyons l'éclair, nous entendons le tonnerre, mais nous
ne voyons .pas, nous n'entendons pas dans l'éclair la cause du
tonnerre. Locke s'est tromjié lorsqu'il a fait de la force une
idée simple à nous donnée et un ohjet de perception, d'expé-
rience, une impression. Elle n'est pas davantage un concept de
raison : car l'analyse la plus complète ne nous montre pas B
dans A, ni par conséquent que A est cause de B, que A est une
cause et une force qui produit quelque chose de dilférent d'elle-
même. A défaut de la perception et de la raison, reste l'ima-
gination. Diverses impressions nous sont données en série dans
le temps. Ces mêmes impressions reviennent si souvent dans
45
722 Eugène BEIRI.IEK
la même relation de temps que nous nous accoutumons au fait
de leur succession et que spontanément, à l'apparition de la
première, nous attendons la seconde. A existe, puis B. Nous en
venons à dire : B existe toujours après B et entin A existe néces-
sairement parce que A existe. La ielationy;os7 hor s'est trans-
formée en relation propter hoc. Si les idées sont aux impres-
sions ce que sont les copies aux originaux, l'original de l'idée
de causalité est l'impression d'une succession constante ; c'est
dire qu'elle n'a aucun titre à revendiquer le caractère de la
nécessité et de l'universalité absolue. Même explication pour la
substance, (|u'il s'agisse du corps ou de l'âme. L'idée en naît
dans notre esprit de l'association imaginative de représentations
qui ont entre elles le plus Jiaut degré de ressemblance et dont
la liaison est si facile qu'elles se fondent ensemble, et produi-
sent l'apparence d'un objet unique qui demeure identique à
lui-même et subsiste indépendamment de nous. Ainsi se forme
la conception d'un monde extérieur.
Tel est le scepticisme de Hume. 11 atteint non pas le fait de
la connaissimc(\ mais son inlcrprétalioii dogmatique. Toute-
fois son elforl pour échapper au dogmatisme est vain. Xe s'est-il
pas, en elTet, enfermé dans un cercle ? N'a-t-il pas commencé
par supposer cela même qu'il se faisait fort d'expliquer quand,
pour rendre compte de la liaison de nos idées, il admet que
le rapport de temps nous est donné ?
A l'inverse de l'empirisme, le rationalisme demande à la
pensée claire et distincte, à des axiomes évidents et certains, à
la loi du principe et de la conséquence, de la cause et de l'effet,
la connaissance scientifique. Son modèle en ce qui concerne
l'ordre des propositions et la méthode, est la mathématique.
Descartes lui a indiqué la direction dans laquelle il marche.
Après avoir posé comme vérité fondamentale l'existence de la
pensée individuelle et la substantialité du sujet pensant, Des-
cartes a admis, qu'outre l'esprit, il y a des corps, substances
indépendantes de l'esprit et d'essence différente puisqu'elle
consiste dans l'étendue : sa philosophie est un dualisme. Faits
de matière inerte, les corps sont sans force propre ; leurs états
de mouvement ou de repos, dont la somme demeure constante,
résultent des causes extérieures, conformément à des lois pure-
nient nn''caiii(|iios. Ainsi, an nom de principes métaphysiques,
Descartes est ol)iiij,t'' île nier la force matérielle et, pour assu-
rer le maintien de la même quantité de mouvement, d'accorder
aux corps nne résistance en contradiction avec les phénomènes
que Galilée vient de découvrir. La métaphysique se met en
opposition avec l'expérience. L'esprit et le corps, quoique d'es-
sence diverse, sont unis ensemhlc : la représentation sensible,
les mouvements volontaires nous sont les garants de cette
union ; mais l'hétérogénéité des deux substances ne rend-elle
pas cette union impossil)le ?
De deux ciioses l'une : ou bien l'esprit et le corps sont
véritablement des substances, cl, dans ce cas, leur union est
un miracle que la volonté de Dieu réalise et que la science doit
renoncer à expliquer, ou bien cette union est régie par des lois,
et alors l'esprit et le corps ne sont pas des substances, ce qui
ruine le cartésianisme.
Occasionalisme ou spinozisme, il l'aul choisir. Spinoza com-
prend que le rationalisme exige l'application de la double
nature de l'Iiomme, l'union de l'àme et du corps ne peut pas
rester mystérieuse. C'est un elTet de Dieu, mais un etfet qui,
au lieu d'avoir pour cause sa volonté arbitraire, est une suite
nécessaire et régulière de son essence. Dieu est donc identique
ii la nature, il est l'unique substance : la pensée et l'étendue
sont ses attributs. De l'être divin sortent éternellement les
choses et l'ordre de l'univers, ordre immuable comme Dieu
même, liaison des choses quii-ésulte du jeu des causes el'licienles
sans spontanéité et sans poursuite de fins. Puisque tout est
l'œuvre d'un être en qui sont la pensée et l'étendue, tout est
à la fois étendu et pensé : la connaissance n'est pas produite,
elle est. Le système du monde s'identifie au système de la
connaissance. La connaissance est limitée dans l'homme ; mais
elle se développe, s'éclaircit, se redresse et se purifie de l'er-
reur, en vertu de l'effort qui porte l'homme, aussi bien que
n'importe quel être, à se maintenir dans l'être et à s'accroître.
Si le dogmatisme consiste à accepter le fait de la connaissance,
comme donné, et donné dans la nature deschoses, le spinozisme
est le plus bel exemplaire du dogmatisme. C'est aussi le système
le plus conséquent, s'il faut affirmer l'opposition de l'étendue et
',U Eugène BEI (ILŒR
de la pensée et en même temps l'iinilé des elioses et leur encliaî-
nenient selon la loi des causes eflicienles. Mais, par là même
qu'il enseignait encore l'hétérogénéité de la pensée et de l'éten-
due, Spinoza échouait lors([u'il essayait d'expliquer la réciprocité
d'action des processus spirituels et corporels. Le système niéla-
[)hysique de la connaissance trahissait son impuissance à
rendre compte, non plus seulement de quelques faits d'expé-
rience, mais de l'expérience entière à titre de fait.
La métaphysique était compromise. Leibniz espéra la lirerde
la position périlleuse où elle se trouvait et la réconcilier avec
l'expérience. A Hcscarles, il refuse il'accorder l'hétérogénéité des
substances spirituelle et corporelle ; àSpinijza, il conteste l'uni-
cité de la substance et l'identité de la nature à Dieu. Contre
tous deux, il nie le dualisme de la pensée et de l'étendue.
Communauté (k^ l'essence, analogie des choses, |)luralité des
sui)slances, unité de la pensée et de l'étendue, il introduit ces
thèses capitales avec son concept delà forc(\ active, psyciiique,
finaliste, possédant une existence indiviihudle, liref, de la
monade. Pour lui, l'univers est l'ensemble des monades dont
chacune représente le loul ii sa manière, avec un degré de
clarté à elle propre et qui a sa place marquée parmi un nombre
infini d'autres degrés, allant des représentations les plus
obscures aux plus distinctes. Une continuité al)sohie est ména-
gée dans ce règne des forces représentatives, dont pas une n'est
le produit d'une autre, et qui toutes atteignent leur destination
en développant spontanément leurs tendances, (^es èti'es mona-
diques sont éternels, et leur liaison, loin d'élre une liaison de
dépendance, un commerce, comme l'exigerait le principe de
causalité, est une harmonie, préformée en tant qu'elle a pour
fondement la nature des choses, préétablie en tant qu'elle a
pour origine la volonté créalricede |)ieu. Ktant des substances,
les monades s'excluent mulu(dlenu>nt, et cette exclusion se
manifeste comme force de répulsion ; elle se révèle sous la
forme de sphères remplies de forces, de corps situés dans l'es-
pace et coexistants.
Leibniz ne prit pas le temps de donner de ses idées une
exposition systématique et de les traduire dans sa langue mater-
nelle, Wolf se chargea de l'une et l'autre tâche, 11 eut à cœur
K.\yT ET Kl sa FISCHER '■v:>
(le concilier le leibaiziaiiisnie avec les pliilusophies rivales.
C'était un éclectique. Malheureusement, son éclectisme dut
laisser tomber tout ce que la doctrine de son maître renfer-
mait de trop profond pour être accessible à l'expérience ou
démontré avec rij;ucur, c'est-à-dire ce qui constituait l'origi-
nalité de la monadologie. Les monades ne sont plus toutes
de nature psvcbiqne, le dualisme apparaît de nouveau, et si
l'harmonie préétablie subsiste, ce sont, contrairement aux vues
de Leibniz, des considérations de finalité externe et d'utilité
humaine qui sont invoquées pour l'expliquer. Les contradictions
qui mettaient en conllit l'empirisme avec le rationalisme et !<?«
divers systèmes de métaphysique les uns avec les autres ren-
daient nécessaire une tentative d'éclectisme : l'essai de Wolf
ne réussit pas. La forme scolastique dont le philosophe avait
enveloppé son système put bien ([uelque temps en voiler les
incohérences ; peu à peu elles apparurent, et de l'école de
y\'o\{ sortirent des hommes qui, tout en faisant profession
d'éclectisme, s'etîorcèrent de réconcilier la métaphysique alle-
mande et l'empirisme anglais. Mais le système de Wolf finit
par lasser les esprits. La deuxième moitié du xvui" siècle vit
llenrir la philosophie qui, en .Mlemagne, s'appela philosophie
des lumières, et en Anglett>rre, philosophie du sens commun.
On prend dans tous les systèmes ce qui s'accorde avec l'enten-
dement simple et droit, on repousse ce qui le contredit ; on
rétablit la suprématie du bon sens, on se lie à la lumière natu-
relle ; on veut donner une égale satisfaction à la tète et
au cœur, distribuer un enseignement fait non pas pour l'école
mais pour le monde, et l'exposer dans un langage intelligible
îitons. En somme, parles voies du rationalisme et de l'empi-
risme, la philosophie en étail revenue à ses commencements.
La connaissance était constatée et acceptée comme fait. Ce fait
est incontestable, mais la question n'est pas de savoir si la con-
naissance existe ; il s'agit de l'expliquer. Les temps étaient
accomplis ; l'affirmation fondamentale de la phihisophie des
lumières allait devenir la question fondamentale de la philo-
sophie critique.
;26 EloÈNE BEURLIEU
HI
Cette philosophie, Kaiit eut la gloire de l'inventer ; elle fut
l'œuvre de son génie. Mais qui dira le secret du génie ? Du
moins, puisque le génie lui-même ne porte ses fruits que si les
circonstances propices lui sont fournies, est-il permis de recher-
cher les circonstances intimes qiii — avec les circonstances
historiques — entourèrent la création du c'riticisnie. Tout
d'ahord, ohserve Kuno Fischer, il y avait entre la nature
morale de Kant et la philosophie critique une entière harmonie.
Deux traits essentiels sont particulièrement h noter dans le
caractère de Kant : l'indépendance qu'il poussa jusqu'au rigo-
risme, et la ponctualité qui alla chez lui jusqu'à la pédanterie
Homme, il ne veut agir que d'après des maximes qu'il ait lui-
même étahlies, qu'il s'accoutume à suivre en toute rigueur,
rég lant sur elles sa conduite et prenant par elles pleine conscience
de ses actions et de leur rectitude. Philosophe, il veut pousser jus-
qu'aux conditions premières de la connaissance, et, de ces condi-
tions, il tire des principes qui, expliquant notre science, en
montrent les limites; il invente la philosophie critique. Cette
indépendance dans la recherche, Kant en lit toujours preuve.
Si, avant de découvrir le criticisme, il fut dogmatique, sa
manière de penser ne le fut jamais. L'action des maîtres l'exci-
tait à s'avancer plus loin qu'eux. A aucun moment l'école ne put
l'enchaîner. C'est aux questions controversées qu'il s'attaquait
de préférence : il essayait de concilier les adversaires et, quand
cela était impossible, de les réfuter. .\u respect pour les per-
sonnes, il joignait une sévérité impitoyahle pour les théories
qui lui semblaient erronées. Attentif à tous les enseignements,
il en répudiait l'étroitesse. Sans crainte dans ses investigations,
prudent dans ses jugements, il savait, au besoin, ajourner les
réponses. Au reste, il excellait à régler son travail d'après la
nature et l'importance des questions. Chez lui point de hâte,
point d'élan impétueux. Rien non plus qui ressemble à une
soudaine révélation. Et ceci est digne de remarque, observe en
deuxième lieu Kuno Fischer, que le développement philoso-
phique de Kant reproduit le mouvement même de la philos-
K.L\r i:t kuxo fischer ;27
phie dogmatique. A ses débuts, sous rintlucncc de Wolf et de
Newton, il est métaphysicien et ami de l'expérience. Locke et
les moralistes anglais le convertissent à l'empirisme. L'étude
de Hume l'amène au scepticisme. Mais le même philosophe, en
le tirant de son assoupissement dogmatique, lui suggère le pro-
blème fondamental de la philosophie critique.
IV
Comment la connaissance est-elle possible, c'est-à-dire légi-
time? Tel est ce problème. Pour le bien entendre, il est indis-
pensable de transposer cette formule primitive en un certain
nombre d'autres formules qui monlrcnt ses aspects divers. —
La critique ne peut entreprendre de discuter la légitimité de
la connaissance que si celle-ci est un fait authentique. Mais
Tadmission de cette authenticité implique que l'on sache en
quoi consiste la connaissance. Le problème de la critique se
dédouble donc en une question de fait et en une question de
droit, la première se partageant elle-même en question de la
nature et en question de l'existence de la connaissance. Et
d'abord, qu'est-ce que la connaissance? Toute connaissance est
un jugement, c'est-à-dire un rapport entre deux représentations
dont l'une est affirmée ou niée de l'autre. Mais la réciproque
n'est pas vraie : tout jugement n'est pas une connaissance.
Hume nous a appris que les jugements sont analytiques ou syn-
thétiques ; les analytiques éclaircissent notre savoir, ils ne
rétendent point; les synthétiques l'étendent, seuls ils sont des
jugements de connaissance réelle. S'ensuit-il qu'ils le soient
tous? Non, la définition serait trop large. Parmi lesjugements
synthétiques, il en est qui affirment simplement Taccident, ce
qui est vrai de tel ou tel sujet particulier. Il leur manque la
nécessité et l'universalité absolue qui est le propre de la
science qui vaut pour tous les cas et s'impose à tous les esprits.
Or, l'expérience, si riche soit-clle, n'atteint que quelques cas;
elle ne peut donc pas fournir de connaissances qui possèdent
plus qu'une nécessité et une universalité comparatives. Mais
ce qui nous est donné dans l'expérience est sensible, acquis
728 Eugène BEURIJER
a postfiiori. La vi'TitaMc uni vorsalili' et la vérilaljlc nécessité ne
peuvent donc appartenir qu'à des connaissances a firiori. I,a
connaissance réelle sera à la fois a priori i^^X synthétique : elle
consiste en jugements synthétiques a priori. Y a-t-il donc des
jugements synthétiques a jjriori? S'il existe de tels jugements,
les objets en sont sensibles ou suprasensibles. Sensibles, ce
sont ou bien des constructions efTcctuées par notre esprit et
dont la mathématique s'empare, oU des choses qui nous sont
données dans l'expérience et que la physique étudie. Owaul
aux intelligibles, la mélapliysi(jue se les réserve.
Ces trois sciences énoncent-elles des jugements synthétiques
a priori? La mathématique en énonce : ainsi la géométrie
afiirme que la ligne droite est le plus court chemin d'un point
à lui autre; or, l'idée de plus court chemin n'est pas contenue
dans le sujet ligne droite, et cependant le rapport du sujet
à l'attribut est absolument nécessaire et universel. Ce juge-
ment est synthélique a priori. Ainsi l'arillimétiqne ai'lirme que
7 -]-.■):= 12. Impossible de penser le coiilraire, et cependant ni
l'idée de ."> ni l'idée de 7 ne contiennent d'avaiu^e l'idée de 12 ;
le sujet pose un problème, l'attribut en est la solution : le
jugement est synthétique a priori. La physique eu énonce.
Par exemple : Tout changement a une cause dans la nature,
c'est un événement qui en implique un autre auquel il succède
nécessairement : les deux événements sont différents, leur union
est donc une synthèse et cependant leur rapport est nécessaire :
le jugement est synthétique a priori. La métaphysique en
énonce. Elle prétend être une science du suprasensible et con-
naître par la seule raison la substance de l'àme, le commen-
cement du monde, l'existence et les attributs de Dieu. Or, tous
les objets qui ne sont pas sensibles sont des êtres de raison et
les êtres de raison ne sont que des représentations. Si la méta-
physique ai'rii'me l'existence de ces êtres de raison, elle le fait
à l'aide de jugements synthétiques et, comme elle ne s'appuie
pas sur l'expérience, ces jugements sont a priori.
11 y a donc desjugemenls de connaissance réelle qui dill'èrent
des jugements de la logique en ce qu'ils sont synthétiques et
des jugements do simple perception en ce qu'ils sont a priori.
Dans le langage de Kant est pur tout ce qui est a priori. Les
KA.\r i:r ki.mi i-ischkh 7-29
jii;iements do connaissanci' irollc smit ilcuir [)\\v> loiil comme les
jiij;enicnls de la logique qui soul a priori, mais ils ilillV-rent de
ces dorniei-s précisément par leur caractère de jugement de
connaissance réelle. Si nous mettons à profit ces instructions
pour formuler le problème de droit qui est le vrai problème
critique, nous obtiendrons ces énoncés : Comment la mathéma-
tique pure, comment la physique pure sont-elles possibles?
Enlin, Kanl appelle nu''laph\ >ique lau sens large du mot) tout
ce qui. à la dilTérence des connaissances logiques, est synthé-
tique, et à la dilTérence des données de l'expérience, est néces-
saire et universel ; il a incorporé de la sorte la mathématique
à la métaphysique. Le problème critique dans toute son
ampleur se posera donc comme il suit. Comment la métajihy-
<ique en général est-elle possible?
Eugène BEURLIER.
(.4 silirrr.
LA NOTION DE MIXTE
ESSAI IlISTOUIQLl': ET CIUTIOIE
SECONDE PAKTIE
De la révolution chimique jusqu'à nos jours Suite'.
VIII. I.A MÉCAMIjLfc; CIIIMKJI E FONDER SIR I.A TIIKRMODV.N AM Inl i:.
La M(?caniqiie cliiiiiiquc iloit-elio donc demouror piiromont
empirique? Doit-ello (Hre une simple collection de lois expéri-
mentales? Doit-elle renoncer à se réclamer de principes géné-
raux qui la raltachent aux autres ptartiesdc lalMiysique, comme
les diverses branches d'un arbre se relient entre elles par le
tronc commun dont elles sont issues? Non pas. Il est une doc-
trine reine, dépositaire des règles fondamentales, de laquelle
doivent découler les diverses disciplines qui constituent la Phy-
sique et, en particulier, la Mécanique chimique ; cette doctrine ,
H. Sainte- Claire Deville l'a signalée : c'est In Thermodyna-
mique.
La clairvoyance était grande, car au moment où Sainte-Claire
Deville la désignait comme, tenant les clés de la Mécanique
chimique, la Therniodynamiqvu^, encore dans l'enfance, présen-
tait une sorte de chaos où se confondaient les hypothèses les
plus disparates et les axiomes les plus contradictoires (1).
(I) Nous ne pouvons analyser ici eu détail l'évolution subie pnr la Thermody-
namique, évolution qui n"a, avec le sujet que nous traitons, que des relations
indirectes; nous nous permettons de renvoyer le lecteur aux écrits suivants :
P. DuHEH, Les Théories de ta chaleur {Bévue des Deux Mondes, t. CXXIX, p. 869.
et t. CXXX, pp. 380 et 851: 1895). — L'Évotution des théories physiques, du
XVII' siècle Jusqu'à nosjoui'S {Reçue des Questions scientifiques. 1' série, t. V, 1896).
iA MlTKiS DE MIXTE 731
La Tliornioilyimmiquc repose sur deux principes : le priiRi|)e
de l'i^quivalence entre la chaleur et le travail et le principe de
Carnol. Introduit dans la scieiux^ par les théories mécaiiistes
des Kcoli's épicurienne, Cartésienne et Newtonienne , inli-
memenl lié, en apparence, à l'hypothèse, acceptée par ces trois
Écoles, que la chaleur consiste en un mouvement des dernières
particules des corps, le principe de l'équivalence était, à
l'époque dont nous parlons, le seul qui fût universellement
connu eL appliqué. Tiré, par Carnot, d'une induction expéri-
mentale, mndilié par Clausins de telle manière (ju'il devint
compatible avec le principe de l'équivalence, mais j^ardant, après
cette modification, la forme d'un postulat que vérifient ses con-
séquences éloignées, le second principe était encore obscur et
méconnu ; réservé aux seuls initiés, il n'avait pas été vulgarisé;
d'ailleurs, sa forme, libre de toute supposition sur la consti-
tution de la matière et la nature de la chaleur, déplaisait à des
physiciens(|u'enivraient les hypothèses mécanistes et qui deman-
daient surtout à la Thermodynamique de confirmer et de |)ré-
ciser ces hypothèses.
Pendant bien des années, les physiciens s'efforcèrent de
donner du principe de Carnot une interprétation qui s'accordât
avec la théorie mécanique de la chaleur; les tentatives furent
puissantes et ingénieuses ; elles demeurèrent vaines. Alors un
revirement étrange et dont nous pouvons à peine aujourd'hui
entrevoir l'incalculable portée se produisit dans l'esprit de ceux
qui s'inquiètent des théories physiques. Furent-ils lassés par
l'inanité des elTorts faits pour interpréter mécaniquement le
principe de Carnot? Furent-ils désespérés par la stérilité des
hypothèses atomistiques et, notamment, de la théorie cinétique
des gaz? Prirent-ils subitement conscience de la véritable
nature et de l'exacte portée des méthodes physiques?. Toujours
est-il que leur conception de la Thermodynamique fut, tout
à coup, profondément modifiée.
Non seulement ils ne réclamèrent plus que le principe de
Carnot fût déduit des principes de la .Mécanique et de l'hypo-
thèse que la chaleur est un mouvement ; non seulement ils
acceptèrent ce principe comme un postulat dont les consé-
quences plus ou moins éloignées devaient être soumises au
732 . 1'- DLHEM
contrôle de l'expérience ; mais encore ils en vinrent pen à peu
à rompre les liens qui rattachaient le principe de l'équivalence
aux antiques suppositions sur les atonies, sur les forces molé-
culaires, sur la nature de la chaleur, et à donner de ce principe
une exposition semblable à celle qui avait été donnée tout
d'abord pour le principe de Carnot. Puis, ces tendances nou-
velles s'étendirent de proche en proche aux diverses branches
de la Physique ; les hypothèses mécanistes avaient été longtemps
considérées comme les fondements indispensables d'une théorie
phvsique rationnelle: on en vint à les regarder comme les
restes de méthodes surannées, à les bannir des diverses doc-
trines, à regarder toutes les lois fondamentales de la Physique
commedes propositions soumises à une seule condition, l'accord
de leurs corollaires avec les vérités de faits. Ainsi, le principe
de (larnot était apparu tout d'abord avec des caractères étranges
qui le distinguaient de tous les autres principes admisjusque-là
dans les théories physiques; maintenant, il devenait le modèle
que devaient imiter les principes de toute théorie sainement
constituée.
Tandis que la Thermodynamique, dégagée de tout alliage
avec les suppositions mécanistes, se construisait selon la forme
logique qui allait servir de type aux diverses branches de la
Physique, elle étendait le champ de ses applications. Aupara-
vant, la théorie de In chaleur était une des parties de la
Phvsique, au même titre que les théories de l'électricité, du
magnétisme, de la capillarité. Au fur et à mesure que la
Thermodynamique progressait, cette opinion semodiliait: on
s'apercevait que ses lois n'exeniaient pas seulement leur empire
dans la théorie de la chaleur, mais dans les théories les plus
diverses; en particulier, les recherches de llelmholtz, de
W. Thomson, de R. Clausius, lirent éclater aux yeux de tous
que les méthodes de la nouvelle science fournissaient des res-
sources imprévues à l'étude des phénomènes électriques. Gra-
duellement, on comprit que la Thermodynamique n'était pas
une branche de la Physique, mais le tronc à partir duquel
divergeaient les diverses branches ; qu'elle n'était point l'étude
d'un ordre particulier de phénomènes, mais le recueil des prin-
cipes généraux, applicables à l'étude de tous les phénomènes;
LA .\(iriii.\- liK MI.XTE 733
que SOS luis irgissaicnt tous les changL'uiciils qui se peiiveul
produire dans le monde inorganique.
Bien divers sont les phénomènes que régil la Thermodyna-
mique : condensation et dilatation des lluides, déformations
élastiques des solides, électrisation, aimantation, ehangement
d'intensité des courants; mais, au premier rang do ces change-
monts, il c(ui\ ient do citer lo plus simple, le plus ohvie d'entre
eux, le changomeut de lieu dans l'ospaco, lo nitiiirrment lucal ;
les lois du mouvement local se présentent iiiaiutonant comme
des corollaires de la Thermodynamique, ot la Mécanique ration-
nelle n'est plus qu'une application particulière do cette vaste
science, la plus simple ot la mieux connue de ses conséquences.
Ouol houloversoment dans les idées des physiciens 1 II y a
quoique trente ans. la Mocaniciue rationnelle semblait encore
la science reine dont toutes les autres doctrines de la Physique
devaient se réclamer ; on exigeait que la Thermodynamique
réduisit toutes ses lois à n'être que des théorèmes de Méca-
nique : aujourd'hui, la Mécanique rationnelle n'est plus que
l'application au problème particulier dn iiioiiremfitt local do
cotte ThormcKlyuamique générale, de cette Énergi'linuc dont
les principes ombrassent toutes les transformations du monde
inorganique ou, selon la dénomination périiiatéticionne, tous
les inoiircmctils ijhi/siqurs.
Malgré leur immense variété, les mouvements physiques
n'épuisent pas la fécondité de la Thermodynamique; on ollet,
le philosophe de Stagiro ne classait pas parmi les mouvements
la génrration et la corrulpion, la disparition d'un corps accom-
pagnée de l'apparition d'un corps nouveau, la destruction des
éléments suivie de la formation d'un mixte, la destruction
d'un mixte précédant la régénération dos éléments, en un mot,
ce que nous nommons aujourd'hui les changements d'état phy-
sique ou chimique. Or, ces changements d'état n'échappent
pas aux prises de la Thermodynamique.
