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Full text of "Revue de philosophie"

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REVUE    DE   PHILOSOPHIE 


I.A  CllAlKl.l.l-MHMlll.KnX     llKNK  .   —    llll|l.   i\0  \.-ll.   .le   M..nl  lif;<oii. 


REVUE 


H  E 


PHILOSOPHIE 


PARAISSANT    TOUS    LES    DEUX    MOIS 


lIIHKCTKrH 


E.     PEILLAUBE 


!»REMIÈRE    ANNEE 

décembre:    1900    a    décembre    -I  90-1 


PARIS 

C.     NAUD,     Éditeur 


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T' 


X-  ':^'rsiTY  Oî 


r. 


Li'  drsarnii  tic  riioilir  iirHcnti'  (Itins  le  domaiiir  f/r.<  it/rrs  ririil, 
en  f/mndr  partir,  ilr  la  hkiiiH n-  ilonl  Ir^  srinirrs  posi/n-fs  \r 
nont  (lrrrl))/i/)rf's  ri  dr  rutlUiidr  idisrrrrr  à  Intr  ri/iird  pur  hi 
pltilosopliir. 

D'anr  pur/,  /'••-  srimcrs  posl/irrs,  ni.  sr  ronsdliKiiil .  uni  rinpup- 
rrspr'il  dans  une  rnir  dr  sprcinUsalion,  iirc/'ssairr,  mais  ilanyr- 
rrnsr.  hoir  dans  anr  rluilr  parliiiili'  rr,  Ir  saran/  a  prrda  dr  rar 
rmsriiddr  dr  l'Iidrizoïl  srirnt'l jiijar .  Sa  prnsrr,  disi  i/dinrr  à  drs 
formrs  trrs  sprciairs  d'idisrrralion  rt  d'r.rprrirnrr .  dr  raisan- 
nrinrnt  et  dr  calcul,  a  cri^lallisr  dans  an  si/s/înir  d'idrrs,  (pu 
prul  rirr  pm/nnd,  niais  diail  on  fait  cite  Ir  imir.  Lrs  ijrandr^ 
ahstrai  lions  lai  sont  drcmars  sasprclrs,  rt  il  n'a  pas  inrnai/r  son 
df'dain  à  la  scimcr  dr  la  plus  liaatr  ip'ncraHlr,  à  la  pliilosopliir. 
Tfaatrr  part ,  lu  philosopliir,  au  lira  d'allrr  crrs  1rs  scirncrs 
rt  dr  Irar  drniandrr  an  point  d'appui,  s'est  rrplirr  sur  rllr- 
mcnir  pour  sr  concrntrrr  dans  la  rrfirxion  prrsonnrllr  rt  joiirr 
arrc  1rs  idrrs. 

Cr  dicorcr  ilrrait  aboutir  à  la  dissolution  dr  la  raison  rt  à 
l'cniirttrnirnt  ilr  la  penser. 

La  Roviii'  (lo  piiilosopliic  rstinir  ipir  1rs  scirncrs  sprriairs 
sont  rrlirrs  mtrr  rllrs  par  dr^  caractrrrs  communs  ri  ipw  dr  plus 
rllrs  sont  ru  i  ontinuitr  d'oùjrl  arrc  In  mrtaplii/sii/ur. 

Aussi  liir/i,  riiistuirr  drmonirr  ipir  la  prnsrr  ne  prorjrrssr  iptr 
par  h'  rapprochrnirnt  drs  dirrrs  ijrouprs  d'idrrs. 

La  i/rouirlrir  anah/litiur  rst  ncr  du  mariagr  dr  rrtrndur  arrc 
Ir  /londirr  ;  la  plii/slipir  modrmr,  du  coinnirrcr  tir  la  inrsar.r 
arrc  Ir  mourrnirni  rt  du  nioltrrnirnt  arrc  la  ipialltr.  Unr  ailler 
science  parlii  idil rr ,  la  psiicholoijir  r.epécinirntair ,  rst  sortie 
prrsqiir  tout  rntiirr  dr  l'application  drs  inrtiiodrs  olip-iticrs  aii.r 
faits  dr  conscience  et  de  son  recours  aii.r  procédés  dr  cjrossissr- 
inrnl,  d'anah/sr  ri  d'r.i pcrinirntation  (pi'rllr  a  Iroarés  dans  1rs 
Icdioratoirrs  ri  dans  1rs  liàp'itau.c.  Lrs  sciences  spéciales  sont  donc 
complrnirntairrs  les  unes  des  autres,  et  leur  interpénétration  a 
toujours  proiliiil  la  fécondité. 


Pui'  (lliuliniir,  /lui/s  (//'nuis  liirii  (iin/lirrr  (1rs  rd^iporls  des 
scii'iKi's  arec  la  jihilosojiluc,  des  s((cii(cs  sj)('(  la/rs  dcci  la  s(  iciicc 
(/('■/(/■fd/c. 

D'adfaii/  /iliis  (/lie  iKjds  u'dciiiis  pas  affaire  nia  im  sinijilc  ra/,- 
jimchciiiciil ,  diais  à  une  cunliiidilr.  Augiislc  Cfjiiitc,  y/,/  (hhiiail 
rcxislciuc  dd.i  ('l.rcs  ni(''l(ipli!/siqu('s,  aurait  pu ,  arec  inui  iiio/iis 
(le  raisiiii,  Id  (/('■nier  aui  êtres  (ji'-oni(''t.rKides.  L'objet  des  si  ie/ices 
et  l'iibjel  de  la  dl(''ldplii/si(ide  ne  repr(''sniteiit  pas  des  n''dlit(''s 
s(''pan''es.  Ce  sihiI  deil  i  dspe(  Is,  deu.i  puliils  de  nie  de  Id  hk'iiic 
r('-alit('\ 

Aussi  la  Kc'VlH'  (Je  lilliliisopIliL'  se  prapuse-t-elle  de  /aire  eiilrer 
en  (.(dlahuratwii  saranfs  el  pitilos/jplies  :  aii.r  premiers,  elle 
demande  d'apporter  des  doniK'es  positires  ;  dii.i  seconds,  de  tenir 
eonipte  de  ees  dunni'es  dans  la  spiu  iiUdioii . 

Cette  ni(Hlii)(l('  «le  Iravail  nil-ne  ()  un  hiit  :  la  s\  iillir^c  nii  l'uiii- 
licalinii  (lu  savoir. 

"  Les  direrses  scieniys^dont  le  n(nnlrre  ra  (  roissanl,  ne  iiinit  l'ri- 
deinnienl  (/ne  les  j ra/jnients  de  la  science  totale.  Si  tontes  idaient 
parfaites,  si  leurs  rériti's  ('■jiarses  (''talent  coordoiuK'es,  elles  f(rr- 
nierdient  une  ( uni  epl ion  de  l'iinirers,  imn/iie  roninie  son  objet, 
el  ijdi  serait  rraiinent   la  science.  ■■ 

L'idéal  di'crit  par  .M .  F.iinte  Chartes  a  Imijoiirs  ('te  le  r(''re  des 
philosophes,  depuis  le  f(niddteiir  du  Lipce  Jiis(jii'('i  Sjiencer. 
Ihiand  (ni  cherche  à  se  repri'senter  ce  >/n'ils  mil  fait  et  ce  (jiii 
reste  (i  faire  po((r  le  ri'aliser.  il  S('n(bl('  (j((' .\ rislote  ait  circiniscrit 
le  (  hantier  sur  leitiiel  doit  s'i'lerer  f(''difi( c  de  nos  cininaissdnces, 
l'I  traie  (l'une  iiuiin  ^lire  les  contours  les  plus  (j(''n(''rad.r  de  ( et 
édifice.  Les  différentes  si/nlhi ses,  dont  l' histoire  (le  la  philosopliie 
ipirde  le  sourenir,  ressemblent  éi  des  conslriictions  partielles , 
(jdi  peiireni  s' liarmoiiiser  arec  l'ensemble,  si  fini  retoin  lie  cer- 
taines pierres  et  si  l'(ni  jette  un  peu  de  ciment  dans  les  interdit ices. 
Les  matéridd.f  (uciimidés  par  le  \7.\'  si! de  sont  infiniment  pins 
nombreui  et  de  ineilleure  (luulité  (jue  (cii.r  ijUi  mit  été  réunis 
dans  le  passé.  On  n d  puiidis  su  tant  de  choses,  ni  si  bien.  — 
Humbles  ourriers,  nous  ceiions  éi/uari'ir  noire  pierre  cl  faire 
notre  journée,  \oiis  appelons  éi  nous  tous  les  I ntcdllleiirs.  Ld 
Hcviic  (II'  |)liil(is()plii('  les  rappro(  liera ,  cmiiine  sur  un  (han- 
tier,   afin    (HIC    les    uns    soienl    didés   juir    les    autres,   el    ijii'ils 


iJlÙssciil    liiils   SI-   I  (ilDcrlcr  sur  la  lirrsiicrlirr   f/riirr(tlc  i-l   Ir  pldil 
il'rti'-i'ilililr. 


On  (iiiinail  /'reprit  cl  la  forme  île  ht  Hrvuc.  Sa  nialirn'  cim)- 
nrcnd  (les  ar/itlfs  orit/inait.r  sur  la  l'liiloso|)lii(' ///'o/;/v'///^'/// r///'', 
/'Histoire  de  la  |iililii>Mpllic  ri  les  Scii'liccs,  —  ili'S  (inalf/scs  l'I 
(1rs  nniljilrs  rr/idas  //rs  (iarr(i(/r<  ri-( culs  ri  (1rs  iiirillriirs  jivrio- 
(H(ji(rs,  fraiii  (US  nu  l'IraïK/rrs. 

l'ii  Huilctiu  lie  i'Eiisci^noiiu'iil  iiiiiiosoiiliiquf,  /aisanl  saiir 
à  la  Hcviic.  lir/iilra  1rs  pr(j/rssriirs  au  courant  des  prohh'nirs  (jui 
pri'onuprnl  maîlrrs  ri  rirvrs  dans  1rs  L'nivrrsiU's.  Il  s'rff'onmt 
de  1rs  aidrr  dans  leur  Idchr  (jaolidie)uir  et  dr  r(''pondrr  à  louirs 
1rs  (jurslio/is  (ju'ils  roudroni   hiru  lui  adrrssrr. 

La  Hcvili'  lie  lilliiosopilic  dr^irr  rirr  pour  lous  un  >uslru//>r/tl 
dr  Irarail  dans  la  rr(lirr( hr  de  ht    1  ('■rilr. 


V 


LE  PROliLÈME  PHILOSOPHIQUE 


Lannt'c  clix-iiouf-ccnt  marquera  iiiio  étape  dans  la  vie  de 
la  iicnséo.  coninic  dans  celle  de  l'industrie. 

lîràco  à  l'Exposition  iiniversidle,  des  (Congrès  sans  nombre, 
et  do  valeur  inégale,  ont  rapproché  des  hommes  appartenant  à 
toutes  les  spécialités  et  à  tous  les  pays.  Sans  sortir  du  palais 
qui  leur  était  réservé  ou  des  murs  de  la  Sorbonne,  on  a  pu, 
sur  des  milliers  de  questions,  entendre  des  gens  compétents 
exposer  et  discuter  les  opinions  en  cours  chez  les  différents 
peuples.  Ces  voi.x  de  l'esprit,  venues  de  tous  les  points  de 
l'horizon,  oni  fait  de  Paris,  pendant  plus  de  deux  mois,  un 
des  points  privilégiés  du  glohe.  un  centre  d'information  incom- 
paraldc. 

l'arnii  ces  réunions  savantes,  la  philosophie  a  eu  sa  part, 
puisque  les  quatre  (Congrès  d'Eii^fig/ienn^ut  ^ujir rieur,  d'His- 
toirc  ik's  Sciciices,  de  Paijcliologic  et  de  Pliilosuphit'  lui  ont  été 
largement  ouverts  ou  même  exclusivement  consacrés. 

(Juelle  heureuse  fortune  pour  tout  observateur  attentif  à  la 
marche  des  idées,  et  très  particulièrement  pour  une  Rn-uc  qui 
s'apprête  à  [tousser  au  large,  île  pouvoir  écouter  ces  voix  révé- 
latrices dc:-  pensées  actuelles  et  des  préoccupations  vivantes, 
assister  à  cette  rencontre  des  âmes,  à  cette  mêlée  d'intelli- 
gences harmonieuses  ou  discordantes  !  Ne  sont-elles  pas.  en 
effet,  ces  intelligences  et  ces  idées,  la  source  jaillissante  d'oîi 
partiront  les  courants  de  pensées  qui.  demain  peut-être,  orien- 
teront les  esprits? 

Or,  de  tous  les  problèmes  agités  dans  ces  assises  internatio- 
nales de  la  philosophie,  il  en  est  un  qui,  par  sa  généralité  et 
son  importance,  dépasse  tous  les  autres;  car,  au  fond,  et  d'une 


C  J.   lîUI.LIOT 

certaine  manière,  il  les  conlient  Ions.  Nous  voulons  parler  de 
la  nolion  spL-cifiqne  et  de  l'orientation  futnrc  de  la  philosophie. 
Dans  un  rapport  préparatoire  aux  discussions  de  la  section 
philosophique  du  Congrès  international  de  l'enseignement 
supérieur,  M.  Boutroux,  président  de  cette  section  ainsi  que  du 
Congrès  de  philosophie,  avait  appelé  d'avance  sur  ce  point  capi- 
tal les  réllexions  de  tous,  et  il  l'avait  t'ait  en  des  termes  qui 
méritent  encore  de  lixer  notre  attention. 

(<  Parmi  les  questions  qui  doivent  être  soumises  au  (Congrès, 
écrivait-il,  celle  de  renseignement  de  la  philosophie  présente 
un  intérêt  particulier,  i'ius  qu'aucune  autre  science  peut-être, 
la  philosophie  est  en  ce  moment  dans  une  /irriodr  de  traiixr- 
lioii,  doiil  Ir  levian  n'est  pas  rnrorf  risiblc  (I).  La  méla|)iiysique 
classique  est  fortement   biilliu'  en  hrèche  et  les  sciences  posi- 
tives i'ont  irruption  dans  son  domaine.  11  semhie  (pi'un  jour 
doive  venir  où  les  (juestions  philosophiques  se  classeront  en 
deux  catégories  :  celles  qui  sont  soluhles  par  les  sciences  posi- 
tives et  celles  (|ui  sont  absolument  insolubles.  Ce  jour-là,  la 
philosophie  aura  vécu.  Car  lui  attribuer,  par  exemple,  la  mis- 
siou  de  coordonner  les  sciences  ou  d'imaginer  des  hypothèses 
pour  comiilrr  |)rovisoiremçnl  les  vides  de  la  connaissance  scien- 
tilique,  ce  n'est  pas  la  maintenir  comme  Ibrme  spéciale  et  ori- 
ginale de  l'activité  humaine,  c'est  simplement  distinguer  entre 
la  science  laite  et  la  science  à  faire. 

c.  Mais  cette  conception  de  la  philosophie  aujourd'hui  très 
réi)andue  ne  satisfait  pas  en  général  les  esprits  (|ui,  ayant  fait 
de  la  philosophie  une  étude  spéciale,  ont  acquis  en  quelque- 
sorte  le  sens  philosophique  proprement  dit.  Pour  eux,  la  philo- 
sophie a  son  objet  propre,  son  originalité,  son  autonomie;  et 
nul  progrès  des  sciences  positives  ne  saurait  aboutir  à  l'absorber 
ou  à  la  refouler.  Voyez,  par  exemple,  le  professeur  Falckcn- 
berg,  qui  termine  un  discours  sur  l'état  actuel  de  la  philoso- 
phie allemande  (  KSIIO)  par  ces  paroles  :  "  Je  n'hésite  pas  à  me 
«  rangera  l'opinion  suivant  laquelle  philosophie  veut  dire  idéa- 
..  lisme,  de  telle  sorte  que  la  tâche  du  professeur  de  philoso- 
«   phic  consiste,  en  même  temps  qu'il  comniuni(|ue  à  ses  audi- 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons. 


/,/■;  i'}i(iiiLi:\iE  l'iiii.dSoi'iiKjn-.  - 

■  Iriirs  li's  iii^lrimiciil--  (|ir'  l'iniriiil  1m  scionrr,  à  ciillivcr  en 
"  eux  rrs|)ril  iridr'.ilisiiii'.  .1  h:iiis  le  mrinc  sens,  le  [irurcssciir 
(laiildiii  |ir(''((iiiis('  iiiir  |iliil(is(ipliio  ijiii,  en  (N'Icrniiiiaiil  clairc- 
iiK'iit  riHcadiic  et  li's  liniilcs  ili'  lu  science  iialiirelle  l'ondée  sur 
l'observation  dos  laits  et  des  doctrines  morales  et  rcligiensos, 
fondées  sur  le  senlinuMit  eL  sur  les  formes  de  l'idéal  humain, 
reconnaisse  rind(''pendance  réciproque  de  la  science  et  di'  l'idéa- 
lisme moral  el  relii;ienx  (hSiMii. 

"  Il  semble  donc,  continue  M.  lidulniux,  (|u'il  \  ail  lieu  à  un 
r'clianiic  d'idées  s//f  la  .iifiKi/l(i/i  de  la  pluldsopli'u-  ris-n-ris  dr!< 
sc/riéirs  /j/i>pr/'tiirii/  dilrs,  et  d'une  maiiirrc  (jrnvrale  r/s-à-ris 
drs  aidri's  fortnfs  dr  l'arliri/v  bilcllcvl ncllr .  La  philosophie 
a-t-elle  sv.v  caraclrrrs,  su/i  doniaiiif,  sa  drs/i/ia/i(in  pro/)/'e?  En 
quoi  consistent  les  rcc  lie  reliai  proi)rf'mrnl  iihilosophiqufs?  Puis, 
comme  il  est  clair  que  la  philosophie  ne  peut  |)as  plus  se  passer 
des  sciences  que  de  matériaux  venus  ilu  (hdiors,  (|uels  sont  les 
rap|)orts  de  la  |)hilosoplii(^  el  des  sciences,  quelles  sont  les 
éludes  qui  établissent  entre  la  philosophie  et  les  sciences  cette 
communicalion  sans  laquelle  elh^  ne  |ieul  \ivre?  In  institui 
philoso|)liique  devrait  se  composer  d'abord  d'un  ensemble  déter- 
miné' de  chaires  proprenuMit  philosophiques  qui  en  formeraient 
le  centre,  |niis  d'un  nombre  indéterminé  d'enseignements  con- 
nexes, gravitant  vers  c(>  foyer  ceulral.  Ouids  doivent  être  ces 
divers  enseignements?  .. 

(tn  le  voit,  c'est  bien  le  [iroblènie  de  la  nature  et  di'  l'exis- 
lence  même  de  la  philosophie,  cette  discipline  mèi'c  el  reine 
de  toutes  les  autres,  —  cette  science  vieille  de  tant  de  siècles 
—  ((ui  de  nouveau  est  posé  et  tlonné  comme  un  des  plus  actuels 
et  des  plus  urgents  à  résoudre.  De  plus,  on  marque  exactement 
d'ofi  dépend  la  solution  à  intervenir,  à  savoir  des  rapports  de  la 
|)hilosophie  avec  les  sciences  positives  et  les  autres  formes  de 
la  pensée,  spécialement  avec  le  sentiment  moral  et  religieux. 

La  philosophie,  menacée  au  dire  de  plusieurs  par  le  dévelop- 
|ienu'nt  chaque  jnui'  grandissant  des  sciences  positives,  a-t-elle 
encore  et  conservera-t-elle  toujours,  en  tant  que  science  auto- 
nome et  spéciale,  un  droit  imprescrij)lible  à  l'existence? 

(Ju(dles  relations  entretiendra-t-elle  avec  la  science?  — -  Re- 
nouera-t-elle  une  alluuice  brisée?  —  Devra-t-elle,  au  contraire. 


j.  m  Li.ioT 


se  replier  devant  cette  puissance  envahissante,  se  replier  encore, 
reporter  ses  frontières  en  arrière,  ou  même  émigrer  délinili- 
venieiil  et  clierciier  ailleurs  sous  le  ciel  vaporeux  du  senti- 
ment, au  pays  lic  lidéalisme  moral,  la  seule  terre  de  lilierté 
qui  lui  reste  '.'  —  En  un  mot,  la  pliilosophie  de  demain  sera- 
t-elle  une  iiliilnsuplùr  scirnti/itji/r  ou  bien  seulement  un  idra- 
Hsnif  momi,  ■>i.m^\icn  avec  la  science?  Telle  est,  aujourd'hui, 
la  préoccupation  ilominaiilc  :  c'csl  plus  ([u'un  prohlème  phi- 
losophique, c'est  l'orientation  de  la  philosophie  elle-même. 

Cette  question  se  rattache  par  un  lien  très  étroit  à  une  série 
d'événements  qui  remontent  jusqu'aux  origines  de  la  philoso- 
phie moderne,  jusqu'à  la  grande  révolution  intellectuelle, opérée 
il  v  a  trois  siècles,  l'ar  la  logi(|uc  même  de  son  évolution,  la 
philosophie  européenne  est  arrivée  à  un  de  ces  l(uirnanl>  où 
de  nouvelles  réilexions  s'imposent,  oii  il  i'aiil  choi-^ir  enire  plu- 
sieurs directions  contraires.  Il  est  donc  intéressant  de  savoir 
quelle  a  été,  dans  le  passé,  l'orientation  de  la  philosophie  ; 
l)()un|uni  cl  comment  elle  a  été  remplacée  par  une  orientation 
contraire  :  (juel  est,  enlin.  à  l'heure  actuelle,  l'alxnitissanl  né- 
cessaire de  ce  changemenl.  L'histoire  du  prohlème  j)liilosophique 
en  éclaire   l;i   >nlulioii. 


I 


.Jusqu'à  la  lin  du  xvi'  siècle.  jus(iu'au  temps  de  (ialilée  et  de 
Descartes,  la  philosophie  conserve  intacts  les  trois  caractères 
qui  sont  demeurés  sa  marque  distinctive,  i)endanl  toute  la  |)é- 
riode  ancienne.  Elle  est  science  ohjcctiriair,  elle  est  en  con- 
finidlr  iK'Cfssairr  iircc  les  sririirrs  i/i/rririirrs,  elle  est  science 
K/iiverseilfi. 

Et  d'abord,  elle  est  science  ohjectiviste,  comme  le  sont  néces- 
sairement toutes  les  sciences  qui  empruntent  de  près  ou  de 
loin  leurs  données  à  l'observation  extérieure.  Elle  admet,  par 
conséquent,  sans  toutefois  les  distinguer  aussi  bien  qu'on  le 
fera  à  partir  de  Descaries,  et  elle  emploie  tour  à  tour  les  deux 
types  d'évidence  dont  tout  homme  jiorle  en  lui  la  notion  claire 
et  distincte   :    l'évidence   des    faits    intérieurs    perçus    par    la 


;.;■:  riinisu:Mi-:  i>iiii.iiS(>I'HIQVE  9 

cons^cionrc.  l'i^vidonco  dos  faits  cxtériours  connus  par  los  sens. 

Confornu-mcnl  au  point  de  vue  de  Yubjrt,  qui  est  le  sien, 
celte  philosophie  subordonne,  dans  sa  classiiication  des  êtres 
et  des  phénomènes,  les  classes  les  moins  générales  aux  classes 
les  plus  générales  :  elle  subordonne  la  classe  des  êtres  con- 
naissants à  la  classe  des  êtres  privés  de  connaissance,  les 
faits  de  conscience  aux  phénomènes  extérieurs.  La  psychologie 
est  pour  elle  ime  division  de  la  pbysique.  Les  êtres  connaissants 
ne  sont  pas  tous  les  êtres  :  ils  ne  représentent  qu'une  failde 
partie  de  rUnivrrs.  une  espèce  dans  un  genre.  De  plu-.  \\\\ 
point  de  vue  ontologique,  la  connaissance  nest  qu  un  acridciil 
au  regard  des  êtres  quelle  connaît,  un  miroir  pour  les  choses 
qu'elle  reilète,  une  image  qui  subit  i'ini[iression  du  moilèle. 
La  connaissance  et  l'esprit  gravitent  donc,  en  droit,  vers  les 
choses  extérieures,  au  double  titre  de  partie  et  de  miroir.  11  en 
résulte  que  la  philosopbie  ainsi  conçue  n'a  aucune  peine  à 
s'harmoniser  avec  les  autres  sciences.  Sciences  et  j)liilosoplne 
peuvent  alors  se  continuer  et  se  compléter. 

C'est  le  deuxième  caractère  de  la  philosophie  ancienne. 

Cette  philosophie  en  elTet  n'a  pas  un  objet  à  part,  absolument 
distinct  et  séparé  de  celui  de  la  physique,  comme  sérail  une 
chose  séparée  d'une  antre  chose.  Les  deux  sciences  ont  le  nirmc 
objet  matvricl.  Seulement,  cet  objet  unique,  elles  le  considèrent 
chacune  à  sa  manière  et  à  son  point  de  vue  :  elles  en  forment 
deux  représentations  et  le  dédoublent  à  leur  prolit.  Mais  chose 
importante  à  noter,  ces  deux  points  de  vue  empiètent  l'un  sur 
l'autre  et  gardent  un  fond  commun  ;  ils  se  compénètrent  et  se 
distinguent  à  la  fois  :  ils  coïncident  entièrement  dans  la  réalité 
et  partiellement  jusque  dans  l'esprit,  qui  les  conçoit  comme 
deux  visions  d'un  même  objet. 

Nous  étudions  en  naturaliste  un  de  ces  inliniment  petits 
que  la  vie  sème  partout  à  foison.)  Cherchons-nous  à  déterminer 
un  organe  mal  connu?  Xous  prenons  un  microscope,  nous  l'ar- 
mons d'un  objectif  assez  puissant  pour  nous  permettre  devoir 
jusqu'au  moindre  détail:  puis  nous  comparons  cet  objet  à  des 
objets  similaires,  alin  de  généraliser  nos  conclusions.  —  Dési- 
rons-nous, au  contraire,  avoir  de  notre  microorganisme  un  coup 
d'ieil  synthétique,  savoir  en  gros  les  relations  qu'il  entretient 


10  1.  RILI.IOT 

avec  <l'aiitrcs  genres  voisins'  Aussilnl  nous  devons  renoncer 
anx  menus  détaiis,  chantier  l'objectif  du  microscope,  modifier 
nos  termes  de  comparaison.  Or,  changer  dobjectif  et  faire  varier 
l'angle  de  vision,  ce  n'est  pas  changer  d'objet. 

II  en  est  de  même  du  passage  de  la  science  à  la  philosophie, 
du  point  de  vue  de  la  physique  à  celui  do  la  métaphysique. 
L'oiijectif  à  forte  courlmre.  c'est  la  science  positive  qui  étudie 
avant  tout  le  détail  des  phénomènes  et  qui,  pour  arriver  à  le 
mieux  connaître,  concentre  sur  lui  l'attention  et  perd  de  vue 
rensemi)Ie.  L'objectif  à  moindre  courbure,  c'est  la  philosophie, 
qui,  dans  le  même  objet,  sacrifie  l'analyse  à  la  synthèse. 

La  hiérarchie  des  espèces,  des  genres,  des  ordres,  des  familles, 
des  classes,  des  embranchements,  et  la  hiérarchie  des  caractères 
qui  leur  servent  de  base  sont  de  tout  point  assimilables  à  une 
série  de  coupes  plus  ou  moins  arbitraires,  à  une  série  d'images 
|diolograpliiques  d'un  même  objet,  obtenues  à.l'aide  d'objectifs 
dilférents.  Ces  coupes  ou  ces  images,  variables  à  notre  gré,  en 
compréhension  comme  en  extension,  portent  le  nom  de  concepts. 
.\u  sommet  de  la  métapliysique  se  trouvent  les  <-oncepts  les 
plus  élevés  :  les  catégories  de  l'être  ou  les  genres  suprêmes.  Ce 
sont  les  schèmes  les  plus  synthétiques  et  les  plus  compréhen- 
sifs  que  nous  puissions  nous  faire  des  choses  qui  nous  entourent. 
Les  deux  grandes  catégories  de  la  substance  et  de  l'accident  ren- 
ferment, lune,  tous  les  êtres  subsistants,  minéral,  plante,  ani- 
mal, homme;  l'aiitre,  la  quantité,  les  qualités,  les  figures,  le-s 
relations,  les  modes,  etc.. 

La  substance  est  un  concept  essentiellement  métaphysique. 
Existe-t-elle  à  part,  on  dehors  de  l'animal  et  de  l'homme  ?  Nul- 
lement. Par  conséquent  le  minéral,  l'animal  et  l'homme  sont 
des  substances.  Étudier  ces  êtres,  c'est  étudier  une  substance 
et  envisager  la  substance  sous  un  certain  rapport.  Etudier  le 
mouvement,  le  jeu  des  affinités  chimiques,  le  fonctionnement 
vital,  la  sensation,  la  pensée,  c'est  étudier  des  accidents  et 
considérer  l'accident  sous  une  de  ses  modalités.  Le  métaphy- 
sicien généralise  et  résume  à  son  point  de  vue  toutes  ces  études 
fragmentaires.  La  différence  des  mots  à  l'usage  de  la  physique 
et  de  la  métaphysique  ne  doit  nous  voiler  ni  l'identité  de  l'objet, 
ni  la  continuité  de  la  pensée.  Entre  ces  sciences,  il  n'y  a  pas 


;./•;  l'ItnIil.EMI'.  l'Illl.nsiil'lllulK  11 

le  l'ossi''  ])rnr(m(l  (jii'diil  im;ii;inr'  (•«'rlaiiics  philos()j)lii('s  ;  il 
n'y  a  ail  poiiil  de  (l(''|iail,  ([iic  des  nuaiic(.'s,  dos  dislinclioiis 
|()^i(|ucs,  dos  puiiits  do  viio  divors,  l'\iii  plus  onvcdoppô,  Taiitro 
plus  oxplicilo.  Et  oos  points  de  vue  divors  sont  on  oontinuilô 
rigoureuse  d'objet  l'un  avec  l'autre  ;  ils  se  superposent  au  moins 
[jartiellement  l'un  à  l'autre. 

La  philosopliie  ancienne  est  une  science  ol)jocti\isl(\  on  ron- 
linuitô  parfaite  avec  les  sciences  positives.  Elle  est  aussi,  ol 
c'est  une  simple  conséquence  do  ce  qui  précode,  une  science 
générale,  embrassant  au  moins  par  un  rnU'\  c'osl-à-diro  d'une 
manière  implicilo,  tout  ce  qui  existe. 

l'aile  se  superpose  à  toutes  les  sciences.,  alin  d'on  déga[:,or  ol 
d'en  analyser  plus  profondément  les  notions  universelles  et 
fondamentales.  Car  l'orientation  vers  l'universel  et  l'orionlatiou 
vers  la  réalité  foncière,  sans  coïncider  absolument,  comme  lo 
croyait  Platon,  ont  cependant  une  mutuelle  afiinité.  Si  nos 
perceptions  ne  sont  pas  faites  de  différences,  comme  on  lo  sou- 
tient parfois,  les  différences  et  les  contrastes  nous  aident  sin- 
gulièromont  à  les  parfaire.  Aussi  lo  pliilosopli,'  qui  a  poui- 
habitude  do  comparer  fiéquemment  entre  elles,  dans  tous  les 
ordres  do  choses  et  sur  les  sujets  les  plus  divers,  les  modalités 
variées  de  l'être,  arrive-t-il  très  vite,  par  ces  comparaisons  inces- 
santes, à  percevoir  nettement  les  oppositions  de  la  substance 
et  de  l'accident,  de  la  quantité  et  de  la  qualité,  etc.,  etc.  Par  là 
il  développe  et  il  affine  singulièrement  on  lui  le  sens  métaphy- 
sique; il  devient  lo  clinicien  do  l'I'^tro,  comme  d'autres  lo  sonl 
du  pouls  iiu  do  la  respiration.  11  prend,  —  et  c'est  là  son  éternel 
honneur,  —  plus  que  personne,  plus  que  lo  physicien  et  lo  clii- 
mislo,  plus  surtout  que  le  géomètre,  la  conscience  profonde, 
quoique  toujours  inadéquate,  do  la  Réalité.  Enfin  le  raisonne- 
ment, appuyé  sur  la  causalité,  vient  féconder  chez  lui  ces  pre- 
mières perceptions  ontologiques,  comme  il  féconde  chez  le 
mathématicien  les  premières  notions  de  la  géométrie.  En  ce 
sens,  la  métaphysique  est  aussi  une  géométrie  de  l'Etre.  Un 
conçoit  dès  lors  l'importaïu'o  sans  égale,  l'incontestable  j>rimal 
do  la  métaphysique,  lo  rôle  prédominant  qu'il  lui  appartient 
de  jouer  parmi  les  sciences. 

Science  par  excellence  do  l'Elro,  c'est-à-dire   d(^   la   Réalité 


12  J.  KULLIÛT 

même,  (le  ses  nuances  et  de  ses  différences,  Science  de  celles  des 
réalités  qui  représentent  les  assises  les  plus  foncières  du  savoir 
*  humain,  et  en  même  temps  science  générale,  la  métaphysique 
est,  parmi  les  sciences  spéciales,  comme  le  sp/isori/ini  nnii- 
miinc  du  réel,  elle  est  la  conscience  qui  juge  en  dernier  res- 
sort des  notions  dont  se  forme  l'ossature  de  tout  savoir. 

Science  du  général,  en  continuité  d'ohjet  avec  chaque  science 
particulière,  elle  est  seule  à  même  de  faire  régner  dans  l'en- 
semble de  la  vie  sciontifique  l'ordre  et  l'harmonie. 

Science  architectonique  et  maîtresse,  il  lui  appartient  de 
diriger  les  efforts  vers  la  construction  du  grand  édifice  dont 
elle  sera  le  couronnement,  la  clef  de  vnùte  et  l'àme  toujours 
vivante. 

On  conçoit,  sans  (ju'il  soit  besoin  d'insister,  quels  rapports 
multiples  et  variés  d'haruionie  féconde,  d'informations  et  de 
lumières  réciproques,  et  surtout  d'étroite  et  indissolulde  union, 
régnent  nécessairement,  entre  la  science  et  la  philosophie,  nées 
toutes  deux  de  l'étude  d'un  môme  objet,  créées  par  un  même 
esprit  et  destinées  à  s'enlraider  et  à  se  compléter. 

Tel  est  l'idéal  de  la  philosophie  dans  l'antiquité,  durant  tout 
le  moyen  âge  et  même,  jusqu'à  un  certain  point,  ciie/  Des- 
cartes, idéal  qui  ne  pouvait  être  réalisé  à  cette  époque,  (lar  la 
philosophie  n'était  pas  encore  la  science  nettement  différenciée, 
que  nous  désignons  aujourd'hui  par  ce  nom.  C'était  plulùl  une 
encyclopédie  naissante,  un  faisceau  de  toutes  les  branches  du 
savoir,  dont  la  plupart  n'avaient  pas  dépassé  les  phases  em- 
hryonnaires,  une  sorte  de  plasma  germinatif  commun  de  la  vie 
<le  la  pensée. 

Mais  dans  ce  protoplasma,  pauvre  de  déterminations  actuelles 
el  riche  de  virtualités  endormies,  la  métaphysique,  parvenue 
la  première  à  un  certain  degré  de  développement,  imposait 
son  nom  à  l'ensemble  des  sciences  et  l'informait  de  son  esprit. 
Les  sciences  de  la  nature,  la  physique,  la  chimie,  la  biologie  se 
développèrent  moins  vite  et  restèrent  longtemps  à  l'état  de 
^germes,  sans  activité  propre  ni  existence  définie.  Privées  do 
leurs  méthodes  spéciales,  elles  étaient  impuissantes  à  créer, 
dans  la  masse  des  esprits  cultivés,  ce  type  privilégié  de  certi- 
tude, la  certitude  expérimentale,  que  l'on  oppose  aujourd'hui 


/.;■;  l'iiiiiii.KMh:  l'iiiuiSdi'iiKjiE  lî 

si  viiloiiliors  ;ui\  driiKiiislralions  dos  |)liil(>so|ihos  romnu'  une 
lin  de  non-roi'ovnir. 

Dans  sa  condilidii  première,  la  pliildsopliie  ('lail  seule  maî- 
tresse du  lorrain,  sans  aucune  science  rivale  avec  qui  elle  dùl 
compter.  Elle  jouissait  pleinement  de  toutes  les  prérogatives 
que  le  législateur  de  la  pensée  antique  s'est  plu  à  lui  recon- 
nailro.  Elle  exerçait,  dans  le  domaine  de  l'activité  scientifique, 
une  hégémonie  incontestée.  .V  elle  le  sceptre  et  le  diadème  : 
elle  était  vraiment  reine  au  milieu  des  autres  sciences,  ses  vas- 
sales. Rien  ne  semblait,  aux  yeux  des  contemporains,  devoir 
jamais  ébranlei'  une  autorité  si  fermement  étaldie. 

(lot  état  de  cliosos  n'est  pas  normal.  L'équilibre  nécessaire 
outre  la  philosophie  et  les  sciences,  tel  qu'il  avait  commencé 
à  se  réaliser  dans  l'œuvre  aristotélique,  tel  surtout  qu'il  lioit 
-e  produire,  n'existe  pas  encore.  11  y  a  ici  hypertrophie,  là 
arrêt  do  développement.  On  dirait  un  énorme  cerveau  sur  un 
s(iuelolto  décharné.  Les  sciences  déjà  infiniment  trop  réduites 
ne  jouissent  pas,  comme  méfhode,  de  la  part  de  liberté  qui 
leur  est  due.  Leur  subordination  à  la  métaphysique  est  trop 
étroite.  Tout  cet  organisme  manque  de  souplesse  aux  join- 
tures et  de  vie  dans  les  membres.  Une  réforme  devient  néces- 
saire :  ce  sera  l'une  des  plus  grandes  révolutions  intellectuelles 
que  l'histoire  ait  enregistrées. 


La  seconde  moitié  du  xvi'  siècle  voit  s'élever  à  l'horizon,  pres- 
que en  même  temps,  deux  novateurs  de  génie,  deux  esprits 
puissants,  dont  la  mission  sera  de  briser  les  moules  anciens  et 
de  faire  entrer  la  science  et  la  philosophie  dans  des  cadres  nou- 
veaux. L'un  est  Galilée,  le  vainqueur  de  la  physique  erronée  de 
l'École,  le  créateur  do  la  dynamique  et  le  père  do  la  science 
expérimentale;  l'autre.  Descartes,  le  mathématicien  el  le  phi- 
losophe, le  fondateur  de  l'interprétation  mécanique  du  monde, 
le  père  de  la  philosophie  moderne.  Sous  leur  impulsion,  deux 
faits,  do  premier  ordre  et  indépendants  l'un  do  l'autre,  se  pro- 
duisent presque  à  la  même  heure. 


14  J.   HL'l.LIOT 

Los  scit'iico  [losilivcs,  à  conimcucer  par  la  (lyiianiiijuc.  la 
plus  simple  de  toutes  et  la  plus  féconde,  se  eonslitueul  sur 
leurs  bases  propres.  A  |)eine  nées,  comme  des  ressorts  lonj^- 
temps  comprimés  qui  se  débandent  toul  à  coup  el  déploient 
leur  l'éserve  d'énergie,  (db's  réalisent  de  merveilleux  pr(jij,r('s, 
(dh's  échappent  h  la  domination  et  au  contrôle  de  la  pbiloso- 
pliie.  lue  foule  de  (|\u'stions,  muins  philosophiques  que  scien- 
tlHciucs,  cidles  par  exemple  des  lois  du  mouvement  (lu  de  la 
nature  des  astres,  [)assent,  ainsi  ()U('  des  transfuges  ou  plulùl 
des  captifs  libérés,  des  cadres  de  la  phihisophie  à  ceux  des 
sciences  nouvellement  créées;  el,  dans  ce  nouveau  partage  du 
s(d,  grâce  à  une  émigration  continue,  grâce  surtoul  à  la  pnj- 
lifération  rapide  des  premières  vérités  scientiliques,  chaque 
jour  voil  s'élargir  le  dumainc  de  la  science  et  se  restreindre 
(■(dui  de  la  philosn|diie.  l'eiidau!  liviis  siècles,  la  grarule  armée 
de  la  science,  composée  de  géomètres,  de  phvsiciens,  de  chi- 
misles  el  de  biologistes,  marche  à  la  conquête  du  monde  |ib>- 
sique,  avec  une  merveilleuse  ai'deur.  Instrunu'nl^  de  calcul  cl 
instruments  d'expérience,  méthodes  mathématiques  el  exjiéri- 
mentales.  hypothèses  et  Ihéories  de  pins  en  plus  appr()chi''es. 
on  mène  loul  de  fronl,  on  ne  néglige  aucun  moyen  de  (dncjuèle. 
<  hi  s'emploie  à  caplei' U's  forces  vives  de  rinlelligence  iiumaiin' 
el  à  les  faire  converger  vers  la  créalion  des  sciences  positives, 
comnu'  pendant  trois  siècles  les  philoso])hes  scolasticjues  avaient 
<-a})té  et  fait  converger  les  mêmes  énergies  vers  leur  grande  o'uvre 
philosophique  et  théologique.  De  pari  el  d'autre,  ces  grands  ou- 
vriers ont  fail  (cuvre  de  géants;  ils  onl  (kqiensé  leur  génie  à 
élever  des  monuments  inimor((ds,  c[ui  formenl  le  palrimoiiie 
scientiliqiu'  de  l'hunuinité.  el  (|ui  s'a}ipellenl  les  Iha/or/iifs  de 
(ialil(''e,  la  (iro/iir/rir  dv  l)escartes,  les  Priiiri/irs  dr  p/n/osophir 
iia/iirr/lr  de  Newlon,  le  Calcul  iii/initrsliiial  de  Leibnilz.  YOp- 
l'iijiir  de  Huyghens  et  de  Fresnel,  Y lîlfclni-(h/iiaiiii(/t(r  d'Ani- 
|)ère,  la  Thcriii(i(li/ii(iiiii(jiii'  deCarnol  el  de  Clausius,  \a  Chiinif 
de  Lavoisiei-,  eidin,  avant  enx  vi,  h  noire  avis,  au-dessus  d'eux, 
la  Suiiiinc  lh(''olor/i(/Uf  cl  pinluiiopiniiiir  de  saint  Tlumnxs  d'Aquin 
qui  fail  de  son  auteur,  s(don  l'exiiression  de  ^1.  Faguet,  "  un 
(les  plus  grands  hommes  de  pensée  que  le  monde  ait  vus  »  (>t 
<|ui  lui  mérite  uiu'  place  dans  le  voisinage  d'Arislote  lui-nn'-me. 


;./•;  l'iKiisi.EMh:  l'uii.iisoi'iiini  k  w; 

La  (T'-atioii  de  la  scicnco  dans  son  ciiscnililc,  Ici  ol  le  l'ail 
dominant  de  l'rpoqnc  niodoi'nc,  l(dl(>  est  la  i;i"indc  cl  dclinitivc 
conquclc  (|ui  a  oiivcri  à  rinimaiiiir'  des  liori/ons  inconini^  cl 
fail  jaillir  des  soiirrcs  ninivcllcs  de  vie  cld'aclion. 

l'arallclenicnt  à  la  rcvolulion  scicnlilicjuc,  il  se  prnduil.  snr 
le  toiTain  |diiliisii|diii|uc,  iiiii>  aii(r(>  révolnlion,  leuvi'c  celte  l'ois 
de  deslrncliou  aiilanl  que  de  ercalion  :  la  seolasliqiie  cl,  avec 
<dic',  tonte  la  |diiloso|iliie  ancienne  es!  rcniplaccc  par  le  carh''- 
sianisnie,  (|ni    n'a  rcss('   d'inspirer   la    philosophie   moderne. 

Il  iinpoi'tc  (h' savoir  si  la  r(''V(dnlioii  philosophi(|ac  est  liée  par 
(|ii(d(inc  ni'cessilé  lo!;icinc  ;i  la  l'i'vidulion  seienliliqne,  si  (dies  ont 
sni\i  inscprici  en  l'ail  cl  en  droil  une  dircclion  iiiii(ine,  et  dans 
({nid  ordi'c  (rid(''es.  pai'  coiiM''(|neiil.  la  philosophie  actuelle  doit 
cliorclicr  son  orientation. 

<!aliléc  possède  la  vraie  niclhodc  seienlilique,  perl'eclionne- 
inenl  cl  non  renversement  de  celle  d'Aristote,  car  l'application 
des  mesures  exactes  an.v  ohservaUuns  physiques  ne  change  poini 
le  caractère  essentiel  de  ces  dernières,  et  l'on  sait  de  reste  (|n(d 
observateur  j)rodi^ieuscnienl  saj^acc  et  de  lartce  enver^nirc  t'nl 
le  staji;irite.  Galilée  esl  un  !;énic  créalcur  en  |)hysiqne,  et  c'csl 
snrlonl  dans  la  |)hysiqnc,  non  dans  la  tiéonn'trie,  que  la  philo- 
sophie a  ses  racines.  Il  est  par  conséquent  le  vrai  représenlani 
de  la  science  expérimentale,  en  face  de  la  métaphysique  du  passé. 

.Nourri  dès  sa  jeunesse  de  ['('lude  d'Arislote,  il  a  di''convcrl 
de  lionne  heni'e  plus  d'une  didaillance  dans  son  o'uvi'e.  i,a 
chose,  dailleui's,  s'explique  aiscnuTil.  Arislotc  a  tiré  de  la 
masse  encore  anior|)he 'tles  phénoinèiu's  un  U(unlire  considé- 
rable de  laits  ;  il  le>  a  dislfftignés,  classés,  mis  en  lumière.  Il 
esl  impossible  (|u'il  n'y  ail  point  d'ivraie  dans  celle  moisson, 
(ju  un  l'cj^ard  pé^nétranl  examine  anjoui'd'hui  ces  (diservations, 
il  y  découvrira  sûrement  plus  d'un  oubli,  plus  d'une  méprise. 
•  le  n'est  que  ^ràce  à  une  succession  ininterrompue  d'obsi-r- 
valioiis  de  [)lus  (>n  plus  ])récises,  qui'  nous  voyons  les  sciences 
naturelles  jirogresser  (  ha([ue  jour.  —  (  )n  doit  seulement  regreUer 
<]ue  les  Docteurs  du  moyen  à<;x'.  lro|i  absorbés  |)ar  des  |)réoc(u- 
palions  d'ordre  nuHaphysiquc,  ([uid<[ue  peu  aveuglés  aussi  par 
l'autorilé  d'.Vrislole,  n'aient  pas  cultivé  davantage  les  sciences 
e\p(''rinientales  cl  n'aieni  pas  accompli  eux-mêmes  ce  pi'ogrès. 


16  J.  Bl'LLIOT 

—  Oiiiii  qu'il  en  soit,  Galil(''e,  on  joignant  des  mesures  numé- 
riques précises  à  l'observation  des  phénomènes,  trouve,  entre 
autres  découvertes,  les  lois  de  la  chute  des  corps,  l'isochronisme 
(les  oscillations  du  pendule,  fonde  la  dynamique  sur  ses  vrais 
principes,  perfectionne  le  télescope  et  découvre  dans  le  ciel  les 
satellites  de  Jupiter,  les  phases  de  Vénus  et  de  Mars,  et  sur- 
tout les  taches  solaires  et  la  rotation  du  soleil  lui-même.  11 
renversait  ainsi  plusieurs  théories  dAristote,  notamment  son 
astronomie.  Dune  manière  générale,  il  opposait  à  ce  grand 
nom  l'autorité  supérieure  des  faits,  autorité  que  n'eût  certes 
point  désavouée  le  génie  essentiellement  expérimental  du 
maître.  —  Ce  n'était  rien  et  c'était  (nul.  —  En  soi  ce  n'était 
rien,  sinon  une  (Uvouvertc,  chose  pour  tout  le  monde  inlini- 
ment  heureuse.  Cette  découverte  venait  contredire  des  théo- 
ries :  il  n'y  avait  qu'à  les  abandonner  et  à  les  remplacer  par 
d'autres,  d'autant  plus  <|u'elles  ne  tenaient  à  aucim  principe 
('ss(»n[iel  du  système. 

Sans  douti',  la  mise  en  honneur  d'un  conlrùlc  général  des 
théories  par  l'observation  directe  des  faits  renfermait  le  germe 
do  tonte  une  révolution  ;  mais  rien  n'empêchait  cette  révo- 
lution de  se  faire  sous  la  forme  d'une  évolution  sagement 
|)rogressive,  à  l'aide  d'une  critique  prudente  qui  se  limite  aux 
corrections  exigées  et  n'abandonne  rien  qu'elle  ne  soit  en 
mesure  de  remplacer.  A  cette  condition,  la  philosophie  d'alors 
eût  pu  être  sauvée  ou  tout  au  moins  discutée  et  jugée  équita- 
blemenl,  en  connaissance  de  cause.  Peut-être  même  fût-elle 
sortie  d(>  l'épreuve,  grandii'  et  rajeunie. 

.Malheureusement,  les  péripatéticiens  ne  comprirent  pas,  et, 
de  fait,  il  leur  était  difficile  de  comprendre,  la  chance  unique 
de  salut  et  de  progrès  que  (îalilée  leur  apportait.  Aristote  était 
pour  tout  le  monde  un  personnage  surhumain.  Des  milliers  d'in- 
lelligenccs  fondaient  une  part  de  leurs  certitudes  intellectuelles 
sur  l'autorité  de  son  nom.  Sa  science  élait  leur  science,  systé- 
matique et  grandiose  :  on  risquait  de  l'ébranler  sous  prétexte 
tle  la  réformer.  On  venait  les  troubler  (Mix-mêmes  dans  la  pos- 
session (l'un  bien,  dont  ils  jouissaient  depuis  trois  siècles,  et 
cela  au  nom  d'un  principe  qui  allait  tout  remettre  en  question. 
Bref,  ils  ne  voulurent  pas  entendre.  Faute,  sans  doute,  de  véri- 


;,;■;  ruoiiLEMi:  l'iiii.osupmnrE  I7 

lal)l('  rmiosilr  sficiililHiiic  cl  il'cspril  expériiiu'ulal,  ils  s'opix)- 
îiL'ronl  à  mit'  n'-torme  qui'  iiiillo  puissance  humaiuo  ne  pouvait 
anvler.  Ils  vouluienl  niainlruir  à  loul  prix  la  théorie  du  bloc 
Inilivisihie,  île  [oui  Icuips  chère  aux  esprits  l'crmés  ;  et,  comnu' 
il  était  inévitable.  I.iin  de  les  sauver,  celle  llu''orie  les  perdit. 
Ils  at'iiruiaicnl  liautemcnl  l'indissoluble  coliésinn  de  IduIcs  les 
parties.  Volontiers  on  les  crul  sur  parole,  et,  puisqu'il  fallait 
absolunu'ul  (dioisir,  plusieurs  parties  se  trouvant  convaincues 
<l'évidenle  Inusseté,  on  rejeta   tout  le  bloc  à  la  l'ois. 


III 

Avec  un  adversaire  tel  que  (lalilée  et  di's  délenscurs  aussi 
malavisés,  c'en  était  l'ait  de  la  scolastique.  Sa  eliute  délinilivc 
n'était  plus<]u'nne  question  de  temps. 

Suivant  louie  vraisemblance,  la  i^loire  de  l'avoir  vaincue 
<levail  leveuir  à  (ialilée;  son  nom  méritait,  semblait-il, de 
ligurer  au  premier  ran^-  dans  l'histoire  de  la  philosophie, 
comme  dans  celle  de  la  physique.  Il  n'en  lui  rien,  parce  qu'eu 
tonte  science,  en  philnsoi)hie  pai'iicuiièremenl,  il  ne  sullit  pas 
de  l'cnverser  et  de  détruire  pour  cueillir  des  lauriers  immorUds, 
il  faut  snrttnit  remplacer  et  reconstruire.  Car  jamais  l'humanilé 
ne  consentira  à  se  priver  de  vastes  systèmes,  vérités  assuiées 
ou  hypothèses  probables,  qui,  pour  le  moins,  oITrent  un  abri 
momentané  à  la  pensée  et  lui  laissent  l'espoir  de  réaliser  un 
jour  sa  suprême  ambitiim,  c(dle  de  [losséder,  dans  ses  grandes 
lignes,  une  explication  générale  de  l'univers.  ]<]lle  ne  se  con- 
tentera janmis  des  horizons  bornés  de  la  science  positive. 

Or,  Galilée,  en  qui  s'incarnait  le  génie  de  la  science  expé- 
rimentale, n'était  point  de  la  famille  des  nu'taphysiciens.  il 
n'apportait  pas,  avec  sa  physique,  une  métaphysique  nou- 
velle. Faute  d'avoir  pu  opposer  philosophie  à  philosophie,  sys- 
tème à  système,  ce  n'est  pas  à  lui.  mais  à  Descartes,  qu'est 
<''chu  l'honneur  d'avoir  jelé  les  bases  de  la  philosophie  nio- 
ilerne. 

Descartes  est  philosophe.  Il  l'est  par  la  grandeur  des  hori- 
zons, par  l'iuiiversalilé  el  la  nouveaulé  de  ses  théories.  11  est 

2 


IK  J.  RlLI.KiT 

•  le  ceux  qui  naissent  pour  chanj^er  la  face  d'un  monde  11  ne 
se  perd  pas  on  critiques  de  détail,  si  fondées  quelles  soient  ; 
il  ne  s'attarde  pas  non  plus  à  combattre  des  théories  isolées.  (Itv 
n'est  pas  la  guerre  de  partisans,  mais  la  grande  guerre  qui  lui 
convient.  ^lélhode  et  principes,  il  attaque  tout,  et,  en  peu  do 
Jours,  fait  sortir  de  terre  un  monument,  qui  étonne  et  entraîne 
par  sa  puissance  et  ses  proportions. 

Ouand  on  essaye  de  définir  les  caractéristiques  de  sa  philo- 
sophie considérée  en  elle-même  et  dans  ses  rapports  avec  les 
sciences  de  la  nature,  on  en  trouve  deux  principales  :  c'est 
d'abord  une  invasion  de  la  géométrie,  méthode  et  principes, 
dans  le  champ  de  la  science  et  de  la  métaphysique  ;  c'est  ensuite 
l'avènement  du  subjectivisme  en  philosophie  et  son  conilit  im- 
médiat avec  les  conceptions  objectivistes. 

Jusqu'à  Descartes,  en  effet,  l'édifice  du  savoir  comprenait 
deux  étages,  la  physique  et  la  métaphysique,  celle-ci  supposant 
(cllc-là.  Descaries  conçoit  autrement  les  rapports  de  la  plii- 
hisopiiic  et  des  sciences.  Il  y  a  en  lui  deux  esprits  et  deux 
génies,  souvent  en  désaccord,  celui  du  métaphysicien  et  celui 
du  géomètre,  ^lais  ce  dernier  l'emporte.  Géomètre  avant  tout  et 
géomètre  puissamment  déductif.  Descartes  est  porté  à  ramener 
à  la  géométrie,  à  sa  méthode  et  à  ses  principes,  loule  mélhode 
scientifique  (>t  toute  théorie  des  êtres. 

La  perception  du  réel  n'est  pas  chez  lui  au  niveau  du  raison- 
nement ;  la  déduction,  développée  à  l'excès,  atrophie  ou  égare 
l'intuition  et  l'esprit  expérimental. 

Témoin  la  trop  célèbre  théorie  des  animaux-machines,  le- 
roman  de  leur  physiologie  et  même  de  leur  psychologie  pure- 
ment mécanistes  ;  témoin,  ses  lois  des  chocs  souvent  en  contra- 
diction manifeste  avec  l'expérience  ;  témoin  le  cachet  si  nette- 
ment géométrique  de  sa  philosojjhie  entière. 

Le  métaphysicien  lient,  il  est  vrai,  la  première  place  dans  le 
problème  de  la  certitude,  dans  tout  cet  enchaînement  d'idées 
ou  de  théorèmes  par  lesquels  Descartes  entreprend,  d'abord  do 
réduire  la  certitude  nu  je  pense  donc  je  suis,  et  ensuite  de  remon- 
ter aux  réalités  situées  en  dehors  de  la  conscience.  Néanmoins 
le  géomètre  est  loin  d'y  être  étranger.  N'est-ce  pas  lui  qui  exige 
une  certitude  infaillilile,  très  résolu  à  ne  se  contenter  que  do 


(•( 


;./•:  l'iiiiiiU'.ME  l'iiiLiiSdi'iiKji'h:  id 

llo-là.quilli' il  ii'('liv  |»;is  Irop  difticilc,  lr.rs(|u'il  s'agira  de  [las- 
r  (lu  coi/l/ii  '■'■(/(!  siiiii  à  ri'xislcnco  de  Dieu  ri  ilii  monde  oxlé- 


ricur  ; 

11  a  trouvé,  dans  1rs  déiiiunslralions  dr  la  i;(''(iuu''lric,  un  l\  |r' 
incomparaljle  de  certitude  et  de  clarté"  il  a  entrevu  la  possiln- 
iité  (le  IVHcndre  à  la  nn'canique.  11  ra|i|di(iiic  aussit(Jt  à  la 
science  entiÎM'e  de  la  nature. 

En  gt'onKHrie,  la  métiuxle  est  exclusivenn'iil  (K'duclive  :  les 
thé'orèmes  viennent  en  Ionique  lile  et  par  ordre,  à  partir  de  d(''li- 
nitions  simples  et  évidentes.  L'esprit  yéomélri(|ue  de  Descartes, 
son  génie  familier,  qui,  suivant  la  remarque  de  Cousin,  l'ul  son 
mauvais  génie  en  philosophie,  lui  fait  couler  dans  ce  moule 
rigide  et  étroit  le  corps  entier  de  la  science. 

11  ne  reconnaît  plus  qu'une  science,  une  sorte  de  géométrie 
supérieure  et  universelle,  qui  aura  pour  ohjet  de  "  chercher  les 
premières  causes  et  les  vrais  principes  doiil  an  ///{issr  déduire  les. 
raisons  de  imit  ee  qu'on  est  capable  de  savoir  (1  )  »,  et  qui  com- 
prendra tout,  physique  et  métaphysique.  N'est-ce  pas  le  mènu' 
esprit  qui  dicte  à  Descartes  la  troisième  règle  de  sa  méthode  : 
"  conduire  par  ordre  ses  pensées  en  comnien(;ant  par  les  ohjels 
les  plus  simples...  el  supposant  même  de  l'ordre  entre  ceux  qui 
ne  se précîdent  point  les  uns  les  autres  »,  an  risque  de  suhstituer 
un  ordre  lout  artificiel  au.\  relations  réelles  des  choses  et  à  la 
marche  naturelle  de  la  pensée  ? 

Mais  que  dire  surtout  de  cette  théorie  si  étrangement  géomé- 
trique de  la  délinition  :  «  11  y  a  en  chaque  suhstance  un  allri- 
hut  qui  c(institue  son  essence  et  de  qui  tous  les  autres  dépen- 
dent »,  de  telle  sorte  que  nous,  hommes,  nous  les  en  puissions 
déduire?  "  L'étendue  en  longueur,  largeur  et  profondeur,  con- 
stitue la  nature  de  la  suhstance  corporelle...  Car  tout  ce  qu(<, 
d'ailleurs,  on  peut  attrihuer  au  corps...  n'est  ([u'une  dépen- 
dance de  ce  qui  est  étendu  i2).   <> 

Voilà  bien  le  fond  d'âme  du  géoni(''lre,  hahitué  à  déduire  d'un 
premier  théorème  toutes  les  propriétés  du  triangle  ou  de  la 
sphère,  et  qui,  fasciné  par  les  avantages  de  ce  procédé,  unique 


(!)  Préface  aux  l'rincipcs  de  pliilosnphir. 
(2)  l'iuicipes.  I"  partie,  ii"  5:j. 


20  J.   niLI.IOT 

ilans  la  sfionco,  no  remarque  pas  qu'il  lienl  à  la  naliire  spé- 
ciale de  Tètre  géoméiriqiie,  croil  pouvoir  rintrotluire  parlout  el 
se  met  ingénument  à  traiter  rétro  réel,  les  choses  île  la  nature, 
comme  il  trailo  les  triangles  et  les  cercles,  simples  ligures  qui 
naisscnl  d'un  Irail  sur  le  taldeau  ndir  ol  s'ollaceul  d'un  onup 
d'épongo. 

Le  Doscarles  des  (rois  di>rniers  livres  des  Priiici/irs  de  pliilii- 
so/i/il'\  du  Tri/i/r  (If  riiiiinmc  el  de  la  Fonualioii  dit  /wlas  csl 
un  géonièlro  plus  ([ii'un  pliilosoplio.  Il  est  la  géométrie  porsou- 
nifiée,  appliquée  de  l'orée  à  la  totalité  do  l'univers.  Il  est  la  géo- 
métrie Iransl'orniéi',  érigée  en  philosophie,  substituée  ii  la  phi- 
l(is(i|iiiie. 

Dos  osprils  (listingu(''s  voieiil  là  un  trait  de  génie  et  l'un  des 
plus  heaux  titres  do  gliiiro  du  philosophe  français.  Nous  y  trou- 
vons une  id('i'  1res  grande,  une  théorie,  telle  qu'un  génie 
comme  Doseartos  pouvait  seul  la  taire  momontanénn-nl  pré- 
valoir; mais  nous  la  tenons,  malgré  sa  fécondité,  pour  aussi 
funeste  à  la  philosophie  que  mal  fondée  on  principe. 

(iolte  théorie  a  inspire''  à  un  cartosion  do  marque^  une  juste 
critique  :  •'  On  a  voulu  réduire  au  calcul  jus(ju'à  l'art  do 
guérir;  et  le  corps  luunain,  celte  machine  si  compliquée,  a  été 
traitée  par  nos  uK'dociiis  algoiiristos  comme  le  serait  la  machine 
la  plus  simple  ou  la  plus  facile  à  décomposer,  (l'est  une  idiose 
singulière,  continue  l'autour  ilu  Traitr  de  di/namiijuc,  de  voir 
ces  auteurs  résoudre  d'un  trait  di'  |)lnuio  des  problèmes  d'hy- 
draulique et  de  stali(|uo  capal)les  d'arrêter  toute  leur  vie  les 
plus  grands  géomètres...  (Contentons-nous  d'envisager  la  plu- 
pari  do  ces  calculs  ol  de  ces  suppositions  vagues  comme  des 
jeux  d'esprit  auxquels  la  naluro  n'est  pas  tenue  de  se  soumettre 
(M  concluons  que  la  seule  vraie  manière  ih^  |)hilo-;opher  en 
physique  consiste  dans  l'application  de  l'aïuilyse  matlu''mati(|ue 
aux  expériences  ou  dans  l'observation  seule,  éclairé'o  jiar  l'esprit 
de  méthode,  aiih'o  quelquefois  par  des  conjectures,  mais  sévè- 
rement dégagée  do  l(Uilo  hypothèse  arbitraire  (1).  » 

On  objectera  ])oul-élro  qu'il  s'agit  de  la  nature  dos  choses 
physiques  et  (jue  cotte  question  no  touche  ni  n'engage  la  méta- 

(1)  D'Alembeut,  l)hc/iiirs  préliminaire  de  l'EiiCf/clupcdic.  MéUttif/es,  t.  1,  p    40. 


/./■;  pimiiLEME  l'uiuisiii'UinrE  21 

|iliysi(HR',  iiidill'ércntc  par  la  nature  même   île  snii  ohiel  aux 
lliédries  méeanisles  (ui  dynnmisti's  ilii  monde. 

.Mais  n'est-ce  pas  nn  t'ait  constant,  dans  la  l'ormation  ol 
l'évolnliiin  hisloriqne  des  systèmes,  qnc  les  tliéories  piiysiqnes 
sont  loin  d'être  indill'ércnles  anx  diverses  mélaphvsiqnes  ? 
TanliM  pour  des  raisons  île  néressiti''  loi;i(|iie.  lanliil  par  suile 
«l'atlinités  psy(  luiloiii(|iu^s  également  réelles,  on  voit  toujours 
on  presque  toujours  ielli'  physique  appeler  telle  métaphysique 
et  repousser  telle  antre,  certaines  théories  physiques  former 
avec  certaines  théories  métaphysiques  comme  des  couples,  dont 
les  membres  suivent  une  marche  parallèle,  vivent,  proj;ressent 
et  meurent  en  même  temps. 

X'est-il  pas  évideni  que  si  la  iiéomélrie  explitjue  loul  dans  la 
nature,  si  lonles  les  sciences  du  monde  physi([ue  se  réduisent 
à  une  seule,  s'il  n'y  a  plus  entre  les  sciences  diverses  de  géné- 
ralités communes  débordant  chacune  d'elles,  la  métaphysique 
n'a  [)lus  de  fonction  à  remplir?  Organe  sans  fonction,  roi  fai- 
néant de  la  science,  que  lui  reste-t-il  îi  faire,  sinon  à  dis- 
j)arailre? 

l'ne  auli'c  lliéorie  étroitement  connexe  ;ivec  tidle  du  méca- 
nisme universel  achève  d'en  préciser  la  portée  philosophique. 
(Tc^st  celle  des  idées  claires,  si  Lien  accueillie  d'abord,  si  pleine 
de  promesses  et  en  vérité  si  comnioile. 

De  l'étendue  et  du  mouvement,  du  temps  et  de  l'espace,  de 
toutes  ces  choses  obscures,  qui  ontfait  à  chaque  époque  le  tour- 
ment des  âmes  philosophiques,  nous  avons  des  idées  tellement 
(daires  que  l'on  ne  doil  plus  désormais  formuler  à  leur  sujet 
aucune  question,  ni  [loser  aucun  problème,  ni  pnr  conséquent 
inslitvKM"  aucune  théorie,  que  toute  l'ancienne  métaphysique, 
sans  en  excepter  les  argumentations  subtiles  d'un  l'arniénide 
et  d'un  Zenon,  la  philosophie  d'un  Aristole  r[  d'un  IMalon, 
les  travaux  d'un  saint  Thomas  d'.Vquin  et  de  toute  une  époque 
de  métaphysiciens,  tout  cela  se  trouve,  a  priori,  sans  autre 
examen,  frappé  de  déchéance,  proclamé  vain,  illusoire  et  sans 
objet.  Les  in-folio  consacrés  à  ces  éternels  problèmes  peuvent 
ilormir  en  paix  leur  sommeil  au  fond  des  liildiolhèques  :  les 
siècles  s'écouleront,    sans   (ju  une  main    amie   vienne  soulever 


22  .1.  [ni. MOT 

leur  linuciil  do  poussière  et  inviter  ces  uiurls  à  renlrer  dans  la 
communion  des  vivants. 

Tant  que  régnera  cette  philosophie  des  lumières  et  des  clar- 
tés, il  n'y  aura  plus  de  métaphysique  de  la  nature,  ni  de  pro- 
hlèmes  mystérieux  relatifs  à  l'être  ;  il  n'y  aura  rien  au-delà 
des  surfaces,  ni  sous  la  transparence  des  phénomènes. 

Rien  d'ailleurs  ne  peint  sur  le  vif  l'âme  même  du  cartésia- 
nisme, rien  ne  la  livre  dans  sa  réalité  vivante  et  passionnée, 
dans  sa  transcendante  confiance  en  elle-même,  comme  la  pré- 
face au  livre  des  Principes.  Nous  ne  pouvons  nous  dispenser 
d'en  rappeler  quelques  traits. 

11  y  a  eu  de  tout  temps  de  grands  hommes,  des  philosophes 
(|iii  uni  là(  li(''  (le  chcirhcr  K^s  premières  causes  et  les  vrais  })rin- 
eipes  dont  on  puisse  ensuite  tout  déduire.  "  Toutefois,  poursuit 
Descartes,  je  ne  sache  point  qu'il  y  en  ait  eu  jusqu'à  présent 
à  qui  ce  dessein  ait  réussi.  »  Ni  Platon,  ni  Aristote,  ni  aucun 
de  leurs  disciples  n'a  pu  parvenir  à  la  connaissance  des  vrais 
principes.  I,a  cause  en  est  aussi  simple  qu'évidente  :  c'est 
qu'ils  ont  tous  supposé,  pour  principes,  des  choses  qui  n'étaient 
point  parfaite  ment  connues  (1  isez  parfaite  m  en  l  claires)  telles  que 
la  pesanteur  que  tous  ont  imaginée  dans  les  corps  terrestres, 
telles  que  le  vide  ol  h^s  atomes,  comme  aussi  le  chaud,  le  froid, 
le  soufre,  le  sel,  le  mercure  et  toutes  les  autfes  choses  sem- 
hlables  dont  ils  ont  fait  leurs  principes,  sans  en  connaître  la 
nature  intime,  sans  en  avoir  vu  à  découvert  le  principe  effectif 
ou  formel.  ■•  Or,  continue  Descartes,  toutes  les  conclusions 
que  l'on  ]ieul  déduire  dnii  ]nincipe  qui  n'est  ]>oint  évid<'nl 
ne  peuvent  j)as  être  évidentes:  d'où  il  suit  (|ue  tous  les  raison- 
nements qu'ils  ont  appuyés  sur  de  tels  principes  n'ont  ))u  leuj- 
donner  la  connaissance  certaine  d'aucune  chose,  ni  par  consé- 
quent les  faire  avancer  d'un  pas  dans  la  recherche  de  la  sagesse.  » 

Les  vrais  principes  qui  conduisent  à  ce  plus  haut  degré  de 
sagesse,  dans  lequel  consiste  le  souverain  bien  de  la  vie  humaine, 
se  trouvent  dans  sdu  livre.  11  en  donne  deux  raisons  suffisantes 
<'  dont  la  première  est  qu'ils  sont  très  clairs  ;  cl  la  seconde,  qu'on 
en  peut  détiuirc  toutes  les  autres  choses.  Il  n'y  a  que  ces  deux 
conditions  qui  soient  requises  en  eux.  ■•  ...Or,  ces  principes 
sont  d'aliord  que  le  monde  physique  a  pour  essence  l'étendue  et 


;-/','  l'IKiISLEMK  I'llll.(>Snl'lllnt:K  23: 

l'nsiiiliMju'il  l'a  ut  dôcduvrirtlans  Ions  lescHros  l'allrilHil  csscnlicl 
jxiiir  (Ml  (Irdiiirc  tous  les  aulros.  Ces  principos  rlaljlis,  Descarlcs 
jiiMil  sdiulcrci  t'clainir  les  mystères.  Il  poiil,  fii  so  j(Hianl,  avec 
<lo  rôlciiiliio,  lies  lijJiiiTs  et  dos  chocs,  c  csl-à-diro  avec  du 
hasard,  créer  des  mondes  tels  que  les  nôtres,  déduire  a  /jriori 
de  leur  essence  tous  les  attributs  des  choses,  toutes  les  classi- 
iications  des  naturalistes,  nul  obstacle  ne  se  rencontre  sur  sa 
route  capable  de  l'arrêter;  la  nature  n'a  plus  de  secrets.  Cepen- 
dant les  destins  sont  lixés  :  deu.v  disciples  de  Descartes,  Ber- 
keley et  KanI,  vengeront  la  philosophie  des  coups  qu'il  lui  a 
j)ortés. 

Il  est  vrai  (iii'une  pensée  puissante,  qui  se  heurte  comme  un 
torrent  à  l'obstacle  qu'elle  veut  renverser,  précipite  ses  Ilots  et 
fait  jaillir  au  loin  l'écume,  sans  toujours  mesurer  ses  coups. 
Les  réactions  passionnées  sont  coutumièros  de  l'exagération  et 
<le  la  violence.  Mais  n'oH'rait-elle  pas  ce  caractère  à  un  degré 
peu  commun  et,  pour  mieux  r(''ussir,  ne  risquait-elle  pas 
^'(''hranler  la  métaphysique  jusque  dans  ses  fondemenls,  la 
iloctrine  qui  méconnaissait  à  ce  point  non  seulenuMit  la  philoso- 
phie antique,  mais  jusqu'à  la  manière  de  penser  la  plus  nalu- 
relle  à  l'esprit  humain  et  la  plus  féconde  pour  le  développemeul 
scientilique?  N'élait-ce  pas  un  arrêt  de  bannissement  à  [)erpé- 
tuité  contre  toute  métaphysique  des  choses,  contre  la  phy- 
sique et  la  plupart  des  sciences  proprement  expérimentales, 
notamment  contre  la  chimie  h  qui  l'on  refuse  jusqu'à  la  nolidu 
<rél(''nients  spéciiiques,  contre  la  biologie  à  qui  l'on  dénie 
jusqu'au  concejît  de  la  vie?  l'our  (|uel  motif?  Sous  le  prétexie 
que  toutes  ces  notions  de  force,  de  pesanteur,  de  sel,  de  mer- 
cure, de  vie,  ne  sont  pas  assez  claires  pour  que  nous  en  puis- 
sions déduire  toutes  choses. 

Nous  venons  d'assister  à  un  premier  refoulement  de  la  j)hilo- 
sophie  par  la  science,  à  la  substitution  de  celle-ci  à  celle-là  et, 
pour  tout  dire,  à  la  domination  tyrannique  des  sciences  infé- 
rieures sur  les  sciences  plus  élevées. 

Descartes  pensa  faire  ceuvre  créatrice  et  il  rêva  de  gran(I(>s 
et  délinitives  conquêtes.  11  parvint  à  semer  autour  de  lui  une 
contagion  de  confiance  et  d'enthousiasme,  et  jamais  peut- 
être  on  ne  vil   dans   toute   l'Euro])!'  ardeur   |)lus  grande  à  la 


^4  .1.  BILLIOT 

recherche  de  la  vérilé  philosophique.  En  réalité,  si  la  physique 
a  bénélicié  de  son  action,  la  métaphysique  est  sortie  de  ses 
mains  considéraldeuKMit  amoindrie. 

Un  simple  regard  jeté  sur  la  carte  de  la  pensée  philo- 
sophique et  seienlilique  au  xix'  siècle  nous  révèle  l'énorme 
déplacement  de  frontières  qui  s'est  produit  aux  contins  de  la 
science  et  de  la  philosophie,  tout  ce  que  la  première  a  gagné  et 
tout  ce  que  la  seconde  a  perdu,  en  étendue  et  en  certitude, 
durant  le  cours  de  ces  trois  siècles. 

Autrefois,  ijuand  la  science  était  pnuvre,  les  cadres  de  la  phi- 
losophie étaient  riches  :  ils  comprenaient  l'étude  du  mouve- 
ment, les  théories,  scientifiquement  très  incomplètes,  mais  au 
point  de  vue  philosophique  très  ])rofondes,  des  éléments  et  des 
mixtes,  du  mélange  et  de  la  combinaison,  un  certain  nonihre 
de  Iraités  sur  chacune  des  fonctions  de  la  vie  organique,  sur 
la  nulrilion,  ré'vnlulion  vilale  de  la  naissance  à  la  mort,  sur 
(•hacun  des  organes  des  sens.  l)es  analyses  pénétrantes,  malheu- 
l'eusement  négligées  aujourd'hui,  sur  (diacune  des  notions  fon- 
damentales de  la  métaphysique,  sur  la  substance,  la  quantité, 
la  ([ualité,  la  relation,  la  cause,  l'inlini,  l'espace  et  le  temps, 
remplissaient  les  livres  d'enseignement  et  développaient  chez 
les  esprits  cultivés  la  faculté  philosophi{|ue.  11  suflit  de  par- 
courir les  deux  in-folio  de  la  Mr/ap/if/siqHc  de  Saurez.  — Qiu^ls 
sont  aujourd'iiui  les  cours  de  philosophie  oii  l'on  s'occupe  sérieu- 
senu'iit  de  ces  notions  pourtant  essentielles?...  Pour<|uoi  la 
philosophie  fail-elle  profession  d'ignorer  les  quelques  notions 
fondamentales  et  vraiment  philosophiques  de  la  mécanique, 
de  la  physique,  de  la  chimie  et  de  la  biologie  qui  combleraient 
en  grande  partie  les  lacunes  que  nous  signalons  ici?  Que  faut- 
il  (lonc  penser  do  cette  métaphysique  morne  et  vide,  de  ce 
désert  qui  a  |)ris  la  placé  de'la  forêt  si  toulfue,  peut-être  même 
trop  toulfue,  d'autrefois?  Quand  on  voit  des  contemporains 
demander  à  l'idéalisme  moral  et  à  la  religion  du  sentiment  nu 
dernier  refuge  pour  ce  qui  nous  reste  de  philosophie,  ne  dirait-on 
j)as  un  grand  empire  qui  tombe  et  qui  assiste  au  démembre- 
ment progressif  de  ses  plus  riches  provinces? 

Mais  si  la  philosophie  a  été  vaincue  et  dépossédée,  c'est 
(|u"e|le  a  mal  combattu,  ou  même  qu'elle  n'a  pas  combattu  du 


/./•;  l'HiiliLEME  l'IllUiSdl'IlKjl  E  2E> 

Idiil  :  clic  a,  d'ellc-mçnie,  à  plusieurs  rcprisos,  ot  sans  conihat, 
abaudonné  ses  positions,  rcportL-  ses  lignes  de  tléfense  eu 
arrière,  comme  si  elle  n'en  trouvait  jamais  d'assez  fortes  pour 
livrer  une  bataille. 

C'est  surtont  sur  le  terrain  de  la  certitude  que  le  cartésia- 
nisme devait  porter  le  coup  le  plus  rude  à  l'ancienne  liégé- 
mtmie  de  la  piiilosopiiic. 

l/invasi<in  de  l'esprit  géomélrique  consiitnait  ponr  elle  un 
grave  péril  :  mais  il  ne  menaçait  pas  immédiatcuient  son  empire 
et  sa  vie.  11  en  est  tout  autrement  du  mal  qui  tut  inoculé  au 
cœur  même  de  la  philosophie,  et  qui  tarissait  dans  sa  source 
toute  métaphysique  réelle,  en  substituant  le  point  de  vue 
exclusif  du  sujet  au  point  de  vue  de  l'objet. 

La  piiilos(qihie  muderne  procède  dans  son  ensemble,  sniloul 
sous  ce  rapport,  de  laqualrième  partie  du  Discoiirx  sur  laMi-lhodc. 
I^e  II  Je  pense,  donc  je  sii/.s  »  peut  être  considéré,  ajuste  litre, 
comme  son  acte  de  naissance.  D'après  Descartes,  ainsi  qu'il 
nous  le  raconte  lui-même  à  la  fin  de  la  seconde  partie  du  Dis- 
cours^ toutes  les  sciences  doivent  emprunter  à  la  philosophie 
les  principes  d'où  tout  doit  se  déduire,  à  la  manière  des  théo- 
rèmes de  la  géométrie  ou  de  l'algèbre.  Or  après  avoir  rejeté  la 
valeui'de  toutes  nos  facultés,  parce  qu'elles  |ieuventdans  certains 
cas  faillir,  il  fait  a]qi(d  à  la  donuée  la  plus  immédiati'  et  la  plus 
-iiiipir  de  la  conscience:  et  il  s'arrête  à  cette  idée  (jui  lui  paraît 
répondre  iison  but  :  "  Je  pense,  donc  je  suis...  "Oue  celte  idée  s<iit 
vraie  ou  fausse,  qu'elle  revête  la  forme  du  doute  ou  colle  de  la 
certitude,  jteu  inqiorte  :  la  conscience  vivante  se  saisit  elle- 
même  dans  son  acte,  et  cela  est  immédiat,  partant  incontes- 
table. On  se  ligure  aisément  l'enthousiasme  qui  envahit  alors 
l'àme  de  l'heureux  inventeur.  11  a  donué  à  la  certitude 
sophique  une  Ijasc  nouvelle,  inconnue  de  ses  prédécesseurs, 
supérii'ure  à  toutes  celles  que  l'on  avail  ti'ouvées  avant  lui.  11 
rattaciiera  à  ce  point  d'appui  d'une  solidité  éprouvée,  la  chaîne 
entière  des  vérités  anciennement  connues,  conservées  ou  renou- 
velées par  sa  propre  philosophie  ol  il  réalisera  enfin  ce  rêve 
grandiose  qui  hante  constamment  sa  pensée,  d'une  science 
uni(|ue,  compréliensive  de  toutes  les  sciences,  aussi  certaine 
que  la  géométrie  et  comme  idle  entièrement  (ii'durtive  ! 


■20  J.   l!l  I.I.IOT 

Comment  la  n'-alili''  ;i-l-elle  n'iioiidii  à  col  appi-l  di'  l'idéal  ? 

Dès  cette  heure,  une  jurande  révidnlion  était  accomplie  :  Inni;- 
lemps  avant  Kant,  l'axe  de  la  pensée  philosophique  était  dé- 
placé; le  renversement  anticopernicicn  se  trouvait,  sinon  achevé 
dans  ses  conséquences,  du  moins  accom|)li  dans  son  principe. 
Les  conséquences  allaient  en  sortir,  chacune  en  son  temps. 

Le  mécanisme  universel,  nous  l'avons  dit,  avait  enlevé  le 
monde  extérienr  à  la  philosophie  pour  le  donner  à  la  géo- 
métrie ;  il  ne  lui  restait  plus  dès  lors,  si  elle  vonlail  vivre,  que 
le  monde  inli'rieur,  le  moi  pensant.  (Tétait  donc  uniquement 
vers  le  moi  que  la  philosophie  devait  désormais  tourner  ses 
rejj'ards  et  orienter  ses  efforts.  Aussi  hien,  Descartes  tirait  immé- 
fliatement  du  moi  la  connaissance  de  Dieu,  à  qui  il  rattachait, 
comme  à  une  condition  originelle  de  la  certilnde,  la  théorie  dn 
monde  extérieur.  Car  si  la  géométrie  suflisait  à  doniu'r  l'expli- 
calion  de  ses  phénomènes,  elle  ne  i'ournissait  pas  elle-même 
la  preuve  de  son  existence.  Du  curiitu  rrr/a  suni,  il  aurait  |)ii 
onlin  déduire  une  morale. 

Le  moi  tout  seul,  avec,  son  cnnlenn  el  ses  conséqiieuce-i 
immédiates,  fondait  une  science  ou  même  \\\\  groupe  de 
sciences,  entièrement  séparé  de  la  géométrie,  indépendant  et 
autonome.  Il  constituait  la  base  de  toute  certitude  el  son 
étude  demandait  des  aptitudes  dilTércntes  de  celles  du  géo- 
mètre. Il  v  avait  là  pour  la  ])hilnso|iliie  dépossédée  en  l'ait  du 
monde  extérieur,  et  pour  les  pliilosophes  qui  n'étaient  pas  géo- 
mètres, une  tentation,  ù  laquelle  on  ne  devait  pas  résister.  De 
son  propre  mouvement,  cette  fois,  la  philosophie  prit  le  parti 
héroïque  de  renoncer  à  la  science  du  monde  extérieur  et  de  se 
replier  entièrement  sur  elle-même.  Elle  s'étahlissait.  pensait- 
elle,  sur  une  hase  sans  doute  plus  étroite,  mais  aussi  plus  solide; 
elle  serait  chez  elle  tout  à  l'ait  indépendante  des  autres  sciences. 
—  Or,  cela  seul  constituait  une  révolution  d'une  incalculable 
portée  en  philosophie,  une  révolulinn  iniiniment  plus  grave 
que  la  simple  substitution,  si  fréquente  dans  l'histoire,  d'une 
philosophie  à  une  antre  philosophie. 

Cor,  avi  lieu  d'une  simple  distinction  de  points  de  vue,  la 
révolution  présente  établissait  une  séparation  d'objet  matériel 
entre  la  métaphysique  el  les  sciences  positives.  A  la  place  d'une 


U;  l'iioin.ijir.  riin.iisiii'iiiniK  27 

ilislinction  l(ii;i(jiic  compatible  avec  une  unité  vérilalile.  elle 
mettait  une  ilistinclion  réelle.  La  philosophie  sans  doute  sérail 
indépendante  tles  sciences;  mais  les  sciences  aussi  le  seraient 
de  la  philosophie.  (;"élait  donc  la  rupture  totale  et  déiinitive 
de  l'ancienne  unité,  consentie  celte  fois  et  voulue,  non  plus  par 
la  science,  mais  par  la  philosopliio.  (l'était  l'absorption  de  la 
philosophie  dans  le  moi;  c'était,  en  bonne  logique,  Femmu- 
rement,  presque  la  mise  au  tombeau,  (l'était  la  fin  de  la  phi- 
losophie, au  grand  sens  du  mot.  Car  Descaries  n'étail  qu'un 
précurseur.  Il  appelait  Berkeley  et  Kant  qui  achevèrent  son 
œuvre.  O  puissant  génie,  si  grand  déduclif  qu'il  fût,  n'a  pu 
suivre  jusqu'au  bout  la  pente  de  l'inexorable  logique  qui  entraî- 
nait son  système  aux  écueils. 

Bien  ne  juge  plus  sûrement  une  doctrine  que  son  évolution 
même,  surtout  lorsque  cette  év<dution  obéit  à  la  logiiiue  de  sou 
point  de  dépari,  remplit  une  durée  de  trois  siècles,  et  compte 
des  penseurs  tels  que  Berkeley  et  Kant.  Or,  si  difficile  à  bien 
apprécier  que  soit  le  cartésianisme,  à  cause  de  sa  complexité 
ot  de  ses  multiples  tendances,  il  aura  pour  résultat  final  de 
briser,  en  plusieurs  tronçons,  le  faisceau,  si  fortement  lié  par 
l'aristotélismc.  de  la  pensée  humaine.  La  science  et  la  philo- 
sophie qui,  unies  ensemble,  devaient  s'équilibrer  et  se  com- 
pléter, de  manière  à  donner  une  a-uvre  totale  et  harmonicjue, 
se  replieront  désormais  chacune  sur  elle-même,  mues  par  une 
sorte  de  contractilité  interne  ou  même  d'opposition  instinctive. 
<'t  elles  s'en  iront  chacune  de  son  côté,  suivant  des  voies  diver- 
gentes :  la  philosophie,  vers  le  subjectivisme  critique  ;  la  science, 
vers  le  particularisme  et  le  phénoménisme  scientifiques,  en  un 
mot,  vers  l'éternel  positivisme,  cette  grande  tentation  du  savant 
qui  méconnaît  les  droits  de  la  métaphysitjue. 

^.l  siiirrc.i 

.1.  lULLIOT. 


THEORIE  DES  BEAUX- ARTS 


Quelles  cjualités  ilnniKnit  à  une  u'uvrc  d'art  sa  valeur  oslhé- 
tiqiic  l'ssf'iilirllc?  Par  quel  mécanisme  lu'uvre  d'art,  supposée 
disiiie  de  ce  iidiii,  excite-t-elle  en  iiau^  le  sentiment  du  beau? 
Problème  obscur  dont  la  solution  attend  beaucoup  encore  dos 
progrès  de  la  psychologie. 

D'aucuns  rattachent  à  la  métaphysique  la  recherche  de  cet 
inconnu.  Mais  si  »  le  beau  »,  considéré  dans  sa  plus  grande 
abstraction,  olTre,  ainsi  que  le  vrai,  un  aspect  absolu  et  onto- 
logique, il  ne  semble  pas  qu'on  ait  grande  chance  de  succès  à 
vouloir  (lélermiuer  a  priori  les  conditions  oiijectives  qui  donne- 
ront prise  sur  notre  sens  estb(''[i<|ue  aux  productions  concrètes 
de  la  nature  nu  de  l'art. 

Joufl'roy,  dans  ses  remarquables  leçons  sur  cette  matière  (1), 
concentre  tous  ses  elTorts  à  reconnaître  d'abord,  au  milieu  de 
tant  d'autres,  la  véritable  émotion  artistique.  (Juand  il  en  a 
expérimentalement  discerné  la  nature  et  les  éléments,  il  tâche 
de  saisir  ce  que  peuvent  bien  avoir  de  caractéristique  les  objets 
qui  t'ont  sur  nous  cette  impression. 

Si  la  ui(''thode  est  bonne,  voire  la  seule  bonne,  est-ce  à  dire 
que,  marchant  parce  chemin,  on  ait  atteint  le  terme,  et  qu'on 
ne  puisse  désirer  encore  plus  do  lumière  et  de  précision?  Tout 
ce  qui  touche  au  sentiment  et  aux  émotions  s'est  dérobé,  jus- 
(lu'à  ce  jour,  plus  que  les  antres  phénomènes  de  l'àme,  à  la 
rigueur  de  l'analyse  scientilique  ;  le  champ  à  exploiter  fournit 
et  l'ournira  longtemps  ample  matière  à  l'elVort,  soit  i>n  ce  qui 

(I)  JoiFFROY,  Cours  d'esthétique. 


Tiii.nHii:  in:s  iti:.\i  w-mus  20 

l'i'iiardc  la  M'air  iialinc  di'  I  l'IcMiicnl  (■slInHiciuc.  mjII  en  ce  (iiii 
liiiu-he  à  son  iikkIc  (l'aclinn  sur  nos  facullrs. 

1.    NMiiu:  oniKci'ixi:  ni;  i."ki.i-:mi;nt  ksiiiéth.h  i:  hans  i.'na  viu:  i)'\iii- 

Un  se  donnerait  une  tàclie  bien  ingrate,  si  on  voulait  analyser 
l'omme  émotion  estliéliquo  tous  les  (Hats  psychiques  qui  en 
portent  le  nom.  Encore,  un  si  rude  labeur  n'abdutirait-i!  qu'à 
nous  décevoir  entièremenl,  par  le  caractère  contradictoire  de 
ses  résultats.  (Vest  que,  dès  le  jeune  âge.  on  nous  apprend 
inconsidérément  à  dénommer  <i  />f//fis  »  mille  choses  diverses 
dont  l'action  sur  notre  âme  n"a  guère  de  commun  que  de  nous 
agréer  à  un  titre  qi/flcoiif/w.  Et  n'est-ce  pas  là,  pour  une  bonne 
part  au  moins,  la  raison  de  la  facilité  avec  laquelle  on  admet 
ensuite  que  le  beau  n'a  qu'une  valeur  toute  changeante  et  su!»- 
jective?  Car  on  ne  saurait  contester  qu'il  eiilre  luie  large  pari 
de  contingent  et  de  sul)iectif  dans  le  plaisir  que  nous  cause  la 
A'ue  des  olijets.  Il  en  irait  peut-être  tout  aulreiuent.  si  un  rédui- 
sait le  problème  à  de  plus  étroites  limites,  à  savoir  :  si  la  vue 
de  tel  objet  est  apte  ou  non  à  produire  sur  l'homme  /r//r  "spr)/' 
//f  joitissanrr  très  déterminée  qu'on  appelle  l'émotion  esthé- 
tique. 

Saint  Thomas,  à  la  vérité,  dit  en  plusieurs  endroits  que  "  le 
beau  est  ce  dont  la  vue  (ou  la  connaissance!  nous  agrée  >  . 
—  »  Piilclira  sini/  quie  risa  pUtccnl.  »  M  ne  s|iécilie  pas  une 
jouissance,  à  l'exclusion  des  autres.  Eu  Iransposant  cette 
assertion,  de  l'ordre  métaphysique  dans  l'ordre  de  la  psycho- 
logie, on  obtiendrait  celte  déiinition  générale  :  le  sentiment  du 
beau  est  le  plaisir  que  produit  en  nous  la  contemplation  des 
objets. 

Mais  il  esta  remarquer  que  tous  ces  passages  tendent,  d'après 
leur  contexte,  non  à  donner  de  la  beauté  une  déiinition  adé- 
<[uate  et  précise,  mais  seulement  à  montrer  la  distinction  entre 
les  notions  de  beau  et  de  bien.  ^  llona  sniit  qiise  phicml ,  dil-il, 
pnhhra  sunt  qtiu'  visa  placcnl .  ■>  (le  qui  préoccupe  le  saint 
Docteur,  c'est  d'affirmer  que  la  jnuissance  procurée  par  le 
bien  résulte  de  son  usage  et  de  sa  possession,  tandis  que  le 
plaisir,  quoi  qu'il  ^oil  t/'aif/eurs,  donné  par  le  beau,  provient  de 


30  Tu.   Dl  liOSO 

sa  contemplation.  On  reconnaît,  dans  celte  courte  Ibrnuile,  Ja 
belle  doctrine  du  «  p/atsir  drsintéri'ssé  »  développée  par  nos 
modernes.  Mais  de  ce  que,  pour  saint  Thomas,  le  sentiment 
esthétique  procède  de  la  vue  de  l'objet,  on  ne  saurait  conclure 
qu'à  son  avis  toute  sorte  de  jouissance  produite  par  la  vue  de 
l'otijct  soit  précisément  l'émotion  esthétique. 

Aussi  bien,  appeler  beau  tout  ce  dont  la  vue  nous  agrée,  c'est 
confondre  évidemment  les  émotions  les  plus  diverses.  Autre  est 
le  plaisir  que  procure  à  un  enfant  la  vue  d'un  objet  nouveau 
qui  intéresse  sa  curiosité  et  satisfait  son  besoin  de  connaître, 
autre  rémoiidu  qui  nous  gagn(>  dans  la  contemplation  d'une 
ii'uvrr  d'art  puissainmeul  coueue  et  l)ien  exécutée.  L'un  et 
l'autre  senlimeut  est  agréahh».  L'un  et  l'autre  aussi  est  désin- 
téressé, c'est-à-dire  qu'il  résulte  de  la  contemplation  de  l'objet, 
iudépendamment  de  son  usage.  ^lais  ces  points  communs  ne 
suppriment  pas  d'autres  éléments,  que  la  plus  simple  introspec- 
tion nous  fait  saisir  comme  irréductibles. 

Sailli  Thnnuis  a  d'ailleurs  donné  de  la  beauté  (dijective  uue 
déliuiliiiu  plus  couiiilète  et  très  profonde,  lorsqu'il  a  dit  qn'cdie 
était  "  l'éclal  de  la.  forme  resplendissant  dans  la  matière  ". 
Hr^lilriKlcnlia  fdintx  super  parles  malerùe  proporlionalas  (1). 
De  cette  formule  transcendanlale,  on  lire  sans  peine  la  notion 
psychologique  du  sentiment  esthétique  :  il  sera  «  l'émotion 
jHirl'n^iHère  que  nous  fait  éprouver  l'apparition  éclatante  d'une 
forme,  d'une  essence,  resplendissant  dans  la  matière  ». 

H  Hesph'iHlentid  farituv!  »  Il  n'est  peut-être  pas  une  conclu- 
sion iiuporlaule  des  iccherches  modernes  sur  l'esthétique  qui 
ne  se  trouve  contenue  en  germ(>  dans  cette  définition.  Mais, 
précisément  à  cause  de  sa  riche  compréhension,  elle  ne  laisse 
pas  de  paraître  un  peu  vague,  surtout  à  des  esprits  moins  fami- 
liarisés avec  la  valeur  précise  des  abstractions  métaphysiques, 
et  accoutumés  à  chercher  la  clarté  des  notions  dans  un  perpé- 
tuel retour  aux  faits  susceptibles  de  vérilication  expérimentale. 

('  Resplenileiilia  f(ir)ita:' !  »  dette  formule,  de  bons  auteurs 
l'ont  tirée  d'un  injuste  (Uibli,  et  le  temps  n'est  plus  où,  dans 

(1)  Ojiiisc.  de  riilclu-i),  édité  par  Uccelli. 


ritixinu-:  des  ui:M.\-Mtrs  :{t 

riiislnirc  lies  (Jûfliinos  osthétiquos,  (in  saulail  d'iin  ImuhI  iIi- 
saiiil  Auiiustin  h  l.oiijiiilz  !  11.  .Mais  les  cnniniciilairi's  ([ii'im  a 
l'ails  (le  la  dôtinition  du  .Maître  laissent  encore  planer  (jnehiue 
nliseurilé  sur  la  vraie  portée  des  termes  qui  la  composent. 

.Vprès  avoir  écarté  cette  notion,  trop  générale  pour  être  vraie, 
(|ui  confondait  l'émotion  esthétique  avec  un  sentiment  de  plai- 
sir iiiirUonqiip  provenant  de  la  connaissance  dun  olijet,  il  res- 
terait à  donner  de  la  définition  thomiste  une  explication  satis- 
i'ai'^anle.  Qui  réussirait  à  traduire  cette  formule  en  des  termes 
moins  ol)scurs  pour  les  esprits  modernes,  ferait  sans  doute  con- 
naître une  des  plus  helles  et  des  plus  fécondes  notions  de  la 
lieauté  objective  et  du  sentiment  artistique. 

'  Le  sentiment  du  beau,  dit  saint  Thomas,  s'éveille  en  nous,. 
■  quand  la  forme  ou  l'essence  parait  relatante  aux  regards  de 
i<  l'âme.  »  Faut-il  entendre  par  laque  toute  forme,  toute  essence 
est,  de  sa  nature,  susceptible  de  nous  émouvoir  esthétiquement? 
Faut-il  admettre  que  toute  forme,  toute  essence  est,  d'elle- 
même,  éclatante,  et  que  si  elle  nous  laisse  insensibles,  c'est 
([ue  cet  éclat  natif  est  accidentellement  voilé  ou  subjectivement 
mal  connu? 

Ou  plutôt  ne  faut-il  pas  dire  qu  intrinsèquement  plusieurs, 
formes  ou  essences  manquent  de  splendeur;  que,  seules,  cer- 
taines formes,  choisies  entre  les  autres,  sont  éclatantes,  de  leur 
nature  et  seules  capables,  par  conséquent,  de  projeter  leur 
clarté  dans  l'âme  qui  les  contem[)le?  Dans  cette  dernière  hypo- 
thèse, on  admettrait  que,  jiour  briller  à  nos  regards,  Fessence 
(lu  l'idéal  doit  non  seulement  réaliser  toute  la  perfection  rela- 
lire  de  son  concept  (ce  qui  est  le  cas  de  toute  essence  ou 
notion),  mais  qu'elle  doit  encore  dépasser  un  certain  minimum 
(le  perfection  absolue.  Il  en  serait  alors  de  la  splendeur  de 
l'idéal  comme  de  l'éclat  de  la  lumière  :  les  ondulations  de 
léther  ne  deviennent  principe  de  la  lumière  que  pour  autant 
qu'elles  atteignent  un  minimum  de  vitesse  :  au  dessous,  elles 
sont  mouvement,  mais  mouvement  obscur,  et  sans  action  sur 
nos  organes. 

(Hioisir  entre  ces  deux  interprétations  constitue  un  premier 

fil  V.  Dlclionnaii-e  des  Sciences  philos'ijjliifjues  (Ad.  Kr.\.\ck).  .\rt.  Esl/iélique 
de  M.  Cl].  Cé.n.ard. 


a2  Th.  DUBOSQ 

probicmo  donl  la  solution  importe  Ijoaucoiip  à  la  limpidilr  di'  la 
^lôfinition  proposée  par  saint  Thomas. 

11  semble,  à  première  vue,  (jiie  le  Docteur  angélique  ait  lui- 
même  tranché  la  question,  et  qu"il  faille  se  dégager  de  <■  l'au- 
torité du  Maître  »  pour  tenir  que  tonte  forme,  toute  essenrc,  tout 
iilval  n'est  pas,  de  sa  nntnre,  estln'-tique .  Dans  son  commentaire 
sur  le  ilc  Dirinis  noinini/ins  (ca|).  iv,  lect.  "i,  lin],  saint  Thomas 
s'exprime  ainsi  :  »  NI/ii/  est  rjnot/  non  jjnrt'n  ipet  pnicliro  et  bono 
«  d'u'ino.,  cum  iinnniqnodque  sit pulchrtini  cl  honuni  sectiniluni 
«  pi'opriam  fonnam.  »  Plus  loin  il  dit  que  la  laideur  provient 
d'un  défaut  de  forme  et  de  proportion  ;  mais  que  ce  défaut  ne 
saurait  être  absolu  et  total  sans  que  l'être  cosse  d'exister.  «  Si 
<'  totaliter  tolleretiir  oninis  fin-nia  et  oninis  ordo,  et  per  conse- 
'  (jnrns  toliini  ni  (piod  est  m  pulcliriludine,  née  ipsiim  corpns 
«    renninere  posset.  »  \llnd.,  cap.  iv,  lect.  21.) 

Toutefois  l'excès  même  de  cette  assertion  nous  avertit  dCu 
iHudicr  et  le  contexte  et  l'esprit.  Entendue  à  la  rigueur,  elle 
irait  à  mettre  de  la  beauté  dans  l'êlre  le  plus  monstrueux  et  le 
plus  dilVorme.  C'est  que,  dans  luut  ce  chapitre,  comme  dans 
les  passages  similaires,  saint  Thomas  entend  la  beauté  dans  un 
sens  tout  uu''ta|ih\  si(|ue  el  transcendantal,  (|ui  n'a  rien  à  voir 
avec  resthéti(|ue  des  beaux-arts,  non  plus  ([u'avec  le  concept 
|)ratique  de  la  beauté.  Dans  ce  même  paragraplu'.  et  dans  le 
môme  sens,  notre  auteur  enseigne  (ju'il  n'est  point  d'être  si 
])ervers  qui  ne  contienne  (|U(dque  élémenl  de  bonté,  par  le 
seul  fait  de  son  existence,  trest  vrai,  métaphysiqnement  par- 
lant. Mais  saint  Thomas  lui-même,  quand  il  se  placera  au  point 
de  vue  moral  et  pratiiiue,  ne  fera  nulle  diflicnlté  de  classer  un 
tel  monstre  parmi  les  <■  méchants  »,  les  «  réprouvés  »,  et  jamais 
il  ne  le  confondra  avec  les  <<  bons  »  et  les  «  justes  ».  Ainsi 
raisonne-t-il  touchant  la  beauté,  el  les  textes  allégués  laissent 
à  ses  plus  lidèles  disciples  toute  liberté  de  tenir  qu'en  matière 
d'esthétique  le  premier  idéal  venu  n'est  pas  de  bon  aloi. 

Pour  admettre  que  toute  forme,  substantielle  ou  accidentelle 
est  éclatante  de  sa  nature,  il  faudrait  supposer  que  l'absence 
d'émotion  esthétique  concorde  toujours  avec  une  obscurité  de 
l'expression  ;  il  ne  parait  pas  qu'il  en  soit  ainsi.  Par  exemple, 


THÉORIE  DES  BEAV.\-.\RTS  33 

certains  contours,  certaines  configurations,  certains  profils,  dans 
l'art  décoratif,  nous  agréent  ou  même  nous  émeuvent  par  leur 
charme  ou  leur  majesté;  d'autres  nous  seniMent  fades  et  de 
nville  valeur  :  est-ce  donc  qwo  la  forme  du  contour  géométrique 
serait  nécessairement  de  plus  diflicile  lecture  dans  une  mou- 
lure insignifiante  que  dans  un  profil  d'un  grand  efTet?  Non,  à 
coup  sûr.  Si  le  manque  de  valeur  esthétique  provient  parfois  de 
la  confusion,  il  faut  bien  admettre  qu'il  y  a  des  formes  géomé- 
triques incapables  de  nous  émouvoir,  pour  clairement  qu'on 
les  exprime. 

De  même,  dans  l'ordre  des  formes  substantielles,  nous  ne 
saurions  croire  que  si  l'essence  fer,  plomb,  etc.,  ne  nous  émeul 
pas  esthétiquement,  c'est  qu'elle  n'est  qu'obscurément  saisis- 
sable  dans  la  matière.  Lors  donc  que  saint  Thomas  parle  de 
rrsplrndentia  formie,  il  faut  entendre  :  l'éclat  projeté  sur  la 
matière  par  ces  formes  seules  qui,  à  l'exclusion  des  autres, 
possèdent  de  l'éclat. 

Uefuser  de  reconnaître  à  toute  forme  une  valeur  esthétique, 
c'est,  du  fait  même  de  cette  exclusion,  créer  la  nécessité  d'une 
règle,  d'un  crithre,  capable  de  nous  faire  discerner,  entre  les 
autres,  l'idéal  utilisable  en  matière  d'art  :  nouveau  problème. 

Ce  signe  distinctif  est  indiqué  d'un  mot  dans  la  définition 
de  saint  Thomas  :  tont  idéal  qui  a  de  la  ^plendcvr,  et  celui-là 
seul,  peut  fournir  à  l'expression  artistique  la  matière  d'une 
œuvre  vraiment  et  strictement  belle. 

Fort  bien;  mais  reste  à  savoir  ce  qu'il  faut  exactement  en- 
tendre par  ime  forme  doiirr  dp  splondrur. 

Il  arrive  rarement  à  saint  Thomas  de  définir  par  des  méta- 
phores. S'il  l'a  fait  dans  ce  cas,  c'est  à  croire  qu'il  se  pliait  à 
une  nécessité  :  mais  pour  une  fois  qu'il  se  donne  en  passant 
cette  licence,  il  n'échappe  pas,  disons-le  franchement,  au  danger 
d'être  moins  précis  qu'il  ne  l'est  d'ordinaire.  Oui,  »  forma  splcn- 
di'D-i  i>  —  «  claintas  formx  »  —  sont  de  belles  expressions  ; 
mais  ce  ne  sont  pas  des  expressions  d'un  contour  assez  net. 
Essayons  pourtant  d'en  dégager  le  contenu. 

La  splendeur  résulte  d'une  abondante  lumière  :  quand  il 
s'agit  d'essences  ou  de  formes  offertes  à  notre  contemplation, 

3 


34  Th.  DUBOSQ 

leur  lumière,  c'est  leur  intelligibilité,  ou  mieux,  c'est  la  somme 
d'aliment  qu'elles  offrent  à  nos  facultés.  Une  forme  sera  donc 
resplendissante,  quand  elle  oiïrira  un  riche  aliment  aux  facultés 
qui  se  l'assimilent  par  la  contemplation. 

Pour  faire  disparaître  toute  confusion,  il  reste  à  dire  quelles 
facultés  prennent  part  à  la  contemplation  esthétique  :  alors 
seulement  nous  pourrons  définir  quels  sont  ces  éléments  assi- 
milables dont  l'abondance  constitue  la  splendeur  ou  la  richesse 
de  l'objet  contemplé. 

Saint  Thomas  parlant  de  la  contemplation  chrétienne  se 
demande  si  la  «  (Irlntution  »  y  entre  pour  quelque  chose,  ou 
si  seulement  elle  comporte  i appréhension  de  la  vérité  par 
l'esprit,  sans  participation  des  facultés  appétitives.  Il  répond 
que  la  contemplation,  encore  que  mettant  seulement  en  exer- 
cice l'intelligence  à  titre  essentiel,  ne  saurait  pourtant  se  passer 
de  la  concomitance  des  affections  :  «  Dicendum  quod  vita  con- 
«  tem/ilatira,  licet  essrntialit/'r  consistât  in  intellectu,  priuci- 
«  pium  /(U/U'ii  habet  iu  affecta,  in  quantum  videlicet  ali</uis  ex 
«  charitdte  ad  Uei  contemplatiom'm  incitalur.  Et  quia  fuis  res- 
«  ponde t  principio,  inde  est  quod  etiam  terminus  et  finis  vit;e 
«  contemplativii;  habet  essr  iu  affecta...  «  (II"  II''  q.  IcSU.  art.  7, 
ad  I™.)  Ce  que  dit  saint  Thomas  de  la  contemplation  de  Dieu 
peut  se  dire  de  toute  contemplation  esthétique,  d'autant  qu'il 
affirme  lui-même  que  là  conlemplation  implique  essentielle- 
ment la  beauté.  Si  donc  l'invisible  n'intéresse  que  l'intelli- 
gence sans  aucune  répercussion  possible  sur  les  facultés  émo- 
tionnelles, il  ne  saurait  être,  dans  toute  la  force  du  terme, 
objet  de  contemplation  :  il  peut  être  objet  d'étude,  d'analyse, 
de  déduction  :  mais  tout  cela  n'est  pas  la  contemplation,  et 
nous  verrons  tout  à  l'heure  que  cela  seulement  qui  se  fait 
contempler  est  beau  pour  nous.  C'est  pourquoi  l'expérience 
interne  montre  que  les  pures  abstractions,  comme  sont  les 
équations  mathématiques,  séparées  de  toute  application,  ne 
nous  font  pas  éprouver  cette  spéciale  jouissance  qui  constitue 
l'impression  de  la  beauté. 

Il  en  va  de  môme  de  toute  notion,  si  noble  qu'on  la  suppose  : 
notion  de  courage,  de  force,  de  majesté,  de  magnificence,  etc., 
tant  qu'on  ne  lui  attribue  pas,  au  moins  par  supposition  ou 


THÉORIE  DES  BEM'X-AHTS  35 

imagination,  une  existenco  concrète.  C'est  que  la  pure  ahslrac- 
tion,  dit  saint  Thomas,  suflit  à  constituer  le  vrai  qui  alimente 
rintolligence  ;  mais  le  bien,  objet  des  facultés  affectives,  ne 
saurait  être  attribué  qu'à  un  être  concret  ou  au  moins  repré- 
senté comme  tel  à  l'esprit  :  »  lioinim  non  conseqiii/ur  ratioiit'm 
<(  speciei  /lisi  srcundum  esse  qiiod  habet  in  re  aligna  ;  ei  ideo 
«  ratio  boni  non  competil  Unrœ  vel  numéro  secunduin  hoc  qiiod 
-.(  cadunt  in  coiisidrrationr  tnalhematica.  »  iVrriL,  q.  xxi,  art.  2., 
ad  4°".)  Et  parce  que,  suivant  saint  Thomas,  l'affection,  qui  a 
pour  objet  le  bien,  est  nécessaire  à  la  contcmplalion,  il  suit 
qu'il  n'y  a  de  vraie  contemplation  que  ceUe  des  objets  ou  des 
1.  /ormes  »  qui  ont  à  la  fois  »  rationem  vcri  et  boni  d,  qui  olTrent 
un  aliment  aux  affections  en  même  temps  qu|au  besoin  de 
connaître,  autrement  dit,  les  seules  formes  saisies  comme  con- 
crètes et  comme  capables  de  perfectionner  l'homme  et  d'être 
ainsi  un  bien  pour  lui. 

On  objectera  peut-être  que,  de  l'avis  de  tous,  le  sentiment 
du  beau  est  désintéressé  et  que,  partant,  son  objet  ne  doit  pas 
être  appréhendé  comme  le  bien  du  sujet.  Mais  il  faut  remar- 
quer que  le  sujet  peut  trouver  sa  délectation  à  posséder  l'objet 
seulement  dans  la  représentation  que  lui  en  offre  l'esjjrit,  à 
l'exclusion  d'un  usage  effectif  et,  pour  ainsi  dire,  physique. 
Or,  cette  manière  de  chercher  son  bien  dans  lacunlempdation, 
qui  est  comme  une  possession  mentale  de  l'objet,  non  seule- 
ment ne  détruit  pas  ce  qu'on  appelle  l'amour  désintéressé,  mais, 
à  proprement  parler,  le  constitue. 

Concluons  donc  que  cette  splendeur  intrinslijue  drs  formes 
appartient  à  celles  qui,  entre  les  autres,  offrent  un  plus  riche  ali- 
ment à  l'affection  comme  à  l'esprit,  nn  plus  haut  degré  de  bonté 
et  de  vérité.  VA  comme  d'ailleurs  cette  bonté  ne  saurait  exister 
que  dans  un  être  saisi  comme  individuel,  la  forme  objective 
resplendissante,  capable  de  nous  émouvoir  esthétiquement,  se 
réalisera  par  excellence  dans  l'être  concret  et  parfait  à  la  fois, 
en  Dieu,  seul  être  qui  unisse  à  la  réalité  d'une  existence  per- 
sonnelle la  plénitude  absolue  de  l'amabilité. 

Quant  à  l'être  fini,  il  est,  de  ce  chef,  incapable  de  concré- 
tiser toute  l'ampleur  d'une  perfection  simple,  telle  que  l'esprit 
la  saisit  dans  son  universalité.  En  dehors  de  Dieu,  nul  être 


30  Th.  DIBOSQ 

individuel  ne  peut  être  conçu  comme  réalisant  la  force,  la  ma- 
jesté, /'intelligence,  /'indépendance.  On  peut  néanmoins  se 
représenter  un  être  limité  qui  renferme  ces  qualités  r/an.s  unr 
richo  proportion.  Apparaissant  par  la  contemplation  à  l'esprit  et 
au  cœur  de  l'homme,  cet  objet  les  nourrira  plus  que  ne  le 
peuvent  faire  des  êtres  relativement  pauvres  de  ces  perfections. 
Ces  formes  ne  seront  pas  la  souveraine  beauté  :  elles  seront 
belles  pourtant  et  vraiment  resplendissantes. 

Mais  si  l'individu,  l'être  concret,  est  seul  capable  de  nous 
émouvoir  esthétiquement,  comment  faut- il  entendre  cette 
pensée  de  Ch.  Blanc  (1)  et  des  meilleurs  auteurs  que  la  vraie 
beauté  est  «  impersonnelle  »,  qu'un  objet  approche  d'autant  plus 
de  la  beauté  qu'il  se  dégage  des  limites  de  l'individu  ?  S'il  était 
question  ici  d'une  impersonnalité  absolue  qui  deviendrait  une 
pure  abstraction,  l'opposition  de  notre  doctrine  au  sentiment  de 
ces  écrivains  serait  llagrante.  Mais  ils  ne  veulent  parler,  à 
notre  avis,  que  d'une  impersonnalité  relative.  Cette  imperson- 
nalité relative  consiste  précisément  en  ce  que  le  type,  conçu 
par  l'esprit  comme  réel,  réunit  pourtant  en  lui  seul  une  somme 
de  bien  et  de  vrai  qui  dépasse  ce  que  les  individus  ordinaires, 
trop  caractérisés  et  trop  circonscrits,  nous  en  fournissent  com- 
munémenl.  Il  en  est  du  type  esthétique  fini  comme  de  l'image 
composi'te  de  Galton  (2i.  Strictement  parlant,  ces  images  sont 
concrètes  ;  on  les  appelle  cependant  c<  génériques  »  parce 
qvi'clles  l'éunissent  et  accusent  plus  fortement,  dans  leur  consti- 
tution artificielle,  les  qualités,  contrariées  dans  chaque  individu 
naturel  par  le  mélange  de  traits  antagonistes.  Mises  en  compa- 
raison avec  la  pauvreté  des  types  strictement  réalistes,  ces  con- 
ceptions idéales,  qui  animent  les  œuvres  d'art,  participent  bien 
plus  largement  aux  perfections  de  l'espèce  abstraite,  qui  sont 
indéfinies  et  sans  limites  précises.  C'est  ainsi  qu'on  a  pu  dire, 
par  exemple,  que  Michel-Ange  a  exprimé  dans  «  Il  Pensirroso  » 
de  Florence,  non  la  réllcxion  d'un  homme',  mais  la  réilexion 
luimaine.  La  formule  est  vraie,  mais  un  peu  hyperbolique.  Elle 
est  vraie,  parce  que  la  statue  du  tombeau  de  Laurent  de  Médicis 

^  fl)  Grammciife  des  arts  du  dessin.  Principes  :  IV,  De  l'unilation  et  du  style. 

(2)  Sur  les  images  composites  ou  géoériques,  voir  R.  P.  Peillaube  :  Théorie  des 
Concepts,  1  vol.  iti-S°,  Paris,  s.  d.,  pp.  57  et  suiv. 


TllEimiE  DES  BEAVX-AHTS  37 

oxprimo  une  profondeur  de  réllexion  qui  dépasse  noIaMonienL 
ce  qu'en  manireslenl  les  individus  réels  ;  elle  esl  hyperbolique, 
car  la  totalité  de  la  réllexion  humaine  ne  saurait  être  autre 
chose  qu'une  abstraction  sans  contours  suflisamment  délinis  et 
sans  action  sur  nos  facultés  affectives.  L'œuvre  qui  exprime  un 
idéal  plus  riche  que  ne  le  sont  les  individus  ordinaires  pos- 
sède i/ii  caractrre ;  plus  riche  encore  d'expression,  elle  a  //// 
s/////'  ;  au-delà  d'une  limite  maximum,  elle  perd  de  sa  valeur, 
comme  les  courants  électriques  de  Testa  dont  l'action  sur  l'or- 
ganisme cesse  avec  la  très  haute  fréquence  ;  elle  tombe  enfin 
dans  cet  excès  d'idéalisme  qui  produit  les  œuvres  insaisissables 
à  l'àme. 

En  résumé,  la  condition  première  et  essentielle,  la  condition 
constitutive  et  fondamentale  de  la  beauté,  c'est  un  objet  riche 
de  perfection  et  de  vérité,  capable  d'alimenter  puissamment 
jusqu'aux  plus  hautes  facultés  de  l'àme  qui  le  contemple,  invi- 
sible par  conséquent  puisque  son  action  se  porte  au-delà  des 
sens,  concret  aussi  ou  conçu  comme  tel,  puisqu'il  intéresse  l'af- 
fection autant  que  le  pur  intellect.  Sans  un  tel  idéal,  pas  de 
réelle  hcaiilr.  Ce  n'est  pas  que,  à  son  défaut,  l'artiste  ne  puisse 
aucunement  se  mouvoir  et  que  ses  productions  soient,  par  le 
fait,  destituées  de  toute  valeur.  Au-dessous  des  œuvres  qui  ont 
(in  sli/lr  ou  (lu  cacdclîvr  parce  qu'elles  donnent  l'impression 
d'un  tel  idéal,  il  y  a  place  pour  des  œuvres  curieuses,  intih'fs- 
sautcs,  (jracicuscs,  jolies,  chaniumles.  Seulement,  le  plaisir  tout 
sensible  qu'elles  nous  causent  est  d'un  autre  ordre  :  digne 
encore,  il  se  peut,  des  efforts  de  l'artiste,  il  ne  saurait  ni 
s'égaler  aux  jouissances  strictement  esthétiques,  ni  même  être 
considéré  comme  un  degré  inférieur  d'une  même  catégorie 
d'émotions. 

Nécessaire  à  constituer  la  beauté,  l'idéal  décrit  y  suffirait  à  la 
rigueur.  Qu'un  pur  esprit,  capable  de  le  saisir  dans  son  invisible 
essence,  s'arrête  à  le  contempler,  et  rien  ne  lui  manquera  de  ce 
qui  est  requis  pour  nourrir  et  son  intelligence  et  son  amour. 
Rassasié  de  cet  aliment  spirituel,  il  jouira  :  sa  jouissance  sera 
le  sentiment  de  la  beauté. 

Mais  il  se  peut  qu'un  être  moins  bien  doué,  capable  pour- 
tant d'apprécier  le  beau,  ne  puisse  s'élever  si  haut.  11  faudra 


38  Tu.  DUBOSQ 

dès   lors   que   l'Idéal    s'incarne    pour   ainsi    dire   et  s'abaisse 
vers  lui. 

II.  5I0DE  d'action  DE  l'idÉAE  ESTIIÉTIOUE  SLR  NOS  FACULTÉS  HUMAINES 
PAR    LE    MOYEN    DES    ŒUVRES    d'aRT 

On  pourrait  concevoir  un  homme  si  parfait  qu'il  puisse  for- 
mer sans  grand  effort,  et  maintenir  aussi  sans  peine,  sous  le 
regard  de  l'âme,  un  type  élevé  de  beauté  idéale.  Supposons  de 
plus  qu'en  cet  homme  si  admirablement  constitué  l'harmonie 
et  la  correspondance  des  facultés  soit  telle  que  la  présence, 
dans  la  pensée,  d'un  objet  riche  de  beauté,  éveille  aussitôt  la 
sympathie  de  toutes  ses  puissances.  Cette  âme  vibrera,  et  dans 
son  intelligence,  et  dans  ses  affections,  et  môme  dans  son  être 
sensible,  à  la  seule  présence,  dans  l'intellect,  d'un  objet  capable 
de  la  nourrir  et  de  la  perfectionner.  De  cette  actualisation  puis- 
sante et  totale  de  ses  énergies  résultera  pour  elle  un  état  d'extase 
et  do  jouissance  profonde,  qui  n'est  autre,  sans  doute,  que  le  sen- 
timent de  la  beauté.  Ne  serait-ce  pas  là  cet  homme,  comme  le 
concevaient  Platon  et  Gratry,  allant  à  la  vérité  avec  toiUe  son 
âme?  N'était-ce  pas  là,  avant  la  déchéance,  l'état  magnifique- 
ment riche  et  harmonieux  de  l'homme  tel  que  Dieu  l'avait  fait? 

Malheureusement,  cet  être  si  bien  doué  n'est  aujourd'hui 
qu'un  rêve,  et  alors  que  l'idéal  garde  en  lui-même  toute  sa 
richesse  et  sa  splendeur,  trois  obstacles,  entre  autres,  empêchent 
notre  âme  de  se  l'assimiler  et  d'en  jouir. 

En  premier  lieu,  ce  n'est  pas  sans  peine  que  notre  esprit  se 
forme  l'idée  d'un  type  de  perfection,  même  concret  et  indivi- 
duel, insaisissable  aux  sens. 

Ensuite,  il  nous  faut  dépenser  plus  d'énergie  encore,  pour 
vaincre  les  obstacles,  qu'une  fâcheuse  mobilité  apporte  à  la 
contemplation  un  peu  suivie  d'un  tel  objet.  Ces  énergies,  em- 
ployées à  vaincre  des  obstacles,  sont  ainsi  distraites  de  l'acte 
principal,  c'est-à-dire  de  l'étreinte  qui  imit  l'âme  à  son  idéal. 
De  cette  lutte  résulte  aussi  une  fatigue,  qui  occupe  désagréa- 
blement les  facultés  appétitives  et  les  distrait  de  la  part  qui'elles 
devraient  prendre  à  l'appréhension  de  l'objet. 

Enfin,  il  est  un  troisième  obstacle,  phis  grave  peut-être  encore 


THEOME  DES  BEAUX-ARTS  39 

quo  les  doux  autres,  à  ce  total  envahissement  des  facultés. 
C'est  qu'il  s'est  fait  chez  nous  comme  une  rupture  entre  l'esprit 
et  les  puissances  affectives.  Ce  n'est  que  rarement,  difficilement, 
partiellement  et  pour  un  temps  que  l'esprit  arrive  à  intéresser 
les  facultés  appétitives,  surtout  de  la  partie  sensible,  aux  objets 
qui  devraient  le  plus  les  émouvoir. 

De  l'énumération  de  nos  impuissances,  il  résulte  que,  s'il 
ne  trouve  à  ces  défectuosités  quelques  remèdes  ou  palliatifs, 
l'homme  éprouvera  rarement,  peut-être  jamais,  l'émotion  totale 
et  puissante  de  la  beauté.  L'idéal  invisible,  dont  l'àme  se 
nourrit  dans  l'état  de  perfection  préternaturelle,  n'est  pas  pour 
l'homme  ici-bas  un  aliment  directement  assimilable.  Ce  n'est 
pas  à  dire  que  l'àme  déchue  ne  doive,  elle  aussi,  se  nourrir  de 
l'idéale  beauté  ;  mais  il  faut  comme  enrober  cet  aliment  trop 
subtil  dans  un  véhicule  capable  d'en  favoriser  l'intégration. 

Par  bonheur,  ces  remèdes  à  nos  impuissances  ne  nous  font 
pas  totalement  défaut.  Les  découvrir,  les  mettre  en  œuvre,  c'est 
l'admirable  rôle  des  ISpdii.r-Arfs.  Et  comme,  à  la  condition  du 
travail,  l'homme  déchu  pouvait  tirer  de  la  terre  de  quoi  pour- 
voir aux  besoins  de  son  corps,  ainsi  peut-il  encore,  par  le  labeur 
des  beaux-arts,  tirer  de  l'idéal  une  part  notable  des  inlluences 
qu'il  contient,  pour  nourrir  et  perfectionner  ce  que  l'homme  a 
reçu  de  meilleur. 

Par  quel  mécanisme  le  véritable  artiste  nous  rendra-t-il 
accessible  cette  lumière  dont  la  vision  directe  nous  est  devenue 
si  difficile? 

D'une  manière  générale,  on  peut  affirmer  que  s'il  existe  un 
moyen  de  rendre  l'invisible  assimilable  à  l'àme  humaine,  ce 
sera  de  l'incarner  dans  le  matériel  et  le  sensible.  Saint  Tho 
mas  l'a  bien  compris,  lorsqu'il  termine  sa  définition  du  beau 
par  un  complément  à  l'usage  de  l'homme.  Dans  cet  ordre,  il 
assigne  pour  éléments  à  la  beauté,  non  seulement  la  splendeur 
intime  et  objective  de  la  forme  ou  de  l'idéal,  mais  encore  le 
reflet,  le  rayonnement  de  cette  clarté  sur  la  matière  qui  l'enve- 
loppe :  (<  Reaplendentla  formœ  super  partes  materia'  proportio- 
natas.  »  {/oc.  cit.)  A  l'artiste  il  appartient  de  chercher,  de  dis- 
cerner, de  choisir,  de  corriger,  de  grouper  les  éléments  matéricds 


m  Tu.  DLBOSQ 

propres  à  refléter  l'idéal;  à  lui  tloricnler  habilement  ces  miroirs 
de  l'inaccessible  beauté  de  façon  qu'ils  nous  renvoient,  sans 
trop  la  déformer  ni  l'affaiblir,  l'image  du  type  que  l'esprit  ne 
saisit  qu'imparfaitement  et  à  la  dérobée. 

Gomment  un  choix,  une  disposition  habile  d'éléments  maté- 
riels donne-t-clle  l'impression  de  l'invisible  idéal?...  Dût  cette 
question  demeurer  sans  réponse,  le  fait  serait  incontestable.  Si 
on  ne  parvient  pas  à  s'expliquer  par  quelle  mystérieuse  inlhience 
la  contemplation  silencieuse  d'un  paysage,  l'audition  d'une  mé- 
lodie appropriée,  aboutit  à  la  même  extase  que  produirait  sur 
une  àme  mieux  douée  la  conlcmplalion  dune  grande  idée,  tou- 
jours est-il  qu'il  en  est  ainsi.  L'expérience  tient  lieu  de  tous 
les  raisonnements. 

De  plus,  à  défaut  d  une  analyse  inlrins:  (juc  de  ce  mode 
d'action,  on  peut  en  montrer  les  convenances  psychologiques. 
Admettons  en  effet  que  certains  spectacles  sensibles  puissent 
être,  au  point  de  vue  de  leur  action  sur  l'àme,  les  succédanés 
ou  tout-au  moins  les  auxiliaires  des  grandes  idées,  on  conçoit 
que  disparaîtront  ou  s'atténueront  aussitôt  les  trois  obstacles  à 
la  parfaite  jouissance  analysés  ci-tlessus. 

Puisque  le  sj)eclaclc  sensible  est  présent  devant  nos  yeux, 
plus  d'effort  pour  former  en  notre  esprit  l'idée,  l'objet  de 
la  contemplation.  L'image  s'imprime  d'elle-même  en  nous 
aussi  souvent,  aussi  longtemps  que  bon  nous  semble.  Une  fois 
pour  toutes,  l'artiste  l'a  fixée,  et  elle  demeure  à  notre  dis- 
position. 

Peu  ou  point  d'énergie  perdue,  pour  tenir  notre  attention 
lixée  sur  un  objet  qui  nous  échappe.  Xous  n'avons  qu'à  jouir 
passivement  pour  ainsi  dire.  Toute  cette  énergie  libérée,  toute 
cette  fatigue  épargnée  se  reverse  en  puissance  et  dégagement 
de  l'àme  désormais  livrée,  presque  sans  réserve,  aux  inlluences 
de  l'objet. 

Enfin,  les  spectacles  sensibles  ont  bien  plus  de  prise  sur  nos 
facultés  émotionnelles  que  les  concepts  formés  par  notre  esprit, 
et,  de  ce  chef  encore,  voilà  que  la  splendeur,  la  richesse  de 
l'objet  parvient,  en  s'incarnant  dans  la  matière,  à  conquérir 
nos  puissances  pour  les  faire  participer  à  son  éclat,  à  sa  per- 
fection. 


TIIEiiRIE  DES  BEM'X-ARTS  41 

Les  convenances  jtsycluilugiques  s'unissent  donc  à  l'observa- 
tion des  faits,  pour  nous  rendre  raison  de  l'eflicacité  des  heaux- 
arts.  On  ne  saurait  pourtant  méconnaître  que,  au  point  de  vue 
philosophique,  c'est  là  une  explication  très  incomplète.  L'esprit 
veut  pénétrer  le  formel  et  l'intime  des  phénomènes  qu'enre- 
gistre l'expérience.  Comment  une  statue,  un  tableau,  un 
paysage  surtout  et  une  série  de  sons  peuvent-ils  bien  incarner 
une  idée?  Dire  que  la  matière  rcfUtv  l'idéal,  que  la  beauté  invi- 
sible prend  un  corps  dans  les  œuvres  d'art,  c'est  dissimuler 
notre  ignorance  sous  des  expressions  métaphoriques.  Ne  peut-on 
pénétrer  aucunement  ce  mystère  ?  On  l'a  tenté.  En  parcourant 
les  solutions  proposées,  on  trouvera  peut-être  que  le  défaut  de 
la  plupart  est  de  prétendre  au  monopole  de  la  vérité.  L'in- 
fluence esthétique  des  divers  moyens  que  les  beaux-arts  mettent 
en  œuvre  est  évidemment  très  multiple  et  très  complexe.  Use 
pourrait  donc  que  la  meilleure  exj)lication  qu'on  en  puisse  four- 
nir soit  précisément  une  synthèse  largement  éclectique  de  doc- 
trines qui  s'excluent  moins  dans  la  réalité  que  dans  l'esprit  de 
leurs  défenseurs. 

JoutTroy  [op.  cit.)  rattache  la  valeur  expressive  de  l'œuvre 
d'art  au  principe  de  causalilé.  L'élément  invisible  de  la  beauté, 
pour  lui,  c'est  la  force  physique,  intellectuelle  ou  morale,- 
s'exerçant  non  pas  faiblement  ou  difficilement,  comme  dans  la 
plupart  des  individus  réels,  mais  grandement,  librement,  aisé- 
ment, dans  un  degré  plus  élevé  que  ne  l'exigent  les  besoins 
égoïstes  de  l'être  particulier.  Ainsi  conçue,  la  force  est  sympa- 
thique à  l'homme,  parce  qu'il  y  contemple  une  puissance 
capable  de  réaliser  des  elTets  grands  et  riches.  Or,  dit-il,  les 
phénomènes  matériels,  étant  les  elTets  de  la  force  invisible, 
l'expriment  nécessairement,  puisque  la  cause  se  manifeste  dans 
ses  résultats.  L'artiste  peut  donc  trouver  de  ci  de  là  dans  la 
nature,  réunir  et  composer  par  son  imagination  des  tableaux 
qui  montrent  des  effets  de  la  force  puissante  et  libre  :  la  con- 
templation facile  de  ces  œuvres  sensibles  remplacera  pour  nous 
la  contemplation  malaisée  de  la  force  immatérielle  qui,  en  les 
produisant,  y  a  laissé  son  empreinte. 

A  peu  près  semblable,  mais  cependant  plus  ample,  est  l'e.x- 


42  Th.  DUBOSQ 

plication  adoptée  par  M.  Vallet  (1).  Cet  auteur  rattache  la  théo- 
rie de  l'œuvre  d'art  au  système  scolastique  de  Vorigine  des 
ich'es.  Pour  lui,  les  spectacles  sensibles  peuvent  remplacer  la 
contemplation  du  pur  et  invisible  idéal,  parce  que  leur  image 
fournit  à  l'intolligence  la  matière  d'oîi  elle  abstrait  l'absolu  et 
l'universel,  c'est-à-dire  l'essence,  la  forme,  l'idéal  lui-même. 
Si  donc  le  type  sensible  offert  par  les  sens  à  l'intellect  est  un 
type  choisi  et  parfait  dans  son  genre,  si,  d'autre  part,  il  reste 
présent  sous  le  regard  du  spectateur,  il  lui  fournira  les  éléments 
premiers  d'une  idée  essentielle  plus  riche  et  plus  facile  à  rete- 
nir. Cette  idée,  l'esprit  la  forme  en  présence  de  l'objet  sensible, 
il  la  dégage,  il  la  contemple,  il  s'y  complaît. 

Pour  d'autres  encore,  la  vue  des  œuvres  d'art  seconde  la  con- 
templation de  l'idéal  invisible,  en  ce  qu'elles  sont  composées 
de  fation  à  agir  sur  la  mi'-moirr.  Leur  rôle  direct  est  de  faire 
revivre,  par  d'habiles  et  multiples  associations  d'idées  et 
d'images,  tout  un  riche  ensemble  de  souvenirs,  plus  ou  moins 
oblitérés  et  inconscients.  C'est  cet  ensemble  de  souvenirs  qui 
constitue  l'idéal  exprimé  par  l'œuvre  d'art  et  c'est  leur  contem- 
plation qui  nous  émeut  esthétiquement. 

Ces  trois  interprétations  ont  cela  de  commun  qu'elles  n'attri- 
buent pas  à  l'œuvre  d'art  une  iniluence  iminvdiuli'  sur  les 
facultés  émotionnelles.  L'œuvre  d'art  actionne  d'abord  ou 
seconde  les  facultés  cognoscitives.  C'est  là  son  rôle  direct  et 
exclusif.  Ensuite  seulement  l'idée,  éveillée  dans  l'intelligence 
ou  la  mémoire,  réagit  sur  l'état  alfeclif  pour  développer  le  sen- 
timent complet  de  la  beauté. 

Il  se  peut,  il  est  même  probable  que  ce  mode  d'influence 
existe,  surtout  dans  la  statuaire,  la  poésie  classique,  la  peinture 
d'histoire,  de  genre  et  de  portrait.  Mais  il  est  douteux  qu'alors 
même  il  existe  seul.  De  plus,  il  est  d'autres  procédés  d'art, 
spécialement  la  peinture  de  paysage  et  la  musique,  où  son 
action  est  des  plus  réduites,  sinon  tout  à  fait  nulle. 

Quant  à  attribuer  à  cette  théorie  une  valeur  exclusive  et 
universelle,  deux  considérations  entre  autres  paraissent  s'y 
opposer. 

(1)  p.  Yallet  :  Vidée  du  Beau,  1  vol.  in-12,  Paris,  1887. 


TIlÈlilUE  DES  BEAUX-ARTS  43 

Si,  toujours,  l'action  de  l'aHivrc  d'art  consistait  essentielle- 
ment h  susciter,  dans  l'intellect  ou  la  mémoire,  imc  idée  plus 
haute  et  plus  facile;  si  l'émotion  ne  se  produisait  qu'ensuite, 
par  rinllucncc  et  dans  la  mesure  de  cette  notion,  l'impression 
du  beau  se  proportionnerait  à  la  netteté  et  à  la  puissance  de 
l'idée.  —  D'autre  part,  l'impression  reçue  devrait  toujours  être 
conforme  à  ce  que  l'objet  représente. 

Or,  il  semble,  au  contraire,  surtout  dans  la  musique  et  dans 
la  peinture  de  paysage,  qu'une  émotion  très  profonde  envahisse 
l'âme,  alors  qu'on  serait  bien  empoché  de  dire  quelle  idée 
nette,  ou  même  quelle  idée  s'est  formée  dans  l'intelligence  par 
la  contemplation  du  paysage  ou  l'audition  de  la  symphonie. 

Pareillement,  il  n'arrive  pas  toujours  que  rimj)ression  donnée 
par  l'œuvre  d'art  soit  précisément  conforme  à  ce  que  le  tableau 
représente.  «  La  poésie  d'un  tableau,  dit  un  critique  d'art,  ne 
«  se  compose  pas  de  ce  qu'il  représente,  mais  des  sensa- 
«  tions  qu'il  éveille  chez  nous.  »  Il  nous  souvient  d'une  œuvre 
puissante  de  l'aquafortiste  A.  de  Bar,  qui  met  bien  en  lumière 
la  vérité  de  cette  remarque  :  c'est  l'illustration  du  Lar  de  La- 
martine, éditée  parCurmer.  Chaque  fouille  comporte,  à  gauche, 
une  strophe  de  cette  ode,  et,  en  face,  un  paysage  dont  la  con- 
templation donne,  et  d'une  manière  extrêmement  profonde, 
l'impression  de  l'idée,  pourtant  d'ordre  psychologique,  exprimée 
dans  la  strophe.  L'œuvre  gravée  reprrsentc  des  rochers,  des 
arbres,  un  torrent,  etc.,  mais  c'est  autre  chose  qi\  elle  expn)7ip. 
Si  nous  nous  livrons  silencieusement  ^  son  intluence,  par  la 
contemplation,  nous  sentirons  bientôt  notre  âme  se  pénétrer 
tout  entière  des  émotions  mômes  décrites  par  le  poète. 

Ce  qu'a  fait  le  graveur,  des  musiciens  l'ont  fait  aussi.  Autres 
moyens  mis  en  œuvre,  autres  images  présentées  aux  sens  et  à 
l'esprit.  Finalement  pourtant,  l'état  émotionnel  est  le  même, 
plus  ou  moins  puissant  toutefois,  selon  la  valeur  de  l'artiste  et 
la  délicatesse  de  l'auditeur. 

Si  l'action  des  œuvres  d'art  sur  l'âme  humaine  ne  varie  pas 
toujours  comme  varient  les  objets  représentés,  n'en  faut-il  pas 
tirer  cette  conclusion,  que  les  théories  jusque-là  exposées  sont 
nu   inexactes  ou   trop   absolues?    L'imagination,   la  mémoire, 


44  Th.  DUBOSQ 

l'intelligence,  les  facultés  représentatives  proprement  dites, 
sont-elles  bien  l'intermédiaire  indispensable  et  unique  par 
lequel  les  beaux-arts  puissent  atteindre  notre  ànie?  Ils  ont, 
croyons-nous,  une  action  plus  directe  sur  nos  états  émotion- 
nels, et  c'est  à  rendre  raison  de  cette  autre  forme  d'iniluence 
que  paraissent  tendre  plusieurs  théories  esthétiques  d'un  réel 
intérêt. 

Variés  dans  le  détail,  tous  ces  nouveaux  systèmes  peuvent  se 
ramener  pour  le  fond  à  deux  principes  essentiels. 

Le  premier,  d'une  très  haute  portée,  pourrait  s'inlituler  : 
'<  P/inci/jr  (if  la  rcccrsibiiitc  di's  rtdts  rmotionnch.  »  La  doctrine 
qu'il  résume  n'est  pas  nouvelle,  et  saint  Thomas  l'a  certaine- 
ment connue  et  appliquée  (1  ).  Fondée  sur  l'observation  et  l'expé- 
rience, elle  affirme  que  l'enchaînement,  ordinairement  descen- 
dant, des  pliénomènes  psychiques,  en  vertu  duquel  une  ie/i'fi  A 
engendre  une  rmotion  H,  laquelle  aboutit  à  une  adtijiluliiin 
organique  C,  peut  aussi  bien  s'établir  en  sens  inverse  ou  ascen- 
dant. Par  conséquent,  si  une  cause  extérieure  met  l'organisme 
dans  fr/at  C,  cette  adaptation  régénérera  /'r/uo/in/i  B,  qui  pourra, 
à  son  tour,  réveiller  l'idée  A.  En  d'autres  termes,  le  même  état 
émotionnel  B  peut  résulter  ou  de  l'inllucnce  d'une  idée,  ou  de 
l'action  d'un  agent  extérieur  sensible.  On  voit  déjà  toute  la 
fécondité  de  ce  principe.  Si,  par  suite  de  la  déchéance  ou  pour 
une  autre  cause,  l'idre,  chez  nous,  actionne  difficilement  les 
facultés  alfectives,  on  pourra  seconder  son  action  en  appelant 
à  son  secours  l'inlluence  «  ascendante  »  d'un  agent  nia/ériel 
capable  de  provoquer  une  émotion  identique  ou  analogue. 

L'autre  principe,  complément  des  théories  qui  nous  occupent, 
c'est  que  les  objets  matériels  produisent  cette  adaptation  orga- 
nique régénérant  l'émotion,  non  seulement  par  l'inlluence 
(tout  indirecte)  des  images  qu'ils  engendrent  ou  réveillent  dans 
les  sens,  mais  surtout  par  la  relation  inconsciente  d'Iiarniunie 
oa  de  discordance  entre  leur  constitution  iihijsicjue  intime  et  la 
constitution  de  l'organisme. 

Le  fait  que  les  combinaisons  agréables  des  sons  concordent 


(l)  Cf.  Annules  de  Pliilosopliie  cltrélienne,  t.  XXXIV.  mai  1896.  .\rticle  sur  les 
Émotions,  pp.  IIS  et  suiv. 


THEORIE  DES  BEAV.X-ARTS  45 

avec  lies  rapports  simples  entre  les  nombres  de  vilirations  qui 
les  conslituenl  piiysi([ucnient,  prête  à  cette  doctrine  une  hase 
expérimentale  et  scienliliqne.  Des  auteurs  se  sont  appliqués  à 
préciser  cette  loi  générale,  dans  le  cas  particulier  des  formes 
du  dessin  et  des  couleurs  de  la  peinture.  Delbceuf  rattache 
l'action  émotionnelle,  agréable  ou  désagréable,  des  lignes  et 
des  contours  à  Tharmonie  des  mouvements  inconscients  par 
lesquels  l'œil  suit  leur  profil.  'SI.  Charles  Henry  a  tenté  de 
ramener  à  une  même  loi,  dans  une  grande  synthèse  mathéma- 
tique, les  conditions  d'inlluence  agréable  ou  désagréable  des 
sons,  des  formes  et  des  couleurs  (1).  On  conçoit,  en  |)articulier, 
qu'on  puisse  préciser  des  rapports  harmonieux  ou  discordants 
entre  les  nombres  de  vibrations  qui  constituent  les  gammes  des 
couleurs  comme  on  l'a  fait  pour  les  accords  musicaux.  Les  rap- 
ports agréables  correspondant  à  des  angles  définis  sur  le  cercle 
chromatique  de  Chevreul,  ou  sur  un  cercle  chromatique  ana- 
logue, M.  Ch.  Henry  a  pu  construire  un  rapporteur  pour  déter- 
miner, par  une  manipulation  très  simple,  la  valeur  esthétique 
d'une  comliinaison  de  tons  et  de  nuances. 

Parler  de  la  valeur  esthétique  d'une  simple  combinaison  de 
couleurs,  n'est-ce  pas  affirmer  à  nouveau  que  les  œuvres  d'art 
n'agissent  pas  seulement  par  les  images  définies  qu'elles  repré- 
sentent? Comment  expliquer  autrement  l'impression  si  pro- 
fonde que  produisent,  à  certaines  heures  de  la  journée  surtout, 
les  admirables  verrières  de  Chartres,  de  Notre-Dame  de  Paris 
et  de  tant  d'autres  cathédrales?  Et  pour  en  reconnaitrc  l'action, 
point  n'est  besoin  d'en  avoir  compris  le  mécanisme.  Elles  nous 
impressionnent,  bien  qu'elles  ne  représentent  rien  de  précis, 
sinon  une  pure  mosaïque  de  couleurs  empiriquement  mais  très 
harmonieusement  combinées  ;  voilà  un  fait  indéniable  et  qui, 
préalablement  à  toute  explication  mathématique  satisfaisante, 
suffit  à  affirmer  le  bien  fondé  des  théories  en  question. 

Certains  spiritualistes  sont,  à  la  vérité,  portés  &.  une  grande 
méfiance  pour  tout  ce  qui  introduit,  dans  le  domaine  de  la  psy- 
chologie,  quelque  élément  physiquement  mesurable.  Action 


(I)  Charles  IIexbv,  Cercle  chromaligue.  avec  une  In/rodnc/ion  sur  la  théorie 
générale  de  la  Dijnamogénie,  1  vol.  in  folio,  Paris,  1889. 


46  Th.  DLDOSQ 

mécanique  est  pour  eux  comme  synonyme  de  négation  de  l'àme 
et  triomphe  du  matérialisme.  Les  disciples  d'Aristote  et  de 
saint  Thomas  n'ont  pas  à  tel  point  ce  scrupule.  S'il  est  pour 
eux  inintelligihie  de  vouloir  parler  de  conscience  et  d'émotions 
sans  mettre  une  àme  dans  la  matière,  ils  entendent  toutefois 
l'unité  substantielle  de  l'homme,  de  telle  façon  que  rien  ne  les 
étonne  des  iniluences  de  la  matière  sur  l'esprit. 

Y  a-t-il  d'ailleurs  une  si  grande  distance  entre  les  doctrines 
à'esth(Hiqiie  pliijsique  sagement  interprétées,  et  la  pensée  de 
saint  Thomas  lorsqu'il  dit  :  "  Sm^m  dolrctantiir  in  jjiilchris 
i/itia  siiiU  eis  simik'!<,  scUicet  in  pmportionc  débita?  »  (I,  q.  v, 
art.  4,  ad  1".) 

De  plus,  loin  de  détruire  en  ce  qu'elle  a  d'exact  la  théorie 
des  iniluences  représentatives,  cette  esthétique  physique  s'y 
superpose  et  la  complète.  Il  se  peut  que  dans  telle  œuvre,  un 
tableau,  une  statue,  l'inlluence  de  l'image  soit  dominante,  elle 
n'est  pas  pour  cela  combattue,  mais  secondée  par  l'action  des 
lignes  et  des  couleurs  savamment  disposées.  Telle  autre  œuvre 
au  contraire,  une  symphonie,  un  paysage,  devra  surtout  sa 
valeur  d'impression  à  la  mystérieuse  relation  qui  rattache  les 
harmonies  de  notre  organisme  nerveux  aux  rapports  des  sons, 
des  couleurs,  des  lignes,  des  masses,  des  lumières  et  des  ombres. 
Noire  état  alTectif,  dans  ce  cas,  sera  peut-être  très  profond, 
mais  aussi  très  vague.  Ce  sera  la  tristesse,  l'exultation,  le 
silence  de  l'àme  ;  mais  ni  le  paysage,  ni  surtout  la  musique  ne 
feront  naître  en  nous  une  tristesse,  une  admiration,  une  joie 
bien  particulière  et  bien  définie.  La  raison  en  est  peut-être  que 
ces  deux  phénomènes  de  sensibilité  émotionnelle,  déterminés 
selon  la  voie  ascendante  par  une  influence  physique,  n'ont  pas 
dans  les  facultés  représentatives  un  objet  nettement  déterminé. 
Que  des  paroles  viennent  interpréter  la  symphonie,  qu'une 
scène  humaine  anime  et  précise  le  paysage,  et  l'impression  se 
modihe  :  elle  perdra  peut-être  en  étendue,  en  profondeur  aussi 
quelquefois,  mais  elle  se  particularisera  et  deviendra  pour  ainsi 
dire  plus  motivée  et  plus  intelligible. 

En   résumé,    si   les    théories   de   Viiifhinnce   rpprrsenlative, 
poussées  à  l'excès,  tendent  à  porter  les  beaux-arts  à  un  idéa- 


THEORIE  DES  TIEMX-AIITS  47 

lisme  symlioliquc  qui  n'aurait  plus  ri(Mi  dartisliquo,  l'cxagc?- 
ration  de  Yrstlirtifjur  plii/siquc  conduit  à  un  impressionnisme 
sans  objet  et  sans  idéal.  D'une  sage  combinaison  des  systèmes 
résulte  cette  œuvre  complète  et  pondérée  qui  saisit  l'âme  par 
tous  les  moyens  à  la  fois.  Ainsi  compris,  les  beaux-arts  action- 
nent, dans  le  sens  de  l'Idéal,  la  partie  affective  de  l'homme,  uti- 
lisant pour  cela  et  l'inlluence  descendante  d'images  choisies,  et 
l'inlluence  ascendante  des  harmonies  physiques. 

Tii.  DUBOSQ. 


UN  NOUVEAU  FRAGMENT  D'HERACLITE 


La  composilion  connue  sous  le  nom  de  Tlinologumena  arilli- 
meticœ  renferme  un  certain  nombre  de  passages  nomrac^ment 
altrihués  à  un  Anatolius.  L'illustre  helléniste  à  qui  nous  de- 
v(ms  des  éditions  critiques  des  grands  géomètres  grecs,  J.-L.  Hei- 
berg,  a  retrouvé  (dans  le  Monac.  gr.  384)  une  copie,  faite  au 
xv"  siècle,  du  texte  grec  d'où  ces  passages  ont  été  extraits,  texte 
qui  faisait  probablement  partie  d'un  ouvrage  mathématique 
beaucoup  plus  considérable,  à  savoir  de  ces  hi/roditctions  en 
dix  livres  qu'Iuisèbc  (Hi.st.  eccirs.,  vu.  32)  attriiu'e  à  l'Anato- 
lius  qui  fut,  au  iiT  siècle,  évèque  de  Laodicée,  et  qui,  aupara- 
vant, quoique  déjà  chrétien,  occupa  à  Alexandrie  la  chaire  offi- 
cielle de  philosophie  aristotélique  (1).  Heiberg  a  reconnu  que 
l'opuscule  qui  subsiste  ainsi  de  cette  œuvre  avait  été  traduit  en 
latin  par  Georges  Valla  et  inséré  dans  le  livre  III,  ch.  x  à  xx. 
De  e.rpetcndis  et  fuf/icn<lis  re fins,  sani^  indication  de  nom  d'auteur 
et  avec  diverses  interpolations.  Mallieureusement,  le  texte  du 
manuscrit  de  INIunich  est  passaldement  mauvais,  et,  en  parti- 
culier, inférieur  à  celui  des  manuscrits  des  Thrologumrna;  il  sera 
publié  dans  le  Rfcneil  des  Mémoires  corhmiiniqués  au  Congres 
d'Histoire  des  Sciences  de  lilOO. 

A  part  le  fragment  d'Heraclite  dont  nous  allons  parler,  l'opus- 
i-ule  d'Ana/o/iiis  sur  les  di.r  premiers  nombres  n'offre  guère  rien 
de  réellement  neuf,  si  on  le  compare  soit  aux  Theologiimena, 
soit  à  la  partie  relative  au  même  sujet  dans  l'ouvrage  de  Théon 
de  Smyrne.  ^lais  il  y  a  grand  intérêt  à  le  rapprocher  de  ces  deux 


(1)  Sur  les  autres  débris  qui  nous  sont  parvenus  de  cet  ouvrage,  voir  mon 
livre  :  Lu  Géométrie  r/rergjie  (Paris,  G.\UTHiEn-Vii.LAns,  1887),  p.  42. 


l'.Y  Snl'VKAU  FliACMEST  DHEnACLITE  49 

écrits,  soit  pour  se  rendre  compte  de  la  façon  dont  le  premier 
a  été  compilé,  soit  pour  former  quelques  conjectures  sur  la 
source  commune  à  laquelle  ont  puisé  Théon  el  Anatolius,  source 
(|ui  est  sans  doute  antérieure  à  l'ère  chrétienne.  En  tout  cas, 
Analolius  a  exclu  toutes  les  spéculations  relatives  aux  rapports 
enlre  les  nombres  et  les  dieux  hellènes,  spéculations  que  >iico- 
maque,  par  exemple,  avait  si  minutieusement  recueillies;  celte 
circonstance,  qui  n'apparaissait  point  clairement  dans  le  texte 
des  Theologumena,  confirme  amplement  l'attribution  au  chré- 
tien qui  fut  évèque  de  Laodicée,  et  non  pas  à  l'Anatolius  païen 
qui  fut  maître  de  Jamhlique  et  auquel  on  a  quelquefois  pensé. 
Inutile  cependant  de  faire  remarquer  que,  dans  l'opuscule  s»/' 
les  (U.r  prrjjtirr.'i  iiombfp^,  il  n'y  a  pas  à  chercher  une  trace  posi- 
tive de  christianisme;  c'est  un  travail  d'un  caractère  imper- 
sonnel, ou,  si  l'on  veut,  une  compilation  faite  pour  un  ensei- 
gnement non  confessionnel,  et  tirée  elle-même  d'un  ancien 
recueil  qui  pouvait  être  empreint  d'hellénisme,  mais  sur  le 
caractère  duquel  il  serait  prématuré  de  se  prononcer  dès  main- 
tenant. 

Le  fragment  d'Heraclite  est  le  suivant  :  '\\'J:/j.v-o^-/.-j.-A-}.'j-;ry,r,\ 

;x//,aï,;  -ï,;i=:(o.  H  se  trouvc  daus  le  chapitre  consacré  au  septénaire, 
et  suit  une  phrase  dont  voici  la  traduction  :  «  Il  y  a  sept  phases 
de  la  lune,  à  savoir  deux  en  croissant,  deux  en  quartier,  deux 
en  biconvexe  (à;AO!V.jpTo;),  et  enfin  la  pleine  lune.  L'Ourse  a  sept 
étoiles.  »  Evidemment,  cette  phrase  est  le  commentaire  du 
passage  d'Heraclite  ;  resterait  à  savoir  si  ce  commentaire  est 
valable  ;  car,  comme  l'a  fait  remarquer  'SI.  le  baron  Carra 
de  Vaux  au  Congrès  d'Histoire  des  Sciences,  on  penserait  plu- 
tôt à  retrouver  le  rapport  indiqué  par  Heraclite  dans  la  qua- 
druple semaine  qu'emploie  la  lune  pour  sa  révolution  sidérale. 
<|  Suivant  la  raison  des  temps,  le  septénaire  se  réimit  en  la 
lune  ;  il  se  divise  dans  les  Ourses,  par  un  signe  d'immortelle 
mémoire.  »  Voilà  la  traduction  littérale  que  je  donnerais  des 
obscures  paroles  du  ténébreux  Ephésien  ;  mais  je  ne  prétends 
pas  les  éclairer  davantage. 

Leur  intérêt  est  qu'elles  attestent  que  les  spéculations  de  ce 
genre  n'ont  point  été,  au  vi°  et  au  v°  siècles  avant  notre  ère, 

4 


50  Paul  TANNERY 

l'apanage  exclusif  des  Pythagoriciens  ;  on  en  avait  déjà  un  remar- 
quable indice,  dans  le  fragment  27  de  Solon  (1),  qui  expose  la 
doctrine  des  dix  septénaires  de  la  vie  humaine.  Mais  précisé- 
ment la  spécialité  de  cette  doctrine,  qui  s'est  perpétuée  dans  la 
tradition  hippocratique,  la  rendait  beaucoup  moins  caractéris- 
tique que  n'est  le  nouveau  fragment  d'Heraclite. 

Plus  on  étudie  le  pythagorisme,  plus  on  arrive  à  soupçonner 
que  ce  qu'on  lui  attribue  est  en  majeure  partie  un  mélange 
incohérent  de  formules  d'origines  très  diverses.  La  découverte 
de  Heiberg  ne  peut  que  confirmer  ce  soupçon. 

Paul  TANXERY. 

(l'i  Conservé  par  Pt)i'on,  De  opif.  inundi,  104-5. 


CRISTALLOGRAPHIE 


La  Renie  de  PhUuxophie  a  l)ion  vdulu  me  demainlor  un  exposo 
sommaire  sur  les  contiibiitions  que  l'étude  du  monde  minéral 
fournil  à  la  grave  question  de  la  constitution  moléculaire  de 
la  malière.  Il  est  malheureusement  nécessaire,  pour  la  traiter, 
de  faire  appel  à  des  connaissances  qui  peuvent  à  bon  droit 
passer  pour  très  arides,  mais  peut-être  l'importance  des  résul- 
tats suftira-l-elle  à  dédommager  le  lecteur  de  la  fatigue  qu'il 
devra  surmonter. 

J'essayerai  donc  de  dire  ce  (jne  je  crois  avoir  appris  par  la 
fréquentation  du  monde  minéral,  monde  essentiellement  pai- 
sible, au  sein  duquel  j'ai  déjà  govité  vingt-cinq  années  d'une 
parfaite  sérénité. 

Le  monde  minéral  se  distingue  essentiellement  par  l'absence 
d'organisation. 

Qu'est-ce  que  l'organisation  ?  (l'est  une  hiérarchie  établie 
entre  les  parties  d'un  tout,  hiérarchie  en  vertu  de  laquelle  les 
diverses  portions  de  ce  tout,  d'une  part,  ne  sont  pas  identiques, 
et,  d'autre  part,  exercent  des  fonctions  distinctes. 

Dans  tout  être  organisé,  si  simple  qu'il  soit,  on  est  assuré  de 
rencontrer  des  parties  qui  diffèrent  entre  elles  par  leur  nature, 
leur  forme  et  leur  rôle.  En  outre,  l'être  est  le  siège  d'une  série 
de  mouvements  qui  engendrent  une  succession  de  destructions 
et  de  renouvellements,  dont  l'ensemble  constitue  la  vie. 

Enfin  dussiez-vous  descendre  jusqu'à  la  cellule,  vous  trouvez 
toujours,  dans  le  monde  organique,  un  être  au  moins  visible 
au  microscope,  qui  mérite  le  nom  d'individu,  et  cet  être  est 
organisé  de  telle  façon  qu'il  puisse  pourvoir,  par  un  acte  spé- 


52  A.  DE  LAPPARENT 

cial,  à  la  continuation  de  son  espèce,  lorsque  lui-même  aura 
disparu. 

Dans  le  monde  minéral,  il  n'y  a  rien  d'analogue.  Toutes  les 
parties  d'un  minéral  homogène  sont  identiques  entre  elles,  non 
seulement  au  point  de  vue  de  la  nature  et  de  la  forme,  mais  au 
point  de  vue  du  rôle  qu'elles  jouent.  Ce  rôle  d'ailleurs  se  borne 
à  carder,  les  imes  vis-à-vis  des  autres,  les  relations  de  position 
moyenne  qui  les  caractérisent.  Tandis  que  l'être  organisé  est  sou- 
mis à  un  perpétuel  changement,  l'être  minéral  reste  le  même, 
identique  avec  lui-même  aussi  longtemps  que  les  circonstances 
extérieures  ne  changent  pas. 

Il  y  a  donc  à  la  fois  identité  de  toutes  les  parties  de  l'édifice, 
absence  totale  de  hiérarchie,  absence  totale  de  fonctions  ;  en  un 
mot,  identité  et  stabilité  absolue  de  l'édifice  dans  un  milieu 
supposé  invariai)le. 

Telle  est  la  définition  du  monde  minéral.  Maintenant,  afin  de 
bien  connaître  ce  monde,  il  faut  étudier  ses  manifestations  les 
plus  normales.  Pour  cela  faisons  appel  à  cette  notion  d'expé- 
rience, que  la  matière  peut  se  présenter  à  nous  soùs  deux  états  : 
l'état  amorphe  ou  chaotique  et  l'état  cristallin. 

L'étal  amorphe  ne  se  traduit  au  dedans  par  aucune  forme 
spéciale  au  corps  considéré  et  ne  se  révèle  au  dehors  par  aucune 
disposition  particulière  des  propriétés  physiques.  11  y  a  donc 
absence  totale  d'ordonnance.  Or  cet  état  se  produit  toutes  les 
fois  qu'un  corps  passe  brusquement  de  l'état  lluide  à  l'état 
solide. 

Au  contraire,  si  le  passage  s'effectue  très  lentement,  soit  que 
vous  laissiez  un  liquide  se  refroidir  progressivement,  soit  que 
vous  fassiez  évaporer  une  dissolution  dans  une  cave,  le  passage 
à  l'état  solide  entraîne  la  production  d'une  forme  cristalline. 

Alors  on  obtient  de  véritables  solides  géométriques,  tout  à 
fait  remarquables  par  la  régularité  de  leur  ligure,  comportant 
un  assemblage  de  faces  planes  qui  s'agencent  ensemble  de  ma- 
nière à  donner  ce  qu'en  géométrie  on  appelle  un  polyèdre, 
solide  dont  toutes  les  arêtes  sont  des  lignes  droites.  D'ailleurs, 
sur  toute  son  étendue,  chacune  des  faces  planes  et  des  arêtes 
demeure  identique  avec  elle-même  par  l'ensemble  de  ses  pro- 
priétés visibles. 


CIUSTMLOGHAl'Illi:  53 

Pourquoi  la  maliore  en  voie  de  cristallisation  s'est-elle  ainsi 
limitée  au  deiiors  suivant  ces  plans?  C'est  évidemment  parée 
que,  le  lon^  de  ces  plans  et  sur  toute  leur  étendue,  la  condition 
d'existence  du  corps  cristallin  relativement  au  milieu  amiiiant 
était  la  même  pour  toutes  les  particules. 

La  i'ormation  des  cristaux  prouve  donc  que  dans  la  matière 
minérale,  lorsqu'elle  peut  se  constituer  à  l'aliri  de  toutes  les 
inlluences  perturbatrices,  de  façon  qu'il  n'y  ait  à  compter 
qu'avec  les  actions  réciproques  des  particules,  il  y  a  une  force 
enjeu  qui  oblige  ces  particules  à  se  grouper  de  préférence  sui- 
vant des  plans,  lesquels,  tout  naturollemont,  se  couperont  sui- 
vant des  lignes  droites. 

Si  nous  regardons  un  groupe  de  ci-islaux  de  rocbe,  dont  cba- 
cun  a  pour  forme  normale  celle  d'un  prisme  régulier  à  six  pans, 
deux  à  deux  parallèles,  nous  constatons  non  seulement  que  les 
faces  parallèles  jouissent  des  mêmes  propriétés  extérieures 
(éclat,  dureté,  stries  de  la  surface,  etc.)  ;  mais  que  les  trois 
couples  sont  identiques  entre  eux  à  ce  même  point  de  vue. 

Le  cristal  de  rocbe  accuse  donc  la  tendance  de  sa  substance  à 
grouper  ses  particules  d'une  façon  identique,  non  pas  suivant 
une  direction  plane  unique,  mais  suivant  un  assez  grand  nombre 
de  directions  se  croisant  dans  l'espace. 

Cette  constatation,  qui  peut  se  répéter  à  un  degré  variable 
sur  tous  les  cristaux,  nous  met  à  même  de  découvrir  la  loi  de 
la  structure  intime  des  corps  cristallisés. 

Cependant  si  nous  n'avions  à  cet  égard  que  les  renseignements 
fournis  par  la  forme  extérieure  des  cristaux,  les  conclusions 
manqueraient  de  généralité,  puisque  le  nombre  des  faces  est 
limité,  et  que  leur  production  ne  dépend  pas  de  nous. 

l'ourlant  quand  on  considère  une  série  de  cristaux  de  la 
même  espèce,  formant  par  leur  groupement  ce  qu'on  appelle 
une  géode,  on  voit  que  tous  ces  cristaux  ont  la  même  forme  ; 
non  que,  dans  tous,  la  iigurc  géométri([ue  soit  identiquement  la 
même  ;  mais  parce  que  ces  cristaux,  grands  ou  petits,  sont  com- 
posés du  même  nombre  de  faces;  et  cela  de  telle  sorte  que, 
quel  que  soit  le  développement  plus  ou  moins  complet  de  telle 
ou  telle  face,  on  peut,  en  détacbant  ces  cristaux  de  leur  géode, 
les  orienter  tous  de  façon  à  ce  que  toutes  les  faces  homologues 


54  A.  DE  LAPPARENT 

soient  rigoureusement  parallèles,  les  divers  cristaux  ne  ditlV-ranl 
que  par  la  place  plus  ou  moins  grande  qu'occupe  une  face 
donnée. 

Par  là  on  est  conduit  h  se  dire  que  les  petits  cristaux  repré- 
sentent l'état  de  la  matière  dans  l'intérieur  des  plus  gros,  et 
qu'ainsi  on  pourrait  diviser  chacun  de  ces  derniers  en  autant 
d'êtres  qu'il  y  a  de  cristaux  plus  petits  ;  si  bien  que  l'identité 
de  propriétés,  constatée  en  ce  qui  concerne  les  faces  naturelles 
de  chaque  prisme,  peut  être  logiquement  étendue  à  toutes  les 
directions  parallèles  qu'on  pourrait  concevoir  dans  l'intérieur 
du  cristal. 

(!e|)eu(iant,  si  justifiée  ([u'elle  paraisse,  cette  conclusion  ne 
deviendra  définitive  que  s'il  est  possihh'  de  trt»uver  lui  pii(''no- 
mène  dépendant  de  la  cristallisation,  qui  permette  d'étendre, 
il  toutes  les  surfaces  parallèles  sans  exception,  le  privilège 
d'homogénéité.  A  cette  exigence  répond  bien  la  propriété  connue 
sous  le  nom  de  clivage. 

Voici  du  mica,  substance  qui  se  divise  en  minces  lamelles 
llexii)les,  parallèles  les  unes  aux  autres,  et  susceptibles  de  se 
produire  eu  nombre  infini. 

l'ourla  direction  de  ces  lamelles,  j'ai  le  droit  d'affirmer  que 
la  propriété  de  constitution  identique  suivant  les  plans  de  cli- 
vage s'étend  à  toutes  les  directions  parallèles,  quel  qu'en  soit 
le  nombre. 

Mais  le  mica  ne  me  permet  de  faire  cette  constatation  que 
pour  une  direction,  tandis  que  le  gypse  ou  pierre  à  plâtre  en 
cristaux  permet  de  la  faire  pour  trois.  11  en  est  de  même  do  la 
calcile  ou  chaux  carbonatée  ;  et  il  (>st  des  substances  comme  la 
blende,  ou  zinc  sulfuré,  qui  ont  six  directions  de  clivage  abso- 
lument identiques  entre  elles. 

Nous  pouvons  donc  affirmer  que  la  propriété  d'identité  de  la 
constitution,  suivant  des  plans  parallèles,  s'étend  à  tous  les 
plans  en  nombre  infini  qu'il  est  permis  de  concevoir  à  travers 
le  cristal,  à  condition  que  la  direction  de  ces  plans  soit  celle  des 
clivages  de  l'espèce. 

Le  phénomène  du  clivage  nous  enseigne  que,  dans  la  matière 
cristallisée,  il  existe  des  directions  privilégiées,  suivant  les- 
quelles la  cohésion  des  particules  est  un  maximum;  ce  qui  fait 


ClilSTALLnt.liAl'lUE  :;:; 

(jiie,  quand  on  essaie  de  briser  un  cristal,  c'est  suivant  ces 
plans  de  plus  grande  cohésion  que  les  particules  tendent  à 
reste?  groupées  quand  la  séparation  se  produit.  Or,  cette  iden- 
tité de  cohésion  suppose  une  disposition  réciproque  identique- 
des  particules,  et  nous  venons  de  voir  que  cette  disposition 
restait  la  même  pour  toutes  les  directions  parallèles,  quel  qu'en 
lût  le  nombre. 

De  là  à  conclure  que  la  matière  cristallisée  offre  une  consti- 
tution identique  suivant  des  plans  parallèles,  même  quand  ce 
ne  sont  pas  des  directions  de  clivage,  il  n'y  a  pas  loin  ;  mais, 
pour  que  la  généralisation  de  cette  loi  ne  reste  pas  une  affaire 
de  sentiment,  et  qu'on  puisse  la  dire  fondée  sur  l'expérience, 
nous  alliMis  faire  appel  à  un  ordre  de  propriétés  physiques  encore 
plus  iuLime  que  celui  du  clivage,  c'est-à-dire  qui  puisse  être 
facilement  étudié  dans  t(nites  les  directions.  La  conductiliilité 
calorihque  des  cristaux  est  de  ce  nombre. 

Supposons  que  je  prenne  un  petit  bloc  de  matière  cristallisée 
et  que  je  le  polisse  à  ma  volonté,  suivant  une  direction  quel- 
conque. Sur  cette  face  polie,  je  puis  étendre  une  couche  très 
légère  de  cire.  Cela  fait,  j'approche,  avec  les  précautions  vou- 
lues pour  éviter  le  rayonnement,  une  pointe  de  platine,  par 
exemple,  portée  à  la  chaleur  rouge.  Immédiatement  la  cire  se 
met  à  fondre.  La  chaleur  communiquée  à  ce  point  spécial  du 
cristal  rayonne  à  droite  et  à  gauche  et  fait  avancer  de  plus  en 
plus  la  fusion  de  la  cire.  Si,  à  un  moment  donné,  on  arrête 
l'expérience,  on  constate  que  la  partie  fondue  de  la  cire  est 
séparée  de  la  partie  qui  reste  encore  à  fondre  par  une  courbe 
continue.  Cette  courbe  réunit  évidemment  tous  les  points  où 
est  parvenue,  au  même  moment,  la  propagation  du  mouvement 
calorilique. 

Si  les  mouvements  calorifiques  se  propageaient  dans  tous  les 
sens  avec  la  même  vitesse,  la  courbe  obtenue  devrait  être  un 
cercle.  L'expérience  montre,  en  effet,  que  si  l'on  prend  une 
matière  amorphe  telle  que  le  verre,  dans  quelque  sens  que  la 
plaque  soit  taillée,  la  courbe  est  toujours  un  cercle. 

Au  contraire,  avec  un  corps  cristallisé,  on  constate  que,  dans 
la  grande  généralité  des  cas,  la  courbe  est  une  ellipse,  c'est- 
à-dire  que  la  vitesse  de  propagation  varie  avec  les  directions 


SG  A.  DE  [.APPARENT 

suivies.  En  outre,  la  forme  de  l'ellipse,  c'est-à-dire  le  rapport 
du  grand  axe  avec  le  petit  axe,  varie  suivant  la  face  considérée. 
Mais  toutes  les  faces  parallèles  ont  la  même  ellipse. 

Cette  expérience  est  fondamentale,  et  voici  les  conséquences 
que  nous  en  pouvons  tirer.  D'abord,  puisque  la  face  peut  être 
arbitrairement  taillée  dans  une  direction  quelconque,  et  que 
toutes  les  directions  parallèles  donnent  le  même  résultat,  cela 
veut  dire  que,  dans  la  matière  cristallisée,  l'identité  de  consti- 
tution existe  suivant  une  infinité  de  directions  planes. 

Ensuite,  puisque  la  propagation  de  la  chaleur  est  une  com- 
munication de  particule  à  particule,  ce  qui  règle  la  rapidité  plus 
ou  moins  grande  de  propagation  du  mouvement  calorifique  ne 
pciil  être  que  la  distance  plus  ou  moins  grande  des  particules. 
Si  elles  sont  très  voisines  dans  ime  direction,  elles  se  commu- 
niqueront beaucoup  plus  facilement  l'échaulVement  que  si  elles 
sont  éloignées. 

Ici  nous  faisons  une  hypothèse  :  nous  admettons  que  la  ma- 
tière n'est  pas  continue.  Mais  cela  Aa  de  soi,  car  s'il  y  avait 
continuité,  les  phénomènes  de  la  dilatation  et  de  la  contraction 
des  corps  seraient  inexplicables. 

Partant  de  là,  le  fait  constaté  nous  autorise  à  dire  (jue,  dans 
un  corps  cristallisé,  la  distribution  des  particules  dépend  des 
directions  suivies;  qu'elle  varie  avec  les  directions;  mais  qu'elle 
est  la  même  pour  toutes  les  directions  parallèles,  quel  qu'en  soit 
le  point  de  départ. 

De  là  nous  allons  pouvoir  déduire  le  mode  spécial  d'ordon- 
nance qui  prévaut  dans  la  matière  cristallisée. 

Dans  un  corps  amorphe,  les  particules  ne  sont  pas  ordonnées. 
Le  corps  ressemble  à  ce  qu'on  obtiendrait  si,  j)renaut  une  poi- 
gnée de  grains  de  blé  tous  identiques,  on  les  jetait  violemment 
dans  un  panier;  ils  tomberaient  sans  aucune  ordonnance,  allon- 
gés les  uns  dans  un  sens,  les  autres  dans  un  autre.  En  moyenne, 
le  désordre  serait  également  grand  dans  toutes  les  directions. 
Voilà  pourquoi  elles  paraîtraient  identiques. 

Au  contraire,  dans  les  corps  oîi  les  particules  ont  été  laissées 
libres  de  n'obéir  qu'à  leurs  actions  mutuelles,  il  s'est  introduit 
par  là  même  une  ordonnance  des  particules  qui  dépend  des 
directions  suivies.  Il  y  a  différence  de  distributiori  quand  les 


CniSTALLOGItM'IlIE  L7 

directions  sont  différentes,  et  identité  alisoluc  quand  les  direc- 
tions sont  parallèles. 

Tel  est  le  fait  essentiel  propre  aux  eorps  cristallisés. 

Comme  l'expérience,  du  moins  dans  les  liniilcs  de  <■*•  (jui  est 
observable,  peut  être  répétée  quel  que  soit  le  point  de  départ 
choisi  et  en  donnant  toujours  le  même  résultat,  il  est  permis 
de  formuler  autrement  la  notion  à  laquelle  nous  venons  d'ar- 
river, en  disant  que  ce  qui  caractérise  essontiellemenl  un  corps 
cristallisé,  c'est  l'existence  d'une  infinité  de  points  possédant 
la  même  distribution  de   la  matière  autour  de  chacun   d'eux. 

Si  on  appelle  homologues  les  points  pour  lesquels  la  distri- 
bution de  la  matière  est  la  même,  on  pourra  dire  que  la  pro- 
priété essentielle  d'un  corps  cristallisé  est  l'existence  d'une 
infinité  de  points  homologues. 

Cela  nous  permet  de  concevoir  un  mode  tout  à  fait  simple  et 
tout  à  fait  géométrique  pour  représenter  la  constitution  intime 
des  milieux  cristallins. 

Soit  un  point  quelconque,  centre  d'une  particule  matérielle, 
autour  duquel  la  matière  est  disposée  d'une  certaine  faç(ui. 

Nous  savons  qu'il  existe  une  infinité  d'autres  centres,  homo- 
logues du  point  considéré.  Parmi  eux,  j'en  choisis  un  qui  soit 
plus  près  que  tous  les  autres  du  point  initial.  11  n'est  pas 
contigu  au  premier,  puisque  sans  cela  la  matière  serait  conti- 
nue, mais  il  en  est  séparé  par  un  certain  intervalle  ou  para- 
mètre a. 

Puisque  la  loi  d'égale  constitution  de  la  matière  prévaut 
pour  tous  les  points  homologues,  il  en  existe  un,  situé  à  droite 
(In  second,  comme  ce  second  est  situé  relativement  au  premier. 
On  en  déduit  aisément  que,  sur  la  ligne  qui  joint  les  deux  pre- 
miers homologues,  il  en  doit  exister  une  infinité  d'autres,  tous 
équidistants  de  la  môme  quantité  a.  VA  comme  cette  propriété 
s'étend  à  tons  les  homologues,  on  voit  que,  dans  les  corps 
crislallisés,  il  existe  une  infinité  de  directions  sur  lesquelles  les 
particules  doivent  être  groupées  en  ligne  droite,  leur  écarte- 
nient,  constant  pour  luie  direction  donnée,  étant  variable  avec 
la  direction  suivie  (  l). 

M)  Voir  le  développement  de  ces  notions,  avec  figures  i  ("appui,  dan?  le  Cours 
de  Minéiuior/U  de  M.  de  Lm'pajiext. 


b8  A.  DE  LAPPAREXT 

Si,  revciuuit  à  la  première  file  d'homologues,  nous  choisis- 
sons, en  dehors  d'elle,  un  nuire  homologue  du  point  de  départ, 
séparé  de  celui-ci  par  un  intervalle  /;,  non  seulement  la  nou- 
YcUe  ligne  sera  une  file  d'homologues,  é([uidislanls  de  la  mrme 
quantité  h;  mais  de  chacun  de  ses  poinls  partira  une  lile  paral- 
lèle à  la  première  ;  et  tous  les  points  homologues  de  ces  iiles 
parallèles  engendreront  un  rés(>au  plan  en  quinconce,  appuyé 
sur  les  lignes  a  cl  b. 

Sur  toute  l'étendue  de  ce  réseau  plan,  il  y  a  identité  dans 
la  répartition  réciproque  des  parlicules.  Et  comme  cette  identité 
se  répéterait  (mais  dans  une  mesure  différente  de  la  première) 
pour  tout  plan  conclu  dans  le  milieu  crislallin,  à  condition  qu'il 
passe  par  trois  poinls  homologues  quelconques,  il  est  aisé  de 
comprendre  pourquoi  la  matière  cristallisée  se  limite  toujours 
par  des  plans.  C'est  que,  au  moment  où  le  cristal  s'individua- 
lise, il  n'y  a  que  suivant  des  surfaces  planes  que  l'identité  de 
répartition  des  particules  puisse  assurer  une  résistance  uni- 
forme vis-à-vis  dé  l'extérieur. 

Eiilin  il  serait  facile  de  voir  que,  d'un  réseau  plan  au  réseau 
parallèle  le  plus  voisin,  les  points  homologues  se  groupent  en 
formant  une  série  de  petits  solides  pai'allélépipédiques,  tous 
égaux  et  régulièrement  juxtaposés.  Ainsi  l'espace  crislallin  peut 
se  partager  en  une  iniinilé  do  prismes  identiques  ;  le  cas  le  plus 
simple  étant  celui  d'une  infinité  de  cubes  accolés. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  fait,  sur  la  constitution  de  la  matière, 
aucune  autre  hypothèse  que  celle  de  sa  discontinuité.  Admet- 
tons maintenant  la  réalité  des  molvculrs  ou  parlicules  élémen- 
taires, dont  l'existence  semble  prouvée  par  la  chimie.  Ce  que 
nous  venons  de  voir  nous  enseigne  que,  dans  un  corps  qui  cris- 
tallise, le  centre  de  gravité  de  chaque  particule  doit  venir  se 
placer  sur  un  sommet  homologue.  Donc  les  particules  maté- 
rielles sont  assujetties  à  la  loi  du  groupement  parallélépipé- 
ditiue. 

Ce  n'esL  pas  tout,  et  si  nous  admettons  que  l'identité  des 
poinls  homologues  s'étende  aux  intervalles  intermoléculaires, 
bien  que  ces  derniers  échappent  acluellemenl,  par  leur  peti- 
tesse, à  toute  observation  directe,  on  en  déduira  immédiatement 
•lue  toutes  les  molécules,  formées  chacune  d'un  ensemble  de 


rnisTALLnunM'inK  m 

somnu'ls  ou  atomes  constituant  un  polyèdre  gc^omélrique,  doi- 
venl,  dans  l'acte  de  In  erislallisalion,  s'orienter  do  la  même 
façon. 

Ainsi  un  corps  cristallisé  s'oiïre  maintenant  ii  nous  comme 
un  (idilice  dont  tous  les  matériaux  ou  molécules  sont  non  seu- 
lement identiques  entre  eux,  mais  identiquement  orientés  et, 
de  plus,  obéissant  à  la  loi  de  la  disposition  en  réseau,  laquelle 
comporte  l'équidistance  des  molécules  suivant  des  directions 
rectilit;nes,  et  l'identité  de  leur  arrangement  réciproque  suivant 
des  plans. 

Remarquons  d'ailleurs  qu'un  corps  qui  cristallise  sans  trouble 
n'ayant  à  compter  qu'avec  les  actions  réciproques  de  ses  pai-ti- 
cules  élémentaires,  ce  n'est  que  quand  ces  dernières  sont  toutes 
orientées  de  la  même  façon  qu'il  peut  y  avoir  équilibre  parfait  ; 
sans  (juoi  les  particules  différemment  orientées  ne  subiraient 
pas,  de  la  part  de  l'ensemble,  les  mêmes  actions  mécaniques. 
On  conçoit  donc  a  priori  que  toutes  les  molécules  doivent  prendre 
la  même  orientation,  celle-ci  devant  d'ailleurs  être  déterminée 
par  les  conditions  propres  à  la  structure  de  la  molécule. 

Enelfet,  l'expérience  nous  enseigne  qu'une  substance  donnée 
affecte  toujours,  quand  elle  cristallise,  sinon  la  même  forme, 
du  moins  le  même  degré  de  symétrie,  toujours  facile  à  rappor- 
ter h\u\c  forinr  primitice  constante,  comme  l'a  depuis  longtemps 
démontré  Hauij.  D'autre  part,  cette  forme  primitive  varie  avec 
les  différents  corps,  étant  invariablement  liée  à  leur  nature. 

Or,  si  les  molécules  n'avaient  pas  de  forme,  on  ne  concevrait 
pas  qu'elles  dussent  obéir,  lors  de  la  cristallisation,  à  une  autre 
disposition  que  celle  du  plus  simple  des  parallélépipèdes,  c'est- 
à-dire  du  cube.  Tous  les  corps  cristalliseraient  donc  dans  le 
système  cubique,  à  la  fois  le  plus  simple  et  le  plus  riche  en 
symétrie  de  tous. 

S'il  n'cTi  est  pas  ainsi,  c'est  que  le  système  de  cristallisation 
est  déterminé  par  la  forme  propre  de  la  molécule.  Cette  forme 
résulte  de  la  façop  dont  se  groupent,  autour  de  leur  centre  de 
gravité  commun,  les  divers  atomes  dont  la  réunion  engendre  la 
molécule.  Celle-ci  constitue  donc,  à  vrai  dire,  Vindividu  miné- 
ral, celui  au-dessous  duquel  on  ne  peut  descendre,  sans  détruire, 
sinon  la  matière,  du  moins  la  siif/staiicc  concrète;  et  c'est  la 


60  A.  DE  L APPARENT 

l'orme  de  cet  individu,  variable  avec  chaque  corps,  qui  déter- 
mine le  choix  du  système  crislallin. 

Lorsqu'un  corps  cristallise  à  l'abri  de  toutes  les  causes  exté- 
rieures de  trouble,  le  fait  fondamental  est  l'obligation  où  se 
trouvent  les  molécules  d'abord  de  s'orienter  de  la  même  ma- 
nière, ensuite  de  disposer  leurs  centres  de  gravité  sur  les  som- 
mets d'un  assemblage  de  parallélépipèdes  contigus. 

Or,  l'expérience  et  même  aussi  le  raisonnement  géométrique 
a  priori  enseignent  qu'il  n'y  a  que  sept  manières  de  réaliser 
l'arrangement  parallélépipédique;  depuis  le  cube,  où  toutes  les 
arêtes  sont  égales  et  perpendiculaires  les  unes  aux  autres,  jus- 
qu'à ce  qu'on  appelle  le  prisme  doublement  oblique,  dont  les 
arôtes  fondamentales,  dill'érant  les  unes  des  autres  par  leurs 
|)riipnrti()ns  relatives,  dillérenl  aussi  par  leur  inclinaison. 

Un  corps  qui  cristallise  est  donc  dans  une  situation  analogue 
à  celle  d'un  régiment  de  conscrits,  à  l'habillement  duquel  on 
va  procéder,  mais  à  la  condition  de  se  contenter,  pour  le  choix 
de  l'uniforme,  de  sept  tai//rs  distinctes.  Naturellement  on  choi- 
sira pour  chaque  homme  la  taille  qui  lui  convient  le  mieux; 
mais  tandis  que,  pour  les  uns,  cette  convenance  pourra  être 
|)arrail(',  pour  le  plus  grand  nombre  elle  sera  incomplèle. 

De  la  même  fagon,  le  c<jrps  en  voie  de  crislallisalion  ne  peut 
choisir,  pour  aligner  les  centres  de  gravité  de  ses  molécules,  que 
l'un  des  sept  systèmes  admissibles  de  parallélépipèdes.  Vraisem- 
blablement, il  choisira  celui  des  systèmes  avec  lequel  sa  symétrie 
a  le  plus  d'éléments  communs.  Mais  la  molécule  est  un  polyèdre, 
dont  la  symétrie  propre,  dépendant  du  nombre  et  de  l'agence- 
ment des  atomes,  n'obéit  pas  nécessairement  aux  lois  qui 
règlent  la  symétrie  beaucoup  plus  étroitement  spécifiée  des 
parallélépipèdes.  Par  conséquent,  il  se  produira  deux  cas  : 

Dans  l'un,  le  moins  fréquent,  il  y  aura  identité  entre  les 
deux  symétries.  Alors  la  cristallisation  du  corps  mettra  en 
évidence  toutes  les  propriétés  qui  pouvaient  être  géométrique- 
ment déduites  de  la  constitution  de  l'assemblage  de  parallélépi- 
pèdes. Dans  l'autre  cas,  il  pourra  arriver  que  la  discordance  des 
deux  symétries  se  traduise  par  un  déficit  dans  la  richesse  de 
certaines  formes. 

Ainsi  s'explique  une  propriété  qui  avait  frappé  les  premiers 


riHSTM.KlCIiAPllIE  01 

crislallo|^raplios,  mais  ddiit  ils  avaii'iit  (•[('  impuissants  :\  doimor 
la  jiistiiicatinn. 

Un  voyait  dos  corps  tjui  allVcIcnl  la  i'oiaïc  d'un  culte,  où,  par 
conséquent,  les  huit  angles  diraient  être  parrailenieiil  iden- 
tiques, présenter  des  modilications  ou  troncatures,  en  i'orme  de 
triangle  équilatéral,  qui  no  se  produisaient  que  sur  quatre  angles 
aUcrnants.  (]ette  propriété,  de  réduire  à  moitié  le  nombre  des 
faces  possibles,  avait  été  qualifiée  à'Iirmiiklrit',  et  il  semblait 
que  ce  fût  une  pure  fantaisie  de  la  nature  ;  même  celte  fantaisie 
était  poussée  dans  certains  cristauxjusqu'à  produire  la  réduction 
de  certaines  formes  au  quart  de  leurs  faces,  sans  parier  d'autres 
anomalies  tout  aussi  singulières  et  en  désaccord  apparent  avec 
la  symétrie  réelle. 

Or,  les  belles  études  de  Bravais  ont  montré  que  ces  déroga- 
tions mettaient  simplement  en  évidence  le  défaut  de  symétrie 
de  la  molécule,  relativement  au  système  qu'elle  avait  dû  choisir 
faute  de  mieux  ;  et  il  a  été  facile  de  grouper  tous  les  faits  du 
môme  genre  autour  d'une  théorie  parfaitement  simple,  qui  per- 
met de  prévoir  d'avance  tous  les  cas  susceptibles  de  se  réaliser, 
suivant  l'écart  plus  ou  moins  grand  qui  peut  exister  entre  la 
symétrie  des  molécules  et  l'assemblage  que  le  corps  est  forcé 
d'adopter. 

Ainsi  l'étude  des  cristaux  apporte  un  argument  de  très  grande 
force  en  faveur  de  l'existence  des  molécules,  qui  sont  le  dernier 
élément  auquel  un  corps  minéral  puisse  se  réduire  sans  perdre 
son  individualité. 

(^ette  conclusion  semble  inlirmer  le  principe  de  la  divisibilité 
à  l'infini  de  la  matière.  Mais  il  y  a  là  une  pure  question  de  mots. 

L'étendue  est  une  conception  de  notre  esprit.  Elle  peut  se 
subdiviser  indéiiniment,  puisqu'une  division  de  celle  étendue 
étant  donnée,  nous  pouvons  toujours  en  supposer  une  plus 
petite.  Donc,  il  est  évident  qu'en  tant  que  douée  d'étendue, 
la  matière  est  divisible  à  l'infini.  Mais  s'il  s'agit  de  matière  con- 
crète et  spéciliée,  il  y  a  pour  celle-ci  un  élément  ultime. 

(Test  la  molécule.  A  vouloir  la  diviser,  on  détruit  le  corps.  Il 
peut  encore  subsister  des  atomes  après  celte  division  ;  mais  ils 
sont  devenus  impuissants  à  former  le  corps  auquel  on  avait 
affaire. 


02  A.  DE  LAPPARENT 

A  cet  égard,  permettez-moi  une  comparaison. 

A  la  guerre,  un  régiment  subsiste  aussi  longtemps  qu'il  sur- 
vit un  soldat.  Un  bataillon,  une  compagnie,  une  escouade, 
représentent  encore  le  régiment.  En  cas  de  disparition  de  tous 
les  soldats  moins  un,  celui-là  est  encore  la  représenlalion  de 
l'unité  diminuée.  Mais  s'il  vient  à  être  coupé  en  deux  par  un 
éclat  d'obus,  il  est  bien  évident  que  le  régiment  n'existe  plus. 

11  en  est  de  même  de  la  matière  concrète. 

L'étude  des  cristaux  nous  révèle  encore  des  particularités 
extrêmement  intéressantes  et  sur  lesquelles  je  dois  vous  dire 
mi  mot. 

Les  lois  exposées  jusqu'ici  ont  cela  de  particulier  que,  pour 
qu'elles  s'appliquent  rigoureusement,  il  fautciue  la  matière  soit 
parfaitement  homogène.  Cette  homogénéité  peut-elle  se  réa- 
liser? 

Cela  n'est  pas  possible  en  pratique.  En  eflet,  comment  se 
font  les  cristaux  ? 

Lorsqu'une  dissolution  est  saturée  et  que  l'on  vient  à  dépas- 
ser le  point  au-delà  duquel  elle  ne  peut  rester  tout  entière  à 
l'état  de  liquide,  un  cristal  se  forme  ;  mais  dès  qu'il  est  formé, 
à  moins  d'avoir  un  moyen  de  restituer  immédiatement  à  la 
liqueur  le  degré  de  saturation  qu'elle  vient  de  perdre,  le  milieu 
n'est  plus  identiquement  le  même  ;  donc  les  conditions  de  la 
cristallisation  ont  légèrement  changé. 

Par  suite,  nos  l'ègles  initiales  doivent  tbéoriquemcnt  être 
mises  en  échec,  aussitôt  qu'on  dépasse  l'inliniment  petit,  et  il 
n'est  nullement  sûr  qu'un  cristal  de  dimensions  appréciables 
ait  partout  identité  d'orientation  des  molécules  et  identité  de 
posilion  de  ses  paralléléjiipèdi's. 

En  fait,  les  cristaux  qui  se  forment  les  uns  à  côté  des  autres 
prennent  des  orientations  diflérentes.  Mais  il  y  a  des  cas  très 
nombreux  où  la  juxtaposition  des  cristaux  obéit  à  des  lois  très 
simples,  qui  engendrent  ce  qu'on  appelle  des  mac/es. 

L'étude  de  ces  macles  a  montré  que  presque  toujours  les  cris- 
taux s'assemblent  suivant  une  face  qui  leur  est  commune.  En 
outre,  la  plupart  du  temps,  les  macles  obéissent  à  la  loi  sui- 
vante :  Si  on  suppose  que  les  deux  cristaux  actuellement  dis- 
tincts aient  été   d'abord  dans  le  prolongement  exact  l'un  de 


CliISTALL(i(iHAritli:  G.'î 

raiitre,  les  choses  so  passent  comme  si  cet  individu  unique 
avait  été  coupé  suivant  le  plan  de  macle,  et  qu'ensuite  mie  des 
moitiés  ont  tourné  d'une  demi-circonférence  autour  d'une  ligne 
à  angle  droit  sur  le  même  plan. 

Or,  d'une  façon  générale,  ce  mouvement  a  simplement  pour 
résultat  de  procurer  au  second  cristal  une  position  exactement 
syméli'iijui'  de  r(dle  du  premier.  Les  d(>u\-  individus  n'ont  pns 
pu  se  mettre  dans  le  prolongement  l'un  de  l'autre  ;  ce  qui  eût 
été  l'idéal  pour  une  matière  Iiomogène  et  partout  soumise  aux 
mêmes  actions.  Mais,  comme  dédommagement,  ils  ont  été 
conduits  à  se  disposer  symétriquement,  de  manière  à  se  faire 
équilibre  l'un  à  l'autre,  en  vue. de  la  stabilité  de  l'ensemble. 

Beaucoup  d'autres  conclusions  curieuses  découlent  de  l'étude 
des  cristaux  maclés. 

Voici,  par  exemple,  une  macle  qu'on  appelle  la  croisctlr  df 
Brf'tar/ne.  Ce  sont  eux  cristaux  d'une  sul)stance  faite  de  silice 
et  d'alumine,  qu'on  nomme  la  staurotidc.  Ces  deux  cristaux, 
tous  deux  allongés  dans  le  même  sens,  se  mettent  en  croix 
grecque,  ce  qui  donne  à  leur  ensemble  une  symétrie  plus  par- 
faite que  celle  de  chaque  individu  pris  isolément. 

Un  exemple  analogue  nous  est  offert  par  la  curieuse  macle 
de  la  croix  ch'  fer,  fréquente  dans  la  pyrite  ou  sulfure  de  fer. 
Deux  individus,  chacun  de  symétrie  incomplète  à  cause  de  ce 
qui  manque  à  bnir  molécule,  s'y  croisent  de  telle  sorte  que  la 
partie  commune  aux  deux  cristaux  accolés  récupère  la  symétrie 
totale  qui  manquait  à  chacun  d'eux. 

11  était  question  tout  à  l'heure  de  ces  deux  cristaux  qui  s'as- 
semblent de  manière  à  former  une  croix  grecque. 

11  y  a  des  substances,  douées  du  môme  mode  de  symétrie,  qui 
superposent  à  la  première  macle  une  seconde  dont  l'axe  est  à 
angle  droit  sur  celle-ci,  de  manière  à  réaliser  quelque  chose 
d'analogue  à  ces  trois  bâtons  en  double  croix  que  les  couvreurs 
laissent  pendre  dans  la  rue  pour  avertir  les  passants.  Or,  cela 
revient  h  dire  qu'une  substance,  qui  avait  le  droit  de  s'allonger 
suivant  une  seule  direction,  a  trouvé  moyen,  par  des  combinai- 
sons d'individus,  de  réaliser  cet  allongement  suivant  trois  direc- 
tions, rectangulaires  entre  elles  comme  le  sont  les  directions 
fondamentales  du  système  cubique. 


04  A.  DE  I.APPAUENT 

Ce  n'est  pas  tout  ;  les  trois  cristaux  ainsi  accolés,  et  entre 
lesquels  il  subsiste  des  angles  rentrants,  sont,  par  le  fait  de  ces 
angles,  exposés  aux  attaques  du  dehors.  Eh  bien  !  dans  certaines 
substances,  on  les  voit  se  contracter,  en  quelque  sorte,  autour 
du  centre  commun,  jusqu'à  ce  que  les  angles  rentrants  soient 
totalement  supprimés  ;  auquel  cas  on  n'aperçoit  plus  qn'im 
solide  à  douze  faces  en  losange,  qui  parait  ideulitiue  dans  lotîtes 
ses  parties  et  réalise,  pour  un  cristal,  ce  qu'il  y  a  de  plus  voi- 
sin d'une  sphère,  c'est-à-dire  du  solide  le  mieux  fait  pour  se 
défendre  par  l'amoindrissement  de  sa  surface. 

Ainsi,  non  seulement  le  cristal  a  trouvé  moyen  de  présenter, 
suivant  les  trois  directions  de  l'espace,  la  même  résistance; 
mais  encore  sa  contraction  l'a  placé,  vis-à-vis  du  dehors,  dans 
le  meilleur  état  de  défense,  comme  si  la  loi  de  la  moindre 
action,  identique  avec  le  principe  de  conservation  de  Vénerrjie, 
était  au  fond  des  groupements  de  cristaux. 

Et  ce  n'est  pas  une  simple  vue  de  l'esprit.  Ainsi  on  connaît 
des  cristaux  de  grenat  qui  se  présentent  sous  la  forme  de  douze 
faces  en  losange.  Mais  chacune  do  ces  faces,  examinée  par  des 
procédés  optiques,  se  montre  composée  de  quatre  parties  presque 
identiquement  situées  dans  le  même  plan.  Or,  un  scalpel  habi- 
lemeut  manié  montre  que  le  cristal  est  en  réalité  formé  de 
qnaranle-huil  jti/raniides,  toutes  de  symétrie  très  inférieure  à 
celle  du  système  cubique.  Mais  l'angle  au  sommet  de  ces  pyra- 
mides est  tel  que,  groupées  autour  du  même  point,  elles  rem- 
plissent tout  l'espace.  Cela  suffit  pour  que  le  groupement  se 
produise,  et,  de  cette  façon,  le  corps  fait  face  à  l'ennemi,  c'est- 
à-dire  aux  actions  destructives,  par  la  forme  à  la  fois  la  plus 
régulière  et  la  plus  ramassée,  c'est-à-dire  la  plus  résistante 
qu'on  puisse  concevoir,  même  dans  le  système  de  symétrie  le 
plus  riciiement  pourvu. 

En  résumé,  on  peut  dire  que  les  lois  assignées  à  la  constitu- 
tion du  monde  minéral  ont  pour  effet  de  l'aider  à  conquérir,  par 
des  arrangements  appropriés,  le  plus  de  symétrie  possible,  et 
cela  en  vue  d'une  meilleure  résistance  des  édifices  ainsi  con- 
struits. 

Au  même  ordre  d'idées  se  rattachent  les  enseignements 
que  nous  fournit  l'étude   d'un   phénomène  appartenant  à  la 


riiisTAi.i.iiiiitAi'ini:  Dj 

fois  II  la   minéralogie  et  il  la  chimie,  celui  de  l'isoinorphisnic. 

On  sait  que  la  loi  fomlamentale  des  comliinaisons  chimiques 
«st  celle  (les  jjrojjurfions  tlr/lnii's,  d'après  la((uelle  deux  corps 
lionnes  ne  peuvent  se  comhiner  que  suivant  certains  rapports 
de  poids,  qui  représentent  les  poids  respectifs  des  atomes  con- 
stituants. 

Cependant  il  y  a  longtemps  que  les  chimistes  ont  reconnu 
l'existence  d'une  propriété  qui  senihle  contradictoire  avec  celle 
règle  :  c'est  Visiiinur/i/iisnie,  en  vertu  duquel  on  voit  certains 
corps  s'unir  suivant  des  proportions  quelcon([ues  en  donnant 
néanmoins  des  cristaux  de  forme  bien  définie. 

Ainsi,  prenez  du  sulfate  de  fer  et  tlu  sulfate  de  magnésie, 
faites-les  dissoudre  ensemble,  puis  cristalliser,  vous  aurez  des 
«ristaux  qui  pourront  être  composés  des  deux  sulfates  dans  une 
proportion  absolument  quelconque.  Comment  expliquer  cette 
apparente  contradiction  de  la  loi  des  proportions  définies? 

L'expérience  démontre  que  l'isomorphisme  n'a  jamais  lieu 
qu'entre  corps  dont  les  formes  cristallines  sont  presque  iden- 
tiques. C'est  pour  cela  que,  quand  un  sulfate  de  fer  vient  à 
cristalliser,  il  est  à  peu  près  indiiïérent  qu'un  certain  nombre 
de  SOS  molécules  soient  remplacées  par  celles  du  sulfate  de 
magnésie,  puisque,  jouant  le  même  rôle  chimique,  elles  ont 
sensiblement  la  même  forme  et  le  même  volume  que  celles  dont 
t'Ues  prennent  la  place. 

Nous  sommes  en  droit  d'en  conclure  que  la  nature  consent  à 
composer  des  édifices  d'apparence  homogène  avec  des  maté- 
i-iaux  qui  ne  sont  pas  complètement  identiques. 

Je  suppose  que  nous  ayons  commandé  à  un  ouvrier  des  pierres 
de  taille  qui  doivent  être  rigoureusement  cubiques,  afin  d'être 
assemblées  pour  la  construction  d'un  grand  pilier  de  section 
carrée. 

L'essence  du  cube  est  d'avoir  toutes  ses  arêtes  égales  entre 
elles  et  tous  ses  angles  parfaitement  droits.  L'ouvrier  a  fait  de 
son  mieux;  néanmoins,  il  nous  apporte  des  cubes  qui  ne  sont 
pas  rigoureusement  exacts.  Nous  pourrions  l'obliger  à  recom- 
mencer, auquel  cas  il  aura  perdu  son  temps.  Mais,  si  nous  vou- 
lons être  tolérant,  nous  nous  dirons  qu'après  tout  il  s'agit  de 
faibles  différences,  et  qu'en  variant  avec  adresse  l'orientation 


60  A.  DE  LAPPARENT 

de  CCS  matériaux  défectueux,  nous  arriverons  à  les  juxtaposer 
de  telle  sorte  que  l'édifice  total  ditTère  à  peine  de  ce  qu'il  devrait 
être. 

Le  grand  Arcliitecle  de  l'univers,  pour  parler  comme  les 
anciens  francs-maçons,  use  de  procédés  semblables.  Il  nous 
donne  l'exemple  de  la  tolérance  en  permettant  à  des  matériaux 
(juelque  peu  hétérogènes  de  concourir  à  la  construction  d'un 
même  édifice,  pourvu  que  la  dllférence  intrinsèque  ne  soit  pas 
trop  grande. 

Cette  faculté  s'étend  beaucoup  plus  loin  qu'on  ne  pensait  à 
l'origine.  On  est  parvenu  à  rendre  compte  de  cette  extension  eu 
reconnaissant  que,  la  plupart  du  temps,  les  différences  cristal- 
lographiques  intrinsèques  des  espèces  minérales  ne  sont  pas 
aussi  grandes  qu'elles  paraissent  au  premier  abord  ;  si  bien 
([u'une  modiiicalion  légère  dans  la  façon  de  concevoir  leurs 
formes  primitives  les  ramène  sans  peine  à  des  types  presque 
iden(i([ues.  Et  alors,  un  faible  elTorl  d'arrangement  entre  ces 
parties  peu  ililférentes  suffit  pour  atténuer  l'hétérogénéité  de 
leurs  groupements. 

Il  reste  à  faire  voir  que  cette  faculté  d'arrangement  peut  être 
reiuhie  tangible,  de  telle  sorte  qu'on  assisterait  en  réalité,  dans 
certains  cas  du  moins,  à  ces  tentatives  de  groupement  symé- 
trique. C'est  ce  qu'il  est  aisé  de  vérifier  sur  plusieurs  minéraux 
cristallisés. 

11  en  est  qui,  étudiés  en  lames  transparentes,  sous  le  micro- 
scope, présentent  à  la  température  ordinaire  les  propriétés  carac- 
téristiques d'une  symétrie  inférieure.  Or  si,  continuant  à 
observer,  on  chauffe  la  j)laque  du  minéral,  on  constate  qu'à 
une  certaine  température  le  corps  devient  subitement  cubique, 
c'est-ti-dire  acquiert  le  maximum  de  symétrie.  Qu'est-ce  à  dire, 
sinon  que  les  circonstances  de  la  cristallisation  n'avaient  pas 
permis  aux  diverses  parties  du  corps  de  prendre  le  meilleur 
arrangement;  mais  que  ce  dernier  devient  possible  lorsque,  par 
l'application  de  la  chaleur,  on  a  rendu  à  ces  particules  assez  de 
mobilité  pour  leur  permettre  d'obéir  à  la  grande  loi  protectrice 
qui  les  sollicite  ? 

De  cet  ordre  de  faits  se  rapproche  intimement  une  expérience 
qu'on  peut   appeler  la   plus  curieuse  et  la  plus  suggestive  de 


CniSTAlLncnAI'IlIE  «37 

toute  la  minéralogie  ;  car,  aucune  autre  n'est  plus  propre  à 
ut'lirmer  la  réalité  do  l'existence  des  molécules,  ainsi  que  leur 
aptitude  à  prendre  l'orientation  qui  leur  convient  le  mieux. 

On  prend  un  petit  prisme  de  spath  d'Islande,  de  quelques 
millimètres  d'épaisseur,  et  un  peu  plus  louii  que  lari;e.  On  le 
pose,  par  une  de  ses  arêtes,  sur  un  plan  iiori/onlal,  de  manière 
qu'une  des  diagonales  de  sa  section  en  forme  de  losange  soit 
verticale.  Ensuite,  approchant  de  ce  prisme  la  lame  d'un  canif, 
on  essaie  d'enfoncer  verticalement  cette  lame.  Cela  parait  une 
"ageure,  car  le  spath  est  très  résistant  et  ne  se  laisse  pas  enta- 
mer dans  cette  direction.  Cependant,  il  arrive  un  moment  où 
l'on  sent  que  la  lame  pénètre  dans  le  cristal  comme  dan?  du 
beurre. 

Si  alors  on  regardi^  ce  (jui  s'est  produit,  on  constate  que  l'outil 
a  fait  naître,  non  une  fente  mince,  mais  une  ouverture  en  forme 
d'auge  à  faces  planes.  De  plus,  d'un  côté  de  cette  auge,  le  cris- 
tal n'a  subi  aucune  modihcation,  tandis  que,  de  l'autre  côté, 
le  losange,  primitivement  plan,  qui  terminait  le  spath,  est 
maintenant  divisé  en  deux  parties  formant,  autour  d'une  ligne 
horizontale,  un  anf/lc  rentrant,  et  cela  sans  aucune  solution 
de  continuité.  Autour  de  l'arête  horizontale  de  cet  angle,  deux 
triangles  se  font  face,  devenus  exactement  symétriques  l'un  de 
l'autre. 

11  est  donc  évident  que,  sous  l'elfort  exercé,  toute  une  partie 
a  dû  chercher  un  autre  équilibre.  Les  molécules  ont  tourné, 
prenant  la  position  inverse,  et  ainsi  le  cristal,  en  apparence  si 
rigide,  a  obéi  à  la  compression  tout  comme  l'arrangement  des 
parties,  dans  l'expérience  précédente,  obéissait  aux  sollicita- 
tions de  la  chaleur. 

De  tout  ce  qui  vient  d'être  dit,  nous  pouvons  c<inchire  que, 
dans  la  manière  d'être  de  la  matière  cristallisée,  il  semble  y 
avoir,  d'une  part,  afiirmation  de  l'existence  des  molécules  (1), 
envisagées  comme  des  polyèdres,  dont  la  forme  détermine  par 
elle-même  le  mode  de  symétrie  qui  sera  choisi  pour  la  cristal- 
lisation. D'autre  part,  on  constal(^  que  partout  c'est  le  principe 


(!)  Ces  molécules  cristallines  ne  sont  pas  nécessairement   simples,  el  peuvent 
résulter  du  groupement  régulier  de  plusieurs  molécules  chimiques. 


(58  A.  DE  LAPl'AUEM 

de  la  moindre  action  qui  prévaut  ;  dans  toutes  les  combinaisons 
de  formes  que  les  corps  minéraux  peuvent  afTocter,  il  y  a  mani- 
festation constante  de  cette  tendance  à  réaliser  une  symétrie 
supérieure,  par  rint;i''nieuse  disj)osition  d'éléments  doués  d'une 
symétrie  moins  élevée,  et  cela  en  vue  d'ojjtenir  des  édilices 
plus  stables. 

Ainsi  le  monde  minéral  nous  donne  de  grands  et  salutaires 
enseignements,  en  nous  montrant  partout  h  l'œuvre  ce  principe 
essentiellement  sage  de  la  moindre  action,  ainsi  que  la  recherche 
obstinée  de  l'ordre  et  de  la  symétrie. 

A.  DE  LAI'l'AliKNT. 


LA    NOTION    DE   MlXTl^ 

ESSAI    lIISTi>RlQIE    ET    CIUTIQUK 


PREMIERE  l'ARTlE 
Des  origines  à  la  révolution  chimique. 

I.    LE  MlXTi:   SELON    LES  AT03I1STES   ET  SELON    LES   PÉRIPATÉTICIENS 

Dans  un  verre  d'eau,  jetons  un  nioreeau  de  suere  ;  au  IjguI 
de  quelque  temps,  le  eorps  solide,  Idanr,  erislallin,  qui  eonsti- 
tuait  le  sucre  a  disparu  ;  le  verre  ne  contient  plus  qu'un  liquide" 
homogène,  transparent  comme  l'eau,  mais  ayant  une  autre 
saveur.  Qu'est-ce  que  ce  liquide?  C'est  de  l'eau  sucrée,  dit  le 
vulgaire.  C'est  une  dissolution  de  sucre  dans  l'eau,  dit  le  chi- 
miste. Ces  deux  dénominations  correspondent  h  deux  opinions 
essentiellement  distinctes. 

Ouhlions,  pour  un  moment,  toute  théorie  chimique  et  ana- 
lysons c(>lte  simple  opération  :  la  préparation  d'un  verre  d'eau 
sucrée. 

Dans  ce  verre,  y  a-t-il  encore  du  sucre  et  de  l'eau?  Non  :  le 
sucre  a  été  détruit,  nous  l'avons  vu  graduellemenl  disparaître  ; 
le  liquide  que  renferme  le  verre  n'est  plus  de  l'eau,  c'est-à-diro 
celte  liqueur  très  mobile,  presque  insipide,  que  fournit  la  pluie, 
qui  alimente  les  sources,  qui  forme  les  rivières,  mais  une 
liqueur  nouvelle,  plus  ou  moins  sirupeuse,  dont  la  saveur 
douce  rappelle  celle  du  sucre  qui  a  servi  à  la  former.  Le  verre 
ne  renferme  donc  j)lus  ni  l'eau,  ni  le  sucre  que  nous  y  avions 
mis,  mais  un  corps  nouveau,  un  ini.rtr  formé  aux  dépens  de  ces 
deux  r/i'mcnts. 


70  P.  DLHEM 

Toutefois,  si  le  corps  mixte,  si  l'eau  sucrée  n'est  plus  ni  eau, 
ni  sucre,  il  peut,  en  se  détruisant,  régénérer  l'eau  et  le  sucre 
qui  ont  servi  à  la  former.  ChaufFons-le  doucement  ;  il  va  s'éva- 
porer et  nous  pourrons,  s'il  nous  plaît,  condenser  la  vapeur  et 
recueillir  une  eau  semblable  de  tout  point  à  celle  que  nous 
avions  versée  dans  notre  verre  ;  pendant  cette  évaporation,  l'eau 
sucrée,  en  disparaissant,  laisse  déposer  un  solide  blanc  où  nous 
reconnaissons  du  sucre  ;  si  l'eau  sucrée  ne  renferme  plus,  actuel- 
lement, l'eau  et  le  sucre  qui  ont  servi  à  la  former,  elle  peut,  en 
cessant  d'exister,  reproduire  cette  eau  et  ce  sucre  ;  elle  les  ren- 
ferme en  pxixxance . 

Qu'est-ce  donc,  en  général,  qu'un  mixte?  Des  corps,  ditTé- 
rents  les  uns  des  autres,  ont  été  mis  en  contact;  graduellement, 
ils  ont  disparu,  ils  ont  cessé  d'exister,  et,  à  leur  place,  s'est 
formé  im  corps  nou\eau,  distinct  par  ses  propriétés  de  chacun 
des  éléments  qui  l'ont  produit  par  leur  disparition  ;  en  ce  mixte, 
les  éléments  n'ont  plus  aucune  existence  actuelle  ;  ils  y  exis- 
tent seulement  en  puissance,  car,  en  se  détruisant,  le  mixte 
peut  les  régénérer  ;  et  ces  caractères,  qui  délinissent  le  mixte, 
appartiennent  non  seulement  au  corps  tout  entier,  mais  encore 
à  toute  parcelle,  si  petite  soit-elle,  que  l'on  puisse  découper 
par  la  pensée  en  ce  corps  homogène  ;  on  les  retrouve  d'ailleurs, 
ces  caractères,  en  tous  les  mixtes,  aussi  bien  en  ceux  que  nous 
nommons  aujourd'hui  des  mélanges  qu'en  ceux  auxquels  nous 
réservons  le  nom  de  combinaisons  chimiques. 

Tel  est,  semble-t-il,  l'enseignement  clair,  certain  et  obvie  que 
l'on  peut  tirer  de  l'expérience  la  plus  commune. 

Non  point,  s'écriera  quelque  chimiste  qui,  d'ailleurs,  professe 
bruyamment  l'empirisme  et  prétend  n'enseigner  que  des  faits  ! 
Une  telle  notion  du  mixte,  bien  loin  d'offrir  quelque  certitude, 
n'est  qu'une  illusion  du  vulgaire,  qu'une  grossière  piperie  de 
nos  sens  obtus  ;  elle  est  indigne  d'un  esprit  capable  de  quelque 
réllexion  et  contraire  aux  principes  de  la  saine  pliysique. 

Vos  yeux  débiles  ne  peuvent  apercevoir  un  objet  long  d'un 
vingtième  de  millimètre,  et  c'est  au  témoignage  de  ces  yeux  que 
Aous  vous  liez  pour  afiirmer  que  l'eau  est  un  tluide  homogène 
et  continu  ?  Prenez  un  de  ces  microscopes  que  les  physiciens 
ont  imaginés  et  perfectionnés  ;  déjà,  en  cette  liqueur  que  vous 


LÀ  yitTKiS  DE  MIXTE  71 

ponsioz  parlout  identique  à  elle-même,  vous  voyez  nager  une 
foule  d'objets  insoupçonnés  de  vos  yeux;  et  cependant  le  mi- 
iToscope  n'a  fait  que  rendre  votre  vue  mille  fois  ou  deux  mille 
fuis  plus  puissante:  iiue  serait-ce  donc  s'il  vous  était  donné, 
comme  au  Lyncée  de  la  fable,  de  ne  point  connaître  de  limite 
à  la  pénétration  de  votre  regard?  Cette  eau,  qui  vous  semlib^ 
remplir  d'une  manière  continue  la  capacité  du  verre  qui  la  con- 
tient, vous  apparaîtrait  comme  un  ensemble  de  petits  corps 
.solides,  séparés  les  uns  des  autres,  qui  roulent  les  uns  sur  les 
autres  sans  changer  de  grandeur  ni  de  ligure  lorsque  l'eau  se 
déforme  et  s'écoule. 

Chaque  goutte  d'eau  se  compose  ainsi  d'nne  foule  do  niulé- 
cii/es  ;  il  en  est  de  même  de  chaque  petit  cristal  de  sucre;  lors- 
qu'on met  le  sucre  (>n  présence  de  l'eau,  les  molécules  du  sucre 
ne  se  détruisent  ni  ne  s'altèrent  :  mais,  comme  des  prisonniers 
<]ui  rompent  leur  commune  chaîne,  elles  se  dissolrrnt  et,  sans 
iiriser  ni  modifier  les  molécules  de  l'eau,  elles  se  glissent  entre 
elles.  L'eau  sucrée  n'est  donc  point  quelque  chose  d'homogène 
dont  la  partie  la  plus  petite  otfre  des  propriétés  identiques  à 
celles  du  tout  ;  cette  homogénéité  apparente  n'est  qu'une  illu- 
sion de  nos  sens,  trop  peu  délicats  pour  apercevoir  la  structure 
intime  des  corps  :  dans  l'eau  sucrée,  l'eau  et  le  sucre  subsistent, 
juxtaposés,  mais  non  confondus  ;  l'eau  sucrée  peut  être  appelée 
un  mélange  d'eau  et  de  sucre  au  même  titre  que  le  contenu  de 
ce  sac  est  dit  un  mélange  de  blé  et  de  paille  ;  en  la  formant, 
l'eau  et  le  sucre  n'ont  pas  plus  cessé  d'exister  pour  former  un 
corps  nouveau  que  le  grain  et  la  paille  n'ont  cessé  d'exister 
lorsque  le  batteur  les  a  jetés  pêle-mêle  dans  le  sac  ;  la  distilla- 
tion qui  sépare  l'eau  fin  sucre  ne  régénère  pas  plus  les  éléments 
aux  dépens  du  corps  mixte  que  le  van  ne  crée  à  nouveau  le  blé 
et  la  paille  ;  elle  trie  simplement  les  molécules  de  natures  dif- 
férentes que  la  dissolution  avait  brouillées  ensemble. 

Ces  deux  manières  de  concevoir  la  relation  d'un  mélange  avec 
les  corps  mélangés  sont  bien  anciennes.  Les  atomistes  grecs 
regardaient  l'homogénéité  des  mi.xtes  comme  une  simple  appa- 
rence ;  la  faiblesse  de  nos  sens  nous  empêchait  seule  de  recon- 
naître la  juxtaposition  des  éléments  mélangés.  Dans  les  vers 
immortels  par  lesquels  il  nous  a  transmis  la  pensée  de  ces  phi- 


72  P.  DUHEM 

losophes,  Lucrèce  n'a  garde  d'omettre  l'exposé  de  leur  doctrine 
touchant  les  mixtes  (1);  après  avoir  décrit  les  molécules  ra- 
meuses et  enchevêtrées  dont  sont  tissus  les  corps  solides,  les 
petits  globes  lisses  et  libres  de  tout  lien  qui  roulent  les  uns  sur 
les  autres  au  sein  des  liquides,  les  particules  aiguës  qui  consti- 
tuent les  gaz,  il  analyse  la  structure  intime  de  l'eau  de  la 
mer  :  parmi  les  corps  lisses  et  ronds  qui  lui  donnent  la,  lluidité 
et  qui,  isolés,  formeraient  de  l'eau  douce,  sont  épars  d'autres 
corps,  arrondis  aussi,  ce  qui  leur  permet  de  suivre  les  mouve- 
ments du  liquide,  mais  rugueux  et  capables  par  leurs  aspérités 
de  blesser  la  langue,  en  lui  faisant  éprouver  une  saveur  amère  ; 
ces  éléments  rugueux  adhèrent  à  la  terre,  tandis  que  les  par- 
ticules lisses  (le  l'eau  en  franchissent  aisément  les  pores;  aussi 
l'eau  de  la  mer  se  chanse-t-elle  en  eau  douce  en  filtrant  à  tra- 
vers  le  sol  : 

Sed  quod  amara  vides  eadem,  qua;  fluvida  construit: 
Sndor  uti  maris  est;  minime  id  mirabile  liahendum. 
Nam  quod  (luvidum  est,  e  l.-pvibus  atque  rotundis 
Est  :  at  lœvibus  atque  rotundis  mista  doloris 
Corpora  ;  nec  tameu  h;cc  retineri  haraata  necesse'st  : 
Scilicet  esse  globosa,  tamen  cum  squalida  constant; 
Provolvi  simul  ut  possint  et  lindere  sensus. 

Et  quo  mista  putes  magis  aspera  brvibus  esse 
Principiis,  unde'st  Neptuni  corpus  acerbum  ; 
Est  ratio  secernundi,  seorsumque  videndi. 
Ilumor  dulcit,  ubi  per  terras  crebrius  idem 
Percoiatur,  ut  in  foveam  fluat,  ac  mansuescat. 
Linquit  enim  supra  tetri  primordia  viri 
Aspera,  quo  magis  in  terris  h;erescere  possunt. 

A  cette  doctrine,  les  péripatéticiens  opposaient  que  le  corps 
mixte  est  réellement  distinct  des  corps  qui  ont  servi  à  le  for- 
mer; en  engendrant  le  mixte,  les  éléments  cessent  d'exister; 
le  mixte  ne  les  renferme  plus  qu'en  puissance  ;  en  se  détrui- 
sant, il  peut  les  régénérer.  L'exposé  que  nous  venons  de  donner 
des  deux  opinions  contradictoires  sur  la  nature  du  mixte  n'est 
guère  qu'une  paraphrase  de  ce  qu'en  a  dit  Aristote  (2). 

(l)  LuCBÉCK,  De  rerum  natura,  liv.  II.  vers  390476. 
(i)  .\bistote,  IIeo!  ■,'=''='-w;  za'.  oOopi;,  liv.  1,  chap.  x. 


L.{  MiTlitS  DE  MIXTE  TA 

11.     I.A    NDllON    IJE   MIXTE    AL    XVll*    SlÈCI.i: 

A  travers  Ihistoirc  d('  la  cliimie,  suivons  la  l'orliine  de  ces- 
deux  opinions. 

Pendant  tout  le  moyen  âge,  la  doctrine  péripatéticienne  tou- 
chant la  génération  et  la  corruption  des  corps  mixtes  est  ensei- 
gnée dans  l'Ecole.  Est-elle  acceptée  des  alchimistes?  Il  serait 
peut-être  malaisé  de  découvrir,  sous  le  grimoire  qui  la  dissi- 
mule, leur  véritahle  pensée;  moins  capables  d'abstraction,  plus. 
Imaginatifs  que  les  scolastiques,  ils  ont  sans  doute  penché  vers 
Topinion  dos  Epicuriens.  Sans  approfondir  cette  question,  con- 
tentons-nous de  prendre  la  chimie  à  l'époque  de  la  renaissance- 
des  sciences. 

A  ce  moment,  nous  voyons  la  faveur  des  philosophes  de  la 
nature  revenir,  pour  s'y  attacher  fidèlement  pendant  plusieurs 
siècles,  s  l'idée  épicurienne  que  les  masses  en  apparence 
continues  sont  des  assemblages  de  petits  corps  diversement 
figurés,  que  les  agencements  divers  de  ces  petits  corps  doivent 
expliquer  les  propriétés  des  divers  mixtes  qu'étudie  le  chi- 
miste. 

Cette  idée ,  nous  la  trouvons  nettement  exprimée  par 
Bacon  (1),  qui  marque  en  ces  termes  le  but  de  la  nouvelle  phy- 
sique : 

«  Il  faut  mettre  en  lumière  la  texture  et  la  constitution 
vraie  des  corps,  d'où  dépend  dans  les  choses  toute  propriété  et. 
vertu  occulte,  et,  comme  on  dit,  spécifique  et  d'où  l'on  tire  la 
loi  de  toute  altération  et  transformation  puissante. 

"  Par  exemple,  il  faut  rechercher,  dans  toute  espèce  de  corps,, 
qucdle  est  la  partie  volatile  et  l'essence  tangible;  et  si  cette  par- 
tie volatile  est  considérable  et  gonllée,  ou  maigre  et  réduite...  ; 
et  pareillement,  étudier  l'essence  tangible,  qui  ne  comporte 
l)as  moins  de  ditlerences  que  la  partie  volatile,  ses  poils  et  ses 
libres  et  sa  texture  si  variée  ;  et  encore  la  disposition  de  la  par- 
tie volatile  dans  la  masse  du  corps,  les  pores,  conduits,  veines 
et  cellules  et  les  rudiments  du  corps  organique.  » 

Ces  idées  prirent  plus  de  forc(>  par  la  tentative  de  Gassendi 

(1)  Bacon,  Xoviu/i  (irgaitum,  pars  ipdificans. 


74  V-  m  IlEM 

pour  upposcr  la  physique  alomislique  à  la  physique  scolasliquc; 
elles  triomphèrent  avec  Descartes. 

Avec  une  admirable  clarté,  Descartes  a  d6tini  les  caractères 
qu'il  attribue  à  la  matière,  afin  de  rendre  intelligibles  tous  les 
phénomènes  que  l'expérience  nous  révèle.  Citons,  en  particu- 
lier, ce  passage  (1)  : 

«  Puisque  nous  prenons  la  liberté  de  feindre  cette  matière 
à  notre  fantaisie,  attribuons-luy,  s'il  vous  plait,  une  nature  eu 
laquelle  il  n'y  ait  rien  du  tout  que  chacun  ne  puisse  connaître 
aussi  parfaitement  qu'il  est  possible.  Et  pour  cet  elTet,  su[)po- 
,sons  expressément  qu'elle  n'a  point  la  forme  de  la  Terre,  ni  du 
Feu,  ni  de  l'Air,  ni  aucune  autre  plus  particulière  comme  du 
bois,  d'une  pierre,  ou  d'un  métal,  non  plus  que  les  qualité/ 
d'être  chaude  ou  froide,  sèche  ou  humide,  légère  ou  pesante,  ou 
d'avoir  quekjue  goût,  ou  odeur,  ou  son,  ou  couleur,  ou  lumière, 
ou  autre  semblable;  en  la  nature  de  laquelle  on  puisse  dire  qu'il 
y  ait  quelque  chose,  qui  ne  soit  pas  évidemment  connue  de 
tout  le  monde.  Et  ne  pensons  pas  aussi  d'autre  côté  qu'elle  soit 
«ctte  matière  première  des  Philosophes,  qu'on  a  si  bien  dépouil- 
lée de  toutes  ses  formes  et  qualité/,,  qu'il  n'y  est  rien  demeuré 
•de  reste  qui  puisse  être  clairement  entendu  :  mais  concevons- 
la  comme  un  vray  corps  parfaitement  solide,  qui  remplit  éga- 
lement toutes  les  largeurs,  longueurs  et  profondeurs  de  ce 
grand  espace,  au  milieu  duquel  nous  avons  arrêté  notre  pen- 
sée; en  sorte  que  ciiacune  de  ses  parties  occupe  toujours  une 
partie  de  cet  espace,  tellement  proportionnée  à  sa  grandeur, 
•qu'elle  n'en  saurait  remplir  une  plus  grande,  ni  se  retirer  à 
une  moindre,  ni  soutTrir  que  pendant  quelle  y  demeure  quel- 
que autre  y  trouve  place.  Adjoùtons  que  cette  matière  peut 
être  divisée  en  toutes  les  parties,  et  selon  toutes  les  figures  que 
nous  pouvons  imaginer,  et  que  chacune  de  ces  parties  est 
capable  de  recevoir  en  soy  tous  les  mouvements  que  nous  pou- 
vons aussi  imaginer.  Supposons  de  plus  que  Dieu  l'a  divisée 
véritablement  en  plusieurs  telles  parties,  les  unes  plus  grosses, 
les  autres  plus  petites  :  les  unes  d'une  figure  et  les  autres 
d'une  autre,  telles  qu'il  nous  plaira  de  les  feindre.  Non  pas 

{1)  Descartes,  Le  Monde  ou  le  Traité  de  la  Lumière,  chap.  vi. 


LA  JMT/n.Y  /)E  .1//.\TE  TS 

qu'il  les  sépare  pour  cela,  en  sorte  qu'elles  ayent  du  vuide 
entre  deux;  mais  pensons  que  toute  la  distinction  qu'il  y  met 
consiste  en  la  diversité  des  mouvements  qu'il  leur  donne,  fai- 
sant que  depuis  le  premier  instant  qu'elles  sont  créées,  les  unes 
commencent  à  se  mouvoir  d'un  côté,  les  autres  d'un  autre;  les 
unes  plus  vite,  les  autres  plus  lentement,  ou  si  vous  voulez, 
point  du  tout,  et  qu'elles  continuent  après  leur  mouvement 
suivant  les  lois  de  la  Nature  (I).  » 

Descartes  dit  encore,  en  un  autre  endroit  :  «  Je  ne  reçois  et 
ne  veux  recevoir  en  Physique  aucun  principe  qui  ne  soit  reçu 
également  en  Géométrie  ou  dans  la  Mathématique  abstraite.  Je 
n"attril)ue  aux  choses  corporelles  aucune  autre  matière  que  cette 
matière  susceptible  de  tout  genre  de  division,  de  ligure  et  de 
mouvement  que  les  géomètres  nomment  quantité  et  qu'ils 
prennent  pour  objet  de  leur  démonstration;  en  cette  matière, 
je  ne  considère  absolument  rien  d'autre  que  ces  divisions,  ces 
ligures  et  ces  mouvements.  » 

Les  figures  que  Descartes  attribue  aux  petites  parties  des 
corps  diffèrent  souvent  bien  peu  de  celles  que  leur  attribuait 
Epicure,  au  dire  de  Lucrèce.  Dans  un  des  écrits  qu'il  publia  à 
la  suite  du  Dis((jurs  dr  la  Mrthodr,  à  titre  d'exemple  de  celte 
méthode,  il  décrit  ainsi  ces  figures  (2)  : 

«  Je  suppose  premièrement  que  l'eau,  la  terre,  l'air  et  tous 
les  autres  corps  qui  nous  environnent,  sont  composés  de  plu- 
sieurs petites  parties  de  diverses  figures  et  grosseurs,  qui  ne 
sont  jamais  si  bien  arrangées,  ni  si  justement  jointes  ensemble 
qu'il  ne  reste  plusieurs  intervalles  autour  d'elles  ;  et  que  ces 
intervalles  ne  sont  pas  vides,  mais  remplis  de  cette  matière  fort 
subtile,  par  l'entremise  de  laquelle  j'ai  dit  ci-dessus  que  se 
communiquait  l'action  de  la  lumière.  Puis,  en  particulier,  je 
suppose  que  les  petites  parties  dont  l'eau  est  composée  sont 
longues,  unies  et  glissantes,  comme  de  petites  anguilles,  qui, 
quoiqu'elles  se  joignent  et  s'entrelacent,  ne  se  nouent  ni  ne 
s'accrochent  jamais  pour  cela  en  telle  façon  qu'elles  ne  puissent 
■aisément   être  séjiarées;   et  au   contraire    ipie   jiresque    tnutes 


U)  De5C.m:tes,  l'rincipia  l'hilosopliiss.  pars  secunda,  .\rt.  LXIW 
(2)  Ide.1i,  Les  Météores,  Chap.  i   Ait.  III. 


70  P.  DL'HEM 

colles,  tant  de  la  terre  que  même  de  l'air,  et  de  la  plupart  des. 
autres  corps,  ont  des  figures  fort  irri^gulièrcs  et  inégales,  en 
sorte  qu'elles  ne  peuvent  être  si  peu  entrelacées  qu'elles  n& 
s'accrochent  et  se  lient  les  unes  aux  autres,  ainsi  que  font  les 
diverses  branches  des  arbrisseaux  qui  croissent  ensemble  dans 
une  haie  ;  et  lorsqu'elles  se  lient  en  cette  sorte,  elles  composent 
des  corps  durs  comme  de  la  terre,  du  bois  ou  autres  sem- 
blables, au  lieu  que  si  elles  sont  simplement  posées  l'une  sur 
l'aulre,  sans  être  que  fort  peu  ou  point  du  tout  entrelacées,  et 
qu'elles  soient  avec  cela  si  petites  qu'elles  puissent  être  mues  et 
séparées  par  l'agitation  de  la  matière  subtile  qui  les  environne, 
elles  doivent  occuper  beaucoup  d'espace,  et  composer  des 
corps  liquides  fort  rares  et  légers,  comme  des  huiles  ou  de 
l'air.  )i 

Ces  hypothèses  sont  reprises  au  livre  des  Princijjas  (1)  et  au 
Traité  df  lu  Lumière  (2). 

Les  corps  qu'obtient  Desearles  en  brouillant  i-nsemble  les 
trois  éléments  qu'il  a  imaginés  ressemblent  fort  i)eu  aux  mixtes 
que  concevait  Aristote  ;  le  Stagyrite  les  eût  comparés  au  mé- 
lange de  grain  et  de  paille  que  l'on  ramasse  dans  l'aire.  Ues- 
cartes  pouvait-il,  sans  se  contredire,  imaginer  le  mélange  de 
deux  éléments  autrement  qu'une  juxtaposition  des  petites  par- 
tics  figurées  dont  sont  formés  ces  éléments?  Pouvait-il  concevoir 
la  |)énétration  mutuelle  de  deux  de  ces  particules  qu'il  regardait 
comme  identi(|U('s  à  l'étendue  même  qu'idles  occupent?  Déjà, 
dans  le  Traitr  dr  lu  Luriiih-r,  il  nous  a  avertis  que  <i  chacune  de 
ces  parties  occupe  toujours  une  partie  de  l'espace  tellement  pro- 
portionnée à  sa  grandeur,  qu'elle  n'en  saurait  remplir  une  plus 
grande,  ni  se  retirer  à  une  moindre,  ni  soutTrir  que,  pendant 
qu'elle  y  demeure,  quelque  autre  y  tniuve  place  ».  Dans  une 
lettre  à  Henri  Morus  (3),  il  affirme  plus  nettement  encore  l'im- 
pénétrabilité de  la  matière  comme  conséquence  nécessaire  de 
l'essence  qu'il  lui  attribue  :  c<  On  ne  peut  comprendre  qu'une 
partie  d'une  chose  étendue  en  pénètre  une  autre  qui  lui  est 
égale,  à  moins  que  l'on  n'entende  par  là  que  la  partie  de  son 

(!)  Descartes,  Prmcipia  Philosophia:,  pars  qinrta,  passiiu. 
(2)  Idem,  Le  Monde  ou  Traité  de  la  Lumière,  chap.  m  et  iv. 
(i)  Idem,  Epislolse,  rdition  d'Amsterdam  (tlU),  pars  prima,  épis!.  I.IX. 


LA  SOTlDS  DE  Ml.vn-  77 

vIl'iuIiic  qui  lui  est  coinmuno  avoc  celte  clorniôre  est  suppriiiK'e 
mi  anéantie  ;  mais  être  anéanti,  ee  n'est  pas  pénétrei'  antre 
fihose  ;  cela  démontre,  à  mon  avis,  que  l'impénétrabilité  appar- 
tient ;\  l'essence  même  de  l'élendue,  mais  non  à  l'essonco 
d'aucune  autre  chose.  » 

Une  dissolution  ne  peut  donc  èlre,  selon  cette  doctrine,  autre 
■chose  qu'une  interposition  des  parlirules  du  corps  dissous  aux 
particules  du  dissolvant  ;  et  c'est  ce  qu'admet  Descartes  (1  I  lou- 
chant les  eaux  de  la  mer  ;  parmi  les  particules  allongées,  lisses, 
llexihles  et  glissantes  comme  de  petites  anguilles,  qui  consti- 
tuent proprement  l'eau  douce,  se  trouvent  des  bâtonnets  rigides 
et  aigus  qui  sont  les  parties  constituantes  du  sel  marin  ;  la 
forme  et  la  grosseur  de  ces  deux  éléments  qui  constituent  l'eau 
■de  mer  en  expliquent  à  souhait  toutes  les  propriétés  ;  Descartes 
montre  comment  l'évaporation  entraîne  aisément  l'eau  douce 
qui  abandonne  le  sel  marin;  il  montre  également  (2),  suivant 
l'exemple  de  Lucrèce,  comment  la  liltration  à  travers  le  sol 
retient  les  bâtonnets  gros  et  raides  auxquels  la  mer  doit  sa 
salure,  pour  ne  laisser  passer  que  les  particules  ténues  et  fugaces 
qui  forment  l'eau  douce. 

Cet  exemple  est  bien  propre  à  montrer  à  quel  point  Descartes 
s'était  inspiré  de  la  physique  des  atomistes  ;  il  se  défend, 
<;ependant,  d'adopter  leurs  idées  (3)  ;  non  senlenuMit,  pour  lui, 
les  particules  qui  composent  les  corps  ne  soirt  pas  des  atanics 
insécables,  mais  encore  hmia/lriT  stihlilc  nMuplil  les  intervalles 
que  ces  ])articules  laissent  entre  elles,  en  sorte  qu'il  n'y  a  pas 
de  vide  dans  la  nature. 

(Jette  doctrine  selon  laquelle  le  vide  est  impossible  dans  la 
nature  reçut  de  Pascal  de  rudes  assauts  ;  lluygens  vint  ensuite, 
qui  déclara  le  vide  nécessaire  pour  le  mouvement  des  petits 
corpuscules  ;  bientôt,  ce  sentiment  devint  général  chez  les  phy- 
siciens, dont  les  principes  s'accordèrent  désormais  avec  ceux 
qu'avaient  enseignés  Epicure  et  l^ucrèce;  mais  comme  Descaries 


(I)  Descaktes,  Les  Météores,  cliap.  i,  art.  VIU,  et  chap.  m. —  l'rincipia  l'hiloso- 
phix,  pars  quart.î,  art.  XLVIII. 

(21  IriEM,  Les  Météores,  chap.  m,  art.  VIII. —  l'rincipia  Pliilosopliise,  pars  (pi;irta, 
art.  LXVI. —  Epistolx,  pars  secunda,  epist.  I  et  11. 

(3)  Ii)E3i,  Principia  Philosophise,  pars  quarti,  art   CCII. 


78  P.  DUHEM 

avait  transporté  de  toutes  pièces  dans  sa  philosophie  hi  notion 
de  mixte  qu'avaient  conçue  les  atomistes  grecs,  cette  notion  ne 
tut  point  modifiée  par  les  échecs  de  la  physique  cartésienne. 

Au  temps  de  Descartes  vivait  au  Bugue,  en  Périgord,  un  doc- 
teur en  médecine,  Jean  Rey,  expert  en  philosophie  naturelle. 
Le  sieur  Brun,  apothicaire  à  Bergerac,  ayant  constaté  que  le 
plomh  et  l'étain,  calcinés  ii  Fair,  augmentaient  de  poids,  fut 
surpris  de  ce  phénomène  qu'il  croyait  inconnu  ;  il  écrivit  au 
médecin  du  Bugue  :  «  Je  vous  supplie  de  toute  mon  allection 
vous  employer  à  la  recherche  de  la  cause  d'un  si  rare  etïoct,  et 
me  tant  ohliger  que  par  vostrc  moyen  ic  sois  esclaircy  de  cetto 
merveille.  »  A  quoi  Jean  Rey  (1),  après  avoir  établi  cette  vérité, 
alors  inconnue,  que  l'air  est  pesant,  répondit  en  ces  termes  : 
«  A  cette  demande  doncqiies,  appuyé  sur  les  fondemens  ja  po- 
sez, je  responds  et  soutiens  glorieusement,  que  ce  surcroit  de 
poids  vi(>nt  de  l'air.  (|ui  dans  le  vase  a  esté  espessi,  appesanti, 
et  rendu  aucunement  adiiésif,  par  la  véhémente  et  longuement 
continuée  chaleur  du  fourneau  :  lequel  air  se  mesle  avec  la 
chaux  (à  ce  aydant  l'agitation  fréquente)  et  s'attache  à  ses  plus 
menues  parties  ;  non  autrement  que  l'eau  appesantit  le  sable 
que  vous  jettcz  et  agitez  dans  icelle,  par  l'amoitir  et  adhérer  au 
moindre  de  ses  grains.  » 

11  est  clair  que  Jean  Rey  imagine  à  la  mode  des  atomistes  le 
mixte  formé  par  l'air  et  la  chaux  d'étain. 

Par  la  réponse  qu'on  vient  de  lire,  Jean  Rey  est  un  précur- 
seur de  Lavoisier;  la  révolution  antiphlogistique  assura  la  gloire 
de  son  nom  ;  mais  l'amitié  de  Mersenne  ne  l'empêcha  pas  de 
demeurer  inconnu  de  ses  contemporains  ;  ses  Essai/s  n'eurent 
aucune  inlluence  sur  le  développement  de  la  chimie. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  des  écrits  de  Boyle  et  de  Lémery. 

Robert  Boyle,  discutant  la  théorie  du  mélange,  n'hésite  pas 
à  déclarer  que  l'opinion  des  anciens  atomistes,  adoptée  de  son 
temps  par  les  «  chymistes  »,  est  sinon  plus  probable,  du  moins 
plus  intelligible  que  celle  des  péripatéticiens  ;  toutefois,  à  cette 
opinion  des  chimistes,  il  apporte  une  correction  ;   mais  cette 

(1)  Essuf/s  (le  Jean  Rey,  docteur  en  médecine,  sur  la  recherche  de  la  cause  par 
biquelle  l'Estain  et  le  l'tomb  auf/menlent  de  poids  quand  on  les  calcine  ;  Bazas, 
1C:JI)  :  Essav  XVI. 


I.A  .Vono.V  /)/•;  .I//.V77.'  TO' 

corroflioii  cllc-mr'nii'  est  (•dnciio  dans   ['(^spril  de  la  (loclrinc 
(''piciirionnc. 

i<  .le  no  vois  pas  c-Iaii'L'mcnt,  ilit-il  (I),  que  la  notion  génc'raK* 
(le  mélange  comprenne  eelte  consé(|uence  :  que  les  misci/ii/ia 
ou  ingriHlients  retiennent  exactement,  dans  leurs  petites  parties, 
leur  nature  primitive,  et  demeurent  distincts  dans  le  composé, 
au  point  qu'il  soit  toujours  possible  de  les  régénérer  par  le 
feu  ;  je  ne  nie  pas  ([ue  dans  quelques  mélanges,  formés  par 
certains  corps  permanents,  cette  régénération  ne  soit  possible,, 
mais  je  ne  suis  pas  convaincu  qu'il  en  soit  ainsi  dans  tous  les 
cas,  ni  même  dans  la  plupart;  je  ne  suis  pas  convaincu  que 
cette  conséquence  se  puisse  déduire,  ni  des  expériences  cbi- 
miques,  ni  de  la  vraie  notion  de  mélange...  Il  peut  se  trouver 
des  corps,  je  ne  le  nie  p{is,  qui  soient  formés  de  groupes  de  par- 
ticules très  petites  et  très  étroitement  serrées  ;  si  l'on  mêle  deux 
corps,  d'espèces  différentes,  constitués  tous  deux  par  de  tels- 
groupements  durables,  bien  que  le  corps  composé  qu'ils  forment 
par  leur  imion  puisse  être  très  différent  de  chacun  des  deux 
ingrédients,  chacune  des  petites  masses  ou  chacun  des  groupe- 
ments qui  entrent  dans  sa  composition  peut  garder  sa  nature 
propre,  au  point  qu'il  soit  possible  de  séparer  ces  masses  les 
luies  des  autres  et  de  les  ramènera  leur  premier  étal.  Si,  par 
exemple,  l'or  et  l'argent  sont  moles  en  proportion  convenable, 
l'eau-forte  dissout  l'argent  sans  attaquer  l'or,  et  l'on  peut  ainsi 
régénérer  chacun  des  deux  métaux  à  partir  du  métal  mixte. 
Mais  il  peut  aussi  exister  d'autres  sortes  de  groupements  où 
les  particules  ne  sont  pas  si  étroitement  unies  entre  elles  qu'elles 
ne  puissent  se  joindre  à  des  corpuscules  d'imo  autre  espèce  et 
contracter  avec  eux  une  union  beaucoup  plus  étroite  que  celle 
qu'elles  avaient  entre  elles.  Dans  ce  cas,  chacun  des  deux  cor- 
puscules ainsi  combinés  perd  la  ligure,  la  grandeur,  le  mouve- 
ment et  tous  les  autres  accidents  grâce  auxquels  il  était  doué 
do  telle  nature,  de  telle  qualité  ;  chacun  d'eux  cesse,  <à  propre- 
mont  parler,  d'être  im  corpuscule  de  l'espèce  à  laquelle  il  appar- 
tenait auparavant  ;  de  la  coalition  de  ces  deux  espèces  do  par- 
ticules naît  un   nouveau  corps,  dont  l'individualité  est  aussi 

(I)  Robert  liovi.i;,  The  sceptical  Chi/mls/,itRtl  11. 


«0  p.  DUHEM 

réelle  que  colle  que  possédaient  les  deux  espèces  de  corpus- 
cules avant  d'être  mêlés  ou,  si  vous  préférez,  confondus; 
<'ette  concrétion  est,  en  effet,  réellement  douée  de  qualilés 
propres  et  distinctes  ;  ni  le  l'eu,  ni  aucun  moyen  connu  d'ana- 
lyse ne  peut  plus  la  diviser  de  manière  à  séparer  les  corpus- 
■cules  qui  ont  concouru  à  la  former  ;  pas  plus  que  ceux-ci  ne 
peuvent,  par  les-  mêmes  moyens,  être  subdivisés  en  autres  par- 
ticules. » 

Pour  la  première  fois,  en  cette  dissertation  dont  nous  avons 
<'ité  le  passage  essentiel,  nous  voyons  distinguer  deux  sortes  de 
corps  mixtes  :  ceux  qui  sont  formés  par  une  sim[)le  juxiai)o- 
sition  des  molécules  de  leurs  ingrédients  ;  et  ceux  qui  prennenl 
naissance  par  dislocation  des  molécules  réagissantes  et  forma- 
lion  d'un  nouveau  groupement  ;  on  peut  dire  que  Robert 
Hoyle  (1)  a,  le  premier,  proposé  une  ligne  de  démarcation  entre 
les  deux  ordres  de  phénomènes  que  l'on  nommera,  plus  tard, 
le  mrlaiir/r  ji/n/siqiip  et  la  combinaison  chimique. 

Vax  pul)liant  la  dernière  édition  du  Cours  de  Chipnic  (2)  de 
Lcmery,  Baron  écrivait  :  »  De  tous  les  ouvrages  que  M.  i-émery 
a  pul)liés,  il  n'y  en  a  point  qui  lui  ait  fait  plus  d'Jionneur  et 
contribué  davantage  à  la  grande  réputation  qu'il  s'était  acquise 
que  son  Cours  de  Clii/)nie.  La  plupart  des  nations  se  sont  accor- 
dées à  reconnaître  l'utilité  de  cet  ouvrage  ;  il  a  été  traduit  dans 
presque  toutes  les  langues  de  l'Europe.  Lorsqu'il  parut  pour 
la  première  fois,  en  1675,  il  se  vendit,  suivant  le  témoignage 
de  M.  de  Fontcnelle,  comme  un  ouvrage  de  galanterie  ou  de 
satyre.  Les  éditions  se  suivaient  les  unes  les  autres  pres(jue 
tl'annéc  en  année.  C'était,  ajoute  le  célèbre  historien  de  l'Aca- 
démie, une  science  toute  nouvelle  qui  paraissait  au  jour,  et  qui 
lemuait  la  curiosité  des  esprits.  » 

(1)  Il  faut,  d'ailleurs,  se  garder  de  croire  que  Robert  Boyie  ét:iblisse  la  moindre 
distinction  entre  le  sens  du  mot  mélanf/e  et  le  sens  du  mot  coii>biiiaiso»  :  il  donne 
également  le  nom  de  mélange  à  la  mixture  d'eau  et  de  vin  et  à  la  couiDinaison 
de  cendre  et  de  sable  qui  forme  le  verre. 

(2)  Cours  (le  Clujnxie,  contenant  la  manière  de  faire  les  opérations  qui  sont  en 
usage  dans  la  médecine  par  une  méthode  facile.  Avec  des  raisonnements  sur 
chaque  opération,  pour  l'instruction  de  ceux  qui  veulent  s'appliquer  a  cette 
•science,  par  M.  I.émehy,  de  l'.icadémie  des  Sciences,  Docteur  en  médecine. 

Nouvelle  édition,  revue,  corrigée  et  augmentée  d'un  grand  nombre  de  notes,  par 
M.  Baron,  Docteur  en  médecine,  et  de  l'Académie  royale  des  Sciences.  —  Paris,  1737. 


;,.l  NdTIdX  UE  MI.ME  81 

Co  livro,  ilonl  rinlluonco  lui  à  la  lois  si  étendue  et  si  pro- 
foiulo,  se  rallaciiail  étroitemenl  à  la  pliysique  cartésienne  ;  de 
cette  physique,  Lémery  adoptait  les  principales  hypothèses, 
bien  qu'il  déclarât  hautement  :  «  Je  ne  me  préoccupe  d'aucune 
opinion,  qu'elle  ne  soit  fondée  sur  l'expérience.  » 

Descartes  regardait  tout  corps  conuiie  un  réseau  on  lissu 
dans  les  mailles  duquel  circulait  la  iiuitHrr  snlttllf  ;  les  parti- 
cules tlexibles  des  liquides,  les  molécules  rameuses  des  solides 
et  des  gaz,  enlin  le  truisuine  vlnncnl,  étaient  les  vrais  principes 
des  choses  matérielles,  les  ingrédients  irréductibles  qui  compo- 
saient les  soi-disant  principes  des  chimistes.  Lémery  n'hésile 
pas  à  suivre,  à  cet  endroit,  le  sentiment  de  Descartes  : 

«  Le  premier  principe  que  l'on  peut  admettre  pour  la  com- 
position des  mixtes,  dit-il,- est  un  esprit  universel  qui,  étant 
répandu  partout,  produit  diverses  choses  selon  les  diverses 
matrices  ou  pores  de  la  terre  dans  lesquels  il  se  trouve  embar- 
rassé; mais  comme  ce  principe  est  un  peu  métaphysique,  et 
qu'il  ne  tombe  point  sous  les  sens,  il  est  bon  d'en  établir  de 
sensibles  :  je  rapporterai  ceux  clont  on  se  sert  communément.  » 
«  Comme  les  chymistes,  en  faisant  l'analyse  des  divers 
mixtes,  ont  trouvé  cinq  sortes  de  substances,  ils  ont  conclu  qu'il 
V  avait  cinq  principes  des  choses  naturelles,  l'eau  (qu'on  appelle 
jihlcgmp],  l'esprit  (qu'on  appelle  iitnrure},  l'huile  fqu'on  appelle 
soufre),  le  sel,  et  la  terre  (qu'on  appelle  Im-r  ittitiic  ou  damnée).  » 
((  Le  nom  de  Principe  en  Chymie  ne  doit  pas  èlre  pris  dans 
une  signilication  tout  à  fait  exacte  ;  car  les  substances  à  qui  l'on 
a  donné  ce  nom  ne  sont  principes  qu'à  notre  égard  et  qu'en  tant 
que  nous  ne  pouvons  pas  aller  plus  avant  dans  la  division  des 
corps,  mais  on  comprend  bien  que  ces  principes  sont  encore 
divisibles  en  ime  infinité  de  parties,  qui  pourraient  à  plus  juste 
titre  être  appelées  principes.  » 

Ces  principes  des  chimistes,  corps  composés,  mais  pratique- 
ment indécomposables,  peuvent  d'ailleurs  s'unir  entre  eux  d'une 
manière  tellement  intime  que  le  mixte  formé  soit  à  son  tour 
indécomposable,  selon  ce  que  Boyle  avait  avancé  le  premier  : 
<<  On  trouve  aisément  les  cinq  principes  dans  les  animaux  et 
dans  les  végétaux,  mais  on  ne  les  rencontre  pas  avec  la  même 
facilité  dans  les  minéraux  ;   il   y  en  a  même  quelques-uns, 

6 


82  r.  DUIIEM 

tDmiiK'  l'or  L't  l'arycnl,  drscjiiels  on  uf  ]>fiil  pas  en  lircr  doux, 
ni  faire  aucune  séparation,  quoique'  imus  disent  ccuxqui  recher- 
chent avec  tant  de  soins  les  sels,  les  soufres  et  les  mercures  de 
ces  métaux.  Je  veux  croire  que  tous  les  principes  entrent  dans 
la  composition  do  ces  mixtes,  mais  il  n'y  a  pas  de  conséquence 
que  CCS  principes  soient  demeurés  en  leur  premier  élal  el  qu'on 
les  en  puisse  retirer;  car  il  peut  se  l'aire  ([ue  ces  suhstances, 
qu'on  appelle  /jri/ici/irs,  se  soieni  hdlemont  emliarrassées  les 
unes  dans  les  autres  (|M'on  ne  les  puisse  séparer  qu'en  lirisant 
leurs  ligures.  Or,  ce  n'est  qu'à  raison  de  leurs  lij;uros  qu'elles 
peuvent  être  dites  se/s,  suii/rct;  et  esprits.  » 

La  ligure  dos  particules  qui  composent  chacune  des  sub- 
stances employées  par  le  chimiste  rendra  inlelligiMes  les 
diverses  |)roprié'tés  de  cette  substance  : 

«  Comme  on  ne  peut  pas  mieux  expli(|uer  la  nature  tl'une 
chose  aussi  cachée  que  l'est  celle  d'un  sel,  (|u'on  attribuant  aux 
parties  qui  le  composent  des  ligures  qui  correspondent  à  tous 
les  elTets  qu'il  produit,  je  dirai  que  l'acidité  (1)  d'une  liqueur 
consiste  dans  des  i)arties  de  sel  pointues,  lesquelles  sont  en 
agilalion  ;  el  je  ne  crois  jias  que  l'on  me  eonleste  (|ue  l'acide 
n'ait  des  jioinles,  |)uisque  toutes  les  expériences  le  montrent  ; 
il  no  faut  que  le  goûter  pom-  tomjjer  dans  ce  sentiment  :  car  il 
fait  des  picottemens  sur  la  langue  semblables  ou  fort  ajipro- 
chans  de  ceux  que  l'on  recevrait  de  quelque  matière  taillée  on 
pointes  très  lines  ;  mais  une  preuve  démonstrative  (>t  convain- 
cante que  l'acide  est  composé  de  parties  pointues,  c'est  que  non 
seulement  tous  les  sels  acides  se  crystallisent  en  pointes,  mais 
toutes  les  dissolutions  de  matières  dill'i'renlos,  faites  par  les 
liqueurs  acides,  prennent  celte  ligure  dans  leur  crystallisalion. 
Ces  crystaux  sont  composés  de  pointes  différentes  en  longueur 
et  en  grosseur  les  imes  des  autres,  et  il  faut  attribuer  cette 
diversité  aux  pointes  plus  ou  moins  aigui's  dos  dill'éronles  sortes 
d'acides.  » 

<(  C'est  aussi  cette  différence  on  subtilité  de  pointes  qui  fait 
qu'un  acide  pénètre  et  dissout  bien  un   mixte  qu'un  autre  ne 


(1)  Jusqu'à  Rouelle,  les  deux  mots  sel  et  acide  pouvaient  correspondre  à  une 
iiiL'uie  notion  :  on  distinguait  les  sels  acides  et  les  sels  alkalis. 


/.A  .Yn77n.V  DE  MIXTE  83 

|)ciil  rarélicr  :  ainsi  lo  vinaigre  s'emi)roint  dn  plomb  que  les 
eaux  l'orles  ne  peuvent  dissoudre;  l'eau  forte  dissout  le  mer- 
cure et  le  vinaigre  ne  le  peut  pénc'-trer;  et  ainsi  du  reste.  » 

«  Pour  ce  (|ui  est  des  alkalis,  on  l(>s  reconnaît  quand  on  verse 
de  l'acide  dessus,  car  aussitôt,  ou  peu  de  tems  après,  il  se  fait 
une  effervescence  violente,  qui  dure  jusqu'à  ce  que  l'acide  ne 
trouve  plus  de  corps  à  rarélier.  Cet  effet  peut  faire  raisonnable- 
ment conjecturer  que  l'alkali  est  une  matière  composée  de 
parties  raides  et  cassantes,  dont  les  pores  sont  ligures  de  telle 
façon  que  les  pointes  acides  y  étant  entrées,  elles  brisent  et 
écartent  tout  ce  qui  s'oppose  à  leur  mouvement...  » 

<(  Il  y  a  autant  de  diiîérens  sels  alkalis,  comme  il  y  a  de  ces 
matières  qui  ont  des  pores  dilférens,  et  c'est  la  raison  pourquoi 
un  acide  fera  fermenter  une  matière,  et  n'en  pourra  pas  faire 
fermenter  une  autre;  car  il  faut  qu'il  y  ait  de  la  proportion 
entre  les  pointes  acides  et  les  j)ores  de  l'alkali.  » 

Ces  quelques  extraits  suflisent  à  donner  une  idée  des  explica- 
tions qui  foisonnent  au  Cours  dr  Clu/mie  de  Lémery  ;  Descartes 
eùL  assurément  reconnu  comme  lille  légitime  de  sa  philosophie 
celte  chimie  où  l'on  n'attribuait  à  la  matière  ([ue  des  divisions, 
des  ligures  el  des  mouvements  ;  mais  à  aussi  juste  titre, 
Lucrèce  en  auiail  pu  reveii(li(|ucr  bi  palyrnilé  pour  son  maître 
.  1^1  i  cure. 

111.   i.A  MiTio.N  m;  MixTi:,  ai    xviii"  sikci.k,  .u  soi'a  r.A  iiÉvoi.nio.N 
cuLMioi  i;  :  i.'iccoi.i:  .m:\vto.m i:.\ ne 

La  physique,  au  xviii'  siècle,  subit  une  transformation  pro- 
fonde ;  elle  ne  se  contente  plus  de  considérer,  dans  la  matière, 
des  divisions,  des  figures  et  des  mouvements  ;  entre  les  diverses 
particules  des  corps,  elle  suppose  des  actions  attractives  ou 
répulsives;  elle  était  Cartésienne  ou  Epicurienne  ;  elle  devi<'nt 
Newtonienne. 

La  réviduliou  accomplie  par  Newton  dans  le  domaine  de  la 
philosophie  naturelle  est  l'une  des  plus  profondes  que  con- 
naisse l'histoire  de  l'esprit  humain. 

Newton  avait  réussi,  dans  son  livre  intitulé  :  l'hihisopliiœ 
natiiralis  principia  mathematica,  à  déduire  d'une  même  loi  les 


84  P.  DUHEM 

mouvements  des  corps  pesants  à  la  surface  de  la  Terre  ;  les- 
■déplacements  relatifs  de  la  Terre,  de  la  Lune,  du  Soleil,  des 
planètes,  des  satellites  çt  des  comètes  ;  enfin  le  llux  et  le  reflux 
de  la  mer.  L'énoncé  de  cette  loi  de  la  r/rnvitdtiDi)  iinirov^clle' 
est  dans  toutes  les  mémoires. 

Cette  œuvre  achevée.  Newton  s'était  adonné  à  l'étude  des 
elTets  de  la  lumière  ;  par  des  artifices  qui  seront  toujours  cités 
comme  des  modèles  de  la  méthode  expérimentale,  il  avait 
obtenu,  touchant  les  couleurs  du  prisme  ou  des  lames  minces, 
des  résultats  qui  sont  demeurés  classiques.  Dans  son  Optifiue, 
il  expose  ces  résultats  et  les  procédés  expérimentaux  qui  les- 
ont  fournis  ;  il  évite  d'y  mêler  aucune  hypothèse  touchant  la 
nature  de  la  lumière,  touchant  les  actions  qu'elle  suliit  do  la 
part  des  corps  qu'elle  rencontre  ou  qu'elle  traverse.  Mais  les 
conjectures  qu'il  a  suigneusement  éliminées  du  corps  même 
de  l'ouvrage  se  retrouvent  dans  les  Questions  qui  le  terminent. 

Dans  la  XXIX"  Question,  Newton  se  demande  "  si  les  rayons 
de  lumière  ne  sont  pas  formés  de  corpuscules  émis  par  les  corps- 
lumineux?  En  effet,  de  tels  corpuscules  se  transmettront  en 
ligne  droite,  au  Iriivers  des  milieux  homogènes,  sans  s'iniléchir 
dans  l'oiulire,  comme  sont  transmis  les  rayons  de  lumière.  Ils 
pourront  avoir  des  propriétés  dilférentes  de  l'uu  à  l'autre  et 
chacun  d"eu\  pourra  garder  des  propriétés  invariables  en  passant 
d'un  milieu  à  un  autre  ;  c'est  là  un  caractère  naturel  aux  rayons 
lumineux.  Les  corps  transparents  agissent  à  une  certaine  dis- 
tance sur  les  rayons  naturels,  action  qui  les  réfracte,  les  réflé- 
chit et  les  infléchit  ;  réciproquement  les  rayons  lumineux 
nu'llenl  eu  liranle,  à  une  certaine  distance,  les  particules  de  ces 
corps,  de  manière  à  les  échauifer.  Cette  action  et  cette  réaction, 
qui  se  produisent  à  une  ci'rtaine  distance,  semblent  avoir  une 
grande  ressemblance  avec  la  force  par  laquelle  les  corps  s'at- 
tirent. 11 

Newtcm .  poursuivant  ces  considérations,  montre  comment 
les  principaux  phénomènes  de  l'optique  se  pourraient  expliquer 
par  luie  attraction  mutuelle  s'exerçant  J'i  des  distances  insen- 
sibles, mais  non  nulles,  entre  les  plus  petites  parties  des  corps- 
f  t  les  petits  projectiles  qui  forment  les  rayons  de  lumière. 
-   Parvenu  à  ce  point,  le  génie  de  Newton  embrasse  un  plus 


LA  .YmT/O.Y  de  mixte  85 

vaste  champ:  contemplant  Tcnscmblc  dos  phonomènos  qu'étu- 
dient les  physiciens  et  les  chimistes,  il  se  demande  si  tous  ces 
phénomènes  ne  se  ramènent  pas  à  des  attractions  ou  à  des 
répulsions  mutuelles;  parmi  ces  actions,  les  unes  seraient  sen- 
sihles  à  i;rande  distance  :  telle  l'attraction  qui  produit  la  gravi- 
lalion  universelle  ;  les  autres  seraient  insensihles,  à  moins  que 
les  corpuscules  entre  lesquels  elles  s'exercent  ne  soient  extri'- 
mement  rapprochés  :  telles  les  actions  des  particules  de  ma- 
lière  sur  les  corpuscules  lumineux.  A  l'exposé  de  cette  vaste 
hypothèse  est  consacrée  la  XXXI°  et  dernière  question  de  l'Op- 
tiqitf,  plan  d'une  œuvre  immense  que  les  physiciens  mettront 
plus  d'un  siècle  à  réaliser. 

«<  Les  petites  particules  des  corps,  dit  Newton,  ne  possèdent- 
•elles  pas  certaines  vertus,  ou  puissances,  ou  forces,  qui  lenr 
permettent  d'at^ir  à  distance,  non  seulement  sur  les  rayons  de 
lumière  pour  les  rélléchir,  les  réfracter  et  les  intléchir,  mais 
aussi  d'agir  mutuellement  les  unes  sur  les  autres,  en  produisant 
par  là  la  plupart  des  phénomènes  de  la  Nature?  On  sait,  en 
elTet,  que  les  corps  agissent  les  uns  sur  les  autres  par  les 
attractions  de  la  gravité,  du  magnétisme  et  de  l'électricité  ;  or, 
ces  exemples  nous  montrent. quel  est  l'ordre  et  la  loi  de  la  Na- 
ture ;  ils  rendent  très  vraisemhlahle  l'existence  d'autres  forces 
attractives,  car  la  Nature  est  toujours  d'accord  avec  elle-même... 
Les  attractions  de  la  gravité,  du  magnétisme  et  de  l'électricité 
s'étendent  même  à  des  intervalles  assez  considérahles  ;  aussi 
tomhèrent-elles  sous  le  sens  et  la  connaissance  de  tous  ;  mais 
il  pourrait  se  faire  qu'il  existât  quelques  autres  forces  attrac- 
tives et  que  leurs  effets  fussent  limités  à  des  intervalles  si 
étroits  qu'elles  eussent  échappé  jusqu'ici  à  toute  observation.  » 

C'est  à  des  attractions  de  ce  genre  qu'il  faut  attribuer  la 
«ohésion  des  solides,  rascension  des  liquides  dans  les  espaces 
capillaires,  la  forme  arrondie  des  gouttelettes  de  mercure  ;  des 
forces  répulsives  analogues  expliquent  l'élasticité  des  gaz. 

«  Si  toutes  ces  choses  sont  comme  nous  l'avons  supposé,  la 
jMature  nous  apparaît  comme  très  simple  et  toujours  d'accord 
avec  elle-même  ;  elle  produit  tous  les  grands  mouvements  des 
corps  célestes  par  L'attraction  de  gravité  que  tous  ces  corps 
exercent  mutuellement  les  uns  sur  Jes  autres  ;  tandis  qu'elle 


86  P.  DIHEM 

produit  presque  tous  les  petits  mouvements  de  leurs  particules 
par  la  force  attractive  ou  répulsive  que  ces  particules  exercent 
mutuellement  les  unes  sur  les  autres.  » 

(lette  grandiose  tliéorie  physique  n'eiit  pas  étî'  complète  si 
elle  eût  négligé  de  traiter  les  phénomènes  chimiques  ;  mais, 
bien  loin  d'omettre  ces  effets,  JVewton  leur  consacre  la  plus 
grande  partie  de  la  XXXl'  Question  de  son  Opiiqup.  Sohm  les 
hypothèses  qu'il  y  développe,  lorsque  deux  corps  se  combinent, 
cette  combinaison  est  l'effet  d'attractions  qui  s'exercent  à  petite 
distance  entre  les  particules  de  ces  deux  corps  :  «  Lorsque  le 
sel  de  tartre  devient  déliquescent,  n'est-ce  pas  l'effet  d'une  cer- 
taine attraction  mutuelle  entre  les  particules  du  sel  de  tartre 
et  les  particules  de  l'eau  qui  voltigent  auprès  de  lui  sous  forme 
de  vapeur?  Et  pourquoi  le  sel  ordinaire,  le  nitre  et  le  vitriol 
ne  sont-ils  point  déliquescents  comme  le  sel  de  tartre,  sinon 
parce  qu'ils  n'exercent  pas  sur  les  particules  d'eau  une  telle 
attraction?  » 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  suivre  les  développements  im- 
menses que  prit,  en  physique,  la  doctrine  de  l'attraction  molé- 
culaire; en  chimie  même,  cette  notion  ne  nous  intéresse  qu'au- 
tant qu'elle  intéresse  la  notion  ihi  mixte. 

Assurément,  la  doctrine  de  l'atlraclion  moléculaire  différait 
essentiellement,  dans  son  principe,  des  doctrines  Epicuriennes 
et  Cartésiennes;  au  lieu  d'expliquer  tous  les  phénomènes  de  la 
nature  par  la  ligure  et  le  mouvement,  elle  invoquait  un  troi- 
sième élément  irréductible,  la  force,  et  les  Epicuriens  comme 
les  Cartésiens  repoussaient  avec  horreur  l'intervention  de  cette 
(/iia/itr  occulte. 

Toutefois,  comme  les  Epicuriens  et  les  Cartésiens,  les  Newto- 
nicns  supposaient  les  corps  formés  de  particules  distinctes  les 
unes  des  autres.  A  la  vérité,  les  Newtoniens  n'étaient  pas  obligés 
de  formuler  des  hypothèses  précises  et  détaillées  touchant  la 
ligure  de  ces  particules,  car  ils  pouvaient  attribuer  à  des  lois 
différentes  d'attraction  ou  de  répulsion  ce  que  leurs  prédéces- 
seurs expliquaient  par  la  figure  des  particules;  par  là,  ils  évi- 
taient le  caractère  naïf  et  presque  enfantin  des  raisons  invoquées 
par  Descartes,  par  Boyle  ou  par  Lémery,  et  ils  triomphaient 
volontiers  de  cet  avantage. 


;.l   MiTlnS  liE  ]ll Mi:  87 

Pourqiiiii  les  diviTses  parties  dos  curps  soliilcs  adlièrcnl-cllos 
si  Ibrtonicnt  les  unes  aux  autres?  Les  Kpicuriens  oui  invoqué, 
pour  expliquer  la  dureté  de  leurs  corps  solides,  renchevètrc- 
ment  des  crocliols  et  des  ramilicalions  que  portent  les  atonies. 
(<  (l'est  à  coup  sûr,  observe  Newton,  donner  comme  réponse  ce 
qui  est  en  question.  »  Les  Cartésiens  ont  imaginé  que  les  par- 
ticules des  corps  sont  collées  les  unes  aux  autres  par  le  repos. 
c  Pour  composer  le  corps  le  plus  dur  qui  puisse  être  imaginé, 
disait  Descartes  'Ij,  je  pense  (ju'il  sul'lit  si  toutes  ses  parties  se 
touchent,  sans  qu'il  reste  d'espace  entre  deux,  ni  qu'aucune 
d'elles  soit  en  action  pour  se  mouvoir.  Car  quelle  colle  ou  quel 
ciment  y  pourrait-on  imaginer  outre  cela,  pour  les  mieux  faire 
tenir  l'une  à  l'autre?  »  Ce  ciment  fait  de  repos,  réplique  Newton, 
est  une  qualité  occulte,  ou  plutôt  un  pur  néant.  «  Pour  moi,  je 
préfère  inférer  de  la  cohésion  des  corps  que  leurs  i)articules 
s'attirent  mutuellement  avec  une  certaine  force  qui,  lorsque 
les  particules  sont  en  contact,  devient  extrêmement  grande;... 
et  qui,  au  contraire,  lorsque  les  particules  sont  assez  éloignées 
pour  que  leur  distance  devienne  sensilile,  cesse  entièrement 
d'agir.  ■> 

Descartes,  nous  l'avons  vu,  assimilait  (2)  les  gaz  à  des  fas- 
cines de  menues  branches  posées  les  unes  sur  les  autres  ;  Boyle 
avait  insisté  sur  cette  hypothèse  :  «  Les  particules  de  l'air, 
disait-il  (3),  peuvent  être  regardées  comme  de  petits  ressorts 
qui,  gardant  leur  courbure,  peuvent  être  transportés  de  place 
en  place  sans  que  leur  grandeur  totale  éprouve  de  changement  ; 
mais  aussi  comme  de  petits  ressorts  qui  peuvent  se  déployer 
d'eux-mêmes,  dont  les  parties  s'écartent,  tandis  que,  considéré 
dans  son  ensemble,  chaque  petit  ressort  change  à  peine  de 
place  ;  de  même  que  les  deux  extrémités  de  l'arc,  au  moment 
où  le  corps  est  tiré,  s'écartent  l'une  de  l'autre,  pendant  que  le 
milieu  de  l'arc  demeure  fixe  dans  la  main  de  l'archer.  »  Newton 
repousse  la  puérilité  de  ces  iiypothèses  :   «  On  aura  beau  se 


(!)  Descarte?,  te  Monde  ou  le  Traité  de  la  Lttmière,  chap.  m. 

(2)  Idk.m,  Les  Météores,  chap.  i,  art.  III. 

(3)  R.  liOYLE.  \ew  e.rperUnents  pitt/sico-meclianical,  toiichiiif/  the  xpriii;/  of  tlie 
air:  and  ils  effects,  mode  j'or  llte  mosl  part  in  a  new  pneumatical  enrjine.  experi- 
luent  I. 


88  P.  DLHEM 

représenter  les  molécules  do  l'air  comme  dos  lames  élastiques 
et  rameuses,  comme  des  branches  d'osier  pliées  sur  elles-mêmes 
•et  enchevêtrées,  on  parviendra  difticilement  à  expliquer  l'expan- 
sibilité  de  l'air;  on  ne  le  peut  faire  qu'en  atlriiiuaul  aux  molé- 
cules une  force  répulsive  qui  les  (li)ligc  à  se  fuir  l'une  l'autre.  » 
•  De  môme,  au  lieu  d'expliquer,  comme  Lémory,  la  substitu- 
tion d'un  corps  ti  un  autre  dans  ime  réaction  chimi(|ue  par  une 
certaine  proportion  de  pointes  et  de  pores,  Ne\vl(jn  attribue  ce 
déplacement  à  la  ijrandeur  relative  des  atlrartions  mises  en 
jeu  :  «  Lorsqu'on  verse  du  sel  de  larti'c  di'diipu'sront  dans  une 
solution  d'un  métal  quelconque,  le  métal  est  chassé  i\o  la  tlisso- 
lution  et  se  précipite  au  fond  du  vase  sous  forme  d'un  limon; 
cette  expérience  ne  montre-t-elle  pas  clairement  que  les  parti- 
cules acides  de  la  liqueur  sont  attirées  plus  fortement  par  le 
sel  de  tartre  que  par  le  métal,  et,  par  cette  attraction  plus  puis- 
sante, sont  transportées  du  nuMal  au  sid  de  larlre?  » 

L'étude  de  telles  suiistilulious  permet  de  rauiicr  les  métaux 
selon  l'ordre  de  grandeur  de  latlraclidn  qu'ils  exercent  sur  un 
acide  tel  que  l'eau-forte  :  «  Une  solution  de  fer  dans  l'eau-forte 
dissout  la  cadmie  qu'on  y  plonge  et  abandonne  le  fer;  une 
solution  de  cuivre  dissout  le  fer  et  abandonne  le  cuivre  ;  une 
solution  d'argent  dissont  le  cui\  re  et  abandonne  l'argent  ;  si 
l'on  verse  une  solution  de  vif-argent  ilans  l'eau-forlr  sur  du  fer, 
du  enivre,  de  l'étain  ou  du  plomjj,  ce  métal  est  dissous  et  le 
vif-argent  se  précijjile  ;  ces  expériences  ne  montrent-elles  pas 
que  les  particules  acides  de  l'eau-forte  sont  ))lus  fortement  atti- 
rées par  la  cadmie  que  par  le  fer.  plus  fortement  par  le  fer  que 
par  le  cuivre,  par  le  cuivre  que  ])ar  l'argent;  qu'elles  éprouvent 
une  plus  forte  attraction  pour  le  fer,  le  cuivre,  l'étain  on  le  plomb 
que  pour  le  vif-argent?  >: 

Ce  passage  a  inspiré  tous  les  chimistes  qui.  (h'  r>eoll'roy  ;\ 
Bergmann,  ont  construit  des  tables  d'afhniiés. 

Newton  repousse  donc,  presque  toujours,  les  hypothèses  aven- 
tureuses sur  la  ligure  des  molécules  auxquelles  étaient  condam- 
nés les  Epicuriens  et  les  Cartésiens  ;  il  ne  les  évite  pas  toujours. 
Pour  expliquer  par  les  accrs  de  facile  réflexion  et  de  facile 
transmission  les  couleurs  des  lames  minces,  il  est  contraint 
d'attribuer  une  forme  particulière  aux  projectiles  lumineux.  Un 


L.\  yoTinx  ni:  mixte  8o 

des  iidniiralcurs  de  Xewloii,  des  plus  l'erNcnls,  sinon  îles  plus 
compétents,  Bullon  (1),  soutint  contre  Clairaut  cette  hypotlièse  : 
Toutes  les  lois  jiarticulières  d'attraction  moléculaire  ne  sont  que 
<le  simples  modilications  de  la  loi  de  l'atlraetion  universelle, 
en  raison  inverse  du  carré  de  la  dislanee;  elles  n'en  paraissaient 
<liiréreutes  (|ue  parce  <|n'à  très  petite  distance,  la  ligure  des 
atomes  qui  s'attirent  t'ait  autant  et  pins  que  la  masse  pour 
l'expression  de  cette  loi.  Cette  opininn  lui  acceptée  ou  dévelop- 
pée par  Macquer  (2),  par  (iuylon  de  Morvcau  (3),  par  Monge  (4), 
par  Bergmann  (')). 

Fondant  en  une  vaste  synthèse  les  ductrines  de  Xewlon  et 
celles  de  i.eilinil/,  adversaire  déclaré  des  Atomistes  et  des  Car- 
tésiens, le  1*.  Boscovicii  ((i)  repousse  les  vues  de  Bniïon  ;  pour 
lui,  les  particules  élémentaires  entre  lesquelles  s'exercent  les 
attractions  ou  les  répulsions  moléculaires  sont  sans  étendue, 
partant  sans  lignre.  Mais  sous  l'inlkience  des  forces  qui  tendent 
à  les  rapprocher  ou  à  les  écarter,  ces  points  matériels  peuvent 
former  des  groupements,  des  sortes  d'édilices.  Newton  admet- 
tait déjà  r<'\is(ence  de  ces  sortes  de  groupements,  lorsqu'il 
écrivait  dans  son  Oji/ii/iir  :  «  Il  [)eut  se  faire  que  les  plus 
petites  particules  de  matière  soient  rcdiées  entre  elles  par  des 
attractions  extrèmenienL  fortes  et  qu'elles  constituent  des  par- 
ticules plus  grandes,  exerçant  les  unes  sur  les  autres  des  forces 
attractives  moindres  ;  puis  qu'un  grand  nombre  de  ces  particules 
plus  grandes,  s'accolant  de  même  les  unes  aux  autres,  consti- 
tiuMit  tl(>s  particules  enc(M-e  plus  graniles,  douées  d'une  force 


(1)  UuFFON,  Mémoires  île  l'Académie  des  Sciences  pour  l'iô  (parus  en  11491.  — 
Clairacï.  ibid.  —  BcFFON,  Histoire  nalurelle,  riénérale  et  particulière,  servant  de 
suite  à  l'histoire  de  la  Terre  et  d'inlroductinn  à  l'/iistoire  des  minéraux.  Supplément, 
t.  1,  Paris,  1174. 

(2)  Macquer,  Dictionnaire  de  c/iintie,  deuxiriiie  cdilion,  Paris,  MIS.  art.  Affinité. 

(3)  GuYTON  i)F.  MoRVEAU,  Oigressions  académiques.  Dijon,  1772.  —  Enc'jclopédie  nié- 
tliodiqiie  {Cliimie,  l'Iiarmacie  el  .Mélallurr/ie),  t.  I,  Paris,  17S6,  art.  Affinité:  t.  11, 
Paris,  1792,  art.  Attraction. 

(4)  Monge,  Encyclopédie  inél/iodir/ue.  Dictionnaire  de  jiliysifjue.  t.  1,  Paris,  t7'J3, 
art.  .Affinité  et  Attraction. 

(5)  Bergmann,  Opuscula,  dissertatio  XXXllI,  S  I.  —  Traite  des  affinités  électives, 
Paris,  17S8,  p.  2. 

f(i)  R.  J.  Boscovicii,  De  ler/e  virinm  in  natura  e.ristentium.  Home,  175o.  —  Tlieo- 
ria  philosopltiiB  naturaits  redacla  ad  unicam  legem  virium  in  natura  e.ristentium. 
Vienne,  i7jS. 


90  P.  DUHEM 

attractive  encore  plus  faible;  et  ainsi  de  suite, jusqu'à  ce  que 
l'on  arrive  à  ces  particules,  les  plus  grandes  de  toutes,  dont 
dépendent  les  opérations  chimiques  et  les  couleurs  des  corps 
naturels;  ces  particules,  par  leur  cohésion,  constituent  les 
corps  dont  les  dimensions  tombent  sous  les  sens.  »  Suivant 
cette  idée  de  Newton,  Boscovich  admet  que  les  points  maté- 
riels, éléments  de  tous  les  corps,  peuvent  se  grouper  en  édi- 
hces  moléculaires  plus  ou  moins  compliqués;  que  ces  molé- 
cules complexes  ditTèrent  les  unes  dos  autres  par  leur  ligure 
extérieure,  la  distribution  des  points  matériels  en  cette  figure, 
les  actions  qu'elles  exercent  les  unes  sur  les  autres.  Les  parti- 
cularités de  ces  molécules  expliquent  les  propriétés  diverses 
des  solides,  des  liquides  (-t  des  gaz,  et  ces  explications  oiïrent 
(le  grandes  analogies  avec  celles  qu'admettaient  les  Epicuriens 
et  les  (.artésiens. 

Les  trois  grandes  Ecoles  Atomistique,  Cartésienne  et  Newto- 
nienne  se  trouvent  amenéi^s  ainsi  à  coucev(jir  du  mixte  la  même 
idée. 

I\'.    i.\   MiiiciN   DK  MixTi:,    \i    xviii'   sn-;(:i.i;,  .ilsoi'a  i.a  rlvoi.ition 
cMiMii.ii  i:  :  i.'kcoi.k  i;mi>uuiji  k 

En  i'ace  do  ces  Ecoles  se  dresse,  dès  le  xvir  siècle,  une  qua- 
trième Ecolo,  l'Ecole  empirique. 

Fontenelle  nous  a  laissé  un  tableau  piquant  des  difTérends 
(jui  s'élevaient  l'réqueniment  entre  les  chimistes  de  l'Ecole  em- 
pirique et  ceux  que  l'on  nommait  les  chimistes-physiciens  : 

«  M.  du  Clos,  dit-il  (  I),  continua  cotte  année  l'examen  qu'il 
avait  commencé  des  Essais  de  chimie  de  Boyle...  M.  du  Clos, 
grand  chimiste,  aussi  bien  que  M.  Boyle,  mais  ayant  peut-être 
un  tour  d'esprit  plus  chimiste,  no  trouvait  pas  qu'il  fût  néces- 
saire, ni  mémo  possible,  de  réduire  cette  science  à  des  prin- 
cipes aussi  clairs  que  les  ligures  et  les  mouvements,  et  il 
s'accordait  sans  peine  une  certaine  obscurité  spécieuse  qui  s'y 
est  assés  établie.  Par  exemple,  si  du  bois  du  Brésil  bouilli  dans 


II)  FiixTEXELi.E,  Iliiloire  de  i  Académie  Boyale  des  Sciences,  t.  1.  Depuis  son  éta- 
blisse ueat  e.i  l(iS6  jusqu'à  iGS6.  .\nnée  16IH.  Physiiiue  Cliimie.  —  Paris,  n.33. 


;..i  .Yo77n.v  /»;■;  mixte  91 

<]ui'l(iiios  lessives  de  sels  sulpluirés  |)roiluit  une  liaule  couleur 
|)Ourprée,  qui  se  perd  et  dégénère  subitement  en  jaunâtre  par  le 
mélange  de  l'eau  forte,  de  l'esprit  de  salpêtre  ou  de  quelque 
autre  liqueur  minérale;  M.  du  Clos  attribuait  ce  beau  rouge  à 
l'exaltation  des  sels  sulphurés,  et  M.  Boyle  au  nouveau  tissu 
des  particules  qui  formaient  la  surface  de  la  liqueur.  La  chimie, 
par  des  opérations  visibles,  résout  les  corps  en  certains  prin- 
cipes grossiers  et  palpables,  sels,  soufres,  etc..  .Mais  la  pby- 
si([ue,  par  des  spéculations  délicates,  agit  sur  les  principes 
comme  la  chimie  a  fait  sur  les  corps;  elle  les  résout  eux-mêmes 
en  d'autres  principes  encore  plus  simples,  en  petits  corps  nuis 
et  ligures  d'une  inlinité  de  façons  :  voilà  la  principale  différence 
de  la  Physique  et  de  la  Chimie...  L'esprit  de  la  Chimie  est  plus 
confus,  plus  enveloppé;  il  ressemble  plus  aux  mixtes  où  les 
])rincipes  sont  plus  embarrassés  les  uns  avec  les  autres  :  l'esprit 
de  la  Physique  est  plus  net,  plus  simple,  plus  dégagé,  enlin  il 
remonte  jusqu'aux  premières  origines;  l'autre  ne  va  pas  jus- 
qu'au bout.  » 

Le  portrait  du  chimiste  que  nous  trace  Fontenelle  eût  assu- 
rément convenu  à  Jean-Joachim  Beccher,  de  Spire,  (jue  ne 
trouve-t-on  pas  en  s<m  livre  étrange  sur  la  Phijsiquf  soiitrr- 
fdiiir  (I)?  Des  raisonnements  théologiques  par  lesqvuds  il  prouve 
(|ue  le  diable,  dans  sa  chute,  s'est  arrêté  au  centre  de  la  terre  ; 
des  témoignages  d'une  crédulité  sans  borne,  telle  l'anecdote 
d'une  servante  qui  avait  avalé  des  œufs  de  grenouille  et  rendit 
six  grenouilles  vivantes;  des  comparaisons  sans  raison  qui  lui 
font  regarder  les  métaux  comme  des  minéraux  mâles  et  les 
pierres  comme  des  minéraux  femelles  ;  des  observations  chi- 
miques importantes  et,  surtout,  de  violentes  diatribes  contre 
ceux  qui  philosophent  en  chimie. 

Toutefois,  cédant  soit  à  la  vogue  des  idées  courantes,  soit  à 
l'inlluence  de  Boyle,  dont  il  critiquait  les  petits  ressorts  (2), 

(1)  Juii.  JoAniiMi  Becchebi,  Spirensis  germani,  Saor.  Ca's.  majest.  consil.  et  med. 
Elect.  Bav.,  l'/n/sica  suhleiranea  prufandam  subterranearum  genesin  ex  princi- 
piis  hueusque  ignotis  ostendens.  1699.  —  2«  édition,  1738. 

|2)  «  Hoberto  lioyle  pr;t  omnibus  nostro  s.tcuIo  paUuaui  concedereni,  si  misso 
suo  elaleriu,  cliyiiiica  expérimenta  ulterius  continuasset  ;  et  in  exponendis  istis 
non  tam  materiam  concludendi,  quaiu  in  singulis  dubitandi,  tractaie  sibi  propo- 
suisset.  •  (Beccmek,  loc.  i-i7.,  Sectionis  quarta>  caput  primum.) 


92  1».   Dl  IIKM 

mais  dont  il  était  ladmiralour  ri  lami,  IJeccher  ménage  les 
Atomistes  et  les  Cartésiens.  Parfois  mémo,  il  semble  partager 
l'opinion  de  ces  derniers.  Au  commencement  de  son  ouvrage  (1), 
commentant  le  texte  :  Dciis  creavit  cœ/inn  et  Ifrrani,  il  aflirme 
que  toute  matière  est  composée  de  cifl  oi  de  torrr,  c'est  le  ciel, 
et  non  l'air.  (|ui  est  le  principe  de  hi  raréfaction  et  de  la  con- 
densation; l'air  ne  possède  point  par  lui-même  la  force  élas- 
tique qu'on  lui  attribuait,  car  l'air  lui-même  ne  pourrait  être 
ni  raréfié,  ni  condensé  sans  le  ressort  du  ciel.  Le  ciel  de  Boccher 
a  évidemment  d'étroites  affinités  avec  la  matière  subtile  de  Ues- 
carles;  et  de  même  qu'en  1669,  le  chimiste  de  Spire  compose 
toutes  choses  de  ciel  et  de  terre,  en  167r),  le  cartésien  Lémery 
composera  toutes  choses  de  matiî re  subtile  el  de  terre. 

Iiululgent  pour  les  Atomistes  et  les  (Cartésiens,  Beccher 
réserve  toutes  ses  colères  pour  les  l'éripatéticiens.  Examinons, 
dit-il  (2),  la  doctrine  des  élèves  d'Arist(it(>  louehant  la  mixlion 
des  minéraux.  Que  nous  enseigne-t-clle?  Des  choses  que  tout  le 
monde  connaît.  Que  nous  fournit-elle?  Des  noms  et  des  enve- 
loppes à  niellre  sur  les  réalités,  après  les  avoir  vidées.  Elle 
nous  dit  (|ue  les  minéraux  soûl  des  nii.rtes,  (|u'ils  sont  for- 
més iïelruients,  iju'ils  oui  des  teni/zéraiiieiits  et  des  qxalitcs  ; 
qui  ne  le  sait?  .Mais  comuu>nt  se  font  ces  mixtions  et  comment 
produisent-elles  toutes  les  espèces  de  minéraux?  Voilà  la  (|ues- 
tion  difficile,  où  acJioppent  les  etTorts  de  nos  habiles  gens.  l*our- 
(juoi  l'étain  peut-il  former  avec  le  plomb,  et  non  avec  l'argent, 
un  alliage  non  fragile?  Ils  vous  en  donneront  aisément  la  rai- 
son :  ce  sont  des  substances  contraires  et  do  tempéraments 
dill'êrenls.  Mais  si  vous  leur  demandez  en  quoi  consistent  les 
tempéraments  de  ces  substances  ot  en  quoi  ils  dilfèrent,  les 
voilà  muets.  L'eau-forte  dissout  h^s  métaux;  c'est  parce  qu'elle 
possède  la  qualité  résolutire,  vous  diront  ces  philosophàtres  ; 
assurément,  et  aussi  :  quantum  est  quud  aliquid  quantum  dici- 
lur;  autant  de  pétitions  de  principe.  Mais  pourquoi  l'eau-forte 
dissout-elle  tous  les  métaux,  l'or  seul  excepté?  Voilà  toute  la 

'U  Bëccher,  l'In/sicat  suljterraneœ  liber  priuius.  Sectio  prima  :  de  Creatione  uni- 
vers! Orbis.  Ciput  priuium  :  De  Creatinne  Cœli. 

(il  Hecciier,  l'ItysicT  siibtenanea-  liber  priaius.  Sectionis  quart.-e  caput  pri- 
mum  ;  De  nccessitate  et  obscuritate  Physica'  circa  Mixtionem.   - 


LA  .Ynf/o.v  /»;;  \iL\ri:  os 

j)hil(i<oj)hio  on  (k'-roiilc  !  (ioniliicii  plus  iiol)le  osl  la  Spagyri- 
quc  I  Ijl  Elle  prend  eonime  thèses  dos  vérités  établies  pratique- 
ment, des  expériences  ;  des  phénomènes  de  mixtion,  des  pro- 
priétés des  mixtes,  elle  donne  les  vraies  causes  et  les  raisons 
solide?  ;  sans  cesse,  elle  découvre  des  combinaisons  nouvelles  ; 
et  cependant  de  cette  science  très  sagace,  très  subtile,  très 
curieuse,  vous  ne  trouverez  pas  un  mot  dans  les  livres  des  philo- 
sophes ;  ceux-là  se  repaissent  seulemeitt  didées,  dabstractions 
et  do  chimères  :  ils  ne  s'attachent  qu'aux  noms  ;  heureux  d'igno- 
rer combien  ils  sont  ignorants  ! 

.Ailleurs,  nous  voyons  Beccher  lancer  aux  Péripatéticiens  cette 
boutade  (2)  :  <<  Ils  vous  diront  que  les  qualités  ont  changé,  ce 
que  tout  le  monde  sait  ;  mais  pourquoi  ont-elles  changé,  et 
comment?  Ici,  silence  profond;  ils  ne  parviendraient  pas  à  vous 
l'expliquer,  quand  mémo  ils  sueraient  pondant  touti>  l'éternité 
avec  leur  Arislote.  » 

La  principale  gloire  de  Beccher  est  d'avoir  eu  pour  disciple 
le  chimiste  qui  créa  la  théorie  du  Phlogistique,  le  médecin  qui 
imagina  l'Animisme,  l'illustre  Georges-Ernest  Stahl. 

(Jomme  son  maître,  Stahl  (li)  repousse  la  théorie  péripatéti- 
cienne des  mixtes  ;  mais  il  est  juste  d'ajouter  qu'à  la  difl'érence 
do  son  maître,  il  la  repousse  par  des  raisons  et  non  par  des 
jdaisanteries  :  elle  lui  paraît  liée  à  l'opinion  que  la  matière  est 
divisible  à  l'infini,  opinion  qu'il  ne  veut  pas  admettre  (4). 

A  l'égard  de  la  physique  Cartésienne  ou  Atomiste,  Stahl, 
tout  on  proclamant  l'excellence  de  la  méthode  expérimentale, 
se  montre  respectueux  :  «  Bien  que  la  philosophie  mécanique, 


(I    Ce  nom  fut  longtemps  en  usage  comme  synonyme  de  Chimie. 

(2)  Becchkb,  p/iys/cip  snbtenaneœ  liber  jirimus.  —  Seclionis  quartiP  caput  ter- 
tium  :  Generalia  qu;edam  Axiouiata  de  Mixtione  continet. 

13)  Geough  F.RXE5T1  Stahlii.  Consil.  Aulici  et  Archiatri  Regii,  Fundamenta  Cliy- 
inix  dogmatic.T  et  experimenlalis,  et  quidem  tum  communioris  pliysica'  mecha- 
niric,  pharmaceutic;e  ac  medica-  tum  sublimioris  sic  dicta'  liermetica'atquealchy- 
mic;b  ;  olim  in  privalos  auditorum  usus  posita,  jani  vero  induitu  auctoris  publicae 
luci  exposita.  Norimbergœ,  1723. 

(4)  Stahl,  Fitndameiita  Clii/miœ.  Pars  III  :  «  ...Intellexit  quidem,  quod  ipsi  con- 
cedendum,  quod  si  quantita>  hujusce  modi  aggregati  quovismodo  imminuatur, 
ut  sensibilis  tantum  pars  remaneat,  ibi  illa  pars  adhuc  totasit  mixta.  et  htec  pars 
per  guttulas  imo  singula>  guttula-  in  minores  ulterius  proportiones  divisie,  tanien 
sint  mixts,  denn  mag  etwas  zertheilen,  so  klein  man  will,  so  bleibt  doch  das 
mixluni  noch  da  ;  intérim  exempluiu  ipsum  explicandce  mixtionis  indoli  nimis 


04  P.  DLHEM 

dit-il  (1  ),  se  fasse  fort  d'expliquer  toutes  choses,  c'est  à  l'étude  des 
•questions  physico-chimiques  qu'elle  s'est  appliquée  avec  le  plus 
d'audace.  Je  ne  fais  pas  11  d'un  usage  modéré  de  cette  méthode; 
cependant,  à  moins  d'être  aveuglé  d'opinions  préconçues,  force 
est  de  reconnaître  qu'elle  n'a  jeté  aucun  jour  sur  ces  questions. 
Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner.  La  plu])art  du  temps,  elle 
s'attache  à  des  assertions  douteuses  ;  elle  lèche  la  surface  et 
l'écorce  des  choses  en  laissant  intact  le  noyau  ;  de  la  ligure  et 
du  mouvement  des  particules  elle  se  contente  de  tirer  l'explica- 
tion très  générale  et  passahlement  ahstraite  des  phénomènes  ; 
mais  elle  ne  se  soucie  pas  de  savoir  ce  qu'est  un  mixte,  un 
composé,  un  aggrégat,  quelle  est  la  nature,  quelles  sont  les 
propriétés  de  ces  sortes  de  corps,  ni  (>n  quoi  ils  difFèrent  les 
uns  des  autres.  » 

Entait,  Slalil  avait  assurément  médité  les  théories  physico- 
mécaniques de  Descartes,  de  Rohert  Boyle  et  de  Lémery,  cl  il 
adhère  aux  principes  essentiels  de  ces  théories. 

En  commençant  la  seconde  partie  de  son  ouvrage  (2),  il  divise 
tous  les  corps  en  lluides  et  en  solides  ;  à  ces  deux  sortes  de 
corps  il  allriliue  une  constitution  qu'il  emprunte  presque 
textuell(Muent  à  l'alomisme  de  Lucrèce  ;  il  corrige  seulement 
cette  dorlrine  par  l'iiilniduction  de  la  mat'u'i-p  subtile  carté- 
sienne. 

Les  cor|)s  lluides  ne  sont  pas  continus,  mais  contigus  ;  ils  sont 
formés  de  particules  solides,  actuellement  séparées,  capahles 
de  se  mouvoir;  ces  particules  sont  de  petits  globes  à  surface 
lisse  ;  elles  sont  loules  douées  d'une  même  force  motrice  iiar 


orassum  est  atf|ue  ineptuiii  :  l'nd  ist  dnher  darauf  gefallen,  dass  inan  ein  Ding 
in  inlinituiii  secundum  lineas  nialhemalicas  zertheilen  konne.  » 

L'ne  grande  partie  de  l'ouvrage  de  Statil  est  écrite  dans  ce  bizarre  mélange 
d'allemand  et  de  latin  barbare.  On  comprend  que  BuH'on  (a)  ait  pu  dire  : 
■I  M.  Macquer  et  M.  de  .Morveau  sont  les  premiers  de  nos  chimistes  qui  aient 
commencé  à  parler  français.  Cette  science  va  donc  naître,  puisqu'on  commence 
à  la  parler.  •> 

(1)  Staiil,  Funclamenta  Cliymiœ,  pars  I.  Préambule  daté  de  1720. 

(2)  luEM,  Fitndamenla  Clii/misp,  pars  II,  tractatus  1,  Proeiuium. 

(a)  BuFi'ox,  Ilistoi/e  naturelle,  générale  et  parliculiére.  ssrvant  de  suite  à  la 
théorie  de  la  Terre  et  d'introduction  à  l'histoire  des  minéraux.  —  Supplément; 
tome  I,  Paris,  mi. 


;.A  yiiTloS  liV.  MIXTE  95 

laquelle  l'Ili's  lendcnt  à  doscendiT  avoc  un  mônio  poids  si  1<> 
lliiide  osl  lidiiiogèno  ;  c'est  pourquoi  la  surl'aui'  des  liquides  est 
toujours  parallèle  à  riiorizon. 

Les  corps  iluides  se  condensent  lorsque  les  pores  qui  sépa- 
rent leurs  particules  deviennent  plus  étroits  ;  ils  se  dilatent 
lorsque  ces  pores  deviennent  plus  larges.  Dans  le  premier 
cas,  une  matière  subtile  qui  remplissait  ces  pores  se  trouve 
cliassée;  dans  le  second  cas,  la  matière  subtile  pénètre  les  pores 
dilatés. 

La  dureté  d'un  corps  solide  n'est  pas  due  à  ce  que  les  parti- 
cules de  ce  corps  sont  ju.xlaposées  et  en  repos  ;  les  corps  solides 
sont  formés  de  particules  rameuses  qui  s'encbevètrent  les  unes 
aux  autres  de  telle  façon  qu'il  soit  très  diflicile  de  les  séparer; 
lorsque  l'une  de  ces  particules  est  déplacée,  elle  entraîne  toutes 
les  autres. 

Le  chimiste  qui  accejite  ces  principes  ne  i)eut  manquer 
d'admettre,  touchant  la  constitution  des  mixtes,  la  théorie 
qui  est  commune  aux  l']picuriens  et  aux  Cartésiens  ;  ainsi  l'ait 
Stabl. 

Il  La  dissolution,  dil-il  (I),  n'est  autre  chose  que  la  division 
du  corps  en  parties  très  ténues  et  très  lisses,  qui  se  glissent 
dans  les  pores  du  menstrue,  de  manière  à  former  un  tluide 
unique.  ^lais  cette  division  des  parties  qui  constituent  le  tout 
ne  saurait  s'efl'ectuer  si  la  liqueur  chargée  de  dissoudre  ou  de 
diviser  ne  pénétrait  les  pores  du  corps  à  dissoudre.  Il  en  résulte 
évidemment  que  tout  dissolvant  doit  être  formé  de  parties  qui, 
|)ar  leur  ligure  et  leurs  dimensions,  conviennent  aux  pores  du 
corps  à  dissoudre  ;  une  liqueur  donnée  ne  pourra  donc  dissoudre 
tous  les  corps,  mais  seulement  certains  corps.  » 

<'  D'ailleurs,  un  corps  quelconque  est  construit  et  tissu  de 
particules  qui  ne  sont  pas  toutes  semblables  entre  elles,  mais 
au  contraire  fort  dissemblables  ;  ces  particules  ont  des  iigures 
et  des  dimensions  très  dilférentes;  les  variations  de  la  texture, 
de  la  position  et  de  la  disposition  de  ces  particules  donnent  à 
un  même  corps  des  pores  divers;  on  en  conclut  sans  peine  qu'il 


(l)  Staiil,  l-'uiidaineii/a  Clujinix,  pars  11:  sectio  I;  caput  11  :  De  solutione  et 
meastruis. 


96  P.  DUHEM 

doit  exister  divers  menstrues  dont  les  plus  petites  parties  puis- 
sent pénétrer  les  porcs  de  ce  corps.  » 

»  Cela  posé,  il  est  aisé  de  comprendre  pourquoi  l'eau  l'ortc 
dissout  les  métaux,  mais  non  point  la  cire  ou  le  soufre...  » 

Ne  semble-t-il  pas  que  cette  page  soit  détachée  du  Cours  de 
Chi/niie  de  Lémery? 

(l'est  encore  à  Lémery,  et  aussi  à  Boyle,  que  l'on  songe 
lorsqu'on  lit  la  classification  des  combinaisons  établie  par 
Stahl. 

Les  particules  des  divers  principrx,  en  s'unissant  entre  elles 
d'une  manière  très  intime,  forment  une  première  classe  de  corps 
à  laquelle  Stahl  réserve  proprement  le  nom  de  mixtes  (1)  ;  ainsi 
le  fer  est  formé  de  sel,  de  soufre  et  de  mercure,  mais  en  cer- 
taines proportions  ;  le  sel  acide  du  soufre  est  formé  de  sel  et 
d'eau.  L'union  des  principes  dans  les  mi.\tes  est  si  intime  et  si 
forte  (2)  qu'il  est  extrêmement  difficile,  sinon  impossible  de  les 
séparer;  le  mixte  passe  en  totalité,  sans  se  décomposer,  d'un 
composé  chimique  à  l'autre.  L'or,  par  exemple,  se  dissoudra 
totalement  à  l'état  de  teinture,  s'amalgamera  en  totalité  au 
mercure,  passera  en  totalité  à,  l'état  de  composé  salin,  se  vola- 
tilisera en  totalité.  Le  vit-argent,  traité  par  d'autres  matières 
salines,  passera  «  de  tout  son  poids  »  sous  forme  de  sel  ;  on 
j)nurra  le  revivifier  intégralement,  et  quels  que  soient  les  réac- 
tifs par  lesquels  il  aura  été  précipité,  \\x(^,  extrait,  on  pourra 
très  aisément,  au  moyen  d'acides  ou  d'alcalis  contraires,  voire 
même  au  moyen  d'un  feu  assez  intense,  lui  faire  abandonner  la 
matière  !\  laquelle  il  s'était  uni,  et  le  ramener  à  sa  forme  pre- 
mière de  vif-argent. 

Lorsque  les  corpuscules  de  deux  ou  plusieurs  mixtes  s'unis- 
sent entre  eux,  ils  forment  un  corps  LOiiiposé  (3).  Les  corpus- 
cules des  mixtes  qui  forment  un  composé  n'adhèrent  pas  les 
uns  aux  autres  aussi  fortement  que  les  molécules  des  éléments 


(1)  Staiil,  Fundamenla  Ch/mix.  pars  II.  —  Tractatus  II  :  Ductrintp  ohymicte, 
pars  I,  sectio  III  :  De  objecto  chyuiiiP.  Membrum  I  :  De  corruptione  chytuica. 

(2)  Idem,  Fundamenla  Chymia;  pars  II.  —  Tractatus  I  ;  sectio  III  :  De  combina- 
tione  mixtorum. 

(3)  Idem,  Fundamenla  Chijmiœ,  pars  II.  —   Tractatus  II  :  Doctrina>    chymic», 
pars  I,  sectio  lll  :  De  objecto  chymiœ.  Menibrum  I  :  De  corruptione  chymica. 


LA  yOTIlL\  DE  MIXTE  97 

au  sein  d'un  mixte  ;  aussi  les  compos(5s  peuvent-ils  ("'trc  séparés 
en  leurs  éléments  ou  les  échanger  entre  eux. 

Enfin,  en  s'unissant  les  unes  aux  autres  pour  former  un  corps 
d'étendue  sensible,  les  molécules  d'un  même  mixte  ou  d'un 
même  composé  constituent  vm  agr/rrgat. 

Avec  Stahl,  l'École  Empirique  allemande  s'est  ralliée  nette- 
ment, on  le  voit  de  reste,  à  la  notion  de  mixte  issue  des  doc- 
trines Atomistes  et  Cartésiennes. 

L'Ecole  Empirique  française  s'autorisait  volontiers  des  grands 
noms  de  Beccher  et  de  Stahl.  Mais  elle  pouvait  à  bon  droit 
réclamer  pour  chef  un  chimiste  qui  ne  le  cédait  point  en  origi- 
nalité à  ses  émules  allemands,  celui  qui,  le  premier,  fixa  avec 
précision  les  notions  de  base,  d'acide  et  de  sel  neutre,  Guil- 
laume-François Rouelle,  démonstrateur  au  Jardin  du  Roi. 

Rouelle  n'a  guère  publié  que  de  courtes  notes  ;  mais  les  écrits 
de  ses  élèves  nous  ont  conservé  sa  pensée  ;  on  en  trouve,  en 
particulier,  un  fidèle  reflet  dans  les  articles  écrits  pour  VEncij- 
clopi'die  de  Diderot  et  d'Alembert,  par  un  disciple  et  ami  de 
Rouelle,  chimiste  de  talent  lui-même,  de  Venel. 

Dans  ses  cours  oîi  son  talent  de  manipulateur,  aussi  bien  que 
ses  excentricités  et  ses  violences  de  langage,  attiraient  un  nom- 
breux auditoire,  Rouelle  proclamait  les  droits  de  l'empirisme 
chimique  et  nKilmenait  fort  les  théoriciens  de  la  chimie.  Les 
explications  quelque  peu  puériles  de  Lémery  et  de  ses  conti- 
nuateurs avaient  fini  par  s'écrouler  sous  ses  sarcasmes.  «  On 
n'a  plus  heureusement  besoin,  disait  Venel  (i),  de  combattre 
les  entrelacemens,  les  introsusceptions,  les  crochets,  les  spyres 
et  les  autres  chimères  des  chimistes  du  dernier  siècle.  »  Mais 
la  nouvelle  chimie  Newtonienne  n'échappait  pas  davantage  à. 
sa  critique.  On  en  peut  juger  par  les  attaques  acharnées  d'un 
de  ses  élèves  (2)  contre  «  le  système  des  affinités,  belle  chimère 
plus  propre  à  amuser  nos  chimistes  scolastiques  qu'a  avancer 
la  science  »,  attaques  qui  ne  sont  <i  qu'une  insipide  copie  (3) 

(11  De  Venel,  article  Mute  et  Mixtion  de  VEiu-i/clopédie  de  Diderot  et  d'Alem- 
bert. 

(2)  Monnet,  Traité  de  la  Dissolution  des  Métaux.  Amsterdam,  Ula. 

(3)  Macocer,  Dictionnaire  de  Chimie,  seconde  édition,  Paris,  ms.  Article  Affinité 
(en  note). 


98  P.  DOHEM 

des  expressions  échappées  à  un  homme  célèbre,  dans  la  cha- 
leur du  discouis,  et  par  lesquelles  il  compromettait  sa  réputa- 
tion, dans  le  temps  même  qu'il  l'établissait  par  les  services 
réels  qu'il  rendait  d'ailleurs  à  la  chimie  ». 

Tout  en  proclamant  l'excellence  de  la  chimie  purement  em- 
pirique, tout  en  affirmant  que  «  la  chymie  n'est  qu'une  collec- 
tion de  faits  (\),  la  plupart  sans  liaison  entre  eux  ou  indépen- 
dants les  uns  des  autres  »,  les  disciples  de  Rouelle  n'ont  pu 
s'empêcher  de  concevoir  d'une  certaine  manière  l'acte  de  la 
mixtion  et  la  constitution  du  mixte;  et  l'idée  qu'ils  s'en  forment, 
ils  l'empruntent  à  Stahl,  c'est-à-dire,  en  dernière  analyse,  h 
Lémery,"à  Boyle  et  aux  Épicuriens.  N'est-ce  pas  évident  à  qui 
lit  les  passages  suivants  (2)? 

<.  La  mixtion  ne  se  l'ail  que  par  jiij/a/ji/si/ioii,  ([ue  par  adlu'"- 
sion  superficiaire  des  principes,  comme  l'aggrégation  se  fait 
par  pure  adhésion  des  parties  intégrantes  d'individus  chimiques. 
On  n'a  plus  heureusement  besoin  de  comballre  les  entrela- 
cemens,  les'  introsusceptions,  les  crochets,  les  spyres  et  les 
autics  chimères  des  physiciens  et  des  chimistes  du  dernier 
siècle.  » 

((  La  mixtion  n'est  exercée,  ou  n'a  lieu,  qu'entre  les  parties 
solitaires,  uniques,  individuelles  des  principes,  fit  pi'i-  n/ini- 
iiia...  » 

«  La  cohésion  mixtivc  est  très  inlen>e  ;  le  nœud  qui  relient 
les  principes  des  mixtes  est  très  fort  ;  il  résiste  à  toutes  les  puis- 
sances méchaniques;...  et  même  le  plus  universel  des  agents 
chimiques,  le  fen,  toute  l'énergie  connue  de  son  action  disso- 
ciante, agit  en  vain  sur  la  nû.ition  la  plus  parfaite,  sur  un  cer- 
tain ordre  de  corps  chimiques  composés.  » 

Au  moment  où  les  découvertes  de  Lavoisier  vont  déterminer 
la  révolution  antiphlogistique  d'oîi  sortira  la  chimie  moderne, 
deux  Écoles  sont  aux  prises,  dont  chacune  prétend  connaître 
seule  la  vraie  méthode  ;  l'une,  séduite  par  l'exemple  de  la  mé- 
canique céleste,  tente  de  ramener  toutes  les  réactions  à  une  mé- 
canique chimique  fondée  sur  l'hypothèse-de  l'affinité  ;  l'autre, 

il)  MoNXBT,  Traité  de  la  Dissolution  des  Métaux,  préface. 

(2)  De  Venel,  article  Mixte  et  Mixtion  dans  {'Encyclopédie  de  Diderot  et  d'Alein- 
bert. 


LA  yOTlnX  DE  MIXTE  90 

se  riant  de  cette  hàle  à  vouloir  réduire  en  système  des  faits 
encore  mal  connus,  proclame  les  droits  exclusifs  de  rexpériencc 
à  l'étude  des  combinaisons  et  des  décompositions;  mais  l'une  el 
l'autre  s'accordent  en  un  point;  chimistes-physiciens  et  chi- 
mistes-empiriques conçoivent  de  la  même  manière  la  constitu- 
tion du  mirte  ;  et  la  notion  qu'ils  admettent  est,  dans  ses  traits 
essentiels,  celle  qu'avaient  formée  les  atomistes  de  l'antique 
Hellade,  qu'ont  transmise  les  philosophes  Epicuriens  ou  Carié- 
siens. 

P.  DUIIE.M. 


ANALYSES   ET  COMPTES  RENDUS 


KANT,  par  Théodore  Rlyssen,  professeur  au  lycée  Gay-Lussac  (Limoges) 
Paris.  Félix  Alcan,  in-8°,  390  pages. 

Lo  Kanl  de  M.  Riiyssen  a  suivi  de  bien  près — si  même  il  ne  Tapas 
accompagné  —  le  Socrale  de  M.  Pial;  et  ainsi  la  collection  des  grands 
philosophes  se  trouve  inaugurée  parles  deux  initiateurs  du  spiritua- 
lisme moral  dans  l'antiquité  et  dans  l'âge  moderne.  Est-ce  là  TeHet 
de  l'égale  diligence  d'auteurs  prêts,  à  la  même  heure,  à  publier  leur 
œuvre,  ou  celui  d'un  dessein  i)rémédité?  Nous  ne  saurions  le  décider: 
en  tout  cas,  ce  que  nous  affirmerons  sans  hésiter,  c'est  qu'en  M.  Ruys- 
sen,  le  distingué  professeur  de  l'Institut  catholique  s'est  acquis  un 
collaborateur  précieux,  et  Kant  a  rencontré  un  consciencieux  et 
exact  interprète.  On  nous  annonçait  des  monographies  écrites  d'un 
point  de  vue  objectif.  En  ce  qui  le  concerne,  M.  Ruyssen  a  parfaite- 
ment réalisé  ce  programme. 

Parce  qu'il  vise  aux  vérités  suprêmes,  le  philosophe,  plus  encore 
que  tout  autre  penseur  —  et  quels  que  soient  les  résultats  de  ses 
recherches  —  est  l'homme  de  l'éternité:  mais  les  circonstances  au 
milieu  desquelles  ses  idées  éclosenl,  se  développent  et  .se  fixent,  font 
de  lui  l'homme  du  temps,  en  le  faisant,  jusqu'à  un  certain  point, 
l'homme  de  son  temps.  D'ordinaire,  il  doit  sa  première  formation 
spéculative  à  l'un  des  maîtres  en  possession  de  la  faveur  publique; 
puis,  quand  son  csiirit  devenu  indépendant  soumet  les  problèmes 
essentiels  à  l'examen  d'une  réflexion  sérieusement  personnelle,  il  est 
obligé  de  se  jeter  à  travers  la  mêlée  des  systèmes,  et,  soit  qu'il 
repousse  d'un  égal  dédain  les  enseignements  des  écoles  rivales,  ou 
qu'il  se  rallie  à  l'une  d'elles,  son  opposition  comme  son  adhésion 
l)rocure  un  stimulant  et  une  aide  à  la  spontanéité  de  son  propre  génie. 
Pour  être  objective,  l'exposition  d'iui  système  philosopiiique  rcjila- 


K.IAT,  PAR  Théodore  RUYSSEN  101 

cera  donc  d'abord  celui-ci  dans  le  cadre  historique  où  il  esl  apparu. 
M.  Ruyssen  n'a  eu  j^arde  de  se  soustraire  à  cette  nécessité.  Au  début 
de  son  ouvrage,  il  nous  décrit  l'état  de  la  philosophie  à  l'époque  do 
Kant.  L'an  1716  a  vu  mourir  Leibuitz,  le  dernier  des  grands  cartésiens. 
Tandis  qu'en  Angleterre  Berkeley  continue  seul  la  tradition  mélaphy- 
si([ue,  la  France,  sous  l'action  de  la  Renaissance,  de  Descartes  et  de 
Locke,  a  rompu  avec  toute  Iradilioii  historique,  civile  ou  religieuse  : 
les  idées  n  priari  sont  écartées;  à  côté  de  la  raison  place  est  faite  à  la 
sensation  et  aux  vérités  de  sens  commun:  si  l'on  agite  les  questions 
d'origine  et  de  lin,  on  y  répond  par  des  négations  sommaires  ou  des 
solutions  superficielles.  Quittant  le  cabinet  des  penseurs  solitaires,  la 
philosophie  se  répand  dans  les  salons,  les  Académies  et  les  gazettes  ; 
elle  se  détourne  des  problèmes  éternels  et  s'attache  à  ceux  que  vien- 
nent de  poser  l'histoire,  la  sociologie,  la  politique,  sciences  neuves 
ou  renouvelées;  elle  se  fait  libre  penseuse,  mondaine  et  encyclopédi- 
que. Bien  différent  est  le  spectacle  que  présente  l'Allemagne  à  la 
même  date.  Les  ruines  que  deux  siècles  de  guerres  ont  accumulées 
en  ce  pays,  la  complication  de  son  organisation  féodale,  l'incertitude 
de  sa  destinée  historique  le  garantissent  contre  l'invasion  de  la  libre 
pensée.  Un  restaurateur  zélé  du  sentiment  religieux,  un  adversaire 
énergique  du  protestantisme  orthodoxe,  de  ses  discussions  théologi- 
ques et  de  ses  pratiques  extérieures,  un  implacable  ennemi  du  ratio- 
nalisme cartésien  s'y  dresse  :  c'est  le  piétisme.  Olijet  d'une  dénoncia- 
tion de  la  part  du  i)iétiste  Magnus,  WollV,  le  plus  illustre  disciple 
de  Leibnitz,  est  expidsé  de  l'^miversité  de  Halle.  Mais  avec  le  règne  de 
Frédéric  II  le  rationalisme  prend  sa  revanche,  et  s'ouvre  h  siècle  des 
liimières.  W'ollf,  disci|)le  sans  grande  portée  et  vulgarisateur  de  Leib- 
niz, s'arme  des  [)rincipes  d'identité  et  de  raison  suffisante,  invente  et 
propage  dans  ses  cours  et  dans  ses  livres  un  système  clair,  compré- 
hensif,  qui  prétend  tout  expliquer,  absorbe  en  soi  les  mathématiques, 
la  physique,  la  i)sycliologie  descriptive,  unit  ces  disciplines  récentes 
aux  sciences  reconnues  de  la  scolastique  universitaire,  instaure  sur 
les  débris  de  l'aristotélisme  une  philosophie  moderne  réalisant  l'ac- 
cord —  elle  l'aflirme  du  moins  —  de  la  tradition  biblique  et  de  la  rai- 
son. Piétisme  et  rationalisme  wolfien  :  ce  seront  là  les  deux  princi- 
paux agents  de  la  formation  intellectuelle  et  morale  de  Kant. 
L'influence  du  iiremier  le  saisit  d'abord  au  sein  de  la  famille  par  les 
soins  de  sa  mère  Anna  Reuter,  femme  de  grand  sens,  au  cœur  élevé, 
à  la  piété  réfléchie  et  sans  mysticisme,  qu'il  perdit  étant  âgé  de 
13  ans,  puis  au  collège  Fridericianum,  gymnase  de  KuMiigsberg.  oii  le 
piétiste  Scluilz,  un  ami  des  siens,  expérimentait  des  méthodes  nou- 


102  Eugène  BEURLIER 

YL'lles.  11  trouva  lo  sncoiul  à  luniversité.  Inscrit  à  la  faculté  de  philo- 
sophie, il  suivit  les  leçons  du  wollien  Martin  Knut/.en,  ([ui  lui  fit  con- 
naître la  Phiisiquc  de  Newton  (IT'iU-lTili).  Au  sortir  de  l'université, 
Kant  dut  demander  sa  vie  à  l'enseignement  privé  et  remplit  les  fonc- 
tions de  précepteur  dans  des  familles  nobles  :  de  son  passage  en  ce 
milieu  cultivé,  il  gardera  le  goùl  des  belles  manières  et  de  la  conver- 
sation enjouée.  En  l'année  1755,  Kant  conquiert  ses  grades  :  la  promo- 
tion (sorte  de  doctorat)  avec  une  dissertation  sur  le  feu:  riiabilitation 
(agrégation  des  facultés)  avec  une  autre  dissertation  sur  les  |)rincipes 
premiers  de  la  connaissance  mélapliysiiiiie;  il  ouvre  uu  cours  fort 
])risé,  lit  beaucoup  et  assiste  au  changement  de  direction  qui  se  pro- 
duit  dans  la  jiensée  allemande.  Alors  en  effet,   de  nouveaux  Aitf- 
lilai-n-,  Reimarus,  Mendelssohn  se  proposent  de  donner  plus  de  rigueur 
au  rationalisme  de  W'ollf.  Ils  renoncent  pour  cela  à  la  conciliation  de 
la  philosoi>hie  et  de  la  Bible  et  s'essaient  à  fonder  une  religion  natu- 
relle sur  le  modèle  du  déisme  anglais.  Mais  voici  que  ce  rationalisme 
est  en  bulle  aux  couiis  partis  ;\  la  fois  du  sceptici.sme  railleur  de  Vol- 
taire, qui  demande  à  ro|)limisme  de  justifier  le  désastre  de  Lisbonne, 
et  de  l'empirisme  .subtil  de  Hume  qui  accuse  la  raison  d'imi)uissnnco 
en  face  de  l'être,  et,' la  réduisant  à  la  connaissance  des  phénomènes, 
nie  la  légitimité  de  la  métaiiliysique.  En  revanche,  J.-J.  Rousseau, 
l'enfant  de  la  nature,  proclame  les  droits  du  cœur  contre  ceux  de  la 
raison  et  prétend  faire  du  seutimenl  le  principe  de  la  morale.  Wiuc- 
kelmann  affranchit  l'estliéli(pie  du   ralionali.sme  sec  de  (lottsched, 
Klopstock  lui  rappelle  les  sujets  nationaux,  llalterle  place  en  face  des 
rands  spectacles  de  la  nature;  .lacobi,  ilamann  insinuent  en  philo- 
sophie un  mysticisme  sentimental,  et  le  panthéisme  naturaliste  des 
Gœlhe,  des  llerder  va  lui  apprendre  à  trouver  partout  le  divin.  Pen- 
dant qu'en  cette  Slurm  uinl  Ih'diKipcriddr  s'élabore  la  conscience  de 
l'Allemagne  moderne,  (vaut  lil  lluiiu',  liulcheson,  Shaflesbury,  Rous- 
seau surtout,  emprunte  au   premier  le  germe  de  la  pensée  critique, 
demande  aux  autres  l'alVermissement  de  sa  foi  morale,  puis,  admis  à 
l'ordinariat  et  jiourvu  de  la  chaire  de  logique  et  de  métaphysique,  il 
poursuit  le  cours  d'\iue  carrière  régulière,  où  les  honneurs  universi- 
taires viennent  chacun  à  son  heure,  rjue  trouble  à  peine  un  léger  dif- 
férend avec  le  ministre  ZôUner,  qu'illustrent  enfin  la  découverte  du 
crilicisme  et  des  ouvrages  en  lesquels  l'expose  son  génial  auteur. 
Lau  1804,  Kant  meurt  chargé  d'années  et  de  travaux,  et  des  funé- 
railles publiques  censacrent  .sa  gloire  auprès  de  ses  compatriotes  en 
attendant  celle  ipie  lui  réserve  la  (lostérité  1  Tout  ce  tableau  de  la  pen- 
.sée  philosophique  au  siècle  de  Kant  et  de  la  vie  du  philo.sophe  est 


I 


p 


KAST,  PAR  TiiKODORE  RCYSSEN  103 

rclraec  d'une  plume  concise  el  rapide  :  un  des  trails  du   talent  de 
M.  lluyssen  est  Talerte  sobriété. 

Les  relations  d'un  système  aux  circonstances  qui  en  ont  entouré 
l'apparition  constituent  ce  que  nous  appellerions  volontiers  le  pre- 
mier degré  de  son  objectivité  extérieure.  Un  deuxième  degré  de  cette 
même  objectivité  consiste  dans  les  formes  dont  le  philosophe  a  enve- 
loppé ses  doctrines.  Il  convient  donc,  selon  nous,  que  le  commenta- 
teur les  respecte  en  la  mesure  du  possible.  Certes,  il  ne  s'agit  pas  pour 
lui  d'opéi'cr  une  simple  abréviation  et  comme  une  sorte  de  contrac- 
tion (les  idées  et  des  théories  particulières  :  non  seulement  rien  n'est 
plus  légitime,  mais  encore  rien  n'est  plus  nécessaire  que  de  dégager 
l'esprit  de  la  lettre  et,  à  celte  fin,  de  traduire  et  de  transposer  au  lieu 
de  se  borner  à  résumer.  Toutefois,  il  faut  ap[>orter  de  la  discrétion 
dans  ce  travail  de  la  transposition,  sans  quoi  l'interprète  risquerait 
d'ùter  quehpie  chose  à  l'unité  de  l'œuvre  qu'il  se  projiose  de  faire 
valoir.  Il  y  a  en  elfet  une  certaine  harmonie  entre  le  fond  et  la  forme 
d'un  système;  celle-ci  a  été  choisie,  élaborée  en  vue  de  ce  fond;  elle 
exprime  la  nature  d'esprit  du  philosophe  non  moins  que  ses  concep- 
tions. On  imagine  aisément  le  regret  et  le  dépit  de  ce  dernier,  s'il  lui 
était  possible  d'assister  au  bouleversement  de  cet  arrangement  qu'il 
avait  concerté  en  de  longues  et  peut-être  pénibles  méditations.  Ces 
remarques,  croyons-nous,  sont  justes  en  général;  elles  s'imposent 
j)lus  que  jamais  à  l'historien  de  la  philosophie,  lorsqu'il  a  affaire  à  un 
système  comme  le  système  kantien  avec  son  vocabulaire  technique, 
ses  formules  rigoureuses  et  rigides,  ses  divisions  tranchées,  ses  clas- 
sifications minutieuses,  ses  compartiments  symétriques,  ses  corres- 
pondances dans  le  plan  de  plusieurs  ouvrages,  appareil  destiné  à  don- 
ner satisfaction  aux  exigences  d'un  esprit  ami  de  la  précision,  mais 
appareil  par  où  se  trahissent  aussi  les  habitudes  méticuleuses  d'un 
vieux  garçon  qui  poussa  la  régularité  jusqu'à  la  manie.  Sagement, 
M.  Ruyssen  s'est  abstenu  de  briser,  pour  le  plaisir  de  la  briser,  cette 
envelo[tpe  parfois  si  hérissée  du  Kantisme:  autant  qu'il  l'a  pu,  il  en  a 
conservé  les  contours,  se  contentant  de  la  débarrasser  de  ses  compli- 
cations inutiles  et  de  ses  aspérités  nuisibles;  il  en  a  eu,  non  pas  la 
superstition,  mais  le  respect.  Et  ainsi,  après  avoir  repensé  cette 
matière  de  la  philosophie  kantienne,  après  l'avoir  allégée  de  redites 
fatigantes  (par  exemple  il  glisse  sur  la  méthodologie  de  la  Criliquc. 
dp.  lu  raison  pratique  dont  le  contenu  est  développé  tout  au  long  dans 
les  écrits  pédagogiques);  après  lui  avoir  communi(iué  la  netteté  de 
sa  limpitle  intelligence,  il  nous  présente  un  Kant  très  reconnaissable 
et  cependant  clair.  La  clarté,  voilà  un  second  élément  du  talent  de 


in4  Eugène  BEURLIER 

M.  Ruysscn.  On  accordera  que  ce  n'est  pas  un  mince  mérite  que 
d'en  avoir  fait  preuve  en  exposant  les  doctrines  du  iiliilosophe  de 
Kœnigsberg. 

Si  des  circonstances  qui  ont  contribué  à  la  formation  d'un  système 
et  des  formes  dont  la  revêtit  son  auteur  nous  passons  au  système  lui- 
même,  nous  reconnaîtrons  l'objectivité  de  l'exposition  d'abord  à  ce 
fait  que  l'historien  nous  en  retrace  la  vie.  Or,  pour  la  pensée  d'un 
pliiiosophe,  la  vie  est  ou  bien  une  activité  immanente  qui  déroule,  à 
mesure  qu'elles  lui  apparaissent,  les  conséquences  d'une  idée  maî- 
tresse et  centrale,  ou  bien  la  subsomption  sous  un  principe  nouveau 
de  théories  établies  sans  son  secours  mais  qui  reçoivent  de  lui  une 
organisation  définitive  et  leur  couleur.  Comme  l'observe  M.  Boulroux, 
ce  dernier  cas  fut  celui  de  Kant.  L'invention  de  l'hypothèse  critique 
opéra  une  révolution  dans  ses  idées.  Génie  essentiellement  chissili- 
cateur,  il  s'applique  à  réviser  les  résultats  de  ses  travaux  antérieurs 
et  les  adapte,  une  fois  modifiés,  à  la  doctrine  de  la  connais.sance  qu'il 
venait  de  découvrir.  La  vie  intellectuelle  de  Kant  se  partage  donc  en 
deux  grandes  |)ériodes  :  \u\k  i)ériode  antécritique  et  la  période  cri- 
tique. Chacune  est  aussi  dislincli'  de  l'autre  que  le  criticisme  l'est  du 
dogmatisme;  mais  en  toutes  les  deux  il  y  a  un  certain  mouvement 
et  un  certain  progrès  que  M.  Ruyssen  nous  invile  à  suivre. 

Kant  vient  à  peine  de  quitter  les  bancs  de  l'Université,  et  voici 
qu'il  fait  un  ouvrage  sur  les  mouvements  des  cor|)S  en  général  où, 
du  ton  d'un  maître  qui  proclame  son  indépendance  à  l'égard  de  l'au- 
torité, il  proteste  de  sou  amour  poui*  la  vérité,  son  unique  but.  Inter- 
venant dans  le  conflit  entre  cartésiens  et  leibniziens  touchant  la 
mesure  de  la  force  motrice,  il  adopte  une  position  intermédiaire, 
grâce  à  sa  distinction  de  deux  classes  de  mouvements  :  celle  des 
corps  qui  se  meuvent  librement  et  chez  lesquels  la  conservation  du 
mouvement  est  indéfinie,  et  celle  des  corps  faiblement  poussés;  de 
cette  façon  il  déi)artage  les  adversaires,  car  la  formule  de  Leiluiiz 
convient  à  la  première  espèce,  et  celle  de  Descartes  à  la  seconde.  Il 
a  soin  de  signaler  l'erreur  de  Leibniz  s'imaginant  à  tort  avoir  donné 
de  la  loi  du  carré  de  la  vitesse  une  démonstration  [lurement  mallié- 
malique,  alors  que  seules  l'expérience  ou  la  métaphysique  pourraient 
en  fournir  la  preuve.  La  Dissertation  de  iijnr  nous  montre  Kant  en 
guerre  contre  les  Cartésiens  qui  invoquaient  un  mouvement  ])articu- 
lier  ahn  d'expliquer  la  chaleur  et  la  lumière.  Selon  lui,  il  faut  sup- 
poser entre  les  corps  une  matière  élastique  qui  sert  de  véhicule  ou 
de  moyen  à  l'attraction.  Avec  la  Monadologia  plujsica  Kant  aborde 
franchement  la  métaphysique  :  la  géométrie  et  la  philosophie  trans- 


K.xyT,  TAR  THÉonoHK  RLYSSEN  105 

cendantale  sont  les  lumières  de  la  ph ysi(iue  ;  elles  ont  résolu  le 
monde  en  monades  simples  :  mais  comment  accorder  la  simplicité  de 
telles  substances  et  rindéfinie  divisibilité  de  l'espace?  La  difficulté 
sera  levée  si  la  monade  est  définie  une  force  qui,  sans  occuper  elle- 
même  aucune  position  dans  Tespace,  y  fait  rayonner  son  influence. 
Tandis  que  la  force  répulsive  des  Cartésiens  expliquait  seulement 
l'impénétrabilité  des  corps,  l'attraction  rend  compte  de  la  cohésion  et 
la  limite  des  corps  se  trouve  au  point  d'égalité  de  ces  deux  forces.  De 
cette  théorie  sort  une  conception  du  mouvement  et  du  repos  dont 
la  conséquence  est  qu'entre  deux  corps  mis  en  présence  l'attraction 
est  réciproque  et  que  repos  et  mouvement  absolus  sont  également 
chiméricjues.  Le  principe  leibnizien  de  continuité,  si  embarrassant 
quand  il  s'agit  de  passer  du  repos  au  mouvement,  est  aboli  il758). 
Ces  travaux  exécutés,  Kant,  plein  de  hardiesse,  entreprend  d'apporter 
à  la  Physique  de  Newton  le  complément  qui  lui  manque.  Newton  a 
établi  définitivement  les  principes  du  système  planétaire:  reste  à 
montrer  l'origine  de  ce  système,  en  prenant  bien  garde  d'éviter  la 
faute  de  Descartes,  selon  lequel  Dieu  n'a  mis  aucune  pesanteur  en  la 
matière;  ce  qui  rend  nécessaire  «  la  chiquenaude  ».  Kant  résout  le 
problème  en  imaginant  l'hypothèse  de  la  nébuleuse  par  laquelle  il 
devance  Laplace  et  écrit  YHIstoire  universelle  de  In  yaliirc  et  théorie 
du  Ciel  (17.33?).  Les  Remarques  pour  l'explication  de  la  théorie  des 
vents  ramènent  ceux-ci  à  des  courants  atmosphériques,  à  des  difi'é- 
rences  de  température  et  par  une  idée  neuve  rattachent  la  direction 
des  moussons  à  la  rotation  de  la  terre.  En  17.~>G,  Kant  commence 
la  série  de  ses  écrits  métaphysiques.  C'est  d'abord  l'explication 
nouvelle  des  premiers  principes  de  la  connaissance  métaphysique 
(Ho.")).  Il  n'y  a  guère  moyen  de  grefl'er  les  lois  de  l'attraction  et 
de  la  répulsion  sur  l'Iiarmonie  préétablie  de  Leibnitz  et  l'occasionna- 
lisme  de  Malebranche,  car  elles  impliquent  communauté  et  récipro- 
cité d'action  entre  les  êtres.  Kant  après  avoir  maintenu  le  principe 
d'identité  comme  règle  du  possible  espère  saisir  le  réel  à  l'aide  du 
principe  de  raison  suffisante  ou,  comme  il  parle,  de  raison  détermi- 
nante. Il  le  dédouble  en  principe  de  raison  antérieurement  déter- 
minante qui  concerne  l'existence,  et  en  principe  de  raison  posté- 
rieurement déterminante  qui  concerne  la  connaissance.  11  découle 
de  cette  distinction  que  de  la  seule  idée  d'un  être  on  ne  peut  con- 
clure son  existence,  et  que  l'argument  ontologique  est  ruiné.  Mais 
Kant  n'en  continue  pas  moins  à  reconnaître  la  possibilité  du  dogma- 
tisme scholastique  et  de  la  métaphysique,  ainsi  que  le  montre  bien  le 
court  et  médiocre   0i)uscule  intitulé    :    Quelques  considrvdtious  sur 


406  Eugène  BEURLIER 

l'optimisme,  écrit  à  propos  de.  la  querelle  suscitée  par  le  tremble- 
ment de  terre  de  Lisbonne.  Durant  quatre  années,  Kant  se  recueille, 
puis,  coup  sur  coup,  il  publie  :  La  fausse  sublililé  des  qunlre  figures 
du  si/llugisme  dans  lequel  il  prétend  ramener  à  la  première  les  autres 
figures  du  syllogisme,  dénonce  en  celui-ci  le  simple  développement 
d'un  concept,  et  affirme  Firréduclibilité  de  la  faculté  de  juger  à  la 
faculté  de  sentir;  ['/nlnnlurlion  des  qunntilés  7ii^fjfi tires  en  philosophie 
où  il  met  en  relief  la  différence  extrême  des  principes  d'identité  et  de 
raison  suffisante;  le  premier  faisant  du  jugement  logicpie  une  stérile 
tautologie,  le  second  unissant  deux  termes  non  seulement  hétéro- 
gènes mais  même  contradictoires,  puisque  lellet  anéantit  en  tout  ou 
en  partie  la  cause.  Cette  contradiction  dans  le  réel  est  originale,  car, 
à  l'inverse  de  la  coutradiclion  logi(jue  ou  négative,  elle  permet  aux 
contradictoires  de  coexister,  comme  en  mathématiques  coexistent  les 
quantités  négatives  à  côté  des  positives  dont  elles  ne  sont  pas  sim- 
plement la  négation.  Kant  se  croit  en  droit  d'en  déduire  que  à  toute 
grandeur  positive  correspond  ime  grandeur  négative  équivalente  et 
que  le  monde  —  un  rien  par  lui-même  —  suppose  en  dehors  de  lui 
une  volonté  dont  il  tient  l'être.  Le  divorce  entre  les  deux  principes 
rationnels  est  consommé,  et  Kant  a  rompu  avec  la  méthode  d'explica- 
tion rationnelle. 

A  la  date  à  laquelle  nous  sommes  parvenus  la  pensée  de  Kant  tra- 
verse une  crise  décisive.  Éveillé  jiar  Hume  de  sa  quiétude  dogma- 
tique, il  incline  vers  l'empirisme.  Il  se  proposait  de  donner  un  com- 
l)lément  métaphysique  à  son  Histoire  universelle  de  la  nature  dans 
Y  Unique  fondement  d'une  di'monstration  possible  de  l'cxistrnre  de  Dieu. 
et  ce  n'est  pas  sans  un  certain  embarras  qu'il  y  achève  la  critique  de 
la  théologie  rationnelle,  commencée  en  17.jo.  SuiA-ant  une  marche 
opposée  à  celle  de  l'argument  ontologi(iue,  il  faut  aller  de  l'existence 
de  Dieu  à  son  concept.  Comment?  Les  arguments  traditionnels  im- 
pliquent la  preuve  ontologique,  ils  sont  donc  entraînés  dans  sa  ruine  ; 
mais  Kant  estime  en  avoir  découvert  un  nouveau  :  le  possible  est 
donné  en  même  temps  que  la  pensée,  or,  ce  possible  implique,  sup- 
pose l'être,  car  si  Dieu  n'existait  pas,  rien  n'existerait  et  par  consé- 
quent rien  ne  serait  possible.  De  cette  nécessité  de  l'être  divin  Kant 
tire  ses  attributs  ;  unité,  simplicité,  immutabilité,  éternité.  Les  Prin- 
cipes de  Ihéoliirjie  naturelle  et  de  j)!om/«  achèvent  la  déroute  de  la  mé- 
thode a  priori  en  matière  de  métaphysique.  Cette  méthode  est  valable 
en  mathématique,  attendu  que  celle-ci  construit  ses  définitions  et  les 
lie  arbitrairement  à  l'aide  de  la  synthèse,  mais  elle  est  impuissante 
en  métaphysique  où  le  donné  est  trop  complexe  pour  que  la  décom- 


KÀXT.  PAR  Théodobe  ULYSSEN  lO"! 

]iosition  (Ml  |)iiissc'  ùtre  U'i-iiiini'i'.  La  mt'laphysiriue  se  servira  donc  de 
rçxiH'i'iLMU'e  sons  la  forme  de  la  conscience  immédiate  el  de  son  auxi- 
liaire la  déduction.  Kant  fait  une  application  intéressante  de  celte  mé- 
I  liode  à  la  morale.  Tandis  que  de  la  formule  n  tu  dois  »  ou  peut  déiluire 
l'dhligatiou,  le  sentiment  intérieur  révèle  ce  que. le  devoir  commande. 
G  est  encore  l'exiiérience  qui  fait  les  frais  des  Oh^cvralinns  sur  le  sen- 
liment  du  beau  el  du  sublime  où  l'on  relèvera  la  distinction,  d'ailleurs 
sui)erticielle,  des  deux  grandes  espèces  dn  beau,  le  caractéristique  de 
la  vertu  cherchée  dans  la  jiénéralilé  des  principes  inspirateurs  de  la 
conduite,  à  savoir  le  sentiment  de  la  beaiili''  et  de  la  dignité  de  la 
nature  humaine,  et  des  essais  de  psychologie  individuelle,  sociale, 
des  sexes,  nationale,  etc.  Les  rêves  d'un  visionnnire  e-rfiliquès  par 
les  rêves  de  la  rnélaphysir/ue  exiiliquent  par  dos  hallucinations  les 
jirétendues  facultés  mystérieuses  de  l'illuminé  Swedenborg  (vision  à 
distance,  commerce  avec  les  morts,  dédoublement  de  la  personnalité), 
el  idenlilienl  à  ces  hallucinations  celles  auxquelles  sont  sujets  les 
métaphysiciens,  que  leurs  rêves  individuels  égarent  en  un  pays  de 
cocagne.  Certes,  il  y  a  une  communication  des  esprits.  Ils  sont  les 
sujets  d'une  loi  d'universelle  dépentlance,  el  le  sentiment  moral  n'est 
pas  autre  chose  que  le  sentiment  de  la  subordination  des  volontés 
particulières  à  une  volonté  universelle.  Mais  que  la  métaphysique  ne 
s'aventure  pas  dans  la  région  de  l'inconnaissable  el  qu'elle  se  con- 
lenle  d'être  la  science  des  limites  de  la  raison  humaine!  .\vec  cet 
ouvrage  finit  la  période  antécrilique. 

De  son  voyage  à  travers  les  doctrines  de  son  temps,  Kant  a  rap- 
])orlé  trois  principales  idées  :  la  croyance  à  la  certitude  de  la  science 
et  de  la  morale,  le  double  procédé  analytique  et  synthétique  de  la 
pensée  humaine,  l'indépendance  et  la  primauté  du  sentiment  moral. 
Le  [jroblème  auquel  il  va  s"alla(iuer  est  celui  de  la  connaissance  :  il 
veut  fonder  la  théorie  de  la  science.  L'étude  de  ce  sujet  capital  l'ab- 
sorbe j)endaut  dix  ans  (1770-1781).  De  ses  laborieuses  méditations 
sort  la  Critique  de  lu  /(ais(jii  pure  qui  ouvre  la  série  des  œuvres  cri- 
tiques. Elle  sera  suivie  des  Prolé/jomènes,  où  l'hypothèse  criticiste 
est  exposée  à  nouveau,  mais  cette  fois  d'une  façon  analytique  ;  de  la 
Critique  de  la  Itaisan  pratique,  qui  établit  que  la  ruine  de  la  métaphy- 
sique dogmatique  laisse  intacte  la  morale;  delà  Critique  du  juge- 
ment destinée  à  combler  une  lacune  de  la  Ilaisuu  jiure  et  à  expliquer  le 
jugement  rétléchissant  en  matière  de  beau  et  de  finalité;  enfin  des 
ouvrages  dans  lesquels  Kant  travaillera  à  édifier  la  seule  méta[iliy- 
sique  rendue  possible  par  la  critique  :  celle  de  la  nature  phénomé- 
nale à  l'aide  des  lois  suprêmes  du  mouvement  (J'remiers  jjriucipes 


108  Eugène    BEL'RLIER 

mrlaphijxiqups  dr  la  nature,  h'cnns  di'  mrlapinjsirjiie)  et  celle  de  la 
liberté  (Fondements  de  la  métaphysique  des  mœurs.  Doctrine  du 
droit  et  de  la  vertu)  et  les  écrits  pédagogiques  ainsi  que  le  Projet  de 
paix  perpétuelle. 

A  partir  de  la  Crilifjne  de  la  lia'isnn  pure,  le  Kant  définitif,  le  vrai 
Kant,  le  Kant  dont  il  s'agissait  d'exposer  objectivement  le  système 
est  à  nous.  C'est  une  tache  toujours  difficile  et  singulièrement  délicate 
que  celle  de  dégager  la  véritable  pensée  d'un  philosophe,  pour  jieu 
qu'elle  ait  de  profondeur.  Quel  danger  l'interprète  ne  court-il  pas  de 
substituer  ses  propres  tonceptions  aux  conceptions  del'auteur.d'allé- 
rer  celles-ci  en  les  [)liaut  <à  ses  habitudes  personnelles  d'esprit,  et  en 
les  ajustant  au  biais  de  ses  préoccupations!  Le  philosophe  a-t-il  man- 
ipié  de  clarté,  ses  théories  sont-elles  en  partie  énigmatiques?  Avec 
(lueiie  facilité  naîtra  en  lui  la  tendance  à  les  convertir  en  simple 
occasion  de  faire  preuve  d'ingéniosité  et  d'originalité!  VA  si,  de  plus, 
les  historiens  de  la  philosophie  comprennent  l'œuvre  différemment, 
([uelle  tentation  d'ajouter  une  interprétation  de  plus  aux  interpréta- 
lions  anciennes!  Kant,  dont  le  texte  est  d'autant  plus  obscur  qu'il 
s'efforce  davantage  de  l'éclaircir  et  dont  les  commentateurs  ne  s'en- 
tendent pas,  soumet  ses  interprètes  à  une  épreuve  particulièrement 
rude.  Louons  donc  M.  Ruyssen  d'avoir  su  éviter  les  écueils  dont  sa 
route  était  semée.  Uni(juement  soucieux  de  bien  entendre  la  i)hiloso- 
phie,  respectueux  de  la  lettre  et  intelligent  de  l'esprit  de  ses  écrits, 
informé  aussi  des  explications  qui  ont  été  proposées  du  système,  il  a 
discrètement  effacé  sa  personnalité  devant  celle  de  son  héros,  et  au 
lieu  de  chercher  à  briller  par  l'invention  d'un  Kantisme  inédit,  il  s'est 
contenté  de  mettre  en  lumière  le  Kantisme  de  Kant.  On  sent  que  son 
dessein  a  été  de  donner  an  lecteur  riini)ression  qu'il  a  affaire  à  Knnt 
lui-même  :  c'est  ainsi  (pu'  nous  expliipions  l'absence  de  tout  essai  de 
justification  pour  appuyer  son  intci-prétation  et  de  toute  discussion 
relativement  aux  points  généralement  controversés  :  car  nous  ne  con- 
sidérerons pas  connue  telles  les  deux  courtes  notes  placées  en  appen- 
dice. 

Quel  est  donc  le  Kant  qui  nous  apparaît  en  cette  remarquable 
élude?  On  n'attend  pas  de  nous,  évidemment,  que  nous  résumions  le 
copieux  résumé  de  M.  Ruyssen.  Etcependant,  puisqu'à  notre  tour  nous 
faisons  un  compte  rendu  objectif,  notre  devoir  est  de  dire  cori.ment 
il  a  compris  la  doctrine  dont  il  s'était  constitué  le  vulgarisateur.  Si 
l'on  néglige  les  nuances  et  les  détails,  il  y  a  deux  Kant  selon  les  com- 
mentateurs; celui  de  Kuno  Fischer,  de  Beuno  Erdmann  et  de  Scho- 
penhauer,  qui  recule  de  l'idéalisme  jusqu'au  réalisme  par  une  rétrac- 


KANT,  PAR  Théodore  HUYSSEN  109 

tiitiou  à  demi  inconsciente  oii  hypocrite,  et  celui  de  M.  Boulroux 
pleinement  conscient  de  la  signilicalion  profonde  de  sa  doctrine,  qu'il 
maintient  jusqu'au  bout  sans  infidélité.  C'est  ce  dernier  qui  s'est  révélé 
à  M.  Ruyssen.  Convaincu  de  la  certitude  de  la  science  expérimentale  — 
dont  Newton  a  produit  un  exemplaire  accompli  dans  sa  Physique  — 
et  de  la  certitude  de  la  morale,  Kant  pari  de  leur  existence  comme  de 
choses  données,  comme  de  faits,  que  le  philosophe  a  pour  mission 
non  pas  de  révoquer  en  doute,  mais  de  constater  et  d'expliquer.  Il  y 
parviendra  s'il  est  en  mesure  d'établir  une  théorie  de  la  connaissance 
qui  les  justifie  également.  Or,  toutes  deux  sont  compromises  par  le 
rationalisme  classique  non  moins  que  par  l'empirisme  de  Hume.  De 
renseignement  du  philosopiie  anglais  un  point  cependant  est  à  rete- 
nir :  la  nature  syntliéti(iue  du  principe  de  causalité.  Est-il  le  seul  à 
posséder  ce  caractère?  L'analyse  des  diverses  espèces  de  la  connais- 
sance permet  bientôt  à  Kant  d'en  démêler  de  pareils  en  tous  les 
modes  de  spéculation,  en  matliématique,  en  métapliysique,  en  morale 
comme  en  physique.  C'est  seulement  grâce  à  eux  que  nous  sommes 
capables  de  connaître  le  réel.  Comment  donc  des  principes  synthéti- 
ques qui  lient  des  choses  hétérogènes  d'un  lien  de  nécessité,  sont-ils 
possibles,  c'est-ii-dire  certains  a  priori?  Voilà  le  problème  que  doit 
résoudre  la  théorie  de  la  connaissance.  Les  anciens  et  les  modernes, 
jusqu'à  Kant,  ignorants  de  l'existence  en  l'esprit  de  principes  synthé- 
tiques, ont  admis  que  cet  esprit,  soit  dans  la  représentation  du  relatif, 
soit  dans  l'intuition  de  l'absolu,  se  réglait  sur  les  choses.  Copernic  de 
la  philosophie,  Kant  va  renverser  ce  point  de  vue  et  c'est  d  la  nature 
de  l'esprit  qu'il  va  rattacher  les  principes  du  connaître  et  du  faire. 
L'esprit  peut  connaître  et  opérer  a  priori  des  liaisons  synthétiques 
parce  qu'en  le  faisant  il  ne  fait  qu'obéir  à  ses  propres  lois,  à  ses  lois 
et  formes  constitutives.  Puisque  ces  lois  et  formes  appartiennent  au 
sujet,  il  faut  en  prendre  son  parti,  elles  l'enferment  en  lui-même,  lui 
interdisent  la  connaissance  des  choses  telles  qu'elles  sont  en  soi,  des 
noumènes,  et  ne  lui  fournissent  que  la  représentation  des  phéno- 
mènes :  la  véritable  théorie  de  la  connaissance  est  un  idéalisme  trans- 
cendantal  qui  est  aussi  un  réalisme  empirique. 

Cet  idéalisme  sauve  la  science  et  la  métaphysique  elle-même,  mais 
contre  les  métaphysiciens.  Il  sauve  la  science.  Deux  grands  éléments 
sont  à  distinguer  dans  la  connaissance  :  la  matière  et  la  forme.  La  ma- 
tière est  constituée  par  le  divers  de  la  sensation  qui  revèl  lui-même 
les  formes  nécessaires  et  universelles  d'Espace  et  de  Temps,  condi- 
tions indispensables  à  la  perception  sensible,  externe  et  interne,  anté- 
rieures par  conséquent  à  elle,  valables  pour  les  phénomènes,  attendu 


1,0  Eugène  BELRLIER 

que,  sans  elles,  nous  n'en  aurions  pas  l'inluition.  La  forme,  c'est  la 
liaison  intelligible  du  divers  représenté  dans  l'intuition.  Hlle  est  due 
aux  catégories  c'est-ù-dire  aux  concepts  qui  expriment  les  lois  de 
l'entendement,  faculté  spontanée  de  liaison  intelligible  dont  l'opéra- 
tion originale  est  le  jugement.  Il  est  donc  facile  de  tirer  de  la  table 
renfermant   les  espèces   du  jugement  logique   la  liste   des  formes 
correspondantes  de  l'entendement  constitutif,  de  cet  entendement 
qui,  appliquant  ses  catégories  aux  formes  pures  de  la  sensibililé, 
à  l'e.space  et  au  temps,  unit  les  phénomènes  par  des  ra|iports,  confor- 
mément à  des  principes  synthétiques  qui  sont  a  prinfi.  cest-à-dire 
nécessaires  et  universels.  Mais  l'application  des  catégories  aux  phé- 
nomènes est-elle  bien  b'gitimc?  Oui,  car  le  sujet  implique  l'objet  et  il 
n'y  a  pas  d'objet  sans  la  liaison  nécessaire  et  universelle  des  phéno- 
mènes réglée  suivant  les  catégories  de  l'entendement.  —  Il  sauve  la 
métaphysique,  —  non  pas  assurément  celle  de  l'ancien  dogmatisme, 
puisque,  en  l'absence  d'une  iulnilion  des  choses  en  soi,  nous  sommes 
iuq)uissants  à  savoir  .si'  et  ronniu'iil.  les  catégories  leur  seraient  appli- 
cables, et  qu'à  vouloir  faire  (piand  même  une  telle  application,  la  rai- 
son, au  lieu  de  saisir  l'absolu  qu'elle  poursuit,  ne  réussit  qu'à  tomber 
dans  les  paralogisme's  de  la  psychologie  ralionnelle,  à  s'embarrasser 
<lans  les  antinomies,  à  jin-udre  ce  que  la  pensée  ne  lui  montre  qu'à 
titre  d'idéal,  pour  un  être  dont  la  réalité  serait  démontrée,  —  mais  la 
métaphysique  du  phénomène  ipii  déduit  des  principes  su])rèmesde  la 
ct)nnaissance  les  lois  f(uidamentales  du  mouvement  dans  leurs  rela- 
tions aux  catégories,  el  la  métaphysique  de  la  liberté. 

De  même,  en  efl'et,  ([ue  Kant  estime  avoir  rendu  compte  de  l'exis- 
tence de  la  science  el  légitimé  une  certaine  métaphysique,  il  croit 
aussi  ])lacer  la  morale  hors  de  toute  contestation.  De  l'observation  de 
la  con.science  il  dégage  la  forme  du  devoir,  la  distingue  en  tant 
<]u'impératif  catégorique  et  universel,  c'est-à-dire  rationnel,  de  rim|)é- 
ratif  liyiiothétique,  la  rattache  à  la  volonté  définie  i)ar  la  faculté 
supérieure  de  désirer  connue  l'acte  à  la  cause,  oppose  l'autonomie  de 
cette  volonté  à  l'hétéronomie  des  désirs  inférieurs  en  quête  d'olijets, 
donc  d'une  matière,  trouve  dans  la  loi  morale  la  preuve  de  la  liberté 
dont  la  critique  de  la  Raison  pure  admettait  la  po.ssibilité  mais  dont 
elle  renonçait  à  démontrer  la  réalité;  el  s'il  se  déclare  impuissant 
à  expliquer  connnent  se  i>eavenl  concilier  le  déterminisme  de  nos 
résolutions  et  la  liberté  de  la  volonté  pure,  du  moins  espère-t-il  être 
<'ii  droit  de  les  maintenir  l'un  el  l'autre  au  moyen  de  la  distinction 
entre  l'homme-phénomène  et  l'homme-noumène.  Forme  pour  le 
devoir,  i-epousse  tout  objet,  car  un  objet,  comme  tel,  relève  toujours 


yv.l.VT,  l'Ail  TnKODOiiE  «L'YSSEN  Hi 

lie  r;iin(uir-]ii'(i|ii'<' ;  cl  cein'iulaiil  ce  devoir  a  une  nialièrc  :  la  lihrrh'' 
luèniecle  la  \()lnii:i'\  (|ui  est  la  législatrice  de  la  loi  morale  el  ijiii  l'ait 
ilii  sujel  où  elle  réside  une  fin  en  soi,  un  être  sacré.  Voulu  pour  hii- 
uiéuie,  par  respect,  c'esl-à-dire  par  ce  sentiment  qui  dénote  notre 
dépendance  à  l'égard  du  devoir  même  en  laul  (|u"individus,  l'impératif 
(■alégori(iue  introduit  en  nous  la  moralité  rpii  consiste  en  la  bonne 
volonté  el  ([uil  convient  de  ne  pas  confondre  avec  la  légalité,  ou  cou- 
l'ornuté  simplement  extérieure  de  la  conduite  aux  préceptes  de  la  loi 
morale.  La  bonne  volonté  est  le  vrai  bien,  mais  on  n'en  doit  pas  con- 
clure qu'elle  remplit  le  concept  entier  du  bien.  Le  souverain  bien 
serait  l'accord  de  la  vertu  et  du  bonheur.  Dans  notre  monde  on  ne 
doit  |ias  pratiquer  le  devoir  en  vue  du  bonheur,  et  la  vertu,  tant  s'en 
laul,  n'obtient  pas  sa  récompense  :  de  quelle  façon  se  résoudra  l'auli- 
nomie?  Par  la  vie  future  dans  b-upielle  notre  àme  immortelle  conti- 
nuera de  se  perfectionner,  par  Dieu  (jui  dans  cette  existence  nouvelle 
réalisera  le  souverain  liiiMi.  J.,'iuHU(irtalité  de  l'àme,  l'existence  de 
Dieu  deviennent  ainsi,  grâce  à  la  loi  morale,  non  i>as  des  objets  de 
ctuinaissauee  (puisque  nous  n'avons  |>as  d'intuition  de  l'àme  ni  de 
Dieu,  mais  des  objets  de  foi  rationnelle,  c'est-à-dire  fondée,  garantie  : 
la  Crilvjui'  di'  la  Itaismi  pr/ilMjui'  ne  supprime  pas  les  conclusions  de 
la  Cril'Kjui'  de  lu  liaison  pure;  mais  elle  affirme  à  son  point  de  vue  qui 
est  celui  de  l'action  ce  que  celle-ci  laissait  indécis  au  sien  qui  esl  relui 
de  la  connaissance,  de  la  science. 