Les fondateurs mêmes de cette science, Carnot et Clapeyron,
puis, plus tard, Clausius, Rankino et ^V. Thomson, l'avaient
appliquée à la transformation d'un liquide en vapeur ; J. Thom-
son et W. Thomson s'en servirent pour enrichir de résultats
imprévus l'étude de la fusion; G. Kirchhoff on déduisit d'im-
734 P. DCHEM
portantes formules relatives aux phénomènes de dissolution;
la ïiicrmodynamique se préparait ainsi, par l'analyse des chan-
gements d'état physique, à s'emparer des réactions chimiques :
selon le vieu de Sainte-Claire Deville, elle allait donner une
^lécanique chimique.
La création de cette Mécanique chimique est l'œuvre de trois
hommes qui sans qu'ils se connaissent, sans quêteurs recherches
pussent iniluer les unes sur les autres, travaillèrent simulta-
nément : J. .Moutier, en France; Ilorstmann, en Allemagne;
J. Willard Gibbs, en Amérique. Leurs découvertes, complétées
en Allemagne par Helmholtz,en Hollande par J. -IL Van't Holï
et Bakliuis Roozboom, ont inauguré une science fort étendue
et dont les principaux résultats sont, aujourd'hui, hors de con-
testation.
Co qu'est cette science, quels sont ses théorèmes essentiels,
quels services elle rend chaque jour à la chimie pratique,
autant de questions que nous ne saurions examiner ici. Ce qui
nous importe, c'est la forme sous laquelle elle con(;oit la notion
do mixte.
Nous l'avons dit : rien, en cette doctrine, ne fait appel à une
hypothèse sur la constitution de la matière, rien ne suppose
l'existence d'atomes ou de molécules; la notion de mixte n'y
pourra donc figurer que sous sa forme la plus simple, la plus
obvie, c'est-à-dire, en dernière analyse, sous la forme péripa-
téticienne.
Comment, par exemple, cette science traite-t-elle de la com-
binaison du gaz carbonique avec la chaux ou de la dissocia-
tion du carbonate de calcium ? Elle admet qu'une certaine
masse de gaz carbonique et une certaine masse de chaux peuvent
disparaître, et qu'il se produit une masse de carbonate de calcium
égale à la somme des deux premières masses ; qu'une certaine
masse de carbonate de calcium peut cesser d'exister, pourvu
qu'il apparaisse une certaine masse de chaux et une certaine
masse de gaz carbonique reproduisant par leur somme la masse
du carbonate détruit ; enfin, selon les enseignements de l'analyse
chimique, elle admet que la masse de gaz carbonique et la
masse de chaux qui disparaissent ou apparaissent dans ces
deux réactions universes, sont entre elles comme les nombres
;. \ .VMV/M.v /»;•; mixte 73ï
l'i et .")."), !l; hors ci'hi, elle ne postule rien sur la eonstiluliou
ilu carbonate de calcium, sur la nature intime du phénomène
qui transforme ce corps en chaux et gaz carbonique ou qui
régénère ce corps aux dépens de la chaux et du gaz carbonique ;
de ces trois corps : chaux, gaz carbonique, carbonate de cal-
cium, elle ne fait rien figurer dans ses équations, sinon des
propriétés physiques observabl(>s et mesurables, telles que la
masse de chacun d'eux, le volume qu'il occupe, la pression
qu'il supporte, la température à laquelle il est porté.
En résumé, dans tout ce que la Mécanique chimique actuelle
suppose touchant la génération ou la destruction des combinai-
sons chimiques, nous ne trouvons rien qui ne s'accorde avec
l'analyse de la notion de mixte donnée par Aristote; sans doute,
la loi de la conservation de la masse et la loi des proportions
(léhnies y sont invoquées ; mais en complétant et précisant les
résultats obtenus par l'analyse du Stagirite, ces lois n'en mo-
difient point la nature ; selon Aristote, comme suivant les ther-
modynamiciens contemporains, les éléments ne subsistent plus
actuellement au sein du mixte ; ils n'y existent qu'en puis-
sance.
Une question se pose immédiatement, précise et inévitable :
quelle distinction la Mécanicjuc chimique nouvelle établit-elle
entre le mélange physique et la combinaison chimique ?
Entre le mélange physique et la combinaison chimique, elle
n'établit aucune distinction ; ou, pour parler d'une manière
plus précise, les principes de la thermodynamique, qui sont
ses fondements, ne lui permettent d'attribuer aucun sens à ces
deux dénominations ; ils ne lui fournissent rien qui lui per-
mette de marquer dans ses raisonnements ou dans ses équa-
tions si un phénomène est une réaction chimique ou un simple
changement d'état physique.
La seule distinction qu'elle puisse introduire dans ses déduc-
tions et dans les égalités mathématiques qui les accompagnent,
c'est la distinction entre les corps qui ont une composition lixe
et les corps qui ont une composition variable ; le carbonate de
calcium est toujours formé d'une masse de gaz carbonique et
d'une masse de chaux qui sont entre elles comme les nombres
li et rjo,9 ; au contraire, pour former un mélange d'air et de
736 V. DLHEM
vapeur J'oau, on peut prendre des proportions arldtraires de ces
deux gaz ; voilà des caractères qu'elle peut saisir et dunl elle
doit tenir compte.
Mais les éléments qui forment un corps à composition non
définie y sont-ils simplement mélangés? Y sont-ils partielle-
ment combinés et le composé chimique issu de leur union de-
meure-t-il mêlé îi l'excès des éléments demeurés libres? Pour
la Mécanique chimique fondée sur les seuls principes de la
Thermodynamique, ces questions sont vides de tout sens.
Un chimiste mêle de l'hydrogène et du chlore et, à l'imitation
de Runsen. il étudie le changement graduel qu'éprouvent les
diverses propriétés du mélange : il interprète ses observations
en disant que l'hydrogène et le chlore se combinent gradurlle-
ment pour tVirmer de l'acide chlorhydrique : il parle de la masse
d'acide chlorhydrique que le système gazeux renferme à un
instant donné, des masses d'Iiyihogène et de chlore, libres
encore, qui. à ce même instant, sont mêlées au gaz ciilorhy-
drique ; le pliysicien qui s'en tient aux principes de la Tiier-
modynamique n'entend point ce langage ; avec Sainte-C.laire
Deville, il ne peut voir dans le phénomène étudié qu'un clian-
gement d'état, comme il voit un changement d'état dans la
vaporisation de l'eau ou dans la transformation du phosphore
blanc en phosphore rouge ; seulement, dans ces deux derniers
cas, chaque parcelle du corps qui se transforme passe sans inter-
médiaire d'un premier état à un autre état tout dillérent: dans
le premier cas, au contraire, la modification se produit d'une
manière continue ; le système ne passe pas d'un état à l'autre
sans traverser luns les états intermédiaires.
En une science de raisonnement, dire que les principes de la
science laissent une certaine expression dénuée de tout sens,
c'est dire qu'il est loisible d'attriJnier à celte expression le sens
que l'on veut par une déiinition appropriée. Ainsi en est-il
dans le cas qui nous occupe.
Lorsqu'on mélange du chlore et de l'hydrogène, les proprié-
tés du mélange ressemblent d'aliord beaucoup aux propriétés
de riivdrogène. si l'on a mis peu de chlore, et du clilore, si l'on
a mis peu d'hydrogène ; peu à peu, ces propriétés se modifient;
si l'on a pris les masses de chlore et d'hydrogène dans le rap-
LA MiTlii\ /»;•; MIXTE 737
jiorL (lo .'!."),.") à I, elles teii(l(Mil ù devenir iilenliques aux |>ro-
priôtés du gaz que les eiiimisles iioiiiinenl aciile elildrlivdriiiiie ;
«lies s'en ai)|>r(ii'lieiit |)liis mi iiiniiis si le niélaiit;e n'a point
cette coni[)iisili(in. One l'on Ironve conunoile d exprimer ees
faits en disant cjne le système contient de l'Iis dro^èue, dn chlon»,
de l'acide ( liloilis diiqne, l'I qne la proportion d'acide clilorhy-
driqne, nulle an début, y augmente sans cesse ; pourvu que
ces mots soient pris comme un langage conventionnel et non
comme l'expression du véritable état de la matière au sein du
système, il n'y a rien là qui prête à contestation, et la Mécanique
chimique ne se fera point scrupule d'user de ce langage.
Mais ce langage n'implique encore aucune traduction en
symboles quantitatifs, pouvant iigurer dans des équations algé-
briques. J'ai sous les yeu.x un mélange que l'on a formé en
prenant 2 grammes d'hydrogène et 71 grammes de chlore ; je
ne saurais énoncer une proposition telle que celle-ci : à l'ins-
tant actuel, ce mélange renferme 1 gramme d'hydrogène libre,
3."»,.") grammes de chlore liln-e, et 'M),'.\ grammes d'acide chlorhy-
drique ; cette proposition n'est ni vraie, ni fausse ; elle n'a
aucun sens. Pouvons-nous lui en donner un? Pouvons-nous
lai^(^ en sorte qu'à cette proposition corresponde une relation
algébrique accessible à la Mécanique chimique, dont celle
science puisse reconnaître la vérité ou l'erreur? Pouvons-nous
fixer ce sens non pas d'une manière entièrement arbitraire, ce
qui serait légitime, mais sans intérêt, mais de manière qu'il
s'accorde, dans les applications, avec celui qu'adoptent les
chimistes, guidés par des hypothèses atomistiques ?
Le problème ainsi posé n'est point résolu dans son entière
généralité ; c'est seulement dans certains cas particuliers que
la solution en a été ou achevée, ou ébauchée. Horstmann et
(îibbs en ont donné une solution pleinement satisfaisante dans
le cas où les corps mélangés sont gazeux et très voisins de cet
état idéal que les physiciens nomment l'état gazeux parfait.
Prenons le mélange dont nous parlions il y a un instant.
Prenons aussi 1 gramme d'hydrogène, 3.j,.") grammes de chlore,
36,5 grammes d'acide chlorhydrique ; enfermons-les séparé-
ment les uns des autres dans des récipients de même volume
que celui qui renferme le mélange; eniin, portons tous ces
40
738 1'. ULHl-M
récipionts à la mrmo tompéraliiro. Si lo jiulculifl nilrnic < I ) du
mélange considért"' est égal à la sommo des putenhrh mtfnic!^
des trois gaz isuli's. on dira quo lo mélango renl'ernio .'}(l,.") gram-
mes d'acide chlorhydriquo, I gramme d'hydrogène libre et
:i"),o grammes de ehlore libre.
Telle est la délinition posée par .1 WiUard (iibbs.
Cette délinition remplit toutes les conditions prescrites. Elle
se traduit par une équation algébrique (|ui expriuK» une rela-
tiim entre grandeurs physiques ; cette équation se pi-éte aux
raisonnements de la thermodynamique qui en peut tirer (le~
consi-qui'nces, comparer ces conséqu(Mices aux faits d'expé-
rience, constater les conlirmalions <iu les d('meiitis ([u'elles en
reçoivent, partant, reconnaître si le mélange a ou n"a pas la
composition indiquée. Et, d'autre part, les conséquences de
cette délinition sont conformes aux propositions que les chi-
mistes énoncent d'habitude touchant les mélanges de gaz, bien
que l'idée qu'ils se forment d'un tel mélange soit liée pour eux
à des hy|iiithèses atomisticiues ; "elle délinilion, par exemple,
s'accorde avec la loi du nu'dange des gaz, avec la lui liu mé-
lange des gaz et des vapeurs.
Cette délinition posée, il devient logique et légitime d'étudier
comment varie, avec les diverses circimstances, la composition
d'un mélange de gaz dont certains éléments peuvent soit se
dissocier, soit se combiner entre eux : et cette étude n'est pas
le moindre titre de gbiire tie Ilorstmann et de (iibbs.
ttu a tenté, en d'autres cas, de faire ce que ces grands physi-
ciens ont accompli poui- les mélanges de gaz parfaits ; les elTorls
de J.-H. Vaut Iloff et de Svante Arrhenius ont tendu à établir
une délinition analogue dans le cas où le mélange de plusieurs
corps liquides renferme un grand excès de l'un d'entre eux.
Peut-être cette dernière tentative n'a-t-elle point rencontré k^
succès pleinement satisfaisant qui a couronné la première. La
discuter serait ici hors de propos. Ouel que soit son degré de
(Il Nous ne nous attarderons pas .i JéGnir ce qu'il faut entemlre par jxjlenlier
inlenie d'un système : pour l'intelligence de ce qui est ici, il suffit au lecteur de
savoir que le potentiel interne d'un système est une fjrandeui' qui dépend de
l'état de ce système et qui joue un rôle essentiel dans l'étude thermodynamique
de ce système.
LA .VoV/M.V /)/■; MI.WE 7:!'J
certitude ri (le pn-cision, ellr n'i'ii uiaiiit'i'stc [las moins la li'ii-
dancf ((iii dirige toutes les reelierelies de .Mécanique chimique.
Cette (emiaiu'e, il nous semble qu'on la [leul dégager et qu'un
la peiit lurmuler en ces termes :
Tontes les hypothèses sur la nature iiiliuie de In matière, sur
la structure des mélanges et des comhinaisons chimiques, oi
spécialement toutes les hypothèses atomistiques, seront ban-
nies du domaine de la science ; il ne sera l'ait aucun usage de
principes tirés de ces hypothèses ; si une (expression n'a de sens
qu'autant que l'on admet, e\pli<'ilement ou implicilenu'nt, ces
suppositions, on la rejettera impiloyablenieul ; ou bien, avant
de l'adopter, on en donnera une définition nouvelle, absolu-
ment franche des doctrines aux(|uelles on est résolu de ne plus
faire appel ; les définitions, les propositions de la Mécanique
chimique ne porteront, en dernière analyse, que sur des gran-
deurs représentant des propriétés physiques mesurables; la
.Mécanique chimicjue. ainsi constituée, ne s(! piquera pas de
nous faire pén(''trer jus(|u'au cn'ur nn'-me de la matière, de nous
révéler le (jiml itrnprudii des ré'actions iliinii(|iu^s ; son but,
plus modeste, mais plus sur, sera de classer et d'ordonner les
lois que l'expérience nous permet de découvrir ; l'accord de ses
corollaires avec les faits sera pour elle le critérium de la certi-
tude.
D'un mixte, il suffit à cette science nouvelle de connaître la
composition, c'est-à-dire la masse des éléments qu'il faut
détruire pour engendrer ce mixte et que la corruption du mixte
peut régéni''rer. Sur les ruines de la notion de mixte qu'avaient
construite les atomistes, elle édifie de nouveau la conception
simple et inébranlable qu'avait formulée Aristote.
CONCLUSION
Nous avons suivi l'évolution qu'a subie la notion de mixte,
au cours des âges, depuis le premier éveil de la pensée scienti-
fique chez les philosophes grecs jusqu'au développement touffu
et rapide qu'ont subi les doctrines chimiques pendant le siècle
qui vient de finir; au milieu des mille vicissitudes qu'entrai-
740 P. DIHEM
lient la découverte incessante île taits nouveaux el la lutte achar-
née des divers systèmes, nous avons aperçu les traits essentiels
qui caractérisent cette évolution; et ces traits nous sont apparus
senililables h ceux qui marquent l'histoire des grandes théories
ph\ siqiu^s ( 1).
Au miiment oi'i le génie grec entreprend l'étude rationnelle
de la nature, deux mélliodes sont en pr(''sence, dont chacune si'
prétend seule capable, de conduire l'esprit hunuiin à l'inlelli-
gence des choses matérielles : le mécanisme des atomistes et la
physique |)éripatéticienne. Entre ces métliodes, la philosophie
antique se partage ; mais, au moyen âge, l'Kcole proclame
l'excellence de la métliode d'Aristote.
Lassés de la physique scolastique, les penseurs de la Renais-
sance et du xviT siècle rcmellent (>n vigueur le mécanisme,
dans lequel ils voient le principe de toute théorie physique
rationnelle, et restaurent la plu|)art des explications imaginées
par les atomistes grecs. Des hypothèses, renouvelées d'Epicxu'e
et de Lucrèce, les inspirent tandis qu'ils créent toutes les parties
de la Physique et de la (Chimie. Sous l'inlluence de Newton, la
Physique du xvm'^ siècle transforme, en la compliquant, la Phy-
sique alouiiste ou cartésienne ; elle introduit dans ses raison-
nements les attractions et les ri'pulsions mutuelles des diverses
parties (le la matière; mais (die demeure essentiellement mé-
caniste. La Mécanique dirige avec nne autoj'iié souveraine et
incontestée le merveilleux développement des théories phy-
siques à la lin du xviii'' siècle et durant la première moitié du
xix' siècle.
Peu à peu cependant, et par l'effet même de ce développe-
ment, les hypothèses mécanistes se heiu-lent de toutes parts à
des obstacles de plus en plus nombreux, de plus en [)lus difli-
ciles à surmonter. Alors la faveur des physiciens se détache
graduellement des systèmes atomistiques, cartésiens ou newto-
niens pour revenir à des méthodes analogues à celles qne prô-
nait Aristote. La Physique actuelle tend à reprendre une forme
péripatéticienne.
(I) Cf. p. DfiiK.M, L'él'olut'wn des /héoi'ies physiques ilu XVll' siècle jusqu'à nos
jours {Revue des Questions scienlifiques, i' série, t. V ; 1896).
I.\ S(iTI(>\ /;;•: MIXTE 741
(lo changcnu'iil |ii\ilniiil ne s'iicuoinpIiL puinL suus l'inlhK'iice
iliuic ifU'Q philosopliiquc préconçue; il ne résulte pas du désir
de rapprocher nos sciences nouvelles des anciennes doctrines
aristotéliciennes; les hommes, comme Sainte-Claire Deville, qui
ont le plus contribué à modilier l'orientation des méthodes
physico-chimiques, ne se souciaient guère des opinions d"Aris-
tote. Ce changement s'est acciimpli. pour ainsi dire, par la force
des choses: les physiciens et les ciiimisles, frappés du désac-
cord de leurs thénries, fondées sur des iiypothèses mécanistes,
avec les faits que l'expérience leur révélait, ont entrepris un
examen minutieux des bases de ces théories ; ils se sont efforcés
de mieux préciser, de mieux définir la nature et la portée des
procédés logiques qu'emploie la Physique mathématique; et
de ces efforts multiples est sortie une science dont le type, noii-
.veau parmi nous, rappelle, d'une manière saisissante et im-
prévue, nue i'Iiysique vieille de vingt-deux siècles.
<>ette transformation, accomplie sans que la philosophie péri-
patéticienne y ait contribué, se produit cependant au moment
même où un grand nombre de penseurs s'efforcent d'infuser à.
la pensée de notre temps les idées essentielles de Platon, d'Aris-
tote, de leurs grands commentateurs saint Augustin et saint
Thomas; où Ceux mêmes qui réputent illusoire ime telle
tentative reconnaissant volontiei's que l'Kcole ne méritait
ni les sarcasmes, ni les dédains tjui lui nul T'té prodigués
naguère.
Un tel bouleversement dans les idées qui dominent et
dirigent les théories physiques est assurément, et par sa nature
même, et par les causes qui l'ont produit, et par les circon-
stances dans lesquelles il s'est accomjdi, l'un des phéno-
mènes les plus dignes d'attention que nous otfre l'histoire de
l'esprit humaiu.
II ne faudrait pas, cependant, exagérer les caractères péripa-
téticiens que présente la science actuelle, prétendre qu'elle
n'est que le développement et comme le prolongement naturel
de la Physique d'Aristote , soutenir enlin que quatre siècles
d'etïorts sans trêve, dirigés par les plus puissants génies qu'ait
connus l'humanité moderne, ont seulement accru et enrichi les
théories physiques sans en modilier les tendances essentielles,
712 P. miIEM
sans marquer (If li'iir cniprcinti' ce qui f-l cMminc ràiiu' nii''me
de CCS théories.
Essayons de marquer le Irait précis jusqu'où la métlioiie
actuellement suivie par les sciences physiques peut être re;iar-
dée comme péi'i|)nlélicienne et à parlir duquel, au contraire,
elle est esscntielli-nienl di-lincle de ce que pouvaient imai;iner
les ])hilosophes de ranli(|nil('' el du moyen âge.
l'our Arislole, toute recherche philosiqihique a pour fonde-
ment une analyse logi([uc très minutieuse, très précise, des
concepts que la perception a lait germer en notre intelligence;
071 chaque notion, il convient de mettre à nu ce qui est lexact
appnrt de l'expiTience, ce qui constitue essentiellement cette
notion, et de rejeter sévèrement h's ornenu'nts [>arasites dnnl
rimagiuatii>n l'a all'uhlée. S'agil-il, par exem|)le. de philo-
sopher sur \f mi,\le? U faudra, avant loul. faire ressortir,
ce (ju'iine exach' analyse distingue en celle nidiiin : des élé-
ments, qui cessent d'exister au moment où le mixte est engen-
dré; un mixte homogène dont la plus petite partie renferme en
puissance les élémenls et peut les régénércM" par sa propre cor-
rupliciu. .\ ces caractères nécessaires el >Mlii>anls pnur consti-
tuer la Hiilion de mixte, l'imaginalinn des ahMiiistes suhstitue
des liNpdtiu'ses sur la persistance des atomes et sur leur juxla-
posilidu ; ces hvpothèses. (IdiiI les iilijels ne siinl point saisis-
sahlcs à nos légitimes moyens de connaître, il les faut reléguer
impiloyaldemenl dans la région des chimères.
La IMiysique actuelle, elle aussi, met à la hase de toute
théorie une analyse logique exacte des notions (jue l'exix''-
rience nous fournit : par celle analyse, (die s'ed'orce non seu-
lement de mar(|uer avec précision les éléments essentiels qui
composent ( hacum- de ces notions, mais aussi d'idiniiner soi-
gneusement tous les éléments parasites que les hypothèses
mécanistes y ont peu h peu introduits.
I/analyse que la Physique actuelle prend pour point de
départ de chaque théorie jtrocède selon la même méthode que
l'analyse péripatéticienne; mais elle en ditlère par le nomhre
des ol)j(ds sur lesquels elle porte et par le détail des faits qui
lui sont donni's. .\rislole ne pouvait (waminer autre ciiose que
ce que peut saisir l'ohservalion vulgaire, l'aile avec nos moyens
^.i .\(/;7(i.v /);■; mi.xtk 74î
iialiii'cis lie [MTcovoir : cncurc iivait-il pnrlnis iill'airo à des
oliscj'valioiis iiiriuiijtlrli's nu iiicxafU's. l)i'|iuis la llenaissaru'c,
la piiissaïu'i', la péiicHralion, lu précision do nos sens, ont (Hi'
prodigioiiseniont accrues par l'usage d'instninients de jour
on jour plus parfaits, de méthodes expérimentales de jour en
jour plus minutieuses. Des expériences dont le nombre croit
sans cesse en même temps (|ue chacune d'elles devient plus
ilétaillée, ijilroduisent à cliai|Me inslanl dans la science des
iioliiiiis Illlu^cll('■^ ou c(iinpli(| ui'iil les iioli()n> déjà formées.
L'analyse du |diysirien doit doiu' s"ap|)li(|U('r à une matière
incomparahlement plus riche que cidli' doni disposait Arislote,
à une matière dont la richesse croît indiMinimcul.
Il ne suflil plus, par exemple, à celui qui médite sur les
théories chimiques d'analyser les deux notions connexes de
mixte et d'élémenl: une fiiulc d'autres notions, qui sont venues
se grelVer sur celles-là. re(juièrent son allenlion; il lui faut
pénéirei' les idées de masses équivalentes, d'analogie chimique,
de suhsliintiiui chimiqiu'. di^ valence, d'isom(''rie, etc.: et pour
saisir le contenu de ces i(l(''es. pmir en tlisculer le sens exact et
la véritaiile poi'tée, il ne lui suflil pas de faire appel au témoi-
snaee de ses sens l(jut nus; il lui l'aul recourir à la balance,
au g(Uiiomètre, au saccharimèlre. à tous les instruments qui
peupleni le> laboratoires du chimiste et du pliysicien.
Cette analyse, ou le conçoit du reste, dill'ère profondément
et de f(nMne, et d'étendue de cidle (jui sollicitait l'attention
d'.Vristole. Ilien |U'é'cise, ce[)iMidant, élaii la <lissection logique
faites par le Stagirite; bien souvent, en elVel, il a fallu au phy-
sicien nuxlerne des efforts longs et opiniâtres pour exhumer
<lu milieu des suppositions entassées par les théories méca-
niques les idées clairement aperçues par le IMiilosophe antique.
Ainsi avons-nous vu la chimie retrouver, par une lente élabo-
ration, la notion péripatéticienne du mixte.
\'A\ oulre, uM'une dans le cas oii la science aciuelle est con-
trainte di^ Iransformer les résultats de l'analyse aristotélicienne,
les changements qu'elle y apporte se relient souvent d'une
manière si exacte aux idées antiques qu'ils semblent les com-
pléter et les enrichir plutôt que les modilier profondément.
Aristote avait vu qu'un mixte ou un grou|)e d'éléments ne
7'.4 P. Dl HEM
piHivail èlre en^endrt'', qu'il ne se détruisit cii nirnio temps
un groupe délémenls ou un niivlc; comijitio iin'iiis (/cncraiiu
altf'rhoi, disait la Scolastiqvie; la (lliiniie moderne complète et
précise ce principe en nous montrant que la masse détruite est
toujours égale à la masse créée.
il peut arriver, toutefois, que les résultats auxquels Aristote
a été conduit en ai>pliquant l'analyse logique à nos diverses
notions pliysi<{U('s soicnl tous houleversés par l'examen de ces
iinliiins tel que nous le pratiquons aujourd'hui; et c'est ce qui
a lieu en la Mécanique du mouvement local. Même dans ce
cas, il n'en reste pas moins au Slagirite une gloin^ impéris-
salile, la gloire d'avoir mis une telle analyse à la base de la
science: la gloire d'avoir créé une méthode ii laquelle la Phy-
sique, après avoir pris trop longtemps l'imagination pour
guide, se voit contrainte de recouiir.
C'est par cette analyse logique préliminaire, mais c'est seu-
lement i)ar elle, ((ue la Physique péripatéliciennc et la Physique
actuelle se rapprochent l'une de l'autre. Lue fois cette analyse
terminée, ces deux Physiques se séparent et, dans des voies
divergentes, poursuivent des objets différents.
La Physique péripatéticienne est, au sens actuel du mot, une
branche de la Métaphysique; si elle distingue, en chacune de
nos nciliiins physiques, les éléments qui la composent, c'est alin
de pénélrei- plus com|)iètem('ut la nature de l'objet que cette
notion représente; derrière chacun des éléments mis en évi-
dence, elle place une réalité. Lorsque, par exemple, elle a
disséqué la notion de mixte, elle essaye de concevoir comment
les matières et les formes des composants cèdent la place à la
matière et à la forme du mixte, quelle relati(m ont, entre eux
les accidents et les substances de ces corps.
La Physique actuelle n'est pas une Métaphysique. Elle ne se
propose pas de pénétrer derrière nos perceptions pour saisir
l'essence et la nature intime des objets de ces perceptions. Tout
autre est son but ( ! . Elle se propose de construire, au moyen
(1) Nous avons développé ce point dans les écrits suivants : Quelijues réflexions
iiu sujet des lliéories phi/siques (Revue des Questions scientt/iqiies, i' série, t. I:
1S;I2 . — P/iysigue et Metap/iysir/ue [Ihid.. t. II : IS'.i:i . — Quelques réflexions au
sujet de la Plnjsique ej périinenlale ilbid., t. 111: ISHl,.
n .vor/o.v /»/■; .i;;a77-: 745
do signes ompruntés à la science des nomlires et ùla géométrie,
une représentation symbolique de ce que nos sens, aidés des
instruments, nous font connaître. Une fois construite, cette
représentation se prête au raisonnement dune manière plus
aisée, plus rapide, et partant plus sûre, que les connaissances
purement ex]i(''rimentales qu'elle remplace. Par cet artifice, la
Physique preiul une ampleur et une précision qu'elle n'aurait
pu atteindre sans revêtir cette forme schématique que l'on
nomme P/u/sir/iip thi'ovtqiie ou Phi/sicjur mathomaùque .
Dès lors, à chacun des éléments que l'analyse logique lui
fait découvrir en une des notions dont elle traite, elle fait cor-
respondre non point une réalité métaphysique, mais un carac-
tère géométrique ou algébrique du symbole qu'elle substitue à
cette notion.
A la notion de mixte, par exemple, elle substitue vuie formule
chimique : l'idée d'analogie entre deux mixtes s'exprime par
une suite d'égalités entre les indices qui affectent certaines
lettres; l'idée de dérivation par substitution se représente au
moyen de certains traits ; la dissymétrie d'une figure géomé-
triqiu^ sert à signaler un corps doué du pouvoir rotatoire.
Il est clair qu'entre celte représentation symbolique des
données de l'expérience et une étude métaphysique des choses
que nos sens perçoivent, il n'y a plus lieu d'établir aucun rap-
prochement; les théories de la Physique moderne sont radica-
lement hétérogènes à la Physique péripatéticienne. Ces deux
Physiques ne sont liées l'une à l'autre ([ue par l'analyse logique,
qui est leur point de départ commun.
1". DllIEM.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
SAINT AUGUSTIN, par l'abbé- Jules Martin, I vol. in-8, xvi-400 pages,
F. Ai.c\N, l'aris, l'JOI.
]a' livre (le M. l'alibO .1. iMarliii sur smIiiI Auf^iisliii l'ail partie de la
colleclioii : /.rs graiidx pliilosopln's. |)uliliée smis la direction de
M. ('.. i'ial. (Certes, saiiil .\Mi;iislin csl (•luiiiciiiineiil à sa place ]>aniii
les j^ramls |iliiloso|>lies : car ce j^raiid Iidmiiiu' a laissé, disséiilinée dans
ses nniMlireux ouvrages, une doctrine vasti' et profonde sur la plu-
pari (li's prc il dénies pliilii-iipliii|iics qui si il I ici lent 1rs investit;;! lions de
l'espril liniiiain. Mais ce n'ol pas senlcnient le pliibisophe «jne M. .Mar-
tin montre en sain! Aui^nstin, c'est encore le tliéiiloji;ien, qui ne
craint pas d'aliiii<lri- l'i^'liide des mystères proprement dits de la lîcdi-
j;ion clirétienne. et dont les traités />'' /'/ Trimli'. De la Vniti' lifliijiiin.
De r LlilUi' de rrnii-e. iJrs (Jiirilrc-rintjl-lriiis Qucslinns. Dr I /i.rjuisiliini
sur l'h'pllre nn.r Giilatox. Dr la Cilr Jf Dieu, pour ne citer (pie ci'ux-
là, sont des monuments d'une dcictrinc qui déi>asse de heaucmi]) la
poi-tée delà raison sim|ilenii'nt nalui-dle. M. Martin a raisim de diie
que l'on ti-c)uvc dans saint Angustin " une ])lnlosopliie chrétienin'
conq>léle ,|i. x , •• et de faire remarquer (]uc " Mi'dilDn de Sarder-
(yers 165) et plusieursanlres. avant et après lui. appelaient le chi-istia-
nisme iioiri' /ihilnsnpliic, t, /.aO' f.ui; ■:.'j.'iiv:j'--x |i. yiii . ^ Mais la pliilo-
sopliic ainsi enteiulne n'est ])as nni(]uemenl la [ihilosophie sans
l'pitliète. cellr qu'a particulièremeiil pour objet cette llrriii' de l'hihi-
sopliif. On coriiprend donc ([ue nous soyons tenu à une i;randt' réserve
devant la partie de l'œuvre de saint Aufiustin (pii appartient en
pnipre à la tlu''iil(ii;ie.
M. l'ablié Martin connaît et aime son saint Augustin tout entier, et
ce n'est pas nous qui lui en ferons un reproche ; car nous avons, nous
aussi, une véritable admiration pour ce génie supérieur : mais notre
admii-ation ne va pas sans critique et sans restriction ]iiiui' sa pliiloso-
S.l/.VV AlV;r,S77.V. I'ar l'Abut Jllks Martin
liliii', li'llc >iirliiiit i|ur la iH'i'si'iilc M. Marliii : nous cssairiMiis di' dire
l'ii i|iiiii |ii-ini'i|ialciii('nl la iTilii|ur inins [larail nr'ci'ssairr.
Lu i)laii a(lii|ili' par M. Maiiiu |hiui- classi'r li's iiliM's di' saint Augus-
liii est bien cniiiii : Iji /■(iniinixsaucr, /Hi'ii. lu militi-r. snnl les litres
des trois si'cliiiiis snci'cssivi's, nii viennrnl se rani;('i' les Iravauxe!
les sulnliiins iln |i|iilosii|dii' I iii''(il(iL;ii'n : le hnil cni'adn'' enlre ime
préface l't inif (■(inclnsion i;r'in'i'ale, el suivi d'nnr liiMiiij;i-a|ilHe l'orl
iuléressaiilr.
C'est sui- la Ihi'iiiac dr la ninnaissaner i|ue ndiis cimimiiis surliiul
devoir demander plus de |ii'iM-isiiin (|iie M. Martin. La ditlV'renee (Ma-
hlie par saint Aiii;Mslin enli-i' la sai;esse et la sidenee est fort juste :
<' à la sagesse appartient la coiinaissanee inlelleetuelle des choses
élernelles : à la science, la connaissance rais(uinée des (dioscs tem-
porelles !p. 'i . " Mais le point délicnl, est de savoir si, par celle
connaissance inlelleci uidii' des choses éternelles, nous atteif^-nons
Dieu direclenieni cl par vue nalui'idli', liieii cpie d'abord Jien
distincte; ou bien, si la connaissance de Dieu, dans la mesure où
nous pouvons racipi(''rir ])ai- nos forces naturelles, ne nous est don-
ni'r ipie par un raJMHi iiemi'id parlant de pi-incipes absli-aits el des
données e.inci'éles ipie nous saisissons anlour de nous el e:i nous-
méuies.
Saint Aui;nslin, connue le remar(pn' avec soin M. Marlin. aflirme
netleinent ipir " p('i->onin' n'ai-ri\(' à connaiire. sinon eu parlaid tle
rit;norance " : cl il ajoiilc nicmc ipu' " nul if;noraid lu' sait ('OiilnuMil
il doil correspondre à ft'\[\ (pii l'instruisenl . ni par ipnd moyen il se
i-eiulra capable d'être instruit p. -21 •. "Il l'anl donc ipu' reuseij^çnemcnl
d'aiitorili' vienne rorinei' peu à peu rinlellip;eru;e, la développer et la
iiieltre enlin en (■lat de voii-la raison des(duises. Mais si l'enseignement
qu'elle reçoit est erron(\ el si elle-nii''me s'eni;a!:;e dans I erreur en
r.iisonnant sur les prcnnèri's in<licalions i\\ic lin a données la parole
i\\\ mailri'. couimeni pom-i-a-t-elle enc(n-e aiiercevoir la vérité? <> Ce
ipn se penoil par rinlellii;-ence, dil saini Aiigust in. ri'side dans l'inté-
rieur de l'esprit : possé^der cida. ci> u'esl pas autre chose ipu' le voir.
t»r, l'insensé ne |iosséde pas la sagesse ; donc, il ne cminait pas la
sagesse. Ce n'es! point, en ell'et, par les veux ipi'il p(uii'i'ait la voir;
mais il ne peni ni \(iir la sagesse sans la possédci'. ni la ]ioss('Mier tout
en reslanl insensé. 11 ignoredonc la sagi^sse; et, landis(|n'il 1 ignore,
il ne peut la connaître la discernen ailleurs. Un homme ne penI ja-
mais, tani ipu' dure son l'dat d'insensé, arriver à la conviction
certaine il'avoir lronv(' le sage, à l'égard de (]ui. se monti'ant
obéissant, il sera délivi'é du si grand mal de la folie. " — '< Voilà bien,
748 J- liARDAlR
sur fi- sujet, sécricM . Martin, la ]iaj;c la plus l'm-ti', cl, iilus i'iK-(ur,
la seule page lolaleiuent vraie que. ilAristotc à Haut et au delà, un
illustre philosophe ail écrite. Elle contient riiistoire réelle de lintel-
ligencei'p. io). » .Nous n'essaierons pas de refroidir cet entlKnisiasuie.
et nous .suivrons très volontiers saint Auf^ustiii dans ses descriptions
(le l'exclusivisme qui retient en deiiors de la vérité l'esprit <pii se
trompe, de la nécessité d'une lumière qui vienne l'éilairer et lui don-
ner en même temps, par une l'ormation nouvelle, l'aptitude de mieux
voir et aussi dans son appel à la lionne volonté et à l'amour " pieux
et diligent ». pour rcctilier et lnrlilier le re;;ard de l'intelligence en
fortitiant l'àme tout entière [i. -iit. C^ iiue nous voudrions tâcher
d'éclaircir en qindques mots, c'est en quel sens précis est vraie cette
parole ardente de saint Augustin : ■• Oli! si les hommes poiivaieiit
voir ce quehpie chose d'éternel, jnésent au fond de l'intelligence
(p. i"{)'- « Quel est cet éternel intérieur à l'iime, inli-iuum .rlrniinii'.'
CommiMit l'intelligence le voit-elle par nalundh' vision? C'est l'essen-
tiel de tonte philoso|ihie.
Saint Augustin avait semblé penser cjin^ la sagesse même, la C(ui-
naissance des choses intelligibles, est si bien au tond de l'àmr hu-
maine, que. lorsque celle-ci a l'apparence d'apiirendre (pichpic doc-
trine nouvelle, elle ne l'ail que se l'essouvenir dune doctrine (|u'(dle
avait sue et qu'elle avait oubliée. Heureusement, il corrigea lui-méuu'
cette exagération dans ses lirlfurlnlions, en ces termes : " .l'ai dit,
(luelque part, qu'en api>renaid on retrouve en soi-même les doctrines
ensevelies dans l'oubli, .le désaïqirouve cela : car. si les ignorants
eux-mêmes, à lu condition d'être bien interrogés. rê|)ondent juste
sur certaines .sciences, on trouve pour ce l'ail lexplicalion suivanle
(pii est plus natm-elle : les ign(U-auts ont présente, en tant qu'ils
peuvent s'en apei'ccvoir. la lumière de la rais(Ui éternelle, et dans
cette lumière, ils voient tontes ces vérités imnniables |). .")('• . » 11
revient plusieurs l'ois sur celte ex[ilication : >■ 11 y a lieu de croire,
dit-il, que, par son essence, l'àme intellectuelle étant jointe, selon
l'ordre naturel et selon la disposition du Ci'éateui-. aux choses intid-
ligibles, elle les voit dans une certaine lumière incorporelle ip. .">7 . ■•
— Kt encore : " Dieu est tout entier partout, aussi est-ce en lui ([ne
l'àme vit, qu'elle se meid. (pi'elle est (Acl.. wii. -iSi; donc, ellepent
se ressouvenir de lui ; ce n'est pas qu'elle se ressouvienne de l'avoir
connue en .Vdam, ni ailleurs avant cette vie, ni enfin au moment de
sa création en vue de l'union avec le corps... L'àme se souvient de
Dieu de manière à se tourner vers le Seigneur, et elle se tourne vers
le Seigneur comuu^ vers cette lumière dont elle s'éloignait et qui.
f
SAiMT M'Cl'sriX. i-AR l'Abbé Jlles Martin "M
[imirlanl, iir laissait pas dr la hnichi'r ip. '\~\. " C"est ainsi (pu' la vt -
l'ité est iiiiii'i' à l'àinr.
Faut-il conclure, cduuui' M. l'alihé Martin, ijue. d'après saint Auj^us-
lin. l'intelligence liumaine saisit nalurellenient l)ieu lui-même quanii
elle pense l'intelligible, l'absolu, cr ipii ne piMil pas ne pas être, ce
([ui ne varie pas'? << Par elle-même, dit M. Martin, la doclriiie de l'in-
néité, telle que saint Augustin l'enseigne, oblige à croire que nos pi'i-
ceplions purement intellectuelles, si multiples (pi'elles nous ajiparais-
senl, se ramènent pourtant à une seule perception, on, en d autres
larmes, manifestent en l)ien des manières notre perception primitive
très confuse de l'absolu ou île Dieu. Et, en effet, selon saint Augustin,
l'intelligenci' perçoit toujours Dieu : mais Dieu n'est pas un intelligi-
ble multiple : d'où il suit que l'intelligence humaine, lorsqu'elle a con-
science de penser plusieurs inli'lligililes, jjercoit réellement, sous di-
verses déterniiaations, cet intelligible unique en soi. La conséquence
est cerlaiue : mais saint Augustin ne l'a jamais formulée dans les
termes qu'on vient de lire. 11 a fait autre chose ; et. on peut dire, il a
mieux fait : il a vu directement et il a enseigné directement l'unité
fondamentale de toute notre connaissance spéculative (pi>. (Ifl. 7(1 . •
Cette réih'xion. que fait M. Martin, sur l'absence, dans saint Augustin,
de la formule qui exprimerai! clairement que notre intelligence perçoit
réellement l'intelligible unique en soi, lors même quelle a conscience
de penser plusieurs intelligibles, aurait pu le mettre sur la voie dune
autre interprétation de l'innéité augustinienne. Malgré l'insislance
de saint Augustin à affirmer qu'en pensant l'immuable, l'esprit de
l'homme pense Dieu même : " Qiium igilur intelligit aliquid quod
semper cndfin modo sese hahel, ipsum iDi'um) sine duhio inlelUrjil »
p. 1(H_). note . on pourrait entendre cette formule en ce sens qiu', de
la notion naturelle des vérités immuables, nécessaires, absolues.
nous nous élevons à la notion d'un sujet absolu, nécessaire, immua-
ble, et à la certitude de l'existence d'un tel sujet, que tous appellent
Dieu. Assurément, nous ne pouvons pas avoir notion des immuables
vérités, sans que l'être nécessaire imprime en nous quelque ressem-
blance de lui-même, sans que, ])ar conséquent, nous soyons en quel-
(jue manière unis à lui. De là. ])eut-étre. cette affirmation énergique
de saint Augustin: ■• llro jinirtum cxl (pmd iulcUirjil lliinn. Iiilelligll
(lud-m ralionnlis aninui iJeiiiii. .\fnn inU'/liijit rjuod sftnpt'r ejusmodi l'st
ip. lui, note). " Mais nous pouvons être unis à Dieu sans le voir, et,
à plus forte raison, sans le couqirrudre : nous pouvons avoir en nous
naturellement quelque lumière intellectuelle, par une sorte de reflet
de la lumière éternelle (jui est Dieu même, sans saisir Dieu directe-
"oO .1. GAUn.VIR
ment, sans avoii- 1 iiihiitiiui de son existence. Mais.dapi'ès M. Martin.
" saint .\ugustin a toujours onseiji;né qui' l'àine perçoit Dieu dii-ecte-
nient, mais confusément, qu'elle le perçoit |)ar l'activité intellectuelle,
et (]u'elle le perçoit encore par le sentiment ilu beau et du bien ; il de-
vait donc, toutes les fois ((uil traitait de l'intellection et du sentiment,
traiter parla même de notre rapport avec Dieu, et nous montrer Dieu
connue l'aljsolue réalité, unii[ue objet de notre intelleclion comme
telle, ei de notre sentiment connue tel (pp. 107. 108) ■>. Dans cette
intei-prétatiou, la preuve de l'existence de Dieu est fort simple: elle
n'est qu'une e\|ilicalion de l'intuition première de l'entendement
humain. ■■ Saint Aufcusiin pose comme un fait primitif noire con-
naissance lie rimmuable ; et Ci' n'est ni l'expérience du monde exté-
rieur, ni rinlnitiiin d;^ con.science qui «lévoile à l'àme l'immuable :
au contraire, tout eu elle-même et autour d'elle subit le chanf^e-
mi'ut : ainsi. Cduqirendre l'immuable ne peut pas être pour l'àme
.inlrt^ cliiise (pie comprendre Dieu. SainI Augustin, danscelte preuve
de l'existence de Dieu, se contente donc de montrer ipie l'intelligence
peri-iiil d'aliiird Dieu. ])kis confusément, sous la notimi de simple
iniMiuaiili'. et (|nell(' voit ensuite comment la notion d'iiinuiiable est
identique avec la iioliou de Dieu. (Ir, si l'àme agit de la sorte, c'est
ipie, primitivement, elle conqjrcnd Dieu. — j.a preuve de saint An-
selme n'a pas nu autre simis : mais l'ile n'est pasaussi bien t'ormuli'c;
et. de ]ilus. elle ne su|q)o>e pas. comme ilans saint .\ugustin, une
étude aiqirol'ondie des coud il ions selon lesquelles existe et se iléveloppe
noire ciuinaissance intellectuelle. Tnul. pour saint Augustin, se ra-
mène àce point fondamental : l'intelligence liumainea primitivement
nue connaissance de Dieu, totale et très confuse ipp. 100, 101 ...
roui amour du bien et du binilieur et tout sentiment du beau sont
aussi pour l'àme une occasion de se voir en rapport avec Dieu
p. lOG-. •
S'il est vrai que saint .\ugustin enseigne que naturellement notre
intelligence voit Dieu même, en pensant les vérités nécessaires, nous
estimons que cette doctrine est illusoire: mais,s"il voulait simplement
dire ((ue la connaissance de l'immuable abstrait le conduit, par un
raisonnement plus ou moins rapide, plus ou moins aperçu, à la con-
viction qu'il existe une intelligence supérieure, éternelle, de laquelle
notre intelligence boi'née dérive, une Vérité substantielle, source de
toutes les vérités, un Être premier qui se pense lui-même en pensant
le nècessa'ire et donne à toute pensée quelque notion de l'immuable,
nous pourrions souscrire à celte application du juincipe de raison
sullisaute, à cette ascension logique de notre esprit à [lartirde l'intel-
S.l/.VÏ" M (,l STI\. i'.\R l'Aiu;;'; ,Ille? Martin '.VA
liijihlc alislrail jiiS([irà la sulislaiii-,' sn|)i-rini'. on riiilcllii;ilili_' alistilii
est ideiitiinii'à lintellit;viii" ali-^nlui'. O.' ursl (|ii'rii cr sens que lious
(loniifrioiis ihiU'l' adliésioii à la déinonslralinn i|iic M. Martin résiinn'
ainsi : " Sainl Ansinstin observe d'almi-d (|uc l'iniii' liuinaine, toule
clianii-i'anlc i[u'elle puisse être, a rintellectioM d' l'iuiniualde: il
ajonle ipi'il existe donc an-dessns de notre àuie une loi alisrdui' qui
se iiouuue la vi'rit(''. Dès lo:-s, n'en doutons [dus. cette essence iuuuua-
ble, sn|)t'rieiu-e à l'àme raisonnable, c'est Dieu [ip. 101, 10-2 . .. Tou-
jruirs dans le ni 'une sens nous accepterions cette parole d" l'éneliui ipu'
M. Martin elle a\issi : " Où est cette raisim parlail;' cpii est si ju-ès de
moi et si dill'éreute de moi?... Uii est-elle celte raison suprême?
\>st-elle pas le Dieu que je clierclie p. 10:2i? » Bossnet décrit avec
i)péeisi<ui, ilans la Coiinaisirnifi' il<^ llkn ri r/e sdi-iiii'iiv. le procédé par
lequel notre raison se démontre lexistr-nce d'une Raison divine, qui
est Dieu même, en partant de la connaissance des vérités éternelles :
.. Il faul nécessairement, dit-il, que la vérité soit quelque ]iai-l très
parfaiteuient entendue, et Itunume en est à lui-même une preuvi'
indubitable. Car. soit qu'il se cmisidère lui-même, ou qu'il étende sa
vin^ sur tous les êtres qui l'environnent, il voit tout soumis à des lois
c^-rtair.es et aux rèj^les immuables de la vérité. Il voit ipiil entend
ces lois, du moins en partie, lui (pii n'a lait ni lui-uu''m!', ni aucune
antre partie de l'univers pour petite qu'elle soit : el il voit bien (pu'
rien n'aurait éli'' lait, si ces lois n'étaient ailleurs parl'aitement enten-
dues: et il voit qu il tant reconnaître une sagesse éternelle, on tonte
loi, tout ordre, toute proportion ait sa raison primitive. Car il est
absurde qu'il y ait tant de suite dans les vérités, tant de proportion
dans les choses, tant d'écomuuie dans leur assendïlage, c'est-à-dire
dans le monde: et ([ue celte suite, cette proportion, cette économie
ne soit nulle part bien eidendue : et l'homme, qin n'a rien fait, la
connaissant véritablement quiiic[ue mm pas ideiueuieul, doit Ju.ni'r
qu'il y a (|ueli(n'un qui la coiuiait dans sa perlection, et que ce sera
celui-là même qui aura tout l'ait 1'. » Voilà bien nu raisonnement qui
démontre que Dieu doit exister: et cela est tout dillérent d'une vision
directe de Dieu : nous Vdytuis des vérités immuables, et, comme nous
les voyons imparfaitement et que nous voyons aussi <pi'elles nonsilo-
minenl et ipie nous n'en sonmn'spasle sujet premier, nousconcbunis
«prelles ddivent être vues par (pudque être premier qui les possède eu
soi, qui ne fait qu'un avec elles. Mais, envoyant les vérités absolues.
n(uis ne percevons pas par cela même l'absolu existant en soi : nous
;1 De la Connaissance de Dieu el de soi-même, lY, v.
7o2 J. GAHDAIR
SdiiuiK's loiil iralidnl ihuis l'onlrc absirait f\ iiléal, cl, pour alliriiUT
<jiie l'absolu existe, il nous faut raisoiinri', nous servir de (juelijui' prin-
cipe rationnel comme d'un intermédiaire, et, en appliquant ce [irin-
cipe à la réalité de notre pensée et à la réalité de l'ordre des choses,
en conclure l'existence d'une pensée souveraine et élernelie, i[ui
entend la vérité primitivement et qui est en soi la véi'ité absoliu'.
Ce raisonnement, tous les hommes ne le fontpas : lo\is ne s'élèvent
pas, par ce moyen, à la connaissance de l'existence de Dieu : il en
est ((ui restent à l'idée abstraite de l'absolu, pour qui Dieu n'est.
comme disait Ernest Renan, (jue la critrfiorii' dr l'idral. Aussi ne sau-
rions-nous donner notre assentiuieul à celle arf^umentation que
M. Mar'tiu attribue à saint Auf^nstiu. <' Voici, dit-il ip. 104, la preuve
qu'il ch'veloppe : Nous possédons la connaissance iu\ incible de notre
existence et de notre pensée; nous constatons que noire pens(''e spé-
<-ulative a )iour objet l'aljsolu : donc, nous c()nq)renons (|ue l'abscdu
rxiste, et nous ue ])ouvcuis ]ias ni' |ias c()nq)reuili-e qui! existe : mais
l'absolu, c'est Dieu iui-uièine: donc, nous comprenons (]iu' Dieu
existe: et si, actuelhunent, nous le comprenons, c'est que notre inti'l-
lii;i'Ui'e avant loujoui'S couruséineut pensé Dieu, elle arrive enlin à
«pielipu' conscience de sa juMisée. ■> Cet argument a le même délaul
(|ue celui de saint Anselme : il Cfuifond l'abstrait avec le concret,
l'idi'al avec le réel. I/IiIi'm' de ral)solu n'est pas plus identique à la
preuve de rexistence de l'.Vbsolu eu soi. (]ue l'idée de l'èli'e le plus
Lçrand que l'on puisse concevoir n'est identique à la preuve de l'exis-
teiH-e d'un Être parfait. Saint Thonuis sur ce point a dil le mol déli-
nitil' : <■ Supposé même que tout homme entende que le nom de Dieu
sif^nitie ce (|ui est tel que l'on ue peut rien penser de plus grand, Il
ne s'ensuit point cependant que tout homme entende (jue ce que
signilie ce nom est réellement dans la nature, mais seulement que
cela est connu |i,ir l'intelligence. Kt Ton ne pourrait en arguer que
cela est réellement, que s'il était accordé <ju'il est dans la réalité
<[uelque être tel que l'on ne peut en penser de plus grand; ce qui
n'est pas accordé par ceux qui disent que Dieu n'est pas (1). »
De même, si l'on peut dire, en un sens, que notre inclination iuiK'e
vers le bonheur parfait est un amour naturel de Dieu, l'Être par-
l'I) IJato etiam quod quilibet inteltig.al lioc nomine Deus significari hoc quod
•dicitur, scilicet illud quo niagis cogitaii non potest. non tamen propter hoc
s<!quitur quod intelligat id quod significatur per nomen, esse in rerum natura,
sed in apprehensioneintellectus tantuni. Nec potest argui quod sit in re, nisidare-
tur quod sit in re aliquid quo niajus cogitari non potest; quod non est datum
a ponontibus Ueuui non esse [Sum. llteoL, 1, q. n, a. l, ad 2).