De  ce  système  aux  contours  si  arrêtés,  M.  Ruyssen  nous  convie  à 
admirer  la  richesse,  la  variété,  l'unité  —  unité  d'esprit  :  la  raison 
humaine  n'y  reconnaît  d'autre  juge  que  la  raison  humaine;  elle  se 
prononce  en  faveur  d'un  rationalisme  bien  distinct  de  celui  des  méta- 
idiysiciens  dogmatisles,  puisque  tout  en  traçant  à  notre  pensée  d'in- 
franchissables limites  [iine  celle-ci  trace  elle-même,  il  est  vrai),  il 
l'empêche  de  s'abîmer  dans  le  scepticisme  et  lui  assure  la  certitude  di' 
la  science  et  de  la  morale  ;  —  unité  de  méthode,  méthode  qui  va  de 
l'esprit  aux  choses,  de  la  raison  siiéculative  aux  phénomènes,  de  la 
raison  [iratique  à  l'action,  ipii  [lar  une  analyse  transceudantale  assigne 
au  double  usage  de  la  raison  ses  conditions,  détermine  a  priori  les 
principes  essentiels  du  savoir,  la  loi  de  la  moralité,  celle  de  la  vertu, 
de  la  société,  de  la  paix  perpétuelle;  — unité  de  doctrine,  en  dépit  de 
certaines  ap[iarences  :  les  divergences  des  commentateurs  s'expli- 
(|ueul  par  les  obscurités  indéniables  du  texte  ;  quant  à  celles  des  doc- 
trines issues  du  kantisme,  elles  sont  les  résultats  de  la  diversité  des 
disciples.  Jamais  Kant  n'a  eu  conscience  d'une  contradiction  intime 
entre  les  résultats  de  sa  doctrine  de  la  raison  théorique  et  celle  de  la 


112  Eugène  BEURLIER 

raison  pratique.  Toujours  il  a  affirmé  le  dualisme  de  la  nature  et  de  la 
liberté,  et  s'il  a  cru  au  nom  du  devoir,  ce  qui  pour  la  science  demeurait 
problématique,  il  avait  prévu  que  la  foi  rationnelle  pourrait  conduire 
notre  pensée  au-delà  des  bornes  de  la  science. 

Que  la  richesse  et  la  variété  des  idées  soient  au  nombre  des  carac- 
tères et  des  mérites  du  Kantisme,  nous  ne  songeons  nullement  à  le 
contester  ;  pour  ce  qui  est  de  l'unité,  la  question  demande  à  être  exa- 
minée de  près.  Certes,  nous  accordons  sans  peine  rpie  le  système  de 
Kant  est  un  tout  bien  lié,  un  organisme  dont  les  parties  se  répondent, 
sauf  à,  faire  toutes  les  réserves  de  droit  sur  la  solidité  de  tel  ou  tel 
organe  particulier.  Mais  des  réserves  d'une  autre  nature  ne  s'imi>o- 
sent-elles  pas?  Il  nous  paraît  que  dans  le  Kantisme,  considéré  comme 
doctrine  de  la  connaissance,  se  rencontre  un  élément  qui  n'aurait  pas 
du  y  trouver  place.  C'est  ce  qu'on  remarque,  lorsque  l'on  discute  l'idéa- 
lisme kantien  et  sa  position  par  rajjport  à  la  réalité  des  corps  en 
tant  que  choses  en  soi.  A  pro()Os  de  l'existence  du  monde  des  corps 
comme  noumènes,  deux  reproches  principaux  ont  été  adressés  à  Kant. 
Benno  Erdmann,  Kuno  Fischer,  Schopenhauer  ont  soutenu,  de  façons 
diverses,  que  Kant,  a[irès  avoir  rejeté  cette  existence  dans  la  première 
édition  de  la  Critique  dr  la  llnisun  purf,  l'avait  rétablie  dans  les  Pro- 
lêgoimnes  et  la  deuxième  édition  de  la  Critique,  afin  tléviler  l'identi- 
fication de  son  idéalisme  à  l'idéalisme  berkeleyen.  Jacobi,  de  son 
côté,  l'accuse  de  n'avoir  admis  la  réalité,  objet  du  débat,  que  par  un 
abus  de  la  catégorie  do  causalité,  lar|uelle,  étant  déclarée  valable 
pour  les  seuls  phénomènes,  ne  saurait  être  employée  à  la  démonstra- 
tion de  l'absolu.  Les  interprètes  qui  admirent  dans  le  Kantisme  une 
profonde  et  rigoureuse  unité,  sont  tenus  de  justifier  Kant  de  ces  deux 
griefs. 

Touchant  la  première  accusation,  il  nous  semble  qu'à  la  suite  de 
M.  Boutroux,  M.  Ruyssen  pense  que  Kant  sort  facilement  vainqueur. 
M.  Ruyssen  rappelle  que  le  philosophe  de  Kœnigsberg  a  protesté  avec 
énergie  de  la  perpétuité  de  sa  croyance  à  la  réalité  du  monde  sensible 
entendue  comme  existence  indépendante  de  nos  représentations  des 
corps,  que,  pour  lui,  les  corps  sont  les  principes  inconnaissables  en 
eux-mêmes,  mais  certains  quant  à  leur  existence,  de  nos  sensations, 
et  que,  si  le  système  ne  démontre  pas  celte  existence,  du  moins  il  la 
postule.  C'est  ici  qu'il  s'agit  de  bien  s'entendre.  Nous  sommes  con- 
vaincu que  Kant  n'a  jamais  professé  cette  espèce  d'idéalisme  qui  nie 
la  réalité  en  soi  des  corps.  Cette  réalité,  il  l'admettait  au  moment  où, 
placé  au  point  de  vue  du  sens  commun,  il  conçut  son  hy[)Othèse  sub- 
jectiviste;  il  continua  de  l'admettre,  cette  hypothèse  une  fois  faite 


Jv-l.Yr,  PAR  Théodore  ULYSSEN  H3 

cl  (It'-velnppce  en  tliéorie  délinilive  de  la  connaissance  ;  et  c'est,  selon 
nous,  justement  en  quoi  il  eut  tort,  parce  cpi'alors  il  pécha  contre  la 
logique.  L'existence  du  noumène  matériel  est  un  postulat  de  Kant  ; 
ce  n'est  [)as  un  postulat  de  la  théorie  kantienne  de  la  connaissance. 
Expliquons-nous.  Le  mot  postulat,  chez  Kant,  reçoit  deux  grandes 
acceptions.  Un  postulat,  d'après  le  sens  le  plus  original,  est  d'abord, 
à  ses  yeux,  l'objet  d'une  croyance  rationnelle,  c'est-à-dire  fondée, 
mais  enlin,  d'une  croyance;  en  d'autres  termes,  c'est  un  objet  dont 
la  réalité  est  garantie  par  la  loi  suprême  de  l'action,  le  devoir.  Le 
devoir  requiert  l'objet  d'un  postulat,  non  pas  à  titre  de  condition  de 
son  existence,  mais  comme  condition  nécessaire  à  l'achèvement  de 
la  pratique  qu'il  impose.  Telle  est  l'àme  immortelle;  tel  est  Dieu.  Du 
noumène,  objet  d'un  postulat,  il  n'y  a  pas  de  science  :  l'existence, 
l'essence,  le  rapport  aux  phénomènes  en  échappent  à  la  connaissance 
théorique.  11  est  clair  que  l'existence  des  corps  délinis  en  tant  (jue 
choses  en  soi  n'est  pas  l'objet  d'un  tel  postulat,  puisqu'elle  sert  de 
principe  à  la  doctrine  de  la  science.  Un  deuxième  sens  du  mot  postu- 
lat se  relève  dans  la  Critique  de  la  Raison  pure,  et  lui  fait  désigner 
les  principes  qui  régissent  l'application  de  la  catégorie  de  modalité 
aux  phénomènes  et  nous  instruisent  des  conditions  du  possible,  du 
réel  et  du  nécessaire  phénoménal.  Ce  n'est  pas  non  plus  un  postulat 
de  ce  genre  qu'on  nous  présente  avec  la  réalité  du  monde  sensible. 
Le  postulat  dont  il  s'agit  est  un  postulat  au  sens  ordinaire  du  mot, 
quelque  chose  qu'on  ne  démontre  pas,  mais  dont  on  croit  avoir  besoin 
pour  rendre  compte  d'antre  chose,  —  dans  le  cas  qui  nous  occupe, 
du  divers  de  la  sensation:  —  bref,  c'est  tout  simplement  une  hypo- 
thèse. Quel  système  n'a  ses  hypothèses?  Encore  est-il  que  ces  hypo- 
thèses doivent  s'adapter  respectivement  aux  systèmes  qui  les  adopti'ut. 
Il  n'en  va  pas  ainsi  du  postulat  kantien  concernant  l'existence  du 
noumène  corporel.  Celui-ci  réjjugne,  au  contraire,  à  la  doctrine  criti- 
ciste  de  la  connaissance.  La  raison  spéculative  peut  recevoir,  reçoit 
en  fait,  deux  grands  usages,  l'un  immanent,  l'autre  transcendant.  Le 
premier  consiste  à  appliquer  la  catégorie  aux  phénomènes,  application 
en  vertu  de  laquelle  le  multiple  et  le  divers  de  la  sensation,  revêtu 
déjà  des  formes  a  priori  de  la  sensibilité  et  devenu  objet  d'intuition, 
est  transformé  en  objet  de  pensée.  Le  réalisme  qui  en  résulte  n'est 
qu'empirique,  et  l'idéalisme  qui  le  rend  possible  n'est  que  transcen- 
dantal.  Par  le  second,  l'esprit,  soucieux  de  trouver  la  totalité  des 
conditions  des  phénomènes,  conçoit  l'absolu.  L'usage  immanent  des 
catégories  de  l'entendement  est  légitime,  car  ces  catégories  sont  les 
lois  des  intuitions  ou  des  phénomènes,  en  même  temps  que  les  lois 


dl4  Eugène  BEURLIER 

dr  rcntcndeineiil  lui-niènie;  mais  Tusage  trnnsceiulanl  esl  ill('jj,itiine 
parce  que  l'intuition  de  laljsolu  nous  faisant  défaut,  sous  le  nom 
d'absolu  c'est  au  néant  ([ue  nous  avons  affaire,  sans  nous  en  douter. 
Il  n'y  a  pas,  il  ne  peut  i)as  y  avoir  de  connnerce  léf^ilinie  enlre  notre 
raison  théorique  et  l'absolu.  Si  cela  esl  exact,  de  quel  droit  donc 
Kant  postule-t-il  l'existence  des  corjis  comme  choses  eu  soi,  c'est-à- 
dire  comme  absolu?  Du  droit,  dira-t-on,  de  l'Iiypotlièse  criticiste 
elle-même  qui,  si  on  supprime  la  distinction  du  i)hénomène  et  du 
noumène,  n'a  plus  aucune  signification.  Cette  réponse  repose  sur  une 
équivoque.  Il  esl  vrai,  nous  l'avons  vu,  qu'à  l'époque  oii  son  hypo- 
thèse lui  vint  à  l'esprit,  Kant  devait,  du  point  de  vue  du  sens  commun, 
donner  au  principe  de  la  théorie  qu'il  allait  édifier,  la  forme  d'une 
opposition  de  la  connaissan(;e  du  phénomène  à  celle  du  noumène  ; 
mais  il  est  vrai  aussi  ({u'à  dérouler  les  conséquences  de  l'hypothèse 
el  à  exécuter  le  système,  Kant  eût  dû  s'apercevoir  que  cette  opposition 
ne  pouvait  être  maintenue  :  le  principe  de  la  doctrine  a]ipelait  une 
expression  mieux  en  harmonie  avec  lui.  Nous  sommes,  selon  Kant, 
enfermés  en  nous-mêmes;  nous  ne  pouvons  rien  nous  représenter 
que  par  les  formes  de  notre  sensibilité  et  de  notre  entendement.  Au 
fait,  y  a-t-il  donc  autre  chose  que  ces  représentations?  Voilà  une 
question  à  lacjuelle  la  théorie  kantienne  de  la  connaissance  nous 
interdit  de  formuler  jamais  une  réponse.  Il  ne  faut  plus  dire  par  con- 
séquent que  nous  sommes  dans  l'inqiossijjililé  de  sortir  de  nous  ]iour 
saisir  ce  (jui  n'est  pas  nous;  il  faut  dire  ([ue  la  constitution  même  du 
sujet  (jue  nous  sommes  nous  laisse  ij^uorer  s'il  y  a  qui'lque  chose  (jui 
ne  soit  pas  nous.  Cepeinlanl,  dira-l-on,  le  divers  de  la  sensation  sub- 
siste, et  la  sensibilité,  qui  esl  réceptivité  pure,  implique  quelque  chose 
qui  la  suscite  en  elle  ;  autrement,  il  resterait  sans  explication.  Peut- 
être,  en  elFet,  rcstera-t-il  inexpliqué  ;  ])eut-élre,  d'un  autre  coté,  pourra- 
l-il  devenir  intellifçible  si  l'ini  essaie,  comme  Ficlite  l'a  tenté,  de  l'aire 
produire  la  matière  de  la  connaissance  i)ar  le  moi  lui-même.  El, 
a|)rès  tout,  serait-il  donc  plus  étrange  d'admettre  que  le  moi  esl  jusque 
dans  la  perception  sensible  passif  par  rapi)ort  à  lui-même,  que  d'ad- 
mettre la  spontanéité  absolue  de  notre  inlelligence  limitée  I  Quoiqu'il 
on  soit,  un  point  est  hors  de  débat  :  c'est  que  le  Kantisme  n'a  pas  le 
droit  de  postuler,  en  tant  que  théorie  de  la  connaissance,  un  principe 
qui  le  contredise.  Le  monde  extérieur,  comme  chose  en  soi,  ne  peut 
être  traité  ni  rangé  par  le  Kantisme  que  parmi  les  réalités  transcen- 
dantes dont  l'existence,  n'étant  pas  et  ne  pouvant  pas  èti'e  scientifi- 
quement établie,  n'a  aucun  titre  à  être  affirmée. 

Cette  conclusion  apparaît  mieux  l'ondée  encore  si  l'on  examine  le 


KAyr,  PAR  TiiKODORE  RUYSSl'X  115 

second  rpiiroclio  ailressé  à  Kaiit  et  la  réponse  que  (|uelf|Mes-uns  |)ré- 
sentenl  pour  justifier  le  iJJiilosoplu'.  Jaeobi  estime  que  Kantaviolé  sa 
propre  doctrine  en  faisant  de  la  catégorie  de  la  causalité  une  application 
transcendante  afin  de  remonter  des  ])liénomènes  matériels  aux.  corps 
qui  les  suscitent  en  notre  sensibilité.  MM.  Boutrnux  et  Ruyssen,  sans 
prétendre  écarter  complètement  le  grief,  croient  l'atténuer  en  partie 
en  disant  que  Kant  n'admet  jias  entre  les  corps,  choses  en  soi,  et  les 
phénomènes  sensibles,  une  relation  de  causalité  qui  relèverait,  en 
effet,  du  seul  usage  immanent  de  la  catégorie  appliquée,  mais  une 
relation  indéfinissable  et  demeurée  sans  définition.  En  vérité,  la  réponse 
est  subtile,  mais  saus  force.  Kant,  c'est  bien  notre  avis,  n'a  pas  fait 
un  usage  exprès  et  explicite  de  la  catégorie  de  causalité  pour  remonter 
des  phénomènes  sensibles  aux  corps  en  tant  que  noumènes;  ayant 
admis  dès  le  début  ces  noumènes,  il  n'avait  plus  à  les  chercher;  mais 
ce  qu'il  n'a  pas  fait,  il  eût  dû  le  faire,  et  s'il  avait  essayé  de  le  faire, 
il  aurait  vu  que  la  logique  de  son  hypothèse  le  lui  interdisait.  Tout 
implicite  qu'il  soit,  son  sophisme  n'en  est  pas  moins  réel.  Le  Kantisme, 
connue  théorie  de  la  connaissance,  implique  un  raisonnement  latent 
qui  est  contraire  à  son  principe.  Aussi  bien,  qu'attend-ou  de  l'indé- 
termination du  lien  affirmé  entre  les  corps  et  les  sensations  qui  nous 
les  représentent  à  travers  les  formes  de  notre  sensiliilité?  .Non  moins 
qu'une  relation  déterminée,  cette  relation  indéterminée  est  une  rela- 
tion affirmée.  Or,  pour  affirmer  une  relation,  l'entendement  est  obligé 
de  se  servir  de  l'une  ou  l'autre  de  ses  catégories  :  et  ces  catégories 
n'ont  en  l'absence  d'une  intuition  de  l'absolu  qu'un  usage  légitime, 
l'usage  immanent.  En  résumé,  l'unité  du  kantisme  est  compromise 
par  l'affirmation  de  la  réalité  des  corps  comme  choses  en  soi.  Le 
monde  extérieur  n'est  pas  l'objet  d'un  postulat  légitime  ;  c'est  non 
seulement  une  de  ces  hypothèses  auxiliaires  que  la  logique  défend  de 
greffer  sur  ime  hypothèse  principale  ;  c'est,  en  outre,  une  hypothèse 
incompatible  avec  celle  ([u'on  lui  donne  pour  rôle  d'étayer. 

Après  avoir  mis  en  relief  la  variété,  la  richesse,  l'unité  du  Kanti.sme, 
M.  Ruyssen  estime  sa  tache  terminée.  Il  abandonne  au  lecteur  le  soin 
de  se  prononcer  sur  la  vérité  du  système.  S'il  laisse  entrevoir  son 
avis,  il  ne  le  formule  pas  expressément.  C'est  Kant  et  Kant  seul  qu'il 
a  voulu  exposer.  Nous  imiterons  sa  discrétion,  sur  d'ailleurs  d'avoir 
plus  d'une  occasion  de  discuter  les  théories  du  philosophe  de  Kœnig- 
sberg.  Cependant,  à  défaut  du  Kantisme,  il  nous  sera  bien  permis 
d'apprécier  l'œuvre  de  son  plus  récent  interprèle,  et  ce  sera  pour 
saluer  en  elle  une  œuvre  des  plus  distinguées. 

EiGii.NE  BEURLIER. 


LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 


CLonius  PiAT.  —  Sacrale,  in-8°,  Paris,  Alcan. 
Th.  RuYSSEN.  -  -  Kanl,  in-8",  Paris,  Alcan. 
Carra  de  Vaux.  —  Arnconw,  in-S",  Paris,  Alcan. 
.\lfred  FotiLLÉE.  —  An  France  nu  /mini  de  rue  mornl,  in-8",  Paris, 
Alcan. 

Élie  Blanc.  —  Mt^langes  iilii/nsojilni/iu'.'i.  in-8",  Lyon,  VriTE. 
Charles  Hurr.  —  L/i  Philaxaphic  ilc  la  nnlurr  chez  les  anciens,  Paris, 

P'ONTEMOI.N'G. 

D''  SuRBLEn.  —  La  Me  a/ferliee.  \n-i-2,  Lyon,  VllTE. 

A.  BouYSSOiME.  —  Jm  liaisan  et  les  l'rinci/ics  premiers,  in-8°,  Brivo, 
chez  l'Auteur. 

R.  P.  H.  Watrioam'.  —  Deu.r  mélhodes  de  spirilualilé,  in-8",  Lille, 
Desclée. 

Lasi'Lasas.  —  ElohKjia  0  /ilusof^n  de  la  Educacidn,  in-12,  San-Sal- 
vador. 

André  GonAnn.  —  f.e  l'asitirisme  elirélien,  in-8",  Paris,  Bloud  et 
Barhal. 

La  Revue  se  réserve  de  rendre  compte  des  livres  qui  lui  sont 
envoyés  en  double  exemplaire. 


BULLETIN 


DE 


L'ENSEIGNEMENT    PHILOSOPHIQUE 


Tous  1rs  hdtiunes  d'étude  sont  d'accord  pou r  reconnaître  Vuti- 
lité  de  certains  Bulletins  connus  sous  le  nom  ^'Intermédiaire. 
Notre  Bulletin  se  propose  d'être  /'Intermédiaire  des  professeurs 
de  philosophie. 

Nous  avions  eu  d'abord  la  pensée  de  fournir  à  nos  collègues 
de  l'enseignement  secondaire  des  sujets,  des  plans  et  des  élé- 
ments de  dissertation  pour  leurs  élèves.  Plusieurs  d'entre  eu.r 
nous  ont  fait  observer  cju'il  existe  des  livj-es  spéciaux  pour  ceux 
des  professeurs  qui  désirent  être  aidés  sous  ce  ?-apport. 

On  nous  a  plutôt  demandé  de  traiter  les  questions  du  pro- 
gramme du  baccalauréat.  Mais  «  faites  autre  chose,  nous  éci'it-on, 
que  le  résumé  ou  la  dissection  sèche  d'un  chapitre  de  manuel. 
Trop  souvent  ces  sortes  de  travaux  ne  sont  pas  pensés  et  ils  ne 
font  pas  penser  :  ce  sont  des  ouvrages  de  manœuvre.  » 

Nous  nous  confonuerons  à  la  littéralitr  du  programme,  mais 
nous  en  étudierons  les  questions  indépendamment  de  sou  esprit. 
D'autant  plus  que  cet  esprit  a  cessé  d'inspirer  l'enseignement 
supérieur. 

Tandis  que  les  Manuels  —  dont  nous  ne  voulons  pas  dire  du 
mcd,  parce  qu'il  est  plus  facile  d'en  médire  (pie  de  ne  pas  s'en 
servir,  —  sont  restés  fidèles,  dans  leur  monotone  uniformité., 
aux  vieilles  conceptions  de  l'époque  de  Cousin,  V enseignement 
des  Facultés  s'est  au  contraire  affranchi  de  ce  dogmatisme  clas- 


118 

si(/iie  et  représente  aujourd'hui  les  doctrines  philosophiques  les 
plus  variées. 

Si  ce  Bulletin  contribue  à  donner  plus  d'originalité  à  l'ensei- 
gneme7ït  des  lijcées,  collèges  et  petits  séminaires,  il  aura  rendu 
service. 

Nous  voudrions  que  tous  les  professeurs  soient  au  courant  des 
questions  qui  préorcujjent  maîtres  et  élèves  dans  l'enseignement 
supérieur,  en  parliculier  au  Collège  de  France,  à  l'Ecole  nor- 
male, à  la  Sorhonne  et  à  l'École  des  Carmes.  Le  Bulletin  fera 
connaître  les  sujets  de  cours,  au  commencement  de  l'année  sco- 
laire. Il  pourra  même,  pendant  l'année,  indiquer  et  apprécier  les 
principales  solutions  qu'on  y  apporte. 

On  y  trouvera  tous  les  rense'ignements  qui  concernent  les  exa- 
mens de  licence,  le  concours  d'agrégation ,  les  soutenances  de 
thèses  pour  le  doctorat,  les  mutations  et  les  nominations  des  pro- 
fesseurs de  l'enseignement  supérieur  et  secondaire. 

Mais  avant  tout,  le  Bulletin  ilésire  entrer  en  contact  avec  les 
professeurs  et  répondre  au.r  diverses  questions  qu'ils  auraient 
quelque  utilité  à  lui  tidresser.  —  //  est  un  point  sur  lequel  nous 
attirons  l'attention  de  nos  collègues.  Le  travailleur  solitaire, 
isolé  des  grandes  bibliothèques,  qui  veut  se  livrer  à  une  élude 
spéciale,  est  d'ord'inaire  entharrassé  par  la  bibliograpiiie  du 
sujet.  Le  Bulletin  s'efforcera  de  la  lui  procurer.  Il  lui  épar- 
gnera ainsi  une  perte  de  temps  considérable,  et  l'ennui  d'être 
arrêté  par  des  difficultés  qui  (nit  été  résolues. 

Ce  Bulletin  est  un  instrument  de  travail  qui  appartient  ii 
tous  les  professeurs  de  philosophie  :  éi  eux  de  l'adapter  à  leurs 
besoins,  p)ar  leurs  conseils  et  leur  collaboration. 


OBJET   DE   LA   PHILOSOPHIE 


Critique  de  la  conception  classique.  —  D'après  les  Manuels  à 
lusage  (les  candidats  au  haccalauréat  es  lettres,  la  philosophie 
comprend  les  sciences  psychologiques  et  les  sciences  métaphy- 
siques réunies  :  les  premières  se  distrihuent  en  psychologie 
expérimentale,  logique  et  morale  ;  les  secondes,  en  psychologie 
rationnelle,  cosmologie  et  théodicée. 

(lomme  métaphysique,  la  philosophie  est  une  science  géné- 
rale, dont  l'objet  dépasse  l'expérience;  comme  psychologie, 
elle  est  constituée  par  trois  sciences  spéciales,  dont  l'objet 
relève  de  la  conscience  et  des  autres  formes  de  l'observation. 

Une  semblable  conception  présente  de  graves  difficultés  :  l''Ces 
deux  ordres  de  sciences  se  confondent-ils  en  une  seule  et  même 
science  qu'on  a  le  droit  d'appeler  la  philosophie?  Ces  deux  genres 
d'objets  se  réduisent-ils  à  un  seul  et  même  objet  qui  est  l'objet 
propre  de  la  philosophie  ?  —  On  ne  voit  pas  la  possibilité  d'iden- 
tifier ces  deux  sciences,  ni  ces  deux  objets.  Une  étude  d'observa- 
tion et  d'expérience  est  quelque  chose  de  tout  à  fait  dillérent 
dune  étude  qui  porte  sur  la  plus  haute  généralité  possible, 
située  par  définition  au-dessus  de  l'observation  et  de  l'expé- 
rience. La  philosophie  ainsi  entendue  manque  de  cohésion  et 
d'unité  :  c'est  une  «  science  générale  soudée  à  des  sciences 
particulières  »,  comme  s'exprime  M.  Ribot,  qui  la  compare,  dans 
son  Introduction  à  la  Psijchohigit'  anglaise^  «  à  ces  êtres  qui  se 
reproduisent  par  division  ou  lissiparité  et  qui,  à  certains  mo- 
ments, présentent  trois  ou  quatre  individus  encore  soudés  au 
tronc  commun  ».  —  2°  Elle  a  aussi  le  tort  de  placer  les  pro- 
blèmes moraux  au  rang  des  problèmes  psychologiques.  S'il  est 
trop  évident  qu'une  grande  partie  de  la  Morale  se  rattache  de 
près   à   la  psychologie,  il  n'est  pas  moins  manifeste    que   sa 


120  E.  l'EILLAUBE 

partie  priicipale,  celle  qui  lui  serl  de  fondement,  suppose  la 
théodicée.  L'obligation  implique  la  volonté  libre  de  celui  qui 
acrit;  mais  elle  puise  toute  sa  force  dans  la  volonté  de  celui  qui 
commande  dans  la  volonté  divine.  Ranger  la  Morale  parmi  les 
sciences  psychologiques,  c'est  laisser  dans  l'ombre  son  élément 
le  plus  essentiel  et,  d'une  certaine  façon,  la  compromettre. 

Si  l'on  veut  éviter  ces  difficultés,  il  faut  admettre  que  la  philo- 
sophie est  en  possession  d'un  objet  spécifique  homogène  et  avoir 
soin  de  relier  organiquement  chacune  de  ses  différentes  parties. 

Objet  propre  des  sciences  et  objet  propre  de  la  philosophie. 
—  L'oiijet  propre  de  la  philosophie  se  détermine  par  comparai- 
son avec  l'objet  propre  des  sciences.  Si  nous  prenons  une  clas- 
sification des  sciences  comme  sommaire  de  l'activité  de  l'esprit, 
celle  d'Auguste  Comte,  par  exemple,  nous  voyons  se  détacher 
avec  précision,  sur  deux  plans  superposés  d'un  même  tableau, 
robjet  des  sciences  et  l'objet  de  la  philosophie. 

1°  Les  mathrmatiqiies  étudient  la  quantité  sous  trois  aspects  : 
nombre,  étendue,  mouvement. 

a)  Les  sciences  du  nombre,  arithmétique  et  algèbre,  théorie 
des  fonctions  et  calcul  des  probabilités,  tournent  autour  du 
problème  de  l'unité.  Elles  additionnent  les  unités,  elles  les 
soustraient,  les  multiplient,  les  divisent,  les  élèvent  à  la  puis- 
sance, en  extraient  les  racines  :  opérations  primitives  qui  sont 
le  point  de  départ  fécond  des  plus  hautes  mathématiques.  Mais 
à  aucun  moment,  les  sciences  du  nombre  ne  nous  disent  ce 
qu'est  l'unité,  ni  s'il  faut  voir  en  elle  un  attribut  des  choses 
ou  une  construction  de  l'esprit. 

b)  La  géométrie,  sous  toutes  ses  formes  et  à  tous  ses  degrés, 
ne  nous  apprend  rien  sur  l'étendue.  Les  théorèmes  sur  la  ligne, 
sur  la  surface  et  le  volume  des  corps  demeurent  étrangers  aux 
questions  de  l'inlinité,  de  l'idéalité  ou  de  la  réalité  de  ces  espaces 
dont  le  silence  éternel  effrayait  Pascal.  On  peut  bien  se  deman- 
der si  le  continu  est  une  propriété  de  la  matière  ou  s'il  n'est 
qu'une  quantification  de  la  qualité  opérée  par  l'esprit;  mais,  à 
ce  moment,  on  cesse  d'être  géomètre  :  la  réponse  échappe  aux 
procédés  de  la  géométrie. 

c)  Les  sciences  du  mouvement,  cinématique,  statique,  dyna- 


(ilUET  hi:  l..\   IUlILnSiil'IlIE  121 

inique,  IraitiMil  ilr  l.i  l'uvrc  di's  vilossos,  du  Iciiips  cl  dr  Tcs- 
pacc.  loiil  l'ii  rolaiil  muolLcs  sur  la  nature  de  ces  clioses.  I.a 
liirce  n'y  esl  jamais  (''tudiée  en  elle -nu"'me,  mais  seulemonl 
dans  s(Hi  eU'ei  cl,  dans  sa  mesure,  le  mnuvcnuMit. 

2"  \^'(islr(iiiiiinic ,  (Mivisat;'(''e  comuie  nue  mallu'nuilique  des 
corps  célesles,  uapporle  pas  de  eonli'iliulion  miuvidle  à  l'élude 
de  l'iniili',  de  l'espace  cl   du  iunii\ ciucnl. 

'■\"  \a\  /j/n/si(/ii/'  lU'  prélcml  |)as,  aujourd'hui  moins  (iiic  jamais, 
pr'n(''li'ci'  l'essence  des  pi'opri(''[(''s  générales  de  lu  malière.  I^'in- 
strumeiil  mal liémali(] lie,  duiil  elle  l'ait  usa|;e,  n'est  qu'un  schéma 
plus  ou  moins  approclu''  de  la  réalité.  Adapl(''  à  la  théorie 
vihratoire  de  la  lumière  et  des  couleurs,  il  réussi!  ;  mais  il 
réussit  encore  —  ci  nu'mie  mieux,  d'aju'ès  M.  Dnhem,  —  lors- 
(|u'on  l'apiilitiiH'  à  la  couccjiiioii  de  la  lumir're-(|ualih''.  Si  donc 
l'instrument  mathi''matic(ue  peut  l'onctionner  sur  d(^s  données 
opposées,  c'est  qu'il  n'alleinl  pas  le  fond  dos  choses. 

I.umiére,  couleur,  son,  chaleur,  électricité,  posanieur  sont 
des  phénonn''ncs  donl  la  raison  dernière  échappe  aux  sciences 
physiques.  .V  côté  tics  lois  de  la  |)hysi(|U(^  t]u''orique,  qui  sont 
plus  ou  moins  artiiieielles,  n'y  a-t-il  pas  des  lois  natur(dles  cl 
de  sens  commun,  (|ui  sont,  non  des  idoles,  mais  des  réalités? 
Ou(dle  est  la  nature  de  ces  lois?  Sout-elli^s  nécessaires  ou  con- 
tingentes? (Jnellc  est  la  valeur  de  l'induction,  sur  laquelle  elles 
reposent?  Il  apjiartient  au  philosophe  pluti'il  (|u'au  savant  de  se 
prononcer  sui'  ces  graves  problèmes. 

'i"  [.a  (liliiiic  sera  luentôt,  comme  la  ph)si([U(%  luitièrement 
schématisée  par  les  mathémati(|ues.  Mais  l(>s  schéunas  des  ato- 
misli's  sont  aussi  im[)uissan[s  à  prouver  la  réalilé'  des  alonu^s 
que  ceux  de  .M.  Dnhem  à  élahlir  l'existence  de  la  Matière  et  de 
la  Forme.  L'essence  de  lu  matière  n'est  du  domaine  ni  de  la 
chimie  expérimentale,  ni  de  la  chimie  théorique. 

o"  La  bi(tlo(/ir  iHudie  la  l'urme,  les  rapports  et  la  constitution 
des  (U'ganes  des  êtres  vivants,  ainsi  que  les  fonctions  (h^  ces 
orjianes.  Grâce  au  microscope  et  à  lu  méthode  des  colorations, 
elle  p(''nèli'c  |ns(|irà  la  slruclni'e  intei'nc  ci  exteriu'  d(>s  tissus 
et  juscjn'ù  l(Mir  mode  de  foi'malioii.  Llle  xoudrail  snr|U'endrc  les 
lois  de  roi'tianisaliou  et  de  la  \  ic. 

(juani  à  la  (|ueslion  de  sa\oir  si  la  vie  peu!  s'e\p|iqiier  uni- 


122  K.  PHILIAIHK 

([iKMiK'iit  |)iir  les  foires  [iliysii-o-chimiqiics  ou  s'il  l'aiil  ri'fourir 
à  une  activilé  disliiiclc  :  s'il  ost  possiiiio  de  njurilicr  le  l'ail  ilcs 
innomliralilcs  vios  colliilairos  avec  rnnilé  syiier^i(|m'  do  l'être 
vivant,  ou  si  l'individu  est  nn  jiroupe  d'êtres  et  non  point  un 
être,  la  biologie  refuse  de  se  prononeer.  La  plante,  l'animal  et 
surtout  l'honinie  donnent  lien  à  des  (juesiinns  (|ne  la  science 
positive  est  ineapalde  el  se  di''i'<'nd  de  Iriiiielni'. 

a)  i^a  psyeliido^ie,  dans  la  pcnisée  d'AngusIe  (ioinle,  n'est 
{ju'une  liranilie  de  la  pliysioKi^ie  nerveuse.  Aujourd'hui,  l'élude 
expérinieniaie  des  sensations,  des  images,  de  la  nuMUoire,  de 
l'intelligenee,  des  états  alTeetifs  el  de  la  vidonli'",  constilue 
une  science  spéciale  indépendante,  (jui  ne  ressemble»  pas  plus 
à  la  pbilosopliie  que  la  pliysi(|ue,  lacliiuiieel  les  autres  sciences 
|)arliculières.  (juand  on  a  lu  les  longs  (diapilres  d'Alexandre 
Bain  sur  les  sensations  de  la  vue,  de  l'ouïe  et  ilu  loucdier,  sur 
riinagiiialiiin  el  ses  dillV'renies  formes,  la  pbibisopliie  de  la 
sensalion  r[  de  l'image  est  encore  à  l'aire.  Les  analyses  parfois 
si  pénétrantes  de  M:  Kibot  sur  les  idées  abstraites,  la  mémoire 
et  les  sentinuMils,  n'ont  d'autre  prétenli(m  (jue  de  servir  de  point 
ppui  au  pliilusupbe,  malgré  les  l'di'Mnenls  métaj)liysiques 
|u'on  a  le  i'egr(d  d'y  renconlrer  el  (|ui  s'y  soni  mêlés  à  l'insu 
peul-êtr(>  du  |isych(diigue. 

(l'est  qu'il  n'esl  pas  facile  de  Iroiiver  le  |Hiiiil  juM'cis  où  Huit 
la  science  el  où  commence  la  j)liilosopliie.  La  i)sycb(dogie  ex|)é- 
rimenlale  excite  plutôt  notre  curiosité  qu'elle  ne  la  satisfait  : 
d'où  la  psychologie  rationnell(>,  qui  est  par  rap|)orl  à  la  [)sycho- 
logie  expérimentale  ce  (|ue  la  cosmologie  rationnelle  est  par 
rapport  à  la  chimie,  à  la  physique  et  aux  matliématiques. 
Nature  intime  ih^s  faits  de  conscience',  théorie  des  facultés, 
union  de  l'ànie  el  du  corps,  spiritualité  et  immortalité;  autant 
de  problèmes  qui  se  dérobent  aux  prises  de  l'expérience  et  appar- 
tiennent en  [)ro[)re  à  la  philosophie. 

())  La  Logique  et  la  .Morale  sont  également  considérées  par  le 
Positivisme  cminn'  des  sciences  empiriques.  Nous  croyons  à 
la  possibilité  d'une  Logique  et  d'une  Morale  entièremenl  déga- 
gées de  toute  métaphysique  (1). 

(1)  C'était  aussi  lupiniun  générale  des  iiieiiibres  du  Coiu/res  de  Philosophie, 
qui  s'est  tenu  à  Paris  du  1  "  au  5  août  lilOO. 


a 
I 


nlUET  m:  L\   flltlJi>nl'lllE  lî:i 

l.ii  Iiiiii([iii'  l'ormcllc  ri'pri'sonlc  iino  ôludo  moitié  t;r;ininiali- 
caic  cl  niiiilii''  |)sv('liiiiiii;i([ii('.  On  piMil  (''liiilicr  le  niôcanismc  du 
jugomi'iil  L'I  (lu  raisoiuii'inrnl,  ilr  riiKliiclinn  cl  ilc  la  (l('(liic- 
[iuii,  sans  rct'inirir  à  des  jir(ii'(''di''>  dillcrcnls  di'  ccnx  (|ui  siinl 
iisitcs  (iiius  les  sciences  posilivcs.  La  l()i;i(|uc  applicjuée,  lors- 
qu'elle se  borne  à  la  reeluM'clic  des  conditions  intellectuelles 
et  niorali'--  dans  lcs(|U(dles  il  cunxii'ul  di'  se  |diicci'  pour  con- 
naître le  vrai,  d(''pcnd  surtout  de  la  psy(  liolo^ie.  —  Mais  il  y  a 
des  questions  (juc  la  loui(|uc,  li'aiti''e  au  mode  |)osilil',  soulève 
à  chaque  instant  et  (|u'(dle  ni'  prul  i('>oudr('.  Il  n'est  j:,iu".'re 
possible  de  dénuuiter  les  rcssoi'ls  du  mécanisme  de  l'esprit, 
sans  s'intcrroj^er  sur  la  valeur  do  ce  mécanisme,  sur  la  portée 
dos  méthodes  propres  auTC  tiitl'éronlos  scioncos  otsur  le  problème 
fondamental  de  la  certitude.  Mais  on  s'('dève  alors  à  un  ilej;ré 
de  ii,énéralil(''  (\\\\  d(''passc  le  point  de  vue  de  la  logique  positive. 

La  Morale,  réduite  à  la  description  des  faits  et  des  lois  do  la 
conscience,  peut  être  consitl(''ri''e  comnu'  nue  science  psycholo- 
gique, nous  l'avons  \ii.  Mais  de  jouli's  l(>s  sciences  particu- 
lières, elle  est  celle  qui  [inMiicupe  le  jdus  l'esprit  du  philo- 
sophe et  même  i'espiil  de  tout  liomnie,  (ju'(dle  transforme, 
en  métaphvsicien.  Si  Kaut  si'  demande  :  i  (jui  suis-je?  <Jue 
dois-je  faire?  One  puis-je  espérer?  "  le  pâtre  de  Joutî'i'oy  de- 
mande au  (h'éalenr  pour(juoi  il  l'a  l'ail  et  ce  que  signilie  le  rôle 
iju  il  joue  ici-l)as. 

La  nature  de  ces  questions  que  la  morale  positive,  pour  être 
lidèle  à  sa  méthode,  renvoie  à  la  morale  rationnelle,  fait  voir 
jusqu'à  quel  point  cette  dernière  est  liée  à  la  psychologie  méta- 
physique et  à  la  thi'odicée.  Ell(>  est  éminemment  philosophique. 

i'}"  L'd  sijciologir  i'^t  la  dernière  des  six  sciences  fondamentales 
d'Auguste  (lomte.  L'auteur  de  la  P/u/siijiir  socia/r  se  plaint  que 
l'étude  de  la  société  et  les  théories  qu'elle  a  suggérées  ne  soient 
pas  encore  sorties,  même  chez  les  meilleurs  esprits,  de  «  l'état 
théologico-métaphysique  ».  11  devra  donc  entreprendre  de  créer 
un  ordre  tout  entier  de  conceptions  scientiliqucs.  Depuis  Au- 
guste Comte,  la  sociologie  n'a  cessé  d'être  cultivée  à  la  manière 
des  sciences  positives.  Elle  comprend  de  nos  jours  tout  un 
ensemble  de  recherches  qui  se  déclarent  indépendantes  de  la 
philosophie. 


124  r:.  PEii.L.URr: 

Il  y  a  un  livs  vif  inténH  ù  conniulro  et  à  classer  les  pliéno- 
mèncs  sociaux,  qui  sont  les  plus  compliqués  et  los  plus  obscurs 
ilo  tous,  et  à  consulter  l'expérience  qui  s'en  dégage,  pour  orga- 
niser la  société.  Mais  on  pense  involontairement  à  des  pro- 
liièmes  que  les  phénomènes  sociaux  nous  sviggèrent  cl  qu'ils 
ne  r(''Solvent  pas.  .\-t-on  !(>  dmit  d'('riger  en  loi  un  fait  social? 
A  la  jjase  de  loule  l(''gisliili(in  positive,  i'aut-il  reconnaîtn^  l'exis- 
tence et  l'inviolabilité  du  Droit  naturel?  Par  ce  côté  le  plus  inté- 
ressant et  le  plus  grave,  la  sociologie  relève  de  la  morale  ration- 
nelle. 

Caractère  de  la  division  des  sciences  et  de  la  philosophie  : 
division  d'après  les  attributs  et  non  d'après  les  êtres.  —  (Test 
donc  im  fait  ([u<'  chaque  science  laisse  de  côté,  par  méthode  et 
de  parti  pris,  un  certain  nombre  de  questions  qui  se  posent  à 
son  sujet.  Elle  n'épuise  jamais  la  totalité  de  son  objet  :  elle  se 
borne  à  un  aspect,  qui  est  son  objet  funnel  :  l'autre  aspect 
appartient  eu  propre  à  la  philosophie. 

(-ette  division  des  sciences  et  de  la  pliilnsDpbie,  (|ui  esl 
imposée  <à  l'espiil  Iminain  |tar  la  richesse  même  des  (Mres. 
n'a  rien  d'analogue  à  celle  (|iu^  l'ait  le  berger,'  lors<|ue  pour 
connailre  le  troupeau  il  range  ses  moubins  à  droite,  et  à 
gauche.  Elle  ressemble  plutôt  à  C(dle  de  l'anatoniiste  qui 
éiiorse  les  moutons  et  met  de  côté  leurs  dillérentes  parties  : 
les  cerveaux  avec  les  cerveaux,  les  cd'ur-:  avec  les  ccrurs.  La 
division  du  travail  intellectuel  se  lail  d'après  les  attributs  et 
mm  point  d'aiirès  les  êtres,  (l'est  ainsi  (|u  une  même  chose  peut 
cumuler  |)lusieurs  sciences  et  plusieurs  objets  scienliliques.  La 
sphère  de  carbone,  par  exemple,  est  à  la  fois  l'objet  de  la 
géométrie,  de  la  physique,  de  la  chimie  cl  de  la  bi(dogie,  selon 
qu'elle  est  considérée  comme  ligure,  mouvement,  masse,  pesan- 
teur, mixte  ou  élément  de  nutrition.  Or,  nous  avons  remarqué 
que  les  sciences  n'embrassent  pas  tous  les  attributs  de  l'être. 
Après  que  chacune  a  pris  sa  pari,  il  reste  encore  la  |iarl  de  la 
philosophie. 

L'erreur  d'.Vuguste  (lomle,  en  rt'l'usanl  à  la  j)liilosopliie  [oui 
olijel  d'étude  particulier,  a  été  d'exiger  pour  elle  ce  qu'il  n'avait 
exigé  pour  aucune  science  sp(''ciale  :  un  être  ilistinct,  au  lieu 


(ilUET  DE  LA  VHIWSÙI'HIE  125 

d"iin  attribut.  Il  est  évident  qu'il  n'y  a  nulle  part  dans  la  nature 
des  êtres  métaphysiques.  ^lais  où  sont  les  êtres  géométriques? 
Les  objets  des  sciences  et  l'objet  de  la  philosophie  ne  sont 
que  des  aspects  que  l'on  découpe  dans  la  perception,  pour  l'ana- 
lyser et  la  mieux  connaître. 

Identité  de  la  philosopliie  et  de  la  métaphysique.  —  A  l'ori- 
gine, l'aspect  scientifique  et  l'aspect  philosophique  étaient  con- 
fondus. La  distinction  s'est  opérée  peu  à  peu.  Les  mathéma- 
tiques avec  Euclide,  la  physique  avec  Galilée,  la  chimie  avec 
Lavoisier,  la  physiologie  et  la  psychologie  avec  le  perfection- 
nement des  méthodes  expérimentales,  se  sont  déclarées  indé- 
pendantes de  la  philosophie.  —  La  logique  et  la  morale  récla- 
ment leur  autonomie.  Autrefois  on  rangeait  dans  la  philosophie 
rationnclli'  la  logique,  la  rhétorique,  la  po(''tique  et  la  gram- 
maire. La  logique  est  la  seule  qui  ne  se  soit  pas  encore  émanci- 
pée, mais  elle  accuse  tous  les  jours  des  tendances  de  plus  en 
plus  schismatiques.  —  Les  anciens  comprenaient  dans  la  mo- 
rale les  sciences  politiques,  économiques  et  sociales  :  la  scission 
est  aujourd'hui  à  peu  près  achevée.  La  morale  elle-même  tend 
à  se  constituer  en  science  positive  et  l'on  entrevoit  le  jour  où  le 
caractère  scientifique  de  la  morale  sera  entièrement  distinct  de 
son  caractère  philosophique. 

Cette  vue  historique  sur  la  distinction  progressive  des  sciences 
et  de  la  philosophie  met  en  relief  l'identité  de  la  pliilosophie 
et  de  la  métaphysique. 

Nous  ne  prenons  pas  le  mot  de  métaphysique  dans  le  sens 
que  lui  attribuaient  le  péripatétisme  ancien  et  la  scolastique. 
La  métaphysique  avait  pour  oijjet  les  êtres  qui  ne  sont  pas  sou- 
mis au  mouvement  :  Dieu,  les  esprits  séparés,  l'être  en  géné- 
ral. Elle  venait  après  la  physique,  qjt:,-,  ou  philosophie  natu- 
relle, qui  s'occupait  des  êtres  soumis  au  mouvement  :  ens 
mobile.  Nous  identilious  philosophie  naturelle  et  métaphy- 
sique. 

Dès  qu'un  objet  se  présente  sous  un  aspect  insaisissable 
d'après  les  procédés  des  sciences  spéciales,  observation,  expé- 
rience, mesure  et  calcul,  il  constitue,  sous  ce  rapport,  l'objet 
de  la  philosophie  qui   devient  la  science  du  transcendant,  de 


126  E.  PEILLACBE 

la  plus  haute  généralilé  possible,  des  premières  causes  et  des 
premiers  principes. 

Tant  qu'il  n'y  a  que  des  phénomènes  à  ohserver,  des  lois  ou 
causes  procliaines  à  déterminer,  qu'il  s'agisse  du  fait  de  con- 
science ou  du  fait  cosmique,  c'est  affaire  de  science  positive. 
Que  s'il  y  a  des  choses,  non  actuellement  soumises  à  l'expéri- 
mentation, mais  qui  peuvent  lui  être  soumises,  elles  ne  sont 
pas,  en  droit,  du  domaine  de  la  philosophie. 

Faut-il  en  conclure,  avec  Jouffroy  (1)  et  Claude  Bernard  (2), 
que  la  philosophie  est  la  «  science  de  ce  qui  n'a  pas  encore  pu 
devenir  l'objet  d'une  science  »,  qu'elle  est  <i  la  science  de  toutes 
ces  choses  que  l'intelligence  n'a  pas  encore  pu  découvrir  les 
moyens  de  connaître  entièrement  ;>,  qu'elle  est,  en  d'autres 
termes,  «  la  science  de  l'obscur,  de  l'indéterminé  de  l'in- 
connu ))  ? 

Le  fait  historique  de  la  scission  (k's  sciences  prouve  que  leur 
objet  n'était  pas  à  l'origine  bien  défini  et  qu'il  a  mis  du  temps 
à  se  préciser  :  la  distinction  a  été  utile  à  la  philosophie  comme 
aux  sciences.  Son  ni)jet  propre  s'est  trouvé  dégagé,  elle  s'est 
moins  livrée  aux  recherches  spéciales  et,  de  ce  clief,  elle  s'est 
délivrée  plutôt  qu'appauvrie  (3).  Car  elle  n'en  a  pas  moins  con- 
servé son  caractère  primitif,  qui  est  l'universalité.  La  philoso- 
piiie  d'Herbert  Spencer  est  aussi  compréhensive  que  celle 
d'Aristote  :  elle  contient  une  cosmologie,  une  biologie,  une 
psychologie,  une  sociologie.  Les  sciences  particulières,  en  se 
détachant,  <i  s'opposèrent  à  la  science  totale,  mais  non  pas 
comme  le  clair  s'oppose  à  l'obscur,  le  déterminé  à  l'indéterminé, 
mais  comme  le  spécial  s'oppose  à  l'universel  ». 

La  philosophie  est  bien,  en  un  certain  sens,  la  «  science  de 
l'indéterminé  ».  Tout  ce  qui  est  déterminé  au  regard  des  sciences 
spéciales  et  par  les  méthodes  qui  leur  sont  propres,  n'est  pas 
philosophique.  Est  essentiellement  [)hilosophique,  au  contraire, 
tout  ce  qui  est  indéterminé  à  leur  regard  et  par  leurs  méthodes, 


(U  Introduction  à  la  Médecine  expérimentale,  p.  3S7. 

(2)  Nouveaux  Mélanges  pliilosop/iiques,  p.  105.  — Jouffroy  s'est  réfuté  lui-même 
plus  tard. 

(:i)  Voir  des  articles  remarquables  de  Paul  J\NEr  :  Revue  pliilosoptiique  :  1S88, 
1,  3^7;  II,  513  ;  ISSa,  I,  l  ;  11,  337;  U'J3,  1,  113. 


OlUET  DE  LA  l'IlILoSDl'IlIE  127 

mais  peut  être  déterminé  par  les  procédés  rationnels  d'analysé 
et  de  synthèse,  d'induction  et  de  déduction. 

Les  plus  grands  philosophes  ont  toujours  identifié  l'objet  de 
la  philosopiiie  et  l'objet  de  la  métaphysique.  l'hiLun  et  Aristote, 
saint  Augustin  cl  saint  Thomas  d'Aquin,  Descartes  et  Spinoza 
soutlenuent  que  la  philosopiiie  est  la  «  science  des  premières 
causes  et  des  premiers  principes,  des  réalités  intelligibles  que 
la  raison  seule  peut  atteindre  et  (jui  ne  tombent  pas  sous  les 
sens  ». 

Division  de  la  philosophie;  sa  continuité  avec  les  sciences. 
—  L'objet  de  la  j)hilosophie  se  peut  diviser  d'après  les  trois 
catégories  de  l'être  :  cire  logique,  ètrr  rrrl,  être  moral.  L'es- 
sence de  l'être  logique  consiste  dans  l'ordre,  suivant  lequel  nous 
disposons  nos  concepts,  nos  jugements,  nos  raisonnements. 
Prédicat  et  sujet,  majeure  et  mineure,  prémisses  et  conclusion 
représentent  des  procédés  de  l'esprit  et  n'existent  que  dans 
l'esprit. 

L'être  réel  comprend  tout  ce  qui  ne  reçoit  pas  de  nous  l'exis- 
tence :  matière,  àme.  Dieu.  Ici  nous  contemplDUs  l'ordre,  nous 
n'en  sommes  pas  les  auteurs.  —  L'êlre  moral  organise  nos 
actes  lii)res,  à  l'intérieur  de  la  volonté,  d'une  manière  conl'orme 
à  la  volonté  de  Dieu. 

La  philosophie  ou  métaphysique  a  donc  pour  objet  les  premiers 
principes  de  l'être  logique,  de  l'être  réel  et  de  l'être  moral.  Elle  se 
divise  en  logique  rationnelle,  cosmologie  rationnelle , p<<jjchologie 
rationnelle,  ihéodicée,  morale  rationnelle.  Dans  cliacune  de  ces 
parties,  elle  se  superpose  à  une  ou  plusieurs  sciences  :  en  logique 
rationnelle,  à  la  loginue  e.iprrimentale  ;  en  cosmologie  ration- 
nelle, aux  mathémuli<jues,  à  X'a.  phijùque,  à  la  chimie,  à  la  bio- 
logie; en  psychologie  rationnelle,  à  \d.  p^ijelwlogie  e.rpérimen- 
lale  ;  en  théodicée,  à  toutes  les  sciences  réunies  ;  en  nnirale,  à 
la  théodicée  et  à  la  psychologie. 

Enlin,  si  l'on  envisage  l'être  réel  en  lui-même,  indépendam- 
ment de  ses  déterminations  spéciales,  dans  sa  plus  grande 
universalité,  nous  avons,  par  opposition  à  la  métaphysique 
spéciale,  la  métaphysique  générale  ou   philosophie  première. 

Conclusion.  —  M.  Rabier  estime  que  l'objet  de  la  philosopiiie 


428  E.  PEILLAUBE 

consiste  dans  «  l'union  nécessaire  de  la  psychologie  et  de  la 
métaphysique  ».  Il  est  plus  exact  de  dire  que  la  philosophie 
est  essentiellement  la  métaphysique  et  qu'elle  suppose  l'union 
nécessaire,  non  seulement  de  la  psychologie  expérimentale, 
mais  encore  de  toutes  les  sciences  spéciales.  S'il  n'est  pas  per- 
mis de  disserter  sur  les  premiers  principes  des  faits  de  con- 
science, sans  connaître  ces  faits  et  leurs  lois  ;  il  n'est  pas  loi- 
sible de  philosopher  sur  l'essence  de  la  matière,  sans  être  en 
possession  des  sciences  qui  s'y  rapportent.  La  distinction  des 
sciences  et  de  la  philosophie  ne  doit  pas  nous  faire  oublier  la 
continuité  de  l'objet  qu'elles  étudient  et  par  conséquent  leur 
propre  continuité. 

E.  PEILLAUBE. 


NOMINATIONS    ET    MUTATIONS 

DANS    L'ENSEIGNEMENT     DE    LA     PHILOSOPHIE 


I.  —  ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR 

Inspection  générale  de  l'Instruction  publique.  —  M.  .1.  La- 

chelier,  inspecleiir  géuéral,  est  iioniaié  inspecteur  général  honoraire. 
Travaux:  Du  Fondumcnl  de  Vlnduclion,  Psychologie  et  Mètaphijxifjne. 
—  M.  Darlu,  maître  de  conférences  aux  Écoles  de  Sèvres  et  de  Fon- 
tenay,  remplace  M.  Laclielier. 

Collège  de  France.  —  M.  H.  Rergson,  maître  de  conférences  à 
l'École  normale  supérieure,  est  nommé  professeur  de  l'Itilosopliie 
ancienne.  Travaux  :  Données  immédiates  de  la  ronsrienee.  Malh're  et 
Mémoire,  le  Rire. 

École  normale  supérieure.  —  M.  Rauh.  iimfesseur  de  idiilo- 
sopliie  à  la  Facullé  des  lettres  de  l'Université  de  Toulouse,  est  nommé 
maître  de  conférences,  en  remplacement  de  M.  Bergson.  Travaux  : 
De  lu  Méthode  dons  la  jim/rholoijie  des  senlimenls.  . 

Institut  catholique  de  Paris.  —  Le  R.  P.  Sertillanges  est  nommé 
professeur  de  jj/n'/o«r(^j/i(e  morale  à  la  Facullé  de  philosophie.  Tra- 
vaux :  .Jésus.  l'Art  et  la  Morale. 

Institut  catholique  de  LiUe.  —  M.  Âmédée  de  Margerie.  pro- 
fesseur de  philosophie  et  doyen  de  la  Faculté  des  lettres,  est  rem- 
placé, comme  professeur,  par  M.  Dehove.  Travaux  :  Théodicée,  Phi- 
losophie contemporaine,  le  Comte  J.  de  Maislre,  H.  Taine,  Dante 
(traduction  et  notes),  etc. 

Université  de  Paris.  —  M.  Lévy-Bruhl  est  chargé  de  la  direc- 
tion des  études  pour  la  philosophie,  cà  la  Faculté  des  lettres. — 
M.  J.  Réville  est  nommé  maître  de  conférences  pour  l'histoire  de  la 
philosophie,  à  la  Facullé  de  théologie  protestante. 

Alger.  —  M.  Gauthier  est  chargé  d'un  cours  de  philosophie  à 
l'École  des  lettres. 

LiUe.  —  M.  Lefèvre  est  chargé  d'un  cours  complémentaire  de 
philosophie. 

Montpellier.  — M.  Delacroix,  i)rofesseur  de  iihilosophie  au  Lycée 
de  Pau,  est  nommé  maître  de  conférences  de  i>hilosopliie  à  la  Facullé 
des  lettres. 


130 

Toulouse.  —  M.  Bouj^li'-.  maître  de  conférences  de  philosophie  à 
hi  I-'acuUé  des  letlres  de  Montpellier,  est  charjjfé  d'un  cours  de  philo- 
soj)hie  à  la  Faculté  des  lettres. 

II.  —  ENSEIGNEMENT  SECONDAIRE 

Collège  Stanislas.  —  M.  Lécharny,  a^réj^é  de  philosophie,  est 
noiumé,  à  titre  iirovisoire,  professeur  de  philosophie. 

Lycée  Condorcet.  —  M.  Bazaillas,  professeur  au  Collège  Stanis- 
las, ]>asse  à  Condorcet.  —  M.  Brunschwicp;,  professeur  au  Lycée  de 
Ilouen,  passe  à  Condorcet.  Tkavaix  :  Sjjinazn.  In  MndaUlr  du  jurjr- 
rnriil,  édition  de  Pascal,  Inlroductiim  ii  In  rie  dr  yrspril. 

Lycée  de  Belfort.  —  M.  Bloch,  i)rofesseur  au  Lycée  du  Puy,  est 
nouiuié  su]ipléant  du  professeur  de  philosophie. 

Lycée  de  Bordeaux.  —  M.  Ruyssen,  professeur  au  Lycée  de 
Limoges,  i>asse  à  colui  de  Bordeaux.  Tr.wavx  :  Kaut. 

Lycée  de  Bourges.  —  M.  Beurlier,  jjrofesseur  au  Lycée  de  Clu  r- 
liourg,  est  nommé  à  celui  de  Bourges. 

Lycée  de  Rennes.  —  M.  Dugas,  professeur  au  Lycée  de  Caen, 
passe  à  celui  de  lleunes. 

Lycée  de  Rouen.  —  M.  Chartier,  iirofesseur  au  Lycée  de  Lorient, 
passe  à  celui  de  lloiuîu. 


PROGRAMME  DES  COURS  DE  PHILOSOPHIE 

Annce  1900-1901 


Collège  de  France.  —  P.  Jamît  :  Sommeil  et  étals  In/pttaidi's.  — 
Beugsux  :  /(/(■('  di;  en  use  et  explication  du  t.îoI  e'.^^p'^i'ir^;  d'Ale.intidie 
d'Aphrodisias.  —  Tarde  :  Psi/chologie  économique. 

Sorbonne.  —  Boiïrovx  :  La  Morale  de  Kaul.  —  Bhoi;iiahd  :  La 
Mnrnlc  des  philnsnphes  grecs.  —  BuiSSO.N  .■  L'L'ducnliifii  iiiornh'  depui.'< 
le  rlirislinnisrne.  — Esi'iNAS  :  Théories  sociales  de  1^4 fi.  Principaux 
problèmes  psiicho-socioloiiiqucs. —  SÉAtLLES  :  L'Ltrenlion  morale.  — 
Y.  Ec.GER  :  Cours  de  Murnle  et  L'hilosophie  dorpnniique.  —  Pierre  Janet  : 
Le  Rêve  cl  les  étals  d'nulornnlisme  mental.  —  Lévy-Bmi  iiL  :  Histoire  de 
In  philosophie  moderne.  —  Henry  Michel  :  Crise  de  l'idée  démocratique 
en  Lrancc,  IS.jO-lHoi.  —  Picavet  :  l'°  De  fato  de  Cicéron.  Doctrines 
stoïciennes,  épicuriennes, péripatéticiennes,  platoniciennes  .*;ur  la  liberté 
et  le  destin.  Transformation  dans  la  morale  chrétienne  nu  temps  de 


131 

>'.  Aiiijusiiii,  J.  Seul  h'ri<ji''ii(',  S.  7'liiimris;  "-l"  /lililitxjriijtliii'  tjc  lu  sn - 
Irixiiijiif.  S.  J'Iiiim/is  Ihi'olofjir)!.  phihu^nplw  cl  )i)ijsliiiuc. 

École  des  Carmes.  —  École  supérieure  des  lettres.  Piaï  :  1"  7'.s//- 
chtiliiijie  de  la  sn)s(ilii>i),  dr  la  roloiilé ;  2°  L'Eire  et  la  Xalure  d'aprrx 
Aristole.  —  Faculté  de  pliilosoi)liie.  Bl"lliot  :  1°  Cours  île  Ijiijiqur, 
Examen  de  la  critique  de  la  raison  pure  ; '±"  Explication  d'Ârislote  : 
'AvaÀ'jT'.xi  jTTspot,  B  et  -à  M£-:à  Ta  cpoaijcz,  H;  3°  CourS  de  Casinalofjie,  Ma- 
tière et  Forme.  —  Picillalbe  :  1°  Cours  de  Psijchuloijie ;  2°  Explication 
du  T^iol  ^■jy.7,i,  IS  ;  ,'i"  l'si/chdliiçjie  des  Sensatint)s,  des  Images  el  de  la  Mé- 
viiiirc.  Théorie  de  la  l'erccjjtioa.  —  Sektillanges  :  1°  Explication  de 
la  Siniime,  !■' ,  11-'^;  :2°  Cours  de  jihilosophie  morale.  — Cours  su[)plé- 
uienlaire  |iour  les  jeunes  tilles.  Henri  Joly  :  De  la  sensihilité.  du 
jilaisir.  de  la  douleur,  de  la  nature  des  (hnotions  et  de  leur  rôle  dans  la 
cil'  morale. 

Institut  catholique  de  Lille.  —  Ciiou.et  :  1°  Introduction  géné- 
rale à  1(1  pliilosoi)liir ;  ~-2"  L'être,  le  rrni,  le  bien,  le  beau;  3"  Le  monde, 
les  di/fi'rents  prol/Icmes  sur  les  oriijincs.  —  Cllol  l.ZA  :  l'riiieipes  du 
Droit  naturel.  —  DhuiiVi;  :  Oiicstions  choisies  de  philosiiphic  générale. 

Institut  catholique  de  Lyon.  —  Élie  Bi.am;  ;  1°  Cours  de  Logi- 
que; 2°  Classification  des  connaissances  humaines. 

Institut  catholique  de  Toulouse.  —  MoNTAr.NE  :  l"  Du  prohième 
de  la  certitude;  2"  Le  Sncialisme ;  ,"{"  l'sgchologie  appliquée  à  l'édiica- 
lion.  —  Baylac  :  Elude  critique  des  Méditations  de  Descartes.  —  Mai- 
SOXXEi'VE  :  Histoire  de  la  philosophie  de  la  religion  :  Conceptions  pessi- 
mistes el  crolutionnisles  de  l'unioers. 

Université  de  Fribourg.  —  Mansek  :  1"  Cours  de  Logique  et 
d'ontologie;  2"  Histoire  de  la  philosophie  du  moyen  âge.  —  Mu:iiel  : 
1"  Cours  de  Morale  el  de  Droit  naturel;  2"  Histoire  de  la  philosophie 
moderne  jusiju'à  Kant.  —  Hahxick  :  l'sgihologie. 

Université  de  Louvain  :  Institut  philosophique.  —  MEHi:ii:ii  : 
Cours  de  Logique  el  de  Théodicée.  —  De  Wilf  :  Histoire  de  la  philo- 
soj)hie  du  moijeti  àiie.  —  TiuÉKV  :  l'sqchologie,  l'sijchojjhgsiologie  cl 
Laboratoire  de  l'sqchophqsiidoqie.  —  Nys  :  Cours  de  Cosmologie  et 
Laboratoire  de  Chimie.  —  DeI'I.OICE  :  L'Economie  sociale.  Histoire  des 
doctrines  économiques  el  politiques,  le  Droit  naturel  et  le  Droit  social. 
—  FoHCET  :  Cours  de  Morale.  —  Becueiî  :  Théodicée.  —  De  Lants- 
lUîERE  :  l'hilosophie  modeoie,  l'hilosiiphie  de  l'histoire.  —  Van  OvEH- 
lUCltcil  :  Le  Socialisme  contemporain. 


132 

AGRÉGATION   DE  PHILOSOPHIE 


I.  —  Concours  de  1900 

1°  Rapports  et  difTérences  entre  sentir,  percevoir  et  connaître. 
2"  Quel  rôle  l'idée  de  beauté  peut-elle  jouer  on  morale  ? 
.'}°  La  puissance  et  l'acte  dans  Arislote. 
Sont  nommés  agrégés  de  lycées  : 
1.  MM.  Rivaud  (Georges-Emmanuel-.Mhert j,  né  le  l'i  mai  1870,  étu- 
diant libre  à  Paris. 
-1.  Enjalran  (Louis-Abel-Juslin),  né  le  '■>  janvier  187(1,  élève  de 

l'École  normale  supérieure. 

S  MM.  Léon  (.\braham-Albert),  né  le  1"  mai  1871),  étudiant 
libre  à  Bordeaux. 
Brehier  (Émile-François-Désiré),  né  le  1-2  avril  187(1, 
boursier  d'agrégation  à  Paris. 
:;.  MM.  Micault  ((iabriel-llenri^,  né  le  ±2  décembre   1872,  boursier 

d'agrégation  à  Paris. 
(').  Blondel  (Charles-Aimé-Alfred),  né  le  Kt  octobre  I87C.,  élève 

de  l'École  normale  supérieure. 

7.  Millot  (Louis-Josepli-Albeil).  né  le  (\  février  187('),  boursier 

d'agrégation  à  Paris. 

8.  Daganet  (Pierre-Albert),  né  le  (i  juillet  187 'i,  Ijoursier  d'agre- 

tçation  à  Paris. 


LICENCE  EN  PHILOSOPHIE 


Sujets  donnés  à  la  Sorbonne  en  novembre  1900  : 

Pliilosophie  dogmatique  :  1°  Théorie  logique  de  l'induction  :  2°  La 
notion  de  iinalité  :  '.V'  L'idée  de  responsabilité. 

Histoire  de  la  philosophie  :  1°  Le  syllogisme  aristotélicien,  sa 
nature  et  sa  valeur  ;  2°  La  nécessité  spinoziste  et  le  déterminisme 
leibnizien  ;  3°  Le  rapport  de  la  science  et  de  la  morale  dans  Leibniz  et 
Kant. 


Le  Gérant  :  L.  (JARNIER. 

La  Ctiapelle-Montligeon.  —  liiip.  de  N.-D.  de  Montligeon. 


ERRATUM 


Revue  de  Pliilosopliic,  l'/rrrio)'  1901,  article  f/*^  M.  Ciiollkt 
sur  la  Psychologie  et  le  Surnaturel.  —  Une  regrettable  inter- 
version dans  les  alinéas  enlève  le  sen.t  des  premières  pages.  Les 
deux  alinéas  <•  Et  les  dons  du  Saint-Espi'it  »  et  «  Le  témoi- 
gnage de  rÉglise  »  des  pages  137  et  138  doivent  être  mis, 
page  135,  à  la  suite  de  l'alinéa  :  «  Nous  avons  parlé  »  et  avant 


LA  PSYCHOLOGIE  ET  LE  SlTiNATlIiEL 


Los  liens  les  plus  élroils  iinisspiit  le  surnaliirel  h  la  psvciio- 
Jogic.  Le  surnaturel,  en  otTet,  appaiiienl  toul  entier  à  rame;  il 
ost  sa  sanctilicalion  ;  il  est  un  don  accordé  à  ses  facultés  imma- 
tériel les  pour  grandir  leur  puissance  et  transformer  leurs  actes. 
Le  surnaturel,  nous  dirons  plus  loin  pourquoi,  a  pour  sphère 
propre  la  portion  intellectuelle  de  l'àme.  Dès  lors,  on  comprend 
<iue  la  science  du  surnaturel  se  rattache  d'une  {'m\»i\  intime, 
essentielle,  à  la  science  psychologique. 


La  psychologie  éclaire,  autant  que  l'un  peut  éclairer  un 
mystère,  les  secrets  de  la  grâce.  Il  y  a  une  proportion  néces- 
saire, constante,  entre  le  mécanisme  des  facultés  et  celui  de 
la  grâce;  celui-ci  se  superpose  sur  celui-là,  s'adapte  à  lui, 
le  complète,  en  suil  les  diverses  vicissitudes.  De  même  que  la 
feuille  d'or  s'applique  au  métal,  en  prend  les  dimensions,  en 
ri!couvrc  toute  la  surface,  se  plie  à  ses  ondulations,  monte  sur 
.ses  reliefs,  descend  au  hmd  de  ses  creu.v,  suit  toutes  ses 
sinuosités,  ainsi  l'èlre  surnaturel  s'attache  aux  facultés  sj)iri- 
luolles  comme  à  un  métal  vivant,  s'accommode  à  leur  vie,  en 
jx'-nètre  tous  les  instants,  en  sanctilie  tous  les  détails,  ennohlit 
tous  leurs  éléments  et  tous  leurs  actes.  Aucun  événement  ne 
se  passe  à  la  surface  de  l'esprit,  où  la  grâce  réside,  qu'elle  ne 
puisse  l'atteindre;  aucune  émotion  ne  soulève  le  cœur,  qui  ne 
puisse  être  surnaturalisée  par  elle. 

On  saisira  mieux  cette  adaptation  de  l'aclivilé  psychologique 

8 


i:it 


J.-A.  CHOLLET 


cl  (le  I  aclivilé  surnaliuM^lle,  si  Idii  l'oniiiniiic  de  ([ik'Is  ('Iriiicnls 
se  compose  notre  vie  iiUellecliiclle  cl  morale.  A  la  base  se 
trouve  la  siilistanee  de  Imiiic.  aiilislraliini  au<|ucl  adlicient  les  pro- 
priétés  et  les  t'aeultcs  de  l'honinie,  source  d'oiijaiUisseut  les  éner- 
ities  vitales,  centre  où  viennent  retentir  les  chocs  de  l'extérieur. 

A  cette  ànie  appartiennent  les  denx  facultés  d'intelligence  et 
de  volonté,  puissances  nées  de  la  féc(nidité  nu''me  de  l'âme, 
uiais  i-é(dlcment  distinctes  d'elle  (1),  aptitudes  permanrnl(^s, 
inertes  d  ahord,  agissantes  cusuile,  mais  indissohihleuicul  liées 
à  l'âme,  naissant  avi^c  clic,  immorlidles  cumme  elle,  jiersis- 
lantes  sous  la  uujljilité  continuelle  de  leurs  opérations. 

Ouand  une  de  ces  facultés  s'occupe  à  plusieurs  reprises  d'un 
(tiiji't  l'i  n'pctc  les  mêmes  act(>s  sur  un  même  sujel,  ih'  la  ré|)é- 
litiou  de  ces  .irlcs  naît  l'haliitude.  Qu'uiU'  inlelligcnce,  par 
exemple,  s'allachc  à  r('(ii(lc  de  l'astronomie,  (jn'(dle  eu  accepte 
les  pi'iuci|ic>.  (|ii'idli'  en  disculc  les  c\pi''ricuccs  cl  oi)scrvalious, 
(|u'cllc  eu  lasse  les  calculs,  ([u'(dle  eu  scrule  tous  les  |)ro- 
Mcmcs.  I)ieiitôl  il  se  l'ait  dans  c(4le  intelligence  iun>  pente  vers 
les  uiédilatious  a>tronoiui((ues  :  (dic  eu  aimera  les  vastes  aper- 
çus, elle  eu  parcourra  rapidement  les  immenses  horizons,  l'osez 
à  raslrouome  une  question  d'astronomie,  aussitôt,  avec  faci- 
lité', pi'omplitude,  agréuieut  et  certitude,  il  vous  douucra  la 
solution  d(''sir('e. 

l'acililé.  pei'l'ection  et  agi'ément  dans  l'opéraliou.  hdlcs  soûl 
les  heureuses  conséquences  de  l'iiahitudc.  Grâce  à  C(dle-ci,  la 
l'aculli'  saisit  plus  vile  cl  mieux  son  ohjet.  Daus  une  nuMue 
[uiissance,  il  peut  \  avoir  plusieurs  hahiludes,  suivant  les 
objets  auxquels  idles  s'adressent;  c'est  ainsi  qu'une  même 
intelligence  possédera  plusieurs  sciences,  c'est-à-dire  plusieurs 
aptitudes  s|)éciales  correspondant  à  de  unilli])les  (dijcls  parti- 
culiers. 

I']nlin,  les  facultés  et  les  habitudes  sont  ordonnées  cssentiel- 
hunent  «à  l'action.  Celle-ci  est  la  raison  d'être  de  c(dles-là.  l^a 
faculté  est  donnée  pour  agii';  l'habitude  aci|uise    2)  naît  de  la 


(1)  Cr.  Saint  Thomas,  Sonmie  lliéolo;/iijue,  I  p.,  q.  11,  a.  1,  5  cl  U. 

i2'  .le  dis  "  iKibitude  acquise  ",  parce  que  l'ordre  surnaturel  connaît  des  habi- 
tudes infuses  dont  les  résultats  sont  couipiiraldes  à  ceux  des  habitudes  acquises, 
mais  dont  1  origine  n'est  pas  dans  la  répétition  des  actes. 


i.\  l'SYiiKiUK.n:  i.T  LE  .s(7,'\.r;r;;;;;,  i:!;; 


ivpiHiliiiM  lies  actes  ol  nif-iic  à  les  priiilnii'c  plus  IV('m[ii('iiIs 
cl  plus  parfaits.  L'action  apparaît  momciilanéiiicnt  dans  la 
t'acultc:  c'est  une  application  transitoire  de  l'cneriiie  déposée 
dans  la  puissance,  et  celle-ci  est  une  source  permanente  ddii 
jaillissent  successivement  une  multitude  d'opiM-alion^,  ou  un 
taldeau  immohile  (u'i  >'inscrivenl  les  uns  apiès  les  aulic--  les 
])hénomènes  de  connaissance  ou  de  volonl(''. 

Tels  sont  Ii>s  l'h'ments  de  la  vie  des  t'acultés  :  suhstance  (l(^ 
l'àmc,  i'acullés,  liai)iludes,  opérations,  il  y  a  quatre  éléments 
correspondants  du  rnlr  siunaliirel. 


A   la   sulislance  de   l'âme  est  accordée  la  i;ràce  sanctitianl( 


^^■ 


élrc  surnaturel  accidentel  qui  vient  se  surajouter  à  l'âme  de 
pai-  la  i^i'iiiTosili'  divine.  (|ui  la  li-an>roiMue  cl.  d'une  àme 
purement  humaine,  en  fait  une  âme  (dii-idienne.  (!el  appoini 
de  la  jiràcc  sancliiiante  rend  l'âme  surinilni-(dle  el  lui  permet 
d'être  le  sii/isfru/iiui  de  la  charité  et  des  autres  vertus,  comme 
la  ^ul)-lanee  de  l'âme  est  le  siibsl  ml  uni  des  facultés.  I,es  vertus 
reposent  sur  la  iiràce  sanclilianle  à  la  façon  don!  les  puissanci's 
reposent  sur  l'âme     I   . 

Nous  avons  parh'"  de  vertus  :  elles  sont,  en  elTel,  les  puis- 
sances de  l'ordre  surnaturel,  i-llles  sont  données  aux  facultés 
nat>n"elles  pour  leur  rendre  possibles  les  opérations  de  la  \  ie 
chrétienne.  Les  vertus  sanctilient  les  facultés  comme  la  grâce 
sanctiliante  christianise  l'âme.  Sans  elles,  la  facull(''  ne  saurait, 
produire  ni  un  acte  de  foi,  ni  un  élan  de  charité,  ni  un  désir 
d'espérance.  Elles  nous  donnent  donc  la  possiliilité  de  poser 
certains  actes  comme,  par  exemple,  l'intelligence  donne  la 
possiliilité  de  connaître,  de  juger  et  de  rais(inner.  l'^lli's  son! 
réellement  les  puissances  surnatiu'elles  \'1\. 

(I)  Le  parallélisme  ne  doit  cependant  pas  rtre  pmissé  trop  loin  :  car  la  foi 
in'oi-nie  peut  exister  sans  la  fir.àce  sanctiliante,  tandis  que  l'intelligence  ne  sau- 
rait rtre  en  dehors  de  l'âme  et  avant  elle. 

1  ..  Ilomini  justo,  vitam  scilicet  vivenli  divinip  gratiiE  et  per  i-nnrji-uas  virinlea 
tdurfiiiim  jjei-  fiiciillales  df/enli  npus  pline  est  septenis  illis  quii'  proprie  dicuntnr 
Spiritus  Sancti  donis.  ■>    Encyclif|ue  Uiviniiin  illud  ininius,  't  mai  18117 


130  J  -A.  ClIOLLET 

S'il  on  est  ainsi,  ol  s"il  osl  vrai  que  U's  drnx  niccanisnios, 
celui  de  la  nature  et  celui  de  la  grâce,  se  côtoient  sans  cesse, 
il  est  évident  que  la  science  psychologique  est  la  base  de  la 
science  du  surnaturel.  Olui-ci  ne  pourra  s'expliquer,  — je  ne 
(lirai  pas  complètement,  car  le  surnaturel  est  mystérieux  par 
essence  —  mais  convenablement,  que  par  les  données  de  la 
psvcbologie  sur  l'âme,  ses  l'atullés,  ses  habitudes  et  ses  actes. 


111 

l'élargissons  riiorizon,  et  nous  verrons  croître  d'autant  l'o])- 
porlunité  des  études  psychologiques  pour  celui  qui  veut  se 
rendre  compte  de  la  vie  nouvelle  donnée  à  l'àme  par  la  grâce, 
l'ar  la  sanclilication.  l'àme  vil  de  la  vie  chrétienne.  La  grâce 
est  le  principe  de  cette  vie,  elle  n'en  est  pas  le  Inut.  La  vie 
chrétienne  se  manifeste  par  des  mouvements,  par  des  opéra- 
tions spirituelles,  par  des  connaissances,  des  actes  de  l'oi.  di-s 
aspirations,  des  tendances.  Il  y  a  là  fout  un  ensemble  d'éner- 
tfies  déployées  dans  l'âme  et  dont  le  résultat  est  de  la  perfec- 
tionner, de  la  grandir  et  de  la  mènera  la  consommation  finale  : 
comme  toute  vie  a  pour  l'onction  d'organiser  el  de  (lévcln|i[ici- 
lin  germe  initial,  ainsi  la  vie  chrétienne  est  l'évolulinn  de  la 
grâce  vers  la  gloire. 

Or,  ici  encore,  qui  doue  nous  éclairera  sur  la  vie  surnatu- 
relle sinon  celui  qui  possède  la  science  de  la  vie  naturelle  tb' 
lame,  le  psychologue  ?  11  est  nécessaire  d'avoir  recours  à  lui 
pour  apprendre  la  nature  de  la  connaissance,  le  mystère  de 
l'union  qui  s'opère  au  sein  de  la  faculté  entre  l'objet  et  le  sujet, 
les  formes  de  la  connaissan^-e,  la  science  et  la  croyance,  ses 
étapes  dans  la  conquête  du  vrai.  C'est  encore  le  psychnloguequi 
dira  ce  qu'est  la  volonté,  comment  elle  tend  au  bien  et  s'unit  à 
lui,  par  quels  moyens  on  l'excite  et  l'ébranlé,  par  (jucdles  voies 
elle  marche  vers  la  lin  de  la  vie  chrétienne.  Nous  le  verrons 
plus  loin,  le  foyer  de  cette  vie  chrétienne  est  dans  la  partie 
supérieure  de  l'àme,  dans  l'intelligence  et  dans  la  volonté;  de 
là  elle  rayonne,  s'épanouit  dans  les  facultés  inférieures,  se  tra- 
duit par  les  mouvements  et  démarches  des  relations  sociales. 


i.A  i'SYcii(ii.()i;ii-.  ET  LE  ,s/7i.v.\ 7/  ;;;•:;.  137 

La  science  de  l'espi-il  el  de  la  voloiilé  csl  tluiic  la  première,  lu. 
|ii'iiici|)ale  source  de  rensoignonicnts  sur  la  vio  surnaturelle. 
(Tesl  la  même  science  qui  donne  la  di'iinilion  de  la  vie, 
di'-monlre  la  nécessité  et  la  nature  de  son  princii»',  la  lonclion 
motrice  de  c(^lui-ci,  le  prorrssus  évolulil'  dont  il  est  la  source 
cl  l'ancnl.  l']n  un  mol,  |ioiii- liien  connaiire  la  vie  cln'(''lienne,  il 
faut  savoir  ce  (|ue  c'est  (|ue  la  vie  en  général,  et  ce  (jue  c'est  (|ue 
la  vie  (le  l'esprit  en  particulier,  et  cela  c'est  l;i  psychologie  qui 
l'enseigne. 

I^t  les  dons  du  Sainl-I'^sprit  jouent  le  n'de  d'hahiliules,  non 
pas  a<'quises,  mais  infuses,  déposées  de  ])ar  la  lionté  toute 
graluite  d(^  Dieu,  dans  nos  vérins.  De  même  (|iu',  grâce  à  ses 
liahiludes,  la  faenhi''  nahirelle  aileinl  avec  Facilité  el  |irompli- 
tude  son  olijet,  ainsi  ((  par  ces  dons,  l'esiiril  s(^  foi'lilie  et  devient 
apte  à  ol)éir  |)lns  facilement  et  plus  ])romplemeul  aux  paroles 
et  aux  impulsions  du  Sainl-I'lspri'  '■:  de  m(''nie  ipu'  les  lialii- 
tudes  donnent  à  la  faculté  le  pouvoii'  de  produire  des  actes  plus 
parlaits  et  plus  c(miplets,  et  ([u'clles  persistent  avec  elle  et 
devieniUMit  une  siM'onde  nature,  ainsi  «  ces  dons  sont  d'une  telle 
efiic.icih'  qu'ils  conduiseiil  riiommc  au  plus  liaul  (legr(''  de  la 
sainteté,  ils  sont  si  excellents  qu'ils  demeureront  les  mêmes 
dans  le  royaume  des  cieux  quoique  dans  \in  degré  j)lus  |iar- 
fait  »  :  de  même  (jue  l'Iiaiiililde  rend  les  acies  j)lus  agréaiiles, 
ainsi  les  donsdn  Saiut-l<]sprit  remjilissent  de  charme  l'accomplis- 
s(Mnent  des  actions  de  la  vie  surnatur(dle.  h  (iràceàeu.x,  l'âme 
est  amenée  et  excitée  à  acqué'i'ir  les  Ijéalitudes  évangéliques, 
ces  lleurs  que  le  printemps  voit  éclore,  signes  précurseurs  de 
la  béatitude  éternelle.  Enlin,  quelle  suavité  dans  ces  fruits 
énumérés  par  l'.Xpôlre  (1),  apportés  par  l'Esprit-Saint  aux  âmes 
just(^s  même  en  cette  vie  périssalde.  pleins  de  (huRMUir  et  d'al- 
légresse, t(ds  qu'il  convient  à  l'I^sjjrit  de  les  produire,  lui  {2) 
'  qui  est  dans  la  Trinité,  la  suavité  du  l'ère  et  du  Fils,  et  qui 
«'  répand  sur  loiiles  les  créatures  ses  généreuses  et  fécondes 
■<    largesses  ['^).  '• 

1   Gai.,  V,  22. 

2:  S.  Ait..,  de  Triitil.,  1.  VI,  c.  ix. 

:j'  "  Ilorum  cnim  S.  Spiritus  idonoruiii    benelicio  iiisiruitiir  aniiims  et  iiiuni- 
tiir    ut  ejus   vocibus   atque   iinpulsioni   facilius  pniiiipliiis'/iie   obscquatui'  :    h;rc 


Ijis  J.-A.  CHfiLLKT 

Le  Irmoigiiajio  ilo  l'Eglise  iiniis  allii-nic  dniic  le  imiMllrlismc 
ciiliv  ràiiio.  ses  rncultôs  et  li's  liahiliidcs  de  ecllcs-ii  dimr 
jiail  el.  d'aulrc  |iarl.  la  gràee  saiieliliante,  les  Y(>rlus,  les  dons 
(lu  Saint-Espril.  I.c  iiarallélisme  sera  eomplid  (piaiid  nous 
aurons  ajoulé  qu'un  (|uatriènie  iMémenl  surnalurel.  la  grâce 
acUielle,  nous  est  donné  pour  saneliiier  nos  opérations.  I^es 
grâces  actuelles,  que  l'on  app(dait  autrefois  les  (tu.riHa,  prévien- 
nent, acconipagneut.  complètent  les  actions  de  nos  ta(  iiilé~. 
Ce  sont  des  grâces  du  moment,  transitoires  comme  les  aclc- 
qnVlles  doivent  saneliiier  cl  disparaissant  avec  eux. 


IV 

l,a  psvcindogie  occupe  d'ail!cur>  nue  place  immense,  essen- 
tielle dans  la  théologie.  Suppi-imez-la,  el  la  théologie  verra 
toniher  les  meilleures  et  les  jdus  eonsidérahles  portions  de 
son  édilice.  Ouels  sont,  en  elVet.  les  objets  dont  s'occupe  la 
science  sacrée?  Dieu,  les  anges,  le  (IhrisI,  riiommc  <lr.  <h'  ces 
divers  êtres  idie  raconte  surtout  la  vie,  (die  dév(doppe  la  psy- 
(dmlogie. 

lnlerroge/-la  sur  Hien.  Aprè>  avoii'  lislingué,  dans  l'Inlini. 
i'iiiilé  de  nature  el  la  Ti-inité  de  personnes,  elle  vous  airètera 
d'ahiu'd  à  la  considération  de  la  vie  divine,  elle  vous  montrera 
(lue  là  réside  vraiment  et  proprenu'iit  l'essence  de  itioi.  car  en 
iJieii  l'essence  consiste  à  être;  or,  pour  la  théologie  el  la  |)liilo- 
sopliie  traditionnelles,  rircri-  rimi/i/nis  /-s/  rssi-, cho/.  les  vivants, 
vivre,  c'est  l'être.  Puis  de  longues  dissertations  vous  montre- 
lonl  l'exercice  de  la  vie  en  Dieu  par  les  deux  grands  actes  de 
la  eonuaissance  et  de  l'amour.  Connaissance  que  Dieu  a  de  lui- 

pruptL^rea  îlona  taiita'  siint  efficacilalii  \it  cum  ad  lastigium  sancliinonia'  aidu- 
cant,  tanta-riue  excellenti:p  ut  in  cœlesti  regno  eadem,  f|uanquaiii  perfectius,  per- 
seveieiil.  Ipsorunique  ope  cliarisinatum  pruvocalur  anitiius  et  l'IVertiir  ad  appe- 
tendas  adipiscendasqu-  beatitudines  evan'^elicis  qu.r.  perinde  ai-  llores  verni, 
tenipore  eruuipentes,  indices  ac  nunlia' sont  b.-atitatis  perpetim  mansiira'.  Feiicex 
denirpie  simt  l'ructiis  ii  ab  .\postolo  enunierati  quos  hoiiiinibus  justis  in  hac  etiani 
cadui-a  vita  Spiritus  parit  et  exhibet,  oiuni  relertos  diilceJine  et  gaudio:  cujiis- 
niodi  esse  debent  a  Spiritu  <■  qui  est  in  Trinitale  (ienitoris  Cenitique  suavitas 
..  infienti  largitate  atque  ubertate  perfundens  uuincs  creaturas.  »  —  F.ncyclique 
Hiiiniiiii  illud  muniis.  Il  mai  1897. 


se 


L.i  fsyriiituii;ii:  et  u:  srisyAii  iiei.  i;w 

mémo,  idôos  qu'il  jinsM'iIf  di-s  possibles  el  cxcniplarisnip  ôli-r- 
iH'l.  f()niuu>saiic('  (|iiil  a  du  niondo.  science  moyenne,  prédes- 
liiialidn.  ymnur  de  sa  nalui'c  el  des  chitses  créées,  liberté 
inlinie  :  Inus  ces  pr(d)lèmes  smil  au  preuiier  rantidans  l'iMiidc 
de  Dieu  el  lous  ces  problèmes  sont  psyclioloiiiqiies. 

j'sychologiques  aussi,  les  problèmes  de  la  Trinité.  Sain!  '["Iio- 
nias,  dont  les  questions  relatives  aux  trois  personnes  divin<'s 
sont  encore  aujnurd'luii  le  meilleur  traité  théoloi;iqne  sur  la 
matière,  déclare  ([ue  ])onr  bien  saisir,  autant  que  l'esiirit  Inimain 
en  est  capable,  le  caractère  des  jirocessions  en  Dieu,  il  i'aut 
recourir  aiivactiims  imnianenles  spirituelles,  en  d'autres  termes 
à  l'intelligence  el  au  voulnir.  (l'esl  rintelleclion,  c'est  l'amour 
<liii  diinnent  la  clid'  de  la  purlion  accessible  du  mystère.  Li- 
verbe  intellectuel  éclaire  un  peu  le  Verbe  divin,  l'amour  expliqui- 
l'Esprit-Saint.  Et  c'est  i)arce  qu'il  a  analysé  mieux  que  tnut 
autre  les  élémenls  de  la  connaissance  et  de  la  volonté  que  lan- 
i;élique  Docteur  a  pénétré  plus  loin  dans  rex|)loration  des  secrets 
■(''t(M'nels  de  la  izénératinn  du  l'ils.  de  In  jirocession  de  l'Espi'il- 
Saint  •  I   . 

La  psycbidoi;ie.  qui  lire  de  ses  connaissances  les  lumières  (|ue"- 
ncius  possédons  sur  les  relations  des  trois  personnes  entre  elles, 
nous  sert  encore  quand  il  tant  délinir  le  degré  de  science  dont 
r*sprit  bumain  est  capable  en  face  de  ce  redoutable  mystère. 
Elle  démontre  qu'il  est  indémontrable,  elle  donne  la  valeur  ili- 
■analogies  qui  sont  notre  seule  ressource  en  ces  questions. 


Après  Dieu,  la  lliéologie  considère  les  anges,  natures  spi- 
rituelles qui  écbappent  à  notre  investigation  scientifique  et 
connues  par  le  seul  canal  de  la  révélation.  Mais  leur  existence 
une  fois  révélée,  il  est  nécessaire  d'établir  la  nature  de  ces 
substances,   leurs  activités,  leurs  rappnrls  muluels.  leur  |iui>- 


1  fi  l'roi'essiunes  in  ilivinis  accipi  non  possunt  pisi  secundmu  actiones  i|ii;i- in 
agente  luanent.  liujusinodi  autem  actiones  in  natura  intellectuali  et  diviua  nnn 
siintnisi  du:p  ;  scilicet  intelligere  et  velle...  Relinquilur  igitiir  qucid  nulla  alia  pru- 
■cessio  possit  esse  in  Deo  nisi  verbi  et  amorls.  »  i^unnita  thcd.,  I  p.,  q.  2",  a.  .1. 


140  J.-A.  CHOLLET 

sanco,  le  genre  de  leur  intervention  auprès  de  nous  ou  dans  le^ 
monde  des  enrps.  Et  quelle  science  donc  viendra  au  service  de 
la  théologie  pour  la  guider  au  milieu  de  toutes  ces  refherches? 
La  psychologie  toujours.  Les  anges  sont  doués  de  vie  immaté- 
rielle et  elle  est  la  science  de  cette  vie.  Les  anges  n'ont  <iue 
deux  genres  d'opérations  :  l'intelligence  et  le  vouloir,  et  elle 
est  la  science  de  l'esprit  et  de  la  volonté.  Les  anges  ont  entre 
eux  des  rapports  de  langage  intellectuel  et  d'illumination  ;  et 
elle  est  la  science  du  verbe  mental  et  de  la  lumière  intcUec- 
liu'lle.  Les  anges  agissent  sur  nous  par  des  motions  exercées 
sur  nos  facultés  sensibles  internes  ou  externes  ;  et  elle  est  la 
science  qui  li'aile  de  ces  facultés.  Les  anges  enlin  agissent  siir 
les  corps  cul  nitliuii,  et  peuvent  par  leur  iniluence  être  simul- 
tanément dans  une  foule  d'endroits,  et  elle  est  la  seule  science 
qui  puisse  prouver  que  ce  pouvoir  appartient  aux  natures  angé- 
liques  parce  qu'elles  sont  des  esprits.  Les  données  théologiques 
sur  les  anges  relèvent  donc  avant  tout  de  la  psychologie. 


Descendant  du  ciel  sur  terre,  la  théologie  y  riMicontre  le 
Christ  et  l'homme  racheté.  Au  sujet  du  (Christ,  il  lui  faut  dé- 
crire sa  vie  interne,  la  vie  de  son  intelligence  et  de  sa  volonté, 
analyser  les  actes  de  cette  vie,  y  montrer  au  sommet  la  vision 
héatitique  dont  l'exercice  n'a  [>as  cessé  un  instant  ])our  le  Sau- 
veur à  partir  de  l'instant  de  sa  conception:  à  cette  vue  intuitive 
de  Dieu  se  joignait  la  cunnaissaïu-e  pro[)hétique,  lumière  mira- 
culeuse qui  permettait  à  Xolre-Seigneur  de  s'élever  au-dessus 
des  temps  et  des  lieux,  de  pénétrer  dans  le  secret  des  consciences. 
Grâce  à  elle,  il  pouvait  prévoir  l'avenir  et  prédire  la  ruine  de 
.lérusalem  ou  la  lin  des  temps;  grâce  à  elle  encore,  il  annonçait 
à  ses  disciples  la  mort  de  Lazare  arrivée  loin  de  lui,  ou  repro- 
chait aux  hommes  leurs  pensées  présentes  les  plus  cachées. 
Lnlin  il  possédait  la  connaissance  expérimentale  et  abstraite 
qui  s'acquiert  au  contact  quotidien  avec  les  personnes  et  les 
choses  et  qui  est  le  lot  de  tous  les  hommes.  Or,  de  tels  pro- 
blèmes dont  la  solution  jette  une  si  vive  clarté  sur  l'intérieur 


/..(  l'SYciiiiUK.ii:  ET  u:  sniSATi  in.L  tu 

(le  .l(''siis  cl  sur  :^('s  adi's  i-xtéricvirr;,  ccsl  la  ]is\cliiiloi;ie  soulr 
([iii  piMit  les  aborder  et  les  résoudre  il  . 


Vil 

Knlin  la  théologie  s'occupe  de  l'homme  rachet(''.  La  foi 
lui  ai'lirme  sur  le  composé  humaiu  et  sur  l'union  de  l'ànie 
cl  iju  lorps  des  dogmes  qu'elle  doit  étudier  et  développer,  cl 
iiu'rlli'  ne  saurait  comprendre  et  mettre  en  œuvre  sans  le  secours 
de  la  psychologie,  (l'est  encore  la  science  psychologique  qui 
vient  en  aide  au  moraliste  théologien  pour  di'dinir  les  vertus^ 
chrétiennes,  théologales  ou  cardinales.  N'est-il  pas  nécessaire, 
en  eiïet,  de  faire  la  psychologie  de  l'acte  de  foi,  de  l'acte  d'espé- 
rance et  do  l'acte  de  charité?  Les  vertus  de  prudence,  de  jus- 
tice, de  force,  de  tempérance  ne  sont  pas  autre  chose  que  le 
juste  milieu  trouvé  et  réalisé  dans  le  fonctionnement  des  facul- 
tés intellectuelles  ou  organiques  de  rhomine.  c'est-à-dire  tou- 
jours sur  le  terrain  psychologique.  Soit  qu'en  dogme  il  appro- 
fondisse la  nature  de  l'Iiomme  et  de  sa  vie,  soit  qu'en  morale 
il  étudie  les  vertus  luiumines,  leur  caractère  ou  leur  ])rnlique, 
le  théologien  est  nécessairement  et  avant  tout  un  psychologue. 

Il  l'est  encore  quand,  suivant  l'évolution  de  la  vie  chrétienne 
et  les  progrès  de  la  vertu,  il  décrit  les  ascensions  de  l'àme  dans 
l'oraison,  la  contemplation  et  les  étals  mystiques.  N'est-il  pas 
obligé  alors  de  constater  la  répétition  chez  le  saint  des  étals  de 
conscience  déjà  découverts  dans  l'àme  du  Christ?  I>es  phéno- 
mènes   de    connaissance  naturelle,   île   crovance    surnaturcdlc 


1  n  Le  Christ,  .-i  cause  de  l'union,  en  sa  personne,  de  la  nature  divine  et  de  la 
nature  humaine  la  plus  parfaite,  possède,  outre  la  connaissance  propre  à  la  divi- 
nité, toutes  les  connaissances  qui  peuvent  élever  Ihouiine  à  Dieu.  U  a,  du  Créa- 
teur, la  connaissance  analo^'ique  et  aha/raile  que  donne  la  vue  de  l'univers  ou 
la  foi  et  il  pousse  cette  connaiss.-nce  acquise  jusqu'aux  liuiites  des  forces  de  I  in- 
tellect agent  :  il  a  de  Dieu  la  connaissance  j/niphéliqtœ.  suprême  degré  de  la  con  - 
naissance  abstraite  que  donne  la  révélation  mystique,  et  cette  science  infuse  n'a 
pas  en  lui  d'autres  bornes  que  celles  de  la  capacité  de  son  intellect  possible  ;  enfin, 
il  a  de  l'essence  divine  hi  viaion  intiiilivc  propre  au.x  àuies  gloriliées.  et  cette 
vision,  bien  quelle  ne  soit  pas  couipréhensive,  est  cependant  supérieure  à  lu 
vision  dont  jouissent  les  bienheureux.  Cf.  S.  Tiicmas,  Suimna  llienl..  111  p.,  q  9-li- 
A.  Ciioi.i.iiT,  T/ieiilii</ica  lucrs  Ihemia,  n.  139  et  sulv.  »  V.\cant,  Dictionnaire  de- 
Thêiiliif/ie  ciil/iulir/up,  art.  abstrriile  (cnnnaissance),  inluilive.  cuniprêhensive. 


U->  .l.-A.  CHOLl.ET 

ou  (K-  visii)!!  |(rii|)li(''liqiu',  les  l'nils  do  iicrccplinn  aljslrailc  ou 
(l'idi'rs  inliiscs  (lôjà  m'tus  par  le  Sauveur  sonl  rououvclés  par 
los  saiuts  vl  la  psycl)oloj{ic  du  (llirisl  devicul  la  psycdioloiiii' 
<li's  saints. 

Plus  haul  encore I  Au  ciel,  la  grâce  se  transforme  en  une 
lumière  de  gloire,  {..a  foi  et  l'espérance  disparaissent  poiu-  lais- 
ser place  à  un  acte  unique  inliniment  lumineux  et  héatilianl 
de  vision  inluilive  cl  de  possession  divine.  I^'esprit  humain  mis 
en  face  d(>  Dieu,  élevé  par  le  dmi  divin  de  la  lumière  de  gloire, 
\i)'\[  le  Seigncnir  face  à  face  connue  il  s(>  voit  lui-nuMue  ci 
^'unit  à  lui  dans  le  m\stère  d'vine  intuition  indélinissalile.  i,a 
plume  se  refuse  à  di''crire  un  acte  (|ue  res|)rit  n'arrive  ni  à  sai- 
sir, ni  à  analyser:  l'homuie,  en  ce  monde,  est  impuissant  à  dire 
le  sort  qui  l'attend  en  l'autre  vie  et  l'état  île  conscience  où  le 
placera  la  vue  de  Dieu  :  mais  si  quelque  rayon  de  lumière  peut 
être  jeté  sur  ce  lionlieui-  infini,  >ui"  l'opération  éternelle  de  notre 
inlidligence  et  de  notre  vidonté  unies  ;i  Dieu,  c'est  encore  la 
psvcliologie  seule  (|ui  peut  en  être  la  dis|iensatrice.  11  suflira  de 
lire  dans  la  Sniimir  llii-dliK/Kiin-  \\<  la  iniiguilii|ue  page  consa- 
crée au  mode  de  la  \  ision  li(''alilii|iic  poui'  s'en  con\aim-re. 


YIII 

(les  (|uel([ues  pages  sulliseiit  à  di'moulrer  la  place  imjtor- 
lante  occupée  par  la  psyi  liologie  dans  la  science  du  surna- 
turel, dans  la  notion  di'  la  vie  chétienne,  dans  toute  la  lln-o- 
logie. 

La  place  ociiipiM'  par  le  surnatund  dans  la  |>sychologie  n'est 
guère  moins  importante.  Aussi  doit-on  reprocher,  comme  une 
défaillance  et  comme  une  erreur  historique,  à  la  science  con- 
temporaine de  l'àme,  son  naturalisme  exagéré. 

Certes  la  psychologie  doit  être  inspirée  surtout  par  les  don- 
nées de  la  raison  et  l'expérience  naturelle.  Hn  philosophie  pur<' 
(die  doit  mémo  |)uiser  exclusivement  à  ces  sources.  Alors  c'est 
l'homme  (jn'il  s'agit  d'étudier,  son  àme  qu'on  scrute  dans  les 

ili  Siipplemc/il..  q.  'M,  a.  i. 


i..\  l'SYciKiuKiiK  i:r  i.K  sni.sAn  itEi.  ui! 

^liirôrcnU's   pièces  (|iic   sii   iiiihiri'  comiMU'Ic.   (huis  les  (li\rrsos 
l'iiriiies  (le  son  activité  nati\t'. 

Mais  cet  Imnirnc.  ciicurr  t'aiit-ii  l'cxiilorrr  tel  i|u  il  ot.  (  M-, 
l'ii  l'ail,  chez  les  nations  qni  |)c'ns('nt  et  qni  «  psycliolo^iscnt  •>, 
riionimc  est  communément  constitue  parquelqnc  élémçMit  sur- 
naturel, pnisquil  est  chrétien,  et  cliez  tons  les  peuples,  il  est 
a|)pelé  à  vivre  surnaturellement.  A  la  psychologie  nalurelli 
<iui  ilé(  rit  la  faculté  de  l'âme,  il  y  a  donc  lieu  d"en  ajouter  une 
autre  qui  soit  le  complément  de  la  première,  qui  analyse  les 
résultats  psychiques  de  la  présence  du  surnaturel  dans  l'àme. 

On  s'est  appliqué,  avec  des  elTorts  louahles,  à  sonder  minn- 
tieusementtoutes  les  maladies  de  l'intelligence  ou  de  la  vo- 
lonté, on  en  a  énuméré  toutes  les  formes,  on  a  parcouru  loules 
les  étapes  de  la  déchéance  intellectuelle  et  morale  pour  en 
noter  les  défaillances  et  les  anomalies.  Pourquoi  à  côté  de  cette 
étude  n'en  ferait-on  |)as  une  autre  sur  le  fonctionnement  nou- 
veau de  l'esprit  et  de  la  lilierlé,  quand  nui'  l'ois  la  force  sui'ua- 
tnrelle  de  la  grâce  a  envahi  l'âme  ? 

La  grâce  est  un  don  essentiellement  immatériel  et  qui  appar- 
tient à  l'ordre  de  l'être  intellectuel.  Les  vertus  sont  des  forces 
ajoutées  à  l'intelligence  et  à  la  volonté.  Les  grâces  actuelles  sont 
<les  secours  accordés  aux  connaissances  de  l'âme  ou  aux  déci- 
sions du  libre  arbitre.  Le  surnaturel  est  donc  un  élément  psy- 
chique, (l'est  un  (''lémenl  nouveau  apporté  à  la  vie  inlellec- 
(n(dlc. 

tjuaiul  une  fois  il  est  eiili'é  dans  l'àme,  il  se  mêle  à  la  vie, 
pénètre  ses  facultés,  anime  ses  actes,  et  il  devient  impossible  de 
faire  la  psychologie  de  l'àme  chrétienne  sans  y  mêler  la  con- 
naissance du  surnaturel  comme  il  est  indispensable  d'éclairer 
h'  surnaturel  à  la  lumière  des  notions  psychologiques. 

Le  surnaturel  fait  comprendre  la  psychologie  du  chrétien, 
la  psychologie  aide  à  définir  le  surnaturel.  (>es  deux  chose-^ 
ileviennent  intimement  unies  et  la  science  de  leur  union  est 
la  jisi/c/io/iirjif  sin-niil iircllf . 

L'homnu^  n'est  |iliis  abandonné  à  lui-même.  Dieu  l'a  destiné 
à  la  vie  clirétii'nne,  il  y  entre  dès  son  ba|)tême.  Sous  l'onde 
régénératrice,  la  foi  et  les  autres  vertus  chrétiennes  viennent 
iiabiler  l'àme,  ennoblir  l'intelligence,  le  cu'ur  et  la  volonté. 


144  J.-A.  CIIOI.I.KT 

Tant  qu'elle  no  se  sera  pas  souillée  par  le  péché,  l'ànic  est  sous 
l'inlluence  des  vertus  :  quand  elle  les  aura  p(>rdnes  par  nn  acie 
de  prévarication,  les  grâces  actu(dles  ne  disparaîtront  pas,  elles 
seront  toujours  là,  assaillant  la  volonté  pécheresse,  la  sollici- 
tant, l'attirant,  la  poussant,  l'envahissant  de  leur  présence, 
l'inondant  d'un  Ilot  pressant  et  sauveur. 

11  n'y  a  pas  d'.'iomme  au  monde  qui  ne  soil  appelé  à  la  \ii' 
surnaturelle:  il  n'y  en  a  probaldement  pas  un  seul  dont  la 
psychologie  ne  renferme  en  l'ail  quelque  élément  surnaturel. 

Il  faut  donc  une  psychologie  surnaturelle. 

Nous  serions  injustes  si  nous  ne  reconnaissions  ([u/elle  existe 
depuis  longtemps  dans  la  théologie  catholi(]ue.  Des  saints 
comme  saint  Thomas,  saint  Jean  de  la  (h-oix,  sainte  Thérèse, 
saint  Fran(:ois  de  Sales  ;  des  écrivains  comme  Godine/,  Lopez, 
Wallgornera  n'ont  |)arlé  avec  tant  d'autorité  du  suruatur(d,  de 
la  vie  de  la  grâce,  des  vertus  chrétiennes,  des  moyens  de  déve- 
lopper cette  vie  et  ces  vertus  en  nous,  que  parce  qu'ils  élai(Mil 
des  |isychologuos  athcvés.  A  chaque  pas  on  rencontre  dans  leur:- 
(l'iivres  des  analyses  très  sagaces  et  très  Unes  des  opérations  de 
la  conscience  psychologique. 

Hien  des  livres  de  piété  écrits  et  plus  ou  moins  goûtés  de  nos 
jours,  sont  médiocres  surtout  par  défaut  de  cette  saine  et  solide 
psychologie  (jui  fait  la  valeur  des  ouvrages  ascétiques  d'autan. 
.\  la  direction  des  âmes  il  faut  de  la  psychologie,  comme  à 
l'étude  de  la  psyclioiogie  il  faut  la  connaissance  du  surnaturel. 

J.-A.   CIIOLLKT. 


LA    MORALE    DE    MALEBRANCHE 


I.  —  "  Il  n'y  a  [loinl  tic  scieiK-c  qui  ail  lanl  tlo  rappoiis  à 
niiiis  que  la  Morale  ;  c'est  elle  qui  nous  apprend  tous  nos 
•devoirs  à  l'égard  de  Dieu,  de  notre  prince,  de  nos  parents,  et 
généralen\ent  de  tout  ce  qui  nous  environne.  Elle  nous  enseigne 
même  le  cliemin  (juil  faut  suivre  pour  devenir  élernellemenl 
heureux,  cl  tous  les  hommes  sont  dans  une  ohligalion  essen- 
tielle, ou  |ilnl('>t  dans  une  nécessité  indispensahle  de  s'y  appli- 
quer uniquement.  Cependant,  il  y  a  six  mille  ans  qu'il  y  a  des 
hommes,  et  cette  science  est  encore  fort  imparfaite  (I).  » 

La  déclaration  qu'on  vient  de  lire  est  très  loin  d'être  isolée 
<]ans  les  ouvrages  de  Malehranche  :  on  l'y  rencontre  à  chaque 
pas.  Or,  ceux  auxquels  il  s'en -prend  de  cette  imperfecliou 
ijuil  regrelle  ne  sont  pas  seulement  les  philosophes  ou  de 
l'anliquilé  ou  des  temps  modernes;  ce  sont  les  tliéologiens, 
<•!■  sont  les  ecclésiastiques,  ou  réguliers  ou  séculiers,  ce  sont 
les  directeurs,  ce  sont  les  casuistcs.  il  n'épargne  à  ce  sujet  ni 
les  uns  ni  les  autres.  Donc,  si  l'on  cherche  comment  et  par  qui, 
dans  les  temps  modernes,  la  Morale  s'est  constiluée-à  l'état  de 
science  et  comme  paj'tie  intégrante  de  la  philosophie  ration- 
nelle, .Malebranche  est  certainement,  de  tous  les  grands  pen- 
seurs du  xvii'  siècle,  celui  auquel  il  est  le  plus  juste  de  faire 
honneur  de  ce  progrès.  Descartes  a  eu  des  vues  de  génie  sur 
l'application  des  règles  de  la  méthode  générale  à  la  conduite 
de  la  vi<>.  i'ascal  a,  comme  on  aime  à  le  répéter,  sécularisé  la 
Morale  en  faisant  prendre  en  dérision  ou  en  dégoût  —  jusqu'à 
l'excès  —  les  petites  considérations  particulières  relatives  aux 

fl)  lierl,..  IV,  II,  3. 


iU)  Henri  JOI.Y 

l'xcepliuiis  cl  nux  cas  iiuliviiliicls.  Malclu-aiichc,  lui,  a  (Hc  ici 
plus  méthodique  oL  plus  cumplct  que  Dcsctirtcs,  |)lus  juste  que 
Pascal  ;  et  il  n'a  pas  craint  de  payer,  pour  ainsi  dire,  de  sa  per- 
sonne, en  prenant  la  responsabilité  d'un  exposé  doj^matique 
iTe  la  Murale  tluMiriciiic  et  pratique. 

Tout  d'ahitrd  il  a  vu  le  proi)lème  de  si  haut  que  certaines 
(juestions.  destinées  à  n'être  j)osées  explicitement  qiu'  heaucoup 
plus  lai-d,  l'uni  (''\  idcnnncnl  pr(''nccupé. 

La  .Mi>rale  dépend-elle  de  la  mélaphysi(juc  ?  ou  la  mélaphy- 
si(iue  doit-elle  être  subordonrUM'  à  la  Morale  ?  Il  semble  que 
ses  écrits  fournissent  des  IcxLes  à  invoquer  jkmh'  chacune  des 
deux   li\  piilhèscs. 

Il  peut  arriver  (|ue  dans  d(^s  quesiidiis  encore  nbscures  on 
aboulissc,  |»ar  un  raisouncnu'ul  |)lausil)!c.  à  des  conséquences 
iriiublaiiles  |tiiui'  les  hununes  de  bunne  V(diinlé.  Alors,  on  dnil 
sarrètei'.  Ainsi  l'ait  l'aulcnir  du  Tniilr  ilf  la  iKtiiirc  cl  de  la  (jràic 
(juand  il  nous  dil  '  I  i  :  "  .l'avoue  ([uc  je  ne  sais  cimunent  Hieu 
peu!  d('ciiu\  rii'  b's  siiiles  des  aciinns  (|iii  ne  [ireni  jias  leur 
iiil'ailliliilili'  de  ses  décrets  absolus,  mais  je  ne  puis  me  résoudre 
à  pousseï"  la  métaphysique  aux  dépens  de  la  Morale,  à  assurei- 
i-omme  des  vérités  incunlcsialdes  des  opinions  contraires  au 
^cnlimeiii  in  lé'rieur  (|ue  j'ai  de  nioi-nièiiu'.  ou  enjin  à  parler  aux 
oreilles  un  certain  laiiiiajie  ipii.  ^-i'  nie  semble,  ne  dil  l'ien  de 
clair  il  l'esjjrii.  >i  Aussi  plus  d'une  l'ois  dans  st's  p(démi(|ues 
est-il  tenté  —  avec  mesure  et  discrétion  toutefois  —  de  réfuter 
les  doctrines  (>n  en  montrant  les  conséquences.  »  Je  puis,  ajou- 
tait-il, des  |)rincipes  oppi>sés  aux  miens  tirer  des  conséquences 
iiien  ]ilus  fâcheuses  que  celles  qu'on  prétend  suivre  de  la  liberté 
l(dle  (jue  je  la  suppose  en  nous.  » 

D'autre  pari,  les  textes  q\ii  élablissenl  que  la  métaphy'si(|ue 
est  le  fondement  de  tout,  y  ((unpi'is  la  religion  et  la  Morale. 
s<(nt  nombreux,  et  voici  l'un  des  plus  décisifs  :  »  On  veut,  écrit 
Malcbranche  à  l'un  de  ses  amis  (2),  que  je  fasse  une  métaphy- 
sique. Je  crois  en  efl'et  que  cola  est  fort  nécessaire,  (l'est  la 
bonne  métaphysique  qui  doit  tout  régler,  et  je  tâcherai  d'en 


(1)  Troisièiite  Diii.,  U'  paitio,  xxxviii. 
(21  Le  26  décembre  ICSC. 


/.  l    \l<'llM.i:  hl:   MM.EItHWIIIi:  147 

iiii'ii  «''talilir  les  principales  vi'-rili's  ([ni  Minl  lo  I'hikIimiichI  iIc  la 
rclisiioii  ri  (le  la  Morale.  " 

La  ciineilialiiin  e>l  ici  de  lur^iiie  nainre  (|ue  relie  ([ui  In  il  cdu- 
(•(inliM-  entre  elles  les  pensées  dn  |)liil(is(iphe  sni"  les  divers  slades 
de  rapidoi^étique  elircMienne.  il  y  a  intérèl  majeur  à  ce  (pie  la 
Miiiale  soit  respectée  comme  à  ci'  (jne  la  religion  soil  ôln'ie  — 
même  par  ceux  qui  ne  peuvent  remlre  logiqiu-menl  (roniple  ni 
de  leur  oiiéissance,  ni  de  leur  respect.  —  Il  y  a-donc,  répondra- 
l-iin.  niir  Murale  et  une  religion  indépendantes  de  la  reclienlir 
et  de  la  di''ni(iiis(raliiin  scienlitiqiir^  ilr  la  vi''rit(''  ?  —  (  )ui,  en  un 
sens;  car  il  iaul  hien  (jue  h^s  sciences,  même  les  plus  élevées, 
reposent  sur  des  données  simples,  accessiides  à  tons.  La  néces- 
-iti'  de  la  _Miiral<'  esl  une  do  ces  données,  cunime  la  nécessité' 
de  la  religion  en  est  une  autre.  Il  y  a,  grâce  à  Dieu,  des  gens 
qui  le  sentent,  même  quand  ils  ne  sont  pas  éclairés,  et  c'est  là 
pour  nous  une  donnée  précieuse.  Réduite  à  ce  qu'elle  a  d'es- 
sentiid,  celte  nécessité  se  présente  en  ellel  à  l'esprit  avec  une 
i-lart('  qui  suffit  ù  nous  ouvrir  la  voie,  si  toutefois  nous  avons 
les  dispositions  nécessaires:  car  ■•  ce  n'est  pas  la  raison  de 
l'iiomnie  i|ui  le  si'diiil.  c'est  son  conir  i  1  .  ■■.  C(dui  qui  est  dans 
«  une  disposition  respectueuse  »  à  l'égard  de  la  divinité  a  déjà 
l'essentiel  de  la  religion;  celui  qui  veut  agir  selon  la  raison 
et  selon  elle  seule  a  déjà  la  bonne  foi  ou  la  bonne  volonté  — 
par  conséquent  la  moralité.  Mais  comme  il  reste  toujours  à 
«•onstruire  une  science  de  la  religion  par  des  démonstrations 
coordonnées,  il  reste  aussi,  pour  l'honneur  de  l'esprit  humain 
et  pour  le  bien  de  l'hunumité,  à  constituer  unv  science  de  la 
.Morale.  Ce  n'est  pas  elle  (jui  créera  cette  nioralile  fondamentale, 
à  la  portée  des  plus  simples  ;  elle  la  trouvera  préexistante,  elh^ 
la  respectera,  elle  s'en  servira,  comme  la  géométrie  se  sert  de  la 
ligne  droite  et  de  la  distinction  du  tout  et  de  ses  parties  ;  mais, 
comme  la  géométrie  elle-même,  encore  ime  fois,  elle  voudra  faire 
>ortir  de  ces  premières  notions  une  science  tout  entière  :  et  là 
elli-  ne  pourra  réussir  (|u'en  s'appuyant  sur  la  nKHaphysiqne   2  . 

il)  Treizième  Êcluircissenienl  sur  la  Rcrii. 

(2i  Certains  philosophes  (en  (ies  thrses  de  doctorat,  nutauiment)  ont  rru  trouver 
le  kantisme  dans  les  idées  morales  de  Desrartes.  U  n'était  donc  pas  inutile  de 
jirévenir  pareille  illusion  pour  ce  i|ui  concerne  Malebranche. 


148  Hemii  JOLY 

11.  —  D'aljord,  il  i'aiil  que  la  Morale  snil  une.  11  pcul  jiaraili-e 
étrange  que  Malehranche  ait  cru  devoir  tant  insister  sur  une 
vérité  si  évidente,  et  plus  étrange  eneore  que,  parmi  les  ennemis 
et  les  amis  trop  peu  conséquents  de  cette  unité,  il  ait  rangé 
<?.xpressémenl  la  plupart  des  ordres  religieux  de  son  tem|)s. 
Déjà,  au  point  de  vue  proprement  philosophique,  il  leur  en 
voulait  fort  de  ne  pas  se  rallier  ass-ez  vite  à  la  belle  simplicité 
du  cartésianisme  et  de  s'obstiner  dans  ce  que  la  selinlasti(iue 
avait,  à  ses  yeux,  (l'in((di(''renl.  Ils  s'y  obstinaient,  pourquoi? 
Par  amour-propre,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  |)ar  esprit  de 
forps.  «  (>e  qui  est  vrai  à  Paris,  dit-il  inuiicjuemenl,  est  taux  à 
Rome  :  ce  qui  est  certain  chez  les  Jacobins  est  faux  chez  les  Cor- 
<Ieliers  ;  ce  qui  est  indubitable  chez  les  Gordeliers  semble  être 
une  erreur  chez  les  Jacobins.  Les  Jacobins  se  croient  obligés  de 
suivre  saint  Thomas,  l'ourquoi?  (^est  souvent  parce  que  ce  saint 
dnrieur  (Mail  de  leur  ordre.  Les  doribdiers,  au  contraire,  em- 
brassent les  scnlimcnls  de  Scol,  |)arce  (jui-  Scot  était  Corde- 
lier  (1  ).  »  De  même  il  sul'lit,  à  l'eu  croire,  de  «  quelques  évèques  » 
excommuniant  comme  biM-élicpirs  des  piiilosophes  qui  pensent 
autrement  qu'eux,  pour  créer  des  factions  qu'éehaull'e  un  zèle 
indiscret  et  <<  un  sentiment  confus  »  de  piété  mal  comprise.  Or, 
ce  n'est  pas  seulement  dans  la  science  pure  que  de  telles  diver- 
sités provoquent  les  regrets  et  presque  l'indignation  de  notre 
philosophe;  c'est  bel  et  bien  dans  la  .Morale.  Il  s'en  explique 
très  nettement  dans  ime  page  admirable  et  qui  me  parait  à 
<iter  ici  tout  entière. 

"  Certainement,  la  Raison  universelle  est  toujours  la  même  : 
l'Ordre  est  immuable  ;  et  cependant  la  Morale  change  selon  les 
pays  et  selon  les  temps.  C'est  vertu  chez  les  Allemands  de 
savoir  boire  :  on  ne  peut  avoir  de  commerce  avec  eilx  si  l'on  ne 
s'enivre.  Ce  n  est  point  la  Raison,  c'est  le  vin  qui  lie  les  sociétés, 
<jui  termine  les  accommodements,  (jui  fail  les  contrats.  (J'est  gé- 
nérosité parmi  la  noblesse  que  de  répandre  le  sang  de  celui  qui 
lui  a  fait  quelque  injure.  Le  duel  a  été  longtemps  une  action 
permise;  et  comme  si  la  Raison  n'était  pas  digne  de  régler  nos 
différends,  on  les  terminait  par  la  force  :  on  préférait  à  la  loi 

(1)  Recli..  V,  VI. 


(If  l)ii'ii  niriiir  la  lui  des  liiiilr>.  un  le  scirl.  l'Il  il  ne  l'aiil  |ias 
N'iniai;iiici'  ([iic  celle  (•(luliiiiie  ne  lui  en  u-^auc  ([ne  [larnii  les 
j;oris  (le  siuerre.  elle  elail  |iresqiK>  générale  ;  el  >i  les  ecclésias- 
tiqni>s  ne  se  liallaioni  pas.  par  rospcc'  pour  knir  eaiaelère.  ils 
avaient  di'  bravos  clianipions  ([ni  les  rcprésenlai<'nl.  el  ({iii 
soiilenaieiil  lenr  linn  (li'iiil  en  versant  le  san;^  de-  pailie-,  ll> 
s'iniaginaieni  même  (|n(>  Dieu  appriuivail  leur  eunduile  ;  id 
soit  ([u  lin  terminal  les  dilVéri'nd>  par  le  dnel,  on  j)ar  sort, 
ils  ne  dunlaienl  pninl  (jne  llien  ne  pri'sidàt  au  jniicmenl  et 
(|n"il  ne  donnât  gain  de  cause  ù  celui  qui  avait  raison,  (lar. 
supposé  que  Dieu  agisse  par  des  voldulés  particulières,  ce  ([ue 
croit  le  monde,  ipndle  impiidi'  (|ue  île  craindre  nu  qu'il  l'avo- 
i'i--e  rinju-lice.  iiu  que  >a  providence  ne  s'étende  pas  à  toutes 
choses: 

(<  Mais  sans  aller  eiiendiei'  de-  coulnme-  damnaldes  ilaiis  les 
siècles  passés,  que  chacun  juge  à  la  Inmièi'e  de  la  liaisun  des 
coutumes  qui  s'observent  maintenant  parmi  nous,  cm  [iluliM 
qu'on  fasse  seulement  attention  à  la  conduite  de  cen\  mènu's 
(jui  sont  établis  pour  coiuluii'e  les  auti'es.  Sans  <loule  on  liou- 
vera  souvent  que  chacun  a  sa  Morale  pai'licnlir'ie,  sa  dévolion 
propre,  sa  vertu  favorite  :  que  tel  ne  parle  que  de  pénitence  el 
de  morlilication  :  lel  n'estime  que  les  devoirs  de  (duirilé  :  tel 
auti'e  enlin  (|in'  l'éduile  el  la  [irière.  Mais  d'ofi  |ieul  venir  celle 
diversité  si  la  Haison  de  l'homme  esl  toujours  la  nn"'me  .'  (l'est 
sans  doute  i[u'on  cesse  de  la  consulter,  c'est  qu'on  se  laisse 
conduire  à  l'imagination  son  ennemie,  (l'est  qu'au  lien  de 
regarder  i'tJrdre  immuable  comme  sa  loi  in\  iidable  et  naturelle, 
on  se  forme  des  idées  de  vertu  conformes  du  jnoins  en  quelque 
chose  à  ses  inclinations,  ('ar  il  y  a  îles  \ertus,  ou  plntôl  des 
devoirs  qui  ont  rapport  à  nos  hunuMirs  :  des  vei-lus  l'clalanles 
propres  aux  âmes  Hères  et  hautaines:  des  vertus  basses  et  humi- 
liantes, propres  à  des  esprits  timides  et  craintifs;  des  viM'tus 
molles,  pour  ainsi  dire,  el  ijui  s'accommodent  jiien  avec  la 
[laresse  et  l'inaction  i  I  1.  » 

Si  l'on  s'étonnait  trop  de  cette  sortie  éloquente  et  s|)irituelle, 
nous  n'aurions  qu'à  rappeler  comment  la  Morale  était  alors 

(1)  Tr.  de  Morale,  1"  partie,  c.  ii,  pp.  7,  S. 

10 


ir,o  iiENfii  JOLV 

systéniatiqucmcnl  scimh'c  m  deux  parlics,  i-cndiics  prc^cji:!' 
étrangiTcs  liiiir  à  l'antre,  l'iino  rogarilant  la  \\c  ôlcrnoUt",  et 
l'aiilrc  la  vie  Icnipuielh'.  I']lait-cp  une  des  eonséqiionees  loin- 
laines  des  divisions  mal  apaisées  du  Sacerdoce  et  de  riùnpire? 
En  tout  cas,  il  t'st  certain  que  le  pouvoir  du  Prince,  surtout  en 
s'étendaiil.  coninie  il  le  taisait,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  splicrc 
du  droit  proprement  dit,  créait  coninu^  une  région  moi-ale  entiè- 
remeut  disliiicte  de  la  précédente,  l.eilmiz,  lui  aussi,  rencon- 
trera devant  lui  ce  préjugé  et  mettra,  comme  on  sait,  tous  ses 
soins  h  le  conilialtre  :  mais  .Malehranche  lavait  devancé.  11  avait 
parfaitement  vu  qu'à  ce  manque  d'unité  s'yjoulaiL  comme  une 
consé(|uence  logi(|ue,  mais  désaslrense,  un  appel  divergent  à 
(len\  autorité's  tinalement  insul'tisantes,  celle  des  supérieurs 
ecclé>iasti(|ues  d'un  côlé,  eelle  des  sn|)érienrs  Lemponds  de 
r,iiilre  :  ni  les  [iremiers  ni  le>  seconds  ne  s(nigeai(Mit.  en  ell'el. 
comnu'  ils  l'auraient  dû,  à  l'autorité  par  excellence  qui,  seule, 
aurait  pu  les  forcera  se  uuHlre  d'accord.  \e  soul-ce  point  là  ces 
deux  iiuissances  dont  Descaries  se  délie,  (inaïul  il  se  défend  de 
vouloir,  en  trailanl  "  des  UKi'urs  »,  empiéter  sur  les  droits  ou 
de  ■•  ceux  (|ue  jtieu  a  (Halilis  pour  son\ crains  sui'  ses  peuples  », 
on  di'  "  ceux  au\(|nels  il  a  donné  assez  de  grâce  nu  de  zèle  pour 
éli-e  pi-ophètes  '..  Un  monn'ul  ou  l'on  se  mellail  ainsi  hors 
d'état  de  discuter  les  principes  communs  des  deux  morales, 
on  eu  acceptait  séparément  les  |)rescriptions  comme  autant  de 
maximes  indémonlrahles.  réclamant  une  (diéissance  aveugle  et 
passive.  <>r,  inu'  telle  oliéissance  n'a  aucune  valeur,  elle  ne  sert 
<|u'à  llatter  tout  à  la  fois  et  la  "  paresse  des  inférieurs  "  et 
.<  l'orgueil   "  de  ceux  qui  commandent. 

L'inconvénient,  sans  doute.  Mal<'i)ranclie  ur  pon\ai(  pas  le 
méconnaître,  était  plus  grand  dans  l'ordre  lempond.  (jui.  di's 
deux  aspects  de  la  nature  divine —  puissance  et  raison  —  repré- 
sentait trop  exclusivement  le  premiei'.  .Mais  eniin,  l'ordre  spiri- 
tuel non  pins  n'en  est  e.xcmpt  ni  dans  son  gouvernement,  ni 
dans  les  décisions  de  ses  tribunaux,  ni  dans  l'esprit  qu'il  l(dèri> 
—  souvent  parce  qu'il  l'ignore  —  chez  bon  nombre  de  ses  pré- 
tendus ser\  ileurs.  ni  par  consé(|uenl  dans  les  maximes  qu  il 
laisse  propager  len  delim-s.  bien  entendu,  de  c(dles  qui  sont 
seules  assurées  de  rinfaillibilité  doctrinale).  Voilà  ce  que  Maie- 


LA  MdiiMK  /</■;  MM.Eitu.wrin:  v:a 

îiram-lic  pense  et  ce  qu'il  dit  avee  un  mélange  si  original  de 
i^-andeur  et  de  vivacité. 

Ainsi  chassé  de  lexanicn  des  principes  dans  les  deux  parties, 
mutilées  Tune  et  l'autre,  de  la  Morale,  l'esprit  de  discussion  et 
lie  raisonnement  se  réfugiait  dans  l'examen  des  applications; 
<H  la  conscience  l'y  suivait,  en  grand  danger  d'être  faussée.  Ile 
là  le  développement  considéralile,  de  là  les  succès,  mais  aussi 
les  raflinenienls  et  les  excès  dangereux,  tant  de  la  direction  de 
<:onscience  ijue  de  la  casuistique. 

111.  —  Maleliranche  n'est  tendre  ni  pour  l'une  ni  pour  l'auire. 
I.à,  d'ailleurs,  il  se  trouve  en  honorable  compagnie  :  car  il  |)arli' 
comme  Bossuet  et  comme  La  Bruyère.  Il  est  un  peu  moins  >ati- 
rique  que  La  Bruyère;  mais  ce  n'est  pas  au  hasard  que  je  dis 
simplement  :  un  peu;  car  il  est  loin  d'être  sans  malice  dans  le 
rapprorhenient  qu'il  poursuit  entre  les  directeurs  et  les  méde- 
cins, i>  les  premiers  donnant  ([uelquefois  la  mort  à  l'àme  comme 
les  seconds.  (|uand  ils  sont  peu  experts,  la  donnent  quelque- 
fois au  corps  1 1  ».  Force  est  bien,  il  l'avoue,  d'avoir  recours  aux 
uns  et  aux  autres,  et  il  ajoute  avei-  un  iindange  de  l>oniiomic 
humble  et  d'ironie,  mais  où  l'ironie  parait  teri'iiilement  domi- 
ner :  «  Je  sais  qu'il  y  a  une  bénédiction  particulière  de  sou- 
nuHtre  ses  sentiments  à  des  personnes  sages  et  éclairées,  et  ji- 
veux  même  croire  que  cette  règle  générale  qu'il  faut  mourii- 
dans  les  formes  est  plus  sure  pour  le  commun  des  hommes  qui> 
<-elles  que  je  pourrais  étalilir  pour  la  conservation  de  la  vie.   ■> 

Pour  la  conservation  de  la  vie  morale  eependanl,  le  pliilo- 
soplic  se  résigne  moins;  car  il  admet  plus  volontiers  encore 
l'appel  au  médecin  que  le  recours  trop  fréquent  à  un  directeur 
quelconque  (2).  U  a  pour  cela  deux  raisons.  D'abord  nous  dissi- 

(1)  Treizième  Éclaircissciiieiil. 

ri)  Voici  le  conseil  qu'il  donne  à  ce  sujcl  :  il  n'est  i)as  s:m>  jeter  un  singulier 
j.jur  sur  l'insuriisauce  des  directeurs  qu'on  s'attrilniait  dans  un  certain  monde  : 
"  Lorsqu'il  est  à  propos  de  consulter  un  directeur,  il  /im/  en  choisir  un  qui  sarlie 
lu  relii/ioii.  qui  respecte  l'Écwif/ile,  qui  connaisse  l'hoiimie  :  il  faut  prendre  garde 
<iue  l'air  du  monde  ne  l'ait  point  corrompu,  que  r.iuiilié  ne  l'oit  point  rendu  mou 
ni  complaisant  et  qu'il  ne  craigne  et  nespùre  rien  de  nous.  »  (Treizième  Èrluir- 
<.-i.sseiuenl.)  Il  va  sans  dire  ipic  ces  franches  attaques  contre  la  manie  des  direc- 
teurs ne  louclie  en  rien  au  sacrement  de  pénitence:  car  Malebranche,  dans  son 
Truite  de  Murale,  en  fait  ressortir,  au  contraire,  l'iuiportance,  avej  sa  pensée 


15-2  Henri  JOI.Y 

muions  ou  déguisons  pins  de  dioscs  au  diroitcur  (|u'au  méde- 
cin ;  puis,  en  général,  uiins  pouvims  pins  l'acilenieul  nous  éclai- 
rer nous-mêmes  sur  le  nuil  de  Fàme  sans  le  secours  du  preuiier 
<jue  sur  le  mal  du  corps  sans  le  secours  du  second.  Les  abus 
de  la  direction  et  de  la  casuistique,  en  effet,  ne  sont  pas  seule- 
ment impulahles.  tant  s'en  faut,  aux  directeurs  et  aux  casxiisles. 
Xiuis  qui  li's  consultons,  qiu'  faisons-nous?  <•  Nous  mêlions 
insonsibleuienl  la  main  >ur  noire  jdaie  quand  rllr  nous  l'ail 
honte:  nous  [rompons  souvenl  ceux  (|ui  nous  dirigent,  aliu  de 
nous  tromper  nous-mêmes;  car  nous  prélendons  èlre  en  sûreté 
lorsque  nous  les  suivons.  Ils  nous  conduiseni  là  on  nous  avons 
<lessein  d'aller,  et  nous  lâchons  de  nous  persuader,  malgré  la 
lumière  et  les  i-eproches  secrets  de  notre  raison,  ([ue  c  esl 
j'oiiéissance  (|ni  nous  détermine...  ■>  Nous  cherchons  des  direc- 
li'iu'-  (jui  nous  (■ons<denl  de-^  l'epi'oches  de  .lésns-Chrisl.  n  ijui 
nous  as>urenl  conlrc  ses  nu'iuu'es  el  (jui  coumcuI  de  nuages 
agnsildes  celle  luniièri'  ([ui  nous  blesse  el  (|ni  nous  pénèlre  ». 
I.c  mal  signalé  là  dcvail  rire  grave  d  r('piindn.  car  c'esl  bim 
là  ce  que  dira  Hourdaloue  el,  plus  fortement  encore,  Hossuel  i  I  i, 
mais  les  deux  grands  maîtres  de  la  chaire  oui  surloul  en  vue 
les  prescriplions  impératives  de  l'Kvangile  el  la  nécessili'  de 
ne  pas  en  Icniir  iii1ilici(dli'nii'nl  la  pure  lumière.  Ce  (jue  Male- 
branciu'  ajoute,  c'est  la  dénKinsIralion  philosophique  (|u'il  faut 
chercher  une  mm-ale  uiu',  é(dairaiil  alisoinmeni  lout  ce  qui  nous 
intéresse  de  la  lumière  de  la  raison:  c'esl  (•n>nile  l'idi'e  que 
celle  l'echerche.esl  possible,  (jnelle  doil  al lira   l'iA  ideilcc  el 


iDiistiMte  Je  iiii'Icr  la  pliilosoptiie  à  b  théologie.  Il  expliiiue  longuement  roiii- 
iiiciit  l'absolution  du  prrire  n'a  pas  seulement  pour  vertu  de  remettre  les  péchés, 
mais  change  la  résolution  actuelle  en  disposition  habituelle,  le  prêtre  étant  ctabli 
comme  aiuse  occasionnelle  de  la  grâce  nui  doit  donner  la  charité  justifiante. 

I\]  Par  exemple,  dans  son  sermon  Shc  la  haine  des  hommes  contre  la  vérilé. 
I.  Et  en  ellet,  chiéliens,  lorsque  nous  formons  tant  de  doutes  et  tant  d'incidents, 
(lue  nous  réduisons  l'Évangile  et  la  doctrine  des  mœurs  a  tant  de  questinns  arti- 
ficieuses, que  faisons-nous  autre  chose,  sinon  de  cliercher  des  iléguisements  ? 
Et  aue  servent  tant  de  questions,  sinon  a  faire  perdre,  parmi  des  détours  infinis, 
la  trace  toute  droite  de  la  vérité'?  Ne  faisons  ici  la  guerre  à  personne,  sinon  à 
nous-mêmes  et  à  nos  vices  :■  mais  disons  hautement  d.ms  cette  chaire  (pie  ces 
pécheurs  subtils  et  ingénieux  qui  tournent  l'Évangile  de  tant  de  cijtés,  qui  trou- 
vent des  raisons  de  d.niter  de  l'exactitude  de  tous  les  préceptes,  qui  fatiguent  les 
casuistes  par  leurs  consultations  infinies,  ne  travaillent  ordinairement  qu'à  nous 
envelopper  la  règle  des  mœurs...  Le  n'est  pas  ainsi,  chrétiens,  que  doivent  être 
les  enfants  de  Dieu.  » 


LA   \inn.\i.i:  /</■;  i/.i/,;;;;;;.i.vr;(K  is:t 

quViiliii  l'i'lnilc  (Ir  lii  iialiii'i'  de  riiuiiiinr  nniis  rrvrlc  iinii  iMi)in-. 
cliiirriiicnl  les  niii\i'iis  de  [ira(i(|iii'r  nui'  Irllc  iiioraK'  avec  snrcir' 
cl  a\  iM-  rccl  i  lihlc. 

IV.  —  l.a  |iirii'('  (le  Imirlir  ilc  la  V(''l'il(''.  (•'es!  ruiiih'',  c'csl  aussi 
—  (•(-  (jiii  y  liciil  (le  prrs  —  l'miiM'rsalih'.  I.iirs(|iriiii  homme,  dil 
.Malcliraiiclic,  préfère  la  vie  de  son  cheval  à  eelle  de  son  eoilier, 
il  a  ses  raisons,  car  on  ne  f'ail  l'icn  sans  iiintil',  mais  ce  soul  (!e> 
l'aisons  particulicj'es  donl  Imil  liimimc  raisoiiiiahie  a  liori'eiir. 
«  (]e  soni  des  raisons  qui,  dans  le  Fond,  ne  sont  pas  raison- 
nables, parce  qu'elles  ne  sonl  pas  conformes  à  la  souveraine 
raison  ou  à  la  raison  universelle  que  tous  les  hommes  consul- 
Icnl  >\  '.   .. 

Mais  l'universalilé,  la  trouverait-on  dans  des  règles  e[  des 
prcscripliiins  arl)ilraires  ?  i.a  lln^oloiiie  mèm(>  du  Trai/r  ilc  li\ 
jiii/iirf  ri  lie  la  i/rdcc,  ses  pivifondes  disliiiclious  cnlri'  les  |()i> 
<H  les  décrets  nous  défendent  de  cette  illusion.  Xous  le  savons; 
aucun  sophisme  ne  nous  a  été  donné  comme  plus  dangereux 
pour  le  sens  commun  comme  pour  toute  espèce  de  certitude, 
que  celui  qui  veut  que  tout  (h'rivc  de  la  volonté  pure  et  simple 
<l('  Dieu...  (sous-entendons,  à  nen  pas  douter,  a  fortiori,  ài^  la 
volonli'  d'un  homuK^  (pud  qu'il  soitl.  A  ce  com|)te,  on  ne  pour- 
rait nuMiie  [)lus  priHendre  (|ue  Néron  ait  eu  tori  de  Iner  sa  nu're  ; 
<'ai'  il  est  clair  qu'un  Uomain  ignorait  le  Décalotiue  donné  aux 
.luii's.  Ainsi  on  ne  pinirra  trouver  rien  à  redire  aux  actes  les 
plus  infâmes  et  les  pins  injustes  des  païens  auxquels  Dieu 
n'avait  point  donné  de  préceptes  formels,  ['our  revêtir  un 
;ispect  philosiq)iii(|U('  et  s'abriter,  ainsi  parée,  sous  l'autorité 
même  de  DescarLes,  l'erreur  n'en  est  pas  moins  désastreuse. 
<'-ar  alors  »  lout  est  renversé  ;  il  n'y  a  plus  de  science,  plus  de 
UKjrale,  plus  de  |)reuves  incontestables  de  la  religion  (2)  »  ;  et 
avec  celle-ci  nous  perdons  même  l'espoir  déjà  si  téméraire  de 
demander  incessamment  à  Dieu  de  nous  dicter  notre  conduite. 
Le  premier  venu  pourra  donc  soutenir  à  nouveau  tous  les 
scandales  que  Montaigne  rappelle  et  qu'il  excuse  comnu'  aulanl 


(1)   Treizième  Erlairi-issemciil. 

(i    lluHieme  Écliiircissement.  CI'    le  dijième  et  le  /rci^ièiiie. 


)!i4  Henri  .IOI.Y 

(le  prouves  dos  incorlitudos  do  la  ^loralo  hiimaiiio  chez  les 
nations.  Pourquoi,  s'écrie  ^laloljranolio,  condamiiora-t-on  ces 
sontimonts,  s'il  n'y  a  un  ordre,  une  règle,  une  raison  universelle 
<•(  nécessaire  qui  se  présente  toujours  à  ceux  qui  peuvent  ren- 
trer en  eux-mêmes  ?  Nous  ne  craignons  pas  de  juger  les  autres 
l't  do  nous  juger  ndus-mèmes  on  bien  dos  rencontres.  Mais  sur 
(|Uolle  autorité  lo  faisons-nous  si  la  liaison  qui  juge  en  nous, 
lorsqu'il  sembii^  (juo  muis  ])ri>noncic>ns  dos  jugements  contre 
nous  et  contre  les  autres,  n'est  notre  souvoraino  et  celle  do  tous 
les  hommes  ?  » 

(lotie  théorie  lui  louait  fort  au  co'iir.  bien  qu  rlio  li'  mit  dans 
la  nécessité  de  se  séparer  do  son  maître.  Mais  il  y  attachait  tant 
diiuportanci'  qu'il  y  revenait  sans  cesse  :  jusque  dans  son  der- 
nier traité,  lir/lr. rions  sur  la  Prémulion  jilii/sifjiie  (ii.il  retrouve 
pour  la  soutenir  l'ardeur  de  ses  jeunes  années.  Si.  dil-il.  Dieu 
n'était  que  tout-puissant  et  semblable  aux  Princes  qui  se  glori- 
liont  plus  de  leur  puissance  que  de  leur  raison,  "  llobbos,  Locke 
cl  (|uelques  autres  auraient  découvert  le  vrai  fondement  do  la 
.Morale,  cl  l'anturilé  kU'  la  puissance  donnant  sans  raison  droit  à 
faire  tout  ce  (]iron  veut  quand  un  n'en  a  rien  à  craindre  >.. 

Mais  maintenant.  (|u'est-co  que  c(>tte  liaison  universelle  el 
s((uveraino  que  Kiou  niènn^  consulte  on  lui  et  applique  hors  do 
lui  .'  V.\\  liion  !  c'est  l'Ordre  immiuible  et  nécessaire,  évident  d<> 
lui-même  et  subsistant  par  lui-mênu'.  L'obéissance  à  cet  ordre, 
vnilà  le  premier  ])rincipe  objectif  de  la  Morale.  .Malebr.anche 
scuitient  ffu'il  ne  s'impose  pas  moins  à  la  Raison  que  les  prin- 
cipes de  la  géométrie  (2). 

(lar,  enlin,  y  a-t-il  quelqu'un  qui  doute  qui!  faille  préférer 
sfin  ami  à  son  (diien  ou,  comme  nous  lo  disions  Imil  ."i  l'heure 
(l'auteur  semble  se  plaire  à  cette  comparaison i,  la  vie  de  son 
cocher  à  celle  de  son  cheval  i^i?  Peut-on  douter  de  même  que 
l'esprit  vaille  mieux  que  la  matière  qui  ne  pense  pas?  «   La 

(1)  V.  pp.   ISO,  187. 

C2)  C'est  ce  que  dira  Leibniz  :  «  La  justice  suit  certaines  règles  d'égalité  el  de 
proporlions  qui  ne  sont  pas  moins  fondées  dans  la  nature  immuable  des  choses 
et  dans  les  idées  de  l'entendement  divin  que  les  principes  de  raiitlimétique  et  de 
l:i  i-'Oométrie.  " 

.;<)  Malebrancbe  ajouterait  sans  doute  aujourd'hui:  *a  famille  à  son  hélail,  ses. 
ouvriers  à  son  usine,  etc.. 


/- 1  UdiiAi.E  ni-:  \iMJ:iiii.[.\(iii:  i;;:; 

(lisliiu'liuii  (le  CCS  dcuv  parties  de  nous-iiiriiK^s,  pi'nuvcc  par  des 
idées  claires,  est  de  (diiIcs  1(^s  vérilés  la  plus  i'cconde  cl  la  plus 
in''<'cssaii'e  piiur  la  pliil(is(i|)liie  <'l  pciil-èlre  même  |i(iiir  la  lliéo- 
Idjlie  cl  piuir  la  nuiralc  clirciieiinc  !  I  i.  ■  l'ciil-oii  dniilcr(|tic 
la  vie  cici-iicile  \aille  mieux  que  la  vie  Icuipondle  ?  (  Ir  la  liste 
do  CCS  propositions  peut  s'allonger.  <•  Il  iaul  aimer  ie  hien  et 
fuir  le  mal  :  il  tant  aimer  la  justice  plus  (|ue  les  l'iciu'sscs,  il 
vaul  mieu.v  ohéii'  à  Dieu  qu'aux  liomiues  ■,  et  nue  iulinilc  de 
•  '  lois  naturelles  '>.  est-il  ajuntc...  "  Il  y  a  encore  plusieurs 
autres  piincipes  de  morale,  comme  ceux-ci  :  (|u Un  ne  pcul 
coûter  de  jdaisir  vi<dent  sans  en  devenir  i'cscdave,  (|n  il  ne 
faut  rien  eulieprendre  par  passion.  <|u'il  ni' l'an!  |)oiid  (dn-rcher 
d'établissenienl  en  cette  vie...  Si  l'on  un-dite  sur  ces  principes 
avec  ordre  et  avec  autant  de  soin  et  d'application  que  la  gran- 
deur du  sujet  le  mérite  et  si  on  ne  reçoit  pour  vrai  que  les 
<-oncIusioHS  tirées  conséquemnient  de  ces  principes,  ou  aura  uiu" 
morale  cerlaine  (2i...  n 

dette  (cuvre  si  im|iortanle,  .Malel)rancln>  mms  l'a-t-il  donnée? 
il  dit  dans  ce  mènu'  passage  :  «  J'ai  là(dié  de  déun)nlrer  par 
oi'dre  les  t'ondcnuMils  de  la  Morale  dans  nu  lrail(''  particulier; 
mais  je  souhaite  pour  nuii  c(unm(>  pour  lesaulics  qu'on  donne 
un  ouvrage  plus  (wact  et  plus  achevé.  » 

V.  —  (le  Trailr  <lc  Morale  qu'il  juge  ainsi  avec  un)deslic  rap- 
jMdle,  en  eU'et,  assez  hrièvenn-nt  ces  principes  de  son  auteur  : 
<|ue  l'ordre  immnahle  ne  consiste  que  dans  les  rappoi'ts  de  pcr- 
t'i'ction  (|ui  siint  entre  les  idées  inloUigildes. . .  cl  ([ue,  par  con- 
sé([uenl,  il  doit  y  avoir  nu'-nie  rapport  entre  deux  amours 
qu'entre  la  pei'fçclion  ou  la  réalité  des  (d)jets  (jui  les  excitent. 
11  y  est  t'ait  aussi  des  allusions  fréquentes  à  ce  que  les  principes 
mé"taphysi(jin's  de  la  Vision  en  Dieu  et  des  causes  occasionnollos 
lui  |)araissent  entraîner  de  conséquences  pratiques  :  car  à  la 
jir(''l'(''rence  exigée  rationnelIeuKMit  par  ce  i|ui  renferme  une  |)lus 
gramle  qnanlil('  d'essence  ou  de  jierf'ection  s'ajoutent  l'amour  et 
II'  ri'specl  dus   à  l)ieu,  suhslanci'  de   let  Onlre,  aulcur  uni(|ue 


iM  ])êj'eiisi'  lie  lu  lU'ili.  de  lu   V.  coiilie.V.  île  ta  Ville. 
i2i  liei  II .  lie  lu  V.,  I.  \l.  Il    p.irtie,  c  vi. 


l'jO  Henri  JOI.Y 

(II"  raclioii  criiciicc  (|ui  le  rriiliM'  iliiiis  rinivcrs  avec  hi  lil>iT 
ciioiu'-ralion  de  imlrc  volonlé,  doux  lion  de  la  sociélé  luimaiiH', 
soûl  digne  (Fi'ii  rire  la  lin  iiiiisqn^i!  en  est  le  prineipe.  Aiilrc- 
nienl  dil.  |iniii'  reprendre  le  langage  de  saint  Augustin,  c'est 
piM'cisi'nienl  parce  (|uc  Dieu  esl  la  causa  sii/isi.sU'tidi  et  la  /afio 
/ii/r//it/rtii/i  (|u'il  esl  aussi  Yunln  rirmili.  Vdilii  surtout  les  vérités 
<jiu'  Maleliranche  retient  pour  conslruire  sa  nuirale  ;  il  est  eon- 
vaincu  que,  maigri'  l'inlinili'  des  lois  naturelles,  les  règles 
<Mpilales  de  l'Ordre  et  les  ra|)p(U-ls  essentiels  qui  en  dépendenl 
sont,  après  loui,  l'ii  petil  nmnlire,  coninie  tous  les  principes 
rondamenlaux  en  (|ueli|ue  science  que  ce  soit.  Trois  lois  du 
niiiuveniciil  sul'liseni  aux  Cartésiens  pour  expli(|ner  l'univers 
eniier.  avec  hiules  les  ciimliinaisons  de  la  mécanique,  de  la  pli\- 
sicjuc  cl  de  la  (  liimie  :  !'e~(|uisse  que  nous  avons  tous  présente 
à  l'espi'il  de  la  Ilir'rai'cllic  ui-doniu'-e  des  exislences.  le  ciir'ps, 
res|iril,  la  raiMin.  la  vie  totale,  la  vie  l'Ienielle.  Itien  eiilin, 
poiu'rail  liien  Mii'lire  à  nmis  donner  l'ensemlile  complet  îles 
règles  de  nos  mleur■^    1   . 

Aiilre  cliDM',  sans  duute,  est  le  principe  ulijeclij'  de  la  Morale, 
autre  clinse   la    moralité   de   l'agent   ou    la    vérin.    Les   deux   se 
tiennent,  mais  ils  sont  disliiu-ls  :   le  principal  olijel  de  la  pre- 
mière parlic  du    T/'ii/r  //'■  Murale  vA  pi-i'cisi'mcnl  d'insister  sur 
a  nature  et  les  cimililinns  de  la  \  ei'tu. 

"  La  vi'i'tn,  \'  lisiins-nous,  c'est  l'anioui-  liabituel  d  dnminanl 
<le  l'Ordre  immualile.  »  V n  tel  amour,  ainsi  caractérisé,  impliiiue 
ci  la  l'iirce  el  la  lilierlé  de  la  vidimlé,  victorieuse  des  passions 
désordonnées.  Or.  le  mélapli ysicien  longtemps  si  suspect  de 
sacrilier  le  lihre  arhilre  >attache  à  le  consolider  et  à  lui  réser- 
ver loiitr  la  grandeur  lie  son  n'de  :  il  s'y  est  attaclié  en  méla- 
phvsiqm'.  il  s'y  esl  attaché  en  théologie,  il  s'y  est  attaciu'-  en 
|)sychologie,  el  il  s'y  est  attaché  encore  en  .Morale,  \a-t-il 
jus(|n'à  tout  ranu'ner  au  seul   res|iecl  de  noire   liherlé,  à  ni>tre 

(1)  ..  11  faut  quo  je  dise  en  passant  que  des  personnes  de  pii'té  lelombent  son- 
vent  ilaus  les  mrmes  fautes  parce  qu'elles  remplissent  leur  esprit  d'un  grand 
nombre  de  vériti's  ipii  ont  plus  d'éclat  que  de  force  et  qui  sont  plus  propres  a 
<lissiper  et  à  partager  l'espiit  qu'à  le  fortilier  .-ontre  les  tentations  :  au  lieu  que 
<les  personnes  ijrossu'Tes  et  peu  éclairées  sont  lidéles  à  leur  devoir  parce  qu'elles 
.se  sont  rendu  l'aniilière  quelque  grande  et  solide  vérité  qui  les  fortifie  et  qui  les 
soutient  en  toute  rencontre.  ••  [Recli.  dr  lu  V.,  I.  V.) 


I.A    MiilSM.E   hl-:    MM.I:l!l!.\\riir.  IViT 

niiloiiiiniii' ?  (!('ii\  (|iii  se  sdiil  coiilciilrs  de  si  peu  pour  Iroiivci- 
<'ii  llcsciirles  1111  prrciirsLMir  de  la  Mnral<'  UaiiliiMiiic  si  roiit  pciil- 
rlrc  (ciili's  (l'inlrrpn'>liT  ilaiis  le  illrilK'  sens  ce  Icxli'  de  la 
lirclimlir  ii.  •!  :  "  L  iisa^c  ((lie  nous  devons  faire  dr  ludrc 
lilierlé,  eesl  de  nous  en  servir  le  plus  (|ue  nous  pouvons  ».  — 
mais  il  l'aul  considérer  les  par(dr>  (jui  suiveiii  :  "  ...eesl-à-dire 
<le  ne  consentir  à  quoi  (|ue  ce  snil  jusqu'à  ce  que  nous  soyons 
coiuinc  forcés  par  les  reproches  de  noire  raison...  " 

f^l.  eu  eiVet,  une  Morale  fiuidée  sur,  la  niélapliysique  (]ue  iioii> 
<-oiiiiaissoiis  pi'ul-rlli'  exclure  de  la  vertu  la  eoniiaissanci-  du 
bien  réel?  Si  .Malehranclu'  n'esl  pas  inltdleclualisle  dans  sa 
théorie  des  passions,  oii  il  fail  une  si  «jrande  pari  au  mécanisme, 
il  lest  ahsoimneiil  dans  sa  llu'orie  de  la  \crlu.  «  On  ne  doit 
jamais,  soutient-il,  aimer  un  hien  si  l'on  peut  sans  remords  ne 
|)ns  l'aimer.  »  (l'est  l'équivalent  de  la  règle  qu'on  ne  doit  rien 
afiirmer  (jui  ne  soii  lidlement  évident  qu'on  n'ait  aucune  occa- 
.siou  de  le  mettre  eu  doule.  Le  l'eniords,  en  ell'et,  (ju'esl-ce  doue 
qui  le  proviuiue,  sinon  la  vue  claire  d'une  vérité  méconnue  el 
outragée?  Maleliranche  s'appropiàe  hien  volontiers  ces  proposi- 
tions de  Descartes  (1 1,  que  les  âmes  fortes  sont  celles  qui  font 
l'omballre  leur  volonté  avec  ses  propres  armes,  c'ost-à-dire  des 
jugements  fermes  et  déterminés  touchant  la  connaissance  du 
hien  el  du  mal.  La  vraie  justice,  aux  yeux  du  disciple,  »  c'est 
une  justice  de  lumière  (jui  voit  ce  (|ue  l'Ordre  e.vige  et  qui  le 
veut  jiarce  (ju Clle  le  voit.  C'est  pourquoi  nous  ne  serons  par- 
laitement  justes  que  quand  nous  verrons  sans  ohscniilé  la  loi 
<-leniidle,  sur  laquelle  nous  réglerons  exactemeul  tous  nos  juge- 
ments et  tous  les  mijuvements  de  notre  cu'ur.  Sans  doute,  ceux 
<iui  ont  la  charité  sont  justes  véi'itahlemenl,  même  s'ils  forment 
accidentellement  el  malgré  eux  des  jugements  injustes  :  ils  sont 
justes  dans  la  disposition  de  leur  co-ur  et  dans  leur  volonté'. 
.Mais  ils  ne  sont  pasjustes  en  toute  rigueur  parce  qu'ils  ne  con- 
naissent p;is  exactement  tous  les  ]'a|qiorts  de  perfection  (jui 
■diiivenl  i'i''gler  leur  eslime  el   leur  auioiir  i  2).  » 

\  1.  —  (iliercher  la  connaissance  de  ces  raj)porls,  c'est  liMilir 

^l)   Trfi'ih-  des  ji{issions.  1,  48. 
(2;   Knir.   nll-l..   VllI,  1-4. 


):;8  Henri  .IÛLY 

(le  la  nature,  do  la  divisidij  et  de  la  distinclion  de  iKis  devoirs  : 
tel  est  l'objet  de  la  deuxième  pai'tie  du  Traiti'  de  Morale. 

Si  nous  avons  des  devoirs  envers  des  êtres  autres  que  nous, 
c'est  qu'ils  ne  nous  sont  pas  indilTêrents.  eest  que  notre  aetion 
doit  être  concertée  avec  la  leur  el  qu'il  le  faul  néccssairemont  : 
c'est,  en  un  mol.  qu'il  y  a  entre  eux  et  mms  idir  socirlê.  Celle 
idée  «  sociale  >>  jnue  dans  le  système  tout  entier  un  l'ùle  consi- 
(ii'ralilc.  (loninicul  appr(''cier,  en  ellct.  les  rapjiiirts  qui  doi\ent 
assurer  l'ordre  d'un  ensemble  si  on  ne  connaît  pas  d'abord,  el 
si  ensuite  on  ne  respecte  pas  le  lien  idéal  qui  doit  réaliser  du 
mieux  possible  l'entente  de  ces  élémienls  el  la  juste  subordina- 
tion des  uns  aux  .nilres?  Lu  psycbolojïie  de  nos  sentiments  nous 
l'a  ajqiris  :  livrée  à  elle-même,  la  sensibilité  de  l'àme  bumaine 
est  uaUirellemenl  inclin('i^  à  aimer  un  être  en  propoitiim  de  la- 
parl  plus  iiu  moins  j::rau(lr  (|u'il  a  dans  le  ton!  ijuc  nous  com- 
posons avec  lui.  Mallieureusemrul ,  la  déclH''ance  que  uou> 
subissons  exalte  notre  amour-propre,  mal  éclaire'-  sur  les  viaie> 
conditions  de  notre  relèvement  :  nous  jugeons  et  nous  aimons 
b's  (dusses  par  le  rapport  qu'elles  ont  avec  noire  liicu  particu- 
lici'  du  moment.  11  est  indispensable  de  redresser  celte  dévia- 
tion, de  sassuiMT  dune  cxatli'  appréciation  des  rapports  à  l'éla- 
Idir  dans  uu  monde  oii  loiil  serait  l'cmis  à  sa  vraie  place.  Dr. 
quel  est  l'être  (jui  l'orme  la  part  la  ])lus  ((Uisidérable  du  lout  oii 
nous  entrons?  Evidenmient,  c'est  Dieu,  puisque  rien  n'exish^ 
que  par  lui  et  comme  participation  limitée  à  son  inlinie  bonté. 
Voilà  pourquoi  nos  premiers  devoirs  sont  envers  Dieu,  et  voilà 
pourquoi  il  est  contraire  à  la  Raison  d'aimer  ce  qui  est  impar- 
tait, si  on  ne  l'aime  comme  exprimant  ce  qui  est  j)lns  partait, 
comme  nous  ollVanl  des  movens  de  le  n'-aliser  dans  la  mesure 
de  nos  forces  ;  car  le  comnnM'ce  du  monde  ne  doit  tendre  qu  à 
élaldir  en  .lésus-Cbrist  une  société  pari'aile  el  éternelle  (  I  i. 

("e  commerce  du  monde  pourtant  demande  à  être  réglé.  Or. 
le  monde  (en  prenant  ce  mol  dans  le  sens  le  plus  large)  com- 
[irend  deux  sociétés  :  la  société  céleste  (|ui  commence  sur  la 
lerr(\  mais<|ui  ne  finira  jamais,  (^t,  en  altendanl,  la  société  civile 
proprement  dite,  (li'  (|ui  est  dû  à  la  première  est  surtout  inli'- 

(li  Tr.  lie  Momie,  11'  pai'lir,  xrn,  (i. 


I.{    W(/;;.i;./-.   DE  MMJ:ill!.\.\<IIF.  IlifV 

liciir  (^1  s|iii'ilii('l  :  (-('(lui  est  dû  à  la  seconde  esl  <•  |ii'es((iie  eii- 
lièi'eiiieiil  exiérieiir     li   ".  (le  "   presque  >i   esl    une  préeaulidii  : 
(111  esl  ilK^'llie  liMllc'  (le  dire  t|iie  e'esl  une  CDiieessidii  au  |>iviui:('. 
mais  un(>  eoneessidii  ((ui  ne  porte  i;U("'re.   lei  en  ell'el  le  lorl  ou. 
si  l'on  veut,  le  caraelil're  de  la  Murale  de  .Mahdirauelie.  (duiiiie 
de  lieaueoup  do  doctrines  pnjfesséos  sous  l'aiicien  réi^ime,  est 
la  S(;pamtion  dos  deux  doniainos  ol  raliandoii  <>  presque  entier  » 
(lu  premier  à  la  force  irrationiudNv  l.e  l)oau  programme  lrac(''- 
lout  à  riioure  de  rnniliçalion  de  la  Morale  (^st-il  donc  sacrili(''? 
On  a  cortainement  le  di'oil  de  poser  la  (|neslion,  on  a  le  droit  de- 
s'(''lonnor  de  celte  contradiction  douloureuse  che/  un  si  iKdde 
penseur  (jui  n'avait  voulu  ni  tle  la  s(''paration  de  la  raison  el  de 
la  loi,  ni  de  la  séparation  de  la  philosophie  et  de  la  tlu''olo_i;i(v 
ni  la  diialil(''  de  la  Morale  et  du  droit,  et  qui  consid("'ro  que  le 
premier  do  tous  les  devoirs  est  do  porter  en  toute  occasion  le- 
jugement  suivant  :  «  Il  n'y  a  point  plusieurs  sagesses,  il  n'y  a 
point  plusieurs  raisons  »,  ot  cet  autre,  non  moins  souvent  rop(''l(''  : 
"   Nous    n'avons  qu'un  maître.   »  Mais  autant  ce  penseur  est 
r(''Solu  à  ne  faire  aucune  concession  ol  à  xouloir  la  V(''rit(''  toiil 
enti("Me  dans  l'ordre  sp('culatir.  antaiil,  dans  j'ordi'e  |)rali([ue.  il 
est  résigne'  d'avance  —  par  force,  voilà  son  excuse  —  à  se  con- 
tenter de  ce  qu'on  lui   donne,  (liiose  au    premier   ahord    hieu 
étrange,  mais  qui  éclaire  d'un  jour  singnlic'remont  attrayant  le 
caractère  encore  plus  que  la  doctrine  do  .Malehranclie,  autani  il 
est  prêt  à  exiger  du  pouvoir  spirituel  qu'il  ait  raison  dans  les 
jdiis  petites  choses  ol  à  discuter  en  conséquence  avec  lui,  autant 
il  est  pour  le  silence  envers  le  pouvoir  tempoi'(d.  <  In  ne  sauiail 
(1  ailleurs  s'y  lrom|ier  :  c'est  là,  dans  sa  jtonsée,  une  marque  de^ 
respect  envers  le  premier,  et  de  dédain  aussi  peu  déguisé  que 
possible  envers  le  second.  (]elui-là  représente  Dieu  comme  rai- 
son et  sagesse,  raison  et  sagesse  qui  se  justifient,  car  dans  la 
iiihle.  Dieu  mémo — c'est  un  exemple  rappelé  bien  des  l'ois,  — 
n'a  pas  craint  do  |U'endre  des  hommes  sages  comme  juges  enlre^ 
lui  et  son  peuple  ingrat:  c(dui-ci  ne  le  repri'sente  que  coniuK^ 
|iuissanc(>,  ot  comme  puissance  cliarg(''o  d'assurer  la  paix  dans 
1  hum;iiiit(''  déchue.   La  loi  humaine  n'est  pas  plus  la  loi   véri- 

Hj   Tr.  lie  Moyi(U\   II'  prirtip,  in,  10. 


IGO  IlENHl    JOI.V 


tu  I  lie.  la  loi  lie  la  raisiin.  (juc  no  l'i-sl  le  rr^lcmciild'iin  lia  s;  ne  I  i. 
«  La  force  ou  la  loi  des  brutes,  celle  qui  a  délV-ré  an  Vmn  leni- 
pire  des  animaux,  est  devenue  la  maîtresse  parmi  les  hommes.  » 

Toutes  les  fois  que  notre  moraliste  est  sur  cette  pente,  il  va 
loin;  et  certainement  quand  il  apprécie  cette  portion  de  la  vie 
humaine  sôparée  de  la  vraie  source  de  la  justice,  il  parle  comme 
le  pins  Mimhre  des  pessimistes.  Il  s'exprime  comme  l'a  fait 
Hobhes,  et  comme  le  fera  Schopenhaner.  Xun,  à  ses  yeux,  la 
vie  humaine  ainsi  comprise  ne  vaut  pas  la  peine  d'être  vécue  : 
ceux  qui  mettent  des  enfants  au  monde  sans  avoir  en  vue  l'éter- 
nité sont  des  criminels  qui  communiquent  à  la  femme  une 
«  misérable  féconditi''  »,  car  il-  n'cnj^cndrenl  (|ui'  pour  la  dou- 
leiii'  l't  poiu'  le  mal. 

Mais  enlin.  i'aul-il  ai-rcplcr  en  fait  ccl  élal  de  choses.  aj)ri''.> 
l'avoir  tant  lli'tri  en  dmit  .'  Là  i-sl  la  (|uestinn.  Il  est  clair  qui' 
Malidiranche  ne  pouvait  la  résoudre  de  son  lemiis.  Il  incline 
donc,  comme  i5ossuet,  à  considérer  que  les  inégalités  et  les 
injustices  sociales  sont  des  suites  du  péché,  qu'il  faut  les  subir 
comme  telles  et  y  confornu'r  ^a  conduite  extérieure  :  on  ne  peut 
faire  autrement,  donc  il  ne  faut  [las  même  essayer  de  redresser 
ces  injustice-  aulrenuMit  que  par  la  charité,  car  on  troublerait 
la  |iaix  cerlainemenl  le  pire  des  maux  est  hs  i:uerre  civile. 
dit  Pascal  .  el  «m  n'olilieudrait  probablenu-nt  aucun  résultat. 
^^eulemenl,  au  tnnd  de  son  àme,  on  ne  doit  attacher  à  ces  cir- 
constances et  ediulitions  aucune  espèce  d'importance  :  car  la 
véritable  vie  n'est  pas  là. 

.\  coup  sûr,  il  est  permis  de  i-ejiretter  une  pareille  déclaration 
d'impuissance  et  une  pareille  ilocilité  2  :  elles  ne  |)ouvaienl 
<jue  pi'oloniier  bien  ties  abu-  et  provoquer  à  la  bin!j.ue  une 
n'Yolution  destinée  à  eu  supprimer  uii  j:rand  mmilire,  nuiis  à  en 
.susciter  aussi  de  nouveaux.  Ceci  dit  cependant,  il  faut  admirer 
réloquence  avec  laquelle  le  spéculatif  proclame  que,  si  Dieu 
lui-même,  le  Hoi  des  rois,  n'est  pas  une  puissance  arbitraire, 
il  est  im])ossible  qu'un  roi  de  la  terre  ait  le  droit  de  faire 
justement  tout  ce  qu'il  veut.  Il  doit  se  regarder  comme  simple 


(', )  ■/'/•.  de  Moui'e,  \\'  parlie,  xi,  4. 

(il  Vûir  notre  livre  ;  Le  Socialisme  chi-élien,  IUc.iiettf.  in-12,  c.  m. 


/.  t    i/M/;  i;.;-:  /);■;  UM.l-lti; wciir.  HK 

"  vicaire  "  lie  la  liaison,  loi  ]irinnli\c  l'I  iiiipérali vt'  |MUir 
(nus  '  I  1.  (Juaiiil  iiiiiis  iisciiis  :  (111  lui  lidil  riili(''issanco  on  loulcs 
i-lidst's.  H  |i(iiirvii  (|u  il  nV'riiic  rien  (in'i'ii  (•(iiis('i|iii'iici'  drs  druils 
iKitnrfls  rj,:  (|U('  lui  ddiiiic  la  (•(iniuiissiini  (|u  il  a  Ar  la  pari  ilc 
Dieu  "  —  la  phrase  ]ioiil  iinus  |)arailre  olisriire  ;  l'iiiipi-écisidu 
est  peiil-èire  \(i|(iiilaire.  (•(ininie  dans  la  suivanli'  :  ■•  Ils  les 
[iriiieesi  duiveiil  i-diisiiller  h^s  luis  t'nndaiiieulales  de  ri'llal.  .> 
.Mais  un  Fi'aiii;ais  du  siècle  cic  Louis  .\l\'  ni>  poiivail  j^iieie  aller 
plus  11  lin.  Il  avait  du  innins  posé  des  |H'iiicipes  dnnl  la  en  use  i  en  ci' 
puldiiiue  devail  lirei'  pi'ii  à  |ien  ii's  couséquenees  :  il  n'v  a 
«inuiie  niiiiale,  el  celle  uun'ale  dnil  T'ire  cunstituée  seieiilili(|ue- 
iiieiil  ;  il  y  a  des  droits  nalurels.  el  ceux  (jiii  exercent  le  pouvoir 
<inl  couiniission  ou  mandai  de  les  faire  i-(>s|H'cter.  Hestail.  il  esl 
vrai,  le  proldèuie  des  i;araiilies  prati(jiies  destinées  à  olilenir 
ce  respect  ;  c"(''tait  là  une  question  de  politi(|ue  encore  plus  (|ue 
de  morale  luoprement  dite,  l'^ucore  une  fois,  pour  la  traiter 
utilement,  les  temps  n'(''laienl  jias  mûrs. 

\  II.  —  Va\  revanche,  les  temps  (■laienl  encore  hieu  l'avorahl-es 
à  runion  IV'coiide  de  la  morale  el  de  la  l'idiiiion,  de  la  proliili' 
el  de  la  piété,  de  la  justice  l't  du  mysticisme  hiea  com|iris. 

n'ahord,  quand  il  s'adresse  aux  particuliers  jiour  leur  tracer 
[ihiiosophiquemeut  les  règles  de  leur  vie  intérieure,  l'auteur  du 
Trnili-  <lr  Manilc  r(>|irend  vile  toute  sa  décision.  Il  n'y  a  point 
de  distinction  qui  tienne:  la  Morale  puisée  à  la  source  de  la 
raison  su|iérieure  ne  connaît  point  de  partage.  »  In  chrétien, 
un  |uèlre.  un  gentilhomme,  un  ami  ne  sont  |)as  (jualre  per- 
sonnes dillérentes.  Lorsiiuc  /<■•  (jeiildliommc  spra  en  rn/fr,  où  sera 
le  jirrlrr  et  l'ami?  Ces  (jualités  étant  inséparahles  dans  nue 
même  personne,  si  le  prêtre  croit  avoir  le  droit  de  faire  le  gen- 
tilhomme, il  est  évident  qu'il  se  trompe;  el  si  je  le  conseille 
dilVéremment  selon  ses  diverses  qualités, cerlainemenljeraliuse. 
(Juand  des  qualités  sont  inséparahles,  c'est  la  plus  excellente 
(|iii  doil  tout  r(''gler,  et  quoi(iiroii  puissi'  faire  îles  ahstraclions- 


1 1)  Pour  ce  qui  [irécède  et  ce  qui  suit,  voir  le  c.  i.x  de  la  \\    partie  du  Trailé  de 
Murale, 
lij  Le  mot  est  souligné  dans  le  texte. 


102  H  EN  111  .lÛLV 

liirsqii'il   m'csI  (|ucsliim  (|iii'  de   i-aisonnor  imi  l'air,  il  laul  tout 
Joiiulro  ensemble  quand  on  doil  agir  (1  ).  » 

Or,  quelle  est  en  nous  la  qualité  la  plus  exeellenle,  si  ce  n'est 
1-elle  d'enlanls  de  Dieu,  appcli's  à  jiiuir  éternellement  de  son 
liéritaj^e  ?  Si  c'csl  là  ce  (|iii  dnii  tdiit  régler,  il  faut  dire  qu'au 
sommet  de  la  Morale  est  l'ainoui'...  I.ei|nel?  .Mais  l'amour  de  cr 
<|ui  mérite  h'  plus  d'être  aimé,  l'aninur  de  la  perrection,  donc 
tinalement  l'aniniir  de  Dicul 

L'étude  dr  la  théologie  de  Malebi'anche  nous  l'a  appris,  cet 
amour  n'osl  eu  aucune  façon  l'oubli  de  nous-mêmes  :  car  e'e-t 
un  aiiKiiii'  d'iiuiiiii.  cl  l'union  avec  le  souverain  Idcu  ne  pcul 
•'•Irc  (lu'uu  liicu.  cl  la  pussessidu  d'un  liien  ne  [icul  iHre  (|u  un 
plaisir  :  ee  plaisir  n'est  pas  seulenu'nl  légitime,  il  est  en  qucl(|iic 
sorte  nécessaire.  Ainsi,  malgré  toute  sa  sévérité  eonti'c  l'aninur- 
piiiprc,  malgré  son  enthousiasme  pour  la  pensée  pure,  malgré' 
sou  ilésintéressement  t(uichaiil  au  mépris  à  l'endroit  des  hieus 
extérieurs,  .Malehranehe  n'esl  à  aucun  égard  stoïcien,  l'eul-ètre 
sent-il  qu'il  l'eût  été  —  eomnn'  il  eût  été  pessimiste  —  si  Dieu 
lie  lui  a\ail  l'ail  la  gi'àcc  d'cii'c  chr(''ticn",  car  il  donne  quidquc 
pari  le  stoïcisme  comme  la  plus  n(d)le  philosophie  tie  i'anli- 
<|uilé  païenne:  mais  il  lui  reproche,  on  le  sail,  ileux  erreurs  : 
une  cri'eiir  di'  l'ail,  à  ^a\oir  ri(i(''c  (jiic  nous  puissions  in(''priscr 
également  le  jilaisir  cl  la  douleur  l'I  nous  considérer  jamai> 
■comnl(^  alîranchis  de  taiil  de  liens  (|ui  nous  unissent  par  la  sen- 
sibilité à  tant  d'élres:  et  une  cireur,  |ioiir  ainsi  dire, de  droit, 
•;i  sa\(iir  (|ue  la  juslici'  puisse  soullrir  (jue  nous  ne  soyons  pa> 
récom|)ensés  de  nos  elVorts  |)ai'  le  bonheur.  Donc,  ni  k  un  point 
de  vue  ni  à  un  autre.  n(uis  ne  pouvons  ni  ne  devons  n(nis  ih'siii- 
-lércsser  du  soin  de  devenir  heureux,  (l'est  ce  {|ue  nn'coiinai>- 
sent  égabuneul  le  stoïcisme  et  le  jansénisme  :  ce  rapjirochemenl 
•inévitable  des  deux  doctrines  n'était  pour  atténuer  ni  envers 
l'une  ni  envers  l'autre  la  répulsion  qu'elles  ins|)iiaient  toutes 
^leux  à  Malehranehe. 

l'iuir  lui,  sans  doute,  la  vie  présente  est  une  vie  de  sacrilice. 
Si  un  c(U'|)s  nous  a  été  ajouté  —  sans  qiu"  la  chose  fût  en  soi 
jiécessaire,    —  "   c'est    apparenimonl   (|ue    Dieu   a   voulu    nous 

(1)  Tr.  iIp  Miiale.  W  pnrlic.  v.ii,  W. 


;.,i  MiiiiM.i:  m:  mm.f.hha.miie  io;( 

tloiiner,  comme  à  son  Fils,  vino  victime  ([iie  mins  |)iiission>  lui 
vill'rir  I  !  I  ».  Mais  le  srtci'iiice  n'esl  point  intal  cl  il  n'est  jioiiil 
(lélinitir,  puiscjne  l»ien  a  vnnlii  "  mms  laire  mériter  par  niii- 
fspèce  de  sacrifice  et  d'anéantisscmenl  de  iKins-nièmes  la  pus- 
session  des  biens  éternels  ". 

irest  ici  snrtont  que  la  Murale  de  ,Malci)ranclie  dépasse  la 
murale  de  Descai'tes.  Le  maître  et  le  disciple  sont  d"accord  sur 
les  principes  snivants  :  I"  la  Linine  volonté  consiste  à  employer 
tontes  les  forces  de  son  esprit  à  connaître  ce  qui  est  le  nodlleni- 
et  à  suspendre  son  consentement  jnscju'à  ce  ([u'on  l'ait  trouM- 
clairement  et  distinctement  2);  2"  le  meillenr  est  ce  qui  déve- 
loppe le  mieux  les  perfections,  chez  nous  el  chez  c<'ux  qui  for- 
ment le  tout  dont  nous  sommes  nous-mêmes  une  partie.  Quand 
Descaries,  toutefois,  formule  celte  dernière  maxime,  il  a  hien 
soin  de  dire  :  les  perfections...  ^  tant  du  corps  que  de  l'esprit  »  : 
vl  c'est  là  une  addition  à  laquelle  il  tient  certainement  |)lus 
<}ue  son  disciple.  Sans  doule,  il  ne_nie  point,  il  proclame  niénic 
la  supériorité  de  la  j<iie  pnrenu'nl  iniellecincdic.  et  il  a  de 
helles  pages  snr  la  nécessité  hienfaisanle  de  l'amour  de  Dieu 
mis  au-dessus  de  tous  les  autres  amours.  Mais  enlin  sa  pensée 
se  porte  avec  hien  de  la  complaisance  snr  l'amélioration  h 
apporter  au  sort  de  l'homme  terrestre  par  le  hon  emploi  ilu 
mécanisme  nniversel.  L'iHude  de  hi  physique  et  la  connaissanre 
des  |)ropri('l(''s  des  corp-  a  pour  lui  deux  avantages  que  la  Morale 
même  nous  fait  une  loi  de  reciiercher  :  elle  étendra  à  l'inlini  le 
pouvoir  de  l'homme  snr  la  uatnre  en  en  meltanl  les  forces  à  son 
service;  puis  elle  accroîtra  le  pouvoir  de  la  médeciiu'  qui,  en 
modiliant  les  conditions  physiologiques  di>  nos  passions,  peut 
nous  rendre,  dans  notre  vie  intérieure,  à  la  fois  meilleurs  et  plu^ 
heureux.  Ainsi,  après  avoir  rappelé  à  la  princesse  Elisabeth 
<[ue  la  joie  \aul  mieux  (|ue  la  li'islesse,  qu'elle  n'est  pas  seule- 
ment un  fruit  des  autres  biens,  mais  un  moyen  de  les  acquérir, 
il  ne  dédaigne  pas  du  tout  de  lui  conseiller,  par  exemple,  les 
<'aux    de    S|)a    comme    ayant    la     vertu    moralisante    de    faire 


(1)  Enir.  iitét  .  c.  iv.  p.  1:; 

{21  Peut-êlre  ici  Malebranche  flcv  mrcrait  il  Kant  en  ajoutint  :  fl?ns  une  in.-iNinie 
d"une  portôe  iiniversp'lo.  Cii-  [leur  lui  l'universel,  seul,  csl  clair,  distinct  et  expli- 
cablp. 


104  IIf.Mii  .liiLV 

{■'Viiciirr  la  iiirlaiicùlic  cil  oinpôchaiiL   la  l'alc  ilc   s'   "   u[iilci-  ». 

Nous  avons  vu  ce  (luc  Malcliranclio  ponsait  de  I;i  nirdcciiK'  el 
(les  niédecins  :  il  los  lolèrc,  il  les  siiliil,  mais  il  osl  l)ien  éloigné 
d'en  f'aiii'  à  co  point  les  agonis  dn  {x'iTectioiinement  de  notre^ 
nature.  (Jn'il--  ne  nous  l'assenl  poinl  de  mai.  nous  dil-il,  c'esl 
déjà  beaueoup  !  .\e  comple-t-il  j)as.  du  moins,  (jue  dans  l'ave- 
nir les  progrès  de  la  sei(Mn'e  élendront  ce  pouvoii'  (Micore  si 
restreint?  .Vssnrémenl.  il  a  du  le  |U'('suiner  :  mais  il  ne  paraît 
pas  s'en  soucier  heancmip  :  car  s'il  ne  veut  jias  de  la  tristesse, 
il  ne  tient'  |)as  davantage  à  l'amour  du  plaisir  corporel;  il  hiF 
•-cmlde  (|ne  la  connaissance  de  soi.  la  modération  et  même  une 
certaine  austérité  vaudront  l(jnjonrs  mieux  (|ue  la  médecine, 
attendu  (in'(dles  pouiront  la  rendi'c  inutile.  I.a  science  n'(Mi 
gardei'a  pas  moins  sa  graiuleui-  :  mais  c'est  pour  la  spéculation, 
c'esl  |iour  la  \ie  coulemplalive  (|u'ii  en  ri'>er\e  les  liienl'aits. 
"  Il  ne  tant  même  jtas  être  gc'omèlre  pour  se  lemjdii'la  tète  dt's 
|)r()pi'iélés  des  lignes  mais  poui'  donner  à  son  espi'it  la  force, 
l'étendue,  la  perfection  dont  il  est  capahlc  (1).  »,  L'amélioration 
du  Nort  de  riiumaiiit('',  en  nous  et  chez  les  autri's,  est  un  devoii'. 
oui,  à  n'en  pas  douter.  .Mais  celte  amélioration,  ce  n'est  |)as 
dan>  la  mise  on  action  et  ilans  la  direction  dn  mécanisme  qu'il 
tau!  la  (dieridier,  c'est  dans  une  union  plus  intime  de  l'àiru' 
avec  hieu.  La  m(''decine  par  e.xcollonce,  c'est  la  mi-decine  de  In 
grâce,  et  les  remèdes  sont  les  sacrements,  île  même  que  la 
vraie  cité  en  \ui'  de  la(|uid!e  nous  avons  à  li'availler,  c'est  la 
(a[i'-  de  Dieu. 

«  Soit  donc  (|u'ou  fasse  l'aumône  aux  pauvi'es,  soit  qu'on 
visite  les  malades  el  les  prisonniers,  soit  (ju'on  instruise  les 
ignorants,  ou  (|u  on  assiste  ses  amis  do  ses  conseils,  soit  (jn'on 
fasse  toute  aulre  action  de  charité  et  de  devoir,  il  faut  tout  rap- 
porter au  salut  du  prochain  el  penser  sans  cesse  (|u'on  vit  avec 
des  chrétiens,  et  qu'ainsi  on  doit  faire  los  actions  qu'exige  do^ 
nous  la  société  éterntdle  (|ue  nous  avons  tons  en  .lésus- 
Christ  (2).  » 

Do  co  qu'il  porte  ainsi  plus  loin  encore  que  Descartes  l'amiiur 


(1)  Ti:  de  Morale,  1.'  partie,  x.  14. 
\'2)  IbiiL,  11'  partie,  VIII,  15. 


(le 

ne 


i.\  MdiiM.E  iih:  M.\Li:iii;AyriiE  l'V.; 

île  la  MK-dilalinii  dos  V('Til(''s  nécessaires,  s'ensuil-il  ([lie  M:i\"- 
liram-lie  leiule  à  l'élalilissemenl,  en  chaenn  de  mms,  d"nn  éi; 
passif,  réi;i  par  le  «  snppurlc  el  alistiens-li)i  "  ?  Il  s'en  l'aul 
beaucoup.  Alm-s  même  cjui'  noire  l'ùle  ne  consislerait  qn  h 
point  délourner  ni  faire  dévier  en  nous  l'action  divine  quant! 
-elle  nous  toueiie  et  nous  émeut,  nous  n'en  aurions  pas  ni()in> 
de  tarauds  elTorls  fi  accomplir.  Mais   nous  avons  plus  à  taire 
oncorc    pnis(|n('.    nous  l'avons    vu.    la   liberté,    loin   d'être   im 
indivisiiile.   cnuime   le  prélendail    Itescartes,    est   inégale  d'un 
iuMiime  à  l'anlre  et  chez  le  même  homme,  d'un  instant  à  l'autre, 
d('q)ruilanle.  au  pninl  nii  elle  l'esl,  d'unt^  inlinili'  de  cmiditinn^. 
Aussi  nus   vérins  diminueui-eiles  si   nous   ne    les  augmentims 
pas  continuellement.  11  y  a  toujours  lutte,  avec  d'innonihrahh's 
péripéties,  entre  l'attrait  supérieur  de  la  grâce  et  les  douceurs 
(jui  nous  séduisent  dans  les  multiples  apparences.  Cédons-nous  ; 
notre  propre  faiblesse  augmente  l'intensité  du  danger  dont  nous 
sommes  à  cluuiue   instant  circonvenus.  Le  repos  de   l'âme   ne 
saurail  (bmc  êlre  dans  rimmidulilé;  et  —   maxime   athiiirable 
—  c  il  n'y  a  pas  de  plus  grand  travail  que  de  denn'urer  ferme 
<lans  les  courants  ;  dès  qu'iui  cesse  d'agir  on  e>t  emporté  1 1  i  ». 
(".e  n'est  pas  seulement   |ioiu'  nous  qu'il   l'aul   luujoiu's  faire 
cil'ort  et  toujours  agir  :  c'est  aussi  pour  les  autres  et  plus  parti- 
<-ulièrement  pour  ceux  dont  le  sort  nous  est  confié.  «  L'homme 
veut  invariablement  être  heureux.    ■  11  n'y  a   de   vraie  société 
entre  nous  el  les  autres  liommes  (pi'à  la  ciuidition  que  ceux-ci 
aient  res[)éranci>  fmidée  d'êti-e  cunlents  avec  nous,  (^ette  espé- 
rance, nous  devons  diinc  la  leui'  donner,  même  par  nos  manières. 
C'est  là   un  pi)inl  antpu^l  le   philosophe  de  la   si}ciété  polie  du 
XVII"  siècle  attache  une  grande  importance.   Aussi  a-t-il  soin 
<ranalvser  avec  une  extrême  hnesse  les  quatre  espèces  d'airs 
«m  de  manières  qui  règlent  le  ton  de  la  sociélé  :  l'air  modeste 
H  respectueux  —  qui  doit  se  proportionner  à  la  qualité  des  per- 
sonnes ;  l'air  simple  et  négligé  —  qui  n'est  de  mise  qu'entn^ 
égaux:  l'air  urave —  qui  rend  aisi'unenl  ridicule  et  même  mé- 
prisable,  quand  nu  le  prend  mal  à  propos  (on  sait  que  le  pédan- 
tisme    est  presque   un   pi'ciii''    [xuir    l'ennemi   de  Montaigne  et 

(1)  7'/-.  lie  Morale,  ]"  partie,  vi,  6. 

Il 


IGO  Ilr.NRi  JOLY 

1  VitlviM'sairc  irAi'iiiuilt  :  ciiliii  l'air  iirr  cl  hrulal  qui  nn'rilc  "  li^ 
(liTiiiiT  mrjiris  et  iiiic  liaiiic  iri'çconcilialili'  ». 

Ail'  lii'ulal.  (•ùniniandi'iiicnl  hiiilal.  plaisir  Ijriilal,  action  Iirii- 
lalc,  \(iilà  dos  inols  que  Malcliranchc  ne  |ioiil  l'-criio  sans  cnlrci- 
dans  nn  rlal  d'indii;naliiin  id  de  sainlc  ciili'ro.  C.rsl  (|nc  la 
lirulalité  osl  oxactcniont  le  cuntrain'  de  la  raison  qui,  elle,  doil 
r('i;ni'i'  sur  los  esprits  par  la  lumiiMc,  cl  sur  l'ànii'  tout  cntirrc 
|)ar  la  persuasion.  Si.  par  mallnnii'.  nous  ne  pouvons  Taire  pré- 
dominer la  raison  eoninie  il  le  faudrait,  dans  la  soeiélè  civile  et 
piditi(ine  où  nous  sommes  contraints  (r(diéir.  nous  devons  tt)us 
la  taire  écouler,  aimer,  respecter  là  où  nous  sommes  maitres 
dy  réussii',  c"esl-à-dii'c  dans  notre  lamilh'i'l  ilans  l'éducation  de 
nos  entants.  (!c  u  rsl  ni  jiar  la  complaisance,  ni  par  l'or^ni'iL 
ni  par  la  mauiérr  i\o  les  traiter  avec  l'Uipire  cl  de  les  oulrai;er 
sans  sujel.  c'est  pai-  la  raison  (|u  il  l'aul  les  conduire.  11  i'aut  les 
accoutunu'r  à  la  suivi-r  aussi  bien  (|u  à  la  consulter.  Leurs 
actions  sei'aieul-ellcs,  en  consécjueuce  de  leur  candeur  naïve 
et  de  leur  t'aildesse.peu  conl'ornu's  à  la  raison  tcdle  (|u'un  homnn- 
la  l'ail  \iiir  et  !'a|)pli(|ue.  |ieu  im|iorle  (li!  "  Il  ne  l'aul  piis  les 
<  liicaner,  de  peur  de  les  nd)uter.  •  Du  monnuit  où  ils  rendent 
(|uidi|ue  raison  de  leurs  désii's.  a\cc  sinci'rité'.  on  peut  y  cmules- 
cendre  pour  leur  mieux  donner  le  uoùt  el  l'Iialiilude  de  vou- 
loir et  de  chercher  la  raison    2  . 

l'A.  en  ell'ct,  c'est  là  le  derniei'  C(unnu'  le  piemiei'  mol  de  la 
doctrine,  ce  (|ui  nous  c(Huluit  à  la  Raison,  c'est  la  Haison  (dle- 
un"'nu'.  la  liaison  (|ui  nous  a  t'ails  el  ijui  ucuis  a  l'ails  pour  (die. 
(l'est  elle  (|ui  nous  a  formés  dans  la  suhslance  éternelle  du 
l'ère;  c'est  elle  aussi  qui,  incarné(>  (d  humiliée,  jyroporlionnée 
à  nos  faiblesses,  est  venue  avec  le  Fils  pour  nous  réformer, 
(l'est  elle  (lui  se  donne  à  nous  peu  à  peu  en  proportion  de  nos 
elloits  pour  la  recevoir  et  la  faire  réi^ner  sur  tout  ce  qui  dépend 
d<-  nous,  en  nous  et  hors  de  nous,  (rest  elle  eniin  qui  suflira 
dans  r(''leruil(''  à  n<ms  assurer,  par  noli-e  unii>u  parfaite  avec 
«die,  la   pli'uitude  île  la  f(dieil(''. 

lIcMu  .lOLY. 

1     ïr.  lie  Mrirale.  H'  parlic,  x,  9. 

rl\  (In  rei-onnait  ici  riioinuie  qui  aimait  s'amuser  avec  les  enl'.Lnts,  el  qr.i  y 
trouvait  l'une  de  ses  plus  agréabli-s  ilistractions. 


LA    NOTION    DE   MIXTE 

i  S?.\l    III^Tdlilnl  K    Kl'    C.IUTKJI  I-. 


Si'Cd.Mll-:    l'AliTll-: 
De  la  révolution  chimique  jusqu'à  uos  jours. 


i.i:  cdiii's  siMi'i.ic 


l.ii  !•('' volulidii  ;iiili|il|liii;isli([iic  ;ic(<iiii|>li('  piii'  l.ii  sdisicr  esl 
11'  |iiiiiil  lie  (li''iKirl  (les  (Irciiiivcrlcs  (pii  mil  iniisliliK'  l:i  cliimic 
iiKideriic.  (les  dr'CdiiVLM  les  sciiibli'iiL  iiVdir  en  |himi"  principal 
l'Il'cl  cl.  selon  licatu'diip  ilc  cliiiiiisics,  iidiir  \  i''imI;iIi1(^  olijçl,  de 
faire  ti'idinpliei-.  en  la  cuinpIiHanl  cl  la  pri''eisan[.  la  nolinn  alu- 
iiiisti{[ne  dn  niixle. 

I.a.lui  de  \\\  coii^crra/Kiii  <!<■  I<i  uiassr  dans  les  cdnibinaisons 
cliiniiqiics,  si  elle  l'unlrilnia  indiroctemcnl  à  celle  (ciivrc  on  ren- 
dani  p(is>iMes  lonles  les  recherches  nll(''i'ienres,  n'enl  pas  d'in- 
llnence  direcle  snr  \a  nolion  de  niixle.  Il  n Cn  lïil  pas  de  niènn' 
de  la  Ihéorie  de  hi  Cdinhnstion  el  de  la  créalinn  d  une  ndnv(dle 
niinieiiclaUire  cliiiniiine.  inlinienienl  liée  ;'i  celle  llM''di'ie.  c;ir 
j'iles  iixi^'rcnt  la  nidion  dn  cu/'jjs  r/iimiijiir/iirn/  siinjj/r. 

l-es  anciens  alchimistes  supposaient  t<uis  les  corps  lornn's 
des  mêmes  éiémonts,  pou  nombreux,  mais  diversement  coni- 
liinés;  ce  point  de  dépari  admis,  la  transmutation  des  corps 
<livers  (|ue  nous  oITre  la  nature  ap|)araissail  comme  possible  ; 
jiour  beaucmip  de  corps,  cette  transmulaiion  s'accdinplissail 
aisiMuent:  il  n'idail  niiUenu'nt  insensé  d'en  pdiirsnivre  pour 
tous  ra(dH"'vement. 


ms  I'.  L)LHi:.M 

La  renaissance  seienlili(|ue  se  ^arda  liien.  Unii  il  aliunl.  .île 
condanincr  ces  li'iilalivo  :  lîacun  i  I  i  assignait  comme  ohjel  h 
la  plivsique  nonv(>ile  :  "  «it-  (ioinier  à  l'argent  la  conliMir  de  l'or 

on  nn  puids  pins  ronsidérai)lo «m  la  Iransparenee  à  (jnel()ne 

pierre  non  diapiiane.  on  la  ténaeilé  an  verre  ». 

Ce])endant  les  échecs  contiiuis  el  relentissanls  des  aleiii- 
niistes,  acluirnf^s  à  la  transmntalion  des  mélanx.  Unirent  par 
d(''siiler  les  yenx  di^s  ]>liysiciens  :  sans  nier  qne  tons  les  corps 
lussent  composés  des  inènn's  éléinenls  jieu  iKimIu'enx.  I!(i\  le  '2 
osa  le  |)reinier  proidamer  qne.  dans  certains  cas.  les  corpus- 
cules élémentaires  ponvaieni  s'nnir  d'nne  manière  |)articnliè- 
remeiil  intime,  "  l'oriner  iiii  nmiNeaii  corps  doué  d'uii(>  indivi- 
dualité aussi  réelle  que  celle  des  coi'|uiscules  élémentaires 
avant  leur  union  :  ni  le  l'eu,  ni  aucun  moyen  connu  d'analyse, 
lU'  peu!  plus  diviser  ce  cor|i-,  de  manière  ii  séparer  les  corpus- 
cnle>  (|ui  ont  concouru  à  le  loruier;  |ia-  plus  <[ue  ceux-ci  lU' 
|ieu\('nl,  par  les  mémo  moxcus,  èlre  sulidivisés  en  d  aulie^ 
particules  ". 

Xiuis  avons  vu  l.i^inei'v.  pui>  Shilil,  |iui>  île  \euid.  adojder 
l'idée  lie  TJoyIe  cl  rappli(|uer  aux  mélanx  qui.  à  lra\('r>  le- 
l'overs  les  |)lus  chauds  et  les  transformations  chimiques  le> 
pins  com|>li(|in''es,  gardent  leur  individualité,  ("/est  de  cette  idée 
(|ue  l'Lcide  de  l.avoisier  s'est  inspirée  pnui'  délinir  le  coi-ps 
chimiijnenn'ul  simple. 

(tu  ne  recherclieiM  |ilus  >i  la  UKilièi-e  esl  ri'ilucl  ildi'.  pour  le 
[ihilosophe.  à  nu  seul  priucipe  ou  à  un  pelil  uouilire  de  prin- 
cipes, i)résents  dans  tous  les  corps.  Tontes  les  fois  qu'un  corp> 
aura  résisté  à  tous  les  moyens  connus  d'analyse,  on  ledéidai-er.i 
carps  simjjlf,  el  le  chimiste  se  déclarera  satisfait  lorsqu'il  aura 
séparé  une  suhsiance  en  un  cerlain  nouihre  de  lels  corp> 
simples. 

l  11  lid  corps  n'est  jamais  que  jiriirisoirriiu'iil  simple;  indé- 
composé  jii--(|u  à  ce  .|our.  il  |ieul  d'iler  demain  à  un  noiivi^iu 
moyen  d'analyse:  la  potasse  et  la  sonde  étaient  des  coip- 
siniples  jusqu'au  jiuir  oii  la  pile  volta'ique  permit  à  llnmphry 


(1)  I5\coN,  Novum  Orrtuniim.  pnrs  irdiric.'ins. 

(2)  UovLE,  The  scepticul  Clif/iiiis/.  l'art.  11. 


/..\  .\iiri(i\  /)/■;  Mi.vn:  ico 

havy  lie  i'i'',ilisi'r  les  |in''visirins  dr  L,i\ disin-  l'I  d'i^cilcr  h^  pulas- 
simii  l'I  le  suiliiim. 

"  Xdus  serions  on  conli'ailii-linri  :i\cc  Imil  vi'  i|ii('  nmis  Nciiniis 
(1  Cxposcr,  <lil  l.avuisiiT  I  ,  si  nnus  miiis  li\ri(iiis  à  de  iirandcs 
discnssions  sur  les  |)riMfi|)e's  consliliianls  des  coriis  cL  >nr  leurs 
nii)lrculos  éliMiiculain^s.  Xous  ikuis  odutcuilcrons  de  rouardcr 
ici  comme  simples  loutes  les  suli^laiices  (|ue  miiis  ue  pouvon-^ 
pas  décomposer,  (oui  ce  que  nous  ol)lonons  on  dernier  ri-snllal 
par  l'analyse  cliimique.  Sans  douLo  vm  jour  ces  sulislances.  (|ui 
sdul  simples  pour  nous,  seront  décomposées  h  leur  Imir,  el  nous 
louclions  probaldement  à  celte  époque  jinur  la  lerri'  siliceuse 
et  pour  les  alkalis  lixes  ;  mais  notre  imai^lualimi  n'a  pas  dû 
devancer  les  l'ails,  et  nous  n'avons  pas  dû  en  ilire  plus  (jue  la 
ualui'e  ne  Udus  eu  a|iprelld.  » 

Le  carartèri'  enijiirique  et  provisoire  de  la  déliniiion  du  corps 
simple  laisse  le  champ  liliro  au  philosophe  doni  les  liy|)othès(^s, 
plus  jiuissanles  que  les  pi'océdés  de  lanalvse  cliimique,  veulent 
décomposer  les  corps  qui  ont  l'ésisté  à  huis  les  réacUfs.  (ier- 
laines  de  ces  hypoliu'^ses  sur  l'unilé  de  la  malièr(>  on!  jn 
d'une  longue  faveur;  telle  la  théorie  de  l'rnu>l,  qui  \nulail  (|i 
tous  les  corps  fussent  formés  d'Iiydi-ogène  condensé  el  (|ui  ra\  il 
Tadliésion  de  l'illustre  ,I.-R.  Dumas.  D'ailleurs,  l'intérêt  qu'oui 
excité,  dans  ces  dernières  années,  les  recher(di(>s  relatives  à 
Vaiu/i'Hldiirciii  iniiulreiit  que  Ijien  des  chimistes  nul  consiM'vé, 
i-(imme  Haenn,  l'espoir  «  de  diinner  à  l'ariiciil  la  couli'ur  de  l'or 
ou  uu  poids  |iliis  considérahle  ».  A  coup  sûr,  l'iih'e  (|ue  ces 
(diimisles  se  l'onl  du  corps  simple  ne  dillÏTc  guère  de  la  iiolion 
de  mixte  diflicilement  décomposable,  di'linie  jiar  iioyle,  par 
l.(Mnery  el  par  Slahl. 


il.      LA     LOI     |]|;s     IMlOPOltlIONS    DLFLMICS       " 

(À'ux  qui   <uit  lu   les  auteurs  du   xvii'  siècle,    et  surtout  du 
xviii'  siècle,  s'étonneraient  volontiers  (jne  l'on  atlrilme  à  Didust 

(t)  LvvoisiKH.  Mémoire  sur  la  nccessHé  de  réformer  el  de  perfectionner  la  noiiten- 
rldltire  lie  lu  Cliiiitie.  lu  à  l'Assemblée  publique  de  l'Acaiiémle  royale  des  Sciences 
le  tS  avril  nSl.  — In  :  MélUnde  de  nomenclalure  chimir/iie.  {tropoi^i-e  par  .MM.  iie 
.MouvKM-,  I.AvoisiEB,  Bertiioli.et  et  DF  KuiHCROV,  Paris,  1787. 


Ul 
iiue 


170  I'.  DllIEM 

lV'l.ilp|i>si'nii'nl  lie  la  lui  drs  |iro(Hirliiiiis  drliiiirs  :  ro  ailleurs, 
en  cllcl.  si'inlili'iil  Ions  ailnicllrc.  cl  |il(isii'iirs  ('■noiucnl  Inrnirl- 
lonicnl  cetlo  vérilr  :  li)rs(|ii('  iK-iix  corps  se  romliincnl  eiiln 
eux.  la  masse  de  l'iiii  esl  dans  un  rapporl  lixe  avec  la  masse 
de  I  aiilre. 

lli'ifi.  .leaii  I!ev  se  demande  il"  poui'qnny  la  (  liau\  d'eslain 
n  aiiL;nienl<'  eu  pidds  à  linlini.  le  len  ponvanl  eslre  inlininu-nt 
ciinlinné.  qni  fournira  lnujonrs  de  cet  air  espe/  el  pesanl 
pour  laceroistre  .•  ?  I']l  il  id'iii'uie  (|ue  •<  la  .Naiiire  jiar  sou 
insci-ulalde  sajjesso,  s'est  mise  ici  des.liarres  qu'elle  ne  rraueiul 
jamais...  Rlle  est  i-eli;iieuse  de  s'arrêter  aux  limites  (|n'(dle  se 
prescript  nue  lois.  .Nostre  (diaux  esl  de  cette  condition  :  l.'air' 
espe/.  s'altai  1h'  à  (die  el  va  adhérant  peu  à  peu  jiisqn'aux  plus 
minces  de  ses  parties  :  ainsi  son  poids  anj^niente  du  comnnnu-e- 
UH'ul  jusques  à  la  lin  :  mais  (|uaud  tout  en  esl  all'uhh''.  elle  n'en 
si-aui'oit  pr<'udre  d'avanlaue.  Xe  cnulinue/,  plus  voli'e  calcinalion 
sonl)s  cet  espoir:  vous  perdriez  \ostre  peine.  • 

Newton  2  sail  ((u'il  t'aul  unequanlité  déterminée  d Cau-torti' 
pour  (lissondic  nue  (|uanlih>  délermi7n''e  d  un  imHal  donu(''.  de 
ter  par  exemple  :  (ju'il  tant  une  plus  grande  (|uantilé  d'eau-l'orte 
pour  dissoudi'e  une  cei'laine  masse  de  l'er  (|u  une  mènn'  nni>se 
de  cuivre  :  nue  plus  i^i'amle  pour  dissoudre  une  certaine  unisse 
de  cuivre  (|u'iine  nnune  masse  d'arjicnl. 

Stalil  M  nomme /;o/^/.v  naliirrl,  /tfi/Kliis-  n(ilin;i',  la  proportii>n 
qui  doit  exister  entre  li's  masses  des  ingrédients  que  l'on  lait 
réaair  |)our  olitenir  un  comjiosé  déterminé  :  n  l/esprit  de  nitri' 
ne  s'empare  de  l'espril-de-vin  qu'autant  que  la  masse  du  secomi 
est  dans  un  rapport  donné  avec  la  masse  ilu  premier  :  el  il 
semide  liien  i\\\v  ce  soit  là  le  poids  naturel  :  car  si  vous  ajonle/ 
une  plu-  grandi'  qiianlili'  d'esprit-de-vin.  il  ne  se  produira  [dus 
aucune  comliinaison  s|)ontanée  ni  aucun  éciiauffiMiienl.  " 

Mais  l'idi'c  indi(|ui''e  par  Jean  Key.  par  Xewlon.  p;ii'  Stalil, 
prend  nue  singulière  l'orce  à  la  suite  des  reclierclies  de  Moiiellc 


n  1  .lean  Uey,  Kssii'is  sur  la  reiherchi-  de  la  cause  /lor  laquelle  rptlahi  pi  le  plomb 
(lugmriilrnt  de  poids  i/iiaiid  ou  les  calcine.  F.ssay  X.Wl. 

(2)  Nf.wtiiX,  Opiiijue.  (Juestinn  XXXl. 

(3)  St.mii.,    h'iindaiiienla   ('lii/>iii:e.  pars   11.   —  Traclatiis  M  :  Koclrin^r  diviiiica', 
pars  1.  sectio  11  :  De  compositionihiis.  —  Arliciilus  1.   Volatilimu. 


I.A   M>TI(K\  DE  \U\Ti:  171 

:siir  lu  l'iMniiilimi  ili's  sels  nciilrrs  :  ,-i  uni"  masso  cl(''l('rniiiu''(> 
lie  liMsc  il  laiil,  piiiir  Idriiici'  un  sel  lu'iilrc,  imir  iiiic  masse 
-<raci(l('  (|iii  csl  à  la  prciiiirrc  (iaiis  un  raji|inr[  lixc  ;  si  l'on  ajoule 
un  excès  daciile,  il  se  nuMera,  il  s"  <■  a;j;grégera  >>  an  sel  l'ormé  ; 
H  n'enlrera  pas  dans  la  eonslilulion  do  ce  sol.  T>i'  ces  principes, 
})out-on  iniai;iner  ('"noneé  plus  clair  quo  colni-ri.  (jni  est  -lu  à 
•ilo  Vonol    I  1  ? 

■'  l  n  caraclère  (^ssonliol  do  la  miilldii,  caractère  Iieauconp 
■])lns  i;-én(''ral,  pnisqn'il  est  sans  exceptidu,  c"est  qiu'  les  prin- 
ripc^s  qui  cunciiiireiil  à  la  l'nriualinn  d'un  iiii.rlr,  \  concourent 
■tians  nue  certaine  proporiion  lixe,  niu' certaine  (|uantilé  nnnu''- 
Ti([uo  do  parties  déterminées,  qui  constitu(>  dans  les  mixtes 
«irtiliciols  ce  que  les  chimistos  appellent //r;//*/  t/p  satiiralion... 
l/ol)sorvalion  i;(''n(''rale  sur  la  proporiion  des  int^rédions  de  la 
mixtion  est  un  domino  d'éternelle  vérité,  do  vérité  absolue, 
nominale.  Xous  n'appelons  iiil.iifs  on  substances  non  siiu/i/rs. 
\raiiin'jit  (diimicjm's,  que  celles  (jui  sont  si  ossontiollemeni,  >i 
Tn'-cossairomont  composées,  selon  une  proportion  déterminée  di' 
])rincipos,  que  non  soulonuMit  la  souslraclion  ou  la  siiradiUdoii 
d'une  certaine  quantité  de  Ici  <in  loi  principe  chant;orai! 
l'osscnco  do  celte  snlislanco;  nniis  mémo  quo  roxcès  d'un  prin- 
cipe quelconque  est  de  l'ait  iiuulmissiljle  dans  les  niixles,  lanl 
naturels  qn'artiliciels,  el  (|ue  la  sonsli'aclion  d'une  jioi'lion 
d'un  certain  principe  (>sl,  par  les  délinilions  ci-dessus  exposées, 
la  di'composition  mémo,  la  destruction  chimi(juo  d'une  portion 
•«lu  mixle:  en  sorte  quo  si  d'une  ([uantité  ilonnéo  do  nitro,  on 
sépare  une  certaine  quantité  d'acide  nilreux,  il  no  reste  pas  un 
nitro  moins  chargé  d'acido,  mais  un  nn'dang(^  de  nilre  parfait 
«comme  auparavant,  et  d'alkali  lixe,  qui  esl  l'autre  ])rincipe  du 
nitro,  absohunent  nud,  à  qui  l'acide  an(|uel  il  était  joint  a  rU- 
•ontièrenu'iil  enlevé.  » 

(les  lii;nes  étaient  écrites  en  I7(i."').  Oui  les  a  lues  no  s'élonne 
plus  d'ontendro  Lavoisier  at'lirmor  que  l'o.xydation  d'un  métal 
iléterminé  exige  une  niasse  d'oxygène  qui  est  dans  un  rapport 
'<lonn(''  avec  la  masse  du  métal;  do  voii-  Rergmann  se  livrer  à 
<los  analyses  nomlireusos  et  soigni'es  (|ui  supposent  uiu'  crovance 

■I)  De  Vesei.,  .\rt.  Mirti-  ri  nilrlioii  de  [Encijclopédie  de  DiJerut  et  dWlembert. 


172  !'■   III  IIKM 

implicite  à  in  ii\it(''  di'  i-iiiii|H)silion  tles  siibslaïK-es  analysées. 
Itcvons-nous  ilunc  admctlrc  (|Uo  la  loi  des  iiroportions  iléli- 
iiies  ait  été  pleinement  connue  et  admise  dés  le  temps  di^ 
MoucUe?  (Jne  Berllndlet,  en  la  contestant,  ail  Icnli'  un  inex|)li- 
(■able  retour  en  arriére?  Que  Proust  ait  eu  pnur  seul  mérite  d(^ 
démontrer  à  nouveau  ce  que  \\m  savait  avant  lui?  Nous  nous 
laisserions  piper  par  les  a|)parences;  nous  laisserions  passer, 
incomprise,  Tune  des  transformations  les  plus  profondes  qu'ait 
suides  la  notion  de  mixte,  celle  (|ui  a  conduit  les  cliimistc-  à 
disting;ucr  le  mélanj^e  physique  et  la  coml/inaison  chimique. 

Revenons  aux  Kssai/s  de  Jean  Hey  et  à  la  réponse  (1)  que  le 
médecin  périiiounlin  fait  à  cette  (|uestion  :  Po/trf/iK/t/  lu  c/iaii.i 
ii'diK/inritlf   cil   /iiiiil<   Il    l'infini  ?   «    ('ar   p(iur(|U(>y     dira-t-on^ 
n'accroislra  inlininient    la  (diaux.  le    feu   [)ouvant   estre    iulini- 
mcnl  continué,  (|ui  rdurnira  tdusjours  cet  aii-  espe/  et  |iesant 
pour  l'accroistre?  Je  me  développe  de  ccdte  diriicullé.  qui  pour- 
rait enlacer  quelqu'un  des  moins  subtils  :  en  remarquant  (|ue 
toute  matière  qui  s'accroisl  par  addition  d'une  autre,  est  ou 
solide,  (.u  liquide;  et  ([ue  le  meslange  se  fait  entre  (dies  de  trois 
l'acnns.  (lar  nu  la  matière  solide   se  mesle  avecques  la   solide, 
ou  la  liquide  avecciues  la  liquide,  ou  celle-ci  avecques  l'autre. 
Le    meslanue  el   accroissement   i|iii   >e    fait    é>   deux    pi'emières 
laçons  ne  reçoit  point  de  homes.  .Meslez  avec  ce  sahie,  el  >  ,p'i- 
i:nez  lousjours  d'autre  sable,  vous  Tirez  sans  lin  au!inuMitant. 
Meslez  avec  ce  vin,  et  y  versez  tousjours  d'autre  vin.  vous  n  au- 
rezjamais  achevé.  Un'eslpasde  même  delà  tierce  façon,  quaml 
on  adjonste  et  mesle  une  matière  liquide  avec  une  st)lide  :  telle 
addition  nieslani;ée  ne  croistra  pas  tousjours,  n'ira  point  à  I  in- 
tini.   La  nature  [)ar  son  inscrutalile  sagesse,  s'est  ici   mise  de> 
l)arres  qu'elle  ne  franchit  jamais.  Meslez  de  l'eau  avec  le  sable 
ou  la  farine,  ils  s'en  couvriront  totalement  jus(|n'à  la  moindre 
de  leurs  parcelles  :  versez  en  d'avantage,  ils  n'en  prendront  plus: 
el  les  retirant  de  l'eau,  ils  n'en  porteront  que  ce  qui  leur  adhère 
et  qui  suftit  à  les  enceindre  justement.  Replongez  les  cent  et 
cent  fois,  ils  n'en  sortiront  pas  mieux  chargez  :  et  les  laissez 


(1)  Jean  Rey,  E.isnys  sur  la  rerlteiclte  de  ki  cause  par  hiquelle  Crs'iihi   el  le- 
jiUimli  aurjmenlent  de  poids  quand  on  lex  adcine.  Essay  XX\'l. 


i.A  MiTKix  /*/•;  i/;.\v7';  m 

dedans  à  i'e|ii>>.  il-;  (|uillci'(>iil  le  siipci'llu  cl  irmil  à  londs  par 
ciix-mrsmcs  ;  lanl  la  iialiii'i'  (>st  ridii^ii'iisi'  de  s'arièlcr  aiiv 
liniilcs  (lu'cdlc  se  |iii'v(ii|il  uni'  l'ois.  Nostro  chaux  csl  do  celle 
condilion...  » 

l/idée  qii'cxjiianie,  sdiis  nue  l'urine  qnelque  |ien  naïve,  cette 
page  de  Jean  l!e\ ,  ne  la  relronvons-nons  ]ias.  précisée  par  l'iiy- 
pollièse  de  l'alli'ai-liiui  innli'cn  laire.  dans  VO/i/ii/iif  de  Xewion? 

S(diin  .New  luii  •  1  :,  iursqn'nne  parliciile  dnn  corps  qui  exei'ce 
une  allraclion  sur  les  parlicnles  d'un  antre  corps,  s'est  enlourr'e 
d'un  cei-laiii  nuiulire  de  ces  parlicnles,  son  action  cesse  d(^  se 
taire  sentir  snr  les  antres  parlicnles  de  même  espèce,  dont  elle 
esl  désiirmais  trop  distante;  elle  osl  alors  safi/rrr  v[  la  comlii- 
naisdU  |ii'end  lin.  «  i'onrtinoi  le  sel  de  larlre.  aprè>  i|u"il  a 
exirail  de  l'air  une  cerlaiue  (|iiaiilil(''  de  va|MM:r  d Caii.  prcipnr- 
lionnelle  à  sa  niasse,  cesse-t-il  de  s'imljiher,  sinon  |)ai-ce  ({ne. 
sahiré  d'ean,  il  n'exerce  plus  d'attraclion  snr  les  parlicnles  de 
la  vapeur  d'eau?...  .N'est-ce  pas  à  une  force  alli'acti\('  de  ce 
t;cnre,  nuiluelle  entre  les  particules  de  l'iinile  de  vilrinl  et  les 
l)articulcs  de  l'eau,  qu'il  faut  attribuer  ce  l'ait  que  l'Iiuilo  de 
vitriol  enlève  à  l'air  une  assez  grande  quantité  d'eau,  tandis. 
<|u"nne  fois  saturée,  elle  cesse  d'en  absorber  davantage?  » 

l.e  nombre  dos  particules  du  second  corps  que  retient  une 
[larlicule  du  premier  ciu'ps  est  d'autant  plus  t^rand  qiu^  l'allrac- 
tion  exercée  par  le  {)remier  corps  snr  le  second  esl  plus  inlense  ; 
nous  pouvons  donc  juger  de  la  force  d'attraction  d'un  |)romier 
corps  sur  un  second  par  la  masse  de  ce  second  corps  qu'il  faul 
employer  pour  saturer  le  premier.  Nous  avons  vu  ([ue  les  par- 
licnles de  l'eau-forte  étaient  plus  énergiquement  attirées  ])ar 
le  fer  que  par  le  cuivre,  par  le  cuivre  que  par  l'argent  on  le  vif- 
argenl.  »  N'est-ce  pas  à  cette  cause  ([uo  nous  dc^vons  allribner 
ce  fail  qu'il  faul  une  |dus  grande  ([uanlili'  d'eau-fcu'le  pour  dis- 
soudre et  saturer  le  fei"  que  le  cuivre,  el  (|u  il  en  taul  une  |)lus 
grande  quantité  pour  saturer  le  cuivre  (jne  p(uir  saturer  les 
autres  métaux?  » 

Newton  compare  donc  la  liinilalion  que  l'on  observe  dans 
les  ri'actions  chimiques  à  la  salni'alion  ((ni   se   manifeste   dans 

(1)  New TUN,  Opliiiiie.  (JucsUon  \\\l. 


174  P.  1)1  IIEM 

lo  |ili(''nnm(''iics  <li'  ilissdliiliiiii  lo  plus  ciiniiniiiis.  |);ir  cxcmiilc 
lorsqu'on  (lissiuil  le  sel  niai'iii  dans  l'ciui. 

D'une   niaiiirrc   |ilus    iiclli'   ciuorc,    les  cliimislcs   de    I'IÙdIi 
enipiriquo  marqurnl  ce  rapprochriiienl. 

'<  Enlro  le  dissolvaiil  cl  le  corps  à  dissoudre,  dit  Stalil  il), 
une  proporlion  fixe  esl  loujours  requise:  ainsi,  par  exemple, 
une  livre  de  camphre  exige  tiuijours  au  moins  deux  livres  de 
mensirue:  de  même,  une  qnanlil(^  déterminée  d'ean-forle  dis- 
sout seulcmcul  une  (|uauliir'  diMermiiiée  d'argent;  une  {|uanlité 
délerminée  d'eau  dissout  seulenu'nl  une  qnantili'  di'lermim'e 
de  s.d.    .. 

l'it  de  VeiU'i  '  2  ,  intei'pi'ète  des  idées  de  Houidie,  ('cril,  il  la 
suite  du  [)assage  rapjioi'té  plus  haut  :  «  Tous  les  menstrues 
enti-ent  en  mixtion  réelle  avec  les  corps  qu'ils  dissolvenl.  mais 
l'énergie  de  tous  les  nu'ustrues  est  bornée  à  la  dissolution  d'une 
quaulil('' d(''leiuiinr'e  dn  corps  à  dissoudre:  l'eau,  une  l'ois  sy////- 
/■rr  di'  sucre,  ne  dissout  poini  du  nouveau  sucre:  du  sucre,  jeti' 
dans  une  (lissoluli(Ui  parlailement  saturée  de  sucre,  y  reste 
constaniiiienl,  sou>  le  même  degri'  de  chaleiii'.  dans  son  ('lat  de 
<'orps  conci'el.  dette  dei'uière  circonstance  rend  le  dognu-  (jui> 
nous  proposons  1res  manifeste;  mais  (dli'  ne  pi'iit  s'(djserver  que 
lorsqu'on  l'prouve  l'énergie  des  divers  menstrues  sur  les  corps 
concrets  ou  coiisislans:  car.  lors(|n'<in  l'essaye  sur  tles  liquides, 
ce  n'est  pas  la  nu"'me  cliose.  cl  (|nid(|ues  excès  (\'all,(tH  rr^niil 
<lu'on  verse  dans  de  l'esprit  de  vinaigre.  |iar  exemple,  il  ne 
paraît  pas  sensiliKunent  (|u'une  |iiirlie  de  la  li(jueur  soit  rejeti''e 
lie  la  mixtion,  l'aile  l'est  pourtant,  en  ellet.  et  la  cliimii'  a  des 
nioxcns  simples  pour  démontrer,  dans  les  cas  pareils,  la  moindre 
portion  excédante  ou  su|ierllue  de  l'un  des  principes;  et  celle 
portion  excédante  n'en  est  pas  plus  unie  avec  le  mixte  pour 
nager  dans  la  même  liqueur  que  lui.  Car  deux  liqueurs  ca[)al)les 
(le  se  mêler  parfailemenl.  et  (|ui  sont  actiu^llement  mêlées  très 
parfaitement,  ne  sont  pas  poui' <-ida  en  mixtion  ensemhle...  » 

«'  Il  (>st  évident  (iiie  toutes  ces  unions  de  li(|uides  aqueux  sont 
<le  vraies,  de  pures  aggrégations.  Une  certaine  quantité'  d'eau 

(1)  SïAui.,  l''uniliimenhi  l'Iii/inia;,  Pars  II.  —  Tractatus  1.  —  Sect.  I,  cap.  I  :  De 
naliira  tluidi  el  siplidi. 

(il  De  Venei.,  arl.  Mille  el  inirlion  de  \'En'-i/clojiét/ie  de  Diderot  et  d'.VIeiiibort. 


;.,i  ,vmv/m,v  /)/;  ,i;/.\;7':  175 

s'unit  par  k-  lieu  (l'uiic  vraie  iiiixlion  à  iiuc  (|iiaiilil(''  (liHcrmim'i 
«II'  sol,  cl  (-(msliluc  un  liquide  a(|ni'U\  (|ui  esl  nn  vrai  nii\li  . 
<]ela  esl  [iriin\{''.  enii'anires  cliiises,  en  ce  (jui'  dès  (jndii  sous- 
Irail  une  [)i)rli()n  de  celle  eau,  une  (xulinn  du  niixlc  péril:  on 
a,  au  lien  du  m/i/r  fif/iieo-sa/iii.  appelé  //'ssirp,  l/.ririiiiii,  un 
e(ir|)s  eiinerel,  un  eryslal  de  s(d.  Mais  hiule  l'eau  qu'un  peul 
surajouter  à  celte  lessive  priq>renn'nl  dilc  ne  contracte  avec  elle 
qin'  ru^jiréL;alion  ;  c'est  de  l'eau  (|ui  s'unil  à  de  l'ean  ;  et  voilà 
jMiur(|niii  ce  ini'Iange  n'a  point  de  termes,  |)oinl  de  proportion.  « 

(•r,  la  (|uanlili'  de  sucre  (juc  peul  dissoudre  uni'  <|uanlilé 
donnée  d  eau  est  lixe  dans  des  conditions  <lonni''es;  mais  elli' 
elianj;-e  lorsque  ces  conditions  changent  et  ilépend.  en  réalité', 
d  une  l'oule  de  circonstances:  elle  augmente  lorsque  la  lempé- 
ralure  s'élève  (et  de  Venel  le  sait,  car  il  a  soin  de  pri''ciser  q\i(^ 
la  (lisstdntion  dont  il  parle  est  laissée  sons  te  mniif  dcf/rr  <ir 
chnlvur];  elle  varie  si  l'on  mêle  à  l'eau  quelque  corps  étranger, 
de  l'espril-de-x  in  par  exemple. 

(le  soni  là  des  laits  ([ne  l'oliservalion  la  plus  vulgaire  enseigin- 
aux  einpiricjues.  ils  s'accordent  d'ailleurs  le  plus  aisément  du 
monde  avec  les  diverses  théories  chimiques  qui  onl  coni's  an 
wiii"  sièch'. 

Stahl,  (|ui  s'en  lienl  aux  idées  de  Lémery,  })ense  qu'une  suh- 
stance  solide  se  dissout  dans  un  menslrue  quand  les  pores  du 
nuMislrne  oui  une  l'orme  cl  uiu'  grandeui'  (|ui  convieniu-nl  aux 
molécules  de  la  sulistance  (à  dissoudre  (h.  (^elle-ci  cesse  donc 
<|e  se  dissoudre  lors(|ue  les  pores  du  menslrue,  encomhrés  de 
.si's  moh'cules,  n'en  peuvent  plus  recevoir  (h'  iumv(dles. 

Mais  i:i  chaleur  élargit  les  pores  des  divers  corps,  tandis  que 
le  i'roid  les  resserre  (2),  et  cela,  par  suite  des  mouvements  dif- 
férents des  molécules  d'éther,  mouvements  ((ui  sont  l'essence 
<lu  chaud  et  du  froid.  Il  esl  donc  clair  (|ue,  dans  nn  menslrue 
<lonné,  un  sidide  donné  deviendra  [)lus  solulde  lorsque  le  degr('' 
de  chaleur  s'élèvera  et  nmins  soluhle  lorsque  le  degré  de  cha- 
leur -^'ahaissera. 

Il  esl   clair  aussi  (|ue    si  l'on   nn'de  au    dissolvant    une   suh- 

^  1 1  Stmil,  l'iiiiilameiila  l'Iii/miir.  l'ars  II,  —  Seet.  I,  Cap.  ix  ;  De  pr:i-cipitalinnc. 
—  Tractatus  I,  Sect.  I,  Cap.  ii.  De  sdlutione  et  uienslniis, 
i2)  Stahl,  l'iiiidainenla  Cln/m'ur.  Pars  II.  l'roi'iiiiuui. 


170  P.  milRM 


tuiico  étrangère,  oa  nlilicndjNi    un  nonvcau  li(|iii(l(',  dnnl   I 


porcs  ne  seront  pins  disposés  de  la  mémo  nianièi'e  qne  dans  le 
premier  liqnide  ;  un  solide  donné  n'aura  pas,  dans  le  nouveau 
menstrue,  le  même  degré  de  solubilité  c[ue  dans  le  menstrne 
priiuilif. 

I,es  théories  newlnniennes  ciiiidnisiMil  à  des  eonelusinns  seni- 
hlahles. 

i.e  nunihre  des  molécules  de  sucre  (|u  inic  ni(di''ciile  d'eau 
|M'ul  retenir  dans  son  voisinage  ne  ili''|)eiid  pas  seulement  de 
l'attractinn  i|ue  la  molécule  d'eau  exerce  sur  les  niidéeules  de 
sucre  groupées  aulour  d'(>lles  ;  il  dépend  aussi  des  attractions 
par  lesqu(dles  les  aiilics  innh'cnles  du  dissidvanl  s(dlicilent 
ces  molécules  de  sucre,  parlant  de  la  nature  des  molécules  du 
dissolvaiil  ;  en  mélangeant  à  l'eau  un  corps  étranger,  on  l'era 
varier  la  s(duliilil(''  de  sucre  dans  cette  eau. 

Le  iiomhre  de  UHjlécules  de  suer.-  (|ui  s'amasseront  autour 
d'une  indli'cule  il'eau  sons  l'action  combinée  de  [ouïes  les 
l'orces  qui  les  sollicitent  n(>  sera  pas  le  même  selon  (|ue  ces 
uiol(M'ules  seront  en  repos  ou  aniiiu'es  d'un  inouM'Uienl  rapide  ; 
oi-  c'est  à  nu  mouvenu^nl  rapide  des  dernières  particules  des 
corps  que  Xewion,  comuH'  hescarles,  allriline  la  chaleur:  la 
■-(duliilili'  du  >ucre  dans  l'eau  variera  doue  axcc  la  leiu]irTalure. 

liegarder  le  uiouvemenl  i'a])ide  des  particules  connue  consli- 
luant  l'essence  île  la  chaleur,  c'était,  dans  la  |)liilosophie  de 
Xewton,  une  trace  de  la  i)hysique  cartésienne  :  à  la  suite  des 
Iravaux  de  Hlack  el  di'  Crawford,  cette  li'ace  s'(Mla<:a>;  on  regarda 
la  chaleur  comme  l'ellet  d'un  lluide  inipomlérahle,  piéseni  dans 
Ions  les  coi-ps,  auquel  la  n(nivelle  munencdalTii-e  (diimi(|ue 
ijoniia  le  nom  de  rr/A//vy//r  ;  les  nioié(ule>  du  calori(|  ne  tiUM'ul, 
comme  les  nn»lécules  des  autres  cor|)s,  doiu''es  d  actions  aili'ac- 
lives  on  r(''pulsives,  sensi!)li<s  senlenieni  à  très  petite  dislance. 
I.a  (hMerininalion  de  la  qiianlilé  de  sucre  (|ue  peiil  leiiif  en 
susjieus  une  i|uanlité  di''lerniin:''e  d'eau  luiie  à  une  quantité 
détei'minée  de  calorique  ne  l'ut  plus  (|u'nn  prohli'nn'  de  sta- 
tique ;  il  n'était  pas  i)esoin  de  |)ousser  hien  loin  la  solution  de 
ce  problème  pour  pic'voir  i\uo  la  ([uanlil(''  de  sucre  capable  de 
SI' dissoudre  dans  cette  quantit('' d'eau  di''pendail  de  la  (piaiilib' 
de  c;iIorique  qui  s'y  trouvait  contenue. 


/.  1  MiTinx  /)/■:  i;;.\ •;■/•:  17? 

|-]ii  I7.S!Î.  dans  loiir  inimuricl  Mr/iinirr  .■^nf  la  chaleur,  Lavoi- 
sii'i'  cl  Lii|)laf('  il  )  avaicnl  l'Iiauclu'-  la  snliilioii  de  lois  pr'oldi'iiios 
cl  ils  avaicnl  aiii-^i  idilcmi  di's  lui-.  iiii|iiirlanlcs  lniiolianl  la 
dissululiiiii  des  sels  nu  la  l'nrmal imi  (k'  la  glace  au  sein  de  l'eau 
aciiluicc. 

Or  Slalil  ra|i|uiicliail  la  saliiralinu  de  l'eau  |iai'  le  sid  ou  par 
le  sucre  de  la  saturai  iou  di'  reau-t'iU'Ie  par  le  l'cr  du  |iar  le 
cuivre:  si.  pour  salui'cr  une  (|uanlilé  (h'dcrmince  d'eau,  il  laul 
V  uièjcr  une  ([uautilé  de  sucre  (]ui  dépend  de  la  tempéralurc, 
<]ui  di'peud  des  corps  (''(l'anuci--  surajoutés  à  la  dissolution, 
pour(juoi  la  masse  de  cuivre  (jue  dissont  une  niasse  donné(> 
il'eau-l'orlc  ni"  d(''pendrait-elle  pas  de  la  lemp(''ratnre,  de  la  dilu- 
tion de  reau-t'orle,  de  toutes  les  circonstances  de  la  réaction? 
Pour  tonner  un  composé  saliirr,  les  éléments  se  combinent 
<lans  une  pi'oportion.  (|ni  est  lixe  lorsque  les  conditions  tians 
lesquelles  la  combinaison  s'accomplit  sont  égalem(>nt  lixes  ; 
nniis  si  ces  conditions  varient,  la  constitution  du  conijiosi'' 
saturé  peut  varier  et  doit  en  t;énéral  varier.  Il  se  peut  que.  dan- 
<-iMiains  cas.  une  combinaison  ait  une  coni|)osition  détinie. 
indépendiiule  des  circonstances  dans  jesipudles  cette  combi- 
naison s'est  formée  :  mais  ces  cas  sont  assurément  exception- 
nels, l-'ixer  les  caractères  particuliers  auxquels  on  peut  recon- 
naître qu(>  l'on  se  trouve  dans  un  lid  cas;  déconvi'ir.  Iior--  de 
ces  cas  exceptiounids,  l'inlluence  (|ue  clnicune  des  conditions 
de  la  réaction  exerce  sur  la  coni|>osili()n  du  produit  obtenu, 
tel  est  le  but  de  la  SZ/ifir/iif'  chimique  dont  Lavoisier  el  Laplace 
ont  e>(|uiss('  Li  nuMlioile. 

Telle  est  la  tloctrine  qiu'  Herlbollet  exposa,  en  1790,  à  l'Ins- 
titut d'Egypte  i2i,  qu'il  soutint  pendant  plusieurs  années  ('^^  avec 
autant  de  sagacité  dans  ses  déductions  théoriques  que  d'babileli' 
dans  ses  déterminations  expérimentales,  qu'il  développa  avec 
une  admirabb^  clarté  dans  son  l-Jss{ii  r/c  S/n/ic/ne  chimi'/ne  -  'i  ,. 

(  1  i  Lxvois:bh  et  I)  ■  Lapi.ai-.k,  Mémoire  sur  lu  chaleur,  lu  à  rAcadémie  Jes  Sciciices 
le  IS  juin  1183.  [Méiiwires  de  l'Académie  des  Sciencei  fiaur  l'RIl  ;  Paris,  nsi.i 

(2)  Behtiioi.i.kt,  lieckerc/ies  sur  les  lois  de  l'affinile.  iMcmoires  de  iliislitui  pour 
1799.  pp    1,  2U7  et  22!l.( 

(3)  U:;uTiioi.i.ET.  Observalions  rela/ive^  à  différents  mémoires  de  Prousl.  iJoiirnal 
<Je  Physique,  f    LIX,  pp.  .'i4".  "l'il:  IS'i.i 

i4)  Br.iiTM  i.i.ET,  Esiiii  de  S!a'i-/ue  (■'iinii(jue.  \  '  [inrlie,  [)    lil  :  Paris,  ISJJ. 


178  1'.  III  iii:m 

•  Nous  (Icviiiis.  (lil  IJcrliinlIol  on  tel  (Hivnii;!',  ri'lruuvcr  dans 
la  i'iiniliinais<pn  les  Idis  (juc  nous  avons  olisorvéos  dans  lactiou 
<-liiniiqnc  qni  prodnil  la  diss(dulinn...  Los  oliiniislos,  iVappôs  do 
(;e  qu'ils  tronvaionl  dos  prnpurlinns  dc'lorniinocs  dans  plnsionrs 
«•(imidnaisons,  ont  souvent  ro^ardô  onninio  uno  jimiiriolô  gônô- 
ralo  dos  oomhinaisons  do  se  consliUicr  dans  dos  proportions 
constantos  ;  do  sorlo  quo.  selon  eux,  lorsqu'un  seul  neutre 
roooii  un  oxoos  d'aoido  nu  d  alcali,  la  snlislancc  honiouèno  qui 
ou  résulte  est  uno  dissolulinn  du  s(d  iioulre  dans  uno  portion 
lilire  d'acide  ou  d'alcali.    - 

"  (Test  uno  livpo||ic-o  (|ui  na  pour  rnndcincnl  (|u  uno  dis- 
tinction entre  la  conihinaisoii  cl  la  dissolulion,  et  dans  laqu(dlc 
lui  confond  les  pnipriélcs  (|ui  causonl  uno  séparation  avec 
rallinili'  qui  prudiiil  la  conihinaisou  :  mais  il  faudra  recon- 
nailro  los  circouslaiiccs  (|ui  pcnvcnl  d(''lorminer  les  séparations 
des  couilunaisons  dans  un  certain  iMat,  et  qui  limilont  la  lot 
liénérale  do  l'aflinité.   ■> 

La  lln'oric  de  lîerlllollel  l'dait  le  cni'(dlaire  ualund  de  tout  ce 
(|u'avaiont  onsoiiiué  los  cliiniistos  du  wni'  sic'ido,  aussi  liion 
les  disciples  de  New  [on  quo  los  adoptes  de  l'I-'oole  empirique. 
liHiehanl  la  saluralion  chimique.  Xier  cette  lln'orio,  soutenir 
(|ue  (  liaque  combinaison  (diiniiquo  a  uno  composition  lixe,  spé- 
eilii|uo,  rigotu"eus(>menl  indépendante  îles  conditions  dans  les- 
(|indlos  cotte  c(Muliinaison  a  pris  naissance,  c'eût  édé  jiroduire 
uiu'  ré\olution  jirol'oiide  dans  la  motion  de  mixte. 

Cette  ivv(dntion.  S.-L,  l'idust  fut  assez  audacieux  pour  la 
tenter  et  assez  houieux  pour  la  réussir. 

l-]n  I71I9,  l'roust  i  I  i  reniar(|ua  (|ue  si  l'on  dissolvait  dans  un 
acide  le  carbonat(>  de  cuivre  naturel  pour  le  précipiter  ensuite 
par  un  carbonate  alcalin,  <ui  obtenait  une  quantité  de  carbonate 
de  cuivre  exactement  égale  i\  la  quantité  de  carbonate  naturel 
<juo  l'on  a  employée  ;  cette  tiansformation  n'a  donc  fait  ni 
ij;aiiuer,  ni  perdre  trace  d'acide  carb(Uiique  ou  d'oxyde  do  enivre 
au  sel  mis  en  expérience  ;  le  carbonate  de  cuivre  ju-éparé  dans 
le  laboratidro  a  donc  mémo  composition  i|uo  le  cai'bonato  di^ 
cuivre  foruu'  dans  les   entrailb^s  de  la   tori-o,   par  des  procédés 

(1)  Pbocst,  Hec/ierclies  sur  le  Cuivre.  {Annales  de  Chimie,  t.  XXXll,  p.  26;  i'W.} 


/.  i  vov/n.v  ;//•:  i;;.\77-;  i7.t 

(•('rlaiin'iiiriil    tri"'s  ilillTTriils  ilc  ceux   (|irciii|ilipi('    le  <liiiiii>lc. 

rK''M(''ralisiiiil  cclli'  (Ii'tiiiin  rrlc.  l'i'nii^l  n'In'sili'  pas  à  aflirniiT 
(juc  toulc  coinliinaisdii  cliiiiiiijMc  csl  (■aractc'risi''('  par  une  coni- 
pusilion  al)S()liiiiii'iil  lixc,  spéi'ilii[iic.  iiKii'pcMidaiilc  des  coiidi- 
lious  dans  losqiicllos  la  coniliiiiaison  sCsl  roriiir'c.  lOiilcs  les 
t'ois  (ju(>  lOn  a  cni  ri'iicniilirr  drs  ((imliiiiaisons  à  coniposiLion 
variahlc.  on  a  en  alVairr.  en  r('alilé,  à  îles  cuiiiliinaisons  impures 
auxqu(^lles  s'ajontail  un  exeès  de  1  un  de<  idniposants,  du 
liien  à  un  nn''lani;e  de  deux  rdinliinai-du-  distiurle- des  inèmos- 
(•lénienl-. 

■<  (les  |(riipoiiioas  Lonjuurs  in\arialili's.  dil  l'i^jasl  1  .  ces 
allrilmls  constans  qui  earactériseul  les  vi-ais  e(im|)osés  de  l'aii, 
(111  ceux  di'  !a  nature,  en  un  niril  ee  jKuiihi^  naliira'  si  Men  vu 
jiar  Slalil  :  tiuil  eela.  dis-je,  n'est  ])as  jilus  an  pouvoir  da  tlii- 
miste  que  la  loi   d'élection  qiii    iiréside  à  tout(>s  les  l'oniliiuai- 

-llUS.     n 

Entre  l'rousl  et  l^erllmllel.  niu'  discussion  s'c-li'va.  ■  Celle 
discussion  i2i,  une  des  |ilns  mémorables  dont  la  science  ail 
tçardé-  le  souvenir,  se  pnduntiea  de  IT'.I!!  à  ISOtJ,  et  fut  soutenue 
de  part  et  d'autre  avec  une  pnissance  de  raisonnement,  un  senti- 
ment de  respect  pour  la  vérité  et  pour  les  cimvenances  qni  n'ont 
jamais  été  surpassés.  »  lille  se  termina  par  la  victoire  des  idées 
de  l'runsl. 

Hmd  lionleveisenu'ut  dans  les  princiiies  admis  jusque-là  [lar 
tous  les  idiimistes  I  i.a  satnration  d'une  comliinaison  cliinii(jne 
n'a  pins  ancnin'  analogie  avec  la  saturation  d'une  dissolulion  ; 
la  concentration  d'une  dissolution  saturée  dépend  de  la  ti'Uipé- 
rature,  des  corps  étrangers,  de  toutes  les  circonstances  dans 
lesquelles  s'accomplit  l'acte  de  la  dissolution  ;  au  contraire,, 
rélévation  ou  rabaissement  de  la  température,  la  présence  ou 
l'absence  de  corps  étrangers  peuvent  favoriser  ou  gêner  la  pro- 
duction dniH'  comliinaisiin  cbimique  ;  elles  ne  peuvent  rii'u  sur 
la  composition  de  cette  i-onibinaison.  Selon  les  conditions  dans 
lesquelles  on  expérimente,  il  peut  se  produire  de  l'eau  on  ne 
s'en  pas  l'ormer;  mais  tont(^s  les  t'ois  (jn'il  se  forme  île  l'ean^ 


(1)  PitOLST.  l'.ecberckes  mr  le  Cuivre.  (Anniden  de  Cliimie.  t  XXXll,  p  30:  n99.> 
(2    Ad.  WiRTz,  L(t  TIté'irie  iilomirine,  p.  "<. 


INO  I'.   DL'IIF.M 

relie  eau   pmvieiil  d'iiiie  cerlaine  masse  (l"li\ druiirin'  el  d  mn' 
masse  d'oxygène  liiiil  fois  plus  grande. 

Désormais,  on  dislingiiera  deu.K  catégoiies  di-  mixles,  irré- 
diielihles  l'une  à  Tiuilre  ;  la  mmbinaison  ( liiiniqur  ^A  le  nirlainfi' 
jilii/siiiiir  :  la  lui  des  |irn[i(irtioiis  didinies,  inap|)lieal)le  iei  tan- 
di,s  (|iie  là  elle  s'appli([uc  ligruireiisemenl.  sera  le  eriléiiuin  (|ui 
permellra  de  les  disrerner. 

III.  LA  l'diiMi  i.i:  (iiiMini  i:  nul  l'K  i:r  i.i:s  m  \ssks  loi.u  ivai.i:mi:s 

.Niin  si'iilcmi'iil  ciiaciiii'  cdinhinaison  (diimi(|iii'  a  une  e(imi)o- 
siliiiii  |)aiiailrini'nt  ch'terminée,  mais  enenrc  les  compositions 
4les  diverses  eonihinair^ons  ehinnqnes  ne  sonl  pas  entièremenl 
indépendanles  les  unes  d(>s  autres  ;  tel  est  le  résultat  des  tra- 
vaux entrepris  |)ar  lîiciilcr  à  la  iindu  siècle  dernier  i  1 1. 

.\  unr  dissnliiiiiiii  nruii-r  de  uilialc  dr  harvte,  mêlons  une 
dissolution  également  neuire  de  sulfate  île  potasse  :  il  se  préci- 
pite du  sulfate  neuire  de  liaryle  et  la  dissolution  reste,  elle 
;uissi.  parfaiIrnuMil  uculrr;  idlccoulienl  du  suifalr  de  potasse, 
sans  aucun  excès  ilacide  ni  d'alcali  ;  ce  fait,  ou  plulôl  relie  loi 
<le  la  permanence  de  laneutralilé  dans  les  doubles  décomposi- 
tions salines,  doiil  on  ponrrail  lili'r  hcaiicoup  d'exemples,  ana- 
logues an  précédent,  était  encore,  en  1777,  inconnu  de  \\  en/.(  I  : 
il  est  le  fondem(>nt  des  recherches  de  Richter. 

.\ualvsons  l'oiiservatifui  (juc  nous  venons  de  rapporter. 

Il  s'est  décomposé  assez  de  nitrate  de  haiyte  poui'  i|ue  la 
iiarvli'  oi)lenue  neutralise  exactemeul  l'acide  sulfuri(iue  du  sul- 
fate de  potasse:  en  mèuu'  temps,  l'ucide  nilri(|ue  provenant  île 
<;ettc  décomposition  neutralise  exactcmeni  la  potasse  du  sulfa-te 
de  potasse.  Si  doiu-  nous  prenons  les  masses  d'acide  sulfuritjue 
et  d'acide  nitrique  qui  neutralisent  une  même  niasse  de  iiaryte, 
ces  masses  d'acide  sulfuriciue  et  d'acide  nitrique  nentralisenml 
aussi  une  nn'Mue  masse  de  potasse. 

Plus  généralement,  consiih'rons  une  série  d'acides  A,,  .\..  A;.. ... 
et  une  série   de   hases    H,,  H,,  R;...   l"n  sel   neutre,  formé   par 

(U  RiciiTEB,  An/'aiti/Sf/iîinile  iJev  S/nc/i>jomrli-ie  oder  Mess/;ii)isl  clieniisrher  lUc- 
iiteiile.  n!12-n93.  —  Miltheiliinr/eii  iiber  die  iieueren  (ier/ensLiiHlcn  der  i'heinie, 
i'  fîisc.  naj. 


;,.l   SdTIn.S  DE    MLVn-:  IlSt 

l'aride  A,  cl  la  liax'  H,,  rrnrcrnii'  iiiu'  massr  ;//,  d'acide  et  uni' 
masse  //,  de  hase.  Sn[)posons  que,  [xiiir  neuiraliser  la  niasse  tti, 

de  l'acide  A,,  il  t'aille  respectivement  des  masses//,,  //, di'> 

l)ases  \i..  B;;...  :  (|iie.  d'aulii'  |iail.  pour  iieiilraliseï-  la  masse  //. 

■de  la    liase  li,.   il    l'aille  respeelivement  des   masses  ?;/,,  m,s 

des  acides- A,,  A...  :  si  l'on  l'orme  un  sel  neulre  an  moyen  de 
l'acide  A|,,  cl  de  la  liase  15, ^ ,  on  pcnl  èlre  cei'lain  (|iic  la  masse  de 
l'acide  et  la  masse  de  la  liase  y  seront  dans  le  rapport  de  ///|,  à  //,,. 

Ainsi,  parmi  les  nombrenx  sids  ([ue  l'on  jient  former  en  com- 
Idiiant  chacun  des  acides  A,,  A.,  \. —  avec  (diacune  des  bases 
H|,  IL,  B;...,  il  sullit  d'analyser  tons  ceux  (|ne  l'on  |)eutforniei' 
•i_'n  comliinanl  le  seul  acide  A,  tivec  cliacnne  des  hases  B, ,  IL, 

]]. et  aussi  tous  ceux  que  l'on  peut  former  en  comhinanl  la 

seule  hase  B,  avec  (diacun  des  acides  A,,  A,,  A,...  pour  (|iic  la 
compi>sition  de  Ions  les  autres  soit  connue  d'avance. 

BerthoUel,  (jui,  par  Fischer,  a  connu  la  découverte  de  lîichlei- 
■ot  qui,  avec  (iuyton  de  Morveau,  a  été  des  premiers  à  en  saisir 
la  portée,  l'ajiprécie  en  ces  termes  (1)  :  «  Les  observations  pré- 
cédentes me  paraissent  conduire  nécessairement  à  cette  consé- 
<|uence  que  je  n'ait  fait  qu"indi(|uer  dans  mes  recherches  sur  les 
|(ds  de  l'aflinité,  mais  ((iie  Bicdiler  a  Tdaldie  posilivcnient.  savoir 
<[ue  les  dill'érenls  acides  suivent  des  proportions  correspondanles 
avei;  les  dill'érentes  bases  alcalines  pour  parvenir  à  un  état 
neuli'e  de  C(nnbinaison  :  cette  coHclusion  peut  être  d'une  grande 
utilité  pour  vérilier  les  expériences  qui  sont  faites  sur  les  pro- 
portions des  éléments  des  sels  et  même  pour  déterminer  celles 
sui'  lesquelles  l'expérience  n'a  pas  encore  prononcé  et  pour  éta- 
blir la  mélliode  la  plus  sûre  et  la  plus  facile  |iour  remj)lir  cet 
objet  si  important  pour  la  chimie.  ■> 

Il  est  clair  que  la  loi  découverte  par  liichler  pourrait  encore 
s'(''noncei'  ainsi  : 

Considérons  nue  série  d'acides  cl  de  hases 
A,,  A,,  A,...,  B,.  IL,  IL... 

.\  chacun  de  ces  corps  nous  pouvons  faire  correspondre  un 
<les  noriihres  de  la  sé'i'ie 

///,   .     /Il   ..     m,; //,   ,     Il  .,     ))  ;      .. 

;l)  liEiiTiioi.i.' T.  Essni  lie  Slnlique  cliimique.  t.  I',  p.  1j4:  18011. 

12 


I)S2  1'.  Dl  lli-M 

Tciuti's  les  lui--  (|iii'  l'im  de  rcs  acides  —  soil.  A,,  —  si'  ciiiiilii- 
iicra  iivoc  uik^  de  ces  hnsçs  —  suit  i!,,  —  la  masse  de  l'acide 
eiilraiii  en  coniliiiiaisnii  sera  à  la  masse  de  la  hase  coiniiie  ///,, 
<'st  à  1),^. 

Mise  Sdus  celle  l'iii'me,  celle  loi  siij;iièl'e  illimédiateiiii'ill  l'idr-e 
d'une  loi  analoj^iie,  a|)|)lical)le  non  pins  anx  sels  nenlres  for- 
m(''s  par  rnnion  des  acides  et  des  bases,  mais  à  ((uiles  les  coni- 
iiinaisons  des  corps  sim|)les  entre  eux;  cette  loi.  (|iie  Iticlilei' 
appli(|nail  di''jà  aux  comhinaisons  de  i'ow^ène  avec  les  m(''lan\, 
peut  s'('nonce)'  ainsi  : 

Smt'iit  (",,.  {".j,  C, ,  ...1rs  ilirrrs  nifjis  \i//i/j/rs  ilc  In  (  liniiic:  à 
(hucini  (If  cfs  rorjjs,  nmis  ))iiiiriiiis  lairr  ((irri'siiniiilrr  un  ninnlirc 

innivoiint',  de  liidiir  rc  à  iihlfuir  la  siiilr  de  lumilircs  p,  ,  p,.  p 

N/  /i".s-  ilrii.r  carps  (',,„,  (  ]„  ,  /■iiln-iil  eu  tiiiiiliiiKUsiiil .  sd'iI  seuls,  suit 
(iri'c  iiii  nu  pi ilsinirs  tiiil rcs  cnrps,  h's  iiidssrs  de  ces  drii.i'  (  (jrps 
ijHI  se  cdiidiiuriil  siiiil  mire  rllrs  dans  h-  iik'iik'  rtippni'l  ijiic  les 
nniiilircs  p,„ ,  p„  . 

(Jnel(|ne  |)récieiise  ipie  soi!  celle  loi.  il  esl  liieil  clair  (|U  elle 
n'est  point  coniplèli'  e|  (jnelle  appelle  iiih'  niodillcalion, 

l^ors<|ue  les  deux  corps  (],„ ,  (]„  se  coinliinenl,  les  masses  de  ces 
deux  corps  <pii  enireni  en  eoinliinaison  soûl,  d'après  la  loi  pi'é- 
i-édenle.  dans  un  rapport  didermim''.  uni([ne,  le  rapport  des 
deux  noniiires  p„, ,  p„. 

(  tr,  les  deux  cor|)s  (!,„,  (!„  peu\enl  lornier  plusieurs  conilii- 
naisons  dislincles;  en  cliacuni'  d  (dies.  la  composition  est  par- 
lailenicnl  di''termin(''e,  mais  celle  com|io>ilion  \arie  de  l'une  à 
laiili'e;  Lavoisier  I  avait  oliservi' pour  les  composés  oxytiénés  du 
Soufre  et  de  lazole,  lîi(  liter  |)our  les  oxydes  du  fer  et  du  mer- 
cure, et,  dans  sa  liitle  <-onlre  lîerlliidlet,  Proust  l'avait  (h'moniré 
j)oni'  divers  corps,  (les  faits  sont  inconcilialiles  avec  la  loi  de 
|{iciiler,<à  moins  (jiu^  l'on  n"apport(^  i!i  celle-ci  une  juste  correction. 

(>ette  correction,  connue  s(Uis  le  nom  de  loi  drs  pniporlioiis 
iiudl'iplfs,  est  l'u'uvre  d(^  .John  Oalton. 

Nous  ne  détaillerons  pas  ici  l'histoire,  assez,  incertaine,  de  la 
d('C(Hiverle  de  Dalton   il  i;  nous  a\ndns,  du  resle.  à  reve'nirsur 

1)  lin  trouvera  i-clte  liisluire  dans  ■  .\J.  W'u'.r/,  \.a  Théom'  nloianjue :  ce  livre 
et  la  préface  que  V\'iirt/.  a  mise  en  tête  du  liirlioiiiiaire  de  Chimie  doivent  l'Ire 
lus  par  tous  ceux  qu'intéreesc  l'iiistoire  des  doctrines  ctiiini(iucs. 


;.,i  .vor/M.v  ///•.  \ii.\ri-:  is;i 

les  i lires  qui  rmil  siltijAi'l'rc.  l'IuniKMins  de  siiilc  crllc  ilr'cdus  cric 
sons  I;i  l'orme  que  lui   nul  ddiiuée  les  pr<ii;rés  de  la  cliiinie. 

Siiiriil  (1|  ,  •..,  <';.  ...Ii's  (/i/f/'s  (  (irjis  snii/)li'^  :  à  (  luuiiii  de  <rx 
(iirjjs^  nous  /jf/iiroits  f(/irr  <(jrrcsji<iii(lrr  un  niiiiilirr  iijijivofinr ,  dil 
NoMiUtl-:  l'iini'niiriiiNM:!,.  ili'  iiKiiiirrr  ù  (ilili'in  r  le  Idlilrdii  tli-  ikiviIjits 

jinijiorriiimtrh  :  [i,,  |i.,  |);...   >'/   /''>  ror/y.v  (l,,  ('.,„,  <!, l'iilrrnl  ru 

(■<)tii/)i/i(lis(Ul  rii>iri)ilth\  /!■■<  ///^rvsvv  )/r  rr.<  i  n/yis  ijUi  sr  (  diiiIiiiii'iiI 
■iijll/  riilrf  rllc-i  (  (iintnr  '/.  ji,,  u  [),„,  /  |>d,-..  "a,  y,.  /....  ridiil  (1rs  Mnililics 

K.NTIKIIS. 

l'arc\cin|ilc,  à  l'IiNdru^èue,  à  l'(i\yi;ciic.  l\  l'ii/nlc.  an  clilnrc  — 
un  jieuL  i'aii'e  enrrc^poudre  les  nombres  pioporUonnels  I;  l(i: 
iV:  :{•').  .').  Lors(jue  l'a/ide  se  comlune  ù  rowiiène  pour  i'ornier 
les  dJM'i's  (ixvdes  d'azolc  i|ue  la  cliimic  a  d(''ci)uvei-ls.  les  masses 
(l";iZole  cl  (l'oxygène  (|ni  s'unissent  si;nL  entre  elles  euiumc 
'/,  X  I  'i  et  ;j.  X  l'i.  /  élanlégal  à  I  ou  à  2  el  ;/  à  l'un  di's  nomhres 
1,  2,  M,  ï.  "i,  7.  Lorsque  lazole  se  comliine  à  lliydidiiène,  les 
nuisses  de  ces  deux  eor[)s  qui  s'unissent  pnur  l'ormei'  de  l'ani- 
numiaque  sont  enlre  elles  ciuiime  14  et  :{  X  I  •  Lors(|ue  l'oxy- 
gène seO(mil)ine  à  l'hydrugène  pour  t'ornuT  de  l'eau,  les  niasses 
(les  deux  ga/  réagissants  sonl  enlic  idies  connue  i(i  et  2  X  I. 
Dans  l'acide  elilorliydricuu".  les  masses  d'Iiydrogène  et  de  ciilorc 
sont  entre  elles  çoninn-  I  el  X').\\.  Dans  les  eomijinaisons  oxygé- 
nées du  chlore,  les  masses  de  chlore  et  d'oxygène  sont  entre 
elles  comme  À  X  'i-'),  •"•  cl  v.  X  !•',  /  ('lant  égal  à,  1  on  à  2  el 
;ji  à  l'un  des  nomln'cs  I,  2,  '■\,  'i,  "i,  T. 

Dalton  el  s(>s  contemporains  ne  se  l'iissenl  |ias  coulcntés 
d'iulmduire  dans  l'énoncé  de  la  loi  pr(''cédeuli'  les  mois  luiiiibrrs 
cntiris  ;  ils  eussenl  dit  luiiiihrrs  rntirrs  sij)t///rs  ;  nmis  celle 
ri'striction,  exacte  au  début  de  la  chimie,  l'esl  devenue  di- 
niiiin>  en  moins  au  l'ur  el  à  mesure  que  la  chimie  a  élendu 
ses  recherches  ;  en  particulier,  les  progrès  de  la  chimie  orga- 
nique ont  conduit,  dans  bien  des  cas,  à  attribuer  aux  nombres 
entiers"/,  y.  /....  de  grandes  valeurs;  le  caractère  de  simplicité 
<|ni  leur  avait  loul  d'abord   édé'  allribui''   a  dispaïu. 

La  loi  (jue  nous  avons  énoncée  est  le  Inudcinenl  sur  lc(|U(>l 
nqiiise  l'emphii  de  \;\  /(ifitiii/r  r/iitinijlir. 

Au  lieu  d'i''crire  conslamnu'ut  le  nombre  pmporliounel  de 
cha([ue  ciu'ps   sim[ile,  on   le  représente  par   une    lellre    ou   un 


1X4  P.  DUIIKM 

sviiilioir.  Ainsi  lu  IcUrr  II  iciirésL-iitc  le  miiiilirc  |ir()|)(>i'liiiiin('l 
I  (le  l"h\  ilrnii("'ii(',  la  li'Itrc  (t  le  iinmluT  |)rii|>()r[i(iniu'l  10  «le 
riixviiriic,  le  symholc  t'A  le  ii()nil)i'e  |irii|)(irli()iincl  X)J>  du 
rlildi-c.  Un  laiil(';in.  placô  an  diMinl  dos  Irailrs  de  cliiniie,  l'ail 
ciinnailrc  le  imiuhrc  (|iii'  i'c|iri''S('nlr  cliacun  de  ces  symliolcsct 
le  çdrps  simpli'  an(|ii('l  il  se  ra|ni(irlr  ;  nii  iil,  par  rxcniplo, 
dans  Cl'  laidcan  : 

llydiDjicnc Il    =  1, 

Oxy-cnc ()=!(;, 

Sonliv .  S    =  .\-2, 

A/ul,. Az=   14, 

chiuiv Cl  =  .Ti.:;. 

(le  lai)li'an  ciin^l  ilin''.  >ii|i|ios(ins  i|ni'  mms  xcmliims  r('|>rr- 
sciilcr  la  ciiin|Misil  iun  d'un  ci)r|)s  quolcciiu|iic,  par  exemple  d  un 
corps  l'ornii''  d'a/nle,  d  iixvuèiU'  el  d'li\  (lr(i;^èiu'.  Les  niasses 
d'a/cde.  d'(ix\i;ène.  d'livdroji;ène  (|ue  conlieni  ce  corps  seronl 
enire  (dies  coinnu'  ï  X  l 'i .  '.'■  X  l<>.  '  X  '.  'J-  '/y  •'  étant  Iroi- 
iKMiilires  entiers.  Aliirs.  uuus  allràliuercms  à  ce  c(ir|is  le  syni- 
liide  \/.'  i}'.'  Il'-  (|ui  sera  sa  l'uiinule  cliinii(|ue.  Ainsi  l'acide 
nili'i(|uc  s'idilieni  en  c(iniliinant  l'azote,  l'oxyjiène,  riiydr(it;ènc 
dans  !('  rapport  des  iiouilires  I  4 ,  kS  ^  ;{  X  1<»  et  1  ;  dès  lors, 
I  acide  nitri(|ue  aura   pour  l'orninle  (diinii(|ue  A/(„)'H. 

l.a  t'iiiaiinle  d'un  coinposi'  esl-idlc  déterminée  absolniuenl  el 
sans  anciuu'  é(|uivo(pn'  lorsipTon  connaît,  d'iuie  part,  la  coni- 
positiou  de  ce  corps  el.  d'autre  pai't.  les  nomlires  pi'n|iortinn- 
mds  des  élé-menls  (pi  il  renternu'?  Assuri'ment  non. 

i'ar  exemple,  au  lieu  de  dire  (|ue  les  massifs  d'azole,  fl'oxy- 
lièiu'.  d'Iiydroj^ène  (|m'  rcnl'ei'inc  l'at-idc  iiilri(|iu'  sont  entre 
elles  comme  l'i,'{  X  l'i  et  I,  nous  pouvons  dire  qu'elles  sont 
enli'c  elles  comme  2  X  1  'i>  '>  X  H>  et  2x1,  cas  auquel  la  for- 
nuile  de  l'acide  nitrique  sera  Az-Oil-;  nous  |ionvons  encore 
dii-e  (|u'(dles  sont  entre  (dIes  comme  :i  X  I  'i ,  '••  X  K'  ''t  ."{  X  1 , 
cas  auquel  la  formule  de  l'acide  niii'icine  sera  Az'()''ll'. 

Ainsi,  sdji.t  (■/iaii'/''f  Irs  miDibrcs  pntpoi'IvDtiich  (jui  corri'spim- 
ili'iil  ans  diri'rs  lorps  si))iph'>i,  un  pciil  fairr  ciirrrspdiii/rr  à  »ui 
itii'inc  composi'  jj/i/sif'iirs  /ort/in/rs  f/i//'rrri>/fs  ;  r/iact/iir  de  ers 
jOi-mulrs   s/>  lire  de  la   plus  simple  d'eiilre   elles  en  midtiplianl 


i..\  .\i)ri(i.\  HE  \ii.\ri-:  iS5 

/i/ir  un   iiirinc  naiiilirr  le    c/ii/l /■/■■^  iini  lli/iirrnl  m   f.rjiii^iinl^  i/iiiis 
rcllr-ci. 

M.ii--  il  y  a  |ilii>.  I.r  inmilii'c  |)r(i|ii)il  iiniiii'l  il  un  i  or|i>  >iiii|il(' 
ii'csl  |i(iinl  (hncrmiin''  ii lisoliniicnl  ol.  sans  i''qiiiviK[iie.  Au  lini  de 
Ippriidrc  pcMir  iioinlirc  ]ii-o|iiirli(Hin('l  (lo  r()xy£:(''ni'  le  nomiiic  Ki, 
iiiiiis  |Miii\iins  aiioptiT  le  iidiniii'c  S.  .Nous  |ii)iiri(iiis.  axi'c  ce 
iiiiini'aii  niiniliic,  aussi  iiii'ii  (|u'avccU'  pri'Uiici'.  ('■criri'  les  l'or- 
tuulcs  cliiuiiiiiH's  (les  ('(irp-;  (|iii  rciirci'iiu'iil  (le  lOxyjii'ue  :  si'u- 
Icinonl  CCS  luriiiuli's  ne  siMdiil  plus  les  mruics.  Les  masses 
ilaziile,  d'iiNy^Viie.  d'Iiyd n )L;i''ne  (|uc  reiileriue  lacide  iiilri(|iie 
sonl  eulre  elles  comme  14,  (iXS  cl  I  :  la  Inruiule  iniiivelle  de 
l'acide  nitrique  sera  alors  A/,( )'■)].  .NHus  [)ouvoiis  éj;a.lemcnl 
prendre  le  nomlire  '^2  poui-  immlire  jimporlionnel  de  roxygèiie; 
les  masses  d'azote,  d'oxy^^ène  et  d'IiydrogèiH:"  contenues  dans 
l'acide  nitrique  étant  entre  <dles  comme  IX  I  'i ,  •^X'?^  et  'Ix  I, 
niiii<  devrons  donner  à  l'acide  nitrique  la  formule  A-O'H-. 

Ainsi  un  jiciil  rfiiijildCri-  Ir  nuinlin'  jinijiurl khuk'I  dr  i  liniiiir 
i:iii'ps  sini/j/r  /la/'  un  uni ic  nmiibrc,  ubtrnu  rn  niiil/ijil ninl  un  en 
(liviMinl  le  jimnirr  jxir  un  iiunthrc  rnlwr. 

Les  pi'incipes  (jue  nous  avons  l'appcdi's  ne  penveiil  donc  sul'- 
lire  à  crr^er  une  notation  chimique  exemple  de  courdsion.  (>n\ 
(|ni.  donnant  à  l'Iiydro^ène  le  nomlire  pi'o|iortiounel  I.  accep- 
tent II'  nondire  l(i  pour  iiipnilire  |iro|)orlioun(d  de  l'owLierH'. 
Vont  alti'iliner  à  l'eau  la  l'oi-mule  ll'().  hindis  i|ue  ceux  (jui 
adiiplenl  II'  nomlii-e  S  pour  nomlire  pi'oporlionnel  de  l'oxy^i'iie 
«''crii'onl  la  t'ormnle  de  l'eau  ll()  on  ll'(l":  l'I  celle  dernièi'e 
t'ormnle  leprr'senlei'a.  jioni'  les  premie]'-  cliiuiisles,  l'eau  oxv - 
-éni'e. 

Pour  évite]'  cette  conl'nsiou,  il  est  néce>saii'e  d'inlrodnii'i'  dans 
la  notation  chimique  une  nouvelle  convention,  (lelle  con\ eu- 
lion.  Ions  les  cliiuiisles  l'ont  implicitemenl  admise  el  usil(''e  ; 
nu^is  Laurent  semlde  T'Ire  le  premier  qui  l'ail  explicitement 
formulée  '  I   . 

\  oici  celle  con\enlion  :  (in  i  Innsirn  les  n(jnihri's  nnijimi mnnfls 
lies  ilircrs  ciirji^  si/ii///f<  i/r  niiuiir/r  i/nf  //'\  ((}))ip()!irs  i  huniiinrs 
w  \i.oi;i  i:s  •ioniil  rrjn'i'sriili's  pur  ilrs  jurninlo^  unnloijW'^. 

^I)  Lai  RENT,  Mclliode  île  Chimie  pp.  :j,  10,   16;  P.iris,  l>i.j4. 


isii  1'.  i>riii:M 

l'ii  cxcmiilc  va  nous  moniror  immédiatemenl  comment  cotlf 
nmveiUinii  pcinirl  ilc  rcstroimlrr  rindétorminalion  de  I,i  nola- 
lion  cliiniiqur. 

Le  noml)rc  pro|iorlionncl  ilc  l'iiydroi^rnc  rlaiil  supposé  égal 
;\  I,  (jiiel  nomliiv  proporlioiimd  prcndroiis-iKuis  pour  lo  soufre? 
Le  soiilVo  admet  pour  miral)re  proporlioiinel  l'un  quelcoiuiue 
des  nombres  8,  l(),  :{2,  48,  (ii...  A  chacun  de  ces  nombres  cor- 
rc-pond.  pour  l'acide  suU'bydrique,  une  formule  différente  :  IIS-, 
IIS.  II'S.  ii'S,  II'S...  Si  n()U>  n'invoquons  pas  la  convenliou 
précédenle,  notre  choix  demeure  libre  entre  cesdilTérenles  for- 
iiMilcs  :  mais  si  nous  acreplon-  la  convrnlion  priTiNlcnlr.  une 
rèi^ie  lui  est  au-^sibM  impoM'c  :  L'acide  sulfliy(lri(|ne  est  ana- 
lo"'ue  à  l'eau:  nous  di'\ons  lui  domuT  une  formule  sembla  Idi- 
à  celle  de   l'eau. 

Si  nous  avons  adopté  ]»uur  l'o.vygène  le  nombre  pnqjorlionne! 
S,  nous  avons  donné  à  l'eau  la  formule  IlO  :  il  nous  faut  alors 
donner  à  l'acide  suifbydri(|ne  la  l'orninle  HS  cl  allriliuer  au 
siinlVc  le  noiubi'c  proporl  ionind  II».  Si  nous  avons  adopté  pour 
ro\vuèn(^  le  nom  lue  pi'oporlionn(d  Ki.  nous  avons  tlonné  à  I  eau 
la  fol-mule  l|-<t;  il  nous  faut  alors  donner  à  l'acide  snlfliy- 
drique  la  formuir  1I"S  cl  alhabuer  a\i  soufre  le  noniiirc  pro- 
porl  iouu(d  'A'I. 

.\insi.  de  ce  l'ail  (|ue  roxy^i'ue  cl  le  soufre,  en  s'uuissant  à 
l'bv(lroi:rn".  donneni  naissaïu'c  à  des  composés  analogues,  il 
résullr  <|uc  les  noudni"-  |Mo|iorlionur!>  Ac  ci's  deux  c(U'ps  ne 
pcuveul  être  choisis  arbilrairement  ;  lorsqu'on  a  choisi  le  nom- 
bre (iroportionuel  Ai'  l'un,  on  a.  par  cida  même,  fixé  le  nombre 
pi'oportionn(d  de  l'aulrr.  C.'csl  uiu'  conclusion  qnr  non-  pou- 
vons généralisi-r  en  disani   : 

Larsfjiif  drii.i  rufps  ^inijile^  in-amil ,  en  s'/iiiissa»/  n  un  inrino 
/roisi'iiir  CDi-ps,  (liiiiiicr  nnisntincr  à  (h'iti  cntn./iiis-rs  a/in/of/ifs 
l'Ii/l'f  ril.i ,  xi  l' iiii  II  II  I  r  Ir  noiiibrc  propurl luiiiii'l  ilf  I  un  ili'  '  '■•■ 
titriis  xinin/rs,  le  ninnhri-  iirupiirliiinii"!  ih'  l'diilrr  se  Irmirr.  iim- 
là  nii'tni\  fin''  snn-i  nin/)i//ii'i/r. 

(^es  deux  noniln'es  proporliounids.  ainsi  lii''>  I  un  à  lauli'c 
sont  dits  ikjnirn/rn/^  entre  l'ux  :  ain-i  le  nomiire  S  pour  I  oxy- 
iièue  et  le  nombre  Hi  pour  le  souiVe  sont  di-s  nombres  propor- 
tionnels équivalents  pour  l'oxygèni-  cl  pour  le  soufre  :  il  en  est 


i.\  .\(rnii\  ht-:  mixte  is7 

ili'  iiiriiu'  ihi   iiniuliri'   ICi  |ii)m  l'iiw  urne  l'I  du  nDiiilirc  '42  jiuiir 
II-  soufre. 

!,a  cDiivciitinii  qui'  nous  avons  rorniuléc  va-l-t'lli'  nous  per- 
Mii'tlrc  de  bannir  loule  anihiuuïti'"  do  la  nolalion  eliinii(|U('  ?  Va- 
l-(dli'  nous  ronduire  i\  ailoplcr  un  système  uuii|ui'  de  nnnil)re> 
proportionnels.  Ions  êf/uiro/rnfs  eulie  eux?  Va-l-elie  assure]- 
la  coneordance  des  symboles  empiuyés  par  les  divers  eliimisles'.' 

(".et  aeeord  se  lu'urte  à  une  preuiière  diriieullc'.  Pour  (|u  il 
puisse  rr'>ul(er(lr  la  eoUM'ulinii  préeédeule,  il  laul  d  aliord  (]U(' 
ions  les  eliimisles  s'enlendeul  [lour  regarder  comme  analoLiues 
entre  eux  les  mêmes  eomposi''s  (  liinii(|ues.  Or.  ci'lle  enlenle  il  a 
rien  de  ni''eessairr. 

Tons  les  géomètres  sont  daecord  ])Our  regarder  tous  les  angles 
droits  comme  égaux  entre  eux,  ou  pour  déclarer  que  d'un  point 
])ris  hors  diine  droite  on  ne  peut  abaisser  qu'une  pcrprudicu- 
laire  sur  eclli'  druile  :  el  cet  accord  est  nécessaire  ;  en  ellel.  on 
a  d(''lini  sans  ambiguïir'  cr  (jue  c'était  qu'un  angle  droit,  ci;  que 
refait  qu'une  p('r|ie]idirulaire  ;  de  ces  délinitions  il  résulte,  [lar 
une  iléduclinn  logi([ue.  ([ue  tnus  les  angles  droits  sont  égaux, 
<jue  d'un  jidiiit  on  ne  peut  aliaisser  qu'une  perpendiculaire  sur 
une  droite  :  en  sorte  que  si  quelqu'un  s'avisait  de  nier  l'une  ou 
l'autre  île  ces  propositions,  on  pourrait,  pur  une  suite  de 
syllogismes  en.  bon  ni'  d  duc  fniine,  l'acculer  à  une  contra- 
diction. 

Au  contraire,  mis  en  [)résence  de  deux  i  bimistes  donl.  l'uii 
at'lirme  l'analogie  de  deux  corps  el  dont  l'autre  la  nie,  je  n'ai 
pas  le  droit  de  dire  l'I  l'un  :  ce  que  vous  dites  est  certain,  el  à 
l'aulre  :  ce  que  vous  soutenez  est  absurde.  Mon  jugement  sur  le 
dilïérend  (pii  le-  partage  ne  peut  pas  être  raisonnablement 
formulé  en  termes  aussi  rigoureux.  .I<'  puis  seulement  dire  à 
l'un  :  j'ap]irouvc  vnlrc  npinion  :  à  l'autre  :  ji'  ne  suis  |ias  de 
votre  seulimenl. 

En  etfel,  les  composés  qu'il  s'agit  (11' coinpai'er  ne  siiiil  point, 
t:omme  les  ligures  donl  traite  la  géométrie,  des  êtres  de  raisnn, 
lies  abstractions  que  notre  esprit  comliine  au  moyen  d'autres 
nbstractions  et  (|u'il  peut  détinir  d'une  manière  adéquate  on 
tlisant  de  quelle  manière  il  les  a  composées.  (!e  sonl  des 
.îibstraclions,  il  est  vrai  ;  car  loisiprun  chimiste  parle  de  l'eau 


1    ne 


)SS  P.  ULIIKM 

(iii  de  l'acido  snirhydrique,  il  n'en  tond  parliT  d'aui'iinc  masse 
d'eau  particulière,  d'aucune  masse  d"acide  suli'hydri(|ue  parli- 
culière.  Mais,  tirées  de  l'observation  des  corps  concrets  et  par- 
ticuliers par  une  généralisatiim  intuitive,  ces  alislractions  ne 
i)i'uvent  être  d(Miui(^s.  On  ne  peut  pas  plus  délinir  uiorc  (ji'tnnr- 
lri((i  ce  qu'on  entend  par  eau  ou  acide  sulfliydritine  que  ce 
(|u Un  entend  pai'  ilii'\al  nu  par  urcnnuille.  <',es  notinns  sont 
susceptildes  de  dcscriiitidii,   mais  non  de  (Ir/niilion. 

De  même,  la  notion  d'analogie  découle  d'une  intuition  inana- 
lysable  ;  c'est  une  de  res  noliuns  indélinissahles  que  l^ascal 
aurait  rattaclu'cs  à  Irspiit  de  linc-se cl  non  à  l'esprit  tïéomé- 
lri(nie:  auxquelles,  ce|iendant,  il  tant  liien  accorder  une  valeur 
scientilique  sous  peine  de  reluser  le  nom  de  science  à  des 
('•Indes  t(dles  que  laMaliMuie  cumpan'-e.  11  est  iinpossilde  de 
niar(|uer  avec  une  précision  tpii  exclut  toute  amliitiuilé  I 
caractères  auxqucl>  "u  reconnaît  que  deux  corps  sont  ou 
sont  pas  analogues.  En  l'alisonce  de  toute  définition,  je  man(| 
de  liase  pour  construire  un  raisonnement  propre  à  convaincre 
c(dni  qui  nie  une  analogie  (pu' j'admets  ou  qui  admet  une  ana- 
louii'  (|ue  je  nie:  eu  l'absence  di'  loule  délinilion,  l'appréciation 
de  l'aiialogic  cliinii(|Ui'  diuneure  rciali\i'.  perstanudlc,  \arialde 
d'un  cbiniisie  à  l'autre,  d'une  lù-ole  à  laulre. 

Assurément,  il  est  des  analogies  si  frappant(;s  i|u'au(Uii  clii- 
miste  sensé  ne  saurait  les  méconnaître  ;  il  est  des  c(ir[i!-  qui 
préx'ulenl  de  telles  sinnlitudes  que  |)ersonne  n'hésitera  à  les 
ra|qu'o(  lier.  Oui  donc,  par  exemple,  aurait  l'idée  de  sé]iarer  les 
nus  des  autres  les  acides  snlfliydrique,  sélénbydricjuc  cl  l(d- 
lurhydrique ?  on  bien  encore  les  acides  chlorbydriiiiie,  bnunliy- 
drique  et  iodhydri(|ue ? 

.Mais  il  n'en  est  i)as  touJonr^  ainsi,  lu  cliiniiste  pourra,  avec 
Dumas,  trouver  une  certaine  analogie  entre  l'acide  snlfliydrique 
et  l'acide  cblorbydrique  :  s'il  a  donné  à  l'acide  cbloriiydriqiu'^ 
la  formule  llCl.  il  devra  donner  à  l'acide  sulfbydri(|ue  la  for- 
mule US.  l'n  autre  pourra  nier  l'analogie  de  ces  deux  acides 
et.  tout  en  c(uiservanl  pour  l'acide  cblorbydricpu'  la  b)rniule 
IICl,  attribuer  à  laciib^  sulfliydriciue  une  antre  bu-mule,  IPS 
par  exemple.  Encore  une  bds,  la  logi(iuc  ne  nous  donnei'a  aucun 
moyen  de  couper  court  à  leur  ([uendle. 


i.\  \(iTi(i\  m:  1//.V7/;  i8o 

TtHiti'lVii;;.  si  hi  |(ii;i(|ui'  l'-l  iiii|mi--.iiilr  à  idiilraimlri'  (Jimiv 
cliimislcs  (le  se  inclhc  ir:u-ciinl  sur  les  cararti'rrs  ilc  Iniialogio 
cliiniifuic.  l'ilr  Dliliiic  au  UKiins  un  cliiniislc  à  rire  d'arcdril  a\i'i- 
liii-nirnic  au  siijcl  de  ers  caraclrrcs. 

Supposons,  par  ("M'iuplc.  ([u'uu  cliiniisli'  ail  ('■uunci'',  au  ilrluil 
(I  un  Iraili'.  la  n'^lc  suivaiilc  :  Xuus  n'i;ar(loriius  toninu'  aiia- 
Idgucs  (les  i'(im|)(isi''s  (]ui  l'iirnuM'Diit  îles  cristaux  isnniûrplu's. 
I>i'  Voilà  oliliui'  lie  roiranlcr  (•(luiiiic  analoiiucs  les  iiiTinanua- 
uatcs  l'I  les  pcirhloratos,  qui  soiil  isomorpln's  :  ilc  dnnnor  la 
même  IVirmule  h  laeide  perclilorique  et  à  !  aride  permaiij;a- 
iiitjui'.  (Jue  si.  après  cola,  au  ciuirs  d(>  sim  Irailé,  nous  le  voxoiis 
donner  à  laeide  pei-maupinique  la  iMiinule  .AhrO"  et  à  laeide 
|)orchlorique  la  l'nrmule  (.!(>",  nnu'-  sommes  en  drciil  de  l\ii 
(lire  :  V(uis  pêche/  contre  la  loiîi(|ue;  cess(>/  de  r(^i;ardei'  l'iso- 
niorphisHK^  comme  une  mar(|ne  certaine  de  l'analouie  ciiimique^ 
ou  liien  donne/  la  miMiie  formule  à  l'aeidi'  perinani:ani(|uc  et 
à  1  acid(^  perchlorique  ;  entre  ces  deux  [larlis.  mjus  èti^s  lilire  de 
choisir,  mais  muis  (Mes  tenu  de  faire  choix. 

Tel  est  le  seul  moyen  do  conviction  dont  nous  disposions  jiour 
trancher  les  discussions  que  soulève  la  lixalion  des  fomiulos 
chiniit]ues  :  ce  moven  semlde  hiiMi  limité;  sa  puissance  est.  en 
r.'alité,  hieu  plus  irrande  ([U  il  ni'  parait,  tant  il  est  rare  ((u'un 
auti'ur  soit  pleinenuMit  consi''quent  avec  lui-mènu'! 

Sujiposons  que,  placés  en  présence  de  deux  composés,  tous 
les  cliimisles  soient  d'accord  pour  décider  (|nc  ces  doux  compo- 
sés sont  analogues  ou  pour  déclarer  qu'ils  no  le  sont  pas.  En 
résulte-t-il  (|ue  les  nonihres  proportioun(ds  de  tous  les  corps 
simples,  (|ue  les  formules  chimiques  de  tous  les  corps  comjio- 
sés  soient  lixés  sans  laisser  place  ?i  une  nouvelle  divoruence? 
Pas  nécessairenicnl.  cl  ici  une  iion\(dli'  ilifliciilli''  ^i'  priV-enle. 
([uil  nous  faut  examiner. 

\  oici  mi  certain  nomhre  de  ror|is  simjdes  qui  lournisseni  des 
composés  dont  l'analosie  est  induldlahle.  .\vec  J.-B.  Knmas, 
nous  les  classons  l'un  auprès-  di'  l'antre  dans  une  mémo  famille 
nalnridlo  :  ce  sont,  i)ar  exi'mple,  le  lluor,  li'  i  lilore,  le  hi'ome 
et  liode.  Ka  condition  que  nous  nous  sommes  iinposc'e.  di\ 
r(>présenter  les  composés  analogues  |tardes  formules  analogues. 
nous  fixera  les  ucunhres  propoitioinnds  du   llnor.  du   hrome  et 


191)  P.  DLHKM 

(le  l'iode  si  nous  muis  (lonnims  le  iiomlirc  |ir(i|)nrliiiiiiirl  ilii 
chlore;  si,  par  exemple,  nous  avons  pris  '\T).')  pour  iiomlire 
proportionnel  du  elilure,  les  nombres  proportionnels  dn  llnor, 
du  brome  et  de  rindc.  r//ii/va/f'n/s  h  XK't  de  chlore,  seront  !!>, 
80  et  127. 

Voici  niaiiileuant  wnr  autre  famille  de  corps  simples  qui  dmi- 
nent  naissance  à  des  com|)osés  ayant  entr(>  eux  d'éli'oites  ana- 
logies :  ce  soiil.  par  rxi'mpic.  l'oxyiii'iir,  le  sdulVc,  le  s(''léiiiuin, 
le  tellure.  Ici  encore,  si  nous  avons  adopti''  pour  l'oxygène  un 
cei'tain  nombre  proporliounel.  nous  serons  obligés  d'attribuer 
au  soufre,  au  s('déniuni.  au  Icllurr  dés  nombres  proportionnels 
bii'U  di''li'rmini''s.  rifiiiro/rn/s  u  celui  (|ui  a  i''l('  pris  |i(iui'  l'oxv- 
^ène. 

Mais  h'  (•liiii\.(lc  ce  iiunibri'  iimpurlinuiii'l  dr  l'owgène  esl, 
Jus(|u  ici.  ariiilraiiT.  .le  puis  piriidrc  pnur  l'owgéue  le  nombre 
pr'oportionu(d  S,  alors  le  soulre,  le  séléuiuin.  le  lidiure  aui'ont 
respectivement,  jiour  nombre  propurlioiuud  (■//nirn/fii/  à  c(dni-là, 
les  nombres  l(>.  'ii!,  (i'i  ;  la  foiiniilc  de  l'eau  sera  IM);  les  acides 
sulfbydriijue.  séléuliydrique ,  l(dlurbydri(iue  s'écriront  IIS, 
llSe,  HTe.  Je  puis,  au  coutraii'c,  prendre  pfuir  l'oxvgène  le 
nombre  proportionuid  l<i;  les  ri/iiiralfii/^  i-especlifs  du  soufi-e, 
du  -eli'iiiuMi.  du  tellure  -eroul  abu's  '\2.  S(l,  I2S:  la  formule  de 
l'eau  sera  il"!*;  les  acides  sulfiiydri(|ue.  si'd(''ub\(lri(|ue,  lellur- 
bydrique  s'écriront  II-S.  ||-Se.  Il  fe. 

Voilà  une  iiuléterminalion.  l'eul-nii  l,i  faire  disparaître  ?  j,a 
convention  in\(>quée  jus(|u'ici  y  est  impuissante  >il  n'existe 
•aucun  lien  enlie  la  famille  du  (dilore  et  la  famille  de  l'oxygène  ; 
si  l'on  ne  peu!  Inmvei-  deux  composés  reconnus  comme  analo- 
i;ne--  par  Ions  les  cliinii-tes.  ibnil  l'un  eniilienili-ail  dn  llnor  <ni 
<lu  chlore,  tandis  ([ue  l'autre  co)i(ieiidrail.  de  la  même  manière, 
«le  l'oxygène  ou  du  s(nifre. 

l/>i'sque  la  convenliiin  diml  nmi^  avnn>  fait  n>age  jns(|u'ici 
devient  illusoire,  parce  que  les  deux  corps  simples  dont  on  veut 
comparer  les  nombres  |)roporliounels  ne  se  rencontrent  jamais 
eu  deux  composés  analogues,  bon  noml)re  de  ehimistes  font 
ap|)el  à  une  autre  cmix  l'utidu.  à  la  liri//r  '/'.\r(ji//ii/rti  ri  il'Aiii- 
jrrr. 

Nous  auron>  [dus  loin  à  examiner  les  iib'cs  qui  ont  conduit 


i.\  MiTiii.s  />;■:  i;/.v/-;-.  im 

Avoiiinlrn  l'I  AiHjn'iT  :'i  |ii)S('rri'Llo  ivi^lc  :  pour  le  mniiiriii,  iimis 
i'licirlipr(in>  m  la  |ii'(''sciilrr  sous  une  l'orme  qui  soil  indépen- 
<liiule  lie  Iniil  syslènU'  sur  la  ualui'e  de  la  eoinliiliaison  tlii- 
niique  ".  el  e  es[  à  ([iini  nous  par\  ieinlrnns,  crovons-nons,  en  la 
|)résenlanl  sous  la  l'nrnie  sui\aule  : 

Siippusdiis  ([iii'  l'on  ait  pri-  punr  nninlires  prupui-lidunels  de 
riiydro_i;ène.  de  l'azciie,  de  roxyjiène,  les  nonilires  1,  li  el  l()  ; 
la  l'ornuile  de  l'aride  nilriqne  est  ahus  A/d  IL  (lelle  fm-muie 
|)eul,  si  l'on  veul.  s'inlerpréier  <lr  la  nianir're  suivante  :  lui 
<-onil)iiianl  11  i;rannne>  d'azute,  .'i  X  l'>  =  'iS  jirauuues  d'oxv- 
j;("'ne  el  I  i;ramme  d'Iiydrniiène,  ou  oMieul  I  i  +  'i-8  +  1  =  (i:!  ^r. 
d'acide  nitrique:  mi  dit  alors  que  (i-'i  iiramnu's  csl  la  Diassc  nm- 
/('■iiilairc  de  l'acide  nilrii|iie,  It'une  nianièi-e  p(''ii('ralr.  -i  l'on 
remplace  le  nombre  pnqdirtionuel  de  cluicun  des  éléuu'iits  d'un 
eor|)s  composé  par  un  nombre  égal  de  grammes:  si  l'on  nuil- 
liplio  ce  nombre  de  grammes  par  l'entier  qui,  dans  la  i'orninle 
tlu  c(miposé,  sert  d'iwposant  au  symbole  du  même  élément:  >i 
<'nfin  on  ajoute  ensemble  tous  les  produits  ainsi  oblenus,  on 
obliejil  nu  nombre  de  grammes  qui  est  la  niasse  moléculaire  du 
composé  cnnsidéré.  Sans  nmis  attarder  anx;  idi''e>  qni  ont  enn 
duit  à  clioisii'  ce  terme,  idées  qiu'  nous  rolronverons  plus  loin, 
nous  le  ()rendrons  en  ce  moment  ciuiime  une  simple  notation. 

Considérons  divers  composés  que  les  chimistes  s'accordent  .à 
regarder  comme  analogues  entre  eux,  par  exemple  l'acide  cliln- 
rliydrique,  l'acide  brombydrique.  l'acide  iodhydrique;  prennn>, 
de  (dnicun  d'eux,  une  masse  égale  ii  sa  masse  undéenlaii'e  : 
■!(>.')  grammes  d'acide  (libirliydrique .  SI  gramnu's  d'acide 
broiuliydrique,  I2S  grammes  d'acide  iodliydriqiie  :  supposons 
enlin  —  ce  qui  a  lien  pour  les  coi'ps  que  nous  venons  de  citer 
—  que  ces  composés  puissent,  sans  se  résoudre  en  leurs  élé- 
ments, être  volatilisés  et  amenés  au  voisinag'e  de  cet  état  que 
les  physici(>ns  nomment  Yrtnl  f/dzm.r  parfait:  ninis  constate- 
rons qu'à  nue  même  température  el  sous  nue  même  pression 
<.-es  diverses  masses  gazeuses  occiipi'nl  le  mènu'  vulunu'.  Vax 
sorte  qu'an  lieu  de  se  servir  de  l'analogie  eliimique  pnur  éta- 
blir une  dépendance  entre  les  formules  de  l'acide  (diiorlivdri- 
<]ue,  de  l'acide  brombydi-iqui'  el  de  l'acide  ioillndrique ,  on 
aui-ait  pu  leur  donner  des  l'ornniles  t(dles  que  les  masses  nn)b'- 


192  ]'.  DLHEM 

culairc's  de  cos  ilivors  ^a/.  dcciipcnt  le  nirmc  vitlimiu  dans  les 
mêmes  conditions  de  tempéraliiie  id  de  pression. 

Mais  ce  cril(''riuiii  oITre  l'avanla^c  de  pouvoir  encore  s'appli- 
(jiier  à  des  composés  qui  ndnl  entre  eux  aucune  analo!;ie  clii- 
mi(|ue.  L'eau  (d  I  aride  (iilorli\  ilii(|ue,  par  exemple,  ne  sont 
pas  d(^s  composés  analoji'ues  ;  mais  on  peiil  leui'  alliilaier  des 
formules  telles  qu'à  l'état  gazeux  parlait,  la  masse  niolc'cuiaii-e 
de  l'eau  et  la  masse  midéculaire  de  l'aeide  clilorliydrique  occu- 
pent le  même  vcdiime,  loi's(|u'ou  les  porte  à  la  miMne  lenipéra- 
Inre  et  qu'on  les  s(uimet  à  la  même  pression  :  dès  lors,  si  l'on  a 
attrilim''  au  (lilore  le  nomlnc  |iro|)orlionnel  'V.].'.]  et.  jiarlant,  à 
l'aeide  eli  lorli\  dri(|ue  la  rormule  ll(d,  l'eau  de\  l'a  être  repré- 
sentée |)ar  le  symlndi'  ll'<)  id  Idxy^ène  aura  l'orciuneiil  Kipour 
nombre  proportion md. 

Nous  venons,  dans  un  eas  parlieiilier.  d  appli(|uer  la  l'èiile 
d'AvogaiIro  cl  d  Ampèic  (|ui  s'i'Uiuicera,  en  i;éiu''i'al,  de  la  ma- 
nière suivante  : 

O/i  /i.r/'ri/  lu  /(irunilr  ( liniiDiin-  îles  ilirrr^  cmps  ranijiosrs  ne 
Irl/r  jdidli  (jilc  h's  iiti/ssfs  iiiiilrciihlirfs  dr  <r>:  rô/yyv,  d/nritt'fs  à 
l'vlal  fjazi'il.r  jiai/ail,  dcciijii'IiI  huiles  Ir  liirilic  rnininc  ilillis  Ifs 
iik'iucs  coiuliliiiUs  <!<•  Ii-iiijti'riilurc  cl  île  pri'sshjii . 

(li'lle  règle,  il  est  \rai,  ne  s'appliqm'  pas  iï  tous  les  com- 
posés, nuus  seulement  aux  composés  gazeux  et  encoie,  parmi 
ceux-ci,  il  ('eux  qui  [leuvenl  être  amenés  sans  décomposition  au 
voisinage  de  l'état  |)art'ail;  malgré  cette  restri(dion,  les  compo- 
sés auxqucds  (die  s'appii(|ue  sont  assez  nondjicnx  pour  (|ih'  1  on 
puisse  (dai)iir  des  sortes  de  ponts  entre  les  diverses  t'amilles  de 
corps  simples  (H  Iranelier  la  plupart  des  cas  litigieux  (jue  [iré- 
sentc  la  lixation  des  iKunhres  [u'oportionnids  é'(|nivalents. 

(le  résultat,  toutefois,  ne  peut  être  obtenu  (|ue  si  tous  les 
chimistes  reconnaissent  la  règle  d'Avogadro  et  d'Ampère;  or 
cette  règle  a  le  cara(dère  d'une  simple  convention;  sans  pécher 
contre  la  logiqiu',  on  peut  l'aceepter  ou  la  rejtdi'r. 

i>es  l*]coles  chimi(jues,  les  unes  prirent  le  |)remiei'  parti,  les 
autres  le  second;  la  règle  d'Avogadro  et  d'Ampèi-e,  au  lieu  de 
rétahlir  l'acciu'd  enlie  les  div'erscs  notations  chimiques,  devint 
l'olijcd  de  controverses  ardentes,  à  peine  éteintes  aujourd'hui. 

Il  semlile,  des  lors,  indiqué  de  i-evenir  i'i  la  seule  convention 


;.  i  \nriii.\  itK  Miyri:  i  :; 

-adiiiisf  par  Inus  lc>  ihiiui-^irs.  à  celle  i|iie  Laurent  a  t'ui-niellc- 
iiieiil  (''iiniKiM'.  cl  (le  reelieiviier  si  celte  rèiile  ne  suflirait  pas  à 
lixer  les  nniiilires  proportionnels,  l'anni  les  corps  simples,  on 
peut,  coninie  Uiinias  la  montré  le  [ireinier,  tornier  des  iiron|)e- 
nu'nls  naturels,  îles  l'amilles;  les  corps  qui  composent  un  même 
^^roupemenl  (Iniuienl  naissaru;-e  à  île  nonilireu-e>  ciiiiiliinai>on-^ 
qui  présentent  entre  elles  d  étroites  analoi;ies,  en  sorte  qn  au 
sein  dune  même  t'amille,  la  conventiou  de  Laurent  s'applique 
sans  ])eine.  Mais,  entre  corps  simple-  appartenant  à  deux 
J'aniilles  dillérentes  n"existerait-il  pas  des  liens  d'analogie,  à 
la  vérité  moins  nombreux  et  plus  déliés,  reconnus  cependant 
par  tous  les  chimistes  et  permettant  d'étaMir  une  éqni\alence 
<'nlre  les  nombres  proportionnels  des  corp>  de  la  |)remière 
famille  et  ie>  nombres  ])ropi)rlionnels  des  cor[)s  de  la  seconde 
lamille ?  Il  sutiii'ail,  à  la  rii;ueur,  (|ue  l'on  pût  trouver  deux 
composés  analogues  ilonl  lun  reni'i  rmerail  un  corjis  de  la  pre- 
mière famille,  remplacé,  dans  l'autre,  par  un  corps  de  la  seconde 
famille. 

Dans  la  riH-lierche  de  ces  analogies,  capables  de  reliei'  eiilie 
tuix  les  corps  de  deux  familles  dillérentes,  le  chimiste  est  sin- 
gulièrement aidé'  par  une  loi  di'-couverle  en  ISlit  |iar  ^lilsclier- 
lieli.  la  loi  de  Y hoiiior/ihisuir. 

Le  phosphate  et  l'arséniate  d'une  même  base  pré-^enleut  entre 
eux,  la  plupart  du  temps,  les  analogies  chimiques  les  ])lus  nettes, 
les  moins  contestables.  (Ir.  ces  deux  sels  cristallisent  exacte- 
ment sons  la  même  forme.  Non  seulement  une  dissolution  de 
phosphate  et  une  dissolution  d'arséniate  laissent  déposeï'  des 
cristaux  de  même  fornn',  mais  encore  si  l'on  mélange  les  deux 
dissolutions,  on  olitiendra  des  cristaux  oii  l'arsiMiiate  et  le  phos- 
phate sont  intimement  mêlés,  sans  aucune  propoiiion  délinie, 
et  ces  cristaux  mixtes  auront  même  forme  qui'  les  cristaux  purs 
d'arséniate  ou  de  phosphate.  Ce  sont  ces  propriétés  remarquables 
que  l'on  entend  énoncer  en  disant  que  l'arséniate  et  le  phos- 
phate d'une  même  base  sont  isomorphes. 

L'isomorphisme  n'est  pas  particulier  aux  arséniates  et  aux 
phos|)hates  :  Mitscherlich  l'a  reti'ouvé  dans  divers  groupes  b)r- 
més  par  des  combinaisons  qui  présentent  entre  elles  d'étroites 
analogies.    Ain-i    le-    siilfates    de    la    série    niauni''sienne ,    en 


194  l".  iiniKM 

s'iiyth'alanl  irimc  maiiirn-  analdiiiic,  l'oiiniisscnl  di's  crisUuix 
isomorphos. 

(les  obsci'validiis  (■(uiduisairiil  à  T'iidiu-cr  la  ri't;lc  siiivaiilr  : 
Tii/t/''s  A'.s-  /f//,'.'  (/iir  (/l's  coiii/ji/iriisitiis  /oiniilsscii/  i/rs  rris//iii.i 
isni/iiir/i/t/'s,  r//rs  ^<iitl  cliUKKiiifiiK'iil  analuijuca,  cl ,  juirlanl ,  ilai- 
l'cnt  l'Ire  ri-jirr^eiilrc^  iiiir  lit  innnr  fiininih' . 

Les  ti'avaux  de  Milscliorlicli  et  de  ses  successeurs  iiOnl  cessé 
(l"ii[>[inrlei'  à  celle  lui  (réclulaules  c(inlirmaliiius  ;  tnules  les  fois 
«[u'eutre  deux  comhinaisons  ou  vnil  a]i|>araili'e  le  caraclère 
<le  iisophdi'misme,  on  recouuail  ipie  ces  deux  coniliiuaisdus 
[irésentcnl.  au  point  de  vue  cliiini(pie,  la  plus  uraude  ressein- 
hlancc.  Aussi  risoniorphisnu'  esl-il  regardé  par  lous  les  clii- 
luislcs  comme  une  dos  marques  les  plus  sûres  aux(|U(dles  ou 
jiuisso  se  lier  pour  reconnailn»  Tanaloiiie  chinii(|ue. 

Dès  1821»,  lier/elius  eu  l'ail  Nsat;c  pour  réviser'  ci  uiodilier  Ir 
syslème  de  nombres  proporliouuels  (pi'il  avait  proposé  eu  1812. 

I']ri  I8i:!.  il  donuait  à  l'aulisdride  >uiruri(jue  la  roi-nmle  S()' 
el  à  l'auluilride  A\'  (dii'oinii|ue  la  roruiuie  ('.]•(  I"  :  uuiis  les  clll'i)- 
niiilos  sont  is(jmorplies  des  sulfates  correspondaiils  el  oITreut 
avec  eux  d"élroiles  aualoiiies  ;  i'auliydride  chromi(|ue  doit  doue 
prendre  une  foi'mulc  semlilalde  à  cidie  île  l'acide  snlt'urique  et 
s'écrire  ('.r(t'.  Dès  lors,  I'oxmIc  de  clii-ouic  doit  s'é'crire  (Ir-O' 
el.  en  raison  de  l'isomorpiiisnu'  \\v  l'alun  de  clirouu'  avec  raliui 
ordinaire  el  lalnn  de  ler,  l'aluniinc  et  peroxyde  de  l'er  doivent 
s'écrire  APO',  Fo-0''.  C'est  ainsi  que  les  xrst/niu.ri/i/rs  conqiiireiil 
droit  de  cité  en  chimie. 

l'ius  tard,  Uetiiiaull  (  1  )  montrait  coninu'ul  l'isomorpiiisnie  de 
certains  com]iosés  p(>rmettail  de  résoudre  certains  cas  litigieux 
que  pri''sente  la  d(''lei'niiual  ion  des  nonilires  propoi-iionuels. 

Tous  les'cliiniistes  s'accordaient  à  donner  au  sons-<ixyde  de 
enivre  la  i'oi'mule  Vav()  et  au  siiliun^  correspondant  la  formule 
Cu-S.  Mais  les  nus  écrivaient  les  formules  AgO,  AgS  poni- 
l'oxyde  el  le  sulfure  d'argent,  tandis  (|uc  les  autres  leur  altri- 
huaient  les  formules  Ag-0,  Ag-S.  «  Le  sulfure  d'argent  nalund, 
dit  Hognault,  est  isomorphe  avec  le  sous-sulfure  de  cuivre  na- 
lnr<'l  Cu-S  ;  ces  cleux  sulfures  |)araissent  pouvoir  se  remplacer 

(1)  HFr.\--MiT.  Cr'H/v  rltmeii Idiii'  de  CJiiinii'.  i  éiliticri,  t.   II.  p.  .'îld. 


I..\  .vnv'/nv  /)/■;  1//A77-;  l'.i:; 

l't!  Idiilc  |ii'(i|Mii'li(in,  pai'  r\('iu|ili'  diiiis  Ir  l'iihloi'z.  .Niiu>  avons 
ilit  ([Ile  ccl  i>iiiMiir|iliisni('  n'oxislail  i|u Vulii'  ilos  corps  prôseii- 
laiil  les  nii'iiios  l'ornuilcs  (liiiiiiiiiirs.  ri  ikhis  nous  soniiiics  Iré- 
(|ii('mmenl  appuyés  sur  celle  loi  pour  clalilir  les  éqnivaleiUs 
(les  corps  siniples.  Mais  le  suH'ure  (l'ari^enl  préseiilerail  une 
exceplion  si  nous  ('crivious  sa  Iui'iihiI(>  AgS.  (lelle  eonsidi'Talinn 
a  <l(''terminé  |(iu>ieurs  chiniislcs  ù  ilonner  an  sulfure  (i'ariicul 
la  formule  At^'S.  celle  Ag-O  à  noire  proloxvtle  dai^LiCnl.  (ietle 
manière  de  voir  est  conlirmce  [lar  plusieurs  aulres  circon- 
stances... Mais  si  Ton  écrit  la  forninle  du  sulfure  d'argent  Ag-S 
e(,  par  c(niséi|neut,  celle  de  notre  proloxydc  d'argent  Ag-0,  il 
tant  ccriro  la  formule  de  la  sonde  Xa-(>  et  non  pas  XaO,  car 
nous  avons  \n  que  le  sulfate  d'argent  l'dait  isomorphe  avec  le 
sull'ate  de  sonde-anhytire.  Les  sels  de  potasse  et  de  litliim-  élanl 
i-omoi-jdies  avec  les  sels  corresjiondantsde  soude,  lorsqu'ils  l'en- 
fei-menl  les  mêmes  qaanlil('s  d'eau  de  ei'islallisalion,  il  faudra 
foimnler  la  potasse  K-O  et  la  litliine  I.i-(t.  elc.  ■> 

Mes  considi'rations  de  ce  genre  pernn'ttent  île  relier  entre  eux 
par  des  relations  d'équivalence  les  nomlircs  proportionnels  de 
la  plupart  des  corps  simples. 

Tons  les  chimistes  s'accordent  à  attrihiu-r  à  l'acide  (dilorhy- 
drique  la  formule  HCl  :  le  nombre  propoi-tionnel  de  l'hvdro- 
gène  ayant  éli'  pris  arhitrairement  égal  à  l'unité,  le  nomhre 
proportionnel  du  chlore  se  trouve  lixé,  et  égal  à  3."),o  ;  par  là 
nu''nie  se  trouvent  iix(''s  les  nombres  proportionni'ls  des  corps, 
(le  la  famille  i]\\  cliloïc  :  lluor,  brome,  iode. 

Depuis  longtemps,  des  chimistes  avaient  signalé  l'analogie 
(jui  existe  entre  les  composés  oxygénés  du  clibu'e  et  les  com- 
posés oxygénés  de  l'azote,  particulièrement  eniie  les  chlorates 
et  les  nitrates  ;  en  démontrant  que  ces  sels  sont  isomorphes. 
Mallard  a  mis  cette  analogie  h(irs  de  cont(^station;  or  cette  ana- 
logie lixe  le  noml)j'e  proportionnel  de  l'azote,  qui  devient  égal 
à  i  i-,  et,  par  cet  intermédiaire,  les  nombres  proportionnels  des 
(•or|)s  de  la  famille  de  l'azod^  :  pliosplmre,  arsenic,  antimoine, 
bismuth. 

[■Intre  chacnn(^  des  deux  familles  pri''ci'dentes  de  corps  simples 
et  l<^s  corps  de  la  famille  de  l'oxygène,  on  jieul  Irouvt'i'  des 
analoiiies. 


l'.ia  p.  DU  m: M 

Les  lliiii.w imii^slalcs,  les  llii(ixyiiiiil)ali's  ollrciil  drlroilcs 
niudogios  avec  les  Ihiolungstales  el  les  lluoiiidliales  :  Marignnc 
a  |ii'(iiivé  que  tcuis  ces  sels  sont  isomnrplies  enlre  eux.  Par  là, 
une  relalion  (!"('■([  ni  valence  est  étalilie  entre  le  nomlM'e  j)ro|)i)r- 
ti(nuiel  ilii  lliiur  el  le  nonilire  |)r(i|)ortiunnel  de  ^oxvg^ne  ;  ce 
<!ernior  prend  t'urcément  la  vali'ur  l(i.  ce  qui  donne  aux  nonihres 
équivalents  du  soufre,  du  s(Méniuni,  du  tellure  les  valeurs  '.)'2, 
SO,  12.S. 

Haulre  |)arl.  le  sulfoarséniure  de  coliall  (-(dialtine  i.  le  suHo- 
arséaiure  de  nick(d  ^  gersdnril'ile  i.  le  sull'o-autiinoniure  de  nickel 
lulinannitei  resseuildent  à  s'y  inépreudre  au  sullure  de  fer 
(  pyrite  I  el  au  sulfure  de  nuinganèsc  ihaiierite).  Do  nombreux 
plir-uoiiKMies  iri>omnrpliisnK'.  oltj(4s  des  études  de  Hetgcrs,  se 
niauifcslent  eu  cette  série  de  composés.  Do  là  une  iHiuiva- 
lence  entre  les  nombres  proportionnels  de  rarseiii(  el  de  1  an- 
tinioine.  d'une  part,  et  le  nombre  propnrli(nin(d  du  soulVc, 
d'autre  pari  ;  à  ce  dernier  cmn  ieni  la  valeur  '.\2.  cli''jà  troiixé'e 
par  une  antre  voie. 

(le  ue  >onl  pas  senlemeni  le-  diverses  familles  de  mi'-lal- 
ioïdes  (jue  l'on  peut  ainsi  reliei'  les  nne>  aux  autres:  on  peut 
également  passer  des  métalloïdes  aux  unUaux. 

l/aTialogie,  accompagnée  disomorpbisme,  des  perclilorates 
ot  des  permanganates,  iixe  l'équivalent  du  manganèse:  lana- 
logie,  accompagnée  d'isomorpbisme,  des  sulfates  el  (b^s  idiro- 
niales,  fixe  l"(''quivalent  du  (duonn'. 

Ihi  inangaïu'se.  du  (  biome.  on  peut,  siii\anl  la  \iiie  déjà  tracée 
par  iJer/elius.  passer  au  fer:  le  fer  se  relie  au  ui(  kel,  au  cobalt, 
au  magnésium,  au  calcium  :  du  calcium,  par  l'intermédiaire 
ilu  liaryum.  on  passe  au  plomii.  lùilre  le  sulfate  de  fer  et  les 
sulfates  de  cuivre  se  produisent  des  faits  d'isomorpbisme  ; 
dailleuis,  nous  avons  vu  avec  Regnault  comment  on  ponvait 
passer  du  cuivre  fi  l'argent  et  de  l'argent  aux  métaux  alcalins. 
•Une  foule  d't''(|uivalents  se  trouvent  ainsi  tirés  d'une  manière 
•rationnelle  des  deux  nombres  proporlionn(ds  de  l'bydrogène  et 
du  cblore. 

Kst-ce  à  diie  que  tous  ces  corps  se  trouveront  saisis  dans  ce 
réseau  d'analogies,  tissu  par  risomorpliisme,  dont  nous  venons 
de  décrire  qnel(]nes  mailles?  Les  faits  chimiques  connus  jus- 


LA   .MiTKi.S   /)/■;    1//.\T/-:  197 

{|u  ici  ne  pci'iiii'lli'iil  poiiil  de  le  serrer  li'llciiicnt  ([ii'il  ne  lais~r 
i''cliii|i|MM' (|iirl(|ii('s  j;r(iii|ti's  (le  (-(irps.  i'uiir  l'ciicr  I;i  rninillc  du 
ciirliniic  aux  aiilri'-  l.iriiillrs  di'  nir-lalluKlcs.  imiis  Irniivniis  r-cii- 
Icniciil  ic  (|iiasi-is(iiu(>ri>liisiii('  ilii  nilrair  Ar  sinliinii  cl  ilii  cai-- 
hunalc  (le  calcium,  indice,  cnlrc  ces  curps,  dune  aualiii;ie 
presijue  el!'ac(''e  ;  li'  mei'cure.  diiul  les  sols  ne  snul  i-^nniorphes 
avec  aucun  aul  ri' ciiin|i(is(''.  demeure  isoli'-  |ianiii  le<  uudaux. 

Mais  la  l'èiile  d'Avni;adrn  el  d'Ampère,  si  vivenu'ul  ciiul<'slée, 
prend,    par   celle    anahse    minnlieuse   d'analoLiie^    ciiimitpu^s. 

une    vin^uliére    aillurili''  :     (nus    le-    liii^e-.    eu    ellel.    ipii    nul    ('II' 

Iranciiés  par  la  loi  de  l'isiimorphisme,  IHnl  él(''  dans  le  même 
sens  que  si  l'on  cùl  a|)pliqué  celte  l'è^lo  ;  conlirmée  maintenant 
par  lin  nonilu'e  immense  d'exemples,  elle  s'impose  à  huis  les 
chimistes  sensés;  il  sérail  piuTil  de  n'en  pas  faire  nsagc  pour 
rés(Uidi'e  les  quelques  cas  duuleux  que  peut  eiicm-e  idTrir  la 
iliHerminal  inu  des  iKuiilirfs  propartinniirh  rijiiirnh'iilx  l'iilrr  ni  i . 
Le  laldeaii  de  ci's  iiouilires  se  liviuve  ainsi  di'diuili veinent  arrcMi''  : 
sous  le  nom  de  taldeau  des  pouU  aluiiiiijiii'a  des  élémenl>.  il 
es!   in-crit  aninurd'hui   en  lèle  de  tous  les  lrail(''s  de  (diimie. 


(.1  suir/f.  I 

I'.    DlIlilM. 


i:i 


LE   NEURONE 


ANATOMIE     ET     PHYSIOLOGIE     NORMALES 


Los  a((|uisiliiiiis  r(''(('Ml('>  ilr  I  i'iiil)i'\  nloiiic.  luiiilo  :iii.\  pcr- 
li'clionnemcnts  apporlés  à  la  Iccliniqiic  liisl()loiii(|uc.  uni  pri)- 
londrnicnl  moililiô  li-s  conccptioiis  aiwicnncs  sur  la  siriiclurc! 
iiiliiiir  du  lissii  ucrvcux,  l'oritiinc.  la  iialmc  cl  les  i-onui'xiniis 
(le  SOS  formos  anatonii((uos. 

Ino  ronclnsion  inipoiianlo,  ra|pi(louiciil  vuluarisôo  ol  dovoiiuo 
(  lassi(iuo.  se  dôiiaiic  d(^  cos  rooliorohos  :  ("osl  (|uo  lo  tissu  nor- 
\(Mi\  se  cDinjuisc  l'sx'iilii'l li'ini'ul.  mm  |ia>  de  drux  ('d(''inouts 
analc>uii(|iios.  la  (l'Ilulc  iioivcusc  cl  la  lilirc  iicrvi'usc.  mais  Iticn 
d'un  sriil  clcmcnl,  cellulaire  de  |)ar  sou  iirij;iue  el  sa  eoiistitu- 
liou  iuliuu'.  élcuKMil  ji(^n(^ratour  d'expansions  Hhrillairos  do 
nombre  el  do  lon};ueur  variables,  se  lerminanl  toujours  jjar  des 
exlrémilés  libres,  el  qui  consliluenl  la  partie  essentielle  des 
nerfs.  Waldeyer  a  doniu'-  le  nom  de  ncin-unc  à  celle  unité  ana- 
lomi(|ue  (|ui  com|)rend  à  la  l'ois  le  corps  de  la  cellule  cl  la  tola- 
lilé  do  ses  pr(doU!;enienls.  Nous  oxposor(Uis  succiiiclcmcnl  lc> 
faits  sur  lesquels  repose  celle  lliéorie. 

Les  roc.horches  embryologiques  de  ilis  nuus  ap|irciiucnl  que. 
chez  les  vertébrés,  la  promièro  ébauche  du  système  nerveux 
central  el  périj)hérique  est  formée  par  un  épaississement  longi- 
tudinal de  rectoderme,  la  plaque  médullaire.  Celle  plaque  si' 
transforme  successivement  d'abord  en  gouttière,  puis  en  canal, 
par  dépression,  puis  rapprocdiomont  el  linabMnenl  souduie  de 
SCS  bords.  Ce  canal  médullaire  [irimitif  subit  ullérieuremenl  de 


prol'Diulcs  iiiiKlilicaliiiiis  (|iii  ilimnciil  iiiiissiuici'  aux  (Ijnci'm's. 
paiiics  (le  I  a\r  (•('■r(''l)r(i-s|)iiia I .  Li's  parois  do  la  tioiiUièrc  sont 
l'onsliliuM's  loiil  d'aliord  pai'  un  plan  iini(iU('  dr  cidlnlcs  rjjillH''- 
lialcs  ;  mais,  onlre  les  parties  les  plus  iiileriies  de  ces  (adlules, 
se  Iroiiveiil  de  1res  lionne  heure  des  (adhiles  plus  |)eliles  (|ue 
llis  a  (|ualiliées(le  i/r'nt///iii/irrs  parce  (ju'idies  se  inulliplienl 
1res  acliveinenl  par  (îaryocinèsc.  t)e  ces  deux  es|)èees  de  cel- 
Inles,  les  unes  conslilneronl  les  élénienls  île  soiilien  dn 
tissu  nerveux  ik'N  r^J;li^',  ('(dlules  épendymaires)  ;  les  antres 
l'onrnissenl  par  leni's  divisions  les  ridlnles  nerveuses  eni- 
hryiiiinaires  on  /iri/ro/)/(islrs.  (^es  dernières  s  allonj;enl,  devien- 
nent jiyriliirines,  et  leni-  partie  et'lih'e,  dilec(Mie  de  croissance, 
devient  par  élirernent  [irogressif  le  prolongement  cylindraxil 
ou  de  heiters  que  liin  voit  jien  à  peu  devenir  lihre  ner- 
vt'use  péripliéri<[ne  ou  centi'ale.  (àdle  li'insformation  sac- 
com[)agne  d'une  dill'érenciation  du  protoplasma  qui  prend  n?ie 
structure  librillaire  particulièrement  nette  an  niveau  du  cr.iie 
d'insertion  du  prolongenuMil  cylindraxil  (  i j.  Il  résulte  de  cette 
donnée  que  la  filtre  nerveuse  ne  peut  pins  être  considérée,  ainsi 
«(u'ou  l'a  cru  |iendaiit  longtemps,  cou)nie  le  i'i''suitat  de  la  tusion 
ou  de  l;i  li'anstormation  d'une  chaîne  C(dlnlaire  ;  celle  l'orme 
anatomiqm^  re|)résenle,  au  moins  dans  sa  partie  essentielle,  la 
partie  fihrillaire,  le  prolongement  d'une  cellule  nerveuse  :  la 
cellule  iH'rveuse  est  le  miii-f  (/rn(''li<itic  du  neurone  (2). 

(le  n'est  pas  tout.  Les  cellules  nerveuses  c()ntiennent  un 
noyau.  (  >r  les  expériences  dites  de  mérolomie,  applicpiées  aux 
amihes  ou  an\  infusoires,  nous  apprennent  (|ue  lors(|u"on  coupe 
une  cellule  de  telle  sorte  que  l'un  des  segments  renlerme  le 
noyau,  tandis  que  l'autre  en  est  dépourvu,  le  premier  fragment 
continue  seul  à  vivre  et  répare  ses  perles,  tandis  que  l'autre 
est  fatalement  voué  à  la  mort,  <\  la  dégénérescence  (3).  Pareille- 
ment, les  expériences  de  Waller  ont  montré  qu'après  la  section 
d'un  nerf  dans  sa  continuité,  le  boni  péri[di(''ri(ine,  séparé  du 


(l)  Prenant,  Eh'ineiil i  il'eiiihri/oloi/ie  de  r/ioi/iine  el  îles  v/'r/rlirés.  Paris,  Sm-Niiiai., 
1SU6,  p.  aUO  et  passiiii, 

,2)  Van  Geiii  r.iiTHN,  Anuloinie  ihi  s'/steiiie  nerveux  de  rhoinine.  I.cmvaiii,  1S91, 
p.  2311, 

(3)  Verworn,  Atlf/emeine  P/n/siolor/ie.  K-n,!,  ISU",  [i.  SU. 


■211(1  !■:.  lîAI.TLS 

somment  ccUulain'  (|iii  seul  cnnlionl  le  iinyaii,  ({(''liônèrc  dans 
l(ni(("  son  ôtendiio.  Mais  ili'S  les  promiors  jours  qui  suivenl  la 
scclion,  le  l)out  cculral,  continu  avec  le  corps  (■(dlulairo,  se 
gdnilc,  s'Iiyperlrophic  cl  fournil  un  cùno  d'accroisscmcnl  som- 
hlalile  à  celui  (jiii  j)rcsi(lc  à  l'extension  vers  la  périphérie  du 
cvlindraxe  clic/  l'cmlirvon.  De  ces  faits  découle  celle  deuxième 
coiiilnsidu  ;  la  cellule  nerveuse  est  1(>  icntrr  Iraiihiiiiif  i\{'  tous 
les  pr(dniii;cuieuls  qui  eu  ih'peudenl .  le  cculi'c  liopliique  du 
neui'oue. 

Si  nous  ajoutons  uiaintcnanl  celte  notion  élémi'nlaire  que  la 
cellule  nerveuse  est  le  lieu  de  réciqilion  des  ini|U'essions  venues 
du  dehors,  cuunue  aussi  l'appareil  li-ausfi>rinaleiii'  de  ces  impres- 
sions en  incitations  uiolrices  ;  iju  (die  peu!  inèuie  cri'er  vérita- 
hh'UU'ul  ces  iucilalious.  nous  aurons  li''i;ilinu'  ccdte  troisième 
conclusion  :  l.i  (-(dlule  ucrxcuse  est  le  centre  d'action,  le  rciifrc 
fiiiiilioiuifl  de  l'élémenl  nerveux. 

•Juidle  (>sl  doue  la  nuu'phoiogie  de  celte  c(dlHle,  ou  piiiliM  de 
■  e  neuri>ne,  sa  structure  intime,  ses  connexions? 

l'our  rc'qioudre  à  ce->  questions  il'uue  manière  sali>laisanle.  il 
tant  emplover  successi\ement  diverses  nudliodes  décoloration 
avant  (dnu'une  leurs  indications  s|iéeiales.  S'at^it-il  de  déter- 
miner les  con|our>  exti'rieurs.  la  silhouelle  de  ['('lé'nn'ul  c(dlu- 
laire  et  de  ses  [irolontiements ,  on  emploie  la  nu-lhode  de 
(ioliii  (  liS7l{-ISS")  1.  qui  consiste  à  traiter  successive  me  ut  des  mor- 
ceaux de  tissu  nerveux  central  |>ar  du  liiidiromale  de  potasse  ou 
du  suldimi''  corro>if  el  une  sojiilion  de  nitrate  d'uri:cnl.  Le 
idiromale  d'ariicnl  on  le  cliloiau'e  d  ar;<ent  se  précipite  et  les 
édémeuts  constitutifs  du  neuione  a]q)araissenf  cid(U'és  en  noir 
avec  uni'  netteli'  ((ui  rapp(dle  un  dessin  fait  à  l'eiici'e  de  (ihine. 
l'ai"  contre,  il  est  impossilde  d'apercevoir  aucun  détail  de  slriu'- 
turi'.  l'ar  suite  de  conditions  encore  inconnues,  la  coloration  ne 
pmte  (|ue  siu-  un  |)elil  uonihre  des  cellules  de  la  préparation, 
l'ne  coupe  épaisse  pei'meltra  donc  de  les  suivre  dans  tous  leurs 
prolouiiements  el  jusqu'aux  ramifications  les  jilus  ultimes,  alors 
mènu'  (|ue  ces  ramiiications  sciaient  dans  des  phins  dillértmls, 
puisque  la  t'oupe,  par  le  fait  tie  son  épaisseur,  compriMul  plu- 
sieurs plans.  Va\  multipliant  ces  coupes,  on  arrive  à  compléter 
les  détails  de  l'une  par  ciMix  de  l'aulre,  c'est-à-dire  à  trouver  sur 


/./■;  .\i:ni(i\'K  .  : 

uiU'  tiiii|ir  li'Ilc  ospôco  dv  ii'lliilc  (jiii  n  (''liiil  |i:is  visihlc  siii' 
rniilrc  1  .  Après  l'trc  demourée  daiis  l'oubli  pciuliinl  iiii(>  qniii- 
zaiai'  (l'iiniK'CS.  la  miMliiMli'  de  (iiili;i  a  v[r  rcniisi'  en  i'avtnir  par 
lianidii  y  (lajal  (|in  lui  ddil  ses  r(Muai(|uahli's  dr'cnuvi'i'lcs  sur 
les  dispiisiljiius  ncrvcusos  Ici'miualo. 

\.i'  nirrui'  iiiiii'clir.  surinul  pnur  les  ilispusilious  pi'Ti|)lic'- 
i'i(|ucs  dos  élrnii'nls  nerveux,  csl  r(MU|di  par  la  niélhodc  d'I-^lir- 
licli  i|{SS(i;,  permcttaul,  à  l'aide  d'iujcclions  sous-eulanées  de 
l)Ieu  de  méthylène,  de  colorer  la  sulistancc  nerveuse  chez  l'aui- 
nial  vivaul.  I>cs  préparati(Uis  ainsi  obtenues  peuvent  èlre  i-eu- 
dues  permanentes  par  l'action  lixalrice  du  molybdale  ou  du 
picrate  d'ammonia([ue  iHelhe  . 

Si  l'on  se  |U'o[)ose  d'('lu(li('r  la  slruiturr  intime  de  la  cellule 
nerveuse,  on  peut  avoir  recours  au  carmin  ou  à  l'Iiématoxvline. 
mais  le  ]dus  souvent  on  emploie  les  méthodes  de  Aissl  ou  dr 
Held  qui  donnent  des  détails  d'une  grande  (inesse.  Dans  cidlr 
<le  Nissl.  les  pièces  durcies  dans  l'alcool  sont  colorées  à  chaud 
par  le  bleu  de  méthylène,  puis  dill'érenciées  dans  de  l'alcool  à 
l'huile  d'aniline.  Held  emploie  une  double  coloration  à  l'érythro- 
sine  cl  au  Ideu  de  méthylène.  D'autres  prél'èrenl  la  Ihionine,  Ir 
blende  loluidine,  (?lc.  La  plupart  des  proci''d(''s  de  idloi'alion  ont 
«'■lé  découverts  empiriquement  <'2i. 

Déjà,  surdos  préparations  obtenues  par  simj)le  dissorialiou, 
on  jieul  reconnaître  la  coniigurati<ni  i;énérale  du  neurone.  .Sa 
l'orme  est  très  variable  :  pyramidale,  pyrit'orme,  sphéroïdale, 
étoiléo,  fnsiforme.  Le  corps  cellulaire  est  nu,  muni  d'un  noyau 
et  il'un  nucléole,  et  présente  des  prolongements  plus  ou  mniii> 
nombreux,  d'oii  la  division  des  cellules  nerveuses  en  l>ij)o- 
laires  (^t  multipolaires.  Il  n'existe  pas  de  cellules  apolaires, 
ni  ménir.  an  inoiiis  riiez  les  mammifères,  ilc  (•ellule>  uni- 
polaires. 

Le  corps  cellulaire,  traité  ()ar  la  méthode  de  Aissl,  se  montre 
généralement  composé  de  trois  cléments  distincts  :  a  un  élé- 
nuMit  chromatique,  Hxant  le  bleu  de  méthylène,  //  un  élément 
a(diromatique    ligure.  '      un    élément   achronialiqui'   amorphe. 

(1)  .Matliias  l)i\.\\.,  Précis  (l'/iislolni/ie.  .M\S50X,  I90O.  p.  S:ifl. 

(2)  Pi-éparulion  el  colorulion  du  si/s/éme  nerveux,  par  Bernard  Poli.ak.  Trad. 
-N'ioor. Miu.  l'aris.  t9U0,  (jeoriies  C\]iia:  et  Nm:i;. 


■Mi  ]•:.   HALTUS 

l^"('l(''nicnt  achromatique  liguri'  atlVclo  la  disposition  li  un  réseau 
ou  d'une  épontre  enfermant  dans  ses  mailles  l'élément  eiini- 
matique.  Ce  dernier  est  constitué  par  des  granulations  agglu- 
tinées par  une  substance  fondamentale  réfractaire  au  Ijleu  de 
méthylène  (1).  On  admet  généralement  que  la  substance  acliro- 
maiique  est  la  portion  conductrice  du  neurone,  tandis  que  la 
(  liiomaliqiu^  en  serait  la  réserve  nutritive.  Sur  ce  dernier  point 
Maiinesco  fait  observer  que  la  destinée  alimentaire  des  élénienls 
I  liniriio|diiles  s'acconb^  mal  avec  leur  variabilité  el  leur  nuin(|ue 
al)solu  dans  toute  une  classe  de  cellules  nerveuses,  l'our  lui,  li's 
gros  éléments  clndinophiles  représentent  un  ri'servoir  d'énergie, 
une  sul)stance  régénératrice  des  forces  de  tension  nerveuse,  un 
/,iiir/n/i/as)»n.  Nous  avouons,  pour  notre  part,  ne  voir  aiu-une 
dillV'rence  entre  ces  ileux  in[erpr(''lations ,  attendu  que,  \tnv 
déliniliou  menu-,  l'aliment  est  un  r(''servnir  de  (cnsions  cbi- 
ini(|ues  a[)[es  à  se  li'aiisl'oriiier  en  nu  mode  (|iirlcon(|ue  de  forces 
vives. 

(",(>tle  (|ue>liou  esl  i'dncid(M'.  du  resle,  par  l'expiTinienlalion. 
attendu  qiu',  <bius  les  divers  lroulil(>s  nutritifs  susceptibles 
d'alieindre  la  ((dlule  nerveuse,  du  fait  de  la  fatigue,  tlu  Irauma- 
lisnie,  de  Im  tenip(''rature,  ou  de  diverses  intoxications,  o"ii 
(di-^erve  toujours  de  la  r///7;///^//(////.sc,  c'est-à-dire  la  niodilieatiou, 
la  dégénérescence  el  la  disparition  plus  ou  moins  <-omplète  <le 
la  substance  ebromatique.  Mous  avons  vu  précédemment  que 
la  seclion  du  prolongement  nerveux  amenait  la  dégénérescence 
lolale  de  son  bout  p(''riphéri(|ue.  Dr.  quelques  jours  après  cette 
section,  et  alors  (|ue  la  substance  achnuriatique  n'est  nullenu'nt 
modiliée,  on  voil  les  grumeaux  chromopbiles  se  fragnu'uler 
dans  la  partie  de  la  cellule  correspondant  au  point  d'implanta- 
lion  du  pndongement  ;  cette  altéralion  s'étendant  peu  à  peu  sur 
le  reste  des  grains  les  r(''duit  en  fine  poussière,  el  le  noyau 
émigré  à  la  périphérie  de  la  cellule.  Mais  lorsque  la  cellule  est 
en  (Hat  de  subvenir  aux  frais  de  l'égénération  de  son  membre 
amiuité,  elle  s'hypertrophie  au  point  de  dépasser  par  son  volume 
les  dimensions  normales  et  se  rem])lit  de  nouveau  de  grumeaux 


(1)  .Mari.ne.sco,  Souvelles  rec/ien-lies  sur  lu  slriicliue  fine  de  larellute  nerveuse, 
l'iesxe  médicale.  1S97.  p.  2".'i. 


/./•;  M-AHoM-:  20:) 

(•Iiri)mii|iliili'>  \  nliiiiiiiiciiN  I  .  |);iulii'  |iarl,  rL'xaairu  îles  aiii- 
iiiaux  siiiimis  à  un  liavail  miisiiilair<'  du  au  passage  du  coiu'aiiL 
(''l('clri([U('  lUiMilri'  (|ui'  la  /a/if/i/f  i\f  la  rrllulr  luM'vcuso  se  tra- 
duit ])ar  la  diuiiiiuliiiu  du  corps  (■(diulaiir,  la  diminnlioii  el  la 
dispai'ilinii  des  (Mirpuscuh^s  {dironiuphilc--.  Ces  eni'|niscules  sdnl 
égaleinrid  alh'n''-.  dans  UDUilire  dinrcilinus  cl  d  iiilnxicaliniis 
c\p(''i'iniciilalcs,  el  les  alléralinns  pcrsislenl  plus  luuglenips  (juc 
les  h'iiuldcs  luolcurs  nu  seusilil's  déterMiiii(''s  par  liiui'iil  iiiicil'. 

Il  C-.I  donc  prnhalili'  (|uc  la  Iragmcntatinii  cl  la  disparilicui  Ar 
la  siiltslaiiee  ehr()Ui(i|)liile  ne  sont  que  lexpression  d'une  alli'- 
ralion  nulritJNc:  (|uc  ces  corpuscules  consliiucnl  une  seule  de 
i'(''sei'vc  ([uc  la  cellule  nerveuse  accumule  au  --ladc  de  repos  el. 
(|u"idle  di''passe  ulir'ricurerneni    2  .    " 

l.es  prolungcnu'nls  cellulaii'es  se  di\  iscnl  en  deux  calégories  : 
ti I  les  prolongements  dils  ]iroloplasmi(|ues  on  dendrilo  :  /> I  le 
pr<dongenn'nl  de  r)(Mlcrs  ou  e\  liinlre-axe  nu  axone. 

Les  prolongements  protoplasmiques  de  H  ;i  2(t  par  (d('meul) 
all'ectent  la  forme  de  tractns  épais,  à  conlours  irréguliers.  Leur 
longiu'ur  est  variable.  Ils  diminuent  rapiilenumt  de  volume  en 
émettant  un  grand  nomlire  de  branches  collatérales  qui  se  divi- 
s(>nt  et  se  sulidivisent  à  leur  tour.  Les  branches  maîtresses  pré- 
sentent la  même  sti'ucture  (jue  le  corps  cellulaire  ;  elles  sojit 
donc  formées  à  la  lois  di'  substance  chromatiiiue  l'I  de  sub- 
stance achromali(|ue.  Les  brancdies  grêles  qui  naissent  direc- 
tement de  la  «•(dlule  ou  proviennent  de  la  subdivision  des 
gros  troncs  sont  tormé'es  exidusiveiuenl  di'  substance  achro- 
matique. 

Le  pi-olongenient  de  Di'iters,  génc-ralemenl  uni(jue  poiu' 
chaque  cellule,  a  des  caractères  tout  particuliers.  Il  nail,  soil 
directemenl  ilu  coi-ps  c(dlulaire.  -oi(  de  la  base  d  un  des  deu- 
drites  au  moyen  d'un  petit  ci'me  triangulaire  :  ses  contours 
sont  nets,  réguliers,  comme  taillés  à  remporte-|)i("ce.  Après 
avoir  longtemps  considéré  ce  prolongemeni  ciunuie  iudivis, 
on    adniel    aujourd'hui    (|u'il    l'iuu'nit.    au   contraire,   constam- 

li  .MvKiXESCu,  l'alh'donie  i/éiiéraii'  de  la  rellnle  nerveuse.  Presse  médiciile.  1S97, 
1      iiov.,  |).  41. 
[■2)   Rettf.rer,    Arliele    4-liroiiinlùli/.se    du   Uicl.   de    l'/ii/sioljf/ir    de    Ch.    Rii-.iiF.r, 

ISÎIS. 


204  E.   li.VI.TlS 

mcMit  im  ccrlaiii  nnnilirc  de  raninsculcs  latéraux.  11  est  iormô 
cxcliisivcmi'ul.  ilaii>  luulc  sa  lniiiiiicur.  do  siilislancc  achro- 
niali(|U('. 

(4>s  |iarlic\ilai'ilr>  innr|iliii|n;.4iqu(_'s  dos  dinidrilos  ot  dos  axones 
sont  trop  oxtôrioures  ot  pas  assozcimstanlos  pour  avoir  la  valeur 
do  oaractères  dilTérouliels.  Aussi  V.  Gohucliten  no  leur  aooorde- 
l-il  qu'une  minime  imporlance.  Le  même  auteur  fait  remarquer 
(|iic  la  dillÏTonco  |)liy>iid(ij;ique  semble  nulle  puisque  Inus  lo- 
proldUiicmonls  jouissoiil  du  pouvoir  oondueleur.  I.a  -oulo  ol 
vraie  dilléreuco  osl  dans  le  <''tis  de  la  o<induetinn.  •>  l)an>  les 
[ircddiiiicmouls  prnl(i|dii~iiii(|iies.  réhranlrmont  uervouN  so  Iraus- 
mol  Iduiiuir-  do>  ramiiioatious  terminales  Vers  la  cellule  dOri- 
"ino  laiidi-  uuo.  dans  lo  iinduniiomenl  ovlindraxil.  la  transmis- 
sidii  se  l'ail  do  la  ci'llulo  nerveuse  vers  les  ramilicalinii> 
Icliuiliaii's.  I.os  jii'nldUii'omriil-  pi'iiloplasiniqiios  pussèdoill  donc 
la  oiiuduelion  ir//ii///j'(/r  :  ils  rocuoillont  auLoui'  d'eux  los 
éliranlomenls  venus  des  oli^moiil-  viii>iii-  ri  les  transundlonl  à 
la  oollule  diiiil  il-  drqioudonl.  I.r  |iio|(iiiuenirnl  <  yliiulraxil  inuil 
de  la  ((ludiiolion  (y///i/i/in/i-  :  il  rofidl  robranlemonl  nerveux 
do  sa  i(dlulo  d'oriuino  et  doit  la  Iransundlro  aux  ôléun-nls  avoo 
li'--qiuds   il  ar)-i\i'  m  ocuilaol  '  I    . 

(lollo  livpnlhèM'.  l'Hii-c  puni'  la  jiroinioro  rui-  par  le  proles- 
seur  do  Llinvain.  a  élé  doronduo  oj;aleiiienl  par  (lajal  sous  le 
uiim  do  Ihéorio  do  la  polarisalion  dynami(|ue  des  élouienls  ner- 
veux. |t'a|irès  celle  llii'orie.  les  prolonjiemonls  |iiiil(i|ila>miques 
seraient  do>  appareil-  do  poi'ce|)lion,  tandis  que  los  pndou- 
ucnuMits  ovlindraxil-  odustiluoraioid  dos  appareils  d'applica- 
lidii  :   ehaqu(^   unih'   nerveuse  i-oprésonlerail   un   polil   appareil 

{■('•llexe. 

Ces  faits  entraînent,  ci>mmi>  cunséquonce  importante,  la  reoon- 
naissanee  de  l'unité  du  type  ni(irpli(doj;ique  et  fonctionnel  île 
l'élénu'iil  nerveux,  l'inlre  (liacnn  de  ces  éléments,  isolément 
considér('s,  il  n'oxisio.  sdu-  aucun  l'apporl,  aucune  diiréronco 
esseulioUe.  La  elassilicalidu  acluidlo  dos  neurones  vu  neurones 
<ilifs,  neurones  inolnirs  et  neurones  d'assoc/a/inii  a  pour  base 


srtisi 


raliouuello  les  dilVéreucos  oxistanl  dans  les  ()r;ianes  eorrespon- 
(H  V.  GEia-ciiTEX.  ojK  cit..  [>.  l'.Hi. 


u:  Mil  i!(i.\i:  iO'.; 

<l;inl  :i  liMirs  dciiv  |iùli-  ri  les  dillrrciiccs  (roriciilalion  de  ces 
[u)\v>.  Lv  iR'iininc  -cra  dit  iiiiiU'ur,  loi'sciiii-  par  sa  rdiiduclion 
cvliiidraxilc,  cellulii'vigc,  il  so  trouvera  on  rapport  a  ver  un  organe 
de  travail  i  libre  niusciilair(>.  cidliile  paiidiilaire  .  Il  sera  sensi- 
lif,  lorsque  par  rorienlatinii  île  ses  prolongements  protoplasnii- 
(jues  il  sera  en  rapjxirl  eidlulipède  avec  une  surface  inipres- 
sionnalde.  Il  -eia  d'association  jcuxiiie  ses  |)rulongements 
cellulipèdcs  et  cidlnlifuge  auront  la  valenr  de  commissures 
jeti'es  entre  neurones  de  un~Mne  espèce  ou  (r(>s|)èci"  diilerente. 
Son  n'de  dall^  la  ci niduclinu  générale  cenlripèile  nu  centrituge, 
c'est-à-dire  dans  les  phénomènes  de  sensildlilé  ou  de  motricité, 
sera  révélé,  non  par  les  détails  de  sa  structure,  mais  [)ar  \(' 
sens  de  la  dégénératiun  de  si>s  iiiires  à  la  suite  de  lésions  cxpé- 
riuii'utale^  cni  pal  In  iliii;i(|ue-.. 

(les  notions  générales  étant  admises,  il  nous  reste  à  les  com- 
pléter par  lexanu'u  des  ciinuexions  aiial()ini([ue--  pn'sidant  à  la 
propagation  de  ri'diranlemi'iil  nerveux  dan-  la  cliaiiie  des  neu- 
i-ones  superposée. 

Pendant  longtemps  et  sou-  l'inllui'uee  tir-  ha  vaux  de  (1er- 
laeli  ISTI  I.  on  admit  que  renchevètrement  tihrillaire,  en  appa- 
rence inextricalile,  créé  dans  la  siibstance  grise  par  les  innom- 
hraliles  prolongements  cellulaires,  représentait  un  système 
anaslomoli(|ue  i--u  des  prolongement-  protoplasmiques  et  don- 
nant à  son  tour  naissance  à  des  libres  myéliniqm^s  de  signili- 
cation  sensitive.  Mais  (iolgi.  par  sa  méthode  d'imprégnation, 
démontra  que  les  dendriles  se  terminent  toujours  par  des  extré- 
mités libres.  Il  prétendit,  eu  revanche,  que  les  ramilications 
secondaires,  les  collatérale>  des  axones  contractaient  entre  elles 
les  anastomoses  déniées  aux  dendriles  et  formaient  ainsi  le 
réseau  dilTus  de  la  suljstance  grise.  Un  des  graïul-  nn^riles  de 
Kannin  y  tiajal  fut  précisénuMit  de  démontrer  que  celte  nouvidle 
conception  était  aussi  erronée  (jue  l'ancienne  :  les  axones  et 
leurs  collatérales  se  liM'iuini'ul  toujouis.  eux  aussi,  librenu'ui. 
Depuis  cette  éjicKjMe.  on  adnu't  trè-  généralenuMit  rindé|)en- 
danci-  anatomique  du  neurone:  les  ramilications  terminales  de 
ses  divers  prolongements  arrivent  bien  au  voisiiuige  des  rami- 
licalion-    d'antres    neurones,    mai-    ne    se   eontiuuent    ])as.    ne 


20Ci 


E.  i-.Ai.irs 


s'anastomosent  pas  avec  elles,  (iunnne  le  liil  .M.  Iliival  :  «  l.e 
prétendu  réseau  de  Gcrlach  est  une  sorte  de  l'oivl  vierge  dont 
les  fourrés,  en  ap[)arenee  inipénélraldes,  sont  formés  de  bran- 
ches et  de  rameaux  (|ui,  pour  être  étroitement  entrelacés,  n'en 
-ont  pas  moins  distincts,  et  rattachés  eliacun  uniqncmeni  à  nu 
corps  cellulaire  indépendont,  comme  l'est  le  tronc  de  ciin(ine 
arhre  ou  de  ehaque  arhuste  dn  fourré.  Si,  dans  l'excitation,  l'acte 
de  conduction  passe  d'un  neurone  à  un  autre,  ce  n'est  pas,  pour 
ainsi  dire,  à  plein  canal,  mais  |iar  iiillueiire  à  dislance,  à  très 
cuurte  distance  il  est  vrai,  du  cliev(du  des  ramilicalions  de  l'un 
snr  le  chevelu  de  l'antre.  On  exprime  ces  ra|)]>iu-ts  en  disant  qu(> 
les  neurones  s'arliciilent  culn'  cii\     I   .  » 

Le  moment  est  venu  d'exposer  les  théories  émises  ultérieu- 
rement sur  ces  conditions  de  contact  ou  d'arlicnlation.  Toutes 
ont  une  base  commune  :  l'amiThoïsme  du  iieurnne.  aulrenienl 
dit  la  proprii'li''  que  posséderaient,  snil  la  lolnlité,  soit  cerlainc- 
pai'lie^  du  neurnne.  de  se  comporter  sons  rinllu(>nie  des  e\cil;i- 
tioiis  à  la  fai-on  des  amibes  dont  la  masse  pr(diq)la>miqiie  émel 
alors  des  prolongements  ou  pseiuiopodr-.  lescpnds,  dans  la  |ihasi' 
de  r(>|)os,  rentrent  dans  le  corps  de  l'élément.  Ces  mouvements 
ainilioïdes  se  retrouvent,  avec  un  caractère  plus  ou  moins  accen- 
lui-,  (  hez  les  leucocytes  de-  diverses  espèces  animales  et  sont 
considérés  comme  une  de>  projiriétés  élémentaires  du  proto- 
plasme non  différencié.  Dans  l'application  de  ces  données  aux 
élénn-nts  n(>rv<'u\,  les  hypothèses  c/  priori  mit  précédé  les 
recherches  de  ialioialoire. 

Ksquissées  par  Uald-Iîuckliard  ISilIti  et  Tanzi  i  ISiC}),  elles 
sont  nettement  formulées  par  .Mathias  Duvnl  2i.  D'après  cel 
autetir,  les  axones  s(mt  dotés  de  mouvements  amihoïdcs  qui  leur 
periucltraient  hnilôt  de  se  rétracter  et  par  suite  de  suspendre 
toute  activité  nerveuse,  tantôt  de  s'allonger,  de  rendre  les  con- 
tacts plus  intimes  et  de  favoriser  celte  même  activité.  Il  cherche 
à  baser  sur  ces  données  une  théorie  du  sommeil  :  <-  Chez  l'homme 
qui  dort,  les  ramilicalions  cérébrales  du  neurone  sensitif  cen- 
tral sont  rétractées,  comme  le  sont  les  ])seudopodes  d'un   leu- 


(li  .Mathias  Dlv.\l,  Op.  cit..  p.  83S. 
(2.  Modelé  lie  biolof/ie.  2  février  iSftj. 


;./■;  M'IIhim:  2117 

(•(icvtc  aiicsllirsiô  sous  le  mici-dscope  par  raliscncr  il'owjAi'iic  ol 
l"o\c('s  (l'acide  carlKiiiiciui'.  l,('s  cxcilaliuns  l'aililcs  |»(irl:i''cs  sur 
les  iiciTs  scMsihlcs  |ii'ii\(i(|U('ul ,  cluv,  l'Iniiniuc  l'iiilnniii ,  des  réac- 
liiiii-  ivlli'xcs,  mais  ne  passciil  pas  dans  les  i(dliilcs  de  l'écorcc 
(•('■ivliraic  ;  dos  oxcilations  plus  fortes  amèucul  l'allontiomi'iil 
dos  ramilioalions  côn'djralos  du  uourono  sonsilif,  par  siiili'  lo 
passade  iii>(|iir  dans  les  coUulos  de  récurée  el  pac  suile  le  riAcil 
diiiil  les  |)liasos  suocossivcs  li'adiiisoul  Ideu  ces  rélahlisseiuouLs 
d'une  série  do  passasios  précédeuinionl  interrompus  |)ar  rélrac- 
li<Mi  el  éloignemenl  des  rainilicaiious  |iseiHlop(idi(|uos. 

Lépino  rovoudique  la  priorili'  de  celle  liiéorie  (|ui  lui  aurait 
permis  d'oxpli(|Uor  les  aneslhésios  sensiiriollos  el  sousilives 
ainsi  ipie  les  paralysies  mulrices  choz  les  liystéri([uos;  il  siip- 
pdso  (|ue  le  reirail  des  expansions  du  neurone  esl  di'i  à  des  nio- 
dilicaliDiis  (  liiniiques  du  prolopiasma  (-(dhilaire. 

.Noms  laisserons  de  côlé  l(^s  diverses  olijections  Inrnmléos  par 
i.eniiiissek,  Kolliker,  (lajnl,  pour  passer  anx  lails  expoj'imen- 
(anx,  généralomenl  t'avorablos  à  ces  idées  nouvelles.  Les  expé- 
riences de  l'eriiens,  l'ailes  sur  des  yeux  de  poissons,  donl  les 
uns  avaient  élé  mainleiin>  à  la  lumière  el  les  autres  plongés 
dans  l'oliseurité  la  plus  complète,  ont  montré  c|ue,  clu'/  les 
premiers,  les  cùnes  et  les  liàtonnols  étaient  rétractés  el  que  les 
piviliingements  protoplasmiques  des  cellules  ganglionnaires  do 
la  nHine  étaient  devenus  plus  courts  el  |)lus  rares;  il  couclul 
donc  (|uo  le  l'onetionnement  des  cellules  s'accompagne  de  leur 
rétraction  '  I  1.  Honioor  essaie  do  sulistitner  la  notion  de  plasli- 
cilé  à  cidlo  de  l'amœboïsme;  il  considère  les  c(dlnles  el  leurs 
pndongemonts  comme  formés  d'une  matière  plastique  leur  jjor- 
uu'ttant  facilement  de  changer  de  forme  et  île  volume,  (lajal 
avait  romarqné  dans  l'écorce  cérébrale,  préparée  par  la  méthode 
de  (iolgi,  et  autoMj- dos  dondrites,  une  inlinité'  de  pidils  appen- 
dices ou  épines  qui  donnent  au  lilamonl  l'aspect  d'une  échelle 
suédoise.  Col  aspect  se  modilie,  d'après  Domoor.  chez  les  ani- 
nianx  soumis  à  l'action  de  la  mmpliine,  du  (  hlural  <iu  du 
(diloroforme.  Los  expansions  deviennent  alors  nettement  et  très 
régulièremenl  moniliformos,  mais  la  disposition  normale  réaji- 

(I)   l'EIK^KXs,  lliill.  Aiiul.  ni;/,  do  iiiril .  de  lle/f/iijiie.    ISlIi;.   T.  X. 


-20.S  E.  HALTlS 

liiinut  avec  la  t-L'ssalion  d'action  des  aiionts  ancslliésiqucs  i  1  ). 
Los  recherches  de  iNI"'  Stéfanowska,  faites  comme  les  préci'- 
denles  à  rinsliliit  Solvay.  ont  éi!:aiempnt  porté  snr  les  épines 
(les  dcndrites  qu'elle  appelle  appendices  pyrit'ormes  en  raison 
de  leur  forme  earactéristique.  Après  avoir  eonsiati'  ipie  ee> 
-appendices  man(|uenl  constamment  sur  le  corps  de  la  cellule 
<'l  sur  son  axone,  elle  déclare  qu'ils  sont  susceptihles  de  varier 
dans  leur  nombre  et  dans  leur  lontiueur  sur  un  même  neurone. 
lui  effet,  sous  i'inlluence  des  excitants  lélectrisation;  et  des 
anesthésiants  i  éliiérisalioni,  les  ajipendiees  pyriformes  dimi- 
nuent ou  même  disparaissent  (•oui|)li''lemenl  sur  un  ct'rtain 
iiomhre  d<"s  dendriles.  Kn  même  temps,  ces  prolonui'ments  se 
(■ouvrent  de  nomiireuses  varicosilés.  t^'cst  par  l'intermédiaire 
des  appendices  |)yril'ormes  des  dendrites  que  s'effectueraient 
les  contacts  entre  ni'uronos(2L 

Manouélian  >r  plaie  dans  des  comlilions  plus  pliysioloi;iques; 
il  amène  le  sommeil  par  la  fati^iiiu'  et  constate  la  disparition 
des  épines  des  dendriles,  l'aspect  moniliformo  de  ces  derniers, 
la  défiirmalion  <ln  e(ir|is  eclliilaire  (3).  Quei'fon,  étudiant  le 
-ommrij  iiilirmai  de  la  marmotte  'n:  Odier comparant  la  moelle 
d'animaux  chloroformisés  avec  la  moelle  d'animaux  soumis  pen- 
danf  i(U(d(iues  minutes  à  des  décharges  d'induelion  •"•  :  llavcl 
dans  ses  reclierclies  sur  les  invertébrés  (ti),  aboutissent  aux 
mêmes  conclusions  fondamentales,  et  les  notes  discordantes 
Lui^aro.  Soukhanofi  sont  ndativement  rares.  Il  est  certain  qu'un 
eouranl  lavoralde  -e  pi-ouonrc  ilc  plus  en  plus  en  faveur  dr 
l'amceboïsme. 

Mais  l'amudjoïsme  nerveux  repose  sur  la  notion  de  l'indépen- 
<lance  du  neurone,  el  cette  in<lépendance  est  en  ce  momenl  l'oli- 
jel  de  nombreuses  attaques  qui  ne  tendent  à  rien  moins  qu'à 
renverser  toutes  les  idées  courantes,  non  seulement  sur  les  rela- 
tions des  neurones,  mais  encore  sur  leur  orii;ine  et  sur  le  rôle 

(!',  l)E)iooii,  Arch.  de  hh,k,fiii>.  T.  XIV.  ISilf..  —  liiillclin  de  In  Sor.  d'Anthioj'.  de 
Uruxetles.  1896. 
{i)  C.  II.  (le  lai>oc.  de  biolof/ie.  1891,  p.  '.HiD. 
(3)  Cité  par  M.  Uuvai.,  o/j.  cil.,  p.  S8'i. 
i4)  Travau.x  du  labor.  de  l'Institut  Solvay,  IS'JS. 
(5)  Ilevue  méd.  de  la  Suisse  romande.  1S9S. 
(fil  fji  relliilc.  18W,  T.  XVI. 


;./•;  MJiidM-:  2(1.» 

ronctioniicl  univiTsclIciiicnl  reconnu  h  la  ci'Iliili'  norvciisc 
(TliL-orios  d'Aiialliy,  «le  llclil,  de  Bl'IIic  I  .  Exposer  i-es  Ihéories 
naissantes  et  tlépoiirvues  île  lonl  contrôle  serait  sortir  du  plan 
restreint  (jne  nous  nous  sommes  tracé  ;  nons  nous  contenlerons 
(le  faire  observer  qu'elles  ont  subi  de  la  pari  d'un  maître  en  ce- 
matières.  Van  Cicdiuchten,  un  examen  cri(i(|ui'  ijui  lui  fait  main- 
tenir. jn-(|n','i  plus  ample  iiilnniic'.  la  reelilnde  de  la  Ihr'in'ie  ilii 
neunuii'    ■*  . 

K.    liALTrs. 


(li  Ces  théories  sont  exposées  dans  I'uenant,  Lea  Théoiies  du  v'/v^   nerveux. 
Heoue  (/énéntle  </ex  sciences,  i900,  n"'  l  et  i 

,31  jn; ././<■  \V/(.v. /,;.,„>.  !S'i!i.  n'  20.  p.  :îSt-:!Oti. 


LA   PIlILOSOPinE 


V    CONGRÈS   INTERNATIONAL   DES   CATHOLIQUES 


i.i'  ('iiinirrs  iiih'fitiil l'iniil  (A'.v  x/iriiiils  intlinUtjtirs.  Iniiih'  il  \  n  i|Miii/i' 
.iiis  |i,ir  11'  {liMiKiiiir  hiiillii'  ilr  S.iiiit  -  l'riijrl  cl  |);ii-  M-'  d  llulsl,  ;i 
Iniii  SCS  {■iiii|iiiciiii's  Jissisi's,  (lu  i'i  ;ni  i!S  si'|>h'mhrf  lîtOI).  ;i  Aliiiiii-li. 
L;i  section  |)liili)S(i|iliM|ii('  y  ;i  l'ail  lioiiiii'  li^iii-c.  I,rs|)a^rs  (|iii  siiivciil 
csquisseroiil .  .'iiix  IitIciii-s  de  la  "  licxiic  ■■.  un  lalilcaii  d'iMisciiihlr 
«le  SCS  scaiiccs.  eu  iiidtc|naiil  à  f;raiids  Irails  les  i|iii's|  imis  siudevees 
dans  les  aiincales  i-i'iiiiioiis  du  ■•   Kaiiuhaus  ■'. 

1,1'  (!nnL;i'e>  ^'lnl^l■('  sur  îles  |iariiles  de  |iliiliiMi|dni'.  Sun  pi'i'sideiil , 
iM.  de  La|ipai'CMl .  dans  une  |iaL;e  Inuiinense  du  di'^eoui'S  |ii'i'liMnua  ire. 
chldic  l'oricnlal  iiiu  de  la  M'ieiire  eiuileiuiinraine.  il  nnuilie  enuiuieiil 
la  |ilivsi(|ui'.  la  eliiiiiie.  I  a^d'iuiouiie.  les  mal  lu'nial  ii|iies  elles-uienics 
se  |)('uèl  reid  de  leudauces  unuvelles.  I.e  lueeauisuie.  i\\\\  seiuhlail 
|)i'iuiiel  I  i-e  I  e\|iliealiiui  iinixerselle  des  eliuse-..  a|i|iai-ail  de  |dus  l'U 
plus  aux  eliei-eheill'S  rinuni;'  iusid'Iisan  1 .  1,  iili'e  de  l'iiiee  |-eul  l'e  ila  us 
la  seienee.  A  i|ni  naceeple  pas  un  d\uauii>ue'  lalenl.  elle  iléelai'e 
iusiduldes  les  r'uii;Mn'S  du  uiiuide  —  \  eonipris  le  pnddèuH'  des  li'oi> 
corps.  Puis,  (le  ses  prof;i'('s  se  (l(''^aj;c  el  sariii-uie  le  cai'acli're  pi-ovi- 
soire  (les  roi'iiiulcs  par  lcs(pi(dlcs  elle  lente  d'cxpliijiu'r  les  lois  de 
I  univers.  Nés  dernières  i;çui'ralisal  ions  de  nus  savaids  snnl  la  lua- 
li(''rc  (piClahorcrii  la  science  île  I  avenir.  Kllc  ('larf^ira  leurs  conccp- 
lions;  sans  ci'ssc  clic  les  rcclilicra.  enlraini'c  par  cel  id('al.  loii.j(uirs 
alliraiil  cl  liiiijiiurs  iusaisissalde.  de  la  lui  siipri'iiie  cl  de  la  uulaliun 
|iarl'aile  du  i'(''el.  Tel  est  1  anj;lc  suns  Icipud  ncnis  \u\iuis  anjunid  liui 
la  sciiMicc  d'Iiic]'.  et  pr('Voyons  celle  de  demain. 

.\prcs  ces  vues  si  claires  de  l^'uiincul  t;r'ulu;;ni'.  .M.  ^^'ilhnann 
1  1  M.  de  llei-llini;  Miulurenl  marquer  ddn  Irait  les  relaliiiiis  de 
iM'incipe  ou  de  lail  i|ui    nnisseul    la  pliiloso|(lii('  à  la  rclif;ion.  Le  dis- 


/..\  l'iiii.nsiii'iiii:  i:r  /.;•:  f(K\r,iii:s  hk  mi  wicii 


Ml 


liiiLjiK'  |iriircssciii-  ili/  I'i-;iï;uc  (■liuliii  ■■  cciiiiiiii'iil  l;i  \(''i-il(''  callinliiiiK' 
,.sl  l.'i  ciel'  lie  riiisloirc  de  la  |)lnl(isii|iliii'  ■■.  l'ai-lcuit  un  il  y  a  imi 
,|U('l(|iii'  -raiHli'  rviihiliuii  de  la  pi^iisi'c  i-rllrcliic.  il  s  rsl  (Mahii  aussi 
(I  l'Irolls  i-a|i|Hiils  l'iitrr  srs  i-i'snllals  cl  Irs  (Iiiiiihm'>~  de  la  roiisciiMicc 
religieuse.  l'iMii'  riiide.  il  esl  iiii|Hissilile  (le  S('|iai'ei'  l'iMuile  île  ses 
reli:4iiinN  «le  riiisltiii'e  ili'  ses  s\  siéines.  Ceux-ci  scnil  sorlis  de  celles-là. 
I),.  même,  la  |iliiliisii|)liie  occidi'ulale.  di'|iuis  li's  |in'mièi'es  spccula- 
li(Mi^  di''-  l'i'|-es  |usi|u'auiiiui-dliui.  resle  i  uc(ini|u'i''lii'usilde  si  I  (Ui  l'ail 

ah^li-acliiMi    de    la    niasse    iMuii' irid('i->   i|iie    lin   a    Idiirnics    la    loi 

(•alliiilii|iie.  Cesl  ce  i[ui  c.nidamiie  Iduic  ciiiice|il  iini  ral  iiiualisle,  ou 
iiidi\  idualisle.  nu  relalixisie  de  lliisliiire  des  idT'i'S.  Ceux  i|ui  viiieni 
,Mi  elle  un  siuiple  dcvelii|)|ieuienl  de  la  raisiui.  cl  rieu  autre  chose, 
on  rdMiM'c  individuelle  de  i|ueli|iii's  liiimnies  de  ^l'iiii-.  sans  atlaclie 
aucune  a\cc  les  aulres  dnmaini's  de  la  vie  iiilellecl  iielle.  la  mulilenl 
dmilileiuenl.    Car    la    [leiisée   calli(dii|ue    a    ins|uri'.    en    iniuiie    li'uips 

(|u'nue    \asli'    svullièse    |dulosii|diii|Uc .    une    llii'iilrii;ie    alisiil eid 

neuve,  un  aii  (irii;inal.  cl  hml  un  drnil.  l-^llc  a  créé  ainsi  un  eiiseinldc, 
lin  (nul  donl  les  parlies  scclairenl  réci|>rii(|uemeiil  el  se  rendiud 
inlellii;il)lcs  li'S  lllios  les  aulres.  .\iissi  csl-elli'  de  Mi|ireiiie  inipor- 
laiice  dans  \[\  jjrrrnuh  /ilnlnsniiliiii.  l-llle  s\  Iriiinc  au  preuiici-  plan, 
cnveloiipaiil  Ions  les  aulres  cniiranls  de  la  pensi'c  linmaine. 

Kn  passant.  M.  Willuianii  avail  pai-le  de  la  ciuil  iiinih'  réelle  ijui 
existe  entre  la  pliilosiipliie  aiicieniie  el  la  |diiliisiipliie  iiicidcrnc,  i;racc 
à  la  peiiM'c  clii'i'lienne.  Cr  lliémc  lui  re|iris  par  M.  de  jlcrllint;-  i  Mli- 
nieli  dans  une  ctiidV'ri'iii'c  sur  ■•  le  clirisl  iaii  isnie  et  la  pliildsnpliic 
i;reci|iic  ...  (Jiiels  suiit  les  vrais  rapporls  des  diicirines  clirétieiincs 
avi'c  les  eiiseii;nciuenls  de  celle  pliiliisophic  ?  Il  esl  laidle  de  retrou- 
ver li  iilliieuci.  di.s  sysléuii'S  aniicpies  dans  les  écrits  des  Péi-es.  I,c 
Stoïcisme,  le  ri.ilouisuie.  le  Néo-l'\  I  liai;()risiue.  IWrislolélisine  eiilln 
seiulilciil  diiminer  relalinral  ioii  de  la  doch'ine  de  ri-;i;lise.  J.a  dialec- 
tique -recipie  il  une  |iarl.  de  lanlre  les  tendances  uiysliipies  des 
Orphiques,  des  .Ni^o- Platoiuciens  el  de  tontes  les  associations  reli- 
i;ieusi's  de  la  Créci'  [lai-aisseni  séire  ri'unies  ou  fondues  dans  les  l'or- 
midcs  de  la  loi  cal  lioliijU(..  Celle-ci  ne  si'i-ail  donc,  en  ses  ensei^nc- 
iiienls  doj;uiatii|iies,  ipiiin  vaste  sy  ncrél  isiiie.  on  régnerait  1  imilé 
pureuienl  superlicielle  de  Ions  les  syiu'rét  isuies.  Mais  niu'  lelle  con- 
ce[ilioii  esl  laussci^a  tonne  de  la  doclrine.  r\\i'/.  les  Docteurs,  peut, 
être  toute  i;rec(pie  :  ce  lut  |n-écisémenl  h'  UM'cilcde  la  philoso|)liie 
aniiipie   di'   cn'cr   ce   cadre   parlait,   ou    le   chrisi  ia  iiisuie   allait    faire 

enlrcj-iiii  nonxeau    m le   de   pensées  :  d'i'lalioi.i'r  aussi   cette  termi- 

iiidoi;ic  si  priM-ise  (.|    si  pidlonde.  ipii.  devait    iililiser   la  l'oi.  Mais,  si 


A.   111  MBKIil" 


i:i  IViriii"  l'sl  !j;ri'ri|iii'.  le  l'iuids  iricl(''i's  csl  ,-ilisnlniiii'iil  iiinivi'iiii  l'I 
(•iiiui)li''l('in('nl  oi'ifiiiial.  Ilicii  ir;iii;il<)f;iii' i-lic/.  les  laailrcs  de  hi  |k'iis('i' 
hi'lh'iir.  l'ciidaiil  ili's  sir^clcs  se  |ii)iii'Siiit  li'  Ira  va  il  (rimiiiii  de  la  le  in  ne 

j(liil(isii[)liii|iii'    dr    l'a  ni  ii|iiil(''    aux    idi'i's   du    (  !li|-i>l  iaii  is il    xii'hl 

adiiuralilriiKMil  sr  Irri  il  hier  dans  rd'iivri'  de  Tlidiiias  d  Ailinn.  Ai'isldlr 
lui  rininiil  le  cadi'i".  Sainl  Tlininas  y  xci'si'.  dans  Uiidi'  Sdii  am|d('ni-, 
la  IV'i'diidi'  ddcli'iiii'  ipii  rriidiiN  (dail  le  iiidiiilc  i  ni  cllccl  iiid.  l'I  ddinniil 
aii\  M'i'ili'S  ral  idiini'lh'S  di'.ja  dccdiivcrlcs  ]iar  les  |iliildsi)|ili('s  ^ri'cs 
'diilc  ji'iii-  riarir  cl  Idiilc  leur  |idi-léi'.  Kl.  l'on  ne  ])imiI  i|ii'adinir('i-  l'ai'l 
i\rc  liM|iicl  M'  m  crllc  a|i|iarialidn.  (lai-  Ir  daiii^.'r  (''lail  L;i-and.  d'uni- 
dissiilnl  iiiii  lin  d  imi'  d(''sa;;i'i''i;al  iiiii  di'S  l'iisi-i^iiriiiriils  n'M'dT'S  au 
•  ■iinlarl  dr  rrllr  siililili'  dialrcl  ii|iii'.  l'iir  si'iili'  caiisi-  |inl  crarlrr  rr 
daiii;rr  :  l'c  l'iil  I  arlinn  i-iuislaiili'  dr  ri^t;lisi'  |idiir  la  i-diisrrval  imi  dr 
rniiili''  di'  |iriisi''i'  ri   dr  I  iiiiili''  dr  ildrlriiii'. 

Ndii-i  niiii^  Sdiuiiirs  arri'li''  |iliis  liinf;ui'iuriil  sur  Irs  llis^dlll■^  drs 
si''iinci's  i;vn(''rales.  Ils  cxin-inirnl  |iai-railrnirnl  li's  Iriidaiii-rs  l'I  1rs 
di [•relions  du  (.;oiij;i-rs.  Lrs  I  ravaiix  plus  s|ir'eiaii\  drs  sr'aiiers  dr  sre- 
lidii  i-r'\é|rnl  alisiiliiinrid  Ir  iiii'in;'  rs|ii-il.  Ils  l'iirrid  ndmlii-eii\  ri 
varii'S.  Nallirellriiirnl .  1rs  ('■lildrs  liisliil'ii|lirs  sr  |ii'i'seiilr|-riil  rn  ina- 
Jdi-ili''.  I.r  \)'  |-"iseliei-  Wrir/lidin-L;  i  dr'|ildra  ee  l'ail,  el  fri;|-rlla  i|n'il  \ 
n'il  aii|diii-d'liiii  "  liraiiedii|i  lrn|i  d'iiisl  urieiis  dr  la  |i|ii  ldsii|iliir  ri 
li'iip  |irii  dr  \i-ais  |diili>siiplirs  •'.  N'esl-ee  |ia>  là.  er|)rndaid.  une 
iiiai'i|iir  li-rs  nrllr  du  respeel  piiiir  la  Iradilinn.  ipii  i-esie  an  l'iiiid  des 
:'mies  rdnlriii|iiirainrs  ?  C.f   n  rsl    |ias   nu   sini|ilr  sii;iir  d  iiii|iuissanee 

inirlirel  nrllr.  M(''ii n    pliildSdidiie.  rdi-it;inaiil(''   ne   eonsisl.e   pas  à 

iitiidi-ei- ce  ipi'iinl  dil  1rs  mail  res.  el  la  peiisi''!'  l'élléeliie  pi'dlilepar- 
l'iiis  liraneiinp  à  I  l'Ineidal  inn  d  un  l'ail  riinreriianl  siin  liisliiirr.  Tri 
l'iil  liirn  l'axis  dr  la  |.;ranilr  inajui-ili'  drs  eciMi;ressislrs. 

Ils  en  t'nrenl  i-i''e(iiiipensr's  par  un  viTilalile  voyaj;'e  iraj;i-i'iiieid  à 
travers  II  m  le  l'Iii'-liiirr  dr  la  pliilosupliir.  .Mais  pi-Di-T'ilinis  par  nnliv. 
M.  K.  Hardy  \\'iir/.iit)iir,n!  les  eondnisil  d'almnl  ni  pays  exiiliipir. 
L'Inde  aneienne  n'esl  jias  nn  leri'ain  1res  l'aniiliei' aux  pliilnsiiplies. 
I>r  iiiaili-e.  à  ipii  ^rs  Ijislnirrs  du  lira  liinanisnir  ri  du  liiMiddhisiiir 
uni  aeipiis  une  si  li'j;iliiiir  reniiiiiiiiée.  leur  lil  diielenienl  les  liiiiiiu'iirs 
(le  la  "  Psyeliolii^ie  hnnddliiipie  ■■.  Depuis  ipirlqnes  aiin(''es  on  a 
[Hililii''  de  niniilirrnx  lixirs  sr  rappiirlaiil  aux  diiclrinrs  drs  disriplrs 
de  Çakya.  I,a  Pali-Trxl  Si.irirly.  snns  la  dirrrl  inn  dr  .\1.  I!h\s  Mavids 
el,  tlo  M.  II.  (  lldenlirri.;,  a  rendu  arerssilile  aux  rlirrrlirnrs  liiulr  iinr 
(•(illerliiin  d  iinvraf;es  où  se  i-eli-onvenl  1rs  spi'rnlal  ions  drs  "  Scolas- 
liques  "  siiifi;lialais.  Ces  l'-erils  rriiinnlrnl  jUMpian  prrniier  sièele 
availl  notre  ère.  Or.  fr   ipii  sr  dr'i;a,i4r  Imil  d'alinrd  (\c    ri''lndr  dr  ers 


LA  fiiii.nsiii'iiiE  i:r  I.I-:  cn.sciti-.s  m:  \u  \iiu  -21;! 

(Iiiciimcnls,  (•  l'sl  cclli'  iili'r  ipn'  li'  Hondilliisiiir  ,i  |iiirli'  ^c-,  i-itIhm-cIics 
surloul  (lu  fi'ili'  <li'  l;i  |is\ cliiiloi^ic.  I.i'  iirciiiirr  en  dalc,  il  ,i  chi'i'clir' 
dans  les  il(iiHi(''i's  ilu  sens  intime  nn  Innilcincnl  à  la  luornlr.  Cci-i 
>'i'\|)li(|n('.  Il  s'i'sl  (>|i|iiis(''  di'S  l'alKHMl  aux  anciinincs  r(dii;'iiHis  nalnra- 
lislcs.  Aussi  rrjclh'-l-il  d'nnr  l'aidn  alisolnc  I  animisnii'  cl  l(inl  \-i'  i{iii 
s'en  rappni(dn'.  Il  ranièin'  lonic  rxisIcinT  à  des  l'dals  de  riMisricni'c 
ipàli  hliiiinina  ^  sauricril  /Ihiiriiin  .  Il  cunsli-nil  ainsi  un  s\slrnir 
(■iiia[il('l  lie  phéiioménisuit'.  Les  hluniniuix  cxisli-id  pai'  (Mix-incnu-s. 
(lliacpii'  l'Ial  di'  i-onsclencc  a  son  individnalid'  priipcr.  cl  1  iih'c  i\f  pcr- 
siiniM'  i-csic  l'Iraiif^'crc  à  la  |ii'nsi''c  lionddliiipic.  I,  Inde  anciiMinc.  pas 
plnsipu'  la  (irccc.  dn  l'csic.  n'a  di'  nml  puni-  doii^ncf  le  sens  inlinic. 
le  lien  inlenn'  des  étals  d'àine.  liien  pins.  <'elle  id(''e  esl  eoinhallnc. 
reponssée  ciininie  inniile  el  sans  valenr.  Le  nnunle  exlérieuf,  Ini  anssi. 
ne  se  ednipiise  (pn'  de  hlxiiiiiiKis .  \\\  re'Sle.  ei'  inmidc  \\  a  d  iinpiirlance 
ipn'  dans  la  niesnre  lu'i  il  inllne  snr  le  Bien  el  le  .Mal  moral  de  l'honnue. 
l'ne   lelle   emn-eplion   enli'aine    naliii'ellenienl  le  ]iessiinisrne.  (lepen- 

danl  le  Hiinddliis n'alidnlil    pas   a    nne  dciclrine   (piiidisle.  T(Ud  en 

(•(insitléranl  le  mimde  id  la  vii-  eiMnme  manvais,  parci'  ipi'ils  smil  sun- 
mis  à  la  loi  "  des  l'i-iiiis  de  l'ieiixi'i'  ■.  parce  ipi'ils  ('(ml  ])ai-lic  dn 
eei'ele  n(''ecssaire  et  rij;,Olll'en\  des  eanses  el  des  ell'els  (  .SVnMxr'/'rti.  le 
honddhisle  ei-oil  à  la  toi-cc  de  la  \(d(ud(''.  |-'.lle  penl  s'(''ehapper  des 
liens  de  la  eansalili''  phémimi'nale.  aia-ivci-  par  la  c(uiecnli-al  imi  de  ses 
puissances  à  snriir  dn  Siniisàrn  el  allcindre  iMiliii  le  Imnlienr  a('/.- 
flinir.  (Tes!  dcnic  en  nn  sens  liiid  asciiiipic  (pie  les  dnclenrs  liniid- 
dliisles  declareiil  la  \  ic  manxaisc.  Ils  \-eiileiil  alleiiidrc  iiih'  vie 
siiperienrc.  idi''.ile.  Iiciireiisc.  (In  pinirrail  cmiiparcr  leur  dnelrine  a 
riii'diini^mc  anliipic.  Le  siil.hiiiii  cs|  en  cjl'el  Ire^  miimii  de  I  i-i'lii-/ 
i''picnriciine.  Il  -e  ri 'a  lise  ciimplelciiicnl  dans  I  alisiiln.  lor-^ipic  I  homme 
s'esl  délivi-i'  de  la  loi  des  causes  el  ile>  elleU.  en  i\\\  mol.  dans  le  _\ii- 
riiiiiiiii.  Leini-ci  esl  dmic.  ])onr  emplover  une  e\prcs>ioii  de  Niel/selie, 
nn  "  Au-delà  (\i\  liien  el  du  .Mal  ■.  Ici  ccpemiani  ipi  il  esl  proposé  à 
riiomme  coimiic  le  suprénu'  lioulieur.  —  .Mais  avec  le  .MriyiiKiiii  (Ui 
enl]-e  dans  un  ordre  d'idi'cs  ni(''lapiiysiipie.  M.  Ilermaiin  S(dudl  le  lit 
rcmanpier.  cl  M.  Ilard\  en  conxiiil  \  oloiil  icr--.  Il  ii  en  l'csIc  pa>  moins 
vi'ai  i)iu'  la  viM-ilaiilc  lemlaiice  du  lioinldliiMiic  en  philosophie  esl  a 
la  l'ois  psvidn)loj;iipie  el  morale.  (!i'>l  une  idiose  ipi  il  ne  l'anl  pas 
perdre  de  vne  si  I  fin  veiil  lui  rendre  ju'^liee.  c  esl-à-dire  le  com- 
prendi'c  en  --on  ori^inaiili''  proronde. 

.Mais  rc\eiiou>  .'i  des  modo  ih'  pciiMT  ipii  sciiililcul  plu>  xiiisins 
des  ni'ili-cs.  I.'lh-ienl  j;ai-ile  loiijours  pour  lions  un  ccriaiu  aspeci  de 
mssièreci  d  l'I  ran^cl  i''.  La  (irccc.  au  coulr;iire,  esl   noire  iiière  spiri- 


214  A.  HUMBEIIT 

.  Illi'lli'.  Sm  pliiliis(i|iliic  cnI  la  ina^iiili(Hic  l'closioii  <li'  la  |hmis(''i'  ni-ri- 
«leiilalc.  .Nous  en  vivons;  du  i-ostc,  cCsl  un  sujel  iui'|uiisal)lr.  Oiu-  dr 
|ii'(il)l('iii('s  à  l'ésoudi-c  dans  l'Iiisloirc  de  la  pliilusopliit'  |ilalciniriciiiir 
(111  arisliiii'lii-irnrii' !  Coiriliicu  de  ([ucslious  à  rciKiuvolci-!  Lune  di'S 
|)liis  alii-ayauics  |iiiui-  les  ('lUKlils  c-(uileui|)()raius  csl  cerlaiiicHU'iit  la 
rhrouido.nir  des  dialonucs  de  l'Ialun.  Depuis  un  siècle  nu  Iravaille  à 
la  i-('s(iiidiT.  (lu  V  emploie  les  uu'lhodes  les  plus  di\erses.  I''.l  le  pro- 
blème senilile  iM'sisler.  A  lel  poini  (|iie  Ion  eu  fevieid  aux  solulions 
d  un  Hrncker  ou  d  un  Tenueuiaun.  ('.  es!  ee  (|ne  nioulre  la  <'ontV'renee 
du  D'  l'awlieki  (!raeovie  sur  la  ■■  C.oujposilion  du  l'hèili-e  •.  Teuin'- 
manu  y  voulail  \(iir  la  preuiièi-i'  o>n\i-i'  plii|{)soplii(|ue  de  l'Iahni, 
e:iriii-e  loide  seinlila lile  |iour  I  ('■lan.  la  l'raicln'ui'.  la  poi''sie,  à  ces 
dil  li_\rand)es  in'i  sV'Iail  exei'cT'i'  >a  Jeune  imaginai  imi.  La  pinpai'l  des 
criliipu's  ci'pendaid  placi'iil  le  i.  j'hèdre  "  à  nui'  l'poipu'  lieaucoup 
plus  lardivi'.  M.  Pavviii'ki  exposa  hudes  leurs  reelierclies.  analysa 
loiiles  leurs  mi'lliodo.  Il  sarri'la  lon};nemi'ul  sur  la  ••  slyhnui'lrie  " 
de  jjiloslaw  ski.  el  sur  les  ap|dicalions  (|n  en  (Mil  laites  au  "  Phèdl'e  .. 
l'aul  Nalorp  el  Von  Aruim.  l'uis,  il  conclu!  — que  Tenueinann  aval! 
raison.  Il  faul  le  dire  :  lesar^aimeids  du  conl'érencier  ne  pni-eid  idiran- 
lei-  la  tidrdili'  de  M.  de-  lierlliuganx  vues  de  K.  F.  Ilermann.  Il  ili'i  lara 
leuii-  {'luTu-e  el  huijiuirs  au  principe  du  i;rand  pliilnloj^ue  :  les  dia- 
logues de  la  ji'uin'sse  de  l'Iaton  soûl  ceux  im  IVni  ne  Irimve  eiu'ore 
aucune  Irace  de  la  Tln'cu'ie  des  Idi'cs.  el  ceux-là  seuls.  '{"(Mis  les  aulres 
soni  poslérieurs. 

Ajirès  le  maili-e.  le  disciple.  M.  Kanfuiann  Lucernci.  larislolélisaid 
liien  connu,  lui  un  lonj;  Iravail  iidilulé  :  /,  A'cc//  n'cfiiniiriil  i/i'anin-rl 
(lAiixIiilr  sur  lu  Ciinslilii/iiiii  il'AlhrDi's,  iliiiis  si's  rfi/ipaiix  rirrc  sfi 
l'oliliiiiir.  Dés  la  ]i\d)licaliiMi  de  cet  (uivraf^c,  la  iiiajorih'  des  criliipu'S 
y  a  recminu  la  main  du  Shif^irile.  Qiu'lques-nns  cependani  l'oid  i-évo- 
(pu'c  en  iliuile  (ui  nu'me  Irauidiemenl  niée,  .\insi  M.  I''riedricli  (^aner 
a  essavé  tienielire  on  coniradiclion  la  ('inixliliilion  d'Allirn/'s  v\  la 
]'<ilili(jiic.  M.  Kanfuiann  sesl  inscrit  en  faux  coidre  ces  |)rétendues 
c<ndradiclious  de  rA')r,vx:'(.)v  -'i'i.\-i':-j.  el  de  la  l'alilii/ue.  lîvitleinillenl  la 
mi'lliode  d'exposilion  dillére  dans  1  un  el  dans  l'autre  éci'il.  Mais  de 
niunlireux  ra])pro(dienienls  de  textes  ]>rouvent  ([ue  les  tendances  jioli- 
li(pies  de  la  Constitution  se  retrouvent  dans  la  l'oliliqur.  C'est,  là 
c(unme  ici,  une  même  prédilectiiui  pour  le  gouvernement  mixte,  cjui 
fondra  l'aristocratie  et  la  démocratie  en  un  régime  idéal,  en  une  con- 
stitution sans  défaut,  assurant  d'une  façon  absolue  »  la  vie  heureuse  » 
aux  citoyens.  M.  Kaufmann  lit  sa  démonstration  avec  une  abondance 
l'rudite  qui  ne  laissait  guère  place  à  la  contradiction.  11  finit  par  des 


;,  i  riiii.nstifiiiE  ;>;v  ;./•:  ci)m;hi(s  de  Mvsini  21& 

M'iuarqucs  l'orl  inhTcssaiilo  mu-  l.'i  l'.irdii  diiiil  sniiil  Tlimnas  av;ii(, 
repris  k's  |Friiiri|ics  poliliqucs  il  .\ri>liih'. 

Le  D'  Hacli.  /Icrhir  Miuinijini^  ili'  n'iiixcrsilt'  de  Munieli,  imus  parla 
encore  el  l)eaiiniii|)  d  Aristole.  Ce  lui  en  un  de  ces  essais  (u'i  se  com- 
]iiail  aiiJDurd'Inii  la  science  allemande,  ([iii  relrai'eiil  l'Iiisloire  d'une 
idée  et  son  i''V(ilnliiui  dans  la  |iliil(iso[)liie.  Avec  un  à-propos  délical, 
lorateiir  avail  choisi  ..  l'idée  de  Çathuliqur  dans  la  [iliilosopiiie 
grecqne  •■.  Ce  coneepl  el  son  expression  (-0  zaOoÀoj  se  Ironvenl  déjà, 
mais  nne  l'ois  senlenienl,  chez  Platon  Mcnoii.  77  A  .  C'est  Aristole 
snrlout  qui  en  a  d(''veloppé  le  sens  et  allirnié  la  porlee.  Pour  lui.  celle 
expression  indiipie  non  seulement  la  généralili'' el  1  universalilé,  mais 
en  même  lem|is  l'nnilé  de  l'ich'c.  (iràce  à  la  dill'nsion  de  la  doclrinc^ 
arislotélii'ienne.  ce  lerme  leclmique  ]>assa  dans  la  langue  courante, 
cl  nous  li'(Uivons  I  adjeclil'  /.-/.'lo/.'zor  enqilovi''  à  1  i'>poque  iiellc'Miisliifue 
|)ar  un  hislorien  comme  Polyhe.  Les  ajxilo^istes  le  prenneni  là  pour 
di''sif;ner  les  Icndaïu'cs  univiM'salistes  île  l'Église  naissante.  —  Tout 
cela  lui  di'veloppi'' avec  lieancou[i  de  linesse  et  une  perfection  litlé- 
raire  sensijjle  méune  à  un  étranger.  M.  W'illmann  lit  remarquer  une 
apparenle  singularité  de  cette  terminologie  d'.Vristote.  Le  philosophe 
oppo.se  sans  cesse  to  /.aft'oÀoj  à  -ô  /.aO'  ïy.-xt-'j'i .  Pourijnoi  donc,  après  la 
même  préposition,  dans  un  l'as  le  génitit,  dans  l'autre  1  accusatil'? 
Celle  difTerence  marque  une  uiianee  des  idées  elles-mêmes.  Dans  le 
premier  cas.  za-i  signilie  "  sous  »  ;  dans  le  second,  "  le  long  de  ".  au 
sens  distrihulit.  T'j  /.ï'i"  oÀoj,  c'est  donc  «  ce  qui  est  compris  .sous  le 
général  ■■  el  unilii''  |iar  lui  ;  to  zaft's/.aaTov,  «  ce  qui  se  trouve  en  chaque 
l'hose  prise  à  pari  "  loi'S(|u'iui  en  ]iarcoui-l  plusieurs  l'une  a[)rès 
l'autre.  Sui'  le  l'onil  même  de  la  (|uesli(ui.  .M.  .\.  DyrcdV  ajouta  que  la 
<loctrine  du  ■  calholique  ■  avait  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de 
la  Ihr'orie  de  la  connaissaïu'e  en  (irêce.  Les  Stoïciens  sindiiirenl  sur 
ce  [loint  nne  longue  polémique  contre  l'Aristoh'lisme.  Dans  le  cala- 
logue  de,s  o'uvres  de  Chrvsippe.  on  Irouve  un  Iraili''  inlitulé  KïOo/.i/.i. 
Il  ycombatlail  prohalilemenl  la  doclrine  du  -/.aOo/.oj  chez  ,\risl oie.  Par 
toutes  ces  luîtes  s'exjilique  la  l'orlnue  du  mot  el  de  l'idée. 

.le  signale  seulement  la  saxanle  (''lude  du  D'  Weniigk  :  "  Coup  d'o'il 
sur  la  valeur  philosophique  el  Ihéologique  d'di-igine  ■■  el  le  travail  de 
-M.  le  conile  Domel  de  Vorges:  "  l/Argnmeiil  de  saint  .\nselme.  ■■  Ms^l'ê- 
çheuard.  recteur  de  l'instilul  calholique  de  Paris,  en  lut  un  résumé, 
que  les  auditeurs  IronvèrenI  certainement  trop  succinct  ili.  Au  tho- 
misme lui-même,  mais  à  un  point  de  vue  plutôt  dogmatique,  se  rnl- 

i  1  )  I>a  Revue  de  Philosophie  publiera  ce  reniai'f|U.ible  tr.ivail  dans  le  numéro  d'avril. 


21(i  A.   HLMBEHT 

l;ii'li('iil  ili'ux  iiulrcs  coiirrrcnccs,  runc  du  I»'  .MaiisljMcli  .Mimslrr  mii- 
'■  1  Idée  de  la  peine  d  après  la  })liil(isophie  (■lirétieinie  ".  et  I  aulre.  du 
D' Mierl  I  Wiiiv.bourgi  sur  ■■  ri"ni(é  esseiilielle  du  erii-ps  el  de  làrne 
dans  riionnne  d'après  la  ddctrine  llioiniste.  el  sa  porli'e  en  Ihr'didjiie 
el  en  plidosopliie  ■>.  M.  Maushaeli  eoiultaltit  les  diielriues  |)enales  des 
Jni-isles  et  îles  philosophes  modernes,  en  jiarliculier  <Ie  jle^ei,  l'I  sou- 
linl  ehaleureusemenl  (pi'avec  saint  Thomas  il  lallail  Miir  dans  la 
peine  ••  le  rétalilissenienl  de  l'éiHMlibre  moral  rompu  pai-  la  lan'e  ». 
l'oni-  M.  Aliert.  I  union  de  l'âme  el  du  corps,  telle  (|ne  l't'xpliijue  saint 
'l'honias.  |)eut  servira  ri''S(Midrr  de  li'è>  im|iorlanls  el  Ires  nomlireux 
|u-oldèmes  théoloiii(pn's  et  ]iliiloso])hi(pies.  (Aimnu'id.  en  elle  t.  se  taire 
une  idée  de  la  transmission  de  la  faute  orit;inelle,  du  sens  du  domine 
de  la  n''surrecl  i(ui.  de  la  iialiu'e  um'Uii'  îles  s;irremeuls  el  de  leui'S 
ell'ets,  si  Ion  nCxpliipH'  pas  ce  mvslere.  oii  la  dualité  presque  ('(udiM- 
(licloire  de  l'àine  el  du  eorps  s'oppose  à  l'unité  de  la  personne?  I^a 
tlii''olo};ie  ascétiipie  elii'-uii'^me  es!  intéressée  à  ee  pi-(dilémi'.  I,a  iloe- 
Irine  thomiste,  eu  l'aisant  de  I  ;inu'  \;\  forma  corjinrh.  indicpie  la  vraie 
valem-  et  la  uolilesse  du  corps.  L'ascèse  est  jusiiliée.  mais  dans  les 
limiles  du  Mpns  siinn  ni  nirpun'  soiin.  Non  nmins  i-iche  de  iMuisé- 
ipuMices  sur  le  terrain  |diilosophi(pre  se  di''cèle  cel  le  doctrine,  h'.lle  est 
à  éi;ale  dislance  du  mat(''rialisme  el  il  un  spiritualisme  l'troil  el 
aveufi;le.  i'ille  peul  rendre  comple  de  la  nature  ri  de  la  ti,eni'se  des 
phi''UOmènes  ipi  l'I  uilieiil  la  ps\  cho-|ih  \  >iiilof;"ieel  la  ps\clio-pat  lioloi;ie. 
I.e  raiilurhis  viiiiilis.  ipn  lie  la  substance  iidellecl  uelle  à  la  snli-.lauce 
cor|iorelle.  peul  scrvii-  à  di''lermiuei-  les  lapports  du  momie  interne 
el  du  monde  exIeriH'.  Il  en  est.  Aw  moins,  la  condition  rondameulale. 
Saint  riiomas  s  est  un)ntri''  là  comme  parloni  le,t;i'and  concil  iateur  de 
doctriiu'S.  Kl  c'est  aujourd'liui  encore  l'ieuvre  de  la  philoMipliie  chré- 
tienne d'ouvrir  celte  riu  iiicilin  oii  les  oppositions  dnclriuales  dispa- 
raissent et  on  les  apparentes  contradictions  de  la  réalité  el  de  la 
pensée  se  résolvenl.  M.kanrmann  l'ail  i-emanpu'r que  les  phénomi'iu's 
de  sni;i;esliou  a|i|)uieut  la  vérité'  de  la  doclriiu'  thomiste,  qui  i-ej;arile 
l'j'nue  coumu'  le  princqie  plasi  iipie  iln  corps.  J.e  I)' SicUenlier.ner  Pas- 
sa u  i  indiipn'  liuqioi-lance  de  celte  solution  au  point  de  \ue  est  hé'tiqne. 
L'idée,  dans  I  omivi-c  d'art,  devient  là  encore  fiiniia  rorpiii-is.  Tons  ces 
avanlaiii's.  cepeinlaid.  ne  con\  ainqueiil  pas  le  l>'  Haum^arluer  l''rei- 
linrg-i-B.  :.  L  iih''c  el  le  rôle  de  la  ui'i/i'iia  priiiiii  clie/.  saint  Thomas 
lui  sendilenl  singulières,  et  la  cinuparaison  de  l'union  de  la  l'ornif  el 
de  la  maliéi-e,  par  exeuqde  dans  iiiu'  colimin'  sculpti'e.  que  M.  .Vherl 
a  emplo\i''e.  ne  lui  l'claircit  pas  ce  ]ioinl  de  la  docli-ine.  I  te  un' me  pour 
l'action  de  I  :ime  sur  le  corps. 


i.A  i'iiii.ii>nriiiE  i:r  u:  ruMnii-s  /»;•;  Mtsicii  n' 

M.  H;unnf;ai-liH'i-  stMiiil  du  n'slc  rései-M-  de  revenir  sur  cette  ([ucs- 
lidu.  Tout  eu  se  déreiulant  dapporter  des  conelusioiis  positives,  il 
inoiilni  nettemeni  (pu-  la  doctrine  si  bien  exposée  par  M.  Aberl  ne  le 
salisl'aisail  jkis  cmiiplclemenl.  A  la  théorie  de  raotioii  réciproque  dr 
l'àiiie  sur  le  ciuiis  el  du  ciu-ps  sur  ITuiie.  il  opposa  la  doctrine  luu- 

<li'i- lu  parallélisuie.  A  ])arlir  du  xvir'  siècle,  il  semble  que  la  philo- 

so|diie  iireiuie  de  plus  en  plus  conscience  de  l'impossibilité  de  conce- 
voir une  action  du  matériel  sur  le  spirituel,  et,  aussi  bien  de  celui-ci 
sur  celui-là.  Comment  ex])liquer  par  une  poussée  d'éléments  maté- 
riels les  états  de  l'àme?  El  quel  moyen  de  surprendre  la  causalité  des 
pensées  et  des  images  sur  l'organisme  corporel"?  De  là  cette  tendance 
<loclrinale  de  plus  en  plus  marquée  chez  les  modernes  :  les  états  de 
r.nucel  ceux  du  corps  sont  [laralléles.  se  développent  sur  deux  ligues 
dilViTi'utes.  mais  coordonnées  de  telle  laciui  i(u'à  cliai|ue  point  déter- 
miné (le  l'une  C(U'responde  un  point  d(''terminé  de  l'autre.  ,\u  tond, 
les  partisans  du  parallélisme,  qu'ils  le  vi'uilleul  mi  non,  s'iuspireiil 
de  l'explication  niécanisie  de  l'univers.  La  nature  est  un  toul  fermé, 
el  son  explication  scientilique  re|)Ousse  tout  principe  de  contingence. 
Si  l'on  suppose  qu'il  y  a  des  élals  de  la  matière  qui  sont  les  elVels 
(l'une  cause  extramatérielle,  on  rend  la  science  impossible.  De  plus, 
la  loi  de  la  conservation  de  l'énergie,  qui  n'admet  que  les  strictes 
éipiivalences.  serait  violée  |iar  ces  intrusions  de  la  causalité  psychique 
dans  la  série  des  phénomènes  matériels.  De  là  cette  afiirmation  de  la 
véritable  •<  incommunicabilité  •>  des  deux  ordres  de  faits.  M.  Baum- 
garlner  n'admet  pas  cette  application  absolue  de  lois  purement  phy- 
si(|ues  au  domaine  psychique.  Les  théories  jusqu'ici  proposées  lui 
paraissent  bien  insuffisantes  et  de  nouvelles  recherches  à  ce  sujel 
fort  nécessaires.  Le  D"^  Koch  (Augsbourgl  fait  remarquer  que  la 
science  moderne  tend  de  plus  en  plus  à  résoudre  les  corps  malériel> 
en  forces.  Cette  idée  une  fois  acceptée,  il  ne  semble  pas  impossible 
d  admettre  l'action  réciproque,  la  combinaison,  la  réaction  des  forces 
]iliysi(pies  et  des  forces  psychiipies.  C'est  sans  doute  une  transfor- 
mai inn  assez  lointaine  de  la  doctrine  substantialiste  de  saint  Thomas: 
mais,  ajoute  M.  Koch.  ■■  l'étude  nécessaire  de  la  philosophie  de  saint 
Thomas  ne  peut  rem[ilacer  l'étude  de  la  philosophie  moderne,  ipi'il 
laut  tout  aussi  u(''cessairement  connaître  ■>. 

Inir  l'étude  du  passé  à  celle  du  présent,  telle  avait  été  précisément 
la  lin  (|ue  s'était  jiroposée  le  D"^  Von  Schiniden  exposant  "  la  doctrine 
de  Schelling  sur  la  siuirce  des  vérités  éternelles  ",  et  en  la  comparant 
.lux  idées  de  saint  Thomas  sur  le  même  sujel.  Pour  l'auteur  du  Sys- 
ti'mi'  de  philoso/iliir  Iriitismndiinlalc  el  du  Hrinio.  ou  le  J'nnripp  fliria 


218  A.  HIMRERT 

el  iialuri'l  di's  rhoses.  Dieu  est  l'absolu,  (•'osl-à-din'  ImIisoIui'  ideulilr 
(le  l'dljjpclil'  et  «lu  subjectif.  Mais,  étant  l'absolu,  il  est  l'absolue  eon- 
iiaissance.  Quelle  qu'elle  soit,  eelle-ei  suppose  un  objet  et  un  sujet  : 
l'absolu  i|ui  se  ronnail  se  pose  donc  iuliniiuent  comme  sujet  el 
coumie  objet.  De  là  une  dilTérenciation  qui  i-ésidte  de  l'essence  mèuu- 
de  l'absolu.  Ce  (pii  est  ainsi  coiu'u  comme  une  différence  cpundita- 
live,  n'élaul  plus  l'identité  absolue  du  sujet  et  de  l'objel,  n'a  pas.  à 
proprement  parler,  dexi.stence  en  soi.  Mais  il  existe  relativement  à 
l'absolu  et  à  Dieu.  Les  êtres  linis,  les  choses  .sont  donc,  mais  dans 
J'.\bsolu.  dans  les  blées,  dans  leurs  raisons  inliuies.  résumées  elles- 
mêmes  el  identi«|ues  les  unes  aux  autres  dans  rid(''c  des  Idt'es.  eu 
Dieu.  Ces  idées  sont  les  vérités  éternelles.  (')n  voit  les  rapports  r^lioils 
que  l'on  peut  établir  entre  cette  doctrine  l'ondamenlale  de  Scliellini;- 
cl  la  théorie  des  <'  e.vemplaires  éternels  des  choses  >•,  telle  que  saint 
Thomas  l'expose.  Pour  l'auteur  de  la  Somme,  l'essence  divine,  elle 
aussi,  renferme  en  soi  les  nolnlilalfs  omnium  l'iiliiim.  Les  êtres  réels 
sont  les  "  imilalions  "  de  ces  archély|)es,  de  ces  idées  divines.  Ils 
siuil  iuqiarlails  en  eu\-uu''mes.  c'esl-à-dirr  imii-èlres  relatifs,  connue 
eut  dit  Schellin;;.  .Mais  ils  sont  en  Dieu,  par  linlcrmédiaire  des  iilées, 
prr  miiilnm  jir/fi-cliiinis.  V.n  ce  sens.  Dieu  renfei-mc  Ion!  l'être  de  Irms 
les  êlres;  il  es!  le  seul  êlre  vr^rilable.  Les  êtres  liais  ne  se  dêlermi- 
neul  el  ne  se  délinissenl  ((ue  par  des  né}j;ali(uis  et  des  limilalions. 
M.  Willmann  admit  ces  analoi^ies.  11  appuya  cependant  sur  ce  point 
ipu'  elle/.  Schelliufi-  l'expressiiui  au  moins  es!  paul  lii''i-liipu'  cl.  par 
conséipienl,  que  sa  docll-iiie  dillêre  essentielle ni  de  la  peu-^i'c  llio- 

UMStl'. 

C'est  précisémeni  dans  li'  l'anlhêisme  cpie  le  I)'' Scherer  (Wiirz- 
bourj^i  voit  le  j;raiid  péril  de  la  pliilosoi)hie  c(Mitemporaine.  Aussi 
..  la  critique  sIricUMuenI  scienlilii[ue  du  Paulhéisme  est-elle,  pour 
lui.  l'un  des  principaux  devoirs  tie  notre  leuqts  ».  Les  cercles  lelln's 
el  sérieux  ne  se  laissent  pas  prendre  aux  j^iossiers  paralogismes  de 
syslêuu-s  matérialistes,  (jui,  par  hypothèse,  se  nient  et  se  détruisent 
eux-mêmes.  Mais  ils  son!  [dus  accessibles  aux  siibliles  explications 
des  doctrines  panlliéistii|ues  de  ILnivers.  Ces!  ci'  que  prouve  le 
succès  de  ces  doctrines  iiarmi  les  lillérateurs  du  siêcli^.  Depuis  Spi- 
noza, le  fondateur  du  Panthéisme  uu)derue.  se  dessineni  de  plus  en 
plus  nellement  dans  la  philosophie  ces  deux  counuds  op|)Osés  «lidées, 
<liuil  l'un  admet  l'identité  radicale  des  êtres  avec  l'Être,  el  laulre  au 
contraire  affirme  une  ditTérence  de  nature  entre  le  divin  el  l'humain. 
M.  Scherer  caractérisa  la  position  de  Leibnilz.  de  Kant,  de  Hegel,  de 
Schopeidiauer  et  de  Schelling  vis-à-vis  du  Panlliéisme.  Puis,  il  s'al- 


/.  l    l'Illl.nSiil'tlIh:  ET  LE  ((iMil!ES   DE  MISIIil  -il'.l 

l;inla  >iii-  la  r.icun  diuil  .1.-11.  l-'irlilc.  le  lils  du  rcIcInT  |i|-iir('ssi'li|-  de 
liiM-liii.  avail  l|-ail(''  ri'llc  dciclriiii'  dans  le  livi'c  ijn'il  a  ciMisaciV'  à  la 
iiiiMiKiii'c  |>alcriit'llc.  \\\  l'aiiIlKSsiiic,  llcnnaini  j-'ich  le  (iiipiisr,  i-uiiiiiii' 
II'  seul  s\  sien  le  lii,L;ii|in'  cl  |ii-al  icpir,  le  "  I  hcisnii'  nuirai  ".  Le  I)'  SInl/.lc 
(  W'iriv.lKMiri;' I  (h'rlara  i|nc  le  in'cil  achirl  l'Iail  pinh'il  dn  laili'  du  inali''- 
i-ialisnic.  (|iii  allirc  les  saxiuils  |iMr  ses  a|i|ian'nc'('s  de  i-ii;ncni'. 

.M.  Slol/.lc  plaidail  jiro  ddiim.  O  ipii  scinlilc  rin(|nicli'r,  ce  son!  les 
prdgrrs  de  la  ddrlrinr  l'YnIulidiinisli'.  Il  ('\|Misa.  avec  une  s\in|>alliic 
iiiari|U(''('  |iiiiii'  le  ^rand  aiialdinislc  alli'iiiaad.  "  la  [xisilidii  de  K<dlll\i'i' 
m  laci'  du  hai-\\  iiiisini'  ".  Ivillikrr  csl  un  uiailrr  de  la  /.ddldi^ic  cl  de 
raiialdinii'  cdiniiaiM'c.  (  )i-  il  allii'nir  I  ini|iuissanc('  de  la  S('di'clidM  nalu- 
i'(dli'  à  iTudi'c  NiTiMlilaircs  les  cviraclrri's  les  plus  insij^iiillauls.  Il  a 
rdiuhalhi  sui-lind  la  cidclin'  loi  liidfivnétiqni"  ili>  lla'rki'l.  .\  hicn  i-i)\\- 
^iiliTcr  les  Idrincs  anahuiiiipics  ri  leurs  cni'hainiMnrnls.  il  csl  inipdS- 
sililc  de  lacllrc  sur  le  nubile  pied  le  déxadoppenicnl  di'  i'iinlividu  cl 
i-elui  de  Tospèce.  I.a  pliilo;j;('ni(i  n'est  pas  parallèle  à  Iduld^iMue.  Kol- 
likcr  adnii'l.  il  l'sl  vrai,  uni'  i''Vdluli(Ui  des  èlres  el  désespères.  .Mais 
de  celle  l'Vdlnlidn  les  causes  soûl  tout  internes  el  puinl  nii'eaniipies. 
Les  èlres  se  Iraiisl'iirnient  sous  l'aetioii  comliiiu''c  de  leurs  lendanccs 
el  de  leurs  pouvoirs.  I'',l  ces  Iransforinal  ions  pcuxeni  l'I  l'c  alisolnnienl 
lirusipies.  Le  D'  .Ma\  Kllliii^or  Miiuichi  demanda  à  M.  Stol/.le  de  pri'- 
cisci'  un  peu,  el,  surtout,  de  distinguer  nelleineiit,  dans  le  Iransl'or- 
uusnie.  la  lin''  iric  de  la  sideiiiou  nainrelle  el  celle  de  la  descendance. 
I>a  première  csl  niorlc  scicnl  iliquemcnl ,  mais  l'aidi'c  csl  admise  de 
presque  tous  les  nal  ni-alislcs.  Kullikcr  Ini-mi'uic  l'a  didcndiie. 

C'est,  encore  au  vif  des  ipieslions  (•ont<'nipoi-aines  ipu'  si'l.iil  placé 
le  !)'■  A.  Dvroir  '  Miinicli  ,  dans  sa  conférence  ■.  sur  la  nolion  des  dis- 
positions ]isycliiqucs  che/.  W'ilhel  m  W'n  mil  ".  .\  quelle  lliiMiiac  de  I  ;'ime 
l'élude  expérimentale  des  faits  a-l-idie  conduit  le  i!,'ran<l  psycliolonue 
de  Leip/.ijj,?  Si,  au  lien  d'opérer  sni-  les  alisli'actions  ordinaires  ilii  lan- 
f;,-ii;e  psyclioloj^iipu'  ;  sruliiiiriils.  (Ii'.iii:s,  ro/iliims.  doni  l;i  scène  inlerne 
est  cette  auti-e  al)straclion,  la  coiisciinirc,  si  nous  laissons  s'évanouii- 
tontes  ces  ticti(nis,  nous  n'avons  plus  en  l'àme  qu'un  "  devenir  inlerne 
incessant  •>,  où  l'on  lU'  peid  tracer  que  d'arliilraii-cs  di'limilal  ions. 
Sont  seuls  réids  les  états  particujiei-s  de  notre  expérience  interne. 
Mais  alors,  comment  conqi  rendre  lesell'els  d'Irospeclifs  d'un  T'ial  passé 
sur  un  l'Ial  ;icl  ucl?  (lommenl  sont  possibles  ces  i''clios  de  la  vieanlé- 
r'ienri>  dans  la  vie  présente'.'  C  est  ce  à  qn<u'  W'nndI  a  essayé  de 
ré'pondre  par  sa  Ihéiirie  des  dis])ositions  psychi([ncs.  Mais  ces  dispo- 
sitions |)sycliiqups  iiei'sistenl-ellcs  à  ri''lal  inconscient  '.*  Si  elles  restcnl 
finremenl   iisycliiqnes,  il    Icni'  l'aul    nu  sujet   d  iulir^rcncc   Si  elles  ne 


■l-2i)  A.  IIUMIîEKT 

Sdiil  i|iir  lies  li'iiihiiicrs  |)li \ si(iliiiiii|in's  ('iiiiiiaiiMs'mi'M's  il;iii>  l'orf^n- 
liisiiic,  c'csl  riiiciiiii|U'i''lu'nsilil('  |)assaf;c  îles  Irinlanccs  pliysii)l(igi(|U(^s 
à  dos  étals  ps.volii(|iirs  (■ai"icl(''i'ist''s.  Rn  sdinmc,  (■(iiiimc  le  ilil  M.  l)y- 
l'oir,  les  disposilidiis  psycliiipics  ri'siciit  des  "  liinniiiviili  i\\\\  ne  sont 
ni  rli.iir  ni  jidisson  ■',  un  concept  l>àt<ird  ijui  llollc  cnli-e  Ir  conscient 
el  l'inconscient.  A  celle  line  étude  critique,  pénétrante  et  décisive,  se 
souda  UNI'  discussion  sur  rinciuiscient,  enti-e  le  D'  iMidler  i  Munich  i  el 
le  D'  IMeiHei'  i  Dillini^cn  i.  Chacun,  du  i-esle.  coucha  sur  ses  positions. 
M.  IMViUér  esl  très  ])arlisan  de  rim'onsciiMit,  Il  sallacha  à  nous  en 
d(Mn(inli-er  j'exislence  d'une  façon  pour  ainsi  dire  cxpériiuenlale.  Ce 
l'ul  en  une  ci ui l'érence.  J  allais  ilire  nue  nia.nipulal  ion.  sur  "  l'acte  psy- 
cholo};i(pu'  de  la  pi-ojcclion  apiiiiipn''  a  la  iiii'usuraliiui  des  oniles 
linnineusos  ■■.  L  aclc  de  la  \isiiin  e-^t  lii''  à  un  acte  ili'  projection 
psvcludojiique.  dont  iiiiiis  naxdiis  pas  conscience.  Celle  projccliiui 
]i>\iho-|ili\  siipic  inconsi-ienle  est  en  tout  seud>lal)le  à  C(dle  ipii  se 
pi'oduil  dans  les  expériences.  Iiien  connues  des  ph  \  sicieiis,  sur  la 
lunnére  polarisi'c.  M.  ITeiU'er  a\ail  appoi'li'  un  jielil  appareil  de  son 
iuM'ulicHi,  (|ui  lui  sert  à  mesurer  les  (unies  lunnnenses,  et  reuii  sen- 
sililes  les  uioiinli-es  varia  lions  iln  spectre  sur  un  ('■cran  noir.  Il  assimila 
à  ce  phénomène  cidni  ipii  se  pi'oduit  piuu'  l'arc-en-ciel.  \\\\  réalité, 
rarc-en-ciel  n'existe  pas  dans  les  i;(Uitles  d'eau  (pii  Innl  suiiir  à  la 
lumière  s(daire  la  i'i''t'racti(ui  étudiée  L;éoniétri(pu'uienl  par  les  [diysi- 
cieiis.  C'est  une  projection  inconsci<'nle  (pii  s'opère  |ihysiol<ii;iipu'- 
menl  dans  l'or.nanc  visuel.  Nous  rinler|U'i'l(Uis  psyidiido^icpiement 
]iar  la  localisation,  dans  l'espace,  de  l'arc-en-ciel.  Les  ,i;oultes  d'ean  ne 
S(ud  pas  color(''es  :  c'est  nous  (pii  projetons  le  specirc  visuel  el  lui 
altrihnons  une  olijeclivih''  cpi'il  ne  peut  avoii'  à  aucun  litre. 

Sans  lransiti(Ui  —  conmie  an  Conjurés  lui-uiéuu'  —  passons  aux  pins 
hau-les  (piestions  de  la  morale  et  de  la  mélaphysicpu'.  W'-  i'rior  i)0sa 
le  li'rave  ]>rol)lèuie  du  caractère  de  la  >•  pressiiui  de  la  loi  morale  sur  la 
vohudi''  de  l'Iuuume  i.  Le  |t'  l-'ischer  Wlir/.lioui-^  piipia  dès  l'ahonl 
la  ciiriositi''  par  le  titri'  de  sa  ((uiré^rence  :  ■■  Le  princi|ie  de  ndativiti' 
c(Homi'  clelpoui-  la  solution  des  j;ranils  prolilèmes  philoso[ilii(|iu'S.  ■• 
Ln  réponse  à  l(Uiles  les  questions  tinales  (pu'  se  pose  la  pensée,  ou 
Inuivi'  dans  l'histoire  de  la  philosophie,  pcuu'  chacune  d'(dles,  deux 
solutions  extrêmes.  Devant  ces  at'lirmatifins  contradictoires,  ipie  l'aire? 
Uesler,  nous  conseilla  M.  Kischer.  dans  un  juste  milieu.  Là  est  la 
vérité,  car  toute  al'lirmation  alisolue  dans  le  (huuaine  du  Uni  est  huisse 
radicalement.  —  Ce  lut,  je  dois  le  dire,  un  désappoinieuu'nt  j^énéral. 
M.  Hauni};artiu'r  ilemanda  à  riionorahlc  prtdat  ipndle  position  inter- 
médiaire était  i>ossil)le.  dans  le  ])roldemi'  de  la  connaissance,  entre  le 


LA  l'iiii.iiSdi'iiii:  i:r  ;./■:  myciiKs  m:  mimcii  h; 

ri'aiismi'  et  l'idi'jilisinc.  l'ii  aiilri'  i'i'ilii|iie  lit  ri'iiiar((iii'i-  ([ui>  ce  juslr 
luilifu  n'Ialil' posUilé  |>.u'  M.  Kisclicr  riail  liii-inr'iiic  un  alii^olu.  l/nra- 
Iriir  tint  J)iin  cependant  :  pcut-i'lre  Uciil-il  lnui  ciiruri'. 

Di-  tdiil  aulrc  |>oi-lée  fut  la  conférence  ilans  la(|ii('lli'  le  ])MI.  Scln'll 
Wui-/.liiMii'i;'  ctiulia  «  le  problème  de  la  coniiaissanec  ■■.  De  loiil 
lcin|is,  r'a  i'[r  \f  souci  (li's  |ili ilosn|i|ii's  de  Irouvcr  le  mystérieux 
poini  dallache  où  l'idée  et  la  chose  prcuiicnl  contact,  s'unissent 
lune  à  lauli-e  sans  se  confondi-e  et  gardeut  chacune  Icui-  caractère. 
en   a|i|>areiii'e  contradictoire,  lune  de  sujet.  l'aMlre   dolijel.    A   i|nel 

sii^iie  la    pensée   affirme-t-elle   la   réaliti'  de   x h.iel '.'    Il    n'y   en   ,i 

<|u'un  :  ce  sif;ne.  c'est  la  causalité.  Ton!  ce  (|iii.  par  rappoi'l  ,i  nous, 
est  dt''sii;iii''  eoniuie  cause,  nous  l'aftii-nicuis  iinnir'dialenii'nl  connue 
rt'cl.  .\ussi  le  monde  des  objets  se  ri'sont-il  pour  nous  eu  une  inlinilT' 
de  choses,  c'est-à-dire,  le  nom  1  indi(pie.  de  causes.  Mais  alors,  si 
être,  c'est  ai^ir.  l'intellii^ence  elle  aussi  est  es.sentiellement  active. 
Toute  ac(piisitiou  réelle  de  l'esprit  est  le  résultat  d'un  déploiement 
de  celte  activité  iuterne.  Et  la  représentation,  elle  encore,  qui  semble 
être  cependant  la  |ini'i'  imaj^i-  réfléchie  du  monde  dans  l'esprit,  n'a 
pour  rions  de  valeur,  c'est-à-dire  de  réalité,  ipu'  |>aree  ipu- .sou  cou- 
tciin  nous  impose  des  devoirs,  nous  oblige  à  rendre  de  pins  en  iilns 
l'esprit  maitre  des  choses  représentées,  à  tendre  sans  cesse  et  indé- 
liuiment  vers  la  souveraineté  absolue  de  la  pensée.  Le  réel  entre 
.•linsi  en  c(Uitact  avec  ce  qu'il  y  a  de  pins  intime  l'ii  inuis.  avec  notri' 
cire  moral,  ipii  l'entraîne  ave<-  lui  dans  une  ineessaide  ascension 
vers  le  bien. 

I,a  couféi-eiH'e  enl  gi'and  succès.  Ce])endaiil.  (-(unnie  il  est  naturel. 
•~n luirent  des  objections.  La  principale  fut  celle  qu'exprima  le 
If  Kinlres  Regensburg  .  M.  Schell  s'était  placé  à  un  point  de  vm- 
liieu  jibis  iuiiologi(pie  que  noi''ti(ine.  Il  n'avait  pas  expliqué  comment 
la  causalité  est  jiour  nous  le  seul  critérium  de  la  réalité.  Il  s'était  con- 
tenté de  l'aftirnu^r.  Ce  n'était  pas  le  ••  problème  de  la  connaissance  ■> 
<pril  nous  avail  cxpo.sé,  c'était  le  -  problème  de  la  réalité  ». 

La  secli(ni  de  |>hilosophie  termina  ses  séances,  comme  il  convenait, 
sur  des  jiaroles  amicales  et  des  au-revoir  de  sympathie.  Elle  avail 
rempli  son  programme  avec  sérieux,  parfois  n(ui  sans  éclat.  Aussi 
ses  joutes  intellectuelles  laisseront-elles,  à  tous  ceux  qui  s'en  don- 
nèrent le  siieclacle,  un  sonviMiirà  la  fois  agréable  et  suggestif. 

.\.   IIIMBLUT. 


LE 


IV^  CONGRÈS   INTERNATIONAL   DE   PSYCHOLOGIE 


Li'  IV''  Conf;ri''S  iiili'i'iiiiliiin.il  de  |isyclM)ln};ic  s Csl  Iciui  ;"i  l*;iris  ;m 
piihiis  (les  Ciiii^rôs.  i  la  lis  l'eiici'iiili'  di'  1  Kx|iosilii)n.  du  -H^  an  -2'>  août 
l'.HIII.  siMis  la  |iri'sicli'iicr  ilr  M.  liiliiil.  iiiriiilin'  ilc  lliisliliil.  iii-iilc— 
sctir  au  Collc^i'  de  Kraiici\  l't  dii-cctciir  de  la  llmic  iiliiliisnjiliiijin-.  l'I 
la  vic('-])résid('iic(' di'  M.  l{l(lifl.  iirufcsseiii' à  la  Kacidli' de  iiu'dcfiiic 
de  l'ai-is  cl  dii-ccli'iir  de  la  /trrar  scicili/iiiiic  1  .  \):\t\>  sa  |ii-ii|iaf;aiid<' 
|i(iiii'  n'iiii'illii'  des  adhésions.  Ii'  Çiiiiiilt'  or^aiiisali'iii-  sV'Iail  iiis|)ii-r' 
iliiii  lihi'i-alisiiic  ilnid  il  faiil  lui  savoir  ^rç.  Le  (',oiij;fr's  lui  lai'ntMucul 
uiixcri  à  tiiulcs  1rs  idi'cs  l'I  à  IduIcs  les  Ikiiiiics  volcnili'S.  Hiiil(ij;isl('S. 
aullil-(i|iiil(>i(islrs.  nn'drciiis  s  v  soiil  dimni'  i-ciidr/.-\(Mi>  avec-  les  |is_v- 
(■|}c)liii;ui's.  saus  aucun  parli  |ii-is  de  syslrnir,  {Kinr  a|i|iiiilcr  Iciu's 
(■uni  l'iluil  iiins  à  la  si'icuci'  de  I  àini'.  I,i'  uinubrc  drs  adhci'i'nls  s  csl 
l'IcM'  à  îT().  |iaruii  lcsc|ncls  nue  (|niir/.aiinMrcc<'lr'siasl  ii)ucs(|ui  avaient 
!■[[  à  cdMir  de  i-e|ioiidi'e  à  l'apiiid  si  IVaiuMuMlieiil  liival  de  M.  le  I)'  Pierre 
.lanel.  secrétaire  i;('ni''ral  du  Conjurés. 

Dans  le  discdui's  d'cMivert  ni'e.  M.  Uilmt  a  résuiué.  avec  la  clarti' 
([U  cui  lui  ciHinail.  l'euseinlile  des  travaux  |is\ cholof^iiiues  [inldie^ 
depuis  le  Congrès  de  Muuicli.  siguali'  les  (|iu^slions  qui  paraissent 
avoii-  lixé  les  pr'él'erences  des  psvchologues  C(udeuiiiorains  et  eelle> 
(|ni  oui  l'ir  le  plus  ni'j;lii;ées.  nionlr('  ce  qui  reste  à  faire  poiu' met I  re 
eu  valeur  les  résultats  acMjuis,  et  li.iter  le  |)roj;rès  des  scieui-es  psy- 
<dn)loj;i(pn^s  :ii.  A  la  nn"'nie  séaiu-e,  nous  avons  entendu  M.  h;i)liin- 
gliaus.  |U'ofesseur  à  rrniversit('  ili'  Hn-slan,  qui  a  tracé  le  parallèle 
de  la  psychologie  du  couiuieucejin'ut  du  siècle  el  de  la  psychologie 
aciuelle,  insistant  surtout  sur  les  lacniu's  de  la  priMiiière  el  les  mé- 
thodes nouvelles  de  la   seconde.  Ces   diMix    discom-s   se   comph'taienl 

(Il  Le  i"  Congrès  internatiiinal  de  psychologie  E"était  tenu  à  Paris  pendant 
l'Exposition  de  1889,  le  11'  i  Londres,  le  111'  à  Munich. 

(2)  Ce  discours  a  été  publié  dans  la  Hevue  srieiitiliijue.  22  septembre  rjO:i. 


;./•:  IV'  rn.\7,;i/:s  /.vviîH.v.vv/o.V-u.  /*/•:  i'syciiokk.ie        as.i 

l'un  riiiilrc.  et  cdiisl  il  iKiiciil  p;il'  Icili'  i'('Miiiiiin  iiiic  siirlc  ilc  mise  :iii 
(Kiiiil  lie  \'c\:\\  lies  clinlcs  iisy('liiili)i;i(|ii('S  à  l.'i  lin  ilr  ci'  sircir. 

l.i'S  Irav.inx  dn  (l(Mi^'n''s.  Iccliircs  cl  discnssidns  des  MiciiKun's, 
Mviiicnl  ('le  disli-iliui'S  en  sc|il  secl iiins  M\ n id  cdiaciine  son  présideni 
cl  siui  linrean.  I,;i  l"'de\,iil  s'iiccn|ier  de  l.i  l'siiiltiilogie  dans  si'.i  riiji- 
•jHirts  iirci-  l'inuihiiiiii'  <■/  lu  iilKj.sio/fKjic,  la  i''  de  la  Psyriiol.oi/it;  in/rn- 
xpcclivr  ddiis  SCS  rii/jjiuiis  avec  la  philosophie,  la  ;{''  de  Psijcholo'iif 
i>.vp('-rimenla/e  el  di'  Psiirhu-phiisiipic.  la  V  de  l'si/cho.logii'  ptithologiqin' 
ri  dp.  Psijchinlrii',  la  .'l''  de  la  Psi/cholugic  de  rhijpnolisiw,  di'  In  siig- 
(jcslion  l'.l  des  questions  ronne.vi's,  la  (V  de  Psiji-holnijie  soiùnle  ri  dr 
psijcholoipe  criminelle,  la  "''  de  l'sijrhnliiijir  nnninilr  et  romjinrrr. 
d'nnlhriijudoiiie  ri  d'rlhnolfMjie.  Les  rt)iriiiHMiieali(iMS  d'un  inl('i'("'l  pins 
(■■lendn  devaieni  se  l'aire  dans  des  séances  ^c'Miéralcs. 

Ne  n{nid)re  des  Iraxanx  présenlés  a  dT'passe  l.'iO.  Nous  n  avons  pas 
à  en  l'aii-e  ici  l'analyse  (11.  Ponr  |i(n'leL'  un  ini^cnienl  bien  nuilivé  sili- 
ces travaux,  il  l'anl  allendre  le  coiiiple  rendu  ipii  en  sera  publié.  Noiis 
nous  tiiirnerinis  à  indiipicr  soiiiinaii'ciMcnl  la  pliysininniiie  f^énérale 
dn  Contrés,  la  nature  des  coiiiiiinnicatidns  laites,  les  lendancos  (|iii 
s'y  S(nd  nianir('s((''es,  el  les  conclusions,  plus  ou  moins  provisoires, 
ipr(Ui  eu  peut   t  irer. 

M.  liiliot  a  t'ail  reinanpier.  dans  son  discours  d'ouverture,  (]ue  la 
plupart  des  travaux  psychidoi;i(pics  publiés  depuis  h'  Ombres  de 
Muni(di  porlent  sur  ili's  ipiesl  iinis  sp(''ciales.  C'est  aussi  le  caractère 
(lu  plus  t;rand  nombre  de  ceux  ipii  ont  ('dé  présenl(''S  an  Coiiji,r(''S  de 
Paris.  On  a  aliiu'di''  peu  de  ipiesliiuis  d'une  pindée  j;énéral(.'.  Ce  n  est 
|ias  I ritiiine  ((ue  nous  entendons  l'aire.  Mans  tout(!  science  expé- 
rimentale, il  faut  aller  du  détail  à  l'ensemble,  des  faits  aux  lois,  des 
observai  i(nis  et  des  ex]iériences  parlicnlii''res  aux  lli('Mn-ies  ijiii  les 
e\pli(pient.  l'Iiis  en  psyclndoj^ie  on  aura  donné  de  soin  à  ces  mono- 
j^rapliies,  à  ces  études  dont  robjel  esl  i-estreint  el  bien  ib'limité.  jdiis 
les  c(ni(diisions  {générales  (pi  (Hi  eu  tirera  aiironl  de  \ali'iir.  Il  n  eu 
esl  pas  moins  vrai  ipie  des  syiitliéses  parliidles  in^  pinirraieni,  ipi'i''!  re 
utiles. aux  éludes  psy(di(do^ii|ues  ;  (dles  feraient  i''(piilibre  à  la  disper- 
sion des  analyses. 

Parmi  les  tendances  ijui  se  s(Uit  manifesiées  au  C(Mi}i;rès,  il  faut 
d'abord  indi(iner  la  lendance  iiiat(''i'ialiste.  Les  laboratoires  de  psyclio- 
lo.ijie  sont  devenus  des  auxiliaires  précieux  dans  les  ('ludes  de  psy- 
(dio-pliysioloi;ie  :  (Ml  leur  doit  plusieurs  d(''C(Miverles  inléressanles,  et 

11)  l'our  plus  de  détails  nous  renvoyons  i  l'article  de  .\1.  M.\rili.I!-;r  dans  la 
Hevue  philosophique  du  1"  novembre,  et  à  un  article  de  VEnsei;/nemenl  chrelieii 
du  1"  janvier. 


224  Eii..  nruAM) 

les  rdiiiiiiiulicaliiiiis  l'.iilcs  ;'i  ilillV'i'cnIrs  sciiidiis  du  Coiif^i'ès  siitlirMicnt, 
;Vle  [irou  vor.  La  [tsycliologii'  clinifjiic  cl  tliiTapeuliquc  [x'iil-i'lli',  aussi, 
apporlor  sa  c(iiiti'il)uti()n  à  la  si-iciu'c  de  l'àiiii'.  Mais  Irniçil  |i<hii-  cous 
f[iii  se  livrent  à  ce  geni-e  de  li'avaux.  e'est  l'ideiililicaliim  des  iiliéiio- 
iiiènes  jisveliolngiijues  el  ties  pliéiioinciies  jiliysinldj^iqiies  i|iii  eu  sfuil 
les  eondilions  ou  les  efl'els.  i[ui  les  précècli'nl.  les  aeciiiii|iaf;ueul  ou 
les  suiveut.  Celle  uoir  lualéi-ialisli'.  (]ueli|iies  cou^i-essisles  l'cuil  l'ail 
enleadre  ouverleiui'id  (ui  à  inots  voilés.  .\(uis  ci'oyons  pourlaul  (|ue, 
|ioui'  avoir  été  ré[)élées  plusieurs  l'ois,  sans  beaiu'oup  de  proteslaliou, 
vn  section  pai'tieulière,  les  l'orniules  si  eliéres  à  de  trop  uails  nu'de- 
cins  :  que  la  pensée  est  une  fonelion  du  eerveau.  que  l;i  [isveliolofi'ie 
]iosilive  esl  la  seienee  des  fonelious  dé  Técoree  cérébrale,  auraieul 
Irouvi'  pi'u  d  imIio  dans  une  assemlilée  f^énéralc  du  Cim^rés. 

l'iHii-  liieu  marquer  la  physionomie  du  Congrès,  il  nous  parail  plus 
iuipni'laul  di'  >i_i;ualer  la  présence  de  ceux  qu'(ui  esl  e(Miveuu  d'ap- 
jicler  les  spiriles.  Ou  veniiil  de  l'iuider  ;'i  l'aris  un  Inslilnl  iisijrliiiiiii' 
iiilrriialioiial.  donl  le  pronrauiule  douuail  uue  lari^e  [ilace  aux  él  udes 
.sur  les  pliénoMièues  de  dédoul)lenienl  de  conscience,  de  sugf;eslion 
nu'ulale.  de  Iransinissioii  de  pensée,  de  lélépalliie,  de  lélékiiu-sie  el 
de  uii'diuniuih'.  Toui'  à  lour  M.M.  Itiljol.  Ocliorowic/.  de  Leinherj;, 
Myers  île  l.oudres.  l"liuiruoy  de  (ieuève  ariiruièreul  au  Congrès  la 
nécessité  de  mener  à  liieii  1  (cuvre  entriquise  |)ar  les  l'oudateurs  du 
nouvel  Inslilul.  Dans  ces  c(uiditi(uis.  il  élail  diflicile  de  ne  pas  Caire 
hou  accueil  aux  spiriles.  Ils  soûl  venus  i'[\  gi'aud  uondii'c  el  ils  oui 
|)laidé  leui'  cause  a\('c  ardeur.  Ils  ue  [)ouvaient  espéi-er  prodinre  la 
conviclion  che/.  tous,  el  leurs  ilémousiralions  oui  laissé  heaucou])  de 
di'liaucc  dans  Tespril  d  un  grand  uoudirc  de  congressisles.  Us  oui 
apporté  des  lails.  il  i-eslc  à  les  iulerpréler.  après  eu  avoir  iusiilué  une 
crilicpie  vrainu'ul  scicnlilique.  M.  l'Iournoy  a  bien  précisé  (|nelle  devait 
cire  l'alliliule  des  psycliologues  eu  lace  du  spiritisme.  C'est  pour  eux 
à  l'heure  aciuelle  uue  nécessiléde  s'occuper  des  phénomènes  occultes 
el  suprauoriuaux .  jusipiici  Irop  négligés.  Ils  doivent  le  faire  sans 
jiarli  |iris,  mais  avec  mie  extrême  rigueur  dans  la  méthode.  "  ^lieu.x 
\aul,  ilil-il,  dans  I  iulérél  bien  compris  et  pour  lavancemeut  même 
<le  la  science,  en  un  domaine  où  la  supersiition  est  loujours  prèle  à 
se  dounei'  carrière,  mieux  vaut  pécher  par  excès  de  |(rudencc  el  de 
ligueui-.  an  risque  de  se  Irompei'  ix'ut-étre  parfois,  el  de  laisser  mo- 
menlauémcnl  l'chapper  ([uehpu'  l'ail  intéressant,  (jue  de  se  relâcher 
dans  les  surveillances  nécessaires,  el  d'ouvrir  la  jxu-te  anx  folles  ima- 
ginalious.  <■  Il  insiste  sur  la  tendance  des  processus  subcon.scienis 
■de  mémoire  cl  d  iuiaginalion  à  simuler  des  communications  suprti- 


;.;■;  /\''  cii\(,iii:s  /.V7';;;;.v.ir;n.\.w.  ///:  l'svciKii.dt.ii-:        225 

iiiii'iii;ilc<.  ri  hi  diriiciilli''  il  ,issi};ii('i'  des  liinilo  ,'(  ci'S  priiccssiis.  i  )ii  in" 
|iimv.-iil  i|U('  SMiisri-in'  ,'i  ili"^  dlisi'i'V  ;il  iiiiis  sj  jmliciiMist'S.  Lrs  vriiis 
(isyi'li<il(iii;u('s  ju'  sci-diil  [las  liosliles  à  ctnix  des  spii'ilcs  (jui  se  f"-;!!-!!!'!!! 
(le  siihsiil  iii'i-  le  s|iin'lismc  au  s|iiritiiaiisiii('.  l/('lii(l(>  des  pli(''iioiin''iii's 
iwculli'S  |n'iil  servir  le  s|iii-iliialisiiie .  mais  il  .1  cl  il  aiiia  t(iiijiiiii-s 
d'autres  ri'ssiuirees.  el  il  eiuisei've  ses  aucieuues  pdsilioiis. 

Los  lualérialisles  el  les  s|iiriles  n'(''laieul  pas  loiis  les  e()up,ressisles. 
Ils  u'eu  l'oruiaieut  i|ue  le  pelil  iiundu-e.  La  .fraude  luajiirili' l'Iaieiil,  de 
l'ail,  siunu  lie  prolessiiui.  des  ps\eliiiliijj,ues.  el  des  ps\  rlinliin'ues  sans 
i''pillièle.  (In  a  l'ail  an  (loui^j-és  de  liiuine  psyehnlo.nie.  el  lieancDup  des 
niéuinires  pri''-.enli'S  I  ne  -.ernni  pas  sans  nlililT'  pnnr  la  seienee  de 
lame.  De  \>\u>  en  pins  la  p>\  eliiili)j.;'ie  ahaiulmine  la  voie  où  l'aNaieiil 
ent;ai;i''e  [l'i-ule  eai'li''sieuiu'  el  l'école  écossaise,  1,  iul  rospeclion  resie 
sans  doulç  à  la  hase  de  la  psycliuloiiie.  el  il  l'anl  ly  mainlenir.  mais 
sou  iusul'lisauce  dr'vieut  de  jour  eu  Jinii-  pins  manil'i'^le.  hin  l-'ranre 
comme  ailleurs,  le  enuiMUt  de  la  ps\  eho-pli  \sioloL;ie  sarrenine.  el  il 
est  (li''soi'uiais  impossilile.  le  l\  ''  (:i:)uj;rès  iulernalimial  de  psycholoj^ie 
l'a  uns  nue  l'ois  de  plus  eu  lumière,  de  l'aire  de  la  p'^x  elmloinie  seieu- 
liliijue  sans  liiiiliii;ie.  Il  ne  uiiu>  ili''plail  pas  de  le  ron-.!  ;i  lei-  :  relie  nni- 
crpliini  ilr  la  psyrliolii,i;ir  rs!  riiurormr  à  re>prii  de  la  ps\  rlioloi;ie 
pr'ripalélirirunr.  (le  u  esl  pas  le  lien  d'in^i-lrr  --iir  relie  niuroi-iiul  i''  ; 
daulrrs  mieux  ipialili(''S  ipje  niiu<  piiui-roni  le  laiie  dan-^  relie  revue. 
Cindeidons-uiins  de  dii'e  que  nous  approuMins  lianlenuMil  lidée  d  nu 
Coiiiirès  de  psyclioloi;ie  \r\  que  l'ont  compris  les  iirj;aiiisalem-s  de  relui 
de  l^aris.  el.  s  il  plail  à  Dieu,  nous  -ennis  pln-~  nomlirenx  an  prorliaiu 
(loniirès  ps\  rliidn,i;iipie  iul  eriia  I  ii  ma  1   qui  ^r  lieiiilra  a    linme  en    l'.IDl. 

Kli..    hlllAM). 


1  Neiis  mms  rcriuns  un  l'cproclie  de  ne  pas  menlionner  p.inni  les  méiiiores^ 
présentés  :  De  lu  flassi/iralioii  des  ruractères  cl  de  la  /ilii/sio/oi/ie  IniDuniie.  du 
I'.  Un. MOT;  Le  Peiip'ilélisiiie el  la  jiS'/r/wloifie  e.rperimenhile.  du  t'.  I'En.i..\i  iiE  :  I.1 
l's;/<hol(j;/ie  des  mijslifjnes.  du  P.  P.vr.iiEC  ;  la  ('rni/tmce,  de  .\1.  laldié  De.nis  ;  le 
'l'unat  lie  In  parole,  de  .\!.  l'.abhé  Tiukuy. 


SIGER   DE   BRABANT 


i;t 


L'AVERROISME    LATIN    AU    MOYEN    AGE 


KUide  ciitiqiiL'  ot  documents  inédits,  .pur  V.  Manoo.nnet,  0.  \>. 
in-l",  Fribùuri,'  (Suisso  .  IH'.t'.t,  liliraiiii-  de  ri'niversité,  cc(:xviii-l28  pages. 


!.('  ni)inl)i-('  l'sl  rcliilivciiu'iit  ^rand  dos  revues  françaises,  pour  ne 
rien  dire  de  ((dles  de.  lélraniier.  i|Mi  se  sont  (iceiipéps  de  cet  ouvraj^e 
(Ml  en  (Mil  diiiiiii'  le  e(]iii|i|e  l'eiidil.  di'|iiiis  la  /tmii'  lliinilish'  j[\si\\\'i\  la 
/trriir  (le  J'iiris  en  passant  par  la  Itniiin iiki .  |)'einlil(''e.  niuis  nous  asso- 
cions à  tons  les  éloi^es  dont  il  a  (''té  Idhjet. 

hisons  liinl  (le  suite  ponr(]uoi  laul  de  pi'riodi(pies  savauls  ont 
sifi'nali'  à  leurs  leclenrs  l'apparilion  de  ce  lixre  :  ('lanl  une  con- 
Irihnlion  à  l'élnde  de  l'averroïsme.  au  \iir  si(''cle,  clie/.  les  Latins, 
dans  rUnivcrsilé  in(''ine  de  i*aris.  et,  de  plus,  la  n'sui-rection  on  la 
reconstitution  d'une  lii;ui-e  à  peu  ]U'('s  efTacéc  (pioi(|iH'  (■('■N'dire  en  son 
temps,  le  livre  du  I*.  Maudonnet  intéresse  Ions  ceux  (pii  s'occupent 
d'histoire  f<énéi'ale  on  ecclésiasti(iue,  de  piiilosopliiç  o\\  de  tli(''ol(i,i;ie, 
(piicou([ue  étudie  l'évolution  des  idées  et  spécialement  de  la  pensét^ 
el  (le  lintlnence  d'Aristote  à  travers  les  âges;  même  le  (lanlo|)liile, 
le  romaniste,  et  le  ci-ili(|ne  tlliisloire,  et  enfin  le  curieux  d'aveidnri^s, 
car  elles  sont  singulières  celles  de  Sigerde  Hraliant,  (uil  \tu  fair'c  leur 
prolit  de  cette  lecture  ou  sim|>lemeut  s'y  plaire. 

L'ouvrage  du  H.  P.  Maiulonnet  a  |iaru  parmi  les  r'<//('(/«(i(Y/ ot'Iieiels 
(le  la  jeune  Université  de  L'rihourg,  tn'i  l'auteur  est  titulaire  de  la 
chaire  d'Histoire  ecclésiastique.  Douze  chapitres  constituent  la  prin- 
cipale ])artie  du  livre  :  ensuite,  viennent  t'u  appendices  diflëreuts  Irai- 
tés  ]diilosophi(]ues  inédits,  el  ([ni,  an  bon  sens  du  mot.  et  malgré  les 
apparences,  peuvent  hien  éti-e  considérés  comme  le  [)rétexte  à  I  élude 


SIliKI!   liK  /Ui.WJJ.W.  l'AR  P.  MANDONNET,  0.  P.  227 

(li'S  ilnrlriiirs  (le  Sii;<'r  ilc  Bl'ah.inl.  Voiii  1rs  lili-cs  j;i''ii(''r;iii\  ilrs  rlia- 
|iilr'('S  :  1.  |)i'  I  aciidii  il  Arisliilc  sur  le  iiiinivi'iiiriil  iiili'llcchirl  iin'ilii'-- 
val.  —  II.  De  ructidii  (l'Arisloli'  sur  la  l'ui'inalioii  des  courants  dnc- 
Irinaux  du  \iW  siècle.  —  111.  Le  Pseudo-Siger  de  Mraiiant.  —  IV.  Sigcr 
<!('  Brahaiit  cl  Tlnuiias  dWquiii  à  ITuivcrsitc  ilc  Paris,  !:>()( i-l:2()!l.  — 

V.  .\f;ilation  doclriualc  cl  coudauinal  iini  de   l'avcrroïsmc,   1270.  — 

VI.  Activilc  liltérairo  de  Siger  de  Hralianl.  —  VU.  Siger  de  BrabanI 
averroiste.  —  VIII.  Siger  de  Braliaiil  cl  les  Iniulilcs  universitaires, 
lil  l-[-lH\.  —  IX.  Condamnât  il  Ml  i]u  iH'riiialétisnie,  1:^77.  —  \.  Citai  ion 
de  Siger  de  Bi-al«inl  |iai'  riui|iiisitcur  de  France.  —  XI.  Dernières 
années  de  Siger  de  Brahaut.  —  XII.  Siger  de  Brahant,  Tlionias  d'.Xquin 
<'l  Dante.  Quant  aux  ujiuscuk's  |iliilosoi)lii(jnes,  c'est  d'abord  un  extrait 
dn  traité  de  ilillcs  de  liiuac  sur  les  erreurs  des  pliilosophes,  puis. 
<r.\lhert  le  (iranil.  un  recueil  de  quinze  prol)lèmes,  enfin  des  questions 
générales  de  logique,  une  question  s[iéciale  sur  cet  énoncé'  :  ffaiim  rsl 
iiiiiiiiiil.  iiiilhi  liiniinir  r.iisli'iilc.  des  qucstiiuis  iiahiri'l/rs  i\u  de  pli\- 
siijne,  et  nu  Irailé  sur  I  éterniti'"  du  monde,  qui  ont  [xuiraideur  Siger 
de  Brahant  lui-même  :  le  P.  Maudiuinel  a  en  la  bonne  fortune  de 
rcii-iiuvcr  les  uiamisci'ils.  l'I  couservi'  le  mi'rile  de  les  avoir  très  soi- 
gneusement pul)liés,  comme  celui  de  lo,s  avoir  commeidés  en  philo- 
sophe bien  inl'ormé.  Les  |nirs  lettrés  n  y  Ironveront  pas  leur  com|ile  ; 
il  sullil.  pi'usons-niuis.  que  les  pliiloso|iheselspécialemenl  les  adeptes 
de  la  scolastique  v  i-encontrent  un  texte  sûr  l't  nu  commenlain- 
débrouillé  pour  ciudn'iler  les  tliè.ses  historiques  qu  a  voulu  édilier 
l'autem'.  TanI  d  erreurs  s'étaient  glissées  dans  1  ex|)osilion  ou  1  inler- 
prétation  des  liocli'iues  de  Siger  de  Brabant,  qu'il  i'aul  savoir  gré  au 
P.  Mandoniu't  de  les  avoir  remises  en  leur  vi'ai  joui-  :  et  l'on  peul 
Ironver  un  bon  sens  aux  paroles  de  M.  Langlois  qui.  dans  \a  Iti'nn'  ilr 
J'iiris.  relève  au  ]iassif  des  critiques  ■•  ces  erri'ui-s  si  singulières  et  de 
ualurr  à  inspirera  qui  ne  se  pique  [loiid  d'avoir  jiénéiré  dans  les 
arcanes  de  la  jiliilosojihie  scolastique  une  sabdaire  méliance  à  l'en- 
droit des  personnes,  trop  nombr-enses,  qui  en  raisonnent  >'. 

Nous  pensons  donner  de  la  salisl'acliou  à  nos  lecteurs  en  reprodiii- 
sanl  ici  presipu'  intégralemeiU  rAvant-|)ropos  de  l'auteur  :  cette  nié- 
lliiule  d'analyse  nous  met  à  l'abri,  eux  avec  nous,  de  tovde  espèce 
d'iuvolontairi'  trahison.  «  I/liistoire  de  la  [ihilosophie  médiévale  a  été 
un  champ  longtemps  inex|doré.  De  nomljreux  et  importants  travaux, 
au  cours  de  ce  siècle  el  surtout  en  ces  derniers  temps,  y  (uU  projeté', 
il  est  vrai,  une  lumière  nouvelle  :  néanmoins,  ce  qui  reste  encore  à 
taire  dépasse  de  beaucinq)  ce  qui  a  élé  l'ii,it.  Les  principales  directions 
iulellectnelles,  plus  niuubreuses  et  |)lus  diverses  à  cette  époque  ipion 


0-2K 


Fb.  h.   SGIILINCKKU 


lie  l'imagine  d'ordiiiainN  siiiit  cihmjit  mal  dt'tinies,  et  dos  personiia- 
lilt'S  iiiarquanles  deiueiirciit  ])i'ii  connues,  non  spulcmcnt  dans  les 
l'véni'ments  extériiMirs  ilr  leur  vie,  mais  encore  dans  la  iialiire  cl  le 
développemenl  de  leur  [lensée. 

Celle  conslalalion  ne  se  vérilie  |ieul-elre  nulle  |i,n-l  axcc  plus  di- 
i-i,i;ueni-i|u'à  réfçard  de  ce  mouveniiMil  d'idées  (|ui  a  |iorli'clie/  li's  l,aliii> 
du  Mil'' siècle  le  nom  d'averroïsnu'.  Ce  c(uii'anl  pliilosoplii(|ue,  doni  on 
a  d('Jà  constaté  l'existence  par  la  i-énclion  (pi'il  avail  produite  (die/, 
plusieurs  penseurs  cliré liens  (■(uileniporai us.  u  a  pas  encore  i''té  étudié 
ilireclemeni  dans  les  uu>numents  littéraires  (|u'il  a  produits;  et  la 
principale  personnalili'  ipii  le  l'cprésenle.  Sit;er  di'  Hraliant,  a  l'Ii'' 
idle-uiiMiie  pi-expie  i^nori'e  dans  sa  vit",  cl  plus  encore  dans  ses  doc- 
Iriiu's. 

C'est  l'avei'roïsiue  laliu.  à  ses  di''liuls,  ci  siui  plus  ci'leln-e  représen- 
hiiil  ipu'  ci'lle  (•Inde  cherche  à  faire  nueux  connaîlri'. 

Les  lieux  premières  sections  (|ni  l'ormeiit  comme  une  iulroduclion 
a  ce  travail  (uil  pour  liul  de  préparer  l'inlellifience.  soit  di'  la  positimi 
prise  par  Sii;er  de  HralianI  dans  le  diiuialne  iulellcclui'l .  Miil  des  évé- 
nenieuls  de  sa  vie  lonrmenl('e  ipii  (inl  l'It'  la  ciuisi'i|uiuice  de  ses  ^\ol■- 
li-ines.  Nous  avons. dans  ce  doNcin.  sonnnairemeul  csipiissé  h'  n'dc 
d'Arislote  dans  la  l'oruiali(Ui  de  la  \ii'  iulellecluclle  du  luiiyen  àj^'C  ainsi 
ipu'  les  C(Uiséipn'iu-cs  dues  spécialemcnl  à  I  inl  roduci  icui  de  ses  grands 
trailés  scientilii[nes  aux  |U'emièi'es  aniu'cs  i\u  \in'  siècle,  tels  I  liesi- 
lalion  de  l'autorité  ec(désiasti(pw  en  pri'seuci' de  ce  Iri'sor  iultdleclnel 
.1  la  l'ois  liienlaisanl  cl  danj^ercns.  Ie>  cIlurK  îles  ^grands  penseurs 
cliréliens  pour  en  lirer  protil  sans  coiiiprouiel  Ire  la  loi.  cidiu  la  l'or- 
matioii  d'iiu  pelil  groupe  de  philosophes  i|iii.  Iiien  ipie  gens  d  Eglise, 
fascini's  par  les  Ihéoriesdu  Slagirile.  les  accepleid  dans  loule  leur 
Icneui-,  à  la  lacou  cl  à  la  suite  d'Averroès  :  ce  son!  ipiehpics  madré- 
es aris  de  I  Tuiversili-  de  l'ai'i>.  donl  Sigci-  de  Hi'.ilianl  esl  linspiraleui- 
et  le  ch(d'. 

Au  coui'S  de  ces  iliuiui''es  gi'nr'rale>.  nous  axons  rcclilii''  diverso 
erreurs,  pri'cisi'  ou  élucidé  des  i|in'sl ions  demeurées  ohsciu'es,  s|>écia- 
lemenl  celle  de  la  claie  d'apparition  du  mouvenu'iil  averroïste  ipu' 
luius  estimons  néll'c  pas  aulérieur  an  milieu  du  MlC  siècle. 

I,a  part  principale  de  imirc  li-avail  esl  ciuisacri'C  cl  à  I  élude  des 
i''Vi''nemenls  ipii  conslitneni  la  philosophie  de  Siger  de  HrahanI  et  à 
I  examen  de  ses  doctrines. 

I.es  donni'i's  hislori(|nes  relalive<  aux  lails  cl  gestes  de  Sigci-  soni 
rares  el  peu  cohéi'enles.  Nous  a\oiis  pu  cependant  les  acci'oilre.  Nous 
inuis  sommes  aussi  elVorcé'  de  les  conrdouiicr.  de  l'acon  à  i-endre  aussi 


sii;i:ii  HE  i;i;M!A.\r.  i-Mi  i».  mandmnnkt,  û.  p.     22'.i 

(•viili'iilc  i|iu'  |)o>-~iMi'  la  li-aiiir  i;rMiiT.ilc  de  sh  vio.  .Nous  avinis  dû. 
poiii-  olilciiir  Cl-  rcsullat.  lions  livnT  à  des  discussions  de  détail  i|nc 
nos  lertenrs  voiidronl  bien  ni>  pas  Inuivcr  li-o|)  fastidieuses,  |inis- 
(lu'eiic'S  riaiciil  1(>  seul  liioycii  daimulil-  à  des  concliisiiuis  ]in'cises  cl 
à  [leu  près  (li'linilivi'S. 

Sous  le  lili-r  di'  ]'x(>ii<lo-Siiici\  nciiis  aviias  exposé,  dans  une  étude 
pi-<'aial)le,  les  erreurs  rjui  avaieiil  si  Icmjutemiis  jeté  le  ilésarroi  dans 
la  l)iof;rapliie  de  Sii^er  de  Brahaiil.  ri  mis  à  Jour  les  deux  sources  liis- 
toriqiies  d'où  procédaient  de  uoniîirenses  eiuiriisions. 

Sin'er  d(>  Brahaut  coiniuence  à  nous  élreeouuu  par  les  Ironhles  uni- 
versitaires de  |-i()(>.  Li's  aniuM's  suivantes  prr'sciiteiit  une  i;raudc 
lacune.  Nous  l'avons  eoiuhlée  par  les  renseifçueuienls  ipie  nous  l'our- 
nissait  la  période'  eorrcspinulante  de  la  vie  de  Tlioiiias  d'Aqnin,  et 
c'est  ainsi  (pic  ranni'^c  i-i7(l.  cpii  paraissait  une  d<'s  jdiis  vides  ilaiis 
riiistoire  de  Sifivr.  s'est  trouvée  remplie  par  d'importants  événeiiieiits. 
spécialement  par  la  polémi(pie  i|ui  éclata  alors  entre  lui  et  saint  Tho- 
mas, et  la  condamnation  du  11»  (l(''eciulirc  (pii  l'ul  la  conséquence  de 
l'agitation  averroiste.  Nous  av(uis  versé  aux  débats  de  1^70  un  docu- 
ment imiiortanl  et  considéré  jusqu'ici  comme  perdu,  nous  voulmis 
dire  le  jugement  motivé  d'.MbcrI  le  (Iraud  sur  les  i[uiiize  questions 
discutées  alors  parmi  les  maitres.  et  dont  les  treize  premières  furent 
condamnées. 

C'est  à  la  suite  des  événements  de  1:170  que  nous  avons  cru  devoir 
placer  l'élude  de  l'activité  littéraire  de  Siger  et  de  ses  doctrines.  Ou 
ne  peut  diniler.  en  elfel.  que  ce  soit  reuseigiiemeiit  oral  et  les  écrits 
de  Siger  qui  ont  amené  en  grande  |iarlie  la  première  condamnation 
de  raverroïsme.  La  polémique  jiersouuelle  de  Tlioinas  d  .\quin  et  de 
Siger  vers  ce  temps  en  est  la  diMuonstratiou.  li'autre  part,  la  connais- 
sance des  théories  averroTstes  de  Siger  jette  un  jour  nouveau  sur  les 
événements  universitaires  des  années  suivantes  et  nous  fait  com- 
prendre la  condamnation  de  1-J77. 

L'exiiosilion  des  doctrines  de  Siger  de  Brabanl  a  été  faite  d'après 
ses  propres  écrits.  (Jn  n'avait  (>ncore  aucune  connaissance  directe 
notable  de  l'avi-n-oïsme  du  (•(■lèbre  maître  |tarisieii.  La  publication 
récente  de  celui  de  ses  écrits  qui  porte  le  titre  (V/iiiixisnihiliii  n'a  pas 
donné  de  lumière  sur  cette  iiuestiou,  parce  que  cette  conqiositioii 
contient  inoins  que  d'autres  des  thèses  averroïstes,  et  surtout  parce 
(pi'elle  a  été  considérée  par  son  éditeur,  non  comme  une  production 
(le  Siger.  mais  comme  une  réfulalion  de  ses  doctrines.  .Nous  avons 
cherché  à  étendre  autant  qu'il  nous  a  T-té  possible  les  moyens  d'inves- 
tigation destinés  à  faire  connaître  les  idées  du  protagoniste  de  laver- 


iM  l'H.  15.  SCIILINCKER 

roïsiiii'.  I.a  |piil)lic;iliiiii  do  (■crils  ilc  Sii;i'r  (liiil  li'  |>(iiiil  ilc  ili'']);u'i 
iH'ci'ssaifc  à  lonlp  iiiVL'stii;Mli(iii  iillrricure  sui- ce  iH'i'siuina,:,^!'...  Ccr- 
ti'aiU's  on  iiiirslioiis.  di'liMuliic  cl  triiiii>ni'laiii'c  inci^alcs,  ne  laissent 
snlisisler  ancmi  iliuilc  snr  l'avcrnusnic  ilc  leur  auteur  et  sur  la  nature 
lies  |)rinci|iales  liiiMii-ics  dont  il  était  I  adeide  et  le  propaiçaleiir.  Cesl 
la  nature  de  rensei.i;nenient  de  Sii<er  (|ni  a  conniiandc  Ions  les  évé- 
nenieuls  iniportants  de  sa  cari-ièi'c.  el  c  est  ce  c|ui  aide  plus  ipi  autre 
<'liose  à  l'intcllii;-ence  de  son  liisloire. 

.Ncuis  av(uis  montré  <|ue  les  tronhies  (|ui  a.u'itcnl  la  '"acuité  des  arts 
de  ITuiversité  de  Pai'is  avant  la  eondaninatioii  de  l"!''  sont  liés  à 
i  enseifiuenient  averroïste  el  à  l'action  de  Siger  de  Brabant.  Quaiil 
a  la  condanniation  elle-niénie.  i|ni  l'oi-nie  lé  nonid  des  évéïienienls  de 
ia  vi(>  de  Si^ei'.  il  a  élé  déiiuniti-i-  .|u'eile  a  eUeeliveiuenl  visé  les  doc- 
li'ines  enseif;nées  par  Situer  el  les  aidi-es  avcrroïsles.  Nous  avoi'.s  établi 
aussi  cinnnient  les  |>i'OHioleuis  de  la  condamnation  de  1:^77  cherché- 
reiil  à  alleinilre  le  péripalélisme  de  Tlmmas  d  Aipiin  el  à  I  iii^loher 
dans  la  réprobation  eoinnuine  de  la  pliilosi^ii)lii(>  d'Arislote. 

I.a  |>iiui-suite  exercée  contre  Sif^er  comme  suspect  (riiérésie,  à  raison 
de  la  ciiiidamuation  portée  par  lévéïpie  de  Paris,  nous  est  mieux 
connue,  maintenant  ipu'  nous  avons  retrouvé  l'acte  même  de  citation 
dirigé  contre  Siger  de  BrabanI  pai'  1  impiisiteur  de  France. 

Tu  texte  non  eiu'ore  utilisé  pour  notre  sujet  nous  a  rendu  de  pré- 
cieux services  |i(Hir  résondi'c  plusieurs  problèmes  relatifs  aux  der- 
nières années  de  Siger  de  lîra.banl.  Ce  xuit  ipiehpies  mots  tirés 
d'une  lettre  de  Jean  Peckliam.  arclievecpu'  de  Canlorbéry.  Si  le  ren- 
seignement est  brel'.  les  conclusi(Uis  qui  en  découlent  si)nt  mul- 
liple>  et  imporl:inles.  car  CCS  trois  ligues  sont  un  véritable  texte 
clef. 

Il  nous  a  appris  d'abord  cpu'  Bnèce  de  Dacie.  alleiid  avecSiger  par 
la  condainualiiui  de  l'évèiiue  de  Paris,  a  (''li'  sou  compaguiui  d'iiifor- 
iuue  el  a  subi  la  même  <leslinée  (|iu'  lui.  (!e  Jour  tout  nouveau  jeté 
sur  la  personnalité  obscure  de  Hoèce  iiou^  a  eouduil  a  tracer  une 
csipiisse  biographiipu'  lu'i  luius  avons  disc(dé  un  pi'oblème  d  liir-loire 
lill(''raire  iléjà  soulev(''  sur  son  nom. 

I.a  même  source  nous  a  permis  1  iilenl  ilii-.d  ion  sure  du  Sii/liicii  de 
la  />i'-iiir  Citinrdic  avec  le  Miislid  SKjliicr  ilu  poème  //  J'ioir.  idcutili- 
catiou  sur  Kepielle  planaient  encore  des  doutes.  Les  renseigiaunenls 
désormais  coiucrgents  des  deux  sources  |>roJellerit  une  meilleure 
Innn'ère  sur  la  fin  du  malheureux  maître  |iarisien. 

Les  paroles  de  Peckhani  n(uis  ont  aussi  aidé  à  ré.soudre  aM'c  sécn- 
ril(''    le   |ii-olilèmi'   fiuidameutal   l'clalif  an   genre  do  mort  de  Siger. 


SIl.Kll   l)K  /WKUM.Vr.   l'AU  P.   MAMM>NM';r,   0.  p. 


231 


Ci'iui-ri  ol  siin  (.•iuii|ia,nrinii  Biirrc  ilc  i);irir  mil  Uni  leurs  jniirs  en  |>ri- 
soii,  à  la  siiile  d'iiii  jirocès  l'ii  mur  de  lininc,  jirnv(i(|ui'  pai-  la  rim- 
ilaiinialion  de  Paris  eu  l-l'l. 

Hnliii,  le  roiisoif^'lieineid  dr  l'i'rkliaiii,  lire  d'mic  ii-llrr  du  10  nu- 
vi'iulirc  128'<('l  d(''sii;'naid  1rs  dcn\  niaiircs  ((ininir  ayant  Uni  Irni's 
i(un-s,  ilindnnc  in)laliliMiu'id  l'inccrlil  ndc  de  la  dalr  de  la  nnirl  de 
Si,i;cr. 

(ilMrr  diinr  à  la  l'iumaissani'i'  des  l'rrils  dn  |di  ilnsii|dn'  avcrroislc  cl 
de  i|nidi|in'S  dnnni'rs  ncui vi'llcs,  t;r.-n'i>  anssi  a  I  ciiipruiiL  d  un  faraud 
iidinlirc  ilr  i'i'nsi'ii;ni'nicnls  lii-(''s  de  IV'Ial  dn  nnlicn  liistori([n('  (lans 
lr(|nrl  s  l'sl  di'\  i'ln|i|M'  li'  sn  ji'l  de  la  |ii-(''SPnli'  id  uilc,  les  r('ns(.'iîi;ncniiMds 
s|iiii'adi(|ni's  déjà  exislaids  (inl  pris  une  snTlisanlc  (•(ilu''siiin,  el  onl  liiu 
par  l'iiiMncr  nnc  hiof^-raphii'  de  Sii^cr  de  Bi'aliaLd,  nidlc  l'I,  IVrnu'  dans 
SCS  i;rand('s  lignes.  De  son  c(ili''.  la  |i(isiliiin  t\i'  Sij;'cr  ccmunc  penseur 
dans  le  déveln|ipeHienl  inlellecinci  du  Mil"  siècle  ne  laisse  subsister 
aucune  incertitude,  el  ci'  dernier  point  était,  en  somme,  le  plus  im- 
porlanl. 

Depius  ipii'  le  livi'c  du  P.  Mandiuincl  a  paru,  nous  ne  sachons  [loinl. 
cpu'  son  éi'uditiini  el  sa  l'i'il iipie  .lieid  ('li'  prises  en  dcd'ani  sur  un  autre 
point  ipu'  son  inlerpridaliiui  de  la  lellre  de  l'eckliain,  des  l'anieiix 
le\les  de  |)anle  el  de  jjnranle.  ridai  ivenieiil  au  ijfnrf  de  inoi'l  par 
lei|uel  Sip;er  a  Uni  ses  jours  :  le  champ  idail  ou\ei-l  ,'i  toutes  sorle-> 
d  h  vpollieses  el.  ,'l  imjins  ipi'iin  docuinenl  ne  la  \  inl  saper  par  la  hase 
1)11  la  inoditiei-.  celle  quaN.iil  proposée  le  i'.  Mandonnel,  en  lenani 
ciiinple  de  reinprisonneuienl .  seinhlail  la  plus  raisonnahie,  la  plus 
conroriiie  aux  ilonni'es  exlriusèipies  du  inilien  li  isloriipie.  Il  s  est  ren- 
conlri'  ipi  un  criliipie  an^'hiis  ;i\ail  mis  la  iiiaiii  sur  un  document  doni 
onl  prolili'  depui>  M.  iiaeiniiker,  el  M.  (i.  Paris.  Voir  la  l'iniiu niii . 
\\\\.  P.)OI).  !'n  continuateur  hrahancon  de  la  ('lni>iiiijiif  de  Martin 
de  Ti-oppan  ipii.  mieux  ipie  Peidiham  el  le  poète,  axait  enlendu  [larler 
de  la  niori  de  Sii;er,  noie  hrie\ciiienl  les  erreurs  du  m.iili'eès  arts,  sa 
tuile  de  l'aris,  son  aecusalion  en  cour  dv  liome  :  l,'i,  peu  de  lemps 
api'ès  son  arrivée,  il  l'ut  [)ercé;  /«'/■/'o.s'.w/s-  '  pai'  son  clerc  ipij  était  comme 
l'on  ((jinisi  iIi'iUchx).  Telle  l'ut  la  lin  de  Situer  de  rirahiint,  el  par  le  l'ail 
même,  f;r;\ce  au  document,  telle  est  la  ruine  de  presque  routes  les 
conjectures  et  hypothèses  de  la  criliipie.  même  savante  et  perspicace, 
sur  cette  mort  ;iiissi  accidentelle  ipie  lrau,iipie  :  l'explical  ion  roiirnie 
par  le  I'.  .Mandonnel  s  est  troii\r>e  cimipli'irM'  cl  pri'cisi'e.  Un  saura 
di''soriiiais  ce  qu'il  l'ani  pensci'  du  lercel  de  Dante  sur  Si}^er  de 
DrahanI,  el  comment  interprider  /'((  tihinihi  de  Dnranle  moins  mal 
i  iilormi''. 


232 


Fr.  U.  SCHLINCKEU 


Malf;rr  celle  iiii|irrrerti(ui.  il  n'en  reste  (las  moins  vrai  i|ue  l'espoii- 
(lu  P.  Mandonnel  sesl  véritié.  "  d'avoir  aliouli  à  des  résultais  assez, 
étendus  (>t  assez  [irécis  pour  ([ue  la  vie  et  l'ieuvre  de  Siiijer  de  firaliant 
puissent  prendre,  avec  sécurité,  la  place  cpii  leur  revient  dans  lliis- 
loire  de  la  [diilosophie  du  moyen  âge  ■>.  Son  livre  est  intéressant,  non 
seulement  |)ar  ce  (pi'il  contient  de  restauration  historique  de  person- 
iiaf^es  (pii  ])assent  et  meui'enl.  on  de  dncirines  eri'onées  i[ui  s'olistine- 
ront  à  i-enaitre  sous  des  lormides  rajeunies,  il  l'est  encore  à  titre 
<i'e\em|de  et  de  modèle  de  la  puissance  et  dr  l'enicacité  de  la  cri- 
tique, entre  des  mains  liai li les,  point  vélilleiiM'-.. 


l'H.   li.   SCllI.lNC.KKl*. 


MELAAGES    PIIILOSOIMIIQUES 

(1897-1900) 


Par  M.  IiiIiIh'  V.Wr  Iîlanc,  pioIVssL'ur  do  pliiloMiiiliiL'  aux  Kai-ulli-s  callu)- 
li(iucs  lie  Lyon.  I  vol.  iii-S",  '.rxi  paiii's.  -  l.yoïi,  K.  Viïte  ;  Paris, 
Ch.  Amai. 


C^'  soiil  liicn  ilrs  iiirliniijc^i  (|iic  M.  \'\\\i\)('  Blanc  oflVe  au  |uil)lic  dans 
Cl'  voImiih'  :  car  l'csl  la  rci'dilidii  d'aidiidcs  |udjlics,  an  Jour  le  juni-, 
(le  1S!)7  à  l'.IOI).  dans  la  i-.'vni-  /.'/  iiircrsilf  nillmlii/iir.  pdnr  analyser 
et  crili(|nei'  divers  (invra,t;es  d'anleurs  dillV'renls,  li-ailant  des  sujels 
tlivei-s. 

NéanuKiins,  il  se  Irunve  i|ne.  chi^niin  laisanl .  ^\.  Elle  Wauc  a  aliin-di- 
la  plupart,  des  problèmes  les  i)lus  l'ondauienlanx  de  la  pliilosopliie  el 
en  a  proposé  des  solutions  tonjoui'S  dignes  d'aHeiilioii.  Toutes  ces 
éludes  S(ud  aninu'cs  d'un  amour  lidèle  et  ciunaincu  pour  "  la  pliilo- 
sopliie clirétienne  et  scolastiipie  ••  et  d'un  /éle  ardent  (lonr  "  la  dé- 
l'eiise  de  la  vérité  pliilosopliiipie  el  religieuse  ». 

Comment  poiirrail -on  ne  |ias  l'ciiierciei'  M.  lalilié'  lilanc  d'avoir 
voiiiu,  [lar  celle  publication,  »  reniire  ipielipic  service  à  ceux  (]ui 
.s'inli'ressent  réellement  à  ces  luttes  siipi'M-ieiii-es  île  la  pensée  »? 
(.'.omme  il  le  dit  si  bien.  »  elles  ne  sinil  pas  moins  passionnantes  ni 
moins  dramatiques  peut-être  ijue  les  luttes  politiques,  qui,  d  ailleurs, 
comptent  des  vicissitudes  semblables  et  n'auront  ]ias  d'antre  dénone- 
iiienl  ". 

Les  ouvrages  diml  il  rend  comiite  dans  ce  volume  ont  donné  à 
M.  l'abbé  Blanc  l'occasion  d'exposer,  au  moins  sommairement,  mais 
avec  netteté,  ses  vues  sur  la  nature  de  la  pliilosoidiie,  sur  la  |ilace 
qu'elle  doit  occuper  dans  l'enseignenienl  conlemporain,  sur  la  méla- 
pliysiqne  et  la  Ihéolog-ie  naturelle,  sur  la  psychologie  et  les  bases  de 
la  logique,  sur  la  morale,  la  sociologie  et  l'économie  politique. 

En  ilisciilanl  les  opinions  de  M.  Paul  Janet  (p.  18:')),  il  établit  que 


±.n 


.1.   l.ARDAIR 


l;i  i)liiliisii|iliii_'  l'st  une  vrrilalilc  sciciu-e.  i|ni.  ](irsiiiii_'llc  s',i|iiilii|Uc' 
aux  ubji'ls  dos  aiilrrs  sciencfs  liiiiiiaiiu's,  les  consitièro.  non  pas, 
i-oniiiio  CL'lles-ci,  dans  leurs  causos  jifocliaines  et  leurs  lois  particu- 
lières, mais  dans  leurs  principes  les  plus  élevés  ou  leurs  causes  der- 
nières, et  se  réserve  en  outre  cei'tains  objets  pour  les  étiulier  par  les 
uiovens  dont  elle  dis|)0se  :  ainsi  l'ànie  et  Dieu.  11  détermine  les  rap- 
poi'ts  de  la  pliiloS(jpliii'  l'I  de  la  llii'oloLi;ie,  demandant  entre  l'Iles  une 
iiai-inouie,  non  si'ulement  iirijiilirr.  i|ni  les  préserve  (le  contlils  el  de 
.(uu-lnsions  conlradicloii'es.  mais  niénu:'  pasilirr.  chacune  étant  ap- 
pelée à  dé'moulriT.  à  sa  iiiMiiiri-c.  heaucoup  de  vérités  de  l'ordre  naln- 
rel.  «  Sans  donle.  dil-il.  un  grand  nombre  de  ces  vérités  échapperaieid 
à  la  |)liiiosopliie  ipii  ne  serait  pas  chrétienne  :  niais  hi  philosophie 
n'en  i^ai-de  pas  moins  ses  droits  sin-  toutes  les  parties  de  son  vaste 
dcunaiiu',  bien  (|ue  la  théologie  ail  du  souvent  les  cidliver  avant  elle. 
.\vaid  accepté  d'abord  au  iu)in  de  la  l'oi  beaucoup  de  vérités,  ipii  sont 
plulosophi(|ues  île  leur  nature,  iupus  arrivons  eusuile  à  nou>  les  di'- 
monlri'r  scienliliipu'Hient  :  el  ainsi  notre  science  s'agrandit  sans  ipu- 
la  loi  V  perde,  la  loi  en  est  même  singnlièriMiienl  comprimée.  » 

Sur  les  rapporis  de  la  science  el  de  la  croyance,  M.  l'abbé  Hlanc 
apprécie  avec  s\  nipallrie,  bien  cpiaver  indépendance,  les  conclusiiuis 
du  I*.  Schwabu,  dans  la  lirnir  llnmiisli'  novembre  I897i,et,  eu  noie, 
ne  craint  pas  dappider  ■•  décisive  •■  la  i-élutation  laite  par  ce  l'ère 
Dominicain,  dans  la  même  revue  uoviMubre  IH!)(i  ,  de  la  thèse  de 
.M.  Bkuidel  SKI-  1rs  fxif/inicrx  ri(li(iiiiicllr>s  lie  la  pi'iis(''rroiil''tiij)(irmni;rn 
malien:  d'npdlniirrn/w.  pidili('e  ilans  les  Ainiiilcs  ih;  pliihisiiiilnc  rlirr- 
i'iciniP  (janvier-juillet   l!S!t(i  . 

l.a  pliihis(iplNi\  eu  hai-uionie  avec  la  théologie,  el  néanmoins  libre 
dans  ses  méthodes  et  ses  progrès,  M.  Hlaiu'.  à  rencontre  du  pro- 
granuue  (jroposé  par  y[.  Alexis  Merirand  pmn-  V [•Jiuchjninnciil  iiiti'- 
lirai  ip,  329i,  V(Uidrait  la  mainlmii-,  implieilemeul  an  dc'diid.  puis 
explicitement,  dans  la  suite  de  l'enseignement  el  de  1  éducalimi.  Il  est 
d'accord  avec  M.  Hertrand  pour  réclamer  l'intégralité  de  l'enseigne- 
ment, mais  il  l'eidend  dans  un  sens  |ilus  large  el  ])lus  élevi'.  Il  vent 
ipi'on  instruise  el  (pi'on  élèvi'.  non  senliunenl  liuil  le  peu|ile,  mais 
tout  l'hounne,  el  principalemeid  ilans  l'homme  ses  facultés  sn|)é- 
rieures,  moi-ales  el  religieuses.  •.  De  là,  dit-il  excellenunent,  cette 
nécessité  d'enseigner  une  nnirale,  une  religion,  et  disons  même  une 
philosophie,  [iroportionnées  à  la  capacité  du  sujet  el  k  ses  autres  con- 
naissances acquises.  En  clunpu'  es|irit  (pii  s'instruit  el  s'élève,  la  rai- 
son doit  hénélieier  de  tous  h's  progrès  dans  les  sciences  :  el  Ir.  foi  doit 
bénélicier  de  linis  les  progrès  de  la  raison,..  Loin  de  romjire  avec  les- 


MELA.MiF.S  l'IllI.n^iii'iiiijlF.S.  p  \n  M.  l'uii;i-:  Ij.ik  IU.AM".        iVo 

arl>  iii<-<Miii(|iirs  i.-!  Ii-s  [irolcs^iuiis  i-oiiiiiiiiiii'S.  rciisrij^iiciiiciil  iuli''j^|-al 
iluiil  iioiiri  |i;irli)ns  les  inTreclioniici'ail  vu  se  lorliliaiil  à  leur  cniilact. 
Mais  on  verrail  disiiaraîli'c  on  si'  li-aiisriiniirr  les  iirograiiniics  cl  les 
systèmes  mal  coiicns  i|iii  smil  la  iihiic  t\f  ri'nsiM.niifrnciil  mmlrnu'. 
(;Sùivi"e  de  si)éçialislc's  nu  nu'nif  dr  scdaii-cs.  ils  iidiil  irciicvclojx''- 
(liijiie  (|iio  rappari'iR'O  l'I  roiii'Diiiln-cnicnl .  (  hi  ii'\  vnil  imiiil  I Hrdcc  el 
la  liiérarchié  (le  tniilcs  les  (■(niiiaissaiH'cs  ;  il  y  iiiaiii|iiL'  une  lumipi'c 
sii|it'"ri(^inv.  ii'iP 'lircctidii  cl  un  Iml.  Ccscoiulil  inns  prcmiMi-ps  cl  iiidis- 
jK'iisalilcs  à  la  prospcrili''  de  I  ciisi'ij^iiciiicnl  ualimial  ne  scnnil  dini- 
ni-c;  ipi<^  |iar  la  foi  ehrélicnne  cl  la  vi'i'ilalile  pliilosopliic.  •■ 

M.  lilanc  liMce  les  grandes  liiiiics  de  cette  piiilosopliie  fondée  sur 
la  raison,  mais  aniii'  loyale  de  la  i'(dif<ion  clii-r-liennc,  eu  rop|)Os;uil  à 
plusieui'S  aulres  pliilosopliics  ado|)lécs  par  des  nulcui's  coidcnipo- 
i'aius,  à  celle  de  M.  Duraud  de  (li'os  \i.  .'il  .  à  la  |iliil(isophic  criliiiuc 
(le  Sjiir  p.  .">'.•  ,  aux  li-ois  dialecliipics  de  M.ilonnI  p.  TTl.an  m'o-eri- 
iirisme  de  .M.  Peiijon    p.  !-2!):. 

Ku  face  (lu  système  de  M.  Itni-aud  de  (iros.  où  se  Irouvi'ul  l'Iran- 
i^cmeiii  associes  des  "  éléinenls  fli'Jà  anciens  el  parfois  peu  com]ia- 
lililes  entre  cu\.  le  monadisnic.  I  idi'alisnic.  I  ('volulionnisnic,  le  mo- 
nisme, le  panlin'isnii'  psycliisle  ou  pinlol  i  alhcisine  psvidiisle,  le 
fouriérisnu'  •.  M.  l'aliln'  Blanc  revcndi(jne  nolainnienl  ■  I  évidence 
(le  In  ni  lé  nalni'clli'  el  sulislaulicdle  du  com|ios(''  humain.  (Jihiiipu'  nous 
n'ayons  conscicuice  di'  in)ns-n]i''nies.  dil-il.  ^pie  par  li  s  plus  liaules 
facultés. et  (|ue  l)icn  des  choses  ipii  nous  mmiI  le  plu-,  in I  iines  i'i-|i;ippenl 
ù  notre  regard  dans  noire  àuie.  de  méiue  ipn'  diiiis  noti'c  corps,  i-ien 
ce|iendant  n'y  csl  i''lrauj;('r  à  noire  personne.  CeUe-ci  pcul  elre  diini- 
'  nnée.  disons  mi''m<'  di''truilc  pai-  la  uku-I  :  niais  nous  ne  p(uivous 
devenir  un  anli'c  :  res|u'il  (pii  csl  en  nous  ne  pcul  se  dissiuidr.'  Lii 
former  d'au  1res  coi'jis  p(uir  composer  d'autres  individualités.  ■•  Il  ne 
craiid  pas  d  afiirmcr  ipu',  nialgn''  les  erreurs  innonilirahles  (|uc  les 
liounncs  oui  conçues  sni'  la  l)i\  iniU''.  «  il  y  a  un  même  couccpl  i;i''néi'al 
de  Dieu  (pii  n''p(uid  à  toutes  ii's  religions  :  celles-ci.  en  effet,  si  elles 
méritent  ci'  nojn.  s'accordent  à  reconnaître  (|nc  l'homme  est  suhor- 
donui''  à  un  être  supi''i'ieur  el  inlidligent .  :\  qui  soni  dus  des  h  on  nuages 
et  des  [iriéres  ■.  lintiu,  au  lien  d  une  moi-alc  ayant  pour  principe  1 
salisfai'tiiui  el  l'iMpiililire  de  toutes  les  passions  également  satisfaites, 
il  veut  mainteinr  l'aucienue  mornic  du  dr^xonemiuil  et  du  clcvoir,  en 
lui  conservani  pour  liase  l'exislence  de  Dieu,  lin  dernière  cl  suprême 
législateni'. 

Tout    en    approuvant,   dans   une   certaine  mesure,  certaines   idc'cs 
émises  par  S|iir.  M.  Blain-  les  reclilie  henreusemeni  et  pose  énergi- 


230 


J.  f;ARD.V115 


qiiciiiciil  ciiiilrc  la  j)liiliisii]iliii'  li-nji  ci-iliiiiir  l'I  li-i)j>  iilt-iilisle  de  ce  ]iiu- 
loso|ilii'  1rs  vrais  loiulcrnoiils  de  la  runnaissancc  ainsi  i|iic  de  la 
iiKirali'  cl  dr  la  religion.  Il  (''claii'cil  la  vraii'  iiolioii  du  priiicipi'  d  ideii- 
tili'',  (|ui  csl  une  lui  l(i,nii|ui'.  ri  iiini  [las  1  ariii-iiiatiiui  i\f  liiiçulili'  de 
suhslaiici'  oniru  tous  k-s  éti'osou  l  artii'iiialidii  de  rcxisk'iici' (l'un  seul 
(■'Irr  niii-nial  :  sur  ce  principn  cl  siii  celui  de  coiilradiclion.  ([ni  ne  l'ail 
(|n  un  a\  ce  I  ni,  il  (''lai  il  il  la  disi  incli(ni  i-i''(dle  de  Itien  cl  de  la  eréalure, 
de  l'esiuil  el  du  nuiiide  pli_vsi(|nc,  de  l'àinc  cl  du  fi)ri)s.  I/aiisnrdi(é 
(|ii'il  y  aurail  à  enmixisci'  les  coriis  avec  des  pcus(''es  on  des  ('■K'iuciils 
simples  lui  pai-ail  (l(''in( mirer  la  r(''alile  du  iiuinde  sensilile  :  il  l'ail  app(d 
à  la  conscicuee  el  au  i-ais(nineineiU  pour  pr(Miver  noire  iiersiuuialih'', 
noire  sidislaulialilt''.  la  pcruLaiiencc  de  noire  moi  el  sa  eausalih''. 
I''.nlin  il  inoiilre  le  (■aracl(''re  alisoln  de  la  loi  iialnrelle  iinprinn''e  dans 
les  conscicuces  par  Dieu  el  e\ij;i''e  a  la  lois  par  la  nalnre  di\  ine  el  par 
la  nalurc  linniaiue  :  il  i'ec(uinail  ainsi  une  mcn-alc  nalni-elle,  (pu'  la 
i'(''V(!'lal  i(Mi  (•lir.''liennc  esl  venin'  pei-l'eclionner.  niai>  n(ui  pas  abolir 
"  l^a  nnii'ale.  dil-il.  esl  donc  alisuluc.  i.a  loi  nalni'cllc  n  ('>l  donc  |)iis 
r(''V(:''l(''e  d'ahord  e\l(''ri('urein('nl .  Iiieu  i\[\r  la  r.'V(''lalion  la  eonlirnie  : 
le  l)(''eal(ij;iie  esl  pr(unnlj;ue  orifi'inelhMuenl  dans  la  conscience.  »  Si 
inip(''|-al  i  ve  (pi Clic  soil.  celli'  loi  morale  laisse  I  lioninie  libre  de  l'aire 
le  bien  ou  le  mal  :  la  foi  nieiiie  en  la  r(''V(''lal  ion  esl  un  acie  de  vobuili'' 
libre,  el  le  ci(i\anl  conserve  sa  lilcrli'  d Obéir  ou  de  désobéir  à  sa 
(■oiiscieiice.  lue  coni|iaraisiui  d  épi  a  (•.'•('  l'aile  par  Spir  culi-e  le  Clirislia- 
nisnie  el  le  lionddliisme  aiiK'ne  .M.  Blanc  à  venijer  la  baille  inlbielice 
de  la  iiKU'ale  cliri'l  ieiiiie  sur  la  ci  vilisaliiui  moderne.  <•  Kl  ici.  ajoule- 
l-il  avec  nue  \i\aci!é  l(''j;iliiiie,  je  n'exceple  rien  :  sciences,  arts, 
indusirie,  coimiierce  ;  l'Éf^lise  cl  les  moines  eu  parlienlier  ont  con-- 
li-ibné  sin^uliéremcul  an  progrés  des  peuples  cliréliens  au\  moments 
les  ]ilus  (b'cisil's  de  l'iiistoire  :  et  c'est  être  bien  aveuiiie  el  bien  iiii;ral 
ipie  de  nier  ces  vériti'S  lii^loriipies  proclaiiK'es  |iai-  nn  i;raii(l  niunbrc 
de  nos  adversaires  eux-mêmes,  des  posil  ivistes  ccumue  Taine  el  Comte, 
par  exemple,  pins  justes  ici  et  pins  prés  de  ikuis  (|ue  nos  modernes 
idéalistes.  " 

Les  trois  (lialecti(pies  de  M.  ('((uird.  dialecliipie  tli(''ori((ne,  dialoc- 
ti([ue  pratiipie.  dialecli(pie  j'elij;ieiise .  paraissent  avec  raison  à 
M.  Blanc  ne  ('(uidiiire  ipi'à  une  sorte  de  sceplicisme  mal  (l(''f;-||isé  sons 
une  a|)pareiie('  de  (lo};inalisnu'  moderi'.  Nou>  avoii>  plaisir  à  citer, 
huit  d'abord.  >a  belle  déreuse  de  rabslr.icliiui  el  de  la  mélapliysiijue  : 
"  Sans  doille.  ('cril-il  en  r(''p(uise  au  nominalisme  de  M.  (lourd,  à 
mesure  (pie  nos  absiraclions  s'i'levenl  .  nous  nous  éloignons  en 
ijuebjne  façon  de  la  réalité  sensil)le  el  concr('te  :  mais,  en  déliuilive, 


MELA.\i:i:s  l'IlIljiSiirilKjl  i:s.  par  m.  l'ahuk  Elik  m. ANC        237 

(•'est  l'ahslraclidii  sciik'  (|ui  ihuis  |n'niiol  di'  saisii-  le  Idinl  rcel  cl  pcr- 
iiiani'iil  (les  flioscs  ;  et.  plus  iinti-i'  alistraclioii  csl  liaiilc.  |)liis  aussi 
iMilrc  MIC  csl  |ir'iii'lraiili'  cl  |ii'iiriiii(lc.  Nuire  nii'lajiiiysique  est  doue 
oitjeelive  el  ecriaiiie,  a  einnlilidii  tiiulcldis  i|iie  nus  aiislraetious  el  nos 
raisoiiiu'ineiits  suieiil  li''j;iliuies.  luf,'i(|ues  el  ap|uiycs  siu'  ces  réalités 
preiiuèi-i's,  mais  su|iei'licielles  à  licaucuiip  d  ci;ards,  ipic  les  sens,  la 
(•(iMscience  el  la  raisun  saisisscnl  imi  nuns  el  anluni-  de  ikuis.  On  peni 
ilonc  dire  ijue  la  nié'lapliysi([ne  est  la  pln^  r.'clli'  des  sciences  ;  car  ses 
|)rucé(li''s  sont  rij^ourenx  el  elle  prend  pour  uUjel  les  réalités  les  pins 
l'oinlanicnlalcs.  Sans  dinili'.  smi  ulijc!  es!  ardn  el  pi'i'le  à  nnlle  erreurs  : 
mais  il  n'es!  poiul  diniiniK'  un  ih'lrnil  par  la  dillicnlir'  de  I  allcindi'c. 
I.a  plus  snperliciellc  des  cun naissances,  an  euniraii-e.  i>sl  en  di'linilive 
la  cininaissance  pnrcmcnl  expérimenlale  :  c  csl  (die  (pu  n  allcinl 
Jamais  /(  riiiliiiic  des  (duises  :  c'est  (die  (pn  esl  dh^i'iniiti'c  sur  /ex  (ilrii- 
liiiii-::  :  (die  esl  alisurlicc  |iar  la  considération  du  j;r(nipe,  de  la  série, 
de  la  C(dle(iiun.  cl  n(''i;iii;('  lunimirs  rcsseucc,  soil  iudividindle.  soil 
sp(''cili(pn'.  '•  Au  puini  de  \ue  de  1  action  pralii|(n',  M.  I>lanc  sunli(Mil 
JnslemenI  (pu'  "  la  nmrale  du  liunheur,  saficmcnl  entendue,  se  concilie 
]iarl'aileuicul  axcc  la  uniralc  du  bien  (ui  de  la  pert'eclion  et  avec  la 
moi'ale  de  rolilii;aliun.  Celle  (l(MUonslralion,  laile  depuis  lonf;-tcmps, 
dil-il,  est  reprise  tous  les  Jours  par  nos  i)liilosoplies  s('olasli(|ues.  Ce 
(pii  est  faux  dans  la  morale  du  honheni',  comme  aussi  dans  la  morale 
du  hien  el  dans  c(dle  de  l'olilii^alion,  c'esl  le  caraclere  égoïste  (pi  y 
aj(nilenl  plusieurs  pliilosoplu's.  i'  iMiliu,  à  pr(i|i(is  de  la  dialceli(|in' 
l'idi^'ieuse.  il  r(''clami'  ([u  il  soil  "  eidcndu  (pie  le  Clirisl  ianisine,  sans 
se  confondre  a\ec  la  murale  el  l,i  pliil((supliie  ualiiridlcs,  les  imi)li((nc 
cepcndani,  cl  (pi  apr(''s  les  .avulr  san\(''es,  elle  en  esl  défendue  à  son 
loni'.  Qnaiil  à  les  diviser  radicalemeul,  c(niiiiie  le  l'ail  M.  (iourd,  c  esl 
les  (|(''lriiirc.  ■<  Tandis  ipic  le  prulestantisiue  ■■  en  arrixc  à  prononcer  (pic 
la  foi  ne  peut  être  ntimiiinri'  ».  le  catholicisme  enseigne  (|ne  la  croyance 
aux  dogmes révélé.sitrolite  de  la  démonstrali(ni  i-alionindle  des  v(''ril(''s 
purement  [iliilos(ijdM(pies. 

M.  Blanc  rciKuividlc  cuiilre  le  iiéo-crilicisuie  de  .M.  l'eiijun  les  r('d'ii- 
tations  et  les  aftii-mati(uis  Jnsliliées  par  les(pi(dlcs  il  a  re|)(uissé  la 
ptiilosopliie  de  Spir. 

Tout  en  reiidaiil  justice  ,i  ['(dforl  t;(''U(''reii\  vers  la  V(''rilé  iuli''i;i'alc 
ilmil  l(''muif;iieiil  Ij-s  /ti'niirrrs  /ilri's  (le  l',-iiil  .lancl ,  il  re(lrcsse  (pi(d(pies 
iiH^xaeli Indes  de  ce  rci;relli''  pliilosuplie  sur  les  rapports  de  Dieu  el  du 
monde. 

Dans  deux  (■liidcs  séparées  (pp.  93,  ."J'iHi,  il  combat  les  hypothèses 
cxaji;(''rées  du   Iraiisl'urmisiiie  (d  reprudiiil   avec  ordre,   force  (d  cl;irté 


.1.  GAriDAIli 


1rs  ;irj;iiMieiils  scii'iililit|iii's  iihHliI  ('.-lil  valiiii-  Idiirà  lniii-duvicr,  A.nas- 
siz,  (le  On.ili'i'fages.  Hliiiiclianl .  Virchovv.  |i(uii-  iliMinuiIrri-  (|iii'  la 
|in''UMulii('  Ifansfornintiiiii  des  csiutcs  n'a  |>as  de  Idnili'inciil  siillisaiil 
dans  les  f'ails  bien  cxaniini's  cl  lii(Mi  inli'i'|)i'i''t(-'S. 

M.  HIaiR'  iioiisdoiiiic  ciiiiin' des  coiuptcs  l'ciidiis  et  des  controverses 
l'di-t  iiilércssanles  sur  des  |iriilili''nies  spc'cianx  de  |)syeholoi::ie,  de  nio- 
rali'  el  de  sociologie. 

11  criliiiiie  la  Tliéoi-ie  de  I Vrrenr  ilc  ,M.  Hrocliard  (p.  KiT.  el  iiicl  en 
reliel'  ee  i)oinl  iniporlanl  '  <■  i/eri'eiir  ii'csl  pas  l'onnellenieu!  dans  la 
xdlonli'',  mais  dans  Tespril  en  laiil  ipi  il  raisonne  mal.  en  soi'lc  (pic 
celui  ipii  se  li'ompi'  ne  comprend  pas  ce  en  (pioi  il  se  Iroinpi',  L'inlel- 
ligence.  (mi  lanl  (pie  dislincle  île  la  raison,  e'esl-à-ilire  rn  laid  ipiCile 
s"a]ipliipie  aux  priiieipi's  ('vidciils  par  eux-mêmes,  esl  !oiijoiii-s  in'ces- 
saire  et  vraie  :  elle  n'est  ui  lihre,  ni  l'ausse.  » 

Il  ciMiihat  lienrensemenl  le  sonsnalisine  de  M.  Tli.  liiliol  an  siijel  de 
\  I:' rnhil nul  îles  idées  fjrnrriilos  !p.  "iiM \  el  de  la  l'sijilnilniiir  îles  sciili- 
iiiciils  ip.  i.")l  i.  Il  fail  voir  riusullisance  des  cxplicalioiis  ipie  pri''sente 
sur  l'orijfine  des  idr^es  universelles  le  savani  prid'esseiir  du  (^illège  de 
l'rance.  Il  reciuiiiail  ce  (pi'il  v  a  d'exael  cl  d'ingénieux  dans  cerlaiiies 
aiiaivses  de  passions  et  de  senlimenls  l'ailes  par  cel  aiilenr  ;  mais  il 
d(''gai;e  mieux  ipie  lui  la  supr'riorih''  de  l'iKumiie  sur  l'animal,  lant  an 
poiul  de  vue  all'eclir  ipie  sous  le  rapport  de  la  eoniiaissaiice. 

"  l/organisme  e(  les  raciillés  seiisililes,  cmidul-il  l'ermemi'iil .  çiui- 
dilioniienl  l'exercice  des  facultés  supérieures,  mais  ne  le  mesiireul  pas 
ui  lie  l'expllipieiil .  il  l'sl  vrai  ipie  loiites  nos  connaissances  nous  vieii- 
iienl  de  ipic|i|iie  manière  par  les  sens;  mais  loill  lie  n''sidi'  pas  dans 
li'S  sens.  Idées  iiilelleel  iielles.  seul  iiiieiits  sujir'rienrs.  Iiahidides  mo- 
rales, caraclères,  xcrius  surloiil,  sidisisleni  malgré  reirondremeiil  de 
l'Iioimlie  sensilile  el  s'yllirmenl  sonveni  jnsfpi'an  dernier  soupir.  I.a 
dispropm-lion  el  même  le  désaccord  ipii  exisleiil  ainsi  eiilre  l'Iiommi' 
plivsicpie  el  lliomme  moral  voiil  s  accroissani  lieaiicoup  avec  I  âge  el 
devraieni  ]iersiiader  aux  psyclio-pli ysiologisles  ipi'il  v  a  ici  une  pi'o- 
(■(Uide  dislinelioii.  .lamais  ils  ne  coaiiailronl  sc'rieusemeiil  lliomme 
même,  en  (''ludianl  l'homme  sensible  exclusivemeiit.  •■ 

Fiie  série  de  coiiréreiices  pédagogiipies  l'ailes  par  M,  Hoiilroux  ;i 
l'Ecole  normale  siipi'rieiire  des  iiisl  il  iilrii'cs  di'  l''onleiiay-aux-l{oses 
ip.  'i7)  l'ournil  à  M.  HIanc  une  nouvelle  occasion  de  poser  des  prin- 
cipes de  moi'ale  el  (rédncalion  conformes  à  la  fois  à  nue  saine  pliilo 
sopliieel  à  renseigiiemeiit  de  l'I^glise  callioli(pie.  Il  a  soin  de  rappeler 
<pie,  si  Luther  a  l'muh''  la  sanctilication  sur  la  foi  indi''pendaiimieul 
des  (cnvres,  "  l'Église,  an  contraire,  n'a  cess,'  d  enseigner  ipie  la  l'oi 


.i/y-:;,.i.v;;;s  l'iin.nstiriiinn.s.  iwr  m.  lmih!'  Kue  I'.lanc     -sm 

sans  les  (j'iivrcs  est  une  lui  luorti.',  c]ii('  Imit  esl  vain  dans  l'urdre  mo- 
ral sans  iiiu'  chariU''  vraie  cl  par  (•(inscqucnt  aj^issanlc  :  loujours  clic 
a  ra|i|i(Uir  ainsi  à  la  iici-t'cclidn  iiiiiralc  riii-lliiuli)\ii'  (lii^iiiatii|in'  ».  Il 
accorilc  (|ni'  <■  ciTtainos  aiisli'i-ili's  de  (iiu'l(|U('s-nns  de  nos  saints  ne 
l'ont  iioinl  partie  essenliollc  de  la  morale  elirélienne  •■.  Mais  il  pro- 
clame liautemcnt  ((lie  "  l'esiiril  d'ascétisme  est  essentiel  au  Christia- 
nisme, (pii  prêchera  toujours  la  mortilication  des  sens  el  la  domina- 
tion de  l'esprit  sur  la  chair  ».  Kl  il  donne  ce  bon  conseil  aux  éducateurs 
de  la  jeunesse  :  .<  Phiti'il  cpje  de  dénigrer  l'ascétisme,  les  maîtres  de 
la  moral(>  leronl  mieux  de  le  jnslilier.  Il  est  le  fondement  des  plus 
hautes  verlu-i  :  il  assaisonne  jusipiau  plaisir  lui-même,  dont  il  est 
moins  la  pi-ivalion  ipie  la  jouissaiiee  indépendanle  el  la  saije  me- 
sure. •• 

C  esl  (irincjpali'Hienl  au  pniiil  de  vue  moral  (pie  M.  Hlaiie  étudie 
l'hypnotisme  el  la  siigi^eslimi  hypnotiipie,  dans  une  courérence  l'aile 
par  lui  le  l 'j  janvier  IH'.I.S  aux  Facultés  calholifpjes  de  Ly(ui  p.  l.'{!)  et 
dans  un  article  critiq^iie  sur  i|uel(jues  opinions  récentes  touchant 
riiypnolisme  '[).  -l'Xi).  Il  résume  lui-même  sa  propre  opinimi  en  ces 
ternies  :  <>  Tous  les  phénomr^nes  vraimeiil  liypnoli(pies  rnrment  nu 
même  ensemlile  ihuil  on  ne  peut  hieii  jun'eraucune  pai-lie  sé|iaréiiieiil. 
Les  ph(''nom('ues  hypnoti(pu's  les  pins  exiraordinaires  sont  ceriaine- 
menl  diaholifpies  :  Ions  les  autres  sont  plus  ou  moins  suspects  sehui 
leiii-  proxiinili'  avec  les  premiers,  lui  ce  ijui  concerne  pari iculi(''remenl 
la  sui;\Lcesli()n  liy[inoti(pie  invincihle,  celle  (|ui  livre  alisolumeni  les 
lacullés  du  siijel  à  l'opérateur,  elle  est  inti-insè(]nemeiil  immorale  el, 
il  y  a  loiil  lieu  (le  la  regarder  comme  diaboliipie.  Il  nous  j)araîl  même 
«pie  toute  prali(pie  de  l'hypnolisme  propremeiil  dil  esl  interdite  par 
les  principes  de  la  morale  chrétienne.  Mais  il  va  sans  dire  que  nous 
n'avons  pas  la  prétention  de  ((indamner  pers(uine.  •• 

Sur  la  sociologie,  signalons  l'article  [lar  le([uel  déluile  ce  volume 
de  Mi'liiiiiirs  pliiliisiijiluijiicx  et  (jui  traite  pari  iculièreinent  de  l'origine 
du  pouvoir  :  .M.  Blanc  y  essaie  de  concilier  l'opinion  du  P.  de  Pascal 
cl  c(dle  du  P.  Manmus  <■  dans  une  docirine  supérieure,  à  la  fois  [dus 
large  et  plus  pr(''cise  »,  qui  poiip'ail  se  condenser  en  cette  formule 
(pii  est  de  lui  :  "  l)ieu  lire  le  [louvoir  du  jienple  en  se  servant  de  ses 
énergies,  et  en  particulier  de  son  c(uisenlemenl  lihre.  (pii  est  la  |dus 
haute  de  ses  énergies  morales.  Dieu  seul  esl  la  cause  principale,  sul- 
lisante  el  adé(juale  t\\]  p(uivoir  :  mais  le  peujile  en  esl  le  sujet  iiiqiar- 
fait.  une  cause  immédiate  et  suhonlonnée.  » 

Kn  (|uel((nes  pages  vig(uireuses  sur  V/Smiminir  ilr  l'i-ffini.  [)ar 
M.  Yves  Ciuyol     [i.  10.")  .   il  met  à  nu  le  vice   radical  d'une  l'CdiKunie 


•240 


.1.   GAliDAllî 


|)(ililii|iic  s;iiis  iiii)r;ilr  l'I  sans  i-cli,uiiiii  :  ■■  KHe  esl.  dil-il.  sans  |ii-i'iiuer 
j)riiici|u'  cl  sans  ik'rnirrc  lin.  pai'  roiisi-cinciil  sans  idéal.  ■■ 

Kniin,  il  s'assoric  an  hrau  Iravail  jinhlir  par  M.  (ii'iii-i;us  (ioyaii 
sous  ce  tilre  :  Aiilinif  ilit  oillidlirisnir  sncin!.  en  appri'cianl  hii-méiiu' 
lo  moiiVLMuenl  i-atholiijuc  s(i<ial  ilc  iiolrt-  l('ui|)san  nom  de  la  ])liilnso- 
phic  clircMieiinc.  Pour  olorç  ce  coinplo  rendn.  on  nnns  avons  tàclir 
de  l'aii-e  connaili-e  M.  ralilié  Blanc  Ici  ipiil  s'csl  (li'voilc  Ini-uicnie  au 
cours  de  ces  uiélauf^es,  nous  soiiunes  heureux  ili'  ciler  sa  déclaraliou 
sur  l'alliance  delaclionàla  science  lhéorii[nc  :  "  Toute  cwnuaissanci" 
ImniaiiH'.  |i(inr  cire  coiupléle  cl  IV'conde.  doil  lendrc  à  la  [)rali(iue. 
Issue  t\f  ruliservation  atlenlivc  et  de  lexiiéi-ience  [)roloui;ée  des 
lails,  aussi  liien  (pie  des  priin-ip("s  absolus,  la  science  ndourne  vers 
les  l'ails  oi'i  elle  a  Iriuixé  siui  lierccau,  non  plus  piuir  s'v  sonniettre 
.sans  réclauialion,  mais  pour  les  moditier  si  c  est  possil)le,  les  rél'or- 
iner  s'il  est  nécessaire,  el  les  conrormer  ainsi  à  l'ordre  supérieur  et 
iiKH-al  (jni  s'est  révélé  à  elle  d.ins  les  hauteurs  sereini's  de  la  spécu- 
lation. La  philosophie,  moins  i\\\r  toul"  antre  coiuiaissauce.  uian- 
ijuera  ;'i  ce  tievoir.  ■■ 


!:.\l!l)Alli. 


Iji     Ucvih'    il''    l'liiliiMi|iliii'    /('•///    à    iinjduisrr    il'iiiir    iiiiiiliirr    misii 

r.riirli'   el    iliis.si   roui/ilrli'   'il"'    jiiissll/li'    Ir    srrrirr    iriiipiriiitiliiiil.   Cftlr 

orijamsaliiiti   c.ri<ie  du   temps  ;  mais  flic  est  eu  Itonnc  voir.  L'iiiiah/se 

(les  périddiques  d'iai  poi/s  sera  prérédi'e  d'une  élude  d'eusemhle  sur 

l'étal   de   la  philnsiiphie  dinis  ce  paijs.  Xnas   rninim'urous  par   I  _\iiié- 

riqne,    unas   niutiuueraus   par    l'.\  uijleleri'e.    l'A /h-iiiaipir,    l'A  al  riche. 

les  pai/s  slaves,  l' Italie  el  rh'spaipir. 

\.\   |)llti;r.Tl(>\. 


PÉRIODIQUES   AMÉRICAINS 


Âvaiil  (le  |ir(''S(Mil('i'  les  |ii'iiici]i;iii\  |H''i-iiHlii|ni'S  qui  srrvciil  d'ni-- 
gancs  il  la  pi'iisi'c  |iliil(isoiilii(|ii('  <laiis  ce  pays,  on  se  proposi'  d  in- 
diquer à  ^TMiids  Irails  la  posilioii  adiii'llc  de  la  pliilosopliic  aii\ 
Étals-riiis.  L'Kiinipc  a  smi  passi'  cl.  par  suilc,  si's  Iradil  ions  pliilosd- 
plliqut'S.  Ce  pass(',  ces  li-adilimis,  le  Inii'iir  les  cimiiail  :  ri  cpiaiid  nu 
iiouveati  pi'i'i(idi((ui'  s'aniKinrc  —  l'ùl-cc  iiièini'  an  dchnl  dn  \x''  siécli" 
—  c'est  ])iMii'  Ini  une  lâche  relaliveinent  facile  tl'eii  relroiivei'  la  pai-enlé 
et  retracei-  la  j;cnéal(ip;ie.  Il  n'en  va  pas  de  même  en  Ami'i-i(pii'.  Nous 
sommes  jeunes,  même  et  sni'lnnl  m  pliildsopliie,  Niih-i'  pMSS(''  date 
il'liiei' el  nos  I  fadilions  en  sdiil  l'iicoi-e  à  se  formel'.  Ceux  (jni  eutri^- 
|ii-enuenl  di'  Icnii' à  Jour  la  sim'I  iiui  ■•  PéT-iodiipu's  .\méi-ieains  »  seident 
vaf;uemeid  qu'il  li-iu-  faul  loul  d'alinrd  nicudrei-  le  liieu  foiuli''  d  un 
pareil  lilic. 

Y  a-l-il  une  pliilnso[diie  ami'viraine  ?  Cell('  ()uesli(Ui  a  reçu  les 
ré|)onses  les  plus  contradictoires. 

De  Toci|iu'ville  le  disait  sans  détour  ;  «  Je  crois  (pi'il  n'y  a  pas  de 
pays  dans  le  monde  civilisé  où  l'on  donne  si  |ieu  d'atlention  à  la 
|)liiloso|dii('  quaux  £tats-l'nis.  Les  ,\méricains  u'oni  pas  d'école 
pliilosoidiirpie  à  eux,  et  ils  s'occupent  fort  peu  de  celles  ([ui  divisent 
l'Kurope.  C'est  à  peine  s'ils  en  savent  les  noms.  »  Les  rêves  iiliijoso- 
phiques  di'  certains  .\niéricains  d'aujourd'hui  ne  l'essernbleut  pas 
plus  au   vei-dici   sévère  du   puhlii'isle  français  ipu'   noli-e  belle  capi- 


■2ii  D'  SOI.I.lKli 

|;il('  lie  ri'ssi'iiihli'  ;t  l,'i  lui'i'l  iiii'iille,  clinisii'.  il  \  a  iiii  sirclc,  jiai' 
î'ii'orgo  WasliMii;l(.ui  pour  (h'Vi'uir  le  CiMilre  lit!  uoti'c  vie  iiiitioiiali'. 

Dans  Mil  arlicli'  ln-iiyaiil,  piiiiliù,  il  y  a  ijuchiuos  aiinôcs,  dans  la 
/!ililiii!li('rii  Sarrii  \  ïl  A  .  sons  ce  litre  :  «Avenir  tle.  la  pliilosopliii' 
.•nncricainc  "..M.Wood  iKnis  propln-tisc  r[n"('n  |ihilnso|)liii' — i'oimimc 
ilMillours,  en  IlmiI  le  reste  —  l'avenir  nons  a|)|iai-lieMl.  Sons  sa  pliune. 
nol-j'e.  ahsenco  de  traditions  devient  nn  (Méinenl  de  l'orce.  (''(^s!  l'indi'- 
pendance  de  la  pensée:  nos  emprunts  laits  un  peu  |iai'lonl  uKudi'eid 
ipie  iiDus  ne  nous  siinuues  inleodés  à  personne  :  mis  snerés  dans  la  vii' 
p:  ai  iipie  serveiil  dannonci'à  d's  sucrés  nou  moins  ii;rands  dans  la 
\  ie  de  spéculai  ion  philosopliiipu'.  i''orl  de  ci's  données,  M.  Wood 
cnnnail  d'(M-es  cl  déjà  la  UK'lhod!'  qui  va  Uinis  livrer  riii''i;('mon:e  du 
monde  pldlosopirnpe'  el  entrevoit  les  j^rands  résidtals  auxipnds  une 
j)areille  undliode  lu'  sam'ail  man(|uer  de  nous  conduire. 

Disons  loul  de  snili'  ipu'  ce  cr:  de  triomphe  ne  trouve  pas  d'écho 
anpi'és  des  p<'nseurs  sol)res  el  Judicieux  de  ce  pays.  Si  Toccpu'ville 
—  ils  s'accordent  à  le  diri'  —  s'i'lail  contenté  de  sii;nalei-  la  péuurir 
philosophiipie  lie  sini  lemji>.  il  nous  eiil  .laissé'  niu'  pai;'e  d  histoire 
uKilheurensemenl  li'op  vt'ridiipu'  et  à  hnpudie  il  ani-ail  pu  donner 
pour  epiiiraphe  le  dicton  popnlaii'e  :  Les  philosophes  son!  aussi  rari'S 
eu  .\meriipic  i|iie  h'^  ^ri-peuls  en  Noi-\véiie.  Il  alla  plus  loin  el  crnl 
aperci'voir  dans  nos  conditions  sociales  ipielipie  chose  ipii  doil  uous 
délourner  l'alalenuMil  des  études  spéculatives.  Dans  un  ra|)por!  sur 
les  ('Indes  secmida ires  aux  l'^lals-l  nis.  l'ail  à  Idccasion  de  l'I^x position 
de.  Cliica,no.  .M.  C(nnpavi'(''  n'es!  pas  loin  de  sonscrii'i'  à  c<'  vei-dicl. 

.\'esl-ci'  pas  sCxposer  à  preiuli'c  p(Hir  di'  linaplilude  ce  qui 
n'est  peid-eiri'  que  l'ell'el  de  ccuidilions  lransiloii-es  el  pureuieid 
ailvenlic.es?  Les  hautes  spéculai  iims  pliilosopliiipu'S  demandi'ul  nu 
l'Ial  de  civilisalion  maléi'ielle  déjà  avancé.  Nos  pères  n  uni  pas 
erliappi'  à  ci'Ite  loi.  Il  esl  loul  ualm'cl  (pi'(ui  soil  alh'  au  plus  pi'essc'. 
cl  le  plus  press('.  c'('lail  île  se  rendre  maiire  d'une  nainre  daulaid 
plus  relielle  ipi'ellr  l'Iail  plus  plani ureiise.  .\  ce.;  pionniers  hardis 
qui  seuroiiccul  dans  h'S  liin-ls  vierges  o\\  h'S  p]-airies  sans  lin.  la 
pliilnsiiphie  qui  s'idVre  loul  d'aliord,  c'est  celle  d  u  cliarliiMiniei' !  Kt 
pourlani,  ils  iiavaieni  pas  dit  adieu  aux  choses  de  l'esprit,  ces 
hommes  MMii's  aux  labeurs  de  la  teri'c.  .\vec  la  lani^ne  el  la  reliii'ion 
de  lem-  pa\s  d'orif^ine,  ils  apportaient  aussi  les  l'ci-ils  de  leurs 
i^rands  philoso|dies.  Cela  nous  explique  l;i  laveur  qu  olil  iiirenl  en 
Amérique  les  i-epri''senlaids  de  la  philosophie  régnante  de  I  .\n^le- 
lei're  et  de  r.MIcma^ne.  l.'inqioi'lal ion  allemande  a  l'té  considéralile. 
Il  n'y  a  pas  loni;lemps.  un  slalislicien   conslalail    que   noire  dépense 


ri:i;i(>i)i<j!  i:s  .\.i/;:;;;r  wvs  2;;) 

(le  liitmilnrc  alli.'uuiiulc  dcpnssv  |ii'('si|in'  ci'llc  dr  I  AHi-uiai^ni' fllf- 
mciiii'.  Ce  moiiveinenl  d"iin|uii-tiiti(>ii  (liauiicn'  diirr  encore,  mais 
avec  celle  diUV-reiice  (luanjoni-dliui  ncnis  eiiipnnddiis  à  rélraiiiier, 
iiuiiiis  |iar  disette  iiiie  i>ar  cet  esprit  de  c(isiii()|iolitisine  i)i"di(|iir, 
<]iii  iKuis  |nii-te  à  prendre  ncilre  l)ii'ii  paiionl  m'i  iiuus  le  li-nuv(H!s. 
(;'('sl  le  comiiiencenienl  de.  la  pliilosophie. 

Slaidey  Hall  a  dit  le  mol  de  la  siliiaiioii  :  •  (jniiiiu'  iialidii.  imi!- 
sdiiiiiies  Inip  ji'iiiies  pour  avoir  une  philosophie  à  mnis.  Mais  ismi^ 
siimiiies  trop  envieux,  trop  réceptifs  pour  ne  pas.  nn  Jour,  en  av(>;i- 
nne.  ■•  Oejonra  décidément  commencé.  Le  hilan  di-  iidhe  avnii-  pl;;- 
l(isopli!ipie  n'a  rien  qne  de  loi-l  enc(iui-ai;i'anl . 

Pour  élaldir  ce  hilan.  il  landrail  pai-courir  uns  n(iMd)reuses  l  ui- 
versilés  et  voir  la  place  de  plus  en  pins  i;i-aude  (pie  l'on  y  lait  aux 
études  pliilosophi(pH'S.  Les  |i(''i-iodiipies  liuil  de  temps  en  temps  cette 
revue  (CIV.  ICdurational  lierii'ir,  \,  l  et  \m.  10.  —  Mmiisl.  i.  1  W  e! 
!.-;(;.  —  Miiiit.  iv.  8!l.  etc.  .  Dans  ses  rai)|>orls  aniunds.  le  ^  Bureau 
de  l'éducation  ■■  ne  man(|ue  pas  de  u<nis  avertir  th's  [ii-oi;rès  l'ails 
.'I  lies  résultats  ohteuus.  Le  Lecteur  IVançais  piuM  ciuisuller.  outre 
le  rappcirl  de  M.  Compayrc  déjà  cité.  le  Iravail  >i  couiplel  Aw 
\y  E.-H.  Delahai'i-e.  directeur  du  lal)oraloire  à  ITniversilé  de  Bro«,ii. 
travail  ipia  pnhlii'  en  1S"J."1  ['Aniirr  psiirlKilniiif/iif. 

De  ces  stalistiipu's.  il  l'essort  avant  tiuil  ipie  la  ]i>\eliol(i^ie  l'orme 
la  presipu'  totalité  de  notre  enseii^nenu'id  philoso|)hi(|ue.  VA  |)ar  i)sy- 
choloi;ii'.  il  l'aui  ])ien  entendre  la  |)syciioloii,ie  iu)uvelle.  Quel  sens 
pi-écis  s'atlaehe  à  ce  vocahle.  il  serait  assez  dil'ficile  de  le  dire. 
..  Clia(pn>  année,  dit  Mi'insterherj;  d'Harvard,  voit  naître  des  amélio- 
rali(Mis  dans  la  nu'tliode  d'ohservat  ion.  i.a  psycholoj;ie  il  il  y  a  nu 
au  est  auci(Uine  eu  eniuparaison  di-  celle  d'anioui-d'liui  ;  ei  celle 
d'anjourd'lm;  sera  peul-éti-e  aucieniu'  demain...  Les  hautes  siiecula- 
tions  de  l'esprit  n'ont  rien  jiei-dn  de  leur  importance.  Seulement, 
nous  leur  d(Uin(Ui>  le  imm  de  philosnpliie,  i-i'Si'i-vanl  celui  di'  psycho- 
li(s;ie  \ut\w  les  pndiléiiH'S  ipii  s'occupent  de  l'.iiis  enipiriipii'S.  "  D  a|)i'és 
notre  li'riniu(iliij;ie  uiode!-ne.  la  psyeholoi;ie  nnuM'lli'  u  l'st  autre  cpu' 
l'ancii'uin'.  sans,  el  li'op  souvent.  Indas  I  la  philosophie.  .Non  moins 
Tranche    1-.I     la    déliniliou    donnée    par    M.    llarris.    idief  du   hureau 

d'éducation  :  -  Le  lerme  psifclioloyic  iKnirr/lf  renier deux  classes 

de  rechendn-s.  la  |)sycholoiçie  physiolojiic]ue  datant  des  déconvei-tes 
de  Broca.  eu  ISdl.  et  l'élmle  de  l'enl'aut.  •■  child  study  ■>.  eudji-assaut 
les  iniuvailles  de  Preyer.  de  S.  Hall,  de  leurs  collali(ira!eui-s  el  de 
leurs  dise iph's.  Toutes  les  auti'cs  spéculations  de  l'esprit.  i]u  elles  sui- 
vent la  un''!  hnde  d'induction  ou  celle  de  déduction,  (in'elles  procèdeid 


244  D"^  SOLLIEU 

à  pridri.  coiiliiK.'  I;i  ])syrliiiloi;ir  rai  ii)iiii<'lli'.  on  à  jioslcriori.  (■iiuiiiii'  la 
psyi'lii>lof;ii'  exporiiiieiilalo,  devraient  s'aiipclcr  l'ancicMiiu'  psyclidlo- 
gje.  ■>  M.  ILarris.  lui  aussi,  altesli-  fiu'il  no  niéconnaîl  pas  raiicieiine 
psvflii)li)i;i('  (pii  a  ajj,ili'  les  grands  iiroMèiiii'S  de  la  iiriis('i'  liiiinaiiic. 
Mais  il  vcul  [dus.  Il  vcnl  ipie,  poui'  i-éaj^ii-  sur  la  naliire  cl  s'élever 
sans  cesse,  riioninie  eoiinaisse  son  corps,  rinlliu'ni'e  îles  uulieux  sur 
son  oi'ganisnie,  les  tendances  de  Tàge,  du  sexe...  etc.  On  ne  Iraliil 
pas  nueux  l'esjtrit  foncièrement  p\'ati([ne  (pii  |ii'éside  aux  développe- 
ments (le  notre  philosophie.  C'est  bien  cet  espril  ipii  poussa,  de  ti'ès 
bonne  heure,  à  la  i'oudatiiwi  de  nos  laineux  lalioratoires  de  psyclio- 
physiolotjie,  celui  de  S.  Hall  à  llo|d<ins,  celui  de  Cattell  à  Columliia, 
celui  de  Miinslerherj; à  Harvard,  relui  de  Baldwin  à  Princeton,  etc..  elc. 
C  f'st  encore  cet  esprit  <|iii  valut  à  la  section  de  ]isycholop;ie  de  l'Kx- 
position  de  Chicago  d'attirer  plus  de  iriorule  ipi'aucune  autre  section, 
l-'aut-il  ajoutei- ipie  c'est  ce  même  espi-it  ijui  |)r(''sida  à  la  l'iuidaliou 
et  préside  encoi'e  à  la  rédaction  de  nos  [dus  impoi-tants  périodi(pies  : 
V AmrririDi  Jviirnnl  of  Psijrhtilinjii.  et  la  Psi/clKitaf/ii-al  /li-riric? 

Le  ./uiirniil  est  nu  pi'riodicpie  I  i-imesti-iel.  |-'onde  eu  IHKS,  par 
S.  Hall,  président  di'  Clarke.  il  est  resté  sous  la  dii'ection  à  |)eu  prés 
exclusive  de  son  l'ondateni'  ius(pren  ISltri.  oi'i  Stanford,  de  Clarlsi', 
TitchniM-.  de  Coi-iiidl.  el  d  autres  sa\anls  lui  p|-elérenl  leur  coiu'oiu-s. 
L'  projiranune  ipi  il  suit  a  ("lé  nettement  trace  en  1S9.").  Il  s  Occupe 
des  résidtats  fournis  pai'  le  lalioratoire  de  |)sy(dio-|)hysioloi.;ie.  tout 
en  (''vilanl  de  mettre  les  faits  an  si'rvice  ih'  n'importe  ipn'lle  Ihi'orie; 
des  faits  psycliicpu'S  auoi-maux,  (|u  il  (''Indii'  sans  i-ecourir  à  des  hvpo- 
thèses  uitn  scientitiipu's,  telles  r|ne  lliiide  maj;rn'li([ue,  télépathie, 
spiritisme,  etc.;  daidhropolof^ie,  surtout  au  point  de  vue  du  senti- 
ment relij;ieiix  l'I  îles  phTMiomènes  vai'iés  ipii  lui  servent  de  syndioles; 
de  psyilioloi;ie  animale.  ne\roloi;ie,  child-stuily  :  en  général,  lie  Jisy- 
chologie,  d  esthéti(jue,  dai'l.  de  théologie,  elc. 

La  l'siirliiiloijirnl  lii'ricic  est  un  |ieriodii|ue  lii-mensuel  l'ontlé  en 
ISOi  (lar  Cattell,  de  Clarke.  et  Haldwiu.di'  l'rinceton.  Elle  se  présente 
sans  programme:  mais,  im  parcourant  ses  principaux  articles,  ou 
s'aperçoit  vite  qu Un  îles  traits  distinctil's  de  sa  physiimomie  est 
l'étude  des  faits  all'ectifs  el  énnitionuels  de  notre  activité  nu'nlale. 
Sans  être  lorgane  attitré  de  \  Ami'iicmi  Psiirliiiloijii-ii/  Assorialioiif 
idie  entretient  ce|>endant  avec  cjlle-ci  d'étroites  relations,  .\nssi,  le 
discours  (|iie  (i.-T.  Ladd  <le  Vali'  [U-onmica  à  la  ri'uniini  annuelle  de 
IS9.'!.  et  ipi'elle  inséi'C  en  tète  de  son  jiremiei'  numéro,  pourrait-il, 
faute  de  mieux,  servir  de  programme  :  "  On  a  si''])aré,  dit  M.  Ladd, 
la  mélaphysii|ue  de  la  psychologie,  parce  que   le   uK'-lange  des  deux 


i'i:i',i(iiii(in:s  \  \u:iiicm.\s 


sr. 


l.'S  i;;ilc  loiilrs  li's  ilcu\.  Mais  il  csl  hicii  clillicilr,  eu  pral  ii|nc,  de  h^s 
sr'iiarcr  (■(iiii|)l('triiiciil  cl  i\i'  ne  |ias  l'airr  ^ciilii-  i|ii  on  c-,!  iiKiuisIc  nu 
diialish',  lualiTialisIc  (Ui  spiril  iiali-lc.  l'alalislc  imi  pai'lisaii  de  la 
lilicrli'.  La  ilisriissidii  si'i-iciisc  ilc  n'iiniKirli'  ipicl  iircililcinc  de  |is_\- 
(■Iii)|iii;i('  aliiiiil  il  l(i|-r('iii(Mil  a  iincanln'  disciissidii  dans  le  ddinainc 
df  la  idulosopllic  |Miri'.  (Ml  lirci-  la  lii;lic'.'  -  San-  ii(\i;lii;c|-  le  la'ilc 
[HM'eilirid  |dliliisii|ihii|iic  d;'S  (|iicsl  iniis.  la  /'s7'7/o/r.r//ra/  /ti'cirir.  rllc 
aussi,  S(ircii|ic  siiiiiiiil  de-  lads  cl  de  li'ur  |ini-!('i'  |>ral  ii|ii('  sur  I  (''dii- 
calicui.di'  iiK'deriiie  et  |)riiici|iali'iiHMd  de  ni'\  i-(d(i.uic. 

■Pdiil  cil  |-ccoiiiiaissaid  ([n'eu  Aiiu'rii|uc  la  |ii-ciiiici-c  placi'  a|i|iar- 
liciil  a  la  l's\idiidii,Li,ic  i'\|pci-iinciilalc.  ciii  aiirail  Inrl  d'en  iiilcrci-  ipic 
la  pliiliisii|diic  proprciiiciil  dilc  ii  y  csl   pas  en  Imii  iiciii-, 

Ciiiiiparaiil     les    di'iix     psylidlnnics  .     raiiciiM I     la    ii(iuv(dlc  . 

M.  Ilarris.  di'jà  rili\  i-cciiiniait  à  la  pn'inicn'  le  iiicrilc  d  a\(iii-  sou- 
levé cl  |-es(dii  les  i;i-aruls  prolilëuies  ipii  aj;ileiil  la  pensée  liuiiiaiiie. 
cxisleiiee  cl  dcj^rés  di'S  àuies.  liai  lire  îles  raeiilli'S.  Iii)erté,  iiiiiiuuia- 
lili'.,  cle.  :  H  Ce  soiil  là,  dil-il.  l'Ic-.  apporls  (indu  ne  saui-ail  Inip 
iip|)i-écie:-.  "  Miinslei-jieri;,  à  smi  Imir.  dcidai-c  le-,  liaules  spéeula- 
liiins  pliilosiipliiipies  aussi  in'ecssaii-cs  aujiMinl  Imi  (praulrefois,  cl 
ee  n'csl  pas  sans  re^rel  i|ui!  se  ri'si;;iie  à  iiiuis  livrer  la  fornuile  île 
Udli'e  psy(diiil(ij;ie  luuderue,  de  la  psyeluiln.nic  iiiuiiis  la  pliilosopliie  ! 
A  e(')lé  des  lievues  psyeliiilo^icpies  luuis  axini-  <l(iiie  des  Revues 
pliiliisdpliiipies. 

La  plus  iuiporlaiile  csl  Ja  /'Ininsniihir,//  llcriiir.  IS'.ti,  n-eucil  lii- 
luciisiiid  dirij;c  par  ,l.-(i.  Schuriiian  cl  .!.-!■;.  Cridinliliiu  île  Ciirncll. 
M  LAuu'riipie, 'v  esi-il  dil  en  pi-rd'aec.  esl  une  Icrre  de  promesses 
iiiiiir  la  pliilosiipliie.  C.'esl  à  organiser,  ri'pandrc,  accroître  noire 
sa\oil-  philosopliiipie  ipic  leud  eeltc  l{c\  ne.  |-;llc  sr  propose,  dans  des 
sounuaires  soigueuseiiicul  n'di:,;!'-.  de  rciiieillir  les  rayons  épars 
dans  les  périodiipies  du  uiiuidc  :  elle  mmiI  pri'seiiler  des  notes  erili- 
([ues  eoui|déleS,  prépai-i'r  un  eliaiiip  pour  la  lilirc  iliseiissiou  des  |)rii- 
Idèiiics  philosophiques,  oil'rir  aii\  eherelieiirs  un  inslruiueut  |)our 
l'aire  eoiniailre  les  résultais  de  leurs  reidierrlies.  Son  eliauip  est  celui 
uieiiie  de  la  l'Ii i loso[diie  dans  sou  aeeeplion  la  plus  larji;e  :  Psyeho- 
loj;ie.  Lo|j,iipie,  Élhiipie,  Kslhéliipie.  Kdiiealion.  lieli^ion,  Méljydiy- 
siipie,  Philosophi(>  cosniiipie,  Kpisléiuoliit;ie.  ele.  Ou  reconuait  la 
ui'eosili'  de  la  spéeialisaliou...  Mais  luéiue  si  chaipie  hranclie  avait 
sou  iiiurual,  encore  l'audrail-il  i\\\r  lievne  coiuinune  ayant  pour  mis- 
sion de  l'aire  converi^i'r  sur  un  iiieme  point  les  rayons  émanant  de 
ilitl'éi'i'lits  eenires.  ■> 

Une  aiilre   revue   philosophiipie   esl    le   Mmlisl.   l'ccueil   Irimestriel 

IG 


■2\G 


])'   SOI.l.IElt 


|);u';iiss;nil  à  (;iiiiMi;ii  ilf|iiiis  IS'.MI.  I.c  M'nul.  ilc  l.iiinlio.  r.-iMiiiiiK' ■ 
jiiiisi  ;  Le  Mmiisl  s'omiiiiT.i  >[:■  l*liili>so|iliic.  |{clii;ii)ii.  Sfit'iicc,  Sn- 
ridlduic.  Li'  11(1111  i|n  il  sr  (liiiiiir  vicill  s;ilis  iliiulc  (le  cr  i|lli'  1rs  é(l;- 
li'iirs  ri'ij,;ii'ili'iil  1rs  li-:iv;iii\  in-l  ncls  ilc  hi  |iliiliis(i|i|i  ir  ciMiiiiic  ;ml,'i  ni 
ir.-i|i|)()rts  à  l;i  ciuirci)!  ion  iiiiiliiin'  ilii  niiiiidc.  Aussi  li'S  (•(iluiiiii'S  dr 
relie  revue  siiiil-elles  iinvi'i-les  .1  Iniil  ('ci-i v;ii  11  vrjiiiiieiil  cnniiir'leiil 
iini  Miiiilra  l'aire  nuuiaili-e  les  rcsiillals  île  ses  reelieiehes. 

I.e>  leeleur>  île  la  /!r-iir  ilr  l'Iuidsiiiililr  se|-iiiil  leiiii>  an  ri  h  ira  ni  il  11 
liiuiivemeiil  lie  la  (len-^i'e  jili  ilii-.ii|p|iii|ile  en  .\liii'rii|ne.  iniMixenienl 
i|iii  ne  liiani|iie  |ia>  de  rel  "iil  ir  dans  le-  l'i^riml  lipies  ipii'  nmis  vriinns 
de  |iri''Seil(el'. 


IV   SOI.I.IKI!. 


JJVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAl'  \)K  LA  REVIE 


l'.illl  .Iwi.l.       -   (tlùiVi-fS  jihil'isiiiilii(jih's  ilr  l.riliiiiz.,   ->  \{iliiili:'S  ill-X", 

■ilil..  lie  1,1  Hililiiillièqiu;  di'  l'hildsiijjliir  ritnlriiijiiirti'iiii'.  i'ai-is.  Aij:a\. 

li,  r.  liiii  III..  >.  .1.  —  Diirh'nu's  cl  l'nilili'iucs,   iii-S".    Pai'is.    I!i:t.\i  \. 

(iriii-i;r  |-'(i\si;i;iii\  i:.  —    Lu    Cri-ic   siicinlt\    \\\-\-l.    l'aris.    Viclnr   l.i:- 

(Uiri-HK. 

1".  \ai  .  —  l.r  IJri-c  (1rs  l.uis  drs  l'iiijx.  ilc  Hil l'ilrsii ne  l'iisl rii/dijKC . 
Ii'adiii-I  iiiii  IVancaisr  avec  I  ni  nidiii-l  idii  cl  ihiIc>.  hroi'hiiri'  iii-S",  l'aris, 
l'j-iU'Sl   l,i;niil  \. 

Cliarii's  lli  ri'.  —  /,"  l'Iiilnsiijiliif  ilr  In  _\iiliirr  rhi'z  Irs  A  iiiii'iis,  l'ai'is, 
I-'mnti;.miii.m;. 

.Xlldn''  (  idiiAllli.  —  f.c  /'nv/V/vN)»''  rlii-i'lirii.  ill-S",  l'aiâs.  Rl.dl  II  cl 
llMlHAI.. 

IjiMsIaiil  llM.i:si:i.  —  Cins  ilr  Mnru'n  si  ilisrijilniii  inihlnrn .  iii-H". 
'i'i|p<ip;r.a|)liia  ■■  .\iiriii-a  ",  Coiislaiila. 

Marc  (liiAMi:.  —  Le  l'rohli'iiw  du  iihrc  arl/i/rr.  1.  Spalalii.  Dalnialii'. 


'.a   Revue   se    |-(''sci-\c   ilc    i-i'IhIi-c   C(iiii|ilr    (les   li\i-c>   ([iii    lui    siuil 
cjiviivi''S  cil  (iniiiiic  c\i'iii|ilai|-c. 


BULLETIN 


L'ENSEIGNEMEXT    PIllLOSOPlIIQliE 


MÉTHODE    lŒ    LA    PHILOSOPHIE 


Le  Positivisme  :  illusion  des  problèmes  philosophiques.  — 

La  iiliilii>ii|iliic'  il  |iiMii-  (iliji't  r,-is|M'i-|  lr,-iiisciMnl,-iiil  ri  iiii'!:i|iliysi(|ii' 
(les  t'iri's.  aspccl  siliii'.  par  son  df^vO  daljslractiuii  el  d'uiiivcrsa- 
lilé.  an-(li'ssMS  tlii  cliamip  de  visidii  de  la  sfienci'  ('\|irriinentali'. 

Alix  ycii\  (rAii^iisli-  Cdinti'.  ccl  objcl  est  in'anl.  La  iui'la|)liysii|iir. 
smis  ce  rapiiiu-l.  csl  assiinilabh'  à  VAstmlnij'u'  judiriaire.  dont  1  olii;'l.  a 
savoir  rinlliiiMR'i'  des  plaïu'ti's  sur  la  dcsliiii'c  des  lioiiniies.  n'a  ancuui' 
réalilr.  SoMinisc  à  li^NdluI  iiui .  1  liuniaiiiU'  s  csl  délonruéi>  de  c;'!-- 
tains  |u-ohlèuiPS.  an  snji'l  dL'S(|ucls  l'Ilc  s'était  ahusi-e.  Au  lu-i'inicr 
ài;;'.  cncoi-i'  cnfanl.  elle  cxiiliquail  les  ]di(''noint"'ni's  |>ar  l'inlervcnl  ;nii 
des  (lii'ux  on  des  rausi's  I  hpoliit;ii(ni'S  :  le  liiunçiTc  l'Iail  |iro<ln;l  par 
V.i'j-  on  .luiiilcr.  An  dcuxiènu'  ;'if;-i'.  çpdiinc  dv  jcuiirs^r  cl  d  iuiai^àna- 
lion,  clic  cul  recours  aux  snl)stanccs  cl  aux  ranscs  nclapliysiiiucs. 
siiric  (le  pctilcs  pci-sonucs  cacliccs  à  l'intcricur  des  l'ircs.  opi'raid 
avec  des  mains  invisibles  :  l'cleetricité  ctail  cause  du  lonneirc.  An 
troisième  âge.  ilé|)(Uiillr'c   de  ses   ill usions,  positive   cl    raisunualile. 

clli'   rcii'lle  lc>  causes  cl  i'X])liipie  le  ])liénom('n(>  par  le  plicuoinènc. 

K'aprcs  M.  I>iei-|-e  Lallillc.  ancien  dirccteni-  du  Positivisme  l'ii  |-'raucc. 

celle  (■■po(|uc  de  raixni  a  c(uinnence  vi'rs  LS.'iO.  aviH'   Aui;uslc   ('.(unlc. 

qui    Icrmiiu'    l'evcduticui   de  l'cspril    humain     I   .  —  Chaipu'   hiunnu'. 

considr'i-anl    sa    pi-iipri'     liisinire.    -c    >(iuvicul  .    dit     Aui;iisle   ('.mule. 

"    i|n'il   a   l'U''   successi\  iMuenl  .   ipiani    a   si'S   nolimis   le--   plu-   impo:- 

(11  Coin:-.-  lie  l'Iiilusopliii'  i  remière.  préf;ice,  xiv. 


•2U()  E.  i'i:i!,i..vrBi-: 

lanlcs.    llnMildnii'ii    il.iMS    Sun    iMiraiicc.    iiiiMa|ili\  sii'irii    dans   sa  J'ii- 
iiesse  el  pliysicicn  dans  sa  vii-ililc    I    •  . 

I,rs  iiiiMaiihysicicns  a|)|iai'li"nncid  dune  an  di'nxirnic  iii;i'  dr  I  liu- 
niriMili'.  ri  les  pi-iihlrni  'S  diinl  ils  s'(iccn|MMd  n  cxislcnl  pas.  Le  nilc 
de  la  |iliili)sii|)lii('  SI.'  I)(i:-n'.',  anjiiin-il'liui.  à  sysli'nial  iscr  les  ri'sidlals 
si-iiMdili(|ni's  iililcnns,  à  cooi-donni':'  les  luis  ri.  aniani  (|n('  |his- 
>ildc.  à  diMn-niiniT  le  l'ail  j;('n('Tal  d(inl  li's  divers  |dii'ininic'iii'S  ni' 
rc|>i-i''scnli'nl  ipii'  les  ras  pari  icnlicrs.  à  rnrniulcr  1  axiunic  (|ni. 
srlon   Taini'.    si'   |ironnnc('  an  soninii'l  des  clinscs  ri   duil  r('ni|ilac,'r 

DilMI. 

Critique  :  réalité  des  problèmes  philosophiques,  I.  hisldirc 
a  il('iniinlri'  l'iin'Naclil  iidi'  di'  la  loi  cics  Iriiis  ('lais  -2.  La  raison 
|i;-ini\r  anssi.  avec  ex  idcnuc.  i\nc  Irs  pridiU'ini'S  |iliili)S(i|)hiipK'S  smil 
des  prdlih'ini'S  rrcls.  .Aussi,  iminhrr  df  pnsitivisirs  cl.  à  di'  crrlaiin'S 
hcnri'S.  Viif^nsli'  (lundi'  I  ni-nirnii'.  on!  nmins  nie  la  n'alili'  ipir  I  ac- 
ii'-~siliilili'  dr  la  ini'Iapli  \  snpii'. 

(lu  priil  IniiiM'r  Irllr  un  Irllr  suinliun  rliinicriipir  ;  mais  un  m' 
p 'Ml  pas  iliiT  iph'  Irs  ipirsiiuns  suirni  rhiniériipii'S.  Ci'  n  l'sl  pas 
..  une  ipirstiun  rliinii'i-iii  r.  dil  I  rrs  liirn  l'an!  .lanrl.  i\r  sr  driiianilrr 
si  Ir  niundr  a  runinirni'i'  un  n  a  pas  runnni'iiri'  :  rar  il  l'aiil  liirn  ipir 
rc  suil  I  lin  un  liMilrr,  l'riil -l'Irr  r>l-rr  uni'  ipirsliuii  insuliilile;  mais 
insulnlilr  un  nun.  r'rsl  niir  ipirsliuii.  Il  laid  un  ipii'  li'  miiiidi'  ail 
runimrni'r'.  un  ipi  il  n  ail  pas  ruimni'nri'.  ipir  I  liunimi'  suil  lilirr  un 
ipi  il  nr  II'  suil  pas.  ipir  Innivci-s  suil  rii'iivrr  d  nnr  i-ansi'  iiilrllij,'i'nlr 
un  qu'il  snlisisir  par  liii-iiirmi'.  Kl  lurs  mrinr  ipir  ruii  i-ri.iirail  pun- 
Miir  l'rliappcr  à  ci's  aulinumirs  par  la  suinliun  i-riliijiii'  dr  Kaul. 
l'ucuri'  laul-il  ipic  ces  ipn'sliuus  suirut  posci'S  pour  rcndro  possihii' 
l'i'lli'  suinliun.  \'.i\  un  mul.  il  y  a  là  di's  qni'slions  rL-i-Ilcs,  t'I,  laiii 
ipi  il  s  aura  \\i\r  raisun  linmaini'.  rr^^  ipirsiiuns  sri-uiil  pusrcs  :  l't  n 
\  aura  uiu'  scirncc  ipii  1rs  pusrra  ri  ipii.  avrr  plus  un  niuius  di'  snr- 
crs,  l'ssaycra  de  les  i-rsunilrr    .'{  .  > 

La  pliilusupliir  a  nu  ulijrl.  rrl  ulijrl  rsl  ri'i'l.  l'ar  ipirllr  mrlliudr 
priil-uii   Ir  riiiina  il  rr  ? 

(Il  Cours  (le  l'Iiilitsophie  positive,  l'"  leron. 

(2)  Le  Positivisme  a  vécu.  Son  pontife  —  car  le  Posilivisiii'î  est  tout  ensemble 
une  science  et  une  religion  —  et  son  dernier  représentant  en  France,  M.  Pierre 
i-atlitle,  ,1  fait  son  cours  en  1900  devant  deux  ou  trois  auditeui-s,  curieux  d'assister 
à  l'effondrement  d'un  système.  Sei  idées  ne  sont  plus  discutées  dans  les  revues. 
Ni  élèves,  ni  lecteurs,  ni  contradicteurs.  Peut-être  l'humanité  en  est-elle  à  une 
période  de  régression.  Le  troisième  âge  n'a  pas  duré  longtemps. 

(3j  Revue  philosapliique,  1S8S,  1,  p.  331.1. 


MiriKiiii-  /;;•;  ;,A  fiiii.iisni'iin:  o-ji 

Nature  de  la  méthode  ontologique.  —  Oii.iiiis  |iiiil.Kij|,|i(.-; 
uni  eu  le  ilcssrin  ilr  IViiri'  ciniii-idiT  lUrdiT  liii;ii|iii'  .imm-  Idi-di-c 
niil()l(ii;ii[iii'.  (■  c'sl-.i-iliii'.  (le  "  n'pi-odiiirc  |i;ii-  l;i  |ii'iiscc  la  j^i'iU'Si- 
iiiriiii'  (In  nidiiili'  ■•  en  id  ndi.iiil  1rs  rlidsrs  dan>  Irnr  ni'diTdc  crc'a- 
liiHi  lin  d  l'Vidnl  ion,  ('.(innni'  la  ran>i'  l'I  le  |ii'inci|M'  r\i>lcnl  anli'- 
riinn-rnirnl  à  I  cllrl  cl  a  la  cdiisr-iininirc.  il>  si'  siinl  |iiii'li''S  d  riii- 
lili'i'  .HIN  |iiriiilr|-r>  rallsi's  l'I  ail\  prri il irrs  |n-inri|irs.  iiii,  |dniiil. 
à  la  priMiiin-r  caiisr  ri  an  |nTniir|-  |ii'inri|ir.  iirii;ini'  sii|ii-iMiir  dr 
I  l'IiT.  Ils  mil  cnsnili'  rssaM'  d  en  liirr,  |iai-  <lc<hirliiiii ,  Ions  los 
|ilii'iiiinii'ni's  de  riniivi'l's.  O  prorcdi'  |ii'iil  ^aiiiirli'i-  ini'lhddc  on- 
loliK/iqur.  iitfllinilr  a  /iriiii'i.  uuHlinili-  ili'(_liichci\  l'i-rnoiis  i|ilrli|iii's 
('\('in|)lis. 

l'inliii  w  >iis|iriidii  i  l'V  iiliil  ion  lin  iiioiidc  au  |iianri|ii'  dr  Iniiilt',  à 
17  /(.  -.'j  l.v.  1.7  /(  ni'sl  ni  rinlrlli.nciiri'.  ni  ii;ii-c  :  il  c-,!  a  nli'i-irin-  à 
I  Inlrlli^inirr  ri  à  1  VAvv.  Il  n  rsl  ni  iionir',  ni  Lilirrli'.  ni  |-'onnr,  ni 
l^ssrnrr  :  il  rsl  sil|irririi|-  a  rrs  (diosrs  I  ,  —  i.a  di'dnrlioii  ronilnil 
l'iolin  dr  lin  a  I  liil('llii;'riicr,  Noo;.  (iinnnir  Ir  ra  \  on  rmaar  in'crs- 
■-airrnirnl  du  soiril,  Ir  No-j^  éllianr  iln  -},  \':,.  Lin  ri  rinlrllif;-ritrr 
roiisl  il  iiriil  la  /tijinli'  /ii-iiiiilive. —  Pal'  iiiir  iioiivrllr  di'diiii  ion,  il  lirr 
dn  S'/jz  Ir  A'>"j;.  la  prasrr  dr  l'ililrlli^riirr  on  I  ;'iinr  niiivrrr,rllr,  j.r 
-.'I  E;.  Ir  Noj,-  ri  Ir  .\'>;o;;  rr|il-('srnlrnl  la  Ifimlr.  —  I.  ainr  II  lli\  rrsrl  Ir 
|i|-odiiil    1rs  liiiti's  iiiiliridiielli's. 

//l'i/c'l  plarr  son  poiiil  ilr  (Irpai-I  dans  Vlilrr  ir/:'lrr  n/isalinuru/ 
iiidiii'nniiK'e.  (iràcr  ;'i  Irvotiition.  1  idi'r  sr  dr'\rlo|i|ir  ru  |ii'iiiri|ir> 
alislrails.  roiuiiir  IV'Irr,  rrssencr,  la  no  lion.  |Muir  ronsl  il  iirr  la  loi;ii|nr: 
ri  m  drlri-uiinalions  inrcaiiiqnrs,  jdiysiijnrs,  ori^aniqurs.  d'où  rrsuilr 
le  niondr.  Kniin,  les  dri'nirrrs  rvolnlions  dr  lidrr  (Vrlre  se  passml. 
ilans  rrs|ii-il.  Nous  avons  ainsi  Irois  soiirs  dr  di'Iri-iilinalions  dr 
l'idée  :  Lof;ii|ur.  Nalni-e.  Kspril    -1  . 

Firlili'  Irnnve  dans  le  moi  le  |u-inri|ir  </ y/z/oc/  rlalisoln  :  londiMiirnl 
ilr  loii>  1rs  l'ails  dr  riuisrirnrr,  Ir  moi  i''\olnr  m  non-nioi.  L'olijrl  rsl 
iinr  drlrrniinalion  du  siijrl    .'!  , 

Srliel/iiif/  alll-ilnir  la  |ii-iorili''  à  lidiji'l,  ■  l'rrndrr  l'olijrrlir  |ioiir 
|M-inri|ir  ri  rn  di''dili|-r  Ir  sulijrilil,  lr|  r-,1  Ir  pi'ohlrmr  loiMlanirnlal 
dr  la  |iliiloso|diir  dr  la  uaLnrr  'i  .  ••  La  di'diirl  imi  srra  IrniiiiH'r 
lorsi|ue  '■  ce  i|ni  l'sl  |iosé  pcuii'  lions  roiinnr  olijrl  dans  Ir  moi,  \  sri-a 

(1,   Vr  Knii..  liv.  I.\,  p,  7CÛ,  ligne  1M9. 

(2)  l'kilosiqjliie  lie  VEspril,  introd.,  ch,  v.  p.  T,)-ul;  trad.  Véh.v,  lSii7. 
|3)  Pi-incijjaiix  fontlemenls  de   lu  Srieiice  et  de  lu   l'onnaissnnci'.  t.  I,  prciiiiOre 
partie,  s  2,  3:  et  deuxième  partie,  passim. 

(4)  Système  de  l'iiléctlisme  Iranscendatilnl,  introd. 


■2:;2  K.  PEILF.ALnE 

)iiisé  niissi  |i<iiir  non-;  i-diniuc  sujcl  1  ".  J.i'  /irm-rssiis  if  ('■Vdlnliiui 
rsl  le  niiJmi'  i|iic  ii'liii  lie  l-'ii'litc. 

Spinoza  [t;\v\  di-  l.-i  Siilistance,  ilmil  il  diMliiil  Dieu  cl  r.'uiir;  ilr  r.iini' 
il  lii'r  ['(''Icnduc  cl  lii  pensée:  ilc  l'clciiduc,  Inus  les  iihcnoincncs  coi'- 
|uirols:  ç[  de  la  |)cnscc.  tons  les  fails  de  l'iiHU'.  Il  |)rocc'de  |)ai'  axiomes, 
proposilions,  di'iHoii^li-alions,  coi-ollnlres    i  . 

Les  ])liiloso|ilies  de  celle  école  |>eiivenl  dill'érer  snr  le  choix  du  |ii'e- 
niier  prineiiio  el  sur  la  détermination  ties  anneaux  qui  constilueid  la 
chaîne  de  la  déducliou.  Mais  ils  siuit  d'acccwd  sni-  le  lond  de  la  \\]r- 
Ihode,  qui  consiste  à  poser  dahord  le  principe  l'I  à  tirer  ensnile  lnulcs 
le-.  conséi|Menccs  (pi  il  riMd'erme. 

Vice  essentiel  de  cette  méthode  :  identification  de  l'ordre 
ontologique  avec  l'ordre  de  la  connaissance.  —  Celle  mcihodc 
repose  sur  [Wi  taux  postulai  :  ridciilitical  iou  de  I  ordre  ontolo- 
gique avec  l'ordre  de  la  coniiaissaiice.  Kn  soi.  au  point  de  vue 
niélaph\si(pie.  la  cau-c  préexiste  à  rellel  et  le  |>i-incipe  à  la  consé- 
queni-e  :  I  l'H'cl  repri'--cule  une  iliuiinulion  cl  une  cliulc  dclre;  la 
consé<iucnce.  uiu'  extension  du  principe.  Mais  p(uii-  nous,  au  poini 
de  vue  de  noire  lo,i;ii|ue  liuniaiiu'.  la  seule  qui  nous  soit  possihie.  la 
connaissance  de  rcll'cl  cl  de  la  cons(''((nence  est  anii'rieure  à  celle  de 
la  canse  el  ilu  priucipi'.  La  sensation,  «pii  est  à  l'origine  de  notre 
science,  n'a  i-appori  qu'au  phcnoiin''ne.  Sans  douli'.  le  phénonu'Mie 
pos>cdc  umins  diulellii;il>ilili'  qiu'  l'élrc.  el  son  explicali(Ui  com- 
plète suppose  un  rclliui-  de  la  cause  sur  l'ellel.  Mai-;  piii-iiuc  la  ciui- 
naissance  d('l>ule  pai-  les  sens,  lorcc  nous  est  de  c(uiuncncer  par 
l'inférieur  cl  rinipai'lail  cl  de  nous  idcvcr.  par  de^ri''.  an  sup(''rieur  et 
an  parl'ait. 

De  plus,  plai-ci-  la   d(''duclion   au    prcnucr  miuucul  i\r  la   recherche 
scienliliqne.    —    cummc    l'exific    la   méthode    onloloiilipu' ,   —  c  esl 

dal>ord  se  niellre  dans   la   nécessité'  de  pr Ire  une  hypothèse  poui' 

point  de  départ,  el  une  h\])Ollièse  ipii.  fùl-clle  vraie,  est  nulle  scieu- 
tili(|uemenl.  ("esl  ensuite  se  renh'iMuer  dans  uiu'  lo,i;iqne  stérile  ou 
se  coiidaniuer  an  paniheisnu'.  SupjKisons  que  ILli'c  alisolu  soil  le 
principe  de  lindcs  choses.  Il  esl  iiiqiossililc  d  eu  lirei'  pai- d(''ducl  ion 
l'existence  îles  êtres  de  la  nature:  c'est  tout  au  plus  si  1  ou  [)enl  con- 
clure à  leur  possihilili'  :  la  déduction  analyse  senlemeut  le  contenu 
d'uiU'  idée.  I-'.I   >i  l'on   veut   di''duirc  leur  exislcucc.  on  n'échappe  pas 


(1)  Loc.  cil.,  troisiùinc  partie,  i.  p.  6:i. 
(i)  Voir  ['Élliiqtœ. 


METitiiiiE  m:  /.  1  l'iiii.iiSiii'tni:  253 

au   iiaiillii''isin('  :  (■(iniiiiriil  1rs  lirri'  d\i  (•(iiici'|il  de  Difii.  par  aual\si' 
iiii'la|ili\sii|iu'.  sans  li»s  idnil  ilicr  avec  IKIi-c  divin  '.' 

Les  résultats  de  la  méthode  ontologique  ne  lui  sont  pas 
attribuables.  —  .Mali;iM'  scni  \iiT  radical,  colle  midlitide  a  on  des 
résultais.  Plusieurs  des  f^i'aiules  coiislruclions  qui  lui  doivent  le  jour 
saccoi-denl  assez  bien  avec  rohservation.  Mais  cet  accord  ne  saurait 
lui  l'Ire  aliriliui'.  Si  la  di'ducliiui  rejoint  l'expérience,  c'est  qu'elle 
en  est  parlie.  I,  énoncé  des  prohlémes  uest  [las  à  priori  :  poiu-  cher- 
cher connuent  on  peu!  déduire  d'un  principe  donni-  l'intellif^ence  el 
l'étendue,  il  faut  avoii-  appris  di-  l'observalion  ijue  l'intellif^'ence  et 
l'étendne  sont  des  attrihuls  de  la  réalité.  Le  principe  lui-même  n'est 
ordinaii'emenl  cpiune  ol)servation  condensée,  sciiéraalisée.  La  dé'duc- 
li(Ui  di'veliippc  ce  que  l'inductiiui  a  enveloppi' :  l'uiu'  dc'riinle  ce  ipu' 
l'autre  a  enruuh'. 

Nécessité  de  la  méthode  expérimentale  ou  inductive.  —  Si 

la  méthode  oidiiloj;iquc  n'est  l'écuude  (jue  par  ses  enqirunls  à  1  expé- 
rience et  à  l'inducticui,  la  méthode  expérimentale  ou  inductive  est 
une  méthode  nécessaire. 

Celte  méthode  revél  des  foruies  assez  diU'érentes,  suivant  (]n'elle 
s'appliipie  à  des  phénomènes  physiques,  chimiques.  l)ioloi;i<pu's. 
psvchohitïiquestui  sociaux.  L'observation,  l'exiiérimentalion,  la  tléter- 
mination  de  l'hvpothése  et  la  V('ri(ication  des  consé(]nences  ne'  sont 
pas  des  opérations  absolument  ideutiipies  dans  le  monde  delanaturi' 
et  dans  celui  de  la  conscience.  Mais,  au  fond,  la  métinjde  est  la  même 
partout  :  des  faits  on  s'élève  aux  lois  et  des  lois  moins  générales 
au\  luis  plus  jiénérales.- 

Impossibilité  d'identifier  la  méthode  expérimentale  et  la 
méthode  psychologique  :  erreur  de  Cousin.  —  La  mi'thiMle 
ex|>érimentale.  (pii  représente  le  [loint  de  départ  nécessaire  île  toute 
recherche  scientiiique,  sera  donc  à  la  base  de  la  philosophie  de  la 
matière  et  di'  celle  de  l'àme.  La  physi(iue,  la  chimie  el  la  l)ioloi;ie 
précéderoid  la  cosinoloj;ie  rationnelle:  la  psychologie  expérimentale 
.servira  d'introduction  à  la  psychologie  métapliysi([ne. 

Cousin,  vn  organisant  l'élude  de  la  ])syi-hologie  classique,  a  l'ait 
de  la  conscience  nne  sorte  de  préambule  à  la  philosophie  en  général. 
I.'intri)spee!iiui.  ([ui  n'est  qu'une  des  formes  de  la  méthode  expéri- 
mentale, s'est  trouvée  idenliliée  avec  cette  méthode  elle-même. 

La  psychologie  doit-elle  précéder  toutes  les  parties  delamétaphy- 


au  E.  PEII.LAUBIO 

sii|iie  ?  —  M.  U;il)i(M',  dans  ses  Li'inns  dr  l'aijrhotaiiif.  l'ail  valoir  deux 
raisons  en  faveur  de  rafliruiative. 

a)  i<  Dans  lout  iirohlèiue  |diil(is()|ilii(|ue  sur  la  nalurr  iiièiiie  des 
choses,  on  trouve  impliqué  un  problème  de  psycholof^ie  :  et  eelui-ei 
(loi!  être  résolu  loul  d'abord,- car  il  donne  la  plu|iarl  du  temps  la 
solution  de  celui-là.  ■>  Kn  ellel.  avant  déludier  les  ciioses  m  elles- 
nu'nii'.s,  il  est  nécessaire  de  les  considérer  dans  les  elfclx  ((u'elles  ]iro- 
duiseut  ini  naiix  :  ces  effets  sont  nu  di's  reprr'sentalions  ou  des  sen- 
liuienls. 

Cet   arf^unicnl    pi'ouve   trop.   S'il   a\ail    une   valeur,  la   [isycliolo^ie 
devrait  |u-écéder  non  seulenienl  la  niélapliysi([ue.  mais  encore  tonte 
science,  la  f^éoinétrie,   la   physicpu'.  la   chimie   et    la   biolojj;ie.    t)r, 
il   n'en  est   rien.  Sans  doute,  nous  ne  soi-lons  pas  de  nous-mêmes 
pour  connaître    les  objets  extérieurs.   Nous   n'avons   prise  sur   eux 
que  par  nos  représentations.  .Mais  ces  l'cprésenlations  ont  toujours 
deux    faces   :    une   face  siibjerlirr  el    niu'   l'ace  iilijcrlirr.  Pai'  un  colé, 
elles  soni  des  nu)des  de  la  conscience:  el.  par  un  aulre,  elles  sont  des 
objets,  ([ui  [leuvent  n'avoir  aucune  réalile  ixli'rieure  à  nous,  mais  qui 
nous  sont  dot}nrit  comme  objets  de  connaissance.  La  Psychologie  étu- 
die la  face  subjective  des  représentations,  elle  se  demande  en  outi'c 
si  (piehjue  chose  correspond  en  delun-s  ili'  nous  à  la   face  objective; 
mais  ses  recherches  ne  portent  pas  sur  Vulijçl  donnr  hn-méme,  (|ui 
constitue  le  domaine  des  autres  sciences  el   des  autres  parties  de  la 
philosophie.  Sans  la  conscience,  le  physicien  el  le  pliiloso|>lie  ne  con- 
uaitraierd  pas  la  lumière;  mais  l'élude  des  lois  et  de  la  nature  de  la 
conscience  ne  leur  appi'end  rien  sur  les  lois,  ni  sur  la  nature  de  la 
lumière.  C'est  la  sensation  qui  i-c\clc  ;i  riiisloloj;isle  la  siruclure  des 
éléments  analonii(pies  ;  mais  ce  nesl  pas  la  théorie  de  la  sensation 
qui  l'ail  proj;i-esser  la  science  microscopicpie  des  tissus.  La  Psycludoj^ie 
ne  saurait  (humer  les  solulioiis  di's  prnblènies  scienlili([ues  ou  méta- 
physiques (pii   [lorlent  sur  Wilijrt  donnr  dans  nos  r(q)résentations. 
Quant  aux  <-hoses  (pii  |U(>duisenl   en  nous  des  sentinu'uts,  senli- 
menls  du    beau   el    du    bien,    nous   les  connaissons   de  t\^^u\  fa(^(Uls  : 
d'abord  par  la  nature  des  représentalions  ijui  causent  les  S(Mitimeids  ; 
et  ensuite  jiar  ces  sentiments  eux-mêmes.  La  première  connaissance 
est  olijcrlii-r  ;  la   seconde  est  subjective.  La   Psychologie  subjective 
joue,  en  etl'et,  un  grand  rôle  en  esthétique  et  en  morale  et  même  dans 
la  science  générale  de  l'être.  Mais  il  ne  convient  pas  de  l'ériger  en 
méthode  universelle  et  de  la  substituer  à  la  mélhode  expérimentale. 
bj  D'après  M.  Rabier,  la  Psychologie  doit  encore  précéder  la  méta- 
physique, parce  i|ue  notre  conception  métaphysique  des  choses  est 


MKTHDDi:  hi:  /.  1  rim.dsiiriiii:  25:-; 

iiéCL'Ssairi'iuL'iil  iisycholuKiLiiH'.  Ci'  r;iisonneniL'iil  sui)|)OSt'  que  Volijrl 
cniiiiu  dans  nos  représentations  nest  autre  que  nons-niènies  et  que 
noire  percei)tion  n"esl  qu'un  j^rnupe  de  sensations  j)rojelé('s  et  alié- 
nées. M.  Bergson  a  très  lieureusenieut  l'éi'uté  celle  projection  de  sen- 
sations. Kn  tiuil  cas,  la  science  et  la  métapliysi((ue  de  tout  ce  qui  n'est 
pas  l'âme  porlenl  sur  un  objel  donm'-.  Cet  ohjel  donné  n"esl-il  fpi'une 
.sensation  aliénée?  La  ré[)0nse  à  ce  grave  proMéuie  de  psychologie 
est  inca|ial)le,  quelle  qu'elle  soit,  de  nous  donner  les  solutions  des 
problèmes  métapliysi(pies  touchant  la  x\;\\x\Te  obji'ctive  de  la  matière: 
elle  ne  saurait,  i)ar  conséquent,  régler  l'ordre  à  suivre  dans  l'étude 
des  dillérentes  parties  de  la  pliilosoi)hie.  Cet  ordre  dépend  de  la  u.iluic 
des  rapports  que  les  problèmes  .soutiennent  entre  eux  :  il  a  poui-  Imt 
de  projeter  sur  le  problème  qui  suit  les  clartés  de  la  solution  du  pro- 
blème (|ui  précède. 

Rapport  étroit  de  dépendance  entre  l'ordre  logique  des 
parties  de  la  philosophie  et  celui  des  différentes  sciences.  — 

La  philos(i[ihie,  nous  1  avons  ilenionlré,  est  en  continuité  avec  les 
sciences  :  dans  chacune  de  ses  parties,  elle  se  superpose  à  une  ou 
plusieurs  d  entre  elles. 

Il  en  résulte  que  l'ordre  A  suivre  dans  l'élude  des  dinV'i-cnles  parties 
de  l.'i  i)liilosophie  est  corrélalil'  à  celui  (]ui  régil  les  sciences  et 
explique  leur  développemenl.  Su[q)osoiis  que  A  et  B  soient  les  fon- 
dements de  C  et  de  I).  Si  l'éliule  de  .\  est  nécessaire  à  celle  de  B.  il 
l'aul  que  I  élude  de  C  soil  nécessaire  à  celle  de  1)  et  (pi  elle  la  pri'- 
cède.  Quel  est  donc  l'ordre  logiipie  des  sciences? 

Ordre  logique  des  sciences  :  Principes  d'Auguste  Comte. 
—  La  classilicalioii  des  sciences,  au  point  de  vue  ipii  nous  occiqie. 
repose  sur  ces  deux  principes  d'.\ugusle  Comie  :  (i\  Dans  la  natui-e, 
les  faits  les  plus  simples  soni  les  jilus  généraux  :  la  simplicilé  esl 
en  raison  directe  de  la  généralité.  C'est  ainsi  (pu'  les  phénomènes 
physiques  sont  plus  sinqiles  el  ])Ims  généraux  (jue  les  phénomènes 
lii(dogi(pies.  /) ,  Les  faits  sont  si  bien  soudés  les  uns  aux  autres  (pie 
les  plus  complexes  et  les  moins  généraux  supposent,  comme  condi- 
tion de  possibilité  et  d'existence,  les  moins  complexes  et  les  ]ilus 
généraux.  Les  (jualilés  physiques  el  chimi(pies  s'appuieni  sui-  la 
quantité  et  servent  de  base  aux  |)ropriétés  vitales. 

Il  suit  de  ces  deux  ]>rincipes  :  a)  que  les  faits  les  ])lus  généraux 
sont  aussi  les  |ilus  faciles,  la  difficulli'  croît  avec  la  conqilexité 
doni  chaqin-  nouveau  degré  rei)résenle  un  nouveau  mystère:  h\  ([ue 


2S6  E.  PEILLAUBE 

l'iMiulc  (lu  I  ri  II  s  i;éiu''ral  ou  du  plus  l'iu'ilc  iluil  iirc'cr'der  ccllr  du  i  nui  as 
};éiu'r;d  cl  du  uioius  fiicilc  :  le  jilus  connu  serl  à  édairei'  le  moins 
connu.  I)  où  la  (dassilicalion  d'Au^ush'  Comte  :  an  ^M-emicr  ran^,  les 
iiiii/lii'iiiiiliquex,  et,  à  leur  suite,  Vnslrouomic.'lA  jilnjsiijiie.  la  rhiiiiii'. 
la  hioliiijie  et  la  snrioloijii;.  Nous  ilirions  aujourd  liui  :  iiiiillnhiinli- 
ipii'x,  jiliysiqiip.  rliimir,  biologie,  psiirluilorjie  ('.rpi'Timriitnlr.  surioloijir. 
De  t'a  il ,  les  progrès  de  la  physii|ue  dalenl  du  Jour  lui  les  mal  lic'uia- 
li(pu's  lui  fui-ent  appiiipiées.  La  cliimie  doit  nue  grande  partie  de 
son  di''velo])pemenl  aux  malliémali(|ues  el  à  la  ]ihysi(pie.  La  liiolof^ie 
a  souvent  besoin  de  la  |diysique,  de  la  cliinni'  et  même  des  mallié- 
mati(|nes.  Qui  sonj;t'i-ail  à  nier  la  coutrihntion  d(>s  sciences  Itiolo- 
i;i(pu'S  à  la  |)sycholof-ie  et  de  la  i>syclu)loj;ie  à  la  sociologie? 

Ordre  logique  des  parties  de  la  philosophie.  —  L'ordre  à 

suivre  dans  l'i'dude  des  ditl'iTiMiles  parties  de  la  philosopilie  est  donc 
loul  iuilicpu'. 

Au  premier  rang,  il  convient  de  placer  ceu\  des  pi'ohlèmes  mé- 
taphysiques (pn  se  superposent  aux  MallH'niatiijues.  à  la  Physique, 
à  la  Chimie  el  à  la  Biologie  :  prohièmes  (pi'on  peut  réunir  sons  I  ap- 
pellalion  commune  île  Coxinoloriic  rnlitinm'llr  ou  philosophii'  (le  lu  ina- 
lière.  N'ii'id  cusuile  la  l'sip-holuijie  riiliiniiielli' {\\\  philosophie  fie  ri'nin' . 
(pii  i-epose  siu'  un  ensemhle  de  sciences  d'ohservaliini  ou  d'expéri- 
menlalion  diles  |)sycliologi(|ues.  Clomme  il  est  im]iossil)le  de  s'iider- 
roger  sur  la  ualni'e  de  la  maliéi-e  el  de  l'àme,  sans  se  poser  la 
(pieslion  d'origine,  la  Théodieéc  trouverai!  sa  place  après  la  Cosmo- 
logie el  la  Psychologie.  La  Momie,  ipii  suppose  l'àme  et  Dieu,  el 
ipii  ri'pri''senle  un  grou|ii'  de  pli(''iiomcues  très  ctuiiplexes,  poui'rail 
(  loi'e  avec  la  so<iologie  enc(U'e  plus  l'omplexe  les  l'Iudes  |)hiloso- 
phiques. 

Celle  (dassilicalion  a  le  iiK'rilc  ddrihumer  les  dill'éreules  parties  de 
la  pliilos(qihie  d'après  une  mélhode  rigoureuse  el  (dijeclive.  ijni, 
ajirès  avoir  été  la  source  du  |irogrès  des  sciences  modernes,  devrait 
eli-e  un  des  principes  les  plus  l'ecoiids  du  d(''V(doppemeid  de  la  [dli- 
losophie  s(:ien(ili(|ue.  La  Psychologie  m(''laph\sic|ue,  par  exenq)le,  a 
besoin  d'être  éclairée  parla  biologie  métapliysi(ine,  sons  peine  d'être 
inintelligible.  .Vu  lieu  dech'bnler,  comme  on  le  l'ail  d'ordinaire,  |iar 
la  conscience,  pour  (h'clarer,  les  uns,  qu'elle  esl  un  épi])liéiio- 
mène  et  (jue  les  cimililions  physiologi(|nes  sont  l'essentiel;  les 
autres,  (jue  cidies-ci  sont  accessoires  et  qnc  la  conscience  est  tunt, 
il  serait  pliLS  scientifique  de  creuser  sons  la  conscience  et  mêim; 
sous  la  sensation,  pour  se  demander  ce  qu'est  la  vie.  Un  arriverait 


uETiinhi;  m-:  la  vtuuisni'wii:  237 

ainsi   .'i    uni'   science    de    r^iiiii'   |iliis  hirL;e,   plus    iiiMiloude   el    -iirldiil 

plus   |)(isil  i\('. 

I^a  phiei'  ili'  la  A(/iy((/»c  esl  une  i|ui'sti()n  de  UKjiiuIre  iin|>iiiMancc. 
Siii-le  de  pr(ipedeulii|iu'  universelle,  (die  vient  en  lèle  des  sciences  el 
aucune  d'idles  ne  se  peul  sdiislraire  à  ses  lois.  Nous  la  iui'tli-i(ins 
volonlit'i-s  au  premier  ranj^',  en  la  c<iinplélanl  jiar  corlaiiu's  données 
j(sycludoi;i(|nes  destinées  à  écdairer  li'  niécanisnie  de  1  ('S|)i'it. 

Méthode  philosophique  :  induction  et  déduction.  —  Na  lui'- 
tliiidi'  i;i'nerale  de  la  philosopliii'  CdUipi-iMid  deux  luonnuds  essiuiliels  : 
\' iiiili(iiiiiii  i'i  la  ili'ditcltiiii .  Il  l'aul  d  aliord  pi'oceiler  par  iuduçlion. 
Nous  l'avons  ('lahli  en  critii|uant  la  niéthotle  ontolo^irjue  :  les  lois 
iloivent  être  d(''i;af;ées  de  lOliservation.  sons  t'oi'iue  d  livpotlièse  à 
vc'rilier.  La  déduction  siulroduil  ensuite  pcuir  ili'duire  les  consé- 
([uenres  de  la  loi  et  les  contrôler  avec  l(>s  laits.  .\près  être  inont(' 
(les  efl'ets  à  la  cause  et  de  la  consé(|uence  au  principe,  on  descend 
de  la  cause  aux  ell'ets  el  du  priiu'ipeà  la  cons('ipu'in'i'.  Si  linlV'i-ienr. 
au  j)reniier  nioinenl,  sert  à  e\]diipier  le  supi'rienr.  c'est  le  supéi-ieni- 
qni,  an  second  nionient,  e\pli(|ue  l'inférieur.  La  c(innaissance  coiu- 
pléle  est  une  c(UÈUaissaiH'e  par  la  cause  :  cere  sciiv  per  causas  scirc. 

E.   PL  IL  LA  LDI-:. 


HiHLioiiu  Aniii: 


LE     SOUVENIR 


Li>  liullrlin  dr  l' l-^nsriçiiieinrnl  /iltitusopliiijiie  nous  a  demaiidi'  la 
lislr  (It's  ]iriiu-i|iaii\  i)n\i-ai;rs  qur  nous  avons  consultés  iioiir  notre 
llii'sc  tli'  tldctoral  sur  la  .\ntui-c  du  Srmvpiiir.  et  linilicatioM  des 
i-t'siiltals  aii\(|ii(ils  nous  croyons  ctrc  ai-rivé. 

Les  livres  (|iii  Irailcnl  ilii  S(iii\iMiii-  peuvent  être  groupés  iraprès 
les  tliéoiies  ipi'on  en  a  dininées  et  i|ne  nous  ap|)elons,  pour  des  l'ai- 
sons  didacti(|ues,  ihroiii's  iihysiolouir/ues ,  llirarics  intn'Uionnhtcs, 
ihriirii'S  l'.rjiUrnlivfx. 

I.    ini;oRii:s   l'uvsnii.oi'.njrKs 

Descartes. —  Trailr  dr  l'hommr.  t.  IV,  |i.  iOO,  éilition  Cousin. 

Malebrancbe.  — ^  Ih-rhcnhc  rfc  la  Vn-'tlr.  I.  H,  cli.  v,  w"  :\.  p.  IS-i. 
l'dili.iu  .1.  Simon. 

l'on.'  Desciirles  et  pour  Malebraiiclie,  la  uiénioire  est  une  hnlii- 
liiilr.  Descartes  compare  les  espr'ils  animaux  à  de  petits  poini;i)ns 
c|ui  forment  d'imperce])til)les  trous  à  travers  la  toile  du  cerveau. 
.\  mesure  que  les  impressions  se  réju-tent,  les  trous  s'aj^randissenl  el 
les  esprits  repassent  plus  aisément.  "  C'est  en  -jnoi  c(uisiste  la  nu' 
moire.  •• —  Descartes  a  cependani  l'ail  des  i-estridions  à  sa  lliéoi-ie 
mécaniste,  dans  une  Lellrr  à  Arnaud,  où  il  exif;e,  pour  (jn  il  y  ait 
proprement  souvenir,  une  Conn'ptton  pure.  I.rltrrs  de  Desraries 
publiées  par  Ci.khski.ikh.  t.  II.  I.  vi  :  I.  \.  p.  l.")7-l:).S,  édition  Cousin. 
—  Malebranclie  voit  dans  la  mémoire  (|uelque  chose  d'analogue  à  la 
lli'xibililé  d'une  branche  d'arbre  qui,  une  fois  ployée,  conserve  plus 
<le  facilité  à  (''Ire  ployée  di'  nouveau. 


/,;•;  snr\/;.v/;(  2o0 

Spencer.  — /'/■n)'(/(.'.v  ilr  l'uijclinhiiiir.  I.  I.  \\-  \\\w\\r.  ^^ijiUhrse  Sjir- 
rliilr.  eh.  \.  lie  V J iisliiirl  :  rli.  M.  (le  1.1  Mniinlrr,  Icad.  liilint  l'I  Ks|)i- 
nas.  Alcali,   IH7."). 

Le  iii('la|iliysicii'ii  ilc  l'c'cnlr  anglaise  Iciiiivc  dans  Ir  Siuivciiii-  mu' 
(les  |iliasi'S  (le  li'V  iiliil  imi  |is\  ili  ii|iii'.  Les  iMals  ili'  ciuiscinici'  h'iuli'ul 
à  iiiir  iiiir'jj,i-alii)ii  (II'  |tliis  en  plus  |iai-rail('.  Lr  siiiiM'iiir  a|i|iai-ail, 
lciisi|iii'  leur  liaison  n'est  pas  alisuliiiiicnl  aiiloiiialiipii'. 

Ribot.  — Maladies  (Ir  lu  innimirr,  Trcizièiiii'  l'ililiiiii,  Alcaii,   l'.KIH. 

La  iiiéiaoii'c  se  ciiiiipiisr  ilc  Irois  cIi'iikmiIs  :  la  (•(inscrvaliiHi,  la 
l'i'lii-odiiclidii,  la  liicalisaliiiii  dans  le  passé.  Les  dcii\  prt'mici's  soiil 
nécessaires.  Le  li-(iisièiiie  esl  un  apporl  de  la  ciuiscieiice,  el  par  con- 
séijueiil  ipadipie  chose  d'inslalde  el  de  surajouh'.  M.  I{il)ol  nie  la 
l'iMMinnaissaiice  ou  le  rejet  d'une  iiiia^e  dans  U'  passt',  en  laiil  (|ue 
celle  opei-al  ion  pi-i'céde  la  localisai  ion  , 

Celte  Ihéorie  suppose  que  la  conscience  est  un  épiplir'noinèiie,  nu 
accessoire  de  l'aclivité  nerveuse.  I>a  doctrine  de  la  conscience  epi- 
plK'iioiiièiie  esl  longuement  exposée  dans  MAinsi.i;^.  l'hysioloijw  dr 
rrsjiril.  Irad.  Ilerzen,  Reinwald,  ISTU. 

Sollier.  —  /.e  Prohlrmc  <lr  lu  inrinoirc.  Paris.  Alcaii,  l'.HKl. 

l/aiileur  (■liidie  li'S  lli('iiries  de  la  iii(''iiioire,  ses  diU'érentes  étapes 
de  lixaliiui,  de  latence,  dévocalkui,  tie  l'eprodncl  ion,  de  reconnais- 
sance et  de  localisation,  son  siège  et  son  inécanlsiiie.  Ce  livre  esl  une 
in(eri)rétalioii  loiile  |)liyslolo}^i<|iie  des  lails  de  la  nii'inoire.  "  l.e 
proldènie  de  ITniie  n'est  prohahleineiil  au  tiuid  i|u  un  prohiènie  de 
(iliysique  el  de  mécanique.  <>  (P.  ^18.1  —  P(Mir  couiprenilre  la  niili(Hi 
(jue  se  font  de  la  mémoire  cei'taiiis  |ili ysioloj^lstes,  consulter  aussi 
UlcilKï,  La,  MriiKiirr  i''li''i)ii'iil<iin\  /Iitiic  philos..  XI,  p..")'l(). 


11.    THÉORIES    IMl  rno.NMSTICS 


Reid.  —  Fss'ii  sur  les  furul/rs  ilc  l'csiiril  liiiiiuiia.  r.-icultés  iiili'l- 
leclindles,  Kssai  III,  p.  ;■>'(,  Irad.  .Iiiiillriiy.  I.  I\.  l'aris,  Saulelel. 
I.S-2S. 

Le  passé  esl  rolijel  d'une  iiil  iiil  iiiu  iiiuuediale.  Le  souvenir  s  accom- 
pat;ne  :  I"  île  la  croyance  à  l'existence  passi'c  de  la  chose  rapiieli'i' ; 
-J"  de  la  conception  el  de  la  persuasion  d'une  diiri'e  passi'e;  .'}"  de  la 
|persiiasion  de  l'identité  porsonrielle.  Reid  se  disi  inique  pai-  l'usage  à 
peu  prés  exclusir  de  l'aualvse  descripi  ive. 

Cardaillac. — /:Jli(ili:si''lriiiciilaircsi_lf//liiloso/)liic,  Paris.  Didol.  IS.'Sd. 


■260  (Ubriel  voisine 

l'I  (Iaiimich.  —  TriiUr  ih's  Famllrs  de  r<hni\  Paris.  Ilaclii'tic.  ISTi.  Se 
rallarlii'iil  à  la  lai'iiif  ('•(•(ilc. 

Hamilton.  —  Frtiiiiiienls  di-  iiliilosophif.  Uciil  ri  Hrdwii,  \>.  T.'i, 
Irad.  Peisse,  Paris.  IH'd).  Ui'riilc  riiiluiliiniiiisini' île  Rrid.  11  n'y  a  ilc 
coiinaissann'  ipir  iln  |ii'(''sriil.  |iai'Ci'  (piil  h  y  a  de  roniiaissaiicc  i|U(' 
(k'  l'arliK'l. 

Locke. —  L'ssiii  sur  l'eiile>idi')ne»l  lunnuin.  1.  11.  r.  x.  p.  Kl.'t,  Irad. 
(Insle.  (Juati'irnii'  l'ilil i<iii,  .Viiish'i'dain,  ITW.  S(dnliiiii  Irrs  su|i(M'ti- 
i-iidlc. 

James  Mill  l'siirholiKjii-  ainihiise  de  Himir.  p.  (ill,  hiiisiciiie  éd., 
liS'.Mi  c'sl  un  des  premiers  qid  aieiil  eu  reeniirs  à  l'assoeiatioii  des 
idées.  Le  iiiiii  ipii  se  souvient  évO(iue  le  iiini  (|ui  a  peiTii  ou  eoiii-ii, 
^r,ire  aii\  l'Ials  tle  conscience  intermédiaires. 

Ravaisson.  —  /tnpporl  sur  la  J'Iiilnsiipliie  frinxnisc  un  X/X"  sirrle, 
p.  I7(i.  deuxième  ('diliiui,  I88."i.  Le  soiix  enir  eonsl  il  ne  le  |ii-ivilèj;e  de 
l'espi-il.  r.iimme  l'esprit  est  intemporel,  il  lient  sons  son  ri'gard  les 
divers  moments  île  la  durée.  Se  rappeler  n Csl  antre  chose  (|ne  voir 
les  êtres  xuli  specie  n'Iernilnlis. 

in.     TIllillIUKS    KXIM.ICATIVES 

Aristote,  —  llv'.  .My^ji/,,-.  Merlin.  Ih;!I.  'l'i!!'- i:;;!''.  Il  existe  nne 
édition  spi''ciale  des  Ojiiisriilfs,  au  niindire  ilesipiels  se  trouve  le  Ttspl 
;j.-//,;j.ï,4.  (.'.ousnltei-  la  version  lai  ine  ipii  l'st  i-eproduile  en  lete  des  Com- 
nii'iilfiiri's  di'  saint  Thomas,  et  surtout  les  Cnmmenlairrs.  Voir  aussi, 
—  mais  axci'  prudence,  —  BAKïilKl.K.MV-S.MM-Iln.AiHi:,  /\\i/rli(do<jin 
d'ArixInle.  ()pu>cule>.  Préface  et  Iraiinction. 

Le  r.ipl  ;jLv/,;jiT|?  est  un  texte  classi(|in'  et  l'oiulamental  ipion  ne  sau- 
rai! trop  mc'diter.  P(un'  le  Sta^irile,  la  mémoire  est  une  l'acidlé  d'ordre 
sensilile.  commune  à  l'Iionuue  et  à  lanimal.  Llle  est  caraclé'risé'e 
par  la  notion  de  |{'mps.  H  i'z  iJ.-ii,'xr,  -.vj  ■;i'i'i\j.hio-j .  Limage  qui  sert  de 
nnUière  au  souvenir  représente  un  i'V(''nement  |>assé,  et  c Cst  ce  (pii 
constitue  esseutiellemenl  la  uu'moire. 

Au  moyen  ;ifçe,  on  précise  la  distinction  des  deux  nu'moires,  sen- 
silile et   inti'llcctuelle. 

Saint  Thomas. —  (''nuiiirul.  de  Miumnii.  lili.  nnicns.  —  .S'.  ï'/ii'idiiij.. 
I'  P..  q.  i.WMii,  arl.  'i  (d  Comiiiful .  l'u/clinii,  >  P..  i[.  Lxxix.  art.  (i, 
art.  7,  et  (_umincut.  Cajcliini. 

Les  contemporniiis  ont  re})ris  et  complété  l'explication  [n'ripatéti- 
eienne. 


;./•:  sut  V i:\ii;  ici 

Delbœuf-  —  i-i'  Sdiiuin'il  ri  Aw  /vvv.v.  |i|i.  :.'().'!  l'I  -II..  .\lr,iii.  liSS'i. 
Guyau.  —  tîi/nrsc  dr  l'idrf  dr  li'ni/is,  |i|i.  ."l'.l  ri  ,>i| .,  .\  |r,i  II .  IS'.M). 
(ilivaii  n'Siiiiir  ri  critiiiui'  l'ii|iiiiiim  de  DellMiMil'.  I-Accllriil  r  iiii,il\s:' 
siii'  los  i';i|i|ii>rls  ilii  li'iiips  cl  de  rcspari'.  [.a  iKilimi  de  l('in|is  s  .•ici|iiic'ii 
;iii  iiloM'ii  (les  ciiiiil  idiis  lie  jiiiiis>aiM'c.  ilr  ili'sir  cl  de  n'^i'cl.  (  lii  |ii'ul 
rauu'iii'i"  à  li'dis  |iriii(i|ialrs  li'S  cuTidil  ions  de  l;i  iiiciiinii-c  :  I  \aiii'lc 
(les  imajîi's  :  •!"  assucialiiui  di'  cliacniii'  d  elles  à  im  lini  plus  du  iiiiihi'^ 
dcliiii  ;  i!"  assiirialiiiii  ;'i  i|iieli|iii'  iiil  l'iil  imi  (HI  ai'lidii.à  i|iieli|iie  lail 
iiili'i'ii'iii'  |iliis  iiii  iiioiiis  l'iiKilif  f\  d  iiiii'  liniithlr  a.^risilile  iiu  |iénilili'. 
iiiimiie  iliseiil  les  .Vlleiiiands  |i.  'û  . —  -  Se  soiivenii-.  e'esl  retnuiver 
dans  l'alla-  le  l'eiidlel  el  reiidniil  exact-  nii  l'iniai;-!'  csl  f;-|"ivée.  Cel 
allas  du  temps,  scliiii  nous,  a  pour  l'euillets  des  espaces  ip.  G3i.  " 

Hoffding. —  L'xsiil  il'uin'  psi/rlin/ni/ip  fondrn  xiir  l'/wp/'i-ience.  Psy- 
elinlogie  de  la  cuii  naissance.  V.  I!.  I.  —  trail.  I'<iite\in.  .\lcan.  l'.MIIl. 
l/aïUcui- distini;iie  la  iin'niMiii'c  iinpliipiec  de  la  iiii'iiniirc  liln-c.  Il  \ 
a  i-ecunnais-aiii-i'  l'I  iiieiiioii-c  inipliipii'c.  Im-scpic  la  i-i'pri'>sciilat  imi 
actuelle  s  ai;n''^c  un  ceiiaiii  nondire  d'iaia^'cs.  pinir  Inniicr  avec  ces 
images  un  seul  Iniil.  Il  \  a  sinivenii'  ef  iiieminre  lilire.  Icn-sqne  les 
images  passives  n'entreiil  pas  dans  la  pci-cepliiHi  presenle.  HôlVdini; 
ne  dit  pas  (-(niimenl  (Ui  i-ccminail. 

Bourdon. —    /{/'m,-  jiliiliisiijihii/nc.   IS'.I.'!.  II.  p.  Cr^'.K     l'ai- une  -l'i-ie 

ircX|)él-ieiices.    M.    I! 'diMi    >ell(i|-ce    de    munlrei-    ipie    la    l-ecminai-- 

saiiee  est  nn  senlimeiil  d'ui-drc  iiitelleci  iiel.  sans  iin'canisiiie  d  as- 
siicialiiui. 

Fouillée.  —  /'.vi/r/io/ixy/ç  fli'\  idt'i's-fiirci's.  .M.  [•'(iiiillee  reprend  les 
idi'es  de  (liixaii  sur  la  ,i;-enèse  de  l'idée  de  temps.  La  meunure  est  lor- 
lement  soudi'c  à  l'Iialiilude.  m  lîec(Uinaitrc,  c'esl.  avant  font,  avilir 
(•(inscience  d  agir  a\ec  mie  mnindre  r(''sislance. 

Bergson.  —  h^ssni  sur  1rs  ihiiinrps  immrdiiilrs  dr  lu  rmisririirr . 
Ch.  l)e  la  imdtiplicilc  des  idats  de  conscience.  —  Malirrr  ri  nirtiioirr. 
passiiu. 

I)eu\  Inniies  de  la  iiii'mi.iire  :   I"  la  reciinnais-ai ii  le  scTitimeiil 

de  ranlomatisme  unileiir;  -2"  le  sniivenii-  pur  mi  riiiliiitiiin  Iraiisceii- 
daiite  du  pui-  espril.  Ces  deux  mr'iiinires  se  prnlnngeii  I  I  une  1  autre 
et  se  compeiiètl'ent .  I,e>  cent  res  cerelira  II  \  de  pniiectiiiii  ne  siilil  ipie 
des  rentres  de  percepliim  \irluelle  iulliieiiei's  par  l'intcnt  ii  m  du 
siuiveiiir. 

Chartier.  —  llrrur  ,/c  nirldjiliiisiiiiK-  ri  dr  ///(i/Y//r\  Janvier,  mai.  se|  - 
temlire   1S!I",I. 

C'est  un  disciple  de  .\1.  Hei-gsiiii.  Il  l'Iiidie  successivemeni  la  couse. - 
vatiun  des  souvenirs,  leur  éviicatiiiii.  le  temps,  le  moi.  (.>n  ne.se  son- 


202  (iAURiEi.  VOISINE 

viciil  (|U(.'  lies  iiliH's.  <.)r,  riiléc  (■liiiil  rlcnicllc,  il  n'x  ,i  |iiiiii-  cili'  ni 
roiisrrvalioii,  ni  destniclinn.  I^llocsl.  Jlais  elle  se  ilissimiilc  <l;nis  iiiic 
idi'i'  |ilns  ciiinpk'xe  cl  n'i\|i|iariiil  à  la  conscience  i|ue  siius  l'eU'orl  de 
laiiaixse.  l/anaivse  s'(i|(ère  snixanlles  cali''^i)ries  kanlieimes  de  (piaii- 
lilé,  de  qiialilé.  de  c(dali(iii.  tie  nindalité.  I.e  lenips  n'sulle  d'une  con- 
slruclion  lali-mnelle.  C'est  rordre  in-éversilile  des  idées,  s'enidiainanl 
sinvaul  une  deiliM'Iinn  liii;ii|ue  (mi  arliil  raire.  hansiT  dcrniec  cas.  la 
Mildidi''  cri''e  le  leiiips. 

Fauth.        fh's  nrdiirliliiiss.  (iiilersluli.   ISIS.S. 

\'(iici  la  division  de  I  onvra^'e  : 

Li  V.  I'  '  :  \  lie  II  isliiricii-crilii|ne  sni'  le  son  veiiij-  inciHiscienl  :  .li'ssen, 
|)iapei-.  Ilerin^.  liilinl .  I.nl/.e. 

|,iv.  Il  :  \  lie  lii--l  uiicii-ciil  i(|iie  sur  le  snuvenii-  conscient  un  |>^\- 
cliiiliii;ii|iie    :   Ijiirwic/..  W'iindl,  j-'iHiilh'e.  Drii-pl'eld.  SIeinI  liai. 

Li\  .  III  :  Le  siiiu  ciiil'  iiiciinscienl  ;la  \  ie  incmiscieii  le  de  I  orj;a- 
nisuie  lininaiii.   le  Miii\-enii-  des  nei-ls  seiisililsel  des  nerls  iiiolenrs. 

I.iv.   I\    :   La  ccjiiscience  el  ses  conditions. 

Li\ .  \  :  Les  l'on  lies  de  la  conscience  :  se  usai  ion.  |iensi''e.  seul  inieiil , 
\iuiloii'.  alleiilioii    acte  volinilaire  . 

Li\  .  \  I  :  Le  siniveniF  <!e  la  \ie  conscienle.  (^onsei-N  al  uni.  ce|irodiic- 
linii.  recininaissance. 

I.iv.  \ll  :  Maladies  de  la  conscience  el  du  --oin  l'iiir. 

Li\.   \  III  :  Le  lant;a,ne  el  le  souvenir. 

I,i\  .  I\  :   \aleiii'  du  son\  cuir  dans  i  r'dncal  iiHi. 

(.loiinailir.  c'est  localiser  l'objet  dans  nn  loul.  on  sons  un  tilre 
i;i''néral.  in[  dans  une  séiae  d'inlensilés  varia]ile>.  mi  dan-- une  cliaiiie 
d'acliiHis  oi-donnr'cs  a  nue  lin.  liei-onnail  ce.  i' esl  n''|ii''li'r  celle  locali- 
salioii  l'I  reiiian|iiei-  lidenlili''  des  di'ii\  acies. 

La  reconnaissance  i-e|iose  sur  un  acie  de  ciniiparai>oii  et  de  .jni;e- 
iiieiil.  l-die  e\ij;-e  à  la  l'ois  l'idenlili'-  i\r<.  olijels  el  leiic  dill^'i-ence.  an 
iiioiiis  leiiipiu'elle. 

Pierre  Janet. —  Cours  inrdil  I  !^I)S-  I  S!)!l.  lianicne  la  reconnais- 
sance a    l'aiiliMiialis les    iiiia;;c'>.  el    non.    coinnie   .M.   lierij,son.  an 

seul  aiihuiial  isine  iiiolenr. 

Taine.  —  /'c  l'/iilr/lificiirc.  l.  II. 

Le  siMiveiiir  e>l  nn  i''lal  l'ailile.  enra\  i'' dans  scui  di''\  eloppeilieiit  ri 
localisi''  à  Taille  d'un  [irocédé  ingénieux. 

Gratacap.  —  Auahi.se  des  fful.i  di'  mniuiirc.  ItapporI  lu  a  r.\cadéinie 
des  scii'iices  inoi-ales  el  poliliipies.  l'aris.  IHIi".  —  7'liriirie  dr  lu  iiir- 
mairr.  .MonI  pellier.   IHCid. 

Le  souvenir  ri'sidle  d'un  diudile  ciuih-aste  :  à  cause  de  sa  lixile,  de 


-i;i  S|i(Mil;iii('ili''.  iMiu^   I  i'\rliiiiiis  ilii  raiij;  des  siiiiplcs   (•(iiicc|il  jiiii>,  r| 
iiiiii>  ilisliiij;iiiiiis  la   riiiii-i'|ili(iii    i\r    \;\    |ici-i'('|il  ii  iii   à  s(i:i  iiiaiii|iii'  ilr 

<'llllsisl,'IÈll'l'   l'I    lll'  IM'I  tl'Ic. 

Aidrrs  iiiirrdiics  i(i/i^ii//rs,  si-  rapiioi'hiiil  mollis  (liici:t('iiicnl 

(lll  siiiivrnir. 

Dugas     lirriK'  iiliil..    iS'.ll.    I     :  ri    I.AI.WIii;     /!rr.  pliil..   l,S'.i:i.    Il   .   siii- 
li's  iiai-ainiii'--ii's. 
Bernard.  —  L'Aphasie. 

Delbœuf.     —     Im     Mihlioirr     chez    les    hiJinKili^rs      /!,■!•.   /ihi/..    \\l. 

I..  l'il  . 

V.  Egger.  —  Im  l'amie  hilérienre,  Pai-is.  lîSSI. 

P.  Janet.  —  /.'A  iil<iiii(ilixiJie  psiieholniiiijne.  All'ail,  ISS'.I. 

Kant. —  f^rillipii'  lie  lll  llnisiiit  pure,  \"'  parlir.  Il'' si'cl  i(Ui,  |;  'i.  Ii-ad. 
Haiiii. 

Korsakoff.  —  h'/mle  nii'illrii-ji.''i/rhiilnijlipir  sur  une  fnriiie  des  inii- 
liidies  de  In  iiiéiiinire    /ter.  pliil.,  18<Si),  Il  . 

D.  Nys.  —  Lu  Ai'iiliiiii  de  leiiips.  Lunvaiii.  IS'.IS. 

Platon.  —  l'hèdre.  Théétèle. 

J.  Sully.  —  llliisiiiiis  des  sens  el  de  l'esjiri/,  driixiriiic  l'ilil..  l'aris, 
ISS'.I. 

Van  Biervliet.  —  />'■  In  Mémoire. 

Le,  Problème  de  la  méiiuiire  en psiichnloijie  e.rjirrimerilnle.  /leviie  des 
ipieslinns  srieiilif'..  (Ichilirc  |!H)I). 

I\  .     C.D.NCl.l  SK.I.NS 

Aucune  (le  ces  llii'(iiii'>  ne  nmis  fait  enlrer  dans  la  naliii-e  inlinic  ilir 
.«luvenir.  .Nnu.s  av(iii>  rssa\c.  lion  de  les  reiiiplaeer,  mais  de  les  cimij- 
plélcr. 

Il  iiii]i(ii-le  d'alHinl  de  dislinj;iiei'  deux  lenues.  i|ue  l'iiii  (■(iiduiiil 
Ircip  siiiiNeid  sous  le  nom  de  mi'moii'e  :  la  |-eeouiiaissaiiee  el  le  soii- 
xciiir. 

Ueeiiiiiiailre  nu  olijet.  e'esl  savoii- s'en  servir.  Ueeonnaiire  nue  per- 
siume.  lin  paysai;-e.  nue  pa|j,'e  de  lisre.  e'esl  en  avoir  la  percepliiiu 
aisée,  pi-oinpie,  l'aiiiiliere.  La  reroiinaissanee  se  ramène  à  uiianlo- 
lualisme  cl  images,  à  nue  hahiludi'. 

Le   souvenir   surajoute   la    noie    iln    temps    passi''   e     eonsliliie   la 


l.\iiniEL  VOISI.NK 


III  '1111  lire.  Sr  >nn\  l'iiii'.  ^'l■^l  r.i  1 1|  inrl  ri'.  i;|-;ici'  il  IMI  sij;iM'.  Illir  s\  tilli(''S(' 
<riinafies  à  Ici  (UMiiiir  ilii   |i,issc.  (lu  |iimiI  roriinilci-  Iniis  luis: 

I.  Tous  mis  ('ImIs  ilr  i-iiMsrii'iMT.  i|irils  nous  sciiililciil  riilurs  on 
|i;!SS('S.  ;i|i|iai-ticMiiiiMil  :iii  |(i-(''sriil. 

[1.  LiMir  iiuipliliiili'  à  ciicxislrr  f\-rf  l.i  siiçccssinii  ri  \r  Iriiilis 
|i-ycliiilii^i(|iif. 

111.  Ci'rlaias  se  cnliirriil  il  iiiir  i|n:ili(i''  |i:ii-l  ii'iilirrc  ri  [laraissciil 
sii:'j;ir  du  |)ass('. 

Tout  le  |>i'olilrini'  du  soii\ ciiii-  ronsisli'  à  ili'liTinhii'r  la  iialiiiT  ilr 
r;'l|('  i|iialiir'  |iai-|  iriilicrr.  I.r  soiivcnii-  csl  iiiii'  |>itit|iI  ion  dans  Ir 
Iriups.  Coimiiu'mI  s  opiTc  II-  passa^i'  du  prcsml  au  passi'?  An  nioxi'u 
il:'  i|ui'l  sij;u('? 

I^r  sijjiii'  du  |iass(''  sr  ri-i-onnail  :  1"  à  Irtrixlr  itillirri'iirr  d  un  r(V'- 
iii'inr)il  au  nioi-snji'l  :  -2"  à  la  nun-arltirililr  de  rit  écrnernoul .  Le  soii- 
vfiiir  est  uuc  iuia^i'  coinplcM"  où  li'  uioi  s  est  incorpoi'c' d  nui'  nia- 
iiii'ri'  iiidissolulilc.  à  tid  poini  ipi  il  dl'^il'nl  iuipossihli'  de  riniiprc 
ci'ltr  iiaisiui  iiéccssairi'.  sans  alléri'i-  la  pci-soiiui'  ps_v('liol(if;ii|U(' 
l'Ili'-MU'inr.  haiis  une  iniaj^c  de  ])r(''vision,  1  uni(ui  l'ulrc  le  moi  cl 
l'cvcii/niciil  l'i'sli'  i-iMil  injicnlc.  (tu  en  prni  l'aire  alisl  racl  iou.  sans 
nioililicr  la  |ici-s(uiiic. 

l,a  pcrccplion  iln  pri'Si'ul  inipliipic.  à  peu  prés  eoiinne  la  percep- 
lioudu  passé,  l'i'lroilc  adlu'i-i'nee  de  l'ex  l'-uenienl  au  juoi-sujcl.  l-llle 
s  •  dislini;iie  du  souvenir  |iar  nu  aiilre  earaelere.  Tandis  i\\\r  l'aeluel 
oiVri'  une  pri-^e.  un  puinl  d  appui  à  I  ael  i\  ih',  le  passi'  apparail  connue 
I  incousislaiiie  nicnie.  (".'es!  le  noii-aclucl.  le  non-a^i.  Ce  dci-uiei' 
Irait  achève  la  plivsioiioniie  de  l'ima^'c-siniv  eiiir.  I)  un  ci'ili',  cl  parce 
ipiCllc  concourt  à  lissi'r  la  Iraniedu  iniii.ellc  nous  inh'ressi'  prol'ou- 
déiuenl  ;  d  uu  antre  ccMé.  cl  parce  ipi'clle  nous  éloif;ne  A»  l'éel  pour 
iiiMls  replier  sur  uons-uièuu's.  elle  le  céile  eu  intéi'él  à  racli(ni  pri'- 
>enli'. 

Ac  sdiireiiir  ii'rsl  diDic  jiits  uiir  luiliilndc,  il  se  snperpiisr  à  l'Iidlii- 
iiidf.  Celle-ci  le  consolide  et  le  rorlilie.  l'Ius  nu  se  sou\ieul  et  mieux 
on  se  soiivieiil.  La  iiieinoire  esl  entin  une  l'aculle  spi''ciale.  landis 
i|ue  riialiilude  n Csl  ipi  nu  mode  de  l'aclixili'  psycholo:;iipn'  en 
j;énéral. 

Comme  le  souvenir  se  termine  i'---eul  ielliMiieul  a  une  ilnri'C  parli- 
culièrc  et  ciudiuf^cMile.  il  s'exerce  avaul  tout  sur  des  ima^;es.  Les 
idées  et  les  opéi'alious  s|)iriluelles  ,ne  devieuuent  objet  de  méiuoirc 
cpie  par  leur  lace  siilijei't  i\  e  qui  esl  part  icnlièi'C.  Mii\aiil  le  niol  de 
saint  Tliiunas  :  ijikiiIiIhiii  jhuI ini/ari'.  S.  '/'In'al..  ]■'  1'..  i|.  I,\\l\.  a.  (i. 
ad  i""'. 


/./■;  Snl  VK.SIH  ,' .;, 

l.rSilriiN    nM'iiiiiii-o,   iiii'iiuiiri'    scii^ilili'  l'I     iiii'iiiiiin'    iiil  l'ilccl  iiclii'. 
III'  SI'  si'ii.irriil   |i,is  ilii  rcsli'.  .-iii    nidiiis   d.iiis  riKiiiiiiic.   l-^llcs  I  iriiin'iil 

I  mil'  à  i  .•iiilrr.  à  r;iis(iii  ilr  l;i  s\  iii'i'i;ii'  (■(iiisl.-iiilc  ilr  I  iin.'iniii.'il  iiiir  ri 
(le  l.'i  |H'iis(''i'. 

.Niill>   |Hinviiiis    ili'liiiii'    II'    siiinriiir  :   un   nrlr    dr    la    rie  s/'iixil/lf  ijiii 
jti-iijfllf  mi  iji-dii/ir  (l'iiiinijcs  sur  Ir  jilun  ilii  jidxsr.  /.'iijjliliiili'  di:\  i>i)fi'i''s 

II  siiliir  CI'  rrnil  iijjpiiii'iil  rs/  rrriniiiiir  à  un  ilnulilf  shpif  :  nu  xoiliiili'ii/ 
ilr  lu  liuixun  iudissnlulj/i'  i/ui  iiuil  I  l'cmmu'ul  nu  uini-su ji'l .  ri  n  /'nu- 
pri'xxiiiu  d' inrniisislinirr  ri  dr  mm -nrl uni ilr  iiriuluilr  pur  rrl  rrr- 
nruiru! . 


CiAlllllLI,    XdISINK. 


CHROMOIE 


UNIVERSITE     DE     PARIS 

Sujets  de  leçons  donnés  par  M.  Boiitroux  pour  la  préparation 
à  l'agrégation  de  philosophie. 

1.  [.'unité  dt;  la  sciencp,  selon  llescartcs  et  Auguste  Comte. 

2.  De  la  nécessité  d"une  méthode,  selon  Descattes.  Descartes  et  Uacon. 
:!.  Le  jugement  de  Descartes  sur  la  dialectique.  Exposition  et  examen. 

I.  I,  intuition,  la  déduction  et  l'éuumération,  selon  Descaries. 
;;.  I.a  mémoire,  selon  Descaries.  Son  rôle  dans  la  connaissance. 

II.  I.es  natures  simples,  selon  Descaries. 

'.  Nature  el  bornes  de  la  connaissance,  selon  Descaries.  Descartes  et 
K.inl. 

.s.  Uappoil-  de  rentcnd>'ment  et  de  riinairination  dans  la  scienre,  selon 
Descaries. 

'.I.  De  l'analyse  et  de  la  synthèse  dans  Descartes. 

10.  Les  Re'jnhr  et  les  ouvrages  postt'rieurs  de  Descartes. 

!  I.  liappoils  de  la  logique  et  de  la  métaphysique  dans  la  philosophie  de 
l.e.hniz. 

12.  Leibniz  et  Spinoza. 

i:î.  Volonlé  el  intelligence  (Sujet  dogmatique). 

1 1.  Happoris  de  la  science  et  de  la  métaphysique  dans  la  philosophie  de 
Deseartes. 

lo.  La  méthode  en  mathématiques  et  en  philosophie  (Sujet  dogmatique). 

Il  esl  facile  de  reconnaître,  au  simple  énoncé  de  ces  questions,  l'esprit 
pénétrant  et  prorondément  analyste  du  professeur  d'Histoire  de  la  Philo- 
sophie moderne  à  la  Sorboune.  Celui  qui,  par  une  étude  personnelle,  rem- 
|ilirait  ce  proL'ramme,  irait  très  avant  dans  la  Théorie  de  la  Science  du 
grMid  philosophe  français.  M.  Routroux  a  tracé  un  cadre  excellent  de 
recherches  et  de  réllexiuiis. 


'2t.- 


Soutenance  de  thèse  pour  le  Doctorat  en  philosophie. 

I.e  JeuJi  -il»  drceiiilirc,  à  i  heures  et  demie,  devant  la  Fueultr  lilire  do 
Philosophie  de  l'Institut  calholique  de  Paiis,  M.  (iabriel  Voisine  a  soutenu 
une  thèse  sur  hi  yalure  du  Souvenir,  el  a  été  proclamé  docteur  avec  les 
éloçes  de  la  Faculté. 


Inspection  de  l'instruction  publique. 

M.  Evellin,  inspecteur  de  l'Acadéniie  de  Paris,  vient  d'^Ure  nommé  inspec- 
teur honoraire. 

M.  Fvelliii  est  l'auteur  d'un  beau  travail  inlilulé  :  Iii/ini  et  (Jiiaiilitc.  Il  a 
écrit,  dans  la  lievue  philosophique,  des  articles  remaïquables,  parmi  lesquels 
il  faut  signaler  :  la  Pensre  et  le  rcel,  iSS'.l  :  bc  la  possibilité  d'une  méthode 
daits  te  pivlilcme  du  rcel. 


Prix  Monthyon  et  Saintour  à  M.  Jules  Soury. 

L'Académie  des  Sciences,  dans  la  séance  du  17  décembre  dernier,  a  décerné 
un  prix  Monthyon  (médecine  et  chirurgie)  de  2,b00  francs,  à  M.Jules  Sounj, 
auleur  da  Système  nerveux  central,  in-S"  Jésus  de  1880  pages. 

l.'.i.cadémie  de  médecine,  dans  la  séance  du  18  décembre,  a  décerne-  un 
prix  Saintour,  de  2,ilOO  fiancs,  au  même  auteur. 


/,-'  Gérant  :  L.  GARNlKli. 


La  ChapcUe-Montligeon.  —  Imp.  de  N.-D.  de  Montligeon. 


LA  .VERITE 

SA    DÉFINITION     KT    SES    ESPÈCES 


I 


La  vrrilr  est  justement  comptée  parmi  les  notions  fondamen- 
tales. Avec  l'être,  l'imité,  la  distinction  et  l'identité,  le  bien, 
et  quelques  autres  qui  les  suivent  de  près,  elle  éclaire  de  bonne 
heure  l'esprit  humain.  On  peut  dire  que  toute  la  vie  intellec- 
tuelle consiste  à  développer  ces  notions  primitives,  à  les  éclair- 
cir  progressivement  et  à  les  appliquer  avec  exactitude  aux  objets 
en  nombre  indéhni  qui  tombent  sous  notre  expérience  sensible 
ou  sous  les  prises  de  notre  raison.  Il  arrive  ainsi  que  les  pro- 
blèmes philosophiques  les  plus  graves  portent  précisément  sur 
ces  idées  et  sur  ces  réalités  premières,  que  personne  n'ignore 
et  que  personne  non  plus  ne  saurait  épuiser. 

Sans  rouvrir  des  discussions  encore  récentes  (1),  l'auteur  de 
ces  quelques  pages  voudrait  dire  à  son  tour  et  aussi  clairement 
que  possible  ce  qui  répond  dans  notre  esprit  et  dans  les  clioses 
à'  ce  nom  de  vérité.  Son  but  n'est  point  de  réfuter  telles  ou 
telles  opinions,  ni  même  de  les  critiquer  en  les  discutant,  mais 
seulement  d'exposer  ce  que  tout  homme  réfléchi  croit  com- 
prendre, aussi  bien  que  les  philosophes  de  profession,  sous  ce 
nom  si  familier  de  vérité,  et  d'expliquer  ainsi  à  chacun  sa  pro- 
pre pensée.  Et  peut-être  pourra-t-il,  de  cette  manière,  donner 

;i  ;  .V.  M"  Mekcier,  Critériologle  ;/énéj-ale  :  \{.  P.  Folghera  :  Jugement  et  Vérité, 
dans  la  RerHe  lliomisle  (1899,  sept.;  :  réponse  de  M""  Meucier  dans  la  Rerue  néo- 
i-col.  il899,  nov.)-  —  Cf.  saint  Thomas,  1%  q.  16  et  De  Veritale. 

17 


270  Elie  blanc 

à  certaines  formules  leur  sens  vi-ai  et  contrilnu^r  à  rnpproclier 
des  opinions  qui  de  [irime-abord  pouvaient  paraître  inconci- 
liables. 

La  Yc^rité,  avec  le  vrai,  ne  s'étend  pas  moins  que  l'être  lui- 
même  :  on  en  traite  en  logique,  en  nijêtaphysique  cl  en  morale. 
11  peut  même  sembler  que  la  vérité  tléborde  l'être  ;  car  elle  peut 
prendre  pour  objet  de  simples  possibles  et  jusqu'au  néant 
absolu  lui-même.  En  sortant  de  l'être  et  en  aflirmant,  par  exem- 
ple, que  le  néant  n'est  pas,  nous  restons  dans  la  vérité.  Toute- 
fois, il  est  clair  que  l'être  idéal  détinit  nécessairement  toute 
vérité  et  que  l'être  réel  la  soutient  comme  son  fondement. 

C'est  ce  (jue  l'un  exprime  en  disant  que  le  vrai  c'est  l'être  en 
tant  qu'intelligible  ou  connaissable.  De  là  celte  di'finiliou  géné- 
rale de  la  vérité  :  "  La  vérité  est  l'équation  île  l'intelligence  et 
de  la  cbose  :  Veritas  est  a/Ln/iialio  intrllectus  et  rei.  »  Mais  il 
faut  entendre  ici,  par  le  mot  r(iii(ttion,  non  pas  une  égalité  abso- 
lue, mais  une  simple  conformité.  S'il  s'agit,  en  efl'ct,  de  la 
vérité  humaine,  il  est  clair  qu'elle  ne  peut  être  une  égalité 
absiiliic  euli'e  l'iulclligeuce  el  la  ciiose,  l'iiomme  ne  sacbant  le 
tout  de  rien.  Nous  demandons  aussi,  pour  que  la  délinilion 
garde  toute  l'ampleur  désirable,  qu'on  entende  ici  par  la  rliosc 
l'objet  en  général,  (lar,  si  l'on  désigne  seulement  les  réalités 
sous  le  nom  de  choses,  la  détinition  ne  peut  plus  s'appli(|vu'r 
aux  vérités  qui  ont  pour  objet  les  idées  et  les  possibles.  Déli- 
nissons  donc  la  vérité  en  général,  afin  de  prévenir  toute  mésin- 
telligence :  L(l  <  onforrnilr  de  l'itileirKjeui  e  el  de  la  cliase  du  de 
l'objet. 

Remarquons  maintenant  lapidement,  avec  toute  l'Kcole,  que 
la  forme  de  la  vérité  est  dans  l'intelligence  et  non  pas  dans  les 
choses.  C'est-à-dire  que  si  la  chose  ou  l'objet  n'était  rapporté  à 
quelque  intelligence,  il  n'y  aurait  pas  de  vérité.  Supposons,  par 
impossible,  un  monde  sans  intelligence,  la  vérité  en  serait 
absente.  Mais  il  est  clair,  d'autre  part,  qu'un  tel  monde  répu- 
gne. Car  un  monde  sans  cause  efficiente  est  impossible  ;  et,  ])ar 
ailleurs,  une  cause  efficiente  sans  cause  finale  qui  l'oriente  et 
la  mesure  répugne  également. 

Par  sa  forme,  qui  est  nécessairement  intellectuelle,  le  -vrai 
dilTère  donc  du  bien,  qui  a  sa  forme  dans  la  chose  ou  l'objet,  au 


LA   VKHITÊ  -rA 

lioii  de  l'avoir  dans  rinloUiji-onco.  Lo  bien,  on  oll'ot,  ot  lu-ccs- 
sairoment  une  lin,  ilallirc  :  il  est  donc  réol  de  (|iKdque  manière; 
c'est  l'être  en  tant  que  désirable.  Le  vrai,  au  contraire,  est 
d'abord  idéal  :  c'est  l'être  en  tant  qu'inteilijiible  on  connais- 
sable.  Ce  qui  ne  veut  point  dire  que  le  vrai  et  la  vérité  ne  sont 
que  dans  l'esprit  ;  mais  ils  ne  sont  dans  les  choses  que  secon- 
dairement et  par  rapport  à  l'intelligence.  Ce  contraste,  particu- 
lièrement instructif,  du  vrai  et  du  bien  répond  à  celui  de 
rintelligeuce  et  de  la  volonté,  comme  aussi  à  celui  de  la 
science  et  de  la  vertu.  11  les  explique  et,  avec  eux,  iiieu  des 
quesliiins  délicates  de  psychologie  et  de  morale. 


II 


Sans  nous  arrêter  davantage  sur  cette  notion  générale  de  la 
vérité,  niius  devons  examiner  maintenant  si  elle  s'applique  à 
toutes  les  espèces  de  vérités  et  de  quelle  manière.  En  d'autres 
termes,  il  nous  faut  passer  de  l'idée  claire  du  vrai  et  de  la 
vérité  à  l'idée  distincte  et  même  complète,  s'il  est  possible. 
Peut-être  faudra-t-il  pour  cela  entrer  dans  un  assez  grand  nom- 
bre de  distinctions.  Mais  le  sujet  mérite  cette  analyse;  et  l'on 
ne  saurait  s'en  plaindre,  s'il  nous  est  donné  de  rester  juste  et 
clair  jusqu'à  la  tin. 

En  suivant  l'ordre  absolu  et  non  point  l'ordre  chronologique 
ou  celui  du  développement  de  la  connaissance  humaine,  il  y  a 
d'abord  la  Vrrilr  dirint'. 

Cette  vérité,  que  considère  la  théodicée,  consiste  première- 
ment en  ce  que  l'intelligence  et  l'essence  divines  sont  parfaite- 
ment conformes  l'une  à  l'autre,  adéquates  l'une  à  l'autre.  Elle 
consiste  ensuite  et  par  là  même  en  ce  que  l'intelligence  divine, 
<[ui  ne  dilïère  pas  réellement  de  l'essence  divine,  connaît  toutes 
les  possibilités  et  toutes  les  existences,  tout  ce  qu!  a  été,  tout 
«e  qui  est  et  tout  ce  qui  sera,  tout  ce  qui  aurait  été  et  tout  ce 
qui  serait,  dans  quelque  condition  donnée  que  ce  soit.  Dieu  est 
omniscient  et  il  est  la  Vérité  même,  la  Vérité  subsistante.  Il 
voit  tout  par  son  essence  et  par  un  seul  et  même  acte  de  con- 
naissance. Et  si  l'on  entend  par  Vidrr  le  principe  de  la  connais- 


■rr2  Eue  BLANC 

stmco,  un  iloit  dire  que  [)icii  connaîl  tout  par  une  seule  idée. 
(Jn  ne  peut  parler  des  idées  diviii/'s  qu'autant  qu'il  s'agit  des 
exemplaires  des  choses,  qui  toutes  imitent,  et  chacune  à  sa  ma- 
nière, la  perfection  divine.  Et  quoique  les  choses  soient  créées, 
muables,  linies,  etc.,  la  science  divine  elle-même  ne  l'est  pas  : 
elle  est  infinie,  tout  en  acte  et  parfaitement  une.  Elle  existait 
avant  que  le  monde  fût  et  n'a  point  ciiangé,  ne  s'est  point 
accrue  par  la  création  des  choses,  ni  par  leur  développement  ; 
car,  avec  la  volonté  divine,  elle  est  la  cause  première  et  uni- 
verselle des  choses  :  rien  n'existe  ou  n(>  peut  exister  qu'elle  ne 
mesure. 

La  vérité  humaine,  au  contraire,  n'a  point  de  telles  perfec- 
tions :  elle  se  multiplie  avec  les  intelligences  qui  la  reçoivent, 
avec  les  ohjels  ([u'elle  embrasse,  avec  les  actes  distincts  qui  la 
donnent,  c'esl-à-diic  avec  les  jugements  (|ue  forme  l'esprit  et 
qui  peuvent  être  exprimés  par  autant  de  propositions,  dont  cha- 
cune a  sa  vérité  particulière.  Cependant,  la  vérité  humaine  n'est 
pas  muable  en  elle-même,  mais  en  tant  que  l'esprit  humain 
peut  lui  manqiu'r,  la  perdre  après  l'avoir  possédée  efmème  la 
trahir.  I-llle  peut  aussi  revendiquer  une  certaine  unité  :  elle  est 
une  dans  le  concept  générai  (|ue  nous  en  avons,  et  c'est  ainsi 
(|ue  nous  avons  pu  la  déiinir  :  elle  esl  une  encore  en  tan!  que 
toutes  les  vérités  sont  liées  entre  elles  et  formi'ut  une  science 
universelle.  Mais  la  complexité  et  la  ])erfeclibililé  de  cette 
science  humaine  universelle  sont  indéiinies.  On  le  voit  aussi- 
lùl,  el  on  le  verra  mieux  encore  par  la  suite. 


III 


.\près  la  Vérité  divine,  nous  distinguons  la  vrritr  des  choses. 
(".elle  vérité  est  multiple,  comme  les  choses  elles-mêmes  ;  car 
chacune  a  sa  vérité,  c'est-à-dire  qu'elle  est  connaissable  et  qu'en 
réalité  elle  est  connue  de  Dieu  d'une  manière  adéquate.  Donc, 
en  tant  qvie  les  choses  sont  conformes  à  l'intelligence  divine, 
qui  est  leur  cause  et  leur  mesure,  elles  sont  toutes  vraies.  C'est 
ce  qu'on  appelle  souvent  la  rrrilé  inriaplii/siqiic  ou  <iiil<dij{ji(jiif'. 
.Mais  nous  nous  réservons  de  donner  à  cette  expression  un  sens 


I.A   VKHITl-  273 

plus  rosti'i'iiil,  (|ui  csl,  SL'iuMc-l-il,  sou  sens  pi-cipiT.  Ino  vérité 
mc'taphysi(HKMin  milologique,  on  cll'cl,  osl  une  vi'ril(''  ([ui  appar- 
lionl  à  la  science  métapliysiqiie  ou  i\  l'ontologie.  Nous  préfé- 
rons Jonc  désigner  ici  cette  conformité  des  choses  avec  une 
intelligence,  en  particulier  avec  l'intelligence  divine,  sous  le 
nom   (le  rrri/r  t//'s  chuscs. 

i'ar  rapport  à  Uieu,  les  choses  ne  |)envent  être  que  vraies,  d 
elles  sont  telles  du  moment  qu'elles  sont  ce  qu'elles  sont.  Tou- 
tefois, il  ne  faut  pas  dire  que  les  choses  sont  vraies  parce 
qu'elles  sont  ce  qu'elles  sont  :  ce  serait  confondre  la  notion  de 
vériti-  avec  celle  d'identité.  De  même  ce  serait  confondre  la 
notion  de  vérité  avec  celle  d'r7/v>  qiu'  de  dire  simplement  :  le 
vrai  est  ce  qui  est.  Sans  doute,  le  vi'ai  est  ce  qui  est,  et  toute 
chose  qui  est  ce  qu'elle  est  est  vraie  :  mais  le  vrai  n'est  foruKd- 
lemenl  tel,  avons-nous  dit,  que  par  son  rapport  avec  l'iiileili- 
gence.  Tout  vrai  est  être  et  identique  à  lui-même  ;  mais  la 
notion  de  vérité  ne  se  confond  point  pour  cela  avec  la  notion 
d'être  ni  avec  celle  d'identité,  autres  notions  transcendantes, 
c'est-îi-dirc  qui  ne  s'enferment  dans  aucun  genre. 

La  vérité  est  donc  dans  les  choses  jiar  ra|)port  à  qu(dque 
intelligence,  et  tout  d'aliord  et  essentiellement  p;u"  rapport  à 
l'intelligence  divine,  dont  elles  dépendent  al)Solument.  Mais  ne 
pouvons-nous  connaitn^  la  vérité  des  choses  que  |)ar  leui-  con- 
formité avec  l'intelligence  divine  ?  Ce  fut  la  prétention  et  l'erreur 
des  ontologistcs.  Sans  doute  la  Vérité  divine  est  la  première 
absolument  ;  mais  ce  n'est  point  par  la  Vérité  divine  que  nous 
connaissons  la  vérité  des  choses,  bien  que  la  Vérité  divine  une 
fois  connue  nous  explique  souverainement  toutes  les  autres. 
C'est  plut<'it  la  vérité  des  choses  qui  nous  fait  découvrir  la  Vé- 
rité' divine,  coninu^  l'eilel  nous  manifeste  la  cause.  Nous  con- 
naissons donc  la  vérité  des  choses  par  une  autre  voie.  La  voici  : 

L'être  des  choses,  cl  non  jjds  leur  vrrilr  1 1  ),  agit  sur  noire 
esprit,  par  l'intermédiaire  des  sens,  le  frappe  pour  ainsi  dire 
de  son  empreinte  et  lui  donne  sa  mesure.  Nous  arrivons  ainsi 
bicntê>t  à  connaître  noniI)r('  de  vériti's.  (l'e-l-à-dire  que  l'esprit 


Il  Cf.  saini  Thomas,  I",  q.   10,  a.  1,  ad  '.i  :  Esscrei,  non  rerilas  ejiis,  causai  rcn- 
talem  inlellcctus. 


274  ÉLiE  BLANC 

humain  se  conformo  aux  choses  par  des  klôos  directes  et  con- 
naît cette  conformité  par  des  jugements  évidents,  comme  nous 
l'expliquerons  tout  h  l'heure,  ("est  là  l'origine  de  cette  foule  de 
vérités,  les  unes  expérimentales'  et  les  autres  scienliliques,  ou 
(lu  moins  générales,  qui  sont  à  la  portée  de  tous  et  que  les 
entants  eux-mêmes  ne  tardent  pas  à  saisir.  Car  on  nous  accor- 
dera hien,  par  exemple,  qu'ils  entendent  plus  ou  moins  les 
leçons  qu'ils  reçoivent,  le  langage  dont  ils  se  servent  eux-mêmes 
de  si  bonne  heure  :  ils  discernent,  à  n'en  pas  douter,  les  pre- 
mières prescriptions  de  la  morale  et  de  la  religion.  Or,  ces  pre- 
miers éléments  de  la  vie  iuleilectuclle  et  morale  supposent 
déjà  lui  nombre  incalculable  de  vérités,  obtenues  souvent  sans 
réllexion,  mais  auxquelles  s'a]i]di{[ue  toujours  cette  délinilion 
générale  :  La  vérité  esl  la  coul'oimilé  de  l'intelligence  et  de  la 
chose  ou  de  l'objet.  Mais  ici,  ce  n'est  point  comme  tout  à  l'heure 
pour  Dieu,  la  chose  qui  est  conforme  à  l'inlcdligonce,  mais 
l'inlelligence  qui  est  conforme  à  la  chose. 

Toutefois,  par  le  fait  même  que  l'intelligence  humaine  est 
conforme  à  la  ciiose,  la  chose  lui  est  conforme,  en  vertu  d'une 
réciprocité  nécessaire.  Or,  si  la  j)reniière  conformité  peut  être 
appelée  une  vérité  bumaine,  la  seconde  peut  être  appelée  une 
vérité  de  la  chose,  on,  si  l'on  préfère,  une  vérité  onto/of/itjtw. 
Auoni  danger,  aucune  difliculté  de  rapporter  ainsi  les  choses  à 
l'intelligence  humaine,  après  avoir  rapporté  d'abord  ce!!(^-ci  aux 
choses  comme  à  sa  mesure. 

On  peut  donc  dire  que  la  vérité  est  dans  les  choses,  soit  d'abord 
par  rapport  à  l'intelligence  divine,  soit  ensuite  par  rapport  à 
l'inlelligence  humaine.  Or,  c'est  cette  seconde  vérité,  avec  la 
véi'ilé  humaine  dont  elle  naît,  qui  nous  fait  connaître  |)iir  la 
voie  la  plus  directe  la  Vérité  divine.  Car  ces  vérités,  que  nous 
saisissons  en  comparant  notre  pensée  aux  choses  ou  les  clioses 
à  notre  pensée,  supposent  comme  leur  premier  principe  une 
V'érité  absolue,  incréée.  La  moindre  vérité  peut  ainsi  démontrer 
la  Vérité  divine,  de  même  que  l'être  réel  le  plus  infime  démontre 
l'existence  de  l'Htre  suprême.  Car  cette  vérité  que  découvre 
notre  esprit  ne  dépend  pas  absolument  de  notre  esprit;  mais 
nous  voyons  très  bien  que  l'être  serait  connaissable  et  vrai  sous 
ce  rapport  alors  même  que   nous  ne  serions  pas.  Même  s'il 


LA   VKIllTE  27;1 

s'atiil  (run  simple  fait  continj;ont,  il  sera  ét(>rnclleinonl  vrai 
quO  ce  fait  s'est  produit.  A  plus  forte  raison  sentons-nous  que 
les  vérités  métaphysiques,  mathématiques  et  morales  ont  un 
caractère  absolu.  «  Rien  de  plus  éternel,  dit  saint  Augustin, 
que  la  définition  du  cercle  et  que  deux  et  trois  font  cinq.  »  Et 
saint  Thomas,  qui  cite  ces  paroles  comme  une  objection,  se 
iioriic  à  répondre  que  la  délinilion  du  cercle  et  deux  et  trois 
foui  cinq  sont  éternels  dans  rintelligence  divine  il  i.  Comment, 
en  ell'et,  expliquer  ce  caractère  nécessaire  de  toute  vérité,  disons 
mémo  de  toute  idée,  s'il  n'y  a  pas  une  Intelligence  infinie,  hors 
de  laquelle  il  ne  saurait  y  avoir  aucune  vérité  éternelle  et 
nécessaire?  Si  saint  Thomas  ne  propose  pas  ainsi  cet  argument, 
on  peut  dire  qu'il  l'autorise  dans  l'article  où  il  détaille  les 
preuves  de  l'existence  de  Dieu  (2).  L'onlidogisme  ne  doit  pas 
s'en  prévaloir;  car  l'argument  ainsi  compris  repose  encore  sur 
un  fait  et  sur  le  principe  de  causalité. 


IV 


En  nous  expliquant  sur  la  Vérité  divine  et  sur  la  vérité  des 
choses,  nous  avons  déjà  dû  mettre  en  cause  la  vérité  humaine, 
par  laquelle  nous  connaissons  les  deux  autres.  Tournons  main- 
tenant toute  notre  attention  vers  celle-ci. 

Les  vérités  humaines  sont  de  plusieurs  ordres,  qu'il  faut 
bien  distinguer.  Les  premières  sont  celles  qui  ont  été  signalées 
déjà  et  qui  consistent  dans  la  conformité  de  l'esprit  humain 
avec  les  choses  ou  les  réalités  qui  sont  sa  mesure.  Naturelle- 
ment elles  se  distinguent  et  s'ordonnent  entre  elles  comme  les 
counaissances  humaines  qui  ont  pour  (jbjet  les  choses  elles- 
nii-mes,  intelligibles  ou  sensibles.  De  là  d'abord  des  vérités 
s  -ientifiques  de  divers  ordres  :  théologique,  métaphysique,  psy- 
chologique, mathématique,  etc.  On  remarquera  que  la  vérité 
métaphysique  ou  ontologique  ne  désigne  ici  que  la  vérité  propre 
à  la   science  métaphysique.  De   là  aussi   des   vérités  de  fait, 


(1)  1-,  q.  16,  a.  I. 

(2;  1-,  q.  2,  a.  .3  :  "  Quarta  via.. 


270  Él:e  blanc 

comme  noire  propre  existence  et  les  informations  que  nous 
donnent  les  sens.  Ajoutons  nKMiie  toutes  les  vérités  historiques 
particulières,  celles  qui  ])ortent  directement  sur  les  faits  on  le 
corps  même  de  lliistoire. 

Poussons  maintenant  plus  avant.  Après  les  vérités  générales 
ou  expérimentales  qui  consistent  toutes  dans  la  conformité  de 
rinlelli^ence  humaine  avec  les  choses,  il  faut  distinguer  les 
vérités  humaines  qui  consistent  dans  la  conformité  des  choses 
artilicielles  (œuvres  de  l'art  du  de  l'industrie)  avec  l'intellect 
pratique  qui  est  leur  exemplaire  et  parlant  leur  cause  et  leur 
mesure.  Assurément  une  oMivre  d'art  qui  n'est  pas  réussie 
manque  d'une  vérité  si/i  gmcri^.  (|u'il  est  impossihle  de  con- 
fondre avec  les  précédentes. 

On  pourrait  distinguer  les  vérités  de  ce  genre  selon  les  arts 
(poésie,  éloquence,  musique,  architecture,  peinture,  etc.),  dont 
elles  procèdent.  Mais  il  n'est  pas  utile  ici  d'entrer  dans  les 
détails. 

itemaicjuous  cependant  (juc  les  <cuvres  d'aii  peuvent  être  en 
défaut  el  maii(|uer  de  vérité  pour  deux  causes  bien  différentes  : 
ou  hien  parce  que  l'artiste  n'a  pas  su  concevoir  le  véritable 
idéal;  ou  bien  parce  qu'il  n'a  pas  su  le  réaliser.  Or  c'est  la 
seconde  cause  qui  doit  ici  nous  intéresser.  Car,  si  l'artiste  n'a 
pas  su  concevoir  le  véritable  idéal,  c'est  (ju'il  s'est  trompé  sur 
d'autres  vérités,  supérieures  à  l'ai't  hii-mème  :  vérités  bjgiqucs, 
morales,  philosophiques,  ndigieuses,  etc.  L'art,  (m  effet,  est 
t'triiilement  ridié  aux  plus  hautes  cnnnaissances,  dont  il  lii'C  ses 
règles  souveraines. 

Observons  aussi  que  la  vérité  tout  à  fait  |»roi>re  à  l'art  res- 
semble beaucoup  à  la  N'érité  divine.  L'homme,  en  eifet,  est 
l'auteur  de  ses  œuvres  à  la  manière  dont  Dieu  est  le  créateur 
de  tout  ce  qui  existe.  Les  œuvres  humaines  surviennent  aux 
o'uvrcs  de  la  nature,  qui,  par  rapport  à  Dieu,  est  conmic  une 
(iMivic  d'arl.  L'artiste  et  l'ouvrier  sont  les  coopérateurs  de  Dieu, 
auteur  suprême  :  ils  travaillent  et  créent,  pour  ainsi  dire,  à  son 
image,  sans  pouvoir  jamais  s'affranchir  de  cette  dépendance  qui 
les  honore.  L'art,  en  effet,  ne  peut  en  somme  qu'imiter  la 
jiature,  alors  même  qu'il  s'efforce  de  la  dépasser  et  qu'il  y  réus- 
sit, à  certains  égards.  Mais,  malgré  nos  efforts,  nous  ne  don- 


L.[    VEHITE 


lions  aux  clioses  qu'une  réalili'  et  une  existence  accifleiilelles. 
un  ordre,  un  arrans^eiiient  conçu  par  notre  esprit,  une  expres- 
sion nouvelle  qui  répoiul  à  notre  verbe  intérieur  :  le  fond  même 
des  choses  nous  échappe,  et  toute  transformation  substantielle 
l'ésiste  à  nos  prises  directes.  A  plus  forte  raison  toute  vie,  toute 
fécondité  vient  de  la  nature  et  par  conséquent  de  Dieu.  (lom- 
meut  donc  quelques  philosophes  onl-ils  pu  s'inia;^iner  que 
l'esprit  humain  pouvait  se  coiisliluer  lui-même,  (m  s'aflirmaiit. 
alors  qu'il  ne  peut  former  le  moindre  germe  ni  créer  un  seul 
grain  de  sable.! 


\' 


Au  point  011  nous  sommes,  il  peut  sembler  que  nous  avons 
parcouru  les  principaux  ordres  de  vérités.  Mais  il  en  reste  encore 
de  très  importants.  Nous  voulons  parler  des  vérités  logiques,  au 
sens  plus  ou  moins  strict,  et  de  la  vérité  morale  qui  est  une 
vertu.  Et  d'abord  les  vérités  logiques. 

On  pourrait  entendre  par  vérités  logiques  les  vérités  scienti- 
tiques  qui  se  ra])portent  aux  choses  et  dont  nous  avons  déjh 
parlé.  Les  sciences,  en  effet,  sont  faites  de  raisonnements  autant 
et  jilus,  bien  souvent,  que  d'expériences,  (chacune  a  sa  logique; 
et  l'on  peut  dire,  à  cet  égard,  (jue  toutes  les  conchisions  légili- 
mes  et  savantes  sont  des  vérités  logiques.  Mais  nous  entendons 
ici  par  vrritrs  loc/iques  celles  qui  sont  proprement  l'objet  de  la 
logique,  considérée  dans  toute  son  extension.  Elle  comprend 
ainsi  la  logique  formelle  ou  dialectique  et  la  critique  ou  crité- 
riologie.  Or  chacune  d'elles  corresponti  à  un  ordre  de  vérités  qui 
lui  est  propre. 

La  vérité  de  la  logique  formelle  consiste  dans  l'accord  de  la 
pensée  avec  elle-même.  N'associer  dans  son  esprit  que  des  idées 
(jui  s'accordent,  des  jugements  qui  s'enchaînent  ou  du  moins 
qui  ne  sont  pas  contradictoires,  tirer  de  principes  donnés  les 
conclusions  légitimes,  appliquer  en  un  mot  toutes  les  lois  du 
raisonnement  :  c'est  être  et  se  mouvoir  dans  la  vérité  de  la 
logique  formelle.  ¥a\  partant  d'un  principe  faux  pour  en  tirer 
logiquement  des  conclusions  fausses  en  elles-mêmes,  on  se  met 


278  Elie  blanc 

et  on  se  meut  liors  de  la  vériti.'  réelle  (métaphysique,  psycho- 
logique ou  autre)  ;  mais  on  reste  dans  la  vérité  de  la  logique 
formelle.  A  cette  vérité  convient  parfaitement  la  définition  géné- 
rale (jui  a  été  donnée  en  commençant  :  la  vérité  est  la  confor- 
mité de  1  intelligence  et  de  l'objet.  Ici,  en  elTet,  en  logique  pure, 
rintolligence  prend  pour  ohjet  ses  propres  idées,  avec  les  juge- 
ments et  les  raisonnements  qui  en  résultent,  et  elle  se  borne 
à  les  ordonner. 

Mais,  outre  la  logique  formelle  ou  dialectique,  il  y  a,  disions- 
nous,  la  critique  ou  critériologie,  qui  s'occupe  des  critères  de 
la  vérité,  des  premiers  [)rincipes  et  des  sciences  en  général,  des 
niiHhndcs  à  suivre  piiur  les  acquérir,  etc.  Or,  à  cette  logique 
parliculière,  appelée  encore  plus  ou  moins  iieureusemenl  logi- 
que matérielle  ou  réelle,  doit  correspondre  un  ordre  de  vérités 
distinct.  C'est  ici  que  se  rencontre,  à  proprement  parler,  /a 
scieiicfi  de  la  science  ou  épistémologie.  Connaître  que  l'on  sait, 
c'est  bien  souvent  pure  affaire  de  conscience  et  de  réilexion. 
.Mais  savoir  scientiliquement  que  l'on  sait,  savoir  comment  on 
aap|)ris  et  comment  on  doit  apprendre,  savoir  défendre  la  légi- 
timilé  de  ses  connaissances  réelles,  distinguer  entre  les  mé- 
thodes et  s'en  servir  avec  discernement  selon  les  objets  à  étu- 
dier :  c'est  là  certes  une  science  distincte,  qui  n'est  plus  la 
logique  pure  et  qui  n'est  pas  encore  une  science  réelle  comme 
la  psychologie  ou  la  philosophie  de  la  nature.  A  cette  science 
correspond  donc  ime  vérité  distincte,  qui  louche  de  près  à  toutes 
les  vérités  réelles,  qu'elle  doit  préparer  ou  confirmer,  sans  se 
confondre  pourtant  avec  elles.  A  cette  vérité  s'applique  très 
bien  encore  la  délinition  générale  :  la  vérité  est  la  conformité 
de  l'intelligence  et  de  l'objet.  L'objet  ici  ce  n'est  plus  seuleiiu'nt 
l'idée,  le  jugement  et  le  raisonnement;  mais  c'est  la  science 
elle-même,  avec  les  critères  de  la  vérité  et  les  méthodes,  ce 
sont  les  nniversaux  non  plus  seulement  en  tant  qu'idées  ou 
formes  de  l'esprit,  mais  en  tant  qu'ils  expriment  des  réalités 
et  sont  les  moyens  de  toute  connaissance. 

Un  mot  suflit  maintenant  sur  la  vérité  morale.  Elle  est  une 
vertu  et  consiste  dans  la  droiture  de  l'intention,  dans  la  sin- 
ci^rité  de  la  conscience  ou  bonne  foi,  dans  l'accord  de  l'intel- 
ligence pratique  qui  gouverne  la  conduite  avec  les  actes  exté- 


LA    VElilTÉ  279 


rieurs  et  la  parole  (1).  A  cette  vérité  est  opposé  le  mensonge  : 
aux  autres  sont  opposées  l'ignorance  et  l'erreur,  qui  dilVérenl 
l'une  et  l'autre  radicalement  du  mensonge,  plus  encore  qu'elles 

ne  dilTèrent  enlic  elles. 


VI 

11  peut  sembler  que  nous  arrivons  ainsi  au  terme  de  notre 
tâche.  Mais  c'est  ici  qu'elle  devient  le  plus  ardue.  Car  il  s'agit 
de  délinir,  en  ce  qui  concerne  la  vérité  humaine,  comment  elle 
résulte  de  la  conformité  de  rintelligence  et  de  l'objet.  La  vérité 
nous  est-elle  donnée  par  une  simple  idée,  en  sorte  qu'il  sufiise 
d'une  simple  appréhcn-ion  de  l'objet  en  vertu  de  cette  idée"? 
Ou  bien  faul-il.  en  onire.  un  jugement  ?  Que  dis-je"?  faudrait-il 
non  seulement  le  rapport  d'un  prédicat  à  un  sujet,  mais  encore 

'le    rapport    d'un    jugement    avec    un    autre   jugement,  etc.  '? 
Essavons  donc  de  nous  expliquer. 

Reconnaissons  d'abord  que  la  vérité  ne  nous  est  pas  donnée 
par  \me  simple  appréhension,  en  vertu  d'une  simple  idée,  mais 
liien  par  un  jugement.  C'est  ce  que  les  scolastiques  enseignent 
communément  en  disant  que  la  vérité  n'est  pas  dans  l'intelli- 
gence humaine  en  tant  que  celle-ci  conçoit  l'essence  ou  une 
définition  (çuo(/  i/uid  l'sl),  mais  en  tant  qu'elle  compose  ou 
divise,  c'est-à-dire  en  tant  qu'elle  affirme  ou  nie.  Cela  nous 
est  indiqué  par  les  expressions  mêmes  de  nos  idées  et  de  nos 
jugements,  c'est-<Vdire  les  fermes  et  les  propositions.  La  vérité 
ou  l'erreur  n'est  pas  dans  les  termes  séparés  ni  même  dans 
les  définitions  en  tant  que  simples  notions  ou  concepts,  mais 
bien  dans  les  affirmalidus  ou  négations,  dans  les  définitions 
considérées  comme  thèses  ou  conclusions.  A  ce  point  de  vue, 
le  Dictionnaire  tout  entier,  avec  ses  mots  et  ses  définitions, 
dont  le  nombre  s'accmil  tous  les  jours,  ne  contient  aucune  doc- 

^trine  :  par  exemple,  le  dictionnaire  grec  et  le  dictionnaire  latin 
ne  sont  point  païens,  bien  que  le  lotin  et  le  grec  se  soieni  for- 

ili  Saint  Thomas  la  signale  en  ces  termes  :  «  Virtus  quse  dicitur  verilas  non 
est  Veritas  communis,  sed  iiun-dam  veritas  secundum  quam  homo  in  dictis  et 
faet  s  ostendit  se  ut  est.  »  (1  '  ,   q.  16,  a.  4,  ad.  3.) 


■280  ÉLiE  BLANC 

mes  SOUS  le  paganisme  et  n'aient  été  parlés  d'abord  (jue  pur 
des  païens.  Cependant  il  est  faeile  de  voir  que  le  Dictionnaire, 
avec  la  langue,  témoigne  clairement  de  l'étal  d'un  peuple  et  de 
ses  croyances,  des  vérités  dont  il  a  vécu  et  des  erreurs  qu'il  y  a 
mêlées.  On  voit  aussi  qiu'  l'idée  par  elle-même  n'est  point 
fausse  :  elle  est  plutôt  vraie,  étant  le  germe  de   tonte    vérité. 

Elle  est  plutôt  vraie,  disons-nous.  Et  de  fait  elle  est  vraie 
comme  toute  cliose  vraie.  C'est-à-dire  qu'étant  essentiellement 
une  similitude,  une  expression,  elle  exprime  nécessairement  ce 
qu'(dle  exprime.  C'est  inconteslaMe  surtout  en  ce  qui  concerne 
rid('c  directe,  celle  qui  naît  spontanément  dans  res|)rit  sous 
l'action  des  objets  extérieurs  et  dont  l'objectivité  peut  êlie  par- 
iaitenumt  établie  et  expliquée  en  crilériologie  et  on  psycliolo- 
gie.  Certainement  \nir  cette  idée  l'intelligence  est  marquée  de 
l'empreinte  de  la  chose,  pour  ainsi  dire  ;  elle  lui  est  conforme. 
Mais  il  faut  reconnaître  que  par  cette  simple  idée  rintelligence 
no  saisit  point  cette  conformité,  ni  par  conséquent  la  vérité, 
(jui  esl  esseiiliellemont  une  conformité,  l'ar  l'idée  directe,  i'in- 
l(dligence  uo  saisit  (|uo  l'objet  exprimé  par  l'idé-e,  non  l'idée 
(die-même,  ni  encore  moins  la  conformité  de  l'idée  avec  l'objet. 

Il  en  va  tout  autrement  dès  que  l'inlidligence  forme  nu 
jugement.  Tout  jugement  est  nécessaircuKMit  un  pas  fait  dans 
la  vérité  ou  dans  l'erreur.  Coal  par  des  jugements  vrais  que 
la  connaissance  se  développe,  que  les  conclusions  se  tirent  et 
(|uo  les  sciences  se  constituent.  Les  premières  vérités  que  saisit 
l'ospril  sont  dos  vérités  '.lirectos  :  vérités  de  faits  ou  d'expé- 
rience et  vérités  très  générales  ou  ])remiers  j)i-iiicipes,  (jui,  avec 
les  faits,  sont  le  fondement  do  toutes  les  sciences.  La  réllexinn 
édilio  celles-ci,  et  son  dernier  fruit  est  dans  les  vérités  projjre- 
menl  logiques  ou  critériologiquos. 

Mais  il  est  incontestable  qu'une  vérité  est  perçue  dès  le  ju'e- 
mier  jugement  évident,  avant  toute  analyse  savante  et  même 
avant  tonte  réU'exion.  Soit  ce  pieinier  jugement  d'expérience  : 
Le  solril  existe.  Le  sons  obvie  et  le  jdus  simple  do  ce  jugement, 
croyons-nous,  est  celui-ci  :  Le  soleil  a  l'existence  que  je  conçois. 
Ce  jugomont  résulte  immédiatement  do  l'aiialysi^  de  l'idée  expé- 
rimentale du  soleil,  en  vertu  de  laquelle  le  soleil  est  perçu. 
Le   coiicopt  do  soleil,  exprimé  par  le  sujet  de  la  proposition. 


LA    VKlilTÉ  2S1 

est  un  concept  olijoctit',  c'esl-à-ilire  i[iie  ce  concept  livre  h  l'in- 
tellij;enco  ce  qu'il  exprime  plutôt  qu'il  ne  se  livre  Ini-mème, 
il  l'ait  counailrc  le  sulcil  jilulôl  (jue  l'idée  même  du  soleil.  Au 
contraire,  le  concept  d'existence  exprimé  par  l'attribut  de  la 
proposition  est  nn  concept  abstrait,  subjectif.  En  sorte  qn'en 
disant  :  «  Le  soleil  existe  »,  j'affirme  que  le  soleil  (objet, 
ciiose  pensée)  a  l'existence  que  je  conçois.  J'affirme  ainsi,  en 
même  temps  que  je  la  saisis,  une  conformité  entre  ma  pensée 
et  la  cbose.  J'altriitue  à  cette  chose  l'existence  que  j'en  avais 
abstraite  par  une  opération  de  l'esprit,  et,  par  cette  attribution 
ou  aflirmation,  je  ne  fais  que  constater  intellectuellement  le 
fait  sensible  que  je  viens  de  percevoir.  D'ailleurs  on  pourra 
peiil-èlre  expliquer  la  vérité  de  ce  jugement  de  plusieurs  autres 
numières  ;  mais  celle-ci  nous  parait  la  plus  simple,  et,  s'il  en 
est  ainsi,  elle  doit  être  impliquée  dans  toutes  les  autres.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  n'y  a  pas  de  vérité  sans  cet  accord  de  la  pensée 
et  de  l'objet. 

Ensuite  il  va  sans  dire  que  cette  vérité,  d'abord  si  simple, 
directe  et  expérimentale,  donne  facilement  naissance  à  des 
vérités  rélléchies,  scientifiques  ou  même  purement  logiques, 
qui  peuvent  être  justifiées  par  toutes  les  ressources  de  la  science 
et  de  la  pbilosophie.  11  en  est  de  même  des  vérités  générales  et 
premières  :  principe  de  contradiction,  principe  de  causalité,  etc. 
i/enfant  les  saisit  dès  le  début  de  sa  vie  intellectuelle;  il  ne 
saurait  commencer  par  douter  de  leur  valeur  objective  ;  leur 
évidence  est  immédiate  et  son  esprit  se  conforme  ainsi  d'abord 
et  spontanément  à  la  réalité  des  choses.  11  perçoit  donc  déjà 
certaines  vérités;  mais  c'est  sans  y  rétléchir,  sans  les  expliquer, 
peut-être  même  sans  en  avoir  conscience.  Plus  tard  seulement 
il  pourra  les  posséder  de  toutes  les  manières  possibles.  Alors  il 
se  rendra  compte  de  la  manière  dont  ses  jugements  répondent 
à  la  réalité,  et  de  l'accord  qui  existe  entre  l'esprit  et  la  nature, 
il  saura  montrer  la  légitimité  de  ses  connaissances,  expliquer 
leurs  origines  et  leur  développement,  marquer  les  conditions 
de  la  certitude  scientifique.  Tout  cela  représente  les  progrès  de 
la  vérité  dans  l'esprit,  mais  ne  définit  pas  la  vérité  elle-même. 
Elle  existe  dès  le  premier  jugement  évident,  parce  que  ce 
jugement  emporte  la  perception  d'un  rapport  de  l'intelligence 


282  Elie  KLANC 

avec  son  objet.  Cet  objet  est  «l'abord  la  cliose  existante  ;  car 
les  jugements  directs,  portés  sous  le  coup  de  rexpérience  et 
en  vertu  de  la  spoutanéilé  de  l'esprit,  précèdent  les  jugements 
réiléchis. 

On  ne  saurait  distinguer  avec  trop  de  suin  ces  vérités  objec- 
tives et  réelles,  qui  bien  souvent  sont  toutes  spontanées,  d'avec 
les  vérités  purement  logiques  et  suiijeclives.  A'ous  qualiiious 
celles-ci  de  subjectives,  parce  que  riulelligence  |)rend  alors 
pour  objet  ses  propres  idées  ou  ses  propres  jugements.  U 
importe  d'autant  mieux  de  ne  pas  confondre  ces  deux  ordres 
de  vérités  qu'elles  peuvent  être  signifu^'s  par  les  mêmes  for- 
mules. Si  je  dis,  par  exemple,  que  «  l'immuable  est  étei'uel  », 
je  peux  signifier  sim|)lemenl  (jue  l'idée  d'éternité  est  impli- 
quée dans  l'idée  d'imuuilabililé,  ou  que  l'Etre  immuable, 
reconnu  déjà  comme  réel,  a  l'éternité  que  je  conçois  et  qui  est 
impliquée  dans  l'immutabilité.  Dans  le  premier  cas,  j'exprime 
une  vérité  logique  ;  dans  le  second,  une  vérité  réelle. 

(Ir  la  vérité  objective  et  réelle  est  absolument  la  première  ii 
naître,  et  c'est  d'elle  ensuite  que  se  forme  la  vérité  purement 
logique.  Il  le  faut  bien;  car  l'idée  directe  est  avant  l'idée  réllé- 
cbie,  dont  elle  devient  l'objet  :  on  ne  pense  |)as  sa  propre 
pensée  sans  avoii'  d'abord  |)ensé  queb[ue  cliose.  L'intelligence 
«loue  se  conforme  d'abord  aux  clioses  ;  puis  elle  prend  con- 
science de  ses  ressources  et  s'accorde  avec  elle-même  afin  de 
mieux  s'accorder  avec  les  choses.  Les  vérités  purement  logi- 
ques nous  aident  alors  à  mieux  entrer  dans  la  véiité  objective 
et  réelle  ;  et  il  arrive  ainsi  que  nombre  de  vérités  (djjectives  et 
réidles  particulières  n'apparaissent  qu'à  la  suite  de  vérités  pure- 
ment logiques.  Mais  absolument  la  vérité  objective  et  réelle 
précède  l'autre.  Impossible  donc  de  la  tirer  [)urement  et  sim- 
plement de  celle-ci.  H  est  vrai  seulement  que  la  première  tient 
de  la  seconde  son  explication  et  son  développement.  La  vérité 
est  semée  en  nous  du  dehors,  bien  qu'elle  ne  se  forme  et  ne  se 
développe  qu'au  dedans.  L'être  idéal  procède  ainsi  de  l'être  réel 
et  en  tire  toute  sa  valeur  :  mesuré  par  lui,  il  le  mesure  à  son 
tour. 

C'est  pour  cela  que,  dans  l'Kcole,  la  vérité  a  toujours  été 
■définie  :  »  la  conformité  de  l'intelligence  et  de  la  chose  »,  et 


LA   VElilTE  283 

non  |iniiil  :  «  la  conrurmitc  do  la  juMisrc  avec  cllo-mèmo,  ■■ 
comme  iiii  le  fait  si  souvent  anjonnl'liiii.  Los  scolasli(|nes 
n'ignoraient  pas,  certes,  que  la  vériié  [)iirement  loj;ique  nail 
ensuite  de  l'antre  et  la  sert  merveilleusement;  ils  n'ignoraient 
pas  que  l'intelligence,  après  avoir  connu  les  faits  et  les  prin- 
cipes les  pins  évidents,  revient  sur  elle-même,  analyse  toutes 
ses  ressources  et,  grâce  h  une  higiqne  puissante,  comme  le 
serait  un  levier  sans  lin  auquel  ne  manquerait  jamais  le  point 
d'appui,  soulève  et  soutient  toute  la  masse  des  connaissances 
humaines. 

On  est  donc  d'accord  avec  eux  en  disant  ([ue  toutes  les  con- 
clusions scientifiques  résultent  de  beaucoup  de  vérités  pure- 
ment logiques  unies  à  un  certain  nomlire  de  faits  et  de  vérités 
objectives  et  réelles.  Il  suffit  que  les  principes  soient  réels  pour 
que  la  science  tout  entière  soit  marquée  du  même  caractère 
d'objectivité  et  de  réalité.  Par  exemple,  étant  donné  ce  principe 
réel  :  //  //  a  laïc  raiisr  /jr/'inlire  (principe  qui,  d'ailleurs,  est 
une  conclusidu  par  rapport  à  des  principes  réels  antérieurs),  si 
on  le  féconde  par  des  vérités  telles  que  celles-ci  :  si  une  pre- 
mière cause  existe,  elle  existe  par  elle-même;  ce  qui  existe  par 
soi-même  est  infini,  immuable,  éternel,  etc.,  on  conclut  très 
légitimement  que  la  cause  i)remière  est  infinie,  immuable, 
éternelle,  etc.  Il  en  irait  tout  autrement  si  tous  les  principes  ne 
supposaient  formellement  rien  tie  réel,  comme  il  arrive  pdur 
l'argument  ontologi(iue  employé  par  saint  Anselme  et  l)es- 
cnrtes.  De  ce  que  le  concept  d"é[i-e  parfait  contient  la  note  d'exis- 
tence, on  ne  peut  conclure  que  l'être  parfait  existe.  Le  faible 
de  cet  argument  montre  bien  qu'on  ne  peut  passer  de  ronlic 
purement  idéal  à  l'ordre  réel,  de  vérités  purement  logiques,  on 
du  moins  qui  ne  supposent  rien  de  réel,  h  des  vérités  objectives 
et  réelles. 

C'est  par  cette  remai'que  que  nous  terminons  cette  étude,  qui 
avait  surtout  pour  but  de  restituer  la  première  place  à  la  vérité 
(ilijcclive  et  réelle,  celle  (jui  consiste  dans  la  confoi"mil(''  di^ 
l'inUdligence  avec  la  chose,  (l'est  d'elle  que  naissent  ou  par 
elle  que  nous  sont  manifestées  toutes  les  autres  vérités.  Ces 
vérités  sont,  du  côté  de  l'objet  :  la  vérité  des  choses  ou  leur 
conformité  avec  notre  intelligence  et,  à  plus  forte  raison,  avec 


2IS4  Klie  blanc 

l'intelligence  divine:  la  Vérité  divine  elle-même,  qui  est  la 
source  absolue  de  toute  vérité  et  qui  consiste  principalement 
dans  la  conformité  île  rintelligence  et  de  l'essence  divines,  de 
l'idéal  et  de  la  Réalité  absolus.  Du  cùté  du  sujet,  vérités  réllé- 
cbies  et  logiques  de  divers  degrés,  armes  puissantes  qui  nous 
servent  à  conquérir  et  à  éprouver  toutes  les  sciences.  Olles-ci 
sont  donc  des  ceuvres  de  logique  assurément;  mais  elles  nous 
nianitestent  plus  ou  moins,  selon  leur  perfection  et  leur  degré' 
(le  pénétration,  les  qualités  et  les  essences  mêmes  des  clios(>s. 

Éi.u;  BLANC. 


L'ARGL'MENT  DE  SAINT  ANSELME 


Le  nom  tU'  ^;iint  Ansolmc  est  bien  coniui  ;  ses  oiivraiics  cl 
sa  doctrine  le  sont  [leii.  l'niir  le  t;ran(l  inililii-,  une  xmiIc  do 
opinions  du  saint  docteur  est  restée  attaeliée  à  son  nom  :  c'est 
précisément  la  plus  discutée  et  la  plus  discutable  ;  les  contra- 
dictions dont  elle  a  été  l'objet  ont  retenu  l'attention  sur  elle. 
Nous  voulons  parler  de  ce  fameux  argument. du  Proslogiiuii 
destiné  à  prouver  l'existence  de  Dieu.  Cet  argument  a  obtenu 
des  adhésions  ardentes  ;  il  a  suscité  également  dès  le  début  des 
oppositions  très  nettes.  On  a  écrit  des  volumes  pour  et  conlri'. 
Nous  voudrions  préciser  ici  la  valeur  réelle  de  cet  argument. 
Nous  l'exposerons  impartialement  ;  nous  dirons  les  objections 
de  ceux  qui  le  repoussent  et  les  motifs  de  ceux  qui  l'admettent; 
nous  indiquerons  enfin  le  jugement  qui  semble  devoir  élri' 
porté  sur  cette  controverse. 


I 


Les  iiishiriens  racontent  (|ue  saint  Anselme  était  tourmenté 
du  ilésii'  de  trouver  un  argument  très  bref  et  cependant  décisif 
contre  les  atliées.  On  lit  quelque  part  dans  l'Ecriture  (1)  :  «  L'in- 
sensé a  dit  dans  sou  conir  :  il  n'y  a  pas  de  Dieu.  »  Cette  pensée 
troublait  notre  saint.  Comment  cet  être  suprême,  l'être  des 
êtres,  qui  est  tout  ce  qu'il  est  par  lui-même,  fondement  et  lin 
de  toutes  choses,  notre  bonheur  et  notre  espérance,  comnnmt 

■'1      Ps.  XIII.  V.  1. 


285  DOMET  DE  VORGES 

pcut-il  ('■tro  ainsi  méconnu?  Qui  peut  être  assez  insensé  ])r)ur 
penser  qu'il  n'existe  pas?  Saint  Anselme  voulait  éclairer  cet 
insensé,  le  confondre,  lui  faire  toucher  du  doigt  son  alisurdit('> 
fondamentale.  De  là  le  nom  d'insensé  qu'il  donne  à  l'atiiée 
dans  son  opuscule  et  qui  a  joué  un  si  grand  rùle  dans  la  con- 
troverse qui  a  suivi. 

In  jour,  saint  Anselme  se  sentit  fra|qjé  comme  d'un  trait  de 
lumière.  Il  tenait  son  argument.  Il  le  rédigea  séance  tenante  et 
remit  l'écrit  à  un  de  ses  moines.  Voyez  le  malheur!  quelques 
jours  plus  tard,  il  réclame  au  moine  son  manuscrit.  Impossible 
de  le  retrouver. 

Saint  Anselme  se  riMuil  à  l'ouvrage.  Il  conlia  cette  seconde 
ri''daction  à  un  autre  moine.  Trois  jours  après,  on  la  retrouva 
déchirée  en  menus  fragments  absolument  illisibles. 

Pour  le  coup,  on  n'en  douta  plus  parmi  les  moines  :  le  diable 
s'acharnait  à  détruire  le  terril)le  argument. 

Saint  Anselme  lit  une  troisième  rédaction  sur  laquelle  il 
traça  ces  mots  :  In  /lomi/ir  llomiiti.  C'est  celle  que  nous  possé- 
dons. Il  lui  lionna  Ir  nom  d' .\//oi/iiiii/ii,  discours  adressé  à  Dieu. 
Il  aimait  à  imprimer  à  ses  expositions  une  tournure  oratoire. 
Plus  lard,  il  remplaiia  ce  titre  par  celui  d(>  P/ns/of/iii/i),  tiré  du 
grec,  qui  a  le  même  sens.  Il  donnait  ainsi  à  son  second  ouvrage 
de  théologie  naturelle  un  intitulé  analogue  à  l'intitulé  de  la 
première  étude,  le  Moiio/or/iimi. 

En  quoi  consiste  l'argumenl  du  l'/'os/iit/iiiiii  ?  Pour  n'èlre 
point  accusé  de  l'altérer,  nous  présenterons  d'abord  au  lecteur 
la  Iraduclion  littiM'ale  du  second  chapitre,  qui  en  contient  pour 
ainsi  dire  la  moelle. 

Après  avoir  prié  Dieu,  dans  le  premier  chapitre,  de  lui  com- 
muniquer ses  lumières,  le  prieur  du  Bec  continue  ainsi  : 

"  Nous  croyons.  Seigneur,  que  vous  êtes  un  être  tel  qu'on 
ne  peut  s'en  représenter  un  plus  grand.  Est-ce  donc  qu'une 
telle  nature  n'existera  pas,  parce  que  l'insensé  a  dit  dans  son 
cœur  :  il  n'y  a  pas  de  Dieu  ?  mais  cet  insensé,  quand  il  entend 
parler  d'un  être  tel  qu"(in  ne  peut  s'en  représenter  un  plus 
grand,  comprend  ce  qu'on  lui  dit  et  ce  qu'il  comprend  est  dans 
son  intelligence,  alors  même  qu'il  ne  comprend  pas  que  cela 
existe.  Autre  chose  est  d'avoir  l'idée  d'un  objet,  autre  chose  de 


LAItlH  Mi:.\T  DE  SMST  ASSELME  287 

fdmpromire  (jue  cet  objet  existe.  Quand  un  peintre  prémédite 
le  tableau  (|u'il  va  faire,  il  a  ce  tableau  dans  son  intelligence, 
mais  il  com|ireii(l  qu'il  n'existe  pas,  puisqu'il  ne  l'a  pas  encore 
réalisé.  Quand  il  l'a  pciiil,  il  l'a  dans  son  inlelligence  et  com- 
prend qu'il  existe  ;  il  l'a  l'ait.  Qn  peut  donc  convaincre  l'insensé 
lui-même  qu'il  existe,  au  moins  dans  son  int(dligcnce,  un  èlre 
tel  qu'on  ne  peut  s'en  icprésenter  un  plus  grand.  En  effet,  ce 
qu'on  lui  dit,  il  le  comprend,  et  ce  que  l'on  comprend  est  dans 
l'intelligence.  Or,  ce  qui  est  si  grand  qu'on  ne  peut  rien  se 
représenter  de  plus  grand  ne  peut  exister  seulement  dans  l'inlel- 
ligence.  Car  s'il  existe  seulement  dans  l'intelligence,  on  peut 
se  représenter  quelque  chose  qui  existerait  dans  l'intelligence 
et  dans  la  réalité,  ce  qui  est  plus  grand.  Si  donc  ce  qui  est  tel 
qu'on  ne  peut  rien  se  représenter  de  plus  grand  existe  dans 
l'inlelligence  seule,  ce  qui  est  tel  qu'on  ne  peut  rien  se  repré- 
senter de  plus  grand  est  tel  qu'on  peut  se  représenter  quelque 
chose  de  plus  grand.  Mais  certainement  cela  ne  peut  pas  être. 
11  existe  donc,  sans  aucun  doute,  quelque  chose  tel  qu'on  ne 
peut  rien  se  représenter  de  plus  grand,  et  ce  quelque  chose 
existe  dans  l'intelligence  et  dans  la  réalité  i  I  ).  •■ 

On  voil  clairement  riulenlinn  du  saint  docteur.  Tous  ont 
dans  l'esprit  l'idée  d'iuie  chose  telle  qu'on  n'en  peut  penser 
une  plus  grande.  L'insensé  lui-même  a  cette  idée,  car,  lorsque 
je  l'énonce,  il  sait  très  bien  ce  que  je  veux  dire.  Une  telle  chose 
ne  peut  cependant  exister  dans  l'esprit  seul.  Si  elle  était  dans 
l'esprit  seul,  on  pourrait  penser  qu'elle  est  aussi  en  réalité.  Or, 
ce  qui  est  dans  la  réalité  est  plus  grand  que  ce  qui  est  dans 
l'esprit  seul.  Si  donc  elle  n'était  pas  dans  la  réalité,  on  aurait 
l'idée  d'une  chose  qui  serait  ce  qu'on  peut  penser  de  plus  grand 
et  qui  ne  serait  pas  ce  qu'on  peut  penser  de  plus  grand.  Fla- 
grante contradiction  ! 

Ti'l  est  l'argument  de  saint  Anselme  dans  ce  qu'il  a  d'essen- 
tiel ;  nous  l'apprécierons  plus  tard,  nous  nous  bornons  ici  à 
l'exposer. 

Le  chapitre  111   du  Pros/of/iin»  est  consacré  à  montrer  que 


(  1)  Pour  assurer  notre  impartialité  complète,  nous  avons  emprunté  cette  tra- 
duction au  R.  P.  Itagey,  qui  est  un  défenseur  de  l'argument. 


288  DOMET  DE  VORGES 

IT'tre  tel  qu'un  n'en  peut  penser  un  plus  grand,  non  seulement 
existe  en  réalité,  mais  encore  qu'on  no  jjeut  penser  qu'il 
n'existe  pas.  Autrement,  il  est  nécessairement  et  par  essence. 

Le  IV"  chapitre  explique  en  quel  sens  l'insensé  peut  dire  que 
Dieu  n'est  pas.  Il  le  dit  parce  qu'il  ne  comprend  pas  suffisam- 
ment ce  que  le  mot  Dieu  signifie. 

Le  reste  de  l'opuscule  est  consacré  à  déduire  les  perfections 
divines  de  cette  première  idée  d'un  être  nécessaire  existant  par 
lui-même.  C'est  la  reproduction  abrégée  des  spéculalions  du 
Mn/iii/of/liDii  ;  non  une  reproduction  sèciic  et  froide,  mais  une 
reproduction  éloquente,  animée  par  ces  pensées  pieuses  et  ten- 
dres, par  ces  élans  d'espérance  amoureuse  qui  donnent  tant  de 
charme  aux  écrits  du  saint  docteur. 

Ces  derniers  chapitres  ne  touchent  en  rien  l'argument  prou- 
vant l'existence  de  Dieu.  Ils  développent  la  notion  du  souverain 
Hrc  comme  on  le  fait  d'ordinaire,  après  avoir  constate  sa  réa- 
lité par  tout  autre  argument. 

Relevons  toutefois  une  assertion  sur  laquelle  nous  aurons 
occasion  de  revenir.  Non  seulement,  d'après  saint  Anselme, 
Dieu  est  l'être  le  plus  grand  que  l'on  puisse  concevoir,  mais  il 
est  plus  grand  encore  que  nous  ne  pouvons  le  concevoir  (1). 
Remarque  al)solument  juste  ;  mais  alors  cet  être  n'est  pas  dans 
rintelligence  qui  ne  ncul  le  Cducevulr.  Où  est  la  preuve  de  sa 

L'argument  de  saint  Anselme  est  bien  à  lui.  On  ne  le  trouve 
dans  aucun  des  Pères  qui  ont  précédé. 

On  peut  lire,  il  est  vrai,  dans  saint  Augustin,  que  ceux-là 
même  qui  adorent  d'autres  dieux  ont  la  pensée  que  Dieu  est 
l'être  le  meilleur  et  le  plus  sublime  (2).  L'évèque  d'Hippone 
remarque  également  que  la  perfection  entraine  l'être  et  que 
Dieu  (>st  la  souveraine  perfection  i'i).  Ces  indications  de  saint 
Augustin  ont  pu  suggérer  à  sainl  .Vnselme  l'idée  de  son  argu- 
ment ;  mais  elles  ne  représentent  point  une  preuve  formelle- 
ment déduite  comme  celle  du  P/'os/or/iinii. 

Cette  preuve  est  donc  une  création  du  génie  de  saint  Anselme, 

{{}  Pi^nslof).,  XV. 

(2)  De  Doclr.  christ.,  vu. 
(3}  De  vera  relig.,  xviii. 


LAHGLMli.Vr  DE  ^.W.V7'  A.^SELMt:  289 

à  moins  (iiiello  m-  soil  une  ni(''i)riso.  C'est  ce  (iiio  nous  allons 
(>xaniiner. 


H 


L'opposilion  au  Priis/ii//lin)i  ne  [arda  pas  à  se  manifester. 
Presqiu'  aussitôt  après  ra|iparilion  de  cet  opuscule,  un  reli- 
i,Meux,  nommé  Ciaunilon,  en  puliiiait  une  critique.  11  l'inlilnla  : 
hr/rnsf  ilr  riii-icii^r.  Non  assurément  qu'il  voulût  prendre  parti 
pour  rinsensé  en  tant  que  celui-ci  refuse  de  croire  en  Dieu.  Il 
entendait  seulement  montrer  que  l'insensé,  dans  son  incrédu- 
lité, ne  commet  pas  la  contradiction  implicite  dont  l'accuse  le 
prieur  du  Bec. 

Par  conséquent,  la  preuve  fondée  sur  une  telle  contradiction 
n'est  point  val'alile. 

Gaunilon  n'est  point  un  ennemi.  !i  ne  ménage  pas  les  témoi- 
gnages d'admiration  à  saint  Anscdme.  11  reconnaît  très  volon- 
tiers la  haute  valeur  des  spéculations  contenues  dans  le  Proslo- 
c/ium.  !Mais  c'est  avant  tout  une  tète  carrée;''un  esprit  net  et 
logiqne.  Les  grands  sentiments  ne  l'éblouissent  pas  et  il  n'admet 
que  ce  qui  lui  paraît  clair,  ^i^'^*'^"'/''*-'*"^  t"'**  "^-^ut. 

Les  objections  du  moine  de  Marmou tiers  peuvent  se  résumer 
comme  il  suit  : 

De  ce  qu'on  a  une  chose  dans  l'esprit,  il  n'en  résulte  nulle- 
ment que  la  chose  existe  en  réalité.  Que  de  choses  on  peut 
avoir  dans  l'esprit  qui  sont  fausses  et  chimériques  !  J'imagine 
une  île  dans  l'océan,  la  plus  lielle  de  toutes  ;  s'ensuit-il  que 
cette  île  existe?  Il  faut  donc  une  raison^ particulière  montrant 
qne  je  n'ai  pas  cette  chose  dans  l'esprit  comme  toute  pensée 
quelconque.  11  faut  que  je  la  comprenne  clairement  et  qu'en  la 
comprenant  je  voie  qu'elle  existe  en  effet.  Si  je  ne  la  comprends 
pas  ainsi,  ajoute  Gaunilon,  tonte  cette  discussion  est  inutile  et 
ne  mené  a  rien  (  1  ) .  ,^  ^,ji^^  i.^  ^  ^J^^  J,>aWâ>  '  ' 

Or,  je  ne  vois  pas,  dit  notre  critique,  en  quoi  consiste  cette 
idée  d'nn  être  tel  qu'on  n'en  puisse  concevoir  un  plus  grand. 

M)  Pfo  inaipienie,  ii. 


290  DOMET  DE  VORGES 

J'entends  bien  une  suite  de  mots,  mais  je  ne  puis  déterminer 
la  chose  qu'ils  désignent.  C'est  un  objet  complètement  inconnu 
que  je  m'efforce  de  me  représenter  d'après  le  nom  que  j'entends 
lui  donner.  Je  n'en  ai  aucune  idée  ni  spécifique,  ni  générique, 
pas  plus  que  je  ne  comprends  la  nature  divine  elle-même.  C'est 
précisément  pour  cela  que  je  puis  penser  de  la  nature  divine 
qu'elle  n'existe  pas  (1). 

Si  vous  appelez  être  dans  l'intellect  ce  qu'on  ne  peut  connaî- 
lie  dans  la  vérité  de  sa  nature,  alors,  oui,  j'ai  une  telle  idée  ; 
mais  il  n'en  résulte  pas  qu'elle  soit  aussi  dans  les  choses  jus- 
<ju'à  ce  qu'on  en  ait  donné  une  preuve  incontestable  (2). 

Le  bon  moine  linil  |iar  un  trait  qui  ressemlile  à  une  malice: 
Je  sais,  dit-il,  que  j'existe,  puis-je  penser  i|iii' je  n'existe  pas? 
Si  vous  dites  que  je  le  puis,  j'en  puis  dire  autant  de  n'importe 
<|iiiii  ;  si  vous  dites  que  je  ne  le  puis  pas,  il  n'y  a  donc  pas  que 
Dieu  dont  on  puisse  penser  qu'il  n'existe  pas  {'i).-J1^2i  cS^S^'m^^ 
En  elTet,  l'expression  de  saint  Anselme  n'était  pas  tout  à  faiT  ' 
exacte.  Le  propre  de  Dieu  n'est  pas  qu'on  ne  puisse  penser 
(|u'il  n'existe  pas,  mais  qu'on  doive  penser,  si  on  comprend 
bien  sa  natui-e.  qu'il  ne  peut  pas  ne  pas  être,  cor/i/ari  non  pusse 
non  f'ssr. 

En  résumé,  l'objection  i'ondamentale  de  Gaunilonest  celle-ci  : 
l'idée  de  l'être  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir  un  plus  grand 
n'exprime  pas  directement  la  nature  d'un  être  quelconque.  On 
n'en  peut  donc  tirer  une  preuve  que  cet  être  existe  en  réalité  ! 
La  réplique  de  saint  .Anselme  est  très  belle  au  point  de  vue 
oratoire.  Elle  est  même  un  peu  hautaine.  Si  saint  que  l'on  soit, 
quand  on  rencontre  de  toutes  parts  des  témoignages  d'admira- 
tion, il  est  pénible  d'entendre  une  voix  discordante.  La  peine 
est  plus  sensible  encore  quand  celte  voix  vient  on  ne  sait  d'où, 
sans  aucune  marque  qui  assure  son  autorité.  Gaunilon  n'était 
pas  le  premier  moine  venu  ;  il  avait  été  un  personnage  dans  le 
siècle.  Mais  il  n'avait  pas  signé  sa  critique  ;  on  n'a  su  son  nom 
que  plus  tard. 

Au  point  de  vue  philosophique,  saint  Anselme  ne  parait  pas 

(1)  Pro  insipienle,  iv. 

(2)  IbiU..  V. 

(3)  Ibid ,  VII. 


LAiii.t  Mi:.\r  iiE  SAi.\r  .\ysKL\iE  201 

avoir  Irî's  bien  compris  les  critiques  de  son  adversaire.  11 
reprend  les  mêmes  raisonnemenU  proposés  dans  le  Pruslugiutn 
en  leur  dniinaiil  \\n  aiilrc  leur.  11  enicnd  hien,  comme  le  moine 
de  Marmouliers,  qii"il  faut  une  preuve  ;  mais  il  persiste  à  la 
chercher  dans  Tidée  d'un  (Mre  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir  un 
plus  grand. 

Cette  fois  il  remarque  que  cet  être  ne  peut  être  conçu  que 
sans  commencement.  Pourquoi  cela?  parce  que  nous  avons  l'idée 
d'un  être  sans  commencement  et  qu'un  t(d  être  est  évidemment 
plus  grand  que  celui  (|ui  a  un  Cduimencement  et  une  fin  (1). 
Mais  d'où  vient  l'idée  d'un  être  sans  commencement?  Saint  An- 
selme  nous  renvoie  à  1  hghse  catholique  i^ !•'<-«- ^a«^>^^<:.;?^'f^,_/,ji^ 

Pour  saint  Anselme,  en  efl'et,  l'être  tel  quoii  n  en  peut  con^"""*^ 
cevoir  de  plus  grand  est  le  Dieu  des  chrétiens,  et  Dieu  est  cet 
être  même.  11  passe  sans  cesse  de  l'un  à  l'autre,  sans  remarquer 
que  l'insensé  auquel  il  s'adresse  n'est  pas  obligé  de  le  suivre, 
puisque,  par  hypothèse,  il  ne  croit  pas  à  l'Eglise  catholique. 

Ouoi  qu'il  en  soit,  une  fois  admis  que  l'être  tel  qu'on  n'en 
peut  concevoir  de  plus  grand  est  éternel,  il  est  assurément 
facile  d'en  tirer  son  existence  nécessaire.  Celui  qui  avancerait 
qu'un  tel  être  peut  ne  pas  exister  contredirait  son  éternité  (3). 

De  même  il  est  en  tout  et  partout  (4)  ;  il  est  immuable  (o),  et 
saint  Anselme  rentre  ici  dans  le  grand  chemin  de  la  démon- 
stration catholique,  qui  de  l'idée  de  l'être  nécessaire,  une  fois 
acciuise,  en  déduit  toutes  les  perfections  divines.  Fallait-il  donc, 
pour  y  arriver,  s'engager  dans  un  cliemin  si  escarpé! 

Saint  Anselme  avait  bien  senti  qu'il  ne  pouvait  partir  de 
l'idée  de  l'être  nécessaire  qui  n'est  pas  immédiatement  évi- 
dente. D'un  autre  côté,  il  trouvait  la  preuve  cosmoloffique  trop 
longue.  Il  avait  donc  tenté  un  chemin  de  traversé:  H  avait  éru 
trouver  un  point  de  départ  dans  l'idée  de  l'être  tel  qu'on  n'en 
peut  concevoir  de  plus  grand  ;  mais  il  mettait  sous  cette  idée 
bien  des  choses  que  l'athée  refuserait  d'y  mettre  sans  preuve. 

'D  1.ih.  apolor/.,  IV. 

(2)  Ihiil..  II. 

(3)  Ibict.,  III. 

(4)  Ibid.,  1. 

(5)  IbicL,  VIII. 


2!)2  DOMET  DE  VORGES 

L'athée  est-il  au  moins  ojjligé  do  metlre  sous  celte  idée 
l'existence?  Saint  Anselme  s'en  croit  assuré.  II  avoue  bien  que 
de  l'idée  d'une  chose  on  ne  peut  conclure  son  existence  :  mais 
il  fait  une  exception  pour  la  souveraine  nature  (1).  11  revient 
sur  lidér  qu'être  dans  la  réalité  est  plus  grand  qu'être  seule- 
ment dons  l'inlelligiMice  (2>.  Il  lui  paniil  incroyahle  (jue  qui- 
conque comprend  quelque  peu  sa  l'ormule  n'en  saisisse  pas  une 
conséquence  si  rigoureuse  (3).  Aussi  se  plaint-il  vivement  que 
(iaunilon  a  travesti  son  argument. 

Pauvre  Gaunilon  !  Il  l'avait  cependant  exposé  d'aliord  très 
correclement.  Mais  h  la  fin  du  paragraphe  l'attention  lui  avait 
manqui'  et  il  avait  écrit  :  l'être  le  plus  grand  de  tous,  ukijks 
oiiiiil/iii^.  au  lieu  de  l'être  tel  qu'on  n'en  |)eut  concevoir  un  plus 
grand,  qiiu  nid.jiis  ciiçjitari  ivquit.  Saint  Anselme  triompiie  de 
celle  distraction.  Ce  n'est  plus  son  argument  qu'on  a  réfuté.  Il 
montre  compendieusement  que  les  deux  formules  n'ont  aucvme 
analogii'  (4).  Il  avait  raison  en  un  sens.  Tout  le  nerf  de  sa  dé- 
monstration était  pour  lui  dans  l'impossibilité  de  concevoir  le 
plus  grand  sans  le  concevoir  existant.  Mais  celle  impossibilité 
e\isle-l-elle?  Gaunilon  la  contestait.  Saint  Anselme  n'en  donne 
daulre  preuve  que  ses  affirmations  ''"^\ C.''Sî^u'^^''^^i^^^ 

La  réplique  de  saint  Anselme  est  reSïéil'^sans'repon^e'n'i'j'ui-/^ 
nilon  s'est  tu.  Etait-il  embarrassé?  ou  a-t-il  jugé  à  propos  de 
ne  jias  insister  vis-à-vis  d'un  homme  hautement  considéré  dans 
l(^  monde  catholique  pour  son  caractère  et  ses  talents?  Nous 
adopterions  volontiers  cette  seconde  hypothèse.  Quoi  qu'il  en 
soil.  la  controverse  fut  abandonnée  pour  le  moment.  Il  paraît 
même  que  plusieurs  docteurs  des  premiers  temps  de  la  scolas- 
lique  ^e  montrèrent  favorables  aux  idées  de  notre  saint.  Tels 
(îuillaume  de  Conches  qui  comjirend  la  preuve  de  saint  An- 
selme parmi  les  onze  preuves  qu'il  cite  de  l'existence  de  Dieu, 
ou  Hugues  de  Saint-Victor,  chef  de  l'école  mystique  de  la  cé- 
lèbre abbaye.  Il  n'y  a  pas  à  s'en  étonner.  Ces  docteurs  incli- 


(1)  Lih.  iipiihi'i.,  IV. 

(2)  llini..   II. 

(3)  Ibid.,  II. 

(4)  Ibid.,  V. 
(:i)  Ibid  ,  V. 


LAiti.iMKyr  /»/■;  .s.u.vr  asselme  -20:) 

naiont   vers   \a   philosophie    phitonifioniu' ,   coUo   dont   sT-liiil 
ins|)iir  \e  docteur  du  I5cc. 

Mais  tout  changea  quand,  avec  l'inlroduction  du  péripalc- 
tismc,  une  méthode  plus  rigoureuse  prévalut  dans  l'école. 
Depuis  l(U-s,  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  imaginée  par  saint 
Anselme  rencontra  des  coninulicteurs  nomitreux  et  résolus.  A 
leur  tète  nous  trouvons  saiiil  Tliomas  d'Aquin. 


III 

Les  partisans  de  saint  Anselme  se  prévalent  volontiers  de  ce 
que  le  Prince  de  l'école  n'a  pas  critiqué  directement  la  preuve 
de  l'existence  de  Dieu  proposée  dans  le  Pros/ogiinn.  A  quel 
propos  l'aurail-il  attaquée?  Pourquoi  se  serait-il  mis  eu  lutte 
avec  un  des  docteurs  les  plus  vénérahles  de  Tl-lglise  catholique? 
Saint  Thomas  n'avait  point  le  caractère  agressif.  Il  ne  conii)nl- 
tait  point  les  personnes,  mais  les  erreurs.  La  preuve  de  sainl 
Anselme  ne  tendait  point  à  étahlir  une  erreur.  La  trouvail-il  peu 
valahle  ?  il  lui  suffisait  de  ne  pas  s'en  servir.  C'est  ce  qu'il  a  fait. 
Mais  la  preuve  de  saint  Anselme  impliquait  une  conséquence 
fausse.  Ces!  cette  conséquence  que  le  Docteur  angélique  a  voulu 
écarter,  tantôt  rejetant  les  raisonnements  de  saint  Anselme 
sans  le  noninu'r,  tantôt  le  nommant  pour  lirer  sa  manière  de 
voir  à  un  sens  plus  acceptahle. 

Il  conciliait  ainsi  la  vérité  avec  la  charité  et  avec  le  respect 
dû  à  la  sainteté. 

Cette  conséquence  fausse,  Gaunilon  l'avait  déjà  insinuée.  Pour 
tirer  d'une  idée  quelconque  l'existence  de  la  chose  conçue,  il 
faut  que  l'existence  soit  comprise  dans  l'idée  que  j'en  ai  ;  il  faut 
que  je  comprenne  la  chose  comme  existante.  Mais  alors  l'exis- 
tence de  cette  chose  est  directement  connue.  Toute  preuve  est 
inutile.  Si  donc  dans  une  délinition  quelconque  de  l'être  divin, 
telle  que  nous  pouvons  la  former  a  priori,  l'existence  est  com- 
prise, l'existence  de  Dieu  est  immédiatement  connue  :  c'est  ce 
i\\w  samt  Ihomas  n  admettait  pas.  ^J^^^^^^ç^i^  ^-^^  ^y.i^ 

Que  saint  Anselme  n'ait  pus  dit  ou  n'ait  pas  voulu  dire  (|ue 
l'existence  de  Dieu  nous  est  immédiatement  connue,  nous  n'en 


294  DOMET  DE  VOUliES 

faisons  aucun  Joule  :  mais  sa  manière  de  raisonner  entraînait 
cetle  conclusion.  Du  moment  qu'il  prétendait  établir  l'exis- 
tence de  Dieu  pur  l'analyse  de  l'idée  que  nous  nous  formons  du 
souverain  èti'e.  il  impliquait  que  cette  existence  fût  comprise 
dans  l'idée. 

En  fait,  il  ne  s'agissait  point  de  preuve  proprement  dite, 
mais  seulement  d'explication. 

Saint  Thomas  a  vu  celte  conclusion  et  il  la  comliatliu'. 

Le  1{.  P.  Adlocli  J!  remarqué  que  saint  TlKimas  avait  un 
autre  ])ut  que  saint  Anselme  '  1).  C'est  parfaik'menl  exact.  Mais 
le  I)ut  de  saint  Thomas  était  exclusif  du  i)ut  que  se  proposait 
saint  Anselme. 

Le  Docteur  angélique  a  formulé  son  opinion  dans  quatre  de 
ses  ouvi'ages  :  le  ComnwnlahT  sur  /''•<  scnli-nccs,  VEsnai  «  île 
mente  >>,  la  Somme  contre  les  Gentils  et  la  Soinuir  ihéidof/ii/iie. 

(Jiumd  il  lit  son  Commentaire  sur  les  sentences,  il  (''lait  au 
dél)ut  de  son  enseignement.  Il  n'avait  pas  encore  montré  tout 
son  génie,  ni  conquis  l'autorité  qu'il  oiiliut  par  la  suite.  Il  pro- 
cède donc  avec  modestie.  11  clierclie  moins  à  contredire  saint 
Anselme  qu'à  trouver  un  sens  acceptable  à  ses  afiirmalions. 

11  se  fait  cette  objection  :  «  (le  qu'on  ne  peut  se  représenter 
comme  n'existant  pas  est  immédiatement  connu.  Or  Dieu  ne 
peut  être  pensé  comme  n'existant  pas.  Donc  l'existence  de  Dieu 
<'st  immédiatement  connue.  »  El  il  ajoute  :  c  La  ]>reuve  de  la 
mineure  est  donnée  par  saint  Anselme  dans  le  Proslof/iii/n,  ainsi 
(lu'il  suit  :  Dieu  est  l'être  tel  qu'on  n'en  peut  penser  un  plus 
grand.  Mais  ce  qui  ne  peut  être  pensé  ne  pas  être  est  plus  grand 
que  ce  qui  peut  être  pensé  ne  pas  être.  Donc  Dieu  ne  peut  être 
pensé  ne  pas  être  étant  l'être  tel  qu'on  n'en  peut  penser  un  plus 
grand  (2).  »  On  remarquera  que  ce  raisonnement  tiré  du  cha- 
pitre iH  du  Proslof/iiim  est  beaucoup  moins  contestable  que  la 
preuve  présentée  dans  le  chapitre  second. 

(Jue  répond  saint  Thomas  à  cette  objection?  Il  répond  en 
inlerprétant  la  pensée  de  saint  Anselme  :  "  Ouand  on  a  bien 
compris  ce  qu'est  Dieu,  on  ne  peut  comprendre  qu(!  Dieu  soit 


il  1  l'hiljsophisches  Jahrhucli,  iO,  3,  pp.  261  et  suiv. 
(i)  L.  I,  dist.  3,  q.  1,  art.  2. 


VMi(,iME.\T  DE  SMM  A.\SI:L.\IE  2îi5 

el  qu'il  puisso  être  pensé  ne  pas  èlre  (1).  »  Remarquez  eelle 
réserve  :  si  Dieu  existe  il  ne  peut  être  pensé  ne  j)as  èlre.  Sainl 
Thomas  n'admet  donc  i)as  la  preuve  du  Proslorjinm  quant  à 
l'existence  de  Dieu,  mais  seulement  (juant  à  la  nécessité  intrin- 
sèque (le  cette  existence. 

Ce  qui  suit  est  encore  plus  net  et  renverse  absolument  l'ar- 
gument (le  saint  Anselme  :  <■  Tciutelois  il  ne  s'ensuit  pas  que 
quehiu'un  ne  puisse  nier  Dieu  ou  penser  qu'il  n'existe  pas,  car 
il  i)eut  penser  qu'il  n'existe  aucun  être  tel  ([u'on  n'en  puisse 
penser  un  plus  grand.  L'assertion  de  saint  Anselme  repose  donc 
sur  la  su])posilion  qu'il  y  a  un  tel  être  (2).  »  La  contradiction 
pour  èlre  indirecte  n'en  est  pas  moins  formelle.  Saint  Anselme 
nous  dit  que  l'idée  d'un  être  tel  qu'on  n'en  peut  penser  un  plus 
giand  implique  son  existence,  si  on  ne  veut  tomber  dans  une 
contradiction.  Saint  Thomas  répond  carrément  qu'on  peut  bien 
penser  ([u'il  n'y  a  aucun  être  l(d. 

Après  ce  trait,  il  faut  èlre  bien  prévenu  pour  parler,  comme 
le  R.  1'.  Ragey,  de  l'accord  essentiel  de  saiiU  Thomas  et  de  saint 
Anselme  (3).-^^^  ;^^.,^^  y  ,^^^-. 

Dans  le  De  mente,  saint  Thomas  nomme  encore  saint  An- 
selme. Il  pose  trois  opinions  sur  la  manière  dont  Dieu  nous 
est  connu.  D'après  Moïse  Maimonides,  Dieu  serait  connu  par  un 
acte  de  foi.  D'après  saint  Anselme,  l'existence  de  Dieu  serait 
connue  par  (dle-mème,  parce  que  personne  ne  peut  penser  dans 
son  for  intérieur  que  Dieu  n'est  pas,  bien  (ju'on  puisse  ext(''- 
rieurement  l'aflirmer  et  même  penser  intérieurement  les  paroles 
que  l'on  prononce  (4).  D'après  Avicenne  au  contraire,  l'existence 
de  Dieu  ne  serait  connue  que  par  démonstration.  Saint  Thomas 
rejette  la  première  opinion,  mais  il  accorde  quelque  vérité  aux 
deux  autres.  11  est  vrai  que  l'existence  de  Dieu  est  connue  par 
elle-même,  si  on  le  considère  dans  sa  propre  nature.  A  ce  point 
de  vue,  c'est  une  même  question  de  savoir  s'il  est  et  ce  qu'il 
est  (o).  Mais  comme  cette  nature  ne  noiis  est  pas  connue  ici-bas, 

(i;  L.  I,  dist.  3,  q.  1,  art.  2. 

(2)  Ihii. 

(3)  L'argument  de  saint  Anselme,  eh.  xv  et  suivants. 

(4)  q.   10,  art.  12. 

(5)  Ibiil. 


290  DOMET  DE  VORGES 

iKiiis  avons  besoin  de  nous  démonlrer  l'existence  de  Dieu. 
Ici,  n'en  déplaise  au  P.  Ragey,  saint  Anselme  est  expressé- 
ment cité  comme  partisan  de  l'opinion  que  l'existence  de  Dieu 
est  immédiatement  connue.  Sans  doute,  comme  le  fait  observer 
le  savant  Mariste,  saint  Anselme  n'a  dit  cel;i  nulle  part.  Mais 
saint  Thomas  faisait  moins  attention  aux  paroles  ([u'à  la  véri- 
table portée  des  idées.  Si  saint  Anselme  n'a  jamais  dit  qu'il  est 
inutile  de  démontrer  l'existence  de  Dieu,  il  a  employé  des  rai- 
sons impliquant  qu'elle  n'a  pas  besoin  d'être  démontrée. -^««/«So 
Dans  la  Somme  coii/rr  Ifs  (îrn/ils,  saint  Anselme  n'est  pas 
iu)mmé,  aussi  son  opinion  est-elle  purement  et  simplement 
repousséc- 

"  Il  est  des  gens,  dit  le  Prince  de  l'Iicole,  qui  assurent  que 
l'exislence  de  Dieu  est  directement  connue  et  qu'on  ne  peut 
penser  le  contraire.  Voici  leurs  raisons.  Sont  connues  directe- 
ment les  choses  qui  sont  connues  dès  que  l'on  connaît  distinc- 
tement les  termes  qui  les  désignent.  Ainsi  en  connaissant  le 
tout  et  en  connaissant  la  partie,  on  connaît  aussitôt  que  le  tout 
est  plus  grand  que  la  partie.  11  en  est  de  même  de  l'affirmation 
que  Dieu  existe.  Par  le  nom  de  Dieu,  nous  entendons  une  chose 
telle  que  l'on  ne  peut  rien  penser  de  plus  grand,  (k'ite  notion 

0  / ,>^jfec_Jorme  dans  la  pensée  de  celui  qui  entend  et  comprend  le 

uil<->»i<iiom  de  Dieu.  Dieu  existe  donc  au  moins  dans  la  pensée.  Mais 
'j^lx^e-"'- il  ne  peut  exister  seulement  dans  la  pensée,  car  ce  qui  existe 
dans  la  pensée  et  dans  la  réalité  est  plus  grand  que  ce  qui 
existe  seulement  dans  la  pensée.  Mais  rien  n'est  plus  grand  que 
Dieu,  comme  l'indique  la  définition  même  de  son  nom.  11  suit 
que  l'existence  de  Dieu  est  connue  par  elle-même  résultant  de 
la  délinition  même  de  son  nom  1 1 1.  -> 

\ou,  saiut  Anselme  n'est  pas  nommé;  mais  il  est  manifeste 
que  l'cdjjection  renferme  un  résumé  fort  exact  dus  raisons  pro- 
posées dans  le  Proslor/iiim. 

Voici  maintenant  la  réponse  du  Docteur  angélique  : 
Tout  d'abord  il  faut  remarquer  que  tous  ne  donnent  pas  le 
nom  de  Dieu  à  l'être  tel  qu'on  n'en  peut  penser  un  plus  grand. 
Les  anciens  ont  souvent  donné  le  nom   de   Dieu  au   monde. 

(1)  C.  s-   1,  10. 


LAIUilMEST  DE  SAIST  AXSELME  297 

Mottiins  copemiant  que  le  mot  Dieu  si<i,nific  nécessairemeul, 
Tèlre  lel  quHu  u'eu  puisse  ooucevoir  un  plus  grand,  il  n'en 
résultera  pas  que  quelque  chose  de  tel  existe  dans  la  nature  : 
«  ce  qu'on  dit  de  la  chose  doit  être  pris  au  même  puint  de  vue 
que  la  délinition  du  nom  ».  De  ce  que  Ton  conçoit  en  pensée 
le  sens  du  mot  Dieu,  il  résulte  seulement  que  Dieu  existe  dans 
la  pensée.  On  ne  peut  donc  conclure  que  l'être  lel  qu'on  n'en 
peut  penser  un  plus  grand  existe  autrement  que  dans  la  pensée, 
et  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'un  tel  être  soit  dans  la  nature 
des  choses.  Ceux  qui  pensent  que  Dieu  n'est  pas  peuvent  donc 
le  faire  sans  alisurdilé    I  :. 

Il  nous  semble  ditliciie  de  faire  une  erilique  plus  nette  des 
vues  émises  par  saint  Anselme,  de  saisir  plus  iinement  le  e(Mé 
faible  de  son  argumentation.  Le  vice  principal  de  sa  preuve  y 
est  relevé  avec  ijeaucoup  de  précision  :  Eodem  modo  nrccsse  e</ 
jjoni  rem  et  nomiiiis  mlio/iem,  il  faut  prendre  au  même  point 
de  vue  la  chose  et  la  délinition  de  la  chose.  En  termes  plus 
modernes,  il  ne  faut  point  conclure  de  l'ordre  idéal  à  l'ordre 
réel.'ft.y.jlt  9<  .^^V^irré'^A^'^x/'^  s'tJr.^t^^^'^a/^.x:  é--ui-i„„M.L,.ilf^'*^h^t^  ^ 

Dans  la  Somme  Ùirologiqtie,  l'Ange  de  l'Ecole  est  encore  plus'X'w  3c'*' 
net  s'il  est  possible.  Après  avoir  reproduit  l'objection  que  l'exis-'^  °"^ 
tence  de  Dieu  est  connue  par  son  idée,  en  des  termes  équiva- 
lents à  ceux  que  nous  avons  cités  tout  à  l'heure,  il  répond  : 
»  Étant  donné  que  chacun  comprenne  la  signification  de  ce  mot 
Dieu,  à  savoir  qu'il  est  l'être  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir  un 
plus  grand,  il  ne  s'ensuit  pas  que  l'on  puisse  comprendre  que 
la  chose  signiliée  par  ce  nom  existe  en  réalité,  à  moins  qu'il 
ne  soit  présupposé  qu'il  y  a  dans  la  réalité  un  être  tel  qu'on 
n'en  peut  concevoir  un  plus  grand  (2).  » 

Nous  voulons  bien  accorder  que  saint  Thomas  n'a  pas  réfuté 
directement  et  expressément  l'argument  par  lequel  saint  An- 
selme s'est  proposé  de  prouver  l'existence  de  Dieu  ;  mais  il  est 
diflicile  de  contester  qu'il  a  démoli  l'une  après  l'autre  toutes  les 
assertions  dont  saint  Anselme  avait  composé  sa  démonstrati^rjn.^-^'^ 

La  critique  de  saint  Thomas  a  porté  coup.  La  plupart  (les'""'"^  ' 


(I)  C.  g. 1,  11. 
(2,  r,  2,  1. 


298  DOMET  DE  VOHGES 

scolasliqiies  ont  renoncé  à  se  servir  de  rargunient  de  saint 
Anselme.  J'en  trouve  une  preuve  ijien  remarquable  dans  un 
ouvrage  réimprimé  récemment  par  les  RR.  PF'.  Chartreux  de 
Montreuil,  la  Summa  fulri  de  Denys  le  Chartreux.  Le  docteur 
extatique,  comme  l'indique  son  surnom,  était  assez  porté  au 
mysticisme.  Aussi  appréciait-il  beaucoup  les  ouvrages  de  saint 
Anselme.  Il  les  cite  souvent,  notamment  le  P/os/ogiiini,  dans 
des  termes  qui  témoignent  d'une  préférence  marquée  (1  i  pour  le 
saint  docteur  du  Bec.  Cependant  il  laisse  de  côté  le  célèbre  argu- 
ment et  n'hésite  pas  h  reproduire  la  critique  de  saint  Thomas  (2). 

Nous  trouvons  même  des  docteurs  qui  s'expriment  d'une 
façon  vraiment  trop  dure  pour  saint  Anselme.  Est-elle  conve- 
nnl)le  vis-à-vis  d'un  grand  saint  et  d'un  docteur  éminent  cette 
déclaration  attribuée  à  Gerson,  le  célèbre  chancelier  i\o  l'I  ni- 
versilé  de  Paris  :  «  Je  ne  sais  qui  est  le  plus  insensé,  celui 
qui  admet  cette  conclusion,  ou  celui  qui  dit  dans  son  cœur  :  il 
n'y  a  point  de  Dieu  ('.h.  »  Le  cardinal  P.  d'Ailly  traite  égale- 
ment l'argument  du  Proslogiitm  de  sophistique  (4j. 

Au  xvi'  siècle,  lors  de  la  première  résurrection  du  thomisme, 
avec  Cajetan,  Soto,  etc..  l'opinion  opposée  à  l'argument  de  saint 
Anselme  est  devenue  générale  dans  l'école. 

Ndiis  ne  lui  connaissons  de  défenseur  à  cette  époque  que  le 
cardinal  Agnirre.  L'éminenlissime  commentateur  accuse  la  len- 
teur d'esprit  de  ceux  qui  n'ont  pas  saisi  la  portée  de  l'argu- 
ment (y).  Compliment  qui  nous  touche  peu  étant  donné  que 
nous  le  recevons  en  compagnie  de  saint  Thomas.  Aguirre  pré- 
tend au  reste,  comme  l'a  fait  depuis  le  R.  P.  Ragey,  que  le 
Pros/offi}nn  n'est  qu'un  résumé  du  Monolofjium  et  le  suppose. 
Il  n'y  aurait  de  démonsli-ation  a  priori  que  des  perfections 
divines  (6)  et  l'argument  n'impliquerait  pas  que  l'existence  de 
Dieu  fût  connue  immédiatement  de  tous,  mais  seulement  des 


(1)  Meus  deuoUsii/niis  doi^tùr. 

(2)  L.  I,  a.  3,  §  I. 

(3)  Cite  par  AciiRRE  et  par  Van  WEnoiNGEN. 

(4)  Sent.,  l  q.  3  litt.  z. 

(5)  Comment,  sur  la  tlténl.  de  saint  Anselme,  vol    I,  p.  148. 
(li)  Iti'ul.,  proslogium. 

'  (1)  Ibid..  vol.  I,  p.  143. 


L-Alir,IMK.\r  DE  SM\r  AXSEIJIE  2J9 

Nous  ne  crovons  pas  que  siiiiit  Thomas  ont  admis  la  connais- 
sanci'  immédialc  di'  ItiiMi,  mrmi'  avec  coUo  réserve.  A  ses  yeux, 
l'impossihilili'  (!<■  la  (•(innaissaiice  iniuirdiale  de  l'existence  de 
Die\i  lient  à  une  cause  générale  :  rim|)ossil>ililé  pour  tout  esj>rU      .^  ^^^^  ^, 

...  ,.         .^-  1  _     ___, - r ,.,i:.,n.,    Qt'''^":"'      ,.,k-f 


créé  de  connaître  Dieu  dans  sa  nature  propi'c  et  ^'^^'^'^^^'^^^^'-'^■^h/^^'^'^^Ji^,,^ 
On  remarquera  que  le  cardinal  Aguirre  défend  l'argument  fle"(I^'l^  .r,^^ 
sainl  Ans(dme  en  le  modifiant,  c'est-à-dire  en  lui  adjoignainV"''^*':^ " 
beaucoup  d'autres  considérations.  (Jue  les  as>ertions  émises  pa i%v>,;i J_  ««Xv.< 
saint  .\nseline  puissent  avoir  une  certaine  valeur  appuyées  "i'^^**^*"^" 
prérédées  de   beaucoup   d'aulres,    personne    ne   l'a  jamais  con- ^t^-Ji.  i^i^^ 
testé.  Mais  alors  ce  n'est  plus  l'argument  simple  et  suflisant ^2^^;;;[^ 
par  lui-même  que  le  saint  docteur  croyait  avoir  découvert  (  1  ).«*««/- ^«"*=^ 
(]c  procédé  de  défense  a  été  fort  employé  depuis. 


IV 


Quels  furent  donc  à  répo(|ue  de  la  grande  scolastique  les 
partisans  de  l'argument  de  saint  Anselme? 

On  a  trouvé  un  moyen  ingénieux  de  les  multiplier  :  c'était 
de  mettre  à  ses  cotés  tous  les  docteurs  qui  enseignent  que  Dieu 
ne  peut  être  conçu  ne  pas  exister. 

Ainsi,  on  lit  dans  Albert  le  Grand  que  c'est  le  propre  de 
Dieu  seul  de  ne  pouvoir  ne  pas  être  et  de  ne  pouvoir  être  conçu 
ne  pas  être  :  sali  Deu  jvopnuni  psf  essp  cl  naît  jtossc  non  ps:ii>  cl 
non  pos^c  co(jilan  non  esse  (2).  Que  cette  formule  lui  ait  été 
inspirée  par  le  Proslor/imn,  c'est  bien  possible.  Mais  en  faut-il 
conclure,  avec  le  cai'dinal  (ionsalez  (.'il,  qu'il  inclinait  en  faveur 
de  la  ])reuve  de  saint  Anselme?  Ceci  nous  parait  exagéré.  L'af- 
lirmatioii  (|ue  nous  venons  de  rappeler  lui  est  commune  avec 
tous  les  docteurs  et  saint  Thomas  lui-même.  Rien  n'indique 
qu'il  y  ait  vu  une  preuve  de  l'existence  de  Dieu., 7^^  e/iyJt.' 

Nous  en  dirons  autant  du  fondateur  de  l'école  fAmciscaine 
Alexandre  de  Haies.  U  déclare  avec  saint  Jean  Damascène  que 

(1)  l'rnslof/iuin  Proseiniuin. 

121  Somme  Ikéid..  l"  pars,  q.  l'J,  m.  4. 

(3)  llisl.  de  la  pliil  .  t.  11,  p.  216. 


:!00  DOMET  DE  VORGES 

la  connaissance  de  Dieu  est  naturellement  imprimée  en  tous  il). 
Personne  ne  conteste  que  tous  les  hommes  aient  une  tendance 
naturelle  à  admettre  l'existence  de  Dieu.  Est-ce  en  vertu  dune 
intuition  primitive  ou  d'un  raisonnement,  et  de  quel  raisonne- 
ment? Il  faudrait  le  dire  pour  avoir  le  droit  d'identilier  cet  en- 
seiiinemcnt  avec  celui  de  saint  Anselme.  Le  même  Alexandre 
de  lliilès  insiste  particulièreuient  sur  l'idée  que  si  l'on  com- 
prend bien  ce  qu'est  Dieu,  on  reconnaît  (lu'il  ne  peut  être  pensé 
ne  pas  être,  car  il  est  l'être  tel  qu'on  n'en  saurait  concevoir  un 
plus  grand  (2).  Réminiscence  évidente  du  Pros/ogiuin.  Mais  le 
docteur  irréfragable  avait  démontré  préalablement  l'existence 
de  Dieu  comme  auteur  du  monde  (3);  c'était  au  fond  la  même 
réserve  que  posait  saint  Thomas. 

L'al)bé  liertin  cite  Henri  de  (iaud  comme  partisan  de  l'argu- 
ment de  saint  Anselme.  Le  docteur  solennel  assure,  en  efl'et. 
«  ((u'on  ne  peut  penser  à  Dieu  sans  j)enser  qu'il  est,  la  naliire 
de  la  chose  impliquant  une  telle  pensée  (ii  ».  liemarque  juste 
en  elle-même;  mais  il  l'aul  connaître  cette  nature.  Comment 
arrive-t-on  à  la  connailiv?  Voilà  le  point  ([u'il  importe  de  pn'-- 
ciser. 

Saint  Bonaventure  nous  paraît,  de  tnus  les  docteiu's  de  ce 
temps,  celui  ([uc  l'un  peu!  çumpler  le  plus  justement  parmi 
les  partisans  de  saint  Anselme.  Non  seulement  il  semble  ap- 
prouver dans  quelques  passages  l'argument  du  docteur  du  Bec, 
mais  lui-même  en  i)roduit  un  assez  analogue  dans  ces  magni- 
liques  spéculations  admirées  depuis  six  siècles  et  qui  ont  pour 
lilre  :  Itiiicrariiwi  mfiitis  ad  liciim.  S'inspirant  de  ces  paroles 
dictées  par  Dieu  lui-même  à  .Moïse  :  je  suis  celui  qui  est,  viji) 
siiDi  i//ii  .</n/i,  il  cherche  à  se  rendre  compte  des  perfections 
di\  ines  en  partant  de  l'idée  même  d'être  :  «  que  le  penseur  aj)- 
pliquc  d'aliord  son  regard  à  l'être  lui-même,  qu'il  voie  que 
l'être  même  est  en  soi  tellement  certain  qu'on  ne  peut  penser 
qu'il  ne  soit  pas.  Il  est,  en  elTet,  l'être  très  pur  qui  ne  peut  être 
conçu  qu'à  l'extrême  opposé  du  non-être,  de  même  que  le  néant 

(1)  De  fille  nrlhod.  in  prinr. 

(2)  f'iimine,  l"  pars,  q.  3,  meiub.  2. 

(3)  lliiiL,  m.  1. 

(4;  IhicL.  2"  p.,  art.  22,  q.  3. 


j:Ai!i,r.\ii:.\r  m:  sAivr  AysKuiE  soi 

no  peut  (Hre  conriiquà  IV'xlrômc  opposé  de  l'ôLre.  Comnio  donc 
le  néant  n"a  rion  do  l'ètro  ni  de  sos  conditions,  au  contraire, 
VC'lri'  inrinc  n'a  rion  du  iioii-rlrc,  ni  en  acte,  ni  en  puissance, 
ni  dans  la  V(''ril('  de  la  chose,  ni  dans  naître  appréciation  fl).  <> 
Assurément,  voilà  des  pensées  qui  se  ra[)proclient  des  inspi- 
l'ations  do  saint  Anselme.  Nous  l'erons  toutefois  deux  niiser- 
vations.  La  première  est  que  Tidée  d'être  pur  est  inlininu>nt 
mieux  choisie  comme  point  de  tlépart  qiio  l'idée  de  l'être  tel 
(ju'on  n'en  peut  concevoir  un  pins  i;Tand.  l'-llo  exprime  lieau- 
conp  mieux  la  nature  de  l'être  inlini.  La  seconde  est  que 
saint  Honavoulure  ne  prétend  point  ici  prouver  roxistenco  de 
Dieu,  mais  expliquer  sa  nature,  il  le  dit  lui-même  au  dél)nt  du 

Lu  elïet  le  raisonnement  ne  saint  Bonavonture  (>st  irrépro- 
chahle  s'il  s'agit  d'élahlir  la  nature  de  l'être  divin,  son  existence 
présupposée.  Est-il  aussi  valable  pour  démontrer  roxistenco 
actuelle?  on  pourrait  le  contester,  car  on  pourrait  soupçonner 
nu  passage  non  justifié  de  l'être  d'essence  à  l'être  d'existence 
(|ui,  dans  notre  manière  de  concevoir,  otl'rent  deux  concepts 
distincts.  (  tr,  nous  no  pouvnns  raisonner  que  d'après  nritre  modo 
de  conception.  Saint  Bonavonture  parait  lui-même  le  recon- 
naître. Voici,  en  elTet,  sa  conclusion  :  «  Si  Dieu  désigne  l'êtro 
premier,  éternel,  très  simple,  très  actuel,  très  parfait,  il  est  im- 
possible de  penser  qu'il  ne  soit  pas  (2).  »  Il  faudrait  donc  accor- 
der d'abord  tfu'il  y  a  un  tel  être.  N'est-ce  pas  sous  une  autre 
forme  la  même  réserve  qu'a  exprimée  saint  Thomas  d'Aquin? 

Nous  triiuvons  donc  bien  dans  les  docteurs  du  grand  siècle 
de  la  scolastiquo  des  enseignements  approcliant  plus  ou  moins 
de  la  manière  de  voir  do  saint  Anselme.  .Mais  tous  ajoutent  à 
ces  enseignements  des  réserves  qui  en  atténuent  les  principaux 
défauts. 

11  est  d'ailleurs  à  remarquer  (juo  tous  ceux  que  nous  venons 
do  citer  sont  antérieuVs  à  saint  Th(mias  ou  tout  au  plus  ses  con- 
temporains. 

Lorsque  Duns  Scot  commença  h  enseigner  dans  l'écolo,  il  se 


(I)  Somme,  ch.  v. 
(2j  Ibkl. 


302  DOMET  UE  VORf.ES 

Iroiiva  fort  embarrassé.  II  n'osait  pas,  suivant  la  s|iiiiliicllc 
remarque  du  R.  P.  Rag^y,  soutenir  l'argument  que  la  erilique 
lie  saint  Thomas  avait  dépopularisé  (1).  D'un  autre  eoté,  il  ne 
lui  convenait  pas  de  marclier  purement  et  simplement  à  la  suite 
du  Docteur  angélique.  il  prit  un  moyen  terme,  celui  de  Cf/Ay/yv 
l'argument,  c'est-à-dire  de  lui  donner  une  forme  plus  présen- 
table. Quoi  qu'en  dise  le  R.  P.  Adloch  (2),  colorer  n'est  point 
approuver,  c'est,  au  contraire,  avouer  qu'il  manque  quelque 
chose  à  l'argumentation  et  chercher  le  moyen  d'y  remédier;  c'est 
l'admettre  à  correction.  Le  R.  P.  Ilontheim,  dans  sa  Thi^odicrf, 
((■moigne  comprendre  comme  nous  rintenlion  de  Duns  Scot  lîi). 

\j'  mnyeu  proposé  par  Duns  Scot  est,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  assez  subtil.  Duns  Scot  admet  la  nécessité  d'un  intel- 
ligible suprême,  dans  lequel  l'intellect  puisse  se  reposer.  r(<t 
intelligible  comprend  la  notion  du  premier  objcl  de  l'iiilellecl. 
e'est-à-dirc  i\c  l'être,  et  il  est  au  sommet  de  l'être  d'essence. 
Mais  a-t-il  l'être  d'existence?  «  Cet  intelligible  suprême  ne  jieut 
être  seulement  dans  l'esprit,  parce  qu'alors  il  serait  possiide 
l'iaiil  pi'usalde,  et  ne  sérail  pas  possîljle  ne  pouvant  èlre  par 
un  autre  (ij.  »  Sous  celle  logi(|ue  contournée  qui  reconnaiti'ait 
l'argument  simple  et  suflisant  pour  réduire  l'athée  au  silence? 

Mais  l'argumeiît  ainsi  modifié  est-il  plus  valable?  La  contra- 
diction dont  arguait  le  doclcMu-  du  Rec  povu"  confondre  celui  qui 
nie  l'existence  de  Dieu,  au  lieu  d'être  dans  la  pensée  du  néga- 
teur, se  trouve  reportée  dans  l'objet  même  de  l'intellect.  Ainsi 
déplacée  est-elle  plus  réelle?  (let  objet  sérail  possible  et  à  la 
fois  ne  serait  pas  possible  !  au  premier  abord  ces  deux  affir- 
mations s'opposent,  mais  il  faut  remarquer  que  Scot  met  ici 
en  présence  deux  possibilités  d'ordres  dilférents,  une  possibilité 
intrinsèque  et  une  possibilité  extrinsèque.  Est-il  immédiate- 
ment évident  que  la  première  entraine  nécessairement  la 
seconde  {V)]l 

Terminons  en  disant  quelques  mots  d'Occam,  le  célèbre  nomi- 


l'U  L'Arfiument  de  sniiil  Ansel'"\  p.  140. 
(i)  I^kil.  Jarhbuch,  8,  3,  p.  53. 

(3)  Ibid.,  p.  5ô. 

(4)  De  primo  prinripio,  c   iv,  n"  24. 