.S.47iVr AUGUSTIN, par l'Abbk Jules Martin 753
l'iiil t'i) soi, Imis lie rynlendeiil |ias jiiiisi ; l)t'aucoii|) n'y vniciU i|ii'uiii',
tmclaiicc vers une perfection piirenienl idéale (pic eliacim clierclii' à
réaliser à sa manière. Que Ion nous permette de citer, ici encore,
saint Tliomas : .. Connaître, en quelque notion générale et sous quel-
que Corme confuse, que Dieu est, nous est naturel en ce sens que Dieu
est la béatitude de l'homme : l'homme, en eftel, naturellement désire
la béatitude; et ce qui est naturellement désiré par l'homme est na-
turellement connu par lui. Mais cela n'est pas connaître simplement
qu(^ Dieu est; de même que connaître que quelqu'un vient n'est pas
connaître Pierre, bien que ce soit Pierre qui vienne : beaucoup, en
cil'et, estiment que le bien parfait de l'homme, ipii esl la béatitude,
ce sont les ricties.ses : d'autres, les voluptés : d'autres encore, quel-
que autre bien (1). »
Nous sommes beaucoup plus à l'aise pour louer l'i^xactitude et la
beauté des formules par lesquelles saint Augustin exprime la nature de
Dieu, et l'heureux choix, ainsi que l'heureuse traduction, que M. Mar-
tin fait decesexpressions. En voici quelques-unes, à titre d'exemples:
" De Dieu, je dirai simjdemeni : il est l'être même. — En Dieu il n'y
a que ceci : il est; il n'y a pas en lui // a éld ou il srm ; car ce qui a
été n'est plus, et ce qui sera ne sera pas encore ; mais tout ce qui est
en Dieu, c'est simplement : il est. — N'attribuons pas un uiode à
Dieu, car il semblerait que nous lui attribuions une limite. Cepen-
dant, il n'est pas indéterminé, lui qui donne à toutes choses leur
mode propre, afin que chacune d'elles ait un certain être. Ne disons
pas non plus qu'il a son mode particulier, comme s'il avait eu à le re-
cevoir de quelqu'un. Mais, si nous disons qu'il est le mode absolu,
summum modum, peut-être dirons-nous quelque chose. — La seule
substance ou essence immuable, c'est Dieu ; car c'est à lui que con-
vient principalement et en absolue vérité l'être même, d'où l'essence
a pris son nom. Et, en effet, ce qui change ne conserve pas > l'être
même; et ce qui peut changer, supposé même qu'il ne change pas,
peut n'être plus ce qu'il avait été. — Vous êtes totalement, et vous seul
vous connaissez votre être, ô vous qui êtes immuablement, et qui
savez immuablement, et qui voulez immuablement. — A l'égard de
,1) Cognosccrc Deuiii esse in aliquo coiiiinuni sub quadam cunfusione, est nobis
nuturaliter insertum, in quantum scilicet Ueus est honiinis beatitudu ; horao enim
naturaliter desiderat beatitudinem : et quod naturaliter desideratur nb homine,
naturallter cognoscitur ab eodem. Sed hoc non est simpliciter cognoscere Deum
esse, sicut cognoscere venientem non est cognoscere Petrum, quamvis sit Petrus
veniens ; muiti enim perfectuiu hominis bonum, quod est béatitude, existimant
divitias; quidam vero voluptates, quidam autem aliquid aliud il, q. n, a. 1, ad 1).
47
734 J. GARDAIll
Dieu, ètreeslla inèiiit' cliDSf ijiii' trélrc l'orl, on d'iMri' jiistf . (m d'èln-
sage, ou d'être toute autre eliose qui, étaut dite de cette multiplicité
simple ou de cet e sim])licité multiple, prétend en exprimei- la sub-
stance (pp. 110, 111. u;}, ii:i . ..
Couibien de l'ortt's paroles ne [lourrions-nous pas reproduire, au.ssi,
au sujet de la création 1 Contentons-nous de noter que saint Augus-
tin a très profondément saisi la difficulté du problème et s'est appli-
qué à la résoudre avec autant de sagesse que de modestie. M. Martin
résume ainsi sa pensée à cet égard ; '» Saint Augustin iiienlionne,
d'abord, la tentative des philosophes (jui, pour sauvegarder l'inuMula-
bilité de Dieu, refusent d'admettre la création ilans le tem])S : le monde
aurait ainsi " un commeuceuienl cinix/il d'existence » ; il dépendrait
d'une cause, mais sa durée n'aurait pas de commencement. Or, cette
explication ne lève pas la difliculle... Les philosophes ne voient pas
assez tpie la difliculté nous dT'passe ; et qu'en l'ait elle réside tout en-
tière à concilier le successif de l'univers avec l'immuable de Dieu. Kl
peu imp(U-le l'iiilinie dtu-ée de l'univers; peu importe la théorie des
calaclysmes et des recommencements; nous restons toujours sans
réponse à cette question : Couuu"nl l'action diviin' immuable pro-
duit-elle notre univers multiple et successif? Qui pniu'rait examiner
(■elle prol'iuideui- : •• hieu créant dans le temps, par une volonté im-
muable, l'homme temporel avant lequel aucun homme n'avait encore
existé (pj). [ii, li.'ij? ■> Saint Augustin conclut que Dieu, par une vo-
lonté unique, identicjue, éternelle et immuable, a fait que, d'abord, les
choses créées de lui n'existassent pas, et qu'au moment où elles ont
commencé d'être, elles existassent. <■ C'est ainsi, ajoute-t-il, que, peut-
élre. aux honnnes capables de voir, il montre merveilleusement
çoudiien il n'avait aucun besoin de toutes ces choses, mais combien
jdutôt il les il faites par bonté gratuite i^p. IMi. «
Il y aurait encore beaucoup à citer sur l'omniprésence de Dieu, la
Providence, la création continuée, les rapports de Dieu et de l'homme.
Faisons remarquer particulièrement le résumé que donne M. Martin
de la conciliation entre la liberté humaine et la prescience de Dieu.
.< Leibniz, confondant la liberté avec la volition, ne se préoccupe pas
de concilier notre libre arbitre avec la prescience divine: car notre
volition, pour avoirété prévue, n'en est que mieux notre volition... »
Saint .\ugustin ne procède pas avec tant de confiance ; c'est que, pour
lui, il s'agit de concilier la liberté réelle de la créature avec la pre-
science de Dieu. Il essaie deux fois cette conciliation : dans le traite
du Libre Arbitre et dans la C/'/c de Dieu... On voit, au traité du Libre
.^rbilre, que le secret de la conciliation consiste à ne i)as confondre
SXIST AIGCSTIX. par l'Abbé Jlles Martin- 7:;!j
la prescience avec la causalité : u Vt)tre méiiinii'e, dit saint Augustin
h Évodius, n'impose aucune nécessité aux clioses passées ; la pre-
science de Dieu n'impose non plus aucune nécessité aux choses
futures. ■> Mais plutôt, " il y aura volonté parce qu'elle est prévue de
Dieu. Kt il n'y a pas volonté, si la volonté ne s'appartient pas.
Donc, Dieu prévoit aussi le pouvoir de la volonté. Donc, par la pre-
science de Dieu, ce pouvoir ne m'est pas enlevé: et, au contraire, il
m'appartient d'autant ]ilus sûrement. » La Cifr di' Dien n'ajiuite rien
à cela ,pp. 18(i, 187).
M. Martin met en parallèle saint Augustin et Leibniz sur un autre
prohlème, celui du mal. et montre cpie la solution de saint Augustin
est préférable à l'optimisme absolu de Leibniz : « Dieu ne peut pro-
duire rien de mauvais: dès lors, l'univers, quel qu'ilsoit, et quelques
misères ou quelques désordres qui s'y mêlent, est non pas absolu-
ment le meilleur, mais il est bon et digne de Dieu. Et, puisqu'il y a
<livers degrés de perfection, il n'est pas juste de ne vouloir admettre
que le plus élevé i p. 2.")t>;. » Au sujet du mal moral, saint Augustin
met eu relief la supériorité d'une volonté libre, même capable dr
mal faire, en comparaison avec une activité qui ferait le bien sans
aucune liberté : « Un cheval, même lorsqu'il bronche, dit-il avec
finesse, vaut mieux qu'une pierre qui ne bronche pas; car la pierre
n'a ni mouvement, ni sensation. De même, la créature qui pèche par
libre volonté est plus excellente qu'une autre dont riinpeceabilili'
provient du défaut de volonté liljre p. -i.'i.');. »
La dernière partie, qui, sous le titre général, La Nature, traite ilr
noire connaissance du monde extérieur, de l'origine et de la nature
de ce monde extérieur, des faits surnaturels, des êtres vivants, de la
société, contient beaucoup d'idées d'un grand intérêt. Ce que saint
Augustin dit, par exemple, sur l'espace et le temps est digne d'être
lu avec une particulière attention. Mais peut-être M. Martin force-t-il
un peu le sens de l'enseignement de saint Augustin, quand il y si-
gnale une séparation radicale entre la physique et la métaphysique,
comme dans cette conclusion : u Saint Augustin avait vu que nous
avons au moins deux modes de connaissance : la connaissance intel-
lectuelle ou spéculative ou métaphysique, et la connaissance des
choses extérieures; il avait averti que la connaissance des choses ex-
térieures, la physique ou la science, n'a aucun rapport avec la con-
naissance intellectuelle. C'était là une constatation de très grande
importance, que la postérité a méconnue. Ni le xiii* siècle, ni même
le xvii" ne se rendent bien compte que rien dans l'univers extérieur
ne nous est intelligible. On pourrait, aujourd'hui encore, se mettre
•756 B. DE CARHOY
jï l'école de saint Augustin et y apprendre à ne jamais donner aucune
place, dans les questions de pure doctrine, aux hypothèses ni aux dé-
couvertes de la science. Si l'on sait convenablement aujourd'hui qu'il
ne faut opposer aux savants ni des principes abstraits, ni l'autorité
de l'Écriture, on est enfin arrivé, après de longs siècles, là où en était
saint Augustin (pp. 392, 393''. » Quoi qu'il en soit de l'exactitude de
cette interprétation, nous revendiquons pour la métaj)iiysique le droit
de juger, d'après les principes rationnels, les hypothèses plus ou
moins hasardées des sciences physiques, et le droit aussi , j'allais nièmt'
dire le devoir, de tirer parti des constatations scientifiques pour y
appuyer ses propres théories au sujet de la nature des choses. Ce
n'est donc pas le divorce qu'il faut réclamer entre la piiysique et la
métaphysique, entre la science et la philosophie, mais un mariage
raisonnable où l'esprit spéculatif ait l'autorité supérieure, au nom des
principes éternels, et où la puissance d'observation et d'induction
scientitique conserve son rôle naturel de suggestive information et
de préparation des données positives dont le métaphysicien doit tenir
compte dans rélal)oration de son système et de sa doctrine.
.1. GARDAIR.
LA CRISE DE LA FOI, ses causes et ses remèdes, par l'abbé Gavraud,
député du Finistère. Paris, Blocd, 1001.
Ce livre estonivrede théologien, de philosophe et d'homme politique.
On sait comment l'abbé Gayraud est prêt pour cette triple enquête.
Le théologien rappelle les enseignements de l'Église sur divers
points qui intéressent les croyances privées et les croyances sociales
- — et qui .sont à l'heure présente plus passionnément mis en cause :
caractère inspiré des livres saints — usage de la raison pourla justi-
lication rationnelle de l'adhésion croyante — conception sociale de
la démocratie moderne.
Sur les deux premiers points, M. l'abbé Gayraud rappelle les prin-
cipaux résultats, qui paraissent acquis à l'exégèse et à la science
moderne. Il cherche en même temps à préciser l'attitude nouvelle des
esprits. Car c'est bien là ce dont il s'agit avant tout. Les prot/rès de
la science — dans des directions vraiment gênantes pour l'apologiste
chrétien — sont infiniment moins évidents que l'état d'esprit déve-
loppé chez nos contemporains.
Comment les efforts de rapologétiijue sont tenus en échec par cet
LA CRISE DE L.\ FOI, par lAbbk (Iayraud 757
agnosticisme déliant pour toute métaphysique (imlm d'ailleurs du ne
métaphysique naturaliste : l'abbé de Broglie Tavait bien montré il
y a dix ans : comment les preuves d'ordre moral, recevables seule-
ment pour une élite (on pourrait préciser laquelle?!, demeurent sans
crédit auprès des multitudes; comment, enfin, les diverses démons-
trations échouent; les unes, parce qu'elles supposent « une culture
préalable qui ne peut être qu'à, l'usage du petit nombre » — les autres,
" parce qu'elles ne sont vraiment efficaces que dans certains états
d'esprit et de cœur, chez les âmes pures, simples, loyales, affamées
de vérité et de justice, ayant besoin de lumière, de force et de con-
solation il " ; voilà ce «pie l'auteur cherche à taire com[irendre, en
psychologue aussi bien qu'en théologien.
D'aucuns le taxeront de pessimisme. Vraisemblablement il a vu
juste en tant qu'il constate une attitude, un état des esprits. Pour ce qui
est des résvdtats sérieusement acquis par la science contemporaine
— du bilan des certitudes scientifiques — d'un opportunisme indul-
gent qui saurait doser les contrepoisons, tantôt pratiquer l'iioméo-
pathie, tantôt l'allopathie — opposer à la critique un robuste esprit
positif, au positivisme matérialiste un sage idéalisme — pour ce
qui est. en somme, des ressources apologétiques encore disponibles,
d'autres sont ])lus optimistes. Nous nous bornons à constater le l'ail
sans discuter le droit : M. Brunetière, par exemple, voit les choses
moins en noir i^et M. Gayraud ne dissimule pas cette divergence de
vues) quand il s'explique sur la faillite de la science — quand il pro-
pose à ses auditeurs de Tours d'utiliser l'agnosticisme lui-même,
contre les orgueilleux excès de la raison — quand à Lille il jette ce
fier défi : « En tant que l'exégèse et la critique ont eu pour objet de
jeter le doute sur les vérités de la religion, elles y ont décidément el
finalement échoué. »
Du reste, M. l'abbé (iayraud ne désespère pas — ■ et les vues qu'il
nous propose pour le relèvement du clergé ne sauraient être trop
attentivement méditées. La plus claire leçon des controverses récentes,
«est qu'il ne faut point ignorer ce dont on parle.
Les mots ressemblent ;'i des vases
Les plus beaux sont les moins remplis.
Il tant (loue étudier, et lauleur ninis donne à ce sujet des conseil*
«xcellenls.
(,1) -Mgr Mic.x'OT, Lettre sur rApotoi/étiijtte contemporaine.
l!;8 G. DE PASCAL
Au ]i(iint tic vue social et politique, le député du Finistère coui-
inenee i)ar montrer (ju' <■ il n'existe aucune cause de contlil milre la
démocratie prise en soi et le ciitholicisuie ». Seulement, en tant, ([ue
la démocratie française se proclame libérale et professe, avec la sou-
veraineté du peuple, la neutralité religieuse de l,État — il y a lieu
de distinguer un double usage de ces principes et de ce prograuuiie.
Considérés comme ircjles pniliqucs de ijoucerncrnent, ils ne sont pas
en opposition avec le christianisme. Mais l'esprit public conçoit et
soutient ses dogmes de 89 comme des n vérilrs thronques ». VA voilà
le conflit d'où naît la crise politique de la foi.
Science théologique et action sociale, tels sont les remèdes préco-
nisés, énergiquemenl réclamés. Que le clergé étudie — que le clergé
agisse. Il le faut pour qu'il dissipe l'impopularité qui lui vient de
causes diverses : défiance excessive de la démocratie, dont on na jias
su comprendre « Vàrne de vérité, de justice; et de fraternité •> ; —
ns.servissement de l'Eglise de France réduite à n'être qu'un cor[is de
fonctionnaires; — maii(|ue de haute culture intellectuelle.
H. iiE CAUUOY.
PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS. — Les vertus naturelles, par
,M. G.4RD\iB, in-1- de 523 pages. I.ethielleux, Paris.
.M. tiardair, le distingué ])rofesseur libre à laSorbonne, bien cunnu
de tous ceux qu'intéresse le mouvement philoso])liique conteuq)oraiu.
après avoir', dans les volumes précédents, étudié sur toutes ses faces
la nature humaine, s'occupe aujourd'hui de la morale.
].,(' volontaire et l'involontaire ; la bonté et la malice des actes soit
intérieurs soit extérieurs et des passions : les dispositions habituelles
auxquelles on donne le nom de vertus : leur nature, leur géuérati(ui,
leur évolution, leurs sujets divers ; leurs proj)riétés, leur classilica-
tion ; autant de questions graves et délicates (|ue l'auteur traite dans
des pages dont nous ne saurions troii recouunander la lecture à ceux
qui désirent avoir une connaissance exacte des principes de la
morale scolastique.
On le sait, M. (iardair s'est donné la mission de vulgariser la phi-
losophie de saint Thomas. C'est à ce point de vue qu'on doit se
placer si l'on veut juger équitablement ces divers traités qui ne sont
que la reproduction du cours libre qu'il a professé pendant cinq ans
;"i la Sorbonne. Il ne faut pas demander à ces ouvrages un commen-
K.l.YT ET KAynSTESyVAR M. Colmon 759
lairc iiroloud eL éU'iuiu de rciisciKiH'uu'nl de saiiil Tliduias, ni des
vues propres et originales. Le hiilde laiileiir, <pi(ii(pie plus modesle,
est de la plus grande ulililé ; e'est de reproduire avee exactitude et
elarté et dans un langage moderne, laeilenienl conipréhensible (lour
tout es])rit cultivé, les doctrines du Prince de TEcole. Il est pernus
de dire que le but a été atteint. Ce résultat l'ail grand honneur à
M. (iardaii- ; il tait honneur à sa patience de travail et à sa puissance
<rassiuiilalion. De nos jours, ipiehpies callidlicpies d'un esiirit Irrs
— je ne voudi-ais pas dire Ini/) — dégagé, regarileul la jibilosophie
de saint Thomas comme une formule d'explication — un peu étroite
— des problèmes philosophiques, appropriée à un certain temps et h
vine certaine mentalité, comme on dit de nos jours. Sans renoncer à
une largeur d'idées très permise et même très désirable, nous
croyons que la grande scolaslique — celle du wW siècle — si elle
h'a pas posé les bornes déliuitives du savoir philosophique, a, du
moins, posé des principes de solution et tracé des cadres que l'on
ne saurait renier et détruire sans grand dommage pour le progrès
régulier et fécond des connaissances humaines. Des livres comme
ceux de M. (îardair sont bien faits pour éclaircir les doutes des uns
et pour conlirmer h>s convictions des antres.
Nous attendons Ijientot d\i savant professeui- son traiti'' sur les
Luis, traité qui sera du plus haut intérêt et qui ré|)oudra de la FaiMui
la iilns (qipiirtune aux conditions et, à l'étal de la société modei-ne.
ti. DE PASCAL.
KANT ET KANTISTES. — Jî(»rfe critique setonlesprinr.ipc^dc la mctaphij-
siijuc thomiste, par .M. Goujon, xxni-331 pages, iu-8", Lille. Henri Morel.
Tandis (pie le criticisme allemand menace d'envahir la pensée
contemporaine, M. tioujon s'ellbrcc de faire C(mnailre les solutions
de la philosophie thomiste. On lira avec intérêt et profit le travail
consciencieux jinblié d'abord dans la lirvuc des Srioires ccclésiasli-
ijups. Le sujet est traité en six chapitres.
Le cluipitre premier est consacré aux jugements s\ ulhi'liijues «
jji-iori et aux intuitions pures de l'Espace et du Temps. L'exannni du
subjectivisme kantien et de la Critique de la raison jjure se continue
dans le chapitre deuxième.
L'auteur rapjielle la théorie thomiste relative à la connaissance
intellectuelle. Il montre le rôle de l'objet connu par rapport au sujet
760 F. A.
connaissant. " Lintelligence forme ses idées, non pas en les tirant
(lu fond de nous-mêmes, mais en s'unissant avec la représentation
sensible dont elle extrait la représentation intelligible correspon-
dante (Ij. »
Les catégories de Kant ne doivent pas être confondues avec celles
d'Aristote. Les premières sont subjectives, tandis que les secondes
sont objectives. « Les catégories de Kant ont pour but de lier entre
elles les représeuUitions. Elles sont aprioriques. n'ont aucun rap-
port avec la réalité, ne nous apprennent rien. •• — An contraire,
cliez .\rislote, « les catégories désignent les notions suprêmes aux-
(|uelles se rapportent les autres notions... Elles sont subjectives en
tant qu'elles existent dans l'esprit ; ce qui ne les empêche [las
d'être éminemment objectives, parce que l'esprit les acquiert en
considérant avec attention les objets réels ci . »
M. (joujon saltaclie ensuite à faire re.'^sortir la conc-ciition qui»
Kant s'est forgée du noumène. La Dialectiqw transcendantalfi ne
nous livre que des concepts transcendanlaux, le moi. le inonde el
Dieu dont la réalité échappe à notre raison.
Pour le kaiiliste fidèle aux |iriiii-ipes du Maitre. tout, à re\cei)tion
du moi el du moi ])hénoménal, est pure apparence. Le moi nouiaénal,
la liberté uoiiinénale ont-ils une existence réelle ? La /{(lisoii puri>
ne peut, d"a])rès Kant, résoudre cette question.
L'auteur intei'prétani d'une façon absolue, avec une logique rigide,
les principes du |iliilosoplie de Kônigsberg, montre, non sans
iiHuuiur. coHimenl un kantiste devrait apprécier les événements les
l)lus simples ; il n'aurait pas li; droit, i)ar exemple, d'affirmer la
réalité objective de la gni'rre du TransvaaI. N'y a-t-il pas là une
exagération ? La vraie doctrine du philosophe allemand est ainsi
interprétée par M. Ruyssen : >■ Kant proclame, en 1781 comme en
1787, la réalilé l'inpirique de toute perception extérieure conforiu
aux lois de l'expérience i^OiO, Barni, II, -io-ji et l'idéalité de l'objet
transcendantal. au point de vue de la connaissance empirique. Mais il
n'admet pas moins que l'objet transcendanlîil, inconnu en lui-même,
i< sert de fondement aux phénomènes extérieurs (i) ». (Page (182,
Barni, II. 4.")7.
M. Goujon n'ignore pas certaines aflirmalioiis réalistes de Kant :
I' Ku maints endroits de la r/'/Z/i/uc l'auteur Kant i déclare (pie la
(1; kant el Kanlisle.s. p. 41.
(2) Page 45.
:! hnnl. par Théodore Rlïssen, note li, p. 3G8.
KANT ET KANTISTES, par M. (Jou.ion Tfil
liiatièri' de l'iiitiiiliun si'iisililr viciil du dclmi's, on [ilidol, que les
objets, les choses en soi foiirnissenl à l'iidiiiliou sa matière. »
Mal};ré ces déciaralions nous pensons ([ne M. (ionjon a raison de
croire que la tendance sulijecliviste se dégage naturellement de la.
Critique du la liaison pure : " Malgré certaines velléités réalistes, le
système de Kant, dans son ensemble et ses lignes pi-incipales, est
essenliellemeni sid)Jecliviste (!'). »
A propos de la réalilé de l'exislenre de Dieu, Kant professe une
doctrine tro|i répaiulue de nos jours. Il prétend (|ue ni Ja métaphy-
sique ni la science ne peuvent prouver l'existence de Dieu. Dans sou
système, Dieu est aftirmé, au nom de la croyance, comme postulat
de la raison pure. Dieu esl objet de foi. '> Or, toute foi est une aflii--
ination sidijectivement suffisante, mais accompagnée de la con-
science de son insuflisancc olijeclive; elle est diiuc i)pii(i,s(''e au
savoir i:2l. »
Combien cette doctrine est iulV'rieure à la doctrine catholique sur
l'accord de la raison et de la foi ? La raison et la foi se prêtent mutuel
appui. Crede m intelligas, inlelUge ut credas. Cette formule est
l'expression abrégée de l'enseignement traditionnel. Écoutons saint
Augustin et saint Thomas : " Alisil ut idro rredamus, ne rationemacci-
piamus sire quxramus ' nuii ctiam credere non pussemus, nisi raiionalex
animas hdheremus (3). » — u Non crederet, nisi videret ea esse credenda
vel propter evidenliam siijnnrum. vel proplcr aliqnid hujusmodi [i). »
Kant a grand tort d'établir le divorce entre la science et la croyance,
entre la raison et la foi : mais notre auteur se donne tort à lui-même
en prétendant, comme il le fait en plusieurs passages, que le philo-
so])lie allemand a pour but de faii-e la théorie de l'athéisme. .\ous ne
pou von s (Il net li-e de noter l'exagérai ion de (juelques termes, lorscpi'il dit
par exemple : « Voulant nier Dieu, Kant et ses disciples sont obligés
de nier le moi ; ces grands savants proclament, avec enthousiasme,
l'ignorance absolue de l'homme » (3). M. Alfred Weber, si instruit de la
philoso[)liie de Kant, n'est pas de l'avis de M. Goujon. « Il est vrai,
dit M. Weber, ((lie la théologie de Kant, simph; .ippendice de sa
morale, n'a pas l'air l)ien sérieuse. Ce n'est plus, comme au moyen
âge, la reine des sciences, c'est l'humble servante de la morale indé-
(I) Pages S4 et .'m.
i2) Kant. par M. ThéO(tore Rcysse.n, p. 'M->.
(S) Epistola CXX, Consentie n" 3. Palrotof/ia laliiia. Micm;, timius XXXtIl,
col. 453.
|4)I-1I, qiiesl. I, art. IV, ad. i
(5) Cf. p. \.\ii, puis p. 79, n" 1:;, et p. lilO.
702 F. A.
Ijcndanle. Ce Dieu personnel ijoslulé après coup par la ('rilli/uf dr la
Raison pratique, ne rappelle que trop ce vers célèbre d'un (•()iili'uii)0-
rain du pliilosoplie :
Si Dieu n'existait pas il faudrait rinventer. (I)
Sans dmilc, la iiié"tapli\ sicpie kanlicune aboulil logi(jueincnl à
Vathéisme ; mais, loin de vouloir nier Dieu, Kant laffirnieau nom de
la croyance.
Les quelqiu^s réflexions que nous avons du l'aire à l'occasion de
cet examen de la doctrine de Kant montrent l'intérêt que nous avons
trouvé dans le livre de M. Goujon. Mais il faut éviter l'exagération,
qui all'aiblit plutôt (pi'elle ne fortitie la crilit^ue d'un système.
Les chapitres troisième et quatrième méritent une attention spéciale.
L'auteur se plaît à nous présenter deux pliilosoplies français, che/,
(pii il trouve quehfue parenté avec la piiilosophie allemande.
.1/. /{fifiirr fit la l'sijchologie, tel est le titre de l'un de ces chapitres ;
M. Liiird cl la Mi'taphijsiquc, tel est le titre de l'autre.
Ce n'est pas sans une certaine surprise que nous avons vu M. Rahier
accusé de kantisme. Il est vrai (|U(» M. Goujon a pris soin lui-nièmc
d'atténuer l'accusation.