(5)  Ibid. 


rua 


/.'.i;i'-r.u;:.v7'  /»/•;  s.w.vc  .t.v.s;:/.i//';  3o:t 

nalislp.  Le  H.  1*.  Adloclijui;o  qii'Occam  a  :i|)|)r(iiiv('' rariiimu'iil 
lie  saint  Ansolmc  (1).  C-oUc  appnihalion  parail  liicn  (loulcusi'. 
si  le  liariii  (li)ctoiir  a  clil  (|ui'  rcxisloiicc  do  Diru  comme  (Mic 
supérieur  el  parlait  peut  être  démonirée,  mais  qu'il  est  impos- 
sible de  la  démontrer  avec  évidence  si  l'on  entend  par  Dieu  un 
être  plus  nolilc  et  plus  parlait  que  to)it  antre  être  distinct  de 
lui  i2i.  La  première  assertion  s'applique-t-idlc  mieux  à  l'argu- 
meul  de  saini  Anselme  que  la  seconde  ? 

Occam  disait  encore  qu'on  ne  peut  prouver  par  la  rai>on  nahi- 
i-(dle  i|ue  Itieu  soit  cause  de  quelque  ell'et. 

Après  tout,  ce  précurseur  de  Kant  ne  croyait  guère  à  la  rai- 
son, (pnu'qu'il  en  abusât.  Toute  preuve  devait  lui  paraître  de 
peu  (le  valeur.  Il  est  bien  possible  qu'il  ait  pensé  de  l'argument 
(le  saint  Anselme  :  autant  celui-là  qu'un  autre. 

Plus   lard,  au  xv"  siècl(?,  Raymond  de  Scbonde  employa  la 
preuve  ontologique.  Au  xvi"  siècle,  le  jésuite  Vasquez  accor 
une    place  à    l'argumenl    de    saint  .\ns(dme   bien  que  loule 
grande  scoboliqne  de  s(Mi  leni|)s  lui  resUU  opposite. 

//  fiét^  d^nM/tlMA     fa  a  *yU^i~^  tn/^   a^^  if*,lflti   9tuA  eiX^  A<»^^ie*</^  oic^l^^  Z'^^"' 


^Lr'j,\-iu\t\  mouvement  de  reiuiissance  scolaslii|ue  du  xvi"  siècle 
s'était  manifesté  surloni  en  llalie  et  en  Espagne.  Au  siècle  sui- 
vant, la  France  vit  naître  une  pbilosophie  toute  nouvelle,  le 
spiritualisme  cartésien.  Avec  l'inlluence  de  Descartes  un  mou- 
vement de  retour  se  produisit  en  fav4:'ur  de  la  preuve  de  l'exis- 
lence  de  Dieu  par  son  idée. 

Descartes,  qui  prétendait  n'avoir  rien  lu,  avait  lu  certaine- 
ment le  Prdslor/ltfm.  La  preuve  en  a  été  faite  par  Haureau  (3). 
Il  se  garda  toutefois  de  citer  son  auteur  et  proposa,  comme 
de  lui-même,  deux  preuves  de  l'existence  de  Dieu  qui  lui 
avaient  été  certainement  suggérées  par  l'argument  de  saint  An- 
selme. 

La  première  de  ces  preuves  est  toutefois  ass(V  différente  du 

(Il  /'A/7.  Jarhbnch,   !l,  :j,  p.  S8. 

\i]  GoNZAr.KZ,  llisl.  lie  la  p/i.,  t.  Il,  p.  Tii. 

(:i)  Itial.  un.  du  Maine,  vol.  I,  p.  :);ij. 


:i04  DOMET  DE  VdllGES 

célèbre  argument.  Elle  lait  intervenir  le  principe  île  causalité, 
tandis  que  le  docteur  du  Bec  n'avait  eu  recours  qu"au  princiiie 
de  contradiction,  i'artant  du  fait  que  nous  avons  dans  l'esprit 
l'idée  de  riniini,el  que  cette  idée  représente  un  ètiv  au-dessus 
de  tous,  dont  aucun  autre  ne  pourrait  donner  l'idée,  Descartes 
crut  que  cette  idée  ne  peut  avoir  qu'une  cause,  l'être  même 
qu'elle  représente.  1.,'idée  de  Tinlini  prouverait  l'existence  de 
Dieu,  comme  sa  cause  nécessaire  (Ii. 

dette  preuve  pourrait  être  bonne  si  nous  avions  de  Itieu  une 
idée  directe  et  adéquate.  Mallieureusement,  il  s'en  faut  de  beau- 
coup. Nous  nous  représentons  I)ieu  comme  nous  pouvons,  en 
combinant  tant  bien  (pie  mal  des  noiions  puisées  ailleurs,  dont 
nous  élaguons  par  la  pensée  toute  imperfection.  Notre  idée  de 
Dieu  est  surtout  négative  et  analogique,  l  ne  telle  idée  n'a  pas 
besoin  d'une  cause  directe. ^^^^*^.  7_,^'^'^:^///^^'''^"- 

La  seconde  preuve  se  rapproche  d^nintage  d/  l'argument  de 
saint  Anselme.  Elle  est  pi'oposée  dans  la  cinquième  méditation 
et  aussi  dans  les  l'fiiir/prs  r/e  p/ii/oso/i/iir    1"   part.,  n"  \'n. 

i<  L'âme,  (lit  Ir  |diil()Mi|ili(' de  la  1  lave  dans  ce  dernier  ouvrage, 
l'âme  a  en  elle-même  l'idée  d'un  être  tout  connaissant,  tout- 
puissant  et  e.vti'èmement  parfait.  l*ln  le  considérant,  elle  voit 
que  l'idée  de  cet  ôlrc  ini[)lique  non  seulement  son  existence 
possible,  comme  les  autres  idées,  mais  encore  son  existence 
nécessaire  et  éternelle,  (lomme  de  ce  qu'elle  voit  qu'il  est 
nécessairement  compris  dans  l'idée  qu'elle  a  du  triangle  que 
ses  angles  sont  égaux  à  deux  droits,  elle  se  persuade  absolu- 
ment que  le  triangle  a  ses  trois  angles  égaux  à  deux  droits  ; 
de  même  de  cela  seul  qu'elle  apcri;oil  que  l'existence  nécessaire 
et  éternelle  est  comprise  dans  l'idée  d'un  être  tout  parfait,  elle 
doit  conclure  que  cet  être  tout  parfait  est  ou  existe. 

Dans  sa  réponse  aux  premières  olijections.  Descaries  a  lui- 
même  réduit  son  argument  en  syllogisme  : 

«  Ce  que  nous  concevons  clairement  et  distinctement  appar- 
tenir à  la  nature  d'une  chose,  cela  peut  être  dit  et  afiirmé  de 
cette  chose. 

«  Après  avoir  soigneusement  recherché  ce  qu'est  Dieu,  nous 

(1)  Truiiième  incdil.  et  l'rincipes  tiepliil.,  1"  partie,  n'  18. 


LAliC.l  MK.\r  /)/■:  S.4/.V7-  AXSEI.ME  IJOli 

ronccnons  clairement  et  disLincl('ni(Mil{|ii'il  appartient  à  sa  vraie 
l't  ininiuaiile  nature  qu'il  existe. 

<c   Donc  nous  pouvons  afliriniM-  avec  vérité  qu'il  existe.  » 

Celte  preuve  de  Descartes  a  été  acceptée  par  Féiu'lon  et  déve- 
loppée par  lui  avec  toute  la  magie  de  son  style  admirable  (I). 

Mais  ni  les  formules  géométriques  de  Descartes,  ni  les  beau- 
tés de  l'exposition  de  l'archevêque  de  Cambrai  ne  doivent  nous 
faire  illusion  sur  le  paralogisme  contenu  dans  ce  raisonnement. 

C'est  le  cas  de  répéter  ici  avec  saint  Thomas  :  coilem  morhi 
necf'ssf  e<t  potii  rcni  ri  jtoiiii/ii^  rdlioncin,  il  faut  prendre  la 
chose  au  nièuie  point  de  vu(»  ([ue  sa  délinition.  Si  vous  n'avez 
défini  qu'une  idée,  la  chose  délinie  et  les  propriétés  qu'on  lui 
allribiie  ne  peuvent  exister  qu'en  idée.  Si  vous  avez  trouvé  dans 
l'i(l('e  de  l'être  parfait  l'idée  de  l'existence  nécessaire  et  éter- 
nelle, vous  n'en  pouvez  conclure  qu'une  chose,  c'est  qu'un  tel 
être,  s'il  existe,  a  l'existence  nécessaire  et  éternelle.  Pour  sortir 
de  là.  il  faut  prendre  son  point  d'appui,  non  plus  dans  une 
idée,  mais  dans  une  réalité  oltjective. 

C'est  l'objection  que  lit  Cratiu-us  à  Descartes  (2),  et  c'est  sans 
doute  pour  avoir  l'air  d  y  r('pondre  que  celui-ci  introduisit  dans 
son  syllogisme  la  réserve  que  nous  avons  rapportée  :  »  Après 
avoir  soigneusement  recherché  ce  qu'est  Dieu.  »  Comment, 
recherché?  Il  ne  s'agit  plus  de  l'idée  de  Dieu  ;  il  s'agit  de  Dieu 
lui-même.  On  présuppose  donc  qu'il  existe. 

Ce  qui  cachait  probablement  à  Descartes  et  à  Fénelon  cette 
erreur  de  méthode,  c'est  la  tendance  commune  à  leur  époque  à 
considérer  l'idée  de  l'inlini  comme  une  idée  positive,  comme 
une  sorte  d'intuition  spéciale.  Fénelon  l'avouait  ingénument('V). 
Leibniz  partageait  cette  tendance  (4).  Aussi  n'est-ce  pas  sur  l'ob- 
jection indiquée  par  nous  qu'il  appuie. 

Homme  d'une  immense  lecture,  Leibniz  avait  bien  reconnu 
la  source  oii  Descartes  avait  puisé  (•)].  Il  avait  admis  tout  d'abord 
son  argument.  Puis  il  eut  des  scrupules.  II  proposa  une  correc- 


(\)  De  l'exis/.  de  Dieu,  M"  p.,  n"  36. 
i2)  1"'  obj.  n"  3. 

(3)  Exixt.  de  ilieii.  Il"  p.,  n'  29. 

(4)  Nouveaux  Essais,  2-17. 
(u)  lOid.,  4-tO. 


30G  DOMET  DE  VORGES 

tion  moyennant  laquelle  il  jugeait  cet  argument  d'une  rii^ueur 
géométrique  (1  ). 

Cette  correction  consisterait  à  ]>rouver  d'abord  que  Dieu  est 
possible.  '<  Supposé,  dit-il,  que  Dieu  est  possible,  il  existe,  ce 
qui  est  le  privilège  de  la  seule  divinité.  On  a  droit  de  préju- 
ger la  possibilité  de  tout  être  et  surtout  celle  de  Dieu  jusqu'à 
ce  qu'on  prouve  le  contraire.  » 

Cellt'  preuve  négative  est  peut-être  un  peu  faible  ;  aussi,  dans 
sa  lettre  sur  l'ouvrage  du  P.  Laniy,  il  modifie  sa  démonstra- 
tion :  <■  On  pourrait,  dit-il,  former  une  démonstration  plus 
sim|ile  en  ne  parlant  point  des  perfections,  pour  n'être  point 
arrêté  par  ceu.x  qui  s'aviseraient  de  nier  q^ue  toutes  les  perfec- 
tions soient  compatibles  et,  par  conséquent,  que  l'idée  en  ques- 
tion soit  possible,  car,  en  disant  scuicmcnl  (|ue  Dieu  est  un  être 
primitif  ou  d(^  soi,  c'est-à-dire  qu'il  existe  par  son  essence,  il 
est  aisé  de  conclure  qu'un  tel  être,  s'il  est  possible,  existe  i'2].  » 

El  un  peu  plus  loin,  il  ajoute  :  »  Si  l'être  de  soi  est  impos- 
sible, tous  les  autres  le  sont  aussi.  »  —  «  Il  semble,  remar- 
que-t-il  avec  un  certain  orgueil,  que  cette  démonstration  n'avait 
pas  encore  été  poussée  aussi  loin  (3i.  >•  En  effet,  l'argument 
ainsi  c(miplété  peut  donner  jusqu'à  l'existence  actuelle.  Mais 
ce  ciimplément  n'est-il  pas  un  l'eluui'  à  la  preuve  cosmologique? 

Avec  Kaut  reviennent  les  objections.  Kant  est,  croyuns-nous, 
le  seul,  parmi  les  coryphées  de  la  philosophie  moderne,  qui  ait 
combattu  l'argument  de  saint  Anselme.  Il  y  était  naturellement 
conduit  par  sa  tendance  à  dénier  la  valeur  objective  des  idées 
nécessaires  et  des  jugements  de  la  raison  pure. 

Ce  n'est  pas  que  Kant  fasse  grand  cas  de  In  |)reuve  cosmolo- 
gique. Au  contraire,  à  son  point  de  vue,  la  jireuve  cosmologique 
sup[)ose  la  preuve  ontologique  :  «  Je  ne  puis  jamais,  dit-il,  ache- 
ver la  régression  de  l'existence  sans  admettre  un  être  néces- 
saire. C'est  précisément  cet  être  que  suppose  la  preuve  ontolo- 
gique (4).  »  La  preuve  ontologique  serait-elle  donc  la  première 
et  la  meilleure?  Assurément.  Mais  par  elle-même  elle  n'est  pas 

(1)  Noiiveau.r  Essais. 

(2)  De  la  ilémonsh-.  cariés,  de  l'e.rislence  de  iJieu.  par  le  P.  Lamy. 
a)  Ibid. 

(4)  Criliq.  de  la  raison  pure.  t.  11,  chapitre  m,  .sec.  ~i. 


L'AROl  MEM'  DE  SM.ST  A.XSELME  :)07 

valiiltlc  :  "  On  ne  |iciil  cninnicncrr  |i,ir  l'rlrc  nrcossairf  (li... 
l'niir  li's  olijcls  (Ir  la  [ii'iiM'r  |uiri',  il  n'y  a  aucun  iiKiycn  de 
l'Oionnaitiç  Iciii'  cxisk'uce,  puisqu'il-  t'audrail  la  rcconnailrc 
loul  à  (att  a  jjriu/i.  Notre  coiiscienco  de  toute  existence  appar- 
(icnl  entièrement  à  l'unitc^  de  l'expérience,  et  si  une  existence 
iiors  de  ce  champ  ne  doit  pas  être  tenue  pour  absolument  impcis- 
>il>le,  elle  n'en  est  pas  moins  une  supposition  que  rien  ne  peut 
justifier  r2)...   .1 

\  iiiià  (|ui  est  clair.  La  preuve  cosmologique  ne  vaul  que  pai- 
la  |)reuve  imtolngique  qu'elle  suppose.  Mais  celle-ci  ne  vaut 
rien,  il  n'y  a  pas  de  preuve  rationnelle  de  l'exislence  de  Dieu. 

Sainl  Anselme  eût  été  sans  doute  peu  inquiet  d'une  sem- 
lilable  attaque.  Le  père  du  criticisme  qui  a  appris  aux  généra- 
tions contemporaines  que  rintelligence  ne  contient  que  des 
formes  d  priori  sans  rai)pnrt  nécessaire  avec  la  réalité,  était, 
aux  antipodes  des  vues  de  noire  saint  docteur. 

L'iniluence  de  Kant  a  été  et  devait  être  grande  à  raison  de 
son  génie.  Mais  il  a  été  trompé  par  une  analyse  incomplète.  11 
s'est  imaginé  que  dans  l'expérience  on  ne  peut  trouver  aucune 
hase  à  la  nécessité.  En  conséquence,  il  a  divisé  la  pensée  hu- 
maine en  deux  parties  sans  lien  entre  elles  :  la  pensée  pure 
ayant  pour  objet  le  nécessaire  et  l'expérience  ayant  pour  objet 
le  r('el.  Dans  la  vérité,  au  coutiaire.  la  pensée  pure  est  abstraite 
de  l'expérience  et  lui  donne  sa  fécondité,  et  l'exiiérience  donne 
à  la  pensée  pure  toute  sa  solidité. 

Mégel,  venu  après  Kant,  nous  fait  entendre  une  tout  autre 
note.  Sa  philosophie  est  issue,  il  est  vrai,  du  mouvement  pro- 
voqué par  Kant;  mais,  tandis  que  celui-ci  avait  séparé  la  raison 
pure  de  l'expérience,  Hegel  chercha  à  rétablir  l'unité.  La  raison 
jjure  ne  peut  démontrer  le  réel  1  Soit.  Elle  fait  mieux,  elle  le 
])riHluit.  Le  réel,  c'est  la  pensée  pure  s'objectivant  elle-même; 
le  mouvement  dialectique  qui  est  la  vie  divine  est  identique  ii 
la  vie  des  choses,  l'idée  est  identique  à  la  réalité. 

FMacé  à  ce  point  de  vue,  Hégf!  ne  pouvait  repousser  la  preuve 
du  Pros/or/iio/i.  Au  contraire,  il  la  considère  comme  exprimant 


(1)  Critiq.  de  la  raison  pure,  t.  11,  chapitre  m,  sec.  4. 

(2)  Ihiil.,  sec.  7. 


:!08  DOMET  DE  VORGES 

le  mouvement  naturel  de  l'esprit  passant  imméilialemeiil  du 
lirii  à  rinlhii  où  le  fini  a  sa  raison  d'être  dans  l'idée  divine  uni- 
verselle 1 1.  Hegel  ne  reprriche  qii'une  chose  à  saint  Anselme, 
(le  maintenir  en  face  de  linlini  la  représentation  de  l'exisleuce 
du  lini  2  .  11  aurait  dû  montrer  que  le  lini  n'est  pas  le  vrai  et 
(jue  ses  déterminations  prises  séparément  sont  incompatiideset 
n'ont  pas  de  réalité. 

Saint  Anselme  ne  se  serait  sans  dnuti'  pas  jdus  ému  des 
louanges  et  des  conseils  de  Hegel  que  des  objections  de  Kant. 
Son  esprit  était  trop  solidement  imbu  de  la  doctrine  des  Pères 
de  ri^glise,  pour  faire  cas  d'appréciatioiis  fondées  sur  des  prin- 
cipes si  éloignés  de  la  saim^  philosopliie  traditionnelle. 


VI 

Dansées  derniers  temps,  la  discussion  sur  l'argument  de  saint 
Anselme  a  repris  avec  une  nouvelle  vivacité,  (le  renouveau  a  eu 
deux  causes  :  les  études  bistoriqnes  provoquées  en  France  par 
(lousin,  puis  la  résurrection  de  la  phibisophie  thomiste  ([ui  a 
ramené  du  nu''mecoup  l'attention  sur  toutes  les  écoles  du  moyen 

Les  philwsophes  rattachés  au  spiritualisme  de  Cousin  sont,  en 
général,  favorables  à  la  preuve  du  Prox/oyiiiiii. 

bouchitté  approuve  le  docteur  du  Bec.  Il  prétend  que  les 
grands  scolastiqnes  n'ont  pas  compris  la  valeur  de  son  argu- 
ment. Cet  argument  repose,  d'après  Bonchitté,  sur  une  bas(^ 
psychologique.  Saint  Anselme  constate  que  les  hommes  ont 
l'idée  d'un  être  supérieur  à  tous  et  il  an;dyse  très  bien  cette 
idée.  Elle  nous  est  fournie  par  «  l'induction  ([ui  part  de  l'être 
lini  et  relatif  que  la  conscience  nous  donne  à  tout  moment  pour 
atteindre  jusqu'à  l'être  inconditionnel,  inlini  et  absolu  (3)  ». 

N'y  a-t-il  pas  dans  cette  remarque  comme  un  ressouvenir  de 
Hegel  ? 

Bouchittt'  regrette  seulenienl  que  le  docteur  ilu  iioc  ail  donné 


(1)  L'If).,  trad.  de  Vera,  p.  304. 

(2)  Ihid..  §  193. 

(3)  Le  Ra/ionalisme  chrélien  au  II   sieile,  Paris,  I8i2. 


i:Aiu:rMi:.\r  de  saist  .\.y.s/;/..i/ê  ano 

à  >on  ;ii;;iim('iil  uiu'  l'oniie  logiqiio.  Cctlo  tnrmo  le  i;àtc,  dil-il. 
Ifautivs  (liraii'iil  sans  tloiitc  qu'elle  en  lait  mieux  ressortir  le 
défaut. 

Rémnsat  entre  assez  dans  les  vues  de  Bouchilté.  11  déclare 
l'argument  mauvais  comme  syllogisme,  mais  bon  comme  ten- 
danee;  L'idée  conçue  nécessairement  témoigne  de  la  réalité  de 
son  objet.  Rémusat  reconnaît  toutefois  que  l'argument  n'est 
pas  démonstratif  sans  le  recours  au  Monologiitm  (1 1. 

Saisset,  dans  sa  tbèse  latine  f2),  se  plaint  également  qiu' 
saint  Thomas  n'a  pas  compris  la  portée  de  l'argument  de  saint 
Anselme.  11  trouve  la  preuve  cosmologique  insuffisante,  parce 
que,  d'après  lui.  elle  prouve  l'èlre  nécessaire,  mais  non  l'être 
parfait  et  iniini.  C'est  une  idée  em|uunlée  de  Kant.  Saisset  n'a 
pas  compris  que  la  preuve  cosmologiqiie  donne  l'existence  d'une 
première  cause  qui  n'est  pas  causée,  qui,  par  conséquent,  est 
par  soi,  r)is  a  se.  De  cette  notion  ainsi  acquise  de  l'être  par  soi 
réellement  existant,  se  déduisent  facilement  toutes  les  perfec- 
tions divines. 

M.  l'abbé  Bertin  apj)ai1ient  plutôt  à  l'école  de  Malebrancbe 
qu'à  celle  de  Cousin.  11  a  défendu  énergiqTiemenl,  au  troisième 
congrès  international  des  catholiques  à  Bruxelles,  l'argument 
de  saint  Anselme.  Il  constate  dans  son  mémoire  que  l'idée  de 
perfection  absolue  n'implique  aucune  contradiction  ;  elle  est 
donc  possible.  Or,  «  nous  devons  affirmer  de  l'être  premier 
toutes  les  perfections,  car  il  les  contient  toutes  éminemment 
dans  sa  parfaite  unité.  L'existence  étant  une  perfection,  nous 
ne  pouvons  séparer  l'idée  d'existence  de  l'idée  d'être  {)arfail 
que  par  une  pure  abstraction...,  plus  un  être  s'élève  en  per- 
fection, plus  sa  l'aison  d'exister  devient  forte;  elle  croit  dans 
Ib  même  rapport  que  sa  perfection  (3).  »  Ces  vues  sont  belles 
sans  doute,  nous  les  avons  déjà  rencontrées  chez  saint  Augus- 
tin. Toutefois  elles  nous  semblent  mieux  s'appliquer  à  la  dia- 
lectique de  saint  Bonaventure  qu'à  celle  de  saint  Anselme. 
Celui-ci  ne  partait  pas  précisément  de  l'idée  du  parfait,  mais 
de  l'idée  d'un  être  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir  un  plus  grand. 

(1)  Sa'tiil  Anselme  de  Cantorljér;/.  Paris,  2853,  U'  p.,  ch.  m. 

|2j  De  varia  S.  Aiiselmi  in  l'roaloi/iu  (irr/umenli  fnrluna.  Païis,  1840. 

(3)  Annales  de  /jhil.  chrél.,  mai  1S9j,  p.  162-163. 


:tlO  DOMET  DE  VORGES 

Il  louait  lieaiu'Oiip  à  celle  formule  :  il  est  bon  de  lu  lui  laisser. 

M.  l'alibé  Berlin  a  été  fort  attaqué  dans  la  discussion  qui  a 
suivi  sa  communication.  On  lui  a  objecté  que  d'une  conceplinn 
purement  sul)jective  on  ne  peut  conclure  à  l'existence  d  un  être 
réel.  Il  a  répondu  (|ue  l'idée  de  l'rlre  premier  n'est  pas  pure- 
ment subjective.  .Mais  si  l'idée  de  cet  être  est  objective,  son 
existence  est  constatée  ;  il  n'y  a  plus  besoin  de  la  prouver.  C'est 
ce  qu'avait  entrevu  le  génie  pénétrant  de  saint  Tliomas. 

Quelques  années  auparavant,  le  R.  P.  Uagey,  mariste.  qui 
avait  fait  une  étude  particulière  de  la  vie  et  des  œuvres  du  saint 
arcbevèque  de  Cant(uliéry,  publiait  un  volume  consacré  s|)écia- 
lement  à  l'argumeul  du  Proalogium  (1).  L'auteur  ne  préleml 
pas  défendre  directement  l'argument,  mais  on  voit  bien  ([u'il 
le  tient  pour  valable.  11  soutient  qu-  ceux  qui  ont  critiqué  l'ai- 
gument  n'en  ont  pas  saisi  le  point  essentiel.  Quel  est  ce  puint 
essentiel?  On  a  peine  à  le  démêler  dans  les  considérations 
fuyantes  développées  par  l'auteur  et  qui  paraissent  parfois  op- 
posées l'une  à  l'autre.  Il  nous  suflit  de  remarquer  avec  lui  que 
«  le  malheur  de  cet  argument,  c'est  que,  même  en  le  supposant 
concluant,  il  y  a  beaucoup  de  choses  qui  servent  à  sa  démons- 
tration et  que,  pour  le  comprendre,  il  faut  les  connaître  et  les 
comprendre  toutes  et  les  avoir  tontes  présentes  à  l'esprit  en 
même  temps.  Os  choses  ne  sont  toutes  indiquées  ni  dans  le 
Prosloi/iii»),  ni  dans  la  réponse  de  saint  Anselme  ;\  Gaunilon. 
Il  s'en  faut  même  de  Ijeaucoup  (2).  ■>  On  ne  saurait  avouer  plus 
ingénument  que  saint  Anselme  a  manqué  son  but  de  présenter 
un  argument  très  simple  et  saisissable  à  première  vue.  Qni  a 
donc  jamais  prétendu  que  les  raisons  proposées  par  le  saint 
docteur  ne  puissent  être  utilisées,  si  elles  étaient  précédées, 
soutenues  et  complétées  par  beaucoup  d'autres  raisons?  ^Lf^«,*3f^ 

La  défense  la  plus  complète  et  la  pTiis  prof o il lïe ment  étiicTiee' 
du  célèbre  argument  nous  parait  celle  qui  a  été  publiée  en 
Allemagne  par  le  R.  P.  Adloch.   Le  savant  bénédictin,  pro- 
Irssear  au  collège  de  Saint-Anselme  à  Rome,  a  cru  devoir  à  son 
(Irtire  et  à  l'institution  où  il  enseignait  de  soutenir  les  vues  du 


:  1 1  L'Arij.  de  saint  Anselme.  Paris,  Delhommk  et  Briolet,  1893. 
(Jj  Ibitl..  p.  90. 


LAlii.r.UEST  DE  .S.l/.VT  .l.VS/,'/.  1/K  :tH 

sailli  cl  émincnl  dofteur.  11  s'est  livré  ù  un  examen  niinnlieux 
lie  tonte  la  polémiqne  antérienre,  et  nous  avons  ]ilus  d'nne  fois 
utilisé  les  renscignemenis  iju'il  fournit  (  I  i. 

Le  principal  souci  du  li.  I'.  Adloch  est  d'éloignrT  de  saint 
Anselme  le  reproche  d'ontologisme.  Cette  préoccupation  s'ex|)li- 
que  très  bien  par  la  situation  de  l'auteur  à  Rome.  L'onlolo- 
gismc  est  une  des  dernières  erreurs  philosophiques  condamnées 
par  le  Saint-Siège.  Il  est  l'objet  d'une  surveillance  méticuleuse 
de  la  pari  des  théologiens  italiens.  Toute  doctrine  soupçonnée 
à  (orl  ou  à  raison  d'ontologisme  est  d'abord  décriée. 

A  parler  de  sang-froid,  saint  Anselme  avait  certainement 
quelques-unes  des  tendances  qui  font  l'onlologiste.  Il  sérail 
facile  de  relever  dans  ses  écrits  plusieurs  expressions  pouvant 
prêtera  la  critique.  Néanmoins  nous  croyons  injuste  d'accuser 
un  homme  éminent  d'une  erreur  inconnue  de  son  temps,  pour 
quelques  assertions  dont  la  portée  dernière  n'était  pas  encore 
entrevue. 

L'argument  de  saint  Anselme  est-il  ontologiste?  Nous  croyons 
bien  que  le  saiul  docteur  lui  eût  prêté  moins  d'importance, 
sans  la  teinte  ontologiste  qu'avait  sa  pensée  de  derrière  la  tète. 
Nous  accordons  toutefois  volontiers  au  R.  P.  Adloch  que,  dans 
sa  forme  explicite  et  sa  signilication  directe,  il  n'est  pas  onto- 
logiste. 

L'habile  bénédictin  veut  que  l'argument  soit  à  la  fois  psycho- 
logique et  historique.  Saint  Anselme  aurait  constaté  son  idée, 
purement  subjective,  à  ce  premier  moment  d'un  être  tel  qu'on 
n'en  peut  concevoir  un  |)Ius  grand,  l'uis  il  aurait  reconnu  que 
cette  idée  est  le  patrimoine  commun  de  tous  les  hommes.  De 
là  sa  valeur  objective  et  la  nécessité  de  l'existence  de  son  objet. 

L'argument  se  rapprocherait  ainsi  soit  de  la  première  preuve 
de  Descartes,  soit  de  la  preuve  par  le  consentement  universel. 

En  serait-il  plus  valable?  La  même  objection  se  représente 
toujours.  Nous  n'avons  pas  de  Dieu  une  idéejljrcctej^Unimé- ^^t,^^,^ 
dkte  exprimant  sa  propre  nature.  Nous  n'avons  qu'une  idée  for-  eJ^^i^jt/i^ 
mée  par  analogie,  qui  n'a,  par  conséquent,  prise  seule,  ^^  '^l'^rf    *Z  j,^?^/^ 
valeur  que  celle  d'un  concept  de  seconde  main,    ^<y^- ^  /rtei/it' 3  i**"^ 

AlAM^^JtMvi^  QiJL    H(Ht4   li'  ûju/fi^U  jtOÂ  uA^/~   t/K]U 

(I    rh'd.  Jalu'buih,  8'.  9'  et  15'  Bani>.  iuM-^i/tutÂ^,  iA/ic/Vw-  :  t/Z>4*f-«^»^9<>M«'<- 


312  DOMET  DE  VORGES 

[►"ailleurs  l'inlerprétation  du  H.  1'.  Atllocli  nous  parail  indi- 
quer des  vues  que  saint  Anselme  n'indique  nulle  part.  Son 
argument,  ne  l'oublions  pas,  repose  sur  le  principe  de  contra- 
diclion  ,  il  ne  repose  ni  direclement,  iii  indirectement  sur  le 
principe  de  causalité  ou  sur  la  tradition. 

Terminons  cette  revue  historique  en  iiidi([nanl  l'allilude  des 
néo-scolastiques  dans  la  question  qui  nous  occupe. 

Cette  attitude  est  généralement  hostile  à  l'argument  du 
Proslogiiim. 

Voici  la  déclaration  de  San  Severino,  le  premier  aulcur  de 
la  rénovation  du  thomisme  au  xix'  siècle  : 

<<  De  ce  que  nuus  concevons  lui  être  possible,  s(juveraiiicnii'nt 
parfait,  à  l'essence  ducjucl  ajiparlient  l'existence,  il  résulte  (|ue 
cet  être  ne  peut  être  conçu  c(jmme  possible  sans  être  conçu 
comme  existant  ;  mais  il  n'est  pas  permis  de  conclure  (|u'il  en 
est  de  même  dans  la  réalité  (1).  » 

Liberatore  s'exprime  dans  le  même  sens  {'2). 

Stôckl,  le  grand  historien  allemand  de  la  philosophie  du 
moyen  âge,  avait  d'abord  admis  l'argument,  comme  argument 
onlologi(|ue  counuuiant  par  surabondance  les  aulres  preuves  (H  \. 
Mais  il  modilia  son  upinidu  dans  sou  histdire  de  la  philosophie 
médiévale  (4),  et  se  rapprocha  de  l'avis  des  principaux  scolas- 
tiques  :  «  A  ces  preuves,  dit-il  (les  preuves  cosmologiquesi,  on 
peut  joindre  l'argument  (Uitologique  comme  preuve  surabon- 
dante. Toutefois  cet  argument  ne  prouve  pas  proprement  l'exis- 
lencc  de  Dieu,  mais  bien  plutôt  la  nécessité  de  cette  existence. 
Il  ne  peut  et  ne  doit  pas  exclure  les  autres  preuves  de  l'exis- 
tence de  Dieu,  s'il  ne  veul  perdre  lui-mènu'  toute  force  démon- 
strative. )i 

Le  H.  I'.  Schitlini  formule  une  opposition  atténuée.  11  déclare 
l'argument  illégitime  en  soi.  "  C'est  tout  autre  cliose,  fait-il 
remarquer,  de  signilier  l'existence  par  un  nom  quelconque,  ou 
de  la  poser  réellement  dans  la  nature  des  choses  (o).  »  (>epen- 


(1)  Éléments  de  p/iil..  tr.iduits  par  X.  ('..,  t.   UI.  Théol.  tuil.,  1-2. 
(2J  Pliist.  pliit.,  t.  111,  ]>.  2G3. 

(3)  V.  (ter  kalolil;.  186U. 

(4)  Munich,  1864,  v.  1,  164-16.J. 

(5)  Théol.  Mit.,  p.  Vi. 


i.MK.t  Mi:.\r  hi-:  saist  .wselme  313 

(Janl  il  ailmcl  que  largiinu-iil  aurait  une  valeur  pour  ceux  qui 
ne  verraiont  autiiiic  cuntradiclion  dans  la  notion  quVxprime  le 
nom  de  Dieu. 

Par  contre,  Topposition  du  1{.  P.  Hontlieim  est  absolue.  L'ar- 
^^unient  à  son  avis  no  prouve  qu'une  chose,  «  c'est  que  nous 
ne  pouvons  concevoir  l'être  suprême  sans  concevoir  l'existence 
comme  une  conditioR  constitutive  de  son  essence.  Il  n'en 
résulte  pas  nécessairement  que  cet  être  existe  en  fait  (1).  »  Le 
savant  Jésuite  repousse  d'ailleurs  d'une  manière  formelle  tout 
argument  a  priori  ou  ontologique.  Nous  ne  concevons  Dieu, 
remarque-l-il,  qu'eu  vertu  de  certaines  analogies  avec  les  choses 
créées  et  contingentes:  notre  concept  n'atteint  pas  suflisamment 
la  nature  de  l'être  divin,  pour  que  nous  puissions  en  conclure 
nécessairement  son  existence  (2). 

Le  docteur  Gutberlet  reproche  à  l'argument  un  passage  illé- 
gitime de  l'existence  pensée  à  l'existence  réelle.  Dans  l'ordre 
de  l'existence  réelle,  ajoute-l-il,  la  moindre  chose  qui  existe  est 
certainement  supérieure  à  la  plus  grande  perfection  qui  n'existe 
pas.  Mais  dans  l'ordre  de  la  pensée,  il  est  faux  que  l'être  qui 
existe  en  réalité  ait  une  perfection  plus  achevée  que  le  même 
être  qui  est  simplement  conçu  (3i. 

Van  Weddingen  est  flottant.  11  admet  la  critique  de  saint 
Thomas.  11  entrevoit  néanmoins  dans  l'argument  de  saint  An- 
selme l'expression  de  cet  instinct  supérieur  de  l'homme  dont  le 
terme  est  l'absolu.  L'homme,  en  présence  des  êtres  changeants 
et  imparfaits,  se  démontre  avec,  une  irrésistible  évidence  un 
principe  transcendant  et  personnel  de  tous  les  êtres  :  «  C'est  le 
commun  argument  de  toutes  les  écoles.  A  cette  déduction  basée 
sur  le  monde  extérieur,  correspond  un  phénomène  psycholo- 
gique, le  plus  grand,  sans  contredit,  du  monde  interne...  je 
veux  dire  le  mouvement  naturel  de  notre  âme  vers  le  Dieu 
infini.  »  Et  après  avoir  rappelé  et  confondu  les  enseignements 
de  saint  Thomas,  de  Platon,  de  Bossuet,  de  Fénelon,  sur  la 
tendance  native  de  la  raison  vers  l'infini,  il  conclut  ainsi  : 
«  Cette  démonstration  de   l'infinité  du  premier  être  n'est  pas 

(1    Insl.  Iheol.  nat.,  p.  59. 

(2)  Ibid.,  p.  59. 

(3)  Tkeod..  Munster,  (SIS.  p   48. 


314  DO.MEÏ  DE  V0I5GES 

certes  tirée  de  sa  notion,  de  son  idée.  Elle  est  d(''duile  de  la 
manière  toute  spéciale  dont  l'absolu  se  pose  devant  nos  facilités, 
notre  conscience  et  tout  notre  être.  En  ce  sens,  elle  présente 
avec  l'argument  du  Prosloge  une  parenté  réelle  (  j  ).  » 

Beaucoup  plus  net,  beaucoup  plus  sévère  aussi  est  h' 
K.  P.  I-'usier,  de  la  (Congrégation  du  Saint-Esprit,  dans  le  mé- 
moire qu'il  a  opposé,  devant  le  quatrième  congrès  interna- 
tional (li's  catholiques  à  Fribourg,  au  mémoire  cité  plus  haul 
de  .M.  labbé  Rertin.  Après  une  discussion  rigoureuse  des  asser- 
lii>ns  de  son  adversaire,  il  montre  que  l'idée  qui  est  le  point 
(b'  départ  de  l'argument  de  saint  Anselme  est,  de  son  aveu 
nièuu>,  subjective  :  (|ue  le  principe  même  d'identité  »  exige  qui' 
les  attributs  soient  de  même  nature  que  le  sujet,  réels  si  le  sujet 
est  réel,  conçus  si  le  sujet  est  simplement  conçu  ".  Il  ajoute  (|ue 
l'exisleni-e  n'est  pas  une  |)i'rtectioii,  niéiui'  l'existence  néces- 
saii-e.  "  L'existence  nécessaire  n'est  pas  jilus  une  perfection 
que  l'existence  contingente.  Elle  est  uniquement  la  réalisation 
des  perfections  nécessaires,  comme  l'existence  contingente  est 
la  position  des  êtres  contingents.  »  Enlin  il  montre,  comme 
nous  l'avons  déjà  insinué,  que  tous  les  défenseurs  de  la  preuve 
de  saint  .Vuseluie.  à  commencer  par  saint  Anselme  lui-même, 
oui  été  obligés  de  modilier  l'argument  pour  en  rétablir  la 
valeur  ['1\. 

Nous  terminerons  ici  l'exposé  de  la  controverse  à  laquelle  le 
Vri>^Ui(j'iiim  a  donné  lieu.  Nous  pourrions  la  ])rolonger,  pour 
ainsi  dire,  iudéliniment.  Nous  pourrions  citer  encore  Gassendi, 
Benedictis,  Strenstrup,  lleinricb,  Mendelsohn,  le  R.  P.  Lé- 
[»idi,  .M.M.  Boirac,  Uabier,  l'arges,  Vallel,  etc.  La  lubliogra- 
pliie  de  l'arjiunn'ut  de  saint  Anselme  est  fort  considérable. 
.Mais  nous  craignons  d'avoir  déjà  fatigué  le  lecleui-.  Ce  (|ue 
nous  avons  dit  suflil  amplement  pour  qu'il  puisse  apprécier 
les  divers  points  de  vue  où  se  placent  les  approbateurs  et  les 
(■i'ili(|ues. 


(1)  Essai  critique  sin'  lapilli  dp  xainl  Anselme,  pp.  320  et  suivantes. 

(2)  La  Preuve  onlolo<tique  de  l'e.risl.  de  Dieu,  par  saini  .li.seliiie.  loiiiptes  rendus 
du  congrès  de  Fribourg. 


I.MiCl'MEM'  /»/•:  SM.\r  A  s  si:  LUE  3i: 


vil 

Ouon  nous;  permcltc  scult'iiicnl  de  irsumer  en  quelques 
mois  ce  (lél)al  séeillaire,  l't  de  meUre  on  relief  les  principales 
conclusions  qui  pamissenl  s'en  (li''i;agei". 

Nous  pensons  que  rart;umeni,  tel  (|ue  l'a  proposi'  loul 
(l'abord  saiul  Anselme,  c'esl-à-dire  comme  un  arguun'ut  simple 
et  suflisaut  ])Our  convainire  un  aiJK'e.  u'esl  point  efficace. 

Nous  le  pensons  narce  que  chacune  des  trois  propositions  qui 
constituent  l'argument  nous  |)arail  entachée  d'un  vice  sérieux. 

Nous  avons  l'idée  d'un  être  tel  ([u'on  n'en  peut  concevoir  un 
plus  grand.  Première  proposition. 

Cotte  proposition  énonce  un  fait  insuffisamment  défini.  L'idc'e 
d'un  èlre  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir  de  plus  grainl  ne  cai-ac- 
térise  suffisamment  aucun  èd'e.  l'Hie  n'indicjue  la  nature  pr('- 
cise  d'avu-un.  11  est  donc  impossible  d'apprécier  sainement  si 
un  èlre  ainsi  caractéris(''  a  droit  ou  non  à  l'existence. 

Comme  Ta  très  bien  remar(|ué  Gaunilon,  on  peut  avoir  l'idi-e 
d'une  chose  de  plusieurs  manières.  On  |ieut  se  représenter  sa 
nalure  ;  on  peut  aussi  s'en  forger  une  notion  [)lus  on  moins  arli- 
iirielle.  S'il  s'agit  de  la  nature  la  jttus  grande  que  nous  puis- 
sions nous  représenter  dans  son  caractère  propre,  cela  ne  nous 
mènera  pas  bien  loin.  L'homme  est  manif(>slemenl  cette  nature; 
nous  n'avons  la  connaissance  d'aucun  être  supérieui-à  l'homnn' 
que  par  des  analogies.  On  voit  immédiat(>menl  (|u'en  ce  (|ui 
conci'rne  l'homme  l'argument  n'a  aucune  portée. 

S'il  s'agit  de  l'idée  que  nous  nous  formons  qu'il  y  a  des  êtres 
supérieurs  à  l'homme  et  l'un  d'eux  supérieur  à  tous  les  autres, 
il  s'agit  d'une  idée  que  nous  avons  tirée  du  spectacle  des  êtres 
et  de  leur  hiérarchie  et  que  nous  nous  sommes  formée  par  le 
travail  de  notre  intelligence.  Alors  cette  idée  vaut  ce  que  valent 
les  considérations  qui  ont  comluil  à  lu  former.  Ce  smil  ces  con- 
sidérations (ju'il  famlrait  examiner  pour  apprécier  si  une  lelle 
idée  a  une  application  dans  la  réalité. 

D'ailleurs,  comme  nous  l'avons  remarqué,  saint  Anselnu' 
déclaïc  que  Dieu  est  plus  grand  que  nous  ne  pouvons  le  con- 
ceMiir.  Il  ne  serait  donc  pas  l'èlre  tel  qu'on  n'en  peut  concevoir 


:UG  I)f)MET  DE  VORGES 

un  plus  ^raïul,  mais  il  scrail  au-dossus  do  cet  èlre  par  sa  gran- 
deur inconcevable.  Dès  lors  comment  s'applique  l'argument? 
Si  on  veut  l'appliquer  à  l'être  le  plus  grand  qu'on  puisse  conce- 
voir, il  peut  èli'C  répondu  justement  i|ue  cet  être  n'est  pas  le 
plus  grand  en  réalité,  ce  qui  énerve  rargiiment.  L'argunu'nl 
est,  en  ellel,  fondé  sur  la  contradiction  de  coni-evoir  cmiime  le 
plus  grand  des  êtres  un  être  tel  qu'on  pourrait  en  concevoir  un 
plus  grand.  Si  vous  voulez  l'appliquer  au  Dieu  inconcevalile, 
on  répondra  non  moins  justement  que  ce  Dieu  n'est  pas  dans 
l'intelligence,  puisqu'on  ne  le  conçoit  pas.  Ainsi  disparait  la 
raison  qui  [tortail  à  conclure  qu'il  est  aussi  en  réalité. 

La  seconde  |iroposition  de  l'argument  est  équivoque.  Ct:  qui 
est  en  réalité  est  plus  qiu'  ce  (|ui  n'est  ([u'en  pensée,  dit  saint 
Ansehue.  Ceci  peut  s'entendre  de  deux  manières. 

Au  point  de  \ue  de  la  réalité,  ce  (|ui  n'est  qu'en  pensée  n'est 
rien,  c'est  un  pur  néant.  En  ce  sens  on  peut  très  bien  dire  que 
ce  (jui  est  en  réalité  est  plus  que  ce  qui  n'est  qu'en  pensée.  Le 
moindre  petit  passereau  qui  existe  est  plus  qu'une  perfection 
inlinie  (|ui  n'existerait  i)as. 

Mais  s'il  s'agit,  comme  dans  le  cas  présent,  de  prendre  un 
être  en  i)arliculier  au  point  de  vue  de  sa  nature,  de  sa  perfec- 
tion, de  sa  place  dans  la  hiérarchie  des  êtres,  alors  il  n'est  |)lus 
vrai  de  dire  que  l'être  qui  existe  est  plus  que  l'être  qui  n'est 
que  pensé.  C'est  le  même  être,  la  même  nature  qui  est  envi- 
sagée dans  deux  cas  différents,  comme  réalisé  ou  comme  sim- 
plcmeul  conçu.  Il  n'y  a  j)as  lieu  de  mellre  l'un  au-dessus  de 
l'autre  ;  il  y  a,  en  ce  qui  concerne  le  degré  d'élévation,  parfaite 
identité. 

L'existence,  selon  la  remarque  du  professeur  fîulberlet,  n'est 
point  une  perfection  à  proprement  parler,  c'est  l'état  des  per- 
fections réalisées. 

Cependant,  nous  admettrions,  malgré  le  H.  I*.  Fuzier,  que 
l'existence  nécessaire  est  une  i)erfection,  mais  en  ce  sens  seu- 
lement que  c'est  une  perfection  d'avoir  une  nature  telle  qu'elle 
soit  inséparable  de  l'existence.  Ce  n'est  pas  cette  nécessité  qui 
est  en  question  dans  l'argument,  c'est  le  fait  de  l'existence 
actuelle. 

Enfin,  quoi  que  l'on  puisse  penser  des  observations  qui  pré- 


LMu.iMEM-  ;)/•;  s.i/.vr  i.\s;:;.i/;;  :jr 

codent,  la  coiicliisida  est  ilU'-i;iliiiu-.  Elle  snullrc  du  sopliisnie 
appclr  ilans  rôirilc  :  ]i;\ssai;('  dr  ri>  (|ui  l'sl,  dit  rolalivcmrnt  à 
ce  (jui  csl  d'il  >iiiipliMii('nl,  //■ri/isi/iis  a  t/ic/n  sccniKlinii  ijukI  ad 
(Hcldiii  >iiiiiiiHtilfr.  De  vi'  (pii'  l'cMrr  Irl  (iii'dii  ii'i'ii  prui  cuncc- 
voir  un  Jilus  t;rand  doil  (Hrc  coiicii  cvisliuil,  nu  cniiclul  à  1  cxis- 
Iciu-c  acliudhv  On  passe  do  ri^xistonco  ndalivc  de  l'idijcl  pciisi' 
à  rc\isl('iirc  pure  (d  simiilr  de  l'cdijcl  ivid.  S;iiiil  '!'liiiiiiiis  a 
liicn  ndové  ce  défaiil  qui  vioic  proriiudémcnl  raii^umcnl.  Ou 
uc  pcul  passor  di>  l'nrdrc  idéal  à  l'ordre  réid  sans  s'appuyer  sur 
lin  l'ail  \-vr\.  I.'ar-unii'ul  de  sainl  Ansidiue.  Ud  (|u'ii  s(^  |n-é- 
seule,  pnmvei'ail  Innl  an  |>lns  que  l'tMre  le!  cjn'on  n'eu  peiil 
edueevnir  nu  pins  i;ran<l  doit  (Mre  conçu,  s'il  exisie,  comme 
exislaul  |iar  nainre,  nniis  il  ne  pnuive  nnlleuu'nl  ([u'un  lel  èlre 
exisie  en   l'ail. 

Voilà  p(inr  (|U(dles  raisons  nous  croyons  devoir  refuser  noire 
adliésidu  à  l'ariiiimeut  de  saiul  Anselme  et  le  considérer  comme 
uiu^  méiirise  de  ce  lieau  j^i'iiie.  Le  l'iiislixjiiiiii  ne  peu!  èlre  con- 
sidéré que  cdinme  un  résumé  ^\\\  MiiiKinii/iiini,  à  l'usage  de 
ceux  qui  en  ont  compris  les  enseignemenls.  Mais  il  n'est  pas 
une  démonslration  pour  celui  qui  n'admet  pas  la  philosopliie 
chrétienne.  Is(dé,  il  est  impuissant.  Uni  au  Monoliif/ium,  il  n'y 
ajoute  (|ue  de  très  li(dles  élévations  vers  Dieu.  Le  Moiin/nr/nn:, 
sufiit  à  la  gloire  du  saint  docleu.r. 

C"   DOMET  DE  VORGES. 


■20 


LA  JELAESSE  DE  SPINOZA 


I.     I.\     SVNMicMili; 


Les  iircniicrs  ('(rils  (|ui'  iiuiis  ayons  do  S|)iii(>/a  smil  1rs  deux 
lnvfs  (lialoiiui's  iiisrivs  dans  le  Cdiirl  Traili-  [2).  Ils  somlilrnl 
anlérii'iirs  à  >,i  rii|iliii'c  avec  la  Syna^oj^uo.  Ce  sanl  doux  cxor- 
cicc's  d'ccoiiiT,  iiicdiiiplcls  cl  assez  obscurs,  mais  doux  cliauclics 
précieuses,  venant  tluu  idiilosoplic  (|iii  a  peu  li\ré  sa  l'ai-ou  de 
composer  et  de  penser.  —  Ôuelle  avait  éti'  jusqu'alors  s;i  1"<ir- 
nialiiiu  inlelleclu(^lle    '-^  ? 

C'est  dans  le  quartier  juif  d'Amsierdaui,  à  l'ombre  de  la 
vieille  svnaun.i^ue    portugaise     'i   .   cpTil   faut   nous   représenter 


(1)  Extrait  de  liKxoir  he  Spixu/a  i;|ui  paraîtra  iirochainemcnt  dans  la  onllection 
des  Grands  l'hilosophes  (Alcax). 
(i    Partie  1,  c.  ii. 

(3)  Les  sources  prinii pales  pour  la  vie  de  Spinoza  sont  : 
t"  Les  Lettres  de  l^jiinoza,  l6f)l-ltoC; 

i-  La  l'réfiicc  de  ses  œuvres  posthumes,  attribuée  soit  à  Sciili.leu,  soit  à  Mi.veii 
et  Jarigli  .Ieli.es.  Amst.  IfiTl; 

:3"  l'.Avr.E  :  Dictiiinn.  ai't.  ^piiinzu.  Kotterd.  1G9"  ; 

4"  La  Préface  de  la  deuxième  é'iition  de  Clir.  Kortiiolt,  Oe  trilius  iinpostorilnis 
>nai/)iis.  Ilambourf,',  1"0U.  Cette  préface  est  du  fils  de  l'auteur,  Seb.  Kohthoi.t,  qui 
vint  recueillir  en  Hollande  des  traditions  orales; 

o"  La  Vie  de  Spinozii,  par  Jean  Colekls.  Anist.  170o.  Colerus  a  utilisé  les  Lettres. 
la  Préface  de  1(177,  et  Bayle  : 

6"  La  Vie  de  Spinozajiar  un  de  ses  disciples  (Lixas  —  ou  Lolckers,  —  ou  de 
.Saint-Gi.aix.).  Amst.  1719. 

Les  autres  textes  sont  réunis  dans  le  livre  de  M.  Kreidexteial  :  Die  Lebensfje- 
scliiclite  Spinosa's.  Leips.  1899. 

(4)  Celle  qu'on  voit  maintenant  a  été  bâtie  en  1670. 


L.\  .lElSKSSE  DK  S/'/.Vm/.I  :{|!) 

î>a  sérit-uso  jounossc.  Nous  av()ii>  la  vision  di^  ce  monde  icrmé 
cl  étrango  par  Homlirandl,  (jui  le  lianlail  vci's  rcltc  époque.  On 
imaaçine  les  salles  hasses  et  |)rot'undes,  les  éclairages  i'anlasli- 
(jiies,  les  lii/.arres  défroiiues,  les  alliliides  liil)li([iies  des  vieil- 
lards. L'église  d'Amsterdam,  l'nrmée  surtout  de  lidèles  et  de 
juarraïu-s,  (duissés  d'Kspagiie  eu  l'ortugnl,  et  de  Portugal  en 
Hollande,  élail  très  prospère.  (Ju  l'appelait  "  la  Nouvelle  ,lérn- 
salem  ■>.  Elle  était  moins  savante  que  celles  de  l'ologne  et  de 
Bohème,  mais  elle  était  célèbre  pour  son  orthodoxie  jalouse. 
Les  excommunications  y  ('laient  fréquentes.  Spinoza  put  con- 
naître \'v\A  (la  (  J)sta  qui  fut  «  extirpé  »  de  l'I'^glise  comme  épi- 
curien, en  Ki'ilt,  e(  qui  se  tua.  —  Une  sorte  de  Concordat,  conclu 
avec  le  magistrat,  renu'ttait  toute  autorité  aux  mains  de  syndics 
Israélites,  les  "  IMiarnassim  ».  deux -ci  ('laient  soucieux  des 
mœurs  des  fidèles  autant  que  de  leur  foi,  et  une  grande  ferveur 
régnait  ilans  la  communauté.  I''lle  avait  à  sa  tète  le  vieil  Isaac 
Ahoah,  patriarche  vénéré  et  redouté,  Orohio  de  Castro,  chargé 
de  l'apologétique  contre  les  chrétiens,  Manassé-hen-Israël,  pré- 
dicateur éloquent,  un  peu  illuminé,  un  peu  suspect  de  préférer 
la  Kahliale  à  la  Hilile  et  au  Talmud,  mais  grand  ca^ur  et  âme 
pieuse,  el  l'iiliu  Hahlii  Saul  Moiieira.  ([iii  lui  le  niailre  de  Spi- 
n(5za.  C'e>l  lui  qui  avait  distingué,  dans  une  famille  de  mar- 
chands, cel  enfant  méditatif  et  studieux.  Il  en  lit,  après  Mos('' 
Zacout,  son  (dève  [)référé,  et  l'éleva  pour  le  temple. 

Morteira,  VcMiitien  d'origine,  tempérament  hautain  et  domi- 
nateur, se  dislinsiuait  des  autres  ralihins.  En  face  de  l'école 
traditionnelle  et  mystique,  il  existait  une  école  d'exégèse  plus 
hardie,  qui  inlerprétait  la  Bilde  par  la  raison  (H  tendait  à  en 
<'xclure  le  surnalurel.  C'est  à  cdle  (ju'il  se  rattachait.  Cette  école 
l'emontait  au  (iiiitlr  des  liulrris  de  Maïmonide,  ouvrage  fameux, 
resté  suspect  aux  juifs  orliiodoxes,  dénoncé  souvent  et  mis 
plusieurs  fois  à  lindex,  conservé  néanmoins  par  des  raljhins 
philosophes  qui,  avec  le  même  esprit  rationaliste,  l'avaient 
interprété  à  son  tour.  La  méthode  ordinaire  des  philosophes 
juifs  dans  la  reclierciie  de  la  vérité  n'est  pas  la  méditation  per- 
sonnelle, solitaire.  Ils  prennent  un  texte  pour  point  de  départ 
et  ils  en  font  un  commentaire  de  plus  en  plus  approfondi.  Mais 
le  commenlaire  ne  reste  pas  sulxjrdonné  au  texte  :  il  le  dépasse 


320  Pall-Loiis  atlCHÛlI) 

cl  cl('vieiit  toxlo  h  son  tour.  C'esl  ainsi  tino  procédera  Spinoza. 
Il  pt'nL'lrera  la  Bible  d'aiiortl,  et,  plus  lard,  eo  seront  ses  pro- 
pres ouvrages  qu'il  réduira  aux  proportions  essentielles  et  qii  il 
approfondira  sans  cesse. 

Sous  l'intluence  de  Mortcira,  il  prit  en  dégoût  les  rêveries 
des  Katihalistes,  <<  ces  sottises  de  charlatans  »,  comme  il  les 
appellera  dans  la  suite  (I).  Il  s'émancipa  rapidement  de  l'auto- 
rité des  rabidns  :  il  vit  leur  ignorance  et  résolu!  de  ne  consulter 
que  lui-même  sur  les  diflicultés  de  l'Iù-ritui'e.  11  mettait  en 
U(de  tout  ce  (|ui  l'embarrassait  et  comptait  sur  ses  réilexions 
pour  en  tirer  la  liiuiière.  Il  ndul  de  ■celle  lacon  et  nii'dila  le 
Vieux  Testament.  Il  s"eil'or(;a  de  le  léduire  à  (juelquo  idées 
délinies  et  d'en  tirer  surtout  une  conception  de  Dieu  et  de  l'àme. 
Ou(d  lui  le  résultat  de  ses  réilexions?  Nous  en  savons  quelque 
(diose  |)ar  une  conversatinn  (lu'il  eut  un  Jour  avec  deux  de  ses 
amis  t2j. 

Il  vil  d'abiird  ni ppo>ili(in    entre   l'Iv-rihirc  l'I  le   système 

de  la  l\abi)ale.  (|ui  explique  toutes  choses  par  l'iulervention 
d'esprits  ou  de  démons.  I.a  Hible  ne  juslilie  pas  un  tel  système  : 
les  anges  dont  il  est  questinn  sont  des  visions  de  rêve,  des 
l'antômes,  tels  que  ceux  (]ue  .lacidi  vil.  en  songe,  monter  et 
descendre  l'échi'llc  du  ciel.  Us  n'ont  aucune  substance,  el  les 
Sadducéeus  ont  pu  nier  leur  existence  sans  être  exclus  de 
ri^glist).  Entre  riidnime  et  Dieu,  il  n'y  a  pas  d'esprits  intermé- 
diaires. 

Ou'est-ce  que  l'homme  lui-même'  Oue  doit-on  entendre  par 
l'àme?  Nulle  part  nous  ne  voyons  dans  la  Bilde  que  l'àme  soit 
immortelle,  mais  partout,  an  contraire,  ce  mol  est  pris  pour 
synonyme  de  vie.  L'ànu'  p('Til  avec  le  corps,  la  même  lin  attend 
l'homme  et  les  bêles.  Il  n'y  a  point  de  vie  future  à  attendre; 
il  faut  organiser  la  vie  d'ici-ljas  pour  elle-même,  car  elle  n'a 
pas  sa  lin  en  delioi's  d  tdie. 

Qu'est-ce  quo  Dieu  enfin?  L'I'Ariture  l'appelle  grand  et  iulini, 
el,  pour  n'être  pas  des  métaphores,  ces  m(ds  supposent  l'éten- 
due. L'étendue,  à  son  tour,  ne  se  comprend  que  pour  les  corps. 


(1)  Tr.  Ih.  piiL,  c.  IX. 

(2)  Vie  de  Sjiinoza  par  un  Je  ses  disciples. 


LA  .//,(  .v;;ss;-'  /)/•;  s/'/.vo/.i  3ei 

Dieu  est  (Iciiic  un  T'irc  curiinrcl  :  il  sr  ((inruml  avec  rimmoiisili> 
il  II  moiuk'. 

L'n  savant  rabbin  a  pensé  cnrurc  dr  nu-  jinir>  ([lU'  ers  idéos 
se  (i(''i;a«;f'nt  de  rAiicini  Tcslamonl  1  .  l'.llcs  ilovinrenl  pour 
Spinoza  «'  dc's  principes  à  l'aide  desqmds  il  se  lit  jour  à  travers 
tons  les  nuages  »,  des  sortes  de  dosjmes  qn'il  compléta  et  appro- 
fondi! plus  lard,  mais  (|u"il  ne  renia  pas. 

Après  la  liilde,  il  lui  le  Talmnd,  dont  léludi'  semble  avoir 
été  néf;lit;ée  à  .\mslerdam.  11  passait  pour  un  livre  diflicile  et 
prolViud.  Spiuo/a  b^  trouva  clairet  insifj.niliaul.  Il  ne  s'y  arrêta 
i;uère,  réservant  toulet'ois  d'en  porter  un  jui;emenl  délinitif. 

11  étudia  aussi  les  u-nvres  des  philosophes  juifs.  Deux  sur- 
tout semiileul  avoir  aiii  sur  sa  pensée,  Mosé  Maïniouide  et  l.é'ou 
Hébreu. 

De  .Maïmonide  deu\  ouvrages  étaient  célèbres.  I.'nn  est  un 
traité  de  philosophie  et  de  théologie,  le  Gidde  di-s  Indécis; 
l'autre,  une  sorte  de  traité  de  morale,  divisé  eu  huit  chapitres, 
et  qui  sert  de  [U'éface  à  son  ConniifiitdiiT  de  la  Misiia.  Spinoza 
connut  certainement  le  Giiidf  di's  Indrcis  (2l,  mais  ce  ne  fut 
guère  que  pour  le  réfuter.  Il  en  rejettera  presque  tout,  la 
théorie  de  la  |)rophétie  et  celle  du  miracle,  celle  de  la  Création 
et  celle  de  la  Providence,  l'aftirmation  de  la  liberté  humaine 
et  l'idée  cssenlieHe  qu'on  ne  peut  donner  à  Dieu  aucun  attribut. 
11  fut  probableiueul  plus  frappé  par  un  adversaire  de  .Maïmo- 
nide, et  nn"'me  d'Aristote,  llasdaï-ben-Creskas  f.'ls  dont  il  parait 
bien  avoir  connu  le  curieux  détei-minisme.  Ha  revanche,  il 
semble  avoir  pris  toute  la  morale  de  Mai  numide,  morale  ori- 
ginale qui  donne  pour  lin  suprême  à  la  vie  la  perfection  de 
l'intelligence,  l'our  atteindre  cette  tin,  il  ne  faut  pas  renoncer 
aux  plaisirs,  c'est-à-dire  à  la  satisfaction  des  désirs  et  des  pas- 
sions. Il  suftit  de  les  ordonner  par  l'hygièni'  du  corps  et  le  bon 
gouvernement  de  la  vie,  de  façon  à  rendre  possible  la  liberté 
<\c  l'esprit,  nécessaire  pour  arriver  à  la  connaissance  de  Dieu, 
l.a  vie  contemplative,  sans  ascétisme,  tel  est  l'idéal  de  Spinoza. 
Les  Dinldi/iirs  d' 111110)1  r  i\o  .Iiula  Abravanel  ou  Léon  Hébreu, 

(H  .\l.  Weill  :  Moise  et  le  Tulmud.  Paris,  1864. 

,2   U  l'avait  dans  sa  Bibliotlièque.  Iiiveilaire,  éd.  v.\N  Uoijijen    I8;i9),  p.  Vil. 

(i)  11  le  cite,  l.etlre  2!l. 


PAUL-LOL■I^    COICIIOL'I) 


Dlalii- 


piibliés  en  l.").'i."),  avaient  révrlé  aux  Jiiiis  la  iihildsopliie  | 
nicicnne.  Spinoza  en  possédait  une  Irailuelion  espat^nole  (11. 
(l'est  d'euxque  viendra  rimportanee  qu'il  donnera  toujours  à 
l'amour.  C'est  là  qu'il  prendra  la  lliéorie  de  l'amour  de  Dieu 
pour  lui-même,  de  Dieu  pour  les  hommes  cl  de  l'homme  pour 
Dieu,  l'étude  minutieuse  des  causes  de  lamotir,  la  distinction 
de  l'amour  et  du  désir,  et  celle  de  deux  amoijrs,  l'un,  sensuel 
(|ui  liait  du  di'-sir,  i'autri',  intelleclurl  (|ui,  au  contraire,  enten- 
dre le  désir.  11  n'eu  tirera  pas  seulement  cette  psycholoi;ie  suh- 
lilc,  mais  aussi  la  conviclion  que  la  lin  de  l'homme  est  tout 
autant  la  iiertectiou  de  l'amour  (pu'  la  ])ci-i'ecLion  de  l'iiiielli- 
ticnce. 

La  connaissance  ([iie  Morteira  lui  avait  donnée  de  l'italien  lui 
ouvrit  aussi  les  univres  des  philosophes  de  la  lieuaissance,  ces 
systèmes   liardis  et  poétiques  qui   sont  comme  l'ivresse  "de  la 
|)ensée  spéculative.    Il    lut   vraisemhlahlement   le   dialogue   de 
(iiordano  IJruno,  l>r  la  Causa,  P/-lii(  ijiio  r  l'/m,  puldié  eu  l.'iS'i. 
Ses  deux  essais  de  jeunesse  en  sont  tout  pi'uéii-i's.   11  y   Irouva 
la  distinction  du  »  principi>    «   interne   des   choses,    et   de   leur 
M  cause  »  extérieure,  c'csl-à-dire  de  leur  essence  intell igihie  et 
de  leurexistence  particulière,  de  ce  qui  déliniluu  homme  en  soi, 
et  de  ce  qui  l'ail  ([ue  lel  homme  <'xisle  à  tel  moment.  Il  s'inspi- 
rera de  la  théorie  inu;énieuse  par  laquelle  Bruno  explique  pour- 
(|uoi  "  tout  homme  est  dans  cha((ue  moment  tout  ce  qu'il  peut 
èire  dans  ce  inonieul   |irécis,  mais  n'est  pas  lout  ce  ipi'il  peut 
être  en  soi  et  selon  sa  substance  \2)»,  ce  (pii  est  le  prohlème  des 
existences  particulières.  Ce  sont  les  dii'licuUés  du  système.  Spi- 
noza en  retiendra  l'idée  originale  que  lout  est  pénétré  d'inlcd- 
ligence,  et  que  c'est  l'intelligibilité  d'une  chose  qui  en  est  la 
véritable  cause,  la  cause  <■  intérieure  »  où  se  confondent  cause 
et'licienle  et  caus(>  linale.  Il  lui  gardera  surtout  le  postulat  der- 
niei'  (|ue  .'    le  liul  uiènie  de  la  |)hilosophie  est  la  connaissance 
de  l'unilé  des  choses  C-h  ».  La  substance  du  monde  est  unique, 
éternelle,  immuable  ;  en  elle  se  eonrondeut  l'ordre  des  essences 

4 

(1)  liH-eiilaire  de  sa  Hibliotli'eque,\).  Ij2.  —  U  a  pu  cnnnailre  aussi  le  platonisiiKv 
par  saint  Auirustin  'Invent.,  p.  L'ili. 
(!)  Dp  laCaiisii,  c.  m,  pe  Laoafihe,  p.  iM). 
(;j)  IbUL,  c.  IV. 


;.  i  .ii:rM:ssE  ni-:  .s/'/.vo/.i  323 

cl  rnrdiT  dos  ('xislciRo,  li'>  piiiicipcs  oL  les  causes  ;  clic  enve- 
loppe loules  les  formes  possibles  comme  le  germe  conlienl  la 
plante.  •  Lorsque  les  mcnilires  se  dessinent  et  se  constituent, 
il  ne  nail  pas  une  sul)staiice  iiunveH'e,  il  se  consomme  un  cvé- 
nemenl  déjà  acci)ni|di  I  .  I!ieu  n'existe  qu"en  elle.  "  Onaiid 
un  rci^arde  un  liiiinine  individuel,  un  ii'apei'euil  pas  une  >iili- 
stance  parliculièrc,  on  en\isai;c  la  substance  sniisdes  traits  par- 
ticuliers :2:.  »  Les  impressions  qui  nous  viennent  des  choses 
sont  comme  des  sons  musicaux  disséminés:  il  laul  les  nnilli- 
plier  et  li's  fondre  atin  d'entendre  riuirmonie  qu'ils  composent. 
l)ans  un  autre  dialoiiue  de  Bruno,  publié  la  même  année  |3), 
S|)inoza  i)ut  ;.;onter  le  sentiment  lyrique,  nouveau  encore  pour 
l'e-pril  Imniain.  de  la  profondeur  inlinii'  du  monde,  ce  senli- 
ment  qui  encliantail  cl  elVrayail  Pascal,  cl  il  put  connaître  la 
joie  et  presque  le  délire  qu'il  donne  à  l'âme  qui  en  est  pleine.  Ces 
lectures  italiennes  furent  sans  doute  la  poésie  de  sa  vie  cléricale. 

C'est  l'impression  de  ces  études  de  jeunesse  qu'on  retrouve 
dans  les  deux  essais  dialogues,  écrits  pndjablement  vers  cette 
époque,  el  insérés  plus  tard,  sans  grand  à  pr<q)Os,  dans  le 
Cmir/  Triii/r.  Ils  ilevaicnl  faire  partie  d'une  u-uvre  plus 
ét<'iidue  :  on  y  trouve  des  renvois  à  des  développemenis  qui 
manquent. 

Le  premier  est,  dans  la  forme,  une  imitation  de  Léon  llél)reu. 
Dans  les  Dialoyiirs  (Vnmour,  l'amour  est  père  du  désir,  iils  de 
la  raison  et  de  la  connaissance.  Pour  mettre  en  lumière  ces 
rapport-,  Spinoza  fail  de  l'Amour,  du  Désir,  de  la  Raison  et  de 
la  Connaissance,  quaire  personnages  par  lesqucds  il  remplace 
les  deux  amants  ré(ds,  Pliilon  et  Sophie.  Le  sujet  est  la  dispute 
de  l'Amour  entre  le  Désir  el  la  Raison.  Le  Désir  olfre  à  l'Amour 
des  objets  uiulliples,  la  Raison  un  unique  objet.  Le  débat  est 
de  savoir  si  la  réalité  est  multiple  lUi  une,  si  la  Nature  est 
composée  de  plusieurs  substances,  ou  si  elle  est  une  Substance 
uui(iue.  Il  est  tranché  à  la  façon  île  Ciordano  Bruno.  Ce  (|ni 
(Mupèche  de  voir  l'unilé  de  la  Nature,  c'est  une  fausse  idi'c  ih^ 

(  1  )  De  ia  Causa,  c.  v. 

(2)  Ibid. 

{'M  De  l'hifiniln,  Inivefso  <•  Moitcli. 


:j2i  Paul-I.olh  COUCHULI) 

lii  ciuisc.  Le  Désir  rinia^iiic  «  transitive  ».  11  s'arrête  h  la  dis- 
liiiilidii  de  rinlellecluel  el  du  corporel,  parce  qu'il  ne  [)eut  pas 
leur  vuir  une  e;iHse  transitive  commune.  La  Raison,  an  con- 
trnii'c.  les  rapporte  coninu'  ntlriliuts  à  une  suiislanei'  unique 
pane  (|u"elle  coni;oil  la  cause  comme  ..  immanente  »  à  ses 
ell'ets.  Dans  ce  petit  écrit  se  marque  déjà  le  caractère  propre  do 
la  pensée  de  Spinoza,  son  extrême  condensation.  Déjà  s'y  trouve 
posée  la  (|ueslion  d'où  sortirai  >a  |)liiliis(i|)liie  morale  :  iù\  doit 
aller  notre  nmour.' Dans  le  sens  du  désir,  nu  dans  cidui  de  la 
raison?  Lt  l'un  pressent  l;i  réponse».  Le  d(''sir  doit  être  repoussé, 
parce  qu'il  mène  à  une  fouisse  conce[ilinii  des  ciioses.  à  une 
])liilosiq)liie  ireireiii-.  La  |diil()S(q)liie  vraie,  IVuulemeut  du  Imn- 
lieur,  c'est  tout  le  spinn/isme.  (à'  court  DiiiIo>;ue  en  esl  cnuime 
une  annonce  obscure  ou  un  premier  oracle. 

Le  second  Dialogue  est  plus  explicite  et  plus  important.  On 
\  trouve  déjà  formée  une  des  idées  maîtresses  de  Spino/a.  qui 
i-eslera  à  la  itase  de  sou  ('dilice  int(d!(M'[uel.  VA  si  l'un  doit  se 
-crvii'.  |iiiui'  lu  ciimpri'uiire ,  i|e>  diA  tdnppenu'ul-  quelle  eut 
dans  la  suile.  c(da  [)rovicnt  de  la  concision  liu  texte,  mais  Spi- 
no/.!i  l'avait  dès  cette  époqiu'  roriemeiil  cnucue. 

La  l'iuine  de  cet  écrit  esl  empruut(''e  à  (iinrdann  lirunn.  Tliéo- 
pliile.  qui  d(''sit;nait  le  piiilosnplie  lui-uK'ine,  s'y  retrouve  et  a 
pour  iiilerldcuieur  lù'asnu' ([ui  lient  le  n'dedu  Désir  (1).  Le  sujet 
est  de  préciser  l;i  n(dion  d<>  ■■  cause  immanente  ».  Cotte  m)lion 
lui  irrhiincnienl  cnirevue  par  iSruun.  lUiii-  Spiiin/:i  l'éedaircit 
et  se  la  rend  |uopre.  fi'esl  uni'  expressiiui  de  théidogiens.  qui 
désiiiiu-  la  l'ai-on  dnnt  Dieu  est  cause  de  soi  ;  elle  s'i>j)|)nise  à  la 


'!r 


façon  .<  transitive  »  dnni  il  est  cause  do  ses  croatiwes.  Théo- 
l)liile  s<iutient  (jiu-  cette  (q)piisilion  n'est  pas  fondée,  el  (lue 
Dieu  est  cause  du  uuïude  de  lii  même  ïanm  que  de  luiMuême, 
(jn'il  en  est  <(  cause  imuunieuir  •'.  Dieu  est  intérieur  au  monde. 
l'eul-(Ui  dire.  a\ec  l-^j-asme.  que  le  mnnde  s'iijoule  à  lui  el  aui;- 
menle  smi  essence?  Xon,  le  i-apport  des  choses  à  Dieu  doit 
êlre  <'onçu  de  la  même  manière  que  le  rapport  des  idées  à  l'es- 
pril.  L(>s  idées  ne  s'ajoutent  pas  à  l'espril.  elle;,  le  constiluent. 
On  peut  diiT.  indilleremmenl.  (|iu'   l'opril    les   forme  ou  (|u'il 

(1)   '\ip-j.TJ.rj;.  Desideriiis. 


L.\   .IhJWKSSE  /)/•:  SI')\(>/.\  M'\ 

• 

est  inrnu'"  par  elles,  car  il  ne  s'ai;il  pas  (i'im  rappurl  île  cause 
à  ellVt,  mais  il'iin  rapport  (rinliéivnce  oii  d'iiilérinrilé.  Los  idées 
b'oiil  rexiérieiir,  l'esprit  esl  le  Inrid.  l>e  nièiiie.  Dieu  esl  l'iii- 
Ume  de  l'univers.  Les  choses  ne  peuvent  pas  aceniîlre  son 
essence,  car  elles  ne  lui  sont  pas  étrangères.  Il  siil'lil  de  les 
pénétrer  puni'  s'approciier  de  lui. 

Théophile  marque  l'importance  morale  de  celte  doctrine. 
Dieu,  n'étant  plus  transc(Mulant,  n'e^t  plus  inaccessihie.  (^omnie 
il  est  éternel,  tout  ce  qui  (hqiend  de  lui  immédiatement  parti- 
cipe de  son  l'iernité.  Si  je  veux  moi-niiMne  rendre  étern(d  mou 
<:s[iril.  il  s'agit  de  le  l'aire  dé|iendre  élerncdlement  de  Dieu. 
Tontes  les  idées,  sans  doute,  (|ui  composent  mon  esprit  dépen- 
<lent  ininUMliatement  de  Dieu  pour  leur  <<  essence  »,  c'est-à-dire 
pour  leur  possihilité,  mais  leur  ■<  existence  ■<  actuelle  dépend 
de  modilications  particulières,  l'éducation  que  je  reçois,  les 
i-onversations  auxquelles  j'assiste,  les  voyajies  que  je  fais. 
Une  seule  est  privilét;i(''e,  l'idi'e  même  de  Dieu.  Elle  se  produit 
sans  intermédiaire.  ■  Dieu  est  coniui  par  lui-même.  ..  L'idée 
<le  Dieu  dépend  immédiatement  de  Dieu,  (l'est  à  elle  qu'il  tant 
me  rattacher  ;  travailler  à  me  rendre  éternel,  c'est  tiavailler  à 
acquérir  une  idée  claire  de  Dieu.  .Mais  à  ((uoi  reconnaîtrai-je 
que  j'y  suis  arrivé?  A  ce  qiu^  nnm  amour  cessera  de  se  disj)erser 
et  que  je  me  sentirai  uni  à  Dieu  de  manière  (juil  me  soit  im- 
possihle  de  rien  aimer  (jne  lui.  Ce  sont  les  progrès  de  l'amour 
(|ui  révèlent  les  progrès  de  l'intelligence. 

Tels  sont  les  témoignages  qui  n(Uis  restent  des  nuMlitalions  de 
jeunesse  i\o  S[)inoza.  11  faut  y  voir  le  premiei- je!  d'une  pensée 
déjà  personnelle.  Plus  tard,  dans  le  Cmi/'/  Trai/r,  elle  s'enri- 
chira de  connaissances  nouvelles  ;  puis,  dans  VElhi/juc,  elle  sera 
<lév(doppi''e  minulieusement,  le  détail  sera  éclairci  et  le  progrès 
\\\\  <liscour>  mis  en  saillie,  mais  l'àme  est  là.  —  Faut-il  })arler 
de  mvsticisme  .'  Oui,  si  ce  mot  s'applique  à  une  communica- 
timi  directe,  à  une  union  intime  avec  Diim.  Non,  s'il  implique, 
i-nmme  il  est  certain,  un  Dieu  persiunud,  sensihle  au  co'ur, 
|)ar-delà  l'intelligence.  Ici  l'homme  s'unit  à  Dieu,  mais  ce  n'est 
pas  par  un  état  de  grâce,  c'est  par  une  idée  pure.  Et  l'amour 
ne  dépasse  pas  la  connaissance,  il  en  est  l'autre  face.  C'est,  si 
l'on  vent,  le  mvsticisme  de  l'enteiulement. 


32li  PuL-LoLis  COUCHOL'D 

A  viiii;i  ou  vini;l-(l(Mi\  ans,  Bariich  de  Espimiza  (I)  était  on- 
coro  vin  Irvito,  nourri  Jans  la  Synagogue  et  pour  elle.  H  lisait 
l't  méditait  jjeaucoup,  mais  il  (''vitait  de  converser.  Ses  mœurs 
étaient  irréprochables.  Cdiiinie  il  se  livrait  peu,  une  sorlo  de 
res|)ect  l'entourait.  Il  passait  pour  avoir  une  grande  science  do 
la  Bilile  et  quelques  connaissances  élraugères.  I.es  éludes  théo- 
logiques avaient  été  la  base  de  sa  formatiiui  intellecluelle.  (".oni- 
menler  librenienl  la  IJilile,  èli'e  un  l'aidiin  ('•ilair('',  de  la  famille 
de  MaïUKinide  et  de  Uasdaï-lieu-lh'eskas,  plus  profond  qu'eux, 
peut-élre  ai'issi  plus  allaclié  aux  questions  de  morale,  seniblail 
devoir  être  sa  deslini'-e.  La  philosophie  italienne  lui  avait  ou- 
\rrt  l'esprit  aux  joies  de  la  pensée  spéculative,  mais  il  lui  man- 
(|uait  la  couiiaissance  du  latin  pour  entrer  dans  le  courant  des 
idi'es  conlemporaines.  Ap[)rendre  le  laliu  élail  s(in  jjIus  grand 
di'sir.  Mais  auciiu  des  rabiiiu^  ne  pouvait  le  lui  enseigner. 
Manassé-beu-lsrael,  le  seul  d'eutre  eux,  seuil)le-t-il,  (|ui  l'ail  su, 
élail  ahirs  en  mission  auprès  de  (Ironiwell.  Si  l'iîlglise  d'Amster- 
dam eût  ('II'  plus  savante  cl  moins  intolérante.  i)eut-ètre  Spinoza 
eût  pu  ne  pas  se  séparer  d'elle.  On  peut  dire  qu'il  ne  s'en  sé- 
para jamais  d'cspril.  Après  son  excommunication,  il  continua. 
nous  dit  son  biographe,  ri  respecter  les  règles  de  la  loi  sur  le 
lrav;iii  niaiiuel.  Sou  Trai/r  r/r  Tliriihiii'tr  cl  (Ir  Pdlll niiir  tut 
une  protestation  conti'e  son  expulsion  de  l'Iiglise.  Il  y  délinit 
son  idéal  de  rabbin  philosophe  et  umutre  que  «  la  liberté  de 
|diiiosopher  n'est  pas  incompatibl(>  avec  la  piété  ».  Il  ne  délaissa 
januiis  le  rabbinage  et,  jusqu'à  la  lin,  il  s'occupa  d'une  u'uvr<' 
rabbiui(|ue,  celle  du  «  largoum  »,  la  traduction  d(^s  Livres  Saints 
eu  langue  vulgaire  (2). 


<:oNvi:i!Si()N 


Dans  les  jn-emiors  traites  de  Spinoza,  les  Cor/ilald  iwluphii- 
s'ivd,  le   CuKii  Traitr,  le   De  Inlcllrclus  Eincmldlidiir,  se   mar- 


(1)  ISciiPi/ ictus  lie  Spinoza  est  la  transcription  l.itine.  Espinosa  est,  comme  on 
sait,  le  nom  de  plusieur.s  peintres  espagnols.  Kspinoza  est  la  forme  portugaise. 

(2)  Coi.EBf?,  Snissel.  p.  38. 


I..\   .IIJSKSSr.   DE  Sl'IMi/.A  m 

(|ii('rii  mil!  (loiil)l('  iulliiciici',  rclli' (les  (li('(i|iij;i(Mis  (•lirélicus  (1) 
cl  l'cllo  de  Descartes,  (l'csl  le  Iniul  de  pcnsiT  des  Uia/ogiics, 
('diirt;i  par  des  Icchircs  hiliiics.  forlilii-  ^m'Ioiil  |i:ir  imo  protniidc 
crise  morale. 

i'niii'  apprcndic  le  laliii,  Spiiiu/a  a\ail  (■■l('  (ddi^i''  de  (|Millei- 
le  (jnarlier  juif,  lu  (•('■lèhre  Mii'deciii,  iM'niis  vaii  deii  l'jide,  I  eii- 
seiyiiail  alors  aux  lils  des  riches  ixiiirj^cois.  Il  (Hail  ca[liidi(|ue 
(II'  nom,  au  l'oiid  liiire  |ieiiseiir  cl  mcl(''  à  la  poliliqiic  la  plus 
avaucé(>.  Sa  r(''piMilriçc  élail  sa  lille,  Claire-Marie,  exccilenic 
liilinisle,  point  lorL  helle,  paraît-il,  mais  pleine  d'esprit  et  d'en- 
joùmi'iil;  elle  enseignait  aussi  la  miisicjuc  de  <  liamlire,  dont  le 
goùl  commençait  à  se  répandre.  La  maison  de  \an  den  lùule 
l'Iail  l'orl  eu  voi;ne  cl  le  docicur  (''(ail  ai-i-aldi'  de  Iravail.  Spinoza 
sepi'éscnla  chez  lui,  et  oldint  d'y  être  l'ccii  «  au  pair  >■,  connue 
second  répélilenr.  Il  passa  ainsi  deux  ou  Irois  ans,  moitié  a ppre- 
nanl  le  latin  el  nioiiii'  l'enseignant. 

C'est  la  période  nnuidaine  de  sa  vie.  Il  prit  contact  aM'c  la 
société  hollandaise,  avec  ces  gens  discrets  et  lins,  qui  ne  nu'I- 
lent  rien  en  facad(>  mais  sont  épris  de  luxe  intime.  I.a  vie  élail 
alors  tout  emliauuiée  d'ari.  l-'rans  liais,  toujours  (hdioul,  iiem- 
lirandl,  Terliurg.  Cuy|),  Oslade,  van  der  Ilelsl,  étaient  dans  leur 
vigueur.  Paul  l'olier  M'iiail  de  mourir,  l'^t  d'autres,  ru's  dans  lit 
même  génération  que  Spinoza,  commençaient  avec  lui  leur 
gloire,  Ruysdaél,  Jean  Sleen,  van  de  V(dde,  el  les  deux  jumeaux, 
Jean  ver  Meer,  Pierre  de  Hooch.  Il  y  cul  là  vingt  années  nni- 
(|ues.  Spinoza  ne  resta  pas  étranger  j'i celle  révélation  de  beauté. 
Il  dessinait,  et  Colerus  rapporte  (|u'il  l'aisail  de  torl  helles 
es(|uisses  à  la  plume,  rcdiaussées  de  fusain,  ou  [dus  prolialde- 
nu-nt  de  sépia.  Plus  lard,  à  Voorhnrg  et  à  La  Haye,  il  prendra 
pension  chez  des  peintres  (2),  el,  à  sa  mort,  ou  Iroiivei'a  dans  sa 
(diamlire  aulanl  d'eslamiies  que  de  livres. 


(Il  Cin  reoonnait  surtout  l'iullucnce  des  jeunes  scolasli(.|ues,  en  grande  vof;ue 
alors  au.\  Pays-iias,  Suarez,  Marlini,  J.-C.  Scaliger,  Toletus,  Pereira,  Eustachius 
et  les  Coïmbrois.  L»s  professeurs  pruteslanis  liurgersdijok,  llccrebcport,  s'en  inspi- 
raient beaucoup.  Les  Co;/Ualii  metapliysiia  sont,  en  partie,  dirigés  contre  eux. 
iVuy.  1''rel'DENTiiai.,  Sjy.  uiut  die  Scholaslil;.  dans  les  Ph.  Aufsiilzc  du  Jubilé  de 
ZcuW,   ISSI.) 

ri)  Daniel  Tydcman  el  Henri  van  der  SpijcU  !Vax  Vi.oten,  .!</ .'^/j.  op.  xu/ipkm., 
p.  :'.'JS,  —  et  Bavi.e,  an.  S]j'ui(i:ii<. 


32H  l'AUL-LoL-i^  COL'CHOrD 

11  ne  se  (lésiiitércssii  pns,  nun  plus,  ilo  hilles  polili(|ues.  1-e 
coup  (rKlnt  (in  prinii'  (r(lnuit;i'  venait  d'échoner  tievani  l'In''- 
ruïqne  résislaiice  des.l)oni:;eois  d'Amsierdam  (KiriO).  Plus  lard, 
<juand  ^randii-a  le  ni(iu\ cnient  de  réaetion  mililaire,  Spinoza 
restera  "  nu  Imui  répuidii-aiu  ».  Il  sera  l'ami  du  (ii'and  l'ension- 
naire.  Le  jour  de  son  assassinat,  (Ui  le  verra  eoninu'  all'olé, 
pleurant  et  voulant  aller  llétrir  la  populaee  (Ii.  —  Mais  à  la 
laide  de  van  dcn  l'onde,  il  dut  avoir  les  oreilles  pleines  des- 
projets de  e<'l  aventurier  (|ui  devait  linir  sa  vie  eu  France 
ilaus  une  téiu'lireuse  eonspiraiiou.  lùit-il,  lui-même,  de  folles 
auihitious?  Il  se  dessiuail.  nous  dit-on.  sons  les  traits  de 
Mcisani(dlii.  dont  l^drani^e  destinée  venait  d'i'Uicrvcilli'i-  l'I'ji- 
l'ope. 

Il  ntuis  l'ail  ruli'udre  eu  Imil  fa<.  dans  le  l>f  Kinciidiiliuhr, 
le  plu-i  personnel  de  >(•>  (iu\i'a;,;es.  ([n'i!  l'nl  si''duil  |iai'  la  vie 
inondainc.  pai'  nue  \ic  i'n[oui-(''c  de  luxe  délicat,  d'un  peu  de 
_<;loire  el  de  vidu|)lés  lincs.  Il  avait  lionne  f;ràee,  rien  d'un 
pédani,  tout  d'un  honnête  liouime.  Son  poi'Irail  \'1\  le  nniuti'e 
avec  le  visage  d  uiir  linesse  rare,  le  teint  mal.  une  ednjoni  lion 
s|)iritu(dle  des  yeux  cl  de  la  liouidu^,  un  air  d'aisaiiee  aristocra- 
ii(iue.  Il  demanda  la  main  de  la  iille  de  son  maître.  —  Il  l'ut 
r<'p(Uiss('.  —  Il  du!  seiilir  doulonreu-iMueul  l'is(dcm('ul  i|ui  lui 
venait  de  son  orii;iu('. 

lui  mènn^  lemps,  il  lui  tmiclié  des  première^  lirùlures  d'une 
])litisie  liéi-édilaire  ';!i.  (l'élail  sa  vie  l)ornée  et  le  premier  con- 
tact dr  la  morl  jirdrliainc.  Ses  n''llexions,  comuu'  (-(dlcs  de  l'as- 
cal,  eu  lurenl  cerlainenu'ut  hâtées.  Il  s'agissait  d'atteindre  sans 
retard  ri''lei'ni(i''.  l''l  (|uaud  mènu'  il  ne  serait  pas  sûr  (|ue  la  vie 
éternelle  l'ùl  possilde,  il  lallail  la  chercher  encore.  "  l'n  malade, 
attaqué  d'une  maladie  mortelle,  rassemhle  toutes  ses  forces 
p(mr  chercher  un  remède  sauveur,  quoiqn'incerlain  s'il  paf- 
viendra  à  1(>  découvrir  ('i  i.  »  La  mort  est  certaine,  et  le  seul 
es|)oir  d'un    hieu  peut-être   élerucd   doit   l'cmiiorler  sur  la  ré'a- 


(1)  .Noie  inédite   de   Leibnilz  a  la  Bihiiolli.   de   Hanovre,  ritce   par   I-".tciieii   us; 
Caheii..  (l\ê-l'.  de  Sp.,  pur  Leibii..  p.  i.xiv.)- 

(2)  En  frontispice  du  tome  11  de  l'édil.  in-8",  Vanu  Vi.otex  et  L\Nn. 

i3,  Deuxième  lettre  de  ScluiUer,  dans  Stei.N'  :  L'ibnilz  ii.  Spinoza,  p.  2'<''>. 
(l)  De  Eiitenil.,  Vers  le  début. 


l.\..IFÂ:XESSE  DE  SI'l\(i/.\  :i2ï> 

Mil'-   (le   biLMis  (•crlMiiicmi'iil  iiérissaMcs.    ('.  csl    le    |Kiri    dr   l'as- 
cal    Iransporlc''  du    bien    de    laulrc   vif    à  çrliii   de   la   vie  j)n''- 

Sl'lllc. 

I,a  s\  naiidtiuc  ciiliii  tiniiidait  coiilrc  lui.  Il  avail  rompu  iiii" 
pri'iiiirri'  fdis  avi'c  l'Ilo,  sur  uul"  réponse  ca\*aliL'iv  l'ailo  à  ^Inr- 
(rira.  (|ui  Ir  imnaiail  d'excommunication  (1 1.  L'animosilé  avait 
uiaiidi  paruii  1rs  lidMcs.  l-'lle  alla  niômc  jusqu'à  un  attentat 
sur  >a  pi-rsounc,  uni'  iiuil,  au  sortii'  du  Ihéàtre.  On  lui  en  vou- 
lail  de  vivre  hors  de  la  nimmunauli''  l'I  île  ne  pas  tenir  d'elle 
SCS  l'essources.  (lu  lui  nllVil  une  pcii^inn  1res  élevée.  11  refusa. 
Aloi-s  Isaac  Almali  fnluiina  cnnlre  lui  la  iiraude  exconimuuica- 
tiou  '■  Scliamnialiia  ".  celle  (|ue  prononce  toute  réirlise  asseui- 
Idée  cl  qui  prive  à  jamais  du  secuui-s  des  liouimes  cl  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  Puis,  pour  le  rejeter  de  la  ville  mèuu' 
d'.vmsterdam,  les  «  Pharnassim  »  implorèrent  l'ajjpui  des  mi- 
uislres  lutiiériens  et  dérobèrent  enlin  aux  niai;istrats  une  sen- 
Icnce  d'exil   de  i|uelques  mois  (Kl.'ili). 

(^etle  tempête  arracha  diMinitivement  Spinoza  à  ses  espi'- 
i-auces  mondaines.  Forcé  île  renoncci'  aux  vidu|ilés.  à  la  répu- 
laliou,  aux  richesses,  il  lit  réilexiou  (|ue  ce  sont  là  des  hieus 
l'quivoques .  moins  encore  la  volupli'  qui  es|  une  oscilla- 
tion tie  jouissance  et  de  regret,  que  le  désir  de  gloire  et  de 
riciu.'sses  qui  n'admet  pas  de  relâche  et  assoilTe  l'ànie  indé- 
liuiment.  H  se  mit  en  qiuHe  d'un  bien  »  qui  puisse  emplir 
seul  l'âme  tout  entière  et  qui  lui  donne  le  suprême  et  éternel 
lioniu'ur  \'2)  ».  Il  dirigea  sa  vie,  nous  dit-il,  ■■  suivant  une 
nouvelle  règle  ■  et  recnnnut  que  ce  n'i'tait  |)ossilile  qu'à  con- 
dition de  rompre  avec  les  hahitudes  communes  des  hommes. 
La  vie  singulière  à  huiuelle  il  était  conli'aint  devenait  la 
condition  de  sa  liherté  d'esprit.  L'enclialnemenl  fatal  des  évé- 
lUMnents  s'était  trouvé  d'accord  avec  l'ordre  légitime  de  ses 
pensées. 

Il  n'atteignit  pas  d'un  simiI  i-oup  le  Imnlieur  espi''i-t''.  Il  n  eut 
d'aliord  (jue  des    nmmeuts  de  consolation  ..   rares  et  de  courte 

A)  «  Pour  me  reconnaiire  de  vos  bontés,  voulez-vous  que  je  vous  apprenne  le 
rituel  dexcoiuuiunication  ?  <>  {  Vie  de  Spinoza  fjar  un  de  ses  disciples.) 
(2)  De  Emend. 


SM  Paul-Louis  COICIIOL'D 


(liirûe  '>  ;  mais  jirii  à  pou  ils  devinrciit  <>  plus  lon^s  et  plus  tVi'-- 
(lut'iits  »  jusqu'à  ce  (juc  sa  nalure  se  IVil  Inul  cnliôre  transfor- 
mée en  une  «  nature  supérieure  ».  Il  revint  alors  aux  spéeula- 
tinns  philosophiques  de  sa  jeunesse,  mais  le  ton  était  autre,  (le 
n'était  plus  l'écho  de  Ahiïmonide  et  de  liruno,  c'était  l'accenl  per- 
sonnel d'une  âme  réii;éiiérée  par  sa  propre  jiensée. 

IVvn.-l.ons  COUCllOli». 


l'iiiir  orienter  le  lecteur  et  lui  permet  Ire  île  suirrc  plus  iiiaément  les  idées 
dévelo/ipHes  diiiis  lei  articles  de  M.  IJuliem^  nous  croyons  tieroir  iniiiquer  dés 
tnaiiileniiiit  les  princiiuiles  conclusions  de  l'auteur. 

La  niilion  île  com/jose  chimique  s'est  d'ahord  et  lûiii/leuips  déreli'ppe'e  dans  un 
sens  presque  e.rcliisire>i)ent  atomisle. 

Aujot^rit'/iui,  elle  a  évolué.  Sous  une  f'urnic  plus  préc'ise  et  plus  tiélaillée.  mais 
non  essentiellement  (H/jérenle.  elle  présente  tous  tes  caractères  que  les  péripritéli- 
ciens  attribuaieni  à  la  notion  de  mi. rie. 

Seulement,  l'anat'/setloqique  de  la  notion  île  mi.rte  élitit.  pour  Aristole.  le  fon- 
dement d'une  ilortrine  métapinjsique  ;  pou)  la  ctiimie  moderne,  elle  est  le  jininl 
<le  iléjiart  d'une  théorie  mathrniatiquc. 

\,\    DllIECTINN. 


LA   NOTION    DE   MIXTE 

LSSAi  nisTuiunii':  KJ  ciiiriuri': 


SECONDE  l'AUTIE 

De  la  révolution  chimique  jusqu'à  nos  jours     Suite  . 

IV.    i.A   SI  i;siiiiTi()N   liiiiMiun:. 

Nous  vciiDiis  (Ir  voir  |)iir  (|lic11i'  suilr  (riili''cs.  ;"i  une  nolioii 
conriiS(>  et  iiKléliiussalilr,  la  iiolion  iVtiiia/n'/ir  i/ii/iiiijnr,  les 
cliimisles  aviiiciil  l'ait  corresiioiidri'  une  roprcsenlation  d'iiiio 
iicllclô  mallirnialique,  la  funiinlr  rli'nn'iqiir  on,  pour  parli^r 
(rune  niaiiii-'ro  plus  précise,  la  fotimtlr  iliimiijiic  lu-itlf. 

Nous  allons  maintonanl  assister  au  ilévclopponienl  d'unes 
notion  nouvelle,  celle  de  siib^lihitiDii  ih'ttii'tiiuc  ;  liée  d'aliord  à 
la  notion  d'analoi;ie  cliimiqiu'  au  point  de  se  fondre  en  celle-ei, 
elle  s'en  est  graihu^llciuenl  sé|)arée  jusqu'à  eu  devenir  ahsolu- 
nu'ut  indépendante  :  comme  ranalo:;ie  chimique,  elle  est  une 
tie  ces  n(jtions  eonl'uses,  indélinissaldes,  qui  s'apen.'oivent,  mais 
ne  se  démontrent  ])as  ;  comme  l'analogie  chimique,  elle  sera 
représentéi'  |)ar  un   syniholi'  d'une  netteté  malhématique,  par 


:;:i2  P.  DLllKM 

lin  ctM'l;iin    airangt'niciil   de  sigiu's  tjui    cdiisliluora  la  fonniilc 
vhiiniinic  drrcliippvi'  ou  formule  ilf  imisl'il uluni . 

Lorsque,  dans  une  dissolution  de  sult'ale  de  cuivre,  on  plonge- 
une  lame  de  zinc,  1<^  cuivre  est  précipité  et  le  sulfate  de  cuivre 
que  renfermait  la  diss(dution  est  reniplaci'  par  du  sulfate  de 
zinc,  (lette  suhslilulion  d'un  nu'lal  à  un  aulre  dans  une  disso- 
lution saline  est  le  plus  anciennement  connif  des  phénonu'nes 
de  sul)slilulion.  Pendant  lonj;lemps,  ces  plK'rKimèm's  de  siibsti- 
(ulion  lurent  regardés  comnn'  des  marques  de  l'analogie  chi- 
mi([ue.  I>e  zinc  était  un  corps  analogue  au  cuivre  ;  il  se  sulisti- 
tuail  à  celui-ci  dans  le  sulfale  de  cuivre  pour  donuer  nu  corps 
ainilogue  à  ce  deiiiii'i'  sel. 

i.a  sultsliinliou  d  un  cor|)s  à  uti  iuitre  dans  un  compos(''  ciii- 
mi(jue  élail  donc  reganh'e  comnn'  une  man|ue  d'analogie  chi- 
mique, tant  enii'c  les  corps  qui  se  sulisliluenl  l'un  à  l'auli'i- 
([u'eutre  les  composés  (|ui  déiiveni  luii  de  l'aulre  par  celle 
sulislilution  :  les  unisses  de  deux  corps  siisceplil)les  de  se  siili- 
stiluer  l'une  à  l'aulre  devaient,  dès  lors,  être  piu[)(iilioiinelles 
aux  équivalents  de  ces  deux  corps  ;  deux  composés  dérivanl 
I  un  de  l'aulre  par  sulislilulion  devaieni  élre  l'epri'-senlés  |)ar 
des  foi'mules  s(Mniilaliles. 

Ainsi,  dans  rexeiuple  que  nous  venons  de  cilei'.  .'(2"',  "Kl  de 
zinc  n'iuplacenl  :fl"',  T.'i  de  cuivre  ;  les  nomlires  équivalents  du 
zinc  cl  ilu  ciiisre  doivent  ilonc  èlre  entre  eux  comme  Ii2,.")ll  et 
•■||,7"i;  le  sulfate  de  cuivre  et  le  sulfate  de  zinc  (loi veut  ètri^ 
représentés  par  des  formules  analogues. 

Les  progrès  de  la  chimie  ont  modilié  celle  manière  de  voir: 
le  fait  (|ne  deux  composés  dérivent  l'un  de  l'autre  par  suhstilu- 
tion  n'est  plus  regardé  comme  nue  niar(|iie  d'analogie  cliimi(|ue 
entre  ces  c<Mnposés  ;  les  niasses  de  deux  eoips  (|ui  se  sulisli- 
tnent  l'une  à  l'autre  ne  sont  pas  loujours  proportionnelles  aux 
n<mihres  équivalents  de  ces  deux  corps,  tels  qu'on  les  reçoit 
communémenl  aujourd'hui  sous  le  nom  de  panh  (i/oiiiirjiies. 

Ainsi  une  lame  de  cuivre,  plongée  dans  une  solution  de 
nitrate  d'argent,  précipite  l'argent  et  donne  du  nitrate  de  cui- 
vre :  :{1'''',7.')  de  cuivre  se  suhslilueiiL  à  lOS  grammes  d'argent. 
Dalton,  Wollasl(ui,  (îay-Lussac,  (inielin,  Dumas  admettaient 
<|iie   les    équivalents   du   cuivre  et  de   l'argent  étaient  dans  le 


/.  i  .vi/v/o.v  ;)/■;  w;.v'/;-;  :«3 

iiu"'ni('  rapport  qui'  les  nombres  iil.T")  ri  HIS  ;  ils  rruiiidaicnt  le 
nitrate  d'argent  eomme  analogue  au  nilrali'  di'  niivi-r  ;  ils  don- 
naient à  ces  deux  eorps  des  Inrinules  hniles  semblables  : 
AgAzO",  CuAzO". 

Aiijonrd'bni,  <in  m-  reganb'  plus  \r  iiilrale  d"ari;ent  comme 
analogue  au  iiitralr  t  iiir/'it/i/r  :  pour  de>  raisons  (jui  ont  (-[r 
indiquées  plus  haut,  les  sels  d'argent  sdul  regardés  comme 
analogues  aux  sels  niirrritr,  dont  chacun  renferme,  pour  une 
même  dose  d'acide,  deux  fuis  plus  de  cuivre  que  le  sel  cui\  ricpie 
correspondant;  le  nitrate  d'argent  et  le  nitrate  cuivrique  ne 
sont  plus  représentés  par  des  formules  semblables  ;  on  donne 
à  l'un  la  formuli-  AgAzU',  à  l'autre  la  formule  CuAz*0''.  Les 
nombres  équivalents  i  poids  atomiques),  aujourd'hui  adoptés 
pour  le  cuivre  et  l'argent,  sont  proportionnels  mm  [las  aux 
nonibres:{l  .!">  et  lt)S,  mais  aux  niunbres  :îl  ,7.")X^^Î>-f."'>(l  et  lOS. 

<]cltc  séparation  entre  la  notion  de  substilulion  et  la  notion 
d'analogie  chimique  s'est  effectuée  par  de  lents  progrès  ;  esquis- 
sons irièvemcnt  l'histoire  de  ces  progrès. 

Le  premier  effort  pour  séparer  l'idée  de  la  subslilulion  chi- 
mique et  l'idée  de  l'analogie  chimique  a  consisté  à  prouver  que 
deux  éléments  auxquels  les  chimistes  attribuaient  un  rôle 
abs(dnmeut  dillV'renl,  qu'ils  plaçaient,  pour  ainsi  dire,  aux  deux 
antiiiodes  de  la  classificaliou  chiuiique,  savoir  le  chlore  et 
l'hvdrogène,  étaient  susceptibles  de  se  substituer  l'un  à  l'autre, 
dette  découverte,  une  des  plus  étonnantes  et  des  plus  fécondes 
([ui  aient  été  faites  en  chimie,  x?st  due  à  J.-B.  Dumas. 

Ku  faisant  passer  un  courant  de  chlore  dans  l'alcool,  Liebig 
avait  obtenu  un  liquide  auquel  il  avait  donné  le  nom  de  c/ilo- 
ral,  nom  qui,  sans  rien  j)réjuger  de  la  constitution  de  ce  com- 
posé, rappelait  les  circonstances  de  sa  formation.  En  18.'{i,  Du- 
mas reprit  l'étude  de  cette  réaction  :  il  détiMinina  exaclement 
la  composition  du  chloral,  et  le  résultat  de  cette  détermination 
fut  le  suivant  :  le  chloral  diffère  de  l'alcool  par  cinq  é(juiva- 
lents  (1)  d'hydrogène  en  moins  et  par  trois  équivalents  de 
chlore  en  plus. 

(i|  Nous  continuons  ù  employer  le  mot  équivalent  dans  le  sens  où  l'on  dit 
aujourd'hui  poi(/s  atumique  oa  atome.  On  verra  bientôt  l'avantage  de  celte  sulisli- 
tulion. 

•21 


:;3i  1'.  lU  IIE.M 

11  fallait  lo  [ii'nûv  de  humas  pour  saisir  dans  ci"  seul  r(''sullal 
la  lracc(lu  iilnhiomi-nc  de  siilisliliilii)n,  alor^  (jir'  rr  |dirn(iniriii" 
V  est  masqué,  dissimulé  jtar  uu  iiiiéiiumènc  acfossoire.  \)n  l'ait 
quil  avait  éludii',  |iar  une  indudinn  hardie,  Dumas  tira  la  loi 
suivante  : 

(Juaiul  un  corps  peut  être  regardé  comme  un  hydrate,  —  el 
c'est  justement  le  cas  de  l'alcool,  —  le  chlore  commence  par  lui 
enlever  l'hydrogène  provenant  de  l'eau  iju'il  contient  sans  si' 
comi)iner  au  composé  qui  résulte  de  cette  n'^aidion  :  si  l'on  lon- 
tinue  à  taire  agir  le  chlore  sur  le  coi-jis  partiidlemenl  déshydro- 
géné  qui  est  iiiiisi  oi)leiiu,  le  chlore  dé'place  l'hydrogène  res- 
tant, mais  f/i  s/-  sii/)s/i//ni/il  à  lu]  i''(|uivalenl  par  (''(|uivalen(.  Si 
au  lieu  de  prendi'e  un  corj)s  hydraté,  on  avait  l'ait  agir  le  chlore 
sui'  un  corps  anhvdre  contenant  di'  l'hydrogène,  le  phi'-uomène 
de  snlislilution  se  sérail  produit  tout  d'ahord. 

Il  nous  est  (lil'ticile  aiiionrd'iiui  de  coneeNoir  exaclemenl 
l'audace  qu'il  fallait  à  Ihimas  pour  lancer  une  |)areille  al'liiana- 
tion.  A  ce  niomenl,  la  lhi''orie  électidciiimic|ue  de  lii'r/i'diu> 
régnait  sans  conteste.  S(don  ei'lle  llir^H'ie,  ht  comhinaison  (dii- 
mique  est  une  manireslaliou  de  l'allraclion  (|ue  l'élecli'icité 
positi\('  <'\erce  sur  l'électricité  négative,  l'armi  les  corps  sim- 
ples, les  uns  sont  électrisés  positivement  :  ce  sont  l'hydrogène 
et  les  in('laii\  :  ie>  antres  son!  ('decli"is(''s  négali\('nienl  :  ce  >ont 
les  nnHalloïdes.  Dans  une  ci>nihinaison,  la  charge  ])osilive  d'un 
niélal  es!  attirée  |)ar  une  l'orce  (|ui  mainlient  ce  médal  au  sein 
de  la  comhinaison  :  un  autre  miUal  plus  l'orlenienl  diargr'  d'élec- 
Iricité  positive  (|ue  le  premier,  partant,  attiré  plus  énergique- 
ment  ([ue  le  premier,  pourra  le  dé|)lacer  el  se  suhsiilner  ,-i  lui. 
Mais  là  où  l'hydrogène  élei'tropositil'  est  maintenu  par  une 
atliacliou,  le  chlore  l'iectronégalil' ne  peut  (Mi'e  (|ue  rejjonssé  : 
il  est  donc  impossihie  (|ue  le  chlore  vienne,  dans  nin:  comhi- 
naison, occuper  la  place  de  l'hydrogène:  la  suhsiilnlion  de  ces 
deu.\  éd(''menls  l'un  à  l'aulre  est  une  ahsurdité. 

A  la  suite  de  Dumas,  dans  la  lutte  contre  la  théorie  l'égnanle, 
s'était  engagé  un  chimiste  prompt  à  mener  jusqu'au  hout  les 
conséquences  logiques  d'une  idée  :  c'était  l^aurenl.  Poussant 
plus  loin  encore  (|ne  Dumas  la  négation  des  idées  éleclrochi- 
mi(iues,  il  al'lirmail  (|ue  non  seulement  le  chlore  peut  se  suhsli- 


LA  .Y0770.V  /)/■;  .1//.V77-;  :i:i:> 

Uior  l'-quivalont  |)ar  équivulciil  ri  riiytlruiii'iic,  mais  que,  de  ])lii-. 
les  composés  qui  se  Iransi'ormonl  l'un  en  l'autre  par  une  sem- 
blalile  suhstilution  sont  analogues  entre  eux.  il  fondait  cette 
;iriiiin;ilinii  sur  la  comparaison  des  dérivés  chlorés  de  la  naphta- 
line avec  le  carhiire  d'hydrogène  (|ui  leur  a  donné  naissance. 

A  l'appui  (le  l'idée  de  Laurenl,  Dumas  apporta,  en  liS:5'.l.  un 
argument  sans  réplique  :  la  ih''ciuiverle  Ai'  l'acide  trichloraci'- 
tiqiic. 

|)an>  un  llacnii  rempli  de  chlore  ^ec,  iulruduison>  une  petite 
quantité  d'acide  acétique  cristallisahle  et  exposons  le  tout  à  la 
lumière  solaire.  Au  hout  d'un  certain  temps,  les  parois  du 
llacon  sont  recouvertes  de  cristaux,  (les  cristaux,  analysés,  ont 
une  composition  qui  <liiïère  de  celle  di^  l'acide  acétique  par 
trois  (''quivalenls  d'Iiydrogène  eu  moins  et  trois  équivalents 
de  chlore  en  plus,  Comnu'  l'acide  acétique,  le  corps  qui  fornu' 
ces  cristaux  est  un  acide  monohasique.  11  lu'ulralise  les  hases 
en  formant  des  sels  dont  la  constitution  et  les  propriétés  sont 
entièrement  semhlahles  à  la  constitution  et  aux  propriétés  des 
acétates  coi'respondants.  En  résumé,  malgré  la  dillerence  radi- 
cale des  éléments  qui  se  son!  suhstitués  l'un  à  l'autre,  il  est 
impii--^ilili'  di'  tniuvi')'  di'ux  corp--  plu-  scmlilahles  que  1  acide 
ac(Hique  et  lacidi'  trichloracéticjne. 

lui  liS'i-'i.  Melsens  donna  sou  achèvemcnl  à  la  lielli'  d(''coii- 
vérte  dr  lliiina-:  di'  niiMUi'  (|iie  Ir  i-iiluri'  pi'ul  ^e  sul)stituer  à 
rhvdrogènr  ilr  l'acide  acétique  pour  former  l'acide  trichloracé- 
tique.  de  nn'Uii'  l'hydrugène  dégagé  au  contact  de  l'amalgame 
de  sodium  prut.  par  une  suhstilution  invi'rse.  transformer 
l'acide  Iricliloracétique  en  acide  acétique. 

Il  était  donc  prouvé  ;ivec  la  dernière  évichmce  que  deux  élé- 
ments extrêmement  dillV'renls  par  l'ensenihle  de  lenrs  proprié- 
tés chimiques  peuvenl  >r  suh-liluer  l'un  à  l'autre  dans  une 
comhinaison  sans  changer  notaidement  les  propriétés  de  cette 
comhinaison,  de  même  que  deux  méîau.x  peuvent  se  suhstituer 
l'un  à  l'autre  sans  changer  profondément  les  propriétés  du  sel 
au  sein  ihu|uel  s'efTectuc  celte  substitution. 

L'idée  de  suhslilulion.  d'ahord  intimement  liée  à  l'idée  qu'il 
existe  nne  analogie  chimique,  d'une  pari,  entre  les  corps  sim- 
ples (jui  se  substituent  l'ini  à  l'autre  et,  d'autre  part,  entre  les 


330  P,  DUHEM 

corps  composL's  qui  dérivi-nl  l'iiii  de  laiilro  par  cotlo  ^uljslitu- 
tion,  avait  fait  un  premier  progrès;  l'analogie  des  corps  sim- 
ples qui  se  remplacent  n'était  plus  exigée  par  les  chimistes 
pour  qu'ils  consentissent  à  regarder  ce  remplacement  comme 
une  substitution.  Il  restait  à  faire  im  nouveau  progrès,  à  rendre 
l'idée  de  substitution  indépendante  de  toute  analogie  entre  les 
deux  composés  qui  dérivent  l'un  de  l'autre  par  la  réaction  chi- 
mique considérée.  (>e  progrès  est  dû  à  RegnauU.  l'ar  ses  études 
sur  les  dérivés  ciilorés  de  l'étlier  chlorhydri(jue  el  de  la  li([ueur 
des  Hollandais,  il  étendit  la  notion  de  subslitulion  au  point  de 
regarder  comme  dérivant  l'un  de  l'autre  |)ar  substitution  des 
corps  dont  les  propriétés  chimiques  étaient  profondément  dilfé- 
rentes. 

La  notion  de  snb'<liluliou  ih'nn'uiur  élait  aiii-i  constituée 
comme  une  notion  nouvelle,  ind('pen<laute  de  la  notion  àdna- 

lof/lf   cIlilllHlIir . 

(les  deux  notions  sont  distinctes,  mais  elles  onl  un  caraclère 
commun;  on  ne  peut  |)as  plus  délinii'  la  substitution  chimique 
(|n'on  ne  peut  délinir  l'analogie  chimique.  Aussi,  lorsque  deux 
chimistes  sont  en  litige  au  sujet  d'une  même  réaction  que  l'un 
regarde  comme  une  substitution  tandis  que  l'autre  refuse  de 
la  reconnaître  comme  telle,  il  n'est  pas  possible,  par  une  suite 
de  syllogismes,  d'aii-uler  l'un  ou  l'aulre  à  une  absurdité. 

Lorscjue,  par  exemple,  Dumas  présente  l'acide  Iriehloraeé- 
lique  comme  dérivant  de  l'acide  at('lique  par  sulisiilulion  du 
chlore  à  l'hydrogène,  Berzélius  refuse  d'aduietlre  cette  idée; 
il  regarde  l'acide  Iriehioracétique  comme  un  composé  d'une 
tout  autre  nature  tjue  l'acide  acétique.  Assurément,  on  peut 
trouver  sa  résistance  peu  sage;  on  peut  objecter  au  chimiste 
suédois  l'étrangeté  et  la  stérilité  de  sa  tliéoiie,  h'  caractère 
naturel  et  la  fécondité  des  vues  de  Dumas.  Mais  peut-on  le 
d('clarer  absurde,  comme  on  déclare  absurde  un  géomètre  qui 
professe  un  théorème  faux?  Non  ;  ce  serait  outrepasser  les  droits 
de  la  logique;  son  obstination  peut  être  puérile,  déraisonnable; 
elle  n'est  pas  contradictoire. 

Nous  avons  vu  que  la  première  action  du  thiore  sur  l'alcool 
consiste,  d'après  Dumas,  à  lui  enlever  deux  équivalents  d'hy- 
drogène. Il  se  forme  alors  un  composé,  découvert  par  Liebig. 


LA  yiiTKiy:  ni',  mixte  :t:iT 

<|i!i  l'a  nonuiié  a/cuul  ilcslii/druyciuitiiiii  uu.  par  abrévialimi, 
al(l('-lti/ili\  Xi  Liebig,  ni  Dumas  ne  considéraient  assurémenl 
l'aldéhytle  eommc  dérivant  par  snbstitution  de  l'alcool  ;  quel 
corps,  (Ml  elïel,  se  serait  substilué  à  l'hydrogène  enlevé?  Or, 
anjounriiui .  les  chimistes  regardent  l'aldéhyde  comme  déri- 
vant de  raicddl  par  snbstitution  d'un  équivalent  d'oxygène  aux 
deux  corps  H  et  UH.  A  l'appui  de  cette  upinion,  ils  t'ont  valoir 
d'excellentes  raisons,  et  l'on  ne  serait  pas  sensé  de  lui  préférer 
l'ancienne  manière  de  voir  de  l.iebig  et  de  Dumas;  celle-c; 
cependant  ne  s;uirait  être  taxée  d'aôsu/y/i/r. 


\  .   i.i;    rM'K  ciiiMinri:. 

Deux  cnmpiisés  dérivant  l'un  de  l'autre  par  une  suljstitutiiui 
cliimique  ne  sont  pas  forcément  analogues:  ils  ne  sont  pas 
forcément  doués  de  la  mémo  fiuicdoii  c/iiiniij/i'' ;  le  chlorure  de 
|)olassium,  qui  est  un  sel  neutre,  dérive  de  l'acide  chlorliy- 
drique  par  substitution  du  potassium  à  l'hydrogène;  le  chlo- 
rure d'azote,  qui  n'est  nullement  basique,  dérive  do  l'ammo- 
niaque par  sulistitution  du  ciilore  à  l'hydrogène.  Pour  désigner 
le  caractère,  distinct  de  l'analogie  et  de  la  fonction  ciiimi(|ue, 
qui  rapproche  deux  C(u-ps  dérivés  l'un  de  l'autre  par  >uiisti- 
lulion,  Dumas  proposa  l'expression  ////-*■'  (Iiinii'/in' ;  tous  les 
composés  qui  dérivent  les  uns  des  autres,  immédiatement  ou 
médiatement,  par  voie  de  substitution  d'un  élément  à  un  autre, 
appartiennent  au  même  type  chimique. 

Mais  devait-on  borner  la  n(dion  de  type  aux  composés  (|ui 
dérivent  les  uns  des  autres  par  la  substitution  d'un  corps  simple 
à  un  autre  corps  simple,  par  exemple,  par  la  substitution  du 
<;lilore  à  l'hydrogène?  Evidemment  non;  des  faits  chimiques, 
déjà  classiques  à  l'époque  où  Dumas  créait  la  notion  de  type 
(diimique,  montraient  que  cette  notion  ne  pouvait  être  res- 
treinte à  ce  point. 

Gay-Lussac  avait  étudié  les  combinaisons  du  cyanogène,  (le 
gaz  composé,  formé  de  carbone  et  d'azote  unis  en  proportions 
(■([uivalentes,  agit  dans  une  f(uile  de  circonstances  comme  un 
^xirps  sim|ile,  le  clilure  ;  il  fournit  avec  les  métaux  des  combi- 


:«8  1'.  uriiEM 

naisons  qui  ont  soiivont  avoc  les  chlorures  d'étroites  analogies; 
les  formules  do  ces  corps  deviennent  semblables  si  l'on  y  repré- 
sente par  un  symbole  unique,  (ly,  l'ensemble  CAz  qui  constitue 
le  cyanogène.  Par  exemple,  le  chlorure  de  potassiimi  est  repré- 
senté par  la  forniMlc  KHI.  le  cyanure  de  potassium  par  la  i'or- 
mule  K<;y. 

Les  sels  ammoniacaux  sont  tout  à  l'ail  analogues,  pai-  leurs 
(iropriétés  chimiques,  aux  sels  formés  par  le  potassium  ou  le 
sodium;  ils  en  sont  souvent  isiunorphes;  leurs  formules  devien- 
nent semblables  si  l'on  y  remplace  par  un  seul  symbole,  Am,  le 
groupe  ou  radical  AzH*,  sur  lequel  Ampère  a  attiré  l'attention 
des  chimistes  et  que  Berzélius  a  nommé  l'ammonium.  On  peut 
dire  que  ce  groupement  composé  fonctionne  absolument  comnn^ 
un  corps  simple,  comme  un  mêlai  alcalin. 

Ke  remplacement  du  cbb.re  par  le  cyanogène,  le  remplace- 
ment du  potassium  ou  du  sodium  par  l'ammonium,  conservent, 
entre  les  composés  que  ce  remplacement  transforme  l'un  en 
l'autre,  l'analogie  chimique  et  la  fonction  chimique  ;  n'est-il 
pas  naturel  d'admettre  qu'un  pareil  remplacement  conserve 
également  le  type  chimique,  qu'il  constitue  une  substitution, 
mais  une  substitution  d'un  groupement  composé  h.  un  corps 
simple,  du  groupement  CAz  à  l'élément  (d,  du  gmupement  AzH' 


a  l'élément  K  nu  à  l'élément  .\a  ": 


Dumas  élargit  donc  la  notion  de  type  ciiimi(|ue  eu  admel- 
hiul  que  le  type  se  conserve  non  seulement  par  la  substitution 
d'un  élément  à  un  autre  élément,  mais  encore  par  la  substilu- 
lion  d'un  groupe  d'éléments  à  un  élément  ou  de  deux  groupes 
d'éléments  l'un  à  l'autre.  Cette  extension,  Dumas  en  prouve  la 
légitimité  en  faisant  voir  que,  par  l'action  de  l'acide  nitrique 
sur  un  grand  nombre  de  substances  organiques,  le  groupe  com- 
posé AzO"  se  sulistitue  à  l'hydrogène  exactement  comme  le 
fera  il  le  chlore. 

Otte  généralisation  de  la  notion  de  type  devait  bientôt  rece- 
voir une  conlirmation  éclatante  par  la  découverte  des  ammo- 
niaques composées;  cette  découverte  fut  faite  en  I8i!l  par 
Ad.  Wiirlz. 

Kn  traitant  l'acide  cyanique  par  la  potasse,  on  obtient  de 
rammonia((ue  ;  en  traitant  de  même  l'éther  cyanique  par  la 


polassi',  \\  iïrlz  (jbliiil  un  li(|iiiili'  volatil,  (luiu-  d'uiR'  ixlcur 
[•iquanto  analogue  à  celle  de  I  amniuniaque,  lileuissant  la  lein- 
tiire  (le  Idurnesol,  se  comltinanl  directonient  aux  hytlracides 
[xiiir  idinier  des  sels  très  seiiii)lables  aux  sels  ammoniacaux,  se; 
iiiinhiuant  aux  oxacides  avec  élimination  d'eau  pour  former  en- 
core d(>s  cdniliiiiiiisiins  1res  analogues  aux  sels  amniouiacaux 
(•iirres|iondauh.  \\  iirlz  regarda  cetle  hase  comme  de  l'aniUKi- 
niaque  AzIP  dans  la<juelle  un  (''quivalent  d'Iiytlrogène  a  ilisparu 
|i(iur  l'aire  place  à  un  groupi'meul  complexe,  l'oriiK'  d'hydrogène 
cl  de  carjjone,  le  groupement  ("1!',  aiHjn(d  Ic-^  chimistes  ont 
doniu''  le  nom  dr/h///''  ;  il  nomma  cette  base  VrlIii/hDiiiiic. 

Le  gi-Diipe  étiiyle  n  est  pas  le  seul  groupe  t'ormé  de  carbone 
e(  d'IiN (Irogèiie  (jui  puisse,  dans  rammonia([ue ,  se  subsli- 
luer  à  un  équivalent  d'hydrogène  ;  par  un  proct''dé  analogue 
à  c(dui  ([ui  lui  avait  servi  à  préparer  l'éthylamine.  Wihiz  a 
obtenu  une  l'onlc  (l'autres  iiases  analogues  :  la  iiirllii/ldiiiini', 
(jui  est  de  l'ammoniacjue  oit  le  groupementlUl',  que  l'on  nomme 
!ii(''thi/li\  a  riMnj)lacé  un  équivalent  d'iiydrogènt^  ;  la  pfopijla- 
iiihic.  où  le  groupement  yj/'6iy/y/c'  C'IF  s'est  substitué  à  un  équi- 
valent d'hydrogène  de  l'ammoniaque...  'l'outes  ces  bases  appar- 
tenaient au  même  type,  le  ////>r  amnioniaiiiic,  dont  l'importance 
était  ainsi  mise  en  évidence.  l)u  premier  coup,  W  iirtz  donna  à 
ce  type  une  grande  extension  en  l'attachant  au  groupe  des  am- 
moniaques sulislitu(''es  la  plupart  des  alcaloïdes  volatils  que 
fournit  la  chimie  organicjue. 

Les  travaux  de  llofmann ,  succédant  de  près  à  ceux  de 
\Viirtz,  contrijjuèrent  puissamment  à  préciser  la  notion  du  lyjie 
ammoniaque  et  à  corroborer  la  théorie  des  types. 

Si  sur  l'amnioniatjue  AzH'  nous  faisons  agir  l'acide  iodb\- 
dri(|uc.  n<uis  obtenons  une  combinaison  qui  est  l'iodure  d'am- 
monium .\.zlli.  L'action  d'une  base  sur  ce  corps  redonne  lam- 
monia([ue. 

Si,  au  contraire,  comme  llofmann  le  lit  en  IS.')0,  nous  trai- 
tons rammonia([uc  par  l'éthcr  iodhydi'ique,  (jui  a  pour  formule 
r/ll'l,  nous  obtenons  un  sel  qui  est  à  l'éthylamine  de  Wiirtz 
ce  (|ue  l'iodure  d'ammonium  est  à  l'ammoniaque  ;  c'est  de  l'io- 
dure dammoniuin  ofi  le  groupement  l'thylc  C'H^  s'est  substitué 
à  l'hyilrogène  :  ce  corps  a  donc  pour  formule  .Vz(C-H')H'l  ;  c'est 


;i40  1'.  ULllEM 

Viodid-t'  il'rthijlmmnoniinn.  En  traitant  co  corps  par  une  base, 
on  obtient  rélliylamine  de  Wiirlz. 

Mais,  dans  l'action  de  l'éther  iodiiydri([iu'  sur  l'ammoniaciue, 
nous  n'oJjtenons  pas  seulement  l'iodurc  irétiivlanimonium  ; 
nous  obtenons  aussi  un  sel  <|ui  dciive  de  l'iodure  d'ammonium 
par  sui)slitution  cb'  dru.r  ^roupes  C-H'  à  dt-nr  équivalents  d'hy- 
drogène :  c'est  l'iodure  de  dirthijlaiitmoii'niDi,  qui  a  pour  for- 
mule Az  (C'H')'H-l  ;  traité  par  une  base,  cet  iodure  dtmne  nn 
corps  analogue  à  l'élhylamine,  mais  (|ui  dérive  de  l'ammoniaque 
par  substitution  de  dcii.r  groupes  (vil'  à  drux  équivalents  d'hy- 
drogène ;  celle  diétbyhimino  a  pour  formule  Azi(]-H")-H. 

Les  mêmes  réactions  donnent  encore  un  iodure  de  tr'ii'thijlam- 
.moniitm,  AziCH-j'IIl,  et  une  Irirllu/laminr,  Az CH')',  qui  dé- 
rivent respectivement  de  l'iodurc  d'ammonium  et  de  l'ammo- 
niaque par  substitution  de  tn)h  groupes  C-H°  i^  imis  é([uivali'nl> 
d'iiydrogènc. 

Non  sculi'UUMil  ces  recherches  cnrichi^seut  h-  type  ammo- 
niaiiue  par  la  découverte  des  aminés  deux  fois  et  trois  fois  sub- 
stituées, mais  encore  elles  niellent  en  évidence  toute  une  série 
de  coml)inaisons  a|)parlenanl  à  un  aulre  type  :  le  type  iudlii/- 
dralr  d'ammuii'uiqiif  on  iodure  d'iimmniilinii.  Azll'l.  Nous  avons 
vu  connuenl  l'aciion  de  iV'Iber  jodliyiiriiiMe  sur  ramnionia(|ue 
fournissait  des  corps  qui  dérivent  de  celui-h'i  par  substilulion  (h' 
nn,  deux  ou  trois  groupes  élhyh's  à  un,  (b-ux  ou  trois  é([uiva- 
lents  d'ammoniaque.  Mais  il  y  a  plus  ;  celle  même  action  nous 
lournil  un  corps  dans  le(|iiel  les  i/iiatrp  équivalents  d'hydrogène 
de  l'iodure  d'ammonium  ont  été  remplacés  \)nr  (jiiatrr  groupes 
éthvles  :  c'est  l'iodure  de  /r//r//i///(inwio>iiia//,  AzC-H'id. 

Gcrbardl  devait  donner  nue  nouvelle  extension  an  type  am- 
moniaque en  V  rallaciianl  les  corps  qui  forment  la  classe  des 
(unides.  Les  amides  avaient  été  étudiées  par  Dumas  qui  les 
avail  envisagées  comme  des  sels  ammoniacaux  déshydratés.  Si, 
par  exemple,  à  l'acétate  d'ammoniaque  vous  enlevez  les  élé- 
ments de  l'eau,  Il-O,  vous  obtenez  l'acétamide.  Voiri  comment 
(  ierhardt  rapprocha  ces  corps  des  aminés  découvertes  par  Wdrtz  : 
On'est-ce  (jne  le  groupe  élhyle,  V.'W.  (|ue  nous  avons  vu  se 
snbsliluer  à  un  é(|nivalent  d'hydrogène  dans  ranimonia(iue  pour 
former  l'éllivlamine?  (Tesl  ce  qui  reste  lorsqu'on  enlève  à  l'ai- 


<) 


l..\  .V')77(i.V  /)/.    ML\n:  34t 

<'ool  un  ô(jiiivalent  iroxygèno  cl  un  équivalcnl  tl'liytlroiïi'nf'.  car 
l'alcool  a  pour  formule  (;-H''()  ;  ralcooi  est  donc  de  l'élhyle 
<?H^  plus  de  ïiixhi/drf/lc  OH.  Prenons  de  même  Tacide  acé- 
tique, qui  a  pour  formule  (l'H'O-,  et  enlevons-lui  le  groupe 
xliydryle  flll  ;  il  reste  un  radical  qui  a  pour  formule  (^-Hl), 
radical  que  Gerhardt  nomme  Yacrti/lc.  Or,  pour  Gerhardt,  Tacé- 
lamide,  c'est  le  corps  Az  C-H^OH-  qui  dérive  de  ramuT^miaque 
par  substitution  du  groupe  acétyle  à  un  équivalent  d'hydrogène. 

Plus  généralement,  si  à  un  équivalent  d'hydrogène  de  l'am- 
moniaque nous  substituons  un  groupement  qui,  uni  à  OH, 
forme  un  alcool,  nous  avons  une  aminé;  si,  au  contraire,  nous 
substituons  un  groupement  qui,  uni  à  OH,  forme  un  acide,  nous 
avons  une  amide. 

dette  idée  de  (ierhardi  trouva  plus  tard  une  puissante  con- 
lirmation  dans  la  découverte  des  ali  aUuuidi's.  (Jue,  dans  l'am- 
moniaque, (m  remplace  un  équivalent  d'hydrogène  par  un  reste 
d'alcool,  par  e.vcmple  par  le  groupe  éthyle,  et  un  autre  équi- 
valent d'hydrogène  par  im  reste  d'acide,  par  e.vemplc  par  le 
groupe  acétyle.  et  l'on  obtiendra  im  corps  dont  les  propriétés 
seront  intermédiaires  entre  celles  de  l'éthylamine  el  celles  de 
l'acétamide  (m.  j)lulùl,  participeront  des  unes  et  des  autres,  (le 
corps  sera  une  alcalamide. 

En  rattaciiant  les  amides  au  type  ammoniaque,  Gerliardl  met- 
tait bien  en  lumière  ce  principe  fondamental  sur  lequel  nous 
avons  insisté  :  que  divers  composés,  pour  appartenir  au  même 
type,  n'ont  pas  besoin  d'être  analogues  entre  eux  ni  de  remplir 
les  mêmes  fonctions;  en  effet,  tandis  que  les  aminés  sont  des 
bases  offrant  avec  l'ammoniaque  d'étroites  analogies,  les 
amides,  au  contraire,  ne  partagent  nullement  les  propriétés 
alcalines  de  l'ammoniaque. 

Au  moment  où  les  ti'avaux  de  Wiirtz  el  de  Hofmann  créaient 
une  foule  de  composés  dont  les  uns  appartenaient  au  type  am- 
moniaque, les  autres  au  type  iodure  d'ammonium,  les  recher- 
ches de  Williamson  touchant  la  formation  de  léther  par  laclion 
de  l'acide  sulfurique  sur  l'alcool  venaient  marquer  l'importance 
d'un  autre  type,  le  typr  rau. 

M.  Williamson  montra  en  ISÎil  que  les  propriétés  de  l'alcool 
et  de  l'éther  s'interpréiriient  très  aisément  en  regardant  l'alcool 


p.  1)1  HKM 


comme  (le  l'eau  li-O  dans  laquelle  un  éqnivalent  d'hydrogène 
il  été  remplacé  par  le  groupe  élliyle,  l'étlier  comme  de  l'oaii 
dans  laquelle  les  denx  équivalents  d'hydrogène  sont  remj)hicés 
par  deux  groupes  éthyles  ;  en  sorte  que  l'alcool  peut  être 
représenté   par    la   l'i>rmule  (C'ir'ilK)  el   l'élher  par  la   lormule 

A  l'appui  de  celte  manière  de  vnir.  nu  {)eut  apporter  di'  nom- 
lireuses  preuves.  On  ne  pourrait,  ce  me  scmhie,  en  citer  de  plu- 
t'rappante  que  celle  qui  consiste  à  traiter  l'alcool  sodé  par  I  iodure 
d'un  ratlical  alcoolique,  par  exemple  \)i\v  l'iodure  de  métiiyle  ; 
on  olitieut  ainsi  un  corps,  analogue  à  1  éther.  (jue  Inn  nomme 
un  (■■liu>r  mixte;  c'est  de  l'eau  dans  laquelle  un  équivalent  d'hy- 
drogèue  a  été  remplacé  par  le  groupe  éthyle  C'H',  tandis  que 
l'autre  équivalent  d'hydrogène  a  été  remplacé  par  le  grou[)e 
mélhyle  Cil'.  La  Inrmule  de  ce  corps  est  donc  (C-H'*)(CH-')0. 

Williamson  ne  se  contenta  pas  de  créer  le  type  eau  en  y  rat- 
tacliaut  l'alcool,  l'étlier,  les  éthers  mixtes:  il  y  lit  rentrer  une 
grande  partie  des  acides,  des  hases,  des  sels  de  la  ciiimie  miné- 
rale. 1/acide  nitri(|ue,  fAzO-|HO,  est  de  l'eau  où  un  équivalent 
d'hydrogène  a  été  remplacé  par  le  groupe  iniri/lf  AzO-;  la 
p(dasse,  KllO,  <'sl  de  l'eau  où  un  équivalent  d'hydrogène  a  été 
remplacé  par  un  i'([uivalenl  de  potassium  ;  l'oxyde  d'argent, 
A^-O,  est  de  Teau  oii  deux  é(]uivalents  d'hydrogène  ont  été 
remplacés  |)ar  deux  équivalents  d'argent:  le  nitrate  d'argent, 
^AzO-).\gO,  est  de  l'eau  où  un  équivalent  d'hydrogène  a  été 
remplacé  par  le  groupe  nitryle,  tandis  que  l'autre  équivalent 
d'hydrogène  a  été  remplacé  par  un  équivalent  d'argent.  Un  reve- 
nait ainsi  aux  idées  'que  Davy  et  Dulong  avaient  émises  sur  la 
constitution  des  sels,  idées  que  IJehig  et  Wôhler  avaient  net- 
tement énoncées  (>n  élutliant  les  conihinaisons  de  l'acide  ben- 
zoïque. 

Le  type  eau  devait  liienlùt  être  enrichi  par  (ierhardl  d'une 
nouvelle  catégorie  de  corps  dont  Williamson  avait  conçu  la 
possibilité.  Ou'esl-ce  que  l'alcool,  pour  Williamson?  De  l'eau 
on  un  équivalent  d'hydrogène  a  été  remplacé  par  le  groupe 
éthyle.  Ou'cst-ce  que  l'éther?  De  l'eau- où  deux  équivalents 
d'hydrogène  ont  été  remplacés  par  deux  groupes  étliyles.  Ou'est- 
ce  que  l'acide  acéli(jue?  De  l'eau  où  un  équivalent  d'hydrogène 


;..t  .VMïvn.v  /;;•:  }n.\n:  :m:« 

il  i'W-  r('ni|tlacé  par  un  i^roiipc  acôtylo  (l-ll'O.  Dès  Idi's,  ne  pciil- 
(in  foncovnir  un  corps  (jiii  si-rait  h  l'acide  acélique  ce  que  rélluT 
esl  à  raleiml,  un  corps  (|iii  serait  de  l'eau  où  les  dnir  équiva- 
lents d'hydrogène  auraient  l'ail  place  à  //rii.i-  groupes  acélyles, 
([ui  aurait  doue  pour  t'ornuile  i (rll'Ol-O?  La  réalisalii^n  de  ce 
cor|)s  allait  être  prnvoquéi^  par  une  déc(inv(>rte  imprévue. 

lui  IS.'iO,  tous  les  chimistes  croyaient,  avec  Gcrhardt,  que  les 
acides  nnmohasiques  ne  pouvaient  exister  à  l'état  anhydre; 
(cius  les  anhvdrides  connus  se  rattachaient  à  des  acides  polylia- 
si(iues.  ()i-,  en  faisant  agir  le  chlore  sec  sur  le  nitrate  d'argent 
>ci-,  un  chimiste  |)ri>duisit  l'acide  azotique  anhydre;  ce  ciii- 
iniste.  dont  les  (léc(Uivertes  semblent  avoir  eu  pour  mission  (h"> 
loujours  heurter  et  renverser  les  idées  re(:ues,  était  Henri  Sainle- 
C.laire  DeviUe. 

Kn  présence  de  ce  l'ait,  (lerliardt  n'hésite  pas  à  abandonner 
ses  anciennes  idées;  il  cherche  à  interpréter  la  découverte  de 
Sainte-Claire  Deville;  pour  lui,  l'anhydride  azotique  est  à  l'acide 
azotique  ce  que  l'élher  esl  à  l'alcool;  c'est  de  l'eau  dont  les  (/fii.r 
équivalents  d'hydrogène  ont  été  remplacés  par  drir/  groupes 
nilryles  AzO';  sa  formule  est  (AzO;)'0.  Sur  celle  interpréta- 
tion, (jerhardt  fonde,  en  tSMl,  une  méthode  générale  propre  à 
fournir  les  anhydrides  des  acides  nionobasîques.  Veul-on.  p.ii- 
exemi)le,  obtenir  l'acide  acétique  anhydre?  Sur  le  chhuurc 
d'acétyle  (C-H'OjCl,  on  fera  agir  l'acétate  d'argent  (C-U'OiAgO  ; 
ou  aura  ainsi  le  corps  dont  l'existence  avait  été  prévue  par 
M.  Williamson.  Au  moyen  de  cette  méthode  de  Gcrhardl, 
MM.  (Idel  et  Vignon  devaienl,  plus  tard,  reproduire  l'anhydride 
azoti(|ue  (1(>  Sainte-Claire  l)evill(\ 

(ieriiardt  ne  s'est  pas  contenté  d'avoir  élargi  le  ty[)e  eau  eu 
y  faisant  rentrer  la  classe  des  anhydrides  des  acides  monobii- 
siques;  il  a  délini  de  nouveaux  types,  tel  le  ///pc  aride  clihirlu/- 
(Iriqtic. 

L'eau  renferme  deux  équivalents  d'hydrogène,  il  peut  arriver 
(|u'uu  seul  de  ces  équivalents  soit  remplacé  par  un  équivalent 
d'un  corps  simple,  comme  dans  la  potasse,  ou  par  un  groupe 
d'éléniiMils,  comme  dans  l'alcool,  l'acide  nitrique,  l'acide  acéli- 
(|ue.  Il  pi'ul  arriver  aussi  que  ces  deux  équivalents  d'hydrogène 
soient   sinuilianément   remplacés,  et  cela   de  diverses  fa(:ons; 


^44  P.  DlHEM 

ces  deux  (''quivalcnls  d'iivilrutièni'  junivcnl  être  remplacés  par 
deux  équivalents  d'un  élément,  comme  dans  l'oxyde  d'argent; 
ils  peuvent  être  remplacés  l'un  par  un  corps  simple  et  l'autre 
par  un  groupe  d'éléments,  comme  dans  le  nitrate  d'argent, 
racélali^  de  [lotassium,  l'alcool  sodé;  ils  peuvent  être  l'emphiçés 
par  deux  grou[)es  d'éléments,  identi(jues  entre  eux,  comme 
dans  l'étlier,  ranhydri(|ue  azidiqui',  l'anhydride  acétique;  ils 
peuvent  enlin  èlre  i-emplacés  par  deux  groupes  d'él(>nu'nt>; 
dillérenls,  comme  dans  les  étliers  mixtes,  i'élher  acéliipp', 
l'élher  nitrique. 

11  en  est  tout  autrement  pour  l'acide  cliiorlivdii(|ue.  Il  ren- 
lerme  un  seul  ('■(|uivalenl  d'hydrogène  (|ui,  dans  les  plu'-iio- 
mènes  tie  sulislitutinii,  est  toujours  remplacé  en  une  seule  lois 
par  un  équivalent  d'un  corps  simple  ou  par  un  groupe  d'élé- 
ments, (let  équivalent  d  hydrogène  est-il  remplacé  par  un  ('(lui- 
valent  de  sodium,  nous  avons  le  chlorure  de  sodium;  paf  le 
grou|)e  Azll',  nous  avons  le  chlorure  d'ammonium:  |)ar  le 
group(>  d'il',  nous  avons  le  chlorui'e  d'éthyle  ;  pai'  le  groupe 
<]-ir'().  nous  avdus  le  chlorure  d'acé-tyle. 

L'acidt'  clilorlii/drniiic,  l'rdtt,  runinionidiiiir,  l'ioiliirr  d'aiiiii.o- 
iiiinii,  tels  sont,  d'après  (ierhardt.  les  principaux  types  sous 
le>()ue!s  \ienneni  se  rangei'  joules  les  combinaisons  chi- 
miques. La  nonuMiclature  est  cependant  loin  d'être  complète. 
Il  est,  en  particulier,  un  type  (|ue  (ierhardt  ne  mentionne  [las  et 
(|ui  a  pris  une  importance  capitale  depuis  (jue  M.  Kékulé  mui- 
a  appris  ïi  considérer  la  plupart  des  combinaisons  organiques 
fomme  dérivant  de  ce  type  ;  c'est  le  li/pc  nirlltaiir,  représenté 
par  l'hvdi'ogène  protocarhoné  VAV. 

La  chimie  minérale  nous  t'oui'nirait  t'ucore  d'auti'es  types  ; 
nous  les  laisserons  de  côté,  pensant  que  ce  qui  [)récède  suflil 
à  donner  une  concej)tion  nette  de  ce  que  les  chimistes  du  milieu 
du  XIX"  Siècle  entendaient  par  type  chimique  et  de  la  manière 
dont  cette  notion  s'est  développée.  Nous  avons  hâte  d'arriver  à 
ime  notion  nouvelle  et  riche  en  conséquences,  la  notion  du 
Jj/pp  coiu/p/isr. 


LA  Mniit.s  /*/■:  t/;.\/7-;  xvi 


VI.    i.i:s    ivpKs   ciiMjK.Nsiis,   1 A    VAi.i:.\c.r:    i:i'   i.v    roRMii-i-: 
ui-:vi:i.()i'i'i;i;. 

Les  acides  nionuliasiques  avaieiil  é(é  par  \\  illianisoii  rappor- 
tés au  type  fan  ;  ils  représentaient  de  l'eau  dans  laquelle  un 
équivalent  d'hydrojrène  avait  été  remplacé  par  un  certain  groupe 
d"(''lémonts,  par  un  radical  acide  :  ainsi  l'acide  nitrique  était  de 
l'eau  ofi  un  é(|uivaloiil  d'Iiydrogène  avait  ('[('  remplacé  p;u'  le 
groupe  nitryle,  Az(  )■  :  lacidc  acétique  l'daitde  l'eau  où  un  ('qui- 
valent  d'hydrogène  avait  été  remplacé  par  le  groupe  acétyle 
(^-ITO.  Des  deux  équivalents  d'hydrogène  que  renfermait  l'eau, 
une  semblahle  substitution  en  laisse  subsister  un.  Ce  dernier 
jteut,  à  son  tour,  être  remplacé  par  un  équivalent  d'un  métal 
tel  que  le  potassium,  le  sodium,  l'argent  ;  ainsi  se  forment  les 
sels. 

S'il  en  esl  ;iinsi,  lui  acide  ne  renferme  qu'un  seul  é(juivalenl 
d'hydrogène  auquel  un  métal  puisse  se  subslituer  pinir  former 
un  sel  ;  en  sorte  qu'un  acide  dinuK'  el  un  niiHal  donné  ne  peu- 
vent former  qu'un  seul  sel.  Or,  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi  ; 
prenons  l'acide  sulfurique  et  faisons-le  agir  sur  la  potasse  ; 
M'idii  les  circonstances,  il  fournit  deux  sels  différents;  l'un 
de  ces  sels  renferme  un  équivalent  d'hydrogène  et  un  équiva- 
lent de  potassium;  l'autre  renfernu^  deux  équivalents  de  potas- 
sium et  ne  renferme  jias  d'hydrogène.  C'est  ce  qui  fait  dii'e  que 
l'acide  sulfuri([ue  est  un  acide  bilia^ujin'. 

l)e  même,  avec  la  potasse,  l'acide  pliosph(U'ique  ordinaire 
peut  donner  trois  sels  différents  ;  le  premier  de  ces  sels  ren- 
ferme un  équivalent  de  potassium  et  deux  équivalents  d'hydro- 
gène; le  second,  deux  équivalents  de  potassium  et  un  équiva- 
lent d'hydrogène  ;  le  troisième,  (rois  équivalents  de  potassium  et 
point  d'hydrogène  ;  l'acide  phosphorique  ordinaire  est  tr'i- 
linsitjiie. 

Mais  comment  rattacher  au  type  eau  des  acides  tels  que 
1  acide  sulfurique  et  l'acide  phosphorique?  Comment  concevoir 
qu'après  une  substitution  qui  a  enlevé  à  l'eau  un  équivalent 
d'hydrogène,  il  reste  encore  dans  le  composé  deux,  trois  équi- 


:itli  1>.   DlHEM 

vaii'iils  (riiyilroiièno  rcmplarablcs  par  im  métal  ?  An  premier 
al)ord,  laclidSé  seml>lo  diflicilo,  siiinii  impossililo.  \Villiamsoii  a 
résolu  la  (litliciilté. 

Comment  avons-nous  imaginé  la  tnrmalion  d  un  aciilt'  mo- 
noliasifino,  île  l'acido  azotique  par  exemple?. Nous  avons  supposé 
que  l'eau  H-()  perdait  un  équivalent  d'hydrogène  et  que  eet 
équivalent  d'hydrogène  était  remplacé  par  le  groupe  A/(>-.  Pre- 
nons maintenant  non  plus  une  l'ois,  mais  deux  lois  la  IVirmule 
de  l'eau  H'O;  à  ehaenne  de  ces  deux  formules,  enlevons  un 
équivalent  d'hydrogène,  ci»  qui  nous  laissera  deux  grou[ies 
oxhydryles  011  :  aux  <lrui  équivalents  d'Iiydnigène  enlev(''s, 
sul)stiluons  iiHc  scuir  fois  le  groupe  SU*;  nous  aurons  une  for- 
mule (SO-i'OHr  (|ui  représentera  la  composition  de  l'acide  sul- 
furicjue  ;  dans  celte  formule,  restent  deux  équivalents  d'li\(lr(i- 
gène  provenant  de  l'eiiii  ihnit  nou^  l'avons  l'ail  dériver,  deux 
(Hpiivahmls  d'hxdrogène  lnul  à  fait  semhlables  à  r(''quivalent 
unique  qui'  l'enferme  l'acide  nili'i(|ne  :  selon  (|ue  l'on  rempla- 
cera ces  di'iix  r'(|nivalenls  (in  seulement  l'un  d'enlre  eux  par 
un  nnune  noinhre  d"é(|uivalenls  de  potassium,  on  nhliendra  le 
sulfate  neutre  i  S(  t- '  OK  -  (Ui  le  sulfate  acide  i  SO-u()K  lOil  i  lie 
ce  nicHal  :  la  dunlde  ha>icil!''  de  l'acide  sulfurique  est  doin-  en 
(■'vidence  dans  relie  Imuinle. 

L)e  même,  lacide  |iliiisp||(iri(|ue  ■^dliliendia  eu  prenant  trois 
l'ois  la  formule  di'  l'eau  l|-n,  en  eulevaiil  à  chacun  de  ces 
groupes  H"()  nu  l'ijuivalenl  d'hvdro^ène  el  en  >nli>tiluanl  à  ces 
lnil>;  (''(|ui valeuts  d'hvdi'ogène  un  snil  groupe  IM»  ;  l.'i  furinule 
(  i'OjiUH  )' du  cnmpos(''  ainsi  (dileuu  me!  en  (H  idence  la  triple 
hasicité  di'  I  acide  phospluirique. 

\oilà  dune  les  acide>  pi dylia'^iiines  rattachés  au  type  eau, 
mais  an  lype  eau  jdusieurs  fois  condensé,  grâce  à  l'interven- 
tion d'un  j;rnnpe  d'éii'-ments  susceplil)le  de  se  substituer  seul 
à  plusieurs  ('([uivalenls  d'hydrogène,  enlev(''s  à  plusieurs 
groupes  IJ-fl  dillérents.  Les  acides  bibasiques  sont  ainsi  rame- 
nés au  type  eau  deux  fois  condensé  ;  deux  groupes  oxhydryles 
OU  sont  rivés  ensemble  par  un  groupe  unique.  Les  acides  tri- 
basiques  sont  ramenés  an  type  eau  trois  fois  condensé  ;  trois 
groupes  oxhydryles  OH  sont  rivés  ensemble  par  un  groupe 
unique. 


L.\    Voï/n.V  m:    MIXTK  :iV7 

«  .M.  \\  illiiiinsDii  a  (''ciil  ('('l;!  en  deux  lii;ni'S  il-;  mais  coin- 
liiru  i-i'lli'  idri'  si  siiii|)l('nii'iit  (■')uincc''i>  a  été  fécoiulc  en  (l(''\  ('lii|i- 
ponicnls  !  i  L'iilrc  de  \\  illianison,  issuo  ollo-mônio  de  la  iiolion 
<!('  Iiasicité,  ailail  hicnU'il  conduire  à  runc  des  jilns  m'amles 
découvertes  ([iii  aient  él(''  faile^  en  i  liimie.  la  ih'couverto  du 
glyeol. 

En  IS.'i'i,  M.  Herllieliil  cmuduait  un  ini|)(irlant  travail  sur  les 
l'dhors  do  la  i;lycéi-iiie  par  les  paroles  suivantes  :  ><  (les  faits 
nous  munirent  ((ue  la  ulx  e{''riiie  pi'i'senle,  vis-à-vis  i\f  l'alenol, 
préeis(''menl  la  même  ndalion  (|ue  l'aeide  pliospliori((ue  vis-à- 
vis  de  Tacide  azotique.  \in  elVet,  tandis  que  l'acide  azoticjue  ne 
|iriidnil  qu'une  série  de  sels,  l'acide  phosphorique  en  produit 
trois  :  les  phosphates  ordinaires,  les  pynqihosphates.  h^s  un'da- 
phosphales...  De  même,  tandis  (jiie  l'alcool  ne  produit  qu'une 
seule  s(Tie  d'('lliei->  lU'utros,  la  f^'lycériue  donne  naissance  à 
(rois  sé'ries  distinctes  de  comhinaisons  nenti'es.  >■ 

Ja's  laits  olpserv('s  par  M.  Bertlndot  étaient  exacts  ;  l'interpré- 
tation qu'il  en  |U'oposail  (Hait  erronée  :  les  trois  séries  d'(Hhers 
de  la  i;lyc(''rini'  ih'Tivenl  d'une  seule  e[  luiMue  f^lycérine  et  non 
de  trois  j;'lycérinos  dilTérentes  comparables  aux  acides  ortlio- 
phosphorique,  pyrophosphoriquo  et  métaphosphori(|ue  :  ces 
trois  séries  d'éther  sont  com|iaral)les  non  pas  aux  ortliophos- 
|)hates,  pyro|)hospliates  el  inidapleisphales.  mais  aux  trois 
séries  de  sols  (jiu'.  ])ar  sa  triple  basicité,  fournit  l'acide  pjios- 
phoriciuo  ordinaii'e.  i/acide  (u-tliopiiosphori(|ue,  nous  l'avons  vu, 
est  l'ormi'  de  trois  !4i'ou]ies  oxliydr\les  ((II  unis  enseniide  |)ar  le 
groupe  !'((.  Si,  dans  un  des  groupes  OU,  on  rem[ilace  un  équi- 
valent d'hydrogène  par  un  équivalent  de  ]iotassium,  on  a  l'or- 
thophosphate  acide  do  [)otassium  ;  dans  d(Hix  do  ces  groupes, 
on  a  l'oi-lliophosphate  neutre  de  potassium  :  dans  trois  île  ces 
grou|ies,(iu  a  rorlhopliosphato  hasiqiu'  de  putassium.  De  même, 
la  glyc(''rine  appartient  au  type  eau  trois  l'ois  condensé;  elle  est 
formée  de  trois  oxliydryle-,  ((11,  rivés  ensemlile  par  le  grou]>e 
('.'II':  dans  chacun  de  ces  oxliydryles,  l'hydrogène  peut  être 
remplacé  par  un  groupement  acide,  par  exemple  par  un  acé- 
tyle  :  sfduii   (iii'une  semhlahle  substitution  sera  olTectuée  dan> 

(1)  Ad.   WiiiTz,  Ui  Tlirorie  /i/omir/ue.  p.  14.'j. 


3V8  P.  DLllKM 

un,  deux  ou  trois  do  ces  grouiies,  nous  iinrons  trois  étiiers  acé- 
tiques dillérents  de  la  glycérine. 

Tidle  est  l'interprétation  qu'on  ISo'j,  Ad.  Wiirlz  proposa  des 
faits  (djservés  par  .M.  Berthelol. 

l/alcool  et  la  glycéi'ine  sont  comparahles  ii  l'acide  nitrique  et 
à  l'acide  phospliorique  ;  l'alcool  est  une  seule  l'ois  alcool  comme 
l'acide  nitrique  est  une  seule  fois  acide  ;  la  glycérine  est  trois 
fois  alcool  comme  l'acide  phospliorique  est  trois  fois  acide.  Pour 
confirmer  cette  manière  do  voir,  il  convenait  de  former  un 
corps  (|ui  fût  à  l'alcool  ce  que  l'acide  sulfuri([ue  est  à  l'acide 
azotique  ;  qui  lui  deux  fois  alcool  comme  l'acide  sulfurique  est 
deux  fois  acide,  (le  corps,  intermédiaire  entre  l'alcool  et  la  gly- 
cérine, Wiirtz  chondia  à  li>  Hirmer  et  y  |)arvint;  c'est  le  glycol, 
découvert  en  IS-'Jfi. 

D'après  les  idées  de  Williamson  sur  la  constitution  des  aci- 
des polybasiques,  de  Wiirtz  sur  la  constitution  de  la  glycérine, 
de  quelle  manièT'c  doit-on  jyrocéder  pour  (d)tenir  un  corps  qui 
soit  deux  fois  alcool  .'  On  doit  cliercher  un  groupe,  composé  de 
carlione  ci  d'hydrogène,  capahle  de  se  sulisliiuer  à  doux  équi- 
valents d'hydrogène  et,  |)ar  là,  do  river  onscmldc  doux  groupes 
oxhydrylcs.  Oi',  il  existe  un  corps,  foi'mé  do  carliono  et  d'hydro- 
gène, ijui  soinld<'  présenter  les  caractères  requis  ;  ce  corps, 
c'est  le  gaz  éthylène,  dont  la  composition  est  représentée  par 
la  formule  C-H".  Ce  corps  se  combine  avec  deux  équivalents  do 
chlore  pour  lormi'i'  un  li(|uidi'  huileux  hicn  connu  sous  le  nom 
de  liqurur  dr^  HnUaiiihii^.  (Jn  pont  rogardci'  la  liqueur  dos 
liollandais  C-ll'Cl-comnu'  do  l'acide  chlorhydriquc  doux  foiscon- 
densé  par  substitution  de  Téthylène  à  deux  équivalents  d'hydro- 
gène ;  le  groupe  éthylène  a|iparaît  donc  comme  un  de  ces 
groupes,  analogues  au  groupe  S()-,  qui  peuvent  se  substituer 
;\  deux  équivalents  d'hydrogène. 

Prenons  donc  l'éthylène  pour  ])oint  de  dé-parl  ;  combinons-le 
avec  le  lironn^  ou  l'iode  poiu"  (d)tenir  la  li(|nour  d(^s  Hollandais 
bromi'o  ou  iodée,  sa{)oniiions  celle-ci  par  l'oxyde  d'argent  et 
nous  obtenons  le  composé  CTI'(OH)-;  c'est  le  corps  doux  fois 
alcool,  l'intermédiaire  entre  l'alcool  et  la  glycérine  cherché  par 
AViirtz  ;  c'est  le  glycol. 

La  découverte  d'un  corps  nouveau   peut  avoir,   dans  le  do- 


L.l   .\nno.V  DE  MI.XTE  ;!V'» 

maine  pratique,  des  conséquences  graves  ;  mais,  au  poinl  de 
vue  de  la  science  chimique,  cette  découverte  n'a  aucun  intérêt 
si  elle  n'est  l'occasion  de  ruiner  une  théorie  fausse,  de  confirmer 
une  théorie  juste  ou  de  suggérer  une  théorie  nouvelle.  L'im- 
porla)ici>  d'un  fait  nouveau  se  mesure  à  l'évolution  que  ce  fail 
imprime  aux  idées.  D'après  celle  règle,  il  est,  en  chimie,  pou 
de  corps  dont  la  découverte  ait  été  aussi  importante  que  celle 
du  glvcol  ;  de  là  est  issue  la  notation  chimique  moderne:  par 
<luello  élahoration,  c'est  ce  que  nous  allons  examiner. 

La  découverte  du  glycol  a  Fait  éclater  aux  yeux  de  tous  le 
caractère  que  possèdent  certains  groupes,  comme  l'éthylène,  de 
se  sid)stilu('r  à  deux  équivalents  d'hydrogène  empruntés  à  deux 
HCl  dilfi'renls  lui  à  deux  Il-(t  dill'érents,  et  de  river  ensi'mhle 
les  deux  équivalents  de  chlore  restants  ou  les  deux  groupes  OH 
restants.  Ce  caractère  avait  été  déjà  signalé  par  Willi;im<oii 
comme  appartenant  au  groupe  SO-  et  comme  expliquant  la  dou- 
ble basicité  de  l'acide  sulfurique  ;  il  distingue  profondément  les 
groupes  que  nous  venons  de  citer  des  groupes  tels  que  le  nitryle 
AzO-,  l'éthyle  C-H",  l'.acétyle  C-H '0  ;  ceux-ci  ne  peuvent  se  substi- 
tuer qu'à  un  équivalent  d'hydrogène  pris  soit  à  l'acide  chlorhy- 
drique,  soit  à  l'eau.  Ces  dernières  substitutions  engendrent  des 
produits  qui  apparliennent  au  type  même  dont  ils  sont  issus, 
au  type  acide  clilnrhydrique  ou  au  type  eau.  Au  contraire,  les 
premières  sul)>lilutions  engendrent  des  produits  qui  appartien- 
nent non  pas  au  type  même  dont  ils  sont  issus,  mais  à  ce  type 
deux  fois  condensé,  au  type  acide  chlorhydrique  deux  fois  con- 
densé, au  type  eau  deux  fois  condensé.  Reprenant,  sous  une 
fiirmr  plus  précise,  une  expression  déjà  employée  par  Milon  et 
par.Malagufi.  Wiirtz  nomme  les  premiers  groupements  des  grou- 
pements luonnalumiqufs,  les  seconds  des  groupements  diatomi- 
ijiir-.;  plu-  lard,  il  a  proposé  de  remplacer  ces  dénominations 
par  celles  de  (jroiipemen/s  iinica/citls,  giuKpf'iurttfs  bivalents  ;  ce 
sont  ces  dernières  expressions  que  nous  adopterons  ;  nous  dirons 
donc  que  AzO',  C-H%  C-FPO  sont  des  groupements  univalents; 
(jue  SO-,  C-H'  sont  des  groupements  bivalents. 

Le  groupement  PO  que  nous  avons  rencontré  en  étudiant 
l'acide  phospliorique,  le  groupement  C'H'  que  nous  avons  cité 
à  l'occasion  de  la  glycérine,  possèdent  la  |)riqii-iété  de  pouvoii- 


■59 


:i:iO  p.  DUHKM 

se  subsliUier  à  Irois  ('"ijiiivalents  tl'liydroi;onc  dillYTonls,  pris 
dans  trois  HCl  différents  ou  dans  trois  H-0  différents  ;  de  don- 
ner ainsi  des  combinaisons  qui  appartiennent  non  pas  au  type 
acide  elilorhydrique,  au  type  eau,  mais  au  type  acide  chlorhy- 
drique  trois  fois  conilensé.  au  type  eau  trois  fois  condensé,  l.e 
i!;roupeiiient  l'O,  le  groupement  C'II'  sont  donc,  dans  l'acide 
pliosjdi(iri(|ue  ou  dans  la  glycéi'ine,  des  (/rniijicmciits  /rirn/c/i/s. 

Poursuivons  les  conséquences  de  ces  idées. 

Gonimont  Williamson  est-il  arrivé  à  opposer  au  ly|ic  eau  le 
type  eau  deux  fois  condensé?  11  a  vu  l'acide  azotique  qui  ren- 
ferme un  seul  équivalent  d'hydrogène  remplaçalile  par  un  mé- 
tal alcalin,  et  qui,  avec  un  tel  métal,  fournit  une  seule  série  de 
sels;  il  a  \u.  d  autre  part,  l'acide  sulfuri(|M('  (|iii  rcnlcrnie  d(Mix 
i'(|ui vali'uls  d'hydrogène  dont  chacun  peut  être  remplacé  par 
un  métal  alcalin,  de  manière  à  fournir,  avec  un  pareil  métal, 
deux  séries  de  sels,  selon  (jne  le  uK'lal  remplace  un  nu  deux 
équivalents  d'hydrogène  ;  de  cette  (qipositiou  est  née  l'idée  (|ue, 
si  l'acide  nitrique  dérive  de  H-0  par  substitution,  l'acide  sulfu- 
rique  doit  dériver  par  substitution  de  deux  fois  H-0  et  appar- 
lienl  au  tvpe  eau  deux  fuis  condensé. 

<  Ir.  comparons  l'action  de  l'eau  sui'  les  nK'daux  avec  l'action 
de  l'atide  chlorhydriquc.  L'aci<le  elilorhydrique  renferme  un 
seul  é([uivalenl  d'hydrogène  auciuel  <e  |iuis-;(>  subslitnei'  un 
équivalent  d'un  métal  tel  que  le  potassium  ou  le  sodium  ;  en 
agissant  sur  chacun  de  ces  mcHaux,  il  formera  un  seul  sel,  le 
chlorure  de  potassium,  le  chlorure  de  sodium.  I/eau,  au  con- 
traire, renferme  deux  équivalents  d'hydrogène  dont  ciiacun  jx'ut 
èlre  rem|)lacé  pai'  im  métal  tel  que  le  potassiun  ou  h'  sodium  ; 
si  un  seul  ('"quivalenl  d'hydrogène  est  remplacé  par  le  métal, 
iu>us  obtenons  une  première  série  de  composés,  les  oxydes 
hydratés  tels  que  la  potasse  KOll  ou  la  soude  N'a(_)H  ;  si  les  deux 
équivalents  d'hydrogène  sont  remplacés  par  le  métal,  nous  ob- 
tenons ime  seconde  série  de  composés,  les  oxydes  anhydres  K-O, 
Na-0,  analogues  h,  l'oxyde  d'argent  Ag^O. 

Cette  opposition  entre  l'acide  chlorhydriquc  et  l'eau  n'est- 
elle  pas  tout  à  fait  analogue  à  celle  qui  existe  entre  un  acide 
monobasique  et  un  acide  bibasique  ?  Ne  sommes-nous  pas 
amenés   à  regarder  l'eau   comme  appartenant   au   type   acide 


i.A  yariiiy  de  wwrv.  3oi 

chlorhydriqno  deux  fois  cuiulonsé,  commo  (Irrivant  de  deux 
groupes  IICI  par  suhstiUiUon  d'un  seul  équiviilent  d'oxygène 
Il  deux  équivalents  de  chlore?  Dès  lors,  avec  Odling,  et  ensuite 
avec  Wiirl/,  ne  répéterons-nous  pas  au  sujet  du  chlore  ce  que 
nous  avons  dit  des  groupements  composés  AzO',  G-H\  L'Il'O, 
au  sujet  de  l'oxygène  ce  que  nous  av<ms  dit  des  groupements 
composés  SO',  C'ir?  Ne  dirons-nous  pas  que,  dans  l'acide  chlo- 
rhvdrique,  le  ciilore  est  un  vlhucnl  iniirnlrn/  :  que,  dans  l'eau, 
l'oxygène  est  \\\\  élihiu'iil  l)ival''iil? 

De  même,  l'ammoniaque  peut  être  regardée  comme  appar- 
liMianl  ail  Ivpe  aciilo  chlorhydrique  trois  fois  condensé;  elle 
diM-ive  de  Irois  groupes  IlCl  par  substitution  d'un  équivalent 
d'azntc  à  trois  équivalents  de  chlore  ;  dans  l'ammoniaque,  l'azote 
est  un  l'ii'iiii'iil  Iriralcnf. 

Le  méthane  peut  être  regardé  comme  appartenant  au  type 
acide  chlorhydrique  quatre  fois  condensé;  un  équivalent  de 
carbone  s'est  substitué  à  quatre  équivalents  de  ciilore,  emprun- 
tés à  quatre  IICI  différents;  dans  le  méthane,  le  carbone  est 
un  l'IrmPtU  qtKidriralcnl. 

L'iodure  (l'ammonium  peut  être  regardé  comme  dérivant,  par 
substitution  d'un  é(iuivalent  d'iode  à  un  éipiivalent  d'hydro- 
•jène,  du  corps  iilral  Azil',  qui  serait  l'hydrure  d'ammonium: 
celui-ci  peut  être  rattaché  au  type  acide  chlorhydrique  cinti 
fois  condensé;  il  en  dériverait  par  la  substitution  d'un  seul  équi- 
valent d'azote  à  cinq  équivalents  de  chlore  pris  dans  cinq  iiCl 
dill'érents;  dans  ce  corps,  l'azote  est  un  élément  qmnlivulcnt. 
Tous  les  types  dont  nous  avons  parlé  se  trouvent  ainsi  rame- 
nés soil  an  type  acide  chlorhydrique,  soit  au  type  acide  chlo- 
rhydriciue  condensé  deux,  trois,  (juatre,  cinq  fois.  D'antres  types 
existent  encore,  qui  tous  peuvent  se  ranu-ner  au  type  acide 
ciilorhydrique  condensé  un  certain  noml)re  de  fois. 

Cela  posé,  considérons  un  type  chimique  quelconque  formé 
par  l'union  de  deux  éléments  on  de  deux  groupes  d'éléments 
a  et  b  ;  si  ce  type  est  le  type  acide  chlorhydrique,  a  sera  Cl  et 
//  sera  II;  si  ce  type  est  le  type  eau,  a  sera  0  et  //  sera  II'; 
el  ainsi  de  suite.  Ce  type  correspond  au  type  acide  chlorhy- 
drique condensé  //  fois;  on  dit  alors  que  chacun  des  deux 
groupes  a  et  A  est,  dans  ce  cmuposé  a  b,  n-ralnif  ;  on  dit  éga- 


352  P.  DUHEM 

lement  qu'on  s'vinissant  pour  former  le  compost'  a  li,  /es  ilcu.r 
groupes  a  et  b  rchangenl  n  valences  ;  et  Ton  écrit  la  f'ormul(>  tic 
ce  composé  en  traçant/;  traits  entre  les  deux  symjjoles  a  cl  b. 

Ainsi,  dans  l'acide  clilorhydrique,  un  équivalent  d'iiydn^gène 
échange,  avec  un  équivalent  de  ciilore,  une  valence  ;  la  for- 
mule de  l'acide  clilorhydrique  s'écrit  ll-(;i.  Dans  l'eau,  un  équi- 
valent d'oxygène  échange,  avec  deux  équivalents  d'hydrogène, 
deux  valences;  la  formule  de  l'eau  est  H-=^0.  Dans  l'ammo- 
niaque, un  équivalent  d'azote  échange,  avec  trois  équivalents 
d'hydrogène,  trois  valences;  la  formule  de  l'ammoniaque  est 
Az  =11'.  Dans  le  métiiane,  un  équivalent  de  carltone  éciiange, 
avec  quatre  équivalents  d'iiydrogèno,  quatre  valences;  la  for- 
mule du  méliiane  est  (1  H'.  Dans  l'iodure  d'ammonium,  un 
équivalent  d'azote  éciiange,  avec  le  groupe  lii,  cinq  valences; 
la  formule  de  l'iodure  d'ammonium  est  Az5|H*l. 

On  représente  encore  d'une  manière  plus  explicite  que  l'oxy- 
gène, l'azote,  le  carbone,  et  encore  l'azote  ont  remplacé  le 
chlore  de  deux,  trois,. quatre,  ciiuj  groupes  11(11,  en  écrivant  : 


II 

Il       11 

/li 

1 

\    / 

1— <)— 11, 

.\z      II, 

\ll 

11- 

-C— II. 

1 
li 

Az— 1. 

/   \ 
H       H 

Chacun  îles  iruits  martjui'  aiM>i  la  place  de  l'un  des  é([uiva- 
lenls  de  chlore  remplacés  par  siilistilution  et  signale  l'éijuiva- 
leiit  d'hydrogène  qui  lui  était  uni. 

(>onsidérons  niainleuanl  une  ciinilmuiison  appaileuîint  au 
type  a  A;  elle  est  l'ormée  p;u'  la  suhslitulion  d'un  ('ir'Uienl  ou 
d'un  groupe  d'éléments  A  au  gi'oupe  a,  d'un  ('dénienl  on  d'un 
groupe  d'éléments  B  au  groupe  b.  On  dira  encore  (|ue,  dans  le 
composé  AB,  les  doux  groupes  A  et  B  échangent  n  valences, 
et  l'on  écrira  la  formule  du  composé  en  plaçant  ;/  traits  entre 
les  symL(des  .V  et  B. 

Prenons,  par  exemple,  la  trirlln/liilKisjiliinc  ;  c'est  un  corps 
qui  dérive  de  l'ammoniaque  par  sulislitution  d'un  équivalent 
de  phdspliiue  à  un  équivalent  d'azote  et  de  trois  groupes  étiiyies 
C-ll'  à  trois  équivalents  d'hydrogène.  On  dira  donc  que,  dans 
corps,  un  équivalent  de  phosphore  échange  trois  valences 


C( 


LA  .\(iri(l.\  IIE  MI.\TE  333 

avec  le  groupe  iC'H'i'  et  on  écrira  la  formule  de  ce  compose'' 
P=(C-H'')';  ou,  mieux,  on  dira  que  l'équivalent  de  phosphore 
échange  une  valence  avec  chacun  des  trois  groupes  C'W  et  on 
donnera  à  la  triéthylphosphine  la  formule 

On  voit  que  le  type  auquel  appartient  une  combinaison  est 
maintenant  représenté  par  le  immbre  de  valences  ({n'échangent 
entre  elles  les  deux  parties  dont  l'union  est  censée  engendrer 
cette  combinaison. 

Ce  mode  de  représentation  présente  un  premier  avantage  qui 
s'apergoit  immédiatement. 

Considéruns  le  type  ammoniaque;  nous  rangeons  dans  ce 
tvpe  un  certain  nombre  de  combinaisiins,  par  exemple  le  pro- 
tochlorure de  phosphore  ITJ',  que  nous  faisons  dériver  de 
l'ammoniaque  par  substitution  d'un  équivalent  de  phosphore 
à  un  équivalent  d'azote  et  de  trois  équivalents  de  chlore  à  trois 
équivalents  d'hydrogène.  .Mais  il  est  évident  que  nous  pour- 
rions tout  aussi  bien  regarder  l'ammoniaque  comme  dérivant, 
par  une  substitution  inverse,  du  protochlorure  de  phosphore. 
D'une  manière  générale,  chacune  des  combinaisons  que  nous 
avons  rang(''es  dans  le  type  ammoniacjue  pourrait  être  choisie 
pour  combinaison  typique  dont  toutes  les  autres  dériveraient 
par  substitution.  Il  y  a  donc  (juel(|ue  chose  de  très  arbitraire  à 
choisir,  parmi  toutes  les  combinaisons  appartenant  à  un  même 
type,  celle  qui  donnera  son  nom  au  type. 

Cette  importance  arbitrairement  donnée  à  une  combinaison, 
parmi  toutes  celles  qui  appartiennent  h  un  même  type,  est 
évitée  par  la  notation  des  valences.  Toutes  les  combinaisons 
(|ui  apj)arliennent  à  un  même  type  sont  alors  marquées  par  un 
même  caractère,  sans  qu'on  ait  à  faire  jouer  ^  aucune  d'elles 
un  rùle  particulier;  et  ce  caractère  commun  mis  en  évidence, 
c'est  précisément  ce  que  le  type  considéré  a  d'essentiel,  savoir  : 
la  condensation  qu'il  faut,  pour  obtenir  ce  type,  faire  subir  an 
type  acide  chlorhydrique. 

Mais  l'introduction  de  la  notion  de  valence  offre  d'autres 
avantages,  bien  plus  considérables. 


3b4  P.  DUHEM 

Il  V  a,  dans  Topéralion  par  laquelle  on  rapporte  une  ecmilii- 
naison  à  un  type  donné,  quelque  chose  d'arbitraire  et  d'indé- 
terminé ;  c'est  la  manière  dont  on  la  scinde  en  deux  parties. 
Aussi  peut-on,  en  général,  rapporter  une  même  comhinaison  à 
plusieurs  types  différents  ou  bien  encore  la  rapportera  un  même 
type  de  plusieurs  manières  différentes. 

Prenons,  par  exemple,  la  métbylamine.  Nous  pouvons  la 
re2;arder  comme  de  l'ammoniaque  dans  laquelle  un  équivalent 
d'hvdrogène  a  été  remplacé  par  un  groupe  méthyle  CH'  ;  nous 
la  rangeons  alors  dans  le  type  ammoniaque.  Nous  pouvons  éga- 
lement la  regarder  comme  du  métbane  dans  lequel  un  équiva- 
lent d'hydrogène  a  été  remplacé  par  le  groupe  Azii-  ;  nous  la 
rattachons  alors  au  type  méthane. 

Prenons  un  exemple  un  peu  [)lus  compliqué,  l'iodure  de  mé- 
thylammonium.  Nous  pouvons  le  regarder  comme  de  l'iodure 
d'ammonium  dans  lequel  un  équivalent  d'hydrogène  est  rem- 
placé par  le  groupe  (Ml'  ;  nous  le  rattachons  alors  au  type  iodure 
d'ammonium.  Nous  pouvons  y  voir  du  méthane  où  un  équiva 
h'iil  d'hydrogène  a  cédé  sa  place  au  groupement  Azll'i  :  il 
dépend  alors  du  type  méthane.  Nous  pouvons  enfin  le  eimsi- 
dérer  comme  de  l'acide  iodhydrique  dont  l'équivalent  d'hydro- 
gène a  été  remplacé  par  le  méthylarnuKuiinm  A/IP(Cir');  dans 
ce  cas  nous  le  faisons  dériver  du  ty[)e  acide  chlurhydriciiu-. 

Prenons  encore  cet  exemple,  l'azotate  de  potassium.  Ce  corps 
est,  si  l'on  veut,  de  l'eau  où  un  équivalent  d'hydrogène  a  été 
remplacé  par  le  groupe  AzO*.  et  l'autre  par  un  équivalent  de 
potassium,  en  sorte  qu'il  dérive  du  type  eau.  Il  est  aussi,  si 
l'on  préfère,  du  chlorure  de  potassium  dont  le  chlore  a  été  rem- 
placé par  le  groupe  AzO',  et  il  dérive  ainsi  du  lype  acide  ciilo- 
rhvdrique.  Nous  pouvons  enlin  le  regarder  comme  de  l'iodure 
d'ammonium  où  les  quatre  équivalents  d'hydrogène  ont  été 
remplacés  par  deux  équivalents  d'oxygène  hivalmt  et  où  l'équi- 
valent d'iode  a  été  remplacé  par  le  groupe  OK  ;  nous  le  rappor- 
tons alors  au  type  iodure  d'ammonium.' 

l'entre  ces  diverses  manières  d'envisager  un  mi'-me  composé, 
on  devra  en  choisir  une,  qui  fixera  le  type  auquel  il  sera  rap- 
porté. Mais  cette  obligation  de  faire  un  ciioix  n'a  pas  que  des 
conséquences  heureuses.  En  effet,  chacun  des  types  dillérents 


;,  i  .Vm/'/o.v  ;);•:  iy;.\'/7-;  3;ij 

auxquels  lui  jiciil  rallai-licr  un  l'oniposô  a  ravanlatie  ilc  an'llrc 
en  liuiiirre  les  rolations  que  ce  coniposi'  présente  avec  eeilains 
corps,  mais  l'inconvénient  de  laisser  dans  l'onilire  les  relations 
qu'il  présente  avec  d'autres  corps. 

Prenons,  par  exemple,  lioduie  tie  méliiylammonium  ;  en  le 
rapportant  au  type  iodure  d'ammonium,  nous  mettons  bien  en 
i''\  ideuce  ses  relations  avec  les  composés  de  l'ammonifique,  mais 
nous  dissiuiulons  ses  rapports  avec  l'alcool  métiiyliqvu^  et  les 
étluM's  qui  en  dérivent;  en  le  rapportant  au  type  métlian(>,  nous 
é'clairons  ces  dernières  relations,  mais  en  obscurcissant  les  ana- 
logies du  composé  considéré  avec  les  sels  ammoniacaux. 

C'est  ii-i  ([u'inlervient  avec  avanlat;e  la  Uiilalion  n(Uivelle 
fondée  sur  la  notion  de  l'échange  des  valences.  Ce  choix  arbi- 
ti'aire  et  défectueux  entre  les  divers  types  auxquels  un  mènn^ 
com|)osé  peut  être  rapporté,  elle  nous  donne  le  moyen  de  ne 
pas  le  faire. 

(Ju'est-ce,  en  effet,  que  faii-e  rentrer  un  composé  dans  un  type 
déterminé?  C'est  prendre,  en  [)articulier,  un  élément  ou  un 
groupe  d'i'léments  apparteiurnt  à  ce  composé,  énoncer  combien 
cet  élément  ou  ce  groupe  d'éléments  écliange  de  valences  avec 
le  reste  du  composé  (c'est-à-dire  quel  est  le  degré  de  condensa- 
tion subi  par  le  type  acide  chlorhydrique)  et  comment  s'effec- 
tuent ces  échanges  (c'est-à-dire  de  quelle  manière  le  type  acide 
chlorhydrique  a  été  amené  à  ce  degré  de  condensation),  far 
exemple,  lorsque  je  dis  que  l'azotate  de  potassium  ap|)artient 
au  type  cait  i c'est-à-dire  au  type  acidt'  cldiirhiidrhiiic  condensé 
dcu.i-  foisi,  où  nu  équivalent  d'Iiydrogène  a  été  remplacé  par 
le  groupe  Az(J-  et  un  ;lutre  par  un  équivalent  de  potassium,  je 
dis  que  l'a/.otate  de  potassium  renferme  un  équivalent  d'oxy- 
gène bivalent  qui  échange  une  valence  avec  le  groupe  AzO-  et 
une  autre  valence  avec  le  potassium.  Lorsque  je  regarde  ce 
même  corps  comme  dérivant  de  Viodurr  iCammoniiim  (ou,  ce 
qui  revient  au  même,  de  Ydc/df  c/dor/i//driijiif'  condensé  ciiK/ 
foisi  par  suiistitution  du  groupe  (_)K  à  r(''quival('nt  d'iode  et  de 
deux  équivalents  d'oxygène  à  quatj'c  équivalents  d'hydrogène, 
je  dis  que,  dans  l'azotate  de  potassium,  l'azote  est  un  élément 
qiiiativalent  qui  échange  une  valence  avec  le  groupe  OK  et  les 
quatre  autres  avec  deux  équivalents  d'oxygène.  Lorsque  je  rap- 


:îS6  V-  DIHEM 

porto  l'azotate  de  potassium  au  type  acide  c/ihr/ii///rir/iie,  j'en- 
tends exprimer  que  ce  sel  renferme  un  équivalent  de  potas- 
sium univalent  ([ui  échange  sa  valence  unique  avec  le  groupe 
AzO'. 

Mais  ce  que  nous  venons  de  dire  ne  suggère-t-il  pas  immédia- 
tement l'idée  de  mcllrr  en  éviflrnrr  le  tiomhre  fies  vdlnues  de 
r/iaciin  des  éléments  (jui  lirjinenl  dans  le  composé  et  la  nianil re 
diial  I  es  valences  s'éehanrjent  deax  à  deui? 

Ainsi,  pour  l'azotate  de  potassium,  nous  marquerons  que 
l'azole  est  qninlivalent  dans  ce  composé,  que  le  potassium  y 
est  univalent,  qiu^  chacun  des  étiuivalents  d'oxygène  y  est  biva- 
lent; que  deux  des  équivalents  d'oxygène  échangent  chacun 
deux  valences  contre  deux  valences  de  l'azote  ;  que  le  troisième 
équivalent  d'oxygène  échange  une  valence  contre  la  cinquième 
valence  de  l'azote  et  l'autre  valence  contre  la  valence  unique 
du  potassium.  Nous  représenterons  donc  l'azotate  de  potassium 
par  le  symbole  suivant  : 

0 

Az— (t— K. 
0 

Ce  svmbole  ne  rapporte  plus  l'azotate  de  potassium  à  aucun 

tvpe  en   particulier;  mais  il   met  en  évidence  tous  les   types 

aux(|uels  ce  sel  peut  être  rapporté:  en  etTet,  les  diverses  ma- 

uièro  d'envisager  l'azolatt"  de  potassium  conduinml   à   écrire 

ce  sel 

K_(  )— AzO-, 

si  <iu  le  rapporte  au  type  caii  :  à  l'écrire 

0-^Az— (>K, 
si  on  le  rapporte  au  type  iodure  d'ammonium  ;  à  l'écrire 

K— AzO', 
si  on  le  rapporte  au  type  acide  chlorhydrique  :  et  l'on  voit  sans 
peine  que  tout  ce  qu'exprime  chacune  de  ces  formules  est  com- 
plètement exprimé  par  le  symbole  que  nous  avons  écrit  en 
liicniier  lieu  ;  ce  symbole  est  la  formule  dévelopjiée  o\\  formule 
de  ciiastiUitinn  de  l'azotate  de  potassium. 

La  formule  dérelopitée  d'an  corps  composé  a  donc  iiour  objet 
de  mettre  en  éridence  tous  les  li/pes  auxquels  ce  composé  pjeat 
/■Ire  rapporté  et  toutes  les  sulistilalions  par   lesquelles   il  peut 


LA  SdTlny  /)/■:   MI.WE  3o7 

t/rrirrr  ///'  c/incini  <lc  ers  /f/jif's,  scuis  (hiinirr  lu  iircfôretirr  à 
aucun  d'cit.r. 

(tu  aperroit  do  suite  la  tocontliU'  d'uno  semblahlo  notation. 

Lorsqu'on  connaît  la  fornuilc  développ(''L'  d'nn  compos(S  on 
voit  ininu'dialt'ment  quels  sont  les  corps  divers  auxquels  il 
pourra  donner  naissance  par  voie  de  substitution;  en  sorte 
que  l'on  peut  classer,  el  souveni  prévoir,  les  réactions  auxquelles 
ce  corps  donnera  lieu. 

11  y  a  plus.  Cette  formule  développée,  comparée  aux  formules 
développées  d'autres  corps,  fait  voir  par  quelles  substitutions 
il  est  possible  de  passer  de  ceux-ci  à  celui-là.  Or,  dans  un  grand 
nomiire  de  cas,  le  cliiniiste  possède  des  méthodes  générales 
qui  permettent  d'elfectuer  presque  à  coup  sûr  une  substitution 
(lonnée  :  lors  donc  qu'il  connaîtra  la  formule  de  constitution 
d'un  corps,  il  sera  bien  souvent  en  état  de  reproduire  ce  corps 
au  moyen  d'autres  corps  qu'il  possède  déjà,  :  en  un  mot,  d'ellec- 
tuer  une  si/nthhc. 

Cette  aptitude  de  la  formule  développée  à  indiquer  la  voie 
par  laquelle  se  peut  faire  la  synthèse  systématique  d'un  corps 
donné,  est  l'un  des  grands  titres  à  notre  admiration  que  possède 
la  notation  chimique  actuelle.  C'est  par  là  qu'elle  a  provoqué 
d'innombrables  découvertes  et  qu'elle  enrichit  chaque  jour  l'in- 
dustrie de  nouveaux  produits.  Donner  des  exemples  de  ces 
synthèses,  ce  serait  entrer  dans  une  étude  de  chimie  pure  qui 
ne  serait  point  à  sa  place  ici  ;  citons  seulement  deux  des  plus 
remarquées,  en  leur  temps,  de  ces  synthèses  prévues  et  voulues, 
aujourd'lnii  devenues  si  communes  :  la  synthèse  de  l'acide 
citrique  par  MM.  Grimaux  et  Adam,  et  la  synthèse  de  l'indigo- 
tine  par  M.  Bayer. 

(.1  siiivir.) 

P.  DUIIEM. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


LA  FRANCE  AU   POINT  DE  VUE  MORAL,  par  Alfred  Fouillke, 
1  vol.  in-S",  vi-410  pnges.  —  Paris,  Alcan,  1900. 

M.  Alfred  l-'(Kiill(H'  vient  (récriri'  un  livi-i'  ciMii-ai^eux,  plein  île  faits 
et  ilidées.  inspiré  par  Tannuir  du  l)ien  uKiral  et  de  la  pliilosophie,  oii 
Hdiis  ne  voyons  }<uèri'  néressité  de  faire  di-  j;raves  réserves  que  sur 
une  tendance  à  considérer  lé  ehi'isliaiiisine,  el  [lartieulièrement  la 
doctrine  catlioliipie,  comme  ayaid  fait  leur  temps  et  destinés  h  périr, 
par  iiicouipaliliililé  avec  Tespril  -  laïipie  el  lilii'i'ai  >■  ipii  enli-ainela 
civilisation  moderne  en  dehors  du  sni-nalui-el  :  et  aussi  sur  les  con- 
clusi(uis  encore  trop  vagues  de  la  pliilosopliii'  de  l'auteur,  malgré  son 
inItMiliou  évidente  de  dégagei-  des  certitudes  universelles,  au  poiiilde 
vue  |>ureineul  idiilosopliiipu',  pour  les  diuiiu'r  comme  hases  à  I  édu- 
cation (|ui.  sel(ui  lui,  peut  et  doit  sauver  la  h'rance  dans  la  crise  mo- 
rale et  sociale  qn  elle  li'averse. 

Siqiprime/.  de  ce  livi'c  une  certaine  prévention  c(nilri'  rr  que 
M.  l'"<niiUée  ap|ielle  le  f  romauisme  ■■  et  ■•  l'esprit  jésnitiipie  •  :  com- 
plète/, ïidéalisini'  |)r(q>osé  comme  miuinmm  de  doctrine  laïipu'  |)ar  un 
sjiirihiiilismc  plus  ferme,  plus  jtrécis  et  plus  allirmatif  :  et  vous  poind- 
re/, tiausfoiiner  les  conseils  de  l'auteur  en  une  solnliou,  à  notre  avis. 
\\<v\  aeeeplahle  des  ilillicultés  (pie  présente  la  désorganisai  ion  acl  uelle 
de  notre  pays. 

Il  serait  trop  ciMimunle  de  pouvoir  e\|iliquei' entièremenl  I  état  mo- 
ral d'une  nation  |iar  son  caraclére  natif  et  le  t'oiisidérer  connue  une 
résultanle  nécessaire,  inélnctal)le.  de  son  évolution  liistm-ique.  Une 
telle  explication,  malgré  son  apparence  scienlitique,  serait  décevaiile. 
Kn  dépit  de  leur  corruption  actuelle,  les  nations  sont  essentiellement 
guérissaliles,  parce  que  l'homme  est  esseiitiellenient  libre:  et,  d'ail- 
leurs, le  caractère  d'un   peuple  est  fort  com])lexe  et  envelnppe  g(''ui''- 


LA  iHAMt:  M  i'iii\r  ni-:  vn:  moual.  par  Ai.irem  i-oini.i.EE   :is<) 

ralciiiriil  do  i-i'ssiiiircrs  piM'ciruscs  il  lu'i  |m'uI  jaillir  le  i-clrxciiii'n! 
uatiiiiial.  an  iiiilii'ii  des  diTailiMiccs  i|U('  les  drlaiils  cl  1rs  vici'S  oui 
engciulrrcs. 

M.  Foilillt';'  lie  ri'oil  f;-|i(''n'  au  liluT  arlulrr  :  mais  il  a  je  cullc  dos 
idi'cs-fiirri's,  t'I  il  esl  coinainrii  (pic  l'idi'i'  dn  salul  pcnl  luiiis  sauver. 
coiiiiiie  ridée  de  la  ^hiire  iMilaiile  les  héros.  Il  .s'altaehe  tlone  iidhie- 
incnt  à  niellre  à  déeouverl  les  richesses  latentes  du  cai'aclère  Iran- 
Cilis  :  il  iKiiis  ciiediirane  |iai'  le  relief  (|U  il  ddiine  à  nus  qualih'S  de 
raee.  par  oii  imiis  piiiivons  nous  reprendre  el  nous  réioruier,  et  il 
nous  enseii;iie  niemi'  les  uinyens  pi-aliipics  île  nous  rendre  iiirillriii'> 
et  plus  heureux,  eu  si};nalaul  les  causes  de  l'ail  ipii  ont  produit  nos 
misères  morales  cl  r'eonomiijues,  causes  eonlinf^entes  contre  les- 
quelles nous  piuivons  réagir  el  (|ue  nous  [louvons  éliminei' et  rempla- 
cer pai-  une  orf^anisalion  plus  saine  des  forces  sociales. 

"  Tiiulc  |isycliologie  sociolofjiipiCi  dit-il  (p.  4),  doit  mettre  en  évi- 
deiu'e  le  cot('  relalif  el  moliile,  pai-  conséquent  perfectible,  des  carac- 
tères nationaux,  au  lieu  de  leur  inq)oser  l'étiquette  fixe  des  choses 
mortes.  Ou  [ucud  linp  souvent  poiii-  le  cai-actère  inimuahle  d'un  peu- 
ple ce  ipii  lies!  ijiu'  moMirs  ciumnunes.  Iraditions,  maximes  ]dus  mi 
moins  durables  de  la  conduite  collective.  Il  faut  donc  se  défendre 
contre  ceux  ijui  allribuenl  à  une  sorte  de  fatalité  des  races,  sui'toid 
des  races  prr'Iciidues  Inliiics.  l'ellet  ciuilin^ent  de  causes  [)arlicu- 
11  ères,  n 

Rappelant  sini  nuvrai;c  sui'  la  J'sijrholiKjii'  ilii.  peuple  français. 
il.  fouilli'c  monlrc  à  la  fuis  les  tiangei's  el  les  avantages  de  notre 
tenq)érament  moral  où  se  rencontrent  ip.  Cn  "  inlelligence  vive  el 
lucide,  éprise  surtout  du  rationnel,  habile  au  raisonnenuMit  cl  au 
jugement  :  sensiliililé  expansive  et  .sympathique  :  volonté  impulsive, 
capable  île  giands  eflorts,  uiais  n'ayant  pas  loujoni's  la  maîtrise  de 
soi,  ni  un  pouvoir  d'ari'ét  sullisant  ".  En  nous  comparant  aux  autres 
peuples,  il  l'ail  voir  ciuidiien  la  l'i'ancc  es|  aple  ]iai-  nature  à  pi-omou- 
voir  le  véritable  jn^ogrès  de  riiumanilé.  ■  Dii  se  Iriiuve  donc,  s  écrie- 
t-il  fièrement  ip.    l.">i,   le   |>i'uplc.   en    détiuilivc,    le  plus   dégagé  di 

'     nhu 


360  J-  r.ARDAIR 


logip  la  iilus  pnifoiKh'  a  deiniis  Idii^lciiips  reconnu  au  cœur  le  plus 
inlinie  de  l'àme  luiiiiaine.  En  ce  sens,  les  Français,  (|uels  que  soient 


eurs  écarts  de  parole,  de  pluine  ou  de  conduite,  en  dehors  des  en- 
seignements de  la  religion  callioliriue  ou  de  toute  religion  chrétienne, 
ou  même  de  toute  religion  quelconque,  demeurent  en  (pielque  ma- 
nière religieux,  [jarce  que  leurs  aspirations  idéalistes  les  relient, 
même  inconsciemment,  au  Principe  suprême  de  tout  idéal,  à  la  Per- 
Icction  iiremière  que  "  tous  appellent  Dieu  »,  comme  disait  saint 
Thomas.  El,  à  cet  égard,  nous  dirions  volontiers  avec  M.  Fouillée 
ip.  Wi  :  "  Est-on  bien  sur  que  la  l'aim  et  la  soif  de  lajustice  ne  soient 
l)as  toujours,  sous  des  formes  nouvelles,  aussi  vivantes  que  jamais 
dans  la  meilleure  partie  de  la  nation  française?  »  Néanmoins,  nous 
(levons  (lire  aussi  (pie  Fauteur  fait  trop  bon  marché  des  dogmes  pré- 
cis, et  nous  ne  pouvons  approuver  ni  sa  traduction  de  certain  passage 
de  saint  Paul  sur  la  foi  (p.  Vh.  ni  son  interprélati(ui  de  certaine 
parole  de  Pascal  sm-  la  charité  (p.  'mi,  ni,  enfin,  sa  conclusion  ainsi 
formulée  :  <■  Si  Dieu  est  esprit,  s'il  veut  être  adoré  en  esprit  et  en 
vérité,  on  ne  saurait  juger  les  nations  sur  les  d(ign\es,  encore  moins 
sur  les  rites  et  pratiques  extérieures,  mais  bien  sur  la  nature  et  l'objet 
de  leur  amour.  »  Tout  au  contraire,  c'est  précisément  parce  que  Dieu 
veut  être  adoré  en  esprit  et  en  vérité  (piil  demande  notre  adhésion 
aux  vérités  qu'il  nous  a  révélées,  et  ([u'il  veut  (pie  les  rites  et  les  pra- 
li(pies  de  notre  culte  soient  l'expression  de  croyances  exactement 
conhiiiues  à  ces  vérités.  Et  c'est  parce  (jne  ces  vérités  supérieures  et 
maîtresses  sont  diminuées  dans  l'esprit  des  Français  qu'ils  sont  si 
faibles  pour  résister,  en  toute  matière,  aux  entraînements  de  l'erreur 
et  du  vice,  tils  de  l'erreur. 

Aussi,  les  calholi(]ues  les  plus  éminenls,  et  M.  Fouillée  en  cite  plu- 
sierrs  avec  une  loyauté  à  laquelle  nous  nous  plaisons  à  rendre  hom- 
mag  ',  ont-ils  maintes  fois  dé]iloré  la  substitution  de  prati(pies  sim- 
plement niatêrielles  à  la  foi  consciencieuse  pour  les  dogmes  dont  les 
anciens  chrétiens  nourrissaient  leur  âme  comme  de  vérités  substan- 
tielles et  dont  la  lumière  viviliante  pénétrait  toute  leur  conduite. 
A  ce  propos,  M.  Fouillée  ne  pouvait  se  dispenser  de  mentionner 
l'elViirl  t'ait  par  l'Église  catholi(|ue  pour  renouveler  la  foi  chrétienne 
en  reconstituant  l'alliance  entre  la  philosophie  et  la  théologie.  >■  Le 
mouvement  tlumiisleapu  offrir,  dit-il,  quehiue  intérêt  (p.  (i.")i,  comme 
(Ml  eùl  otleri  un  mouvement  scotiste,  si  on  avait  choisi  Scot  pour  le 
proposer  à  l'étude  des  croyants.  Mais  comment  se  persuader  (pi'on 
allait  découvrir  la  philosophie  éternelle  dans  un  système  sage  pour 
l'époque,  sans  originalité  propre,  où  Aristote  et  Platon  se  mêlent  au 


LA   l-lt.\SCE  AI    l'dl.M  l)K   VIK  MilHAL.  \:\n  Ali-be»  FOUH.LKE     .tiil 

rlirislianisnu',  r\  qui  a  rli''  ili'piiis  liingli'iii|)S  ili''i)assé  par  les  l>i's- 
carli's,  les  Li'ihiii/..  Ii-s  Kanl  ?  Un  ne  saui'ail  complcr  sur  la  pliilusd- 
pliic  ili'  sailli  TliDinas,  ni  sur  a\icuni'  anlro  de  (•(immandc,  pour  jj,alva- 
nisri'  la  pliil()si>[ilii('  (■aliinliipic,  i'  Kssaviuis  tle  ilissi|)i'r  iri  un 
inaliMilcnilu  :  la  pliilosupliir  ilc  saini  Tlnimas  (|in'  li'S  dcrnii'i'S  l'apcs 
(le  Ce  siècle  ont  u  ]irijpos('e  à  l'élude  des  <'riiyauls  ■>,  couiiiie  le  dil  si 
bien  M.  l'ouillée,  recdimaît,  il  le  sail  eoiunie  nous,  la  valeur  pro|)i-e  el 
la  foi'Ci'  de  la  i-ais(ui  iialni'elle.  dans  le  domaine  ijui  lui  apparlieril,  el. 
si  elle  s'esl  atlacliée  à  conserver  ce  (jui  lui  a  pai-u  déliiiilil'  dans  les 
solutions  ilonnées  par  Arislote  et  IMatt)n  aux  prohlèmes  que  se  pose 
liudr  pliilci-iipliie,  ce  n'est  pas  pai-  serviliti''.  par  cn^-ouenLenl  (Ui  pai' 
le  simple  désir  délayer  les  dogmes  chrétiens  avec  les  pensées  les 
plus  analofiues  do  la  philosophie  antique  :  c'est  l'amour  de  la  vérité, 
dans  l'ordre  |)hilosopliique,  aussi  bien  que  dans  l'm'dre  de  la  Ihéolof^ie. 
«pii  inspirait  el  guidait  saint  Thomas,  et  le  système  iju'il  a  construit 
porte  la  nuir([ue  de  sa  personnalilé  et  de  son  j:çénie  en  Inén^e  temps 
(pie  l'cnqu'cinte  des  doclrim-s  plalonieieiines  et  péripatéticiennes.  Si 
ce  svslrmc  a  été  dépassé  paj-  les  philosophes  modernes,  on  pourrait 
monli-rr  (|ue  ceux-ci  souvent  ont  l'ait  fausse  roule  parce  qu'ils  igno- 
raienl  mi  perdaient  de  vue  ou  dédaifijnaient  les  chemins  ouverts  [lai- 
sailli  Thomas.  La  i<  philoso[)liie  élernelle  ■>  nest  pas  immobile  :  ellr 
marclir.  elle  progresse,  comme  toute  science  liumaiui';  mais,  pour 
avancer  sùremeni,  elle  doit  melire  à  profil  les  travaux  successifs  des 
esprits  sincères  qui  l'aiment  el  i{ui,  de  siècle  en  siècle,  renrichissent 
de  leurs  découverles,  sans  lu'étendi-e  recommencer  toujours  à  nou- 
veau une  (euvre  qui  demande  la  collaboration  de  tous  les  temps. 

Mais  il  faut  serrer  encore  de  plus  près  les  idées  de  M.  l''ouilli'i'  sui- 
tes rapport>  de  la  raison  el  de  la  loi.  Il  |)ense  l'p.  (JOl  qu"  «  une  grande 
conlradiclion  interne  travaille  les  défenseurs  du  catliidicisme.  Sehui 
eux,  dil-il,  c'est  à  l'Église  inl'aillibh^  de  limiter  la  raison  humaine,  de 
lui  mar(piiT  la  bcuaie  de  ses  (Iroils  pro]U'es.  (Ii'.de  deux  ehoses  lune. 
Ou  c'est  par  siuqile  sentiment  et  tradition  que  l'on  admet  celte  infail- 
libilité de  l'Eglise,  l'initiative  de  la  raisiui  humaine;  ilans  ce  cas,  on 
revient  à  la  foi  aveugle,  qui  n'esl  (ju'une  foi'me  du //(/('ù»ie  condamné 
par  l'Église  même.  Ou  c'esl  au  nom  de  la  raison  que  l'on  admet  un 
pouvoir  limitant  la  raison,  tles  dogmes  et  des  préciqites  qui  semblent 
en  opposition  avec  la  raison  mènu'  ;  c'esl  chuic  la  i-aismi  ipii  (ioil 
juger  eu  dernier  ressort.  Il  y  a  là  uni'  diflicullé  qu'iui  n'a  jiimais  pu 
lever  :  l'ulisriiniiun  ne  (leiil  elle  ei  ir  m  lion  aie.  sans  i''lre  aveugle  l'I 
incerlain.  ni  riitinniilf  sans  èlre  sujet  à  contestalion  el  encore  plus 
ini'erlaiii.  ■■  .Mais  p(nir(|uoi,  répondrons-nous,  ne  serail-il  pas  raison- 


362  J.  GARDAIU 

iialilc  ili'  n'roiiiiMÎlri',  ^ipr^s  exaiucii.  l'aiildrih'  cci-taino  iluiie  Église 
(•liarjj;éi'  i)ar  Dieu  inèriie  ilr  lixerce  ([u'il  faut  croiie  (i'a|ii-i's  une  révé- 
ialion  expriuiée  dans  les  Écritures  et  ilaus  une  tradition  ([uelle  nous 
invitt'  à  éludier  et  où  sont  contenus  les  litres  authentiques  de  son 
autorité  ?  L'Église  se  dit  infaillible  ])aree  (|ue  c'est  à  elle,  en  la  per- 
sonne des  Apôtres,  ses  |)reniiers  repn'senlants.  i|ne  Jésus-Clirist  a 
adressé  ce  corainandeuient  et  celle  prdini'SM'  :  ■■  Alli'z.  i/nseignez 
toutes  les  nations  :  je  suis  avec  vous  jusipi  à  la  consonnualion  des 
siècles.  "  Kt  Celui  qui  a  dcinné  cet  ordi'e  et  ]ii'0inis  ce  secours  avait 
lui-Hii'uic  |iri)clanu''  sa  propre  mission  divine  en  termes  solennels  : 
"  Cduinie  mon  Père  ma  envoyé,  je  vous  envoie.  "  Kt  il  avait  l'ail  a]ipel 
au  jugenieiil.  à  la  raison  des  hommes,  |)6ur  juslilier  celle  ilélégalion 
reçue  par  lui  clu  Père  parfait  et  éternel,  et  prouvée  par  ses  miracles 
joints  à  s<ui  al'lirmalion  de  sa  filiation  divine,  de  son  unil('  éterin^lle 
avec  le  Père,  et  à  son  enseignement  de  dogmes  évidenuiiiMit  au-des- 
sus de  la  raison  liumainc.  mais  non  pas  cependaMl  conlradicloires 
avec  les  alliruialicuis  naturelles  île  celle  l'aison,  |)uis(pie  les  plus 
grands  génies  y  ont  vu  le  prolongement  et  comme  le  couronnement 
dans  l'intini  des  véi-ités  que  noti'e  iidelligence  |>eut  saisir  par  ses 
propres  moyens.  Sans  doute,  la  foi  vil  en  uiéuie  temps  de  lumière  el 
d'oliscurité  :_«  elle  ne  croirait  pas,  si  elle  ne  voyait  pas  (pi  il  faut 
croire  «;  mais  ce  i|u"elle  croit  dépasse  la  raison:  et  voilà  pounpioi 
une  grâce,  ({ui  n'est  jamais  refusée  à  la  lionne  vohmlé.  est  nécessaires 
pourcroire.  La  raison  fait  tout  ce  (|u't'lle  peu!  pour  sr  démontrer 
ipie  les  dogmes  pro|)Osés  à  la  foi  oui  été  révélés  par  Dieu  el,  par 
conséquent,  ([u'il  faut  y  adhérer:  et  à  riiouune  raisonnable  cjui  «  fait 
loyalement  ce  qu'il  peut.  Dieu  ne  refuse  pas  la  grâce  ».  Après  tout, 
lumière  et  obscurité,  n'esi-ce  pas  le  caractère  de  tous  les  olijets  anx- 
(|uels  s'ap|)lique  l'intelligence  liumaiiie?  .N'y  a-t-il  [las.  en  tout  ce 
cpii'  nous  pouvons  penseï'.  à  la  fois  du  connaissable  cl  de  1  incom- 
préhensible".' 

M.  |-'ouillée  a  beaucoup  de  /.èle  pour  ramener  le  christianisme  à  ses 
antiipu's  [irofonileurs.  Il  se  fait  l'apôtre  d'une  rénovation  religieuse  du 
cathalicisnu'.  Écotilez  !p.  (17)  :  "  Catholicisme  de  sentimeid,  catholi- 
cisme de  mode,  catholicisme  d'intérêt  politicpie,  toid  cela  n'est  pas  le 
vrai  el  grand  catholicisme  des  Pères  de  l'Église.  —  C'est  vers  ce 
christianisme  primitif  que  le  catholicisme  français,  comme  le  catho- 
licisiiHi'  améi'icain,  devrait  s'orienter  pour  reconquérir  des  chances 
d'action  sur  les  âmes.  »  .\  merveille  I  On  croirait  entendre  la  voix 
d'un  évèijue  exhortant  les  lidèles  à  revenir  à  l'adcn-ation  intime  du 
Père  célests  en  esprit  et  en  vérité,  à  alimenter,  foi-lilier.  élever  leurs 


LA  FltA.M  i:  AI    l'dlM  HV.   VI  V.  MnliAI..  pau  Alfred  FOUILLEE     :!l>3 

j'unes  en  se  piMii'liMiil  de  lii  luoi'llc  de  l'Evaii^ilc.  Lr  iiiMllieur.  c'i^st 
i)U('  .^L  F<iiiilli''{'  n'a  i-icii  d'ecclésiastique;  c'est  im  apùlrc  luii-ciiu'iil 
laiijiic  (jiii  veut  laïciser  iiili-i^i-alenieiit  le  cliristiaiiisnie,  conuiie  si  le 
(llirisl.  sou  auteur.  uVtail  t]u'uu  pliilusopiie.  eL  uou  pas  le  Fils  d  ■ 
Dieu  (Ml  personne,  londaleui-  de  la  religion  (]ui  enseigne  les  mystères 
lie  la  Trinité,  de  rincai-uation  et  de  la  Hédeuiplion,  et  qui  ordonne  à 
ses  lidèles  de  se  servir  des  sacrements,  c'est-à-dire  de  signes  à  la 
l'ois  sensibles  et  sanctilianls,  pour  avoir  la  vie  en  eux  et  l'avoir  de 
plus  en  plus  abondante  et  féconde.  <•  On  a  eu  raison  de  dire,  conti- 
nue en  ellel  notre  réloi-mateur,  qu'après  avoir  la'i'cisé  tant  de  choses, 
il  faudrait  la'iciser  la  religion  même.  De  fait,  si  le  dernier  siècle  a 
sécularisé  la  morale,  le  notre  a.  selon  une  expression  de  M.  Darlu, 
sécularisé  les  idées  religieuses  en  leur  donnaiil  une  foruie  piiiloso- 
pliiipie.  nioiaie  et  sociale,  en  dégageant  les  vérités  rationnelles  ou 
expéiiiiii'iitales  qu'enveloppent  les  syudjoles.  La'iciser  la  religion,  ce 
serait  l'intérioriser,  ce  serait  la  ramener  du  dehors  au  dedans  en  lui 
donnant  sa  signitication  la  plus  intime  :  ah  a.iii'riuiihus  ad  inleriora. 
Ce  progrès  en  intériorité  est  facile  pour  le  protestantisme,  qui  est 
(lexible  et  ouvert  aux  intei-prétations  philosophiques  ;  mais  est-il 
<l!)nc  absolument  impossible  au  catholicisme?  Les  Pères  de  l'Église 
g;ecque  et  ceux  de  l'Église  latine  ne  savaient-ils  pas  tirer  le  sens 
uioral  des  symboles  religieux  et  le  rationnel  du  mystique  même?  — 
C'est  ce  que  négligent  trop  les  catlioliipies  de  notre  époque.  »  Nous 
r^juiercions  bien  volontiei-s  M.  Fouillée  de  cet  appela  la  religion  inté- 
rieure; mais  notre  bonne  volonté  ne  peut  aller  iusipi'à  le  remercier 
d'engager  les  catholiqiu's  à  imiter  la  tlexibilité  du  protestantisme  et 
•son  ouverture  aux  intei-prétations  pliiloso[)lii(pi;'s.  Par  là,  le  protes- 
lanlisirfe  tend  à  devenir  de  moins  en  moins  une  religion  révélée,  et 
de  plus  en  plus  une  pure  philosophie.  A  Dieu  ne  plaise  que  le  calho- 
iirisme  s'exténue  ainsi  et  perde  sa  sève  surnaturelle  I 

Ou  voit  siu'  ipu'l  point  |)rincipalement  nous  nous  ^^éparons  de 
.\I.  Fouillée.  Il  parait  approuver  ce  qu'il  a[)pelle  ■<  l'esprit  du  siècle  », 
qu'il  décrit  ainsi  (p.  Td  :  «  Si  la  caractéristique  du  xviii'^  .siècle  avait 
été  l'ellort  pour  chercher  ce  qu'il  y  a  d'humain  et  de  social  dans  les 
iondernents  de  la  morale,  de  la  religion  et  de  réconomique  :  la  carac- 
téristique du  XIX''  siècle  fut  leHort,  plus  ou  moins  heureux,  pour 
séculariser  la  l'eligion  même  en  transposant  les  idées  religieuses 
dans  la  [ihilosophic  et  dans  la  science.  »  Selon  lui,  «  la  sécularisation 
de  la  morale  et  de  la  religion  et  leur  rétablissement  sur  des  bases 
sociologiques  demeure  la  mission  propre  et  la  tache  de  la  France... 
La  France,  en  dépit  de  ses  détracteurs  et  de  ses  envieux,  représente 


3G4  i.  GAHDAm 

les  grands  principes  de  la  riévolulion,  r  csl-à-dii-e  I  iilée  des  dinits 
égaux  pour  tous  les  hommes  en  tant  «juliommes,  et  Tidée  de  la  soli- 
darité humaine.  C'est  sur  ces  principes  que  vit  la  France;  là  est  sa 
Ibrce,  là  est  sa  grandeur...  Ces  idées  directrices  de  la  France  sont 
les  conditions  d'existence  de  la  patrie  française,  et  il  se  trouve  que 
ces  idées  sont  en  même  temps  les  conceptions  essentielles  d'une  reli- 
gion morale  et  sociale,  par  cela  même  dune  religion  universelle.  ■> 
.Nous  pensons  qu'il  existe,  en  ell'et.  une  religion  natiu-elle  et  univer- 
selle, et  nous  la  concevons  même  plus  haute,  plus  étendue.  |ilus  reli- 
gieuse, en  un  mol,  parce  (jue  cette  religion,  fondée  sur  la  raison 
même,  c'esl-à-dire  sur  ce  qu'il  y  a  de  plus  universel  dans  la  nature 
créée,  nous  a|)parnit  comme  aftirmative  de  l'existence  d'un  Dieu  Inut 
l'spril,  sniislanci'  de  la  vi'rité  éternelle,  de  lélernelle  perfection  et  de 
l'élernelle  justice,  ])rinci[ie  et  source  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  vrai,  tie 
Ijon,  de  juste  eu  toutes  choses  :  si  ce  Dieu  était  reconnu  |iar  toute 
raison  liiiuiaiue.  si  IduI  Imnime  l'hiiuorail  et  l'inviiquait  enoune  le 
Père  de  tout  ce  qui  est  et  parlicuiièremenl  ciuanie  le  Pi'redi'  I  huma- 
nité, par  là  même  serai!  assuré  le  lien  le  [dus  fort  entre  tous  les 
hommes:  i)ar  là  serait  resserrée  et  consolidée  l'union  morale  et 
sociale  entre  les  lils  d'une  même  patrie,  désormais  adorateurs  éclai- 
rés et  conscients  d'un  un''un'  Créateur,  (pii  a  fait  les  i)alries,  comme 
il  a  fait  les  systèmes  particuliers  des  astres  dans  le  grand  système 
de  l'harmonie  universelle  des  mondes.  Mais,  au-dessus  de  celle  reli- 
gion iiaturelle,  nous  croyons  qu'il  est  une  religion  révélée  par  le 
l-'ils  éternel  de  Dieu,  égal  au  Père  éternel  et  Dieu  comme  lui,  ipii 
s'est  incarné  dans  in)tre  natni'e  et  s'est  fait  homme,  pour  faire  de 
Ions  les  hommes,  non  plus  seulement  par  natuic,  mais  par  une  ('■h'- 
vation  surnaturelle,  des  lils  île  Dieu.  Celle  religion,  aniniucée  et  |U'o- 
mulguée  par  le  Christ  dans  l'Évangile,  consacre  tous  les  principes  de 
la  religion  naturelle,  en  renouvelle  tous  les  préceptes,  mais  y  ajdute 
des  diigmes,  des  conuuantlemenis,  des  conseils,  destinés  à  ouvrir  en 
faveui'  de  l'humanité  la  voie  vers  un  plus  suhlime  idéal.  .Nous  ne 
voulons  1  imposer  à  ])ersonne:  mais,  comme  nous  croyons  ferme- 
ment qu'elle  existe,  nous  ne  pouvons  pas  admettre  qu'on  invile  notre 
pays  à  l'éliuiiuer  de  plus  en  plus  du  jjrogrès  vers  la  civilisation  défi- 
nitive. Nous  estimons  que  la  I-'rauce  est  appeh'e.  au  contraire,  à  la 
conserver  dans  ses  croyances  ei  dans  ses  m<eui's,  à  la  maintenir  au 
sommet  de  ses  aspii-ations,  tout  en  afl'ermissanl  à  la  base  la  convic- 
tion des  principes  rationnels  de  la  religion  naturelle. 

Après  avoir  nettement  indiqué  cette  divergence  fondamentale,  nous 
sommes  plus  à  l'aise  pour  louer  la  justesse  de  la  jilupart  des  vues 


LA   FliAXCE  M'  /'m/V7'  IiE   \'I  K  MallM..  i'ah   Alfred  KOl'II.I.EE     :!0;; 

(le  M.  iMUiillcc  sur  kl  i-i'^|Mius.il)ilili'  ilo  la  |irrssc  dans  la  criso  moralr 

i|iir  iimis  traversons,  siu'  les  causas  sucialcs  cl  [mlil  lipics  de  1  iiniiKi- 

ralito  ci'oissanti'   et    uolaiiiiin'iil    de   la   criiuiiialilé  jiivéaili',   sur   la 

iii'Cfssité  d'un  l'd'orl  ooiuiumm  des  pouvoirs  pulilics  cl    de  tous   les 

|-'rancais  |Miiir  ri'UHndcr   li'  eonraul    i|iii   nous  cul  raini'rail  à   la  d(''ea- 

dcHcc,  si  une  résistance  (■clairée  au   mal   ne  si'  [irodnisail  pas.  Nous 

sonunes  avec  l'auteur  ipiand   il  sii;nale  connue  sonrci'  i\i'  la  diMuora- 

lisalicni  aciiicllc  ip.  M''>\  "  la  perturbation  des  ciniditicnis  sociales  et 

(■'conoMii<|ues,   rinsuriisauce  de   l'i^diicalion  dans   la    faniilli-  cl   dans 

l'école,  surtout  la  croissante  pi'r\ cisité  d'une  presse  ipii   poni'rait  si' 

délinir  :  la   sufjçgestion  du  vice  cl  du  crime  organisée  sur  une  vaslc 

l'cliellc.  munie  de  ]n-iviléfj,-es  el  assurée  de  l'iniiiiniilé  •>.  Comme  lui 

nous  pensons  (pi'à  -  nos  pouvoirs  pulilics  il  appartient   de  tendre  les 

ressorts  au   lieu   di'   l'avoi-iscr  le   rehicliemcnl    iini\crsel.    Se   liera   la 

lionin'  nature,   dit-il  cxcellemiueul,  c'est   ouMier  que  le   propi'c  des 

socii'tt's  humaines  est  de  se  dirij^er  par  di's  règles  qui   ne  sont  plus 

simplemcul  des  lois  de  la  nalure,  mais  bien  des  lois  de  la  moralilé. 

De  mi''mc.  se  fier  au  jeu  spontaiu'  des  liliertés.  an  laisser-faire.  c'est 

nnlilicrque  lajusiice   ne  s'établit  pas  toute  seule  parnn   les  hommes 

et  ne  ré;;ue  lias  sur  eux  par  sa  seule  autorité.  La  loi,  loin  d'éti'c  une 

atleinle  à  la  liberté,  esl  la  garanlie  de  la  liberté  même.  Au  contraire. 

la  liceiHje  sous  toutes  ses  formes,  —  que  ce  soit  celle  des  rues  ou 

celle  di's  publicarnuis  immorilles,  dilVaiuatoircs,  antisociales,  —  est 

une    corrn|itioii    organisée    el,    imposée,    une    violence    déguiséi>,    à 

laipielle  jeunes  ^-ens  et   honnues  laits  n'ont  plus  même  la  facnlié'  di' 

se  soustraire...  One  l'éilucalion  du  peuple  Iraiiçais,  par  l'école  d'abord 

et  surtout  par  la  |)resse,  devienne  meilleure,  et  le  niveau  général  se 

rehaussera,- les  variations   tantôt   heureuses,    tantôt  malheureuses, 

dues  aux  mouvements  en  Ions  sens  de  notre  civilisation  croissante, 

se  rcstreindi-ont  à  des  écarts  dans  des  sphères  plus  élevées,  tandis 

ipi'ellcs  s'étendiMil  anjom-dhni  jusqu'aux  bas-fouds  de  la  conscience 

nationale  et   finit   remonter  la  fange  à  la  siu'face  sons  foiane  de  vi<-e 

el  (h>  crime.  " 

(Juelles  que  soient  ses  [iréventions  contre  la  valeur  doctrinale  du 
christianisme,  M.  Fouillée  n'en  blâme  pas  moins  la  lutte  organisée 
dans  les  écoles  publiques  contre  l'intluence  de  la  religion  catholiqni'. 
Nousaxiuis  tro|)  marqué  notre  revendicatiiui  des  véi'ités  chrétiennes, 
pmir  ne  pas  être  heureux  de  citer  des  déclarations  comme  celles-ci 
p.  I(i3!  :  «  Si  l'enfant  déjà  mal  disposé  par  l'hérédité  ou  pai-  le 
milieu  familial  découvre  uni'  sorte  d'hostilité  entre  le  représentant 
de  la  morale  laiVine  et   celui  de  la  morale  religieuse,  il  pourra  con- 

23 


366  1.  GAUDAIU 

<'lure  ;i  riiiccrtiliidr  île  loiite  morale,  iiiissi  bien  laïi|iie  (|ue  reli- 
içieuse,  et  ce  n'est  alors  ni  la  grammaire  et  rortiiojirai>he,  ni  l'arilh- 
métique  et  le  calcul,  ni  l'histoire,  ni  la  fameuse  géogi-;(i)liie,  ijni 
pourront  rempèclier  de  mal  faire...  De  quoi  se  composait  et  se  com- 
pose encore  aujomd'hui,  en  France,  le  parti  qui  s'intitule  propi-ement 
anticlérical?  Un  philosophe  non  sus])ect  lui-même  île  cléricalisme, 
M.  Renouvier,  répond  |>.  I(i(i  :  ■■  D'csprils  élroils  et  bornés,  chez 
<i  qui  la  libre  pensée  n'est  faite  que  de  lu'gation.  "  Kt  ce  n'est  pas  avec 
des  négations  (pie  l'on  moralise  un  peuple.  —  (juelqne  opinion  que 
l'iMi  ait  sur  la  valeur  objective  des  dogmes  religieux,  encore  n"eùt-il 
pas  fallu  méc(mnaître  cette  vérité  élémentaire  de  sociologie  que  les 
religions  sont  un  frein  moral  de  premier'  ordre,  et,  plus  encore,  un 
ressort  moral.  Le  cliristiani.sme,  notamment,  a  été  défini  par  Balzac  : 
un  système  conqilel  de  ré])ression  pour  toutes  les  tendaïu'es  mau- 
vaises. Il  a  ce  particulier  mérite,  par  où  il  s'oppose  aux  religions 
antiques,  de  prévenii-  la  mauvai.se  déterminal  inu  de  la  xoloiité  eu  la 
combattant  dans  .son  premier  germe,  le  désir  et  ineine  l'idée;  d'oii 
l'expression  :  péchei-  enjiensée,  expression  i) ni.  dit  M.  (iarofalo,  ne 
peut  faire  souiire  ipiuue  psychologie  suiierlicielle.  ■• 

M.  l*"ouilli''e  veut  dune  la  tolérance  à  l'égard  de  la  religion  chiv'- 
lieuue  :  mais,  en  somme,  in'  nous  h'  dissimuliins  pas,  le  cal  liol  ici  sine 
et  même  le  protestaiilisiiie  n'ont,  à  ses  yeux,  (piiin  rôle  temporaire 
à  jonei-  dans  l'éducation  nationale  :  il  faut  les  conserver  iiKuiienla- 
in'iiienl  comme  freins  moraux,  comme  directions  symboliipies  vers 
l'idéal,  de  même  que  p.  MIS  "  Descartes,  voulant  douter  de  tout  et 
reconstruire  l'édilice  entier  de  la  science  iipielle  nto[)ie  11,  avait  eu 
soin  de  se  faire  d'abord  une  morale  de  provision,  (pi'il  com|iarail  à 
un  abri  jirovisoire  ». 

Quel  es!  donc,  en  résumé,  le  plan  de  eondnili'  (]ne  prO]iose 
M.  l''ouillee  pour  ri''gi'nérer  la  l''ranre  par  ri'dncalioii '.'  AvanI  loni,  il 
proclame  hautement  p.  Kiîlj  que  <•  ces  dans  la  lainille  (|iie  la  pre- 
mière et  la  plus  essentielle  éducation  doit  être  ilonnée  »  :  el  Ion! 
Iiomme  de  bon  sens  sera  de  son  avis.  Puis,  Imil  en  riTlamanl  comme 
nécessaire,  an  milieu  de  la  division  des  |iartis  les  ]iliis  contraires  ipii 
troublent  notre  pays,  (|ue  l'État  offre  à  tous  une  éducation  esseutiel- 
leinenl  lanpie,  il  demande  cpii'  l'on  cherche  la  conciliation  des  idées, 
et  non  la  lutte  et  l'antagonisme.  •  Philosophie  et  religion,  dit-il  avec 
justesse,  ont  un  terrain  commun,  dont  font  partie  les  vérités  essen- 
tielles de  toute  morale.  »  C'est  sur  ce  terrain  (pi'il  conseille  de  se 
rencontrer  et  de  s'entendre  pour  donner  à  la  jeunesse  française  un 
minimum  de  pensées  semblables,  une  certaine  unité  d"asI)i^alions, 


;.  i  rn.[.\(E  m   raisr  /*;■;  vik  mdhm.  par  au-rko  F<ini.ij:K   :îc7 


d'MlVi'ctidiis  cl  (11'  vuloiilrs.  A  rcl  (■ganl,  nous  so ii's  .ivcc  lui  <|iiaii(l 

il  Hiil  a|i|ii'hiu\  dogmes  clii-r'liciisip.^.'JOi  ■•  |iimii-  moiili-ci- c|iril  cxislc 
uni'  Mioi-alr  \i-ainii'iil  laii|ni'.  |)ro|ii'i'  à  rt'concilii'i-  Ions  les  t'spi'ils. 
Calholiiincou  pi'oh'slanl.s  l'ri-ii'-l-il  avec  ini|iai-l  ialilr.  Ii'  l'Iirisliaiiisiuf 
n'ailiiii'l-il  pas.  innnin'  le  Jniiaïsiiir,  une  IniniiTc  iialui-i'llc  i|ui  ('■l'Iain' 
ioul  lioninir  vi'nanl  l'ii  rc  nioudt' .'  Ni- ri-i'onuail-d  pas  une  disliiiclion 

(In  jnslc  et  de  I  injuste  ron(i('i'  sur  la  raison,  i idée  du  devoir  cl  de 

la  loi  iunnaui'ule  à  lonle  conscienci'.  Ii'r  iih'iilii,  liase  de  la  loi  civile 
cl  poliliipie  ?  Ne  reconnail-il  pas  aussi  i|ne  la  liherlé  est  londee  siu' 
la  raison  ni(''ine  :  7'oliiis  lilinlalh  mili.r  rsl  ni  rnliniii'  rnnxliliila  '.'  Si  la 
llicoloji-ie  coiisidc're  la  morale  nalurcllc  cl  rationnelle  coninie  pi\ili- 
(pieinenl  insullisanle  sans  un  seemn-s  supérieur  et  divin,  elle  la 
(h'clare  cependant  ni'cessaire  et  fondaïuentale  :  c'est  sur  la  raison  et 
la  conscience  (jn'elle  édilie  la  foi;  c'est  an  i'(''^n('  de  la  nature  (piclle 
ajoute,  avec  saint  Thomas  et  Bossin't  conune  avec  Leilmitz.  le  rèj^ne 
<li'  la  î;ràce.  Dès  lors,  en  dehors  de  toute  confession  reliîjçieuse  et  de 
l'aven  in(''nie  des  aut(natés  religieuses,  un  ensei};nement  moi'al  et 
|)hilosophi(pM'  est  possible,  (pd  oliliendra  l'assentiment  de  tous.  » 

Voilà  (pii  esl  hien  peiisi'  el  liien  dit.  Une  l'on  enseij^iie  dans  les 
écoles  ollicielles  une  morale  natm'elle.  fon(l(!'e  sur  la  raison  :  nous 
acceptons  de  i;ian(l  c.cur  celte  solution  d'un  conllil  regret  tahle, 
|H,urvu  (pu'  Ion  ail  >oin  (recarter  de  cet  euseignemenl  tonte  opposi- 
tion llai;i-anle  a  la  morale  chrél ienne.  tout  dédain  même  de  celle 
morale  et  des  (loi;iiies  sni-  lesi]nels  elle  s'appuie,  toute  insinuation 
de  la  |ir('teii(liie  inutiliti'  dune  }^ràce.  surnat  ui-i'lle  pmn-  mener  I  homme 
à  sa  lin  dernièi-e.  Pour  assurer- celte  im|iarlialité,  cette  réserve,  celle 
l)ien\eillante  neutralité,  nous  ne  voyons  qu'un  moyen  pratifine,  c'est 
de  cousidéi-er  loyalement  l'Éf^lise  cal  hoii(|U('.  el  plus  i;-énéral('iiH'nl 
les  K.n'lises  chrétiennes,  conmn'  des  alliées  émineunnent  utiles  |iour 
la  grande  leuvre  de  réducali(Mi  nalimiale,  et  de  nnircher  d'accord 
avec  elles  dans  la  formalion  de  l'imie  frain-aise.  Malheureusement, 
mi  n'est  pas  hien  prépare  à  celte  entente  cordiale,  (juaud  on  est  per- 
suadé rpie  le  chi-istianisme  est  appelé  à  dis|)araitre  elà  céder  hi  place 
à  la  pure  philosophie.  M.  Fouillée  pense  i  p.  'MIDique  ■•  c'est  mi  inli'i-el 
\ilal  |iour  le  xx-  siècle  (pn-  de  ilonnei-  une  ànu'  philosophiipie  à 
I  eiiseii'-nement,  puisqu'il  perd  de  plu>  en  plus  son  àme  relif;ieuse. 
I)i''i-lirish/iiiiscr,  dil-il,  sans  lui  uni  iiisi'r  ni  iiiniiili^rr.  ce  serait  se  pi'e- 
pai'i'i-  à  toutes  les  cniivulsious  sociales  el  poliliipies.  Soyinis  c(insé- 
(pienls  :  là  m'i  le  prêtre  n  a  plus  son  ancienne  aulorih'.  la  philosophie 
morale  et  sociale  peut  se\de  exercer  une  iniluence  cai>alde  de  renu'-- 
(Uer  à    l'anarchie  où   les  purs  liltéralenrs  el  les  pui'S  savants  laisse- 


"08  J.  GARDAIR 

l'ait'iit  1  espi'il  juiljlic.  l'uisqiii'  nous  avons  dcvanci'  les  autres  p  mi|i1(  s 
dans  \c  travail  de  dissolution,  au  moins  l'ant-il  les  devaiicci-  aussi 
dans  l'ieuvrc  plus  posilivc  di'  rénovation.  ■>  Coniph'lnns  ri'^  i^xlioi'la- 
tions  on  demandant  ipu'  l'on  renonce  di'liuilix  riucul  à  l'inlrulion 
volontaire  île  drchrisllnnisfr  la  France,  que  Ton  acci'|)le  en  loule 
fraucliise  la  coexistence,  au  moins  parallèle  et  sans  lioslililé  réiipru- 
(pie.  d'un  enseignement  ecclésiastique  de  la  ndij^ion  révélée  el  d  lui  • 
enseignement  laï(ine  de  la  morale  naturelle,  en  coiiqn'enant  dans 
(•elle  morale  la  religion  naturelle  elle-même,  conséquenc'e  <le  l'exis- 
lence  de  Dieu  di'uioulrée  on  au  moins  postulée  par  la  raison.  Distin- 
guons les  vérités  d'ordre dill'érent:  séiiarons-en  même  l'enseignement, 
si  des  iu''cessités  de  l'ait  l'exigent  :  mais  ne  d(''cliirons  pas  l'unité  l'on- 
damenlale  de  la  vérili''  inl(''grale.  Kn  roi-mulaul  une  iuvilalion  dia- 
lenreus;'  à  la  conciliation  des  doclriiu's,  ne  laissons  pas  enlrevoii' 
une  conviction  secrète  (|ue  les  dogmes  surnaturels  sont  sur  un  iri'i'- 
médialde  déclin,  el  que  la  pur.'  uatuie  loi  ou  lard  i-i''gu('ra  seulr  sur 
rhunianil('. 

Certes,  la  philosophie  qui'  M.  |-'ouill(''c  viuiilrail  que  l'on  enseignai 
dans  les  lycées  di^  l''rance  et  (huil  il  demande  que  \  on  donne  quel- 
ques notions  même  dans  les  (''coh-s  primaires,  est  nnf  docti-iiu'  éle- 
vée, idéaliste,  d'une  haute  insjiiralion  morale;  mais  elle  nous  par.ail 
encori'  ll'op  peu  précise,  Iriqi  pru  explicile  sur  des  véril(''s  cloi'i  tontes 
choses  dépendent,  nolaunucnl  sur  I  exislence  d'un  l'rincipe  parfait 
et  personnel,  crealeur.  moteur  el  lin  dernière  de  tout  ci'  ipii  n'esl 
pas  lui-même.  Que  1  on  en  juge  par  ces  aperçus  signilicalit's  :  "  Nous 
concevmis  tous,  dit  I  auleur  '  p.  :i'i">  ,  un  idê'al  de  la  raison,  (pie  Platon 
appelait  le  sujM'éme  inlelligihh'  l'I  le  supri'uic  di'siralih' ;  nous  nous 
imposons  Ions  le  devoir  de  conti'iliuei-  à  sa  réalisalimi  ;  [)ar  cela 
même,  nous  agissons  comme  s'il  élail  possible  et,  en  consé(]nence, 
d(''jà  l'cuidé  dans  la  rêalilé,  Coimuenr.'  Nous  l'ignorons;  mais  ce  prin- 
ci])!',  commun  à  tons  riMix  cpii  admettent  une  morale,  peut  éti'e 
présenli'  à  l'enfant  sous  les  formes  les  pins  accessibles:  ICssenliel, 
c'est  cpu'  l'enfant  considère  l'idéal  du  bien  inui  c(uiuni'  une  chimèi-e. 
mais  comme  1(>  ressort  suprême  tie  la  réalité  universelle,  el  non  pas 
seulenu.'nt  de  nos  âmes.,.  La  plHloso|diie  doit  taii-e  C(unprendre  à  la 
jeunesse  (p,  379)  qur.  loin  d'ê'lre  en  conlradicl  ion  avec  la  n'^alité. 
l'idéal  est  la  rêalilé  même  interpréti'e  dans  son  mouvement  et  dans 
son  as|)iration,  l,a  réalité  change  et  se  meut  :  donc,  elle  n'est  jjas 
loul  ce  (pielle  [)eul  êlri'  l'I  n'a  pas  tout  ce  qu'elle  désire  ou  coru-oit  ; 
à  (pu>i  bon  changer,  si  on  est  bien  connue  cm  est?  Voilà  le  l'ait  riirl 
d'oi'i  paît  l'idéalisme.  En  vertu  de  ce  principe,  il  est  légitime  et  même 


i.\  /•■/,■. i.vr/:  .\/"  /'i//.\r  /'/•:  vn:  moii.xl.  tar  aurep  kouii.lke   30'j 

iri'cc'ssîuic  (Ir  ili'Irriuini'C  vers  (|uci!i'  lia  iilrali'  si'  tliri^i'  le  cliaiii!;!'- 
nu'iit.  shi-IduI  cIhv,  les  êtres  ilmiés  ilc  voldiiti'  et  de  conscience,  cliez 
I  lidiniiieel  les  sociétés  luiniuiues.  Mnis  cette  délerinination  de  l'idéal 
.-upiiose  elle-ménie  la  connaissance  tin  réel,  de  ses  tendances  et  de 
ses  i)ulssai»ces  :  il  n'y  a  donc,  en  délinilive.  aiicnne  oppositimi  enlce 
le  vrai  réalisme  el  le  vrai  idéalisme,..  L'idéalisim'  sontient  qn'il  y  a 
dans  la  réalité  même,  et  surtont  dans  l'immanité,  un  ressort  moral, 
<jue  les  forces  en  tension  et  en  li-avaij  dans  le  monde  aboutissent, 
chez  les  êtres  pensants,  à  des  idées,  et  (jue  ces  idées,  à  lenr  tour, 
<leviennent  des  forces  (•ai)al)les  de  réagir  sur  ce  qui  est.  en  vue  de  ce 
i|ni  sei-a.  •• 

Condjien  serait  plus  fécond  cet  enseignement  moral,  s'il   ne  i-rai-' 
gnait  pas  d  •  reconnaître  l'existence  d'un  Dieu  en  qui  l'idéal  inliiii  est 
intinimeni  réel  1  M.  Fouillée  veut  bien  que  l'on  enseigne  ce  (lue  signifie 
le  noni  de  Dieu  ])Our  ceux  qui  croient  (jue  Dieu  existe.  "  Ceux  même, 
écrit-il  ip.  -lAH',.  qui   ne  croient  pas  à  l'objectivité  de  l'idée  de  Dien 
question    que,    connue    philosophes,   nous   réservons    entièrement, 
puis([ne  nous  nous  occupons  ici  de  pédagogie i,  ceux-là  n'en  doivenl- 
|ias  niiiins  vouloir  i[n'elle  soit  exactement  définie  en  tant  (ju'idée,  et 
Idée  directrice,  de  la  plus  notable  partie  de  l'humanité.  L'atlii'isme 
lui-même  doit  savoir  ce  qn'il  nie,  comme  le  déisme  ce  ([u'il  atlirme, 
el  les  deux  doivenl  nier,  ariirn}er  un  douter  pour  des  raisons  jiure- 
ment  rationnelles.  »  Fort  bien  :  mais  comment  M.  F'ouillée  ne  voit-il 
lias  qu'en  pédagogie  une  telle  réserve  sur  la  réalité  de  Dieu  même 
est  de  nature  à  énerver  l'éducation  intellectuelle  et  unirale  que  l'on 
conseille  de  nourrir  d'idéalisme?  Soyons  plus  hai-dis  ei  plus  termes. 
.Vu  lond,  le  iirincipal  problême  (jn'agite  l'esprit  de  cette  lin  de  siècle, 
r^t  qui  continuera  sans  doute  de.  préoccuper  le  siècle  suivant,  est 
•elui-ci  :  les  choses  réelles  évoluent-elles  d'un  point  dedéporl  extrê- 
mement imiiarfait  vers  un  terme  de  perfection  que  l'idée  se  re|ut'- 
sente,  mais  qui   n'existe  pas  encore,  de  telle  sorte  que  du  imiins 
émane  peu  à  peu  le  plus,  jiar  une  foi'ce  d'accroissement  que  l'im- 
parfait tient  de  .sa   nature  même'.'  ou  bien  la  Perfection  est-elle  la 
première  r.éalité,  d'oi'i  dérive  toute  réalité  imparfaite,   si   ))ien   que 
I  inqiarfait,  en  se  perfectionnant,  tende  à  remonter  vers  sa  source 
même  et  à  s'agrandir  à  limage  du  Parfait  qui   lui  a  donné  l'être  ? 
One  le  maître  prenne  clairement  parti  pour  cette  dernière  solution 
du  ])roblèui.'.  et  il  pénétrera  son  enseignement  d'une  force  incom- 
pai-able.  par  la  conviction  qu'il  ins]iirei-a  à  l'élève,  que  le  devoir  de 
devenir  meilleur  est  l'obligation  même  de  développer  sa  natui-e  en 
conformité  avec   la   l'erfecliiui  d'où  elle  est  issue.  Une  jihilosophie 


e 


370  B. 

ariiiiuiitivf  lie  Dieu  sci-i  liicn  aulreiiU'iil  cfficucf,  poiii-  1  (■ilucitidu 
des  intellif^f  nces  et  des  caractères,  en  France  surtout  où  l'on  aime 
les  ])rinci|ies  nets  et  la  logique  complète,  (ju'un  idéalisme  restant 
indécis  sur  la  réalité  supi-ènie  d"un  premier  Être  ])arfait. 

J.  CAUDAIR. 


ŒUVRES  PHILOSOPHIQUES  DE  LEIBNITZ,  pur  Pnul  Jamt, 
Deuxième  édition  revue  et  augmentée,  2  in-S",  20  francs. —  Félix  Alcan, 
Paris. 

Celle  publication  se  ilivise  en  deux  volumes  d<uit  le  premier  com- 
prend les.V'/)((VY;«j/;'A-.va/.ss«;'  rrnicitdinneni  huviniii,  la  CorrespoudaDce 
avec  Ariinntl,  \u\  certain  uomltre  de  petits  travaux  et  d'écrits  de  cir- 
constance: le  second  se  compose  îles  /issriix  di-  llirndirre.  el  delà 
partie  ]diilosoplii(|nc  de  la  (^iirrrsji<iiidniii-i'  arrr  Ip  P.  Des  /insses,  em- 
priiuli'e  à  lédiliou  (ierliardl.  Celle  correspotiilaiice  ne  se  trouvail  pas 
dans  la  première  édil  ion.  non  |iiusipi'uMe  bililionrapliie  leii)nilzienne. 
un  peu  somjnaire.  dressi'c  par  M.  Hoiiac.  el  les  /{l'flc.iiiuis  aiir  rk'ssni 
sur  I  ciilciidi'iiienl  liiniiiini  de  M.  l^ockc,  i|ui  soiil  en  lèlr  du  preniiei' 
volume.  On  peid  rej;rellei'  «pie  les  édileurs  n  v  aii'ut  pas  ajonlé  le 
/Hscoiirx  de  iiirliijilnislijui'.  (pi  un  Leihnilzien  récent  i-ej;ardail  connue 
la  clef  de  la  pliilosopliic  de  Leihnil/..  l'orci'inenl  encore  les  non  veaux 
lextes  que  M.  C(nitnral  esl  allé  déconvi'ir  aux  ai-cliives  de  llainivr<'el 
va  inqirinu'r  incessa mmeni,  leronl  vieillir  vile  l'édilion  de  M.  P.  .Ian<'l. 
Telle  (pi'elle  esl.  el  provisoireuieni ,  <'lle  peut  rendre  des  services  aux 
mallresel  aux  élndiauls,  parles  lexles  qu'elle  puhlie,  non  certes  [lar 
son  appareil  critique  qui  esl  un  peu  rutliuieidaire.  Les  notes  sont 
plutéit  iuidl'ensives  :  ■•  .\risliili'.  ilisciple  de  Plahui.  l'uudalenr  de 
i'Kcole  ])éripalélicienue,  ou  du  l.yii'e.  ni'  à  Sta};\re  eu  .'ÎKi,  moit  à 
ClÉalcis  dans  l'Kuliée.  en  '.iii.  Il  lui  le  preci  pleur  d'Alexandre.  C'est 
le  plus  illuslre  eucvi'lopi'disti'  de  l'anliipiilé...  Plalon,  philosophe 
illustre  de  lanlicpiilé...  "  i  p.  H.i  ■•  Pylliaiiore,  célèliic  philosophe 
f^rec,  ilnul  la  vie  m-  nous  esl  c(uinur  (pii>  par  des  récils  plus  ou  moins 
léf;endaires...  "  I  p.  S.  i  Les  autres  noies  soid  à  l'avenaid.  D'autre 
part,  il  fanl  sipialer  l'aliseiu'e  tluiu'  (alile  de  concorilance,  si  néces- 
saire i»our  l'élude  de  Leihnil/..  cpii  dispersa  ses  idées  el  ses  théories 
dans  des  ouvrai;es  iroccasi(Hi,  ofi  sans  cesse  il  se  l'éfère  à  ce  qu  il  a 
(lil  ailleurs. 

B. 


;M/i/);:s.\.\7';  lasthiujuh  r..  i-ak  i-".  nal:  37f 

BARDESANE  L'ASTROLOGUE.  Le  Livre  des  lois  des  pays,  texle 
syriaque  et  traduction  française,  avec  une  introduction  et  de  nombreuses 
notes  par  V.  N\u,  grand  in-S"  de  30  et  62  pages.  —  Paris,  Leroux,  1890. 
—  I.a  traductiuu  se  vend  à  part. 

Le  Livvi'  di's  lois  di'spni/s,  cité  loiif;iioiiient  par  Eusèbe  \Prrp.  pvanij ., 
VI.  !t-l(li  et  utilisé  |)ar  raiiteiir  des  Jirrurjiiiiions  et  par  Cœsarius 
iftiol,.  II'.  M  étf'  iiui)lii'  |iour  la  ]irerni("'r('  fciis  [)ar  Ciireton  {Spicil.  Syr. 
LoikIii's.  18.").")  .  Cette  édition  étant  éimisée,  M.  Naii  a  réédité  celeTncien 
(lialiifiiie.  rédifçé  au  coinniencement  du  m''  siècle  par  un  disciiile  de 
Harilesane.  comme  Platon  rédif^eait  les  Dialogues  de  Socrate. 

Un  interlocuteur  .\vidai  interroge  Bardesane  sur  la  cause  ilu  mal. 
Celte  ciiuse  nest-elle  pas  Dieu  lui-même  qui  aurait  dii  créer  l'homme 
(le  manière  à  ce  ({u'il  ne  puisse  pécher?  D'ailleurs  Dieu  a-l-il  donné 
à  l'homme  une  liherlé  suffisante  \K>m-  qu'il  puisse  acconqjlir  ses  com- 
mandements et  faire  le  bien?  —  Le  mal  ne  vient-il  pas  encore  de 
iioti-c  nature  ou  bien  du  destin,  c'est-à-dire  des  planètes  qui  intlueu- 
c  'lit  notre  volonté.  Dans  cette  dernière  partie,  de  beaucoup  la  plus 
longue,  Bardesane,  après  une  réponse  directe,  montre  que  les  hommes 
nés  dans  les  mêmes  conditions  sous  le  même  horoscope)  agissent 
cejiendant  de  manière  toute  diiïërente  suivant  les  pays  où  ils  sont 
nés  et  les  lois  auxquelles  ils  sont  soumis.  Cette  partie  a  donné  le  nom 
à  tout  l'ouvrage. 

E.  A. 


PÉRIODIQUES    FRANÇAIS 


Notre  Dii-ecleur  a  bien  voulu  nmis  deinaiuler  de  rendre  compte  des 
revues  françaises  de  philosophie.  La  tâche  est  fort  intéressante,  mais 
non  sans  difliciiltés.  Il  n'est  jias  toujours  facile  de  saisir  la  portée 
exacte  des  spéculations  contemporaines. 

.ladis.  au  milieu  des  divergences  d'opinions,  les  philosophes 
avaient  un  langage  et  une  méthode  à  peu  près  semblables.  Qui  avait 
compris  Platon  et  .\ristole  se  reconnaissait  facilement  parmi  les  phi- 
losophes de  l'antiquité.  Pour  la  scolastique  du  moyen  âge,  il  suffi- 
sait  de  bien  connaître  quelques  docteurs  éminents,  tels  que  saint 


:i72  DOMET  IiE  VOUGES 

Thomas,  saint  Hdiiavi'iilure  et  Diins  SfuI  :  on  rclrouvail  fiiez  Ions  les 
anli-cs  lin  laènie  langage,  une  manière  analogue  di-  raisonner,  d'in- 
duir,'  ou  d'analyser.  11  en  est  de  même  pour  les  philosophes  du 
xvn"  siècle.  .\ujoui-d'hni  c'e.st  loiil  autre  eliose.  Cluuine  auteur  a  sa 
manière  de  poser  les  problèmes  et  tl'analy.ser  les  faits.  Chacun  adoi>le 
un  point  de  départ  qui  lui  est  propre.  Chacun  se  crée  un  langage  à 
lui  et  ce  langage  n"est  pas  toujours  facile.  Oii  trouver  une  commune 
mesure  pour  apprécier  des  travaux  si  dissemblables.  Vous  vous  don- 
nez bien  du  mal  pour  saisir  la  pensée  intime  d'un  auteur;  avec  l'au- 
teur voisin,  c'est  à  recommencer.  Nous  avons  vu  des  examinateui's, 
et  di's  i>lus  érninents,  parfois  très  embai'rassés.  et  avouer  franche- 
ment n'avoir  pas  com[)ris  entièrement  leiravail  admis  par  eux  aux 
honneurs  du  doctorat. 

L'obscurité  serail-rlle  donc  un  signe  di'  force,  couniii'  nous  l'avons 
entendu  dire  ipi('li|uefois?  Au  xvil'i  siècle,  on  en  jugeait  aulremenl. 
l.,es  écrivains  mettaient  leur  supi'iiorilé  à  être  facilement  compris 
de  tous. 

Si  donc  il  nous  arri\ c  i[ui'hpn'fois  Ai'  nous  uii'prcndrr  sni'  la  |]ensee 
d(!  ijnebpie  auteur,  nous  lui  en  deniaudons  liien  pardon  ainsi  (ju  an 
lecteur.  Nous  ferons  notre  possible  |)our  éviter  cet  inconvénient, 
mais  nous  ne  |iouvons  ri''pondre  de  toujours  y  échapper. 

Cel.i  dit,  nous  croyons  inutile  de  présenter  un  aperçu  généi'al  de 
l'étal  di'  la  philosophie  en  France.  .Nos  lecteurs  la  connaissent  aussi 
bien  ipie  nous.  Nous  passons  dmie  iiiiiiK'diatemeiil  à  1  examen  des 
revues  du  commencement  di-  eetle  ; ee.  (pii  est  aussi  le  commen- 
cement d'un  siècle. 

Nous  rencontrons  d'abord  la  Revue  philosophique  Février  IDOI) 
toujours  dirigée  ])ar  l'infatigable  travailleur  cpi'cst  M.  liibol.  Nous  > 
relevons  deux  li-avaii\  très  intéressants  sur  la  nM'umire  allVclivc  ou 
mémoire  des  émotions. 

Le  premier  article  est  de  iM.  l'illon.  Ce  n'est  pas  à  ce  |ienseur  (pie 
nous  faisions  allusion  tout  à  l'Iieure  en  |iarlant  d'obscurité.  Le  lan- 
gage de  M.  Pillon  est  clair,  net,  élégant,  et  tout  à  fait  français.  L";hi- 
leiir  commence  par  exposer  les  opinions  précédemment  émises.  Her- 
bert Spencer  et  .\lexandre  Bain  enseignent  Ions  deux,  fjuoiqn'avec 
des  niumces,  la  reviviscence  des  émotions.  William  .lames,  an  con- 
traire, nie  la  mémoire  afTective  :  il  considère  les  émotions  réveillées 
comme  des  événements  nouveaux  et  non  comme  des  faits  de  mémoire. 
M.  Kibof  défend  la  mémoire  des  émotions.  Toutefois  i!  dislingne  deux 
sortes  de  mémoire   all'ective   :   la  mémoire  fausse  on    l'émolion  est 


l'f.HliiiiiijiES  Fluyr.MS  37:t 

siinpliMiUMit   rciiiiiiiiu' :  la   iiii'innirc  vraie   m'i    ri'UKiliiiii  l'Sl   i-csseiitii- 
(le  nouveau. 

M.  Pilldii  ne  reLOiiiiail  entre  la  vraie  el  la  fausse  ménidire  ijue  des 
ilillerenees  de  degrés,  il  pense  ([ue  la  ]ilupart  des  psycliolcigues  ont 
iiiéi-Dniui  la  mémoire  ad'eetive  parce  (|uClle  ne  va  jamais  sans  un 
ciinedHiilaut  intellectuel  nécessaire  ptiiir  rpu'  l'émotion  soit  ra|iportée 
à  un  temps.  Il  termine  en  indiijuant  un  certain  nombre  de  laits  ps\- 
cliologiiiues  ipii  ne  sexpliqnciit.  d'après  lui.  (jin-  par  l'existence 
d'une  mémoire  all'ective  distincte. 

Dans  le  second  article,  qui  est  de  M.  Manxicni.  l'auteur  distini;ue 
deux  sortes  de  reviviscences  des  émotions. 

L'émotion  renaît  souvent  par  le  ressouvenir  des  sensations  on  des 
sentiments  autrefois  éprouvés.  Dans  ce  cas,  il  n'y  a  pas  lieu  de  parler 
d'une  mémoire  des  émotions.  L'émotion  revenue  est  la  suite  natu- 
relle du  rapport  entre  les  représentations  rappelées. 

Mais  l'auteur  cite  quelques  exemples  où  il  croit  que  l'émotion  est 
revenue  en  dehors  de  toute  représentation.  C'est  là  ce  que  1  on  peut 
appeler  avec  M.  Ril)ol  la  mémoire  affective  vraie.  11  pense  que  cette 
mémoire  all'ective  vraie  n'est  pas  sans  influer  parfois  sur  la  fausse. 
On  ne  l'a  méconnue  que  parce  que  les  émotions  reproduites  y  affec- 
tent le  caractère  de  phénomènes  actuels. 

C'est  liien  là  en  efl'et  la  difficulté.  Qui  dit  mémoire  ne  dit  pas  sim- 
plement le  retour  d'un  fait  déjà  éprouvé.  11  faut  que  le  l'ait  rappelé 
soit  envisagé  comme  passé.  Il  doit  être  à  la  fois  reconnu  comme 
nôtre  puis(iue  nous  l'avons  éprouvé  et  connue  n'étant  plus  nôtre  au 
miiment  présent.  Ce  n'est  pas  le  cas  d'une  émotion  ressentie  actuel- 
lement. Nous  pouvons  nous  rappeler  une  émotion  autrefois  subie 
comme  tout  autre  fait  :  mais  si  nous  la  ressentons  de  nouveau,  c'est 
un  phénonu'-ne  nouveau.  Il  ne  nous  parait  donc  pas  qu'il  y  ait  lieu 
de  parler  de  mémoire  affective  au  sens  des  écrivains  de  la  revue  phi- 
losophique. 

La  notion  de  l'individu  est  au  contraire  indiscutable.  Mais  la  méta- 
physique seule  peut  expli(iuer  1  unité  intime  et  active  qui  caracté- 
rise l'individu  vivant.  Cependant  M.  Le  Dantec  prétend  l'expliquer 
par  la  simple  considération  des  faits  biologiques.  11  expose  la  for- 
mation des  colonies  animales  par  la  multiplication  de  descendants 
ipii  restent  attachés  au  parent.  11  arrive  souvent  que  ces  descendants 
ne  sont  point  .semblables  à  l'animal  souche,  mais  sont  modihés  de 
(liver>es  manières  et  exercent  différentes  fonctions  dont  piolile  tunle 
la  ciilonie.  11  se  produit  ainsi  un  équilibre  déterminé  entre  tout;  s 
li's  ])arlies  qui  assurent  la  vie  de  l'enseudile.  Quand  cet  éijuilibre 


374  DOMET  DE  VORGES 

lirni'lic  jusqu'aux  dernières  cellules  nous  avons  lindivithi.  Cest  ainsi 
i|U(' par  voie  d'évolution  se  seraient  formés  les  animaux  à  orf^anes 
multiples.  L'individualilé  réalisée  permet  alors  rac(iuisition  de  nou- 
veaux caractères  spécifiques.  A  son  plus  haut  degré  elle  devieut  la 
personnalité  psychique  qui  dépend  des  rapports  étahlis  entre  les 
divers  éléments  de  l'organisme. 

M.  Le  Dantec  connaît  admirablement  l'histoire  naturelle  et  la  i)h.v- 
siologie  ;  mais  il  nous  permettra  de  penser  (jue  l'individualité  est 
autre  chose  qu'un  équililjre  des  organes  on  même  des  cellules. 

La  Revue  de  Métaphysique  et  de  Morale  lévrier  litUl i  nous 
oH're  ton!  d'abord  une  étude  d'un  caractère  très  élevé  :  le  testament 
philosophique  de  M.  Itavaisson.  L'illustre  académicien  avait  (irépan'" 
ce  travail  avant  sa  mort  :  il  n"a  pas  en  h'  tenqis  d'y  mettre  la  dernière 
main.  Ou  a  trouvé  éparses  les  notes  qu'il  avait  jetées  sur  le  pa[»ier  et 
(pi'il  devait  fondre  dans  une  rédaction  détiMitive.  M.  Xavier  Léon  a 
mis  ces  notes  en  ordre  de  manière  à  en  faire  nu  tout  suivi.  Ce  soid 
elles  qui  constituent  l'article  public  dans  la  i-evue. 

M.  Havaisson  distingue  deux  sortes  de  caractères  :  les  espi'its  vid- 
gaires  ([ui  ne  vivent  cpie  pour  eux;  les  héi'os  qui  ont  la  passiou  de 
se  dévouer.  .\  ces  deux  siu'tes  de  caractères  correspondeul  deux  phi- 
l(»sopliies  :  l;i  philosophie  petite  et  vulgaire,  celle  des  écoles  maté- 
rialistes, el  la  gran<le  pli  i  losop  li  ie  spiri  tua  liste.  Pour  les  nobles  esprits 
tout  est  plein  d Vîmes:  la  nature  est  couime  nu  éililice  de  pensées  que 
soutient  et  domine  la  [lensée  de  la  pensée.  La  nalni'e,  eu  ell'et,  pro- 
cède |)ar  ondulation.  Sa  multiplicité  pail  de  l'unité  ])remière  et  a  pour 
terme  I  nuiti''  tinale.  Tout  remonte  à  Dieu  parce  ipie  tout  vient  de 
Dieu. 

M.  Uavaissiui.  qui  s  est  beaucoup  occupé  dart,  nous  fait  remar- 
quer que  l'art  imite  la  nature,  et  (pi'il  l'imite  en  la  rendant  plus 
belle.  C'est  qu'avant  tout  il  doit  imiter  l'àme  plutôt  que  ses  manifes- 
tations extérieures.  Pour  les  anciens,  la  vie  du  sage  était  aussi  un 
art  :  elle  tendait  à  imiter  les  Dieux.  Or  les  Dieux,  comme  les  héros, 
sont  avant  tout  bienfaisants.  La  religion  chrétienne  a  conservé  ce 
caractère  divin  de  bonté.  C'est  sinloul  la  liouli'  et  l'amour  (pie  le 
Sauveur  a  jjrèché  aux  hommes.  L'amour  est  en  ell'et  la  règle  suiiréme 
de  la  vie.  Aimez  et  faites  ce  que  vous  voudrez,  disait  saint  .\ugnstin  ; 
mais  celui  qui  aime  vraiment  ne  peut  tendre  qu'à  la  vertu.  L'amour 
est  celte  eau  vive  dont  parlait  Notre-Seignenr,  dont' celui  (pii  boit 
n'aura  jamais  ])lus  soif.  LVmie  (|ui  aime  sent  (pi'elle  n'est  [las  née 
|>our  périr,  mais  pour  retourner  à  Dieu  et  s'unir  à  lui  dans  l'amour. 


l'r.r.ldlilnl'ES  Fll.{.\(MS  375 

'roules  les  ;iiii('s  (liiixi'iil  arriver  un  j<iMr  à  I  iiiiloii  avec  Dieu.  M.  Ra- 
vaissoii  admet  seulement  que  Jes  àines  imparlailes  aiiroul  à  siiiiir  des 
puritications  pins  ou  moins  lonj^ues. 

Nous  avons  essayé  île  résumer  eu  rjuelijues  lignes  ces  lielles  j»ages 
si  uoliles  et  si  élevées.  t)n  y  reconnaît  bien  l'auteur  du  ra])])ort  sur  la 
|iliil(iso|iiiie  en  France  et  sa  métai)liysi(|ue  très  s|iirilualisle,  mais 
partiiis  nii  peu  mystique  ou  même  nuageuse. 

.\vec  M.  liouasse,  nous  entendons  une  autre  note.  M.  Bonasse  a 
lieaucou])  d'esprit.  Il  raille  agréablement  l(>s  |)liilosophes  qui  ignorent 
les  sciences  mais  se  cruieul  obligés  d'eu  |)arler  en  réi)élant  des  for- 
mules dont  le  sens  le(u-  échappe.  Il  viuidrait  que  les  [diilosoplies 
reçussent  uni*  (''ducal  ii)u  scientiliqui'.  el  il  eu  trace  le  ](rogramme.  On 
devrait  pi'iucipaleuieul  leur  euseiguer  les  iuallH''nialiipies  jusqu'aux 
('■lémeiits  du  calcul  iuiégral.  Les  mathémali([ues  sont,  en  ell'et,  la 
langue  des  sciences,  et  l'on  ne  peut  rien  conq)rendre  aux  théories 
pliysi([ues  si  (ui  ne  ses!  [las  l'auiiliarisé  avec  elles. 

M.  Houasse  V(tudi-ail  toutefois  une  chaire  de  malhématiipujs  adaptée 
à  1  usage  spécial  des  philosophes,  qui  n'ont  pas  besoin  d'une  foule  de 
détails,  mais  ([ui  doivent  creuser  plus  parliculiéremeul  cerlaiues 
théories. 

Nous  appi-iiuvnns  absnluiuenl  la  pensée  de  M.  Bonasse.  Il  y  a  long- 
lemps  ipie  nous  avons  senti  nous-mêmes  ce  besoin  d'être  au  com-aid 
lie  la  haute  science,  et  nous  avons  l'ait  c^  que  nous  avons  pu  |)Our 
supphMM-  aux  lacunes  de  noire  éducation  à  cet  égard.  Xous  remar- 
(pieidus  seulement  que  l'idée  de  M.  Bonasse  est  déjà  appli(|uée.  L'In- 
stitut |>liilosopliique  fondé  à  Louvain  ])ar  le  i^qie  Léon  XIII  a  des 
cours  scientificpies  spéciaux  pour  les  philosophes.  M.  Bonasse  ne 
nous  en  voudra  pas  d'indiquer  (jn'il  n"a  pas  la  primeur  de  son  idée, 
mais  <|u'il  a  été  devanci'  par  un  grand  Pape. 

M.  Bruunschvicg  nous  eiilretienl  de  la  mélhode  de  l'idi'alisme  cri- 
tique. Le  philosophe  criticiste  part,  comnu'  Descartes,  du  je  pense, 
roijilo.  mais  il  ne  l'enlend  plus  comme  le  philosophe  de  La  Haye. 
Celui-ci  cousi(l(''rail  le  l'ail  de  conscience  comme  tout  autre  fait  de 
percepti(ui  ([ni  donne  un  i^bjet  distinct  de  la  jiensée  même.  Le  criti- 
ciste ne  cherche  pas  dans  ce  jugement  /e  y^c/rvc  l'aftirmation  d'uin- 
substance  ou  d  une  àme:  il  n'y  voit  (pK>  la  forme  du  jugement ,  autre- 
uieul  l'activité  de  res[U'it.  lùivisager  I  être  comme  sujet,  c'est  en  faire 
([uehpie  (diose  d'inerle:  l'envisager  comme  objet,  c  est  le  faire  étendu. 
Le  seul  eli-e  que  u(His  puissions  reconnaître,  c'est  la  pensée  dans  sa 
s|)Onlanéit(''  radicale  el  sa  faculle  iudéliiiie  d  unification,  (tu  n Cu  fait 
pas  la  science  par  une  synthèse  deductive,  ce  ipii  la  i-édnirait  à  un 


370  DOMET  DE  VOUCES 

iiiécanisine.  mais  par  1  analyse  directi.^  ([ni  dégage  le  cai-actèrt'  iJi-nprc 
de  l'activité  de  l'esprit  on,  plutôt,  s'idenlilie  avec  cette  activité  inéinc. 
La  philoscipliif  liuit  entière  est  nue  méliiode  d'identiticatidn  spiri- 
tuelle. 

Et  voici  les  conséi[ueiiCi's  :  la  méthode  critique  défend,  suivant 
raute\ir,  de  substMutialiser  la  pensée  inlinie  dans  un  être  en  (|ui  l'on 
ne  saurait  conmienl  concilier  linlinilé  avec  liiulividnalilé  rt  dont  on 
ne  pourrait  assigner  les  rapports  avec  la  pensée  linmaiue.  De  même, 
pour  la  l'iensée  humaine,  il  n'y  a  point  à  voir  un  au-ili'là.  Toute  la 
destinée  de  l'homme  est  dans  l'oMivre  <|u'il  accomplit.  (Juant  à  l'uni- 
vers physique,  séparé  de  l'esprit,  il  n'est  cpr'une  ahstracliou  provisoire. 
Chercher  ce  (|uil  est  cl  d'où  il  vient  n'est  qu'un  Jeu  de  si>écidation. 

Si  donc  nous  avons  bien  compris,  il  n'y  a  rien,  aux  yeux  du  iihilo- 
sophe  criliciste,  qu  une  pensée  (pii  ne  pense  rien,  une  activité  .sans 
principe  et  sans  terme,  un  mouvement  qui  fuit  dans  le  vide. 

M.  Cliartier  subtilise  beaucoup  moins.  Il  se  place  sur  un  terrain 
très  pratique  et  très  actuel.  Il  entend  montrer  ((ue  le  cullr  de  la  rai- 
son est  le  fondement  de  la  république. 

N'allez  i)as  lui  imputer  ce  culte  ridicule  de  IT'.t.'Jipii  mellail  la  raison 
sur  les  autels  sous  la  forme  dune  jolie  actrice.  .Non.  M.  Charlier  est 
séi-ieux  :  pai-  le  culte  de  la  raison,  il  entend  le  souci  de  se  conduire 
en  tout  par  la  raison. 

II  établit  deux  classes  |iai-nii  les  honmies  :  li's  esprits  lilires  qui 
veideul  tout  juger  i>ar  eux-mêmes,  les  espi-its  miiutous  ipii  ne  savent 
que  penser  d'après  autrui.  I^es  es])rils  libres  seuls  sont  dignes  de  la 
ré))ubli([ue.  Les  autres,  par  leur  inférioiilé  même,  sont  condamnés  à 
dépendre  d'une  monarciiie  et  tl'uue  religion. 

Voilà  la  plus  graiule  partie  de  l'Kui-iipe.  (|ui  est  mour.nhique.  dans 
nue  position  assez  humiliante. 

Quant  à  la  religion,  M.  Cliartier  a  prolialilemeut  le  catholicisme  en 
vue.  .\-t-il  vécu  beaucoup  parmi  h-s  callioli(jues  ?  .Nous  nous  permet- 
tons d'en  douter.  Nous  qui  connaissons  beaucoup  de  catholi(jues. 
«jni  avons  assisté  à  plusieurs  congrès  de  savants  catholiques,  nous 
pouvons  lui  déclarer  que  nous  y  avons  trouvé  des  esprits  fort  libres, 
discutant  les  problèmes  les  plus  délicats  avec  une  indépendance  et 
une  hardiesse  (|ue  n'ont  pas  toujours  les  libres  i>enseurs  vis-à-vis 
d'un  Kant  ou  d  un  Herbert  Spencer. 

Ces  hommes-là  ont  bien  le  culte  de  la  i-aisou;  ils  le  poussent  jus- 
qu'à croire  quand  la  raison  leur  dit  (|u'il  faut  croire. 

Puis([ue  nous  pai-lons  des  forun-s  de  gouvernement.  voy(uis  ce 
qu'en  pensait  un  de  nos  grands  docti'urs  callidliques. 


l'EiiiiihJijrEs  iHASCMs  :.:: 

Li-  li.  l'.  Mi)nti*iigiu'eN|Hisc  d.iiis  l,i  Revue  thomiste  l'cviicr  l'.llll 
l'o|iiiii(iii  lie  saint  Tlioiiias  (l'A(|iiiM.  \j-  DmliMn-  aiii;vlii[iK'  pose  en 
liriiiri|ii'  i|iic'  la  iiirilli'un'  Inniu'  di>  fiouvenuniienl  serait  la  iiuiiiar- 
rhic  |inro,  pai'iT  iiu'rllc  assiirt'  coiiiplètt'iiH'iil  l'unité  de  direction 
clans  la  scieiiMi'.  Mais  il  y  ni"!  mw  condition  fort  ini|iorlanle  :  c'est 
i|ne  le  souverain  ait  nne  vertu  iiarl'aite.  En  dehors  de  celte  çondilii>n 
(jui  ne  se  rencontre  ijne  bien  rarement,  si  elli;  se  rencontre.  1  oligar- 
chie (Ui  nii'Hie  la  déinoci'atie  sont  prél'éraliles  pari'e  ipu'  les  alius  > 
sont  moins  criants  et  qu'il  est  plus  facile  d'y  remédier.  La  nionarchii' 
dégénérée  est  la  pire  des  tyrannies. 

-   Si  saint   Thomas  eût  \('cu  ius(|u'en  1901,  il  eut    pu  xnir  d(>s  démo- 
craties di'iiassant  en  di'S|iotisme  les  monarchies  les  [)lus  aijsolues. 

Dans  la  même  revue,  le  U.  P.  dardeil  étudie  les  sens  internes.  Il 
en  dislin.nue  i]uatre.  suivant  le  nondu-e  de  fonctions  néces.saires  pour 
rendre  les  données  sensihles  pleinement  utilisables.  Le  sens  commun 
centralise  les  données:  l'imagination  les  conserve  ;  l'instinct  en  saisit 
l'utilité;  la  mémoire  enrey;istre  les  appréciations  instinctives.  L'au- 
teur examine  ensuite  la  valem-  des  informations  de  chaque  sens 
interne  et  montre  qu'elles  ont  une  portée  réellement  objective. 

j>e  R.  P.  l-'ol^diera  résume  l'important  débat  enf;af;é  entre  .M^''  Mi'r- 
cier.  directeur  de  l'Institut  philosoplii(jue  de  Louvnin.  el  M.  P)ersani. 
rétlacteurau  /Jiciis  Thomas,  au  sujet  de  l'induction. 

.M.  Bersani  reprochait  à  .M?''  Mercier  de  confondre  le  s\lloi;isine  el 
linduclion  el  de  n'accorder  de  valeur  scientilique  (pi'à  l'induclion 
iiiconii)léte  fondée  sur  l'observation  et  l'expérimental  ion.  11  soute- 
nait qni'  l'induction  comi)lète.  celle  qui  a  pour  point  de  départ  l'énu- 
méralion  de  Ions  les  cas,  est  seule  vraiment  scientilique  et  que  l'in- 
ilucli(Mi  inc(uiqilète  ne  \aut  ipi'aulant  ijuc  l'on  peut  la  ramènera  la 
première  par-voie  d'analof^ie. 

M'"'  Mercier  a  répondu  (pie  rimluclion  peu!  très  bien  employei'  le 
s\  Ilotisme,  que  l'induction  complète  ne  peut  servir  dans  les sci(Mices 
parci'  (ju'elh'  est  irréalisable,  quentin  elle  ne  donne  qu'un  tout  col- 
lectif, qui  n'a  point  la  même  i>ortée  scientifique  iju'un  tout  uni- 
versel. 

.\près  avoir  exposé  les  raisons  des  deux  comliattants,  le  R.  P.  Fol- 
i;lu-ra  conclid  que  le  syllogisme,  étant  la  démarche  naturelle  de  la 
raison  lui  quête  de  la  vérité,  peut  très  bien  servira  formuler  loule 
nature  de  raisonnement.  Le  point  essentiel  de  l'induction  est  de  sai- 
sir dans  les  objets  des  propriétés  liées  entre  elles  par  une  cruiveiiani'e 
nécessaire.  (In  conclut  facilement  que  tout  être  ayant  la  proprié'h''  A 
a  aussi  la  proi)riêl(''  H. 


378  UOMET  DE  VORGES 

Cette  sdlutidii.  i[iii  iIdiuic  raisnn  à  M^-''  .Mercier,  nous  paniil  ji;ii-f;iile- 
ment  jusiiliée. 

Avant  lie  ijiiittei'  la  Hern,;  tliomulc.  nous  devons  lui  ailiesser  tous 
nos  reniei'cieaients  pour  lacciieil  sym|iatliii|ne  iinclie  a  l'ail  à  la  Ite- 
l'iif  (le  pliildsopliic.  Nuire  luit  est,  en  eti'el,  le  même  (jiie  celui  de  la 
revne  sieur  :  défendre  et  vulf^ariser  la  pliildsopliie  Iraditionnelle,  v 
joindre  tcuil  ce  ijue  peuvent  ollVii-  d  iilile  les  h-avaux  récents  et  réla- 
hlii-  liinion  intime  entre  la  [diilosopliie  et  les  sciences.  Qui  atteindra 
le  mieux  cette  tin  commune?  Ce  sera  la  seule  rivalité  ([ui  existera 
entre  nous  et  nos  vaillants  coulVèi'es. 

I^a  Revue  néoscolastique  di'  Liiuvain  nous  IimkI  aussi  niir  main 
amie  i|Mi'  nous  serrons  liien  voldulirrs.  l'ille  reproduit  nue  parlii'  du 
]iroi4:ramme  inséré  dans  notre  premier  luunéro  et  constate  ipie  ce  pro- 
_u,ranune  est  le  même  ipii  a  inspiré'  la  IVuulaliou  de  la  Kervr  nrnsioltis- 
tique. 

Celte  revue  est  helf^e.  mais  de  laiif^ue  française,  nous  croyons  doi^c 
pouvoir-  la  comprendre  dans  notre  compte  l'cndn,  d'autant  (|iie  nous 
l)ourrons  sij^naler  au  lecteur  |)liisieurs  arlicles  intéressants. 

.Viiisi  la  notion  de  masse  si  familière  dans  l;i  science  est,  an  l'dud, 
pleine  d'obscurités.  M.  .\'ys,  ijui  est  à  la  fois  un  savant  et  mi  pliiln- 
soi>lic,  essaie  de  la  délinir.  Les  délinitions  forinulées  par  les  savants 
soid  assurément  foi-t  utiles  en  jdiysirpie  cl  en  mécanique,  sciences 
•jui  ont,  avant  loul.  pour  liul  la  mesure  des  facteurs  enjeu;  mais 
elles  ne  l'iuil  [loint  connaître  la  iialirn'  propre  de  celle  ri''alil(''  (pi'oii 
appelk'  la  masse  corporelle. 

M.  Nys  croit  mieux  réussir  en  faisant  appel  à  la  iiolion  <le  ipiaiililé, 
entendne  an  sens  du  moyen  ;if;e,  cesl-à-dire  à  cette  propriélé  qui 
rend  les  corps  divisildes  en  ])arlies  inléf;rantes.  11  remarque  que  la 
«[iiuntilé  a  toutes  les  propriétés  de  la  niasse  ;  elle  est  mesurable,  cdle 
appartient  exclusivemenl  au.x  corps,  enfin,  elle  e\pli([iie  très  bien 
celle  résistance  passive  des  corps  à  tout  mouvement  comiiiunic|ué 
([ne  1  (ui  appelle  I  iiieiiie.  Il  siiltil  de  reiiiaripier  que  toute  i>ro[)riété 
re.-ue  dans  un  corps  s'aU'aililil  en  raison  même  di'  la  iniilliliide  des 
jiarlies  ilans  lesquelles  (die  doil  se  dilliiser. 

1/observation  est  in,L;é'iiieiise,  mais  elle  s'appli((iierait  aussi  bien  à 
la  tlélinition  de  la  masse  par  les  atomes,  déliiiition  que  M.  Nys  a 
re|)Oussée.  Puis,  qu'est-ce  que  la  quantité  dans  son  fond'.'  en  avons- 
nous  une  notion  plus  nette  ijne  celle  de  masse'? 

M.  llalleux  fait  la  critique  de  la  morale  évolntionniste  de  Herbert 
Spencer.  Pour  la  fonder,  le  philosophe  anglais  est  contraint  datiri- 


l'EHIiililijt  FS  FH-WCàIS  379 

liucr  ;ui\  juiiiiiiHix  iiiir  iiMir.ik'  roiiiiileiici'i'.  M.  llallciix  ciiiLibat  ct-tli' 
c'ournsiiiii  ;  il  iiionln'  ■|ii'il  n'y  a  de  morale  4111111  il  y  a  IIIiim-U''  et  res- 
Ijonsaliililé.  L'évohition  iloiil  imrlc  Spencer  eonsisterait  en  ce  que 
plnsun  animal  est  élevé,  pinssa  conduile  sérail  de  nature  à  Iniassurer 
ainsi  qu'à  son  espèce  nue  existence  loiii;ue  et  lieureuse.  M.  llalleux 
prouve  qu'il  n'en  est  rien.  La  j^éologie  nous  nuintre  (|ne  les  espèces 
supérieures  sont  précisément  celles  qui  onl  eu  le  mnins  de  durée. 
D'ailleurs,  la  théorie  évolutionniste  ahoulil  à  dminer  pour  biil  à  la 
vie  la  recherche  de  la  jouissance.  Or,  il  y  a  mille  modes  de  jouis- 
sance ;  ce  caractère  ne  ]ieut  suUire  à  indiipier  le  but  final  011  nous 
devons  tendre.  Le  eliiisi  ianisnie  n'exclu!  pas  la  jouissance  de  la  fin 
de  riiouuue,  mais  il  eu  lait  un  caractère  subordonné.  La  première 
rèj;le  de  conduite  est  de  clierclier  la  perfection  de  notre  nature,  selon 
l'ordre  de  l»ieii.  Le  lionlieiir  vient  de  lui-même  après. 

Cilmis  encore  un  avis  de  Mf  TÉvéque  de  Bruf^es.  relevé  par  M.  De- 
[iloi^e,  au  sujet  du  juste  salaire. 

M*-'^  Vall'elaert  déclare  que  le  juste  salaire  doit  être  égal  à  la  valeur 

du  travail  fourni,  c'est-à-dire  à  lavantage  qu'en  a  relire  le  patron. 

Le  salaire  pour  le  même  ouvrage  doit  être  le  même  pour  tous  les 

ouvriers,  mariés  on  non  ;  en  ce  sens  il  n'y  a  point  à  jiarler  de  s;ilaire 

familial. 

.Mais,  dans  nu  élat  noriiial,  le  salaire  doit  sullire  aux  besoins  rai- 
sonnables de  l'ouvrier  et  même  lui  assurer  la  jiossibililé  d'entretenir 
une  famille  en  tenant  compte  du  gain  (jue  la  femme  peut  apporter  de 
son  coté. 

Ces  sages  observations  calmeront-elles  l'ardeur  de  certains  catho- 
liques toujours  prêts  à  j)orter  toutes  les  idées  à  l'extrême'? 

Revue  scientifique  S  déc.  1900  .  Belalions  entre  hi  phtjsiiiuf 
l'.ipri  iiwntiilc  ri  In  iiln/sit/ue  mathf'mnliqtie.  ]iar  M.  11.  Poincarré. 

Cet  article  est  fort  iutéressani  tant  à  cause  de  la  haute  réputation 
de  l'auteur  que  des  vues  1res  originales  ([u'il  développe  sur  la  pliilo- 
sopliie  (les  sciences. 

M.  Poincarré  déclare  loiil  dalinid  ipie  rexpêrieiice  est  la  source 
iiniipie  de  la  vérité.  Elle  seule  peut  donner  la  certitude.  Mais  nous 
ne  pouvons  pas  nous  contenter  de  l'expérience  nue.  Il  faut  ordonner 
et  prévoir.  On  y  arrive  par  la  généralisation  et  l'expérimentation.  Le 
n'ile  de  la  physique  mathématique  est  d'aider  et  de  guider  les  géné- 
ralisations. 

.\iix  yeux  de  M.  Poincarré,  toute  généralisation  est  une  hypothèse. 
Klle  su|ipoi-e  que  la  nature  est  simple.  Or,  cette  simplicité  peut  n'être 


.iSO  DOMET  DE  VORGES 

qu'une  appari'iici'.  Il  csl  priilialilc  que  si  nous  [Kiiivinns  creuser 
davantage  nous  trouverions  la  complexité,  puis  encore  la  sini|)licité 
et  ainsi  de  suite.  Toutefois,  cette  sim|)licité  uu''me  apparente  a  une 
cause  ;  elle  ne  ])e\d  être  l'elTel  du  hasard.  On  est  donc  t'oudi'.  ipiand 
une  loi  simple  a  été  oliservée  dans  plusieui-scasparliculieis.  à  la  sup- 
]ioser  en<-ore  vraie  dans  les  cas  nnalogiu's. 

Toute  liypolhèse  doit  être  vérifiée  le  ])lus  l('il  possible  par  re\])iM-i- 
mentatiiui.  Si  elle  ne  résiste  pas  à  celte  épreuve,  on  doit  l'ahandon- 
ner.  Si  elle  résiste,  elle  nest  pas  encore  prouvée,  suivant  M.  Poin- 
i-arré,  car  il  tient  ipi'il  n'v  a  que  le  l'ait  même  expérinuMili'  qui  soil 
alisolumeiit  certain,  l'ne  hypollièse  même  renversée  t'st  1res  utile. 
lîUe  a  été  l'occasion  d  une  expéi-ience  décisive.  Si  elle  aétél)icn  l'aile, 
c'est-à-dire  en  leuanl  compte  de  toutes  les  lois  connues,  elle  révèle 
par  sou  insuccès  mémo  queirjue  chose  d'inatlendu  et  devient  l'occa- 
sion de  nouvelles  découverles. 

PfHU'quoi  les  mathéuiali(jues  sonl-elles  appelées  à  jouer  un  ri'ile  si 
iiiqiorlaul  dans  le  travail  de  géni'ralisation  et  de  dévelop|)enu'ut  de 
nos  connaissances  physiques?  Lauleureu  voit  la  raison  dans  celte 
eircousiance  que  le  i)hénomène  observable  est  dû  à  la  super|)osili(ui 
d'un  grand  nombre  de  pliénomèues  élémentaires  tous  semblables 
ejitre  eux,  c'est  ce  caractère  pi'ofu-e  aux  phénomènes  physiques  qui 
permet  l'a p| il i cation  des  é([uati(Hisdiirérentielles.  I.,es  mathématiques 
C)nt,  en  ellel.  pour  rôle  spécial  de  combiner  par  le  calcul  le  semblable 
avec  le  siMid)lable.  ivlles  perinellenl  de  deviner  le  résultat  conci-el  de 
la  combinaison  sans  avoir  à  rell'ectuer  en  réalité. 

M.  l^oiucai'ré  termine  par  (jnebiues  considérations  générales  sur  h'S 
théories  ph\siqiU'S.  Mlles  irenseigruuil  rien.  d'a[U'ès  lui,  sur  la  nature 
des  choses  observées,  mais  idles  mettent  en  lumière  des  rapports 
vrais.  .\  ce  point  de  vue,  toutes  les  grandes  théories  sont  dm-ables  : 
er(|ui  change,  c'est  le  costume  dont  ikuis  habilhuisla  réalité.  On  piuil 
d(uic  dire  eu  un  certain  sens  que  plusieurs  théories,  uiéuie  contra- 
dicloires.  sont  vraies  à  la  fois,  si,  au  fond,  elles  expriuu'nt  les  mêmes 
ra|)ports  vrais,  et  ne  ditVèrenl  (pie  par  les  images  dont  mi  les  a  enve- 
lop[)ées. 

La  ditlicullé  dans  la  science  est  qiu'  la  matière  est  exiri'iiieuieiil 
complexe.  Il  faut  à  chaque  instant  ajouter  de  nouveaux  leiiues  aux 
formules  p(uir  serrer  de  près  la  réalité.  Néanmoins,  les  cadres  ne 
soûl  pas  roiiqjus,  les  principaux  rapports  reconims  i)ar  nos  prédéces- 
seurs subsistenl.  Kn  même  temps,  beaucoup  di'  terrain  a  été  gagné 
<'t  la  science  a  fait  un  grand  pas  vei-s  l'unité. 

Cet  article,  comuu'  on  peu!  eu  juger  par  ce  ciuu-l  ri''suinc'',  présente 


l'ÈiiHiiiiijrES  i-7i.i,vr.i/>  li-ii 

(li's  vnos  neuves  et  pailViis  iiroroïKics.  Toiilelois.  nous  n'élonneroiis 
|iei-soiine  en  disiuit  (jii  un  iiliil<is()]ili('  ne  saiii-ail  en  acceiilei-  sans 
résfi've  Iniil  le  ciinliMiu. 

Ainsi,  nous  n'admetli-ions  pas  la  eonl'nsion  (|iie  l'ail  rauteui-  rnlic 
la  ^ént-ralisaiion  el  riiy]ii)llièse.  La  f^énéralisal  ion  consiste  soiilcincnl 
à  a|iiilii|iiii- iT  i[nciii  a  eonslati''  iNiiis  une  naluiT  à  Ions  les  indiviilus. 
réels  on  possiMes.  de  nièine  nalui-e.  Il  n'y  a  là  anenne  supi)osilion  ; 
e'esl  nn  |n-olon}<enient  de  rex])éi-ieace.  L'Iiypollièse,  au  conli-aii-e. 
support'  nne  expliealion  dis  phénomènes  observés.  Klle  naeipiiert 
di'  c-ci-liUide  i|n'à  la  snile  dr  noiidn-euses  vérilications. 

M.  Poinearré   nous   parail    Inip   n'clnire   la    vali'iir  de   rii\p(i|lii''--c. 

Ouellr  ne  i s  fasse  i)as  eonnaîlre  la  nature  intime  des  corps,  soit  : 

im:u>  ihi  ne  peut  Ini  refuser  de  donner ([n(d(jiu's  Inniières  sur  la  nature 
des  ]dii''iMinii'Mn'S  i''ludiés.  M.  l'iiini-ari-e  niMisiiarail  raisininer  conuui' 
si  lonl,^  la  valeur  de  riiyiiotlièsc  dépendait  des  formules,  et  connue 
S!  elle  était  iudiirérente  toutes  les  fois  qu'on  ])ent  arriver  au  même 
résultat  par  des  formules  diverses.  Il  sait  bien  cepeuilaut  i]ne  les 
t;i-aiules  liy|)otlièses  physiques  (uit  été  imaf>;inées  par  d'autres  consi- 
dérations, par  le  besoin  de  concilier  el  d'expliipu-r  certains  faits.  Ce 
ne  siMit  pas  les  formules  (|ni  les  oïd  provoqui'-es.  ce  sont  elles  au 
contraire  qui  ont  donné  la  ))ossihilité  dappliqiN'r  les  formules. 

T(nitefois.  .M.  Poinearré  nous  parail  moins  douleur  qu'il  ue  sélait 
montré  dans  de  précédents  ouvraj^es.  Il  accorde  uiu'  certaine  valeur 
;in\  vérilications  expérimentales  :  il  admet  que  les  bonnes  hypothèses 
repi-ésenti'ul  des  ra[)ports  vrais.  C'est  déjà  qucdqne  chose.  .Nul  doute 
d'ailliMii-s  i\<\r  les  hypothèses  physiipies  nollreiil  point  une  valeu'- 
apodiclique  ipu  ne  saurait  si'  rencontrer  en  malirrr  continfieule. 
Mais  il  ne  faut  pas  exayi''ri'r  mm  plus  leur  iinrrlilndr.  (  lu  a  beaucoiq) 
pai-lc  dans  ces  derniers  temps  de  la  fragilité  des  hypothèses.  En  fait, 
le^  nouvelles  hypothèses  ne  diffèrent  guère  des  anciennes  que  par 
de-  di'Iails.  Les  cadres  ne  sont  pas  rompus,  comme  le  jreconnail 
.M.  Poinearré. 

Science  catholique  .Inillrl  l'.iDl)..  /.<■  Siixirim'  (P  l'iolihnrf  ri  lu 
Irdiliiclii»!  lien  .sninix  Pires. 

Cet  arli(de  n'est  point  signé.  L'auteur  a-l-il  craint  d'idre  tro|  hardi'.' 
Son  t'tnde  nous  parait  cependant  intéressante  et  très  propre  à  défen- 
drr  riîglisi'de  cei-laines  accusations  de  variabilité  dans  ses  doctrines. 

L'anleur  entreprend  de  monli-er  que  le  système  de  Ptolémée  n'a 
iamai>  \m  llgnrer  au  noiid)re  des  vé'rités  de  foi  pro|iosées  par  l'unani- 
mili'  morali'  cle  la  traditimi.  Parcourant  successivement  les  ciuvrages 


382  DOMEÏ  DK  VORGES 

(les  |ii-iiiri|);Mix  Pères  et  ddctcurs,  il  iikiiiIit  i|ii('  |iliisii'iirs  (iiil  adriplé 
un  système  Hslronoiiii(jiR'  ditlèreiil  de  celui  de  Ploh'inée,  (|iie  d'iiiitres, 
en  professanl  ce  système,  indiquent  très  |)Ositiveiiient  (|u'il  ne  le  con- 
sidèrent que  comme  une  vérité  scienli(i(|ni'. 

Saint  Jean  Damascène  par-le  de  ceux  i/ui  discul  i|iii'  Ir  r'iv]  cntoui'c 
la  terre  comme  une  sjjlière  et  que  le  ciel  es!  animé  d  nu  mouvement 
circulaire. Quant  à  lui.  il  attribue  au  ciel  la  l'orme  d  uim'  (l('mi-S|duM'e 
»'t  prétend  apjiuyer  cette  assertion  sur  l'Écrilnre. 

Saint  Amhroise  parlanl  des  systèmes  asti'oiuimi(|nes  dil  i\\\o.  les 
saints  n'ont  jias  à  sCn  soucier,  que  ce  siml  des  (|U('sli(ius  dr  pliilo- 
sopliie  naturidle. 

Saint  .\uf;nstin.  loul  en  i|ualilianl  d'erreurs  li'S  sysièmes  o|)|)os(''S  à 
celui  de  l't<ilemi''e,  dil  (|u'il  imporle  peu  au  eliri''lieu  de  couiiailre  les 

mouviuaents  des  asires,   ipu-   ce   ne   siud    q lis  eiui  jeel  ui'es  de  la 

science  humaine. 

Albert  le  (Irand.  eu  pai-laul  de  la  i-a|iidili''  du  mouvenu'ul  <lu  ciel, 
uiet  celle  o|)inion  au  coaqile  des  \}\]'i\()si^[t\\i'i^:  xlciit  diruiil  iiliilusdjjlil. 

SainI  Thomas  constate  ([ue  le  système  de  Plolémée  ])ourrail  bien 
ne  pas  élre  le  seul  expliipiani  les  mouvements  appai-enis  des  plauèles. 
11  menlioniu'  ro|)inion  c|ui  attribue  }f  mouvemeul  à  la  lei're.  Il  la 
combat  avec  Arislole.  mais  il  ne  s'appuie  ipu'  sui'  <les  raisons  scien- 
tiliqnes.  Dans  la  censure  d  uni'  si'M'ie  d'arlicles  siumiis  à  son  approba- 
tion par  Jeau  de  Verceil,  il  di'clare  ipi'il  n'\  a  aiu-nu  péril  poni-  la  l'oi 
à  ]ieriser  (ju'iin  ange  poui-i'ail  uu'l  I  re  eu  mouxcmeul  le  ni obe  terres I  re. 
Il  ajoute  seulemeul  c|u'il  semble  plus  ualm-el  de  croire  la  li'rre  iiumo- 
liile,  conformément  à  1  Opinion  du  philosophe  :  Vidi-liir  iiiiml  iiafii- 
/■iililer  Icvrn  i/uiesnil,  iil  mil  iiliilusnjilnis.  lù'il-il  pai'le  ainsi,  conelul 
l'auleur,  s'il  eùl  ('ti''  (pu'sliiui  d  un  doiçme  de  foi  ? 

(Ju'on  uiuis  pi'rni  l'Ile,  eu  lermiiianl,  un  un  il  sur  le  Divus  Thomas, 
r.'vue  impriuu''e  à  Plaisance  en  langue  latine.  Le  lalin  u'esl  pas  une 
langue  étrangère  ])our  un  Français  el  un  cal  ludique. 

Précisément  imus  avons  à  signaler,  dans  sou  deruiei'  uum:'M-o  d  ■ 
l'année  dernière,  deux  li'avaux  dus  à  des  l'iaueais. 

r.e  premier  est  de  M.  le  D'  Surbletl  ipii  eombal  l'ancienne  llu'orie 
faisani  du  eieur  l'organe  des  passions.  11  pense  (fue  cet  organe  ihiil 
être  cherché  dans  le  cervelet.  Le  cieur  u'esl  l'braidi'  ipie  par  eniilre- 
coup. 

L'aulre  arliide  est  une  lellre  du  l{.  P.  |-'u/.ier,  de  la  Congri''gali(Ui 
du  Saint-Hs|)ril,  an  Direcleur  de  la  revue.  Le  H.  P.  Ku/.ier  lient  à 
élalilir  que  dans  l'étuile  tpi'il  a  présentée   au    congrès    de    savants 


l'i'Jtiiii'iiji  i:s  FiiAsrMs  nsit 

calliiiliijui's  à  Bruxt'lli's.  sur  li'  |>i-iiiiM|ii'  (k-  cjiiisalih'.  il  se  s('|i:ii-Mil 
iii'lIciiKMil  (le  M.  (Il'  Miii-^ci'io.  Ci'liii-ci  vcrrail  diins  l'iili'i'  ili'  cause 
uni'  i(l(''i'  iiiiii''('  l't  ilaiis  le  jui;i'iiii'iil  de  caiisalili''  un  iiii;i'iiii'iil  s\ii- 
lli('li(|ii('  fi  Ijriiiri  :  le  |{.  I'.  |-"n/.ici-  rsl  iiiic  au  (•oiih'airi'  i|n('  I  i(l('i'  de 
caiiM'  rsl  ahstrailt'  i\v  l'c'\|irTi('iicc.  siirluut  de  rcxix'riciicc  iiiln-in'. 
cl  ([lie  II'  jlifi;einenl  de  caiisaliir'  csl  nu  jiiLji'nii'nl  analytique,  londé 
siu-  l'analyse  du  phénouièin'  elle!. 

Le  li.  1*.  Fuzier  rein;u'i|ne  (|ni'.  dans  les  (•(Ui^rès  de  savants  catliii- 
li(|ues,  les  iu'OSColnslii|UL's  se  sont  horiiés  à  ludulrer  (|ue  le  jugeniout 
de  causalilé  est  aualylii|ue,  soi!  parce  qu'il  i-e|i(ise  sur  le  ])riucipe 
<ridenlil(',  Sdil  parce  ()ue  la  ni\i;al  iini  du  prr'dical  einpiirl(>  la  néf^alicui 
du  ^njel.  Sans  doute,  il  n'a  pas  nssislé  au  iiremier  c(in^rès  tenu  à 
l'aris.  Il  V  aurait  eideiidu  la  lecture  d'un  ménioii-e  consacré  pres(pie 
cntièreinenl  à  |)rouver  ipie  lexpi-riiMu-e  interne  fduiiiil  un  l\pec(ini- 
pli't  de  la  causalité. 

Le  Diciis  yiioiiuis  a  bien  vmdu  dans  ci'  même  n\imi''ro  donni'r  une 
analyse  très  étendue  des  travaux  pnliliés  pai'  la  liortir  île  plnhisniiliic 
■du  mois  de  novembre.  .Xous  l'en  l'emercions  bien  cordialeniMil  et 
poui'  les  auteurs  el  pour  la  revue  elle-même. 

C"  DOMET  DK  VORGfvS. 


BULLETIN 

DE 

L'EN'SEIGNEMEM    IMIILOSOPIIIOUE 


l>(S  hji-i'rs  ri  drs  cnllri/i's  lilii-cx.  il  nmis  rsl  piirromi  ilc  innulinnisrs 
Icllri's  sur  l'iiiifulalion  (ji'nrralr  ilr  la  pliilasaiiltic  cl  lex  sujrAx  qu'on 
(Irsirrrnil  niir  Irnili'r  dans  ro  IJnlIclin.  J'hislciirs  proffissi'urs  nmix  mil 
ilt'iiiaadr  île  faire  apprl  a  nos  ((dlri/urs  di'  l'enseignement  sernndairr. 
Sous  aillions  à  rrpé/er  que  re  liiillelin  leur  apparlienl  el  qu'il  esl  des- 
tiné à  les  metlre  en  rapport  les  uns  nrer  les  aiilres.  —  Aujourd'hui, 
nous  leiKins  nuire  proniesse  de  les  renseiqner  sur  eerlains  i-ours  de  I  en- 
seiipieiiieiil  siijiérieur. 


COLLÈGE     DE     FRANCE 


œiKS  DE  M.  BERGSON  SUR  LIDÉE  DE  CAISE 


l-ji  iihiii-ilaiil  ri'Itc  ('■IikIi'  de  l'iilcc  ilo  caiisi'.  M.  H('ri;siiii  ne  s  esl  |i:is 
|ini|)(is(''  (II'  iKiiis  (Idiiucr  lie  l.i  l'chiliiui  caii^.ili'  iiiir  analyse  lo}i;i(|ui' : 
il  SI'  place  A  un  point  de  vue  iJsycliologique  :  ces!  ■■  rorif^'ine  psyclin- 
liij;i(|ue  lie  noli-e  eroyanee  à  la  loi  de  eansalilé  ".  —  suivanl  le  lili'e 
luènie  de  snu  rappnrl  an  Congrès  de  ])liiliisii|iliii',  —  i|ii  il  veut  ili'tri-- 
nuner. 

I.a  uiiMapliysique.  e'i'sl-à-dire  la  sricnce  ipii  ehei'ehe  à  réialilii'  la 
l'oid  iunili'  eidi'e  les  donur'i'S  des  sens  ri  1rs  données  du  sens  eoui 
ninn.  a  s\iivi,  dans  son  évolulion,  les  llnetnalions  de  la  seienec  :  gi'O- 
ini'll-ii'  elle/,  les  (Irecs,  science  de  la  nu'sui'e  avi'ç  les  Carlésiens,  elle 
li'iid  de  nus  jours  à  se  rapproeln'i-  de  la  |jiidiii;ii'.  Ces!  dans  erlte 
dii-eeliiui,  par  conséqiu'ul,  qu'il  ronvieid  dv  s'orienter  pour  élndiri' 
l'idi'i'  ih'  cause. 


386  J.  C. 

Ci'tle  idée  nous  a|i|iar;iil  rniniiic  iiiliaii'ini'ul  li(M' ;'i  I  iilt'-c  ilc  l'.-iil . 
Miiis,  fju  est-ce  (|ii(^  le  l'ail  ?  La  matière,  ti'lle  (|ii  elle  iimis  esl  ildiinée 
oriji;inelleuienl,  est  constituée  par  une  mulliliide  île  lei-uies  i|iii  em- 
piètent les  uns  sur  les  i.ulres  ;  cest  esseiitiellemenl  une  caiilimiilr. 
E\,  sur  celte  coiiliiiuité.  se  Irduveiit  lirac|ui''s.  cuuniie  aulaiil  île  l'ais- 
ceaux  lumineux,  nosliesoins  (lu  nos  tendances,  ([ui  y  découiieiil  îles 
fails  distincts.  —  Cest  ainsi  iju  on  doit  i'Niilii|ner  la  [XM-cepliiui 
visuelle  :  il  esl  inutile,  jxinr  en  rendre  com|ile.  ilavoir  recours, 
connue  l>olze.  à  des  mécanismes  subtils  :  il  snllil  de  s'en  tenir  aux 
données  de  la  conscience  inmiédiale.  ipii  JMi;i'  (|ue  nous  allons  du 
lout  aux  ])arties.  el  (|ue  nous  |U'océdiMis  jion  |iar  syiillièse.  mais  [lar 
dissociation. 

Maintenant.  C(uanieiil  se  l'ail  ce  Iravail  de  dissociation?  Il  esl  i-ela- 
tif  à  nos  lendances,  à  noire  structure,  aux  nécessités  de  la  vie  et  de 
Vrirliuii.  Or.  |ionr  nue  l'action  soit  possilile,  il  faut  que  l'être  vivani 
coidracle  en  un  uunimuni  de  duréi'  les  ébranlements  extérieius  ;  il 
le  l'ail  firàce  à  l'organe  sensoriel:  la  ]ierce[ilion  condense  les  vibra- 
lions  iuidti|des,  accentue  ainsi  les  dill'i'rences  et  subslitueà  la  conli- 
niiilé  orii^iindle  une  disconlinuih'  île  (|ualili's  qui  se  succèdent  dans 
le  lemps  et  se  juxtaposent  dans  l'espace. 

(d'i  nous  arrélons-nons  dans  ce  sectiounenu'ut  de  la  malièi-e'.' 
Cest  ie  mon\emenl  ipii  ncuis  donne  la  clef  du  pi-oblènie.  In  cor|is 
disliucl  esl  nu  corps  (|ui  |ieul  se  mouvoirindépendamnu'ut  des  auli-es 
dans  l'i'space.  Puis  ces  images  visuelles.  —  rêves  sans  solidité,  — 
ipie  smil  les  coi'ps,  s  l'iolleiil  peu  ,i  peu  :  noire  corps,  cpie  nous  dis- 
tinguons lout  ilabord,  commence  par  '•  se  l'arcii-  "  de  sensations  tac- 
tiles, ([ui  buil  de  lui  une  réalité  subslanliidle  ;  bienti'it  nous  assiiiu- 
loMS  à  noire  corps  li'S  aidres  cor|is,  el  nous  ne  p(ni\iuis  percevoir  ces 
iuuiges  visiH'lles  sans  y  lire  des  perceptions  tactiles  di''terminées.  Il 
s'établit  ainsi.  —  nous  le  voyons  par  l'élude  des  maladies  mentales 
(cécité  psycliiiiue'.  — ime  relatiou  étroite  entre  la  perception  visiudle 
el  la  perception  tactile  :  à  toute  image  tactile  corres|iond,  préi)aré 
par  lies  mécanismes  appro])riés.  un  système  de  nnuivemenls  nais- 
sants. La  perceptimi  leud  el  abiudit  à  1  action. 

Cest  dans  celte  liaison  de  la  perce|)tion  visuelle  et  de  la  perception 
tactile  que  M.  Bergson  trouve  la  première  image  el  le  noyau  mèuu" 
d,'  la  causalité.  Le  principe  de  Ciuisalité  reviendrait  donc  à  ceci  :  la 
mise  en  ra|)|)Orl  d'une  image  visiudle  avec  les  mécanismes  uioteurs 
correspondants:  et,  en  présence  d'une  image  visuelle,  latlenle  dune 
l)erceplion  tactile  déterminée.  —  Mais  cette  l'orme  a  besoin  et  de 
s'épaissir,  el  de  se  subtiliser.  La  relation  sensori-motrice  se  prolonge 


C0(7f.S  l)K  M.   ItHIU.SDS  Sili   LIDKE  DK  CAVSF,  387 

en  deux  sons  iliflV'ri'iils  :  «Unis  l'cspiK'e,  où  elli'  se  tradiiil  [lar  la  coin- 
iiiimicalioii  <lii  iniiiivcinciit  ;  en  nous,  où  elle  s'incarne  dans  la  repi'é- 
senlalion  d'ell'oi-l.  liclalinn  de  l'iiuai;-!'  visuidie  cl  de  l'inlay'  tactile, 
sentiment  il'etrorl,  couinnuiicalion  du  nionveineiil ,  telles  sont  les 
trois  formes  ijni  se  complètent  poni-  nous  donner  la  eunceptinn  de  la 
cause:  si  nous  dé}^ageons  ce  ipi'elles  ont  de  coinmnn,  imiis  voyons 
i(u  elles  impliquent  nfi  <'i'iiaiu  |)rogft'S  vers  la  réalisation,  vers  la  ma- 
térialité. Ce  iM'inripe  nous  (ii'rmet  de  déterminer  les  "  liarm()ni([ues 
su[)érieures  ■>  de  celle  note  fondanuMitale  :  linalilé,  causalité  ln^iipie, 
causalité  métaphysique  (lu  possibilité  enf^cndrant  la  réalité  . 

Toujours  et  S0U3  toutes  ces  formes^  la  causalité  consiste  dans  un 
[•appcii'l  entre  den\  termes  semblaljles,  dont  le  premier  est  plus 
ahsii-ail,  le  second  plus  près  de  la  matérialiti',  le  passage  de  l'un  à 
l'autre  se  l'aisant,  d'ailleurs,  insensiblement,  grâce  à  toute  une  gauuue 
de  nuances  iiderméiliaires.  Cette  théoi'ie  difi'ère  profoudénieul  de  la 
conce[ition  coui'ante  (|ui  procède  de  Hume.  Ce  ([ue  n'a  pas  vu  Hume, 
c'est  i[u'il  convient  de  si'  piacei-  à  l'aube  di'  notre  expérii'iice.  au 
|)oint  oii  le  sujet  et  l'objet  sont  en  contact  direid  :  et  là,  nous  consta- 
tons ([ue  le  l'apport  causal  n'est  pas  une  relation  synthétifjue,  établit' 
du  deliiu's  entre  deux  termes  hi'térogènes,  n(.ui  plus  ipi'iint^  relation 
analyti(|ue.  L'etl'el  n'est  ni  identique  à  la  cause,  ni  absolument  dis- 
tinct d'elle;  il  lui  resscndile  connue  le  |)lus  matérialisé  ressemble  au 
moins  matérialisé,  et  entre  les  deux  nous  ccuu'evons  toute  une  série 
d'intermédiaires. 

Il  est  aisé  de  voir,  même  d'après  celte  brève  analyse,  que  l'on 
retrouve  dans  le  cours  de  M.  Bergson  sur  l'idée  de  cause,  les  tendances 
fondamentales  de  sa  philoso))liie,  et  (juelques-unes  des  idées  essen- 
tielles de  Mntwre  et  Mémnirr  :  le  retour  au  sens  commun  et  aux  don- 
n('es  <le  la  conscience  imnu'diate  (li;  l'orientation  lie  la  conscience, 
et  en  particulier  de  la  perception,  vers  l'action  ri)  ;  la  nécessité  pom- 
l'être  vivant  de  conti-acter  et  de  condenser  en  un  minimum  île  durée 
une  nndtiplicité  iiuh'linie  d'ébranlements  (.'})  ;  la  conception  du  fait 
connue  une  adaptation,  aux  intérêts  de  la  pratique,  du  réel,  qui  est 
essentiellement  et  en  son  fond  nue  cantinuitr.  Celte  conception  de  la 
matière,  d'une  continuité  indivisée  (jui  serait  rouqiue  par  la  discon- 
timnté  de  nos  besf)ins  i ii,  [laraîl  être  un  des  points  essentiels  de  la 

(1)  Malien'  et  Mé/ivire.  avant-propos,  p.  m  ;  cf.  Discours  du  Concours  général, 

(2)  lltid.,  cil.  I,  p.  198. 
(.■))  Ibid.,  p.  228  sf|. 

(4i  Ibid.,  pp.  :i9,  40,224,  259. 


388 


J.  C. 


philosopliie  de  M.  Borf;son,  et  il  est  curieux  de  voir  oonimeul  sa 
théorie  de  la  cause  s'y  rattache.  La  couscieuct'  met  dans  la  inalirre 
coulinue  nue  discontinuité  :  lèlre  raisonnaliie  chei'chera  à  n'Ialiiir 
hi  continuil(',  en  verlu  ilu  sentiment  profond  ipi'ij  a  de  la  couliuuih' 
orif^inidle.  (/■  hesniu  de  réiablii-  le  lil  rompu  de  rcxpéi'iencc,  c  esl 
dans  l'idée  de  rapport  cfuisal  i[u'il  se  manifeste  tout  d'abord.  Kt  la 
])remière  image  de  la  can.salité,  nous  l'avons  dès  l'aurore  de  la  vie 
çonscieule,  parce  ([ue  nous  sonunes  appehV  à  cooi'ilimner  la  |)ercep- 
lion  visuelle  à  la.  perception  laclile.  Tel  !■>!  le  lieu  i|ui  rallache  cclli' 
Ihéorie  très  neuve  de  la  causalité'  à  la  coucepliuu  i\r  la  maliére.  telle 
i|n"elle  est  e\pos(''e  dans  Miilirrf  ri  MriiKurc. 


J.  C. 


L'Enseigiieineiit  (h  la  Morale  à  la  Soi'hoiiiiP. 


Par  iiiR'  i'i>ïiiciii('iiri'  reiiiaiMiuahli'  et  |i('iil-('ti'i;'  vouhn',  Ions  les 
ciiiirs  |iiil)lics  ]ii'()1'l'.ss(''s  à  la  Sorhonnc  jiendanl  1  année  scnlairi"  lilOO- 
IUDI  soiil  consacrés  à  l'enseignement  île  la  Morale.  M.  Brocliard  ctii- 
ilie  la  Morali'  di's  philosophes  grecs  les  mardis  à  ;{  Iiimiics.  et  M.  Bou- 
liiinx  la  Miirntc.  de  Kaiil  les  mercredis  à  l  Ikmii'cs  trois  ([iiarls  ; 
M.  Séailles  traite  de  Vlnvrntion  mornlr  les  samedis  à  ^  heures  et 
demie,  et  M.  Egger  (ait  nn  ro»/-.v  di'  iiuirajr  les  mercredis  à  .'{  heures 
un  ipiarl.  Visildemenl,  les  (|uesli(ii)s  morales  |préoccii[ient  davantage 
nos  contem|Hirains  que  les  pi-oblèmes  métaphssiqiu's.  ne|iuis(|ue  les 
savants  (uit  l'xprimi'  lenr  |iri'leution  à  être  les  directeurs  de  conscience 
de  l  hmnanilé,  il  seud)le  que  1  iqiinion  se  soit  émue  et  ail  voulu  révi- 
ser les  titres  de  son  héritage  moral.  Parmi  les  lenlalives  (]\ii  surgis- 
sent un  |ien  de  tous  côlés,  les  plus  vivantes,  à  coup  sur.  sont  celles 
(|ni  n'ont  pas  un  luit  exclusivement  s|)éculatif'.  celles  qui  tendent 
luiverlement  à  la  prati(pie  de  la  vie  et  à  la  réforme  de  l'éducation. 
Or.  l'en.seigaement  supérieur  distribué'  à  la  Sorhonne  est  destiné  à 
agir  sur  l'enseignement  secontlaire  jiar  l'intermédiaire  des  agrégés  ou 
des  licenciés  qu'elle  foruie.  Il  a  d'abord  sa  répercnssion  immédiate 
snr  les  desseins  du  ministère  et  les  enquêtes  du  parlement  ;  et  tôt  on 
tard,  par  une  sorte  de  jeu  de  cascades,  il  exerce  son  influence,  directe 
on  indirecte,  sur  l'élite  de  la  jeunesse  française.  Il  y  a  donc  intérêt  à 
s'enquérir  de  ce  qu'on  pense  actuellement  sur  la  Morale  à  la  Sor- 
bonne. 

Cela  même  est  plus  dillicile  à  délinii'  (ju'on  ne  se  l'imagine  :  car  les 
vnes  émises  par  les  diftérents  professeurs  sont  loin  de  co'incider.  Tous 
seraient  d'accord,  je  crois,  pour  reconnaître  la  faiblesse  et  l'insufii- 
.sance  de  l'enseignement  moi-al  actuel,  par  suite  la  nécessité  de  le 
rr'fi)rmer.  Mais  le  reuiède  qu'ils  |n-ojiiisent  n'est  pas  uniforme  et  sim- 
ple. A  vrai  dire,  ils  n'ont  i)as  de  système,  mais  seulement  des  préfé- 
rences :  et  chacun  d'eux   expose  librement  ce  ipii  lui  payait  le  pins 


390  LESSEICM-MEM'  DF.   LA  MOHALE  A   LA  SolilidXXE 

Ynusenil)l;il)le',  espéniiit  (jue  la  vérité  finira  par  se  dépigor  sponlané- 
mt'iit  (lu  CDiitlil  dos  opinions  individuelles.  Dans  ces  noies  rapides, 
nous  \oudrions  moins  dégager  les  résullals  de  cet  enseigneinenl 
(puisqu'ils  divergent  (prindi(iuer  les  méthodes  et  l'esprit  dont  il 
s'inspire,  et  es(|uisser  plutôt  des  pliysioniniiies  ipu-  des  plans  d'd  iidc 
et  des  programmes  de  leçons. 

Le  premier  cai'actère  (|ni  IVappe  dans  cet  enseignement,  c'est  ([u'il 
est  heauconp  plus  historique  que  dngmaticpie.  Et  le  l'ait  se  reproduit 
dans  les  autres  domaines  philosophiques  :  l'histoire  de  la  philosophie 
envahit  tout  en  Sorhonne,  jusqu'à  la  chaii'e  ol'ticiellement  réservée  à 
la  dogmaticpu'.  On  n'enseigne  j)lus  r.r  cfilhi'dra  ses  propres  idées  ou 
son  .systèmi'  :  on  eNpose  avec  soin  les  idées  des  grands  |ienseurs,  en 
risquant  de  temps  en  teuqis  ipichpu'  remarcpu'  ou  (pu'hpu'  crificpu'. 
.Ne  nous  y  trompons  pas  d'ailleurs  :  l'histoire  est  un  excellent  |)i'o- 
cédé  |iiMir  insinuer  des  c<nivielioiis  personnelles,  sans  crainte  de 
scandaliser  ou  d Cllaroucher  ses  auditeurs.  Kn  France,  on  a  toujours 
aimé  à  introduire  ses  idées  sous  le  couverl'de  noms  illustres  et  d'au- 
torités étrangères. 

Un  second  caractère  que  [irésente  cet  enseignement  moral  est 
res])èce  de  dilenmie  (|u  il  pose  entre  deux  formes  de  la  morale  siqi- 
posées  couti'adicloires.  Le  jxistulat  admis  par  tous,  consciemment  nu 
non,  est  (pi'il  y  a  incouqiatiliiliU'  ahsulue  entre  la  morale  anlicpie  et 
aristotélicienne  el  la  morale  moderne  représenléi»  par  Kaiil.  On  ne 
veut  plus  à  aucun  |U'ix  <l  un  cnnqu'ouus  équiv(i(|ui'  mire  \  /■^'lliiijiii'  l'i 
.\ii-i>niiit/)ir  el  la  Criliijiir  ilr  la  niismi  priilii/iif.  Il  faut  ih''cidément 
opter  pour  l'uni'  lui  l'antre  thèse.  L'éclectisme  (|ui  règne  clans  l'ensei- 
gnenu'ut  st'conilaire,  et  s'est  jadis  traduit  par  le  livre  classique  de 
Paul  Janet  sur  l/i  Murale,  paraît  maintenant  une  faute  et  une  inco- 
hérence. Bien  plus,  on  s'accorde  en  général  à  rejeter  le  Kantisme 
moi'al,  naguère  iiictndesté.  (jui.  a|)rès  avoir  été  l'envahisseur,  se  tient 
à  j)i-ésent  siu'  la  défensive,  et  lecide  à  jnesure  «pie  s'alfirme  la  cmi- 
ceplion  anliijue.  H  est  curieux  aussi  dé  constater  ce  changement  de 
f  l'o  n  t . 

Mais  passons  successivement  en  revue  les  chefs  de  tile. 

M.  Brochard,  professeur  d'histoire  de  la  )>liilosophie  ancienne, 
examine  les  s\  sli'uu'S  (les  nmralistes  grecs,  nu  ])lul(.')t  décrit  les  éta|)es 
|iarciiurues  par  le  système  .de  la  mni-ale  grecque,  depuis  I  ébauche 
socrati([ue  juscpi'à  son  complet  achèvement.  Car  il  admet  (pTil  n'y  a 
ipi'nne  morale  greciiue,  en  ce  sens  ([lU"  les  philos(q)lies  de  la  (irèce, 
à    I  instar  d  artistes,   l'oulinuent   l'ieuvre   de   leiU's  devanciei'S   en  la 


i:iL\siH(;.\i:.\ii.sT  \)i:  i..\  moh.m.k  a  i.\  so/i/to.v.v/!;         :!9i 

i'c|ii'i'n.uil  ,111  |iiiiiil  (ii'i  ils  Idiil  laissri'.  cl  en  la  i'(iii(liiisanl ,  de  |ifr- 
tVctiiiiiiicnii'rils  en  iiitIVcI  ii)ii  iiciuciils.  iiisi|ii  à  Sdii  Icruii'  iiliNil.  drlli' 
(■(in!  iiiiiili'  ilr  li'aililidii.  si  bien  mise  l'ii  liiMiiiTi'  jiar  M.  Bruciiai'il, 
c'sl  vr'^ii'  pai-  (les  |)riiici|)i'S  {^(Miéraux  i|iii  se  l'eti'iiiivi'iit,  au  fond  de 
Idules  les  (Idcl  l'iiii's.  l'I  i|iii  disi  iiifj;iient  profoiidéineut  la  morale  j^rec- 
(|iie  lie  la  morale  iiKHh'rne,  même  dans  leurs  théories  les  plus  voi- 
sines en  apparence,  l'ar  exemple  le  système  d'É|)icure  et  eelui  de 
Benlliam  smil  aux  aulipodes  l'un  de  l'autre. i  M.  Broehard  a  jugé 
ui'cessairi'  de  eonsaerer  deux  leçiuis  à  la  comparaison  antithétique 
de  ces  cleiix  morales,  et  il  a  consigné  les  résultats  de  son  enquête 
dans  un  vigoureux  article  de  la  Iti'vue  plùliisophiqur  i janvier  1901). 
Seliui  lui.  la  conception  gi-eci|ne  et  la  conception  moderiu'  en  morale 
dillï'i'ent  litlii  rirht,  pai'ce  (jue  les  ancii?ns  n'iiut  jamais  fait  appel  aux 
idi'es  de  dexiiir,  d'iildigalion,  de  responsal)ilit(''  el  de  sanclidn.  ipii 
sont  les  pix'dts  mêmes  de  rélhi(pie  Icantieniu'.  La  morale  aiillipu' 
n  est  iinlli'meiit  la  sciiMU'e  du  di'Voii-:  elli'  est  une  pragmali((ne  de  la 
vie  heureuse:  or  le  hcuduMir  ne  s'impose  pas  à  l'hoiunu',  et  ne 
demande  aucun  com|)lément  .  Sa  recherche  n'a  pas  besoin  d'être 
drdonni'e  ]iar  une  loi.  ni  à  plus  forte  raison  sanctionnée  par  uni' 
ri'Cdiupense  autre  (|ue  lui-même.  Tandis  (jue  Kant  subordonne  fran- 
chement l'idée  de  bien  à  l'idée  de  devoir  tombée  d'en  haut,  et  fait 
rejioser  en  derniêi-e  analsse  la  moralité  siw  une  Cdnsigne  arbitraii-e, 
Aristot(>  part  du  désir  d'êlre  heni-eux  connue  dune  donnée  univer- 
selle, et  nous  convie,  pai-  l'attrait  de  la  raison,  à  monter  graduelle- 
uieiil  jnsipi'an  sdiivei-ain  bien.  ()n  pinuM'ait  diri'  (|ue  Kant  sélance 
d'un  bdiid  au  sonunel de  l'i'Hlilice,  sans  prendn-  l'escalier  qui  y  uu'mk! 
plus  snreiuenl.  M.  Brocliard  ajoute,  sur  la  fui  de  Scliiipi'uhauer  l'I  de 
Spiiid/.a.  (pie  l'idée  du  devoir,  c'est-;'i-dii-e  d'un  iuqi('u'alif  catégori(iue, 
d'un  commandenu-nl  absolu  el  injustilié.  esl  d'origine  juive  et  a  sa 
source  dans  le  Décalogue.  Elle  est  donc  à  retrancher  d'une  moi'ale 
|)urenient  humaine  et  la'iiiue.  VA,  en  tin  de  comi)te,  puisque  la  posi- 
tion de  Kant  est  intenable,  il  ne  reste  qu'à  revenir  au  point  de  vue 
antique  et  naturaliste. 

—  L'article  de  M.  Brochard  a  provoipu'  de  vives  discussions,  et 
notamment  une  répon.se  du  R.  P.  Sertillanges  dans  le  dernier  numéro 
de  \d  Ikvue  philosophique.  Le  professeur  de  l'Inslilnt  catholique  est 
d'accord  avec  celui  de  la  Sorbonne  pour  reconiuiitre,  il'unc  iiart, 
l'incdiupatibilité  l'adicale  de  la  morale  antique  et  de  la  moi-ale  mo- 
derne, et,  d'a\dre  |iart.  l'i^chec  de  Kant  dans  sa  tentative  de  l'under 
lidêe  de  devoir  en  philos(qihie  pure.  Ce[»endant,  sur  le  preuuer 
point,   il  dillêre  d'avis  quant  aux  causes  de  la  divergence,  et,  sur 


392  LENSEIGNEMEXT  DE  LA  MoHALE  A   LA  SdlIlUt.WE 

h'  second  poini,  il  ccuilrsli"  que  1  idée  de  devoir  soil  une  iilée  reli- 
gieuse. En  eirel,"  la  |ihi|iai'l  des  lliéolof^icns  (el  à  leur  lète  s:iinl  Tlio- 
nias),  (|u'on  ne  saiiiMil  aeciiscr  de  nM''ei  Mina  lire  l'idée  dv  devoir,  ont 
donni'  néanmoins  de  la  lui  nnu'ah'  une  analyse  [H'csqne  enlièrenieid. 
eonlorinc  à  l'idée  grecque  ..  I,e  i>.  Sei-lillanges  ne  redoute  pas  la 
laicisalion  <le  la  intu-ale,  car  la  conrusicui  du  poinI  de  vue  religieux 
avec  le  poinI  di'  vui'  raliiniuel  ne  peiil  qn  l'iigeiulrer  de  regretlahles 
malentendus;  mais  il  réclame  à  bon  droit  c(Mdre  rostracisnu'  de 
M.  Rrocliard,  el  veut  ipi  lUi  laissi'  en  morale  une  piii-|i'  iiuveiie  à 
l'absolu  di\iu. 

—  Outre  cette  alliliide  gi'Mi(''rale  de  dogmali(pie  <l(''giiisé.  M.  l?ro- 
cliai-d  a  ses  opinions  dans  son  domaine  i)r(ipre  d'Iiisturien.  el  ces 
o[iinions  sont  loujoiii'S  iuli''ressantes.  Sur  mainte  llu^nrie,  il  se  si'qiare 
d'Ed.  Zellei-.  comme  on  sait  :  Je  n'iiisiste  pas  sur  ces  d(''lails  liieii 
connus  des  spécialistes.  Je  relèverai  senlemeul  sou  aperçu  de  la 
nnirale  de  Socrate  :  il  étalilil  un  saisissant  ciuitraste  cuire  la  per- 
sinmaliti'  singulière  du  philosophe  alll(''uieii  el  la  pauvreté  des 
résullals  auMpuds  alionlil  sa  ]'élle\i(ni.  Le  luit  de  la  science  ipie 
poursuivait  Socralp  était  la  délinitiou  des  idi''es  uuirales  :  or  le  plus 
souveul  il  se  liorne  à  critique!'  les  délinilions  usuelles,  et,  (piand 
il  SI'  hasarde  à  douner  la  sienne,  ce  ipii  ii  arrive  que  rarement,  il 
n  ahoutil  (pi'à  rejoiruire  le  siMis  commun  el  a  conseiller  ce  ipii  est 
légal.  Sa  nior.ile  définitive  n'es!  ])as  plus  avauci'c  que  la  morale  ]U'o- 
visoire  île  Descartes.  (Jtudle  est  la  scnirce  de  cette  anomalie'.'  Sehui 
M.  Hrochard,  la  morale  a  besoin,  pour  se  conslituer,  d'une  mélaphy- 
siijiie  :  elle  devait  diuu'  attendre  la  venue  de  l'Iatoii  et  d  .\rislote. 
Mais  alors,  c(unmeut  concilier  cette  opinion  avec  cette  autre  du 
savant  )U'ofesseur  (pie  la  nmrale  de  Plaliui  est  indépendante  de  sa 
meta  pli  \  siqiic.  el  (pi'mi  peut  I  exposer  sans  l'aire  iuler\  eiiir  une  seule 
l'ois  la  théorie  des  Idées'.'  Il  me  semble  ipu'  M.  Ijrochaj'd  a  trop 
ilé[)récié  la  science  de  Socrale,  en  si'  liant  surtout  au  ténmignage  de 
Xénophou.  lin  tout  cas,  même  conteslables,  ses  assertions  scud  tou- 
jours ingé'iiieuses  el  fécondes. 

Le  cours  de  M.  Boutroux,  professeur  d'histoire  île  la  philosophie 
moderne,  fait  pendant  à  celui  de  M.Brochard.  M.  Boutroux  étudie  la 
morale  de  KanI  avec  le  dessein  avoué  de  la  présenter  sons  son  vrai 
Jour  et  de  la  di''t'endre  ccuitre  les  objections  coiiraiiti's  (pion  lui 
adresse.  Il  ne  se  contente  pas  eu  ell'et  de  |)résenter  scmindeusenu'rd, 
axcc  le  souci  historique  et  la  |iénétration  (jui  sont  ses  (jualités  habi- 
tiii'lles,  l'analvse  (-le  la  méthode  kaidieniie.  Il  s'ell'orce  de  dépasser 


i:e.ssi:i(,.\i:me.\t  ni:  l{  mhhm-i:  a  i.\  stinr.nSM:         .w.) 

Kaiil,  (le  la  iiu'iiU'  l'ai'Oii  ijnc  dans  son  cxposi''  de  la  criliiiiu'  de  la  rai- 
son inii-i"  <\o  1897.  Après  avoir  tirt'  de  la  liiof;raidii('  id  du  caracli'rr 
dr  Kant  les  ('k'iiii'nls  ([ui  l'rlairi'nt  son  u'iivrc  iiioralc,  après  avoir 
souligné  sou  éducation  iiiètislc  .et  sou  amour  tics  règles  qu'il  simpo- 
sail  à  lui-iiicmc,  ajii'ès  avoir  cnsuilc  examine  brièvcincnl  la  période 
antécrili(iue  l'I  nionlié  ipTon  \  découvre  les  germes  de  toutes  les 
idiM'S  ulli'rienres  de  Kanl.il  alioide  l'analyse  de  ro'uvrc  moralo  aclie- 
viM'.  à  1  aide  di'  V /{hililis.iriiirn/  ilc  lu  i/u'liiplnixir/ui'  dcx  mœurs  (ITS'ij, 
de  la  l'riliijiii'  di'  lu  ral.snii  iiratii/iic  1788),  l'I  de  la  Mi'laphijsiriw 
lira  inirtirs  1707'.  Kt  c'est  une  viaie  joie  inlcllecluelle  dCnlendi'c 
cidle  pai'ide  d'inu'  élégante  sohriili'  ijui  commente  avec  une  rhalem- 
coinnuinicative  les  pages  sn|ierlies  de  Kant  sur  le  respect  on  sur 
la  lionne  vohuilé.  Un  tel  interprète  convient  admirahlemenl  à 
l'austèi'e  doclrine  de  Kant  ;  son  enseignenienl  eiupniiile  à  >a  \ie 
même  je  ne  sais  ((uel  rayonnemeid.  je  ne  sais  quel  accent  de  sin- 
cérit(''  (|ui  incliui'  l'Ame  à  l'amour  des  choses  morales.  Certes,  il 
l'aul  loul  cet  all]-ail  e\l(M-ii'iii-  pour  l'aire  accepter  les  dr'ducticuis  de 
Kanl. 

Kant  part  de  l'existence  de  la  morale  comme  tl'uue  donnée  qu'il  s'agil 
d'expliquer  :  il  recueille  les  notions  moi-ales  courantes  el  en  recherche 
les  contlilions  el  les  nerfs  secrets  :  il  dégage  analytiquement  les  élé- 
ments [irimortiiaux  im[iliquésdans  les  jugements  moraux  des  hommes. 
M.  Boulroux  a  tracé  avec  beaucoup  de  lermeté  les  grandes  lignes  de 
cette  détiuction  qui  va  de  la  bonne  volonté  à  la  volonté  bonne;  mais 
il  n'a  pu  nous  convaincre  que  tous  les  termes  de  cette  déduction 
étaient  ciuiectement  inférés.  Sans  doute,  on  peut  encore  poser  le 
])i-oblème  moral  de  la  même  façon  que  Kanl  :  mais  alors  son  entpiéle 
préliminaire  esl  insuffisante  :  il  n'est  pas  assez  informé  de  l'histoire 
et  de  la  géogra|ihie  de  la  morale.  En  le  lisant,  on  a  l'ai'rière-pensée 
que  ce  ne  sont  pas  les  laits  impartialement  observés  (jui  commandent 
ses  rai.sonuemenls,  mais  les  iilées  qui  déterminent  le  choix  des  faits. 
Kanl  tourne  dans  un  cercle,  et  sa  bonne  volonté  remplacée  finalement 
par  la  volonté  bonne  a  bien  l'air  d'une  tautologie.  L(U'S(|ue  M.  Bou- 
lroux, après  avoir  fait  l'expo.sé  analyliciue  de  la  morale  de  Kant.  ntuis 
présente  ses  observations  sur  la  valeur  même  de  celle  analyse,  on 
sentait  c(unbieu  il  était  endjarrassé  pour  justifier  les  ]irocédés  de  son 
auteui-;  à  clia([ue  instant  il  siu-tail  de  Kanl  pliili'il  ipi'il  ne  le  pndou- 
geait.  Mais  attentions  la  fin  du  cours  pour  le  juger  dans  le  détail,  car 
il  le  mérite  à  Ions  égards.  La  seule  conclusion  que  nous  voulions 
tirer  ici,  c'i'sl  i]ne  la  morale  de  Kanl  a  perdu  son  caractère  de  dogme 
irdangible.  el  c|u'elle  a  besoin  maiuleiiant  d'être  di'fendiie. 


a94  LENSElGXEMEyr  DE   LA  MOIiALE  A  LA  SnHIiny.SE 

Il  est  à  pn'suniei'  qiiH  M.  Séailles  liii-inènic  n'acn-ptcrait  plus  sans 
rcslrictiim  les  thèsi's  iillraUaiitii'iiiies  soutenues  dans  "  les  affinnîi- 
lions  de  la  (•(luscieiice  moderne  ".  On  ne  peut  nier  que  Kant  soiL  un 
inventeur  eu  morale:  mais  peut-on  dire  sérieusement  (juil  soil  un 
inventeur  au  même  titre  que  Soerate.  et  surtout  ([ue  Jésus-Chrisl? 
Il  est  \enii  après  eux  el  a  pu  profiler  de  leurs  idées;  mais  a-t-il  ap- 
port t'  au  monde  une  idée  vraiment  neuve  et  de  nature  à  clian{i;er  les 
rapports  des  hommes  entre  eu\?  La  réforme  de  Kant  consiste  plutôt 
dans  une  nouvelle  façon  d'envisaj^er  le  problème  que  dans  une  acqui- 
sition susce[)lible  de  passer  immédiatement  dans  la  pratique;  or  en 
morale  ce  dernier  i-rilériiim  ne  doit  jamais  être  perdu  de  vue.  Ceci 
nest  peut-être  pas  la  pensée  de  M.  Séailles,  mais  nous  est  suggéré 
[)ar  son  titre  ;  Dr  l'Invention  mornli'.  Comme  M.  Kibot,  M.  Séailles 
admet  (|u"il  y  a  di>s  inventeurs  en  morale  aussi  bien  ([lu'  dans  la 
science,  dans  lart  el  dans  le  domaine  économique».  C"esl  là  un  aperçu 
fort  ingénieux;  ce  nest  qu'un  aperçu.  Ce  titre,  qui  à  lui  seul  est  une 
li'ouvaille,  com|)orte  en  efl'el  plus  d'un  développement;  on  peut  s'at- 
tacher à  l'histoire  des  découvertes  uu)rales.  ou  bien  décrii'e  les  con- 
ditions de  ces  découvertes,  et  les  lois  de  leur  apparition,  tâches  éga- 
leuient  délicates.  M.  Séailles  ne  |iaraît  [las  avoii-  pris  un  parti.  Il 
passi'  en  revue  les  principaux  systèmes  de  morale  modernes  ou  cou- 
lenqMiiains,  et  il  saisit  cette  occasion  pour  taire  une  incursion  dans 
leur  pliilosopliie  théorique,  .\insi  il  expose  et  ci'iti([ue  la  morale  de 
(iuyau.  celles  de  lienouvier,  de  Wundt,  de  llôtl'iling,  etc.  On  souhai- 
terait parfois  ciinnaitre  un  pi'u  les  idées  di'  derrièi'e  la  tète  d  un  pro- 
fesseur si  diligeuuneut  iutoruie.  L'esprit  de  M.  Séailles  j)araîl  trop 
«•oiu|U'éliensil'  pour  qu  il  s'arrête  délinitivemenl  à  un  système.  Les 
(h'Iaiits  lui  sautent  Iropaux  yeux.  Mais  a-l-il  (Md)li(' sa  condamnation 
du  dilettantisme  d'un  Renan?  A  tout  pi-endre,  il  manifeste  une  intel- 
ligence 1res  éveillée,  une  àme  d'intuitif  qui  jette  ])ar  instants  des 
êclail'cies  sur  les  questions  morales. 

Par  ccuilre.  .M.  Egger  apparaît  iustiuctiveuieut  dogiuatii|ue.  Il  lait 
un  <i  Cours  de  morale  »  ;  et  c'est  une  originalité  tians  ce  milieu  el 
une  audace,  à  notre  époque,  de  dédaigner  l'analyse  des  solutions  his- 
toriques pour  reprendre  à  son  compte  les  ]>rol>lèines  posés  par  nos 
devanciers.  Kt  puis,  M.  Egger  est  avant  tout  nu  logicien  (pii  délinit 
ses  termes  et  procède  méthodiquenu'nt  dans  ses  démonstrations. 
Quoi  d'étonnant  s'il  transporte  en  morale  ses  préoccupations  domi- 
nantes, el  jusqu'à  son  amour  du  paradoxe  qui  naît  fréquemment 
d'antithèses  logiques?  Il  commence  [lar  fixer  en  extension  et  en  com- 


LKXSEir.MlMF.Sr  liK  /.A  MiiHAlE  A   l.\  SuHUnXyE  305 

|U-(''li  'iisiiiii  les  |)]-irn-i|>;iii\  cnnccpls  moraux  ;  liicii.  dniil,  ilcvoii-, 
uii'i-iti'.  saiii'liou.  rli-..  Cl'  (|ni  l'aniiMie  à  l'xaiuiiii'r  Icui-s  i-a|i|)(>rls 
iniiliu'ls  l't  il  k's  siilisiiiuor  les  uns  aux  auti-('s.  Il  a  luèinc  l'ccours  aux 
ii'i-L'K'S  fOiici'nlri([iii's  il  Kuh'i'  pour  symljoliscr  rcs  ra]>p()rls,  tout 
comme  s'il  saj^issail  île  syllofi^i.siue.  Sa  manière  ln(;iipie  il  euvisaj^er 
les  questions  morales  le  eondiiit  parfois  à  de  eui-ieux  résultats,  l'ai- 
e\eni|)le,  selon  lui,  les  deux  formes  ordinaires  de  l'impéralif  eatéi^o- 
riipu'  u'i'puisent  pas  toute  la  loi  morale;  en  réalilc''.  il  y  a  qualre 
l'oi-mi's  di'  l'inipéralif.  commandi'es  par  la  svméli-ie. 

Ai;i>  pour  11'  bien      =  j-'ais  le  liieii  .  /      Fcu'UU.'S 

.\j;is  poui'  le  iion-uud    =  Emj)érlie  le  ulal  .  *    positives. 

.N'aj^is  pas  [nuir  le  mal  i^  .Ne  fais  pas  le  mal  .  )     Formes 

.N'agis  pas  pour  le  non-bien  i=  .N'empêche  ])as  le  \Hr\i  .  *   né,tcatives. 

Kt  res  distinctions  formelles  trouvent  leur  applii^dion  dans  la  pra 
liyne.  —  De  même,  il  oppose  à  la  sanction  l'antisanction,  ou  sanc- 
tion à  rehonrs,  (jui  comprend  à  son  tour  l'antirécompense  et  l'anti- 
punition.  c'est-à-dire  la  punition  pcnir  avoir  liien  a^i  et  la  récom|)ense 
piMu-  avoir  mal  atji.  (tn  obtient  ainsi  un  rigiuirenx  parallélisme  de 
tous  les  concepts  moraux.  Cluniue  genre  renferme  deux  contraires 
(pii  ont  chacun  deux  espèces.  11  est  difficile  de  dégager  les  idées 
directrices  de  cette  morale,  imjirégnée  à  la  l'ois  ih'  Kantisme  et  de 
Naturalisme.  En  tout  cas,  le  cadre  en  est  des  plus  sédui.san-ts.  appli- 
cable à  n'importe  ipudle  forme  de  la  morale. 

Voilà,  en  gros,  le  bilan  de  l'enseignement  inoral  actuel  à  la  Sor- 
b(uine.  Peut-être  contient-il  dans  sa  riche  variété  les  éléments  d'une 
i'onstrucli<in  morale  homogène  et  pro|)re  à  rallier  h's  esi)rits.  Mais 
ipii  se  chargera  de  cette  tâche  dont  la  nécessité  s'impose  de  plus  en 
plus-? 


SOlTKWNr.K  DR  TIII-SKS  POl  R  LR  DOCniUAT  VS  LKTTKKS 


Le  H  janvier  1901,  M.  Albert  Leclère,  ancien  élève  de  la  Kacullt'  des 
lettres,  professeur  de  philosophie  au  collège  de  lilois,  a  soutenu,  devant  la 
Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris,  ses  deux  thèses  de  doctorat  <ur 
les  sujets  suivants^ 

pRE.MiÈRK  THÈSE.  —  De  Facultatc  icrum  as^eqiiendi  secundwn  Balmesium. 

Seconde  thèse.  —  Essai  ciiti(jiie  sur  le  droit  d'affirmer. 

M.  Leclère  a  été  déclaré  digne  du  grade  de  docteur  es  lettres. 

La  thèse  laline  et  la  thèse  française  procèdent  de  la  même  idée  :  il  doit  y 
avoir  une  métaphysique  normale  à  l'esprit  humain  comme  il  y  a  une  ma- 
thématique et  une  physique  normales  à  l'esprit  humain.  Dans  la  thèse  fran- 
çaise, l'auteur  a  essayé  de  dégager  la  théorie  du  connaître  et  de  l'être  qui 
doit  éclore  spontanément  dans  un  esprit  vraiment  critique  et  sans  préjugés: 
dans  la  latine,  il  a  étudié,  à  propos  de  Balmès,  la  théorie  qui  doit  (-clore, 
sur  ces  deux  points,  dans  l'esprit  d'un  penseur  qui  veut  rester  fidèle  au 
sens  commun,  qui  formule,  en  définitive,  la  philosophie  naturelle  /i  ceux 
qui  ne  sont  point  philosophes. 

Trois  directions  philosophiques  sont  possibles  ;  la  première  consiste  à 
expliquer  par  l'action  de  l'objet  ce  qui  se  passe  dans  le  sujet  en  envisa- 
geant celui-ci  comme  un  objet  parmi  d'autres  objets  :  ainsi  firent  les  sco- 
lastiques  ;  la  troisième  consiste  à  partir  du  sujet  ou  tout  au  moins  de 
quelque  chose  de  subjectif  :  ainsi  font  les  modernes  ;  la  seconde  consiste 
à  fiiire  une  part  à  l'objet  dès  le  début  :  ainsi  fit,  entre  autres,  Balmès, 
spécialement  intéressant  à  étudier  pour  avoir  voulu  être  à  la  fois  scola- 
stique  et  moderne,  sans  réussir  d'ailleurs  à  autre  chose  qu'à  l'-tre  le  père, 
souvent  renié  par  ses  fils,  des  néo-scolastiques.  Ce  qu'il  faut  avant  tout 
louer  chez  lui,  c'est  d'avoir  vu,  dans  la  question  de  l'existence  ou  de  la 
certitude,  le  problème  fondamental  de  la  philosophie,  d'avoir  tenté  de 
réduire  la  question  du  droit  du  dogmatisme  à  une  question  psychologique, 
à  l'étude  du  fait  du  dogmatisme  ;  c'est  encore  d'avoir  essayé,  après  avoir 
non  pas  démontré,  ce  qu'on  ne  peut  sans  paralogisme,  mais  montré 
à  l'homme  qu'il  est  invinciblement  dogmatique,  c'est  d'avoir  essayé, 
dis-je,  de  nombreuses  confirmations  rationnelles  du  dogmatisme.  Sans 
doute,  il  il   tort  de   vouloir   proprement  des  critères,  mais  les  trois  qu'il 


SnVTEXA.WE  ni-   THESES  307 

invoque,  à  savoir  la  conscience,  l'évidence  et  l'instinct  intellectuel,  il  les 
réduit  au  fond  à  n'être  que  des  formes  d'un  instinct  dogmatiqu'î  essentiel 
il  la  raison.  Pourtant,  an  rebours  des  scolastiques,  il  est  explicitement  un 
instinctiviste  et  implicitement  un  ralionaliste.  C'est  dans  le  sujet  qu'il 
cherche,  hien  moderne  en  ceci,  de  quoi  montrer  qu'il  y  a,  agissant  sur  le 
sujet,  le  sollicitant  à  penser,  quelque  chose  d'extérieur  à  lui  :  c'est  dans  ce 
sens  qu'il  Iraite  des  facultés.  Innéiste  malgré  lui,  il  reconnaît  deux  éléments 
primordiaux  dans  la  connaissance,  l'idée  de  l'être  et  l'intuition  de  l'étendue  ; 
avec  les  scolastiques,  méconnaissant  en  ceci  l'activité  propre  de  l'esprit 
qui  disparaît  dans  la  mesure  où  on  la  déclare  inutile  dans  le  jugement,  il 
nie  tous  les  jugements  synthétiques  a  priori;  il  oublie  de  considérer  nos 
idées  en  tant  (jue  constructions  psychologiques  pour  les  considérer  en 
elles-mêmes,  ou  en  Dieu,  on,  lui  semble-t-il,  toutes  doivent  être  contenues 
dans  une  seule  idée  analyliquement.  Voulant  que  notre  raison  soit  une 
réalité,  il  en  démontre  l'unité;  voulant  qu'elle  soit  apte  à  atteindre  l'être, 
il  montre  que  toutes  nos  idées  sont  dérivées  de  l'idée  de  l'être,  mais  de 
cette  idée  il  sépare  celle  de  l'existence  (qu'il  en  rapproche  quelquefois 
cependant),  affaiblissant  ainsi  et  dénaturant  la  raison  au  profit  de  vagues 
instincts  d'aflirmation  qu'il  exalte  et  sur  la  foi  desquels  il  accorde  à  toute 
science  et  à  la  métaphysique  une  égale  portée.  Il  se  plaît  à  nous  faire  voir 
la  continuité  de  la  science  et  de  la  métaphysique,  les  idées  de  phénomène 
et  d'être  impliquées  l'une  dans  l'autre,  comme  d'ailleurs  tous  les  principes 
les  uns  dans  les  autres.  Enfin  il  nous  montre,  dans  la  n  science  transcendan- 
tale  >'  qui  nous  conduirait  infailliblement,  nous  autres  hommes,  au  pan- 
Ihéisine,  à  l'idéalisme  absolu  et  au  scepticisme,  la  science  impossible  pour 
nous,  possible  seulement  jioui'  Dieu,  et  nous  indique,  symétriquement, 
dans  ce  qu'il  appelle  la  «  connaissance  par  idéalité  »  (la  seule  humaine- 
ment possible,  suivant  lui),  la  science  vraiment  féconde  et  certaine.  Inter- 
médiaire entre  l'objectivisme  à  outrance  des  scolastiques  et  le  subjectivisme 
ardu  des  modernes,  la  philosophie  de  Balmès,  sage,  conservatrice,  subtile 
parfois,  mais  oMrant  à  l'esprit  un  point  de  vue  très  commode,  convient 
éminemment  au  sens  commun,  dont  elle  exprime,  en  quelque  sorte,  assez, 
bien  la  philosophie.  La  question  est  de  savoir  si  la  logique  n'est  pas,  par- 
fois, plus  hostild  au  sens  commun  qu'il  ne  le  pense. 

La  conscience  empirique  ou  pensée  concrète  est  le  point  de  départ  de 
fait  de  toute  philosophie  :  devant  cette  conscience,  l'être,  c'est  le  vrai,  et  le 
vrai  c'est  l'affirmé  ;  en  chacune  de  nos  affirmations  vraiment  nécessaires, 
invincibles,  normales,  il  y  a  une  affirmation  du  droit  d'affirmer  :  la  légiti- 
mité du  dogmalisme  est  en  fait  posée  spontanément  par  l'esprit.  Mais  ce 
qu'on  affirme  invinciblement,  c'est  ce  qui  semble  s'affirmer  en  nous  indé- 
pendamment de  nous,  s'aflirmer  en  soi  ;  la  conscience  empirique  ne  peut 
pas  ne  pas  se  reconnaître  justiciable  d'une  pensée  en  soi,  norme  souveraine 
de  la  vérité.  Quand  on  est  remonté  jusqu'cà  ce  principe  de  toute  affirmation 
légitime,  on  a  trouvé  le  point  de  départ  dialectique  de  la  véritable  philoso- 


:i98  SOUTEyASCE  DE  DIESES 

phie  ;  il  s'agit  dès  lors  de  trouver  ce  qui  absolument  s'affirme,  et  tout 
d'abord  de  chercher  ce  qui  se  nie.  Mais  par  là  même  qu'on  s'est  franche- 
ment placé  en  dehors  et  au-dessus  de  la  pensée  concrète,  ainsi  que  celle-ci 
elle-niiMue  l'exige,  on  est,  en  fait  et  en  droit,  au-dessus  de  toute  objeclion 
que  pourraient  faire  au  dogmatisme  la  psychologie  et  la  psycho-physioloeie. 

Ce  qui  se  nie,  ou  se  nie  en  s'aflirraant,  ce  qui  revient  au  même,  Parmé- 
nide  la  dit,  c'est  le  phénomène,  et  jusqu'au  phénomène  de  penser  ce  qui 
est  ou  n'est  pas.  D'ailleurs,  que  l'on  étudie  le  phénomène  dans  la  conscience 
ou  par  le  rapport  à  la  réalité,  qu'on  l'étudié  dans  ses  rapports  avec  l'espace, 
le  temps  et  le  nombre,  ou  dans  l'activité  scientifique  qui  cherche  à  en 
établir  la  théorie,  on  trouve  toujours  qu'il  est  sa  propre  négation.  Sans  lin, 
la  forme  du  phénomène  conscient  s'évanoui.t  en  une  insaisissable  matière 
à  qui  veut  en  fi.\er  l'idée,  et  la  matière  de  ce  phénomène  se  transforme  de 
même  en  une  forme  aussi  évanouissante  ;  l'idée  d'idée  est,  elle-même, 
l'idée  d'un  objet  et  d'un  sujet  qui  ne  s'unissent  que  pour  se  confondre  dans 
une  vaine  apparence  ou  pour  donner  naissance  à  un  phénomène  aussi  réel 
qu'eux,  mais  qui  les  rend  l'un  à  l'autre  impénétrables.  Au  fond,  la  réalité 
attribuée  au  phénomène  par  Berkeley,  liant  et  Mill  est  inintelligible  et 
contradictoire,  comme  celle  qui  lui  est  attribuée  par  le  sens  commun  et  le 
substantialisme  vulgaire. 

D'autre  part,  la  science  du  phénomi'ue,  prise  en  elle-même,  témoigne  de 
la  vanité  de  son  objet,  car  le  phénomène,  le  temps,  l'espace  et  le  nombre 
s'appellent  et  se  repoussent  à  la  fois  ;  ce  qui  rend  possible  la  science  la 
rend  aussi  impossible,  et  ces  quatre  notions  sont  contradictoires  en  elles- 
mêmes  comme  elles  le  sont  entre  elles,  bien  que  l'entendement,  habile  à 
oublier  les  contradictions  essentielles  aux  notions  dont  il  part,  arrive  à 
mettre,  dans  les  résultats  où  il  aboutil,  une  grande  cohérence  :  le  caractère 
arbitraire  de  l'harmonie  relative  qu'il  introduit  dans  ses  théories  est  d'ail- 
leurs facile  à  reconnaître  et  souvent  reconnu  de  nos  jours. 

Celte  vérité  apparaît  sous  une  forme  tout  aussi  saisissante  si  l'on  consi- 
dère l'activité  de  l'esprit  :  sous  toute  intuition,  empirique  on  a  priori,  il  va 
une  induction  comme  d'ailleurs  sous  toute  déduction  ;  partout  se  retrouve, 
explicite  ou  implicite,  le  "  Principe  des  genres  »  qui  n'est  pas  un  principe 
de  la  raison,  mais  un  simple  vœu  de  l'entendement;  et  si  l'on  étudie' en 
eux-mêmes  les  principes  et  les  intuitions  sensibles,  partout  on  découvre 
une  hétérogénéité  foncière  dans  les  éléments  de  la  connaissance,  hétéro- 
généité qui  rend  chimérique  l'unité  poursuivie  par  la  science,  dont  la  fonc- 
tion est  pourtant  de  poursuivre  cette  unité. 

Enfin  la  science  tout  entière  n'est  qu'un  système  de  substitutions,  elle 
est  tout  entière  synthétique,  bien  que  son  idéal  soit  d'être  tout  entière 
analytique;  chacune  des  sciences  et  même  des  métaphysiques  existantes 
est  légitime  en  son  principe,  mais  il  y  a  hostilité  entre  la  science  en  géné- 
ral et  la  métaphysique,  comme  entre  les  diverses  métaphysiques  :  bien 
plus,  chacune  des  sciences  aspire  à  la  fois  à  substituer  à  son  objet  propre 
l'objet  de  quelque  autre  science   et  à  se  substituer  à  toutes  les  autres 


Sol'TENAME  DE  THESES  :t'J9 

sciences,  elle  veut  le  développement  indépendant  des  autres,  mais  pour  les 
dévorer  ou  pour  se  perdre  linaiement  en  elles. 

Cependant  toute  science  et  toute  métaphysique  devient  parfaitement 
légitime  si  l'on  en  nie  l'objectivité,  si  l'on  délînit,  en  conformité  avec  l'es- 
prit moderne,  la  vérité  par  l'accord  entre  les  idées.  Cette  dernière  condi- 
tion n'est  parfaitement  remplie  que  si,  en  face  d'une  métaphysique  décidée 
à  iijnorer  la  science,  on  construit  la  science  en  oubliant  cette  métaphysique, 
e.'i  oubliant  surtout  le  préjugé,  métaphysique  au  fond,  de  la  réalité  du 
phénomène  (de  l'être  qui  n'est  pas).  Dès  lors,  autant  d'univers,  s'il  est  per- 
mis encore  de  s'exprimer  ainsi,  que  de  points  de  vue  sur  le  soi-disant  uni- 
vers unique  :  l'irréalité  du  monde  phénoménal  sauve  et  seule  peut  sauver 
la  science. 

Si  maintenant  oa  demande  à  la  pensés  en  soi  ce  qu'elle  affirme,  on 
trouve,  identiquement,  qu'elle  affirme  la  réalité,  l'identité  de  l'être;  puis, 
que  l'être  est  pensée,  qu'il  est  cause,  liberté,  amour,  personnalité,  que 
Dieu  e.viste  et  que  tout  le  reste,  s'il  y  a  quelque  chose  de  réel  en  dehors 
de  lui,  est  en  Dieu  en  tant  que  se  posant,  en  soi-même  en  tant  que  posé. 
On  découvre  aussi  que  l'action  directe  est  possible  entre  Dieu  et  le  reste, 
mais  que  l'action  ne  peut  être  qu'indirecte  entre  les  êtres  non  divins.  La 
réalité  d'un  univers  et  du  moi  ne  s'établissant  qu'en  faisant  appel  à  l'idée 
du  Devoir;  il  y  a  un  devoir  être  du  perfectible,  c'est-à-dire  de  l'imparfait, 
du  non-divin.  Et  sur  celte  base,  il  est  même  possible  de  construire  une 
morale,  dont  l'idée  doit  être  eflicace  sur  les  consciences  empiriques  dans 
l'univers  apparent  dont  nous  sommes  partis.  —  En  somme,  partis  de  la  con- 
science empirique,  nous  avons  abouti  d'abord  à  la  pensée  en  soi,  d'où  nous 
avons  tiré  une  critique  du  non-être,  une  critique  puis  une  justiCcation  d(^ 
la  science  du  non-être,  enfin  une  métaphysique  courte  mais  rigoureuse- 
ment logique  :  nous  avons  rétabli  l'être,  défini  l'être  par  la  pensée,  mais 
une  pensée  cette  fois  réelle  et  vivante.  Nous  avons  décrit  ce  qui  est  norma- 
lement engendré  par  la  pensée  quand  elle  se  laisse  expliciter  les  virtuali- 
tés qu'elle  porte  en  elle,  quand  elle  veut  être  identiquement,  mais  claire- 
ment et  distinctement,  ce  qu'elle  est  essentiellement  mais  d'une  manière 
implicite. 

A.  L. 


/,"  Grraiil  :   L.   (iAUMKR. 


Li  Chaiielle-Montligeon.  —  luip.  de  N.-IJ.  de  Montligeon. 


LES  CATÉGORIKS  D'ARISiOTE 


Il  >'a^il  iri'ludiiT  lc>  (l(Hi'riiiiii;ilious  ilc  l'rlrc.  considéré 
(•(piiinu'  li'l .  l'cuir  jésiimlii'  relie  (|uesliiin,  Arisloto  établit 
(riilionl  jiie  l'èlre  a  ili's  iiiodalilés  el  que  ees  modalités  ne  vont 
|ias  à   l'inlini:  pui-,  il  essaie  d'en  lixer  le  nombre  et  la  nature. 


I 


(In  ne  peiil  >e  rallarlier  à  la  llii''orie  de  Falisoliie  iinit(''  di' 
i"(Mre.  Si  cette  théorie  a  fait  des  partisans,  c'est  |)arce  que  l'on 
n'a  |ias  sn  lover  les  équivoques  qu'elli^  renferme. 

(jue  veul-oii  dire,  en  elïet,  lorsqu'on  aflirnn'  (|ue  l'être  est 
alis(dumenl  nu?  Veul-on  signiiier  que,  par-delà  les  formes  de 
lètiv  et  l'èlre  lui-même,  il  y  a  l'I'n  et  que  cela  seul  est.  .Mais 
s'e\|n'imer  de  la  sorte,  c'est  lonihei'  dans  une  conlradiction.  Si 
l'un  u'enfi'nue  plus  l'èli-e,  s'il  e>l  autre  (|ne  l'èlre.  il  uesl  pas: 
el  rien  n'est  i  1  i. 

\'eut-on  (lire  seuleuu'ul,  avec  l'arnuMiide  et  .Mélissus.  (|ue  la 
miilliplicilé  des  choses  est  une  vaine  apparence,  et  (|u'au  l'iunl 
il  n'y  a  qu'un  seul  être,  partout  hcnnogène.  éternellement  iden- 
liijue  à  lui-même  '2i?  On  se  trouve  alors  en  face  d'un  monisme 
plu-  profiiud.  mais  ([ui  n'en  est  pas  moins  insoutenable  dans 
-a  uiilde  inllexiliilité.  Si  tout  est  rigoureusement  un,  il  n'y  a 
|diis  de  rudUN  enieni  d'ancnne  soj-le   8   ;  or  une  telle  coiisiMiuence 

1)  .\iasT.,  l'Utis..  \,  ;i,  iS.ir,  31  et  sciq..  éd.  de  Uei-lin,  ISiil. 
■1:  II..,  .We/.,  .\,  3,  084',  2'J  et  sq.).  :  iS.  1,  1001%  :n  et  sqf|. 
:i,  I  ..,  /'/«vv..  A,.!.   ISG'.  lU-lG. 


U)i.  Ci.onii-  PIAT 

sul'lil  i"i  (l(''iii'intiTr  (|iir  II'  s\  sirmc  dunl  clic  il(''ri\  r  dcnu'iin'  lol;;- 
Iciiiciil  (''lr;iiij;rr  à  i;i  iivililc  <I('S  choses  (1).  Si  loiil  csl  l'ii^du- 
l'cuscmciil  un,  il  iniidra  diro  qiio  riinmnie  cl  \v  cIicvmI  sdiiI 
mic  seule  cl  nicuio  rlmsc.  tjuc  le  liien  cl  le  ni.il  sont  idenliques, 
(|iic  le  Idiini-  cl  II'  Unir  se  (•iiiilnudeiil  :  il  l'iiiulr;i  nier  vn  Mm- 
loules  les  dilir'ieiiccs.  toutes  les  o|)|ii)sitii)us.  toutes  les  conli'ii- 
l'ir'li's  diiiil  In  luiture  uotis  nll're  le  |)erp(''tuel  spectacle  i2<.  VA 
quel  ilinycu  d'aduu'lli'c  une  dnclrinc  ijui  \a  ius(|u'à  de  li'llcs 
cNlM'Uiitr's  .'  |)c  plus,  qu'est-ce  que  l'cli-c  ilnui  parleul  les 
llli'alcs  ?  l'uisqu  il  csl  un,  il  faut  ijuil  suit  nu  siniplcnu'ul  enii- 
linii  iiii  ali>nluuicul  iudivisililc.  S'il  est  cnutiiiu.  il  est  mulliple 
par  là  uir'iuc;  car  le  |ii'npn'  du  cmiliuii  est  de  se  di\isci'  à  l'in- 
liiii.  S'il  e>l  alisnlunicut  iiiili\  isilde,  il  n'a  pas  de  i;randeui'  :  il 
u'esl  pa-;  inliui.  connue  le  veut  Mclissus.  ni  mènu^  lini,  comme 
le  ilil  l'aniir'uide  ;  i  ar  Iniilc  t:randeur  est,  ciiuinic  telle,  siisce|)- 
lildc  de  dixisiiin.  I)ans  l'un  ci  l'aulre  cas,  c'csl  eiu-ni'c  à  la  cnn- 
tradiclinu  que   l'nn   se   ImuNc  acruli''  '  ^t  . 

i'>ssaie-t-()n  de  se  pi'imnncer  pniii'  nue  ii'nisicnu'  l'niauc  de  la 
nii''Mn'  Ihr'iiiic  :  alliiauc-l-nu.  à  I  cxeniple  d'Aul  isl  licnc  i  ,  que. 
si  tnut  n Cst  pas  nu.  du  nmins  i  liaque  être  csl  nu.  et  au  point 
de  n'cuvelnppei-  aucun  l'iiuncnt  de  distinctinu.  par  là  niènu- de 
di''lil!ilinii.  (lu  diminue  alni'-.  les  diniculir's  ;  mai- on  est  Iniii  de 
les  >iqqu'imci'  loules.  (lliaipie  iMi-c  c--l  mulliple.  connue  l'uni- 
vers ilnul  il  lail  parlic.  Iiieii  qu'à  un  moindre  tlc^ré.  Iiupossililc 
de  rr'duirc  la  qualili'  à  la  quanlili':  inqiossilde  aussi  de  conce- 
Miii'  la  qnalili'  il  la  ipianlili'  sans  le-  rapporter  à  un  li-nisicnic 
Icruu'  (|ui  les  i^rnujjc  et  les  suppoi'le  i.'i,.  Tout  individu  est  au 
moins' une  Irinili',  Celle  IrinilT'  elle-nièuu'  se  fractionne  en  éli''- 
nu'iils  seeoudaii'e-  :  il  \  a  dans  iduupir  lioiunu'  une  couleur  l'I 
nue  laille  délinies,  un  animal,  un  liipède.  une  |iensée  qui  se 
dr-plnie  eu  se  ramassant  sur  elle-uu''nn'  ;  el  cliacuue  de  ces  choses 
devieul   mulli|)le  à  snii  lour  sous  le  rciiai'd  de  l'analyse  (6). 


(1)  .\iii-T..  riii/s..  A,  -2.  ISV  et  S(|f|.  ;  H,  3,  5i;i'.  4-li. 

i!)  lu.,  Ihid  .  \.  2.  18V,  l'.l-23;  A,  :i.  tSb  .  2-2:1. 
i;ii  li>.,  l-li>/s.,  A,  2,    ISj'.  "i-lS. 

1     lu.,  Met..  Il,  3,  10^;)',  :;.1-2S 
-:.    II...  rif/s.,  A,  2,  is:i'.  2'i  et  sc|i|. 

(C.     Ii>.,  Ihiil..  A.  :i.   ISl.',  \i  et  sqq. 


;.;•:>■  r.\ri:i,(inii:>  HMnsidii-:  lo:? 

I.'iMir  ii'i'-l  (ia>  aliMilmiiriil  un  :  mais  il  i\'r>[  |ia>  umi  |>lu> 
iiuilli|ili'à  l'iiiliiii.  ciimmc  l'onl  iiciisi-  l.ciicipiic  cl  Di'-miK  rilc  1  i  : 
raloiiiisiiu-  aussi  passo  à  ciMi'  di'  la  vT'i-ili'. 

Oïl  ariii'inc  (|n"il  cxislc  un  iKimlirc  inliiii  de  principi'r- :  •■! 
rmi  u'iiliMTVc  |ia>  iiu'uiir  li'llc  cniircptiiin  est  la  n(''t;aliun  de  lii 
-.(•ii'iicc.  Sa\oir,  c'est  t'X|ili(|M(M-  :  c'csl  cuniiailn'  quelles  sont 
les  causes  des  phénomènes  donnés  cl  (jucl  en  esl  le  nnnilu-i' 
ïv.  -v-wv  y.%.  TT'i-t.iv  .  Or,  si  la  série  des  élémenls  ({ni  eonsLiluenl  la 
nalure  n"a  pas  de  terme,  eetl(>  condition  essentielle  de  la  science 
n'est  jamais  ruuriiic  :  nn  ne  Innivc  niilli'  pari  une  dernicrr^  cause  : 
cl  l'univei's  demeure  pour  lnnjdur--  iniulclli^ildc  2  .  De  [)lus, 
une  telle  conception  enveloppe  une  aulinomie  ipTil  est  assez 
facili'  Ar  mettre  en  lumicre.  Si  le  lnliil  des  principes  csl  inlini. 
il  faut  que  chacune  des  portions  (jue  l'on  y  peut  cuncevoir  le 
soit  aussi:  car,  supposé  que  l'une  d'entre  elles  ne  le  soit  pas, 
on  n'aurait  plus  en  l'ajoutanl  à  Iniil  le  reste  qu'un  nombre  lini  : 
ce  qui  est  contraire  à  l'hypothèse  en  question.  D'autre  part,  si 
ioutes  les  portions  de  la  somme  infinie  des  principes  sont  elles- 
mêmes  inlinies,  on  a  dans  l'iulini  donné  un  iiomhre  inlini  d'in- 
linis:  et  c'est  une  contrat!  ici  i  ou  (|uancnn  ell'ort  ne  peut  lever  (^J'. 

On  ajoute  que  ces  principes  dont  le  nonihre  n'a  pas  de  limite 
sont  également  éternels,  (l'est  donc  qu'ils  sont  autant  de  causes 
premicro.  Mais,  s'ils  sont  des  causes  premières,  ils  sont  par  là 
même  alis(dunieiil  semhlaldes  :  ils  ne  comportent  aucune  dillé- 
rence  de  ((ualilé,  de  quantilé'.  de  lii^ure.  de  site,  de  pesanteur  ou 
(le  mouvement:  car  ils  ont  loii^  el  toujours  la  même  raison 
d'être  1  .  iiien  jdus,  il  faut  (ju'ils  soient  totalement  identiques, 
qu'ils  se  confondent  en  une  seule  réalité  o  :  et  l'on  se  trouve 
ilerechefen  l'ace  de  l'arménidc  qu'il  s'asissait  cependant  d'éviter, 
(hi  veut  aussi  que  ces  princi])es  inliuis  en  nombre  cl  élernei- 
Client  (le  la  grandeur.  Et  il  le  faut  bien:  car  autrement  les  cor|)s 
ju"  se\pli(|ueraient  point:  de  jdus.   il  n'y  aurait  entre  les  éb'-- 


l;  Ani-r.,  Me/..  A,  4,9S;r,  i-22:  Dr  ijeii.  ol  rornip..  A,  2,  31G".  !0  et  sqq  ;  l'/iys., 
A.  2.  184%  2U-22. 

2j  Ih.,  P/if/s.,  A.  4,  IS"!'.  7-13:  A,  6,  isy,  12-20. 
(3)  II).,  Ph;,s.,  A,  4,  188",  2-5:  r.  5,  204 '.  20-26. 

4)  II).,  Ile  ni'/ ,  X.  1,  2';5\  29  et  sqq. 
.y,    In..  Di'  ;en.  el  cornip..  A,  S.  326',  29-34. 


-'lOl-  Clodiu-  pi  AT 

nicnts  iuifiin  cùiitacl  possil)le:  j)ar  là  iiirmo  am-iiiic  rcntniilrc. 
itiiciinc  conihinnison  :  cl  le  monde  ne  se  sprail  jamais  IdiiiK''  1  . 
(h\  si  les  ôlénionls  ont  do  la  graiidiMii'.  ils  ne  sonl  pins  insi'- 
cablcs,  comme  l'exiiio  la  Ihéorie  :  ei  pai-  là  même  ils  de\  ieniu'iil 
divisibles.  (lai\  si  pelile  que  soil  une  pai'lie  (jnelciiii(|iie  de 
I  l'Icndue,  (Mie  se  divise  encoi'ê.  dn  moni(>nl  (|u"elle  esl  ('■leiidnr. 
Les  alomisles  se  metteni  en  conlradirlion  avec  les  malliciiia- 
li(|ues  ci  I. 

l'ai  ouirc.  leur  doclianc.  Iiicn  (|irin^|>iivc  par  le  lic^oiii  d'ex- 
pliquer le  mouvemenl,  ne  rend  c(>in|)le  poniianl  ni  des  jniaiics 
(jn'il  revêi.  ni  de  ses  condiliniis.  ni  de  son  exislence  (dlc-nicme. 
H  n'v  a,  d'après  cii\.  (jiic  des  ai;régalii)ns  cl  des  séparalions  : 
loiil  (diangemenl.  si  pi-olond  <■!  si  dnraldc  (|n"oii  le  suppose. 
e>[  pnrcmenl  quanlilalii.  <  h'.  ICxpc'Tii'nec  lu-  s  aciouuuodc  pas 
d'une  seiuldaldc  iiilerpri-laiion.  Lu  corps  qui  passe  du  noii-  au 
lilanc.  lUl  du  sec  à  I  liuuiidi'.  aeqiuerl  une  qualiii'  nouV(dlc:  il 
en  est  de  même  du  Idoc  de  marjirc  ([ui  devieni  uiu'  sialue.  Au. 
moins  faul-il  convenir  que  l'ànn'  esl  ([iielque  (diose  de  plus 
qu'un  agglomérai  d'aliuues  :  la  mr'umire.  la  science  el  le  vou- 
loir sont  des  modes  indivisibles  el  demandent  par  là  même  nu 
sujet  qui  le  soit  égal(Mnenl  'M.  De  |)lus,  les  atomistes  ne  di'- 
monireul  (piCn  appai'cuce  la  possibilih-  du  mouvemenl.  .\  <rili- 
du  plein,  ils  iull'iiduiseiil  le  \ide.  (pi'iis  a|ipcileul  le  uou-èlre. 
.Mais  ou  bien  ce  vide  nCsl  absiduiuenl  rien  :  id  alors  il  ne  peul 
servir  de  milieu  au  mouvemenl;  ou  bien  il  esl  (|ueli|ue  chose- 
el  alors  on  passe  de  la  lb(''orie  du  vide  pai'liid  à  c(dle  du  <'i)n- 
linu  ^ij.Oii  peut  même  dire  qtu' les  Abdérites  suppriment  loule 
possibilité  de  mouvement.  Tout  miuivemenl.  <'ii  ell'el.  sup|»ose 
un  lieu  naturel  vers  lequel  il  leinl.  (  Ir.  imaginez  (|ue  le  nuuub^ 
soit  inlini.  il  ne  ri'ureiane  plus  l'icn  de  Ici  :  il  n'a  plus  ui  cenire 
ni  eii'conlV'i-encc.  ni  liant  ni  bas,  ni  avant  ui  anière.  ni  droite  ni 
gauebe.  Imjmssibli'  d'y  ilélerniiuer  une  /oue  quelconque  oi'i  les 

,1)  Ahi.st.,  Ihicl..  A,  S,  32o',  :ii  et  sqq. 

(il  In.,  De  rœi,  V,  i,  303%  20-23;  De  gen.  el  con-ii/j..  A.  S.  :i;:(;-.  2i  29. 

(3i  Ii>.,  De  f;en.  el  corriip.,  A.  2,  MT,  1"-?"  ;  B.  6.  334',  9-14  :  i'-ro-ov  o: 
■/.ïl  V.  T|  J/'jyT|  iy.  ttov  rr:o:y=.Uir>  ï,  ïv  T!  ïJtwv.  Ce  dernier  texte  est  dirigé  cnnlie 
F.iiipédncle  ;' mais  In  pensée  qu'il  contient  ne  fait  i|ue  onmiiienlor  le  premier.  (|ui 
perle  directement  cont  e  Dcmoeiite. 

(1    l:i.,  De  geii.  el  romip.,  A,  8,  ?2U%  10-24. 


ij:s  fAri:i,ni!ii:s  d  \i;isrnri:  .io:; 

r(ir|>s  SI'  rciiilciil  (ri'ii\-iii(Mii('s  |ilii|('il  (|ii':iil  leur-  1  .  I  )';iillrurs. 
V'iiiiiuriil  iiilcrpri'liT,  il';i|irr-.  rnlumi-iiic.  rii|i)iiii-il  idii  niôiiir  du 
iiiiiUM'inriil  .'  hiiM-l-oii  (|iii'  les  ;il(iiiii'>  m'  iiiciivciiI  Irs  iiii>  Ir-. 
^iiiln's  .'  Miiis  alors.  iiKilcins  cl  iiKiliilcs,  ils  pàlissi'ul  luiis  du 
mruir  cdui),  '■(  siiliissoni  \\;iy  \',>  iu("'nii'  d(>s  iiiodilicalioiis  |)i'r|)i''- 
lui'lli's  :  ils  ui'  snul  |ilus  iiUMMialilr--  eu  i'un-iikmucs.  comme  le 
\  (Mil  la  I  lu'ni'ic.  |-;i,  >i  l'ou  a  vaiiL-i'  (luc  cliai-un  di's  alomos  se  m  oui 
di'  soi.  (Ml  u'aui-a  l'ail  i|uc  rci'uii'r  la  (|iu'sli(iii.  U'ahurd,  dans  ce 
■cas,  ils  i]r  luiaucrdul  jaiiiai>  aucune  cduiliiuaisnu  :  il  u'eii  sor- 
lii'a  jamais  un  univi'i'^  :  iU  rcslci-iml  clcnicllcmcul  isolés, 
<nmmc  di'-.  nidiiadcs.  \)f  [du~.  (|U(d  uioyi'U  de  compreiHlre  ce 
uiiiuveuii'iil  ddiil  le  |iiiuei|ie  e-l  Imil  i nlérieur ?  Si  l(is  alomcs 
->diil  ahsoliimeul  simples,  ils  sonl  au  uième  miuiieui  et  sous  le 
iiKuiic  rapport  eu  puissance,  et  eu  acte  ;  ce  ([ui  ne  se  eoncoil 
pas.  S  ils  sdul  composés,  au  contraire,  il  tout  qu'ils  coulieu- 
ucul  une  |iarlie  ijui  -e  uu'ul  cl  une  anii'c  (|ui  es!  mue:  el  la 
partie  qui  menl.  se  meul  par  là  même.  l)(jii  lui  vient  donc  ce 
mouvement,  pnis(|u"il  ne  procède  pas  du  dehors  ?  Comment 
])asse-t-(dle  perpétu(dlenu'nl  de  la  |)uissance  à  Factc,  vu  que, 
d'après  riiyp(dhèse  où  nous  l'aisiumons.  il  u'v  a  |ias  de  cause 
j'\l('>rieui'e  (lui  l'actionne   2  ? 


f>a  [diilosopliie  de  l'èlrc  est  donc  man(|uée  :  et  la  cause  prin- 
cipale de  cet  échec,  c'est  sans  doute  que  l'on  a  mal  posé  le  pro- 
Idènu'  très  complexe  dont  elle  doit  fournir  la  solution.  Les  uns 
se  sonl  enfermés  dans  leur  laison,  el  sont  arrivés  à  des  conclu- 
sions ([ui  ne  tieniu'nl  aucun  coni|)le  des  données  de  l'expé- 
rience :  le-,  autres,  au  cdiilraii'c.  oui  l'ail  <le  l'i'xpérience  nu 
usaiic  trop  exclusif  el  se  sdiil  hdi'iu's  à  des  lln'ories  (|ui  ne 
lieuueiit  aucim  compte  des  piinci|ies  foiulamenlaux  d(<  la  rai- 
-du  :  dr.  la  nature  du  sujet  demande  une  méthode  })lus  coni- 
jii'éhensive  :  il  faut,  poui-  la  traiter  avec  succès,  commencer 
par    l'idiserv  al  idii    di'   la   n''alilc>   cdiicrèle  elle-même  el   en  l'aire 

ill  AmsT.,  Uecœl.,\,  T,  ilb',  0-12. 

\i]  In.,  De  ç/e».  el  coriup..  A.  8,  32lj' .  l-G. 


4(i()  Clodu*  IMAT 

cMsiiik'  iiiir  aiiaix  se  raliniiiii'llc  plus  pri'C-iso  cl  plti>  iirnlimilc  I  . 
(continuer  \o  proféili'"  des  ioniens  par  celui  des  l'-léales  :  vnilà  |e- 
moycn  d'alioiitir. 

Si  l'on  se  plai'O  à  ce  jniint  de  vue,  on  l'eniarciue  (jn'il  \  a. 
dans  loiil  individu,  un  siijel  doul  cm  .il'lii'nie  t(uis  ses  di-rivés  el 
(|ui  ne  s'allirnie  lui-niènu'  d'aucune  aulre  clio:^e.  (  >n  dit  de  So- 
ci'ale,  par  exemple,  qu  il  est  musicien,  (|u'il  se  |udnièue  on  fju'il 
esl  assis  ;  mais  Socrale,  cnvisaii;é  comnu'  ('laul  lid  homme,  ru- 
peul  nullemenl  servir  de  ppr-dical.  |)e  là  niu'  première  caléuo- 
l'ie  de  l'èlre,  c(dle  d  oi'i  dé|)endenl  (ouïes  l(>s  aulres,  el  qu'on- 
appelle  ilu  nom  de  sulislance   o:,-:^    2  .  De  plus,  il  y  a  dan.s  loule 

sul>stanct'    de    la    (|Ualil('      -vA-r^;      e|    de     la    (|Uauliir'     -.',-',-r,:       :{. 

(l'esl  la  premièi'e  de  ce^  di'-lemi inaiion--  doul  ou  al'lirme  l'exis- 
tence, lors(|u'on  dil  d  nu  corps  (|u  il  esl  blanc  ou  noii',  ot 
d'un  homme  (piil  esl  savant  ou  \eilueii\  :  la  secomlo  n'est  aii- 
U'C  chose  (|ue  le  uomhre,  l'iMendue  on  rinlensité.  l'^l  l'on  a  de- 
cette  sorte  deux  autres  cat(''f;ories  i|ui  ih'rivenl  immédiatenn-nl 
de  la  première.  La  qualiti'  et  la  (|nantil(''  elles-mêmes  donnent 
lieu  à  tout  un  en>emlde  de  rapports  'pi,  tel--  ipie  la  resseni- 
hlance,  la  coutiuuïté,  l'é^alili'  et  1  in('i:ali(é.  le  plus  ou  le  nmius, 
la  cnnsalion,  U'ofi  une  (|iMilrième  cat(''gorie  cjui  s'appidie  l;^ 
relation  iizpôsst).  l'^i  outre,  on  |)eiil.  à  propos  de  loiil  être  donné', 
se  denian<lei'  à  quelle  |)ortion  du  temps  el  de  l'espace  il  se  rat- 
tache ;  on  peut  chercher  ('•i;aienn'nt  s'il  chanj;e  ou  non.  (>r,  à 
ces  i|ueslions  corres|)ond  une  aulre  lile  de  six  catégoi'ies  :  oi'i 
\r.'rj  .  (|uand  -',Ti  .  !<■  l'epos  -/.î-j'ia-  ,  la  possession  (jin'  donne  on 
enlève  le  changement    ïyt-,  .  l'action  et  la  passion  (|u'il  sup|>ose 

iT.'j:t\-/  -/.x':  —izyt'.-t     {  .'i  ,. 

1)  ,\n;sT.,  l'Iii/s..  A,  1,  IS4*.  iO-i'-i  :  Ïtz:  v'f,;jL'.-/  --m-vi  o?,/.a  v.-x.  îïo-?j  -'%  t-jv- 
v.lrj'J.vi%  ;jii).Ào-/  •  "jT-.iyj-i  '/  iv.  -ro JTW/  •friz-'x:  •■'imç.'.ij.'x  -.k  i-.v.jt:-).  /.x!  i^/x" 
O'.a'.po-JT'.  -■J.'j-.'J.. 

(2)  In.,  Uet..  Z,  i.  10iS\  S-ll  :  \'j/.i\  ','  i,  'Aiii  'j-.iy/ivi  -ja-zipc'^Ta-ra  -xv/ 
to'î  îioUïT'.-/ ',  Z,  1.  1028%  :i.j-;j6  :  à-zi-'Z-f,  i-/  -.<]i  ly.iTZ'ij  Àô-'iu  -i-;  -r^^  o-j7;x?  iv-j- 
-A'j/i'M.  Cette  évidence  est  si  grande  f|iraiK-un  dps  anciens  philosophes  ne  la 
jain.iis  niée  :  ils  ont  discuté  sur  la  nature  <•{  la  pluralité  de  la  substance  :  ils  n'eu 
ont  jamais  mis  l'existence  en  doute  {Mel  .  Z,  I,  I028\  2-11'. 

i3)    lu.,  Ibid.,  /.,  I,   lOlifl",  21-21  :  --m-vi  '(,  o-j^ia,  t-!-a  to  —'y.vt,  E  toc  -.'j  -invi. 

|4)   \\-,.,lbid.,  N,  1.  1088",  17-29. 

lo;  Que  les  catégories  désignées  par  les  termes  v.i:-jf\x:.  z/f.i.  -'j:i\-i  /.x-  -i-- 
yz:-/,  se  rapporlont  au  devenir,  c'est  une  interprétation  i|ui  est  assez  bien  fondéi- 


LES  rATi:i;iiiiii:s  h' Miisniii-:  wi 

Lcs  cal(''i;'ui'ii's  ^nnl  ddiic  an  mmiliri'  ilc  ili\  ;  cl  ccllr  si  iiiiiic 
ncsl  pus  lixcc  an  liasaid.  clli'  ri'siilli'  d  une  ili'iliiclinn  syslriiia- 
li(|ii('  (le  la  ri'alili'  ((iiicrMc.  iJ'ailhnirs,  si  I Un  a\(iil  (|U('li|iic 
iloulc  siii'  iT  |Hiiiil.  il  serait  l'acilo  d'en  sorlii'  à  laide  di's  pa- 
roles mêmes  d  Aiisldie.  .Non  sinilemenl  il  allirine  ascc  pei'sis- 
laiiee  (|ii'il  y  a  un  nombre  di'dorminé  do  calégorios  (1);  mais 
enciire,  dans  deux  endidils  nii  il  s'agit  d'en  dresser  nii  eala- 
Injine  rigoureux,  il  en  énnmère  dix  :  je  veux  parler  du  (  luipi- 
Ire  i\  des  (\i/ri/oni's '.2i  et  du  pri'uiier  livre  des  To/ii/ji/r^  'A  . 
lîien  plus,  dans  eo  dernier  passage,  il  donne  lornudlenuMit  le 
eliill'ri' en  (piestion  oi/.ï  lii.  Mais.  clHise  assez  eurieuse.  eetle 
jirr'eisiiin  ne  se  mainlieni  pas  parluul.  ftn  lrnu\i'  il'aulres  lexles 
où  Aristnte  se  propose  également  di'  dnnner  une  liste  enni- 
plète  dos  catégories,  et  qui  en  contieniu'iit  un  nnmiu-e  moindre. 
An  chapitre  xxii"  des  ScchihIps  (in<ili/ll<iiirs.  on  ne  rencontre 
pins  li^s  termes  xE'T'Ja'  et  ï/i:-i  '•">  :  il  en  est  de  même  au  elui- 
pitre  VI'  du  livre  a  de  la  miHaphysi(juc  (ti),  ainsi  qu'au  cha- 
pitre XM'  du  livre  k  du  mcnn'  ouvrage  (7l.  El  le  chapitre  ii 
du  livre  N  de  ce  traité  ne  donne  plus  que  trois  catégories  c 
la  substance,  le  nidde.  et  la   relation  (81.  Or,  il  est  dil'licile   \\i' 


sur  le  texte  suivant  de  la  iuét:iphysique  :  im:  •■i'j  -.:  j-o/.î'aîvov  'î/.ixrtu,  oiov 
-î'i  —O'.'li  yjx:  TÔJ  — 0T(y  /.a".  Tio  —'j-zi  /.■x:  Tio  T.'yj  Y.nx  -rj  /.'.vTiîî'.  ;  ici  le  mot  /.iv/tz". 
est  à  peu  prrs  sùreuient  une  réductinn  à  l'unité  des  i|uatre  dernières  caté- 
gories. 

(  1)  Arist.,  Anal,  pust  ,  A,  22,  'Ai",  13-16  :  v.'A  -h,  '^vii^  twv  ■/.■x-r,-'o:,:ô>i  rôTtésavTX'.  ; 
Psi/cli.,  A.  1,  402".  i'i-i'j  :  Às-'io  o'e  — Ôteoov  tooï  ■:■.  7.x;  oJaix  t^  — otôv  ?,  Tsn'ri  -'i^ 
•/.■m:  -::,  oîù.f^  -.iyi  o '.a!3 ifl î'.Ttuv   xaTT, y^j 0  !(«■/  '.  Met  ,  V,  2,  iOli:}',  .'>  li. 

|2)  1'',  2'>-27  :  Twv  -/.oL-ci  u.r^i-'j.'.-x-t  rj;j.— /,o"/.t,v  Xi-'OuÉvcov  r/.ajTOv  ■}-.'!'.  oJT'Otv 
'7r,-X'x:-ii'.  Y,  T'jnh'i  t,  7zo'}yi  y,  "pô;  i:  y,  ttoO  y,  r:o''i  /,  "/.ilTOa'.  y^  lyirf  Yj  tto'.e^v  y, 
—i7yi:i. 

(3)  9.  103*',  21-23  :  Ïtz:  i't  -xjtï  -.vj  -xyAl'X'j-i  ',=/.%:  et  vient  ensuite  la  mrnie 
liste  que  plus  haut  :  ■:•  It::,  .toiov.  etc. 

i4)  .\doi.f.,  TreiHleleiiburr/,  dans  son  llisloire  i/es  i-aléi/tirii's  (2.  21-2-i,  Belge, 
Berlin,  1846)  pense  que  la  déduction  des  catégories  est  d'ordre  (/ramma/icnl.  La 
substance  représenterait  le  sujet  de  la  proposition,  le  -o:vi  et  le  7:0707  l'adjec- 
tif, Ttoj  et  -'i-zï  les  adverbes  de  lieu  et  de  temps,  etc..  .M  lis  on  ne  voit  nulle  part 
qu'.Xristote  ait  suivi  un  tel  procédé. 

(3,  83',  13-1';. 

(tii  ion",  22-î';. 

(1)  1068",  8-10  :  -o-i  manque  également  ici  ;  mais  il  est  probable  iiui-  cette 
absence  n'est  due  qu'à  une  itiexartitude  du  te.\te. 

(S,    1089%  23-21  ':  ti  ■û;  yi;  'yj-ix:,  ti  0':  -iUr,.  -.7.  Z'i  -Z'j;  -.:. 


408  CLOt)iL-s  PIAT 

nier  quo  ces  (lillV'roiils  passages  visciil  à  rinl<'i;ralilé  ili. 
(lunimenl  résoiulrc  l'aiitinoniio  qui  ivsiilli'  de  cos  textes? 
Dexippiis  parle  de  Iraltrs  liijijvm)iriiuiti<iites,  oh  Arislote  se 
serait  exprimé  d'une  manière  plus  nette  sur  les  catégories  Cl). 
Diogène  de  l^ai-ree  l'ait  aussi  mention  d'ouvrages  du  même  genre 
et  relatifs  à  la  même  question  (31.  Et  Aristote,  dans  son  traité 
de  la  Mrmoirr,  renvoie  à  des  exercices  logiques  où  reparaissait 
lieul-élri'  l'analyse  de  l'être  'i  .  Mais  ces  dissertations  sont  |ier- 
dues:  !■(  la  (|uestiou  demeure  en  susi)ens.  Toutefois,  il  se  pi'é- 
sente  à  l'espiil  une  conjecture  assez  naturelle.  I,e  laldeau  des 
catégories  ai'isloh'diciennes  est  loin  d'être  à  l'aliri  de  toute  cri- 
tiiiue.  Au-rlessus  de  la  qualit('  l'I  tie  la  quantité,  il  y  a  le  mode 
lui-même  -k -Hir,  ï,  hj-iy/',r.-x  doul  elles  sont  deux  espèces.  l>e 
plus,  la  qualité  ne  se  cantonne  pas  dans  la  zone  des  dérivés  de 
1.1  sulistancc  ;  clic  fail  partie  de  la  sulislance  (dlc-mê-nic  :  idh^  en 
est  un  (''lémenl  essentiel,  ccdui  qu'on  appelle  la  tornu'.  Ou  peut 
ajouter  que  le  repos  et  la  possession  m-  sont  aussi  que  des  modes 
entendus  au  sens  large  d'après  le(|iirl  ils  signilieni  toute  déter- 
mination inliérenle  à  la  substance.  Enlin,  l'action  et  la  j)assion 
ont  l)ien  l'air  de  se  rattacher  aux  relations  elles-mêmes.  .N'est-ce 
pas  le  senlinu'ut  de  ces  impi'rfections  (|ui  expliquerait  les  va- 
riantes de  la  pensi'e  d'.V rislote?  N  aurail-il  pas  lail  un  ellorl  per- 
pétuel pour  alionlir  à  une  classilicatioii  de  plus  en  plus  logique 
et  ])ar  là  même  de  plus  en  plus  simple?  VA  la  trinilé  |iar  laqnidle 
il  semlile  conchire  ne  marquerait-elle  pas  le  jioinl  de  maturité 
de  ses  réilexions? 

(Juoi  qu'il  en  -oil.  on  voit  très  liien,  du  point  de  vue  aufiind 
s'est  mis  Aristote.  la  sigiiiliealion   de  ses  catégories  :  elles  ne 

(I  )  On  ne  peut  se  fonder  ici  sur  les  autres  endroils  uii  Arislote  ne  songe  évidem- 
ment pas  à  une  énuniération  parfaite.  V.  par  ex.  :  l'li>/s..  A,  7,  l'JU'.  34  et  S(|(|.  ; 
Mel.,  E,  2,  lOili'  3.J  et  sqi|.  ;  lbi>l..  E,  i,  lOiT.  31-:î3:  Ibùl  .  Z.  1,  KiS".  11-13;  Ihid.. 
Z.  .i,  11I3U'.  18-20  :  Ibid.,  Z,  1.  1032%  15  ;  Ibiil..  H.  I,  lOij  ,  .30-31  :  Ibid..  K^  3, 
lOGl',  o-lU  ;  Ibid..  N.  2,  tOSr,  7-9. 

:2)  Scli.,  48',  4fi  et  sqq  :  -ïo:  oï,  -ojtw/  Si/.-'.ov  ajTo;  6  Wsirro-i/.ï,;  vi  -'r.; 
'JTT'jjJivriijias'.v  àvio;05c;i  ■  T.yJlûi  yis  "zà-  za-:r,-'o;!xî  s'jv  txïî  Tr:(ÙT£T'.'/  ajTtuv  y.y). 
-.%\:;  àizooi^ZT.  za".  Ta;;  t:î;/|5î3'.  /.a!  ~'j\^  i'i'Jrzv.i  O'jioj  -j-j'À-Tivi  ïjtwv  -.i-i 
o;oa3/.a).;av,  TrrdW;;;  ts;  i-v.Àiïîi.:  ôvo;ji«'(ov. 

(3)  23. 

(1)  2.  451',  l''-20  :  ..  iv  ~'>':i  i-:/i:yr'X%-.r/.'j'::,  '/.'j'-'j:;.  . . 


LES  r  i7/:r,(/;i;/;s  DMiisniri-: 


41)9 


r{'|iri'M'iil('ii(  |i(iinl  les  l'di'mo  de  la  |)ciis(''(',  conirnc  colles  de 
KanI;  clir^  cxpriiiii'iil  lo  Idiiiics  uéiirralos  (le  la  réalilr  con- 
irèlc  (I  ).  Va  (lès  lors  un  coniprcnd  |)()iii'(|ii()i  il  n'y  csl  pas  ques- 
tion (roxistenci',  de  possIMIilc',  dr  coiilini^em'o,  de  nôccssilô. 
<  les  (  lioscs  ne  son!  pojiil  des  il(''i'i\  es  dr  la  siilishuii'c,  lolle  qu'elle 
nous  es!  doiini'c  dans  l^disiTN  alion .  (  )n  s'explique  aussi,  du 
nn''uu>  |)oinl  de  vue,  coninu'ut  la  uiélapliysique  es!  une  scienri' 
(uii(|ne,  el  non  un  at;;t;loni(''ial  de  sciences  disparates.  Elle  n'a 
qu'un  olijel,  (|ui  est  la  sidislance;  car  c'est  dans  cl  par  la  suh- 
stance  (|u  existent  les  autres  catégories  :  (dles  n'ont  de  n'alili' 
qu'autant  (|u'on  les  lui   i'ap|)oi'te  {2>. 

Ci.onus  PIAT. 


I  1)  ",'£«,,   7/  r['X-x-.y:. 

r2  AiusT.,  Me/..  ['.  lOO.'i'.  21-2:!  :  ît-'.v  ;-'.7Tr^;iï,  t;,-  r,  >\iMZi\  -.'<,  ov  v.-j.':  -.y. 
-.','j-M  i-i'y/'i'i-.-j.  ■/.■j.^r  i-j-.',  :  2.  lODIj-,  :!3-:i4:  lOlK)',  .".-l';:  /,  I,  '102S',  2:.-;)ll  :  K.  i, 
I0(;i",  28  et  sqq;  106L\  1  i;. 


NATURALISME  ET  PAxNTHEISME 

IDeiras    l'Iteilie    du.    ^?CV^I'"    siècle. 


l/lii-ldirr  ilr  la  pliilusupliio  ilaliciiiK»  an  Icmps  ilo  la  IJonais- 
sanci'  pivsciilc  un  cas  l)i('ii  ('m'ioiix  de  ce  {|M"nii  app(>llorait 
voloiiUors  ■■  alavisiiie  régional  ".  l'cndanl.  i-n  cllcl,  que  ceux 
(les  hnnianislcs.  Iloronlins  ou  Sénilious,  (|U('  naljsoi-ljail  pas 
loiil  riilicis  le  siuui  (lu  licau  laiigago  et  des  phrases  harmo- 
nieuses, l'aisaieul  de  IMalon  leur  oracle  el  relisaieul  avec  enchan- 
leuu'ul  les  louchauls  dév(doppeineuls  du /'//rV/o// ou  lesell'usious 
pres(|ue  lUVsUijlU'S  du  Hii/n/iir/ ,  daus  le  sud  de  l'Ilalie  si'  IViisail 
joui'  un  courant  d'idéi^s  liieu  dill'c'reul.  Ici  la  OKu'ale  et  lestlié- 
lique,  sans  èlre  leriues  sysl(''niali(|uenu'nl  à  l'écart,  cessent- du 
moins  d'occuper  le  picniier  |)lan  où  tdies  sont  l'emplacécs  |)ar 
de  graves  el  dilliciles  ju'oiilèmes  de  nu''laph\si(|ue  et  de  cosmo- 
logie. Si  l'iui  continue  de  se  inotire  à  r(''Cvde  de  ranti(|uité 
retrouvée.  1)11  ri'Uionte  au-d(dà  de  l'Ialon  jusqu'aux  plus 
anciennes  !i\  polhèses  eilfant(''es  par  la  pens(''e  hidh'uique  : 
l'étude  pliilosoplii(|ue  de  la  nature  redevient  le  mot  d'oi'dre  de 
toute  nue  si'-rie  de  |H'nseurs,  on  écrit  comme  alors  Wiy  ■^J7it.,;. 
Itien  mieux,  on  lenouvelle,  en  les  ajustant  tant  hieu  {|m'  mal 
aux  |ii-emiéres  révélations  de  la  science  nKidiiiie.  ii's  théories 
hardies  enseignées  autrefois  sur  ce  même  sid  de  la  (irande- 
(irèce  par  les  l^ythagore  et  les  IMiilidaiis,  les  Xénophane  et  les 
l'arménid(\  Le  panthéisnu'  éléati(|ue  qui.  malgré  un  réel  l'-cial. 
n'avait  réussi  à  s'acclimater  sur  aucun  autre  |ioint  du  monde 
iielléniqvic  (I  i,  retrouve  toutàc(Uip  à  deux  mille  ans  de  distance, 

(1)  En  ciret  nul  liislorien  de  la  philosophie  na  méronnu  les  dilîérences  pro- 
fVindes  iiui  siparenl  ce  [lantlirisnie  du  panthéisme  stoïcien  dune  part,  du  pan- 
théisme alexandrin  de  l'autre. 


\  \ii  itM.isul-:  ET  i'\\riii:is\ii-:  iii 

siii-  la  li'iic  ({iii  I':i\;mI  \  il  iiiiitrc.  des  ailluTCiils  .aussi  lidclcs 
(Hi'inalliMiiIns.  Le  [ilii^  m  vue  de  ci's  d'iiiéraircs  novatours, 
liniiio,  ((iiuiaissail-il  l'aiiiu-iiidr  aiilrrincnl  (|uc  parce  (juc  les 
dialogues  de  IMaUiii  iiciiis  cil  ap|uviiiiciil  (  I  | ?  (l'csl  |)eu  vi'ai- 
sciiildalilc  :  cl  cc|iciidaiU,  il  n'y  a  pas  à  s'y  niéproiidro,  c'est  iiieii 
l'cspi-il  cl('ali(|iic  (pii,  associe  à  des  cléments  cerlainciiical  liclé- 
i(ii;ciics,  revit  dans  ses  audacieuses  spéculations. 

A  vrai  dire,  ce  retour  à  la  nature  dont  nous  venons  de  i)arier 
n'a  lien  (|ui  surprenne  au  sein  des  générations  contemporaines- 
de  laiil  d'i-loMiiaiiles  invenlioiis,  la  poudre  à  canon,  la  bous- 
scde,  rimiirimeric.  lui  plein  moyen  âge  déjà,  lîogcr  lîacon 
>"é|ail  imposé  la  lâche  de  pénétrer  dans  les  secrets  de  la  nature  : 
||.  premier,  non  cintlenl  de  donner  l'exemple  de  semblaldes 
reclierclies,  il  en  a  pressenti  la  véritable  voie  Ci).  Au  xiv"  et 
au  xv  siècles,  l'adoue  avail  été  le  quartier  général  d'une  écok>' 
dissidente,  adversaire  du  cliristianisme,  soit  qu'elle  arborât  le 
drapeau  du  panllK'isiue.  soit  qu'elle  parût  incliner  vers  un  ma- 
térialisme à  peine  déguisé  :  école  qui,  dans  l'étude  de  la  logique 
elle-même,  si  nous  en  croyons  M.  Mabillcau,  n'avait  jamais  vu 
(|u'uiie  (u-éparalioii  à  l'élude  de  la  nature,  et  pour  ((ui  la  philo- 
sophie tout  court,  celle  qui  n'ap|)clle  ui  délinilioii  ni  épilhèle 
explicative,  c'est  toujours  la  philosophie  nalundle.  Si  l'on  se^ 
souvient  en  oulre  ((n'en  l.'ioO  Copernic  a  parlé,  Léonard  de 
Vinci  (:{)  répandu  ses  théories,  et  que  (ialilée  va  naître.  — 
(ialilée  de  qui  est  cette  phrase  célèbre  :  "  Le  vrai  livre  de  la 
philosophie  esl  le  livre  de  la  nature  toujours  ouvert  sous  nos 
yeux  ...  —  l'apparilioii  tie  ce  (|u'on  iKunme  le  "  naturalisme  .^ 
dans  rilalie  du  xvi'   siècle  est  aisément  compréhensible. 


(1;  Le  ii.im  et  le  rôle  des  pliilosoplies  d'Élée  rtaient  .-epeudînit.  c.iinus  au  mc.yeit 
âge.  tciiioin  ces  vers  de  OaïUe  à  propos  des  redoulahles  érueils  aii.\|iiels  se  heur- 
tent des  penseurs  Irop  prouipts  .'i  alliriiier  : 

K  cii  ciô  sono  al  iiunulo  apertc  prove 
l'.TiiiKjnide.  Mclisso.  Brisso,  c  molli 
l.i  iiuali  ;iiiila\uun,  e  ii.Mi  saix-Mii  dovc. 

{P,i,;iftis.  xni,  li..) 

(21  Les  auteurs  de  Vllis/oire  liltéraire  île  lit  Fniiice  disent  .i  propos  d'un  écrit 
pulilir  vers  KlOO  :  «  A  cette  époque  la  science  du  réel  a  pris  le  dessus.  La  curio- 
sité des  penseurs  s'exerce  à  peu  prés  dans  le  même  champ  que  la  nôtre.  •> 

Cil  C'est  ce  <;énie  universel  qui  a  dit  :  «  L'expérience  esl  la  seule  interprète- 
.■i,.liirisée  de  la  nature.  » 


'il 2  c.  miï 

Ainsi  ces  mrnirs  scieacf'>  |)li\  >i(|uc>.  doiil  I  alli'iilinii  ^('lu'- 
mlo  s'était  si  longtemps  détournéo,  tjiu'  des  os|iril--  [névoniis 
roléguaicnt  liois  do  la  sphère  de  la  cerlilnde,  et  (iuiil  la  vraie 
méthode  restait  à  découvrir,  sont  hien  près  mainlenanl  d'être 
proclamées  seules  exactes,  seules  piisilivi'>.  smles  IV'condes. 
(Juand  on  jetle  les  yeux  sur  Innivcr-.  on  rêve  d'une  connais- 
sance plus  concrète,  plus  vivante,  moins  purement  inteliec- 
luelle,  en  contact  plus  étroit  avec  les  réalités  qu'elle  a  la  mis- 
sion et  l'amltilion  d'expliquer.  Sans  doute  ces  «  naturistes  (1)  « 
•([ni  attendent  de  la  nature  mieux  connue  à  la  t'ois  les  secrets  de 
la.  science  et  les  rendes  de  la  vii^  n'ont  encore  (|u'une  conception 
assez  vague  du  Init  à  iillcindn'  et  surlonl  dr  l,i  i-outc  à  suivre  : 
et  au  doulde  point  de  vue  de  la  richesse  des  idées  et  de  la  soli- 
dité des  doctrines  ils  i-eslcnl  hien  au-ilessous  des  grandes 
iigures  de  l'anticjuité  comme  des  céièlu-es  scolasli(|nes  du 
xiii"'  siècle  :  de  j)lns,  tandis  que  les  uns  aspirent  à  demeurer  en 
parfait  accord  avec  l'enseignement  chrétien,  les  autres  se  mettent 
en  révolte  ouverte  contre  ce  même  enseignement.  I.'adiniralicui 
<les  mei\('il!r>  dr  la  nature,  l'optimisme  esthétique  sous  lequel 
on  envisage  les  grandes  lois  de  l'univers,  trouvent  dans  le  pan- 
théisme, sinon  leur  ahoutissemeni  logique,  du  moins  leur 
ox|)i'essi(Mi  la  plus  séductrice. 

(les  écarts  de  pensée,  pour  être  regiettaldes,  étonnent  moins 
un  xvi"  siècle,  ■•  ce  printemps  de  la  nenaissance,  oi'i  la  sève  di' 
ht  nature,  longtemps  comprimée,  monte  et  hout  ajirès  le  long 
hiver  du  moyen  âge  »,  comme  s'exprinu'  un  critique  conlem- 
|iiM-ain  2  .  l  ne  curiosité  infinies  et  sans  frein,  voilà  ce  qui 
<lomine  chez  des  esprits  ardents  que  le  mystère  attire  et  que 
séduit  le  merv<'illeux  :  tonrmenti's  du  désir  de  posséder  la  vérité 
et  de  la  posséder  tout  entière,  ils  s'élancent  dans  toutes  les 
ilireetions  sans  respecter  aucune  barrière.  I*]n  politique  comme 
on  physique,  en  morale  comme  en  cosmologie,  on  sahandonne 
aux  c<Micepti<ins  les  plus  hizarres,  parfois  les  plus  illogiques  : 

I  Ou  un  liie  p.irdcinne  il'user  aprùs  d'autres  de  ce  néologisme,  indispeDsahle  poiir 
«lésigner,  sans  recourir  ;iu  mot  Tniliirdlisle,  ceux    que   les  (irecs  nouunalent  O' 

2)  Les  écrits  de  Itah.lais  nous  donnent  une  idée  assez  juste  de  cette  leruient*- 
tion  intellectuelle,  tumultueuse,  où  liouillonnent  euseuilile  dans  un  uiéuie  creu- 
-set  le  grotesi|ue  et  le  sérieux,  la  vérité  et  la  ficti m. 


yAi't  II  \i.isMi:  i:r  /ma//;;-, /su/-:  ii:?-. 

('■|iiH|iii'  .1  lin  --iiiiilc  iinr  iniai;in;il  idii  j)iii>saMlr,  mai>  ('llri''ii(''('. 
iiiipal  ii'iilc  lin  [n'i'-^riil,  rn  nAnllr  ninli'r  Ir  passi'',  cl  sV'i;ai-anl  à 
la  |iiiiirsiiili'  il  lin  avi'iiir  iiicnniiii  1).  "  (  (ii  n''\ c  d'iiiU'  l'ôroniU' 
radicale,  saii--  i|n  un  riMioissc  à  en  |in'cisei'  liibicl.  moins  encore 
à  en  iuriiiiiler  le  |H'ni;ranime  :  un  ili''\olo|)pc  an  liasanl  île-- 
syslènics  (|ii'iiii  ne  ses!  pas  iIoiiih'  la  |ieine  de  ilr^linii'  ci  d  Tda- 
lun'er. 

lie  (|ne  dcvieni  an  inilicii  de  celle  anilaliiui  nn  peu  di''siir- 
dniiin'e  l'appid  an  priiu-jpe  d'anlorili''.  (diacim  le  de\ine  sans 
ellorl.  i.icn  peu  conlinncnl  à  s'incliner  devant  le  prestige  sécn- 
laiie  d  Arisjule  :  mais  l'iatoii,  I  idole  élevi''(^  d'hier,  n'est  pas 
IrailT'  a\ec  lieanciinp  |dns  de.  respect  :  on  laisse  à  l'iciii  el  à  ses 
amis  leiiis  ililli\  lainhes  entlnnisiastes  (2).  In  r-rmlii  allemand. 
M.  \nn  SIein.  ainjntd  nons  sommes  redovaldes  de  conirilm- 
liuns  >i  imporlantes  à  riiisloiro  du  plalonisme.  l'clève  sans 
diiiile  ciimme  aniani  de  Irails  plalonicii^ns  chez  les  iinlividiia- 
lilés  les  pins  saillantes  de  cetti'  |n''rioile  nne  pliilosuphic  lnnle 
pén(''(rr'e  de  poésie,  nn  idi'-alisme  résolu  que  rien  n'arrête,  la  suil' 
de  l'idernel.  et  ccpendani  la  conscience  d'une  étroite  et  impor- 
Inne  dépendance  à  l'égard  du  niundc  des  sens.  I']l  dans  cctle 
llièse  il  y  a  certainement  antie  cliosc  (|n'nn  spirituel  paradoxe 
d'avocat.  Mais,  à  tout  prendi'e.  I(^s  survivances  de  raristot('disme 
ne  sniil  p;is  ninins  IVappanies.  |iisi|iie  che/  ceux-Là  même  (|ni 
l'niil  sonner  le  jiliis  liant  leur  atlVancliisseniiMit  ])rélcndii  :  les 
paiics  (|ui  suixciil  en  t'Diirnironl  la  preuve  l'-'n. 

iH  V  CusTN.  — ^  "  i:'c>!t  vers  le  (ioiiin  de  l.i  sCH'.i?lii|ne  que  les  si-ieni'Os  cxpé- 
riiiientiles  ont  pris  leur  gran>l  essor  et  ont  commencé  cette  mirche  vers  le  pro- 
t;rr3  à  pas  j;|n;intesr|;ies.  cette  sorte  de  connaiss;ince  dél  lillée  de  l'univers,  course 
si  riipide  r|u'aucurie  pliilosophie  n'aur.iit  peut-rtre  jm  la  suivre  sans  être  elle- 
même  éblouie  el  connue  bouleversée.  »    iVl)bé  de  UroomeK 

(2)  La  même  altitude  indifférente  ou  indépendante  .comme  on  voudra,  se  retrouve 
chez  l'auteur  de  ÏAiitiharhanis  philo.iop/iiciis.  l'humaniste  Nizzoli  (14!)8  156G). 

(^il  Qu'on  me  permette  de  transcrire  ici  une  page  d'E.  .Saisset  d.ins  la  lleriic  dex 
Di'u.i-Mondi's:  malgré  les  réserves  qu'elle  exige,  elle  me  parait  utile  à  être  prise 
en  considi'ration  :  »  Quiconque  dépouillera  les  conceplions  de  ces  ardents  gi'nies 
(/c.s  l'hilosoplips  itiilipiix  lia  XVI'  si'ecli')  de  certaines  formes  bizarres  qui  leur  pré- 
lent une  appfirente  originalité,  s'assurera  qu'il  n'en  est  pas  un  seul  qui  n'ait  s:i 
source  prochaine  ou  éloignée  dans  les  deux  gramles  écoles  de  la  (irècc.  celle  d'Aris- 
tote  et  celle  de  Platon.  Un  a  beau  s'exalter  à  l^'lorence  et  à  Itome  :  on  a  beau 
rafliner  à  liologne  et  à  Padoue  :  on  a  beau  courir  le  monde  et  les  universités, 
faire  retentir  llenéve,  Paris.  Oxford.  Wilteinherg  de  ses  protestations  contre  la 
routine  et  ranliquité  :  l'ette  antiquité  sainte  dont  on  dissipe  le  prestige,  c'est  par 
une  autre  antiquité  qu'un  la  veut  remplacer.  I.e  [)lntonisme  et  r.ir:stotélisnie,  telles 


uv  c.  m  iT 

INirnii  lc>  iiliilosoiiho  ]iliis  "u  iiinins  cnnini-  i|ui  >c  r.illailii'n! 
au  mouvement  diiU'-os  que  udus  avons  à  examiner,  quatre  nouis 
nous  ont  paru  parliculièremenl  fliiïnes  de  relenir  ralleiition  : 
Télésio,  Hrunu.  (lampauella  el  \anini. 

TKI.KSKt 

Né  à  Cosi'ii/a  eu  l'iOS,  rinnl  en  l.'iSS,  Télésin.  cunipaiv  à 
<cii\  (le  ses  eonleniporaiiis  cl  cniupali'ioles  donl  iiinis  parlL-i'ons 
plus  loin,  mérile  (iiinii  lui  applicfùe  le  mol  d"Arislote  sur 
Auaxag;ore  rapprorlii'  do  philosophes  ioniens  ses  devaneirr^  : 
snliriiis  inlfr  i-hrins.  A  la  modôraliou  de  sa  pensée  répondil  le 
eahne  de  sa  vie.  Suivanl  rexem|)le  donné  pai'  lanl  (i'aulre> 
Italiens  célèl)res  de  la  Heiiaissaiice.  non  couIimiI  de  se  consacrer 
Ini-nn'Mue  hml  eiilier  à  ré'inde  de  la  naliire.  il  <  ré'a  à  Xa|des, 
îi  rimilalioii  de  IWcadémie  |)lalonicienne.  une  Anulfiii'ui  Tclr- 
siana  \w\\r  encouraj;er  et  per|)élner  ce  genre  de  recherches,  i|iii 
avait  à  ses  veux  un  tout  antre  iiitc'rèt  que  la  théodicée  on  la 
psvchologie.  Il  sv  sentait  d'autant  plus  attiré  que  sur  ce  t(>rrain 
tout  lui  >enildait  encon'  à  l'aire  :  ius(ine-là  en  cil'et  le  raison- 
ueniciit  el  la  dé'ilncliou  av;iieul  en  h'ur  trop  lar;;e  pari  dans  la 
construction  cl  rc\|dicalion  dn  nmudc.  cl  le  lilii'  même  de 
son  leuvre  ca|)ilalc  I  nous  inouire  (|U  il  s  était  l'cndn  compte 
de  Terreur  |)i'oron(le  oi'i  é'taicnl  lonihés  pres(|ue  sans  exception 
les  savaul-  du  moyen  âge.  Alai-  (|ui  le>  a\ail  engagés  dans 
cette  méthode  li'ompense ?  Les  ;inciens  é\idenun(Mil  en  prét'c'-- 
ranl  deviner  |)ar  voie  d'imagination  et  de  conjecture  ce  (|ue  seule 

sont  les  (len\  seules  macliines  de  ■.Micric  dont  on  se  serve  pour  niincr  cl  .ili.itlie 
1,1  scolastique.  »  VA  si  vous  ileinanJez  une  explication,  voici  ce  qu'on  vous  répond  ; 
<■  N'est-ce  point  chose  lorl  surprenante  de  voir  le  platonisme  créer  nu  xvr  siècle 
un  loyer  actif  d'oppositi(ui  contre  cette  religion  chrétienne  d(jnt  il  protégea  le 
berceau?...  Il  suflirait  de  dire  en  deux  mois  ipie  IWristote  spirilualiste  et  (■rtlio- 
doxe  de  la  scolastique  était  un  faux  Arislote,  auquel  la  lîenaissance  vint  substi- 
tuer r.Vrislote  véritable,  et  que  le  Platon  de  Marsile  l'icin  était  aussi  un  Platon 
corrompu  :  le  Platon  d'.Mexandrie,  et  non  li'  vrai,  le  divin  Platon.  «  X  vrai  dire, 
chez  les  philosophes  dont  nous  allons  nous  occuper  on  ne  découvre  que  de  loin 
on  loin  des  emprunts  directs  faits  aux  doctrines  ou  aux  écrits  des  Plotin.  des 
Porphyre  et  des  Proclus.  Mais  le  Platon  authentique,  il  faut  le  reconnaître,  ne  leur 
est  guère  plus  l'amilier. 

(Ij  Ile  iiiihii'a  refini)  jii.rln  pr'ijiriti  /fihiripia.  Uiuuf  lji'>3,  el  Naj'l'^s  I-'iM>, 


\  i  ;/ ;;  i/.;si;;-:  irr  I'Wtiii.ismi:  4)s 

iiiii'  (ili^cTN  :iliiui  |i;i|ii'iilr  l'hiil  rapalilc  de  inAi-Iit  I  .  \nilà  ce 
■(|iii'  Trlôsiii  r(''|iiMiiv('  sans  iiuMUiiiCiiicnl  ['2i.  cl  Ir  laniciix  lixlô- 
iiiorphismc  |)(''ri|iali''lici(Mi  a  l'i'ncniiliM'  [icti  d  adsrrsain's  |>lii-- 
résoliis.  ,M .  lie  \\iill'  (H)  lunis  |)i'('si'nl('  le  Iraih'  i\r  ['('Irsiii, 
i'xcnipl  des  cliiinri'i'-'  (|iii  lianlcnl  lc>  lra\an\  de  ses  cuiilcniiH)- 
l'aiiis.  l'oiiiiiii'  I  ii'ini'c  d'un  plivsicicii  l(it;i(|iii'.  clicri-liaiil  à 
•ox|)li<|iu'r  I  luiivcis  par  le  jru  d Un  imniliri'  ir-.|ii'inl  de  l'orces 
nalur-olli's.  Mais  la  sdlutinii  à  lacincllc  il  s'ancMi'  in'  va  pas  sans 
<|n(d(iii('  nai\('l('',  (^l  sa  dDcli'iiic  riisnii)lii^i(|ni'  csl  m  pins  ini- 
parl'ailc  (Minirc  (pic  relie  dArislole,  sans  (Mi'e  plus  indépen- 
danle  (  i)  •■,  [)iiis(nie  reeulanl  jusqu'aux  invenlions  i;rossiéres  de 
J'arménilde  (.'i)  ..  el  appuyée  sui-  des  supposilions  loules  ura- 
tuiles  »  (dir  allriliui'  |(nis  les  phiMUiniriies  de  la  créalinn  à  la 
lutl<'  de  lieux  lU'iueipes  opposés,  le  idiaud  ei  le  froid,  causes, 
le  premier  du  n'.oincnieiil  et  le  second  du  i'C|)os.  Sans  enirer 
ici  dans  des  délails  ps\  (d:<doj;i(pn's  (pii  ne  sci'aienl  pas  à  leur 
place,  il  sul'iira  de  ra[)])eler  que  la  sensalion  eslérigéi^  j)ar'rélésio 
<'n  loi  cosmique  universelle,  d'ofi  résulle  nolammenl  en  ce 
<|ui  concerne  l'honHue  nn  cmpirisnn'  pi'csqiu'  alisolu,  corrit^'é  à 
la  l'a(;on  de  ce  que  nous  Usons  dans  le  Tniilr  de  l'ànic,  jiar 
l'adjonction  à  nos  t'acullés  empiriques  d'une /o/v^^rt  siiiiri-ndi/i/d , 
soui'ceen  nous  de  l'aiMM-ceplion  de  l'in visilde  et  de  rimnia[(''ri(d, 
de  l'alirail  du  surnalurcd  cl  de  rinlelli;;cnce  des  choses  divines. 
.Néanumins  c'csl  à  la    nalni'e.   non  à   r(''dn(;alion   on  fi  l'inslruc- 


fl)  "  Ul  [)r(i[)tcrca  cvenisse  iis  PNisliiiiarc  liri't,  i|iii>d  iiimis  lorle  sibi  j[)si3  cun- 
lisi,  neqiiiiqiiam  ii|uoil  o|i(irtebal)  res  ipsas  eariuiii|ue  vires  intiiili,  eaiii  rébus 
iiiagiiitiidineiii,  iiigeniunuiue  et  lacultates  (|uibus  douai»  videntor  indidere  ac 
V,  l  .11  Sun  arbitratu  inunduui  el'fin.xere  ■■.  (Telesio).  liacun,  ;\m  iiualifie  notie  phi- 
losophe de  II  iiiiriiriitii  hiiininiim  priiiiiix  »  dit  qu'il  a  tourné  les  aruies  des  l'éri- 
paliHiciens  contre  eux-iui'uncs. 

'2)  .\u5si  est-il  appelé  parfois  n  rrgiirL,'eur  de  la  pliilosopbie  pcripatélicienne  •>. 
Mais  il  y  a  là  une  exaiiéralion  uiauifeste.  car  en  plus  d"uu  passaiie  il  iirotesle  lui- 
iMi'mc  de  son  respect  et  de  sa  vénération  pour  .\rislule,  à  lel  point  ipi'un  de  ses 
Jiistoriens  a  pu  dire  de  lui:  n  Propius  ad  Aristoteleui  accedit  quaiu  putat  ip-^e  et 
verbis  uiagis  rpiani  re  alipie  indag:andi  ratiune  euui  iuipugnat  .  » 

(:i)  Ilixioire  lie  tu  pliitnsufilne  mciliérule.  p.   ill. 
'f   a.  Fbaxi-.k. 

'.'ijOn  lit  dans  le  uiémoirc  de  liarloluiess  De  fieniarilinn  Telesio  (p.  \i'  :  >■  P.ir- 
luenidis  seutenlias  aliipuit  quuni  reruui  natura'  et  iis  quip  conleuiplando  inve- 
iierat  ipse  congruere  crederet,  his  lanquaui  tundauiento  uno  omnium  stabilissiina 
<loclrinam  suam  de  physica  iu.inlHicare  decrevil.  »  Kncore  le  vrai  Parménide.  celui 
de  lîruno.  est-il  manifeslcuieiit  ailleurs. 


ilC  C.   III  IT 

licm  ([iir  TiMi-sid.  liilcli'  à  son  princiiir  tniHljiriicnl.il,  Inil  itiihiii- 
l(^r  (comme  (l'aillciirs  plus  dim  ancien  l'I  iliin  moderne  -  la  [irn- 
londeiir  du  génie,  la  noljjesse  el  la  suldimid'  de  l'espi'il. 

Se  demande-l-on  mainlenani  eimmienl  le  pliilosoplK»  ilalien  a 
élé  conduit  ;"i  SOS  conchisions,  on  esl  lenh'  de  répéler  à  la  suiie 
d"un  crili(|ne  conlem|)oiain  que  parli.  |i(inr  aiiiveià  j'arnuMiide. 
d'un  point  do  vue  1(Mi[  \(iisin  de  c(diii  di'  l'inlai-([ue,  Tcdésio  a 
dû  nécessairemenl  renconirer  l'Ialon  >ur  >a  iunle.  Mais  ou  il 
no  l'a  connu  (|ue  lié-  iiii()aiTaileineiil.  on  dans  le  cas  contraire 
il  s'est  al)slonu  iivec  soin  de  le  prendre  pour  ora(de .  Ilans 
l'uniquo  passage  où  il  fasse  allusion  à  la  IJKMnie  des  idées,  il 
en  parle  coiuuii'  d  une  rrv  n-i  l'itl i-^^nmi  nli^i  iinssuiiiuint' ^  à 
laquelle  il  ne  loindn' (|iie  (rnii  air  disirail.  comme  fi  unedocirine 
qui  à  ses  yeux  n  avait  éd'  ressusciti'c  un  inslanl  i|ue  pour  iclom- 
Ijor  pres(|in'  aussiiiM  dans  l'ouldi. 

lUil.NO     I. 

I^a  vie  agitée  el  la  lin  malheureuse  de  (iiordano  liruno  (ITiitS- 
KiOO)  sont  Irop  connues  pour  qu'il  soil  nécessaire  de  les  racon- 
ter en  di'Iail.  lîeligieiix  eu  n''vidle  coiilre  ses  supi'J'ienrs.  idli'é'- 
lien  inlidèle  à  sa  toi.  il  a  |iro\iHjU(''  les  rigueurs  doiil  il  l'iil  la 
viclime  :  au  surplus  nous  n  a\oiis  ici  ni  à  ciiarger  sa  mé- 
moire ni  à  l'aire  le  procès  d(>  -!•>  adversaire-  el  de  ses  juges  : 
seules  sa  rormalioii  cl  se-  o|Hnioii-  |diilo-o|iliii|nes  son!  eu 
cause. 

I.a  lecliire  de-  l'crils  de  Tidi'-io  d'uni'  pari,  l'I  de  l'aiilre  la 
grandeur  de  l'immorlidle  d(''cou\erle  de  liopcriiic  l'avaieiil  rem- 
idi d'un  vérilalile  eulliousiasme  |)(mr  le  -peclacle  des  lieaulés 
de  la  lei're  el  du  ciid  :  il  s'exallail  à  la  ])(ii-i''e  des  mille  liarmo- 


fli  Inc  OnciiiuT.ilion  moins  inconipU'.le  devrait  f.iire  une  place  ici  .ivant  lîrnnc 
à  Cariliin  lolll-l'j'iili  p(  à  Patrizzi  i  lô2'J-l597i.  Le  premier,  averroïsie  inconscient, 
.Trfiniie  la  fusion  en  chacun  lie  nous  iki  Uni  et  de  l'inlini  \esl  aliquiil  in  luihis 
jiripler  mis),  et  profondémcnl  pénétre  de  la  sympatliie  des  choses,  com-oil  la  nature 
coiiime  un  organisme  co:;mii|ue  doué  d'unité.  Tout  selon  lui  vit  d'une  vie  unir|ue 
à  des  degrés  divers  d'intensité.  Ouant  à  l'alri/zi,  dont  je  me  suis  occupé  autre- 
fois dans  les  An7iahs  de  p/iilosopliie  clirr/ieiiiie  Septembre  IS'.KÎ  ,  ses  théories  ont 
lie  nombreux  points  de  contact  avec  celles  de  liruno.  sauf  iiue  Patrizzi  se  montre 
aussi  respectueux  du  dogme  chié'icn  que  Bruno  l'csl  peu. 


S.\TiHMIS]li:  ET  l'ASrilEISME  VIT 

nies  vi>ibli>  (Hi  caclires  <  I     (iiic  iTiilcrmc  le  vaste  t'nseml)l('  de 
l'univcM's. 

La  matière  originelle,  d'oi'i  sont  sortis  également  les  esprits 
et  les  corps,  est  uniqne  :  il  fant  la  concevoir  comme  une  force 
féconde,  toujours  en  acte.  La  création  est  ainsi  dotée  d'une  âme  {2} 
qui  vivilic  Iniil  el  (|ui  est  à  la  fois  cause  formelle,  efficiente  et 
linale  de  tout  ce  (jui  existe.  l»e  son  sein,  comme  d'une  source 
jamais  tarie,  jaillit  l'innomliraide  multitude  des  choses.  Notons 
à  ce  propos  que  partout,  dans  le  nouiiire  des  êtres,  dans 
l'étendue  el  la  durée  du  monde,  Bruno  déco\ivre  et  retrouve  l'in- 
iini  dont  le  sentiment  le  pénètre  jusqu'à  l'enivrer.  Avec  quelle 
séduction  il  célèbre  ces  myriades  d'astres,  comme  il  s'exprime, 
ces  conciles  ({'('loiles,  ces  conclaves  de  soleils  dont  la  pensée 
transporte  son  imagination  1  L'univers  est  une  univre  d'art  où 
tout  a  été  disposé  et  ordoniii'  avec  une  souveraine  intelligence, 
et  si  l'on  objecte  au  philosopbi'  (jne  la  nature  est  incapable  de 
délibérer  et  de  vouloir,  il  répond  triomphalement  en  invoquant 
d'une  façon  inattendue  une  loi  psychologique  d'ailleurs  indis- 
cutable. Chacun  de  nous  n'est  tout  à  fait  sûr  de  soi  en  agissant 
que  lorsque  rhai)itude  a  rendu  la  rétlexion  à  peu  près  inutile  : 
le  musicien  en  pleine  possession  de  son  art  n'cst-il  pas  d'au- 
tant moins  exposé  à  se  tnunper  qu'il  est  moins  préoccupé  de 
son  jeu  .' 

Ainsi  aux  yeux  de  Bruno  toutes  les  forces  qui  ï^'agitent  dans 
le  monde  sont  les  manifestations  diverses  d'une  même  vie  uni- 
verselle partout  présente,  partout  agissante,  et  selon  ses  pro- 
pres paroles,  o/^ni  casa  ha.  la  dicinità  in  se.  De  là,  pour  qui 
sait  la  comprendre,  la  beauté  incomparable  de  la  nature,  dont 
les  splendeurs  racontent  dans  un  langage  magniiique  la  perfec- 
tion de  leur  auteur.  Pour  célébrer  la  divinité,  il  est  d'autant 
plus  légitime  de  faire  appel  à  ces  impressions  grandioses  que 

'1)  De  ces  dernières  surtout,  que  la  raison  est  la  seule  à  concevoir.  'Ao;j:c>- 
v:a  àoavf,;  oavssf,;  y.sî'"iov,  avait  dit  déjà  l'obscur  mais  profond  Heraclite, 
qui.  de  moiiie  que  Bruno,  se  plaisait  à  assimiler  la  vie  des  corps  à  celle  des 
esprits. 

|2)  Tous  les  critiques  insistent  sur  le  rôle  démesuré  que  joue  dans  le  sj-stéme 
de  Bruno  cette  àme  du  monde  «  dont  le  moindre  inconvénient  consiste  à  former 
une  expression  équivoque  et  une  comparaison  inexacte  ■•.  BARriioniEss,  Bruno, 
11.  p.  391). 

26 


418  c.  m  IT 

los   images   ot  les  métinilinies   rmjiriinlres  à  la  (•ivaliDU  si>iU 
autant  de  copies  des  vérités  éternelles  (1 1. 

Pareillement  l'àme  et  le  corps  de  riiomme  sont  «  des  eflluves- 
divins,  fulguration  éphémère  de  la  substance  cosmique  ».  Dès 
lors  où  chercher  Dieu,  sinon  précisément  dans  ce  qui  est  doné 
(le  tous  les  attributs  divins,  dans  cet  être  qui  est  à  la  fois,  selon 
la  vieille  formule  stoïcienne,  la  substance  et  l'activité  de  l'uni- 
vers, essence  inépuisaldc  de  tout  ce  que  la  création  c(intient  et 
enfante  dans  l'intei-minable  succession  des  âges  ?  Sous  les  Ilots, 
disons  mieux,  dans  les  tlots  perpétuellement  changeants  et 
mobiles  des  phénomènes,  subsiste  un  être  unique,  intini,  éter- 
nel, immuable,  toujours  identique  à  lui-même,  et  ce  langage, 
pour  être  en  apparence  celui  de  Platon,  n'en  diffère  pas  moins 
profondément  i'2'>.  Le  princijie  suprême  dont  tkuis  venons  de 
[>arler  doit  donc  concilier  en  lui-même  tous  les  contraires  {'.])  : 
un  seul  pas,  et  un  jias  facili'  à  franchir,  s(''parr  Ihuno  do  Spinoza, 
de  Hegel  et  de  Sciielling.  .Mais  le  panthéisme  béant  dans  lequel 
il  va  se  })récipitcr  tète  baissée  l'épouvante  :  tournez  la  page  oii 
le  monde  nous  est  présenté  comme  l'un  des  attributs  de  la 
divinité,  une  de  ses  manifestations  essentielles,  et  vous  verrez 
reparaître  subrepticement  le  dogme  chrétien  de  la  création.  En 
tout  cas  le  |)auth(''isme  au(|U(d  notre  philosophe  |)arait  se  rat- 
tacher est  un  panlhi'isme  d  ininuuience  (  i  ),  si  !  Un  peut  s'ex- 
[U'imcr  aiii^i.  |du|(M  que  d'iMuanation  il\  .  On  disait  (|u  à  ses  yeux 


il)  liappclons  brirveiiienl  à  ce  propos  i-ominent  lirunn  se  représenle  les  degrés 
successifs  de  la  connaiss.ince.  Les  sens,  cuinparables  à  l'œil  du  prisonnier  qui 
n'aperioit  qu'à  travers  une  fenlc  étroite  les  ubjels  extérieurs,  voient  les  choses 
exjilicdlim  :  la  raison  couiplicalim.  tel  le  regard  à  qui  la  lune  renvoie  par  une- 
nuit  sereine  l'éclat  du  soleil  ;  enfin  une  faculté  supérieure,  l'intellect,  siimmatim, 
c'est  la  vue  du  soleil  dans  sa  pleine  et  coni|)U;te  lumière.  Ne  retrouve-t-on  pas  lu 
comme  un  éclio,  conscient  ou  fortuit,  des  hautes  pensées  que  l'iaton  développe  à 
la  fin  du  VI"  livre  de  la  liépnbligue? 

(2)  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'étudier  ce  que  Bruno  nomme  le  niiiiiminii  et  le 
iiKi.iirnuin  de  l'être,  ni  les  degrés  multiples  c|ui  servent  de  transilion  entre  ces 
deux  états  extrêmes. 

(;i)  Aussi  est-il  di''fmi  complicalio  oinnium  ou  coiniidentia  opposi/uriim. 

(4)  Uieu  pour  Bruno  est  en  effet  nmnibus  pra'senlissiinus.Ue  toutes  les  variétés 
du  panthéisme  c'est  la  plus  périlleuse. 

(."))  Le  mot  emunalio  se  lit  dans  saint  Thomas,  et  maintes  fois  on  a  voulu  en 
abuser,  oubliant  que  les  expressions,  efforts  toujours  imparfaits  du  langage 
humain,  surtout  quand  il  s'agit  des  choses  divines,  doivent  sexpli(|uer  par  la. 
pensée  et  l'esprit  des  écrivains  qui  les  emploient. 


.v.17t/,m;.;>i;;-;  ;./■  /m.\7;//:/si/;-:  41'.i 

Difu  sans  le  iiiundc  nost  (|irimi'  alislniclimi  vainc,  nn  (Mic 
inconnaissalilc.  ilf  li'llc  sorte  (pi'il  n^osc  ni  le  srpanM-  tonl  à  lail 
(11'  la  nature,  ni  renfernirr  en  elli'  :  iniiliie  au  suriiliis  île  lui 
demander  une  doctrine  lixe  :  dans  ses  livres,  selon  le  mot  de 
Saisset,  il  n'v  a  à  reeneillir  (|iie  il(>s  siuivenirs  et  des  pressen- 
ti ments. 

Maintenant  ces  théories  de   liinno.   iiuel(|ne  jujiement  d"ail- 
leurs  qu'il  faille  en  porter,  d'où   \  iennent-elles  ?  Ont-elles  des 
antécédents   dans   la   pliilosnpiiie  antique  ?  (fui   sans  donle.   el 
d'incontestables.    Leur   auteur  es|   nu    iionnne   d'une  érudiliou 
immense  et  qui  à   l'iuiilatiou  de  la  plupart  des  savants  de  sou 
époque  puise  à  pleines  mains  dans    la  religion   et    la   mytlio- 
losic,  aussi  bien  que  dans  l'histoire  et  la  science,  avec  la  ferme 
eonscienie  de  ictte  vérité  que  Pascal  commentera  avec  son  élo- 
quence coutumière,  à  savoir  que  le  genre  humain,   plus  âgé 
qu'an  temps  de  Socrate  et  de  Périclès,  devait  être  par  là  même 
et  plus  rieiie  et  plus  éelain''.  Ailuiiriili'ur  d'Ilerinès  Trismégiste, 
initié  aux  enseignements  d'Averroès,  très  en  honneur  à  Padoue, 
d'Âvicéhron  el  de  Maimouide.  élèvi»  et  continuateur  du  cardinal 
de  Gusa  en  qui  il  salue  "    un  pliihisophe  divin  il)  »,  son  esprit 
mobile  et  rebelle  à  tout  entrahiement  méthodi(iue  a    traversé 
successivement  tous  les  systèmes  (2'i.  Il  se  proclame  bien  haut 
disciple  de  Pvlhagore,  à  l'imitation  duquel  ildéliuitle  priuiipe 
j)remier  des  eiioses   .<   une  monade  qui   engendre   toute  mulli- 
plicité  sans  perdre  son   unité   ■•.  Bien  ([u'il   ne  panloune  pas  à 
IMaton  d'avoir  abandonné   le  point  de   vue   il  la  méthode  de 
Pythagore,  on  n'a  pas   lieu  d'èlre  surpris  de  son  attachement 
au  fondateur  de  l'Académie  qu'il  suit  piesque  constamment  el 
n'abandonne  jamais  qu'à  regret.  Ses  procédés  de  comparaison 
et  d'abstraction  {'■])  ne  diffèrent  pas  au  fond  de  la  dialeiliciui' 
platonicienne...  .\  son  exemple,  il  se  place  tout  d'abord  dans 


il:  Consulter  le  méinoire  de  Cleinens  ;  liion/iino  Bruim  intil  S'icolas  vmi  Ciisa, 
(Bona,  [Si'ii. 

■2)  On  distingue  sans  peine  au  moins  trois  phases  dilTérentes  dans  la  carrière 
philosopliique  de  Bruno  :  il  est  d'aliord  platonicien,  puis  panttiéiste  tantôt  à  la 
laçon  de  Parménide,  tantôt  a  celle  d'Heraclite,  et  enlin  atoiuiste. 

(3)  "  L'abstraction  que  Bruno  recommande  et  pratique  n'est  pas  l'abstraction 
logique  propre  à  la  pensée  discursive,  tuais  une  sorte  d'intuition  idéale,  comme 
celle  de  Platon.  »  .P.Jaxet.  / 


iiO  C.  HUIT 

le  ihdikIp  invisililc  cl  cummc  dans  le  sein  de  lu  divinité.  Pour 
lui  également  le  soleil  est  l'image  vivante  de  Dieu,  et  l'uni- 
vers un  rellel  du  monde  suprême,  du  monde  des  idées...  Dans 
les  deux  systèmes  la  raison  devance,  domine  ot  règle  l'expé- 
rience (1  )  )'.  Les  principes  fondamentaux  de  la  doctrine  de  Bruno, 
écrit  à  son  tour  E.  Saisset  (2),  sont  visibleme^nt  empruntés  au 
|)latiinisme.  en  entendant  par  là  le  mysticisme  confus  et  déréglé 
des  Alexandrins,  et  voilà  l'étrange  conce|)tion.  qu'il  veut,  comme 
Pléllion  un  siècle  auparavant,  substituer  audacieusement  à  la 
méla|)iiysique  de  l'Eglise  et  à  l'ensemlde  du  dotime  chrétien. 
i<  Lorsqu'on  lit  Bruno  avec  quelque  attention,  on  s'aperijoit  bien 
vite  qu'il  s'était  nourri  et  pénétre  des  EnnMdps  autant  et  plus 
que  de  certains  dialogues  platoniciens.  A  l'entendre,  Plolin  est 
le  princedu  platonisme,  il pr'nHipc  ['-S).  •<  S'il  blâme  avec Télésio 
la  physique  péripatéticienne,  son  plus  grand  grief  contre  Aris- 
tote  métaphysicien,  c'est  le  mépris  que  fait  ce  dernier  des  idées 
de  Platon  et  des  nombres  de  Pylhagore  sans  nietlre  rien  de 
sérieux  à  la  place  ;  et,  chose  curieuse,  on  même  temps  il  prend 
la  défense  du  Stagirite  contre  ceux  «  qui  s'intitulent  aristoté- 
liciens et  ne  savent  pas  voir  ce  que  le  ])i''ri|)atétisme  a  de  pro- 
fond et  de  solide    '. 


CAMPANELLA 

Né  en  l'KiS  en  Calabre,  Campanella  s'enrôla  dès  sa  jiremière 
jeunesse  parmi  les  adhérents  les  plus  chaleureux  de  Télésio, 
qui  l'avait  séduit  par  son  esprit  d'indépendance  bien  plus  que 
par  la  profondeur  de  ses  doctrines  (4).  Lui-même,  faisant  allu- 
sion à  son  nom,  voulut  être  <•  la  cloche  (|ui  annonce  une  aurore 
nouvelle  ».  Selon  une  tradition  longtemps  accréditée,  mais  sans 


(1)  B.\RTHoi.jiEss,  1.  C,  pp.  313  et  suiv.  —  Quant  à  la  question  de  savoir  si  Platon 
avait  été  véritablement  panthéiste,  comme  le  veulent  certains  critiques  allemands, 
elle  a  trop  d'importance  pour  être  tranchée  ici  au  pied  levé. 

f2)  Rei'ue  drs  Deux-Mondes.  15  juin  1841. 

(31  Bartholmkss.  1.  c,  p.  320. 

(4)  Une  page  brillante  de  Cousin  dans  luRevne  des  Dpw.r-.1/o/irfes(l"décembre  1S43) 
nous  montre  Campanella  resté  seul  dans  l'église  après  les  obsèques  de  son  maître, 
!■  baisant  furtivement  ce  front  glacé,  foyer  éteini,  siège  vide  de  la  pensée  ». 


\.\Tn;M.IS\IE  ET  l'AMllÉISME  421 

fondcmont  sôi'iciix,  il  ;iiir:iil  IniiiK''  une  cuiiiiiralinii  jimir  la  (l(''li- 
viaiico  (II'  sa  [lalric  alms  aux  mains  de  l'Iilspagnc.  C^o  qui  osl 
moins  ronli'slahic.  rCsl  (|ur  i'in(|nisiliiin  li'  coinlamna  ;  mais 
sa  (•a|)livit(',  fdmmi'  relie  de  (  ialili'e  d'ailleurs,  n'cul  rien  do  i)ien 
rij;'(uireux.  Eu  soninu'  ce  lui,  ainsi  (|ue  le  (jualiiie  M.  T'icavet, 
un  des  esprits  les  ])lns  remai'qiialdes  de  celle  époque  de  transi- 
tion où  l'on  comliat  les  théories  du  moyen  âge  sans  apercevoir 
encore  claii'ement  ce  que  seront  la  société  et  la  pensée  modernes. 

(liiez  lui  di'  même  i|ue  (die/  Télésio,  le  (  liaud  e[  le  froid.  él('- 
menls  cousiitulils,  celui-là  du  ciel  et  celui-ci  de  la  terre,  jouent 
un  rôle  prc'pondr'rant  dans  la  conslilulion  des  êtres  ;  mais  au 
premier  plan  a]qiarail  ici  une  ••  ànu^  du  numde,  grande  pour- 
voyeuse commise  par  Dieu  à  Tordre  du  Cosmos  (!)  »;  les  lois 
de  l'astrologie  nous  attestent  son  existence,  les  formules  de  la 
magie  nous  révèlent  son  pouvoir.  Jaloux  de  comblci'  l'abîme 
creusé  par  l'opinion  commune  entre  la  matière  et  l'esprit  (2). 
Campanella  nous  représente  tous  les  êtres  comme  doués  de  senti- 
ment et  d'amour,  et  il  com|)are  les  rayons  que  les  astres  s'en- 
voient nuiluelleiuenl  à  un  langage  sublime  dans  lequ(d  ils 
échangent  leurs  [lensées.  L'analogie  avec  les  conceptions  de 
Bruno  est  ici  évidente,  et  ce  qui  achève  le  parallèle,  c'est  que 
chez  l'un  et  l'autre  à  ce  «  panpsychisme  cosmique  »  s'associe  ou 
se  juxtapose  un  atomisnu^  excluant  loule  sul)>lance  spirilu(dle 
et  toute  finalité. 

Trois  forces  primitives,  la  puissance,  la  sagesse  et  l'amour, 
deviennent  sous  les  noms  de  iirrrssi/r,  prorideticp,  iKiriiiiiiiic, 
les  lois  suprêmes  de  Friuivers.  Dieu,  que  dans  ce  système  on 
a  peine  à  distinguer  de  la  nature,  est  à  la  fois  l'espace  infini 
et  les  êtres  qui  l'occupent  :  les  méthodes  d'autorité  ou  de  déduc- 
tion sont  incapables  de  nous  le  faire  comprendre  :  il  ne  peut 
être  saisi  que  par  intuition,  à  la  suite  d'une  sorte  de  contact 
intérieur.  A  la  place  du  dogme  de  l'immortalité,  Campa- 
nella essaie  de  nous  offrir  une  renaissance  cosmogonique,  et 
on  a  eu  raison  d'écrire  que  l'ensemble,  d'ailleurs  très  con- 
fus, de  son  système  présente  une  vaste  construction  panthéiste 

1 1  )  iCxpressions  de  M.  de  Wllf  dans  son  Ulsluii-f  déjà  citée. 
(2)  Ce  fut  déjà  le  rêve  et  l'ambition  de  Paracelse    1493-1^41)  d'embrasser  dans 
une  iiniifue  et  vaste  harnionie  le  ciel  et  la  terre,  l'esprit  et  la  matirre. 


422  c.  m  rr 

«iii  le  do^mc  (•lin''lien   se  déhat   [n'^nililcmeiiî  à   la  surface  (t). 

On  altribue  à  Canipanella  un  ou\ rage  sous  ce  titre  :  Ih-  jthi- 
lusoplùd  iii/lli(ig<irirn  lihri  Irfs  :  mais  quel  intervalle  entre  le 
pythagorisme  tel  (|u'il  est  compris  à  la  Renaissance,  et  rensei- 
gnement aiitlieiitiqui'  ilu  sage  de  Samos  ?  Aussi  favorable  à 
l'ialon  qu'opposé  à  Arislote  i2i,  iiii/i-</iio  PhitunKii,  comme  il 
aimait  à  se  qualiticr  iui-nii'me,  il  n'a  cependant  que  très  médio- 
crement approfondi  le  |ilatonisme  (3),  dont  il  n'a  certainement 
pas  emprunté  les  meilleurs  côtés,  ainsi  qu'en  témoignent  ses 
utopies  sociales  qu'il  nous  reste  à  apprécier. 

(Jue  penser  en  effet  de  cette  Cilr  du  soh-il  li',  état  idéal  où  la 
liiierté  de  chacun  est  confisqué'e  pdur  le  ])!us  i:raiid  profit  de 
tons,  ré|iuMi(jue  tiH''oeraiique  oii  le  Soleil  persunuilie  la 
science  universelle  el  le  pnuviiir  absolu?  [)ans  une  llis/nir/-  dis 
docliiiirs  ('•iditiiniupirs,  W.  Ksi)inas  na  pas  de  peine  à  établir 
que  (lampaneila  reproduit  en  les  aggravant  encore  les  concep- 
tions les  plus  bizarres  de  la  l{i'-jiid)liiim-  (oj  tout  en  reconnaissant 
qu'en  dehors  du  christianisme  il  serait  téméraire  de  chercher 
des  sociétés  parfaites.   La  |)roprii''lé.  >inou  la  famille  (6),  y  est 


n)Uesearles,  Icml  ni>v,iteur  f|u"il  suil  lui-im-uie,  juge  avec  sévérité  l'œuvre  de 
Campanclla. 

(2)  Uont  il  rouibat  li's  doilrines  dans  sa  l'/iiloxopliia  seiisihiis  ileinonslialn.  — 
-  Canipanella  traite  de  rauturitc  d'.Vristotc  dans  le.s  premiers  cliapities  de  s;i 
l'/iiloso/jliia  realis  et  conclut  que  sur  certains  points  il  est  nécessaire  pour  le 
salut  et  la  foi  de  rompre  avec  le  philosophe  grec,  nue  sur  d'autres  il  e?t  louable, 
et  sur  un  grand  noinlire  avantageux  de  se  mettre  en  coniradiction  avec  lui.  •> 
(F.  Boin.UEK  :   i>i<l.  des  Sciences  philos'i/jliifj lies. 

\3)  N'y  aurait-il  rien  à  reprendre,  par  exemple,  dans  le.-s  lignes  qui  suivent, 
tirées  du  mémoire  d'ailleurs  curieux  pour  l'époque,  De  recta  rnlione  sludenili  : 
«  11  sapienle  Platone  si  uiostra  convinto  rhc  non  vi  hi  certa  scienza  dell'  arte.  ma 
piultosto  un'  opinione  parziale.  Scrisse  in  dialoghi,  a  fin  che  da  noi  si  venisse  ad 
apprendere  quel  che  s'enuncia  dall'  un  lato  e  d'ail'  altro,  m^n  che  si  giunga  vera- 
mente  a  sapere  conie  le  cose  sono  in  se.  »  —  Lorsque  Canjpanella  écrit  :  "  L  uni- 
vers est  un  animal  grand  et  parfait  ».  ou  à  propos  des  êtres  sensibles  :  «  Com- 
positio  entis  et  non  entis  facit  terlium  quid,  quod  non  est  ens  puruni,  nec  non 
ens  ",  Comment  ne  pas  penser  immédiatement  aux  textes  presque  identiques  du 
Tiinée  et  de  la  Hépiiblique'.' 

(4)  Ltrecht,  1(143. 

(5)  En  1352  avait  paru  à  Venise  une  l'aiapfuasis  .irenois  in  lilnos  l'Ialonis  île 
nepublica,  iarobo  Mantino  niedico  hehr^eo  interprète.  —  Je  note  ici  qu'au  livre  1  de 
sa  République  137'ii,  Jean  liodin  avait  su  garder  à  l'égard  de  Platon  une  plus 
honorable  indépendance. 

(6i  Campanella  rejette  la  communauté  des  femmes  :  mais  il  confère  à  l'État  le 
droit  d'intervenir  dans  la  préparation  et  la  ratification  des  mariages.  Autre  théo- 
rie chère  à  Platon,  comme  on  le  sait. 


.Y.t77  ;;.\/./si//,-  /■;/•  /m  \ /•;;/•;;> i;;,'  .12;) 


riLCoiirciiscnicnl  id'Dsrrilc.  I'(''niilil('  iiiii\  crsclli'  rritiôc  en  priii- 
cipc.  le  li'iiMiil  iiU|His(''  iiiilislincicmcnl  à  Idiis  les  ciluvcii^. 
lo<  actes  (jimlitlicns  do  lu  vie  Sdiuiiis  ù  uni'  r(''j;l('m('nlalion 
niimiliciisc  I  1  i  (jiii'  (Imiiii'iit  copier  les  Saiut-Simonieiis  an 
xix'  siècle.  Comme  IMaloii,  comme  les  stoïciens,  Campanella 
(Milond  organiser  la  société  sur  le  modèle  de  i'iiiii\ers  ;  dans  les 
trois  ministres  (jui  servent  d'assistants  au  chef  suprême,  je 
retrouve  les  trois  forces  (jiii  président  à  la  conservation  et  au 
(lé\  eloppeiuent  du  monde.  \A  de  inèuie(|Ue  l'auteur  de  la  lirij/t- 
/i/ii/itr  s'est  corrigé  dans  les  Loi\\  de  même  le  philosophe  ita- 
lien l'ait  un  |)as  ilécisif  en  arrière  dans  son  livre  intitulé  La 
M(iii((i(  liif  ('••iKKjiiuIr,  011,  sans  plus  songer  à  ses  revendications 
patrioli(|ues,  il  rêve  pour  Philippe  II,  dans  l'intérêt  su]iérienr  de 
la  chri'tienlé,  une  V(''ritalde  domination  universelle. 


VANIXI 

l'épicurien  ell'ronté  en  morale,  adversaire  ri'>olu  de  l'immoi'- 
lalité  de  l'âme,  mettant  au  compte  de  l'imposture  toute  insti- 
iution  religieuse,  bien  plus,  al'lirmant  sans  hésitation  l'éternité 
du  monde,  et  réduisant  Dieu,  qu'il  dépouille  de  toute  liberté, 
à  n'être  que  la  sul)slance  universelle  de  tout  ce  (|ue  renl'ermi' 
l'univers  '2i,  Vanini,  dont  il  nous  reste  à  |)arler,('.\pia  à 
'.V-\  ans,  en  1  (>  I  i),  par  une  condamnation  capitale  le  scandale  public 
de  tant  d'erreurs  {'■{■<.  Dans  un  premier  livre,  VAmphithi'alruin 
.v/rni,!'  Provideiiliie  (Kilo),  donnant  le  change  sur  ses  vérita- 
bles convictions,  il  avait  paru  se  poser  en  défenseur  du  dogme 
spiritualiste  et  chrétien;  plus  tard,   imprudence  ou  audace,  il 


(l>  Ainsi  1,1  forme  des  vr-teiiienls  est  invariable,  mais  ils  sont  d'un  tissu  plus  ou 
moins  précieux  ou  d'une  couleur  plus  ou  moins  éclatante,  selon  la  condition  et 
les  services  de  celui  qui  les  porte.  Qui  ne  songe  ici  à  la  fameuse  république  de 
Salente  ? 

(2)  Dieu,  écrit  Vanini,  n'est  pas  l'ctre  :  il  n'est  ni  bon,  ni  sage,  ni  tout-puis- 
sant :  il  est  l'essence,  la  bonté,  la  safïesse,  la  toute-puissance.  C'est  donc  un  pur 
concept  sans  .personnalité. 

(3)  «  Les  grands  désordres  font  les  grands  sceptiques  «,  dit  M.  Rousselnt,  le 
traducteur  de  Vanini  :  or,  quelle  époque  plus  troublée,  quelle  société  plus  cor- 
rompue que  celle  où  la  destinée  le  lit  naitre! 


42i  C.  HUIT 

se  dévoila  tout  ciilier  Juns  un  scL'ond  (nivragc  (I  i,  arrachanl  à 
Cousin  lui-nirnic  celte  sentence  :  "  Avec  la  même  sincérité  que 
nous  avons  aljsons  le  précédent  écrit,  nous  déclarons  celui-ci 
coupable  :  coupable  envers  le  cliristianisme,  envers  Dieu, 
envers  la  morale...  Les  deux  ouvrages  sont  évidemment  du 
même  autexu-,  qui  tantôt  a  mis  un  masque  et  tantôt  paraît  îï 
visage  découvert  (2).  » 

A  Jie  considérer  que  les  sources  où  il  a  puisé  sa  pbibisophic 
Vanini  dilTère  étrangement  de  ses  devanciers,  ('/est  un  antipla- 
tonicien déclaré,  disciple  ardent  d'Ai-istote,  interpiéli''  à  la  façon 
(lAverroès  et  de  l'omponace,  ce  qui  contrilnia  par  la  suite  à  le 
taire  passer  pour  un  athée  ou  un  panthéiste.  11  n'est  pas  d'éloge 
qu'il  ne  décerne  à  son  philosophe  de  prédilection,  par  lui  qua- 
liiié  de  ><  grand  pontife  de  la  sagesse,  dictateur  suprême  de  la 
science,  oracle  vénérable  de  la  nature  (3)  ».  Pour  éclaircir  les 
mystères  des  rapports  entre  Dieu  et  le  monde,  il  écarte  aussi 
résolument  "  les  rêveries  plalonicienncs  (aiii/ia  /ri-f  ///a/oiiira 
(le/iria  cl  iiisnmniai  que  les  impertinences  des  scolastiques  ». 
De  tous  les  philosophes  anciens  et  modernes,  Platon  est  peul- 
ètre  celui  dont  le  nom  revient  le  plus  rarement  dans  ses  Dialu- 
guçs  :  encore  est-ce  le  plus  souvent  pour  être  taxé  d'inconsé- 
quence. «  .le  m'étonne,  écrit-il,  que  Platon  ait  dit  que  Dieu 
avait  [iroduil  le  monde  :  car  loul  cr  (|ui  est  engendré  est  de  la 
même  es|)èce  ou  de  la  même  essence  ijue  l'être  d'oii  il  pro- 
vient. »  Même,  si  nous  en  croyons  Vanini,  Platon  n'aurait  pas 
craint  d'enseigner  que  le  monde  est  Dieu  :  confusion  inévitable, 
ajoute-t-il,  puisque  le  monde  est  considéré  par  lui  comme  entiè- 
rement parfait,  et  que  l'entière  perfection  n'appartient  qu'à 
l'être  divin.  Inutile  de  faire  remarquer  grâce  à  quelle  légèreté 
et  à  quelles  équivoques  il  arrive  à  mettre  ainsi  sous  le  patro- 
nage de  IMaton  les  plus  regrettables  afiirmations. 

En  résumé,  l'école  que  nous  venons  d'examiner  ne  nous  oll're 
que   des  vues  confuses   ou   erronées,  aucun   système  arrêté, 

(1)  Dont  le  titre  à  lui  seul  :  De  adinivaiidis  nnliirsp,  reginse  deœr/iie  murluliiiin 
arcajiis  (1616),  équivalait  à  une  formelle  profession  d'impiété. 

(2)  Revue  des  Deux-Monde",  1"  décembre  18  43,  pp.  (i'.lU  et  *09. 

(3)  Exercice  XXX. 


\ArntMisMi:  et  pa.stheismi:  125 

aiuiuc  u'iivii-  ilcslinéo  ù  durer.  Ces  adversaires  de  la  scolas- 
tiqiie  devaient  être  el  furent  en  elTet  impuissants  contre  elle. 
Cousin,  dont  l'<i|jiiii(in  ici  ne  saurail  rire  suspecte,  dit  (ju'il  ne 
fait  aucun  cas  des  travaux  piiil<)S(i[)liiques  de  cette  période. 
Notons  toutet'ois  que  l'alliance  était  renouée  entre  la  philoso- 
phie et  la  science  et  (jue  la  réforme,  de  caractère  d'ailleurs  plu- 
tôt logique  que  métaphysique,  dont  on  s'accorde  à.  faire  hon- 
neur à  Bacon  était  commenc'e  longtemps  avant  lui. 

C.  lUlT. 


NOTES    SUR    ARISTOTE 


Dans  1rs  Tiijiiijiif^,  VI.  2  léd.  Diuot,  p.  2:j(i,  :j;i-3o:.  Arislulc, 
ôniinicraut  les  cas  iroliscurité  dans  les  délinilions.  dit  :  k  Ou 
«  hiiMi  si  l'on  cmijlnic  des  niijls  qui  no  sont  pas  roçiis  ;  commo 
"  liii>(|U('  l'inlnu  ajipidli'  l'u'il  f>j.vjo7/.;o;.  raraijj;ni'e  T-r.i'oa/.i.;, 
"■  la  nioello  oiTsoyr/i;  ;  car  Imil  ce  ijni  n'est  |ias  usité  est 
<  obscur.   '1 

l'ourquoi  ce  passage  n'a-t-il  |ias  été  recueilli,  sous  la  ruliri- 
qui'  PIfili)  cnuiints,  par  les  |)alienls  collecteurs  des  l'ragmenls 
de  poésie  jj;recqiu'  ?  poui'quni.  au  contraire,  l'index  de  Honitz 
renvoie-t-il  au  philosophe  Platon?  Je  l'ignore;  le  contexte  de 
tout  le  (•iiapilr(>  numtre  hien.  en  tous  cas.  qu'Arislote  ne  se 
hornepasà  prendre  comme  exemples  des  dé-linilions  proprement 
dites,  et  l'énoncé  seul  des  mots  qu'il  cite  suflil  à  prouver  qu'ils 
n'appartiennent  pas  au  lexique  platonicien,  mais  qu'ils  ont  été 
ou  liien  inventés  par  qu(dque  poète  ampoulé,  ou  bien  dits 
par  quelque  comique,  |)récisi'nient  pour  niiller  cette  façon  de 
parler. 

I,  inadvertance  de  lionilz  peut  loutetois  ju-oveuii'  de  celle  cir- 
fonstauce  que,  précisément  au  chapiti'c  suivant  et  de  plus  dans 
deux  autres  passages  des  Tujjiijiirs,  le  nom  de  IMaton  ligure 
encore  à  propos  de  définitions,  tandis  qu'aucun  nom  dilTérenl 
n'y  est  cité  (sauf  une  fois  Heraclite,  VllI,  ï.  p.  2()S.  \2,  Didoti. 

Mais,  par  là  même,  cette  circonstance,  tout  à  l'ait  contraire 
aux  habitudes  d'Aristote,  doit  rendre  suspects  ces  trois  passages. 
Dans  le  reste  di'  ÏOri/aïuun,  il  y  a  trois  citations  d'ouvrages 
de   Platon  :  o  h  -(^  Miw,:  '/A-fo;  [Anal,  prior.,  Il,  23,  67,  a.  21)  ;■ 

TÔ  iv  -rio  Mivov!  i.r.ù'j-t^'x'X  {AlXll .  pusl.,  1,   1 ,  71,  a.  29  i  ;  K  V.%ù.:/J:t^;  h  t(u 


lov,-:?  i.v^/yA.  hlti-iiih.,  \'l.  ITij;  mais  le  nom  Je  l'aiilcur  iffs! 
pas  prononcé,  (lommciil.  dans  un  ouvraj''o  composé  pendant  la 
mèini-  période  ci  traitanl  de  la  même  matière,  Aristote  se 
serait-il  di'paili  di'ccl  l'irenienl  .'  Examinons  la  question  de  plu> 
pré-.  : 

1"  'l'ititiijiii's,  IV.  l.  2l)!>,  li.  L)n>oT.  —  Aristoto  erilique  les 
délinitions  dont  l'étendue  est  plus  large  que  celle  du  délini. 
Entre  plusieurs  exemples,  il  cite  :  >(  ou  liien  ainsi  (jue  le  délinit 
Platon  iw;  iD.iTwv  ôpî^ETïO,  la  oopi  comme  la  mutation  suivant  le 
lieu.  »  D'après  lui,  il  y  a  des  changements  de  lien,  comme  la 
marclie    ''A?.:-::,  .  qui  ne  sont  pas  des  transferls    oosi  . 

La  mention  i\r  l'iaton,  ipii  vise  un  passag(>  de  Thi-i'-t!ti' 
(ISI  d),  peut  être  supprimée  sans  nuire  au  contexte;  ce  peut 
donc  être  une  interpolation,  provenant  dune  note  inscrite  en 
marge  par  quelque  disciple  sur  les  manuscrits  nuMnes  d'Aris- 
tote,  plus  ou  moins  longtemps  après  sa  mort.  11  y  a  une  raison 
de  penser  que  la  mention  n"est  pas  d'Aristote  lui-même  ;  c'est 
qu'en  fait  il  adopte  iPhi/s.,  V,  :i2()  Ai  précisément  la  nomen- 
claturi'  de  IMalon,  sauf  à  remarquer  que  la  désignation  de  -^'rA 
pour  la  mutation  de  lieu  en  général  est  une  convention  nou- 
v(dle  vM.i'-JiM  .  et  (ju'elle  n'est  pas  alisolunn-nt  d'accord  avec  les 
lialntndes  du  langage.  Mais  l'iaton  n'avait  également  posé  le 
terme  de  o'j-A  que  conventionnellemenl  :  !<■  passage  des  Tiijii- 
i/nes  ne  peut  donc,  en  tout  cas,  être  regardé  eonune  une  critique 
réelleun-nt  adressée  au  Maître 

■2"  Tt)/j/(/ii/-s,  VI,  :t,  2:^1.  -2'-\,  UmOT.  —  ■  l'.n  général,  est  sui)er- 
..  Ihi  dans  nue  délinition  ce  (jui  peut  être  supjirimé,  sans  que 
"  1(^  délini  cesse  d'èln' elaiienuMit  désigné.  Telle  est  la  délini- 
«  tion  de  l'àme  :  un  nombn^  qui  se  mue  (I)  lui-même  car  ce 
"  qui  se  mue  soi-même,  est  l'àme,  ainsi  que  Platon  l'a  défini, 
<■  y.'xOi-zr.  uH-m-,  ï^y.i-.-i:  .  Ou  l)ien  ce  qui  reste  dit  est  bien  propre 

(1)  ne  ini-uie  c|ue  plus  haut  jai  ti-aduil  y.'vr.T'.;  par  imil/i/ion.  je  me  permets  de 
rajeunir  un  vieux  mot  de  la  morne  racine  nnoritalio]  pour  traduire  /.■mi'.-i.  Dire 
moiiremenl.  mouvoir,  c'est  trop  restreindre  et  dénaturer  le  sens  des  ternies 
j;recs.  Quant  aux  expressions  c/inur/emenl.  c/iaiii/er.  leur  signification  primitive 
implique  une  substitution  :  je  les  juge  donc  moins  fidiMes  que  celles  que  .l'ai 
adoptées. 


428  I'all  TANM: KY 

«  au  drfini,  mais  non  spécilic  pas  l  essence,  comme  ici  si  Ion 
"    supprime  ///;  iimulirr.   >> 

I^cs  crochets  indiquent  la  plirasc  qui  serait  à  supprini(>r  tcnit 
entière,  si  la  suspiciiju  qu'excite  la  mentiim  de  l'Ialon  [l'Ii'dre, 
711  C)  est  légitime  ;  en  ell'el  cette  délinilicm  |)lalonicieiine  est 
trop  (Ml  désaccord  avec  les  doctrines  d'Aristote  pour  qu'on  doive 
adnn^tlre  qu'il  l'ait  posée,  même  incidemment,  en  termes  qui 
auraient  pu  supposer  qu'il  l'acceptait.  Il  est  clair  qu'il  n'avait 
iiesoin  de  rien  dire  de  plus,  après  avoir  cité  la  définition  com- 
plète. .Mais  ici  la  corruption  semble  plus  pr(d'onde  et  l'inter- 
polation est  peut-être  plus  grave  ;  car  dans  tnut  cet  eiulroit 
du  (iuipitre,  la  suite  des  idées  n'est  pas  claire  et  paraît 
même  quelcpie  jumi  (-(intradictoii'e.  Tnutet'ois,  je  ci'ois  inutile 
d'insister. 

M"  Topitjiifs,  VI,  1(1,  2i!l,  12,  Diuor.  —  «  Il  y  a  à  examiner  si 
<<  la  définition  convient  îi  l'idée  du  déliui.  Parfois  cela  n'arrive 
'<  pas,  comme  quand  l'Iaton  définit  en  introduisant  le  mot 
■■  inurlrl  dans  les  définitions  des  êtres  vivants  (oîov  oi;  MXi-c.jv 
"  h'J^^t'.'j.:  ~.'i  'ivT.Tov  t.z,'it1~-.m'j  èv  -o'iî -ôjv  Ujwi  'Js'.ïuo^^i.  (jar  I  ulee  n  est 
"  pas  mortelle,  par  exemple  V/iomnir  r/i  soi  :  si  bien  que  la 
i<  définition  ne  s'applique  |)as  à  l'idée.  En  général,  si  l'on  intro- 
'«  duit  dans  la  définition  l'indication  d'une  action  (7:o!t,-::/.ov)  ciu 
.'  d'une  passion,  il  y  aura  nécessairement  discordance  avec 
1'  l'idée  ;  car  les  idées  paraissent  impassibles  et  immuables  à 
■  ceux  (|ui  disent  (juil  y  a  des  idées.  On  peut  donc  se  servir 
"   <'ontre  eux  de  misonnements  de  ce  genre.  » 

Ici  nous  tombons  en  pleine  sopliisti(|ue  d'école.  La  mention 
de  Platon  vise  certainement  un  texte  écrit  iipiCtzoi' : .  Mais  on  peut 
bé'siter  entre  le  Soji/iis/f,  246  e  ,'/.f;vr.iiyi  ?•;,  iivr-Ji-i  ^(ùov  z'.'  o'j.t.'i  d-i%: 
-:,  et  le  Tiiiire,  77-78,  où  Platon,  après  avoir  en  général  défini 
le  Imvi  comme  ce  qui  participe  de  la  vie,  et  après  avoir  parlé  de 
l'origine  des  dieux  immortels,  leur  fait  former  les  êtres  vivants 
et  mortels.  J'ai  bien  peine  à  croire  qu'.\ristole  ait  directement 
pris  à  pai'tie  Platon  pour  de  tels  passages  de  ses  écrits;  car  il 
s'occupe  évidemineut,  dans  ses  Tojiuiitrs,  de  fournir  des  armes 
|ioiu"  des  disputes  verbales,  non  pas  de  constituer  une  méthode 
critique  applicable  à  la  lecture  des  auteurs.  Son  te.xte  actuel  a 


ynlKS  sir,   MllSToTE  iiO 

d'ailleurs   une   lniirmire    siiii:,ulii'iL'  ;   il   [)t)uvuil    |iiiinilivciiii'nt 

En  iM'sunié,  les  Irdis  ciliilinus  (k"  l'ialon  dans  les  Toj)ii/iirs 
domt'in'cnt  suspcclt's.  Oiioiijuc  les  motifs  do  suspicion  ne 
soient  certainement  pas  absolument  décisifs,  ils  sont  assez  forts 
pour  que  l'on  ne  puisse  faire  élat  de  ces  citations,  par  exem- 
ple pour  y  relever  des  attaques  ap|)arentes.  et  tout  à  fa  il 
injustiliées,  contre  Platon. 

Mais  bien  d'autres  exemples  pouiraicnt  être  choisis  pour 
montrer  combien  le  texte  traditionnel  d'Aristote  est  peu  sûr 
quand  on  veut  en  tirer  des  déductions  précises  et  rigoureuses. 
Bien  entendu  ce  texte  n'est  pas  à  changer;  mais  la  critique 
purenuMil  pliijnlogique,  qui  ne  peut  y  apporter  désormais  que 
de  minimes  corrections,  est  hors  d'état  de  faire  remonter  la  tradi- 
tion au-delà  d'Andronicus,  et  dès  lors  le  texte  avait  certainement 
subi,  avec  de  nombreux  remaniements  dus  à  l'auteur  lui-même, 
des  interpolations  non  moins  fréquentes,  remontant  presque 
jusqu'à  lui,  et  qu'on  distingue  liieu  diflicilement  de  ces  rema- 
niements. 11  faudrait  donc,  p(iiii'  la  ((inimodité  de  l'iUade 
d'Aristote,  une  édition  indiquant,  pai-  des  dispositions  typogra- 
phiques, les  passages  suspects  à  divers  titres.  Cette  tâche  ne 
tentera-t-elle  pas  bienlùt  quelque  travailleur,  alors  que  l'utilité 
en  est  reconnue  par  quiconque  a  droit  de  se  prononcer  à  ce 
sujet? 

Quelque  temps  après  la  découverte  de  IWOï.votnov  -'v/-::^,  j'eus 
l'occasion,  alors  que  je  ne  l'avais  pas  encore  lue,  de  demander 
à  l'illustre  Hermann  Diels  ce  qu'il  pensait  de  son  authenticité, 
déjà  attaquée  :  "  C'est-à-dire  ■•,  me  répondit-il,  «  que  c'est  le 
<<  seul  ouvrage  authentique  d'Aristote  que  nous  possédions  «. 

Pail  TANNERY. 


LA  NOTION   DE  MIXTE 

rssAi  HisToiiinn-:  et  ciutiqh-: 


SKCO.MU-:   l'AliTIl-: 
De  la  révolution  chimique  jusqu'à  nos  jours     Snile  . 

VII.   i,i:s  isiiMi;iiii',s  1,1    i.\  SI  i:Ki:(ii;iii\n!:. 

Laissons  de  cnir  iclli'  jinrli'c  praliqnc  de  la  f'nrimile  di-vo- 
loppr-c  ;  aussi  liion,  sa  IV-cinidiU'-  se  manifeslo  avoc  un  si  vif 
(H-lal  ([u'il  serait  piiôril  de  s'atlardfr  à  la  prouver.  11  est  une 
autre  conséciuenro,  théorique  relle-ei.à  la(|iielle  eondiiit  la  nou- 
velle uolaliou,  et  e'est  sur  celle  eons(''«|m'iiei"  ([ui'  nous  voiuirions 
nuiinlenaul  insister. 

l)eux  nii-ps  jieiivenl  avoir  la  nièiue  lornnile  i)rnle  rt  des  l'or- 
niulcs  dr'\ciopp(''('s  dillei'eiites.  (le  seront  alors  deux  corps  dis- 
liiicls.  Iiien  que  de  même  conipositioii  :  pour  li's  idjlenir,  il 
faudra  ell'ectuer  des  réactions  diltercnte.-,  produire  des  suhsti- 
tulious  dillérentes  ;  de  tels  corps  sont  isoinirrs  l'un  de 
l'autre. 

L'isoiuéi-ie  entre  deux  corps  peut,  dle-nicnie,  être  de  deux 
espèces  dillérentes. 

Prenons  les  deux  corps  dont  les  fornuiles  développées  sont  : 

Il     I!  H  H 

Il  II 

11— c— c— 1:=;»  ,  i;— •;—(;— c— H. 

III  '     li     I 

Il     11     H  1!     U    H 


l.i-  priMiii<'r  r>(  (le  \  iih/ihi/ilf  jtiojininiijiif ,  le  -ri'uiiil  i'-.l 
y  acctonf . 

Soumettiiiis  \c  premier  à  \\w  action  nxytlante  ;  l'iiydroiiènc 
relié  à  Téquivalent  de  carlujiie  ([ni  [Hnle  iléjà  nn  ('(|nivalent 
(roxygène  va  (Mre  remplacé  par  le  i;ninpe  (tll  :  nons  (ililicndrons 
nu  corps  ayant  [ninr  Ini^ninie  dé\  i'l(i|i|i('i' 

il     II 
i       I 

II— (:—(:—(:=( I    : 

I  !     ! 

II  11   ()— Il 

ce  corps  renferme  le  groupe  OCnlJ  ijni  caractérise  les  acides 
organiques  ;  c'est  un  aciile.  Ynclih-  iiniji'Kiii'Kjw. 

Sounieltiins  de  même  lacétone  à  une  action  oxydante  ;  rien 
de  scmidal)le  ne  pourra  se  produire,  car  l'équivalent  de  car- 
lione  qui  ('■change  deux  valences  avec  loxygène  n'est  directe- 
ment uni  à  aucun  équivalent  d'hydrogène  ;  racét(3ne,  soumise  à 
une  action  oxydante,  se  dédouide  en  acide  acétique  et  acid(^ 
fbrmique. 

Voilà  une  première  l'orme  d'isomérie  ;  entre  les  deux  iso- 
mères, il  y  a  (liffrrciuc  de  fniulion  (hin.iipic  ;  placés  dans  des 
circonstances  analogues,  ils  donnent  lieu  à  des  réactions  ditle- 
rentes,  éprouvent  des  substitutiims  dillérentes. 

Il  est  un  cas  d'isomérie  tout  difl'érent  :  c'est  celui  où  les  deux 
composés,  formés  des  mêmes  éléments,  mais  rangés  d'une 
manière  différente,  peuvent  toujours  subir  des  substitutions 
semblables  ;  de  telle  sorte  que,  dans  des  conditions  chimiques 
analogues,  ces  deux  composés  donneront  lieu  à  des  réactions 
analogues  ;  mais  ces  réactions  analogues  ne  fourniront  pas 
des  produits  identiques;  elles  produiront  des  corps  qui  dif- 
féreront par  l'ensemble  de  leurs  propriétés  physiques,  qui 
seront  derechef  Isoinîrc^  comme  les  corps  qui  ont  sei'vi  fi  les 
former. 

[te  cette  isomérie  île  posilion,  les  dérivés  de  la  benzine  four- 
nissent, comme  l'a  montré  .M.  Kékul(\  des  exemples  saisis- 
sants. 

l^a  benzine,  dont  la  formule  brute  est  d'il',  est  formée  de  six 
équivalents   de   carbone   qiiadrivalenl    unis    à  six  équivalents 


i32 


P.   DLHEM 


(l'Iiydrogène    monovalent:  on  lui   (Jonne   pour  l'ormulo   déve- 
loppée : 

H 

r 


•\ 


C. 


ff 


H 


A  deux  équivalenls  d'iiydroiiène  substituons,  par  exemple, 
tleux  équivaloTils  de  ehlore.  Selon  la  manière  iloul  la  suhsti- 
lution  s'est  efl'eetuée,  nous  pouvons  être  eondiiits  à  altril)uer 
au  produit  ulileiui  l'une  ou  l'autre  des  trois  i'nrniules  : 


Ces  trois  formules  représentent  trois  (I'k  lilufiilirnzini's  dill'é- 
rentes,  que  les  chimistes  distinguent  par  les  prélixes  ortlio,para 
et  mrta  ;  ces  trois  dichlorobenzines  dilTèrent  entre  elles  par  leurs 
diverses  propriétés  physiques  :  densités,  points  de  fusion,  point 
d'ébuUition,  etc.  ;  mais  leurs  propriétés  chimiques  sont  sem- 
blables ;  placées  dans  des. conditions  analogues,  elles  subissent 
des  réactions  analogues  ;  par  exemple,  on  peut,  en  chacune 
d'elles,  substituer  aux  deux  équivalents  de  chlore  deux  groupes 
OH  et  obtenir  trois  dip/irno/s  isomères  entre  eux  ;  on  peut 
substituer  aux  deux  équivalenls  de  chlore  deux  groupes  AzO- 
ei  obtenir  trois  dinilrufip/izinrs  isomères  entre  elles.  Toutes  les 
fois  qu'à  deux  équivalents  d'hydrogène  de  la  benzine  on  sub- 


slihic  (l(Mi\  l'IiMiicnls  nii  (Iciix  i;i'(Hip('s  (rrlc'iiKMils  idoiiliqurs 
ciilri'  ('M\.  \r  |irii(luil  (le  «cHc  siilislilulii)n  ddiililo  so  présonle 
sdiis  lr(ii>  Inniics  isoni(M"i(|iics,  Ir-  rnrnics  milm,  jiara  cl  iiirla, 
olVnmt  ainsi  un  dos  rx('ni|)li's  les  plus  saisissanls  cl  les  mieux 
('■ludiés  di'  l'isoniérie  de  |)osi(i(in. 

D'après  les  principes  que  nous  venons  d(>  poser,  énnnu'rer 
tous  les  isomères  possibles  d'un  corps  dont  la  t'orniule  brûle  est 
donnée,  c'est  énumcrer  et  présenter  toutes  les  ii^urations  dis- 
lincles  (]ne  l'iui  peut  former  avec  un  nombi'c  déterminé  d'équi- 
valciils  (le  divers  cor[is  simples,  cliaçiiu  de  ces  corps  ayant  une 
valence  connue.  Celle  (|iieslioii  est  alors  un  simple  problème 
de  mathémaliqiies  el,  proprenu^nt,  de  cette  partie  des  matli(''- 
inaliques  (|(ic  Leibniz  a  uomnK'c  ii/ia/f/><is  si/i'is.  Les  succès  d(> 
cette  métbode  sont  un  des  plus  grands  lriomi)bes  de  la  nota- 
tion chimique  l'ondée  sur  la  notion  de  valence  ;  par-dessus  tout, 
ils  ont  conlriiiué  à  renverser  les  préventions  auxquelles  cette 
notation  s'était  loni^temps  heurtée. 

Malgré  sa  t'écondité,  chaque  jour  plus  étonnanle,  la  nota- 
lion  des  valences  rencontrait  une  catégorie  spéciale  d'isoméries 
(|u'elle  d(Mneurait  impuissanle  à  figurer. 

Prenons  un  lartrate,  le  tartrate  de  sodium  |)ar  exemple  ;  ce 
corps  présente  deux  variétés  ;  identiques  en  la  plupart  de  leurs 
propriétés  physiques  et  chimiques,  ces  deux  variétés  s'opposent 
netlemeiil  l'une  à  l'antre  par  im  certain  caractère  optique  :  si 
l'un  place  sur  le  trajet  d'un  rayon  de  lumière  polarisée  une 
cuve  conlenanl  une  diss(dulion  <le  la  première  vai-iété,  le  plan 
de  pdlarisalidH  du  ravon  loiu'ue,  autour  de  ce  i-ayon,  et  df 
ijaiii  hr  à  ilrnïlc,  d'un  certain  angle  ;  si  l'on  inlerc(qile  le  même 
rayoTi  par  la  même  cuve,  contenant  une  solution  égalcnu'iil 
(•(mcenln'e  de  la  seconde  variété,  le  plan  de  |)oiarisation  tourne 
encore  aubuir  du  rayon,  du  même  angle,  mais  dr  droite  <) 
(lUitclir  ;  les  dissolutions  des  deux  variétés  de  larlrale  de  sodium 
(mt  des  pouvoirs  rotatoires  égaux,  mais  de  sens  conli'aire  : 
la  pi'cmière  variété  est  le  larlrah'  dr.ii rot/ ///■/■  nu  larlrale 
dnii/  ;  la  secomb'  varic'b'-  esl  le  larlrale  /irroz/i/re  on  lai'lrale 
</,iiir/ii\ 

.    Le  larti'ale  d(^  sodium  droil  el  le  tartrah'  de  sodimn   gauche 
pcuvenl  Inns  deux  èlre  obtenus  sous  forme  crislaliiiH'  pai'  éva- 

••)7 


4:i4  1>.   DIIIKM 

porationdc  leurs  (lissnlulinns  r('s|)eclivcs  ;  les  crislaux  ilos  deux 
variélôs  olVront,  au  pi-cuiicr  almrd,  la  plus  i^iraudo  ressem- 
blance ;  si  eependanl.  comme  Ta  fait  Pasteur,  on  les  examine 
avec  soin,  on  ne  tarde  pas  à  reconnaître  qu'un  cristal  de  lar- 
trate  droit  n'allecte  jamais  la  forme  d'un  solide  superposable  à 
un  cristal  de  tartrate  gauche  :  les  facettes  ijui  limileni  les  cris- 
taux de  ces  deux  variétés  sont  tellement  agencées,  (|u'il  exisli' 
entre  les  deux  sortes  de  ci'istanx  exactenuMit  les  mêmes  rap- 
ports ([u'entre  la  main  (Imile  ri  la  main  gauclii'  :  un  ciislal  de 
tartrate  gauche  est  ideiili(|ue  à  l'image  d'un  cristal  de  tarlrale 
droit  vu  dans  un  miroir. 

|)c  ce  genre  d'isomiTie  (|ue  nons  pri'x'nlc  le  lai'Irate  de 
sodium,  on  rencdulie.  eu  eliimie  organi([U('.  de  nomhreux 
exemples. 

Or  la  seule  nnlidu  de  \alence  est  impuissante  à  re])résenter 
ce  genre  d'isumi  ries  ;  ilu  lailrale  de  sodium,  |)ar  exemple,  tdle 
ne  peu!  l'ciurnir  deux  foi-mules  développées  ditl'érenles  ;  par 
quelque  suhslitution  (|ue  l'on  parvienne  à  ce  corps,  les  équi- 
valents de  carhone,  d'oxygène,  d'hydrogène  et  de  sodium  se 
Innixent  toujours  en  même  nomliie  el  iclii's  entre  eux  de  la 
nu'un'  manière. 

.N<'  pourrai(-oii  suii>liluer  à  la  nn|;ili(in  riind(''e  sui'  la  seule 
iiiilinn  de  v,ileni-e  nue  niilalioii  |dn-  pai-faile.  plu-  |i('n(''li-ante, 
qui,  sans  rien  perdre  des  avantages  de  l'ancienne  notation  ferait 
correspondre  des  s(di(''mas  dilVéreuts  à  deux  isomères  doués  de 
pou\(iirs  riilaliiires  inverses,  à  ce  ([ue  l'on  nomme  frécjnemnienl 
deux  nitltimilc^  iijtlhjiif^  ?  (l'est  le  proldènie  qu'ahordèrent 
simultanément,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  .M.  I.e  \\v\  à  Paris  el 
M.  .1.   il.  Vaut  lloli  à    \mslerdam. 

Visildemenl  guidi's  par'  les  tra\aux  ciislallographiques  de 
i'asleui-,  ils  ciier(dièrent  à  construire  pour  idiacun  des  deux 
antipodes  optiques  des  syml)oles  de  constitution  tels  que  le 
svmliole  de  l'nu  lui  le  rellet  dans  un  miroir  du  symijole  de 
l'autre.  Pour  v  parvenir,  ils  ne  devaient  pins  se  contenter  des 
notions  employées  jusque-là  dans  l'établissement  des  formules 
de  constitution,  oi'i  la  nature  des  divers  éléments  et  les  valences 
(|n'ils  échangrul  entre  eux  étaient  seules  jirises  en  considéra- 
linn  :  laites,  en  l'Il'el.  rélli'ciiir  dans  un  niii'oir  une  des  anciennes 


I 


l..\    .MiJInS   m:    \ll.\ïl.  iV, 

furmiilcs  (le  ((institntiun  :  l'imaiic  cl  rolijcl  pivscnloronl  Ir- 
mrmcs  ('li'-nn'nls.  ('clianiiciuit  entre  eux  les  inènie>  liaisons  :  .in 
pdinl  lie  vue  (le  Vana/i/sis  si/iis,  la  lorniule  ilunnée  el  la  lni- 
nuilc  rélléchie  seront  identiques.  M. .Le  Bel  el  M.  Van't  lloll 
(levaient  donc,  de  toute  ntVessit(''.  aux  i4('Miienls  de  repn'senta- 
tion  empl<iV(''s  jiisiiue-là  el  eni|)i'unl(''s  à  ïa/ia/f/sis  si/ih, 
adjoindre  un  (diMnent  nouveau  enipniuli''  à  la  gc'ométrie  ;  c'est 
ce  qu'ils  lirenl. 

Au  lieu  de  repirsenter  les  (|ualre  valences  doiil  un  (■(juivalent 
(le  carbone  est  doué,  dans  la  plupart  de>  cnniliinaisons  ori;a- 
niques.  [)ar  quatre  traits  issus  d'un  point,  ils  convinrent  de  les 
repri^senter  par  quatre  traits  respectivement  issus  des  (lualrc 
sommets  d'un  trtraidfc. 

Dès.  lors,  on  voit  sans  peine  que  tout  corps  où  deux  au  moins 
des  valences  du  carbone  t(''tra('(lri(iue  seront  saturiH^s  par  des 
(:'léments  identiques  ou  des  groupes  d't'd(''nients  identiques,  sera 
représenté  par  un  schéma  exactement  superposable  à  son 
image  dans  vin  miroir  :  mais  il  n'en  sera  plus  de  m("'me  si  les 
quatre  valences  du  carbone  télraédrique'sont  saturées  par  quatre 
éléments  ou  groupes  d'éléments  ditVérents  ;  dans  ce  cas,  en  dis- 
posant convenablement  les  ligures  de  ces  quatre  éléments  ou 
groupes  d'éléments  aux  quatre  sommets  du  tétra/'dre.  on  obtien- 
<lra  deux  liguics  symétriques  l'une  de  l'autre,  mais  non  su|ier-- 
posables. 

Supposons,  par  exemple,  que  les  quatre  valences  d'un  (''qui- 
valent  de  carboné  soient  respectivement  saturées  par  un  équi- 
valent de  chacun  de  ces  quatre  corps  monovalents  :  hydrogène, 
lluor.  chlore,  brome  :  nous  avons  affaire  au  lluo-cbloro-bromo- 
métiume  ;  à  ce  composé,  l'aiicienne  notation  attribuait  la  ior- 
mule  développée 

11 

1 

Fl_(:_(:i 


(jui  ne  comporte  pas  d'isomère  :  la  notation  sli-n'-tK lùmiqv,  au 
contraire,  peut  représenter  également  ce  composé  par  deux  for- 


433 


i>.  ijrHi-:M 


mules  s\  ni(''liii[ucs,  mais  ikui  supcrinKalilcs,  i\n\  soiil  les  sui- 
VJinles  : 

H  H 


.Cl    Cl 


-\-Fl 


(los  deux  rdi'miilcs  siml  siiscciilililcs  de  ropiM'sonlcr  ilciix  aiili- 
jKiili's  n|ili(iii('s  ;  cl,  eu  ellel,  il  existe  deux  lluo-ehldro-ljnimo- 
iiK'l lianes,  doués  de  ])iPUVoirs  rolaloires  inverses. 

l/(!m])loi  d'un  synilude  lrlra(''dii([iie  |>(iur  icpiM'senter  le  ear- 
lionc  (|uadrivalenl  pernu'l  doTie,  dans  eeiiains  eas,  de  conslruii'e 
pour  deux  corps  de  même  composition,  de  même  eonstilulion 
i:himi(]ne,  deux  symboles  symétri(|ues  l'un  de  l'autre,  mais  non 
superposaldes.  Ce  jirocédé  l'uurnii-il  nue  représentation  satis- 
l'aisanle  do  ci>s  pluMionicucs  disonu-rie  où  les  deux  isomères, 
part'ailenient  senildaldes  d'ailleurs,  ont  des  pouvoirs  rotaloii'es 
i''t;aux,  mais  inverses?  Hépondic  al'lirmativemenl  à  celte  f(ues- 
li<iu,  c'est,  précisément,  étaMii'  les  deux  lois  suivantes  : 

I"  Toutes  les  l'ois  qu'un  composé  cliiiHicjuc  peut  se  pr'ésenter 
sous  deux  foi'mes,  antipodes  optiques  l'iuic  de  l'autre,  la  sté- 
réocliimie  peut  lii^urer  la  constitution  de  n-  coi'ps  par  deux 
schémas  symétriques,  mais  non  su|)ei'|>osaldes  ; 

2"  Toutes  les  fois  que  la  stéréocliimie  i-eprésente  la  consli- 
liilioii  d'un  iiir|is  par'  deux  schémas  symétriques,  mais  non 
supcrposables,  ce  corps  s(>  jtrésente  sous  deux  lornies  isomé- 
riques,  antipodes  opti(|ues  l'une  de  l'autre. 

La  vériticalion  de  la  iiremièir  loi  ne  ju'ésente  ^iière  de  dit'ii- 
cultés;  on  j)eut  dire  que  celle  vérilication  est  conleniporaine 
des  déluits  de  la  stéréochimie  ou,  |)lus  exactenuMit,  ([u'cdle  lui 
a  donné  naissance.  C'est  pai'ce  que  l'iui  peut  faire  coiTcspondre 
deux  schémas  symétriques  non  supei'posahles  à  chacun  des 
couples   d'antipodes   optiques   découverts   par   la    chimie,   que 


;.  1    Vn/7nV  DK    MIME  4S7 

M.  Le   licl   l'I    M.    \aii'l    llnlV  (iiil    |ni>i'    la   ^irTi'ixliiiiiic  comme 
llK'oric  générale. 

l'Iiis  (liflicilc,  mais  aussi  plus  prohante  pour  la  Ihéorio,  est 
la  vérilicalion  de  la  socomlc  loi;  el  octtc  vériticaliou  ellc-mèmo 
comprend  deux  parties. 

En  premier  lieu,  tout  corps  doué  de^)ouvoir  rotatoire  et,  par 
conséquont,  représenté  pai-  un  symbole  stéréochimique  non 
superposable  à  son  syméli'ique,  suppose  Texistence  d'un  second 
corps  ayant  précisément  pour  syniiiole  ce  symétrique  et.  |)ar 
conséquent,  antipode  optique  du  premiei-.  Si  donc  la  ciiimie 
nous  Cournil  un  corps  doué  de  pouvoir  rotatoire  et  iaisanl 
tourner  le  plan  de  polarisation  de  gauche  à  droite,  comme  le 
(/litcosv,  (|u'on  nomme  aussi  dr.rirosf,  elle  doit  nous  fournir 
l'ji'alement  un  corps,  isomère  du  précédent  et  faisant  tourner  le 
plan  de  polarisation  de  droite  à  gauclie;  tout  <A'./7yv>.*;^  suppose 
un  lii'iiiloyic ;  la  recherclie  de  Tantipode  optique  de  toute  sub- 
stance douée  de  pouvoir  lotaloire  doit,  tôt  ou  tard,  alioutir  : 
semblable  recherche  avait  déjà  été  entreprise  avec  succès  par 
Pasteur;  depuis  les  travaux  de  ce  grand  cristallographe,  elle 
est  parvenue  à  com|)léter  un  grand  nomiire  de  couples  d'anti- 
podes optiques. 

En  secoml  lieu,  tout  corps  don!  la  formule  de  constitution 
peut  prendre,  en  stéréochimie,  deux  dispositions  symétriques 
et  Jion  superposahles,  doit  être  doué  de  pouvoir  rotatoire  et 
présenter  deux  isonnu-es,  l'un  dextrogyre  et  l'autre  lo-vogvre. 
(tr,  il  arrive  fort  souvent  i|ue  la  réaction  où  naît  un  semblable 
loi-ps  ne  donne  nullement  une  substance  douée;  de  pouvoir 
rotatoire,  mais  une  substance  dénuée  de  ce  pouvoir  ou,  comme 
l'on  dit  volontiers,  une  substance  inaclive.  De  semblables  faits 
sont,  pour  la  théorie  stéréochimique,  de  graves  olyections  qu'il 
lui  faut  résoudre;  elle  y  parvient  avec  Ijonbeur,  en  s'aidant 
d'idées  créées  par  Pasteur. 

Il  peut  arriver  que  la  substance  inactive  en  apparence  soit, 
en  ri'alité,  un  nn'dange  en  proportions  égales  des  dc>u\  anti|)0(le-. 
oj)tiques:  en  éva]iorant  une  solution  d'une  semblaltle  substance, 
on  obtiendra  souvent  non  pas  une  seule  espèce  de  cristaux, 
mais  des  poids  égaux  île  deux  espèces  de  cristaux,  les  cristaux 
(l'une  espèce  é'tant  symétriques  des  cristaux  de  l'autre  espèce, 


4:)N  P.  Dllll-M 

mais  no  leur  (Hanl  juis  superposables  ;  il  sultira  ilo  trier  ces 
i-ristaux  de  manière  à  sépar(M-  l'une  de  l'aulre  li's  deux  espèces 
et  de  les  redissoudre  isolément  pour  oblenir  deux  dissolutions 
douées  de  pouvoir  rotatoire  et  optiquement  inverses  l'une  de- 
l'aulre. 

II  peni  airiver  aussi  que  la  sulislance  inaclive  idjlenue  soit 
une  cninliinaison  cliimi(jut>  (|ue  les  deux  antipodes -optiques 
clierchés  t'orment  par  leur  union  en  (juantités  égales;  dans  ce 
cas,  la  solution,  évaporée,  ne  donne  |)lus  deux  espèces  de  cris- 
taux ;  les  cristaux  obtenus  ont  tous  la  nu'uie  forme,  et  cette 
l'orme  est  identique  à  son  image  dan-s  un  miroir.  Pasteur  avait 
déj.à  montré  que  les  substances  inaclives  connues  sous  le  nom 
de  mcfhniilt's  résultaient  de  la  combinaison  d'un  tartrate  droit 
av(>c  une  ('gale  quantité  d'un  tartrate  gauche:  de  là  le  nom  de 
ciniihindisDii  nicriiiniiir  donné  au  corp-^  in.iclil'  qu'engendrent 
deux  anti|)odes  opticpu^s  en  se  c(unbiuant  à  masses  égales.  Dé- 
doubler en  leurs  deux  com])osants  optiquement  inverses  les 
substances  inactives  que  la  stéréochimie  conduit  à  regarder 
comme  des  combinaisons  racémiques,  tel  est  le  but  poursuivi 
pai-  les  tenants  de  la  nouvelle  doctrine:  leurs  elForts  vers  ce 
but  ont  été  |tersévérants  et  conduits  par  des  rniHliodes  extrô- 
nieuienl  iug(''nieuses  ;  très  souvent,  le  succès  a  couronné  ces 
ellorls.  Par  ces  succi's,  Ja  notation  slér(''ocliimi(iue  a  cou(|uis 
le  caractère  de  fécondité  qui,  seul,  justifie  pleinement  l'emploi 
d'un  symbolisme  scientili(|ue  :  non  seulement  elle  a  servi  <i 
i-lasser  méthodiquement  les  vérités  déjà  connues,  mais  encore 
elle  a  été  insti'uuKMit  de  d(''Convertes. 


\lll.  i.\   iMi:niiii:   MdMiijii;.  —  ciiriinii;  m-:  cirni-:   i  iikoiuk. 

Nous  venons  d'exposer  les  piincipes  fondamentaux  de  la 
(Chimie  moderne,  et  rien,  dans  cet  exposé,  n'a  fait  intervenir  les 
doctrines  des  atomistes,  soit  pour  les  conlirmer,  soit  pour  les 
(•(unbattre.  Des  lois  d'origine  expérimentale,  la  loi  de  la  con- 
servation de  la  masse,  la  loi. des  proportions  définies,  la  loi 
des  priqjortions  équivalentes  et  des  proportions  multiples,  ont 
été  mises  à  la  base  de  cette  science;  à  ces  lois,  se  sont  jointes 


;,.i  MtridS  /»/•;  \ii.\rE  i3'.> 

«•crliiinos  nuliniis  s('nilil;ililr>  à  celles  (jiic  I  on  Iroiivc  (l,ui>  les 
scioncos  naturelles,  la  noliun  Aanalof/ic  chlinicun-,  la  iioliuii  de 
sHbslitulion  chimi(/ur:  des  symboles,  numériques  ou  géomé- 
tri(|ues,  oui  permis  de  traduire  ees  notions  sous  une  forme 
saisissabh"  à  limaginalion,  jelanl  par  là  sur  la  elassilieation 
cliiuiique  une  admiralde  elarlé  ;  mais  rien  ne  nous  a  eonlraini 
(le  nous  prononcer  sur  la  nature  du  mixt(>,  de  elioisir  entre  les 
disciple>  (l"l']pieure  cl  les  partisans  d'Arislote. 

Il  n'en  faudrait  pas  conelurc  (|ue  ceux  dont  les  découvertes 
ont  créé  et  dévelo|)p(''  la  (Ihimie  moderne  aient  été  exempts  de 
tout  souci  touchant  les  doctrines  atomistiques. 

Sans  doute,  un  certain  nombre  de  chimistes,  et  non  des  moin- 
dres, se  sont  prndemuH'ut  tenus  à  l'écart  de  ces  doctriiu's  ; 
Jîicliter  ne  leur  a  fait  aucun  em|)runt,  et  c'est  plutôt  aux  ten- 
dances pytliagoriciennes  ([u'il  l'aiulrail  rapporter  ses  remarques 
sur  les  valeurs  numéricpies  des  masses  équivalentes,  remarques 
dont  l'esprit  se  retrouve  dans  certains  écrits  de  Dumas  et  sur- 
tout dans  les  travaux  de  Mendeleef.  D'autres,  parmi  les  créa- 
teurs de  la  science  chimique,  semident  éviter  avec  un  soin 
jaloux  toute  hypothèse  sur  la  nature  des  mixtes  et  ne  veulent 
rien  adnndtre  qui  ne  soit  exactement  tiré  de  l'expérience,  ^lais 
beaucoup  demandent  aux  iiypothèses  épicuriennes  d'interpréter 
les  lois  déjà  connues  ou  de  conduire  à  la  découverte  de  pi'in- 
cipes  nouveaux. 

Déjà,  en  17110,  Higgins  admettait  (jue  les  atomes  des  élé- 
ments qui  entrent  en  combinaison  ont  des  masses  lixes  et  se 
groupent  en  nombre  déterminé  pour  former  une  molécule  du 
composé  :  à  cette  conception  fondamentale,  il  mêlait,  il  est  vrai, 
plusieurs  hypothèses  inadmissibles,  laissant  ainsi  à  John  Dalton 
l'honneur  de  créer  la  théorie  atomique  moderne. 

La  théoi'ie  atomi(|ue  a-t-(dle  servi  de  guide  à  Dalton  et 
l'a-t-elle  conduit  à  la  découverte  de  la  loi  des  proportions  mul- 
tiples? Les  résultats  de  l'expérience  ont-ils,  au  contraire,  pré- 
cédé, dans  l'ordre  de  ses  recherches,  l'interprétation  hypothé- 
tique fournie  par  les  doctrines  épicuriennes?  Il  est  malaisé  de 
trancher  ce  dilemme  (1  l.  Ou'il  soit  d'ailleurs  résolu  dans  un 

(I)    Sur   l'histoire  des   travaux   de    Daltun,   vciir    .\d.   Wrnrz,   la   Tliôurie  iilo- 
iiiique.  pp.  Il  et  siiiv. 


440  V.  Dr  HEM 

sons  ou  dans  raulro,  la  pcnsrc  de  Dalton  n'en  dcniourc  pas 
moins  parfailonicnl  claire. 

Los  corps  simples  sont  formés  d' (liantes.  Les  alonics  d'un 
même  corps  simple  sont  tous  égaux  entre  eux;  ils  ont  tons 
même  masse.  Les  atomes  de  deux  corps  simples  différcnls  ont 
des  masses  dinerentes,  et  ces  masses  sont  entre  elles  comme 
les  équivalents  de  ces  corps  simples;  ainsi,  pour  les  divers 
corps  simples,  les  équivalents  mesurent  les  mn^srs  (tlnmtfjiifs 
i-X  l'on  peut  leur  attrilnier  cette  dénomination. 

Tout  corps  composé'  est  réductiMe  en  niuIrcKlm.  Les  molé- 
cules d'un  même  composé  sont  toutes  identiques  entre  elles  ; 
chacune  d'elles  est  formée  d'un  <'ertain  nomhre,  nécessaire- 
ment entier,  d'atomes  de  chacun  des  corps  simples  qui  concou- 
rent à  la  formation  du  comjtosé.  La  formule  chinii({ne  d'une 
comhinaison  exprime  simplement  (]uels  atomes  et  en  ([uel 
noinhre  sont  unis  en  une  nndécule  de  la  comhinaison.  Ainsi, 
dii-e  que  la  formule  de  l'acide  chlorhydrique  est  IICI,  c'est  dire 
que  la  molécule  d'acide  chlorhydrique  contient  un  atome  d'hy- 
<lrogène  et  un  atome  de  chlore:  dire  que  la  formule  de  l'eau 
est  IL(),  c'est  dire  que  la  molécule  d'eau  renferme  deux  atomes 
d'hydrogène  et  un  atome  d'oxygène.  La  similitude  de  deux  for- 
mules nv  i-eprésente  |)as  seulement  l'analogie  toute  subjective 
de  deux  composés  cliimiques  ;  elle  dénote  la  structure  sem- 
blahle  de  leui's  molécules,  source  objective  de  l'analogie  chi- 
mique. 

Telles  sont  les  idées  que  Dalton  émet  et  développe  de  1iS(K$ 
à  1808,  que  Thomson  et  Wollaston  font  pénétrer  dans  le  do- 
maine puldic.  Hieniôt,  on  les  retrouve  dans  une  foule  d'écrits 
touchant  la  chimie.  Amedeo  Avogadro  en  ISIIÎ.  Ampère  en 
181  i  les  adoptent;  aux  édilices,  caractéristiques  de  chaque 
composé,  que  forment  les  atomes  élémentaires  de  ce  composé, 
ils  donnent  le  nom  de  molrcuirs  inlrf/rdxlrs,  déjà  em|)loyé  par 
llaiiy  pour  désigner  les  solides  dont  le  groupement  constitue 
un  cristal  ;  et  ils  enseignent  qu'à  la  même  température  et  sous 
la  même  pression,  l'unité  de  volume  de  tous  les  gaz  renferme 
te  même  nombre  de  molécules  intégrantes;  telle  est  la  forme 
sous  laquelle  se  trouve  d'abord  énoncée  la  loi  qui  joue  un  si 
grand  rôle  dans  la  lixalion  des  formules  chimiques. 


;..!  vot/my  /);•;  mime  'H 

L\''(lilici'  ([uo  fornu'ul  lf>  aloiUL's  «le  divers  (■or|)>  ^iiii|ilr- 
lorsqu'on  s'unissant  ils  cngemlrent  une  niDléculi'  il'un  corps 
composé  est  identique  à  la  molécule  intégrante  dont  la  répé- 
tition  produit  un  cristal:  dès  lors,  des  édilices  semblables,  qui 
caractérisent  des  composés  analogues,  doivent  former  des  cris- 
taux semblables.  .Vinsi.  aux  bypothèses  précédentes  se  relie 
très  naturellement  la  loi  de  l'isomorpliisme  ;  el  c'est  bien  de 
la  sorte  que  Mitscberlicb  comprend  le  grand  princii)e  dont  il 
enrichit  la  science  chimique,  témoin  l'énoncé  qu'il  en  donne  : 
«  Le  même  nombre  d'atomes,  combinés  de  la  même  manière, 
produisent  la  même  forme  cristalline  ;  et  celte  même  forme 
cristalline  est  indépendante  de  la  nature  chimique  des  atomes 
et  n'est  déterminée  (|iie  [lar  le  nouilu-e  el  la  ji(i>ilioii  ndative 
des  atomes.  " 

Toutes  les  notions,  tous  les  principes  qui  contribuent  à  lixer 
la  fonttiiU'  hrutf  d'un  composé  chimique  trouvent  leur  inter- 
prétation en  la  théorie  atomique  ;  il  en  est  de  même  de  la 
notion  de  valence,  fondement  de  \a  formule  ilérelopp('e. 

Chaque  atome  possède  une  ou  plusieurs  rt/o/»/f/Mv;  l'atomi- 
vité.  c'est  ce  par  quoi  un  atome  peut  s'attacher  à  un  autre 
atome;  ou,  plutôt,  pour  que  deux  atmiies  s'unissent,  il  faut 
■qu'un  certain  nombre  d'atomicités  du  premier  et  un  nombre 
égal  d'atomicités  du  second  se  joignent  chacune  à  chacune. 

11  est  des  atomes  qui  ne  possèdent  qu'une  atomicité  :  ce  sont 
les  atomes  du  chlore,  du  brome,  de  l'iode,  de  l'hydrogène,  du 
potassium,  etc.  ;  chacun  de  ces  atomes  ne  peut  évidemment 
s'unir  qu'avec  un  seul  atome  de  la  même  classe  ;  lorsqu'une 
pareille  union  s'est  effectuée  par  la  soudure  de  l'atomicité 
unique  de  l'un  de  ces  atomes  à  l'atomicité  unique  de  l'autre, 
«es  deux  atomes  ne  présentent  plus  aucune  atomicité  libre  : 
ils  sont  satiirrs. 

11  est  des  atomes  qui  possèdent  deux  atomicités  :  l'oxygène, 
le  calcium  sont  dans  ce  cas;  l'atome  d'oxygène  pourra  s'unir  à 
deux  atomes  d'hydrogène,  dont  chacun,  par  son  atomicité 
unique,  viendra  saturer  une  des  atomicités  de  l'atome  d'o.\y- 
gène;  l'atome  de  calcium  pourra  se  combiner  avec  deux  atomes 
de  chlore:  ainsi  se  formeront  l'eau.  \r  elilorure  de  calcium.  Mais 
un  atimie  d'oxygène  se  combinera  avec  un  seul  atome  de  cal- 


442  P.  DLHEM 

(inni,  car  clmmin  il'ovix,  ayant  deux  alomicilrs  à  saliircr,  aura 
besoin  |i<>iir  Ini  seul  des  deux  atomicités  de  l'autre. 

Lorsqu'un  atome  d'hydrogène  se  trouve  dans  un  corps  com- 
posé, son  atomicité  unique  sature  une  des  atomicités  du  reste 
du  composé;  le  chlore  qui,  lui  aussi,  présente  une  seule  atomi- 
cité, sera  également  apte  à  saturer  cette  atomicité  unique  en 
se  saturant  lui-même;  un  atome  de  chlore  et  un  atonie  d'hydro- 
gène pourront  donc,  dans  un  même  édilice  nndéculaire,  se 
substituer  l'un  à  l'autre. 

Au  contraire,  pour  (ju'un  atome  d'oxygène,  qui  possède  deux 
atomit'ités  à  saturer,  puisse  se  placer  dans  un  éditice  molécu- 
laire, il  faudra  que  la  partie  de  l'édiiice  qui  disparaît  pour  lui 
faire  place  laisse  libres  deux  atomicités;  pour  que  cette  intro- 
duction d'un  atome  d'oxygène  devienne  possible,  il  ne  suffirait 
pas  d'enlever  à  l'édiiice  moléculaire  un  seul  atome  d'hydro- 
gène ou  un  seul  alome  de  ciilore;  cette  opération  ne  dégagerait 
qu'une  seule  atomicité;  il  faudra  enlever  deux  atomes  d'hydro- 
gène ou  deux  atomes  de  chlore;  l'oxygène  possède  donc  cette 
propriété  qu'un  seul  de  ses  atomes  se  substitue  ît  deux  atomes 
d'hydrogène  ou  à  deux  atomes  de  chlore. 

Ces  exemples  suffisent  à  montrer  comment,  dans  la  théorie  de 
la  constitution  alnniique  de  la  matière,  on  rend  compte  des 
|>hénoinènes  de  sulistitulioii.  Ce  t\Ui'  iums  avons  appelé  imm/irr 
(If  rdlfiitrs  d'un  ('dc'Uient,  c'est  le  nuiiibrr  (l'dtoiiùiilrs  que  pos- 
sède l'atome  do  ce  corps  élémentaire;  les  traits  qui,  dans  nos 
formules  développées,  représentaient  les  valences  échangées, 
représentent  en  réalité  comment  se  saturent  deux  à  deux  les 
atomicités  des  divers  atomes  groupés  dans  la  molécule. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  est  très  général  ;  nous  avons 
parlé  des  atomicités  que  possède  un  atome  sans  préciser  la 
nature  inlimi'  de  ces  atomicités;  il  est,  en  elfet,  plus  aisé  de 
décrire  comment  l'I^colc  atomislique  fait  intervenir  l'atomicité 
dans  les  phénomènes  de  substitution  que  de  marquer  comment 
elle  explique  cette  propriété  singulière  de  l'atome;  la  plupart 
des  chimistes  de  cette  Ecole  évitent  de  se  prononcer  sur  la 
nature  de  ce  je  ne  sais  quoi  qui  soude  deux  atomes  l'un  à 
l'autre  et  qui  a  peut-être  le  défaut  de  trop  ressembler  aux  clas- 
siques crochets  dont  Lucrèce  arme  ses  corpuscules. 


M    MiTItiy   ni:    MIXTE  ii-j 

Oiiflqucs  |iliysi(irii>.  ic|)ciidaiil,  n'oiil  |)uiiil  iinitr  celle.  |irii- 
denlo  réserve ,el  on!  leiile  de  dire  en  quoi  consistait  ratomicilé. 
I>e  P.  A.  Leray  rej^arde  les  atomes  comme  des  polyèdi-es  et  rato- 
micilé qu'ils  [)ossèdent  est  en  relation  avec  les  facettes  qui  les 
terminent.  Dévidupiianl  les  idées  de  lord  Kelvin,  .M.  .I.-.I.  Tliom- 
son  admel  (jue  ie^  atnmes  sont  des  <iiuii-iii(.i-l(ji(rhill(nis,  nés 
au  sein  d'un  lluide  piiil'ail.  Vi'lhrr ;\c^  nceuds  j)ar  lesquels  ces 
anneaux  peuveul  s'enlacer  les  uns  aux  autres  dill'èrent  selon  la 
lijiure,  simple  ou  cnmpliquce,de  ces  anneaux  ;  de  là  les  diverses 
atcimicités  que  peuvent  présenter  les  atomes  des  éléments 
chimiques.  Toutes  ces  hypothèses  uni  un  caractère  commun 
et,  semhle-t-il,  inévitable;  c'est  à  la  forme  de  l'atonie  qu'(dles 
attribuent  l'atoniiiili'. 

d'est  encore  à  la  l'i)rme  de  l'atome  que  l'on  allriiniera  le  pou- 
voir rolatoire  si  l'on  veut  interpréter  la  stéréociiimie  selon  les 
doctrines  atomiques:  on  regardera  l'atome  de  carbone  comme 
ayant  la  forme  téli'a('dri(jue  ou,  tout  au  moins,  comme  ju'i'sen- 
tant  les  mêmes  éléments  de  symétrie  qu'un  tétraèdre. 

11  semble  donc  que  la  chimie  moderne  possède  des  méthodes 
sûres  et  fécondes  qui  lui  permettent  d'analyser  la  structure  des 
molécules  chimiques,  l'agencement  des  atomes  an  sein  de  ces 
molécules  et  la  ligure  même  de  ces  atomes,  n  (Test  la  voie 
dans  laquelle  la  (Ihimie  est  entrée  récemment  1 1  j,  et  combien 
ont  été  rapides  les  ])rogi-ès  accomplis  dans  cette  direction  dejuiis 
une  vingtaine  d'années!  que  d'obscurités  dissipées  dans  ce  pro- 
blème ardu  de  la  structure  intime  des  molécules  chimiques, 
problème  que  (ierhardl  avait  déclaré  inabordable  I  » 

Triomphe  prématuré  I  Les  symboles  qu'emploie  la  Chimie 
modern(\  formule  lu'ute.  formule  développée,  formule  stéréo- 
chimique,  sont  des  instruments  précieux  de  classiiication  et  de 
découverte  tant  qu'on  les  regarde  siMilement  C(mime  les  élé- 
ments d'un  langage,  d'une  notation,  propre  à  traduire  aux 
yeux,  sous  une  forme  particulièrement  saisissante  et  précise, 
les  notions  de  composés  analogues,  de  corps  dérivés  les  uns 
des  autres,  d'antipodes  optiques.  Lorsqu'on  veut,  an  contraire, 
les  regarder  comme  un  reflet,  comme  une  esquisse  de  la  struc- 

(1;  Ad.  WriiT/.   Lu   Théorie  utninique.   p.   I8!(. 


!14  P.  DIHEM 

turc  (lo  la  molécule,  de  l'agencemenl  des  atomes  entre  eux,  de 
la  ligure  de  chacun  d'eux,  on  se  iieurte  liienlùt  à  d  insoluides 
contradictions. 

Examinons,  par  exemple,  les  diflicultés  auxquelles  on  se 
heurte  lorsqu'on  cherche  à  substituer  à  la  notion  de  valence  la 
notion  d'atomicité  envisagée  comme  une  propriéti'  intrinsèque 
de  l'atome,  comme  une  conséquence  de  sa  ligure. 

Le  nombre  de  valences  que  possède  un  élément  donné  dans 
une  combinaison  donnée  est  im  nombre  bien  délini  :  ainsi  le 
clilore,  le  brome  et  l'iode  sont  tmivalents  dans  les  acides  chloi- 
bydriqiu'.  bromiiydrique.  iodhydriqiii' ;  l'oxygène  est  bivalent 
dans  l'eau;  l'azote  est  Irivalmt  dans  l'ammoniaque:  le  carbone 
est  quadrivalent  dans  le  uitHliane.  Mais  il  n'en  faut  pas  con- 
clure que  le  nombre  des  valences  d'un  élément  soit  un  nombre 
entièrement  (létermin(',  d'une  manière  absidue,  abstraction 
laite  de  la  combinaison  dans  laquelle  cet  élément  est  engagé 
el  de  la  manière  dont  il  s'y  trouve  engagé.  Le  nombre  des 
valences  d'un  élément  peut  varier  selon  que  cet  élément  fait 
partie  d  une  combinaison  ou  d'une  autre;  le  carbone,  quadri- 
valent dans  le  nnUliane  ou  le  gaz  carbonique,  est  bivalent  dans 
l'oxyde  de  carbone;  l'azote,  trivaleut  dans  lainmoniaque,  est 
quintivalent  dans  l'iodure  d'ammonium.  Il  \  a  plus;  lorsque 
deux  é(|uivalents  d'un  même  élément  ligurent  dans  uni»  même 
i'ombinaison.,  ils  v  peuvent  figurer  avt>c  un  nombre  de  valences 
ilillérent;  dans  l'azotite  d'ammonium,  l'équivalent  d'azote  qui 
provient  de  l'ammonium  est  quintivalent  et  celui  qui  provient 
de  l'acide  nitreux  est  trivaleut;  l'éthylcarbylamine  renferme 
deux  é(|uivaients  de  (-arbone  quadrivalents  et  uti  équi\alenl  de 
carbone  qui  présente  seulement  deux  valences. 

Cette  variation  du  nombre  des  valences  d'un  élénn-nt  avec  la 
comliinaison  dans  laquelle  il  se  trouve  engagé  est  donc  un  fait 
indéniable.  Elle  n'est  pas  sans  embarrasser  quelque  peu  le> 
chimistes  qui  veulent  envisager  la  valence  ou  l'atomicili' 
comme  une  propriété  éléuKMitaire  de  l'atome. 

Prenons,  par  exemple,  l'atome  d'azote;  il  iloil.  selon  les  cir- 
<'onstances,  se  montrer  trivaleut  ou  quintivalent.  Huelie  que 
soit  donc  l'interprétation  que  l'on  voudra  donner  de  la  valence 
ou   atomicit('',  on  devi-a  en  tous  cas  adinettn'  que   l'azote  pré- 


;.  1  .V'/v;n,v  /)/•:  u/.vre  /.w 

seule  Imil  il'ahiirtl  licis  aluiiiicilés ,  que  lions  iKimniei'diis  ^//o- 
)iii('i/i'-s  ilr  iirriiiirr  iirdrf,  (>l  qui  Sont  colles  oi'i  vieiHieiil  se  lixor 
les  trois  aliimes  (l'Iiyilrojiène  de  l'animonifique  ;  puis.  (|u'il  pré- 
stMile  deux  aulres  aliiiuiciti's,  t|ue  nous  nomniei'dus  (iluniii  iliis 
(II-  sf'cont/  itri/rr,  el  (|ui  soni  celles  où  vieuiieiil  se  lixcr  les  élé- 
ments de  l'acide  iodiiydi'i(|ue  dans  la  CofUialiou  de  l'iodiiii' 
d'ammonium. 

I  ne  aloniicil(''  du  S(N'ond  ordre  de  lalome  d  a/ole  ne  |)ourra 
jias  être  due  à  la  inèine  cause,  a!;;issaiil  de  la  uiènuî  manière 
l't  dans  les  mêmes  |ii'o|iorlions,  qu'une  aloniicilé  du  premier 
ordre.  I'>ii  ell'el.  s'il  eu  (Hait  ainsi,  si  les  cinq  alomicités  élaienl 
absolnmeiil  ideiilitjucs  entre  elles,  les  raisons  de  symétrie  ren- 
draient alisurde  l'existence  de  composés,  tels  que  l'ammonia- 
que, où  trois  de  ces  atomicités  seraient  satisfaites  tandis  (|ue 
les  deux  autr(!s  seraient  lilires.  Nous  devons  donc  admet li-e 
(|u'entre  une  atomicité  de  premier  ordre  de  l'atome  d'a/ole  e| 
une  atomicité  de  second  ordre  du  même  atome,  il  (^xiste  une 
dilVérence  esseutielh',  quelles  ([lu'  soient  d'ailleurs  l'oritiine  el 
la  nature  de  celte  ditVérence. 

(Jr,  cette  distinction  essentielle  <[U(>  nous  somnn^s  obligés 
d'établir  enli'c  les  atomicités  du  premier  ordre  et  les  atomicités 
<lu  second  ordre,  dès  là  que  nous  viuilons  regarder  ces  ato- 
micités comme  des  pio|iri(''tés  intrinsèques  de  l'atiune  d'a/ote, 
i-ette  distinction  est-elle  admissible? 

i'renons  de  ['('tbylamiiu' ;  dans  cecorps,  le  gimipe  é'tlnle 
Ç-fP  est  lixé  h  une  at(unicité  de  premier  ordr(^  de  l'atome 
d'azote;  combinons  celte  suijstance  avec  de  l'acide  iodliydri(|ue, 
dont  les  éléments  iront  se  tixer  aux  atomicités  de  second  ordre: 
nous  obtiendrons  l'iodure  d'élhylammonium. 

Prenons  maintenant  di'  rammoniatiue,  dans  laquelle  les 
trois  atomicités  du  premier  ordre  de  l'azote  sont  saturées  jtar 
trois  atonu's  d'hyilrogène  ;  combinons-la  avec  l'iodure  d'élbyb^  ; 
l'iode  va  salurer  une  des  almnicilés  de  second  ordi'e  et  l'cdliyte 
se  tixera  à  l'autre  ;  nous  obtiiMnIi-ons  ainsi  un  cor[>s  dont  la 
i-omposition  sera  la  même  que  celle  du  précédcnl. 

(-es  deux  corps,  de  même  composition,  sont  formés  d'une 
manière  dill'érente;  dans  l'un,  le  groupe  étiiyle  est  lixé  à  une 
atomiciti'  de  premier  ordre;  dans  l'aulre,  il  est  lix(''  à  une  alo- 


4i<i  P.  1JLHE.M 

niicilé  (11'  seciiiid  (inlre:  puis  tlonc  que  ces  doux  at<.miiiiU''s 
d'ordre  dilTérent  ne  peuvent  être  identiques,  les  deux  composés 
ne  peuvent,  non  plus,  être  identiques;  les  deux  réactions  que 
nous  avons  décrites  doivent  donner  deux  iodures  d'étin  laninio- 
nium  isomères  l'un  de  l'aulre. 

(  tr,  l'expérience  montre  (jue  les  produits  de  ces  réactions 
sont  non  pas  deux  isomères  dilTérenls,  mais  un  seul  et  même 
corps. 

(,es  laits  de  ce  jjenre  —  cl  ils  sont  nombreux  —  sont  diflici- 
lenient  ex|)licables  si  l'on  veut  jcgarder  les  atomes  isolés 
comme  possédant  vm  nomiii'e  déterminé  d'atomicités,  (juellc 
(|ue  soit  d'ailleurs  la  propriété  de  ces  atnmes  |)ar  la(|uclle  on 
cherche  à  ex|ili(|uci- 1 es  alumicilé-s. 

A  ces  ohjcclioiis.  il  est  vrai,  uiu^  réponse  a  l'ii'  laite  qu'il 
iinu>  l'aul  dixiilcr:  elle  consiste  à  nier  (|ue  le  nomlire  des 
valences  d'un  élément  puisse  varier  selon  le  comjtosé  où  cet  élé- 
ment se  trouve  eiif^agé  :  et  voici  comment  plusieurs  chimistes 
rormulenl  cette  négation  : 

l.e  iiomlirc  des  valences  d'un  élément  donné  est  rigoureuse- 
ment in\arialile:  l'atome  d'azote,  par  exem|)le.  possède  tou- 
jours ciii(|  aloniicités  éqiiivaleutes  entre  elles;  l'atome  de  carr 
Itonc  en  |iossède  toujours  (|iialn'. 

Chacune  de  ces  atomicités  peut  être  saturée  par  une  atomi- 
cité empruntée  à  un  autre  atome;  ainsi,  dans  l'iodure  d'ammo- 
nium, les  cinq  atomicités  de  l'atome  d'a/ole  sont  saturées  par 
(•in(|  atomicités  empruntées  à  (|iuvtre  aloriies  d'hydrogène  et  à 
un  atonie  d'iode;  dans  le  gaz  carhonique,  les  quatre  atomicités 
<\u  carhone  sont  saturées  par  leur  union  avec  deux  alonu-s 
diatoniiques  dow^èue  ;  dans  ces  conditions,  l'azote  nous  appa- 
raît penlalomi(iue,  le  carhoiie  tétraloiniqu(\ 

^lais  une  atomicité,  appartenant  à  un  atome  donné,  peut  éga- 
lement être  saturée  par  une  autre  atomicité  appartenant  au 
même  atome;  ces  deux  atomicités,  se  saturant  l'une  l'autre, 
deviennent  inactives  dans  les  diverses  réactions  auxcjuelles 
l'atome  prend  part,  et  celui-ci  semble  oHrir  deux  atomicités  de 
moins  qu'il  n'en  possède  en  rénlit''.  Ainsi,  dans  l'ammoniaque, 
deux  atomicités  de  l'atome  d'azote  se  saturent  l'une  l'autre  et 
latome  ne  dispdse  plus  (|ue  de  trois  atomicités  auxquelles  se 


LA  .\nriiiy  DE  \ii.\ri-:  1.47 

lixciil  Irnis  iiloiucs  d'iiv  ilnior.nc  :  ou  sorlo  que,  daiis  rammo- 
iiia(]iu'.  l'aznlt'  jHindl  IrialiMiiiiiiic  |)aii^  l'oxyilo  de  carboiu", 
deux  atoniieilés  de  l'aloine  île  carliinie  s'iinisseiil  l'une  à  l'autre, 
ol  l'oxyiiène  ne  [leul  plus  salurer  (|iie  deux  alouiicilés  de  l'alome 
de  earixnie.  (|ui  srmlilr  dialniui([ui'. 

Ainsi  le  luifuljre  de  valeuces  d'un  élémeul,  lixe  eu  réalité, 
osl  variaMe  eu  apparence:  mais  dans  ses  variations  aj>pareules, 
il  augmente  ou  diminue  toujours  de  deux  ou  d'un  mulli|)le  de 
deux,  en  sorte  qu'un  élément  donné  |irésiMite  nu  nombre  appa- 
rent de  valenees  qui  est  variaijle  selon  le  eom|iosé  où  cet  élé- 
ment se  trouve  euiiagé,  mais  qui  est  soit  toujours  pair,  soit 
toujours  imjiair.  l.'azot(^  doit,  stdon  ci'  s\stènn',  ollVir  toujours 
un  nombre  impair  de  valenct's  :  le  nnnibn^  apparent  de  \alenees 
<hi  carbone  doit  être  toujours  paii'. 

Après  un  examen  superticiel  du  <lomaine  chimique,  cette 
règle  semble  conlirmée  par  les  faits  :  <i  Pour  les  éléments,  dit 
Wiirtz  (I),  les  changements  dans  la  capacité  de  saturati(ui, 
«'est-iVdire  la  progression  de  l'atomicité,  (^t  lieu  le  plus  souvent 
<rapi'ès   deux    modes    dilVi'renls .    lautril    suivant    la    série    des 

nombres  pairs,  tantôt  suivant  la  série  des  nombres  impairs 

Cette  distinctiiHi  entre  les  élénu'nts  d'atomicité  paire  et  les 
éléments  d'atomicité  impairi>  n'est  pas  sans  im|)orlance,  au 
moins  pour  quelques-uns...  Mais  il  l'aut  ajouter  t|ue  cette  r'ègle 
soufTre  des  excei)tions.   >■ 

nm^lques-unes  de  ces  exceptions  sont  des  mieux  caracté- 
risées. 

Les  travaux  de  Marignac  ont  mis  en  évidence  risonn)rphismo 
des  tluoxytungslates  avec  les  tluotungstales  :  or,  les  premiers 
composés  dérivent  des  seconds  par  substitution  duu  seul  équi- 
valent d'oxygène  à  un  seul  équivalent  de  tluor  :  les  valences 
que  saturait  cet  équivalent  île  lluor  avant  la  substitution, 
doivent  être  saturées,  après  la  sui^stitutimi,  [lar  l'équivalent 
<roxygène  :  ((uuiuent  conrilicr  cette  proposition  incontestable 
avec  l'iiypotitèse  pn'cédeute  (|ui  attribue  au  lluor  un  nomiire  de 
valences  toujours  impair  et  à  l'oxygène  un  nomlu'c  de  valences 
toujours  pair? 

Il  .Ail.  \Vi  u  rz.  Lu  Tliéorif  iiioihiijiii',  p.   I.So. 


448  l>-  ItlHEM 

D"accoril  avoc  toutes  les  analogiescliiiniqiios,  la  loi  dAvojiadro 
et  d'Ampère  exige  que  l'on  attribue  à  l'oxyde  azotique  la  formule 
AzO  ;  un  seul  équivalent  d'azote  y  est  uni  à  un  seul  équivalent 
d'oxygène;  forcément,  dans  ce  composé,  le  nomlire  apparent  de 
valences  est  le  même  pour  l'azote  et  l'oxygène  ;  or  l'hypothèse 
précédente  exigerait  que  l'azote  ait  un  nombre  impair  et  l'oxy- 
gène im  nomiu'e  pair  de  valences. 

(  In  pourrait  multiplier  les  exemples  de  composés  qui  écluippent 
à  la  règle  en  discussion  :  »  Le  chlore  (I),  quadrivalent  dans  le 
perovxde  CM)-,  est  ([uintivalent  dans  l'acide  chlorique  Cl()-((tH). 
Le  manganèse,  iiivab^ni  dans  Mnlll"  et  dans  MnO,  sexvalent 
dans  le  manganate  de  potassium  MnO-(OK)-,  est  septivalentdans 
le  permanganate  .Mn()'(OKi.  Le  tungstène,  quintivalent  dans  le 
penlachlorure  \V(^1',  est  sexvalent  dans  Ihexachlorure  WCd". 
L'uranium,  iiivalent  dans  le  bichlorure  UCP.  est  trivalent  dans 
le  chlorure  d'uranyle  lOCl,  quintivalent  dans  le  pentachlorure 
ICI'.  Le  vanadium,  trivalent  dans  le  trichlorure  Va(U',  est 
qiUHJi'ivalenl  dans  le  bichlorure  de  vanadyle  VaOCd-  et  quinti- 
valent dans  le  Iriclilorure  de  vanadyle  VaOCl'.  » 

La  théorie  selon  la(|uelle  (  lia(|ue  atome  jiossède  des  atomicités 
en  nt)mbi"e  invariable,  mais  capables  de  se  saturer  eulrc  (dli's, 
est  donc  en  désaccord  flagrant  avec  les  faits. 

Ainsi,  la  notation  <liimique  moderne,  fondée  sur  la  notion  de 
valence,  et  si  im|)ropi'ement  nommée  iiDlalion  (iIdiiikhh',  se 
montre  admiriibb'  in^liaiment  de  classilicalion  et  de  décimvertes 
(aul  (|u  lin  \  cherche  seiileninil  une  rc|)r(''sen(alion  liguri''<',  un 
^ilit'ma  des  idées  iliverses  qui  ont  trait  à  la  subslilulion  chi- 
mique; mais  lorsqu'on  y  cherche  une  image  de  ragencement 
des  atomes  et  de  la  structure  (l(>s  molécules,  on  ne  rencontre 
plus  de  toutes  paiis  qu'obscurité,  incohérence  et  contradiction. 

En  cet  immens(*  édifice,  qui  est  la  (Ihimie  moderne,  et  à  la 
construction  duquel  les  hypothèses  épicuriennes  ont  pris  une 
si  grande  i)art,  ne  reste-l-ii  doiu-  rien  (|ui  puisse  servii'  à  étayer 
c<'S  hypothèses  .'  Aux  doctrines  afomistiques,  il  reste  un  fonde- 
ment dont  il  ne  faut  ni  nu'counailre  l'existence,  ni  exagérer  la 
solidité,  et  ce  fondement,  c'est  la  loi  des  proportions  multiples. 

(1/  .\d.  VVuBï/,  Lu  i'Iii'Oiie  '_t>"nii'/i(e,  p.  ISS. 


;,  l   \(n'li)\  liK  MIXTE  44!» 

Dans  l'actHylèno,  I  grammo  d'hydrogèno  est  combiné  avec 
12  j;ramni('s  de  <-arl)(>ne  ;  toutes  les  t'ois  qu'un  composé  renfer- 
mera de  riiydrogène  et  du  carI)one,  les  masses  de  ces  deux 
corps-qui  y  entreront -aeron't  entre  elles  comme  ii  et  m  X  1^. 
»i  et  /;  étant  deux  nombres  entiers;  ou  bien  encore,  dans  tout 
composé  chimique  qui  renferme  du  carbone  et  de  l'hydrogène, 
la  masse  du  premier  corps  est  ù  la  masse  dn  second  dans  un 
rapport  qui  peut  s'écrÏTe  12  X  "\  ,  ",',  t'tîint  un  nombre  commni- 
siirahl.r.  Tel  es!  l'onseignemenl  de  la  loi  des  jiroportions  mul- 
tiples. 

Au  lem|)s  de  Dolton,  on  aurait,  à  l'énonci'  préciMliMil,  joinl  la 
condition  que  les  deux  iinmbres  entiers  m  cl  ii  soient  d(Hix 
nombres  simples;  cette  restriction  ne  serait  plus  de  mise  aujour- 
d'hui OH,  dans  un  corps  tel  que  l'hydrure  de  cétyle,  les  chi- 
mistes adribuent  aux  nombres  m  et  //  les  valeurs  ;»=!(>, 
n=34. 

(Juel  est  donc  le  seais  exact  de  la  vérité  (|ue  nous  venons 
d'énoncer?  Est-ce  une  vérité  qui,  par  induction,  se  tire  des  faits 
d'expérience?  11  est  aisé  de  démontrer  qu'une  telle  loi  n'est  pas 
et  ne  peut  pas  être  vérihée  par  l'expérience  ;  qu'il  est  et  qu'il 
sera  toujours  absurde  d'en  demander  la  vérification  à  la  mé- 
thode expéri  men  taie . 

Le  propre  de  la  méthode  expérimentale,  c'est  d'avoir  une  sen- 
sibilité de  jour  en  jour  plus  aiguisée,  mais  toujours  limitée  ;  de 
fournir  des  renseignements  alïectés  d'une  erreur  qui  va  dimi- 
nuanl  sans  cesse,  mais  qui  n'est  jamais  nulle,  .\ucune  méthode 
de  mesure  ne  donne  l'exacte  valeur  de  la  gi'andeurà  mesurer, 
mais  seuleineni  deux  limites  entre  lesquelles  cette  valeur  est 
certainement  (^om[)rise.  Aucun  procédé  d'analyse  chimique,  si 
subtil  qu'on  le  suppose,  ne  nous  peut  donner  l'exact  rapport 
entre  la  masse  du  carbone  et  la  masse  de  l'hydrogène  dans  un 
composé  chimique;  il  nous  fera  seulement  connaître  deux 
nombres  A  et  B  entre  lesquels  ce  rapport  est  compris. 

Or,  entre  deux  nombres  donnés  A  et  B,  si  proches  soient-ils, 
on  peut  insérer  une  inlinité  de  nombres  tels  ([ue  12  X    "'  ,  où    '_" 
est  un   nombre   coninumsunible  ;   on   peut  également   insérei' 
une  inlinité  de  nombres  tels  que  12  X  '',  on  '  est  un  nombre 
incommensurable.  Dans  le  composé  considéré,  le  rapport  de  la 

28 


430  P.  DUHEM 

masse  du  carbone  à  la  masse  de  l'hydrogène  est-il  de  la  pre- 
mière forme  ou  de  la  seconde  ?  L'expérience  ne  peut  trancher 
le  litige.  La  loi  des  proportions  multiples  ne  \)en[  èlre  ni  véri- 
fiée, ni  contredite  par  la  méthode  expérimentale  :  elle  échappe 
aux  prises  de  cette  méthode. 

Ainsi  donc,  que  nous  admettions  ou  que  nous  rejetions  la  loi 
des  proportions  multiples,  nous  sommes  également  certains  que 
les  faits  ne  nous  prendront  point  en  défaut.  N'est-ce  pas  dire 
que  nous  sommes  également  et  entièrement  libres  d'affirmer 
ou  de  nier  celte  loi  ?  Qu'il  nous  est. loisible,  si  nous  y  trouvons 
quelque  avantage  au  point  de  vue  des  notations  cliimiques,  de 
la  poser  à  litre  de  couvenlion  arbitraire  ?  l'iusieui-s  auteurs  ne 
lui  attribuent  pas  aujourd'hui  d'autre  valeur. 

Si  la  loi  des  proportions  multiples  est  une  convention  pure- 
ment arbitraire,  un  simple  décret  de  notre  bon  plaisir,  il  en  est 
de  même  de  toute  proposition  qui  a  en  elle  son  foiulemenl 
nécessaire,  de  toute  notion  qui  n'a  de  sens  que  par  elle.  Or,  la 
rotion  de  type  condensé,  la  notion  île  valence,  parlant,  l'emploi 
des  formules  cliimiques  développées,  perdent  toute  signilication 
si  l'on  supprime  la  loi  des  proportions  multiples.  Qui  donc, 
cependant,  oserait,  sain  d'esprit,  afiirmer  que  cette  notation  si 
féconde,  mère  de  découvertes  qui  ont  transformé  la  science  et 
bouleversé  l'industrie,  n'est  qu'un  pur  jeu  d'esprit?  Que  nous 
sommes  également  libres  de  concevoir  ou  de  ne  pas  concevoir 
les  idées  qu'elle  met  en  (cuvre  ?  Que  les  propositions  sur  les- 
quelles elle  repose  ne  sont  ni  vraies,  ni  fausses,  mais  ai)solu- 
ment  conventionnelles  et  arbitraires  ? 

«  La  nature  soutient  la  raison  impuissante  et  l'empcche 
d'extravaguer  jusqu'à  ce  point.  »  Force  nous  est  de  reconnaître 
qu'en  énonçant  la  loi  des  proportions  multiples,  qui  est,  par 
nature,  transcendante  à  l'expérience,  le  chimiste  entend  énon- 
cer une  proposition  ayant  ((uelquc  fondement  dans  la  réalité  ; 
que  la  puissance  et  la  fécondité  du  système  chimique  dont  la 
loi  des  proportions  multiples  est  la  base  justifient  a  posferiori 
ce  postulat. 

Peut-on  pousser  plus  loin  ?  Peut-on  préciser  le  fondement 
réel,  objectif,  de  la  loi  des  proportions  multiples  ?  C'est  à  cette 
question  que  la  théorie  atomique  donne  une  réponse  saisissante 


L.\   .\(iTlii.\  m:    \IL\TE  llil 

par  sa  siniplicilô.  Si,  dans  Ions  les  composés  cliimiques  (jui 
riMi ferment  tlii  carbone  et  de  l'Iiydrogènc,  les  masses  de  car- 
bone et  d'hydrogène  sont  entre  elles  comme  «i  X  '^  ("t  "  (,"'  '^^ 
Il  étant  den\  nombres  entiers),  c'est  que  les  niasses  des  atomes 
de  carbone  et  d'hydrogène  sont  entre  elles  comme  12  et  1,  et 
que  toute  molécnle  contenant  du  carbone  et  de  l'hydrogène  con- 
tient forcément  un  nombre  iMilier  d'atomes  de  ciuicun  de  ces 
deux  corps. 

Visiblement,  la  réponse  est  satisfaisante  et  peut  passer  pour 
une  victoire  de  la  théorie  atomique,  victoire  d'autant  plus  mar- 
quée que  cette  interprétation  de  la  loi  des  proportions  multi- 
ples n'a  pas  été  imaginée  après  coup,  qu'elle  a,  au  contraire, 
précédé  la  loi  et  présidé  à  sa  découverte.  Cette  victoire  est-elle 
décisive?  l'ourqu'il  on  fût  ainsi,  il  faudrait  que  l'interprétation  de 
la  loi  des  proportions  multiples,  fournie  parla  théorie  atomique, 
fût  non  pas  seulement  une  interprétation  plausible,  séduisante, 
mais  encore  la  seule  interprétation  possible.  Or,  qui  oserait  se 
porter  à  ce  point  garant  de  cette  interprétation  et  affirmer  qu'au- 
cune autre  explication  ne  saïu'ait  jamais  être  fournie  ?  Il  y  a 
plus  :  lorsqu'on  constate  avec  quelle  aisance,  avec  quelle  clarté, 
tous  les  principes  de  la  chimie  moderne  viennent  se  ranger  en  un 
exposé  d'où  le  nom  et  l'idée  d'atome  sont  également  bannis, 
quelles  diflicultés,  quelles  contradictions  surgissent  aussitôt 
que  l'on  vent  interpréter  ces  principes  selon  les  doctrines  des 
atomistes,  on  ne  saurait  se  défendre  de  penser  que  l'unique 
succès  de  la  théorie  atomique  est  une  victoire  apparente  et  sans 
lendemain:  que  cette  théorie  ne  nous  fait  point  connaître  le 
vrai  fondenu'nt  objectif  de  la  loi  tb^s  |iroportions  multiples; 
que  ce  fondement  est  encore  à  découvrir  :  enlin.  iju'à  tout 
prendre  et  peser  exactement,  la  chimie  moderne  ne  plaide  point 
en  faveur  des  doctrines  épicuriennes  (1). 

(I,  Le  lecteur  au  courant  des  lois  cristallograplui|ues  verra  sans  peine  que  tout 
ce  qui  est  dit  ici  de  la  loi  des  proportions  multiples  et  de  son  interprétation  par 
les  hypothèses  atomiques  peut  se  répéter  textuellement  de  la  loi  des  indices 
rationnels  et  de  son  interprétation  soit  par  les  molécules  intégrantes  d'Haûy,  soit 
par  les  réseaux  de  Bravais. 


p.  DCHEM 


IX.  i.A  MùcAMi.ii  i;  iiiiMinii::  i'Ri:Mii;iu:s  ti:>i  ai  i\  i:s. 

De  la  (lliiiiiic  iH-liicllenous  n'avons  encore  tracé  qii'iiii  laMcan 
incomplet,  il  y  a  quelque  trente  ans,  une  brandie  nnuvelie  a 
surgn  ;  pour  croître,  elle  a  dû  fain>  éclater  les  vieux  moules  où. 
depuis  trois  siècles,  s'étaient  coulées  les  doctrines  chimiques, 
crever  l'écorce  é;paisse  des  hypothèses  atomistiques,  carté- 
siennes et  uewtoniennes  :  aujourd'hui,  parvenue  à  son  cnlier 
dévelop]ienien(,  elle  nous  apparaît  comme  un  >ui'i;eon  issu  de  la 
vieille  siiuche  péripatéticienne,  rajeunie  el  vivilié-e  par  une  sève 
nouvelle  :  cclti'  hranclic  vigoureuse  et  toudue.  c'est  la  Mécani- 
que chimique. 

L'eau  est  un  corps  dv  compositit)u  enlièremeut  délinie  :  la 
masse  d'oxygène  qu'elle  contient  est  huit  fois  plus  grande  que 
la  masse  d'hydrogène  qu'elle  renferme  ;  selom  *a  formule  lirule, 
•dcTix  équivalents'  d'hydrogène  y  sont  unis  à  un  équivalent 
d'oxygène  :  selon  sa  l'orniule  dévelnppée.  chacune  des  deux 
Aalences  de  l'oxygèTie  bivalent  y  est  saturée  par  une  valence 
de  l'bvdrogène  nnivalenl  :  par  ces  renseigneinenl>.  nous  voyons 
nettement  les  substitutions  qui  relient  l'eau  aux  acides,  aux 
hases,  aux  alcools  ;  la  place  de  l'eau  dans  la  ciassih(!alion  chi- 
mique est  marquée  avec  une  parfaite  clarté  ;  et  cependant 
savons-nous,  au  sujet  de  ce  cor])s,  tout  ci'  que  nous  ]iouvons 
légiliniement  désirer  de  connaître  ? 

Dans  des  conditions  données  île  lempéraluie.  de  pression, 
nous  mélangeons  de  l'oxygène  el  de  l'Iiydrogène.  Ces  deux 
corps  vont-ils  se  combiner  pour  former  de  l'eau?  S'ils  se  com- 
binent, la  combinaison  sera-t-elle  totale  ou  partielle?  Si  elle 
n'est  que  partielle,  quelle  règle  en  fixera  la  limite?  De  l'eau 
est  placée  en  des  circonstances  déterminées.  Demeurera-t-elle 
inaltérée?  Se  résoudra-t-elle  entièrement  en  ses  éléments? 
Xe  subira-l-elle  qu'une  décomposition  partielle  et.  dans  ce  cas, 
jusqu'à  quel  point  sera-t-elle  dissociée?  (les  questions  s'offrent, 
inévitables  et  pressantes,  aux  méditations  du  chimiste;  car 
enfin  quelle  science  incomplète  serait  la  sienne  si,  après  avoir 
exactement  classé  les  composés  chimique-  selon  leurs  analo- 


;,  i  .\(/ï;n.v  /)/:  mixte  4:i:i 

i;;ies,  exactomoiiL  mai-tjiK'  les  sulisliliilidiis  par  lesquelles  ces 
corps  peuvent  ilériver  les  uns  des  autres,  il  ne  savait  prévoir 
dans  quelles  eireonstances  une  réaction  déterminée  se  pro- 
duira, dans  (juelles  ecuidilions  un  corps  déterminé  naîtra  on  se 
détruira? 

Or,  ;\  liuitos  ces  ijucstions^  les  doctrines  chimiques  que  nous 
avons  exposées  jusqu'ici  ne  trouvent  pas  un  mot  à  répondre. 

Pourquoi  ce  silence  ?  D'où  vient  Timpuissance  que  ce  mu- 
tisme fait  éclater? 

Au  moment  même  que  les  hypothèses  des  atomistos,  long- 
temps dédaignées  des  chimistes,  reprenaient  faveur,  s'empa- 
raient des  découvertes  issues  de  la  notion  de  substilntion  chi- 
mique el  semhlaienl  y  trouver  des  confirmations  chaque  jour 
plus  noml)reus(^s  et  plus  éclatantes,  un  homme  osa  signaler  ces 
hypothèses  comme  une  cause  de  stérilité  ;  il  osa  aftirmer  que 
Ton  ne  découvrirait  pas  les  lois  qui  président  aux  combinai- 
sons et  aux  décompositions  tant  qu'on  chercherait  sons  les 
réactions  chimiques  des  unions  et  des  séparations  d'atomes;  il 
osa  déclarer  que,  pour  constituer  la  Mécanique  cliimique.  il 
fallait  considérer  la  mixtion  au  point  de  vue  simple,  obvie, 
qu'avait  indiqué  Aristide  :  on  devait,  disait-il.  étudier  les  chan- 
gements physiques  mesurables  qui  accompagnent  l'acte  de  la 
mixtion:  et  alors,  à  l'aide  de  la  thermodynamique,  on  parvien- 
drait à  lixer  les  conditions  qui  assurent  la  formation  ou  la  des- 
truction des  diverses  combinaisons. 

Cet  homme,  dont  les  vues  parurent  singulièrement  routi- 
nières et  rétrogrades  à  ceux  qu'enthousiasmaient  alors  les  doc- 
trines atomistiques,  mais  dont  il  nous  faut,  aujourd'hui,  admi- 
rer et  célébrer  kx  clairvoyance  scientitique  et  philosiqihique,  se 
nommait  Henri  Sainte-Claire  Deville. 

«  Toutes  les  fois,  disait  Sainte-Claire  Deville  i  I  ,  que  l'on  a 
voulu  imaginer,  dessiner  des  atonies,  des  groupements  de  mo- 
lécules, je  ne  sache  pas  qu'on  ait  réussi  à  faire  autre  chose  que 
la  reproduction  grossière  d'une  idée  préconçue,  d'une  hypothèse 
sfratuile.  enlin  de  conjectures  stériles.  Ces  représentations  n'ont 

(1)  H.  Sai.nte-Clube  Deville,  Lerons  sur  rAf/iiiilé.  professées  devant  la  Société 
cliimique  le  2H  fi-vrier  et  le  6  mars  1S6".  Leron.s  de  la  Socié/é  ckimique,  année 
1866-1867,  p.  :.-2.) 


4j4  p.  DUHEM 

jamais  inspiré  uno  expérience  sérieuse  ;  elles  sont  toujours 
venues  non  pour  prouver,  mais  pour  s(''(luire:  et  ces  illustra- 
tions qui  sont  aujourd'inii  si  fort  en  vogue  sont,  pour  la  jeu- 
nesse de  nos  écoles,  un  danger  plus  sérieux  qu'on  ne  pense. 
Elles  frappent  les  yeux  et  satisfont  l'esprit  d'une  manière  trom- 
peuse; elles  font  croire  à  une  interprétation  réelle  des  faits  et 
oublier  notre  ignorance.  Car  savoir  qu'on  ignore  est  nécessaire 
pour  vouloir  apprendre,  n 

nn'est-ce  donc  qu'expriment  les  foi'mules  cliimiques  .'  Le 
gTou|)ement  des  atomes  simples,  indestructiliies  au  sein  de  la 
molécule  du  corps  composé?  Non  point  :  les  corps  qui  entrent 
en  combinaison  cessent  d'exister  au  sein  de  la  combinaison  ; 
K  on  ne  peut  admettre  1 1  )  dans  le  sulfate  de  potasse  la  présence 
simultanée  de  l'acide  sulfnrique  et  de  la  potasse  tels  que  nous 
les  connaissons  à  l'état  de  liberté  ».  La  formule  chimique 
exprime  non  point  ce  (jui  subsiste  rérllenient  (M  actuellement 
dans  le  composé,  mais  ce  qui  s'y  trouve  eu  puissance,  ce  qu'on 
en  peut  tirer  par  des  réactions  appropriées  :  <(  (Juand  on  satui-e 
uuc  dissolution  d'acide  sulfuriquc  par  une  dissolution  de 
j)otasse,  en  les  mélangeant  en  proportions  convenables,  on  se 
deman(b^  ce  que  sont  devenus  les  éléments  après  la  combinaison. 
Une  première  hypothèse,  la  plus  ancienne,  nous  fait  admettre 
(|ue  iiiciilr  l'I  la  base  subsistent  dans  le  sel,  ce  (|u'expriuie  la 
formule  ralinmielle  SO'.KO  du  sulfate  de  potasse,  l  ne  autre 
hvpothèse  nous  ferait  ci'oire  que  les  éléments  se  seraient  grou- 
](és  de  manière  à  représenter  un  système  SO'  absolument 
inconnu  qui  s'unirait  au  potassium.  Aucune  de  ces  hypothèses 
n'est  nécessaire...  Au  fond,  les  formules  ratiounelles  n'expli- 
quent rien.  Elles  indiquent  simplement  la  possibilité  d'extraire 
d'un  système  chimique  complexe  des  éléments  moins  complexes 
eux-mêmes  au  moyen  de  certains  procédés  indiqués  par  l'expé- 
rience. Ainsi,  en  décomposant  les  sulfates  par  la  chaleur,  on 
les  sépare  en  acide  sulfnrique  et  en  base.  En  décomposant  ces 
mêmes  sulfates  par  la  pile,  on  les  tratisfornie  en  métal  qui  se 
reiul  au  pùle  négatif,  en  acide  sulfuriquc  et  oxygène  (SO")  qui  se 
rendent  au  pùle  positif.  » 

(1)  II.  S.mnte-Claifie  Deville,  lue.  cit.,  p.  22. 


;,.i  .MtTins  /)/•;  mixte  4:15 

Mt-lons  (le  l'hydrogène  cl  du  chlore:  à  in  lumière  dilTuse.  le 
mélange  se  transforme  lentement  en  acide  ciilorhydriiiue.  Les 
chimistes  ont  tenté  de  se  représenter  celle  transformation  par 
des  jeux  d'atomes;  pour  les  uns,  Tatome  il  et  l'atome  Cl,  lihres 
tous  deux,  s'unissent  pour  former  les  molécules  HCl  ;  pour 
d'autres,  leurs  successeurs,  entre  les  deux  molécules  H-H  et 
Cl-C.l  s'opère  une  double  substitution  qui  donne  deux  molé- 
cules H-Cl.  Mais  pour  l'observateur  prudent  qui  repousse  les 
cliimères  des  atomistes,  il  y  a  simplement  cliangenn'nl  d'un 
ciirps  en  un  autre  corps  doué  de  propriétés  ditl'ércntes  ;  et  ce 
changement  est  accompagné  de  certains  elîels  mesuraliles,  par 
exemple  du  dégagement  d'une  certaine  quantité  dé  chaleur. 

Disparition  d'un  corps  ou  d'un  ensemble  de  corps  et  appari- 
tion d'un  autre  corps  doué  de  propriétés  difîérentes  ;  conser- 
vation de  la  masse  du  système  pendant  cette  transformation  ; 
changement,  jiar  contraction  ou  par  dilatation,  du  volume  qu'il 
occupe  :  dégagement  ou  absorption  d'une  certaine  quantité  di' 
chaleur  :  voilà,  en  délinitive,  tout  ce  que  l'observation  attentive 
nous  révèle  dans  une  réaction  chimique,  tout  ce  que  nous  pou- 
vons et  devons  analyser  et  mesurer. 

Mais  tous  ces  caractères  ne  se  retrouvent-ils  pas  dans  une 
foule  de  transformations  dont  l'étude,  délaissée  du  chimiste,  est 
abandonnée  au  physicien,  dans  la  dissolution  d'un  sel  dans 
l'eau,  dans  le  changement  du  phosphore  blanc  en  phosphore 
rouge,  dans  la  fusion  de  la  glace,  dans  la  vaporisation  de  l'eau? 
I'  11  y  aura  donc  là  un  simple  phénomène  de  changement 
d'état  I  1 1...  En  effet,  la  combinaison  et  la  dissolution  ne  peuvent 
être  caractérisées  que  par  un  changement  d'état.  Ce  changement 
d'état  lui-même  est  caractérisé  parla  production  d'une  propriété 
physique  quelconque  existant  dans  le  composé,  et  qu'on  ne 
retruuve  pas  au  même  degré  dans  le  mélange  d'oii  la  combi- 
naison provient.  Aussi  toutes  ou  presque  toutes  les  circon- 
stances physiques  qui  accompagnent  les  changements  d'états 
relatifs  à  la  cohésion  se  retrouvent-elles  lorsqu'on  étudie  les 
changements  d'état  relatifs  à  l'affinité.  Le  caractère  général  est 
la  perte  ou  le  gain  de  chaleur  latente.  » 

1    II.  S.mxte-Claire  Deville,  loc.  cil.,  p.  "i. 


436  P.  DUHEM 

Les  règles  q;ui  décideront  si  une  l'éactioii  eliimique  détermi- 
née se  produii'a  ou  ne  se  pioiluira  pas  s'énon<'eront  en  des  for- 
mules où  ligui'eront  seuls  les  élémenls  mesurables  de  cette 
réaction  :.  la  pression  sous  laquelle  elle  se  produit,,  la  tempéra- 
ture à  laq;nelle  elle  a  lieu,  le  changement  de  volume  quelle 
délei-naine,  la  quantité  de  chaleur  qu'elle  dégage  ou  qu'elle 
absorbe.  Mais  ces  éléments  sont  aussi  cemx  que  l'expérimenta- 
teur étuidiie  et  mesure  au  cours  d:'uii  changement  d'état  phy- 
sique quelconque.  Dès  lors^  n'es t-il  pas  ;»  prévoir  que  des  l'ègles 
de  même  forme  marqueront  la  nécessité  ou  l'impossibilité  d'une 
léaction  ciiimiqne,  lia  nécessité  ou  l'impossibilité  d'uae- fusion, 
d]une  vaporisation,  d'une  modiiication  allotropique,  d'une  dis- 
solution ?  N'est-il  pas  h  prévoir  que  la  Mécanique  physique  et 
la  Mécanique  chimique  ne  formeront  pas  deux  sciences  séparées, 
|)rocédant  par  des  méthodes  différentes  h  partir  de  principes 
distincts,  mais  une  science  unique,  la  Mécanique  des  change- 
ments d'cMal?  "  Si  la  combinaison  (1)  ailTecte  surtout  ce  que 
nous  appelons  les  propriétés  Ghimiques  des  corps,  si  la  disso- 
lution n'en  altère  sensiblement  que  les  propi'iétés  physiques, 
enlin  si  la  combinaison  et  la  dissolution  se  confondent  en  un' 
seul  et  même  phénomène  dont  elles  repcésentent  les  effets 
extrêmes,  ii  est  clair  que  tout(^  dilférence  cesse  d'exister  entre 
les  pi'opriétés  physi<|ues  et  le>  propriétés  chimiques  de  la  ma- 
tièri!.  Les  uns  et  les  autres  Sdut  sous  la  doniinalion  al)solue  de 
la  cluîleua-  et,  par  elle,  des  agents  mécaniques.  Les  expériences 
modernes  tendent  à  donner  de  plus  en  plus  à  ceux-ci  une 
inlluence  prépondérante  sua-  les  résultats  obtenus  en  Physique 
et  ea  Chimie,  deux  sciences  qiiii  tendent  de  plus  en  plus  à.  se 
confondre  eatre  elles-  et  avec  la  ^léeanique.  » 

En  annonçant  la  naissance  d'une  doctrine  qui,  i.ssue  de  la 
tiiermodynamique,  embrasserait  à  hi  fois  les  lois  du  mou^ 
vement  local,  et  celles  (jui  régissent  les  divers  phiénomènes 
physiques,  et  celles  qui  président  aux  réactions  chimiques,, 
M.  Sainte-Claire  Deville  était  prophète  ;  il  entrevoyait  d'avaace 
l'uHiivre  qiui  devait  être  le  couronnement  seientifique  dui 
xix'  siècle. 

(l)    11.    S.\lXTE-Cl..\IRE  llEVILr.E,    loc.    fil,   p.   (ife 


L.\  .vor/M.Y  /■)/•:  ,»;.vv7';  4:;: 

Mais  il  ne  sul'lisait  pas  d'annoncer  qu'une  science  aussi  ^i'mk'- 
i-ale  étail  possible,  qu'elle  était  sur  le  point  de  se  faire  ;  pi>iir 
prouver  cette  possiliilité,  pour  taire  cruire  à  cet  événement  pro- 
chain, il  fallait  ébaucher  quelque  chapitre  de  la  nouvelle  disci- 
pline, il  fallait  faire  éclater  à  tous  les  esprits  l'étroite  analogie 
qui  existe  entre  la  .Mécanique  chimique  et  la  Mécanique  phy- 
sique, ïl.  Sainte-Claire  Deville  y  parvint  en  analysant  les  équi- 
libres cliimiques  ([ui  se  produisent  au  cours  des  déccmipositions 
partielles  ou  (/issuria/ions. 

Le  carbonate  de  chaux  dont  on  élève  la  température  se  dé- 
com|)Ose  et  laisse  échapper  le  gaz  carbonique  ;  l'eau  liquide, 
l'arsenic  solide  que  l'on  cliaufTe,  se  transforment  en  vapeurs  ; 
entre  ces  deux  phénomènes,  H.  Sainte-Claire  Deville  aperçoit 
d'étroites  analogies  (1);  le  point  de  'décomposition  du  carbo- 
nate de  chaux  est  analogue  au  point  d'ébullition  de  l'eau  et  de 
Farsenic  :  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  points  n'est  invariable  ;  de 
même  que  le  point  d'éluillilion  d'un  corps  solide  ou  licjuide 
dépend  de  la  pression  de  la  vapeur  qui  surmonte  ce  corps,  de 
même  le  point  de  décomposition  du  carbonate  de  chaux  dépend 
de  la  pression  d;i  gaz  carbonique  dans  l'enceinte  oii  se  fait  la 
réaction.  Soirs  la  pression  atmosphéiique,  on  ne  peut  fondre 
l'arsenic  :  le  point  de  fusion  de  ce  corps  est  plus  élevé  que  son 
point  d'ébullilion  ;  lorsqu'on  l'échauffé,  il  passe  en  entier  à 
l'étal  de  vapeur  avant  de  se  liquéfier;  mais  si  l'on  augmente  la 
pression  de  la  vapeur  d'arsenic,  le  point  de  fusion  demeure  à 
peu  près  invariable,  tandis  que  le  point  d'ébullilion  s'élève  et 
finit  par  surpasser  le  premier  ;  aussi  peut-on,  en  vase  clos, 
fondre  l'arsenic.  Il  en  est  de  même  du  carbonate  de  chaux  ;  on 
ne  peut  le  fondre  à  l'air  libre,  car  sous  la  pression  atmosphé- 
rique le  point  de  fusion  est  plus  élevé  que  le  point  de  décompo- 
sition :  mais  si  l'on  augmente  la  pression  du  gaz  carbonique,  le 
point  de  décomposition  s'élève  et  finit  par  surpasser  le  point 
de  fusion  ;  ainsi  s'explique  la  célèbre  expérience  où  James  Hall 
est  parvenu  à  fondre  du  carbonate  de  chaux  en  le  portant  au 
rouge  dans  un  récipient  résistant  et  hermétiquement  clos. 


(1)  H.  SAL-STE-CLAinE  liEviLLK,  Leçous  sur  la  Dissociulion  jirofessées  devant  la 
Société  chiaiique  le  18  mars  et  le  1'  avril  1864. 


4:38  p.  DUHEM 

Des  expériences  précises,  dues  à  H.  Debray,  vinrent  bientôt 
conlirmer  ces  vues  de  IF.  Sainte-Claire  Deville.  A  une  tempé- 
rature donnée,  la  vaporisation  d'un  corps  solide  ou  liquide 
s'arrête  lorsque  la  vapeur  produite  a  acquis  une  certaine  ten- 
sion ;  cette  tension  de  vapeitr  saturée  ne  dépend  absolument 
que  de  la  température  et  croît  avec  elle.  De  même,  à  une  tem- 
pérature donnée,  la  décomposition  du  carbonate  de  calcium 
s'arrête  lorsque  le  gaz  carbonique  émis  a  atteint  uiu'  certaine 
tension  ;  cette  tensiim  de  dissociation  est  absolument  lixe  à  une 
température  doiini'c;  elle  vai'ie  avec  la  température  et  s'élève 
avec  elle  (  1  . 

Avec  II.  Debray,  les  disciples  de  Sainte-Claire  Deville  s'al- 
lachèrent  à  l'étude  des  équilibres  chimiques,  et  bientôt,  grâce 
aux  découvertes  des  Troost,  des  llautcfeuille,  des  Isanibert,  des 
(ieiiie/,  des  Dillr.  il  lut  avvré  que  les  réactions  cliimiqu(>s  les 
mieux  caractérisées,  aussi  bi(ui  ((ue  les  modilications  allotro- 
piques et  polymériques,  donnent  lieu  à  des  phénomènes  d'équi- 
libre dont  les  lois  sont  identiques  aux  lois  des  changements 
d'état  physique,  aux  lois  de  la  fusion,  de  la  vaporisation. 

Mais  c'était  là  seulement  un  corollaire  des  idées  de  Sainte- 
Claire  Deville;  ces  idées,  dans  leur  plénitude  scientilique  et 
philosophique,  demeurèrent  longtemps  incomprises:  énoncées 
souvent  sous  une  forme  (|uid(|iie  peu  obscure,  souillées  parfois 
par  quelque  alliage  avec  les  (qnuions  qu'elles  prétendaient  sup- 
planter, elles  ne  furent  point  toujours  entièrement  acceptées 
des  disciples  mêmes  du  maître:  d'ailleurs,  elles  ne  purent  se 
dévidopper  librement  qu'en  renversant  deux  autres  Mécaniques 
chimiques.  L'une  de  ces  Mécaniques,  la  théorie  du  Irarail 
nia.rinnini ,   était    née   avant    les    recherches   de   Sainte-Claire 


(1)  L'interprétation  de  l'expérience  de  James  Hall  et  la  notion  de  tension  de 
dissociation  qui  s'en  déduit  avalent  été  données  de  la  manière  la  plus  claire  par 
Georges  Aimé,  dans  une  thèse  soutenue  en  1834.  L'écrit  de  (ieorges  .\ime,  de- 
meuré inconnu,  fut  sans  intluenc'  sur  les  travaux  de  Sainte-Claire  Deville  et  de 
ses  disciples.  (Georges  .-Ximk,  De  l'influence  fie  la  pression  sur  les  actions  chimi- 
ques, thèse  de  Paris,  1834.  Réimprimé  dans  {es  Mémoires  delà  Société  de^s  Sciences 
p/ti/siqiies  et  natucPtles  de  Bordiau.r.  cinquième  série,  t  V,  1899.  —  P.  Dimiem, 
Un  jiiiinl  d'histoire  des  sciences  :  la  tension  de  dissociation  avant  H.  Sainte-Claire 
Deville,  Mémoires  de  la  Société  des  Sciences  plii/siques  et  naturelles  de  Bordeaux, 
cinquième  série,  t.  V,  1899;  et  Journal  o/  Plii/sical  Chemistry,  vol.  III,  p.  364, 
1899  ) 


i.\  .\(iri(i\  /);•:  \ii\rE  fôa 

|)("vill('  sur  lu  (lissi)ci;i(ion  :  raulrc,  la  lliroric  di'  Vrt/in/i/irr 
i)i(jIiIIi\  osI  contcmpi  irai  lie  ilc  ces  recherches. 

La  tliéorie  du  Iravail  maximum  résullail  de  l'iiiiinii  des  (hn- 
Iriiies  introduites  eu  IMiysiqiu'  par  Newtuu  avec  la  loi,  étal)iie 
au  milieu  du  xix'  siècle,  de  l'équivalence  entre  la  chaleur  cl  le 
travail. 

Selon  Newton,  les  atomes  qui  sont  les  éléments  ultimes  de 
la  matière  s'attirent  ou  se  repoussent  par  des  forces  scnsihles 
seulenieat  à  pelile  dislance;  en  outre,  ces  atomes  sont  agités 
de  mouvements  de  très  petite  amplitude,  mais  de  1res  gi'ande 
vitesse,  et  ce  sont  ces  mouvements  intestins  qui  produisent  en 
nous  la  sensation  de  chaleur;  hirsqu'nn  système,  loul  en  se 
transformant,  t;aide  une  température  invariable,  la  force  vive 
de  ces  mouvements  demeure  constante  ;  elle  augmente  ou 
diminue  lorsque  la  température  s'élève  ou  s'ahaisse.  Dès  !7«S(), 
Lavoisier  et  Laplace,  dans  leur  impérissahle  Mi-moi/r  si/r  la 
Chalrur,  faisaient  remarquer  que  cette  force  vive  joue,  selon  la 
théorie  mécanique  de  la  chaliuir,  le  rôle  départi  au  caloviijuc 
libre  dans  la  théorie  (|ni  regarde  la  chaleur  comme  un  lluide; 
quant  au  calorique  latent  perdu  par  un  système  au  cours  d'une 
modilication,  la  théorie  mécanique  en  retrouve  l'équivalent 
dans  le  travail  que  les  forces  diverses  appliquées  aux  atonies 
eUectuent  pendant  cette  modification  ;  en  sorte  que  lorsqu'une 
modification  a  lieu  sans  changement  de  température,  partant 
sans  viuiation  de  chaleur  sensible,  la  quantité  de  clialeur  dé- 
gagée pai' celle  modilication  mesure  le  Iravail  accompli  par  le- 
fiM'ces  tant  inlérieures  qu  exIiM'ieures  (jui  ont  déterminé  cette 
modification. 

Lorsqu'au  milieu  du  \ix'  siècle  les  divinations  de  Uoberl 
Mayer,  les  recherches  expérimentales  de  James  Prescott  .huile, 
en  précisant  la  définition  et  en  faisant  connaître  la  valeur  de 
l'équivalent  mécanique  de  la  chaleur,  eurent  ruiné  l'hypothèse 
du  calorique  cl  r(MiHs  en  faveni-  la  théorie  mécanique  de  la 
chaleur,  les  idées  formulées  par  Lavoisi(M"  et  Laplace  furent 
reprises,  en  particulier  par  (llausius;  elles  inspirèrent  l'écrit 
célèbre  (I)  que  ce  grand  physicien  publia  en  KS.'K». 

(I)  R.  Clacsus,  Voijiienihifll's  Annnhn.  t.   LXXIX,  1850.   —   Tliéoi'ie  mécanique 
df  la  C/ialeiir,  pri'iuiére  édilion,  t.  I,  inéinoire  I. 


4H0  P.  DIHEM 

Ces  idées  ti'ouveraient,  en  la  Mécanique  chimique,  une  appli- 
cation immédiate. 

Les  forces  moléculaires  cuncourent  avec  les  forces  extérieures 
pour  grouper  les  atomes  au  sein  des  corps;  ces  diverses  forces 
entrent  en  jeu,  selon  les  lois  de  la  Mécanique,  pour  produire 
les  changenienls  d'état  physique  aussi  l)ien  que  les  réactions 
chimiques  ;  Newton  avait  déjà  énoncé  ce  principe,  Lavoisier  et 
Laplace  l'avaient  d'éveloppé,  et  Berthollet  avait  tenté  d'en 
déduire  une  Statique  chimique. 

Or,  un  théorème  connu  de  Mécanique  enseigne  qu'aucun 
ensemble  de  corps,  pris  au  repos,  nepeut  se  mettre  en  mouve- 
ment sous  l'action  de  certaines  forces,  à  moins  que  ces  forces 
n'effectuenl  tout  d'abord  un  travail  positif.  Un  ensemble  de 
corps,  d'al)ord  en  repos  dans  un  certain  (Hat,  ne  pourra  donc 
éprouver  un  changement  d'état,  que  ce  changement  n'entraîne 
un  travail  positif  des  forces  extérieures  et  des  forces  molécu- 
laires. Mais  selon  les  idées  de  Lavoisier  et  de  Laplace,  reprises 
par  Clausius,  si  le  changement  d'état  est  accompli  à  tempéra- 
ture constante,  ce  travail  est  mesuré  par  la  quantité  de  cha- 
leur que  dégage  l'ensemble  de  corps.  Nous  sommes  amenés, 
ainsi  à  énoncer  le  principe  suivant  :  Tnut  i  huDf/rmPnt  d'Hat 
iihijsiijnr  (lU  rhmâqup  qui  cuminmce  ilf  lin-mi'-inr  dans  un 
(■iisrinhlc  de  rorps  mniiili'iiii  à  tmipénittin-  constante  est  accor.c- 
/lagné  d'un  (lé(j(iiicntfni  de  chaleur. 

Ce  principe,  qui  a  été,  longtemps  après  sa  découverte, 
nommé  Principe  du  travail  ma.rimum,  fut  énoncé  en  l^'V.]  par 
le  ciiimiste  danois  .iulius  Thomsen  (1),  qui  y  avait  été  conduit, 
à  partir  des  idées  de  Clausius,  par  une  voie  semblable  à  celte 
que  nous  venons  de  tracer. 

Nous  nous  trompons;  ce  principe  est  celui  auquel  M.  Thom- 
sen était  logiquement  conduit  par  les  considérations  qu'il  a 
développées;  ce  n'est  pas  celui  qu'il  a  énoncé;  là  oii  nous 
avons  écrit  ces  mots  :  (ouf  c/ianç/ement  d'état  p/ii/sique  ou  chi- 
mique, M.  Thomsen  a  écrit  ceux-ci  :  tt/iite  réaction  puremeiit 
chiniiiiui' . 

La  correction  est  capitale  ;  elle  était  forcée  :  il  n'est  que  trop 

(1)  .1.  Teiomsbn.  Die  (irundzilge  eiues  llievmo-chemisrhen  Si/stems  (Pogyendor//' x 
.lniia!>;,.  t.  LXXXVIU.  183:!:  —  t.  XCIl.  1854). 


/.  i  Minus  /»;■;  mimi:  mi 

cliiir,  l'ii  cH'cl,  qiK'  k'  principe  du  travail  niaximiiiu  no  saiirail 
s'appliquer  aux  ciianij.'cments  d'i^-tat  !pihysit|ue  ;  cliaque  jdur, 
BOMS  voyons,  à  mir  li'iup(Taliin'  invarialile,  la  glace  fondre, 
Ceaii  se  vaporiser,  el,  ceix'iulanl,  ces  modifications  S|)(intanées 
absoilient  de  la  elialeur;  sons  peine  d'être  de  prinie-altord  en 
conlr.iiiicl  inii  i-oiil  iiniclli'  el  Idrineile  avec  l'espérieflaiCe,  la  loi 
du  travail  inaxinnini  devait  restreindre  son  eni|)ire  à  la  M(''ca- 
niqiie  pnrenu'nl  chimique. 

Mais  cotte  j'oslriclion,  indispeusalde  pour  (■■\iler  les  dénKMilis 
des  laits,  était  illoiiiqno:  les  li\p(dèèso.s  donit  la  loi  du  travail 
maximum  était  issue  i-éclamaient  pour  cotte  loi  une  portée  sans 
limite  ol  ne  toléraienl  point  (|u'une  séparation  l'ùt  étalilie  entre 
la  M('(ani(|iie  pliysi(|iie  el  la  Mécanique  chimique;  Borthollcl. 
ra\ait  |)ro(damé,  et  il  était  impossihlo  de  le  niéconnaiti'e.  I.a 
lliénrie  des  (dianLcemenls  d'étal  fondée  sur  l'hypothèse  de 
l'attraclion  moii'cnhi ii'i'  (''prouvait  donc  un  nouvel  iéchoc  ;  déjà, 
(die  avait  été  coutrodile,  par  la  (diimie,  loi'squ'avec  Berlhollol 
(die  avait  nié  la  loi  di^s  proportions  di'dinies  ;  rononvolée  p;ir 
son  union  a\et-  la  lln'oi-ie  ini'(Mui(|iie  de  l;i  chaleur,  idle  (''lail 
maintenanl  conlreilile  pai'  la   IMiysi(|  ne. 

Incoiicilialde  avec  des  liypolhèses  (|ui  ont  conduil  à  la  foi- 
luuler,  mais  qu'il  est  loisible,  après  tout,  d'ahandonuer  comme 
un  ('■cliafaudago  désormais  iuLiliie.  la  loi  énoncée  par  M.  .Iulius 
Tho;nison  pouri'ail  être  d'accord  avec  les  fails.  el  il  convienl 
d'examiiu'i-  si  c(d  accoi'd  est  ou  non  étnhli. 

Or,  une  r;rave  dilticulté  arrête  tout  d'ahord  col  exanu'n  el 
parait  liieu  le  devoir  rendre  illusoire  ;  la  loi  du  travail  maxi- 
mum suppose  ([ue  l'on  sache  distiuji'uei'  un  |)li(''nonu''ne  phy- 
sique d'un  phénomène  chimique;  elle  ne  pn''t(nul  s'a[qdiquer 
(ju'aux  l'éaclions  purement  cliimiques  ;  avanl  donc  qu'on  la 
déclare  conlii'm(''e  ou  contredite  par  un  changement  d'état,  il 
faudra  décider  que  ce  changement  d'état  est  chimique  el  non 
physique.  Or,  où  trouver  le  caractère  qui  permettra  de  prendre 
nue  senildaltle  décision?  iBerthollet  avait  .déijà  iLnsisté  sur 
l'absence  d'un  soniblalile  caractère,  el  la  loi  du  travail  maxi- 
mum était  encore  bien  jeune  dans  la  science  que  les  travaux 
de  Saiiite-dloire  Ueville  et  de  son  Ecole  faisaient  éclater  à  tous 
les  yeux  la  justesse  de  l'idée  de   Hei-lludlet.  Va\  l'alisonce  de 


462  P.  DLHEM 

loiile  ligne  de  démarcaliim  entre  les  moditicatiuns  physiques 
et  les  modifications  chimiques,  la  (rili(|ui'  expérimentale  de  la 
loi  du  travail  maximum  devient  vaine  et  inefficace  ;  ime  foule 
de  réactions  condamnent  cette  loi  sans  appel  pour  qui  les  veut 
prendre  comme  purement  chimiques  et  sont  impuissantes  fi  son 
endroit  pour  qui  prétend  y  trouver  ([uelque  part  de  transfor- 
mation physique. 

Cet  ('lat  de  confusion,  insuppoitahie  aux  es|)rits  vraiment 
scientillques,  est  très  favoralile  au  contraire  à  ceux  qui  ciier- 
chent  des  faux-fuyants  pour  échapper  aux  déini'utis  des  faits  ; 
il  ne  suffit  point,  cependant,  à  sauver  la  loi  du  travail  maximum. 

Un  mélange  doxygènc  et  d'hydrogène  peut  se  transformer 
en  vapeur  d'eau  ;  la  vapeur  d'eau  peut  se  dissocier  en  oxygène 
et  hydrogène  :  est-il  réaction  plus  nettement  chimique,  plus  pure 
de  tout  alliage  avec  toute  modilicatiun  physi(|vic  ?  A  une  tempé- 
rature donnée  et  suffisamment  élevée,  un  état  d'équilihre  chi- 
mique est  établi  au  sein  d'un  mélange  d'oxygène,  d'hydrogène 
et  de  vapeur  d'eau  ;  sans  changer  la  température,  élevons 
quelque  peu  la  pression  ;  une  certaine  quantité  d'oxygène  et 
d'hydrogène  se  combinent,  et  cette  combinaison  dégage  de  la 
clialeur,  conformément  au  principe  du  travail  maximum  ;  si, 
sans  changer  la  tempéraiure.  nous  avions  quelque  peu  abaissé 
la  pression,  une  certaine  (|iiaiiliti'  de  vapeur  d'eau  se  serait 
décomposée,  et  cette  déconi|)i)sition  eût  abs(jrlié  de  la  chaleur, 
contrairement  au  principe  du  travail  maximum.  Si  les  parti- 
sans du  principe  du  travail  maximum  acceptent  le  témoignage 
favorable  de  sa  première  expérience,  sur  quoi  se  fonderaient- 
ils  pour  récuser  le  démenti  que  leur  iniligc  la  seconde? 

Ainsi  les  découvertes  de  Sainte-(;iaire  Deville  et  de  ses  disci- 
ples ruinent  la  Statique  chimique  qu'avait  pmduile  l'union 
de  la  théorie  mécanique  de  la  chaleur  avec  les  hypothèses  new- 
toniennes  (Ij. 

Au  xvui"  siècle,  tandis  que  les  hypothèses  newtoniennes  de 
l'attraction  astronomique  et  de  l'attraction  moléculaire  s'empa- 

(1)  Le  lecteur  désireux  de  discuter  plus  en  détail  la  lai  du  travail  maximum 
pourra  se  reporter  aux  écrit?  suivants  :  P.  Dlhem,  Inlroduclion  à  la  Méianique 
<:lnm/(jue,  Gand,  1893.  —  Thermochimie,  à  propos  il'iin  livre  récent  de  M.  Marce- 
lin Berihelot  (Revue  des  questions  scientifiques,  2=  série,  t.  VI,  1897  et  Paris,  1897). 


/,.!   MiTloy  /<;•;    mime  463 

iMicnl  «le  la  IMivsiqiic  loul  cntiiTO,  une  petite  Ecole  do  savants 
.li'uieurail  liilMe  niix  iloctrines  cartésiennes  et  atomistiques  et 
ne  viuilait  ririi  mettre  en  ces  théories  qui  ne  lYil  réductible  à  la 
iigure  et  an  mouvement:  cette  Ecole  se  groupait  en  Suisse 
autour  de  l'illustre  famille  des  Bernoulli. 

A  cette  Ecole  appartenait  Lesage ,  qui  tenta  (i'e\]iliquer 
l'attraction  universelle  par  le  choc  des  particules  éthérées  sur 
les  molécules  matérielles,  et  Pierre  Prévost,  l'ami  et  l'exécuteur 
testamentaire  de  Lesage. 

Pierre  Prévost  s'occupa  particulièrement  de  la  théorie  de  la 
chaleur;  à  l'imitation  de  ce  que  Newton  avait  imaginé  pour  la 
lumière,  Prévost  regardait  (1,  la  chaleur  comme  composée  de 
petits  projectiles  que  les  corps  lancent  dans  l'espace  d'autant 
plus  vivement  qu'ils  sont  plus  chauds;  ces  projectiles  échauf- 
fent les  corps  au  sein  desquels  ils  pénètrent.  Lorsque  deux 
corps  sont  en  présence  l'un  de  l'autre,  ils  parviennent,  au 
l)out  d'un  certain  temps,  à  un  certain  état  d'équilibre  où 
chacun  d'eux  ne  s'échautfe  ni  ne  se  refroidit  ;  ce  n'est  pas 
que  chacun  de  ces  corps  ne  continue  ;\  lancer  vers  l'antre 
des  projectiles  caloriliques  et  à  en  recevoir  de  lui  ;  mais  lui 
régime  tel  s'est  établi  que  chacun  des  deux  corps  reçoit,  dans 
un  temps  donné,  autant  de  corpuscules  de  chaleur  qu'il  en  émet; 
telle  est  l'hypothèse  de  Yrr/iii/ifire  mobile,  qui  allait  rencontrer, 
en  Statique  chimique,  une  singulière  fortune. 

Au  premier  rang  des  doctrines  qui  assurent  la  célébrité  de 
l'École  atomistique  suisse,  il  convient  déplacer  l'explication  des 
propriétés  des  gaz  proposée,  en  1726,  par  Jean  1'  Bernoulli  et 
développée,  en  1738,  par  son  iils  Daniel  Bernoulli,  dans  la 
X'"  section  de  son  Hijdrddijnaimque.  Selon  les  Bernoulli,  la 
force  expansive  des  gaz  n'est  due  ni  aux  particules  rameuses 
de  Descartes,  ni  aux  petits  ressorts  de  Boyle,  ni  aux  répulsions 
moléculaires  de  Newton  ;  les  atomes  gazeux,  agités  de  mouve- 
ments continuels  et  rapides,  frappent  à  coups  redoublés  les 
parois  du  vase  où  le  lluide  aériforme  est  renfermé  ;  et  ce  bom- 
bardement moléculaire  produit  une  pression  douée  de  toutes 
les  propriétés  que  les  expérimentateurs  ont  reconnues. 

1)  Pierre  Pbêvost,  Retiienhes  phyxlco-mécaniques  sur  lu  cli/ileiir.  Genève,  1782. 


464  P.  riLHEM 

Lorsqu'au  milieu  du  xix'  siècle  les  progrès  de  la  Uiém-ie  mé- 
canique de  la  chaleur  ramenèrent  la  faveur  des  physiciens  vers 
les  hypothèses  des  atomisles,  l'explication  des  propriétés  des 
gaz  imaginée  par  les  BrrnouUi  fut  reprise  et  développée  par 
divers  physiciens,  notamment  par  Kra>n.ig  et  par  Clausius,  et 
plus  lard  par  Maxwell,  par  Bnltzmann,  par  O.-E.  ]Meyer;  sous 
le  nom  de  lltéoric  (inrlhiiK-  drs  gaz,  elle  devint  une  doctrine 
importante  et  passa  quelque  temps  pour  le  type  idéal  de  la  tiiéo- 
rie  physique. 

A  la  théorie  cinétique  des  gaz  il  était  uatuivl  de  rattaciier  la 
théorie  de  la  formation  des  vapeurs,'  et  (>lausiu-*  s'y  etlorça  (1). 
Lorsqu'un  ii(|uide  est  surmonté  de  sa  vapeur,  un  échange  con- 
tinuel de  molécules  se  [u-oduil  au  travers  de  la  surface  de  con- 
tact ;  au  houl  d'un  certain  temps,  ou  parvient  à  un  état  d'équi- 
lihre  mol)il('  :  aulaul  le  liquide  laisse  échapper  d'atomes  qui 
l)ém"'treut  au  sein  de  la  vapeur,  autant  il  en  reprend  à  cette 
vapeur:  la  vapeur  est  alors  saturée. 

La  notion  d'équilihre  mohile,  introduite  par  Clausius  daas 
l'élude  des  changements  d'tHat  physique,  ne  devait  pas  tarder  à 
pénétrer  en  .Mécanique  chimicjue. 

Un  mélange  d'oxygèiu',  d'hydrogène  et  de  vapeur  d'eau, 
soumis  à  luie  pression  donnée,  est  porté  à  une  température 
li.ve  et  d'ailleurs  très  élevée;  au  bout  d'un  certain  temps,  l'équi- 
libre chimi(iue  s'établit,  on  n'observe  plus  ni  augmentation, 
ni  diminution  dans  la  teneur  en  vapeur  d'eau  du  mélange 
gazeux:  ce  n"r>l  p;is  que  l'oxygène  et  l'hydrogène  aient  cessé 
de  se  combiner,  que  la  vapeur  d'eau  ait  cessé  de  se  décomposer; 
mais  le  nombre  de  molécules  de  vapeur  d'eau  qui  se  forment 
en  un  tem,ps  donné  lest  exactement  égal  au  nombre  de  molé- 
cules de  ce  même  corps  qui  se  brisent  tlans  le  même  tem.p«. 
Tout  équilibre  chimique  est  un  équilibre  mobile,  un  état  de 
régime  permanent  où  deux  réactions,  inverses  l'une  de  l'autre, 
se  compensent  exactement. 

L'idée  avait  été  émise  en  passant  par  Malaguti  '2i:  William- 
son  l'avait   ajtpliquée  aux  phénomènes  d'élhérilicalion,  Clau- 

I  !)  R.  Claisus,  Poi/i/enilur/l's  Anniileti,  t.  C.  p.  Xt'.i.  ISj'i.  —  T/icurie  i/iécnnigue 
tir  la  chaleur,  l"  édition,  t.  U.  uiêuloire  XIV. 

[i    Mai.aol'Ti,  Annules  de  Chimie  el  de  l'hysique.  3'  série,  t.  Ll,  p.  328,  1857. 


LA  SdTKis  /*;;  .i//.\/7':  .lo:; 

sius  à  l'éloclrolyse  ;  dans  le  temps  que  Sainle-lllaire  Deville 
donnait  ses  leeons  >?//•  /a  Dissociation  et  su/-  l'Af/ini/r, deux  pro- 
fcssenrs  (l(>  Clirisliania,  MM.  (hildherg  et  Waage  {i  ),  prenaient 
<'elle  liy|i<illirse.  inspirée  [)iir  les  (ravanx  de  i'ierre  l'i^hosi,  pdiii' 
l'ondenienl  d'une  Statique  eliiniiqne. 

A  la  niènn'  époque,  en  Allemagne,  les  hypothèses  de  ('lausins 
lonciiant  la  vaporisation  inspiraient  à  M.  l'i'aiindler  uiu'  théorie 
de  la  dissociation.  «  J'arrive  maintenant,  écrivait  M.  Pfaiin- 
dler  (2),  à  l'explication  de  la  dissoriation  dos  vapeum  et,  dans 
oe  but,  je  ferai  l'iiypothèse  suivante  :  au  sein  de  la  vapeur  d'une 
eomtiinais(ui  pailiellement  di'eoniposée,  tant  que  la  tempéra- 
Inri"  d(^nieure  iiivariaiile,  Ir  iiatiilirr  dr  iiiidrridrs  i^/ii  sr  /irisnt/ 
rsl  r.nii/rirH'iil  l'ijid  dii  iKDidirr  dr  iiiolri  /df<  iiiii  se  tttnui'nl  par 
raiiitriiihciiii'iii  de  Iriirs  atomes.  Cette  explication  suppose  néces- 
sairement quV}  un  instant  donné,  les  nioUiales  ne  sont  pas 
toutes  animées  du  nnhne  moai^ement;  de  même  l'explication  de 
la  vaporisation  donnée  par  Glausins  suppose  que  les  molécuh's 
situées  à  la  surface  du  liquide  ne  se  mmivent  pas  toutes  de  la 
même  manière.  Mais,  selon  la  llu'orie  mécanique  de  la  chaleur, 
cette  irrégularité  dans  la  distrihution  des  mouvements  est 
extrêmement  vraisemijlahle...  l'ar  suite,  si  la  température 
garde  constamment  une  valeur  donnée,  le  nomhre  des  parti- 
cules mises  en  liberté  ira  en  croissant,  jusqu'au  moment  où  le 
nomlire  des  molécules  qui  se  reforment  dans  un  état  donné  sera 
<levenu  égal  au  nombre  des  molécules  qui  se  brisent  dans  h^ 
même  temps.  .V  ])arlir  de  ce  moment,  ïéijuiUhre  entre  la  décom- 
position et  la  combinaison  règne  aussi  longtemps  (|ue  la  tempé- 
rature demeure  invariable.    ■ 

M.  Pfaimdler  lut  bientôt  suivi,  en  Allemagne,  par  M.  Horst- 
mann;  en  France,  par  M.  G.  Lemoine  et  par  M.  Joulin. 

Comment  cette  Statique  chimique  se  jteut  constituer,  il  (>st 
aisé  de  l'imaginer;  on  construit  des  formules  qui  représentent 
la  vitesse  de  chacune  des  deux  réactions  inverses  dont  le  système 
est  censé  le  siège;  en  égalant  entre  elles  ces  deux  vitesses,  on 
obtient  l'équatiou  dont  dépend  l'équilibre  du  système. 

(1)  GuLDBERo  et  Waage,  te.v  Mondes,  t.  V,  p.  105  e(  p.  ii2",  1864.  —  Études  ««/•  les 
iiffinilës  cliimiqiies,  Cliristianja,  ISill. 
^  \ï\  Pfaundler,  Uoijiiendorff's  Aiuialeit,  t   CXXXI,  p.  j.';.  1861. 

29 


460  P.  nUHEM 

En  réalili'',  rapplicalion  de  celte  méthode  soutFro  un  très 
haut  degré  d'arbitraire.  L'expérience  ne  peut  nous  faire  con- 
naître les  lois  qui  régissent  la  vitesse  de  chacune  des  deux  réac- 
tions inverses:  seul,  l'excès  de  l'une  des  deux  vitesses  sur 
l'autre,  c'est-à-dire  la  vitesse  de  la  réaction  résultante,  est 
accessible  à  l'observati.in  ;  pour  connaître  l'expression  des  deux  ■ 
vitesses  qui  nous  importent,  i'orce  sera  d'avoir  recoiu's  à  des 
hypothèses:  bien  souvent,  la  forme  de  ces  hypothèses  sera 
largement  variable  au  gré  du  physicien:  la  théorie  y  perdra  en 
sécurité  et  en  valeur  logique  plus  encore  quelle  n'y  gagnera 
de  souplesse  pour  s'adapter  aux  faits. 

Si  grande, d'ailleurs,  que  soit  celte  souplesse,  elle  ne  parvient 
pas  à  sauver  la  théorie  de  r(''(|ui]ibre  moiiile  des  contradictions 
de  l'expérienie. 

Reprenons  l'analyse  il'uiir  r('acli(iu  qui  a  jiuié  un  grand  rôle 
dans  le  (h'veloppement  de  ht  Mé(ani(iu('  ciiimique,  de  celle 
même  que  M.  l'faimdler  a  choisie  comme  exemple,  la  décom- 
position du  carbonate  de  cliaux  en  chaux  et  gaz  carbonique. 

Deux  réactions  se  produisent  simultanément  :  la  décompo- 
>i(ii>n  ilu  ciirbunaie  de  ciiaux,  la  combinaison  du  gaz  carbonique 
avec  hi  chaux,  l-a  vitesse  (h'  la  première  réaction  dépend  de  la 
température  à  hiquelle  le  carbonate  de  cliaux  est  porté  :  mais, 
visiblemeni,  l'Ile  (Ii'|m'iiiI  imi  outre  de  l'aire  dr  la  sui'face  libre 
des  morceaux  de  carbonate  de  chaux  et  elle  est  proportionnelle 
à  cette  aire,  car  l'émission  de  gaz  carbonique  se  fait  exclusive- 
ment par  cette  surface.  La  vitesse  de  la  seconde  réaction 
dépend  de  la  température,  de  la  pression  du  gaz  carbonique: 
mais,  en  outre,  elle  est  proporiionnelle  à  l'aire  de  la  surface  par 
laquelle  la  chaux  conhiie  au  gaz  carbonique:  c'est,  en  elfel,  le 
bmg  de  cette  surface  qin^  la  chaux  absoibe  le  gaz  carlxuiique. 
Si  nous  égalons  entre  elles  les  expressions  des  deux  vitesses, 
l'équation  obtenue,  qui  est  l'équation  d'équilibre  du  système, 
contient  le  rap|)ort  entre  la  surface  des  fragments  de  carbonate 
de  chaux  et  la  surface  de  la  chaux  vive:  l'état  d'équilibre  qui 
s'établit  dans  le  système  dépend  de  la  valeur  de  ce  rapport.  On 
dr'monire  sans  peine  que  la  tension  de  dissociation  du  carbonate 
de  calcium  à  une  température  donnée  varie  dans  le  même  sens 
(|ue  ce  rapport:  elle  augmente  si  l'on  accniil  la  surface  libre  du 


L.\  Y' /■;■;* i.v  /);•;  mi.\ti:  4G7 

carbonate  de  chaux:  elle  <liiiniiiic  si  lOii  aiii:mon(f'  la  surface 
lihro  «le  la  chaux. 

11  est  aisé  lie  soumettre  ce^  prévisions  ;ni  contrôle  des  \\ù[>: 
lexpériencc  à  faire  est  très  sim|)le;  elle  a  été  réalisée  par 
Delirav ,  et  le  résultat  très  net  qu'elle  a  donné  contredit  formel- 
lement les  propositions  que  nous  venons  dénoncer:  à  une  tem- 
pérature donnée,  la  tension  de  dissociation  du  Carhonate  de 
chaux  est  alisolument  déterminée  :  elle  ne  dépend  aucunement 
de  l'élendui'  respective  de-  sinTarc<  de  1m  cIkiuv  el  du  cariimate 
de  cliaux. 

La  théiu'ie  de  Féquilthre  chimique  rnuliilc  est  donc  démentie 
par  les  faits,  comme  l'a  reconnu,  dès  IM7;<,  .M.  liorstmann,  qui 
en  avait  été,  tout  d'ahoi'il,  un  chaud  partisan.  <■  On  parvient, 
écrivait-il  à  cette  époque  il  1,  à  des  contradictions  avec  l'expé- 
rience, car  <»n  ne  peut  explicjuer  d'une  manière  satisfaisante  ce 
fait  maintes  fois  vérifié,  que  la  masse  de-^  corps  solides  n'a  pas 
(i'iniluence  sur  le  degré  de  dissociation. 

La  théorie  des  atomistes,  qui  ne  met  en  la  matière  que  ligure 
et  mouvement,  comme  la  théorie  newtonienne,  qui  doue  les 
atomes  de  forces  attractives  ou  répulsive>.  sont  demeurées 
incapables  de  s'accorder  avec  les  phénomènes  de  dissociation  : 
les  deux  doctrines  entre  lesquelles  s'étaient  partagés  les  physi- 
ciens du  xvm''  siècle,  et  qui  avaient  porté,  dans  la  première 
moitié  (lu  xix°  siècle,  une  si  abondante  moisson  ont,  l'une 
et  l'aulre.  vainement  tenté  de  constituer  une  Mécanique  chi- 
nii(]ue. 

P.   DU  HEM; 

.1    sllirif. 


(1)  rioasTMANX,  Liehitf's  Annaleii  der  Cheiiiie  iiiid  l'hai'iitacie.  t.  CLXX,  p.  20?,  1873. 


LES  CENTRES  DE  PROJECTION 

ET 

LES     CENTRES     D  ASSOCIATION 

DU    CERVEAU    DE    L  HOWIVIE 
D'après    les   travaux   de    P.    FLECHSIG. 


KT.VT    Dr.    LA    UlESTION     AVAM     I.KS    TUAVAl  X     l>i:    ll.KCIISIC. 

Dans  lin  discours  prononce'-  on  ISiMl,  à  roiiverliirc  du  Congrès 
de  niédccinc  de  Nancy,  le  professeur  l'tlres,  u|)rès  avoir  exposé 
révolution  de  la  doctrine  si  souvent  remaniée  des  localisations 
cérébrales,  formulait  à  son  tour  une  hypotiièse  itasée  sur  la  dif- 
férenciation fouctionnellc  des  éléments  constitutifs  de  l'écorce, 
telle  qu'elle  résulte  d'une  analyse  rigoureuse  de  leurs  réactions 
physiologiques  et  pathologiques.  «  Il  existe,  disait-il.  dans  la 
substance  a:rise  des  circonvolutions,  des  cellules  de  formes  très 
variées.  Mais,  quelle  que  soit  la  variabilité  de  leurs  apjiareuce^ 
extérieures,  on  peut  les  diviser  en  deux  groupes.  Les  unes  ont 
de  longs  prolongements  cylindraxiles,  se  rendant,  on  passant  h 
travers  la  capsule  interne,  dans  les  centres  bulbo-méduUaires 
sous-jacents  :  ce  sont  les  cellules  pyramidales.  Les  autres  sont 
de  simples  éléments  d'associations  qui  se  rendent  d'un  point  à 
l'autre  de  l'écorce.  L'anatomie  histologique,  qui  nous  fournil 
des  détails  très  jirécis  sur  la  morphologie  de  ces  éléments,  est 


CEMliKS  /)/■:  l'll(i.lKCTIn.\  ET  l'ESTIiES  li.\SSnCI.\TI(i\  I6!i 

altsolumcnl  incapable  de  nous  riMiseitiiier  snr  Irnrs  tunctinns. 
I.a  physiologie  expérimentale  et  surtout  l'observation  anatomo- 
clinique  peuvent,  au  contraire,  nous  permettre  de  nous  rendre 
compte  de  leurs  attributs  fonctionnels,  grâce  à  la  disposition 
qui  réunit,  au  niveau  de  la  capsule,  tiHis  tes  prolongements  des 
neurones  à  projection.  U  est  clarr,  en  efTet,  étant  données  ces 
dispositions,  qu'une  lésion  destructive  de  la  région  rapsiilaire 
supprimera  les  manifestatious  fonctionnelles  dérivant  des  cel- 
lules pyramidales,  sans  altérer  directement  celles  des  cellules 
d'association.  Or,  les  lésions  de  la  région  capsulaire  ne  sont  pas 
rares.  Ludwig.  TiiR'k  et  Charcot  en  ont  fort  bien  étudi(''  Tes  edet^^. 
Il  rési>lte  de  leui-s  recherches  que  les  lésions  destructives  limi- 
tées à  la  partie  postérieure  de  la  capsule  interne,  e'est-à-dire  à 
la  partie  dans  laquelle  se  trouvent  réunis  les  cylindres  des  cel- 
lules pvramiilales  de«  circonvolutions  sphéno-occipitales.  don-- 
uent  lieu  à  l'Iiémianestbésie  sensitivo-sensorielle.  Celles  qui 
siègent  plus  en  avant,  sur  les  faisceaux  de  cylindraxes  pro- 
venant des  cellules  pyramidales  des  lobes  fronto-pariétaux. 
déterminent  l'hémiplégie  motrice  vulgaire  :  eniin,  celles  qui 
sectionnent  la  totalité  des  faisceaux  capsulaires  provoquent 
l'hémiplégie  associée  à  l'hémianesthésie.  Mais,  même  dans  ces 
derniers  cas.  elles  ne  retentissent  pas  gravement  sur  les  fonc- 
tions psychiques  supérieures.  La  pensée,  l'intelligence,  l'asso- 
ciation des  idées,  la  reviviscence  et  la  recollection  des  images,  le 
jugement,  la  volonté,  ne  sont  pas  atteints  d'une  façon  évidente. 
La  cécité  verbale,  la  surdité  verbale,  l'aphémie.  ne  résultent 
jamais  des  altérations  destructives  des  faisceaux  capsulaires. 
«Nous  en  concluons  que  les  cellules  pyramidales  de  l'écorce. 
celles  qui  donnent  naissance  aux  prolongements  cylindraxiles 
dont  le  gr(jupemeut  forme  la  capsule  interne,  ne  servent  qu'à 
deux  des  grandes  fonctions  cérébrales  :  la  motricité  et  la  sensibi- 
lité. Elles  sont  indépendantes  des  facultés  psychiques  supé- 
rieures... Celles-ci  siègent  dans  les  innombrables  neurones 
d'association,  de  foroïe  et  de  volume  très  variés,  dont  les  arbo- 
risations terminales  siUonnent  en  tous  les  sens  la  substance 
grise  des  circonvolutions.  Ces  neurones  n'ayant  pas  de  projec- 
tion capsulaire,  n'étant  nullement  groupés  en  ilôts  anatomique- 
ment  séparés,  ne  sont  pas  accessibles  à  nos  moyens  d'expéri- 


470  D'-  i:.   HAI.TUS 

montation.  Ils  {''clinppcnt  nn-me  à  la  méthode  anatoTiio-cUni(iuo, 
à  cause  dos  retontissements  lointains  ot  à  extension  indétermi- 
nable des  lésions,  même  les  pins  limitées,  du  cortex  (i).  « 
(>omnie  on  le  verra  dans  l'exposé  que  nous  nous  proposons  de 
l'aire  de  la  théorie  de  Flechsig,  les  vues  systématiques  de 
i'ilres  présentent  avec  celles  de  ce  savant  de  profondes  aflinités; 
elles  en  dilTèrent  cependant  sur  un  point  essentiel  :  la  réparti- 
lion  des  neurones  de  projection  et  d'association.  Alors  que 
l'itres  et  tous  les  auteurs  sans  exceplidu  prnclanuiient  la  dissé- 
mination de  ces  lieux  catégories  de  neurones  sur  loule  l'éten- 
due des  hémisphères,  Flechsig,  en  se  basant  sur  une  méthode 
spéciale,  la  méthode  myélogénétique,  affirma  il  leiii-  groupement 
en  îlots  anatoniiquement  séparés  et  dès  lors  accessibles,  sinon 
h  l'expérimentation,  attendu  qu'ils  n'existent  avec  leur  plein 
développement  que  dans  le  cerveau  de  l'homme,  du  moins  au 
contrôle  anatomo-cl inique. 


Il 


l'IUMIIIM-:    liK    l.\     MIMMnIii;    DR    FI.RCIISK; 

Pour  comprendre  le  principe  de  la  méthode  mvidogénétique, 
il  faut  se  rappeler  tout  d'abord  que,  dans  son  iHat  embryonnaire 
le  plus  primitif,  le  prolongement  cylindraxile  de  la  cellule  ner- 
veuse est  unic|ueinent  formé  par  la  juxtaposition  île  fibrilles 
faisant  suite  à  son  réticulum  a(  hromalique.  Le  cylindre-axe 
ainsi  constitué  peut  rester  nu,  et  il  en  est  ainsi  à  l'origine 
comme  à  la  terminaison  de  tous  les  nerfs;  mais  il  peut  aussi 
se  compliquer  par  la  juxtaposition  d'éléments  mésenchymateux 
ama'boïdes  (les  cellules  de  Vignal)  qui,  par  leur  accolement 
lui  fournissent  une  gaine  pourvue  ou  non  d'un  étui  de  myéline. 
On  peut  donc  diviser  les  libres  nerveuses  en  iilires  amyéliniques 
et  en  fibres  myéliniques.  Les  premièrt's,  dites  encore  fibres 
grises  ou  fi  lires  de  Remak,  caractérisent  le  système  du  grand 
sympathique;  les  secondes,  ou  fibres  blanches,  sont  propres  au 
système  cérébro-spinal. 

(Il  Presse  médicale,  1896,  n,  65,  p.  317. 


cEMitEs  m-:  viiiUKCTiits  et  cF.srnr.s  DAssiiciMiny        171 

Or,  Flechsig  ;i  dOiiioulré  d('|uus  luiiglL'ni)is  ([uc  ruppuriliuii  iK' 
la  myéline  se  fait  à  des  moments  très  dillerents  de  la  vie  em- 
iiryonnaire  ou  même  post-embryonnaire  pour  les  divers  fais- 
ceaux ou  cordons  dont  se  compose  le  système  condueleur  des 
centres  nerveux.  On  trouvera  donc,  à  une  certaine  é|ii,([ue.  tel 
faisceau  myélinisé  alors  que  (cl  .lutre  est  encore  anivi'linique, 
ce  qui  permettra  de  les  dislinj^uer  aiscmeni.  De  plus,  si  l'on 
admet  avec  l'leclisi|;  que  la  myéline  n'apparaît  qu'avec  la  mise 
en  activité  de  l'élément  nerveux,  qu'elle  se  forme,  non  pas 
quand  les  connexions  anatomiques  se  trouvent  établies,  mais 
bien  quand  les  neurones  commencent  à  fonctionner,  on  recon- 
naîtra que  la  recherche  de  la  myélinisation  est  en  état  de  per- 
mettre, non  seulement  la  distribution  anatomique  des  dilférents 
faisceaiix  uerveux,  mais  encore  la  date  de  leur  entrée  en  fonc- 
tion. 

()n  houvc  ainsi  ([ue  la  myélinisation  déliuli'  par  la  nuKdle 
pour  s'étendre  ensuite  successivement  aux  parties  supérieures 
de  Taxe  cérél)ro-spinal.  Elle  envahit  d'abord  les  nerfs  périphéri- 
ques médullaires,  c'est-à-dire  les  constituants  des  réilexes  les 
plus  simples,  puis  les  fibres  commissurales  qui  associent  le 
fonctionnement  des  dilTérents  étages  de  la  moelle,  et,  successi- 
vement, les  voies  conductrices  des  excitations  au  bulbe,  au  cer- 
velet, enfin  aux  couches  optiques  et  à  l'écorce  des  hémisphères 
cérébraux.  Ce  dernier  travail  s'efTectue  dans  les  deux  derniers 
mois  de  la  vie  intra-utérine  et  procède  par  étapes  permettant  la 
différenciation  de  groupes  de  faisceaux  en  rapport  avec  les 
récepteurs  périphériques  de  la  sensibilité  générale  ou  spéciale. 
L'ordre  de  succession  met  en  tète,  et  à  peu  près  sur  la  même 
ligne,  les  libres  de  la  sensibilité  tactile  et  olfactive;  vienncnl 
ensuite,  à  grand  intervalle,  les  fibres  (i|)li([ues,  en  dernier  lieu 
les  auditives,  du  moins  dans  leur  portion  correspondante  au 
limaçon,  les  libres  cochléennes.  —  A  cette  époque,  les  voies 
motrices  issues  des  circonvolutions  centrales,  les  faisceaux 
pyramidaux  sont  encore  dépourvus  de  moelle,  et  les  mouve- 
ments réilexes  ne  peuvent  s'elTectuer  que  par  l'intermédiaire 
des  ganglions  infra-corticaux.  Ce  n'est  qu'au  moment  de  la 
naissance,  et  même  quelque  peu  après  celle-ci,  que  la  myéline 
s'empare  de  ces  libres;  à  la  lin  du  premier  mois  de  la  vie  extra- 


472  D'   K.  BALTl  S 

ntérino,  leur  gaine  est  complète  et  lare  céréltral  réllexe  entiè- 
rement constitué. 


DIVISION  Di;  r.  i;c(inr.r:  ckricurm.i:   i;>   (;i:.\  lhi:s  di;   l'isn.iKcrroN 

ET    CI^.NTnES    DASSOIIATION 

•1.  —  Cinilrcs  (II-  priiji'diiDi . 

Flechsig  a[)pelle  Cfiitrcs  de projecliun  ou  Sp/i'rrs  si-nsorielles 
tous  les  champs  corticaux  pourvus  d'une  connHiin-  rai/onnantc 
et  se  trouvant  en  relation,  par  ce  moyen,  avec  les  masses 
grises  inférieures  du  névraxe  (1).  Chacun  de  ces  centres,  à  létat 
de  développement  complet,  est  relié  par  un  iloiiltlc  faisceau  de 
libres  ascendantes  el  descendantes  ou  libres  de  prdjeclion  à 
l'organe  périphérique  des  sens  correspondants,  il  n'existe  donc 
pas  de  zone  sensorielle  pure  ni  de  zone  moti'ice  j)ure.  Les  cen- 
tres de  projection  sont  des  centres  mixtes,  sensori-moteurs, 
préposés  aux  réllexes  d'origine  corticale. 

Chez  l'homme,  leurs  territoires  ne  sont  pas  confondus,  mais 
disposés  sous  forme  dilots  séparés  par  de  vastes  surfaces  cor- 
ticales encore  amyéliniques  au  premier  mois  de  la  vie  extra- 
utérine et  biirs  d'élat  de  fonctionner. 

Les  sphères  sensorielles  sont  au  nombn»  de  quatre  :  la  tac- 
tile,, l'olfactive,  la  visuelle  et  l'auditive.  La  s[)hère  di'  la  gusta- 
tion n'a  pas  encore  été  isolée. 

1.  La  sphtre  tactile,  de  beaucoup  la  plus  étendue,  comprend 
les  circonvolutions  centrales  (frontale  el  pariétale  nscendantes), 

(1)  On  donne  le  nom  de  couronne  rayonnante  à  ["ensemble  des  fibres  qui  unis- 
sent l'écorce  cérébrale  aux  masses  grises  sous-jacentes  :  noyaux  opto-striés, 
isthme  de  l'encéphale,  cervelet,  bulbe  et  moelle  épinière.  Oe  sont  les  fibres  de 
projectiiin  du  premier  ordre  de  Meynert.  Elles  forment  la  majeure  partie  de  la 
substance  blanche,  dans  la<|uelle  on  reconnaît  en  outre,  mais  en  proportion  beau- 
coup plus  faible,  des  fibres  commissurales  et  des  fibres  d'association.  Les  fibres 
cuininissiirates  relient  l'un  à  l'autre  des  points  identiques  des  deux  hémisphères. 
Les  fibres  d'association,  de  longueur  variée,  relient  l'un  à  l'autre  deux  points  dif- 
férents d'un  même  hémisphère.  Considérées  de  bas  en  haut,  les  fibres  de  projec- 
tion se  déploient  en  un  éventail  dont  les  ru;/ons  ou  faisceaux  marchent  vers 
récorce,  d'où  le  nom  de  coumnne  rayonnante  donnée  à  leur  groupement. 


i'ESTHi:s  /»/•:  fitii.iECTiiiy  et  (EyruEs  irAssiicurins        ■,;:! 

le  loliiile  paraconiral,  la  partie  voisine  de  la  eirconvoliiiidu  du 
eorps  callevix  el  la  partie  postérieure  dos  trois  circonvolutions 
frontales.  Cette  aire  est  Taboutissant  de  toutes  les  tijjres  de  la 
voie  sensitive  centrale,  amenant  au  sensorium  les  inipiv^ssions 
de  la  sensibilité  £;énéralc.  Elle  reçoit  encore,  très  probable- 
ment, les  fibres  de  la  sensibilité  gustative.  En  connexion  avec 
ces  libres  ascendantes,  sensitives,  se  trouvent  dans  le  même 
centre  les  noyaux  d"orig;ine  de  fibres  descendantes,  motrices, 
dont  rensemble  constitue  le  faisceau  pyramidal  y  compris  le 
faisceau  géniculé)  ou  voie  motrice  principale,  comme  aussi  des 
libres  corticu-protubérantielles  antérieures  qui  se  rendent  aux 
noyaux  du  pont. 

2.  La  .yj/t<rf'  olfactive  comprend  le  trigone  olfactif  et  la  partie 
voisine  de  la  circonvolution  du  corps  calleux,  la  substance  per- 
forée antérieure,  le  repli  unciforme  et  la  partie  voisine  de  la 
circonvolution  de  riiip|)ocampe.  Les  libres  centrifuges  sont 
encore  mal  déterminées,  (hi  sait  cependant  i|iir  le  centre  olfac- 
tif est  relié  par  des  libres  de  projection  au  noyau  lenlicnlaii-e. 
à  la  concile  optique  et  à  la  corne  d'Ainnion. 

:{.  La  sjilu'rr  rlsKcllr  comprend  la  l'ace  inlerne  de  cbaciue 
liémisplière  cérébral  entourant  la  scissure  calcarine.  De  là  par- 
tiraient des  libres  centrifuges  qui  s'arboriseraient  dans  la  coiicbe 
optique  correspondante  et  se  relieraient  par  son  intermédiaire 
soit  aux  noyaux  moteurs  destinés  aux  muscles  des  globes  ocu- 
laires et  de  la  tète,  soit  à  d'autres  masses  grises  inférieures, 
soit  à  la  spbcre  tactile.  Ainsi  s'expliquerait  l'inlhience  de  la 
vision  sur  certains  nioiiviMiienls  périphériques. 

4.  La  sphi-rp  amlitivi'  comprend  la  partie  postérieure  de  la 
première  temporale  et  la  partie  correspondante  de  cette  circon- 
volution qui  concourt  à  former  l'opercule  inférieur  de  la  scis- 
sure de  Sylvius.  Des  fibres  centrifuges  la  relieraient  aux  noyaux 
du  pont  et,  par  leur  intermédiaire,  aux  différents  muscles  de 
lappare.il  auditif. 

On  voit  qu'il  existe  entre  les  différentes  sphères  sensorielles 
une  notable  disproportion  d'étendue;  en  particulier,  la  sphère 
tactile  occupe  à  elle  seule  un  territoire  plus  grand  que  la 
somme  des  autres  territoires  sensoriels,  fait  caractéristique  du 
cerveau  humain.  L'exniicatinn  de  ces  différences  est  contenue 


h  i 


LES    SPHÈRES    SENSORIELLES    01'    CENTRES    IlE    PROJECTION    KT    LES    CENTRES    D  ASSOCIATION 

(d'après  Flechsig). 


LES    SPHÈRES    SENSORIELLES    OU    CENTRES    DE    PROJECTION   ET    LES    CENTRES   D  ASSOCIATION 

d'après  Flechsioi. 

I.  Sphère  tactile.  IV.  Sphère  olfactive. 

II.  Sphère  visuelle.  1.  Centre  d'association  antérieur. 

III.  Sphère  auditive.  2.  Grand  centre  d'association  postérieur. 


CESriiKS  DE  l'HiUKCrinS  ET  CEMItE^  liWSSiiClATIoy         ^Vo 

dans  une  lui  qu'il  est  possible  de  formuler  ainsi  :  <'  L'étendue 
en  surface  de  ehaque  spiu/re  sensible  varie  proportionnelle- 
ment h  la  surface  de  section  des  nerfs  p(''ri|)iiériques  correspon- 
dants. "  Ainsi  les  nerfs  tactiles,  les  nerfs  des  tendons,  etc., 
présentent  une  surface  de  section  bien  plus  considérable  que 
celle  des  nerfs  optiques,  et  celle  des  nerfs  optiques  dépasse 
celle  des  acoustiques,  i^es  aires  corticales  ne  sont  que  les  ter- 
ritoires de  projection  sur  l'écorce  des  surfaces  sensibles.  Dans 
chacune  d'elles,  les  libres  de  projection  sont  inégalement  répar- 
ties. Nombreuses  dans  la  partie  centrale,  partie  principale  qui 
reçoit  les  autorisations  terminales  des  libres  sensorielles;  plus 
clairsemées  dans  la  partie  périphérique,  accessoire,  qui  reçoit 
non  plus  les  fibres  sensorielles  elles-mêmes,  mais  les  collaté- 
rales de  ces  libres.  Leur  caractère  propre  est  d'être  groupées 
autour  des  scissures  principales  :  la  sphère  visuelle,  autour  do 
la  scissure  calcarine  ;  la  sphère  tactile  autour  de  la  scissure  de 
Rolando  ;  la  sphère  auditive  et  la  sphère  olfactive  dans  les 
parois  de  la  scissure  de  Sylvius.  Le  rôle  des  scissures  est  sans 
doute  d'étendre  ces  territoires  et  d'assurer  à  chaque  faisceau 
sensitif  le  cliamp  continu  nécessaire  à  son  expansion. 

C'est  dans  les  centres  sensoriels  de  l'écorce  que  les  diverses 
'  impressions  venues  des  organes  des  sens  par  une  série  de  neu- 
rones superp(jsés  se  transforment  en  sensations  perçues  et 
associées  à  des  images  ;  c'est  de  là  que  partent  vers  la  péri- 
phérie, par  une  série  d'autres  neurones  descendants,  les  inci- 
tations motrices  correspondantes.  On  s'explique  ainsi  l'hémi- 
anesthésie  complète  qui  suit  l'interruption  de  la  couronne 
rayonnante  de  la  sphère  tactile  (hémianesthésie  de  ïiirck),  la 
perte  du  sens  tactile,  du  sens  thermique  de  la  peau,  des  organes 
sexuels,  des  muqueuses  oculaire,  buccale,  nasale  et  auditive, 
de  la  sensibilité  à  la  douleur  de  toutes  les  régions,  de  la  sensi- 
bilité musculaire,  tendineuse,  articulaire,  électro-cutanée  et 
électro-musculaire.  Les  malades  de  cette  catégorie,  dans  les  cas 
les  plus  graves,  sont  incapables  de  distinguer  les  poids,  d'in- 
diquer la  position  de  leurs  membres  sans  le  secours  des  yeux. 
La  lésion  est-elle  bilatérale,  ou  les  deux  sphères  hors  de  fonc- 
tion, l'individu  perd  la  conscience  directe  de  son  propre  corps; 
il  peut  bien  la  ressaisir  par  le  secours  des  yeux  ou  des  oreilles, 


47(;  D*-  E.  BALTbS 

mais  si  on  lui  ferme  les  yeux  ou  les  oreilles,  sa  conscience 
s'évanouit.  C'est  de  cette  même  région  que  partent  les  réllexes 
psychiques  volontaires  de  la  mastication,  de  la  déglutition,  de 
la  respiration,  de  la  locomotion,  de  l'articulation  verbale.  «  Les 
besoins,  les  instincts,  les  tendances  vagues  et  obscures  de  l'or- 
gcanisme,  toutes  ces  inclinations  naturelles  n'acqnièient,  selon 
Flechsig,  un  caractère  psychique  qu'en  s'élevant  dans  la  sphère 
sensitivo  du  corps  où  il>  sont  perçus  comme  sentiments  con- 
scients de  la  faim,  de  la  soif.  etc.  »  (Soiry.) 

Des  considérations  du  même  ordre  s'applicpient  aux  autres 
sphèi-es  sensorielles,  comme  le  démontrent,  dans  l'ordre  patho- 
logique, l'hémianopsie  qui  suit  la  destruction  d'une  sphère 
visuelle,  la  diminution  de  l'ouïe  qu'entraîne  du  côté  opposé  la 
destruction  d'une  sphère  auditive,  altération  qu'on  remarque 
à  peine  parce  que  chaque  oreille  est  en  rapport  avec  les  deux 
sphères.  La  cécité  complète  ou  la  surdité  complète  sont  la  con- 
séquence des  destructions  bilatérales. 

Aussi  longtemps  que  ces  sphères  restent  à  l'état  d'îlots  sépa- 
rés, il  ne  saurait  être  question  de  fusion  entiT  les  divers  états 
de  conscience  créés  par  les  excitations  qui  leur  parviennent. 
Assurément  cet  isolement  n'est  pas  absolu;  mais  le  nombre  des 
libres  nerveuses  qui  relient  directement  entre  elles  les  sphères 
sensitives  est  extrêmement  restreint,  hors  de  proportion  avec 
l'étendue  de  ces  centres,  à  une  seule  exception  près  relative 
aux  traclus  jetés  entre  les  sphères  tactile  et  olfactive.  (Ihacune 
des  sphères  sensorielles  fonctionne  donc  pour  son  propre 
compte,  d'une  rftanière  autonome,  en  éveillant  de  la  sorte  autant 
de  perceptions  séparées,  de  consciences  élémentaires,  et  tel  est 
l'état  du  nouveau-né. 

2.   —  Ci'iilri's  il'iis<.ii<:ialio}> . 

Mais  au  deuxième  mois  de  la  vie  extra-utérine,  des  fibres 
myélinisées  sorties  des  sphères  sensorielles  pénètrent  de  tous 
eûtes  dans  ces  espaces.  Avec  les  progrès  de  la  croissance,  ce 
sont,  dit  Flechsig,  des  millions  et  des  millions  de  libres  d'asso- 
ciation de  ce  genre  qui  se  jettent,  comme  des  afiluents,  dans  ces 
mers  étendues  entre  les  continents  sensoriels  où  se  trouvent  les 


ri:yriiKs  ue  l'iKUEiriny  i.i  i-kmiu.s  d  Assm  i mius       it: 

tcllules  tl'orii;inc  de  ces  libres  ci'iilrifièili's.  Plus  lard,  sortenl  à 
lour  tour  de  ■ces  mors  d'iiuiomliraLles  lilires  provenant  de  leurs 
cellules  propres  et  qui  vont  s'arboriser  dans  les  zones  senso- 
rielles. Ainsi  se  tronvent  l'ormés  des  Ci'/t/ifs  d'axsi)ii((tif}ii  , mu- 
nis de  libres  centripèdes  qui  leur  apportent  les  ébranlements 
des  divers  modes  de  sensibilile,  cl  de  libres  centrifuges  qui  leur 
pernietlenl  de  répondre  à  ces  provocations  par  une  action  inci- 
lalricc  ou  inbibitrice  de  mouvement.  Ces  centres  sont  nu  nombre 
de  trois  : 

1.  Le  <irattil  if'iiirc  </'fis>iari<iiifiii  pimli-rii-iiv,  comprenanl  le 
précoin,  toutes  les  cireonvolutinns  |)ariélales,  une  partie  du 
(/i/nis/ijif/val,  la  circonvolution  l'usil'orme,  les  deuxième  et  troi- 
sième temporales,  y  compris  le  pôle  temporal  ;  et,  sur  la  partie 
externe  du  cerveau,  la  partie  extérieure  des  trois  circonvolu- 
tions occipitales. 

2.  Lr  vfiitre  d'association  inut/eii,  correspondant  à  l'insula  de 
Ueil. 

3.  Le  irntri'  d'association  antérifur,  constihié  par  la  moitié 
antérieure  de  la  prenrière  frontale  et  la  majeur»»  partie  de  la 
seconde;  il  faut  y  joindre  la  base  du  lobe  frontal,  particulière- 
ment le  gijius  reclus. 

Si  tous  ces  centres  ont  pour  caractère  dèlre  formés  de  libres 
d'association,  tous  se  distinguent,  en  outre,  sinon  par  l'absence 
absolue,  tin  moins  par  l'exlrcme  paiivrcti'-  de  leurs  fibres  de 
|>roiection.  Impuissants  à  rien  recevoir  directement  du  mili(>u 
interne  et  externe,  ils  sont  également  sans  action  directe  sur 
les  organes  péripliériques. 

.Vussi  leur  rôle  est-il  bien  distinct  de  celui  des  centres  de 
projection:  il  est  d'une  nature  plus  haute.  Les  centres  d'asso- 
ciation sont  les  foyers  où,  de  la  conihience  et  de  la  fusion  des 
impressions  sensorielles  les  plus  diverses,  naissent  ce  que  les 
Latins  appelaient  «  cogitations  »,  ce  que  nous  appelons  aujour- 
d  liui  la  pensée,  mot  qui  comprend  tnules  les  fonctions  suj)!'- 
licnres  de  l'entendement  liumain.  Là  sont  iixées  dune  manièri' 
durable  les  images  mnémoniques;  c'est  là  également  que  se 
l'ait  la  com[taraison  de  ces  images.  Le  savoir,  la  connaissance, 
les  sentiments  esthétiques  résultent  de  leur  activité.  Et  ce  n'est 
point  là  une  pure  hypothèse,  mais  la  conséquence  de  l'analyse 


478  D^  E.   BALTIS 

(les  troubles  psychique?  liés  à  l'altération  de  ces  centres,  alté- 
rations que  le  microscope  permet  de  suivre  dans  les  détails  les 
plus  minutieux  1 1  ,. 

A  côté  des  attriliutions  générales,  communes,  il  y  a  lieu  de 
reconnaître,  dans  chacun  des  centres  d'association,  dos  fonctions 
particulières  en  rapport  avec  la  spécialité  des  connexions  anato- 
miques. 

Ainsi  le  grand  centre  (\'a>iso(  Hilinn  pos/rrii  nr,  intercalé  entre 
les  sphères  visuelle,  auditive  el  tactile,  le  [ilus  important  con- 
sé(|uemmenl  par  ses  relations  de  même  que  par  son  étendue, 
semble  être  le  substratum  principal  des  images  des  choses  exté- 
rieures et  des  signes  ou  s\mbi>les  du  langage.  Là  se  trouvent 
les  foyers  dont  la  lésion  (à  gauche  chez  les  droitiers)  se  mani- 
feste par  ces  formes  de  cécité  ou  de  surdité  psychiques,  dites 
(<  aperceplives  »,  où  les  malades  peuvent  bien  conserver  la  per- 
ceplinn  des  mois  ou  des  signes  graphiques,  mais  se  trouvent 
incapables  d'associer  ces  perceptions  ave«  les  imagos  repré- 
senlatives  qui  permettent  seules  d'en  comprendre  la  signitica- 
tiou.  ■ 

Le  centre  d'association  moi/ni,  placé  entre  les  sphères  audi- 
tive, olfactive  et  tactile,  a  sans  doute  pour  mission  d'associer  les 
im|)ressions  auditives  avec  les  organes  moteurs  du  langage. 

Le  cenUc  d'association  anti-rieur,  interposé  entre  les  sphères 
lad  i le  et  (il l'active,  a  dos  fonctions  moins  nettement  déterminées, 
jolies  doiv(>ul  être  considérables,  sans  aucun  doulo,  car  le  sys- 
lèmc  de  proiecliiin  ne  prend  (|u'umç  faible  part  à  la  coustilulidn 
de  lu  substance  blanche  du  lobe  frontal.  De  longues  libres  d'as- 
sociation relient  principalement  les  sphères  tactile  et  olfactive 
avec  le  pôle  du  cerveau  frontal  :  mais  Flechsig  n'a  pu  déterminer 
avec  certitude  si  les  sphères  auditive  et  visuelle  étaient  on  con- 


i\\  (>.  1  ingage,  un  peu  imprécis,  signifie  que  l.i  vie  intellectuelle  dépend,  d'une 
iiiuniiie  génc  raie,  de  certaines  parties  de  l'écorce  cérébrale.  Le  savant  constate 
icUe  dépendance.  Il  appartient  au  pliilosophe  d'en  préciser  la  nature.  Pour  un 
matérialiste,  l'eidrce  du  cerveau  est  Ja  condition  intérieure  et  exclusive  de  la 
pensée.  Pour  un  spiritualiste  outré  de  l'école  de  Descartes,  elle  n'est  qu'une 
condition  tout  à  fait  extérieure.  Les  spiritualistes  péripatéticiens  estiment  f|ue 
les  lornies  inférieures  de  la  pensée,  sensation,  imagination,  mémoire,  perception, 
dépendent  directement  des  centres  de  Klechsig;  tandis  que  ses  formes  supérieures. 
al)i'.r..ction  intellectuelle,  jugement,  raisonnement,  science,  n'en  dépendent  qu'in- 
directement, en  tant  qu'elles  ont  besoin  des  formes  inférieures. 


CEsriiKs  i)K  l'inuEcrKiy  kt  cestiif.s  /i.ussnc/ ir/o.v       iv.i 

nexion  dircctp  avec  lui.  On  poul  émellro  riiypntlièse  quo  ce 
centre  localise  particulièrement  les  images  mnémoniques  (mi 
rapport  avec  les  divers  penchants  ou  ri''pnlsions,  les  sentiments 
instinclit's,  les  mouvements  ou  séries  de  mouvements,  les 
actions,  cest-à-dire  les  composants  fondamentaux  de  la  Person- 
nalité consciente  et  les  ré>;ulaleurs  essentiels  de  nos  actes.  A  la 
suite  de  ses  lésions,  il  semhle  (|(ie  le  dioI.  la  faculté  d'abstrac- 
lion.  la  volonté,  sont  particulièrement  atteints. 

Il  est  à  remarquer  que  les  centres  insulaires  sont  relativement 
pauvres  en  lilires  calleuses,  alors  que  ces  dernières  relient  abon- 
damment, d'un  hémisphère  à  l'autre,  les  centres  antérieur  et 
j)Oslérieur.  Ciuican  des  centres  insulaires  est  en  connexion  prin- 
cipale avec  les  champs  corticaux  du  côté  correspondant:  il  est 
[)erniis  d'en  conclure  qui^  leurs  fonctions  sont  plutôt  locales. 

(iràce  aux  connexions  réalisées  par  les  libres  calleuses,  la 
division  du  cerveau  en  deux  parties  n'est  qu'apparente  et  pnre- 
ment  extérieure;  les  systèmes  d'association  du  corps  calleux 
réalisent  mieux  l'unité  du  cerveau  que  ne  le  ferait  la  confusion 
des  hémisphères  sur  la  ligne  médiane.  Les  deux  hémisphères 
ne  constituent  pas  deux  organes,  mais  un  organe  double. 

Le  nombre  des  libres  d'association  (jui  relient  directement  le 
centre  antérieur  et  le  grand  centre  postérieur  est  relativement 
faible;  aussi  faut-il  admettre  entre  ces  deux  centres  des  con- 
nexions d'une  autre  espèce;  oh  ne  peut  les  trouver  que  dans  la 
sphère  tactile  interposée  entre  ces  deux  centres,  de  même  que 
la  sphère  auditive  s'intercale  entre  le  grand  centre  postérieur  et 
le  centre  insulaire.  La  sphère  tactile,  d'où  nail  la  conscience 
(lu  corps,  est  donc  d'une  importance  toute  spéciale  dans  l'unili'^ 
de  la  vie  [)sychologique. 

Les  sillons  qui  appartiennent  aux  centres  d'association  appa- 
raissent beaucoup  plus  tard  que  ceux  des  centres  sensoriels 
phylogénétiquemenl  beaucoup  plus  âgés.  Leurs  divisions  secon- 
daires agrandissent  dans  les-deux  cas  l'étendue  des  centres  cor- 
respondants;  observation  très  importante  pour  les  études  com- 
parées qui  se  proposent  de  mettre  en  parallèle  les  qualités 
ps\  chiques  d'un  cerveau  avec  la  richesse  de  ses  circonvolulion>. 
1!  faut,  avant  tout,  déterminer  le  siège  de  cette  richesse  relative. 
On  constate  de  très  grandes  dilTérenccs  sous  ce  rapport.  .\in>i. 


480  D'   K.   B.VI.TIJS 

le  grand  centre  postérieur  peut  être  très  iléveluppé  comparative- 
ment au  centre  antérieur  et  réciproquement.  Dans  los  cerveaux 
d'idiots  on  trouve  parfois  tel  ou  tel  centre  d'association  bien 
développé,  alors  que  tel  autre  est  presqu'entièi'ement  atrophié, 
et  il  en  est  de  même  des  centres  sensoriels.  De  là  des  diMicits 
partiels  dans  les  facultés  de  connaissance  comme  aussi  des 
talents  spéciau.K.  Il  y  a  là  un  cliamp  d'expldilation  très  riche 
pour  de  nouvelles  études  phrén(jlo^i(jues;  chaque  cerveau  a  sa 
physionomie  propre  à  la  condition,  hien  entendu,  de  tenir 
compte  dans  une  juste  mesure  des  .délecluosités  acquises  par 
suite  d'anomalies  de  nutrition,  etc. 

L'analiimie  comparée  ne  jtossède  l'iicurc  (juiiu  petit  uomhre 
i\o  di)ciinienls  bien  établis  sur  rexisleucc  des  centres  d'asso- 
ciation dans  la  série  animale.  Chez  les  ronp;('urs  (souris,  hams- 
tersi,  ces  centres  font  entièrement  défaut,  les  sphères  senso- 
i-ielles  se  touchent,  de  sorte  que  l'écorce  tout  entière  ,  à 
rexceplion  de  quelqui's  bandes  étroites,  lU'  laisse  reconnaître 
que  des  libres  de  projection  (ciiif/tihiiu,  (itni'i.i  hiiigiis,  /racùis 
dr  Laiicisi].  Chez  les  carnassiers,  les  centres  d'associatiim  sont 
encore  petits,  cl  Idu  n(>  |)eut  comiiarer  avec  celui  de  l'iKininu' 
le  cenlri'  l'roulal  ind(''iimi((>  du  chien  et  des  siiiiics  inférieurs 
que  par  le  secours  des  ex(ilati(ms  corticales.  Il  laul  arriver  aux 
singes  supérieurs  (catarhiniens)  pour  trouver  un  développe- 
ment égal  des  centres  de  projection  et  d'association.  Chez 
l'homme,  ces  derniers  prédominent  à  un  tel  point  qu'ils  occu- 
pent les  ilf'u.r  tii'rs  de  la  siu'face  totale  des  hémisphères.  Ou 
sérail  donc  dans  une  erreur  complète  en  Miulant  appliquer  à 
rhoinme,  dans  l'étude  forulamentale  de  snu  système  d'associa- 
tion, les  données  empruntées  au  cerveau  de  la  sduris,  par 
exempli'  ;  il  l'aui.  pour  cela,  s'adresser  à  riionimc  lui-même, 
ou  bien,  à  la  rigueur,  au  cerveau  des  singes  catarhiniens.  Une 
autre  grossière  erreur  consisterait  à  transférer  au  cerveau 
humain  certaines  expériences  physiologiques  ])ratiquées  chez 
les  animaux,  et  t(d  u  été,  par  exemple,  le  cas  de  Munck  lors- 
qu'il a  prétendu  que  les  centres  sensoriels  iHaient  disséminés 
sur  toute  la  surface  céréjjrale.  A  supposer  nn'une  que  cette 
affirmation  soit  exacte  pour  quelques  animaux,  elle  ne  le  serait 
pas  pour  l'homme,  (jui  se  particularise  à  cet  ('gard. 


I  i:.\ri!i>  m-:  i'i;ii.iEcriii.\  i:r  cf.stiii-.s  hWssnriMins        isi 


IV 


(Jl'.ir.CI  IONS     KI.KVKKS     CONTIii:     l.\     Ipik  :  riil  NK     l)K     KI.KC.IISIC..     

i.:;s  i)i-,BMi;i:s   i!i;m  \.mi;.mk.nis 
L:l    ilnclrinr   de    l'iccll^ii:  i|llr   Unils  VCIKIIIS  (r(>\|l(>S('r  llailS  SCS 

i;r.inil('^  lignes  ;i  élc  iliversi'inent  ïu-c-ui'illic  Alors  ([uç  Van 
(ii'liiK-lilcn  radoptait  avi/c  eiilliousiasmc,  nniiiin'  jetant  une 
vive  luniirrc  sur  la  valeur  l'elative  que  nous  (levons  attiilmer 
aux  ilillerenlos  parties  constitutives  de  nos  iiéniisphères  céré- 
braux, et  comme  s'harmonisant  avec  un  grand  nombre  de  faits 
cliniques  h,  Itéjerine  la  considérait  comme  en  contradiction 
absolue  avec  tout  ce  que  nous  enseigne  l'anatomie  normale  et 
l'étude  des  dégénérescences  secondaires.  '<  (ju'une  gi'ande  |)arti(* 
du  cerveau,  dit  cet  auteur,  soil  dépourvue  de  libres  de  projec- 
tion chez  rent'ant  en  bas  Age.  —  e[  le  cerveau  de  l'entanl  b^  |dus 
âgé  étudié  par  Flechsig  était  celui  d'un  enfant  de  cinq  mois,  — ■ 
la  chose  est  certaine.  Il  n'y  a  rien  d'étonnant  cà  ce  que  les  cen- 
tres sensoriels  et  senti vo-motenrs  se  développent  plus  vite  que 
d'autres  régions  de  l'écorce,  piii-(ju'ils  sont  d'ordie  phylogéné- 
lique  plus  ancien.  Mais  se  baser  sur  ce  fait  (|ue  certaines  libres 
ne  sont  pas  encor(^  (lévelop|>ées  à  une  certaine  période  de  la 
vie  poui'  ilire  (|u  elle--  n'exislent  pas  plus  lard,  c'est  là  une 
proposition  inadmissible. 

•I  Vouloir  ('tablii-.  en  elle!,  la  texture  du  cerveau  de  l'adulte 
en  se  basant  sur  l'étude  du  cerveau  d'un  enfant  de  cinq  mois, 
c'est-à-dire  sur  TiHude  du  cerveau  en  voie  de  développement, 
cela  reviendrait  à  dire  que  la  moelle  épinière  du  nouveau-né 
est  aussi  dévcdoppée  tju'une  moelle  d'adulle.  Nous  savons  le 
contraire,  et  nous  savons  aussi  (jue  le  cerveau  de  l'enfanl 
et  de  l'adolescent  continue  à  se  dévebqq)er  lorsque  b>  déve- 
loppement de  la  moelle  épinière  est  parachevé'  de|iuis  long- 
temps (2).  " 

f)  Vax  liEiiL'CHTKN  :  Anafomie  'lu  si/slOfue  ni'rroiir  ili'  l'Inutniie.  (leuxiùiiiL-  cri., 
1897,  p.  692. 

{'2)  D.-:4EKiNK  :  Sur  les  fibres  fie  projection  et  il'ifssociation  ries  liéinixplierci  ccre- 
bniiir.  C.  R.  Soc.  de  Liol.,  1897,  p.  US. 


i82  1)'   E.  BAI.TIS 

Iti's  ariiriiialions  aussi  cniitradictoiros  ajipclaienl  des  rct-licr- 
clies  do  conlrrde  ilont  on  prnl  dire  (luCUcs  nul  cinilii'inr  le  t'ai!, 
glanerai  de  la  myélinisafion  successive  des  dillei-eules  parties 
du  cerveau,  (oui  en  laissant  pressentir  que  les  lois  de  ce  phé- 
niiniène  sont  lieaucoup  plus  complexes  ([ue  ne  le  pensait 
l'iechsig.  D'autre  part,  ces  recherches  diflèrent  sur  les  conclu- 
sinus  à  df'duire  de  cette  constatation.  0.  Otto  (de  lierlin)  nous 
pai'ail  avoir  tVirnuilé  rohjection  la  plus  iniporlante,  eu  aifir- 
niant  (|iie.  ..  clie/  riioninie  coninie  chez  les  animaux,  il  va  des 
remuions  non  myélinisées  dans  les  tihres  de  projection  aussi 
longtemps  qn'il  y  a  des  régions  non  myélinisées  dans  lécorce  ; 
et  les  régions  non  myélinisées  des  tihres  de  projection  sont 
justement  celles  (jui  cuntiennont,  d'après  les  résultats  de  la 
dég(''nérescence  secondaire,  les  lihres  des  centres  non  ent-ore 
ui\  ('dinisées  (  I  ). 

Il  i'aul  recnniuiitre,  du  reste,  tjue  la  tluvirie  piimitix'e  de 
l'Ieclisig  a  sulii  depuis  lors,  et  de  la  part  uuMue  de  sou  auteur, 
d'imp(U'tanles  nuj.diiications  ([ui  laissent  prévoir  qu'elle  n'est 
pas  arrivée  à  sa  formule  détinilive.  Vax  18!J8,  à  la  suite  de  nou- 
velles recherches  emhryologiques,  l'iechsig  partage  l'écorce 
céréhraie  eu  quiiiante  territoires  correspondants  à  autant  de 
sla(li>s  de  diA (doppemeiil .  et  qui  |)euvent  être  répartis  en  trois 
^noipes  :  1"  les  lerritnires  à  dé\  eloppement  précoce  ou  lerri- 
Iciires  priuKirdiaux  ;  2"  les  territoires  à  di'V(doppemeut  |)lus 
tardildu  territoires  terminaux  :  ."i"  les  teri'itoiivs  intermédiaires 
(|ui.  au  pniul  de  vue  du  di''\ cioppeiuent.  se  placent  entre  l(>s 
deux  t'atégories  précédentes.  —  Les  primordiatix,  au  nonilire 
de  huit,  exist(Uit  chez  le  f(etus  avant  la  naissance  ;  les  internjé- 
tliaires,  au  immlire  de  x  ingt-quatre,  se  forment  dans  le  ju'eniier 
mois  de  la  vie  extra  uti'riue  ;  les  huit  terminaux,  ajirès  le  pre- 
mier mois  {2\. 

Plus  récemnu'nt  encore     '■'>  .  l'Ieclisiu  i'e\ient  sur  celte  ilivi- 


1  Vor.r  :  liluilf  sur  la  m;/éUiii.\alioti  des  liéinisjilit'res  réréhraux.  Thèse  de 
Paris,  19oa. 

|2  Xeiirologische  l'enlniUiInlt,  ISDS,  n"  i\.  Analysé  dans  Jiihresherirlit  île  Vii- 
c/tou:  189!).  p.  29. 

13)  XIII'  Conc;ri''S  internatiimal  de  médecine  de  Paris,  19110.  liapport  de  P.  Klecli- 
?ig  sur  les  «  CcnU'es'de  [irojeclion  et  d'association  ifu  cerveau  liuniain  ».  Rapports 
de  llitziy  et  de  Monalinw  sur  le  nicme  sujet.  — /«  Hroue  SeiiruL.  190»,  n'  14.  p.  (iSi. 


cESTisi.s  m:  i'n(i.ii:rriii\  i:r  r/;.Y77i/:s  ;)'.\s.s(/';_\7/m.\        in:! 

sion  et  ilrcliir.'   ■  (|u"il  y  a  tlf  ilix-liuil  à  \iii^l  iliiimps  myélogé- 
mHiqiifs  clioz  qui  uiir  roiiroiiin'  niymniiinli'  liicii  ilrvclcipiiéo  osl 
facile  il  mettre  en  évidence,  il  r-l   (i'auli-r-  i-liiMn|i-  ni\  lu  \>vr- 
sence  d'une  couronne  rayonnante  ne  peut  èlre  dtMUonlrée   ni 
chez  l'eiilant.  ni  cliez  l'adulte.  Celle-ci  ne  s'y  forme  donc  |)a> 
plus  tard  :  die  ne  s'y  développe  jamais.  "  La  division  fonda- 
menlali'  ihi  cerveau  en  centres  de  projection  et  centres  d'asso- 
ciation suiisiste  donc,  mais  corrig:ée  par  la  découverte  de  nou- 
vidles  liiiro  de  |)rojection  qui  amoindrissent  l'étendue  de  ces 
derniers  au  prolil  des  centres  sensoriels.  La  splière  tactile  gagne 
«luelqucs  centimètres  au   niveau   de    la  première  frontale  ;  il 
faut  lui  annexer  le  segment  le  plus  antérieui-  du  gyrus  supra- 
marginalis.   Le  gyrus  subaugularis  est  également   détaché  du 
urand  centre  d'association  postérieur.  Les  zones  mixtes  ou  péri- 
phériques rongent  encore  ces  territoires  déjà  amoindris  ;  elles 
louchent  les  centres  sensoriels  et  leur  sont  unies  par  de  nom- 
breuses libres  arquées  :  «  Peut-être  constituent-elles  des  forma- 
tions   de   transition    entre    les   territoires   riches   en   couronne 
rayonnante  et  ceux   qui  en   sont   dépourvus.  ,.  j^'insula  et   le 
procuneus  ne  semblent  consister  qu'en  zones  iiéiiplu'riques. 

La  caractéristique  du  cerveau  humain  est  reportée  dans  les 
territoires  centraux  des  centres  d'association  :  »  (À^  sont,  selon 
toute  apj)arence.  les  points  nodaux  de  systèmes  longs  d'asso- 
ciation. taiuli>  i|ni'  les  zone>  pi  riphériques  ne  présentent  que 
faiblemi'ul  ces  caractère-^.  >  Fle(disig  leur  rapporte  les  fonctions 
anlérieuremeut  attribuées  aux  zones  d'association. 

Esl-il  besoin  de  faire  remarquer  rinipnilauce  de  ces  rema- 
niements? Et  n'est-on  pas  tenté  de  suivre  .Monakow,  lorsqu'il 
dit  à  ce  sujet  :  «  Les  signes  anatomiqucs  dilférenliels  fonda- 
mentaux, qui  distinguent  les  centres  de  projeiti(m  des  centres 
d'association,  apparaissent  ici  un  i)eu  elTacés...  et  la  question 
analomique  se  pose  désormais  en  ces  termes  :  les  libres  de  pro- 
jection sont-elles  réellement  moins  nombreuses  dans  les  centres 
d'association  que  dans  les  centres  sensoriels?  Hitzig  trouve 
également  que  les  assertions  anatomiques  de  Flechsig  ne  sont 
plus  souteuiddes  dans  toute  leur  étendue.  Tous  deux  ailmettent 
le  bien  fondé,  au  moins  dans  ses  grands  traits,  de  la  loi  d'évo- 
lution ([ui   veut  ([ue  le  ib'veloppemcnt  des  centres  sensoriels 


tSV  II'  K.   lîALTlS 

[ir(''C('ilr  icliii  (les  i)arlios  curticalcs  qui  sorvirail  tlo  liaso  à 
l'iiilclligonce,  mais  considèrent  eommo  purement  liypotln'licjue 
pour  l(>  moment  (Hilziii  ou  même  insoulenaiile  Monaknw  i  la 
doctrine  qui  place  les  fonctions  supérieures  de  reulendement 
dans  des  foyers  corticaux  spécialement  délimités. 

•  .Mnlscré  ces  réserves,  dit  llilzi<i,  l'u-uvre  de  !'.  Flechsig  et 
ses  principales  idées  fondamentales  doivent  sans  doute  être 
appréciées  comme  un  véi'itable  progrès  pour  arriver  à  recon- 
naître la  structuic  et  les  fonctions  de  l'organe  de  la  pensée.  11 
le  serait  au  plus  liant  degi'é  encore  s'il  s'était  prononcé  avec 
plus  de  réserve  et  d'une  manière  moins  alisoliu'.  »  Le  lecteur 
souscrira  sans  ddulc  à  ce  jugemcnl  impartial. 

ir  i:.  liALirs. 


BIBLIOGRAPHIE 

P.  Flechsig  :  /•((.'  Leitumj^balnien  im  (iehirn  und  liiiclictuuarck,  l.eipsig. 
l,S7(i.  —  Gehiri)  und  Seete,  Rcctoratswechsel  an  dcr  Universitàl  Leipsiy  am 
■'il  (kl.,  1*94,  Leipsig.  —  Gehirn  und  Seete,  ztveite  Amçiabe.  Leipsig,  IHlKi. 
—  Die  localhalion  der  gcistiijen  Vorcjange  'm$bes.ondere  der  Sbiïicfempfind- 
uiigm  dt's  Mfnsclien.  Leipsig.  I.S9(i.  —  Vber  die  Associai ioncentren  des 
mensfliliclicii  Gehirn.  IIV"  Comjr.  f.  Psi/chologic  in  Miinriten,  IS9(1.  — ATew- 
lologische  Cenlralbtatt,  n"  21,  1N9.S.  —  IW  Congrès  inlern.  de  méd.  de 
Paris,  i!)00:  in  lier.  Neurol..  n"  14,  1900. 


OUVRAGES    A    CONSULTER  : 

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J.  Soury  :  Article  Cerreau  du  Dict.  de  PIn/siol.  de  Oh.  Uiciikt,  1897,  pp.  s:î7 
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P^i/chiiilrie.  vol.  liO,  pp.  006  et  suiv.  —  M""'  C.  Vogt,  Tlièse  de  Paris,  1900. 

A.  Dœllken  :  Die  Heifung  der  Le'Uumjsbahnen  itn  Tliiergehirn.  Neurol.  Cen- 
tralb.,  vol.  17,  pp.  996  et  suiv.  —  Zur  Entuickclung  der  Schlcife  mit  ikren 
centralen  Verhindungen ,  Neurol.  Centralbl.,  v.  18,  p.  i.O. 

Larionoff  :  Vber  die  corticalem  Gehorcentren,  .Saint-Pétersbourg,  1898.  — 
Anali/sé  in  Ccnlralb.  fiir  Ncrrenheillmnde  und  Psi/chiatrie.  fév.  1899. 

Demoor  :  Les  Centres  sensitiro-moteurs  et  les  centres  d'association  chez  le 
chien,  trav.  de  l'Institut  Solvay,  llruxelles,  1898. 

W.  Ireland  :  Flechsig  et  la  localisation  cérébrale  des  processus  mentaux.  The 
journal  of  mental  science,  Janvier  1898. 

D'   K.   lî.VI.TI  S. 


INSTITUT     PSYCHOLOGIQUE     INTERNATIONAL 


il^:ez    fije:-s^:ei 


L  liisliliil  iiilrrii.'iliiui.'il  |is\('li(iloL;ii{ii('  .iriirnu'  >lr  |iliis  l'ii  plus  sa 
vil.ilih'  :  le  -H'i  uiiifs  dciiiici-.  plus  de  liiiii  l'ciils  personnes  se  pi-es- 
s.iienl  dans  le  iji-aud  aniidiillii'iili-e  de  riliilel  des  Sociétés  savaides. 
pour  euleiulre  une  i-iiNJerenie  de  M.  II.  Bergson,  sur  le  Hève. 

M.  Her^sini  |iose  le  prohlènu'  sans  préambule  :  ■'  Voie!  un  ri"'\c  : 
j'apereois  des  objets,  il  n'y  a  rien:  Je  vois  des  jiersonnes.  je  leur 
parle.  elle>  uh'  iM'pondenl  ri  il  n  \  a  pei'.--onni'.  Toul  se  passe  couinie 
s'il  y  avait  des  [lerscuines  el  des  choses  i-eelles.  A  (pioi  cela  lienl-il-? 
Kt  (raborii.  y  a-l-il  rien  ?    • 

1"  1,1'  Itéve  a  une  )/i«//''vc  C(uislitnr'e  par  les  sensation'^  sulijeclivc^S  ; 
nous  lailbuis  nos  i-éves  dans  I  étoile  fournie  d'abord  par  les  |dios- 
phènes.  comme  le  prouveni  les  observations  simultanées  d  .\.  Maury 
(•t  du  mai'ijuis  d  liervi'  de  Saiiil-Denis  sur  le  passage  d(^  l'état  de 
\'eille  à  l'i'lal  <li'  souimeil.  et  les  i'\pi''riences  récentes  de  M.  l.,add  sm- 
le  ])rolonj;'emenl  ilii  ic\c  au  ri^veil.  Outre  cette  pou.ssière  visuelle 
interne,  il  laul  tenir  compte  <les  e\cilali(ujs  extérieures,  de  lumières 
idijectives  (pii  joueiil  un  i-éile  considérable  dans  nos  révi's  r(''Ve  de 
1  iiM'cudie  causi''  jjar  une  lumière  \i\('el  brusipu'  —  rêve  de  la  liaiicr'c 
causé'  |iar  rapparili(Ui  des  rayons  de  la  lune  :  CI',  le  .Wijllie  d'Hiidij- 
iitiiiii  .  Les  seusatiiuis  de  la  vue  jimicuI  le  n'de  principal  dans  nos 
rêves,  et  niuis  avons  une  li'uilancç  à  visualiser  les  autres  sensations: 
mais  celles-ci  interviennent  aussi.  Tels  les  b(uii-d(uinements  l'I  tinle- 
uuMits  d'oreille.  an\i|uels  il  tant  joindre  les  bruits  extérieurs;  telles 
les  perceptions  tactiles  (sensation  de  volei- dans  l'aii-)  et  les  sensations 
or,nani([ues  viscérales  ina|)ercues  pendant  la  veille,  très  nettes  et  quel- 
ipiel'ois   très   intenses   jiendant    le   sonmieil   i  maladies   proplu'tisé'es  . 


;./•;  H  EVE  4S7 

lircf.  nos  seiisalidiis  l'ii  nHi'  Sdul  Irrs  iKuiilirciiscs.  i|uiiii|iif  vaincs 
l't  (•iiiifiis<'s.  mais  leur  cliaiiiii  rsl  |ii'ul-i''ln'  plus  ('Iciulu  i|ui'  piMiilaiit 
la  v.'ilic. 

i"  Nos  rt'Vi's  soiil  l'a lu-iijin's  avec  i-cltc  nialirrr  inili'lciaiiiiii'i'.  i[i(l(''- 
l'isr,  susccpl ililr  (ICiilri'i-  dans  mille  cdiisl niclioiis.  Mais  clli'  rsl 
intoi-mi't'  |iai'  nos  souvenirs,  car  on  ne  |ieii(  dire  (pie  le  rêve  pfid'omi 
snit  ei-éaleiw.  Pendant  la  veille,  i\r<.  sonvenirs  soiil  éveilli''s  par  la 
silnalion  acinelle  qu'ils  en<'adreiit.  le  liesoin  ila^i]-  i'(''prime  Ions  les 
autres  (lui  sont,  inutiles.  Le  sommeil,  cet  ahainlon  momentan(''e  de  la 
lutte,  l('^ve  la  trappe  de  1  inconscienl .  et  les  souvenirs  se  lèvent  en 
l'oide.  prt'cis  mais  irri'ids,  pour  venir  s'insérer  dans  cette  |)Oussière 
de  sensations  vaf;nes  mais  rt'(.'lli's.  Le  ri''ve  est  an  point  de  jonction 
du  S(UiV(Miir  et  de  la  sensation.  La  si'Ieclion  des  soux'enirs  s dpere 
(relle-m(''me  par  une  soHe  d'appel  COm|)arahle  à  la  cinde  des  âmes 
dans  les  corps  si  piiéti([uement  décrite  |iar  l'iolin.  Ln  s(nume.  le 
iiii'-riiiiisiiif  du  ri''ve  n'est  pas  1res  dillérent  du  processus  de  la  pei-cep- 
lion  des  ohjets  où  le  souvenir  entre  pour  une  si  f;ran(le  pari,  ain-.i 
(pi'en  témoiiAuent  les  ('xpéi'iences  ingénieuses  de  (lokischeider  cl 
Miillei'.  I  dans  une  li.nne  imi)rimée.  nous  ne  listms  (|ue  ([uelques  .jam- 
liaf;es  caractéi'isti(|ues)  et  celles  de  iMiinslerherg  'ainalf;aine  du  uml 
lu  nvi'c  le  mol  s(MdDéi.  Mais  alors,  coimaenl  le  rêve  se  distinj;iH'-l-il 
de  la  veille?  Il  faut  se  garder  des  théories  :  il  n'est  pas  vrai  ijue  les 
sens  soient  fermi''s  ou  (pie  nos  facultés  su|iérieures  soient  [laralysées. 
Tàclnuis  plul(')t  de  nous  interroger  nous-méme  et  d  entrer  en  conlacl 
inlimeavec  les  l'aits  !  M.  |-îeri;son  cile  un  exemple  pers(uin(d  :  wm- 
as.seiiiblée  délibérante  —  le  rêveur  prmionce  un  discours  sans  élo- 
quence —  de  la  salle  monte  une  rumeur  va^iiu'  (jiii  va  s'accentuani 
—  t;rondement.  puis  hm-lemeiit.  puis  rxllime  vigoureux  (pii  scande  : 
■  A  la  porte  1  à  la  porte  I  à  la  porte!  ■•  .Vu  réveil,  M.  B(M;;son  constate 
<pie  chacune  de  ces  exclamations  coïncide  avec  les  aboiements  d'un 
(diieii,  et,  retournant  lirus(piemenl  son  moi  éveillé  contre  le  moi  (jiii 
rêve  encore,  il  enf;a}<e  avec  lui  un  dialogue  fort  curieux.  Le  moi  (jui 
n've  lui  expli(pie  (ju'il  se  désintéresse  de  tout,  qu'il  se  laisse  aller, 
«pie  tout  lui  est  indill'érent.  On  dort  dans  la  mesiu'c  oii  l'on  se  désin- 
l(''res.se  la  mère  qui  n'entend  pas  uncoLi|>ile  lonnerre  et  (|ui  sent  son 
enfant  s'agiter).  Le  l'éve  n'a  pas  besoin  d'être  expli(iué  :  ce  (pie  le 
|isycliologue  doit  expli(iuer,  c'est  la  veille. 

.'i"  Reste  à  analyser  les  principaux  cnfarlrrrs  du  rêve  :  s(ui  incolu'- 
reiice  (Souvenirs  nombreux  pour  la  même  sensation  ;  riiil(dli- 
gence  qui  veut  expliquer  aggrave  l'incohérence)  —  la  perte  du  sens 
de   la    durée     vie   ext('rieure  grande  régulatrice   du   temps.  —  défilé 


488  /./■;  ;i/';i'/'; 

riipiilc  (riiniii^rs  ;i  peine  esiiuissées  —  l'orilre  dans  lei|iii'l  se  ,nriiii|>eiil 
les  souvenus  iiioii  [las  les  événements  qni  nons  ont  préoccupé  pen- 
dant la  joui-née.  mais  ceux  ipii  ont  efdeni-é  la  cnnscience,  qvii  ont 
traversé,  semlilaldes  à  des  ('elaiis,  I  esprit  distrait  .  Dans  le  sommi'il 
proi'on<i.  le  rêve  semble  moins  ineoliérent  el  retrace  des  S(;t'nes  loin- 
taines de  notre  liistoire  (expériences  inédiles  de  M.  Vascliidei.  Mais 
il  est  dil'lici le  cle  piMii'In'i-  dans  ce  domaine  mysti'rienx  de  I  inconscient 
ipi  enveloppe  l'ouMi.  liomaint-  dont  la  connaissance  éclairei'ait  cepen- 
dant des  pln'nomènes  sinj;nliei's  i  télépathie  ,  et  dont  l'exploration 
promet  aux  psycliiil(ii;ues  de  l'avenir  des  di'coii vei'tes  im|iorlanles. 
Cl'  sec  résumé  ne  peut  doniuM'  qu'un  pâle  aperçu  di'  la  linesse 
d'analyse,  de  lai't  délicat,  de  la  péniMralion  aij;uë  du  conférencier. 
M.  Bergson  excelle  commi-  l'imminent  ps  velu  il  oi;ue  améi'icain  W.. lames, 
avec  (]ui  il  oH're  tant  de  points  de  ressemiilance.  à  eiicadi-er  les  don- 
m''es  l'écentos  de  la  psychologie  ex|)(''rinn'nlale  el  les  exemples  les 
plus  saisissants  dans  la  tranu'  snlil  ile  dune  analyse  pcrsniinelle.  Il 
est  liMijiuirs  inti'ressanl  à  entendre,  cniiime  un  lialiilc  metleur  en 
(l'UM'e.  comme  un  romancier  très  iiiipiisileiir,  ciiiimie  nu  solipsisle 
délicieux  ;  mais  s  il  sait  commenter  lieureusemeiit  sou  livre  de  Mn- 
lirrf  l'I  .\fi'»i<iiri\  peut-i'Ire  l'ail-il  mnius  piuir  la  ps\cliiilogie  scien- 
litique.  Le  .progrés  vient  ici  des  cliercheui's  de  laliiiratoire  et  des 
Imnuues  de  clinique  plus  patients  que  virtuoses.  Les  donné'cs 
t'iuMuies  par  .\1.  V.  .lanel  dans  une  longiu'  série  de  leçons  sur  le  som- 
meil et  les  l'Iats  analogues,  professées  cette  anni'c  ménle  à  la  St)r- 
lionne  et  au  Collège  de  l'rauce.  CDnigei'aient  sui'  plus  d'un  point 
l'excinise  confr-i'ence  de  lauteiir  du  /tii-r. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


AVICENNE,  par  le  Baron  Cabha  de  Vaux.—  RMix  Aloax,  éditeur,  Paris, 
l'.iiio,  iii-lS"  de  Mi-il02  pages,  avec  une  carte. 

l,a  pliil(i>(i|iliii'  ,ii-;ilii',  (|iii  a  imi  siiuvcnl  |iiiiir  IjiiI  ira|iplii|iii'i-  les 
<l(innt''('s  ai-isliili'liriiMiiii'S  a  l'Islain  ri  (pic  iiiiu>  a|i|)i'lli;'rioiis  vcilciii!  icrs 
/(/  srohisliifiir  (irant  la  sraliisiuiiii'  l'sl  r-i.'lativt'nn'iit  pou  coninii'.  car  la 
jiliiparl  (le  ses  pi'ddiK'lions  sdiit  in('ilitcs  et  ou  a  peu  l'ail  pour  v\il,na- 
i-iscr  les  iiartics  di'jà  i''dil(''es. 

.M.  le  i)ariiii  Cai-ra  de  Vaux,  adonné  depuis  lon^leuips  à  l^'lnde  de 
la  lillérature  arabe  et  ([\ii  a  déjà  publié  de  luuubreux  h'axaux  |)liilo- 
S(.>pliiipies  et  pliilolof;ii[ues.  (Mail  loid  (l(''sij;ri(>  poiu'  nous  initier  à  la 
oonuaissance  de  eelte  philosophie.  Il  a  choisi  Ariri'iiiie  couiuie  [trc- 
inier  [xiinl  culminant  el  nous  va  conduils  pas  à  pas  depuis  le  comnien- 

cenicnl  (In   mal létisme  à   Iravei-s  la   lhéoloi;ic  el    la  philosophie.  Il 

n'a  pas  pr('leii(lu  être  complet  :  il  n'a  pris,  des  travaux  el  des  sys- 
lèuu's  anléi'ieiirs,  que  les  notions  el  les  résultais  ([ui  devaient  servii- 
;i  laiic  mieux  couiprendre  Avicenne,  nous  pourrions  dir'c  à  lui  ser- 
vir de  cadre  :  •■  (^c  voinnu'  n'est  pas  consacré  au  seul  système  d'Avi- 
cenne,  mais  à  la  descri|ili(iu  de  l(ude  une  [i.artic  du  nuiuveinenl  ]dii- 
losophii[ue  (pii  s'est  produit  en  Orient  enire  rh(''f;ii-e  et  la  moi'l 
d'Avicenne,  mouvement  oii  le  systèn^e  de  ce  philosophe  appar.ail 
comme  un  point  ciilmiii.iul .  A  cijlé  des  sectes  et  des  écoles  dont  il 
est  (piestion  dans  ce  livre,  s'en  trouvent  d'anires  ([ni  en  sont  restée:. 
ex(d\ies:  les  écoles  tliéolof;ii[ues.  les  sectes  ]>oliti([ues  et  mysti(|nes. 
l.a  lh(''(iloj;ie  ne  s  v  présente  (|U  au  deliid  comuie  point  de  d(''parl,  el, 
ilaiis  le  courant  de  rexposili(ui.  S(uis  l'orme  de  uiélaphysi(|ue.  De  la 
p(ilili(|ue.  il  est  tr'aité  soumiairenu'ul  dans  les  j)ass;ij;es  oii  est  dessin»'' 
le  cadi-e  liisl(U'i(pu'  dans  h'(pud  se  sont  ums  mis  héros...  (Juaut  à  l;i 
mvsli(pie.  souvent    iio>  auteurs   nous   (•(in(.luir(uil    jus(pi'à  sou   seuil; 


490  1'.  NAC 

mais  iiiius  rcriisci'diis  de  nous  y  (.■ii};aj;L'r,  cl  (|iuii()ii('  Idi-i-i's  d  en  dire 
<jii('l(Hies  mois  pour  achever  la  luétapliysiqiie,  noiis  iir  liHudiprons 
pas  coimiii'  svsl('']iii'  iiidi'iiriid.-Mil .  "    .\  vu  ii/-jii-(ijios.  p.  \-\i. 

I.  —  (jiAi'iTHH  V'.  /.Il  '/'hrailicrr  du  Coran  p.  l-loi.  —  "  Le  pro 
l)l(Miie  le  plus  j^énéi'al  de  la  phiiosoiiliie  aralie  n'a  ]ias  élé  de  l'echer- 
clu'c  la  véi'ilé,  puisque  celle-ci  (Mail  domii'e  en  ])lnsieiH'S  de  ses 
[loints  esseuliels  idans  le  Ou'au  :  mais  di-  soutcnii'  cette  vi'rilé 
iiilnilivement  posée  par  une  construction  analyti([ue  et  raliitnnelle, 
cl  de  suhstiincr  à  son  expression  lyiicpje  nne  expression  conforme 
aux  modes  de  la  |)hiloso|diii'  anticpn'.  C  est  ce  (|u  on  peut  appeler 
le  probli'ine  scolasliqne.  ■  Le  Coran  met  en  évidence  lunili',  la 
puissance,  l'élernili'.  l'immutabilité  diviiu'  ;  il  insiste  un  peu  trO|) 
sur  la  |)i'(''destinalion  sans  aller  cependant  jusi|u'à  un  iiiiductalile 
l'atalisine:  "Si  Ton  pai'cmirt  d  un  esprit  calme  et  non  pri'venu  les 
passaf^es  du  Coran  relatifs  à  la  |)rédestination.  on  \oit  cpj'ils  ne  sont 
pas  aussi  nettement  fatalistes  (jue  beaucoup  l'ont  cru.  il  que  tout  en 
l'Iaul  efl'r-ayanls.  ils  ne  sont  nidlemenl  o|)posés  à  toute  justice.  ■•  La 
i-('\  l'Iatidii  est  [U]  inessap;e  de  Dieu.  Les  animes  sont  créés,  et  aussi 
distincts  de  Dieu  ([lie  le  sont  les  hommes.  Mahomet  "  cri'a  nuelln'-o- 
(licée  n(d)le  et  ferme,  imitée  de  la  tliéodicée  biblique  ". 

(JiAriïni;  IL  Lrs  Mulnz^lilcs  [[>.  L"')-.'{7).  Ces  docteurs  incarneul  les 
spécnlaliiuis  (pii  pri'cédèrenl  l'introilucliou  (ui  du  moins  la  pleine 
connaissaïue  de  la  philosophie  ^l'ecque.  Ils  tieuueul  pour  le  lilii'c 
arbitre  et  la  néjj;ation  des  attributs  de  Dieu  au  n(uu<les(Mi  uuili'.  On 
leui'  prête  aussi  cai'  liMirs  ouvrajj,es  sont  perilusi  divei'ses  théories 
sui'  le  mouM'Uienl  et  la  ci-i'atimi,  la  justice  de  Dieu,  la  nalm'e  de 
Ijîme.  le  déterminisme,  le  paril  lii'isme.  la  ui(''teuq)S\cose. 

CuAiTllil-:  IM.  Ac.v  Triiilurirurs  i  [).  ;i7-7!tl.  "  Le  nuiuvenu^it  de  Iradnc- 
lion  en  arabe  counnema  sous  le  rejoue  d  El-Mausoiu'  "."i.'t-TT'i  et  fut 
encyclopiMli({ue.  (In  traduisit  des  ouvra};es  scieiililiijues,  litté'raires, 
philosophi([ues  et  religieux  appartcLiant  à  cinq  litl(''ratures  :  les  litté- 
ratures i;i'ecqiH',  lu'bi'aïqiu'.  syrienne,  persane  et  indienne.  ■)  Il  ne 
laid  pas  <'roii'e  cependant  ipi  il  v  axait  eu  i''cli[>se  complète  jiis(|u  au 
vm''  siècle.  Il  y  avait  toujours  eu  des  écoles  brillantes  à  .Mexan- 
drie,  à  Beyrouth,  à  Édesse,  à  Nisibe  et  dags  divers  eonveuLs  ;  des 
écrivains  île  race  syrienne  avaient  traduit  ou  coumienh'  bien  des 
oiivraf>es  p;rei;s  et  le  inouvemeiil  arabe  l'ut  pliit('it  un  l'paiKHiissement 
(pinn  réveil. 

D'ailleurs,  même  aux  l)elles  l'^poques  de  la  littérature  arabe,  la 
plupart   des  traducteurs  i''taient  des  clir(''tieus.  Les  ]pai'eiis  de  llai'i'an 


.\VICI:.\M:.  par  le  baron  C.VUliA  DE  VAUX  491 

l'iHiniii'ciil  aii-^--i  i|iii'l(|iii's  Ii'miIiicIimii's.  t'w  |iarl ii'ulii']'  :  Tàliil  .  lils 
(le  Korrali.  l'I  MnliMiiinii'il.  liU  di'  l)J;'il)ii'-i'l-Hiill;'ini    I   . 

(jlAriTKi:  IV.    /-<■<    l'Iiiliixiiplics  ri  1rs  Hnnirhi/irdislrs     p.  7'.)-li7;.  — 
c(  Li»  iiiim  (le  |>liiliisii|ilu>   n'a    jias  dans  la  IilU'i-atiii-t>  aralie  le  sens 

f^i'uiTal  cl   vajiiii'  i|ii  il  a  (lan--  nnli-i'   laiii;ni' Li'S  |iliil(iS()|ilies  pro- 

|)ri'Uiciit  dits  l'Iaii'ul  s|i('iMti(jiieiii('id  les  (•((iitiiuiateiirs  de  la  li"idilion 
|diiii)Si)|iliii|iii'  ,tjrcci|iii'  considérée  cdiiimc  nnc.  Pour  eux  la  philnsn- 
[iliic  ,mcc(|iic  ilail  \iai"  au  même  def^n'  que  la  révélation;  il  cxis- 
lait  II  jiii(ii-i  iiti  acciii-(|  l'nirc  la  ]iliiloso|diie  cl  le  dogme,  à  peu  |)rès 
comme  aux  \cu\  i\r>  cioxaids  i|c  nos  jours  il  existe  un  accord  entre 
la  science  et  la  foi.  Mais  en  réalilc  la  philosopliie  L!;rec(|ue  conicnail 
une  masse  d'idées  passahiciiieni  comjdexes  et  divei-p^nles  et  il  n  est 
pas  toujours  aise  di'  voir  du   prender  coup  commeid   ces  théories 

pouvaient  s'adaptera  la  I  liiMiliii;ir  de  l'Islam Chalirastani  donne 

tine  liste  d  uiH'  vini;taine  de  pçi-sonnaf;es  ijui  ont  mérité,  dans  la  lit- 
•«'■ralnre  ai'ahe.  le  titre  de  jdiilosoplie,  antérieurement  à  Avicenue.  "  — 
Viennent  alors  des  notices  liiof;raphi(|ues  et  aualyti(pies  sur  ces  plii- 
josoplii's  :  Kl-Kindi  l't  ses  disciples  :  Anied,  lils  tlEI-Tavib  Serakhsi. 

el  Al -Zeïd.  lils  de  Salil-el-Balkhi.  ])nis  el-l'i'iiNdn  cl  les  encijclopi'- 

ilixlr.i.  Parce  dernier  ncun  ■•  nous  avons  |dns  |iartienliérement  en  vni' 
une  société  de  jiliilosoplies  vnlj;arisateurs  et  propagandistes  qui 
s'est  dcumi'  d'une  façon  pins  expresse  la  tâche  de  constituer,  à  l'u.sage 
du  pnlilic.  rencyclop(''die  des  sciences  :  nous  voulons  ]iarlei' des  frères 

lie  la  pui-eli' Ils  pensèrent  que  la  loi  religieuse  n  était  pas  pai'faite. 

>|u  idle  contenait  des  erreurs  dont  elle  avait  besoin  d'être  |)ui'itiée  et 
(pi'elle  m-  pouvait  l'élre  (|ue  par  la  |)hilosopliie.  ■• 

ClIAI-rrHE  V.  Aricfinnr.  Su  rir  el  su  hifilioiirci/ilnr  p.  Ii>7-l.j7  .  —  (le 
grand  philoscjplie  eut  l'Iii'urense  id(''e  de  ri''diger  une  anlidiiographie. 
i-ecueillie  el  aciievee  ]iar  S(Hi  disciple  el-l)jon/,djàni.  Il  uacpnt  eu  !l8.j^ 
apprit  le  calcid  indien,  la  jurisprudence,  la  coutrovei'se.  la  philosophie. 
la  géonu'drie.  I  almagesie,  •■  qu'il  nous  dit  avoir  compris  iivrr  une 
faiililr  iiiervrUleusi:  »,  les  aphorismes  des  ]dnlosophes,  la  physique 
et  la  théologie  ,.  et.  .selon  son  expression,  les  i)oi-tes  de  la  science  lui 
lurent  ouvertes  ».  11  <lésira  alors  apprendre  la  médecine,  et  comme  relie 
xrie>ir,\  al'lirme-t-il.  n'esl  jtus  difficile,  il  y  lii  de  très  rapides  progrès 
Après  s'y  être  initié  dans  les  livres,  il  se  mit  à  visiter  les  malades,  et 
il  acipiil  des  traitements  empiriques  pins  d'expérience  (jn'on  ne  san- 
••ail  dire.  Les  nuhlecins  commencèrent  à  vi^nir  ('tudier  sons  sa  dii-ec- 

I  h  M  C.  A.  Nallino  publie  aotuellenipnt  Vopus  uslroiiuniicum  d'AI  liattani.  La 
treisi.-ine  partie  cooiprenant  le  texte  arabe  a  paru  à  .Milan  en  1S99.  La  traduetiua 
est  siiMs  presse. 


492  F.  NAi; 

liiill.  //  n'arriil  Cil  cr  li-liipx- li'i  (jiir  srizc  iiih\.  l';il-\  l'iiii  à  ce  |iiii-iil.  il 
consiicra  un  an  iM  di'iui  à  la  lecture;  il  ue  lit  plus,  duraiil  ic  lenips, 
aulr'e  chose  que  de  lice  et  île  relire  les  livres  de  l()j;ii|ue  et  de  pliilo- 
siipliie...  '<  Jje  jeuue  pliilosciplip  appi-utiunlil  aussi  la  série  des  sciences 
iolîiques.  ])hysif]ues  et  uuitliéuiati(|ues  ^»x</»'«(/ /jo/»/  où  riunnme  peut 
nlli'hldri'  pI  il  ti'ij  fit  plus,  dil-il.  (h'  pf/np-rx  (It'piiix  liirx.  Fuis  il  se 
tiiiiriia  vers  la  ni('tapli\sii|ue.  Arireiliir  ii'nriill  pins  l'iii'iii'r  liix-lniil  nus 
ipi'il  (irait  iirlievr  di'  pairiiurir  le  rijclr  di'x  .sririires  •■  Il  entra  dans  la 
vie  pi)litique.  fui  médecin  successivement  île  l'éiuircle  llamadan.puis 
de  liMuir  (ris])alian:  iiiljn  unnirut  à  Ihniiadan  en  id.'SI).  à  làge  de 
.")S  ans.  "  La  cause  de  sa  lunrl  fut  une  culiqne  ipii  lui  arriva,  il  désirait 
lanl  eu  f^uérir  i[u'il  prit  huit  lavements  en  un  jmir.  l  lie  partie  de 
^;es  intestins  lui  ulci'n>c  cl  uni'  dysenterie  se  déclara...  Quidiprun  lit 
sur  lui  ces  mots:  le  Cheikh  i-r-Uais  na  tiré'  auenne  utilité  de  s;i 
science  de  la  médecine  ni  de  sa  science  di's  asiies.  l.e  l'hifii  ne  la 
]ias  guéri  di'  la  douleur  de  la  nnirt  :  \i' .\iiilpil  l  ne  la  pas  sauvé  "... 
M.  Carra  de  VauN  cite  ensuite  quarante-ipiatre  traiti'S.  lui  o|iuscules. 
fui  poèmes,  ou  lelh'es  dWvicenne.  el  ajoute  :  "  Kli  l'ace  d'une  leuvre 
aussi  immense,  dmit  nous  ni'  piuivons  praliijueiiient  connaiire  ipi Uni' 
faillie  partie,  au  moment  oii  nous  entreprenons  d'en  parler  avec 
di'Iail  niius  nous  sentirimis  envahis  de  vertij^e  et  dellroi.  si  nous  ne 
savions  que  les  fi;raiids  esprits  du  moyen  àj^e  el  de  l'anllipiité  élaienl 
souvent  moins  pré'occupés  dinvenler  que  de  recueillir  et  i[u'ils  iMaieiit 
jiliis  sincéreiMcnl  l'pris  de  science  que  d  (iiij;iiialile.    ■ 

Ch.M'IIIU-;  VI.  La  /.oipipn'  d'Aricoinv  p.  I.")7-[SI  .  —  Dans  un  petit 
traite  de  la  classilication  des  sciences  allrihiié  à  .\  vice  une.  la  lot;  ii  pie. 
classée  à  pari  îles  autres  sciences,  "  csl  divisée  en  neuf  parties  cor- 
respondant à  huit  livres  dWristote  précèdes  de  \'Jsiiipiip'  de  Porphyre. 
L  ohjet  de  ces  neuf  pai-ties  et  les  livres  auxquels  elles  se  l'appniieiil 
sont  i''nonci'S  de  la  l'aciin  siiivaiilc  ;  >  l.a  première  a  pour  ulijel  les 
termes  et  les  éléments  abstraits,  il  en  est  parlé  dans  l'/.sv/i/ix/c ,-  l,i 
seconde,  rénumération  des  éléments  ahstrails  simples,  essentiels. 
a]iplicaliles  à  liius  les  êtres,  dont  il  est  parlé  au  livre  des  l'iitripirirs : 
la  tioisième.  la  com|iosition  des  abstraits  sinqdes  pour  en  foriner 
une  proposition,  il  en  est  traité  dans  les  Urniiriiria  ;  la  quatrième,  la 
coinposilion  des  propositions  pour  en  former  une  démonslralion  qui 
donne  la  connaissance  d'un  inconnu  sir  .  c'est  l'idijet  des  pjri'inirrs 
Aiiiiliiliiiiii's :  la  cinquième,  les  conditions  que  duivcut   remplir  les 

(KLe  Chifâ.  c'est-à-dire  Iti  i/nérim/i.  est  un  traité  de  pliilosnpliie  ,  tOf^i'iiie, 
iiiathématifiue.  pliysique  et  inétapliysique).  le  \iiiljcil.  r'est-à-dire /c  «'//»/.  est  un 
résuiui;  du  traité  précédent. 


AVKEXSi:,  i-Ai!  LE  LiAKO.N  CAUI'.A  DE  VAIX 


4';i:t 


|iréiiiissi's  (li'S  rjiisiiiiiii'iiii'iiN.  r  c^l  riiliji'l  ilrs  srimn/s  \  nnhil Kjiirs  : 
\,\  sixii'iiii'.  les  raisiiiiiii'iiH'iil--  |ii-iil>,ililrs.  iiliirs  i|ii,'niil  l,'i  |iii'uvi' 
ri>iii|)l(''li'  r.-iil  (Icr.'llll.  crsl  ce  ihiiil  li-,'lilr  le  lixi'C  des  7'(ijiii/i)f.\  on 
(Ir  l;i  /Jiiilri-hijiir  :  la  sr|il  iriiii\  Irs  cr-n'iirs.  i-'csl  la  nialirrc  dr  la 
Sophisliiiiif  :  \;i  liiiil  iciiic,  |{'S  (lisroiirs  piTsiiasirs  adi-cssi's  à  la  rmilr, 
cl  {■  l'sl  I  iilijrl  iji'  la  llhrl'iiKiiir  :  la  iicinirriir,  Irs  ilixaiiirs  vcisi  lii'>. 
l'I  c'i'sl  ri'hii  (le  la  l'm-l iijiic .   .. 

(lllAliTHI.  \ll.  /.'/  J'Iii/sii/iif  i/'Ari,riiiir  |i.  I.SI--2()7:.  —  AnIcciimi' 
(lislin^iic  la  jualièri-' t'I  la  lnriiii',  les  (|iialil(''s  |iri'niirri's  l'I  si'cniidi's 
des  ciiriis,  I  rois  espèci'S  dr  riiiTcs.  Il  |i|-ori's>c  c|ui'  la  iinliiiii  di'  lciii|is 
l'sl  dé|ii'lldaid('  de  celle  de  iimui Vi'iiiciil  ;  (|iii'  le  lien  ol  la  liiiiile  du 
cduli'liaill  i|in  1(111  elle  la  liiiul  e  ilii  ci  m  le  il  il  :  i{iie  le  \  jile  ni'  jieiil  e\i>l  er 
pas  plus  ipi  iiii  inliiii  aiiiiel;  ipie  les  corps  cl  le  iniiiueineiil  soiil 
<livisiiili's  à  l'iiiliiii. 

C.IIAIMTUI'.  VIII.  /,"  /'xi/rlin/oiiir  li  .\  riir  ,1  iir  p.  "JOT --J.'Î'.T .  —  "  i.a 
psycliolii^ie  conipi-end  clic/,  .\\iceiiiie  l'idlide  de  l'diiio  cl  celle  de 
I  iiili'l/i(/ciicr  .>,  deux  éléineiils  ipii  présenlaienl  alors  ■•  une  dili'érence 

Irès  claire  de  j^cnre  à  es]H'ce LVmie  esl   un   ^cure   ijui   comprend 

Irois  es|)éces  ;  1  ;iiiie  \  l'^idale,  1  , 'in le  aiiiniale  cl   IViiiie  raiMMinalde  on 

inltdlifience I.'i'niw  fi't/rliili'  a  trois  l'acnlli's  :  les  l'aculles  île  ^éiié- 

ralioii,  d  accroisscuieiil  el  de  luilriliini \n   lias  de   l'àmi-  iniitniilr 

soni  les  raciilli''S  eli'mentaires  des  sens,  an-dessns  de  celles-ci,  soûl 
des  l'aculh's  ijni  relieuneul.  f^rinipciil  et  inlerprcleii!  d'une  manière 
immédiate  les  diuiin'es  sensihles.  "  II  y  a  ciiii|  sens,  on  liiill  eu  divi- 
saiil  en  ipialrc  le  sens  du  lonelier.  les  l'ornies  des  idijcls  perçus  \  ien- 
iienl  an  sens  i-oiinniiii  "  e-,peee  de  linreaii  ceniral  on  passeiil  le> 
perccplioii>  Neiiiii'S  du  dehors  avaiil  d V'Ire  idaliorec'.,  pai'  les  raciilli'> 
du  dedans  >.  Le  lalileaii  ile>  l'aciilli'^  de  1  Yiiiie  aiiiiiiale,  ipii  ai;i»enl 
an  dedans  sur  les  ilonners  des  sens,  n  esl  p.is  alisoiiinienl  li\e  elle/, 
les  pliilosoplies  aralie-,  ni  dans  les  oMixrcs  d Wvicenne  en  parlicidier. 
Ou  peut  <listiiif;iicr  ee|iendaiil  :    ■  La  l'or  i  lia  I  ivc,  la  coi;ilal  i\  e.  Lopin  ion 

et  la   iiu'moirc >>    \.  iiili'lli</riiir  on   ànie   raisoniialile   se   divise   en 

iulellij;eiii-e  pratique  el  l'ii  inlelligence  .spéculai  i\e.  },'  ifilrl/iiiriicr  jua- 
tii/iif  esl  la  l'acullé  moirice  ijiii  préside  à  l'acliou.  elle  esl  en  relalioii 
avec  ce  ipii  'est  au-dessous  il'clle.  LinlcIlKiciirr  sjii'riilnlirc  a  loni 
d  aliord  Irois  elals  :  |"  Lintellii^i'iicc  iiinlrricllr  ipii  ii'csl  ipi'niie  possi- 
liilili''  alisolne  de  coiiiiaitre;  '1"  Liiilellij;ence  jins.tifjlc  on  •■  de  posses- 
sion '■  qui  esl  di'Jà  eu  acte  par  rappori  à  la  pn'cédeiile,  car  elle  a 
.icqnis  qncLpic  chose  :  les  x'criir's  premières  el  iii''cessaires  :  .'!"  1  iiilel- 
liiicnce  qui  esl  dans  nu  l'Ial  de  |ir(''paralion  parl'aile  el  en  hnpielle 
|ieuvcul    à    Ion!    momciil    se    produire    les   r(.irmes    des    inlellij^ililes 


-S-»4  F.  NAU 

iiCMjiiisrs  ;i[ii-i''.s  les  vrrili's  iin'inii'i-i's.  ■•  On  i.pjn'llr  ce  (le!i;i'é  iiili-lli- 
f^ence  eu  adi'.  Iiii'ii  ciuil  ne  siiil  imi  rralilt'  ipif  It-  pins  liant  cIciçim'  lii' 
rintt'lli^encé  vu  pnissainT.  Alors.  rinlcUi^cncf  ('lant  ainsi  ]ii-i''ti'.  la 
(•Knipiv'ln'nsiiiii  «les  l'ornies  s'y  i-ralisi'  cl  i-i-llc  inlclligcnci'  di-vienl 
ce  ipic  l'iiii  (Icvr.iil  proprement  nmnnier  riiilelliu;enc('  en  acli".  niais 
ce  que  celle  lerniinologié  nn  |)eu  ili^'ectiiense  noninu'  Vinli'l/itinii;- 
iiriiiiisc.  An-dessus  île  ce  ilegri'  ilinlelligence.  Avicenne  place  un  cin- 
<piiènie  étal,  connimn  senlenienl  à  ipu'lipies  honniles  :  c'est  celui  ijne 
r<ni  appelle  l'rspril  stiiri!.  Celle  sorti'  (linlellii^einc'  connail  immédiate- 
ment les  clioses  et  avec  elle  on  enire  dau>  le  in\sliipn'  sich--  ('  L  in- 
lelliLji'nce  en  puissance  ne  sort  en  acte  cpi'à  cause  d  une  intellii-ciice 
iDnJiuirs  en  acte  l'intellect  aj^ent  ).  i,a  lonctiini  propre  de  l'intelligence, 
dans  la  llie(U-ie  d  Avicenne.  c'est  de  saisii'  les  nnixcisaux  :  celle  des 
sens  était  de  saisir  le  pai'ticnlier.  ■■ 

"  I.a  iireuve  de  la  spii'itnalité  de  l'ànie  rai^onn;dili>  axant  poui- 
corrdiaire  celle  de  son  innuorlalili''  es!  fiinrnie  pai'  Avicenne  avec 
aliondance...  Dans  le  système  d  Avicenne.  ciiaipu'  ;ime  est  créée  an 
inonii'ut  de  la  ^l'nération  du  corps,  et  elle  reioil.  l'clativement  à  lui, 
une  ada|ilatinn  spéciale.    • 

CUAl'ITlil.    1\.    /.Il    Ml'lllljln/silillr    l/'Arii-cinii'     p.    -I'.i'.>-'1~ it  .    —     "    L;i, 

mi'tapliysiipu' est  la  s<ience  du  monde,  des  élres  snpraterrestres 

et  de  Dieu,  j^lli'  l'oi-mi'  dans  le  système  d'Aviceiiue  nn  noble  tableau 
dont  les  lignes  niaitresses  rayonnent  autour  de  deux  ijrandes  doc- 
trines: celle  de  la   pi-ocession   des  élres  et   celle  de   la   causalité 

lue  autre  thé(M'ie.  ramiliée  sur  celle  des  causes,  est  celle  des  univer- 

saiix L  abstrait,  cousid(''ri''    iscil(''uienl.    est   nue   cliosi':    ciuisidéi-é 

comme  général  ou  p.irliculier.  un  ou   multi|ile.  en   puissauci'  on  en 

acte,  il  est  uiu'  aulie  chose Kn  somme,  deux  espèces  d'exlsleiice  : 

l'existence  dans  l'espril.  l'existence  dans  la  réalité  extei-ne.  ■■  Vient 
enlin  un  exposé,  il  après  Aviceuue.  de  l,i  llii''orie  de  la  cause  pi'eniière 
e!  i|uelipu's  considérations  içénérales    p.  i'-l-'l'l  ■. 

(lllAPlTHK  X.  /.Il  Mijxliiiiii'  irAi-ireniii-  •[>.  r^TT-iîHt  .  —  (^e  chapitre 
est  destiné  à  servir  de  coniplemenl  à  la  nii'laph vsiipie.  La  Provi- 
dence est  reuvelop]ieiuenl  du  tout  par  la  science  d'  I  i-tie  pi-euiier... 
11  y  a  trois  espèces  de  mal  :  le  défaut  ou  manque,  la  sonll'rance  e|  le 
pr'cln''.  Le  mal  pai-  essence  est  le  mal  pardi'raul;  par  conséquent  il  esl 

néjj,atir Toute  la  cause  du   mal  se  trouve  reulei-inée  dans  ce  ipii 

esl   sous  la   sphère  de   hi   lniu> La  snpériorili-  du  bien  sur  le  mal 

dans  le   miuiili'   ii  est    pas   seulement    une   siipi'i-ioriti''  mélaplivsii(ne, 

c'est  aussi  une  supériorité  numérique  et   quantitative Le  bien   et 

le  mal  se  prolontcent  après  la  unu-t  pour  les  puissances  immortelîes. 


AVICK.SM:.   1'\u  i.e  iniuiN  CAKKA   l)l':  VAI\  V'.)!; 

i'liai|iir  r.'ii'iilli'    hiiin.'iiiir   i\  ilii  |il.'Msir  ri   un  hirii  (|iii   lui  sniil   |ii'ii|ii'r>. 

une  son  lira  liée  cl  un  mal  (|ni  Ini  soni  |ii'(i|n-cs l/ini  |ii'nl  ailnirlli-c 

(|ni'  l'àiiu'  S('|iar('('  du  l'orps  aj^il  sur  1rs  njal  iri'cs  ci'lcsli's  cl  rmiliniic 
il  iniai;in('r  ilcs  l'iuaurs  axcc  ces  nialii'i-i's  ciminir  (linnK'CS.  l-cs  àliics 
hoiUK'S  iniai^iucnl  li'--  l'Ials  ju'nrcnx  an\i|in'ls  elles  luil  aspiré  ilnranl 
la  vie:  les  nianvaiscs  iiiiaf^inciil  les  cluiliincnls  cl  les  soullVanccs. 

I.a  lin  lin  xolninc  [i.  2'.>(t-:ill8  csl  ciinsaciM^c  à  l'cxpiisil  inn  cl  à 
l'appliralidn  du  ni\llic  i\r  Sahiniàn  cl  d'Ahs;'!!  (pii  ne  scinblc  pas 
(r(M'ij;irn'  aralic  niai^  csl  cili'  pa  r  \\  iccn  ne.  l'n  pilissani  riii,  llciMnàinis, 
lils  illlcirnlc.  n'a  pas  d  l'nl'aMl  :  pai'  l'npcral  iciii  d'nn  sorcier,  il  idil  icnl 
nn  lils  d  une  mandragore,  il  appelli'  ce  lils  Sahiniiin.  l'I  Ini  ilonne 
une  belle  nom-riee  innmncM'  Alisi'd.  Sal;'nn:'m.  dcvi'nn  ^^rand.  aimi'  sa 
niMirrici'  d  amoin'  cl  scnlnil  axi'c  elle,  lorsipie  le  pci'i'  Jalonv  scnl 
les  si'pai'cr.  Ilcrm^inos.  avec  le  secnnrs  du  prr'ei'dcnl  sorcier,  l'ail 
nxjnrir  Alis.'d  cl  rallai'hc  à  la  \ic  SaL'nuàii  ipii  xindail  mourir  anssi, 
en  Ini  l'aisaid  apparaître  l'imai^i'  de  Venns.  liien  plus  licllc  ipi'Ahsàl. 
Vi'nns  lui  apparid  ainsi  iiis(jn  à  ci'  ipic  son  ciiMir  se  lassii!  de  celle 
iniai^c  miuiie  cl  n  ci'il  pins  en  \  ne  ipie  la  sagesse.  Nous  ne  savons 
pas  au  jnslc  ce  i)u',\\  iccniu'  pensai!  de  ce  inyllic,  mais,  pmir  .Nasir- 
cil-l)in  cl  Tonsi.  le  roi  llermànos  esl  riniclleci  a^oid  :  Sahiniàn  lii^urc 
I  àliH'  raisonnable  issue  de  riniclleci  ai;cut  sans  dr'pendance  îles 
clioscs  coi-porclles.  .Misi'd  est  l'ciist'mble  des  racnlli''s  animales,  elc. 
Kniin  p.  :i(IS-.'!UI)!  M.  C^arra  de  Vaux  rend  nu  vibraul  lioiimiai;c 
aux  pliilosoplies  arabes  ■  ipii  oui  eu  loi  en  la  i-aison...  i|ui  oui  cru 
la  vérilé  iiniverselle...  ipiiiuil  enseigné  (|ne  la  polilii[nc  csl  nncparlic 
de  la  science...  iKUnmes.  an  l'csle,  d'espril  si  vaste  ipié  l'édenilue  et 
la  \arii''ir'  de  leurs  \  nés  mi''ritcraii'id  d'cxcilci'  l'cuxic  des  dilettantes 
de  noti-c  ;\u;i' .  |iuisipn'  déjà  dans  le  leur  ils  se  sont  cll'orci''s  de 
compreiulre  tous  les  s\stémes,  tpi  ils  oui  tcuti'  de  les  syniliéliseï' 
tous •' 

Le  livi-c  de  .M.  (iarra  de  N'aiix  pri''sciitc  la  scolasl  iipu'.  non  comme 
l'apanai;'!'  dune  im-oIc.  ni  mi'uu'  d'une  religion,  mais  coimiic  l'adapla- 
tiiui  de  la  pliilosopli  ie  arislotédiciciiuc  au  ilo;;iiie.  A  ce  point  de  vue, 
elle  l'Iail  const  il  ni''e  de  toutes  pièces,  axant  le  \'  siècle,  cbe/ 
les  .Mahomi''tans  il:.  Il  resterait  a  montrer  I  intliieucc  de  celle  scolas- 

1;  A  niiler  le  mode  ilétudier  dWvii-enne  ip.  1.'i3-!34)-et  le  rapprocher  des  iiié- 
tliodes  iiivilogues  prèlées  à  certiins  docteurs  :  <•  Toutes  les  fois  que  j'étais; 
embarrassé  dans  une  question,  raconte  Avicenne,  et  que  je  ne  trouvais  pas  le 
ternie  moyen  d'un  syltojijsme,  je  m'en  allais  à  la  mosquée,  et  je  priais  et  sup- 
pliais l'auteur  de  toutes  clioses  de  m'en  découvrir  le  sens  diflicile  et  fermé.  La 
nuit,  je  revenais  à  ma  maison  :  j'allumais  le  tlambeau  devant  moi,  et  je  me  niet- 
tai.s  à  lire  et  à  écrire.  » 


■.'.u.  F.  NAf 

lii|iii'  oi-iciilair  ^ur  l<'S  ciccidrrilaiix  cl  il  iiiiiis  l'air'e  voii'  ciniiiiii'iil  le 
tlaiiihcaii  ilr  la  |iliiliis(i|ihic  lui  Iraiisinis  à  I  (  tci-idciil  cl  (lispaïail  di', 
Idriciil. 

II.  —  Nous  leriiiiiii'i'oiis  ciMlc  ('liKlf  par  i|iii'l(nii's  iiionuos  l'ri- 
liqiics.  M.  Can-a  do  \'aii\  ne  pi'id  nous  (>n  savoir  mauvais  i;n',  car  il 
sail  li-(i|>  lilcii  ([uCu  iiialiri-i'  i)liiliisii|dn([ui'  1rs  <liscussi<ii\s  sont  de 
i-cj;lc  cl  uallcrciil  en  rien  les  i)mis  ra|iiioi-ts,  ioi-s([u  ou  se  l)nriie, 
cnniiiie  nous  allons  le  l'aire,  à  d('Vclop|ier  (jneliiues  idées  person- 
nelles, sans  \ouloir  les  dunuiT  roninie  ohjrclirrtiiriil  pn'lëi'ahles  aux 
idr-es  d'auli-ui. 

I"  .M.  Carra  de  Vaux  (''ci-il  p.  lii)  :  "  Il  n  iinpoi-h'  pas  ipie  nous 
lrausei-ivi(Uis  les  lilres  des  ouvra^i's  nieidiouués  par  DJciu/.diàui.  ni 
(pu'  in)us  dl'essions  la  lisle  <le  reu\  i|ui  se  li'ouveid  dans  les  hililiii- 
Ihèipu'S  de  IKurope.  ■•  Nous  ei'ii\  mis  au  riuilraire  ipi  avant  de  lon- 
->aerer  un  V(duiiie  de  ;i(HI  pa}<es  à  un  auleur,  ou  iloil  l'aire  un  relevi'' 
exact  de  ses  lein  res,  des  leiivres  conservées,  perdues,  éditées,  et  uièiile 
des  travaux  un  |ieu  considéraides  ipii  leur  ont  déjà  été  consacrés. 
M.  Cai-rade  Vaux  acerlaineiiieiil  lail  ee  Iravail.  Il  aurait  du  eu  faire  pro- 
liler  ses  lecteurs  à  Faille  dune  noie  ou  d  un  r  lia  pi  Ire  addiliouuel.  In 
onvraj^esans  l)ihliojj;ra|diie  soij;nr'e  esl,  à  noire  avis,  iiuduiplel,  car  il 
olilii^i'  loill  leeleiir  rilii  mil  I ni rii illiT  à  I  iirciisiiiii  ilr  rrl  iiiirrdijf  à 
l'aire  liii-inènie  Imiles  les  recherches  hihlioifrapliiipies  dont  on  I  a 
rnisln'-.  Avicenne  esl  iin-ouiplèteinenl  eiuinn  el  l'dndié,  les  jeunes 
arahisauls  aiiiieraienl  .savoir  exaelcuienl  ce  ipii  esl  l'ail  el  ce  ipii  esl 
il  l'aire  ou  il  refaire. 

"i"  Diins  le  lueiiie  ordr.e  d  id(''e-..  coiiiiiii'  I  iiiiloliiii;;r,ipliii'  d  Avicenne 
esl  évideiunieul  nu  docuuieiil  eiijjiliil  dans  un  livre  sur  .\vicenne, 
nous  iiin-ions  aiiin''  li'oiiver  un  peu  plus  de  hihliof^raphie.  M.  Ciirra  de 
Vaux  reinoie  i'i  lduvriij;e  :  /.«'.v  Clussrs  ilr  iiifi/i'ciiis.  vi\.  Millier.  :2'' piii'- 
lie.  p.  'i--J(l.  Il  l'iillail  nous  di|-e  ((ue  cette  iinlohioi^rapliie  il  été  repro- 
duite pi  ir  Hiir  lle.liriieiis.dans  sou  Hixluihi  Ihiniisliiiiinu  édilée  en  ariihe 
et  ti-iidnile  en  liiliii  piir  l'ocockeel  ré(''dilée  piir  Siilhiini  :  Cf.  pp.  i-H)-±'Xi 
Al'  la  triidiictiini  liiliiie  ,  et  résuuu'>e  par  le  lui'iue  Hiir  llidn-iieiis  dans 
son  (liniiiiriiiii  Siirinrinn  i|i  l'dilé  et  Iriidiiit  eu  liilin  |iiir  Bruns  et 
Kii-M-li    p.  L>;{|-:?:i;!du  texte  .  ri"'i'.dili'>piir  le  U.  P.  liedji'in   Cf.  p. -Jl()--J:2l  . 

M  Bar  llebraeus  nmis  apprend  en  cet  endroit  qu'il  a  trailuit  de  l'arabe  en  sy- 
riaque le  Licre  lies  si;/nex  el  ties  arerlissemenis  d'.Vvicenne.  C:et  nuvrage  existe  i'i 
l'aris  :  l'oliiuls  Si/i-inr/ue  n-  24'J.  C'est  un  résumé  de  lofjique,  et  nous  aurions  aimé 
iju'iiii  otirraf/e  de  liais  cenln  pat/es  ciinsnrré  à  .-ivicenne  nous  apprit  si  c'est  li'i  tout 
ou  partie  de  Vhiuhdl  yiiore  des  lltéoi'eines  el  des  ai-erlisseiuenls]  cité  si  souvent 


AVICENXE.  FAR  LE  liABON  GARUA  DE  VAUX  Wi 

Lr  Icxk'  syriaque  (k'  bar  llciiraiMis  rclal  il' à  Aviri'iiiu'  a  i''l('  iMlili' aussi 
par  Bernslein  [Chrestoiinilhid  Si/riucd.  p.  ;i"2-;{()i. 

Ct'S  ili'lails  sont  importaiils,  car  il  n'est  pas  (l'orieiilalisle  ipii  u'ail 
l'ini  au  moins  île  ces  oiivraf^'CS  de  Bar  llehraeus  tlans  sa  iiil)li(itliè(pie  ; 
(in  lui  rend  done  ainsi  le  service  de  lui  apprendre  ipie  piuir  lire  l'aido- 
iiiof;-raplii(^  d  Avieenne  il  n"est,  |)as  nécessaire  (pi  il  s  iu([uii'te,  où  el 
(]uaiul  a  paru  l'ouvrag'e  de  Millier,  il  lui  sullil  de  prendre,  dans  sa 
liililiollii''ipie.  I  iiiivraf;e  de  Bar  IleliL'aeiis  (pii  la  conlieul.  Nous  ne 
ferons  pas  d'autre  reinarf|iie  relative  à  la  hililioi^rapliie. 

3°  A  certains  endroits  nous  S(uiliaiterions  iiii  peu  plus  de  precisi(Mi. 
Nous  trouviins  jiar  exemple  des  ineiilions  de  gnosticisinr  ou  d'in- 
/hiriiccs  ijiiiisliijiii's  (pp.  7,  'lO,  etc.),  mais  nous  avons  cherclié  vaine- 
ment ce  i|ne  M.  Caira  de  Vaux  entend  [lar  le  mot  fjnosticisme.  Pour 
certains  auteurs,  c'est  Fadajjtation  fail(>  au  cliristianisnn^  durant  les 
])remiers  si(^'cles  des  idées  i)liilosophi(pies  et  théolop,iques  l'un  ou 
l'antre  on  les  deux  choses  à  la  fois)  étrangères.  D'après  cette  délini- 
tion,  les  scolastiijues  qui  a[ipli(|uèrenl  au  christianisme  la  philoso- 
phie grecque  pa'ienue  furent  des  gnostiijnes  ilii  xi''-xiv''  siècle.  Pour 
•d'autres  (et  nous  en  sommes),  ce  mot  a  surtout  un  sens  théoIogi(|iie. 
Nous  appelons  guostique  un  auteur  qui  introduit  des  êtres  supérieurs 
(l'Oiisj  ]m\i\;\\i'-v'n-\s  produils  pfii'  ihnatHil'ioii  d(>  l'être  suprême  et  (pii 
croient  avoir  liesoiii  d'un  ilihiiiiiiu/f  pour  expliquer  l;i  créatiiui  du 
miuide.  —  Si  .M.  Carra  de  Vaux  veut  prouver  que  Bai'desaiie  "sl. 
guostique  dans  ce  sens-là,  la  marche  à  suivre  est  bien  sim[)le,  il  doit 
lire  ce  ([iii  nous  en  reste,  tout  ce  qui  nous  en  reste,  et  y  rechercher 
les  erreurs  précédentes,  il  doit  ensuite  lire  C(^  que  les  anciens  auteurs 
nous  ap[ireunent  de  Bardesaiie,  classer  ces  auteurs  par  époque  et 
]iar  degré  de  crédibilité,  puis  essayer  de  dégager,  d'après  les  plus 
anciens  et  les  meilleiii's  i\o  ces  auteurs,  la  note  caractéristique  de  ce, 
grand  homme. 

.Nous  aviuis  fait  ce  travail,  et  n'aviuis  pas  troiivi''  trace  de  gnosli- 
cisme  an  sens  susdit  dans  ce  (jui  nous  reste  de  Bardesane,  nous 
avons  constaté  de  plus  (ju'Eusèlje  l'appelle  é([uivalemment  le  prince 
des  a.slni/iii/aes  et  (|ue  saint  Éiihrem  d.yis  les  passages  les  plus  clairs 
et  les  plus  nombreux  de  ceux  qu'il  consaci'e  à  son  rival  lui  reproche, 
uuiipiement  de  s'occuper  des  .lir/iies  du  zodiaque,  des  moueements  dcx 

par  M.  Carra  de  Vau.x.  —  D'après  Bar  Ileliraeus,  c'est  un  chrétien  qui  enseigna 
la  nié(iecine  à  Avieenne.  Là,  coiume  bien  sous'ent  ailleurs,  les  Arabes  se  mirent 
à  l'(icole  des  clu^'llens,  et  nous  no  savons  pas  s'ils  surpassÎTenl  leurs  maîtres. 
Nous  savons  seulement  que  leurs  œuvres  (itaient  plus  en  faveur  chez  leurs  core- 
ligionnaires et  nous  ont  616  conservées. 

31 


4'.t8  F.  NAU 

riirj)S  crii'xtes.  (1rs  linruscopes  ail  lien  de  lire  les  |iiO[iliètes.  sniii-ii-  di- 
vérité,  et  les  dru.r  ï'rslami'uts.  Nous  avons  iiiontiT  jiar  iiiieli|iies  eila- 
(ions  que  l'astiolo^ic  était  une  liêrésie  dans  l'Éj^lise  d'Orient  au 
temps  de  saini  !']|ilir(Mn.  Nous  aAons  donc  pu  eu  conclure  rigoureuse- 
ment que  là  était  la  cause  du  mauvais  renoiu  (|ue  saint  Éplii'em  le 
premier  un  siècle  après  la  mort  de  Bardesaue;  avait  jeté  sur  sa  mé- 
moire. Nous  ne  l'aviuis  jauiais  pris  pour  un  riilgnirp  «v/zo/o^ucpuisipic 
udus  avons  l'cril  dans  l'article  du  Journal  Axia/ùjtu'  ({ue  M.  Carra  de 
Vaux  veut  bien  citer  :  "  Ajoutons,  |)Oui'  terminer,  que  l'épifliète  d'rix- 
IrolugitP  ipie  nous  donnons  à  Bardesane  n'est  pas  pour  nous  liiiiila- 
tivc,  comme  s'il  n'avait  jaiuais  fait  anire  chose,  nuiis  xpi'cifiaidce, 
comuie  nous  donnant  son  caraclèic  pi-opre.  —  L'astrologie  embras- 
sait toute  une  philosophie  naturelle  il  i  (]ue  fiardesane  dut  a|i|irendre 
cl  enseigner  avant  d'être  ciu-i'-tien.  comme  il  send)le  nous  le  dire  lui- 
uiéme  ::2j  :  il  devait  alors  taire  dépendre  des  i)lanètes  le  monde  entier, 
sa  création,  sa  consiM'vation  el  la  lil)ert(''  di'  l'homme.  Devenu  chré- 
tien, il  restreignit  leur  intluiuice  au  corps ■■     ./(iiirnn/  Asifilii/iii'. 

Juillel-aoùl   IS'.I'.I,  p.   IS. 

|{a|tpel<uis  (|ue  M.  Cari-a  de  Vaux,  a|)rès  avoir  cité  le  litre  de  la  noie 
ilont  nous  ventuis  de  donner  un  extrait,  écrit  pour  nous  rél'uler 
(p.  '((),  note.'{i:  >i  II  est  à  miter  (pie  la  science  des  Chaldéens  dans 
la(|uelle  on  rap|)orle  qui>  Bardesane  excellait,  ne  devait  pas  élre  sim- 
plemenl  l'astrologie,  mais  devait  coiuprendre  une  partie  piiiloso- 
piiiijue  Cr.  BiiAMir:  /lif  Maixlnischc  Iti'Hijinit.  \t.  IS2  .  Km  oiilre.  il  est 
invraiseud)lal)le  ipi'on  ait  [lu  confondi'e  un  grand  philoso|ilie.  chef 
d'une  impoi'tanle  école,  avec  un  vulgaire  astrologue.  •' 

Le  i-approrhenieni  de  ces  deu\  cilaliims  sul'lit,  croyoïis-nous,  |iour 
montrer  ijiie  nous  aviuis  répondu  par  avaiu-e  à  M.  (larra  de  Vaux. 

't"  .Nous  ne  pouvons  trop  pr('>uer  le  recours  aux  sources,  .\insi 
dans  les  deux  citai  ions  ci-dessus  qui  expriment  au  fond  la  même 
idé(>,  n(uis  avons  renvoyé  à  un  astrokigue,  à  l'ouvrage  de  Firmicus 
Maternus  (.'{i  (jne  nous  avions  jiris  la  [)eine  de  lire  el  d'amu)ter. 
M.  Carra  de  Vaux  renvoie  à  un  ouvrage  de  Brandi  sur  la  religion 
mandéenne,  il  renvoie  donc  à  un  otivrage  de  seconde  main  et.  ([ui 


(1)  Lire,  par  exemple,  le  premier  livre  de  Finiiicus  Maternus.  Bardesane,  élevé 
avec  le  roi  .\bgar,  dut  aussi  connaître  la  pliilosopliie  grecque.  Il  semble  |)lutùt 
suivre  Platon  qa'.\ristote.  Cette  note,  ainsi  que  la  suivante,  ligure  dans  le  Joiir- 
nal  Asiatique. 

i2)  Cf.  Le  Lirre  lies  lois  des  Vays  (Paris,  Leroux.  ISltyi,  p.  SI,  dernière  ligne  de 
la  traduction. 

(3)  Julii  Firniici  Malerni  .Matheseos  lihri  Mil,  chez  Tklbneu,  Leipzitr,  1894. 


AVICE^SE,  PAR  LK  BARON  CAHHA  1)1-;  VAl'X  499 

liliis  es(,  à  un  (uivrage  consacre'  à  une  qnostitui  1res  obscure.  Car 
nous  avons  parcouru  quelques  ouvrages  mandéens  et  les  avons  Irou- 
véstellenUMil  incoliéivnls  (|iii'  1  on  peut  en  extraire  en  liien  el  en  mal. 
à  notre  avis,  tout  ce  que  Ion  voudra  y  chercher.  Il  faut  donc  lire 
M.  Brandi  si  Vmi  veut  couuaili-e  les  idées  de  cet  auteur  sur  la  religion 
inaudéeuue  en  général  et  ha  philosophie  chaldéennc  en  particulier, 
mais  il  faut  lire  en  plus  les  écrits  mandéens  el  astrologiques  si  l'on 
veut  énu'lli-e  une  idée  personnelle  sur  ces  sujets.  Car  nous  avons 
tous  vu  certain  Journal  satiriiiue  donner  en  première  page  une  phcv 
lographie  et  la  cariciture  de  celte  photographie.  L'une  vient  de 
l'autre,  l'uni'  reLui  l'autre  Jusi|u':'i  un  certain  point .  Mais  que  penser 
de  l'honnne  qui  pour  donner  une  idée  du  physicpu'  de  i|uel(iue  célé- 
brité renverra  à  la  caricature?  C'est  ce  que  foui  cependant  tr(q)  sou- 
vent les  auteurs  ipii  renvoient  uniquement  aux  onvi'ages  de  seconde 
main. 

Que  ne  devrions-nous  jias  dire  encore  des  renvois  aux  ouvrages  de 
seconde  main  dus  à  des  auteurs  orientaux  (1)?  Tout  le  chapitre  con- 
sacré aux  Mozatélites  est  basé  sur  une  compilation  de  ChahraslMiii 
(.VII'' siècle;.  C'est  insuffisant.  Ce  sujet  ne  devait,  à  noti'c  avis,  éli-e 
traité  qu'en  note,  comme  chose  insuffisamment  connue.  De  ce  que 
Chahrastani  a  consacré  une  bonne  notice  à  Avicenne,  il  ne  s'ensuit 
pas  qu'il  ail  pu  faire  de  bonnes  notices  sur  des  auteurs  antérieurs  à 
Avicenne  de  trois  à  ([uatre  siècles;  nous  ne  savons  même  pas  si  leurs 
ouvrages,  pei-dus  aujourd'hui,  subsistaient  encore  à  cette  époque. 

."■)"  On  a  dû  remarquer  sans  doute  ([u'Avicenne,  à  18  ans.  (irait  par- 
roiini.  dil-il,  /<■  cycle  des  sciences.  C'était  un  heureux  temps.  Nos 
élèves  en  arrivent,  à  cet  âge,  à  posséder  ([uel(|ues  notions  sur  toutes 
les  sciences  et  même  à  avoir  deux  b.-iccalauri'als,  s'ils  sont  bien 
doués.  Ils  ne  peuvent  faire  plus.  .Nous  croyons  donc  que  si  Avicenne 
nviiil  jxur.ouni  le  djcle  des  scioices,  cela  tient  à  ce  (pie  ce  cycle  ne 
renfermait  presipie  (las  de  science.  l'oui-le  parcoui-ir,  il  suflisait  donc 
de  grande  facilité  de  parole  et  d'une  certaine  mémoire  capable  d'em- 
magasiner un  bon  nombre  de  mots  techniques.  A  seize  ans,  Avicenne 
donnait  des  h'rons  de  médecine,  nous  imagincuis  voliuitiers  (pi'elles 

(1)  Dans  l'inlro  ludion  à  sa  traduction  de  i'Abrér/é  îles  MerreiUes,  Paris,  1S9S, 
M.  Cirra  de  Vaux  écrit:  «  Il  y  a,  cliez  les  Musulmans,  un  l'otliloriste  dans  chaque 
théologien,  dans  cluuiue  géograptie  et  dans  cluique  hishirien  i>  On  ne  peut  trop 
méditer  cette  plirase  à  laquelle  nous  souscrivons  pleineuient.  Les  liist  riens 
orientaux  eux-nicmes,  faute  d'études  préalables  et  de  milieu  scientifique,  ont  sou- 
vent Il  tournure  d'esprit  des  matelots  qui  racontent  leurs  aventures  suc  le  t;;iil- 
lard  d'arrière,  ou  des  graiid'mères  qui  rocontent  dans  leur  village  ce  que  leur 
propre  grand'niére  a  vu  et  entendu. 


SOO  F.  NAU 

<levai(3iil  iMi'i'  di'  la  l'orcf  de  celles  que  recevait  le  malade  iiria^iii,iirc. 