<< Malgré une certaine indé|pi>nilaine, dit-il, M. Rabier est disciple
de Kant. > Oui, malgré une certaine indépendance, car, parmi les
ancêtres île ce philosophe, on ne trouverait pas en ligne directe le
|»liilosophe de Kônigsberg. Le philosophe français répudie, en géné-
ra], les doctrines métaphysiques du philosophe allemand ; et M. Gou-
jon sait le noter. Les hésitations de M. llabier, relativement à
l'innéisme des concepts d'espace |et de temps, .sont indiquées avec
raison. Mais c'est surtout dans la théorie de principe de causalité,
dont on peut, d'après lui, douter absolument parlant, quoiijue le doute
soit pratiquement négligeable, qu'il accuse des tendances kantiennes,
ou plutôt criticistes. — La théorie de la conception du monde extérieur
par » hallucination vraie », professée par M. Rabier, remonte moins
.'i Kant qu'à Taine.
Quant à la critique du perceptionnisme scolastique, faite par
M. Rabier, on voit facilement à la suite de M. Goujon, surtout dans
les pages IIJ.'J et lut, que cette critique est sans valeur pour (jui con-
naît la théorie scolastique. En efTet. M. Ridjier dénature la pensée de
(1) Histoire de lu philosojtliie européenne, pir .VIfred Wkbeji, cinquir'me édition,
1892. p. -iW.
('
K.l.vr ET K.\yTl!>TE!<. par M. (ior.io.N TGÏ
sailli ïlioiuas eu lui l'aisaul dire ipic riuKijic <!(■ i'nliji'l l'St (X' ([ui est
coniui dans la perception sensihlr.
Tout scdlastique sait que l'iiua^i' n'est pas lObjel. mais est le moyen,
l'intermédiaire de la connaissance sensilile. Suivant l'expression
classique : l'image n'est pas C(> (jui est pen-u. mais elle est le trail
d'union, la route, le moyen qui nous conduit à la connaissance di'
rol)jet : ■■ Sjifcifs non e.sl id iptod prrcipiliir. srd est id 'iiio percipilur
idijl'ClUlll. "
Le chapitre iiuatrième est un traité de miMaphysiiiue où l'auteur
met en eomparaison avec les théories scolaslicpies les idées subjec-
tivistes et kantiennes développées par M. LianI dans son livre : /."
Scieiice pwsilire et la Métaphysii/iK'.
M. Liard se préoccupe.de combattre la métaidiysique positiviste
et associationiste : à certains endroits, surtout dans les onze premier;
chapitres, il semble se rapprocher de la métaphysique expérimental!
et rationnelle d'Aristote. Combattant les associationistes, ce philo-
sophe explique de telle façon la nécessité d'un lien permanent, d'une
possibilité permanente de sensations qu'on le croirait arrivé à conce-
voir la substance comme la conçoivent les scolastiques il). Mais ce
n'est qu'une illusion, car M. biard récuse la valeur scientifique de la
métaphysique.
Il est regrettable que ce! auteur confonde la métaphysiciue à la t'ois
rationnelle et expérimentale de l'École avec le vain formalisme des
Uoscelin, Uckam et Raymond Lulle. Cette confusion est soigneusement
relevée par M. Goujon (pp. lli.j, 13(ii.
Il y a de judicieuses remarques dans le traité de M. Liard sur La.
Srii'itci' posilivr l'I In Mi'lapliijsiiiiii' 2 . On lit avec profit les chapitres
sur la Liberté, le Bien, les systèmes de métaphysique et la valeur
des métaiihysi(pu>s. Mais en toutes ces questions dominent les idées
agnostiijues de la philosophie kantienne.
Le chapitre cinquième du livre de M. Goujon a pour but de défen-
dre la métaphysique chrétienne contre les attaques du criticisme.
C'est une défense sereine, solide, faite surtout dune exposition pré-
<-i.se de la philosophie thomiste relativement à la genèse des notions
d'espace et de temps, de lieu, d'instant, de nombre.
Le chapitre sixième : « les grandes contradictions du criticisme ■>
est le complément du elKipilre précédent.
1) La Science positive et la Melaphi/siqiie, par Louis Liard, cliez Germain Ham.-
LiÈBE, Paris, ISia, Cf. pp. .3'4,375.
,2) Ihiil., \. 111, ch. VI, p, 449-n:!. Valeur des métaphysiques.
764 G. DE PASCAL
On V expose le caraclère analytique et synthétique de la méthode
usitée chez les scolasliques. Le réalisme mitigé de la philosophie tho-
miste y est montré comme la doctrine métaphysique la plus complète.
On rencontre dans ce chapitre quelques longueurs.
Le but de M. Goujon est de signaler les écueils de la philosophie
subjectiviste et kantienne, où sont venus quelquefois se heurter
même des penseurs catholiques. Il semble bien que cette philosophie
ait fait son temps, et nous faisons nôtre le jugement porté contre elle
par M. Fonsegrive :
« Le Kantisme est désormais, lui aussi, entré dans le vaste conser-
vatoire historique des ])hilosophies " périmées». Il doit être dépassé;
ridée, un moment, avait caclié le réel, on est maintenant disposé à
le retrouver. En Allemagne, en France, on voit déjà se dessiner les
grandes lignes (Tune nouvelle métaphysique dont les affirmations
suprêmes rappelleront de très près celles de lancienne il'. "
l/étude que M. l'abbé Goujon vient de livrer au publie |iliilitsoplii-
t[ue aura son couqdément dans le ti-avail qu il anniuuc en son der-
nier chapitre et auipiel il donnera pour titre : /.'■ /tfdiisiiir df In phi-
losophie chrétieunc.
Dans celle (euvre nouvelle, Tauleur montrera qu'il n'> a aucune
contradiclidii entre les données certaines des sciences et la philo-
sophie qui s'inspire sagement de la méthode et des principes de la
Scolastique. Puisse-t-il montrer que celle philosophie est postulée
par les sciences elles-mêmes.
V. A.
L'ÉVOLUTIONNISME EN MORALE. — l'Uude sur la Philosophie île
ticrbcri Sjieiicer. pai Jean 11 vllecn, chargé de cours à l'L'uiversité de
Gand. I vol. in- 12, 225 pages, Félix Alcan, Paris.
L'hypothèse de l'évolution n'est pas restée confinée dans le
domaine scientifique. Elle a donné naissance à une conception nou-
"velle de la morale. M. Halleux, déjà avantageusement connu par des
écrits philosophiques de valeur, particulièrement par une Eliidr si-
te Piisitivimni' et In Philosophie scolastique, s'est proposé de l'étudier
à ce point de vue, et c'est avec raison qu'il a choisi jtour objet de sa
critique les Premiers Principes, et la Morale écolulioiiiiisle d'Herbert
Spencer. Spencer, philosophe anglais, est, en efl'el, le représentant le
() Quiiizaiiie. l"jrinvitr ISyS, p. 'Jô.
I
TliAlTE m PHILOSOPHIE, par le P. (iAsroM Sortais 765
plus célt'lirc (le la iKiiivcllc ildclriiic, ccliu cjui a le plus lai'f;i'lii(Mil ri
If plus elticaccîmcnt «'(iiitriluK' à sa difViisioii.
Le travail concis, mais substantiel, de M. llalli^ux comprend deux
parties : la première est consacrée à l'exposé de riiypothèse fonda-
mentale du système; la seconde examine el iTili(|ue en détail les
principes de morale que Spencer a déduits de lliypothèse évolution-
niste. L'exposition de M. Halleux est claire, exacte, suffisamment
complète; sa critique est courtoise, impartiale et d'une modérai ion
peut-être excessive, ce qui donne d'autant plus de force à la conclu-
sion contre un système de morale qui détruit les conditions mêmes
de l'acte vraimeni moral. Car l'on est en droit de demander aux
auteurs de l'évolutionnisine ce (|ui subsiste encore de la morale, —
j'entends une morale digne de ce nomqui ait prise sur la vie humaine,
— le jour où auront disparu, av(M- le sentiment de la liberté et de la
responsabilité, le critérium suprême el absolu du bien et du mal,
l'idée d'un dieu personnel, gardien de la justice, de la vie future et
de ses sanctions. Herbert Spencer ne tend pas seulement à humaniser
la morale, toute sa doctrine va, à Viinimdliser. On lira avec plaisir et
avec fruit l'excellente réfutation que M. Halleux a laite de ses théo-
ries soi-disant scientifiques.
(i. U1-: l'ASCAL.
TRAITÉ DE PHILOSOPHIE conforme aux derniers programmes des
baccalauréats classique et moderne, par le P. Gaston Sortais, de la
Compagnie de Jésus, professeur de philosophie au collège de l'Imma-
culée-Conception (Paris-Vaugirard), t. I : Psycholoyie expérimentale,
Paris, Lethielleux, 1901, \n-ii de xiv-594 pages.
C'est toul à la fois un traité complet, indispensable au professeur,
l'I un manuel ()ui peut être mis entre les mains des élèves. Il a
par-dessus toul le mérite d'une clarté parfaite, aussi bien dans la
marche logique et l'enchaînement des idées que dans l'exécutiou
matérielle (Divisions, paragraphes numérotés, références).
Certaines questions, plus importantes ou plus complexes, sont trai-
tées avec une ampleur particulière : par exemple, la perception exté-
rieure, l'origine des idées, le fatalisme théologique, le déterminisme,
la philosophie des sciences, les méthodes des sciences mathémati-
<iues et des sciences physiques, les divers systèmes de morale, le
(collectivisme, les fonctions de l'État, le darwinisme, l'évolution-
nisine, l'esthétique, etc.. Un a traité avec un soin spécial ce qui
766 li. DK CARROY
ix'gardc' lt_' (^rilirisiiie tli' Kaiil et les Jiijctui'nls sijnlhrliqurs a jiriori.
La inarrlic de rmivrago esl la suivante : api'ès des Pri''llmii)rnri's
consacrés au\ méthodes [jsychologiques, le livre I" traite de ÏArfi-
rilé sensible : 6n\o\'\nns, inclinations, passions. Le livre 11 eom[irt'nil
les diverses nianifeslatiuns de Varlivilr inlrllrrtuclle : Pereej)li<)n
interne et externe, méimiire. association, imagination: — attention,
<'omparaison, t'oriiiatioii des concepts, jugement et raisonnement. A
remar((uer Ja Sccliaii J]' (p. .TW à i-2',i] consacrée aux l'érilés pn'-
iiiii'-ri'x !princi|)es, catégories: et au l'rdhlriiio iIp la raisnu (excellente
discussion liistori(|m' de l'lùii|iii-isui!'. du lialionalisine, cl du Ralin-
nalismc i'mpiri(|iie... . Kiiliu. dans le livre 111; ÏAclivilr vulnulairr. un
chapitre intéressant est consacré à l'imporlanle (juestion de Vllnlii-
lude (p. SOI il riK)).
Tout cet ouvrage dénoie l'expérieiu'e et le sens prati(|ue de lau-
teur, de|)uis de longues années ])rofesseur dans deux iiiiportanti^s
maisons d'éduealinu parisiennes.
B. i.i; C.\RROY.
PÉRIODIOIES FRANÇAIS
Revue philosophique. — Tros rfinarijuables sont les trois articles
ilo .M. Duiiaii sur la murale 'mars, avril, juin l!)(tl . Trois principes
avaient été mis en avant ]iiuir fonder la morale : le plaisir, l'idée du
bien et l'idée du devoir. M. Dunan se prononce pour l'idée du bien,
et il remarcpie très justement que, pour en tirer parti, il faut se ratta-
chera la métaphysique. Ni l'altruisme ni l'égoïsme ne peuvent suftin;
comme prin(i|)e directeur tle la iiuirale. Mais on pourra concilier ces
principes en faisant appel à l'idée du bien. Nous devons rechercher
■ le bien des autres et notre ])ropre bien, commese rapportant au bien
de l'être universel.
Le bien, c'est deréalis.er l'être à son plus haut dei^ré. Dans l'appli-
cation, nous devons observer la hiérarchie des fonctions et leur
subordinaliiin. lin toute occasion, on doit donner la préférence à la
fiuicli(Ui la plus élevée.
Tout ceci est très beau, mais nous descendnns de ces hauteurs
quand il s'agit de la conscience morale. Ici .M. Dunan. partant de la
vie physique et des instincts animaux, présente la conscience commis
un instinct supérieur qui nous dicte ce qu'il faut faire pour se mettre
•d'accord avec la nature universelle. Outre quelques expressions pan-
théistes, qui nous étonnent de sa part, il nous parait avoir un peu
oublié, ce qu'il a si bien dit, que la morale se rattache à la métaphy-
sique. La conscience morale n'est donc pas un pur instinct. Elle est
sans doute dans la plupart des hommes une habitude ou un senti-
ment spontané. Mais dans son fond elle repose sur un principe de
raison. C'est là même ce qui permet d'éclairer les consciences indi-
viduelles et de faire la science de la morale.
Si l'auteur se fût attaché plus fermement aux princi|)es (juil avait
d'abord proclamés, il eût évité de dire que la loi morale varie suivant
les circonstances. Non, la loi morale ne varie pas, mais l'opinion des
hommes peut varier suivant leur ignorance qui dans certains cas les
rend excusables.
■708 C" DOMET DE VOR(iES
M. Diinan n"a-l-il pas imi peur d"ètre accusé de faire de la lliéo-
logie, et serait-ce pour s'eu défeudre qu'il ajoute, avec Kant, que
l'homme n'a point de maître"? Nous l'admettons vis-à-vis des hommes,
mais que penser vis-à-vis de Dieu ? M. Dunan répond (ju'ofTenser
Dieu et ofTenser la raison, c'est la même chose. Oui, en un certain
sens, mais Dieu se confondrait-il avec la raison? Qu'on se souvienne
de ce qui a été avancé plus h.iut que la naliire peut être dite l'être
même de Dieu.
En résumé, ces trois articles sont pleins de hautes ])ensées et
d'idées très Justes, mais l'auteur n'a pas osé les pousser jus(}u'au
liout, parce qu'il eut fallu sortir des considérations purement natura-
listes.
Ce qui uianque à la morale de M. Dunan, nous le trouvons dans
une note du H. P. Sertillanges mars 1901).
M. Brochard, dans un article précédemment publié, avait avancé
((ue les anciens n'ont pas connu l'ohlifiation morale, parce qu'ils con-
fondaient le bien avec la jouissance. \a- savant ddiuinicain relève que
les anciens et notamment Aristote ont parfaitenuMit distingué le
bien de la jouissance. La jouissance est assurément une suite de la •
bonne conduite, mais elb' n'est que l'accessoire. Le but principal
pour le philosophe de Stagire est qm? le sage vive conformément à
la nature. Il ])Ouvait donc s'élever à l'idée d'obligation, car les règles
fondamentales de la morale dérivent de la nature essentielle de Dieu.
Ces considérations sont rm-t justes el fort élevées. Cependant il
nous semble que les questions jtosées i)ar M. Brochard restent sans
réponse. Lu fait, les anciens ne se sont pas élevés à l'idée d'obligation.
Pourquoi ? Quelque chose lesarrèlait donc. Que peut être ce quchpie
chose ■? Ne serait-ce pas l'idée trop vague qu'ils avaient de la person-
nalité divine '?
Les règles de la morale dérivent évidemment de la nature essen-
tielle de l'être suprême. Il ne peut ne pas les vouloir. La première de
ces règles est que tout elTet appartient à sa cause. Si donc une cause
intelligente et libre pose un effet également intelligent et libre, la
cause a le droit d'exiger que cet elTet se conforme au but qu'elle
s'est proposé en le créant. De là l'obligation. Mais les anciens
n'avaient pas l'idée d'un Dieu créant librement l'univers.
M. Espinas (mai l',)Ul) estime que la société humaine est le plus
haut des groupes que forme la nature. Elle n'est pas simplement une-
réunion d'individus. Elle a une réalité propre, une conscience collec-
tive. Elle a ses lois, .sa naissance, sa déchéance et sa mort. Elle a
donc des droits que n'ont pas les individus c[ui la composent.
VKHldltlnVES F/l.lAT.l/S
TCO
M. RspiiiMS se |iliiiiil (|iii' l:i |ili iliisiipliii' spii-il iiiilislc l'I iii i'('lii;iiiii
rliri'l ii'iiiii' l'iiiprclii'iil Ir th'vcldppi'nii'iil de l.'i siici(il(ii;ii'. parce
(liirllcs siiliiiriliiiiniMil Im snci.'li' ,'i l'iiidividii. Il ihhis scmlili' (Jdc
(■l'Ile siihiiiMliiialioii ne saiii-.iil cinpiM'Iii'i' la rnniialinn il'iinc sCMciicc
sticialc, ilii iiMiiiii'iil ipi'il y a (1rs lails siiciaii\. Mais nous ci-aif^'iKiiis
Inrl (pic la lli(''iii'ic (le M. j'^siiiiias ne mène à I'cm-i'S cunli'aii'c. à l'iim-
nipdtence de I l'ilal iliinl li(insa\aieiil alIVaiicliis ili\-iieiir si(''cles de
clirisl iaiiisiiie. Si la siicii'U'' I ieiil ses piiiiviiii's de I )icn. ils S(Uil liniil(''s
|iar là nM'iiie a II linl de sa luissidii. Si, au ciuil laii'i', elle esl une n'alili''
ciMicrèle euL;liilianl les individus, ceux-ci lui appail ienneiil : elle n
sur eu\ liiiis les dniils el la liherh'' civile n Csl plus ipi un \ain iniil.
M. Lacindier ijuin l!M)| i piM''senle uru.' mile siii- le pari de i'ascal. Il
l'iMnaP([ue ipi'il n'\ a lieu à pari ipie si l'alleiaial i ve esl ciiucevalili' el
]iiissil)le, 11(111 senleiuenl, d'une piissiliiliU'' loi;i(|ue, mais d'une possi-
liilih'' r(''(dle. Il y a dans l'inlelli^cnce liuuiaiiie une conU-adicliiia
iinpiicile. I.a raisini el la lilierli'' ih'lHirdeid nuire ciuiscience aclindle.
Nous avons liesoin d'un idéal au(|U(d nous ne p(ui vous arriver ici-bas.
l*(Mivinis-iioiis v arriver nilleiii-s? (Tesl wni' possiliiliU' uiii([ne mais
ri'idle (pii li''ij;il iiiie le pari. ■■ l^a ipiesliiiii la pins liaule de la pliiloso-
pliie, plus religieuse di'jà ]ienl-(''tre ([ne pliilosopliiipii', esl le passai;i'
de l'aljsidn l'orinid à I absolu i'i''p1 el vivanl, de ri(l(''e de hieii à i)ien ;
si 1(^ sylloii'isnie \ (''clioue. ipie la lui en coure le risipie : ipie l'ari^u-
ineill onloliif;'i(pie cède la place an [lari. ■■
Si Pascal revenait au nuuidiv ne serail-il pas i''liiniii'' ipi du prenne
son pari pour aiilre cliose ipi'iin iiioyeii uraloii'e desliin'' à l'diranler
rindiU'i'rence de rincr(''(hib> ?
.M. le Daiilec ijuillel 1901 i inauLçure une nouvelle ni(''lliode en bio-
loii'ie. Il ra]ipidle inr'lliode de la navelle. il a bien reinaripn'' ijiie des
|iropri(''t(''S de la cellule on ne peni diMluire loiiles les pr(iprii''li''S des
cires vivaiils. |) aulres en coiicl lira ieni (ju'il y a dans li'dre vivanl
plus qu'une agf^'lomi'ralion de cidinles. Mais M. le Daidec s'esl l'ail
l'opinion (|ue joules les [ii'opri('li''S \ieuuenl de la cellule el de ses
dill(''rences cliiiiiii|ues. Pour ('■lablir le lieu lo^'ii[ue entre la cidlnle el
ses ]iro|)rii''li''S, il se croit donc anlorisi'' à reii\erser la iiiarclie oi'i.li-
uaire. .\pr(''S avoir (b'diiit de I i''lal de la cellule les propri(''ir'S ipii s'v
preleid, il (l(''iluit di's pr(iprir't(''S du loul les aulres conilil ions i|ue
doil reuiplii' la cidlule.
.\yanl ainsi (''labli cerlaines dil)'(''rences ipialilical i\('> enirii les
cellules, il adiiicl (pie ces diU'i'M'ences soni pri''cis('ineiil cidles (pii
dislinj;iienl les esp(''ces aniuiales, les dill'i'rences (piaiililalivcs ne
dilV(''reiicieraicnl qui' les indixidns. Les dil)'i''rei s -pi''cili(jues des
48
7-;0 C- DOMET DE VORGES
(■(>lliili's sci-aii'iil .111 riiiiil iHircniiMit cliiininiics, cl 1ns pl.i'-noinènes
iiior|)liolof;i(Hi('s siTairiil sdus Icui' (li''|ii'iidaiice.
MM. I.croy ri Toholuski cssaicnl (lojioiis t'\pli([iioi' 1p inôcanismc
dos l'i'vi's .juin l'.llll . Ils les atli-iliiu'iit en gvnéral à des causes iiliy-
■^iiil(ii;ii|iii's. Mais leur élude pâlit auprès de la charmante conférencp
l'aile I)ar M. rieri;'son et publiée dans la Itfcuc srii'nlifiijuf in" :2.'].
I"' seiu. 1001 . M. Bcfjçson reuiarque ((ue le diii'nieui' consei've cer-
laiiis rapiiorts avec l'exlérieur. Il se produil aussi dans snu cerveau
des iuiaf;es subjectives vafçues. Le tout forme un iiiélanj^e (jue lima-
iîinalion ai'ran^e cl compléle. Ces phénomènes se renconlrenl éj;ale-
iiieiil dans la veille, mais ils sont à |)eine enircviis, l'espril iMaiit
occupé par les faits pratiques de sensibiliti'.
I,'inl(dlij>;ence n"est pas absente dans les ri'ves. Elle rais<uini' sur
les ilonnées présentes et exi'culc parfois tl(>s opérations ililliciles. De
Uléme que, tiaiis la veille, les souvenirs couq)lélenl les jierceptions
réelles, pendant le soiniueil, le^ xuiveniis ((uilribiiciil à pri''ciser
et à développe!- les images lies rêves. Quelle esl ddiic la ilifléi-ence
eiilr(> la veille et le sommeil I Elle esl dans la Icnsiou des laculli's.
1,'liiiiuiiie ('xcillé observe ses idées, les règle el les Juge; riiiPiiiiiie
eiuhu'uii se laisse aller aux iuqiressions qui se pn'seiileiil . .. Le moi
dormeur esl un moi qui si- détend. »
Revue de Métaphysique et de Morale. — M. Hergson, que
nous veii(Ui> de ciler. a l'Ii' I iiiil ialeur d un lUini viuiu'lil philosO[)hi-
c|iic ipii >('st beaiiciuip di'vcloppi' en ces temps derniers cl que l'un
nomme la pliiloso|)hie de I acli<ui. Les philosophes de l'action espè-
rent échapperaux conséquences négatives du criticisme en cherchant
la M'rilé dans la vie pratique. l'n mouvement parallèle a été suscité
dans les sciences par M. Poincarré. Ces deux mouvements n'ont pas
tout à fait le même biil : les philosophes de lactiiui clier<hent dans
la pratique une issue vers la vérité objective. Les tenants de M. l'oin-
carri'' conleslenl jdus ou moins la valeur objeclive de la science p(uu'
la ri''(liiire à n'èlre qii une rui''lli(i(li.' de cla--sitical ii.n el un pr(içi''di''
donnant des résultats prati([ues.
.Néanmoins, les deux tendances ont, dans la l'orme. lie;uiciiup d'ana-
logie. Bien des penseurs les eonfondeul volontiers el les appuient
l'une par l'autre.
M. Le Roy (mars l'.lOI part de ce fait ipiun travail criliipie a é'Ié
entrepris sur les théories jdiysiques. (In a <onstalé que ces théories
sont variables, multiples. c|iiel(pu'l'ois ciuitradicloires. Les lois sont
des d(''linil,ions invériliables, puisqu'on ne juge des apparences (pie
PEniODIQVES FRAyÇAIS "i
p;ir elles, l.i^s l'ails M'ieiil ili(|iies eiix-mèilies soiil l'ails ]iar le savaiil.
il> (l('|ii'iHleiil (lu {iiiiiil lie VIII' iii'l Ton s'est ])lner'. Les VitIIiVs seieiili-
lii|ues s'iiiipliiliienl l'iiiie iMiili'e. Llles se |il'iiiiveiil l'illie par l'aiil re
dans lie vérilahles cercles vicieux.
M. de l.appai'eiit a liieii iiiuiiIim'. un Juin-, couiiiien ci>s crilii[iii>s son!
exaf;(''i'ées, coiiimeiil les lliédi'ies l'ondamenlales i-eslenl liinjinirs
vraies el ne varieni ipie dans les di'lails, mais M. I.e liii\ les lient
juMir alisnliiinenl jiisles. el il en crMicInl ipii' la science, an pdiiil de
vue inlellectualiste, nDflre aucune certitude: ce ii'esl point pai' des
dr-dnclicuis Hièine bien coinlniles ipie 1 rui alleinl le ri''el. C'est ])ai'
1 activité spiril iielli' (pii, dans une inluilimi svulln''l iipie, iMillirasse
une inullilndi' d idc'iui'iits. La science n'est vraii' ipTen tant iprelle
est vécue.
Dans un secruid ai'ticlc iniai \'M)\ , M. Le Itny, eu termes chaleu-
reux, plaide [lonr cette cdncept ion de la science. Il se dédeiid d'être
scepti([ue. Il veut le réel. Mais l'iulidleclnalisme a le tort, dit-il, de
ne s'occuper ipie de la partie (daire de la peusé'e. C'est la jiarlii'
oliscuri' qui est le principal. C(dle-là ini ne l'alleint ipie jiar l'inven-
tioii el antaiil ipie \'(\n a vécu sa pensée.
.M. \\illiois accorde nu peu pins à la science ; niai'S l'.tDI . Il clierclie
à coucilier res[H-it critique et l'esprit |iosilir. (.'.rilicpiei', c'est (diercher
une vie iniuvelle; i''lre positif, c'est vivilier re\p(''rience.
in jirincipe scientillipu' comprend un i''li''ineiil ndatil'à l'activiti''
humaine, mais aussi un éh''meul ind(''pendanl de l'homme, une vérité
exii'rieure (pion ne |H'nt (pu' [iresseulir Jiis(prau jour où le ])reinier
l'di'ini'nl lui esl devenu ad(''(pial. .\insi le principe des ondes en
optique ri'iirerine I id(''e d'onde enveloppe qui esl nue pure alislrac-
linn,inais il mari|iie .inssi une \i''i-ili', c'est ([ii'il \ a ilaiis la himière.
de la iM''riodicil('' l'I de l'i^'lalement.