Quauil  <iii  iKius  dit  que  ees  [diilosophes  faisaient  des  observai ious 
et  tenaieiil  compte  de  re\|)éi-ieHce.  demandons  des  exemples  et  nous 
apprendrons  qu'ils  avaient  i'ernar(]ué  qu'une  pierre  jetée  en  l'air 
retombe  vers  la  terre,  ou  bien  qu'un  corps  plus  lourd  tonilie  plus 
vite,  etc.  En  un  mot,  leurs  observations  étaient  de  celles  cpii  ne  de- 
mandent ni  peine  ni  dérangement  et  que  les  enfants  chez  nous  font 
tous  les  jours. 

t)°  Après  avoir  analysé  la  biographie  dAvicenne  qui  possédait  toutes 
les  sciences  à  18  ans  :  géométrie,  calcul,  logi([ue,  almageste,  pliysi([ue, 
théologie,  médecine,  philosophie,  M.  Carra  de  Vaux  ajoute  (p.  15(5)  : 
"  Nos  temps  ne  présentent  plus  de  ligures  com|)arables  ;  nous  nous 
])laisons  à  croire  qu'il  n'en  peut  plus  exister,  parce  que  la  science, 
aujourd'hui  tiop  développée,  ne  sei'ait  plus  capable  de  tenii'  dans  le 
cei'\eau  d'un  seul  homme.  Cela  peut  être,  mais  aussi  il  serait  juste 
davinii'i-  que  la  science  a  moins  d  unité  et  d  liaimcuiie  anjoiinriiui. 
ipi  autrefois  et  (|u'elle  est  moins  simple  qu'elle  ne  le  fut  sous  la  grande 
discipline  péri|)atélicienne.  En  outre,  notre  attitude  vis-à-vis  d'elle  est 
moins  humble  et  moins  sincère.  .Nous  avons  |)lus  de  souci  de  faire 
briller  notre  nom  que  de  réfléchir  une  grande  étendue  de  science; 
nous  avons  plus  de  zèle  pour  les  carrières  ([ue  d(^  passion  pour 
l'élude.  .Nous  recherchons  plus  les  litr(>s  ([ue  les  connaissances  ;  et 
pour  être  des  spécialistes  plus  parfaits  i|ue  nos  ancêtres,  nous  con- 
sentons à  être  aussi  des  espritsmoins  vastes,  des  natures  moins  fortes 
et  des  ûmes  moins  libi-es.  ■■ 

Ce  passage  nous  semble  trop  pessimiste.  Nos  temps  présentent  une 
liléiade  déjeunes  gens  comparables  aux  Avicenne.  Ce  sont  nos  bache- 
liers. Ces  jeunes  gens  ont  lu  et  appris  un  peu  de  tout  (hors  la  méde- 
cinequi  ne  ligure  pas  encore  explicitement  dans  les  programmes).  Ils 
écrivent  des  dissertations  sur  tous  lessujets,:  histoire,  littérature,  |)hy- 
si(pie,  beaux-arts,  algèbre.  Ils  savent  même,  avec  l'aide  de  bons 
dictionnaires,  plusieurs  langues  mortes  ou  vivantes.  Prenez  donc  un 
brillant  bachelier  de  seize  ans,  faites-lui  faire  deux  ans  de  scolaslii[ue 
dans  un  grand  séminaire,  et  vous  obtiendrez  un  sujet  bien  supérieur 
à  Avicenne,  car  il  saura  plus  de  philoso|ihie,  plus  d'histoire,  plus  de 
physique,  plus  de  calcul  (pu-  ce  grand  philosophe  et,  qui  plus  est,  il 
écrira  beaucoup  mieux,  évitera  les  inutilités  et  ne  confondra  pas 
les  méthodes.  S'il  tombe  dans  des  logomachies,  ses  maîtres  l'auront 
mis  à  même  de  s'en  rendre  compte  et  il  aura  le  mérite  d'avouer  que 
s'il  ne  lait  pas  mieux,  c'est  qu'en  réalité  il  ne  sait  rien,  bien  (|u'il  en 
sache  beaucoup  plus  qu'Avicennc  ne  pouvait  en  savoir  à  son  âge. 


AVICEyyE,  PAR  LE  BARON  CARIiA  DE  VAUX  SOI 

Ce  jcinic  liiiimiii'  si'  choisir;!  alors  un  siijcl  propoi-tionné  à  ses 
forces  cl  l'cliHlii'ra.  ihhi  pour  écrire  des  mois  cl  ilcs  phrases  à  son 
occasion,  niais  pour  arriver  à  le  posséder  aussi  adéijuatenient  que 
j)ossil)le.  11  se  fera  spécialiste,  ce  qui  est  lidéal,  loin  dètre  un  dé- 
faut. D'ailleurs  M.  de  Vaux  se  défendra  à  coup  sûr  d'avoir  pensé  mal 
des  s|)écialistes,  puisque,  à  en  jui^er  par  ses  renvois,  son  ouvrage  est 
basé  siu'sespro|)res  travaux  tout  spéciaux  traduction  de  Mai'oudi,etc.) 
et  sui-  des  li-avan\  de  siiécialistes  belges,  allemands  et  quelquefois 
anglais  :  .Inynlioll,  Schul/.c.  lIolTiiiaiiii,  Mlincr.  Wenricii  ,  Ciire- 
ton,  elc,  elc. 

Il  est  à  désirer  que  uuiis  ayons  en  France  de  nombreux  spécialistes, 
mais  l'état  d'es|)rit  des  lecteurs  s'y  oppose  un  peu.  Trop  souvent  les 
bacheliers  dont  nous  parlions  ci-dessus  ne  se  spécialisent  pas  et  ne 
lisent  que  les  livres  d'accord  avec  leurs  études  antérieures,  c'est-à- 
dire  superficiels  et  de  lecture  agréable.  C'est  donc  le  genre  roman 
qui  a  seul  vogue  chez  nous,  le  genre  science  n'y  est  représenté  que 
dans  les  i>ublications  faites,  aux  frais  du  gouvernement ,  car  ces 
publications  de  science,  de  recherche  personnelle,  longue,  laborieuse 
et  féconde  sur  un  petit  point  du  ihiiuaine  scientifique,  ne  trouvent 
pas  de  lecteurs  et  par  suite  pas  d'éditeurs.  —  C'est  pourquoi  tout 
Français  qui  veut  réunir  quelques  matériaux  ou  quelques  monogra- 
phies pour  composer  un  ouvrage  de  littérature  scientifique,  doit 
recourir  aux  spécialistes  belges,  allemaiids,  anglais.  Ce  genre  n'est 
pas  encore  acclimaté  chez  nous. 

7"  Kniin  nous  ne  goùlnns  jias  beaucoup  la  préseiiçe.  dans  un  ou- 
vrage sérieux,  d'un  mythe  de  neuf  pages  qui  ne  lest  ])as,  suiiout 
lorsque  h'  mythe  n'est  pas  d'.\vicenne.  .Nous  ne  voyons  pas  bien  le 
ra[iport  qui  existe  entre  le  roi  llermànos  et  l'iulellect  agent.  Cette 
logomachie  a  causé  trop  de  tort  à  la  philosophie  et  aux  sciences  pour 
s'y  adonner  dans  un  ouvrage  sérieux. 

Même  dans  un  article  bibliographique,  nous  n'osons  pas  développer 
le  mythe  de  la  Belle  au  Bois  Dormant  ([ni  attendait  f[u'un  prince  Char- 
mant vint  la  réveiller,  et  nous  n'osons  |ias  ajouter  que  la  Belle  au  Bois 
Dormant  est  la  philosophie  arabe  endormie,  sinon  ensevelie  de[Kiis 
de  longs  siècles,  et  que  le  livre  de  M.  le  baron  Carra  de  Vaux  est  le 
prince  qui  va  l'éveiller  pour  nous  la  présenter  au  xx"  siècle  dans 
tout  l'éclat  de  sa  beauté  passée. 

F.  NAU. 


502  C.  DE  KIRWAN 


LE    POSITIVISME    CHRÉTIEN      Deuxième    édition) 
par  André  Godard,  1  vol.  in-8"  de  :J74  pages.  1900.  —  Paris,  Bluud  et  K.^bral. 

I.  —  Si  les  plus  excellentes  intentions,  une  érudition  appi-ofouclie 
et  une  vaste  lecture  suffisaient  pour  écrire  un  ouvrage  irréprocliahle, 
ce  livre  serait  parfait. 

Mais  si  ces  qualités  sont  des  éléments  précieux  dans  la  composition 
d'un  ouvrage,  il  faut,  pour  y  atteindre  la  perfection,  quelque  chose 
de  plus  :  il  faut,  d'abord,  l'unité  du  plan:  il  faut  ensuite  que  ce  plan 
soit  disposé  de  telle  sorte  que  les  questions  qu'il  comporte  puissent 
recevoir  des  développements  sulfisanls  sans  être  par  trop  étendus.  11 
importe  enfin  d'apporter  dans  les  jugements  une  modération  et  une 
im|)artialilé  dont  le  défaut  peut  nuire  aux  meilleures  causes. 

Ce  sont  ces  conditions  d'unité,  de  dévek)ppements  proporlicuinés 
à  l'importance  relative  des  questions  et  enfin  de  modération  dans  les 
jugements,  qui  nous  ont  paru  n'être  pas  toujciurs  sullisanuiient 
remplies  par  le  savant  auteur  d'un  livre  recommandahle  d'ailleurs 
par  les  nombreuses  idées  qui  y  sont  remuées,  les  faits  de  toute  nature 
qui  y  sont  exposés  et  la  parfaite  sinci'rité  qu'il  ri'spirc  d'un  bout  à 
l'autre. 

A  vrai  dire,  c'est  moins  un  livre,  ;iu  sens  to'liniipn'  du  uml,  iju'un 
prograaune  détaillé  pour  une  vérilaljle  séi'ie.  On  s'en  i-endra  compte 
par  l'énoncé  des  litiges  des  six  ou  sept  divisions  de  l'ouvrage. 

C'est  d'abord  Les  'J'Iu'ories  iiri/atives,  ramenées  au  "  préjugé  philo- 
logique '>,  au  naturalisme  et  au  dilettantisme,  contre  lesquelles  se 
dirige  l'elVort  de  l'auteur,  s'adressani  non  pas  aux  croyants,  mais  à 
ceux  (|iii,  <le  bonne  foi,  doutent  (ui  ne  ci-oieiit  point  et  qui  ont  cepen- 
dant le  désir  d'arriver  à  la  vérité. 

De  là  l'écrivain  passe  au  Sj)irilun/i.tmfi  raliunnel.  Ici  nous  avons 
une  sorte  de  traité  de  métaphysique  etde  psychologie  teinté  d'un  peu 
de  cosmologie  et  de  morale.  On  y  parle  de  l'indépeudance  de  la  |)en- 
sée,  des  ><  sommeils  de  l'âme  »,  du  vide  cosmique  iintial,  des  causes 
finales,  de  la  Providence,  de  la  liberté  et  del'eirort,  de  riumiortalilé  et 
de  1  iulini. 

En  traitant  Ihi  Spirihialixiiir  scii'iilifiqitc,  on  loue,  du  chancelier 
Bacon,  sa  méthode  iuductive,  et  on  lui  reproche  avec  raison,  à  lui  et 
aux  écoles  qui  l'ont  suivi .  de  ne  lavoir  appliquée  qu'en  partie, 
s'étant  borné  à  l'observation  des  faits  matériels,  et  ayant  volontaire- 
ment ignoré  ou  même  nié  t(mt  un  ordre  de  faits  éminemment  con- 
slatables  qnoi(iu'élrangers  au  domaine  des  sens.  Suit  une  chargea 


(• 


e 


;./•;  l'nsiriVISME  riinÉTIEX,  par  Andrk  (iODARl)  :;o:? 

tond,  sons  r.i]i|irll;il  ion  pai-liclleiuciil  inc\;icli'  il'"  liypollirsc  dar- 
winiiMuic  i',  i-oiilrc  lonli'  tliéoi'ic  l'voliil  ninnislr,  anssi  l)U'n  cplliis 
(Iiradinetlcnl  les  spirilMalisles  i|ni'  d'Iles  de  |)ais\  in  dernière  nianiéro, 
ou  d"ll;ecl<el. 

Après  le  "  Spii-itualisme  Scienlilii|ui'  -.  il  s'aj^it  ffe  iiurlijiirs  pliéno- 
)iiriii;ii  snnwnnaii.r.  Par  là  l'anlenr  enlend  eetle  série  de  faits  drunent 
onstal('s,  dont  les  uns,  l)i('n  ((u'extraordiiiaires,  peuvent  s'explique!- 
|)ar  le  jeu  île  lois  de  la  nainre  mal  l'inditées  encore  et  [len  connui'-. 
et  dont  les  autres  reijuéreraienl  une  intervention  supérieure  aux 
forces  naturelles.  Telles,  entre  autres,  la  télépathie,  la  transmission 
directe  de  la  pensée,  la  prémonition,  la  sugf^estion  liypnotique,  à 
l'élude  des(|uelles  M.  André  (iodar<l  applique  la  di'nominatinn  de 
«  Psychologie  transcendantale  ■>. 

Et  ceci  nous  amène  à  l'élude  philoso|)lii(|ue  Un  Miracle,  laquelle 
commence  par  un  excellent  ])aragraphe  sur  laci'rlilude  morale  du 
miracle  prouve'  [lar  les  faits.  |iar  les  li'uioiniiages.  par  Ions  les  élé- 
ments qui  conduisent  l'alionneliemenl  à  la  ccrtitiide.  Puis  l'auteur 
établit  une  sorte  de  classement  des  miracles,  distingmint  du  miracle 
physique  ou  ]u-oj)rement  dit  manifesté  par  un  [ihénomène  matériel, 
ce  qu'il  appelle  le  ..  miracle  psycholonique  "  laulrement  dit  le 
miracle  de  la  gràcei,  et  la  prophétie  antique,  autre  foi'me  de  l'in- 
lervi'ntion  divine  lui  ilehors  de  la  naturi'. 

La  théorie  /A'.v  /{r/lijioii!<  montre  par  des  considérations  d  ordre 
métapliysique  et  historique  que  toutes  les  religions  dérivent  d'une 
vérité  fondamentale  qu'elles re|)résentent  inégaleinenl.  Kn  fait,  il  n'y 
a  qu'une  seule  religion  qui  s'est  api)elée,  suivant  les  lenqis.  Judaïsme, 
puis  Christianisme  ou  Catholicisme,  et  dont  toutes  les  antres  sont  des 
atténuations  ou  des  corruptions,  depuis  le  polythéisme  antii|ue 
ju.squ"à  cette  sorle  de  fi'lirhisme  qu'observent  les  ath(''es  de  nos 
jours. 

Tout  cela  n'occupe  pas  beaucoup  ])lus  de  la  moitié'  du  volume, 
i06  pages  sur  -il i.  Le  surplus,  sons  cette  rubri((ue  générale  :  De  la 
rrvélriliijii  niosaif/iie,  constitue  toute  une  exégèse  du  Pentateuque. 
Autheuliciti'.  veracil('  des  textes,  psychologie  sociale  du  peuple 
hébreu,  sa  mission  [u-ovidentielle,  les  sciences  naturelles  en  face  de 
la  Genèse,  législation  de  Mo'ise,  le  miracle  etles  prophéties  en  Israël, 
vue  comijai-i'e  des  textes  bibliifues  et  de  Fantiquili' classique  :  tels 
sont  les  princi|)aux  sujets  abordés  dans  cette  ilernièi'e  division  de 
I  ouvrage.  Klle  se  termine  par  un  imiioi'lant  jiaragraphe  ou  chapitre'' 
qui.  sous  le  titre  île  Ccriiliifics  ricquises.  est  comme  la  concliisiiui  de 
l'enseiidde  du  vohnue. 


soi  C.  DE  KIRWAN' 

II.  —  Telles  sont,  indiquées àgrands  traits,  les  lif^iies  i^iMiérales  du 
Positirisme  chrélirn.  et  cet  aperçu  sommaire  justifiera  sans  doute, 
aux  yeux  du  lecteur,  riin|)utation  de  manque  d'unité  foimulée  au 
di'iiiil  de  ces  pages.  C'est  [dutiU  un  plan  dressé  en  vue  dune  petite 
encyclopédie  apologétique  ([ui  comprendrait  plusieurs  ouvrages 
distincts,  qu'un  traité  spécial  et  autonome.  Aussi  l'abondance  même 
des  questions  abordées  est-elle  un  obstacle  à  ce  qu'elles  soient  trai- 
tées toujours  avec  les  dévelo|)pements  ([u'elles  comporteraient. 

D'autre  part,  l'ardeur  de  néophyte  de  l'auteur  —  car  il  nous  ap|)rend 
qu  il  est  arrivé  à  la  foi  des  plus  lointaines  régions  de  la  prétendue 
liltre  pensée,  par  le  fait  même  des  rétlexions  et  des  observations  dont 
il  a  composé  son  volume  —  cette  ardeur  lui  fait  ass(>7.  souvent  man- 
quer 11'  but  en  le  dé[>assaiit.  Il  n'est  pas  toujiMn-s  juste  pdur  les  tiiéo- 
ries  ou  les  adversaires  qu  il  combat  ;  et  que](pu's-unes  de  ses  bou- 
tades tiennent  plus  du  persitlage  et  du  pamidilet  ijuc  d'uiu^  critique 
grave  et  forte. 

De  ces  ditl'éri'utes  défectuosités,  nous  citerons  quelques  exemples. 

En  montrant  la  gradation  des  êtres,  du  Zoopliyle  au  Chien,  du 
Chien  à  !  Ilonuue  et  île  I  ibuiiiiie  à  Dieu,  laiileur  ne  commet-il  p;is 
une  erreur  métaphysique  ihins  sa  rubi'i(|ue  de  .■  catégories  iiilpltec- 
lucllcit  »  appli(|uée  collectivement  à  l'animalité  et  cà  l'homme?  La 
catégorie  ipii  comprend  le  règne  animal,  du  plus  intime  protozoaire 
au  plus  parfait  des  mammifères,  l'Homme  excepté,  n'est  pas  intellec- 
tuelle :  elle  n'est  que  sfiixilivr,  suivant  une  graduation  quantitative 
dan^  les  développements  de  la  sensibilité  générale  et  de  la  connais-  . 
sauce.  |)ar  les  seuls  sens,  du  particuliei'  et  du  concret. 

Dr  l'animal  à  l'homme  la  graduation  est  qualitative  :  ce  n'est  plus 
l'instinct,  ce  ne  sont  ])lus  seulement  les  sens  et  les  a])pétits  qui  gui- 
dent l'homme,  mais  bien  l'intelligence,  la  raison,  la  volonté  libre. 
L'homme  se  range  avec  les  esi)rits  purs  dans  la  catégorie  intellec- 
tuelle, hujuelle  est  quantitative. 

Lu  fait,  la  pensée  exprimée  par  M.  .\ndré  Godard  est  juste  ;  c'est  sa 
terminologie  seule  qui  laisserait  à  désirer.  Il  a  usé  du  langage  cou- 
rant qui  applique  volontiers  le  terme  d'intelligence  à  tnnle  connais- 
sance même  pui'ement  sensible.  Mais  la  langue  philosophique  est 
plus  exigeante. 

N'est-ce  point  ailleurs  une  généralisation  abusive,  impliquant 
erreiu-  par  conséquent,  que  d'émettre  des  propositions  telles  que 
celli>s-ci  :  ■■  Dans  la  relation  entre  Dieu  et  l'iiomme,  les  religions 
reconnaissent  à  Dieu  le  rôle  supérieur;  les  systèmes  philosophi- 
<pu's  le  prêtent  à  l'homme  «  ;  ou  encore  :  «  Le  llova  qui  implore 


/.;■;  l'dSiriVISUi:  CIIHETIF.JS.  par  André  GODARD  !;os 

SCS    IV'liclu's  usi    plus    pi-dchc    du   divin    ipic    Dcscarlcs.    «    (P.    170.) 

Qutii  !  des  philosophes  eoiiiine  Soeride.  l'ialou,  Ai'istotc!,  saiul  Au- 
gustin, saint  Thomas  d'Aqniii,  Hossuet,  Leihuitz  et  Deseai'tes  lui- 
nièuie  ani'aieiil  mis  1  homme  au-dessus  de  Dieu  1  VA  Deseartes  doid 
on  peut  (liseutei-,  comhattre  menu'  la  diieli-iiie.  mais  ((ui  l'ut  toujours 
religieux  et  croyant,  Descartes  serait  |ilus  <doii;ui'  di'  Dieu  (|ue  le 
sauvage  pi-ostorni''  devant  sa  grotesque  idole  I 

Que  sif^iiilie  cette  plainte  au  sujet  de  Caro  cuusidéré  comme  un 
<■  mai'lyr   des    carabins  athées  et  du  vaudevilliste  Pailleron  »  {sic)  ? 

De  telles  exagérations  sont  regrettables  et  vont  àTencontre  du  but 
excellent  que  s'est  proposé  rauteni-.  |{lles  ne  sont  malheureusement 
point  rares  dans  son  ouvrage  d'ailleurs  si  toulln  el  si  substantiel. 

.N  en  est-ce  pas  une  également,  ou  tout  au  moins  n'est-ce  pas  une 
généralisation  excessive,  de  faire,  sans  distinction  aucune,  le  procès 
du  principe  même  de  la  vulgarisation  des  sciences?  n  Sens  religieux, 
délicatesse,  éducation  vraie,  dit  notre  auteur,  cette  criminelle  vulga- 
risation a  tout  flétri.  »  Il  existe  tout  un  groupe  de  savants  croyants 
qui  écrivent  des  ouvrages  de  vulgai'isalion  dans  un  esprit  essentiel- 
lemen'  théiste  et  chrétien  ;  je  ne  les  aurais  pas  ci-u  si  «  criminels  »  ! 

Autant  pouvons-nous  en  dire  des  théoi-ies  transformistes.  Que 
M.  André  tjodard  leur  soit  contraire,  c'est  son  droit,  et  il  se  trouve 
là  d'ailleurs  en  lionne  compagnie.  Mais  il  parait  dépasser  les  limites 
jieruiises  en  ne  faisant  aucune  distinction  eidre  le  Darwinisme  pro- 
pi-emeut  dit  et  le  priiu'i]>e  même  de  l'évolution  entendu  au  sens  spi- 
rilualiste.  Ce  n'est  ]ias  ilisculer  sérieusement  que  de  s'exjii-imei'  en 
ces  termes  : 

('  S'il  manquait  une  dernière  |ii'llelée  de  i-idicule  sur  le  cadavre  du 
transformisme,  ou  pourrai!  demander  pcuirquoi  /oi/.v  les  minéraux  ne 
sont  pas  devenus  poissons;  tous  les  poisscuis,  quadrupèdes;  [lour- 
qvioi  enfin  il  nous  est  refusé  de  voir  un  champignon  commencer  à 
courir,  ou  une  grenouille  essayer  ses  ailes.  »  (P.  80.) 

Il  est  souverainement  injuste  et  non  moins  inconvenant  de  déco- 
cher à  une  école  de  naturalistes  spiritnalistes  qui  compte  dans  ses 
rangs  des  hommes  comme  les  Richard  Wallace,  les  Saint-George- 
Mivant,  les  Albert  (iaudry.  les  HR.  PP.  Zahm  et  Leroy,  des  sarcasmes 
de  ce  genre  : 

I'  La  rage  d'avoir  une  guenon  pour  grand'mèrea  gagné  jusqu'à  des 
siiiritualistes,  inventeurs  du  Transformisme  mitigé.  » 

Si  toute  théorie  transformiste  reste  jusqu'ici  en  dehors  d(»s  faits 
indiscutés  et  scient iliquement  établis,  le  princij)e  n'en  reste  ])as 
moins,  en  tant  que  mode  adopt(''  par  Dieu  pour  son  œuvre  créatrice. 


506  C.  DE  KIRWAN 

une  possibilité  vraiseinbl.iblc  vi  phmsiljlf .  Elle  parait  laèine.  à  pre- 
mier aperfii,  plus  conforme  à  la  saji;esse  divine  que  la  théorie  d'un 
créationnisme  impliquant  une  intervention  directe  et  spéciale  du  Créa- 
teur pour  chacune  des  innombrables  espèces  animales  et  végétales 
qui  ont  paru  successivement  sur  le  globe.  Une  vue  diflërente  peut 
sans  doute  se  discuter,  mais  autrement  qu'en  la  travestissant  dans 
quelque  boutade  dédaigneusement  sarcastique. 

Celte  manie  de  persitlage  se  rencontre  souvent,  et  à  propos  de 
toutes  les  questions.  En  parlant  de  ce  qu'il  appelle  les  sommeils  de 
l'àine,  troj)  négligée  à  son  gré,  l'auteur  reproche  à  tous  les  traités  de 
philosophie  d'être  «  Iro])  occupés  à  dépecer  l'âme  (>n  une  douzaine 
de  facultés,  à  collectionner  les  impénétrables  attributs  de  Dieu  ou  à 
remonter  les  vieux  rouages  du  syllogisme  ».  (P.  ^5.) 

.Villeurs,  se  ]daignant  avec  raison  (pie  l'on  soit  moins  préoccupé, 
dans  les  villes,  de  l'assainissement  moral  que  de  l'assaiiiissemenl 
phvsioiiigi(piç.  esl-il  auldrisé  ]iiHir  autant  à  condamiu'r  ce  qu'il 
appelle  ••  les  lâches  |)aradoxes  «le  l'hygiène  i<  ?  (P.  l'.IO.)  Il  parle  aussi 
quehjue  part  de  ■<  la  honteuse  iianiijue  des  microbes  »,  faisant  allu- 
sion sans  doute  aux  sages  précautions  prises  aujourd'hui  |)ar  la  mé- 
decine et  la  chirurgie  contre  les  micro-organisnu's.  qu'il  traite  d'exa- 
gérations superstitieuses  ip.  lOii. 

III.  —  .Notre  auteur  enfin  n'est  pas  toujours  très  clair  ni  toujours 
au  courant  des  derniers  résultats  de  la  science.  En  étudiant  la  Psy- 
chologie dans  la  Hible,  il  nous  dit  que  la  mission  du  |ieuple  juif  étant 
terminée  cl  le  paganisme  impossible,  Israël  s'est  fait  le  meilleur 
condncteui'  «lu  /luide  paitlhéiste  (p.  "IX)).  Qu'est-ce  que  le  fluide  pan- 
théiste? Et  |)Our<|uoi  "  notre  respect  collectif  de  la  vie  »  esl-il  peut- 
être  un  <<  préjugé  naturaliste  »  ip.  i'M\)'!  Tout  cela  est  peu  clair. 

La  théorie  des  jours-itériodes  dans  Y Hexaméron  ,  sur  laquelle 
s'étend  M.  (iodard  (jip.  'i'tW,  i.'iâ),  est  ili'  i)lus  «ui  plus  abanihui- 
née  ;iujourd'luii  par  les  exégètes  et  les  hébraisants  :  ils  considèrent 
les  "  jours  »  du  iiremier  chapitre  de  la  Genèse  non  comme  indicatifs 
«le  durées  réelles,  mais  comme  expressions  symboliijues  el  d'un 
caractère  liturgique.  C'est  donc  bien  à  de  véritables  jouis,  au  sens 
(U'opre  et  ordinaire  du  mot,  ijue  l'ail  allusitm  Moïse, mais  sans  «pi'il  y 
ait  rien  à  en  induire  sur  la  iliiréi'  réelle  «les  «eiivres  ci-éatrices  «diTes- 
pondantes. 

En  traitant  du  déluge,  notre  auteur  parait  ne  pas  être  entièrement 
renseigné  sur  l'élat  actuel  des  connaissances  relativement  à  cette 
«piestion.  Aucun    géologue    n'admet  plus   aujourd'hui    qiu',  malgré 


/,K  l'oSiriVISME  CIIHETIES.  pah  André  (JÛDAKD  ;;o7 

li'iir  11(1111,  les  IVirmaLioiis  du  diliiriiitn  soiciU  ('\|ilii;;ibli'S  ji;ir  le  di''lii};i' 
lit'  Noo,  moins  encore  que  ce  céli'lno  cal.iclysinf  puisse  se  confondfe 
avec  «le  pliénoiiièiu'  glaciaire  »  ;  et  ce  ne  sont  |)as  les  f;lai;oiis  clifir- 
ri('s  par  les  kkjucs  qui  ont  transporté  les  blocs  et  débris  erratiques 
au-delà  de  siniiiuets  élevés.  Pareillement  la  présence  de  palmiers  fos- 
siles au  voisinaf;e  du  piMe  n'est  iiiillciui'iil  ■.  altrihiiahlç  au  ib'duiic 
quaternaire  ».  (Cf.  (i.  i!oo.) 

L'auteur  n'est  guère  plus  iieureiix  dans  les  e\|dicali(uis  qu'il 
donne,  [lage  .'50.">.  relativement  à  l'ai'rèt  du  Soleil  et  de  la  Lune  par 
.losiié.  «  L'arrêt  du  mouvement  diurne  de  la  terre,  (''cril-il.  ne  elian- 
gerail  rien  à  l'ordre  du  inonde  ;  et  ce  n'rsl  pus  ini  plus  ijriiiul  miracle 
de  roir  cesser  la  rohilinn  du  Globe  que  de  In  voir  c.niiliiiiii'r.  »  Cette  der- 
nière assertion,  que  nous  soulignons  à  dessein,  n'est  rien  moins 
«[u'une  énormité.  L'auteur  n'a  pas  pris  garde  à  réchappemeul  vio- 
lent par  la  tangente  de  tous  les  corps  non  adhérents  à  la  surface,  les 
eaux  comprises,  par  le  seul  fait  d'un  arrêt  brusque  du  mouvement 
de  rotation  diurne  I  II  n'a  pas  prévu  davantage  l'énorme  dégagement 
de  chaleur  qui  résulterait  de  la  prodigieuse  quantité  d'énergie  ainsi 
subitement  transformée.  Sans  doute,  rien  n'est  impossible  à  la  toute- 
puissance  divine  :  mais  la  supposition  d  un  arrêt  instantané  du  mou- 
vement de  rotation  delà  terre  n'en  implique  pas  moins  trois  miracles 
des  plus  extraordinaires,  et  il  est  de  règle  en  herméneutique  que 
Dieu,  ([iiaud  il  agit  miraculeusement,  |)roportionne  les  moyens  an 
résultat  à  réaliser.  L'arrêt  apiiarent  du  Soleil  |iar  un  phénomène  de 
réfraction,  explication  que  M,  Godard  réprouve,  paraît  donc  incom- 
parablement [tins  vraisendilable  que  celle  d'un  arrêt  inslaulanê  du 
miMivement  du  (ilohe  terrestre. 

Nous  arrêterons  là  ces  exemples.  Nous  avons  tenu  à  les  signaler 
parce  qu'ils  fcuit  partie  d'un  ensemble  qui  déiiai'e  un  ouvrage  très 
bon  sous  d'autres  ra|q)orls.  Un  grand  nombre  de  constatations  et 
d'aidiorismes,  en  soi  profondément  vrais,  risquent  d'être  all'aiblis 
par  les  exagéi'ations,  parfois  les  invectives,  ou  même  les  erreurs 
scientili([iK'S   ou  d'api>réciation  qui  les   accompagnent. 

Au  fond,  Le  PusilivisTne  chrétien^  malgré  la  part  importante  de  phi- 
losophie qu'il  contient,  est,  dans  son  ensemble,  moins  un  ouvrage 
philosophi(iue  pro|iremenl  dit  qu'une  apologie  du  christianisme. 
C'est  ainsi,  du  reste,  que  le  comprend  l'auteur:  «  L'.Vpologétique, 
écrit-il  à  sa  première  page,  répondra  moins  [aux  objections  de  l'in- 
crédulitéj  par  la  raison,  discréditée  à  force  de  tout  prouvei-,  que  par 
les  faits  ;  positivisme  qui  d'ailleurs  concorde  avec  l'économie  du 
Clirislianisme,  lequel  n'a  pas  pour  devise:  Raisonne,  mais  :  .^gis.  » 


B08  A.  CHAROUSSET 

Ce  ijni  lie  vpiil  pas  dire  assurément  que  la  raison  el  le  raisonnement, 
raiioriiHitiii,  <luivent  être  mis  de  côté,  mais  qu'ils  doiveni  s'aiipuyer 
avant  tout  sur  les  faits. 

Et  c'est  en  effet  sur  des  (ails,  sur  une  extrême  vai-iélé  de  faits, 
mais  des  faits  de  toute  nature  :  physiques,  intellectuels,  moraux,  so- 
ciaux, aurnormaux,  historiques,  scripluraires,  quesappuie  notre  écri- 
vain. Nous  croyons  savoir  que,  tel  quil  est,  son  livre  a  déjà  fait  du 
bien  el  coiilrihué  à  éclairer  plusieurs  esprits  de  bonne  foi.  Sa  seconde 
édition,  (pii  a  suivi  presque  .sans  délai  la  ]iremiére.  prouve  qu'il  est 
apprécié. 

Par  de  judicieuses  et  intelligentes  retouches  l'auteur  peut  arriver 
à  rendre,  dans  une  troisièmi'  édilion.  son  travail  irréprochable. 

C.  ru;  KIUWAN. 


LA    PSYCHOLOGIE    DES    ÉLUS,   par  l'abbé  Chollet, 
iii-1'2,  xx-lGU  payes.  —  Lethielleux,  Paris. 

I.  —  Quel  est  l'i'lnl  de  rànv.  hiimriinf  el  que  fait-elle,  lorsque,  sé- 
parée du  corps  et  privée  de  ses  facultés  ortja niques,  ellr  est  arrieée  au 
terme  de  sn  destinée  surualurrlle.  tel  esl  le  siijel  ipie  l'auleur  se  pro- 
[lose  de  li'ailer  (Xiv-xv!. 

l'n  jiareil  sujet  n'est-il  pas  lirn-s  de  uoire  porlée  (xv;?  Pas  absolu- 
ment, f^i'àce  à  la  psyclioloi;ii'  n.il  iirelle.  à  la  philosophie,  à  la  Révé- 
lalicui  et  à  la  thc'Mil(ii;ie  catholique,  j^ràce  spécialemeni ,  parmi  les 
lliéiilo,y'iens.  à  l'.Xnge  de  l'École,  saint  Thomas  ixvi-xvii). 

(liiArn'HK  1''.  —  Dépouillée  de  s(ui  (-(U'ps,  l'àme  humaine  conserve 
son  être  snbslanliel  et  ses  facultés  spirituelles,  rintellij.çence  et  la 
volonté.  Quoique  d'une  nature  inféiienre.  elle  est  appelée  à  la  même 
destinée  surnaturelle  que  les  Anges:  elle  entre  en  société  avec  eux  ; 
comme  eux,  elle  est  en  quelque  sorte  divinisét\  rendue  capable  de 
participer  à  la  Vie  même  de  Dieu  ip.  3-l()). 

Cii.\prrni-;  11.  —  Avec  la  mort,  périssent  tous  nos  sens  externes  et 
internes;  s'éteint  toute  notre  vie  sensible.  Or,  l'expérience  nous 
montre  une  solidarité  étroite  entre  noire  vie  intellectuelle  e!  notre 
vie  sensible  :  pas  de  sensation,  pas  de  pensée.  Si  donc  «  la  mort  sup- 
])rime  tous  les  sens,  ne  supprime-t-elle  pas  la  vie  de  l'esprit  >>  ?  — 
Non,  parce  que  «  les  sens  (p.  28i  ne  sont  nécessaires  à  l'esprit  que 
parce  que  le  corps,  qui  les  lui  l'oiunil,  a  commencé  par  l'empri- 
sonner »  (p.  19-.'i3i. 


LA  PSYCHOLOGIE  DES  ÉLIS,  par  LAiiiiÉ  CHOLLET  509 

Chapitre  III.  —  Séparée  du  corps,  imlrL'  àaïf  vil  sans  le  corps.  Les 
sources  où  s'alimente  cette  vie  spirituelle  se  trouvent  dans  i'àme  ou 
au  deliors  ;  dans  l'iuno,  ce  sont  les  coinifiisxnnrrs  et  les  affcrlioms 
dont  l'enipreinle  demeure  dans  linlelligence  et  la  volonté  ip:  .'J3-'>7 '. 

CiiAPiTHE  IV.  —  Eu  deliors  de  Tàme,  ces  sources  soûl  Dieu  el  les 
Anpes.  Dieu  d'al)ord  :  de  ce  soleil  iinnialériel,  éternel,  part  une  irra- 
diation qui  enveloppe  et  pénètre  toutes  les  substances  angéliques  et 
humaines.  Ainsi  illuminées,  ces  inlelligences  voient,  à  des  degrés 
divers,  Dieu,  elles-mêmes,  el  riiarniouieux  ensemble  de  toule  la 
créai  ion  (p.  iT-tw'. 

CiiAi'iTKi:  V.  —  Ensuite  les  Anges.  Merveilleuse  est  leur  .science; 
ils  se  [larlent  et  se  révèlent  mutuellement;  les  plus  parfaits  illu- 
minent et  instruisent  les  moins  parfaits.  C'est  «  une  cascade  de 
lumière,  une  hiérarchie  d'enseignement  >>  ip.  (i.")-8.")  . 

Chapitre  \'I.  —  De  la  vision  intuitive  :  sa  transcendance  surna- 
turelle, en  quoi  elle  consiste,  quel  est  son  objet?  Son  objet,  c'est  Dieu 
vu  dans  son  essence,  dans  ses  atlrilnits,  dans  ses  conseils,  dans  le 
déroulement  de  sa  Providence  ;  ce  sont  au.ssi  les  trois  divines  Per- 
sonnes contemplées  face  à  face.  Bonheur  de  celte  intuition  (p.  8."5-iOo). 

Chapitre  VII.  —  L'amour  chez  les  élus.  —  La  connaissance  esl 
source  de  l'amour.  Les  élus  aiment  Dieu,  ils  aiment  les  .\nges,  ils  nous 
aiment  nous-mêmes;  pureté  et  intensité  de  cet  amour  (p.  10.^-1:23). 

Chapitre  VIII.  —  Les  élus,  comme  les  .\nges  et  les  saints  cano- 
nisés, sont  doués  d'une  cei-laine  puissance  en  notre  faveur.  —  iJitli- 
culté  :  si  les  élus  nous  connaissent,  s'ils  nous  aiment,  et  s'ils  pi'uri'nl 
nous  faire  du  bien,  d'oii  vient  qu'en  fait  ils  ne  nous  délivrent  pas  de, 
nos  souffrances?  Comment  celle  vue  ne  trouble-t-elle  pas  leur 
boiilieiu-?  Belle  et  [irolonde  réponse  (p.  1:23-135). 

Chapitre  IX. —  Actiou  des  élus  sur  nous  et  pcuir  nous  :  "  Leur  puis- 
sance :  1°  de  contagion  :  -i'  de  suggestion  ;  3°  d'intercession  ;  i"  leur 
piouvoir  matériel  "    p.  L'i.'i-I.'il  . 

IL  —  Par  ce  simple  résumé,  il  est  facile  de  voir  que  la  "  Psycho- 
logie des  Élus  »  touche  à  des  questions  du  plus  haut  intérêt;  il  s'agit 
là,  en  efl'el,  de  notre  destinée  suprême,  de  l'Idéal-réel  auquel  notre 
vie  morale  doit  être  suspendue  et  qui  seul  peut  en  faire  l'unité  et  le 
mérite,  la  vraie  noblesse  et  la  vraie  consolation. 

Pour  traiter  ces  matières  si  élevées,  l'auteur  avait  besoin  et  a  fait 
preuve  d'une  grande  compétence.  Probablement  un  lecteur  attentif, 
et  peut-être  un  peu  méticuleux,  remarquera  certaines  inqjerfections 
dans  l'œuvre  de  M.  Chollet  ;  par  exemple,  (jnelques  inutilités,  quelques 


510  A.  CHAROUSSET 

(■\|ii'('ssi(iiis  iiiij)n)|)rcs  nii  UR'liiplKH'i'S  Iriip  Idrcfcs,  ijiu'li|ues  phrases 
1111  peu  ol)scures  ou  mauqufuit  de  reliel':  uinis  il  sera  heureux  de 
rccoiuiaitre,  nous  en  sommes  sûr,  la  yah'ui'  inconleslable  de  len- 
semlile,  soit  |)Our  la  forme,  soil  pour  le  foud.  Ainsi  les  cristaux,  ([uand 
fui  les  regai'de  an  inicrost'ope.  nous  apparaissent  rarement  (ont  à 
l'ail  |iurs.  et  eonliennent  plus  ou  moins  de  matières  élraut^ères  ;  ce 
(|ni,  d'ailleiws,  ne  nuit  |)Ms  à  la  merveilleuse  régularité  de  leur  ordon- 
nance. 

Comuu'  la  mélhode  de  I  auteur  consiste  à  la  fois  à  exposer  et  à 
discuter,  et  (jue  la  description  n'occupe  pas  moins  de  i)lace  que 
la  di'moiistration,  ou  lira  avi>c  plaisir  «^t  ])rofit  les  nomhi-euses  pages 
oii  la  lieaulé  de  la  IVii'me  ne  le  cède  en  rien  à  celle  de  la  doctrine, 
{•'aul-il  donner  des  echantillmis '.'  Eu  voii  i  deux,  au  hasard.  J,e 
pi-einiei-  p.  il  .  coucernani  l'adage  si  connu  :  Aniiciliri  porrx  im^oiil 
oui  fitr'il ,  nous  numlre  comment  nous  cicons  dans  nos  amis  qui 
son!  ,111  ciel.  -  Ils  sont  devenus...  (sur  terrC'.  dans  la  mesure  même 
de  leni- aU'eclion.  pareils  à  nous.  Us  ont  pris  nos  manières  de  voir, 
de  vouloir,  de  sentir,  iiuehpu'l'ois  jnsipi'à  nolri>  démarche  et  nos 
inllexions  de  voix.  Kn  nu'me  temps,  mms-mr'nii's  nous  communiions 
à  leurs  [lensées.  à  leiu's  aspirations:...  nous  devenions  eux  pendant 
qu'ils  devenaieni  nous...  Us  ont  laissé  U'iw  pruiiri'iiilr  sur  notre  (niii\ 
mais  nous  avons  laissi''  /n  nuire  en  eux.  Ils  sont  partis,  euqiortani 
ainsi  nm-  inirliim  de  nous,  /:11e  vil  en  eu.c.  ils  lu  reronnaissenl.  ils 
l'ainicnl,  comme  nous  aimons  à  relronvei-  dans  notre  es])rit  des  idées 
qu'ils  y  ont  semées,  comme  nous  conservons  avec  piété  dans  iioli-e 
cuMir  les  adectious  (juils  y  ont  créées,  aimaul  ce  (pi'ils  aimaii'iil, 
estimaul  ce  qu'ils  estimaient...  Ils  nous  conliniH'ul  donc  de  même 
en  eux,  ijonlanl  ari'r  hnnlii-iir  relie  iniiiiie  de  nous  (ji/'ils  se  soiil 
faile.  " 

Le  second  p.  \i'.\  est  la  i'i''ponse  à  celle  uravt'  iilijccliou  :  si  un 
sninl,  nu  ricl.  rnil  nos  son//'r(inres.  roitunenl  relie  rue  ne  tnnihlr- 
l-elle  pas  son  honheur'.'  <■  Dieu,  dit  très  bien  l'anteur,  |ienl  laisser  cet 
élu  assister  aux  luîtes,  aux  ti-ilmlalions  des  siens,  parce  i[ne.  plus  haut, 
dinis  l'horizon  de  la  dirine  J'roridence,  npporail  en  même  temps  la  su- 
prême ulilité  de  la  douleur.  L'élu  voit  avec  ravissement  <(ue  ces 
é])reuves  n'auront  qu'un  tenqis  et  sont  le  germe  d'une  )uoisson  infinie 
d'honneur  el  de  joie.  Ainsi  le  laboureur  se  réjouit  de  voii-  la  semence 
(ju'il  a  confiée  à  la  terre,  altacjuée  par  l'eau,  dc'composée  par  la  cha- 
leur, enlacée  el  comme  broyée  sous  l'étreinle  des  éléments,  parce 
(|ue  de  cette  corruption  naîtra  une  riche  jonchée  d'épis.  Les  élus 
voieni  plus  hfivl  el  plus  loin,  et  ces  points  de  vue  supérieurs  ieur  foni 


;..\  \/;';  affective,  pau  le  D'-  surbled  ï.n 

/ijj/iirclcr  rniiiiiic   un    b'ii'ii   rr   ijiii.  à   iiiilrc    riir   Ixiriire.  semble  rire  un 
ilrsdslrr.  ■< 

AxMiil  (le  liiiir.  (lisons  iiui'  iiimis  aurions  voiilu  vciii-  uccusur  plus 
ncticiiiciil  la  pari  ilii  naliircl  cl  cclli'  du  sui'iiat  urci  dans  les  dons  que 
Dieu  [)ri)diL;u('  au\  an^es  ol  aux  saints.  Notons  t''^al('nii'nt  que,  lors- 
qu'on dil  qur  \r  l'oi-ps  esl  «  uii  cachol  «.  «  une  canf^ue  »,  «  des 
entraves  pnui'  notre  esprit  »,  cela  esl  vrai  du  corps  tel  qu'il  est  actuel- 
lenient,  passihie  et  mortel,  mais  non  du  corps  tel  que  la  nature  de 
noire  ■■'nue  le  rc'claine.  ni  du  cor|is  tel  (pi'il  sera  après  la  résurrection  ; 
car,  dan-  Toi-drc  naturel,  le  e(u-ps  l'aisanl  parlic  cssi'uliclle  de  riioilime 
conlére  à  l'àiiie  une  certaine  perfection:  et,  dans  l'ordre  surnaturel, 
le  corps  glorifié,  spiritualisé,  conroi-mé  à  celui  du  Christ,  n'apportera, 
d'après  la  I  ln''olof;ie,  aucune  entrave  à  noti-e  espril.  Tel  est.  sur  ces 
Ueux  points,  le  sentiment  de  saint  Tlnniias  (rA(|uin  (I  ().,  q.  89,  a.  1-2: 
—  I-II.  q.  î..  a.  ;;.  Cl. C'est  aussi, au  Tond  p.  l-i-l.'ti,  le  sentiment  de 
l'anti-nr  .'i  (pji  n(nis  devons  ■■  la  l's\cln)loj;ie  des  KIns  ... 

A.  CIIAROUSSET. 


LA  "VIE  AFFECTI"VE,  par  le  D''  SeRBLF.n,  petit  in-S"  de  220  pages.  — 

Lyon,  ViTTE,  1900. 

Dans  cet  ouvrage,  M.  le  1)'"  Surhied  ne  dissimule  pas  son  intention 
de  criticinei'  liai'diment  telle  ou  telle  opinion  (pii  se  réclame  de  l'an- 
cieniH'  scolasliipu'.  Professant  pour  celle-ci  une  ailmiraticni  sincèi'e, 
il  revendicpu'  avec  raison  la  plus  parfaite  intli'pendance. 

La  psycliolof'ie  de  M.  le  D'  Surbled  est  liien,  en  priuci|)e,  celle  de 
l'École. 

On  sait  ipie.  d'api'ès  celle-ci,  deux  facultés  maîtresses  se  partai;-ent 
la  vie  liumaine  :  l'intellif^ence  et  la  volonté.  La  première  réclame 
constainnieni  leconcrnirs  de  la  connaissance  Sensible  :  la  seconde  ne 
])eut  s'exercer  sans  l'appétit  inférieur  ou  passionnel  (pp.  i.'iri,  1(50,  IGli. 
De  même  ([u'on  ne  |)ense  pas  sans  image  ou  (juel([ue  autre  forme 
sensible  fournie  |)ar  l'imagination,  de  même  aussi  on  ne  veut  pas  sans 
l'aide  de  l'appétit  sensible  et  organique  :  celui-ci  est  à  la  volonté  ce 
((ue  l'imagination  esl  à  l'intelligence.  Telles  sont  les  deux  vies  de 
l'homme,  sensible  et  raisonnable,  étroitement  associées,  quoique 
parfaitement  distinctes:  associées,  puisque  la  vie  supérieure  ne  peut 
s'exercer  sans  s'appuyer  constamment  sur  l'antre  ;  ilistiuctes,  puis- 


ol-2  E.  A. 

que  les  fiicullés  raisonnables,  à  la  dillërence  des  faeullés  sensibles, 
sont  immatérielles  comme  leur  objet  propre. 

On  voit  déjà  rjue  la  vie  afTeclive,  si  on  veut  donner  à  eelle  expres- 
sion toute  retendue  qu'elle  couiporte.  ne  com|)rc'n(l  pas  seulement  la 
vie  purement  passionnelle,  mais  encore  la  vie  supérieure  de  la  vo- 
lonté. Celle-ci  a  sa  manière  pro[)re  d'aimer,  de  liau'.  de  craindre,' 
d'espérer,  de  jouir,  de  souH'rir,  de  sirriter,  etc.  De  même  que  la  con- 
naissance sensible  ne  peut  absorbi'r  la  connai.ssance  intellectuelle, 
bien  qu'elle  l'accompagne  nécessairement,  de  même  la  vie  passion- 
nelle ne  peut  absorber  la  vie  all'ective  supérieure  et  propre  à  la 
volonté. 

(Test  pourtant  ce  ([ue  1  auleur  seud)lerail  ci-nire.si  lun  iuler|)rélait 
rigoureusement  telle  ou  telle  expressi(m  ;  <■  La  si'nsihUilr,  dit-il,... 
embrasse  les  facultés  de  l'imagination  et  de  la  uu'moire  et  s'élève  à 
la  hauteur  de  l'intellect,  allant  du  plaisir  sensuel  qui  résulte  de  la 
satisfaction  de  la  faim  au  plaisir  idéal  né  delà  vue  d'une  œuvre  d'art, 
de,  la  peine  que  cause  la  douleur  physique  à  la  i)i'ini'  du  remords, 
châtiment  moral  des  mauvaises  actions.  »  (P.  ^2G.i 

Évidemment  le  remords  n'est  que  dans  la  conscience  morale,  où  il 
nait,  bien  (ju'il  soit  nécessaiuement  accompagné  de  quelque  état  de 
soullrance  dans  l'ajjpétit  sensible  et  qu'il  (luisse  même  troubler  pro- 
foinlément  et  torturer  la  sensibilité.  C'est  de  la  même  manière  qu'il 
faut  interpréter  ce  que  l'auteur  dit  de  Vavarici',  des  suucis.  de  la  yoïc 
et  de  mille  autres  sentiments  [U'opres  à  l'homme  :  ils  sont  qualiliés 
de  passions,  non  pas  qu'ils  aient  leur  origine  et  leur  siège  principal 
dans  la  sensibilité,  mais  parce  (pie  l'aiipétil  sensible  est  associé  au 
mouvement  de  1  ap|)élit  raisounable  ipii  est  leur  sujet  propre. 

Nous  croyons  dune,  avec  saint  Tlinmas,  cité  et  critiqué  bien  à  tort 
(p.  ti't'i,  que  l'on  ne  peut  attribuer  la  joie  à  l'animal  que  d'une  ma- 
nière impropre,  par  analogie;  en  réalité,  l'animal  n'épi-ouve  qu'un 
plaisir  sensible,  sa  joie  est  toute  organique.  Mais  la  vraie  joie,  celle 
dont  la  plénitude  fait  le  bonheur,  est  essentiellement  spirituelle  :  elle 
est  dans  la  volonté,  qui  possède  entin  l'objet  de  sou  amour.  C'est 
qu'il  y  a  deux  manières  d'aimer,  comme  il  y  a  deux  manières  de  con- 
naître, essentiellement  différentes:  l'une  sensible,  l'autre  spirituelle. 
Or,  jamais  ces  deux  amours  ne  pourront  se  confondre  en  un  seul  et 
même  acte,  bien  qu'ils  soient  associés  constamment  et  dans  des  con- 
ditions infiniment  variables.  De  là  l'extrême  complexité  des  senti- 
ments humains  ;  de  là  aussi,  tour  à  tour,  leur  caractère  de  grandeur 
et  leur  bassesse. 

La  thèse  principale  de  l'ouvrage  est  celle  où  l'auteur  soutient  que 


LA   VIE  AFFECTIVE.  i>\ii  le  D'  SriU5[.En  ;H3 

U'  sièf^c  (les  plissions  est  mtn  |i;is  (l.uis  li'  ciMir.  mais  daitt;  r('iici''[>liali' 
el  spécialcinrnt  dans  le  cervelet. 

Le  cervi'lcl  est  un  organe;  t'enlral  iuliineiiicnl  relié  au  cerveau, 
quoique  parl'aileuient  distinci  ;  son  volume  n'est  guère  qu'un 
dixième  de  celui  du  cerveau,  mais  il  est  presque  aussi  développé  en 
surface  et  aussi  l'iciu^  en  sulistance  grise.  Puisque;  le  cerveau  est 
reconnu  aniouiMlInii  |iiuu-  l'organe  des  sens  internes,  pourquoi  le  C(;r- 
veau  iH'  serait-il  pas  l'organe  des  appétits?  Convient-il  de  ne  lui 
attribuer  aucun  rôle  importaid  et  bien  déterminé,  pour  tout  ramener 
;ui  cerveau  ?  l'iusienrs  faits  semblent  indiquer  le  cervelet  comme  le 
siège  des  passions:  il  serait  plus  dévebqipé  chez  la  femme  dont  la 
vie  alfective  est  plus  intense  généralement  que  celle  de  l'homme  ;  il 
])arait  se  dévelop[)er  pro})oi'lionnellement  aux  émotiou.s  et  aux  in- 
stincts, etc.  Déjà  (ialien  le  regardait  comme  le  siège  de  l'amour 
Il  18-1 '20;. 

Ces  raisons  ne  semblent  pas  de  nature  à  ébranler  la  thèse  classique 
qui  regarde  le  cervelet,  simple  département  de  la  moelle,  comme  un 
organe  de  mouvement,  et  réserve  à  l'écorce  du  cerveau  les  diflféren- 
les  fonctions  de  la  conscience  sensible.  Les  neurologistes  ne  sont  pas 
d'accord  sur  le  siège  des  fonctions  sensibles  de  la  vie  afi'ective.  Les 
ims  en  placent  le  siège  principal  dans  le  cerveau  el  le  siège  secon- 
daire dans  les  vaso-moteurs  ;  les  autres,  au  contraire,  voient  le  siège 
jirincipal  dans  ces  derniers  et  le  siège  secondaire  dans  le  premier. 
Mais  tinis  siuit  unanimes  à  renuiuailre  (pie  la  région  corticale  du  cer- 
veau et  les  vaso-moleurs  sont  intéressés  à  nos  app(''lits  et  émotions 
sensibles,  et  en  conditionnent  l'exercice. 

Bien  d'autres  points  de  la  vif  a/fn-llre  mérilei-aieul  d'être  éludiésà 
la  suite  de  l'auteur,  qui  rappelle  souvent  d'excellents  principes  el 
suggère  les  plus  utiles  rétlexi(uis.  On  soidiaiterait  que  la  ]iartie  psy- 
chologique fût  mieux  fouillée  el  la  parlii'  pliysiologi(pie  plus  solide- 
men'  établie. 

E.  A. 


32 


BULLETIN 


DE 


L'ENSEIGNEMENT    PHILOSOIMIIOUE 


L'ABSTRACTION 


Lies    AltSTKAC.TKINS    I NKKRIEl  RES 

Tciiili-  ciiiuinissaiire  est  une  iil)slr;iel  iun,  si  1  du  prend  ct\  mot  eu 
sdu  sens  matériel.  Dans  le  donné  glolial,  eiiacuue  de  nos  i'aenlli's 
ii|ière  une  sélerliim.  elmisit  iustinclivement  ce  (|ui  lui  revient.  !ùi 
l'ace  d'un  arlire,  Id'il  alislrait  des  couleurs  vertes  et  sombres  et  des 
formes  en  r(']iosou  en  mouvement  ;  Icireille  n])strail  un  bruissement  : 
{"odorat  ahsirail  des  odeurs;  le  tact  abstrait  des  résistances,  des 
rugosités,  des  veloutés,  des  tem|)ératures.  I^a,  perception  n'est  que 
la  synthèse  do  ces  analyses  successives,  la  concrétion  de  ces  abstrac- 
tions, l'unité  rélal)lie  dans  cette  multiplicité  artilicielle. 

Aljstraclion,  d'autre  part,  emporte  le  sens  plus  i-esli'eint,  et  plus 
actir.  d'élimination,  et  implicpu'  un  proci'Ml('>  de  l'esprit  (jiii  tend  vers 
le  généi-al,  élague,  émonde  progressivemeul  <le  jem-s  |)articnlarités 
les  données  bi'utes  de  la  sensation,  pourarrixei-  peu  à  peu  à  l'uni- 
versel, à  l'ahslrail  |ii'o|)rement  ilil.  à  I  idée.  C  est  ce  procédé  original 
<le  l'intelligence  (jue  nous  voulons  aiialyser  ici  en  le  prenant  à  son 
point  de  di'']iart,  et  en  notant  ses  développements  successifs. 

Pour  bien  eomprenilre  Fabstracticui  ainsi  entendue,  il  se  faui  préa- 
lablement pénétrer  de  la  loi  fondamentale  de  )iotre  esprit,  (pii  t'st 
une  loi  de  liiialité  et  de  finalité  active.  Un  a  parlé  d'abstraction  pas- 


;;ir,  E.  CHARLES 

sive.  Nos  expériences  se  j^i-ouperaienl  elles-mêmes  de  la  meilleure 
façon  possible  :  les  ressemblances  se  réuniraient  et  les  différences  se 
distiuKiieraient  d'elles-mêmes;  selon  des  procédés  |)lus  ou  moins 
mécaniques  d'association  et  de  dissociation,  du  chaos  des  |)remières 
représentations  émergerail  liirnti'il  un  cosmos  de  rcpi-ésentalions 
classées  selon  leurs  ressemblances  ])ar  fleures  et  espèces,  pfiur  s'uni- 
lier  cnlin  en  leur  phis  grande  ressemblance,  celle  de  l'être.  On  recon- 
iiall  la  psychologie  simpliste  de  l'associationnisme  brut.  Klle  mé- 
connaît un  fait  de  quelque  infporlance  ici.  c'est  qu'il  n'y  a  pas 
d'absti-action  passive.  .\u  ])oint  de  dépari  comme  au  [loinl  d'airivée 
(Ir  nos  connaissances  appaiail  une  activité  tinalisatricc  i|ui  discri- 
mine, associe  et  organise  ses  conquêtes  selon  des  lois  précises,  les 
lois  de  Fesprit. 

(tr  le  premier  besoin  de  l'esprit  est  de  posséder  ses  connaissances, 
et.  pour  les  posséder,  de  se  les  fixer,  de  se  les  systématiser.  L'expé- 
rience bi-ule  est  mobile  et  chaotique.  Qu'est-ce.  par  exemple,  que 
sa  noui'rice  pour  le  nouveau-né?  A  peine  un  agglomérat  d'images 
visuelles,  siHiores,  tactiles,  gustatives  et  oli'actives,  bien  peu  difl'é- 
rencié  des  autres  sensations,  l'ne  première  systématisation  consiste 
à  Faire  de  cal  agglomérai  une  unité  organisée.  I, 'enfant  distingue 
sa  nourrice  des  autres  objets  d'abord,  des  antres  personnes  ensuite  : 
et  voilà  déjà  des  ahslraclions  obtenues  par  des  éliminations  faites  en 
fonction  de  sa  tiualité  |>remière.  La  nourrice  est  ce  qui  donne  du 
lait,  celle  qui  donne  du  lait,  l'uis  il  lixe  ce  système  en  le  simpli- 
lianl,  en  vient  à  le  reconnailre  sous  des  habits  différents  dans  des 
attitudes  diverses,  à  des  heures  variées  :  ainsi  élimine-t-il  certaines 
conditions  de  lieux  et  de  temps  et  de  circonstances,  et  ^  fait-il  une 
sorte  de  schème  obslrail  d'une  image  sinrjuliére.  —  Nous-mêmes, 
n'avons-imus  ])as  de  ceux  ipie  nous  connaissons  un  schème  abstrait, 
dont  nous  usons  chaque  fois  que  nous  pensons  à  eux  en  leur  absence, 
une  sorte  de  représentation  lixée  et  inmiobile  où  toutes  nos  repré- 
sentations antécédentes  apportent  ce  (ju'elles  ont  de  commun  ou  de 
plus  fréquentj  v.  g.  les  traits  du  visage,  tel  air  de  bonté  ou  de  force, 
ti'Ue  attitude,  tel  geste,  etc."?  Ce  .sont  là  des  abstractions,  bien  rudi- 
menlaires  sans  doute,  mais  où  apparaissent  déjà  les  lois  de  l'abstrac- 
tion la  plus  li,aute,  une  analyse  suivie  d'une  synthèse  faites  toutes 
deux  sous  l'empire  d'une  même  finalité  pratique. 

Continuons  l'histoire  psychologique  de  l'enfant.  Son  expérience 
journalière  le  met  en  rapport  non  seulement  avec  sa  nourrice,  mais 
avec  sa  mère,  son  père  :  bref  avec  des  formes  humaines  qui  ont  tête, 
bras  et  jambes,  tête  surtout,  une  télé  où  il  y  a  des  yeux  «jui  brillent 


cl  rciuiii'iil.  uni'  limK'lir  i|ni  l'ail  du  lu'uil  cl  (|iil  l'iiilii'assc.  Son  atliMi- 
tion  rculorct'  tes  trails  coiiiniuns  cl  l)i('iit<'il  sans  doute  il  se  fail  en 
lui  une  iminjc  iji''ni''i'ii/iii'  de  1  honinu'  nlilenue  par  une  fusion  simul- 
tanée (reli'iiieuls  similaires  et  ini|i(U'laiits.  acc(Mn|iaf^uée  d'évanouis- 
seinenl  des  élénuuds  variables  (|ui  intéresseiil  moins.  Un  a  comparé 
felte  image  j^éuériiiue  aux  j)orlrails  eomposiles  de  (iaUnn,  et  celte 
COinparais(Ui  peut  élre  utile,  |iiiur\u  ipii'  l'on  n(>  confonde  pas  des 
procédés  mécani([ues  de  su[ierposilion  avec  les  procédés  de  syn- 
thèse vivante  (jui  sont  ceux  de  res])rit.  —  Nous  nscuis  tons  à  chaijue 
instant  de  ces  iinaj^es  composiles  :  el,  à  vrai  dire,  c'est  par  de  telles 
images  simplilii''es  ipn'  nous  nous  représeiiUnis  ces  objets-  d'expc''- 
rience  coomniui'  (|ui'  siuil  piuii'  iiiuis  uii  cheval,  un  mouton,  nue 
maison,  une  ville,  etc.  Kt  ici.  par  une  réilexiou  personnelle,  udus 
pouvons  niTMai^  saisir  sur  le  vit  la  formation  spontanée  de  celte 
image,  et  y  constater  la  tendance  de  l'esprit  à  aller  d'emblée  aux 
ressemlilauci's  en  négligeant  les  dill'érences.  Qu'est-ce,  par  exemple, 
à  première  vue,  [lour  un  profane,  qu'un  troupeau  de  moutons,  sinon 
la  répétition  indéfinie  d'un  même  type,  préalablement  connu?  Seul 
le  berger  dilTérencie  ses  moutons  et  ne  se  conleule  pas  d'une  con- 
nais.sance  abstraite  el  primitive. 

Un  progrès  ultérieur  consiste  à  ajouter  à  l'image,  singulière  ou 
géni'ricpie,  une  autre  image  qui  en  devient  le  signi^  Pour  l'enfanl, 
siui  père  n  esl  (pi'uu  système  de  repri'Sentalions,  surloul  visuelles, 
iudépeiulantes  de  lui,  juscpi'au  joui-  (lii  I  nu  aura  sutlisamment  asso- 
cié devant  lui  ce  système  du  sou  :  papa,  pour  ipi'en  le  voyant  il  dise 
lui-même  :  ))a|)a.  Dès  lors  son  père  est  ])Our  lui  une  image  \  isuelle  indr- 
pendaiilr  de  lui,  ]ilus  uiu'  image  sonore  qui  rsl  à  sn  disj)iisili<i)>.  L  image 
sonore  preiul  prali(|uement  le  pas  sur  I  image  visuelle,  (pii  tend  à 
passer  à  l'élal  virliiel,  à  être  i-epréscnh-e,  tandis  qiu'  h>  mot  passe  à 
l'état  vif  comme  représentatif  el  mfiniahle.  i-^l  d'ernlih''e  l'iuiage  géné- 
rique béuélicie  des  avantages  de  l'image  singulière;  ainsi  «  les  en- 
fants ap|)ellent  d'abord  tons  les  hommes  papa  »,  comme  l'avait  déjà 
remarqué  Arislole.  Si  l'eufaul  n'est  pas  aidi'  par  ri''ducaliou,  il  se 
formera  lui-même  son  signe  vocal,  sa  langue  personnelle,  (pie  con- 
naissent lontes  les  mères.  S'il  est  né  sourd-muet,  il  usera  d'un  autre 
signe,  comiui'  eu  témoigne  la  psychologie  des  soui'ds-muets.  Mais  il 
est  clair  que  l'éducation  aide  prodigieusement  à  celle  conquête  du 
signe,  à  celle  nouvelle  iilislnirlion  jinr  siihslihiliiiii  d'une  repi'éseu- 
tation  maniable  aux  repri'senlalions  non  maniables,  d'un  leriiii'  ri'la- 
tivement  inunidiile  à  des  éléments  mobiles,  terme  ipii  esl  ni'  "  |]our 
le  général  ",  el  <|ui  va  singulièremenl  facililer  l'abslracl  ion  propre- 


518  E.  CHARLES 

nient  iliti,',   celle  à  ijni   nous   (levnns  nos   iilées,   nos  nnixersels.   nos 
iilislraits  (jrnérdiir. 

Avant  de  passer  à  celte  forme  supérieure  et  de  quitter  les  l'ornies 
inférieures  de  rnhstractiou,  arrêtons-nous  un  instant  |)Our  en  [iré- 
ciser  le  fonctionnement  et  eu  fixer  les  lois,  telles  (lu'elles  se  dégagent 
des  analyses  précédentes. 


II 


FONCTIONNEMF.NT    PHIMniK    LiK    I.  AlîSÏKACTION 

Une  question  pri\in(iicii'lli'  serait  celle  cle  savoir  si  lahslraclion 
est  le  procédé  ])riniilil'  de  l'espril,  si  nous  didnildus  |iai'  des  notions 
gi'nérales  ou  par  <les  notions  pai'ticniiéres,  si  nous  pci'Ccvons  des 
rcssendjlances  avant  de  jicrcevoir  des  dillérences.  si  la  synthèse  pré- 
cède l'analyse  :  c|uestion  longneniciil  (lisciil(''c  cm  ces  deux  derniers 
siècles,  et  i\h\  a  divisé  les  i)sycliologiies  en  deux  cam])s,  recrutés 
indin'crennnent  daijs  toutes  les  écoles  pliilosopliii|iies.  Sans  entrer 
dans  ces  déltats.  on  se  [x'ut  demander  si  la  ((uesliini.  piisée  ainsi  en 
ces  ternU'S  logiipu'S,  n'était  pas  mal  posée,  et  si  so!i  seul  sens  accei)- 
tahle  ne  serait  pas  celui-ci  :  l'esprit  à  son  réveil  ne  dél>uti'-t-il  pas 
par  riridi''termini''.  et  son  proci'dé  ne  consisle-t-il  pas  à  aller  du  vague 
au  piécis.  de  l'indélini  au  délini'.'  Vax  ce  sens,  nue  seule  réponse 
luius  ]iaraît  possible  :  nos  premières  idées,  particulières  ou  générales, 
sont  des  systématisations,  e'esl-à-dire  des  abstractions,  au  sens  très 
concret  où  no\is  avons  entendu  ce  mot,  et  comportent  à  la  fois  des 
analyses  et  des  syullièses  contemporaines  et  complémentaires  les 
unes  des  autres,  organisant  des  intuitions  simidianées  de  ressem- 
blances et  de  dillérences  :  ressendilances  et  diir(''rences  au  reste 
fonctions  les  unes  des  autres  et  s"im|diquanl  iniitiii>llcnieul.  ciuume 
un  i)eu  de  rétlexion  suffit  à  le  faire  découvrii'. 

L'abstraction  parait  doue  avoir  une  double  loi  foiRlameiitale  de 
dissociation  et  d'association.  Elle  exige  d'abord  une  dissocùilion  des 
éléments  im|)nrlanls  et  des  éléments  non  importants,  c'est-à-dire  des 
éléments  cdustauls  et  des  élénu'uts  varial)lcs  des  expériences  données, 
ceux-ci  tend.iut  à  s'évanouir,  à  tond)er  en  sonuncil,  ceux-là  passant 
au  conti'aire  à  l'état  vif.  de  |)ar  leur  fréquence,  de  par  surtout  lat- 
Irntion  spontanée  et  volontaire  qu'ils  provocjueut,  obtenant  ce  qu'on 
a.  justement  appeli''  un  rcnforreiwnl  j}si/rlii(/iii\  Ainsi  la  luélliode 
logique  de  cette  dissociation  semble  être  sui-l<iul  la  méthode  de  concor- 


V  ABSTRACTION  51'.». 

dancc,  la  plus  siiniilc  de  celles  c|u'utilise  [iiiiiiielion  savante.  S(:li(''iiia- 
lii|iieineiit ,  ('laiil  ilinmés  trois  groupes, 

A     X     B     C     g 

A     B    m     11    C 

A  B  C  0  p, 
X,  g,  in.n,  o,  p.  sont  sponlauémeut,  discriminés,  et  de  chaque  groupe 
il  n'est  relenii  i|iie  A  B  C.  Unifier  ces  éléments  en  un  système  com- 
pact, l'I  autant  ([ue  possible  invariable,  est  1  o'uvre  de  la  synthèse, 
de  l'axsiiriation,  mais  d'une  association  originale,  qui  consiste  dans 
une  agglutination  ou  mieux  dans  une  fusion  des  termes  communs  des 
trois  expériences  successives ,  alors  que  l'association  classique 
n'établit  entre  eux  (jaune  liaison  respectant  leur  indépendance.  Et 
cette  opération  nouvelle  apparaît  à  vrai  dire  plus  intellectuelle  que 
l'autre,  impliquant  le  sens  de  l'identique,  de  l'homogène,  essentiel  à 
l'esprit  à  qui  rex|)érience  n'ofl're  que  du  divers,  de  l'hétérogène,  im- 
pliquant même  une  sorte  dejugement  concret, —  mais  jusqu'ici  con- 
cret seulement,  —  d'identité,  et  des  aftirmations  actives  de  simila- 
rités qui  autoi'isent  la  synthèse  vitale.  Ceci  est  vrai  déjàde  la  synthèse 
des  qualités  d'un  même  objet  plusieurs  fois  i)erçu,  dans  une  repré- 
sentation particulière.  C'est  plus  vrai  encore  de  la  synthèse  de  qua- 
lités d'objets  différents  tiaus  une  image  générique  ;  à  plus  forle 
raison  de  la  synthèse  moins  naturelle  d'un  signe  et  d'une  représtMi- 
tation  signilii'e. 

Ces  affirmations  concrètes  d'identité  sont  le  fond  même  des  aclivi- 
ti's  infi'i-ieures,  et  par  elles  labstraetion  apparaît  comme  le  préambvde 
indispensable  des  premières  inféi'ences  pratiques.  L'image  singulière 
abstraite  donne  lieu  à  des  inférences  du  |)arliculier  au  particulier  : 
la  nourrice  a  donné  du  lait,  donc  elle  donnera  du  lait.  1/image  gé- 
nériiiue  abstraite  permet  déjà  ce  (pu^  l'on  a  appelé  des  inférences  par 
analogie,  des  sorites  concrets,  qui  expliquent  les  actions  et  les 
inventions  des  animaux  supérieurs  :  le  renard  de  Montaigne  a  des 
représentations  généralisées  de  tern^  et  d'eau,  de  solide  et  de  liquide, 
selon  li'S(pii'lles  il  modifie  sa  marche.  L'abstraction  dernière,  par 
subslilution  de  signe  à  chose  signifiée,  n'autorise  que  ce  qu'autorisent 
les  reiu'ésentalions  qu'elle  symbolise.  Elle  ne  mènera  plus  loin  que  le' 
jour  oi'i  elle  impliquera  une  conscience  abstraite  de  rapports,  ci'  ipii 
n'est  i>as  encore,  et  nous  trouvera  en  possession  de  concepts,  de 
jugements  et  de  raisonnements.  Alors  nous  passerons  de  la  logique 
des  images  à  la  logique  des  idées,  parce  qiu'  nous  aurons  passé  des 
formes  inférieures  à  la  foi'me  sup.''rienre  il  ■  rabslracli<ui. 

Mais   co'jHm'ut    noter   ce   passag'?    "  Imi   quoi   dislinguer  les  |ire- 


a20  E.  CHAULES 

miôres  id('es  îles  iiaaj;es?  ■■  se  (k'uiaiiilail  déjà  Aristole.  Par  crainte 
de  le  faire  «  primi.  l'epiviions  réliide  [)Ositive  de  notre  développe- 
ment intellectuel. 


III 

KVOLCTin.N    DE    l'abstraction 

Jusqu'ici  nous  n'avons  j^uère  eu  devant  nous  (|ue  des  inductions 
obtenues  par  méthode  de  concordance,  où  domine  la  synthèse  des 
ressemblances,  où  les  différences  s'éliminent  pour  avoir  passé  ina- 
perçues. Mais  peu  à  peu,  à  mesure  fjue  l'esprit  abstrait  plus  active- 
ment, entrent  en  jeu  les  méthodes  plus  compliquées  et  plus  délicates 
dites  en  logique  des  différences,  des  variations  concomitantes  et 
des  résidus.  Les  différences  peuvent  être  données  comme  éléments 
prépondérants  dans  la  conscience,  et  l'effort  d'analyse  n'en  devra 
être  que  plus  intense  pour  distinguer,  renforcer  et  abstraire  la  res- 
semblance inévidente  il  un  œil  paresseux  ou  distrait.  Schématique- 
menl  I  (in  aura  alors  ;'i  lieu  près 

a     1,     k     j      r 

c     <l     a    m    n 

\  g  1  p  a. 
C'est  ce  petit  a  qu  il  faut  transformer  en  grand  .\  et  faire  sortir  de 
ses  groupes  naturels.  Proprement  on  a  une  invention,  une  découverte, 
qu'elle  soit  d'ailleurs  vraie  ou  fausse,  que  ce  soit  un  enfant  qui  la 
fasse  poui'  lui-même,  que  ce  soit  un  i)liilosophe  ou  un  savant  qui 
la  fasse  poui'  l'Iiumanité. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  l'enfant  invente  ses  concepts  quali- 
tatifs et  quantitatifs.  La  représentation  blanche  doit  ètie  il'abord 
pour  lui  l'image  du  lait  ;  puis  il  découvre  la  neige  blanche,  le  mur 
blanc,  etc.  Mais  le  lait  est  liquide  et  se  boit  ;  le  mur  ne  se  boit  pas,  on 
s'y  fait  des  bosses  et  il  se  dresse  étendu  ;  la  neige  est  fi-oide  et  friable, 
bref,  les  différences  s'accumulent  et  se  confondent.  Il  faut  alors 
qu'intervienne  une  dissociation  active  de  la  représentation  constante 
de  blanc,  et  une  élimination  active  des  représentations  variables, 
de  fluidité,  de  saveur,  de  froidure  :  la  donnée  concrète  tend  à  deve- 
nir un  adjectif  concret,  puis  un  adjectif  abstrait;  les  objets  blancs 
élaborés  engendrent  l'idée  de  blancheur.  Des  abstractions  ultérieures, 
par  analyses  de  plus  en  jikis  aiguës,  donneront  les  abstraits  couleur, 
qualité,  etc.,  jusqu'aux  derniers  abstraits  métapliysi(iues.  —  L'abs- 


LABSTRACTION  'ô%{ 

traftioii  (|iiautLl.ilivi'  »uil  un  |ir<)ccssiis  semijl.ilili',  |ilus  Iful  et  plus 
pénible  apiiaremment,  le  iioiiihre  étant  une  abstraction  moins  évi- 
(ieminent  utile  à  l'enfant.  Q'"'  ileflorts  nécessaires  pour  arriver  aux 
concepts  vagues  d'unité  et  ilr  multiplicité,  puis  aux  concepts  plus 
précis  d'unité  et  de  dualité,  puis  aux  nombres  un  et  deux,  puis  enliu 
à  la  série  des  chilTres!  L'analyse  (pii  dissocie  tel  objet  de  tels  autres, 
ca  de  ça,  puis  ça  et  ça  du  reste,  la  synthèse,  très  postérieure  sans 
doute,  i|ui  associe  ça  et  ça,  la  formation  de  sij^nes  désignant  ça, 
puis  ça  et  ça,  tels  sont  en  gros  les  stades  initiaux  de  l'invention 
de  la  numération  :  combien  lentement  parcourus  !  L'éducation  et 
l'enseignement  des  chiffres  l'abrègent  aujourd'hui.  Mais  longtemps 
compter  vocalement  est  pour  l'enfant  faire  œuvre  de  perroquet.  Il 
le  fait  depuis  des  années,  que  pour  s'en  croire,  il  veut  dans  l'appli- 
cation vérifier  jiar  une  vision  concrète  ;  le  petit  berger  se  fie  plus  à 
ses  yeux  qu'à  ses  chiffres;  de  même  bien  des  gens  du  peuple  n(^ 
croient  à  une  addition  que  réalisée  sur  les  doigts;  combien  enfin 
pour  qui  la  table  de  Pythagore  est  l'objet  d'un  acte  de  foi,  jamais 
comprise  bien  que  sue  par  cœur!  —  Ces  considérations  sur  l'abstrac- 
tion quantitative  des  nombres  s'appliquent  a  fortiori  à  l'abstraction 
quantitative  des  formes  géométriques,  plus  pénibles  encore,  moins 
utiles,  et  partant  postérieures.  —  Klles  s'appliqueront  mieux  encore 
à  la  genèse  des  difficiles  concepts  de  rapports,  d'un  usage  de  plus 
*en  plus  indispensable  à  la  pensée  mathématique  et  à  la  pensée  sim- 
plement humaine.  Aussi  la  catégorie  de  relation  est-elle  de  toutes 
celle  où  s'exerce  le  plus  notre  ahslractivité,  où  nos  progrès  intellec- 
tuels se  marquent  de  plus  définitives  conquêtes,  sans  lesciuelles  nous 
ne  saurions  organiser  notre  monde  de  qualités  et  de  quantités.  Du 
premier  rapport  consciemment  abstrait  d'identité  à  tous  les  rapports 
ultérieurs,  spéculatifs  ou  praticpies,  de  ressemblance,  de  différence, 
d'utilité,  de  causalité,  de  liaison,  etc.,  il  y  a  tout  le  développement 
de  l'esprit  humain  allant  des  premières  données  fragmentaires,  inor- 
données et  concrètes,  aux  sciences  les  plus  abstraites,  les  plus  orga- 
niques et  U's  plus  universelles. 


IV 

LES    LANGUES,    l'ÉCHITIME,    LES    SCIENCES 

Cette  étude,  forcément  ra|)idi'  et  artificielle,  de  l'évolution  de  l'abs- 
traction chez  l'homme,  —  il  nous  est  si  difficile  de  nous  ressouvenir 


522  E.  CHARLES 

k'  clit'uiin  paiToiiiii  dans  notre  enl'ance  I  —  est  lioureusemenl  coii- 
tirmée.pai'  l"lustoii-c,  de  riiiimanité  dont  chaque  progrès  nouveau, 
chaque  abstraction  nouvelle,  a  laissé  des  ti-aces  dans  l'histoire  <ie 
ses  langues  et  de  ses  sciences. 

La  classification  généralement  atlniise  des  langue^;,  qui  n'est  dans 
rensenii)le  que  la  notation  de  leurs  développements  successifs,  met. 
en  lias  de  l'éciielle  les  langues  moiiosi/llnhiijui's,  où  tout  l'ellort  est 
d'accoler  à  un  dhjel  un  signe  vocal,  (jue  la  richesse  des  impressioixs 
à  exprimer,  et  la  pauvreté  du  vocal)nlaire  expressif,  font  vite  étendre, 
selon  les  lois  rudimentaires  de  l'analogie,  à  des  objets,  puis  à  des 
actions  plus  ou  moins  similaires.  Viennent  ensuite  les  langues  «^^/u- 
tiniiiilfis,  où  se  fait  la  distinction  des  fonctions  qu'expriment  des 
préfixes  et  des  suflixes.  Puis  les  langues  flexion iielli's.  (|ui  attestent 
lin  énorme  progrès  d'analyse.  Une  conscience  de  plus  en  plus  nette 
des  rapports  y  exige  des  formes  et  une  syntaxe  de  plus  en  plus  com- 
pliquées :  dans  les  langues  dites  .«i//i//(''/!iy((es.  ces  rapi)ortss"expi-iment 
à  l'état  concret  par  des  modifications  des  mots,  les  cas  des  ilédinai- 
sons,  les  voix  et  les  formes  des  conjugaisons:  les  langues  analyli<|ues 
précisent  encore  ces  l'ajqiorts,  et  sui)stituent  aux  cas  l'enqjloi  des 
pré[iositions,  aux  l'oi'uies  et  aux  voix  l'emploi  des  pronoms  cl  des 
verbes  auxiliaires. 

Fj'iiistoire  de  notre  écriture  moderne  est  une  application  des  mêmes 
méthodes  d'abstractions  progressives.  1/hiéroglypiic  égyptien  est 
d'abord  idroyfapliif/ite  {  i<  :  il  ilessine  la  représentation,  v.  g.  le  por- 
trait d'un  lion  signifie  un  lion  :  puis  un  .iipnhnlismr.  on  l'on  prend  sur 
le  fait  le  procédé  d'analogie,  incarne  dans  celle  reprt''senlation  une 
idée  abstraite,  v.  g.  un  lion  représente  le  courage.  L'hiéroglyphe  tend 
ensuite  à  traduire  le  langage  parlé  ;  il  se  fait  phonétique  :  v.  g.  le 
dis([ue  du  soleil,  lii'i.  ne  l'cprésenle  ])lus  ipie  le  son  rà  ;  c  est  la  péi'iode 
des  n'hii.i.  Vient  le  slade  stjllahiijne,  oi'i  l'hiéi'oglyphe  n'exprime  plus 
qu'un  son  ;  et  enfin  le  stade  alphabétique,  où  les  Phéniciens  ne  lui 
lireiil  plus  signifier  que  les  éléments  séparés  des  sons,  consonnes  et 
voyelles.  Une  trentaine  d'hiéi-oglyphes  ainsi  fixés  de  foi-mes  et  de 
sens  ont  donné  ]i,n-  leurs  transt'oi-mations  diverses  les  écritures  eiu'o- 
|iéennes. 

Pareilli'nieiil  toute  science  va  de  rinduclion  à  la  déduction,  des 


(1)  On  sait  également  que  les  rhllTres  romains  ne  sont  que  le  dessein  des  doigts 
de  la  main,  le  signe  1  représentant  un  doigt,  le  signe  V  une  main  ouverte.  D'autre 
part  le  système  décimal,  qui  n'est  pas  le  seul  possible,  a  été  simultanément 
inventé  par  des  peuples  étrangers  les  uns  aux  autres,  qui  ont  naturellement 
limité  le  nombre  des  ciiilTres  au  nombre  des  doigts  des  deux  mains. 


LMtSTliACTliiy  523 

f.iils  iiiix  lois.  (1rs  Idis  iiarliciilièn's  :\u\  lois  générales,  systématisi- 
d'ahoni  des  rclatimis  concréles.  puis  des  relations  abstraites,  des 
relations  de  plus  en  plus  abstraites,  et  tend  ainsi  par  des  schéma- 
tismes  progressifs  au  symbolisme  pur.  L'histoire  des  sciences  matlié- 
rnati(pies,  les  plus  parfaites  de  nos  sciences,  accuse  assez  cette  orien- 
tal ion  de  resi>rit  liumain  ])our  qu'il  soit  inutile  d'insister  ici  et 
d'acciiiiniler  di's  dénionstralions  de  détail. 


L  I  n  K  E 

lirosses  des  inventions  et  des  abstractions  de  Imis  ceux  (pii  iiou^ 
(iiit  précédés,  les  langues  modernes,  telles  que  nous  les  apprenons 
dés  le  berceau,  sont  des  instruments  iiu^rveilleuseuienl  compliqués  : 
si  cliaeun  de  leurs  termes  fut  représentatif  pour  celui  qui  l'inventa, 
la  questi(ui  se  ])(isi'  pour  nous  de  savoir  ce  que  nous  logeons  de 
noti-e  expérience  intellectuelle  dans  ces  cadres  abstraits,  et  si  exac- 
tement nous  V  logeons  qiielipn»  chose,  si  nous  ne  sommes  pas  con- 
(laiiin(''s  par  nos  riclu'sses  mêmes  au  nominalismc  pur.  sinon  an  psil- 
lacisme. 

De  par  l'abstraction  en  cllel  le  mot.  le  signe  s'est  progressivement 
évidé  de  l'cprésentalions  concrètes.  Si  l'enfant  qui  pleure  et  dit  : 
..  Pierre  est  méchant  »,  met  ([uelqu'un  dans  Pierre,  et  des  coups  dan> 
méchant,  il  nous  faut  bien  avouer  ((ne  quand  nous  di.sons  k  l'hounne 
est  méchant  ■>  —  et  la  langue  la  plus  concrète  est  remplie  de  semblables 
abstractions,  —  nous  n'avons  la  plupart  du  temi)S  aucune  représen- 
tation devant  les  yeux,  pas  même  l'image  généri(pie  d'homme  :  tout  an 
plus  des  images  sonores,  on  typographi([ues,  [xinr  justilier  l'adage 
ojli-o-.t  •l'jiX  à'v-j  ç.avTiTuaTo:;  y,  'Vj/t,.  Cette  observation  aïo'a  toute  son 
importance  pour  les  grands  manieurs  d'abstractions,  métaphysiciens 
(Ui  autres,  ([ui  [ieuvent  parler  des  lieures  ou  écrire  des  pages,  sans 
avoir  conscience  d'images  (pielconques.  Prenons  l'exemple  typi(pn> 
du  mathématicien  :  dans  ses  calculs  il  jongle  perpétuellement  avec 
de  purs  signes,  ou  plut(jt  des  signes  de  signes.  Ne  fait-il  que  jongler  ? 
11  s'en  défendi'a  et  dira  qu'à  son  ])oint  de  départ,  ses  signes  signi- 
liaient  (piehjue  chose,  qu'à  son  point  d'ai'iivée  ilssignitieront  encore, 
(piil  les  n'filisûrri.  Durant  le  cours  de  l'opération  il  a  totalement  né- 
gligé les  ol)jets  concrets  de  son  étude,  avec  l'arriére  conseienci' 
cependant  (pi'à  cliai|in'  instant  il  p(uivait   se  reporter  à  eux.  Il  en  est 


524  E.  CHARLES 

de  l'abslruit  qiialilalii'  couiuii'  de  labslraiL  quaolitalif,  avci-  cepen- 
dant un  moindre  symboli.'iine.  L'algèbre  métapliysitine  a  une  même 
origine  et  peut  avoir  la  même  valeur  que  l'autre.  La  loi  (juc  nous 
avons  constatée  de  l'évanouissement  des  représentations  généralisées 
tombées  en  sommeil,  et  de lasnrvivance  de  la  représentation  générale 
simple  a  ici  toute  sa  portée.  LemoL  est  comme  le  papier  monnaie  de 
la  pensée  :  il  peruu't  d'opérer  sans  argent,  vite  et  bien  :  mais,  sauf 
pour  le  jierroquet,  il  est  un  papier  monnaie  qui  a  de  la  valeur.  Poiu' 
quelques-uns  il  ne  sera  ((u'un  assignat  :  il  est  un  vrai  billet  de 
banque  authentique  ponr  le  vi-ai  penseiu-,  (|ui  a  conscience  de  l'avoir 
acquis  contre  espèces,  et  de  pnuvnir.  quand  besoin  sera,  l'échanger 
contre  espèces.  Le  mot  a  un  contenu  virtuel:  il  est  riche  de  l'idée. 

(Jn'est-ce  donc  au  juste  que  l'idée?  (jràce  aux  précédentes  analyses, 
nous  pouviuis  maintenant  essayer  de  déterminer  sa  nature,  et  de  lui 
fixer  sa  place  entre  l'image  et  le  mot.  Au  bas  de  l'échelle  l'idée  sera 
presque  l'iu'iage  généri(pu\  mais  avec  cette  dirt'érence  ca|>itale  qu'au 
lieu  d'avoir  poia-  coel'ficienl  un  nombre  (pielidiique ,  le  nombre 
même  des  expériences  dont  elle  a  été  abstraite,  (pielipie  élevé  d'ail- 
leurs que  puisse  être  ce  nombre,  l'idée  a  pour  coeflicienl  le  signe  de 
l'infini  -x.  ,  de  par  l'intelligence  univer.sali.sante  (jui  la  fixant,  l'étend 
à  toutes  les  expériences  similaires  possibles,  dans  la  série  donnée,  de 
par  l'intelligence  intelligente  qui  l'ayant  affirmée  d'un  objet  par  son 
premier  jugement  d'identité,  par  exemple  quand  elle  a  dit  :  ceci  est 
blanc,  la  lient  en  réserve  pour  l'affirmer  par  de  nouveaux  jugeuanits 
d'identité,  chaque  fois  que  de  nouvelles  analogies  données  lui  per- 
mettront de  faire  ainsi  passer  des  ressemblances  sensibles  à  létat 
de  ressemblances  intelligibles.  Ainsi  l'idée  de  blanc  est-elle  plus  et 
aulre  chose  que  l'image  généri(|ue  de  blanc.  ([lU'  le  mol  blanc.  Klle 
api)arait  au  terme  de  l'élabora  lion  sensible  des  l'acullês  de  jiercep- 
tion  et  d'association,  en  continuité  avec  elle,  mais  la  dépassant  par 
ce  IhuuI  dans  l'iiilini  (pii  est  (irécisémeiil  celui  que  fait  l'espril  dans 
l'induction  savante,  quauil  de  quelques  cas  observés,  toi'cément  peu 
noadireux  eu  égard  à  la  série  infinie  dont  ils  lont  partie,  il  passe  à 
une  conclusion  universelle.  L'induction  savante  ne  fait  que  répéter 
le  procédé  de  l'induction  primitive  :  ici  et  là  le  signe  x  est  la  griffe 
même  de  l'intelligence,  la  marque  de  fabrique  de  l'intelligibleauthen- 
li(pie. 

Cette  analyse  d'une  idée  de  ipialilé  sinqde,  si  voisine  encore  des 
données  des  sens  et  si  facile  à  confondre  avec  eux,  s'appliquera 
a  fnrtioriaux  idées  qualitatives  complexes,  comme  l'idée  d'une  espèce 
animale,  v.  g.  de  l'houmie,  dont  la  définition  est  déjà  moins  exposée 


L'.UiST/f.W  770.V  52;; 

à  être  confonduL-  avfC  son  image  î>;éinM-iiiiic.  Elle  aiii-.i  Imite  sa  valeiii- 
enfin  pour  les  idées  dérivées,  les  idées  quantitatives,  les, idées  de 
rapports,  et  en  général  pour  les  ahsiractions  dahstractions,  dont  le 
contenu  apparaît  |>lusévideinineul  étranger  aux  représentations  sen- 
sibles. A  i|uelle  image  ramener  les  (•oiu:ei>ts  de  (|ualilé,  de  nombre, 
d'action  et  de  passion,  de  cause  et  dellet.  de  loi.  de  mouvement,  d'in- 
telligence, et  surtout  didée  d'être?  Ici  nous  avons  pour  garant  delà 
nature  originale  de  l'idée,  non  plus  seulement  son  l'.rtension,  sans 
cesse  croissante  et  enveloppant  chaque  fois  de  nouvelles  séries,  mais 
sa  cdmpri'hriisiiiii  même,  de  plus  en  plus  évidemment  inétendue  et 
intemporelle,  bref  irreprésentable,  au  sens  matériel  du  mot.  C'est 
même  la  loi  de  l'univer.sel.  que  sa  compréhension  est  en  raison 
inverse  de  son  extension.  Par  suite  des  analyses  successives  qui 
prennent  pour  ojjjet  à  simplilier  et  à  abstraire,  le  produit  de  l'abs- 
traction précédente,  plus  l'idée  s'éiend  et  s'univer.salise,  plus  elle  se 
vide  de  son  contenu  :  il  y  a  plus  dans  l'idée  de  blanc  que  dans  l'idée 
de  couleur,  dans  l'idéede  couleur  plus  que  dansl'idée  de  qualité,  etc., 
et  dans  toutu  idée  que  dans  l'idée  d'être.  L'idée  semble  tendre  à  l'in- 
fini, au  zéro  de  compréhension;  et  ceci  paraîtrait  assez  juste  si  l'on 
jugeait  avec  des  catégories  sensibles.  Mais  ce  zéro  de  représentation 
est  précisément  l'unité  intelligible,  celle  qui  joue  dans  toutes  nos 
constructions  intellectuelles  le  rôle  de  l'unité  numérique  dans  les  con- 
structions mathématiques.  Aussi  d'anciens  psychologues  ont-ils  pu 
croire  quelle  était  la  première  acquisition  de  l'esprit,  qui  y  arri- 
vait spontanément  et  sans  intermédiaire,  parle  sinq>ie  et  premier  jeu 
de  son  activité  mise  en  présence  d'un  objet  quelconque.  Sans  aller 
jus<]ue-là  nous  pouvons  dire  au  moins  ceci  :  dès  qu'un  animal  en  est 
venu  à  penser  je  ne  dis  pas  à  dire,  il  n'est  pas  nécessaire)  quelque 
chose  d'analogue  à  :  ceci  esl  bon,  c'est-à-dire  en  est  venu  à  faire  un 
jugement  spéculatif  quelconque  (je  ne  dis  pas  un  jugement  d'action, 
comme  manger  (juelque  chose  de  bon  ;  établir  un  rapport  n'est  ])as 
l'exprimer),  en  esl  venu  à  faire  un  jugement  spéculatif,  où  il  y  aura 
au  moins  implicitement  une  allirmation  d'être,  cet  animai  a  francbi 
le  Rubicon,  il  a  passé  du  p;iys  de  l'image  au  pays  de  l'idée  :  il  est 
devenu  un  animal  raisonnable. 

L'idée,  telle  que  nous  l'avons  précisée,  esl  au  fond  de  toutes  nos 
opérations  vraiment  intellectuelles  :  perceptions,  jugements,  raison- 
nements, délinitions,  classilicalions,  etc.  C'est  elle  qui  les  vivifie  et 
qui  garantit  leur  valeur,  alors  même  qu'elle  s'efliice,  et  se  dissimule 
derrière  le  mot.  Et  il  faut  bien  qu'elle  s'eiïace  et  se  dissimule  :  elle 
est  en  effet  en  soi  l'incommunicable  propriété  de  l'esprit  qui  la  con- 


526  E.  CHARLES 

mie:  le  signe  seul  esl  comiininic;il)le,  mais  il  est  vide,  il  son  jxiinL 
(l;>  départ  comme  à  son  point  d'arrivée.  CVsl  nn  vêtement,  plus  ou 
moins  fait  sur  mesure,  dont  nous  avons  iiahilir'  notre  pensée,  dont 
nous  vouions  ipie  notre  auditeur  on  notre  lecteur  lialiille  une  sem- 
hlable  pensée,  mais  ce  nesl  (ju'nn  vêtement.  L  lud)itu(le  sociale  de 
parler  aux  autres  sa  pensée  ayant  amené  celle  de  se  la  parler  à 
soi-même,  et  de  ne  plus  pensersans  le  secours  de  la  parole  extérieure 
(ui  intérieure,  il  s'ensuit  natureilemen!  ipie  c'est  la  paroli'  (|ui  acca- 
pare le  premier  plan  de  la  conscience,  même  dans  la  méditation  la 
plus  silencieuse.  Mais  elle  ne  fait  rien  :  ell^  siL^iiilie.  Toute  la  vie  intel- 
lectuelle est  en  dessous  d'elle. 


VI 

c.om;i;i'TI  .vi.is.mi:  i:t  si'imii  .M.is.Mii 

Poni'  lu-  ]ias  prendre  f^ai'de  à  ce  travail  latent,  ou  |)eul  être  amené 
à  le  ni<'r,  à  reilnire  la  vie  intellectnelle  à  nue  manipulation  de  repré- 
sentations conci-èlcs  ou  (II'  psiltacisme;-  ali>lrMits.  On  en  est  l'acile- 
menl  tenté  ipiand  on  se  trouve  en  lu-ésence  de  prcd'essiiuinels  infé- 
rieius  des  idées  générales  et  des  mots  sonores.  l.,"al)ns  t'ait  tort  ici  à 
l'usage  et  laisse  croire  (ju'à  tout  prendre 

Les  mots  ressemblent  aux  vases  : 

Les  plus  beaux  sont  les  moins  remplis. 

Une  euipiêle  diligente  ne  piMiuel  pas  di'  le  ci-oire  longtemps.  Non 
point  un  sn|>erliciel  examen  de  ciuiscienie.  Hmployer  cette  mé- 
thode connue  la  lait  récemment  .M.  liibot.  interroger  diflérentes 
])ersouues  pour  qu'elles  vous  disent  au  |)ie(l  levé  ce  (pi'ellcs  ont  dans 
l'esprit  ipiand  elles  entendeul  on  lisent  dos  mots  généraux  comme 
bonté,  loi,  etc.,  expose,  comme  il  arrive  en  eUel,  à  ne  recevoir  que 
des  i-éponses  concrètes  on  nulles,  parce  ipi  (Ui  lu'  s'est  adressé  qu'à 
l'imagination  ;  ou  au  moins  elle  seule  a  pris  le  temps  de  répondre  : 
elle  le  fait  en  indiquant  les  schémes.  très  variables  selon  les  individus, 
qui  accompagnent  les  idées.  M.  Itibot  en  convient  lui-même  en  se 
donnant  nn  inconscient  mental,  intermédiaire  entre  l'image  elle  mot, 
intermédiaire  que  ne  lui  a  pas  donné'  siui  enipu''te.  Or  c'est  ])récisé- 
meiil  cet  inconscient  ([u'il  tant  éxciller.  l'I  taire  monter  des  profon- 
deurs de  la  conscience  à  sa  surface.  Ou  jiourra  le  faire  jiar  un  examen 


LAIiSril.UTIiiS  îi-iT 

(•l-ili(|iu'  :  ([iirsl-cr  (11111111'  loi?  ([il  rsl-ci'  i|iic'  la  lioiilr  ?   Bon  'f^rv.  mal 
gré,  des  délinitions  vieiidroiil  i)rcs(iiii'  toujcuiis.  des  i-c|ioiis(>s  plus  (iii 
moins  solides  (iiii  seront  comme  des  piises  de  iinsscssion  à  nouveau 
de  l'idée  par  l'esprit ,  des  retours  sur  les  abslraclioiis  anlérieures  ipii 
loiil   |u-oduite.  Tout  enseignement  est  une  expérience  de  ce  ^enre  ; 
il  a  précisément  pour  lin  de  l'orcer  l'élève  à  découvrir  et  au  besoin  à. 
inventer  par  une  enquête  personnelle  le   sens   des  formules  tontes 
faites.  On  l'invite  à  réaliser  en  espèces  sonnailles  les  liasses  de  billets 
(ju'il  a  reçues  de  sa  famille,  la  grandi'  famille  des  penseurs  et  des  sa- 
vants :  il   doil    véritier  ses  comples.  De  temps  à  aulre  loiil  penseur 
doit  faire  de  même  pour  les  billets  ((uil  a  acquis  par  lui-même,  el  la 
réllexion  critique  est  une  vérilicaliou  de  ce  ^cnre.  Dans  un  cas  comme 
dans  laiilre  on  passe  du  mol  à  l'idi'M',  de  l'idée  à  la  généralisation,  el 
de  la  ^'énéralisalion  à  l'indiiclion  (pii  l'a  préparée.  Kl  |>our  peu  ipie 
l'on  ait  sérieusement  fait  cet  examen  de  conscience  profonde,  et  ac- 
quis le  sens  de  l'intelligible,  on  a  une  conviction  lumineuse  de  l'inef- 
licacité  foncière  des  mots,  en  dépil  de  leur  utilité  ;  on  sent  que  par- 
dessous  leur  encliaînement  artiliciel  il  y  a  la  finalité  de   la  liaison 
logique  des  idées,  finalité  telle  qu'en  dépit  desmultii)lessignilications 
de  ses  signes,  la  pensée  va  toujours  droit  son  chemin,  ne  réalisant 
jamais  de  to\is  les  sens  possibles  que  le  sens  juste.  A  cette  orien- 
tation déterminée,  l'indétermination  et  le  polysémantisme  des  mois, 
s'ils  avaient  ici  une  action  eflicace  et  indépendante,  substilueraienl 
incessamment  des  courses  folles,  comme  on  le  voit  dans  les  cas  de 
désagrêgalion  mentale  oii  disparaît  la  linalilé  de  l'idée.  On  arriverait 
vite  aux  phrases  de  grimoire,   à  l'illogique  abs(du,  car  à  propre- 
ment parler  il  n'y  a  pas  de  logiipie  des  mots. 

Si  donc  il  est  l'associé  de  l'idée,  et  s'il  en  peut  paraître  par  là  le 
.substitut  et  le  représentant,  le  mot  n'en  est  jamais  au  fond  que 
l'homme  de  paille,  incapable  de  dire  autre  chose  (]ue  ce  qu'elle  lui 
fait  dire  ;  il  lui  laisse  tout  faire,  l^artant,  si  le  noininalisme  a  pu 
passer  pour  la  formule  exacte  de  quel([ues  penseurs,  et  même  de 
plus  iiomlireiises  pensées,  il  ne  saiirail  l'être  ni  de  tons  les  penseurs, 
ni  même  chez  un  penseur  quelcomiue  de  toutes  les  pensées.  Le  psil- 
tacisme  est  une  exce|)tion,  une  maladie,  dans  l'espèce  et  dans  l'indi- 
vidu: el,  avant  d'être  une  llié(U-ie  métaphysique,  le  conceptualisme 
est  un  fait  psychologique,  le  fait  psychologique  normal. 

D'autre  part,  si  nos  analyses  soûl  justes,  el  si  le  conceptualisme 
est  vrai,  l'idée,  distincte  de  l'image  el  distincte  du  mot,  apiiarait  elle- 
même  comme  un  fait  psychologique,  (d  un  fait  nouveau,  de  nature 
originale,  inétendue  en  sa  compréhension,  infinie  en  son  extension, 


82X  E.  CHARLES 

elle  est  irréductibU'  aux  représentations  sensibles  ou  dérivées,  pro- 
duits de  perceptions,  dassocialions  ou  d'abstractions  concrètes, 
représentations  toutes  soumises  aux  lois  et  aux  catégories  de  Fespace 
et  du  temps.  Dès  lors,  une  métaphysique  qui  pose  les  questions  de 
principes  a  le  droit,  et  le  devoir,  de  chercher  une  cause  nouvelle  à  ce 
fait  nouveau,  une  cause  connalurelle  à  sa  nature  originale,  en  dehors 
comme  celle-ci  des  catégories  sensii)les.  L'inli'lligible  postule  une  in- 
telligence :  universel  et  inétendu,  il  la  postule  intemporelle  et  imma- 
térielle, telle  que  le  spiritualisme  la  lui  offre. 

C'est  ainsi  que  toute  psychologie  un  ])eu  approfondie  mène  au  seuil 
de  la  métaphysique,  et  nous  pourrions  maintenant  pénétrer  dans  ce 
nouveau  domaine.  Qu'il  suffise  ici  d'en  avoir  ouvert  les  portes. 

E.  CHARLES. 


ROGBAIVIME 


Nous  avons  à  cœur  de  remercier  tous  ceux  de  nos  collègues  qui  nous 
ont  donné  une  marque  d'intérêt,  en  nous  faisant  connaître  ce  qu'ils 
attendent  de  ce  Bulletin. 

Plusieurs  nous  demandent  d'ouvrir  une  discussion  sur  la  manière  d'en- 
seigner la  philosophie.  En  général,  les  professeurs  des  lycées  font  leur  cours; 
ceux  des  collèges  libres  et  des  grands  séminaires  expliquent  un  manuel. 
Quelle  est  la  meilleure  de  ces  deux  méthodes  pour  la  formation  de  l'esprit? 
Cette  question  sera  discutée. 

Quelques-uns  désirent  savoir  quel  est  l'ordre  qu'on  pourrait  adopter  dans 
l'étude  de  la  psychologie,  pour  se  coufnrmer  à  la  méthode  de  la  philoso- 
phie présentée  par  le  bulletin. 

D'autres  nous  signalent  les  questions  qui  les  préoccupent  le  plus  dans 
l'enseignement. 

«  N'e  pourriez-vous  pas,  nous  écrit-on  du  Nord,  publier  une  étude  sur 
la  nature  de  l'intelligence  et  de  l'idée  "?  Beaucoup  de  professeurs  enseignent 
que  la  premièie  opération  de  l'intelligence  est  le  jugement  et  que  l'idée 
est  un  résultat  éloigné  de  l'activité  intellectuelle.  C'est  un  problème  capital 
dans  l'enseignement  secondaire.  »  —  In  autre  ne  voit  pas  le  moyen  de 
distinguer  l'idée  de  l'image,  l'abstraction  intellectuelle  de  l'abstraction 
des  sens.  Il  fait  remarquer  que  de  la  solution  de  cette  difficulté  dépendent 
les  problèmes  de  la  spiritualité,  de  la  liberté  et  de  l'immortaliti'. 

Des  nombreuses  lettres  que  nous  avons  reçues,  nous  avons  dégagé  un 
programme  provisoire,  toujours  ouvert  à  des  questions  nouvelles.  Nous  le 
proposons  à  nos  collègues,  en  les  invitant  d'abord  à  le  critiquer  et  à  le  com- 
pléter, ensuite  à  traiter  un  des  sujets  qui  leur  oITrent  le  plus,  d'intérêt. 
Nous  aurons  ainsi  des  études  fouillées  et  suggestives. 

1 .  Définition  de  la  logique. 

2.  Historique  du  problème  de  la  connaissance. 
;i.  Nature  de  l'erreur. 

4.  Le  syllogisme. 
!>.  L'induction. 

6.  Mécanisme  et  dynamisme  dans  le  mundr  de  la  malière  et  de  la  vie. 

7.  Nature  de  la  vie  psychologique. 

5.  Ordre  à  suivre  dans  l'étude  des  dillérentes  parties  de  la  psychologie. 
',1.  Vanité  de  la  classification  ordinaire  des  facultés. 

10.  La  conscience  et  la  personnalité. 


230  E.   PEII.LAUBE 

il.  Le  paradoxe  de  la  conscience,  d'après  Kant. 

12.  L'inconscient,  sa  valeur  et  sa  portée  en  pyscliologie. 

13.  Principales  synthèses  psychologiques. 

14.  Genèse  de  la  notion  d'espace, 
llj.  Genèse  de   la  notion  de  temps. 
10.  Genèse  de  l'idée  de  cause. 

17.  Genèse  de  l'idée  de  substance. 

18.  Perception  du  monde  extérieur. 

19.  Le  rêve  et  l'hallucination. 

20.  Revue  générale  des  derniers  travaux  sur  l'imagination  etla  méraoiie. 

21.  L'attention  :  sa  nature,  son  rôle  en  psychologie. 

22.  L'association  des  idées  :  la  ressemblance  et  la  contiguïté  sont-elles 

deux  formes  irréductibles  de  l'association  ? 

23.  L'abstraction  des  sens  et  l'abstraction  de  l'inlelligence. 

24.  De  la  première  opération  intellectuelle  et  du  fond  de  l'enlendemenl. 
2d.  De  la  croyance. 

2G.  Valeur  de  la  raison. 

27.  Les  formes  supérieures  du   sentiment   sont-elles  irréduclibles  aux 

formes  inférieures  .' 

28.  Les  sentiments  religieux.  —  L'extase. 
2'.l.  Démonstration  de  l'existence  de  Dieu. 

30.  !ic  concept  de  moralité. 

31.  But  de  la  vie  et  éducation  de  la  volonté. 

É.  PElI.LAIIiE. 


Soutenance  de  thèses  pour  le  doctorat  es  lettres. 


Le  l"  mars  1901,  M.  Halévy  (Elle),  ancien  élève  de  l'Ecole  normale  supé- 
rieure, agrégé  de  philosophie,  professeur  à  l'I'xole  libre  des  sciences  poli- 
tiques, a  soutenu,  devant  la  Faculté  des  letires  de  fUniversité  de  Paris, 
ses  thèses  pour  le  doctorat  sur  les  sujets  suivants  : 

PnF.MiîîRE  TiiKsK.  —  De  concatenakone  quœ  intcr  a/l'ci-tionef  mentis  proptcr 
simililudinem  fieri  dicititr. 

Del'xikme  thèse.  —  La  formation  du  radicalisme  philosophique.  La  hcvotii- 
tinn  et  la  doctrine  de  l'utilité  (17S9-hS4i)). 

M.  Il.ilévy  (Elle)  a  été  déclaré  digne  du  giadn  de  docteur  es  lettres,  avec 
la  menlion  très  honorable. 


h;  Grr/nit  :  ]..  (i.MiMI'lR. 

Ln  Cl;a[}clie-.\lontligeûn,  —  Iinp.  île  N.-l).  de  Montlif;ei>n. 


LE    IMJOBLÈUE   PIlILOSOniIOUE 


DE    DESCARTKS    A    KANT 


Doscarlcs,  ikhis  le  i-ap[jL'lions  aux  ilt'riiii'i'cs  lignes  dune  pir- 
d'ilente  élude,  cul  une  ambition  iiiimeiiise  de  clarté  et  de  cei'- 
titude  (1  ).  II  les  voulait  irrésistibles,  victorieuses  des  plus  scepti- 
ques, égales  au  moins  à  celles  des  maihémaliques.  Possédé  de 
cet  idéal,  il  sacrifia  tout  à  sa  poursuite. 

l'ar  maliieur,  la  uoJde  passion  el  la  vigueur  du  raisonne- 
menl  ne  sul'lisenl  pas  à  cette  (euvre.  S'ils  tout  les  génies  dé- 
duclil's,  les  bigiciens  puissants,  les  géomèlres  tels  que  les  en- 
tendail  Pascal,  ils  suppb'eiit  mal  le  lad  (i('Iieal,  le  sens  al'liné 
du  n'-el,  la  pénétration  du  regard,  cjui  caractérisent  les  grands 
inluitils,  el  pour  la  meilleure  pari  de  leur  génie,  les  vrais 
philosophes,  interprètes  el  divinateurs  de  la  nature.  Isolé  de 
rinluilion,  le  génie  déductif  esl  l'alalenienl  sysléuialique.  Il 
aveugle  autant  qu'il  éclaire,  et  cache  autant  de  véi'ités  (ju'il  en 
l'ait  découvrii'.  Il  conduit  aux  [laradoxes  de>  [nurbilbins  et  des 
animaux-machines,  plus  sdunciiI  <|u'à  l'invenlinn  de  l'algèbre 
ou  de  la  géométrie  analytique.  Iloi's  des  matbémali(iues  pures, 
il  est  un  éciieil  presque  autant  qu'une  puissance  :  il  n'est 
jias  d'erreur  (|n'il  n'enfante.  Tout  le  monde  sait  qu'avec  un  syllo- 
gisme et  un  opril  systématique  tout  se  prouve  el  buit  se  nie. 

Quoi  qu'il  en  soil,  le  philosophe  français  vil,  bien  (|u'à  une 
telle  entreprise  il  fallait  une  ba^e  nouvelle,  un   point  d'appui 

(1;  Voir  flefiie  ilp  l'Iiitosopliie.   \'    i\(:':i:n\\)ve  1900. 

3.3 


\y.vz  .1.  lilLMdï 

lixL'  cl  iiniiinl)ili'.  tel  (|uc.  dans  iiii  aiilrc  ni-ilrc  (riilt''r>.  Arcliinirilc 
lo  (Icmaiulail  pimr  soulever  la  terre.  —  Il  pensa  l'avoir  Iroiné 
dans  le  Cik/'iIo  l'rr/o  si/m  :  ol.  snr  cel  unique  axiome,  rùninie  sur 
un  l'oe  inéhraulalde.  il  enlre|)ril  de  eon-^lruirt^  la  |iliilosopliie 
nouvidle  (ju'tin  monde  fatigin'  dun  arisloUdisnie  amoindri 
iippidaiL  de  Ions  ses  vœux. 

De  l;"i  date  révolution  de  la  pliili)>opliie  moderne  el  spT'eia- 
lenienl  dr  -a  maîtresse  pièce,  la  tln'orie  cl  la  criliiiui'  de  la 
connaissance.  Le  Caf/i/o  riujit  ^iim  en  est  vraimenl  le  |)rincipe 
géncraleur  el  comme  la  cellule  initiale.  Il  contient  en  ^criue  l(^ 
premier  et  le  dei-nici-  mol  du  sulijeclivisnu' :  il  a  pour  corollaire 
naturel  la  linvirie  di's  idées  innées  et  celle  des  principes  a 
Itriitri  de  la  peiis('e.  l'ar  là  il  éliranle  lot;i(|uemenl  la  valeur  de 
l'expérionce  et  de  la  science. 

Nous  vondi'ions  cs{|nisser  hricvement  les  traits  i;én(''raux  de 
colle  grande  évolution  de  pensée.  Itds  qu'ils  nous  a|i|>araisseiil 
dans  leiii'  cadre  liislorique. 


(le  (|iii  disliimiu'  la  nii'lliodc  de  Descarlos  de  tonte  autre 
méllnxie,  ce  (|ui  lui  ini|irime  son  cachet  et  sa  marque,  c'est, 
avant  tout,  cette  ciili(jue  outrancière  qui,  dans  l'espoii'de  trou- 
\i'r  nu  sol  |ouiour>  plus  l'erme.  ne  s'aïréte  jamais  dans  sa 
reclienlie,  el.  alin  de  mieux  vaincre,  abandonne  dès  l'alnird 
ail  sce[)ticisme  tout  ce  que  le  scepticisme  réclame,  lui  sacrilie 
l'une  après  l'aulre  chacune  de  nos  facultés  et  chacune  de  leurs 
t'onctions  normales,  pour  ne  s'arrêter  eniin  qu'à  la  limite 
extrême  du  doute  possihie,  devant  le  «  je  pense,  donc  je  suis  ». 

Or  cet  axiome  n'expiinn'  l'ien  de  plus  que  le  fait  imméiliat 
ot  subjectif  de  conscienc(>.  11  afiirme  le  rapport  du  |)liénomène 
intérieur  au  sujet  (|ni  le  perçoit  et  qui,  en  le  percevant,  prend, 
en  une  certaine  façon,  (Conscience  do  sa  propre  existence  ;  mais 
il  fait  abstraction  du  rapport  de  la  pensée  au.\  choses,  et  même 
du  rapport  de  la  pensée  à  elle-même,  c'est-à-dire,  en  délinitive, 
do  la  vérité  logique  aussi  bien  que  de  la  vérité  ontologique. 
Il  est  une  idenlilé  primitive  et  privilégiée,  si  évidente  qu'elle 


/.;■;  l'iioin. i:\ii:  l'iiii.nsni'iiinrr,  wx^ 

s  impose  (II'  tiirci'  fi  l;i  coiisi/ii-iR-t'  :  /jr/isrr,  ail  sens  le  plus  hir^c 
ilii  mot,  cCsI-i'i-diic.  commo  lo  dii  DcsciirU's  lui-mènii',  rloiiU'r, 
rêver,  (h'Iiri'r  même,  e'esl  eiici)i-e  èire  :  c'est  se  sentir  exisler  (  I  ). 

Là  i;ise]il  à  hi  loi>  la  eertilnile  propre,  vraiment  exception- 
nelle (le  cette  intuition,  et  anssi  sa  siérilité  é!j;ale  à  sa  cerlitude, 
son  impuissance  à  si-rvir  de  liasi'  à  un  système,  de  |Miiiil  d'ap- 
pui à  une  philosophie. 

En  rejetant  toni  ce  (|ui  n'a  pas  ce  caractère  d'évidence  eoii- 
traignante  et,  à  vrai  dire,  unique;  on  ahandonnaiil.  de  son  plein 
gré,  toutes  ces  autres  évidences,  de  ([iialité  inrérieure,  mai- 
cependaiil  siiriisanto,  sans  lesquelles  il  nous  est  impossiide  de 
vivre  un  seul  jour.  Descaries  sesl  enfermé  dans  un  cercle  de  ter. 
Il  a  signé  de  sa  ]U'opre  main  l'ahandon  de  ses  meilleuros  res- 
sources, celles  de  ses  facultés:  il  s'est  dépouillé  lui-môme  du 
•droit  primordial  d'en  user  et  d'en  vivre,  à  moins  de  réaliser 
-ces  deux  conditionspérilleusos  à  l'excès,  de  iléduire,  par  un  tour 
de  force  de  logique,  toutes  ses  autres  connaissances  de  l'axionn- 
privilégié,  et  de  faire  cette  déduction  avec  ce  degré  d'incom- 
paralde  l'videnco  qui  appariienl  à  cet  axiome. 

Or,  très  nuinifestemeni  ni  l'une  ni  l'aulre  de  ces  condilioiis 
n'est  réalisahle. 

La  première  ne  l'est  pas  :  car  avec  le  doute  universid,  on  a 
donné,  sous  la  forme  d'un  génie  trompeur,  les  divagations  de 
la  folie  pour  assesseurs  possibles  au  ('(x/iii,  fri/o  siiin  :  on  a 
rejeté  comme  impuissantes  toutes  nos  facultés.  Crunment,  avec 
de  telles  prémisses,  espérer  que  l'on  puisse  légitimement  dé- 
duire, d'un  axiome,   cette  grande  ciiaiue  de  v( 


grauue   cuaiue   ue   veriles  qu 


esl    le 


savoir  11 iimttin'.' 

La  seconde  conditimi  lU'  l'est  pas  davantage.  Ou  sait  au  prix 
de  quels  efforts  de  dialectique,  par  quelle  série  de  marches  et 
de  contremarches,  par  quel  escalier  tortueux  ou  pluliM  par  quel 
labyrinthe,  Descartes  s'évertue  à  remonter  du  piiils  profond  el 
obscur,  où  il  est  volontairement  descendu,  jusqu'à  la  lumière 
du  jour.  Parmi  toutes  ses  idées,  il  en  remanjue  une,  l'idée  de 
Dieu.  ]']lle  a,  seule  entre  toutes  les  autres,  le  privilège  de  prou- 
ver l'existence  de  son  objet.   Si  donc  l'argument  a  priori  est 

(1    MéiH/alion  secumle.  n    3.  éJ.  GARNiEit.t.  1,  p.  110. 


ly/t  .1.  BII.LIOT 

idcincmcnl  riuoiii'ciix  (ce  >~\u('  lEcole  n"a  jamais  admis),  nous- 
aurons  une  ilinixii'mc  dDiiiiL-e,  un  nouveau  jtoinl  dappni  dans 
Foxisloncf  do  Dieu.  On  en  déduira  immédiatement  celte  troi- 
sième vérité,  q(ii  cependant  demanderait  bien  d'être  prouvée  : 
("est  fticn  !'ui  est  mon  (Créateur. 

inlini  en   perl'ection,  le  (Iréateur  ne  peut  m'avoir  donné  des. 
taiiiUés  trompeuses,  «  maîtresses  d'erreur  »,  comme  disait  Pas- 
I,  il.  telles  maflirment  qu'il  y  a  en  d(diors  dcnini  des  corps,  d  oi'i 
ini' viennent  les  idi-es   (jne  j'en  ai.   l)onc  ces  corjis  exisleul  eu 
r(''alit(''. 

.\insi  il  a  l'allu  nons  l'dever  1res  liaul,  Jiis(|ii'm  Uieu,  |)ar  nu 
chemin  (|uc  la  majorili-  des  philosophes  juge  impraticable, 
cnsnile,  par  un  raccourci  glissant,  celui  de  la  créalion,  il  a 
fallu  redescendre  <le  ce  sommet  sur  la  terre,  pour  avoir  sim[)le- 
nu'ul  le  dniil  de  dire  :  "  Je  voi>,  |('  louche,  je  sr'i^  (jif/'/ifi//-  ihitsr ...  » 
toules  [)rop(isition-;  dont  on  se  doulail  bien  un  peu  auparavant, 
et  sans  (ju  il  lut  besoin  de  l'aire  celle  périlleuse  exclusion. 

Mais  du  moins,  el  c'i'sl  là  l'ini'vitable  question,  avons-nous 
de  chacune  de  ces  (h'-dnelions  el  de  leur  long  enchaînement, 
non  senlement  une  vraie  certitude,  mais  celle  pleine  et  sou- 
veraine évidence  donlon  nous  a  si  bien  montré  le  caractère  irré- 
sislible:  avons-nous  la  certitude  du  CiKjilt)  crr/o  siini? 

l)e  la  réponse  que  fera  le  >cepliiineàcelte<|uestion  riMlo niable, 
di'pend  en  bonne  logiqu(^  le  sort  de  la  pliiloso|)hie  cai'lésienne 
et,  en  un  sens,  de  presque  toute  la  |diilosoplue  moderne. 

Sans  doute.  Descaries  a  cru  pouvoir  doubler  ce  cap.  Sans 
doute,  il  s'est  cru  le  droit  de  passer  du  Cof/ita  à  tout  un  cor|)s. 
de  philosophie  dogmatique;  et  c'est  lui  qui  a  écrit  sans  sourcil- 
ler ces  lignes  équivalentes  à  un  suicide,  |)uis(|u'(dles  (>lVacent 
lonl  ce  qu  il  a  allirmi'-  précédemnuMit  :  "  Ai/aiil  roniiiuiiir 
(jtl'il  111/  (I  rien  (lu  Inill  rit  ccii  :  jr  p/'/i'ir,  iliiiic  je  stlis,  ijiii  iii'ds- 
siirf  (iiir  je  ili^  lu  rriilr,  siiKin  ijuc  jc  rais  iluin'iitciil  tjitc  juxir 
iifiiscr  II  fil  (Il  rlrr,  je  jiK/cai  ijHi'  je  jtoiirais  pirndri'  jujur  rî-glr 
i/riirralf  ijiic  1rs  r/io^rs  ijiir  niins  concrrons  fijrl  rlairrmrnl  sunl 
iDiiirs  rriiirs.  «  Ainsi  subitement  el  sans  autre  raison,  le  je prn^r^ 
<luii(:  jr  suis  passait  de  la  dignité  de  |Hiint  d'appui  iix(>,  privilégié 
el  uni(|ue,  au  rang  de  règle  générale,  de  type  commun  de  certi- 
tude :  el  parlant  il  leulrail  dans  le  rang  et  se  coul'ondail  avec 


/./•■  i'is(ii;i.i:Mr.  riiiijo'ii'iiHjrK  :>r> 

1rs  iiiilri's  ciTliliKlcs.  —  l'iMiiiiiini  ildiic  alnr-  m  lairc  Imil  ;i 
l'Iii'iMc  un  >i  ui-iiiiil  l'Iiil  .'  A|ii-r>  r.ivoir  taiil  cNalIr.  |i()urijnoi  i. 
laincni'i-  iiiaiiilciuinl  à  la  cimimuiic  mesure? 

Mais  e'esl  ici  qu'au  nom  île  la  l(ii;i(|ne  iiuus  ilevous  arrèler 
l'auletir  de  la  MiHhode  et  lui  il.'leuilre  île  passeï-  nuire,  i  te  deux 
eiiosos  l'uuê,  lui  répond  le  seeplique  :  ou  Ijieu.  Inul  à  1  lieure 
quand  vous  nous  avez  ahandonné  ceci.  |)uis  cela,  puis  encore 
cela,  viHis  n'avez  rien  aliandonné  du  loul.  el  vos  concession- 
n'ctaieni  qu'un  leurre:  mu  Inen.  ce  qne  vous  avez  vraimonl  et 
sérieusiuneiit  abaudiuini' .  vous  avez  perdu  le  droil  de  le 
i-eprendre.  Si  pour  donler  de  votre  enlendemeul.  el  i)lus  encore 
de  vos  sens,  vous  aviez  de  -iraves  et  déci-^ives  raisons,  elles  suh- 
ftistent  encore,  el  appareninn'ul  elles  snhsislenuil  loujonrs.  Si 
tout  à  riieure  vons  étiez  incapalde  de  distini;uer  le  sommeil  de 
la  veille,  le  rêve  de  la  réalite,  la  folie  de  la  raison,  vous  n'en 
■êtes  pas  plus  capable  maintenant.  Ni  le  Cot/i/o  f'r//n  snin,  ni  la 
■Aéracité  du  Créateur  n'y  peuvent  rien  changer. 

Ne  nous  v  trompons  pas.  Il  ne  dépend  de  personne  de  chan- 
ger de  tond  en  cnmhle  nos  certitudes  initiales,  el  de  leur  don- 
ner, grâce  à  la  logique,  des  fondements  entièrement  nouveaux, 
une  valeur  qu'elles  ne  posséderaient  pas  déjà  par  elles-mème-. 
■La  base  première  de  nos  certitudes,  ce  sont  nos  facultés  mènn'-. 
nos  facultés  seules  :  non  pas  telles  que  nous  les  voudrions, 
mais  telles  que  nous  les  avons  en  fait,  inégales  entre  elles  et 
cependant  solidaires,  confirmées  par  l'usage  constant,  par  les 
longs  services  quelles  n'mit  cessé  de  nous  reudri' depuis  notre 
naissance,  (^c  sont  elles  qui  coiulilionnenl  la  logi(|ue.  Or,  à  leur 
égard,  la  méthode  cartésienne  a  atlecté  de  preiulre  deux  atti- 
:tudGS  successives,  l'une  pour  critiquer,  l'antre  pour  restaurer 
;leur  valeur,  attitudes  que  l'on  ne  saurait  concilier  l  1 1. 

Cette  méthode  se  fonde,  d'abord,  dans  un  premier  moment, 
sur  la  distinction  et  sur  l'inégalité  des  évidences  et  des  certi- 


1  >I.  iMinsegrive  ;i  pris  sur  ce  point  l.i  défense  de  U  seules,  dans  de!i\ 
(iilicles  importants  de  la  Renie  philosophique,  t.  .W  voir  surtout  pp.  361  et  suiv. 
—  je  ne  saurais  ici  me  séparer  de  Hume  cpil  a  bien  m  irqué  le  vice  i-adical  du  doute 
et  de  lauiétliode  de  Descartes  :  «  S'il  y  .i  un  principe  conv.iincant  pnr  lui-mnme 
"  et  évident  de  sa  propre  évidence,...  nous  ne  pouvons  faii-c  un  pas  au  delà. 
..  si  ce  n'est  par  l'usage  de  ces  ni^'^mes  facultés  dont  on  présuppose  que  nous 
■■  nous  délions.  Ainsi  le  dout?  cirtésien,  ijuand  il  serait  possible  d'y  parvenir.... 


r;3G  .1.  lîl  LI.IOT 

liuli's.  sur  i'ini'iliicliliililt''  d<'  I  uspOi'c  inlLTioiiro  à  respèci- 
sup('Tioiir(\  (lo  IV'\  idenco  dos  sens  à  colle  do  rentcndenient,  et 
surtout  sur  rirréduclilùlité  de  ces  deux  certitudes  réunies  îi  la 
certitude  subjective  de  la  conscience,  (l'est  pourquoi  elle  re- 
jette les  premières  et  conserve  la  dernière.  Puis,  après  avoir  si 
iiicn  uianiui'  la  distinction  des  espèces  d'évidence,  elle  l'oublie 
tîiat  à  ((inp,  elle  l'ellaci',  et,  à  son  deuxième  moment,  elle  sou- 
tii'nt  que  les  deux  premières  évideuces  se  ri'duisenl  à  la  troi- 
sièuie,  et  les  trois  ensemhh»  à  lun'  seule. 

■  .II'  p<-i)s",  ildiic  je  SUIS  »,  cet  axiouie  demeure  sans  doute 
a»-d(  ssns  de  toutes  les  critiques  :  mais  pmirquoi  ?  —  Pi'écisé- 
merit  parce  (|ii'il  n'est  i|ne  hi  simple  aperceptiou  il'un  même 
fait  de  lonsiienee  expi'imé  sous  deux  mots  dilTérents.  C'est 
une  ai'liruiation,  une  coiislalalion  indéniables,  mais  sans  pro- 
jirès  possible  vers  aucune  autre  vi'Tit('.  Le  sceptique  n'a  jamais 
d<mt(''.  ni  de  sim  dnule.  ni  de  --iin  aeli\ilé  mentale,  ni  de  son 
l'xisteiice  de  '-eeidique.  Il  conteste  seulement  ([ue  sa  pensée 
[(uisse  rien  nlleiiidie  de  certain  en  d(diors  d'elle-mèuK'.  Ce  n'est 
pas  en  lui  accordant  ses  pr(''misses  qu'un  pourra  le  con- 
ir.iindre  d'accorder  ce  qu'il  l'ofuse.  Descartes  en  a  jugé  autre- 
ment, et  il  a  cru,  de  l'abîme  de  la  conscience  pure,  pouvoir 
remonliM'  à  la  surface  du  -ol.  De  Descartes  et  du  sceptique,  ce 
n'est  pas  le  |uemier  ([ui  e>l  le  plus  avis('',  ni  le  plus  logi- 
que :  ol  Idii  ne  voit  pa^  en  fait  que  depuis  Descaries  le  subjecli- 
visme  ait  perdu  du  I(M  lain.  ni  qui>  le  iioml)r(>  des  sce|)liques  ail  le 
uioius  du  monde  diminui'.  Tout  au  contraire. 

.\près  ([ue  le  doute  m(''llioi!i(|ue  a  n^jeté  toute  autre  certitude, 
le  cartésien  logique  et  cons<'{{iient  avec  ses  principes  n'a  plus 
(ju  un  droit  au  monde,  celui  de  i-esier  absorlM'.  >idi[aire.  dans  la 
contemplation  de  son  moi,  li'  seul  hori/on  qui  ne  lui  soit  pas 
fermé.  Clnniue  fois  qu'il  en  soi1,  —  et  il  ne  peut  s'empècber  d'en 
sortir,  car  il  f;uil  \  ivre.  —  il  jirèle  le  llauc  à  l'enni'nii,  et  se  met 
en  conli'adiction   avec  lui-même.  Ile  là  vient,  sans  dontO;  cette 

"  ser.iit  un  mal  tout  .'i  fait  incurable,  et  il  n'y  aurait  point  de  raisonnement 
"  capaLile  de  nous  iMOiener  à  un  état  d'assurance  et  de  conviction  sur  qi;elque  sujet 
■•  c|ue  ce  fut  '>  ilIcME.  \i'  essai.  Desc;irtes,  ne  l'ouldions  pas,  est  allé  dans  son 
diHite  liVperb<dif|uo  jusqu'à  l'Iiypothcse  du  îïénie  trompeur,  c'est-à-dire  de  lu  folie- 
|Missilile.  —  Voir  aussi  les  (|uatricmçs  objections  du  P.  "nurdin  .rnsquellcs  (iar- 
n;or  rend  pleinement  justice. 


;,/■;  l'imiii.EMh:  l'iin.dSdi'iiinii-  '0:17 

liaiilisc  (II'  siilijt'clivisiiic  ou  de  (l('mi-siilij('i-(i\  i>iiii'  dnal  sduM'n' 
aiijounlliiii  ririitnenso  majorité  dos  pliilosuplios,  ol  (jiii  impos(> 
à  ciMix-Ift  mr-mos  qui  lui  rofiisonL  Unir  aillirsion  coiiiplôLc, 
(•(iinnic  un  jnii';  iiilolrralilo,  1111  laiii;'ago  équivdciui',  uni'  allitiiclc 
limidi',  cnnli'r  ualuic.  l'uliu  ili's  lliôorios  pliilosopliiiiucs  inli- 
niuionl  rliiiL;u(''('s  des  ditmircs  di'  l'cxjir'riiMicc  :  aulaiil  d'onlravos 
([ui  rcLieiuK'ul  lélau,  paralysent  rosj)rit  et  enipèelient  son  essor. 
Le  moi  et  les  choses  extérieures  en  réalité  forment  deux 
mondes,  une  ile  et  un  cnnlineul,  qur  si'pare  un  large  bras  de 
mer.  Entre  ees  devix  terres,  la  nature  avait  jeli'  un  pont  sur 
l'aMme  ;  el,  grâce  à  ce  jioiil,  l'esprit  passail  lilirenienl  de  l'île 
rei'nn''e  du  uini.  de  l'aride  Cm/ //a  r/y/i)  su  m,  au  runl  iueul  de  l'èli-e. 
Il  en  revenait  ensuite,  rielie  de  ses  dépouilles.  (!i'  pont  uui(jue 
et  sans  doute  néeessaire,  c'était,  avant  tout,  l'Iiuuildi'  pereep- 
liou  des  sens.  I  ne  l'ois  ce  puni  cnupé',  comment  m^  resterions- 
nous  pas  prisonniers  dans  notre  Ile,  ju-ivi's  de  (ouïe  conimu- 
nic'ation  av(>c  le  dehors? 


il 


I)escarli's,  d'ailleur>,  s'en  luellra  nu)ins  en  peini'  que  tout 
autre.  .Moins  qu'il  |iersonne  il  lui  eu  coi'itera  de  sacrilier,  sinon 
en  entier,  du  moins  aux  trois  quarts,  les  données  des  sens, 
beaucoup  trop  éloignées  à  son  gré,  et  troj>  dillérenles,  des  idées 
claires  et  distinctes,  avec  lesquelles  il  entend  reconstruire  la 
science.  Le  géomètre  sur  ce  point  renl'orce  singulièrement  le 
critique.  La  sensation,  en  ell'et,  menu»  la  plus  objeclive  et  la 
|)lus  nette,  garde  Imijours  en  son  fond  quel(|ue  chose  d'ohscuret 
d'impéiuHralile  à  l'esprit.  Son  àiue  de  mathématicien  s'(m  irrit<'. 

En  conséquence,  il  fait  déchoir  les  sens  de  la  haute  dignité 
tic  facultés  connaissantes,  on  pourrait  presque  dire  scientifi- 
(['ues,  à  laquelle  .Vristote  les  avait  élevés,  en  en  faisant,  grâce 
à  notre  faculté  d'abstraire,  les  pourvoyeurs  de  l'esprit,  et 
la  source  éloignée,  mais  réelle,  de  nos  idées.  Il  h's  n'duil 
presque  au  rang  lieaucoup  plu-^  liunible  i\f  racullé's  alfeclives, 
([u'elli's  oui  gardé  depuis,  boniu's  surtout  à  nous  aider  [lar  leurs 
iinpi'cssions  de  peine  ou   de  plaisir  à  ])ourvoii'  aux   né-ci^ssités 


ÎJ31S  .1.  lULI.IOT 

do  notre  corps.  Sa  division  trop  absolue  des  êtres,  en  étendue 
])iire  et  en  pensée  pure,  l'oblige  à  supprimer  au  moins  tbéori- 
(juement  tous  les  degrés  intermédiaires,  ceux  d'entre  nos 
actes  qui,  suivant  l'Iilcoio,  ne  relèvent  ni  du  corps  seul,  ni  de 
l'àmi^  seule,  mais  bien  du  composé,  .\ussi,  pour  le  géoniètre- 
pbilosoplie  qu'est  Descartes,  n'y  a-t-il  plus  de  place  en  psycho- 
logie pour  la  sensation.  Elle  s'appellera  désormais  idre,  et  sera 
l'acte  de  l'ànie  seul<\  La  sensation  alTcctive  clle-mèm(\  •■  le 
«•halouillement,  »  sera,  pni"  un  heureux  eujdKMiii'ime.  <.  uni- 
|)ensée  obscure  ». 

il  faudi'.i  reciiiiiiailre,  il  est  vrai,  qui'  tiiules  les  pensées  ne 
sont  pas  des  pensées  au  même  litre,  ni  an  même  dejjré'.  A 
l'ancienne  division  de  nus  actes  de  connaissance  en  sensations 
<•!  pensées,  il  faudra  l'aii-e  succéder  la  division  on  «  idées  innées  >< 
et  H  idées  adventices  <>  :  et  celles-ci  resteront  très  voisines  des 
sensatiojis  de  la  scolasticiue.  .\ussi  jusque  sous  le  nom  "  d'idées 
adventices  >>.  Descartes  poursiiivra-l-il  sa  guerre  contre  les  don- 
nées des  sens.  .Malgré  leur  nnuveau  litre,  il  conlinuera  à  les 
ri'garder  comme  de  simples  images  sensibles,  el.  à  i'enconire 
de  riù'ole.  il  les  tiendra  piuir  incapables  de  huunii-,  même  de 
loin,  auv  vraies  idé-es  leur  cunlenu,  el  pour  radicalement  im- 
propres à  la  science.  Dès  hirs.  à  la  théorie  classique  des  idées 
absiraites  d(^  la  sensation  el  linges  de  l'expérience,  Descartes 
<levra  sulislihier  la  dangereuse  hypothèse  des  idées  innées, 
jaillies,  on  ne  sait  cummeiil.  des  proloTideur^  de  noire  âme, 
ou,  comme  il  s'exprime  parfois,  k  nées  avec  (die  >i. 

Ouieon(|ue,  dit-il,  a  bien  compris  le  peu  que  les  sens  ajiporlent 
à  l'entendement.  «  doit  avouer  (lu'oiinni/'s  i(/r/'s  di-s  iliosrs  ne 
■  nous  sont  représentées  par  eux  telles  que  nous  les  formons 
<■  pa'-  la  pensée,  en  sorte  qu'il  n'y  a  rien  dans  nos  idées  qui  ne 
<>  soit  naturel  à  l'esprit;  si  seulement  on  excepte  certaines  cir- 
<'  constances  qui  n'a  p|Kutiennenl  qu'à  l'expi^rience.  Par  exemple, 
<i  c'est  la  seule  expérience  qui  fait  que  nous  jugeons  que  lidles 
«  ou  telles  idées  se  rapportent  à  qindques  choses  qui  sont  iiors 
"  de  nous:  non  pas  à  la  vérité  ([ue  ces  choses  les  aient  lran>- 
»'  mises  on  notre  esprit  par  les  organes  des  sons  toiles  (|ue  nous 
<■  les  sentons,  mais  à  cause  qu'elles  ont  transmis  quelque  chose 
<'   qui  a  donné  occasion  à  notre  esprit,  parla  faculté  naturelle 


/.;•;  l'imiîi.iMi-:  l'iiii.csni'nini  i-:  •■,;<(>- 

■:•  (|u"il  en  il.  (le  les  Ini'uiri-  en  ce  l('ni|is-l:"i  |)lul(')l  qu'on  llll  iUllrc. 
"  ...HiiMi  lie  [iciil  Nciiir  jiis(|ii  à  iidItc  àiiii',  |ii>r  l'iMitromisc  des 
V  sons,  (|iic  (|ii('l(|iu's  niitnvcincnls  corporels:  mais  ni  cos  nion- 
"  venir  ni--  iiii~'iiies.  ne  son  I  |iniii|  coniHis  par  mins  lels  (|u  ils  sont 
<'  dans  les  organes  des  sens...  ;  d'oi'i  il  suil  (|ue  même  les  idées 
<■  des  lignros  et  du  niouvomenl  sonl  naturellement  en  nons  M  i.  •> 
]']nlro  l'idée  on  l'iniatre  du  sidoil  directement  perçue  par  la  \ ne, 
et  l'idée  du  scdeil  «  |)lusieiirs  l'ois  plus  grand  (jiic  loiile  la  lerre  », 
«  déduite  des  raisons  de  l'astronomie  «,  il  ii  y  a  plus  jiour 
lui  aucun  lien  généli(|ue  i:2i.  L'une  ne  procède  pas  de  l'autre. 
L'idée  même  de  liMeudue.  lelle  (jue  la  seusalion  nous  la  lour- 
nit,  n'a  rien  à  voir  avec  c(dle  qu  (Hudie  le  géomètre.  ]H  la  dua- 
lité même  et  la  disparité  des  deux  idées  lui  sert  d'argument 
contre  leur  objectivité.  Quand  le  philosoplie  spécule  sur  l'es- 
pace et  sur  le  UKuido,  ce. n'est  pas  une  réalité,  c'est  une  idée 
•tie  l'esprit  qu'il  analyse  et  dissèqin-.  Celle  lhi''ni'ie  de  sépara- 
tion, ce  tatal  divorce  de  l'idée  scienlilique  et  de  la  donné-e 
-<>xpérimentale,  devient  le  second  di's  |)oin(s  essenli(ds  de  sa 
-vloctrine,  une  deuxième  caractt''risti(|ue  de  ses  vrais  disciples. 
11  la  défend  jnsquau  lioul,  dans  ses  réponses  aux  objections 
de  llobbes,  dans  ses  remai'ques  sur  le  placard  de  Uegius,  si 
bien  qu'à  la  tin,  grâce  à  son  iniluence,  ce  paradoxe  étrange 
passe  en  axiome  :  et  Bossiu-l  lui-même  enseigne  au  Dauphin 
'(jne  l'acle  [iropre  de  l'entendement  est  non  pas  d'abstraire 
(il  n'e  1  est  jias  ((uesliou  dans  la  nouvidlc  pliilosopliie  i.  mais 
<lo  juger,  et  (|u'entre  le  l'eu  senti  par  le  loucber  et  l'idée  du  l'eu 
con(;in'  par  l'esprit,  il  n'y  a  presque  OTicun  rapjiori  i-T. 

Ici  encore,  à  cet  éloignement  profond    el   comme   instinctif 


1  Olùirn's.  t.  X,  p.  Uii.  lieiiiarques  sur  le  placard  de  Uegius.  —  Toutofuis 
M.  Liaid  se  méprend,  croyons-nous,  en  attribuant  à  IJescarles  la  théoiie  de  la 
vision  en  Dieu  de  Malcbranctie.  Le  passage  invonué  par  le  savant  écrivain  à  la 
page  28G  de  sa  belle  étude  sur  Uescartes.  a  trait  à  la  vie  future,  à  la  vision  bi-ati- 
lique,  lelle  que  la  théologie  catliolique  la  conçuil,  et  non  à  la  vie  présente.  Des- 
<'aites  y  met  une  opposition  coiupléte  entre  cette  "  illustration  de  l'espril  ■■.  par 
jaquelle  il  verra  un  jour  ■■  en  la  lumière  de  Dieu  ■>  et  les  connaissance^  que  nous 
pouvons  avoir  de  Dieu  en  cette  vie,  toutes  tirées  de  la  foi  ou  <•  des  idées  et  des 
notions  naturelles  ••  qui  sont  en  nous. 

,2)  Mi'tlitalioii  troisième,  éd.  Gaiixu:ii,  t.  I,  p.  ILS.  —  \'oir  h  réponse  pleine  de 
liauteur  ;i  l'objection  de  llobbes,  t.  11,  p.  'M. 

(:i)  lîossiKr,  Coniiais-bancc  île  Oieii,  c.  i,  vu. 


!;4(i  -1.  lUI.LIdl 

pour  les  données  dos  sons.  lru[i  iirossières  l'L  trop  imparfaites  à 
son  j;ré,  comment  no  pas  reconnaître  l'esprit  tiéométriqne, 
le  i;énie  propre  de  ces  y,rands  s])éculatifs  dn  nombre,  de  la  ligne 
et  dn  compas,  si  jalousement  avides  de  la  rit;ueiir  des  sciences 
exactes,  e!,  pour  la  mieux  sauvegarder,  si  facilement  enclins 
à  la  conception  idéaliste  de  la  scieirce? 

I.eur  vie  se  |)asse  dans  le  monde  de  Falistraction,  à  manier  des 
symboles.  noml)res,  lignes,  ou  formules.  Il  ne  se  peut  que  Icni- 
rspril  u'en  reçoive  aucune  empreinte.  A  la  longue,  l'idée  pure, 
l'explication  abstraite,  l'euiporte  pour  eux  d'étrange  faiion  sur  le 
fait  positif,  complexe,  parliellcmi'nt  réfractaire  h  l'analyse. 
L'idée  accapare  leur  atlouliou,  jusqu'à  pai-aiire  exi--lrr  seule. 
Le  monde  leur  semble  se  confondre  parfois  avec  je  ne  sais  qind 
cncliainemcntde  tbéorèmes,  qui  s'engendrent  les  uns  les  autres 
et  se  déroulent  à  l'inliui.  De  ce  point  de  vue,  suivant  le  mot 
écliap|ié  à  l'un  d'eux,  la  n'alité  concrète  n'oll'ri'  plus  à  leurs 
yeux  ([u'un   intérêt  tout  à    fait  secondaire. 

(Juoi  ([u'il  en  soit,  c'est  ici  l'abandou  total  cl  i-omplel  de 
la  sensation,  dans  la  connaissance  des  essences  sinon  dans  celle 
des  existences  ;  c'est  la  royauté  îles  idées  pures  ou  îles  idées 
vaines,  jadis  inaugurée  pai-  le  divin  Platon,  puis  renversée  par 
Aristote,  (jui  recommence  avec  Descartos.  C'en  est  presque 
fait  de  la  notion  de  rc.xpérience  dans  la  science. 

(Test  une  date  dans  rbistt)ire  de  la  pensée  philos<iplii(jne.  le 
commencenu'nt  d'une  ère  de  trois  siècles  au  moins. 


III 

îne  première  fois  donc,  en  se  réfugiant  avec  le  Cof/ifi)  cnju 
sm/i  dans  la  conscience  subjective,  et  en  sacriliant  imprudem- 
ment nos  autres  facultés,  Itescartes  a  compromis  au  moins  vir- 
luellenu'iil  toutes  les  données  des  sens,  et  pour  toujours  infirmé 
la  valeur  de  l'expérience.  Il  s'est  mis,  si  nous  avons  réussi  à 
uuinlrer  la  poriée  de  sa  niélliode,  dans  l'impossibilité  logique 
de  rien  connailre  du  doliors,  de  prononcer  aucun  jugement 
d'existence.  11  a  rompu  une  arche  du  pont  et  coupé  une  première 
fois  ses   communications   avec  les   choses.    Toutefois,  si  juste 


;,;•:  ;'/;m/;;./.u;-;  l'im.nsiii'inun-:  a4i 

<[\\c  sôil    ci'llc   ciiiiL-liisioii    l't  si  iiiipr'rii'usi'ini'ii!   ([u'clle    s'im- 
jiipsc.  il  lie  lii  ni  liréc,  ni  vciuluc. 

Mais  niic  siH-ondo  l'ois,  livs  c.xjilicileniiMil  cl  1res  déliiw- 
rômonl,  il  .1  rcnoiivolr  sa  l'anlo,  en  admottanl  drs  idées  innées, 
étrangères  à  l'expérioiu-e.  el  en  le>  dcmnanl  |Hiur  fondement 
à  la  science.  Très  volonlairenienl.  il  a  atUuiné  snr  un  second 
point  la  théorie  de  rexpéiience  :  il  a  rompu  une  deuxième 
arche  du  \>n\[[  mystérieux  qui  va  pnurnou-  du  nimide  à  l'esprit, 
il-  l'nlijci  à  la  science,  ébranlement  implicilc  de  notre  connais- 
sance di's  existences  contingentes  par  le  suhjectivisme  du  ('u(/i/o 
ri-ijt,  smil  :  aliandon  formel  de  notre  connaissance  expérimen- 
tale des  essences  par  l'admissiiui  presque  exclusive  des  idées 
innées  dans  la  science,  telles  sont  les  deux  plaies  profondes 
que  la  théorie  cartésienne  de  la  connaissance  a  faites  à  la  ](hi- 
losophie  moderne.  Le  temps  et  les  ell'orts  même  tentés  pour  les 
guérir  ne  feront  que  les  élargir. 

Pour  dissimnler  ces  lacunes,  [xuir  combiei'  en  partie  ces  vides 
liéants,  il  faudra  chercher  partout,  en  dehors  des  données  natu- 
rrlies.  de  niiuveaux  moyens  de  connaître.  L'artiliiiel  et  l'anor- 
mal deviendront  désormais  la  règle  et  la  nécessité  :  et  déjà 
l'on  voit  se  dessiner  dans  la  grande  ombre  du  Corjitn  cnjo  siim 
les  formes  encore  indécises  et  fantastiques  de  la  vision  en  Hieii 
de  .Malehranche.  de  l'occasionnalisme  de  Berkeley,  de  l'harmo- 
nie préétablie  de  Leibniz,  eniin  des  formes/^  jiri'iri  de  Kaut  et 
de  ses  disciples. 

Chacune  de  ces  livjiidhè~e>  a\ entureuses,sans  nul  fondement 
dans  rexpérieui-e,  rencontre  des  défenseurs  éloquents.  Avec 
eux.  le  cartésianisuie  continue  d'évoluer:  il  développe  ses  vir- 
tualités secrètes,  l'our  le  coiupn'inh'e,  l'apprécier  et  le  voir 
mettre  à  nu  sa  véritable  essence,  en  vérité,  il  siiflil  île  suivre  et 
d'écouter  ses  principaux  adeptes. 

il  en  sort  comme  deux  larges  courants,  longtemps  parallèles, 
de  suhjectivisme  :  subjectivisnie  de  la  sensation  avec  Berkeley; 
>uhjeclivisnie  de  l'idée,  implicite  et  virtuel  avec  Bossuet,  Male- 
hranche et  Leibniz,  explicite  et  critique  avec  llnnic.  Os  deux 
i-ourantsse  rejoignent  et  iiiii>si'iil  par  mêler  pins  ou  moins  leurs 
i-anx,  pour  nous  donner,  aviM"  Kaut,  l'idéalisme  IranscrndautaK 
cucnre  senii-ohjectiviste,  et,  ;ivec  un  certain  nombre  de  philo- 


n'ii  .(.  mLi.inr 

sophos  contemporains,  l'idéalisme  IVinu-,  entièromonl  snlijcrli- 
visk'  chez  (|iielqiies-nns,  métapli)  siqne  et  panthéiste  chez 
i'ichte,  Scliolling-  et  leurs  imitateurs. 

(l'est  partout  la  même  iilée-mère,  que  nous  ne  pouvons  em- 
prunter au  monde  extérieur  toute  notre  connaissance  (>t  moins 
<'nci)re  nos  certitudes. 

I*>n  vérité,  disent  les  disciples  de  la  première  heure,  (M1 
vérité  ce  vieux  monde  des  (dioses  extérieures  que  vous  ave/ 
laissé  là-has  deirière  le  rideau  hrumeux  de  l'horizon,  ce  monde 
des  corps,  dit  Berkeley;  ce  monde  des  corps  et  des  es|irits. 
insisti'  Malehranclie;  ce  monde  des  activités  transientes.  ajoute 
l.,cii)niz;  ce  monde  des  suhstanccs  et  des  causes,  reprend  Hume  : 
•ce  monde  ou  ces  mondes'ne  verront  jamais  briller  ii  leur  zénitii 
le  radieux  s(deil  des  idées  claires.  Ils  ne  valent  pas  le  souci  que 
l'on  s'en  l'ail.  Ne  trouvons-nous  |)as  en  nous-mêmes,  en  même 
teni|)s  qu'un  riche  domaine  trop  hingtemps  en  friche,  une  place 
de  srirel(''  inci>mparable  ?  I'i)ur(iu(ii  n'y  lixerions-iious  pas  notri' 
tente  ?  —  Maître,  vous  n(jus  l'avez  montré  et  nous  en  sommes, 
comme  vous,  pleinenuMit  convaincus  :  en  dehors  du  moi  cl 
(le  ce  qui  se  déduit  du  incii,  il  n'y  a  plus  de  terre  terme  :  rien 
que  du  sahle  miiuxanl:  joui  est  incertain.  —  dette  provinci' 
n'est-elle  pas  assez  l'erlile,  une  l'ois  mise  en  valeur,  pour 
former  un  empire,  le  plus  heau  <■!  le  plus  solide  de  tous  les 
t'mj)ir<^s? 

!-]t  si,  avec  l'étude  du  moi  intime,  on  nous  réclame  encore  une 
métaphysique,  des  preuves  de  rexislence  di'  l)ien  et  de  la 
destinée  immortelle  de  l'Ame,  n'avons-nous  [las  là  tout  ce  qu'il 
faut  pour  créer  une  métaphysique  nouvelle? 

Et  ce  fut  merveille  de  voir  avec  quelle  ardeur  et  (juels  succès 
la  vaillante  armée  des  explorateurs  du  moi  se  mit  à  cxjdoiter  la 
conscience  et  ses  innomhraldes  i'i(  liesses.  Nul  ne  se  doutait 
avant  eux  qu'il  y  eût  tant  de  faits  à  recueillir,  tant  d'observa- 
tions H  enregistrer,  et,  avec  ces  faits  cl  ces  observations,  tant 
d'ingénieuses  théories  à  construire.  Oue  de  pépites  d'or  et  de 
perles  lincs  roule  le  lleuve  de  notre  vie  quotidienne  I  Et  quels 
beaux  travaux  sont  sortis  de  l'école  de  Descartes,  grâce  à  ce 
■culte  prédominant  du  moi  et  de  la  psychologie  subjective  1 

l'ar   là    sans   doute,    aulanl    que  p.ir   smi    idéal  fécond,    bien 


/./•;  flKilil.l.Mi:  l'illl.iisiii'iiinVE  ;;;:{ 

(ju  ('iiiiiii'.  (Ir  nirciinisnic  cl  de  LLi'diiK'Iric  iiiiivrr^cl,  le  cartr- 
sianismi'  avait  sa  placi'  marquée  dans  IV'Vdliilinn  pnigrcssive 
ilr  la  pliilosophic.  I^arlà,  il  dovail  l'crirc  sa  pajio  iinmorlidlc 
au   livre  d'or  de  la  science. 


IV 


Mais,  déjà,  dans  le  c  IniMir  des  disci|il('s,  Fiiccord  allait  s'al- 
faildissanl  et  des  notes  discordantes  en  tpjuldaieiil  riiarnionie  : 
chacun  apercevait  dans  la  doctrine  du  niaitre  uni'  [larlie  l'ailde 
([uil  fallait  remplacer. 

Vous  avez  rompu,  disait  Berkeley,  le  pont  imai^inaire  des 
sens  matériels,  ce  pont  au  moyen  diujuel  on  croyait  autrelois 
ctimmimiquer  avec  le  continent,  pur  fantrnne,  du  monde  de  la 
raatic're.  C'est  là  votre  gloire,  et  je  suis  éternellement  vôtre. 
Cependant,  raisonnons  un  peu. 

J'atteins  ma  p/nsée  et  l'ien  que  ma  pensée,  disiez-vous 
il'abord,  et  excidlemment.  Pourquoi  donc  avez-vous  ensuite 
ndevé  de  la  main  gauche  ce  que  vous  veniez  de  renverser  si 
Justement  de  la  main  droite?  Puisque  je  n'atteins  avec  cer- 
titude que  ma  pensée,  ])onrquoi  admettrais-je  autre  chosc- 
([u'elie?  Je  ne  saurais  sortir  de  moi.  Oui  donc  a  jamais  pu 
sortir  de  soi  et  se  dépasser  lui-même,  autrement  ((u'en  rêve? 
Sans  doute,  vous  apportez  qiudcjues  l'aisons  plausihles  :  mais 
outre  qu'elles  nv  nu-  convainquent  jias,  et  ne  me  donnent  pas 
c-ette  invincible  certitude  dont  vous  avez  fourni  le  type  achevé' 
dans  le  Co//i/<j  crf/o  sinn,  je  vois,  moi,  avec  une  certitude 
démonstrative,  c'est-à-dire  très  clairement  et  très  distinctement, 
que  je  n'ai  et  ne  puis  jamais  avoir  en  moi  (|ue  //fs  pensées, 
i/ies  sensations,  c'est-à-dire  des  alfectiiuis  du  moi,  des  phéno- 
mènes entièrement  subjectifs  et  individuels. 

O  que  j'appelb',  pour  me  conformer  à  l'usage,  des  i/iotr\  (et 
je  ne  parle  ici  (ju(^  de  choses  connues  i,  ce  sont  /,.''s  if/r/s,  nw~, 
actes,  li's  conceptions  de  mon  esprit,  et  rien  de  plus. 

lin  didiors  de  mou  être  pi-opre,  il  n'y  a  de  donné  ciue  mes 
perceijtions,  dont  tout  l'êti'e  est  d'être  ma  perception  et  dont 
il  est  vrai  de  dire  :    ■  '■^■^r  es/  j  rnipi  nu/  pcrripi'rc   >. 


:i4i  .1.   l!l  l.l.ldT 

Berkelcv  aurait  dû  ixynilcr  /iiriim .  cl  tlirc  :  'jnif/r/iii//  fsl,  est. 
jjrnijti  iH'-iini  (iKl  iifrcipi-rr  mfinn  ;  ri  iiiliil  /■■il  iiisi  (jinirl  o  i»" 
i:ot///(i/ii/'  rcl  adilalititil i(r.  » 

S'il  son  (Hait  tenu  à  ses  deux  premiers  dialogui's  contre 
Hylas,  le  défenseur  malheureux  de  la  matière  ainsi  que  de 
la  réalité  olijcclive,  il  aurait  d'un  seul  coup  poussé  le  carté- 
sianisme à  son  ternie,  et  conduit  à  son  apogée  la  critique  di- 
la  connaissance  issue  du  Cniji/o  l'njn  simt.  Le  premier  d'entre 
les  disciples  du  maître,  en  se  mnnlranl  jusqu'au  bout  lidèlc  à 
la  logique  de  la  théorie,  il  aurai!  achevé  son  (euvre:  il  aurait 
mis  une  l'ois  pour  toutes  en  pleine  lumière  la  lin  de  non- 
recevoir  générale  et  décisive  ([ue,  dans  ce  système,  on  doit 
opposer  l'ermement  à  toute  théoi-ie  ohjectiviste  de  la  connais- 
sance. 11  serait  le  seul  cimimenlateur  auliiris('',  le  seul  vrai 
ciintinuateur  de  Descartes:  et  notre  idéalisme  actuel,  l'idéa- 
lisme tranc,  cnmjUerait  sans  doute  un  siècle  de  plus  d'exis- 
tence. 

Oa  sait,  j'allais  dire  mallnnireusement,  quel  est  le  sens  du 
troisième  dialogue.  Un  sait  comment  Philonoiis  et  Hylas  y 
changent  de  rôle  sans  changer  de  nom,  ni  de  fortune;  coni- 
nienl  |iar  cnnséquent  luus  les  argumiMils  (jui  lU'  valaient  rien 
dans  la  hoiiche  du  pauvre  Hylas.  ijuand  il  s'agi^sait  de  défendre 
la  n'-alité  des  (dmses  cxtéM-ieures  contre  le  suhjectivisnu'  pur,  se 
IronvenI  lont  à  cnup  èlre  devenus  exccilenis.  dans  la  houclic 
de  l'hilouoiis,  contre  ce  même  sulijecliv  i-nic  et  jindianls  en 
faveur  de  l'occasionnalisme  divin. 

H  est  fort  diflicile  de  ne  pas  \nir.  dan>  ci'  dialogue,  un  des 
jiIli-^  l)eau\  l'xeniples  de  palimidie  (|ue  nous  ollVe  l'histoire  plii- 
Insopliique.  Il  ne  se  peut  que  le  cic'dil  de  lirrkeley  n'en  reçoive 
quel(|ue  atteinte. 

D'ailleurs,  à  côté  de  celte  critique  générale  de  la  réalité  des 
existences,  et  parallèlement  à  celle-là,  il  n^stait  une  autre  cri- 
tique à  réaliser,  la  critique  spéciale  des  essences,  c'est-à-dire, 
pour  les  disciples  de  Descartes,  la  critique  de  nos  idées  ou  de 
nos  concepts. 

C'est  à  Hume,  presque  contemporain  de  Berkeley,  qu'échut 
l'honneur  de  l'inaugurer  ou  pluti')t  de  la  renouveler,  vingt 
siècles  après  les  Grecs. 


U-:  pncHUJn:  l'iiii.nsni'iiini  i: 


l,e  xvir  siècle,  dans  la  personm^  ilc  ses  jilus  liaul-  rcpiv- 
siMilanls.  avait  accueilli  la  lliéurie  des  idées  innées  avec  une 
laveur  et  une  conliance  qui  ont  lieu  de  nous  surprendre  aujoui- 
d'Iuii.  Hossuet  et  Leibniz,  comme  plus  lanl  Victor  Cousin, 
s'enivraient  à  songer  qu'ils  conlemplaienl  dircclfment  les  idées 
et  li's  rèiiles  éternelles  de  vérité.  "  quoique  dune  manière 
■•  incomprélicnsilili'.  en  llieii  nièmc  nù  elles  sont  i''lernid- 
«  lenienl  sui)sislantes.  et  d'nii  la  vérité  dérive  dans  tout  ce  qui 
X  est  et  entend  hors  de  lui  ".  (lioss.,  C'j)iii.  <li-  ]hru,  c.  iv.  ^  .">.) 
L'idée  du  cercle,  et  il  en  faut  dire  autant  des  idées  de  toutes 
les  choses,  y  gagnait  d'atteindre  cette  perfection  absolue  qui 
ne  se  rencontre  guère  dans  ce  monde,  contingent  et  toujours 
imparfait  de  la  matière.  La  science,  découlée  des  idées  pures, 
ne  pouvail  que  gagner  avec  ell(>s  en  rigueur  et  en  dignité.  Avec 
les  idées,  elle  s'élevait,  elle  se  divinisait  presque.  Qui  i)ou- 
vait  songer  à  se  faire  une  arme  contre  elle  de  cette  origine 
surhumaine  et  en  quelque  sorte  divine? 

(lependanl  révolution  naturelle  de  la  liiédrie  n'allait  pas 
tarder  de  le  n-véler.  Il  y  avait  pour  la  pensée  danger  réel  et 
péril  de  nnirl  à  prendre  si  haut  son  vol.  et  à  perdre  ainsi  con- 
tact avec  la  terre  ferme. 

La  sensation  chez  De>cartes  servait  encore  de  cloche  d'appel 
à  l'idée:  et  par  là  un  dernier  lien,  bien  que  fragile,  subsi^lail, 
entre  l'idée  et  l'objet,  (le  lieu  si  ténu.  Leilmi/.  ruinant  un  pas 
de  plus,  achève  de  le  rompre.  L'auteur  de  la  monadologie, 
quel  que  soit  ailleurs  son  éclectisme,  ùte  à  nos  sens  toute  rai- 
son d'être  :  il  les  confond  nécessairement,  logiquement,  quoi 
(ju'il  en  veuille,  avec  l'esprit:  et  du  même  coup  il  enlève  à 
notre  connaissance,  je  ne  dis  ])as  tout  caractère  avoué,  niai^ 
toute  racine  vraie,  toute  raison  causale  d'objectivité.  11  cuupe 
la  corile  d'appel  de  la  sensation,  et  désormais  la  cloche  des 
idées  ne  réponil  à  aucune  invitation  du  delmrs.  Elle  ne  sfinne 
([n'en  vertu  de  sa  spontanéité  |)r(ipre  :  et  les  notes  qu'elle  fait 
entendre  ne  traduisent  que  ses  vibrations  intérieures.  La  mo- 
nade pensante,  qui.  avec  Descartes  déjà,  ne  recevait  du  dehors 


\M  J.  Hl  LLKIT 

qu'un  jour  si 'jiur(inioniinis(  mcnl  nicsun'',  n'a  ])Iu8  iivoc  Loibniz^^ 
aucune  fenêtre  sur  l'extérieur,  nulle  porte  d'entrée  ni  de  sortie. 
Toutes  ses  actions,  aussi  bien,  que  les  obstacles  qu'elle  ren- 
euntre.  viennent  du  dedans  et  plus  exactement  d'elle-même  : 
ji<)Hiiisi  iiiitts  II  si'ipsa  (1).  Que  l'on  cesse  donc  de  parler  des 
sens,  de  l'expérience,  de  l'action  exercée  au  debors.  Aucun  de 
i-c'>  niiils  n'a  ijardi'  un  sens,  dette  fois,  c'est  la  prison  cellulaire,, 
sans  restriction  ni  adoucissement,  lu  ((/ircrr  f/iiro. 

Sans  doute  l.eiliui/,  non  plus  que  Uossuet  et  pas  plus  que 
Ilescartes,  n'élève  jamais  le  moindreduute  sur  la  valeur  de  ses 
idées  innées.  (Juoique  entièrement  détacbées  de  l'expérience^ 
elles  continuent  pour  lui,  sans  qu'il  y  trouve  à  redire,  à  servir 
de  base  valable  aux  démonstrations  scientiliques  de  tout  genre, 
aux  discours  sui'  l;i  in(''canique  comme  aux  j)reu\('s  tb^  l'exis- 
tence de  Dieu,  l'endant  ti.ut  le  xvii°  siècle,  les  tètes  les  mieu.x 
faites  dorment  sur  cet  oreillei'  aussi  solidimient  qu'un  Aristote 
ou  un  sailli  Thdiiias  sui' leurs  udiions  d'origine  expérimentale. 
Ils  ont  trop  (le  sauté  et  de  lobustesse  intcdlectuelle,  ils  sont 
encore  trop  imprégnés  de  ce  dogmatisme  traditionnel,  si  naturel 
à  rbomme,  dans  lequel  ils  ont  été  nourris  ;  ils  sont  trop  con- 
fiants ilans  la  ^ulidili'  d'une  science  qu'ils  ont  vue  se  for- 
mer sous  leurs  veux,  souvent  même  par  leurs  mains.  Pour 
tout  dir(\  ils  tienueul  de  li'op  près  à  la  science  positive  et  trou- 
vent dans  la  ddginalitjiie  chrr'liciine  uiie  cinilirnialion  Irnp 
concordante  de  leiii's  certitudes  |)liilosopbi(jU(>s,  pour  ressentir, 
comme  nos  CDUlemporains,  les  in(iuié[udes  et  les  tourments  du 
■doute.  Ils  font  donc  le  plus  volontieis  du  monde  crédit  à  leurs 
facultés  natives,  et  sans  même  remarquer  combien  leur  cri- 
tique les  a  amoindries  et  mutilées,  ils  s'en  rapportent  pleine- 
ment à  elles  pour  atteindre  le  vrai.  Mais  viennent  après  eux 
des  esprits  moins  lucides  et  moins  fermes,  plus  accessibles  au 
trouble  de  l'esprit,  aux  hésitations  et  aux  doutes,  et  l'on  verra 
se  développer  chez  eux  les  derniers  effets  du  mal  sceptique. 
Depuis  cent  ans  passés  (2),  le  levain  est  tombé  dans  la  pâte  ; 
pendant  cent  ans  il  1  a  travaillée  sans  cesser  :  (pie  pouvait  faire 

\  \  )  Hpisl.  XXX  ait  des  liasses. 

(il  Le  [lisfiitf.i  .«!(/•  la  mélhoile  e?t  'le  IC:i7;  le  Ti-ailc  île  la   nature  hiniiuine- 
parut  en  liaS. 


;.;•:  i'ikihi.i.mi-:  i'iiiuisoi'iikjie  5i7 

la  pàto  sons  l'action  du  fcrmciU ,  siinm  de  Iriau'iiler  cl  de 
li'vor?  Elle  a  levé  eu  cllV-t  ;  cl  à  la  savoiir  ami'rc  du  produit, 
à  sa  cuisanlc  hrùlure,  et  à  ses  ellVls  destniclcurs,  on  pourra 
constater  la  vei-lu  du  iicrme  :  on  mesurera  le  danu,('r  des  liypo- 
Ihèsos  cartésienne-. 


VF 


Hume  et  Kaut,  c(,'s  deux  lioninies  si  dill'érenls  par  certains 
traits  de  leur  (^sprit,  si  semhlaldes  par  d'autres,  si  voisins  aux 
points  de  di'parl  de  liMirs  dcielriiies,  se  chargèrent  de  décliainer 
lorane.  Ihune  r(déve.  après  Locke  et  Berk(dey,  le  drapeau  de 
l'empirisme  et  du  suhjeetivisnie  contre  le  doL;matisnn'  désem- 
paré des  idées  innées. 

Comme  Berkeley,  il  parait  grand  partisan  des  sens,  réduit 
tout  à  leurs  données  immédiates,  et  invoque  à  chaque  instant 
rex|)érience.  11  est  sensationiste  et  empiriste,  autant  que  per- 
sonne, mais  s(Misalioniste  et  empiriste  à  la  manière  cartésienne, 
c'est-à-dire  de  façon  sulijectiviste  et  sceptique. 

i.'id(''e  d existence  se  confond  pour  lui  avec  celle  d'essence,  si 
hien  (]u'enlre  l'être  simplement  pensé  et  l'être  r(''ali>é  il  ne 
re-te  aucune  distinction.  L'idée  d'existence,  dit-il,  ■■  /orstji/'rlif 
csi  jitiiilr  à  ridrr  d'un  objet,  II' ij  ajuitli'  ririi...  Toute  idée  qu'il 
nous  plaît  de  former  est  l'idée  d'un  être,  et  rid('e  d'un  être  est 
toute  idi'e  (|u'il  nous  plait  de  foi'nicr.  "  —  <  <Jue  noire  imagi- 
nation s'élance  vers  les  cieux  ou  vers  les  extrêmes  de  l'univers  : 
nous  ne  ferons  jamais  un  pas  au-delà  de  niuis-mênu^s,  et  nous 
ne  pouvons  concevoir  aucun  autre  genre  d'existence  que  ces 
perceptions  qui  ont  apparu  dans  cette  étroite  enceinte  (1).  ■> 

(l'est  donc  toujours  l'es.se  l'st  iincipi  de  Berkeley.  Mais  voici  la 
conséquence.  Que  la  sensation,  ainsi  isolée  de  l'idée,  ne  suf- 
lise  pas  à  la  science,  Hume  en  est  ;i  lui  seul  la  démonstration 
\ivante.  Sa  critique  des  matliénKiti([ues,  sa  négation  des  inli- 
niment  petits  des  géomèti-es,  ([ui  se  permettent  de  diviser  le 
minimum  de  grandeur  pei'ceptildi'  à  l'odl,  et  de  partager  l'atome 

1     Tiailêàf  lit  niiluie  huinatif.  Ir.vl.  llt.N'jLMP.R  et  Pillon,  \^.  'M-'.)i,  Cf.  p.  IU>. 

34 


:/iN  ,1.  hlllioï 

visiii'l,  ost  vraimcnl  ly|ii(}iii'  cl  n'-vélatrico  de  co  i|iu'  ICmpi- 
risnif  peut  fournir  à  la  scitMico  i  1   . 

Aussi  iiv  a-l-il  pas  à  s'ctonncr  après  ci'la.  si  aucun  ilcs  ciui- 
copts  mclapliysiques.  ot  entre  tous  les  antres  ceux  de  cause, 
fie  snl)stancc,  d'espace  et  d(^  lenips,  ne  trouve  ijràce  devant 
lui. 

Hume  les  sup|)rinu'  pour  celle  raison  qu'il  ne  sail  pas  voir 
ionimenl  nous  poni-rions  alleindre  les  réalilés  niyslérieuses  qui 
leur  corresponilenl.  (les  quatre  conee|)ls.  quatre  pierres  angu- 
laires de  la  pens(^'e  humaine,  sont  poui-  lui  (pialre  illusions  de 
l'esprit,  destinées  seulement  à  remplir  les  interstices  de  nos 
sensations.  Il  n'y  a  donc  pas  à  les  prendre  au  sérieux.  Mais  là 
<'omme  toujours  il  est  plus  facile  de  supprimer  (|ue  de  reni- 
placir.  —  Hume  a-t-il  r(''[léclii  à  la  place  que  tiennenl  ci^s  quatre 
concepl-i.  pour  ne  parler  que  de  ceux-là.  et  aux  villes  que  leur 
disparition  va  forcément  laisser  après  elle?  La  snlistance  et  la 
cause,  mais  c'est,  à  prendre  les  choses  en  gri>s.  l'èti-e  ])res(jue 
tout  entier. 

L'être  slal)le .  relativement  permanent,  slaticjue.  centre 
d'attraction  des  accidents  passagers  qui  vont  de  snlistances  en 
substances,  et  (|ui  jamais  ne  subsistent  sans  elles  ;  —  puis  l'èlre 
inohile.  Huent,  actif:  ne  sont-ce  pas  là  les  deux  gran.iies  divi- 
siuns,  |ire>i|ue  complémenlaires,  de  la  réalité?  L'espace  et  le 
tem|)s  eux-mêmes  n'en  sont  cjne  i\r^  (liq)endances. 

Ouand  donc  on  a  supprimé  la  substance,  les  causes,  l'espace 
elle  temps  i  rien  ([iie  cela!),  que  reste-t-il?  Le  compte,  hélas! 
en  est  bienlùt  fait,  et  le  total  en  est  mince. 

(Jue  reste-t-il  de  cet  univers?  De  ces  sciences  que  nous 
élvulions  et  que  nous  voulons  enseigner  à  d'autres?  Qvu'  reste- 
t-il  (le  n(nis-mêmes,  pauvres  atomes,  imperceptibles  fragments, 
perdus,  noyés  dans  ce  monde  évanescent?  Dans  cette  ruine, 
dans  cette  V(datilisation  des  choses,  avons-nous  une  chance 
d'échapper  au  commun  désastre,  s'il  n'y  a  de  vérité  et  tl'ètre 
que  la  sensation  fugitive? 

Il  n'y  a  plus  après  Hume,  pour  qui  lui  demeure  lidèle,  ni 
physique,  ni  chimie,  ni  biologie  possibles,  puisqu'il  n'y  a  plus 

(1    lU'MF.  ;/;/■(/..  p.  ïiG'i. 


/,/•;  rnmii.KMK  l'iiii.nsdi'iiiiji'E  '■  '■> 

(l'("iK-liaîiu'iiiiM\l  (•;iii>iil,  ni  niriiic  à  \r.\\  ilirc  de  caiiM^s  l•éoll('^, 
ni  d'olTcls  ivi'ls. 

Cumniciit,  après  cola,  d'habilos  mais  Irop  i7\diilg(Mils  crili- 
((nos  vitMiiicnl-ils  le  délonilri'  d'avoir  renversé  la  science  par 
sa  l)ase,  el  reprennent-ils  durement  ceux  (lui,  à  l'exemple  de 
lîeid,  l'accusent  de  ce  mél'ail  tmp  r^ol?  —  (Test  de  ses  prin- 
cipes et  de  leurs  conséquences,  non  d(>  ses  intentions  et  de  ses 
artirmations  (ju'il  s'agit,  ou  liien  la  philosophie  n'est  plus  une 
science. 

A  force  de  respirer  cet  air  vicié,  chargé  de  principes  nii>r- 
hides,  la  philosophie  contemporaine  n'a  pas  eniièrement  con- 
science de  son  état  :  elle  ne  sent  pas  le  mal  dont  elle  meurt. 

Hume  rejette  d(mc  la  sui)slanci'  et  la  cause,  parce  qu'il  n'en 
tiécouvre  pas  l'origine,  et  cela  se  i-omioit  dans  la  philosopliie 
de  la  sensation  pure. 

D'où  vient  en  ell'et  chacune  de  ces  idées?  De  quelles  don- 
nées de  conscience  ou  d'expérience  sont-elles  formées?  Huels 
sont,  en  face  des  exigences  de  la  critique,  leurs  titres  à  l'exis- 
tence? xVucun  de  leurs  défenseurs  n'était  préparé  à  l'étahlir. 

Tout  entiers  à  leur  lutte  contre  le  cartésianisme,  les  scolas- 
liques  en  découvraient  sans  peine  les  lacunes  et  les  points 
faildes.  Us  ne  voyaient  aussi  bien  ni  les  causes  de  leur  pmprr 
faildesse,  ni  ce  qu'il  y  avait  de  fécondité  cl  de  vie  dans  la  phi- 
losophie nouvelle.  Aussi  ne  changeaient-ils  rien  à  leur  ancienne 
tactique,  ni  à  leurs  vieux  arguments,  llahitués  qu'ils  étaient 
au  grand  jour  el  aux  reliefs  éclatants  du  monde  extérieur,  qu'ils 
étudiaient  presque  seul,  leur  vue  était  mal  adaptée  à  la  lumière 
amoindrie  et  aux  lueurs  dilfuses  du  monde  intérieur.  Ils  restaient 
étrangers  à  la  line  psychologie,  faile  d'observations  délicates, 
aussi  bien  ([u'à  la  critique  qui  se  di'veloppaient  autour  d'eux. 
Ils  ne  soupi.-oiuiaient  pas  l'apporl  considérable  ou  même  néces- 
saire des  données  de  conscience  dans  la  formation  des  concepts 
métaphysi(|ues.  (Juelle  ([ue  fût  la  force  intrinsèque  de  cer- 
taines de  leurs  positions,  ce  n'était  pas  avec  leur  armement 
d'un  autre  âge  qu'ils  pouvaient  vaincre. 

Moins  encore  pouvait-on,  pour  sauver  la  métaphysique  me- 
nacée, compter  sur  les  ium'i-tes.  .laloux  de  la  noblesse  et  de 


;,;;ii  .1.  liiLI.luT 

la  pureté  sans  tache  de  ritlée,"ils  avaient  oublié  riiiiniilité 
toute  plébéienne  de  ses  origines,  et  méconnu  les  liens  de  filia- 
tion qui  la  rattachent  à  l'image,  Timage  à  la  sensation,  eniin 
la  sensation  à  l'objet.  Tous  leurs  etTorts  n'avaient  liMidii  qu'à 
rompre,  en  son  indispensable  continuité,  la  trame  de  la  con- 
iiîiissauce.  Maintenant  que,  grâce  à  eux,  l'idée  n(>  tenait  plus  h 
rien.  Hume  avait  iieau  jeu  dans  su  lutt(^  contre  ce  dogmatisme 
sans  base,  et.  suivant  le  mot  (h'  (iarniei-,  (tontre  cet  «  arbre 
sans  racines  ». 

Toutefois  sa  ciitiqui'  ('tail  dans  sa  l'nruie  trop  e\<  lusi\cnieut 
négative:  db^  manquait  de  généraiib'  cl  (b' caractère  systéma- 
tique; elle  ne  remj)la(;ait  rien  do  '.■••  qu'elle  venait  détruire. 

Conduire  à  sa  bu,  sans  brusque  secousse,  l'o-uvre  de  Des- 
caries ;  adoucir  dans  la  forme,  mais  surtout  achever  et  généra- 
liser celle  de  Hume;  créer,  u(hi  pas  la  criliqui'.  mais  une  philo- 
sophie critique,  c'est-à-dire  un  corps  de  doctrine,  tbrcément. 
négatif  en  sou  riniii,  puisqu'il  l'sl  fait  de  ui'galinns,  mais  posi- 
lif.  au  moins  en  apparence,  et  puissamment  systématisé;  élever 
un  nouvel  édilice  et  l'égaler  eu  grandeur,  sinon  en  solidité,  à 
l'ancien  :  telle  fut  la  tâche  ardue  que  Kant  ne  craignit  pas 
d'assumer  sur  ses  ndiusles  é|)aules.  ()lùivre  cidossale.  il  en 
comprit  nellenieul  ritupor[anc(>  et  les  conditions  de  réalisation: 
il  la  conçut  i'orteuu'ul,  giaudement,  et  puis  il  se  V(Mia,  avec 
joui  son  génie  de  puissant  constructeur,  à  sa  réalisalion. 

Il  faut  le  leconnaitre,  étant  admises  les  conditions  du  pro- 
Idème.  admise  l'hypothèse  qu'il  ne  fallait  pas  seulement  nier 
et  ilélruire,  mais  tout  en  restant  lidèle  à  la  ci-itique  négative, 
afiirmer  et  construire,  Kant  s'est  ac(|uill('  supéi-ieurenieiil  de 
cette  tâche  diflicile.  Il  n'est  (jue  juste  de  lui  iiMidre  cet  hom- 
mage, il  s'est  montré  l'un  des  plus  grands  bâtisseurs  ou  faiseur.- 
de  plans  (|ne  la  métaphysi(iMe  ait  vus.  ICaulaul  plus  grand,  en 
un  sens,  qu'il  devait  reconstruire  au  rebours  di'  la  réalité,  sans 
jamais  l'écouter,  sans  jamais  ci'der  aux  enchantemenis  d(>  la. 
souveraine  magicienne. 

Kant  n'a  donc  rien  exagéré  en  se  compai'anl  au  fondalciii' 
de  l'astronomie,  en  se  donnant  lui-même  poiu-  le  (lopeiiiic  de 
la  pliilos(q)iiie.  Car  si  l'on  tient  son  point  de  vue  pour  véiitable 
e'    pour  définitif,    il   dépasse  de  toute   la  tèt'   le  Coperaic  de 


/,;•:  l'imiii. i:\ii:  rmi.nsDfiiinrE  :\:a 

i'aslruiiiiniic.  Il  siiilisaii  à  crliii-ii  de  >all'raiirliir  do  apiKUX'iicc- 
si'nsiblcs  pdiir  se  Iruuvcr  en  ihtsciut  de  diMi\  ii\  pothèses  pres- 
que do  mèiue  (ii'<lre,  en  présence  de  (len\  eomliinaisons  possibles 
(le  niouvenienls  relatifs  ét;alenn'nl  plaasii)les.  De  là  à  conelnre 
(jue  l'une  des  deux  li\  pnllu'ses  élail  inlininienl  plus  simple  et 
plus  nalnndle  en  valeur  absolue,  il  n'y  avait  qu'un  pas.  (loper- 
nic  le  Iraucdiil  el  marelia  au  réid.  l'our  Haut  la  dillieulté  Tdait 
tout  autre.  La  solution  critiiine  du  pndilènu'  pliilosoplii(iue 
<\\igeait  un  renversement  autrement  eoniplid,  le  renversement 
non  seulenu'ut  des  apparences  sensibles,  mais  de  toutes  les 
données  d'observation  et  de  raison,  jusqu'aux  plus  essentielles, 
dans  la  IJK'orie  de  la  connaissanre  iiumaine.  (Tétait  un  rema- 
niement absolu  de  la  pensée  et  de  la  science,  une  construction 
immense  à  bàlir  sur  le  vide,  au-dessus  d'un  altîme,  avec 
quelques  rares  données,  tirées  du  moi,  pour  points  d'appui  ;  bn^f, 
lin  tour  de  force  inoitï  de  logique  pure  et  de  génie  constructeur, 
pour  suppléera  la  réalité  absente,  par  des  écbafandages  de 
concepts. 

Le  principe  initial  de  la  crili(|ne  était  donni-  d'avance  :  c'était 
toujoui's  la  diflicullé  exirènie  d'atteindre  le  dehors,  l'im- 
possibilité de  pénétrer,  en  sou  noyau  profond,  la  substance 
foncière,  et  de  saisir  la  cbaiue   inlinie  des  causes. 

Kant  vil  ce  qu'un  tel  principe  entraînait  après  lui,  et  com- 
ment de  l'ancien  édilice  il  devait  refondre  chacun  des  éléments 
alin  de  lui  imjjoser  une  forme  nouvelle.  Du  passé,  il  garderait 
li>  plan,  la  cbaipente  essenlieljc,  avec  sa  belle  ordonnance,  les 
divisions  classi([ues  des  problèmes,  en  logique,  en  psychologie, 
en  métapliysi(jue  :  mais  il  ferait  graviter  le  système  enlij'r 
autour  du  moi  comme  autour  de  son  ccntr(^  d'attraction. 

On  a  appelé  Kant,  non  sans  quelque  raison,  le  dernier  des 
scolastiques,  et,  en  ctîet,  son  cadre  philosophi(|ue  est,  beaucoup 
plus  qu'on  ne  le  croit,  aristotéli(|ue,  si  bien  qu'à  un  point  de 
vue,  il  dessine  comme  un  retour  en  arrière,  un  essai  encore 
hésitant,  un  commencement  de  restauration  partielle.  Kant,  en 
écrivant  sa  criticjue,  a  les  yeux  fixés  sur  Aristote  :  il  lui  tend  la 
main  par-dessus  les  siècles,  el  lui  emprunte  sans  rougir  son 
architecture  de  grand  style.  Mais,  s'il  lui  prend  le  corps  on  le 
s([uelette  de  scui  système,  il  demande  à  Desrarles,  à  lierkeley, 


IWVl  .1.   HriJ.IdT 

A  fliimc,  ràmc  ([iii  doit  lintormor  ilôsurmais.  i'our  ailaplor  \\m 
à  l'aiilrc  celte  ànie  et  ce*  corps  si  peu  faits  l'un  pour  l'autre, 
il  ajoute  à  l'ànie  sultjectiviste  de  sa  tlu'-orie  un  léger  grain  de 
réalisme  ;  quant  au  corps,  il  le  désarticule  et  le  reci>nstruit 
pour  ainsi  dire  entièrement.  S'il  reprend  à  son  compte  les 
pièces  princi|)ales  du  mécanisme  de  la  connaissance,  saci'ifié  par 
île-cartes,  sensation,  imagination  et  pensée,  il  renverse  l'ordre 
suivant  lequel  elles  s'actionnent.  Par  là,  son  aristotélisme,  très 
ri'id  sf)us  le  rapport  de  la  matière,  n'en  subit  pas  moins,  sous 
|.'  rap|Hirl  di'  la  luriue,  une  profonde  ri  radicale  métanior|diose. 
Ue  l'i'alisle  (|u'ii  était,  il  devient  suhjecliviste.  VA  par  là  aussi, 
cet  aristotélisme,  ainsi  refondu,  n'est  plus  qu'un  aristotélisme 
renversé,  un  aristotélisme  à  i-ebours,  déformé  et  mal  cohérent. 
C'est,  entre  ces  deux  pliilosophies,  à  la  lni>  si  semblables  et 
si  dill'érentes,  entre  c(dle  du  Stagirile  el  ccdle  de  Kant,  entre 
l'arislotc'lisme  l'i'viliste  el  rai'ist<it('lismc  subjeclivisle,  cumnu,' 
cuire  d('U\  foruu's  l'ivab's  d'une  iiiènic  malière,  qui:  se  livreront 
fataleuu'ut  les  i;rande^  iialailles  de  l'avenir. 

.1.   liri.i.ldT. 
I La  smlf  jiriiihaiiii'iiiriii .  / 


LES     PRINCIPES 


f.a  sciiMici'  iinidcnii'  srlail  cniislruil  iiii  iiuhkIi'  liicii  raliuii- 
ncl,  liii'u  lii'  ilaiis  loulcs  ses  parties  :  salistailc  de  sa  créalion, 
elle  la  coiilcm|)lait  avec  une  indulgente  eoni|ilaisanee  et  la  pro- 
posait à  l'admiration  de  la  philosophie,  devenue  sa  suivante  : 
.(  Pliilo^oijhia  aiicilld  sririi/i,i'.  »  C'était  le  monde  de  la  t'oi-mu!c 
unique  et  do  l'axiome  immuahle,  le  monde  de  Spinoza  et  de 
Hegel,  perfectionnés  par  Tnine.  C'étail  la  vision  du  monisme, 
désormais  nette  et  précise,  triomphante  à  la  dernière  page  des 
Philusoplics  j  riniitdfi. 

l'ourlant  il  ne  fallait  [)as  ouldier  la  comparaison  de  Voltaire  : 
systèmes  ne  sont  que  huiles  de  savon.  Suive/.-les  dans  leurs 
évolntions  aériennes;  c'est  un  plaisir  de  diiidlantc  Mais 
systèmes  et  iiulles  crèviMil  iiifaillihlement,  dès  qu'ils  sont 
enllés  outre  mesure. 

I.a  formule  moniste  avait  la  prétenlicui  de  riq)résenter  adé- 
quatement le  Cosmos,  d'(>n  ivsumer  tinit(>  l'iiisloire  et  d'en  cn- 
|)rimer  toute  la  vie.  Admiralthunent  lié  dans  son  intelligihililé, 
le  réseau  total  des  formules  sei(Mitiliques  semhlait  s'appuyer 
sur  lin  très,  petit  nombre  di'  primipes  ou  points  de  départ  yy/w- 
//'/:v,  c'est-à-dire  concrets,  c.i-fjccwicnlanx.  La  réaction  est  venue 
contester  les  points  de  départ  aussi  bien  que  les  liaisons  — 
tantôt  s'(>n  prendre  à  la  liction  des  pruicipc^,  tantôt  ii  l'idole 
des  /((/\  (le  la  nature. 

A  l'heure  présente,  les  principes  deviennent  objet  do  croyance 

—  ils   apiiaraHsent   comme    des    morcellements   de    la    réalité 

—  obscurs,  liviiolliétiques,  mal  ilélinis  dans  leur  oi'igine  et 
dans  leurs  notes  essentielles.  D'autre  part,  les  con/icriuns 
/ot/iiptps    sont    présentées    non    plus    comme    nécessairement 


;j5i  A.  nE  LA  P.AUIΠ

inlelligiljlt's,  mais  comme  des  créations  do  raclivilé  |)on>anli', 
comme  des  ponts  hardinn^nt  jetés  par  une  science  industriensc, 
pratique  encore  phis  (jne  spéculative. 

CiCtte  réaction  peni  avoir  ses  avantaiies  comme  (die  a  ses  dan- 
gers. En  pareille  matière,  le  discernement  importe.  Tantùl  il 
sera  loisible  d'exprimer  de  jnstes  déliances  —  tantùl  il  vaudra 
niieuxutiliser  le  courant,  s'orienter  dans  ses  directions  les  moins 
<M)ni]n-omelfanles,  les  moins  attentatoires  aux  ilmils  dp  la  rai- 
son. 

Va\  tout  cas,  ne  pas  trop  s'alarmer  de  sa  vitesse  et  de  son  im- 
])révu.  —  Les  cyclones  ont  des  liords  (huif/i-rrii.i  :  ils  ont  aussi 
lies  Ixirds  iitaiiiahlfs. 

l'dur  le  mciiiuMit.  il  nous  semble  opportun  d'(''ludier  la  théorie 
des  priiK  ipc-i  :  tidle  ([u'elle  parait  se  dégager  de  récents  Ira- 
vau.x,  elle  n'est  jias  seulement  très  suggestive  d'idées  nouvelles, 
mais  évocatrice  d'itlées  anciennes,  qui  sommeillaient  en  atten- 
dant un  l'egain  de  jeunesse. 

l'our  la  plujiart  des  modernes,  /a  coiumismiicf  du  s/nf/ii/ii-r 
rst  Ir  ftitiiil  d<-  drjKiit  dr  loiil  )iolrt'  savoir  11  :  les  premiers 
principes  sont  des  jugements  particuliers:  ve  n'est  qu'après 
nne  longue  et  pénible  généralisalidu  ([ue  nous  alli'ignuns  les 
idées  les  plus  universelles. 

Les  anciens  professaient  des  vues  opposées  :  dans  la  pensi-e 
des  philosophes  grecs,  les  [iriiicipes  (àî/a!)  sont  h' plus  souvent 
des  causes  générales  —  logiijues  aussi  bien  quOntologiques 
—  des  cduceplinns  suprêmes —  (jnelquc  chose  comme  Va.riomt' 
rtr//ip/  de  Taine  :  dans  l'écide  péTipati^licD-lbomisti'.  on  pensait 
«|ue  notre  connaissance  atteint  d'emblée  les  concepts  les  plus 
universels.  Los  preinirrs  principes  (premières  iio/ions  et  Jarp-- 
jiiriils  relatifs  à  ces  notions)  sont  fournis  d'emblée  par  la  con- 
naissance directe. 

Le  conilit  de  ces  doctrines  o[»posées  ressort  île  toute  l'histoii'e 
des  systèmes  philosophiques,  l'as  de  meilleur  sj)écimon  que  les 
incertitudes  et  les  variations  des  doctrines  écossaises  etanglaise^ 
<lurant  deux  siècles  :  tâtonnements  qui  nous  serviront  à  rap- 

(I  Voir  sur  ce  point  les  très  pénétrantes  réflexions  de  M.  le  Comte  de  Vobges, 
«lans  la  l'erceplion  el  In  Psi/rliolo;/ie  Ihomisle,  pp.  22  et  suiv.  Nous  aurons  occa- 
sion d'y  revenir. 


I.KS  l'UlMll'KS  iiSS 

ix'lrr  la  (liriiiiild',  à  la  l'aire  sciiiir  pliilôi  ([uà  la  résoiiilrc 
Nous  croyons  quo  la  science  acliicllc  par  sa  conception  des 
///■/iiri/trs,  s'éloijine  de  l'riti/iiristnr  el  Iciid  vers  un  ralioiia- 
/ist/ir  sai;('nii'nl  /'/npiri(/iii\  Tunl  ce  quil  y  a  d'iiisuflisant  et  d(^ 
d(''l'e(liirii\.  dans  celle  dernière  apiiellalioii,  niMis  le  sentons 
Jiien.   <ju  (in  Ncnille  du  moins  sCn  conlenier  nrovisuirenii'iil. 


1 

(  h"i  sont  le>  inlnili(in>  .'  <lii  sonl  les  principes  inHni''dials  ?  — 
Durant  deux  siècles,  ci>  lu!  la  mii/ii  i/ii.rs/in  de  la  philosophie 
écossaise  et  anglaise.  On  se  déliail  grandement  des  écarts  de 
l'idéalisme,  on  rétnlait  l'innéisme  cartésien.  Mais,  en  revanche, 
sous  l'empire  des  préjugés  empiristes,  on  s'ohstinait  à  marquer 
dans  la  connaissance  du  singulier  le  point  de  départ  nécessaire  de 
l'activité  raisonnaiite.  La  connaissance  immédiate  de  l'universel 
semhlait  un  paradoxe  idéaliste.  Et  pourtant,  au  sein  de  cette 
même  école,  nous  pouvons  distinguer  un  courant  contraire  au 
■courant  sensua liste,  témoignant  en  faveur  de  l'activité  pro- 
prement spirilu(dle.  ()n  y  aihnet  qu'entre  les  idées  certaines 
liaisons  sonl  conslatées,  reconnues  évidentes,  et  qu'elles  don- 
nent ïicii  il  (U's  prcniif^rs  priiicijx's.  Delà,  ces  contradictions  Iré- 
-(luentes,  ces  antinomies  hien  souvent  signalées  cluv  des  écri- 
vains tels  que  Locke,  les  Ecossais  et  surtout  Hamilton. 

D'un  côté,  Locke  nous aflirme  que  l'esprit  commence  toujours 
par  le  particulier  (1);  d'autre  part,  pourtant,  il  professe  une 
hiluilion  ilrs  principes,  ohtenue  par  comparaison  d'idées  abs- 
-trailes  et  générales,  l'ar  suite,  la  pensée  de  Locke  nous  otTre 
nue  doulde  direction,  et  le  spiritualisme  [)ourrait  aussi  hien  se 
réclamer  de  telle  partie  de  ses  o-uvres,  pleine  de  dissonances 
<avec  le  chapitre  premier  de  YEiilriKlonciil  ///unain  {2).  Trop 
sensé    jioiir    aller    jusqu'aux    dernières    consé(|iiences    de    son 


1  (.The  iilens  tlrst  in  the  uiiml,  'tis  évident,  are  those  of  particular  things, 
froni  whicli  Ijy  sl,.\v  degrees  tlie  imiierstanding  pruceeds  to  some  few  gênerai 
ones.  »  (lîdid»  IV.  eh.  vu,  s.  '.).) 

2  D'api'i^s  le  baron  de  IIeutlixii  {Jolin  Lncl.c  uml  dieSchiilc  mu  Ciimbridi/e,  1892), 
Locke  anrail  subi  rintUienre  de  l'école  platonicienne  et  rationaliste  de  Cam- 
bridge. 


B;30  A.   DE  LA   HAlillE 

ompirismc,  il  avait  accepté  la  cortitiule  comme  un  t'ait,  et  il  en 
avait  reconnu  1  oriiiine  dans  la  connaissance  intiiilive  qui  com- 
pare (les  notions.  Si  l'on  aduple  uue  distinction  chère  aux 
Anitlais,  cette  certitude  puisée  dans  la  comparaison  des  idées 
est  iinlioiincllc  plutôt  (|u<'  rridlc 

(Ictto  inconséquence  de  Locke,  cette  dualité  de  doctrines  lui 
est  vivement  reprochée  par  Reid.  (>elui-ci  semble  voir  dans  la 
comparaison  des  notions  ou  d'idées  abstraites  une  scission  entre 
la  ifiiihidi'  rrcllr  et  la  (l'iiiliiile  nuiinDiirUr,  et  par  suite  une 
large  porte  ouverte  an  scepticisme  contemporain  (  j  ). 

Et  pourtant  Ueid,  aussi  bien  que  Locke,  a  pensé  que  di^s  prin- 
cipi's  généraux,  fruit  spontané  de  notre  constitution  mentale, 
peuvent  apparaître  avant  toute  intervention  du  discours. 

(]es  priinijies  généraux,  spontanés,  sont  précisément  ceux 
du  sens  commun,  il  tant  savoir  entendre  ce  que  Heid  dési- 
gnait par  ce  terme  souvent  mal  déiini  et  sujet  à  des  équi- 
voques. 

Il  y  aie  sens  comiunn  —  iMitendu  i)bj(M-livenii'nt,  à  la  manière 
d'Aristole  —  pour  désigner  la  ccdiectiou  des  idées  générales  (2). 
Il  y  a,  d  autre  part,  le  srns  iiinitnioi,  pris  dans  son  acception 
subjective!  et  psyciiologiciue,  sorte  de  conslitiilioii  ou  de  faculté 
commune  à  toutes  les  bonnes  natures. 

Jîeid  avait  foi't  à  fairi'  pour  lutter  coulii'  le  prestige»  ib' 
Hume.  V \\  I rlliijiii'  paraît  louj(uirs  d'une  espèce  supérieuic  ;iu 
vulgaire.  Les  plus  conservateurs  ne  penv(Mit  s'eni|)ècher  d  ad- 
mirer la  belle  assurance,  l'audace  de  ce  jeune,  (jui  fustige  les 
vieilles  idoles,  l'ne  des  ])réoccupations  de  Reid  était  donc  le 
plaidover  en  faveur  des  Ikuuics  natures,  bien  saines  et  l)ien 
équilibrées,  d'ailleurs  iubaliiluées  aux  robustes  audaces  de  la 
critique.  De  là,  cdiez  nuire  apologiste,  un  fréquent  usage  du 
sens  comniini  dans  son  acception  siilijeclirr. 

La    trailition  aristoUMirieune   lui   t''[ail-(dle   i''i;alement    fami- 


(1)  "  One  iif  llie  main  pillars  ni'  niodern  si-epticism...  I  s.iy  a  sensalion  exists, 
■,u\A  I  think  1  undiTstand  clearly  what  1  mean.  But  you  want  tu  make  the  Ihing 
tlearor.  and  for  tliat  end,  tell  nie  tliat  thcre  is  an  agreenient  between  the  idea  of 
that  sensation  and  the  idea  uf  existence.  To  speak  freely  this  ciinvcys  lo  inc  no 
liglit,  but  darkness.  »    Collactei/  Wrilini/s,  V.  1,  p.  107.) 

(2)  Viiir  Th.  de  IIkonon,  Mt'lujjlii/.ii/iue  Ides  causes,  liv.  1,  eh.  v,  Du  sens  com- 
iHiin. 


/j;s  l'iiixrii'Es  \y.\~ 

Uinv  il)?  Tniiioiirs  csl-il  (Jlic  Ir  sens  ii/)/rr/i/  S(^  l-ciicciillrc  Cgillo- 
nu'iil  chez  lui.  I.e  sens  commun,  dans  celte  acceplion  antique, 
c'est  rensemijle  des  propositions  qui  concernent  Fèlre  :  r/is 
inninii/nf  —  ensemble  îles  propositions  les  plus  générales,  les 
plus  iu(i('penJanles  de  ton!  syslème,  de  toute  catégorie  scien- 
tili(|ue  ou  lugique.  Et  l'on  voit  ici  que  Reid,  lo'ùjours  préoccupé 
du  sens  commun,  est  toujours  pai'  là  même  imitu  de  celle 
doctrine  ancienne  :  que,  du  premier  coup,  par  un  mouvement 
direct,  notre  esprit  se  porte  vers  l'être,  l'atteint  dans  ses  modi- 
licalions,  dans  ses  passions,  comme  disait  l'Ecole  ;  que  les 
jugemenls  premiers  sont  donc  les  pins  généraux,  concernant 
l'être  :  circa  '•//■^  '■/  i-n  ijnn'  sniil  ''iilis. 

S'il  est  un  penseur  chez  lequel  on  doit  peu  s'étonner  de 
rencontrer  îles  conllils  de  doctrines  mal  assorties  —  des  liloi's 
svstémalitiue>  iinpiniaitement  soudés,  ou  engagés  dans  un  em- 
pâtement factice  —  c'est  bien  chez  llamilton.  Chez  lui  se  cou- 
doient, dans  des  heurts  perpétuels,  l'idolâtrie  du  singulier, 
cout'ormément  à  la  tradition  écossaise,  et  l'intuition  aristoté- 
lique des  idées  générales,  (lu  ne  remarque  pas  assez  commu- 
nément ce  enté  de  la  philo.^ophie  d'IIamillon.  (le n'est  d'ailleurs 
pas  le  seul  point.  11  y  a  chez  lui  mainte  considération  qu'il  faut 
expliquer  par  sa  IVéqueulalion  du  Slagirite.  —  Ea  théorie  de 
l'incondilionné,  avec  ses  corollaires;  la  théorie  des  principes 
et  de  l'inconnaissable  —  lout  cela  n'est-ce  pas  \\n  retour  à  la 
notion  des  principes  a  jniori,  tels  que  le  concevaient  les 
Grecs  (2|  ? 

Donc,  en  dépit  île  ses  tendances  sensualisles  qui  semblaieul 
devoir  le  conliner   dans  la  connaissance  du  singulier  —  on  du 


1;  C)n  sait  combien  cci-tains  Écossais  en  avaient  subi  l'inlluenee  —  tout  ce 
(ju'il  y  a-  d"aristotêlisme,  notamment  dans  llamilton.  Vnir  les  Sotes  de  lieid's 
ÇiAlecteil  Wrilin'js  —et  spécialement  la  Sole  A,  où  il  explique  et  défend  le  sens 
commun. 

2l  «  Lorsi|a'en  IS.^fi.  la  chaire  de  logique  el  de  mélaphj-sique  devint  vacante, 
il  se  présenta  à  l'élection  avec  des  témoignages  imposants.  Cousin  déclarait  que 
personne  en  Europe  ne  connaissait  aussi  bien  .Vristote:  et  Brandis,  que  la  philo- 
sophie européenne  élait  intéressée  à  sa  nomination...  llamilton,  en  effet,  a  eu  la 
passion  de  la  logique  en  un  temps  où  elle  n'était  pas  en  faveur  ;  il  l'a  étudiée 
non  seulement  d.ins  les  ouvrages  d'Aristole,  mais  encore  chez  les  plus  obscurs 
écrivains  du  moyen  âge  dont  les  noms,  oubliés  depuis  des  siècles,  reparaissent  a 
chaque  page  de  ses  livres."  (E.  Ciiahi.es,  art.  Hamillon.  dans  le  Dlctionmiii-e  des 
si'ierxrei  pliilosnithiques  de  I■■R.^^■CK., 


;ib8  A.  iiE  LA  HAKIΠ

moins  le  condamner  ;i  une  Iheorio  de  la  généralisation  lente- 
ment acquise  —  llamilton  a  revendiqué  les  droits  de  l'intui- 
tion des  idées  générales  (1).  11  ne  met  pas  un  aijîme  entre  le 
réel  et  le  rationnel,  entre  la  connaissance  spontanée  et  la  con- 
naissance généralisée.  11  insiste  sur  l'identité  fie  ces  notions  tan- 
tôt atteintes  d'emi)lée  dans  l'expérience  primitive,  an  déliul  du 
<liscours  —  tantôt  oljjet  de  généralisation  tinale  :  "  Les  connais- 
sances primitives  semljlent  jaillir  du  sein  de  la  raison,  comme 
l'allas  du  cervean  de  .lupiler.  Tantôt  l'esprit  les  place  au  déliut 
de  ses  opérations,  comme  une  indispensable  base  d'opéi'ations; 
tantôt  elles  réapparaissent  comme  conclnsion  et  couronnement 
de  tout  le  discours  intellectuel.  »  iMffn/)/ii/sicsj  lect.  ."{S.  i 

Kn  somme,  chez  les  iù'ossais,  nous  assistons  à  l'incessant 
conllil  du  /■(■/■/  et  de  la  iidliaii  .  On  ils  soient  envisagés 
comme  îles  jugements,  ou  comme  des  conceptions  fondamen- 
tales, les  princi|>es  deiueurent  le  plus  souvent  indiH'is  entre  le 
singulier  et  l'absliail.  Sont-ils  faits  concrets?  sont-ils  abstiac- 
tion  —  idée  platonicienne?  On  se  le  demande  à  ciiaque  ins- 
tant. De  Locke  à  Reid,  d'ilamillon  à  Sp(>iu'er,  le  labyrinthe 
demeure  toujours  aussi  enchevêtré.  I>evan(  ces  invraisembla- 
bles aiguillages  du  platonisme  el  du  sensnalisnu'.  on  cherche 
>'n  vain  de-^  jioteaux  indicateurs.  • 


il 


Ces  points  de  rej)ère,  la  science  peut-elle  nous  le?  l'ovwnir? 
L)e])uis  vingt-cinq  ans,  il  se  fait  de  grands  efforts  pour  con- 
stituer une  logique  des  sciences.  An  cours  du  siècle,  des  savants 

:  I)  C'est  bien  ainsi  qn'on  Ta  compris  en  lÀ-osse,  où  on  lui  reproche  de  n'avoir  pas 
\'U  la  nécessité  de  l'induction  pour  atteindre  les  vérités  générales  —  de  supposer 
celles-ci  immédiatement  données  dans  la  conscience.  Voici  comment  ce  point  de 
vue  est  résumé  par  Mac-Cosh  (Firsl  ami  fundatnenlal  Iriillis.  18S9I  :  «  He  does 
not  properly  appieciatc  the  circumstance  tliat  intuitive  convictions  ail  look  to 
singulars,  and  tliat  Uieie  is  need  of  induction  to  reacti  the  gênerai  truths.  Ile  sup- 
poses that  the  général  truth  is  revealed  at  once  to  consciousness.  <i  Philosopliy 
<■  is  thedevelopment  and  application  of  the  constitutive  and  normal  truths,  which 
<i  consciousness  iuwnediately  reveals...  Philosophy  is  thus  wholly  dépendent  (jp 
«  consciousness.  "  ^Rei'rf's  Cidlecled  \\'iili>if/s,  p.  ■i4Gl...  He  calls  ultiuiate,  primary, 
and  univecsal  principles  facts  ol'  consciousness.»  \Mekijjhijsics.  lect.  l-'i  ; 


LES  l'Itl.SCIfES  •■,:■,<) 

illustres  ont  tômoigiiL'  iniuiilr  v('ll('it(''  |iliiliis(i|)lii([ii(\  Mais  iiicii 
jii'ii  iKiiis  (iiit  laissé  autre  cliose  (|ui'  di-  vagues  et  poétiques 
aper(;us.  (leux-là  ont  lait  o'uvre  iluralile  qui  ont  entrevu  la 
question  des  j/rinri/irs  et  qui  ont  elierelié  à  préciser  les  pro- 
l)l('nies  (le  l'iniluclidii  d  ilr  la  (li'iluclidu. 

(Juand  on  parle  de  philosophie  seienlin((ue,  U7i  Anglais 
instruit  songe  à  Sj)eneer,  un  l''raneais  pent  lui  opposer  ininié- 
diatement  les  noms  de  riaudc  Bernard  ou  de  Taine.  Trois  logi- 
ciens —  trois  synthétiques —  mais  combien  divers  piir  leurs 
tendances  et  leurs  vues  dominatrices! 

On  sait  ce  que  sont  les  pritici/irs  s^jr/icdriens.  Ils  se  |>i'ésen- 
leul  comme  {\v<,  (/riirraUsdlKuis  </rniif'rcs,  auxquelles  doil  aliou- 
tir  toute  tentative  de  systémalisiilinn  si-ienliii(|ui'.  (le  sont  des 
priiici/ws  au  sens  platonicien. 

l^t  |iourtaut,  examinant  di'  [U'ès  //■  juiik  ipi'  c/r.s  immlpcs,  l'Iu- 
C'iiuiainsdblr  c/c'v  iiiio/iiKiissd/i/rs  — •  \i\  force  —  on  est  amené  à 
se  demaiuler  si  l'origine  de  cette  conception  est  vraiment  scien- 
tilique.  On  sapen'oit  qu'il  faut  distingue!'  deux  points  de  vue 
confondus  par  Spencer  :  la  force  transcendante,  commune  à 
toutes  les  catégories  de  laits  scientiliques  —  celle  qui  échappe 
aux  méthodes  particuliéi-es  de  chaque  science  —  et,  d'autre 
jiart,  les  forces  physiques  spéciales,  étudiées  cliacune  suivant 
les  lois  de  son  activité,  suivant  les  méthodes  spéciales  qui  en 
permettent  l'expérimentation,  suivant  un  ohjrt  faniirl,  comme 
disai(Mit  les  vieux  scolastiques. 

S'il  existe  une  forer  unique,  transci'udante,  ce  n'est  pas  elle 
(jui  se  révèle  à  nous  dans  l'expérimentation  ;  ses  diverses 
manifestations,  n'ayant  pas  de  commune  mesure,  d'étalon 
uni(|ue  et  constïuit  (1)  —  ne  pi'uvenl  constituer  une  science 
unique.  —  Les  sciences  étudient  non  des  forces  inin'dfjurx,  mai& 
ilo^  iorce^  (iiialor/ifr's.  (Juhlier  cela,  c'est  illusion  de  moniste. 

Ht  pourtant  Spencer  avait  prétendu  nous  faire  atteindre  la 
force  dans  l'expérience  immédiate  (2). 


(Il  Voir  l'article  de  M.  J.  Wii.iiois,  l'Iispril  posili/  i  Renie  ilc  iiiéli/jj/ii/xiqi'e  el  de 
murale,  mai,  pp.  Kîj  et  suiv  :,  —  travail  pénétrant  et  suggestif. 

[i''  C'est  encore  là  une  préoccupation  familicre  ;i  l'esprit  anglais.  Locke  avait 
ijcrit  que  linipcnétral-iilitc  solidi/;/)  parait  l'-tre  «  l'idc-e  la  plus  intirneiuent  et  la. 
pli!-;  '■ssentiellenient  associée  .i  celle  de  corps,  de  sorte  quelle  ue  peut  être  ren- 


:;60  A.  DE  LA   I!A1!UE 

Il  ne  se  lrom|iait  pas  alisoluniont.  Hans  loiilos  nos  oxpi'rii'in-i's, 
la  notion  do  i'orci'  apiiaraîl  irombléo  :  nons  l'obtenons  sininlta- 
nénienl  clans  le  champ  de  la  conseience  sensible  cl  dans  b' 
champ  de  l'abstraction  intellectnelle.  Il  n'en  reste  pas  moins 
vrai  que  cette  notion  confuse,  indistincte,  ne  peut  se  préciser 
uulrement  cju'cn  sacrifiant  immédiatement  son  unité  I son 
inrirociir).  Pour  être  scientiliquement  connaissable.  elle  doil 
tomber  dans  des  catégories  :  elle  doit  se  distribiuT  dans  des 
i;enres  :  saisie  en  des  faits  essenli(dlement  divers,  elle  doit  se 
morceler  en  des  pruin jn's  sciciili/iiiiir.s. 

Spencer  aurait  avantaiieusement  pu  s'inspirer  de  sun  cumpa- 
Iriolc,  le  logicien  anglais  Whewidl.  (lelui-ci  a  bien  fait  voir 
comment  les  sciences  indnctives  reposent  sur  des  /tri?irijirs 
/jmnirrs,  tels  que  ceux  (|ui  concernent  l'espace,  le  temps,  le 
nombre,  la  matière,  etc..  .Mais  il  les  distingue  soigneusement 
on  prinri/ies  /)-(tiisrfiif/anfs  ('[  jjri/iri/jr.'<  scicn/i/if/iirs  |U'oprt'menl 
tlits.  Il  ap|U'lle  les  premiers  ■.  /i/iif/d/ncji/o/  iih-a^  ,..  les  autres 
des  «  cinK  f/i/lit/is  )'.  Les  ronci'plinits  sont  les  if/ées  fimihuiifn- 
Inlcs  elles-mêmes,  atteintes  ()ar  les  expériences  déterminées 
de  telle  ou  telle  méthode  scienlilique  :  c'est  ainsi  que  l'idée 
fondamentale  de  cause  devient  en  mécanique  rid(''e  spéciale 
de  fit  ni'  1  I  I. 

(.liez  Taine  comme  ciu'/  Spencer,  la  conceplimi  du  fu-'im  ipi' 
est  absoliinicnl  plalouicieiine  (2i.  l*]bloui  pai'  la  puissance  di' 
géïK'ralisaliou  scienlilique,  par  celle  pbilosopliie  du  monisme, 
qui  baltail  son  plein  à  l'heure  oii  lui-même  conslruisait  sa  phi- 
losophie. —  'l'aiiH',  ciunme  Spent-er,  est  allé  se  perdre  dans  les 
régiiins  anl(''rieures  et  supi'rieui'es  à  l'expérinienlation    métbo- 

i-oiitrée  on  iniaïinéc  ailleurs  i|i;e  dans  la  iiialitre  ».  Eisitij.  II.  iv.  1.)  Ihuiillon  avait 
dit  que  ■■  rriendue  nous  est  donnée  dans  l'appréliension  de  celle  réciproi(ue  exté- 
riorité de  toutes  les  sensations  ».  \An  extension  h  appi'ekended  in  llie  upprelten- 
sion  of  Ihe  vcriprocal  e.rlernaUl'i  nf  ail  sensiili'ins  :  Appeildix  to  Reiii,  p.  883.)  — 
Le  professeur  .Mac-Cosh,  aprcs  avoir  cité  ces  témoignages,  et  d'autres  aussi 
intéressants  —  en  fait  convei'ger  tout  l'esprit  et  toute  la  tendance  vers  la  doctrine 
d'Herbert  Spencer  grandement  loué  pour  avoir  montré  (|iie  ■■  la  connaissance  de 
la  force  est  implii|uée  dans  toute  connaissance  sensible  ■■.  tFIrsl  atid  funiliimen- 
lul  Irulhs,  p.  74. 

'D  llislorii  of  indurtiee  science.w  11  faut  seulement  reprocher  à  Whewell  un 
certain  nombre  d'applications  fausses.  Il  est  trop  enclin  à  regarder  tel  ou  tel 
principe  tranceitdenlul  comme  absolument  indépendant  de  l'expérience. 

,2)  Voir  FIav.mpso.x.  La  l'/iilosopliie  en  Friince. 


LES  Plil.SlIl'ES  501 

(liiiuc.  Où  S|(riiccr  nii'lhul  la  lurci'.  il  a  mis  Varinnie  rli-nir'. 
Plus  que  Sponccr  il  >i>-it  atlVani-lii  dr  roxpérioncc.  Si.  la /«/Y'- 
sj)cnirn<-nnr  ost  supiTicuiv  à  rcxpôrinicnlation,  oUo  est  néan- 
moins accessible  à  l'cxpérioncc  psychnlogiquo,  ollc  no  c-onsti- 
hic  pas  unr  urnéralisalinn  alisoliimcnl  -raliiilr  cl  préjugôe. 
J'Ule  pcul  (Mit  al)slraitc  de  l'cxpcricncc  an  nicmc  lilrc  que  l'èlre 
et  les  autres  Irauseendanhnix.  \\\\  est-il  de  mèun'  de  cet  être  do. 
raison,  celte  se' oz/^/r  mlfiiliDii,  1  aximne  île  iaiue? 

A  ces  deux  noms  j'ai  aj(nité  —  et  j'oppose  maintenant  —  ce- 
lui (le  Claude  Bernard.  C'est  encore  un  platonicien  qui  a  vu  les 
liniirljic^  —  en  ce  sens  qu'il  a  bien  saisi  le  proC(''d(^'  de  l'esprit 
'inluil'ij  :  proc(''il('  atlei-nanl  d'emblée  une  Id'i,  une  cause,  une 
lu/polliisr  —  en  Ions  cas,  lui  principe,  et  descendant  du  prin- 
cipe vers  ses  conséquences  parliculi('res.  concièles,  susceptibles 
de  vérilicalion  expérimentale.  —  El  en  même  temps,  il  est 
vraiment  un  pbysicien,  un  expérimentateur  qui  n'abandonne 
pas  le  réel.  Loin  de  sa  pensée  les  chimériques  généralisations, 
les  pyramides  métaphysiques  à  la  fac/on  de  Spin(jza.  Les  prin- 
cipes sont  pour  lui  des  idées  générales,  des  intuitions,  des 
faits  fondamenlaux:  mais  il  ne  sacrilie  pas  le  réel  à  l'abstrac- 
ti(jn.  C'est  lonjours  \a  inrtlunlc  qui  le  guide  dans  l'idenlilication 
on  dans  l'iqipo-ilion  de  ses  catégories.  Aussi,  cc|s  catégoi'ies 
demeurent  scientiiiques  —  elles  ne  se  conlondent  pas,  malgré 
les  séductions  du  monisme  auxquelles,  à  certains  nionn'nt-^.  il 
semblerait  que  le  grand  physiologiste  va  céder. 

A  Claude  Hernard.  nous  pourrions  rattacher  toute  cette  li- 
gnée de  savants  et  de  logiciens  qui,  depuis  un  quart  de  siècle, 
ont  t'ait  avanc(>r  la  question  des  principes. 

}>\.  Stallo  tut.  il  y  a  quelque  vingt  ans,  un  de:-  plus  vi- 
goureux initiateiu's  de  la  logique  des  sciences.  S'il  n'a  p;is 
abordé  directement  la  question  des  principes,  il  a,  du  moins, 
apporté  de  précieuses  contributions  à  la  question  des  hypo- 
thèses si  intimement  connexe  avec  la  précédente  (11. 

M.  Naville  a  écrit  deux  ouvrages  précieux  :  La  Lofjiiiuf  de 
riii/pollil-sr,  et  la  Phi/siiiiir  moilmtr.  Dans  le  premier  de  ces  ou- 
vrages, il  a  montré  ce  ([n'est  induire  :  nbsrrrrr,  supposer,  cesl- 

1,  La  Matifie  el  la  l'Io/sigiie  ino(/enie.  chez  Alcax. 


'■Mi  A.  DE  LA   HAItUE 

à-diro  rcnioiilcr  au  /irim  /j/r,  rr/'i/irr,  cosl-à-diri*  redescendre' 
du  priiieipe  aux  conséquences.  D'ailleurs,  en  étudiant  la  psycho- 
logie des  fondateurs  de  la  physique  modern(\  il  a  conirilmé  à 
faire  comprendre  ce  qu'est  un  priiiripf  ilircclciir,  antérieur  et 
supérieur  aux  principes  de  physique  proprement  dits,  impli- 
«•itenieiit  admis  dans  Inute  recherche,  tantôt  t^uidant,  |)ar  une 
inilueuce  positive,  l'espi'it  du  travailleur,  et  le  poussant  dans 
la  voie  des  seules  reclici'ches  vraiment  f(''Condes  —  tantôt  s'op- 
posant  à  Imil  faux  [las,  le  jamenaut  sui'  le  droit  chemin,  en 
vertu  do  je  ne  sais  quelle  mystérieuse  inhiiiition. 

^1.  Fonsegrive  (Il  nous  ramène  aussi  à  la  véritahle  intel- 
jii^ence  de  l'induction  et  des  principes.  Dans  des  pages  très 
claires  et  très  inslruilives,  il  a  iiien  mis  en  regard  la  pensée  uio- 
derue  et  la  pensée  aucieiuu'.  I)e  celle-ci,  il  a  fait  ressortir  les, 
élé'menls  i^ssentiids,  il  a  dégagé  nettement  ces  idées  fondamen- 
tales :  (|ue  l'alislraction  constitutive  du  concept  est  antérieure 
à  la  réilexiou;  —  que,  pour  cette  abstraction,  ni  la  c<Miiparaison, 
ni  le  raisonnement  ne  sont  nécessaires  ;  —  que  «  le  discerne- 
ment lies  caractères  les  plus  importants  parmi  les  caractères 
abstraits...  nous  vient  de  l'expérionce  immédiate;  la  coupiire 
se  fait  d'elle-même  et  sans  discours  »  ;  —  qu'il  n'y  a  nullement 
là  «  le  passage  du  parliculiei-  au  général,  du  moins  au  plus,  ([ui 
a  l'ail  le  scandale  cl  le  di'scsiioir  des  logiciens  modernes  depuis, 
liacon  (2)  ». 

(jOS  écrivains  divers  nous  ont  arrachés  à  !  éti'oit  horizon  de 
liacon  et  dos  positivistes,  à  la  mesquine  conception  des  Ecossais  : 
le  fait  concret,  confondu  avec  le  fait  scientili(|ue.  ou  fait  fonda- 
mental —  le  sinr/iiHcr  érigé  à  la  hauteur  iVun  ji/inc  i/jr.  Ils  ont 
ainsi  mis  en  relief  l'élément  essentiel  du  principe  :  l'idée  gé- 
nérale. 

Mais  «et  élément  essentiel,  cet  ékMnenl  supérieur,  n'est  pas 
le  seul.  Nous  y  trouvons  une  /lo/in/é  //v'.v  db^lraite  —  élvmcnt 
«■ssenlH'l  —  par  où  le  principe  est  un(^  formule  maniable,  soui)le, 
par  conséquent  active  et  féconde  —  vraimeiil  raisun  sriiiiimlr, 
suivant   la  Im'IIi'  métaphore  augustinienne   et   tliomisle.    .Mais 


1)  (•l'-nèraiisnlion  et  Induction  —  danslaRe('«e  ^jliilosojiltique.  t.  XLII,  iip.:i53,  -jM. 
,2)  Lu:.  Ci/.,  pp.  '.'j'i,  373, 


;.;■:>•  i'iumu'ES  ar.3 

le  principe.  l;i  i(ii<oii  srininair,  qui,  dans  los  sciences  phy- 
siques el  naLureilos  spécialement,  constitue  l'intuition  abs- 
tractive.  n"est  pas  une  idée  distincte  et  précise,  l'idée  claire  au 
sens  cartésien  —  ou  du  moins  il  s'y  mêle  un  élément  secon- 
daire. A  côté  de  la  lumière,  la  pénombre. 

11  y  a  lon!j:temps  que  la  vieille  sagesse  péripatélico-tluMuislc 
a  fait  cette  importante  remarqu(>  :  à  côté  ib>  runiv('r>ol  exprimé 
dans  une  abstraction  distincte,  il  laut  n'ioiuiailre  iiu  aiili-(>  cl 
non  moins  essentiel  élément  du  piimipi-  :  celui  qui  représente 
les  (  onililioiiA  muins  (jénth-cili's,  plus  voisines  du  concret  et  du 
singulier  11.  De  ces  deux  éléments  résulte  le  clair-obscur, 
caractéristique  de  l'intuition  abstractive.  Il  faut  donner  raison  à 
Claude  Hernard  et  à  tous  les  iiituitionuislcs  de  son  écide  :  le 
principe  contient  une  iJrr  ciuifusc. 

D'ailleurs,  c'est  un  (/enup.  Comme,  en  (oui  gcrnu'.  il  laul 
l'actif  et  le  passif,  le  déterminant  et  le  déterminé  —  ainsi  dans 
ce  germe  logique,  à  l'idée  claire,  à  la  notion  distincte,  parlai- 
tement  abstraite  et  générale  —  en  un  mot  à  l'élément  essentiel 
—  s'ajoutent  des  nulhtiis  i/'onln-  iii/rrinir  :  celles-ci  expriment 
des  qualités  sensibles,  des  caractères  superliciels  —  plus  aptes 
à  traduire  le  réel,  dans  ses  déterminations  ullimes,  dans  sa 
constitution  plus  spécialisée  et  plus  concrète. 

Le  premier  élément  représentait  l'essence  dans  ses  notes  les 
plus  génériques  ;  le  second  est  comme  un  sr/wmc  de  qualités 
accidentelles,  qu'il  faut  ajouter  pour  avoir  l'intégrité  d'une  con- 
naissance complète  —  pour  serrer  de  plus  près  la  réalité.  C'est 
ainsi,  comme  l'a  dit  quelque  part  M.  l'ouilléi'.  que   l'nn  pourra 


I  llans  siin  opus.ule  LXUI,  in  lihiinn  Boelii  de  Triniliile.  saint  Thomas  a 
neUeiuent  ex|irinK-  celte  théorie  de  la  connuissu/ice  eon/use  :  toute  connaissanre 
de  chose  existante  suppose  au  niininuun  la  connaissance  confuse,  le  pressenli- 
ment  de  la  définition  distincte  —  c'est-à-dire  :  1-  la  connaissance  générique: 
2'  la  connaissance  de  quelques  accidents  superficiels,  facilement  saisissables  : 
De  nuUa  re  potest  sciri  an  est,  nisi  quoquo  modo  di'  ea  sciatur  quld  es/,  vei 
i-iignitione  perfecta,  vel  cognitione  confusa.  l'nde  dicit  Philosophus  (I  Pliysir  quod 
definita  sunt  pra'cognita  partibus  definitionis.  (Iporlet  enim  scientem  hoinineui 
e^^se  et  qua-renteui  rjuiti  est  liomo.  per  delinitionem,  scire  quid  hoc  nomen  lionm 
signilicet.  Nec  hoc  esset  aliquo  modo  nisi  aliquam  rem  conciperel  qu:im  scit 
esse,  quamvis  nesciat  ejus  definilioneiii.  Comipit  enhtt  honiincru  secunduni 
cognitioneui  alicujus  generis  proxinii  vel  renioti,  et  aliquorum  accidenlium  qua- 
extra  apparent  de  ipso.  Oportet  enim  delinitionum  cognitionein,  sicut  et  demon- 
strationuiii,  ex  alicpia  pra'existenti  cognitione  initiuni  sumcre.  » 

3:1 


B6i  A.  DE  LA  BARHE 

«  se  rapprocher  tlo  plus  en  plus  du  corurcl  en  l'enserrant  dans 
lin  réseau  rrabstractions  ». 

Le  principe  est  ainsi  le  point  de  départ  de  Tespril,  marciianl 
<rapproxiniali<<ns  en  aj)proximati()ns  à  la  conquête  de  l'objet. 
Et  cela  se  fait  dans  ce  clair-obscur  de  l'inluilion,  qui  esl  vrai- 
ment une  aurore  —  où  commence  d'apparaître  la  mystérieuse 
ligui'c  du  (;()sniii>. 

A.  Di:  i.v  B.XlUiE. 
(.4  xtiir >■('.) 


IMMATERIALITE    ET   MATERIALITE 

DE    L'AME    HUMAINE 


Lo  romploMis  intégral  (|ii('  ihiu>  soniincs  enveloppe  un  élé- 
nienl  somatique,  qui  rend  eoniplo  de  nos  événements  matériels  ; 
une  source  de  vie  et  de  sensibilité  ;  un  principe  do  pensée. 

Nous  supposons  ici  (l)  que  ce  dernier  principe  est  d'ordre 
spirituel  et  substantiel. 

Nous  nous  proposons  d'examiner  quels  rapporis  il  soutieni 
avec  nos  énergies  matérielles. 


1)1  vi.isMi;   i'i;iui'ati:i'ic:m;n    i-:i'  momsmi:   un:  vustr 

S'il  esl  vrai  que  le  moins  ne  [leut  engendrer  le  plus,  il  est 
manifeste  que  la  matière  ne  saurait  à  elle  seule  rendre  raison 
<lc  l'action,  l'action  de  la  vie,  la  vie  de  la  sensation,  la  sensation 
de  la  pensée;  mais  la  réciproque  est  loin  d'être  vraie  au  même 
litre  et  dans  le  nn''mc  sens.  Le  mouvement  n'expli(jue  pas  la 
vie;  mais  la  vie  explique  et  implique  le  lUdiivenuMil.  L'action, 
la  vie,  la  sensation,  sont  impuissantes  à  rendre  compte  de  la  pen- 
sée, mais  rien  n'empêche  que  la  pensée  rende  compte  de  l'action, 
de  la  vie,  de  la  sensation.  Une  virtualité  supérieure  et  surémi- 

Ti  Cet  article  est  extrait  d'un  livre,  sur  le  point  de  paraître,  intitulé  :  Spirilaa- 
lité  el  Iininor/dlilé.  La  spirilualité  et  la  substantialité  de  l'ùme  font  l'objet  de  cha- 
pitres précédents. 


i;6t;  Victor  BI:RMES 

nonto,  coniiiu'  la  pcnsoc.  doit,  |)ar  un  a  furlitiri,  èii'c  ù  môme- 
do  remplir  Jes  fondions  inférieures,  - —  mouvement,  vie  et  sen- 
sation, —  si  toutefois  elle  dispose  des  moyens  appropriés  et 
indispensables.  L'esprit  est  éminemment  actif  et  vivant  ;  pour.- 
([uoi  U(^  pouri'ail-il  pas  sentir,  vivre  el  agir  ortianiqnenient,  s'il 
a  un  <ii'ganisme  à  sa  diserélion? 

()ki\ain,  cité  |)ai'  .Newton,  recommande  de  ne  i)as  mulli|)lier 
les  êtres  sans  nécessité.  Partant,  puisque  le  |)rincipe  qui  pense 
eu  nous  est  capable,  par  lui-même  et  par  sa  collaboration  avec 
le  C(ir|)s,  (h-  rendre  (>ompte  de  toute  la  vie  inférieure  et  supé- 
rieure, inutile  de  maintenir  la  mnlti|)licité  des  princijjes. 

Nous  croyons  donc  (|u'il  v  a  lieu  d'ideutilier  dans  la  même 
activité  radicale  tontes  les  énergies  que  la  déduction  et  l'ana- 
l\  se  mellenl  à  découvert  dans  b^  nnii  intégral,  (^.etle  manière  de 
voir  a  déjà  poui'  elle  qu'elle  est  une  siniplilication. 

Est-ce  tout?  Kt  la  conscience  csl-elle  muette  sur  une  question 
de  cette  importance?  Mlle  n'a  pas  de  réponse  directe.  Toutefois, 
il  est  un  l'ait  bien  siguilicalif  :  elle  attribue  au  même  moi  réel' 
et  causal  toutes  les  (>p(''ralinns,  tous  les  événennnits  qui  relèvent 
de  sdu  cdutiùie  el  do  siiu  l'xpéi-inn'i) tatiou .  Ka  conscience  est 
la  vue  du  dedans,  du  sini|)le.  du  psycdiique.  l'ar  suite,  dès  lors 
cju'elle  i-aj)porle  à  la  nuMUe  réalité  active  tous  nos  étals  internes, 
c'est  que  vraiment  cette  réalité  est  imc. 

-Mais,  objectera-t-on,  le  sens  intime  rapporte  indistinctement 
au  moi  psychisme  et  soniatisme.  A  ce  coni|de,  il  faudrait  iden- 
lilier  le  coi'ps  et  l'âme. 

La  conscience  ne  l'.iil  d(''ri\cr  du  moi  psychique,  le  seul  (|ni 
ressortisse  à  son  domaine,  (jne  les  événements  psychiques  purs 
et  les  événements  psycho-physiques  en  tant  que  psychiques  (Ui. 
simples.  —  Les  états  somatiquos  ne  sont  attribués  par  la  con^ 
science  au  moi  qu'en  tant  que  la  sensation  les  a  trnnsformés  en 
éléments  psychiques.  En  sorte  que,  comme  tels,  les  faits  soma- 
tiques  ne  relèvent  pas  de  l'introspection;  elle  ne  saurait  donc- 
les  référer  au  nmi  psychique. 

Avec  .M.  (irassel  on  pourrait  dire  encore  que  l'àme  n'exerce 
pas  son  intelligence  dans  ses  opérations  psycho-physiologiques. 
Or,  l'àme  ne  peut  pas  cesser  d'être  elle-même.  Par  conséquent 
ce  ne  serait  pas  l'àme  intelligente  qui  opérerait ;,  d'oii  néces-- 


iMMAïKiiiMAii:  i.r  MMiiiiM.rn:  m:  i:\\ii<  m  \imm:       ii.i: 

silr   (le  ii.m-liirc    il    i.i    imilli|)lic-ilé   (les   principos    psychiqti('>. 

Cellr"  diriiciiltr  est  plus  >prcicuso  que  solide.  Pour  s'en  iléliiii- 
rasscr  il  sul'lil  de  sr  ra|)p(d(T  (jue  lexereiee  normal  de  la  penst-c 
rc(|iiirrl  ccrlaiiio  eondiliinis  |ili\  >io|()i;ii|H('s  et  eéréhrales,  (|iii 
ne  se  Irunvent  évidenum-nl  jias  réalisres  dans  tmiles  nos  ioiic- 
tions  organiques.  Voilà  pourquoi  noire  virlualilé  psychiqur. 
bien  que  transcendante,  sera  sans  déployer,  en  toute  occurreiici'. 
toutes  ses  énergies.  Elle  agira  automatiquement,  organique- 
ment en  des  viscères,  en  des  muscles  organiques,  automatiques. 
Kllc  exercera  son  activité  inférieure  sans  préjudice  de  son  acti- 
vité siipiTiruif,  (ir  cette  réserve  d'énergie  surémiuente  qui  se 
développera  eu  concepts  des  que  seront  réalisées  certaine-  con- 
ditions cérébrales. 

Et  pourtant,  ré|»ii(iueiM-t-oii.  il  >emlde  que  le  principe  vital 
doit  être  composé  :  il  est  divisible...  A  preuve  que  «  chez  les 
animaux  où  la  centralisation  du  système  nerveux  est  très  impar- 
faite, un  individu  coupé  en  tronçons  se  trouve  multiplié  ".  On 
en  conclut  que  ■<  l'àme  du  suji't  se  partage  en  même  temps  que 
son  corps  •>.  M.  Hourdeau  voit  dans  ce  fait  une  preuve  directe  de 
la  divi^^iliilité  de  lame,  (".'est  trop  se  bâter. 

On  peut  supposer  avec  autant  de  vraisemblance  qu'il  y  a  ici 
plusieurs  animaux  soudés  ensemble.  On  peut  même  expliquei- 
le  fait  par  la  simplicité  de  l'âme.  C'est,  croyons-nous,  parce  que 
l'àme  est  simple,  parce  qu'elle  est  tout  entière  dans  le  tout  et 
dans  chaque  partie  de  l'organisme,  qu'elle  est  à  même  de  -r 
scinder,  en  (|uelque  sorte,  par  fissiparité  ou  sexiparité,  el  d  ani- 
mer un  nouvid  organisme.  Ou'on  veuille  bien  le  remarque! 
cependant  :  il  n'y  a  pas  ici  division  directe  ou  proprement  dite. 
C'est  une  division  accidentelle:  le  principe  vital  n'est  pas 
divisible  en  lui-même,  il  n'est  divisible,  comme  dit  l'Ecole, 
que  ratiuiir  inaleriee  tiii  loii/inK/i////-.  I.e  phénomène  est  assez 
facile  à  comprendre.  Il  ne  se  produit  d'ailleurs  que  chez  les  ani- 
maux imparfaits  à  organisme  rudimentaire.  A  raison  même  de 
son  imperb'cliun,  une  nouvelle  ébauche  d'organisme  peut  faci- 
lement se  former  en  relation  vitale  avec  l'organisme  sou(  lie. 
La  même  vie  s'étendra  de  l'un  à  l'autre,  l-a  scission  s'opère  : 
chacun  conservera  sa  vie  multipliée  at'cidenteilement.  /(inoiir 
malfriœ.  (Juoi  de  surprenant?  Il  est  divers  modes  de  génération. 


:w.H  Victor  BERNIIOS 

La  génération  anormale  ou  violente  n'est  ni  plus  ni  aiitrcnienl 
mystérieuse  que  la  génération  sexipare. 

l'our  plus  (le  délails  on  peut  consulter  louvrage  du  I{.  P.  (".o- 
conuier  L'Aiiir  htniKÙnr.  Ava\\.  \\).  Dès  maintenaul.  iliacuu 
peut  voir  que  la  <■  preuve  direete  »  de  M.  Bourdeau  est  loin 
d'être  décisive.  A  vrai  dire,  les  faits  allégués  peuvent  et  doivent 
être  considéi'és  comme  non-avenus.  Ils  n'ont  aucune  |)ortée 
piiur  ou  contre  la  simplicité,  l'unitr'  du  priuci|ie  ])svcliique. 
.Nous  savons  qu'il  y  a  miiltiplicalidu  de  vivants  :  (die  peut  se 
judduire  par  division,  ou  seulenu-ul  pai'  extension  el  généra- 
lion. 

I']sl-il  l)on  de  revenir  sur  riivpolhésc.  qui  coïKM'derait  une 
|ielile  àme  à  (liaque  cidlulr  nrrvcusc.  ou  qui  livposlasierail 
(■li,i(|ue  phi'uonirne ?  .\in~-i  <|ur  l'oljsiu've  cxcidlemment  un  plii- 
losoplie  d  <Milre-l!liin,  ■  >  il  n  y  ;iMiil  en  n(Mis,  comme  le  vent 
la  psyiliologie  sans  .sui(d.  ((ne  le  siui|)le  l'ait  de  la  succession, 
sans  que  rien  vienne  relier  les  étals  successifs,  l'àme  perpétuel- 
lement confomlue  avec  chacun  de  ses  états,  incapable  de  s'en 
dislinguer.  vivrait  éternellement  ilans  le  |)résent,  el  e(da  sans 
mènu'  s'en  l'cndri'  coniple.  car  le  présent  ne  peut  être  conçu  f[ue 
par  o|q)osilion  an  pas-('  ou  à  l'iurnir.  l'our  qui  ne  connaît  ni 
l'aNani.  ni  l'après,  il  n'y  a  nu''me  pas  de  présent.  La  conscience 
du  temps  n'est  donc  possible  que  pour  un  sujet  concret,  qui 
s'oppose  à  ses  déterminations  alisiraites,  en  les  ramenant  !i 
son  unité.  "  {Psi/rliolof/ir  (/riirrtili\  de  Ki'iimki;,  Ucriic  jtli'ihis., 
IV   Année.  H'   vol.,  p.    iSd. 

Aussi  Inen  là  n'est  |)as  précisément  la  (|ueslion.  Il  s'agit  de 
runitc  ou  (il'  lu  mulli|)lici(('  du  -njrl  jisychique,  admis  en  prin- 
cipe. -Nous  avons  vu  qui'  rien  lu'  s'oppose  il  l'unité  des  énergies 
psychiques.  Nulle  incom[)aliljililé  entre  leurs  caractères  essen- 
li(ds.  Active,  simple,  vivante,  mdre  virtualité  mentale  peut 
cumuler  des  n'iles  divers.  Lomme  principe  transcendant  et  spi- 
lilin^l,  (die  s(Ma  capable  de  pensée.  Ln  union  avec  le  corps,  elle 
agira,  vivra  physiidogiquemenl,  et  sentira,  l'ounjuoi  n'accom- 
plirait-elle pas  ces  (litl'érentes  fonctions?  Elle  possède  émi- 
nemment tontes  les  qualités  requises  d'activité,  de  vitalité,  de 
simplicité.  Les  règles  d'une  sage  inférence  nous  amènent  à 
n'assigner  qu'un  principe  aux  phénomènes  psychiques  purs  et 


niMMi.iiiM.iTE  i:r  mateiiimatk  de  lame  ;//  u.ua;;       :.g'j 

à  la  |iar(  de  psychisme  onglobôp  dans  les  phénomènes  mixtes 
(»ii  psyciio-ur-iiniques.  Simple  en  fait  et  mnltiple  virtuelle- 
ment, ce  principe  psyeliiiini'  nniqne  opri'iTM  mentalement  ou 
organiquement  selon  les  hesnins  du  l\pe  individuel  conçu  el 
léalisé  auquel  il  apparlieni. 

Mais  ne  pouiTail-on-pas  procéder  à  des  simplilitalions  nou- 
velles? En  maint  passage  nous  avons  parlé  de  deux  classes  de 
phénomènes  à  ce  point  irréductibles  qu'on  ne  pouvait  les  rame- 
ner les  uns  aux  autres.  Ne  pourrait-on  pas  h^s  ramener  au  même 
principe  ?  Non.  parce  que  leurs  caractères  ne  sont  pas  seulement 
divers,  ils  sont  opposés,  ,et,  d'après  les  lois  de  la  causalili'. 
rop[)osition  se  poursuit  jusque  dans  la  cause.  11  s  agit,  on  le 
devine,  des  événements  spirituels  et  des  événements  somati- 
ques.  Irréductibles,  inconciliables  en  eux-mêmes,  ils  le  sont 
également  dans  leur  cause;  et  c'est  justement  parce  que,  à 
doses  diverses,  phénomènes  psychiques  et  somatiques  se  com- 
binent pour  constituer  des  faits  psycho-physiques,  que  ceux-ci 
ne  sauraient  èlre  idi'iiiiliés  avec  les  |duMiomènes  psychiques 
pui's.  l'sycliisme  el  somatisme  |u-('sentenl  des  propriétés  contra- 
dictoires. l>e  là  nécessité  d'admettre  le  dualisme  Iraditioumd  : 
matière,  esprit.  La  dualité  forcée  du  |diénomène  exige  impé- 
rieusement la  dualité  du  noumène.  dette  nécessité  est-elle  à  ce 
point  inéluctable?  Le  monisme  idéaliste  le  conteste. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  corps,  l'organisme.  i'>l  im- 
puissant à  l'endre  C(impte  des  événements  |)sychologiques.  Avec 
le  corps  c(Mume  pivid.  le  monisme  occupe  donc  une  position 
abs(dument  intenable.  Le  dualisme  s'impose. 

Si  l'on  déplai'ait  l'axe  du  monisme;  si  l'on  faisait  tout  gravi- 
ter autour  de  l'esprit?  Peut-être  l'esprit  serait-il  plus  ïi  même 
de  consommer  en  lui  la  grande  synthèse.  La  vie  n'expliquait  pas 
la  pensée,  et  néanmoins  la  pensée  explique  la  vie.  De  même 
le  corps  n'est  pas  capable  de  produire  la  pensée  ;  mais  peut-être 
i>ourrons-Ti.ius  faire  dériver  le  corps  de  la  pensée.  C'est  ce  que 
les  idéalistes  ont  tenté. 

<;ar  ils  ne  veulent  pas  d'un  i)issubstantialisme  quelconque, 
ni  même  d'un  dualisme  mitigé  tel  que  le  nôtre.  Des  deux  iJiMes 
(ip|iosés  de  la  pensée  contemporaine,  matérialisme  et  idéalisme 
dirigent  sur  les  dualistes  un  vrai  feu  croisé.  La  i)liilosnjdiie 


b70  Victor  BERMES 

actiu'llo  el  la  science  cllc-nièiiie  tondonl  au  monisme.  La  pensée 
moderne  se  travaille,  s'épuise  en  efforts  pour  taire  dans  la  réa- 
lité l'unité  absolue  et  suiislnntieile  qu'elle  poursuit  dans  ses 
spéculations;  elle  veut  établir  la  synthèse  de  la  réalité,  conimc 
la  svnthèsc  de  l'idée.  Nous  verrons  dans  quelle  mesure  ces  ten- 
dances sont  légitimes. 

Toujours  est-il  qu'en  fait,  avec  Spiuo/.a,  mais  dans  un  autre 
sens,  l'Idéalisme  idierclie  le  nu'ud  qui  ferait  l'unité  dans  la  sub- 
stance unixcrseili'.  Nous  avons  classé  parmi  b's  monisles  de 
l'inconnaissahle  certains  penseurs,  (|ui  en  réalité  sont  idc'alistes. 
Le  système  de  Berkeley,  le  Moi  év(dutif  de  Ficlile,  l'Absolu  indé- 
terminé de  SchelliuLi,  b'  Devenir  dialectique  et  immanent  de 
Hegelj  le  Volontisme  aveugle  <le  Scliopen  liauer,  ou  le  V(donta- 
risme  idéal  de  Harlmaim  et  de  leurs  discijdes,  autant  de  formes 
données  à  l'Idr'alisme  monistique.  Tous  ces  théoriciens  sont 
d'accord  |iiiur  Inul  r\|iliqiicr  pai'  ridi''c  ou  pai'  une  force  men- 
tale qiudi;on(|ue  :  l'idi-i'  csl  an  fond  lif  bmle  l'é'alité;  elle  est 
nn'-nu'  toute  réalili'. 

Lu  hrance.  le  uioui^uic  i(l('ali>le  a  rcnconln''  des  adeptes 
fervi'nts  parmi  les  néo-spirilualisles.  .Maine  de  Biran  tient  que 
l'unité  psycho-physique  de  la  substance  n'est  pas  vui  simple 
postulat  de  la  raison,  mais  un  fait,  et  de  tous  les  faits  le  plus 
accessible  à  l'expérience,  l'ciil-èlrc  s'ai;it-il  simplement  de 
l'union  substaniielle  de  l'âme  cl  du  corps. 

.Vprès  ce  vigouicux  penseur,  MM.  l'élix  Ravaisson,  .1.  Lache- 
lier,  1'].  Houtroux,  SecnHan,  donneul  à  leur  lonr  des  gages  à 
l'idéalisme.  Ils  se  disent  spiritualistes  ;  en  réalité,  ce  sont  idéa- 
listes bien  authentiques.  Ils  opposent  «  au  demi-spiritualisme 
de  l'école  éclectique  le  spiritualisme  véritable  (?),  celui  qui 
retrouve  jusque  dans  la  matière  l'immatériel,  et  qui  explique 
la  nature  même  par  res|)ril.  ■>  'Mappoii  ilc  M.  H<ir(if<siiii  sur 
1(1  Vh'ilostijili'ic  j raiiruisr,  p.  14-2.1 

l'armi  les  idéalistes,  on  peut  encore  ranger  M.  l'V)uillée,  qui 
oppose  aux  erreurs  et  aussi  aux  vérités  qu'il  combat  «  une  sorte 
de  monisme  psychique  à  base  de  volonté  ;  et  cette  puissance 
aveugle,  en  se  réfléchissant  sur  elle-même,  en  concentrant  et 
en  augmentant  son  intensité,  devient  pensée  et  sentiment  ». 

Des  divergences  assez  profondes  semlilent  néanmoins  scinder 


iMMATiiiiM.nÉ  i:r  mati-.ium.ite  i>f.  lame  III  MM\i:       ;,7i 

les  idc'-alisU's  en  deux  cainiis.  Miiinc  de  |}iran,sSi  lanl  est  (uTil 
siiil  idôalislo,  M.  Uavaisson,  M.  l'"oiulliH>  lui-mèmo.  admetlciil 
<liu'  rrlônionl  psyflii(|iic.  idrc  (Hi  voloiili'-,  osl  iiiu'  t'orcr,  une 
réalité  aclivc,  rvoliilivo.  An  cdiitraire,  on  lidclos  disciples  dr 
Kant  ou  pliilùl  do  M.  Ivonoiivior,  nos  jeunes  idéalistes  suhjec- 
livistes  ne  mettent  que  leur  idée  personnelle,  la  forme  aprio- 
;rique  de  leur  pensée,  à  la  place  de  la  substance.  La  substance 
n'est  plus  une  force,  c'est  une  pure  idéalité,  à  no  consulter 
que  la  raison  spéculative. 

Uans  son  ouvrage,  E^sal  sur  l' huiiinrliililr  nu  poDit  '//•  >\ir 
■ilii  iKiliiralisini'  rrolulhiuiiislc,  M.  Sal)alier  a  fait  profession  do 
monisme.  |1  a  donné  \\\\  nom  n(niveau  à  la  sulislance  unique, 
c'est  l'esprit.  11  s'étudie  à  nous  la  faire  connaître.  <■  Vie  et 
esprit,  nous  dit-il,  ont  fait  partie  de  l'univers  dès  les  temps  les 
plus  reculés.  Us  étaient  répandus  et  diffusés  dans  le  germe 
•cosmique  primitif.  Vie  et  esprit  sont  des  conditions  mêmes  de 
ce  que  nous  appelons  matière  ;  elles  en  sont  des  parties  inté- 
grantes et  inséparables.  Qui  tlil  maliôro  dit  étendue,  qui  dil 
matière  dit  esprit  et  vie  (p.  71  t...  ■■ 

Alors  voilà  :  à  l'origine,  rien  que  do  l'esprit:  c'osl  la  nébu- 
leuse idéaliste.  Puis  apparaît  la  matière.  <■  qui  est  la  forme 
jrevctue  par  l'esprit  on  vue  de  réaliser  une  lin  ". 

Ainsi  créé,  le  cerveau  est  un  accumulateur,  un  organisateur 
•du  psycbique  dans  le  but  de  fonder  «  ce  faisceau  bien  lié,  qui 
devient  sensibilité,  pensée  et  volonté;  d'organiser,  d'accroître 
la  conscience  et  de  consliluei'  enfin,  peu  à  peu,  l'individnalité 
psycbique  et  la  personnalité,  qui  en  est  la  plus  baule  expres- 
sion (p.  (io)  ». 

Il  serait  superllu  do  mettre  en  lumière  tous  les  points  faibles  de 
cette  tbéorie,  toute  faite  de  rêve  et  d'ingénieu.v  aperçus.  L'exis- 
tence originaire  d'un  psycbique  latent,  diffus  dans  un  germe 
•cosmique  primitif,  —  que  faut-il  voir  dans  ce  germe?  —  l'orga- 
nisation <oiidensalrice  de  cet  élément  par  un  agent  matériel,  (|ui 
est  lui-même  esprit  et  vie,  et  au  terme  do  cette  accumulation  la 
conscience  et  la  personnalité  comme  résultats,  tout  cela  ne  nous 
paraît  pas  très  solidement  conçu  et  encliainé.  Avec  M.  F.  Pillon, 
nous  craignons  fort  que  l'autour  n'ait  pas  soumis  ces  quelque^ 
idées,  fondamentales  pourtant,  à  l'épreuve  de  la  critique. 


!;72  Victor  liEliMKS 

Idéalisme  réaliste,  qui  dans  l'idée  voit  une  force,  ou  idéa- 
lisme pur,  qui  ne  voit  partout  ([u'idéalité  ou  formes  diverses 
de  la  pensée,  double  manifestation  de  cette  tendance  au  mo- 
nisme qui  s'accuse  dans  la  philosophie  contemporaine.  Et  h 
certains  égards  cette  tendance  est  légitime.  L'homme  éprouve 
rimpéiieu.v  hesoin  de  faire  l'unité  dans  sa  pensée  ;  ce  besoin 
doit  l'amener  à  rechercher  celle  unité  en  dehors  de  lui.  Dans 
(luelle  mesure  peut-on  espé'rer  le  succès  en  semblable  entre- 
prise ? 

Ouel  est  le  dernier  fond  de  l'être  matériid  .'  Est-ce  l'alome 
(lu  la- monade,  le  corps  ou  l'esprit?  Huestion  troublante,  en 
\('iit(''.  Aristole  r('|)ond  :  les  deux.  Soit;  mais  les  deux  co-prin- 
(ipes  ré(ds  et  dislincls.  nous  ne  songeons  pas  à  le  nier,  sont-ils 
également  primitifs,  appnrlent-ils  la  uu'^me  part  de  coopération 
dans  la  constitution  des  corps.'  Le  Stagirite  n'élude  ]ias  la 
iliflicullé.  On  connaît  sa  réponse. 

La  forme  ou  l'idée,  siSo;,  en  opposition  avec  la  matière,  j/,r,, 
est  simultanément  principe  actif,  qui  actualise,  énergie  primor- 
diale e(  réalisatrice,  exemplaire  et  linalité  immanente  ou  enté- 
léchie  de  son  évolulion  organisatrice.  <;'est  une  idée-force  s'ac- 
lualisant,  se  dévehippant  et  s'organisant  sous  la  quantité  et 
l'élemlue.  Elle  esl  par  conséquent  la  raison  vraie,  la  force 
intime  et  évolutive  de  la  matière  :  la  matière,  sim[)le  passivité, 
n'existe,  ne  se  détermine,  n'opère  que  par  elle.  De  ce  chel, 
puisque  toute  actualité  de  la  matière  lui  vient  de  la  forme, 
ii'esl-il  pas  viai  de  dire  que  la  forme  jouit  d'une  certaine  pri- 
mauli-,  qu'elle  joue  un  rùle  privilégié,  qu'elle  est  le  dernier 
fond  de  l'èlre  matériel?  .Vu  surplus,  dans  la  théorie  d'Arislote, 
la  nialière  (dle-mème  ne  se  confond  nullemenl  avec  l'étendue 
et  la  quantité,  (le  sont  là  modes  immédiats  et  primitifs,  ce 
n'est  pas  le  dernier  substratum  des  corps.  Dans  son  fond,  la 
matière  apparaît  plutôt  comme  une  passivité  simple,  purement 
exigitive  de  la  quantité.  De  tout  côté,  dans  le  système  péripaté- 
licien,  nous  aboutissons  donc  à  la  simplicité  de' la  substance 
matérielle.  I>a  nialière  quantitative  ne  vient  au  secours  de  la 
forme  que  pour  la  soutenir,  la  compléter,  la  délimiter  et  lui 
fournir  un  champ  d'opération.  Mais  la  ([uantité  n'est  pas  le 
fond  esseuti(d  de  la  matière  ;  elle  en  est  la  première  modalité 


iMM.\ri:itiAi.iri:  et  iMrf./i/.u.///.'  /»/■:  l.wie  ;;n/  u.v/-;       -Mi 

ici'llc,  11(111  l'ossonce.  Fond  csscnlicl  d  modaliU''  réelle  qiuuili- 
liilivc  consliluont  le  co-prineipe,  dit  matériel,  qui  est  l'étai  de 
la  forme,  (lar  la  forme,  monade  commemiante  cl  embryon- 
naire, est  de  soi  trop  imparfaite  pour  subsister  isolément;  elle 
ne  surgit.  eHe  ne  parait  au  jniir  (|ue  sous  un  revêtement  de 
matière.  La  cnniplexiti-  matiTielir  appuie  l'imperfection  de  sa 
simplicité  et  lui  permet  de  se  dévelnpp(M'  et  (l'agir'. 

I<]n  résunu',  pour  Aristote,  le  fond  substantiel  de  l'être  maté- 
ri(d  n'est  pas  la  quantité,  mais  la  force  simple  ;  l'activité  imma- 
nente est  la  raison  et  le  principe  primogéniquc  du  eomplexns 
matériel:  sdii  (lé[)lacemenl  est  le  facteur  de  toute  génération, 
de  tdllte  plddllctidU  n(iUV(dle. 

Serait-ce  dès  lors  une  grave  erreur,  ne  serait-ce  pas  plut(~it 
une  iiécessil('  logique  de  soutenir  qu'en  dernière  analyse  l'être 
iiiat('ri(d  s'e\prK|iie  par  l'èti'e  simple,  pai'  un  iilsii>:  intime,  un 
clfort  organisateur,  postulant  un  élément  |)assif,  (]ui  lui  four- 
nira l'étoile  dont  il  se  revêtira,  les  formes  quantitatives  sous 
lesquelles  il  s'épanouira,  bref,  qui  l'aidera  à  constituer  l'atome"? 
Nous  sent(jns  bien  que  ces  termes  sont  trop  achevés  et  disent 
trop  pour  exprimer  cl  d(''nommer  ces  éléments  primitifs,  à  peine 
(■bauchés,  des  cboses  matéri(dles.  Il  faut  ([ii'un  ell'ort  de  pensée 
saisisse  les  nuances  et  supplée  à  l'indigence  du  langage.  En 
toute  question  de  genèse,  la  difticnlté  est  d'ailleurs  la  même. 
Les  mots  ont  un  sens  trop  précis  pour  rendre  rimpi-(''cision  des 

rudiments. 

Cela  bien  compris,  on  poni'rait  peut-être  essayer  d'un  rap- 
prochement avec  le  monisme  i(l('aliste  réaliste  de  Biran,  Ha- 
vaisson,  etc.,  selon  nous,  le  |iliis  près  de  la  vérité.  Le  monisme 
(•(incordiste  de  Henan,  Spencer,  Fechner,  oll're  le  grave  incon- 
vénient de  supposer  arbitraii'cment  une  substance  antinomique, 
inconnaissable,  ni  matière,  ni  esprit,  que  rien  ne  justilie.  De 
fait,  l'être  simple  on  l'idée  initiale  des  sjiiriiiialistes  rend  sufii- 
samment  conijite  de  tous  les  |)b(''nomènes...  à  deux  conditions 
toutefois.  D'abdi'd,  il  ne  faudrait  pas  contester  la  réalité  du 
mode  passif  (m'est  la  quantité,  et  son  irréductibilité  à  l'élément 
simple.  Cela  ne  peut  faire  l'objet  d'un  sérieu.v  désaccord  :  il 
est  manifeste  qmî  les  propriétés  de  la  quantité  sont  antithé- 
tiques au.x  ([ualités  de  l'énergie  simple.  Et  puis  l'irréductibilitc''- 


i;zi  Victor  REUMK? 

lie  la  ([iiaiitili'.  siin|ile  nioilalité  n'-eilo,  ne  conii)riiiii(>l  i>a> 
l'unité  monistiqno.  altomhi  que  la  quantité  n'est  pas  une  suli- 
slance.  Plus  de  bissuljstantialisme... 

Kn  outre,  et  c'est  la  seconde  condition  d'un  rapproeliement, 
l'identité  de  substance  no  peut  être  que  générique,  non  spéei- 
lique.  11  n'existera  que  des  substances  simples:  mais  il  faut 
que  des  substances  soient  s|)éciiiquement  distinctes.  11  serait 
évidemment  peu  philosopbique  de  ranger  sous  la  même  espèci-, 
par  exemple  le  moi  humain  et  une  force  pli\  sicjuc  ou  ciiimiqui', 
«'leclrique  (ni  lliermodynamique  ;  il  serait  peu  i)liilosophique 
de  prêter  intelligence  et  volonté  à  des  êtres  inorganiques  dont 
l'agir  ne  révèle  rien  de  pareil.  Il  faudrait  maintenir  la  diversité 
spécitique  dans  l'identité  générique. 

Celle  double  réserve  faite,  il  ne  nous  parait  pas  que  1  idéa- 
lisme léalisle  se  dislingue  beaucoup  du  monisme  péripaléticien, 
que  nous  avons  eX|)osé.  Ce  monisme  mitigé  semlde  offrir  de 
sérieuses  garanties  de  vérité. 

■  1  ('après  les  expériences  de  iKdbear,  dit  .M.  Sabatier  \ii/i. 
■cit.),  on  peut  considérer  comme  très  probable  que  les  propriétés 
,j)liysiques  de  la  matière  dépendent  absolument  de  la  tempéra- 
ture, et  que,  a>i  zéro  absolu  a-'est-à-dire  lii('ori(]uement  à:27(l"i, 
il  n'y  a  |dus  ni  liquide,  ni  solide,  ni  ga/,  et  ([ue  les  pro- 
priétés magnétiques  et  électriques  alteignenl  leur  niaxinium  : 
■en  tl'autres  mots,  que  ce  que  nous  ap|)elons  vulgairement  ma- 
tière est  ranuMU'  îi  un  groupement  de  tensions  dynamiques 
•considérables.  »  [Ht'viiP  j)/iilos.,  XLII.  —  Esstii  sur  l'Iiniinirlu- 
f'ilr,  d'après  M.  Vv.  I'ili.on.) 

L'importance  de  ces  expériences  n'échappera  à  pers(^inne.  Le 
-caractère  phénoménal  de  la  quantité  s'en  dégage  nettement. 
Une  fois  de  ])lus,  Aristote  a  raison.  De  |)ar  ailleurs  il  est  établi 
-que  le  bissubstantialisme  cartésien  est  antiscieutilique.  On  ne 
peut  désormais  s'y  arrêter  davantage.  Or.  toutes  les  objections 
-que  l'on  élève  contre  nous  se  fondent  sur  ce  que  nous  croirions 
à  l'union  de  deux  substances  complètes  accolées  ensemble. 
•Comme  on  vient  de  s'en  assurer,  ces  reproches  ne  nous  attei- 
gnent pas.  Noire  monisme  mitigé,  ou  dualisme  partiel,  est 
hors  de  cause.  A  l'instar  de  M.  llavaisson.  (juoique  dans  un 
sens  un  peu  dilférent,  nous  trouvons  l'immatériel  jusque  dans 


iM.M.vn.iiiM.ni:  i.r  m.\tei{i.\liti:  m:  lame  m  u.\l\i:       oT* 

]o  niali-ricl.  (]'o>t  ù  cause  de  leur  impertection  que  les  forces. 
immatérielles  élémenlaires  ont  besoin  d'un  support,  et  qu'elles 
revêtent  une  forme  matérielle  proportionnée  à  leur  imperfec- 
tion. .Mais  à  mesure  qu'elle  apparaît  plus  haut  dans  la  hiérar— 
cilié  des  êtres,  la  force,  la  forme  simple,  à  peine  ébauchée  dans 
le  corps,  va  se  développant,  s'alTermissant.  devenant  |dus 
intensive,  et  se  simpliliant  en  quelque  sorte.  L'union  avec  la 
matière  est  d(>  plus  en  plus  surérogatoire:  l'être  simple  devient 
de  plus  en  plus  autonome,  jusqu'à  ce  qu'il  s'épanouisse  dans 
la  pleine  immatérialité  des  substances  spirituelles. 

Avec  du  calme,  de  la  réflexion,  et  des  concessions  peu  im- 
liiirlanles.  il  est  parfois  possible  de  s'entendre  entre  adversaires 
di'clarés. 

Mais  quelque  accommodant  que  l'on  se  montre,  on  ne  saurait 
se  passer  d'un  Ihinlisme  relatif  et  partiel.  11  est  absolunnMil  im- 
possible de  ramener  le  (|uanlitalif  au  psychique.  Entre  les  deux 
l'hiatus  est  infranchissable  et  si  profond  ! 

Force  est  au  philosophe  de  revenir  au  Dualisme.  .^1.  Hain  se 
prononce  catégoriquement  :  "  Il  reste  à  considérer  quelle  est 
ICxpression  qui  convient  le  mieux  à  cette  union  des  deux  na- 
tures distinctes  et  qui  ne  peuvent  se  ramener  l'une  à  l'autre.  » 
L'Espiil  cl  If  Corjis,  p.  ]:j.j.)  11  s'agit  de  l'Esprit  et  du  Corps. 
Plus  liant  il  avait  déjà  dit:  <■  t>s  deux  substances  ont  très  peu 
de  qualités  communes.  »  (P.  127.1  <•  Malgré  leur  opposilion 
e^scnlii'llp  ces  deux  ordres  de  facultés  se  trouvent  inséparable- 
ment unis  dans  le  même  être.  »>  (P.  i;i2.) 

Hier  encore,  dans  son  Essai  i/'iiiir  jiliihisojthir  niinn-llr  >-)iij- 
t/i-rri'  iiitr  1(1  Siii-iice  (.\lca.\.  1898  i,. M.  Eéonce  Ribert  proposait 
une  théorie,  qui  à  cet  l'^gard  ne  dilïère  pas  sensiblement  de  la 
théorie  péripatéticienne.  Les  principes  des  êtres  ne  sont  pas 
des  êtres  projjrrmenl  dits,  c'est-à-dire  des  réalités  achevées  et 
<i''par;ibles  :  ils  consistent  en  deux  éléments  distincts,  mais 
l'troitcment  unis,  nécessaires  l'un  à  l'autre,  impuissants  l'un 
sans  l'autre;  en  deux  natures  simplement  potentielles,  que 
([lie  leur  action  réciproque  est  seule  capable  de  manifester  par 
la  production  même  de  ce  qu'on  appelle  véritablement  des  êtres. 
Tous  les  êtres  doivi'iit  leur  (^xisl'^nce  an  concours  de  ces  deux 
principes  ;  il-^  tienni'iil  de  l'un  l'iinTlii'.  la  quanlili'  cl  tiuil  ce 


570  Victor  BKI'.MF.S 

qui  les  dilTéroncio  ;  ils  puisent  dans  lautre  l'activilc'.  la  qualité, 
et  toul  ce  qui  les  unit. 

Ily  aurait  lieu  sans  aucun  doute  de  eriliquer  eelle  lonception 
des  deux  êtres  potenliels,  que  lauteur  dit  rlre^  jtar  soi.  Pour  le 
moment,  bornons-nous  à  constater  un  Inuable  etTorl  jtour  i-eslau- 
rer  le  dualisme  traditionnel. 

11  le  faut  bien.  La  modalité  quantitative  est  une  modalité 
réelle,  qui  par  ses  caractères  concrets  d'empirisme,  de  particu- 
larité et  de  contingence  se  refuse  absolument  à  une  identitica- 
tion  quelconijue  avec  le  psycliismr  ininialériel.  aiistrait.  ^éné- 
l'al,  nécessaire,  spirituel.  (]e  serait  I  identilication  des  contraires. 


Il 


RAi'i'oisis   i:Miii.    1.  \i;ii\iri;   siMiim  i:i.i.i:   i:i    i,  \iii\ni:   matkiui:i.i,i-: 

m;   MOI 

Après  siinpliticalion  des  virtualités  psychiques  du  moi.  voir: 
donc  ce  que  nous  donne  l'analyse  des  éléments  irréductible> 
englobés  en  chacun  de  nous  : 

a)  D'abord  un  élément  psychique.  Kst-ce  une  substance?  Si, 
cimime  le  psychisme  animal,  le  psychisme  humain  n'avait  (jue 
des  opérations  communes  avec  le  co-principe  organique,  nous 
devrions  conclure  que  l'élément  psychique  est  bien  co-principe 
substantiel,  pas  substance,  ])uisque  absence  complète  d'actes 
propres.  Les  opérations  résulteraient  seulement  du  composé, 
non  de  tel  composant  particulier.  Le  composé  seul  serait  sub- 
stance. 

Dans  l'espèce  nous  devons  tirer  d'autro  conclusions.  Toul  le 
démontre,  le  psychisme  humain,  outre  des  opérations  com- 
munes, a  des  opérations  propres,  dans  lesquelles  l'organi>mi- 
n'inl(M-vient  qu'à  titre  d'objet,  de  condition  antécédente,  conco- 
mitante ou  conséquente  ;  de  ce  chef,  notre  psychisme  supérieur 
est  donc  principe  particulier,  indépendant  et  permanent  d'opé- 
rations propres  :  c'est  une  substance. 

Notre  conscience  psychologique  ou  réflexe  peut  nous  fournir 


iMMxn^iiiMiri:  v.T  M.vïi.uwuTi:  he  i:.\mi:  m  mm^f.       ■;-.- 

im  nouvel  ari;umcnl  ù  l'iippui  di-  cotte  tlièso.  <  »n  n"a  pas  ou- 
lilié  que  n()lre  conscience  mentale  est  cette  faculté  que  possède 
notre  raison  de  se  rétlécliir  sur  ello-mcme  pour  se  contempler, 
s'étudier  ilans  ses  opérations  et  ses  divers  états.  Or,  la  con- 
science dite  physiologique  n'est  pas  susceptible  de  réllexion. 
au  sens  propre  du  mot.  Elle  perçoit  bien  de  fa(:on  en  quelqui> 
sorte  directe  actions  et  passions,  plaisirs  et  douleurs  ;  elle  ne 
se  dédouble  pas,  ne  se  rélléchit  pas  sur  elle-même,  ne  s'analyse 
pas.  La  matière  entre  dans  son  intime  constitution,  et  la  ma- 
tière est  impuissante  à  se  dédoubler,  à  se  rétlécbir  intégrale- 
ment sur  elle-même,  à  s'objectiver  pour  se  percevoir.  Notre 
conscience  supérieure,  notre  nu^ntalité  est  capable  de  réllexion; 
donc  elle  émane  d'un  principe  immatériel  et  spiritmd  qui  agit 
indépendamment  de  tout  composé,  qui  s'a|ipartient,  qui  est 
substance. 

b)  L'analyse  du  moi  nous  donne  encore  un  élément  somati(|ue. 
principe  quantitatif,  passif,  étendu,  qui,  nous  venons  de  le 
voir,  s'olTrc  comme  une  réalité  modale  et  substantielle,  conna- 
turelle  à  des  énergies  simples  trop  rudimentaires,  trop  impar- 
faites pour  subsister  isolément.  Comme  le  dit  M.  Riberl.  ce 
n'est  pas  un  être,  c'est  une  éltauche,  un  commencement  d'être: 
ce  n'est  pas  une  substance,  c'est  un  co-principe  substantiel.  Il 
n'a  que  les  actes  du  composé,  car  il  est  dépourvu  de  toute  acti- 
vité propre.  Il  n'est  donc  pas  principe  perniiment  et  indépen- 
dant d'opérations  :  il  n'est  pas  substance. 

(  i  Kntin  notre  inventaire  du  moi  nous  met  en  présence  d'un 
complexus  intégral,  qui  constitue  l'individu  humain  et  qui  est 
le  moi  total,  suprême  synthèse  du  psychisme  et  du  soma- 
tismc. 

Nous  savons  que  nous  sommes  composés,  et  nous  nous  sen- 
tons des  unités.  L'unité  du  moi  intégral  est  un  sentiment  pri- 
mitif. Nul.  s'il  n'est  malade,  ne  prit  jamais  le  change.  !>a 
subordination  de  nos  pouvoirs  intérieurs  à  notre  liberté,  de 
l'organisme  à  la  raison  suffirait  à  montrer  l'unité  réelle  d'orga- 
nisation et  de  coordination  entre  les  éléments  divers,  qui  consti- 
tuent le  moi.  Nous  avons  conscience  de  notre  unité  comme  île 
notre  activité  et  de  notre  libei'té.  l'^tudions  le  moi  psychique 
■dans  ses  relations  avec  le  moi  matériel. 


;;-;8  Victor  BERMES 

A  démonter  pièce  à  pièce  lèlrç  humain  pour  sci'iiter  soit 
intime  composition,  nous  avons  ([('•couvert  et  mis  à  part  (Jeux 
constitutifs  essentiels  et  irréiluctililes  :  minimum  de  principes 
absolument  indispensable  à  l'explication  de  nos  pouvoirs  et  de 
nos  (^tats.  Notre  psychisme  rend  compte  de  nos  (?tats  de  con- 
science; le  soniatisme  rend  compte  des  événements  matériels, 
l'sychisme  et  somatisme  s'unissent  dans  un  même  moi.  pour 
constituer  un  nK'-me  agent  et  coopérer  aux  nu^-nies  lonctions- 
psycho-organi(jues.  Ils  turnicnt  ainsi  un  même  moi  que  nous 
avons  appelé  le  moi  intégral  et  qui  embrasse  tous  nos  élé- 
ments constitutifs.  Xous  avons  la  perception  très  nette  que  par 
leur  union  ces  éléments  divers  concourent  à  ce  résultat. 

De  cette  union  nous  avons  également  la  perception  très 
nette,  en  tant  que  fait.  Nous  sommes  en  peine  dès  (|u"il  s'agit 
de  i'('xpli(|ner.  Une!  est  \o  lien  qui  rattache  l'un  à  l'autre 
l'espiit  et  le  corps?  (irande  question  et  pleine  de  li'nèbres. 
A-t-on  ass;v.  cherché,  assez  jiroposé  de  solutions!  le  mystère  ne- 
cesse  pas  d'étendre  son  ombre  sur  le  facteur  de  cette  unité. 
L'union  est  certaine;  cela  suflit.  Les  plus  avisés  en  prennent 
leur  parti. 

On  présumera  néanmoins  que  nous  inclimms  vers  l'explica- 
tion péripal(''ticienn(>  par  l'union  substantielle.  .Nous  avons, 
conscience  que  \o  moi  implique  unilé  (h'  centre  d'allrilxitinn, 
(b)nc  unilé  (h'  suiistance  (■omj)b"'le  :  d'ofi  nécessité  de  conclure 
à  l'union  de  tous  nos  éléments  dans  une  même  substance.  En 
d'autres  mots,  nos  constitutifs  essentiels  se  compléteront  pour 
constituer  une  substanlialité  unique.  Ils  se  compénètrent  et  se 
fusionnent  de  nmnière  à  ne  former  (|u'un  seul  tout  analogue  à 
celui  que  forment  les  deux  co-jirincipes,  matériel  et  formel, 
tlans  la  Ihéoiie  d'.Vristote  sur  la  composition  des  corps.  Telle 
la  ciiopéraliou  des  deux  éléments,  psychique  et  somatique,. 
dans  la  substantialisation  physique  du  moi  intégral. 

Kt  les  faits  sont  favorables  à  cette  interprétation,  d'après- 
laquelle  le  psychique  est  la  forme  du  corps.  Xous  parlons  des 
faits  psycho-organiques  ou  des  opérations  mixtes,  qui  présen- 
tent le  double  caractère  de  la  matérialité  et  du  psychisme.  Dou- 
ble caractère,  et  pourtant  opération  unique!  D(>  même,  double 
principe  substantiel  pour  rendre  raison  de  ce  doulde  caractère,. 


niMATr.lilALITK  ET  MMiniM.ITi:  DK  L.l  l/K  l\\  MMSF.  li.O 

■ol  }iiiurtaiil  siilislaiicc  iiiiii|iir.  (Jimi  de  plus  li>gi([iii'  et  de  plus 
ralionnol?  l/uii  dos  principi's  confère  à  l'acte  la  simplicité,  la 
vitalité,  la  sensiliilité  ;  l'autre  lui  eonfère  la  quantité,  l'étendue, 
la  matérialité.  iMicore  une  lni>,  (lUdi  de  plus  concordant  avec 
les  faits?  .Mais  la  mulliplicilé  ^U'  principes  ne  purle  pas  atteinte 
à  l'unité  de  sulistance,  pas  |)lus  iju'à  l'unité  «l'opération. 

S'il  n'v  avait  dans  l'iiomme  ([ue  vitalité,  aciivilé  psyclio-piiy- 
siologique  et  sensation,  l'icn  (|uo  des  opératiims  mixtes:  si  les 
virtualités  du  composé  épuisaient  son  fonds  d'énergie  substan- 
tielle: si  les  deu.v  éléments,  tels  que  nous  venons  de  les 
décrire,  constituaient  les  limites  de  l'être  humain;  si,  en  un 
mot,  ces  deuv  éléments  ainsi  proportionnés  et  rivés  l'un  à 
l'autre,  épuisés  l'un  par  l'autre,  si  ces  deux  éléments  expli- 
quaient le  moi  intégral  el  tmis  ses  pliénomrmes,  il  n'y  aurait 
pas  lieu  de  cdiercher  davantage.  Ils  apporteraient  un  égal 
■concours  à  la  substantialisalion  du  moi.  .Nous  aurions  un 
agrégat  substantiel  dont  l'unité  s'imposerait,  alors  même  que 
nous  n'aurions  pas  la  pleine  lumière  sur  le  lien,  sur  le  facteur 
de  cette  unité.  Substance  ni  l'un  ni  rautrt\  puisque  ni  l'un  ni. 
rautr(^  ne  constituent  isob'nient  un  principe  complet  d'opéra- 
tions, puis([u'ils  sont,  d  ailir'urs.  iniiérenls  l'un  à  l'autre, 
ipsychisme  et  somatisme  devraient  ccpcndaiil  être  considérés 
comme  des  éléments,  ou  plus  précisément  dos  co-principes 
substantiels.  C'est  en  toute  raison  que  l'Ecole  les  a  appelés 
des  substances  incomplètes,  rationt'  siibatanlinlilath. 

Les  choses  ne  se  passent  pas  ainsi  dans  l'homme.  Tandis 
que  le  jirincipe  psychique  envahit  l'organisme  piuirlui  infuser 
['('•norgio,  la  vii-,  la  sonsiljilih',  il  e.verce  en  des  régions  supr.i- 
-cnsililrs  (il-,  opérations  dans  lesquelles  la  matière  n'a  pas  de 
|iarl  directe:  elle  no  s'y  rattache  tout  au  plus  qu'à  titre  Je 
condition  objective  ou  concomilanli'.  (!e  sont  les  opi'ralions 
mentales. 

En  conséquence,  s'il  est  vrai  de  dire  que  dans  notre  activité 
psycho-physique,  dans  la  vie  et  dans  la  sensation,  ainsi  que 
•dans  le  composé-  lui-même,  le  piàncipo  somatique  concourt  à 
l'opération  el  à  la  substantialisalion  du  moi  dans  la  mesure, 
sinon  au  même  titre  que  le  principe  psychique  et  simple,  il  est 
-aussi  exact  d'ajouter  que,  dans  l'exercice  de  la  pensée  et  de  la 

3(i 


;.8"  ■     Victor  RKUMKS 

liliorté.  lo  |)syc■lu^m(■  trahit  ilos  riiorgios,  qui  (uitropassenl  ht 
matière  et  ôtondenl  la  subslaTilialit(''  du  moi  hit'u  au-delà  do 
l'organisme  et  du  monde  physirpie.  .Notre  nientaliti'  conl'ère  au 
moi  une  sulislaulialili-  plus  large  (jiu-  la  suhstanlialilé  mixte 
de  l'organisme,  uni'  -ulisLautialilé  qui  va  se  déployant  dans  le 
monde  des  esprits. 

Kt  c'est  pourquoi  noire  p>y(lii>mc  n'est  pas,  comme  notre 
soniatisme,  une  substance  incomplète,  intinnc  siih^lriulid/ilatis. 
11  est  plus  et  mieux.  Il  constitue,  par  ce  Init  (|u'il  i's(  priuii|)e 
■^uftisant.  intrinsèquement  ind(''peudanl  d'opi^ralions  jiropres, 
rr  (|ue  l'on  a  dénouMUi''  une  siilistauce  incnniplètc,  riiliinw 
.^pciiri.  Ue  soi  elle  <'sl  complète  :  elle  n'est  incomplète  que  par 
rapjiort  à  un  liut  (''tran^cr  à  son  être  absolu,  qu'en  vue  de  réa- 
liser telle  lin  autre  que  son   i-xislence.  Nous  nous  expliquons. 

Les  matériaux  d'un  édifice  sont  en  eux-mènics  des  substances 
complètes;  ils  ne  sont  incomplets  que  par  rapport  à  l'édilice  en 
projet.  De  même  notre  psychisme  est  en  lui-même,  l'activité 
mentale  ru  lait  foi,  une  substance  complèti'.  Il  a  tout  ce  qui 
i-onstitne  la  suljslatitialité  :  actes  |H-o|in's,  uniir-  cl  [lermancnce,. 
iion-iuliérence  en  tant  (|ni'  menlalité  et  liberté.  Avec  son  fonds 
<le  réalité  transcendant(%  notre  psychisme  a  donc  tout  ce  qu'il 
lui  faut  pour  fonder  une  substantialité  autonome,  suréminente 
et  siii  (/t'iicris,  capable  de  se  suffire;  une  substantialité  jouis- 
simt  d'une  vie  à  elle  propre,  bien  qu'en  incessantes  commu- 
nic-ations  avec  la  \  ic  mixlr  du  composé.  Comme  être  i-éel.  comme 
<'!ipril,  comme  substan<'e  individuelle,  le  moi  mental  se  suffirait 
donc,  il  tiendrait  debout  sans  a]qiui  nounn'-nal. 

jMais  pour  la  beauté  de  l'ensemble  et  pour  lelier  les  deux 
m(indes  de  la  matière  et  de  la  pensée,  il  doit  exister  im  être 
inti'rmédiaire,  qui  soit  à  la  fois  esprit  et  corps.  C'est,  l'homme. 
A  (Constituer  cet  être  d'espèce  particulière,  à  foi'mer  rh(imme  il 
est'jciair  que  l'esprit  ne  suffit  pas;  la  matière  doit  intervenir. 
De  hoi  l'esprit  serait  substance  complète  ;  il  ne  sera  incomplet 
qu'iui  vue  de  constituer  cet  être  de  nature  si  spéciale,  l'homme. 
Substance  incomplète  ratione  ajti'cici. 

\À  moi  intégral  enferme  donc  deux  vies,  ([ui  se  développent 
parallèlement  :  la  vie  psychique  pure  et  la  vie  mixte  du  com- 
jios!-;  [('après  cela,  il  doit  semIdiM' qu(^  le  moi  total  implif|uera 


/.w.w.i ■/■;■:/; /-u./ri-:  i:r  \i  \ri:i;iM.iTi:  /»/■:  lmi//-:  m  \im\e       ".si 

<ltHix  d'iilivs  (rMlIriliuliiui,  (It'iix  sulistanlialilc's,  iUmix  moi  :  le 
moi  mixli'  iln  coniposé  psycho-organiqiio  cl  lo  moi  transcen- 
dant do  l'esprit.  l{cconnaissons  tout  do  suiie  i|uo  la  chose  ne 
serait  pas  impossible.  .Nous  ne  voyons  pas  d'impossibilité  à  oc 
qu'un  esprit  soit  emprisonné  dans  un  organisme  vivant. 

Toutefois,  nous  avons  dit  pour  quels  motifs  nous  no  pouvions 
accepter  colle  hypothèse,  qui  fui,  on  le  s;iil,  inio  idée  ciière  à 
i'hilnii  cl  à  Descartes.  Nous  naduieltuns  (in'iiii  seul  principe 
psvchiquo,  et  c'est  ainsi  qu'il  nous  est  i'acile  de  lourner,  disons 
mi(Mi\,  de  supprimer  la  diflicuUé  d'une  double  substanlialilé, 
d'un  double  moi  complot,  el,  partant,  d'une  unité  furluile  ol 
accidentelle  entre  les  éléments  de  la  personnalité.  Essentielle- 
ment et  subslantiellemcni,  c'est  lo  môme  principe  qui,  en 
vertu  do  ses  multiples  virtualités,  joue  à  la  fois  lo  rôle  de  co- 
principe  psychique  dans  lo  composé,  et  lo  ride  di^  principe 
autonome  dans  les  opérations  iuloll(>cluelles. 

Cotte  unité  du  principe  psychique  explique  ou  mémo  temps 
et  l'unité  substantielle  du  moi  intégral  et  les  mutuelles  rela- 
ti(ms  du  uiui  psychique  pin-  el  du  composé  psycho-piiysio- 
logique. 

Nous  accoi'dorons  encore,  si  l'on  veut,  (jn'il  y  a  virUndlo- 
unMit  deux  suiislantialités  dans  le  moi  on  ce  sens  que  esprit  et 
composé  mixte  pcnirraiont  à  la  rigueur  subsister  séparénieiil, 
nous  venons  de  l'indiquer.  En  fail,  il  n'y  a  ([u'uuo  seule  sub- 
stantialité,  parce  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  principe  psychique,  à 
la  fois  esprit  et  co-principe  simple  dans  lo  psycho-somatisnie. 
Au  total  et  après  simplilication,  nous  avons  donc  lo  co-priu- 
cipe  somallqiu',  substance  incomplète  rfi/iiiiif  siibs/aii/iali/a/is ; 
et  le  psvchismo,  tout  ensemble  co-principe  psychique  de  l'nr- 
ganisnu\  (''gaiement  incinuplol  ralioiir  siihsictiilialilatis,  ot  jirin- 
cipe  absidu  indépendant  d'inlolloctualilé  ot  do  volonté,  incnm- 
plot  seulement  l'ationr  s.pc(ii'i. 

(les  deux  éléments  s'agglutinent,  se  compénèlront,  s'unilicul 
de  manière  à  ne  consliluor  plus  qu'uni-  subslantialilé  rr'clle, 
acluidlemenl  unique,  iiieu  (|ue  virluollement  double,  loi  b- 
végétal  ou  l'animal  en  composition  avec  l'élémonl  iuorgaiii(|ue. 
Dans  la  vi(>  ou  dans  la  sensation,  l'analyse  peut  distinguer 
doux   un  [ilusiours  séries  do  phénomènes   avec,  chacune,    un 


58-J 


V.cTOii  BElîMES 


contre  parliculior  (rallrilmliniis  d  iroiiéralion;-  :  coi'ji^.  ((.■iitrc 
(les  pliénomc-nos  quiinlitatils  :  jirincipo  vilal.  ct'iitir  des  phé- 
nomènes Ijiologicjues.  etc.  En  réalih''.  nue  senle  suhslanee. 

A  signaler  ponrlanl  une  (jifl'érence  essentielle  :  les  centres, 
flont  il  vient  d'être  parlé,  sont  rivés  à  la  matière  et  sont  inca- 
pables de  vivre  indépendants,  (l'est  le  contraire  pour  le  j)sy- 
chisme  pnr  et  autonome  ;  et  néanmoins  l'unité  substantielle 
est  la  même,  parce  que  le  même  principe.  (|ui  à  certains  égards 
vit  indépendant  de  la  matière,  remplit  à  d'autres  égards  le 
j'ùle  de  cip-principe  organique. 

Voici  donc  à  peu  près  le  s(lièmi\  qui  nons  montrerait  ce 
double  aspect  du  princi|)e  psychique  et  qui  exprimerait  symbo- 
liquement ses  relations  avec  le  cor()s  : 

1"  <i  a'  Psychisme  indépendant  et  transcendant,  auto- 
nome et  spirituel  ':  intelligence  et  volonté,  substance 
complète  en  soi  et  se  suffisant:  incomplète»  seulement 
rdlioiif  sprcifi,  en  tant  qu'elle  doit  eiiiitrii)Mi'r  à  iormcr 
rimmine.  Opérations  (^ssenliellenicnl  indépendantes  de 
l'oiganisme,  bien  qu'objeeliM'ment  elles  puissent  en 
relever,  dans  ce  sens  (|iie  la  coopération  organicjm' 
peut  èlre  [lour  (dles  une  condition,  un  nceompaguenKMit  nt''ces- 
saire. 

l'"  ti'  d"  Snbslantiaiité  iiitiMieure  et  mixte,  imi)liquanl.  eonimc 
d(  iible  CCI-principe.  lOrganisme  et  le  psycliisnn'  iniV'rienr. 
lieux  él('nu'iil>  <]ui  se  complèt(Mit  ralionc  siihsliinliahlalis. 
Im[)uissants  à  subsister  l'un  sans  l'antre,  ce  ne  sont  pas  sub- 
stances distinctes,  ce  sont  co-priiieipr-  subslaiitiids.  ou.  si  l'on 
préfère,  substances  incomplètes  rallouf  ■'n/is/nn/id/i/afis. 
(lonime  tels  ils  forment  un  seul  tout,  un  seul  principe  complet 
d'action,  de  vie,  de  sensation. 

3'  a  a  a"  Une  seule  et  même  réalité  psychique,  ilonl  l'unili' 
explique  l'unité  du  moi  humain.  Inité  substantielle.  Inen  (]ue 
le  psychisme  soit  à  la  fois  substance  de  soi  complète  comme 
élément  spiiituel.  et  substance  incomplète  dans  le  composé. 
Encoi'e  un  coup,  la  substance  psychique,  actuellement  et  réel- 
lement une,  joue  le  rôle  d'une  substance  virtuellement  double, 
l'ar  sa  double  fonction  et  sou  identité,  le  psychisme  est  le  lien 
qui  fonde  l'unité  substantielle  dans  l'homme. 


ju.i/r/7: KM ;./•;■/■:  i:t  mmeiiimate  he  lame  m  maim:      00:1 

(lo  sérail  peut-èlro  le  eus  ilo  rochorcher  dans  quelle  mcsiii'c 
l'élémcnl  psychique  conlV-re  Taelivité  à  l'organisme.  Doil-il  èlre 
considéré  comme  l'arlisan,  comme  l'arcliilecte  de  noire  sonia- 
tisme?  KsI-il  forme  de  corporéité?  Nous  le  pensons  conlre  Scol. 
i!empla<'e-l- il  par  ses  énergies  propres  les  l'orces  |)l)ysico-clii- 
miques  iuliérenles  à  chaque  alome?  Queslion  loule  nouvelle, 
qui  n'a  pa-^  dû  préoccuper  nos  ancèlres  !  Oueslion  d'ailleurs  dil- 
iicilc  et  forl  complexe,  que  injus  laissons  à  de  plus  haijiles  le 
soin  de  résoudre,  si  lonlefois  on  peul  sorlir  ici  du  domaine  des 
suppositions. 

Pour  le  moment,  nous  devons  retenir  que  le  moi  inlégn+l  se 
i-unlond  avec  ses  conslilulils.  Il  n'est  qu'une  intégration  suli- 
stantielle  (le  ses  éléuKMits  esseutiels.  l'ai'  le  fait  de  leur  grou- 
pement, de  leur  fusion,  de  leur  consolitiation ,  ces  éléuKMits 
forment  une  synthèse  indépendante  et  suhslantielle  ;  comme 
tels,  ils  deviennent  centre  d'attrihution,  d'action  et  de  passion. 
Voilà  précisément  ce  qu'il  advient  du  groupemcnl  en  un  seul 
moi  du  psychisme  et  ilu  somalisme.  Us  forment  un  tout  siiii- 
stanliel  <'l  glohal  dont  la  ivalité  n'est  pas  autre  que  la  réalité 
<les  composants. 

Tel  est  le  centre  général  d'attrihution,  le  moi  total,  qui  en- 
globe et  syulhétise  tous  nos  événements  et  toutes  nos  énergies 
dans  sa  vivante  suhstantialilé,  auquel  tout  se  réfère  et  qui  im- 
pose à  noire  èlre  toul  entier  son  infrangible  unité.  l'our(|u'ils 
cessent  d'être  uuiliés  eu  lui,  il  faudra  que  tels  ou  tels  de  nos 
évé'nemenls  ou  tle  nos  éléments  nous  soient  arrachés  violem- 
meiu. 

Si  nous  arrêtions  là  nos  iuvesligations,  nous  aurions  oblenu 
un  moi  qui  ne  se  distinguerait  pas  seiisiblemeuL  des  substances 
complètes,  organiques  on  non,  dont  nous  sommes  envirouu(''s. 
l'ius  complexe,  plus  étendu,  si  l'on  veut,  mais  en  dernier  res- 
sort constitué  par  une  même  substantialité,  comprenant  psy- 
chisme et  somalisnu',  âme  et  corps,  dans  sa  féconde  unité. 
(Centre  général  datlribnliou  avec  deux  séries  parallèles  de  piu'- 
nomènes  ayant  leurs  centres  particuliers  dans  le  moi  psychique 
supérieur  et  dans  le  composé  psycho-organique.  Ces  deux 
centres    particuliers    sont    évidemment    subordonnés,    cdinnir 


ysi  Victor  IiKl!Mi;s 

suhslam-t's  inconiplMcs.  ;'i  la  syulhi'si'  iiil(''i;ralc  du   iiioi   lolal. 
rs'oiis  avons  dil  commcul. 

]\lais  voici  (|iu'  dans  le  complcxus  luimain  va  se  l'aire  joni-  un 
pliénonnuie  sans  précédent  et  sans  équivalent  au  sein  du  monde 
ompirique.  Dans  ce  quil  est  jierniis  (Tappeler  le  prolongement 
spiriiuid  ci  Iranseendant  de  son  être  organique,  le  moi  con- 
seienl  \a  exei'cei'  son  activité  supérieure,  inlelleclualilé  et 
liherlé. 

A  ce  jet  de  luuii'-re,  il  va  sembler  que  tout  es!  changé,  que 
le  moi  va  se  ci'éer  un  ;ixe  nouveau,  se  polariser  en  quelqin- 
sorte  dans  notre  mentalité.  Dés  que  la  raison  et  la  lilierlé  lonl 
irnfjilion  en  nous,  l'une  pour  éclairer,  laulre  pour  diriger  l't 
mou\oir\  loules  deux  jiour  régner,  pmii"  porter  une  même  cou- 
lunne  et  un  même  sceplre.  le  moi  |)sycliique  acquiei'l,  de  par 
sa  transcendance  et  les  service  qu'il  peut  rendre,  nue  prépon- 
dérance incontestalde.  sinon  incontestée.  Les  inclinations  psy- 
<dio-organi(|ues  |)ourronl  se  mutiner,  ronger  le  fi-ein.  Finale- 
nu'ni,  elles  devront  plier  ci  l'econnaitre  raulorilé  supérieure  de 
plus  loi!  (ju'elles.  Notre  meulalilc'  deviiml  pr(''doiiiinanle  :  elle 
s'attriliue  le  gouAcrnenu'nl  du  moi  in!('gral  ;  (die  l'onde  ainsi 
notre  personnalité.  .his(|u"à  préseul,  nous  nous  iHions  trouvés 
on  face,  d'une  substance:  désormais,  c'est  la,  |)ersonnalilé  qui 
apparaît. 

De  fait,  la  pers(miu>  morale  et  conscienle,  t(dle  (|ue  nous  l'en- 
ItMidons,  n'est  et  ne  saui'iiit  être  (|u'nne  substance,  en  tant  que 
raisoniiabli'  cl  I ibi'e. 

VA  c'est  précis('ment  la  |)ersouualité  qui  dépossède  la  sub- 
stantialité  psyciio-pliysiologique  de  la  propriété  de  ses  l'onc- 
lions  libres  pour  s'en  investir,  ou.  plulôl,  pour  en  investir  le 
moi  global  qui  embrasse  le  composé  organique  el  ce  moi 
psycliiqiu'  supérieur  dont  en  réalité  il  ne  se  distingiu'  pas. 

En  ell'el,  nous  l'avons  déjà  dit,  à  toul  prendre,  le  moi  intégral 
n'est  que  la  synthèse  vivante  et  substantielle  de  ses  éléments 
essentiels.  Le  moi  n'a  de  réalité  que  la  réalité  de  ses  constitu- 
tils,  et  chacun  des  constitutifs  se  comporte  vis-fi-vis  de  lui 
<-ommc  la  partie  vis-à-vis  du  loul. 

Le  moi  total  englobe  donc  l'élément  psychique  et  se  con- 
fond avec  lui.  C'est  \r,\r  le  psychisme  supérieur,  par  la  menta- 


i\i\i.\ri:i:j MATE  i:r  m  \ri:ni mate  de  lame  ni  \im\e       :-.s'i 

lité.  qu'il  csl  porsoniic  niorak'  flconscioiilo.  Oiioi  do  siir|)roii;inL 
à  ce  quil  i-ipporlc  loul  ù  hii-niômo  sous  cotto  formalité  de  moi 
psyflii(|uc.  d'Aiiii'.  de  pi'rsoiiuf  inlolliiicnlc  cl  lihro'.'  Les  éli'- 
mciits  pli\  >iqiit's,  réels,  soiil  cniiime  l;i  maliérc  du  mui  syiilli '- 
liqiie,  lit  menl.ililé  en  csl  comme  la  fornu'  :  clic  canielérix'  h 
moi  ;  elle  en  fait  une  personne.  iMicorc  nn  coup,  rien  d'éton- 
nant <à  ce  que  dès  lors  tout  le  nnn  se  concentre  en  quelque  sorte 
dans  notre  mentalité,  que  tout  se  suhordonnc  et  se  réfère  à  idlc, 
qu'elle  soit  l'aboutissant  et  le  nu)teur  suprême  de  l'agrégat  que 
nous  sommes,  ('/est  dans  le  moi  psychique,  dans  la  raison  cl  l:i 
lilierlé,  (|ue  le  nmi  pi'eiid  conscieiirc  de  lui-m(~'mc.  de  ses  druils, 
de  sa  pri''(''miiicnce  :  c'est  gi'àce  à  lui  (|u'il  n'gii  et  domine  le 
composé  tout  entier,  qu'il  devient  pei'soiiuc  morale  et  sounie! 
tout  noli'e  être  à    un  ordre  doinK'. 

Nous  insistons  pour  liicn  (Haldir  les  relations  du  moi  intégral 
et  du  moi  psychique,  du  loul  et  de  la  partie.  (Jomme  le  tout 
ne  se  distingne  |)as  de  ses  parties,  ainsi  le  moi  intégral  du  moi 
psychique  on  de  l'àme.  Sim|demcnl.  le  |ircniiercsl  phi>  hu-i  , 
il  envelo]q)e  tout  l'agrégal. 

L'àme  s'identilic  donc  iivee  le  moi  tohil.  coninie  la  partie 
s'idenlilie  avec  le  loul.  Mais  le  moi  psyeliiijue  csl  un  fragment 
privilégié  :  c'est  en  lui  et  par  lui  que  le  moi  est  personne  liijre 
et  raisonnable  ;  aussi  est-ce  en  lui  cl  par  lui  que  le  moi  ghdial 
exerce  ses  droits,  qu'il  s(^  subordonne  loul.  se  lapporte  loul  et 
régit  en  maître  le  composé  hunuiin. 

Kn  fait,  c'est  un  seul  cl  m("'nn'  moi.  une  -eiile  cl  même 
réalité. 

De  nos  jours,  la  chose  ne  va  pas  sans  discussion.  |)an>  une 
lettre  ouverte  à  H.  .\venarius  (  PhlIdsDpliisrhr  MoïKilshrflc.  I.S'.tH], 
W  .  Schuppc  s'élève  contre  les  contradictions  cl  impossibilités 
du  «  réalisme  naïf  ».  D'après  lui,  ces  c.vtravagances  onl  ci' 
grande  partie  leur  origine  dans  la  suli^litulion  de  l'àme  au  moi, 
qui,  seul,  est  donné  jiar  la  conscience. 

II.  \\  illy  lui  répond  bientôt  après  (|ue.  |iour  lui.  ce  (|ue  Ion 
appelle  moi,  le  moi  scientili(|ue  en  (luehjne  >orle.  n'es!  pa>  auhe 
chose  que  l'individu  humain  lui-nuMin-,  à  coudiliori  que  l'un 
lienne  compte  des  relations  >[ir'eiales  avci-  les  autres  hommes. 
Avi'c  quelques  l'éscrve^.  nous  pensons  conunc  H.  W  illy. 


;;8C  Victor  HERMES 

[1  latil  idciililiiM-  l'ànic  vl  le  moi  gluhal  ;  mais  il  ne  iloil  pas- 
("•tre  question  iluno  idenlilication  absolue  ;  ce  serait  nier  le  corps 
et  sombrer  dallr^  Ikléalisme.  Dans  l'Ecole  on  n"a  peut-être  pas. 
parlé  assez  clairement  de  la  distinction  miln^  lame  et  le  moi. 
(hi  ne  la  ponilani  jias  an'^connue.  lanl  sCn  i'anl.  An  tond,  le 
moi  total  n'est  jtour  nous  que  ce  que  la  sulislance  on  la  per- 
sonne conslitnc'C  par  l'iuiion  substantielle  et  la  subsistance  est 
[)our  les  scolasliques.  L'ànie  est  l'élément  transcendant  et  ré^u- 
lateui',  la  /irrso/ind/isa/iun,  si  l'on  peut  ainsi  s'exprimer,  du 
composé  sidistantiel,  à  la  formation  duquel  elle  contribue  poni' 
sa  très  j;rande  |)arl.  (^onsliliiiit  el  ré^nlaleur,  le  moi  psychique 
devieni  en  (|iiel(|ne  ^crle  par  la  raison  cl  la  iilierli'  le  pivot 
central  du  moi  s\  nlliéli(|iie  :  le  composé  psyclio-oit;aniqui',  en 
vcrin  de  Innioii  subslanfielle,  n'est  pins  qn'uiu'  dépcnilance, 
nue  apparleiuince,  ù  laquelle  le  moi  psychique  est  préposé  et 
(|n'il  exploite  à  sa  conviMumce.  Bref,  le  moi  psychique,  sub- 
stance incom|)lèle  /-(ifloiir  sprciri,  mais  complète  nitiniii-  snô- 
slaiilialitdtis,  s'idenlilie  avec  le  moi  intégral  comme  la  partie 
avec  le  tout  :  mais  élénu'nl  privilégii''.  Iranscendanl.  l'alionmd. 
il  ])olarise  l'agrégat  hnmain  et  tons  ses  événements  qu'en  vertu 
du  lien  substantiel  il  s'altiibuf^  en  dernier  ressort,  (l'est  ainsi 
<(u'il  s'identilie  avec  II-  moi  synthétique,  qu'il  s'en  dillérencie, 
et  (|u"il  constitue  avec  lui  une  seule  personne  morale. 

Est-il  besoin  de  reparler  du  moi  psychologique  que  les  pln''- 
noniénistes  de  toute  nuance  s'ell'orcent  de  confondre  avec  le 
moi  ontologique  ? 

.\  les  entendre,  nous  n'anrions  conscience  qne  du  moi  psy- 
chologique :  or,  c'est  là  une  création  d(Miotre  raison,  une  iiTéa^^ 
lilé'  pai-  ccHisi'qnenl. 

Mais,  après  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  est  évident, 
croyons-nous,  que  le  moi  psychologique  n'est  et  ne  peut  ètr.e 
qu'iui  épiphénomène,  inie  traduction,  une  copie  de  nos  réalités 
psychiques,  et  qu'il  les  suppose  iiK'duclablcmeiil. 

X(Uis  conv(Mions  sans  ])ein(Mju'il  y  a  bien  ici  uni'  création  ra- 
tionnelle, mais  en  sens  invei'se  de  ce  que  prétendent  les  asso- 
ciationnistes.  (le  n'est  pas  le  moi  psychologique  ((ni  fonde  le 
moi  ontidogique  on  réid  ;  le  moi  psycliologi(|ue  émfirg:c  du  moi. 
ré(d  et   le  présn|ipo-;e. 


i}i.\t.\ri:iii.\LirE  i-:r  mmeium.ite  /»/•;  l.wie  m  \imm-:       :,nr 

Nos  contradicteurs  |nriiiii^iil  (■vidcmnii'iil  le  cliaiigo.  Koiir 
iiir|)ris('  l'ail  de  la  coiiiiaissancc  l(it;i(jiic  imc  r('alit(''  iiiilologiquc 
se  siit'lisaul  et  s'oxplifui.nil  par  cllc-nir'mc.  .Nous  avons  vu  que 
ccld'  |iosili(Mi  n'est  pas  Icnalilr  ;  (juc  le  moi  psychologique  ou 
[thénoménal  de  la  conscience  scuis-entend  invincildement  le 
moi  réel  et  substantiel,  comme  l'elVel  sa  cause,  le  phénomène 
sa  substance;  (|u"en  t'ait  nous  avons  conscience  de  notre  moi 
psyclii(|ue  cnunne  i'i''alil(''  vivaiile  et  agissanic,  principe  vivant 
i>t  agissant  de  ses  o|i(Tiil  ions.  Le  psychologisnie  n'est  olnc  peut 
être  que  le  dédonhleineni  introspectif  des  réalités  |>sychiques, 
t(dles  ([ii'riirs  ihmis  apparaissent. 

l'ar  l'association  on  ex|)lique  ires  bien  le  développement  pro- 
gressif du  moi  psychologique.  Comme  tel,  le  moi  logique,  n'é- 
taiil  (junne  photographie  mentale  de  notre  psychisme,  on  com- 
prend à  merveille  (|Me  l'accuniubi lion  des  pb(''nomènes  do 
connaissance  l'élende  et  le  dévelop[)e. 

L'associntion  explique  même  c"rtaine  extension,  certain  per- 
feeliomiemenl  des  puuxoii's  raeulhilil's.  Nul  ne  l'ignore,  la  ré- 
pélilion  des  actes,  consolidés  en  liaiiiludes,  conilense  l'énergie 
et  d(''V(do})pe  la  puissance.  A  ce  douide  point  de  vue,  l'asso- 
'•iiitionnisme  rend  parfaitement  compte  de  l'évolution  du  moi. 

T(d!e  n'est  pas  la  question.  Il  s'agit  de  préciser  :  oui  ou  non, 
les  plK'nomènes  de  connaissance,  l'apparition  origin(^lle  du  moi 
ps\(  liologi(|ue,  |)euvent-ils  s'expli(|U(>r  indé|)endiimm(Mil  ilumoi 
iiiiluldgique?  i.a  qnc^sliou  ainsi  posée,  il  ne  nous  semble  |)as 
que  la  réponse  puisse  être  douteuse.  On  aura  beau  faire  toutes 
les  suppositions  ;  imaginer  des  créations  incessantes  de  phé- 
nomènes sans  cause  ;  faire  appel  à  notre  ignorance  et  à  l'incon- 
scienl,  linalement  et  îi  jamais  toutes  les  dénégations  et  tous  les 
ell'orls  du  phénoménisme  viendront  se  briser  contre  le  sens 
comiunn,  (|ui  ne  peut  pas  vouloii'  de  phénomènes  réels  <<  sus- 
pendus entre  eiid  et  terre  i..  Li'  principe  de  causalité  et  de 
subslanlialilé  esl  trop  eni-acin(''  dans  les  prol'ondeui's  de  la  pen- 
S('e  huuniine  poiu'  (|ue  les  arguties  d'une  critique,  aussi  auda- 
cieuse (jn<'  siiblile,  jiuisse  jamais  le  inetti'e  racines  au  vent. 

(Judi  (jh'dii  ilise  cl  quoi  qu'on  fasse,  le  phénomène  impli- 
([uei-a  toujours  la  subslance,  l'elVet  la  cause,  le  moi  psycholo- 
gique le  moi  réel,  substantiel  et  [jersonnel,  qui   se  manifeste 


58S  Victor  lîEIl.MKS 

-dans  son  tictivilô.  (lohi  csl  |iliis  l'orl  (juc  tniil,  et  l'cxplicalion 
du  -.'}  fii-ri  iniliiil  du  niui  lugiquo  sans  la  vivante  réalité  tlii 
moi  ont(d(igiqno  sera  toujonrs  la  piciTo  d'arlioiipcmcut  de  las- 
sociationnisnu'  pliénoniéiiislc. 

l'ji  lin  de  compte,  nous  trouvons  donc  à  l'analyso  : 
rti  In  moi  psychologi(|n(',  snbslitui  cl  représentant  du  moi 
psychique  réel,  l'empreinte  île  sa  substance,  son  imat;e  de  lu- 
mière, son  aller  ('(jn  introspeclil". 

b)  Un  moi  intégral,  qui  synthétise  dans  son  unité  suhstan- 
ticlle  tous  nos  constilutifs  et  qui  eont'cre  tons  ses  tlniils  au  moi 
psychique  daus  leqiud  il  se  personniJic. 

c]  In  nuii  psychique.  (|ui  pcrsoniiilic  le  moi  tulal.  devient 
son  ayant  cause,  en  raismi  de  sa  transcendance  et  son  identili- 
cation  avec  lui.  Le  moi  lihre  et  rationnel  crée  la  pei'sonnalilé 
morale,  c'est-à-dire  la  pri-e  de  possession  île  tout  notre  être,  la 
mainmise  du  moi  psychi(|ue  suj)érieiir  sur  huis  les  éléments 
qui  nous  constituent  :  telle  est  la  genèse  de  la  personnaliti'' 
morale.  (|ui  réside  U\\\\  entière  en  ce  (|ue  par  la  raison  le  moi 
psyclii(|ue  percdil,  et  parla  lilierli'il  exer'cece  droil  de  propi'ii'dé, 
cet  empire,  celle  juridiclinn  (|ne  le  moi  intégral  a  sur  lui-même. 
.\olre  moi  meulal  poinia  di'sormais  à  s;i  guise  régir,  modi- 
lier,  mouvoir.  acIiNcr.  ri'primer  :  hurmis  certains  besoins  phy- 
siologiques, sur  lesquids  d'ailleurs  il  ne  sera  pas  son  iniluence, 
tout  en   nous  devra   s"iu(diner  dmanl    sim  aidorité  souveraine. 

Vmiur  HKMMH.s. 


LES   VALEURS   MORALES 


D'APRES    NIETZSCHE 


Ce  n'est  point  une  révélation  lie  Nietzsche  que  nous  appor- 
tons ;  c'est  simplement  un  aperçu  sur  un  point  spécial  de  sa 
(ioclrine.  Son  leuvre  est  encore  inconnue  en  France;  et,  mal^tré 
l'étude  très  sérieuse  de  M.  Lichtenbcrger  (1)  et  l'article  très 
-curieux  de  M.  Fouillée  [2),  l'auteur  du  Zaraf/im/s/ra  et  l'inven- 
teur du  Stirliomiiii-  est  encore,  et  restera  lnniitem|)s,  un  étranger 
pour  nous.  Est-ce  paresse  d'espril  de  noire  pari?  ou  plutôt 
n'est-ce  point  à  cause  d'une  secrète  prévention,  d'un  préjui^é 
de  déliance  ou  d'admiration  —  comme  vous  voudrez  —  ;  ou 
encore  parce  qu'il  y  a  entre  le  génie  allemand  et  le  génie  fran- 
çais, sinon  une  antinomie  irréductilde,  au  moins  une  impossi- 
bilité d'adaptation  dont  on  ne  semide  pas  assez  s'apercevoir? 
Je  l'ignnre.  Ouel  est  le  cerveau,  né  t'ran(;ais,  capable  de  donner 
asile  à  Inule  la  poésie  il'un  (loethe,  à  Y h'.'<ihrli<jiic  d'un  liégel, 
à  la  rêverie  profonde  et  sibvllique  d'un  S(  Impenbauer  ou  d'un 
Nietzscbe  ? 

Aussi  nour-  voudrions  simplemenl  jimidre,  dans  l'univre  de 
Nietzsche,  la  partie  la  plus  universelle,  la  plus  humaine  de  sa 
philosophie,  la  partie  morale,  c'est-à-dire  ce  qu'on  pourrait 
appeler  son  Élhi(iiic  ;  et  encore  ne  voudrions-nous  en  donner 
que  les  lois  fondamentales,  les  principes  sur  lesquels  doivent 
reposer  désormais  la  nioralilé  nouvidle.  Nietzsche,  d  ailleurs, 


I     i;r.    LiciiTrxoKiKîi.ii.    Ajiliorismes  cl   Fraf/ineitls  rifiisix  i/r  Sielzsrlie.    Paris, 
Ai-CAX,  18»9.  —  La  P/iilosupliie  de  Sielzscke.  ihid. 

,2i  Voir  lieime  (les  Deiix-Momlen.  l"  février  laOl,  la  lielif/wn  de  Slelzsc/ie. 


r;9o  alkert  lakontaim-: 


a  un  moL  heureux  |iour  désif^ncr  précisément  le  problème  (jui 
nous  occupe,  c'est-à-dire  la  critic|U(>  des  jugements  moraux  sur 
lesquels  repose  la  conduite  des  hommes  ;  c'est  ce  qu'il  appelle 
\'A/jjiiTci(i/lon  dt's  ralfiirs  iiinmlrs.. 

Hue  vaut  la  ntoniHlr  répancluc  painii  h'  niDiide  ?  <jue  vaut 
cette  consécration  de  la  bonli-  que  les  religions  et  les  morales, 
(jue  l'opinion  courante  et  les  dogmes  sacrés  s'accordent  à  donner 
à  certaines  actions  des  hommes?  Et  si, dans  cette  esti  nuit  ion  solen- 
nelle de  nous-mêmes,  l'iKunnu'  a  t'ait  de  lnul  lemps,  et  fait  sans 
cesse,  un  pei-pétnel  contre  sens,  qu(d!e  doctrine  nouvelle  di>n- 
ner  à  notre  ignorance  ymur  nous  assurer,  dans  l'avenir,  une 
garantie  de  progrès  sans  reculs,  d'éh'vation  réelle  et  cunlinue 
vers  les  sommets  ofi  tend  noire  destinée? 


1 


Nielzschi^  ne  se  dissimule  pas  (|ue  la  critique  de  la  moralité 
soit  un(>  leuvre  d'entreprise  audacieuse,  téméraire;  bien  plus, 
il  [lense  (|ii'('lli'  doit  èlre  une  ii'uvre  paradoxale,  car  il  pose  en 
|)rincip(>  (|ue  tous  les  jugements  qui  touchent  à  notre  vie  pra- 
tique m:'  sauraient  avoir  la  sérénité  hmiineuse  des  vérités  désin- 
téressées :  «  l.es  fausses  valeurs  et  les  paroles  illusoires  :  voilà 
pour  les  mortels,  les  monstres  les  plus  dangerenx  et  les  plus 
subtils  (h  »,  s'écrie  Zarathoustra;  il  faut  donc  que  celui  qui 
résolument  s'est  chargé  de  dénoncer  le  faux-mcmnayage  île  la 
moralité  s'arme  d'un  courage  supérieur  à  loule  l'picuve,  supé- 
rieur mèuR^  à  tout  mépris.  Il  faut  [lour  cette  luile  contre 
l'humanité  paresseuse,  et  par  là  même  souverainement  ii'rita- 
ble,  des  créatures  vaillantes,  généreuses  et  fières,  sachant 
tenir  (>n  bride  leur  cunw,  comme  leur  ranco'ur,  et  ayant  appris 
à  sacrifier  Ichu's  désirs  à  la  vérité,  à  toiilr  vérité,  même  à  la 
vérité  simple,  alfreuse  et  laide,  répugnante,  antichrétienne  et 
immorale,  <i  car,  ajoute  Niel/srhe,  de  telles  vérités  existent  (2)  ')„. 

Si  l'iKuiime  n'a  |)as  di'couvert  ces  véi-ités,  c'est  (|u'il  ne  les  a 


I  :   Ainsi  parlnll  Ziiftilhouslra.  ().  Ii(i. 
'2i  La  (iéiiculoi/ie  de  la  Morale,  \^.  2!i. 


I.ES    VM.KlliS    \lnl!.\Li:s  liOl 

jamais   rhm  hrr^,  (|u  il    Irs   ,1    hiiliii|||-s   murs  cl   (|iril   ii    Imijours 

lirôiV'n''  les  recevoir  que  de  s'en  oii(jii(''rir  :  Nous  ne  nous  con- 
naissons pas,  nons  qni  cliorciions  la  connaissance;  qni  s'occnpc 
<li'  la  vie.  qui  s'nrcnpc  de  sa  destinée?  Oiix  qui  disent  méditer 
leurs  lins  se  trompent  eux-mêmes  ou  se  laissent  tromper.  Xotre 
salutn'est  pointnotre  alTaire;  nous  n'vavons  point  nutrceo'ur,... 
ni  même  notre  oreille!  <<  Mais  plulùl,  de  menu'  (ju'iiii  liumnir 
rliviiii'mi'ul  disirait,  ahsorlté  en  lui-même,  aux  oreilles  lir  qui 
riiorldjic  vient  de  sonner,  avec  rajic,  ses  dou/.e  coups  de  midi, 
s'i'veille  en  sursaut  et  s'écrie  :  "  Ouelle  heure  vient-il  donc  de 
«  sonner?  »  —  de  même,  nons  aussi,  nons  nous  IVottons  parfois 
ies  oreilles  apri-x  coiii)  et  nous  nous  demandons  tont  étonnés  cl 
tout  confus  :  «  Que  nous  est-il  donc  arrivé?  )i  Mieux  encore  : 
«  Qui  donc  sommes-nous  en  dernière  analyse?  »  Et  nous  les 
recomptons  ensuite,  les  douze  coups  de  lliorloge  encore 
frémissants  de  notre  passé,  de  notre  vie,  de  notre  rire  —  hélas  ! 
■et  nous  nous  trompuns  dans  notre  compte...  (Test  que  fata- 
lement nous  demeurons  étrangers  à  nous-mêmes  :  nous  ne 
nous  comprenons  pas,  il  faut  (|ue  iKnis  nous  confondions  avec 
d'autres  '  I  i.  » 

Ce  travail  cyclupéen  (|ni  consiste  à  soulever  et  à  secouer,  d  \iii 
geste  magnilique,  toutes,  les  alluvions  de  la  croyance  ou  dr 
l'hahitude,  sous  li'S(|uels  meurt  la  llamme  humaine,  >iiel/.>che 
le  tentera  et  le  conduira  à  sa  lin  :  il  sera  le  nouvel  Hercule,  |)!us 
fort  et  plus  lenilde  (jue  i'iiiili(|iie  ;  il  \\\'  se  contentera  |)lu>  de 
porter  le  niondi'  sur  ses  ê|)aules  :  il  fera  éclater  l'univers. 
Comme  son  aïeul  Xietzschy,  le  nohle  l'olonais.  avait  le  [xmvoir, 
par  son  rria,  d'annuler  les  délibérations  d'une  assemhlée  tout 
entière,  lui  aussi,  Nietzsche,  formulera  désormais  son  relu  ;iux 
décisions  passées  ou  futures  de  l'humanité;  il  le  croil  du 
moins  :  <<  l^es  milliers  de  siècles  .à  venir,  dit-il.  ne  juieront 
que  d'ajirès  moi.  .,  Il  sera  l'Autechrisl.  espérance  et  ellroi  de 
l'univers,  celui  (jui  mettra  "  aux  fers  les  valeurs  fausses  et  les 
paroles  illusoires  ».  .Vssurénn'ut,  comme  aucun  des  sauveurs, 
il  ne  sera  com|)ris  :  nniis  qu'impoi'tc?  «  .\près-demain  seul 
m'appartiendra,  (Jiu:'lques-nns  naissi'ul   posthumes,  .le  connais 

'1    Généuloriif  île  la  Moriile.  Inlroiliiction. 


!;02  AtrERT  [.AKONTAIM-: 

trop  Ilicii  les  condilions  (|ii  il  laiil  i'i'';ilis<M' pour  nie  cniupii'iulro  : 
le  courage  ilu  IVuit  déteiulii.  I:i  |iré(lestination  ilii  l:ili\  rinthc. 
une  expérience  de  se|il  ~nliludes,  des  oreilles  nonvidles 
pour  une  musique  nouvelle...,  une  eonscienee  nouvelle  pour 
des  vérités  restées  muettes  jusqu'iei...  ('.eu.\-là  seuls  sont  mes 
lecteurs,  mes  véritables  lecteurs,  mes  lecteurs  prédestinés  : 
quimporte  le  i-este?  le  reste  nest  que  riiumanité.  Il  faut  être 
supérieur  à  riiumanid'  en  turce,  On  hauteur  dànn',  eu  mé- 
pris. " 

Nietzsche,  dans  une  jxiésie  toute  uonvelle,  joyeuse  et  amère 
(oui  à  la  l'ois.  i;randiose  et  liui'les(|ue.  nous  n  dépeint  ce  pas- 
sage futur  de  lui-nn"'ine  à  liii\crs  Ihunianité  surprise  :  c'est  lui 
le  Zarathoustra  mélancoli(|ue  et  superlie,  bouffon  de  génie,  Sau- 
veur méprisé,  conspué-  de  la  future  humanité,  qui,  à  trente  ans, 
([uide  sa  |>atrie  el  le  lac  de  sa  patrie,  ])onr  s'en  aller,  dans  sa 
monlagne.  jouir  de  son  e>prit  el  de  sa  solitude,  loin  des  hommes, 
ii'ayant  pour  réconfort  que  la  pâle  lumière  du  soleil,  passant 
en  sil(>nce  sur  le  seuil  de  sa  caverne:  pour  consolation,  que  /i/i, 
son  «////'■  el  ^(111  s/-r/irii/,  c'esi-à-dirc  sa  pensée,  son  mépris  et 
sa  [lerspicacité.  l'ui-;  nu  joui-,  dégoûté  de  cette  sagesse  égoïste 
et  solitaire,  comme  rabeille  (|ui  a  amassé  trop  de  miel,  il  sent 
le  besoin  de  donner  et  de  distribuer,  le  besoin  de  serrer  des 
m:iius  qui  se   ti'UiIenl  cl  de  prêcher  sa  docli'inc. 


Il 


Ni«4/sche,  comuu^  Scinqtenhauer,  comme  tous  les  révolu- 
tionnaires de  la  pensée,  a  comuKMicé  par  vivre  son  œuvre  avant 
de  ['(''crire.  Tous  ces  conlcmpteui's  ont  él('',  sinon  cosmopolites, 
au  moins  tourmenli-s  mi  vagabonds,  coiinMirs  de  monde,  de 
livres  et  de  civilisations.  Nielzsche,  originaire  de  Hôcken.  passe 
sdu  enfance  à  Naumburg,  l'Iiidic  à  Sehulpforta,  dans  l'atmo- 
sphère des  souvenirs  laissés  ])ar  Klopslock.  l'icble,  Schlegel  et 
Hanke  :  il  se  livre  aux  études  de  la  musi(juc.  de  la  littérature. 
se  fixe  pour  quelque  temps  dans  la  philologie.  Il  passe  de 
Sehulpforta  à  l'L'nivcrsité  de  Bone.  puis  à  Leipzig.  Pendant 
dix  ans.    il  |irofesse  <à  Râle  tout  à  la  fois  la  philologie  et  un 


Li:s  VALEtliS  M(in.{LE.^  5'.I3 

cours  supi'Tioiir  do  la  laiii;iu'  !;n<cqiio,  ne  quittai) I  sa  rliaiic  (|iii' 
pour  sVn  alloj'  à  la  solitude  do  TriJjselieu,  ]irès  l^ueeiiie,  joiiii- 
(le  la  eonipai;nie  el  des  enlreliens  de  Kicliài-d  Wagner,  dou( 
alors  il  csl  l'adiniraleur  i'(  l'anii. 

Toulelois,  si,  pendant  cette  période,  (■"est-i'i-dire  de  ISlill  à 
.  ISTil,  la  vie  de  Niet/.sclie  (^st  en  appareni;e  moins  agitée,  sa  pen- 
sée au  contraire  est  ilc  plus  (>n  plus  tourmenti'e  (^t  inquiète. 
Niet/sclie  al)ordt>  et  soulève  tous  les  problèmes.  11  se  passionne- 
simultanénn-nt  de  philosophie,  d'esthétique  musicale,  <lo  phi- 
hdogie,  de  critiqiu'  liltéraire,  de  polémiques  eontempoi-aines  et 
de  propagande  wagnérionne  (1). 

D'ailleurs,  dès  IS7(i,  Nietzsche  est  atteint  d'inn^  mal.ulie  pro- 
fonde qui  le  laiine  peu  à  peu,  avec  laqnidle  il  Intte  sinon  avec 
l'àpreli'  du  découragement,  au  moins  avec  la  crainte  liévreuse 
de  la  (h'taile.  (^omme  Pascal^  avec  qui  il  a  plus  d'un  Irait  de 
ressemblance,  Nietzsche  redoute  de  mourir  avant  d'avoir  nche- 
v<''  sonoMivre,  et,  comme  il  appartientàces  esprits  qui  ne  peuvent 
se  hàtei',  car  se  hâter  ce  n'est  point  avancer,  il  donne  ;'i  son 
travail  une  intensité  d'ell'orls  (|ui  se  (raduit  |)ar  une  ju-ofoinlenr 
ou  tout  au  moins  \in  impi'évu  de  pensées  (|iii  déconcerie.  En 
sorte  que  la  soull'rance  a  él(''  pour  .Nietzsche,  ainsi  cjue  pour  l'as- 
cal,  l'heureuse  introilnclrice  de  la  vraie  sagesse,  decidh^  que  l'on 
acquiert,  non  en  ouvrant  les  yeux  sur  le  monde,  mais  de  celle 
qui  sort  du  fond  de  l'èlre,  l'amené  par  la  douleur  à  son  propre 
foyer.  Ne  dédaignons  pas  la  philosophie  des  malades  :  »  Il  n'y 
a  pas  de  santé  en  soi  »,  disait  Nielzsciu',  et  s'il  est  des  cas  mor- 
iiides  où  l'esprit  s'alfaisse  par  suile  de  la  déchéance  du  corps,  il 
est  aussi  des  maladies  (jiii  dédivicnt  qu(dquetois  du  corps  lui- 
même  et  pre--(|iie  toujours  des  divertissenu'nls  joni'ualiers  où 
somhre  le  génie. 

Non  seulemeni  .Nietzsche,  —  (jUdi  (ju'dii  en  ail  dil.  —  n'a  rien 
perdu,  pendant  qu'il  soull'rail,  de  sa  lucidité  inlellectuelle  ; 
mais   bien   plus,   sa    maladie.  —   il  l'avruie  lui-même,  —  a  (Hé 


1  Viiii'i  1rs  lili'es  des  principaux  ouvrages  cci'iU  à  coUe  Opnipie  :  La  Xais- 
•w/Hcc  (le  la  Ti(ir/ëilie.  1872  ;  les  l'onsidéiulions  iiiai-tiieiles-.  1873-1877,  dont  les  deux 
principales  Daiid  Sli'iiiiss  el  Scluipenhatie/'  éduculeiir  eiTent  un  très  grand  l'elen- 
lisscinent.  llmnaiii,  trop  li  '.^■■Mut,  I87S  ;  ^entencci  et  o/jutions  ouiiees,  tS7'.i.  et  enfin 
Le  Voyaf/eur  \el  .^on  ombiw 


yii4  AuïERT  I.AFH.NTAINK 

jiour  lui  une  sniirco  féconde  df  repos  et  de  jouissances  morales  : 
-«  Jamais,  dit-il.  je  ne  nie  suis  donné  à  moi-nn''me  autant  do 
bonheur  que  pendant  mes  années  de  maladie  les  plus  doulou- 
reuses, (le  retour  à  tiidi-mriric  fut  pour  moi  une  sorte  de  gué- 
rison  supérieure  1  la  i;uérison  pliy>i(|iie  ne  fut  (|uiim'  con- 
séquonce  do  colles-là.  ■> 

En  tout  cas,  c'est  pondant  quil  soullrail  que  .\ietzsclie  >'est 
couvaincu,  à  tort  ou  à  raison,  de  cette  pensée  qui  devait  donner 
à  sa  criti(|ue  ICssor  d  une  si  t;rande  lilierti',  à  savoir,  tjuil  ne 
faut  jamais  CDUsidéi'or  une  philosupliie  comnu'.nn  ensemide  <le 
vérités  alistrailes,  do  r'aisonnenienis  im|iersnnmds,  mais  liien 
plutôt  comme  l'o.vprossion  variable  d'un  tempérament.  (Tune 
complexion  particulière. 

Aussi,  donner  <"i  une  d(jctrine  (pudle  qu'elle  soit  une  valeur 
absolue,  c'est,  d'après  Niot/sche,  peser  avec  une  fausse  balance, 
foule  opininii.  tout  syslème,  Inule  croyance.  qu"(dle  soit  parti- 
culière, ou  celle  d'une  i;éni'>i',ilil(''.  est  une  résultante,  qu'où  no 
peut  CdUTiaitre  i|ue  par  l'analyse.  <[ui  tloit  être  interpivlée  non 
ralioiuirllriiiriil ,  mais  lif<li)riiiiiriiiriil .  Jusque-là  on  a  été  trop 
convaincu  que  la  vérité  n'était  (pu'  le  produit  do  rintollij;enco, 
il  faut  saviiii- (|u"elle  est  la  traduciiou  de  notre  éiro  tout  entier, 
(lie  vériti'.  dite  universidle.  n'est  doue,  on  (b'-linilive.  aulro 
chose  (|ue  l'harmonie  d  ensi'iuliii'  d  une  <ivili-alinn  donnée, 
harmonie  composi-e  de  uiiilliples  accords,  mais  dont  la  tonalité 
ni  la  loi  ne  sont  immuables. 

(]'ost  donc  iiien  à  turl.  pense  .\iel/>clii'.  (|ue  les  liommo  m 
mesurent  à  certaines  râleurs  niiirulrs  qu  ils  jugent  absolues; 
c'est  bien  plutôt  ces  valeurs  qu'ils  devraient  mesurer  à  eu.x- 
mèmes.  11  n'y  a  point  do  valeurs  absolues,  pas  plus  dans  l'ordre 
de  la  véri[(''  ijui'  dans  l'ordre  do  la  bonté,  ou,  s'il  y  en  a  une, 
c'est  en  soi,  ot  non  dans  le  jujj;ement  de  ses  semblables,  que 
l'homme  doit  la  chercher.  La  vraie  valeur  do  riiommo,  colle  âi 
laquelle  il  dciii  se  nu'suror  et  mesiucr  toutes  chosos.  ne  saurait 
être  une  de  ces  valeurs  lictives,  impersonnelles,  mortes  ;  il 
faut  qu'elle  se  révèle  à  chaque  instant  de  la  vie,  qu'elle  soit 
l'àmc  de  la  \  ie  elle-même,  le  cri  de  l'être  qui  s'aflirme  dans 
retTacemcnt  quotidien  des  illusions,  l'ancre  d'arrêt,  dans  l'écou- 
lement jierpéluel  de  nous-mêmes. 


LES  \.\LEI  i;>   MDlt.MES  '.i'.<-i 

Dr.  il  V  a  une  cliosc  qui  lu'  iiii'urt  jamais  on  nous,  qui  ne 
;ni('url  qu'avet-  nous,  c'est  la  rnltmlr  de  v'n-rr,  ce  sont  nos  désirs, 
nos  passions,  eu  un  mol,  nolic  l'oivr,  nolt-r  jmissnnrr.  La  vo/nn/r 
de  piiis^imur.  telle  est,  en  ilélinitive,  la  seule  valeur  à  laquelle 
'l'être,  quel  qu'il  soit,  jiiiissf  donner  confiance,  puisqu'elle  est 
la  seule  dont  il  ait  réellement  l'expérience  :  elle  est  aussi 
■d'ailleurs  la  seule  à  laquidle  l'être  i/oirr  donner  conliance,  car 
le  pessimisme,  (|ui  nie  limli'  valeur,  est  impossilde  pratique- 
aiient  et  ne  saurait  être  losiique  :  "  Le  non-être  ne  peut  pas 
être  le  lui  t.   ■> 

Cette  théorie,  qui  sert  de  fondement  mêmr  à  la  morale  de 
Nietzsche,  apparaît  déjà  comme  à  létal  d'embryon,  dans  le 
grand  ouvraj;e  intitulé  Ln  Xaissancf  dr  la  Traf/rdi<\  où  il  exalte 
ce  qu'il  appelle  l'esprit  Z>;(j////.s/''//,  c'est-à-dire  l'esprit  de  force  qui 
s'oppose,  chez  les  Grecs,  à  l'esprit  de  cullure  raftinée,  à  l'esprit 
Apol/inieii. 

On  pourrait  même  dire  que  l'idée  générale,  dont  tout  le 
.système  nietzschéen  est  l'expression,  s'aflirmait  déjà  dans  cet 
etfort  continu  et  minutieux  d'énergie  volontaire  mis  quoti- 
diennement au  service  des  lahorieuses  éludes  philologiques 
auxquelles  se  livrait  le  jeune  professeur  de  l'I  niversité  de 
Bâle  :  »  La  philologie,  déclarait  Nietzsche,  en  prenant  posses- 
sion de  sa  chaire,  n'est  ni  une  Muse  ni  une  (iràce,  mais  elle  est 
une  messagère  de  la  Divinité  »  :  en  tout  cas,  elle  fut  pour  lui 
une  messagère  de  la  philosophie  et  surtout  de  sa  philosophie. 
'C'est  qu'en  ellet  la  philolophie  est  une  ouvrière  de  réilexion, 
une  iille  du  travail  patient,  acharné,  soutenu:  celui  qui  s'y 
livre  proclame  plus  haut  que  le  littérateur,  ..  (iui  n'est  rien, 
mais  qui  représente  tout  .>,  la  loi  de  puissance,  la  volonté 
.inflexible  de  l'être  :  "  La  philologie,  dit  Nietzsche,  impose  à  ses 
fidèles  de  s'isoler,  de  devenir  silencieux,  de  devenir  /f/its. 
•C'est  un  art  d'orfèvre,  où  tous  les  travaux  sont  délicats  et  mi- 
-nutieux,  où  l'on  n'arrive  à  rien,  si  ce  n'est  progressivement, 
./puto.  »  Aussi  Nietzsche  pense-t-il  que  l'étude  de  la  philolo- 
gie serait  un  excellent  moyen  d'éducation  pour  les  générations 
actuelles,  once  temps  de  travail,  de  précipitation  indécente  cl 
suante  qui  a  hâte  d'en  finir  :  »  La  philologie,  elle,  ne  sait 
jamais  en  finir:  elle  apprend  à  bien  lire,  c'est-à-dire  à  lire  posé- 

37 


!;yr,  Aluert  lafontaim-: 

mciil,  profondômi'iit.  avec  dôlianci'  el  jin-cadlioii...  à  lired'uno 

main  délicate  et  d'un  œil  expert.   •' 

Néanmoins,  sans  la   maladie  dont  il    eut  à  soutlVir,  jamais 

pcul-élre  Nietzsche  n'eût  appoiié  dans  ses  idées  toute  la  clarté, 

toute    riii[eusit(',  tiiule    l'exagération  même  qui  tout    de    son 

système  un  drame,  une  crise  aiiiuë. 

Nietzsche,  en  ellet,  n"a  pas  seulement  vécu  sa  doctrine,  il  l'a 
soull'erte  ;  c'est  sa  passion  ;  parfois  sa  plume  est  teinte  de  sang, 
et  c'est  de  son  sang.  Si  Nietzsche  n'eût  pas  soull'ert,  peut-cire 
ne  s(>rail-il  restf'-  (|n'un  disciple  curieux  et  brillant  de  Scho- 
jx'uhaui'i',  un  pessimiste  joyeux  qui  se  console  de  la  perversité 
(h'  la  vie  individuelle,  dans  la  perspective  souriante  et  l'espé- 
rance lies  destinéi's  futures  de  l'espèce.  Rien  jdns,  jiar  un  retour 
inattendu  et  comme  un  nouveau  mystique,  Nietzsche  a  trouvé, 
dans  la  soutl'rance,  la  révélation  du  bonheur,  la  valeur  ré(dle 
el  le  sens  de  la  vie,  la  raison  d'aimer  el  d'être  optimiste  :  <■  Dans 
ma  douleur,  je  découvris  à  nouveau  la  vie  ;  je  me  retrouvai  moi- 
même,  j'appris  à  goûter  toutes  choses,  comme  d'autres  pour- 
raient difiicilemenl  les  savourer  :  je  sus  faire  de  ma  raloiilr 
de  guérir,  de  vivre,  toute  ma  piiilosophie  ;  les  années  où  ma 
vitalité  desc(Midit  fi  sou  minimum  furent  celles  où  je  cessai 
d'être  pessimiste:  l'inslincl  de  conscM'vation  m'interdit  une  jihi- 
losophie  de  découragement.  >> 

Assurément  plus  tard  cette  coniiance  aux  aspirations  vitales 
de  la  nature  se  Iransforniera  sous  le  choc  du  temps  et  des  évé- 
nements ;  mais  ce  qui  est  indiscutable,  c'est  que  Nietzsche  a 
trouvé,  dans  ce  rniiloir-rirrr  indestructible  qui  commande  en- 
core en  nous,  alors  que  tout  déchoit,  lléciiit,  se  ilérobe,  le  seul 
point  d'appui  sur  lequel  puisse  se  reposer  notre  croyance  à  la 
vie.  La  puissance  de  vouloir  vivre,  le  "  sens  de  la  terre  i>,  voilà 
la  seule  valeur  réelle  à  laquelle  nous  devons  mesurer  tout  le 
reste,  et  devant  laquelle  aussi,  il  faut  bien  l'avouer,  s'anni- 
hilent et  s'ed'acent  toutes  les  autres  estimations  de  la  moralité. 
Le  système  de  Nietzsche  n'est  donc  point  l'univre  d'un  désé- 
quilibré, comme  ont  pris  un  sot  plaisir  à  l'aflirmer  ceux  qui. 
étrangers  à  tonte  originalité,  ont  escompté  la  fidie  tardive  du 
malheureux  philosophe,  pour  venger  leur  incapacité  à  com- 
priMidre  une  idée  hardie  enveloppée  d'une  poésie  dont  ils  n'ont 


LES  VMELliS   MiiHAUlS  oO? 


H'IIC 


iiii  saisir  le  sens.  An  t-milrairc,  s'il  est  nui'  (nivrc  iiilcllcrliiril 
dont  rôvoluliiiii  sr  (N'ycliipix'  avec  n'-^ulariU-  et  an  lianuoiiii' 
parfaite  avec  les  circoiislaiices  et  les  événements,  c'est  bien,  dans 
ses  grandes  lignes,  l'dHivre  de  Nietzsche.  C'est,  d'ailleurs,  un  mé- 
rite qui  n'a  point  échappé  à  son  propre  auteur,  et  Nietzsche,  au 
délnit  de  son  ouvrage  sur  la  (inira/ot/lr  <!<•  la  Morale,  a  soin 
d'en  réclamer  toute  la  louange  :  "  Mes  idées  sur  Varif/irif  de  nos 
préjugés  moraux  ont  d'aljon!  Imuvé  leur  |iieniière  expression 
laconique  et  provisoire,  dans  ce  recueil  d'aphorismes  qui  porte 
le  litre  :  llaniai/t,  /nip  lunnaiii.  .l'ai  commencé  à  l'écrire  à  Sor- 
rente  au  cours  d'un  hiver,  nù  il  me  fut  donné  de  m'arrêter, 
comme  s'arrèle  le  voyageur,  pour  embrasser  d'un  coup  d'oui 
tout  ce  pays,  vaste  et  dangereux,  parc(Uiru  par  mon  esprit.  Cela 
se  passait  pendant  l'hiver  de  hSTIi  à  I.S77  ;  les  idées  elles- 
mêmes  sont  de  date  plus  ancienne.  C'étaient  déjà,  dans  leurs 
grandes  lignes,  les  mêmes  idées  que  je  reprends  dans  les  pré- 
sents traités...  Le  fait  que  je  m'en  tiens  encore  à  elles,  que,  de- 
puis lors,  elles  se  sont  resserrées  toujours  davantage,  jusqu'à 
se  fondre  et  à  s'enchevêtrer,  ce  fait  fortifie  en  moi  la  joyeuse 
assurance  qu'elles  n'ont  pas  pris  naissance  d'une  façon  isolée^ 
au  gré  du  hasard,  sporadiquement,  mais  qu'elles  ont  poussé 
d'une  souche  commune,  dune  rnhutlr  fondamentale  de  la  con- 
naissance, qui  commande  aux  forces  les  plus  intimes,  parle 
un  langage  toujours  plus  net,  exige  des  concepts  toujours  plus 
précis.  Car  c'est  là  la  seule  façon  de  penser  digne  d'un  philo- 
sophe. Nous  n'avons  pas  le  droit  de  rester  isolés  en  quoi  que  ce 
soit  :  il  ne  nous  est  pas  plus  permis  de  nous  tromper  que  de 
rencontrer  la  vérité  d'une  façon  fortuite.  One  dis-je  ?  De  même 
qu'il  est  de  toute  nécessité  qu'un  arbre  porte  ses  fruits,  nos  idées 
sortent  de  nous-mêmes,  nos  évaluations,  nos  mii,  nos  non,  nos 
raisons  et  nos  causes  se  développent —  tous  parents  et  en 
relation  les  uns  avec  les  autres,  comme  autant  de  témoignages 
iVaiir  volonté,  à'iin  état  de  santé,  (\'un  terroir,  d'///(  soleil.  — 
Seront-ils  à  votre  gont,  ces  fruits  de  notre  jardin?  —  Mais 
(juiniporle  cela  aux  arbres?  (Jne  nous  importe,  à  nous  autre 
philosophes  i  I  )  ?...  >> 

(\)  La  Géuètdo'jie   de   ta   Morale,  13. 


S 


598  Aliieut  LAPONTAINP. 


III 


Si  rinstini'l  iiulivitliicl,  lii  volonlr  de  puissance  qui  est  on 
nous  esl  le  rri/rriinn  unique  des  évaluations  morales,  il  est 
bien  éviflentque  tontes  les  entités  métaphysiques  nu  religieuses 
que  l'homme  a  supposées  en  dehors  de  lui  et  sur  lesquelles  il 
a  fondé  tout  Tordre  de  la  moralité,  n'ont  aucun  droit  absolu  à 
notre  respect.  Les  jugements  moraux  ne  sont  point  ces  lois  su- 
prêmes que  l'on  dit  invaria!)les  et  sacrées,  qui  s'imposent  à 
tout  notre  être  et  devant  lesquels  on  sincline  sans  niurm\ire  : 
la  conscience  morale  est  un  problème  psychologique  et  histo- 
rique comme  tout  le  reste,  qu'il  suflit  d"(\\pliquer.  et  non  luie 
<livinité  chimérique  que  l'on  adore  sans  la  connaître. 

Toute  la  question  morale  consiste  donc  dans  le  problème  de 
Voriffiiie  du  bien  et  du  mal  ;  problème  en  apparence  très  simple, 
mais  pourtant  que  l'on  n'ose  se  poser  ou  bien  encore  que  l'on 
l'raint  de  résoudre.  Nietzsche  avoue  que,  dès  l'âge  de  treize  ans, 
ù  cette  épocjue  de  la  vie  ..  ofi  Dii'u  et  les  jeu\  de  l'enfance  se 
partagent  le  ccriir  .  il  était  comme  hanté  par  ce  ])rohlème  de 
l'oi'iiiine  du  mal.  Il  Ir  ri'solut,  comme  Imit  le  monde,  théologi- 
(juement,  c'est-à-dire  qu'il  posa  Dieu  au  fond  de  son  ignorance 
et  en  lit  le  père  des  valeurs  et  de  la  moralité.  Bientôt,  éveillé  de 
redogmatisme  contiant  par  son  éducation  philologique  et  histo- 
rique, il  donna  à  la  (|uestion  morale  sa  véritable  formule  : 
Jhnis  i/iiefles  COluHtianx  rhuiniiir  ^'rst-il  nn-rnlr  à  ■<iiii  iisfu/r  tes 
dcu.r  rvaluallnns  :  Ir  l/im  ri  Ir  mal .  d  ijurllr  riilriir  otil-clirs  jHir 
/'llcs-mrmcs  ? 

I>a  ré|)onse  n'est  pas  très  facile  assurément,  car  le  problème 
lui-même  est  très  complexe;  Nietzsche  nous  avoue  qu'il  de- 
meura longtemps  perplexe,  passant  d'une  hypothèse  à  l'autre, 
sans  jamais  trouver  de  solution  complètement  satisfaisante.  Il 
fut,  cette  fois  encore,  comme  la  plupart  du  temps  d'ailleurs, 
délivré  de  son  doute  et  mis  sur  la  voie  de  son  système  par  la 
lecture  d'un  ouvrage  dont  l'intransigeance  dogmatique  et  l'im- 
pertinente vulgarité  donnèrent  l'élan  à  sa  pensée  et  comme 
la  mise  en  mouvement  à  ses  théories. 

Ce   livre  était  celui   du  D'  Paul    Rée  sur  ÏOrir/inr  des  srit- 


LES  VALEVIiS   l/o/.'.ltES  -iOg 

/iiii''ii/s  iiior(tii.r  I  :  l't'iil-("'ln'  n"ai-je  jamais  rion  hi,  l'-criL 
Nietzsclic.  tini  ôvoillàt  en  moi  la  contradiction  avec  autant  cl'é- 
niM'gie.  phrase  par  phrase,  de  conclusion  en  conclusion,  n 

l.e  D'  lîi'e.  eiinime  tous  les  iiX'néalogistes  anglais  de  la 
murale,  V(i\ait.  dans  réviiliiatnni  ailruiste,  révaluation  de  la 
morale  en  soi.  Toul  comme  Schopenhauer  lui-même,  le  mora- 
liste anglais  avait  divinisé  el  "  clevé  aux  régions  de  lau-delà 
la  valeur  du  non-égoïsme,  des  instincts  de  pilié,  de  renonce- 
ment, d'abnégation  ».  Or  c'était  précisément  contre  ces  instincts 
que  Nietzsche  sentait  sélever  en  lui-même  une  déliance  sans 
cesse  grandissante,  un  scepticisme  déplus  en  plus  profond  :  ■•  En 
eu.x,  dit-il.  je  vovais  le  grand  écueil  dr  riiuuiauité.  la  lenlaiion 
et  la  réduction  suprême  qui  la  conduirai!. ..  ou  donc  .'  au  néant? 
Je  voyais  là  le  commencement  de  la  lin,  l'arrêt  dans  la  niareiu\ 
la  lassitude  qui  regarde  en  arrière,  la  ruhDiir  qiii  se  retourne 
cuntif  la  rif    2!.   •• 

Sans  doute  le  D''  Rée  avait  reconnu  lui-même  que  la 
seule  métliodc  rationnelle  de  la  morale  est  la  méthode  histo- 
ritiue.  mais  au  lieu  de  |)arlir  des  faits  eux-mêmes,  il  était, 
comme  tous  les  autres,  parti  d'une  hypothèse,  c'est-à-dire  d'un 
préjugé:  avec  une  méthode  historique  il  avait  gardé  l'esprit 
dogmatique,  c'est-à-dire  une  façon  de  penser  essentiellement 
uii/i/tis/orif/Hf. 

Aussi  la  niaiserie  de  ces  prétendus  généalogistes  apparait- 
elle,  dès  le  premier  pas,  c'est-à-dire  dès  qu'il  s'agit  de  préciser 
l'origine  de  la  notion  el  du  jugeniciil  /"ui.  l'uiir  la  plupart  des 
moralistes  anglais,  tout  d'abord  les  actions  non-égoïstes  ont 
«■■t(''  louées  el  répiitées  bonne-'  par  ceux  à  qui  (dles  étaient  idilfs; 
pour  \iel/>elie,  au  contraire,  le  jugement  limi  n'i'maue  nullo 
ment  de  ceux  à  qui  l'on  a  prodigué  la  bonté,  mais  bien  plulôl 
de  ceux-là  mêmes  qui  étaieut  Imn^,  c'est-à-dire  des  hommes 
j)uissants,  des  aristocrates  tle  l'inlelligence,  de  Tinlluence,  ou 
de  la  volonté.  Ce  sont  eux  qui  se  sont  considérés  comme  les 

(1)  Nou?  ne  niuns  pas  Pinlluence  que.  d'apri'S  M.  P'oiiillée,  les  théories  de 
(iiiyau  ont  pu  avoir  sur  Nietzsche:  ce  qu'il  y  a  de  rertain  toutefois,  c'est  que 
.Nietzsche  était  en  possession  de  ses  principales  idées  avant  188."i,  date  de  l'appa- 
rition de  Y  Esquisse  d'une  morale  sans  oblii/alion  ni  sanction. 

(2;  Génénlonie  de  la  Morale,  Introd.,  p.  Ifi:  —  Humain,  trop  humain,  aphorisme. 
43,  13r>,  etc.  ;  —  Le  Voi/ageui-  el  son  ombre,  aph.,  iC  :  —  Aurore,  aph.,  I  \1.  etc. 


000  ALi.EiiT  LAFONTALXE 

bons,  eux  qui  (uil  qiialiliû  leurs  iu-liuns  de  Imnnrs,  ('"osl-à-dire 
supérieures,  "  élablissant  eette  taxalion  par  opitosiliou  à  tout 
ce  qui  était  bas.  mesquin,  vulgaire  et  populacier  ... 

Nietzsche  s'attaciie  à  prouver  sa  thèse,  c'est-à-dire  celle  aflir- 
nialion  (rune  synonymie  originelle  entre  la  iinlioii  dr  furci^ 
<le  jiiiissancr  et  la  notion  de  baiilr,  et  il  le  l'ail  avec  un  luxe 
d  argumenls  el  une  richesse  de  dénionsti'alions  telles  que  l'es- 
prit se  sent  enlrain(''.  sinon  coiivaiiu'u. 

Après  avoir  montré  que  l'évaluatiini  anglaise  repos(>  sur  un 
contre-sens  psychologique  formel,  il  retdierche,  dans  l'origine 
iles  langues  et  des  sociétés,  les  traces  des  premiers  jugements 
nioraiiN  de  riiuiiianiii'.  ri  [linliiiil  il  i  inil  (h'Cduvrir  que  l'idri' 
tir  distiiiil  itiit,  ilr  iinlilrssr,  dii  sriis  ilil  rang  snridl ,  rsl  I'  i<l('f-iiirri' 
^rm'i  iKUl  cl  se  (IrrfliijiiH'  tirri'ssmrriiifnl  l'idcc  tir  bon.  Idiiilis 
Jiiir  /'-s  iidhiiiis  ilr  ml i/ill rr .  Ii/is,  plrlirir/i ,  siiiil  si/iidlil/llirs  de  mau- 
vais. (l(ini|)arez,  dit  Nieizsche,  le  mot  allemand  sciticcitl  (mau- 
vais) et  sihUrJu  (simplei.  le  mot  iiH'iÀ;  (>niployé  pour  désigner 
la  noblesse  d'àme,  chiv  le  (irec,  a  d'abord  signilii'  ((dui  qui  rsl 
(£3-;l.  celui  (|in  il  di'  iii  i'('alil('.  ci'liii  (|ui  ^"ai'liriiie  ;  tandis  q\ie 
y.x/.o;.  o£!).ô,-,  (|Mi  di'signeni  le  pl('b('icu  par  opposition  à,  l'àY^Oo::, 
soulignent  la  làchi'li'-.  Le  lalin  /ik/Ihs,  h  ect  l'gard,  est  des  plus 
suggestifs;  il  faul  le  lappruciiiT  du  grec  ;jii>,a;  (noir),  (|ui  a  dû. 
à  l'origine,  désigner  l'iKunnu^  du  ciunmun,  l'autochtone  pré- 
aryen du  sol  itali(iue  qui  se  distinguait,  par  la  couleur  sombre 
de  ses  cheveux,  de  la  race  des  conqiuh'ants  aryens  aux  cheveux 
bbiinis. 

."si  donc  il  est  |)rouvi''.  (|u'à  l'origiue,  toute  valeur  se  mesurait 
;i  la  piiissdtirp,  comment  celte  e^lituation  primitive  du  hmi  el 
<lu  iiiiiiirdis  s'est-elle  faussiM^  peu  à  peu,  au  cmirs  des  temps, 
jus(|u  à  seml)ler  aujoui'd'hui  en  contradiction  avec  elle-même? 
.\ielzsclie  croit  toujours  pouvoir  l'expliquer  par  cette  grande 
loi  qui  préside  à  la  marche  des  idées  dans  une  société,  à  savoir 
que  loiil  (ii/icrji/  /joli/ igiir  scAransformo  eu  un  (  o/icr/)/  psf/dia- 
lot/ii/df.  (l'est  (ju'en  effet,  tant  qu'a  duré,  dans  une  société 
donnée,  la  préihuninance  guerrière,  le  concept  l>o/i  a  été  syno- 
nyme de  /irrr/iiiiiriit  r  ;  mais,  quand  l'ère  des  conquêtes  a  été 
achevée,  le  guerrier,  devenant  inutile,  a  cédé  le  rang  à  une 
nouvelle  aristocratie,  à  Vaiis/(jc/(i/i''  sdm'fln/nlr. 


LES   VMF.inS  Mnr.MES  fiOl 

[,(■  prèlrc.  voilà,  d'apn-^  Niclzsclic.  le  r;uix-iiii>iin;ivoiir  ilr  I,- 
moralili'.  l-a  caste  sacci'dnlali'  siilistiluc  d'aliurd  aux  tormcs  dr 
noble  et  de  vvilgaire  les  ternies  de  /mr  et  A'nii/iiir,  qui  expri- 
ment mieux  les  raisons  prétendues  de  sa  domination  sociale, 
et  c'est  avec  cette  simple  transmutation  des  valeurs  primitives 
qne  les  contrastes  d  l'-valuntion  ont  pu  se  spiritualiser  et  s'accen- 
luer  très  \  ite.  c'est  idlr  (|ui  ii  liui  par  creuser  entre  les  homme> 
"  des  ahinies  que  même  un  Ailiille  de  pensi'-e  liNre  ne  saurait 
franchir  sans  frissonner  ". 

Or,  remarque  Xietzsclie.  il  y  a  Inujnurs  et  dés  li'  principe, 
quelque  chose  de  morbhir  dans  ces  aristocraties  sacerdotales, 
et  dans  leurs  habitudes  dominantes,  hostiles  à  l'action,  voulant 
que  l'homme  tantôt  couve  ses  songes,  tantôt  soit  boulever^é 
par  des  explosions  de  sentiments:  il'ailli'ur-  les  remèdes  pré- 
conisés par  le  prêtre  ])our  se  débarrasser  de  cet  état  morbide 
sont  cent  fois  plus  dangereux  que  la  maladie  (dle-méme.  Si 
bien  qu'aujunniliui  l'humanité  soutTrc  et  peut-être  se  meurt  ^Xv 
ce  traitement  naïf,  de  ce  régime  di(''li''li((ue  iniagin(''  pai-  li'> 
prêtres. 