M. Wilhoisajonle ipie les ]ii'incipes sont vivants. Ils si' di''vêloppent
et se moditient an cinilact de l'expérience, l'our alleindre ces prin-
cipes dans leur pureté, il ]u'opose une m(''tliiide de ri'^'ression ana-
lo,t,'ue à celle mise eu avant [larM. l'.eri^'son. Elle ciinsislerait à ilt'pas-
serlaclioii praliipie, iudiisl i-ielle et rat iminene. L'a nienr pense que
l'inluiliou dn i-i'cl ne peut é'I re commnuiqni'e. j-]lle esl plnti'il dans ce
qui est |iropre à chacun que dans ce qui est crnnmnn à tous.
.\ est-ce pas. dirons-mnis, l'iqqiosi' de l'anliqne conception de la
science qui ne pi'éti'udail pas assnré'meul atteindre tout le réid, mais
(jui croyait pouvoir en i^xprimer une [larlieiMi teruu's comniunicaldes
à tous el \i''rilaliles pour huis?
.M. Lalande s'occupe d'une qnesliiui très ditIV'reule, celle de l'édu'
772 O" DOMF.T de VORGES
i-Mlion iudimIi'. Il ri'iiil i|ni> Im philusiipliic i.'st iiarraileiiiciil en rlal ilc
pi'(''S('nli'r lin |ini^raiiiiii" assez l'nmpli'l il(> règles de iiidrali'. Il eu
(''iiiuiirn' avec fiimiilaisanci' un ccrlain iioinljn», cl il se [ilainl que les
cal iKiiiijues coiilcstenl à la iihilos()|)liic conlcnipomiiic le droit de
former la jeunesse à la praliiiiic des devoirs.
Non, les catlioliqucs ne contesicnt à iicrsoiine la possiliililé de for-
mer une lisle île principes exigibles en tout lionnéle homme. Ils
piiiiri-aieiil i-eirian|iier tonlefois que |iliisieiirs de ces principes pm-
vieniient de la fdrmalion chrétienne, de la civilisation moderne, cl ne
s:' soutiendraient pas très loiigtem])s en dehors d'idle. Mais ce qu'ils
coalestent, c'est la possibilili' |)iiiir la philosiipliie aciiielle de fournir
un motif suflisanl h l'observation lidéle de ces [irincipes. Nos [diilo-
soplies n'étant d'accord ni sur l'existence de Dieu, ni sur l'immorta-
lile (le r.iiiie, ni sur les [leines et les récompenses futures, ]ieuvcnt
bien ri'C(Mumander tles règles de c(niiluili'. mais ils ne sauraicnl
iiidiipier aucune sanction.
M. Canlecor mai 1901 j re])roclio également à l'Kglise de faire de l;i
charilé une perfeclioii de lii\(\ Sans doute il n'a ipi'une idi'-e très
vague de la (hicirine calhiilicpie. Il (■met, comiiie un r(''Siillal des
éludes récentes sur les rapports sociaux, une suite de [)ro[iosili(uis
relatives à la solidarit('' (pii ont (''l('" connues de tout temps dans l'I^glise.
N"esl-C(^ pas elle ipii a enseigné, bien avaiil le Win'' siècle, (|ue nous
Somm(>s tons frères cl responsables les uns des autres? .\u fond, la
solidarité, dans ce ([ii'elle a de juste, n'est ([u'un mot n(uiveau |ioiir
désigner ce (pidn ajipelail autrefois l'amour du prochain. M. Canle-
c(U' fait observer plus juslemenl que la vie .sociale est \iur (ihligati(ui
naturelle, et ([ue les hommes scuit obligés de se couceiler pdiir les
/ini's c(immini''s. Moins absolu ipie M. Espinas, il remar(|iie fort à pro-
pos (pie cette obligation ne doit |)as détruire l'individualité et ne s'éliMul
(]u'anx seules tins (pii ne peuvent être obteniu's p.irles elTiu-ls isolés.
Terminons en signalant deux (''Indes remar(piables données par la
Revue néoscolastique mai l!t()l . Dans la ])r(Mnière, M. de Wiilf
lliillS eulrelii'lll d une ipiesliiin l'orl illli'ressaiile. (JuCsl ileM'Illie la
Iradilion aiiguslinienne auxiii' si(''cle?
L'auteur distingue (piatre courants à celle e|iii([iie. l,e premier est
purement augustinien. Il enseigne le primai de la volonté sur l'intel-
ligence, rindépendance snbslanlielle de l'.-'ime vis-à-vis du cori)S,
l'ideniilé île r.-'unè et de ses facultés, l'activité de la connaissance et
eiilin I ('xish'iice de raisons séminales dans 1.1 malii''re. Il esl repré-
seiil.'' p;ir Alexandre de Ilal(''S el saini BonavenI lire.
i'i:iiinii](jri-.s /'/(.t.V'M/s "3
Tri soniiiil ciMir.iiil ri'pi'odiiit. cnuiiir' ('ImiiI ilr siiiil Aii.nusliii, di's
iiliM'S i|ni ont |iliiliil uni' lll•i^■ill(■ (iriiMil.ilc. pai- cxciiiplc la lliiMirir
iriMii' illimiiMaliiia s|ici-iali' ili; llii'ii pour cxpliipu'r li'> rumlciniMil^
(II' la ci'i-lil iiilr, cl la (lis! iiiiiiiiii entre rexcrcicc onlinairi' ilo l'iiilrl-
iiuiMici' r! la rélleNidii pliilosii[ilii(|ii('. C'est la (lireetiiiii suivie par
(iiiillauiii" (l'Auvergne, Rot^er f-îaciiH et lliMii-i de (iand.
In triii?ii.Miie coiu-ant est celui des (locteurs, justiliaiit. pai' des
textes tiri''s de saint .Vu;;'ustin, des idées inspir(^'es par le pci-ipal(''-
tisiLie arahc, ainsi l'existenc^e d'iint; matière pour les (^'Ires pui-cuieiil
spirituels.
Hiilin, le courant péripal(''ticien pur s'est t'oian'' ipiaud (Ui a liieii
connu les grandes o'uvi'es d'Aïastole. (Test celui (pii est repr(''senti''
(l'un c(jté par saint Thomas d'A(|uin et Albert le (Irand, et. dans uiu'
autre direction, par Duns Scot. 11 l'ait enc(u-e une certaine [dace aux
docirines augusliniennes.
Telle est la classification propos(''e par .\1. di- \\'idl'. Klle ne sera
]>(Mit-(Hre pas admise par tons: mais, vu la conqH'tence île l'auteur,
elle olVre nn vvo\ iiit(''r(''t .
I.a seconde (Hude l'sl de M. l'abhé Piat. Le savant professeur
rei'lierclie la mani("'re dont Aristole a cnml)ri^ les rap]iorls de Dieu
avec le uKuule. L'antem- résume les' passages lu'i le pliilusuplie de
Stagire décrit la vie de l'Etre suprême renfermé en lui-même et ne
connaissant ijue lui-même, l'n t(d être ne pinit évidemment être cause
(■riicieide. .Mais il est cause tinale pour I(MiI ce (pii existe au-dessous
de lui. 11 faut comprendre ([u'il y a dans la matic'i'e une âme qui a
(■(Uiuaissance de la perfection de Dieu (d des possibilités de cette
mali(''re et clierche à reiiroduire autant (|u'il m' peut la beauté et la
b(_)nlé de l'être [iremier.
.M. Piat cite [ilusieurs passages p(_iuvanl appuyer cette iuterpr(''ta-
tiiui : " L'anKuu'. dil-il en conclusinn, (pie Platon ])rêtait à son
dêmini'ge, est des'i'iidu du ciel dans la matière et les idées ont suivi
la uiémi^ voie...; la iialiire s'est transformée en un être vivant (|ui
porte en lui-même le principe et la règle de ses actions. "
Nous n'ignorons pas les objections opposées à cette manière de
comprendre la doctrine d'.Vristole, mais nous croyons qu'elle est la
seide conciliant les vues (^livei'ses exprimées par le grand philosophe
grec.
O" DOMi-T DE YURGES.
PÉRIODIQUES ALLEMANDS
Philosophisches lahrbuch. linml I '< lldl. I jamiiT l'.ioi i. —
Ci'lli' l'i'Viir .1 ('11' I'iiikIi'c, Il y a li-ci/.i> ans, par la S(icii''|{'' ilr savants
cal lioli(|m's di' Miiiiicli, la (iôrrcs-Ocsclisfliari . I^llccsl rdiisaciMT s|m'-
ciali'MU'iil à la viilp,arisali(iii de la |iliilnsopliii' iM'Misc(ilasli(|ii('. I>ii-ip''('
|iar IV'iiiiiiiMil lUdlrsMMir de piiildsopliip à Kiilila. le I)'' (loiislatil (iiil-
IjitIi'I, rllc a acipiis iiiic ll'c'S f;l'aiiili' a iiliirih'' en Allciiiaf^lic Klle
i-ci-iiil 1rs lra\au\ ili' Jimis les pcrsiuiiia^cs l'iiiisidiTaliIrs de la si'iciici'
(■allHili(|ui"' alli'iiiaiidr. |-;||c |iai-ail i|iialre fois par an : Jaiixicr. avril.
jllHIcI . IH'IdllI'l'.
La livraiMiii de janviri- l'.IOI rdulii'iil |lhlsi(■lli•.■^ arl iclrs llrs iiili''-
l'i'ssaiils. (! rsl d alxii'd Ir disciini-s piiMidiiri' pa|- Ir Haniii xcni llri'l-
linj; an confii'rs inli'i-nalional de savanis (allidlii|ni'S ipil s'csl rciini
il .Munich, an mois de scplcnihi-c dernier. Ce discdnrs Iraile de la
(|in'sl idii, 1res aj;il(''e (lans nii cerlain indien, des rappurls du clirisl ia-
uisiiie avec la philiisiipliie yrecipie. Des ailleurs priileslanls on ralio-
nalisles, snrlonl en .MIeinajiiie, oui in-i'leiidn (pie les pi-eiiiières diiii-
ni'es du clirisl iaiiisiiie. hd que l'avaieiil preclii' .li''Siis-('.lirisl et ses
api'ilres, étaienl surtout des [iréceples de morale, et ([ne riiiIrnsiiMi de
la pliilosdpliie ijrecipie les a proioiidiMiienl alir'ri'S pour l'oriner la
ri'lij^'ion callioliipie acinelle. Le liariin Vdii llerlliii}; iiidiilre. I histoire
en main, i|ne les doj^ines proiiinlf;nés par I ICj;lise sont sortis naliirel-
lenieiit et nécessairenieni de la (ireinière ]irédicalioii di' ri'^van^iie, et
cpii' la pliild>dphie i;rei'(pie n a lail ipie tonrnir les hiriiinles pour les
exprimer, (l'était alors la langue île tons les lettrés; il fallait l'em-
|doyer |)onr être compris. Mais le tonil n'a |ias cliaii};é; il a nii''me
apporté la sidniion de liejinconp de questions ijiu' le j^énie grec avait
loii.jours é'Ié impuissant à résiuidre.
Le concours de la philosophie grecque, ainiile l'orateni-. n'a (las
cessé avec la chute de Leinpirc romain. Il a continué dans le moyen
;ige el nous le retrouvons ;i son a])0gée dans la [diilosophie de saint
Thomas d'Afjuiii.
l'EninniorEs allemamis -75
CpIIi' )>llilosii|lliic A r\r I ('■|i,in<illissriiirnl If plus (•(iii)|ili'l du
j^viiii' |iliiliisii|iliM|iii> (■Iir(''l icii. .M;iis il l'iiiil l,i lilcii riiiii|ircii(ln',
l'I |Hiiii- ci'l.-i il l'sl In'-s iiii|i(irliiiil de se riMidri' lui ciimiilc
t'\niA di' s;i li'niiiiiii|(ii;io, assiv. ditlV'i'ciili' ilr ci'llc ,'iii iiiiii'd'liui i>il
lisiif;-!'.
M. Il' cdiaiioiiic Srliid/. (ii' Trrvrs, liii'ii rdijiiii par miii lc\j(pii' di's
Icnni's dr la scolasliqni', rcclicrclir, ilaiis un ai'iiclc Irrs (''liidii'', la
di'liiiil iiMi cxaclc (les mois : /'nrci' l'I fiini/li'. \j< in<il furcr s'applirpir
su l'I 01 d aux rhiisi'S de la nal urc ; Ir uni! far ni h- se dil des (''Ui'i'j^irs de
IVuiii'. Les Idi-fcs et les l'acullés soiil des iM'alili's supi'asciisilili's liirn
ipu' se inaiiifeslaid souvent dans le monde sensilile. i'illes soni ni>n
le pi'emicr prineipc (Ui sujel de raeti(Mi, sans i[ii(ii cidui-ei a;;,ii-a i I
loujoiU'S, mais le [)rineipe immédial, prinrijxinn ijiio. Les unes agis-
sent seules et ])ai- elles-m(''iues, elles sont dit(>s aellvcs ; telles sonI
les fiirces i\r la nalui'c. Les aulVcs (lul lii'sdin ipi Un nlijcl leur soil,
pi'i'senlé, et sont ajjpelées passives. Les l'aeulles de lame sont en
partie actives, en partie passives.
M. Il' elianoini' Seliid/. lerunne en exprimaid Ir rrj^rel ipu' ecs dis-
tinctions si bien connues de l'ancienne scidasliipu' et si utiles dans
les sciences soient néf;lif;ées aujourd'luii.
'l'ont rli-e existe 'p(uu' nui' action, c'est un principr de la scolas-
licpu'. Si ] àme siu-vil au coi'ps, il l'a ni diuic ipi elle puisse ex crée i' niu'
action indi''pen(lauHnenl du c(u-ps. Le I'. .\lpli(uise-Maria Steil, ili>
I ( Irdre (les (lapneins, se demande c(umni'nt. la cliose est possildi' pour
li's âmes des morts. D'après la philosophie tradiliminelle. I Vmu" est
uiu- suhsianec incomplète formant un seul i'li-c avec le cdi-ps. 'r<Mdrs
ses act i(uis d(''pendent phis ou uinius du ciuic(Mirs des di'j^ani's. Le
1*. Steil en conclut (pi'elle ne saurait ai.;ir une l'dis s('>par(''i' de ces
organes, à moins ([u'elle ne change de nature. Connue un tel cliaii-
gemeid n'est pas admissible, il su|i]idse que Dieu, intei'viiud [nuir
sup]il(''er aux ciu)ditions absentes.
Saint 'l'hiinias ailmetlait en efl'el ((ueTàme si'pai-i'e du l'orps eidrc
dans la eatégoi'ie des InlelligenceK existant par elles-uiéuu'S elrei;oil
comme elles les espèceslintelligibles (]ne Dieu répand sur toides
ci-éatures. Mais il enseignait aussi (pie l'àme conserve l'usage de la
science acipiise ici-bas. Le R. P. Steil n'exagèi'e-l-il pas la di'pen-
ilance de l'i'niie'jpar rapport an C(U'ps'.'j( La scolasti(|ue a tonjoui's
irc'dunu (pie l'àme intidligente ajdes cipr'ratidiis qui lU' di''p(>ndrnl
essentii'llement d'aucun organe. 'C'est snr,cejrait même qu'elle ton-
dait la démmistralion; de cetli- vérité 'que l'àme peut survivre au
corps. Cette démonslratidu n'est-i'lle [)as conqirdiuise [lar I inlei-pi-i'-
776 C'« DOMEÏ de VOU(jES
tMlinii si l'i.moiircusc i|iir doiiiii' laiili'iir <\r r.iplKH-isiiir que l'àino est
la foiiiie ilii coi-ps?
Nous cniivii'iiilnms Imilcrnis avrc le l>. Sd'il i[iril > a une cerlaiiie
(lis|)|-n|iiirliiiii (Mill-e ràiiii' iuiliKU-li'llc cl \r cin-iis innrlrl auquel cllf
csl uuii'. Li- iloi-le iclii;iru\ rii riuirlnl ([lie Diru piuivail assui'i'Mii'ut ,
(le (Iroil i-i^(iui-i'u\. ci-i'iT un Irl cli-c. mais i|uil ne li'iil sans douli'
ii;is lail s'il n'ciil eu |r ilcssriu de i-rnu'dii'r a rrWr iiniiri-lrrlinn.
L'ai-lirlr snivaul di la (■(UH-lusi(Mi dr ri'ludr sur la liualih'
publiée par II' pi^d'cssmi- (lullici-li't dans les |):-i'i-(mIcuI> uunu'rns. Il
l'^iul, dii M. Crulhi'i-lrl . ('\pli([U('i' dr (piciquc Mianirrc l'Drdn' dn
uiimhIi'. Ni la llM'oi-ic du hasard, ni la llii'oi-ir de rinl(dlii;i'niT drs
aliiuii's n'y pcuvcnl sullirc.
I.a llii'orie dn hasard aduirl ipir. sur Ions les cas jiiissihles. muis
Sduiiiiesliiiulji'ssur le cas hcnri'ux. Ola uVsl pas iuconcevahlc d une
manière alis(dne, mais Icllcmcnl in\ raisendilahlc (pi'il > a uncccrli-
lude miii-ale qm' le cas heureux ne sera Jamais réalisé. Si Ion rc'-
marque eu nuire (pic la malicre a cerlaiiu's lois lixes, on r-i'ud la
(diose encore plus impossible ; l'cs lois (uil piiui- (dlel nu cerlain
(•ipHlibre. Ii^quilibrc alleiul. la loi csl ucnli-ali-M'c. |-;llc lu' saurait
dune conduire jusqu'à la \ ie.
Si on admel un'e cerlaiiu' inielli^cuce ilans les alome>. il resic ;i
cxpliipLcr comment ces inlidlip'nces inréricures. eu supposani ipu'
'cxpiM-icni-i- permelle d'\ croire. |icuvenl [irodnirc une inlelli,n'cncc
supérieure, ou couuueul idies pi'ineni se coni-crler poui- un ri'sullal
urdoniié sans rintervenlion d'une inUdlif^enre (pii les iliri^e huiles.
1,'éiiuneul anieui- c(undut (pw la causalité linale es! nécessaire,
(pi'ellc n'exidiil pas la causalilT' (dUciente, mais cpu' ces deux cansa-
lilés se supposent l'une l'aulrc. Il ajinde (jue, si c'est là <le l'anthro-
])omorphisuu'. il n'y a pas nue sciiuicedela naluriMpii ne soit aulhro-
piuuiirphiipu'. Il invoipie eu lemoi};na^e les aveux de [ilusicurs
savants réputés |iai-mi les nal uralistes.
Le l'Iilliisiipliisrlfs lalirhurli reproduit encore uiu' ciuumuuicali(Ui
de Ms'' Fischer au ciuif;rçs scient iliqiu' de Munich.
Le vénérable anleni- v louidie une ([ueslion auj(uird liui bridante,
celle du relalivi^me. 11 atlmet (pi'exeeplé Dieu loul est ridatil'. H pré-
tend déuuuilrer que les solutions opposées donm''es aux problèmes
londauu'ntaux de la philosophie, réalisme ou idéalisme, empirisme
ou apriorisine, dualisme ou monisme, etc., sont toutes des solutions
relatives, en ce sens qu'elles ne tieumuit couqite (|ue d'uni' iiartie de
la vérité. La vraie solution serait entre les deux extrêmes.
La lecture de ce mémoire a causé un certain étouin'iuent dans le
PÉRIODIQUES ALLEMAyOS 777
ron};i'i''S. L'iiiiliMir n'.iv.iil p.is iii.in|ii(', ;uissi iii'lli'iinMil qn il I ,'i liiil
:\ limpri'ssinii, i|iic véi-ih' rrlalixc ne si;<iiiliail ]ias iioiir lui uik'
vi'l'ili' vai-ialili'. cliaiif^iNiilIc, |iui'('iii('iil siilijrci ivr. coiiiiiK' bcaucoil])
rciilciiiirnl ni Allnnagno ol aillriirs. De |iliis, il avail pose' les dilli-
cullrs sans iiiilii[ii('i' aiiciiiii> SDliiliiin. (v's circoiistaiii-cs donnaiciil à
la LKilc cir M-' l-'isciicr iincappai't'iK'i' do sccplicisinc ipidii n'altumlait
pas di' lui l't qui iMait (•l'i-laiiicinriil liini Inin di' sa piuisée.
Dans la liviviisiiii d avial l'i iiaiid. lirl'l -i , iiiius aviiiis lu avec
plaisir la cniirli' ot tMoqucnlr unie (•(iHiiuuuiipi(''c (''^aleiiiPiit au
t'.imiin's di- .Muuii-li ])ar M. Ilcniiauii Sclii'll, pruIVsscur à n'iiiversitr
df Friliiuii'j;-. M. Sclicll ciitn'priMid d'érlaircir un proldi'inc fonda-
uicnlal l'uliT litiis ; le ciuiliuiu ilr la cnnsi^iiMicc iiniis donuc-l-il la
ivaliti'-.'
I.aiili'iir 111' pi'iisi' ]ias qu'il laillr l'ii cliiTclii'i- la xiluliiui dans un
rappiirl iui''i'auii|ur riilrc riiiir'i'iriir ri rrNli'j-ii'iii- de la l'unsfience,
nu dans itIIi' m'i-L'ssité iusliucli\i' ipii nous l'ail cn^drc à la vérité do
Uns p('ITr[il iuiis.
Il l'ail \iiir d'unr manii'i-i' saisissante qui' l'arlr di' rnuscirni-i'
ciuisidi'Tr' diiiir iiianiérr i-onci-rl r csl un ai'li' di' vie el d aclivili' : nr,
la vil' ri I aiiivili' sont le l'ail d'un moi ri'i'l et siibstantirl. Le moi
plH''Uo]ni'ual ii'rsl ipiiiin' ali>l racl ion l'onnér après coup.
Mais Ir conlrnii ilr la conscirucr est-il vraiiiienl l'indicalion de ce
ipii se jiasse au deliors'.' M. Scliell s'en assure en considérant que ce
contenu ne dé]iend jias de nous, ipi'il apparaît cl disitai-ail en didnirs
de loute vidonlé de notre part, i|n il oH're des séries ri''f;ulières. enlin
(pi'il nous impose des résistances et des douleurs. 11 \ a pins, ces
apparences que Ton prétend phénoménales se présentent à nous
couuiie une ri'|irésenlation de ['(''Ire et de racinel : " la représenta-
tion el la peiisi'i' oui la pi-i'lenlion de conduire au vrai l't se [H'Ocla-
menl par là même science et connaissance. "
Kniin ces repré.sentalicnis nous imposent des lievoirs vis-à-vis
d'anlres élres. .Nous constatons par là que ces êtres sont réels. Klles
constilnenl une l'orce, nous dounanl l'empire sur la nature, l'e qui
n'est possilile (]ue si elles nous représentent la réalité actuelle des
l'ails.
M. le prolesseur Ffeifer de IJillingen traite la ([uestion très déli-
cate des pln'immènes inconscients. Plusieurs savants ont soutenu
(]ue rien ne peut échapper à la conscience. M. HoeIzki'S en donne
piuir raison la simplicité de l'àme en vertu de laquelle le sujet et
l'objet sont une même chose. M. Millier soutient que les phéno-
778 C" DOMET de VOUGES
mènes tlils iiicdiisciciits soiil des [iliriKiiiii'iics iiiii iir snnl Jl;l^ n.'iiiar-
fJII(''S.
M. l'I'i'ifrr n''|iiiii(l ijn'il v a ili'S jilii''iiiiiiii''iirs iju'ain-uiii' allriiliou
ne pciil faire remarquer, par exemple, les pliénomèncs vitaux; on
(Idit (loue les (life ineoiiscii^uls. Ce soiil eepeiulant des )iiiénoniènes
])syehi([iies, s"il esl vrai que Tàme et le corps sont suhslautielleuieiil
nuis.
M. l'I'eiler avait présenté au (;on,t;rés de Munich une très éléf^ante
di-Mionstratidii de racle de pr()jeeli(ni par lequel la vue localise au
dehors les iniai^es l'iiruu'es sni' la réliiu'. Nous ainiinis à la l'appeler
ici. Il |)lai-e sons h' niici-nscope de petits ci'islaux d asparagiue el
prdji'tti' >nr eu\ un t'aiseeau de lumière polarisée. Chaque cristal
apparaît aussiti')! il une couleur eu rapport avec sa grandi'ur relative.
Connue ces ei'islaux sont tous iilaucs. c'est évidemment 1 leil frapjié'
]iar la lumière analysée du Nicol ipii projette sui' eu\ ces nuances.
L'auteur rappelle ici celle expi'rieuce connue exemple d'un ai'le aliso-
Innu'id iiu-onscient.
M. IM'eifei' <'ili' encore d autres faits. .Nous remar(pi(Uis que tons
S(ud près di' la vie sensilive. Or. la sensaticui a tiw caraclèi'e particu-
lier suivant la doctrine tliomish» : c'est que la ciuisciem-e sensihle
n'est ])as l'acte du niénu' (H-j;ane qui produit la seusatimi. f'.lle peid
donc l'aire défaut. Il n Vn est [)as de mémi' des actes de I intellij;'enei'.
Ici, nous croyons (pie Ion |)eul appliquer jnstiuuent la l'cmarciue de
M. Boetzkcs (|ue Tacle et la conscience de cet acte s(miI inséparables.
In mol encore sur un ai'licle intéressant du H. P. r)(Mnd relatif à
lidi'e du hean. C'est la l'iinclusion d'un travail publie'' il y a un an.
b aidem- sont ieul que le sentiment du beau esl un acte de voloidé et
non \iii acte d'iiilelligence. Le beau, dans son (qiinion, n'est antre
chose qin' le bien, non le bien objectif ipii se trouve dans les choses,
mais celui qui esl ressenti à I int(''rienr de inilre àme.
Le savaid r(di{;ien.\ l'iqionsse la théoi'iede (iietmann c(Hd'(nidanl le
beau avec le vrai. Mais lui-ménu" ne le conl'oud-il pas nu peu avec
le bien. Le beau est assni'i''mi'ul un bien pour l'iime cpii eu joint :
mais c est un bien d'une certaine nature. La contenqdati(Ui des objets
beaux dévtdoppe dans l'àme uiu' perfection en tant ipu' rinlellifience
s'assimile à des r(''alilés supérieures. De là une jouissance intimi'.
Cetli' jouissance est assiu'énient un acte de la volonté satisfaite; mais
elle a pour fondement un acte de l'iidellitçence qui saisit le beau, le
ctuitemple et le juge. ,
C" DUMET DE VOUfiES.
BULLETIN
UL
L'EXSEIGNËMIiNT l'IlILUSdI'IlKJUE
LA LOGIQUE, SClE\t'.K DE L'IIIÉE
Diverses définitions de la logique. Recherche d'un principe
qui les éclaire toutes. — < in ,i pu ilii'c qui' ■< les liii;ii-iciis sunl loin
ilClrc (riii-ciird sur rnliji'l ri Ir hiil de la liii;i(|iic li ■■. (ici^'iiilanl,
(|iLiiiijirils II aiciil pas enlciidii ri'llc srii-ncc ilc la iiiriiic iiuinii'i'i'.