Ainsi,  bienti'if.  de  I  dppcoition  sociale  du  pi'êlrc  et  du  n(dilc, 
surgira  une  antinomie  entre  ce  double  couianl  des  é'valuation> 
morales.  Or.  le  prêtre,  toujours  suivant  .Nietzsche,  triompher.' 
dans  cette  lutte  de  la  prédominance  des  idées,  l'ourquoi  .'  l'arn- 
que  le  prêtre  est  le  plu>  incapable,  et  (jui'  i'ini|iuissance  fait 
croître  en  lui  i'  luie  haine  monstrueuse,  sinistre,  inlrllectuellr 
et  venimeuse  »  qui  fait  toute  sa  puissance. 

Est-ce  que  l'histoire  de  l'humanité  tout  enlicro  n'est  pas  un 
tableau  uniforme  de  la  lutte  des  castes  sacerdotales  contre  le> 
iiuhlcs,  \i'<  pnis^a/)/^,  les  /iiai/tvs,  \o  pt/irroir '.'  Ouesl-ce  dc,inc 
que  l'histoire  du  peuple  juif,  sinon  le  renversement  de  l'aris- 
tocratique étiuation  des  valeurs  par  un  peuple  de  luêlrc- .' 
N'est-ce  pas  le  .liiif  qui  a  osé  aflirmer  que  <(  les  misérables 
seuls  sont  les  bons,  que  les  pauvres,  les  impuissants,  les  petite 
seuls  sont  les  bons,  les  seuls  pieux,  les  seuls  bénis  de  Dieu  >- .' 
Le  Juif  a  poussé  sa  ruse  '•  jusqu'à  l'occulte  nuigie  noire  d'une 
politique  vraiment  grandiose  ".  lorsque,  pour  enfoncer  dans  les 
niasses  sa  juiissance  de  séduction,  il  a  inventé  »  cet  étourdis- 
sant  symbole  de   la   Sainte  (Iroix.   cet   horrible   paradoxe  d'un 


t.02  Albert  LAFONTAIM-: 

I)i('u   mis  en  croix    .,  (■■ost-à-diir  ilii  tort  jtar  oxccllenec  capi- 
tulanl  (lovanl  le  i'aildc  .>t  se  sacriliant  à  lui. 

Dans  riiisloiiv  d<'  l'iiumanité,  c'est  donc  le  peuide,  le  vul- 
t^airc,  qui  l'a  emporté;  ce  sont  ses  appréciations  qui  ont  prc^^valu, 
la  morale  des  rschircs  a  vaincu  la  morale  du  inailrr  ;  l'Iiuma- 
îiité  a  fait  un  Dieu  de  sa  faiblesse,  de  sa  déchéance  ;  et  les 
jugements  moraux  sont  désormais  si  bien  assis  sur  cette  bas- 
sesse, sui-  icttc  maladie,  (jur  rii<)nime  moderne  inspire  le 
dégoût  à  l'homme,  que  to)it  se  «  judaïse  ou  se  christianise,, 
ou  se  vovoucralise  à  vue  d'u'il  •>. 


IV 

lui  ellVl.  (|iii  pourra  (•omj)arer  si-iieusemcnl  la  morale  primi- 
tive de  la  |iuissaii(e  à  cette  morale  abâtardie  de  la  faiblesse,, 
sans  recouuailrc  que  l'homme  a  t'ai!  fausse  roule,  qu'il  est  vic- 
time d'une  xcngeauce  implacable  cl  obscure  qui  poursuit  avec- 
acharnement  sa  perte?  I,'observatiiMi  impartiale  des  faits,  une 
consultation  socioIogi(|ue  rigoureuse  conlirmera  avec  éclat  les 
thèses  historiques  ainsi  (|ue  les  informations  psychologiques 
les  plus  sincères. 

D'abord,  ce  qui  caracteiise  la  morale  des  esclaves,  c'est  (ju'idle 
est  une  morale  du  rcssriif'niinit  ;  elle  ne  naît  point  de  l'action! 
spontanée,  iiiiluiclle  ri  jibii'  di'  riiomme,  mais  au  contraire 
d'une  réaction  vengeresse  contre  tout  ce  ([ui  est  dilférent  d'elle  ; 
elle  commence  par  nier  riiomme  qui  s'aflirme,  elle  est  une 
conspiration  contre  riiumanilc'.  Taudis  que  la  morale  aristo- 
cratique naît  d'une  triomphale  aflirmation  de  rètre,  la  morale 
des  esclaves  repose  sur  une  négation  du  moi,  c'est-à-dire  de 
ce  qu'il  y  a  de  positif  en  nous.  .\ielzs(  he  insiste  beaucoup  sur 
cette  constatation  si  intéressante  ]iour  son  système,  et  c'est 
avec  un  dédain  superbe  et  un  pi(''liiiemenl  féroce  que  lui,  l'aris- 
tocrate convaincu,  écrase  rellV'miu(''  rancunier  de  la  moralité 
victorieuse.  Tandis  que  le  no/i/r  primitif  se  proclamait  sponta— 
nénumt  le  ù(jii,  le  /irati,  V/inirrK.r,  les  impuissants,  les  oppri- 
més construisent  artiliciellement  leur  supériorité,  c'est-à-dire 
qu'ils  n'affirment  leur   bonheur  qu'en   se  comparant  à   leurs 


LES   VALEIliS   MiiliALKS  603 

ennemis,  en  ■•'r/i  hnijnsanl  à  eux-mêmes.  Le  noble  antique 
l'Uiit  frane,  loyal,  généreux  sans  efïoii,  car  loules  ces  qualités 
sont  inhérentes  i\  Taction  déliordante  ifune  nature  trop  riche 
qui  se  répand  :  rimnime  du  ressentiment  «■  n'est  ni  franc,  ni 
naïf,  ni  hiyal  envers  lui-même.  Son  Ànu'  lumlic,  son  esprit 
aime  les  recoins,  les  faux-fuyants  et  les  portes  dérobées... 
c'est  là  qu'il  retrouve  soi}  monde,  .sa  sécurité,  son  délassement.  » 
L'antinomie  foncière  qui  sépare  l'aristocrate  vigoureux  du 
pâle  déprimé  de  la  civilisation  moderne  est  si  profonde,  que 
toute  cette  cultui-e  morale,  malgré  des  siècles  d'expérience,  n'a 
pu  ciuure  d('voyer  complètement  le  sens  de  l'humanité.  La. 
voix  du  fauve  crie  et  rugit  parfois  encore,  au  fond  de  toutes  les 
consciences  domestiquées,  mais  non  asservies  :  ces  féodaux 
modernes  travestis  en  esclaves  ont  des  retours  féroces  à  leur 
brutalité  originelle.  Sortez-les  de  leurs  salons,  de  leurs  cercles  : 
ils  retournent  à  la  simplicité  du  fauve,  ils  redeviennent  des 
monstres  triomphants,  "  la  superbe  brute  blonde  >«  rôdant  en 
quête  de  proie  et  de  carnage,  et  cherchant  dans  la  férocité  un 
exntoire  à  sa  surabondance  de  vie.  Ils  ont,  un  instant  et 
inc<insciemment.  honte  dr  leur  déchéance,  c'est-à-dire  de 
l'homme  mesquin  et  débib'  qui  tend  à  se  substituer  à  eux  : 
"  (Ju'est-ce  qui  me  sulVo(|ue,  qu'est-ce  qui  m'abat,  semblent-ils 
dire,  air  vicié,  air  vicié  1  quelque  chose  de  mal  venu  s'empare 
de  moi  ;  faut-il  que  je  respire  les  entrailles  d'une  àme  man- 
quée?...  Divinités  protectrices,  si  vous  existez  par-delà  le  Bien 
et  le  Mal,  accordez-moi  un  regard  que  je  puisse  jeter  sur  un 
être  complet,...  un  regard  sur  un  homme  qui  justifie  l'homme, 
sur  un  coup  dr  bonheur  qui  apporte  à  l'homme  son  complé- 
ment et  son  salut,  grâce  auquel  on   |pourrait  garder  sa  foi  en_ 


nouinif 


11  ■> 


Ain-i  les  diMix  valeur>  fondamentales  de  la  morale  l/mi  et 
iiiiuirais,  hirit  et  iiml,  sont  en  liilte  perpétuelle,  et  le  hoit  qui,  à 
l'origine,  avait  les  faveurs  de  l'humanité  et  de  la  conscience  in- 
dividuelle, a  du  céder  le  pas  au  iiKuiniis  qui  a  coiiqni<.  grâce 


Mi  Alhert  I,M-iiMA1.NK 

au  ivssoiilinu'iil  tic  lu  l'uiljk'^sc,  i'oslinic,  au  moins  arliiifioUc, 
do  l'opinion  universelle,  si  bien  que  Ihonime  moderne  est  le 
fruit  bâtard  et  vil  de  ce  parasite  inlirmc,  éclos  sur  la  tisio  fé- 
conde de  la  primitive  humanité.  11  y  a  donr  eu  dans  lliuma- 
nité,  et  cela  ilepuis  des  siècles,  un  renversemenl  du  coup  dd-il 
appréciateur  de  la  moralité.  Tontes  les  valeurs  sonnent  faux  dé- 
sormais, et  les  oreilles,  hélas  !  se  bercent  de  ce  lameidable 
concert.  I.,e  ùoii,  cest  toujours  Vaiitri'  et  jamais  soi,  c'est  IKtat, 
c'est  Dieu,  c'est  l'Opinion,  c'est  la  Vertu,  et  l'un  ne  s'aperçoit 
pas  que  le  tn  dnis  est  l'ennemi,  tandis  que  le  />■  mi.r  est  le 
seul  ami  ;  que  Dieu  est  mort,  que  hii'ii  rsl  Inr  :  que  l'Ktal  c'est 
le  "  plus  froid  de  tous  les  maîtres  froids  ■..  le  réceptacle  des  dé- 
<,'hets  et  (les  superiluités  r  (|ue  la  vertu,  que  le  sacriiice.  que  la 
pilié  ne  sont  ([ue  pauvreté,  ordure,  misérahli^  contentement  de 
sa  propre  bassesse. 

Une  seule  chose  vaut  :  le  Dmi.  l'exaltation  du  nmi,  la  soif  de 
l'être,  le  sens  de  la  terre,  la  volonté  puissante  ;  c'est  là  que  dort, 
comme  dans  un  jierme  fécond,  la  destinée  grandiose  de  l'hu- 
manité, l'embryon  du  SiirlinnDiir,  dont  la  brute  primitive  était 
une  ébauche  superbe  et  une  ('"clatante  promesse. 

Si  de  toute  cette  théorie,  puissante,  —  on  ne  peut  le  nier, 
—  on  enlève  le  mythe,  le  paradoxe,  l'imprévu,  le  fantastique, 
restera-t-il  au  fond  de  ce  système  une  idée  originale,  \\n  aperçu 
vraiment  nouveau,  quelque  chose  d'incontestablement  person- 
nel? Nous  ne  le  croyons  pas. 

Nietzsche  est  un  vaste  lleuve.  ce  n'est  pas  une  source:  il  a 
concentré,  imilié,  dans  sa  vaste  imagination,  des  courants  très 
divers  et  parfois  opposés;  il  y  a,  dans  son  système,  des  rémi- 
niscences de  Spinoza,  le  pessimisme  grand-seigueui'  d'un  l.aro- 
chefoucaultl  :  l'optimisme  béat  d'un  Darwin,  et,  au  fond  de 
tout  cela,  une  contradiction  flagrante,  un  mélange  monstrueux 
de  di/iia»iis/tir  outré  et  de  fiiuili'otif  inconscient.  Je  me  souviens 
qu'un  jour,  où  j'exposais,  à  grands  traits,  dans  une  séance  de 
la  Smii-li'  Sdiiil-Thiimas  d'Ar/iiiii  le  système  nietzschéen,  un 
des  assistants  se  récria  :  "  Mais  c'est  du  (iiirgias  tout  pur'  !  •■ 
et.  en  ell'et.  nous  sommes  convaincu  qu  il  ne  snuniil  y  a^■oir 
en    |dtiloso|)hie,   et   priiu-ipalennMit   en   morale.    (|ue   deux  sys- 


LI-S  A'.lLEf/.'S  Mnl'.ALKS  iiOr> 

Ic-mcs  (•oncfvalpli'>  l'I  iliann'liMlciiicul  (iji|)()>(''>  :  le  système  de  lu 
/i/in/io'  cl  le  système  de  l:i  ijiKinli'r,  et  ((iie  le  second  ne  peut 
se  soiileiiir  qu'en  eniprunliuit,  à  la  dérol)ée.  un  fondement  et  un 
ai»piii  au  premier.  LorMiiu'  Deseartes  déclarait  (jue  notre  des- 
tinée, (jue  ncitre  liunheur  consiste  dans  le  sentiment  d"une  ^ct- 
iocixon  sfiistis  nlKiiiu^i  pf'1'fcitiiiiii.s:,  il  espérait  Lien,  lui  aussi, 
fonder  une  philosopiiie  de  la  quantité  pure,  sinon  de  linten- 
silé  el  réduire  l'activité,  qui  fait  le  fond  de  tout  èlre.  au  simple 
sentiment  d'une  force  qui  se  développe,  sans  direction  aucune. 
Mais  comme,  d'après  son  système  général.  Dieu,  en  créant  la 
matière,  a  introduit  dans  le  monde  une  idée,  une  géométrie, 
Descartes  |)enit.  sans  se  contredire,  entendre  par  iicrfi-i  thtn  de 
l'être  un  rappnx  liement  de  cet  être  vers  un  idéal,  vers  une  iiu. 
Tout  au  contraire,  le  Stirhaintiic  de  Nietzsche  ne  sera  qu'une 
force,  qu'une  puissance  s'exaltant  sans  cesse,  qu'une  intensité 
sans  cesse  grandissante  ;  car  au  fond  Nietzsche  croit  èlre  un 
mécaniste  pur,  et  en  réalité  il  l'est.  Si  l'on  dépouille  sa  pensée 
des  voiles  brillants  qui  l'enveloppent,  il  reste  ceci  que  la  force 
nue,  brutale,  est  la  seule  chose  bonne,  la  seule  chose  qui  ~i 
justiiie,  attendu  que  l'être  n'est  qu'activité. 

Mais  prenons-y  garde  :  est-il  permis,  est-il  légitime  d'iden- 
tilier  l'activité  cl  l'intensité.'  et  .Nietzsche,  en  substituant  la 
puissance  de  l'être  à  la  quanlilé  iiiditlérente.  indéterminée,  n'a- 
l-il  point,  tout  comme  Descartes,  réintroduit  dans  son  système 
im  élément  qu'il  voulait  en  bannir,  la  qualité,  l'idée,  la  lin, 
en  un  mot  la  raison.' 

Nietzsch(^  semble  s'être  très  bien  rendu  compte  lui-même  du 
côté  vulnérable  de  sa  doctrine  et  il  a  voulu  y  porter  remède. 
Pour  lui,  l'exaltation  de  la  force,  l'abaissement  de  l'impuis- 
sance étaient  autant  de  thèmes  heureux  à  des  variations  bril- 
lantes, mais  l'àme  entière  de  son  système,  il  le  savait,  résidait 
dans  sa  théorie  de  la  puissance,  de  la  vnluiilr  ilr  /missanci'. 
Par  un  adroit  escamotage,  que  rend  plus  facile  le  vertige  des 
fausses  lumières  du  style  et  l'étofTe  protectrice  des  mouvantes 
pensées,  il  substitue  les  uns  aux  autres  les  termes  de  forcf  et 
de  ro/o/i/r,  de  /missancr  et  d'ar/i'i/r.  sans  se  rendre  compte, 
ou  du  moins  sans  paraître  se  rendre  compte,  qu'entre  ces  con- 
cepts il  y  a  un  abîme  infranchissable. 


(i06  Albert  I.AFONTAINE 

<<  Exisor  de  la  forco,  éoril-il,  qu'oUe  ne  se  manifeste  pas 
comme  telle,  qu'elle  ne  soit  pas  une  volonté  de  terrasser  et 
d'assuiettir,  une  soif  d'ennemis,  de  résistance  et  de  triomphes, 
c'est  tout  iuissi  insensé  (|ue  d'exiger  de  la  faiiilesse  qu'elle  ma- 
nifeste de  la  force,  l  ne  quantité  de  force  détcnuinée  répond 
exactement  à  la  même  quantité  d'instinct,  de  volonté,  d'action  ; 
—  bien  plus,  la  résultante  n'est  pas  autre  chose  que  cet  in- 
stinct, cette  volonté,  cette  action  même,  et  il  ne  peut  en  pa- 
raître autrement  que  grâce  aux  séductions  du  langage  (et  des 
erreurs  fondnuieutales  de  la  raison  qui  s'y  sont  figées)  qui 
tiennent  tout  elVd  pour  conditionné  par  une  cause  efticiente, 
|)ar  un  «  sujet  ■■,  et  se  méprisent  en  cela.  De  même,  en  elfet,  que 
le  |)euple  sépare  la  foudre  de  sou  éclal  pour  considérer  l'éclair 
comme  une  action  particulière,  manifestation  d'un  sujet  qui 
s'appelle  la  fondre,  de  même  la  morale  populaire  sépare  aussi' 
la  force  des  dlels  de  la  force,  comme  si  derrière  l'homme  fort  il 
y  avait  un  Mihsinilum  neutre  qui  sfrait  iihrc  de  manifester  la 
force  ou  non.  .Mais  il  n'y  a  point  de  sui)stratum  de  ce  genre,  il 
n'v  a  point  d"  n  cire  i>  derrière  l'acte,  {'('Ifcl  cl  le  devenir;  !■  l'ac- 
teur "  n'a  été  ([u'ajouté  à  l'acte  —  l'acle  est  tout  (  I  i.  " 

Fort  bien,  nous  admettons  que  \iulr  soii  tout,  mais  Varie 
n'est  pas  simplement  la  force  brutale  et  aveugle  :  l'acte  est  une- 
énergie  qui  se  développe  suivant  une  tin,  ou  tout  au  moins 
vers  une  intensité  plus  grande;  c'est  une  puissance  qui  devient' 
autre,  (|ui  se  divcrsilie.  (|ui  change  du  pis  au  mieux  ou  du  moins 
au  plus,  (h-,  la  (|uanlili'  pun'  est  immuable,  coniuie  je  raéca-> 
nisnie  pur  ;  supposer  un  développeuKMit  dans  la  quantité,  c'est 
y  introduire  la  qualité.  C'est  qu'en  elfet,  le  mouvement, 
catégorie  générale  de  tnul  changement,  ne  peut  pas  plus  se 
concevoir  sous  la  raison  unique  de  l'unité,  de  l'identité,  suivant 
la  thèse  de  Parménide.  que  comme  un  écoulement  continu, 
ainsi  que  le  voulait  Heraclite  ;  le  mouvement,  c'est-à-dire  toute- 
activité  en  état  de  développement,  est  une  synthèse  de  la  qualité 
et  de  la  quantité,  de  l'écoulement  et  du  permanent,  du  inrtiir  et 
de  Vautre,  comme  disaient  les  Anciens. 

Nietzsche,  tout  simplement,    a  manqué   d'analyse  et  traité- 

1     Li  Géitédlorjie  de  lu  Murale,  p.  C4-65. 


LE.S   VMEriiS   UiiHMES  007 

l'activité  conimi'  une  >im|il('  (|ii;intilt'.  Ij'  Siirhomtiic,  c'est-à-dire 
riiomme  itcrriTtiunné  ile  l'avenir,  ne  sera  tloiu-  pointée  j)roduit 
formidable  d'une  prétendue  force  aveu^^le,  qui  serait  au  fond  de 
l'humanité,  inconsciente  de  sa  lin,  privée  même  de  linalité  :  ce 
sera  au  contraire  le  fruit  de  l'activité  coordonnée,  de  l'activité  se 
développant  dans  le  sens  de  sa  (in.  dans  le  sens  de  sa  qualité, 
c'est-à-dire  dans  le  sens  de  la  raison.  Peut-être  alors  le  prêtre, 
ce  factein-  de  la  qualité,  aura-t-il  un  n'ile  prépondérant  sur  celui 
du  guerrier,  de  la  brute  aristocratique,  dans  la  fabrication  de 
l'idéal  auquel  tend  l'humanité  future. 

Ai.MrRT  L.VFONTAINE. 


IV^  CON&RÉS  INTERNATIONAL  DE  PSYCHOLOGIE 


PÉRIPATÉTISME    ET    PSYCHOLOGIE  EXPÉRIMENTALE, 

par   11.   i'ElLLALlSE     1    . 

La  syiiipiilliii'  ilrs  |i('ri|ial(''t  ii'iciis  |i(Hir  la  |is\  i-|inliij;ic  ('\|i('Tiiiirii- 
lalo  et  des  partisans  df  la  iisyclinlojiic  i'\|iiriiiii'iilalr  ]iiini-  le  |ii'ii|ia- 
létisme  est  iiii  t'ail. 

Les  [H'cniiefs.  an  lirii  de  m'  dciiiaiidri'.  axcc  mauvaise  Imiiiciii', 
comme  dr  l'Miains  |diilos()|>lies.  «juidle  peut  l)ieii  èlre  l'iilililé  de  la 
[isyeli(i|i!i\sii|iii'  il  lie  la  iisycliiinn-trie.  de  la  |)sycliologii'  ]diysiiil<)^i- 
(]ue  el  de  la  |is\iliiilii^ie  niùrliidc.  an  lien  dr  s'iiidif^ner  an  ninn  si-nl 
de  psyeholojiie  des  laboratoires  et  des  lii'ipitaiix.  iionrrissenl,  au  eon- 
'raire.  |)inii'  ees  sitrIi'S  di-   reelierehes.  des   si'utinients   de.tn's  vive 

1)  Extrait  ilu  Coiiuile  rendu  des  swiicps  public  aver  le  texte  des  mémoires  par 
le  D'  Pierre  Janel.  secrétaire  général  du  Congrès.  1  fort  vol.  in-8",  20  francs, 
(Paris.  Kcli\  Aixan,  élileur). 

I.e  compte  rendu  des  séances  et  le  texte  des  niémK.ies  du  IV'  cotif/rès  inlenia- 
lional  de  psyrliolof/ie.  tenu  à  Paris  du  20  au  2(1  août  1900,  sous  la  présidence  de 
M.  Th.  Kibot,  de  i'Inslilut,  viennent  de  paraître  chez  léditeuv  Félix  Alcan.  lis 
forment  un  iuiportant  volume  de  800  pages  contenant  plus  rie  i'M  conmiunica- 
lions  publiées  in  extenso  ou  résumées,  iiinsi  que  les  discussions  auxiiuelles  elles 
ont  donné  lieu.  Cette  publication,  faite  par  les  soins  de  .M.  le  D'  Pierre  Janet,  se- 
crétaire général  du  congrès,  prouve  la  vil.\lité  do  cette  science,  et  les  miins  des 
savants  fiançais  et  étrangers  ipii  v  ont  apporté  leur  concours  témoigneni  de  l'inté- 
rêt quelle  présente.  La  dassitication  des  sections  adoplée  dans  le  congrès  a  été 
conservée  dans  le  volume  et  sous  les  titres  de  :  l's;/c/iolo(jie  tliins  ses  lappnrls 
avec  Vaiiiitoiitie  el  la  piti/siolofiie  :  —  Psi/chologie  iiiliospeclire  dans  ses  rapports 
(icpi-  /"  pliilosopliie  :  —  l's;/cliologie  e.rpêrinienlale  et  psijcho-physique :  —  Psyc.liolo- 
i/ie  pal/iolor/ique  el  pstjcltiatrle .  —  l'sycliolor/ie  de  l'Iiypnotisine.  de  la  suggestion  el 
ciiieslions  connexes  :  —  Psychologie  sociale  et  crintiiielle  :  —  Psychologie  animale 
comparée,  anthro/joloriie.  ethnologie,  se  trouve  rcpi-oduile  l;i  physionomie  des  in- 
téressantes séances  présidées  successivemsnt  par  .MM.  .\Ialhias  Duval,  X.  liinet, 
Magnan,  Bernheim.  Tarde.  Yves  Uel.ige.  ou  p.ir  leurs  collègues  étrangers. 

l'lusieui-5  tables  très  précises  teruiinent  ce  volume  :  elles  en  faciliteront  la  lec- 
ture et  permettront  aux  liavailleurs  de  retrouver  les  éludes  qu'ils  veulent  suivre 
au  milieu  de  tant  de  travaux  divers. 


i'i:itii'Ari:Tis\ii:  et  i^syrimuitUE  E.xi'EiiiMi.yr.iLi-:        cm 

curiosilt'  scii'iilitii|iii'.  A  \  Jnslilul  pliiliixiijjltUjiii'  de  l,cniv;iiii.  ils  nul 
<réi''  un  laboraloirc  de  j)sy('li()U)gie  pliysiologiqin^  cl  ornanisi'  clcs 
«■ours  de  sciences  à  côté  des  cours  de  pliilosopliie. 

I.cs  seconds,  reconnaissaiil  la  ni'cessité  d  une  synthèse,  au  uiilieir 
des  documents  IVat;iMi'utair('s  cl  t'pars.  avec  lesquels  ils  vivent  danV; 
un  intime  el  liientaisaiil  ciuitacl.  smil  unanimes  à  déclarer  que  la 
synilièse  uatucelli',  où  les  trouvailles  scientifiques  viennent  s'oi'dou- 
ner  d  ellcs-iiiciucs.  chacune  à  son  rani;.  ne  se  trouve  que  dans  la  lui'la- 
ji|i\sii[nc  ai'ishili'liciciiiic.  Il  suflit  de  i-M|i|iclcr  les  nniiis  de'  \\  iiiidt  et. 
d'.Mcxaudrc  Bain.  Ce  <tcrnier.  dans  son  livre  llfs  sciix  ri  de  l'iiilrlli- 
tjenci'.n  publié,  en  a|)pendice,  un  résumé  de  la  psycholof^ie  du  Staj;ii-ile. 

Celle  sympathie  intellecluelle  s'e\pli(|ui'  pai-  une  ciiniiiiiiiie  pi-i'di- 
lecliou  |ionr  les  méthodes  objectives.  De  part  el  d  autre,  quand  on 
veut  tirer  de  la  masse,  (diqueler  el  classer  nn  pliéntunène  ipiel -on- 
que  de  la  vie  intérieure  el  subjective,  on  se  préoccupe  de  lui  assigner 
des  maripies  extiM'ienres  et  une  notation  objective.  Sans  dédaigiu'r 
les  HM'Iliodes  subjectives  nu  I  inti'ospection  —  f[ue  rien  ne  saurail 
i-euqdacer  — nn  cdiisidère  couune  |dus  si'ieiililii|ue  uni'  l'hidc  |>lus 
impersonnelle. 

Prenons  des  i'\i'[ii|ilcs.  Pour  étudier  les  si-nsatioiis,  les  images,  les 
souvenirs  et  les  sentiments,  l'idéal  de  la  psychologie  expérimentale 
consiste  à  rattacher  ces  étals  psychologi(iues  à  des  ciuulitiiMis  anato- 
mi([ues  et  physiologiques,  et,  en  particulier,  an  mcuivemcnl.  Elle 
.'sfime,  en  outre,  ipie  ces  conditions  ne  sont  pas  extérieures  à  la 
conscience  sensible,  ni  accessoires  et  secondaires,  mais  au  contraii-e 
intérieures  el  essentielles.  C'est  ainsi  que  M.  Ribot,  dans  sa  /'■<'/- 
iltiitiiijii'  (les  sriiliini'iilx,  voulant  préciseï'  le  rapport  des  conditions 
organiques  el  des  ciuulitions  psyclujlogiques  d  un  même  ]ibén(uiiène 
alVeclif.  se  rallie  à  la  formule  ["'ripatéticienne  de  la  matière  et  cle  la 
l'orme  :  ou  ne  peut  exprimer,  avec  pins  d(>  netteté  et  de  force,  le 
r-aractère  iinlliilrr  de  lorganisuu'  et  di'  la  conscience  dans  certaines 
uiauifeslalioiis  de  noli-e  vie  psychologiipii'. 

(  ir.  n'est-ce  pas  là  du  |iur  |)éri|)atétisme  ?  .\rist<ite  procède  d'nin' 
manière  (dijective  dans  l'étude  des  sens,  de  la  ménn>ire,  de  l'imagi- 
nation l'I  de  l'appétit  .sensilif.  Le  -îsl  ■W/r,:  et  les  opuscules  connus 
sons  le  nom  de  l'tirca  niilurnlia  sonl  des  traiti'-stle  psychologie  expi'- 
rimentale.  autant  ipie  des  traités  de  métaphysique. 

Leur  auteur  s'\  emploie  à  localiser  les  dill'érentes  parties  de  l'àme 
et  à  déterminer  la  part  du  corps  dans  les  faits  de  la  vie  sensitive.  Les 
conditions  corporelles  \\v  siuit  pas  extéi-ieures  à  la  ccuiscience.  mais 
iuli''rieures.  Les  ■•  [lassions  ■•.  pai-  e\eiii]ili'.  ~iiiii  .ippi'h'M's  des  u  misons 


610  K.  PEILLAUBE 

niali'rii'Ut'S  ",  Ào-'o'.  kvj'/.o:  :  et  le  liai nralish'.  à  ijui  il  a|i|iarliciil  de  Ifs 
ilt'liiiii-.  iliiil  faire  fiiti-i'i-  dans  sa  déliriition  les  éléiiienls  iiuilériels. 
juissi  liieii  i|iii'  les  élémcnls  formels.  I^a  eolèi-e  nest  pas  seulemeiil 
le  désir  de  la  venj^cance,  elle  est  aussi  un  certain  boiiiJIonneinenI  du 
.-sang  aiiloiir  du  i-ieiii-.  D'ailleius.  ]M)iir  Aristole,  lorgane  et  la  fonction 
ne  soiil  pas  extérieurs  I  un  à  l'aiilre,  (|uand  il  sagit  de  la  vie  végéla- 
live  el  de  la  vie  sensitive  :  ce  ne  sont  pas  deux  entités  séparées, 
l'omine  le  pensail  Descaries  ipii  a  ci-eiisi'  un  aliiiiie  entre  le  corps 
el  I  .•'une;  l'or^iane  el  la  l'oiielion  ne  consl  il  lient  ((il  une  seule  réalité  à 
di'iix  l'ai;es  distinctes.  C'est  le  iiiiMii--iiie  aristotélicien. 

i^e  ])éi'ipalélisnnJ  .ipiritiiiilislr.  ipii  est  le  mitre,  devient  dualiste  à 
partir  du  voO;.  Tout  en  admettant  le  pai-allélisnie  de  rima,ii;ination  l'I 
du  ciuicepl.  il  exilnl  de  la  déllnilioii  de  ce  dei-nier  les  eiuidilions 
;uiatnmii|ues  et  pliysiologiiiues.  ipii  i-eslent  extérieures  el  ne  ser- 
vent ipie  de  soutien.  Il  ne  pri'teiid  pas  qu  un  li(uiiine  di'ci'ré'In-é  pmir- 
!'ait  uormalemeiil  exercer  les  tond  iiMis  de  la  vie  iiilelle<'t  iielle,  —  cai', 
d'a|)rès  lui,  le  conce|il  est  alistrait  île  rimaj;e.  —  mais  il  estime  (|ue 
le  -l'j'j;  est  itUi-hisrijuinin'iil  iiidi'penilanl  des  conditions  corporelles. 
Hii  ri''suiiir',  le  |i(''ripatctisme  et  l,i  psychologie  expérimentale  ont 
une  preféi'i'iice  mari|iiee  poiii'  les  méthodes  objectives  :  ils  tout  une 
très  large  place  aux  condiliiuis  anatomicpies  et  physiologiques,  qu'ils 
regardent  eomiiie  aussi  essentielles  (|ne  les  ciuiditions  psxcliologi- 
(|nes  el  siilijei-|  i\ es. 

Il  e>t  nu  point  sur  leipiel  Aristole  s'esl  inoulii'  plnslidèle  à  la  mé- 
llioile  objeelive  (pie  la  plupart  des  parlisans  de  la  |)sychologie  expé- 
rinu'ntalê  :  ceux-ci  suivent  trop  souvent  les  eri-emenis  de  raucienne 
)is\cliologie. 

1) Ordinaire,  le  premier  chapitre  de  la  psychologie  est  consacré  à 
la  conscience  et  aux  sensations,  (lu  y  décrète  «  yj/'f'»/';.  les  uns.  qin- 
la  conscience  est  un  é|iiiihéuomène;  les  autres,  qu'elle  constitue  toute 
la  vie  psyciiologique  ;  les  premiers,  (pie  les  conditions  corporelles 
soûl  le  principal  :  les  seconds,  qu'elles  sont  l'accessoire. 

Il  est  plus  scienti(l(jue  de  creuser  sous  la  con.science  et  même  sous 
la  sensation,  jus(|u';'i  la  racine  même  de  la  vie. 

Kn  suivani  celle  méthode,  on  voit  se  dégager  d'aliord  les  uoli(uis 
d'organe  el  de  fiMiction,  ])uis  la  conscience  ipii  sert  de  caractéris- 
tique à  certaines  fonctions.  La  nutrition  apparaît  comme  la  base 
physique  de  la  sensation  et  de  la  conscience.  Les  manifestations 
su|)érieures  de  la  vie  humaine  sont  éclairées  par  les  manifestations 
inférieures.  Le  plus  simple  projette  sa  lumière  sur  le  moins  simple. 


rÉIlllWTÈTlSME  ET  l'SVCIKiUil.lE  ICM'ElilUE.STAI.I-:  (111 

Cesl  l;i  iiu'lliodc  (lijieclivc  [lar  cxcclleiirc.  Aii^iislc  Conilc  ;i  classe 
h^ii  sciences  tl  après  les  deg'rés  de  généralité  déci'oissaiili'  el  de  cnin- 
|d('\ilé'  criiissaidc,  les  plus  f;é'iu'' raies  i.'l  )iar  coiisi'm|ui'iiI  1rs  plus 
siin])l('s  (li'xanl  servir  à  éliklier  les  moins  j;éiii''i'ali's  el  les  moins 
sim|des.  I.a  Hialhémalifjiie  éclaire  la  pli\si(|ne;  la  |diysi([ne,  la 
cliiniie:  la  eliimie.  la  hiolo^^ie  ;  el  la  liiol<iL;ie,  la  s<ici(do!;ie. 

Le  -£-/:  ■\'J'/',^  esl  lin  Iraili'  de  la  vie.  Arislole  xciil  (|ne  la  science 
de  la  iialni'e  eclaii'e  la  science  di'  l'àine  :  el,  dans  la  science  de  IVinie, 
([lie  l'étude  de  la  vie  organi(|ue  projette  ses  clarli's  sur  la  vie  seiisi- 
live,  et  léluile  de  la  vie  sensitive  sur  la  vie  iulellective.  Kn  d'autres 
termes,  il  (  xpli([ne,  eu  uu  certain  sens,  le  snp{'rieur  par  l'inférieur, 
le  moins  général  par  le  plus  f;én(''ral,  le  nniins  simple  par  le  plus 
simple  :  u'esl-ce  pas  le  procédi'"  l'ssentiel  de  tonte  higiipu' de  passer 
du  pins  connu  an  moins  connu  ? 

Il  serait,  (loue  à  désirer  ()ue  le  premier  idiapilre  de  la  psyclndoj^ii' 
l'i'd  consacré  à  l'étiule  delà  vie. 

Sans  jeter  le  discri'dil  sin'  Temploi  des  im'd  liodcs'' snliji'c!  i\'es  ipii 
soûl  indispensahles,  nous  souliailous  de  voir  se  développer  l'usage 
des  méthodes  olijectives,  el  se  resserrer  de  |)lus  en  plus  l'étroite 
alliani'e(le  l,'(  pli  ilosopliie  et  des  sciences. 

DiscrssiON 

M.  Séailles  iF^aris)  fait  observer  ()ue  l'accoi-d  i\f^  scolasti<iues 
avec  la  psychologie  .scientificjue  est  pins  appareil!   (pie  rcM'I. 

Pour  le  psychophysicien,  la  raison  <lii  coinpleve  est  ilaiis  les 
éléments,   le  snpi''rieur  s'expliipie   par   rintV'rienr. 

.\u  contraire,  le  P.  Peillanlie  recoimaîl  une  vie  propremeiil  spiri- 
tuelle qui  <li's  lors  n'est  pins  i''clair(''e  par  la  psycliopliysiipie  el  ipii 
est  la  vraie  \ie  de  res[irit. 

Kn  second  lieu,  par  cela  même  qu'il  y  a  \i[n_'  vie  spiritindle  (pii  est  la 
lin  de  la  vie  sensible,  dont  celle-ci  l'ouruil  les  éléments  et  (pie  celle-là 
doiniue  el  organise,  il  doit  y  avoir  nue  aciion  de  la  vie  supérieure 
sur  la  \ie  inri'n'ienre  qui  est  moyen  el  iiiali(''re  par  rappori  à  elle.  Ih's 
lors,  dans  ICxplicalion  même  de  l'inférieur,  lidee  du  siipi'rieiir  doil 
intervenir.  La  vie  sensible  elle-même  ne  doil  pas(''lre  ideiili(pie  (die/ 
l'Inuimie  et  che/.  l'animal,  par  cela  même  que  chez  l'homme  il  y  a  une 
vie  siqiérieui'e,  une  vie  spirituelle,  ([ni  se  sert  des  éléments  de  la  vie 
infériem'c.  Le  supi''rieiir  doil  n'agir  sur  riuf(''rieiir,  la  lin  sur  les 
moyens,  la  forme  sur  la  iiia!i(''re,  i 

:w 


CI2  i:.  PKlI.l.MBE 

M.  Peillaube  i  Paiis  .  —  NOIi-e  lionoralik'  [irésidciil.  .M.  Stsiilles. 
\(nit  bien  iiniis  objeclcr  i|ii('  l'accorcl  est  pui-cinent  laclicc  entre  la 
psycholof^ie  cxpcTÏmenUili'  ri  le  péripatêtisine  spii-iiiialisle  :  si  le  voj^ 
est  irrédiictihle  aux  sens,  le  supérieur  ne  peut  être  l'elaiii'  par  lin- 
IV-rieur.  e  est  au  eonlraire  I  infi-rieui-  qui  est  T'ejaii'i''  ])ar  le  supi'M'ieur. 

ItKI'l  (.NSl'i.  —  1"  La  preiuièi'e  (ihiection  esl  tirée  de  la  uatuie  même 
lie  la  UK'lluiile  positive  el  île  la  psyclKifo^ie  expérimentale,  ijui  eon- 
,-islenl  à  iilrntitiei-  le  supi'rieur  et  rint'érii'ur.  nu.  du  ninius.  à  ne  voir 
riitre  l'un  et  l'autre  qu'une  dill'i'rence  île  de^ré  de  eomplexili'  :  con- 
ii'pliôn  ini(U4eilialile  avee  le  péripatélisuie.  ipii  sriulieul  qiu-  le 
supérieur  ne  sr  peu!  i-aiiieuer  à  I  inlérieui'.  qii  il  \  a  entre  eux  uni' 
ditl'érenee  de  nature. 

Si  (pu'lques  posil  ivisic-  nul  eu  la  [iri'li'uiiuii  dr  ri'duirr  liuil  à 
I  unili''.  la  iiii'l  hnde  pi i>ili\  !■  ur  iliiil  pas  en  être  ri'spiin^alile  :  elle  a  srn- 
lemeut  pour  l'ssenee  d  allei-  du  plus  eminu  au  moins  eonnii.  du  |)lus 
^éiu'-ral  au  moins  };énéral  ;  ])ar  exenqdi'.  des  mallu'maliques  à  la 
pliNsique  el  à  la  chimie,  ili'  la  pliy.sique  et  de  la  iliimie  à  la  liioloi;'ie. 
de  eolle-ei  à  la  psycholnj^ii'  el  de  cette  dernière  à  la  sociolo;;ie.  l'oui' 
Justilier  ce  pi'Océilé,  elle  peut  invo<pier  tieux  unjlil's.  don!  cluicun  vaut 
séparémi'ul  :  ou  le  supérieur  esl  ri''ductil)le  à  rinl'i'rieur.  ou  il  su|)|>ose 
l'I  contieiil  riuli''rieuravec  un  éli'menl  luiuveau  m  plus  ;  ilan>  les  deux 
cas.  la  mi'lhoile  esl  ii'i;ilime.  Klle  u'exif^e  nulkMuent  l'iilenlilicatioH 
du  su|)érieur  el  de  l'iulériiiir.  de  la  sociologie  et  des  uiallii''iuatiqiu's. 
De  même  la  |isvclioloj;ie,  traitée  au  mode  posilil',  ne  suppose  en  i-ien 
I  identilicat  ion  de  la  vie  organique,  de  la  vie  sensihlc  cl  de  la  vie  in- 
tellectuelle. Klle  ((crmel  de  disliu^uei-  li'ois  fleures  de  vies,  absolu- 
ment irri'duclihles,  |iouvaiil  être  vécues  chacune  par  il  es  individus  dif- 
l'érents  ou  toutes  les  Inn-  pai- le  méuu' individu  :  il  lui  sullil  que  la  vie 
>npériem-e  se  l'onde  sur  la  \  ie  int'i'i-ieui'e.  riulrlli^-eucr  sur  la  seusa- 
lion  et  celle-ci  sur  la  nuli-itioii. 

.\ussi  bien,  certains  partisans  de  la  psycliolngie  expi''i'inientale,  qui 
.•.uiviri'ut  .'i  une  iqioqui'  les  errements  métaphysiques  d'.\uj;iiste 
Comte,  acciiseid  aujoui-d'hui  des  tendances  moins  simplisli's  :  l'inni- 
j;inatiiui.  mieux  étnilii''e.  leur  apparaît  de  plus  eu  plus  irréductible  aux 
.sens;  la  \  ir  aU'ectivc.  aulret'ois  si  peu  connue,  n Cst  plus  i-egardee 
comme  un  ■^uccédanl'  de  la  connaissance;  la  vie  du  voj;  se  distingue 
avec  plus  lie  précision   de  la  vie  des  sens. 

Il  est  donc  loisible  d'admettre  des  catégories  d'êtres  irréiluctibles, 
notamment  trois  genres  de  vies,  el  de  niuirrir  eu  même  lemj)s  des 
>\  iupatliie~  pour  la  nii'l  II  ode  positive  et  la  psychologie  ex  pi 'ri  me  nia  le. 


l'IillinATÉTISMIi  ET  l'SYCIInUn.IE  i:.\l'i:iil\li:.\T.\LE  (il3 

(il-  soiil  d'ailleurs  des  syiii[iatliies  île  métaphysiciens  :  après  avnir 
clierehé,  de  coiicerl  avec  les  psychologues  positifs,  un  (en-ain  solide 
ni'i  l'on  puisse  iiietlie  le  pied,  nous  nous  élevons,  avec  eux  ou  sans 
eux.  dans  une  i-egion  moins  matérielle  où  l'on  trouve  des  esprits 
ailés,  de  puissante  envericure.  dont,  hélas  !  la  craiide  du  verti.ue 
empêche  (pielipud'ois  de  suivre  le  vol. 

•2"  Na  seccmde  t)l)jectioa  ne  saurait  nous  atteindre.  .Nous  reconnais- 
sons avec  M.  Séailles  que  le  supérieur  réagit  sur  l'inférieur  et  que  la 
vie  sensiliie  n'est  |)as  absolument  identiiiue  chez  l'homme  et  clie/. 
l'animai.  L'imagination,  la  mémoire  et  la  vie  afl'ective  sensible  de 
l'homme  se  distinguiMit  ]iai'  un  degri'  d'activité,  de  perfection  et  de 
délicatesse  (pii  tialiissent  le  voisinage  d'une  vie  spirituelle,  dont  il 
faut  tenir  couq)te  p(uir  étudier  ces  facidlés. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


DISCl  SSTON  A  PROPOS   D'  a  AVICENNE  » 


Lfllif  <li'  M.   Il'   llririiti   Citrrd  ilc    VdK.i  . 


Monsieur  le  Dirccli'iir. 

Vous  lui'  [ICI  iiu'lln'/  ilr  [■(■■|iiuiilrr  ijurliiucs  uiiils  ;ui\  c-i'il  ii|ui'S  <|u';i 
adresséi's  M.  N;ni.  ilaiis  \v  niuui'io  de  juin  di'  miIi'c  revue,  à  mou 
(iuvi'af;(>  sur  Avicenne. 

Il  ne  ii.irait  pas  en  f^éiiéra!  i|ue  M,  Nau  se  suil  icudu  loiil  à  lait 
côuiiile  (li'S  ('(unlil  ious  (le  uliui  sujet.  Il  piMiiu'.  pari'\eni|ile,  le  i-euvoi 
aux  sources  ;  c  est  exceilcul  (juaiid  les  sources  existent  ;  uiais  ipiand 
les  ouvrages  de  iirernière  niaiu  sont  |ierdus,  comme  dans  la  i|iieslioii 
des  Molazolites,  force  est  de  s'en  leuii'  à  ceux  de  seconde  m.iiu. 
Vouloir  (|ue  l'iui  ne  parle  pas  ou  (|u\>u  ne  parle  ipi'en  noie  des  sujets 
(jui  ne  sont  connus  que  de  seconde  main  est  une  prétention  exa- 
gérée ;  et  je  croi.s  avoir  pron\é  |)ar  le  l'ait,  en  traitant  des  Motazélites 
d'après  Chalirastani  et  el-Idji,  <|ue  l'on  pouvait  encore,  avec  des 
sources  secondaires,  écrire  des  chapitres  inléressants  et  de  fjuel(]ue 
solidité. 

L'auteui-  du  compte  rendu  trouve  ma  liililiograpliie  d'Avicenne 
insuftisanli'.  .le  ue  saurais  partager  cet  avis.  M.  Nau  sait-il  hien.ee 
«jue  c'est  i|ue  de  faire  la  bibliographie  d'un  grand  auteur  nuisnimau  ? 
C'est  un  travail  excessivement  difticile,  pourleipu^l  il  n'existe  aucune 
méthode  sûre  et  (jui  i)eiit  prendre  ])lnsieurs  années,  ])arce  que  les 
titres  donnés  |)ar  les  bibliographes  arabes  ne  sont  ])as  toujours  iilen- 


mSCVSSUiS  A  l'nnl'ns  I)      AVl(i:\SE  ■■  015 

thjiio  pour  le  inéine  oiivragf.  ijii'iiiic  f;i;iiiili'  i|ii;iiitilf  di-  ces 
ouvrafîés  sont  perdus,  (|ue  d'autres  sont  apocryphes.  (|ue  quehpies- 
uns  existent  dans  des  l)il)liotlièques  orientales  à  peu  près  inaccessibles, 
que  plusieurs  sont  calalofçués  sous  d'  faux  titres,  et  qu'un  certain 
noint)re  sont  inqtrimés  dans  des  imjjrimeries  orientales  dont  nous 
n'avons  |)as  les  inventaires,  et  dont  les  produits  ne  peuvent  nous 
èlre  coiimis  ((ue  par  hasard.  L'autre  joui-,  étnni  à  Constanlinople.  j'y 
triiiixai  une  impre.ssion  persane  de  la  hiknvi  aldi  d'Aviceiine  :  je 
n'avais  a  /jriuri  aucnn  moyen  certain  de  connaître  à  Paris  l'existence 
de  cette  édition,  .l'ai  dit  dans  mon  livre  que  la  bibliotiiéque  de 
Sainte-Sophie,  dans  la  même  ville,  possédai!  un  manuscrit  catalogué 
comme  étant  la  pliilosuphie  illumhtalivi'  d'.\vicenne.  J'ai  pu  voir  ce 
mauiiscril  :  le  litre  en  était  faux.  Et  îles  ei'reursd"  ce  genre  ne  sruit 
|ienl-étre  pas  localisées  dans  le  seul  (d-ieul. 

Les  indications  ({ue  j'ai  données  sur  les  ouvrages  d'.Vvicenue  sont 
suriisanles  pour  que  l'on  [)uisse  se  former  une  idée  de  l'ceuvre  de  ce 
|ihilosoplie.  Si  des  orientalistes  veulent  travailler  ulli'rieureinenl  sur 
des  portions  de  celte  œuvre,  ils  savent  fort  bien  ([u'ils  auront  tout 
d'abord  a  rechei'cher  les  manuscrits  et  à  en  vérifier  l'aulheuticité. 
C'est  leur  affaire  et  non  la  mienne.  Historien  des  idées  générales, 
c'est  assez  que  j'aille  étudier  ces  idées  dans  les  ouvrages  capitaux 
présentement  accessibles.  —  Quant  aux  non-orientalistes,  je  leur 
conseille  vivement,  jusqu'à  ncjuvel  ordre,  de  ne  pas  Iravailler  Mir 
.\vicenne. 

M.  .Nau.  i[ui  me  reproche  de  m,iu(pier  en  c|ui'lijiii  >  eu{lroils  de 
"  précision  ",  ose  dire  qu'à  l'époque  d'Avicenne  «  le  cycle  des 
sciences  ••  "  ne  renfermait  presque  pas  de  science  ■•.  Vi>ici  ce  qu'il 
renfermait  :  Dans  les  sciences  mathématiques  existaient  :  les  œuvres 
d'.Xrcliimède,  d'.\pi>llonius,  d'Kuclide,  de  Tliéodose,  de  Ménélas.  de 
Floléniée,  de  Héron  d'Alexandrie,  de  Pliilon  de  Byzance,  de  Dio- 
phante.  etc.  :  dans  les  sciences  philosophiques,  celles  de  Platon, 
d'.\rislole.  de  Plotin.  de  Porphyre,  des  commentateurs,  plus  la  mul- 
titude des  écrits  de  l'époijue.  Km  linguistique,  l'on  i)Ouvait  apprendre 
l'arabe,  le  |)ersan.  le  lui-c.  le  pehivi.  lesan.scrit.  riiindoslani.  le  grec, 
l'hélireu.  le  syriaque,  l'éthiopien,  sans  parler  de  tous  les  dialectes  de 
ces  ditl'érentes  langues  tlont  la  connaissance  devait  être  quelquefois 
utile  à  des  hommes  qui,  comme  .\vicenne,  voyageaient  beaucoup. 
Dans  les  arts,  on  avait  la  poésie  avec  ses  multi[)les  rythmes,  la  mu- 
sique avec  sa  vingtaine  de  modes,  l'architecture  alors  brillante  en 
Perse,  la  sculpture,  la  céramique,  l'art  des  horloges,  des  orgues,  les 
arts  hydrauliques  et  une  foule  d'autres  arts  accessoire-^.  lùi  religion. 


Ci6  Baron  Carra  de  VAUX 

(111  récitait  par  cœur  le  Coran,  dcjà  tlaiH[iié  d'énormes  cniriiaçiilairt's  ; 
on  étudiait  la  jurisprudence,   scindée   entre  une  demi-douzaine  dr 
grandes  écoles  :  on  apprenait  les  traditions,  au  nombre  de  plusieur> 
dizaines  de  mille  avec  leur  orij^ine  et   leur  classement  critique  ;  el 
Jallais  omettre  la  mysti((ue  cpii  constituait  à  elii' seule  toid  un  art  et 
toute  une  science;  on  joignait   rncore  à  cela  un  peu  d'apiiloi^i-liiiur 
('(uilre  les  Cliréliens,  les  Parsis  et  les.luifs.  En  histoire  naturelle,  on 
avait  la  l)otani(|ue,  la  pharmacopée  el  la  mi'deciiie.  dont  .M.  Nau,  san;- 
cii    avilir   l'ail    re\p('rience   sans  dnule.   Jugi'  i|ii  elles  cipiiN  alaicnl   à 
celles  du  malade  imaginaire,  mais  i|ui  n  en  l'ormaienl  pas  moins  un 
volumineux  répertoire  très  capalile  de  charger  l'esiirit  :  on  devail  en 
oiilre  posséder  sur  les  mœui's  <les  liéles  les  nnlioiis  iiidispeu>alili'^ 
pour   la   vie  domesli(iue.  pour  les   Irauspoi-ls  el  pour  la   vi'iicrie.  Si'> 
sciences  hisl(U'iipies  comprenaient    :   riiislnirr  des   ipialii'    |ii-rmiers 
siècles  de  rislam.  ciumne  aliirs  celle  de  Louis  \l\   anjouiMlliui,   plus 
quelrjue  chose  (l(>s  histoii'es  étrangères  :  la  connaissairce  de  I  étal  po- 
liliipie  et  administratif  de  l'Orient  avec  ses  rac(!S  diverses,  avec  ses 
pritici|)autés,  ses  villes,  ses  dynasties  locales,  forma  ni   iiii  Uuil   plu^ 
com|)lexe  <|ue  la  fédération  achndie  des  Klals  germauii|ues.  I.a  géo- 
graphie  c(Hisistait  dans  la  descri])ti"n  du  \asle  monde  musulman, 
acccompagnée  de   notions  sur-   les  autres  conln'es.  dans  la  cmiiiai'-- 
sance  des   récils  et    di-s  éci-ils  des    voyageurs,   el  .    -^i    j  use    le    dire. 
dans  un  |ieu  de  l'olklure.  lùiliu,  ce  pouvait  être  un  devoir  di'  s  initier 
à  l'art  du  gouvernement  el  au  nu'Iierdes  armes.  — Maintenant  «  pre- 
nez un  hacheliei-  de  seize  ans  ■>  si'Ion  la  recelti'  de  M.  .\an.  el  consta- 
le/.  ijue  II' cycle  de  .sa  science  est  plus  large  que  celui-là  !  V.n  vériti'.je 
suis  bien  pei'suadé  que  si  Avicemu'  a  prélenilu  avoii',  à  dix-huit  ans, 
connu  la  sonnne  des  sciences,  ce  n'esl  par  jiarce  (|ue  celle  somme  ne 
renfermait  '<  pas  de  science  »,  mais  pai-ce   que   uoire   héros  était    un 
peu  vantai'd. 

D'ailleurs,  la  science  eùl-elle  clé  alors  beaucoup  moins  l'ieuilue  ipie 
je  ne  viens  de  dire,  il  est  encore  bien  clair  que.  lor.sque  nous  admi- 
rons les  graiuls  savants  du  pa.ssé,  ce  n'est  pas  sur  leur  science  niéme 
que  se  porte  surtout  notre  admirai  ion,  c'est  sur  leur  puissance  intel- 
lectuelle. Nous  les  jugeons  dans  leur  ndiieu  el  dans  leur  temps,  et 
nous  louons  non  pas  tant  le  site  même  où  ils  se  sont  trouvés  phu-és 
que  les  mouvements  qu'ils  ont  accomplisà  partir  de  ce  sile. 

L'auteur  de  la  critique  a  cru  devoir  défendre  contre  moi  les  spé- 
cialistes modernes.  Je  ne  les  ai  point  attaqués.  J'ai  exprimé  beau- 
coup de  sympathie  pour  les  experts  qui  sont  encyclopédiques  ou 
qui  cherchent  à  l'être:  mais  je  n'ai  nié  ni  l'utilité  ni  le  mérite  de  la 


LES  DILEMMES  DE  LA  ME rAI'llYSlQVE  l'IliE  017 

S|i('ci;ili-.il  iiiii.    ce  (jiii    ci'il    v\i-   uni' iil  Iriiih'  a    mes    |irii|in'--   hM\.iii\. 

l'jiliii.  M .  N.iii  a  ilc'cliiri' i|ii'il  li-iiii\:iil  peu  si'riiMix  le  ni\  I  lie  de  Salii- 
iiKiii  l'I  il  AliMil  par  lri|iirl  j  al  Irniiini'  I  imi\  raj^r.  O  iiivllic  rsl.  pinir- 
taiil,  Miiis  riiiilr>lr,  liirl  juli.  l'I  il  lll.'l  ail  ImiiiI  iIii  iixrr  iliir  iiiili'  trr-. 
i-arai'li'risliipir,  Irès  vivi'  t'I  1res  siigf;-('sli\  r. 

.Il'  ne  iiii'  (li'li'iMlrai  pins  ipi'à  dciiii  sur  un  ri'pi'orlir  ipii  lu'csL  eu- 
cure  l'ait  liiiirliaiil  la  l'arou  iloulj'ai  eiii|ilii\é  le  luid  (//(().s7/r/;(e.  .le  sais 
([ue  eel  riiiplni  priil  u'i'li-e  pas  loiil  à  lait  h'^iliiiie.  Di'j.i.  ilans  lumi 
ouvraj^e  Mir  /<■  iii'iliiiiiirlisiUK,  je  iiu^  suis  sei'vi  du  uiol  de  la  illèuie 
l'aeiMi.  el  j'ai  i'\pliipu'  eu  ret  endroit  ipie  J'avais  besoin  d'un  ternie 
pour  designer  l'iisenilile  tous  les  systèmes  dans  lesipiels  la  Ihi'iuae 
des  êtres  inlerniédiaires  entre  Dieu  el  riiouuue  l'Iait  ti-ès  (Jéveloppi'e. 
.l'ai  (dniisi  le  tei'ine  iinus/iijiir.  en  atlendanl  cpie  I  un  nreii  pi-oiiose.  un 
aiilre,  el   l'aille  d'en  trouver  un  nieilleiir. 

Il  reste  t\ni\c  ipie.  sur  les  Sept  eritiipie^  de  M.  Naii,  il  v  êii  a  au 
moins  six  el  demie  d  iimliles... 

Quant  au  eiini|ite  rendu  hi  i-mi'ine.  il  ne  met  en  reliel'  ni  l,i  Uoii- 
veanti'  jj,r'ni''r;de  de  I  ouvrai;i',  ni  son  plan,  ni  ses  I  lièses  iirii;in;des. 
ni  ses  idi'es  essent  i elles.  (  tn  p.arail  le  donner  eoiiime  ineomplel ,  alors 
ipi  il  eiinlieiil  tout  ee  ipi'il  devait  régulièrement  contenir  selon  sou 
l'dendue  et  son  cadre,  a\ec  liuites  les  n'IVrences  nécessaires  pmir 
permettre  l'accès  à  de  plus  grands  di'lails.  —  Jihst  r.'iclion  t'.-iife,  je 
r.iviuie,  de  ces  légères  oiuissions  uu\i|uelles  tout  auteui-  est  ex|)Osé 
d.ins  1,1  première  édition  d  une  œuvre  diriicile.  M.  Nau  tend  à  u  v 
voir  ipiuii  (invi-age  de  vulgarisation,  alors  ipie  toutes  les  eoneept  ions 
en  ont  l'té  tra\aillées  à  m'iit,  et  qu'il  repose  en  inajeui'e  |ia,rtie  sur 
des  textes  arabes  doni  les  nus,  comme  les  h'jiîircs  sur  la  sa(/essr, 
édjti's  eu  (Irienl,  .ixaient  a  peine  l'Ii''  lii>  en  Occident,  el  dont  tel 
.■inti'e.  eiimiii.'  le  \niljiil.  l'dite  anciennemenl  en  (Iccident  au  temps 
où  la  Sciil.isl  iipie  yt'tail  encore  régnante,  ii'a\ait  peut-élre  pas  élé' 
relu  depuis  deux  cents  ans. 


LES  DILEMMES   DE   LA   MÉTAPHYSIQUE   PURE,  pu    Charles 
liE.NOUviER,  1  vet.  iu-S",  liNil  pugcs.  Paris,  Alc\x,  rjnl. 

Il  e.-t  ju~le  de  signaler  en  ,M .  Cliarles  lieiiouvier  une  connaissance 
l'Ieiidne  des  svstèiues  pliilosopliiipies  anciens  et  modernes,  un  esprit 
pi''ni''tr,anl,  nue  criti(jue  th'liée,  et  le  di'>ir  d'arriver  à  une  solnliiin 
délinitive  des  prohiènies  de  ini'lapliysique  ipie  la  r.iison  liiiinaine  se 
pose  depuis  ipie  riiomnie  ré'lir'chil  sur  ce  qu'il  est ,  dOii  il  vient,  et  on 


618  J.  GARDAIR 

il  va.  L'aiiteiir  l'ait  preuve  aiis^i  d'une  vérilahle  indéiieiulanco  à 
l'éf^ard  des  tliéories  les  i)lus  eu  vogue,  par  exemple  vis-à-vis  du  kaii- 
lisme,  qu"il  ne  craint  pas  de  critiquer  assez  vivement,  el  du  positi- 
visme matérialiste,  dont  il  met  à  nu  linsullisance. 

Kn  face  des  thèses  de  la  théologie  chrétienne,  l'attitude  de  M.  Uc- 
nouvier  est  très  originale  :  il  accorde  à  ce  qu'il  apjielle  <■  la  philoso- 
phie joannique  et  son  interprétation  nicéenne  ",  c'est-à-dire  à  la  théo- 
logie de  saint  Jean  et  du  Concile  de  Nicée  sur  "  le  Logos  »  ou  Verhe 
divin,  le  •■'  droit  à  une  place  entre  les  doi-ti-ines  (jui  ont  proposé  des 
solutions  du  [U'olilèiue  du  passage  de  1  Incoud  il  ion  né  au  (".oiidit  ion  né  »  : 
et  il  ajouli'  spirilui'lleiiH'iit  (pie,  si  elles  n  y  ont  pas  droit.  <•  ce  n  est 
certainenii'ut  point  i\uv  toutes  les  doctrines  ([u"on  regarde  comme 
strictement  philoso|ilii(pies  soient  ](ourcela  ]>lus  l'ationnelles  (  p. .'{;{'  ». 
Mais  il  écarte  ce  ipiil  nommi'  ■•  la  luytiiidogie  de  l'incarnation  ",  et 
il  prétend  que  •■  renseignement  sidire  de  .Jésus,  ses  paraboles,  qu  on 
avait  recueillies,  et  les  légendes  de  sa  vie  ne  fournissaient  |)as  léqni- 
valeid  d'une  philosophie  ••,  et  «(ue  niénu'  ■■  la  philosophie  de  .s;iint 
Paul,  encore  toute  messianiipie  et  consacrée  aux  iiiiestions  morales 
du  ])éché.  de  la  rédeinplion.  de  la  grâce,  et  de  la  résurrection  du 
Christ,  élail  humaine  cl  prali(HH'  au  plus  haut  degré,  hostile  au  gims- 
licisme  ■>.  Pour  lui  l'antenr  de  VEpîtii'  aux  Hébreux  est  inconnu,  et 
tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  ((u'il  était  contenq)orain  de  l'apùtre 
saint  Paul.  Ces  incin-sicuis  dans  le  domaine  de  Texégèse,  en  un  livre 
de  |)hik»;opliie,  nous  paraisseid  regreltahles.  et  ce  jugement  som- 
maire et  sans  iléliat  qui  traite  l'iucarnalion  de  mythologie  est  inad- 
missible. 

D'ailleui's,  M.  l{euou\ier  montre  une  grande  justesse  de  coupdo'il 
dans  l'appréciation  du  désarroi  où  sépuise  noire  époque,  par  le 
défaut  de  direction  acceptée  en  pliilosoi)hie.  ■■  i/exactitude  et  la  pré- 
cision font  défaut  dans  l'enseignement  des  pi-incipes.  dit-il,  et  on  ne 
sait  pins  bien  ce  qu'il  faut  ci-oire  et  ce  qu'il  faut  ré|>udier  des  grands 
^vstèmesdu  passé.  In  positivisme  qui  s'est  beaucou|)  ré|iandu.  sans  se 
donner  ce  imm.  fait  abandonner  les  hautes  questions  pour  des 
recherches  de  petite  portée.  Ceux  des  philosophes  (pii  conservent  des 
convictions  sur  les  pointsessentiels  des  anciennes  controverses  n  ont 
entre  eux  aucun  lien  logi(pie  ou  dogmati((uc  et  ne  reconnaissent 
d'aulorih''  nulle  part...  .Vu  milieu  de  la  dispersion  des  idées,  on  m* 
voit  ni  couunent  il  serait  possible,  à  moins  de  jjarvenir  à  quelque 
nouvelle  institution  d'autorité  intellectuelle  et  morale,  de  faire 
accepter  aii\  esprits  une  méthode  coniLunne.  et  de  les  unir  dans  les 
méiaes  croyances   générales,   ni   d'où   pourrait   naître  cette    aulo;-il;'' 


/./•;.s  lui.KMMi.s  iih:  LA  MiyrM'iiYsiovK  /•(•;!/•;  6io 

fondée  sur  In  l'aisoii  i|iii  m  l'Ii'  li-  rêve  du  soeialisine  |)i'iuliiiil  la  pi-e- 
inière  inoilié  du  \i\'  siècle,  el  qu'on  a  heaucoup  perdue  de  vue  dans 
la  seconde,  pour  ne  eousulti'i'.  d'un  ii'ili',  ipie  les  intérêts,  et,  de 
l'îliitre,  ne  eoinplei'  que  sur-  la  violence  p(Mir  la  réforme  de  I  ordre 
social  (p.  2(il  .  ■•  Nous  avons  suppiMUU'  de  cette  l>af<e  remarquable 
une  phrase  qui  nous  parait  exagérée  el  ipu'  voici  :  ■  l.'anloi'ilé  de 
l'Église,  pour  les  personnes  (pii  s'y  rallaclienl ,  en  dehors  d'un  clergé 
sans  espr-il  el  sans  inilialive.  esl  loule  de  senliuienl  xa.^ue  ou  d'intén''! 
polili(|ue.  "  Malgré'  loul ,  il  \  a  encori' îles  ealholi(|ues  (|ui  ont'une 
véritable  foi  en  l'Église,  qui  adhèrent  en  conscience  à  ses  décisions 
dogmatiques  el  voieni  dans  ses  Conseils  mêmes  nue  haute  sagesse, 
une  précieuse  orienlali(ni,  (ont  en  gai-dant  une  jusie  liherlc'  d'espril 
dans  les  (lueslious  on  elle  n'a  rien  décidé.  Quant  au  clergé  calhn- 
lique,  nos  lecteurs  savent  conihien  de  nos  piêlrt's  ne  niau(pient  ni 
d'iuilialive,  ni  d'intelligence. 

Pour  aider  ses  contemporains  à  pri'iidre  paiti  eulre  les  divei'ses 
réj^uises  faites,  ilans  la  snile  des  tcnqis,  aux  (pu'Nlions  fundauien- 
tales  de  la  nudapliysique.  M.  Ilenouvier  dresse,  sous  le  nom  d  ■ 
"  dilemmes  ••.  une  tlouhie  liste  de  solnli(ins  opposées,  contradic- 
toires, enire  lesifuelles,  pense-l-il,  un  philosophe  rétléchi  doit  choisir. 
Cha(]ue  dileunue  comprend  une  thèse  et  une  antithèse.  Dans  le  pre- 
mier, ïinrdiiililiiiiDir  s'oppose  comme  antithèse  au  cmidi/iiiniir  :  dan-- 
le  second,  la  .subslanci'  ii  la  simple  loi  ou  foiiclimi  (/es  phihtomi'in's : 
dans  le  troisième,  ïitifini  au  fini  ;  dans  le  quatrième,  le  ilrleniiiiiisMr 
à  la  lihcilr :  dans  le  cin(|uième,  la  chose  h  la  personne. 

Mais  l'aulenr  avoue  lui-même  que  la  série  des  thèses  n'est  pas  telle- 
ment liée  en  logicjue  rigom-euse  que  celui  qui  admet  une  des  thèses  soi! 
contraint  d'accepter  Imites  les  auli'es:  el,  de  même,  celui  qui  adople 
une  des  aniilhèses  n'est  pas  forcé  d'adhérer  à  toutes  les  antithèses. 
Il  n'esl  point  absurde  de  croire,  ]iar  exemple,  à  la  siihsirnire  el  à  la 
liherlr.  .\n  surplus,  hirs  même  qu'une  thèse  ou  une  anlilhèse  sendile 
conduire  logi(puMueiil  à  lelle  autre  thèse  ou  à  telle  autre  antithèse, 
ce  n'est  pas  à  dii-e  que  tiuit  pliiloso|)he  atlmettra  celte  consécjuence  : 
on  peut  supposer  qu'uiu'  raison  cachée  autorise  à  nier  cette  consé- 
quence et  à  |>osei-  une  conclusion  en  apparence  contradictoire. 

Néanmoins.  M.  Henouvier  estime  (pie  les  thèses  des  cinq  dilemmes, 
le  ciiiiflilidiiiir,  la  /(//,  II'  liiii.  la  lil/cr/é,  la  personne,  sont  encliainées 
entre  elles  par  le  /jrinripe  d''  relalicilé,  ipi'elles  afiirmeni  et  (pi'elles 
appliquent  aux  notions  f(uidameutales  de  la  mi'lapliysiqiie  :  et,  i|ue 
d'autre  part,  le^  aniilhèses  sont  unies  entre  elles  par  leur  oiqtosition 
commune  à  la  reldlivilé.  [irincipe  des  thèses.  QiianI  ,i  lui.  il  ■^:'  décide 


(•i2.>  J.  CAHDAIH 

iietleiiient  pour  l;i  relativité  et  pour  le  groupe  des  ciiii]  thèses  :  en 
d'autres  termes,  selon  son  senliuient.  tout  est  relatif,  et  pai-  là  cou- 
eevable  pour  notre  espi-il.  didinissaiile  pai-  di's  relaliims  ipii  sont  îles 
l'oruies  o\i  des  lois  de  notre  connaissance:  rien  ne  peut  être  dit  absolu 
en  soi,  sans  i-elation  interne,  sans  relati(ui  exteriu',  parce  que  l'absolu 
i^st  inconcevable  pour  nous.  L'être  premier  est  relatif  à  ce  monde 
phénoménal  :  il  est  conditionné  en  lui-même  et  a  rapport  avec  Timi- 
vers.  La  substance  n'est  iju'uu  sujet  loiiii|iie  de  rpialilés  et  de  rela- 
tions, soit  essentielles  pour  la  concepticui  de  ce  sujet,  soil  [louvanl 
s  y  rapporter  dans  l'ordre  de  la  peiisi'e  un  dans  ceini  de  rex|)érience; 
elle  n  est  pas  un  être  en  soi.  (jue  ninis  lu'  pouvims  ni  connaître,  ni 
déiinir  en  lui-même.  Le  moude  des  phénomènes  est  nu  loul  Uni. 
limite,  ayant  en  un  cominencemeut.  occu|)ant  une  étendue  bornée, 
composéde  parlieseii  uoudirefini.  Certains  phénomènes  sont  exempts 
d'une  détermination  inlé}j,rale  et  rigoiu-euse  par  leui-s  antécédents  el 
leurs  circonstances  :  il  existe  des  actes  libres  el  il  |>eut  y  avoir  des 
variations  accidentelles,  spontanées,  non  nécessaires,  dans  les  faits 
naturels,  oi-j!,aui<pu's'  ou  iuorj^anicpu's.  Kniin,  la  conscience  esl  inin 
seidement  le  priin-ipe  de  la  conuaissanci'.  mais  eiu'ore  le  |)riinipe  de 
l'être  en  lanl  que  connaissable  aussi  bien  ipie  ciimnie  luuuaissanl  : 
Inul  <•(■  ipii  existe  esl  conscience  à  (juehpn'  ilej;ré  ;  la  ])ersoune  esl 
une  cunscieuce  d'un  deuré  supérieur,  capable  de  prendre  |iour  objets 
elle-nu'Hie  el  ses  l'Ials  lui  ses  aeles,  el  paj-  l;i  d  elre  par!  ii'llemeni  la 
cause  de  ses  idées  ou  de  leurs  ruodilicali(uis.  "  La  cause  du  moude. 
c'est-à-dire  de  l'ensemble  fli>s  cmiseiences  el  des  idées  objectives  el 
subj(>clives  en  leur  |irincipe.  esl  l»ien  l'ei-soune  parfaite,  Iutelli,u;ence 
universelle  el  scuiveraine,  Volonh'  adéipuile  à  l'inlelligeuce   p.  i'ii,.  » 

Celle  métaphysiipie,  à  hupudle  aboutit  la  criliipn'  faite  par  M.  Re- 
ninivier  de  liudes  les  pliilosophies  de  lanliipiile  et  des  temps  mil- 
lièmes, nous  paraît  li'iip  saci-ilier  l'absolu  an  relalifet  ini'ciinnaitre  la 
leudauce  invincible  el  raisonnable  de  l'espril  liiiniain  a  chei-idu'r  au 
fond  de  tous  les  ))hénomènes  un  sujet  l'éel,  l'I  non  pas  seideuieul 
lofi;i(jue,  (]ui  les  {)0rte  et  les  soutienne,  à  reuumler  an-di'là  de  Ions  les 
lem]>s  ipii  se  .succèdent  et  de  tous  les  mobiles  ipii  i''\iilneiil.  jnsqn  à 
nu  Ltre  intemporel,  innnobile.  éternel,  bien  que  Innl  actif,  et  à  ne  se 
reposer  qu'en  afiinnaul,  au-dessus  de  toutes  les  existences  par- 
ticulières, coul  ingénies,  nue  Kxistence  indépendante  de  toute  autre. 
radiealemeut  et  iuléf;ralement  première,  idenliipu-  à  l'Lssence  de 
son  sujet,  principe  qui  crée  el  conditionne  tout  ce  qui  n  est  pas  lui, 
sans  élre  vraiment  conditionné  jiarrieu  de  ce  qu'il  |)n>dnil. 

Nous  pensons  que  les  "   dilemmes  ■>  posés  |iar  lanleur  ni'  doiveuL 


LES  DII.I-JlMi.S   m-:  I.A  METArilYSIUl  !■:  l'I'IlF. 


li-21 


pas  se  i'i''Siiiiilr('  |iai-  II'  clioiN  cNcliisir  dr  la  llièsi'  (ni  de  l'aiilil  lirsr 
([ii'ils  ciiiiipri'iiiiciil .  mais  |iliil('il  par  une  syntlu'si'  plus  priifoiuic. 
pc^H'Iranl  Jnsipia  l'iiuih'  l'diiclaini'iilali'  ipii  s'i'païKMii! .  à  la  sui'facc, 
ru  divci-sili',  iMi  i-(iiili-adicli(Ui  appai-ciilc,  cl  saisissaid,  an  risi[iii'  de 
lie  pouviiir  l'cxidiipu'r  iprimparrailcmciil,  la  (■(iiiipli'xilc  ipd  iiail  de 
l'iinih'.  la  iniillipliciU''  (pii  se  l'onde  sui'  la  siinplicih'  de  liiul  prin- 
(•il)e  c'onslil  ulir  dCxistcncf. 

KssayDUS  de  dunncr  un  apcr-cn  un  peu  plus  ddailli'  dr  la  iinda- 
pliysi(pn^  pins  riche  el  pins  C(iinpi-i'hensi\  e  par  laipielle  ikuis  voudrions 
reuii)lacer  celle  de  M.  Renonvier. 

Connue  I  auteur,  umis  |iai'veu(nis  à  la  uolimide  la  cause  supriMiU' 
(In  monde  en  at'lirniant  la  nécessilé  raliouuelle  de  s'arrèlei'  à  inie 
cause  première  non  causée,  i|naud  ou  rechci'clie,  eu  remonlaul  de 
cause  eu  cause,  de  conilitiou  en  condition,  rori^ine  des  choses. 
(Tes!  là,  sans  d(nde.  l'applicaliini  d'une  loi  iulellecliH'Ile  qui  force 
iMiIre  espi'il  ;i  ieruiinei-  la  cliaiiu'  des  ivdalions  causales  par  un 
aniu'an  ipu'  rien  ne  pi-écèdc  :  mais,  si  cetli'  loi  C(ndr;iiul  à  poser  (pie 
Ions  les  chaînons  suivants  oïd  besoin  des  chaînons  pi'i''C(''dpnls  pour 
exister,  elle  ne  soumet  pas  le  jiremiei'  anneau  à  nue  iK'cessiti''  de 
r(dal  iou  avec  ceux  ([ui  le  snixciil  :  loiit  au  coni  raire,  la  ca  use  premii'' rc. 
(■'tant  u(''cessaii'ement  con(;ne  comme  existant  sans  cause,  l'est  par  là 
nu'me  conmie  ayant  dans  son  essence  propre  la  raison  de  son 
existeiu'c,  c'est-à-dire  ciniuue  r(Un'i(''rem(Md  in(](''pen(laul  e  de  loiil  ;iul  |-e 
('■Ire.  Si  nous  ne  p(MiV(nis  la  (l(i''nioutrer  ([u Cn  partant  des  aidres  ri'-a- 
liti''s  et  au  moyen  du  principe  de  r(dativil(''  ((ui  nous  oblige  à.  les  lier 
à  niu'  realili''  piaïuilive  de  laipielle  elles  d(''rivenl,  si  ni(''nu'  U(nis  ne 
pouvons  ciMicevoir  cel  le  r(''alile  prenui''i'e  (jue  par  ,'iiialcii,;ie  a\i'c  les 
sujets  <pn  lieuuenl  d  idics  ce  ipi  ils  scuit,  néanmoins  nous  concevons 
clairemenl  (piidle  existe  parce  <\\\v  sa  nature  mèiin'  esl  d Cxisler 
sans  cansi'  el .  p;ir  cousé(pn'nl,  sans  aidre  raison  d V'Ii-e  (pu.'  celle 
u\énH'  nature  :  si  aucune  l'elation  de  soumission  à  la  causalité  ne 
lui  est  nécessaire  p(nir  être,  nous  voyons,  à  n'eu  pas  douler,  ipie  la 
relati(ui  ipii  l'ait  (h'pendre  d'elle  les  èti'es  (pi'idle  cause,  ne  saurait 
la  rendre  (h'pendanle  de  ceux-ci;  ils  ne  peuveul  se  passer  délie. 
mais  elle   n'a   pas  besoin  d'eux. 

.\iusi,  nous  dirions  ass?/.  V(doidiers  avec  M.  lienoinier  :  -  On 
admet  une  cause  au  momie,  par  hnpielle  son  uuilé  et  s:'s  lois  soiil 
exlérieui'cuu'ut  constituées.  Lors(|n('  ensuite  ou  se  pose  la  i|in'sl imi  de 
l'application  de  la  cat(''f;orie  de  causalité  à  la  cause  premii're  elle- 
même,  connue  réclamaut  nue  (n-i};ine  et  niu'  cause,  on  se  couror'me 
au  principe  de  relalixili'  eu  ciuotalaid  la  ni'cessili'  loL^iipu'  de  mettre 


022  J.  (;audaiiî 

un  Icriiic  à  la  [■(■•lnij;i-aiIalioii  tlii  coiulitioniifint'iil.  La  recliiTclie,  sans 
cela,  irécliappe  |)as  seiileineiit  à  \i\rpi'u-iencc  possible,  coimiie  Icsjiliis 
(•oniiniines  questions  de  la  métaptivsicjiie  :  elle  sort  des  limites  de 
y itilrlligfitice possible  (p.  53).  »  Nous  accordons  même  que,  dans  notre 
coiice|>ti(ui  de  la  Cause  première,  ikuis  ne  pouvons  l'aire  entrer  (jue 
des  éléments  empruntés  aux  réalités  secondes,  et  ([lu^,  par  conséquent , 
nous  iu:>  saurions  nous  représenter  l'auteur  du  monde  par  un  c<uicept 
ahsdlument  étranger  à  la  forme  de  nos  autres  idées.  Mais,  en  coni- 
[iiisaut  ainsi  l'idée  qm*  nous  nous  fai.sons  de  l'Être  j)reinier,  nous 
savons  cl  uiius  aflirmons  que  son  essence  est  absolument  transcen- 
dante en  conqiai-aisou  des  autres  natures,  (pi'elle  n'est  point  du 
mémegenre.  et  ipie.  précisément  à  cause  de  cette  ti-anscendauce  etde 
cette  hétérogénéité,  nous  ne  pouvons  pas  la  connaître  telle  qu'elle 
est  en  soi.  Kn  somme,  nous  prétendons  démontrer  l'existence  du 
Principe  premier  que  tous  appellent  Dieu  :  nous  le  concevons  comme 
Être  absolu,  su|)érieur  à  tout,  indépendant  de  tout,  et  cause  de  tout  : 
néanmoins  nous  n'avons  point  l'outrecuidance  ou  la  na'i'veté  de  croire 
que  nous  muis  représentons  Dieu  tel  qu'il  est.  C'est  assez  de  ne  pou- 
voir nier  (piil  existe:  ce  serait  même  le  rabaisser  inlinimeut  que  de 
le  supposer  représentable  j)ar  notre  esprit  borné. 

.\ussi  reprochons-nous  à  M.  Renouvier  de  nous  oITrir  un  Dieu  tro|) 
l'ait  à  l'image  de  nous-mêmes  :  cet  anthropomorphisuie  ne  nous  con- 
tente point.  .N(uis  reconnaissons,  néanmoins,  que  le  théisme  de 
M.  Renouvier  est  celui  d'un  esprit  élevé  (pii  clierclie  à  t(.)ut  com- 
prendre. C'est,  certes,  di'jà  (|uelque  chose  ({ue  de  dire  comme  lui  : 
<■  La  condition  tles  conditions  est  la  Conscience  considérée  dans  son 
expression  suprême,  c'est-à-dire  dans  la  jilus  parfaite  léalité  conce- 
vable de  la  ]>ersonnalité.  de  ses  attributs  et  de  ses  fonctions.  Lu  elle 
seulement,  dans  l'idée  (jue  nous  en  atteignonsen  sublimisant  nos 
|)uissances  propres,  nous  (•om])renons  ce  ((ue  l'éti'e  et  l'origine  ont 
de  conqu-elieusible  :  Dieu  [lar  le  monde  et  le  monde  par  Dieu,  l'intel- 
ligence par  l'intelligence  et  la  volonté  par  la  volonté,  puisque  ce  sont 
des  faits  de  conscience  irri'diHMibles.  L'idée  de  la  création  est  abor- 
dable pai-  celle  de  la  liberté.  ]>riucipe  de  commencement,  et  par  le 
sentiment  de  la  vie,  par  l'amour,  principe  des  tins.  Ce  sont  les  formes 
inlelligililrs  di'  la  Relation  première  (p.  -l'G).  »  Mais  il  faut  ajouter 
que  cette  relation  du  monde  à  Dieu  n'impli(pie  en  Dieu  aucune 
nécessité  de  créer  l'univeis.  et  (pie,  comme  c'est  tout  à  fait  librement 
que  Dieu  crée,  il  demeure  dans  une  indépendance  radicale  à  l'égard 
de  I  univers  et  reste  absolu  en  soi  tout  en  créant  un  monde  qui  lui 
est  relatif  :  la  création,  en  etlel,  ne  pose  rien  diuis  le  Créateur  et  ne 


LFS  DILEMMES  liE  LA   METM'IirsKjli:  l'IltE  (V23 

II'  inciililic  iiiilli'iiit'iil  :  il  en  ]-r>siilli'  sciilcini'ul  ilaiis  les  créaliires 
i|uelqiie  ('xislciici'  (U'iiendaiilc  du  Cri'alciii-.  ri  (iirclles  tieiiiuMit  coii- 
stamnient  de  lui.  sans  i|iip  lui  suit  lié  à  idlcs. 

Dans  sa  llit^oric  uriïativi'  ilc  tnuli'  sul)staiici'  et  alliiiualiv»'  srulr- 
ment  de  lois  assmihlaut  des  ])lii'ii<)iiièiies  et  liaiil  des  iiualités  à  ces 
assenililages.  M.  Uenouvier  nous  pai-ait  avoir,  coinine  dans  sa  théorie 
de  rineondilionné,  diuiiiiué  la  viM-ilé  et  inéennuu  la  portée  di'  l'iiilel- 
ligence  humaine.  C  est  avec  wwi'  évidence  natui-(dle  ({ue  nous  coiici'- 
vons  un  être  comme  sujet  réel,  réellement  existant  eu  soi.  portant  en 
soi  les  propriétés  qui  h'  caractérisent  et  acquérant  ou  perdant  les 
qualités  qui  le  modifient  :  et  c'est  un  tel  sujet  positil'  et  concret  ([ue 
nous  appelons  une  sulislance.  Ce  serait  confondre  l'abstraction  avec 
la  réalité,  la  logi([ue  avec  la  métaphysi(|up.  ipie  di^  dire  avec  M.  Ue- 
nouvier :  "  Il  n'existe  pas  de  sujet  en  soi,  indélinis.sable  en  soi 
l'omme  objet  de  connaissance:  mais  tout  être  réel  doit  se  définir 
comme  une  fonction  de  phénomènes  assemblés  sons  certaines  lois,  et 
comme  le  sujet  logique  de  toutes  les  relations  qu'il  soutieut  et  de 
toutes  les  qualités  qui  lui  appartiennent  (p.  98).  »  Une  fonction  est 
un  rapport  et  non  pas  un  être,  un  sujet  logique  est  une  forme  de 
pensée  et  non  pas  une  individualité  existante,  et  ce  n'est  pas  cela  que 
nous  concevons  quand  nous  avons  l'idée  d'un  être  réel.  S'il  n'y  a  que 
des  phénomènes  et  des  rapports  de  phénomènes,  il  faut  que  certains 
phéiuimènes  soient  des  sujets  réels,  des  êtres  subsistants,  ayant  des 
rapports  eiili'e  eux  :  ce  sont  ces  |)!iénoaièui'S  qui  seront  des  sul)- 
stances.  Mais  construire  l'univers  avec  des  phénomènes  non  substan- 
tiels ou  avec  de  purs  événements,  comme  disait  llipiiolyle  Taiue. 
c'est  imaginrr  uu  monde  sans  consistance,  sans  réalité,  c'est  rêver 
ou  diva,icuer,  ce  n'est  pas  penser  sainement  et  sérieusement.  Supposer, 
par  exemple,  une  conscience  sans  sujet  réel  doué  de  cette  conscience, 
c'est  substituer  l.i  lonnc  au  Ruid.  vider  la  natui-e  et  remplacerla 
réalité  pleine  par  uiu'  apparcMice  creuse  :  ce  n'était  pas  la  peine  de 
re|u-ocher  an  moyen  âge  l'habitude  exagérée  de  réaliser  des  absti-ac- 
tions,  pour  aboutir,  au  xx'-  siècle,  à  uu  tel  abus  de  logique.  Sans 
doute,  nous  ue  connaissons  les  substances  que  par  leurs  pi'oprii'tés, 
lein's  qualités,  les  phénomènes  qu'elles  nous  présentent,  et.  par  ((ui- 
sé(juent,  c'est  au  moyen  de  ces  formes  d'être  que  nous  définissons, 
comme  nous  pouvons,  le  fond  des  êtres  :  mais  ce  serait  umliler  la 
raison  humaine  qin;^  de  lui  dénier  le  droit  d'affirmer  ([tw  la  surface 
des  choses  envelo|ipe  un  noyau  substantiel.  Disons  seulement  que 
ce  noyau  est  en  relation  naturelle  avec  son  enveloppe  et  que  les 
deux  composent  la  réalité  complexe  du  sujet. 


024  J.  fiARDAIR 

L;i  sdliiliiiii  (|iii'  (liiiine  M.  KcnouvuM'  du  (lili'iiime  sur  le  Uni  (>l  l'iu- 
liiii  esl  plus  admissible,  si  toutefois  on  limite  le  pi-oblèuie  aux  èli-es 
créés  :  là  ou  peut  accorder  que,  daus  l'espace  actuellement  el  dans 
le  temps  passé,  toute  midtilude  donnée  de  phénomènes  donnés  el 
distincts  pniuve  un  tout  qui  est  un  nombre  déterminé,  el  que  la  séj-ie 
des  événements  écoulés  est-  tinie  comme  est  Unie  aussi  la  quantité 
des  éléments  réels  el  distincts  qui  composent  le  monde  présent.  Tou- 
lel'ois,  je  me  permettrai  de  faire  observer  (pie  la  série  du  lem|is  futur 
se  prolouf^era  indéliniment.  si  l'on  admet  que  l'univei's  ne  sera  pas 
ilétruit.  ce  (|ui  esl  {généralement  admis;  il  y  aura  donc,  dans  celte 
liypoliièse.  une  extension  en  (pielque  sorte  inlinie  dans  l'avenir  el 
nue  suite  non  lerminée  de  phénomènes  d<inl  la  (|uanlili'>  ne  peul  pas 
élre  iiu'suriT  par  un  numi)re.  l'oiu-quoi  dduc  n'y  aurail-il  pas  de 
même  unt^  succession  indélinie  dans  le  Icuqis  passé  el  une  mullilude 
réellemenl  iinininlfiahlr  i\i>  i';i\[s  ari'ivi''s?  (!ertes.  ilepuis  un  momenl 
i|uelci>nipie  île  liiut  ce  passé  jusqn  à  I  iusl.iul  pi-(''seiil.  la  suilc  des 
(■'vénemenis  esl  Unie  el  leur  sonmic  esl  un  nondiri'  ilélerminé  :  mais 
ni'  peul-on  pas  reculer  iiulélinimeid  le  jxiiiil  d'oii  l'on  commence  à 
cdHipler  ii's  plieuduiènes  passés  jus([u'à  ce  jour?  Cel  inlini  de  lenips. 
en  arrière,  me  parait  aussi  possiJ)le  que  l'inlini  île  leuips.  en  avaul, 
daiis  l'avenir.  Il  ne  faut  point  confondre  ce  [iroblème  avec  celui  de 
lacréalicMi  :  un  ukuhIc  indéliniment  successif,  qui  n'aurail  ]>as  com- 
mencé dans  le  lenq)s  el  qui  ne  linirail  pas  dans  le  lem|)S.  pmirrail 
néanmoins  avoir  été  cr.^é  par  un  Dieu  éternel.  Lindélini  dans  la 
durée  successive  ne  rendrait  pas  nécessaire  un  tel  univers;  il  reste- 
rai! contiiifient.  insuffisant  à  s'expliquer-  lui-méiiu\  à  posséder  en 
soi  sa  raison  d'être,  el,  par  consé<[nent.  aurait  besoin  d'un  créateur 
doni  il  resterai!  !(i\ijours  di''pen(laiil.  .Mais,  dans  le  Créateur  même. 
I  inlini  a  un  autre  sens:  il  s  exprime  par  la  foi'uiide  de  Boèce  que 
cile  .M.  Henouvier  p.  Kili'i  :  InicrminaliUis  rihr  hila  siniiil  ri  perfrctn 
j)(isitt>ssiii.  possession  loul  entière  à  la  luis  e!  parl'aile  (rime  xie  sans 
limite.  M.  Kenimvier  a  raison  de  penser  (jiie.  si  I  on  enlend  le  mol 
iiilcrminiiliilix  comme  "  l'attribut  d'une  vie  (jui  s'écoule  ".  la  formule 
"  est  un  assemblage  de  deux  idées  contradictoires  ■■.  puis(pu>  loin 
shinil  l'sl  la  négation  de  cet  écoulement  ■>.  Mais  pour  Boëce. 
comme  pour  Ions  ceux  qui  ont  adojilé  .sa  délinition  de  l'éternité, 
iiilrnnliiiiliilix  signifie  seulement  la  négation  de  toute  limite,  de 
loid  conuHencement  comme  de  loiite  tin.  de  même  (jne  lohi  siimtl 
\('ul  (lire  négatiiin  de  toute  successidii.  (»r.  il  ny  a  aucune  coii- 
Iradiclitm  enli-e  ces  deux  négations:  au  couli'aii'e ,  elles  se  com- 
plèleiil   muluellement  el  ensemble   donnent   l'idée   nette  de   l'éter- 


LES  DILEMMES  HE  L.l  METAI-Urstul  E  ITItE  G23 

iiiti'.  a(iii;ilili'  iniiiL.iiiciilc  d'uiir  \  ic  |i;i|-raili'  rn  >iii  ri  i  iilrjii|H)ri'lli'. 
An  siijcl  (In  iliirnniii'  ruli-i'  le  (ioterininisnn'  cl  la  liln-i-li',  inins  iions 
nicllriiiiis  |ii'Ml-i-lii'irai-(iii-<l  awc  M.  Ren<nnii'r  >ni-  li'  |)ai'l  i  à  pn'iidre, 
cil  rrinniv  l'Iaiil  l(inlcrni>  nos  réserves  snr  la  |)iissiliilit(''.  an  moins 
liy[>ollu'ti(|ni'.  il  iMi  Icmps  iiidéliiii.  Nous  iulmettoiis  coninii'  lui  ipic 
■•  la  cansr  |iri'iini'ri'  îles  iilirnoinèiii's  est  niu'  causi'  (jni  na  |ias  l'Ir 
rdl'.'l  il  uni'  1111  |)lii>ii'ni-s  l'ansrs  (|ni  l'aiciil  |iiv(;imIim'  dans  I drdi-i'  du 
li'iui>s.  et  des  |)lii'iiciiii(''iies  sont  possibles  dont  la  eanse  sidlisaiile  ne 
sdil  |ias  diinni'i'  en  des  |)liéiioiiiènes  aiiléiaenrs  ,|j.  18:i  ■>.  Nous  von- 
l(iLi>  liirn  croiic  aii>si  (|iii'  "  la  si'rie  des  ))hénouiènes  a  commencé  ■• 
il  (in'i'n  l'ail  le  U'in|is  a  en  an  eomiuencement.  Itien  (|ne  nous  ne  peii- 
>iciii>  |ias  pcinvoii-  en  <lcniner  niui  preuve  pliilosci]dii([iie  ahsolnini'iil 
l'ertainr.  Mai^  ihmi^  ilniiandiuis  i|ni-  l'on  élalilissc  la  liherU''  par 
ipielipie  arj;iiini'iil  pins  direel  ipir  le  raisnanemcnt  de.).  Leijuier  snr 
li's  a\antaj;es  lnfiiipii's  di'  l'upiiiion  i|iii  aduple  la  llièse  de  la  liberlé^ 
ni  loiiipai-aisini  des  ili'savanlaiçps  de  ropinion  (pii  se  déclare  pour  le 
déterminisme  nni\iM-sel.  (jmmie  le  i-eeoiiiiait  iranelieinent  M.  i{enon- 
vier.  ••  pour  le  pliilusoplie  ipii  sr  place  an  point  de  vue  di^  Leipiier. 
i-'esl  nii  seepMcisnii'  iiii''lli(idiipii'  ipii  r-l  li'  poinl  dr  dcparl  :  il  n'ad- 
met de  démonslraliuii  ni  piuir  la  lihi'rli''  ni  pour  la  ii(''ei'ssité ,  el 
c'est  en  rnisoniianl  d  ajn-és  erlli'  imcrtilnde  de  lliéorie  qn  il  clicrclu' 
à  ai'i'élcr  Sun  sciiliiiirnl  de  raison  [iratique  snr  la  ipirslicni  p.  ITli. 
note  ".  Nous  sniiiiiir>  moins  sceplitpies,  même  par  simple  procédé 
<le  mélhode,  el  il  iiun-- semlije  ijne  la  conscience  el  la  raison  monlrenl 
avecévidence  Ir  lilirr  arliilrrdc  loiilr  Milmili'' vraiment  intellectuelle, 
à  ré!;-ard  de  toiil  liirii  ipii  ne  ri'aliM'  ipi  iiiiparfaileinenl  la  notion 
alisnlnr  du  liirn.  Viiilà.  srliui  iiimi^.  la  \]'aii'  racinr  dr  la  liherlc,  cl 
celle  racine  esl  métapliysii[ne.  Dieu,  le  ijien  alisolu  par  essence,  s  aime 
iiécessairemcnl  cl  inllnimcnt  :  mais,  coimnc  il  ne  peut  pi'oduire  <[ul' 
des  iiuilaliiuis  imparlailcs  i\i'  Ini-iiiciuc.  il  n'csl  nécessité  à  créer 
aucune  de  ces  imilalioiis  relatives  de  ce  (ju  il  esl,  el  demeure  enlié- 
rcuu'iil  lilire  de  cri''er  celles  ((u'il  venl  ou  de  n'en  créer  aucune.  C Csl 
ainsi  ipic  liHil  i-r  ipii  n'est  pas  Dieu  est  contini;rnl  cl  n  a  sa  raison 
d  exister  (jue  dans  une  délerminalioii  libre  de  la  volonté  divine, 
lonti'  volouli'  raisonnable  a  nue  liberlc  analof^nc  :  une  telle  volonté 
n'est  rigoureusciuciil  déterminée  ipie  dans  sa  tendance  iialive  vers 
nue  perfection  idi'ale.  c  esl-à-dire  an  l'ond  dans  son  inclinatiiin  pri- 
mitive el  naturelle  vers  le  bien  absolu:  à  l'égard  des  biens  relalils. 
Ions  imparl'niLs.  elle  se  délerinine  elle-même  el  lixe  librement  son 
choix.  V  a-l-il.  eu  didiors  des  voloulés  intellij;enles.  tles  actions  non' 
déterminées  par  leiii>  autécédenis  on  leur  milieu'.'  M.  Heuoiniei-  le 


020  J    (iAUDAlll 

(•mit:  nous  ne  voyons  |);is  tlf  raison  snl'lisanlo  ponr  I "ailiiicllre.  Les 
variations  acciili-ntcllcs  ot  sans  nécessité  apparenle  dans  leconrs  des 
événeiili'nls  de  l'urdre  |diysi(|ne,  |iliysi(iloi;ii|iii'  on  niéiiie  sensible, 
peuvent  èli-e  la  consénueuce  tnrcée  de  laits  (]ui  les  |ii'i'eédenl  ou  les 
aceonipa^nenl.  sans  (jue  la  liaison  ijui  amène  ee  résultat  soit  connue 
Si  M.  Renouvier  préfère  réserver  la  jKissibilité  de  l'iiuléleruiinr'  dans 
tous  les  genres  de  phénomènes,  il  n'Iiesile  pas  à  allirmer  (pie  ■<  la 
lihei'lé  (le  la  personne  est,  en  son  exercice,  tel  (pfil  es!  i-e|irésenlé 
dans  la  conscience,  le  mode  capital  de  rimh'IerMiinisme,  en  sa  syn- 
thèse avec  les  motifs  de  délerounali I  (wi^ine  intellectuelle  ■>.  Kl  il 

ajoute  celte  ex|)licatiou  ([ui  merile  d'être  citée  :  «  Les  phénomènes 
(|tii  sonl  des  ell'els  de  celte  liberté  .sont  i'e])résentés.  a\anl  l'acle,  en 
des  relations  ambiguës,  el  la  conscience  du  libre  arbitre  est  précisé- 
luenl  la  conscience  des  possibles,  nés  de  celle  and)i'i;Mïté,  el  consi- 
dérés comme  réels;  réels,  non  pas  en  leur  simple  représentation 
donné(>,  mais  in  reruin  niilurn.  éj^alement  n'ii/ixiililcs  par  l'exclusion 
les  uns  des  autres.  Il  laul  supposeï-  uni'  Iclle  iri.sh'ncf  di's  posxil/les 
p:iin- ipie  l(Uis  les  plK'uomènes  entrant  dans  la  représentai  ion  d'une 
|iers(uine  donn(''e.  internes  ou  exteriu'S  (piils  soient,  ne  l'orniriil  pas 
une  simple  suite  d'anneaux  iniaj;inairenieiil  delacli(''S  de  la  (haine 
univei'Selle  où  ils  oui  ('lé  de  Imil  temps  ]in'(li''leniiiii(''s  à  apparailre 
pp.  -JC.S.  -H\\)-.  " 

l.;i  personnalili''.  douée  de  conscience  et  de  liberle.  Iid  esl  bii'U  le 
plus  haut  caractère  de  l'élre  :  nous  attribuons  seidemenl  à  la  |ier- 
sonne  une  substantialité  rpu'  M.  Menouvier  a  trop  de  peine  à  recon- 
nailre.  Il  esl.  ilii  moins.  (■•iieri;i(pn'Hient  oppos(''  à  loiile  philosophie 
(pii  |iose  la  rlinxr.  c'est-à-dire  l'élre  sans  conscience,  l'être  matériel  el 
non  connaissant,  coninu'  j)rincipe  de  l'univers  el  des  consciences 
uu''me.  .\vec  lui  nous  repoussons  tout  système  (piî  s'approprie  cette 
aulilhèse  absurde  :  "  La  conscience  et  les  personnes  sonl  des  produits 
du  monde,  non  le  monde  Tn-uvre  de  la  personne.  Le  monde  esl  la 
Chose  en  soi.  l'I'llre  universel,  ÎNalure  nécessaire,  ou  Substance,  em- 
lii'assant  toutes  les  relations,  sans  conscience  et  sans  volonté  en  tant 
ipu'  l(ud.  mais  engendrant  les  objets  et  leurs  représentations  vu  des 
individus  transitoires,  ou  par  une  conséquence  de  ses  propriétés,  ou 
comme  les  produits  de  son  évolution  i  p.  'TM.  »  Non.  il  n'est  pas  pos- 
sible ([ue  l'inconscient  soit  le  principe  de  tout  ce  ((ni  existe,  puis(pi'il 
existe  de  la  conscience  dans  l'univers.  Toule  uK^'Iaphysique  sérieus(^ 
doit  reposer  sur  l'axiome  de  raison  sutlisaide.  (|ui  exige  une  propor- 
tion entre  la  cause  et  l'ellel.  Il  est  donc  impossible  de  faire  produire 
la  conscience,  l'intelligence  el  la  vohuib''  p;ir  une  cause  première  (|ui 


LES  DUAMMES  DU  /.  l   MÉT.M'iWSluni  l'I  IIK  621 

ne  contifiiilrait   [las  eu  soi  éiMiiicuiiiiciil    riiilrlligenee  el  la  volonté 
conscientes,  et  la  rbuse-principe.  ijik'  Vinipcrxdinialisnic  donne  ])oiir 
cause  à  tons  les  èlres,  est  exclusive  de  toute  connaissance,  à  rorii^ini'. 
et,  partant,  de  toute  conscience.  Ce  que  M.  Renouviei-  désigne  par  le 
terme  très  général  d'impei-xonn^lisiiii-  n'est  donc,  à  vrai    dire.  <|ue 
Vnllii'isme.  et  c'est  ainsi  qu'il  le  jnj;e  comni"  nous  :   •  Cette  vue  de 
rniiivcrs.  dil-il.  est  appelée  par  le>  uns  Valli'-ixiiif.  \y,\y  les  autres  le 
jjiinlhrismr.  et  on  ne  saurait  nier  ipie  les  premiers  up  tassent  l'emploi 
des  mots  le  plus  coiu'ordant  avec  l'idée  counniMic  de  Dieu  en  tout 
temps  (p.  ^33|.  •<  Mais  nous   ne  voyous  pas  nécessili'  d'atlriliuer  un 
degré  f[uelcoiu]ue  de  conscience  à  tous  les  êtres  :  il  peut  exister  des 
choses  inciuiscieutes  dans  le  monde.  l)ien  que  la  cause  du  monde 
doive  être  un  sujet   conscient,  poui-  ipu-  la  conscience  de  cei-tains 
êtres  s  expli(]ue.  Si  le  moins  ne  peut   produire  le  |>lns.  le  plus  peut 
créer  le  moins.  D'autre  part,  il  nous  parait  exagéré  de  penser  que  la 
conscience  ne  |ii'iit   connaître  que  ce  qui  est  conscient  :  sans  doute, 
l'inconscient  ne  peut  être  rei)résenté  dans  un  sujet  connaissant  que 
sous  une  forme  qui  suppose  ou  ap]ielle  la  cmiscience  dans  ce  i:on- 
nnissant  ;  mais  le  connu  n'a  pas  besoin  d'être  conscient  lui-même 
pour  être  connu,  car  ce  n'est  pas  sons  son  mode  qu'il  est  connu, 
mais  sous  le  mode  de  ce  qui  le  connaît.  On  voit  qui'  nous  ne  saurions 
approuver  sans  réserve  celte  déclaration   de  M.  Renouvier  :   «   La 
conscience,   quand  on  n'en  place  pas  les  premiers  éléments  dans 
l'essence  des  êtres  perçus  de  ce  monde,  les  laisse  inintelligibles,  tout 
ce  qu'ils  ont  de  percevable  se  trovivant  aloi's  trans|iin-té  à  l'être  qui 
perçoit.  Il  a  fallu  les  longs  et  difficiles  travaux  des  penseurs  dans  la 
direction  idéaliste,  et  le  progrès  lent  de  la  critique  du  savoir,  dans 
la  mêlée  des  doctrines,  pour  (jue  des  pliiloso[)hes  compi-issent  que 
l'objet  n'est  jamais  donné  (pie  dans  son   itlée.  ni  l'idée  l.ors  d'une 
conscience,   sujet  réel,   à  moins  que   l'objet    ne  soit    lui-même   nue 
autre  conscience     pp.    IS't.   !!)().   ..   Cet  idéalisme  outré  dépasse   le 
but  :  il  sutlil  de  revendiquer  la  conscience  dans  l'Ktre  pi-emier.  créa- 
leui-  du  monde  d'après  l'idée  re|)rêsentée  en  lui   de  tous  les  êtres 
possibles,  et  la  conscience  dans  certains  êtres  créés,  sujets  connais- 
sants à  des  degrés  divers,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  ne  concevoir 
eiimme  possibles  que  des  êtres  conscients.  Pour  affirmer  la  personni'. 
ne  nions  pas  la  chose  :  la  personnalité  peut  existei',  sans  que  tout 
suit  personnel  :  et  si,  pour  avoir  <juelque  degré  d'être,  il  faut  à  quelque 
degré  être  représentable,  un  sujet  peut  être  représeidable  sans  avoir 
en  lui-même  le  pouvoir  de  se  représenter  l'être  et  de  prendre  con- 
science d'une  représentation.  Il  y  a  donc  trop  d'exclusivisme  dans 

39 


C28  J.  (lARDAIU 

la  formule  |)ai-  I.Kjiu-lle  M.  Ri'iimivicr  exprime  son  cinquième  el  der- 
nier dilemme  :  •>  Ou  Dieu,  ou  la  Chose  sans  ]1ieu  ;  ou  l'Homme,  ou 
des  èLres  tous  caducs,  dont  nul  n  atleinl  l'idée  totale  el  accomplie 
de  rilomme  :  Deux  civt  non  Deux,  Hoinn  nul  nmi  Homo  i|).  :2'i(ii.  " 
Nous  i-ésolvons  le  problème  en  ces  lermi's  ;  <•  Dieu  personnel  et  créa- 
liMir,  riliimme  personnel  el  créé,  el  la  (liiiisi'  créée  sans  pei-sunnalili' 
ni  cmiscience.  » 

.Nous  ne  suivrons  jias  M.  UcMiiiivicr  dans  sa  iril  ii|iii'  de  l.i  llii'iild- 
gie  chrétienne  qu'il  uu'l  constammeul  en  scène,  concurremmenl  a\rc 
les  systèmes  de  philosophie  ancifus  el  modernes.  Il  l'audi-ail,  pour 
n'I'uler  ses  appréciations  défavoralilcs  cl  (pichpirluis  ii-iespeclueuses, 
l'aire  un  cours  complel  de  Ihéologii-,  cl  il  ddil  nous  èlre  peniiis  de 
iu)us  demandiT  si  l'auleui-  a  l'ail  les  éludes  nécessaires  pour  saisir 
cdinmi'  il  ciuiviciil  les  diiniK'M's  de  la  «hicirini'  réxélée  el  ce  (]u  il 
appelle  lui-uuMiie  "  la  Ihéolof^ie  niélapli\si(pu'  <le  l'Ej^lise  |).  :2(i.')')  ». 
.Nous  admirons,  loin  de  la  lihinuM',  l'enlreprisr  des  I  liédlo^iens  tra- 
vaillant à  ■•  assendiler  en  un  m(''iiie  conccpl  d  iiiiili'  sulistaiiliclle  les 
grands  allrihuls  alisirails  île  l'elre  uiélaphysique  jjremier,  cliei-ché 
parles  pliiloso|)hes  au-dessus  ou  en  dehors  des  dieux-personnes  des 
i-eligi<nis,  el  la  personne  suprême  du  Créateur  ip.  iCi.'ii  ■>.  L'acconl  de 
l'inlini  el  de  l'absolu  avec  la  iiersounalilé,  dans  le  Piàncipe  premiei- 
de  liinl  elre.  est  imposé  à  1  esi)ril  humain  par  les  nollons  fondamen- 
tales de  la  raison,  el  la  faiblesse  radicale  de  la  philosophie  de  M.  He- 
nouvier  (^st  de  ne  jias  voir  la  nécessili'  de  conserver,  eu  mélaphy- 
siipu'.  l'absolu,  l'incondilionné,  l'inlini.  hml  en  conslalani  dan.s  le 
inonde  le  relatif,  le  cinulilituiin'',  le  lini.  Mais  mms  rejetons  avec  lui 
les  systèmes  (pii.  |)iinr  ex])liqiu'r  l'univers,  u  sont  revenus  au  jeu  des 
hyposlases  sans  pei'siuinalilc  ":  el  nmis  nous  [liaisons  à  rcpniihiirc. 
en  linissaul.  ce  résumé,  qu'il  trace,  des  mélaphysii|ues  élab(U-ées  pai- 
■'  les  phil(isp[)lies  émancipés  ■>  (lt>s  inlliicnci's  IJM'oloniipn^s.  •■  L'Iiu'iin- 
ditionnc  a  repris  sa  place  à  la  léle  du  nnuide  dans  la  nielapli\sii|ne 
kantienne,  et  rincounaissable.  autre  nom  de  cet  ab.soln,  au  fonde- 
menl  du  réalisme  de  II.  Spencer.  La  Sidistance.  sous  divers  imms  de 
ce  qui  n'est  ((ue  It  nixcrscl  alisirail,  ipi'on  a  sid)slilné  à  la  cducep- 
tion  concrète,  plus  pi-ofoiidc  et  plus  rij^oureusement  délinie  de  Spi- 
noza, est  venue  se  placer  sous  l'Inconditionné  kantien,  pour  lui  four- 
nil' des  liypostases  développables  el  ouvrir  des  sources  d'émanation 
d'espèce  nouvelle  :  évolulion  du  Moi  sujet  pur,  évolution  de  l'Iden- 
tique, de  l'Idée,  de  1  Inconscient,  de  la  Force,  etc.  La  [lersonne  est 
regardée  comme  le  produit,  par  voie  d'évolntion.  île  l'un  de  ces  uni- 
versaux  ([ni  ari-ive.   eu  se  pensant   cdnmie   [tersonne.   à  penser  cet 


MMEItltAWIIE.  l'AR  Henri  .HH.V  020 

iiKlcIrnniiic  (hml  l'Ilf  (li'siciiil,  cl  (|iii  iiClail  rien  a\aiil  il'rl  re  |)ensi'. 

Cri  iih'.ilisnii'  l'calislr  srrail  Ir  iTrcIr  \  icii'iix  iiiranii',  si  ce  ii'i'Iail  i|ur 

lli'gcl  est    liii'ii   le   [lère  do  \'/:'/rf  ihi    iimi-rlrr.    mais    i Ii'    drsciMi- 

ilaiil    pi).  ~2Wk  'Hu    !  » 

.1.   (.AliMAIIi. 


MALEBRANCHE,   par   Henri   .Ioly,    1    vol.   ui-fS"   de    la   collection   lU--^ 
(.rauds  Philosophes,  xii-296  pages,  .\i.cun,  l'.tiil. 

M.  .I(d y  a  v\  iidii-  consrieni'itMisciiU'nt  son  sujrl.  Il  a  pris  soin  do  lire 
•nii  de  i-.dii-c  loutcs  les  œuvres  du  ^rand  Oraluricn.  uièuie  celles  qui 
ne  liguienl  pas  dans  les  éditions  classiques.  Il  a  ap])ris  ainsi  à  con- 
naître des  (eiivres  telles  que  les  /ù-lnirri.isctiirnls  à  la  /trrlierrlw  de  lu 
\'i'rilr.  doni  l'absence  se  fait  si  vivement  rci;rcllcr  dans  rédilion 
diunu'e  Jadis  par  .Iules  Simon  (11. 

A  celli'  sincère  (d  directe  étude,  M.  .Ioly  a  du  de  Miii-  -c  dissiprr 
Ineu  des  préjuf^és  (radilionnels.  id  il  est  arrivi'  ainsi  a  taire  une 
anaKse  l-emarqualilrnu'ill  lidélc  d'une  dorh-iiie  si  soiivi'lil  mal  COLU- 
prise. 

Api-ès  un  chapitre  consacré  à  riioiiune  el  s ilieu.  il  l'djidie  suc- 

cessivemeul  le  iiii'>lapliysicien.  le  llii''olni;ieu  idiilusoplu'.  le  psycho- 
logue id  le  m(U-alisle. 

Connue  liien  lUi  pense,  le  plus  huii;  ehapiire  esl  consacre  au  inéla- 
plivsicieu;  mais  il  ne  semble  pas  que  M.  .Iidy  ail  le  goût  dé  la 
mélaplivsicpii'.  car  son  anaivse.  renianpiablemeul  consciencieuse, 
esl  aussi  remarquablemeiil  froide  :  (Ui  n'y  seul  bcHnllonuer  ni  l'en- 
Ihousiasme  pmu'  une  (cuvre  qir(Ui  repense  à  mih  lour.  ni  la  i-ésis- 
laiice  ])assioniu'e  à  une  dociriiii'  (pi  on  m'  peiil  adopler.  M  en  n'-sulle 
que  nous  ciuisidérons  la  leclui-e  di>  ci'  eha|uli'i'  comme  dangereuse 
pour  c(dui  (pii  n'a  pas  jiris  conlacl  direid  a\c<'  Maiidiranelie;  elle  ne 
peut  que  li^  délourner,  en  lail,  de  la  pensée  d'alHuder  r(''l  ude  direcle 
du  grand  méditatif.  .Viissi  ne  sauriiui^-muis  hop  engager  à  n  ■  lire 
Fcenvre  de  M.  Joly  qu'après  s'élre  fannliari-r'  an  moins  ave.-  h^s 
h'ii/rriin's  sur  lu  MéUiphijsi(iuc 

(In  seul  au  contraire  (pie  la  lhi''(_)logie  el  la  morale  passi(_mneul 
M.  .Ioly  el  (pie  cid  inti''rél  (pi'idh's  lui  ius|iireiil  s'élend  à  ce  (jui,  dans 
la  mélaph\ si(pie.  conliue   à    ces   (dijeK  de  siui  amour.   I  lu   eoneevra 

(1)  A  l'origine,  la  Rec/ieiche  'le  lu  \érilé  y  formait  un  gros  volume,  et  cela 
pouvait  e.xcuser  labsence  des  t.clainisspinenls:  mais  depuis  un  a  prjcéd'-  i  un 
dédoublement  sans  compléter  l'édition. 


CaO  (i.  LKCHAI.AS 

sans  pt'iiii-  (|U('  inuis  laissions  de  (•(U(',  dans  son  (fnvrc.  ce  qui  est  de 
iiu'laphysiijne  ]uii-c.  Le  |)antliéisme  et  le  libre  arbitre,  avec  les  qnes- 
lions  connexes  de  la  f;ràce,  de  la  prédestination,  du Jansi  iiisiiie  el  ilii 
(jiiiétisine,  fixeront  particulièrement  notre  attention. 

Sur  la  question  du  panthéisme,  M.  Joly  a  bien  vu,  i Dulrairenienl 
à  raflirnialion  tant  de  l'ois  reproduite  de  Victor  Cousin,  (jue  les  ar^u- 
Mients  de  Dorions  tle  Mairan  ne  portent  ])as  contre  Malebranclie, 
dont  la  doctrine  n'aboutit  point  logiquement  au  spinozisme  ;  mais 
pent-ètre  no  fait-il  pas  ressoi'tir  cette  thèse  si  juste  avec  autant  di' 
l'iirce  (jue  l'a  l'ait  M.  l'illon  dans  sa  cin([uième  Auiirc  philnsojiliiifur. 
Spino/.a  et  Malebranclie  sont  deux  disciples  de  Descartes  qui.  pour 
rendre  sa  pensée  plus  loj;ique,  l'oid  amendée  tous  deux,  mais  en  .sen.s 
contraires  :  Descartes  avait  al'tirmi'  la  ciintiiif^ence  et  l'infinité  de  la 
substance  ('tendue.  Spinoza  sacrifia  la  conlinf^ence  et  MalebraiHlie 
l'inliniti'. 

Eu  ce  (pii  ciuiceine  la  libeiic.  M.  .I(il\  veii^c  aussi  nuire  philosophe 
(l'accusai  ions  p(M'fées  par  ili"-  ci-iiiipies  superficiels,  et  il  ri'suan'  fort 
bien  sa  tli(''(irie  nii''tapli\si(pii'  de  la  libeiii' dans  les  trois  |U'oposil ions 
.suivantes  : 

1"  Si  c'est  Dieu  (pii  l'ail  eu  nous  loid  ce  (pii  est  aiiion  naturelle  cl 
(Tordre  physi(pie  eu  prenant  ce  mot  dans  le  sens  le  plus  ('•lendu  .  il 
ne  l'ail  pas  nofi'e  c(uisenlemenl  (pii  reste  libre. 

;2"  Ce  consenlenuMit  (loun{''  ou  refusé  se  Iradnil  dans  des  d(''sirs,  des 
volontés  (jue  Dieu  s Csl  oblij^é  lui-mi'me.  une  fois  pour  toutes,  à  i-éa- 
li.serpar  les  lois  qu'il  a  ('tablies.  Dtuu.si  c'est  Dieu  ((ni  exécute  ainsi 
les  actes  (pu'  nous  sembbuis  accom[>lii'.  il  ne  les  exécute  que  parce 
(]ue  nous  les  vmdous,  disons  même  |)arce  ipie  nous  les  conmiandons. 

.'î"  Par  ce  ct)mmandenienl  id)ei,  l'aclion  de  notre  volonté,  (|uoi(pu' 
immaiicnle.  n'en  est  pas  moins  une  puissance  (pii  l'este  en  notre 
■main  et  doul  nous  j^ardons  toute  la  i-espousabilité. 

(inesl  heureux  de  voir  M.  .lol\  i-ompre  ainsi  axce  nui'  Iradilion 
(pii  va  de  Cousin  à  M.  Fonsegrive,  en  passant  par  (llle-La])riine.  Là 
encore  M.  Pillon  avait  rendu  éclatanle  Justice  à  Malebranche  i  1  . 

On  sait  ((ue  le  7'rnilr  de  lu  \alurr  l't  île  tu  Gnire  fut  mis  à  l'index  : 
.M.  ,ioly  dit  à  ce  sujet  :  ■■  Etail-ce  à  l'inslij^atiou  el  sur  les  intrij;ues 
d'Arnauld'.'  Fut-ce  simplement  sfurla  plainte  de  ces  [x'rsonnages  se- 
condaires, comme  on  eu  rencontre  encore  ijuehpiefois,  et  (pii  r(''us- 
sissent  à  l'aire  tii'er  arf^urnenl  contre  un  livrt'  du  trouble  même  qn  ils 
all'ecteut,  aloi's  (pie  la  cause  en  est  nntinsdans  le  livre  que  dans  leur 

(I>  Cinrjitii'me  Année  jihilosophique.  pp.  170  et  sv. 


MMEHn.WCIIE.  iMR  Henri  JOI.Y  031 

fanon  étniitr  de  le  coinin-iMidre  et  de  l'interiiréter?  Quoi  (|n  il  en  soil, 
le  7'rnilr  il''  lu  \nlxrp  pI  de  la  Griirc  t\i-\)h\\  l'oiM  ;'i  ce  iiu'oii  |)imiI  appe- 
iiT  —  sans  iuaiii|iiri-  di'  respect,  à  i-ii'ii  ni  ;i  |iiTS(inne  —  la  liiireaucra- 
lie  tlit'oiofcii|iic'  lie  la  (Imii-  di'  lidiiie.    ■• 

M.  Jojy  iiidi(|ni'  i|iii'  le  i*.  Aiidi'i'  a  relnuive  le  i-,i|i]iiirl  du  ciiiisulluui- 
sur   li'i|iirl    lui    |ii'(iiiiiiicée   la    coiidainiiMl  iciii  ,    dncimieiit    assez    long 
<•!    eeiil    dans   un   laliii   ])ai-lail.  Kn    l'ail.   André   dit.   dans  .sa    Vie  dv 
It.    /'.   Mnlctirtiiirlie .   i|ue   •■    c'est    à    lillustie    M.    Pigliini    que    nous 
siiniaios  redi'vahles  de  i-clli'  iiiècc  cui'ieus;'    1    »:  nous  ne  savons  où 
elle  a   été  puhlii'e.    .Vndcé  n'en   donnant  rju'nn  résumé.  Après  avoir 
signah' des  criti(|nes  du  consultenr  qui  paraissrni  an  moins  hizai'res. 
M.  .lol\   conlinue   :    "  Viennent    ensuite,    il    laul    raxniici-,    des   repro- 
<.-lies  lieancouji  plus  sérieux    et    (]u'on    a    parlaitement    le    tiroit    de 
trouver   mérités,   mais    ipii    ressemident    s(uivent    à    ces    objections 
<]u  on  ])eut  toujours  l'aire  dans  u\u^  controverse,  car  il  est  toujours 
possiljle  d'estimer  dangereuse  la  tendance  que  parait  révéler  telle  ou 
telle  formule  :  il  ne  s'ensuit  pas  nécessairement,  tant  s'en  faut,  que 
,eelui  i|ui  l'a  écrite  aille  jusqu'au  Ijout  de  cette  pensée  qu'on   lui  im- 
pute et  tiuiihe  |iersonnellemenl  dans  l'Iiérésie.  Remarquons-le.  d'ail- 
leurs :  le  rapport  du  consulteur  n'accuse  nullement  Maleljranche  de 
jansénisme,  comme    le    siq)pose    l'ahlié    Blanqiigmni  ;    il    le    blâme 
d'avoir  témérairement   voidn  résomlre  des  questions  que  les  Pères 
déclaraient  insolubles:  il  le  censure  pour  avoir  entrepris  d'éclaircir 
les  mystères  par  les  lumières  de  la  raison,  pour  avoir  avancé  des 
opinions  pernicieuses  sur  la  distinction  en  Dieu  des  volontés  géné- 
rales el  des  volontés  particulières,  sur  le  mode  de  distribution  de  la 
grâce  du  Sauvem'.  toutes  opinions  dont  il   |)eut   être  tiré  des  consé- 
(juences  contraires  à  l'enseignement  de  l'Église.   • 

M.  .liil\  t'ai!  bien  ressortir  l'application  à  la  grâce  île  la  liiéorie  des 
volontés  g(''néiales  et  des  volontés  jiarticulières.  11  reproduit  d'abord 
ces  paroles  de  Malebranclie  :  ••  La  loi  générale,  l'oi'dre  de  la  grâce, 
c'est  que  Dieu  veut  sauver  tous  les  liommes  en  son  l-'ils  et  par  son 
Fils,  vérité  que  saint  Paul  répète  à  tout  moment  comau'  le  fonde- 
ment de  la  religion  que  nous  professons  ri).  ■>  Puis  il  continue  : 
<i  Par  cela  même  qu'il  veut,  d'une  volonté  sincère,  sauver  tous  les 
hommes,  il  doit  faire  que  la  grâce  se  répande  partout.  Il  ne  s'en  va 
pas  regarder  à  tel  ou  tel  et  ])rendre  en  sa  faveur  ou  contre  lui  des 
dispositions  particidières.  Comme  dans  l'ordre  de  la   nature  il  verse, 

1)  Page  191  de  l'édition  donnée  par  le  It.  P.  tngold. 
(i)  Traité  de  Morale.  1"  partie,  vin,  4. 


G32  Ci.  LECHALAS 

{•Il  vfiiii  (!(■  lois  j;i'iit'|-ali'S.  niir  |iliiii'  (|ni  limilic  aussi  liiiMi  sur  Ir-^ 
rijciiers.  les  sables  et  la  iiu'i-  (|iu'  sur  les  terres  lalxiurées,  de  niciue 
il  met  saf^ràceà  la  disposition  de  tous, de  ceux  ([ui  doivent  y  résistei- 
coimne  de  reu\  (|ni  doiveul  \  cooiiérer. 

«Mais  celle  idnipaiaisiui  tant  de  fois  réj)étée  ne  l'ail  qn'expriniei- 
le  l'Ole  de  Dieu  \u  <ians  l'unité  des  personnes  divines  ;  car  lui  seul 
dfinne  vr^iilahlenieul  la  grâce,  de  nièiiie  (jue  lui  seul  est  cause  el'li- 
cace  de  loiil  ce  (|ui  se  l'ait  dans  ITuivei's.  I.a  seconde  pei-sonne.  celle 
du  Fils,  qui  s'esl  incarnée,  ne  joue  plus,  en  lanl  ipi'liouiu\e-l)ieu,  ipie 
le  n'ile  de  mi'dialeui-  mi.  jioiir  parler  le  iangaiie  haliiluel  ilu  pliilosn- 
plie.  ipie  le  r("de  de  cause  occasionnelle.  A  Inniiui  de  I  àiui'  cl  ilw 
corps  correspond  exactement  I  union  de  Jésns-Chrisl  el  di'  son  Ef;lise. 
(.(■Ile  uiiiiiii  est  ;'i  propreiuenl  parler  la  vi"  spirituelle  :  el  les  UKunc- 
lueuls  pal-  les(piids  celle  vie  s  l'iilrelienl  ou  se  d(''veliippe  ne  sont  au- 
tres ipie  les  inonveiiienls  mêmes  ilc  la  (iràce.  ■•  |)ien  le  |''ils  njovite  la 
pitié  à  la  puissance  :  il  pense  à  Ici  d  entre  nous,  et  sa  };ràce  va  là  où 
est  allée  .sa  pen.sée  :  mais,  dans  cette  concession  faite  aux  voies  par- 
ticulières de  la  grâce.  Malcbranche  fait  des  re.strictions.  voulaul  ipie 
pr(,"si|ne  toujours  .lésus-ClirisI  envisage  en  général  ceipie  demandenl 
les  liesoins  de  l'Kglise.  Kn  dévelo|i|)anl  trop  le  syslèiue  des  voloules 
parliculières.  ou  ferail  Dieu  Iropduriui  IHu  siippiimi'rail  la  liluMte 
de  riiomiae. 

Delà  grâce  ou  passe  ual  iirelleiueiil  à  la  pri'di'sliual  iou.  puis(pie. 
seliui  sailli  Aiignslin.  la  pri'desl  iiialiiui  esl  la  prescience  tli' la  pri''pa- 
ralion  dn  don  de  la  grâce.  Celle-ci  d  ailleurs  étant  gratuite,  la  [iré- 
destinati(Ui  doit  I  être  aussi  :  mais  cette  gratuité  suppose-t-elle  un 
choix  ,'irliili-aire  el  sou  acli(Ui  e>l-elle  i  uviucilili- ? 

D  al)(U'il  la  prédestination,  .selon  saini  .\iignsliu.  esl  la  pj'édestiua- 
lion,  non  an  saliil,  mais  à  la  gràci».  et  les  eU'els  de  la  grâce  une  fois 
olileuui'  <li'pendeul  île  noire  lilierU'  :  les  pi'édestinés  au  salul  siuil 
ceux  en  qui  Dieu  pi-évoil  qui-  la  grâce  produira  (les  eU'ets  uu'riloires. 
C  esl  la  ilocti'ine  ronijnihte,  parfaitement  oi'tliodoxe,  liien  que  ikui 
consacrée  à  l'exclusion  do  toute  autre. 

Maleliranche  maintienl  énergiijuemeiil  (pie,  pcmr  (jiie  la  lilierté  des 
àines  .soit  une  réalilé.  il  faut  ipie  ni  leur  obéissance  ni  leur  désobéis- 
sance à  la  loi  ne  soil  ini'vilalile  ;  (lour  lui,  Dieu  veut  sincèremeni 
sauver  tous  les  liouuiies.  mais  il  veut  inspirer  un  amour  de  choix, 
un  amour  éclairé,  luui  1'   ■  amour  aveugle  ([u'iiispire  liiislincl    ■. 

Ou  voit  comliieii  celle  doctrine  s'écarte  du  jansénisme  donl 
l'abbé  Rlaiiqiigiion  a  injustemeni  accusé  Malebranche  d'avoir  élé  un 
sectateur,  el  c Cst  à  bon  droit  (pie  celui-ci   se   llallait   ipie  son    Triiilr 


;./■;  ri:iiE  (;/;.\r;M.  tau  le  Caudinal  I'ehuai  it  fi:i:t 

(/(■  /((  Saillir  ri  de  lii  Gràcr  rcrnil  iM'vcnii'  des  j^'ciis  aviiiil  iliiiiné  dans 
1rs  (i|iiiii(iiis  di'  .laiiséniiis.  Bien  loin  d'en  èlrc  scclalciir.  il  n'étaiL 
iiUMiic  pas  I  liiiiniNlc. 

Nous  M  insislrniiis  |)as  sur  sa  liillr  coiilrc  le  (|iiiélisiru'  el  sur  sou 
adiuii-ahli'  |i('lil  T  rai  lé  il  r  l'aiiiaiir  ilr  /lira  (|iii  devait  le  réfonciliei' 
avec  Hossiiel. 

M.  .loly  se  deiiiaiide  i|iiellc  a  l'Ii'  riiilliieiici'  de  la  lliiMilogie  sur  la 
pliilosopliie  de  iMalelii'aiiclie,  et  il  la  li'iiiive  des  plus  heureuses.  Sur 
les  li-dis  pciiiils  iiii  il  es!  eu  dissidence  précise  a\ec  Descartes  (lois 
éternelles  ne  di'peudaid  pas  d'un  (li''cret  de,  la  voliuile  divine,  admis- 
sion (l(îs  causes  liuales  el  iui'jialiir'  de  la  liberté  sui\aul  les  hommes 
et  les  leiupS),  sur  ces  lr(_iis  [loiuls,  disons-nous,  la  I  h('Mili)f;'ie  a  i''lé 
son  inspiral  rice. 

Il  \  aurail  encore  à  reeui'illir  de  pi-('>cieuses  indicalions,  parlicu- 
lièrenient  en  ce  rjui  concerne  la  morale,  mais  ce  ([ui  précède  suflil 
à  montrer,  niuis  l'espérons,  rpu'  l'oeuvre  de  M.  Joly  contient  des 
parties  pi-ésenlani  un  haut  inl('rét.  Qu'il  nous  ]iei-mette  de  lui 
di'mander,  pour  sa  prochaine  édition,  une  corri;ction  plus  soignéi'  el 
une  révision  de  la  table  des  matières  qui   contient  (juidiines  erreurs. 

G.  LECHALAS. 


LE  PÈRE  GRATRY.  Sa  vie  et  ses  œuvres,  par  le  Cardinal  Perkalu, 
1  vol.  iu-t-i,  Paris,  Douniol. 

Ce  livre  n'est  pas  uiu'  biographie  au  sens  classique  du  mot.  C'est 
une  belle  œuvi'<'  d'ail  exécutée  en  quelques  coups  île  pinceau  qui 
agrandi-s.sent  la  vue  de  l'esprit  et  l'écondenl  la  pensée.  Le  cardinal 
Perraud  ■'  v  a  mis  liuile  s(ui  âme  ...  Sous  une  l'orme  toute  philoso- 
])lii(|ue.  doni  le  P.  (d-ali-y  a  lui-même  donné  l'exemple  dans  la  vie  de 
l'abbé  Peri'cyve.  il  i-eirace  la  physionomie  intellectuelle  et  morale  de 
son  cher  et  illustre  uiailic  b'Ilomme  et  le  Prêtre.  —  Le  Philosophe. 
—  Le  Poléndsle.  —  1,  Apologiste  et  rAp(Jlre.  —  Le  Précurseur.  — 
L'Kcrivain,  —  voilà  le  jdan  de  l'ouivre.  Ces  tableaux  méritent  d'être 
élvuliés  dans  leur  ensi.mble  el  chacun  à  part:  mais  il  en  est  deux  (\\n 
nous  inléresseni  plus  pari  iciilièicuient  dans  cette  l{e\ue  :  le  Philo- 
sophe el  le  Pri'.curseui'. 

L  —  Comme  pliilosophe,  le  P.  (Iralry  occupe  une  des  premières 
places   dans   le  mouvemeni    iiilelh'i'l  uel    du   M\''  siècle.  Nini  qu  il  ait 


034  M"'  UASTIER 

iiiveiili'  (le  loutes  jiii'i'ps  une  pliildsopliio.  Son  œiivi'c  nCsl  iidinl  la 
])yraiiiiili'  du  dési'i'l  qui  (Mnnnç  par  ses  |)ri)])oclioiis  colossales.  C'est 
la  source  limpide  qui  descend  des  sommets  et  va  porLer  la  contribu- 
tion de  ses  eaux  à  «m  large  fleuve,  dont  le  cours  a  produit,  de  temps 
immémorial,  la  richesse  du  pays. 

Toute  la  ])hilosopliie  du  P.  (Iratry  repose  sur  Dieu  cl  l'idéal  moral. 
C'est  d'abord  par  le  premier  élan  de  la  raison  spontanée,  procédé  le 
])lus  naturel,  \e  plusà  li  pnrire  de  Ions,  (ju'il  propose  d'alteintlre  ces 
hauteurs:  il  eu  i-edescend  ensuite  métliodi(|uemenl,  |)Our  v  remonter 
et  eu  l'airi'  le  lieu  de  son  ri'pos.  Dans  IKxposiliou  pri'liminaii'e  du 
'/'riiili-  de  In  ('itnnni.ssdiire  de  lliea  et  tout  le  traité  lui-même,  il  l'ail 
uiH'  très  large  pari  à  l'induction,  qui  est,  jiour  lui,  le  sens  de  l'iulini 
lui  t\\\  divin  el  (huil  il  Miil  une  appliralliin  scieni  ili(|Ui'  dans  le  calcul 
intinilesimal. 

Ctqjendanl  le  1'.  (irali'V  n'a  pas  néglige''  de  ddiiner  à  la  nu'thode 
syllogistiqne  la  |ilace  qu'elle  mérite.  Cent  quarante  pages  de  smi  pre- 
mier volume  de  la  Loijiipic  sont  consacrées  a  I  étude  du  syllogisme 
el  de  ses  lois.  De  plus,  il  déplore  ainèremeul  l'ignorance  j)ralique 
générale  de  toute  forme  syllogislique...  Celte  ignorance  est,  pour  lui, 
11  la  source  d'abus  et  d'inconvénients  innombrables  dans  la  vie  publi- 
que el  privée,  dans  l'enseignement,  dans  l'étude  solitaire,  dans  la 
littérature,  à  la  tribune  et  dans  la  presse,..  »  La  raison  est  en  péril! 
Vigie  attentive,  il  multiplie  les  signaux  pour  conjurer  le  danger.  Il 
répète  cette  jiarole  de  Fénelon  :  u  >'ous  manquons  encore  plus  sur  la 
lerre  de  raison  que  de  religion.  "  Dans  son  Iniroduclion  de  la  Con- 
naissance de  Dieu,  le  P.  Gratry  nous  dépeint  la  rai.son  n  victime  de 
l'anarchie  des  mots,  des  argumentations  et  des  images,  des  illusions 
el  des  mensonges,  des  em[)ortenu'uts,  des  passions,  des  <'rimes  de  la 
pensée,  succombant  sous  le  llol  lurbulent  el  sous  l'eirm-l  des  invi- 
sibles multitudes  qui  lutlenl  dans  chaque  es|iril  ". 

11  Si  l'on  veut  sauver  la  religion,  dit-il,  la  société-,  la  civilisation, 
Vœiivrr  première  à  entreprendre,  c'est  le  rélablissemenl  de  la  raison 
publiipie.  " 

Par  quel  moyen? 

i.  En  ramenant  les  esprits  à  la  connaissance  et  au  i-espect  de  la  rai- 
son et  de  ses  lois.  » 

1.  Qu'on  sache,  car  on  l'oublie,  qu'il  y  a  dans  le  monde  erreur  el 
vérité,  el  que  l'on  peut  distinguer  l'une  de  l'autre;  qu'il  y  a  pour  la 
liensée  humaine  une  méthode  vraie,  c'est-à-dire  des  principes  cer- 
tains et  des  procédés  légitimes;  que  ces  principes,  ces  procédés  ont 
été  pratiqués  de  tout  temps,  instinctivement  par  beaucoup  d'hommes, 


U-:  PERE  CHATHY.  v.\r  le  Cardinal  l'KURAl  I)  r.3:i 

,.|  uni  |iu  li'liT,  (l;iiis  un  riTl.iiii  ■^ciis.  |iar  Ions  1rs  li<iiiiiiirs...  ;  qur  la 
vi-ai(?  imHliodf  |iliiloso|)lii(juc,  sans  iHre  eiu-ore  bien  coiuplélenicnl 
dùcrile,  s'«st  pouiMant.  dans  la  suite  des  siècles,  iirécisée  et  dévelo[(- 
pée  par  le  Ijonlieiirde  ses  a]i|iliialiiins  et  la  conscience  toujours  plus 
claire  des  j;rands  esprits  i|ui  la  mettaient  en  lenvre;  mais  qu"il  existe 
aussi  une  l'ausse  miMliode.  nu  proi-édé  sophistique  ipii  un  jamais 
cessé  denti-avi'i-  la  niai-che  de  la  pliiloso|iliie  par  sou  a^ilatirui  [ler- 
lurbatrice.  ■■ 

Ceci  fait  :  "  l)istinL;iie/.  sçieiililii|iicnicul  la  sopliisliipie  de  la  philo- 
sophie... il  l'aul  savoii-  que   le   pi'occdi'   sopliisti(|nc   n'est    cpie  la    mé- 
lliode  ]i]iilosopliii|ne  n'IniinK'r. 
Que  faut-il  ensuite? 

"  Rélaiilir.  parmi  nous,  la  légitime  autorité  de  la  |)liiloso|diie  et  de 
la  raison  par  la  connaissance  el  la  ])ratique  de  la  méthode  des  philo- 
sophes proprement  dits  et  pai'  l'étude  des  sophistes,  considérée 
<'omme  contre-épreuve  et  démonstration.  » 

11  faut  encore  :  «  que  la  pliiloso|ihie,  sriencn  ijrmlralc.  soi-te  de  son 
isolement  et  qu'elle  regarde  en  fan-  les  sciences  spéciales  qui  la  ni<-- 
pi-isi'iil...  que  les  sciences  diverses,  (/ii'elle  a  c/v'cc.v,  reprennent  leurs 
naturels  rapports  dans  Vuiiili'  di-  ta  pliilosophie.  .. 

Ce  n"est  pas  tout  :  il  faut  •■  que  le  développement  solide  et  sain  de 
la  pensée  procède  du  développement  de  l'âme  totale  etde  la  volonté... 
pas  de  progrès  de  la  raison,  sans  un  progi-ès  correspondant  de  force 
moi-ale  et  de  liberté...  » 

Kntln.  il  faut  que  ■■  la  raison,  qui  est  une  force,  cheiche  son  prin- 
cipe et  sa  lin  •>.  Or,  ■•  le  principe  premier  et  la  fin  dernière  de  la 
raison,  c'est  Dieu  ■). 

Ce  programme  fut  celui  de  sa  vie,  et  tous  ses  ellorts  tendirent  à  le 
réaliser  en  lui  et  dans  les  autres.  Ses  Si)urces  sont  une  suite  de  con- 
seils les  pins  Judicieux  et  les  plus  pratiques,  destinés  à  former  les 
Jeunes  esprits  d'élite  qui  ont  la  nolile  ambition  de  ne  chercher  que 
la  justice  et  la  vérité  :  excitation  à  l'élude  des  sciences  comparées... 
temps  de  la  commencer,  moyens  pour  l'entreprendre  et  la  continuer... 
données  précieuses  sur  chacune  des  sciences  jjrincipales  qu'il  est  à 
l)ropos  d'étudier  de  concert...  sorte  de  large  règlement,  non  seule- 
ment pour  l'intelligence,  mais  pour  le  corps  lui-même,  <■  afin  qu'il 
soit  entraîné  et  entre  dans  la  voie  de  l'esprit  et  de  l'àme...  "  .\illeurs. 
c'est  la  mise  en  garde  contre  l'isolement  dans  les  recherches  philo- 
sophiques... plus  loin,  l'exposé  des  conditions  morales  essentielles 
pour  rendre  fructueuse  l'étude  de  cette  pliilosoi)hie  qui  doit  faire 
l'unité  dans  les  sciences... 


ii3C.  M'i"  RASTIER 

l,n  llu'orir  rcl.il  i\  (■  .m  ■  iiivslirisinp  vrai  ri  iiccessaire,  sans  le(|iiel 
la  |iliiliiso|ihic  ne  pcul  èlre  aciiovée,  li"aiisf<iriii('c ,  orf^Miiiséc  », 
cll'rait'i-a  iiciil-cli-c.  Le  V.  (jratry  s'en  psI  i'\|ilii|ii('  lui-iuiMiié.  Cp 
mysticisme  l'ail  |iai-tii'  de  rc  (lu'Arislnlc  uninniail .  sans  le  cnniiin'iKli-r 
cnlièri'inenl.  l'allcail  du  (iésii'alili'  l't  de  riLilcUifi'iljle.  C'est  le  sens 
(lu  divin,  le  conlail  de  ilien,  an(|nel  riiiinmie,  dit  adinii'ableinent 
l'ialiin.  est  suspendu  (•(iniine  paria  l'acine. 

Si  l'on  lient  ;i  earaelériser  d'un  nuit  le  pliili>soplie,  il  faut  dire  (jne 
le  P.  (irati'V  est  avant  lout  une  ùaie  plalonieienne.  Mais,  par  son 
anioui-  de  la  siienee  eoiuparée,  par  les  tendances  encyclo[)édi<{ues 
de  son  espril.  il  u'esl  pas  sans  affinité  avec  Arislote.  Il  a  donné  du 
Sla^irite  cette  appréciation  (pie  les  disciples  de  ce  dernier  ne  récu- 
seront pas  :  «  Si  les  éludes  se-relèvent  jiarnii  nous,  Aristole  veprciidni 
xii  place.  Ce  vif^ouronx  génie  peut  encore  nous  aider  à  sortir  de  nos 
molles  habitudes  de  |)ensée  où  notre  esprit  s'énerve,  ;'i  revenir  aux 
l'ortes  certitudes  "  —  el  surtout,  ajouterions-nous  ;  au  contact  per- 
pétuel et  vivifiant  avec  li's  icalilcs  scientili(pies,  ;'i  la  iiuse  en  (euvre 
de  ces  ricliPSS(^s  sans  uoirdu-c  cpic  la  pliil()S()])liie  luiMicrne  n  a  Jamais 
C(iuipli''li'mi'ul  exploitées. .. 

II.  —  .M.  Vitel  I  cl  .M-'  Siliour  -2  ont  riiii  cl  l'autre  cpialitié  le 
I'.  (irati'N  (le  restaurateur  de  la  pliilosoi)liie  traditionnelle,  ,1c  crois 
(|ue  I  liistoii'c  (li''ccrncra  ci'  titre  à  Léon  \I1I.  Le  cardinal  Perraud  a 
Inuixi''  le  mol  Justi'  poui-  caractériser  ici  le  ri'ile  de  S(Mi  maître  :  "  ]j' 
I*.  (iratry  est  un  Précurseur.  ■• 

On  a  \u  ]iar  loni  ce  (pu  précède  (pie  c'est  bien  a  la  |iliilosopliie 
tradilionuelli'  ipi'il  apportait,  à  une  heure  anticipée,  le  contingent 
(le  son  grand  latent.  De  plus,  par  ses  appréciations,  il  la  désignée 
aux  générations  tutures  comme  la  philoso|diie  ([ii'elles  devroni 
explorer  el  à  la(pielle  il  leur  sera  loisible  d'aioiitcr  de  nouvelles  cou- 
ceplions.  M(mlraut  les  deux  étals  de  la  science  |ihiloso|)hi<pie,  avant 
et  apr(''s  .lésus-C.hi-isI .  personnifiés,  au  point  de  vue  du  mouvemenl 
initial,  dans  Plalou  el  saint  .\iigusliii  :  "  Le  l'ait  l'iMnIauieiilal  de  l'es- 
prit humain  est  accompli,  écrit-il  ;  il  ne  reste  |)lus  (]u'à  en  développer 
tontes  les  consé(Hi(nices...  Cela  s'est  l'ait  en  maj(^ure  partie  au  moyen 
âge,  ]>ar  la  Pliihisoiihii'  sfn/iisliiji/c.  cet  admirable  conipoS(''  de  luiiii(''re 
divine  el  humaine...    • 

El  ailleurs   ;    "    Le   grand   mouvement   scolasti((ue   (>sl   de   l(Uis  les 


1  Discour.s  de  réception  à  l'Acadéuiie  l'rani;aise. 

2  Lettre  du  !.">  noveml)re  18j5. 


l'SYClInl.iiClE  HE  i:i\\i:srin\.  l'ui   K.   l'M'LIIVX  IIHT 

liliuivciiiriil  s  llislll|•i(|Ul'^  irlin  ijiii  ii  Ir  jiliis  ili'i-olupiii'  lu  ruismi  lui- 
iimilir... 

"  Sailli  Tli(iiiia>.  dil-il  ciirui-c.  rciiIVrnii'  la  Niilislaiirc  ili'  saiiil  Aii- 
fiuslin,  d'Ai-ishilc  cl  ilc  l'Iahin  ;  mais  son  esprit  est  crhii  d'Aristote... 
(lu  reste,  il  II  a  |)as  laiil  les  idi'cs  iiiriiies  (|ili'  les  forces  de  ce.s  génies... 
Ce  fjili  lui  iiiaiii|iH'.  c'csl  d  l'Ire  ciiiiipris  !  Il  \  a  l'ii  lui  des  hauteurs, 
des  profondeurs,  des  pi  l'cisiiuis  que  I  iutellif^eiice  ciuileiiiporaine  esl 
loin  de  pouvoir  siuipromici-.  el  i(iie  l'iui  rouipreiulra  |ieul-ètre,  dans 
(|nel([nes  gTiu'raliiuis.  si  In  jikilnsniihir  se  i-rlrri\  si  lu  sar/L'ssi'  rcpcirail 
parmi  tunis...  ■• 

Cest  eueore  le  1'.  (iralry  ijiii  a  |iniuiincr'  ces  étomianles  jiaroles  : 
"  I.e  temps  esl  venu  mi  les  eliréliens  vont  se  metli'e  au  travail  pour 
Iraduii'e  eu  laiif;age  eoulemporain  la  grande  |iliiliisii|diie  Iradiliiui- 
uelle,  pour  l'étendre  au  liesoin  des  peu|des  ". 

(les  prévisions  de  génie  et  rappréeial  ion  des  deu\  Smiimes  du 
Hoclenr  angi'liipie,  rapproeliées  de  la  proiiiiilgaliou  de  l'eneyelifiue 
.h'Irrni  l'ntris.  oui  l'ail  T'crire  à  M»''  l'erraud  :  "  Ne  seml)le-t-il  ])as. 
en  vérité,  ((lie  le  1'.  to-ali-\  ail  deviné,  presseiili.  j'allais  preMpie  dil'C 
prophétisé  l'ieiivre  de  relevciiieiil  pliil(isiiplii(|iii'  accniiiplii'  smi'^  nos 
yeux  de|iuis  vingt  ans  ?  " 

Hélas!  cell ii\rc   ii'i'sl    pas  aceomplie,  mais  elle  esl  iiiaiigiin''c. 

On  y  travailli'  siirloiil  en  l-'rauee,  en  H(dgique  et  eu  .MIeiiiagne.  l^i 
l)liiloso[diie  Iradiliounelle  est  de  plus  en  ])lns  étudiée.  Klle  n'est  pas 
encore  suflisanuneiil  niiiiiue  dans  ses  vraies  sources:  elle  ne  s'esl 
pas  encore  dégagée  de  huile  caducité,  el  il  lui  reste  à  s'assimiler  des 
parties  vivantes  de  la  pensée  contemporaine. 

.M"'    liASTIldt. 


PSYCHOLOGIE  DE  L'IN'VENTION,  par  I".  P\uliia>,  i  HibliotlK-que 
de  plulosiipljie  ouleiniioraiiii').  1  vul.  in-12  de  t8b  pages.  1001:  Paris, 
Alc.^.n. 

Qnest-ce  cpic  I  iii\  cul  iiiii  ?  La  ipicsliiui  sciuhle  banale:  et  puiirlanl 
combien,  dans  le  grand  public.  d'es|U'ils  même  cultivés,  ipii  éprou- 
veraient (piehpi'embarras  à  donner  de  ce  terme  une  di''liuition  uelte 
et  adé{[uate  à  son  objet?  Kii  réalite,  l'imcntion  proC('de  de  riiiiagina- 
lion,  non  pas  qu'elle  soiL  créée  par  elle,  mais  parce  ([iie  celle-ci  est 
la  coiidilioii  nécessaire  de  celle-là.  VA  le  plus  souvent  (piand.  à  pro- 
pos des  ])ers(Uines.  on  |iarle  de  leur  imagination,  c  esl  leur  iiiviMilion 
qu'il  faiidrail  dire,  (lai-  un  liiiiiimi',  si  mal  parlagi''  inlidlrcl  iicllcuiriil 


638  C.   DE   KIlîWAN 

ilii'on  le  suppose,  no  voit  jamais  se  former  des  images  ilaiis  son  eer- 
veaii  sans  leur  associer  des  idées,  lesquelles  provoiiueul  daulres 
imaj;es  s'assooianl  à  de  nouvelles  idées.  Kt  lorstjne  la  vohuité  éclai- 
rée pai-  la  raison  n'intervient  pas  pour  dirif;er  ces  associ;ilions  d'inta- 
f?e,s  et  d'idées  snivani  un  sens  déterminé,  ou  dit  lamiliéremenl  que 
r  "  imagination  "  devient  la  folle  du  lo<jis.  Celle  l'oUe  du  logis  pro- 
vient en  réalité'  d  une  suite  d'inventions  élémentaires  plus  ou  moins 
désordonnées  el  fantasques. 

Celte  confusion  entre  l'imaginalion  el  l'invenlion  se  Iraduit  dans 
le  langage  courant  lorsq\i  on  dit,  par  exemple,  d'un  géomètre  qu'il  a 
inmginr  \u\  nouveau  mode  de  démonstrati(ui.  d'un  physicien  qu'il  a 
imnijini-  un  dispositif  ou  un  mécanisme,  d'un  lionnue  de  guerre  qu'il 
a  iniaijinr  une  combinaison  sli'ali\gi(pii'  ou  une  arme  nouvelle,  etc. 
Le  terme  tout  à  fait  exact  sci-aji.  iii,  inri'iilé;  mais  ils  s'em|)loient  ai- 
sément l'un  i)our  l'autre,  ce  (|ui  |ii'(mve  la  synonymie  qu'ils  ont  pra- 
tiquement dans  la  ])ensée  de  chacun.  Iniaghicr  est,  dans  celte  accep- 
tion, le  j)ropre  de  l'homme  seid  ;  car,  seul,  il  invente.  H!l  pourtant 
l'imagination  est  commune  à  l'homme  et  à  l'animal;  l'animal,  lui 
aussi,  forme  et  associe  des  images,  mais  il  n'imagine  ])as  <lans  le 
.sens  d'invenleri.  parce  ipie  clie/,  lui  l'image  n'est  pas  viviliée  et  géné- 
ralisée par  l'idée. 

l/inlervenlion  de  l'idée,  de  la  jiensée,  dans  la  IViiiualion  et  le  dé- 
vi'l(i|ipemenl  des  images,  voilà  le  poini  de  départ  de  l'invention. 

hirii  que  l'auleur  de  l'xijrhtiliKiif  ilr  l'iurfiilidii  n'ait  pas  indi(pié 
explicileuienl  ce  poinI  île  vue.  iPscmblerail  ui''aiimoins  ressni-lii'  de 
1  ensemble  de  son  livre  1"  qui  a  pour  sujet  :  A"  (rralinii  utlrllfc- 
twllc.  Ce  livre  I''  est  pr(''cédé  lui-ménu'  d'une  iidrodnction  de  trois 
ou  (|ualri'  pages  oii  laulcur  lrac<'  à  grands  li-ails  les  caractères 
principaux  de  l'invenlion  avec  la  pari  trinstincl,  diuiilalion,  et  il'in- 
novalion  qu'il  y  juge  contenue,  ainsi  ((ue  le^  circonslances  lanl  inté- 
rieures (pi'exlerieures  i|ui  inllucnl  >in'  elle. 

CommenI  ]>rennenl  naissance,  se  corsent  el  se  com|)1èlenl  les 
ciéations  inlellecluelles.  qu'il  s'agisse  d'onivres  littéraires,  de  sys- 
tèmes philosopliiques,  d'hypothèses  scienliliques  ou  de  constructions 
mécaniques,  c'est  ce  i[ue  M.  Paulhan  ex|>ose  dans  son  livre  I'', 
et  cet  ex|)osé,  a|)puyé  d'e\em|>les  |)ris  dans  riiisloric|ue  de  la  gesta- 
tion d'œuvres  connues,  i)arsemé  d'anecdotes,  ne  se  lit  pas  sans  un 
certain  charme. 

Le  livre  II  est  le  plus  imporlaul  des  trois  doni   se  compose  le  vo- 
lume. L'auleur  y  montre  comment,  suivant  lui.  un   [H'emier  élément 
■d'invention   ayant  pris  naissance.se  dévelopjie  en   se  répétant  lui- 


ESSAI  rnlTKjl'E  sut  LE  IHII1IT  DAFFIUMEI!  63'> 

I  ri  ri  lie  |i,-ir  uni'  >iiilc  iriinciil  iiiiis  siiri-cssivcs  ;i\,'iiil  d  n  illi'iirs  clLiriiiir 
Miii  caracIciM'  |)i-i)|in'  cl  se  sysiciiiatisjiiil  eiili-r  cllrs.  Il  iiiiiiitri',  axer 
i'\(Mii|)l('s  à  l'appui,  les  divers  iiiixlos  de  ce  dr^vidiippciiii'iil  soil  |iar 
('■xoliitiiiii.  sciil  par  Iraiisriiniialinii  (iii  par  ili'vial  imi.  cl  iiisisic  sur  le 
nilc  qii  y  rciiiplisseiil  cl  riiiiilaliiiii  (pi"acconi|iaj;Mc  liinjinirs  nue  pari 
d'ori^iiialilc.  cl  la  rdiiliiie  cllc-iiii'iiie  <pii  n'esl  d'ailleurs  (piiiiic  iiiii- 
lalicili  iliciiiiscieiilc  cl   en  (jihdipic   si>rle  aiildina  I  ii{  iii'. 

haiis  le  li\rc  m,  pal'  Icipii'l  se  Icniiiiie  l'ouvi-aj;!',  M.  l'aiilliaii  cla- 
lilil  en  i|iiclipies  pai;es  une  emiiparaisiiii  cuire  l'inviMil  imi  l'I  la  \ic 
lanl  iiidividiii'llc  ipie  sucialc.  Il  iiisislc  sur  l'r  cpic  la  preiniere  a  d'ir- 
réf^-ulicr  par  rappnrl  à  la  sceiiiide.  cl  se  si'pare  ii'i  de  .MM.  S(''ailles. 
(îuyaii  cl  {{iliiil.  ipiiiiiil  heaiieiiiip  eiunpari''  I  arl  i-l  la  vie.  Ce  ii'csl  pas 
ipiil  répudie  eiiliéreineat  leurs  vues:  mais  il  jiif;e  les  rap|)()rls  de 
l'invenlioa  avec  la  vie  plus  coiniïliqiics  cl  plus  (■leiidiis  ipie  ne  l'esli- 
nient  ces  fjliili)so[)lies. 

M.  l'aiilhaii  esl  bieu  eomiii  dans  la  lill(''ral  iirc  pliilosii[iliiiiiie.  On  a 
de  lui  diiri''rciils  (''crils  d'iuipiirlance  inégale  :  L'Artirilr  tiiciildic  fl  liw 
rli'niciils  de  l'cspril  ;  Les  '/'ij/n's  iillcllectuels  :  esprits  loi/iqitrs  ri  csj/ril.y 
faux  ;  Les  l'hémnnèiirs  njferAifs  el  les  lois  de  leur  uppurilinu  ;  Jusepli 
de  Mnisire  el  sa  pliilnsapliie  ;  el  onlin  un  opuscule,  pclil  iii-18  parve- 
iii)  a.sse'/.  pniiiipleiiicnl  à  sa  .')''  (''dilion,  sur  /."  /'hi/siiilm/ii'  ilr  l'rsjiril . 

On  voit  par  là  ipr(ui  a  all'aire.  en  .VI.  Paiilhan.  à  un  espril  labiiricux 
et  il  un  penseur. 

C.  D1-;  KIRW.V.N. 


ESSAI  CRITIQUE  SUR  LE  DROIT  D'AFFIRMER,  par  Allieit 
LKCLi-;nK,  docleur  es  lettres,  prorcsseur  de  pliilosoiihie  au  collège  de  Bloi* 
(liibliothcque  de  philosopliie  contemporaine).  1  vol.  in-H»  de  ^(ii  pages, 
1901,  Paris,  Alcan. 

Ou  se  rappelle  ce  n'siiiiii''  des  diiclrincs  nili  il  isl  i'-.  cKprinn'  par  un 
projel  de  di'crel  de  l'inaiic  liiiiinirisl  ii|  iii'  : 

!■  Aiirir.Li-;  eiu:.Mii;u  :  Il  n'y  a  plus  rien. 

«  Akt.  '1  :  l'crscinnc  n  es!  idiai'i;i''  de  I'i^M'ciiI  ion  du  pri''MMil  di''crel.  •> 

Dans  le  cliaiiip  de  hi  spi''culal  liiu  pliiliis(i|diiqiie.  nu  pourra  il .  api-r'S 
la  lecture  des  quatre  premiers  cinquièmes  île  ronvraf^c  de  M.  Lcidère, 
faire  a|q)licalion  de  celle  houladc.  lîieii,  d'après  lui.  n'existe  i-i'cl- 
li'lili'lil   de  vr  (|iii    frappe  nos  sens,    ni   iiir'iiie   des    plii''uoillèiies   di'    la 


CiO 


C.  DE   KIllWA.N 


<'iirisi-i(^iii;r  révi'lfs  par  l'iiilrospfclidii.  Hii  d'aiih-r-.  Icriiir>.  \r  inumli' 
l'xli'riciii'  ii'i'st  (jii'iinc  iipiKiffilice.  mais  n'csislr  pas;  la  coiisiiriicc. 
Iflli' ilu  Hiiiiiis  ipi  un  la  comiireiid  }j;i'iu''rali'iii('nl .  ii  rsl  ipiiiur  rnl- 
leclidii  ili'  \  lies  ('inpii'i((iies  (loiil  on  ppiil  alls^i  liicn  alTn-iii  '|-  la  uoii- 
cxisIciiiT  i|iii'  rcNJ^Iciirc,  (liMic  l'Ile  na  pas  d.'  r.'alili'.  rdiil  (■■■  (pii 
lii-(i\nqiie  IiMikIi'  l'I  I  itbscrvatiipu.  scienc^'S  cosiimld^iipirs  a\aiil  ji' 
iiiiiiiili'  ('\l'''i-i(Mir  pour  (ihji'l.  sciences  n(ioJ<ij;i(|n('s  ciinceriiaiil  ICspril 
l'I  les  clidses  (II'  lesprit  :  loiil  cela  n'es!,  ipi  appai'eiice  el  i-eiil|-e  dans 
le  diiiuaine  de  1'  •■  in'éel  ...  C'est  I  irri''alili''  de  la  ciMiscieiiee  ipii 
eidraine  I  iiTi'alili' du  iiiiiiiiie  exli'.rieni'.  lequel  n  esl  que  pliéMnnièiies. 
un  plnliil  .ippareni'e  de  plK'niuuêrn'S.  I".l  puniquiii  la  ciiiisciencc,  an 
moins  la  conscience  "  enipiriipie  ..  cest-à-dii'e.  sans  donle,  rmidi'e 
sur  le  V-tôi'i:  7i-/j-:ov  .  csl-elle  irréelle?  C  est  ipu"  lo^iipn'ntenl  la  con- 
science se  nie  en  seposanlél  se  pose  on  seniani  ;  el  ipie.  alors  même 
ipie.  dn  poini  de  vne  pi'oi)renu'nl  psyclioloi^iipn'  ipii  n'est  pas  le 
point  lie  vne  l'ondameiilal,  on  pourrait  se  demainler  si  peut-être  l'on 
ne  SL'rail  pas  dans  le  vrai  en  nr\nlij;'eanl  ce  niemlire  de  pro|iosili(in.  à 
savoir  ijn  en  se  posant  la  conscience  se  nie,  pour  ne  considérer  (|ne 
l'ariirniation.  —  <•  du  ]ioinl  de  vne  loi,'i(pu^  ijni  e>l  le  point  de  vni' 
t'ondameiital .  on  s'apei-coil  ipi  il  tant  nier  cette  conscience  ipii  se  nie 
en  se  juisaid  et  ipi  il  i'ani  n(''j;ii};er  ipi'elle  se  pose  en  se  niaid  :  car 
le  principe  de  coidi'adiclion  interdit  détenir  pour  i-i'cl  ce  ipii  se  po^e 
et  se  nie  à  la  l'ois  p.  .")7  ..  D'ailleurs,  le  savoir  noolo^ii|iie  on 
science  (le  lespi'it  si'talilil  paj-  voie  d  intuition,  d  où  ilrvoidenl  la 
(k''ilnciion  el  1  induction,  el  suppo>e  l:i  noiion  de  i;enre,  laipiclle  est 
injnslilialile. 

QnanI  an\  laits  cosiiiolof^iipn's,  ils  s  olisei-vent  dans  I  es|>ace  et 
dans  le  tein|i-^  et  se  nu'snreni  par  le  nomlire.  (  Ir,  le  temps  el  l'es|)aee 
sont  choses  suliject  iv.'S,  cri''ations  de  noire  esprit,  el  il  n  existe  pas 
de  nombre  en  dehors  île  I  nnile. 

A\  iiMis-niii|.~  lort  de  rappidei-,  en  cnmmeiica  ni .  \r  projet  de  dr'crel 
hnmorislii|ue  ;  ■    Il  n  >  a  plus  rien  ■■  ".' 

One  l'esli'-t-il,  en  etl'el,  si  le  monde  e\lei-ieur  tout  entier,  si  la  con- 
science humaine  elle-ui;'me  son!  choses  "  irri''elles  ■■  ','  Sans  doute, 
il  ne  reste  rien. 

Si,  il  reste  (|.ni'h|ue  l'hose.  Il  reste  la  pensi-'c  i'h  soi  :  il  reste  l'ariir- 
mation  de  l'i.lre.  lequel  existe  r(''ellemeiit,  quelle  que  soit  la  nianièi'c 
dont  il  existe  :  •.  .le  l'ariirnie  ui'cessairernenl  comme  indi'pendant  du 
t'ait  (pi'ilest  at'lii-nu' par  n^oi  :  cai-,  psyc]uilogiipi(>menl.  aflirniei-,  c'est 
al'lirnu'r  de  la  surle  .p.  :2l:2i.  «  VA  sur  ce  l'iunlemenl  de  la  pense''!'  en 
soi,  de   l'exislence  Ar   l'èti'e   en  soi,  et   par   le   ciuiconrs   du   pi-incipe 


ESSAI  llilTlniE  sril   LE  liimlT  h  \lllli.\IEIt  1.41 

<ri(li'iilili''.  rMulciir  i-cc(iiisli-Nil  |i('ii  ,'i  |ii'ii  tdiii  rc  ipiihi  iciivorsé  coiniiii' 

.'■laul   ii-n''»'l  ri  piisc  les  bases  d  iiicl,i|ili\sii|iic  s|iii-iliialiste  t-oin- 

l>lèteiiii'iit  (lisliiictc  delà  scieiirc  Lcli-ei'ii  soi  l'sl  [larlail.  élei'iiel.  iii- 
liiii.  l'sseiiliclli'iiiont  un:  aii-di'ssoiis  <!:■  lui.  il  |ii'iil  y  avoir  pliiralilé 
dt'Ircs  iiupai'l'ails  piuivaiil  ai;ir  i-iMiprdqui'iiiriil.  |)i'  là,  ressorl  Uiu' 
niorali'  cpii  piTim-l  di*  coiiciliei-  <'iisi'iid)l('  pliilusupliie,  science  et  re- 
ligion. La  inéla|diysi([ue  et  par  suite  la  religion  élanl  sé|iai-ées  de  la 
science  pai-  iiiir  eluisou  absoliunenl  clanclir.  il  ol  i-lai;-  ipi  aiiciiii 
cdnilit  n'es!  plus  piissil)le  enlre  (dies. 

Cet  Essai  es!  une  leiitative  île  ri'-.lain-al  uni.  dans  im  sens  d'ailli'nrs 
clirélien,  delà  vieille  pliilosopliii'  i\r  ll^eole  d'KIée.  l'ondée  par  Xéno- 
phaiie,  mais  dont  le  représenlaiil  le  pins  niaripianl  lut  sou  disci]ile 
Parniénide  iV  siècle  av.  .\.-Ç..  .  ipii  niait  liaidinicnl  l'exisleuce  du 
monde  el  de  tonte  réalité,  sanl  celle  de  I  unili'  .ili-~iilnc. 

(In  ne  sanrait  contester  l'orif^inalité  et  la  puissanci'  diinention 
doni  l'ait  prenve  l'anleiw  de  cet  Essai  ((ni  n  l'-l  cerles  i)as  un  espril 
ordinaire.  .Mais  ipielijn  irré|)roclial)le  i|ue  soiL  sa  concinsion  linale. 
sa  niTMluide  ne  nous  en  [laraîl  ])as  moins  jdeine  de  danj^ers.  One 
n'a-l-on  pas  dil.  durant  ce  derniri-  ipiarl  de  >ii''cle.  ciuili-e  la  uii''tliodi' 
cartésienne'.'  .\  a-l-on  pas  anathénialisé.  comnn-  un  principe  inéluc- 
lalili'  de  scepticisme,  le  i'anienx  doute  mélliodiipie,  no  reuiaripianl 
penl-élrr  pas  >nriisanirnenl  i|ne.  iin''cisémeiil  parce  (pi'il  (■lail  int'Hlio-- 
ilique.  le  doute  de  Uescartes  était  essentiellement  liypothétifjne  et 
provisoire?  Kn  taisant  monientanémenl  talije  rase  île  tontes  connais 
sances.  le  pliilnsnplie  toiiraniçean  ne  niait  ni  li'  nnuide  extérieur,  ni 
moins  encore  la  conscience,  jinisipu',  an  conliaiie ,  il  descendait 
dans  celle-ci  pour  en  constater  le  phénomène  principal  :  <■  Je  pense, 
donc  je  suis;  (.'otfilo,  ergo  xidii.  ■■  l'!t  siii'  ei'lle  lia>e  inattaipiahle.  il 
reconsiruisail  tonte  la  science  d(^  l'étie. 

Li\s  négations  de  M.  Lefebvre  sont,  elle>  aii>>i.  pnivisoires  :  mais 
ce  sont  des  négations,  et  combien  ne  sont-elles  pas  plus  j^énérales  el 
ne  porlenl-elles  pas  pbi.s  loin  ipiiin  doute  simple  ipii  ne  dni'c  cpie 
ipielipies  instants!  N'est-il  pas  à  craindre  ijue  les  esprits  enclins  an 
si-e|)licisme.  comme  il  n'y  en  a  qvie  tro[i,  s'en  tiennent  aux  ipialre  pre- 
miers chapitres  du  livre,  tout  de  néj;alion,  et  laissent  de  ci'ilé  le  cin- 
ipiiènie  el   dernier  ipii  rééditie  ce  ijue  les  préei''(lents  axaient   dr'imili '.' 

i:.  HK  KiiiWAN. 


642  J.  Bir.LET 


DOCTRINES   ET   PROBLÈMES,   par    le    H.    P.    Lucien    Rolbe,    s.   j. 
1  vol.  iii-S",  b2ij  pages,  Uetaux,  Paris. 

(le  volimio.  ildiil  r;i|i|i;ii-ili(iii  ilale  (i('ià  ilc  |)i'ès  d  ime  jinnée.  est 
foi-rné  tl'une  série  d  arlicles  (|iii  oui  été  publiés  par  le  R.  P.  limnK 
dans  les  h'Iuddx.  1!  se  divise  en  trois  parties  :  Dorlriiirs,  Prnh/rmcx 
iiKirnii.r.  l'rohlriiirs  ji.siiiliiiloijiijlies. 

Les  doi'lrines  étudiées  sont  celles  île  iJescarles,  d'Autiste  Coiiile, 
dllerliiM-l  Spencer,  de  M.  Uenouvier.  de  M.  Fouillée  et  de  L('on  (lllé- 
Lapruiii', 

Le  1!.  1*.  l!(uiri>  iiiouli-e  à  (pM)i  se  ramène  rinlliieiice  de  hesi-arles 
sur  la  pensée  ((inlenipni-aine.  Son  spirilualisini'  iillia  la  iiniduile  à 
liilrii/ixiiir  dune  pari,  au  mrcdxisme  universel,  d'autre  part,  c'est-à- 
dire  à  la  pi'élenliou  d  expliquer  ce  monde  pai-  les  seules  coudjinai- 
soNs  du  mouvcmenl.  A  Descnries  aussi  penxeni  se  i-apporlei- les  idées 
louiez  uiodei'in's  de  la  hiule-puissance  de  la  science,  de  l'alisorptinn 
de  la  morale  par  le  ruile  de  la  raison,  de  la  lil(ert(''  de  l'espril  el  de 
rindéi)endance  de  la  l'aison. 

].,e  nom  d  Au}<usle  (lomle  amène  Ihisloire  d("s  cou(pu''les  du  posili- 
visme  au  coui-s  ilu  xi.V  siècle.  La  [lositioii  négative  prise  par  le  sys- 
tème en  face  de  la  recherche  des  causes,  sa  pri'ti'iilinn  dapplicpier  à 
Ions  les  ordres  de  recherche  la  méthode  malliémalique,  l'ont  lait^lis- 
ser  fatalement  dans  le  scepticisme  à  l'éf^ard  de  l'absolu  et  dans  le  ma- 
l(''rialisme. 

Herbert  Spencer  attire  rallenli<ui  par  ses  essais  pour  ('lablii'  un 
svstème  complel  de  philosophie  scientili((ne,  en  appli(]uanl  lidi'e 
d'iAiiInlion  aux  pliénomèiu's  <lii  luiuide  inoi-^auiipu'  et  organique. 
aux  laits  d'ordi'e  mental  et  social  el  à  la  moi-ale  elle-même.  Ce  (|ui 
l'ail  limporlance  de  son  œuvre,  c'est  (pu'  seul  il  a  donné  un  exposé 
complet  et  méthodique  île  l'évolnlion.  Onelle  est  donc  la  valeur,  la 
s(didité  des  bases  de  l'évolutionnisme  de  Spencer?  se  demande  le 
P.  Uoure,  Son  examen  porte  successivemeid  sur  révolntioninsme 
mécaniste,  sur  l'évolution  mentale  et  révolnlion  sociale,  sur  l'idée 
religieuse  et  l'Inconnaissable.  Il  conclut  avec  M.  Lévy-Brnhl  :  •■  l'ne 
telle  doctrine  en  dit  tro|)  ou  trop  peu.  Trop,  si  elle  doit  se  fomler  sur 
la  science,  car  elli'  lail  nue  part  démesurée  à  l'hypothèse.  Trop|)en, 
si  elle  doit  tenii'  la  ])lace  des  anciennes  méta[)liysiques;  car  M.  Spen- 
cer passe  sous  silence  ou  résout  par  prétérition  des  problèmes  tels 
que  ceux  de  l'apparition  de  la  vie  el  de  la  pensée  dans  l'univers; 
bien  mieux  celui  de  l'orif^ine  de   la  matière  même...  "  Kn  somme  ce 


liiiiriiiyES  ET  l'IUHiLEMES,  par  le  R.  P.  Lulien  ROUllE        6« 

t>  nest   pas  l'iii'on'   l;i    |iliilr)sn|)liir  toiKlér  siii'  r('\|i(''riciiic  i|Mt'   iiotro 
sit'cle  ri'cliiiur   ■'. 

M.  HciKiuvicr  csl  II'  piTi'  ilii  ci-Llicisiiii'.  c'i'sl-.'i-diri'  de  i-i'llr  pliild- 
sophie  qui  pri'U'iid  mi'ltri-  un  leriiu'  i\  raiiai-rliic  de  la  pciisoe  philo- 
sophique. Iiésilaut  culri'  h'  posilivisnic  et  le  luysticisiiu'.  Mais  dans 
son  iMisiMnlilf  II'  l'i'iticisiui'  l'ouruil  des  ariiies  au  pusitivisme  et  an 
nivstieisiiii'  riudre  li'si|iii'l.--  Il  veiil  ri',i,t;li'.  ri  dans  sa  |>ai'lie  i)rii;iiialr 
il  apparail  si  iusul'lisant  qu'il  rejelli'  plnlnl  les  i'Spril>  xei-s  les  exlré- 
mili'S  diinl  il  préleud  les  sauver. 

M.  l-"iMiilir'i'  a  Minlu.  .ipri's  taul  d  ;iuli'i'>.  essayer  d'i'laldir  une  syn- 
thèse du  savoir.  Il  ci-oil  la  donnei-  dans  le  système  des  idi'Cs  forrc.i. 
<pii  l'ail  sortir  tons  les  êtres  les  nus  des  autres  par  révolution  d'une 
lorce  unique,  d  nue  loree  nienlale.  d  une  iili'e  qui  ^e  dévelop|)e  en 
vertu  d'un  .ippélit  propre.  Il  ne  l'ait  que  sulistiluer  la  l'antaisie  à  la 
science  el  à  la  pliilosophir. 

Léon  Ollé-I^apriiui'  nous  i'>l  préseulé  par  le  U.  P.  Uonre  eoinnie  un 
penseur  elii'élieu  ehe/.  qui  la  hauteur  de  l'esprit  et  la  linq)idité  de 
l'inlellii^enie  l'^alaieul  la  parfaite  di'oiture  de  la  vokuilé  et  Tintlexible 
dignité  du  caraetère.  Le  pjrantl  iiriiu'i[)e  qui  domine  tonte  son  lenvre 
philosophique,  e'esl  la  loi  de  continuité  ou  de  relation  dans  l'éclielle 
des  êtres  et  ilans  les  divers  aspecis  de  l'être. 

De  sa  pliilosoi»liie  il  t'ait  une  "  chose  morale  ",  une  "  j'dl'aire  d'ànie  ". 
11  redit  avee  Plaliui  :  «  C'est  avec  l'àme  entièrt'  qu'il  faut  aller  à  la 
vérité.  >•  l>i'  eelle  conception,  il  tire  sa  doctrine  de  la  ceililnde  mo- 
rale. De  là  aussi  chez  lui  l'iiuion  de  la  pliilosiqdiie  pralique  à  la  plii- 
losopliie  spéculative. 

Les  l'ralilriiir.t  iixirim.v  siuit  pi'ésentés  siMis  les  litres  suivants  : 
Vertu  kantienne  el  vertu  clirélieune  ;  .\scétisuu'  et  Philosophie  :  le 
prohlènie  de  la  j-'oi  chez  M.  Paul  .lauel:  le  chi-islianisme  de  Maine  de 
Hiran;  la  queslioii  du  suicide. 

Voici  euliu  les  P  m  II  Irrites  psi/i-linloii'iijiii-x  :  le  dévelo|)pement  de  la 
sponlani'ili'  iliez  I  enfant:  l'aveugle  dans  la  lutte  poui'  la  vie:  les  alté- 
rations de  la  personnalité;  races  et  personnalités,  etc. 

Toutes  ces  éludes  écrites  d'une  langue  facile  en  nu  style  sobre  et 
clair,  avec  une  érudition  sûre  d'elle-même,  montrent  dans  leur  auteur 
nu  lioniiue  qui  so  tient  au  courant  des  plus  intéressantes  manifesta- 
tions de  1  aclivitt'  philosophique  de  nos  jours  et  qui  sait,  en  connais- 
sance de  cause,  porter  sur  chacnni'  tl'elles,  sans  exagération  ni  fai- 
l)lesse.  (k'S  JugeuK'uts  frappés  au  coin  de  la  jilns  saine  l'aison. 

J.  BRU'LT. 

40 


BULLETIN 


UK 


LE\SEIG.\EME.\Ï    PHILOSOt'HIOllE 


INSTITUT   CATHOLIQUE    DE    PARIS 
FVCLLTÉ  \)E  l'HILOSOPHII-: 


DOCTORAT     D'AGREGATION 

Tllisr    ilr    ,1/.     Ilrilllfs. 


Leri  l!S  et  l'.i  juii),  M.  Victor  lîoniies,  donleur  en  philosopliie,  soutonait 
ses  thèses  de  doctorat  d"n,siv£:atioii. 

Il  y  a  quelques  années,  intervinrent  de  profondes  inodilkations  touchant 
les  grades  supérieurs  conférés  dans  les  facultés  libres,  (in  voului  rendre 
plus  accessible  l'épreuve  du  doctorat,  difficile  au  point  qu'on  n'avait  guère 
que  des  licenciés. 

Aussi  imagina-t-nn  de  créer  deux  examens  de  doctoral.  L'un,  destiné  ;i 
couronner  les  éludes  universitaires  classiques,  exigea  deux  compositions 
écrites  suivies  j.l'un  oral  sur  les  matières  de  l'année,  et,  en  outre,  une 
thèse  de  quelque  étendue,  imprimée  ou  non,  soutenue  en  séance  publique. 

Les  conditions  de  l'autre  furent  ainsi  arrêtées  :  "  Les  épreuves  spéciales 
du  doctorat  d'agrégation  se  composent  de  deux  soutenances  publiques, 
première  a  pour  objet  l'ensemble  de  la  jihiiosopliie.  Pour  cette  premier 
épreuve,  les  candidats  dresseni  eux-mêmes  et  font  approuver  par  les  pro- 
fesseurs compétents  une  série  de  quarante  propositions,  choisies  dans 
l'ensemble  des  matières.  La  seconde  épreuve  est  la  soutenance  d'une 
(hèse  imprimée,  sur  un  sujet  choisi  par  le  candidat  et  approuvé  par  le 
conseil.  Cette  thèse  doit  être  assez  considérable  et  consliluer  un  travail 
important  et  personnel. 


ti40  E.    A. 

(I  Pour  le  choix  et  la  présentalion  de  celle  thèse,  on  suit  les  mêmes 
règles  que  pour  les  thèses  de  doctorat  ordinaire;  mais,  de  plus,  les  thèses 
doivent  porter  le  visa  du  Hecteur.  11  est  donné  plus  de  solennité  aux  deux 
soutenances,  dont  la  durée  demeure  fixée  à  trois  heures  environ  pour 
chacune.  » 

On  le  voit,  pour  ce  dernier  examen,  les  difficultés  du  doctorat  primitif 
étaient  maintenues  avec  aggravation.  Depuis  l'inauguration  de  ce  nouvel 
ordre  de  choses,  environ  cinq  ans,  M.  Hernies  était  le  premier  qui  affron- 
tait les  épreuves  du  doctorat  dagrégation.  ■ 


THESES     ORALES 


En  vue  de  la  première  soutenance,  il  avait  fail  choix  de  quarante  Ihèses 
ou  positions,  assez  compréhensives  pour  englober  toule  la  philojopliie. 
Dans  ce  programme  imprimé,  on  voyait  figurer  les  définitions  si  complexes 
de  la  philosophie,  du  temps,  de  l'espace,  etc.;  les  problèmes  si  anius  de  la 
substance,  des  universaux,  de  la  certitude,  de  l'abstraction,  de  la  liberté, 
de  la  composition  des  corps;  les  questions  si  fondamentales  de  l'àine,  de 
Dieu,  de  la  conscience,  du  devoir  individuel  et  social. 

Le  R.  P.  Bulliot  ouvre  la  discussion.  11  félicite  d'abord  le  candidat.  Il 
le  Iciue  d'avoir  mené  à  bonne  fin  une  œuvre  aussi  importante  que  la  pré- 
paration du  Doctorat  d'Agrégation,  et  le  livre  Spiriiwilitc  et  IminorI alité. — 
Il  doit  également,  dit-il,  des  remerciements  à  l'iniversilé  catholique  de 
Toulouse,  qui,  après  avoir  envoyé  à  Paris  le  P.  Peillaube  comme  professeur, 
envoie  encore  M.  Bernies  comme  candidat  au  Doclorat  d'Agrégation.  Il 
demande  ensuite  au  candidat  d'exposer  la  notion  de  liberté. 

M.  Bernies  donne  un  aperçu  de  la  théorie  classique.  Sans  attendre  tous 
les  développements,  le  Révérend  Père  déclare  ne  pas  concevoir  que  la 
liberté  suit  possible.  Voluntas  •ierjidtiir  intcllcctum.  tir,  l'intelligence  ne  peut 
s'empocher  de  souscriie  au  vrai.  Donc,  la  volonté  ne  peut  s'empêcher  de 
poursuivre  le  bien. 

—  Sans  doute,  repart  le  candidat  ;  aussi,  la  volonlé  est-elle  déterminée 
à  se  mouvoir  dans  le  sens  du  bien  :  elle  va  nécessairement  à  la  raison  de 
bien,  à  l'absolu.  La  volonté  demeure  libre  dans  la  poursuite  des  biens  par- 
ticuliers, parce  que,  selon  la  profonde  remarque  de  saint  Thomas  :  bonum 
■partiiulare  non  est  bonum  sub  omni  respeclu.  Et,  partant,  liberté  de  choix. 

Le  R.  P.  Bulliot  insiste.  Le  bien  partiel  doit  s'imposer  à  la  volonté 
cjmmo  le  vrai  partiel  à  l'intelligence. 

M.  Bernies.  —  Il  ne  serait  pas  exact  de  pousser  à  ses  extrêmes  limites 
le  parallélisme  de  l'intelligence  et  de  la  volonté.  Le  vrai  partiel  est  vrai 
tout  entier  ;  le  bien  partiel  n'est  pas  bien  tout  entier.  —  Au  surplus,  l'in- 
telligence peut  s'assimiler  toute  vérité  ;  la  volonté  ne  saurait  atteindre  tout 
bien.  Elle  doit  choisir.  —  Enfin,  en  un  sens,  on  peut  dire  que  le  dernier 


T>nCTnlt.\T  ItM.HEGATHiS  r>47 

jugement  pratique  dicte  ses  ordres  ;i  la  liberté.   L'iioriime  n'eu  reste  pas 
moins  libre  dans  son  jugement  électif. 

Le  R.  P.  Peillaube  prend  alors  la  parole  et  demande  au  candidat  de 
bjon  établir  la  thèse  de  la  substance. 

M.  Bernies.  —  11  est  des  êtres,  um  dans  le  multiple,  non  pas  seulement 
au  point  de  vue  numérique,  mais  au  point  de  vue  ontologique  :  permanents 
dans  la  mobilité  de  leurs  phénomènes  ;  non-hihcient:<  ou  essentiellement 
indépendants  de  la  matière.  Tel  le  moi  humain.  Or,  imité,  permanence, 
non-inhérence,  constituent  précisément  la  nntion  de  substance.  11  existe 
donc  des  substances. 

Les  qualités  énumérées  constituent  les  caractéristiques  de  l'être  sub- 
stantiel, auxquelles  il  ne  faut  rien  ajouter,  si  Ton  veut  éviter  le  pan- 
théisme: auxquelles  il  ne  faut  rien  enlever,  sous  peine  de  tomber  dans  le 
phénoménisme. 

LeR.  P.  Peillaube  reprend  :  Ce  concept  de  substance  est  antinomique.  Il 
implique  l'un  dans  le  multiple.  Or,  l'un  et  le  multiple  s'excluent,  et  l'on  ne 
voit  pas  comment  l'un  pourrait  sortir  du  multiple.  Pour  en  sortir,  il  devrait 
y  être  renfermé,  et  l'un  ne  serait  plus  un. 

M.  Bernies.  —  Autre  chose  est  l'unité  réelle  et  l'unité  logique.  Rien 
n'erapéche  que  l'unité  réelle  soit  virtuellement  multiple.  Le  réel  peut  être 
composé  sans  cesser  d'être  un. 

Le  R.  P.  Peillaube.  —  La  substance  ii'en  est  pas  moins  inadmissible. 
L'é'tre  substantiel  permanent  serait  cause.  Ktre  cause,  c'est  agir.  Agir,  c'est 
changer.  D'où  exclusion  de  la  permanence  et  contradiction. 

M.  Bernies  répund  que  l'agir  est  une  modification  de  surface  et  non  de 
fond.  Sous  l'action,  la  substance  est  immuable. 

—  Mais  alors,  de  votre  propre  aveu,  réplique  le  P.  Peillaube,  la  sub- 
stance n'est  pas  cause. 

M.  Bernies.  —  La  substance  est  cause  radicale,  non  immédiate.  Elle 
agit  par  l'entremise  de  ses  facultés. 

Le  R.  P.  Peillaube.  —  Vous  déplacez  la  difficulté.  Llle  reste  entière  à 
propos  des  facultés.  Elles  aussi  sont  des  essences,  et  donc  immuables.  Elles 
ne  sauraient  açir. 

M.  Bernies.  —  ElTectivement  les  facultés  ne  sont  pas,  comme  telles,  sus- 
ceptibles de  plus  ou  de  moins  :  elles  demeurent  identiques  à  elles-mêmes. 
Elles  admettent  pourtant  des  différences  de  développement  par  l'habitude, 
organisation  d'actes  multiples  dans  une  direction  donnée.  C'est  par  l'habi- 
tude naturelle  ou  acquise  qu'opère  un  pouvoir  quelconque  :  et  c'est  d'elle 
que  découlent  les  changements  de  la  faculté. 

Le  R.  P.  de  la  Barre  interroge  à  son  tour  et  veut  savoir  s'il  est  vrai, 
comme  1  allirme  le  programme  élaboré  par  le  candidat,  que  Dieu  est  le 
fondement  essentiel  de  toute  morale  possible. 

M.  Bernies.  —  Théoriquement,  et  c'est  théoriquement  que  la  thèse  est 
formulée,  la  chose  n'est  pas  douteuse.  On  ne  peut  édifier  un  système  de 


048  E.  A. 

morale  rationnelle  et  nbligaloire  qu'en  le  basani  sur  la  manifestation  d'une 
volonté  supérieure. 

Pratiquement,  il  est  très  vrai  que  souvent  on  peut  faire  le  bien  sans  avoir 
[irésenle  à  l'esprit  la  pensée  de  Dieu,  sans  même  le  connaître  ou  sans  vou- 
loir le  reconnaître.  Par  atavisme,  par  entraînement  de  nature,  par  senti- 
ment, on  peut  être  amené  là  faire  le  bien. 

Le  R.  P.  de  la  Barre.  —  .Mais  alors  il  est  une  morale  pratique  dont  la 
conscience  devient  le  fondement.  Et,  par  suite,  on  peut  accepter  la  positivité 
d'une  morale  indépendante. 

M.  Bernies.  —  Du  point  de  vue  psychologiqui',  historique  et  expérimen- 
tal on  peut  en  elïet,  semble-t-il,  tentei'  de  constituer  une  morale  positive, 
indépendante  de  la  métaphysique.  Mais  pour  lui  donner  la  base  solide,  la 
valeur  absolue  et  indiscutée  qu'elle  réclame,  on  est  forcé  de  faire  a|)pel  à 
un  maître  su|irême,  qui  crée  et  impose  l'obligalion  morale.  La  conscience 
n'est  dèb  lors  que  le  porte-paiole  de  la  Divinité. 

Le  R.  P.  de  la  Barre.  \oudrii'7.-vous  nous  dire  dans  quel  sens  et  par 
quil  moyen'.' 

M.  Bernies.  —  Par  l'habitude  des  premiers  principes  de  moralité  ou  par 
la  syndéièse. 

Le  R.  P.  de  la  Barre.  -  Par  la  syndérèse  entende/,-vou>  une  habitude 
innée  '.' 

M.  Bernies.  J'entends  l'innéisme  non  de  principes  tout  faits,  mais  de 
certaines  préformations  de  ces  principes,  l'innéisme  de  certaine  tendance, 
qui  rend  plus  facile  l'acquisition  des  notions  morales  les  plus  indispen- 
sables. 

Le  R.  P.  Sertillauges  inteivient  alors  et  l'ail  la  remarque  que  exami- 
nateur et  candidat,  sacrifient  beaucoup  à  l'innéisme.  Un  souverain  législa- 
teur et  la  conscience  pour  promulguer  ses  ordres, —  pas  n'est  besoin  d'autre 
élément  pour  constituer  la  loi  morale. 

M.  Bernies  estime  qu'en  outre  de  cette  faculté  nue  de  connaître  le  bien 
moral,  il  faut  admettre  en  nous  je  ne  sais  quelle  inclination  innée,  je  ne 
sais  quel  dynamisme  tendanciel,  qui  nous  amène  plue  rapidement  et  plus 
aisément  à  la  connaissance  des  premiers  principes  de  la  loi  morale.  En 
maini  endroit,  saint  Thomas  fait  mention  de  cet  élément  embryonnaire  de 
déterminatiiiii. 

Le  Révérend  Père  porte  alors  la  discussion  sur  le  problème  si  obscur 
du  concours  divin.  Comment  concilier  l'action  divine  et  la  liberté "î 

M.  Bernies  incline  vers  la  solution  thomiste,  et  se  réfugie  pour  résoudre 
les  dilïérentes  difficultés  dans  la  transcendance  de  la  cause  première. 

L'argumentation  met  bienlôt  aux  prises  deux  champion>  du  thomisme 
et  du  molini-me,  le  K.  P.  Sertillauges  et  le  R.  P.  .\uriault. 


nOCTOliAT  ItMiliEGATIOX  i>W 


THKSE     IMPRIMEE 

M.  Bernie>  résume  son  livre. 

L'ouvrage  a  pour  titre  :  Spidlualité  et  Immortalité.  C'est  qu'en  elTet  on 
-s'est  uttaclté  :i  faire  de  l'immortalité  une  conséquence  de  la  spiritualité. 

Sujet  très  actuel,  attendu  que  les  matérialistes  nient,  que  les  kantisles 
doutent,  que  certains  catholiques  sont  ébranlés. 

Est-il  bien  vrai  pourtant  que  la  preuve  de  l'immortalité  par  la  spiritua- 
lité est  désormais  vieillie?  Nous  ne  le  croyons  pas,  et  le  jirésent  travail  a 
pour  but  de  démontrer  que  l'argumentation  traditionnelle  n'a  rien  perdu 
de  son  nerf  et  de  sa  vigueur. 

Le  livre  est  construit  sur  trois  plans  superposés. 

1°  Dans  les  trois  premiers  chapitres  sont  analysés,  étudiés  les  phéno- 
mènes intellectuels  et  volontaires,  .\bstraits,  universels,  nécessaires,  ils  sont 
forcément  immatériels,  puisque  tout  être  de  matière  est  de  soi  concret,  par- 
ticulier, contingent.  Kssentiellement  indépendants  de  la  matière,  les  phé- 
nomènes de  notre  psychisme  supérieur  sunt  spirituels. 

2»  Les  cinq  chapitres  qui  suivent  ne  sont  en  somme  qu'une  a|iplication, 
une  mise  en  œuvre  du  principe  de  causalité. 

Partant  de  cet  axiome  inébranlable  que  tout  elfel  sup|)Ose  une  cause,  et 
une  cause  proportionnée,  des  actes  ou  des  effets  réels  qu'on  vient  d'ap- 
prendre à  connaître  on  passe  à  une  cause  réelle  ; 

Des  elTets  spirituels  on  passe  à  un  principe  spirituel; 

Du  phénomène  on  passe  à  la  substance,  et  on  conclut  :  L'àme  intelli- 
gente est  principe  réel,  spirituel,  substantiel  de  vie  et  de  pensée.  C'est  un 
esprit,  c'est  une  substance  indépendante  de  la  matière. 

3°  Les  chapitres  ix  et  x  ont  pour  but  de  montier  que  l'immortalité  dé- 
coule de  la  spiritualité. 

L'àme  a  des  conditions  de  vie  étrangères  au  corps.  Doue  on  peut  déjà 
conclure  que  la  ruine  du  corps  n'entraîne  pas  la  mort  de  l'àme. 

Effectivement,  si  nous  la  considérons  : 

a)  En  etle-mcme  :  point  de  dissolution  ou  de  désagrégement  jiossible.  Klle 
est  simple  et  spirituelle. 

6)  Par  rapport  au  monde  extérieur.  Les  agents  du  dehors  sont  ou  ma- 
lériels,  et  la  matière  n'a  pas  prise  directe  sur  l'esprit  :  ou  spirituels,  et  le 
spirituel  ne  fait  pas  obstacle  au  spirituel,  à  moins  qu'on  ne  parle  de  la 
Toute-Puissance. 

(■}  Par  rapport  à  Dieu,  il  ne  saurait  intervenir  jiour  détruire,  il  n'annihile 
pas.  L'àme  mérite  mieux,  alors  surtout  qu'elle  est  à  l'apugée  de  la  beauté 
morale. 

Au  surplus,  pour  nous  rassurercompb'  tementcontre  cette  éventualité  d'un 
Dieu  annihilateur  nous  avons  la  finalité  ou  la  téléologie,  basée  sur  la  spi- 
ritualité. L'objet  qui  fut  assigné  originairement  et  connaturellement  à  notre 
pensée  et  à  noire  cœur  postule  l'inlîni  de  l'immortalité.  Dieu  ne  saurait  se 


WO  K.   A. 

déjuger  et  nous  tromper.  Il  a  écrit  des  promesses  d'imniortulilé  dans  les- 
profondeurs  de  notre  psychisme.  Les  promesses  seront  remplies. 

Le  R.  P.  Peillaube  a  lu  la  thèse  en  manuscrit.  11  félicite  l'auteur  de 
l'exemple  qu'il  donne  aux  jeunes  prêtres  sortis  des  Instituts  catholiques  et 
occupés  dans  le  ministère  des  paroisses  ou  dans  l'enseignement  des  col- 
lèges et  séminaires.  Curé  dans  la  montagne,  isolé  par  conséquent  des 
villes  et  des  bibliothèques,  .M.  Bernies  a  trouvé  du  temps  et  des  livres  pour 
l'aire  un  travail  solide  et  bien  documenté.  ■ 

Il  est  ;'i  regretter  seulement,  en  ce  qui  concerne  le  fond,  que  le  chapitre 
des  actes  volontaiies  ne  soit  pas  aussi  fouillé  que  celui  des  actes  intellec- 
tuels. Le  P.  Peillaube  est  d'accord  avec  le  candidat  sur  rargumeulation 
générale.  Il  lui  reproche  quelques  répétitions  qui  en  effacent  un  peu  le  re- 
lief, à  certains  endroits.  La  manière  de  M.  Bernies  dans  la  discussion  des 
théories  qui  ne  sont  pas  les  siennes  est  un  peu  vive.  Il  prend  son  adver- 
saire, il  le  place  devant  lui  et  quelquefois  même  s'adresse  directement  à 
lui.  Le  livre  est  écrit  avec  chaleur,  de  la  première  page  à  la  dernière.  Le 
1'.  Peillaube  loue  le  candidat  pour  la  facilité,  le  coloris  et  la  poésie  du 
style,  tout  en  regrettant  certaines  descriptions  de  sources  et  de  paysages  de 
montagne  —  d'ailleurs  rliarmautes  de  fraîcheur  et  de  naturel  —  qui  bri- 
sent quelquefois  le  lit  du  raisonnement. 

En  terminant,  il  demande  quelques  explications  sur  le  caractère  et  le  rôle 
de  la  preuve  téléologique,  dont  l'auteur  fait  un  complément  de  la  preuve 
métaphysique,  semblant  indiquer  par  là  que  la  preuve  métaphysique  est 
insuflisaiile  eu  elle-même. 

M.  Bernies.  —  C'est  la  preuve  téléologique  qui  me  paraît  insuffisante 
en  elle-même,  lîaser  en  elVet  une  conclusion  nécessaire  sur  un  fait  contin- 
gent constitue  uu  paralogisme. ()r,  l'insuffisance  des  joies  delà  vie  présente 
pour  combler  nos  aspirations  est  un  fait  contingent  si  l'on  se  contente  de 
II'  constater  sans  en  connaître  les  raisons  substantielles 
Le  R.  P.  Peillaube.  —  Et  l'induciion  ? 

M.  Bernies.  —  Sans  doute,  le  processus  inductif  semble  pouvoir  nous 
introduiie  dans  l'ordre  des  essences  et  légitimer  des  conclusions  nécessaires. 
Mais,  d'une  part,  ils  sont  si  nombreux  ceux  qui  s'accommoderaient  des  bon- 
heurs terrestres,  et,  d'autre  part,  la  finalité  a  tant  de  déchet  dans  la  nature, 
.sans  compter  qu'il  reste  toujours  à  se  demander  si  ces  sortes  d'aspirations 
ne  sont  pas  le  fait  de  certain  raffinement  l'actice,  non  naturel,  qu'il  devient 
difficile  de  donner  à  cette  preuve  toute  la  rigueur  dé^monstrative.  On  aura 
une  croyance,  on  cessera  d'avoir  une  certitude. 

Si,  au  contraire,  on  base  la  finalité  sur  la  nature  spirituelle  de  l'àme,  il 
devient  possible  de  démontrer  que  nos  aspirations  vers  l'au-delà  ne  sont 
pas  adventices,  mai?  primitives  et  innées.  L'analyse  métaphysique  montre 
qu'elles  s'expliquent  par  l'objpt  universel  de  notre  faculté  de  penser  et 
d'aimer. 

En  outre,  si   l'on  n'établit  au  préalable  la  preuve  métapliysique  de  la 


DOCTOliAT  h.UilllCHATiOS  651 

substantialilé,  support  nécessaire  de  la  personne  morale,  on  ne  voit  guère 
la  possibilité  de  conclure  à  limmorlalité  individuelle. 

Le  R.  P.  Sertillanges  demande  à  M.  Bernies  comment,  du  fait  qu'il  n'y 
a  point  de  priuciiie  interne  de  corruption  dans  l'âme,  il  peut  déduire  le 
fait  d'une  immortalité  positive.  L'àine  ne  pourrait-elle  pas  cesser  d'être  au- 
trement que  par  une  modilication  interne?  La  substance  matérielle  est  in- 
connaissable, qu'il  s'agisse  de  l'àme  ou  de  Dieu.  Immatériel  signifie  sim- 
plement non-matériel.  S'il  est  possible  de  démontrer  qu'une  pjareille 
essence  ne  peut  périr  à  la  façon  de  l'élément  matériel,  rien  ne  prouve 
qu'absolument  parlant  elle  ne  puisse  périr. 

M.  Bernies.  -  11  faut  distinguer  entre  l'immatérialité,  idée  toute  néga- 
tive, et  la  spiritualité,  idée  positive,  que  nous  obtenons  sans  doute  par  un 
processus  négatif  d'abstraction  et  d'élimination,  mais  qui  représente  fina- 
lement une  réalité  positive.  11  faut  une  cause  réelle  à  des  etl'ets  réels 
comme  nos  phénomènes  psychologiques. 

Cette  réalité,  nous  ne  la  connaissons  pas,  je  le  veu.x  bien,  d'une  manière 
adéquate.  Mais  l'analyse  métaphysique  de  son  universalité  nous  la  mani- 
feste assez,  pour  qu'il  nous  soit  loisible  de  conclure  qu'elle  implique  l'im- 
mortalité, comme  condition  nécessaire  de  son  activité  et  de  son  plein  déve- 
loppement. 

Quant  aux  dilTérpnte^  suppositions  (|ue  l'on  pourrait  faire  touchant  la 
mort  de  l'àme  --oit  par  corruption  et  désagrégement  à  la  façon  des  corps,  soit 
par  une  moditicition  quelconque  amenant  l'extinction,  soit  par  l'inter- 
vention d'un  agent  étranger,  ces  dilTérentes  hypothèses  ont  été  une  à  une 
examinées  dans  mon  livre.  Il  serait  trop  long  d'y  revenir. 

R.  P.  Sertillanges.  —  En  dehors  des  raisons  que  vous  avez  énumérées, 
il  en  esl  une  c|ui  pourrait  légitimer  la  soustraction  du  concours  divin,  et 
par  suite  l'annihilation.  Par  la  mort  le  composé  humain  est  brisé.  Que  sert- 
il  de  conserver  un  débris  ?  Feriez-vous  de  la  résurrection  des  corps  une 
nécessité  philosophique  ? 

M.  Bernies.  —  Non  assurément.  C'est  là  un  dogme  théologique.  Philo- 
so|iliiquêmenl  il  nous  est  suggéré,  non  imposé. 

R.  P.  Sertillanges.  —  Comment  dès  lors  résoudre  l'objection  soulevée? 
M.  Bernies.  —  Sans  trop  de  difficulté.  En  un  sens  l'homme  a  péri,  et 
l'àme  est  une  épave.  Mais  c'est  une  épave  qui  est  susceptible  d'une  vie 
autonome.  —  C'est,  du  reste,  la  partie  la  plus  noble  de  l'être  humain  :  rien 
d'étonnant  à  ce  qu'elle  appelle  une  existence  supérieure,  indépendante. 
Elle  a  connu  et  poursuivi  le  bien,  elle  a  souffert,  elle  a  mérité  ;  tout  mérite 
est  un  fruit  de  son  activité  radicale  et  s'explique  par  elle.  Il  est  donc  luste, 
et  absolument  cela  suffit,  que  l'homme  se  survive  dans  son  àme.  Rien  de 
plus  harmonique  et  de  plus  philosophique. 

R.  P.  Sertillanges.  —  L'homme  ne  doit  pas  agir  en  vue  de  fins  égoïstes. 
Et  s'il  agit  pour  l'espèce,  rien  ne  réclame  son  immortalité.  Il  doit  travail- 
ler au  bien  commun,  faire  son  métier  d'homme  et   disparaître,  puisque 


6b 2  1"   A. 

telle  est  sa  destinée.  D'autres  lui  succéderont,  el  l'espèce  se  survivra  dans 
ses  descendants  pour  fournir  la  somme  de  bien  que  s'est  proposée  la  na- 
ture créatrice.  Les  énergies  immatérielles  ont  été  départies  à  l'humanité 
afin  qu'elle  pût  s'employer  plus  efficacement  à  ce  bien  de  l'espèce. 

M.  Bernies.  —  En  travaillant  à  son  immortalité  de  bonheur,  l'homme 
n'agit  pas  uniquement,  ou  même  principalement  en  vue  de  fins  égoïstes. 
11  se  dépense  pour  le  bien  absolu,  et  c'est  dans  la  mesure  de  son  désinté- 
ressement qu'il  est  digne  de  louange  et  de  récompense. 

Quant  à  ce  qui  est  de  son  avenir,  corps  e-t  âme,  l'homme  a  une  double 
destinée.  Corps,  être  temporel,  il  doit  s'employer  au  bien  de  l'espèce,  au 
perfectionnement  de  la  vie  présente,  et  cela  par  tous  ses  moyens.  Esprit, 
("•tre  immortel,  rien  n'empêche  qu'il  ne  soit  simultanément  appelé  à  des 
destinées  supraterrestres.  Les  deux  destinées  se  superposent  et  se  confon- 
dent dans  une  admirable  unité.  L'une  ne  nuit  pas  à  l'autre.  Nous  avons  de 
bonnes  raisons  de  croire  à  l'avenir  de  l'espèce  ;  nous  en  avons  d'excellentes 
(le  croire  à  l'immortalité  de  l'âme. 

Le  R.  P.  Auriault  s'adressant  au  candidat  :  Vous  avez  donné,  dit-il, 
un  grand  exemple,  qui,  je  l'espère,  sera  fécond.  Vous  n'avez  pas  voulu 
faire  de  la  philosophie  en  dilettante,  en  virtuose  ;  vous  avez  fait  de  la  phi- 
losophie en  philosophe.  Et,  faisant  de  la  philosophie  en  philosophe,  vous 
êtes  arrivé  à  lui  faire  remplir  sa  plus  haute  fonction,  qui  est  d'aider  la 
théologie.  C'est  ce  dont  je  suis  heureux  de  vous  féliciter  comme  professeur 
de  dogme. 

Prenant  une  thèse  difficile,  mais  sîirement  démontrable,  vous  l'avez 
prouvée  par  des  raisons  traditionnelles  que  vous  ave/,  faites  vôtres.  Au  lieu 
de  vous  laisser  aller  au  plaisir, —  si  tant  est  qu'il  puisse  y  avoir  plaisir  à 
ce  travail,  —  au  plaisir  trop  facile  de  critiquer,  d'énerver  des  arguments  qui 
ont  paru  démonstratifs  aux  plus  grands  génies  chrétiens,  vous  les  avez  re- 
pris pour  votre  compte  et  vous  les  avez  faits  vôtres.  Je  le  répète,  vous 
avez  donné  un  bel  exemple  et  donné  raison  à  ce  vieil  axiome  :  Philosophia 
est  ancHla  theologisc.  Je  ne  prendrai  même  pas  à  mon  compte  les  critiques 
qu'on  vous  a  adressées  tout  à  l'heure,  (^ar  si  pour  nous,  gens  d'abstraction, 
les  pages  d'imagination  paraissent  trop  nombreuses,  il  n'en  est  pas  de 
même  pour  les  profanes,  qui  aimeront  à  se  reposer  près  des  sources  où 
vous  les  conduisez. 

Je  vous  attaquerai  plutôt  sur  la  soi-disant  indépendance  substantielle 
(|ue  vous  prêtez  à  l'âme  humaine. 

Nous  sommes  débordés  par  nos  appétits,  nos  pensées  :  nous  ne  sommes 
pas  les  maîtres  de  notre  activité  ;  nous  ne  nous  appartenons  pas.  C'est 
donc  que  nous  ne  sommes  pas  une  substance,  un  moi  fermé,  mais  bien  que 
nous  sommes  inhérents  à  un  autre  dont  nous  ne  sommes  que  l'instrument 
ou  mieux  la  faculté,  une  faculté  subordonnée.  Et  ceci  apparaît  clairement 
soit  au  point  de  vue  de  l'efficience,  soit  au  point  de  vue  de  la  finalité. 

M.  Bernies.  —  Il  y  a   le  domaine  de  la  liberté,  et  dans  ce  domaine 


DoCTiiUM  li.VillÊCATIiiS  <>S3 

nous  finissons  par  être  les  maîtres  de  toutes  les  tendances  qui  se  heurtent 
eu  nous,  si  toutefois  nous  n'abusons  pas  de  notre  pouvoir  de  nous  régir 
et  de  nous  créer  des  nécessités  factices.  —  Il  y  a  aussi  le  domaine  de  la  dé- 
termination physiologique  ou  même  psychologique.  Mais  ces  détermina- 
tions internes  et  la  dépendance  e.vtrinsèque  par  rapport  à  l'auteur  de  ces 
déterminations  n'excluent  pas  la  substanlialité.  Seule  la  dépendance  intrin- 
sèque la  supprime.  La  substance  est  une  force  qui  tient  eu  dépôt  la  faculté, 
libre  ou  non,  de  se  mouvoir  et  d'agir  sous  la  motion  actuelle  de  la  cause 
principale.  Nous  avons  en  réserve  le  pouvoir  d'agir.  —  (Juant  à  nos  facul- 
tés, nous  nous  rendons  compte  qu'elles  sont  essentiellement  dépendantes 
du  dernier  fond  substantiel  dont  nous  avons  le  sentiment.  Au  contraire,  ce 
fond  nous  apparaît  comme  non-inhérent. 

Le  R.  P.  Auriault.  —  Passe  dans  l'ordre  de  l'efficience.  .Mais,  nu  point 
de  vue  de  la  finalité,  est-il  contestable  que  l'individu  ne  soit  subordonné 
au  tout  •?  Nous  pensons,  nous  aimons,  nous  agissons  en  vue  du  bien  collec- 
tif. N'est-ce  pas  dans  ce  sens  que  l'imagination  et  nos  autres  facultés  phy- 
siologiques s'ébranlent,  se  travaillent  et  nous  inclinent? 

M.  Bernies.  —  Oui,  évidemment.  Cela  ne  saurait  empêcher  que  l'indi- 
vidu n'ait  une  lin  particulière,  un  but  individuel,  qui  se  suffit  à  lui-même, 
bien  qu'il  puisse  être  dans  la  suite  détourné  en  faveur  de  l'espèce.  C'est 
toujours  la  question  de  la  dépendance  extrinsèque  :  on  peut  être  sub- 
stance et  dépendre  extrinsèquement  soit  dans  l'ordre  de  l'efficience,  soit 
dans  l'ordre  de  la  finalité. 

Le  R.  P.  Auriault.  —  Ku  tous  cas,  ces  choses  sont  obscures,  donc  pas 
démontrées. 

M.  Bernies.  —  iibscures,  j'en  conviens.  Indémontrables,  non  certes,  au 
moins  quant  au  fait.  Ignoratio  modi  non  tollit  certitudinem  facti. 

Le  R.  P.  Bulliot  demande  à  l'auteur  de  Spiriluatitc  et  Iinmorhdité  uu 
supplément  d  explication  sur  uu  cas  spécial  d  idée  abstraite.  —  Il  y  a 
un  cas,  en  effet,  où  elle  coïncide,  au  moins  dans  la  réalité,  avec  l'image  indi- 
viduelle. Soit  en  effet  un  article  manufacturé,  une  statue  :  il  y  a  des  milliers 
d'échantillons  semblables.  En  quoi  feia-t-on  consister  dans  ce  cas  particu- 
lier la  dill'érence  de  l'idée  abstraite  et  de  l'image  visuelle'?  Et  si  elles  peu- 
vent coïncider  au  moins  dans  un  cas,  cela  ne  suffit-il  pas  pour  efl'acer  toute 
différence  d'essence  ? 

M.  Bernies  observe  d'abord  que  les  statues  ne  seront  qu'imparfaite- 
ment semblables.  Il  y  aura  des  différences  dans  le  temps,  dans  le  détail. 
L'universel  conceptuel  est  au  coiilraire  parfaitement  identique  à  lui-même 
da.is  tous  les  cas.  Il  fait  abstraction  de  toutes  les  contingences  variables. 

De  plus,  aurait-on  la  certitude  que  tous  les  échantillons  sont  semblables, 
on  aurait  une  représentation  collective,  nullement  universelle.  La  repré- 
sentation s'étendrait  à  tous  les  cas  existants,  nullement  à  tous  les  cas 
possibles. 

Pour  englober,  non  seulement  le  réel,  mais  le  possible,  il  faut  toucher  à 


6a+  E.    A. 

l'essence  des  choses,  il  faut  se  mouvoir  dans  l'absolu.  Nous  sommes  ici 
dans  le  contingent,  il  n'est  pas  essentiel  que  toutes  les  statues  possibles 
soient  semblables,  que  le  moule  ne  s'use  pas  ou  ne  se  brise  pas.  D'un  cas 
nous  ne  pourrons  donc  jamais  conclure  avec  certitude  à  un  autre  cas,  au 
moins  pour  l'avenir.  Nous  ne  tenons  pas  sous  la  main  le  véritable  universel. 

Enfin,  unaersatiser,  c'est  se  prononcer  sur  la  ressemblance  ou  l'identité, 
c'est  faire  appel  aux  principes  premiers,  par  là  mOme,  c'est  idéaliser.  Ce 
que  vous  appelez  image  est  déjà  idée. 

Le  R.  P.  Bulliot.  —  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  il  ne  semble  pas  que 
vous  ayez,  abordé  avec  une  décision  suffisante  le  probli'>ine  de  la  liberté  et 
de  la  conservation  de  l'énergie. 

L'acte  libre  dirige  nos  mouvements  et  les  décisions  de  l'appétit  sensitif  ; 
or,  vous  ne  lui  attribuez  pas  sans  hésitation  le  pouvoir  d'introduire  une 
nouvelle  quantité  d'énergie,  si  minime  soit-elle,  dans  l'équation  mécanique 
des  forces.  Cette  position  est-elle  facilement  défendable  et  ne  vaut-il  pas 
mieux  revendiquer  hautement  pciur  l'acte  libre  le  pouvoir  d'intervenir 
efficacement  pour  sa  part  dans  le  problème  dynamique  ? 

M.  Bernies.  —  J'ai  en  effet  évité  de  me  prononcer  dans  une  question  si 
débattue,  .le  suis  loin  de  croire  à  l'iutangibilité  absolue  du  principe  physi- 
que de  la  conservation  des  forces. 

D'autre  part,  je  crois  que,  même  en  acceptant  ce  principe,  on  peut 
répondre  de  manière  à  peu  près  satisfaisante  aux  princi|)ales  objections. 

Le  R.  P.  Bulliot.  —  l.a  physiologie  est  absolument  incapable  de 
mesurer  et  de  constater  expérimentalement  une  quantité  d'énergie  que 
l'on  peut  toujours  supposer  plus  petite  que  toute  quantité  donnée. 

M.  Bernies.  —  le  le  crois  avec  vous.  —  On  peut  avoir  d'autres  raisons, 
tel  l'ordre  universel,  d'accepter  le  principe. 

Le  R.  P.  Bulliot.  —  On  ne  saurait  pourtant  i-oncevoir  sans  une  très 
grande  difficulté  un  pouvoir  etîeclif  de  direction  sans  nulle  dépense 
d'énergie.  Diriger,  c'est  agir,  c'est  donc  forcément  dépenser  de  l'énergie. 

M.  Bernies.  —  De  l'énergie  spirituelle,  non  de  l'énergie  organique. 

Le  R.  P.  Bulliot.  —  La  distinction  est  inadmissible.  Il  s'agit  ici  de 
psychologie  sensible  et  non  intellectuelle.  (Ir,  tout  acte  psychologique  sen- 
sible est  en  même  temps  physiologique  et  comme  tel  il  entraîne  une 
variation  de  potentiel.  La  cause  libre,  qui  a  actionné  le  mouvement 
cérébral,  n'a  pu  le  faire  sans  lui  communiquer  une  fraction  d'énergie. 

M.  Bernies.  —  C'est  la  queslion  des  rapports  du  moral  et  du  physique. 
Il  n'est  pas  démontré  qu'une  cause  spirituelle  ne  puisse  mettre  en  mou- 
vement, déclencher,  ou  de  potentielle  rendre  cinétique  une  force  physio- 
logique quelconque  sans  devenir  elle-même  matérielle.  Il  semble  qu'elle 
puisse  diriger  sans  se  matérialiser,  grâce  à  la  radication  de  nos  divers 
pouvoirs  dans  la  même  âme. 

Le  R.  P.  de  la  Barre  a  demandé  à  M.  Bernies  d'expliquer  et  de  com- 
pléter sa  pensée  relativement  à  certains  laits,  qui  tendent  singulièrement 


DOCTOKAT  liMiREGATlOS  «"ja 

à  dimiuui'i  la  distance  entre  rintelligenee  humaine  et  la  connaissance 
animale.  l»"une  part,  on  trouve  chez,  l'animal  des  apparenres  de  raison- 
nement ordonnées  à  une  fin,  —  semblant  même  indiquer  un  raisonnement 
expérimental  :  c'est  ce  que  montre  bien  le  proverbe  :  chat  échaudé  craint 
l'eau  froide. 

D'autre  part,  chez  l'homme,  ce  qui  parait  un  raisonnement  n'yst  le  plus 
souvent  qu'une  opération  instinctive  de  l'esprit  associant  certaines  repré- 
sentations, matérielles,  Imaginatives.  Les  scolastiques  avaient  bien  con- 
science de  celte  analogie,  lorsqu'ils  insistaient  sur  la  lis  collativa  ou  vis 
cogitativa.  lorsqu'ils  rappelaient  à  ce  propos  uçe  sentence  chère  à  l'auteur 
des  Livres  Arêopagitiquefi  :  yatwa  divina  conjungit  fi'^es  superiorum  et 
inferioruiii . 

M.  Bernies  commençait  à  répondre  en  insistant  sur  les  caractères 
essentiels  de  l'intelligence  humaine,  lorsque  la  séance  fut  levée. 

M.  Beraies  a  été  proclamé  docteur-agrégé  à  l'unanimité  des  membres  du 
jury.  Le  Recteur  lui  u  déclaré  que,  dans  ses  grandes  lignes,  la  doctrine 
qu'il  soutient  est  absolument  conforme  à  celle  des  professeurs  de  la 
Faculté  de  Pliilo~upliie. 

K.  A. 


Soutenance  de  thèses  pour  le  doctorat  en  pliilosojihie 


I.e  M  mai  l'JOI,  M.  Adolphe  Landry,  ancien  élève  de  l'École  normale 
supérieure,  agrégé  de  philosophie,  professeur  au  collège  Chaptal,a  soutenu, 
devant  la  Faculté  des  lettres  de  l'IJniversilé  de  Paris,  ses  thèses  pour  le 
doctorat  sur  lés  sujets  suivants  : 

Première  thèse.  —  Deresponsabilitute  sentium. 
Deuxième  thèse.  —  L'utilité  sociale  et  ta  propriété  indiiidnelle. 
.M.  Landry  a  été  déclaré  digne  du  grade  de   docteur  es   lettres  avec  la 
mention  très  honorable. 

Le  23  Juin  lOOl,  le  15.  P.  t'.h.iries  Etérovic,  franriscaiu,  a  soutenu,  devant 
la  l'acuité  de  philosophie  de  l'Institut  catholique  de  Paris,  sa  thèse  sur  le 
sujet  suivant  : 

Du  rôle  de  la  volonté  dana  la  philosophie  ic  DunttScot. 

Le  H.  P.  Charles  Etérovic  a  été  déclan''  digne  du  grade  de  docteur. 

Le  27  juin  l'.iOI,  M.  l'abbé  Dessoulavy,  prolesseur  de  philosophie  au 
grand  séminaire  de  SouthwarU  Angleterre),  a  soutenu,  devant  la  Eacullé 
de  philosophie  de  Tlnstitul  catholique  de  Paiis,  sa  thèse  sur  le  sujet 
suivant  : 

Saint  Anselme  et  non  action  sur  la  philosophie  du  utni/en  nf/e. 

.\L  Dessoulavy  a  été  déclaré  digne  du  grade  de  docteur. 

I.e  mercredi  !(•  juillet,  M.  Louis  Delaporte,  licencié  es  sciences  mathé- 
matiques en  Sorbonne,  a  subi  les  épreuves  du  doctorat  devant  la  Faculté 
des  lettres  de  l'Iniversité  de  Fribourg  (Suisse). 

Sa  thèse  intitulée  :  Essai  philosophique  sur  les  ijcomctries  non-eurlidiennes, 
a  obtenu  la  note  "  magna  cum  laude  ». 

CONCOURS  GÉ.NÉHAI.  I>ES  LYCÉES  HE  PARIS 

CLASSE    DE    PHILO~0PHIK 

DISSERTATION    FRANÇAISE 

l'rir  d'honneur  :  M.  David,  du  Lycée  Henri  IV'. 
Premier  Prix  :  M.  Cans,  du  Lycée  Condorcet. 


Le  Gémnl  :  L.  (ÎAR.MKH. 

La  Chapelle-Montligeon.  —  Inip.  île  N.-l).  île  Montligeon. 


LA   FORMATION   DE   LA  VOLONTÉ 


I 


Il  ne  s'agit  pdint  ici  (i"un('  question  métaphysique.  Oue  lu 
volonté  soit  une  vraie  «  faculté  »,  ou  qu'elle  soit  seulement 
une  forme  d'activité  de  l'ànie  humaine,  elle  demeure,  au  point 
de  vue  moral,  le  pouvoir  qu'a  l'àme  de  se  déterminer,  avec 
conscience  et  rcllexion,  à  une  action  de  son  choix.  Développer 
ce  pouvoir  de  commander  les  actions,  restreindre  le  champ  de 
rimpulsion  machinale  et  le  règne  du  caprice,  pour  étendre  la 
maîtrise  de  l'àme  sur  toutes  les  énergies  dont  elle  est  la  source, 
c'est  tout  l'art  de  former  la  volonté.  L'homme  a  de  la  volonté 
dans  la  mesure  où  il  échappe  à  la  domination  des  forces  du 
dehors  et  où  il  gouverne  les  poussées  de  vie  qui  surgissent  au 
dedans. 

Ainsi  comprises,  les  volontés  sont  rares;  et  donc  la  question 
morale  que  nous  ahordons  n'est  pas  oiseuse,  fresque  tous  les 
hommes,  en  effet,  se  rangent  en  deux  catégories  :  les  apathiques 
et  les  excessifs.  Chez  les  apathiques,  l'impulsion  fait  défaut,  les 
ressources  vitales  restent  ensevelies  dans  l'inaction,  l'activité 
ne  monte  pas  à  la  hauteur  du  devoir  :  cette  «  langueur  d'âme  ■> 
ou  ahoiilif,  cette  horreur  de  l'effort  est,  au  dire  de  M.  Payot  (1), 
la  maladie  de  la  volonté  la  plus  universelle  et  la  plus  dange- 
reuse. Chez  les  excessifs,  —  et  nous  sommes  tous  excessifs  à  cer- 
taines heures  sous  le  coup  de  la  passion,  —  l'impulsion  est  au 
contraire  violente,  désordonnée,  comme  la  fougue  indomptée 
de  ces  attelages  que  le  mors  ne  gouverne  pas.  Ni  les  ims  ni  les 

(i;  L'Iitliii-ation  de  la  volonté,  p.  l  (sixiriiie  édition). 

41 


«58  .1.  (iLlHlillT 

autres  n'ont  Je  volonto.  (lolui-là  aura  de  la  volonté  qui,  dans 
les  heures  d'apatliie,  saura  éveiller  ses  énergies  assoupies,  en 
utilisant  le  peu  de  force  dont  il  dispose  pour  aller  au-devant  de 
l'impulsion  salutaire,  et  qui,  dans  les  heures  d'excitations  désor- 
données, apaisera  ou  bridera  ses  passions,  en  canalisant  dans 
la  ligne  du  devoir  les  activités  fécondes  dont  son  ànie  déborde. 

Avoir  de  la  volonté,  c'est  donc  régler  la  production  et  la 
dépense  de  l'activité,  ranimer  la  vie  quand  elle  s'éteint  et  en 
modérer  la  llanime  quand  elle  s'avive. 

Le  premier  résultat  d'une  telle  maîtrise  sera  le  développe- 
ment de  la  personnalité.  Si  on  a  pu  dire,  avec  trop  de  vérité, 
qa'  «  il  n'y  a  pas  un  homme  sur  mille  qui  soit  une  per- 
sonne (1)  '■.  c'est  qu'en  effet  la  plupart  des  hommes,  au  lieu 
d"  «1  avilir  leur  âme  dans  leurs  mains  (2)  •>,  sont  mus  par  les 
iniluenci's  extérieures  ou  par  les  exigences  aveugles  de  leur 
sensibilité.  "  La  vraie  dignité  d'un  homme,  a-t-nn  dit,  est  dans 
ce  qu'il  l'si ,  cl  non  dans  ce  qn  il  a  (3).  »  Or  les  liommes  sans 
volonté  ne  saiil  i)as ,  puisqu'ils  ne  s'a|)p;irtiennent  pas, 
puisqu'ils  ne  produisent  pas,  puisqu'ils  n'acquièrent  pas.  Par 
la  volonté,  ils  s'arracheraient  à  leurs  tyrans,  ils  se  rendraient 
à  eux-mêmes  en  recouvrant  la  liberté,  et  dès  lors  ils  devien- 
draient personnes  morales.  Ce  serait  la  grandeur  à  la  place  de 
la  dégradation,  l-lt  comment  le  (ibrist  fut-il,  même  pour  la  vie 
présente,  le  Sauveur  de  l'immanité,  sinon  j)arce  qu'il  apjiritaux 
hommes  l'art  de  s'atfranciiir  et  de  se  posséder  :  In  iialifiilia 
rr.s/ra posnideùi/is  animas  ipslras  (4)? 

Et  comme  la  conquête  de  soi  exige  un  plus  grand  effort  que 
la  conquête  des  autres,  —  ce  que  démontre  avec  évidence  l'his- 
toire de  presque  tous  b's  grands  hommes,  —  le  développement 
de  la  personnalité  entraîne  la  puissance  d'action  et  rem|)ire  de 
l'inlluence  sur  les  autres  hommes.  (]eux-là  donc  gouverneront 
le  monde  et  «  posséder()nt  la  terre  -'ii,  »  qui  auront  d'abord  pris 
possession  d'cux-mênu's. 

(1;  Cité  dans  Blissos,  Éduca/ion  de  la  volonté,  p.  36. 

(2;  Psaume  cxviir.  vers.  109. 

(31  Blackie,  L'Éducation  de  soi-même,  p.  83. 

(4)  Luc,  XXI,  ch.  vers.  19. 

(Sj  Beal:  miles  qiioniam  tpsi poss'ilebunl  lerram  (Mattii.,  c.  \,. 


LA  l-nliMATloy  DE  LA   YiiLnMK  r,'.;^' 

Tout  plie  ilevanl  les  l'oiies  volontés,  jusqu'aux  éléments  sans 
vie  et  aux  forces  brutales.  Grâce  à  la  persévérance  dans  le  tra- 
vail et  à  la  ténacité  dans  les  projets,  la  nature  livre  à  la  volonté 
humaine  ses  secrets  et  ses  ressources  :  c'est  pourquoi  on  a  pu 
dire  que  le  ji'énie  est  une  lonj^ue  patience,  et  il  est  certain  que  la 
volonté  n'a  pas  moins  de  part  ([ue  l'esprit  dans  les  plus  belles 
découvertes  et  les  entreprises  les  plus  hardies. 

Car  la  valeur  intellectuelle  est  aussi,  pour  une  grande  part, 
le  i'ruit  de  la  volonté.  Deux  esprits  d'égale  portée  aboutiront  à 
des  résultats  très  ditt'érents,  suivant  la  volonté  qui  les  met  en 
ceuvre  :  le  talent,  quel  qu'il  soit,  ne  rapporte  que  par  son  pla- 
cement. Or,  la  fécondité  de  l'esprit,  chacun  le  sait,  dépend  de 
la  puissance  de  l'attention.  Dispersé  et  divisé,  il  ne  produit  rien. 
Fixé  par  l'atlention,  il  pénètre,  il  creuse,  il  s'enrichit.  Mais 
l'attention  (^st  tlouloureuse  ;  elle  ne  se  maintient  que  par  la  con- 
tinuité de  l'elVort  et  de  la  lutte  ;  elle  est  le  plus  avantageux 
résidtat  et  peut-être  la  plus  exacte  mesure  de  la  volonté. 

Oue  le  talent  soit  redevable  à  la  volonté,  personne  ne 
l'ignore;  mais  sait-on  aussi  bien  que  l'organisme  lui-même  est, 
dans  une  large  mesure,  sous  sa  dé|)endance  ?  Sans  doute  la 
volonté  est  tributaire  de  la  santé;  et  nous  dirons  plus  loin 
qu'une  sage  hygiène  importe  au  développement  de  la  volonté. 
Mais  la  volonté  à  son  tour  inilue  sur  la  santé  ;  elle  règle  l'orga- 
nisme ;  elle  é([uililire  l'apport  cl  la  dépense;  elle  tempère  les 
excitations  dont  la  violence  serait  pernicieuse;  elle  va  plus  loin, 
car  sa  fermeté  communique  aux  organes  une  sorte  de  tonicité, 
et  ce  n'est  pas  en  vain  que  récemment  on  a  mis  en  relief  le 
rôle  thérapeutique  de  la  volonté  (1). 


II 

L'homme  ipii  dans  sa  volonté  porte  tant  de  riches  promesses, 
se  reconnaît  à  (rois  signes  :  il  a  de  la  décision,  il  exécute  ce  qu'il 
a  résolu,  il  persévère  dans  ses  idées  et  dans  ses  entreprises.  Chez 
lui,  point  d'irrésolution,  point  de  lâcheté,  |ii)int  d'inconstance. 

(1)   Lévv,    L'Education   rationnelle  de  la    colonie;  son  emploi   lliérapeulique 
in-8',  1S'J8. 


(■,€0'  J.  GUIBEIIT 

La  décision,  bien  qu'elle  se  prenne  dans  le  sanctuaire  profond 
de  l'âme  et  qu'en  apparence  elle  n'ait  aucune  barrière  à  ren- 
verser, n'est  point  sans  mérite,  parce  qu'elle  ne  va  point  sans 
elTort.  Elle  est  le  premier  pas  de  la  volonté,  pour  certaines 
âmes  difficile  à  franchir.  Car  il  y  a  des  âmes  hésitantes,  Ilot- 
tantes,  naturellement  inaptes  à  prendre  un  parti.  Si  elles  res- 
tent en  suspens,  ce  n'est  point  que  la  lumière  leur  manque 
pour  décider,  ce  n'est  point  que  les  partis  contraires  se  dispu- 
tent leur  adhésion  par  des  motifs  d'égale  valeur,  c'est  unique- 
ment parce  qu'elles  répugnent  à  cette  démarche  purement 
intérieure  qui  constitue  le  choix.  Viendra  pourtant  l'heure  de 
l'action,  et  par  conséquent  de  la  décision  :  mais  la  décision, 
imposée  par  la  nécessité,  sera  venue  du  dehors  et  n'aura  point 
jailli  du  dedans,  ("omme  les  écoliers  paresseux,  lorsqu'ils  ont 
attendu  la  dernière  heure  pour  se  mettre  au  travail,  s'y  appli- 
quent à  la  fin  sans  joie  et  sans  prolit;  de  même  les  volontés 
hésitantes,  après  avoir  langui  dans  l'indétermination,  ne  béné- 
ficient point  de  l'action  à  laquelle  les  réduit  la  pure  nécessité. 
L'homme  de  volonté  ne  connaît  point  ces  atermoiements  :  il 
pn'voit,  il  étudie,  il  attend  |)arfois;  s'il  hésite,  il  consulte,  et, 
lorsqu'il  est  informé,  il  choisit.  Sa  décision  lui  pnilile.  jiarce 
qu'elle  vient  de  lui;  sûr  de  sa  voie,  il  n'est  victime  d'aucune 
surprise. 

Toutefois,  dans  l'a^uvre  de  la  volonté,  la  décision  intérieure 
n'est  qu'un  début.  Ce  n'est  qu'un  germe  avorté,  si  elle  n'abou- 
tit à  l'exécution.  (_)r,  il  y  a  loin  de  la  résolutiim  prise  dans  le  secret 
d'une  àme  humaine  à  l'action  qui  s'afticiie  au  dehors  par  le 
mouvement.  Sans  parler  .des  obstacles  que  le  monde  élève 
contre  le  déploiement  de  notre  activité  personnelle,  cette  acti- 
vité même  a  tant  de  ressorts  à  mouvoir  pour  aller  de  la  déci- 
sion à  l'action,  que  souvent  ses  énergies  se  perdent  en  route  et 
n'atteignent  point  leur  terme.  Nous  aurons  précisément  à  étudier 
plus  loin  comment  la  volonté  doit  s'y  prendre  pour  que  ses 
décisions  ne  s'éteignent  pas  au  dedans,  pour  que  ses  ordres 
soient  intégralement  transmis  jusqu'aux  puissances  motrices 
etlidèlcmenl  exécutés.  Lâches  et  impuissantes  sont  les  volontés 
dont  les  commandements  expirent  avant  d'arriver  iï  leur  tin  : 
elles  lléchissent  et  succombent  sous  le  poids  de  désirs  aussi 


LA  ]•'(»/!  U.l  77' i.Y  /»E  7-A    ViiUiM'E  CM 


vains  que  imiUipliôs,  drsidi-rid  occidinit  piijviiin  (1).  Car  s'il  y  n 
(les  natures  iieureusement  douées  pour  lesquelles  connaître  le 
ilevoir  soil  plus  malaisé  qiu^  de  l'exécuter,  il  y  en  a  d'autres, 
et  ce  sont  les  plus  nombreuses,  qui  gémissent  d'autant  plu> 
d'être  trahies  par  la  faiblesse  de  leur  volonté  qu'elles  ont  de 
plus  vives  clartés  dans  l'esprit.  C'est  à  ces  dernières  que  nou^ 
essaierons  de  frayer  le  chemin. 

Certaines  volontés  se  mettent  en  route  et  commencent  géné- 
reusement l'exécution  de  leurs  desseins;  mais  bientôt  elles 
s'arrêtent  ou  changent  de  voie.  L'inconstance  leur  fait  perdre 
le  fruit  d'un  premier  effort.  Les  unes,  pauvres  d'énergie,  sem- 
blables à  ces  machines  auxquelles  l'eau  et  le  charbon  manquent 
au  milieu  de  leur  Cdurse,  succombent  li  la  faiblesse  :  ou  bien 
la  continuité  de  l'etfort  les  lasse,  ou  bien  l'obstacle  à  franchir 
les  effraie  ;  tantôt  l'ennui  de  la  monotonie  les  gagne,  tantôt 
l'abandon  ou  la  trahison  des  hommes  les  abat  :  âmes  anémiées 
•qui  ne  peuvent  fournir  ime  longue  carrière,  elles  ont  devant 
Dieu  le  mérite  de  la  résolution  prise  et  du  travail  commencé, 
mais  elles  n'exercent  pas  sur  le  monde  cotte  puissante  action 
sociale  qui  n'appartient  qu'aux  o'uvres  achevées.  L'art  de  finir 
est  le  signe  le  plus  indiscutable  de  la  force  et  le  plus  puissant 
agent  d'iniluencc  sur  les  hommes.  Parmi  les  volontés  qui  ne 
savent  point  linir,  il  y  a  des  âmes  mobiles,  changeantes,  aux- 
quelles  les  ressources  ne  font  point  défaut,  mais  auxquelles 
manque  la  fixité  dans  les  desseins.  Soit  mobilité  maladive, 
soit  désir  illusoire  d'une  plus  grande  perfection,  semblables  à 
des  girouettes  qui  tournent  au  moindre  mouvement  d'air,  elles 
perdent  leur  temps  et  consument  leurs  forces  en  tâtonnements 
inutiles,  en  essais  infructueux.  Au  lieu  de  creuser  paisiblement 
leur  sillon,  elles  courent  à  travers  champs,  touchant  à  tout, 
brouillant  tout,  ne  laissant  de  leur  passage  aucune  trace  dura- 
ble. Elles  ravagent  bien  plus  qu'elles  ne  sèment  et  ne  mois- 
sonnent. 

Que  ce  soit  par  épuisement  d'énergie,  ou  que  ce  soit  par 
<;hangement  de  direction,  dès  lorsque  la  persévérance  manque, 
la  volonté  n'est  pas  pleinement  constituée.  La  décision  suppose 

(I)  Prov  .  ch.  \xi,  vers.  2j. 


0C2  i.  (iUlBEKT 

un  ell'ort,  mais  im  otTort  intérieur  et  passager;  aussi  est-elle  à 
la  portée  du  grand  nombre.  L'exécution  est  plus  complexe, 
elle  appelle  l'ànie  au  dehors  pour  ébranler  tous  les  ressorts 
d'oîi  sortira  l'action;  elle  impose  donc  un  effort  plus  prolongé 
et  plus  coûteux,  ce  qui  la  rend  plus  difiicile  et  moins  commune 
que  la  résolution.  La  persévérance  comporte  la  durée  dans  la 
décision  et  dans  l'efTort  ;  elle  est  le  couronnement  de  la  volonté. 

A  quelque  degré  que  ce  soit,  la  condition  du  succès  est  dans 
l'effort.  Une  simple  décision  ne  se  prend  pas  sans  effort  ;  à 
plus  forte  raison  faudra-t-il  de  l'effort  pour  exécuter  et  pour 
persévérer.  L'effort  est  donc  la  loi  fondamentale  de  la  vie  mo- 
rale, et  \V.  .lames  avait  bien  raison  de  dire  :  '•  11  y  a  bien  des 
mesures  pour  mesurer  la  volonté  humaine.  La  plus  exacte  et 
la  plus  sûre  est  celle  qui  s'exprime  par  cette  question  :  De  quel 
effort  ètes-vous  capalde?  »  (l'est  pourquoi  le  Christ  a  fait  du 
royaume  des  cieux  le  prix  de  l'effort;  seuls,  «  les  violents  l'em- 
portent de  force  (1)  ».  VA  s"il  est  vrai  que  «  le  royaume  de 
Dieu  est  au-dedans  de  nous  (2)  »,  l'énergie  que  nous  déploie- 
rons à  nous  conquérir  nous-mêmes  aura  j)our  récompense 
dernière  la  conquête  du  ciel.  Ainsi  se  tiennent  la  morale  et 
ILvangile,  nous  donnant  à  l'envi  la  leçon  suprême  de  l'effort. 

Mais  l'ellort  est  douloureux.  Cette  angoisse  de  l'effort  durera- 
t-elle  aussi  longtemps  que  la  vie?  Oui  et  non.  Nous  ne  serons 
jamais  dispensés  de  l'ellort  parce  que  nous  n'aurons  jamais 
achevé  la  (■onquêt(>  de  nous-mêmes,  et  l'effort  est,  de  sa  nature, 
pénilde,  puisqu'il  est  une  réaction  intérieure.  Mais,  à  mesure 
que  nous  étendons  nos  conquêtes,  le  champ  de  l'effort  diminue, 
si  bien  qu'on  a  pu  dire,  avec  une  pointe  d'exagération,  que, 
(c  grâce  à  l'effort,  l'effort  n'a  plus  lieu  d'être  (3)  ».  Par  l'effort, 
ime  couche  de  tendances  acquises  se  substitue  aux  tendances 
reçues  par  hérédité.  Ces  tendances  héréditaires,  nées  du  fond  de 
la  sensibilité  organique,  ou  créées  par  les  habitudes  des  géné- 
rations passées,  forment  la  poussée  des  inclinations  natu- 
relles,   souvent  opposées   au    devoir,    à  l'encontre  desquelles 


(1)  Matth.,  eh.  \i,  vers.  12. 

(2)  Lie,  ch.  XVII,  vers.  21. 

(3)  Buisson,  Éducnlion  de  la  volonté,  ji*  31. 


L.t  FdHMATKiS  HE  L.\    VaLONTÉ  063 

lii  volonli''  doit  (Hablir  sa  domination.  Quand  olh^s  onL  ôU%  non 
pas  ani-anties,  mais  domptées  par  l'effort,  ({u'clles  ont  été  assou- 
plies et  asservies  à  la  vertu,  ou  bien  qu'au-dessus  d'elles  ont  été 
produites  des  habitudes  morales,  la  lutte  est  devenue  moins 
âpre,  la  volonté  est  secourue  dans  chaque  effort  par  tous  les 
efforts  antécédents.  11  y  a  donc  lieu  de  prendre  courage, 
puisque  nous  sommes  assurés  qu'à  chaque  victoire  nous  dimi- 
nuons l'effort  du  lendemain.  Sans  doute,  nous  n'arriverons 
jamais  à  la  limite,  ofi  la  peine  serait  nulle,  mais  nous  en  appro- 
cherons toujours. 

III 

La  loi  de  l'elTort  n'est  d'ailleurs  point  arbitraire;  elle  est  gra- 
vée dans  les  entrailles  mêmes  de  notre  nature  ;  elle  résulte  de 
notre  constitution  organique.  En  étudiant  la  longue  chaîne  de 
ressorts  que  notre  volonté  doit  mettre  en  jeu  pour  amener  l'idée 
et  le  désir  de  la  vertu  à  une  réalité  vivante,  nous  ne  nous  con- 
vaincrons pas  seulement  des  difficultés  que  doit  vaincre  l'effort, 
mais  nous  serons  instruits  des  moyens  que  doit  prendre  la 
volonté  pour  exprimer  avec  constance  au  dehors  ce  qu'elle  a 
résolu  avec  générosité  au  dedans. 

(Combien  nous  sommes  esclaves  de  l'organisme,  môme  pour 
viuiloir,  à  plus  forte  raison  pour  exécuter  nos  desseins,  c'est  ce 
([ue  l'observation  révèle  à  quiconque  se  regarde  et  s'étudie.  Hui 
ne  sait  que  les  élans  de  notre  volonté  varient  suivant  nos  dis- 
positions physiques?  Qui  n'a  remarqué  que  des  aspirations 
également  nobles  de  notre  coeur  sont  très  inégalement  servies 
par  les  sources  organiques  de  notre  activité?  Vous  êtes  ttoris- 
sant  de  santé,  vous  sentez  la  joie  de  vivre,  le  cœur  est  dilaté, 
le  sang  coule  riche  et  pur  à  travers  les  organes,  la  tète  est  libre 
et  les  nerfs  reposés,  vous  êtes  «  en  train  »  ;  alors  tout  «  va  »  au 
moral  comme  au  physique,  vos  aspirations  sont  grandes,  vos 
résolutions  promptes  et  sans  calcul  mesquin,  vous  allez  joyeux 
à  l'effort,  le  devoir  semble  ne  pas  vous  coûter.  Au  contraire, 
êtes-vous  triste,  le  cœur  serré  par  le  chagrin  ou  par  l'envie,  le 
sang  empoisonné  par  la  mélancolie,  les  nerfs  épuisés  par  le  tra 
vail  ou  intoxiqués  par  une  mauvaise  circulation...  :  alors  rien 


664  J.  GLIBERT 

ne  i<  va  »,  le  travail  vous  répugne,  l'eflort  vous  fait  peur,  vous 
restez  inactif  en  face  du  devoir,  et  vous  gémissez  que  l'être 
moral  qui  commande  au  dedans  ne  trouve  plus  de  serviteurs 
lidèlcs  pour  se  faire  obéir.  Parfois  même  il  y  a  révolte,  et  vous 
sentez  deux  hommes  en  vous  :  le  mal  se  fait  que  vous  ne  vou- 
liez pas,  et  le  bien  que  vous  vouliez  ne  se  fait  pas  (1)  ;  ou  bien 
vous  dites  avec  Horace  :  Virlrn  moliora  prohuqiir,  {Icti-nurn  ^r- 
quitr. 

Cette  étrange  et  douloureuse  dualité  dun  èlre  qui  n'est  point 
maître  absolu  chez  lui  s'explique  par  les  rapports  de  mutuelle 
dépendance  di'  làmc  et  du  corps.  Pour  en  pénétrer  le  secret,  le 
psychologue  fait  appel  à  la  science  du  physiologiste,  et  comme 
le  système  nerveux,  organe  délicat  où  se  reflètent  toutes  les 
lluctuatiohs  de  la  santé  physique,  est  l'intrument  de  nos  voli- 
tions,  nous  avons  ciiance  de  trouver,  dans  les  connaissances 
acquises  sur  sa  structure  et  son  fonctionnement,  des  renseigne- 
ments propres  à  éclaircir  la  psychologie  et  à  faciliter  in  forma- 
lion  de  la  volonté. 

D'après  les  plus  récentes  découvertes  (2),  dues  aux  travaux 
de  Waldeyer,  Gehucten,  Golgi,  Hamon  y  (Jajal...,  la  masse  ner- 
veuse, au  lieu  d'être  formée  d'éléments  analomiques  dilTérents, 
cellules  et  libres,  est  constituée  par  imw// genre  dé  lémenls  qu'on 
appelle  iiPiirones.  !.e  neurone  est  une  cellule  dOii  partent  des 
expansions  filirillaires,  variables  en  n(5mbre  et  en  longueur,  ter- 
minées par  des  extrémités  toujours  libres.  Les  cellules  ou 
noyaux  des  neurones  forment  ce  qu'on  appelait  autrefois  la 
substance  grise,  et  les  expansions  librillaires,  cheminant  c»')te  à 
cote,  forment  les  nerfs  ou  substance  blanche. 

Du  centre  cellulaire  dépendent  la  nutrition  et  le  fonctionne- 
ment de  tout  le  neurone  :  tout  nerf  séparé  de  la  cellule  dégé- 
nère promptement  ;  la  cellule  reçoit  les  impressions,  les  trans- 
forme en  impulsions  motrices,  peut  même  créer  des  incitations. 
La  fatigue,  résultat  du  travail  nerveux,  se  traduit  par  une 
iliminution  du  corps  cellulaire  et  nuit  proportionnellement  à 
son  fonctionnement. 


(I)  Cf.  saint  Pai:i.  dans  VËpiIre  au.r  Romains,  cli.  vu,  vers.  19  et  23. 
[i]  et.  Balti's,  dans  la  hevuede  l'Iiilosophie.  N'  i. 


LA  FnliMATlÛS  l>F.  L.l   VuLOyTE  (iOîi 

Les  expansions  iibrillaires  sont  de  deux  sortes.  Les  unes,  à 
contours  irréjiuliers,  en  forme  de  dendrites,  subdivisées  en 
brandies  collatérales,  se  nomment  prolongements  protoplas- 
miques.  Les  autres,  à  contour  net  et  régulier,  donnant  naissance 
ù  d'innombrables  ramuscules,  sont  les  libres  de  Deiters,  appe- 
lées aussi  prolongements  cylindraxiles  ou  axones.  Les  dendrites 
et  les  axones  jouissent  du  même  pouvoir  conducteur;  le  sens 
seul  ditTère.  Tandis  que.  dans  les  dendrites,  le  courant  nerveux 
va  toujours  vers  la  cellule,  il  est  toujours  centrifuge  dan-;  les 
axones. 

Si  nous  concevons  un  être  tellement  simple  que  son  système 
nerveux  soit  réduit  à  un  neurone  unique,  ses  mouvements  se- 
ront faciles  à  analyser.  Les  extrémités  protoplasmiques  recueil- 
lent, à  la  surface  du  corps,  les  impressions  sensibles  et  les 
transmettent  à  la  cellule  :  la  cellule  ébranlée  par  le  courant 
transforme  les  impressions  en  impulsions  motrices,  qui  cbe- 
minent  alors  par  les  libres  de  Deiters;  les  extrémités  cylin- 
draxiles, engagées  dans  les  muscles,  en  produisent  la 
contraction,  et  cette  contraction  même  constitue  le  mouve- 
ment. Tel  est  le  processus  de  l'acte  réflexe  élémentaire.  L'in- 
tégrité du  neurone  et  la  richesse  des  éléments  constitutifs  de 
la  cellule  sont  les  deux  conditions  do  la  mise  en  jeu  de  son 
activité. 

Dans  un  être  aussi  complexe  qu'est  l'Iiomme,  on  pourrait 
représenter,  par  une  abstraction  de  l'esprit,  tout  le  système  ner- 
veux comme  un  immense  neurone  formé  des  trois  éléments  essen- 
tiels :  les  dendrites  recueillant  à  la  surface  les  impressions  sen- 
sibles; les  centres  nerveux  transformateurs  ;  les  prolongements 
cylindraxiles  transmettant  à  tous  lis  muscles  les  impulsions  mo- 
trices. Mais  une  telle  simplification  ne  résoudrait  aucun  des 
problèmes  psychologiques  et  moraux  qui  résultent  de  l'union 
de  l'âme  et  du  corps  :  car  ces  problèmes  naissent  de  la  com- 
plexité môme  des  éléments  qui  composent  l'organisme,  et  le 
système  nerveux  en  particulier. 

Ce  n'est  donc  pas  un  neurone  unique,  mais  des  millions  si- 
non des  milliards  de  neurones  qui  forment  la  masse  nerveuse 
chez  l'homme.  Les  cellules  sont  dispersées  par  paquets  dans  les 
ganglions,  la  moelle  épinière,  et  surtout  l'encéphale  ;  leurs  pro- 


G66  .1.  (iLlBERT 

longemcnts,  dendrites  et  axones,  s'enchevêtrent  tomme  dans 
un  inipénétralde  fourré  de  forêt  vierge.  II  y  a  de  l'ordre  pour- 
tant, puisque  chaque  neurone  garde  son  individualité,  puisque 
chaque  région  nerveuse,  ainsi  que  le  prouvent  les  localisations 
cérébrales,  a  son  rùle  déterminé.  A  prendre  en  gros  la  somme 
des  neurones,  on  les  classera  en  neurones  sensitifs,  en  neurones 
d'association,  en  neurones  moteurs.  (  lette  division  servira  |)rinci- 
palement  à  distinguer  les  divers  quartiers  de  l'encéphale.  Lesneu- 
nmes  sensitifs,  formant  les  centres  sensibles,  seront  ceux  où  les 
impressions  reçues  au  dehors  simt  recueillies  dans  le  cerveau. 
Lesneuroni's  moteurs,  formant  les  centres  moteurs,  seront  ceux 
d'où  partent  les  impulsions  motrices  qui  se  rendent  aux 
organes  de  travail,  muscles  ou  glandes.  Les  neurones  d'associa- 
tion, ou  commissures,  seront  les  centres  intermédiaires  des  sur- 
faces sensibles  aux  surfaces  motrices.  .Mais  il  faut  bien  noter 
quiî,  pour  un  acte  déterminé,  si,  du  premier  neurone  sensible 
au  dernier  neurone  moteur,  cent  neurones  entrent  en  activité, 
chacun  d'eux  opère  comme  un  neurone  isolé,  c'est-à-dire  que 
le  courant  nerveux  [lénèlre  toujours  par  lesdendrites  et  s'écoule 
toujours  par  les  axones,  et  qu'il  subit  toujours  dans  chaque  cel- 
lule une  transformation  en  imj)ulsion  motrice. 

La  communication  des  neurones  complique  singulièrement 
les  transmissions.  Longtemps  on  a  cru  que  les  innombrables 
ramuscules  nerveux  s'anastomosaient  et  que  le  courant  passait  à 
plein  canal  d'un  élément  à  un  autre.  II  n'en  est  rien.  Golgi  a 
démontré  que  les  dendrites  se  terminent  en  extrémités  libres  ; 
Ramon  y  Gajal  a  prouvé  qu'il  en  est  de  même  pour  les  axones. 
Les  neurones  sont  donc  des  unités  isolées.  Leurs  unités  libril- 
laires  peuvent  se  rapprocher  autant  qu'on  voudra,  venir  même 
en  contact  ;  mais  elles  ne  sont  pas  en  continuité.  C'est  donc 
par  influence  que  les  neurones  agissent  les  uns  sur  les  autres, 
et  cette  inlluence  est  facilitée  par  Varlictilatiou  de  leurs  fibril- 
les libres. 

Ici  le  problème  de  l'inlluence  se  complique  encore,  car  l'ar- 
ticulation des  bouts  hbrillaires  est  fort  instable.  D'après  les 
hypothèses  tenues  aujourd'hui  pour  les  plus  probables,  les 
axones  seraient  doués  de  propriétés  amiboïdes.  De  même  que 
les    amibes,  protozoaires    inférieurs,  émettent,   au   temps   de 


LA  Fd/.M/.ATln.V  IlE  LA   VoLOSTE  007 

leur  activili',  dos  pseudopodes  (jiii  se  rétractent  et  rentrent  dans 
la  masse  au  moment  du  repos,  ainsi  les  extrémités  des  axones 
émettraient  et  retireraient  des  prolongements  suivant  les 
circonstances  :  par  ces  sortes  de  pseudopodes,  les  axones  entre- 
raient en  relation  avec  les  dendrites,  et,  lorsque  les  pseudo- 
podes sont  rétractés,  les  communications  seraient  coupées.  Une 
telle  hypothèse  est  très  grosse  de  conséquences  au  point  de  vue 
psychologique,  puisque  les  mouvements  amilioïdes  seraient 
une  condition  essentielle  de  Tactivité  fonctionnelle  du  système 
nerveux.  Tout  neurone,  dont  les  extrémités  n'émettraient  pas 
de  pseudopodes,  serait  inactit  et  comme  dans  un  état  de  som- 
meil. Le  sommeil  ne  serait-il  point  le  résultat  d'une  suspension 
de  cette  forme  d'activité?  C'est  précisément  la  pensée  de  Mat- 
thias Du  val. 

(]es  connaissances  anatomiques  nous  permettront  de  jeter 
([uelque  jour  sur  le  mécanisme  des  diflérenls  actes  qui  éma- 
nent de  nous. 

IV 

Nous  distinguons  trois  sortes  d'actes  :  les  actes  réilexes  in- 
conscients, les  actes  réilexes  conscients,  les  actes  volontaires, 
qui  sont  toujours  conscients. 

L'acte  réilexe  est  une  pure  réaction  organique  après  une 
impression  sensible  :  conscient  parfois,  il  est  le  plus  souvent  in- 
conscient. Le  clignement  des  yeux  à  une  vive  lumière,  les  bat- 
tements du  cœur,  les  mouvements  respiratoires,  les  mouve- 
ments de  défense  durant  le  sommeil,  etc.,  sont  autant  d'actes 
réilexes  où  la  volonté  n'a  point  de  part.  Jusqu'au  développe- 
ment de  la  conscience  chez  l'enfant,  les  actes  produits  sont 
purement  réilexes  ;  les  cris,  les  pleurs,  les  agitations  de 
membres  se  ramènent  à  de  simples  réactions  organiques.  Une 
fois  la  conscience  éveillée,  le  domaine  des  réilexes  reste  im- 
mense ;  jusque  chez  les  hommes  les  plus  attentifs  à  surveiller 
leurs  mouvements,  le  nombre  des  réilexes  même  inconscients 
<'st  incalculable.  Le  champ  où  évolue  la  liberté  se  trouve  par 
le  fait  très  restreint,  si  restreint  dans  certains  individus,  que 
les  psvcholosrues  n'ont  nas  toujours  réussi  à  le  découvrir. 


«IW  3.  GCIBERT 

Or,  dans  l'acte  réllexo,  le  système  nerveux  mis  en  jeu  se  com- 
porte comme  s'il  était  réduit  à  un  simple  neurone.  Le  courant 
nerveux  passe,  en  se  transformant,  à  travers  les  voies  de  com- 
munication naturellement  établies.  Souvent  il  chemine  par  des 
chemins  très  courts  :  dans  les  mouvements  rétlexes  des  mem- 
bres, il  ne  va  qu'à  la  moelle  épinière  ;  dans  les  mouvements 
des  organes  intérieurs,  comme  l'estomac  et  les  intestins,  il  ne 
se  rend  qu'au  gangli(m  sympathique  le  plus  voisin.  Mais  sup- 
j)Osons  le  cas  le  plus  complexe,  celui  où  l'acte  réflexe  se  produit 
par  le  passage  du  courant  nerveux  jusque  dans  l'encéphale. 

Tout  d'un  coup,  dans  un  centre  sensible  du  cerveau,  une 
impression  jaillit  comme  une  étincelle.  La  cellule  qui  en  est 
le  théâtre  la  reçue  par  ses  prolongements  en  dendrites.  D'où 
vient-elle?  Ou  bien  elle  a  été  recueillie  à  la  périphr>rie  parles 
oxtrémités  nerveuses,  sous  forme  de  lumière  ou  de  son,  par 
<>xemple;  ou  bien  elle  a  été  suscitée  dans  les  filaments  qui 
plongent  comme  des  racines  chevelues  dans  les  organes  ;  ou 
bien  elle  a  pris  naissance  dans  quelque  centre  nerveux  voisin. 
D'où  qu'elle  vienne,  elle  tend  à  s'échapper  par  les  prolonge- 
ments cylindraxiles.  Si  l'un  de  ces  prolongements  allait  s'épa- 
iiciuir  dans  un  muscle,  l'impulsion  partie  de  la  cellule  serait 
.immédiatement  motrice.  .Mais,  par  iiypothèse,  le  centre  moteur 
est  loin  du  centre  sensible.  Alors  le  courant  parti  de  la  pre- 
mière cellule  va  se  transmettre  à  travers  des  neurones  d'asso- 
ciation. .Mais  il  ne  choisit  point  sa  voie  :  <i>ia  data  porta  raiiut . 
Là  où  il  y  a  des  articulations  établies  entre  axones  et  dendrites,  il 
passe  aisément.  Ces  articulations  peuvent  ètrecongénitales,  fruit 
«l'une  organisation  primitive  ou  d'habitudes  ancestrales  ;  elles 
peuvent  être  aussi,  chez  l'adulte,  le  résultat  d'actes  répétés  ou 
<rhabitudes  acquises.  Ainsi,  de  proche  en  proche,  comme  un 
voyageur  qui  cherche  à  sortir  du  fourré  inextricable  d'une 
forêt,  le  courant  arrivée  une  cellule  motrice,  qui  tient  ce  carac- 
tère de  ce  que  ses  axones  aboutissent  à  des  muscles  ou  organes 
<le  mouvement.  La  décharge  nerveuse,  après  mille  circuits, 
se  transforme  donc  tinalement  en  action  musculaire. 

L'action  réflexe,  résultat  fmal  de  rimpr(>ssion  nerveuse,  dé- 
pend principalement  de  deux  facteurs  :  de  l'intensité  de  l'im- 
pression, et  de  la  valeur  fonctionnelle  des  neurones. 


/,.l  FOUMMId.S  HE  LA    VuLoyiE  66» 

Plus  l'iniprcssion  est  vivo,  plus  elle  se  dilViise  :  une  impres- 
sion intense  pnuluit  un  ivilexe  très  étendu.  \\u  sens  invei-se, 
l'action  réilexe  se  limite  à  mesure  que  l'impressiim  diminue,  sî 
bien  qu'elle  peut  être  insensible  ou  nulle  quand  l'impression 
approche  de  zéro.  C'est  qu'il  faut  à  une  cellule  nerveuse  un 
ébranlement  assez  fort  pour  que  la  décharge  se  propage  au  loin 
et  au  large.  Faute  d'intensité,  l'impulsion  motrice  qui  suit 
toute  impression  peut  avorter,  ['lus  loin,  nous  puiserons  dans 
cette  observation  le  secret  de  faire  aboutir  à  l'action  nos  plus 
intimes  désirs  :  nous  dirons  qu'il  faut  les  concevoir  avec  une- 
grande,  intensité. 

La  valeur  fonctionnelle  des  neurones  est  dans  leur  intégrité 
assurément,  mais  aussi  dans  la  richesse  de  leurs  éléments 
constitutifs  et  dans  la  souplesse  des  productions  amiboïdes.  Une 
nutrition  pauvre  ou  un  surmenage  continu  sont  pour  les  noyau.v 
nerveux  des  causes  de  dépérissement:  l'anémie  profonde  qui  en 
résulte  nuit  évidemment  à  l'excitabilité  et  à  la  puissance  de 
décharge.  Huant  aux  productions  amiboïdes,  ce  facteur  si  im- 
portant des  articulations,  elles  supposent  une  souplesse  et  une 
activité  de  la  masse  protoplasmique  qu'il  serait  désastreux  d'af- 
faiblir :  à  ce  point  de  vue,  l'hygiène  joue  un  rôle  capital,  ne 
fût-ce  qu'en  écartant  de  l'alimentation  les  alcools,  dont  l'etTet 
sur  le  protoplasme  est  si  contraire  à  la  souplesse  qu'il  doit 
garder. 

L'acte  réilexe,  caractérisé  par  le  passage  entièrement  spon- 
tané du  courant  nerveux  depuis  la  cellule  sensible  jusqu'à  la 
cellule  motrice,  n'est  pas  toujours  inconscient.  Tandis  (jue  le 
courant  passe  et  que  l'acte  se  fait,  la  conscience  peut  être  éveil- 
lée et  percevoir  les  événements  dont  l'être  est  le  théâtre 
vivant.  Voir  ce  qui  se  passe,  ce  n'est  pas  le  produire,  de  sorte 
qu'il  peut  y  avoir,  —  et  il  y  a  en  réalité,  —  des  actes  conscients- 
qui  n'aient  rien  de  volontaire,  qui  soient  purement  réllexes. 
Nous  percevons  nos  mouvementh  respiratoires,  sans  les  comman- 
der. Tandis  (jue  nous  marclnins,  les  mouvements  coordonnés 
de  la  marche  s'appellent  les  uns  les  autres  et  se  produisent, 
sans  que  notre  volonté  intervienne  autrement  que  pour  décider 
le  premier  pas.  En  face  d'un  spectacle  attendrissant,  nous 
avons   le  cœur    touché,  les  larmes   perlent  aux  yeux  :  noui> 


rjlO  J.  (;i  IliEUT 

bomoics  alors  les  témoins  ol  non  les  auteurs  de  ce  qui  se  produit 
«n  nous.  11  en  est  de  même  de  ces  violents  accès  où  la  colère 
éclate  brusquement  et  s'exprime,  malgré  nous  parfois,  en  pa- 
roles vives  et  blessantes  ou  en  actes  que  notre  conscience  mo- 
rale réprouve.  C'est  le  cas  de  toutes  les  fortes  impressions  que 
nous  ne  maîtrisons  pas  ;  nous  les  voyons  monter  en  nous,  sous 
nos  regards  elles  gagnent  tout  l'organisme,  elles  enllamment 
,s\irtout  l'imagination  et  mettent  en  mouvement  tous  les  muscles 
d'expression  extérieure.  Chez  les  enfants  et  les  vieillards,  qui 
ne  savent  pas  encore  ou  qui  ne  peuvent  plus  se  dominer,  ces 
onvaliissements  conscients  de  tout  l'être  par  l'impression  sont 
particulièrement  remarquables.  Pour  involontaires  qu'ils  parais- 
sent, ils  n'échappent  pas  toujours  i\  la  responsal)ilité;  car,  par- 
fois, si  la  volonté  fût  intervenue,  le  courant  nerveux  (>ùt  pris 
une  autre  direction  par  l'action  d'un  courant  de  sens  contraire. 

A  ces  actes  réflexes  conscients,  nous  appliquerons  volontiers 
le  mot  de  M.  Hibot,  que  la  conscience  «  constate  une  situation, 
mais  ne  la  constitue  pas  (1)  •>.  11  n'en  va  pas  ainsi  des  actes 
volontaires,  oii,  pensons-nous,  le  <•  je  veux  ^i  constitue  réelle- 
inent  la  situation  dont  l'âme  prend  conscience. 

<Juel(|ue  obscurité  (|u'il  puisse  y  a\i)ir  du  c(Mé  |)Iiysi(]ue,  s'il 
est  une  notion  claire  (jue  nous  percevons  dans  notre  conscience, 
c'est  bien  la  maîtrise  que  nous  exerçons  sur  certains  de  nos 
actes.  Rien  ne  nous  apparaît  avec  plus  d'évidence  que  le  pou- 
voir d'agir  ou  do  ne  pas  agir,  de  changer  nos  résolutions  ou 
de  les  laisser  suivre  leur  cours  ;  en  secouant  notre  tor|)eur,  nous 
avons  senti  que  l'elfort  nous  lirait  de  l'inaction  ;  tandis  que 
nous  étions  emj)()rlés  par  la  colère,  nous  avons  brusquement 
dominé  notre  émotion,  et  nous  avons  employé  à  l'accomplisse- 
ment d'un  acte  vertueux  l'énergie  vitale  qui  allait  se  dépenser 
en  acte  peut-être  criminel.  Tantôt  nous  produisons,  tantôt  nous 
suspendons,  tantôt  nous  faisons  dévier  du  mouvement  :  les 
liypotbèses  physiologiques  peuvent  tenter  d'explicjuer  cette 
maîtrise,  elles  ne  peuvent  la  faire  révoquer  en  doute.  Le  nom- 
lire  de  ces  actes  volontaires  et  libres  est  peut-être  fort  restreint, 
mais  l'obsi'rvation  interne  ne  nouspermetpas  de  la  réduire  à  zéro. 

(1    lîiEOT,  Les  tlahi'lies  de  la  eoloiilc,  p.  1"9. 


/,.A  FOllMATIoy  DE  LA  Ydl.oSTE  071 

L'uclc  voloulaire  débLile  duiis  un  centre  sensible  du  eerve.ui 
par  une  impression.  C'est  une  image  de  l'actiou  extérieure  h 
produire,  évoquée  par  une  exhortation  venue  du  dehors  ou  par 
une  méditation  personnelle  mi  par  le  concours  de  mille  cir- 
constances échappant  à  l'analyse.  Cette  image,  comme  tout 
ébranlement  nerveux  qui  s'écuule  par  les  axones,  est  déjà  un 
rudiment  d'action  ;  mais  qu'elle  e.st  loin  ib'  s'exprimer  en  une 
action  réelle  1  Si  elle  est  faible,  l'impression  s'éteindra  à  la 
porte  des  neurones  d'association,  et  l'acte  avortera  :  la  première 
intervention  de  la  volonté  consistera  donc  à  renforcer  l'impres- 
sion initiale  par  l'évocation  d'images  plus  vives,  atin  qu'au  lieu 
de  rester  dans  le  sanctuaire  (b^  l'àme  à  l'état  d'idée  ou  de  désir 
stérile,  la  résolution  devienne  féconde  par  son  intensité  même. 

Si  l'impression  est  vive,  le  désir  violent,  la  résolution  forte, 
le  courant  nerveux  se  diffuse  intense  à  travers  les  neurones 
■d'association  et  arrive  aux  neurones  moteurs.  Mais,  quand  il 
s'agit  d'une  action  nouvelle,  qui  n'est  pas  le  fruit  d'une  habi- 
tude, les  neurones  moteurs  qui  reçoivent  et  extériorisent  l'im- 
pulsion ne  sont  pas  coordonnés.  Pour  éviter  toute  méprise  et 
accomplir  l'acte  prévu,  la  volonté  intervient  à  un  double  titre  : 
comme  pouvoir  d'inhibition,  elle  provoque  des  impulsions  qui 
neutralisent  ou  inhibent  les  impulsions  motrices  nuisibles  au 
dessein  formé;  comme  pouvoii'  d'excitation,  elle  provoque  des 
impulsions  moii-ices  dans  les  centres  qui  n'en  avaient  pas  reçu 
et  qui  cependant  doivent  être  mis  en  jeu. 

Le  pouvoir  d'inhibition  ou  d'arrêt  par  évociilion  d'impulsions 
contraires  joue  un  rôle  capital  dans  la  lutte  contre  les  passions. 
Dans  les  passions,  une  impression  violente  née  dans  un  centre 
sensible  se  propage  avec  rapidité  jusqu'aux  centres  producteurs 
d'action  par  les  neurones  coordnimés  et  liés  pur  la  nature  même 
ou  par  l'habitude  :  s'il  y  a  tendance  vers  une  bonne  action, 
l'acte  se  produit  alors  avec  une  grande  farilili'  ;  mais  s'il  y  a 
tendance  vers  une  action  mauvaise,  il  importe  i|u'uni'  impres- 
sion opposée,  de  même  intensiti'.  vienne  sus|)i'n(lri'  ou  inhiber 
la  première. 

En  exerçant  ce  pouvoir  d'excitation  ou  d'inhibition,  la  v<dimté 
ne  crée  pas  assurément  d'énergie  physique  ;  mais  elle  lui  imprime 
une  direetion.  Le  noyau  de  cliaqui-  neurone  est  comme  un  accu- 


672  J.  GLIBERT 

nuilatcur  électrique  :  la  volonté  ne  peut  pasd'eniMée  la  charger 
(le  iluide  ;  la  ciiarge  se  fait  par  la  nutrition  ;  mais,  semblable  à 
lélectricien,  elle  peut  diriger  la  dépense  du  potentiel  emmaga- 
siné. Si  nous  imaginions  l'àme  aussi  étrangère  à  lorganisme 
que  l'électricien  lest  à  son  accumulateur,  nous  aurions  à  dire 
par  quelle  énergie  physique  elle  met  en  branle  ses  provisions 
de  force  ;  mais,  dès  lors  que  nous  concevons  Tàme  humaine 
comme  faisant  avec  l'organe  un  tout  vivant,  nous  sommes  dis- 
pensés lie  rechercher  im  intermédiaire  entre  elle  et  ses 
réserves. 

Dès  lors,  notre  science  n'est  pas  en  désaccord  avec  notre  con- 
science. Nous  ne  dirons  pas  avec  M.  Ribotque  la  volition  if  n'est 
la  cause  de  rien  (1)  ».  Elle  est  vraiment  la  cause  de  nos  actes 
dits  volontaires.  Nous  ne  nierons  pas  que  les  actes  et  les  mou- 
vements qui  suivent  la  volition  résultent  «  des  tendances, 
sentiments,  images  et  idées  qui  ont  abouti  à  se  coordonner  »  ; 
mais  nous  dirons  que  la  coordination  physique  s'est  faite  sous 
l'action  de  la  volition.  La  volition  et  les  actes  ne  sont  pas  deux 
etl'ets  parallèles,  l'un  dans  la  connaissance,  l'autre  dans  l'orga- 
nisme, d'une  coordination  automatique  :  mais  la  volition  a 
|)roduit  la  coordination,  et  par  la  coordination  les  actes  e.xté-' 
rieurs. 

Au  reste,  par  une  heureuse  inconséquence,  les  moralistes 
(jui  traitent  de  la  formation  de  la  volonté,  lors  même  qu'ils 
ont  été  déterministes  en  métaphysique,  cessent  de  l'être  en 
psychologie  pratique.  Car,  pour  eux  comme  pour  nous,  le  pro- 
blème de  l'éducation  morale  se  ramène  à  cette  question  :  Par 
quels  exercices  l'àme  doit-elle  passer  pour  que  la  volonté  pos- 
sède la  maîtrise  sur  toutes  les  puissances  ou  énergies  vitales 
dont  son  être  est  la  source  .* 


L'étude  qui  précède  n'est  pnint  indifférente  à  la  solution  de 
cette  question  ;  nous  croyons  même  qu'elle  en  donne  la  clef. 

(1     RiROT,  op.  cit..  p.  17y.  .  ■ 


LA  FdlOIATIOS  llF.  LA   VoLOyTE  673 

I*!a  oiTol,  la  l'oncepUuii  du  hiou  moral,  avec  le  désir  profond 
de  l'accomplir,  n'est  étrangère  à  personne;  mais  de  l'aspira- 
tion intérieure  à  la  réalisation  par  les  actes  la  distance  est  si 
grande,  et  tant  de  ressorts  doivent  être  mis  en  jeu  ! 

Le  passage  à  l'action  ou  l'aboutissement  d'une  résolution 
suppose  trois  conditions  psycho-physiques  :  la  vitalité  fonction- 
nelle du  système  nerveux,  les  voies  de  transmission  ouvertes 
par  l'habitude,  l'intensité  de  l'impression  initiale  ou  la  vigueur 
de  la  première  impulsion.  La  vitalité  fonctionnelle  sera  le  fruit 
d'une  sage  hygiène:  l'habitude  se  formera  par  la  continuité  de 
l'elTort;  la  vivacité  de  la  première  impulsion  dépendra  de  la 
chaleur  du  sentiment  provoqué  dans  l'âme.  Tel  est  le  pro- 
gramme qui  s'impose  à  quicon([ue  est  soucieux  de  se  former 
une  volonté. 

La  nécessité  morale  de  l'hygiène  corporelle  n'a  pas  échappé 
à  la  sagesse  antique  :  aussi  nous  a-t-elle  légué  sa  pensée  dans 
cet  adage  connu  :  mens  satia  in  corpoi-e  sano.  M.  Payot,  dans 
son  livre  de  V Education  de  la  rolonté,  n'a  point  fait  un  hors- 
d'œuvre  en  développant  ce  côté  de  la  question  (t).  Puisqu'il 
doit  y  avoir  transmission  de  l'impression  initiale  à  travers  le 
réseau  compliqué  du  système  nerveux,  il  im[)orte  que  cet 
organe  soit  un  conducteur  lidèle  :  l'impression  initiale  dépend 
même  de  la  valeur  des  éléments  où  elle  prend  naissance.  C'est 
du  servage,  dira-t-on;  sans  doute,  mais  qui  peut  songer  à 
l'éviter?  Or,  l'organisme  sera  d'autant  plus  complaisant  qu'il 
sera  plus  sagement  traité.  La  façon  dont  il  se  nourrit  est  capi- 
tale. Est-il  privé  d'alimentation?  11  s'anémie  et  devient  revèche 
au  commandement.  Est-il  traité  sans  règle?  Il  devient  lui- 
même  fantascjue  et  désordonné.  Une  digestion  mal  faite,  une 
respiration  contenue  ou  insuffisante,  l'absence  d'exercices  cor- 
porels, tout  cela  altère  la  composition  et  la  circulation  du  sang, 
et  linalement  retentit  sur  le  plus  délicat  des  organes,  le  sys- 
tème nerveux.  Que  si,  par  une  nourriture  surabondante  ou  dés 
exercices  athlétiques,  on  tombe  dans  l'e.xcès  opposé,  l'orga- 
nisme devient  insoumis,  les  appétits  sensuels  prennent  le  des- 
sus, et  le  pouvoir  d'inhibition,  qui  est  le  pouvoir  régulateur 

(1    Payot,  c.  iv. 

42 


074  J.  (jUIBEHT 

des  impulsions,  se  trouve  impuissant  en  face  d'excitations 
indomptables. 

C'est  le  rôle  de  l'hygiène  de  choisir  et  de  modérer  la  nour- 
riture, d'<5carter  du  régime  les  éléments  nuisibles  à  la  souplesse 
du  protoplasme,  de  veiller  sur  la  digestion,  d'assurer  l'aération 
et  la  circulation  du  sang,  d'assouplir  les  muscles  par  l'exercice 
physique.  En  équilibrant  l'organisme,  elle  en  fait  un  serviteur 
docile  au  lieu  d'un  tyran  impérieux. 

Mais  l'hygiène  est-elle  permise  aux  sages  et  aux  chrétiens  ? 
La  sagesse  antique  n'avait-elle  pas  adopté,  comme  une  maxime 
fondamentale,  l'austérité  de  vie,  abstinr  et  sustinp?  L'Évangile 
ne  nous  prèche-t-il  pas  la  mortification  des  sens  et  le  mépris 
du  corps.'  Et  l'hygiène,  au  contraire,  n'est-elle  pas  le  code  des 
soins  dont  il  faut  entourer  l'organisnK»?  Qu'on  se  rassure  :  loin 
de  se  contredire,  l'hygiène  et  la  mortilication  se  donnent  la  main; 
elles  concourent  au  même  but,  le  développement  de  la  vie  par 
la  maîtrise  de  l'esprit  sur  la  chair  :  si  spiritu  fada  carnis  mnr- 
ti/icavcr/tis,  rirctis  (1).  La  vie  organique  trouve  son  compte, 
aussi  bien  que  la  vie  de  l'àme,  à  l'empire  que  la  mortification 
donne  à  l'esprit  sur  la  chair. 

D'un  côté,  l'hygiène  est  une  forme  de  mortification  :  car  elle 
ne  consiste  point  à  llatler  le  cor|)s,  mais  à  le  régler.  Elle 
impose  de  constantes  privations  ;  elle  enlève  à  la  nourriture, 
à  la  boisson,  au  sommeil,  à  la  volupté,  une  part  que  d'aveu- 
gles appétits  recherchent  avidement  ;  elle  nous  crie  sans  cesse  : 
Abstiens-toi.  Quant  aux  exercices  et  aux  soins  qu'elle  impose, 
ils  sont  moins  une  satisfaction  qu'une  corvée  parfois  doulou- 
reuse à  l'organisme.  De  sa  nature,  l'hygiène  commande  donc 
l'austérité  de  vie  ;  c'est  par  là  qu'elle  prend  les  vrais  intérêts 
de  l'être  humain. 

11  en  résulte  que  la  mortification  chrétienne  est,  de  son  côté, 
une  excellente  forme  d'hygiène,  de  sorte  que,  même  pour  la 
vie  présente,  on  constate  l'application  de  cette  parole  du  Christ  : 
«  Celui  qui  aime  sa  vie,  la  pcrdi'a  ;  celui  qui  hait  sa  vie,  c'est- 
à-dire  qui  mortifie  sa  chair,  la  lecouvrera  (2).  »  Depuis   dix- 

(1)  Éptlie  aux  Romains,  ch.  viii,  vers.  'il. 

(2)  JoAN.,  ch.  XII,  vers.  25. 


LA  FORMATIOy  HE  LA   VOLOATii  67b 

lUMit'  siècles  que  la  raortilication  chrétienne  est  en  honneur, 
elle  n"a  point  ruiné  l'organisme  de  ceux  qui  l'ont  pratiquée, 
elle  a  trempé  leur  volonté  de  ces  énergies  puissantes  qui  réa- 
lisent les  grandes  entreprises  morales  et  sociales.  Les  grands 
pénitents  furent  toujours  de  fortes  volontés.  Kt  cela  se  conçoit, 
puisque  la  mortification  est  la  substitution  de  l'acte  volontaire 
à  l'acte  spontané,  l'empire  exercé  par  le  pouvoir  d'inhibition 
sur  l'impulsion  naturelle,  l'asservissement  de  l'organisme  à 
l'ànn^  spirituelle. 

Tandis  que  l'hygiène  vise  avant  tout  la  conservation  de  l'être 
physique,  la  mortification  recherche  premièrement  la  supré- 
matie de  l'être  moral.  Là,  leur  opposition  est  apparente.  Mais 
elles  s'harmonisent  au  fond,  car  toutes  les  deux  atteignent  leur 
but  en  gouvernant  sévèrement  le  corps  et  en  conseillant  les 
mêmes  pratiques. 

Si  l'hygiène  est,  pour  toutes  les  natures,  un  facteur  important 
dans  la  formation  de  la  volonté,  elle  devient  un  facteur  essen- 
tiel pour  les  tempéraments  extrêmes.  Les  tempéraments  à  réac 
tion  prompte,  sanguins  ou  colériques,  voient  l'impulsion  pas- 
ser si  rapidement  du  centre  sensible  au  centre  moteur,  qu'ils 
n'ont  pas  le  temps  d'éveiller  le  pouvoir  d'inhibition  pour  sus- 
pendre ou  orienter  le  courant  nerveux  :  ils  <'  s'échappent  .1  à 
eux-mêmes.  11  est  évident  que  leur  puissance  morale  trouvera 
grand  prolit  aux  soins  hygiéniques  qui  modéreront  le  cours  du 
sang  et  diminueront  l'excitabilité  nerveuse.  Les  tempéraments 
à  réaction  lente  ou  flegmatiques  n'ont  que  des  impressions  fai- 
bles aux  centres  sensibles  ;  les  résolutions  énergiques  leur  sont 
inconnues:  s'ils  ne  manquent  pas  tout  à  fait  de  décision,  ils 
aboutissent  rarement  à  l'exécution.  Eux  aussi,  ils  développe- 
ront leur  puissance  morale  en  soumettant  leur  organisme  à 
des  exercices  hygiéniques  qui  en  augmenteront  les  pouvoirs  de 
réaction. 

Ces  transformations  de  tempéraments  ne  se  font  point  sans 
eflort,  et  l'effort  suppose  déjà  de  la  volonté.  Mais  la  volonté 
ne  descend  jamais  à  zéro;  elle  existe  chez  tous  les  hommes  à 
un  certain  degré  ;  le  peu  que  nous  en  avons  doit  être  mis  en 
œuvre  pour  en  acquérir  davantage.  Ce  sera  donc,  pour  la 
volonté   initiale,   un    premier   exercice   que   de   se  soumettre 


C-;6  J.  GUIBEUT 


aux  soins  hyj^iôniqucs  qui  lui  prc-paroront  un  meilleur  instru- 
ment do  progrès. 


VI 


Tandis  que  l'hygiène  assure  au  système  nerveux  l'aclivité 
fonctionnelle,  Thabitude  ouvre  aux  courants  des  voies  de  trans- 
mission. La  facilité  ou  la  difliculté  d'un  acte  dépend  des  che- 
mins à  parcourir  entre  le  centre  sensible  ébranlé  par  la  réso- 
lution et  le  centre  moteur  d'oii  procède  l'exécution.  Ou  bien  des 
relations  directes  sont  établies  entre  les  deux  centres,  et  alors 
l'acte  correspondant  à  l'impression  s'accom])lit  aisément.  Ou 
bien  les  deux  centres  manquent  de  relations  ('lablies;  alors 
s'impose  un  travail  compliqué  :  faire  effort  pour  (jue  des  com- 
munications s'établissent  entre  des  neurones  jusque-là  isolés, 
et  fermer,  par  des  actes  d'inliil)ition ,  toute  voie  par  laquelle 
tendrait  à  s'échapper  indûment  l'impulsion  née  de  la  décision. 
Ortaines  articulations  nerveuses,  soit  natives,  soit  contractées 
par  des  actes  antérieurs,  doivent  être  anéanties  ou  neutralisées 
par  des  impulsions  contradictoires;  de  nouvelles  jonctions  doi- 
vent être  opérées  par  des  impulsions  persévérantes  qui,  à  force 
de  làlonnemenls  à  travers  le  fourré  nerveux,  trouvent  à  la  lin 
la  voie  désirée.  La  suppression  d'anciennes  articulations  ner- 
veuses amène  la  disparition  de  tendances  innées  ou  d'habitudes 
acquises  ;  la  production  d'articulations  nouvelles  constitue  la 
création  d'habitutles  nouvelles. 

Longue  et  laborieuse  est  cette  u'uvre  d'éducation  morale  et 
psychophysique  tout  ensemble.  ^I.  Buisson,  profitant  des  tra- 
vaux du  D'  F.  Lagrange  sur  la  physiologie  de  l'exercice,  en  a 
décrit  les  phases  avec  une  rare  clarté  (1).  Sous  quelque  forme 
que  se  déploie  notre  activité,  qu'il  s'agisse  de  notre  activité 
musculaire  ou  de  notre  activité  morale,  il  y  a  lieu  de  distin- 
guer trois  périodes  :  la  période  de  ilispcrsion,  où  la  dépense 
des  énergies  se  fait  sans  ordre,  sans  suite  et  sans  mesure;  la 
période  A'efforl,  où  les  mouvements  se  coordonnent  par  une 
sorte  de  violence  prolongée  et  soutenue;  la  jiériode  de  l'habi- 

1)  Educalion  de  la  volonté. 


7.1  FOHMAriiiS  liE  LA  VOLOSTÉ  077 

/iii/r,  on  les  niiiuvomcnLs  sonl  dovonus  <■  rapiili-s  jus(|u'à  \"\\)>- 
lanlaïu'ilr.  faciles  jusqu'à  la  presque  inconscience  (1)  )-. 

Considérez  l'enfant  dans  le  premier  exercice  de  ses  forces 
physiques  :  les  membres  s'agilent,  les  re|iards  courent  de  ci  cl 
de  là,  des  cris  se  font  (mlendre;  tout  se  pniduil  sans  ordre,  en 
tout  sens;  voilà  des  forces  diapei'srps.  .Mais  vient  l'heure  de  la 
formation  :  on  lui  apprend  à  se  faire  violence  pour  se  tenir 
dehoul.  pour  nuircher  seul;  on  l'exerce  à  émettre  des  sons 
articulés  el  à  prononcer  des  mots;  on  iixe  son  regard  sur  un 
objet,  ou  l'attache  au  jouet  qui  l'amuse  :  déjà  ses  énergies  se 
canalisi'ul.  el  comme  celle  période  de  prise  de  possession  sur 
hu-nièiue  lui  coûte,  c'est  le  li'Uips  de  Yrf/ort.  La  répétition  des 
actes  engendre  la  facilité  :  l'enfant  marche  avec  fermeté,  court 
avec  légèreté,  exprime  sans  peine  par  le  langage  ses  premiè- 
res impressions,- s'intéresse  à  un  récit  et  se  plaît  aux  histoires  : 
la  conquête  est  faite,  et  dans  cette  phase  de  Y  habitude,  les  actes 
se  succèdent  avec  autant  de  rapidité  que  de  facilité. 

Que  s'est-il  passé?  Au  début,  la  moindre  impression  faite  aux 
centres  sensibles  se  dispersait  vers  tous  les  horizons  et  ne 
produisait  que  des  mouxenuMils  désordoimés.  Sous  l'aclioii 
continue  de  l'effort,  les  impulsions  se  sont  ramassées  et  coor- 
données; elles  ont  été  retirées  des  voies  où  elles  s'écoulaient 
en  pure  perte,  et  lancées  dans  des  voies  où  elles  devaient  abou- 
tir au  résultat  désiré.  Ainsi  se  sont  coupées  des  communica- 
tions nuisibles,  tandis  que  se  sont  ouvertes  ou  élargies  les 
communicalions  utiles.  Puis  la  facilité  a  été'  b'  fruit  de  ce 
labeur  prolongé. 

Tel  est  aussi  le  processus  du  travail  moral.  Dans  la  phase  de 
dispersion,  il  n'y  a  pas  de  volonté  :  les  désirs  se  succèdent  nom- 
breux et  variés,  tantôt  bons,  tantôt  mauvais,  mais  sans  consis- 
tance et  sans  direction  ;  parfois  violents  et  capables  de  produire 
de  vives  impulsions,  d'autres  fois  languissants  et  sans  force  pour 
l'exécution  ;  en  tout  cas,  sans  liaison  avec  un  acte  déterminé, 
de  sorte  qu'on  ne  sait  jamais  quels  seront  les  effets  d'une 
impression.  Les  hommes  qui  ne  sortent  point  de  cette  phase 
sont  faibles,  mobiles,  fantasques  :  faibles  parce  qu'ils  sont  gou- 

(1    Blissox,  /*(■(/.,  p.  13. 


n-8  J.  (lUlBERÏ 

veriK^'s  par  les  circonstances,  et  non  par  eux-nu-nies  ;  mobiles, 
parce  qu'ils  subissent  toutes  les  variations  des  inlluences  du 
dehors  ou  des  impressions  du  dedans;  fantasques,  parce  qu'ils 
sont  sujets  aux  impulsions  et  aux  actions  les  plus  contradic- 
toires. 

C'est  dans  la  phase  de  l'effort  que  se  forge  la  volonté.  L'àme, 
alors,  prend  en  main  les  rênes  de  son  empire.  Il  lui  en  coûte 
de  dompter  une  à  une  les  puissances  de  son  être  :  de  fixer  l'at- 
tention, d'arrêter  les  impulsions  mauvaises  par  des  impulsions 
opposées,  de  renforcer  consciemment  les  excitations  utiles.  A 
cette  œuvre  morale  correspond  une  transformation  physique 
que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois  décrite  :  n'étaient  ces  difli- 
cultés  organiques  à  vaincre  et  ces  voies  de  communication  à 
établir,  le  désir  du  bien  exigerait-il  tant  d'effort? 

Mais  s  il  en  coûte  ilc  creuser  dans  l'organisme  le  sillon  du  bien, 
une  fois  creusé,  le  sillon  reste;  la  route  une  fois  déblayée,  la 
volonté  y  conduit  aisément  les  énergies  qu'elle  met  en  branl(>. 
La  bonne  habitude  esl  (hjiic  une  juste  récompense  :  h»  joie 
d'agir  devient  le  |)rix  de  l'effort.  Inversement,  la  mauvaise  habi- 
tude est  le  châtiment  de  la  mauvaise  action  :  comme  le  boulet 
au  pied  du  forçat,  elle  retarde  la  volonté  en  la  rendant  captive. 
Qui  facit  pcccatiiin,  servus  est  jieccati  (1). 

Ainsi  comprise,  la  formation  de  la  volonté  est  une  lutte 
contre  la  dispersion  des  énergies  de  l'àme,  une  prise  de  pos- 
session de  l'homme  par  lui-même,  en  un  mot,  un  effort.  Et  cet 
effort  doit  être  continu:  il  iloit  durer  aussi  longtemps  que  la 
vie.  <<  Le  progrès  n'est  pas  v\n  mouvement  allant  jusqu'à  un  cer- 
tain terme;  le  progrès,  c'est  le  mouvement  même;  le  jour  où  le 
mouvement  cesserait,  cesserait  le  progrès  (2).  »  Quand  on  rame 
contre  un  courant,  il  faut  ramer  toujours,  sous  peine  d'être 
entraîné  par  les  eaux.  Or,  dans  la  lutte  pour  le  bien  moral, 
nous  ramons  contre  le  courant  des  passions,  de  la  sensibilité, 
de  l'intérêt,  etc.;  pour  peu  que  nos  bras  vinssent  à  cesser 
d'agir,  nous  perdrions  vite  la  maîtrise  sur  nos  puissances  sou- 
mises, et  non  anéanties. 


(Il  JoAN.,  ch.  \xi,  vei's.  34. 
(2)  Buisson,  Ibhl.,  p.  3t. 


L.{   FO/fU.lTin.V  OE  LA   VOLONTE  679 

Au  reste,  les  positions  acquises  fussent-elles  stables,  il  ne  fau- 
drait pas  s'y  reposer.  La  conquête  de  nous-mêmes  n'est  jamais 
que  partielle.  Vous  êtes  capable  d'héroïsme,  et  peut-être  ne 
savez-vous  pas  vaincre  un  mouvement  d'humeur.  Tel  a  pu,  à 
force  de  travail,  devenir  un  mathématicien  de  génie,  qui  est 
resté  très  enfant  par  le  caractère.  Le  moi  est  un  vaste  empire  : 
à  qui  règue  sur  une  portion  de  lui-même,  il  reste  encore  d'insi- 
gnes victoires  à  remporter. 

L'habitude  acquise  n'est  donc  pas  un  droit  au  repos  et  à 
l'oisiveté.  11  en  est  de  l'habitude  comme  d'un  capital  :  c'est  du 
travail  accumulé,  et  c'est  par  là  même  le  moyen  de  produire  un 
nouveau  travail.  Le  capital  n'est  pas  fait  seulement  pour  une 
jouissance  oisive  ;  le  capital  devient  outil  et  à  son  tour  il  tra- 
vaille (1).  (Jue  l'habitude  soit  donc  pour  nous  non  pas  un  luxe, 
une  parure,  mais  un  moyen  d'action.  En  transformant  en  ter- 
rain solide  ce  qui  n'était  d'abord  que  sable  mouvant,  elle  nous 
a  donné  un  point  d'appui  pour  nous  élever  plus  haut. 


Vil 


Mais  comment  produire  l'effort?  Comment  rendre  l'impul- 
sion initiale  de  chaque  action  si  puissante  qu'elle  soit  victo- 
rieuse ?  Car  l'effort  n'est  efficace,  il  n'ouvre  des  voies  de 
communication,  il  ne  crée  l'habitude,  que  si  l'impression  sen- 
sible qui  accompagne  l'idée  ou  le  désir  est  assez  forte  pour 
atteindre  et  mettre  en  branle  le  centre  moteur. 

Cette  remarque  d'ordre  physiologique  éclaire  bien  la  distinc- 
tion qu'établissent  les  psychologues,  au  point  de  vue  de  la 
volonté,  entre  les  états  intellectuels  et  les  états  affectifs,  entre 
les  idées  et  les  sentiments.  Les  idées,  disent-ils,  sont  impuis- 
santes dans  la  mêlée  des  penchants  ;  les  sentiments,  au  con- 
traire, ont  un  pouvoir  souverain  sur  la  volonté.  La  claire  vision 
du  devoir  prolite  peu  à  la  vertu;  seule,  l'émotion  favorable  au 
bien  entraine  son  accomplissement. 

Qui  n'a  pas  éprouvé  pratiquement  la  faiblesse  de  l'idée  pure? 

(1)  Buisson,  Ibid.,  p.  33. 


080  J.  GIIRERT 

Qui  n'a  senti  la  désillusion  cruelle  de  la  vie  réelle  en  regard 
de  la  vie  théorique  entrevue  dans  des  rêves  généreux?  0"  il  V 
a  loin  do  nos  règlements   intimes,  vrais   plans   de  perfection 
morale,  au  tableau  incohérent  l'ait  de  nos  actions  de  tous  les 
jours!  Tantôt,  c'est  une  force  d'inertie  qui  nous  arrête;  tanlnt. 
ce  sont  des  appétits  désordonnés  qui  nous  entraînent.  D'où  que 
viennent  nos  défaites,  nous  apprenons  à  nos  dépens  combien 
est  grande  la  distance  à  franchir  de  .l'image  à  la  réalité.  Voici 
un  alcoolique  qui,  loin  de  la  tentation,  pleure  ses  fautes,  en 
regrette  amèrement  les  conséqiu'nces,  et  se  llatte  de  ne  plus 
goûtera  riiomicide  liqueur;  il  se  croit  sûr  de  lui,  il  escompte 
déjà  les  profits  économiques  de  sa  résolution,  et,  s'il  prend  le 
plrdgp,   c'est   moins   pour   emprisonner   sa   volonté   que   pour 
l'affirmer   solennellement;    et    pourtant,   sitôt   qu'une   goutte 
d'alcool    vient   humecter  ses   lèvres,   de   violents    appétits   se 
réveillent,  une  irrésistible  poussée  l'emporte,  et,  honteux  de 
lui-même,   il  foule  aux  pieds  tous  ses  projets  de  renouvelle- 
ment. Considérez  un  lionime  ordinairement  victime  du  resjjoct 
humain;  rentré  chez  lui,  il  rougit  de  sa  faiblesse,  il  se  propose 
d'être  désormais  plus  indépendant,  et  il  se  voit  déjà  marchant 
le  front  haut  à  travers  les  risées  et  les  dédains  de  gens  que 
d'ailleurs  il  n'estime   pas;   dès  le- lendemain,  remis  dans   le 
milieu  qui  fait  omiirage  à  sa  vertu,  il  joue  poin-  faire  plaisir, 
il  s'abandonne  aux  lil)erlés  de  langage  pour  faire  comme  les 
autres,  il  professe  de  bouche  des  opinions  (lu'il  anathémalise 
dans  son  cœur.  Ce  jeune  étudiant,  dont  la  paresse  dévore  les 
heures,  veut  enfin  se  mettre  au  travail  ;  il  se  lèvera  de  bonne 
heure,  il  ne  sortira  qu'après  une  longue  étude,  il  reviendra  tôt 
à  ses  livres,  et  l'image  d'une  vie  laborieuse  et  des  succès  att'^n- 
dus  réjouit  déjà  son  âme  ;  mais,  le  matin  venu,  il  reste  cloué 
au  lit  et  fait  la  triste  expérience  de  la  fail)losse  d'un  beau  plan 
de  vie  pour  secouer  un  apathique,  puis  il  llàue  loin  des  livres, 
et  s'il  les  approche  enfin,  c'est  avec  dégoût. 

Pour  bien  agir,  il  ne  suffit  donc  pas  de  bien  penser;  il  faut 
être  ébranlé  et  entraîné  par  un  grand  amour.  C'est  ce  que 
saint  Augustin  a  vivement  exprimé  par  ces  paroles  célèbres  : 
Amor  meii^,  pondus  meum  ;  quorumqve  ffvor,  amorr  feror. 
H.  Spencer  exprime  la  même  idé(\  lorsqu'il  dit  :  «  L'enthou- 


LA  FO/i.U.lT/O.Y  DE  LA   VOLOyTE  681 

siasme...  osl  un  Ijou  molriir;  |icul-ètre  mômo  un  iiitilnir  indis- 
pensable :  I).  "  On  a  dit  que  les  hommes  «  se  prennent  par  le 
cœur  »  plulùl  que  par  l'esprit:  non  pas  quand  il  s'agit  de  les 
eonvaincre,  mais  quand  il  s'agit  de  les  déterminer  à  l'action. 
Seul,  le  sentiment,  (jni  t'Iiranle  le  cœur,  donne  ces  impulsions 
qui  triomphent  de  lapalhie,  ou  éveille  ces  «  émotions  favo- 
rables »  qui  contrebalancent  et  remplacent  les  «  émotions 
hostiles  (2)  ».  Que  de  mauvaises  actions  arrête  la  crainte  1  Oue 
de  nobles  entreprises  l'amour  t'ait  mener  à  bien  1  La  crainte 
du  gendarme  retient  le  malfaiteur,  la  crainte  des  peines  éter- 
nelles empèciie  le  chrétien  de  pécher  jusque  dans  l'ombre  de 
son  cœur,  la  crainte  des  jugements  humains  impose  l'honnêteté 
à  des  hommes  que  la  seule  conscience  ne  dirigerait  pas,  la 
crainte  de  blesser  le  regard  de  Dieu  ou  d'altérer  la  pureté  de 
la  conscience  tient  les  âmes  délicates  dans  l'accomplissement 
des  conseils  même  de  perfection.  Quant  à  l'amour,  il  brave 
tout,  jusqu'à  la  mort,  pour  la  cause  au  service  de  laquelle  il 
s'est  mis.  L'amour  de  soi  inspire  l'instinct  de  la  conservation, 
le  désir  «hi  progrès,  le  courage  de  se  vaincre  par  l'effort  et  le 
travail  ;  qui  ne  sait  quelle  force  communiqm^  l'ambition  ? 
L'amour  des  hommes,  quand  il  a  saisi  un  cœur,  conduit  au 
désintéressement  et  à  l'immolation  de  soi  :  sacrifices  de  temps, 
d'argent,  de  passions,  de  vie  même,  rien  ne  semble  coûter  pour 
ceux  qu'on  aime.  De  tous  les  amours,  le  plus  puissant,  celui 
qui  a  fait  le  plus  de  héros  et  de  martyrs,  c'est  l'amour  de  Dieu  : 
l'histoire  de  l'humanité  nous  apprend,  en  effet,  que  le  senti- 
ment religieu.v  est  le  plus  profond,  le  plus  indéracinable,  celui 
qui  rapproche  ou  divise  le  plus  les  hommes,  celui  qui  ébranle 
le  plus  énergiquement  les  volontés  pour  l'accomplissement  du 
devoir  révélé  par  la  conscience. 

Si  l'idée  est  si  faible  et  le  senlimenl  >i  puissant,  ce  n'est 
pourtant  pas  qu'il  y  ait  loin  de  l'un  à  l'autre.  Car  l'idée  ne  va 
point  sans  une  certaine  inclination,  sans  un  certain  «  commen- 
cement d'acte  »,  sans  une  ébauche  de  sentiment;  et,  de  même, 
le  sentiment  ne  nait  point  dans  l'àme  sans  y  allumer  des  clar- 


l'I;  Spenxer,  Éducation  morale,  p.  112. 
i    Payot,  Éducation  de  la  volonté,  1.  II,  c.  m. 


082  J.  r.UIBERT 

tés.  Mais  nous  disons  que  nous  avons  senlcment  l'idée  du 
devoir,  lorsque  sa  représentation  est  si  faible  qu'elle  n'ébranle 
que  faiblement  les  centres  sensibles,  et  que  l'impulsion  manque 
d'énergie  pour  aller  remuer  les  centres  moteurs.  Nous  disons, 
au  contraire,  que  le  sentiment  nous  échauffe,  lorsque  les  centres 
affectifs  sont  émus,  lorsque  les  centres  moteurs  sont  mis  en 
branle,  lorsque  les  courants  sont  assez  puissants  j)0ur  mettre 
enjeu  tous  les  ressorts  nerveux  qui  servent  la  volonté. 

A  ce  point  s'opère  la  jonction  de  la  psychologie  et  de  la 
physiologie.  La  tactique  reconnue  eflicace  par  le  psychologue 
pour  éveiller  le  sentiment,  le  physiologiste  l'adopte  pour  exci- 
ter les  centres  moteurs.  Or,  celte  tactique,  dans  laquelle  réside 
l'art  de  posséder  sa  vttlonté,  se  ramène  à  trois  moyens  princi- 
paux :  la  vie  iiitérieuri',  les  inlluences  du  dehors,  l'action. 


VIII 

S'il  y  a  une  vérité  psychologique  bien  mise  en  relief  par 
l'expérience,  c'est  la  puissance  morale  de  la  vie  intérieure.  Les 
silencieux,  —  non  pas  ceux  qui  se  taisent  parce  qu'ils  sont 
nuls,  mais  ceux  qui  parlent  peu  parce  qu'ils  habitent  au-dedans 
d'eux-mêmes,  —  les  silencieux,  dis-je,  sont  les  forts.  Parmi 
eux  se  recrutent  les  hommes  de  génie  et  les  saints,  les  hommes 
qui  conçoivent  et  exécutent  les  vastes  projets  dans  l'ordre  de 
la  pensée  ou  dans  l'ordre  des  arts,  les  hommes  qui  accomplis- 
sent les  immolations  héroïques  dans  les  cloîtres  ou  sur  les 
théâtres  de  la  charité.  Lorsque  nous  nous  dissipons  par  la 
parole,  par  la  curiosité,  par  la  multiplicité  des  aflaires,  nos 
forces  se  dispersent,  et  nous  nous  sentons  inhabiles  à  l'effort; 
mais,  sitôt  que  nous  rentrons  en  nous-mêmes,  que  nous  fai- 
sons taire  hors  de  nous  les  hommes  et  les  choses,  nous  ressai- 
sissons comme  en  un  faisceau  toutes  nos. puissances,  et,  maîtres 
de  nous,  nous  devenons  maîtres  de  nos  actions.  On  demandait 
un  jour  à  saint  Ignace  s'il  se  résignerait  jamais  à  un  sacrifice 
aussi  héroïque  que  celui  de  consentir  à  la  suppression  de  sa 
Compagnie  ;  il  répondit  :  «  J'aurais  besoin  d'un  bon  quart 
d'heure  de  recueillement  pour  m'y  préparer.  » 


LA   t-()liM.vni).\  llK  LA    VOLOSTK  08:t 

Ce  n'est  |)(iiiil  pDur  se  coiili'm|ili'r,  pour  jouir  en  l'jice  d'clle- 
mènie  iruiie  vaine  complaisance,  que  rame  liiiinaine  doit  se 
recueillir,  mais  pour  se  posséder,  pour  s'éclaii'cr,  pour  s'exciter, 
et  ajoutons  pour  trouver  Dieu  et  subir  son  impulsion  bienfai- 
sante. 

Quand  un  iiomme  s'est  retrouvé  par  le  recueillement,  il 
dispose  de  son  attention  et  il  l'applique  alors  à  la  considéra- 
tion des  molil's  capables  de  l'émoTivoir.  Il  se  remet  en  face  des 
grandes  pensées  que  lui  suggère  sa  raison  ou  sa  (bi  religieuse. 
La  vie  lui  apparaît  alors,  non  point  "  comme  un  tbéàtre  de 
gaudrioles  d,  mais  comme  i<  un  chantier  où  tous  travaillent, 
et  où  le  désœuvrement  ne  peut  que  mener  à  la  ruine  (1)  ».  Il 
voit  que  ce  serait  insensé  de  »  vivre  au  hasard  »,  de  ne  pas 
exploiter  et  mettre  en  valeur  le  riche  capital  que  sont  les 
forces  humaines.  Car  il  y  a  nécessité  de  rapporter  à  Dieu  le 
fruit  du  talent  qu'il  nous  a  confié.  A  la  lumière  de  l'Evangile, 
dans  les  formules  sacrées  où  le  Christ  les  a  exprimées,  ces 
vérités  revêtent  un  éclat  qui  illumine  l'àme  et  déjà  meut  la 
volonté.  Car,  ainsi  que  le  remarque  Descartes,  c  de  toute 
grande  clarté  dans  l'entendement  suit  une  grande  inclination 
dans  la  volonté  ».  C'est  ce  qui  faisait  dire  au  Prophète  :  In 
méditai io/if  mca  exardescet  ir/nis  (2).  La  vision  prolongée  d'une 
grande  vérité  morale  excite  l'àme,  la  pousse  à  mouvoir  tous 
ses  ressorts  intérieurs;  et  sous  l'action  de  ces  efforts  intimes 
se  prépare  l'accomplissement  de  l'ed'ort  extérieur.  Ainsi,  d'un 
petit  foyer  allumé  par  une  étincelle  suit  un  grand  incendie  qui 
embrase  l'àme  entière.  Pour  chacun  de  nous,  cette  étincelle 
initiale  est  une  pensée  chère,  qui,  sous  une  forme  énergique 
et  vivante,  exprime  un  haut  idéal  de  vie;  c'est  grâce  à  notre 
maxime  favorite,  à  l'idée  qui  nous  obsède,  que  prend  en  nous 
la  llamme  du  sentiment  et  que  se  met  en  branle  notre  acti- 
vité. 

Leur  foi  donne  aux  chrétiens  une  ressource  dune  inépui- 
sable fécondité.  Car  ils  savent  par  elle  que,  rentrant  au-dedans 
d'eux-mêmes,   ils  y  rencontrent  Dieu.  Cette  vérité,  que  saint 


I    Blackie,  Éducation  de  soi-même,  p.  "6. 
'i)  Psaume  xxwiic,  vers.  4. 


684  J.  GUIBEIÎT 

Paul  ik'couvrit  si  éloqiicmmorit  devant  l'Aréopage  (1),  est  fa- 
milirre  à  tous  les  chréliens.  Leur  âme  est  un  sanctuaire  inté- 
rieur, 011  Dieu  réside  et  rend  des  oracles  ;  lorsqu'il  parle  dans 
la  conscience,  sa  voix  n'est  point  méconnaissable  ;  lorsqu'on  le 
prie  dans  le  secret  de  ce  tabernacle,  il  voit,  il  entend,  il  exauce; 
il  permet  à  l'àme  ([ui  le  prie  une  intimité,  une  union,  disons 
plutôt  une  fusion,  qui  lie  en  un  même  faisceau  les  énergies  di- 
vines et  les  énergies  humaines,  si  bien  que  le  chrétien  a  le 
(Iroil  (le  dire  comme  saint  Paul  :  Oiniiiti  jiossinn  in  ca  (/ni  me 
cou  flirtai  (2i.  Kt  comme  pour  rendre  cette  présence  de  Dieu 
plus  sensible,  ce  n'est  pas  un  Dieu  abstrait,  mais  nn  Dieu 
incarné  en  Jésus-Christ,  qui,  d'une  façon  mystique,  vit  dans 
l'àme,  léclaire  et  l'échautTe.  (Jui  ne  voit  quelle  ardeur  de  sen- 
timent produit  un  tel  commerce  avec  le  divin?  N'y  a-t-il  pas 
là  de  quoi  remuer  les  natures  les  plus  apathiques,  ou  de  quoi 
apaiser  et  dompter  lésâmes  les  plus  exubérantes?  Une  telle  foi, 
fût-elle  sans  fondement  dans  la  n'-alité,  aurait  «  la  force  de 
transporter  les  montagnes  >■.  Si  elle  repose,  comme  nous  le 
croyons,  sur  le  ferme  ap|)ui  d'imliscutables  réalités,  la  force 
même  de  Dieu  vient  centupler  l'action  déjà  si  puissante  de  la 
suggestion  intérieure. 

On  conçoit,  dès  lors,  que  l'Eglise  catholique  attache  tant 
d'importance  au  dévebippenn'ul  de  la  vie  intérieure,  et  c'est  ici 
précisément  que  la  vie  rcdigieuse  se  soude  à  la  vie  psycholo- 
gique. Pourquoi  ces  heures  de  récolb'ction,  méditations,  lec- 
tures, examens,  sinon  pour  obliger  l'âme  à  fermer  ses  portes  sur 
le  monde,  sinon  pour  la  faire  vivre  au-dedans  d'elle-même, 
avec  de  nobles  pensées,  dans  la  communion  immédiate  à 
Dieu  présent  en  elle  ?  Pourquoi,  dans  ces  moments  de  re- 
traile  journalière,  s'exciter  à  prier,  se  résoudre  à  vouloir,  si- 
non pour  allumer  dans  le  co'ur  le  sentiment  et  pour  que  sa 
llamme  salutaire  échaull'e  les  puissances  actives?  Pourquoi,  à 
certaines  époques,  des  récollections  prolongées,  où  les  ad'aires 
chôment  pendant  huitjours,  sinon  pour  que  la  volonté  se  refasse 
dans  l'exercice,  pour  que  les  rouages  de  l'activité  renouvellent 


(1;     Act.,    XVII. 

(2i  Ëpiire  aii.r  l'Iiilippiens,  ch.  iv,  vers.  13. 


LA  FOIIM  \Tlii.\  IlE  L\    ViiLOME  08S 

leur  |)uissaiu'i'  dans  la  niiiiuliciiso  révision  qu'ils  siibissonl  ? 
IVmrqiioi,  enfin,  cette  participation  fréquente  aux  sacrements 
(le  TK^liso,  principalement  à  riuicliarislie,  sinon  parce  qu'ils 
allument  dans  l'àme  des  foyers  de  vie,  et  que  chaque  hostie 
apporte  un  nouveau  charhon  ardent  au  feu  qui  déjà  embrase  le 
cœur?  Taine  n'avait-il  pas,  en  philosophe  pénétrant,  observé 
que  l'Eucharistie  est  le  foyer  où  s'entretient  la  vie  de  l'Eglise, 
que  les  vierges  y  puisent  leur  pureté  et  leur  dévouement,  que 
les  missionnaires  y  alimentent  leur  courage,  que  les  pénitents 
v  trouvent  l'énergie  qui  les  rend  nuiitres  de  leurs  sens,  que  les 
chrétiens  du  monde  en  tirent  leur  patience  et  leur  iidélité...?  VA 
si  ces  mystiques  réservoirs  de  vie  soutiennent  tant  de  cœurs  et 
aguerrissent  tant  de  volontés,  n'est-il  pas  juste  de  reconnaître 
lu  place  qu'ils  occupent  dans  la  psychologie  des  chrétiens? 

Toutefois,  cette  vie  intérieure  n'est  point  à  la  portée  de  toutes 
les  âmes  ;  car,  pour  se  replier  au-dedans  de  soi,  il  faut  une 
souplesse  qui  n'est  point  commune,  et  pour  iixer  l'attention  sur 
un  objet  tout  spirituel  et  intérieur,  il  faut  une  vigueur  de  re- 
gard qui  dépasse  la  portée  ordinaire.  Même  pour  les  âmes  d'élite 
qui  s'y  adonnent,  la  vie  intérieure  devient  lassante  à  mesure 
(|u'ellc  se  prolonge  ;  elle  veut  être  intermittente,  et  elle  a  besoin 
de  se  féconder  par  quelque  sage  commerce  avec  le  dehors.  C'est 
pourquoi  les  âmes  gagnent  à  renouveler,  sous  les  iniluences 
des  milieux,  la  vivacité  de  leurs  sentiments. 


IX 

Ce  n'est  pas  un  art  banal  que  de  choisir  ou  de  composer  son 
milieu.  Notre  milieu  exerce  sur  nos  idées  et  sur  nos  tendances 
un  empire  si  souverain,  que  se  former  un  milieu  c'est  se  for- 
mer une  âme,  et  donc  une  volonté.  En  agissant  sur  notre  mi- 
lieu, nous  agirons  donc  sur  notre  volonté.  Or,  il  dépend  de  nous, 
dans  une  large  mesure,  de  faire  notre  milieu,  c'est-à-dire  de 
composer  ce  mélange  de  clioses  et  d'hommes  qui  ont  sur  nous 
de  l'intluence.  Car  notre  milieu,  ce  n'est  pas  tout  ce  qui  nous 
entoure,  c'est  seulement  ce  dont  nous  subissons  l'action.  Dès 
que  l'expérience  nousa  permis  de  discerner  dans  les  objetsceux 


680  J.  GLUnERT 

qui  provoquent  des  émotions  nuisibles  et  ceux  qui  excitent 
des  sentiments  favorables  au  bien,  nous  sommes  responsables 
des  inllucnces  qui  s'exercent  sur  nous. 

Nous  connaissons,  par  exemple,  la  puissance  des  arts,  des 
spectacles  cl  de  la  musique,  pour  remuer  nos  sens  et  mettre 
en  branle  notre  activité.  Il  se  peut  que,  sous  le  coup  de  Témo- 
tion  et  dans  la  clialeur  de  l'enthousiasme,  nos  actions  s'accom- 
plissent avec  une  telle  rapidité  qu'elles  échappent  à  notre 
maîtrise.  Mais  il  nous  appartenait  de  nous  soumettre  ou  de  nous 
soustraire  aux  inllucnces  provocatrices. 

Une  même  personne  j)assera  par  les  états  les  plus  contraires 
suivant  la  nature  des  émotions  que  le  milieu  laii  nailre  en 
elle.  Quelle  assiste  à  des  représentations  immorales  ou  seu- 
lement légères,  qu'elle  entende  une  musique  lascive,  aussitôt 
les  appétits  sensuels  s'éveillent,  les  impulsions  basses  enva- 
hissent tout  l'être,  et  l'àme  assiste,  consciente,  à  des  entraîne- 
ments dont  elle  rougit  sans  pouvoir  alors  les  arrêter.  Mais  qu'un 
autre  jour,  à  riieure  où  le  calme  de  l'àme  permet  un  choix,  elle 
se  rende  dans  une  église,  qu'elle  y  soit  témoin  d'un  spectacle 
l'cligieux,  qu'elle  y  soit  enveloppée  du  sentiment  du  divin  que 
fait  naître  la  musique  recueillie  ou  la  parole  chaude  d'un  oialeur 
plein  de  Dieu,  —  aussitôt  l'émotion  gagne  les  sens,  mais  les 
impulsions  qu'elle  excite  portent  vers  ce  qui  est  noble,  pur  et 
généreux  ;  si  d'irrésistibles  entraînements  se  produisent  alors, 
l'àme  assiste,  consciente  et  sans  remords,  à  des  actions  qui 
l'honorent. 

C'est  travaillera  la  bonne  éducation  des  enfants  et  des  peu- 
ples que  de  leur  procurer,  dans  les  arts,  des  émotions  saines,  et 
de  les  soustraire,  aussi  souvent  que  possible,  à  la  bassesse  ou  à 
l'insignifiance  de  leurs  impressions  ordinaires.  Chacun  de  nous 
doit  pourvoir,  dans  le  même  sens,  aux  besoins  de  son  àme. 
Lorsque  notre  propre  cœur  ne  nous  suffit  plus  pour  exciter  nos 
sentiments,  nous  faisons  sagement  de  recourir  aux  influences 
du  dehors  :  regarder  de  belles  estampes,  écouter  de  la  bonne 
musique,  assister  à  quelque  spectacle  réconfortant,  etc.,  etc., 
c'est  donner  à  l'àme  l'aliment  sain  dont  elle  a  faim. 

Dans  les  heures  où  l'àme  affaissée  cherche  à  ranimer  sa  vie, 
le  commerce  des  hommes  sera  sa  meilleure  ressource.  Une  àme 


LA  iriliMATKiS  DE  LÀ   VdLOSTE  687 

(Hcintc  se  rallume  comme  un  llambeau  au  contact  de  l'àme  (jui 
vit.  Et  il  ne  i'aut  pas  trop  prendre  au  pied  de  la  lettre  ce  mot 
de  VhnitatiDU  écrit  dans  un  instant  de  pessimisme  :  Quotirs 
in/er  hominrs  fui  minur  luniin  rcdii.  Car  s'il  y  a  des  hommes 
près  desquels  on  se  rapetisse,  il  y  en  a  d'autres  près  desquels 
on  j^randil,  on  s'entlamme,  on  s'ébranle  pour  le  bien. 

11  faut  eu  elTet  distinguer  trois  sortes  d'hommes  :  les  mau- 
vais, les  banals,  les  valeurs. 

Les  mauvais  sont  les  corrompus,  près  desquels  on  se  souille, 
et  les  découragés,  dont  la  parole  brise  tous  les  ressorts  de  l'àme  : 
rien  ne  compense  la  dégradation  morale  que  subit  notre  nature 
au  contact  des  uns  et  des  autres.  Évidemment,  il  faut  les  fuir, 
quasi  a  facir  coliibri. 

I^es  insigniliauls  et  les  banals,  qui  sont  le  grand  nombre 
dans  l'humanité,  manquent  d'idée  et  de  volonté.  Us  ne  sont 
pas  méchants,  ni  dangereu.x  ;  mais  ils  ne  sont  pas  utiles.  Sans 
rélle.xion  et  sans  profondeur,  ils  vivent  à  Heur  de  terre  et  leur 
conversation  ne  s'alimente  que  des  riens  et  des  «  potins  »  qui 
remplissent  les  existences  vulgaires.  On  ne  peut  les  éviter, 
puisqu'ils  sont  partout  ;  mais  on  ne  doit  pas  s'en  content(M', 
si  l'on  veut  une  vie  pleine. 

Près  (les  valeurs,  au  contraire,  il  y  a  toujours  profit.  Car, 
suivant  la  juste  remarqiH-  d'un  pliilosophe  écossais  :  «  Les 
meilleurs  livres  ne  sont  qu'un  mécanisme  savant  propre  à 
remuer  le  meilleur  de  nous-mème  :  leur  action  est  indirecte  et 
faible.  IMais  le  grand  homme,  quand  il  traverse  votre  sentier, 
porte  en  lui  une  inilucnce  magnétique  à  laquelle  vous  n'échap- 
perez pas,  du  moins  si  vous  êtes  accessible  aux  sentiments 
nobles  (1).  »  Aussi  le  même  auteur  ajoute-t-il  qu'  «  il  n'y  a 
pas  de  plus  sûre  méthode,  pour  devenir  grand,  que  de  fré- 
quenter des  hommes  grands  et  i)ons  >i. 

Ils  agissent  d'abord  par  leurs  exemples.  Combien  de  grandes 
âmes  n'ont  point  d'autre  élocjuence  que  celle  de  leurs  vertus  ! 
Mais  c'est  aussi  la  pluseflicacc.  Les  paroles  d'Ambroise  avaient 
intéressé  Augustin,  mais  ne  l'avaient  pas  entraîné  ;  pour 
ébranler  cette  grande  ànie,  il  fallut  les  exemples  des  saints  : 

,1    Bl.vgki,  Édih'aLion  de  soi-même,  p.  95. 


688  J.  GLIBERT 

(jiiutl  isti  et  Is/cB,  disait-il,  ti/r  iiuii  ego  ?  —  Ils  agissent  par 
leur  talent  oratoire.  Quand  une  àme,  tonte  haletante  d'émotion, 
vous  arrive  dans  une  parole  vive,  brûlante,  vous  i''tes  touché, 
ébranlé,  entraîné.  Un  orateur  prend  possession  des  volontés 
comme  un  hypnotiseur  :  il  les  manie  à  son  gré,  il  les  lance 
actives  et  fortes  à  l'assaut  des  plus  redoutables  citadelles.  Qu'il 
se  nomme  Mirabeau,  Napoléon,  Lacordair'e,  O'Connell,  ou  tout 
autre,  il  est  maître  souverain  fies  Ames  qui  l'entendent.  Heu- 
reuses les  âmes  qui,  sur  leui'  cheniin,  trouvent  des  hommes 
capables  de  les  remuer  parla  parole  et  de  faire  vibrer  des  libres 
qui  souvent,  chez  nous,  s'engourdissent  dans  l'inaction  1  — ■ 
Ils  agissent  cnhn  par  leur  conversation,  vraie  communion 
d'âmes,  où  le  riche  verse  des  trésors  dans  le  sein  du  pauvre. 
Dans  ces  relations  intimes,  il  y  a  d'abord  une  sorte  d'action  de 
présence,  comme  si,  avant  toute  parole,  une  vertu  secrète 
s'échappait  de  toute  grande  àme.  Puis  il  y  a  ce  Ihit  de  lumière 
'  et  de  vie  qui  passe  dans  la  parole.  Les  disciples  d'Emiiiaiis 
l'avaient  bien  senti  :  Noruir  cor  ii(>:ttritm  ardens  crat  in  nobis, 
diim  loijiirrcliir  iiùhiscmii  in  ria?  {\\.  Ces  communications,  ces 
tète-à-tète  avec  l'homme  qui  vaut,  ferment  tant  de  plaies, 
calment  tant  de  souffrances,  éveillent  de  si  nobles  idées,, 
allument  de  si  généreux  désirs,  impriment  des  élans  si  puis- 
sants ! 

Ciierchez  cet  liomme  et  qu'il  soit  votre  ami  :  par  lui  vos  insi- 
gniliances  se  dissiperont,  par  lui  vos  ressources  de  vie  devien- 
dront actives  et  porteront  du  fruit.  Mais  cherchez-le  entre 
mille,  dit  l'Ecriture,  entre  di.\  mille,  dit  saint  François  de 
Sales.  Cherchez-le,  car  il  ne  se  produit  pas  sur  les  places 
publiques.  Ou  bien  c'est  un  penseur  :  réiléchi  et  profond,  il 
ressemble  à  ces  sources  qui  sont  d'autant  plus  riches  qu'elles 
se  cachent  plus  avant  dans  le  sol.  Ou  bien  c'est  un  actif:  àme 
chaude,  Ihimme  ardente,  il  est  plus  facile  à  rencontrer  et  d'ini 
commerce  plus  engageant.  Si  la  Providence  vous  l'a  donné, 
abordez-le  sans  crainte,  ouvrez-vous  à  lui  avec  confiance,  mani- 
festez-lui vos  besoins  d'àme.  Mais  surtout  demeurez-lui  fidèle  ; 
ne  reculez  pas  devant  l'effort  de  vie  intérieure  nécessaire  pour 

(1)  Luc,  eh.  XXIV,  vers.  "32. 


/.  l   F<iIt.\tAri()S  IiK  I.A   VOUiSTK  689 

mainlriiii-  riiurninnii"  cnlro  \o[ro  àiiu'  cl  la  siciiiu'.  Scra-l-il 
votn^  ami,  vûlrc  niailro,  vuli'c  (lircelciir  ?  Il  dnit  rli'O  touL  cela 
l'iiscniiiit'. 

<Ju('  préteml-oii,  dans  coLIl'  direction  spiriLucIlc  si  lidclcmcnl 
pratiquée  dans  les  séminaires  et  dans  les  communautés  reli- 
gieuses ?  On  veut  produire  cette  communion  d'àme  à  àme,  cet 
enrichissement  de  Tàme  qui  naît  à  la  vie  par  l'âme  qui  déjà 
s'est  remplie  de  Dieu.  L'àmc  jeune  se  découvre  non  pour  se 
faire  jiijicr  mais  pour  se  taire  uuérir.  Elle  a  moins  à  donner 
qu'à  recevoir  ;  elle  a  plus  à  entendre  <ju'à  parler.  Elle  vient 
recevoir  ces  impulsions  généreuses  qui  l;i  tireront  de  l'apathie, 
ou  (jui.  dans  les  heures  de  trouble,  inhii)eri:)nt  les  impulsions 
nuisibles. 

La  direction  est  la  force  cachée  des  communautés  religieuses. 
l'ar  elle,  les  passions  se  domptent,  les  volontés  s'assouplissent, 
les  cœurs  s'enllamment,  les  âmes  se  moulent  sur  un  même 
idéal.  Sans  elle,  les  énergies  indi\iduelles  resteraient  désordon- 
nées, l'harmonie  de  l'ensemhh^  serait  irréalisable.  Qu'elle  soit 
aimée  et  intensivement  pratiquée  dans  un  noviciat,  et  du  novi- 
ciat sortiront  des  recrues  à  volonté  droite  et  ferme.  Qu'elle  se 
continue  à  travers  la  vie  religieuse,  et  la  ferveur  ne  baissera 
pas.  Si  l'œuvre  des  séminaires  est,  pour  le  clergé  séculier, 
d'une  importance  si  capitale,  c'est  parce  que  la  direction  spiri- 
tuelle, tidèlement  adoptée,  permet  (b^  foi-mer  des  volontés, 
c'est-à-dire  met  l'eifort  en  honneur  et,  par  l'elfort,  arraclic  les 
mauvaises  tendances,  élablil  les  saintes  habiludes,  remplit 
l'àme  de  ces  i)rovisions  d'énergie  qui  doivent  alimenter  la  vie 
entière.  Mais,  puisque  la  direction  est,  avons-nous  dit,  une 
communion  d'àmes,  elle  ne  portera  de  fruit  qu'à  la  condition 
de  mettre  des  âmes  avides  au  contact  d'àmes  riches  de  vie.  De 
là,  pour  ceux  à  qui  incombe  le  devoir  de  diriger,  la  nécessité 
d'accroître  leur  puissance  vitale  par  le  recueillement  et  le  com- 
merce de  Dieu. 

Mais  il  se  peut  qu'on  ne  puisse  aborder  un  homme  ;  reste 
alors  la  ressource  de  subir  l'inlUiencc  de.  ses  écrits.  A  certains 
égards,  le  livre  ne  vaut  pas  la  parole  animée  ;  carie  livre  n'a 
pas  cette  chaleur  communicative  que  les  inlle.xions  de  la  voix, 
le  geste  et  le  regard  impriment  à  la  parole.  Le   livre  est  une 

43 


690  .1.  GUIBERT 

lave  éloinlo  :  ainsi  parlent  tous  ceux  qui  ont  lu  les  conférences 
de  Lacordaire  après  avoir  entendu  l'orateur  à  Notre-Dame.  Que 
le  livre  est  précieux  pourtant  !  Il  nous  conserve  dans  ses  pages 
des  restes  d'âme  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  peuples  ;  il 
nous  met  à  l'école  de  tous  les  grands  hommes,  des  profonds 
penseurs  et  des  héros  delà  sainteté.  Par  le  livre,  nous  choisis- 
sons notre  maître,  et  il  ne  tient  qu'à  nous  de  nous  mettre  sous 
la  conduite  du  plus  habile.  Le  livre  est  complaisant,  j)rèt  à 
toutes  les  heures,  condescendant  à  tous  nos  caprices,  gardant 
en  réserve  le  trait  de  lumière  ou  le  rayon  de  chaleur  pour  les 
circonstances  opportunes.  D'ailleurs,  le  livre  a,  d'une  certaine 
l'açon,  plus  d'âme  encore  que  la  parole  ;  car  nous  achevons 
plus  nos  pensées  pour  les  écrire  que  pour  les  dire,  et  le  maître 
qui  compose  se  met  plus  sous  le  pressoir  que  C(>lui  qui  parle. 
Aimons  donc  les  livres,  du  moins  les  livres  où  palpitent  encore 
des  âmes  ;  ayons-en  un  petit  nombre  qui  nous  soient  chers, 
mais  pris  parmi  les  excellents.  Aux  heures  noires,  allons-y 
chercher  la  lumière  et  lajoie  ;  dans  l'insignifiance  et  l'abatte- 
ment, ils  nous  réveilleront  comme  la  goutte  de  liqueur  qui 
ranime  un  travailleur  épuisé  ;  dans  les  entraînements  de  la 
passion,  ils  feront  jaillir  en  nos  âmes  de  ces  sentiments  ou 
émotions  favorables  qui  apaiseront  les  autres  et  nous  rendront 
la  maîtrise  de  nous-môme.  Qui  aime  les  bons  livres  vit  toujours 
dans  un  milieu  d'âmes  nobles  et  d'iniluences  fortifiantes. 


X 

Signalons  cnlin  un  dernier  moyen  de  nous  déterminer  à 
l'action  et  d'exciter  en  nous  le  sentiment  :  c'est  d'agir.  Saint 
François  de  Sales  disait  :  «  Je  ne  connais  point  d'autre  secret 
pour  aimer  que  d'aimer.  »  Nous  dirons  de  même  :  c'est  peut- 
être  le  plus  grand  secret  pour  agir  que  d'agir.  Et  qu'on  ne 
craigne  pas  de  trouver  là  une  contradiction  dans  les  termes  ; 
car,  si  apathiques  que  nous  soyons,  notre  puissance  d'action 
ne  descend  pourtant  pas  à  zéro  ;  si  emportés  que  nous  soyons 
par  la  passion  du  moment,  notre  pouvoir  d'inhibition  n'est 
pourtant  pas  entièrement  annihilé.  C'est  ce  reste  de  pouvoir. 


LA  l'iillMATKiy  DE  L\    VaUiME  691 

si  pelil  (■(  si  impalpable  qu'il  soit,  (ju'il  laiit  iiiclln'  en  (jL'Uvro 
pour  relever  notre  puissance  d'action.  En  usant  ilu  peu  que 
nous  avons,  nous  recouvrerons  le  pouvoir  intense  dont  nous 
avons  besoin. 

Si  vous  manquez  de  souflle  et  de  muscles  pour  monter  une 
pente  raide,  prenez  une  voie  plus  douce  en  traçant  par  vos  pas, 
sur  la  montagne,  des  sentiers  en  zigzags:  le  chemin  sera  plus 
long,  mais  vous  arriverez  plus  sûrement  et  avec  moins  de 
fatigue.  Il  en  est  de  même  dans  les  ascensions  morales  :  chaque 
fois  qu'une  pente  est  trop  raide,  tournez-la. 

Vous  ne  pouvez  faire  des  prévenances  à  cette  personne  qui 
vous  a  blessé  :  du  moins  ne  l'insultez  pas;  si  vous  n'avez  pas  la 
force  d'aimer,  vous  avez  du  moins  celle  de  ne  pas  haïr.  Cette 
injure  vous  parait  trop  humiliante  pour  que  vous  ne  la  vengiez 
pas  :  attendez  jusqu'à  demain,  et  demain  vous  attendrez  un 
pour  encore;  car  vous  pouvez  différer  ce  que  vous  n'avez  pas  le 
courage  de  supprimer;  la  rancune  ainsi  s'atténuera,  puis  tom- 
bera. Est-ce  une  tentation  de  volupté  qui  vous  agite?  Commen- 
cez par  vous  retenir  aujourd'hui  et  suspendez  un  jour,  puis  un 
autre  jour,  la  satisfaction  des  bas  instincts.  Un  étudiant  que 
hantait  le  désir  du  théâtre  se  délivra  par  ces  atermoiements. 
Eprouvez-vous  de  la  difficulté  pour  la  composition  littéraire  ? 
Ecrivez  quand  même,  écrivez  des  choses  banales;  faites  votre 
correspondance,  et  l'action  commencée  fera  le  rappel  de  vos  éner- 
gies et  vous  rendra  capable  de  l'elTort  qui  d'abord  vous  rebutait. 

Cette  inlluence  de  l'action  a  été  récemment  mise  en  lumière 
par  le  principe  de  la  réversibilité.  La-loi  physique  de  la  réver- 
sibilité est  ijien  connue  :  dans  une  mèuie  machine  électrique 
le  mouvement  mécanique  produit  l'électricité,  et  l'électricité  à 
son  tour  produit  le  mouvement;  la  chaleur  agissant  sur  une 
nappe  d'eau,  se  dépense  en  formant  des  vapeurs,  et  récipro- 
quement les  vapeurs,  en  se  condensant,  restituent  de  la  chaleur. 
11  en  est  de  même  dans  le  monde  moral  :  toute  idée,  comme 
l'a  magistralement  démontré  Spencer,  est  un  acte  à  l'état  nais- 
sant et,  si  l'idée  est  assez  puissante  pour  ébranler  les  centres 
affectifs  et  moteurs,  l'acte  s'achève  et  s'exprime  au  dehors; 
inversement,  l'acte  commencé  ravive  l'idée  et  lui  communique 
plus  de  force.  Jusqu'ici  nous  avions  dit  :  pour  agir  plus  sûre- 


692  J.  GUIBERT 

ment,  renforcez  lidée  et  le  sentimenl  par  les  suggestions  inté- 
rieures et  par  les  suggestions  du  milieu.  Et  nous  disons  main- 
tenant :  pour  agir  fortement,  commencez  par  agir  faiblement, 
afin  que  l'action  ranime  l'idée  et  le  sentiment,  et  que  parla  la 
prééminence  appartienne  aux  idées  dont  vous  souhaitez  l'abou- 
tissement. 

Nos  observations  de  tous  les  jours  ne  peuvent  que  nous 
encourager  dans  cette  voie.  D'où  vient  que  l'action  commen- 
cée avec  dégoût  se  poursuit  avec  entrain,  sinon  de  ce  que  le 
sentiment  qui  nous  pousse  s'est  avivé  sous  le  souflle  de  l'action? 
Si  la  prière  nous  coûte,  mettons-nous  dans  l'attitude  de  la  prière, 
ot  bientôt  la  prière  nous  sera  facile  ;  et  si  l'oraison  intérieure 
nous  rebute,  récitons  d'abord  des  formules,  et  notre  attention, 
soutenue  par  les  formules,  finira  par  se  fixer  sur  l'idée.  Les  expé- 
riences hypnotiques  sont  à  ce  sujet  fort  suggestives;  car  la 
personne  endormie  exécute  toujours  les  actes  dont  on  lui  donne 
l'attitude  et  le  geste  :  à  genoux  et  les  mains  jointes,  elle  prie; 
les  poings  fermés,  elle  devient  colère  et  menaçante.  En  vertu 
des  liaisons  nerveuses  établies  dans  l'organisme,  les  impulsions 
remontent  vers  les  centres  sensitifs  pour  y  provoquer  de  plus 
vives  émotions,  et  ces  émotions  sont  toujours  en  harmonie  avec 
les  actes  dont  on  a  posé  le  signe. 

De  ces  observations  découle  la  grande  loi  morale  qu'il  faut 
nous  comporter  comme  si  nous  étions  tels  que  nous  souhaitons 
d'être.  En  nous  exerçant  timidement  à  des  vertus  que  nous 
n'avons  pas,  nous  les  acquérons.  11  n'y  a  donc  pas  de  plus  sûr 
moyen  pour  agir  que  d'agir,  et  les  anciens  ont  eu  raison  de  dire 
que  c'est  avoir  fait  la  moitié  du  chemin  que  de  s'être  mis  en 
route. 

La  doctrine  exposée  jusqu'ici,  si  complexe  qu'elle  paraisse,  se 
ramène  à  un  petit  nombre  de  propositions  fort  simples. 

Une  volonté  est  formée  lorsque,  semblable  au  mécanicien 
qui  par  la  manette  gouverne  les  forces  aveugles  de  sa  locomo- 
tive, elle  s'est  rendue  maîtresse  absolue  de  ses  énergies  vitales. 
Cette  maîtrise  se  reconnaît  à  trois  signes  ;  de  la  netteté  dans  la 
décision,  de  la  fermeté  dans  l'exécution,  de  la  constance  persé- 
vérante dans  les  entreprises. 


LA  FORMATIOy  UE  LA  VOUiSTÉ  093 

PrisonniOre  tle  rorganisnie  quelle  finit  mouvdir  et  auquel 
elle  emprunte  ses  ressources  pour  l'acliou,  la  volonté  doit 
assurer  son  activité  fonctionnelle,  établir  des  voies  de  facile 
communication,  donner  aux  impulsions  initiales  assez  de 
vigueur  pour  qu'elles  élu'anlent  tous  les  ressorts  organiques 
et  parviennent  jusqu'aux  organes  moteurs.  Elle  atteint  ce  triple 
but  par  une  sage  iiygiène.  par  la  création  des  habitudes,  par 
l'excitation  îles  émotions  favorahles. 

L'art  de  provoquer  des  sentiments  énergiques  ou  de  vives 
impulsiiins  initiales  est  capital  dans  la  formation  de  la  volonté  ; 
les  sentiments  naissent  ou  bien  de  lauto-suggestion  par  la  vie 
intérieure,  ou  bien  de  l'hétéro-suggestion  par  l'inthience  des 
milieux,  ou  bien  de  l'action  même,  dont  le  premier  effet  est 
de  renforcer  l'idée  et  le  sentiment. 

On  trouvera  peut-être  que  nous  avons  fait  une  bien  large 
part  à  la  physiologie  dans  ce  sujet  qui  paraît  tout  moral.  Mais 
nous  n'avons  point  cru  qu'il  fût  supertlu  d'étudier  les  ressorts 
animés  que  la  volonté  doit  mettre  en  jeu  pour  accomplir  ses 
desseins.  Puisqu'elle  est  assujettie  à  dépendre  d'un  organisme, 
puisqu'elle  est  impuissante  à  atteindre  le  bien  moral  sans  se 
servir  d'organes  physiques,  n'était-il  pas  juste  de  baser  sur 
l'étude  scientitique  de  ce  mécanisme  les  règles  pratiques  qui 
doivent  diriger  l'effort  de  la  volonté?  A  cette  recherche  ration- 
nelle, la  morale  n'a  rien  perdu  de  sa  iiauteur.  En  suivant  les 
préceptes  dictés  par  cette  psycho-physique,  l'àme  se  dégagera 
de  ses  passions  basses,  sortira  de  ses  apathies  et  de  ses  insi- 
gnifiances, et  s'établira  dans  la  paix  intérieure  que  procure  le 
devoir  accompli.  Pour  être  plus  savantes,  les  âmes  n'en  seront 
pas  moins  belles.  Exercées  à  cette  stratégie  dont  nous  avons 
cherché  les  raisons  et  décrit  les  évolutions,  elles  se  reposeront, 
victorieuses,  dans  ce  calme  sublime  qui  faisait  dire  à  M""  Swef- 
chine  :  n  Ne  demandez  à  Dieu  pour  moi  ni  un  jour  de  plus  ni 
une  souffrance  de  moins  ». 

J.  GUIBERT 


LES     PRINCIPES 


COMMKNT    IN    PRINCIPE    SE    DIVERSIFIE    DANS    LE    CONCRET 


III 


Rojotor  tout  |)ri''jugé  d'école  et  se  placer  francliemcnt  en  pré- 
sence de  la  vérité  scientifique  ;  —  se  donner  le  spectacle  du  dé- 
veloppement des  principes,  saisir  leur  obscure  apparition,  leur 
genèse  à  partir  de  la  première  heure  où  l'observation  concrète 
nous  les  fournit;  —  enfin,  parvenir  à  les  départager  m  notions 
distinctes  et  notions  confuses  (1),  combien  le  souhaitent  ;  mais 
combien  y  parviennent? 

11  est  si  difficile  an  philosophe  de  (h'pouiller  son  tempéra- 
ment intellectualiste  ou  positiviste  !  Tantôt  il  se  complaira  dans 
l'examen  purement  dialectique  et  formel  de  la  vérité /«t/e  par  la 
science  ;  il  regardera  le  terme  sans  se  douter  du  chemin  par- 
couru :  dans  cette  contemplation  des  formules  toutes  faites,  il 
ne  verra  que  de  l'immobile.  Tantôt,  il  vivra  la  vie  des  inven- 
teurs et  des  expérimentateurs,  et  tout  absorbé  dans  la  con- 
science de  cette  psychologie,  dans  le  sentiment  de  cette  création 
et  de  ce  contact  direct  avec  le  réel  et  le  concret,  —  en  un  mot, 
uniquement  préoccupé  de  cette  science  vécue,  il  risquera  d'ou- 

(1)  Dims  un  précédent  travail  numéro  du  1"  Aoi'itl.j'ai  indiqué  l'intén't  de  ce 
départ  à  faire  entre  le  distinct  et  le  confus  —  entre  l'abstrait  et  le  concret.  Ce  qu'il 
nous  faut  comprendre  maintenant,  c'est  l'inériUibleparf  du  concret  dans  laconnais- 
sance  scientifique  proprement  dite  comme  dans  toute  autre  connaissance. 


LES  l'IUNCIPES  G9r> 

blicr  les  immuables  condilions  par  lesquelles  la  marche  de 
l'esprit  est  elle-même  réglée.  Il  craindra  de  l'asservir  en  y  re- 
connaissant des  lois. 

Et  pourtant,  elle  s'impose,  la  question  si  nettement  for- 
mulée :  "  La  connaissance  scientifique  étant  donnée  à  la 
réflexion  du  philosophe,  quelle  conception  de  la  vérité  lui 
permet- elle  de  se  faire  (1)?  »  Question  malaisée  —  inévi- 
table d'ailleurs,  si  l'on  veut  comprendre,  à  la  lumière  des 
polémiques  récentes  (2),  l'importante  contribution  apportée 
par  la  science  contemporaine  au  problème  de  la  connais- 
sance primitive.  Peut-être  y  pourra-t-on  porter  quelque 
lumière,  si  l'on  part  du  résultat  intelligible,  une  fois  donné, 
en  V  cherchant  la  trace  de  l'activité  pensante  :  c'est  faire  la 
part  belle  à  l'intellectualisme  radical;  c'est  aussi,  pensons- 
nous,  le  plus  sûr  moyen  d'éviter  telle  équivoque,  sur  laquelle 
il  pourrait  fonder  ses  réclamations.  Dans  ce  but,  nous  envi- 
sageons de  préférence  les  résultats  de  la  physique-mathéma- 
tique :  ils  ont  donné  lieu  à  la  discussion  ;  ils  en  ont  dégagé  les 
principaux  développements;  ils  en  ont  guidé  les  orientations 
les  plus  nettes  (3). 

Examinons  donc,  dans  leur  contexture  dialectique,  les  lois  et 
les  formules;  tâchons  d'y  surprendre  quelques  indices  de  l'ef- 
fort qui  les  a  construites. 

Quelque  part  que  nous  portions  nos  regards,  nous  trouvons 
associés  Vabstrait  et  le  cuncrc'.,  l'intelligible  et  le   donné,  la 

(1)  BRUxsiiwicii,  lievue  de  Métaphysique,  juillet  I9i)l,p.  i40. 

(2)  Voir  tout  particulièrement  :  Edouard  Le  Roy  :  Science  et  Philosophie  ;  in 
puxilivisiDe  nouveau  :  Quelques  otjjeclions  adressées  à  la  nouvelle  philosophie  [lievue 
de  Métaphysique  et  de  Morale,  juillet,  septembre,  novembre  1899,  janvier  1900 
mars,  mai  et  juillet  1901,.  —  J.  Wii.nois: /a  iVe7/(0(/e  des  sciences  physiques  Ibid., 
septembre  1899  et  mai  1900);  et  L'Esprit  positif  ilbid.,  mars  1901;. —  Edouard 
Le  lioY  :  La  Science  pusitice  et  les  philosophiez  de  /a /(éec(e' | Rapport  présenté  au 
congrès  international  de  philosophie,  1900 1. 

3)  Je  ne  crois  pas  nécessaire  de  résumer  la  polémitiuc  en  question,  et  je  ris- 
querais d'égarer  mes  lecteurs,  ne  voulant  pas  compliquer  l'examen  des  divers 
problèmes  qu'elle  soulève.  Ils  sont  multiples  ;  Quelle  est  dans  la  science  la  part 
irréductible  du  concret,  nécessairement  soustraite  à  l'analyse  distincte  '?  —  Y  a- 
t-il  continuité  i}es  résultats  intelligibles  '.'  —  Et,  si  cette  continuilé  fait  défaut,  dans 
quelle  mesure  l'action  doit-elle  interrenir?  —  La  solution  de  cette  dernière  ques- 
tion, si  intéressante  pourtant,  n'est  que  partiellement  et  incidenmient  touchée 
dans  le  présent  article.  Je  ne  parlerai  guère  que  de  l'action  pratique,  peu  ou 
point  de  l'action  discursive  et  de  l'action  profonde  si  du  moins  j'ai  bien  compris 
la  terminologie  adoptée  dans  la  nouvelle  écolei. 


tl'J6  A.  iiF.  Lx  BAURE 

notion  et  le  fait  '  1  .  Il  ost  passé  le  temps  on  les  sciences  phy- 
sico-mathématiqnes  ont  pu  faire  illusion,  apparaissant  avec  les 
caractères  de  l'intelligible  pur.  dégagé  de  tout  élément  concret. 
C'était  le  règne  des  lois  immuables  (2)  et  des  formules  intan- 
gibles, brillante  chimère  du  xviii"  siècle,  déjà  décadente  à  la  fin 
du  XIX".  La  critique  la  plus  récente  montre  bien  que  les  for- 
mules de  ce  genre  enveloppent  nécessairement  un  élrmciU  coii- 
crrl,  dont  elles  dépendent,  sans  lequel  toute  science  serait  im- 
possible. De  là  à  faire  voir  que  cet  élément  concret  nécessite 
des  catégories,  des  groupes  spécifiques  (3),  il  n'y  a  qu'un  pas. 
Nous  tâcherons  de  le  faire  par  l'examen  de  la  formule  même. 
Peut-être,  ce  point  de  vue,  t[ui  du  reste  n'a  point  la  prétention 
d'être  une  absolue  nouveauté,  coïncidera-t-il  partiellement  avec 
les  ingénieuses  analyses  de  la  «  Philosophie  nouvelle  ».  Et  s'il 
n'v  a  pas,  en  fait,  coïncidence,  peut-être  du  moins  y  trouve- 
ra-t-on  cet  avantage  que  certaines  nuances  d'expression  per- 
mettront de  reconnaître  les  divergences,  de  préciser  les  points 
encore  indéterminés,  de  prévenir  (jnelques  malentendus  possi- 
bles. ()w  de  fois  ces  malentendus  proviennent  de  l'ignorance 
des  notions  les  plus  élémentaires  ! 

Les  deux  premières  parties  de  cet  article  nous  feront  com- 
prendre l'activité  de  l'esprit  dans  l'établissement  des  premières 
formules,  relatives  aux  lois  secondaires,  généralement  empiri- 
ijiii's.  Ces  formules  s'établissent  dans  des  cas  très  simples,  où 
un  petit  nombre  d'éléments  est  considéré  comme  variable.  — 
La  troisième  partie  nous  montrera  comment  de  ces  lois  secon- 
daires on  remonte  aux  lois  générales  qui  traduisent  les  faits 
les  plus   complexes,   dans   toute  l'extension   de   leurs  phéno- 

1  Tout  le  momie  sait  qu'il  en  est  ainsi  :  au  premier  abord,  cette  affir- 
mation pourrait  paraitre  enfoncer  une  porte  ouverte,  et  les  considérations 
qui  l'appuient  seraient  d'enfantines  amplifications.  Pourtant,  sans  nous  borner 
â  constater  qu'il  en  esl  ainsi  —  nous  voudrions  faire  voir  comment  ii  en  est 
ainsi. 

{2)  Le  R.  P.  OK  BoxxiOT  a  fort  bien  montré  (Le  Mirncle  et  ses  contrefaçons. 
i\  I!  quelles  méprises  ce  point  de  vue  avait  pu  causer  dans  les  questions  pbiloso- 
pliico-théolo<;iques  les  plus  graves.  J'ai  taché  de  vulgariser  les  mêmes  idées 
dans  mon  opuscule  :  Faits  surnaturels  et  forces  naturelles,  troisième  édition, 
Bi.oru,  1900,  surtout  pp.  43  et  suiv. 

(3)  A  des  scolastiques,  je  dirais  :  «  Nos  sciences  sont  analogues,  et  non  univo- 
(jues.  »  Voir  mon  mémoire  présenté  au  Congres  scientifitjue  internathmal  de  Fri- 
Itourg,  t89'  :  l'oints  de  départs  scienti/ir/ues  et  cnuiie.rions  logiques. 


I.KS  l'IilXClPES  6'J7 

mènes    indiviiliicis   cl  dans   toute  la   conipii'lu'usiun  de   leurs 
éléments  varialiies. 

Soit  une  formule  exprimant  une  loi.  i,e  dialeetieion  veut  re- 
venir sur  ses  pas.  Il  cherche  à  pénétrer  le  sens  du  travail  men- 
tal qui  l'a  fournie.  La  formule  offre  deux  aspects  indissocia- 
bles, hicTi  que  l'analyse  arrive  à  les  démêler  dans  leur  unité. 
Cette  loi  exprime  indivisihlemenl  :  le  variahle,  le  concret,  îe  sin- 
gulier—  le  constant,  l'alistrait,  l'universel.  Ri  c'est  ce  que  verra 
toutde  suite  l'algébriste  familier  avec  la  signllication  des  termes. 

Voici  d'abord  /es  variables  solidaires  (  ou  variables  drpen- 
danles]  dont  la  souple  élasticité  traduit  parfaitement  toutes  les 
successions  du  phénomène.  Elles  expriment  tout  à  la  fois  le 
concret  et  l'abstrait  :  le  concret,  parce  que,  dans  leurs  variations, 
elles  sont  assujetties  à  traduire  les  variations  du  phénomène; 
—  l'abstrait,  parce  qu'étant  solidaires,  elles  expriment  la  con- 
stance, l'universalité  de  la  loi  dans  ces  mêmes  variations  (1^. 
Le  dialecticien,  surtout  s'il  est  familier  dûs  vieilles  traditions, 
reconnaîtra  sans  peine  dans  la  composition  de  la  formule  ma- 
thématique l'équivalent  delà  composition  logique  :  la  compéné- 
tration  de  l'espèce  abstraite  et  de  ses  notes  individuantes. 

Parmi  les  ditTérents  symboles  constitutifs  de  la  formule,  il 
faut  s'attacher  surtout  à  considérer  les  constaiifes  ou  colloralions. 
Je  reliens  à  dessein  cet  ancien  terme  usité  parSluarl  Mill.  Celui- 
ci  avait  bien  remarqué  que  dans  l'énoncé  d'une  loi  doivent  en- 
trer nécessairement  certains  éléments  iixes,  déterminés  parles- 
conditions  concrètes  du  phénomène  —  conditions  invariables 
parce  qu'elles  constituent  le  niilieu  inerte,  le  milieu  qui  contient 
h'  phénrjmhir  lui  imprimant  une  dii'ection,  b'  niodiliant,  saits 
tuatrfois  prendrr  fiart  à  la  rariatioti  des  rlétnrn/s  essentiels  (2). 

1)  Je  passe  rapidement  :  voir  l'opuscule  :  Faits  surnalureis  et  forces  naturel- 
les, c.  IV  :  Les  Forces  physiques  et  l'iuiiiiutabilité  des  lois. 

2)  Voici  cniiuiient  s'exprime  Mill  :  «  Les  lois  decausntion  complexes  se  résol- 
vent en  deux  espèces  d'éléments  'lislincts,  à  savoir  :  les  lois  de  causation  plus 
simples  et  les  colloralions  ;  par  quoi  il  fiut  entendre  l'existence  de  certains  agents 
ou  forces,  en  certaine  quantité,  dans  des  circonstances  définies  de  lieu  et  de 
temps.  «(Loflirjiie.  t.  1,  p.  522.)  >LIiabier.  auquel  nous  empruntons  cette  traduc- 
tion légèrement  retouchée,  ajoute  de  son  clief  l'exemple  suivant  :  ■■  Pour  déduire 
l'ascension  des  hallons,  le  poids  exact  et  l'élaslicité  de  l'almosphère  comme  aussi 
la  pesanteur  spécifique  de  la  masse  du  ballon  sont  des  données  indispensables.  » 
(Habiek,  Loi/iqiie,  deuxième  édition,  p.  IIU). 


698  A.  DE  LA  lîARRE 

Ces  collocations  expriment,  en  somme,  ce  qui  dans  le  pliéno- 
mène  étudié  doit  être  considéré  comme  un  élément  immobile, 
comme  une  condition  du  milini  —  mais,  entendons-le  l)ien, 
d'un  milieu  déterminé  et  déterminant  le  phénomène. 

Aussi,  dans  la  formule  qui  exprime  la  loi  du  mouvement  en 
chute  lilire: 

e=   ;  gt'- 

g  représente  l'accélération  en  un  point  déterminé,  accéléra- 
tion considérée  comme  roiislanlf  pimr  une  sérif  (/'r.rijr'ripnces 
i/is/i/iuk's  en  un  inrnie  Uni. 

Ainsi,  dans  des  expériences  de  réfraction  ou  de  réilexion  — 
un  coefficient  invariable  représente  l'indice  pour  une  série 
d'expériences  effectuées  avec  des  radiations  lumineuses  spé- 
ciales, ('■titdiées  constamment  dans  les  mêmes  milieux  de projia- 
galion  qu'elles  traversent  successivement  dans  le  même  ordre. 

Ainsi,  les  collucalions  traduisent  rimmidiilitr  (réelle  ou  con- 
ventionnelle, absolue  ou  provisoire)  des  ronditions  <i'e.rifitencfi, 
au  sein  desquelles  nous  étudions  un  l'ail.  Elles  définissent  un 
groupe  d'expériences,  (^e  sont,  il  est  vrai,  des  conditions  extrin- 
sèques. Par  opposition  aux  éléments  intrinsèques  du  phénomène, 
qui  en  intègrent  la  portion  variable  —  elles  constituent  au  con- 
traire la  portion  invariable  pour  une  série  d'opérations.  Cette 
série  est  cmirenlionnellr  (]uant  à  son  élément  concret  :  chute 
des  corps  étudiée  en  un  lieu  conventionnel  —  dilatation  d'un 
■gaz  ou  d'un  liquide  dans  une  enveloppe  arbitraire  —  phéno- 
mènes lumineux  dans  un  prisme  de  forme  et  de  nature  déter- 
minées par  le  clioix  de  l'opérateur. 