Idiis uni saisi i|iil'Ii|h un (\i' ses raraclrrcs l'ssi'iilicls ; les dOliniliiiiis
ipiils |)r(iposi'iil soiil dune laiiiiis l'aiisscs (prinsullisaiilcs, l'I il l'sl
]iiissilili' de les roiici lier dans une rdriniilc pins larf;r (pii les coinplrlc
l'L ll'S l'NpIiipil' llMlIl'S.
D'ahiii'd. ini ne prni (li'clincr les di'liiiil imis qiir dnnni'iil ii'i les
anli'iii's (In Ihfl nnniinic ilr F .\ciiilriiiii\ Mllri' cl les aiiln's Icxicd-
gra|)li('s : car ils se lioi'iienl à cunslalcr I nsaj^e ciini-anl ; ils lixciil
des acccpliiins reçues et iiiconlesir'cs. (In ne peiil disconvenir que
la liiiiiqiie csl une •■ si'iencc ipii ciisci;;iie à l'aisoiincr Juslc :i », ou
une " science ipii a piiiir (ilijel les proci''dés du raisonneineiil ;i ..
L(!S scolasl iqiics n'uni i;;uère ilil anlre cliosi,', en ajoiilanl que la
logi([ue esl I arl de dirii;'ei' sa raison, de l'exercer avec iiietli(Hleel
'facililé. en i''\itanl l'erreur. l'oi'l-Uoval ne les coiilri'dil puiiil, ni.iis
les résiiine eu disaiil (]ue la l(if;iipie csl I arl de penser.
C.i't arl. eu ell'el, implique Idiil le i-esli'. (larl'arl de penser ne \a
pas sans l'art de raisonner Juste, ni ccliii-i-i sans l'arl de liiiMi ju^cr,
(1} H.\HiKn, Loi/ii/iie. p. I .
(i) Oiclionn. de l'Acml. Voir Lo;/ir/iie.
(3) Dictionnaire, de I.htp.é. Voir Loyii/uei
780 ÉLiE r.I.ANC
ni celui-ci encore snns ili's idi'es claires et distincle*. Les idées, en
détinitive, e\plii|iHMil lunl.cl liiii pmirrail di'linir la loj;ifHie : l"art
d'éclaircir ses idées.
i<;i puis la pensée a inic aiilre lin iprelle-aiéinr, ellr a iiii nhict
auquel elle s'appli(|ni' cl se rapporle essentielleineul : caron ue pense
]ias à vide. L'arl de penser, de raisonner, de .ini,'er, enhaine donc
l'arl lie dénionlrer ce (pii rsl yrai. de criliipu'r cr (pii esl doulcux. l'Ii-.
C'esl ponr([noi mi a pu re,t;ardei- la lo.niipu' laiilut connue uni)
(•i-jlii|i I lanli'il (■(iiiinic une dialei-l i(]ue. l'illi' l'sl à la l'ois I une el
laull-e. i.i'S (livei-s caraclères ipiClle nnus ollVc, liuudi' se\clui-e.
s'a|ipellenl el se coniliinent.
]]n fait (le définiliims de la li\i;i(pu\ niui- iiiclindiis donc à I éclcc-
ti^iuc Kllc esl la s(nence île la dinnonslralion, coinnn' le veni .\ris-
lole ; elle esl la science de la ciuisi'qnence et de la ]n'euve, connne le
veut Stuarl Mill. l'illi' esl lexposiliiHi des criléres de la vi'rili'. coiuiue
le dit Ueberwei; I . Klle esl » la science des opérations de l'esprit
néce.s.saires ^lonr faire la science ■>, comme le dit, non sans quelque
oi)SCnrité, M. liahiei' i . C'est dune /') sririicr de la .vc/c//cç ou I mi
dis rnis, conuiH' l'ont dit, avani l5acon, les scolasliqnes.
Tonlelois. nous resterions dans le vague el manquerions huil à l'ail
à notl-e lâche, si iiuus ne un'llions en évidence ce qui juslilie ces
délinilions et antres semblables. .\ celle lin. nous devons énnmérer
les questions principales qui ressortissenl à la lo-iipn- et trouver le
niiMid qui le^ rallaclie entre elles rigoureu.semeul. Il \ a. croyons-
nous, un nn'Miu' principe qui les commande liuiti'S : il perun'l à la
lois de les poser cl de les résoudre.
Objet total de la logique, Vérités qu'elle recherche. —
Nonuuer cl délinir, diviser et classer: voilà d'aburd l'obJ!'! de la
logique. De là les considérations sur les idées et les ternu's qui les
esprlunnit. Stuarl Mill et Locke, aussi bien qu'.Vristole, oui insisté
sur ce point. Selon Mill, l'exanuMi critique du langage esl le .. |iréli-
minaire obligé de toute logique ». Il abonde ainsi ilansle sens d'.Vris-
lote, dont la logique et la mi''la|ihysiqne sont fondées, à tant
d'égards, sur ICluile pliilosopliique du langage. Cette étude esl si
|)rolitable à la logique el, en géin-ral, à la i)hilosopliie, que M. Uibol,
nndgré son positivisme, n'espère pasmoins de la psychologie linguis-
tique que delà psychologie physiologique elle-nu'uu' .'3 .
ili Cf. Tilmann Pksi.ii. Insliliilhnies lo'iicales, l'urs spcuiida, vol. 1, p. 32.
(2) Lof/ique, p. i.
3) L'Évolution des ictées r/éiiéiules-, p. US.
L.\ l.i'IUuV]:. SCIF.SCE hE VIDEE
■SI
A l.'i suilc (les iilt'i'S l'I (li'S Icriiirs, des Jiii;i'iiiriils <'l (1rs |il'iiiiiisi-
tious, (lu raisdiiiiciiicnl. cl îles syllogismes, la lof;i(|U(' ('Uidic le
iiicillciir l'i'iiil (lu raisdnncmcnt, (jui csl la (^U'-inniisIralidn. (tr, (ui
(li'UKiiili-c par (li'diicl idii on par iiKliiiiidii. I<',l puis la (k'iudiisl rai imi
suppose la V('i'il('' cl la ccrl il iidc. Voilà les gi'aiids dhjcis de la ldj;,i(]iic :
clic csl la (■diinaissaiicc Ac Idiis les criK'rcs de la V(''i'il(' cl de loiUcs
les eoiidil idiis de la ccrlillldc.
Mais la V(''ril('' (Idiil s'occupe la loiii(pic ii'esl pas loulc V('i'il(' : sinon,
la ingi(pie se coiil'ondrail avec reiiseriilile des scicncps, pnis(|iie clia-
cunc, en (h'Iliiilive, n'a pas d'atilrc (ilijcl (pie Ici on hd ordre de
V(''ril(''s. il l'aiil donc Uieii rciiiar(pier ici (pic la logi(pie a pour (dijct
la V(''rile |iropi'cmciil logi(|iic : c'cst-à-dirc, d'ahord, les condilioiis
de l'accdi'd de l'esprit a\'ec liii-iiu''iiie, ce (]lic Mil! a|ipelle " la science
de la C(iiiS(''(pieiice <■ : d'oi'i la lo.niipic l'oriindle ; cl eiisilile. les coii-
dilioiis j;éiii''rales de I acc(n'(l de l'espril avec les (dijcls : ddi'i la
loL;i(pie dite iiiali''rielic on (■ril(''rioloi;ic.
JMiIre les (leii\ on a essavi'' d'iiil rodiiii-e la ps\ (di(doi;ie. Mais
niuis ne croyons |ias ipie les services parliciilicrs (pic rend la psv-
(dioloj^ic à la crili''ri(iloi;ie h'^i^itiiiienl snllisaiiiineiil celle iiilrodlic-
lion. AssiliMniieiil la loi;'iipie cl. en |iarl icnlier , la crili''ri(dogic
(li''pendenl, en ipi(d(pie mani(''i'c, de la psyidiidogic. Mais (juidicesl
la science (|ui ne di''|)en(le, à S(ni loue, (le la lnf^j(pii' cl ne l'iin-
pli(pie? La psycliolngic siirlont csl vaine sans l'analyse cl la science
des i(l(''cs.
<Jiioi ([Liil en soil de celle coniroverse, qui pnrl(> sur l'ordre à
f;'ai-(ler enlre les parlies de la pliilosnpliii», la cril(''riolof;ie doit Irailer
de 1 olijeci ivil('' des id(''es t;(''iii''rales ou iiniversaiix, de l'idijecl ivih'' cl
delà valeur des priiici|ies lie loules les sciences, des sciences ellcs-
iii(."'iiies cl (le leur classitication. Ce dernier siijel, à lui seul, es! si
vasie el si iiiiporlaid (pie plusieurs, avec Aiii;usle (ioiiilc. (uil paru y
raniciicr loiile la pliilosopliic
Avons-iKMis \h du moins loiil l'idijel de la logiipie ? N'iillcmcul.
Il rcsie encore la iii(''l liodologii^ (Ui l'examen des diverses in(''lllo(ies :
iiKlnclive el d(''(.hiclive, e\p(''rimcnlalc el rai ionnidle, cic.
Tid csl l'ohjel ad(''(]nal de la logi(pie. Il n'esl pas plus (''lendu, mais
il lie l'esl pas moins.
Ou voil. (Ii''s lors, C(.immi>nl se V(''rilie, hnil eu reslaiil courte par
(plidipic eiidroil, cliacuiie des (l(''lin il i(Uis (pie ikuis avons rappid('es
en (■(Uiiineiicaiil. (lui, la logifpic csl l'ail de penser: idie csl aussi
lu'eii l'arl de iilj;('r. on l'arl de (hniKuil rer. lui l'arl de crili(pier : (dic
est la science de l;i science, pnisipi (die l'ait saxiiir, el la science (les
782 Elif. P.I.ANC
scii'iu'es, iniisi[ii'rllc l'ii (loniu' 1m cl.-issilifalioii. VMf est encore la
seienee ou l'ai'l ili' in iiii'lhoile. elr.
Le principe générateur de la logique est l'idée. — Caractères
de l'idée. — Mais coiiiiiienl ratlaeluM- loiiles ces détinilions \>;\f-
lielles. i[iioi(Hieléi;iliiii('S. à lin iiiènie |iriiici]iê. qui les e\plit|ue et les
(■nlii|ilèle, (nul eu iMiiis peraiel I ,i ni . mieux ipie cliacu ui' cl elles, (le
ilislinj>,iiei- netlemenl la loi;ii|ue d'avec lesand-es connaissances? Car
il j)eul seinliler cjne la l(i^ii|ne les coinpnse ou même les alisorix'
loutes.
Pour cela, il nons suffira de mellre on évidence le princiiio j^éuéra-
leurde la loj;i(|ue (oui i-nliève. (".e principe n"esl aidre ipie /■((/ce Les
anciens avaieiil liu'l liieu \u c|iu' la logique, en siiunne, n'est (|ue
la pliiloso[pliie riilioiiiirllc, par opposition à la pliiloso|iliie rrfllf. ou
ini''lapliysiipu', et i"i la philosophie morale; ils avaient coaiiiris ([ne la
Hu''laphvsi(pu'. uialj;r('' son cara(ii''re lr("'S alisti-ail, s'ap|ili(pu' à 1 elre
ri'-el, (d>serv(> r(''trer(''el. tandis (pu' l'objet de la liii;i(|ue est 1 ('tre
id(''al. disons pluh'it rid(''e, ]ioni' (''viler tonte e(pii\ iii|iu'. Niuis axdiis
des i(li''es de l(Mites choses. Mais alors (pu- les antres sciences et la
Mu''taph\si(jne, en particulier, pi'enueut pour oliiel la i'(''alil('' elle-
nK'iue, la lo};i(pn' prend p(UU' ohjet rid(''e ipu' nous eu a\(Uis.
Certes, ce n'est pas ipu' l'iih'c soit absrdumeul si'pai'alde de la
(liose, connue l'a pensc'^Kant. Mais, alors (jue les autres s.ivauts sar-
r(''lent sur les (dmses exprinu'-es |iar les i(l(''es, le lo|;icieu sarr(''te sim-
les idc'cs elles-mêmes. \'A. bien <pH' celles-ci ne soient iulelli!;ibles
inie par les choses f(n'(dles evpriuienl ou leui' contenu . pcuir euiplov er
celle e\p|-es-iiou moderne, elles peuveiil cepeiHlaul l'omadr uu objet
dislincl. Ce siud là les c/;r.v f/c rtiisini. (|m' l'Aradi'Uiie n'anrail pas
dû coul'ondre avec les (''1res iniaiîiuaires 1 : ce soûl là les sfrinulir
iiih'iiliiiiii'x iiinilix. diml ou s'est railh'' av(>c moins d'opril parTois
(pu' d'ijiuorance ou même de sollise.
Il esl (■■viileul (pie les id(''es eui;-eudreul et explicpienl loul l'objet
|iropre el direct de l;i loL;i(pn'. I.e loi;icieu doit d'alKU-d couslalel' leur
nainro, leur caract(''re abstrait, univers(^l et irr(''diu'lible à ceux de la
sensaliou el de riniasîc. En (''(daircissanl ses id('es. il voit leur distiuc-
li(m el leui' op|)osili()U. leur identiU'' partielle ou totale, leui- eucliai-
uemenl. De là les (h'diuit ions et les divisions, les i^cnres el les esp(''ces
avec les classiticalions. nalur(dlesou arlilici(dles : puis, d'autre pari,
les jugements, les l'aiscmiUMueuls. avec les sciences cpii en uaissenl,
M) likHon»(ii'i> Voir Klif.
L.l l.nr.inrE. SCIF.SCE UE L'IDÉE îs:!
('.('lli'S-ci, nu 1(111(1. ne sdiil i|iic des sysl(''in('S de r;i isiiiiiiciiiciils, ({iil
ciiN-iuciiii'S ne Sdiil i|iii' des svsh'iiics de jilf^iuiK'ills cl <l idt''i'S.
lui sci-ul,-iid la luiliii'C de l'idiM', le l(if;icii'il i'(iMst;il(' (iifidlc csl
cssi'iil icili'iiicnl (dijccliM' : (die iiVsl p.'is S(''|i;irald(' de sa mal icrr.
elle iiCsl |ias uni' (iiiri' l'orme ;(dli.' l'ail <-(Miiiaili-(' aulrc (di(is(> (iir(dl('-
mcuic cl lie se mauil'cslc (|iriiulii'(>çlcincnl jiar celle (diosc. Toiile
idée vraimcnl iiilellif{il)ie, Imilc id(''c i|iii iicrmel de s'eiilcudrc soi-
même, e\|)rime au moins une jiossihililc, une r(';aliLé c(nidilionnclle.
Kn scnilaid les idi'çs )ii'emi(''rcs, ti'(''s i;éa('i'alcs (>l. im|iersoiin(dles ;'l
cerlains (''.nards. (|ui naissciil siioiilanémeul S(Mis1cc(U||i de I c\|i(''-
l-icnce, le logicien C(im|ireud ([ii Un ne peuL donici' de leur (diJccliviU''
sans lomlicr dans rinconccvable cl l'absurde. Ici, sans doule, il l'aul
compliMi'i- la l(i^i(|ue |iar la |isycliol(i,nie, mais sans aucune c(iiil'iisiiiii
de ces sciences, sans aucune ({('peudance absolue delà l(i.ni(jue [lar
i'a|i|>oi't à la ])syc]iolof;ic. Celle-ci ex[)li((ue l'origine tics id(''es, ri
celle-là la naliii'c des id(''cs. ciimnie sonrces des ciuiiiaissances.
Le problème de l'objeclivile des idii'cs, cidui de la cei-lilnde des
pi-emicrs |ii'incipes el des sciences (]ui en découlenl, cidni de la cbis-
silicali(Hi des sciences. l-ess(H-| isseiil donc à la loi;i(pie. I>e mi''iiie. la
science de la iindliode, i[iii apprend à se servir de loulcs ses id(''i'S
aciinisi'S pour (b'Vidopper la scieuce ou mieux alleiiidre la V(''ril i''.
Toules les parlies de la, l(ijj,i(pje S(Uil ainsi snsiicndnes à ri(.l(M' ; el la
l(ij;iijiic elle-iiii''me u'esl, eii (bdinilive, i[ue la science de I id(''e.
Importance et étendue de la logique, science universelle,
spéculative et pratique. — l»(''s bu-s. nous apparaisscnl limpor-
taiice el ri''leiidue de la lo,ni(pie. Son inipiii'laiice : car 1 id(''e es! le
moyen ou pliili'il le principe île loule connaissance : c'esl loiijours|iar
ridi''e ([lie iKUis connaissons, el la connaissance ne peiil s (''claircir
ipiavec rid(''e elle-même. Ne[ionvaiil rien connallre i|iie par nos idées,
il imporle exii'i'memeni de les analyser avec exaclilnde. d'en lirer
toules les coiisi'i|nences, (le les appuyer snlTisammenl sur l'expi'-
rience, on ne |)reiianl jamais nos illusions [loiir des r(''alil(''S. ('. esl ici
ip.iela raison cl la praliipie doivent combiner leurs lumières et, s'agran-
dir mnlindlemenl, bien loin de se rapetisser par celli' alliance.
Knsnile. nous apiiai'ail (■'galemcnl retendue de la logiipie. Car il y
a des idées de toutes clioses, quVIIes soient existantes ou possibles,
présenti'son jiassécs ou l'nlnres. La logiipie est donc universelle. Kn
lanl ipic science du possible cl de riiiipossible. de ce ipii [■('■piigiie el
de ce qui ne ri''pn;;ne pas. idie didionle en ipiebpie nianii're la science
tin. réel. Tcuihd'ois, ce serait conimellre nue exagéraliiui manil'esle,
7S4 Eue lil.ANC
i|iii' lie lui siiliorilnmii'r absoluun'nl la scii'iico des clioses cl, eu iiar-
liculier, la jai'tai(liysii[u<'. Car ['('li-o iilral ou iud'llif^ihlc. l'idc'!'. en un
mot, relève essenlielleiiient <li' la l'éalitr ([u'elle exprime, à la(|uelle
elle se rapporte, eomineila l'h' dil,el par laquelle seiilciuciil elle esl
iul(dligilde. De même, il ue serai! pas juste de prélërer alis<iluuienl
la scieiiee du possiiile à la science du réel, celui-là u'c'taut possilde
(pie ]iar ce di>rnier, de luciiie (piil u'esl cdiium que par lui. Il sérail
niui moins injuste de rejiarderla uu'lapliysiqiie coumie n'('laul pas la
Science du réel, par opposiliou au l'ulur (ui même au possiMe. I,e
l'illur el le pûssiMe lomlienl sous la mi'lapli\si(pu' plnli'il ipu' sous
la logique. Celle-ci a [xuir objet les idées; celle-là a p(uu' olijel les
(dioses mêmes, simpleuu'nl récdlesou [lassées ou futures ou possihles.
eNpriuu''es ]iar ces idées.
Comment Dieu, la cause, l'infini, etc., sont l'objet delà logique.
.Nous disons donc que la logique esl une si-ience universelle, pai'ce
qu'il y a des idiM'S de lonl. Ces! ainsi que Dieu, la cause, linlini.
riMre. le i)arfail. le hieu. la suli-^ianci', l'Ic, huidieul sous la logi(pn'
par les idc'es que nous en avoii-,. (juelle esl lidi'c de l»ii'U .' l'isl-elli'
positive mi né'galixe. siuqili' ou compli'xe. primilivi' on ai'qnise. etc. ?
Se confond-elle avec l'idée d'eli'e. avec lidi'c d'inliiii. avec I iih'c de
parfait ? Si elle s'en dislingue. ipieU rajqiorls soulienl-elle avi'c ces
dillërentes idées ? L'idée d'élre s'applique-l-elle à Dieu el à la créainre.
à la sulistance et à l'accidenl. d'une manière univo(|ni ■(piixdipie
ou analogue? l'"l puis, i|u'esl-ce (junne id('e univoque el nue idé'e
analogue? Y a-l-il di's idées (''(piivoiiues ? (J\i'est-ce <|u une idéi' g(''ni''-
rale? Qu'est-ce ijunne idée Icansceiulante par rapport à Ions li'S
genres?... Ce soid là autant de ijueslions de logiqui'. Celle scienci',
quelque vaste el profiuide qu'elle soit, ne s'occupe jamais ([ue de
l'idée, bien ipie celle-ci serve à liuil connaître coninii' à lonl expri-
nu'r.
Ces brèves considérai ions sul'liseni , nous ri>sp(''riuis ihi nniins. jimir
inmilrer comliien ce sérail diminui'r la logii|ne cpu' de la rabaisser à
un art kuil prali(|ue de raisonner el de démontrer, l.a logique esl.
avant loul. une liante ]iliilosopliie, une science vrainu'nl spécul.alive.
puisqu'ell(> esl ]U'incipalenn'Hl la science des idées, de leur nalnre.de
leur accord, de leurs nuiluelles dépendances et de leur liaruuniie. Siui
domaine propre esl le mmnle inlelligibli', ce monde supérieni- ipie
l'Ialon a paru confondre avec un monde réel, qui sérail le lypc de ce
monde sensible el passager, (Ui même avec le mmide divin, mais qui
n'est (jue l'expressiiui prochaine ou lointaine de l'un ou île l'aulre.
LA LdCIQrF.. SClEyCE /)E VIDEE "85
S|iéciil.ili\c irabord, la logirj ne lu' laisse pas d'iUriMine science iira-
lique, |)iiis(Hie les idées qu'elle a pour nbjel ont é^aleiiienl ce double
caractère. Par là même, elle est aussi un ail ; cl il n'en est pas de
plus noble que celui qui consiste à concevoir des idées justes et à les
mettre en leuvi'e. On peut dire (pie, semblable à la morale, qui rè;;le
la viilonli', la lojiiipu' rèj^le la raison, elle brille avec elle sur les
mêmes sommets; sans en descendre, elles f;ouvernent ensemble,
mais sans les violenter, tous les actes luimains, dont se compose
principalement la vie.
Rapports de la logique avec la psychologie, la gram-
maire, etc. — Mêlée à toutes ndsconteinplalions et ;i lnutes nos leu-
vres, associéeà toute science ](articulière et à toute i>rali(pie, la lu}^ii|ue
n'en est pas moins une connaissance part'aitenu'ut distincte. Apres
ce qui a été dit, on ne saurait la confondre avec les sciences qui ont
pmir objet le monde réel, en parlicidier la métapFiysique. On ne
saurait surtout la confondre avec la psycliologie, qui s'occupe des
facultés de l'âme et de leurs actes en tant que ce sont des réalités et
«les perfections de l'ûme, alors (]ue la logique les considère comme
des principes de connaissaïu'c ou des moyens d'atteindre la
vérité.
Il faut reconnaître seulemeni quil y a des rap))orts intimes entre
la psycliologie et la logique. L'idi'c, en tant qu'elle est un fruit intel-
lectuel provenant de l'action des (djjels sur les sens et de la faculté
d'abstraire propre à l'esprit, est l'objet de la psychologie. A cette
science, en efl'et, il appartient de résoudre le difficile problème de
l'origine des connaissances et, par conséquent, des idées. Mais, en
même temj)S qu'elle est une expression des choses l't se lie avec d'autres
idées ou les exclut, Tidé* est l'olijel de la logi([iie. Autre chose est de
déterminer les lois de la logiipic ou du raisonnement ; autre chose dé
déterminer les lois |)sycli(dogi(pies, celles de notre nature inlellec-
luelle, qui sont inéluctables. Comme celles de la morale, les lois de la
logique éclia](pent à ce caractère de fatalité : sans être moins cer-
laiiies, ni moins précises, ni moins inllexibles. elles n'ont rien d'invio-
lable.
Maintenant on voit aussi la tlistinclion et les rapports ilc la logi((ue
cl de la grammaire. Celle-ci a pour objet les mots et le langage,
]dut6t que les idées elles-mêmes exprimées par le langage, dont elles
sr)nt l'àine et la vie. D'où l'on voit déjà l'importance de la logique dans
loiilcs les études grammaticales et littéraires. Avec la grammaire, il
faiil complrr ici loutes les sciences ]diilologi(|ues et même tous les
780 Klie blanc
firis. piiisini'ils idiisistciit (hiiis l"us;i^r ou ii;iiis l'iiiti'lligiMicc des
symboles el autres signes. Toutes ces eoiuiiiissauces, si variées
([u'elles pai-aissent à celui qui'coiisidère leurs ol)jets particuliers el.
leurs moyens d'action, s appliiiuent à la siniiiliralinu di's idées plu-
tôt qu'aux idées elies-mèuies.
Kt puis les idées ne j)euvriil d aui'iiiic iiiaiiifre rire l'omparécs à
de purs symboles. Le symbole, eu ell'el. prul elrc coiinii, remari(U(',
.sans que sa sifînilicntion apparaisse encore : l'idée, au contraire, esl
un sif^ne forme! ; elle esl absolument inintelligible sans l'objet i|uelli'
exprime. Aussi le synd)oie r-st-il |)arl'ois éipiivof|ne : l'idée, jamais.
1) ailleurs, rien n'euipiM-Ju' d'attaciier aux idé'es certaines signilicatious
symboli(pies ; mais les idées se soutien rieul et se conçoiveiil sans ces
siguilicali(Mis, et ce u'esl point ]iar là préciséuuMit qu'elles tombent
sous la iiigi(pie. D'aucune manière la logiipie el, avec elle, la pliilo-
siiphie Me |ieiiveu( elre j-amenée> à une science de s\nd)uli'S.
La logique dans les études grammaticales et littéraires. —
Des conclusions pralicjues li'ès impiirlanles nous semlilenl découler-
de tout ce (|ul précède. Klles ciuiceruenl pai'liculièrement li'lude de
la bigique dans les classes de grammaire el d'humanité. La gram-
maire el le> lellres seraient vides o\i superticielles, si elles u'iulrn-
duisaienl dé'jà dans la science des idées. Faire naître celles-ci ou en
l'aire prendre conscience, éclaircir tontes les idées élémentaires qui
sont le fond du langage el des ti-adilions d'un peuple: ap|)rendre à
s'en servir pour pei'l'eclionner son |)i'oi)re esprit, pour comnmniquer
ses pensées et conqirendre celles d'autrni : tel est le but supérieui-
des études grammaticales et littéraires. Ainsi entendues, ces études
iuqjliquent déjà une philosophie élémentaire et une véritable logique.
Les ramener purenn^nt et simplement à l'art d'exprimiT et de bien
dire, serait donc les dénaturer el frapper même de stérilité l'esprit
qui les cultive. On ne peut les élndier comme on le fait d'un corps
sans âme et en ne tenant aucun com|)te de cette âme. (Juoi (ju il fasse,
le maître de grammaire ou d éloquence pi'épare déjà des sceplicpies
ou lies dogmatii[nes, des sophistes ou dos |)iiilosophes.
Nous ne voulons point dire que la gi-ammaire et la rhétorique enga-
gent déjà une doctrine arrêtée. Les mots d(Mit se sert la grammaire
ou l'écrivain expriment, si on les considère isolément, des idées el
non des thèses; les procédés liltt'raires el oratoires trouvent partout
leur emploi et s'appliquent à toutes les causes, à tinis les sujets. Mais
il faut convenir que la gi-aunnaire et les lettres ont ])Our but essentiel
d'exprimer des idées, et (jue de la clarté de celles-ci naîtront pins
/. I lJ>r,l(j\E, SCIENCE DE LIDÉE 787
lard l'I iiiiissi'iil <li'j;'i, dans l'cspi'it tli' rcntaiil un dn jcnni' lionnnc.
t<inl(' la lr)j;i(ni(' avec li's aulfcscdiinaissaiH'i'S. Il \ a doni' nin'solida-
iil(- ('li'diliM'iilrc la l(igi(|ni' cl les Icltrcs.
Solidarité de la logique et des autres sciences philoso-
phiques. - Conclusion et définition. — Il y a nni' anirr solidaiili',
plus ('lidilc encore, entre la logique cl les diverses ]iart,ies de la
plul()si)|dMc. Oi'"i ijii en (JiseSUiarl Milld i,lc logicien ne peut se d('-
sintcrcsser de la nii'tapliysiqne ; il nepcnl s'e\pli<|nei-snT- la logiipie,
sans l'iitrer en eoniradiftion avec lelle on (elle école. Il n'y a pas
de l(igi(ine indillërente : mais lelle sera la logicjne, lelle anssi sera
la métaphysique, avec la psycliologie; lelle encore sera la morale. Si
le logicien niéconiiaîl, ])ar exemple, le caractère universel et absolu
de l'idée, pour la coid'ondre avec l'image ou l'idée sensible ; s'il adhère
aux Ihéoriesde l'associalionuisme, qui bouleversent toutes les lois du
ingeiiieul et dn raisonnenu'nl , exagèi'cnl l'imiiortanee de la méthode
expi'riuienlale, ih'nal ureiil les sciences Cl nuilihïnt leur classitica-
lion, il rninei'a, par là mi"'me, les bases de la métaphysique el celles
de la |isvcliologie ratiiuinelle, snbstilnera à la morale du di'voir celle
de rinli''r(''l ou du plaisir. Il n y aura pins de lln'odicée : el l'eslliélique
elle-m(''mi' cliangei-a de l'ace. On ne saurai! Irop insister sur celte soli-
darili' île loutes les sciences ])hilosophiqnes.
La logitpie élabore une docli'iue nécessaire à toutes les branches de
la philosophie : elles vivent de ce suc nourricier et indispensable.
Celte doctrine, c'est (pu' les id(''es proprement dites, celles dont s'oc-
cuiie la logique, soni universelles, absolues dans ce qu'elles expri-
ment, el ne peuvent se confondre avec les images sensibles, (jni nous
pi'ruKillenI de les fixer, de les soutenir, de les traduire. Cette doctrine,
c'est (pie ces idées sont objectives en princiiie et servent A créer
tontes nos autres connaissances; c'est qu'il y a un monde intelligible,
par lequel nous pouvons découvrir et pénétrer le monde réel el sen-
sible.
La logique n'est donc pas lascienet^ des réalités, mais elle introduit
dans la connaissance de loutes les réalités ; notre pensée, qui est
l'objet propre de la logique, n'est |>as le monde, ni encore moins
sa cause à elle-même; mais elle nous l'ail connaître le monde el
Fauteur de toutes choses, d(î noire esprit comme di- tout ce qu'il con-
sidère.
Hrel', s'il tant choisir de la logiipu' la d(''ilniliou la |)liis connue, en
{\) Liii/ique. (rad., t. I. pp 11. 15.
788
Elie blanc
même temps i|ui' la |ilus large, nous dirons (jiie la logique est lu
science de l'idée ou, si l'on préfère, la science de la pensée, puisque
celle-ci n'est que la mise en œuvre des idées. Et si l'on veut um-
définition explicative, nous ne répudierons pas celle-ci, en atlen-
«lant mieux : La logique est la science des idées, de leur nature, de
leur valeur objective, de leur accord entre elles et avec les clioses.
de leur mutuelle dépendance et de leur harmonie, de leur emploi
méthodique dans toutes sortes de démonstrations e( de recherches.
Lui; HL.\NC.
lA imi.OSdl'HIK A LINS'ITUT CATHOLKIIK lll- l>\UIS
ECOLE DES HAUTES ÉTUDES LITTÉRAIRES
Cours de M. l'abbé Piat. M. I.iIjIx' C. Put a l'ail clhuiuc
scinuiiie deux cdiirs : l'un sur I iiisloii'c de la philosophie, i'aiili-e sur
la philosophie dogmatique.
Dans le cours d'histoire de la philosophie, M. Pial a étudié Arislote,
Socrate et Platon. Il n'a pas voulu donner sur Socrate l'étude com-
plète que renferme son livre de la Collectiun des f/rands philosophes :
(raulrepart, son enseignement sur Platon el Aristole n'est que l'éliau-
che ou, mieux, le commencement d'un travail approfondi (pii sera la
matière de deux volumes dans la même collection. Il sufïira donc de
dire que, dans l'exposé de la philosophie platonicienne et péripalé-
licienne, M. l'abbé Piat apporte les qualilés qui ont signalé son
Siinrile : le souci de suivre pas à pas les textes originaux, rinlelli-
gence aU'ectueuse de l'esprit gi-ecau iv'' siècle, la clarté du style prove-
iiantdc la parfaite neltett' de la pensée, enlin le soin d'indiquei' abon-
damment les réf(''rences.
Les leçons et conférences dogmatiques sont ortionnées de telle
sorte (jue le professinir peut étudier, dans l'espace de deux années,
toutes les (piestions comprises dans le j)rogramme de la licence ôs
lettres. Ci'lli's qu'il ne traite pas dans les conférences ou les correc-
li(uis de devoirs font l'objet des cours dn mardi, et c'est ainsi ijue,
cette année, M. Piat s'est occupé particulièrement des (piestions que
les manuels rangent sous la rubrique de psychologie exinh-imenlaie,
l'n réservant toutefois l'étude de la liberté.
Dès la ]>rcmière le(;on, M. Piat a pris position au sujet du pio-
blèmi- de la connaissance. Depuis Kant, bien des intelligeiu-es, et
des plus belles, se sont laissé arrêter par cette pensée : Que sail-ou
si les lois di' noire espril eoncordenl avec celles de la nature? ^o|re
-00 E. A.
inlelligencc jnjj;f dapri-s ses foniics (/ priori. Les sens ei la con-
science ne nous Iroinpent pas puisqu'ils nous fournissent des phéno-
mènes, mais, quand nous lions ces phénomènes par des idées de
substance, de cause, de lin, qui nous assure que nous suivons vrai-
ment la réalité? Ne soiiiiups-nous pas |)lutôt et pour Jamais empri-
sonnés dans le [■clalir?
Adversaire résolu du suhjeclivismi' kantien, M. i'abhé Plat ne veut
en aucune façon de cet emprisonnement, l'artaul des ddniii'es de la
conscience, il montre que les formes innées s(uit une sni-le de super--
fétalion, que le ndalivisme ne saurait pénétrer dans l'iiiluiliDu de
ridée elle-même. cpie. outre leur valeur formelle, nos idées ont \iiie
valeur scientiliiiue et même nue valeur iiic'laplivsiipie. jiMisque. l'iilre
les faits et la cause noumenale dont ils [irocédenl. se plaee une r.ri-
(ji'nci' cssmlit'llr, vrai " |iont de la métaphysique ".
Le pl'i'iiiier semestre de l'année l'.tOO-l'.lItl a r\r oeciipi' presifue
an entier par léliidede luSrnsuliiiii. l'iu' leçon pn-liminaire sur l'ana-
lyse ps\cliolo|^i(pn' et une autre sur la classilication des laits psycho-
logiques précèdent r('lnde de la qnaliti' et île la ([uanliti' des sensa-
tions. Sm- cette dernière question. .M. l'ahhé l'ial résume sa pensée
dans trois propositions : I" La théiu-ie cinétique du mouvement phy-
siologique n'est pas démon! rée : -2" la I h('oi-ie cinétiipie de la sensation
est une erreur : ;{" il faut revenir à la llii'orie de l'hcMérogénéiti'- ; le
propre île la sensation élan! d'être |iereue. elle est toujours ee <pie
nous la vov(uis : or, elle a|)parait tanti'it réduclilile, tantc'it irréduc-
tible au mouveuH'iil : nous pouvons donc anirnier qu'elle es! quanti-
tative ou qualitative quand nous la vo\(ins telle.
Lorsqu il s agit di' delinir la seusaliiMi, on la dégage d abord de
ce qui n'est pas elle, c'est-à-dire de l'excitatiou, «le l'émotion, de la
connaissance intellerlnelle, puis un la délinit : la |>erc(qilion du con-
H-ret que provo(|uenl en notre esjjrit les excitations organiques.
L'étude di> lasensaliiui amène à eelle «les notions d'espa«-e et «h-
temps.
Iiu\au expliipiail l'origine de la notion de «Inrée, |iar rintuiti«ui «le
la volonté, [)ar l'i'irorl ipii met di' l'ordre «laus les sensations l't n«>us
fait y distinguer lavanl et lapii's. .M. l'ial rattache aussi la dui'ée à
la conscienci', mais par le moyen d«' la sensibilité et non ]dns de la
volonté. Le sentimi-nt «le la durée l'st en raisiin inverse «h' ra«'tivité
mentale absorliée i)ar uni' représentât i«)n, elle n'est di)n«- pas un
mode de nos re|)réseulations : d'autre part, plus nous j«iuissons «-t
moins nous pi'rcevons la durée, la durée ne s'épanouit pas dans le
lionhi'ur, «'lie ne commenci' à «'xisler «[u'avec la «louleur. elle est
FACULTÉ DE PHILOSOPHIE 'Ot
donc un mode dr la sensiliildr ri, plus |>arl iculiri-iuiiriil . iiu nimlr
<!(' I:i s(uinVaui'('.
A noter, dans les lerons sur la mémoire, l'imaginaliou et i'instinel.
([ueli|ues idées lunireusement mises en lumière. Dans la question de
la mémoire, M. Fiat lient, avec M. Bergson, que les images sont des
modes de l'esprit et non du cerveau; par suite, les vibrations céré-
brales ne peuvent être ((ue des conditions, ou, tout au [)lus, une
ébauclie de l'imat^e.
FACULTÉ DE PHILOSOPHIE
Cours du P. Bulliot. — Le P. Hulliot a étudié longuement la
lormatiôn de la loijique sàenlifiquf à partir de sa tige mère, la logi<iue
naturelle.
On oublie beaucoup troii, à son avis, par le temps de crilicisnu' a
outrance, ces b\imbles et vraies origines de toutes les sciences. \.i\
pensée humaine ne naît point comme nos organes, comme nos pou-
mons et LH)tre cerveau, i>ar une évolutimi vitale ([ue définissent
d'avance les lois ancestrales du germe. Ncui. Elle se forme peu à
peu, lentenuîiit, en chaque esprit, par une sorte d'épigenèse, au
t-ontact des choses. Il naît ainsi, en chacun de nous, un premier l'oud
de pensées que la réalité nous impose et sans lequel tout le dévelop-
pement ultérieur resterait impossible. Ces notions premières, (jue
l'abbé de Hroglie comprenait et défendait si bien sous le nom de
.. données synthétiques », forment le lot commun de l'humanité,
ce par quoi nous sommes frères intellectuellement, et nous nous
comprenons les uns les autres. Elles représentent notre première
prise des choses, le point de départ de toutes les sciences et de tous
les arts. Là se trouvent rapprochées et mêlées par leurs racines com-
munes la métaphysique naturelle, la psychologie naturelle, la logique
naturelle, tout un ensendde de notions contemporaines les unes des
autres, sans lesquelles il est impossible de construire aucune science:
car il y a de la psychologie partout, de la logique partout et surtout
peut-être de la métaphysique partout. Ce sont quebpies-unes de ces
notions premières, en un sens « nées avec nous », tant elles sont
d'une acquisition immédiate, que lûint a prises bien à tort pour des
792 E. A.
formes a priori, \H)\iv dos pièces eonslitulives el subjectives de noire
(irjçanisine mental. 1^'espace. qu"esl-ce auU-e chose que l'ensenibie et
le syslt-me «les étendues réelles et corporelles? Qu'est-ce que le
temps, sinon la double succession continue des phénomènes inté-
rieurs et extérieurs? Kt est-ce une raison, parce que nous trouvims
l'étendue partout, le mouvement partout et la succession partdul,
de conclure à leur idéalité pure et simple? Quel paralogisme géant
Je ])ère de la critique n';t-t-il pas réussi à faire accepter, sur sa simple
parole, à l'immense niaj(U'ilé des philosophes contemporains? Il
serait grand temps de s'arracher à ce mirage en vertu duquel
l'univers entier est en nous et uniquement en nous, suivant lequel la
succession des générations, les liens de paternité et de liliation, tous
les déroulements de l'histoire humaine el de l'histoire du ciel ne se-
raient, en délinitive, que des illusions de naissance de la Raison pure.
N'est-ce pas faute de faire sa part à la philosophie naturelle, tille
de la raison spontanée el mère de toutes les sciences, que l'on se
laisse aller à ces débauches de dialectique aventureuse el vide, si
fréquentes aujourd'hui. Le eriticisme, souvent négatif dans ses résul-
tats, n'esl-il pas l'opposé de la vraie critique positive et scientilique,
qui fait dans la science le triage des éléments l'i'agiies ou l'ésislants,
mais dont la devise doit être, son choix fail. de retrouver la filiation
expérimentale des concepts métaphysiques et d'égaler, s'il se peut,
les théories de la raison rélléciiie aux concepts instinctifs de la rai-
son spontanée.
On a essayé ra[)iilicatiou de ces principes généraux non seule-
ment à la logique savante, mais encore à quelques questions pai-
liculièi-es de métaphysique, aux (-(uicepls fondamentaux de la géo-
métrie et de la mécanique, lels que ceux de la ligne droite, de
l'espace, du mouvement. <!<■ la force et de la masse. 11 faut, pour
suivre cette méthode austère de philosophie, consentir à bien des
sacrilices, fuir les paradoxes retentissants, renoncer au désir de
construire chaque fois une philosophie inédite et au plaisir inc(un-
parable que l'on goûte, parait-il. à renverser le plus d'axiomes et le
jilus de données possible, par un simple jeu de dialectique, au nom
d'un axionu- ou d'une donnée préférée. On y gagne, en revanche, de
garder le cimtact avec la terre ferme et de rendre po.ssible l'union
intime, liuirmonie nécessaire des dirtérentes branches de la science
avec la philosophie.
Cours du P. Peillaube. — Le P. Peillaube, iiiot<'sseur di' jisxeho-
logie, fail chaque semaine deux cours.
FACCLTi: UE l'Iin.OSOPlIlF. 79.1
Le preinii*!' f'st consacré ;i la iiioiiograpliie d'un clat (ic conscicncH
choisi parmi les plus importants ; celte étude de détail et d'iinalysi^
est capitale pour la formation d'un psychologue, car elle metsiicces-
.sivement en o?uvre les nombreuses métliodes dont on est obligé de si;
servir pour comprendre le réel, si riclie et si compliciué (\n\is noliv vit^
intérieure.
Le second consiste à suivre, avec ordre, les i)riiici[iaies questions
dont se compose la psychologie ; il est ordonné de manière à étudier
ces matières.en deux ans.
Cette année, le professeur devait commemer le cours de psycho-
logie. Mais il en a été emj)éciié par la maladie. 11 avait pris comme
sujet de monographie les sensntiinis. les images, les souvenirs et la.
peireptiiiti. Il n'a pu qu'analyser les dillëi-ents groupes de sensations
et d'images : sensations et images visuelles, sensations et images
auditives, sensations et images kinesthésiques, tactiles et thermiques,
sensations et images olfactives, sensations et images gustatives. enfin
sensations et images viscérales.
Cours du P. Sertillanges. — .Vyant à établir tout d'abord les
premiers ]>rincipes de la morale, le professeur prend son point de
départ dans VÉlhiqne d'Aristote, qui n'a besoin que d'être complétée
pour présenter, dans ses grandes lignes, le type parfait d'une éthique
naturelle. Ce qui lui manque, c'est d'avoir su se rattacher d'une façon
suffisamment ferme à l'absolu divin, qui seul peut servir de base à
l'idée d'obligation morale et garantir une sanction. Aussi la morale
d'Aristote présente-t-elle les caractères d'une morale « sans obligation
ni sanction "'. d'où résulte i)0ur nous la nécessité de la prolonger dans
les deux sens, afin de lui faire rejoindre le divin considéré comme
source de sa valeur transcendante et comme aboutissant de son eflori .
Ce qui, dans Aristote, demeure à jamais inébranlable, en dépit
des attaques de maint adversaire, c'est sa doctrine de la l'erfer-
lion et son Kiidémonismo rationnel, l'our lui. la loi de l'activité
humaine ne peut se tirer que de lexamen de la nature humaine.
.' Sois ce que tu es », c'est la règle première de toute vie. H est
bien vrai que la ii/iluir de l'homme, considérée dans son idéal, ne
.se rencontre nulle part : mais si le réel, en l'incarnant, i'abais.se,
L'esprit la désincarné et la rétablit dans sa pureté. Or, c'est cette idée
de l'homme, conçue par l'homme, qui est la règle et le principe de
la morale. Quiconque travaille contre cette idée tend à se détruire
soi-même en tant qu'honnne. Kn la dégageant, an contraire, et en
la réalisanl. ou se trouve rire tlM^'oriquement et ]iralii[uement dans
i'ji E. A.
lu véi-iti' de s;i iialiire U'ili' (|uc I'm riiiicuc cl viiiiluc le <".r-('alciii-.
|j id('(' de liiiiiJtritr n'ajdiite à ce (jui jin'cèdc 1(1111111' cliose : <'csl
lu coiistatatioii di' ce l'ait (|iie tnule fonction conforniP à la nahirc
|iroduit natiirelk'iiu'iil un plaisir ; (ju'i\ l'activité la nicillciu'c duil donc
correspondre le ineilleni- ]ilnisir. cl (jue le sa};;e, constatant cette loi
et ne pouvant ipi'y ap[ilandir, doit vouloir dans.vo/; liien le triomjjlie
ilu l)ien et poursuivre d'un même élan, liien que dans une pensée
différente, la Ixjalitiidc (jne le " règne des lins .. lui prépare cl la j)i'r-
fertiuii que la volonti' créatrice lui a marquée.
A l'eiiconli-e de celle théorie, divers systèmes de morale (Mit essayé
de se constituer sur d'aulres bases. Aucun ne donne satisfaction à
la nature rationnelle de riiomme ou ne tient un compte sufiisaiit
des conditions réelles de sa vie.
La moi'ale du IHahir. celle de VUtilr, celle du pur Drroir, sont
csaïuiné'es tour à tour sous leurs diverses formes: im en voit le [leu
de consistance ou Tinsuflisance iiianifesle.
Le P. Sertillanj^es re|irend ensuite l'idée de Perfection Inmiiiinr
pour eu analyser le contenu réel, et en conclure la loi de déveloiqie-
menl de nos facultés envisagées à la fuis dans leur valeur propre (I
dans leur liiérarcliie. Il en résulte une connaissance très générale
encore, mais extrêmement féconde, de ce qui est le hien.Y>our nous;
Ions les jiréceptcs moraux s'en déduiront plus lard à titre de consé-
(juences. L'idée de bonheur, elle-même, analysée à la lumière du
principe aristotélicien de la xpeci/tralion du plaisir, donne lieu à des
déterminations du même ordre. Il y a seulement ici à faire la [lart
de l'nccidrt\l. qui fait obstacle au ■■ règne des lins " en troublant sans
cesse les relalious lun-males du bonheur et de la vertu, ('.'est là ipu'
doit intervenir l'idée de la rir future, laquelle, même dans une
morale purement rationnelle, ne saurait êlr'C passée sous silence,
sans laisser voir dans la doctrini; nu \ ide inqicissible à combler.
Après l'étude du Jiien unirai considéré en lui-même, le |U'ol'esseui-
l'Iiidic les conditions tians lesquelles il exerce son r(')le : c'est la ques
lion lU' la /"/,■ |Miis, il fait voir de (]uelle fai;on la loi elle-niême
s'applique à sa matière : c'est la (|uestion de la rnuxririirr uiorule. Ces
deux notions sont faciles à lixer, après les déterminations qui précè
(leni ; mais il faut encore les défendre contre les faux points de vue
issus de pliilosophies subversives ou incomplètes ; c'est à quoi s'aji-
plique la suite du cours, qui se termine par une brève étude du l'ro-
habilisme, laissant à une nouvelle série de recherches le soin de déter-
miner le contenu légitime des idées de rrrlu, de pro(ii-<H nwruL d(>
mérite et de sanction.
œi'RS ET CONFÉRENCES LIBRES
Conférences de M. J. Gardair sur l'homme. — Apirs mu'
iiilrodiii'lioii sur l.i liliysioiioiiiic i;i''iu'r;ili' <ii' lit [iliildsdjihic i]ii il a
riiilfnl'dii tl t'X])(isc'i- l'I il e\|)li(|iii'i' sur rH(nnini\ eu s'iiis[iir;inl dr
la doclriiif tic saiul Thomas. M. .1. (iardair cxiilori' l'i'lrr Iniiiiain
lout eiiliiT depuis la malien' de sou i'(ir[)s Jusqu'à ses opéi-aliiuis el
ses l'aeullés les plus imuuil(''pielles. de|)uis la t'ormatiou iuiliale de
riiiuiiiiir indixiduel. par l'ini-iii-piu'al i(Ui d uni' :'ime si)iriluelle. Jlis-
<|U à 1 exisleuee de eelle ,ime eu delnu-s de la nialiei-e, après la ei'ise
de la moi'l.
Il étutlie d'abord tl justilie la lln'orie de la Matière et de la Forme,
iloiit il est ui'cessaire d avoir uue uotiou exacte, pour saisir la
nature du couiposé liumaiu. suhstauee complexe, oii l'àme, priiui|(e
^inique d'une li-iple vie, est aussi le [irincipe unique qui, en prennni,
possessi(ui de lèlémeut matériel, le constitue eu corjjs dhomme. Il
parcourt ensuite les divers déférés de vie qui s'échelonnent et sasso-
cieul en nous : la Vie végétative, de nutrition, de croissance et. de
i;c''néraliou, où l'unité d'impulsion et de direction met déjà en leuvre
nue umltiplicilé de puissances vitali's; la Vie sensitive. avec ses
<leux liranclies, la sensiMlité de connaissance et la sensibilité d'ai)pi''-
tilion, où l'animalité humaine prépare, par les sens externes el les
sens internes, les données expérimentales que l'intelligence trans-
formera en les immatérialisaut. el prélude, par les passions sensibles,
à laiiKuir du bien ([ue la volouli' tr'aduii'a en une inclination intellec-
tuelle ; entiu la Vie proprement humaine de cette intelligence, qui,
éclairée par la lumière naturelle de l'entendement actif, pense sous
forme abstraite, universelle, nécessaire, et raisonne en vertu de
principes t'vidi'uls par eux- mêmes, et de cette volonté, qui, précisé-
ment |)arce qu'elle tend iialurellemeut au bien absolu el parfait,
<lemeure libre de se délermiuei' elle-Mu"'nu' an choix de tel ou tel
Jiien particulier el imparfait.
C'est parles caractères îles actes intelleclucds el volontaires (|ue
M. .1. Gardair ilémonlre la spii-itualité de l'àme humaine, c'est-à-dire
son indépendance radicale à l'égard de la matière, perfectioiï supé-
i'ienr(> à la simplicité, car, selon lui. tout pi-incipe de vie, même ani-
7'.I0 K. A.
iii:ili\ in<!'ine vc'fjclaliv»'. est simpli^, el inénic tout |ii'inci[)i' forinatcui-
(le malif'i'O a une certaine sini]ilicité d'être, qui seule peut ennstituer
riinilé de la substance corporelle. La spiritualité de l'àme n'est point
un obstacle à l'union de l'àme et de la matière du corps en une seule
substance composée. M. (iardair s'attache à prouver que, dans celte
incoriioralion, l'àme luiinaine ne sul)it aucune déchéance, mais qu'elle
(■'lève à elle la matière en se l'unissant, par une prise de possession
(|ui est une victoire, et non un avilissement. Indépendante de toute
uialière par nature, l'àme de riioinme ne peut tenir son origine «pie
d'une création immédiate, et ne pourrait cesser d'exister que par
cessation de la création continuée qni lui conserve l'existence. Elle est
donc immortelle par cela même qu'elle est spirituelle, sous réserve
seidement de l'omnipotence du Créateur, qui peut anéantir cequ'il crée.
L'immortalité de l'àme conduit an problème ditlicile di' l'état
naturel de cette àme, lorsqu'elle a été séparée de la matière par la
mort: comment pourra-t-elle penser et vouloir, sans corps, s'il est
vrai, comnn' les laits le montrent, que la sensibilité tout entière est
liée à l'oi'ganisme, que l'intelligence se sert de la connaissance sen-
sible pour y appuyer ses pensées, el que c'est l'intelligence qui
présente à la volonté le bien que celle-ci est née pour aimer ?
M. dardair résout le problème en nii'ttant en lumière la capacité
fondamentale de l'àme humaine jiour la pensée l'I |)our l'anKuir intel-
lectuel, 1^1 son élévation, après la mort, dans le milieu des es|irils
purs, où Dieu <'ommnnique les idées sul'lisariles pour la vie dintelli-
genceel de volonté ; il fait, en outre, remaripier ijne, même ))ourdes
i-aisons purement philosophiques, l'on ])eul l'spérer qu'un jour Dieu
réuniia de nouveau à la matière l'àme qui avait été forcée de s'en
séparer, car l'àme humaine a une inclination naturelle à former et à
animer un corps, et il appartient à la sagesse divine de ne pas priver
indéfiniment de satisfaction les tendances normales de la nature.
Si l'on joint à ces cours et conférences les intéressantes leçons de;
psychologie données j)ar M. Joly à un auditoire de jeunes lilles, on
aura comme nn tableau de l'ensejgnement de la pliilosoi)hie à l'insti-
lut catholique de Paris, durant l'année scolaire l'.lÔO-lîtOI.
K. .\.
Le. G>-rn,it : L. G.XR.NlHIi.
La Chapelle-Montligeon. — Inip. de N.-l). de Montligeon.
Revue de philosophie
PLEASE DO NOT REMOVE
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