A  ce  point  de  vue  élargi,  /'instrument  et  le  milieu  coïncident  ; 
et  cette  coïncidence  précisément  consiste  en  ce  qu'ils  sont  con- 
ventionnels, décrétés  par  l'expérimentateur.  Au  point  de  vue 
présent,  définis  par  des  collocations,  qui  constituent  la  formule, 
l'instrument  et  le  milieu  sont  e.i.térieurs  au  phénomène  —  bien 
que  tous  deux  soient  essentiellement  requis  pour  sa  définition. 
Tous  deux  dépendent  de  l'activité  libre  de  l'expérimentateur, 
choisissant  un  instrument  ou  un  milieu  —  choisissant  souvent 
un  instrument  qu'il  considérera  comme  un  milieu  approprié  — 
souvent  un  nrilim  qui  produira   le  pliénomène  et  lui  servira 


LES  PRisciPES  em 

d'instrumont.  L'un  et  l'aulre  dépendent  du  njuloir  lihrr  dr 
l'esprit,  immobilisant  dans  le  jeu  naturel  des  forces  —  immo- 
bilisant tout  au  moins  dans  sa  pensée  —  tel  élément,  et  mobi- 
lisant tel  autre,  mettant  ici  le  statique,  ici  le  dynamique. 
L'expérimentateur  peut  fixer  les  conditions  d'une  série  d'expé- 
riences :  par  exemple,  mesures  de  la  pesanteur  à  Paris  ;  il  peut 
aussi  bien  les  faire  varier,  eu  les  fixant  pour  une  nouvelle 
série,  par  exemple  à  Moscou.  Les  coUocations,  l'instrument,  le 
milieu,  sont  ainsi  choses  conventionnelles,  en  tant  que  con- 
crètes et  singulières. 

Ouelle  est  l'inlluence  de  cette  convcntinn  sur  le  résultat? 
La  formule,  dans  laquelle  entre  ainsi  le  convenu,  deviendra- 
telle  par  là  même  conventionnelle?  Là  pourrait  se  trouver  la 
pierre  d'achop|)ement,  l'occasion  de  graves  malentendus. 

Rappelons-nous  une  question  et  une  solution  parallèles.  J'ai 
montré  ailleurs  ce  que  la  com-nition  (je  veux  dire  l'introduc- 
tion d'une  activité  libre)  a  de  conciliable  avec  riminiilabiHtr  de 
la  loi  géni-ralc,  relative  au  groupement  primitif  et  moins  com- 
plexe (1).  Il  est  également  possible  de  voir  maintenant  ce  que 
la  com'pnlinn,  l'introduction  d'un  élément  arbitraire  dans  un 
groupement  de  symiioles  logiques,  a  de  conciliable  avec  l'im- 
mutabilité de  la  formule  générale. 

Quand  une  Ulirrtt'  quelconque  intervient  pour  organiser  ou 
pour  modifier  des  ordres  naturels  spéciaux,  elle  respecte  néan- 
moins les  lois  abstraites  de  l'intelligibilité  essentielle  :  la  muta- 
bilité de  l'ordre  naturel,  contingent,  organisé  en  vue  d'une  fin, 
se  concilie  avec  l'immutabilité  de  l'essence  pure.  Or,  l'activité 
de  l'esprit,  pour  organiser  logiquement,  est  obligée  de  se  subor- 
donner à  certains  concrets,  à  certains  étalons  primitifs  :  c'est 
le  choix  de  ces  grandeurs  qui  introduit  encore  ici  la  liberté, 
qui  rend  les  résultats  comparafjles,  qui,  de  part  et  d'autre,  nous 
montre  la  possibilité  de  divers  ordres  naturels,  subordonnés  à 

I  Voir  Faits  surnaturels,  c.  iv.  Au  fond,  c'est  là  une  question  de  logique 
abstraite,  très  simple  et  très  claire  pour  des  professionnels  :  en  di'pit  des  di/l'é- 
rences,  si  arbitraires  et  si  conventionnelles  qu'elles  soient,  le  l;/jie  générique  sub- 
siste identique  à  lui-même  dans  les  concrctes  diversités  de  l'espèce.  C'est  ainsi 
que  la  loi  générale  de  compréhension  trcs  simple  subsiste  dans  la  complexité  de 
la  loi  dérivée  ;  par  exemple,  la  loi  pliysico-cliimique  dans  la  loi  organique  de  l'être 
vivant. 


700  A.  iiE  LA  BAURE 

l'unilé  d'un  ordre  intelligible.  F^ur  préciser  davantage,  si  vous 
êtes  théologien  scolastique,  je  vous  monlrerai  l'activité  de 
l'esprit  créateur  et  conservateur  —  choisissant  et  conservant 
librement  un  ordre  entre  les  divers  ordres  abstraits  qu'il 
pouvait  réaliser,  qu'il  pouvait  modiiier  en  y  introduisant  tel 
élément  nouveau.  —  Et  si  vous  êtes  simplement  un  logicien 
classilii'ateur,  je  vous  mnntrerai  l'activité  de  l'esprit  humain 
clioisissant  certains  élémenls  concrets,  pour  leur  suliordonner 
tnuie  la  construction  de  ses  catégories,  tout  l'agencement  de  ses 
genres  et  de  ses  dill'érences  '  1  ). 

Ainsi  l'introditclion  de  ces  rlànenls  coDvcnlioiuwls,  par  oii 
s'établit  la  formule  des  lois  secondaires  et  dérivées,  n'est  pas 
un  démenti  à  l'intelligibilité  et  îi  la  constance  dé  la  loi primi lire 
et  supérieure.  La  loi  (jéurrale  r.  r/.  attraction  unirerselle  se 
spécifie  dans  des  formes  secondaires  :  mais  elle  les  contient 
virtuellement.  Le  genre  est  en  quelque  sorte  une  éminence 
loijiijue  par  rapport  aux  espèces  multiples.  11  y  a  continuité 
intelligible  dans  cette  dérivation,  continuité  intelligible  entre 
les  espèces  dérivées.  Et  même,  au  cas  où  nousne  connaîtrions 
pas  l'espèce  supérieure,  il  nous  est  encore  possible  de  soup- 
çonner une  continuité  intelligible,  en  dépit  du  caractère  con- 
ventionnel des  groupements  opérés  :  seulement,  dans  ce  dernier 
cas,  l'intelligibilité  demeurera  transcendante  ti  notre  logique 
humaine,  inattingible  ft  l'immanence  de  l'esprit. 


IV 


Nous  avons  dit  que  les  cotlocations  (constantes  spéciliques, 
paramètres,  coefficients...)  représentent  les  conditions  concrètes 
de  Y  instrument  et  du  ntHieu  ;  que,  par  conséquent,  l'instrument 
et  le  milieu  coïncident  en  tant  qu'ils  cori'espondent  à  ces  col- 
locations  et  sont  exprimés  par  elles.  Celles-ci  fixent,  par  con- 
vention et  provisoirement,  les  immobiles  conditions  d'existence. 

I)  Nous  ne  nions  pas  que  certaines  catégories  soient  naturelles,  d'autres  artifi- 
cielles,—  mais,  mèilie  dans  le  cas  d'une  dillcrence  artificielle  choisie  librement,  dans 
le  cas  d'un  caractère  secondaire  clioisi  comme  s'il  elail  domitmleur,  —  il  est  encore 
vrai  que  l'introduction  de  cet  élément  respecte  l'abstraite  intelligibilité  du  groupe. 


LES   l'IilMll'ES  701 

(l'csl  une  i-onvontion  qui  a  siniiilcmcul  iiniir  Iml  de  restreindre 
la  généralité  du  cas  étudié,  d.'  lédiiire  en  conséquence  le  nom- 
i)re  des  variaiilcs.  Mais  c"est  une  convention  provisoire.  La 
science  veut  des  formules  générales,  valables  pour  tous  les 
cas  possibles,  pour  des  variations  affectant  même  les  élé- 
ments concrets  que  nous  avions  regardés  comme  invariables. 
Cette  invariabilité  n'était  qu'une  convention  provisoire.  C'est 
en  supprimant  cette  convcnlion  que  nous  parvenons  aux 
formules  absoluuienl  générales  :  nmis  le  verrons  tout  à 
riieure. 

Mais,  auparavant,  disons  rapidement  comment  d'autres 
sciences  nous  amènent  à  des  considérations  analogues.  11  y  a 
toujours  dans  les  résultais  de  la  science  expérimentale  un 
double  élément,  départagé  par  l'activité  de  l'esprit  :  d'une  part, 
élément  variable  ou  phénomène  circonscrit  au  minimum  de 
variabilité;  d'autre  part,  l'élément  concret,  ou  du  moins  inva- 
riable par  convention,  celui  qui  délinit  les  ciDiditin/i'^  d'exis- 
tfnc,  /'i/is/riuiif-nt,  Ip  nidtcii. 

Jusqu'ici  nous  sommes  restés  sur  le  terrain  des  sciences  phy- 
siques et  physico-mathématiques.  Partant  du  point  d-e  vue  dialec- 
tique, de  la  formule  abstraite  elle-même,  nous  avons  vu  com- 
ment elle  comporte  toujours  une  restriction  imposée  à  l'indéli- 
nie  variabilité  du  phénomène,  un  rAo/j"  parmi  les  états  naturels 
possibles,  un  murcfllouent  de  la  nature.  Parfois,  cette  sépara- 
tion entre  le  phénomène  et  ses  conditions  d'existence,  ce  inilieu 
conventionnel  est  créé  par  un  instrument  concret;  le  milieu 
se  confond  avec  l'instrument  lui-même.  Parfois,  la  nature  est 
tout  ensemble  instrument  et  milieu,  ou  plutôt  soun  le  regard 
(le  /'esprit  elle  se  morcelle,  elle  se  dédouble  en  phénomène 
variable,  en  milifu  concret.  Tout  à  l'heure  l'esprit  créait  l'in- 
strument pour  provoquer  le  phénomène  :  c'était  l'expérimen- 
tation proprement  dite.  Dans  le  second  cas,  l'esprit  lui- 
même  est  instrument  actif,  puisque  c'est  lui  qui  morcelle  la 
nature. 

In  cou[i  d'u'il  sur  les  scirnces  naturelles  —  spéciale- 
ment sur  la  physiologie  —  conlirmera  ce  que  nous  venons  de 
dire. 

Dans  ces  pages  mémorables,  où  Claude  Bernard  s'appliquait  à 


702  A.  DE  LA  BAKRK 

discprnoiMrunc  pari  rcxpi-ricnce  et  /'o/isenrition  (1)  —  l'élôment 
identique,  le  facteur  commun  de  l'expérience  et  l'observation, 
c'était  l'activier  ilc  l'esprit  isolant  le  phénomène  et  son  milieu, 
le  variable  et  le  constant.  L'élément  caractéristique  de  lexpé- 
rience  était  l'activitr  de  l"nistrin)tcnt  matrricl  :  au  fond,  c'est 
l'activité  de  l'esprit  qui  le  met  en  jeu  pour  provoquer  la  varia- 
tion.—  D'ailleurs,  l'élément  caractéristique  de  l'observation  est 
i'acliritr  de  /'esprit  regardant  la  nature  et  agissant  sur  elle, 
l'analysant,  lu  dissociant  satis  iitstriiment  aussi  bien  qu'avec  un 
instrument  (2). 

Aussi,  après  avoir  montré  comment,  d'après  certains  physio- 
logistes, «  l'expérience  implique  l'idée  d'une  variatio»,  d'un 
trouble  iti/en/ionnf'ileinent  apportés  par  l'investigateur  dans  les 
conditions  des  phénomènes  naturels  »  —  définition  qui  répond 
«  à  un  groupe  nombreux  d'expériences  que  l'on  pratique  en 
physiologie  et  qui  pourraient  s'appeler  rj/jéric/icrspar  destruc- 
tion »  —  il  montre  ce  que  suppose  essentiellement  cette  ma- 
nière de  voir  :  la  pnssi/iilifr  d'agir  sur  la  nature  pour  la  modifier 
ou  la  détruire,  en  quoi  consistent  les  sciences  expérimentales 
proprement  dites. 

^lais  le  même  etfet  peut  être  produit  sans  un  instrument, 
sans  l'intervention  elfective  de  l'expérimentateur.  Ce  phéno- 
mène expérimental,  ce  trouble,  ce  morcellement,  seront  alors 
produits  par  la  luiture ,  instituant  elle-même  l' expérience. 
L'e.rpcrimentaleur  devient  obserrateiir  ;  il  regarde  la  nature  qui 
expérimente  |)Our  lui.  En  ce  cas,  //  faut  et  il  suffit  que  son 
esprit  soit  actif  comme  la  nature,  actif  de  la  même  façon 
qu'elle;  ([ue  l'Esprit  morcelle  ce  que  la  Nature  laisse  entrevoir 
morcelé,  analyse  ce  qu'elle  analyse,  saisisse  dans  ses  condi- 
tions nouvelles  —  en  apparence  anormales  —  le  phénomène 
modifié  ou  troublé  par  la  toute-puissante  institutrice  d'expé- 
riences. 

Ainsi,  au  regard  de  l'Esprit,  sous  son  activité  qui  est  un  véri- 


(I)  Iniroiliiclion  à  la  médecine  e.rpériinenlale,  ]'°  partie,  c.  i  :  De  l'observation  et 
de  l'expérience.  On  pourra  consulter  les  notes  critiques  du  R.  P.  Seiitili..\nc.es,  Do- 
minicain. 

(21  Point  de  vue  bien  e.xprimé  par  cette  parole  de  Bacon  :  Facienda  est  imluris 
solulio  el  separatio,  non  per  ignem  certe  sed  per  mentem,  tanquam  ignem  divinum . 


ES  rntMII'ES  703 

UiLlo  instrument  (  1  j,  qui  suiiplrc  l'inslriiment  quand  il  ne  le 
met  pas  en  jeu  —  au  regard  de  l'esprit,  expérimentation  et 
observation  sont  tout  im  :  isolant,  morcelant,  analysant  la 
nature  pour  y  surprendre  le  mobile,  le  variaiile,  l'anor- 
mal. 

Et,  en  réalité,  c'est  le  variable  qui  est  régulier —  c'est  l'anor- 
mal qui  devient  loi,  au  lieu  d'en  être  une  déroj;ation.  L'essen- 
tiel n'est  pas  qu'il  y  ait  pcrliirlialion  proprement  dite  ;  au  fond, 
il  n'y  en  a  jamais;  il  y  a  seulement  une  modification  de  la 
natiin-,  activement  isolée,  activement  choisie  par  l'esprit  :  «  Que 
la  perturbation  soit  produite  par  accident  ou  autrement,  l'esprit 
de  l'expérimentateur  n'en  compare  pas  moins  i)ien.  11  n'est 
donc  pas  nécessaire  que  l'un  des  faits  à  comparer  soit  considéré 
comme  un  trouble  :  d'autant  plus  qu'il  n'y  a  dans  la  nature  rien 
de  troublé  ni  d'anormal  ;  tout  se  passe  suivant  des  lois  qui  sont 
absolues,  c'est-à-dire  toujours  normales  et  déterminées.  Les 
elTets  varient  en  raison  des  conditions  qui  les  manifestent,  mais 
les  lois  ne  varient  pas.  L'état  physiologique  et  l'étalpathologique 
sont  régis  par  les  mêmes  forces,  et  ils  ne  diffèrent  que  par  les 
conditions  particulières  dans  lesquelles  la  loi  vitale  se  mani- 
feste (2).  " 

Revenons  maintenant  aux  sciences  de  l'inorganique. 

Il  serait  encore  plus  facile  d'appliquer  aux  méthodes  du  chi- 
miste et  du  physicien  ces  profondes  méditations  de  Cl.  Bernard 
—  surtout  celles  qui  concernent  l'identité,  sous  l'actif  regard 
de  l'esprit,  de  l'observation  et  de  l'expérimentation,  du  normal 
et  de  l'anormal  —  et,  par  suite,  la  part  de  convention  et  de  li- 
berté dans  l'établissement  des  catégories  scientiiiques.  Dans  le 
monde  inorganique,  où  estla  distinction  du  normal  et  de  l'anor- 
mal ?  Le  point  de  fusion  d'un  corps,  par  exemple  du  phosphore, 
à  ii%  sous  la  pression  760,  est-il  normal,  àl'exclusion  du  point 
de  fusion  provoquée  dans  d'autres  conditions,  très  éloignées 
de  celles  que  réalise  le  cours  actuel  de  la  nature'?  Non,  il  n'y 

(1)  C'est  parce  que  l'aclu-i'é  de  V Esprit  équivaut  à  iaclivilé  d'un  inalrument  que 
nous  croyons  pouvoir  dire  avec  M.  Le  Hoy,  et  du  moins  nous  l'espérons  dans  le 
même  sens  que  lui,  «  qu'une  donnée  brute  ne  devient  fait  scientifique  qu'en  se  rat- 
tachante un  manuel  opératoire  •>.  Revue  de  Métaphysique,  vaaxs  l'JOO,  p.  \i'i.  Lire 
le  passage  qui  précède.) 

(2   Introduction  à  l'étude  de  la  inédrcine  expérimentale,  p.  19. 


■;04  A.  DE  LA  BAltRK 

a  pas  un  milieu  normal,  un  autro  anormal.  Seulement  il  y 
a  une  diversité  Je  milieux,  et,  relativement  à  cette  diversité, 
un  choix  commandé  par  les  exigences  d'une  délinilion.  En 
même  temps  qu'il  implique  «  l'action  »,  ce  choix  nous  met  en 
présence  d'un  état  concret,  choisi  comme  base  d'opérations, 
ensemble  de  collocations  ou  conditions  d'existence. 

Aussi,  sur  le  terrain  des  diverses  sciences  —  qu'elles  impli- 
quent ou  non  l'emploi  d'une  formule  mathématique  —  le  pro- 
cédé scientilique  comporte  essentiellement  une  dissociation  et 
un  morcellement,  nous  met  en  présence  de  conditions  d'existence 
librement  définies  —  et  tout  cela  est  le  t'ait  d'une  raison  pra- 
tique s'orientant  vers  telle  méthode  opéi-atoire,  choisissant  tel 
état  de  nature,  en  vue  de  recherches  plus  faciles,  de  systèmes 
plus  harmonieux  et  de  définitions  plus  simples. 

-Xous  sommes  loin  d'avoir  lout  dit  sur  celle  question.  11  est 
un  instrument  de  dissociation  l't  d'analyse  dont  nous  n'avons 
pnini  parlé,  pourtant  le  premier  instrument  de  la  raison  pra- 
tiijne,  le  j)remier  milieu  matériel  ti  la  faveur  duquel  s'opèrent 
les  morcellements.  Ce  milieu  est  Vhmu/ination.  Comme  ces  ap- 
pareils enregistreurs,  qui  reçoivent  l'empreinte  des  moindres 
pulsations  de  la  vie  et  nous  en  conservent  fidèlement  les  varia- 
tions, l'imagination  se  j)rète  à  traduire  et  à  conserver  tous 
les  gestes  de  la  science  vécue.  Tous  ces  cITorts,  toutes  ces  ten- 
dances, toutes  ces  déniarciies  de  la  raison  pratique  se  reHètent 
en  des  schhncs,  décalque  tout  à  la  fois  delà  pensée  et  de  l'action, 
matérielle  empreinte  où  se  grav^ent,  dans  leur  mobile  continui- 
té, tous  les  efforts  de  l'art,  toutes  les  industries  de  l'investiga- 
tion, tous  les  artifices  utiles  à  la  conquête  de  la  vérité,  en  un 
mot,  tous  les  drames  de  <<  la  vie  intérieure  ». 

Ace  pointde  vue,  l'imagination  est  un»////r//et  nniiislnmn'nl : 
en  elle  s'opère  tout  d'abord  le  morcellement;  en  elle  il  subsiste 
pour  subvenir  aux  recherches  ultérieures,  pour  assurer  la  con- 
tinuité de  la  vie  et  de  l'action.  Mais  j'éviterai  de  surcharger  le 
présent  article  et  n'insisterai  pas  sur  cet  ordre  d'idées  :  nous 
le  retrouverons  plus  tard. 


LES  PIUXCIPES  TOS 


La  scionco  s'oriente  vers  runilé  des  formes  intelligibles,  vers 
la  solidarité  de  toutes  les  explleations  abstraites.  Elle  travaille 
donc  à  éliminer  ionles  les  mesures  concrètes  et  conventionnelles. 

Le  concret  ne  sera  pas  supprimé  ;  du  moins,  sa  part  sera 
rciluite.  Pas  un  de  nos  lecteurs  auquel  nous  ne  puissions 
donner  quelque  idée  de  ce  résultat  par  l'exemple  enfantin  du 
système  métrique  :  la  multiplicité  des  étalons  concrets  (are, 
stère,  litre,  etc.;  est  ramenée  à  l'unifiante  synthèse  qui,  au 
moyen  de  relations  abstraites,  suspend  à  une  seule  mesure  con- 
crète, à  un  seul  étalon  —  le  mètre  —  l'ensemble  de  ces  mesures 
conventionnelles.  Mais  le  concret  subsiste.  La  science  ne  sau- 
rait s'en  défaire,  quels  que  soient  ses  progrès  dans  cette  voie 
d'abstraction  et  de  systématisation. 

Ces  remarques  vont  nous  servir  à  compléter  ce  qu'il  y  avait 
d'approximatif,  à  corriger  ce  qu'il  y  avait  de  provisoire  dans  les 
considérations  précédentes  relatives  aux  coHocatio/is,  aux  mi- 
/iru.r^  aux  i/i/fcrfiices. 

Tous  ces  éléments  concrets,  foutes  ces  conditions  d'existence, 
nous  les  avons  d'abord  considérées  comme  immobiles,  ou  du 
moins  immobilisées  par  l'esprit.  Nous  avons  pris  l'ébullition 
du  phosphore  à  ii"  et  nous  avons  décrété  immobile  la  pression 
du  milieu  ambiant.  C'est  dans  un  lieu  invariable  ([wq  nous  avons 
fait  varier  les  expériences  relatives  à  la  chute  des  corps. 

Mais  il  faut  éliminer  tout  ce  concret,  mettre  toute  la  nature 
en  mouvement,  construire  une  formule  où  les  milieux  eux- 
mêmes,  accélération,  pression,  etc.,  primitivement  déterminés 
deviennent  variables.  Et  pour  obtenir  une  plus  grande  généra- 
lité, ime  plus  parfaite  réduction  du  concret,  il  faut  que  ces  qua- 
lités relatives  soient  déhnies  par  relation  à  un  étalon  aussi 
universel  que  possible.  Et  les  étalons  eux-mêmes,  seront  com- 
parés entre  eux,  définis  les  uns  par  rapport  aux  autres.  Tout  ce 
travail  de  réduction  à  l'unité  ne  va-t-il  pas  enfin  bannir  le  con- 
cret et  les  conditions  fixes  d'existence,  pour  y  substituer  l'uni- 
versel relatif,  exprimé  dans  quelques  formules"?  N'arriverons- 
nous  pas  au  pur  intelligible,  à  l'intelligible  homogène,  excluant 


706  A.  I.E  LA  BAUnE 

la  diversité  et  riiétérogénéitc  du  concret  —  à  /'taiirixjiir  il),  où 
s'éranoiiissent  tous  Irs  grnres  ?  Cet  état  parfait  de  la  science,  c'est 
/('  (ontiiut  intelligible,  que  réclame  M.  Brunsliwicg,  et  que  re- 
pousse M.  Le  Roy. 

Si  ce  vieu  de  la  science  était  atteint,  il  est  vrai  que  le  monde 
serait  parfaitement  intcllijj;ible.  Plus  de  discontinuité  dans  nos 
système»  ;  plus  de  multiplicité  dans  les  mesures  concrètes,  plus 
d'hétérogénéité  dans  les  grandeurs  mesurées,  toutes  réduites  à 
la  quantité  spatiale.  Partout  l'homogène  dans  la  matière,  comme 
l'homogène  dans  la  formule. 

^lais  la  vérité  scientilique,  telle  qu'elle  nous  est  donnée,  est 
rebelle  à  la  réalisation  de  ces  rêves  ambitieux.  Par  nKmients,  il 
est  vrai,  à  certaines  heures  oîi  l'identilication  universelle  se  fait 
plus  fiévreuse  et  plus  liàlive,  il  semble  que  nous  touchions  au 
(erme.  Il  semble  que  nous  arrivions  à  quelques  formules,  à 
(juelques  étalnns  de  moins  en  moins  nombreux  :  c'est  l'Océan 
de  l'abstrait  qui  monte,  enserre  un  archipel  de  plus  en  plus 
réduit.  Mais,  en  revanche,  ce  qui  reste  de  grandeurs  concrètes 
apparaît  de  plus  en  plus  irréductible,  de  plus  en  plus  indispen- 
sable comme  le  nécessaire,  comme  la  seule  adéquate  e.rpre^sion 
du  vrai.  C'est  le  corps,  sans  lequel  l'abstrait  ne  saurait  subsis- 
ter. C'est  l'anneau  immobile  où  est  suspendue  la  chaîne  dia- 
lectique ;  où  le  relatif  doit  venir  trouver  un  point  d'appui,  in- 
dispensable à  son  intelligibilité  aussi  bien  qu'à  sa  réalité. 

Il  en  serait  ainsi,  même  dans  le  cas  de  rintelligii)ilité  la 
plus  complète  et  la  plus  envahissante  —  même  abu-s  que 
tout  le  concret  serait  homogène  à  trois  mesures  :  à  l'étendue, 
à  la  masse,  au  temps  —  susceptible  par  conséquent  d'être 
immédiatement  comparé  au  mètre,  au  gramme,  à  la  seconde 
—  adéquatement  mesuré  par  eux.  Même  alors,  le  triple  con- 
cret formerait  l'indestructible  terre  ferme  que  ne  saurait 
entamer  l'Océan  de  l'intelligible  —  l'indispensable  matière, 
dans   laquelle    l'esprit    abstrait    ses   relations,   au    moyen    de 


1 1)  Je  me  sers  à  dessein  de  ce  mot,  héritage  bai  baie  ie  la  scolastique.  Et  ceux 
<|ui  en  ont  pinétré  le  sens  comprendront  combien  au  point  de  vue  de  la  philosophie 
liadilionnelle,  je  veux  dire  .lU  point  de  vue  de  Tanalogie  et  des  catégories,  qui 
exclut  l'univocilé  de  l'être  —  combien,  à  ce  point  de  vue  particulier,  mais  im- 
portant —  il  importe  de  donner  raison  à  la  Ihéorie  de  la  discontinuUé. 


LES  l'IilSCIPES  707 

laquelle  il  en  mesure  les  variahles  et  pliénoniénales  données 

Mais  nous  n'en  sommes  même  pas  là.  Après  les  identilica- 
tions  précipitées,  viennent  les  régressions  vers  la  connaissance 
plus  vraie.  Après  les  formules  qui  identifient  les  agents  incon- 
nus, après  l'abus  d'insuffisantes  analogies,  vient  l'heure  de 
résipiscence.  On  considère  plus  respectueusement,  avec  une 
plus  liumble  réserve,  ces  forces,  ces  fluides,  ces  agents  mysté- 
rieux. 11  peut  bien  y  avoir  équivalence  des  formules,  corres- 
pondance et  proportionnabilité  des  étalons.  Rien  n'autorise  à 
s'avancer  plus  loin.  Si  les  formules  semblent  se  confondre,  si 
les  océans  d'intelligibilité  semblent  se  rejoindre,  dans  le  con- 
cret subsiste  un  fondement  nécessaire  à  la  discontinuité. 

Et  alors  la  nécessité  de  choisir  les  étalons  primitifs  :  mètre, 
gramme,  seconde,  nous  ramène  à  la  considération  du  milieu,  à 
la  nécessité  des  r/a/s  de  nature  cnni-cn/ioiinels.  Os  grandeurs 
concrètes  ne  seront  définies  mesures  valahlcs,  rialons  adéquats, 
que  dans  telles  circonstances  ambiantes.  Le  mètre  ne  sera 
vraiment  décrété  étalon,  grandeur-type,  que  dans  certaines  con- 
ditions de  température.  Celle-ci  sera  elle-même  définie  par 
d'autres  circonstances.  Le  gramme  réclame  tout  un  ensemble 
conventionnel.  On  peut  dire  que  chacun  de  nos  étalons  est 
défini  par  un  rlal  de  nahirr  arbitrairement  choisi. 

Mais  alors  le  concret,  le  point  de  départ  est  arbitraire.  S'il  en 
est  ainsi,  ne  va-l-il  pas  communiquer  à  la  science  tout  entière 
son  caractère  conventionnel? 

Et  voilà  précisément  le  problème  précédemment  posé  pour  les 
lois  empiriques  les  plus  éloignées  de  la  réduction.  Nous  le 
retrouvons,  il  est  même  plus  pressant,  en  présence  de  l'ensemble 
scientifique.  Seulement,  à  mesure  que  les  perspectives  s'élar- 
gissent, à  mesure  que  diminue  la  part  de  convention,  la  ques- 
tion s'éclaircit  et  se  précise. 

Parce  que  le  choix  de  certaines  bases  entraîne  dans  toutTédi- 
licc  une  diversité  de  style  et  de  structure,  en  viendrons-nous  à 
dire  que  tout  l'édifice  est  conventionnel? 

11  semble  que  ce  soit  la  pensée  des  principaux  partisans  do 
la  ('  philosophie  nouvelle  ».  Non  seulement  ils  affirment  l'abso- 
lue discontinuité  du  concret  —  mais  sur  des  îlots  sans  cesse 
déplacés  par  les  décrets    du  physicien,  sur  le  sable    toujours 


708  A.  DE  LA  BARRE 

mouvant,  on  ne  saurait  construire  que  des  édifices  provisoires. 
La  relation  inlclligible  se  déplace  sans  cesse  avec  le  point  de 
repère  auquel  elle  est  ajustée. 

Donc,  l'intelligible  n'a  point  de  fondement  dans  les  choses  !  Et 
là-dessus  grand  émoi,  grand  scandale  au  pays  des  intellectua- 
listes. 

Ceux-ci  réagissent,  et  combien  vivement!  en  faveur  de  Yintel- 
ligililc.  L'intelligible  doit  tout  envahir  et  le  concret  doit  s'y 
abîmer  tout  entier,  i'ius  de  discontinu,  plus  d  hétérogène  dans 
l'être  comme  dans  la  pensée.  Tout  se  tient  dans  rimmancnli' 
continuité  de  l'esprit  !  1  i. 

Nous  ne  pensons  devoir  incliner  ni  d'un  côté,  ni  de  l'autre. 
Sans  doute,  tout  se  tient  dans  une  transcrndante  intplligibililt': 
DKtis  l'Ile  rs/  iimcilifdtle  arec  la  dhcuntinnité  drs  imtnaïK'ntps 
caléf/orii-s  de  l'esprit  humain.  Nos  concepts  sont  pris  dans  le 
réel,  et  comme  tels  soumis  à  des  cati'gories  :  la  science  ne  nous 
autnrise  pas  à  les  confondre.  Elle  ne  peut  supprimer  la  diver- 
gente multiplicité  du  donné  :  elle  nous  invite  plutôt  à  accen- 
tuer ses  dill'érences  et  ses  oppositions. 

Alors,  la  diversité  du  concret,  par  suite,  la  diversité  des  for- 
mules issues  de  points  de  repère  et  d'étalons  conventionnels, 
devient  conciliable  avec  la  transcendante  unité  de  l'intelligible, 
unité  visible  seulement  pour  l'Esprit  (|ui  peut  s'afl'ranchir  des 
servitudes  du  coTicret,  des  catégories  tiii  Uni.  Dès  lors,  la  diversité 
des  systèmes  cunventionnels,  —  plus  exactement  :  systèmes 
issus  de  faits  librement  adoptés,  —  cette  diversité  estconciliable 
avec  la  souveraine  harmonie,  où  tous  les  possibles  s'accordent,  où 
toutes  les  antinomies  disparaissent.  Pour  regarder  la  nature, 
nous  avons  adopté  des  points  de  vue  divergents  qui  nous  ont 
donné  divers  groupements  d'abstraits  et  de  concrets  :  voilà  la 
liberté,  le  choix  des  systèmes. 

N'y  a-t-il  pas  en  Dieu  même  liberté  de  grouper  les  êtres  sui- 
vant des  ordres  divers?  —  autour  d'éléments  auxquels  il  fait 
librement  jouer  un  rùle  dominateur,  autour  d'hypothèses  com- 
mandant la  diversité  des  exécutions  providentielles?  in  s/atu 
ndtiira'  //iiive.  In  sta/t/  natiirie  intrgriV,  rcl  lapsie.  N'y  a-t-il  pas 


(1)  Voir  le   récent  article  de   M.  Brinshnmcc;  :  Rente  de  ilélaplnjsique  et  de 
Morale,  juillet  1001. 


LKS  PlilSCIPES  709 

pour  DiL'ii  niriiii'  liliertr  cl  mullipliciU'  ilos  plans  mUurols, 
superposés  ù  i'ininiuahlç  nr-cessitfi  des  relations  essentielles, 
(les  arclii'-types  contenus  dans  l'éminenco  do  son  Ktre?  0  ulli- 
tiiili)  dirilianim  sapientue  ft  scicnt'ui'  /)'•! .'  El  si  le  Créateur  est 
lil)ro  dans  le  mode  comme  dans  le  l'ail  de  la  création  et  du  gou- 
vernement, si  sa  Providence  peut  prendre  des  atli/iides  diverses 
pour  construire  le  mon<le,  organiser  son  évolution,  si  ces  a/li- 
litdes  peuvent  déterminer  divers  groupes  naturels,  pourquoi 
létre  raisonnable  ne  prendrait-il  pas  également  diverses  atti- 
tudes pour  répartirdans  des  perspectives  variées  les  groupements 
naturels?  Ainsi  aucun  scandale  à  craindre  de  la  part  de  liijerlé  que 
trouverai l  une  raison  pratique  dans  le  groupement  logique  des 
natures,  dans  l'établissement  des  lois  dérivées.  En  cela,  rien  de 
contradictoire  à  l'intelligibilité  transcendanlale.  Il  peut  y  avoir 
cohérence  des  espèces  avec  le  genre,  à  plus  forte  raison  cohé- 
rence des  genres  avec  le  supra-logique;  et  cette  cohérence  se 
concilie  avec  la  discontinuité,  avec  l'incohérence  qui  sépare 
entre  elles  les  catégories. 

En  d'autres  termes  :  si  la  miturr  rs/  imr,  il  ne  srn^iiit  jias 
i/ii'à  nuire  reprit  i-IIp  iloirc  apparaître  telle  ;  il  ne  s'ensuit  pas 
que  toutes  ses  manifestations,  toutes  ses  données  concrètes  et 
abstraites  doivent  nous  apparaître  dans  l'homogénéilé  d'un 
unique  réseau  de  formules.  Au  contraire,  du  moment  que  nous 
la  saisissons  dans  des  morcellements  pratiques,  dans  d"s  expé- 
riences concrètes  où  elle  se  fraclionne  nécessairement,  il  faut 
que  le  donné  soit  discontinu,  en  un  sens  incohérent,  puisqu'il 
faut  que  les  (jenres  soient  multiples  et  irrédiirtibles. 

11  n'en  suit  pas  que  la  science  soit  arbitraire  et  convention- 
nelle là  moins  d'équivoquer  sur  les  mois).  11  suil  seulement 
que  nous  sommes  impuissants  à  obtenir  l'intelligible  absolu, 
transcendant  à  tout  groupement  délini,  à  toute  réalisation  con- 
crète. Il  suit  seulement  (et  ce  n'est  pas  une  conclusion  nou- 
velle :  la  Indique  des  sciences  ne  peut  que  la  rajeunir  et  la 
dégager  du  psltlacisme  qui  l'obscurcissait),  il  suit  que  nous 
atteignons  l'abstrait  dans  le  concret  ■  1}  et  que  forcément,  sou- 

fn  Telle  est  au  fond  la  raison  derniore  pi>iir  l.iquelle,  empruntés  au.x  choses 
finies,  nos  concepts  sont  atvdogues.  Llieu  seul  est  .iMranchi  de  celte  imperfection 
logique,  voyant  les  créatures  dans  ses  idées  ou  plulùt  dans  son  Idée  unique, 
Iranscendanle  aux  catégories  liumaines. 


710  A.  DE  LA   BARIiK 

mise  aux  conditions  du  L-oncrct,  notre  science  dépend  d'un  fait 
initial,  d'une  mesure  —  que  ce  fait,  cette  mesure,  nous  sont 
imposés  par  l'ordre  sprcial  dans  lequel  nous  sommes  pratique- 
ment engagés  pour  atteindre  Tordre  universel  (Il  —  enlin,  pour 
parler  le  langage  de  l'école,  il  suit  que  ir/  ardre  courre/,  dans 
lequel  nous  saisissons  l'absolu  des  lois,  n'est  pourtant  pas 
l'ordre  transcendant,  mais  un  ordre  partiel  et  dérivé  —  qu'il 
n'est  pas  l'ordre  es.sen/ie/,  mais  seulement  un  ordre  naturel, 
c'est-à-dire  un  ordre  dans  lequel  sont  engagées  certaines 
natiirex,  c'est-à-dir«  certaines  tendances  et  certaines  finalités. 

Et  ainsi,  partis  d'un  certain  positivisme  scienlilique,  jaloux 
des  faits  et  respectueux  des  contingences,  nous  rejoignons  une 
conception  familièn^  aux  théologiens —  un  point  de  vue  dialec- 
tique usuel  et  classique  —  une  distinction  autant  qu'une  com- 
pénétration  —  de  l'abstrait  intelligible  et  du  concret  naturel 
{natiira  :  lendentia  in  ftneni  et  prinripinm  uperationum)  — 
vérités  capitales,  foncières  chez  Augustin  et  Thomas  d'Aquin, 
aussi  bien  que  chez  Auguste  Comte  et  chez  d'autres  logiciens 
modernes.  Seulement,  pour  les  premiers,  l'abstrait  et  le  concret, 
l'ordre  essentiel  et  les  ordres  naturels  se  dilTérencient  et  se 
synthétisent  sous  le  regard  de  Dieu,  sous  le  libre  choix  de  son 
Fiat  créateur  et  de  son  décret  providentiel,  conséquemment  sous 
le  regard  de  l'intelligence  humaine,  libre  elle-même  dans  la  con- 
templation des  ordres  naturels  fragmentaires.  Tandis  que,  pour 
les  autres,  la  multiplicité  des  ordres  naturels  (où  s'enveloppent 
l'abstrait  et  le  concret,  la  loi  et  les  phénomènes,  le  même  et  le 
multiple)  —  se  dissocie  et  se  synthétise  tour  à  tour  sous  le 
regard  de  la  science,  invitant  l'expérimentateur  à  choisir,  en 
même  temps  que,  s'imposant  au  spéculatif  constructeur  de  for- 
mule, ils  commandent  soumission  à  l'ordre  intelligible. 

On  peut  se  placer  tour  à  tour  au  point  de  vue  théologique, 
au  point  de  vue  de  la  dialectique  positive.  An  point  de  vue  thco- 
loçjiijue  :  E)ieu  a  voulu  liistoricjiiemetit,  successivement,  des 
ordres  multipliés,  qu'un  i-egard  superliciel  peut  trouver  diver- 
gents et  contradictoires  (on  sait  quelles  apparentes  antinomies 


(I)  En  d'autres  termes  :  l'ordre  spécial,  qui  est  i/y/iHe,  est  un  i/ioycn  pour  atteindre 
1  ordre  universel. 


LES  l'niNCIPES  7H 

dans  les  (Irrivaliniis  jiriinaircs  et  secondairos  du  dniii  naturol  : 
los  exemples  alionilriit)  —  mais  qui  se  concilient  pourtant  rf«/(\ 
la  traif<rfii(/aiirr  île  l'iiitcHii/ihlc.  La  même  contradiction  des 
mêmes  antinomies  ne  doit-(dle  pas  se  retrouver  ailleurs  —  tou- 
jours possible,  cliaciue  foi-^  (|u'une  iiitidligence  et  un  vouloir 
personnels  r(>ia;ar(leiit  la  nature,  et  la  rej^ardant  sous  un  jour 
limité,  choisissent  une  des  attitudes  possibles?  Ainsi  me  plaçant 
^nr  II'  Icrra'in  (!<■  la  science  /jositir/%  je  m'identifie  à  l'observa- 
teur qui  cherche  un  ordre,  parce  qu'il  hii  faut  une  7iiesiire,  un 
étalon,  un  point  d'appui  dans  le  concret.  La  diversité  des  ordres 
liistor'ujaes  se  réalise  dans  la  succession  des  temps  :  et  c'est  un 
spectacle  digne  de  la  Science  do  voir  les  lois  diverses,  issues  de 
l'éternelle  loi,  présider  à  la  sénilité  du  nuuide  qu'elles  vont 
dissoudre  aussi  bien  qu'à  la  première  organisiition  de  sa  période 
embryonnaire.  Et  cette  diversité  évolutive  qui  alfecte  la  suc- 
cession des  temps  alTecte  aussi  bien  la  multiplicité  des  mondes 
dans  l'espace  :  l'ordre  naturel  n'est-il  pas  là-bas  —  au-delà  de 
Sirius  —  tel  ou  tel  ordre  que  le  savant  aurait  pu  librement 
choisir  et  donner  comme  base,  par  exemple,  à  son  système  chi- 
mique :  celui  où  serait  complètement  bouleversé  l'état  naturel 
de  nos  corps  actuels,  complètement  intervertis  leurs  rapports 
énergétiques,  leurs  allinités  chimiques,  dissociées  leurs  combi- 
naisons? 

Ainsi,  diversité  des  ordres  historiques  — pourtant  réalisation 
d'un  ordre  unique  dans  la  dispersion  de  l'espace  aussi  bien  que 
dans  la  succession  des  temps  :  voilà  l'objet  d'un  choii  libre 
pour  l'expérimentateur  qui  prend  un  point  d'appui  dans  telles 
réalités  concrètes,  dans  un  ordre  présent  ou  lointain,  actuel  ou 
possible  —  aussi  bien  que  pour  le  grand  Artiste  qui  décrite  cette 
multiplicité  chronologique  et  spatiale. 

A.  DE  LA  BARRE. 

(^4  suivre.] 


KANT   ET   kUNO   FISCHER 


Les  secours  ne  maïKiiienl  plus  en  France  à  qui  vent  appro- 
fondir la  philosophie  de  Kant.  Des  inlerprèles,  à  la  luis  péné- 
tiMnls  el  érndits.  onl  mis  à  la  port(''e  de  chacun,  avec  les  fruits 
dune  méditation  personnelle  des  écrits  du  <;rand  penseur,  les 
éclaircissemenls  puisés  chez  ses  commentateurs  autorisés  à 
l'étranger.  Ces  derniers,  comme  il  est  naturel,  se  rencontrent 
principalement  en  Allemagne. 

i'armi  eux,  l'un  des  plus  considérahles  est  sans  contredit 
l'illustre  professeur  de  Heidelberg  :  Knno  Fischer.  Volontiers 
on  nous  cite  son  sentiment,  V(dontiers  on  s'en  inspire.  Celui- 
là  ferait  mieux  encore,  qui  traduirait  en  noire  langue,  nous 
n'osons  dire  Yhisloirf  de  la  jjliilosojilni-  modcnir  en  son  entier, 
du  moins  la  partie  relative  an  fomlatenr  ilu  criticisme.  Exécu- 
tée à  souhait,  la  traduction  désirée  olfrirail  au  lecteur  français 
les  deux  choses  qu'il  aime  à  trouver  réunies,  et  qu'il  regrette 
de  voir  trop  souvent  séparées  dans  les  ouvrages  allemands  :  la 
valeur  du  fond  et  le  charme  de  la  forme.  Une  exposition  très 
large  et  cependant  très  précise,  qui,  j)laçant  le  système  de 
Kant  dans  son  cadre  historique  et  logique,  montre  admirable- 
ment la  nature  et  l'originalité  des  doctrines  qui  le  composent, 
un  style  apte  à  tout  rendre,  pour  lequel  il  n'y  a  pas  de  théo- 
ries obscures,  et  qui  dissiperait  les  brouillards  de  l'idéalisme 
transcendantal,  si  ces  brouillards  pouvaient  être  dissipés, 
n'est-ce  pas  là  de  quoi  assurer  le  succès  de  l'entreprise?  Sans 
doute,  l'art  même  que  déploie  Kuno  Fischer,  lorsqu'il  repro- 
duit, après  les  avoir  repensées  et  élucidées,  les  idées  des  phi- 
losophes dont  il  s'est  constitué  l'historien,  a  attiré  le  soupçon 


Jv'  l.YT  ET  lifSn  FISCUEli  713 

sur  l'oxacliluili'  iIc  ses  cxpusiliniis.  Tromk'h'iihurg  |1)  voiidrail 
bien  nous  persuader  qu'en  [)arliculier,  colle  qui  a  Kant  pour 
objcl  est  H  ranger  au  rang  des  belles  iniidèles.  La  crilique 
de  Trendelenburg  professe  un  scrupuleux  respect  à  TendroiL  de 
l'esprit  et  de  la  lettre  des  systèmes.  Il  lui  arrive  parfois  d'étoulTer 
sous  la  lettre  l'esprit.  En  dépit  de  ses  attaques,  le  Kant  de  Kuno 
iMscher  est  et  reste  le  Yérital)le  Kant.  Et  voilà  pourquoi  nous 
siiubailnns  fort  qu'une  bonne  traduction  française  permette 
enlin  il'en  prendre  connaissance  aux  amis  de  la  philosophie 
(jui  ignorent  la  langue  de  l'auteur. 

En  attendant  une  aide  aussi  précieuse,  et  à  son  défaut,  la 
{{/^■ciic  </r  p/iilosujjhie  a  pensé  qu'une  sorte  de  résumé  synthé- 
tique de  l'interprétation  donnée  par  Kuno  Fischer  des  théories 
kantiennes  qui  nous  intéressent  davantage,  à  savoir  des 
théories  auxcjuelles  le  philosophe  de  Kumigsberg  s'est  arrêté 
touchant  la  connaissance,  serait  capable  de  reiuIre  quelque  ser- 
vice. Le  but  des  pages  que  nous  publions  aujourd'hui  et  de 
celles  qui  suivront,  est  de  répondre  à  cette  pensée  et  de  satis- 
faire ce  désir.  Nous  entendons  remplir  l'oflice  de  rapporteur. 
Toutefois,  nous  ne  nous  interdisons  nullement,  ii  l'occasion, 
d'intervenir  dans  la  discussion,  et,  puisque  en  déhnitive, 
[histoire  de  la  philosophie  n'a  sa  pleine  signilication  que 
si  on  la  cultive  pour  la  philosophie  même,  —  d'émettre  notre 
npiniiin  sur  les  théories  exposées. 


A  la  Iiase  de  la  doctrine  de  la  connaissance  telle  que  Kant 
l'a  élaborée,  est  la  théorie  de  l'espace  et  du  temps.  C'est  elle  qui 
nous  occupera  la  première.  .Mais,  avant  de  demander  à  notre 
guide  de  nmis  y  introduire,  recueillons  de  sa  bon  che  des  ins- 
tructions générales  qui,  en  nous  initiant  au  kantisme,  facilile- 
ront  pour  nous  l'intelligence  de  son  fondement.  N'oici  d'abord 
des  considérations  que  l'on  peut  qualilier  de  considérations  de 

(1)  L:i  polriiiique  des  deux  adversaires  est  résumée  dans  les  deux  brochures 
intitulées  :  Kiom  Fischer  laul  sein  Kanl.  et  A?itili-eiidelenLu)'g.  Nous  nous  en 
occuperons  ii  la  lin  de  ce  travail. 


TU  Eugène  BEURLIEK 

simple  Ijon  sens.  —  Selmi  un  mot  de  l'aulsen,  que  ciLe  Kuno 
Fischer,  la  philosophie  de  Kant  est  un  rationalisme  renouvelé. 
Entre  ce  nouveau  rationalisme  et  l'ancien  l'opposition  est  celle 
du  criticisme  au  dogmatisme  métaphysique.  L'opposition  dont 
il  s'agit  ici  n'est  que  le  résultat  de  l'application  aux  questions 
particulières  de  la  philosophie  de  deux  manières  de  penser 
susceptililes  d'être  étendues  à  toute  espèce  de  sujets  :  la  i)ensée 
dogmatique  cl  la  pensée  critique.  On  pense  en  dogmatique 
lorsque,  acceptant  les  objets  comme  donnés,  on  se  contente  d'en 
déterminer  les  caractères.  On  pense  en  critique  lorsque  l'on 
cherche  d'où  viennent  et  ces  objets  et  ces  caractères,  lorsqu'on 
étudie  la  formation  des  uns  et  des  autres.  HxpiiqucM'  la  produc- 
tion et  l'évolution  des  choses,  retracer  la  marche  historique  de 
leur  (h'veloppement,  là  est  le  problème,  la  tâche,  le  fruit  de  la 
critique.  L'univers,  la  terre,  la  vie  sur  la  terre  dans  la  variété 
des  formes  et  des  espèces,  l'humanité  et  ses  races,  les  peuples 
et  leur  histoire,  la  religion  et  les  témoignages  qui  s'y  rappor- 
tent, la  pensée,  l'art,  l'ensemble  de  la  civilisation,  rien  n'est 
hors  de  son  domaine.  Pour  l'établir  ne  sufht-il  pas  de  rappeler 
les  ncmis  des  Kant  et  des  Laplace,  des  Laniarck,  des  Darwin, 
des  Wolf,  des  Nieburhr,  des  Strauss,  des  Baur,  et  d'embras- 
ser du  regard  tout  le  xix'  siècle.  Kant  a  soumis  à  la  critique  la 
connaissance  elle-même.  Par  là,  il  a  mérité  d'être  salué  comme 
étant,  si  l'on  en  juge  d'après  la  hiérarchie  ou  la  généralité  des 
problèmes,  c'est-à-dire  en  philosophe,  le  fondateur  d'une 
époque  qui  a  rec^'u  à  bon  droit  le  nom  d'âge  de  la  critique. 

Que  cet  honneur  ait  été  décerné  à  Kant  en  toute  justice,  on 
n'en  doute  point  dès  que  l'on  comprend  (|uele  jour  où  le  philo- 
sophe transporta  le  problème  de  la  connaissance  sur  le  terrain 
de  la  critique,  il  absorba  pour  ainsi  dire  en  lui  les  autres  pro- 
blèmes relatifs  au  monde  sensible.  Prenons-y  garde  en  effet  : 
les  conditions  qui  précèdent  n'importe  quelle  expérience,  qui 
en  sont  les  facteurs,  ne  peuvent  pas  être  des  connaissances  ;  ce 
sont  des  facultés,  ce  sont  ces  puissances  que  Kant  englobe  dans 
la  désignation  collective  de  raison  pure.  Puisqu'elles  rendent 
possible  l'expérience, c'est  qu'elles  en  rendent  possibles  lesobjets 
qui  n'existeraient  pas  sans  elles.  Or,  les  objets  d'expérience 
sont  cet  ensemble  de  choses  que  nous  désignons  par  l'expression 


A.\.vr  r.r  Kiwn  iiscHEit  '\y, 

(11'  muiuit'  M'iifeiljlc.  Regardé  du  eu  biais,  le  prublèine  de  la  pos- 
sibilité (le  l'oxpérience  s'identifie  donc  au  problème  de  la  pro- 
duction du  monde  sensible.  La  manière  dont  Kantlc  pose  devait 
ramener  à  découvrir  et  à  adopter  un  point  de  vue,  duquel  ce 
monde  ne  nous  apparaît  plus  comme  une  réalité  qui  nous  est 
donnée,  mais  comme  le  produit  de  la  raison  elle-même,  ou.  si 
l'on  aime  mieux,  des  conditions  qui  règlent  son  activité. 

11  n'est  pas  facile  de  se  placer  à  ce  point  de  vue  ;  mais  qui- 
conque parvient  à  saisir  la  difficulté  à  laquelle  se  beurte  l'esprit 
quand  il  essaie  de  le  faire,  est  à  même  de  mesurer  la  distance 
qui  sépare  la  pensée  critique  de  la  pensée  dogmatique.  Une 
comparaison,  dont  Ivant  est  lui-même  l'auteur,  peut  servir 
d'auxiliaire.  I\aul,  on  le  sait,  aimait  à  assimiler  le  cbangement 
radical  que  son  système  allait  elTectuer  en  pbilosopbie  à  celui 
que  le  système  de  Kopernic  avait  opéré  en  astronomie.  Il  y  a 
ici  plus  qu'une  simple  comparaison.  La  ditTérence  des  astrono- 
mies  de  Ptolémée  et  de  Kopernic  est  le  parfait  symbole  de 
l'opposition  qui  existe  entre  la  pensée  critique  et  la  pensée  dog- 
matique. Du  point  de  vue  où  la  nature  nous  a  placés,  le  monde 
sensible  se  présente  à  nous  comme  un  objet  qui  nous  est  offert, 
donné  :  c'est  une  spbère  :  la  terre  est  au  milieu  ;  autour  de  la 
terre,  le  ciel,  le  soleil,  la  lune,  les  planètes  décrivent  leurs 
révolutions  en  des  espaces  de  temps  inégaux.  Cette  représentation 
du  monde  sensible  était  celle  de  l'ancienne  astronomie.  Pour 
expliquer  les  phénomènes  que  nous  observons  dans  le  monde, 
la  marche  générale  ou  particulière  des  corps  célestes,  celle-ci 
imaginait  la  machinerie  des  sphères,  et  lorsqu'il  fallait  rendre 
compte  des  irrégularités  apparentes  dans  les  mouvements  des 
planètes,  elle  recourait  à  l'Iiypothèsc  des  épicycles,  qui,  en 
fin  de  compte,  ne  suffisaient  pas  à  remplir  leur  destination.  Ko- 
pernic vient,  il  s'aperçoit  que  l'astronomie  occupe  une  posi- 
tion intenable  ;  il  découvre  la  racine  de  ses  erreurs  :  c'est  la 
conception  géocentrique.  A  cette  conception  il  substitue  la  con- 
ception héliocentrique  qui,  plaçant  la  terre  à  l'horizon  du 
spectateur,  la  lui  montre  parmi  les  planètes,  et,  du  même  coup, 
lui  révèle  et  la  cause  et  la  fatalité  de  l'illusion  dont  il  était 
dupe  tant  qu'il  ignorait  la  rotation  du  globe  (|u'il  habite,  au- 
tour de  son  axe  et  autour  de  l'axe  du  monde.  Le  rapport  des 


-;iO  Eugène  BEURLIER 

deux  points  de  vue  géocentrique  et  héliocentrique  csl  exacte- 
menl  celui  de  la  pensée  dogmatique  el  de  la  pensée  critique, 
quand  cette  dernière  pose  le  proLIème  de  la  connaissance  du 
monde  sensible.  L'ignoi-ance  de  son  mouvement  propre  porte 
l'habitant  de  la  terre  à  croire  que  les  corps  célestes  tournent 
autour  de  lui.  (Test  parce  qu'il  ignore  l'activité  dépensée  par 
son  esprit  dans  la  production  du  monde  sensible,  que  l'homme 
prend  ce  monde  pour  un  oitjet  (jui  lui  esl  donné  ctpoui'qualités 
des  choses  le  résultat  de  son  travail.  C'est  par  conséquent  aussi 
la  découverte  de  cette  activité  qui  mettra  un  terme  à  son  illu- 
sion, ^lais  combien  plus  profondément  cachée  est  ici  la  source 
de  l'erreur!  L'erreur  géocentrique  tient  au  lieu  oîi  séjourne  notre 
corps,  l'erreur  dogmatique  tient  à  la  constitution  même  de  notre 
raison.  L'ignorance  (ou  l'oubli) de  l'activité  que  nous  déployons 
en  tirant  de  nous-mêmes  la  l'eprésentatiou  des  corps  est  la 
cause  qui  l'engendre.  Le  dogmatisme  (>st  donc  pour  nous  la 
manière  de  penser  la  plus  naturelle.  Seule,  la  démonstration  du 
rôle  que  nous  jouons  dans  l'apparition  des  chos(!s  matérielles 
peut  le  réfuter  et  lui  ôter  la  valeur  que  nous  lui  accordons. 

De  l'opposition  qui  existe  entre  la  pensée  dogmatique  et  la 
pensée  critique,  en  général,  ressort  la  nécessité  qui  lie  l'une  h 
l'aulre.  el  cette  nécessité  se  trouve  la  même  entre  la  philosopliie 
dogmatique  et  la  philosophie  critique.  La  pensée  dogmatique 
est  d'abord  l'antécédent  qui  devait  forcément  précéder  la  pen- 
sée critique.  OEuvre  de  facultés  inconscientes,  la  représentation 
sensible  est  dogmatique  de  naissance.  Dogmatiques  par  consé- 
quent sont  aussi  notre  conscience  naturelle  et  notre  première 
manière  de  penser,  qui  reposent  sur  elle.  Mais  c'est  sur  elle 
aussi  que  s'appuie  la  philosophie  dogmatique.  Dès  lors,  il  est 
clair  que  la  philosophie  dogmatique  devait  précéder  la  philoso- 
phie critique  comme  l'astronomie  de  Ploléméc  celle  de  Koper- 
nic.  A'ayons  donc  pas  la  naïveté  de  nous  étonner  de  ce  que  la 
philosophie  critique  ait  fait  si  tard  son  entrée  sur  la  scène  où 
évoluent  les  systèmes.  La  marche  de  la  haute  spéculation  est 
semblable  à  celle  de  la  pensée  en  tout  homme.  11  faut  avoir 
acquis  la  connaissance  d'un  grand  nombre  de  choses  pour  être 
en  état  de  s'intéresseï  à  leur  production  et  de  poser  cette  ques- 
tion :  Gomment  ces  choses  on,t-elles  été  formées  ?  (lontez  une 


K.l.AT  F.T  KVSO  FISCHER  'i' 

histoire  à  un  enfant.  Tandis  qne  la  curiosité  tend  son  esprit 
avide  de  représentations  et  d'images,  il  ne  songe  guère  à  s'in- 
former de  l'origine  du  récit  qu'il  écoute  et  à  demander  quel  en 
est  le  garant.  S'il  s'inquiète  de  la  vérité,  ce  n'est  pas  dans 
l'intérêt  de  la  connaissance,  mais  parce  qu'il  sait  que  les  faits 
réels  frappent  plus  fortement  son  imagination.  On  le  satisfait 
en  lui  certifiant  l'authenticité  de  l'aventure.  En  face  du  monde 
sensiiile.  l'homme  est  naturellement  comme  un  enfant,  et  il  serait 
absurbe  et  ridicule  qu'il  fût  critique  avant  d'être  dogmatique.  — 
La  pensée  dogmatique  est  ensuite  l'objet  de  la  pensée  critique. 
A  quoi  donc  celle-ci  pourrait-elle  s'appliquer  sinon  à  celle-là? 
Ue  même,  la  philosophie  critique  a  pour  objet  la  pensée  dogma- 
tique en  bloc  et,  par.  suite,  la  philosophie  dogmatique  qu'elle 
enveloppe.  En  elfet,  son  objet  est  la  connaissance  considérée  à 
titre  défait.  La  philosophie  dogmatique  est  à  la  critique  ce  que 
la  vie  est  à  la  physiologie,  la  vision  à  l'optique,  l'audition  à 
l'acoustique,  le  langage  à  la  grammaire.  Prétend-on  supprimer 
cette  relation  nécessaire,  et  veut-on  que  l'esprit  soit  critique 
dès  qu'il  cnmmence  à  s'exercer,  on  lui  impose  d'attendre,  pour 
se  lancer  dans  le  torrent  des  choses  et  penser,  qu'il  connaisse 
les  conditions  pures  de  la  pensée  et  les  principes  qui  la  fon- 
dent ! 

Quelques-uns  objectent  que  l'entreprise  de  la  philosophie 
critique  est  radicalement  impossible,  attendu  qu'elle  implique 
l'usage  des  facultés  mêmes  qu'il  s'agirait  d'étudier  et  que  cet 
usage  est  et  ne  peut  être  que  dogmatique.  Kuno  Fischer  estime 
avoir  le  droit  d'écarter  l'objection  en  invoquant  la  distinction 
essentielle  de  la  raison  criti<[uée  (dans  le  langage  kantien  : 
formes  de  la  sensibilité  et  catégories  de  l'entendement  consti- 
tutif) et  de  la  raison  critiquante  (entendement  logique).  Nous 
sommes  de  ceux  qui  tiennent  l'objection  pour  valable.  Nous 
crovons  qu'en  ce  qui  concerne  l'entendement  logique  et  les  ca- 
tégories, la  distinction  est  fausse.  A  nos  yeux,  une  analyse 
rigoureuse  et  complète  de  l'intelligence  met  à  nu  l'identité 
foncière  des  deux  entendements  que  l'on  voudrait  séparer.  La 
forme  primordiale  de  la  pensée  est  l'idée  d'être,  idée  objective, 
nécessaire  et  universelle;  l'espritprend  possession  de  cette  idée, 
lorsqu'il  en  déduit  leprineipe  didentité.  En  scrutant  les  choses 


718  EuGKNE  BEURLIER 

(]tie  lui  montre  rexpérioncc  à  la  lumière  de  Tèlre  iJétil  cl  de 
l'axiome  d'identité,  notre  intelligence  découvre  les  lois  absolues 
du  réel  qu'expriment  lespremiers  principes  et  dont  l'objectivité  et 
la  nécessité  lui  sont  t^aranties  par  l'objectivité  et  la  nécessité  de 
l'idée  et  de  l'axiome  d'où  elle  les  a  tirées.  Mais,  sans  anticiper 
sur  une  discussion  qui  viendra  à  son  heure,  nous  pouvons  con- 
stater, qu'en  fait,  la  critique  kantienne  emploie  dans  la  position 
et  détermination  des  formes  pures,  au  moins  l'une  de  ces  caté- 
gories qui  en  font  partie  et  que  l'entendement  logique  devrait 
être  seul  à  critiquer.  L'espace  et  le  temps  sont  des  formes  pures 
que  la  critique  |)0stule  ;»  titre  de  conditions  nécessaires  de  notre 
représculalinn  des  ciioses  sensibles  ;  en  eux-mêmes,  ce  sont  les 
lois  nécessaires  de  l'activité  que  déploie  chez  nous  la  sensibi- 
lité. Mais  qu'est-ce  qu'une  loi  sinon  un  rapport,  et  que  fait 
l'activité  si  elle  n'établit  pas  un  rapport  entre  ce  qui  produit  et 
ce  qui  est  produit.  Or,  ce  qui  produit  est  cause  et  ce  qui  est 
produit  est  un  effet.  Voilà  donc  l'espace  et  le  temps  définis  à 
l'aide  d'une  de  ces  catégories  qui  pouvaient  bien  être  l'objet  de 
la  critique,  mais  ne  devaient  |)as  lui  servir  d'instrument.  Et  si 
la  causalité  intervient  dans  la  délinitiim  des  formes  pures  de 
l'espace  et  du  temps  (non  moins  que  dans  celles  des  autres 
formesd'ailleurs,  elle  intervientde  mèmepourlesposer.  Or,  ilfaut 
une  raison  de  le  faire,  et  quelle  pourrait  être  cette  raison  sinon 
le  besoin  d'une  cause  de  nos  représentations  ?  Aussi  bien,  il  n'eri 
pourrait  aller  autrement.  Réduit  à  son  unique  loi,  l'entendement 
n'aurait  qu'un  rùle  à  remplir  :  poser  les  représentations  comme 
faits,  les  analyser,  affirmer  leurs  différences  ou  leur  identité. 
Heslreignons  par  conséquent,  si  nous  voulons  en  garder  le  bé- 
nélice  et  éviter  que  le  bon  sens  ne  cède  la  place  à  la  contradic- 
tion, les  premières  instructions  que  nous  avons  iemandées  à 
Kuno  Fischer.  Oui,  lorsqu'il  s'agit  de  connaissances  détermi- 
nées, la  pensée  dogmatique  doit  précéder  la  critique  et  peut 
devenir  pour  elle  un  objet  d'étude.  Encore  est-il  que  la  raison 
ne  j)()urra  jamais  se  critiquer  elle-même,  au  sens  kantien  de 
l'opération,  tant  que  critiquer  ce  sera  penser. 


KAST  ET  KiyO  FIUCHER  719 


Si,  selon  la  logiqno  alisirnitt'  cl  l'histoiio.  sclnii  Tordre  des 
idées  et  des  faits,  la  pliilusoiiliic  critique  ne  peut  que  suivre 
la  philosophie  dogmatique,  il  dut  y  avoir —  le  génie  de  son 
inventeur  étant  laissé  de  côté  —  des  raisons  qui  provoquèrent 
l'apparition  du  criticisme  au  moment  précis  où  il  vint  prendre 
rang  au  nombre  des  systèmes.  Lorsque  Kant  lit  sa  grande 
découverte,  la  philosophie  était  arrivée,  en  vertu  d'un  dévelop- 
pement régulier,  presqu'an  seuil  même  de  la  critique.  Depuis 
le  xviT  siècle,  la  raisiin  aspirait  à  une  connaissance  des  choses 
exempte  de  préjugés  et  libre  de  toute  tradition.  KUc  la  cherchait 
aux  deux  points  de  vue  et  dans  les  deux  directions  opposées  de 
l'empirisme  et  du  rationalisme.  Kuno  Fischer  nous  retrace  de 
main  de  maître  le  tableau  de  ces  efforts  de  la  philosophie  et 
des  conditions  historiques  i|ui  pri''parèrent  l'éclosion  du  kau- 
tisme. 

La  connaissance  vraie,  disait  l'empirisme,  est  celle  qui 
résulte  de  perceptions  exactes  et  des  conséquences  qui  s'en 
tirent  légitimement.  Non,  répli(juail  le  rationalisme,  car  si 
cela  était,  la  connaissance  serait  relative  à  nos  perceptions  et 
les  choses  en  Soi  lui  échapperaient.  La  connaissance  claire  et 
distincte,  obtenue  à  l'aide  de  l'axiome  du  principe  et  de  la  con- 
séquence, voilà  la  vraie  connaissance.  Rationalisme  et  empi- 
risme admettent  en  commun  que  les  choses  données  sont  con- 
naissables  pour  l'esprit,  et  que  la  connaissance  que  nous  en 
avons  est  une  suite  de  leur  nature  ;  l'opposition  des  deux  doc- 
trines est  celle  de  la  métaphysique  et  de  l'expérience.  F'uis- 
qu'elles  sont  l'une  et  l'autre  dogmatiques,  le  débat  qui  les 
divise  ne  saurait  être  tranché  que  par  un  juge  qui  s'élève  au- 
dessus  des  deux  partis.  Il  viendra  en  son  temps,  mais  alors 
seulement  que  les  adversaires  auront  essayé  de  tenir  les 
diverses  positions  qu'il  leur  est  possible  d'occuper.  La  série  en 
est  assez  vite  épuisée. 

Bacon  indique  à  la  science  sa  voie  et  réduit  la  connaissance 
à  notre  expérience  des  choses  naturelles,  expérience  dont  les 
niovens  sont  l'observation  et  des  recherches  bien  conduites.  Le 


720  EuuoF,  BEURLIEU 

siiprasensiblo,  losprit  humain  cnnimo  le  ilivin  sont  oxclus  de  la 
science  parce  qu'ils  sont  iiors  des  prises  de  l'expérience.  ]\Iais, 
qu'est-ce  que  l'expérience  ?  Quels  en  sont  les  éléments?  Com- 
ment sont-ils  possibles  ?  Bacon  a  néjj^ligé  ces  probliimes.  Locke 
essaie  de  les  résoudre  :  les  données  de  l'expérience,  ce  sont  nos 
impressions  ou  idées,  ces  représentations  simples  que  nous  ne 
faisons  pas,  mais  que  nous  recevons  toutes  faites  et  que  nous 
procurent  les  sens  ou  la  réflexion.  Cette  thèse  fonde  le  sensvia- 
lisnie,  car  cela  seul  est  objet  de  connaissance  qui  est  objet  de 
perception  sensible.  Nous  percevons  les  phénomènes  et  leurs 
caractères,  les  expressions  par  lesquelles  se  manifestent  les 
choses  ;  nous  n'atteignons  ni  l'essence  ni  la  substance  de  ces 
choses,  et  nous  sommes  aussi  peu  informés  de  ce  qu'est  la 
matière  que  de  ce  qu'est  l'âme  ou  Dieu. 

Nous  sommes  donc  placés  en  face  de  nos  impressions.  Que 
sont-elles  ?  Sont-elles  de  nature  corporelle,  purs  mouvements 
que  les  corps  étrangers  excitent  dans  ifn  organe  central,  nu  de 
nature  spirituelle,  c'est-à-dire  telles  qu'aucune  réalité  maté- 
rielle ne  soit  capable  de  les  produire  el  de  les  iiiipriuKM- en  noire 
esprit  ? 

Ilobbes  opte  pour  la  première  hypothèse  et  professe  le  maté- 
rialisme. Berkeley  préfère  la  deuxième  et  invente  cet  idéalisme 
qui  nie  l'existence  de  corps  indépendants  de  la  perception  sen- 
sible, et,  ne  tnuivant  que  Dieu  comme  cause  possible  de  nos 
impressions,  demeure  fidèle  au  dogmatisme.  Ces  deux  doc- 
trines nées  d'un  même  principe,  celui  du  sensualisme,  s'enten- 
dent pour  repousser  les  choses  en  soi  et  vont  aboutir  au  scep- 
ticisme de  Hume.  Les  choses  en  soi  une  fois  supprimées,  la 
théorie  de  la  connaissance  n'a  plus  qu'à  expliquer  la  liaison 
des  idées  et  des  images.  Y  a-t-il  entre  les  idées  une  liaison 
évidente  et  nécessaire  ?  Dans  certains  cas,  la  relation  qui  unit 
des  idées  ressort  d'une  simple  comparaison  et  d'une  analyse  : 
le  jugement  qui  l'exprime  est  le  jugement  de  raison  dont  la 
nécessité  est  incontestable  et  requiert  uniquement  l'entende- 
ment qui  rapproche  et  décompose  ;  la  mathématique  nous  en 
offre  le  type  achevé  avec  ses  connaissances  d'une  évidence  et 
d'une  certitude  démonstrative.  Mais  nous  avons  affaire  aussi, 
dans  d'autres  cas,  à  des  impressions  diverses,  à  des  faits,  à  ces 


K.l.M'  ET  Kl'M)  llSCHEll 


données  do  roxpériL'ncc  dont  Ii'londnc  est  l'élendue  même  de 
la  peroeplion.  Xoiis  les  lions  par  une  synthèse  dont  voici  le 
schéma  :  A  est  B.  S'il  y  a  nn  jugement  dexpériencc  qui  ait  une 
viilcui'  scienlilique,  ce  sera  une  syntht>se  nécessaire.  Ce  juge- 
ment d'expérience  existe-t-il  ?  La  liaison  des  impressions  ne 
nous  étant  pas  fournie  avec  les  faits,  nous  ne  pouvons  l'en 
extraire  par  voie  de  simple  analyse.  Si  elle  existe,  c'est  donc 
qu'elle  résulte  des  lois  de  notre  nature  psycliique,  lesquelles 
sont  dilTérenles  des  lois  de  l'entendement  logique,  qui  n'est 
qu'une  fouetiou  de  comparaison  et  d'analyse,  (les  luis,  il  faul  les 
chercher  dans  la  manière  dont  nous  associons  involontairement 
les  images  de  nos  impressions  ;  et  le  prohlème  de  la  connais- 
sance devient  le  prohlème  de  la  loi  de  l'association  des  idées 
ou  des  opérations  de  l'imagination. 

Nos  idées  s'associent  selon  la  ressemhlance,  la  contiguïté 
(temporelle  ou  spatiale)  et  la  causalité.  En  tant  que  règles  de 
l'imaginaliiin  liumaine,  ces  rapporis  n'ont  qu'une  signification 
psychique  et  particulière.  L'une  d'elles  cependant  prétend  à 
une  valeur  ahsolument  nécessaire  et  universelle,  iadépendante 
des  circonstances  accidentelles  au  milieu  desquelles  agit  l'ima- 
gination de  l'individu. 

Cette  prétention  est-elle  justifiée  ? 

Puisque  toute  l'eprésenlalion  esl  ou  une  impression  ou  la 
suile  d'une  impressinn.  la  causalité  esl  une  impression  ou  une 
idée  que  l'esprit  en  a  lir''>e  analytiquement.  ^lais,  en  réalité,  elle 
n'est  ni  l'une  ni  l'autre.  Elle  n'est  pas  une  impression,  car  les 
impressions  sont  isolées,  jamais  leur  liaison  ne  nous  est  donnée. 
Nous  voyons  l'éclair,  nous  entendons  le  tonnerre,  mais  nous 
ne  voyons  .pas,  nous  n'entendons  pas  dans  l'éclair  la  cause  du 
tonnerre.  Locke  s'est  tromjié  lorsqu'il  a  fait  de  la  force  une 
idée  simple  à  nous  donnée  et  un  ohjet  de  perception,  d'expé- 
rience, une  impression.  Elle  n'est  pas  davantage  un  concept  de 
raison  :  car  l'analyse  la  plus  complète  ne  nous  montre  pas  B 
dans  A,  ni  par  conséquent  que  A  est  cause  de  B,  que  A  est  une 
cause  et  une  force  qui  produit  quelque  chose  de  dilférent  d'elle- 
même.  A  défaut  de  la  perception  et  de  la  raison,  reste  l'ima- 
gination. Diverses  impressions  nous  sont  données  en  série  dans 
le  temps.  Ces  mêmes  impressions  reviennent  si  souvent  dans 

45 


722  Eugène  BEIRI.IEK 

la  même  relation  de  temps  que  nous  nous  accoutumons  au  fait 
de  leur  succession  et  que  spontanément,  à  l'apparition  de  la 
première,  nous  attendons  la  seconde.  A  existe,  puis  B.  Nous  en 
venons  à  dire  :  B  existe  toujours  après  B  et  entin  A  existe  néces- 
sairement parce  que  A  existe.  La  ielationy;os7  hor  s'est  trans- 
formée en  relation  propter  hoc.  Si  les  idées  sont  aux  impres- 
sions ce  que  sont  les  copies  aux  originaux,  l'original  de  l'idée 
de  causalité  est  l'impression  d'une  succession  constante  ;  c'est 
dire  qu'elle  n'a  aucun  titre  à  revendiquer  le  caractère  de  la 
nécessité  et  de  l'universalité  absolue.  Même  explication  pour  la 
substance,  (|u'il  s'agisse  du  corps  ou  de  l'âme.  L'idée  en  naît 
dans  notre  esprit  de  l'association  imaginative  de  représentations 
qui  ont  entre  elles  le  plus  Jiaut  degré  de  ressemblance  et  dont 
la  liaison  est  si  facile  qu'elles  se  fondent  ensemble,  et  produi- 
sent l'apparence  d'un  objet  unique  qui  demeure  identique  à 
lui-même  et  subsiste  indépendamment  de  nous.  Ainsi  se  forme 
la  conception  d'un  monde  extérieur. 

Tel  est  le  scepticisme  de  Hume.  11  atteint  non  pas  le  fait  de 
la  connaissimc(\  mais  son  inlcrprétalioii  dogmatique.  Toute- 
fois son  elforl  pour  échapper  au  dogmatisme  est  vain.  Xe  s'est-il 
pas,  en  elTet,  enfermé  dans  un  cercle  ?  N'a-t-il  pas  commencé 
par  supposer  cela  même  qu'il  se  faisait  fort  d'expliquer  quand, 
pour  rendre  compte  de  la  liaison  de  nos  idées,  il  admet  que 
le  rapport  de  temps  nous  est  donné  ? 

A  l'inverse  de  l'empirisme,  le  rationalisme  demande  à  la 
pensée  claire  et  distincte,  à  des  axiomes  évidents  et  certains,  à 
la  loi  du  principe  et  de  la  conséquence,  de  la  cause  et  de  l'effet, 
la  connaissance  scientifique.  Son  modèle  en  ce  qui  concerne 
l'ordre  des  propositions  et  la  méthode,  est  la  mathématique. 
Descartes  lui  a  indiqué  la  direction  dans  laquelle  il  marche. 
Après  avoir  posé  comme  vérité  fondamentale  l'existence  de  la 
pensée  individuelle  et  la  substantialité  du  sujet  pensant,  Des- 
cartes a  admis,  qu'outre  l'esprit,  il  y  a  des  corps,  substances 
indépendantes  de  l'esprit  et  d'essence  différente  puisqu'elle 
consiste  dans  l'étendue  :  sa  philosophie  est  un  dualisme.  Faits 
de  matière  inerte,  les  corps  sont  sans  force  propre  ;  leurs  états 
de  mouvement  ou  de  repos,  dont  la  somme  demeure  constante, 
résultent  des  causes  extérieures,  conformément  à  des  lois  pure- 


nient  nn''caiii(|iios.  Ainsi,  an  nom  de  principes  métaphysiques, 
Descartes  est  ol)iiij,t''  île  nier  la  force  matérielle  et,  pour  assu- 
rer le  maintien  de  la  même  quantité  de  mouvement,  d'accorder 
aux  corps  nne  résistance  en  contradiction  avec  les  phénomènes 
que  Galilée  vient  de  découvrir.  La  métaphysique  se  met  en 
opposition  avec  l'expérience.  L'esprit  et  le  corps,  quoique  d'es- 
sence diverse,  sont  unis  ensemhlc  :  la  représentation  sensible, 
les  mouvements  volontaires  nous  sont  les  garants  de  cette 
union  ;  mais  l'hétérogénéité  des  deux  substances  ne  rend-elle 
pas  cette   union    impossil)le  ? 

De  deux  ciioses  l'une  :  ou  bien  l'esprit  et  le  corps  sont 
véritablement  des  substances,  cl,  dans  ce  cas,  leur  union  est 
un  miracle  que  la  volonté  de  Dieu  réalise  et  que  la  science  doit 
renoncer  à  expliquer,  ou  bien  cette  union  est  régie  par  des  lois, 
et  alors  l'esprit  et  le  corps  ne  sont  pas  des  substances,  ce  qui 
ruine  le  cartésianisme. 

Occasionalisme  ou  spinozisme,  il  l'aul  choisir.  Spinoza  com- 
prend que  le  rationalisme  exige  l'application  de  la  double 
nature  de  l'Iiomme,  l'union  de  l'àme  et  du  corps  ne  peut  pas 
rester  mystérieuse.  C'est  un  elTet  de  Dieu,  mais  un  etfet  qui, 
au  lieu  d'avoir  pour  cause  sa  volonté  arbitraire,  est  une  suite 
nécessaire  et  régulière  de  son  essence.  Dieu  est  donc  identique 
ii  la  nature,  il  est  l'unique  substance  :  la  pensée  et  l'étendue 
sont  ses  attributs.  De  l'être  divin  sortent  éternellement  les 
choses  et  l'ordre  de  l'univers,  ordre  immuable  comme  Dieu 
même,  liaison  des  choses  quii-ésulte  du  jeu  des  causes  el'licienles 
sans  spontanéité  et  sans  poursuite  de  fins.  Puisque  tout  est 
l'œuvre  d'un  être  en  qui  sont  la  pensée  et  l'étendue,  tout  est 
à  la  fois  étendu  et  pensé  :  la  connaissance  n'est  pas  produite, 
elle  est.  Le  système  du  monde  s'identifie  au  système  de  la 
connaissance.  La  connaissance  est  limitée  dans  l'homme  ;  mais 
elle  se  développe,  s'éclaircit,  se  redresse  et  se  purifie  de  l'er- 
reur, en  vertu  de  l'effort  qui  porte  l'homme,  aussi  bien  que 
n'importe  quel  être,  à  se  maintenir  dans  l'être  et  à  s'accroître. 
Si  le  dogmatisme  consiste  à  accepter  le  fait  de  la  connaissance, 
comme  donné,  et  donné  dans  la  nature  deschoses,  le  spinozisme 
est  le  plus  bel  exemplaire  du  dogmatisme.  C'est  aussi  le  système 
le  plus  conséquent,  s'il  faut  affirmer  l'opposition  de  l'étendue  et 


',U  Eugène  BEI  (ILŒR 

de  la  pensée  et  en  même  temps  l'iinilé  des  elioses  et  leur  encliaî- 
nenient  selon  la  loi  des  causes  eflicienles.  Mais,  par  là  même 
qu'il  enseignait  encore  l'hétérogénéité  de  la  pensée  et  de  l'éten- 
due, Spinoza  échouait  lors([u'il  essayait  d'expliquer  la  réciprocité 
d'action  des  processus  spirituels  et  corporels.  Le  système  niéla- 
[)hysique  de  la  connaissance  trahissait  son  impuissance  à 
rendre  compte,  non  plus  seulement  de  quelques  faits  d'expé- 
rience,  mais  de  l'expérience  entière  à   titre  de  fait. 

La  métaphysique  était  compromise.  Leibniz  espéra  la  lirerde 
la  position  périlleuse  où  elle  se  trouvait  et  la  réconcilier  avec 
l'expérience.  A  Hcscarles,  il  refuse  il'accorder  l'hétérogénéité  des 
substances  spirituelle  et  corporelle  ;  àSpinijza,  il  conteste  l'uni- 
cité de  la  substance  et  l'identité  de  la  nature  à  Dieu.  Contre 
tous  deux,  il  nie  le  dualisme  de  la  pensée  et  de  l'étendue. 
Communauté  (k^  l'essence,  analogie  des  choses,  |)luralité  des 
sui)slances,  unité  de  la  pensée  et  de  l'étendue,  il  introduit  ces 
thèses  capitales  avec  son  concept  delà  forc(\  active,  psyciiique, 
finaliste,  possédant  une  existence  indiviihudle,  liref,  de  la 
monade.  Pour  lui,  l'univers  est  l'ensemble  des  monades  dont 
chacune  représente  le  loul  ii  sa  manière,  avec  un  degré  de 
clarté  à  elle  propre  et  qui  a  sa  place  marquée  parmi  un  nombre 
infini  d'autres  degrés,  allant  des  représentations  les  plus 
obscures  aux  plus  distinctes.  Une  continuité  al)sohie  est  ména- 
gée dans  ce  règne  des  forces  représentatives,  dont  pas  une  n'est 
le  produit  d'une  autre,  et  qui  toutes  atteignent  leur  destination 
en  développant  spontanément  leurs  tendances,  (^es  èti'es  mona- 
diques  sont  éternels,  et  leur  liaison,  loin  d'élre  une  liaison  de 
dépendance,  un  commerce,  comme  l'exigerait  le  principe  de 
causalité,  est  une  harmonie,  préformée  en  tant  qu'elle  a  pour 
fondement  la  nature  des  choses,  préétablie  en  tant  qu'elle  a 
pour  origine  la  volonté  créalricede  |)ieu.  Ktant  des  substances, 
les  monades  s'excluent  mulu(dlenu>nt,  et  cette  exclusion  se 
manifeste  comme  force  de  répulsion  ;  elle  se  révèle  sous  la 
forme  de  sphères  remplies  de  forces,  de  corps  situés  dans  l'es- 
pace et  coexistants. 

Leibniz  ne  prit  pas  le  temps  de  donner  de  ses  idées  une 
exposition  systématique  et  de  les  traduire  dans  sa  langue  mater- 
nelle, Wolf  se  chargea  de  l'une  et  l'autre  tâche,  11   eut  à  cœur 


K.\yT  ET  Kl  sa  FISCHER  '■v:> 

(le  concilier  le  leibaiziaiiisnie  avec  les  pliilusophies  rivales. 
C'était  un  éclectique.  Malheureusement,  son  éclectisme  dut 
laisser  tomber  tout  ce  que  la  doctrine  de  son  maître  renfer- 
mait de  trop  profond  pour  être  accessible  à  l'expérience  ou 
démontré  avec  rij;ucur,  c'est-à-dire  ce  qui  constituait  l'origi- 
nalité de  la  monadologie.  Les  monades  ne  sont  plus  toutes 
de  nature  psvcbiqne,  le  dualisme  apparaît  de  nouveau,  et  si 
l'harmonie  préétablie  subsiste,  ce  sont,  contrairement  aux  vues 
de  Leibniz,  des  considérations  de  finalité  externe  et  d'utilité 
humaine  qui  sont  invoquées  pour  l'expliquer.  Les  contradictions 
qui  mettaient  en  conllit  l'empirisme  avec  le  rationalisme  et  !<?« 
divers  systèmes  de  métaphysique  les  uns  avec  les  autres  ren- 
daient nécessaire  une  tentative  d'éclectisme  :  l'essai  de  Wolf 
ne  réussit  pas.  La  forme  scolastique  dont  le  philosophe  avait 
enveloppé  son  système  put  bien  ([uelque  temps  en  voiler  les 
incohérences  ;  peu  à  peu  elles  apparurent,  et  de  l'école  de 
y\'o\{  sortirent  des  hommes  qui,  tout  en  faisant  profession 
d'éclectisme,  s'etîorcèrent  de  réconcilier  la  métaphysique  alle- 
mande et  l'empirisme  anglais.  Mais  le  système  de  Wolf  finit 
par  lasser  les  esprits.  La  deuxième  moitié  du  xvui"  siècle  vit 
llenrir  la  philosophie  qui,  en  .Mlemagne,  s'appela  philosophie 
des  lumières,  et  en  Anglett>rre,  philosophie  du  sens  commun. 
On  prend  dans  tous  les  systèmes  ce  qui  s'accorde  avec  l'enten- 
dement simple  et  droit,  on  repousse  ce  qui  le  contredit  ;  on 
rétablit  la  suprématie  du  bon  sens,  on  se  lie  à  la  lumière  natu- 
relle ;  on  veut  donner  une  égale  satisfaction  à  la  tète  et 
au  cœur,  distribuer  un  enseignement  fait  non  pas  pour  l'école 
mais  pour  le  monde,  et  l'exposer  dans  un  langage  intelligible 
îitons.  En  somme,  parles  voies  du  rationalisme  et  de  l'empi- 
risme, la  philosophie  en  étail  revenue  à  ses  commencements. 
La  connaissance  était  constatée  et  acceptée  comme  fait.  Ce  fait 
est  incontestable,  mais  la  question  n'est  pas  de  savoir  si  la  con- 
naissance existe  ;  il  s'agit  de  l'expliquer.  Les  temps  étaient 
accomplis  ;  l'affirmation  fondamentale  de  la  phihisophie  des 
lumières  allait  devenir  la  question  fondamentale  de  la  philo- 
sophie critique. 


;26  EloÈNE  BEURLIEU 


HI 


Cette  philosophie,  Kaiit  eut  la  gloire  de  l'inventer  ;  elle  fut 
l'œuvre  de  son  génie.  Mais  qui  dira  le  secret  du  génie  ?  Du 
moins,  puisque  le  génie  lui-même  ne  porte  ses  fruits  que  si  les 
circonstances  propices  lui  sont  fournies,  est-il  permis  de  recher- 
cher les  circonstances  intimes  qiii  —  avec  les  circonstances 
historiques  —  entourèrent  la  création  du  c'riticisnie.  Tout 
d'ahord,  ohserve  Kuno  Fischer,  il  y  avait  entre  la  nature 
morale  de  Kant  et  la  philosophie  critique  une  entière  harmonie. 
Deux  traits  essentiels  sont  particulièrement  h  noter  dans  le 
caractère  de  Kant  :  l'indépendance  qu'il  poussa  jusqu'au  rigo- 
risme, et  la  ponctualité  qui  alla  chez  lui  jusqu'à  la  pédanterie 
Homme,  il  ne  veut  agir  que  d'après  des  maximes  qu'il  ait  lui- 
même  étahlies,  qu'il  s'accoutume  à  suivre  en  toute  rigueur, 
rég  lant  sur  elles  sa  conduite  et  prenant  par  elles  pleine  conscience 
de  ses  actions  et  de  leur  rectitude.  Philosophe,  il  veut  pousser  jus- 
qu'aux conditions  premières  de  la  connaissance,  et,  de  ces  condi- 
tions, il  tire  des  principes  qui,  expliquant  notre  science,  en 
montrent  les  limites;  il  invente  la  philosophie  critique.  Cette 
indépendance  dans  la  recherche,  Kant  en  lit  toujours  preuve. 
Si,  avant  de  découvrir  le  criticisme,  il  fut  dogmatique,  sa 
manière  de  penser  ne  le  fut  jamais.  L'action  des  maîtres  l'exci- 
tait à  s'avancer  plus  loin  qu'eux.  A  aucun  moment  l'école  ne  put 
l'enchaîner.  C'est  aux  questions  controversées  qu'il  s'attaquait 
de  préférence  :  il  essayait  de  concilier  les  adversaires  et,  quand 
cela  était  impossible,  de  les  réfuter.  .\u  respect  pour  les  per- 
sonnes, il  joignait  une  sévérité  impitoyahle  pour  les  théories 
qui  lui  semblaient  erronées.  Attentif  à  tous  les  enseignements, 
il  en  répudiait  l'étroitesse.  Sans  crainte  dans  ses  investigations, 
prudent  dans  ses  jugements,  il  savait,  au  besoin,  ajourner  les 
réponses.  Au  reste,  il  excellait  à  régler  son  travail  d'après  la 
nature  et  l'importance  des  questions.  Chez  lui  point  de  hâte, 
point  d'élan  impétueux.  Rien  non  plus  qui  ressemble  à  une 
soudaine  révélation.  Et  ceci  est  digne  de  remarque,  observe  en 
deuxième  lieu  Kuno  Fischer,  que  le  développement  philoso- 
phique de  Kant  reproduit  le  mouvement  même  de    la  philos- 


K.L\r  i:t  kuxo  fischer  ;27 

phie  dogmatique.  A  ses  débuts,  sous  rintlucncc  de  Wolf  et  de 
Newton,  il  est  métaphysicien  et  ami  de  l'expérience.  Locke  et 
les  moralistes  anglais  le  convertissent  à  l'empirisme.  L'étude 
de  Hume  l'amène  au  scepticisme.  Mais  le  même  philosophe,  en 
le  tirant  de  son  assoupissement  dogmatique,  lui  suggère  le  pro- 
blème fondamental  de  la  philosophie  critique. 


IV 

Comment  la  connaissance  est-elle  possible,  c'est-à-dire  légi- 
time? Tel  est  ce  problème.  Pour  le  bien  entendre,  il  est  indis- 
pensable de  transposer  cette  formule  primitive  en  un  certain 
nombre  d'autres  formules  qui  monlrcnt  ses  aspects  divers.  — 
La  critique  ne  peut  entreprendre  de  discuter  la  légitimité  de 
la  connaissance  que  si  celle-ci  est  un  fait  authentique.  Mais 
Tadmission  de  cette  authenticité  implique  que  l'on  sache  en 
quoi  consiste  la  connaissance.  Le  problème  de  la  critique  se 
dédouble  donc  en  une  question  de  fait  et  en  une  question  de 
droit,  la  première  se  partageant  elle-même  en  question  de  la 
nature  et  en  question  de  l'existence  de  la  connaissance.  Et 
d'abord,  qu'est-ce  que  la  connaissance?  Toute  connaissance  est 
un  jugement,  c'est-à-dire  un  rapport  entre  deux  représentations 
dont  l'une  est  affirmée  ou  niée  de  l'autre.  Mais  la  réciproque 
n'est  pas  vraie  :  tout  jugement  n'est  pas  une  connaissance. 
Hume  nous  a  appris  que  les  jugements  sont  analytiques  ou  syn- 
thétiques ;  les  analytiques  éclaircissent  notre  savoir,  ils  ne 
rétendent  point;  les  synthétiques  l'étendent,  seuls  ils  sont  des 
jugements  de  connaissance  réelle.  S'ensuit-il  qu'ils  le  soient 
tous?  Non,  la  définition  serait  trop  large.  Parmi  lesjugements 
synthétiques,  il  en  est  qui  affirment  simplement  Taccident,  ce 
qui  est  vrai  de  tel  ou  tel  sujet  particulier.  Il  leur  manque  la 
nécessité  et  l'universalité  absolue  qui  est  le  propre  de  la 
science  qui  vaut  pour  tous  les  cas  et  s'impose  à  tous  les  esprits. 
Or,  l'expérience,  si  riche  soit-clle,  n'atteint  que  quelques  cas; 
elle  ne  peut  donc  pas  fournir  de  connaissances  qui  possèdent 
plus  qu'une  nécessité  et  une  universalité  comparatives.  Mais 
ce  qui  nous  est  donné   dans  l'expérience  est  sensible,  acquis 


728  Eugène  BEURIJER 

a  postfiiori.  La  vi'TitaMc  uni  vorsalili'  et  la  vérilaljlc  nécessité  ne 
peuvent  donc  appartenir  qu'à  des  connaissances  a  firiori.  I,a 
connaissance  réelle  sera  à  la  fois  a  priori  i^^X  synthétique  :  elle 
consiste  en  jugements  synthétiques  a  priori.  Y  a-t-il  donc  des 
jugements  synthétiques  a  jjriori?  S'il  existe  de  tels  jugements, 
les  objets  en  sont  sensibles  ou  suprasensibles.  Sensibles,  ce 
sont  ou  bien  des  constructions  efTcctuées  par  notre  esprit  et 
dont  la  mathématique  s'empare,  oU  des  choses  qui  nous  sont 
données  dans  l'expérience  et  que  la  physique  étudie.  Owaul 
aux  intelligibles,  la  mélapliysi(jue  se  les  réserve. 

Ces  trois  sciences  énoncent-elles  des  jugements  synthétiques 
a   priori?  La  mathématique   en    énonce  :  ainsi   la   géométrie 
afiirme  que  la  ligne  droite  est  le  plus  court  chemin  d'un  point 
à  lui  autre;  or,  l'idée  de  plus  court  chemin  n'est  pas  contenue 
dans  le  sujet  ligne  droite,   et  cependant  le   rapport   du  sujet 
à  l'attribut  est  absolument  nécessaire  et  universel.  Ce  juge- 
ment est  synthélique  a  priori.  Ainsi  l'arillimétiqne  ai'lirme  que 
7  -]-.■):=  12.  Impossible  de  penser  le  coiilraire,  et  cependant  ni 
l'idée  de  .">  ni  l'idée  de  7  ne  contiennent  d'avaiu^e  l'idée  de  12  ; 
le   sujet   pose  un    problème,  l'attribut  en   est  la  solution  :  le 
jugement   est   synthétique  a  priori.  La   physique  eu    énonce. 
Par  exemple  :  Tout  changement  a  une  cause  dans  la  nature, 
c'est  un  événement  qui  en  implique  un  autre  auquel  il  succède 
nécessairement  :  les  deux  événements  sont  différents,  leur  union 
est  donc  une  synthèse  et  cependant  leur  rapport  est  nécessaire  : 
le  jugement   est    synthétique   a  priori.    La    métaphysique  en 
énonce.  Elle  prétend  être  une  science  du  suprasensible  et  con- 
naître par  la  seule  raison  la  substance   de  l'àme,  le  commen- 
cement du  monde,  l'existence  et  les  attributs  de  Dieu.  Or,  tous 
les  objets  qui  ne  sont  pas  sensibles  sont  des  êtres  de  raison  et 
les  êtres  de  raison  ne  sont  que  des  représentations.  Si  la  méta- 
physique ai'rii'me  l'existence  de  ces  êtres  de  raison,  elle  le  fait 
à  l'aide  de  jugements  synthétiques  et,  comme  elle  ne  s'appuie 
pas  sur  l'expérience,  ces  jugements  sont  a  priori. 

11  y  a  donc  desjugemenls  de  connaissance  réelle  qui  dill'èrent 
des  jugements  de  la  logique  en  ce  qu'ils  sont  synthétiques  et 
des  jugements  do  simple  perception  en  ce  qu'ils  sont  a  priori. 
Dans  le  langage  de  Kant  est  pur  tout  ce  qui  est  a  priori.  Les 


KA.\r  i:r  ki.mi  i-ischkh  7-29 

jii;iements  do  connaissanci'  irollc  smit  ilcuir  [)\\v>  loiil  comme  les 
jiij;enicnls  de  la  logique  qui  soul  a  priori,  mais  ils  ilillV-rent  de 
ces  dorniei-s  précisément  par  leur  caractère  de  jugement  de 
connaissance  réelle.  Si  nous  mettons  à  profit  ces  instructions 
pour  formuler  le  problème  de  droit  qui  est  le  vrai  problème 
critique,  nous  obtiendrons  ces  énoncés  :  Comment  la  mathéma- 
tique pure,  comment  la  physique  pure  sont-elles  possibles? 
Enlin,  Kanl  appelle  nu''laph\ >ique  lau  sens  large  du  mot)  tout 
ce  qui.  à  la  dilTérence  des  connaissances  logiques,  est  synthé- 
tique, et  à  la  dilTérence  des  données  de  l'expérience,  est  néces- 
saire et  universel  ;  il  a  incorporé  de  la  sorte  la  mathématique 
à  la  métaphysique.  Le  problème  critique  dans  toute  son 
ampleur  se  posera  donc  comme  il  suit.  Comment  la  métajihy- 
<ique  en  général  est-elle  possible? 

Eugène  BEURLIER. 

(.4   silirrr. 


LA  NOTION   DE  MIXTE 

ESSAI    IlISTOUIQLl':    ET    CIUTIOIE 


SECONDE  PAKTIE 
De  la  révolution   chimique  jusqu'à  nos  jours     Suite'. 

VIII.      I.A     MÉCAMIjLfc;     CIIIMKJI  E     FONDER     SIR     I.A     TIIKRMODV.N  AM  Inl  i:. 

La  M(?caniqiie  cliiiiiiquc  iloit-elio  donc  demouror  piiromont 
empirique?  Doit-ello  (Hre  une  simple  collection  de  lois  expéri- 
mentales? Doit-elle  renoncer  à  se  réclamer  de  principes  géné- 
raux qui  la  raltachent  aux  autres  ptartiesdc  lalMiysique,  comme 
les  diverses  branches  d'un  arbre  se  relient  entre  elles  par  le 
tronc  commun  dont  elles  sont  issues?  Non  pas.  Il  est  une  doc- 
trine reine,  dépositaire  des  règles  fondamentales,  de  laquelle 
doivent  découler  les  diverses  disciplines  qui  constituent  la  Phy- 
sique et,  en  particulier,  la  Mécanique  chimique  ;  cette  doctrine  , 
H.  Sainte- Claire  Deville  l'a  signalée  :  c'est  In  Thermodyna- 
mique. 

La  clairvoyance  était  grande,  car  au  moment  où  Sainte-Claire 
Deville  la  désignait  comme,  tenant  les  clés  de  la  Mécanique 
chimique,  la  Therniodynamiqvu^,  encore  dans  l'enfance,  présen- 
tait une  sorte  de  chaos  où  se  confondaient  les  hypothèses  les 
plus  disparates  et  les  axiomes  les  plus  contradictoires  (1). 

(I)  Nous  ne  pouvons  analyser  ici  eu  détail  l'évolution  subie  pnr  la  Thermody- 
namique, évolution  qui  n"a,  avec  le  sujet  que  nous  traitons,  que  des  relations 
indirectes;  nous  nous  permettons  de  renvoyer  le  lecteur  aux  écrits  suivants  : 
P.  DuHEH,  Les  Théories  de  ta  chaleur  {Bévue  des  Deux  Mondes,  t.  CXXIX,  p.  869. 
et  t.  CXXX,  pp.  380  et  851:  1895).  —  L'Évotution  des  théories  physiques,  du 
XVII'  siècle  Jusqu'à  nosjoui'S  {Reçue  des  Questions  scientifiques.  1'  série,  t.  V,  1896). 


iA  MlTKiS  DE  MIXTE  731 

La  Tliornioilyimmiquc  repose  sur  deux  principes  :  le  priiRi|)e 
de  l'i^quivalence  entre  la  chaleur  et  le  travail  et  le  principe  de 
Carnol.  Introduit  dans  la  scieiux^  par  les  théories  mécaiiistes 
des  Kcoli's  épicurienne,  Cartésienne  et  Newtonienne ,  inli- 
memenl  lié,  en  apparence,  à  l'hypothèse,  acceptée  par  ces  trois 
Écoles,  que  la  chaleur  consiste  en  un  mouvement  des  dernières 
particules  des  corps,  le  principe  de  l'équivalence  était,  à 
l'époque  dont  nous  parlons,  le  seul  qui  fût  universellement 
connu  eL  appliqué.  Tiré,  par  Carnot,  d'une  induction  expéri- 
mentale, mndilié  par  Clausins  de  telle  manière  (ju'il  devint 
compatible  avec  le  principe  de  l'équivalence,  mais  j^ardant,  après 
cette  modification,  la  forme  d'un  postulat  que  vérifient  ses  con- 
séquences éloignées,  le  second  principe  était  encore  obscur  et 
méconnu  ;  réservé  aux  seuls  initiés,  il  n'avait  pas  été  vulgarisé; 
d'ailleurs,  sa  forme,  libre  de  toute  supposition  sur  la  consti- 
tution de  la  matière  et  la  nature  de  la  chaleur,  déplaisait  à  des 
physiciens(|u'enivraient  les  hypothèses  mécanistes  et  qui  deman- 
daient surtout  à  la  Thermodynamique  de  confirmer  et  de  |)ré- 
ciser  ces  hypothèses. 

Pendant  bien  des  années,  les  physiciens  s'efforcèrent  de 
donner  du  principe  de  Carnot  une  interprétation  qui  s'accordât 
avec  la  théorie  mécanique  de  la  chaleur;  les  tentatives  furent 
puissantes  et  ingénieuses  ;  elles  demeurèrent  vaines.  Alors  un 
revirement  étrange  et  dont  nous  pouvons  à  peine  aujourd'hui 
entrevoir  l'incalculable  portée  se  produisit  dans  l'esprit  de  ceux 
qui  s'inquiètent  des  théories  physiques.  Furent-ils  lassés  par 
l'inanité  des  elTorts  faits  pour  interpréter  mécaniquement  le 
principe  de  Carnot?  Furent-ils  désespérés  par  la  stérilité  des 
hypothèses  atomistiques  et,  notamment,  de  la  théorie  cinétique 
des  gaz?  Prirent-ils  subitement  conscience  de  la  véritable 
nature  et  de  l'exacte  portée  des  méthodes  physiques?. Toujours 
est-il  que  leur  conception  de  la  Thermodynamique  fut,  tout 
à  coup,  profondément  modifiée. 

Non  seulement  ils  ne  réclamèrent  plus  que  le  principe  de 
Carnot  fût  déduit  des  principes  de  la  .Mécanique  et  de  l'hypo- 
thèse que  la  chaleur  est  un  mouvement  ;  non  seulement  ils 
acceptèrent  ce  principe  comme  un  postulat  dont  les  consé- 
quences plus  ou   moins  éloignées  devaient  être  soumises  au 


732      .  1'-  DLHEM 

contrôle  de  l'expérience  ;  mais  encore  ils  en  vinrent  pen  à  peu 
à  rompre  les  liens  qui  rattachaient  le  principe  de  l'équivalence 
aux  antiques  suppositions  sur  les  atonies,  sur  les  forces  molé- 
culaires, sur  la  nature  de  la  chaleur,  et  à  donner  de  ce  principe 
une  exposition  semblable  à  celle  qui  avait  été  donnée  tout 
d'abord  pour  le  principe  de  Carnot.  Puis,  ces  tendances  nou- 
velles s'étendirent  de  proche  en  proche  aux  diverses  branches 
de  la  Physique  ;  les  hypothèses  mécanistes  avaient  été  longtemps 
considérées  comme  les  fondements  indispensables  d'une  théorie 
phvsique  rationnelle:  on  en  vint  à  les  regarder  comme  les 
restes  de  méthodes  surannées,  à  les  bannir  des  diverses  doc- 
trines, à  regarder  toutes  les  lois  fondamentales  de  la  Physique 
commedes  propositions  soumises  à  une  seule  condition,  l'accord 
de  leurs  corollaires  avec  les  vérités  de  faits.  Ainsi,  le  principe 
de  (larnot  était  apparu  tout  d'abord  avec  des  caractères  étranges 
qui  le  distinguaient  de  tous  les  autres  principes  admisjusque-là 
dans  les  théories  physiques;  maintenant,  il  devenait  le  modèle 
que  devaient  imiter  les  principes  de  toute  théorie  sainement 
constituée. 

Tandis  que  la  Thermodynamique,  dégagée  de  tout  alliage 
avec  les  suppositions  mécanistes,  se  construisait  selon  la  forme 
logique  qui  allait  servir  de  type  aux  diverses  branches  de  la 
Physique,  elle  étendait  le  champ  de  ses  applications.  Aupara- 
vant, la  théorie  de  In  chaleur  était  une  des  parties  de  la 
Phvsique,  au  même  titre  que  les  théories  de  l'électricité,  du 
magnétisme,  de  la  capillarité.  Au  fur  et  à  mesure  que  la 
Thermodynamique  progressait,  cette  opinion  semodiliait:  on 
s'apercevait  que  ses  lois  n'exeniaient  pas  seulement  leur  empire 
dans  la  théorie  de  la  chaleur,  mais  dans  les  théories  les  plus 
diverses;  en  particulier,  les  recherches  de  llelmholtz,  de 
W.  Thomson,  de  R.  Clausius,  lirent  éclater  aux  yeux  de  tous 
que  les  méthodes  de  la  nouvelle  science  fournissaient  des  res- 
sources imprévues  à  l'étude  des  phénomènes  électriques.  Gra- 
duellement, on  comprit  que  la  Thermodynamique  n'était  pas 
une  branche  de  la  Physique,  mais  le  tronc  à  partir  duquel 
divergeaient  les  diverses  branches  ;  qu'elle  n'était  point  l'étude 
d'un  ordre  particulier  de  phénomènes,  mais  le  recueil  des  prin- 
cipes généraux,  applicables  à  l'étude  de  tous  les  phénomènes; 


LA  .\(iriii.\-  liK   MI.XTE  733 

que  SOS  luis  irgissaicnt  tous  les  changL'uiciils  qui  se  peiiveul 
produire  dans  le  monde  inorganique. 

Bien  divers  sont  les  phénomènes  que  régil  la  Thermodyna- 
mique :  condensation  et  dilatation  des  lluides,  déformations 
élastiques  des  solides,  électrisation,  aimantation,  ehangement 
d'intensité  des  courants;  mais,  au  premier  rang  do  ces  change- 
monts,  il  c(ui\  ient  do  citer  lo  plus  simple,  le  plus  ohvie  d'entre 
eux,  le  changomeut  de  lieu  dans  l'ospaco,  lo  nitiiirrment  lucal ; 
les  lois  du  mouvement  local  se  présentent  iiiaiutonant  comme 
des  corollaires  de  la  Thermodynamique,  ot  la  Mécanique  ration- 
nelle n'est  plus  qu'une  application  particulière  do  cette  vaste 
science,  la  plus  simple  ot  la  mieux  connue  de  ses  conséquences. 
Ouol  houloversoment  dans  les  idées  des  physiciens  1  II  y  a 
quoique  trente  ans.  la  Mocaniciue  rationnelle  semblait  encore 
la  science  reine  dont  toutes  les  autres  doctrines  de  la  Physique 
devaient  se  réclamer  ;  on  exigeait  que  la  Thermodynamique 
réduisit  toutes  ses  lois  à  n'être  que  des  théorèmes  de  Méca- 
nique :  aujourd'hui,  la  Mécanique  rationnelle  n'est  plus  que 
l'application  au  problème  particulier  dn  iiioiiremfitt  local  do 
cotte  ThormcKlyuamique  générale,  de  cette  Énergi'linuc  dont 
les  principes  ombrassent  toutes  les  transformations  du  monde 
inorganique  ou,  selon  la  dénomination  périiiatéticionne,  tous 
les  inoiircmctils  ijhi/siqurs. 

Malgré  leur  immense  variété,  les  mouvements  physiques 
n'épuisent  pas  la  fécondité  de  la  Thermodynamique;  on  ollet, 
le  philosophe  de  Stagiro  ne  classait  pas  parmi  les  mouvements 
la  génrration  et  la  corrulpion,  la  disparition  d'un  corps  accom- 
pagnée de  l'apparition  d'un  corps  nouveau,  la  destruction  des 
éléments  suivie  de  la  formation  d'un  mixte,  la  destruction 
d'un  mixte  précédant  la  régénération  dos  éléments,  en  un  mot, 
ce  que  nous  nommons  aujourd'hui  les  changements  d'état  phy- 
sique ou  chimique.  Or,  ces  changements  d'état  n'échappent 
pas  aux  prises  de  la  Thermodynamique. 

Les  fondateurs  mêmes  de  cette  science,  Carnot  et  Clapeyron, 
puis,  plus  tard,  Clausius,  Rankino  et  ^V.  Thomson,  l'avaient 
appliquée  à  la  transformation  d'un  liquide  en  vapeur  ;  J.  Thom- 
son et  W.  Thomson  s'en  servirent  pour  enrichir  de  résultats 
imprévus  l'étude  de  la  fusion;  G.  Kirchhoff  on  déduisit  d'im- 


734  P.  DCHEM 

portantes  formules  relatives  aux  phénomènes  de  dissolution; 
la  ïiicrmodynamique  se  préparait  ainsi,  par  l'analyse  des  chan- 
gements d'état  physique,  à  s'emparer  des  réactions  chimiques  : 
selon  le  vieu  de  Sainte-Claire  Deville,  elle  allait  donner  une 
^lécanique  chimique. 

La  création  de  cette  Mécanique  chimique  est  l'œuvre  de  trois 
hommes  qui  sans  qu'ils  se  connaissent,  sans  quêteurs  recherches 
pussent  iniluer  les  unes  sur  les  autres,  travaillèrent  simulta- 
nément :  J.  .Moutier,  en  France;  Ilorstmann,  en  Allemagne; 
J.  Willard  Gibbs,  en  Amérique.  Leurs  découvertes,  complétées 
en  Allemagne  par  Helmholtz,en  Hollande  par  J. -IL  Van't  Holï 
et  Bakliuis  Roozboom,  ont  inauguré  une  science  fort  étendue 
et  dont  les  principaux  résultats  sont,  aujourd'hui,  hors  de  con- 
testation. 

Co  qu'est  cette  science,  quels  sont  ses  théorèmes  essentiels, 
quels  services  elle  rend  chaque  jour  à  la  chimie  pratique, 
autant  de  questions  que  nous  ne  saurions  examiner  ici.  Ce  qui 
nous  importe,  c'est  la  forme  sous  laquelle  elle  con(;oit  la  notion 
do  mixte. 

Nous  l'avons  dit  :  rien,  en  cette  doctrine,  ne  fait  appel  à  une 
hypothèse  sur  la  constitution  de  la  matière,  rien  ne  suppose 
l'existence  d'atomes  ou  de  molécules;  la  notion  de  mixte  n'y 
pourra  donc  figurer  que  sous  sa  forme  la  plus  simple,  la  plus 
obvie,  c'est-à-dire,  en  dernière  analyse,  sous  la  forme  péripa- 
téticienne. 

Comment,  par  exemple,  cette  science  traite-t-elle  de  la  com- 
binaison du  gaz  carbonique  avec  la  chaux  ou  de  la  dissocia- 
tion du  carbonate  de  calcium  ?  Elle  admet  qu'une  certaine 
masse  de  gaz  carbonique  et  une  certaine  masse  de  chaux  peuvent 
disparaître,  et  qu'il  se  produit  une  masse  de  carbonate  de  calcium 
égale  à  la  somme  des  deux  premières  masses  ;  qu'une  certaine 
masse  de  carbonate  de  calcium  peut  cesser  d'exister,  pourvu 
qu'il  apparaisse  une  certaine  masse  de  chaux  et  une  certaine 
masse  de  gaz  carbonique  reproduisant  par  leur  somme  la  masse 
du  carbonate  détruit  ;  enfin,  selon  les  enseignements  de  l'analyse 
chimique,  elle  admet  que  la  masse  de  gaz  carbonique  et  la 
masse  de  chaux  qui  disparaissent  ou  apparaissent  dans  ces 
deux  réactions  universes,  sont  entre  elles  comme  les  nombres 


;.  \  .VMV/M.v  /»;•;  mixte  73ï 

l'i  et  .")."), !l;  hors  ci'hi,  elle  ne  postule  rien  sur  la  eonstiluliou 
ilu  carbonate  de  calcium,  sur  la  nature  intime  du  phénomène 
qui  transforme  ce  corps  en  chaux  et  gaz  carbonique  ou  qui 
régénère  ce  corps  aux  dépens  de  la  chaux  et  du  gaz  carbonique  ; 
de  ces  trois  corps  :  chaux,  gaz  carbonique,  carbonate  de  cal- 
cium, elle  ne  fait  rien  figurer  dans  ses  équations,  sinon  des 
propriétés  physiques  observabl(>s  et  mesurables,  telles  que  la 
masse  de  chacun  d'eux,  le  volume  qu'il  occupe,  la  pression 
qu'il  supporte,  la  température  à  laquelle  il  est  porté. 

En  résumé,  dans  tout  ce  que  la  Mécanique  chimique  actuelle 
suppose  touchant  la  génération  ou  la  destruction  des  combinai- 
sons chimiques,  nous  ne  trouvons  rien  qui  ne  s'accorde  avec 
l'analyse  de  la  notion  de  mixte  donnée  par  Aristote;  sans  doute, 
la  loi  de  la  conservation  de  la  masse  et  la  loi  des  proportions 
(léhnies  y  sont  invoquées  ;  mais  en  complétant  et  précisant  les 
résultats  obtenus  par  l'analyse  du  Stagirite,  ces  lois  n'en  mo- 
difient point  la  nature  ;  selon  Aristote,  comme  suivant  les  ther- 
modynamiciens  contemporains,  les  éléments  ne  subsistent  plus 
actuellement  au  sein  du  mixte  ;  ils  n'y  existent  qu'en  puis- 
sance. 

Une  question  se  pose  immédiatement,  précise  et  inévitable  : 
quelle  distinction  la  Mécanicjuc  chimique  nouvelle  établit-elle 
entre  le  mélange  physique  et  la  combinaison  chimique  ? 

Entre  le  mélange  physique  et  la  combinaison  chimique,  elle 
n'établit  aucune  distinction  ;  ou,  pour  parler  d'une  manière 
plus  précise,  les  principes  de  la  thermodynamique,  qui  sont 
ses  fondements,  ne  lui  permettent  d'attribuer  aucun  sens  à  ces 
deux  dénominations  ;  ils  ne  lui  fournissent  rien  qui  lui  per- 
mette de  marquer  dans  ses  raisonnements  ou  dans  ses  équa- 
tions si  un  phénomène  est  une  réaction  chimique  ou  un  simple 
changement  d'état  physique. 

La  seule  distinction  qu'elle  puisse  introduire  dans  ses  déduc- 
tions et  dans  les  égalités  mathématiques  qui  les  accompagnent, 
c'est  la  distinction  entre  les  corps  qui  ont  une  composition  lixe 
et  les  corps  qui  ont  une  composition  variable  ;  le  carbonate  de 
calcium  est  toujours  formé  d'une  masse  de  gaz  carbonique  et 
d'une  masse  de  chaux  qui  sont  entre  elles  comme  les  nombres 
li  et  rjo,9  ;  au  contraire,  pour  former  un  mélange  d'air  et  de 


736  V.  DLHEM 

vapeur  J'oau,  on  peut  prendre  des  proportions  arldtraires  de  ces 
deux  gaz  ;  voilà  des  caractères  qu'elle  peut  saisir  et  dunl  elle 
doit  tenir  compte. 

Mais  les  éléments  qui  forment  un  corps  à  composition  non 
définie  y  sont-ils  simplement  mélangés?  Y  sont-ils  partielle- 
ment combinés  et  le  composé  chimique  issu  de  leur  union  de- 
meure-t-il  mêlé  îi  l'excès  des  éléments  demeurés  libres?  Pour 
la  Mécanique  chimique  fondée  sur  les  seuls  principes  de  la 
Thermodynamique,  ces  questions  sont  vides  de  tout  sens. 

Un  chimiste  mêle  de  l'hydrogène  et  du  chlore  et,  à  l'imitation 
de  Runsen.  il  étudie  le  changement  graduel  qu'éprouvent  les 
diverses  propriétés  du  mélange  :  il  interprète  ses  observations 
en  disant  que  l'hydrogène  et  le  chlore  se  combinent  gradurlle- 
ment  pour  tVirmer  de  l'acide  chlorhydrique  :  il  parle  de  la  masse 
d'acide  chlorhydrique  que  le  système  gazeux  renferme  à  un 
instant  donné,  des  masses  d'Iiyihogène  et  de  chlore,  libres 
encore,  qui.  à  ce  même  instant,  sont  mêlées  au  gaz  ciilorhy- 
drique  ;  le  pliysicien  qui  s'en  tient  aux  principes  de  la  Tiier- 
modynamique  n'entend  point  ce  langage  ;  avec  Sainte-C.laire 
Deville,  il  ne  peut  voir  dans  le  phénomène  étudié  qu'un  clian- 
gement  d'état,  comme  il  voit  un  changement  d'état  dans  la 
vaporisation  de  l'eau  ou  dans  la  transformation  du  phosphore 
blanc  en  phosphore  rouge  ;  seulement,  dans  ces  deux  derniers 
cas,  chaque  parcelle  du  corps  qui  se  transforme  passe  sans  inter- 
médiaire d'un  premier  état  à  un  autre  état  tout  dillérent:  dans 
le  premier  cas,  au  contraire,  la  modification  se  produit  d'une 
manière  continue  ;  le  système  ne  passe  pas  d'un  état  à  l'autre 
sans  traverser  luns  les  états  intermédiaires. 

En  une  science  de  raisonnement,  dire  que  les  principes  de  la 
science  laissent  une  certaine  expression  dénuée  de  tout  sens, 
c'est  dire  qu'il  est  loisible  d'attriJnier  à  celte  expression  le  sens 
que  l'on  veut  par  une  déiinition  appropriée.  Ainsi  en  est-il 
dans  le  cas  qui  nous  occupe. 

Lorsqu'on  mélange  du  chlore  et  de  l'hydrogène,  les  proprié- 
tés du  mélange  ressemblent  d'aliord  beaucoup  aux  propriétés 
de  riivdrogène.  si  l'on  a  mis  peu  de  chlore,  et  du  clilore,  si  l'on 
a  mis  peu  d'hydrogène  ;  peu  à  peu,  ces  propriétés  se  modifient; 
si  l'on  a  pris  les  masses  de  chlore  et  d'hydrogène  dans  le  rap- 


LA  MiTlii\  /»;•;   MIXTE  737 

jiorL  (lo  .'!."),.")  à  I,  elles  teii(l(Mil  ù  devenir  iilenliques  aux  |>ro- 
priôtés  du  gaz  que  les  eiiimisles  iioiiiinenl  aciile  elildrlivdriiiiie  ; 
«lies  s'en  ai)|>r(ii'lieiit  |)liis  mi  iiiniiis  si  le  niélaiit;e  n'a  point 
cette  coni[)iisili(in.  One  l'on  Ironve  conunoile  d  exprimer  ees 
faits  en  disant  cjne  le  système  contient  de  l'Iis  dro^èue,  dn  chlon», 
de  l'acide  (  liloilis diiqne,  l'I  qne  la  proportion  d'acide  clilorhy- 
driqne,  nulle  an  début,  y  augmente  sans  cesse  ;  pourvu  que 
ces  mots  soient  pris  comme  un  langage  conventionnel  et  non 
comme  l'expression  du  véritable  état  de  la  matière  au  sein  du 
système,  il  n'y  a  rien  là  qui  prête  à  contestation,  et  la  Mécanique 
chimique  ne  se  fera  point  scrupule  d'user  de  ce  langage. 

Mais  ce  langage  n'implique  encore  aucune  traduction  en 
symboles  quantitatifs,  pouvant  iigurer  dans  des  équations  algé- 
briques. J'ai  sous  les  yeu.x  un  mélange  que  l'on  a  formé  en 
prenant  2  grammes  d'hydrogène  et  71  grammes  de  chlore  ;  je 
ne  saurais  énoncer  une  proposition  telle  que  celle-ci  :  à  l'ins- 
tant actuel,  ce  mélange  renferme  1  gramme  d'hydrogène  libre, 
3."»,.")  grammes  de  chlore  liln-e,  et  'M),'.\  grammes  d'acide  chlorhy- 
drique  ;  cette  proposition  n'est  ni  vraie,  ni  fausse  ;  elle  n'a 
aucun  sens.  Pouvons-nous  lui  en  donner  un?  Pouvons-nous 
lai^(^  en  sorte  qu'à  cette  proposition  corresponde  une  relation 
algébrique  accessible  à  la  Mécanique  chimique,  dont  celle 
science  puisse  reconnaître  la  vérité  ou  l'erreur?  Pouvons-nous 
fixer  ce  sens  non  pas  d'une  manière  entièrement  arbitraire,  ce 
qui  serait  légitime,  mais  sans  intérêt,  mais  de  manière  qu'il 
s'accorde,  dans  les  applications,  avec  celui  qu'adoptent  les 
chimistes,  guidés  par  des  hypothèses  atomistiques  ? 

Le  problème  ainsi  posé  n'est  point  résolu  dans  son  entière 
généralité  ;  c'est  seulement  dans  certains  cas  particuliers  que 
la  solution  en  a  été  ou  achevée,  ou  ébauchée.  Horstmann  et 
(îibbs  en  ont  donné  une  solution  pleinement  satisfaisante  dans 
le  cas  où  les  corps  mélangés  sont  gazeux  et  très  voisins  de  cet 
état  idéal  que  les  physiciens  nomment  l'état  gazeux  parfait. 

Prenons  le  mélange  dont  nous  parlions  il  y  a  un  instant. 
Prenons  aussi  1  gramme  d'hydrogène,  3.j,.")  grammes  de  chlore, 
36,5  grammes  d'acide  chlorhydrique  ;  enfermons-les  séparé- 
ment les  uns  des  autres  dans  des  récipients  de  même  volume 
que  celui  qui  renferme  le  mélange;  eniin,  portons   tous  ces 

40 


738  1'.  ULHl-M 

récipionts  à  la  mrmo  tompéraliiro.  Si  lo  jiulculifl  nilrnic  <  I  )  du 
mélange  considért"'  est  égal  à  la  sommo  des  putenhrh  mtfnic!^ 
des  trois  gaz  isuli's.  on  dira  quo  lo  mélango  renl'ernio  .'}(l,.")  gram- 
mes d'acide  chlorhydriquo,  I  gramme  d'hydrogène  libre  et 
:i"),o  grammes  de  ehlore  libre. 

Telle  est  la  délinition  posée  par  .1    WiUard  (iibbs. 

Cette  délinition  remplit  toutes  les  conditions  prescrites.  Elle 
se  traduit  par  une  équation  algébrique  (|ui  expriuK»  une  rela- 
tiim  entre  grandeurs  physiques  ;  cette  équation  se  pi-éte  aux 
raisonnements  de  la  thermodynamique  qui  en  peut  tirer  (le~ 
consi-qui'nces,  comparer  ces  conséqu(Mices  aux  faits  d'expé- 
rience, constater  les  conlirmalions  <iu  les  d('meiitis  ([u'elles  en 
reçoivent,  partant,  reconnaître  si  le  mélange  a  ou  n"a  pas  la 
composition  indiquée.  Et,  d'autre  part,  les  conséquences  de 
cette  délinition  sont  conformes  aux  propositions  que  les  chi- 
mistes énoncent  d'habitude  touchant  les  mélanges  de  gaz,  bien 
que  l'idée  qu'ils  se  forment  d'un  tel  mélange  soit  liée  pour  eux 
à  des  hy|iiithèses  atomisticiues  ;  "elle  délinilion,  par  exemple, 
s'accorde  avec  la  loi  du  nu'dange  des  gaz,  avec  la  lui  liu  mé- 
lange des  gaz  et  des  vapeurs. 

Cette  délinition  posée,  il  devient  logique  et  légitime  d'étudier 
comment  varie,  avec  les  diverses  circimstances,  la  composition 
d'un  mélange  de  gaz  dont  certains  éléments  peuvent  soit  se 
dissocier,  soit  se  combiner  entre  eux  :  et  cette  étude  n'est  pas 
le  moindre  titre  de  gbiire  tie   Ilorstmann  et  de  (iibbs. 

ttu  a  tenté,  en  d'autres  cas,  de  faire  ce  que  ces  grands  physi- 
ciens ont  accompli  poui-  les  mélanges  de  gaz  parfaits  ;  les  elTorls 
de  J.-H.  Vaut  Iloff  et  de  Svante  Arrhenius  ont  tendu  à  établir 
une  délinition  analogue  dans  le  cas  où  le  mélange  de  plusieurs 
corps  liquides  renferme  un  grand  excès  de  l'un  d'entre  eux. 
Peut-être  cette  dernière  tentative  n'a-t-elle  point  rencontré  k^ 
succès  pleinement  satisfaisant  qui  a  couronné  la  première.  La 
discuter  serait  ici  hors  de  propos.  Ouel  que  soit  son  degré  de 


(Il  Nous  ne  nous  attarderons  pas  .i  JéGnir  ce  qu'il  faut  entemlre  par  jxjlenlier 
inlenie  d'un  système  :  pour  l'intelligence  de  ce  qui  est  ici,  il  suffit  au  lecteur  de 
savoir  que  le  potentiel  interne  d'un  système  est  une  fjrandeui'  qui  dépend  de 
l'état  de  ce  système  et  qui  joue  un  rôle  essentiel  dans  l'étude  thermodynamique 
de  ce  système. 


LA    .VoV/M.V   /)/■;    MI.WE  7:!'J 

certitude  ri  (le  pn-cision,  ellr  n'i'ii  uiaiiit'i'stc  [las  moins  la  li'ii- 
dancf  ((iii  dirige  toutes  les  reelierelies  de  .Mécanique  chimique. 

Cette  (emiaiu'e,  il  nous  semble  qu'on  la  [leul  dégager  et  qu'un 
la  peiit  lurmuler  en  ces  termes  : 

Tontes  les  hypothèses  sur  la  nature  iiiliuie  de  In  matière,  sur 
la  structure  des  mélanges  et  des  comhinaisons  chimiques,  oi 
spécialement  toutes  les  hypothèses  atomistiques,  seront  ban- 
nies du  domaine  de  la  science  ;  il  ne  sera  l'ait  aucun  usage  de 
principes  tirés  de  ces  hypothèses  ;  si  une  (expression  n'a  de  sens 
qu'autant  que  l'on  admet,  e\pli<'ilement  ou  implicilenu'nt,  ces 
suppositions,  on  la  rejettera  impiloyablenieul  ;  ou  bien,  avant 
de  l'adopter,  on  en  donnera  une  définition  nouvelle,  absolu- 
ment franche  des  doctrines  aux(|uelles  on  est  résolu  de  ne  plus 
faire  appel  ;  les  définitions,  les  propositions  de  la  Mécanique 
chimique  ne  porteront,  en  dernière  analyse,  que  sur  des  gran- 
deurs représentant  des  propriétés  physiques  mesurables;  la 
.Mécanique  chimicjue.  ainsi  constituée,  ne  s(!  piquera  pas  de 
nous  faire  pén(''trer  jus(|u'au  cn'ur  nn'-me  de  la  matière,  de  nous 
révéler  le  (jiml  itrnprudii  des  ré'actions  iliinii(|iu^s  ;  son  but, 
plus  modeste,  mais  plus  sur,  sera  de  classer  et  d'ordonner  les 
lois  que  l'expérience  nous  permet  de  découvrir  ;  l'accord  de  ses 
corollaires  avec  les  faits  sera  pour  elle  le  critérium  de  la  certi- 
tude. 

D'un  mixte,  il  suffit  à  cette  science  nouvelle  de  connaître  la 
composition,  c'est-à-dire  la  masse  des  éléments  qu'il  faut 
détruire  pour  engendrer  ce  mixte  et  que  la  corruption  du  mixte 
peut  régéni''rer.  Sur  les  ruines  de  la  notion  de  mixte  qu'avaient 
construite  les  atomistes,  elle  édifie  de  nouveau  la  conception 
simple  et  inébranlable  qu'avait  formulée  Aristote. 


CONCLUSION 

Nous  avons  suivi  l'évolution  qu'a  subie  la  notion  de  mixte, 
au  cours  des  âges,  depuis  le  premier  éveil  de  la  pensée  scienti- 
fique chez  les  philosophes  grecs  jusqu'au  développement  touffu 
et  rapide  qu'ont  subi  les  doctrines  chimiques  pendant  le  siècle 
qui  vient  de  finir;  au  milieu  des  mille  vicissitudes  qu'entrai- 


740  P.  DIHEM 

lient  la  découverte  incessante  île  taits  nouveaux  el  la  lutte  achar- 
née des  divers  systèmes,  nous  avons  aperçu  les  traits  essentiels 
qui  caractérisent  cette  évolution;  et  ces  traits  nous  sont  apparus 
senililables  h  ceux  qui  marquent  l'histoire  des  grandes  théories 
ph\  siqiu^s  (  1). 

Au  miiment  oi'i  le  génie  grec  entreprend  l'étude  rationnelle 
de  la  nature,  deux  mélliodes  sont  en  pr(''sence,  dont  chacune  si' 
prétend  seule  capable,  de  conduire  l'esprit  hunuiin  à  l'inlelli- 
gence  des  choses  matérielles  :  le  mécanisme  des  atomistes  et  la 
physique  |)éripatéticienne.  Entre  ces  métliodes,  la  philosophie 
antique  se  partage  ;  mais,  au  moyen  âge,  l'Kcole  proclame 
l'excellence  de  la  métliode  d'Aristote. 

Lassés  de  la  physique  scolastique,  les  penseurs  de  la  Renais- 
sance et  du  xviT  siècle  rcmellent  (>n  vigueur  le  mécanisme, 
dans  lequel  ils  voient  le  principe  de  toute  théorie  physique 
rationnelle,  et  restaurent  la  plu|)art  des  explications  imaginées 
par  les  atomistes  grecs.  Des  hypothèses,  renouvelées  d'Epicxu'e 
et  de  Lucrèce,  les  inspirent  tandis  qu'ils  créent  toutes  les  parties 
de  la  Physique  et  de  la  (Chimie.  Sous  l'inlluence  de  Newton,  la 
Physique  du  xvm'^  siècle  transforme,  en  la  compliquant,  la  Phy- 
sique alouiiste  ou  cartésienne  ;  elle  introduit  dans  ses  raison- 
nements les  attractions  et  les  ri'pulsions  mutuelles  des  diverses 
parties  (le  la  matière;  mais  (die  demeure  essentiellement  mé- 
caniste.  La  Mécanique  dirige  avec  nne  autoj'iié  souveraine  et 
incontestée  le  merveilleux  développement  des  théories  phy- 
siques à  la  lin  du  xviii'' siècle  et  durant  la  première  moitié  du 
xix'  siècle. 

Peu  à  peu  cependant,  et  par  l'effet  même  de  ce  développe- 
ment, les  hypothèses  mécanistes  se  heiu-lent  de  toutes  parts  à 
des  obstacles  de  plus  en  plus  nombreux,  de  plus  en  [)lus  difli- 
ciles  à  surmonter.  Alors  la  faveur  des  physiciens  se  détache 
graduellement  des  systèmes  atomistiques,  cartésiens  ou  newto- 
niens  pour  revenir  à  des  méthodes  analogues  à  celles  qne  prô- 
nait Aristote.  La  Physique  actuelle  tend  à  reprendre  une  forme 
péripatéticienne. 


(I)  Cf.  p.  DfiiK.M,  L'él'olut'wn  des  /héoi'ies  physiques  ilu  XVll'  siècle  jusqu'à  nos 
jours  {Revue  des  Questions  scienlifiques,  i'  série,  t.  V  ;  1896). 


I.\   S(iTI(>\  /;;•:  MIXTE  741 

(lo  changcnu'iil  |ii\ilniiil  ne  s'iicuoinpIiL  puinL  suus  l'inlhK'iice 
iliuic  ifU'Q  philosopliiquc  préconçue;  il  ne  résulte  pas  du  désir 
de  rapprocher  nos  sciences  nouvelles  des  anciennes  doctrines 
aristotéliciennes;  les  hommes,  comme  Sainte-Claire  Deville,  qui 
ont  le  plus  contribué  à  modilier  l'orientation  des  méthodes 
physico-chimiques,  ne  se  souciaient  guère  des  opinions  d"Aris- 
tote.  Ce  changement  s'est  acciimpli.  pour  ainsi  dire,  par  la  force 
des  choses:  les  physiciens  et  les  ciiimisles,  frappés  du  désac- 
cord de  leurs  thénries,  fondées  sur  des  iiypothèses  mécanistes, 
avec  les  faits  que  l'expérience  leur  révélait,  ont  entrepris  un 
examen  minutieux  des  bases  de  ces  théories  ;  ils  se  sont  efforcés 
de  mieux  préciser,  de  mieux  définir  la  nature  et  la  portée  des 
procédés  logiques  qu'emploie  la  Physique  mathématique;  et 
de  ces  efforts  multiples  est  sortie  une  science  dont  le  type,  noii- 
.veau  parmi  nous,  rappelle,  d'une  manière  saisissante  et  im- 
prévue, nue  i'Iiysique  vieille  de  vingt-deux  siècles. 

<>ette  transformation,  accomplie  sans  que  la  philosophie  péri- 
patéticienne y  ait  contribué,  se  produit  cependant  au  moment 
même  où  un  grand  nombre  de  penseurs  s'efforcent  d'infuser  à. 
la  pensée  de  notre  temps  les  idées  essentielles  de  Platon,  d'Aris- 
tote,  de  leurs  grands  commentateurs  saint  Augustin  et  saint 
Thomas;  où  Ceux  mêmes  qui  réputent  illusoire  ime  telle 
tentative  reconnaissant  volontiei's  que  l'Kcole  ne  méritait 
ni  les  sarcasmes,  ni  les  dédains  tjui  lui  nul  T'té  prodigués 
naguère. 

Un  tel  bouleversement  dans  les  idées  qui  dominent  et 
dirigent  les  théories  physiques  est  assurément,  et  par  sa  nature 
même,  et  par  les  causes  qui  l'ont  produit,  et  par  les  circon- 
stances dans  lesquelles  il  s'est  accomjdi,  l'un  des  phéno- 
mènes les  plus  dignes  d'attention  que  nous  otfre  l'histoire  de 
l'esprit  humaiu. 

II  ne  faudrait  pas,  cependant,  exagérer  les  caractères  péripa- 
téticiens  que  présente  la  science  actuelle,  prétendre  qu'elle 
n'est  que  le  développement  et  comme  le  prolongement  naturel 
de  la  Physique  d'Aristote ,  soutenir  enlin  que  quatre  siècles 
d'etïorts  sans  trêve,  dirigés  par  les  plus  puissants  génies  qu'ait 
connus  l'humanité  moderne,  ont  seulement  accru  et  enrichi  les 
théories  physiques  sans  en  modilier  les  tendances  essentielles, 


712  P.  miIEM 

sans  marquer  (If  li'iir  cniprcinti'  ce  qui  f-l  cMminc  ràiiu'  nii''me 
de  CCS  théories. 

Essayons  de  marquer  le  Irait  précis  jusqu'où  la  métlioiie 
actuellement  suivie  par  les  sciences  physiques  peut  être  re;iar- 
dée  comme  péi'i|)nlélicienne  et  à  parlir  duquel,  au  contraire, 
elle  est  esscntielli-nienl  di-lincle  de  ce  que  pouvaient  imai;iner 
les  ])hilosophes  de  ranli(|nil(''  el  du  moyen  âge. 

l'our  Arislole,  toute  recherche  philosiqihique  a  pour  fonde- 
ment une  analyse  logi([uc  très  minutieuse,  très  précise,  des 
concepts  que  la  perception  a  lait  germer  en  notre  intelligence; 
071  chaque  notion,  il  convient  de  mettre  à  nu  ce  qui  est  lexact 
appnrt  de  l'expiTience,  ce  qui  constitue  essentiellement  cette 
notion,  et  de  rejeter  sévèrement  h's  ornenu'nts  [>arasites  dnnl 
rimagiuatii>n  l'a  all'uhlée.  S'agil-il,  par  exem|)le.  de  philo- 
sopher sur  \f  mi,\le?  U  faudra,  avant  loul.  faire  ressortir, 
ce  (ju'iine  exach'  analyse  distingue  en  celle  nidiiin  :  des  élé- 
ments, qui  cessent  d'exister  au  moment  où  le  mixte  est  engen- 
dré; un  mixte  homogène  dont  la  plus  petite  partie  renferme  en 
puissance  les  élémenls  et  peut  les  régénércM"  par  sa  propre  cor- 
rupliciu.  .\  ces  caractères  nécessaires  el  >Mlii>anls  pnur  consti- 
tuer la  Hiilion  de  mixte,  l'imaginalinn  des  ahMiiistes  suhstitue 
des  liNpdtiu'ses  sur  la  persistance  des  atomes  et  sur  leur  juxla- 
posilidu  ;  ces  hvpothèses.  (IdiiI  les  iilijels  ne  siinl  point  saisis- 
sahlcs  à  nos  légitimes  moyens  de  connaître,  il  les  faut  reléguer 
impiloyaldemenl  dans  la  région  des  chimères. 

La  IMiysique  actuelle,  elle  aussi,  met  à  la  hase  de  toute 
théorie  une  analyse  logique  exacte  des  notions  (jue  l'exix''- 
rience  nous  fournit  :  par  celle  analyse,  (die  s'ed'orce  non  seu- 
lement de  mar(|uer  avec  précision  les  éléments  essentiels  qui 
composent  (  hacum-  de  ces  notions,  mais  aussi  d'idiniiner  soi- 
gneusement tous  les  éléments  parasites  que  les  hypothèses 
mécanistes  y  ont  peu  h  peu  introduits. 

I/analyse  que  la  Physique  actuelle  prend  pour  point  de 
départ  de  chaque  théorie  jtrocède  selon  la  même  méthode  que 
l'analyse  péripatéticienne;  mais  elle  en  ditlère  par  le  nomhre 
des  ol)j(ds  sur  lesquels  elle  porte  et  par  le  détail  des  faits  qui 
lui  sont  donni's.  .\rislole  ne  pouvait  (waminer  autre  ciiose  que 
ce  que  peut  saisir  l'ohservalion  vulgaire,  l'aile  avec  nos  moyens 


^.i  .\(/;7(i.v  /);■;  mi.xtk  74î 

iialiii'cis  lie  [MTcovoir  :  cncurc  iivait-il  pnrlnis  iill'airo  à  des 
oliscj'valioiis  iiiriuiijtlrli's  nu  iiicxafU's.  l)i'|iuis  la  llenaissaru'c, 
la  piiissaïu'i',  la  péiicHralion,  lu  précision  do  nos  sens,  ont  (Hi' 
prodigioiiseniont  accrues  par  l'usage  d'instninients  de  jour 
on  jour  plus  parfaits,  de  méthodes  expérimentales  de  jour  en 
jour  plus  minutieuses.  Des  expériences  dont  le  nombre  croit 
sans  cesse  en  même  temps  (|ue  chacune  d'elles  devient  plus 
ilétaillée,  ijilroduisent  à  cliai|Me  inslanl  dans  la  science  des 
iioliiiiis  Illlu^cll('■^  ou  c(iinpli(| ui'iil  les  iioli()n>  déjà  formées. 
L'analyse  du  |diysirien  doit  doiu'  s"ap|)li(|U('r  à  une  matière 
incomparahlement  plus  riche  que cidli'  doni  disposait  Arislote, 
à  une  matière  dont  la  richesse  croît  indiMinimcul. 

Il  ne  suflil  plus,  par  exemple,  à  celui  qui  médite  sur  les 
théories  chimiques  d'analyser  les  deux  notions  connexes  de 
mixte  et  d'élémenl:  une  fiiulc  d'autres  notions,  qui  sont  venues 
se  grelVer  sur  celles-là.  re(juièrent  son  allenlion;  il  lui  faut 
pénéirei'  les  idées  de  masses  équivalentes,  d'analogie  chimique, 
de  suhsliintiiui  chimiqiu'.  di^  valence,  d'isom(''rie,  etc.:  et  pour 
saisir  le  contenu  de  ces  i(l(''es.  pmir  en  tlisculer  le  sens  exact  et 
la  véritaiile  poi'tée,  il  ne  lui  suflil  pas  de  faire  appel  au  témoi- 
snaee  de  ses  sens  l(jut  nus;  il  lui  l'aul  recourir  à  la  balance, 
au  g(Uiiomètre,  au  saccharimèlre.  à  tous  les  instruments  qui 
peupleni  le>  laboratoires  du  chimiste  et  du  pliysicien. 

Cette  analyse,  ou  le  conçoit  du  reste,  dill'ère  profondément 
et  de  f(nMne,  et  d'étendue  de  cidle  (jui  sollicitait  l'attention 
d'.Vristole.  Ilien  |U'é'cise,  ce[)iMidant,  élaii  la  <lissection  logique 
faites  par  le  Stagirite;  bien  souvent,  en  elVel,  il  a  fallu  au  phy- 
sicien nuxlerne  des  efforts  longs  et  opiniâtres  pour  exhumer 
<lu  milieu  des  suppositions  entassées  par  les  théories  méca- 
niques les  idées  clairement  aperçues  par  le  IMiilosophe  antique. 
Ainsi  avons-nous  vu  la  chimie  retrouver,  par  une  lente  élabo- 
ration, la  notion  péripatéticienne  du  mixte. 

\'A\  oulre,  uM'une  dans  le  cas  oii  la  science  aciuelle  est  con- 
trainte di^  Iransformer  les  résultats  de  l'analyse  aristotélicienne, 
les  changements  qu'elle  y  apporte  se  relient  souvent  d'une 
manière  si  exacte  aux  idées  antiques  qu'ils  semblent  les  com- 
pléter et  les  enrichir  plutôt  que  les  modilier  profondément. 
Aristote  avait  vu   qu'un   mixte   ou    un   grou|)e   d'éléments   ne 


7'.4  P.  Dl  HEM 

piHivail  èlre  en^endrt'',  qu'il  ne  se  détruisit  cii  nirnio  temps 
un  groupe  délémenls  ou  un  niivlc;  comijitio  iin'iiis  (/cncraiiu 
altf'rhoi,  disait  la  Scolastiqvie;  la  (lliiniie  moderne  complète  et 
précise  ce  principe  en  nous  montrant  que  la  masse  détruite  est 
toujours  égale  à  la  masse  créée. 

il  peut  arriver,  toutefois,  que  les  résultats  auxquels  Aristote 
a  été  conduit  en  ai>pliquant  l'analyse  logique  à  nos  diverses 
notions  pliysi<{U('s  soicnl  tous  houleversés  par  l'examen  de  ces 
iinliiins  tel  que  nous  le  pratiquons  aujourd'hui;  et  c'est  ce  qui 
a  lieu  en  la  Mécanique  du  mouvement  local.  Même  dans  ce 
cas,  il  n'en  reste  pas  moins  au  Slagirite  une  gloin^  impéris- 
salile,  la  gloire  d'avoir  mis  une  telle  analyse  à  la  base  de  la 
science:  la  gloire  d'avoir  créé  une  méthode  ii  laquelle  la  Phy- 
sique, après  avoir  pris  trop  longtemps  l'imagination  pour 
guide,  se  voit  contrainte  de  recouiir. 

C'est  par  cette  analyse  logique  préliminaire,  mais  c'est  seu- 
lement i)ar  elle,  ((ue  la  Physique  péripatéliciennc  et  la  Physique 
actuelle  se  rapprochent  l'une  de  l'autre.  Lue  fois  cette  analyse 
terminée,  ces  deux  Physiques  se  séparent  et,  dans  des  voies 
divergentes,  poursuivent  des  objets  différents. 

La  Physique  péripatéticienne  est,  au  sens  actuel  du  mot,  une 
branche  de  la  Métaphysique;  si  elle  distingue,  en  chacune  de 
nos  nciliiins  physiques,  les  éléments  qui  la  composent,  c'est  alin 
de  pénélrei-  plus  com|)iètem('ut  la  nature  de  l'objet  que  cette 
notion  représente;  derrière  chacun  des  éléments  mis  en  évi- 
dence, elle  place  une  réalité.  Lorsque,  par  exemple,  elle  a 
disséqué  la  notion  de  mixte,  elle  essaye  de  concevoir  comment 
les  matières  et  les  formes  des  composants  cèdent  la  place  à  la 
matière  et  à  la  forme  du  mixte,  quelle  relati(m  ont,  entre  eux 
les  accidents  et  les  substances  de  ces  corps. 

La  Physique  actuelle  n'est  pas  une  Métaphysique.  Elle  ne  se 
propose  pas  de  pénétrer  derrière  nos  perceptions  pour  saisir 
l'essence  et  la  nature  intime  des  objets  de  ces  perceptions.  Tout 
autre  est  son  but  (  !  .  Elle  se  propose  de  construire,  au  moyen 

(1)  Nous  avons  développé  ce  point  dans  les  écrits  suivants  :  Quelijues  réflexions 
iiu  sujet  des  lliéories  phi/siques  (Revue  des  Questions  scientt/iqiies,  i'  série,  t.  I: 
1S;I2  .  —  P/iysigue  et  Metap/iysir/ue  [Ihid..  t.  II  :  IS'.i:i  .  —  Quelques  réflexions  au 
sujet  de  la  Plnjsique  ej périinenlale  ilbid.,  t.  111:  ISHl,. 


n  .vor/o.v  /»/■;  .i;;a77-:  745 

do  signes  ompruntés  à  la  science  des  nomlires  et  ùla  géométrie, 
une  représentation  symbolique  de  ce  que  nos  sens,  aidés  des 
instruments,  nous  font  connaître.  Une  fois  construite,  cette 
représentation  se  prête  au  raisonnement  dune  manière  plus 
aisée,  plus  rapide,  et  partant  plus  sûre,  que  les  connaissances 
purement  ex]i(''rimentales  qu'elle  remplace.  Par  cet  artifice,  la 
Physique  preiul  une  ampleur  et  une  précision  qu'elle  n'aurait 
pu  atteindre  sans  revêtir  cette  forme  schématique  que  l'on 
nomme  P/u/sir/iip  thi'ovtqiie  ou  Phi/sicjur  mathomaùque . 

Dès  lors,  à  chacun  des  éléments  que  l'analyse  logique  lui 
fait  découvrir  en  une  des  notions  dont  elle  traite,  elle  fait  cor- 
respondre non  point  une  réalité  métaphysique,  mais  un  carac- 
tère géométrique  ou  algébrique  du  symbole  qu'elle  substitue  à 
cette  notion. 

A  la  notion  de  mixte,  par  exemple,  elle  substitue  vuie  formule 
chimique  :  l'idée  d'analogie  entre  deux  mixtes  s'exprime  par 
une  suite  d'égalités  entre  les  indices  qui  affectent  certaines 
lettres;  l'idée  de  dérivation  par  substitution  se  représente  au 
moyen  de  certains  traits  ;  la  dissymétrie  d'une  figure  géomé- 
triqiu^  sert  à  signaler  un  corps  doué  du  pouvoir  rotatoire. 

Il  est  clair  qu'entre  celte  représentation  symbolique  des 
données  de  l'expérience  et  une  étude  métaphysique  des  choses 
que  nos  sens  perçoivent,  il  n'y  a  plus  lieu  d'établir  aucun  rap- 
prochement; les  théories  de  la  Physique  moderne  sont  radica- 
lement hétérogènes  à  la  Physique  péripatéticienne.  Ces  deux 
Physiques  ne  sont  liées  l'une  à  l'autre  ([ue  par  l'analyse  logique, 
qui  est  leur  point  de  départ  commun. 

1".  DllIEM. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


SAINT  AUGUSTIN,  par  l'abbé-  Jules  Martin,  I  vol.  in-8,  xvi-400  pages, 
F.  Ai.c\N,  l'aris,  l'JOI. 

]a'  livre  (le  M.  l'alibO  .1.  iMarliii  sur  smIiiI  Auf^iisliii  l'ail  partie  de  la 
colleclioii  :  /.rs  graiidx  pliilosopln's.  |)uliliée  smis  la  direction  de 
M.  ('..  i'ial.  (Certes,  saiiil  .\Mi;iislin  csl  (•luiiiciiiineiil  à  sa  place  ]>aniii 
les  j^ramls  |iliiloso|>lies  :  car  ce  j^raiid  Iidmiiiu'  a  laissé,  disséiilinée  dans 
ses  nniMlireux  ouvrages,  une  doctrine  vasti'  et  profonde  sur  la  plu- 
pari  (li's  prc  il  dénies  pliilii-iipliii|iics  qui  si  il  I  ici  lent  1rs  investit;;!  lions  de 
l'espril  liniiiain.  Mais  ce  n'ol  pas  senlcnient  le  pliibisophe  «jne  M.  .Mar- 
tin montre  en  sain!  Aui^nstin,  c'est  encore  le  tliéiiloji;ien,  qui  ne 
craint  pas  d'aliiii<lri-  l'i^'liide  des  mystères  proprement  dits  de  la  lîcdi- 
j;ion  clirétienne.  et  dont  les  traités />'' /'/  Trimli'.  De  la  Vniti'  lifliijiiin. 
De  r  LlilUi'  de  rrnii-e.  iJrs  (Jiirilrc-rintjl-lriiis  Qucslinns.  Dr  I  /i.rjuisiliini 
sur  l'h'pllre  nn.r  Giilatox.  Dr  la  Cilr  Jf  Dieu,  pour  ne  citer  (pie  ci'ux- 
là,  sont  des  monuments  d'une  dcictrinc  qui  déi>asse  de  heaucmi])  la 
poi-tée  delà  raison  sim|ilenii'nt  nalui-dle.  M.  Martin  a  raisim  de  diie 
que  l'on  ti-c)uvc  dans  saint  Angustin  "  une  ])lnlosopliie  chrétienin' 
conq>léle  ,|i.  x  ,  ••  et  de  faire  remarquer  (]uc  "  Mi'dilDn  de  Sarder- 
(yers  165)  et  plusieursanlres.  avant  et  après  lui.  appelaient  le  chi-istia- 
nisme  iioiri'  /ihilnsnpliic,  t,  /.aO'  f.ui;  ■:.'j.'iiv:j'--x  |i.  yiii  .  ^  Mais  la  pliilo- 
sopliic  ainsi  enteiulne  n'est  ])as  nni(]uemenl  la  [ihilosophie  sans 
l'pitliète.  cellr  qu'a  particulièremeiil  pour  objet  cette  llrriii'  de  l'hihi- 
sopliif.  On  coriiprend  donc  ([ue  nous  soyons  tenu  à  une  i;randt'  réserve 
devant  la  partie  de  l'œuvre  de  saint  Aufiustin  (pii  appartient  en 
pnipre  à  la  tlu''iil(ii;ie. 

M.  l'ablié  Martin  connaît  et  aime  son  saint  Augustin  tout  entier,  et 
ce  n'est  pas  nous  qui  lui  en  ferons  un  reproche  ;  car  nous  avons,  nous 
aussi,  une  véritable  admiration  pour  ce  génie  supérieur  :  mais  notre 
admii-ation  ne  va  pas  sans  critique  et  sans  restriction  ]iiiui'  sa  pliiloso- 


S.l/.VV  AlV;r,S77.V.  I'ar  l'Abut  Jllks  Martin 


liliii',  li'llc  >iirliiiit  i|ur  la  iH'i'si'iilc  M.  Marliii  :  nous  cssairiMiis  di' dire 
l'ii  i|iiiii  |ii-ini'i|ialciii('nl  la  iTilii|ur  inins  [larail  nr'ci'ssairr. 

Lu  i)laii  a(lii|ili'  par  M.  Maiiiu  |hiui-  classi'r  li's  iiliM's  di'  saint  Augus- 
liii  est  bien  cniiiii  :  Iji  /■(iniinixsaucr,  /Hi'ii.  lu  militi-r.  snnl  les  litres 
des  trois  si'cliiiiis  snci'cssivi's,  nii  viennrnl  se  rani;('i'  les  Iravauxe! 
les  sulnliiins  iln  |i|iilosii|dii'  I  iii''(il(iL;ii'n  :  le  hnil  cni'adn''  enlre  ime 
préface  l't  inif  (■(inclnsion  i;r'in'i'ale,  el  suivi  d'nnr  liiMiiij;i-a|ilHe  l'orl 
iuléressaiilr. 

C'est  sui-  la  Ihi'iiiac  dr  la  ninnaissaner  i|ue  ndiis  cimimiiis  surliiul 
devoir  demander  plus  de  |ii'iM-isiiin  (|iie  M.  Martin.  La  ditlV'renee  (Ma- 
hlie  par  saint  Aiii;Mslin  enli-i'  la  sai;esse  et  la  sidenee  est  fort  juste  : 
<'  à  la  sagesse  appartient  la  coiinaissanee  inlelleetuelle  des  choses 
élernelles  :  à  la  science,  la  connaissance  rais(uinée  des  (dioscs  tem- 
porelles !p.  'i  .  "  Mais  le  point  délicnl,  est  de  savoir  si,  par  celle 
connaissance   inlelleci  uidii'   des  choses  éternelles,   nous   atteif^-nons 

Dieu   direclenieni    cl     par   vue    nalui'idli',   liieii    cpie  d'abord   Jien 

distincte;  ou  bien,  si  la  connaissance  de  Dieu,  dans  la  mesure  où 
nous  pouvons  racipi(''rir  ])ai-  nos  forces  naturelles,  ne  nous  est  don- 
ni'r  ipie  par  un  raJMHi  iiemi'id  parlant  de  pi-incipes  absli-aits  el  des 
données  e.inci'éles  ipie  nous  saisissons  anlour  de  nous  el  e:i  nous- 
méuies. 

Saint  Aui;nslin,  connue  le  remar(pn'  avec  soin  M.  Marlin.  aflirme 
netleinent  ipir  "  p('i->onin'  n'ai-ri\('  à  connaiire.  sinon  eu  parlaid  tle 
rit;norance  "  :  cl  il  ajoiilc  nicmc  ipu'  "  nul  if;noraid  lu'  sait  ('OiilnuMil 
il  doil  correspondre  à  ft'\[\  (pii  l'instruisenl .  ni  par  ipnd  moyen  il  se 
i-eiulra  capable  d'être  instruit  p.  -21  •.  "Il  l'anl  donc  ipu'  reuseij^çnemcnl 
d'aiitorili'  vienne  rorinei'  peu  à  peu  rinlellip;eru;e,  la  développer  et  la 
iiieltre  enlin  en  (■lat  de  voii-la  raison  des(duises.  Mais  si  l'enseignement 
qu'elle  reçoit  est  erron(\  el  si  elle-nii''me  s'eni;a!:;e  dans  I  erreur  en 
r.iisonnant  sur  les  prcnnèri's  in<licalions  i\\ic  lin  a  données  la  parole 
i\\\  mailri'.  couimeni  pom-i-a-t-elle  enc(n-e  aiiercevoir  la  vérité?  <>  Ce 
ipn  se  penoil  par  rinlellii;-ence,  dil  saini  Aiigust  in.  ri'side  dans  l'inté- 
rieur de  l'esprit  :  possé^der  cida.  ci>  u'esl  pas  autre  chose  ipu'  le  voir. 
t»r,  l'insensé  ne  |iosséde  pas  la  sagesse  ;  donc,  il  ne  cminait  pas  la 
sagesse.  Ce  n'es!  point,  en  ell'et,  par  les  veux  ipi'il  p(uii'i'ait  la  voir; 
mais  il  ne  peni  ni  \(iir  la  sagesse  sans  la  possédci'.  ni  la  ]ioss('Mier  tout 
en  reslanl  insensé.  11  ignoredonc  la  sagi^sse;  et,  landis(|n'il  1  ignore, 
il  ne  peut  la  connaître  la  discernen  ailleurs.  Un  homme  ne  penI  ja- 
mais, tani  ipu'  dure  son  l'dat  d'insensé,  arriver  à  la  conviction 
certaine  il'avoir  lronv('  le  sage,  à  l'égard  de  (]ui.  se  monti'ant 
obéissant,  il  sera  délivi'é  du  si  grand  mal  de  la  folie.  " —  '<  Voilà  bien, 


748  J-  liARDAlR 

sur  fi-  sujet,  sécricM  .  Martin,  la  ]iaj;c  la  plus  l'm-ti',  cl,  iilus  i'iK-(ur, 
la  seule  page  lolaleiuent  vraie  que.  ilAristotc  à  Haut  et  au  delà,  un 
illustre  philosophe  ail  écrite.  Elle  contient  riiistoire  réelle  de  lintel- 
ligencei'p.  io).  »  .Nous  n'essaierons  pas  de  refroidir  cet  entlKnisiasuie. 
et  nous  .suivrons  très  volontiers  saint  Auf^ustiii  dans  ses  descriptions 
(le  l'exclusivisme  qui  retient  en  deiiors  de  la  vérité  l'esprit  <pii  se 
trompe,  de  la  nécessité  d'une  lumière  qui  vienne  l'éilairer  et  lui  don- 
ner en  même  temps,  par  une  l'ormation  nouvelle,  l'aptitude  de  mieux 
voir  et  aussi  dans  son  appel  à  la  lionne  volonté  et  à  l'amour  "  pieux 
et  diligent  ».  pour  rcctilier  et  lnrlilier  le  re;;ard  de  l'intelligence  en 
fortitiant  l'àme  tout  entière  [i.  -iit.  C^  iiue  nous  voudrions  tâcher 
d'éclaircir  en  qindques  mots,  c'est  en  quel  sens  précis  est  vraie  cette 
parole  ardente  de  saint  Augustin  :  ■•  Oli!  si  les  hommes  poiivaieiit 
voir  ce  quehpie  chose  d'éternel,  jnésent  au  fond  de  l'intelligence 
(p.  i"{)'-  «  Quel  est  cet  éternel  intérieur  à  l'iime,  inli-iuum  .rlrniinii'.' 
CommiMit  l'intelligence  le  voit-elle  par  nalundh'  vision?  C'est  l'essen- 
tiel  de   tonte  philoso|ihie. 

Saint  Augustin  avait  semblé  penser  cjin^  la  sagesse  même,  la  C(ui- 
naissance  des  choses  intelligibles,  est  si  bien  au  tond  de  l'àmr  hu- 
maine, que.  lorsque  celle-ci  a  l'apparence  d'apiirendre  (pichpic  doc- 
trine nouvelle,  elle  ne  l'ail  que  se  l'essouvenir  dune  doctrine  (|u'(dle 
avait  sue  et  qu'elle  avait  oubliée.  Heureusement,  il  corrigea  lui-méuu' 
cette  exagération  dans  ses  lirlfurlnlions,  en  ces  termes  :  "  .l'ai  dit, 
(luelque  part,  qu'en  api>renaid  on  retrouve  en  soi-même  les  doctrines 
ensevelies  dans  l'oubli,  .le  désaïqirouve  cela  :  car.  si  les  ignorants 
eux-mêmes,  à  lu  condition  d'être  bien  interrogés.  rê|)ondent  juste 
sur  certaines  .sciences,  on  trouve  pour  ce  l'ail  lexplicalion  suivanle 
(pii  est  plus  natm-elle  :  les  ign(U-auts  ont  présente,  en  tant  qu'ils 
peuvent  s'en  apei'ccvoir.  la  lumière  de  la  rais(Ui  éternelle,  et  dans 
cette  lumière,  ils  voient  tontes  ces  vérités  imnniables  |).  .")('•  .  »  11 
revient  plusieurs  l'ois  sur  celte  ex[ilication  :  >■  11  y  a  lieu  de  croire, 
dit-il,  que,  par  son  essence,  l'àme  intellectuelle  étant  jointe,  selon 
l'ordre  naturel  et  selon  la  disposition  du  Ci'éateui-.  aux  choses  intid- 
ligibles,  elle  les  voit  dans  une  certaine  lumière  incorporelle  ip.  .">7  .  ■• 
—  Kt  encore  :  "  Dieu  est  tout  entier  partout,  aussi  est-ce  en  lui  ([ne 
l'àme  vit,  qu'elle  se  meid.  (pi'elle  est  (Acl..  wii.  -iSi;  donc,  ellepent 
se  ressouvenir  de  lui  ;  ce  n'est  pas  qu'elle  se  ressouvienne  de  l'avoir 
connue  en  .Vdam,  ni  ailleurs  avant  cette  vie,  ni  enfin  au  moment  de 
sa  création  en  vue  de  l'union  avec  le  corps...  L'àme  se  souvient  de 
Dieu  de  manière  à  se  tourner  vers  le  Seigneur,  et  elle  se  tourne  vers 
le  Seigneur  comuu^  vers  cette  lumière  dont  elle  s'éloignait  et  qui. 


f 


SAiMT  M'Cl'sriX.  i-AR  l'Abbé  Jlles  Martin  "M 

[imirlanl,  iir  laissait  pas  dr  la  hnichi'r  ip.  '\~\.  "  C"est  ainsi  (pu' la  vt - 
l'ité  est  iiiiii'i'  à  l'àinr. 

Faut-il  conclure,  cduuui'  M.  l'alihé  Martin,  ijue.  d'après  saint  Auj^us- 
lin.  l'intelligence  liumaine  saisit  nalurellenient  l)ieu  lui-même  quanii 
elle  pense  l'intelligible,  l'absolu,  cr  ipii  ne  piMil  pas  ne  pas  être,  ce 
([ui  ne  varie  pas'?  <<  Par  elle-même,  dit  M.  Martin,  la  doclriiie  de  l'in- 
néité,  telle  que  saint  Augustin  l'enseigne,  oblige  à  croire  que  nos  pi'i- 
ceplions  purement  intellectuelles,  si  multiples  (pi'elles  nous  ajiparais- 
senl,  se  ramènent  pourtant  à  une  seule  perception,  on,  en  d  autres 
larmes,  manifestent  en  l)ien  des  manières  notre  perception  primitive 
très  confuse  de  l'absolu  ou  île  Dieu.  Et,  en  effet,  selon  saint  Augustin, 
l'intelligenci'  perçoit  toujours  Dieu  :  mais  Dieu  n'est  pas  un  intelligi- 
ble multiple  :  d'où  il  suit  que  l'intelligence  humaine,  lorsqu'elle  a  con- 
science de  penser  plusieurs  inli'lligililes,  jjercoit  réellement,  sous  di- 
verses déterniiaations,  cet  intelligible  unique  en  soi.  La  conséquence 
est  cerlaiue  :  mais  saint  Augustin  ne  l'a  jamais  formulée  dans  les 
termes  qu'on  vient  de  lire.  11  a  fait  autre  chose  ;  et.  on  peut  dire,  il  a 
mieux  fait  :  il  a  vu  directement  et  il  a  enseigné  directement  l'unité 
fondamentale  de  toute  notre  connaissance  spéculative  (pi>.  (Ifl.  7(1  .  • 
Cette  réih'xion.  que  fait  M.  Martin,  sur  l'absence,  dans  saint  Augustin, 
de  la  formule  qui  exprimerai!  clairement  que  notre  intelligence  perçoit 
réellement  l'intelligible  unique  en  soi,  lors  même  quelle  a  conscience 
de  penser  plusieurs  intelligibles,  aurait  pu  le  mettre  sur  la  voie  dune 
autre  interprétation  de  l'innéité  augustinienne.  Malgré  l'insislance 
de  saint  Augustin  à  affirmer  qu'en  pensant  l'immuable,  l'esprit  de 
l'homme  pense  Dieu  même  :  "  Qiium  igilur  intelligit  aliquid  quod 
semper  cndfin  modo  sese  hahel,  ipsum  iDi'um)  sine  duhio  inlelUrjil  » 
p.  1(H_).  note  .  on  pourrait  entendre  cette  formule  en  ce  sens  qiu',  de 
la  notion  naturelle  des  vérités  immuables,  nécessaires,  absolues. 
nous  nous  élevons  à  la  notion  d'un  sujet  absolu,  nécessaire,  immua- 
ble, et  à  la  certitude  de  l'existence  d'un  tel  sujet,  que  tous  appellent 
Dieu.  Assurément,  nous  ne  pouvons  pas  avoir  notion  des  immuables 
vérités,  sans  que  l'être  nécessaire  imprime  en  nous  quelque  ressem- 
blance de  lui-même,  sans  que,  ])ar  conséquent,  nous  soyons  en  quel- 
(jue  manière  unis  à  lui.  De  là.  ])eut-étre.  cette  affirmation  énergique 
de  saint  Augustin:  ■•  llro  jinirtum  cxl  (pmd  iulcUirjil  lliinn.  Iiilelligll 
(lud-m  ralionnlis  aninui  iJeiiiii.  .\fnn  inU'/liijit  rjuod  sftnpt'r  ejusmodi  l'st 
ip.  lui,  note).  "  Mais  nous  pouvons  être  unis  à  Dieu  sans  le  voir,  et, 
à  plus  forte  raison,  sans  le  couqirrudre  :  nous  pouvons  avoir  en  nous 
naturellement  quelque  lumière  intellectuelle,  par  une  sorte  de  reflet 
de  la  lumière  éternelle  (jui  est  Dieu  même,  sans  saisir  Dieu  directe- 


"oO  .1.  GAUn.VIR 

ment,  sans  avoii- 1  iiihiitiiui  de  son  existence.  Mais.dapi'ès  M.  Martin. 
"  saint  .\ugustin  a  toujours  onseiji;né  qui'  l'àine  perçoit  Dieu  dii-ecte- 
nient,  mais  confusément,  qu'elle  le  perçoit  |)ar  l'activité  intellectuelle, 
et  (]u'elle  le  perçoit  encore  par  le  sentiment  ilu  beau  et  du  bien  ;  il  de- 
vait donc,  toutes  les  fois  ((uil  traitait  de  l'intellection  et  du  sentiment, 
traiter  parla  même  de  notre  rapport  avec  Dieu,  et  nous  montrer  Dieu 
connue  l'aljsolue  réalité,  unii[ue  objet  de  notre  intelleclion  comme 
telle,  ei  de  notre  sentiment  connue  tel  (pp.  107.  108)  ■>.  Dans  cette 
intei-prétatiou,  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  est  fort  simple:  elle 
n'est  qu'une  e\|ilicalion  de  l'intuition  première  de  l'entendement 
humain.  ■■  Saint  Aufcusiin  pose  comme  un  fait  primitif  noire  con- 
naissance lie  rimmuable  ;  et  Ci'  n'est  ni  l'expérience  du  monde  exté- 
rieur, ni  rinlnitiiin  d;^  con.science  qui  «lévoile  à  l'àme  l'immuable  : 
au  contraire,  tout  eu  elle-même  et  autour  d'elle  subit  le  chanf^e- 
mi'ut  :  ainsi.  Cduqirendre  l'immuable  ne  peut  pas  être  pour  l'àme 
.inlrt^  cliiise  (pie  comprendre  Dieu.  SainI  Augustin,  danscelte  preuve 
de  l'existence  de  Dieu,  se  contente  donc  de  montrer  ipie  l'intelligence 
peri-iiil  d'aliiird  Dieu.  ])kis  confusément,  sous  la  notimi  de  simple 
iniMiuaiili'.  et  (|nell(' voit  ensuite  comment  la  notion  d'iiinuiiable  est 
identique  avec  la  iioliou  de  Dieu.  (Ir,  si  l'àme  agit  de  la  sorte,  c'est 
ipie,  primitivement,  elle  conqjrcnd  Dieu.  —  j.a  preuve  de  saint  An- 
selme n'a  pas  nu  autre  simis  :  mais  l'ile  n'est  pasaussi  bien  t'ormuli'c; 
et.  de  ]ilus.  elle  ne  su|q)o>e  pas.  comme  ilans  saint  .\ugustin,  une 
étude  aiqirol'ondie  des  coud  il  ions  selon  lesquelles  existe  et  se  iléveloppe 
noire  ciuinaissance  intellectuelle.  Tnul.  pour  saint  Augustin,  se  ra- 
mène àce  point  fondamental  :  l'intelligence  liumainea  primitivement 
nue  connaissance  de  Dieu,  totale  et  très  confuse  ipp.  100,  101  ... 
roui  amour  du  bien  et  du  binilieur  et  tout  sentiment  du  beau  sont 
aussi  pour  l'àme  une  occasion  de  se  voir  en  rapport  avec  Dieu 
p.  lOG-.  • 

S'il  est  vrai  que  saint  .\ugustin  enseigne  que  naturellement  notre 
intelligence  voit  Dieu  même,  en  pensant  les  vérités  nécessaires,  nous 
estimons  que  cette  doctrine  est  illusoire:  mais,s"il  voulait  simplement 
dire  ((ue  la  connaissance  de  l'immuable  abstrait  le  conduit,  par  un 
raisonnement  plus  ou  moins  rapide,  plus  ou  moins  aperçu,  à  la  con- 
viction qu'il  existe  une  intelligence  supérieure,  éternelle,  de  laquelle 
notre  intelligence  boi'née  dérive,  une  Vérité  substantielle,  source  de 
toutes  les  vérités,  un  Être  premier  qui  se  pense  lui-même  en  pensant 
le  nècessa'ire  et  donne  à  toute  pensée  quelque  notion  de  l'immuable, 
nous  pourrions  souscrire  à  celte  application  du  juincipe  de  raison 
sullisaute,  à  cette  ascension  logique  de  notre  esprit  à  [lartirde  l'intel- 


S.l/.VÏ"  M  (,l  STI\.  i'.\R  l'Aiu;;';  ,Ille?  Martin  '.VA 

liijihlc  alislrail  jiiS([irà  la  sulislaiii-,' sn|)i-rini'.  on  riiilcllii;ilili_'  alistilii 
est  ideiitiinii'à  lintellit;viii"  ali-^nlui'.  O.'  ursl  (|ii'rii  cr  sens  que  lious 
(loniifrioiis  ihiU'l'  adliésioii  à  la  déinonslralinn  i|iic  M.  Martin  résiinn' 
ainsi  :   "  Sainl  Ansinstin  observe  d'almi-d  (|uc  l'iniii'  liuinaine,  toule 
clianii-i'anlc   i[u'elle  puisse  être,    a    rintellectioM   d'    l'iuiniualde:    il 
ajonle  ipi'il  existe  donc  an-dessns  de  notre  àuie  une  loi    alisrdui'  qui 
se  iiouuue  la  vi'rit(''.  Dès  lo:-s,  n'en  doutons  [dus.  cette  essence  iuuuua- 
ble,  sn|)t'rieiu-e  à  l'àme  raisonnable,  c'est  Dieu    [ip.  101,  10-2  .  ..  Tou- 
jruirs  dans  le  ni  'une  sens  nous  accepterions  cette  parole  d"  l'éneliui  ipu' 
M.  Martin  elle  a\issi  :  "  Où  est  cette  raisim  parlail;'  cpii  est  si  ju-ès  de 
moi  et   si   dill'éreute  de  moi?...   Uii  est-elle  celte   raison  suprême? 
\>st-elle  pas  le  Dieu  que  je  clierclie    p.  10:2i?  »  Bossnet  décrit  avec 
i)péeisi<ui,  ilans  la  Coiinaisirnifi'  il<^  llkn  ri  r/e  sdi-iiii'iiv.  le  procédé  par 
lequel  notre  raison  se  démontre  lexistr-nce  d'une  Raison  divine,  qui 
est  Dieu  même,  en  partant  de  la  connaissance  des  vérités  éternelles  : 
..   Il    faul    nécessairement,  dit-il,  que  la  vérité  soit  quelque  ]iai-l  très 
parfaiteuient  entendue,  et   Itunume  en  est  à  lui-même  une  preuvi' 
indubitable.  Car.  soit  qu'il  se  cmisidère  lui-même,  ou  qu'il  étende  sa 
vin^  sur  tous  les  êtres  qui  l'environnent,  il  voit  tout  soumis  à  des  lois 
c^-rtair.es  et  aux  rèj^les  immuables  de  la  vérité.   Il  voit  ipiil  entend 
ces  lois,  du  moins  en  partie,  lui  (pii  n'a  lait  ni  lui-uu''m!',  ni  aucune 
antre  partie  de  l'univers  pour  petite  qu'elle  soit  :  el   il  voit  bien  (pu' 
rien  n'aurait  éli''  lait,  si  ces  lois  n'étaient  ailleurs  parl'aitement  enten- 
dues: et   il  voit  qu  il  tant  reconnaître  une  sagesse  éternelle,  on  tonte 
loi,  tout  ordre,  toute  proportion  ait  sa  raison  primitive.  Car  il  est 
absurde  qu'il  y  ait  tant  de  suite  dans  les  vérités,  tant  de  proportion 
dans  les  choses,  tant  d'écomuuie  dans  leur  assendïlage,  c'est-à-dire 
dans  le  monde:  et  ([ue  celte  suite,  cette  proportion,  cette  économie 
ne  soit  nulle  part  bien  eidendue  :  et  l'homme,  qin  n'a  rien  fait,  la 
connaissant   véritablement  quiiic[ue  mm  pas  ideiueuieul,  doit  Ju.ni'r 
qu'il  y  a  (|ueli(n'un  qui  la  coiuiait  dans  sa  perlection,  et  que  ce  sera 
celui-là  même  qui  aura  tout  l'ait    1'.  »  Voilà  bien  nu  raisonnement  qui 
démontre  que  Dieu  doit  exister:  et  cela  est  tout  dillérent  d'une  vision 
directe  de  Dieu  :  nous  Vdytuis  des  vérités  immuables,  et,  comme  nous 
les  voyons  imparfaitement  et  que  nous  voyons  aussi  <pi'elles  nonsilo- 
minenl  et  ipie  nous  n'en  sonmn'spasle  sujet  premier,  nousconcbunis 
«prelles  ddivent  être  vues  par  (pudque  être  premier  qui  les  possède  eu 
soi,  qui  ne  fait  qu'un  avec  elles.  Mais,  envoyant  les  vérités  absolues. 
n(uis  ne  percevons  pas  par  cela  même  l'absolu  existant  en  soi  :  nous 

;1    De  la  Connaissance  de  Dieu  el  de  soi-même,  lY,  v. 


7o2  J.  GAHDAIR 

SdiiuiK's  loiil  iralidnl  ihuis  l'onlrc  absirait  f\  iiléal,  cl,  pour  alliriiUT 
<jiie  l'absolu  existe,  il  nous  faut  raisoiinri',  nous  servir  de  (juelijui'  prin- 
cipe rationnel  comme  d'un  intermédiaire,  et,  en  appliquant  ce  [irin- 
cipe  à  la  réalité  de  notre  pensée  et  à  la  réalité  de  l'ordre  des  choses, 
en  conclure  l'existence  d'une  pensée  souveraine  et  élernelie,  i[ui 
entend  la  vérité  primitivement  et  qui  est  en  soi  la  véi'ité  absoliu'. 
Ce  raisonnement,  tous  les  hommes  ne  le  fontpas  :  lo\is  ne  s'élèvent 
pas,  par  ce  moyen,  à  la  connaissance  de  l'existence  de  Dieu  :  il  en 
est  ((ui  restent  à  l'idée  abstraite  de  l'absolu,  pour  qui  Dieu  n'est. 
comme  disait  Ernest  Renan,  (jue  la  critrfiorii'  dr  l'idral.  Aussi  ne  sau- 
rions-nous donner  notre  assentiuieul  à  celle  arf^umentation  que 
M.  Mar'tiu  attribue  à  saint  Auf^nstiu.  <'  Voici,  dit-il  ip.  104,  la  preuve 
qu'il  ch'veloppe  :  Nous  possédons  la  connaissance  iu\  incible  de  notre 
existence  et  de  notre  pensée;  nous  constatons  que  noire  pens(''e  spé- 
<-ulative  a  )iour  objet  l'aljsolu  :  donc,  nous  c()nq)renons  (|ue  l'abscdu 
rxiste,  et  nous  ue  ])ouvcuis  ]ias  ni'  |ias  c()nq)reuili-e  qui!  existe  :  mais 
l'absolu,  c'est  Dieu  iui-uièine:  donc,  nous  comprenons  (]iu'  Dieu 
existe:  et  si,  actuelhunent,  nous  le  comprenons,  c'est  que  notre  inti'l- 
lii;i'Ui'e  avant  loujoui'S  couruséineut  pensé  Dieu,  elle  arrive  enlin  à 
«pielipu'  conscience  de  sa  juMisée.  ■>  Cet  argument  a  le  même  délaul 
(|ue  celui  de  saint  Anselme  :  il  Cfuifond  l'abstrait  avec  le  concret, 
l'idi'al  avec  le  réel.  I/IiIi'm'  de  ral)solu  n'est  pas  plus  identique  à  la 
preuve  de  rexistence  de  l'.Vbsolu  eu  soi.  (]ue  l'idée  de  l'èli'e  le  plus 
Lçrand  que  l'on  puisse  concevoir  n'est  identique  à  la  preuve  de  l'exis- 
teiH-e  d'un  Être  parfait.  Saint  Thonuis  sur  ce  point  a  dil  le  mol  déli- 
nitil'  :  <■  Supposé  même  que  tout  homme  entende  que  le  nom  de  Dieu 
sif^nitie  ce  (|ui  est  tel  que  l'on  ue  peut  rien  penser  de  plus  grand,  Il 
ne  s'ensuit  point  cependant  que  tout  homme  entende  (jue  ce  que 
signilie  ce  nom  est  réellement  dans  la  nature,  mais  seulement  que 
cela  est  connu  |i,ir  l'intelligence.  Kt  Ton  ne  pourrait  en  arguer  que 
cela  est  réellement,  que  s'il  était  accordé  <ju'il  est  dans  la  réalité 
<[uelque  être  tel  que  l'on  ne  peut  en  penser  de  plus  grand;  ce  qui 
n'est  pas  accordé  par  ceux  qui  disent  que  Dieu  n'est  pas  (1).  » 

De  même,  si  l'on  peut  dire,  en  un  sens,  que  notre  inclination  iuiK'e 
vers  le  bonheur  parfait  est    un  amour  naturel  de  Dieu,  l'Être  par- 


l'I)  IJato  etiam  quod  quilibet  inteltig.al  lioc  nomine  Deus  significari  hoc  quod 
•dicitur,  scilicet  illud  quo  niagis  cogitaii  non  potest.  non  tamen  propter  hoc 
s<!quitur  quod  intelligat  id  quod  significatur  per  nomen,  esse  in  rerum  natura, 
sed  in  apprehensioneintellectus  tantuni.  Nec  potest  argui  quod  sit  in  re,  nisidare- 
tur  quod  sit  in  re  aliquid  quo  niajus  cogitari  non  potest;  quod  non  est  datum 
a  ponontibus  Ueuui  non  esse  [Sum.  llteoL,  1,  q.  n,  a.  l,  ad  2). 


.S.47iVr  AUGUSTIN,  par  l'Abbk  Jules  Martin  753 

l'iiil  t'i)  soi,  Imis  lie  rynlendeiil  |ias  jiiiisi  ;  l)t'aucoii|)  n'y  vniciU  i|ii'uiii', 
tmclaiicc  vers  une  perfection  piirenienl  idéale  (pic  eliacim  clierclii'  à 
réaliser  à  sa  manière.  Que  Ion  nous  permette  de  citer,  ici  encore, 
saint  Tliomas  :  ..  Connaître,  en  quelque  notion  générale  et  sous  quel- 
que Corme  confuse,  que  Dieu  est,  nous  est  naturel  en  ce  sens  que  Dieu 
est  la  béatitude  de  l'homme  :  l'homme,  en  eftel,  naturellement  désire 
la  béatitude;  et  ce  qui  est  naturellement  désiré  par  l'homme  est  na- 
turellement connu  par  lui.  Mais  cela  n'est  pas  connaître  simplement 
qu(^  Dieu  est;  de  même  que  connaître  que  quelqu'un  vient  n'est  pas 
connaître  Pierre,  bien  que  ce  soit  Pierre  qui  vienne  :  beaucoup,  en 
cil'et,  estiment  que  le  bien  parfait  de  l'homme,  ipii  esl  la  béatitude, 
ce  sont  les  ricties.ses  :  d'autres,  les  voluptés  :  d'autres  encore,  quel- 
que autre  bien  (1).  » 

Nous  sommes  beaucoup  plus  à  l'aise  pour  louer  l'i^xactitude  et  la 
beauté  des  formules  par  lesquelles  saint  Augustin  exprime  la  nature  de 
Dieu,  et  l'heureux  choix,  ainsi  que  l'heureuse  traduction,  que  M.  Mar- 
tin fait  decesexpressions.  En  voici  quelques-unes,  à  titre  d'exemples: 
"  De  Dieu,  je  dirai  simjdemeni  :  il  est  l'être  même.  —  En  Dieu  il  n'y 
a  que  ceci  :  il  est;  il  n'y  a  pas  en  lui  //  a  éld  ou  il  srm  ;  car  ce  qui  a 
été  n'est  plus,  et  ce  qui  sera  ne  sera  pas  encore  ;  mais  tout  ce  qui  est 
en  Dieu,  c'est  simplement  :  il  est.  —  N'attribuons  pas  un  uiode  à 
Dieu,  car  il  semblerait  que  nous  lui  attribuions  une  limite.  Cepen- 
dant, il  n'est  pas  indéterminé,  lui  qui  donne  à  toutes  choses  leur 
mode  propre,  afin  que  chacune  d'elles  ait  un  certain  être.  Ne  disons 
pas  non  plus  qu'il  a  son  mode  particulier,  comme  s'il  avait  eu  à  le  re- 
cevoir de  quelqu'un.  Mais,  si  nous  disons  qu'il  est  le  mode  absolu, 
summum  modum,  peut-être  dirons-nous  quelque  chose.  —  La  seule 
substance  ou  essence  immuable,  c'est  Dieu  ;  car  c'est  à  lui  que  con- 
vient principalement  et  en  absolue  vérité  l'être  même,  d'où  l'essence 
a  pris  son  nom.  Et,  en  effet,  ce  qui  change  ne  conserve  pas  >  l'être 
même;  et  ce  qui  peut  changer,  supposé  même  qu'il  ne  change  pas, 
peut  n'être  plus  ce  qu'il  avait  été.  —  Vous  êtes  totalement,  et  vous  seul 
vous  connaissez  votre  être,  ô  vous  qui  êtes  immuablement,  et  qui 
savez  immuablement,  et  qui  voulez  immuablement.  —  A  l'égard  de 


,1)  Cognosccrc  Deuiii  esse  in  aliquo  coiiiinuni  sub  quadam  cunfusione,  est  nobis 
nuturaliter  insertum,  in  quantum  scilicet  Ueus  est  honiinis  beatitudu  ;  horao  enim 
naturaliter  desiderat  beatitudinem  :  et  quod  naturaliter  desideratur  nb  homine, 
naturallter  cognoscitur  ab  eodem.  Sed  hoc  non  est  simpliciter  cognoscere  Deum 
esse,  sicut  cognoscere  venientem  non  est  cognoscere  Petrum,  quamvis  sit  Petrus 
veniens  ;  muiti  enim  perfectuiu  hominis  bonum,  quod  est  béatitude,  existimant 
divitias;  quidam  vero  voluptates,  quidam  autem  aliquid  aliud  il,  q.  n,  a.  1,  ad  1). 

47 


734  J.  GARDAIll 

Dieu,  ètreeslla  inèiiit' cliDSf  ijiii' trélrc  l'orl,  on  d'iMri' jiistf .  (m  d'èln- 
sage,  ou  d'être  toute  autre  eliose  qui,  étaut  dite  de  cette  multiplicité 
simple  ou  de  cet  e  sim])licité  multiple,  prétend  en  exprimei-  la  sub- 
stance (pp.  110,  111.  u;},  ii:i .  .. 

Couibien  de  l'ortt's  paroles  ne  [lourrions-nous  pas  reproduire,  au.ssi, 
au  sujet  de  la  création  1  Contentons-nous  de  noter  que  saint  Augus- 
tin a  très  profondément  saisi  la  difficulté  du  problème  et  s'est  appli- 
qué à  la  résoudre  avec  autant  de  sagesse  que  de  modestie.  M.  Martin 
résume  ainsi  sa  pensée  à  cet  égard  ;  '»  Saint  Augustin  iiienlionne, 
d'abord,  la  tentative  des  philosophes  (jui,  pour  sauvegarder  l'inuMula- 
bilité  de  Dieu,  refusent  d'admettre  la  création  ilans  le  tem])S  :  le  monde 
aurait  ainsi  "  un  commeuceuienl  cinix/il  d'existence  »  ;  il  dépendrait 
d'une  cause,  mais  sa  durée  n'aurait  pas  de  commencement.  Or,  cette 
explication  ne  lève  pas  la  difliculle...  Les  philosophes  ne  voient  pas 
assez  tpie  la  difliculté  nous  dT'passe  ;  et  qu'en  l'ait  elle  réside  tout  en- 
tière à  concilier  le  successif  de  l'univers  avec  l'immuable  de  Dieu.  Kl 
peu  imp(U-le  l'iiilinie  dtu-ée  de  l'univers;  peu  importe  la  théorie  des 
calaclysmes  et  des  recommencements;  nous  restons  toujours  sans 
réponse  à  cette  question  :  Couuu"nl  l'action  diviin'  immuable  pro- 
duit-elle notre  univers  multiple  et  successif?  Qui  pniu'rait  examiner 
(■elle  prol'iuideui- :  ••  hieu  créant  dans  le  temps,  par  une  volonté  im- 
muable, l'homme  temporel  avant  lequel  aucun  homme  n'avait  encore 
existé  (pj).  [ii,  li.'ij?  ■>  Saint  Augustin  conclut  que  Dieu,  par  une  vo- 
lonté unique,  identicjue,  éternelle  et  immuable,  a  fait  que,  d'abord,  les 
choses  créées  de  lui  n'existassent  pas,  et  qu'au  moment  où  elles  ont 
commencé  d'être,  elles  existassent.  <■  C'est  ainsi,  ajoute-t-il,  que,  peut- 
élre.  aux  honnnes  capables  de  voir,  il  montre  merveilleusement 
çoudiien  il  n'avait  aucun  besoin  de  toutes  ces  choses,  mais  combien 
jdutôt  il  les  il  faites  par  bonté  gratuite  i^p.  IMi.  « 

Il  y  aurait  encore  beaucoup  à  citer  sur  l'omniprésence  de  Dieu,  la 
Providence,  la  création  continuée,  les  rapports  de  Dieu  et  de  l'homme. 
Faisons  remarquer  particulièrement  le  résumé  que  donne  M.  Martin 
de  la  conciliation  entre  la  liberté  humaine  et  la  prescience  de  Dieu. 
.<  Leibniz,  confondant  la  liberté  avec  la  volition,  ne  se  préoccupe  pas 
de  concilier  notre  libre  arbitre  avec  la  prescience  divine:  car  notre 
volition,  pour  avoirété  prévue,  n'en  est  que  mieux  notre  volition...  » 
Saint  .\ugustin  ne  procède  pas  avec  tant  de  confiance  ;  c'est  que,  pour 
lui,  il  s'agit  de  concilier  la  liberté  réelle  de  la  créature  avec  la  pre- 
science de  Dieu.  Il  essaie  deux  fois  cette  conciliation  :  dans  le  traite 
du  Libre  Arbitre  et  dans  la  C/'/c  de  Dieu...  On  voit,  au  traité  du  Libre 
.^rbilre,  que  le  secret  de  la  conciliation  consiste  à  ne  i)as  confondre 


SXIST  AIGCSTIX.  par  l'Abbé  Jlles  Martin-  7:;!j 

la  prescience  avec  la  causalité  :  u  Vt)tre  méiiinii'e,  dit  saint  Augustin 
h  Évodius,  n'impose  aucune  nécessité  aux  clioses  passées  ;  la  pre- 
science de  Dieu  n'impose  non  plus  aucune  nécessité  aux  choses 
futures.  ■>  Mais  plutôt,  "  il  y  aura  volonté  parce  qu'elle  est  prévue  de 
Dieu.  Kt  il  n'y  a  pas  volonté,  si  la  volonté  ne  s'appartient  pas. 
Donc,  Dieu  prévoit  aussi  le  pouvoir  de  la  volonté.  Donc,  par  la  pre- 
science de  Dieu,  ce  pouvoir  ne  m'est  pas  enlevé:  et,  au  contraire,  il 
m'appartient  d'autant  ]ilus  sûrement.  »  La  Cifr  di'  Dien  n'ajiuite  rien 
à  cela  ,pp.  18(i,  187). 

M.  Martin  met  en  parallèle  saint  Augustin  et  Leibniz  sur  un  autre 
prohlème,  celui  du  mal.  et  montre  cpie  la  solution  de  saint  Augustin 
est  préférable  à  l'optimisme  absolu  de  Leibniz  :  «  Dieu  ne  peut  pro- 
duire rien  de  mauvais:  dès  lors,  l'univers,  quel  qu'ilsoit,  et  quelques 
misères  ou  quelques  désordres  qui  s'y  mêlent,  est  non  pas  absolu- 
ment le  meilleur,  mais  il  est  bon  et  digne  de  Dieu.  Et,  puisqu'il  y  a 
<livers  degrés  de  perfection,  il  n'est  pas  juste  de  ne  vouloir  admettre 
que  le  plus  élevé  i  p.  2.")t>;.  »  Au  sujet  du  mal  moral,  saint  Augustin 
met  eu  relief  la  supériorité  d'une  volonté  libre,  même  capable  dr 
mal  faire,  en  comparaison  avec  une  activité  qui  ferait  le  bien  sans 
aucune  liberté  :  «  Un  cheval,  même  lorsqu'il  bronche,  dit-il  avec 
finesse,  vaut  mieux  qu'une  pierre  qui  ne  bronche  pas;  car  la  pierre 
n'a  ni  mouvement,  ni  sensation.  De  même,  la  créature  qui  pèche  par 
libre  volonté  est  plus  excellente  qu'une  autre  dont  riinpeceabilili' 
provient  du  défaut  de  volonté  liljre   p.  -i.'i.');.  » 

La  dernière  partie,  qui,  sous  le  titre  général,  La  Nature,  traite  ilr 
noire  connaissance  du  monde  extérieur,  de  l'origine  et  de  la  nature 
de  ce  monde  extérieur,  des  faits  surnaturels,  des  êtres  vivants,  de  la 
société,  contient  beaucoup  d'idées  d'un  grand  intérêt.  Ce  que  saint 
Augustin  dit,  par  exemple,  sur  l'espace  et  le  temps  est  digne  d'être 
lu  avec  une  particulière  attention.  Mais  peut-être  M.  Martin  force-t-il 
un  peu  le  sens  de  l'enseignement  de  saint  Augustin,  quand  il  y  si- 
gnale une  séparation  radicale  entre  la  physique  et  la  métaphysique, 
comme  dans  cette  conclusion  :  u  Saint  Augustin  avait  vu  que  nous 
avons  au  moins  deux  modes  de  connaissance  :  la  connaissance  intel- 
lectuelle ou  spéculative  ou  métaphysique,  et  la  connaissance  des 
choses  extérieures;  il  avait  averti  que  la  connaissance  des  choses  ex- 
térieures, la  physique  ou  la  science,  n'a  aucun  rapport  avec  la  con- 
naissance intellectuelle.  C'était  là  une  constatation  de  très  grande 
importance,  que  la  postérité  a  méconnue.  Ni  le  xiii*  siècle,  ni  même 
le  xvii"  ne  se  rendent  bien  compte  que  rien  dans  l'univers  extérieur 
ne  nous  est  intelligible.  On  pourrait,  aujourd'hui  encore,  se  mettre 


•756  B.  DE  CARHOY 

jï  l'école  de  saint  Augustin  et  y  apprendre  à  ne  jamais  donner  aucune 
place,  dans  les  questions  de  pure  doctrine,  aux  hypothèses  ni  aux  dé- 
couvertes de  la  science.  Si  l'on  sait  convenablement  aujourd'hui  qu'il 
ne  faut  opposer  aux  savants  ni  des  principes  abstraits,  ni  l'autorité 
de  l'Écriture,  on  est  enfin  arrivé,  après  de  longs  siècles,  là  où  en  était 
saint  Augustin  (pp.  392,  393''.  »  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'exactitude  de 
cette  interprétation,  nous  revendiquons  pour  la  métaj)iiysique  le  droit 
de  juger,  d'après  les  principes  rationnels,  les  hypothèses  plus  ou 
moins  hasardées  des  sciences  physiques,  et  le  droit  aussi ,  j'allais  nièmt' 
dire  le  devoir,  de  tirer  parti  des  constatations  scientifiques  pour  y 
appuyer  ses  propres  théories  au  sujet  de  la  nature  des  choses.  Ce 
n'est  donc  pas  le  divorce  qu'il  faut  réclamer  entre  la  piiysique  et  la 
métaphysique,  entre  la  science  et  la  philosophie,  mais  un  mariage 
raisonnable  où  l'esprit  spéculatif  ait  l'autorité  supérieure,  au  nom  des 
principes  éternels,  et  où  la  puissance  d'observation  et  d'induction 
scientitique  conserve  son  rôle  naturel  de  suggestive  information  et 
de  préparation  des  données  positives  dont  le  métaphysicien  doit  tenir 
compte  dans  rélal)oration  de  son  système  et  de  sa  doctrine. 

.1.  GARDAIR. 


LA  CRISE  DE  LA  FOI,  ses  causes  et  ses  remèdes,  par  l'abbé  Gavraud, 
député  du  Finistère.  Paris,  Blocd,  1001. 

Ce  livre  estonivrede  théologien, de  philosophe  et  d'homme  politique. 
On  sait  comment   l'abbé  Gayraud  est  prêt  pour  cette  triple  enquête. 

Le  théologien  rappelle  les  enseignements  de  l'Église  sur  divers 
points  qui  intéressent  les  croyances  privées  et  les  croyances  sociales 
- —  et  qui  .sont  à  l'heure  présente  plus  passionnément  mis  en  cause  : 
caractère  inspiré  des  livres  saints  —  usage  de  la  raison  pourla  justi- 
lication  rationnelle  de  l'adhésion  croyante  —  conception  sociale  de 
la  démocratie  moderne. 

Sur  les  deux  premiers  points,  M.  l'abbé  Gayraud  rappelle  les  prin- 
cipaux résultats,  qui  paraissent  acquis  à  l'exégèse  et  à  la  science 
moderne.  Il  cherche  en  même  temps  à  préciser  l'attitude  nouvelle  des 
esprits.  Car  c'est  bien  là  ce  dont  il  s'agit  avant  tout.  Les  prot/rès  de 
la  science  —  dans  des  directions  vraiment  gênantes  pour  l'apologiste 
chrétien  —  sont  infiniment  moins  évidents  que  l'état  d'esprit  déve- 
loppé chez  nos  contemporains. 

Comment  les  efforts  de  rapologétiijue  sont  tenus  en  échec  par  cet 


LA  CRISE  DE  L.\  FOI,  par  lAbbk  (Iayraud  757 

agnosticisme  déliant  pour  toute  métaphysique  (imlm  d'ailleurs  du  ne 
métaphysique  naturaliste  :  l'abbé  de  Broglie  Tavait  bien  montré  il 
y  a  dix  ans  :  comment  les  preuves  d'ordre  moral,  recevables  seule- 
ment pour  une  élite  (on  pourrait  préciser  laquelle?!,  demeurent  sans 
crédit  auprès  des  multitudes;  comment,  enfin,  les  diverses  démons- 
trations échouent;  les  unes,  parce  qu'elles  supposent  «  une  culture 
préalable  qui  ne  peut  être  qu'à,  l'usage  du  petit  nombre  »  —  les  autres, 
"  parce  qu'elles  ne  sont  vraiment  efficaces  que  dans  certains  états 
d'esprit  et  de  cœur,  chez  les  âmes  pures,  simples,  loyales,  affamées 
de  vérité  et  de  justice,  ayant  besoin  de  lumière,  de  force  et  de  con- 
solation il  "  ;  voilà  ce  «pie  l'auteur  cherche  à  taire  com[irendre,  en 
psychologue  aussi  bien  qu'en  théologien. 

D'aucuns  le  taxeront  de  pessimisme.  Vraisemblablement  il  a  vu 
juste  en  tant  qu'il  constate  une  attitude,  un  état  des  esprits.  Pour  ce  qui 
est  des  résvdtats  sérieusement  acquis  par  la  science  contemporaine 
—  du  bilan  des  certitudes  scientifiques —  d'un  opportunisme  indul- 
gent qui  saurait  doser  les  contrepoisons,  tantôt  pratiquer  l'iioméo- 
pathie,  tantôt  l'allopathie  —  opposer  à  la  critique  un  robuste  esprit 
positif,  au  positivisme  matérialiste  un  sage  idéalisme  —  pour  ce 
qui  est.  en  somme,  des  ressources  apologétiques  encore  disponibles, 
d'autres  sont  ])lus  optimistes.  Nous  nous  bornons  à  constater  le  l'ail 
sans  discuter  le  droit  :  M.  Brunetière,  par  exemple,  voit  les  choses 
moins  en  noir  i^et  M.  Gayraud  ne  dissimule  pas  cette  divergence  de 
vues)  quand  il  s'explique  sur  la  faillite  de  la  science  —  quand  il  pro- 
pose à  ses  auditeurs  de  Tours  d'utiliser  l'agnosticisme  lui-même, 
contre  les  orgueilleux  excès  de  la  raison  —  quand  à  Lille  il  jette  ce 
fier  défi  :  «  En  tant  que  l'exégèse  et  la  critique  ont  eu  pour  objet  de 
jeter  le  doute  sur  les  vérités  de  la  religion,  elles  y  ont  décidément  el 
finalement  échoué.  » 

Du  reste,  M.  l'abbé  (iayraud  ne  désespère  pas  — ■  et  les  vues  qu'il 
nous  propose  pour  le  relèvement  du  clergé  ne  sauraient  être  trop 
attentivement  méditées.  La  plus  claire  leçon  des  controverses  récentes, 
«est  qu'il  ne  faut  point  ignorer  ce  dont  on  parle. 

Les  mots  ressemblent  ;'i  des  vases 

Les  plus  beaux  sont  les  moins  remplis. 

Il  tant  (loue  étudier,  et  lauleur  ninis  donne  à  ce  sujet  des  conseil* 
«xcellenls. 

(,1)  -Mgr  Mic.x'OT,  Lettre  sur  rApotoi/étiijtte  contemporaine. 


l!;8  G.  DE  PASCAL 

Au  ]i(iint  tic  vue  social  et  politique,  le  député  du  Finistère  coui- 
inenee  i)ar  montrer  (ju'  <■  il  n'existe  aucune  cause  de  contlil  milre  la 
démocratie  prise  en  soi  et  le  ciitholicisuie  ».  Seulement,  en  tant,  ([ue 
la  démocratie  française  se  proclame  libérale  et  professe,  avec  la  sou- 
veraineté du  peuple,  la  neutralité  religieuse  de  l,État  —  il  y  a  lieu 
de  distinguer  un  double  usage  de  ces  principes  et  de  ce  prograuuiie. 
Considérés  comme  ircjles  pniliqucs  de  ijoucerncrnent,  ils  ne  sont  pas 
en  opposition  avec  le  christianisme.  Mais  l'esprit  public  conçoit  et 
soutient  ses  dogmes  de  89  comme  des  n  vérilrs  thronques  ».  VA  voilà 
le  conflit  d'où  naît  la  crise  politique  de  la  foi. 

Science  théologique  et  action  sociale,  tels  sont  les  remèdes  préco- 
nisés, énergiquemenl  réclamés.  Que  le  clergé  étudie  — que  le  clergé 
agisse.  Il  le  faut  pour  qu'il  dissipe  l'impopularité  qui  lui  vient  de 
causes  diverses  :  défiance  excessive  de  la  démocratie,  dont  on  na  jias 
su  comprendre  «  Vàrne  de  vérité,  de  justice;  et  de  fraternité  •>  ;  — 
ns.servissement  de  l'Eglise  de  France  réduite  à  n'être  qu'un  cor[is  de 
fonctionnaires;  —  maii(|ue  de  haute  culture  intellectuelle. 

H.  iiE  CAUUOY. 


PHILOSOPHIE  DE  SAINT  THOMAS.  —  Les  vertus  naturelles,  par 
,M.  G.4RD\iB,  in-1-  de  523  pages.  I.ethielleux,  Paris. 

.M.  tiardair,  le  distingué  ])rofesseur  libre  à  laSorbonne,  bien  cunnu 
de  tous  ceux  qu'intéresse  le  mouvement  philoso])liique  conteuq)oraiu. 
après  avoir',  dans  les  volumes  précédents,  étudié  sur  toutes  ses  faces 
la  nature  humaine,  s'occupe  aujourd'hui  de  la  morale. 

].,('  volontaire  et  l'involontaire  ;  la  bonté  et  la  malice  des  actes  soit 
intérieurs  soit  extérieurs  et  des  passions  :  les  dispositions  habituelles 
auxquelles  on  donne  le  nom  de  vertus  :  leur  nature,  leur  géuérati(ui, 
leur  évolution,  leurs  sujets  divers  ;  leurs  proj)riétés,  leur  classilica- 
tion  ;  autant  de  questions  graves  et  délicates  (|ue  l'auteur  traite  dans 
des  pages  dont  nous  ne  saurions  troii  recouunander  la  lecture  à  ceux 
qui  désirent  avoir  une  connaissance  exacte  des  principes  de  la 
morale  scolastique. 

On  le  sait,  M.  (iardair  s'est  donné  la  mission  de  vulgariser  la  phi- 
losophie de  saint  Thomas.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'on  doit  se 
placer  si  l'on  veut  juger  équitablement  ces  divers  traités  qui  ne  sont 
que  la  reproduction  du  cours  libre  qu'il  a  professé  pendant  cinq  ans 
;"i  la  Sorbonne.  Il  ne  faut  pas  demander  à  ces  ouvrages  un  commen- 


K.l.YT  ET  KAynSTESyVAR  M.  Colmon  759 

lairc  iiroloud  eL  éU'iuiu  de  rciisciKiH'uu'nl  de  saiiil  Tliduias,  ni  des 
vues  propres  et  originales.  Le  hiilde  laiileiir,  <pi(ii(pie  plus  modesle, 
est  de  la  plus  grande  ulililé  ;  e'est  de  reproduire  avee  exactitude  et 
elarté  et  dans  un  langage  moderne,  laeilenienl  conipréhensible  (lour 
tout  es])rit  cultivé,  les  doctrines  du  Prince  de  TEcole.  Il  est  pernus 
de  dire  que  le  but  a  été  atteint.  Ce  résultat  l'ail  grand  honneur  à 
M.  (iardaii-  ;  il  tait  honneur  à  sa  patience  de  travail  et  à  sa  puissance 
<rassiuiilalion.    De  nos  jours,   ipiehpies  callidlicpies  d'un  esiirit   Irrs 

—  je  ne  voudi-ais  pas  dire  Ini/)  —  dégagé,  regarileul  la  jibilosophie 
de  saint  Thomas  comme  une  formule  d'explication  —  un  peu  étroite 

—  des  problèmes  philosophiques,  appropriée  à  un  certain  temps  et  h 
vine  certaine  mentalité,  comme  on  dit  de  nos  jours.  Sans  renoncer  à 
une  largeur  d'idées  très  permise  et  même  très  désirable,  nous 
croyons  que  la  grande  scolaslique  —  celle  du  wW  siècle  —  si  elle 
h'a  pas  posé  les  bornes  déliuitives  du  savoir  philosophique,  a,  du 
moins,  posé  des  principes  de  solution  et  tracé  des  cadres  que  l'on 
ne  saurait  renier  et  détruire  sans  grand  dommage  pour  le  progrès 
régulier  et  fécond  des  connaissances  humaines.  Des  livres  comme 
ceux  de  M.  (îardair  sont  bien  faits  pour  éclaircir  les  doutes  des  uns 
et  pour  conlirmer  h>s  convictions  des  antres. 

Nous  attendons  Ijientot  d\i  savant  professeui-  son  traiti''  sur  les 
Luis,  traité  qui  sera  du  plus  haut  intérêt  et  qui  ré|)oudra  de  la  FaiMui 
la  iilns  (qipiirtune  aux  conditions  et,  à  l'étal  de  la  société  modei-ne. 

ti.  DE  PASCAL. 


KANT  ET  KANTISTES.  — Jî(»rfe  critique  setonlesprinr.ipc^dc  la  mctaphij- 
siijuc  thomiste,  par  .M.  Goujon,  xxni-331  pages,  iu-8",  Lille.  Henri  Morel. 

Tandis  (pie  le  criticisme  allemand  menace  d'envahir  la  pensée 
contemporaine,  M.  tioujon  s'ellbrcc  de  faire  C(mnailre  les  solutions 
de  la  philosophie  thomiste.  On  lira  avec  intérêt  et  profit  le  travail 
consciencieux  jinblié  d'abord  dans  la  lirvuc  des  Srioires  ccclésiasli- 
ijups.  Le  sujet  est  traité  en  six  chapitres. 

Le  cluipitre  premier  est  consacré  aux  jugements  s\  ulhi'liijues  « 
jji-iori  et  aux  intuitions  pures  de  l'Espace  et  du  Temps.  L'exannni  du 
subjectivisme  kantien  et  de  la  Critique  de  la  raison  jjure  se  continue 
dans  le  chapitre  deuxième. 

L'auteur  rapjielle  la  théorie  thomiste  relative  à  la  connaissance 
intellectuelle.  Il  montre  le  rôle  de  l'objet  connu  par  rapport  au  sujet 


760  F.  A. 

connaissant.  "  Lintelligence  forme  ses  idées,  non  pas  en  les  tirant 
(lu  fond  de  nous-mêmes,  mais  en  s'unissant  avec  la  représentation 
sensible  dont  elle  extrait  la  représentation  intelligible  correspon- 
dante (Ij.  » 

Les  catégories  de  Kant  ne  doivent  pas  être  confondues  avec  celles 
d'Aristote.  Les  premières  sont  subjectives,  tandis  que  les  secondes 
sont  objectives.  «  Les  catégories  de  Kant  ont  pour  but  de  lier  entre 
elles  les  représeuUitions.  Elles  sont  aprioriques.  n'ont  aucun  rap- 
port avec  la  réalité,  ne  nous  apprennent  rien.  ••  —  An  contraire, 
cliez  .\rislote,  «  les  catégories  désignent  les  notions  suprêmes  aux- 
(|uelles  se  rapportent  les  autres  notions...  Elles  sont  subjectives  en 
tant  qu'elles  existent  dans  l'esprit  ;  ce  qui  ne  les  empêche  [las 
d'être  éminemment  objectives,  parce  que  l'esprit  les  acquiert  en 
considérant  avec  attention  les  objets  réels  ci  .  » 

M.  (joujon  saltaclie  ensuite  à  faire  re.'^sortir  la  conc-ciition  qui» 
Kant  s'est  forgée  du  noumène.  La  Dialectiqw  transcendantalfi  ne 
nous  livre  que  des  concepts  transcendanlaux,  le  moi.  le  inonde  el 
Dieu  dont  la  réalité  échappe  à  notre  raison. 

Pour  le  kaiiliste  fidèle  aux  |iriiii-ipes  du  Maitre.  tout,  à  re\cei)tion 
du  moi  el  du  moi  ])hénoménal,  est  pure  apparence.  Le  moi  nouiaénal, 
la  liberté  uoiiinénale  ont-ils  une  existence  réelle  ?  La  /{(lisoii  puri> 
ne  peut,  d"a])rès  Kant,  résoudre  cette  question. 

L'auteur  intei'prétani  d'une  façon  absolue,  avec  une  logique  rigide, 
les  principes  du  |iliilosoplie  de  Kônigsberg,  montre,  non  sans 
iiHuuiur.  coHimenl  un  kantiste  devrait  apprécier  les  événements  les 
l)lus  simples  ;  il  n'aurait  pas  li;  droit,  i)ar  exemple,  d'affirmer  la 
réalité  objective  de  la  gni'rre  du  TransvaaI.  N'y  a-t-il  pas  là  une 
exagération  ?  La  vraie  doctrine  du  philosophe  allemand  est  ainsi 
interprétée  par  M.  Ruyssen  :  >■  Kant  proclame,  en  1781  comme  en 
1787,  la  réalilé  l'inpirique  de  toute  perception  extérieure  conforiu 
aux  lois  de  l'expérience  i^OiO,  Barni,  II,  -io-ji  et  l'idéalité  de  l'objet 
transcendantal.  au  point  de  vue  de  la  connaissance  empirique.  Mais  il 
n'admet  pas  moins  que  l'objet  transcendanlîil,  inconnu  en  lui-même, 
i<  sert  de  fondement  aux  phénomènes  extérieurs  (i)  ».  (Page  (182, 
Barni,  II.  4.")7. 

M.  Goujon  n'ignore  pas  certaines  aflirmalioiis  réalistes  de   Kant  : 
I'   Ku   maints    endroits  de   la   r/'/Z/i/uc  l'auteur    Kant  i  déclare  (pie  la 


(1;  kant  el  Kanlisle.s.  p.  41. 
(2)  Page  45. 
:!   hnnl.  par  Théodore  Rlïssen,  note  li,  p.  3G8. 


KANT  ET  KANTISTES,  par  M.  (Jou.ion  Tfil 

liiatièri'  de  l'iiitiiiliun  si'iisililr  viciil  du  dclmi's,  on  [ilidol,  que  les 
objets,  les  choses  en  soi  foiirnissenl  à  l'iidiiiliou  sa  matière.  » 
Mal};ré  ces  déciaralions  nous  pensons  ([ne  M.  (ionjon  a  raison  de 
croire  que  la  tendance  sulijecliviste  se  dégage  naturellement  de  la. 
Critique  du  la  liaison  pure  :  "  Malgré  certaines  velléités  réalistes,  le 
système  de  Kant,  dans  son  ensemble  et  ses  lignes  pi-incipales,  est 
essenliellemeni  sid)Jecliviste  (!').  » 

A  propos  de  la  réalilé  de  l'exislenre  de  Dieu,  Kant  professe  une 
doctrine  tro|i  répaiulue  de  nos  jours.  Il  prétend  (|ue  ni  Ja  métaphy- 
sique ni  la  science  ne  peuvent  prouver  l'existence  de  Dieu.  Dans  sou 
système,  Dieu  est  aftirmé,  au  nom  de  la  croyance,  comme  postulat 
de  la  raison  pure.  Dieu  esl  objet  de  foi.  '>  Or,  toute  foi  est  une  aflii-- 
ination  sidijectivement  suffisante,  mais  accompagnée  de  la  con- 
science de  son  insuflisancc  olijeclive;  elle  est  diiuc  i)pii(i,s(''e  au 
savoir  i:2l.  » 

Combien  cette  doctrine  est  iulV'rieure  à  la  doctrine  catholique  sur 
l'accord  de  la  raison  et  de  la  foi  ?  La  raison  et  la  foi  se  prêtent  mutuel 
appui.  Crede  m  intelligas,  inlelUge  ut  credas.  Cette  formule  est 
l'expression  abrégée  de  l'enseignement  traditionnel.  Écoutons  saint 
Augustin  et  saint  Thomas  :  "  Alisil  ut  idro  rredamus,  ne  rationemacci- 
piamus  sire  quxramus  '  nuii  ctiam  credere  non  pussemus,  nisi  raiionalex 
animas  hdheremus  (3).  »  —  u  Non  crederet,  nisi  videret  ea  esse  credenda 
vel  propter  evidenliam  siijnnrum.  vel  proplcr  aliqnid  hujusmodi  [i).  » 

Kant  a  grand  tort  d'établir  le  divorce  entre  la  science  et  la  croyance, 
entre  la  raison  et  la  foi  :  mais  notre  auteur  se  donne  tort  à  lui-même 
en  prétendant,  comme  il  le  fait  en  plusieurs  passages,  que  le  philo- 
so])lie  allemand  a  pour  but  de  faii-e  la  théorie  de  l'athéisme.  .\ous  ne 
pou  von  s  (Il  net  li-e  de  noter  l'exagérai  ion  de  (juelques  termes,  lorscpi'il  dit 
par  exemple  :  «  Voulant  nier  Dieu,  Kant  et  ses  disciples  sont  obligés 
de  nier  le  moi  ;  ces  grands  savants  proclament,  avec  enthousiasme, 
l'ignorance  absolue  de  l'homme  »  (3).  M.  Alfred  Weber,  si  instruit  de  la 
philoso[)liie  de  Kant,  n'est  pas  de  l'avis  de  M.  Goujon.  «  Il  est  vrai, 
dit  M.  Weber,  ((lie  la  théologie  de  Kant,  simph;  .ippendice  de  sa 
morale,  n'a  pas  l'air  l)ien  sérieuse.  Ce  n'est  plus,  comme  au  moyen 
âge,  la  reine  des  sciences,  c'est  l'humble  servante  de  la  morale  indé- 

(I)  Pages  S4  et  .'m. 

i2)  Kant.  par  M.  ThéO(tore  Rcysse.n,  p.  'M->. 

(S)  Epistola  CXX,  Consentie  n"  3.  Palrotof/ia  laliiia.  Micm;,  timius  XXXtIl, 
col.  453. 

|4)I-1I,  qiiesl.  I,  art.  IV,  ad.  i 

(5)  Cf.  p.  \.\ii,  puis  p.  79,  n"  1:;,  et  p.  lilO. 


702  F.  A. 

Ijcndanle.  Ce  Dieu  personnel  ijoslulé  après  coup  par  la  ('rilli/uf  dr  la 
Raison  pratique,  ne  rappelle  que  trop  ce  vers  célèbre  d'un  (•()iili'uii)0- 
rain  du  pliilosoplie  : 

Si  Dieu  n'existait  pas  il  faudrait  rinventer.  (I) 

Sans  dmilc,  la  iiié"tapli\  sicpie  kanlicune  aboulil  logi(jueincnl  à 
Vathéisme  ;  mais,  loin  de  vouloir  nier  Dieu,  Kant  laffirnieau  nom  de 
la  croyance. 

Les  quelqiu^s  réflexions  que  nous  avons  du  l'aire  à  l'occasion  de 
cet  examen  de  la  doctrine  de  Kant  montrent  l'intérêt  que  nous  avons 
trouvé  dans  le  livre  de  M.  Goujon.  Mais  il  faut  éviter  l'exagération, 
qui  all'aiblit  plutôt  (pi'elle  ne  fortitie  la  crilit^ue  d'un  système. 

Les  chapitres  troisième  et  quatrième  méritent  une  attention  spéciale. 

L'auteur  se  plaît  à  nous  présenter  deux  pliilosoplies  français,  che/, 
(pii  il  trouve  quehfue  parenté  avec  la  piiilosophie  allemande. 

.1/.  /{fifiirr  fit  la  l'sijchologie,  tel  est  le  titre  de  l'un  de  ces  chapitres  ; 
M.  Liiird  cl  la  Mi'taphijsiquc,  tel  est  le  titre  de  l'autre. 

Ce  n'est  pas  sans  une  certaine  surprise  que  nous  avons  vu  M.  Rahier 
accusé  de  kantisme.  Il  est  vrai  (|U(»  M.  Goujon  a  pris  soin  lui-nièmc 
d'atténuer  l'accusation. 

<<  Malgré  une  certaine  indé|pi>nilaine,  dit-il,  M.  Rabier  est  disciple 
de  Kant.  >  Oui,  malgré  une  certaine  indépendance,  car,  parmi  les 
ancêtres  île  ce  philosophe,  on  ne  trouverait  pas  en  ligne  directe  le 
|»liilosophe  de  Kônigsberg.  Le  philosophe  français  répudie,  en  géné- 
ra], les  doctrines  métaphysiques  du  philosophe  allemand  ;  et  M.  Gou- 
jon sait  le  noter.  Les  hésitations  de  M.  llabier,  relativement  à 
l'innéisme  des  concepts  d'espace  |et  de  temps,  .sont  indiquées  avec 
raison.  Mais  c'est  surtout  dans  la  théorie  de  principe  de  causalité, 
dont  on  peut,  d'après  lui,  douter  absolument  parlant,  quoiijue  le  doute 
soit  pratiquement  négligeable,  qu'il  accuse  des  tendances  kantiennes, 
ou  plutôt  criticistes.  —  La  théorie  de  la  conception  du  monde  extérieur 
par  »  hallucination  vraie  »,  professée  par  M.  Rabier,  remonte  moins 
.'i  Kant  qu'à  Taine. 

Quant  à  la  critique  du  perceptionnisme  scolastique,  faite  par 
M.  Rabier,  on  voit  facilement  à  la  suite  de  M.  Goujon,  surtout  dans 
les  pages  IIJ.'J  et  lut,  que  cette  critique  est  sans  valeur  pour  (jui  con- 
naît la  théorie  scolastique.  En  efTet.  M.  Ridjier  dénature  la  pensée  de 


(1)  Histoire  de  lu  philosojtliie  européenne,  pir  .VIfred  Wkbeji,  cinquir'me  édition, 
1892.  p.  -iW. 


(' 


K.l.vr  ET  K.\yTl!>TE!<.  par  M.  (ior.io.N  TGÏ 

sailli  ïlioiuas  eu  lui  l'aisaul  dire  ipic  riuKijic  <!(■  i'nliji'l  l'St  (X'  ([ui  est 
coniui  dans  la  perception  sensihlr. 

Tout  scdlastique  sait  que  l'iiua^i'  n'est  pas  lObjel.  mais  est  le  moyen, 
l'intermédiaire  de  la  connaissance  sensilile.  Suivant  l'expression 
classique  :  l'image  n'est  pas  C(>  (jui  est  pen-u.  mais  elle  est  le  trail 
d'union,  la  route,  le  moyen  qui  nous  conduit  à  la  connaissance  di' 
rol)jet  :  ■■  Sjifcifs  non  e.sl  id  iptod  prrcipiliir.  srd  est  id 'iiio  percipilur 

idijl'ClUlll.   " 

Le  chapitre  iiuatrième  est  un  traité  de  miMaphysiiiue  où  l'auteur 
met  en  eomparaison  avec  les  théories  scolaslicpies  les  idées  subjec- 
tivistes  et  kantiennes  développées  par  M.  LianI  dans  son  livre  :  /." 
Scieiice  pwsilire  et  la  Métaphysii/iK'. 

M.  Liard  se  préoccupe.de  combattre  la  métaidiysique  positiviste 
et  associationiste  :  à  certains  endroits,  surtout  dans  les  onze  premier; 
chapitres,  il  semble  se  rapprocher  de  la  métaphysique  expérimental! 
et  rationnelle  d'Aristote.  Combattant  les  associationistes,  ce  philo- 
sophe explique  de  telle  façon  la  nécessité  d'un  lien  permanent,  d'une 
possibilité  permanente  de  sensations  qu'on  le  croirait  arrivé  à  conce- 
voir la  substance  comme  la  conçoivent  les  scolastiques  il).  Mais  ce 
n'est  qu'une  illusion,  car  M.  biard  récuse  la  valeur  scientifique  de  la 
métaphysique. 

Il  est  regrettable  que  ce!  auteur  confonde  la  métaphysiciue  à  la  t'ois 
rationnelle  et  expérimentale  de  l'École  avec  le  vain  formalisme  des 
Uoscelin,  Uckam  et  Raymond  Lulle.  Cette  confusion  est  soigneusement 
relevée  par  M.  Goujon  (pp.  lli.j,  13(ii. 

Il  y  a  de  judicieuses  remarques  dans  le  traité  de  M.  Liard  sur  La. 
Srii'itci'  posilivr  l'I  In  Mi'lapliijsiiiiii'  2  .  On  lit  avec  profit  les  chapitres 
sur  la  Liberté,  le  Bien,  les  systèmes  de  métaphysique  et  la  valeur 
des  métaiihysi(pu>s.  Mais  en  toutes  ces  questions  dominent  les  idées 
agnostiijues  de  la  philosophie  kantienne. 

Le  chapitre  cinquième  du  livre  de  M.  Goujon  a  pour  but  de  défen- 
dre la  métaphysique  chrétienne  contre  les  attaques  du  criticisme. 
C'est  une  défense  sereine,  solide,  faite  surtout  dune  exposition  pré- 
<-i.se  de  la  philosophie  thomiste  relativement  à  la  genèse  des  notions 
d'espace  et  de  temps,  de  lieu,  d'instant,  de  nombre. 

Le  chapitre  sixième  :  «  les  grandes  contradictions  du  criticisme  ■> 
est  le  complément  du  elKipilre  précédent. 


1)  La  Science  positive  et  la  Melaphi/siqiie,  par  Louis  Liard,  cliez  Germain  Ham.- 
LiÈBE,  Paris,  ISia,  Cf.  pp.  .3'4,375. 

,2)  Ihiil.,  \.  111,  ch.  VI,  p,  449-n:!.  Valeur  des  métaphysiques. 


764  G.  DE  PASCAL 

On  V  expose  le  caraclère  analytique  et  synthétique  de  la  méthode 
usitée  chez  les  scolasliques.  Le  réalisme  mitigé  de  la  philosophie  tho- 
miste y  est  montré  comme  la  doctrine  métaphysique  la  plus  complète. 
On  rencontre  dans  ce  chapitre  quelques  longueurs. 

Le  but  de  M.  Goujon  est  de  signaler  les  écueils  de  la  philosophie 
subjectiviste  et  kantienne,  où  sont  venus  quelquefois  se  heurter 
même  des  penseurs  catholiques.  Il  semble  bien  que  cette  philosophie 
ait  fait  son  temps,  et  nous  faisons  nôtre  le  jugement  porté  contre  elle 
par  M.  Fonsegrive  : 

«  Le  Kantisme  est  désormais,  lui  aussi,  entré  dans  le  vaste  conser- 
vatoire historique  des  ])hilosophies  "  périmées».  Il  doit  être  dépassé; 
ridée,  un  moment,  avait  caclié  le  réel,  on  est  maintenant  disposé  à 
le  retrouver.  En  Allemagne,  en  France,  on  voit  déjà  se  dessiner  les 
grandes  lignes  (Tune  nouvelle  métaphysique  dont  les  affirmations 
suprêmes  rappelleront  de  très  près  celles  de  lancienne  il'.  " 

l/étude  que  M.  l'abbé  Goujon  vient  de  livrer  au  publie  |iliilitsoplii- 
t[ue  aura  son  couqdément  dans  le  ti-avail  qu  il  anniuuc  en  son  der- 
nier chapitre  et  auipiel  il  donnera  pour  titre  :  /.'■  /tfdiisiiir  df  In  phi- 
losophie chrétieunc. 

Dans  celle  (euvre  nouvelle,  Tauleur  montrera  qu'il  n'>  a  aucune 
contradiclidii  entre  les  données  certaines  des  sciences  et  la  philo- 
sophie qui  s'inspire  sagement  de  la  méthode  et  des  principes  de  la 
Scolastique.  Puisse-t-il  montrer  que  celle  philosophie  est  postulée 
par  les  sciences  elles-mêmes. 

V.  A. 


L'ÉVOLUTIONNISME  EN  MORALE.  —  l'Uude  sur  la  Philosophie  île 
ticrbcri  Sjieiicer.  pai  Jean  11  vllecn,  chargé  de  cours  à  l'L'uiversité  de 
Gand.  I  vol.   in- 12,  225  pages,  Félix  Alcan,  Paris. 

L'hypothèse  de  l'évolution  n'est  pas  restée  confinée  dans  le 
domaine  scientifique.  Elle  a  donné  naissance  à  une  conception  nou- 
"velle  de  la  morale.  M.  Halleux,  déjà  avantageusement  connu  par  des 
écrits  philosophiques  de  valeur,  particulièrement  par  une  Eliidr  si- 
te Piisitivimni'  et  In  Philosophie  scolastique,  s'est  proposé  de  l'étudier 
à  ce  point  de  vue,  et  c'est  avec  raison  qu'il  a  choisi  jtour  objet  de  sa 
critique  les  Premiers  Principes,  et  la  Morale  écolulioiiiiisle  d'Herbert 
Spencer.  Spencer,  philosophe  anglais,  est,  en  efl'el,  le  représentant  le 

()  Quiiizaiiie.  l"jrinvitr  ISyS,  p. 'Jô. 


I 


TliAlTE  m  PHILOSOPHIE,  par  le  P.  (iAsroM  Sortais  765 

plus  célt'lirc  (le  la  iKiiivcllc  ildclriiic,  ccliu  cjui  a  le  plus  lai'f;i'lii(Mil  ri 
If  plus  elticaccîmcnt  «'(iiitriluK' à  sa  difViisioii. 

Le  travail  concis,  mais  substantiel,  de  M.  llalli^ux  comprend  deux 
parties  :  la  première  est  consacrée  à  l'exposé  de  riiypothèse  fonda- 
mentale du  système;  la  seconde  examine  el  iTili(|ue  en  détail  les 
principes  de  morale  que  Spencer  a  déduits  de  lliypothèse  évolution- 
niste.  L'exposition  de  M.  Halleux  est  claire,  exacte,  suffisamment 
complète;  sa  critique  est  courtoise,  impartiale  et  d'une  modérai  ion 
peut-être  excessive,  ce  qui  donne  d'autant  plus  de  force  à  la  conclu- 
sion contre  un  système  de  morale  qui  détruit  les  conditions  mêmes 
de  l'acte  vraimeni  moral.  Car  l'on  est  en  droit  de  demander  aux 
auteurs  de  l'évolutionnisine  ce  (|ui  subsiste  encore  de  la  morale,  — 
j'entends  une  morale  digne  de  ce  nomqui  ait  prise  sur  la  vie  humaine, 
—  le  jour  où  auront  disparu,  av(M-  le  sentiment  de  la  liberté  et  de  la 
responsabilité,  le  critérium  suprême  el  absolu  du  bien  et  du  mal, 
l'idée  d'un  dieu  personnel,  gardien  de  la  justice,  de  la  vie  future  et 
de  ses  sanctions.  Herbert  Spencer  ne  tend  pas  seulement  à  humaniser 
la  morale,  toute  sa  doctrine  va,  à  Viinimdliser.  On  lira  avec  plaisir  et 
avec  fruit  l'excellente  réfutation  que  M.  Halleux  a  laite  de  ses  théo- 
ries soi-disant  scientifiques. 

(i.  U1-:  l'ASCAL. 


TRAITÉ  DE  PHILOSOPHIE  conforme  aux  derniers  programmes  des 
baccalauréats  classique  et  moderne,  par  le  P.  Gaston  Sortais,  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  professeur  de  philosophie  au  collège  de  l'Imma- 
culée-Conception  (Paris-Vaugirard),  t.  I  :  Psycholoyie  expérimentale, 
Paris,  Lethielleux,  1901,  \n-ii  de  xiv-594  pages. 

C'est  toul  à  la  fois  un  traité  complet,  indispensable  au  professeur, 
l'I  un  manuel  ()ui  peut  être  mis  entre  les  mains  des  élèves.  Il  a 
par-dessus  toul  le  mérite  d'une  clarté  parfaite,  aussi  bien  dans  la 
marche  logique  et  l'enchaînement  des  idées  que  dans  l'exécutiou 
matérielle  (Divisions,  paragraphes  numérotés,  références). 

Certaines  questions,  plus  importantes  ou  plus  complexes,  sont  trai- 
tées avec  une  ampleur  particulière  :  par  exemple,  la  perception  exté- 
rieure, l'origine  des  idées,  le  fatalisme  théologique,  le  déterminisme, 
la  philosophie  des  sciences,  les  méthodes  des  sciences  mathémati- 
<iues  et  des  sciences  physiques,  les  divers  systèmes  de  morale,  le 
(collectivisme,  les  fonctions  de  l'État,  le  darwinisme,  l'évolution- 
nisine, l'esthétique,  etc..  Un  a  traité  avec  un  soin  spécial  ce  qui 


766  li.  DK  CARROY 

ix'gardc'  lt_'   (^rilirisiiie  tli'  Kaiil  et   les  Jiijctui'nls  sijnlhrliqurs  a  jiriori. 

La  inarrlic  de  rmivrago  esl  la  suivante  :  api'ès  des  Pri''llmii)rnri's 
consacrés  au\  méthodes  [jsychologiques,  le  livre  I"  traite  de  ÏArfi- 
rilé  sensible  :  6n\o\'\nns,  inclinations,  passions.  Le  livre  11  eom[irt'nil 
les  diverses  nianifeslatiuns  de  Varlivilr  inlrllrrtuclle  :  Pereej)li<)n 
interne  et  externe,  méimiire.  association,  imagination:  — attention, 
<'omparaison,  t'oriiiatioii  des  concepts,  jugement  et  raisonnement.  A 
remar((uer  Ja  Sccliaii  J]'  (p.  .TW  à  i-2',i]  consacrée  aux  l'érilés  pn'- 
iiiii'-ri'x  !princi|)es,  catégories:  et  au  l'rdhlriiio  iIp  la  raisnu  (excellente 
discussion  liistori(|m'  de  l'lùii|iii-isui!'.  du  lialionalisine,  cl  du  Ralin- 
nalismc  i'mpiri(|iie...  .  Kiiliu.  dans  le  livre  111;  ÏAclivilr  vulnulairr.  un 
chapitre  intéressant  est  consacré  à  l'imporlanle  (juestion  de  Vllnlii- 
lude  (p.  SOI  il  riK)). 

Tout  cet  ouvrage  dénoie  l'expérieiu'e  et  le  sens  prati(|ue  de  lau- 
teur,  de|)uis  de  longues  années  ])rofesseur  dans  deux  iiiiportanti^s 
maisons  d'éduealinu  parisiennes. 

B.  i.i;  C.\RROY. 


PÉRIODIOIES    FRANÇAIS 


Revue  philosophique.  — Tros  rfinarijuables  sont  les  trois  articles 
ilo  .M.  Duiiaii  sur  la  murale  'mars,  avril,  juin  l!)(tl  .  Trois  principes 
avaient  été  mis  en  avant  ]iiuir  fonder  la  morale  :  le  plaisir,  l'idée  du 
bien  et  l'idée  du  devoir.  M.  Dunan  se  prononce  pour  l'idée  du  bien, 
et  il  remarcpie  très  justement  que,  pour  en  tirer  parti,  il  faut  se  ratta- 
chera la  métaphysique.  Ni  l'altruisme  ni  l'égoïsme  ne  peuvent  suftin; 
comme  prin(i|)e  directeur  tle  la  iiuirale.  Mais  on  pourra  concilier  ces 
principes  en  faisant  appel  à  l'idée  du  bien.  Nous  devons  rechercher 
■  le  bien  des  autres  et  notre  ])ropre  bien,  commese  rapportant  au  bien 
de  l'être  universel. 

Le  bien,  c'est  deréalis.er  l'être  à  son  plus  haut  dei^ré.  Dans  l'appli- 
cation, nous  devons  observer  la  hiérarchie  des  fonctions  et  leur 
subordinaliiin.  lin  toute  occasion,  on  doit  donner  la  préférence  à  la 
fiuicli(Ui  la  plus  élevée. 

Tout  ceci  est  très  beau,  mais  nous  descendnns  de  ces  hauteurs 
quand  il  s'agit  de  la  conscience  morale.  Ici  .M.  Dunan.  partant  de  la 
vie  physique  et  des  instincts  animaux,  présente  la  conscience  commis 
un  instinct  supérieur  qui  nous  dicte  ce  qu'il  faut  faire  pour  se  mettre 
•d'accord  avec  la  nature  universelle.  Outre  quelques  expressions  pan- 
théistes, qui  nous  étonnent  de  sa  part,  il  nous  parait  avoir  un  peu 
oublié,  ce  qu'il  a  si  bien  dit,  que  la  morale  se  rattache  à  la  métaphy- 
sique. La  conscience  morale  n'est  donc  pas  un  pur  instinct.  Elle  est 
sans  doute  dans  la  plupart  des  hommes  une  habitude  ou  un  senti- 
ment spontané.  Mais  dans  son  fond  elle  repose  sur  un  principe  de 
raison.  C'est  là  même  ce  qui  permet  d'éclairer  les  consciences  indi- 
viduelles et  de  faire  la  science  de  la  morale. 

Si  l'auteur  se  fût  attaché  plus  fermement  aux  princi|)es  (juil  avait 
d'abord  proclamés,  il  eût  évité  de  dire  que  la  loi  morale  varie  suivant 
les  circonstances.  Non,  la  loi  morale  ne  varie  pas,  mais  l'opinion  des 
hommes  peut  varier  suivant  leur  ignorance  qui  dans  certains  cas  les 
rend  excusables. 


■708  C"  DOMET  DE  VOR(iES 

M.  Diinan  n"a-l-il  pas  imi  peur  d"ètre  accusé  de  faire  de  la  lliéo- 
logie,  et  serait-ce  pour  s'eu  défeudre  qu'il  ajoute,  avec  Kant,  que 
l'homme  n'a  point  de  maître"?  Nous  l'admettons  vis-à-vis  des  hommes, 
mais  que  penser  vis-à-vis  de  Dieu  ?  M.  Dunan  répond  (ju'ofTenser 
Dieu  et  ofTenser  la  raison,  c'est  la  même  chose.  Oui,  en  un  certain 
sens,  mais  Dieu  se  confondrait-il  avec  la  raison?  Qu'on  se  souvienne 
de  ce  qui  a  été  avancé  plus  h.iut  que  la  naliire  peut  être  dite  l'être 
même  de  Dieu. 

En  résumé,  ces  trois  articles  sont  pleins  de  hautes  ])ensées  et 
d'idées  très  Justes,  mais  l'auteur  n'a  pas  osé  les  pousser  jus(}u'au 
liout,  parce  qu'il  eut  fallu  sortir  des  considérations  purement  natura- 
listes. 

Ce  qui  uianque  à  la  morale  de  M.  Dunan,  nous  le  trouvons  dans 
une  note  du  H.  P.  Sertillanges   mars  1901). 

M.  Brochard,  dans  un  article  précédemment  publié,  avait  avancé 
((ue  les  anciens  n'ont  pas  connu  l'ohlifiation  morale,  parce  qu'ils  con- 
fondaient le  bien  avec  la  jouissance.  \a-  savant  ddiuinicain  relève  que 
les  anciens  et  notamment  Aristote  ont  parfaitenuMit  distingué  le 
bien  de  la  jouissance.  La  jouissance  est  assurément  une  suite  de  la  • 
bonne  conduite,  mais  elb'  n'est  que  l'accessoire.  Le  but  principal 
pour  le  philosophe  de  Stagire  est  qm?  le  sage  vive  conformément  à 
la  nature.  Il  ])Ouvait  donc  s'élever  à  l'idée  d'obligation,  car  les  règles 
fondamentales  de  la  morale  dérivent  de  la  nature  essentielle  de  Dieu. 

Ces  considérations  sont  rm-t  justes  el  fort  élevées.  Cependant  il 
nous  semble  que  les  questions  jtosées  i)ar  M.  Brochard  restent  sans 
réponse.  Lu  fait,  les  anciens  ne  se  sont  pas  élevés  à  l'idée  d'obligation. 
Pourquoi  ?  Quelque  chose  lesarrèlait  donc.  Que  peut  être  ce  quchpie 
chose  ■?  Ne  serait-ce  pas  l'idée  trop  vague  qu'ils  avaient  de  la  person- 
nalité divine  '? 

Les  règles  de  la  morale  dérivent  évidemment  de  la  nature  essen- 
tielle de  l'être  suprême.  Il  ne  peut  ne  pas  les  vouloir.  La  première  de 
ces  règles  est  que  tout  elTet  appartient  à  sa  cause.  Si  donc  une  cause 
intelligente  et  libre  pose  un  effet  également  intelligent  et  libre,  la 
cause  a  le  droit  d'exiger  que  cet  elTet  se  conforme  au  but  qu'elle 
s'est  proposé  en  le  créant.  De  là  l'obligation.  Mais  les  anciens 
n'avaient  pas  l'idée  d'un  Dieu  créant  librement  l'univers. 

M.  Espinas  (mai  l',)Ul)  estime  que  la  société  humaine  est  le  plus 
haut  des  groupes  que  forme  la  nature.  Elle  n'est  pas  simplement  une- 
réunion  d'individus.  Elle  a  une  réalité  propre,  une  conscience  collec- 
tive. Elle  a  ses  lois,  .sa  naissance,  sa  déchéance  et  sa  mort.  Elle  a 
donc  des  droits  que  n'ont  pas  les  individus  c[ui  la  composent. 


VKHldltlnVES  F/l.lAT.l/S 


TCO 


M.  RspiiiMS  se  |iliiiiil  (|iii'  l:i  |ili  iliisiipliii'  spii-il  iiiilislc  l'I  iii  i'('lii;iiiii 
rliri'l  ii'iiiii'  l'iiiprclii'iil  Ir  th'vcldppi'nii'iil  de  l.'i  siici(il(ii;ii'.  parce 
(liirllcs  siiliiiriliiiiniMil  Im  snci.'li'  ,'i  l'iiidividii.  Il  ihhis  scmlili'  (Jdc 
(■l'Ile  siihiiiMliiialioii  ne  saiii-.iil  cinpiM'Iii'i'  la  rnniialinn  il'iinc  sCMciicc 
sticialc,  ilii  iiMiiiii'iil  ipi'il  y  a  (1rs  lails  siiciaii\.  Mais  nous  ci-aif^'iKiiis 
Inrl  (pic  la  lli(''iii'ic  (le  M.  j'^siiiiias  ne  mène  à  I'cm-i'S  cunli'aii'c.  à  l'iim- 
nipdtence  de  I  l'ilal  iliinl  li(insa\aieiil  alIVaiicliis  ili\-iieiir  si(''cles  de 
clirisl  iaiiisiiie.  Si  la  siicii'U''  I  ieiil  ses  piiiiviiii's  de  I  )icn.  ils  S(Uil  liniil(''s 
|iar  là  nM'iiie  a  II  linl  de  sa  luissidii.  Si,  au  ciuil  laii'i',  elle  esl  une  n'alili'' 
ciMicrèle  euL;liilianl  les  individus,  ceux-ci  lui  appail  ienneiil  :  elle  n 
sur  eu\  liiiis  les  dniils  el  la  liherh''  civile  n Csl  plus  ipi  un  \ain  iniil. 

M.  Lacindier  ijuin  l!M)|  i  piM''senle  uru.'  mile  siii-  le  pari  de  i'ascal.  Il 
l'iMnaP([ue  ipi'il  n'\  a  lieu  à  pari  ipie  si  l'alleiaial  i  ve  esl  ciiucevalili'  el 
]iiissil)le,  11(111  senleiuenl,  d'une  piissiliiliU''  loi;i(|ue,  mais  d'une  possi- 
liilih''  r(''(dle.  Il  y  a  dans  l'inlelli^cnce  liuuiaiiie  une  conU-adicliiia 
iinpiicile.  I.a  raisini  el  la  lilierli''  ih'lHirdeid  nuire  ciuiscience  aclindle. 
Nous  avons  liesoin  d'un  idéal  au(|U(d  nous  ne  p(ui  vous  arriver  ici-bas. 
l*(Mivinis-iioiis  v  arriver  nilleiii-s?  (Tesl  wni'  possiliiliU'  uiii([ne  mais 
ri'idle  (pii  li''ij;il  iiiie  le  pari.  ■■  l^a  ipiesliiiii  la  pins  liaule  de  la  pliiloso- 
pliie,  plus  religieuse  di'jà  ]ienl-(''tre  ([ne  pliilosopliiipii',  esl  le  passai;i' 
de  l'aljsidn  l'orinid  à  I  absolu  i'i''p1  el  vivanl,  de  ri(l(''e  de  hieii  à  i)ien  ; 
si  1(^  sylloii'isnie  \  (''clioue.  ipie  la  lui  en  coure  le  risipie  :  ipie  l'ari^u- 
ineill  onloliif;'i(pie  cède  la  place  an  [lari.  ■■ 

Si  Pascal  revenait  au  nuuidiv  ne  serail-il  pas  i''liiniii''  ipi du  prenne 
son  pari  pour  aiilre  cliose  ipi'iin  iiioyeii  uraloii'e  desliin''  à  l'diranler 
rindiU'i'rence  de  rincr(''(hib>  ? 

.M.  le  Daiilec  ijuillel  1901  i  inauLçure  une  nouvelle  ni(''lliode  en  bio- 
loii'ie.  Il  ra]ipidle  inr'lliode  de  la  navelle.  il  a  bien  reinaripn''  ijiie  des 
|iropri(''t(''S  de  la  cellule  on  ne  peni  diMluire  loiiles  les  pr(iprii''li''S  des 
cires  vivaiils.  |)  aulres  en  coiicl  lira  ieni  (ju'il  y  a  dans  li'dre  vivanl 
plus  qu'une  agf^'lomi'ralion  de  cidinles.  Mais  M.  le  Daidec  s'esl  l'ail 
l'opinion  (|ue  joules  les  [ii'opri('li''S  \ieuuenl  de  la  cellule  el  de  ses 
dill(''rences  cliiiiiii|ues.  Pour  ('■lablir  le  lieu  lo^'ii[ue  entre  la  cidlnle  el 
ses  ]iro|)rii''li''S,  il  se  croit  donc  anlorisi''  à  reii\erser  la  iiiarclie  oi'i.li- 
uaire.  .\pr(''S  avoir  (b'diiit  de  I  i''lal  de  la  cellule  les  propri(''ir'S  ipii  s'v 
preleid,  il  (l(''iluit  di's  pr(iprir't(''S  du  loul  les  aulres  conilil  ions  i|ue 
doil  reuiplii'  la  cidlule. 

.\yanl  ainsi  (''labli  cerlaines  dil)'(''rences  ipialilical  i\('>  enirii  les 
cellules,  il  adiiicl  (pie  ces  diU'i'M'ences  soni  pri''cis('ineiil  cidles  (pii 
dislinj;iienl  les  esp(''ces  aniuiales,  les  dill'i'rences  (piaiililalivcs  ne 
dilV(''reiicieraicnl    qui'    les  indixidns.  Les    dil)'i''rei s    -pi''cili(jues   des 


48 


7-;0  C-  DOMET  DE  VORGES 

(■(>lliili's  sci-aii'iil   .111   riiiiil  iHircniiMit  cliiininiics,   cl   1ns  pl.i'-noinènes 
iiior|)liolof;i(Hi('s  siTairiil  sdus  Icui'  (li''|ii'iidaiice. 

MM.  I.croy  ri  Toholuski  cssaicnl  (lojioiis  t'\pli([iioi'  1p  inôcanismc 
dos  l'i'vi's  .juin  l'.llll  .  Ils  les  atli-iliiu'iit  en  gvnéral  à  des  causes  iiliy- 
■^iiil(ii;ii|iii's.  Mais  leur  élude  pâlit  auprès  de  la  charmante  conférencp 
l'aile  I)ar  M.  rieri;'son  et  publiée  dans  la  Itfcuc  srii'nlifiijuf  in"  :2.']. 
I"'  seiu.  1001  .  M.  Bcfjçson  reuiarque  ((ue  le  diii'nieui'  consei've  cer- 
laiiis  rapiiorts  avec  l'exlérieur.  Il  se  produil  aussi  dans  snu  cerveau 
des  iuiaf;es  subjectives  vafçues.  Le  tout  forme  un  iiiélanj^e  (jue  lima- 
iîinalion  ai'ran^e  cl  compléle.  Ces  phénomènes  se  renconlrenl  éj;ale- 
iiieiil  dans  la  veille,  mais  ils  sont  à  |)eine  enircviis,  l'espril  iMaiit 
occupé  par  les  faits  pratiques  de  sensibiliti'. 

I,'inl(dlij>;ence  n"est  pas  absente  dans  les  ri'ves.  Elle  rais<uini'  sur 
les  ilonnées  présentes  et  exi'culc  parfois  tl(>s  opérations  ililliciles.  De 
Uléme  que,  tiaiis  la  veille,  les  souvenirs  couq)lélenl  les  jierceptions 
réelles,  pendant  le  soiniueil,  le^  xuiveniis  ((uilribiiciil  à  pri''ciser 
et  à  développe!- les  images  lies  rêves.  Quelle  esl  ddiic  la  ilifléi-ence 
eiilr(>  la  veille  et  le  sommeil  I  Elle  esl  dans  la  Icnsiou  des  laculli's. 
1,'liiiiuiiie  ('xcillé  observe  ses  idées,  les  règle  el  les  Juge;  riiiPiiiiiie 
eiuhu'uii  se  laisse  aller  aux  iuqiressions  qui  se  pn'seiileiil .  ..  Le  moi 
dormeur  esl  un  moi  qui  si-  détend.  » 

Revue  de  Métaphysique  et  de  Morale.  —  M.  Hergson,  que 
nous  veii(Ui>  de  ciler.  a  l'Ii'  I  iiiil  ialeur  d  un  lUini  viuiu'lil  philosO[)hi- 
c|iic  ipii  >('st  beaiiciuip  di'vcloppi'  en  ces  temps  derniers  cl  que  l'un 
nomme  la  pliiloso|)hie  de  I  acli<ui.  Les  philosophes  de  l'action  espè- 
rent échapperaux  conséquences  négatives  du  criticisme  en  cherchant 
la  M'rilé  dans  la  vie  pratique.  l'n  mouvement  parallèle  a  été  suscité 
dans  les  sciences  par  M.  Poincarré.  Ces  deux  mouvements  n'ont  pas 
tout  à  fait  le  même  biil  :  les  philosophes  de  lactiiui  clier<hent  dans 
la  pratique  une  issue  vers  la  vérité  objective.  Les  tenants  de  M.  l'oin- 
carri''  conleslenl  jdus  ou  moins  la  valeur  objeclive  de  la  science  p(uu' 
la  ri''(liiire  à  n'èlre  qii  une  rui''lli(i(li.'  de  cla--sitical  ii.n  el  un  pr(içi''di'' 
donnant  des  résultats  prati([ues. 

.Néanmoins,  les  deux  tendances  ont,  dans  la  l'orme.  lie;uiciiup  d'ana- 
logie. Bien  des  penseurs  les  eonfondeul  volontiers  el  les  appuient 
l'une  par  l'autre. 

M.  Le  Roy  (mars  l'.lOI  part  de  ce  fait  ipiun  travail  criliipie  a  é'Ié 
entrepris  sur  les  théories  jdiysiques.  (In  a  <onstalé  que  ces  théories 
sont  variables,  multiples.  c|iiel(pu'l'ois  ciuitradicloires.  Les  lois  sont 
des  d(''linil,ions  invériliables,  puisqu'on   ne  juge   des   apparences  (pie 


PEniODIQVES  FRAyÇAIS  "i 

p;ir  elles,  l.i^s  l'ails  M'ieiil  ili(|iies  eiix-mèilies  soiil  l'ails  ]iar  le  savaiil. 
il>  (l('|ii'iHleiil  (lu  {iiiiiil  lie  VIII'  iii'l  Ton  s'est  ])lner'.  Les  VitIIiVs  seieiili- 
lii|ues  s'iiiipliiliienl  l'iiiie  iMiili'e.  Llles  se  |il'iiiiveiil  l'illie  par  l'aiil  re 
dans  lie  vérilahles  cercles  vicieux. 

M.  de  l.appai'eiit  a  liieii  iiiuiiIim'.  un  Juin-,  couiiiien  ci>s  crilii[iii>s  son! 
exaf;(''i'ées,  coiiimeiil  les  lliédi'ies  l'ondamenlales  i-eslenl  liinjinirs 
vraies  el  ne  varieni  ipie  dans  les  di'lails,  mais  M.  I.e  liii\  les  lient 
juMir  alisnliiinenl  jiisles.  el  il  en  crMicInl  ipii'  la  science,  an  pdiiil  de 
vue  inlellectualiste,  nDflre  aucune  certitude:  ce  ii'esl  point  pai'  des 
dr-dnclicuis  Hièine  bien  coinlniles  ipie  1  rui  alleinl  le  ri''el.  C'est  ])ai' 
1  activité  spiril  iielli'  (pii,  dans  une  inluilimi  svulln''l  iipie,  iMillirasse 
une  inullilndi'  d  idc'iui'iits.  La  science  n'est  vraii'  ipTen  tant  iprelle 
est  vécue. 

Dans  un  secruid  ai'ticlc  iniai  \'M)\  ,  M.  Le  Itny,  eu  termes  chaleu- 
reux, plaide  [lonr  cette  cdncept  ion  de  la  science.  Il  se  dédeiid  d'être 
scepti([ue.  Il  veut  le  réel.  Mais  l'iulidleclnalisme  a  le  tort,  dit-il,  de 
ne  s'occuper  ipie  de  la  partie  (daire  de  la  peusé'e.  C'est  la  jiarlii' 
oliscuri'  qui  est  le  principal.  C(dle-là  ini  ne  l'alleint  ipie  jiar  l'inven- 
tioii  el  antaiil  ipie  \'(\n  a  vécu  sa  pensée. 

.M.  \\illiois  accorde  nu  peu  pins  à  la  science  ;  niai'S  l'.tDI  .  Il  clierclie 
à  coucilier  res[H-it  critique  et  l'esprit  |iosilir.  (.'.rilicpiei',  c'est  (diercher 
une  vie  iniuvelle;  i''lre  positif,  c'est  vivilier  re\p(''rience. 

in  jirincipe  scientillipu'  comprend  un  i''li''ineiil  ndatil'à  l'activiti'' 
humaine,  mais  aussi  un  éh''meul  ind(''pendanl  de  l'homme,  une  vérité 
exii'rieure  (pion  ne  |H'nt  (pu'  [iresseulir  Jiis(prau  jour  où  le  ])reinier 
l'di'ini'nl  lui  esl  devenu  ad(''(pial.  .\insi  le  principe  des  ondes  en 
optique  ri'iirerine  I  id(''e  d'onde  enveloppe  qui  esl  nue  pure  alislrac- 
linn,inais  il  mari|iie  .inssi  une  \i''i-ili',  c'est  ([ii'il  \  a  ilaiis  la  himière. 
de  la  iM''riodicil(''  l'I  de  l'i^'lalement. 

M.  Wilhoisajonle  ipie  les  ]ii'incipes  sont  vivants.  Ils  si' di''vêloppent 
et  se  moditient  an  cinilact  de  l'expérience,  l'our  alleindre  ces  prin- 
cipes dans  leur  pureté,  il  ]u'opose  une  m(''tliiide  de  ri'^'ression  ana- 
lo,t,'ue  à  celle  mise  eu  avant  [larM.  l'.eri^'son.  Elle  ciinsislerait  à  ilt'pas- 
serlaclioii  praliipie,  iudiisl  i-ielle  et  rat  iminene.  L'a  nienr  pense  que 
l'inluiliou  dn  i-i'cl  ne  peut  é'I  re  commnuiqni'e.  j-]lle  esl  plnti'il  dans  ce 
qui  est  |iropre  à  chacun  que  dans  ce  qui  est  crnnmnn  à  tous. 

.\  est-ce  pas.  dirons-mnis,  l'iqqiosi'  de  l'anliqne  conception  de  la 
science  qui  ne  pi'éti'udail  pas  assnré'meul  atteindre  tout  le  réid,  mais 
(jui  croyait  pouvoir  en  i^xprimer  une  [larlieiMi  teruu's  comniunicaldes 
à  tous  el  \i''rilaliles  pour  huis? 

.M.  Lalande  s'occupe  d'une  qnesliiui   très  ditIV'reule,  celle  de  l'édu' 


772  O"  DOMF.T  de  VORGES 

i-Mlion  iudimIi'.  Il  ri'iiil  i|ni>  Im  philusiipliic  i.'st  iiarraileiiiciil  en  rlal  ilc 
pi'(''S('nli'r  lin  |ini^raiiiiii"  assez  l'nmpli'l  il(>  règles  de  iiidrali'.  Il  eu 
(''iiiuiirn'  avec  fiimiilaisanci'  un  ccrlain  iioinljn»,  cl  il  se  [ilainl  que  les 
cal  iKiiiijues  coiilcstenl  à  la  iihilos()|)liic  conlcnipomiiic  le  droit  de 
former  la  jeunesse  à  la  praliiiiic  des  devoirs. 

Non,  les  catlioliqucs  ne  contesicnt  à  iicrsoiine  la  possiliililé  de  for- 
mer une  lisle  île  principes  exigibles  en  tout  lionnéle  homme.  Ils 
piiiiri-aieiil  i-eirian|iier  tonlefois  que  |iliisieiirs  de  ces  principes  pm- 
vieniient  de  la  fdrmalion  chrétienne,  de  la  civilisation  moderne,  cl  ne 
s:'  soutiendraient  pas  très  loiigtem])s  en  dehors  d'idle.  Mais  ce  qu'ils 
coalestent,  c'est  la  possibilili' |)iiiir  la  philosiipliie  aciiielle  de  fournir 
un  motif  suflisanl  h  l'observation  lidéle  de  ces  [irincipes.  Nos  [diilo- 
soplies  n'étant  d'accord  ni  sur  l'existence  de  Dieu,  ni  sur  l'immorta- 
lile  (le  r.iiiie,  ni  sur  les  [leines  et  les  récompenses  futures,  ]ieuvcnt 
bien  ri'C(Mumander  tles  règles  de  c(niiluili'.  mais  ils  ne  sauraicnl 
iiidiipier  aucune  sanction. 

M.  Canlecor  mai  1901  j  re])roclio  également  à  l'Kglise  de  faire  de  l;i 
charilé  une  perfeclioii  de  lii\(\  Sans  doute  il  n'a  ipi'une  idi'-e  très 
vague  de  la  (hicirine  calhiilicpie.  Il  (■met,  comiiie  un  r(''Siillal  des 
éludes  récentes  sur  les  rapports  sociaux,  une  suite  de  [)ro[iosili(uis 
relatives  à  la  solidarit(''  (pii  ont  (''l('"  connues  de  tout  temps  dans  l'I^glise. 
N"esl-C(^  pas  elle  ipii  a  enseigné,  bien  avaiil  le  Win''  siècle,  (|ue  nous 
Somm(>s  tons  frères  cl  responsables  les  uns  des  autres?  .\u  fond,  la 
solidarité,  dans  ce  ([ii'elle  a  de  juste,  n'est  ([u'un  mot  n(uiveau  |ioiir 
désigner  ce  (pidn  ajipelail  autrefois  l'amour  du  prochain.  M.  Canle- 
c(U' fait  observer  plus  juslemenl  que  la  vie  .sociale  est  \iur  (ihligati(ui 
naturelle,  et  ([ue  les  hommes  scuit  obligés  de  se  couceiler  pdiir  les 
/ini's  c(immini''s.  Moins  absolu  ipie  M.  Espinas,  il  remar(|iie  fort  à  pro- 
pos (pie  cette  obligation  ne  doit  |)as détruire  l'individualité  et  ne  s'éliMul 
(]u'anx  seules  tins  (pii  ne  peuvent  être  obteniu's  p.irles  elTiu-ls  isolés. 

Terminons  en  signalant  deux  (''Indes  remar(piables  données  par  la 
Revue  néoscolastique    mai  l!t()l  .  Dans  la  ])r(Mnière,  M.  de  Wiilf 

lliillS    eulrelii'lll   d  une  ipiesliiin    l'orl    illli'ressaiile.  (JuCsl    ileM'Illie    la 

Iradilion  aiiguslinienne  auxiii'  si(''cle? 

L'auteur  distingue  (piatre  courants  à  celle  e|iii([iie.  l,e  premier  est 
purement  augustinien.  Il  enseigne  le  primai  de  la  volonté  sur  l'intel- 
ligence, rindépendance  snbslanlielle  de  l'.-'ime  vis-à-vis  du  cori)S, 
l'ideniilé  île  r.-'unè  et  de  ses  facultés,  l'activité  de  la  connaissance  et 
eiilin  I  ('xish'iice  de  raisons  séminales  dans  1.1  malii''re.  Il  esl  repré- 
seiil.''  p;ir  Alexandre  de  Ilal(''S  el  saini  BonavenI  lire. 


i'i:iiinii](jri-.s  /'/(.t.V'M/s  "3 

Tri  soniiiil  ciMir.iiil  ri'pi'odiiit.  cnuiiir'  ('ImiiI  ilr  siiiil  Aii.nusliii,  di's 
iiliM'S  i|ni  ont  |iliiliil  uni'  lll•i^■ill(■  (iriiMil.ilc.  pai-  cxciiiplc  la  lliiMirir 
iriMii'  illimiiMaliiia  s|ici-iali'  ili;  llii'ii  pour  cxpliipu'r  li'>  rumlciniMil^ 
(II'  la  ci'i-lil  iiilr,  cl  la  (lis!  iiiiiiiiii  entre  rexcrcicc  onlinairi'  ilo  l'iiilrl- 
iiuiMici'  r!  la  rélleNidii  pliilosii[ilii(|ii('.  C'est  la  (lireetiiiii  suivie  par 
(iiiillauiii"  (l'Auvergne,  Rot^er  f-îaciiH  et  lliMii-i  de  (iand. 

In  triii?ii.Miie  coiu-ant  est  celui  des  (locteurs,  justiliaiit.  pai'  des 
textes  tiri''s  de  saint  .Vu;;'ustin,  des  idées  inspir(^'es  par  le  pci-ipal(''- 
tisiLie  arahc,  ainsi  l'existenc^e  d'iint;  matière  pour  les  (^'Ires  pui-cuieiil 
spirituels. 

Hiilin,  le  courant  péripal(''ticien  pur  s'est  t'oian''  ipiaud  (Ui  a  liieii 
connu  les  grandes  o'uvi'es  d'Aïastole.  (Test  celui  (pii  est  repr(''senti'' 
(l'un  c(jté  par  saint  Thomas  d'A(|uin  et  Albert  le  (Irand,  et.  dans  uiu' 
autre  direction,  par  Duns  Scot.  11  l'ait  enc(u-e  une  certaine  [dace  aux 
docirines  augusliniennes. 

Telle  est  la  classification  propos(''e  par  .\1.  di-  \\'idl'.  Klle  ne  sera 
]>(Mit-(Hre  pas  admise  par  tons:  mais,  vu  la  conqH'tence  île  l'auteur, 
elle  olVre  nn  vvo\  iiit(''r(''t . 

I.a  seconde  (Hude  l'sl  de  M.  l'abhé  Piat.  Le  savant  professeur 
rei'lierclie  la  mani("'re  dont  Aristole  a  cnml)ri^  les  rap]iorls  de  Dieu 
avec  le  uKuule.  L'antem-  résume  les' passages  lu'i  le  pliilusuplie  de 
Stagire  décrit  la  vie  de  l'Etre  suprême  renfermé  en  lui-même  et  ne 
connaissant  ijue  lui-même,  l'n  t(d  être  ne  pinit  évidemment  être  cause 
(■riicieide.  .Mais  il  est  cause  tinale  pour  I(MiI  ce  (pii  existe  au-dessous 
de  lui.  11  faut  comprendre  ([u'il  y  a  dans  la  matic'i'e  une  âme  qui  a 
(■(Uiuaissance  de  la  perfection  de  Dieu  (d  des  possibilités  de  cette 
mali(''re  et  clierche  à  reiiroduire  autant  (|u'il  m'  peut  la  beauté  et  la 
b(_)nlé  de  l'être  [iremier. 

.M.  Piat  cite  [ilusieurs  passages  p(_iuvanl  appuyer  cette  iuterpr(''ta- 
tiiui  :  "  L'anKuu'.  dil-il  en  conclusinn,  (pie  Platon  ])rêtait  à  son 
dêmini'ge,  est  des'i'iidu  du  ciel  dans  la  matière  et  les  idées  ont  suivi 
la  uiémi^  voie...;  la  iialiire  s'est  transformée  en  un  être  vivant  (|ui 
porte  en  lui-même  le  principe  et  la  règle  de  ses  actions.  " 

Nous  n'ignorons  pas  les  objections  opposées  à  cette  manière  de 
comprendre  la  doctrine  d'.Vristole,  mais  nous  croyons  qu'elle  est  la 
seide  conciliant  les  vues  (^livei'ses  exprimées  par  le  grand  philosophe 
grec. 

O"  DOMi-T  DE  YURGES. 


PÉRIODIQUES  ALLEMANDS 


Philosophisches  lahrbuch.  linml  I '<  lldl.  I  jamiiT  l'.ioi  i.  — 
Ci'lli'  l'i'Viir  .1  ('11'  I'iiikIi'c,  Il  y  a  li-ci/.i>  ans,  par  la  S(icii''|{''  ilr  savants 
cal  lioli(|m's  di'  Miiiiicli,  la  (iôrrcs-Ocsclisfliari .  I^llccsl  rdiisaciMT  s|m'- 
ciali'MU'iil  à  la  viilp,arisali(iii  de  la  |iliilnsopliii'  iM'Misc(ilasli(|ii('.  I>ii-ip''(' 
|iar  IV'iiiiiiiMil  lUdlrsMMir  de  piiildsopliip  à  Kiilila.  le  I)''  (loiislatil  (iiil- 
IjitIi'I,  rllc  a  acipiis  iiiic  ll'c'S  f;l'aiiili'  a  iiliirih''  en  Allciiiaf^lic  Klle 
i-ci-iiil  1rs  lra\au\  ili'  Jimis  les  pcrsiuiiia^cs  l'iiiisidiTaliIrs  de  la  si'iciici' 
(■allHili(|ui"'  alli'iiiaiidr.  |-;||c  |iai-ail   i|iialre  fois  par  an  :  Jaiixicr.  avril. 

jllHIcI  .    IH'IdllI'l'. 

La  livraiMiii  de  janviri-  l'.IOI  rdulii'iil  |lhlsi(■lli•.■^  arl  iclrs  llrs  iiili''- 
l'i'ssaiils.  (!  rsl  d  alxii'd  Ir  disciini-s  piiMidiiri'  pa|-  Ir  Haniii  xcni  llri'l- 
linj;  an  confii'rs  inli'i-nalional  de  savanis  (allidlii|ni'S  ipil  s'csl  rciini 
il  .Munich,  an  mois  de  scplcnihi-c  dernier.  Ce  discdnrs  Iraile  de  la 
(|in'sl  idii,  1res  aj;il(''e  (lans  nii  cerlain  indien,  des  rappurls  du  clirisl  ia- 
uisiiie  avec  la  philiisiipliie  yrecipie.  Des  ailleurs  priileslanls  on  ralio- 
nalisles,  snrlonl  en  .MIeinajiiie,  oui  in-i'leiidn  (pie  les  pi-eiiiières  diiii- 
ni'es  du  clirisl  iaiiisiiie.  hd  que  l'avaieiil  preclii'  .li''Siis-('.lirisl  et  ses 
api'ilres,  étaienl  surtout  des  [iréceples  de  morale,  et  ([ne  riiiIrnsiiMi  de 
la  pliilosdpliie  ijrecipie  les  a  proioiidiMiienl  alir'ri'S  pour  l'oriner  la 
ri'lij^'ion  callioliipie  acinelle.  Le  liariin  Vdii  llerlliii};  iiidiilre.  I  histoire 
en  main,  i|ne  les  doj^ines  proiiinlf;nés  par  I  ICj;lise  sont  sortis  naliirel- 
lenieiit  et  nécessairenieni de  la  (ireinière  ]irédicalioii  di'  ri'^van^iie,  et 
cpii'  la  pliild>dphie  i;rei'(pie  n  a  lail  ipie  tonrnir  les  hiriiinles  pour  les 
exprimer,  (l'était  alors  la  langue  île  tons  les  lettrés;  il  fallait  l'em- 
|doyer  |)onr  être  compris.  Mais  le  tonil  n'a  |ias  cliaii};é;  il  a  nii''me 
apporté  la  sidniion  de  liejinconp  de  questions  ijiu'  le  j^énie  grec  avait 
loii.jours  é'Ié  impuissant  à  résiuidre. 

Le  concours  de  la  philosophie  grecque,  ainiile  l'orateni-.  n'a  (las 
cessé  avec  la  chute  de  Leinpirc  romain.  Il  a  continué  dans  le  moyen 
;ige  el  nous  le  retrouvons  ;i  son  a])0gée  dans  la  [diilosophie  de  saint 
Thomas  d'Afjuiii. 


l'EninniorEs  allemamis  -75 

CpIIi'  )>llilosii|lliic  A  r\r  I  ('■|i,in<illissriiirnl  If  plus  (•(iii)|ili'l  du 
j^viiii'  |iliiliisii|iliM|iii>  (■Iir(''l  icii.  .M;iis  il  l'iiiil  l,i  lilcii  riiiii|ircii(ln', 
l'I  |Hiiii-  ci'l.-i  il  l'sl  In'-s  iiii|i(irliiiil  de  se  riMidri'  lui  ciimiilc 
t'\niA  di'  s;i  li'niiiiiii|(ii;io,  assiv.  ditlV'i'ciili'  ilr  ci'llc  ,'iii  iiiiii'd'liui  i>il 
lisiif;-!'. 

M.  Il'  cdiaiioiiic  Srliid/.  (ii'  Trrvrs,  liii'ii  rdijiiii  par  miii  lc\j(pii'  di's 
Icnni's  dr  la  scolasliqni',  rcclicrclir,  ilaiis  un  ai'iiclc  Irrs  (''liidii'',  la 
di'liiiil  iiMi  cxaclc  (les  mois  :  /'nrci'  l'I  fiini/li'.  \j<  in<il  furcr  s'applirpir 
su  l'I  01  d  aux  rhiisi'S  de  la  nal  urc  ;  Ir  uni!  far  ni  h-  se  dil  des  (''Ui'i'j^irs  de 
IVuiii'.  Les  Idi-fcs  et  les  l'acullés  soiil  des  iM'alili's  supi'asciisilili's  liirn 
ipu'  se  inaiiifeslaid  souvent  dans  le  monde  sensilile.  i'illes  soni  ni>n 
le  pi'emicr  prineipc  (Ui  sujel  de  raeti(Mi,  sans  i[ii(ii  cidui-ei  a;;,ii-a  i  I 
loujoiU'S,  mais  le  [)rineipe  immédial,  prinrijxinn  ijiio.  Les  unes  agis- 
sent seules  et  ])ai- elles-m(''iues,  elles  sont  dit(>s  aellvcs  ;  telles  sonI 
les  fiirces  i\r  la  nalui'c.  Les  aulVcs  (lul  lii'sdin  ipi Un  nlijcl  leur  soil, 
pi'i'senlé,  et  sont  ajjpelées  passives.  Les  l'aeulles  de  lame  sont  en 
partie  actives,  en  partie  passives. 

M.  Il'  elianoini'  Seliid/.  lerunne  en  exprimaid  Ir  rrj^rel  ipu'  ecs  dis- 
tinctions si  bien  connues  de  l'ancienne  scidasliipu'  et  si  utiles  dans 
les  sciences  soient  néf;lif;ées  aujourd'luii. 

'l'ont  rli-e  existe  'p(uu'  nui'  action,  c'est  un  principr  de  la  scolas- 
licpu'.  Si  ]  àme  siu-vil  au  coi'ps,  il  l'a  ni  diuic  ipi  elle  puisse  ex  crée  i'  niu' 
action  indi''pen(lauHnenl  du  c(u-ps.  Le  I'.  .\lpli(uise-Maria  Steil,  ili> 
I  (  Irdre  (les  (lapneins,  se  demande  c(umni'nt.  la  cliose  est  possildi'  pour 
li's  âmes  des  morts.  D'après  la  philosophie  tradiliminelle.  I Vmu"  est 
uiu-  suhsianec  incomplète  formant  un  seul  i'li-c  avec  le  cdi-ps.  'r<Mdrs 
ses  act  i(uis  d(''pendent  phis  ou  uinius  du  ciuic(Mirs  des  di'j^ani's.  Le 
1*.  Steil  en  conclut  (pi'elle  ne  saurait  ai.;ir  une  l'dis  s('>par(''i'  de  ces 
organes,  à  moins  ([u'elle  ne  change  de  nature.  Connue  un  tel  cliaii- 
gemeid  n'est  pas  admissible,  il  su|i]idse  que  Dieu,  intei'viiud  [nuir 
sup]il(''er  aux  ciu)ditions  absentes. 

Saint  'l'hiinias  ailmetlait  en  efl'el  ((ueTàme  si'pai-i'e  du  l'orps  eidrc 
dans  la  eatégoi'ie  des  InlelligenceK  existant  par  elles-uiéuu'S  elrei;oil 
comme  elles  les  espèceslintelligibles  (]ne  Dieu  répand  sur  toides 
ci-éatures.  Mais  il  enseignait  aussi  (pie  l'àme  conserve  l'usage  de  la 
science  acipiise  ici-bas.  Le  R.  P.  Steil  n'exagèi'e-l-il  pas  la  di'pen- 
ilance  de  l'i'niie'jpar  rapport  an  C(U'ps'.'j(  La  scolasti(|ue  a  tonjoui's 
irc'dunu  (pie  l'àme  intidligente  ajdes  cipr'ratidiis  qui  lU'  di''p(>ndrnl 
essentii'llement  d'aucun  organe. 'C'est  snr,cejrait  même  qu'elle  ton- 
dait la  démmistralion;  de  cetli-  vérité 'que  l'àme  peut  survivre  au 
corps.  Cette  démonslratidu  n'est-i'lle  [)as  conqirdiuise  [lar  I  inlei-pi-i'- 


776  C'«  DOMEÏ  de  VOU(jES 

tMlinii  si  l'i.moiircusc  i|iir  doiiiii'  laiili'iir  <\r  r.iplKH-isiiir  que  l'àino  est 
la  foiiiie  ilii  coi-ps? 

Nous  cniivii'iiilnms  Imilcrnis  avrc  le  l>.  Sd'il  i[iril  >  a  une  cerlaiiie 
(lis|)|-n|iiirliiiii  (Mill-e  ràiiii'  iuiliKU-li'llc  cl  \r  cin-iis  innrlrl  auquel  cllf 
csl  uuii'.  Li-  iloi-le  iclii;iru\  rii  riuirlnl  ([lie  Diru  piuivail  assui'i'Mii'ut , 
(le  (Iroil  i-i^(iui-i'u\.  ci-i'iT  un  Irl  cli-c.  mais  i|uil  ne  li'iil  sans  douli' 
ii;is  lail  s'il  n'ciil  eu  |r  ilcssriu  de  i-rnu'dii'r  a  rrWr  iiniiri-lrrlinn. 

L'ai-lirlr  snivaul    di la    (■(UH-lusi(Mi    dr    ri'ludr   sur    la    liualih' 

publiée  par  II'  pi^d'cssmi-  (lullici-li't  dans  les  |):-i'i-(mIcuI>  uunu'rns.  Il 
l'^iul,  dii  M.  Crulhi'i-lrl  .  ('\pli([U('i'  dr  (piciquc  Mianirrc  l'Drdn'  dn 
uiimhIi'.  Ni  la  llM'oi-ic  du  hasard,  ni  la  llii'oi-ir  de  rinl(dlii;i'niT  drs 
aliiuii's  n'y  pcuvcnl  sullirc. 

I.a  llii'orie  dn  hasard  aduirl  ipir.  sur  Ions  les  cas  jiiissihles.  muis 
Sduiiiiesliiiulji'ssur  le  cas  hcnri'ux.  Ola  uVsl  pas  iuconcevahlc  d  une 
manière  alis(dne,  mais  Icllcmcnl  in\  raisendilahlc  (pi'il  >  a  uncccrli- 
lude  miii-ale  qm'  le  cas  heureux  ne  sera  Jamais  réalisé.  Si  Ion  rc'- 
marque  eu  nuire  (pic  la  malicre  a  cerlaiiu's  lois  lixes,  on  r-i'ud  la 
(diose  encore  plus  impossible  ;  l'cs  lois  (uil  piiui-  (dlel  nu  cerlain 
(•ipHlibre.  Ii^quilibrc  alleiul.  la  loi  csl  ucnli-ali-M'c.  |-;llc  lu'  saurait 
dune  conduire  jusqu'à  la  \  ie. 

Si  on  admel  un'e  cerlaiiu'  inielli^cuce  ilans  les  alome>.  il  resic  ;i 
cxpliipLcr  comment  ces  inlidlip'nces  inréricures.  eu  supposani  ipu' 
'cxpiM-icni-i-  permelle  d'\  croire.  |icuvenl  [irodnirc  une  inlelli,n'cncc 
supérieure,  ou  couuueul  idies  pi'ineni  se  coni-crler  poui-  un  ri'sullal 
urdoniié  sans  rintervenlion  d'une  inUdlif^enre  (pii  les  iliri^e  huiles. 
1,'éiiuneul  anieui-  c(undut  (pw  la  causalité  linale  es!  nécessaire, 
(pi'ellc  n'exidiil  pas  la  causalilT'  (dUciente,  mais  cpu'  ces  deux  cansa- 
lilés  se  supposent  l'une  l'aulrc.  Il  ajinde  (jue,  si  c'est  là  <le  l'anthro- 
])omorphisuu'.  il  n'y  a  pas  nue  sciiuicedela  naluriMpii  ne  soit  aulhro- 
piuuiirphiipu'.  Il  invoipie  eu  lemoi};na^e  les  aveux  de  [ilusicurs 
savants  réputés  |iai-mi  les  nal  uralistes. 

Le  l'Iilliisiipliisrlfs  lalirhurli  reproduit  encore  uiu'  ciuumuuicali(Ui 
de  Ms'' Fischer  au  ciuif;rçs  scient  iliqiu'  de  Munich. 

Le  vénérable  anleni-  v  louidie  une  ([ueslion  auj(uird  liui  bridante, 
celle  du  relalivi^me.  11  atlmet  (pi'exeeplé  Dieu  loul  est  ridatil'.  H  pré- 
tend déuuuilrer  que  les  solutions  opposées  donm''es  aux  problèmes 
londauu'ntaux  de  la  philosophie,  réalisme  ou  idéalisme,  empirisme 
ou  apriorisine,  dualisme  ou  monisme,  etc.,  sont  toutes  des  solutions 
relatives,  en  ce  sens  qu'elles  ne  tieumuit  couqite  (|ue  d'uni'  iiartie  de 
la  vérité.  La  vraie  solution  serait  entre  les  deux  extrêmes. 

La  lecture  de  ce  mémoire  a  causé  un  certain  étouin'iuent  dans  le 


PÉRIODIQUES  ALLEMAyOS  777 

ron};i'i''S.  L'iiiiliMir  n'.iv.iil  p.is  iii.in|ii(',  ;uissi  iii'lli'iinMil  qn  il  I  ,'i  liiil 
:\  limpri'ssinii,  i|iic  véi-ih'  rrlalixc  ne  si;<iiiliail  ]ias  iioiir  lui  uik' 
vi'l'ili'  vai-ialili'.  cliaiif^iNiilIc,  |iui'('iii('iil  siilijrci  ivr.  coiiiiiK'  bcaucoil]) 
rciilciiiirnl  ni  Allnnagno  ol  aillriirs.  De  |iliis,  il  avail  pose'  les  dilli- 
cullrs  sans  iiiilii[ii('i'  aiiciiiii>  SDliiliiin.  (v's  circoiistaiii-cs  donnaiciil  à 
la  LKilc  cir  M-'  l-'isciicr  iincappai't'iK'i'  do  sccplicisinc  ipidii  n'altumlait 
pas  di'  lui  l't  qui  iMait  (•l'i-laiiicinriil  liini  Inin  di'  sa  piuisée. 

Dans  la  liviviisiiii  d  avial  l'i  iiaiid.  lirl'l  -i  ,  iiiius  aviiiis  lu  avec 
plaisir  la  cniirli'  ot  tMoqucnlr  unie  (•(iHiiuuuiipi(''c  (''^aleiiiPiit  au 
t'.imiin's  di-  .Muuii-li  ])ar  M.  Ilcniiauii  Sclii'll,  pruIVsscur  à  n'iiiversitr 
df  Friliiuii'j;-.  M.  Sclicll  ciitn'priMid  d'érlaircir  un  proldi'inc  fonda- 
uicnlal  l'uliT  litiis  ;  le  ciuiliuiu  ilr  la  cnnsi^iiMicc  iiniis  donuc-l-il  la 
ivaliti'-.' 

I.aiili'iir  111'  pi'iisi'  ]ias  qu'il  laillr  l'ii  cliiTclii'i-  la  xiluliiui  dans  un 
rappiirl  iui''i'auii|ur  riilrc  riiiir'i'iriir  ri  rrNli'j-ii'iii-  de  la  l'unsfience, 
nu  dans  itIIi'  m'i-L'ssité  iusliucli\i'  ipii  nous  l'ail  cn^drc  à  la  vérité  do 

Uns  p('ITr[il  iuiis. 

Il  l'ail  \iiir  d'unr  manii'i-i'  saisissante  qui'  l'arlr  di'  rnuscirni-i' 
ciuisidi'Tr'  diiiir  iiianiérr  i-onci-rl r  csl  un  ai'li' di'  vie  el  d  aclivili' :  nr, 
la  vil'  ri  I  aiiivili'  sont  le  l'ail  d'un  moi  ri'i'l  et  siibstantirl.  Le  moi 
plH''Uo]ni'ual  ii'rsl  ipiiiin'  ali>l  racl  ion  l'onnér  après  coup. 

Mais  Ir  conlrnii  ilr  la  conscirucr  est-il  vraiiiienl  l'indicalion  de  ce 
ipii  se  jiasse  au  deliors'.'  M.  Scliell  s'en  assure  en  considérant  que  ce 
contenu  ne  dé]iend  jias  de  nous,  ipi'il  apparaît  cl  disitai-ail  en  didnirs 
de  loute  vidonlé  de  notre  part,  i|n  il  oH're  des  séries  ri''f;ulières.  enlin 
(pi'il  nous  impose  des  résistances  et  des  douleurs.  11  \  a  pins,  ces 
apparences  que  Ton  prétend  phénoménales  se  présentent  à  nous 
couuiie  une  ri'|irésenlation  de  ['(''Ire  et  de  racinel  :  "  la  représenta- 
tion el  la  peiisi'i'  oui  la  pi-i'lenlion  de  conduire  au  vrai  l't  se  [H'Ocla- 
menl  par  là  même  science  et  connaissance.  " 

Kniin  ces  repré.sentalicnis  nous  imposent  des  lievoirs  vis-à-vis 
d'anlres  élres.  .Nous  constatons  par  là  que  ces  êtres  sont  réels.  Klles 
constilnenl  une  l'orce,  nous  dounanl  l'empire  sur  la  nature,  l'e  qui 
n'est  possilile  (]ue  si  elles  nous  représentent  la  réalité  actuelle  des 
l'ails. 

M.  le  prolesseur  Ffeifer  de  IJillingen  traite  la  ([uestion  très  déli- 
cate des  pln'immènes  inconscients.  Plusieurs  savants  ont  soutenu 
(]ue  rien  ne  peut  échapper  à  la  conscience.  M.  HoeIzki'S  en  donne 
piuir  raison  la  simplicité  de  l'àme  en  vertu  de  laquelle  le  sujet  et 
l'objet  sont  une  même  chose.   M.   Millier  soutient  que  les  phéno- 


778  C"  DOMET  de  VOUGES 

mènes  tlils  iiicdiisciciits  soiil  des  [iliriKiiiii'iics  iiiii  iir  snnl  Jl;l^  n.'iiiar- 

fJII(''S. 

M.  l'I'i'ifrr  n''|iiiii(l  ijn'il  v  a  ili'S  jilii''iiiiiiii''iirs  iju'ain-uiii'  allriiliou 
ne  pciil  faire  remarquer,  par  exemple,  les  pliénomèncs  vitaux;  on 
(Idit  (loue  les  (life  ineoiiscii^uls.  Ce  soiil  eepeiulant  des  )iiiénoniènes 
])syehi([iies,  s"il  esl  vrai  que  Tàme  et  le  corps  sont  suhslautielleuieiil 
nuis. 

M.  l'I'eiler  avait  présenté  au  (;on,t;rés  de  Munich  une  très  éléf^ante 
di-Mionstratidii  de  racle  de  pr()jeeli(ni  par  lequel  la  vue  localise  au 
dehors  les  iniai^es  l'iiruu'es  sni'  la  réliiu'.  Nous  ainiinis  à  la  l'appeler 
ici.  Il  |)lai-e  sons  h'  niici-nscope  de  petits  ci'islaux  d  asparagiue  el 
prdji'tti'  >nr  eu\  un  t'aiseeau  de  lumière  polarisée.  Chaque  cristal 
apparaît  aussiti')!  il  une  couleur  eu  rapport  avec  sa  grandi'ur  relative. 
Connue  ces  ei'islaux  sont  tous  iilaucs.  c'est  évidemment  1  leil  frapjié' 
]iar  la  lumière  analysée  du  Nicol  ipii  projette  sui'  eu\  ces  nuances. 
L'auteur  rappelle  ici  celle  expi'rieuce  connue  exemple  d'un  ai'le  aliso- 
Innu'id  iiu-onscient. 

M.  IM'eifei'  <'ili'  encore  d  autres  faits.  .Nous  remar(pi(Uis  que  tons 
S(ud  près  di'  la  vie  sensilive.  Or.  la  sensaticui  a  tiw  caraclèi'e  particu- 
lier suivant  la  doctrine  tliomish»  :  c'est  que  la  ciuisciem-e  sensihle 
n'est  ])as  l'acte  du  niénu'  (H-j;ane  qui  produit  la  seusatimi.  f'.lle  peid 
donc  l'aire  défaut.  Il  n Vn  est  [)as  de  mémi'  des  actes  de  I  intellij;'enei'. 
Ici,  nous  croyons  (pie  Ion  |)eul  appliquer  jnstiuuent  la  l'cmarciue  de 
M.  Boetzkcs  (|ue  Tacle  et  la  conscience  de  cet  acte  s(miI  inséparables. 

In  mol  encore  sur  un  ai'licle  intéressant  du  H.  P.  r)(Mnd  relatif  à 
lidi'e  du  hean.  C'est  la  l'iinclusion  d'un  travail  publie''  il  y  a  un  an. 
b  aidem-  sont  ieul  que  le  sentiment  du  beau  esl  un  acte  de  voloidé  et 
non  \iii  acte  d'iiilelligence.  Le  beau,  dans  son  (qiinion,  n'est  antre 
chose  qin'  le  bien,  non  le  bien  objectif  ipii  se  trouve  dans  les  choses, 
mais  celui  qui  esl  ressenti  à  I  int(''rienr  de  inilre  àme. 

Le  savaid  r(di{;ien.\  l'iqionsse  la  théoi'iede  (iietmann  c(Hd'(nidanl  le 
beau  avec  le  vrai.  Mais  lui-ménu"  ne  le  conl'oud-il  pas  nu  peu  avec 
le  bien.  Le  beau  est  assni'i''mi'ul  un  bien  pour  l'iime  cpii  eu  joint  : 
mais  c  est  un  bien  d'une  certaine  nature.  La  contenqdati(Ui  des  objets 
beaux  dévtdoppe  dans  l'àme  uiu'  perfection  en  tant  ipu'  rinlellifience 
s'assimile  à  des  r(''alilés  supérieures.  De  là  une  jouissance  intimi'. 
Cetli' jouissance  est  assiu'énient  un  acte  de  la  volonté  satisfaite;  mais 
elle  a  pour  fondement  un  acte  de  l'iidellitçence  qui  saisit  le  beau,  le 
ctuitemple  et  le  juge.  , 

C"  DUMET  DE  VOUfiES. 


BULLETIN 


UL 


L'EXSEIGNËMIiNT    l'IlILUSdI'IlKJUE 


LA   LOGIQUE,  SClE\t'.K  DE   L'IIIÉE 


Diverses  définitions  de  la  logique.  Recherche  d'un  principe 
qui  les  éclaire  toutes.  —  <  in  ,i  pu  ilii'c  qui'  ■<  les  liii;ii-iciis  sunl  loin 
ilClrc  (riii-ciird  sur  rnliji'l  ri  Ir  hiil  de  la  liii;i(|iic  li  ■■.  (ici^'iiilanl, 
(|iLiiiijirils  II  aiciil  pas  enlciidii  ri'llc  srii-ncc  ilc  la  iiiriiic  iiuinii'i'i'. 
Idiis  uni  saisi  i|iil'Ii|h  un  (\i'  ses  raraclrrcs  l'ssi'iilicls  ;  les  dOliniliiiiis 
ipiils  |)r(iposi'iil  soiil  dune  laiiiiis  l'aiisscs  (prinsullisaiilcs,  l'I  il  l'sl 
]iiissilili'  de  les  roiici lier  dans  une  rdriniilc  pins  larf;r  (pii  les  coinplrlc 

l'L   ll'S  l'NpIiipil'   llMlIl'S. 

D'ahiii'd.  ini  ne  prni  (li'clincr  les  di'liiiil  imis  qiir  dnnni'iil  ii'i  les 
anli'iii's  (In  Ihfl nnniinic  ilr  F .\ciiilriiiii\  Mllri'  cl  les  aiiln's  Icxicd- 
gra|)li('s  :  car  ils  se  lioi'iienl  à  cunslalcr  I  nsaj^e  ciini-anl  ;  ils  lixciil 
des  acccpliiins  reçues  et  iiiconlesir'cs.  (In  ne  peiil  disconvenir  que 
la  liiiiiqiie  csl  une  •■  si'iencc  ipii  ciisci;;iie  à  l'aisoiincr  Juslc  :i  »,  ou 
une  "  science  ipii  a  piiiir  (ilijel  les  proci''dés  du  raisonneineiil    ;i     .. 

L(!S  scolasl  iqiics  n'uni  i;;uère  ilil  anlre  cliosi,',  en  ajoiilanl  que  la 
logi([ue  esl  I  arl  de  dirii;'ei'  sa  raison,  de  l'exercer  avec  iiietli(Hleel 
'facililé.  en  i''\itanl  l'erreur.  l'oi'l-Uoval  ne  les  coiilri'dil  puiiil,  ni.iis 
les  résiiine  eu  disaiil  (]ue  la  l(if;iipie  csl  I  arl  de  penser. 

C.i't  arl.  eu  ell'el,  implique  Idiil  le  i-esli'.  (larl'arl  de  penser  ne  \a 
pas  sans  l'art  de  raisonner  Juste,  ni  ccliii-i-i  sans  l'arl  de  liiiMi  ju^cr, 


(1}  H.\HiKn,  Loi/ii/iie.  p.  I . 

(i)  Oiclionn.  de  l'Acml.  Voir  Lo;/ir/iie. 

(3)  Dictionnaire,  de  I.htp.é.  Voir  Loyii/uei 


780  ÉLiE  r.I.ANC 

ni  celui-ci  encore  snns  ili's  idi'es  claires  et  distincle*.  Les  idées,  en 
détinitive,  e\plii|iHMil  lunl.cl  liiii  pmirrail  di'linir  la  loj;ifHie  :  l"art 
d'éclaircir  ses  idées. 

i<;i  puis  la  pensée  a  inic  aiilre  lin  iprelle-aiéinr,  ellr  a  iiii  nhict 
auquel  elle  s'appli(|ni'  cl  se  rapporle  essentielleineul  :  caron  ue  pense 
]ias  à  vide.  L'arl  de  penser,  de  raisonner,  de  .ini,'er,  enhaine  donc 
l'arl  lie  dénionlrer  ce  (pii  rsl  yrai.  de  criliipu'r  cr  (pii  esl  doulcux.  l'Ii-. 
C'esl     ponr([noi    mi    a     pu     re,t;ardei-    la    lo.niipu'     laiilut    connue    uni) 

(•i-jlii|i I  lanli'il    (■(iiiinic    une  dialei-l i(]ue.    l'illi'  l'sl    à  la  l'ois  I  une  el 

laull-e.  i.i'S  (livei-s  caraclères  ipiClle  nnus  ollVc,  liuudi'  se\clui-e. 
s'a|ipellenl  el  se  coniliinent. 

]]n  fait  (le  définiliims  de  la  li\i;i(pu\  niui-  iiiclindiis  donc  à  I  éclcc- 
ti^iuc  Kllc  esl  la  s(nence  île  la  dinnonslralion,  coinnn'  le  veni  .\ris- 
lole  ;  elle  esl  la  science  de  la  ciuisi'qnence  et  de  la  ]n'euve,  connne  le 
veut  Stuarl  Mill.  l'illi'  esl  lexposiliiHi  des  criléres  de  la  vi'rili'.  coiuiue 
le  dit  Ueberwei;  I  .  Klle  esl  »  la  science  des  opérations  de  l'esprit 
néce.s.saires  ^lonr  faire  la  science  ■>,  comme  le  dit,  non  sans  quelque 
oi)SCnrité,  M.  liahiei'  i  .  C'est  dune  /')  sririicr  de  la  .vc/c//cç  ou  I  mi 
dis  rnis,  conuiH'  l'ont  dit,  avani  l5acon,  les  scolasliqnes. 

Tonlelois.  nous  resterions  dans  le  vague  el  manquerions  huil  à  l'ail 
à  notl-e  lâche,  si  iiuus  ne  un'llions  en  évidence  ce  qui  juslilie  ces 
délinilions  et  antres  semblables.  .\  celle  lin.  nous  devons  énnmérer 
les  questions  principales  qui  ressortissenl  à  la  lo-iipn-  et  trouver  le 
niiMid  qui  le^  rallaclie  entre  elles  rigoureu.semeul.  Il  \  a.  croyons- 
nous,  un  nn'Miu'  principe  qui  les  commande  liuiti'S  :  il  perun'l  à  la 
lois  de  les  poser  cl  de  les  résoudre. 

Objet  total   de   la   logique,   Vérités    qu'elle   recherche.   — 

Nonuuer  cl  délinir,  diviser  et  classer:  voilà  d'aburd  l'obJ!'!  de  la 
logique.  De  là  les  considérations  sur  les  idées  et  les  ternu's  qui  les 
esprlunnit.  Stuarl  Mill  et  Locke,  aussi  bien  qu'.Vristole,  oui  insisté 
sur  ce  point.  Selon  Mill,  l'exanuMi  critique  du  langage  esl  le  ..  |iréli- 
minaire  obligé  de  toute  logique  ».  Il  abonde  ainsi  ilansle  sens  d'.Vris- 
lote,  dont  la  logique  et  la  mi''la|ihysiqne  sont  fondées,  à  tant 
d'égards,  sur  ICluile  pliilosopliique  du  langage.  Cette  étude  esl  si 
|)rolitable  à  la  logique  el,  en  géin-ral,  à  la  i)hilosopliie,  que  M.  Uibol, 
nndgré  son  positivisme,  n'espère  pasmoins  de  la  psychologie  linguis- 
tique que  delà  psychologie  physiologique  elle-nu'uu'   .'3  . 

ili  Cf.  Tilmann  Pksi.ii.  Insliliilhnies  lo'iicales,  l'urs  spcuiida,  vol.  1,  p.  32. 

(2)  Lof/ique,  p.  i. 

3)  L'Évolution  des  ictées  r/éiiéiules-,  p.  US. 


L.\   l.i'IUuV]:.  SCIF.SCE  hE  VIDEE 


■SI 


A  l.'i  suilc  (les  iilt'i'S  l'I  (li'S  Icriiirs,  des  Jiii;i'iiiriils  <'l  (1rs  |il'iiiiiisi- 
tious,  (lu  raisdiiiiciiicnl.  cl  îles  syllogismes,  la  lof;i(|U('  ('Uidic  le 
iiicillciir  l'i'iiil  (lu  raisdnncmcnt,  (jui  csl  la  (^U'-inniisIralidn.  (tr,  (ui 
(li'UKiiili-c  par  (li'diicl  idii  on  par  iiKliiiiidii.  I<',l  puis  la  (k'iudiisl  rai  imi 
suppose  la  V('i'il(''  cl  la  ccrl  il  iidc.  Voilà  les  gi'aiids  dhjcis  de  la  ldj;,i(]iic  : 
clic  csl  la  (■diinaissaiicc  Ac  Idiis  les  criK'rcs  de  la  V(''i'il('  cl  de  loiUcs 
les  eoiidil  idiis  de  la  ccrlillldc. 

Mais  la  V(''ril('' (Idiil  s'occupe  la  loiii(pic  ii'esl  pas  loulc  V('i'il('  :  sinon, 
la  ingi(pie  se  coiil'ondrail  avec  reiiseriilile  des  scicncps,  pnis(|iie  clia- 
cunc,  en  (h'Iliiilive,  n'a  pas  d'atilrc  (ilijcl  (pie  Ici  on  hd  ordre  de 
V(''ril(''s.  il  l'aiil  donc  Uieii  rciiiar(pier  ici  (pic  la  logi(pie  a  pour  (dijct 
la  V(''rile  |iropi'cmciil  logi(|iic  :  c'cst-à-dirc,  d'ahord,  les  condilioiis 
de  l'accdi'd  de  l'esprit  a\'ec  liii-iiu''iiie,  ce  (]lic  Mil!  a|ipelle  "  la  science 
de  la  C(iiiS(''(pieiice  <■  :  d'oi'i  la  lo.niipic  l'oriindle  ;  cl  eiisilile.  les  coii- 
dilioiis  j;éiii''rales  de  I  acc(n'(l  de  l'espril  avec  les  (dijcls  :  ddi'i  la 
loL;i(pie  dite  iiiali''rielic  on  (■ril(''rioloi;ic. 

JMiIre  les  (leii\  on  a  essavi''  d'iiil  rodiiii-e  la  ps\  (di(doi;ie.  Mais 
niuis  ne  croyons  |ias  ipie  les  services  parliciilicrs  (pic  rend  la  psv- 
(dioloj^ic  à  la  crili''ri(iloi;ie  h'^i^itiiiienl  snllisaiiiineiil  celle  iiilrodlic- 
lion.  AssiliMniieiil  la  loi;'iipie  cl.  en  |iarl  icnlier ,  la  crili''ri(dogic 
(li''pendenl,  en  ipi(d(pie  mani(''i'c,  de  la  psyidiidogic.  Mais  (juidicesl 
la  science  (|ui  ne  di''|)en(le,  à  S(ni  loue,  (le  la  lnf^j(pii'  cl  ne  l'iin- 
pli(pie?  La  psycliolngic  siirlont  csl  vaine  sans  l'analyse  cl  la  science 
des  i(l(''cs. 

<Jiioi  ([Liil  en  soil  de  celle  coniroverse,  qui  pnrl(>  sur  l'ordre  à 
f;'ai-(ler  enlre  les  parlies  de  la  pliilosnpliii»,  la  cril(''riolof;ie  doit  Irailer 
de  1  olijeci  ivil('' des  id(''es  t;(''iii''rales  ou  iiniversaiix,  de  l'idijecl  ivih''  cl 
delà  valeur  des  priiici|ies  lie  loules  les  sciences,  des  sciences  ellcs- 
iii(."'iiies  cl  (le  leur  classitication.  Ce  dernier  siijel,  à  lui  seul,  es!  si 
vasie  el  si  iiiiporlaid  (pie  plusieurs,  avec  Aiii;usle  (ioiiilc.  (uil  paru  y 
raniciicr  loiile  la  pliilosopliic 

Avons-iKMis  \h  du  moins  loiil  l'idijel  de  la  logiipie  ?  N'iillcmcul. 
Il  rcsie  encore  la  iii(''l  liodologii^  (Ui  l'examen  des  diverses  in(''lllo(ies  : 
iiKlnclive  el  d(''(.hiclive,  e\p(''rimcnlalc  el  rai  ionnidle,  cic. 

Tid  csl  l'ohjel  ad(''(]nal  de  la  logi(pie.  Il  n'esl  pas  plus  (''lendu,  mais 
il  lie  l'esl  pas  moins. 

Ou  voil.  (Ii''s  lors,  C(.immi>nl  se  V(''rilie,  hnil  eu  reslaiil  courte  par 
(plidipic  eiidroil,  cliacuiie  des  (l(''lin  il  i(Uis  (pie  ikuis  avons  rappid('es 
en  (■(Uiiineiicaiil.  (lui,  la  logifpic  csl  l'ail  de  penser:  idie  csl  aussi 
lu'eii  l'arl  de  iilj;('r.  on  l'arl  de  (hniKuil  rer.  lui  l'arl  de  crili(pier  :  (dic 
est  la  science  de  l;i    science,  pnisipi  (die  l'ait    saxiiir,  el    la  science  (les 


782  Elif.  P.I.ANC 

scii'iu'es,  iniisi[ii'rllc  l'ii  (loniu'  1m  cl.-issilifalioii.  VMf  est  encore  la 
seienee  ou  l'ai'l  ili'  in  iiii'lhoile.  elr. 

Le  principe  générateur  de  la  logique  est  l'idée.  —  Caractères 
de  l'idée.  —  Mais  coiiiiiienl  ratlaeluM-  loiiles  ces  détinilions  \>;\f- 
lielles.  i[iioi(Hieléi;iliiii('S.  à  lin  iiiènie  |iriiici]iê.  qui  les  e\plit|ue  et  les 

(■nlii|ilèle,  (nul  eu  iMiiis  peraiel I ,i ni .  mieux  ipie  cliacu ui'  cl  elles,  (le 
ilislinj>,iiei-  netlemenl  la  loi;ii|ue  d'avec  lesand-es  connaissances?  Car 
il  j)eul  seinliler  cjne  la  l(i^ii|ne  les  coinpnse  ou  même  les  alisorix' 
loutes. 

Pour  cela,  il  nons  suffira  de  mellre  on  évidence  le  princiiio  j^éuéra- 
leurde  la  loj;i(|ue  (oui  i-nliève.  (".e  principe  n"esl  aidre  ipie  /■((/ce  Les 
anciens  avaieiil  liu'l  liieu  \u  c|iu'  la  logique,  en  siiunne,  n'est  (|ue 
la  pliiloso[pliie  riilioiiiirllc,  par  opposition  à  la  pliiloso|iliie  rrfllf.  ou 
ini''lapliysiipu',  et  i"i  la  philosophie  morale;  ils  avaient  coaiiiris  ([ne  la 
Hu''laphvsi(pu'.  uialj;r(''  son  cara(ii''re  lr("'S  alisti-ail,  s'ap|ili(pu'  à  1  elre 
ri'-el,  (d>serv(>  r(''trer(''el.  tandis  (pu'  l'objet  de  la  liii;i(|ue  est  1  ('tre 
id(''al.  disons  pluh'it  rid(''e,  ]ioni'  (''viler  tonte  e(pii\  iii|iu'.  Niuis  axdiis 
des  i(li''es  de  l(Mites  choses.  Mais  alors  (pu-  les  antres  sciences  et  la 
Mu''taph\si(jne,  en  particulier,  pi'enueut  pour  oliiel  la  i'(''alil(''  elle- 
nK'iue,  la  lo};i(pn'  prend  p(UU' ohjet  rid(''e  ipu'  nous  eu  a\(Uis. 

Certes,  ce  n'est  pas  ipu'  l'iih'c  soit  absrdumeul  si'pai'alde  de  la 
(liose,  connue  l'a  pensc'^Kant.  Mais,  alors  (jue  les  autres  s.ivauts  sar- 
r(''lent  sur  les  (dmses  exprinu'-es  |iar  les  i(l(''es,  le  lo|;icieu  sarr(''te  sim- 
les  idc'cs  elles-mêmes.  \'A.  bien  <pH'  celles-ci  ne  soient  iulelli!;ibles 
inie  par  les  choses  f(n'(dles  evpriuienl  ou  leui'  contenu  .  pcuir  euiplov  er 
celle  e\p|-es-iiou  moderne,  elles  peuveiil  cepeiHlaul  l'omadr  uu  objet 
dislincl.  Ce  siud  là  les  c/;r.v  f/c  rtiisini.  (|m'  l'Aradi'Uiie  n'anrail  pas 
dû  coul'ondre  avec  les  (''1res  iniaiîiuaires  1  :  ce  soûl  là  les  sfrinulir 
iiih'iiliiiiii'x  iiinilix.  diml  ou  s'est  railh''  av(>c  moins  d'opril  parTois 
(pu'  d'ijiuorance  ou  même  de  sollise. 

Il  esl  (■■viileul  (pie  les  id(''es  eui;-eudreul  et  explicpienl  loul  l'objet 
|iropre  el  direct  de  l;i  loL;i(pn'.  I.e  loi;icieu  doit  d'alKU-d  couslalel'  leur 
nainro,  leur  caract(''re  abstrait,  univers(^l  et  irr(''diu'lible  à  ceux  de  la 
sensaliou  el  de  riniasîc.  En  (''(daircissanl  ses  id('es.  il  voit  leur  distiuc- 
li(m  el  leui'  op|)osili()U.  leur  identiU''  partielle  ou  totale,  leui-  eucliai- 
uemenl.  De  là  les  (h'diuit  ions  et  les  divisions,  les  i^cnres  el  les  esp(''ces 
avec  les  classiticalions.  nalur(dlesou  arlilici(dles  :  puis,  d'autre  pari, 
les  jugements,  les   l'aiscmiUMueuls.  avec  les  sciences  cpii  en  uaissenl, 

M)  likHon»(ii'i>    Voir  Klif. 


L.l  l.nr.inrE.  SCIF.SCE  UE  L'IDÉE  îs:! 

('.('lli'S-ci,  nu  1(111(1.  ne  sdiil  i|iic  des  sysl(''in('S  de  r;i  isiiiiiiciiiciils,  ({iil 
ciiN-iuciiii'S  ne  Sdiil  i|iii'  des  svsh'iiics  de  jilf^iuiK'ills  cl  <l  idt''i'S. 

lui  sci-ul,-iid  la  luiliii'C  de  l'idiM',  le  l(if;icii'il  i'(iMst;il('  (iifidlc  csl 
cssi'iil  icili'iiicnl  (dijccliM'  :  (die  iiVsl  p.'is  S(''|i;irald('  de  sa  mal  icrr. 
elle  iiCsl  |ias  uni'  (iiiri'  l'orme  ;(dli.'  l'ail  <-(Miiiaili-(' aulrc  (di(is(>  (iir(dl('- 
mcuic  cl  lie  se  mauil'cslc  (|iriiulii'(>çlcincnl  jiar  celle  (diosc.  Toiile 
idée  vraimcnl  iiilellif{il)ie,  Imilc  id(''c  i|iii  iicrmel  de  s'eiilcudrc  soi- 
même,  e\|)rime  au  moins  une  jiossihililc,  une  r(';aliLé  c(nidilionnclle. 
Kn  scnilaid  les  idi'çs  )ii'emi(''rcs,  ti'(''s  i;éa('i'alcs  (>l.  im|iersoiin(dles  ;'l 
cerlains  (''.nards.  (|ui  naissciil  siioiilanémeul  S(Mis1cc(U||i  de  I  c\|i(''- 
l-icnce,  le  logicien  C(im|ireud  ([ii Un  ne  peuL  donici'  de  leur  (diJccliviU'' 
sans  lomlicr  dans  rinconccvable  cl  l'absurde.  Ici,  sans  doule,  il  l'aul 
compliMi'i-  la  l(i^i(|ue  |iar  la  |isycliol(i,nie,  mais  sans  aucune  c(iiil'iisiiiii 
de  ces  sciences,  sans  aucune  ({('peudance  absolue  delà  l(i.ni(jue  [lar 
i'a|i|>oi't  à  la  ])syc]iolof;ic.  Celle-ci  ex[)li((ue  l'origine  tics  id(''es,  ri 
celle-là  la  naliii'c  des  id(''cs.  ciimnie  sonrces  des  ciuiiiaissances. 

Le  problème  de  l'objeclivile  des  idii'cs,  cidui  de  la  cei-lilnde  des 
pi-emicrs  |ii'incipes  el  des  sciences  (]ui  en  découlenl,  cidni  de  la  cbis- 
silicali(Hi  des  sciences.  l-ess(H-|  isseiil  donc  à  la  loi;i(pie.  I>e  mi''iiie.  la 
science  de  la  iindliode,  i[iii  apprend  à  se  servir  de  loulcs  ses  id(''i'S 
aciinisi'S  pour  (b'Vidopper  la  scieuce  ou  mieux  alleiiidre  la  V(''ril  i''. 
Toules  les  parlies  de  la,  l(ijj,i(pje  S(Uil  ainsi  snsiicndnes  à  ri(.l(M'  ;  el  la 
l(ij;iijiic  elle-iiii''me  u'esl,  eii  (bdinilive,  i[ue  la  science  de  I  id(''e. 

Importance  et  étendue  de  la  logique,  science  universelle, 
spéculative  et  pratique.  —  l»(''s  bu-s.  nous  apparaisscnl  limpor- 
taiice  el  ri''leiidue  de  la  lo,ni(pie.  Son  inipiii'laiice  :  car  1  id(''e  es!  le 
moyen  ou  pliili'il  le  principe  île  loule  connaissance  :  c'esl  loiijours|iar 
ridi''e  ([lie  iKUis  connaissons,  el  la  connaissance  ne  peiil  s  (''claircir 
ipiavec  rid(''e  elle-même.  Ne[ionvaiil  rien  connallre  i|iie  par  nos  idées, 
il  imporle  exii'i'memeni  de  les  analyser  avec  exaclilnde.  d'en  lirer 
toules  les  coiisi'i|nences,  (le  les  appuyer  snlTisammenl  sur  l'expi'- 
rience,  on  ne  |)reiianl  jamais  nos  illusions  [loiir  des  r(''alil(''S.  ('.  esl  ici 
ip.iela  raison  cl  la  praliipie  doivent  combiner  leurs  lumières  et,  s'agran- 
dir mnlindlemenl,  bien  loin  de  se  rapetisser  par  celli'  alliance. 

Knsnile.  nous  apiiai'ail  (■'galemcnl  retendue  de  la  logiipie.  Car  il  y 
a  des  idées  de  toutes  clioses,  quVIIes  soient  existantes  ou  possibles, 
présenti'son  jiassécs  ou  l'nlnres.  La  logiipie  est  donc  universelle.  Kn 
lanl  ipic  science  du  possible  cl  de  riiiipossible.  de  ce  ipii  [■('■piigiie  el 
de  ce  qui  ne  ri''pn;;ne  pas.  idie  didionle  en  ipiebpie  nianii're  la  science 
tin.  réel.  Tcuihd'ois,  ce   serait   conimellre  nue   exagéraliiui   manil'esle, 


7S4  Eue  lil.ANC 

i|iii'  lie  lui  siiliorilnmii'r  absoluun'nl  la  scii'iico  des  clioses  cl,  eu  iiar- 
liculier,  la  jai'tai(liysii[u<'.  Car  ['('li-o  iilral  ou  iud'llif^ihlc.  l'idc'!'.  en  un 
mot,  relève  essenlielleiiient  <li'  la  l'éalitr  ([u'elle  exprime,  à  la(|uelle 
elle  se  rapporte,  eomineila  l'h'  dil,el  par  laquelle  seiilciuciil  elle  esl 
iul(dligilde.  De  même,  il  ue  serai!  pas  juste  de  prélërer  alis<iluuienl 
la  scieiiee  du  possiiile  à  la  science  du  réel,  celui-là  u'c'taut  possilde 
(pie  ]iar  ce  di>rnier,  de  luciiie  (piil  u'esl  cdiium  que  par  lui.  Il  sérail 
niui  moins  injuste  de  rejiarderla  uu'lapliysiqiie  coumie  n'('laul  pas  la 
Science  du  réel,  par  opposiliou  au  l'ulur  (ui  même  au  possiMe.  I,e 
l'illur  el  le  pûssiMe  lomlienl  sous  la  mi'lapli\si(pu'  plnli'il  ipu'  sous 
la  logique.  Celle-ci  a  [xuir  objet  les  idées;  celle-là  a  p(uu'  olijel  les 
(dioses  mêmes,  simpleuu'nl  récdlesou  [lassées  ou  futures  ou  possihles. 
eNpriuu''es  ]iar  ces  idées. 

Comment  Dieu,  la  cause,  l'infini,  etc.,  sont  l'objet  delà  logique. 

.Nous  disons  donc  que  la  logique  esl  une  si-ience  universelle,  pai'ce 

qu'il  y  a  des  idiM'S  de  lonl.  Ces!  ainsi  que  Dieu,  la  cause,  linlini. 
riMre.  le  i)arfail.  le  hieu.  la  suli-^ianci',  l'Ic,  huidieul  sous  la  logi(pn' 
par  les  idc'es  que  nous  en  avoii-,.  (juelle  esl  lidi'c  de  l»ii'U  .'  l'isl-elli' 
positive  mi  né'galixe.  siuqili'  ou  compli'xe.  primilivi'  on  ai'qnise.  etc.  ? 
Se  confond-elle  avec  l'idée  d'eli'e.  avec  lidi'c  d'inliiii.  avec  I  iih'c  de 
parfait  ?  Si  elle  s'en  dislingue.  ipieU  rajqiorls  soulienl-elle  avi'c  ces 
dillërentes  idées  ?  L'idée  d'élre  s'applique-l-elle  à  Dieu  el  à  la  créainre. 

à  la  sulistance  et  à  l'accidenl.  d'une  manière  univo(|ni ■(piixdipie 

ou  analogue?  l'"l  puis,  i|u'esl-ce  (junne  id('e  univoque  el  nue  idé'e 
analogue?  Y  a-l-il  di's  idées  (''(piivoiiues  ?  (J\i'est-ce  <|u  une  idéi' g(''ni''- 
rale?  Qu'est-ce  ijunne  idée  Icansceiulante  par  rapport  à  Ions  li'S 
genres?...  Ce  soid  là  autant  de  ijueslions  de  logiqui'.  Celle  scienci', 
quelque  vaste  el  profiuide  qu'elle  soit,  ne  s'occupe  jamais  ([ue  de 
l'idée,  bien  ipie  celle-ci  serve  à  liuil  connaître  coninii'  à  lonl  expri- 
nu'r. 

Ces  brèves  considérai  ions  sul'liseni ,  nous  ri>sp(''riuis  ihi  nniins.  jimir 
inmilrer  comliien  ce  sérail  diminui'r  la  logii|ne  cpu'  de  la  rabaisser  à 
un  art  kuil  prali(|ue  de  raisonner  el  de  démontrer,  l.a  logique  esl. 
avant  loul.  une  liante  ]iliilosopliie,  une  science  vrainu'nl  spécul.alive. 
puisqu'ell(>  esl  ]U'incipalenn'Hl  la  science  des  idées,  de  leur  nalnre.de 
leur  accord,  de  leurs  nuiluelles  dépendances  et  de  leur  liaruuniie.  Siui 
domaine  propre  esl  le  mmnle  inlelligibli',  ce  monde  supérieni-  ipie 
l'Ialon  a  paru  confondre  avec  un  monde  réel,  qui  sérail  le  lypc  de  ce 
monde  sensible  el  passager,  (Ui  même  avec  le  mmide  divin,  mais  qui 
n'est  (jue  l'expressiiui  prochaine  ou  lointaine  de  l'un  ou  île  l'aulre. 


LA  LdCIQrF..  SClEyCE  /)E  VIDEE  "85 

S|iéciil.ili\c  irabord,  la  logirj ne  lu' laisse  pas  d'iUriMine  science  iira- 
lique,  |)iiis(Hie  les  idées  qu'elle  a  pour  nbjel  ont  é^aleiiienl  ce  double 
caractère.  Par  là  même,  elle  est  aussi  un  ail  ;  cl  il  n'en  est  pas  de 
plus  noble  que  celui  qui  consiste  à  concevoir  des  idées  justes  et  à  les 
mettre  en  leuvi'e.  On  peut  dire  (pie,  semblable  à  la  morale,  qui  rè;;le 
la  viilonli',  la  lojiiipu'  rèj^le  la  raison,  elle  brille  avec  elle  sur  les 
mêmes  sommets;  sans  en  descendre,  elles  f;ouvernent  ensemble, 
mais  sans  les  violenter,  tous  les  actes  luimains,  dont  se  compose 
principalement  la  vie. 

Rapports  de  la  logique  avec  la  psychologie,  la  gram- 
maire, etc.  —  Mêlée  à  toutes  ndsconteinplalions  et  ;i  lnutes  nos  leu- 
vres,  associéeà  toute  science  ](articulière  et  à  toute  i>rali(pie,  la  lu}^ii|ue 
n'en  est  pas  moins  une  connaissance  part'aitenu'ut  distincte.  Apres 
ce  qui  a  été  dit,  on  ne  saurait  la  confondre  avec  les  sciences  qui  ont 
pmir  objet  le  monde  réel,  en  parlicidier  la  métapFiysique.  On  ne 
saurait  surtout  la  confondre  avec  la  psycliologie,  qui  s'occupe  des 
facultés  de  l'âme  et  de  leurs  actes  en  tant  que  ce  sont  des  réalités  et 
«les  perfections  de  l'ûme,  alors  (]ue  la  logique  les  considère  comme 
des  principes  de  connaissaïu'c  ou  des  moyens  d'atteindre  la 
vérité. 

Il  faut  reconnaître  seulemeni  quil  y  a  des  rap))orts  intimes  entre 
la  psycliologie  et  la  logique.  L'idi'c,  en  tant  qu'elle  est  un  fruit  intel- 
lectuel provenant  de  l'action  des  (djjels  sur  les  sens  et  de  la  faculté 
d'abstraire  propre  à  l'esprit,  est  l'objet  de  la  psychologie.  A  cette 
science,  en  efl'et,  il  appartient  de  résoudre  le  difficile  problème  de 
l'origine  des  connaissances  et,  par  conséquent,  des  idées.  Mais,  en 
même  temj)S  qu'elle  est  une  expression  des  choses  l't  se  lie  avec  d'autres 
idées  ou  les  exclut,  Tidé*  est  l'olijel  de  la  logi([iie.  Autre  chose  est  de 
déterminer  les  lois  de  la  logiipic  ou  du  raisonnement  ;  autre  chose  dé 
déterminer  les  lois  |)sycli(dogi(pies,  celles  de  notre  nature  inlellec- 
luelle,  qui  sont  inéluctables.  Comme  celles  de  la  morale,  les  lois  de  la 
logique  éclia](pent  à  ce  caractère  de  fatalité  :  sans  être  moins  cer- 
laiiies,  ni  moins  précises,  ni  moins  inllexibles.  elles  n'ont  rien  d'invio- 
lable. 

Maintenant  on  voit  aussi  la  tlistinclion  et  les  rapports  ilc  la  logi((ue 
cl  de  la  grammaire.  Celle-ci  a  pour  objet  les  mots  et  le  langage, 
]dut6t  que  les  idées  elles-mêmes  exprimées  par  le  langage,  dont  elles 
sr)nt  l'àine  et  la  vie.  D'où  l'on  voit  déjà  l'importance  de  la  logique  dans 
loiilcs  les  études  grammaticales  et  littéraires.  Avec  la  grammaire,  il 
faiil  complrr  ici  loutes  les  sciences  ]diilologi(|ues  et  même  tous  les 


780  Klie  blanc 

firis.  piiisini'ils  idiisistciit  (hiiis  l"us;i^r  ou  ii;iiis  l'iiiti'lligiMicc  des 
symboles  el  autres  signes.  Toutes  ces  eoiuiiiissauces,  si  variées 
([u'elles  pai-aissent  à  celui  qui'coiisidère  leurs  ol)jets  particuliers  el. 
leurs  moyens  d'action,  s  appliiiuent  à  la  siniiiliralinu  di's  idées  plu- 
tôt qu'aux  idées  elies-mèuies. 

Kt  puis  les  idées  ne  j)euvriil  d  aui'iiiic  iiiaiiifre  rire  l'omparécs  à 
de  purs  symboles.  Le  symbole,  eu  ell'el.  prul  elrc  coiinii,  remari(U(', 
.sans  que  sa  sifînilicntion  apparaisse  encore  :  l'idée,  au  contraire,  esl 
un  sif^ne  forme!  ;  elle  esl  absolument  inintelligible  sans  l'objet  i|uelli' 
exprime.  Aussi  le  synd)oie  r-st-il  |)arl'ois  éipiivof|ne  :  l'idée,  jamais. 
1)  ailleurs,  rien  n'euipiM-Ju'  d'attaciier  aux  idé'es  certaines  signilicatious 
symboli(pies  ;  mais  les  idées  se  soutien rieul  et  se  conçoiveiil  sans  ces 
siguilicali(Mis,  et  ce  u'esl  point  ]iar  là  préciséuuMit  qu'elles  tombent 
sous  la  iiigi(pie.  D'aucune  manière  la  logiipie  el,  avec  elle,  la  pliilo- 
siiphie  Me  |ieiiveu(  elre  j-amenée>  à  une  science  de  s\nd)uli'S. 

La  logique  dans  les  études  grammaticales  et  littéraires.  — 

Des  conclusions  pralicjues  li'ès  impiirlanles  nous  semlilenl  découler- 
de  tout  ce  (|ul  précède.  Klles  ciuiceruenl  pai'liculièrement  li'lude  de 
la  bigique  dans  les  classes  de  grammaire  el  d'humanité.  La  gram- 
maire el  le>  lellres  seraient  vides  o\i  superticielles,  si  elles  u'iulrn- 
duisaienl  dé'jà  dans  la  science  des  idées.  Faire  naître  celles-ci  ou  en 
l'aire  prendre  conscience,  éclaircir  tontes  les  idées  élémentaires  qui 
sont  le  fond  du  langage  el  des  ti-adilions  d'un  peuple:  ap|)rendre  à 
s'en  servir  pour  pei'l'eclionner  son  |)i'oi)re  esprit,  pour  comnmniquer 
ses  pensées  et  conqirendre  celles  d'autrni  :  tel  est  le  but  supérieui- 
des  études  grammaticales  et  littéraires.  Ainsi  entendues,  ces  études 
iuqjliquent  déjà  une  philosophie  élémentaire  et  une  véritable  logique. 
Les  ramener  purenn^nt  et  simplement  à  l'art  d'exprimiT  et  de  bien 
dire,  serait  donc  les  dénaturer  el  frapper  même  de  stérilité  l'esprit 
qui  les  cultive.  On  ne  peut  les  élndier  comme  on  le  fait  d'un  corps 
sans  âme  et  en  ne  tenant  aucun  com|)te  de  cette  âme.  (Juoi  (ju  il  fasse, 
le  maître  de  grammaire  ou  d  éloquence  pi'épare  déjà  des  sceplicpies 
ou  lies  dogmatii[nes,  des  sophistes  ou  dos  |)iiilosophes. 

Nous  ne  voulons  point  dire  que  la  gi-ammaire  et  la  rhétorique  enga- 
gent déjà  une  doctrine  arrêtée.  Les  mots  d(Mit  se  sert  la  grammaire 
ou  l'écrivain  expriment,  si  on  les  considère  isolément,  des  idées  el 
non  des  thèses;  les  procédés  liltt'raires  el  oratoires  trouvent  partout 
leur  emploi  et  s'appliquent  à  toutes  les  causes,  à  tinis  les  sujets.  Mais 
il  faut  convenir  que  la  gi-aunnaire  et  les  lettres  ont  ])Our  but  essentiel 
d'exprimer  des  idées,  et  (jue  de  la  clarté  de  celles-ci  naîtront    pins 


/.  I   lJ>r,l(j\E,  SCIENCE  DE  LIDÉE  787 

lard  l'I  iiiiissi'iil  <li'j;'i,  dans  l'cspi'it  tli'  rcntaiil  un  dn  jcnni'  lionnnc. 
t<inl('  la  lr)j;i(ni(' avec  li's  aulfcscdiinaissaiH'i'S.  Il  \  a  doni'  nin'solida- 
iil(-  ('li'diliM'iilrc  la  l(igi(|ni'  cl  les  Icltrcs. 

Solidarité  de  la  logique  et  des  autres  sciences  philoso- 
phiques. -  Conclusion  et  définition. —  Il  y  a  nni' anirr  solidaiili', 
plus  ('lidilc  encore,  entre  la  logique  cl  les  diverses  ]iart,ies  de  la 
plul()si)|dMc.  Oi'"i  ijii  en  (JiseSUiarl  Milld  i,lc  logicien  ne  peut  se  d('- 
sintcrcsser  de  la  nii'tapliysiqne  ;  il  nepcnl  s'e\pli<|nei-snT-  la  logiipie, 
sans  l'iitrer  en  eoniradiftion  avec  lelle  on  (elle  école.  Il  n'y  a  pas 
de  l(igi(ine  indillërente  :  mais  lelle  sera  la  logicjne,  lelle  anssi  sera 
la  métaphysique,  avec  la  psycliologie;  lelle  encore  sera  la  morale.  Si 
le  logicien  niéconiiaîl,  ])ar  exemple,  le  caractère  universel  et  absolu 
de  l'idée,  pour  la  coid'ondre  avec  l'image  ou  l'idée  sensible  ;  s'il  adhère 
aux  Ihéoriesde  l'associalionuisme,  qui  bouleversent  toutes  les  lois  du 
ingeiiieul  et  dn  raisonnenu'nl ,  exagèi'cnl  l'imiiortanee  de  la  méthode 
expi'riuienlale,  ih'nal ureiil  les  sciences  Cl  nuilihïnt  leur  classitica- 
lion,  il  rninei'a,  par  là  mi"'me,  les  bases  de  la  métaphysique  el  celles 
de  la  |isvcliologie  ratiiuinelle,  snbstilnera  à  la  morale  du  di'voir  celle 
de  rinli''r(''l  ou  du  plaisir.  Il  n  y  aura  pins  de  lln'odicée  :  el  l'eslliélique 
elle-m(''mi'  cliangei-a  de  l'ace.  On  ne  saurai!  Irop  insister  sur  celte  soli- 
darili'  île  loutes  les  sciences  ])hilosophiqnes. 

La  logitpie  élabore  une  docli'iue  nécessaire  à  toutes  les  branches  de 
la  philosophie  :  elles  vivent  de  ce  suc  nourricier  et  indispensable. 
Celte  doctrine,  c'est  (pu'  les  id(''es  proprement  dites,  celles  dont  s'oc- 
cuiie  la  logique,  soni  universelles,  absolues  dans  ce  qu'elles  expri- 
ment, el  ne  peuvent  se  confondre  avec  les  images  sensibles,  (jni  nous 
pi'ruKillenI  de  les  fixer,  de  les  soutenir,  de  les  traduire.  Cette  doctrine, 
c'est  (pie  ces  idées  sont  objectives  en  princiiie  et  servent  A  créer 
tontes  nos  autres  connaissances;  c'est  qu'il  y  a  un  monde  intelligible, 
par  lequel  nous  pouvons  découvrir  et  pénétrer  le  monde  réel  el  sen- 
sible. 

La  logique  n'est  donc  pas  lascienet^  des  réalités,  mais  elle  introduit 
dans  la  connaissance  de  loutes  les  réalités  ;  notre  pensée,  qui  est 
l'objet  propre  de  la  logique,  n'est  |>as  le  monde,  ni  encore  moins 
sa  cause  à  elle-même;  mais  elle  nous  l'ail  connaître  le  monde  el 
Fauteur  de  toutes  choses,  d(î  noire  esprit  comme  di-  tout  ce  qu'il  con- 
sidère. 

Hrel',  s'il  tant  choisir  de  la  logiipu'  la  d(''ilniliou  la  |)liis  connue,  en 

{\)  Liii/ique.  (rad.,  t.  I.  pp    11.  15. 


788 


Elie  blanc 


même  temps  i|ui'  la  |ilus  large,  nous  dirons  (jiie  la  logique  est  lu 
science  de  l'idée  ou,  si  l'on  préfère,  la  science  de  la  pensée,  puisque 
celle-ci  n'est  que  la  mise  en  œuvre  des  idées.  Et  si  l'on  veut  um- 
définition  explicative,  nous  ne  répudierons  pas  celle-ci,  en  atlen- 
«lant  mieux  :  La  logique  est  la  science  des  idées,  de  leur  nature,  de 
leur  valeur  objective,  de  leur  accord  entre  elles  et  avec  les  clioses. 
de  leur  mutuelle  dépendance  et  de  leur  harmonie,  de  leur  emploi 
méthodique  dans  toutes  sortes  de  démonstrations  e(  de  recherches. 


Lui;  HL.\NC. 


lA    imi.OSdl'HIK   A    LINS'ITUT   CATHOLKIIK   lll-    l>\UIS 


ECOLE  DES  HAUTES  ÉTUDES   LITTÉRAIRES 


Cours  de  M.  l'abbé  Piat.  M.  I.iIjIx'  C.  Put  a  l'ail  clhuiuc 
scinuiiie  deux  cdiirs  :  l'un  sur  I  iiisloii'c  de  la  philosophie,  i'aiili-e  sur 
la  philosophie  dogmatique. 

Dans  le  cours  d'histoire  de  la  philosophie,  M.  Pial  a  étudié  Arislote, 
Socrate  et  Platon.  Il  n'a  pas  voulu  donner  sur  Socrate  l'étude  com- 
plète que  renferme  son  livre  de  la  Collectiun  des  f/rands  philosophes  : 
(raulrepart,  son  enseignement  sur  Platon  el  Aristole  n'est  que  l'éliau- 
che  ou,  mieux,  le  commencement  d'un  travail  approfondi  (pii  sera  la 
matière  de  deux  volumes  dans  la  même  collection.  Il  sufïira  donc  de 
dire  que,  dans  l'exposé  de  la  philosophie  platonicienne  et  péripalé- 
licienne,  M.  l'abbé  Piat  apporte  les  qualilés  qui  ont  signalé  son 
Siinrile  :  le  souci  de  suivre  pas  à  pas  les  textes  originaux,  rinlelli- 
gence  aU'ectueuse  de  l'esprit  gi-ecau  iv''  siècle,  la  clarté  du  style  prove- 
iiantdc  la  parfaite  neltett' de  la  pensée,  enlin  le  soin  d'indiquei' abon- 
damment les  réf(''rences. 

Les  leçons  et  conférences  dogmatiques  sont  ortionnées  de  telle 
sorte  (jue  le  professinir  peut  étudier,  dans  l'espace  de  deux  années, 
toutes  les  (piestions  comprises  dans  le  j)rogramme  de  la  licence  ôs 
lettres.  Ci'lli's  qu'il  ne  traite  pas  dans  les  conférences  ou  les  correc- 
li(uis  de  devoirs  font  l'objet  des  cours  dn  mardi,  et  c'est  ainsi  ijue, 
cette  année,  M.  Piat  s'est  occupé  particulièrement  des  (piestions  que 
les  manuels  rangent  sous  la  rubrique  de  psychologie  exinh-imenlaie, 
l'n  réservant  toutefois  l'étude  de  la  liberté. 

Dès  la  ]>rcmière  le(;on,  M.  Piat  a  pris  position  au  sujet  du  pio- 
blèmi-  de  la  connaissance.  Depuis  Kant,  bien  des  intelligeiu-es,  et 
des  plus  belles,  se  sont  laissé  arrêter  par  cette  pensée  :  Que  sail-ou 
si  les  lois  di'  noire  espril  eoncordenl  avec  celles  de  la  nature?  ^o|re 


-00  E.  A. 

inlelligencc  jnjj;f  dapri-s  ses  foniics  (/  priori.  Les  sens  ei  la  con- 
science ne  nous  Iroinpent  pas  puisqu'ils  nous  fournissent  des  phéno- 
mènes, mais,  quand  nous  lions  ces  phénomènes  par  des  idées  de 
substance,  de  cause,  de  lin,  qui  nous  assure  que  nous  suivons  vrai- 
ment la  réalité?  Ne  soiiiiups-nous  pas  |)lutôt  et  pour  Jamais  empri- 
sonnés dans  le  [■clalir? 

Adversaire  résolu  du  suhjeclivismi'  kantien,  M.  i'abhé  Plat  ne  veut 
en  aucune  façon  de  cet  emprisonnement,  l'artaul  des  ddniii'es  de  la 
conscience,  il  montre  que  les  formes  innées  s(uit  une  sni-le  de  super-- 
fétalion,  que  le  ndalivisme  ne  saurait  pénétrer  dans  l'iiiluiliDu  de 
ridée  elle-même.  cpie.  outre  leur  valeur  formelle,  nos  idées  ont  \iiie 
valeur  scientiliiiue  et  même  nue  valeur  iiic'laplivsiipie.  jiMisque.  l'iilre 
les  faits  et  la  cause  noumenale  dont  ils  [irocédenl.  se  plaee  une  r.ri- 
(ji'nci'  cssmlit'llr,  vrai  "  |iont  de  la   métaphysique  ". 

Le  pl'i'iiiier  semestre  de  l'année  l'.tOO-l'.lItl  a  r\r  oeciipi'  presifue 
an  entier  par  léliidede  luSrnsuliiiii.  l'iu'  leçon  pn-liminaire  sur  l'ana- 
lyse ps\cliolo|^i(pn'  et  une  autre  sur  la  classilication  des  laits  psycho- 
logiques précèdent  r('lnde  de  la  qnaliti'  et  île  la  ([uanliti'  des  sensa- 
tions. Sm-  cette  dernière  question.  .M.  l'ahhé  l'ial  résume  sa  pensée 
dans  trois  propositions  :  I"  La  théiu-ie  cinétique  du  mouvement  phy- 
siologique n'est  pas  démon!  rée  :  -2"  la  I  h('oi-ie  cinétiipie  de  la  sensation 
est  une  erreur  :  ;{"  il  faut  revenir  à  la  llii'orie  de  l'hcMérogénéiti'-  ;  le 
propre  île  la  sensation  élan!  d'être  |iereue.  elle  est  toujours  ee  <pie 
nous  la  vov(uis  :  or,  elle  a|)parait  tanti'it  réduclilile,  tantc'it  irréduc- 
tible au  mouveuH'iil  :  nous  pouvons  donc  anirnier  qu'elle  es!  quanti- 
tative ou  qualitative  quand  nous  la  vo\(ins  telle. 

Lorsqu  il  s  agit  di'  delinir  la  seusaliiMi,  on  la  dégage  d  abord  de 
ce  qui  n'est  pas  elle,  c'est-à-dire  de  l'excitatiou,  «le  l'émotion,  de  la 
connaissance  intellerlnelle,  puis  un  la  délinit  :  la  |>erc(qilion  du  con- 
H-ret  que  provo(|uenl  en  notre  esjjrit  les  excitations  organiques. 

L'étude  di>  lasensaliiui  amène  à  eelle  «les  notions  d'espa«-e  et  «h- 
temps. 

Iiu\au  expliipiail  l'origine  de  la  notion  de  «Inrée,  |iar  rintuiti«ui  «le 
la  volonté,  [)ar  l'i'irorl  ipii  met  di'  l'ordre  «laus  les  sensations  l't  n«>us 
fait  y  distinguer  lavanl  et  lapii's.  .M.  l'ial  rattache  aussi  la  dui'ée  à 
la  conscienci',  mais  par  le  moyen  d«'  la  sensibilité  et  non  ]dns  de  la 
volonté.  Le  sentimi-nt  «le  la  durée  l'st  en  raisiin  inverse  «h'  ra«'tivité 
mentale  absorliée  i)ar  uni'  représentât i«)n,  elle  n'est  di)n«-  pas  un 
mode  de  nos  re|)réseulations  :  d'autre  part,  plus  nous  j«iuissons  «-t 
moins  nous  pi'rcevons  la  durée,  la  durée  ne  s'épanouit  pas  dans  le 
lionhi'ur,   «'lie   ne   commenci'  à   «'xisler  «[u'avec    la   «louleur.  elle   est 


FACULTÉ  DE  PHILOSOPHIE  'Ot 

donc  un  mode  dr   la  sensiliildr  ri,  plus  |>arl  iculiri-iuiiriil .  iiu   nimlr 
<!('  I:i  s(uinVaui'('. 

A  noter,  dans  les  lerons  sur  la  mémoire,  l'imaginaliou  et  i'instinel. 
([ueli|ues  idées  lunireusement  mises  en  lumière.  Dans  la  question  de 
la  mémoire,  M.  Fiat  lient,  avec  M.  Bergson,  que  les  images  sont  des 
modes  de  l'esprit  et  non  du  cerveau;  par  suite,  les  vibrations  céré- 
brales ne  peuvent  être  ((ue  des  conditions,  ou,  tout  au  [)lus,  une 
ébauclie  de  l'imat^e. 


FACULTÉ    DE    PHILOSOPHIE 


Cours  du  P.  Bulliot.  —  Le  P.  Hulliot  a  étudié  longuement  la 
lormatiôn  de  la  loijique  sàenlifiquf  à  partir  de  sa  tige  mère,  la  logi<iue 
naturelle. 

On  oublie  beaucoup  troii,  à  son  avis,  par  le  temps  de  crilicisnu'  a 
outrance,  ces  b\imbles  et  vraies  origines  de  toutes  les  sciences.  \.i\ 
pensée  humaine  ne  naît  point  comme  nos  organes,  comme  nos  pou- 
mons et  LH)tre  cerveau,  i>ar  une  évolutimi  vitale  ([ue  définissent 
d'avance  les  lois  ancestrales  du  germe.  Ncui.  Elle  se  forme  peu  à 
peu,  lentenuîiit,  en  chaque  esprit,  par  une  sorte  d'épigenèse,  au 
t-ontact  des  choses.  Il  naît  ainsi,  en  chacun  de  nous,  un  premier  l'oud 
de  pensées  que  la  réalité  nous  impose  et  sans  lequel  tout  le  dévelop- 
pement ultérieur  resterait  impossible.  Ces  notions  premières,  (jue 
l'abbé  de  Hroglie  comprenait  et  défendait  si  bien  sous  le  nom  de 
..  données  synthétiques  »,  forment  le  lot  commun  de  l'humanité, 
ce  par  quoi  nous  sommes  frères  intellectuellement,  et  nous  nous 
comprenons  les  uns  les  autres.  Elles  représentent  notre  première 
prise  des  choses,  le  point  de  départ  de  toutes  les  sciences  et  de  tous 
les  arts.  Là  se  trouvent  rapprochées  et  mêlées  par  leurs  racines  com- 
munes la  métaphysique  naturelle,  la  psychologie  naturelle,  la  logique 
naturelle,  tout  un  ensendde  de  notions  contemporaines  les  unes  des 
autres,  sans  lesquelles  il  est  impossible  de  construire  aucune  science: 
car  il  y  a  de  la  psychologie  partout,  de  la  logique  partout  et  surtout 
peut-être  de  la  métaphysique  partout.  Ce  sont  quebpies-unes  de  ces 
notions  premières,  en  un  sens  «  nées  avec  nous  »,  tant  elles  sont 
d'une  acquisition  immédiate,  que  lûint  a  prises  bien  à  tort  pour  des 


792  E.  A. 

formes  a  priori,  \H)\iv  dos  pièces  eonslitulives  el  subjectives  de  noire 
(irjçanisine  mental.  1^'espace.  qu"esl-ce  auU-e  chose  que  l'ensenibie  et 
le  syslt-me  «les  étendues  réelles  et  corporelles?  Qu'est-ce  que  le 
temps,  sinon  la  double  succession  continue  des  phénomènes  inté- 
rieurs et  extérieurs?  Kt  est-ce  une  raison,  parce  que  nous  trouvims 
l'étendue  partout,  le  mouvement  partout  et  la  succession  partdul, 
de  conclure  à  leur  idéalité  pure  et  simple?  Quel  paralogisme  géant 
Je  ])ère  de  la  critique  n';t-t-il  pas  réussi  à  faire  accepter,  sur  sa  simple 
parole,  à  l'immense  niaj(U'ilé  des  philosophes  contemporains?  Il 
serait  grand  temps  de  s'arracher  à  ce  mirage  en  vertu  duquel 
l'univers  entier  est  en  nous  et  uniquement  en  nous,  suivant  lequel  la 
succession  des  générations,  les  liens  de  paternité  et  de  liliation,  tous 
les  déroulements  de  l'histoire  humaine  el  de  l'histoire  du  ciel  ne  se- 
raient, en  délinitive,  que  des  illusions  de  naissance  de  la  Raison  pure. 

N'est-ce  pas  faute  de  faire  sa  part  à  la  philosophie  naturelle,  tille 
de  la  raison  spontanée  el  mère  de  toutes  les  sciences,  que  l'on  se 
laisse  aller  à  ces  débauches  de  dialectique  aventureuse  el  vide,  si 
fréquentes  aujourd'hui.  Le  eriticisme,  souvent  négatif  dans  ses  résul- 
tats, n'esl-il  pas  l'opposé  de  la  vraie  critique  positive  et  scientilique, 
qui  fait  dans  la  science  le  triage  des  éléments  l'i'agiies  ou  l'ésislants, 
mais  dont  la  devise  doit  être,  son  choix  fail.  de  retrouver  la  filiation 
expérimentale  des  concepts  métaphysiques  et  d'égaler,  s'il  se  peut, 
les  théories  de  la  raison  rélléciiie  aux  concepts  instinctifs  de  la  rai- 
son spontanée. 

On  a  essayé  ra[)iilicatiou  de  ces  principes  généraux  non  seule- 
ment à  la  logique  savante,  mais  encore  à  quelques  questions  pai- 
liculièi-es  de  métaphysique,  aux  (-(uicepls  fondamentaux  de  la  géo- 
métrie et  de  la  mécanique,  lels  que  ceux  de  la  ligne  droite,  de 
l'espace,  du  mouvement.  <!<■  la  force  et  de  la  masse.  11  faut,  pour 
suivre  cette  méthode  austère  de  philosophie,  consentir  à  bien  des 
sacrilices,  fuir  les  paradoxes  retentissants,  renoncer  au  désir  de 
construire  chaque  fois  une  philosophie  inédite  et  au  plaisir  inc(un- 
parable  que  l'on  goûte,  parait-il.  à  renverser  le  plus  d'axiomes  et  le 
jilus  de  données  possible,  par  un  simple  jeu  de  dialectique,  au  nom 
d'un  axionu-  ou  d'une  donnée  préférée.  On  y  gagne,  en  revanche,  de 
garder  le  cimtact  avec  la  terre  ferme  et  de  rendre  po.ssible  l'union 
intime,  liuirmonie  nécessaire  des  dirtérentes  branches  de  la  science 
avec  la  philosophie. 

Cours  du  P.  Peillaube.  —  Le  P.  Peillaube,  iiiot<'sseur  di'  jisxeho- 
logie,  fail  chaque  semaine  deux  cours. 


FACCLTi:  UE  l'Iin.OSOPlIlF.  79.1 

Le  preinii*!'  f'st  consacré  ;i  la  iiioiiograpliie  d'un  clat  (ic  conscicncH 
choisi  parmi  les  plus  importants  ;  celte  étude  de  détail  et  d'iinalysi^ 
est  capitale  pour  la  formation  d'un  psychologue,  car  elle  metsiicces- 
.sivement  en  o?uvre  les  nombreuses  métliodes  dont  on  est  obligé  de  si; 
servir  pour  comprendre  le  réel,  si  riclie  et  si  compliciué  (\n\is  noliv  vit^ 
intérieure. 

Le  second  consiste  à  suivre,  avec  ordre,  les  i)riiici[iaies  questions 
dont  se  compose  la  psychologie  ;  il  est  ordonné  de  manière  à  étudier 
ces  matières.en  deux  ans. 

Cette  année,  le  professeur  devait  commemer  le  cours  de  psycho- 
logie. Mais  il  en  a  été  emj)éciié  par  la  maladie.  11  avait  pris  comme 
sujet  de  monographie  les  sensntiinis.  les  images,  les  souvenirs  et  la. 
peireptiiiti.  Il  n'a  pu  qu'analyser  les  dillëi-ents  groupes  de  sensations 
et  d'images  :  sensations  et  images  visuelles,  sensations  et  images 
auditives,  sensations  et  images  kinesthésiques,  tactiles  et  thermiques, 
sensations  et  images  olfactives,  sensations  et  images  gustatives.  enfin 
sensations  et  images  viscérales. 

Cours  du  P.  Sertillanges.  —  .Vyant  à  établir  tout  d'abord  les 
premiers  ]>rincipes  de  la  morale,  le  professeur  prend  son  point  de 
départ  dans  VÉlhiqne  d'Aristote,  qui  n'a  besoin  que  d'être  complétée 
pour  présenter,  dans  ses  grandes  lignes,  le  type  parfait  d'une  éthique 
naturelle.  Ce  qui  lui  manque,  c'est  d'avoir  su  se  rattacher  d'une  façon 
suffisamment  ferme  à  l'absolu  divin,  qui  seul  peut  servir  de  base  à 
l'idée  d'obligation  morale  et  garantir  une  sanction.  Aussi  la  morale 
d'Aristote  présente-t-elle  les  caractères  d'une  morale  «  sans  obligation 
ni  sanction  "'.  d'où  résulte  i)0ur  nous  la  nécessité  de  la  prolonger  dans 
les  deux  sens,  afin  de  lui  faire  rejoindre  le  divin  considéré  comme 
source  de  sa  valeur  transcendante  et  comme  aboutissant  de  son  eflori . 

Ce  qui,  dans  Aristote,  demeure  à  jamais  inébranlable,  en  dépit 
des  attaques  de  maint  adversaire,  c'est  sa  doctrine  de  la  l'erfer- 
lion  et  son  Kiidémonismo  rationnel,  l'our  lui.  la  loi  de  l'activité 
humaine  ne  peut  se  tirer  que  de  lexamen  de  la  nature  humaine. 
.'  Sois  ce  que  tu  es  »,  c'est  la  règle  première  de  toute  vie.  H  est 
bien  vrai  que  la  ii/iluir  de  l'homme,  considérée  dans  son  idéal,  ne 
.se  rencontre  nulle  part  :  mais  si  le  réel,  en  l'incarnant,  i'abais.se, 
L'esprit  la  désincarné  et  la  rétablit  dans  sa  pureté.  Or,  c'est  cette  idée 
de  l'homme,  conçue  par  l'homme,  qui  est  la  règle  et  le  principe  de 
la  morale.  Quiconque  travaille  contre  cette  idée  tend  à  se  détruire 
soi-même  en  tant  qu'honnne.  Kn  la  dégageant,  an  contraire,  et  en 
la  réalisanl.  ou  se  trouve  rire  tlM^'oriquement  et  ]iralii[uement  dans 


i'ji  E.  A. 

lu  véi-iti'  de    s;i    iialiire   U'ili'   (|uc   I'm   riiiicuc  cl    viiiiluc   le   <".r-('alciii-. 

|j  id('('  de  liiiiiJtritr  n'ajdiite  à  ce  (jui  jin'cèdc  1(1111111'  cliose  :  <'csl 
lu  coiistatatioii  di'  ce  l'ait  (|iie  tnule  fonction  conforniP  à  la  nahirc 
|iroduit  natiirelk'iiu'iil  un  plaisir  ;  (ju'i\  l'activité  la  nicillciu'c  duil  donc 
correspondre  le  ineilleni-  ]ilnisir.  cl  (jue  le  sa};;e,  constatant  cette  loi 
et  ne  pouvant  ipi'y  ap[ilandir,  doit  vouloir  dans.vo/;  liien  le  triomjjlie 
ilu  l)ien  et  poursuivre  d'un  même  élan,  liien  que  dans  une  pensée 
différente,  la  Ixjalitiidc  (jne  le  "  règne  des  lins  ..  lui  prépare  cl  la  j)i'r- 
fertiuii  que  la  volonti'  créatrice  lui  a  marquée. 

A  l'eiiconli-e  de  celle  théorie,  divers  systèmes  de  morale  (Mit  essayé 
de  se  constituer  sur  d'aulres  bases.  Aucun  ne  donne  satisfaction  à 
la  nature  rationnelle  de  riiomme  ou  ne  tient  un  compte  sufiisaiit 
des  conditions  réelles  de  sa  vie. 

La  moi'ale  du  IHahir.  celle  de  VUtilr,  celle  du  pur  Drroir,  sont 
csaïuiné'es  tour  à  tour  sous  leurs  diverses  formes:  im  en  voit  le  [leu 
de  consistance  ou  Tinsuflisance  iiianifesle. 

Le  P.  Sertillanj^es  re|irend  ensuite  l'idée  de  Perfection  Inmiiiinr 
pour  eu  analyser  le  contenu  réel,  et  en  conclure  la  loi  de  déveloiqie- 
menl  de  nos  facultés  envisagées  à  la  fuis  dans  leur  valeur  propre  (I 
dans  leur  liiérarcliie.  Il  en  résulte  une  connaissance  très  générale 
encore,  mais  extrêmement  féconde,  de  ce  qui  est  le  hien.Y>our  nous; 
Ions  les  jiréceptcs  moraux  s'en  déduiront  plus  lard  à  titre  de  consé- 
(juences.  L'idée  de  bonheur,  elle-même,  analysée  à  la  lumière  du 
principe  aristotélicien  de  la  xpeci/tralion  du  plaisir,  donne  lieu  à  des 
déterminations  du  même  ordre.  Il  y  a  seulement  ici  à  faire  la  [lart 
de  l'nccidrt\l.  qui  fait  obstacle  au  ■■  règne  des  lins  "  en  troublant  sans 
cesse  les  relalious  lun-males  du  bonheur  et  de  la  vertu,  ('.'est  là  ipu' 
doit  intervenir  l'idée  de  la  rir  future,  laquelle,  même  dans  une 
morale  purement  rationnelle,  ne  saurait  êlr'C  passée  sous  silence, 
sans  laisser  voir  dans  la  doctrini;  nu  \  ide  inqicissible  à  combler. 

Après  l'étude  du  Jiien  unirai  considéré  en  lui-même,  le  |U'ol'esseui- 
l'Iiidic  les  conditions  tians  lesquelles  il  exerce  son  r(')le  :  c'est  la  ques 
lion  lU'  la  /"/,■  |Miis,  il  fait  voir  de  (]uelle  fai;on  la  loi  elle-niême 
s'applique  à  sa  matière  :  c'est  la  (|uestion  de  la  rnuxririirr  uiorule.  Ces 
deux  notions  sont  faciles  à  lixer,  après  les  déterminations  qui  précè 
(leni  ;  mais  il  faut  encore  les  défendre  contre  les  faux  points  de  vue 
issus  de  pliilosophies  subversives  ou  incomplètes  ;  c'est  à  quoi  s'aji- 
plique  la  suite  du  cours,  qui  se  termine  par  une  brève  étude  du  l'ro- 
habilisme,  laissant  à  une  nouvelle  série  de  recherches  le  soin  de  déter- 
miner le  contenu  légitime  des  idées  de  rrrlu,  de  pro(ii-<H  nwruL  d(> 
mérite  et  de  sanction. 


œi'RS    ET    CONFÉRENCES    LIBRES 


Conférences  de  M.  J.  Gardair  sur  l'homme.  —  Apirs  mu' 
iiilrodiii'lioii  sur  l.i  liliysioiioiiiic  i;i''iu'r;ili'  <ii'  lit  [iliildsdjihic  i]ii  il  a 
riiilfnl'dii  tl  t'X])(isc'i-  l'I  il  e\|)li(|iii'i'  sur  rH(nnini\  eu  s'iiis[iir;inl  dr 
la  doclriiif  tic  saiul  Thomas.  M.  .1.  (iardair  cxiilori'  l'i'lrr  Iniiiiain 
lout  eiiliiT  depuis  la  malien'  de  sou  i'(ir[)s  Jusqu'à  ses  opéi-aliiuis  el 
ses  l'aeullés  les  plus  imuuil(''pielles.  de|)uis  la  t'ormatiou  iuiliale  de 
riiiuiiiiir  indixiduel.  par  l'ini-iii-piu'al  i(Ui  d  uni'  :'ime  si)iriluelle.  Jlis- 
<|U  à  1  exisleuee  de  eelle  ,ime  eu  delnu-s  de  la  nialiei-e,  après  la  ei'ise 
de  la  moi'l. 

Il  étutlie  d'abord  tl  justilie  la  lln'orie  de  la  Matière  et  de  la  Forme, 
iloiit  il  est  ui'cessaire  d  avoir  uue  uotiou  exacte,  pour  saisir  la 
nature  du  couiposé  liumaiu.  suhstauee  complexe,  oii  l'àme,  priiui|(e 
^inique  d'une  li-iple  vie,  est  aussi  le  [irincipe  unique  qui,  en  prennni, 
possessi(ui  de  lèlémeut  matériel,  le  constitue  eu  corjjs  dhomme.  Il 
parcourt  ensuite  les  divers  déférés  de  vie  qui  s'échelonnent  et  sasso- 
cieul  en  nous  :  la  Vie  végétative,  de  nutrition,  de  croissance  et.  de 
i;c''néraliou,  où  l'unité  d'impulsion  et  de  direction  met  déjà  en  leuvre 
nue  umltiplicilé  de  puissances  vitali's;  la  Vie  sensitive.  avec  ses 
<leux  liranclies,  la  sensiMlité  de  connaissance  et  la  sensibilité  d'ai)pi''- 
tilion,  où  l'animalité  humaine  prépare,  par  les  sens  externes  el  les 
sens  internes,  les  données  expérimentales  que  l'intelligence  trans- 
formera en  les  immatérialisaut.  el  prélude,  par  les  passions  sensibles, 
à  laiiKuir  du  bien  ([ue  la  volouli'  tr'aduii'a  en  une  inclination  intellec- 
tuelle ;  entiu  la  Vie  proprement  humaine  de  cette  intelligence,  qui, 
éclairée  par  la  lumière  naturelle  de  l'entendement  actif,  pense  sous 
forme  abstraite,  universelle,  nécessaire,  et  raisonne  en  vertu  de 
principes  t'vidi'uls  par  eux-  mêmes,  et  de  cette  volonté,  qui,  précisé- 
ment |)arce  qu'elle  tend  iialurellemeut  au  bien  absolu  el  parfait, 
<lemeure  libre  de  se  délermiuei'  elle-Mu"'nu'  an  choix  de  tel  ou  tel 
Jiien  particulier  el  imparfait. 

C'est  parles  caractères  îles  actes  intelleclucds  el  volontaires  (|ue 
M.  .1.  Gardair  ilémonlre  la  spii-itualité  de  l'àme  humaine,  c'est-à-dire 
son  indépendance  radicale  à  l'égard  de  la  matière,  perfectioiï  supé- 
i'ienr(>  à  la  simplicité,  car,  selon  lui.  tout  pi-incipe  de  vie,  même  ani- 


7'.I0  K.  A. 

iii:ili\  in<!'ine  vc'fjclaliv»'.  est  simpli^,  el  inénic  tout  |ii'inci[)i'  forinatcui- 
(le  malif'i'O  a  une  certaine  sini]ilicité  d'être,  qui  seule  peut  ennstituer 
riinilé  de  la  substance  corporelle.  La  spiritualité  de  l'àme  n'est  point 
un  obstacle  à  l'union  de  l'àme  et  de  la  matière  du  corps  en  une  seule 
substance  composée.  M.  (iardair  s'attache  à  prouver  que,  dans  celte 
incoriioralion,  l'àme  luiinaine  ne  sul)it  aucune  déchéance,  mais  qu'elle 
(■'lève  à  elle  la  matière  en  se  l'unissant,  par  une  prise  de  possession 
(|ui  est  une  victoire,  et  non  un  avilissement.  Indépendante  de  toute 
uialière  par  nature,  l'àme  de  riioinme  ne  peut  tenir  son  origine  «pie 
d'une  création  immédiate,  et  ne  pourrait  cesser  d'exister  que  par 
cessation  de  la  création  continuée  qni  lui  conserve  l'existence.  Elle  est 
donc  immortelle  par  cela  même  qu'elle  est  spirituelle,  sous  réserve 
seidement  de  l'omnipotence  du  Créateur,  qui  peut  anéantir  cequ'il  crée. 
L'immortalité  de  l'àme  conduit  an  problème  ditlicile  di'  l'état 
naturel  de  cette  àme,  lorsqu'elle  a  été  séparée  de  la  matière  par  la 
mort:  comment  pourra-t-elle  penser  et  vouloir,  sans  corps,  s'il  est 
vrai,  comnn'  les  laits  le  montrent,  que  la  sensibilité  tout  entière  est 
liée  à  l'oi'ganisme,  que  l'intelligence  se  sert  de  la  connaissance  sen- 
sible pour  y  appuyer  ses  pensées,  el  que  c'est  l'intelligence  qui 
présente  à  la  volonté  le  bien  que  celle-ci  est  née  pour  aimer  ? 
M.  dardair  résout  le  problème  en  nii'ttant  en  lumière  la  capacité 
fondamentale  de  l'àme  humaine  jiour  la  pensée  l'I  |)our  l'anKuir  intel- 
lectuel, 1^1  son  élévation,  après  la  mort,  dans  le  milieu  des  es|irils 
purs,  où  Dieu  <'ommnnique  les  idées  sul'lisariles  pour  la  vie  dintelli- 
genceel  de  volonté  ;  il  fait,  en  outre,  remaripier  ijne,  même  ))ourdes 
i-aisons  purement  philosophiques,  l'on  ])eul  l'spérer  qu'un  jour  Dieu 
réuniia  de  nouveau  à  la  matière  l'àme  qui  avait  été  forcée  de  s'en 
séparer,  car  l'àme  humaine  a  une  inclination  naturelle  à  former  et  à 
animer  un  corps,  et  il  appartient  à  la  sagesse  divine  de  ne  pas  priver 
indéfiniment  de  satisfaction  les  tendances  normales  de  la   nature. 

Si  l'on  joint  à  ces  cours  et  conférences  les  intéressantes  leçons  de; 
psychologie  données  j)ar  M.  Joly  à  un  auditoire  de  jeunes  lilles,  on 
aura  comme  nn  tableau  de  l'ensejgnement  de  la  pliilosoi)hie  à  l'insti- 
lut  catholique  de  Paris,  durant  l'année  scolaire  l'.lÔO-lîtOI. 

K.  .\. 


Le.  G>-rn,it  :  L.  G.XR.NlHIi. 

La  Chapelle-Montligeon.  —  Inip.  de  N.-l).  de  Montligeon. 


Revue  de  philosophie 


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